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Full text of "Mʹemoires couronnʹes et mʹemoires des savants etrangers, publiʹes par l'Acadʹemie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts"

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OF 

COMPARATIVE    ZOOLOGY, 

AT  HARVARD  COLLEGE,  CAÎIBRIDCE,  MASS. 

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No.  \5^^^ 

MÉMOIRES  COURONNÉS 


MÉMOIRES  DES  SAVANTS  ÉTRANGERS, 


PUBLIES    PAR 


L'ACADÉMIE  ROYALE 

DES    SCIENCES,    DES    LETTRES    ET    DES    BEAUX- ARTS    DE    BELGIQUE. 


MÉMOIRES  COURONNÉS 


ET 


MÉMOIRES  DES  SAVANTS  ÉTRANGERS, 


PUBLIÉS  PAR 


L'ACADEMIE  ROYALE 


DES  SCIENCES,  DES  LETTRES  ET  DES  BEAUX-ARTS  DE  BELGIQUE. 


TOME  XXVIII.  —  1856. 


BRUXELLES 


? 


»L    HAYEZ,    IMPRIMEUR   DE   L'ACADÉMIE    ROYALE. 


1856. 


5=^ 


TABLE 


DES    MEMOIKES    CONTENUS    DANS    LE    TOME    XXVIII. 


CLASSE  DES  SCIENCES. 


MEMOIRES    DES    SWANTS    ETRANGERS. 


La  cause  de  la  scinlillation  ne  dériverait-elle  point  de  phénomènes  de  réfraction  et  de  dispersion 
par  l'atmosphère?  Par  M.  Monligny. 


CLASSE  DES  LETTRES. 


MÉMOIRES    COURONNÉS. 


Mémoire  liistorique  el  littéraire  sur  le  collège  des  Trois-Langues  à  l'université  de  Loiivaiii;  pai 
M.  Félix  Nève. 

Notice  sur  le  haroii  de  Stassart;  par  M.  Eugène  Van  Beniniel. 


LA  CAUSE 


DE 


LA  SCINTILLATION 

NE  DÉRFVERAIT-ELLE  POINT  DE  PHÉNOMÈNES  DE  RÉFRACTION  ET 
DE  DISPERSION  PAR  L'ATMOSPHÈRE? 


M.  MONTIGNY. 

PROFESSEUR    A     l\tHÉNÉK    DE    NAfflUK. 

{Mémoire  présenté  â  TAcaJéinie  ,  dans  sa  séance  du  3  avril  1856.  ) 


Tome  XXVHI. 


LA  CAUSE 


LA  SCINTILLATION 


NE  DÉRIVEKAIT-ELLE  POINT  DE  PHÉNOMÈNES  DE  RÉFRACTION  ET  DE  DISPERSION 

PAR  L'ATMOSPHÈRE? 


La  question,  posée  en  ces  termes,  paraîtra  peut-être  un  acte  hardi  aux 
yeux  du  lecteur  instruit  de  l'ingénieuse  théorie  de  la  scintillation  de 
M.  Arago,  qui  est  basée  sur  des  phénomènes  d'interférence  des  rayons 
stellaires  dans  l'air,  comme  le  montre  sa  belle  Notice  insérée  dans  VAn- 
nuaire  du  Bureau  des  longitudes  de  1851.  Aussi,  me  crois-je  obligé  d'exposer 
les  motifs  qui  m'ont  engagé  à  émettre  des  idées  opposées  à  celles  de  ce 
célèbre  savant  sur  la  cause  de  la  scintillation.  Ce  phénomène  intéressant 
ne  constitue  cependant  pour  beaucoup  de  personnes,  qu'une  simple  cu- 
riosité scientifique;  car  son  étude  ne  présente  point  la  perspective  de  quel- 
que application  utile,  genre  de  mérite  si  recherché  à  notre  époque,  même 
dans  les  travaux  scientifiques. 

L'absence  d'avenir  de  la  question,  envisagée  sous  ce  point  de  vue,  jointe 
au  sentiment  de  respect  dû  au  talent  scientifique,  au  génie  même  de 
M.  Arago,  trop  tôt  ravi  à  la  science,  m'imposait  une  certaine  réserve  dans 
l'examen  de  ce  point  délicat.  Mais  un  appel  me  fut  adressé  par  M.  Moigno, 
dans  le  journal  le  Cosmos,  de  1851  ^,  pour  m'engagera  rechercher  la  cause 
de  la  scintillation  autre  part  que  dans  les  phénomènes  d'interférence;  et 
cela,  à  propos  de  l'espèce  de  connexion  qu'il  crut  entrevoir  entre  cette 
cause  et  des  phénomènes  rapportés  dans  un  travail  que  j'ai  eu  l'honneur 

I  T.  Il,  p.  18. 


4  DE  LA  SCINTILLATION. 

de  présenter  à  l'Académie  de  Belgique  '.  Je  juge  utile  de  transcrire  ici  les 
réflexions  dont  M.  Moigno  fit  suivre  l'exposé  du  rapport  de  M.  Plateau  sur 
ce  travail,  attendu  que  cette  transcription  me  donnera  occasion  de  rap- 
peler en  peu  de  mots  les  points  fondamentaux  de  la  théorie  de  M.  Arago, 
tels  qu'ils  sont  présentés  dans  l'article  du  Cosmos. 

Après  avoir  exprimé  l'opinion  que  les  expériences  exposées  dans  le  tra- 
vail cité  pourraient  être  utilisées  dans  une  théorie  de  la  scintillation, 
M.  Moigno  aborde  ainsi  la  question  : 

«  La  scintillation,  dit  M.  Arago,  consiste,  pour  une  personne  regardant 
»  le  ciel  à  l'œil  nu,  en  des  changements  d'éclat  des  étoiles  très-souvent 
»  renouvelés.  Ces  changements  sont  ordinairement,  sont  presque  toujours 
»  accompagnés  de  variations  de  couleurs  et  de  quelques  effets  secondaires, 
>)  conséquence  immédiate  de  toute  augmentation  ou  diminution  d'inten- 
»  site,  tels  que  des  altérations  considérables  dans  le  diamètre  apparent 
»  des  astres  ou  dans  les  longueurs  des  rayons  divergents  qui  paraissent 
»  s'élancer  de  leur  centre  suivant  diverses  directions.  »  Dans  son  essence, 
donc  la  scintillation  est  la  perception,  sous  forme  discontinue  et  multi- 
colore, d'une  lumière  en  elle-même  continue  et  multicolore...  Cela  posé, 
M.  Arago  voit  dans  la  scintillation  un  phénomène  non  pas  seulement  sub- 
jectif, mais  avant  tout  objectif.  «  Puisque  toutes  les  étoiles  du  firmament, 
»  dit-il,  deviennent  vivement  colorées  dans  l'acte  de  la  scintillation,  il  y 
»  a  indubitablement  quelques-uns  des  rayons  dont  leur  lumière  se  com- 
»  pose,  qui  n'agissent  pas  alors  sur  l'œil;  soit  qu'ils  aient  été  arrêtés  au 
»  moment  de  leur  pénétration  dans  l'organe,  soit  que  leur  effet  ait  été 
»  détruit  avant  qu'ils  aient  atteint  la  rétine  ou  sur  la  surface  de  cette 
»  membrane.  »  Pour  expliquer  cette  absence  d'action  de  certains  rayons 
de  l'œil,  M.  Arago  recourt  naturellement  aux  interférences  dépendantes  à 
la  fois  et  des  chemins  parcourus  par  les  rayons,  et  de  la  nature  ou  de  la 
réfringence  des  milieux  qu'ils  ont  traversés,  et  formule  en  ces  termes  la 
théorie  de  la  scintillation,  pour  l'œil  d'abord  armé  d'une  lunette  :  «  Sup- 
!>  posons  que  les  rayons  qui  tombent  à  gauche  du  centre  de  l'objectif  aient 

'  Phénomènes  de  persistance  des  impressions  de  la  lumière  sur  la  rétine,  Mém.  de  l'Ac\ii.  koïale 
DE  Belgique,  l.  XXIV. 


DE  LA  SCirSTILLATIOiN.  S 

»  rencontré  depuis  les  limites  supérieures  de  l'atmosphère  des  couches 
»  qui,  à  cause  de  leur  densité,  de  leur  température  ou  de  leur  état  hygro- 
»  métrique,  étaient  douées  d'une  réfringence  différente  de  celle  que  possé- 
»  daient  les  couches  traversées  par  les  rayons  de  droite;  il  pourra  arrivei' 
»  qu'à  raison  de  cette  différence  de  réfringence,  les  rayons  rouges  de  droite 
»  détruisent  en  totalité  les  rayons  rouges  de  gauche,  et  que  le  foyer  passe 
»  du  blanc,  son  état  normal,  au  vert;  que  l'instant  d'après,  par  la  même 
»  cause,  les  rayons  verts  soient  totalement  anéantis,  et  que  le  foyer,  par 
»  conséquent,  devienne  rouge.  »  De  la  scintillation  dans  les  lunettes  à  la 
scintillation  à  l'œil  nu,  le  passage  est  facile  :  «  L'œil,  dit  M.  Ârago,  peut 
»  être  assimilé  à  une  lentille  ayant  à  son  foyer  un  écran  nerveux,  nommé 
»  la  rétine,  et  l'on  l'econnaîtra  que  tout  ce  que  nous  avons  dit  de  la  grande 
»  lentille,  partie  principale  de  la  lunette,  est  applicable  à  l'œil;  il  suffira 
»  pour  que  l'image  d'une  étoile  se  colore  en  vert,  par  exemple,  que,  dans 
»  le  faisceau  de  lumière  parallèle  blanche  qu'embrasse  la  surface  de  la 
«  pupille,  un  vingtième  se  trouve  dans  les  conditions  de  destruction  des 
»  rayons  rouges.  L'image  de  l'étoile,  au  contraire,  deviendra  rouge,  lors- 
»  que  la  destruction  de  lumière  à  la  surface  de  la  rétine  portera  sur  les 
»  rayons  verts.  Si,  enfin,  par  voie  d'interférence,  les  rayons  blancs,  arri- 
»  vant  à  la  pupille  par  la  gauche,  deviennent  rouges,  et  les  rayons  de 
»  droite  deviennent  verts,  ces  deux  couleurs  se  neutraliseront,  et  l'effet 
»  définitif  sera  un  changement  d'intensité.  »  Celte  théorie  est  éminemment 
ingénieuse,  et  elle  a  été  généralement  acceptée;  elle  est,  sinon  démontrée, 
du  moins  confirmée  par  les  expériences  faites  avec  les  diverses  scintillo- 
mètres  ou  scintilloscopes  de  M.  Arago;  elle  est  rendue  plus  probable 
encore  par  une  mémorable  expérience  que  M.  Ârago ,  —  et  nous  le  regret- 
tons vivement,  —  n'a  pas  formellement  ou  explicitement  décrite  dans  son 
admirable  Notice  sur  ta  scintillation  ^... 

»  11  est  cependant  une  toute  petite  objection,  ajoute  M.  Moigno,  que 
M.  Arago  nous  permettra  de  soulever,  et  dont  nous  n'aurions  peut-èlie 
pas  eu  la  pensée,  si,  dans  les  expériences  avec  son  réfracteur  interféren- 

'  M.  Moigno  décrit  ici  l'appareil  qire  lui-iiiênie  nomme  Réfracteur  interfèrent iel.  et  qui  ;i  été 
imaginé  par  M.  Arago. 


6  DE  LA  SCINTILLATION. 

tiel ,  nous  avions  opéré  non  pas  avec  la  lampe  ordinaire,  mais  avec  la 
lumière  électrique,  qui  nous  aurait  donné  et  un  point  lumineux  plus  con- 
centré et  une  lumière  incomparablement  plus  vive.  Notre  objection  est 
que,  dans  le  réfracteur  interférentiel ,  nous  ne  retrouvons  pas  les  couleurs 
brillantes  de  la  scintillation  des  étoiles.  Voilà  pourquoi  nous  avons  osé 
nous  demander,  sans  raison  peut-être,  si  les  expériences  de  M.  Montigny 
et  les  raisonnements  de  M.  Plateau  ne  mettraient  pas  sur  la  voie  d'une 
autre  explication,  en  ce  sens  qu'au  lieu  d'apparaître  par  suite  de  l'inter- 
férence de  quelques-uns  des  rayons,  les  couleurs  apparaîtraient  par  simple 
séparation,  par  retard  ou  avance,  par  la  perception  en  temps  différents. 
Laissons  à  MM.  Plateau  et  Montigny  développer  notre  pensée,  si  elle  leur 
semble  digne  d'attention.  » 

Ainsi  que  M.  Moigno  j'avais  été  frappé  de  l'espèce  de  connexion  qui, 
de  prime  abord,  semble  exister  entre  la  cause  de  l'apparition  des  couleurs 
dans  mes  expériences  et  celle  des  variations  de  coloration  dans  la  scintil- 
lation :  aussi  me  décidai-je  à  rechercher  la  cause  de  ce  dernier  phénomène 
parmi  des  faits  naturels,  moins  délicats  et  moins  complexes  que  les  inter- 
férences. Mais  je  jugeai  indispensable  de  faire  précéder  cette  étude  de 
recherches  sur  des  phénomènes  d'optique  météorologique,  qui  sont  incon- 
testablement les  résultats  de  phénomènes  de  réfraction  et  de  dispersion 
par  l'air  atmosphérique  ^.  Je  n'ai  qu'à  m'applaudir  d'avoir  suivi  cette  mai- 
che  rationnelle,  puisque  c'est  parmi  les  phénomènes  observés  que  je  crois 
avoir  trouvé  les  éléments  d'une  théorie  de  la  scintillation,  qui  repose  ex- 
clusivement sur  des  effets  de  l'éfraction  et  de  dispersion  par  l'air  atmosphé- 
rique. 

Mais,  objectera-l-on  peut-être,  cette  voie  n'est  point  nouvelle,  car  le 
résumé  des  diverses  explications  de  la  scintillation,  proposées  antérieure- 
ment, que  renferme  la  Notice  de  M.  Arago,  montre  que  la  plupart  reposent 
sur  des  effets  de  réfraction  partiels  de  l'air;  or  M.  Arago  semble  avoir 
combattu  avec  succès  toutes  ces  explications.  Cela  est  vrai;  mais  il  résulte 
évidemment  de  ce  résumé  que  les  savants  qui  s'occupèrent  de  la  scintil- 

'  Mémoires  de  l'Académie  royale  de  Belgique,  t.  XXVI. 


DE  LA  SCINTILLATION.  7 

lation,  se  sont  bornés  à  émettre  leurs  idées  sous  forme  de  présomptions. 
L'explication  de  M.  Arago  par  les  interférences  est  la  seule  qui  ait  été 
formulée  d'une  manière  précise  et  avec  détails.  En  présence  de  cela,  il 
ne  m'était  plus  permis  d'émettre  ma  théorie  sous  forme  conjecturale  et 
sans  la  fortifier  tant  par  des  faits  que  par  les  inductions  du  calcul ,  au- 
tant du  moins  que  celles-ci  peuvent  s'appliquer  aux  éléments  d'une  ques- 
tion ,  parmi  lesquels  plusieurs  présentent  de  l'incertitude  dans  leur  valeur. 
Le  lecteur  ainsi  prévenu  ,  comprendra  la  raison  pour  laquelle  je  m'élen- 
drai  sur  certaines  particularités. 

Je  ne  rappellerai  point  dans  un  ordre  didactique  les  diverses  circon- 
stances ou  caractères  de  la  scintillation;  elles  ont  été  traitées  avec  exten- 
sion dans  la  savante  Notice  de  M.  Arago.  Seulement,  je  ferai  précéder 
l'expose  de  la  théorie  de  deux  expériences,  dont  l'une  repose  sur  une 
disposition  entièrement  nouvelle. 


Nicholson  est  le  premier  qui  ait  signalé  le  fait  suivant,  que  du  reste 
M.  Arago  avait  également  observé  de  son  côté.  Si  l'on  imprime  un  mou- 
vement vibratoire,  rapide,  au  tube  d'une  lunette  achromatique  dirigée 
vers  une  étoile  scintillante,  telle  que  Sirius,  son  image  décrit  dans  la 
lunette  des  courbes  lumineuses  qui  se  revêtent  de  teintes  diversement 
colorées,  et  d'autant  plus  vives  que  l'étoile  est  plus  brillante  :  le  rouge, 
le  jaune,  le  vert  et  le  bleu-vert  sont  les  couleurs  les  plus  remarquables. 
Dans  cette  expérience,  la  perception  d'une  de  ces  teintes,  à  un  instant 
donné  sur  une  portion  de  courbe,  a  pour  cause  première  l'absence  mo- 
mentanée d'un  ou  de  plusieurs  rayons  constitutifs  de  l'étoile  dans  l'organe 
visuel,  par  suite  du  phénomène  de  la  scintillation  lui-même;  et,  pour 
cause  seconde ,  le  déplacement  de  l'image  de  l'étoile  sur  la  rétine.  On 
conçoit  en  effet,  que  les  vibrations  de  la  lunette  déplaçant  continuellement 
l'image  sur  la  rétine,  chaque  point  de  celle-ci  par  où  l'image  passe, 
reçoive  l'impression  résultant  du  mélange  des  rayons  de  l'étoile  qui  par- 
viennent en  ce  point  de  la  rétine  à  l'instant  considéré.  Si  les  mêmes  con- 
ditions de  mélange  des  rayons  persistent  pendant  un  certain  temps ,  la 


8  DE  LA  SCINTILLATION. 

portion  de  courbe  décrite  par  l'image  durant  cet  intervalle,  offre  une 
même  teinte  colorée.  Il  est  évident  que  l'arc  revêtu  de  la  teinte  complé- 
mentaire des  rayons  déficients,  est  d'autant  plus  étendu  que  les  déplace- 
ments de  l'image  sont  plus  rapides,  toutes  choses  égales  d'ailleurs.  Dans 
ses  observations,  Nicholson  en  ayant  égard  à  la  rapidité  des  vibrations  de 
la  lunette  et  à  la  longueur  apparente  des  arcs  diversement  colorés,  évalua 
par  estime  à  trente  le  nombre  des  changements  de  couleurs  distincts  que 
la  lumière  de  l'étoile  Sirius  éprouve  par  seconde  dans  la  scintillation  ^ 
Nous  aurons  occasion  de  voir  que  ce  nombre  est  encore  au-dessous  de  la 
réalité. 

M.  Arago  a  proposé,  comme  moyen  de  réaliser  commodément  le  dépla- 
cement de  l'étoile  sur  la  rétine,  de  placer  un  peu  en  avant  du  foyer  de  la 
lunette,  c'est-à-dire  entre  l'objectif  et  le  foyer,  un  petit  miroir  plan  incliné 
de  45°  sur  l'axe,  et  destiné  à  l'ejeter  latéralement  l'image  de  l'étoile  vers 
un  oculaire  ad  hoc,  comme  dans  la  disposition  du  télescope  newtonien. 
Un  mouvement  de  rotation  imprimé  à  ce  miroir,  à  l'aide  de  quelque  rouage 
d'horlogerie,  eût  amené  la  séparation  des  couleurs.  Aûn  de  dénombrer 
aisément  les  teintes  qui  auraient  composé  la  ligne  décrite  par  l'image  dans 
ses  déplacements,  M.  Arago  proposait  de  déduire  leur  nombre  total  de  la 
quantité  de  couleurs  réunies  sur  une  portion,  sur  le  dixième  par  exemple, 
de  la  ligne  de  déplacement  qui  eût  été  décrite  en  un  temps  déterminé. 
M.  Arago  n'entre  point  dans  de  plus  grands  détails  sur  cette  combinaison  -. 

Voici  le  principe  d'une  autre  disposition  à  laquelle  je  me  suis  arrêté. 
Tout  le  monde  a  pu  remarquer  qu'en  imprimant  des  ondulations  de  peu 
d'étendue  à  une  lentille  concave  ou  convexe  placée  entre  l'œil  et  un  objet , 
l'image  de  celui-ci  suit  sur  la  rétine  le  déplacement  de  la  lentille.  Ainsi 
l'image  décrit  une  courbe  circulaire  si  ,  par  le  mouvement  rapide  de  la 
main,  le  centre  optique  de  la  lentille  trace  sensiblement  un  petit  cercle 
dans  le  plan  môme  de  la  lentille.  La  courbe  de  l'image  sera  encore  cir- 
culaire, quand  la  lentille  tournera  autour  d'un  axe  perpendiculaire  à  son 
plan,  mais  qui  la  traversera  en  tout  autre  point  que  son  centre  optique. 

*  Notice,  page  379. 
-  Jb.,  page  442. 


DE  LA  SCINTILLATION.  9 

Le  diamètre  du  cercle  décrit  sera  évidemment  d'autant  plus  grand  que 
l'axe  de  rotation  traversera  la  lentille  plus  loin  de  son  centre,  ou  que 
celle-ci  sera  plus  excentrique.  Si  donc  on  dispose  une  lentille  concave  ou 
convexe  entre  l'œil  et  l'oculaire  d'une  lunette  de  façon  à  y  recevoir  un 
mouvement  de  rotation  autour  d'un  axe  excentrique,  l'image  d'une  étoile 
scintillante  vers  laquelle  l'instrument  sera  dirigé,  décrira  un  cercle  par- 
tagé en  arcs  diversement  colorés.  Dans  ce  procédé ,  l'interposition  d'un 
nouveau  milieu  lenticulaire  affaiblit  d'une  quantité  imperceptible  l'inten- 
sité de  l'image. 

J'entrerai  dans  quelques  détails  sur  la  manière  dont  j'ai  réalisé  cette 
disposition.  AB  mécanisme  d'horlogerie  de  petite  dimension,  mû  par  un 
ressort  et  fixé,  à  l'aide  de  vis,  sur  le  porte-oculaire  CD  du  télescope.  E 
petite  lentille  concave  à  rotation  excentrique,  qui  est  placée  entre  l'ocu- 
laire M  et  le  diaphragme  percé  d'une  petite  ouverture  contre  laquelle  l'œil 
s'applique.  Dans  le  dessin ,  ce  diaphragme  est  représenté  par  une  cir- 
conférence pointillée,  afin  de  laisser  voir  le  mode  de  monture  de  la  len- 
tille E.  L'axe  F  qui  la  traverse  à  une  petite  distance  du  centre,  reçoit 
un  mouvement  de  rotation  rapide  au  moyen  du  fil  qui  embrasse  à  la 
fois  la  petite  poulie  F,  fixée  à  l'axe,  et  la  poulie  plus  grande  H  que 
porte  l'arbre  prolongé  d'une  roue  du  mécanisme.  On  peut  retarder  ou 
accélérer  à  volonté  la  vitesse  de  tout  le  système  au  moyen  d'une  pièce  fai- 
sant l'office  de  frein;  elle  se  compose  du  ressort  J  fixé  à  une  extrémité, 
tandis  que  l'autre  reçoit  la  pression  d'une  vis  à  tête  I  qui ,  selon  le  besoin, 
éloigne  ou  rapproche  le  ressort  de  la  poulie  sans  gorge  K,  montée  sur 
l'axe  d'une  autre  roue.  La  pression  du  ressort  contre  K  modère  ainsi  la 
vitesse  du  mécanisme.  Comme  la  tension  du  fil  qui  embrasse  les  poulies 
F  et  H,  est  exposée  à  subir  de  faibles  variations,  la  monture  L,  com- 
posée de  deux  branches  recourbées  servant  de  support  à  l'axe  F  de  la 
lentille,  n'est  point  fixée  directement  au  diaphragme  en  avant  de  l'ocu- 
laire, mais  bien  par  l'intermédiaire  d'un  petit  ressort  recourbé  G  auquel 
cette  monture  est  rivée;  l'autre  extrémité  de  ce  ressort  est  vissée  sur  le 
diaphragme.  Sa  faible  tension  suffit  pour  que  la  rotation  de  la  lentille 
s'efTectue  avec  régularité. 

Tome  XXVIII.  2 


dO  DE  LA  SCINTILLATION. 

Dans  mes  observations,  j'ai  dû  limiter  la  grandeur  du  cercle  décrit  par 
l'image  de  l'étoile,  lequel  augmente  avec  l'excentricité  de  la  lentille,  afin 
de  conserver  plus  d'éclat  à  la  courbe  lumineuse  et  pour  éviter  des  effets  de 
coloration  prismatique  de  l'image,  qui  se  seraient  manifestés  aux  phases 
de  révolution  de  la  lentille  oîi  les  rayons  eussent  traversé  les  parties  du 
milieu  lenticulaire  de  courbure  plus  prononcée.  De  semblables  effets  doi- 
vent être  rigoureusement  évités  dans  les  expériences  sur  la  scintillation  : 
aussi  n' ai-je  employé  qu'une  lentille  concave  de  faible  excentricité.  Pour 
les  observations  où  il  serait  nécessaire  d'imprimer  un  mouvement  circu- 
laire de  grand  diamètre  à  l'image  télescopique  d'un  objet,  la  lentille  ordi- 
naire E  serait  remplacée  avec  avantage  par  une  lentille  achromatique. 

Quant  à  la  vitesse  de  rotation  du  système,  il  est  facile  de  la  faire  varier 
entre  des  limites  très-étendues,  en  serrant  ou  en  lâchant  le  frein.  Avec 
l'appareil  que  j'ai  disposé,  cette  vitesse  pourrait,  au  besoin,  s'élever  à  44 
tours  de  la  lentille  par  seconde;  mais  nous  verrons  qu'il  n'est  nullement 
nécessaire  d'avoir  recours  à  des  vitesses  aussi  grandes. 

Le  principe  de  cette  disposition,  très-simple  en  lui-même,  est  suscep- 
tible de  s'appliquer  à  l'étude  de  différents  phénomènes  de  persistance  des 
impressions  lumineuses  sur  la  rétine.  D'ailleurs,  l'appareil  une  fois  con- 
struit, peut  s'adapter  aisément  en  avant  de  l'oculaire  d'un  télescope  ou 
d'une  lunette,  sans  qu'il  soit  nécessaire  de  modifier  la  disposition  préexis- 
tante des  instruments  ,  sauf  à  enlever  le  diaphragme  antérieur  contre 
lequel  l'œil  s'applique,  qui  se  trouvera  alors  remplacé  par  celui  du  méca- 
nisme. 

Sirius  est  l'étoile  scintillante  qui  fut  l'objet  des  observations,  en  avril 
dernier;  l'appareil  fut  adapté  d'abord  à  un  télescope  grégorien  de  0"',08 
de  diamètre,  jouissant  d'un  pouvoir  grossissant  de  37  fois,  puis  à  une 
lunette  de  0'°,05  d'ouverture,  de  puissance  moindre  mais  qui  conserve 
plus  d'éclat  aux  images.  L'instrument  étant  dirigé  vers  l'étoile  élevée  de 
14"  au-dessus  de  l'horizon,  je  réglai  la  vitesse  de  rotation  de  la  lentille 
pour  que  l'image  télescopique  décrivît  une  circonférence  entière,  avec 
cette  condition  que,  pour  une  vitesse  moindre,  la  courbe  n'eût  point  été 
fermée.  La  circonférence  se  montra  divisée  en  arcs  diversement  colorés, 


DE  LA  SCINTILLATION.  H 

parmi  lesquels  le  rouge  pourpre,  l'orangé,  le  jaune  et  le  vert-pois  étaient 
les  mieux  caractérisés.  Je  n'ai  pas  réussi  à  distinguer  d'une  manière  cer- 
taine les  teintes  bleues,  quoique  Nicholson  ait  remarqué  le  bleu  verdâtre 
et  le  bleu  d'acier  dans  ses  expériences.  Toutefois,  j'ai  constaté  l'existence 
d'arcs  de  teinte  sombre,  soit  qu'ils  fussent  réellement  noirs,  ou  qu'il  y  en 
eût  d'un  bleu  foncé  dont  la  nuance  se  distingua  difficilement  du  bleu  du 
ciel,  qui  se  voyait  également  dans  le  champ  de  la  lunette.  Les  couleurs 
perçues  n'ont  point  paru  affecter  la  disposition  relative  des  couleurs  du 
spectre;  elles  alternaient  entre  elles  sans  régularité.  Mais  j'ai  la  certitude 
que  sur  une  même  circonférence,  les  arcs  rouges  étaient  plus  fréquents, 
plus  éclatants  et  occupaient  plus  d'espace  que  d'autres  couleurs,  le  vert 
par  exemple.  Le  jaune  se  manifesta  aussi  plus  souvent  que  ce  dernier, 
mais  sans  égaler  toutefois  la  fréquence  du  rouge. 

Chaque  couleur  ne  persiste  point  en  un  même  lieu  de  la  circonférence 
fractionnée  en  arcs  colorés  :  toutes  ces  teintes  changent  incessamment  de 
position.  Il  est  important  de  montrer  que,  dès  l'instant  où  la  vitesse  de 
révolution  de  la  lentille  ne  dépasse  pas  une  certaine  limite  de  grandeur, 
chaque  apparence  de  coloration  ne  persiste  plus  sensiblement  en  un  point 
de  l'orbite  décrite  par  l'image  sur  la  rétine,  quand  celle-ci  revient  au 
même  lieu  après  une  révolution  de  la  lentille.  En  effet,  M.  Plateau  a 
prouvé,  par  des  expériences  connues,  que  la  durée  totale  des  impressions 
produites  sur  l'œil  par  des  objets  de  différentes  couleurs,  éclairés  par  la 
lumière  du  jour,  était  moyennement  de  0",34.  ^  Dans  les  expériences  sur 

'  J'ai  obtenu  à  peu  près  le  même  résultat,  voici  dans  quelles  circonstances.  La  lunette,  munie 
de  l'appareil  décrit,  ayant  été  dirigée  vers  la  planète  Vénus,  je  réglai  la  vitesse  de  rotation  de  la 
lentille  de  manière  que  l'image  brillante  et  incolore  de  la  planète  décrivit  une  circonférence  fer- 
mée :  la  vitesse  de  l'image  était  telle  que  cette  dernière  retrouvait  en  cbaque  point  de  sa  course, 
l'impression  précédente  aflaiblie  au  point  d'être  près  de  s'évanouir  complètement;  car,  pour  une 
vitesse  de  la  lentille  moindre,  la  circonférence  eût  été  interrompue.  Le  temps  d'une  révolution, 
que  je  trouvai  égal  à  0",31  exprimait  la  durée  totale  d'une  impression  sur  la  rétine  produite  par 
l'image  de  Vénus  dans  les  conditions  où  j'opérai. 

On  va  voir  que  la  durée  d'une  révolution  nécessaire  pour  obtenir  une  circonférence  fermée,  était 
supérieure  aux  nombres  0",54  et  0",ôl,  quand  elle  se  composait  d'ares  diversement  colorés  par  la 
.scintillation  d'une  étoile;  cet  excédant  n'infirme  point  les  résultats  précédents,  obtenus  au  milieu 
de  circonstances  très-différentes. 


12  DE  LA  SCir^TILLATION. 

l'étoile  scintillante,  son  image  revenait  au  même  lieu  de  la  rétine  après 
un  temps  sensiblement  plus  long,  comme  on  va  le  voir;  l'impression  pro- 
duite en  un  point  de  l'orbite  était  donc  totalement  évanouie  quand  l'image 
repassait  au  même  lieu ,  après  une  révolution  complète.  Concluons  de  là, 
que  chacune  des  teintes  aperçues  sur  l'orbite  pendant  une  révolution, 
était  le  résultat  d'une  impression  complètement  indépendante  de  la  nature 
de  l'impression  produite  au  même  lieu  de  l'orbite  pendant  la  révolution 
précédente. 

Les  variations  de  position  incessantes  que  les  arcs  colorés  éprouvent 
à  chaque  révolution,  fortifient  ces  raisonnements.  Mais  ces  déplacements 
continuels  répandent  quelque  incertitude  sur  l'estimation  exacte  du  nombre 
des  teintes  colorées. 

Voici  les  résultats  obtenus  pour  l'étoile  Sirius,  quand  elle  était  élevée  de 
14»  sur  l'horizon  :  le  nombre  des  arcs  colorés  a  été  estimé  à  50,  la  durée 
d'une  révolution  de  la  lentille  excentrique  étant  de  0",4o.  D'après  ces  nom- 
bres, les  changements  de  couleur  et  d'intensité  de  Sirius  se  seraient  élevés 
à  70  par  seconde.  Dans  la  même  soirée,  au  moment  oîi  l'étoile  n'était  plus 
qu'à  5°  au-dessus  de  l'horizon,  les  couleurs  avaient  beaucoup  perdu  de 
leur  netteté,  à  cause  de  l'affaiblissement  que  les  rayons  éprouvent  en  tra- 
versant une  plus  grande  épaisseur  de  l'atmosphère.  Nonobstant  cette  dimi- 
nution, j'estimai  à  25  le  nombre  des  arcs  colorés  de  l'orbite,  lorsque  la 
durée  d'une  révolution  était  de  0",41  ;  d'après  ces  chiffres,  les  change- 
ments de  l'étoile  s'élevaient  encore  à  66  par  seconde. 

Une  vitesse  de  révolution  de  la  lentille  supérieure  à  celle  indiquée, 
aurait  pour  effet  de  diminuer  la  quantité  d'arcs  colorés  de  l'orbite  en 
augmentant  leur  longueur.  Cette  circonstance  devrait  faciliter,  semble-t-il, 
l'évaluation  de  la  quantité  d'arcs,  mais  l'accroissement  de  vitesse  présente 
l'inconvénient  d'affaiblir  notablement  l'éclat  des  couleurs.  Cet  affaiblisse- 
ment résulte  de  ce  qu'il  faut  un  temps  sensible  pour  qu'une  impression 
se  forme  d'une  manière  complète  sur  la  rétine;  conséquemment  les  im- 
pressions produites  par  l'image  de  l'étoile  sur  son  orbite,  perdent  une 
portion  de  leur  intensité  quand  la  vitesse  absolue  du  point  lumineux  aug- 
mente. C'est  pour  la  même  raison  qu'il  convient  de  limiter  l'excentricité  de 


DE  LA  SCINTILLATION.  13 

la  lentille;  car,  d'une  part,  le  rayon  de  la  courbe  circulaire  augmentant 
avec  l'excentricité,  et  de  l'autre,  la  vitesse  absolue  de  l'image  lumineuse 
croissant  avec  ce  rayon,  cette  vitesse  suivra  nécessairement  les  accroisse- 
ments de  l'excentricité,  la  vitesse  angulaire  de  l'image  restant  la  même. 
J'ai  reconnu  l'inconvénient  de  dépasser  une  certaine  excentricité  dans  mes 
expériences,  car  j'ai  été  obligé  de  remplacer  une  lentille  par  une  autre 
moins  excentrique. 

Le  meilleur  correctif  de  la  perte  d'éclat  que  subissent  les  teintes  de 
l'orbite  quand  la  vitesse  augmente,  serait  sans  contredit  l'emploi  d'une 
lunette  à  large  objectif,  qui  réunirait  ainsi  un  grand  nombre  de  rayons 
au  foyer;  mais  cette  ressource  m'a  fait  défaut.  Je  suis  persuadé  qu'avec 
des  appareils  plus  puissants  que  ceux  dont  j'ai  disposé,  et  qui  seraient 
munis  du  mécanisme  décrit,  on  ferait  des  observations  intéressantes  sur 
le  nombre  et  la  nature  des  changements  qu'une  étoile  scintillante  éprouve 
selon  sa  couleur  propre,  son  élévation  et  l'état  de  l'atmosphère.  Si  le 
peu  de  puissance  de  mes  instruments,  joint  au  petit  nombre  de  soirées 
favorables  dont  j'ai  joui  depuis  la  confection  du  mécanisme,  ne  m'a 
point  permis  de  multiplier  mes  observations,  on  peut  toujours  induire 
des  résultats  cités  que  l'étoile  Sirius,  scintillant  dans  les  régions  infé- 
rieures de  l'atmosphère,  éprouve  60  à  70  variations  d'intensité  et  de  cou- 
leurs par  seconde,  quantité  égale  au  double  de  l'estimation  de  Nicholson. 
Je  dis  ici,  des  variations  d'intensité  et  de  couleur,  parce  qu'il  pourrait 
se  faire  que  les  arcs  blancs  et  d'un  jaune  clair  de  l'orbite  correspon- 
dissent à  des  phases  de  non-coloration,  ou  plutôt  d'apparition  de  la  teinte 
propre  de  Sirius;  tandis  que  certains  arcs  sombres  se  seraient  manifestés 
aux  instants  oîi  l'éclat  de  l'étoile  eût  été  notablement  affaibli,  sinon  même 
complètement  éteint. 

Il  ne  serait  pas  sans  intérêt  d'adapter  le  mécanisme  en  question  à  l'ocu- 
laire d'un  héliomètre,  puissante  lunette  dont  l'objectif,  coupé  suivant  un 
diamètre,  donne  lieu  à  deux  images  télescopiques,  quand  on  a  fait  glisser 
ses  deux  moitiés  suivant  cette  ligne  de  coupure.  Il  est  évident  que  la  rota- 
tion de  la  lentille,  placée  en  avant  de  l'oculaire  unique,  ferait  voir  deux 
courbes  égales  disposées  à  côté  l'une  de  l'autre.  On  doit  présumer  qu'il 


14  DE  LA  SCINTILLATION. 

se  présentera  au  même  instant  des  différences  dans  l'ordre  relatif  des  cou- 
leurs des  deux  orbites  K 

Voici  un  procédé  tout  différent  du  premier,  qui  est  également  appli- 
cable à  l'étude  de  la  scintillation.  Si  l'on  dispose  un  prisme  réfringent 
ordinaire  de  manière  à  projeter  dans  la  direction  d'une  lunette  le  spectre 
d'une  étoile  scintillante  qu'il  produit,  ce  spectre,  notablement  ampliflé, 
accuse  d'une  manière  irréfragable  les  modifications  que  subissent  les 
rayons  de  l'étoile,  séparés  les  uns  des  autres  par  le  prisme^. 

Dans  les  soirées  où  les  expériences  précédentes  eurent  lieu,  je  plaçai 
perpendiculairement  au  plan  de  l'étoile  Sirius,  élevée  de  10"  environ  sur 
l'horizon,  l'arête  d'un  prisme  de  crown-glass  dont  l'angle  réfringent, 
de  45",  occupait  le  sommet.  La  lunette  achromatique  était  disposée  de 
manière  à  montrer  le  spectre  stellaire  bien  étalé.  Les  couleurs  rouge, 
orangé,  jaune,  vert,  bleu  et  violet  étaient  nettement  caractérisées  sur 
l'étendue  d'un  spectre  long  et  étroit;  les  quatre  premières  teintes  jouis- 
saient d'un  éclat  très-vif.  Mais  le  spectre  fut  loin  de  conserver  des  dimen- 
sions et  une  position  invariables  dans  son  ensemble  et  ses  parties  :  des 
allongements  et  des  raccourcissements  rapides  agitèrent  ses  extrémités,  plus 
fréquemment,  toutefois,  et  sur  une  plus  grande  étendue  du  côté  du  violet. 
Le  spectre  subissait,  en  outre,  des  trépidations  transversales,  brusques  et 
presque  continuelles.  Ces  phénomènes  se  produisirent,  soit  que  les  obser- 
vations se  fissent  à  li'avers  la  fenêtre  ouverte  d'un  appartement,  ou  au 
milieu  d'un  jardin  dans  lequel  j'effectuai  momentanément  la  même  dis- 
position d'appareil,  afin  de  m'assurer  que  les  effets  observés  ne  pussent 
être  attribués  en  partie  au  mélange  des  courants  aériens,  entrant  et  sor- 
tant par  la  fenêtre  de  l'appartement. 

J'ai  dit  que  les  changements  étaient  plus  caractérisés  du  côté  du  violet  : 
en  effet,  les  raccourcissements  presque  continuels  de  cette  partie,  rapides 

'  Telle  esl  du  moins  la  présomption  de  M.  Arago,  le  premier  qui  ait  proposé  d'appliquer  l'iié- 
liomètre  à  l'étude  de  la  scintillation,  dans  le  but  de  constater  la  dissemblance  que  les  images  de 
l'étoile,  étalée  en  ruban  par  le  fait  de  légères  vibrations  imprimées  au  tube  de  riiélioraètre,  eussent 
manifestée.  {Notice,  p.  402.) 

-  Ce  moyen  d'analyser  les  particularités  de  la  scintillation  n'a  été  proposé  par  aucun  observa- 
teur, du  moins  à  ma  connaissance. 


DE  LA  SCINTILLATION.  15 

et  parfois  saccadés,  résultaient  de  la  disparition  du  violet  d'abord,  puis 
du  bleu;  à  ces  instants,  le  spectre  se  raccourcissait  de  la  moitié  de  sa 
longueur.  Parfois,  le  vert  et  le  jaune  semblèrent  s'élancer  par  traits  vers 
le  bleuet  le  violet,  sur  lesquels  les  premières  couleurs,  le  vert  surtout, 
empiétèrent  sensiblement.  L'extrémité  rouge  vacilla  également  vers  le 
jaune,  qui  quelquefois  s'étendit  à  son  tour  du  côté  du  rouge,  comme  je 
l'observai  facilement  eu  cachant  tout  le  spectre,  sauf  le  rouge,  au  delà  du 
champ  de  la  lunette.  Il  est  à  remarquer  que  la  teinte  rouge  ne  parut 
point  subir  d'extinction  complète,  et  que  les  empiétements  du  jaune  y 
furent  beaucoup  plus  restreints  que  ceux  du  vert  sur  l'autre  extrémité. 
Quelquefois  aussi  un  trait  lumineux  semblait  s'élancer  comme  un  éclair 
sur  toute  l'étendue  du  spectre;  il  se  montrait  alors  très-agité. 

Quand  l'étoile  fut  descendue  à  5"  près  de  l'horizon,  les  couleurs,  encore 
distinctes,  avaient  perdu  de  leur  éclat  :  le  rouge  était  le  moins  altéré. 
L'extrémité  du  bleu  violet  subissait  des  variations  aussi  fréquentes  que 
précédemment,  mais  le  jaune  et  le  vert  étaient  plus  stables.  Très-près  de 
l'horizon,  le  rouge  et  le  vert  restèi-ent  les  seules  couleurs  distinctes;  les 
changements  s'y  effectuaient  lentement,  et  la  partie  du  spectre  encore  per- 
ceptible semblait  passer  successivement  du  rouge  au  vert. 

Le  spectre  de  Sirius  avait  présenté  des  vacillations  accompagnées  de  sem- 
blables caractères,  lors  d'observations  de  même  genre  effectuées  au  moyen 
du  prisme,  il  y  a  quatre  ans  environ,  au  mois  de  février,  à  une  heure  de  la 
soirée  où  l'étoile  était  très-élevée.  L'extrémité  violette  fut  aussi  plus  parti- 
culièrement le  siège  de  vacillations  et  d'extinctions  totales,  et  le  spectre 
subit  parfois  aussi  des  trépidations  transversales. 

—  Les  changements  instantanés  de  couleurs  sont  sans  contredit  la  par- 
ticularité la  plus  remarquable  et  la  plus  difficile  à  expliquer  dans  la  scin- 
tillation des  étoiles,  observée  soit  à  l'œil  nu  ou  dans  une  lunette.  L'expli- 
cation que  j'en  propose  a  pour  base  des  effets  de  réfraction  et  de  dispersion 
par  l'atmosphère;  il  importe  donc  d'étudier  de  quelle  manière  la  sépara- 
tion des  rayons  diversement  colorés  d'une  étoile  s'effectue  dans  l'air. 

Soient  A  et  Z,  ^3.  2,  le  lieu  et  le  zénith  de  l'observateur;  le  rayon  Rm 
arrivant  en  A  après  avoir  traversé  l'atmosphère,  non-seulement  s'est  infléchi 


46  DE  LA  SCINTILLATION. 

suivant  une  courbe  mbk,  mais  il  s'est  décomposé  en  ses  rayons  consti- 
tutifs, diversement  réfrangibles,  de  manière  que  leurs  trajectoires  ont 
traversé  des  lieux  différents  de  l'atmosphère.  Ce  fait,  rigoureusement  vrai 
pour  toute  dislance  zénithale  autre  que  0°,  ne  souffre  d'exception  que  près 
du  zénith,  là  où  la  réfraction  est  nulle  et  d'où  le  rayon  arrive  suivant  ZA 
sans  éprouver  de  décomposition.  Le  pouvoir  dispersif  de  l'air  étant  très- 
faible,  les  effets  de  dispersion  ne  restent  manifestes  qu'à  peu  de  degrés 
au-dessus  de  l'horizon,  quand  on  se  sert  d'instruments  ordinaires. 

La  forme  de  la  trajectoire,  décrite  par  un  rayon  coloré,  dépend  à  la 
fois  de  la  distance  zénithale  de  l'étoile  et  de  la  puissance  réfractive  de  l'air 
pour  ce  rayon,  au  moment  où  on  l'observe.  Dans  un  travail  précédent  ',  j'ai 
fait  voir  qu'à  la  température  de  0"  et  sous  la  pression  de  0",76,  les  indices 
de  réfraction  de  l'air,  pour  le  rouge  moyen  et  le  bleu  extrême,  sont  res- 
pectivement 1,00029242  et  1,00029654.  Le  rayon  bleu  étant  le  plus 
réfrangible,  la  courbure  de  sa  trajectoire  est  plus  prononcée  que  celle  du 
rayon  rouge;  aussi  le  premier  s'écarte-t-il  plus  que  celui-ci  de  la  direc- 
tion qui  serait  suivie  par  le  rayon  Rm,  si  la  puissance  réfractive  de  l'air 
était  nulle.  D'après  cela,  les  trajectoires  des  rayons  bleu  et  rouge  prove- 
nant du  rayon  Rm,  ont  respectivement  les  positions  mb  et  mr  pour  les- 
quelles le  rayon  rouge  se  dirige  au-dessus  du  rayon  bleu. 

Ce  dernier  est  donc  le  seul  provenant  de  Rm  qui  parvienne  en  A,  lieu 
de  l'observateur;  le  rayon  rouge  aboutit  au  delà,  en  A'.  La  dispersion 
d'un  rayon  R'm',  différent  de  R?n,  mais  parallèle  à  sa  direction  en  dehors 
de  l'atmosphère  puisqu'il  provient  de  la  même  étoile,  envoie  un  rayon 
rouge  en  A  suivant  la  trajectoire  m'r'A.  Ce  rayon ,  dont  la  courbure 
ne  diffère  sensiblement  de  mrA'  que  par  son  transport  parallèle,  est  le 
seul  des  rayons  constitutifs  de  R'm'  qui  arrive  en  A;  car  le  rayon  bleu 
de  même  origine  suit  la  direction  m'b'k".  Les  droites  kt  et  At',  respec- 
tivement tangentielles  en  A  aux  trajectoires  bleu  et  rouge,  comprendront 
un  angle  tkt'  égal  à  l'étendue  angulaire  du  spectre  stellaire  visible  en  A. 
La  grandeur  de  cet  angle  augmente  avec  la  distance  zénithale  :  j'ai  fait 

'  Essai  sur  des  effels-de  réfraction  et  de  dispersion  par  l'air  atmosphérique ,  Mém.  de  l'âcad.  de 
Bri-GiQUE ,  t.  XXVI. 


DE  LA  SCINTILLATION.  17 

voir  qu'elle  est  successivement  égale  à  1",  à  2",  à  5"  et  à  29"  aux  dis- 
lances zénithales  apparentes  de  50,  70,  80  et  90°;  c'est  environ  -^  de  la 
réfraction. 

Les  mêmes  raisonnements  s'appliquant  aux  rayons  des  teintes  autres 
que  le  rouge  et  le  bleu,  concluons-en  que,  dans  les  conditions  normales 
de  l'atmosphère,  les  rayons  diversement  colorés  provenant  d'un  même 
rayon  stellaire  incolore  se  séparent  par  dispersion  dans  l'atmosphère  pour 
ne  plus  se  réunir;  et  que  les  rayons  émanés  d'une  étoile  non  voisine  du 
zénith,  ont  traversé  des  régions  différentes  avant  de  parvenir  à  l'observa- 
teur. Dans  les  conditions  ordinaires  de  vision  d'une  étoile  à  l'œil  nu,  celui- 
ci  ne  perçoit  qu'un  point  brillant  et  non  un  spectre  stellaire,  parce  que 
l'espace  occupé  par  les  couleurs  sur  la  rétine  est  tellement  restreint,  que 
l'organe  de  la  vue  ne  peut  en  opérer  la  séparation,  et  qu'il  éprouve  l'im- 
pression résultant  de  leur  mélange,  c'est-à-dire  celle  de  la  couleur  propre 
de  l'étoile.  Mais  si  l'œil  est  armé  d'une  lunette,  la  longueur  du  spectre 
est  amplifiée  par  le  pouvoir  grossissant  de  l'instrument;  alors  ses  teintes 
deviennent  généralement  distinctes.  M.  Struve  assure  que  les  effets  de  dis- 
persion sont  perceptibles  jusqu'à  40°  de  hauteur  quand  on  se  sert  d'instru- 
ments puissants. 

Il  est  actuellement  important  de  montrer  comment  l'écartement  des 
trajectoires  rouge  et  bleue,  par  exemple,  augmente  avec  l'éloignement  du 
lieu  où  un  spectateur  le  considère  dans  l'air.  J'ai  démontré,  dans  une 
note  qui  termine  ce  travail,  que,  si  l'on  représente  par  x  l'éloignement 
Am  {fîg.  5)  du  point  m  de  la  trajectoire  bleue  au  spectateur  A,  par  Z  la 
distance  zénithale  de  l'étoile  observée,  la  longueur  D  de  la  droite  me,  nor- 
male au  rayon  coloré  moyen  ou  plus  simplement  au  rayon  rouge  cA,  qui 
mesure  en  m  la  distance  rectiligne  des  trajectoires  rouge  et  bleue  aboutis- 
sant à  l'observateur  A,  a  pour  expression  générale  : 

/  1,00038890 

(10) D  =  sin  Z  X   26",25  /     1   — 


cos  (Z  - 
X r:r- 


10 


Cette  formule  est  mise  sous  la  forme  la  plus  simple,  celle  qui  convien- 
ToME  XXVIII.  3 


18  DE  LA  SCINTILLATION. 

drait  au  cas  où  la  tension  de  l'air  serait  0'",~Q  en  A,  et  la  température  0" 
en  ce  lieu  et  dans  les  couches  d'air  jusque  la  hauteur  m. 

Si  l'on  applique  cette  formule  à  calculer  l'écart  D  des  trajectoires  rouge 
et  bleue  provenant  d'une  éloile  distante  de  80°  du  zénith,  et  pour  les  dif- 
férents cas  où  l'éloignement  x  du  point  m  au  spectateur  en  A  varie  depuis 
100  jusqu'à  10000  mètres,  on  obtient  les  résultats  suivants  : 

Valeur  de  ar 100"  1000"  dOOOO" 

Valeurs  de  D  correspondantes 0",03  0",35  3",ô 

Les  valeurs  de  D  étant  peu  influencées  par  la  température  de  l'air,  on  est 
en  droit  de  conclure  que,  dans  une  atmosphère  calme,  l'écart  rectiligne 
des  trajectoires  rouge  et  bleue  provenant  d'une  étoile  éloignée  à  80°  du 
zénith,  atteint  0"',60  à  une  distance  de  1000  mètres  du  spectateur  auquel 
ces  rayons  aboutissent.  La  ligne  me  étant  la  plus  courte  des  lignes  que 
l'on  peut  mener  du  point  m  à  la  trajectoire  m'A,  toute  portion  de  sécante 
comprise  entre  les  deux  trajectoires,  qui  serait  oblique  à  me  avec  la- 
quelle elle  aurait  le  point  m  commun,  dépasserait  en  longueur  0",50, 
pour  une  distance  zénithale  de  l'étoile  de  80°  et  à  1000  mètres  de  l'ob- 
servateur. 

Dans  la  réalité,  chaque  trajectoire  colorée  ne  peut  être  considérée 
comme  une  ligne  sans  dimension  transversale  :  évidemment,  les  rayons  de 
même  teinte  qui  pénètrent  dans  l'œil  ou  dans  la  lunette  constituent  un 
faisceau  cylindrique  courbe  ayant  pour  base  l'ouverture  de  la  pupille  ou 
de  l'objectif.  Représentons-nous  ainsi  les  trajectoires  curvilignes  des  rayons 
rouge,  orangé,  jaune,  vert  et  bleu  provenant  de  la  dispersion  des  rayons 
d'une  étoile  élevée  de  10°  sur  l'horizon,  qui  pénètrent  dans  une  lunette 
de  O'MO  d'ouverture;  nous  concevrons  cinq  faisceaux  cylindriques  di- 
versement colorés,  chacun  de  0'*',10  de  diamètre,  et  dont  les  axes  mé- 
dians divergent  dans  le  plan  vertical  de  l'astre.  D'après  ce  qui  vient 
d'être  dit,  la  plupart  de  ces  faisceaux  sont  sensiblement  séparés  l'un 
de  l'autre  à  1000  mètres  de  distance  de  la  lunette,  puisqu'à  cette  dis- 
tance l'écart  D  des  trajectoires  médianes  rouge  et  bleu  est  égal  à  0"',50  au 
moins.  Les  diamètres  des  trois  faisceaux  intermédiaires,  considérés  dans 


DE  LA  SCINTILLATION.  19 

le  plan  vertical  de  l'astre  indépendamment  des  autres  teintes,  ne  se  tou- 
chent même  pas  à  leurs  extrémités  en  regard,  attendu  que  la  somme  de 
ces  diamètres  (O'^SôO)  est  moindre  que  la  portion  de  1)  (0'*',40),  qui  reste 
comprise  entre  les  faisceaux  rouge  et  bleu.  Le  calcul  montre  qu'à  des 
distances  de  2,  5,  4  et  5  mille  mètres,  l'écartement  des  trajectoires  mé- 
dianes rouge  et  bleu,  émanées  d'une  étoile  élevée  de  10",  a  respective- 
ment pour  valeur  1",08,  1",57,  2'V16,  2", 66  :  les  rayons  seront  donc 
suffisamment  séparés  aux  distances  indiquées,  pour  qu'un  phénomène  ré- 
sultant de  l'interposition  d'une  onde  aérienne  sur  un  des  rayons  colorés, 
se  produise  sans  que  tous  les  rayons  voisins  subissent  au  même  instant 
l'interposition  de  la  même  onde,  et  par  conséquent  les  effets  qui  en  ré- 
sultent. Les  impressions  sur  la  rétine  dues  aux  phénomènes  que  les  di- 
vers rayons  subiront  successivement,  et  dont  nous  allons  nous  occuper, 
resteront  ainsi  généralement  distinctes  les  unes  des  autres.  Ces  consé- 
quences s'appliquent  également  aux  rayons  émanés  d'une  étoile  élevée  de 
plus  de  10°  sur  l'horizon;  le  calcul  indiquerait  alors  à  quelle  distance  x 
de  l'observateur  les  rayons  dispersés  par  l'air  sont  écartés  d'une  quantité 
donnée. 

Les  faits  tels  que  je  viens  de  les  exposer  se  passent  réellement  dans 
l'atmosphère,  et  leur  existence  est  indépendante  de  toute  hypothèse. 

Actuellement,  quelle  est  la  cause  de  l'extinction  d'un  rayon  coloré  dans 
certains  cas  d'interposition  d'une  onde  sur  sa  trajectoire,  extinction  plus 
ou  moins  complète  et  qui  donne  lieu  à  la  coloration  des  étoiles  dans  la 
scintillation?  C'est  ce  que  nous  avons  à  établir. 

D'abord,  quelle  que  soit  cette  cause,  il  faut  admettre  que  l'œil  perçoit  la 
teinte  complémentaire  des  rayons  déficients  au  moment  de  la  suspension  de 
leur  perception.  Ainsi,  par  exemple,  selon  qu'un  ensemble  de  rayons  stel- 
laires,  dont  le  mélange  ou  la  superposition  presque  complète  sur  la  rétine 
donnerait  naissance  à  l'impression  du  blanc,  est  privé  momentanément  du 
bleu  foncé  ou  du  vert,  l'œil  perçoit  la  teinte  jaune  ou  la  rouge,  couleurs 
respectivement  complémentaires  du  bleu  et  du  vert.  Mais  l'impression 
résultant  de  l'extinction  d'un  rayon,  ne  devient  distincte  sur  la  rétine  que 
si  la  rapidité  de  succession  des  diverses  teintes  ne  dépasse  pas  une  cer- 


20  DE  LA  SCINTILLATION. 

taine  limite.  J'ai  montré,  dans  un  travail  précédent,  que  les  couleurs  du 
spectre,  en  se  succédant  au  même  lieu  de  la  rétine,  y  produisent  la  sen- 
sation du  blanc  quand  toutes  ces  teintes  s'y  succèdent  en  un  temps  sen- 
siblement moindre  que  0",04.  Concluons  de  là  que,  dans  la  scintillation, 
une  teinte  n'apparaît  en  un  point  de  la  rétine  par  défaut  du  rayon  com- 
plémentaire, que  si  la  suspension  de  perception  de  celui-ci  se  prolonge  au 
delà  de  0",04  de  durée.  Dans  les  circonstances  ordinaires,  les  variations 
de  couleur  d'une  étoile,  observées  par  l'œil,  se  succèdent  avec  beaucoup 
moins  de  rapidité  que  celle  prescrite  par  cette  limite  supérieure.  Mais  lors- 
que, par  l'emploi  des  artifices  exposés  précédemment,  l'image  de  l'étoile 
est  amenée  en  des  points  de  la  rétine  successivement  différents,  on  peut  dis- 
tinguer beaucoup  de  cbangements  en  très-peu  de  temps.  Ainsi,  quand  la 
lentille  excentrique  en  rotation  fut  adaptée  à  une  lunette,  soixante  effets 
de  coloration  par  seconde  se  distinguèrent  dans  la  scintillation  de  Sirius; 
la  durée  de  chacun  de  ces  changements,  et  par  conséquent  de  l'intercep- 
tion du  rayon  défaillant,  ne  dépassa  point  moyennement  0",016. 

Dans  mon  travail  sur  des  effets  de  réfraction  et  de  dispersion  par 
l'atmosphère,  j'expliquai  par  les  phénomènes  de  réflexion  totale  ou  d'angte- 
limite  des  suspensions  momantanées  de  la  perception  d'objets  terrestres , 
éclairés,  que  j'avais  observées.  Ces  cas  de  réflexion  résulteraient  de  l'in- 
terposition des  ondes  aériennes  sur  les  trajectoires  lumineuses,  dans  des 
conditions  où  de  tels  phénomènes  pussent  se  produire.  Le  calcul  indi- 
que, en  effet,  que  si  un  rayon  lumineux  incolore  se  présente  sous  un 
angle  d'incidence  plus  grand  que  89°  -48'  50"  à  la  face  d'une  onde  dont 
la  température  est  supérieure  de  5°  à  celle  de  l'air  ambiant,  ce  rayon  ne 
peut  pénétrer  dans  l'onde,  car  il  est  réfléchi  à  la  face  d'incidence.  La 
réflexion  du  rayon  aurait  également  lieu  par  une  onde  plus  froide  de  5° 
que  l'air  ambiant,  mais  ce  serait  sur  la  face  d'émergence  que  le  l'ayon 
serait  alors  réfléchi,  quand  il  s'y  présenterait  sous  un  angle  égal  à  la 
grandeur  citée.  Parmi  la  multitude  d'ondes  interposées  entre  l'observa- 
teur et  un  objet  dont  des  parties  faisaient  momentanément  défaut  à  la 
vision  lors  des  observations  précitées,  il  en  est  évidemment  qui  rencon- 
trèrent les  rayons  lumineux  dans  les  conditions  d'angle-limite:  il  s'ensui- 


DE  LA  SCliVTILLATIO?»).  21 

vit  nécessairement  que  l'œil  cessa  de  percevoir  ces  rayons  pendant  la  durée 
de  leurs  interceptions. 

N'est-il  point  rationnel  d'admettre  que  les  trajectoires  des  rayons  stel- 
laires  qui  traversent  toute  l'épaisseur  de  l'atmosphère,  agitée  par  des  ondes 
multipliées  et  de  densités  si  diverses,  soient  les  lieux  d'interceptions  subites 
dues  à  la  cause  citée?  Nous  avons  vu  précédemment  qu'au  delà  de  1000 
mètres  de  distance  de  l'observateur,  les  faisceaux  cylindriques  colorés, 
émanés  d'une  étoile  éloignée  du  zénith,  sont  suffisamment  séparés  poui' 
qu'une  onde  ascendante  qui  traversai!  successivement  ces  rayons  dans  les 
conditions  d'angle-limite,  pût  donner  lieu  à  des  impressions  sur  la  rétine 
essentiellemenl  distinctes.  De  cette  manière,  l'œil  doit  percevoir  les  cou- 
leurs complémentaires  successives  des  rayons  interceptés,  soit  par  le  fait 
d'une  même  onde,  soit,  ce  qui  est  plus  probable,  par  celui  de  plusieurs 
ondes,  au  milieu  de  la  multitude  qu'ils  rencontrent. 

Telle  est  l'essence  de  l'explication  des  changements  de  couleur  dans  la 
scintillation  que  je  propose  *.  Voyons  si  cette  théorie  s'accorde  avec  les 
faits  observés  jusqu'à  maintenant,  car  les  détails  sont  la  pierre  de  touche 
des  théories,  a  dit  Arago. 

«  Les  effets  de  réflexion  totale,  bases  essentielles  de  la  théorie  proposée  et  qui  la  distinguent  de 
toute  autre  explication,  ne  peuvent,  en  principe,  être  niés,  même  à  légard  d'une  très-petite  por- 
tion d'air  jouissant  d'un  pouvoir  réfringent  autre  que  celui  de  l'air  ambiant,  à  cause  d'une  ditle- 
rence  de  température.  Les  edéls  de  ce  genre  sont  la  source  iuconteslable  des  phénomènes  de 
mirage,  dont  l'observation  révèle  de  plus  en  plus  la  fréquence  dans  l'air.  Ils  peuvenl  résulter  par- 
fois de  très -petites  différences  de  température  des  couches  d'air  :  ainsi,  Pouillet  cite,  dans  son 
Traité  de  physique,  un  effet  de  mirage  latéral  observé  sur  le  lac  de  Genève,  qui  eut  pour  cause  la 
diversité  de  température  de  deux  parties  de  l'air,  dont  l'une  se  trouvait  dans  l'ombre  depuis  long- 
temps, tandis  que  l'autre  était  échauffée  par  le  soleil.  On  a  déjà  cherché  à  faire  intervenir  les 
effets  de  réflexion  totale  dans  la  production  de  phénomènes  que  présente  parfois  la  vision  des 
astres  :  ainsi,  Brandès  ramène  à  un  effet  de  mirage  le  phénomène  si  singulier  de  la  fluctuation 
des  étoiles.  (De  lliimboldt,  Cosmos,  t.  III ,  p.  293.) 

Comme  il  sera  toujours  difficile  de  prouver  directement  l'intervention  des  effets  invoqués  dans 
la  scintillation,  il  convient  de  citer  à  l'appui  les  résultats  de  quelques  expériences  qui  ont  été  effec- 
tuées dans  des  circonstances  où  la  température  s'écartait  beaucoup,  il  est  vrai,  des  différences  que 
les  phénomènes  naturels  présentent  ordinairement. 

Un  microscope  solaire,  muni  de  son  miroir  rédecleur  et  du  système  de  lentilles  ordinaire,  ayant 
été  adapté  an  volet  d'un  appartement  obscur,  j'interposai  sur  le  passage  des  rayons  solaires  la 
cheminée  en  verre  d'une  lampe  modérateur  allumée;  le  courant  des  gaz  fortement  échauffés  traver- 


22  DE  LA  SCINTILLATION 

L'observation  du  spectre  de  Sirius  obtenu  au  moyen  d'un  prisme,  a 
montré  que  les  couleurs  bleue  et  violette  sont  les  parties  oîi  des  extinctions 
partielles  et  complètes  se  manifestent  le  plus  souvent.  Ce  fait  se  conçoit 
aisément ,  si  l'on  remarque  que ,  parmi  les  rayons  dispersés  par  l'atmos- 
phère, les  trajectoires  des  divers  rayons  bleus  et  violets  sont  en  plus 
grand  nombre  que  les  trajectoires  des  autres  rayons,  le  jaune  et  le  rouge 
surtout;  car,  dans  le  spectre  produit  par  un  milieu  solide  ou  liquide,  le 
bleu,  l'indigo  et  le  violet  occupent  des  espaces  plus  étendus  que  les  autres 
couleurs,  quand  la  lumière  primitive  est  blanche;  or  tel  est  le  cas  de 
Sirius.  Gela  posé,  il  est  évident  que  les  chances  d'interceptions  partielles 
par  phénomène  de  réflexion  totale,  ont  été  plus  fréquentes  pour  les  rayons 
violets   et  bleus  que  pour  les  teintes   de  l'extrémité  opposée,  puisque 

sait  ainsi  les  rayons  solaires  divergeant  vers  un  écran  où  ils  s'étalaient  en  cercle.  Quand  le  courant 
s'éleva  tranquillement,  ses  bords  extérieurs  se  dessinèrent  sur  l'écran,  suivant  toute  leur  hauteur, 
avec  plus  d'éclat  que  les  parties  voisines,  et  surtout  que  la  partie  intérieure  du  courant  contiguë 
à  ses  bords,  laquelle  était  plus  sombre  que  la  portion  centrale.  L'accroissement  d'éclat  à  l'extérieur 
du  courant,  projeté  sur  l'écran,  s'explique  par  la  réflexion  totale  des  rayons  lumineux  qui  arri- 
vaient presque  taugentiellement  aux  bords  du  cylindre  d'air  échauffé  sortant  du  tube,  et  par 
conséquent,  sous  une  inclinaison  égale  ou  supérieure  à  l'angle  extrême  de  pénétration  possible 
des  rayons  lumineux  de  l'air  ambiant  dans  les  gaz  chauds.  De  ce  fait  résultaient  lout  à  la  fois  un 
éclat  prononcé  près  des  bords  extérieurs  du  cylindre,  lieux  de  la  réunion  sur  l'écran  des  rayons 
réfléchis  par  angle-limite,  et  un  obscurcissement  sensible  à  l'intérieur  de  ces  mêmes  bords,  là  où 
ces  rayons  faisaient  défaut. 

Les  bords  de  la  flamme  projetée  sur  l'écran  se  montrent  avec  un  éclat  excessivement  vif  quand , 
après  avoir  enlevé  le  verre,  on  détourne  la  flamme  en  la  soufflant  au  chalumeau  :  si  le  dard  est 
dirigé  dnns  un  plan  perpendiculaire  à  l'écran,  les  parties  latérales  de  son  profd  sur  celui-ci  sont 
chacune  bordées  d'une  zone  extérieure  très-brillante,  même  comparativement  aux  parties  de  l'écran 
environnantes,  très-éclairées.  Ces  zones  se  montrent  d'autant  plus  brillantes  que  l'on  soiiflle  plus 
fort,  et  que  la  direction  du  dard  se  rapproche  de  la  normale  à  l'écran.  L'intérieur  du  profil  du  dard 
paraît  plus  sombre,  sauf  un  trait  brillant  et  effilé  s'éiançant  du  point  où  est  percé  le  trou  du  bec. 

L'explication  de  ces  faits  repose,  comme  celle  qui  précède,  sur  les  eff'ets  de  réflexion  totale  pro- 
duits près  (les  bords  du  dard  fortement  éthaiiffé.  Mais  on  pourrait  objecter  à  celte  explication  que 
l'accroissement  d'éclat  près  des  bords  extérieurs  résulte,  non  de  la  réunion  de  rayons  réfléchis  par 
suite  de  ces  effets,  mais  bien  de  l'empiétement  des  rayons  qui,  au  sortir  d'un  milieu  gazeux  forte- 
ment échauffé,  ont  dû  acquérir  une  divergence  plus  forte  que  celles  qu'ils  avaient  avant  de  tra- 
verser ce  milieu.  Cette  objection  se  fonderait  sur  ce  qu'une  masse  d'air  chaud  terminée  par  des 
limites  de  forme  convexe,  doit  jouer,  dans  l'air  atmosphérique,  le  rôle  de  milieu  divergent  à  l'égard 
des  rayons  qui  la  traversent.  L'éclat  extrêmement  vif  des  zones  extérieures  au  dard  ne  me  permet 
point  de  l'attribuer  au  pouvoir  divergent  du  milieu  échauffé.  D'ailleurs,  le  calcul  m'a  démontré  que 


DE  LA  SCINTILLATION.  25 

les  premiers,  plus  nombreux  dans  la  dispersion  par  Tatmosphère,  se  trou- 
vèrent, avant  d'atteindre  le  prisme,  dans  des  conditions  à  rencontrer 
plus  d'ondes  aériennes  que  les  trajectoires  constitutives  du  jaune  et  du 
rouge. 

Ajoutons  aussi  que  la  rélrangibilité  par  l'air  étant  sensiblement  moin- 
dre pour  les  rayons  rouges  et  jaunes  que  pour  les  bleus  et  les  violets,  les 
premiers  doivent  échapper  parfois  à  certains  effets  d'angle-liraite,  et  les 
seconds,  au  contraire,  se  trouver  plus  tôt  dans  les  conditions  de  ces  effets. 
Ces  raisons  nous  font  ainsi  comprendre  pourquoi  le  bleu  et  le  violet  du 
spectre  de  Sirius,  produits  par  un  prisme  et  observés  dans  une  lunette, 
ont  présenté  des  raccourcissements  plus  fréquents  et  sur  une  plus  grande 
étendue  que  les  variations  semblables  des  autres  couleurs. 

l'accroissement  de  divergence  acquise  par  les  rayons  en  traversant  celui-ci,  élait  tellement  faible 
nu'arrivé  à  l'écran  ,  un  de  ces  rayons  ne  devait  s'écarter  exlérieurenient  ;i  l'image  du  dard  que  d'une 
fraction  de  millimètre  par  rapport  au  point  où  il  eût  atteint  l'écran ,  s'il  n'avait  subi  aucun  accrois- 
sement de  divergence  en  traversant  la  masse  du  dard  fortement  échauffée.  (Les  bases  de  ce  calcul 
ont  été  les  distances  respectives  de  l'écran  et  du  dard  au  foyer  de  la  lentille  du  microscope,  som- 
met du  cône  des  rayons  lumineux;  puis  les  dimensions  transversales  du  dard  considéré  comme  un 
milieu  de  forme  lenticulaire  convexe,  mais  entièrement  vide  d'air  et,  par  conséquent,  jouissant 
des  propriétés  divergentes).  Dans  les  observations  faites  avec  le  chalumeau,  les  zones  extérieures 
au  dard,  excessivement  brillantes,  avaient  plusieurs  millimètres  de  largeur;  elles  ne  sont  donc 
point  le  résultat  de  divergences,  mais  bien  des  effets  de  réflexion  totale  qui,  en  se  produisant 
presque  tangentiellement  au  bord  du  dard,  devient  les  rayons  de  manière  à  satisfaire  aux  obser- 
vations. 

Quand  la  flamme  est  soufflée  horizontalement  et  parallèlement  à  l'écran,  la  zone  brillante  se 
dessine  à  son  bord  inférieur  seulement;  mais  il  n'y  a  ni  accroissement,  ni  diminution  d'éclat  à  son 
bord  supérieur.  Cela  s'explique  facilement  :  la  partie  supérieure  du  dard  n'a  point  ses  limites 
nettement  tranchées  avec  l'air  froid  ambiant  comme  le  bord  inférieur,  et  cela  à  cause  du  courant 
de  gaz  échaufTés  qui,  en  s'élevant  verticalement  du  dard  lui-même,  ne  permet  pas  que  sa  partie 
supérieure  soit  le  lieu  des  effets  de  réflexion  totale  sur  les  rayons  qui  traversent  le  courant  ascen- 
dant, au  voisinage  de  cette  portion  supérieure. 

La  lampe  étant  munie  de  son  verre,  si  le  courant  est  troublé  au-dessus  de  celui-ci  soit  par 
un  souffle  de  vent,  soit  par  l'agitation  de  l'air  avec  la  main,  il  se  produit  à  l'instant  sur  l'écran  des 
ondulations  brillantes,  entremêlées  d'ondulations  obscures,  même  comparativement  à  la  partie 
de  l'écran  tranquillement  éclairée.  Ces  aff'aihlissements  d'éclat  ont  pour  origine  les  interceptions 
des  rayons  solaires,  réfléchis  par  effets  d'angle-limite  à  la  surface  de  certaines  ondes,  parmi  la 
multitude  d'ondes  auxquelles  donne  lieu  le  mélange  de  l'air  froid  lancé  dans  le  courant  des  gaz 
échauffés.  Les  rayons  réfléchis  de  cette  manière  dessinent  sur  l'écran  des  ondulations  et  des  sinuo- 
sités plus  éclatantes. 


24  DE  LA  SCINTILLATION 

Il  n'esl  pas  hors  de  propos  de  remarquer  que  la  diminution  d'éclat  des 
rayons  bleu  et  violet  d'un  spectre  stellaire,  peut  paraître  plus  prononcé  à 
une  certaine  distance  zénithale  de  l'étoile;  car  le  pouvoir  absorbant  de 
l'air  augmente  plus  rapidement  pour  ces  rayons  que  pour  le  rouge  par 
exemple,  à  mesure  que  l'épaisseur  de  la  masse  d'air  traversé  augmente. 
C'est  pour  cette  raison  que  le  rouge  et  le  vert  prédominèrent  dans  le 
spectre  de  Sirius,  quand  cette  étoile  s'approcha  de  l'horizon. 

Les  rayons  foncés  du  spectre  subissant  les  modifications  les  plus  fré- 
quentes, on  s'explique  comment  dans  les  observations  à  l'aide  de  l'appareil 
avec  lentille  excentrique  en  rotation  adapté  à  la  lunette,  les  couleurs  de 
l'autre  extrémité  du  spectre  aient  paru  prédominer  en  nombre.  Du  reste, 
rien  ne  peut  être  spécifié  d'une  manière  absolue  sur  la  cause  de  la  fré- 
quence relative  ou  de  l'éclat  de  certaines  couleurs  dans  la  scintillation  ; 
car  le  plus  souvent  il  doit  arriver  que  plusieurs  couleurs  de  l'étoile  font 
simultanément  défaut;  alors  la  teinte  perçue  est  la  résultante  du  mélange 
des  rayons  qui  parviennent  à  l'œil.  Ce  point  touche  à  une  question  scien- 
tifique intéressante  qui  n'est  pas  encore  complètement  éclaircie. 

Un  fait  important,  c'est  qu'un  faisceau  coloré  ne  doit  pas  être  néces- 
sairement intercepté  en  totalité  pour  que  sa  couleur  complémentaire  de- 
vienne sensible  à  l'œil.  M.  Arago  a  prouvé  que ,  dans  les  phénomènes 
d'interférence  ordinaires,  il  sufiit  de  la  destruction  du  vingtième  d'un  fais- 
ceau, pour  que  l'endroit  oii  la  totalité  des  rayons  se  serait  réunie,  paraisse 
sensiblement  coloré  '.  Le  même  fait  a  lieu  bien  certainement  si  un  ving- 
tième de  l'un  ou  l'autre  rayon  fait  défaut  par  toute  autre  cause  que  par 
phénomènes  d'interférence.  Ainsi  donc,  l'image  d'une  étoile  se  montrera 
sensiblement  colorée  en  rouge  dans  la  scintillation,  quand  yô  ^^^  rayons 
verts,  complémentaires  du  rouge,  seront  interceptés  par  effet  de  réflexion 
totale  à  la  face  d'une  onde. 

Nicholson  a  signalé  cet  autre  fait  :  Si  l'oculaire  d'une  lunette  achromati- 
que dirigée  vers  une  étoile  scintillante,  est  poussé  hors  du  foyer,  son  image 
se  transforme  en  un  disque  irrégulier  d'un  diamètre  plus  ou  moins  grand, 

'  Notice .  p.  424. 


DE  LA  SCINTILLATION  25 

selon  la  position  de  l'oculaire;  le  disque  circulaire  devient  alors  le  lieu 
d'un  genre  de  vacillation  tel,  que  l'on  croirait  voir,  dit  Nicholson,  un 
certain  nombre  de  disques  de  couleurs  diiférentes  passer  successivement 
les  uns  devant  les  autres.  L'ilhimmalion,  ajoute-t-il,  paraît  venir  de  divers 
côtés.  Celte  circonstance  sur  laquelle  M.  Arago  appuie  d'une  façon  toute 
particulière  dans  sa  Notice  (p.  378),  m'avait  aussi  frappé,  quand  j'eus  vu 
l'apparition  de  chaque  couleur  se  faire  non  instantanément  sur  toute 
l'étendue  du  disque  élargi,  mais  à  des  intervalles  de  temps  distincts,  aux 
diverses  parties  de  celui-ci.  Le  disque  est  ainsi  le  lieu  d'un  travail  continuel 
qui  résulte  des  successions  rapides  et  partielles  de  toutes  ces  touleurs. 
Cette  variété  d'effets  s'explique  facilement  en  concevant  que,  lors  de  l'in- 
terception de  la  moitié  du  faisceau  cylindrique  des  rayons  verts  de  droite, 
par  exemple,  qui  tombent  sur  l'objectif,  la  partie  du  disque  élargi  corres- 
pondant à  cette  moitié,  devient  aussitôt  le  lieu  d'une  coloration  en  rouge 
complémentaire,  qui  persiste  pendant  la  courte  durée  de  l'interception  de 
la  fraction  des  rayons  verts. 

La  théorie  exposée  fait  naître  une  objection  que  je  dois  réfuter.  Parmi 
les  nombreuses  réflexions  des  rayons  stellaires  opérées  dans  l'atmosphère 
et  dues  à  la  cause  invoquée,  n'en  est-il  point  qui  s'effectuent  dans  des 
conditions  capables  d'amener  incidemment  vers  l'œil  de  l'observateur  des 
rayons  qui  n'étaient  point  destinés  à  y  entrer,  ce  qui  donnerait  lieu  pour 
lui  à  une  seconde  image  d'une  étoile  dans  une  direction  différente  de  celle 
où  il  voit  son  image  vraie?  Supposons  une  onde  réfléchissant  par  effet 
d'angle-limite  des  rayons  dans  la  direction  de  l'observateur  :  les  circon- 
stances où  ces  rayons  seraient  aptes  à  former  une  image  nette  dans  l'œil 
doivent  être  excessivement  rares,  à  cause  de  la  courbure  que  les  faces- 
limites  des  ondes  présentent  généralement.  Cette  courbure  étant  le  plus 
souvent  très-irrégulière,  elle  aura  pour  effet  d'éparpiller  aussi  très-irrégu- 
lièrement les  rayons,  qui  ne  pourront  alors  exciter  dans  l'œil  aucune  image 
perceptible.  On  doit,  à  plus  forte  raison,  conclure  de  là  qu'il  est  de  toute 
impossibilité  que  l'observateur  reçoive  une  image  formée  par  seconde 
réflexion  des  rayons  qui  en  auraient  déjà  subi  une  première  K 

1  Pour  plus  de  dévelonpenients  sur  cette  objection,  voir  à  la  fin  l'addition  faite  au  mémoire. 
Tome  XXVIIl.  4 


26  DE  LA  SCINTILLATION. 

Passons  actuellement  à  un  autre  point  important.  La  théorie  de  la  scin- 
tillation par  effet  de  réflexion  totale,  ne  conduit-elle  point  forcément  à 
admettre  qu'un  déplacement  plus  ou  moins  étendu  de  l'image  de  l'étoile 
doit  accompagner,  généralement,  les  phénomènes  de  la  scintillation?  Si 
cette  conséquence  est  inévitable,  comment  la  concilier  avec  l'assertion  de 
M.  Arago  dans  sa  Notice,  où  il  dit  textuellement  que  la  scintillation  n'est 
point  accompagnée  d'un  mouvement  ondulatoire  de  l'étoile?  La  persuasion 
que  la  théorie  proposée  triomphera  de  cette  objection ,  m'engage  à  examiner 
avec  détails  le  point  de  discussion  soulevé. 

Si  l'assertion   contraire  à   une  connexion  entre  la  scintillation  et  les 
oscillations  des  étoiles,  est  positivement  énoncée  à  certains  passages  de 
la  Notice,  aux  pages  488  et  494  par  exemple,  il  n'en  est  pas  de  même 
en  d'autres  endroits.  Ainsi  M.  Arago  cite  des  altérations  considérables  du 
diamètre  apparent  des  astres  ' ,  phénomène  secondaire  de  la  scintillation 
d'après  lui,  qui  cependant  est,  à  mes  yeux,  inévitablement  un  résultat 
d'une  variation  dans  la  réfraction.  De  plus,  ce  savant  fait  concourir  le 
genre  d'ondulations  des  étoiles  dans  les  lunettes,  appelé  par  lui  mouve- 
menl  d'anguille,  à  la  production  de  phénomènes  d'interférence  et  de  colo- 
ration de  l'image  de  l'étoile  2.  D'autre  part,  M.  Biot  dit  textuellement, 
dans  son  traité  A' Astronomie  plnjsique,  que  l'on  voit  presque  toujours  les 
images  des  étoiles,  même  voisines  du  pôle,  agitées  de  petits  mouvements 
ondulatoires  dans  les  lunettes.  Un  travail  récent  sur  la  transparence  de 
l'atmosphère  du  P.  Antonelli  cite  ce  fait  :  «  Quand  la  vision  nette  et  dis- 
>>  tincte  d'un  objet  semble  prouver  une  grande  pureté  d'atmosphère ,  il 
»  arrive  assez  souvent  qu'un  tremblement  considérable  ou  .un  soubresaut 
»  imprévu  de  l'astre  observé  rendent  impossible  une  bonne  observation 
»  astronomique  ^.  »  Carlini  a  remarqué  plusieurs  fois  des  oscillations  de 
10  à  12"  d'amplitude  de  la  polaire,  lofs  de  son  passage  dans  la  lunette 
méridienne  à  fort  grossissement  de  l'observatoire  de  Milan  *. 

*  Page  365. 
2  Page  427. 

5  Journal  Le  Cosmos,  t.  V,  p.  93. 

*  De  Humboldt,  Cosmos,  t.  III,  p.  293.  Des  oscillations  aussi  grandes  s'expliqueraient  très- 


DE  LA  SCINTILLATION.  27 

Mais  la  réalité  des  mouvements  ondulatoires  des  éloiles  en  divers  sens, 
pendant  les  phases  de  la  scintillation,  est  incontestablement  mise  hors 
de  doute  par  les  trépidations  transversales  du  spectre  de  Sirius,  obtenu  à 
l'aide  d'un  prisme  et  observé  dans  une  lunette,  comme  il  a  été  indiqué 
plus  haut.  Les  trépidations  de  l'ensemble  du  spectre  ou  de  ses  parties  sont 
nettement  accusées  :  quand  les  trépidations  totales  se  succèdent  rapide- 
ment, l'image  s'affaiblit  entre  les  limites  de  ses  déplacements  pour  re- 
prendre plus  d'éclat  à  ces  limites  mêmes,  là  où  la  vitesse  ondulatoire 
devient  nulle  pendant  un  intervalle  de  temps  très-court.  Ces  trépidations 
sont  déterminées  par  le  passage  des  ondes  à  une  distance,  en  avant  du 
prisme,  où  les  trajectoires  des  divers  rayons,  dispersés  par  l'air,  se  trou- 
vent sensiblement  réunies.  3Iais  si  les  ondes  traversent  l'une  des  trajectoires 
seulement,  n'importe  à  quelle  distance,  la  teinte  du  spectre  produite  par 
cette  trajectoire  éprouve  seule  des  trépidations  en  ce  moment.  Dans  l'un 
et  l'autre  cas,  ces  ondes  s'interposent  évidemment  dans  des  conditions 
incompatibles  avec  les  effets  de  réflexion  totale. 

Les  mouvements  des  couleurs  du  spectre  dans  la  direction  longitudi- 
nale résultent  en  partie  de  trépidations  dans  ce  sens;  mais  je  ne  puis  ad- 
mettre que  les  empiétements  apparents  et  rapides  de  certaines  couleurs  sur 
celles  qui  leur  sont  contiguës,  soient,  en  toute  leur  étendue,  les  résultats 
de  déviations  que  subiraient  isolément  les  trajectoires  des  couleurs  qui 
accusent  ces  mouvements.  S'il  en  était  autrement,  il  faudrait  concéder  un 
pouvoir  de  déviation  à  la  masse  d'une  onde  qui  s'élèverait  à  plusieurs  mi- 
nutes de  degré,  pour  expliquer  l'amplitude  des  éclairs  rapides  que  parfois 
le  jaune  et  le  vert  lancent  instantanément  du  côté  du  bleu  ^ 

bien  parla  déviation  qu'auraient  subie  des  rayons  de  la  polaire  en  rasant  momentanément,  et  sous 
des  angles  de  5  à  6",  la  convexité  d'une  onde  qui  eût  réfléchi  ces  rayons  par  effet  de  réflexion 
totale  :  les  rayons  auraient  dans  ce  cas  pénétré  dans  la  lunette  avec  une  déviation  égale  au  double 
de  5  à  6".  Cette  explication  est  très-admissible,  si  l'on  se  refuse  à  accorder  à  des  ondes,  élevées  dans 
l'atmosphère,  une  puissance  déviatrice  de  12" sur  les  rayons  qui  peuvent  les  traverser. 

'  On  trouve  par  le  calcul ,  que  si  une  déviation  devait  déplacer  le  rayon  jaune  d'une  quantité 
égale  à  la  distance  des  raies  E  et  F  du  spectre  produit  par  le  crown-glass,  qui  sont,  la  première  près 
de  la  limite  du  jaune  et  du  vert,  la  seconde  au  milieu  de  cette  dernière  teinte,  il  faudrait  que  la 
déviation  du  rayon  jaune  s'élevût  à  7'  avant  qu'il  ne  pénétrât  dans  le  prisme,  les  autres  rayons 
restant  immobiles. 


28  DE  LA  SCINTILLATIOIN. 

L'observation  et  la  théorie  s'accordent  pour  montrer  que,  le  soir,  l'inter- 
position des  ondes  ne  peut  donner  lieu  qu'à  de  très-faibles  déviations  des 
rayons  d'une  étoile,  observée  dans  une  lunette  de  la  manière  ordinaire  '. 
Mais  il  ne  suit  point  de  là  que  les  effets  de  réllexion  totale  soient  impos- 
sibles avec  des  ondes  peu  capables  d'imprimer  de  fortes  déviations.  En 
effet,  la  grandeur  d'une  ondulation  dépend  à  la  fois  de  l'incidence  du 
i-ayon  à  la  face  de  l'onde,  de  la  différence  des  températures  de  celle-ci  et 
de  l'air  ambiant,  et,  enfin,  de  l'inclinaison  des  plans  tangents  aux  faces 
d'incidence  et  d'émergence  de  l'onde.  Or,  la  réflexion  totale  est  entière- 
ment indépendante  de  ce  dernier  élément,  qui  influe  sensiblement  sur 
l'amplitude  de  la  déviation.  Il  doit  même  arriver  assez  souvent  que  la 
réflexion  d'un  rayon  s'effectue  là  où  il  n'éprouverait  pas  de  déviation  sen- 
sible, s'il  lui  était  facultatif  de  traverser  l'onde;  cela  se  produit  quand  le 
rayon  stellaire  est  intercepté  par  une  onde  pour  laquelle  il  y  a  sensible- 
ment parallélisme  des  plans  tangents  à  la  face  d'incidence  et  à  la  face 
opposée  de  l'onde.  J'ai  démontré,  dans  le  mémoire  déjà  cité,  qu'un  rayon 

*  Les  plus  fortes  ondulations  que  j'aie  observées  au  plein  de  la  chaleur  du  jour,  s'élèvent  à  23" 
pour  les  objets  terrestres.  J'ai  démontré  (Mém.  sur  des  effeU  de  réfrac,  et  dispcr.  par  l'air  atmo- 
sphérique) que  la  grandeur  du  déplacement  produit  par  une  onde,  tontes  choses  égales  d'ailleurs, 
dépend  de  ses  positions  par  rapport  h  l'obseivateur  et  au  point  d'émanation  du  rayon.  Si  l'on  dé- 
signe par  d'  et  d  les  dislances  respectives  de  l'onde  à  ces  points,  par  y  l'amplitude  de  la  déviation 
vraie  que  le  pouvoir  réfringent  de  l'onde  fait  subir  au  rayon,  et  enfin  para?  cette  même  amplitude 
si  le  rayon,  émané  de  l'infini,  traversait  l'onde  dans  des  mêmes  conditions,  on  a  entre  a:  et  j/  la 
relation  : 

d 
y  =  X 


d  -t-  d' 


Dans  le  cas  des  observations  citées ,  le  rapport  équivaut  à  \^  :  concluons  de  ce  chiffre  et 

du  maximum  y  =  25"  que,  si  le  rayon  eût  émané  de  l'infini,  la  déviation  a;  subie  par  l'interposi- 
tion de  la  même  onde  aurait  dépassé  de  -^^  seulement  l'ondulation  maximum  25",  mesurée  pour  les 
objets  terrestres.  Ainsi  une  étoile  observée  près  de  l'horizon  et  au  travers  des  mêmes  ondes  que 
ces  objets,  eût  éprouvé  des  ondulations  de  27"  d'amplitude.  Dans  les  après-midi  et  vers  les  soirées 
où  je  fis  d'autres  observations,  les  ondulations  des  objets  terrestres  près  de  l'horizon  ont  générale- 
ment paru  tellement  restreintes,  qu'elles  échappe  rent  à  des  mesures  microméliques,  quoiqu'elles 
fussent  encore  perceptibles.  Il  n'est  donc  point  surprenant  que  les  ondulations  des  étoiles,  qui 
surpassent  très-peu  celles  des  objets  terrestres,  aient  généralement  une  faible  amplitude,  même 
près  de  l'horizon. 


DE  LA  SCINTILLATION.  29 

émané  de  l'infini,  ce  qui  peut  être  considéré  comme  étant  le  cas  pour  un 
rayon  slellaire,  ne  subit  point  de  déviation  angulaire  en  traversant  un 
milieu  limité  par  des  faces  parallèles. 

Si  donc  un  rayon  stellaire  traverse,  même  sous  une  forte  inclinaison, 
une  partie  d'onde  offrant  la  condition  du  parallélisme  des  plans  tangents 
sensiblement  satisfaite,  il  n'éprouvera  pas  de  déviation;  et  si,  dans  le 
mouvement  propre  de  l'onde,  l'inclinaison  de  la  face  d'incidence  par  rap- 
port au  rayon  augmente  au  point  d'amener  l'effet  de  réflexion  totale,  le 
rayon  sera  subitement  intercepté,  et  un  phénomène  de  scintillation  se  pro- 
duira pour  l'œil  sans  déplacement  sensible  de  l'image  de  l'étoile. 

Du  reste,  un  faible  mouvement  de  l'étoile  pourrait  parfois  accompagner 
la  scintillation  et  échapper  à  l'observateur,  en  vertu  de  causes  secondaires. 
On  sait,  en  ellet,  que  l'image  d'une  étoile  occupe  sur  la  rétine  un  espace 
beaucoup  plus  grand  que  ne  le  comporte  son  diamètre  vrai ,  car  les  in- 
struments d'optique  les  plus  parfaits  donnent  encore  aux  étoiles  des  dia- 
mètres factices.  Enfin  la  vision  non  précise  d'une  étoile  est  augmentée  par 
les  rayons  qui,  à  l'œil  nu  surtout,  émanent  des  étoiles  brillantes  et  con- 
stituent des  espèces  de  queues  dont  le  nombre,  la  position  et  la  longueur 
varient  pour  chaque  observateur.  C'est  ici  le  lieu  de  faire  remarquer  que 
ces  rayons  divergents,  dont  la  cause  réside  dans  l'œil  et  non  dans  le  corps 
lumineux  ',  participent  aux  variations  d'éclat  et  de  couleurs  des  étoiles 
scintillantes,  et  contribuent  ainsi  à  augmenter  beaucoup  les  caractères  de 
la  scintillation. 

Voici  un  phénomène  dont  les  particularités  prêtent  un  puissant  appui  à 
la  théorie  proposée.  J'ai  observé  que  le  sommet  d'une  montagne  éclairé  par 
la  lune  et  élevé  de  2°  environ  sur  l'horizon,  qui  faisait  saillie  sur  la  partie 
du  disque  faiblement  entamée  par  l'approche  du  second  quartier,  se  colora 
momentanément  en  rouge  pourpre,  puis  passa  au  bleu;  mais,  à  l'instant 
de  ce  dernier  changement,  sa  saillie  sur  le  disque  s'accrut  sensiblement. 
Le  point  revint  bientôt  à  la  première  position  où  il  reprit  la  couleur  rouge: 
il  ne  tarda  pas  à  l'échanger  contre  la  coloration  en  bleu,  qui  se  montra  de 

'  NoUce,  p.  491. 


30  DE  LA  SCINTILLATION. 

nouveau  accompagnée  d'un  exhaussement  de  la  sommité.  Ces  changements 
de  couleurs  se  succédèrent  pendant  quelque  temps,  toujours  accompagnés 
des  mêmes  mouvements  ondulatoires. 

La  compréhension  de  la  cause  de  ces  variations  sera  beaucoup  facilitée 
par  la  connaissance  du  fait  suivant.  Lorsqu'un  spectre  stellaire  est  très- 
reslreint,  les  couleurs  d'une  extrémité  deviennent  beaucoup  plus  distinctes 
quand  celles  de  l'autre  n'arrivent  pas  sur  la  rétine.  Ainsi,  dernièrement, 
j'observai  la  planète  Vénus,  par  un  ciel  serein ,  un  peu  avant  son  coucher  : 
ses  arcs  supérieur  et  inférieur  étaient  colorés  l'un  en  bleu  et  l'autre  en 
rouge,  par  eflet  de  dispersion  atmosphérique,  visible  dans  la  lunette;  le 
milieu  du  disque,  entamé  par  les  phases  de  la  planète,  était  complètement 
incolore.  La  partie  rouge  du  disque  ayant  été  fortuitement  cachée  au  delà 
du  champ  du  télescope,  la  teinte  bleue,  encore  visible,  acquit  aussitôt 
une  intensité  et  une  extension  notables  sur  la  portion  du  disque  planétaire 
non  cachée.  Mais  celte  partie  redevenait  incolore  aussitôt  que  la  teinte  rouge 
était  mise  à  découvert. 

Ce  fait  étant  constaté,  la  sommité  brillante  de  la  lune  en  question  est 
réellement  le  lieu  d'un  spectre  très-restreint,  dû  à  la  dispersion  atmosphé- 
rique, et  dont  les  teintes,  trop  rapprochées  les  unes  des  autres  dans  les  con- 
ditions de  vision  normale,  ne  sont  pas  distinctes  quand  leurs  impressions 
se  produisent  en  des  points  de  la  rétine  très-voisins  :  alors  celle-ci  éprouve 
nécessairement  l'impression  de  la  couleur  blanche,  qui  est  la  teinte  résul- 
tant du  mélange  des  couleurs  primitives.  Si,  actuellement,  nous  admet- 
tons qu'une  ou  plusieurs  ondes  aériennes  interceptent  à  la  fois,  par  effet 
de  réflexion  totale,  les  trajectoires  bleue  et  violette,  les  couleurs  de  l'autre 
extrémité  du  spectre  prédomineront,  et  parmi  elles  le  rouge,  qui  est  à  la 
fois  la  teinte  la  plus  vive  et  celle  à  laquelle  l'air  livre  le  plus  facilement 
passage,  surtout  dans  les  couches  inférieures.  A  cet  instant,  la  sommité 
dut  donc  paraître  colorée  en  rouge  plus  ou  moins  prononcé.  Mais,  au 
moment  suivant,  l'interception  ayant  eu  lieu  principalement  pour  les  autres 
rayons  colorés,  par  le  fait  des  mêmes  ondes  ou  d'ondes  différentes,  les 
trajectoires  de  la  partie  foncée  du  spectre  furent  alors  les  seules  qui  par- 
vinssent à  l'œil,  où  leur  mélange  donna  lieu  à  une  teinte  dans  laquelle  le 


DE  LA  SCINTILLATION. 


31 


bleu  prédomina.  Comme  les  trajectoires  de  la  partie  foncée  d'un  spectre, 
produit  par  dispersion  atmosphérique,  sont  disposées  au-dessus  des  rayons 
de  l'autre  partie,  la  sommité  du  disque  lunaire  dut  infailliblement  paraître 
plus  élevée  quand  elle  se  revêtit  de  la  teinte  bleue  qu'au  moment  où  elle 
se  colora  en  rose  ^  II  a  pu  se  faire  que  la  sommité  ait  passé  par  d'autres 
teintes  intermédiaires  aux  premières,  qui  m'ont  échappé  à  cause  de  leur 
faible  intensité.  J'ajouterai  que  le  passage  du  rouge  au  bleu  ne  s'est  point 
effectué  brusquement,  mais  graduellement,  quoique  dans  un  court  inter- 
valle de  temps. 

Ce  phénomène  oîi  les  ondes  aériennes  firent  l'office  d'écrans  successi- 
vement sur  les  différentes  trajectoires  colorées,  et  qui  semble  montrer 
sous  son  véritable  jour  la  cause  des  changements  de  couleurs  des  étoiles 
dans  la  scintillation,  a  été  observé  plusieurs  fois  :  ainsi,  un  autre  soir, 
des  teintes  successivement  rouges  et  bleues,  également  combinées  avec 
des  mouvements  ondulatoires  bien  caractérisés,  parurent  sur  les  arêtes 

*  Afin  que  le  lecteur  puisse  suppléer  aux  détails  sur  la  succession  des  couleurs,  que  je  crois 
devoir  omettre  dans  l'explication  générale  ci-dessus,  je  rapporterai  un  tableau  où  sont  exposées 
les  couleurs  résultant  du  mélange,  deux  ù  deux,  de  cinq  couleurs  du  spectre,  tableau  qui  a  été 
extrait  du  tome  il  du  journal  Le  Cosmos ,  où  il  termine  un  exposé  des  expériences  intéressantes  de 
M.  Helmholtz  sur  les  couleurs  composées.  Le  lecteur  reconnaîtra  que,  d'une  part,  le  rouge,  le  rose, 
l'orangé,  et  de  l'autre,  le  bleu  et  les  teintes  qui  dérivent  de  cette  couleur,  sont  les  nuances  les 
plus  fréquentes.  Dans  ce  tableau,  la  couleur  résultante  est  ù  la  ligne  d'intersection  des  deux  lignes 
borizontale  et  verticale,  où  sont  indiquées  les  couleurs  composantes.  Quelques-uns  de  ces  résultats 
contredisent  les  idées  reçues. 


Violet. 

Bleu. 

Vert. 

Jaune. 

Rouge. 

Rouge. 

Poorpre. 

Rose. 

Jaune  mat. 

Orange. 

Rouge. 

Jaune. 

Rose. 

Blanc. 

Jaune  verdâire. 

Jaune. 

Vert. 

ttlca  p&le. 

Dieu  vcrdàlre. 

Vert. 

Blea. 

Blen-lodigo. 

Bleu. 

Violet. 

Violet. 

32  DE  LA  SCINTILLATION. 

du  contour  de  cratères  lunaires  observés  dans  le  télescope,  qui  recevaient 
obliquement  la  lumière  près  de  la  partie  supérieure  du  disque,  entamé  par 
l'approche  d'un  quartier. 

Jusqu'à  présent,  je  ne  me  suis  attaché  qu'aux  variations  de  couleurs 
des  étoiles,  phénomène  le  plus  difficile  à  expliquer  dans  la  scintillation; 
car  toute  théorie  basée  sur  des  inégalités  de  réfraction,  envisagées  comme 
on  le  fait  ordinairement,  ne  trouve  guère  d'obstacle  dans  l'explication  des 
variations  brusques  de  l'éclat  des  étoiles  scintillantes.  Dans  la  théorie 
proposée,  ces  extinctions  plus  ou  moins  complètes,  suivies  de  réappari- 
tions d'éclat  d'une  certaine  vivacité,  s'expliquent  très-facilement  par  les 
effets  de  réflexion  totale.  En  effet,  admettons  qu'une  ou  plusieurs  ondes 
s'interposent  simultanément  avec  les  conditions  voulues  pour  ceux-ci ,  dans 
la  partie  des  trajectoires  comprise  entre  l'observateur  et  le  lieu  où  elles 
sont  sensiblement  séparées;  il  y  aura  interception  de  la  majeure  partie, 
sinon  de  la  totalité  des  trajectoires  peu  dispersées  en  ce  lieu;  l'image  de 
l'étoile  éprouvera,  à  cet  instant,  une  extinction  momentanée,  pour  repa- 
raître avec  tout  son  éclat  lorsque  l'onde  aura  traversé  la  totalité  du  fais- 
ceau des  rayons  réunis. 

L'affaiblissement  d'éclat  passager  d'une  étoile  et  son  retour  à  sa  puis- 
sance ordinaire  sont,  tout  autant  que  ses  changements  de  couleurs,  plus 
forts  dans  la  réalité  qu'ils  ne  le  paraissent  à  l'œil  nu,  comme  le  fait  remar- 
quer M.  de  Humboldt  S  à  cause  des  effets  de  la  persistance  des  impres- 
sions lumineuses  qui  se  superposent  sur  la  rétine.  Mais  il  ne  faut  point 
oublier  que  les  apparences  de  la  scintillation,  et  particulièrement  l'impres- 
sion résultant  pour  l'œil  des  pertes  et  des  accroissements  d'éclat  succes- 
sifs de  l'étoile,  doivent  être  notablement  accrus  par  les  extensions  et  les 
contractions  intermittentes  de  la  couronne  de  rayons  qui  divergent,  sur 
une  étendue  de  S  à  6',  à  partir  de  l'image  de  l'étoile,  vue  à  l'œil  nu.  Ces 
rayons  parasites,  d'après  Hassenfratz,  ne  seraient  rien  autre  que  les  caus- 
tiques du  cristallin  formées  par  les  rayons  réfractés.  Ils  doivent  évidem- 
ment éprouver  les  effets  des  variations  d'intensité  et  de  couleurs  des  images 

'   Cosmos,  t.  III ,  p.  79. 


DE  LA  SCINTILLATION.  33 

stellaires,  si  toutefois  les  rayons  qui  forment  chacune  de  ces  caustiques, 
subissent  simultanément  les  mêmes  effets. 

La  scintillation  a  pour  eifet  nécessaire,  comme  le  remarque  M.  Arago, 
d'afl'aiblir  l'intensité  des  images  des  étoiles.  «  C'est  très-rarement,  dit-il, 
»  que  ces  astres  s'aperçoivent  avec  leur  éclat  intrinsèque.  Des  étoiles  qu'on 
»  a  rangées  dans  la  sixième  grandeur,  parce  que  de  temps  en  temps  elles 
»  sont  visibles  à  l'œil  nu,  peuvent  donc  disparaître  habituellement.  Une 
»  étoile  qui  aurait  été  classée  dans  la  septième  grandeur,  parce  qu'elle 
»  serait  ordinairement  invisible,  peut,  quand  le  phénomène  de  la  scintil- 
»  lation  cesse  tout  à  fait  pour  elle,  devenir  perceptible,  flooke  s'est  assuré 
»  que  les  choses  se  passent  comme  je  viens  de  le  dire,  relativement  à 
»  certaines  étoiles  de  sixième  et  de  septième  grandeur.  »  En  lisant  ce 
passage  de  la  Notice  ',  je  me  suis  demandé  si  ce  n'est  point  de  là  que  dérive 
la  cause  principale  de  la  visibilité  instantanée  de  nombreuses  petites  étoiles 
qu'on  ne  distingue  aisément  qu'avec  des  lunettes,  et  qui  apparaissent  par 
moments,  tantôt  ici,  tantôt  là,  dans  les  nuits  des  climats  tempérés,  fa- 
vorables à  la  scintillation?  Il  n'y  aurait,  en  réalité,  dans  les  variations 
d'éclat  de  ces  étoiles  scintillantes  que  des  phases  de  renforcements  de 
lumière  plutôt  relatifs  qu'absolus.  Ils  résulteraient  de  la  cessation  momen- 
tanée des  causes  qui ,  dans  l'état  général  de  l'atmosphère,  tendent  à  dimi- 
nuer l'intensité  des  rayons  :  on  peut  citer  parmi  elles  les  effets  d'angle-limite 
de  durée  excessivement  courte,  puis  l'affaiblissement  que  subit  infaillible- 
ment tout  rayon  en  traversant  une  multitude  d'ondes  aériennes  de  densités 
différentes,  et  dont  aucune  ne  se  trouve  dans  les  conditions  de  réflexion 
totale  par  rapport  à  lui. 

11  n'est  pas  inutile  de  rappeler  ici ,  que  l'œil  jouit  à  un  haut  degré  de 
la  faculté  d'apprécier  de  petites  différences  d'intensité  que  subissent  des 
impressions  lumineuses,  même  quand  ces  variations,  réitérées  à  des  inter- 
valles rapprochés,  persistent  pendant  des  instants  très-courts.  Plusieurs 
faits  prouvent  incontestablement  cette  faculté  de  l'organe  visuel.  D'après 
]M.  Arago ,  l'œil  cesserait  de  percevoir  des  différences  d'intensité  de  ~ 
dans  l'état  de  repos  '  ;  mais ,  quand  les  impressions ,  variables  en  intensité, 

'  ^Islronomie  populaire ,  t.  I,  p.  194. 

Tome  XXVill.  S 


34  DE  LA  SCIISÏILLATION. 

sont  accompagnées  de  changements  de  lieu  sur  la  rétine,  la  limite  de  per- 
ceptibilité des  variations  descend  au-dessous  de  -^. 

Uooke,  astronome  anglais,  s'est  assuré  que  des  petites  étoiles  scintil- 
lent sans  variations  de  couleurs.  Des  observations  récentes  faites  par 
M.  (joujon,  à  la  demande  de  M.  Arago,  ont  montré  que  l'image  d'une 
étoile  scintillante  de  septième  grandeur  se  développe  en  ruban  sans  laisser 
de  trace  de  coloration  dans  l'expérience  de  la  lunette  vibrante;  tandis 
que  le  même  observateur  vit  encore  des  traces  de  couleurs  en  opérant  de 
cette  façon  pour  une  étoile  de  sixième  grandeur  ^.  De  mon  côté,  j'ai 
observé  des  phases  d'affaiblissement  et  d'extinction  rapides  de  la  part 
des  satellites  de  Jupiter,  mais  sans  aucune  apparence  de  coloration.  Or. 
d'après  M.  de  Humboldt,  le  troisième  satellite ,  le  plus  brillant  des  quatre, 
est  tout  au  plus  de  la  cinquième  ou  de  la  sixième  grandeur;  et  les  autres, 
qui  ont  une  lumière  variable,  oscillent  entre  le  sixième  et  le  septième 
ordre  d'éclat.  Notons  qu'au  moment  de  mes  observations,  les  satellites 
de  Jupiter  et  les  bords  de  la  planète,  peu  élevée  sur  l'horizon,  éprouvaient 
de  petites  ondulations. 

On  doit,  me  paraît-il ,  attribuer  au  faible  éclat  des  étoiles  de  septième 
grandeur  l'absence  des  phénomènes  de  coloration ,  malgré  la  visibilité 
des  changements  d'intensité  dans  leur  scintillation.  Remarquons  d'abord 
que  cet  ordre  est  réellement  le  terme  de  démarcation  entre  les  étoiles 
visibles  à  l'œil  nu  et  les  télescopiques  -.  La  différence  d'éclat  des  étoiles 
de  première  et  de  septième  grandeur  est  considérable.  John  Herschell 
regarde  celles  du  sixième  ordre  comme  possédant  ^^ï  ^^  l'éclat  de 
Sirius^,  la  plus  brillante  du  firmament  :  l'intensité  d'une  étoile  de  sep- 
tième grandeur  descend  donc  au-dessous  de  cette  faible  quantité.  Cela 
posé,  il  faut  encore  admettre  que  les  rayons  constitutifs  de  la  lumière 
d'une  de  ces  étoiles,  supposée  parfaitement  blanche,  sont  doués  de 
pouvoirs  éclairants  excessivement  faibles.  A  la  vérité,  on  n'a  point  fait 
d'expérience  pour  déterminer  les  éclats  relatifs  des  différentes  teintes  de 


'  Notice,  pp.  583  et  384. 

-  Arago,  Astroriuin.  populaire,  t.  I,  p.  330. 

^  1(1.,  p.  360. 


DE  LA  SCINTILLATION.  35 

spectres  stellaires,  mais  on  a  opéré  cette  détermination  sur  les  couleurs 
du  spectre  solaire.  Ainsi,  pour  ne  citer  qu'un  rayon,  le  bleu,  Frauenhoffer 
a  évalué  son  pouvoir  éclairant  à  0,17,  le  pouvoir  du  jaune  étant  pris 
pour  unité  ^  Comparé  au  pouvoir  éclairant  du  blanc  pur,  ce  rapport  per- 
drait encore  de  sa  valeur.  On  conçoit,  d'après  ces  résultats,  combien  est 
faible  le  pouvoir  éclairant  de  chaque  rayon  constitutif  de  la  lumière  d'une 
étoile  de  septième  grandeur,  et  que  la  plupart,  pris  isolément  ou  réunis 
à  quelques-uns,  sont  incapables  de  produire  de  sensation  perceptible  sur 
la  rétine.  Aussi  la  scintillation  d'une  de  ces  étoiles  doit-elle  se  résumer  en 
une  extinction  d'éclat,  même  dans  les  phases  où,  en  réalité,  il  y  a  varia- 
tion de  couleur.  Il  dut  en  être  de  même,  à  plus  forte  raison,  dans  l'expé- 
rience de  M.  Goujon,  où  le  développement  en  ruban  de  l'image  de  toute 
étoile  scintillante  affaiblit  notablement  l'intensité  propre  de  chaque  phase 
lumineuse  de  la  scintillation,  comme  j'ai  eu  occasion  de  le  dire  à  l'égard 
de  Sirius. 

La  généralité  des  observateurs,  qui  ont  traité  de  la  scintillation,  disent 
que  les  étoiles  scintillent  d'autant  plus  qu'elles  sont  plus  rapprochées  de 
l'horizon  ^.  «  Cela  est  vrai,  ajoute  M.  Arago  à  ce  sujet,  en  ce  sens  que  le 
phénomène  est  plus  facilement  observable  près  de  l'horizon  qu'à  certaines 
hauteurs.  Hooke  a  fait  cette  observation,  remarquable  par  sa  finesse,  que 
la  scintillation  près  de  l'horizon  n'est  pas  à  beaucoup  près  aussi  rapide , 
aussi  soudaine  dans  le  passage  d'un  état  de  l'étoile  à  l'état  suivant,  que  dans 
la  scintillation  des  étoiles  situées  près  du  zénith  ^.  »  Je  ferai  remarquer 
que  cette  observation  de  Hooke  n'est  point  en  contradiction  avec  l'opinion 
générale  d'après  laquelle  les  changements  d'intensité  ou  de  couleurs  sont 
plus  fréquents  dans  les  régions  inférieures  de  l'air;  elle  signifie  que  chacun 
d'eux  s'effectue  en  un  temps  plus  court  dans  les  hautes  régions  que  près 
de  l'horizon. 

*   Traité  de  physique ,  par  Becquerel ,  t.  II,  p.  315. 

-  M.  de  Huniboldt  a  constaté  qu'à  Cumana  et  dans  la  partie  péruvienne  du  littoral  de  l'océan 
Pacifique,  les  étoiles  les  plus  brillantes  cessent  de  scintiller  moyennement  vers  10  à  12°  de  hau- 
teur. {Cosmos,  t.  III,  p.  83.) 

^  Notice,  p.  401 . 


36  DE  LA  SCINTILLATION. 

Dans  ma  théorie,  deux  faits  rendent  compte  des  variations  de  la  scin- 
tillation avec  l'élévation  de  l'étoile  :  c'est  d'abord  l'accroissement  d'épais- 
seur de  la  masse  d'air,  traversée  par  les  rayons  colorés,  avec  l'abaisse- 
ment de  l'étoile  vers  l'horizon,  circonstance  qui  augmente  évidemment  les 
chances  d'interception  des  rayons  lumineux  par  les  ondes  aériennes,  dont 
le  nombre  doit  être  plus  grand  au  voisinage  de  l'horizon.  En  second  lieu , 
l'écartement  des  trajectoires  colorées  étant  variable  avec  la  hauteur  de 
l'étoile,  les  ondes  aériennes  traversent  en  un  temps  plus  ou  moins  court 
un  faisceau  ou  l'ensemble  des  trajectoires,  ce  qui  tend  à  modifier  la  rapi- 
dité et  la  fréquence  des  phases  de  la  scintillation,  comme  je  vais  le  faire 
voir  par  quelques  détails. 

La  valeur  de  D  dans  l'équation  (10)  de  la  note,  exprime  l'écartement 
des  rayons  rouge  et  bleu  ou  la  longueur  de  la  normale  cm  (fig.  5).  (^)uoi- 
que  D  soit  la  mesure  réelle  de  cet  écartement,  j'ai  formé  également,  dans 
l'équation  (6) ,  l'expression  d  de  la  distance  nnn'  de  deux  points  des 
mêmes  trajectoires,  prise  sur  la  verticale  mo ,  et  dans  l'équation  (9), 
l'expression  d'  de  la  distance  bm  de  deux  points  de  ces  trajectoires  mesu- 
rée dans  une  couche  d'air  concentrique  au  centre  terrestre;  la  distance 
bm  ou  d'  est  ainsi  de  direction  horizontale.  C'est  suivant  bm  qu'il  est  le  plus 
important  d'évaluer  la  séparation  des  trajectoires,  car,  d'après  toute  pro- 
babilité, la  direction  horizontale  est  le  sens  le  plus  fréquent  du  mouve- 
ment de  transport  des  ondes  et ,  par  conséquent,  celui  suivant  lequel 
s'opère  le  plus  souvent  l'interception  des  rayons.  Cette  probabilité  repose 
sur  ce  que  l'influence  du  vent  et  des  faibles  courants  d'air,  qui  régnent 
pendant  la  nuit  à  certaine  hauteur  au-dessus  du  sol,  doit  donner  lieu  à 
une  composition  de  leurs  vitesses  propres  avec  la  vitesse  ascendante  ou 
descendante  des  ondes  ;  et  comme  probablement  celle-ci  est  générale- 
ment faible  par  rapport  à  la  vitesse  des  courants  aériens,  la  direction  du 
mouvement  absolu  des  ondes  et  le  sens  de  leur  passage  à  travers  les  tra- 
jectoires doivent  s'effectuer,  le  plus  souvent,  dans  une  direction  presque 
horizontale. 

La  dislance  mb  des  trajectoires  a  pour  expression  : 


DE  LA  SCINTILLATIOIN.  37 


sin  Z         ^„    ,.    /.  1,00058890 

(9) rf'  =  X26v25/1 


COS    V  \  _JI^ 

18393 
10 


Dans  celte  équalion ,  qui  n'est  rigoureusement  applicable  que  jusqu'à 
80"  de  distance  zénithale,  Z  et  v  expriment  respectivement  les  distances 
zénithales  apparentes,  observées  en  A  et  en  m  (fig.  3)  pour  une  même 
étoile;  y  représente  la  hauteur  verticale  mo  au-dessus  du  sol  de  la  couche 
d'air  où  bm  est  mesurée.  La  réfraction  astronomique  étant  un  peu  plus 
forte  en  A,  à  la  surface  du  sol,  que  dans  la  couche  mb,  au  même  instant 
d'observation,  la  distance  zénithale  v  surpasse  un  peu  la  grandeur  de  Z, 
mesurée  en  A;  mais  cette  différence  étant  généralement  très-petite,  nous 
pourrons  ne  pas  en  tenir  compte  pour  la  facilité  du  raisonnement,  et  con- 
sidérer cos  V  comme  étant  égal  à  cos  Z.  Conséquerament,  tang  Z  peut  se 
substituer  au  facteur  '-^  dans  la  formule  (9);  alors  d'  devient  sensible- 

COS  V  \      i  7 

ment  proportionnelle  à  la  tangente  de  Z.  Si  donc  on  considère  les  varia- 
tions de  d'  en  rapport  avec  Z,  constamment  dans  la  même  couche  d'air 
élevée  de  y  au-dessus  du  sol,  on  doit  admettre  que  la  grandeur  de  l'écar- 
tement  d'  des  trajectoires,  évaluée  dans  le  sens  horizontal,  est  à  très-peu 
près  proportionnelle  à  la  tangente  de  la  distance  zénithale  de  l'étoile  jus- 
qu'à vers  80°. 

Cette  conséquence  est  applicable  à  deux  faisceaux  autres  que  le  rouge 
et  le  bleu  :  l'éparpillement  des  divers  faisceaux  cylindriques  dans  le  plan 
vertical  de  l'étoile  est  donc  d'autant  plus  grand  suivant  le  sens  indiqué, 
que  l'étoile  est  plus  éloignée  du  zénith.  Ajoutons  qu'un  diamètre  de  la  sec- 
tion en  ellipse,  suivant  laquelle  un  quelconque  des  faisceaux  cylindriques 
pénètre  dans  la  surface  sphérique  d'une  couche,  est  d'autant  plus  grand 
que  ce  cylindre  est  plus  oblique  par  rapport  à  celte  surface,  ou  que  la 
distance  zénithale  est  plus  grande;  le  diamètre  considéré  étant  oblique  au 
plan  vertical  de  l'astre  dans  lequel  la  distance  Z  est  supposée  varier. 

Nous  expliquerons  maintenant  avec  facilité  les  modifications  dans  la 
scintillation,  signalées  par  Ilooke  et  les  autres  observateurs,  selon  la  hau- 
teur de  l'étoile  au-dessus  de  l'horizon.  Quand  une  onde  capable  de  pro- 


38  DE  LA  SCirSTILLATlOlN. 

duire  un  effet  de  réflexion  totale,  en  mouvement  horizontal,  rencontre  les 
faisceaux  d'une  étoile  très-élevée,  elle  les  trouve  plus  resserrés  entre  eux 
qu'ils  ne  le  seront  dans  la  même  couche  lorsque  l'étoile  viendra  plus  près 
de  l'horizon  :  on  conçoit  qu'il  faille  ainsi  d'autant  moins  de  temps  à  l'onde 
pour  traverser  l'ensemble  des  faisceaux,  que  l'étoile  est  plus  élevée,  toutes 
choses  égales  d'ailleurs.  Si  l'onde  ne  traverse  qu'un  ou  deux  faisceaux,  obli- 
quement par  rapport  au  plan  vertical  de  l'astre,  son  passage  s'effectuera 
avec  d'autant  plus  de  promptitude  que  l'étoile  sera  plus  haut,  puisque 
l'étendue  de  la  section  de  pénétration  diminue  avec  la  distance  zénithale. 
Si  l'onde  traverse  tous  les  faisceaux,  son  passage  sera  aussi  d'autant  plus 
facile  et  plus  pi-ompt  que  l'étoile  sera  plus  élevée.  Selon  que  l'intercep- 
tion sera  partielle  ou  totale,  il  y  aura  variation  de  couleur  ou  d'éclat. 
Dans  l'un  et  l'autre  cas,  le  passage  d'un  état  de  l'étoile  à  l'état  suivant  pa- 
raîtra beaucoup  plus  soudain  dans  les  scintillations  des  étoiles  situées  près 
du  zénith,  comme  Hooke  le  prétende 

L'écartement  des  faisceaux  augmente  assez  rapidement  pour  une  dis- 
tance zénithale  supérieure  à  45%  et  les  rayons  sont  plus  disséminés  dans 
la  même  couche  horizontale;  il  y  a  donc  moins  de  probabilité  qu'alors 
une  onde  puisse,  en  les  traversant,  les  intercepter  simultanément  tous, 
et  donner  lieu  à  des  changements  d'intensité  aussi  fréquents.  D'ailleurs, 
le  passage  de  l'onde  à  travers  la  section  de  pénétration  du  faisceau  dans 
la  couche  exigera  sensiblement  un  temps  plus  long,  la  vitesse  propre 
de  l'onde  restant  la  même ,  puisque  tout  diamètre  de  cette  section ,  non 
normal  au  plan  vertical  de  l'étoile,  augmente  avec  la  distance  zénithale 
de  celle-ci. 

Si  nous  rapprochons  de  tout  ce  qui  précède  cet  autre  fait,  que  plus 
l'étoile  s'abaisse  vers  l'horizon,  plus  les  faisceaux  stellaires  traversent 
une  grande  masse  d'air,  on  sera  convaincu,  bien  que  les  chances  de  ren- 
contre des  ondes  capables  des  effets  de  réflexion  totale  augmentent  pour 

^  11  n'est  pas  inutile  de  faire  remarquer  que  plus  une  étoile  est  élevée,  plus  elle  brille  d'un 
vif  éclat  par  rapport  à  la  lumière  atmosphérique  qui  l'entoure;  cette  cause  tend  aussi  à  rendre 
plus  sensibles  les  variations  que  les  étoiles  scintillantes  éprouvent  dans  les  régions  supérieures 
de  l'air. 


DE  LA  SCINTILLATION.  39 

chacun  des  faisceaux  avec  la  distance  zénithale,  et  qu'ainsi  les  étoiles 
scintillent  davantage  dans  les  couches  inférieures.  Seulement,  les  chan- 
gements de  couleurs  doivent  être  d'autant  plus  variés  et  plus  fréquents 
que  l'étoile  est  moins  élevée. 

La  fréquence  des  effets  de  coloration  avec  l'abaissement  de  l'étoile  a 
aussi  ses  limites,  avant  que  celle-ci  ait  atteint  l'horizon.  Les  couleurs 
principales  d'un  spectre  stellaire  se  séparent  avec  d'autant  plus  de  net- 
teté que  l'étoile  est  plus  bas;  alors  elles  deviennent  perceptibles  dans 
une  lunette  de  puissance  moyenne.  Or,  il  y  a  moins  de  chance  de  pro- 
duction d'un  effet  de  couleur  complémentaire  par  l'interception  d'un 
rayon,  du  rouge,  par  exemple,  quand  la  séparation  des  principales  teintes 
est  très-prononcée  dans  la  lunette,  attendu  que  les  autres  rayons  ne  se 
trouvent  plus  mélangés  au  même  lieu  de  la  rétine,  mais  bien  étalés  en 
des  lieux  essentiellement  distincts.  Aussi,  voit-on,  à  une  petite  distance 
de  l'horizon,  les  teintes  du  spectre  d'un  astre  brillant  onduler  séparé- 
ment en  flamboyant,  et  parfois  tantôt  l'une  tantôt  l'autre  cesser  momen- 
tanément d'être  visible.  Plus  près  encore  de  l'horizon ,  les  mouvements 
ondualoires  des  teintes,  devenues  plus  larges,  mais  aussi  plus  sombres, 
s'effectuent  plus  lentement;  enfin,  près  de  disparaître  sous  l'horizon,  le 
spectre  ondulant  de  l'étoile  Sirius  ne  laisse  distinguer  que  le  rouge  et 
un  vert  sombre,  qui  semblent  tour  à  tour  subir  des  extinctions  presque 
complètes. 

II  n'y  a  donc  rien  de  surprenant,  d'après  ce  qui  précède,  que  l'étoile 
Sirius,  observée  à  l'aide  de  l'appareil  avec  lentille  excentrique,  ait  accusé 
sensiblement  le  même  nombre  de  variations  en  une  seconde,  à  des  hau- 
teurs de  15  et  de  5°  au-dessus  de  l'horizon  (page  12). 

«  La  scintillation  est  très-marquée  quand  des  vents  violents  régnent 
»  dans  l'atmosphère  et  quand  le  ciel  est  alternativement  serein  et  cou- 
«  vert,  dit  M.  Kaemtz,  dans  son  Traité  de  Météorologie.  »  Serait-ce  céder 
trop  aisément  à  des  présomptions  hypothétiques  que  de  considérer  ce  fait 
comme  une  conséquence  de  la  rapidité  avec  laquelle  les  ondes,  entraînées 
par  les  courants  aériens ,  traversent  l'ensemble  ou  une  partie  des  faisceaux 
colorés? 


40  DE  LA  SCIWÏILLATIOIV. 

La  lliéoi'ie  proposée  rend-elle  compte  du  fait  de  la  scintillation  peu 
prononcée  de  Mars  et  de  celle  plus  faible  encore  de  Saturne  et  de  Jupiter, 
tandis  que  Vénus  et  surtout  Mercure,  planète  de  très-petit  diamètre,  scin- 
tillent très-fortement?  C'est  ce  que  nous  avons  à  examiner.  Mais  avant  il 
convient  de  faire  observer  avec  M.  Arago,  qu'aucun  astronome  ne  dit, 
comme  pour  les  étoiles,  que  la  scintillation  des  planètes  est  accompagnée 
d'un  changement  de  couleurs.  La  scintillation  consisterait  donc,  en  une 
simple  variation  d'intensité. 

Je  pourrais  me  borner,  pour  expliquer  la  faible  scintillation  des  pla- 
nètes, à  rappeler,  avec  M.  Arago,  qu'un  disque  planétaire  doit  être  regardé 
comme  une  agglomération  d'un  certain  nombre  d'étoiles;  que  chacun  de 
ces  points  pris  isolément  scintillerait  comme  une  étoile,  non  par  effet  d'in- 
terférence,  comme  le  veut  ce  savant,  mais  par  les  effets  des  causes  invo- 
quées dans  la  théorie  proposée.  Il  doit  y  avoir  généralement  discordance, 
dit-il,  entre  les  scintillations  de  points  du  disque  de  la  planète  assez  éloi- 
gnés pour  que  les  rayons,  émanés  de  ceux-ci,  traversent  des  parties  d'air 
sensiblement  différentes;  alors  les  effets  de  ces  scintillations  partielles  se 
contrarient  plus  ou  moins  sur  la  rétine.  Mais  pour  une  planète  de  petit 
diamètre,  les  scintillations  de  certains  points  doivent  concorder  plus  sou- 
vent, alors  l'agglomération  de  ces  points  scintille  par  moments. 

Telle  est  l'essence  de  l'explication  de  la  faible  scintillation  des  planètes 
donnée  par  M.  Arago;  seulement,  je  ne  puis  voir  avec  ce  savant  des  effets 
d'interférence  dans  les  cas  accidentels  de  scintillation  des  grandes  pla- 
nètes ni  dans  la  scintillation  plus  fréquente  des  petites  planètes  :  c'est  à 
des  effets  de  réflexion  totale  que  je  rapporterai  l'origine  de  ces  phénomènes. 
Il  est  opportun  de  faire  remarquer  que,  pour  une  planète  examinée  près 
de  l'horizon  ou  avec  une  puissante  lunette,  les  diverses  teintes  du  spectre 
coloré  d'un  point  de  son  disque,  qui  n'appartient  pas  à  ses  arcs  supérieur 
ou  inférieur,  ne  peuvent  être  distinguées  dans  l'état  normal  de  l'atmo- 
sphère. En  effet,  la  partie  de  la  rétine  où  se  dessinerait  une  de  ces  teintes, 
est  aussi  le  lieu  de  superposition  des  autres  teintes  qui  sont  propres  à 
former  avec  celle-ci  de  la  lumière  blanche  ou  plus  exactement  la  couleur 
propre  de  la  planète  ;  ces  teintes,  superposées  à  la  première,  appartien- 


DE  LA  SCIINTlLLATIOrS.  41 

nenl  évidemment  aux  spectres  particuliers  de  points  de  la  planète  placés 
au  voisinage  l'un  de  l'autre,  sur  la  même  corde  verticale  de  son  disque. 
Enfin  une  fraction  des  rayons  de  la  planète  doit  se  répandre  sur  une  por- 
tion de  la  rétine  sous  forme  de  lumière  diffuse,  à  cause  de  l'espèce  d'épar- 
pillement  que  les  défauts  de  la  cornée  font  subir  aux  rayons  émanés  de 
tous  les  points  du  disque  planétaire  ^  Or,  on  doit  admettre  que  l'illumi- 
nation irrégulière  dérivant  de  cette  défectuosité  est  d'autant  plus  grande 
que  le  disque  a  plus  d'étendue.  Cette  cause  physiologique  intervient  sans 
nul  doute  avec  celle  invoquée  par  M.  Arago,  pour  afl'aiblir  sur  la  rétine  les 
caractères  de  la  scintillation  d'un  point  quelconque  d'une  planète  de  grand 
diamètre. 

L'explication  précédente  est  fortifiée  par  cet  autre  fait,  que  la  percep- 
tion des  variations  d'éclat  ou  de  couleurs  devient  possible  quand  l'image  du 
point  lumineux  n'est  pas  entourée,  de  toutes  parts,  des  images  de  points 
également  éclatants  :  c'est  ce  que  nous  avons  vu  se  produire  pour  une  som- 
mité éclairée  du  disque  lunaire  lorsque,  dans  sa  position  en  saillie  sur  la 
partie  du  contour  échancrée,  elle  passa  successivement  par  des  teintes 
différentes.  Il  n'est  pas  même  nécessaire,  comme  ici,  que  le  point  brillant 
contraste  avec  la  teinte  foncée  du  ciel  ;  il  suffit  qu'il  y  ait  sur  la  rétine  une 
différence  d'éclat  assez  prononcée  entre  le  point  et  les  parties  voisines  : 
c'est  ainsi  que  des  traces  de  coloration,  variant  rapidement,  ont  pu  être 
distinguées  sur  les  arêtes  de  cratères  de  la  lune,  qui,  par  leur  éclat,  se 
détachaient  des  parties  du  disque  voisines,  moins  éclairées.  Enfin  je  rappel- 
lerai les  apparitions  d'ondulations  rosées,  dont  il  a  été  question  dans  un 
mémoire  précédent  déjà  cité,  qui  se  manifestent  parfois  dans  l'arc  bleu 
que  la  dispersion  fait  naître  à  la  partie  supérieure  du  disque  solaire  près  de 
l'horizon.  Si  les  planètes  jouissaient  d'un  éclat  plus  vif,  peut-être  remar- 


'  C'est  par  la  diffusion  de  la  lumière  due  aux  irrégularités  de  la  cornée,  que  M.  Arago  explique 
des  faits  qui  sont  cités  dans  son  Astronomie  populaire,  1. 1,  p.  191,  et  d'après  lesquels  la  yisibililé 
d'un  objet  se  peignant  sur  un  point  donné  de  la  rétine,  serait  affectée  par  la  formation  d'images 
très-faibles  aux  points  environnants,  quand  même  aucun  rayon  divergent  n'émane  ostensiblement 
de  l'objet  principal.  (Voir  à  la  fin  de  l'Addition  les  développements  plus  étendus  sur  la  scintillation 
des  planètes.) 

Tome  XXVIll.  6 


42  DE  LA  SCINTILLAÏIOIS. 

querait-on  des  ondulations  semblables  sur  leur  bord  coloré,  dans   les 
mêmes  conditions. 

Je  ne  puis  passer  sous  silence  un  fait  que  M.  Arago  a  proposé  comme 
base  d'un  scintillomètre.  Voici  en  quoi  il  consiste  :  Si  l'on  enfonce  l'ocu- 
laire d'une  lunette,  on  sait  que  l'image  d'une  étoile  devient  confuse  et 
prend  des  dimensions  de  plus  en  plus  considérables.  M.  Arago  a  remarqué 
que  si,  dans  cet  état,  l'objectif  est  recouvert  d'un  diaphragme  dont  l'ou- 
verture est  de  4  centimètres  environ,  le  centre  de  l'image  devient  un  disque 
circulaire,  qui  est  obscur  ou  lumineux  selon  la  distance  où  l'oculaire  est 
enfoncé  dans  la  lunette.  Si  celle-ci  est  dirigée  vers  une  étoile  scintillante 
et  l'oculaire  placé  dans  une  des  positions  où  le  centre  de  l'image,  encore 
tout  à  fait  obscur,  est  près  de  devenir  lumineux,  un  petit  point  brillant 
apparaît  au  milieu  de  la  tache  noire,  à  des  intervalles  de  temps  d'autant 
plus  courts  que  les  scintillations  de  l'étoile  sont  plus  fréquentes. 

M.  Araso  attribue  la  formation  des  trous  noirs  au  centre  de  l'image 
dilatée,  à  l'interférence  des  rayons  directs  de  l'étoile  avec  d'autres  rayons 
qui  ont  été  déviés  latéralement  par  les  bords  de  l'ouverture  du  diaphragme, 
placé  en  avant  de  l'objectif.  Si  le  phénomène  n'est  pas  constant,  dit-il, 
c'est  que  les  rayons  qui  interfèrent  à  un  certain  moment,  n'interfèrent  pas 
un  instant  après,  lorsqu'ils  ont  traversé  des  couches  atmosphériques  dont 
le  pouvoir  réfringent  a  varié. 

Le  phénomène  dont  il  est  ici  question,  se  rattache  à  une  classe  de  faits 
qui  ne  sont  point  complètement  expliqués  :  ainsi,  l'image  d'une  étode, 
vue  dans  une  lunette  dont  l'objectif  est  recouvert  d'un  diaphragme,  se 
montre  entourée  d'arcs  successivement  lumineux  et  obscurs,  dont  la  figure 
varie  avec  la  forme  de  l'ouverture  du  diaphragme.  Ces  effets,  qui  sont 
indépendants  des  phénomènes  de  la  scintillation  et  qui  se  produisent  dans 
des  conditions  normales,  résulteraient,  paraîtrait-il,  de  phénomènes  d'in- 
terférence ^ 

Pour  expliquer  l'apparition  des  trous  successivement  noirs  et  lumineux 
au   centre  de  l'image  dilatée  d'une  étoile  scintillante,   j'admettrai  avec 

'   Traité  de  la  lumière,  par  J.  Herschell ,  t.  1 ,  p.  303. 


DE  LA  SCINTILLATION.  43 

M.  Arago  que  les  trous  noirs  d'une  étoile  qui  ne  scintille  point,  ont  pour 
origine  l'interférence  au  foyer  de  certains  rayons  directs  avec  des  rayons 
originaires  de  la  même  étoile,  qui  ont  été  infléchis  par  les  bords  du  dia- 
phragme de  l'objectif  K  Quand  l'étoile  scintille,  le  système  des  rayons 
directs  donne  lieu  à  un  point  lumineux  au  centre  de  l'image  dilatée  au  mo- 
ment où  des  rayons,  infléchis  par  le  diaphragme,  sont  interceptés,  même 
partiellement,  par  des  effets  de  réflexion  totale  avant  d'atteindre  l'objectif., 

Après  avoir  montré  que  l'explication  des  particularités  de  la  scintilla- 
tion, les  plus  importantes  parmi  celles  qui  sont  connues,  ne  constitue 
aucune  difficulté  pour  la  théorie  proposée,  je  résumerai  les  principaux 
points  sur  lesquels  cette  théorie  repose  : 

l*"  Tout  rayon  émané  d'une  étoile,  située  à  une  certaine  distance  du 
zénith  au  lieu  de  l'observation,  est  décomposé  dans  l'atmosphère  en  ses 
rayons  primitifs  par  le  pouvoir  dispersif  de  l'air; 

2°  Les  faisceaux  cylindriques  curvilignes,  chacun  d'un  diamètre  égal 
à  celui  de  la  pupille  de  l'œil  nu  ou  de  l'objectif  de  la  lunette,  qui  consti- 
tuent les  rayons  diversement  colorés ,  ainsi  dispersés,  sont  entièrement 
séparés  à  une  certaine  distance  de  l'observateur,  au  delà  de  laquelle  les 
trajectoires  ont  traversé  des  régions  atmosphériques  essentiellement  diffé- 
rentes ; 

ô»  Si  une  ou  plusieurs  ondes  aériennes,  douées  d'un  pouvoir  réfringent 
autre  que  celui  de  l'air  ambiant,  s'interposent  sur  une  ou  plusieurs  tra- 
jectoires dans  des  conditions  où  des  effets  de  réflexion  totale  sont  capables 
de  se  produire  à  l'égard  de  la  totalité  ou  d'une  partie  des  rayons  consti- 
tutifs des  trajectoires,  les  rayons  interceptés  font  défaut  à  l'œil.  L'organe 
de  la  vue  éprouve  aussitôt  l'impression  de  la  couleur  complémentaire  des 
rayons  déOcients,  pendant  toute  la  durée  de  ces  interceptions,  soit  qu'il 
observe  le  phénomène  avec  ou  sans  le  secours  d'une  lunette  ; 

4"  L'interception  d'un  rayon  lumineux  résultant  de  sa  réflexion  à  la 

'  Il  résulterait  de  certains  passages  des  Oeuvres  d'Arago  (Asiron.  populaire,  t.  1,  p.  139,  el  No- 
tices biographiques ,  t.  III,  p.  406)  où  il  est  question  de  la  vision  télescopique,  qu'il  y  a  lieu  de 
supposer  qu'une  partie  des  rayons  qui  se  croisent  dans  les  télescopes,  s'éteignent  mutuellement 
au  point  de  croisement.  Cette  supposition  et  les  faits  cités  plus  haut  méritent  un  examen  sérieux. 


44  DE  LA  SCmTILLATIOIS. 

face  d'une  onde,  n'est  point  nécessairement  accompagnée  d'un  mouvement 
ondulatoire  de  l'image  de  l'étoile  qui  soit  d'amplitude  notable;  il  peut 
même  arriver,  et  c'est  peut-être  un  des  cas  les  plus  fréquents,  que  la  dé- 
viation d'un  rayon  venant  de  l'infini,  ainsi  intercepté,  soit  non-seulement 
inappréciable  à  l'œil,  mais  même  tout  à  fait  nulle; 

5"  Quand  une  ou  plusieurs  ondes  simultanées  traversent  l'ensemble  des 
faisceaux  plus  près  de  l'observateur,  et  dans  les  conditions  de  réflexion 
totale  pour  la  pluralité  des  rayons  diversement  colorés,  ceux-ci  font  défaut 
dans  la  vision,  et  il  y  a  alors  évanouissement  presque  complet  de  l'image. 
Au  contraire,  il  y  aura  perception  plus  vive  de  l'étoile  aux  instants  de 
courte  durée  où  les  rayons  rencontreront  comparativement  peu  d'ondes 
réfringentes  sur  leur  passage; 

6"  Les  images  des  étoiles  ne  sont  pas  nettement  limitées  :  non-seule- 
ment elles  ont  des  diamètres  factices,  même  dans  les  lunettes,  mais,  par 
suite  d'un  défaut  inhérent  à  l'organe  visuel,  des  rayons  semblent  diverger 
en  tous  sens  autour  de  l'étoile  sur  une  certaine  étendue,  surtout  à  l'œil 
nu.  Comme  ces  rayons  parasites  participent  aux  variations  de  coloration 
et  d'intensité  de  l'image  stellaire  proprement  dite,  il  en  résulte  que  les 
caractères  de  la  scintillation  se  manifestent  dans  l'organe  visuel  sur  une 
plus  grande  étendue  que  ne  le  voudrait  la  réalité. 

Parmi  ces  bases  théoriques,  il  en  est,  telles  que  la  dispersion  et  la  sépa- 
ration des  rayons  diversement  colorés,  qui  spécifient  d'une  manière  nette 
et  positive  des  faits  déjà  connus  ou  à  prévoir,  parce  qu'ils  sont  des  con- 
séquences irréfutables  de  la  réfraction  et  de  la  dispersion  par  l'air.  L'in- 
fluence des  rayons  parasites  résulte  d'un  fait  physiologique  dont  l'inter- 
vention dans  les  phénomènes  de  la  scintillation  a  déjà  été  invoquée  par 
des  physiciens.  Mais  je  pense  que  personne  n'a  jamais  attribué  de  rôle  aux 
effets  de  réflexion  totale  dans  les  interceptions  des  rayons  par  les  ondes 
aériennes.  Les  savants  qui  ont  précédé  M.  Arago  dans  la  recherche  des 
causes  de  la  scintillation ,  n'ont  guère  émis  que  des  opinions  conjecturales 
sur  l'origine  de  ce  curieux  phénomène,  à  en  juger  du  moins  d'après  1  ex- 
posé général  qui  termine  la  Notice  de  M.  Arago.  Aucun  d'eux  n'a  sans  doute 
fortifié  l'explication  qu'il  proposait  en  l'appuyant  par  les  résultats  du  cal- 


DE  LA  SCINTILLATION.  4S 

cul,  autant  toutefois  que  le  comporte  l'incertitude  de  nos  connaissances 
à  l'égard  des  conditions  réelles  où  les  phénomènes  en  question  se  pro- 
duisent. 

Plusieurs  de  ces  physiciens  auraient  pu  attribuer  la  cause  de  la  scin- 
tillation à  des  effets  d'angle-limite ,  si  leurs  vues  s'étaient  portées  vers  ce 
genre  d'effet.  Mais  il  est  à  remarquer  que  l'application  de  ces  phénomènes 
à  l'air  est  de  date  récente,  du  moins,  à  ma  connaissance,  aucun  physicien 
ne  l'a  faite  avant  que  Monge  eût  appliqué  ces  effets  à  l'explication  du 
mirage,  phénomène  naturel  que  les  armées  françaises  observèrent  si  sou- 
vent en  Egypte.  La  fréquence  dans  l'atmosphère  de  ces  effets,  soit  géné- 
raux, soit  partiels,  qui  devient  de  plus  en  plus  manifeste  avec  le  nombre 
des  observations,  ne  peut  que  fortifier  l'application  du  principe  fonda- 
mental de  la  réflexion  totale  aux  petites  portions  d'air  qui  constituent  les 
ondes  aériennes,  d'ailleurs  si  multipliées;  cette  fréquence  a  donc  pour 
conséquence  inévitable  de  nous  amener  à  considérer  ce  phénomène  comme 
étant  la  cause  originaire  de  l'interception  des  rayons  dans  la  scintillation. 
La  cessation  momentanée  de  la  visibilité  d'objets  terrestres,  fait  que  j'ai 
observé  dans  certaines  conditions  oîi  les  rayons  émanés  de  ceux-ci  traver- 
saient des  ondes  nombreuses  et  agitées,  s'explique  très-bien  à  l'aide  des 
effets  de  réflexion  totale;  il  vient  ajouter  ainsi  un  nouveau  degré  de  pro- 
babilité à  l'intervention  de  la  même  cause  dans  la  scintillation.  J'ai  déjà 
eu  occasion  de  le  dire,  c'est  en  cherchant  l'explication  de  ces  disparitions 
partielles  dans  les  effets  de  réfraction  atmosphérique,  que  l'application 
du  même  principe  au  phénomène  de  la  scintillation  m'est  venue  à  l'esprit. 

Je  ne  m'arrêterai  pas  à  un  examen  des  théories  émises  par  divers  sa- 
vants; M.  Arago  les  a  réfutées  dans  sa  Notice.  Je  ferai  remarquer  seule- 
ment qu'à  propos  du  détournement  des  rayons  de  la  prunelle  occasionné 
par  la  trémtdation  de  l'air,  phénomène  cité  par  Newton  dans  sa  Philoso- 
phie naturelle  pour  expliquer  la  scintillation,  M.  Arago  dit  que  si  cette 
trémulation  écartait  certains  rayons  stellaires  de  l'œil,  la  même  cause  dé- 
viatrice  y  ferait  pénétrer,  par  compensation,  des  rayons  voisins  qui,  dans 
une  atmosphère  tranquille,  seraient  tombés  sur  la  cornée  opaque.  On  voit 
par  cette  objection  de  M.  Arago  et  par  une  explication,  un  peu  différente 


46  DE  LA  SCINTILLATION. 

de  la  première  que  donne  NeAvton  dans  son  Optique,  en  la  faisant  reposer 
sur  les  effets  qu'éprouveraient  les  images  des  étoiles  sur  la  rétine  par 
suite  de  petites  déviations  des  rayons  stellaires  dues  à  l'agitation  de  l'air, 
on  voit,  dis-je,  qu'il  n'a  pu  être  question  des  phénomènes  de  réflexion 
totale  dans  cette  théorie  de  Newton,  à  laquelle  M.  Arago  consacre  un 
article  très-étendu. 

Maintenant,  j'établirai  quelques  points  de  comparaison  entre  la  théorie 
de  M.  Arago  par  les  phénomènes  d'interférence,  et  l'explication  de  la 
scintillation  que  je  propose. 

M.  Arago  paraît  avoir  pressenti,  dans  sa  Notice^,  que  le  peu  de  lar- 
geur du  faisceau  introduit  dans  l'œil  par  la  pnpille,  ne  laisse  difficilement 
concevoir  la  destruction  par  interférence  de  rayons  presque  contigus,  qui 
auraient  traversé  des  régions  atmosphériques  excessivement  rapprochées. 
A  la  vérité,  ce  savant  fait  valoir  contre  cette  difficulté  la  longueur  du 
trajet  des  rayons  dans  l'atmosphère,  et  le  peu  de  différence  des  états  indi- 
viduels des  couches  nécessaire  pour  que  la  destruction  mutuelle  de  cer- 
tains rayons  du  faisceau  s'effectue  par  interférence.  Cette  difficulté  n'en 
serait  pas  une  dans  l'hypothèse  des  effets  par  réflexion  totale  :  loin  de  là. 
car  l'interception  du  faisceau  se  trouvera  d'autant  plus  près  d'être  com- 
plète, que  ses  dimensions  transversales  seront  moindres  relativement  à  la 
face  d'interception  de  l'onde. 

Une  remarque  importante,  c'est  que  la  théorie  de  M.  Arago  semble 
porter  avec  elle  une  cause  de  diminution  dans  le  nombre  possible  des 
phénomènes  d'interférence,  lors  de  la  scintillation.  Comme  on  le  sait, 
d'après  cette  théorie  la  destruction  des  rayons  rouges,  par  exemple, 
aurait  lieu  au  foyer  d'une  lentille  ou  sur  la  rétine,  quand  les  rayons  stel- 
laires de  cette  teinte,  qui  ont  traversé  la  partie  gauche  de  la  lentille, 
arrivent  au  foyer  ou  sur  la  rétine  en  avance  ou  en  retard  d'une  demi- 
ondulation  sur  les  rayons  rouges,  réfractés  par  la  partie  droite  de  la 
lentille;  la  différence  de  la  demi-ondulation  ayant  eu  pour  cause  supposée 
la  variété  de  puissance  réfringente  des  couches  d'air  traversées  par  les 

«  Notice,  p.  426. 


DE  LA  SCINTILLATION.  47 

deux  systèmes  de  rayons.  Il  est  excessivement  probable  que,  dans  cette 
transmission,  chaque  système  éprouvera  des  alternatives  d'avance  et  de 
retard  d'ondulation  par  rapport  à  l'autre  :  ainsi  donc,  à  diverses  distances 
de  l'observateur,  les  deux  systèmes  se  trouveraient  dans  des  conditions 
relatives  tantôt  d'extinction  complète,  tantôt  d'accroissement  d'intensité, 
s'ils  se  réunissaient  en  chaque  lieu  où  on  les  considère.  On  conçoit,  d'après 
cela,  que  les  rayons  rouges  spéciûés  puissent  très-bien  se  rencontrer  au 
foyer  dans  des  phases  d'ondulation  additives,  c'est-à-dire  propres  à  un 
accroissement  d'intensité,  après  s'être  trouvés,  à  diverses  reprises  sur  leur 
trajet,  dans  des  phases  d'extinction  relatives.  Les  chances  d'accroissement 
d'éclat  ou  d'extinction  au  foyer  n'augmenteraient  donc  point,  en  général, 
avec  le  nombre  des  couches  traversées,  car  on  pourrait  très-bien  suppri- 
mer, par  la  pensée,  un  certain  nombre  de  variations  des  phases  ondula- 
toires des  rayons  considérés,  sans  que  l'état  d'intensité  final  au  foyer 
devînt  différent  de  celui  oii  il  s'y  trouve  en  réalité. 

Cette  conséquence  de  la  théorie  par  interférence  réduirait  beaucoup  le 
nombre  des  chances  des  variations  d'éclat  ou  de  couleurs,  comparative- 
ment à  celui  des  changements  dont  la  théorie  par  réflexion  totale  rend 
compte;  car  dès  l'instant  oîi ,  en  vertu  de  tout  effet  semblable,  une  onde 
intercepte  un  rayon  lumineux,  même  dans  des  couches  atmosphériques 
éloignées,  ce  rayon,  subitement  arrêté,  ne  peut  plus  parvenir  à  l'œil  et 
y  produire  d'impression,  à  moins  de  circonstances  tout  à  fait  exception- 
nelles. Ainsi,  dans  cette  théorie,  plus  un  rayon  rencontre  d'ondes  aériennes 
dans  son  trajet,  plus  il  y  a  de  chances  qu'il  s'en  présente  qui  soient  capa- 
bles des  effets  de  réflexion  totale,  de  façon  à  donner  lieu  à  la  suspension 
subite  et  définitive  de  la  perception  du  rayon  par  l'œil.  On  conçoit  aisé- 
ment, d'après  cela,  que  l'on  ait  pu  observer  soixante  variations  d'éclat  et 
de  couleurs  de  l'étoile  Sirius  par  seconde,  dans  les  couches  atmosphé- 
ri  ques  pu  élevées. 


NOTE. 


Proposons-nous  d'abord  de  déterminer  la  distance  verticale  m  m'  des  points  m  et  m'  des  trajec- 
toires bleue  et  rouge  appartenant  à  une  même  étoile,  et  qui  arrivent  en  A,  fig.  3. 

Désignons  par  r  la  distance  mC  du  point  m  de  la  trajectoire  bleue  P  m  A  au  centre  de  la  terre  C, 
par  a  le  rayon  terrestre  0  C,  et  par  Z  et  «  les  distances  zénithales  apparentes  du  rayon  bleu  de 
l'étoile  observées  respectivement  en  A  et  en  m.  Si  N  et  n  représentent  les  indices  de  réfraction  de 
l'air  pour  le  rayon  bleu ,  respectivement  en  A  et  en  m,  on  sait,  d'après  les  recherches  du  mouve- 
ment de  la  lumière  dans  un  milieu  réfringent  ',  que  l'on  a  la  relation  : 

r  sin  t)         N 
a  s'mZ         n 

Concluons  de  cette  relation,  qui  est  applicable  à  l'atmosphère  quand  la  distance  zénithale  Z  n'ex- 
cède pas  80°: 

sin  Z.N 


r  =  a 


Si  nous  désignons  par  r'  la  dislance  m'C  au  centre  terrestre  du  point  m'  de  la  trajectoire  rouge 
P'm'A,  par  Z'  et  v'  les  distances  zénithales  observées  pour  ce  rayon  en  A  et  en  m';  si  de  plus  N' 
et  n'  sont  les  indices  de  réfraction  de  l'air  pour  le  rouge  respectivement  en  A  et  en  m\  nous  avons 
également  l'expression  ; 

sin  Z'.N' 


Soit  d  la  distance  r  —  r'  des  points  considérés  m  et  m' ,  on  aura  ; 

/sin  Z.N         sinZ'.N'N 

(2) d  =  a   { : p-;     • 

'  \  sin   v.n         sin  v  .n  j 

Le  rapport  ^  diffère  excessivement  peu  de  '^,,  même  à  de  grandes  dislances  zénithales; 
ainsi   soit  Z  ="80°  pour  le  rayon  bleu ,  on  aura  Z'  =  80°  0'5"  pour  le  rayon  rouge,  parce  que  à  80° 

'  ■'  ,      ,     sinZ'  sin  80°5"  

la  longueur  du  spectre  est  sensiblement  égale  à  5"  ;  on  trouve  par  le  calcul ,  -^^  =    ^.^  g^, 
1,00002.  Le  rapport  ^^  des  distances  zénithales  des  rayons  rouge  et  bleu  observées  en  m'  et  m 

'  Voir  V astronomie  physique  de  Biot,  t.  I,  p.  311 ,  article  Réfraction  atmosphérique. 


DE  LA  SCINTILLATION.  49 

dittère  excessivement  peu  du  nombre  précédent,  lequel  est  sensiblement  égal  à  l'unité,  même  à  la 
distance  zénithale  de  80°  :  on  peut  donc  poser  ^!^  =  ~. L'équation  (2)  prend  alors  la  forme  : 

'  sm  D         sifl  v'  '  \   I  r 


sin  Z    /N        iY\ 

(o) d  =  a • 

sin  t)    \  n         n  j 


On  sait  que  la  puissance  réfiactive  de  l'air  est  proportionnelle  à  sa  densité;  soient  donc  respec- 
tivement H  et  T  la  hauteur  barométrique  et  la  température  de  l'air  en  A,  h  et  t  les  éléments  sem- 
blables en  m,  on  aura  en  vertu  de  cette  loi  : 

h         1  -+-  T  X  0,00366 

»i»  -  1  =  (  N^  —  1  )  -   X    ^^-^ . 

H         l  +  t   X  0,00360 

ou  plus  simplement  : 

/( 

(4> »i  -  1  =(N  —  1)  -  (1  -(-(T-t)0,OOûôO). 

U 

La  formule  barométrique  la  plus  en  usage  pour  mesurer  les  hauteurs  des  montagnes  donnerait 
pour  l'élévalion  mO  =j/  du  point  m  au-dessus  du  sol, 


r         2    T'-t-  f)l        H 

y  =  18393»     1  H ï og  -• 

•^  L  1000       J  h 


Posons 


"  L  1000      J 

on  déduit  de  l'équation  précédente. 


h 

-  =  10 

H 


J'ai  accentué  T',  parce  que  cette  lettre  exprime  la  température  au  niveau  du  sol  en  0,  ([ui  diffé- 
rera de  T  en  A  si  la  dislance  A  0  est  considérable.  De  la  dernière  équation  et  de  l'expression  (4) , 
où  p  a  remplacé  le  facteur  (1  -t-  (T  —  t)  0,00366),  on  déduit 


n  —  1  =(N  —  l)p  X  10    '  ■ 
On  est  conduit  par  cette  équation  à  l'expression  suivante  du  rapport  -  : 


<l  1  <l 

10  10  10 


Tome  XXVIII. 


go  DE  LA  SCINTILLATION. 

Je  ferai  lemaïquer,  avant  de  former  par  les  mêmes  procédés  le  développement  de  -, ,  que  d  étant 
très-petit  comparativement  à  »/iO  ou  ij,  on  peut  considérer  y,  p  et  q  comme  ayant  les  n)êmes  va- 
leurs dans  ce  développement  que  dans  celui  de  ,7  ;  on  a  donc  : 

/  (N'-  1)  ,  (N'-  1)=  ,  (N'-  1)'  \ 


10  10  10 


; 


Mais,  avant  de  prendre  la  différence  de  ces  deux  développements,  il  convient  de  faire  obser- 
ver que  l'on  peut  négliger  les  termes  affectés  des  puissances  de  (N  —  1)  et  de  (N' —  I)  supé- 
rieures à  la  première,  sans  commettre  d'erreur  appréciable.  En  effet  (N  —  1)  et  (N'  —  1)  sont 
.les  quantités  très-petites  et  respectivement  égales  à  0,00029654  et  0,00029242  ;  la  seconde  et  la 
troisième  puissance  de  ces  nombres  seront  donc  excessivement  faibles.  De  plus,  le  dénominateui 
iO»  croissant  suivant  les  mêmes  puissances,  est  toujours  supérieur  à  l'unité,  sauf  le  cas  dej/  =  o, 
pour  lequel  10'^  =  1.  Enfin,  le  facteur  p  diffère  très-peu  de  l'unité.  Concluons  de  là  que  la  diffé- 
rence des  développements  précédents  se  réduit  sensiblement  à  : 


ou  plus  simplement  : 


îl  _  -  =  N  -  N'  -  4  (N'-  N  -  lN"-t-N') 
n         n  f 

10 


N        N'                         /           p  (N-+-N'  —  1) 
.!!  _  1-  =  (N  -  N')  /   I   -  '-^ ; ■ 


n        n 


>j 
10 


Si,  après  avoir  remplacé  N  etN'  parles  valeurs  numériques  indiquées  ci-dessus,  on  substitue  l'ex- 
pression de  ~  -  ^  dans  l'équation  (5),  où  l'on  aura  d'ailleurs  mis  ;ui  lieu  de  «le  nombre  6  366  198", 
lonÊ;ueur  du  rayon  terrestre  moyen,  on  obtiendra,  après  tout  calcul  fait  ; 


sinZ    -„,„   /,         px  1,00058896  A 

V  10' 


Le  coefficient  26",25  convient,  à  la  rigueur,  au  seul  cas  où  la  tension  de  lair  et  sa  température  en 
A  sont  respectivement  0"',76  et  0°;  pour  d'autres  valeurs  H  et  T  de  ces  éléments,  il  faudrait  mul- 
tiplier le  facteur  26",2Ô  par  le  rapport  pn,  ,6  (i -h"  x  o,oo56»)  "  ^°'""  '"^"^^  'î"*'  "°"*  ^''''""*  '^^  ''^"^ 
formule,  nous  supposerons  H  =  O^.ÏB  en  A,  et  les  températures  T,  T'  et  l,  respectivement  égales 
à  0».  La  condition  d'une  température  de  0°  conslante  à  tous  les  points  de  la  trajectoire mA  est  admis- 
sible en  vue  de  faciliter  les  calculs,  dès  que  1/  ne  reçoit  pas  une  valeur  trop  grande.  Les  supposi- 


DE  LA  SCINTILLATION.  SI 

lions  précédentes  nécessitent  les  équations/»  =  1  et  9  =  18395';  l'expression  ded  devient  alors  '  ; 

(0) d  =  !iîli  26.,2Ô  A  -  lfi^^^î^\  . 

sin  t)  y  I 

\  18393      y 

^  10  ^ 

Il  peut  être  avantageux  d'exprimer  d  en  fonction  de  a;  =  mk,  dislance  recliligne  du  point 
de  la  trajectoire  considéré  à  l'observateur.  A  cet  effet,  remarquons  que  le 'triangle  kmO  donne 
y  =  3;''!""'      ■  Désignons  par  R  l'angle  TAm  compris  entre  a;  et  la  tangente  AT  à  la  courbe  au 

sm  mOA  o  i  o  i  o 

point  A,  et  par  A  l'angle  OAC  lequel  est  égal  à  0;  nous  aurons  :  sin  mAO  =  sin  (Z  +  R  -t-  A). 
La  portion  mSA  de  la  trajectoire  serait  en  réalité  la  marche  que  suivrait  le  rayon  lumineux 
émané  d'un  objet  terrestre  m,  Irôs-élevé  sur  l'horizon,  vers  l'observateur  placé  en  A  :  d'après 
cette  manière  de  voir,  l'angle  TAm  ou  R,  compris  entre  la  tangente  AT  à  l'arc  j»iSA  et  sa  corde 
»jA,  est  égal  à  la  réfraction  terrestre  qui  se  produirait  pour  l'objet  terrestre  m.  On  a  reconnu 
que,  dans  l'état  moyen  de  l'atmosphère,  la  réfraction  terrestre  est  moyennement  égale  h  y^  de 
l'arc  A0  ou  de  l'angle  au  centre  G  qui  mesure  l'écart  des  verticales  AC  et  OC;  on  peut  donc  poser 
R  ==— ■.  Cette  manière  de  raisonner  est  admissible  aussi  longtemps  que  ASm  ou  sa  corde  x  ne 
dépasse  pas  une  certaine  limite,  Z  étant  d'ailleurs  très-grand. 

La  somme  des  angles  égaux  A  et  0  étant  supplémentaire  de  C ,  on  a  A  =  90  —  ~ ,  et 
sin  mOA  =  cos  -  .  Il  résulte  de  ce  qui  précède  et  de  l'expression  précédente  de  y  : 

cos  (Z  —  0,41  C) 

y   =   ^     _ 

cos  — 


Soit  L  la  longueur  de  l'arc  AO  mesurée  en  mèlres  :  dans  la  supposition  de  la  sphéricité  de  la 
terre,  le  mèlre  équivaut  sensiblement  à  un  arc  de  méridien  de  0",0û2;  on  a  donc  -  =  0",0I6  X  L. 
En  supposant  L  =  10,000  mètres,  cos  -  ou  cos  d60"  diffère  très-peu  de  l'unité,  on  peut  donc 
poser  cos  ^  =  i  pour  toute  valeur  de  L  moindre  que  10,000  mètres  ou  égale  à  cette  longueur. 
L'expression  de  y  se  réduit  alors  à 

y  =  X  cos  [Z  —  0",01ôô  L). 

On  rend  cette  formule  indépendante  de  L  en  remarquant  que 

sinAmO  sin(Z-»-A  — C) 

L  —X    .    ,-^       =  X   — = • 

sin  AOm  C 

cos  — 


'  Quand  on  pose  y  =  o  dans  celle  formule,  d  conserve  une  valeur  Irès-petile  au  lieu  d'avoir  une  valeur  nulle;  cela 
résulte  des  (ermes  très-faibles  dont  il  n'a  pas  été  tenu  compte  dans  les  développements  qui  ont  conduit  à  l'équation 
(5).  Si  l'on  suppose  j/  =  0 ^  on  a  N  =  N'  et  n  =  n',  puis  d  =  0,  dans  l'équation  (3),  de  laquelle  les  suivantes  déri- 
vent. 


52  DE  LA  SCINTILLATIOJN. 

Après  la  substitution  des  valeurs  prénéJentes  de  A  et  de  C,  on  obtient  à  très-peu  près  : 

L  =  X  sin  [Z  —  0",0295x  sin  Z]. 

L'expression  finale  de  y  est  alors  : 

(7) )/ =  x  cos[Z  —  0",01ô3  X  X  X   sin  (Z  —  0",0295  X  sin  Z)]. 

Représentons  par  e  le  second  ternie  compris  entre  les  parenthèses,  puis  substituons  x  cos  (Z  —  e), 
au  lieu  de  y  dans  la  valeur  (6)  de  d,  nous  obtiendrons 

sinZ  /  1,00038896  \ 


sm  V 


X  ■ 


10 


18.103 


La  ligne  d  ou  mm'  est  mesurée  sur  la  verticale  mC;  il  est  important  de  considérer  aussi  la  dis- 
lance des  trajectoires  suivant  une  ligne  horizontale  ou,  en  d'autres  ternies,  de  déterminer  la  dis- 
tance mb  des  trajectoires  dans  la  même  couche  d'air.  Soit  d'  cette  ligne;  le  triangle  mm'b,  dans 
lequel  l'angle  mm'b  mesure  la  distance  zénithale  v'  du  rayon  rouge  observée  en  m',  nous  conduit 
à  l'équation  d'  =  d  tang  v'.  L'angle  v'  diffère  excessivement  peu  dev,  distance  zénithale  du  rayon 
rouge  observée  en  A,  on  peul  donc  poser  d'  =^d  tang  i'.  Cette  équation  combinée  avec  l'expres- 
sion (6)  donne  : 

sinZ  /  1,00058896  \ 

(9) <^'=^—,  26',23  /  1  -  -^— ]  - 

cos  V  — i — 

\  18395  / 

^10  ^ 

Les  expressions  de  d  et  de  d'  mesurent  les  distances  des  trajectoires,  selon  qu'on  les  considère 
l'une,  suivant  la  verticale  mC  et  l'autre,  suivant  la  portion  horizontale  mb  d'une  couche  d'air. 

Il  est  également  facile  de  former  l'expression  de  la  distance  réelle  ou  de  l'écartement  linéaire 
des  trajectoires  extrêmes  mX.  et  6A  mesuré  en  m;  à  cet  effet,  du  point  m  abaissons  la  normale  me 
à  la  trajectoire  du  rayon  moyen,  ou,  pour  plus  de  simplicité,  à  la  trajectoire  rouge  ÔA.  Si  nous 
désignons  par  D  la  distance  me,  nous  aurons,  en  vertu  des  relations  trigononiélriques  que  pré- 
sente le  triangle  mcm'  :  D  =  d  X  sin  d'  ou  D  =  rf  X  sin  v.  Cette  équation,  combinée  avec  la  va- 
leur de  d  (8),  donne  pour  l'expression  finale  de  D  : 


1,00058896  \ 

(10) D  ^  sin  z  X  26',2Ô  /   1   -     '    ^„,„_^,     j 

8393        y 


X 

10 


Les  formules  précédentes  conduisent  à  des  résultats  calculés  qui  ne  seraient  rigoureusement 
exacts  que  pour  des  valeurs  de  Z  peu  supérieures  80°;  attendu  que  l'équation  (I),  d'où  ces  for- 
mules sont  dérivées,  n'est  plus  rigoureusement  vraie  au  delà  de  80°  de  la  dislance  zénithale, 
parce  que  la  réfraction  se  trouve  trop  fortement  influencée  par  la  courbure  des  couches  atmos- 
phériques. 


ADDITIONS. 


Dans  le  rapport  où  M.  Plateau  a  exposé ,  d'une  manière  si  claire  et  si  précise ,  les  bases 
(le  la  théorie  précédente,  il  insiste  sur  une  objection  que  soulève  l'explication  de  l'extinc- 
tion des  rayons  d'une  étoile  scintillante  par  phénomène  de  réflexion  totale  à  la  surface 
d'une  onde  aérienne.  Après  avoir  reconnu  que  les  irrégularités  de  forme  présumablesde 
ces  surfaces  ne  permettent  guère  d'admettre  que  l'œil  d'un  spectateur  perçoive  nettement 
l'image  d'une  étoile  réfléchie  par  une  onde,  M.  Plateau  se  demande  «  si,  dans  les  cas  où 
»  par  une  réflexion  opérée  assez  près  de  l'observateur,  l'ensemble  des  faisceaux  colorés 
»  provenant  d'une  étoile  très-brillante  serait  ramené  vers  lui,  celui-ci  ne  devrait  point 
»  voir,  au  moins  à  une  certaine  dislance  de  l'étoile,  une  trace  déformée,  une  lueur  [las- 


»  sagère  '  ? 


Il  importe  de  soumettre  à  un  examen  approfondi  une  objection  qui  touche  un  des 
points  fondamentaux  de  la  théorie  proposée. 

Quoique  l'on  ne  puisse  nier  la  réalité  des  réflexions  totales  aux  surfaces-limites  de  por- 
tions d'air  d'inégales  densités  puisque  c'est  à  des  réflexions  de  ce  genre  que  sont  dus  les 
phénomènes  du  mirage,  il  convient  d'insister  d'abord  sur  la  fréquence  des  effets  naturels 
de  ce  genre  qui  échappent  à  la  vue. 

Je  ferai  remarquer  que,  quand  un  effet  de  mirage  ordinaire  est  visible  pour  un  specta- 
teur, généralement  l'image  réfléchie  se  distingue  par  des  dimensions  étendues,  son  appa- 
rition persévère  pendant  un  temps  plus  ou  moins  prolongé;  enfin,  la  régularité  et  la  fixité 
qui  le  plus  souvent  caractérisent  l'image  artificielle,  toutes  ces  circonstances,  dis-je,  se 
réunissent  pour  démontrer  que,  dans  le  phénomène  du  mirage,  les  rayons  lumineux  sont 
réfléchis  quasi  avec  les  mêmes  conditions  que  si  la  réflexion  s'opérait  sur  une  surface 
immobile  et  presque  plane  en  toute  son  étendue. 

Mais  si  les  dimensions  de  l'objet  sont  petites;  si  la  durée  de  l'apparition  de  l'image 
est  courte;  si  celle-ci  éprouve  des  déplacements  plus  ou  moins  rapides;  si ,  enfin  ,  l'image 
se  déforme  d'une  façon  bizarre,  alors  le  phénomène  échappe  le  plus  souvent  à  l'attention  , 
même  dans  des  localités  où  il  se  produit  fréquemment.  Aussi,  les  observations  de  cette 
sorte  de  faits  ne  sont-elles  point  fréquentes  :  c'est  dans  ces  derniers  temps  seulement 
que  l'on  a  signalé  des  effets  de  mirage  partiels  qui  se  produisent,  presque  chaque  jour, 
au  milieu  de  circonstances  très-diverses,  en  plusieurs  endroits  de  Paris.  M.  Bigoundan 
a  notamment  signalé  la  réflexion  par  effet  de  mirage  d'un  très-petit  objet  sur  un  des  murs 

'  Bulletins  de  l'Académie  de  Belgique,  t.  XXII. 


U  DE  LA  SCliMlLLAÏlON. 

de  la  Bourse,  où  il  l'ail  saillie'.  Le  plus  grand  angle  de  réflexion  que  cet  observateur 
ait  remarqué,  dépassait  14';  mais  il  en  a  mesuré  qui  n'excédaient  guère  1'.  On  voit  par 
là  que  les  angles  de  réflexion  totaîe  produits  à  la  surface  de  couches  d'air,  même  dans 
les  conditions  ordinaires,  varient  entre  des  limites  assez  éloignées  et  que  l'un  de  ces 
angles  n'a  qu'une  très-faible  valeur. 

Combien  de  phénomènes  du  genre  de  ceux-ci  échappent  à  nos  yeux ,  soit  par  inatten- 
tion de  notre  part,  soit  à  cause  du  peu  d'intensité  et  de  la  mobilité  du  phénomène,  ou  par 
suite  du  trouble  que  l'agitation  des  ondes  aériennes  interposées  apporte  dans  la  percep- 
tion des  images.  «  Nous  sommes  pleinement  convaincus,  dit  M.  Moigno,  que  les  phéno- 
»  mènes  du  mirage,  regardés  jusqu'ici  comme  des  faits  rares  et  extraordinaires,  sont, 
»  au  contraire,  très-fréquents  pour  ne  pas  dire  très-communs.  De  sorte  que,  si  un  œil 
»  patient  et  perçant  s'exerçait  à  les  retrouver  dans  l'atmosphère,  il  les  verrait  partout^.  » 

Après  avoir  établi  incontestablement  la  fréquence  très-prononcée  des  phénomènes  de 
réflexion  totale  dans  l'air,  je  prouverai  maintenant  que  les  rayons  stellaires  déviés  à  la 
face  des  ondes  aériennes  par  des  phénomènes  semblables,  ont  encore  moins  de  chance 
d'être  perçus  que  la  multitude  des  effets  de  mirage  partiels  qui  sont  inaperçus,  sinon 
même  absolument  imperceptibles. 

Remarquons  d'abord  que,  si  certaines  conditions  géométriques  applicables  à  la  posi- 
tion du  spectateur  vers  lequel  les  rayons  sont  accidentellement  réfléchis  ne  sont  point 
satisfaites,  ce  spectateur  ne  pourra  recevoir  tous  les  rayons  déviés  par  l'onde.  Eu  effet, 
avant  cette  déviation,  tous  les  rayons  diversement  colorés  et  émanés  d'une  même  étoile 
convergeaient  vers  l'œil  d'un  observateur  A;  il  est  évident ,  d'après  les  lois  de  la  réflexion, 
qu'au  moment  où  ils  seront  interceptés  à  l'égard  de  A  par  une  onde,  ces  rayons  réfléchis 
ne  pourront  pénétrer  tous  dans  l'œil  d'un  spectateur  A',  à  moins  que  cet  œil  n'occupe 
exactement  une  position  symétrique  à  celle  de  l'observateur  A,  par  rapport  au  plan  indé- 
finiment prolongé  de  la  surface  réfléchissante  de  l'onde  supposée  plane.  Ces  mêmes 
lois  nous  apprennent  encore  que,  si,  après  une  première  réflexion,  les  rayons  en  subis- 
saient une  nouvelle  par  le  fait  d'une  deuxième  onde  qui  s'interposerait  dans  les  condi- 
tions de  réflexion  totale  entre  la  première  onde  et  le  point  de  concentration  A',  ou  au 
delà  de  ce  dernier,  dans  l'un  et  l'autre  cas,  disons-nous,  un  spectateur  A"  ne  pourrait 
recueillir  tous  ces  rayons,  à  moins  d'occuper  une  position  symétrique  à  A'  par  rapport 
au  plan  réflecteur  de  la  deuxième  onde. 

On  verrait  aussi  que,  dans  les  cas  possibles  de  la  première  comme  de  la  deuxième 
réflexion ,  jamais  la  totalité  des  rayons  ne  serait  ramenée  par  réflexion  à  l'œil  de  l'obser- 
vateur A,  à  l'égard  duquel  ils  seraient  momentanément  interceptés;  car  il  est  géométri- 
quement impossible  qu'il  y  ait  coïncidence  entre  le  point  de  convergence  primitif  A  et 
les  lieux  de  réflexion  A'  ou  A". 

Les  conditions  de  rigueur  qui  viennent  d'être  indiquées,  sont  une  conséquence  des 

'  .louinal  Vlnstitut,  n°  1130. 
'  Journal  le  Cosmos. 


DE  LA  SCIINTILLATION.  m 

différences  d'inclinaisons  relatives  que  le  pouvoir  dispersif  de  l'air  fait  subir  aux  trajec- 
toires diversement  colorées  qui  convergent  vers  l'œil  de  l'observateur  A.  Ces  conditions 
doivent  toujours  être  satisfaites  pour  des  rayons  non  parallèles,  quelle  que  soit  la  dis- 
tance du  lieu  d'interposition  de  l'onde  à  l'œil  de  l'observateur. 

Examinons  actuellement  s'il  est  présumabic  que,  dans  la  nature,  les  conditions  pres- 
crites se  rencontrent  souvent  lors  même  de  la  réflexion  par  une  première  onde,  le  seul 
cas  que  nous  examinerons  en  détail?  Peut-on  admettre,  par  exemple,  que  la  partie  réflé- 
chissante de  l'onde  soit  plane  sur  une  étendue  sullisante  pour  que  la  totalité  des  rayons  se 
trouve  déviée  symétriquement?  La  question  est  susceptible  d'être  soumise  au  calcul.  A  cet 
effet,  accordons  à  chaque  faisceau  coloré,  qui  devrait  pénétrer  dans  l'œil  par  réflexion, 
un  diamètre  égal  à  celui  de  la  pupille,  soit  5  millimètres.  La  réflexion  d'un  faisceau 
cylindrique  par  une  onde  n'est  possible  que  sous  un  angle  d'incidence  de  89°  50'  au 
moins.  La  section  que  la  partie  plane  de  l'onde  opère  dans  le  faisceau  est  limitée  par 
une  courbe  elliptique.  Son  grand  axe,  qui  mesure  la  plus  grande  dimension  de  la  partie 
plane,  est  égal  au  produit  de  la  sécante  de  l'angle  d'incidence  multiplié  par  5  millimè- 
tres, diamètre  du  faisceau  entrant  dans  la  pupille.  La  sécante  de  89°  50'  ayant  pour 
valeur  544  (le  rayon  des  tables  est  pris  égal  à  l'unité),  la  longueur  du  grand  axe  cher- 
chée sera  0",005  X  544  ou  1  mètre  environ.  Telle  doit  être  au  minimum  l'étendue  de  la 
partie  plane  pour  la  réflexion ,  dans  une  même  direction,  de  tous  les  rayons  du  même 
faisceau  coloré  de  5  millimètres  de  diamètre. 

Si  l'onde  s'interpose  très-près  de  l'observateur  A,  qui  est  sensiblement  à  la  même  dis- 
tance de  l'onde  que  le  spectateur  A'  vu  les  conditions  de  symétrie,  les  divers  faisceaux 
colorés,  chacun  de 5  millimètres  de  diamètre,  sont  sensiblement  réunis  en  un  seul  au 
lieu  de  la  réflexion  ;  tous  les  rayons  pourraient  à  la  rigueur  être  réfléchis  vers  un  point  de 
concentration  A',  dès  l'iuslanl  où  l'étendue  plane  de  l'onde  atteint  1  mètre  en  longueur 
sur  5  millimètres  de  large.  Mais  si  l'interposition  s'effectue  en  un  lieu  où  les  trajectoires 
sont  nettement  séparées,  lieu  qui  sera  assez  rapproché  de  l'observateur  quand  l'étoile  se 
trouvera  à  de  grandes  distances  zénithales,  les  dimensions  de  la  partie  plane  de  l'onde 
devront  être  nécessairement  bien  plus  considérables  que  1  mètre  pour  que  la  réflexion 
de  tous  les  rayons  soit  possible  vers  un  spectateur,  celui-ci  étant  superposé  placé  dans 
un  plan  passant  par  son  œil  et  par  l'onde  très-incliné  sur  le  plan  vertical  de  l'étoile 
et  de  l'onde.  Ainsi,  par  exemple,  à  100  mètres  de  l'observateur,  l'écartement  désigné 
par  d  des  rayons  médians  rouge  et  bleu  ,  originaires  d'une  étoile  éloignée  de  80°  du 
zénith,  est  sensiblement  égal  à  0",056,  comme  on  l'a  vu;  les  faisceaux  diversement 
colorés,  chacun  de  5  millimètres,  seront  donc  nelloment  séparés  en  ce  lieu.  On  trouve, 
au  moyen  d'un  calcul  semblable  à  celui  qui  vient  d'être  effectué,  que  la  longueur  de  la 
partie  plane  de  l'onde  devrait  nécessairement  s'étendre  sur  15  mètres  environ  pour 
intercepter  très-obliquement  tous  les  faisceaux  à  100  mètres,  puis  les  réfléchir  vers  le 
spectateur  A'  supposé  placé  très-proche  du  plan  verlical  de  l'onde  et  de  l'étoile,  ou  dans 
ce  plan  même. 

Concluons  de  ce  qui  précède  que  la  réflexion  de  tous  les  faisceaux,  de  5  millimètres 


36  DE  LA  SCirSTlLLATION. 

chacun,  vers  loeil  d'un  spectateur  par  une  onde  interposée  à  une  distance  de  lui  ou  de 
l'observateur  bien  inférieure  à  100  mètres,  exigeant  que  l'onde  ait  une  étendue  parfai- 
tement plane  sur  une  longueur  de  1  mètre  au  moins,  celte  condition  réunie  à  celle  de 
face  plane  disposée  de  façon  que  l'observateur  et  le  spectateur  occupent  des  positions 
symétriques  par  rapport  à  ce  plan,  rendent  presque  impossible  la  réllexion  accidentelle 
de  tous  les  rayons  vers  le  spectateur,  même  par  une  onde  très-rapprochée  de  lui,  à  moins 
d'un  hasard  bien  extraordinaire.  Enfin,  la  concentration  de  tous  les  rayons  réfléchis  vers 
le  spectateur  deviendrait  absolument  impossible,  vu  les  grandes  dimensions  en  longueur 
qu'il  faudrait  concéder  à  la  partie  plane  d'une  onde,  si  celle-ci  interceptait  les  rayons 
à  une  distance  de  100  mètres  ou  plus  de  l'œil. 

Ces  conclusions  s'appliquent,  à  bien  plus  forte  raison,  au  cas  où  l'œil  du  spectateur 
est  armé  d'une  lunette,  vers  laquelle  de  larges  faisceaux  devraient  être  réfléchis. 

Dans  la  nature,  les  ondes  présentent  des  courbures  de  toute  espèce  à  leurs  faces;  lors- 
que les  cas  de  réflexion  totale  surviennent,  les  rayons  sont  éparpillés  suivant  des  direc- 
tions très-différentes.  Si  quelques-uns  étaient  fortuitement  réfléchis  vers  l'œil  d'un  spec- 
tateur, leur  passage  n'y  donnerait  lieu  qu'à  de  faibles  images  colorées  qui  passeraient 
complètement  inaperçues*. 

Cette  discussion  n'est  point  épuisée  :  il  importe  de  montrer  que,  quand  bien  même  les 
conditions  géométriques  de  la  forme  de  l'onde  et  de  la  position  du  spectateur  se  trou- 
veraient un  instant  réalisées  au  point  que  tous  les  rayons  pussent  pénétrer  dans  l'œil, 
il  y  aurait  impossibilité,  pour  celui-ci,  de  percevoir  une  image  nette  de  l'objet,  ni 
même  nue  trace  déformée,  et  cela  à  cause  des  raisons  suivantes,  parmi  lesquelles  une  est 
très-importante. 

Si  l'image  fictive  d'une  étoile  était  perceptible,  elle  n'apparaîtrait  qu'à  une  très-petite 
dislance  de  l'image  vraie,  sans  dépasser  beaucoup  les  extrémités  des  rayons  parasites  que 
l'œil  nu  aperçoit  autour  des  étoiles  et  des  planètes.  Pour  le  prouver,  soit  e'ôA'  un  rayon 
émané  d'une  étoile,  qu'une  onde  écarte  de  sa  direction  OA  vers  l'observateur  A,  pour  le 

'  Les  résultats  auxquels  le  calcul  nous  a  conduit  ne  deviennent  en  aucune  manière  des  armes  hostiles  à  ma 
théorie;  ainsi,  il  n'est  nullement  indispensable,  pour  les  effets  de  réflexion  totale,  que  les  rayons  soient  interceptés 
par  une  partie  d'onde  plane,  puisque  dans  la  scintillation  une  portion  courbe  peut  arrêter  et  réfléchir  les  rajons  in- 
cidents en  les  éparpillant  dans  diverses  directions.  Ces  interceptions  ont  lieu  sans  que  les  ondes  dépassent  des  dimen- 
sions possibles,  car  il  n'est  nullement  nécessaire  à  la  production  d'un  changement  d'éclat  ou  de  couleur  d'une  étoile 
scintillante  qu'il  y  ait  suspension  de  la  totalité  d'un  ou  de  plusieurs  faisceaux  colorés.  Non-seulement  M.  Arago  a 
prouvé  qu'il  suffit  de  la  disparition  d'un  vingtième  des  rayons  d'une  couleur  pour  modifier  la  teinte  résultante,  mais 
il  a  démontré ,  comme  j'ai  déjà  eu  occasion  de  le  dire,  que  l'œil  peut  percevoir  des  différences  d'intensité  de  la  lumière 
en  repos  équivalents  à  ^  de  son  intensité  normale,  et  que,  si  ces  modifications  sont  accompagnées  de  changements 
déposition  de  la  lumière,  la  limite  de  perception  descend  encore  au-dessous  de  cette  faible  quantité. 

Si  l'on  veut,  cependant,  admettre  que,  dans  certains  cas,  l'extinction  momentanée  d'une  étoile  scintillante  est 
réellement  complète,  soit  près  du  zénith  là  où  les  divers  faisceaux  sont  presque  réunis,  soit  même  au  voisinage  de 
l'horizon  là  où  ils  sont  très-écartés,  on  trouverait  la  cause  de  l'extinction  complète  dans  la  simultanéité  des  intercep- 
tions opérées  en  divers  lieux  par  plusieurs  ondes  capables  de  la  réflexion  totale  :  chaque  rayon  doit  infailliblement  en 
rencontrer  plusieurs  au  milieu  de  la  multitude  d'ondes  de  toute  espèce  qu'il  trouve  sur  son  passage  dans  l'étendue  de 
l'atmosphère. 


DE  LA  SCINTILLATION.  57 

rejeter  incidemment  vers  le  spectateur  A'.  Il  est  évident  que  la  déviation  OA'e  du  rayon 
réfléchi  par  rapport  au  rayon  direct  eA',  est  toujours  égale  au  double  de  l'angle  d'incli- 
naison e'oï  mesuré  entre  eo  et  le  plan  oT  tangent  à  l'onde.  D'après  les  conditions  pré- 
sumables  de  la  différence  des  densités  de  l'onde  et  de  l'air  ambiant,  la  réflexion  totale 
à  la  face  de  l'onde  doit  s'opérer  sous  un  angle  de  quelques  minutes  seulement,  4  à  6  au 
plus.  Et  admettant  5'  d'incidence,  la  déviation  e"A'e  portera  l'image  à  10'  au  plus  de 
l'étoile.  Remarquons,  d'autre  part,  que  les  rayons  parasites  des  étoiles  s'étendent  à  5 
ou  6  minutes  pour  la  vue  ordinaire,  selon  M.  de  Humboldt.  Cela  posé,  si  l'onde  0  s'in- 
terpose sur  une  trajectoire,  émanée  de  la  même  étoile,  de  manière  à  la  dévier  incidem- 
ment vers  le  spectateur  A',  l'image  ne  s'écartera  qu'un  peu  au  delà  des  rayons  parasites. 
En  supposant  que  le  mouvement  propre  de  l'onde  s'effectue,  tout  exceplionnelleraent, 
dans  des  conditions  assez  favorables  à  la  perception  de  l'image  pour  que  celle-ci  persé- 
vère au  même  lieu  pendant  un  temps  appréciable,  alors  l'image  se  trouverait  pour  ainsi 
dire  éclipsée  dans  le  champ  de  la  vision  tant  par  l'éclat  des  queues  que  par  celui  bien 
plus  vif  de  l'étoile.  Mais,  le  plus  souvent,  le  mouvement  de  l'onde  donnera  lieu  à  un 
déplacement  des  rayons  réfléchis  sur  la  rétine  tellement  rapide  qu'ils  ne  pourraient  lais- 
ser qu'une  trace  lumineuse  fugitive,  à  laquelle  l'œil  resterait  d'ailleurs  insensible,  tant 
par  la  cause  indiquée  que  par  la  courte  durée  du  passage  et  l'effet  du  déplacement  de 
l'image  sur  la  rétine,  comme  nous  allons  le  voir.  Remarquons,  toutefois,  que  les  effets 
dépendants  des  rayons  parasites  n'ont  d'importance  que  dans  la  vision  à  l'œil  nu  ou  à 
l'aide  de  faibles  lunettes,  puisque  les  images  des  étoiles  sont  dépouillées  des  queues  en 
question  dans  une  bonne  et  puissante  lunette. 

Si  l'on  voulait  que  les  circonstances  se  réunissent  fortuitement  pour  diminuer  les 
obstacles  à  la  perception  de  l'image  fictive  que  les  causes  examinées  font  naître,  le  temps 
excessivement  court  pendant  lequel  les  rayons  seraient  intégralement  réfléchis  vers  l'œil 
du  spectateur,  joint  à  la  mobilité  elle-même  de  ces  rayons,  rendrait  presque  impossible 
la  perception  de  l'image  par  l'œil.  Remarquons  que  d'après  toute  présomption ,  la  totalité 
des  rayons  ne  pourrait  généralement  converger  vers  celui-ci  que  pendant  un  temps  très- 
court.  En  effet,  les  phénomènes  qui  concourent  à  une  phase  perceptible  de  la  scintilla- 
tion ,  ou  en  d'autres  termes ,  le  passage  d'une  onde  à  travers  un  ensemble  de  rayons,  sont 
de  très-courte  durée,  car  les  changements  qui  caractérisent  la  scintillation  des  étoiles  se 
succèdent  avec  une  rapidité  excessive,  comme  nous  l'avons  déjà  vu  '.  Or,  on  sait  qu'il 
faut  aussi  un  temps  sensible  pour  qu'une  impression  se  forme  sur  la  rétine  d'une  manière 
complète.  Il  résulte  de  là  et  de  ce  qui  précède  qu'en  laissant  à  une  onde  sa  vitesse  de 

'  J'ai  évalué  à  70  environ  par  seconde  les  changements  de  couleurs  et  d'intensité  que  l'image  de  Sirius 
présente  dans  une  lunette  où  elle  se  déploie  en  ruban,  11  ne  faut  point  conclure  de  ce  chiffre  que  les  phéno- 
mènes particuliers  de  coloration  ou  d'éclat ,  dont  l'ensemble  concourut  à  produire  l'un  ou  l'autre  des  70  chan- 
gements observés  en  iine  seconde,  aient  été  entièrement  renouvelés  après  yô  d^  seconde;  car  nous  savons  qu'il 
suffit  qu'une  faible  portion  de  ces  particularités  ait  été  modifiée  pour  donner  lieu  à  un  changement  appréciable. 
Néanmoins,  on  doit  admettre  que  chaque  variation  subie  par  un  rayon  d'une  étoile  scintillante,  et  par  conséquent 
le  passage  d'une  onde  à  travers  ce  rayon  ou  même  à  travers  tin  faisceau  de  rayons,  ne  dure  qu'une  petite  fraction 
de  seconde. 

Tome  XXVHI.  8 


S8  DE  LA  SCINTILLATION 

Iranslation  ordinaire,  la  réflexion  des  rayons  vers  l'œil  d'un  spectateur  sera  de  trop  courte 
durée  pour  y  donner  lieu  à  des  impressions  connplètes,  même  en  admettant  que  la  face 
réfléchissante  de  l'onde,  supposée  plane  d'ailleurs,  conserve  pendant  la  traversée  de 
chaque  rayon  une  inclinaison  constante,  ce  qui  n'occasionnerait  aucun  déplacement  du 
rayon  réfléchi  par  rapport  à  l'œil  du  spectateur.  Ainsi  donc,  en  supposant  que  cette  con- 
dition tout  exceptionnelle  persévère,  l'image  artificielle,  loin  d'avoir  l'éclat  de  l'étoile 
vraie,  serait  affaiblie  au  point  de  passer  peut-être  tout  à  fait  inaperçue. 

Mais  la  variété  naturelle  du  mouvement  des  ondes  jointe  à  la  courbure  des  faces 
réfléchissantes  s'oppose  à  ce  qu'un  rayon  puisse  généralement  conserver  une  direc- 
tion invariable  pendant  sa  réflexion  par  la  même  onde  :  il  arrivera  le  plus  souvent  que 
les  rayons  en  se  déptaçani  balayeront  plus  ou  moins  rapidement  l'œil  du  spectateur. 
Or,  ce  mouvement  propre  des  rayons  sur  la  rétine  tendra  encore  à  affaiblir  beaucoup 
les  impressions  que  la  trace  linéaire  d'un  rayon  pourrait  laisser  aux  points  de  passage 
sur  la  rétine,  si  le  déplacement  s'effectuait  plus  lentement.  Voici  un  fait  qui  oflre  la 
plus  grande  analogie  avec  celui  dont  nous  nous  occupons,  et  qui  met  en  évidence  l'af- 
faiblissement des  impressions  sur  la  rétine  par  le  passage  rapide  des  rayons.  Si  l'œil 
parcourt  avec  une  certaine  vitesse  le  ciel  étoile  à  l'aide  d'une  bonne  lunette,  des  étoiles, 
même  brillantes,  passent  dans  son  champ  sans  laisser  de  trace  sensible  sur  la  rétine. 

Devons-nous  ici  prévenir  une  objection  tendant  à  inférer  que,  si  le  temps  du  passage 
des  rayons  réfléchis  dans  l'œil  du  spectateur  A'  est  trop  court  pour  y  donner  lieu  à  des 
impressions  sensibles,  l'observateur  A  ne  devrait  point  non  plus  percevoir  les  effets  de 
scintillation  de  l'étoile  qui  résultent  de  l'interception  des  rayons  directs?  On  répondrait 
à  cette  objection  que,  dans  la  généralité  des  cas,  l'interception  des  rayons  pour  l'obser- 
vateur A  est  toujours  de  plus  longue  durée  que  la  pénétration  possible  des  rayons  réflé- 
chis dans  l'œil  du  spectateur  A';  car  il  sullit  de  la  moindre  variation  d'inclinaison  de  la 
face  réfléchissante  par  rapport  au  rayon  pour  le  détourner  de  cet  œil,  bien  avant  que 
l'interception  du  rayon  direct  ait  cessé  pour  l'observateur  A. 

Concluons  de  tout  ce  qui  précède  que  :  1°  l'éparpillement  des  rayons  déviés  par  ré- 
flexion totale  à  la  surface  d'ondes  très -irrégulières  de  forme;  2°  l'affaiblissement  que 
l'image  fictive  éprouverait  soit  au  voisinage  de  l'image  réelle  plus  brillante,  soit  en  se 
confondant  avec  les  rayons  parasites  qui  entourent  une  étoile  à  l'œil  nu;  5°  l'excessive 
brièveté  de  la  concentration  fortuite  des  rayons  réfléchis  vers  un  même  point,  jointe  à 
la  probabilité  d'un  déplacement  très-rapide;  4°  enfin,  la  presque  certitude  qu'avant  d'at- 
teindre l'œil  du  spectateur,  un  ou  plusieurs  rayons  réfléchis  rencontreront  de  nouvelles 
ondes  capables  de  les  rejeter  d'autre  côté;  toutes  ces  raisons,  dis-je,  expliquent  complè- 
tement pourquoi  le  phénomène  de  la  réflexion  totale  se  produit  à  la  face  des  ondes  dans 
la  scintillation,  laquelle  dérive  de  celte  cause  fondamentale,  sans  que  parfois  ce  phéno- 
mène soit  nécessairement  accompagné  des  traces  déformées  d'une  image  artificielle,  ni 
même  d'une  lueur  passagère  au  voisinage  de  l'étoile  scintillante. 

L'objection  sur  laquelle  on  conçoit,  du  reste,  que  M.  Plateau  ait  insisté,  s'est  montrée 
avec  la  même  importance  aux  yeux  de  M.  le  docteur  Donati,  qui  a  présenté  récemment 


DE  LA  SCliMlLLATIOIN.  S9 

à  l'Académie  del  Cimenlo  de  Florence  une  noie  renfermant  des  considérations  sur  la 
théorie  de  la  scintillation  que  je  propose  ',  et  dont  il  avait  pu  se  former  une  idée  précise 
en  lisant  l'exposé  des  principaux  points  que  renferme  l'excellent  rapport  de  M.  Plateau. 
A  propos  des  effets  de  réflexion  totale,  M.  Donali  dit  qu'il  a  aussi  constaté  au  milieu 
des  ondulations  d'objets  terrestres,  produites  par  les  ondes  aériennes,  des  disparitions 
momentanées  de  certaines  parties;  il  a  vu,  par  exemple,  une  ligne  éloignée  ondulante 
offrir  successivement  des  différences  d'éclat,  puis  disparaître  et  comme  se  rompre  par 
parties.  «  Si  ces  disparitions  résultaient  d'un  effet  de  réflexion  totale,  dit  M.  Donati,  on 
»  devrait  voir,  au  moins  souvent,  certaines  parties  d'un  objet  lointain  produire  le  plié- 
»  nomène  du  mirage.  Or,  je  ne  sache  pas  que  cela  ait  été  observé  dans  nos  climats.  » 
Les  raisons  qui  viennent  d'être  invoquées  pour  rendre  compte  de  l'absence  d'un  phéno- 
mène de  mirage  à  l'égard  des  étoiles,  s'appliquent  à  plus  forte  raison  aux  images  fictives 
des  objets  terrestres;  elles  expliquent  mieux  encore,  à  l'égard  de  ceux-ci,  pourquoi  l'œil 
se  trouve  presque  toujours  dans  l'impossibilité  de  percevoir  des  effets  de  mirage  très- 
restreinls  passant  rapidement,  et  qui  ne  pourraient  être  vus  d'ailleurs  qu'au  travers  d'une 
multitude  d'ondes  tumultueusement  agitées. 

Nous  examinerons  plus  loin  à  quelle  cause  M.  Donati  attribue  ces  dispositions  et  le 
phénomène  de  la  scintillation  lui-même.  Il  fait  connaître  dans  la  note  qu'il  a  eu  l'obli- 
geance de  m'adresser,  quelques  observations  qui  lui  sont  personnelles,  et  dont  je  vais 
donner  la  traduction.  Voici  d'abord  ce  que  M.  Donati  dit  au  sujet  des  observations  qui 
ont  été  proposées  par  M.  Plateau  comme  moyen  de  décider  entre  la  théorie  de  M,  Arago 
et  celle  que  je  propose. 

«  Il  ne  m'est  jamais  arrivé  d'apercevoir  des  variations  de  couleur  pour  une  étoile 
»  proche  du  zénith,  quoique,  dans  des  cas  très-rares,  il  s'y  manifeste  des  variations 
»  d'éclat.  Je  pense  que  les  physiciens  qui  disent  avoir  vu  scintiller  les  étoiles  les  plus 
»  rapprochées  du  zénith,  entendent  parler  de  simples  variations  d'intensité  de  lumière, 
B  puisque  jamais  il  n'est  question  d'une  manière  explicite  de  changements  de  couleurs. 
»  J'indiquerai  ici  une  expérience  qui  m'a  été  suggérée  par  le  professeur  Amici.  Que  l'on 
1.  place  à  une  grande  distance  une  petite  boule  argentée  et  très-près  d'elle  un  prisme  de 
»  cristal,  disposé  de  telle  façon  que,  quand  le  soleil  l'éclairé,  on  puisse  voir  à  l'œil  nu 
»  ou  avec  une  lunette,  non-seulement  un  rayon  réfléchi  par  la  petite  boule,  mais  aussi 
B  un  autre  rayon  qui,  après  une  réflexion,  aura  traversé  le  prisme  où  il  se  sera  faible- 
B  ment  décomposé  par  dispersion.  Ces  deux  rayons  donnent  lieu  à  deux  images  qui  se 
»  montrent  comme  deux  points  ou  deux  étoiles  artificielles.  Maintenant,  comme  il  sur- 
»  vient  presque  toujours  divers  changements  dans  l'air  interposé  entre  la  boule  et  l'ob- 
»  servateur,  on  voit  toujours  l'image  produite  par  le  rayon  simplement  réfléchi  rester 
ï  constamment  blanche,  taudis  que  celle  due  au  rayon  qui  a  traversé  le  prisme  change 
»  de  couleur  ou  scintille  par  intervalle.  Cette  expérience  prouve  que  la  dispersion  a  une 

■  Eslrutto  del  Nuovo  cimenta,  1. 1,  p.  336.  M.  Mossotli  a  joint  aux  considérations  de  M.  Donati  une  note  ayant 
pour  objet  princip.-)!  la  détermination  de  la  distance  qui  sépare  les  trajectoires  bleue  et  rouge  à  leur  entrée  dans  l'al- 
mosphèri». 


60  DE  LA  SCINTILLATION. 

B  plus  grande  part  d'inlervenlion  dans  le  phénomène  de  la  scinlillalion  que  ne  pour- 
»  raient  l'avoir  les  interférences  '.  a 

M.  Donati  rapporte  ensuite  des  observations  faites  avec  la  grande  lunette  de  l'obser- 
vatoire de  Florence,  de  10  pouces  d'ouverture,  qui  lui  ont  montré  dans  les  spectres 
slellaires  des  étoiles  voisines  de  l'horizon  des  variations  de  couleurs  analogues  aux  chan- 
gements que  j'avais  remarqués  dans  le  spectre  stellaire  produit  à  l'aide  d'un  prisme,  et 
qui  ont  été  cités  par  M.  Plateau  dans  son  rapport. 

«  J'ai  vu,  dit  M.  Donati,  le  rayon  rouge  prendre  la  place  du  jaune  ou  du  vert  et  vice- 
»  versa,  puis  le  rayon  vert  empiéter  sur  le  bleu  et  même  jusque  sur  le  violet.  Il  s'opère 
»  également  des  superpositions  et  des  entre-croisements  des  diverses  couleurs  qui  quel- 
).  quefois  même  restaient  séparées.  Dans  ce  mélange  des  différentes  teintes,  jamais  je 
»  n'ai  vu  les  rayons  rouges  atteindre  l'extrémité  du  violet,  et  lorsque  le  spectre  était 
1)  tranquille,  les  couleurs  conservaient  chacune  la  place  qui  leur  est  propre. 

»  Par  le  fait  de  ces  entre-croisements  et  superpositions  on  observe,  dans  chacune  des 
»  couleurs  ou  dans  tout  le  spectre,  des  allongements  {dilatazioni)  et  des  raccourcissements 
»  (ristringimenli)  qui  sont  cause  que  tantôt  une  couleur,  tantôt  une  autre  prédomine. 
«  Si,  par  exemple,  les  rayons  bleus  se  superposent  aux  jaunes,  leur  réunion  produit  la 
M  sensation  de  la  couleur  verte,  qui,  jointe  à  celle  que  possédait  déjà  le  spectre,  est 
»  cause  d'un  accroissement  apparent  de  cette  teinte.  Si  le  rayon  jaune  empiète  sur  le 
»  rouge,  ce  dernier  est  diminué  et  la  sensation  de  la  teinte  rouge  est  affaiblie.  La  variété 
»  des  mouvements  des  diverses  couleurs  amène  la  prédominance  tantôt  d'une  couleur, 
»  tantôt  d'une  autre  sur  l'étendue  du  spectre. 

»  11  m'est  rarement  survenu  de  voir  pâlir  et  s'affaiblir  tout  le  spectre  et  plus  encore 
»  chacune  de  ses  parties;  le  tout  indépendamment  des  mouvements  qui  viennent  d'êlre 
1»  décrits.  » 

Ces  faits  offrent  beaucoup  de  rapport  avec  ceux  que  j'ai  observés  dans  le  spectre  d'une 
étoile  produit  artificiellement  à  l'aide  d'un  prisme.  Cependant  M.  Donati  ne  parle  point 
des  vibrations  transversales  que  j'ai  remarquées  dans  ce  spectre;  il  dit  textuellement  que 
les  affaiblissements  du  spectre  entier  ou  de  ses  parties  se  sont  rarement  manifestés  pour 
lui;  tandis  que  dans  mes  expériences  ces  affaiblissements  se  manifestèrent  au  contraire 
fréquemment.  Le  lecteur  conciliera  aisément  ces  différences  en  remarquant  en  premier 
lieu ,  que  les  observations  de  M.  Donati  se  sont  portées  sur  des  spectres  aériens  ondulants 
de  quelques  secondes  d'étendue  seulement;  tandis  que,  dans  mon  expérience  avec  le 
prisme,  le  spectre  de  l'étoile  Sirius,  comparativement  plus  étendu,  était  mieux  défini  dans 
ses  parties  diversement  colorées  et  se  trouvait  nettement  limité  latéralement;  ces  circon- 
stances rendirent  plus  aisée  l'observation  des  trépidations  tranversales  et  des  affaiblisse- 
ments d'éclat  dans  ce  spectre  presque  linéaire.  En  second  lieu,  les  faisceaux  lumineux  qui 

•  L'absence  de  dispersion  sensible  quand  les  i-ajons  lumineux  traversent  de  faibles  dislances  dans  l'atmosphère , 
nous  exi)li(|ue  parfaitement  pourquoi  les  images  du  soleil  réflëchies  par  les  boules  dorées  de  clocher  ou  par  des  objets 
polis  éloignés,  paraissent  animées  d'une  sorte  de  trépidation  qui  est  accompagnée  de  variations  d'éclat,  mais  sans 
aucun  changement  de  couleur,  comme  on  peut  s'en  assurer  à  l'aide  du  procédé  indiqué. 


DE  LA  SCINTILLATION.  61 

pénétraient  dans  la  hinetle  de  Florence  avaient  10  pouces  de  diamètre;  mais  dans  mon 
expérience  cette  dimension  était  réduite  à  2  centimètres,  largeur  de  l'objectif  de  ma  petite 
lunette.  On  conçoit  qu'une  même  onde,  capable  des  effets  de  réflexion  totale,  doive  pro- 
duire relativement  bien  plus  d'effet  sur  l'ensemble  d'un  faisceau  de  rayons  bleus  par 
exemple,  de  2  centimètres  de  diamètre,  qu'en  traversant,  dans  les  mêmes  conditions, 
un  faisceau  également  bleu  qui  aurait  10  pouces  de  large.  Ainsi  donc,  certaines  particu- 
larités ont  pu  passer  inaperçues  avec  une  large  lunette,  dans  les  mômes  circonstances. 
Enfin,  il  semble  que  les  pbénomènes  de  la  scintillation  sont  généralement  moins  carac- 
térisés dans  les  contrées  méridionales  que  sous  nos  climats  :  les  effets  des  ondes  aériennes 
sur  les  faisceaux  constitutifs  des  spectres  aériens,  observés  à  Florence,  peuvent  ainsi  être 
moins  fréquents  et  moins  apparents  qu'ils  ne  le  sont  dans  nos  contrées. 

Disons  actuellement  quelques  mots  de  la  cause  à  laquelle  M.  Donati  rapporte  la  dispari- 
tion de  certaines  parties  d'un  objet  terrestre  et  l'extinction  des  rayons  slellaircs  dans  la 
scintillation,  rayons  qu'il  reconnaît  avoir  été  préalablement  séparés  par  dispersion  dans 
l'atmosphère,  comme  je  l'ai  prouvé.  C'est  à  l'interposition  d'ondes  capables  d'absorber  et  d'é- 
parpiller {dijfondere)  la  lumière  provenant  de  la  partie  affaiblie  ou  divisée  de  l'objet  terrestre 
et  aux  diffusions  [diffusioni)  ou  absorptions  semblables  subies  par  les  rayons  stellaires,  que 
M.  Donati  attribue  les  disparitions  de  parties  d'objets  terrestres  et  l'extinction  des  rayons 
d'une  étoile  scintillante.  La  cause  invoquée  par  ce  savant  rend  très-difficilement  compte, 
me  paraît-il ,  de  la  vivacité  et  de  la  rapidité  des  changements  continuels  qui  caractérisent 
la  scintillation;  au  contraire,  le  phénomène  de  la  réflexion  totale  satisfait  parfaitement  à 
ces  conditions.  Comment  comprendre,  d'ailleurs,  la  dilfusion  complète  de  la  lumière  à  la 
face  d'une  onde  aérienne  autrement  que  par  des  effets  de  réflexion  totale,  soit  dans  la  scin- 
tillation, soit  pour  expliquer  les  disparitions  de  certaines  parties  d'objets  terrestres  ondu- 
lants? iM.  Donati  fait  aussi  intervenir  un  autre  effet  pour  expliquer  les  changements  de 
couleurs  d'une  étoile  dans  la  scintillation.  Après  avoir  décrit  les  vacillations  qui  agitent 
les  couleurs  composant  les  spectres  aériens  observés  dans  la  grande  lunette  de  Florence, 
il  ajoute  :  «  On  conçoit  qu'à  l'œil  nu  ou  dans  une  petite  lunette,  aucune  des  apparences 
»  décrites  ne  pouvant  être  distinguée,  l'image  entière  de  l'étoile  semble  alors  se  revêtir 
»  par  intervalle  de  différentes  teintes  accompagnées  de  variations  d'éclat,  et,  enfin, 
»  donner  lieu  au  phénomène  de  la  scintillation.  »  Les  variations  de  couleurs,  observées 
à  l'œil  nu,  ne  peuvent  en  aucune  manière  dériver  de  la  cause  citée  ici  par  M.  Donati; 
car,  dans  sa  manière  d'envisager  les  faits,  pas  un  seul  des  rayons  émanés  de  l'étoile  ne 
fait  défaut  sur  l'excessive  petite  portion  de  la  rétine  que  ces  rayons  impressionnent,  et 
où  ils  produisent  nécessairement,  à  l'œil  nu  et  dans  une  petite  lunette,  la  même  sensa- 
tion de  lumière  blanche  que  si  tous  étaient  rigoureusement  concentrés  en  un  seul  point. 

M.  Donati  termine  sa  note  par  quelques  considérations  sur  la  cause  de  l'apparition 
des  arcs  diversement  colorés  de  l'image  d'une  étoile  scintillante  déployée  en  ruban,  quand 
on  agite  la  lunette  dans  laquelle  on  l'observe.  Il  se  demande  si  ces  arcs  colorés  ne 
seraient  point  les  diverses  parties  du  spectre  allongées.  Il  ne  peut  en  être  ainsi;  car,  pour 
le  cas  où  les  oscillations  seraient  imprimées  à  la  lunette  dans  le  sens  horizontal,  le  spectre 


62  DE  LA  SCirSTILLATION. 

(l'une  éloile  observée  près  de  l'horizon  dans  des  conditions  atmosphériques  ou  la  scintilla- 
tion se  produirait  peu,  échelonnerait  ses  couleurs  sur  une  plus  grande  étendue  dans  le 
sens  horizontal  que  quand  la  lunette  est  immobile.  Si  le  mouvement  est  imprimé  à 
celle-ci  dans  le  sens  vertical,  le  spectre  peut  devenir  incolore,  comme  M.  Donati  dit  l'avoir 
observé  à  Florence,  sous  un  climat  où  la  fréquence  moins  prononcée  de  la  scintillation 
lui  a  permis  de  voir  des  traits  incolores  bien  marqués  pour  certaines  vacillations  de  la 
lunette.  Dans  le  phénomène,  tel  que  nous  l'observons  avec  ia  lunette  vacillante,  la  ligne 
incolore  se  Cractionne  en  arcs  diversement  colorés  quand  une  ou  plusieurs  couleurs  de 
l'étoile  scintillante  font  défaut,  comme  je  l'ai  suffisamment  expliqué. 

Je  terminerai  ces  additions  en  rapportant  deux  observations  concernant  la  scintilla- 
tion de  Vénus,  puis  j'expliquerai  pour  quelles  raisons  la  faible  scintillation  des  planètes 
est  limitée  à  des  variations  d'éclat. 

Dernièrement,  au  mois  de  janvier,  avant  le  lever  du  soleil,  j'observai  dans  une  lunette 
la  planète  Vénus,  assez  élevée  sur  l'horizon,  qui  scintillait  par  intervalles;  l'objectif  de 
la  lunette,  de  5  centimètres  d'ouverture,  était  recouvert  d'un  diaphragme  percé  d'un  trou 
de  (>  millimètres  de  diamètre.  L'image  planétaire,  parfaitement  ronde  et  bien  terminée, 
se  montra  entourée  de  plusieurs  anneaux  colorés  où  le  rouge-pourpre,  le  jaune  et  le  vert 
prédominaient  '.  Mais  la  couleur  de  chaque  anneau  n'était  point  stable  :  le  contour  d'un 
même  anneau  passait  partiellement  par  l'une  ou  l'autre  des  teintes  spécifiées,  comme  si 
tous  les  anneaiix  eussent  été  agités  de  variations  scintillatoires.  Ce  fait  prouverait,  au 
besoin ,  que  la  lumière  d'une  planète,  qui  est  une  lumière  réfléchie,  est  apte  de  sa  nature 
à  scintiller  avec  variation  décoloration.  (On  lit  à  la  page  571  de  la  Notice  d'Arago,  que 
Kepler  croyait  avec  Cléomède,  que  la  lumière  réfléchie  des  planètes  n'est  pas  susceptible 
d'éprouver  des  variations  de  couleur  en  scintillant.) 

Il  est  bien  prouvé  pour  moi  que,  dans  les  circonstances  ordinaires,  la  scintillation  de 
petites  planètes  telles  que  Vénus,  est  limitée  à  des  variations  d'éclat  sans  aucun  changement 
de  couleur.  En  efl"et,  j'ai  développé  en  cercle  l'image  de  Vénus  dans  une  lunette  à  objectif 
découvert  et  munie  du  mécanisme  décrit,  sans  pouvoir  distinguer  aucun  arc  coloré  sur  ce 
cercle  brillant,  contrairement  à  ce  qui  se  serait  montré  si  l'instrument  eût  été  dirigé  vers 
une  éloile  scintillante;  seulement,  la  circonférence  présentait  des  solutions  de  continuité 
qui  correspondaient  aux  variations  d'éclat  que  la  planète  scintillante  accusait  à  l'œil  nu. 

Il  convient,  me  paraît-il,  de  remonter  à  la  cause  de  la  difl'érence  entre  les  scintilla- 
lions  des  étoiles  et  des  petites  planètes,  car  les  premières  oflrent  tout  à  la  fois  des  va- 
riations d'éclat  et  de  couleur,  et  les  secondes  ne  donnent  lieu  à  aucun  changement  de 
coloration.  Cela  provient  de  ce  que  les  trajectoires  diversement  colorées,  originaires  d'une 

'  W,  Herschell  est  le  premier  qui  ail  remarqué  la  présence  de  semblables  anneaux  aulour  de  l'image  d'une 
étoile  dans  une  puissante  lunette  acbiomatique,  avec  objectif  découvert  ou  formé  par  un  diaphragme  percé  d'une 
petite  ouverture.  On  trouve  des  détails  sur  ce  sujet  dans  le  Traité  de  ta  lumière  par  .1.  Herschell.  J'ai  remarqué 
que  ces  anneaux  sont  également  visibles  quand  on  dirige  une  lunette,  munie  d'un  diaphragme,  vers  un  objet 
poli  réfléchissant  avec  éclat  la  lumière  solaire.  Pour  une  petite  ouverture  du  diaphragme  (6  mill.),  l'image  de 
l'objet  réflecteur  paraît  ronde,  quelle  que  .soit  l'irrégularité  de  sa  formée  réelle. 


DE  LA  SCINTILLATION.  63 

même  étoile,  arrivent  à  l'œil  sans  s'être  préalablement  croisées  dans  lalmosphère,  au  lieu 
que  des  rayons  colorés  appartenant  à  certains  points  d'une  planète  très-voisins  les  uns 
des  autres  se  rencontrent  dans  l'atmosphère  avant  leur  croisement  dans  l'œil.  C'est  ce 
que  je  vais  prouver,  en  considérant  la  planète  Vénus  descendue  à  80°  de  distance  zéni- 
thale. 

Notonsd'abord  qu'à  cette  dislance  l'étendue  du  spectre  d'un  point  de  la  planète  seraitde 
5"  environ ,  longueur  d'un  spectre  stellaire  à  80°.  Soit  donc  ni  le  rayon  blanc  émané  d'un 
point  du  disque  planétaire  dont  le  rayon  rouge  IRA  atteint  l'œil  en  A.  Soit  ni'  un  autre 
rayon  incolore  originaire  d'un  point  de  la  planète  situé  sur  la  corde  verticale  du  pre- 
mier point  cl  un  peu  au-dessous ,  à  3"  de  dislance  angulaire,  par  exemple  :  l'BA  repré- 
sentera la  trajectoire  bleue  originaire  de  n'V,  qui,  tout  en  restant  dans  le  plan  vertical 
du  rayon  rouge  IRA,  pénètre  avec  lui  dans  l'œil.  Or  ces  deux  trajectoires  se  sont  cou- 
pées préalablement;  car  la  longueur  du  spectre  stellaire  est  de  3"  à  80°  et  la  tangente 
au  rayon  bleu  «iBA  en  A  s'élève  de  2"  par  rapport  à  la  tangente  au  rayon  rouge  niRA, 
puisque  le  point  d'émanation  du  premier  rayon  est  placé  à  5"  au-dessous  du  point  origi- 
naire du  rayon  rouge  :  il  faut  nécessairement  que  les  deux  trajectoires,  toujours  dans 
le  même  plan ,  se  soient  préalablement  croisées  quelque  part  dans  l'atmosphère  en  m 
par  exemple,  avant  d'arriver  en  A. 

La  dislance  Ain  du  point  de  croisement  des  trajectoires  dépend  d'abord  de  la  distance 
zénithale  Z  de  l'astre,  et  de  l'angle  <f  compris  entre  les  deux  trajectoires  considérées 
à  leur  entrée  dans  l'œil.  Quand  cet  angle  dépasse  une  limite  déterminée,  le  croisement 
a  lieu,  mais  pour  certains  rayons  incolores  seulement,  en  dehors  de  l'atmosphère  : 
nous  n'avons  point  à  nous  occuper  de  ce  cas.  La  formule  donnée  ci-dessous  permet 
de  calculer  l'éloignement  rectiligne  Am  du  point  de  croisement  dans  l'atmosphère  des 
trajectoires  bleue  et  rouge,  pour  des  valeurs  déterminées  de  ?  et  de  Z  '.  Ainsi,  on  trouve 
que  la  distance  x  du  point  de  croisement  m  est  égale  à  24660  mètres  pour  les  irajec- 

'   Si  dans  réquation  ("i)  de  la  note  qui  précède  ces  addilions,  nous  posons  fl=ii>,  afin  d'indiquer  que  les  trajee- 
lôires  rouge  et  bleue  se  coupent  en  m ,  nous  aurons  : 


siii  Z        N 

siil  Z' 

N' 

X  -  = 

=  

X 

Mn  V         n 

sin  v' 

n' 

Si  f  exprime  l'angle  compris  entre  les  tangentes  aux  rayons  rouge  et  bleu  dont  les  distances  zénithales  sont  res- 
pectivement Z' et  Z  dans  l'oeil;  si  u',  u  représentent  ces  mêmes  distances  en  m,  on  a  :  Z'=Z-+-  f.  Comme  «et  v'  dif- 
férent très-peu  entre  eux,  on  considère  pour  plus  de  simplicité,  sin  v  =  sin  v'.  Après  avoir  remplacé  N  et  N'  par  leurs 
expressions  respectives  en  fonction  de  n,  de  n',  de  x,  valeur  de  la  distance  cherchée  Am,  et  à  l'aide  des  éléments  nu- 
mériques indiqués  dans  la  note,  on  oblienl  une  formule  dans  laquelle  Z-hf  doit  se  substituer  à  Z'.  On  en  déduit  aisé- 
ment pour  la  valeur  de  x  .• 


/  tang  Z 

l  0,41224  X  — - —  —  sa.as 

J  sin  'f 


18393" 

"^  ^  wiTZ  -  ml  ^  '"=   ]  lang  Z 

0,412       X      .— 100029,2» 

îiin  o 


Celte  formule  conduit  a  des  valeurs  de  x  qui  sont  sulTisamment  approchées  pour  l'usage  qu'on  veut  en  faire. 


64  DE  LA  SCINTILLATION. 

toires  rouge  et  bleue,  dont  les  directions  font  un  angle  y  de  2"  à  leur  entrée  dans  l'œil 
et  lorsque  la  planète  d'où  ces  rayons  émanent  est  à  80°  de  distance  zénithale.  L'éléva- 
tion du  point  m  au-dessus  du  sol  est  de  4280  mètres  environ.  Si  l'on  sujipose  9  =  0",5, 
le  calcul  montre  que  a;  =  50ôG  mètres,  et  que  la  hauteur  du  point  m  est  de  875  mètres. 

Observons  que  le  point  m  est  aussi  le  lieu  de  croisement  de  rayons  orange,  jaune, 
vert ,  tous  originaires  de  points  du  disque  placés  sur  la  planète  entre  les  lieux  d'émana- 
tion du  rouge  et  du  bleu,  et  sur  la  même  onde  verticale.  Comme  ces  faits  s'appliquent  à 
tout  autre  |)oint  de  l'une  des  trajectoires  considérées,  il  faut  en  conclure  qu'un  lieu 
quelconque  de  l'atmosphère  où  passe  une  trajectoire  colorée,  émanant  d'un  point  d'une 
planète  et  qui  parvient  à  l'œil  d'un  observateur,  est  aussi  le  lieu  où  se  croisent  des  rayons 
de  toutes  les  autres  couleurs,  également  originaires  de  points  de  la  planète  très-proches 
du  premier,  et  qui  parviennent  à  l'œil  de  l'observateur. 

Ce  fait  général  étant  bien  établi,  il  devient  évident  qu'à  l'instant  où  une  onde  s'inter- 
pose en  m  par  exemple,  dans  les  conditions  de  réflexion  totale  pour  un  quelconque 
des  rayons,  elle  intercepte  simultanément  tous  les  autres  rayons  de  la  même  planète, 
qui,  après  s'être  croisés  avec  le  premier  au  point  de  passage  de  l'onde,  aboutissaient 
antérieurement  avec  lui  à  l'œil  de  l'observateur.  Or,  comme  les  lieux  où  tous  ces  rayons 
se  peignaient  sur  la  rétine  sont  tellement  rajiprochés  qu'avant  l'interception  commune 
leurs  impressions  mélangées  y  produisaient  la  sensation  de  la  lumière  blanche,  il  devient 
indubitable  qu'au  moment  de  l'interception  ce  lieu  de  la  rétine  ne  peut  éprouver  qu'une 
variation  d'éclat  ou  une  extinction  de  lumière  complète,  et  sans  que  celle-ci  soit  accom- 
pagnée d'aucun  changement  de  couleur. 

Les  variations  d'éclat  sont  plus  sensibles  à  l'œil  pour  les  planètes  de  petit  diamètre 
que  pour  les  grandes,  qui  scintillent  très-peu  par  la  raison  qu'il  y  a  d'autant  plus  de 
chance  de  discordance  entre  les  changements  d'éclat  de  points  différents  de  la  planète 
que  le  nombre  de  points  lumineux  est  plus  considérable,  comme  je  l'ail  déjà  dit,  d'après 
M.  Arago. 


FIN. 


MÉMOIKK  HISTORIOIE  ET  LITTÉRAIRE 


LE  COLLEGE  DES  TROTS-L/^^NGIES 


L'UNIVERSITÉ  DE  LOUVAIN, 

EN  RÉPOHSE  X  LA  QUESTION  SUIVANTE  : 

KAIRE  LllISTOIllE  Dt  COLLÈGE  DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN,  ET  EXPOSER  l'iNFUENCE  QU'lL  A 
EXERCÉE  SUR  LE  DÉVELOPPEMENT  DE  LA  LITTÉRATURE  CLASSIQUE,  AINSI  QUE  SUR  L'ÉTUDE 
DES  LANGUES  ORIENTALES; 

Par  m.  Félix  NÈVE, 

PROFESSEUR     A     l/ UNIVERSITÉ     1)E     LOUVAIN. 


Sacros  vetuHate  Ittcoa.  .  .  .  in  i/uibus  grandia  et  antiqua 
rofioi'a  jtim  uoti  lautain   fuihent  Hpenem  ,  iiuanlani   rcHffio 

7tefn.  (QVIKTIMEH.) 


(Mémoire  couronné  dans  la  séance  du  20  mai  185(î. 


Tome  XXVIII. 


INTRODUCTION. 


Une  des  périodes  les  plus  remarquables  que  présente  le  cours  entier 
de  nos  annales,  c'est  le  XVI""'  siècle,  signalé  par  un  mouvement  intellec- 
tuel qui  faisait  de  la  Belgique  l'émule  des  plus  grands  États  :  il  ne  serait 
pas  téméraire  de  dire  qu'à  aucune  époque,  noire  nation  n'a  montré  plus 
d'ardeur  et  plus  de  puissance  d'initiative.  En  d'autres  moments ,  on  a  vu 
briller  davantage  chez  elle  le  génie  des  arts ,  et  peut-être  sous  le  rapport 
de  l'ascendant  politique,  serait-on  fondé  à  opposer  la  domination  des  ducs 
de  Bourgogne  à  ce  règne  de  Charles-Quint,  qui  ouvrit  la  carrière  à  nos 
diplomates,  à  nos  légistes  et  à  nos  capitaines.  Mais  quelle  est  l'autre 
période  de  notre  histoire,  où  l'on  trouve  les  aptitudes  de  l'esprit  scienti- 
fique et  la  fécondité  de  l'esprit  littéraire  réunies  au  même  degré  que  dans 
la  belle  suite  d'années  qui  sépare  le  quinzième  siècle,  temps  d'immenses 
découvertes,  de  la  révolution  politique  et  religieuse  marquant  la  fin  du 
seizième? 

De  nombreux  essais  ont  été  faits  dans  la  Belgique  depuis  1850  pour 
animer  le  tableau  des  principaux  âges  de  son  histoire  par  des  traits  et  des 
épisodes  empruntés  à  la  culture  des  arts,  des  sciences  et  des  lettres  chez 
nos  ancêtres,  et  déjà  une  foule  de  documents  neufs,  analysés  par  le  labeur 
de  nos  érudits ,  ofTrent  d'importants  matériaux  à  de  semblables  recherches  ; 
on  ne  peut,  en  efïet,  séparer  la  culture  des  intelligences  de  l'histoire  poli- 
tique, si  l'on  veut  se  former  une  juste  idée  de  notre  passé,  recueillir  tous 


IV  IINTRODUCTIOIS. 

les  souvenirs  glorieux  qui  appartiennent  sans  conteste  à  la  Belgique  dans 
les  fastes  de  la  civilisation  européenne. 

Jusqu'ici  l'histoire  de  nos  écoles  savantes  n'est  pas  aussi  avancée  que 
celle  de  nos  écoles  d'arts  et  de  peinture;  mais  du  moins,  des  monogra- 
phies ,  des  mémoires  et  des  notices  ont  mis  sur  la  voie  ceux  qui  seront 
à  même  de  l'écrire  un  jour.  Le  XVI'"''  siècle  a  eu  de  droit  la  plus  belle 
part  dans  ce  travail  préliminaire  de  réhabilitation  :  il  a  piqué  l'ingénieuse 
curiosité  de  M.  le  baron  de  Reiffenberg,  quand  il  a  écrit  en  bibliographe, 
doublé  d'un  satirique,  ses  Mémoires  sur  les  deux  premiers  siècles  de  l'Uni- 
versité de  Loitvain^.  L'Académie  royale  de  Belgique,  qui  avait  couronné 
autrefois  une  biographie  latine  de  Juste  Lipse,  a  mis  naguère  au  concours 
la  composition  d'écrits  spéciaux  sur  la  vie  et  les  travaux  de  Louis  Vives  et 
de  D.  Erasme  ^.  Le  mémoire  historique  et  littéraire  que  nous  présentons 
aujourd'hui  à  l'Académie  sur  le  collège  des  Trois-Langues ,  dit  aussi  col- 
lège de  Busleiden,  appartient  au  même  cycle  d'études. 

Cette  institution,  consacrée  à  l'enseignement  des  trois  langues  savantes, 
le  latin,  le  grec  et  l'hébreu,  a  son  origine,  sa  raison  d'être  dans  le 
mouvement  général  des  études  classiques  qui  s'est  propagé  de  l'Italie 
dans  toute  l'Europe,  et  jusque  dans  les  provinces  belgiques.  Le  temps  a 
manqué  à  M.  de  Reiffenberg  pour  retracer,  à  l'aide  de  son  immense  éru- 
dition, l'histoire  de  cette  école  littéraire,  à  laquelle  il  fait  allusion  sans 
cesse  avec  certaine  complaisance  dans  les  cinq  mémoires  publiés. 

En  entreprenant  la  présente   monographie,  nous  nous  proposons  de 

'  Ils  sont  ainsi  répartis  dans  la  collection  des  Nouveaux  Mémoires  de  l'Académie  royale  des 
sciences  el  belles-letlres  de  Bruxelles,  où  ils  ont  été  imprimés  à  d'assez  longs  intervalles  :  Premier 
mémoire,  p.  44  ,  au  tome  V  (1829);  Second ,  troisième  el qualrième  mémoire ,  pp.  43,  46  et  HO,  au 
tome  VII  (1832);  Cinquième  mémoire ,  ç.  27,  au  tome  X  (1837). 

2  Voir  le  Mémoire  de  M.  l'abbé  Namèche,  sur  la  vie  du  premier  de  ces  savants,  au  tome  XV""^  des 
Mémoires  couronnés  (1842),  coll.  in-4°,  el  le  Mémoire  de  M.  E.  Rotlier  sur  Érasme,  au  tonieVr% 
3'"' partie,  des  Mémoires  couronnés,  coll.  in-S",  I8.i33. 


INTRODUCTIOiN.  v 

poursuivre  l'histoire  du  collège  des  Ïrois-Laiigues  depuis  sa  fondation 
jusqu'à  la  chute  de  l'université  de  Louvain ,  au  sort  de  laquelle  son  sort  fut 
lié  :  cependant  on  nous  permettra  de  nous  arrêter  le  plus  longtemps  aux 
commencements  glorieux  de  cette  institution,  qui  pouvait  alors  être  mise- 
en  parallèle  avec  les  institutions  semblables  érigées  en  d'autres  pays  :  nous 
ferons  en  sorte  de  montrer  en  toute  vérité  quelle  action  elle  a  exercée  sur 
l'état  intellectuel  de  nos  provinces,  et  même  sur  la  direction  des  études 
dans  les  contrées  voisines. 

Le  collège  des  Trois-Langues  a  eu  son  temps  de  splendeur,  et  plusieurs 
des  hommes  qu'il  a  formés  ont  bien  mérité  de  la  patrie.  Nous  parlerons 
avec  une  sincère  admiration  de  cette  gloire  bien  acquise;  mais  nous  nous 
garderons  toujours  de  ce  ton  de  forfanterie  qui  déligure  trop  souvent 
aujourd'hui  nos  publications  nationales  d'art,  d'histoire  et  de  critique  : 
c'est  à  nos  yeux  un  vain  et  dangereux  patriotisme  que  celui  qui  voit  des 
idoles  dans  toutes  les  figures  de  notre  panthéon  historique  : 

Tola  licel  veleres  exornenl  undique  cerae 
Alria,  nohilitas  sola  est  alque  unica  virlus. 

Quand  nous  devrons  mentionner  dans  le  cours  de  notre  exposé  des 
tendances  fausses,  des  abus  et  des  préjugés  funestes,  nous  le  ferons  avec 
quelque  ménagement  ;  nous  souvenant  de  l'excellent  conseil  que  donnait 
M.  de  Reiffenberg,  sans  le  pratiquer  lui-même  *  :  «  Transporter  dans  les 
»  siècles  antérieurs  les  opinions  de  nos  jours,  c'est  des  erreurs  la  source 
»  la  plus  féconde.  »  De  même ,  quand  nous  en  viendrons  à  la  décadence 
de  l'institution,  nous  tâcherons  d'en  assigner  les  causes,  sans  devenir  cou- 
pable du  dénigrement  calculé  avec  lequel  on  a  quelquefois  parlé  de  l'uni- 
versité de  Louvain,  de  ses  hommes  et  de  son  histoire  au  siècle  passé. 

L'espace  de  temps  sur  lequel  ont  porté  nos  recherches  répond  aux  trois 

*  En  lête  de  la  Préface,  au  premier  de  ses  Mémoires  cités. 


VI  INTRODUCTION. 

derniers  siècles  :  le  collège  des  Trois-Langues  fut  le  plus  florissant  pendant 
le  premier,  celui  de  sa  fondation  et  de  son  développement  normal;  il  se 
maintint  dans  le  siècle  suivant,  le  XVII""',  avec  quelque  utilité  pratique 
pour  les  études  universitaires,  mais  sans  éclat  et  sans  influence  extérieure  ; 
enfin,  il  fut  frappé  pendant  le  XVIII"'  siècle  d'une  déchéance  qui  atteignit 
à  la  fois  son  enseignement  et  son  influence  littéraire  et  scientifique. 

Une  telle  appréciation  de  l'histoire  du  collège  doit  ressortir  de  l'en- 
semble de  notre  travail  ;  cependant  elle  sera  l'objet  d'aperçus  synthétiques, 
qui  en  occuperont  les  derniers  chapitres.  Dans  la  première  partie,  qui  est 
la  plus  étendue ,  nous  avons  accordé  notre  principale  attention  aux  faits 
qui  composent  le  fond  historique  du  sujet,  et  c'est  surtout  sur  l'exécution 
de  cette  partie  du  mémoire  que  nous  aurons  à  nous  expliquer  ici. 

11  nous  importait,  en  premier  lieu,  de  faire  connaître  aux  lecteurs 
l'état  de  l'instruction  et  particulièrement  de  l'élude  des  langues  anciennes 
dans  les  Pays-Bas,  avant  l'érection  de  l'établissement  du  collège  des  Trois- 
Langues  à  Louvain  :  nous  avons  signalé,  à  cet  effet,  tout  ce  qui  s'est 
fait  pour  l'enseignement  de  ces  langues  à  l'école  de  Deventer  et  à  l'uni- 
versité de  Louvain,  pendant  le  XV'"''  siècle  et  dans  les  premières  années 
du  XVI"";  nous  avons  dû  en  même  temps  jeter  un  regard  sur  les  travaux 
qui  ont  marqué,  dans  cet  intervalle,  l'introduction  de  la  philologie  clas- 
sique, ainsi  que  des  études  hébraïques,  en  plusieurs  États  de  l'Eiirope. 
Le  terrain  ainsi  préparé,  nous  exposons  toutes  les  circonstances  de  la 
fondation  du  collège  des  Trois-Langues  par  Jérôme  Busleiden,  et  nous 
replaçons  ce  protecteur  éclairé  des  lettres  anciennes  dans  la  société  d'es- 
prits distingués  au  milieu  de  laquelle  il  a  nourri  son  projet;  puis  nous 
mettons  en  scène  Érasme,  qui  prit  à  cœur  plus  que  personne  l'existence 
et  la  prospérité  du  collège  de  Busleiden  ^;  nous  le  montrons  conseiller  et 

'  Nous  citerons  constamment  Érasme  d'après  la  grande  édition  de  ses  œuvres ,  donnée  à  Leyde, 


IISTRODUCTION.  vri 

guide  de  ses  premiers  maîtres,  défenseur  de  ses  droits  devant  l'opinion 
et  de  ses  intérêts  devant  les  princes  et  les  grands,  promoteur  vigilant  des 
études  utiles,  auxquelles  ses  chaires  étaient  affectées.  Il  nous  fallait,  en 
second  lieu,  rétablir,  dans  la  mesure  du  possible,  l'histoire  chronologique 
du  collège  des  Trois-Langues ,  exposer  son  organisation  intérieure  et  ses 
ressources  flnancières,  faire  connaître  la  série  des  professeurs  qui  ont 
enseigné  en  ce  collège  depuis  sa  fondation  jusqu'à  sa  suppression.  Les 
ouvrages  de  Valère  André  nous  présentaient  les  renseignements  les  plus 
utiles  pour  le  premier  siècle  de  cette  histoire;  le  livre  qu'il  publia  en  1614 
renferme  les  annales  du  collège  et  la  biographie  de  ses  professeurs  pen- 
dant un  espace  d'environ  cent  années,  et  c'est  là  une  des  meilleures 
sources  relativement  à  cette  belle  période  *  ;  les  Fasti  Academici  du  même 
auteur  résument  l'histoire  du  collège  dans  les  mêmes  temps,  et  la  con- 
duisent jusqu'au  milieu  du  XVII"'®  siècle  ^.  Un  autre  travail  de  Valère 
André,  sa  Bibliolheca  belgica ,  nous  fournissait,  d'autre  part,  des  notions 
biographiques  et  littéraires  d'un  grand  intérêt  pour  notre  sujet ^. 

Nous  avons  toutefois  voulu  recourir  à  des  documents  encore  inédits, 
soit  pour  compléter  les  données  réunies  dans  Valère  André,  soit  pour 

en  1702  et  années  suivantes,  chez  Pierre  Vander  Aa  :  ses  lettres  en  forment  le  troisième  volume, 
divisé  en  deux  parties. 

'  Ce  petit  traité,  dont  Van  Huitheni  signalait  la  rareté,  se  compose  de  4  feuillets  non  chiffrés 
et  de  72  pages,  petit  in-4";  il  est  intitulé  :  Colhgii  Trilinguis  Buslidiani,  in  Academia  Lova- 
niensi,  exordia  ac  progressus,  et  linguae  hebraicae  encomium,  publiée  pronuntiatum  V  Kal.  April. 
MDCXII,  ab  Andréa  Valerio  Uesselio,  in  professionis  auspiciis.  —  Lovanii,  Typis  Philippi  Dor- 
malii,MDCXlV. 

-  Fasti  Academici  sludii  generalis  Lovaniensis ,  etc.  Lovanii,  typis V]orn.  Coenestenii,  i635, 
in-i".  —  Id.  editio  iterata  accuralior  et  altéra  parte  auctior.  Lovanii,  apud  Hier.  Nempoeum. 
MDCL,  in-4°.  Voy.  sur  le  Collegium  Trilingue,  pp.  273-285. 

'>  Bibliotheca  belgica,  éd.  1623,  in-8".  Ed.  ait.,  1643 ,  in-4".  Voy.  plus  loin  chap.  Vlll ,  biog.  de 
V.  André.  Nous  citons  quelquefois  ces  éditions  de  préférence  à  celle  de  Foppens  (1739).  V Acade- 
mia Lovaniensis  de  Vernulaeus  ne  renferme  que  des  généralités  sur  le  Collegium  Trilingue. 


VIII  INTRODUCTION. 

rassembler  des  fails  nouveaux  servant  à  continuer  la  même  histoire  de- 
puis le  milieu  du  XVII"'^  siècle  jusqu'à  la  fin  du  XVIII"''.  C'est  dans  cette 
intention  que  nous  avons  consulté  quelques  sources  manuscrites  sur 
lesquelles  nous  devons  nous  étendre  ici  quelque  peu,  sans  parler  des 
pièces  détachées,  dont  nous  sommes  parvenu  à  avoir  communication  et 
dont  nous  avons  tiré  parti,  soit  dans  le  texte,  soit  dans  l'Appendice. 

Nous  avons  mis  à  profit  :  1"  un  recueil  de  notes  historiques  et  biogra- 
phiques sur  les  établissements  universitaires  de  Louvain,  rédigé  par  un 
érudit  consciencieux ,  au  commencement  de  ce  siècle ,  d'après  les  livres 
et  d'après  d'anciens  papiers  '  ;  2°  les  notes  détachées  i-ecueillies  par 
J.-N.  Paquot,  en  vue  d'une  édition  nouvelle  et  complète  des  Fasti  de 
Valère  André,  et  formant  un  recueil  en  deux  gros  volumes,  qu'on  a  inti- 
tulé :  Fasti  academici  Lovanienses^;  o"  un  manuscrit  de  Foppens  intitulé  : 
Promotiones  in  artibus,  chargé  de  notes  biographiques  de  la  main  de  G.  de 
Servais  et  de  Ch.  Van  Hulthem,  sur  plusieurs  des  lauréats  cités  ^. 

Nous  osons  croire  que  la  biographie  des  professeurs  du  collège  de 
Rusleiden,  de  leurs  suppléants,  et  même  de  leurs  principaux  élèves,  sera 
considérée  comme  un  élément  indispensable  de  ce  mémoire  historique  : 

'  Le  principal  auteur  de  celte  compilation  est  Jean  Liinibert  Bax,  autrefois  économe  [procuralor) 
au  grand  collège  du  Saint-Esprit  à  Louvain,  mort  à  Malines  en  1854.  Nous  désignerons  par  le 
seul  nom  de  Bax  ledit  recueil ,  qui  est  aujourd'hui  en  la  possession  de  M«'  P.-F.-X.  de  Ram,  recteur 
de  l'université  catholique. 

-  Ouvrage  acheté  à  Liège,  en  d804,  à  la  vente  de  Paquot,  et  relié  en  2  vol.  in-folio.  \oy.Bi- 
hhotheca  flulthemiana ,  L  VI,  p.  242,  n"  805.  MS.  de  la  Bibliothèque  Royale,  n"'  17567  et  17568. 
—  On  trouve,  dans  ces  Fasti  de  Paquot,  les  éléments  de  biographies  encore  inédites  (et ,  en  ce  cas , 
nous  en  avons  fait  un  aipple  usage) ,  et  l'esquisse  des  biographies  qu'il  a  achevées  et  insérées  dans 
ses  Mémoires  d'histoire  littéraire. 

■'  Promotiones  in  artibus  ab  erectione  universitatis  Lovaniensis  usque  ad  haec  lempora  (circa, 
1760),  vol.  in-folio,  demi-rel.  Biblioth.  BuHhem.  DIS.  n»  807,  t.  VI,  p.  242.  MS.  de  la  Biblioth. 
Roy.,  n»  17571.  Voy.  XAnn.  de  la  Bibl.  Roy.,  1840,  p.  101.— A  la  fin  du  volume  sont  ajoutées  des 
thèses  et  pièces  académiques,  dont  nous  avons  indiqué  quelques-unes,  en  renvoyant  5  ce  manuscrit. 


IINTRODUCTION.  ix 

on  apercevra  sans  peine  pourquoi  nous  avons  groupé  quelquefois  les 
noms  d'humanistes  distingués  autour  des  noms  de  ceux  qui  ont  enseigné 
publiquement  les  langues  et  les  lettres;  nous  avions  intérêt  à  montrer 
dans  quel  milieu  littéraire  ont  vécu  les  maîtres  du  collège  des  Trois- 
Langues,  et  quel  public  lettré  il  leur  a  été  donné  de  former  et  de  diriger. 

Il  va  de  soi  que  notre  tâche  ne  comporte  pas  toutefois  la  composition 
de  biographies  détaillées  et  chargées  de  faits  accessoires,  étrangers  au 
rôle  des  personnages  comme  professeurs  et  comme  philologues;  il  ne 
peut  entrer  non  plus  dans  notre  plan  de  joindre  aux  notices  biographi- 
ques de  ce  mémoire  un  bulletin  bibliographique  complet,  sinon  dans  de 
rares  exceptions,  lorsqu'il  s'agit,  par  exemple,  de  livres  qui  sont  d'une 
valeur  marquée  dans  l'histoire  de  la  philologie  et  des  lettres.  Nous  avons 
l'envoyé  pour  les  particularités  de  plusieurs  vies  aux  recueils  bien  connus 
de  nos  polygraphes  nationaux,  et  quand  nous  avons  rencontré  des  savants, 
dont  les  écrits  très-nombreux  n'ont  encore  été  l'objet  d'aucun  travail  ana- 
lytique, nous  nous  sommes  borné  à  un  jugement  sommaire  sur  leurs 
œuvres,  laissant  à  d'autres  le  soin  de  les  décrire  dans  des  monographies 
étendues.  De  même  nous  ne  pouvons  entreprendre  ici  des  recherches  trop 
détaillées  sur  les  livres  et  les  éditions  :  si  ces  recherches  ne  rentrent  pas 
toujours  dans  le  cadre  des  travaux  d'histoire  et  de  biographie,  elles  s'ac- 
cordent très-bien  avec  ces  patientes  études  consacrées  aujourd'hui,  en 
Belgique,  par  une  foule  de  bibliophiles  distingués,  aux  productions  de 
l'art  typographique  dans  la  Belgique  ancienne. 

.\ous  espérons  du  moins  que  les  renseignements  historiques  et  litté- 
raires que  nous  avons  réunis  en  ce  mémoire  présenteront  quelque  intérêt 
aux  personnes  déjà  versées  dans  la  lecture  des  sources,  et  qu'ils  offriront 
un  intérêt  plus  grand  encore  aux  érudits  étrangers  qui  ne  connaissent 
qu'à  demi  notre  histoire  et  nos  institutions;  ils  ne  seront  pas  dépourvus 
du  mérite  de  la  nouveauté,  ce  nous  semble,  même  après  les  livres  de  ces 
Tome  XXVill.  2 


,  INTRODUCTION. 

polygraphes  allemands  qui  ont  l'air  et  qui  se  donnent  la  prétention  de 

tout  savoir. 

Nous  avons  remarqué,  dans  le  cours  de  nos  recherches,  bien  d'autres 
points  d'histoire,  dignes  d'un  examen  spécial  et  approfondi,  mais  sur 
lesquels  nous  n'avons  pas  pu  insister  à  notre  gré.  D'autres  fois,  nous 
nous  sommes  arrêté  dans  nos  aperçus  ou  dans  nos  inductions,  à  cause 
de  l'insuffisance  des  documents  et  des  secours  que  nous  avions  sous  la 
main.  On  sait  de  quelle  rareté  sont  les  éditions  originales  de  bien  des 
œuvres  qui  ont  une  haute  importance  dans  les  annales  de  l'érudition  litté- 
raire :  on  sait  aussi  que  les  études  d'humanités,  pas  plus  que  la  plupart 
des  sciences  jadis  cultivées  en  ce  pays,  n'ont  pas  encore  trouvé  leur  his- 
torien ^  Nous  nous  sommes  abstenu  toutefois  de  développer  nos  réflexions 
ou  d'aborder  des  questions  nouvelles  ;  nous  avons  même  renoncé  à  faire 
usage  de  tous  les  matériaux  que  nous  avions  rassemblés ,  afin  de  ne  pas 
étendre  la  rédaction  de  notre  travail  au  delà  des  limites  ordinaires  d'un 
mémoire  :  nous  serions  disposé  à  utiliser  les  plus  intéressants  de  ces 
matériaux  -,  si  notre  travail  recevait  l'accueil  que  nous  espérons. 

Louvain,  29  janvier  1856. 

'  d'est  en  vue  des  recliei'clies  que  d'aulres  iiuiiiiaienl  diriger  de  ce  côté,  que  nous  avons  mis  ;i 
la  fin  du  mémoire  un  double  index,  concernani,  l'un,  les  auteurs  expliqués  et  les  livres  publiés; 
l'aiitre,  la  personne  des  professeurs,  des  savants  et  de  leurs  amis  ou  protecteurs  les  plus  célèbres. 

-  Puisqu'il  n'est  pas  entré  dans  les  vues  de  la  Classe  des  Lettres  de  nous  autoriser  à  développer 
quelques  parties  du  présent  travail ,  nous  nous  réservons  d'en  donner  ailleurs  le  complément  dans 
des  notices  détachées  —  (juin  I80G). 


MÉMOIRE  HISTORIQUE  ET  LITTÉRAIRE 


SLR 


LE  COLLÈGE  DES  TROLSL  ATS  GUES 


L'UNIVERSITE  DE  LOUVAIÎN 


CHAPITRE  1" 

COUP  D'OEIL  SUR  L'ÉTUDE  DES  LANGUES  ET  DES  LITTÉRATURES  ANCIENNES 
DANS  LES  ÉCOLES  DES  PAYS-BAS ,  AVANT  L'ÉRECTION  DU  COLLÈGE  DES 
TROIS- LANGUES  (1400-1520). 


i'Lxeyc  fyjtlt^  ante  Ajamemntiva 
Mulli 


PRELIMINAIRES. 


On  avait  trop  longtemps  considéré  le  moyen  âge  comme  étranger  à  toute 
culture  classique,  et,  comme  si  l'on  était  ébloui  par  l'éclat  des  trésors 
littéraires  mis  au  jour  et  avidement  étudiés  à  l'époque  dite  de  la  Renais- 
sance, on  n'avait  pas  pris  la  peine  de  voir  ce  qui  était  au  delà  :  on  parlait 

d'une  longue  et  profonde  nuit ,  elle  était  restée  rompue,  disait-on, 

pendant  plusieurs  siècles,  la  chaîne  des  traditions  scolaires,  relatives  aux 
langues  de  l'antiquité,  à  la  grammaire,  à  l'art  oratoire,  à  la  composition 
littéraire  en  général. 


2  MEMOIRE  SLR  LE  COLLEGE 

Sans  doute,  depuis  la  fondation  des  royaumes  germains  d  Occident, 
les  lettres  subirent  en  Europe  de  fréquentes  vicissitudes,  et  elles  parurent 
quelquefois  menacées  d'une  ruine  complète.  Mais  il  fallait  s'attendre  à  re- 
trouver, dans  les  annales  des  nations  modernes,  des  traces  non  équivoques 
de  l'empire  que  les  lettres  anciennes  avaient  conservé  dans  l'éducation  : 
de  graves  historiens  ont  pris  à  cœur  cette  tâche  dédaignée  par  la  critique 
des  siècles  précédents ,  et  leurs  premiers  efforts  ont  été  couronnés  de 
succès.  La  lecture  des  sources  leur  a  fait  découvrir,  dans  l'instruction  de 
la  jeunesse,  les  méthodes  et  les  procédés  pédagogiques  des  écoles  de  l'an- 
tiquité. Non-seulement  ils  ont  constaté  la  persistance  de  cette  culture  de 
la  langue  latine,  sans  laquelle  il  n'y  avait  pas  d'enseignement  possible; 
mais  encore  ils  ont  reconnu  qu'une  connaissance  élémentaire  du  grec  s'était 
conservée  d'âge  en  âge  par  le  fait  de  quelques  hommes  intelligents  et 
zélés;  ils  ont  de  même  aperçu  que  l'hébreu  n'était  pas  resté  entièrement 
ignoré  dans  le  monde  chrétien  pendant  un  millier  d'années,  de  saint 
Jérôme  à  J.  Reuchlin. 

Les  recherches  d'histoire  et  de  critique,  dirigées  en  ce  sens  depuis  une 
cinquantaine  d'années,  ont  servi  à  démontrer  de  quelle  manière  les  monu- 
ments de  l'antiquité  profane,  aussi  bien  que  ceux  de  l'antiquité  chrétienne, 
ont  été  transmis  dans  celle  longue  période  qui  sépare  la  chute  du  paganisme 
et  la  fermeture  des  écoles  païennes,  de  l'invention  de  l'imprimerie,  de  la 
publication  des  manuscrits  et  de  l'organisation  des  études  dites  classiques; 
elles  ont  mis  aussi  en  lumière  dans  quelles  conditions  on  s'occupa,  à 
différentes  époques,  des  langues  anciennes  qui  étaient  seules  l'objet  d'une 
culture  régulière. 

Un  livre  judicieux  de  M.  Ileeren,  professeur  à  Goltingue,  a  attiré  l'at- 
tention des  savants  sur  le  sort  de  la  littérature  classique  au  moyen  âge  et 
sur  la  nature  des  travaux  dont  elle  fut  l'objet,  et  qui  servirent  à  la  con- 
server ^.  Ses  conclusions  ont  été  généralement  adoptées  '^,  et  depuis  lors 

'  Gescliichte  der  classisclien  Lileratur  im  MiUelaltcr,  i  799 ,  H  vol.  iii-8°.  Goelliiigen  ,  nouv.  édit.. 
dans  les  œuvres  historiques  de  l'auteur,  en  allemand.  (Ibid.,  1822,  2  vol.  in-8°.) 

2  Voy.  Fr.  Ast,  Grimdriss  der  Philologie  (Landslnit,  d808,  in-S");  Fr.  Schoell,  Histoire  de  la 
iiltèralure  ijrccque  profane,  t.  VII,  pp.  269-295;  Henri  Hallam ,  Histoire  de  la  lillcraltire  de  l'Eu- 
rope, pendant  les  XV'",  XVI"" et  XVll""  siècles  (irad.  franc,  par  Alpli.  Borgliers,  1. 1.  Paris,  1839). 


DES  TROIS-LAINGUES  A  LOUVAIN.  3 

des  ouvrages  consciencieux  sont  venus  éclaircir  l'histoire  des  études  de 
grammaire  et  de  littérature,  aux  époques  les  plus  remarquables,  dans  les 
principaux  pays  de  l'Europe. 

On  doit  à  M.  le  D'  Félix  Baehr,  professeur  à  Heidelbcrg,  un  tableau 
complet  de  la  littérature  latine  sous  la  dynastie  des  Carlovingiens  ',  et 
plus  d'un  écrivain  s'est  occupé  sérieusement  à  retracer  cette  première 
renaissance  latine,  oîi  le  nom  d'Alcuin  le  dispute  en  célébrité,  sinon  en 
grandeur,  à  celui  de  Gharlemagne  -,  où  l'on  réhabilitait  les  plus  illustres 
poètes  de  Rome,  comme  pour  faire  descendi'e  leur  gloire  jusque  sur  les 
écoles  du  nouvel  empire  romain. 

L'Italie  était  restée  une  terre  privilégiée,  que  les  invasions  des  barbares 
n'avaient  pu  ni  dépouiller,  ni  flétrir  :  il  était  réservé  à  un  jeune  écrivain 
français  de  réveiller,  à  l'envi  de  ses  meilleurs  érudits,  l'écho  de  la  tradition 
littéraire  toujours  vivante  en  ses  écoles,  et  de  le  redire  à  la  France  avei 
une  éloquente  émotion  ;  c'est  l'objet  d'une  des  dernières  œuvres  de  Fré- 
déric Ozanam,  d'une  de  celles  qu'on  a  le  plus  vantées  ^.  «  La  lumière  ne 
s'éteignit  point  aux  plus  mauvais  temps  du  moyen  âge l'Italie,  nous  dit- 
il,  eut  une  de  ces  nuits  lumineuses  où  les  dernières  clartés  du  soir  se  pro- 
longent jusqu'aux  premières  blancheurs  du  matin.  D'un  côté,  le  souvenii 
des  écoles  impériales  se  perpétue  dans  l'enseignement  laïque,  qui  subor- 
donne la  grammaire  et  la  rhétorique  à  l'étude  des  lois D'un  autre  côté. 

la  tradition  des  premiers  siècles  chrétiens  se  conserve  dans  l'enseignement 
ecclésiastique;  les  lettres  y  trouvent  asile  à  condition  de  servir  la  foi,  de 
développer  la  vocation  théologique  des  Italiens,  et  de  leur  assurer  la 

palme  de  la  philosophie  scolastique ;  le  peuple,  encore  tout  pénétré  de 

l'antiquité,  ne  peut  en  oublier  ni  la  gloire,  ni  les  fables,  ni  la  langue.  » 

Les  doctes  continuateurs  des  Bénédictins  n'ont  pas  manqué  de  relever. 

'  Fr.  Lorenz ,  Alcuins  Leben;  Halle,  1829,  in-8°  ;  J.-B.  Laforêt ,  Alcuin  restaurateur  des  sciences 
en  Occident.  Louvain,  18Si ,  in-8°;  F.  Monnier,  Alcuin  et  son  influence  religieuse,  politique  et  lit- 
téraire chez  les  Fi'ancs,  etc.  Paris,  Durand ,  1853,  in-8°. 

-  Gescliiclite  der  roemischen  Literalur  im  karolingischen  Zeitalter.  Cailsriihe,  1840;  I  vol. 
in -8°. 

^  Documents  inédits  pour  servir  à  l'histoire  littéraire  de  l'Italie ,  depuis  le  VIll""  siècle  jusqu'au 
XIII"",  etc.  Paris,  Lecoffre,  1849;  1  vol.  in-8°,  p.  78.  —  OEuvres  compL,  l.  Il,  p.  452-33. 


4  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

dans  les  derniers  volumes  de  Y  Histoire  liltéraire  de  la  France  ',  tout  ce  que 
les  sources  encore  inédites  révèlent  d'activité,  de  labeur  sérieux,  et  même 
d'ingénieux  etTorts,  dans  des  périodes  imparfaitement  connues,  prises  au 
cœur  du  moyen  âge.  Ils  ont  pu  montrer  la  France  du  XII™'  siècle,  rivale 
de  l'Italie  dans  ses  institutions  ecclésiastiques,  dans  ses  écoles,  dans  ses 
monastères,  et  faire  à  plusieurs  écrivains  honneur  d'un  style,  si  non  cor- 
rect, du  moins  quelquefois  vigoureux  et  quelquefois  élégant.  Ils  ont 
rattaché  à  la  marche  des  études  en  France  les  faits  qui  signalent  leur 
reprise  en  d'autres  pays;  ainsi  ont-ils  montré,  çà  et  là,  d'étonnantes  tenta- 
tives pour  la  culture  des  langues  grecque  et  latine,  même  de  l'hébreu  et 
de  l'arabe  -,  dans  ce  XIII""=  siècle,  qui  avait  été  marqué  de  flétrissure  à 
cause  des  nombreux  défauts  qui  déparent  sa  latinité.  Le  siècle  qui  posséda 
Guillaume  de  Moerbeke,  helléniste  de  goût,  traducteur  d'Âristote,  mis- 
sionnaire initié  à  plusieurs  idiomes  de  l'Orient,  vit  naître  Raymond  Lulle, 
promoteur  de  l'élude  des  langues  sémitiques  dans  un  but  de  science  et  de 
propagande  religieuse. 

Les  variations  que  la  culture  du  latin  a  subies  dans  l'Europe  occiden- 
tale de  siècle  en  siècle  ont  déjà  été  mieux  appréciées;  les  ressources  néces- 
saires à  sa  transmission  et  assurées  à  son  étude  ne  font  plus  de  doute,  on 
ne  tardera  pas  à  connaître  aussi  les  moyens  que  l'on  eut  pendant  la  même 
période  de  cultiver  la  langue  grecque,  et  même  d'apprendre  quelques- 
unes  des  langues  de  l'Orient  ^. 

La  Belgique,  que  nous  considérons  ici  dans  la  réunion  de  toutes  ses 
provinces,  ne  peut  être  oubliée  dans  tout  tableau  de  la  culture  intellec- 
tuelle des  temps  chrétiens;  elle  entretenait  alors  des  l'elations  suivies  avec 
les  monarchies  et  les  Églises  voisines;  elle  avait  des  monastères  et  des 
écoles  dignes  d'être  comparés  aux  plus  florissants  en  d'autres  États;  elle 

'  Tomes  XI  à  XXd  de  la  conliniiation  de  l'ouvrage,  publiés  par  des  membres  de  l'Académie  des. 
Inscriptions  el  Beiles-Leltres  ,  MM.  Daunou,  Émeric  David,  V.  Leclerc,  P.  Paris,  etc. 

2  Voy.  au  tome  XVI  de  VHist.  Hltér.,  le  discours  sur  l'état  des  lettres  au  XIII""  siècle,  pp.  138 
et  suiv.  —  Grammaire ,  cHtule  et  usage  des  langues  anciennes. 

5  L'Académie  des  Inscriptions  el  Belles-Lettres  a  couronné,  il  y  a  quelques  années  (1848).  un 
mémoire  de  M.  Ernest  Renan  sur  YElmle  du  grec  et  des  langues  orientales  en  Occident,  pendant  le 
moyen  âge;  ce  mémoire  n'est  point  encore  imprimé. 


DES  TROIS- LANGUES  A  LOUVAIN.  S 

prenait  part  non  sans  gloire  à  de  grands  événements  politiques,  tels  que  les 
croisades  et  l'occupation  de  Constanlinoplc.  Tout  porte  à  croire  que  notre 
pays  ne  le  cédait  point  non  plus  aux  pays  qui  l'entouraient  dans  la  cul- 
ture de  l'esprit.  La  connaissance  du  latin  s'y  était  maintenue  au  même 
niveau  qu'ailleurs  ;  on  a  déjà  signalé  naguère  plusieurs  indices  fort  curieux 
d'une  connaissance  notable  du  grec,  qui  fut  le  partage  de  quelques  hommes 
chez  nos  aïeux  ^ ,  et  cela  dans  les  siècles  le  moins  favorisés. 

Déjà  une  statistique  Irès-détaillée  des  moyens  d'instruction  que  nos 
provinces  possédaient,  depuis  le  temps  des  Carlovingiens  jusqu'à  la  fon- 
dation de  l'université  de  Louvain,  a  été  dressée  avec  une  louable  exacti- 
tude -;  les  écoles,  les  hommes  qui  y  enseignaient,  les  méthodes  et  les  livres 
qu'on  y  adoptait,  Ogurent  dans  le  cadre  de  ce  travail  utile,  qui  donne  une 
haute  idée  du  zèle  et  de  l'application  de  nos  ancêtres,  et  qui  est  de  nature 
à  provoquer  des  recherches  ultérieures  sur  les  hommes  et  les  institutions. 
Les  chroniques,  les  cartulaires,  les  diplômes  et  les  documents  historiques 
qu'on  exploite  et  qu'on  publie  sans  cesse,  fourniront  encore  des  couleurs 
et  des  traits  au  tableau  de  la  vie  intellectuelle  qui  fut  départie  aux  con- 
trées de  la  Belgique  dans  ces  âges  reculés.  Au  siècle  de  Pétrarque  et  de 
Boccace,  l'Italie  seule  avait  des  latinistes  renommés,  et  c'est  elle  aussi 
qui,  grâce  à  ses  communications  avec  l'Orient,  rallumera  la  première  le 
flambeau  des  études  grecques  ■'  :  non-seulement  elle  donne  asile  à  Emma- 
nuel Chrysoloras,  mais  encore  elle  a  dès  lors  ses  hellénistes,  qui  vulga- 
risent à  leurs  risques  et  périls  des  œuvres  antiques  non  connues.  Le 
mouvement  qui  devait  produire  la  renaissance  des  lettres  poursuivait 
son  cours  en  Italie,  quand  les  Pays-Bas  n'avaient  pas  encore  d'école  pu- 
blique qui  servît  de  centre  à  un  mouvement  de  même  nature.  C'est  à 

'  Voir  les  deux  lellres  de  M.  Le  Glay  sur  l'étude  du  grec  dans  les  Pays-Bas  (Cambrai,  1828,  in-b"), 
et  la  noie  de  M.  de  Reiffenberg  sur  le  même  point,  Bullelins  de  l'Académie  royale,  I8il,  t.  VIII, 
p.  I,  pp.  239  et  suiv. 

2  De  l'inslruclion  publique  au  moyen  âge  (VIII""-XVI"'^  siècle) ,  par  MM.  Ch.  Slallaert  et  Ph.  Van 
ilerHaeghen;  Mémoire  couronné  par  l'Académie  royale  de  Belgique,  le  8  mars  18.50  {Recueil  des 
Mémoires  couronnés,  in-i",  t.  XXIII.  —  2""=  édit.  Bruxelles,  18.53,  in-S"). 

'  V.  Hallam,  Liltéralure  de  l'Europe,  t.  I,  pp.  68-83,  pp.  98  et  suiv.  —  En  iUO.  aprè.s  le  con- 
cile de  Florence ,  le  grec  put  être  appris  dans  quatre  ou  cinq  villes  de  l'Italie. 


6  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

Deventer,  en  Hollande,  que  fut  ëlablie  la  première  école  qui  contribua  à 
la  culture  et  aux  progrès  des  études  philologiques,  à  leur  propagation 
dans  toutes  nos  provinces  :  la  suite  de  ce  travail  montrera  quelle  fut  l'im- 
portance de  cette  institution  ,  qui  eut  pour  auteur  Gérard  Groote  (Gerardus 
Magnus)  vers  la  fin  du  XIV™"  siècle,  et  qui  fleurit  pendant  tout  le  siècle 
suivant.  Mais  nous  devons  rapporter  ici  tout  d'abord  de  quelle  consé- 
quence fut  la  fondation  de  l'université  de  Louvain,  qui  eut  lieu  en  1426, 
pour  l'éducation  de  l'esprit  national,  surtout  pour  l'éveil  des  idées  litté- 
raires. Avant  d'entreprendre  l'histoire  de  l'institut  consacré  spécialement 
aux  langues  savantes,  jetons  un  regard  sur  les  cent  années  antérieures  : 
notre  marche  sera  d'autant  plus  sûre,  que  nous  aurons  réuni  par  avance 
des  données  plus  précises  sur  l'état  intellectuel  de  notre  pays  dans  l'espace 
de  temps  qui  sépare  l'établissement  de  l'école  académique  de  Louvain,  de 
l'érection  du  collège  qui  devait  lui  donner  un  nouveau  lustre. 

A  cet  etïet,  nous  partagerons  nos  aperçus  historiques  sur  l'université 
de  Louvain  en  deux  sections,  dont  l'une  concerne  la  partie  du  XV'"=  siècle 
qui  a  suivi  sa  fondation,  et  l'autre  les  premières  années  du  XVI""=  siècle. 
Nous  aurons  à  dire  ce  qui  s'est  fait  dans  l'université  et  en  dehors  d'elle 
pour  la  cause  des  études  littéraires,  et  comme  ces  études  avaient  déjà  été 
poursuivies  en  Italie  avec  beaucoup  d'ardeur  et  de  passion,  nous  ferons 
suivre  ces  préliminaires  de  quelques  considérations  sur  l'origine,  l'esprit 
et  les  conséquences  de  la  renaissance  des  lettres. 


§  I. 

L'uMVERSrrÉ    DE    LOt'VAIN    Al    W""    SIÈCLE. 

L'école  des  hautes  études,  fondée  à  Louvain,  en  1426,  sous  le  règne 
de  Jean  IV,  duc  de  Brabant,  et  par  l'autorité  du  pape  Martin  V,  est  une 
des  premières  universités  qui  aient  été  établies,  d'un  commun  accord 
entre  les  papes  et  les  souverains,  dans  les  contrées  du  nord  de  l'Europe  ^ 

'  Voir  touchant  les  circonstances  de  sa  fondation,  et  les  particularités  qui  composent  son  histoire 
externe,  le  Premier  et  le  Deuxième  Mémoire  de  M.  de  ReilFenberg  Sur  les  deux  premiers  siècles  de 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  7 

Ouverte  au  centre  des  provinces  belgiques ,  elle  fut  un  point  de  réunion 
pour  toute  la  jeunesse  qui  avait  été  forcée  jusque-là  de  chercher  l'instruc- 
tion dans  les  écoles  étrangères,  à  l'université  de  Paris  et  même  à  celle 
de  Bologne  K  Nul  doute  que,  dès  son  premier  siècle,  elle  n'ait  eu  la 
puissance  d'exciter  les  esprits  aux  mêmes  études  qui  étaient  en  honneur 
dans  les  pays  voisins. 

C'est  la  faculté  des  arts  qui  fut  constituée  la  première  dans  l'établisse- 
ment brabançon,  tandis  que  l'enseignement  de  la  théologie  ne  fut  octroyé 
et  organisé  que  cinq  années  après  son  ouverture  (1451).  La  philosophie 
et  ses  auxiliaires  eurent  donc  des  chaires  au  centre  de  notre  pays,  au  mo- 
ment où  l'éducation  des  classes  élevées  avait  besoin  d'une  direction  plus 
forte;  les  élèves  de  la  vénérable  faculté  des  arts  {Venetwida  Facullas  Arthim) 
jouirent  de  bonne  heure  des  libertés  et  immunités  promises  aux  docteurs 
et  aux  maîtres  es  arts  dans  les  autres  universités  du  monde  chrétien  2; 
les  artistes  ou  les  artietis  formaient  le  noyau  de  toute  école  complète,  et 
leurs  grades  avaient  la  même  valeur  dans  les  écoles  d'autres  pays  que  dans 
celle  d'où  ils  sortaient.  D'autre  part,  ses  premiers  professeurs  soutinrent 
les  prérogatives  qui  lui  avaient  été  concédées  contre  le  mauvais  vouloir 
de  ceux  des  magistrats  ou  des  princes,  qui  craignaient  toute  atteinte  portée 
à  leur  juridiction.  Quoique  la  faculté  des  arts  n'ait  pas  conservé  le  premier 
rang  parmi  les  corps  dont  se  composait  l'université,  elle  a  été  l'objet  de 
faveurs  marquées  dans  l'ordre  de  celles  qui  servaient  alors  h  honorer  les 
études;  avant  qu'un  siècle  se  fût  écoulé,  c'était  déjcà  une  récompense  très- 
haute  de  ses  services  que  ce  privilège  des  nominations,  ou  le  droit  de 
nommer  à  certains  bénéfices  ecclésiastiques,  qui  lui  fut  accordé  par  le 

l'université  de  Loiwain,  t.  V  et  Vil  des  Nouveaux  Mémoires  de  l'Acad.  royale  de  Bruxelles,  el  le 
chap.  IV  de  l'essai  de  M.  Th.  Jusie  sur  l'Hist.  de  l'inst.publ.en  Be/g^jçiie  (Bruxelles,  18-46). 

'  D'ancienne  date,  la  plupart  des  jeunes  gens  de  la  haute  noblesse  allaient  faire  leurs  cours  de 
droit  à  Cologne,  et  y  prendre  des  grades  :  Velerum  exemplo,  dit  V.  André,  à  propos  de  Fr.  Bus- 
leiden  et  de  ses  frères  (Exordia,  p.  5).  L'université  de  Cologne,  fondée  en  1385,  avait  été  fiéqnen- 
tée  aussi  par  des  Belges. 

-  Consulter  sur  ce  point  les  historiens  de  l'université  de  Paris,  Crevier,  par  exemple  (t.  I  et  11  de 
son  Histoire),  et  comparer  avec  les  règlements  de  cette  école  les  pièces  analysées  par  V.  André  et 
publiées  dans  le  recueil  des  Privilégia  Academiae  I.ovaniensis. 

Tome  XXVill.  3 


8  MEMOIRE  SIR  LE  COLLÈGE 

pape  Lëon  X,  et  qui  fui  ensuite  confiinjé  et  étendu   ])ar  Clément  MI  *. 

Nous  n'avons  pas  à  nous  étendre  ici  sur  l'organisation  intérieure  de 
cette  faculté,  et  sur  la  distribution  et  les  titres  des  matières  de  phi- 
losophie qui  composaient  son  enseignement  '^;  mais  nous  insisterons 
(juelque  peu  sur  l'existence  fort  ancienne  d'une  chaire  spéciale  de  rhéto- 
rique et  d'éloquence  5  qui  appartint  en  propre  à  la  faculté  des  arts.  Cette 
chaire  fut  créée  dès  l'an  1445,  en  même  temps  que  la  chaire  d'éthique  ou 
de  philosophie  morale,  de  l'autorité  du  pape  Eugène  IV,  et  elle  donna  droit 
à  ceux  qui  la  remplirent  au  titre  de  chanoine  de  l'église  de  S'-Pierre.  «  11 
fut  réglé,  le  14  mars  1446,  que  la  leçon  de  rhétorique  se  donnerait  dans 
les  écoles  des  arts  {in  Sclwlis  Arlimn),  que  les  bacheliers  seraient  tenus  de 
la  fréquenter  et  de  prouver  leur  fréquentation  par  un  certificat  du  profes- 
seur {Lectoris  Hlielorices).  »  On  a  conservé  le  nom  de  la  plupart  des  titu- 
laires de  cette  chaire  jusqu'à  la  fin  du  XV™"  siècle,  et  on  a  des  preuves 
(le  l'intérêt  qui  s'attacha  à  leur  enseignement  au  sein  de  l'université  ^. 

Quand  le  premier  professeur  nommé,  Jean  Block,  licencié  en  théologie, 
pléban  de  Iloogstraeten,  fut  mort  en  1455,  la  faculté  des  arts  réclama  le 
concours  de  toutes  les  facultés  afin  de  pourvoir  dignement  à  la  chaire  de 
rhétorique;  elle  voulut  donner  part  dans  la  nomination  qui  allait  se  faire 
à  toute  l'université,  dont  l'honneur  se  trouvait  désormais  engagé  dans  le 
succès  et  l'éclat  du  cours  d'éloquence  *.  On  admit  à  la  possession  de  la 

'  V.  André,  Fusti  Acadcmici,  éd.  1650,  pp.  259-240.  —  Le  premier  de  ces  papes  a  pu  la  com- 
parer à  une  source  d'où  avaient  jailli  les  autres  facultés,  et  la  glorifier  d'avoir  donné  à  la  théologie 
même  des  hommes  très-lettrés  [viris  lileralissitiiis)  qui  ont  hrillé  comme  des  flamheaux  élincelanls. 
—  Voy.  de  Reiffenberg,  Troisième  Mémoire,  p.  8. 

-  Lire  sur  la  faculté  des  arts  dans  les  universités  de  l'Allemagne  au  XV""'  siècle,  Karl  von  l'iau- 
mer,  Geschichtc  cler  Pàdagoyik  seit  dcm  Wiederaufbliihen  der  classischen  Studien  ,  t.  IV.  Stuttgart , 
1834,  pp.  20-23. 

•''  Voy.  V.  André,  Fasli,  pp.  245-247;  de  Reift'enberg,  Cinquième  Mémoire,  pp.  21-22. 

■'•  Nous  citons  V.  .^ndré  (pp.  246-247)  qui  n'a  fait,  sans  doute,  qu'analyser  d'anciens  actes: 
Facilitas  Artiiim ,  sollicita  et  satagens  pro  suecessore,  requisivii  ad  hoc  reliquas  Facilitâtes,  digna- 
ventur  cooperari  circa  provisioncm  diiiae  leclionis  :  coin  prii)}is  attento,  qiiod  leclura  rheloricae 
(irdinata  essel  secundiim  formam  bullae  apostolicae  desuper  editae,  ad  lUilitalem  cl  honcstatcm 
nediim  Faciiltatis  Arlium,  sed  totius  Universitatis;  ad  quam  cum  honore  et  fritclu  obeundam  necesse 
sit  digère  el  itistituere  Leclorem  seu  Professorem  Rlielorices  varia  scienlia  et  insigni  cloquentia  in 
primis  commeiidubilem ,  ad  qiiem  sludiosi  in  quulibet  factillate  recursmn  habeanl ,  quique  faniu  nu- 
minis  sui  impkat  exornetque  tolam  universitatem. 


DES  TROIS-LANGI'ES  A  LOUVAIN.        .  9 

chaire  et  de  la  prébende  Hugues  de  Harlem,  qui  avait  été  présenté  par  le 
magistrat  de  la  ville,  et  qui  s'était  muni  du  consentement  du  doyen  de 
S'-Pierre.  H  eut  pour  successeur  Petrus  à  Piivo,  ou  Vanderbeke,  qui  fit 
sa  première  leçon  le  G  juillet  1460,  et  qui  plus  lard  devint  docteur  et 
professeur  en  théologie  '.  Après  1472,  sinon  plus  tôt,  il  fut  remplacé  par 
Henri  Deulin,  de  Merville,  membre  du  conseil  de  l'université,  et  quand 
celui-ci,  qui  avait  été  promu,  en  1477,  au  doctorat^,  occupa,  en  1490,  la 
chaire  de  droit  canon,  la  leçon  d'éloquence  fut  conférée  à  ce  même  Jean 
Paludanus  ou  des  Marais,  dont  le  nom  figurera  encore  dans  l'histoire  lit- 
téraire du  XV!"""  siècle. 

C'en  est  assez  pour  qu'on  croie  à  l'existence  d'études  littéraires  qui 
complétaient  les  études  de  grammaire,  accomplies  auparavant  par  les 
jeunes  gens  admis  à  faire  leur  cours  de  philosophie  à  la  faculté  des  arts  :  le 
professeur  qui  les  dirigeait  était  appelé  professeur  d'éloquence,  et  encore 
rhéteur  :  Rhelor  publictis ,  ïihetor  Lovaniensis,  Rhelor  Academicus. 

La  faculté  des  arts,  qui  avait  vu  s'accroître  le  nombre  de  ses  collèges, 
devint  de  plus  en  plus  le  foyer  des  travaux  préparatoires  qui  devaient 
conduire  de  la  connaissance  mûrie  de  la  langue  latine  à  la  lecture  de 
nombieux  auteurs.  Alors  qu'il  n'y  avait  des  cours  d'humanités  que  dans 
un  petit  nombre  d'écoles  du  pays,  il  fut  urgent  d'établir  des  leçons  de 
grammaire  dans  les  anciennes  pédagogies  de  Louvain  ^.  Celle  où  l'on 
s'occupa  davantage  de  la  langue  et  des  lettres  fut  la  pédagogie  du  Lis,  le 
Liliiim,  qui  s'ouvrit  peu  d'années  après  Pérection  de  l'université  (1457). 
Son  fondateur,  qui  fut  aussi  son  premier  président  pendant  un  laps  de  cin- 
quante-six ans,  Carolus  Virutm,  ou  Charles  Manneken,  originaire  de  Gand, 
s'occupa  lui-même  des  méthodes  d'enseignement,  et  se  piqua  de  donner  une 


'  Le  même  P.  à  Rivo,  d'Assclie,  qui  mourut  le  27  janvier  1499,  eut  quelque  célébrité  connue 
théologien,  surtout  à  propos  d'une  controverse  De  fuluris  conlingentibus.  Il  était  recteur  en  1477, 
lors  de  l'arrivée  de  rarcliiduc  Maxiniilien  en  Brabant.  Voy.  Fasli  Acad.,  pp.  93-94;  Foppens . 
pp.  1004-lOOS. 

-  Fasti,  p.  173. 

■'  Sur  les  deux  anciennes  pédagogies  du  Château  et  du  Porc,  Paedagogium  caslri,  Paedagoghim 
Standonck  vulgn  Porci,  voy.  les  Fasti,  pp.  232,  236,  et  sur  le  Vctiis  Falco,  première  formede  l'éta- 
blissement agrandi  au  siècle  suivant  sous  le  litre  de  Falco  ou  Collège  du  Faucon,  pp.  263-264. 


10  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

nouvelle  direction  aux  éludes  de  grammaire  :  si  l'on  prit  plus  tard  en  pitié 
la  bizarrerie  des  règles  qu'il  composa,  il  eut  de  son  temps  le  renom  d'un 
promoteur  des  belles-lettres  ^,  et  l'on  ne  peut  du  moins  lui  refuser  le  mé- 
rite d'avoir  rempli  cette  tâcbe  avec  autant  de  persévérance  que  de  sincé- 
rité, cl  d'avoir  attiré  de  ce  côté  l'attention  et  les  sympathies  de  la  jeunesse. 

Ainsi,  quoiqu'il  soit  impossible  de  défendre  tout  à  fait  les  Formulac 
epistolares  des  sarcasmes  de  l'âge  suivant  ^5  il  faut  rendre  justice  à  cette 
science  pratique  par  laquelle  Virulus  se  mettait  à  la  portée  de  la  jeunesse 
à  tous  les  instants  de  chaque  journée,  à  ce  dévouement  entier  qu'il  fai- 
sait de  sa  personne  à  la  propagation  de  sa  méthode.  Vives,  qui  n'était  ni 
entêté,  ni  pédant,  a  relevé  le  mérite  personnel  et  le  zèle  de  Virulus  dans 
son  traité  sur  l'enseignement  des  sciences  ^.  Paquot  a  été  bien  plus  sévère 
à  l'égard  de  Virulus  et  des  plus  anciens  maîtres  de  grammaire  et  de  style*  : 
Erasmus  aliique  fontes  lîomani  Eloquii  multis  saeculis  prope  ùjnotos  pulcris  illis 
DicTAMiMBUs,  scu  varlis  ineptis  ac  squalidis  praecepùonibus ,  quales  etiam  in  noslro 
Carolo  Virulo  cernere  est ,  substituer unt. 

Les  traités  alors  répandus  en  Belgique,  pour  l'étude  delà  grammaire, 
appartenaient  à  cette  classe  de  lourdes  élucubrations,  sur  laquelle  s'est 
exercée  la  verve  des  critiques  de  la  Renaissance  :  Érasme  s'est  élevé  avec 
tant  d'autres  contre  ces  oracles  de  l'éducation  ^,  qui  participaient  à  la  fois 
de  la  subtilité  et  de  la  prolixité  portées  d'ordinaire  au  moyen  âge  dans 
l'exposé  des  principes  de  toutes  les  sciences;  ces  mêmes  livres'',  ne  l'ou- 
blions pas,  avaient  conservé  un  égal  empire  dans  les  écoles  qui  relevaient 

'  Voy.  Fasli,  p.  262.  —  Car.  Virulus,  qui  niourul  en  1493,  est  appelé  dans  son  épitaphe:  Uni- 
versilalis  quoque  Lovaniensis  in  liUeris  humanis  el  omni  humaniUile  i/ccus. 

'^  Ce  livre  de  Virulus  sur  le  style  épislolaire  ou  plutôt  sur  l'art  d'écrire,  qui  eut  deux  éditions 
il  Louvain  en  1476,  fut  réimprimé  plusieurs  fois  dans  les  années  suivantes,  par  exemple,  à  Lou- 
vain,  à  Paris,  à  Deventer  et  ailleurs.  Voy.  de  Reiffenberg,  loc.  cit.,  p.  19  (note  3). 

'  De  tradeiidis  discipliiiis ,  t.  IV,  lib.  I,  p.  336.  Voy.  l'analyse  de  ce  traité  dans  le  mémoire  de 
M.  Namèche  sur  Louis  Vives,  pp.  Cu-7o. 

^  Fasli  MS.,  t.  I,  p.  397. 

■'  Le  Graecisunis  d'Evrard  de  Béthune ,  le  Catliolicon  de  Jean  Balbi  de  Gènes,  le  Mcwimolrectus 
de  Joannes  de  Garlandia.  Voy.  le  Troisième  Mémoire  de  Reiffenberg ,  pp.  10-16,  el  le  mémoire  cité 
sur  Y  Instruction  publique  au  moyen  âge,  pp.  lloetsuiv. 

f'  Voy.  dans  le  curieux  ouvrage  des  Eludes  classiques  dans  la  société  chrétienne,  par  le  P.  Daniel 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  H 

à  un  degré  quelconque  de  l'université  de  Paris,  arbitre  de  tout  enseigne- 
ment dans  l'ancien  royaume  de  France. 

Une  méthode  fort  simple  d'exposer  la  grammaire  devait  ressortir  un 
jour  d'une  lecture  familière  d'un  grand  nombre  de  bons  auteurs.  Mais 
au  XV""  siècle,  en  plusieurs  écoles  de  notre  pays,  on  ne  connaissait  les 
anciens  que  par  l'intermédiaire  d'écrits  de  l'antiquité  chrétienne,  dont  les 
copies  avaient  été  fort  multipliées  au  moyen  âge  :  tels  étaient  les  ouvrages 
de  Boèce,  et  la  grande  compilation  d'Isidore  de  Séville,  connue  sous  le 
nom  d'Origines  ou  d'Elymologiae.  Boèce,  comme  écrivain  et  comme  pen- 
seur, avait  eu  dans  tous  les  siècles  une  célébrité  non  interrompue;  dans 
son  traité  fameux  de  Consolalione  pliilosophiae,  le  culte  de  la  philosophie 
platonicienne  s'alliait  à  la  profession  fervente  des  dogmes  chrétiens  '.  On 
le  mettait  au  nombre  des  plus  sages  d'entre  les  clercs  de  la  vénérable  anti- 
quité, maison  l'y  distinguait  de  ceux  qui  avaient  vécu  dans  le  paganisme. 
Un  ancien  poëte,  qui  lui  donnait  la  septième  place  après  Cicéron,  Salomon, 
Sénèque,  Térence,  Lucain,  Perse,  Alard  de  Cambrai  n'avait  point  de 
réserve  à  faire  pour  lui  -  : 

Boèces  est  après  nommés; 
Cil  n'est  pas  repris  ne  blâmés 
Par  faute  de  boine  clergie. 

Sous  le  nom  de  Boèce  circulaient  aussi  des  ouvrages  de  dialectique  ; 
précieuses  versions,  grâce  auxquelles  revient  à  Boèce  l'insigne  honneur 
d'avoir  conservé  dans  le  monde  latin  la  pensée  aristotélique.  C'était  bien 
là  entrevoir  l'antiquité  sous  ses  grands  aspects,  et  il  y  avait  dans  les 
pages  de  la  Consolation  de  quoi  exciter  la  curiosité  des  générations  sui- 
vantes, qui  ne  connaissaient  point  encore  les  œuvres  littéraires  oîi  Boèce 
s'était  inspiré.  Sa  composition  principale  était  populaire  autant  qu'aucune 

(Paris,  1 853 ,  t  vol.  in-S");  le  chapitre  VI ,  ÏUniversité  du  XIU'"  au  XF'"  siècle,  pp.  137  et  suiv., 
pp.  158,  176-178. 

'  Cons.  la  dissertation  de  M.  Toussaint,  De  la  philosophie  de  Boèce,  et  spécialement  le  chapitre 
sur  l'influence  de  sa  philosophie.  Louvain,  1848,  in-8",  pp.  80  et  suiv.,  pp.  102-115. 

-  Extrait  de  son  poeine  :  Li  livres  extrais  de  pliilosofie  et  de  moralité.  Voy.  la  thèse  de  M.  Fran- 
cisque Michel  :  Quae  vices  Virgilium  in  média  aevo  exceperint.  Paris,  1846,  p.  52. 


12  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

autre  au  XV"*^  siècle;  elle  vit  le  jour  en  trois  langues  dans  les  premières 
années  où  l'art  nouveau  de  la  typographie  fleurit  en  Belgique  ^ 

Déjà  les  allusions  continuelles  aux  monuments  littéraires  de  R^ome  cl 
de  la  Grèce,  que  renfermaient  de  pareils  ouvrages,  excitaient  naturelle- 
ment chez  les  lecteurs  le  désir  d'en  connaître  l'original,  d'en  étudier  le 
texte,  quand  il  sortirait  un  jour  de  la  poussière  des  bihliothèques  :  un  tel 
désir  était  l'éveil  de  l'esprit  scientifique  qui  allait  s'attacher  bientôt  à  l'in- 
vestigation des  choses  de  l'antiquité.  Le  siècle  de  la  découverte  de  l'im- 
primerie ne  se  passa  pas  pour  la  Belgique,  sans  que  ce  besoin  intellectuel 
fût  satisfait  en  quelque  mesure  :  on  verra  dans  les  pages  qui  vont  suivre 
que  cet  art  paya  son  tribut  aux  lettres  en  même  temps  qu'aux  sciences, 
et  que  plusieurs  auteurs  latins  de  premier  ordre  furent  imprimés  à  Lou- 
vain,  dans  les  trente  dernières  années  du  siècle  oîi  l'art  lui-même  fui 
inventé.  Des  matériaux,  des  textes  ne  manquèrent  donc  pas  aux  esprits 
d'élite  qui,  par  des  efforts  partiels,  tâchaient  de  s'approprier  la  langue  des 
anciens  auteurs,  et  pressentaient  la  prochaine  régénération  des  études 
littéraires  en  général. 

Il  faut  encore  tenir  compte  d'une  autre  influence  qui  agit  à  Louvain, 
comme  dans  nos  provinces  du  midi,  en  faveur  des  lettres  :  l'institution 
des  frères  de  la  vie  commune  -,  dits  aussi  Uiéronymites  (Clerici  regulares 
S.  Ilieromjmi),  institution  qui  avait  son  siège  à  Deventer,  se  répandit  en 
plusieurs  villes  ^  et  grâce  à  ses  soins,  la  connaissance  du  latin  gagna  tous 
les  jours  dans  l'éducation  de  la  jeunesse.  Si  l'Italie,  en  ces  mêmes  épo- 

'  La  Consolation  de  Boèce  paraissait  en  français,  à  Bruges,  en  1477,  in-folio;  c'était  une  des 
premières  éditions  de  Colard  Mansion.  Voy.  la  Notice  de  M.  van  Praet  sur  cet  imprimeur.  Paris. 
1829,  p.  22,  et  l'ouvrage  récent  de  M.  A.  Bernard  :  De  l'origine  et  des  débuts  de  l'imprimerie, 
part.  Il,  pp.  389-590.  La  version  flamande  parut  à  Gand,  en  1485,  et  le  texte  latin  ,  à  Louvain  , 
en  1482  et  1487,  in-4",  chez  Jean  de  Westplialie. 

-  L'écrit  hollandais  de  M.  Delprat  sur  la  Corporation  de  Gérard  Groot  et  sur  XInfluence  des 
maisons  de  frères ,  etc.  (Utrecht ,  1 830,  in-S") ,  a  été  mis  à  profit  par  plusieurs  écrivains  modernes , 
et  a  été  traduit  en  allemand  par  M.  Mohnike  (Leipzig,  1840). 

^  Lire  l'énuniération  de  leurs  écoles  dans  nos  villes  principales,  dans  le  mémoire  cité  sur  l'y»- 
struction  publique,  pp.  97-101.  Le  nombre  de  leurs  maisons,  qui  était  de  quarante-cinq  en  1430, 
avait  triplé  en  1460.  Voy.  Hallani ,  Littér.  de  l' Europe,  l.  I.  pp.  109-1 10.  et  de  Pieiffenberg.  Troi- 
sième Mémoire,  pp.  27  et  suiv. 


DES  TROIS-LANGLES  A  LOLVAIIN.  13 

ques,  s'occupait  déjà  à  mettre  au  jour  les  œuvres  de  l'aïuiquilé,  un  avan- 
cerait sans  exagération  aucune  que  l'instruction  n'y  était  pas  mieux  enten- 
due et  plus  soignée  que  dans  ces  écoles  nées  du  dévouement  de  quelques 
liommes  sur  le  sol  de  la  Hollande,  et  ensuite  de  la  Belgique.  Leur  attention 
se  portait  à  la  fois  sur  l'éducation  du  peuple  et  sur  celle  des  classes  éle- 
vées. Les  vues  qui  les  guidaient  en  toutes  choses  étaient  chrétiennes,  et 
cependant  ils  renonçaient  ouvertement  aux  formes  de  la  scolastique  *. 

Les  travaux  des  Iliéronymites  ne  furent  point  stériles  pour  l'avancement 
des  lettres  classiques  :  il  y  eut  des  memhres  de  cette  école  qui  écrivirent  à 
l'imitation  des  anciens  auteurs  ;  il  y  en  eut  d'autres  qui  s'appliquèrent  aussi 
h  la  correction  des  manuscrits,  et  même  qui  mirent  la  main  un  peu  plus 
tard  à  la  publication  des  textes. 

Vers  le  milieu  du  XV™"  siècle,  plusieurs  membres  distingués  de  l'école 
de  Deventer  voyagèrent  en  Europe,  et  firent  en  Italie  un  séjour  assez  loua 
pour  être  initiés  à  tous  les  genres  de  recherches  qui  avaient  pour  objet 
l'antiquité,  son  histoire  et  ses  langues;  l'influence  de  ces  hommes  fut 
grande  partout,  à  leur  retour  dans  les  Pays-Bas.  De  ce  nombre  furent 
Joannes  Wesselus  et  Rodolphus  Agricola,  qui  s'abouchèrent  en  tout  pays 
avec  les  hommes  les  plus  avancés  en  chaque  science.  Le  premier,  qui  sortait 
de  l'école  de  ZwoUe,  revint  dans  sa  patrie  après  avoir  fait  un  long  séjour 
à  Paris,  puis  en  Italie,  où  il  fréquenta  Bessarion  et  les  personnages  les 
plus  lettrés  :  il  dirigea  les  études  d'une  nombreuse  jeunesse  et  partagea  ses 
propres  études  entre  la  Bible  et  les  anciens  auteurs  ^. 

C'est  surtout  Piodolphe  Agricola  ou  Iluesman,  dont  l'exemple  dut  réagit 
sur  l'opinion  que  l'on  se  faisait  des  lettres  à  Louvain  et  dans  d'autres  villes 
de  la  Belgique.  Il  était  venu  prendre  à  Louvain,  en  1465,  le  bonnet  de 
maître  es  arts,  et  il  y  avait  obtenu  les  honneurs  suprêmes  dans  la  promo- 
tion de  philosophie;  là  déjà  il  s'adonna  à  la  lecture  des  écrivains  latins. 

'   Voy.  tieeren,  Gesch.  der  class.  LUer.,  B.  Il,  pp.  160-170. 

-  La  part  que  Wesselus  donna  aux  Écritures  dans  les  travaux  de  son  école,  l'a  fait  considérer 
en  Allemagne  et  en  Hollande,  mais  sans  preuves  décisives,  comme  un  théologien  protestant 
d'avant  Luther.  Voy.  Ullmann,  Johann  Wessel  (Hamburg,  1834),  et  des  dissertations  latine* 
publiées  à  Utrecht  et  à  Amsterdam,  en  I8.3I  et  18-iO.  —  Wesselus  reçut  les  surnoms  de  Lux 
mimdi  et  de  Magister  Controversianwt. 


14  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

particulièrement  de  Cicéron  et  de  Quinlilien  ^.  Agricola  revint  de  l'Italie 
helléniste  habile,  après  avoir  entendu  les  leçons  de  Théodore  Gaza,  et  il 
enseigna  la  langue  grecque  à  Alexandre  Hégius,  qui  en  fonda  l'étude  dans 
le  cercle  fort  étendu  de  ses  relations  -;  suivant  Érasme^,  Agricola  était 
l'homme  qui  avait  le  plus  de  culture  littéraire  en  deçà  des  Alpes,  et  il  a 
obtenu  de  lui  pour  son  goiil  d'humaniste  le  nom  de  il/«ro,  pour  son  savoir 
en  grec  l'épi ihète  de  Graedssimus. 

La  direction  de  Deventer  fut  dès  l'an  1408  entre  les  mains  d'Alexandre 
Hégius,  qui  mit  en  honneur  l'érudition,  et  qui  fournit  la  carrière  la  plus 
laborieuse,  dégagée  de  toute  ambition  personnelle  *.  11  a  laissé  peu  d'écrits, 
mais  formé  de  nombreux  élèves  dignes  de  renommée  ^.  Plusieurs  d'entre 
eux  brillèrent  au  siècle  suivant  en  Belgique  et  en  Allemagne,  et  se  distin- 
guèrent par  un  enthousiasme  pour  la  culture  classique  plus  modéré,  plus 
sage,  moins  païen  que  celui  des  Italiens,  comme  le  voulait  l'esprit  reli- 
gieux qui  avait  régné  dans  l'école.  Après  Érasme,  qui  entendit  Hégius  à 
l'âge  de  neuf  ans  (vers  147G),  citons  Hermann  von  dem  Busch,  qui  visita 
l'Italie  en  1480,  et  brilla  dans  plusieurs  universités '';  J.  Murmellius,  de 
Ruremonde,  qui  enseigna  à  Munster  pendant  quatorze  ans  ";  J.  Caesarius, 
de  Juliers,  un  des  premiers  éditeurs  de  Pline;  J.  Horlenius  et  Timannus 
Camener,  directeurs  d'écoles  publiques  à  Herford  et  à  Munster;  enfin, 
Conrad  Goclenius,  latiniste  plus  tard  célèbre  du  collège  desTrois-Langues. 

'  Voy.  de  Heiffenberg,  Troisième  Mémoire,  pp.  29-31  ;  Hallam,  loc.  cil.,  1. 1 ,  pp.  184,  209-210; 
Raiimer,  Gescli.  dcr  Paedagocjih ,  B.  I ,  s.  77-83.  C'est  à  Heidelberg,  à  la  cour  de  l'éleeleur  palatin  , 
que  se  passèrent  les  dernières  années  d'Agricola,  qui  mourut  en  1485. 

-  Suivant  une  conjecture  de  Hallam  [Ibid.,  1. 1,  p.  182,  note),  un  traité  de  l'école  de  Deventer 
sur  la  conjugaison  grecque  :  Conjugaliones  verbortim  linyuae  graecae,  Davcntriae  novo  extremo 
labore  collectae  et  impressae,  in-4",  daterait  de  l'an  1480,  et  serait  le  premier  essai  de  typogra- 
phie grecque  dans  les  pays  cisalpins. 

^  In  Adag.  quid  cani  cum  balneo?  —  0pp.  Il,  p.  166  c. 

*  Hégius  mourut  en  1498.  Voy.  Revii  Davenlriu  illustrata,  libri  VI.  Lugd-Bal.,  1651,  pp.  129-1 30. 

■''  Voy.  Raumer,  Gesch.  der  Paedagogik,  B.  I,  s.  86-90. 

"  Herniannus  Buschius,  qui  habita  le  Lis,  à  Louvain,  vers  1321 ,  mourut  en  1534.  Sur  sa  car- 
rière voy.  le  discours  de  Perizonius  cité  par  de  Reiffenberg ,  Troisième  Mémoire,  p.  36,  et  Raumer, 
Op.  cit.,l.  I,  pp.  91-93. 

'  Murmellius  revint  en  Hollande  en  1314  et  mourut  en  1317,  à  Deventer.  Nous  citerons  de  ses 
écrits  entre  autres  le  Scoparius  ad  pro/Uyandam  barhariem  e  svholis. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  15 

On  ne  saurait  mettre  en  doute  que  renseignement  de  Deventer  et  des 
écoles  qui  en  relevèrent  à  un  degré  quelconque  n'ait  concouru  à  déterminer 
quelques  vocations  pour  l'étude  de  la  grammaire  et  des  langues  anciennes 
dans  la  jeunesse  universitaire  de  Louvain  :  les  idées  se  modifièrent,  K' 
besoin  d'une  méthode  régulière  se  fit  sentir;  c'est  du  collège  du  Lis,  où 
avaient  régné  les  préceptes  de  Virulus,  que  sortit  Jean  Despautère,  un  des 
réformateurs  de  la  grammaire  latine,  et  c'est  là  même  où  nous  le  verrons 
enseigner  au  commencement  du  siècle  suivant. 

Quant  au  grec,  le  nombre  de  ceux  qui  s'en  occupèrent  fut  encore  très- 
restreint,  ce  qu'il  faut  attribuer  non -seulement  aux  difficultés  inhérentes 
à  l'étude  de  ses  formes  grammaticales ,  mais  encore  à  la  rareté  des  pre- 
miers livres  grecs  imprimés  en  Italie,  rareté  qui  se  fit  sentir  jusque  dans 
les  premières  années  de  l'autre  siècle  ^  Des  obstacles  différents  se  produi- 
saient, au  reste  partout,  en  opposition  à  l'organisation  et  au  développe- 
ment des  études  grecques.  En  Italie,  la  renaissance  latine  leur  faisait 
concurrence;  les  uns,  cédant  à  une  fierté  nationale  poussée  très-loin,  se 
complaisaient  exclusivement  dans  l'étude  des  œuvres  latines,  qui  respi- 
raient la  grandeur  de  l'ancienne  Rome,  les  splendeurs  de  la  civilisation 
antique;  les  autres,  pleins  de  confiance  en  leurs  propres  talents,  se  faisaient 
auteurs  dans  une  pensée  de  rivalité,  et  se  croyaient  être  les  héritiers,  les 
continuateurs  des  anciens  en  les  imitant.  Les  premiers  travaux  nécessaires 
à  la  correction  et  à  la  publication  des  textes  grecs  furent  l'œuvre  des  ré- 
fugiés de  Byzance;  les  éditions  faites  par  les  érudils  italiens  ne  vinrent 
qu'après  ^.  En  Allemagne  même,  ce  n'est  pas  des  universités  que  sortit 
l'initiative  en  faveur  des  classiques;  la  connaissance  du  grec  fut  encore 
très-rare  en  ce  siècle  de  transition  :  il  semble  que  le  seul  homme  qui  y  ait 
atteint  une  force  remarquable  ait  été  Jean  Reuchlin  ;  le  premier,  en  ce 
pays,  il  aurait  fait  à  Bàle,  vers  1473,  des  leçons  sur  les  auteurs  grecs,  et 
amassé  une  collection  de  manuscrits  en  cette  langue  ^.    Encore   sait-on 

'   Hatlani,  Liltér.  de  l'Europe ,  t.  l,  pp.  '232-233. 

*  Sur  ces  deux  époques,  voy.  YHisloire  de  la  liltérat.  grecque  de  Sclioell,  t.  VII. 

'»  Hallam ,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  232;  Raumer,  op.  cit.,  t.  I,  pp.  120  et  i27.  J.-G.  Eichliorn  n'a  pu 
contredire  ce  fait  dans  son  ouvrage  connu  d'histoire  littéraire,  qui  forme  dix  volumes,  publiés  ;'i 
GoUingue,  de  180S  à  1811.  Voy.  GeschiclUe  der  Literatur,  B.  IH,  Tli.  I,  p.  232  u.  foUj. 
Tome  XXVIIL  4 


16  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

suffisaninienl  que  Reuchlin  s'est  appliqué  avec  prédilection  à  l'hébreu  et 
à  la  philosophie  Kabbalistique. 

Eu  France,  les  livres  grecs  étaient  rares  et  chers;  et  ce  n'est  que  de- 
puis l'an  1458  que  l'enseignement  de  la  langue  fut  organisé  et  commença 
à  prendre  faveur  à  l'université  de  Paris  ^  L<à  aussi  l'étude  du  grec  était  le 
plus  souvent  une  affaire  individuelle,  et  les  leçons  du  Grec  Hermonyme, 
de  Sparte,  payées  fort  cher,  étaient  de  peu  de  fruit,  au  dire  de  tous  les 
humanistes  du  temps  qui  les  ont  suivies.  Cependant,  c'est  en  fréquentant 
l'université  de  Paris  que  plusieurs  jeunes  gens  de  nos  provinces  ont  pu 
acquérir  des  notions  de  grec,  et  provoquer  ainsi  dans  l'esprit  de  quelques- 
uns  de  leurs  compatriotes  un  sentiment  de  salutaire  émulation  ;  il  fallait 
des  exemples  avant  que  l'opinion  se  formât. 

Au  XV""  siècle,  l'hébreu  fut  moins  connu  chez  nous  que  le  grec;  cepen- 
dant, de  proche  en  proche,  son  étude  gagna  du  terrain  :  comment  n'au- 
rait-elle pas  sollicité  la  curiosité  d'un  certain  nombre  d'hommes,  quand 
on  la  vit  embrassée  avec  ardeur  par  des  savants  si  hautement  estimés  que 
l'étaient  Joannes  Wesselus  et  Rodolphus  Agricola,  cités  précédemment 
comme  philologues? 

J.  Wesselus,  de  Groningue,  initié  à  l'hébreu  aussi  bien  qu'au  grec, 
enseigna  la  langue  sainte  dans  plusieurs  villes  où  il  séjourna,  à  Paris 
(1452),  à  Rome  (1470),  à  Bàle  (1475),  à  Heidelberg  (1477);  il  l'enseigna 
de  même,  selon  toute  apparence,  à  Louvain  et  à  Cologne  ^.  Il  ne  fut  pas, 
prétend-on,  sans  influence  sur  le  cours  que  Reuchlin  donna  à  ses  études, 
quand  il  l'eut  rencontré  à  Paris  et  en  Allemagne.  Ce  ne  fut  pas  un  médiocre 
hébraïsant  que  celui  qui  était  alors  en  état  de  lire  l'Ancien  Testament  dans 
le  texte  original^.  Le  second  de  ces  hommes,  Agricola,  eut,  comme  Wessel, 
la  renommée  d'avoir  allié  le  savoir  de  l'hébraïsant  aux  études  de  l'huma- 
niste. Son  exemple  dut  gagner  des  prosélytes  à  l'hébreu  dans  les  Pays- 

'  Voy.  Crevier,  Hisl.  de  l'université  de  Paris,  t.  IV,  pp.  -2iù-^2i6. 

-  Voy.  Hetzel,  Gvsch.  dcr  hebraischen  Sprache,  pp.  15.5-136.  —  Sullr.  Pelii,  Ve  scriploribtis 
Frisiae,  decas  VIII,  c.  4. 

■'  Wesselus  avait  demandé  au  pape  Sixte  IV,  comme  la  plus  grande  faveui',  l'aulorisalion  dem- 
portei-  de  Rome,  en  Belgique,  des  manuscrits  hébraïques  de  la  Bible.  Voy.  Foppens,  Bibl.  Belg., 
p.  1  163,  et  Reifl'cnberg,  Troisième  Mémoire,  p.  36. 


DES  TROIS -LANGUES  A  LOUVAIN.  H 

Bas  :  c'est  en  Italie  qu'il  l'avait  appris  avec  grande  application  dans  ses 
vieux  jours,  sous  la  direction  d'un  juif  converti,  et  on  lui  attribua  une 
traduction  du  Psautier  hébraïque  en  latin. 

Pourquoi  ne  nommerions-nous  pas,  après  Agricola,  cet  Augustin  de 
Hasselt,  né  vers  le  milieu  du  même  siècle,  Gaspar  Ammonius,  versé  dans 
l'hébreu  au  point  de  l'enseigner  plus  tard  à  plusieurs  savants  en  Alle- 
magne, où  il  résida  *  ? 

Enfin,  on  est  en  droit  de  présumer  qu'une  teinture  de  l'hébreu  était 
répandue  dans  une  classe  nombreuse  de  théologiens,  puisqu'on  trouve 
dans  un  livre  de  polémique,  imprimé  à  Louvain  en  1487,  par  Jean  de 
Westphalie  -,  des  citations  hébraïques  imprimées  en  caractères  originaux 
d'une  forme  massive  et  d'un  dessin  peu  élégant,  tandis  que  les  passages 
grecs  y  sont  écrits  à  la  main.  C'était  beaucoup  d'avoir  attiré  l'attention 
des  lecteurs  sur  ces  lettres  étrangères,  qui  n'étaient  plus  des  énigmes 
pour  tout  le  monde  :  les  études  hébraïques  prendront  leur  essor  au  siècle 
suivant  avec  une  telle  rapidité,  qu'il  faut  bien  supposer  les  écoles  prédis- 
posées à  leur  culture. 

§  II. 

l'cnivershé  de  lolvais  de  1500  A  1520. 

Cette  institution  avait  grandi  au  bout  d'un  terme  de  moins  d'un  siècle 
au  point  d'être  comptée  parmi  les  universités  de  premier  ordre  en  Europe, 
et  sa  population  d'étudiants  avait  été  toujours  croissant  en  même  temps 
que  la  renommée  de  ses  docteurs  et  la  solidité  de  son  enseignement  :  on 
n'a  pas  de  peine  à  croire  à  cette  grande  prospérité  dont  parlent  ses  anna- 
listes, non-seulement  si  l'on  interroge  l'histoire  des  maîtres  qu'elle  a  for- 

'  Voy-  Paqiiot,  Mémoires,  l.  I,  pp.  454-435.  La  graniinaiie  que  le  P.  Manlelius  {Husselelum . 
p.  108)  attribue  à  Ammonius,  paraît  6!re  l'œuvre  d'un  autre  lu^braisant,  peut-être  deSéb.  Munster. 
Ammonius  ne  mourut  que  vers  1.524. 

'-  Epislola  apolofjctica  mcigistri  Puuli  de  Middelburgo  ad  duclures  Lovanienses,  petit  in-4°  de 
37  feuillets,  portant  à  la  dernière  page  :  Impressunt  in  aima  universilate  Lovaniensi  per  Joanneui 
de  Westplialia.  Voy.  Lambinet,  De  l'origine  de  l'impritnerie ,  2'"''  éd.,  t.  Il,  pp.  51-32.  —  Le  même 
imprimeur  fit  paraître,  en  1492,  une  édition  de  la  réponse  de  l'antagoniste  de  Paul  de  Middel- 
hourg  :  Pétri  a  Rivo  resp.  ad  epistolam  apologelicam. 


\S  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLÈGE 

mes,  mais  encore  si  l'on  considère  qu'elle  était  l'établissement  d'instruc- 
tion supérieure,  alors  unique,  placé  au  centre  des  États  qui  avaient  passé 
entre  les  mains  des  princes  de  la  maison  de  Bourgogne.  La  Hollande,  la 
Flandre  et  l'Artois,  le  Brabant  et  les  provinces  avoisinantes,  ainsi  que  la 
Bourgogne,  formaient  le  grand  territoire  sur  lequel  s'étendaient  plus  spé- 
cialement ses  immunités  et  privilèges  :  cette  espèce  de  domination  litté- 
raire fut  longue;  elle  ne  fut  concentrée  dans  la  Belgique  proprement  dite 
qu'après  la  séparation  des  Provinces-Unies  au  nord,  et  plus  tard  après  la 
conquête  des  provinces  du  midi  par  Louis  XIV.  La  Faculté  des  arts,  pépi- 
nière des  autres  facultés,  reconnut,  pour  ainsi  dire  à  l'origine,  une  distinc- 
tion de  ses  membres  en  quatre  Nations,  dites  de  Brabant,  de  France,  de 
Flandre  et  de  Hollande  ^  ;  quoiqu'elle  obéît  à  un  autre  souverain ,  la  France 
était  comprise  dans  cette  reconnaissance  des  droits  académiques  concédés 
aux  étudiants  et  aux  gradués  de  diverse  origine.  D'autre  part,  comme  siège 
d'enseignement  général  [sludium  générale),  comme  institution  de  la  répu- 
blique chrétienne  unie  à  toutes  les  autres  de  même  titre  et  de  même  fon- 
dation, l'université  de  Louvain  attirait  à  elle  grand  nombre  d'étudiants  de 

'  On  a  accordé,  ce  nous  semble,  si  peu  d'attention  à  ce  fait  dans  les  derniers  écrits  relatifs  à 
rinslruclion,  que  nous  n'hésitons  pas  à  en  faire  apprécier  les  particularités  dans  une  noie  d'après 
V.  André,  Fasli  academici,  p.  240.  Dès  le  31  janvier  liôo,  on  distingua  quatre  Nations  au  sein  de 
la  Faculté  des  arts  :  Brabanlia,  Gallia,  Flandrki,  Hollandia.  Ainsi  furent  réglées  les  choses  :  sous  le 
nom  de  Brabanlia,  on  comprendrait  tous  les  pays  qui  n'étaient  pas  renfermés  sous  la  dénomination 
d'autres  Nations;  sous  le  nom  de  Gallia ,  tout  le  royaume  de  France,  avec  toutes  ses  possessions,  y 
compris  le  territoire  de  Cambrai;  peu  après,  par  décision  du  25  octobre  1448,  on  adjoignit  à  la 
Nation  de  France  le  pays  de  Liège  et  le  comté  de  Looz.  Sous  le  nom  de  Flandria,  on  comprendrait 
toute  la  Flandre,  les  comtés  de  Hainaut  et  de  Namur,  ainsi  que  la  rille  de  Malines;  sous  le  nom  de 
Uollandia.  la  province  de  Hollande,  la  Zélande,  le  territoire  d'Utrecht,  la  Frise,  et  toute  la  con- 
trée au  nord  voisine  de  la  mer. 

Bientôt  s'introduisit  la  coutume  de  pourvoir  aux  fonctions  et  dignités  de  la  Faculté  des  arts 
dans  l'ordre  des  Nations  qui  la  composaient.  Chaque  Nation  avait  un  procureur,  dont  l'oifice  était 
de  la  convoquer  quand  et  autant  de  fois  qu'il  en  était  besoin.  Les  quatre  procureurs  formaient  avec 
le  doyen  et  les  quatre  présidents  des  pédagogies,  ce  qu'on  appelait  le  petit  conseil  :  le  grand  conseil 
était  formé  par  l'adjonction  de  maîtres  es  arts  et  de  docteurs,  ou  môme  de  gradués  en  d'autres 
facultés.  Cependant,  toutes  les  Nations  délibéraient  ensemble,  soit  dans  les  assemblées  acadé- 
miques générales,  soit  dans  celles  de  la  faculté,  sous  la  présidence  et  en  présence  d'un  seul  et 
même  doven.  Quand  le  recteur  devait  être  élu  dans  la  Faculté  des  arts,  on  le  choisissait  parmi  ses 
membres  en  général ,  sans  distinction  de  Nation. 


DES  TROIS -LANGUES  A  LOI  VAIN.  49 

pays  étrangers,  de  l'Angleterre,  de  la  Westphalie,  des  contrées  du  Khin. 
11  existait  alors  en  fait  d'études  un  droit  international  très-large  :  les  di- 
plômes délivrés  par  une  académie  légalement  constituée  avaient  une  valeur 
universelle,  dont  les  rapports  scientifiques  des  universités  d'Allemagne, 
tels  qu'ils  sont  entendus  de  nos  jours,  donnent  à  peine  une  idée. 

Cette  diversité  d'origine,  qui  existait  chez  les  étudiants  de  l'université 
de  Louvain,  s'étendait  aux  maîtres  eux-mêmes  :  parmi  ses  professeurs  titu- 
laires, et  aussi  parmi  ceux  h  qui  était  octroyé  le  droit  de  professer  dans 
ses  collèges,  on  rencontre  une  foule  d'étrangers  dont  la  présence  à  Lou- 
vain atteste  non-seulement  cette  fraternité  littéraire  établie  entre  les  univer- 
sités dont  nous  parlions  tout  à  l'heure,  mais  encore  le  fait  d'une  commu- 
nication incessante  des  maîtres  de  Louvain  avec  des  savants  et  des  maîtres 
étrangers.  Des  hommes  qui  avaient  complété  leur  instruction  à  Louvain,  ou 
qui  étaient  sortis  de  quelque  école  latine  de  l'une  ou  l'autre  de  nos  villes, 
visitaient  d'autres  universités  en  Allemagne,  en  Italie,  en  France,  et  bien 
des  fois  des  érudits,  qui  avaient  fait  leurs  preuves  ailleurs,  séjournèrent  à 
Louvain  et  firent  là  un  échange  fort  utile  de  connaissances  et  de  méthodes. 
Ils  inspiraient  le  goîit  des  diverses  branches  de  philologie  qui  étaient  floris- 
santes en  Italie,  et  qui  avaient  déjà  fait  des  prosélytes  en  deçà  des  monts. 

Nous  rencontrerons  sur  notre  route  les  noms  de  plusieurs  de  ces  hôtes 
célèbres,  qui  soutinrent  le  zèle  ou  stimulèrent  l'ardeur  de  nos  premiers 
humanistes  ^. 

Nous  n'irons  pas  plus  loin  sans  caractériser  le  genre  de  concours  que 
l'art  de  l'imprimerie  a  prêté,  à  l'époque  que  nous  étudions,  aux  travaux 
des  écrivains,  aux  efforts  de  tous  ceux  qui  se  sentaient  une  vocation 
scientifique  ou  littéraire.  Il  s'agit  d'une  force  nouvelle  qui  s'était  produite 
tout  à  coup  au  cœur  de  l'Europe  civilisée  :  notre  pays  fut  un  des  premiers 
à  s'en  emparer,  et  il  est  permis  de  dire  qu'il  s'en  est  servi  dignement,  notre 
sujet  en  fournit  les  preuves. 

Sans  révoquer  en  doute  les  droits  de  Thierry  Martens  à  être  appelé  le 

'  Voy.  au  cliap.  V  des  aperçus  sur  les  humanistes  qui  enseignèrent  dans  les  pédagogies  de 
l'université,  et  sur  les  savants  étrangers  qui  firent  des  leçons  à  Louvain  ou  y  servirent  d'une  autre 
manière  la  cause  des  lettres. 


20  MEMOIRE  SLR  LE  COLLEGE 

premier  imprimeur  de  la  Belgique  *,  nous  avons  à  constater  ici,  comme  un 
lait  important,  la  présence  à  Louvain,  dès  l'an  1475,  d'un  premier  impri- 
meur connu  et  autorisé,  veuu  de  l'Allemagne  :  ce  fut  Jean  de  Westplialie 
[Juannes  de  Weslplialia) ,  se  nommant  quelquefois  lui-même  Vaderbornensis , 
comme  étant  né  à  Aken,  dans  le  diocèse  de  Paderborn  -,  Il  obtint  de  l'uni- 
versité le  litre  de  mayister  artis  impressoriae,  et  imprima  son  premier  ouvrage 
à  Louvain  en  décembre  147i  :  Libei-  ruralium  commodorum  Pétri  de  Crescen- 
liis.  Pendant  une  résidence  d'environ  vingt-quatre  ans,  jusqu'à  l'an  1497, 
date  de  sa  mort,  Jean  de  Westphalie  mit  au  jour  plus  de  cent  vingt  ouvrages  ^ 
dont  les  exemplaires  conservés  sont  mis  au  nombre  des  plus  curieux  monu- 
ments de  la  typographie  naissante*.  Parmi  ces  ouvrages,  les  uns  présentent 
un  intérêt  tout  pratique,  d'autres  répondent  aux  besoins  des  sciences  théo- 
logiques, d'autres  reproduisent  des  controverses  du  temps;  mais  il  est  aussi 
bon  nombre  d'anciens  auteurs  imprimés  dans  le  même  intervalle  par  Jean 
de  Westphalie,  probablement  d'après  des  éditions  qui  étaient  en  ce  genre 
les  premières  productions  de  la  presse  en  Italie,  rarement  d'après  des 
manuscrits.  Nous  citerons  parmi  ces  auteurs,  l'es  satires  de  Juvénal  et  de 
Perse  (1475),  le  traité  de  Cicéron,  De  claris  oratoribtis  (1475),  les  Bucoli- 
ques et  les  Géorgiques  de  Virgile  (1475),  les  XII  livres  de  l'Enéide  (1476). 
les  traités  de  Cicéron,  De  Officiis,  Paradooca,  de  umicilia,  de  senccliite  (1485), 
une  traduction  de  la  morale  d'Aristote  par  Léonard  Arétin  (1475)  ^;  nous 

'  Un  exposé  des  opinions  en  présence  a  été  fait  par  M*'  de  Ram ,  dans  les  notes  de  ses  Consi- 
dérations sur  l'histoire  de  l'université  de  Louvain,  pp.  43-46  (Brux.,  1854). 

-  Les  autres  imprimeurs  du  même  temps  que  fait  connaître  Lanibinet,  sont  d'abord  :  Jean  Vel- 
dener  (1467-1479),  qui  alla  ensuite  exercer  son  état  en  Hollande;  puis  en  second  ordre,  Gilles 
Vander  Heerstraeten ,  Louis  Ravescot,  Conrad  de  Paderborn  (frère  de  Jean)  et  Conrard  Graem. 

'  Voy.  Lambinet,  Orirjine  de  l'imprimerie,  2""  édit.,  1810,  I.  II,  pp.  1-80. 

*  La  plupart  des  éditions  de  J.  de  Westphalie  ont  été  exécutées,  dans  un  local  concédé  par 
l'université,  et  l'imprimeur,  comme  celui  qui  a  le  droit  de  chasser  sur  les  terres  d'autrui,  datait 
ses  publications  du  territoire  académique  où  il  travaillait:  In  aima  et  florentissima  universitale 
fMvaniensi. 

^  M.  de  Reill'enberg  a  énuniéré  plusieurs  de  ces  classiques  et  autres  anciens  auteurs  ,  alors  impri- 
més à  Louvain,  ainsi  que  les  Épîlies  de  Cicéron  Jd  familiares  (Troisième  Mémoire,  pp.  17-18) , 
d'après  le  Dictionnaire  bibliographique  de  La  Serna  Santander,  et  les  Annales  de  Maittaire.  Au 
nord  de  la  Belgique,  on  imprimait  à  Utrecht,  vers  1473,  Végèce.  et  le  poème  deClaudien  De  rujitu 
Proserpiiuie. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIIN.  21 

y  ajouterons  Boèce  déjà  cilé,  les  XXII  livres  De  Civilate  Dei  de  saini  Aiigus- 
lin  (1488),  et  ses  livres  sur  la  Trinité  (1495);  enfin,  les  Epislolae  pcramoemte 
d'Aeneas  Sylvius  Piccolomini  (1485).  On  conserverait  difficilement  des 
doutes  sur  les  progrès  lents,  mais  sûrs,  des  études  de  philologie  latine,  en 
voyant  ces  textes  étendus  de  Cicéron  et  de  Virgile,  publiés  à  Louvain  avec 
netteté,  et  mis  à  la  portée  de  la  jeunesse  de  ses  collèges. 

Justice  étant  rendue  à  ce  que  fit  Jean  de  Westphalie  à  Louvain  pour  la 
cause  des  études,  nous  avons  à  glorifier  bien  davantage  de  ce  même  chef  la 
mémoire  de  Thierry  Martens  d'Alost  :  que  l'on  suppose  Martens  associé  de 
Jean  de  Westphalie  dès  1475  ^,  ou  bien  élève  de  celui-ci,  qui,  après  avoir 
imprimé  tout  d'abord  à  Alost,  lui  aurait  laissé  un  nombre  suffisant  de  ca- 
ractères pour  continuer  sa  profession  2,  il  n'en  faut  pas  moins  le  considérer 
comme  le  premier  typographe  de  la  période  dont  nous  nous  occupons. 
Avec  quelle  persévérance,  habitant  Anvers  et  Alost  tour  à  tour,  il  cultiva 
son  art  et  le  perfectionna  sans  cesse,  tandis  que  son  émule  avait  le  séjour 
et  le  marché  de  la  ville  universitaire!  Avec  quelle  activité  et  quel  zèle  il  se 
posa  plus  tard  comme  son  successeur  !  Dès  la  fin  du  XV"'"  siècle.  Th.  3Iar- 
tens,  qui  avait  racheté  les  ateliers  de  Jean  de  Westphalie,  offrit  ses  services 
à  l'institution  de  Louvain  :  si  d'abord  il  ne  résida  pas  constamment  dans 
cette  ville,  il  s'assura  des  titres  à  ce  nom  de  maître  en  l'ait  d'imprimer,  qui  lui 
fut  donné  l'an  1501.  Ainsi  Th.  Martens  s'est  associé  avec  une  noble  généro- 
sité aux  travaux  scientifiques  et  littéraires  qui  allaient  réclamer  le  secour.»; 
d'un  imprimeur  habile  et  intelligent,  et  nous  verrons  que  son  nom  peut 
être  dignement  uni  dans  l'histoire  des  lettres  aux  noms  des  hommes  qui 
en  furent  les  promoteurs.  Si  on  lui  a  donné  le  nom  à' Aide  de  la  Belgique, 
il  avait,  certes,  dans  sa  sphère,  acquis  une  érudition  qui  le  rapproche 
de  la  savante  dynastie  des  Aides  :  latin,  grec,  hébreu,  idiomes  vivants, 
c'étaient  les  langues  de  sa  conversation  et  de  ses  écrits.  Enfin,  en  1512. 

'  C'est  l'opinion  dii  P.  van  Isegiiem  dans  son  ouvrage  que  nous  citons  |>lus  d'une  fois  :  Bio- 
(/raphie  de  Thicrrtj  Martens  d'Alost,  premier  imprimeur  de  la  Belgique  (Malines,  Hanicq,  t8.ï2. 
I  vol.  in-S"). 

-  L'opinion  de  Lambinet  défavorable  à  Th.  Martens,  a  été  reprise  par  M.  A.  Bernard,  qui  ne 
connaissait  encore  que  l'ouvrage  de  M.  de  Gand,  publié  à  Alost  en  18-4.^,  quand  il  a  donné  son  livre 
intitulé  :  Origine  et  débuis  de  l'imprimerie  en  Europe  (Paris,  I,  I,  1852,  t.  Il,  pp.  401-400). 


22  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

Th.  Maliens  vint  se  fixer  à  Louvain,  et  y  installer  tout  son  matériel  d'im- 
primerie :  c'est  surtout  dans  cette  ville  qu'il  déploya  son  art  de  graveur 
en  caractères;  des  corps  nouveaux  de  caractères  romains,  et  aussi  de  ca- 
ractères grecs,  lui  servirent  à  l'impression  de  ses  nombreuses  éditions, 
qui  sont  des  garants  de  son  habileté,  de  sa  merveilleuse  aptitude,  comme 
de  l'érudition  des  humanistes,  au  milieu  desquels  il  vivait.  Il  est  un  de 
ces  personnages  qui,  à  l'époque  de  la  Renaissance,  ont  participé,  comme 
imprimeurs  éclairés,  à  l'avancement  des  études,  et  qui  ont  eu  le  privi- 
lège de  venir  puissamment  en  aide  aux  travailleurs  de  l'inlelligence.  Il 
recevait  d'eux  des  lumières,  et  en  retour,  il  sollicitait  leur  zèle,  il  réalisait 
leurs  projets,  il  donnait  aux  fruits  de  leur  labeur  une  prompte  publicité; 
il  contribuait  à  nourrir,  au  centre  de  la  Belgique,  l'émulation  qui  animait 
les  écoles  de  l'Europe  occidentale.  Comme  l'a  très-bien  dit  son  historien  *  : 
«  c'est  surtout  à  la  Faculté  des  lettres  qu'il  consacra  ses  presses.  Aussi  est-ce 
à  l'activité  avec  laquelle  iMarlens  secondait  les  efforts  d'Érasme,  de  Bar- 
land,  de  Martin  Dorp,  de  Pierre  Gilles,  de  Louis  Vives,  et  de  plusieurs 
autres  latinistes,  que  l'université  de  Louvain  dut  l'avantage  de  contribuer 
puissamment  à  la  renaissance  de  la  saine  littérature  au  commencement 
du  XVI"'<'  siècle.  Quatre-vingts  éditions,  dont  la  latinité  toute  cicéronienne 
bannit  à  jamais  du  sol  belge  le  jargon  barbare  du  moyen  âge,  attestent 
encore  aujourd'hui  la  part  que  prit  Marlens  à  cette  œuvre  glorieuse.  » 

Thierry  Martens  était  alors  seul  en  état  d'imprimer  avec  autant  de  soin 
et  de  correction  celte  foule  de  livres  adoptés  comme  classiques,  qui  servirent 
de  texte  aux  études  privées,  ainsi  qu'aux  leçons  de  philologie  données 
dans  les  pédagogies  de  Louvain  ^  :  c'est  lui  qui  fournit  aux  jeunes  maîtres 
d'alors  les  moyens  de  publier  ces  livres  qui  en  préparaient  de  plus  savants*, 
et  c'est  lui  aussi  qui,  renonçant  à  propos  à  l'in-folio  des  premières  œuvres 
de  la  typographie,  offrit  à  la  jeunesse  des  livres  portatifs,  commodes  par 
leur  format,  corrects  dans  leur  lexle,   et  vendus  à  bon  marché  '^.  Il  fui 

'   Van  Isegheni,  Biographie,  p.  100. 

2  Voy.  plus  loin  la  seconde  partie  du  chapitre  V. 

-  Voir  dans  la  Biographie  citée  une  traduction  de  la  lettre  adressée  en  1317,  par  Martens  à  ses 
bienveillants  lecteurs,  en  tête  delà  paraphrase  d'Érasme  sur  YÉpUre  de  saint  Paul  aux  Romains, 
pp.  155-154.— Dès  l'an  1501,  les  Aides  avaient  donné  la  préférence  à  l'in-^2  ou  petit  in-S". 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  23 

donné  aussi  à  Martens  de  rendre  des  services  à  la  science  et  aux  lettres  :  les 
érudits  qui  fréquentaient  sa  maison ,  et  souvent  se  faisaient  ses  correcteurs, 
trouvèrent  toujours  en  lui  un  éditeur  désintéressé  :  et  qui  sait  si  Lrasnie 
aurait  fait  une  aussi  longue  résidence  à  Louvain,  s'il  n'y  avait  pas  compté, 
outre  la  sympathie  des  esprits  les  plus  distingués,  sur  l'amitié  et  le  dévoue- 
ment de  Thierry? 

L'ouverture  du  collège  des  Trois-Langues  donna  une  nouvelle  activité 
aux  presses  de  Th.  Martens  :  c'est  avec  l'aide  des  professeurs  de  ce  collège 
et  de  leurs  confrères,  c'est  en  vue  du  mouvement  intellectuel  qu'ils  allaient 
produire  et  diriger,  qu'il  publiera  une  partie  de  ses  belles  éditions  ^  Ce 
que  nous  voulions  signaler  par  avance  dans  cette  revue  historique,  c'est  la 
faveur  de  l'opinion,  acquise  à  la  culture  des  langues  et  des  lettres;  c'est  la 
nature  et  l'abondance  des  ressources  qui  étaient  assurées  à  cette  culture 
dans  l'école  centrale,  sur  laquelle  le  pays  tout  entier  avait  les  yeux  fixés. 

§  III. 

COINSIDÉIUTIONS  SUIl  L\  RENAISSANCE  DES  LETTRES  EN  EUROPE  ET  SUR  l'aVÉNE- 
MENT  DES  ÉTUDES  HÉBRAÏQUES,  EN  RAPPORT  AVEC  l'hISTOIRE  DE  l'eNSEIGNE- 
MENT    LITTÉRAIRE    EN    BELGIQUE. 

Félix  tjui  poluH  rerum  cognoseere  causas. 

Ce  serait  un  hors-d'œuvre,  en  raison  des  limites  du  sujet  que  nous 
traitons,  que  de  disserter  en  cet  endroit  sur  les  causes  de  la  Renaissance 
et  sur  les  effets  qu'elle  a  produits  dans  le  monde  chrétien.  Cependant, 
comme  nous  devons  parler  de  l'étude  des  langues  classiques ,  de  la  pre- 
mière publication  des  auteurs  païens,  et  de  l'accession  de  l'hébreu  aux 
deux  langues  savantes  de  l'antiquité,  il  nous  a  paru  impossible,  avant 
d'aller  plus  loin,  de  garder  le  silence  sur  la  véritable  origine,  sur  la  légi- 
timité d'un  mouvement  littéraire  qui  a  permis  à  l'esprit  moderne  de  se 
manifester  avec  toutes  ses  forces.  Ce  qui  peut  être  dit  de  l'Italie  et  de  la 
direction  de  ses  écoles,  s'applique  aux  nations  cisalpines  qui  sont  entrées 
à  leur  tour  dans  le  même  mouvement. 

'   Voy.  plus  loin  chapitre  IX. 

Tome  XXVIII.  5 


24  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

Et  (l'abord ,  qu'on  ne  se  méprenne  pas  sur  le  point  de  départ  de  cette 
rénovation  des  études  littéraires  que  l'on  désigne  universellement  du  nom 
de  Renaissance.  Ce  n'est  point  là  un  fait  accidentel  qui  s'est  produit  instanta- 
nément, un  phénomène  sans  raison  et  sans  cause,  une  anomalie  du  monde 
moral.  N'est-il  pas  constant  aujourd'hui  que  depuis  la  chute  du  poly- 
théisme, une  tradition  littéraire  non  interrompue  n'a  jamais  cessé  d'exercer 
quelque  empire  sur  l'éducation  européenne?  Ne  voit-on  pas  poindre  deux 
cents  ans  auparavant  cette  culture  des  lettres  anciennes,  que  l'on  vou- 
drait, dans  des  vues  intéressées,  faire  coïncider  avec  la  révolution  religieuse 
du  XVI"'  siècle?  Il  est  de  fait  que  la  renaissance  des  lettres  répondait  à 
un  besoin  réel  des  intelligences  dans  la  république  chrétienne,  qu'elle 
était  appelée  par  l'activité  toujours  plus  grande  de  ses  écoles,  et  qu'elle  a 
commencé  longtemps  avant  les  troubles  religieux  et  politiques  qui  ont 
divisé  profondément  l'Europe.  Mais  on  a  porté,  en  cette  cause,  un  esprit 
de  système  contraire  à  la  vérité  historique,  placée,  comme  nous  allons  le 
montrer,  entre  deux  opinions  extrêmes. 

D'une  part,  un  grand  nombre  d'écrivains  appartenant  au  protestantisme 
dénient  à  l'Église  la  meilleure  part  de  la  gloire  qui  lui  revient  pour  avoir 
favorisé  l'étude  de  l'antiquité  dans  ses  langues  et  ses  monuments,  ou  bien, 
s'ils  accordent  leur  admiration  aux  pontifes  et  aux  puissants  personnages 
de  l'Italie  qui  ont  encouragé  davantage  la  restauration  des  lettres  anti- 
ques, ils  insinuent  fréquemment  qu'ils  n'ont  pu  le  faire  sans  abjuration 
cachée  de  leur  foi ,  sans  danger  pour  leurs  mœurs  et  pour  celles  des  peu- 
ples chrétiens,  voire  même  sans  une  sorte  de  compromis  coupable  avec 
le  paganisme  ^ 

La  conclusion  de  la  plupart  de  ces  auteurs  tend  à  ceci  :  Déclarer  le 
catholicisme  impuissant  à  diriger  ce  mouvement  qui  devait  faire  entrer 
des  éléments  nouveaux  dans  la  science,  et,  partant,  en  rapporter  tout  l'hon- 

'  Il  fait  beau  voir,  par  exemple,  dans  Yf/istoire  de  la  pédagogie  Aép  citée  (t.  I),  avec  quel  puri- 
lanisme  Ch.  de  Raunier  fait  leur  procès,  au  nom  de  l'Évangile  et  de  la  morale,  aux  écrivains  et 
aux  protecteurs  de  la  renaissance  italienne,  et  aussi  de  quel  air  il  gourmande  la  papauté.  —  Dans 
leurs  ouvrages  généralement  connus  sur  l'histoire  des  lettres,  J.  Eicliliorn  et  Hallam  donnent  sou- 
vent aux  faits  une  interprétation  semblable,  mais  tempérée  dans  la  forme. 


DES  ÏROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  2S 

neur  à  la  Réforme,  tomme  si  seule  elle  avait  conduit  à  son  terme  celle 
grande  entreprise  de  la  résurrection  des  méthodes  et  des  études.  Beaucoup 
d'écrivains  renommés  ont  renchéri  tout  récemment  sur  cette  hypothèse , 
sauf  à  charger  le  moyen  âge  des  ténèbres  que  leur  propre  main  avait  lenlé 
naguère  de  dissiper  ^  et  les  plus  sincères  ne  dissimulent  pas  que  c'est 
pour  refuser  au  principe  chrétien  toute  action  salutaire  dans  les  siècles 
antérieurs  :  de  là  ces  tableaux  imaginaires  de  la  renaissance  des  arts  et 
des  lettres  en  Europe,  commençant  avec  le  siècle  de  Luther. 

Une  méprise  non  moins  grande  est  commise  de  nos  jours  par  des  écri- 
vains qui  se  placent  à  un  point  de  vue  tout  opposé  :  sortant  des  rangs 
de  la  littérature  chrétienne,  ils  font  violence,  eux  aussi,  à  l'histoire  avec 
la  prétention  de  servir  la  cause  de  la  foi  et  de  l'Église,  et  ils  semblent  ne 
pas  s'apercevoir  qu'ils  font  à  l'une  et  à  l'autre  un  sanglant  outrage.  Selon 
ces  hommes,  rien  n'est  bon  dans  les  lettres  et  les  arts  après  le  XIII™'' siècle  ^  ; 
il  n'y  a  qu'aberrations  dans  les  efforts  voués  en  Italie  à  la  restitution  de 
la  littérature  antique,  à  la  recherche  et  à  l'étude  des  monuments  de  l'art 
ancien;  il  n'y  a  qu'illusion,  vanité  et  faiblesse  chez  les  papes  qui  ont  prêté 
la  main  à  ces  efforts.  Ce  n'est  point  assez  pour  ces  écrivains  de  stigmatiser 
l'époque  de  la  Renaissance  comme  un  âge  funeste  de  tout  point  à  la  doctrine 
et  à  la  morale  du  christianisme,  et  la  Renaissance  même  comme  une  des 
causes  déterminantes  de  la  Réforme,  de  ses  négations  et  de  ses  excès  :  ils 
font  retomber  la  même  responsabilité  sur  les  chefs  de  leur  Église  qui  ont 
autorisé  l'usage  des  classiques  païens  dans  les  écoles  d'humanités,  et  ils 
parlent  avec  amertume  et  avec  superbe  de  l'aveuglement  de  quiconque  a 

'  Des  critiques  éclairés  de  loiile  école  ont  signalé  cette  tendance  dans  les  derniers  tomes  de 
V Histoire  de  France,  par  M.  Miclielet  (tomes  Vit  et  VIII,  la  Renaissance  et  la  Réforme). 

-  Le  moyen  âge  est  encore ,  à  l'Iieure  qu'il  est,  une  pierre  d'achoppement  dans  le  monde  savant  : 
objet  d'un  dénigrement  aveugle  et  passionné  de  la  part  des  uns,  d'une  admiration  fervente  et  sans 
bornes  de  la  part  des  autres.  Les  travaux  les  plus  remarquables  de  réhabilitation  composés  de  notre 
temps  en  faveur  de  siècles  mal  connus  et  mal  jugés,  n'ont  pas  dépassé  le  but;  mais  ils  ont  créé 
des  illusions...  Que  de  gens  voient  uniquement  dans  le  moyen  âge  les  prodiges  de  la  foi  et  les  mi- 
racles de  l'abnégation  chrétienne,  mais  ferment  les  yeux  sur  les  violences  et  les  désordres  qui 
éclatent  partout!  Éblouis  par  l'art,  attendris  par  la  légende,  ils  se  forgent  un  idéal  qu'ils  voudraient 
fixer  dans  le  monde,  comme  s'il  n'y  avait  pas  de  progrès  possible  à  travers  beaucoup  de  luttes  et 
de  combats,  comme  ceux  qui  remplissent  l'histoire  moderne. 


26  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

concouru  à  le  maintenir.  On  sait  que,  pour  être  conséquents,  ils  ont  ré- 
clamé l'abandon  des  auteurs  anciens,  classiques  attitrés  depuis  quatre 
cents  ans,  dans  l'espoir  d'extirper  ainsi  le  mal  en  sa  racine  ^. 

Nous  n'avons  pu  caractériser  autrement  qu'en  termes  généraux  ces  deux 
espèces  d'erreurs,  également  préjudiciables  à  une  saine  appréciation  de 
grands  faits  de  l'histoire  et  aux  nécessités  intellectuelles  du  temps  présent. 
Elles  présentent  un  rapprochement  des  plus  singuliers  :  en  effet,  l'une 
glorifie  la  Renaissance  par  esprit  d'opposition  à  l'Église,  et  elle  en  refuse 
l'honneur  à  celle-ci;  l'autre  honnit  la  Renaissance  comme  anti-chrétienne, 
et  elle  en  répudie  l'honneur  pour  l'Église. 

Gardons-nous  de  déplacer  les  termes  et  surtout  de  confondre  les  épo- 
ques. Le  fait  de  la  renaissance  qui  apparut  au  XIV""  siècle  avait  ses  racines 
dans  le  travail  des  générations  antérieures  :  le  labeur  incessant  des  univer- 
sités et  des  écoles  de  tout  degré  répandues  sur  la  surface  de  l'Europe,  la- 
beur auquel  les  lettres  et  les  arts  de  l'antiquité  allaient  concourir,  était,  à 
l'origine,  dans  les  conditions  du  progrès  qui  devait  tourner  à  la  grandeur 
et  à  la  gloire  de  la  société  chrétienne.  N'advint-il  pas  que,  dans  cette  portion 
de  l'activité  humaine  comme  en  tant  d'autres,  le  mal  se  mêla  au  bien,  que 
de  fausses  directions  paralysèrent  les  plus  nobles  efforts,  et  que  l'on  dévia 
plusieurs  fois  de  la  voie  droite  avant  d'arriver  au  terme?  Dans  cet  âge  de 
transition,  comme  dans  tous  ceux  où  se  prépare  une  transfoi'mation  sociale, 
que  ne  doit-on  pas  concéder  aux  séductions  qui  suivent  de  grandes  décou- 
vertes, à  l'enivrement  d'une  première  admiration  ou  d'un  premier  succès? 
Elle  fut  très-longue  et  très-douloureuse,  la  crise  qui  précéda  les  époques 
les  plus  belles  et  les  plus  glorieuses  de  l'ère  moderne. 

'  Nous  ne  relèverons  pas  les  noms  de  ces  nouveaux  Troyens,  comme  on  disait  du  temps 
d'Érasme;  M^'  Gaurae  conserve  le  triste  honneur  d'avoir  été  leur  chef  de  file,  et  le  journalisme  est 
veste  leur  auxiliaire  avec  sa  fougue  et  son  outrecuidance.  Des  hommes  de  mérite,  MM.  Landriot, 
de  Valroger,  Leblanc,  Martin,  Laurentie,  ont  répondu  avec  avantage  à  ces  prolestants  littéraires; 
la  compagnie  de  Jésus  s'est  acquis  de  nouveaux  titres  à  l'estime  de  tous  les  hommes  impartiaux,  en 
prenant  la  défense  de  la  tradition  littéraire  et  des  saines  doctrines;  c'est  ce  qu'a  fait  après  le  P.  Ar- 
sène Cahours,  un  de  ses  confrères,  le  P.  Daniel ,  dans  son  livre  remarquable  et  trop  peu  vanté  : 
Des  éludes  classiques  dans  la  Société  chrétienne  (Paris,  1853,  1  vol.  in-8°).  Elle  est  enfin  suspen- 
due, celte  querelle  qui,  selon  l'expression  de  l'archevêque  de  Rouen,  allait  «  livrer  la  France  à 
la  risée  et  aux  sifflets  de  l'Europe  civilisée.  » 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  27 

Que  l'on  blâme  l'onlhousiasrae  irréfléchi  porté  par  les  Italiens  dans  le 
culte  des  lettres  antiques,  de  même  que  la  fougue  qu'ils  ont  mise  dans  la 
plaisanterie  et  dans  la  censure,  que  l'on  déplore  l'inconséquence  ou  la  lé- 
gèreté dans  la  conduite  et  les  écrits  des  hommes  remarquables  qui  ont  pré- 
sidé au  travail  de  la  Renaissance,  en  Italie,  en  Allemagne  et  ailleurs  ^  il 
n'en  est  pas  moins  vrai  que  l'œuvre  à  laquelle  ils  s'appliquaient  de  toutes 
leurs  forces ,  était  une  œuvre  grande  et  légitime,  utile  et  féconde  pour  la 
chrétienté.  Cette  œuvre  a  été  altérée  dans  son  cours,  quelquefois  même 
détournée  de  son  but;  mais,  considérée  dans  son  principe  et  dans  sa 
destination,  elle  entrait,  à  n'en  pas  douter,  dans  les  desseins  delà  Provi- 
dence, qui  conduit  admirablement  toutes  choses  et  qui  dispense  un  pain 
toujours  plus  fort  aux  intelligences  et  aux  sociétés  chrétiennes,  à  mesure 
qu'elles  s'avancent  dans  la  voie  de  la  vraie  civilisation. 

Le  moment  était  venu  oii  le  cercle  des  sciences  s'agrandissant  conti- 
nuellement et  le  savoir  se  vulgarisant  toujours  davantage,  la  puissance  de 
la  parole  écrite  comme  de  la  parole  parlée  devait  s'accroître  aussi.  Les 
langues  nationales,  encore  dans  l'enfance,  devaient  recevoir  l'empreinte 
des  langues  plus  parfaites  de  l'antiquité,  avant  d'entrer  dans  leur  âge  viril, 
et  les  essais  du  génie  moderne,  être  mesurés  patiemment  aux  proportions 
du  génie  antique,  avant  la  création  des  monuments  originaux  de  nos  litté- 
ratures européennes.  Celte  marche  des  choses  était  logique;  et  comment 
s'étonner  que  plusieurs  pontifes,  les  Nicolas  V  et  les  Léon  X,  aient  pris 
en  main  la  cause  des  lettres  qui  intéressait  si  vivement  l'avenir  de  la  chré- 
tienté? Il  est  bien  vrai,  après  cela,  que  la  rénovation  littéraire  ne  se  fit  point 
partout  en  conformité  avec  les  prescriptions  souveraines  de  la  foi  chrétienne, 
et  qu'elle  porta  ses  fruits  les  plus  abondants ,  quand  l'autorité  religieuse 
se  trouvait  déjà  ébranlée.  Mais  est-ce  à  dire  que  les  chefs  de  l'Église  n'y 
aient  pas  contribué  dans  les  vues  les  plus  larges  et  les  plus  généreuses  ^  ? 


'  L'abus  fut  très-grand  surtout  dans  les  termes  :  encore  a-t-on  beaucoup  exagéré  le  paganisme 
littéraire  de  Bembo  et  d'autres  écrivains  de  son  temps ,  dignitaires  ou  membres  de  l'Église,  comme 
le  fait  remarquer  judicieusement  le  P.  Daniel  dans  le  livre  cité  à  l'instant. 

-  Heeren  a  loué  la  conduite  des  papes  à  cet  égard.  Gesch.  der  class.  Liler.  in  Mitlelalter,  t.  II. 
pp.  349-036. 


28  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

Est-il  juste  de  leur  refuser  cette  haute  connaissance  des  besoins  de  leur 
temps,  cette  profonde  prévoyance  des  nécessités  de  l'avenir  qui  se  montrent 
dans  leur  politique  et  dans  tous  leurs  actes?  Il  y  a  sous  ce  rapport  aveugle- 
ment chez  les  adversaires  comme  chez  les  panégyristes  delà  Renaissance, 
ceux-ci  la  considérant  uniquement  comme  un  des  actes  d'émancipation  de 
l'esprit  humain  ,  ceux-là  s'obstinant  à  la  déclarer  absolument  mauvaise. 

L'altitude  du  catholicisme  devant  la  Renaissance  fut  celle  qu'il  avait  prise 
autrefois  pour  sauver  les  débris  de  la  littérature  antique  :  ce  qu'avaient 
fait  les  bénédictins,  et  après  eux  les  chefs  des  écoles  épiscopales  et  monas- 
tiques, l'Église  le  voyait  faire,  avec  confiance,  par  les  universités  qu'elle 
avait  fondées,  par  les  écoles  et  les  académies  qu'elle  avait  patronnées.  Mais, 
dira-t-on ,  quelle  résistance  ne  fit-on  pas,  dans  ses  rangs,  aux  hommes 
comme  aux  livres  de  la  Renaissance,  aux  méthodes  comme  aux  idées?  Cette 
résistance  ne  fut-elle  pas  la  même  à  Cologne,  à  Oxford,  à  Paris,  à  Lou- 
vain?Mais  qu'on  y  prenne  garde  :  c'est  bien  la  condition  de  toute  science 
d'être  soumise  à  de  nombreuses  contradictions  avant  de  s'enrichir  d'une 
découverte  incontestée,  avant  de  prendre  sa  place  dans  le  cercle  des  hautes 
études,  et  quand  on  y  regarde  de  près,  ne  voit-on  pas  presque  toujours 
des  raisons  étrangères  à  la  science,  ou  simplement  des  intérêts  de  corpora- 
tion,  servir  d'armes  pour  la  combattre? 

Il  n'est  pas  besoin  de  prouver  que  la  Renaissance  s'est  accomplie  en 
Italie  avant  la  Réforme,  et  qu'elle  y  a  poursuivi  son  cours  après  l'ère  de 
la  Réforme,  et  de  même  qu'elle  a  pénétré  en  bien  d'autres  pays  en  dehors 
des  circonstances  de  la  révolution  religieuse.  Il  y  a  peut-être  quelque 
utilité  à  établir  ce  qui  a  été  entrepris  chez  les  nations  chrétiennes  avant 
l'apparition  de  Luther,  pour  la  connaissance  et  l'interprétation  de  l'Écri- 
ture :  ce  seront  les  préliminaires  de  l'exposé  que  nous  devrons  faire  de 
l'état  des  études  hébraïques  au  XVI"""  siècle. 

Partout  où  florissaient  les  sciences  théologiques,  des  tentatives  ingé- 
nieuses, inspirées  par  l'esprit  des  croisades,  furent  faites  pour  que  la 
langue  sainte  entrât  dans  le  domaine  des  hautes  études.  Raymond  LuUe 
avait  compris  les  langues  de  l'Orient  parmi  les  armes  qu'il  voulait  four- 
nir à  la  société   chrétienne  dans  sa  lutte  contre  la  société  musulmane. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  29 

Bien  que  ses  projets  aient  été  traités  de  chimériques  dans  plusieurs  écoles, 
des  papes  s'en  préoccupèrent  :  Honorius  IV  se  proposa  d'introduire  l'en- 
seignement de  l'arabe  dans  l'université  de  Paris.  Au  concile  de  Vienne . 
en  loi  1 ,  Clément  V  décréta  l'érection  de  chaires  spéciales,  au  nombre  de 
deux,  pour  chacune  de  ces  quatre  langues,  le  grec,  l'hébreu,  l'arabe  et 
le  chaldaïque,  à  Rome  même  et  dans  les  universités  de  Bologne,  Paris, 
Oxford  et  Salamanque.  Cette  constitution  n'eut  pas  une  exécution  com- 
plète et  suivie,  à  cause  des  événements  qui  divisèrent  l'Europe  ^ 

Au  XV™"  siècle,  le  goût  des  mêmes  études  se  réveilla  à  l'université  de 
Paris  :  en  l^SO,  un  décret  fut  porté,  au  nom  de  la  Nation  de  France,  avec 
celte  conclusion  que  l'on  allouât  des  bénéfices  suffisants  aux  professeurs 
d'hébreu,  de  grec  et  de  chaldéen ,  et  un  peu  plus  tard  le  professeur 
d'hébreu  reçut,  en  effet,  un  salaire  de  l'autorité  académique^.  Mais  il  fal- 
lait bien  des  années  encore  avant  que  l'étude  de  la  langue  hébraïque  cessât 
d'être  le  monopole  des  écoles  israélites ,  et  que  les  chrétiens  ne  fussent 
plus  à  la  merci  des  rabbins  juifs,  ou  des  juifs  convertis,  qui  faisaient 
payer  à  grand  prix  un  enseignement  souvent  fort  pauvre,  presque  tou- 
jours subtil  et  peu  applicable.  Une  lutte  d'habileté,  quelquefois  inégale, 
s'établissait  entre  les  rabbins  et  leurs  élèves  ,  ceux-ci  ayant  la  plus  grande 
peine  d'obtenir  de  la  cupidité  de  leurs  maîtres  des  documents  neufs, 
authentiques  et  vraiment  curieux  ^. 

Avant  les  querelles  bien  plus  sérieuses  de  la  Piéforme,  les  esprits  se 
préoccupèrent  vivement  des  controverses  que  firent  naître  des  assertions 
des  premiers  hébraïsanls,  puisant  avec  témérité  à  des  sources  tout  à  fait 
inconnues  :  un  sentiment  de  défiance  entourait  leur  personne  et  accueil- 
lait leurs  communications.  11  est  certes  plus  d'un  homme  intelligent  qui 
se  laissa,  de  ce  côté,  entraîner  dans  les  spéculations  et  les  rêves  d'un  faux 
mysticisme;  mais  il  y  a  fort  loin  de  leurs  aberrations  dangereuses  aux 

'   Voy.  notre  Introduction  à  l'hist.  génér.  des  littératures  orientales,  pp.  63-68. 

-  Voy.  Crevier,  Histoire  de  l'université  de  Paris,  t.  IV,  pp.  46,  263. 

^  C'est  ce  qu'a  exposé  le  célèbre  professeur  W.  Gesenius,  de  Halle,  dans  un  ouvrage  allemand  : 
Geschichie  der  hcbraïsclien  Schrifl  und  Sprache ,  p.  3i2.  (Leipzig,  1813.)  Cfr.,  \ Histoire  générale  des 
langues  sémitiques,  par  M.  Ernest  Renan,  t.  1,  1833,  pp.  164-163. 


30  MEMOIRE  SIR  LE  COLLEGE 

apostasies  du  siècle  suivant,  qui  rompirent  avec  la  tradition  catholique 
et  qui  défièrent  l'autorité  de  l'Église. 

Il  est  deux  noms  ,  mais  des  plus  célèbres ,  qui  trouveront  ici  leur  place 
à  titre  d'exemples.  En  Italie,  Jean  Pic  de  la  Mirandole  avait  tenté  de 
réduire  à  un  petit  nombre  de  propositions  un  système  aussi  étendu  que 
celui  qui  peut  être  formé  par  les  doctrines  de  la  Kabbale^;  quand  ses 
ennemis  dénoncèrent  dans  son  livre  treize  propositions  entachées  d'hérésie  , 
Pic  soumit  ses  Conclusions  cnbbalislùjitcs  au  jugement  du  pape  Innocent  VIII, 
et  il  sortit  justifié  du  tribunal  où  il  avait  provoqué  une  décision  nou- 
velle ^.  Cet  homme  prodigieux  mourut  à  Florence  en  1494  à  la  fleur  de 
l'âge,  avant  d'avoir  mis  la  dernière  main  à  son  entreprise. 

Le  second  de  ces  hardis  hébraïsanls,  Jean  Reuchlin  (que  j'ai  dû  si- 
gnaler plus  haut  comme  un  des  premiers  hellénistes  de  l'Allemagne), 
s'égara  plus  loin  peut-être  par  les  mystères  de  la  Kabbale;  mais  il  appela 
de  même  au  tribunal  de  la  papauté  des  jugements  portés  contre  lui  à 
Cologne  et  à  IVlayence.  Le  procès  fut  différé  par  ordre  de  Léon  X  [Man- 
datum  de  supersedendo  —  1515),  et  puis  abandonné  par  suite  des  troubles 
religieux  de  l'Allemagne;  mais  l'issue  semblait  devoir  être  favorable  à 
'celui  qui  s'apprêtait  à  défendre  l'orthodoxie  de  ses  doctrines'. 

Les  hommes  qui  ont  fondé  l'exégèse  nouvelle  ne  sont  pas  sortis  de 
l'Église;  elle  n'a  pas  désespéré  d'eux,  et  leur  science  doit  lui  appartenir 
dans  l'histoire.  Jean  Reuchlin,  qui  est  mort  en  1522,  sans  avoir  passé  à 
la  réformation,  ouvrit  la  voie  aux  travaux  d'exégèse  sur  l'Ancien  Testa- 

'  C'est  la  matière  de  son  principal  ouvrage  imprimé  à  Rome  (i486,  in-folio)  :  Conclmiones  cab- 
hniisticae  numéro  XLVIl,  secundum  secrelam  doctrinam  sapienlium Hcbraïcorum.  Voy.  Ad.  Franck, 
La  Kabbale,  ou  la  philosophie  religieuse  des  Hébreux.  Paris,  1843,  p.  8,  et  YliHrod.  à  la  littér.  de 
l'Europe,  par  Hallam ,  1. 1 ,  pp.  205-208. 

"^  VApologia  suivit  ksConclusiones  en  1 489.  Les  œuvres  de  Pic  furent  ensuite  réunies  et  publiées 
à  Bologne  (1496),  à  Venise  (1498),  à  l?âle,  en  16  volumes  in-folio. 

■  Le  premier  ouvrage  de  Reuchlin  (Z>c  i'er6omîV«/*co;  Basil.,  1494,  in  folio)  clierclie  l'origine 
de  toute  philosophie  dans  les  livres  hébreux,  et  montre  l'analogie  des  principaux  dogmes  chrétiens 
avec  les  traditions  de  la  kabbale,  posant  ainsi  les  fondements  de  ce  qu'on  a  appelé  plus  lard  Kabbale 
chrétienne.  Un  second  ou\vae:e  de  Arte  cabbalislica  (Haguenau,  1.^17,  in-folio)  contient  une  expo- 
sition plus  régulière  de  la  doctrine  critique  des  Hébreux.  Voy.  Franck,  La  kabbale,  préface, 
pp.  10-14,  et  Hallam,  ouvrage  cilé,  t.  I,  pp.  297-298. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  3i 

meut,  comme  Érasme,  qui  n'a  pas  cessé  d'être  catholique,  a  jeté  les  bases 
de  l'exégèse  philologique  sur  le  Nouveau  Testament.  C'était  le  but  prin- 
cipal qu'il  assignait  lui-même  à  ses  travaux  de  grammaire  dans  sa  préface, 
comme  s'il  avait  travaillé  pour  la  religion  et  la  vraie  théologie. 

Reuchlin  a  servi  en  réalité  cette  cause  de  la  science  sacrée  par  sa 
grammaire,  qui  porte  l'empreinte  des  sources  qu'il  consulta  et  des  leçons 
qu'il  reçut  avec  de  grandes  peines  et  de  grands  sacrifices  ^  ;  il  y  a,  en  effet, 
conservé  une  foule  de  distinctions  minutieuses  inventées  par  les  juifs,  et 
expliqué  scrupuleusement  les  formules  grammaticales  qu'il  empruntait  au 
Mklilot  de  David  Kimchi  et  aux  traités  d'autres  écrivains  israélites.  Ses 
trois  livres  De  rudimcntis  liehraïcis'^  lui  ont  valu,  chez  les  chrétiens,  le  titre 
de  Père  de  la  grammaire  hébraïque. 

Les  études  hébraïques  entrèrent  dans  une  nouvelle  phase  peu  après 
l'apparition  des  Rudiments  de  Pteuchlin  :  la  langue  fut  soumise  à  une  étude 
plus  pratique,  réduite  à  une  exposition  plus  claire  et  plus  logique;  l'on 
s'est  ingénié  dès  lors  à  ramener  à  quelques  propositions  fort  simples  la 
théorie  de  ses  formes  et  l'ensemble  de  ses  lois.  De  tous  les  grammairiens 
juifs  des  derniers  temps,  aucun  n'avait  contribué  plus  qu'Elias  Levita  par 
ses  nombreux  écrits  à  faciliter  une  étude  méthodique  de  l'hébreu.  Ce  sont 
les  traités  d'Elias  Levita  qui  ont  servi  de  fondement  et  de  source  aux 
livres  élémentaires  composés  par  plusieurs  professeurs  d'hébreu  dans  le 
cours  du  XV!"""  siècle.  Il  fut  le  maître  de  Paul  Fagius  et  de  Sébastien 
Munster,  qui  mit  la  main  à  l'édition  ou  à  la  version  latine  de  plusieurs 
de  ses  traités  de  grammaire^. 

L'exposé  que  nous  venons  de  faire  de  la  naissance  des  études  hébraï- 
ques en  Europe  pendant  une  période  de  deux  cents  ans  environ  antérieure 
à  l'époque  de  la  Réformation,  trouvera  son  complément  dans  une  indica- 
tion sommaire  des  œuvres  d'exégèse  philologique  marquant  la  un  de  celte 

'  Parmi  ses  maîtres,  on  connaît  un  médecin  juif,  de  la  suite  de  l'empereur  Frédéric  JII .  Jeiiiel 
Loans,  et  un  certain  Abdias  qu'il  rencontra  à  Rome  en  1498. 

-  Libri  Ill/le  Rtidiineiitis  hebraïcis,  1506,  in-folio,  imprimé  à  Pforzlieim  [Phorcae],  ville  natale 
de  Reuchlin. 

'•  Voy.  Gesenius,  GeschiclUe .  note  IV,  p.  98,  pp.  109-HO,  et  J.  Fùrst ,  Bibliotheca  jitdaica . 
i.  11,  pp.  259-42,  pp.  407-408. 

Tome  XX VIII.  6 


32  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

période,  ainsi  que  des  moyens  qui  furent  alors  même  assurés  à  l'élude 
de  l'hébreu  et  des  langues  qui  lui  sont  afliiiées. 

Un  religieux  d'Italie  s'occupa,  dès  les  premières  années  du  XVI""'  siècle, 
du  rapprochement  des  textes  originaux  et  des  versions  orientales  de  la 
Bible  :  A.  Giustiniani  ' ,  évêque  de  Nebbio  en  Corse ,  fit  paraître  le  premier 
psautier  polyglotte  dédié  à  Léon  X,  et  comprenant  cinq  langues^,  hébreu  , 
grec,  chaldéen,  arabe,  latin,  et  ce  fut  longtemps  un  des  seuls  livres  qui 
servirent  de  source  aux  études  privées  de  linguistique  '. 

Le  commentaire  perpétuel  qui  y  figure  à  titre  de  version  n'était  que  le 
prélude  de  cette  version  littérale  qui  accompagna  la  bible  hébraïque  de 
Sautes  Pagninus,  quelques  années  plus  tard,  et  qui  présente  souvent  un 
résumé  judicieux  des  opinions  et  des  explications  rabbiniques  en  rapport 
avec  l'interprétation  traditionnelle  de  l'Église.  Un  progrès  remarquable 
était  dû  à  la  science  grammaticale  et  à  l'érudition  hébraïque  de  Pagninus. 
comme  l'a  constaté  un  savant  moderne  "*  :  «  Un  peu  plus  tard  que  Reuchlin , 
..  enseigna,  en  Italie,  Santés  Pagninus  dont  les  travaux  contiennent,  il 
»  est  vrai,  bien  des  extraits  des  rabbins,  mais  dépassent  de  beaucoup  ceux 
I.    de  Reuchlin  en  étendue  et  pour  la  connaissance  de  ces  sources.    » 

C'est  de  même,  dans  les  années  précédant  immédiatement  les  réforma- 
teurs d'Allemagne,  qu'un  cardinal  fameux  comme  savant  et  comme  homme 
d'État,  Ximenès  de  Cisneros,  dirigea  l'impression  de  la  première  des 
bibles  polyglottes  :  type  et  modèle  de  celles  qui  ont  été  publiées  depuis, 
cette  polyglotte  a  conservé  le  nom  du  cardinal  et  celui  de  l'université  où 
elle  fut  élaborée  et  imprimée  ^.  Ximenès  réunit  les  forces  des  professeurs 
d'Alcala  et  de  Salamanque  ^  ainsi  que  de  beaucoup  d'hommes  instruits. 

'  Il  visila  plusieurs  pays  de  l'Europe.  Voy.  Colomiès,  Ilaiia  oricnlalis,  p|).  (}\-7>o.  Sur  1  appel  de 
(iiustiniani  à  Paris ,  en  1517,  voy.  V/Jistoirc  du  collège  de  France,  par  Goujet ,  1.1,  p.  -40. 

-  On  appelle  vulgairement  ce  recueil  Psallerium  Ncbiense.  En  voici  le  titre  exact:  Psallerium 
hebraïcuiii ,  graecum,  araUcum,  clialdiucum  cum  tribus  latinis  inlerprelationibus  cl  ijlossis.  Genuae. 
1.tI6,  iOO  pages  in-folio.  Cons.  Bibliollieca sacra  de  Lolong,  éd.  C.  Maseh,  1,  pp.  400-401. 

'•  Gleynarts  y  avait  puisé  laborieusement  des  notions  d'arabe  avant  ses  voyages  dans  le  Midi. 

*  Gesenius,  Geschichte  der  hebr.  Sproche,  p.  108.  Cfr.,  pp.  H  5  et  115. 

s  Biblia  Polyglolla,  —in  Complulensi  universitatp,  1514-1517,  C  vol.  in-folio.  On  l'appelle 
quelquefois  Bible  de  Complule,  du  nom  latin,  Complulmn,  de  l'ancienne  ville  d'Alcala. 

•^  Antoine  Ncbrissensis,  Lopez  de  Zuniga  (dit  Astuniga  ou  Slunica,  Ferdinand  l'incianus,  étaient 


DES  TROJS-LANGUES  A  LOIJVAIN.  33 

pour  livrei'  au  monde  chrétien  le  texte  comparatif  des  saintes  Écrituies 
dans  les  langues  antiques,  grecque  et  latine,  hébraïque  et  chaldaïque. 

Cette  entreprise  laborieuse  qui  avait  entraîné  une  dépense  de  30,000 
écus  d'or,  fut  couronnée  de  succès  :  la  grande  Bible  vit  le  jour  en  1517  ^ 
avant  toute  polémique  religieuse  et  confessionnelle.  Quand  le  dernier  tome 
lui  fut  présenté,  Ximenès  se  félicita  hautement  de  ce  travail  qu'il  avait 
ordonné,  plus  que  des  autres  actions  de  sa  vie  ^  :  «  cette  bible,  s'écria-t-il, 
»  va  ouvrir  les  sources  sacrées  d'où  l'on  puisera  une  théologie  bien  plus 
»    pure  que  de  ces  ruisseaux  où  la  plupart  l'allaient  chercher.  » 

Mais,  demandera- 1- on,  quelle  espèce  d'enseignement  fut- il  organisé, 
dans  le  cours  des  mêmes  années,  pour  satisfaire  cette  impulsion  qui  entraî- 
nait tant  de  solides  esprits  vers  la  philologie  sacrée  de  même  que  vers  les 
études  classiques?  Nous  dirons  brièvement  ce  qui  fut  réalisé  à  cette  époque. 

Dès  l'an  1505,  dans  une  lettre  à  Christophe  Fisher  relative  aux  textes 
de  la  Bible  ^,  Érasme  combattait  les  faux  prétextes  allégués  contre  l'étude 
de  l'hébreu  et  des  anciens  idiomes,  et  rappelait  le  décret  du  concile  de 
Vienne,  qui  prescrit  de  former  des  maîtres  dans  les  trois  langues  *.  En 
ce  même  moment  l'Espagne  mettait  à  exécution  la  pensée  longtemps 
méconnue  des  chefs  de  la  chrétienté  :  l'université  d'Alcala,  qui  était  née 
sous  les  yeux  de  Ximenès  ^,  et  qui  était  devenue  une  petite  république 
dans  la  monarchie  espagnole  ^,  dut  à  la  sollicitude  de  ce  grand  ministre 

des  professeurs  en  langues  grecque  et  latine.  Voy.  Flécliier,  Vie  de  Ximenès,  édil.  I69Ô,  I.  I, 
pp.  t83-t87,  et  le  cardinal  Ximenès  par  le  professeur  Hefele  de  Tuhingue,  cliap.  XII  (trad.  fr.. 
Tournai,  1830,  pp.  141-177).  Cfr.  Bibliotti.  sacra,  éd.  Mascli,  l,  pp.  552-39. 

'   Le  Nouveau  Teslanu-nt  qui  était  imprimé  dès  l'an  131-4,  ne  parut  qu'en  lo2"2. 

-  Fléchier,  ibid.,  pp.  187-IS8.  Cfr.  Hefele,  ch.  XII,  pp.  144  et  161. 

"'  Il  ne  faut  pas  confondre  Clir.  Fisher,  prolonotaire  apostolique,  avec  un  autre  prélat  fort  instruit, 
J.  Fisher  qui,  très-Agé,  s'était  rendu  niaitre  des  trois  langues.  Voy.  Érasme,  Adag.  Chil.  IV,  cent.  V.  I. 

'  Episl.,  I,  p.  99  ;  Alioqui  quae  tandem  demenlia  [itérât,  alterum  Testamentttm  ab  Hehraïcis 
vertere,  alterum  a  Graecis  emendare,  si  nostra  erant  tUroque  in  cjenere  meliora?  Qiiorstim  attinebat. 
ut,  in  Viennensi  concilia  (quod  refcrtur  Clément,  libro  secundo,  tiiulo  De  niagislris)  tam  sollicite 
statuerit  auctoritas  ecclesiaslica  de  parandis  triinn  linguarum  docloribus?  Quo  in  loeo  rursus  ad- 
miror ,  quoconsilio,  graecam  linguam  eraserint.  Verùm  liaecdoctos  admonuisse  tantum,  sal  hubeo. 

'  liBS  huiles  d'institution  avaienlélé  reçues  seulenienl  en  1504.  V.  Hefele,  ch.  XI,  Irad.cit.,  p.  127. 

®  Lire  dans  Fléchier,  1. 1,  pp.  304-508,  le  récit  de  la  visite  du  roi  Ferdinand  à  Âlcala,  en  1513. 
—  Le  fait  n'eut  lieu  qu'en  1514,  suivant  Hefele,  pp.  136-138. 


34  MÉMOIRE  SLR  LE  COLLEGE 

des  chaires  destinées  à  renseignement  des  langues  savantes,  comme  à 
celui  de  toutes  les  sciences  ecclésiastiques  et  profanes.  Des  subsides  et 
des  privilèges  furent  institués  pour  l'entretien  et  l'honneur  de  ceux  qui 
devaient  les  remplir  ^.  Quand  Ximenès  mourut,  le  8  novembre  1517,  son 
école  florissante  était  déjà  pourvue  d'une  bibliothèque  riche  et  choisie, 
célèbre  avant  celle  de  l'Escurial  '^,  et  dotée  de  leçons  qui  manquaient 
encore  dans  les  universités  de  l'Europe  centrale  :  elle  était  un  des  beaux 
fleurons  de  la  couronne  d'Espagne.  L'hommage  d'Érasme  n'a  manqué  ni  à 
l'œuvre  de  Ximenès,  ni  à  l'expérience  du  vieux  Lebrixa,  le  plus  célèbre 
des  humanistes  espagnols  ^. 

Dans  la  même  période,,  à  Oxford  et  à  Cambridge,  l'étude  des  lettres 
grecques  et  latines  avait  jeté  ses  racines  et  avait  prospéré  lentement  par 
des  leçons  privées  :  il  fut  donné  à  plusieurs  liommes  de  l'Angleterre,  les 
G.  Latimer,  les  Morus,  les  Th.  Linacre,  etc.,  d'y  acquérir  de  cette  façon 
une  très-grande  habileté.  Mais  des  leçons  régulières  ne  tardèrent  pas  à 
être  organisées  :  c'est  Richard  Fox,  évêque  de  Winchester,  qui  combla  le 
premier,  à  Oxford,  cette  lacune,  en  dotant  d'un  cours  de  langue  grecque 
le  collège  dit  Corpus  Cliristi  construit  à  ses  frais.  On  comprit  le  grec  parmi 
les  branches  d'enseignement  dans  l'école  de  S'-Paul  à  Londres,  suivant  les 
statuts  de  1518,  et,  en  1519,  le  cardinal  Wolsey  institua  une  leçon  de  grec 
parmi  les  leçons  régulières  de  l'université  d'Oxford.  Jean  Fisher,  évêque 
de  Rochester,  prit  des  mesures  semblables  à  celle  de  Cambridge  dont  il 
était  chancelier.  Evidemment  l'Angleterre  avait  fait  plus  pour  le  grec  que 
l'Allemagne  et  la  France  *.  Instruit  par  ses  amis  de  ce  qui  se  passait  dans 
les  deux  universités  de  la  Grande-Bretagne,  Érasme  y  voyait  l'empire  des 


'  Fléchiei-,  t.  I,  pp.  124,  178,  554-358.  Hefele,  cliap.  XI,  pp.  119-139.  Hallam,  t.  I,  p.  -275. 

'-  Hallam,  Lillér.de  l'Europe,  t.  I,p.  478;  t.  II,  559. 

"'  Academia  Complutensis  non  alimide  celebrilaU-iit  iwminis  auspicuta  est,  quam  a  compleclendo 
linguas,  ac  bonus  titeras.  Ciijus  praecipuum  ornamentum  est  egret/ius  Me  senex,  planeque  dignus 
qui  midtos  vincal  Nestoras,  Antoniiis  Nebrissensis.  —  Epist.,  t.  1,  p.  689,  B. 

•*  Voir  Hallam,  Litlér.  de  l'Europe,  t.  I,  pp.  255-230,  261,  276-279,  et  plusieurs  lettres 
d'Érasme,  par  exemple,  sa  lettre  à  Monljoie,  Anvers,  1519  (Epist.,  t.  I,  p.  538),  et  sa  lettre  à 
Claymond,  juin  1519  (Epist.,  t.  1,  p.  465,.  C.fr.  Wood ,  hïst.  et  aniiq.  miiv.  Oxon..  II,  p.  227  sq. 
(Oxon.  1674). 


DES  TROIS-LANGUES  \  LOIVAIN.  3o 

belles-leltres  assuré,  alors  qu'il  était  contesté  ailleurs,  el  quelquefois  avec 
acharnement  ^;  il  attribuait  leur  triomphe  sur  un  fort  parti  d'opposition 
dans  l'antique  Oxford,  à  la  fermeté  du  roi  et  du  cardinal  Wolsey.  Se  tour- 
nait-il vers  l'Italie,  il  apprenait  que  Léon  X  avait  établi  à  Rome,  en  1515, 
une  école  ouverte  aux  Grecs  habitant  la  Péninsule,  et  mise  d'abord  sous 
la  direction  de  Jean  Lascaris,  et  que  les  travaux  de  ce  collège  avaient 
pour  appui  une  imprimerie  bien  organisée  en  vue  de  la  publication  d'ou- 
vrages grecs  -;  il  savait  aussi  que  le  même  pontife  ne  cessait  de  donner 
des  encouragements  à  tous  les  savants  s'occupant  des  langues  de  la  Grèce 
et  de  l'Orient  ^. 

Après  cette  esquisse  des  travaux  privés  et  des  fondations  officielles  qui 
firent  avancer  l'étude  des  langues  savantes  en  plusieurs  pays  de  l'Europe, 
on  aperçoit  à  l'instant  de  quelle  opportunité  était  l'établissement  d'une 
école  qui  mît  la  même  étude  en  honneur  dans  les  Pays-Bas.  Le  terrain 
était  préparé  dans  la  ville  universitaire  et  dans  plusieurs  villes  de  nos 
provinces  :  le  collège  fondé  en  1517  par  Jérôme  Busleiden  et  ouvert  dès 
1518,  répondit  à  l'idée  qui  l'on  se  faisait  alors  d'un  collège  des  Trois- 
Langues.  Nous  pourrons  passer  maintenant  à  l'histoire  de  cette  institution, 
qui  jeta  un  grand  lustre  sur  le  nom  belge  dans  les  siècles  passés. 

'  LeUre  à  Vives.  Louvain,  13^21  (Episl.,  t.  I ,  p.  689).  V.  les  détails  dans  Hiiber,  die  englùchen 
Universitriten  (Cassel,  1839),  I"  B.,  p.  575  sq. ,  el  p.  413  sq. 

2  Voy.  La  vie  de  Léon  X,  par  lîoscoe,  l.  H,  chap.  XI,  et  Hallani,  I.  c.  p.  269. 

^  Voy.  les  faits  détaillés  par  Audin ,  dans  son  Histoire  de  Léon  X,  t.  H,  chap.  XIII  (Théologie  — 
Linguistique),  et  h  propos  du  grec  par  Crapelet  :  Progrrx  de  l'imprimerie  en  France  et  en  lUdie . 
au  XVI'  siècle,  1836,  p.  6. 


36  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLÈGE 


CHAPITRE  11. 


DE  LA  FONDATION  DU  COLLÈGE  DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN, 
PAR  JEROME  BUSLEIDEN. 


Litundum  Manihui 

(VaIÈHE    \SDBt.i 


L'établissement  d'un  collège  destiné  spécialement  à  l'étude  des  langues 
savantes  est  dû  au  concours  de  deux  nobles  intelligences  qui  ont  com- 
pris également  bien  les  intérêts  de  leur  pays  et  de  leur  temps  :  Jérôme 
Busleiden  et  Didier  Érasme  partagent,  ea  quelque  sorte,  le  mérite  d'en 
avoir  été  les  fondateurs. 

Le  premier  nous  représente  cette  portion  considérable  de  la  noblesse 
des  provinces  belgiques  qui,  dans  les  hauts  emplois,  dans  les  dignités 
ecclésiastiques  ou  dans  les  loisirs  d'une  vie  opulente,  se  piquait  de  con- 
naître les  arts  et  de  les  encourager,  d'apprécier  à  leur  juste  valeur  les 
antiquités  et  les  raretés  de  toute  espèce,  les  manuscrits,  les  enluminures 
et  les  beaux  livres.  Issu  d'une  famille  distinguée  par  la  naissance,  Jérôme 
Busleiden  avait  pour  émules  certain  nombre  de  seigneurs  et  de  prélats 
dont  les  noms  se  sont  conservés  en  souvenir  de  ces  goûts  vraiment  nobles 
plutôt  qu'en  raison  de  leurs  titres  et  privilèges  ';ce  qu'il  eut  au-dessus 
d'eux,  c'est  l'insigne  honneur  d'assurer  l'exécution  d'une  œuvre  qui  ré- 
pondait certainement  aux  idées  des  classes  éclairées,  mais  qui  réclamait 
un  promoteur  d'une  instruction  égale  à  son  autorité. 

Le  second,  Érasme,  était  un  des  maîtres  de  l'opinion,  si  puissante  au 
XVI""=  siècle  qu'on  la  dirait  alors  la  reine  du  monde,  si  elle  le  fut  jamais. 
Il  avait  été  en  rapport  à  Louvain  et  ailleurs  avec  les  hommes  les  plus 
instruits  des  Pays-Bas,  et  son  suffrage,  fortifié  par  l'étonnante  renommée 

'  On  nommerait  à  ce  titre  Raphaël  de  Marcatellis,  abbé  de  S'-Bavon  à  Gand,  Georges  de  Ha- 
lewin  ou  Halluin,  seigneur  de  Comines,  Nicolas  Everard,  magistrat  lettré  qui  entra,  dès  l'an  loOo, 
au  «rand  conseil  de  Malines. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  37 

de  ses  écrits,  pouvait  donner  un  appui  efficace  à  une  entreprise  littéraire 
qui,  à  cause  de  sa  nouveauté  même,  serait  accueillie  tout  d'abord  avec  plus 
de  défiance  que  de  faveur.  On  aurait,  certainement,  mauvaise  grâce  à  con- 
tester qu'une  grande  part  de  reconnaissance  revienne  à  Érasme  dans  la 
fondation  du  collège  que  Jérôme  Busleiden  prit  le  soin  de  doter.  On 
soutiendrait  plutôt  que,  par  son  intervention  dans  la  poursuite  de  cette 
affaire,  il  a  rendu  à  l'éducation  publique  un  service  signalé  qui  est  à  peine 
dépassé  par  l'heureuse  influence  de  quelques-uns  de  ses  traités  de  littéra- 
ture et  de  critique  :  en  effet,  comme  nous  le  montrerons  dans  le  chapitre 
suivant,  Érasme  contribua  plus  que  personne  à  la  réalisation  des  volontés 
de  Jérôme  Busleiden  après  la  mort  de  son  ami,  et  c'est  au  point  que, 
sans  les  instances  d'Érasme,  le  collège  n'aurait  peut-être  pas  surmonté 
les  crises  de  ses  dix  premières  années  ^  Mobile  tant  de  fois  en  sa  con- 
duite, Érasme  montra  ici  une  persévérance  qui  l'honore  grandement,  et 
cela  en  présence  de  l'hostilité  d'un  parti  considérable  qui  n'avait  ni  mé- 
nagé son  amour-propre,  ni  même  respecté  son  caractère. 

Ce  serait,  en  tout  cas,  une  tâche  utile  et  pleine  d'attrait,  celle  de  retra- 
cer la  vie  de  Jérôme  Busleiden;  car  il  nous  présente  un  noble  exemple  du 
culte  du  beau  uni  h  une  profession  sincère  du  christianisme,  ainsi  que  l'a 
compris  l'élite  de  ses  contemporains.  Mais  nous  lui  devons,  dans  ces  pages, 
une  biographie  détaillée,  comme  au  fondateur  du  collège  des  Trois-Langues. 
qui  sera  appelé  aussi  collège  de  Busleiden.  Nous  n'entrerons  point  en  ma- 
tière sans  payer,  suivant  un  usage  antique  et  solennel,  un  tribut  d'hom- 
mages à  sa  mémoire,  ou  plutôt,  comme  disait  Valère  André  2,  à  ses  mânes  : 
Litandum  Manibus  ! 

Jérôme  Bisleiden  (ou  Busleyden),  Hieromjmus  Buslidius,  était  originaire 

'  M.  Hottiei'  Il  indiqué  ce  que  lit  Érasme  dans  celle  intenlion  :  Vie  d'Erasme,  chap.  XIV:  Le 
collège  des  Trois- Lan f/ues ,  pp  1 10  sq.,  pp.  121  sq. 

-  Nous  ferons  des  emprunts  à  la  biographie  de  Jérôme  Busleiden  et  de  ses  proches,  que  Valère 
André  a  présentée,  sons  une  forme  oratoire,  dans  son  discours  sur  l'origine  du  collège  ;  Collegii 
Tril.  Buslidiani  exordia  et  progressiis ,  etc.,  pp.  2-6,  et  qu'il  a  résumée  dans  ses  Fastes,  p.  275. 
Nous  avons  profité  aussi  des  notes  recueillies  sur  les  Busleiden  par  Paquet,  pour  son  édition  des 
Fasti  acad.  Lovan.,  t.  I,  p.  472.  Déjà  M.  Rollier  a  montré  ce  que  les  lettres  avaient  dû  à  cette  famille 
du  temps  d'Érasme,  dans  son  mémoire  cité,  pp.  105-109,  et  passim. 


38  MÉMOIRE  SLR  LE  COLLEGE 

du  Luxembourg  el  appartenait  à  une  famille  noble  de  cette  province, 
comblée  des  faveurs  des  princes  qui  avaient  gouverné  les  Pays-Bas.  Il 
naquit  à  Ârlon  vers  1470;  il  était  fds  de  Gilles  ou  yEgide  Busleiden  et  de 
Jeanne  de  Musset.  Son  père  avait  été  conseiller  d'État  et  trésorier  sous  le 
règne  des  ducs  de  Bourgogne  et  de  Brabant,  Philippe  le  Bon  et  Charles  le 
Téméraire:  après  la  mort  de  Charles  (1477),  Gilles  eut  la  présence  d'esprit 
et  l'énergie  nécessaires  pour  défendre  le  Luxembourg  contre  les  invasions 
ennemies  et  pour  en  pourvoir  les  places  fortes  de  soldats,  de  vivres  el 
de  munitions.  Déjà  il  avait  été  élevé  par  l'empereur  Frédéric  III  au  grade 
de  chevalier  {eqiies  auralm)  ^,  le  5  janvier  1477.  Gilles  avait  donné  une 
preuve  de  sa  pieuse  munilicence,  en  fondant,  à  Arlon,  le  couvent  des 
carmes. 

La  famille,  alors  représentée  et  illustrée  par  Gilles,  portait,  depuis  trois 
siècles  environ,  le  nom  de  Busleiden  ou  Buskyden  2,  localité  du  Luxembourg 
non  éloignée  de  Bastogne,  et  placée  à  la  distance  d'environ  huit  milles  de 
la  ville  même  de  Luxembourg  :  c'est  là  qu'elle  avait  exercé  d'ancienne 
date  des  droits  seigneuriaux. 

Le  chevalier  et  conseiller  Gilles  Busleiden  eut  quatre  fils  du  nom  de 
Gilles ,  François ,  Jérôme  et  Valérien  :  la  carrière  des  trois  premiers  eut 
assez  d'éclat  pour  soutenir,  pour  rehausser  même  le  nom  qu'ils  portaient. 
Gilles  ou  /F]gide  fit  honneur,  dans  la  noblesse  mêlée  aux  affaires  du  temps, 
à  son  titre  de  chevalier,  et  il  ne  répudia  point  les  traditions  généreuses  qu'il 
tenait  de  l'exemple  des  siens.  François,  appelé  à  la  cour  d'Autriche,  fut 
précepteur  de  Philippe  le  Beau  et  devint  archevêque  de  Besançon  (1498); 
il  avait  déjà  montré  une  main  ferme  dans  l'administration  de  son  église, 
et  il  avait  acquis  un  grand  ascendant  parmi  les  diplomates  de  l'Empire, 

'  Vraisemblablement  celle  qiialificalion  désignail  une  classe  de  chevaliers  ayant  droit  aux  épe- 
rons d'or,  mais  non  pas  les  chevaliers  de  la  Toison  d'or  (iNote  de  M.  Max.  de  IVing,  dans  le  Mes- 
sager des  sciences  historiques.  Qand,  année  1853,  pp.  369-370). 

2  Nons  reproduisons  parmi  les  pièces  juslilicalives,  lettre  A,  l'essai  généalogique  laissé  par 
Paquot  dans  ses  notes  citées  plus  haut  (Fasti,  p.  470),  sur  la  famille  Busleiden,  sur  les  ascendants 
de  Jérôme  et  sur  les  descendants  de  Gilles,  celui  de  ses  frères  qui  lui  survécut.  Des  deux  ortho- 
graphes du  nom,  Busleiden  ou  Biisleyden,  nous  avons  préféré  la  première  comme  adoptée  presque 
afénéralenienl  dans  les  écrits  modernes. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  39 

.lorsqu'il  mourut,  en  1502,  à  Tolède  '.  Quant  à  Valérien  Busleiden,  il  est 
peu  connu  :  il  mourut  avant  Jérôme,  qui  laissa  un  tiers  de  sa  maison  de 
Malines  au  fds  de  Valérien,  François,  qu'il  appelle  dans  son  testament  son 
très-cher  neveu  {charissimo  nepoti  meo). 

Jérôme  Busleiden  profita  sans  doute  de  la  position  honorée  acquise  par 
sa  famille  :  s'il  est  inexact  de  dire  avec  Moréri  qu'il  fut  «  l'artisan  de  sa 
propre  fortune  »,  il  ne  faut  pas  non  plus,  avec  Bayle,  l'attribuer  tout 
entière  à  la  prospérité  de  sa  maison  et  particulièrement  au  crédit  de  l'ar- 
chevêque François  ^.  Il  déploya  une  aptitude  particulière  aux  choses  de 
l'esprit  parmi  les  hommes  de  son  nom  qui  avaient  servi  l'État  :  non-seule- 
ment il  honora  les  dignités  de  l'Église  dont  il  fut  revêtu,  et  montra,  dans 
plusieurs  ambassades,  les  rares  qualités  de  son  intelligence,  mais  encore 
il  porta  son  goût  naturel  et  précoce,  pour  les  sciences  et  les  lettres  ^,  dans 
toutes  ses  relations  sociales,  et  il  se  distingua  dans  ce  rôle  de  protecteur 
des  lettres  qu'il  lui  appartenait  si  bien  de  prendre. 

A  l'exemple  de  son  frère  François,  Jérôme  Busleiden  visita  l'Italie  vers 
l'an  1498,  après  avoir  étudié  les  lettres  et  les  éléments  du  droit  à  Louvain, 
et  c'est  à  Bologne  qu'il  obtint  les  honneurs  du  doctorat  en  droil.  A  peine 
de  retour  dans  sa  patrie,  encore  à  la  fleur  de  l'âge,  le  8  février  1505  *, 
il  occupa  un  siège  au  conseil  souverain  de  Belgique  et  réunit  à  sa  charge  de 

*  Dans  son  Panégyrique  de  Philippe  le  Beau,  Érasme  loue  François  Busleiden  comme  un  des 
soutiens  providentiels  de  la  maison  d'Aulriclie;  il  compare  son  rôle  auprès  du  jeune  prince  à  celui 
des  amis  célèbres  des  rois  de  l'antiquité ,  Nestor,  Parménion,  I^éonidas,  Zopyre.  —  Voy.  dans  les 
Exordia  de  V.  André  (pp.  51-33)  les  épitaphes  historiques,  en  vers  latins,  composées  en  l'honneur 
de  l'archevêque  de  Besançon. 

-  Dictionnaire  historique  et  critique,  t.  1 ,  p.  709,  note  A  (éd.  de  Rotterdam ,  1697.) 

"'  «  h  a  teneris  stutim  annis  felici  praeditus  indole  alque  ingenio ,  genio  quodam  ad  lilterarum 
l'erebutur  studio....»  Exordia,  p.  5.  Fort  jeune  encore,  il  avait  témoigné  pour  Érasme  une  estime 
dont  celui-ci,  qui  ne  faisait  que  débuter,  se  montra  très-flattc.  Lettre  à  J.  Tutor.  Paris,  1-490. 
Epist. ,  I ,  p.  36  :  Audio....  Itominem  ipsum  studiosos  in  pretio  habere,  vec  de  meo  quidem  ingenio 
pessinie  senlire. 

'  .Nous  avons  fixé  avec  Foppens  (p.  480)  à  l'an  1503  l'obtention  de  cette  dignité,  quoique 
Valère  André  la  place  après  celle  des  dignités  ecclésiastiques  dont  nous  parlerons  plus  loin  ,  et  qui 
auraient  conduit  Jérôme  Busleiden  au  rang  de  conseiller.  Reversus  tamquam  per  quosdam  digni- 
lalum  gradus,  ad  sunimu  consccndit.  Exordia,  p.  5.  (1503,  8  febr.)  Valère  André  ne  parle  pas 
de  date  dans  sa  Bibliolh.  Belgica.  S""'  édit.,  164.5,  p.  386. 

Tome  XXVIU.  7 


40  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

conseiller  celle  de  maîlrc  des  requêtes  ^  Ensuite,  il  remplit,  à  la  demande, 
de  l'empereur  JMaximilien,  plusieurs  missions  diplomatiques  hors  du  pays, 
auprès  du  pape  Jules  II,  de  François  I"  en  France  et  de  Henri  VIII  en 
Angleterre. 

Pendant  les  années  qu'il  résida  en  Belgique,  Jérôme  Busleiden  mil  au 
jour  le  zèle  le  plus  éclairé  pour  les  progrès  de  l'instruction  :  il  donna 
aux  lettres  un  splendide  asile  en  sa  propre  demeure,  où  il  rassembla  une 
collection  d'antiquités,  de  manuscrits  et  de  livres  grecs  et  latins,  qui  était 
considérée  comme  une  des  plus  précieuses  de  l'époque  ^.  Il  avait  recueilli 
autrefois  en  Italie  des  livres  peu  communs;  il  ne  cessa  point  de  rechercher 
et  d'acquérir  les  ouvrages  curieux  propres  à  composer  une  bibliothèque 
savante.  Les  nombreux  bibliophiles  de  la  Belgique  peuvent  mettre  sans 
rougir  parmi  leurs  ancêtres  celui  dont  Érasme  a  dit  ^  :  Omnium  librorim 
emacissimus,  un  acheteur  de  tout  et  à  tout  prix. 

Le  sanctuaire  de  Jérôme  Busleiden  était  ouvert  à  tous  les  hommes 
instruits  :  c'est  là  qu'il  communiquait  incessamment  avec  de  nombreux 
visiteurs,  animés  comme  lui  d'un  amour  sincère  des  bonnes  éludes;  c'est 
de  là  qu'il  entretenait  avec  Érasme  un  commerce  épistolaire  qui  était  un 
échange  de  vues  élevées  et  de  nobles  projets.  Quelle  devait  être  la  magni- 
ficence du  musée  créé  par  les  soins  du  prélat-sénateur  de  Malines,  puis- 
qu'elle excita  la  surprise  de  Thomas  Morus ,  qui  connaissait  les  riches 
collections  déjà  formées  par  quelques  grands  de  l'Angleterre  ^!  Quel  éton- 

'  Qtia  in  fimctionc,  quae  propria  Buslidioul'm  semper  taus  fuit  fidelem  se  régi,  iitilem  reipii- 
blicae ,  gralum  el  benir/mim  omnibus  prucbuil,  —  Exordiu,  p.  5. 

-  Nous  faisons  grâce  an  lecleur  de  la  phrase  de  Valère  André,  qui  compare  la  maison  de  Biisleidei» 
au  palais  de  Lucullus  que  décrit  Pliitarquc;  mais  écoutons  à  quel  litre  il  l'appelle  le  Mécène  de  son 
îemps  [Exordia,  p.  5)  :  ...  Vnus  fere  ea  cxstitit  tempeslate  inler  Belgii  Hostri  optimales doctissimonwk 
virorum  fautor  ac  Maecenas  :  cujus  palatiiim  (quod  magnipce  u  se  exstructum  incotebal)  tamguam 
Miisarum  quoddam  domicHium ,  libris  graccis ,  latinisque,  manu  lypisque  descriplis,  aliisqne  anli- 
quitatis  cimeliis  refertum ,  dvctis  palebat  omnibus. 

^  Epist.,  I,  671  (lettre  à  Polj'dorus  Vergllius).  Busleiden  avait  un  exemplaire  des  Adages  de 
ce  dernier. 

'  Dans  une  lettre  adressée  à  Érasme  de  Londres,  en  ibid,  Morus  se  loue  de  l'accueil  cordial  de 
Busleiden,  et  il  énumère  toutes  les  merveilles  que  celui-ci  lui  a  montrées.  (Epist.,  I,  p.  222)  : 
...  Cwn  Buslidio  mUii  inlervcuit  amicitia  qui  me  et  pro  egregia  fort una  sua  magnifiée ,  et  pro  animi 
bonilate  comiter  cxcepit.  Vomum  tum  singulari  artificio  excultum .  tam  cximia  suppeltectile  in- 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  41 

nement  devait  produire  la  vue  de  toutes  ces  choses  sur  ceux  qui  n'avaient 
pas  visité  l'Italie  des  Médicis,  seule  contrée  où  jusque-là  ces  trésors  litté- 
raires avaient  été  hautement  estimés  et  recherchés  avec  passion! 

Mais  Jérôme  Busleiden  n'était  pas  seulement  un  amateur  d'un  goût 
intelligent  et  sûr,  il  possédait  lui-même  beaucoup  de  savoir  et  il  était  très- 
versé  dans  la  connaissance  des  langues  grecque  et  latine  *  :  vir  titriiisque 
lingiiae  callenlissimus.  En  outre,  il  avait  en  partage  une  habileté  d'élocution 
qui  devait  répandre  autant  de  charme  dans  ses  rapports  scientifiques  que 
de  prestige  dans  ses  relations  de  diplomate,  il  n'eût  pas  obtenu  à  un  si  haut 
point  la  sympathie  et  le  respect  d'Érasme ,  s'il  n'eût  joint  ces  dons  exté- 
rieurs, ces  connaissances  variées,  ces  habitudes  libérales  aux  facultés  sé- 
rieuses de  l'esprit.  Il  ne  nous  reste  qu'une  lettre  de  Jérôme  Busleiden  à 
Thomas  Morus ,  publiée  en  tète  de  Y  Utopie  du  célèbre  chancelier,  dont  la 
première  édition  fut  imprimée  à  Louvain ,  au  commencement  de  l'an  1517, 
par  Th.  Martens^;  elle  exprime  son  admiration  pour  la  science  et  la  haute 
expérience  de  Morus,  une  confiance  un  peu  trop  grande  peut-être  dans 
l'elïicacité  des  études  sociales  et  politiques  de  son  illustre  ami ,  et  elle  n'est 
pas  indigne,  par  sa  latinité,  du  style  élégant  qui  était  afiecté  à  la  corres- 
pondance des  hommes  lettrés  du  temps.  Busleiden  s'était  essayé  lui-même 
en  différents  genres  de  composition  latine,  en  vers  et  en  prose,  poèmes, 
lettres  et  discours;  il  avait  mên)e  recueilli  à  ce  sujet  de  nombreux  suf- 
frages; mais  ces  pièces  sont  restées  inédites  et  n'ont  circulé  que  dans  un 
petit  cercle  de  lecteurs  ^.  Valère  André  en  avait  eu  sous  les  yeux  un  recueil 
manuscrit,  grâce  à  la  complaisance  d'Oliverius  Vredius,  qui  l'avait  re- 

slruclam  oslendit.  Ad  haec  loi  vettistatis  momtmenta  quorum  me  sois  esse  percupulum.  Postrcnio, 
tam  egregie  refertam  bibliothecam ,  et  ipsius  pechis  quavis  etiam  bibliolheca  refertius.  tu  me  plane 
nbsliipcfeeerit.—\'ou\  parmi  les  pièces  justificatives,  lettre  C,  les  beaux  distiques  latins  dans  lesquels 
ïii.  Morus  a  célébré  l'antiquaire,  le  dilettante  de  Malines. 

'  Erusmi  Episl.,  II,  p.  1836. 

^  Hier.  Buslidim  Tliomae  Moro  S.  D.  Elle  se  termine  par  ces  mots  :  Vak  doctissime  el  idem 
hitmotii.isinie  More,  tuae  Britanniae,  ac  noslri  hvjus  orbis  dectts.  Ex  aedibiis  nostris  Mechliniae. 
Aniio  MDXVI.  Cette  leUre  a  été  reprodiiile  dans  les  différentes  éditions  de  l'Utopie.  Voy.  la  descrip- 
tion de  l'édition  de  Louvain,  n"  108,  pp.  2G7-269,  dans  la  monographie  cilée  du  P.  van  Isegbem. 

■"  Uoclrivam  facundiiwique  monumenla  ingenii,  ub  eo  relielu,  satis  superque  lestantur,  id  est, 
carmina ,  orationes,  epistolae  variae,  fdiaquc,  è  quibus pauea  typis  édita,  pleraque  vero  àvéK'kra  a 


42  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLÈGE 

trouvé  à  Bruges  ',  et  la  prévoyance  d'un  célèbre  bibliophile  en  a  assuré  la 
possession  à  notre  Bibliothèque  royale  ^. 

D'un  autre  côté,  Jérôme  Busleiden  obtint  dans  l'Église  une  considéra- 
tion à  laquelle  l'histoire  de  sa  vie  ne  porte  aucune  atteinte;  il  ne  dérogea 
point  à  la  vocation  qu'il  avait  librement  embi'assée  à  la  suite  de  son  frère 
François.  Des  dignités  ecclésiastiques,  dont  quelques-unes  comportaient 
des  bénéfices  considérables^,  avaient  été  réunies  en  peu  d'années  sur  la 
tête  de  Jérôme  Busleiden.  Pourvu  de  bonne  heure  d'un  canonicat  à  l'église 
métropolitaine  de  Malines,  il  devint  successivement  chanoine  de  Sainle- 
Waudru  à  Mons  et  de  Saint-Lambert  à  Liège,  trésorier  de  Sainte-Gudule 
à  Bruxelles,  archidiacre  de  Notre-Dame  à  Cambrai  ''*;  il  fut  aussi  prévôt  de 
l'église  de  Saint-Pierre  à  Aire,  en  Artois,  et  c'est  cette  dernière  dignité  qu'il 
considéra  comme  la  plus  haute  et  qu'il  mit  en  tète  de  ses  titres  religieux 
{Praeposilus  Ariensis). 

Homme  de  science  et  de  capacité,  Jérôme  Busleiden  était  un  des  beaux 
ornements  de  la  monarchie  dont  il  relevait  ^,  et  s'il  fut  comblé  de  tant 
de  faveurs,  à  cause  de  sa  naissance  et  surtout  de  son  mérite  personnel,  il 
est  vrai  qu'il  en  fit  le  plus  noble  usage  dans  l'intérêt  des  lettres,  qui  lui 
semblaient  devoir  répandre  un  fort  grand  lustre  sur  l'Église  et  sur  l'État. 
Son  influence  et  son  crédit  lui  servirent  à  rassembler  les  collections  litté- 
raires et  artistiques  que  l'étranger  lui  enviait;  il  sacrifia  la  meilleure  partie 
de  sa  fortune  à  encourager  plusieurs  des  études  qui  étaient  la  préoccu- 

paiicioribus  leyunlur.  Val.  Andréas,  Fasli  acacL,  p.  276. —Voy.  la  seconde  pièce  de  vers  latins  où 
Th.  Moriis  conjure  le  poëte  de  vaincre  sa  modestie. 

'  Legunlur  ea  modo  Lovanii  bénéficia  V.  cl.  Oliverii  Vredii ,  qui  Brugis  Flandrorum  reperla  ad 
nos  misit.  V.  A.,  Bibl.  Belg.,  éd.  sec,  p.  387.  Voy.  Foppens,  p.  i8\. 

2  Le  volume,  acheté  en  1813  du  professeur  P.-J.  Baudewyns,  à  Bruxelles,  par  M.  Van  Hulthem, 
fait  partie  de  la  collection  de  ses  manuscrits  acquis  par  l'État.  Voy.  Bibliotlieca  HuUhemiana, 
t.  VI,  pp.  38-59,  n°  208  :  Carmina,  epistolae  et  orationes  Hier.  Busiidii  J.  U.  D.,  etc..  Manuscrit 
original  in-folio,  273  pages.  (MSS.  Bibl.  roy  ,  n™  13673-677.) 

■■'  Moréri  observe,  en  parlant  de  Busleiden  ,  que  la  pluralité  de  ces  bénéfices  n'avait  point  encore 
été  défendue  par  le  concile  de  Trente. 

*  Nous  ne  savons  sur  quelle  autorité  l'abbé  Bax  fait  aussi  Jérôme  Busleiden,  chanoine  de  Saint- 
Jean  à  Bois-le-Duc  et  prévôt  de  Notre-Uame  à  Bruges  (fol.  1409). 

^  Érasme  à  Lascaris,  Episl.,  I,  p.  319  :  Hanm  doctiis  ac  poleu.f ,  et  hujiis  regni  decits  incom- 
parabilc. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  43 

pation  des  esprits  les  plus  actifs  de  son  temps.  Une  mort  prématurée  ne 
nuisit  point  à  l'accomplissement  de  ses  desseins  :  il  y  avait  pourvu  dans 
son  testament,  dressé  avant  son  départ  pour  l'Espagne.  11  se  dirigeait  vers 
ce  pays  en  qualité  d'envoyé  de  Charles  V,  futur  empereur,  qui  n'avait  pas 
encore  pris  possession  du  trône  de  Ferdinand  le  Catholique  ^  Il  fut  mal- 
heureusement un  des  premiers  Belges  à  qui  le  voyage  d'Espagne  devait 
être  funeste  :  fias  primitias  Orco  hispanico  dedimus,  cui  jam  nimium  saepe  lila- 
mus,  disait  tristement  Érasme  à  cette  fatale  nouvelle^.  Busleiden  était  mort, 
des  suites  d'une  pleurésie,  à  Bordeaux,  le  27  août  1517,  âgé  d'environ 
quarante-sept  ans. 

Déjà  Jérôme  Busleiden  avait  rédigé,  à  Malines,  le  22  juin  de  la  même 
année,  l'acte  de  ses  dernières  volontés;  à  Bordeaux,  qui  fut  le  terme  de 
son  voyage,  il  y  ajouta  des  codicilles  qu'il  confia  à  deux  de  ses  illustres 
compagnons  de  route,  Jean  Sauvage,  chancelier  de  Bourgogne ^  et  Antoine 
Sucquet,  conseiller  intime  de  l'Empire  *.  Suivant  ses  recommandations, 
son  corps  fut  rapporté  à  JMalines  et  déposé,  vers  la  fin  de  septembre^, 
dans  l'église  de  Saint-Rombaut.  Comme  il  l'avait  souhaité,  on  érigea  près 
de  sa  sépulture  un  tombeau  surmonté  d'un  tableau  de  son  musée  qu'il 
avait  désigné,  et  de  même  sur  les  deux  volets  de  ce  tableau,  on  plaça  d'un 
côté  son  portrait,  de  l'autre  une  inscription  commémorative.  L'épitaphe 
était  de  la  main  même  d'Érasme;  mais  elle  disparut  avec  le  monument, 
quand  la  métropole  de  Malines  fut  dévastée  par  les  novateurs,  pendant 
les  troubles  de  la  fin  du  XVI'"''  siècle.  Heureusement  on  a  conservé  dans 
des  livres  les  deux  pièces  de  vers  grecs  et  latins  qui  composaient  l'épi- 

'  Charles  n'arriva  en  Espagne  qu'en  septembre  1 51 7. 

2  Epist.J,  p.  263,  et  II,  p.  1629. 

■^  Ce  personnage,  seigneur  d'Eseaubeke  et  Bierbeek,  devint  grand  chancelier  en  1314  et  niounil 
à  Saragosse  en  1318.  Voy.  Butkens,  Suppl.  aux  Trophées  du  Brabant,  liv.  W,  et  les  Bulletins  de  lit 
Comm.  roy.  d'histoire,  t.  X,  p.  7. 

"*  Antoine  Sucquet,  originaire  de  la  Bourgogne,  était  ami  d'Érasme  et  protecteur  des  gens  de 
lettres;  il  fut  membre  du  conseil  privé  de  Cliarles-Quint  et  son  chargé  d'affaires  en  diverses  cours. 
Il  mourut  à  Bruges  en  1526.  Voy.  les  Mémoires  de  Paquot,  t.  III  (Notice  sur  Charles  Sucquet,  fils 
d'Antoine). 

"  Valère  André,  qui  rapporte  ces  diverses  circonstances,  donne  aux  obsèques  célébrées  à  Malines 
la  date  du  21  et  du  24  septembre.  Exordia,  p.  6. 


44  MEMOIRE  SLR  LE  COLLEGE 

taphe  de  Busleiden.  Quoique  Valère  André  les  ait  déjà  reproduites  *,  elles 
ne  seront  pas  lues  ici  sans  plaisir,  puisqu'elles  résument  fort  bien  la  gloire 
de  celui  qui  en  est  l'objet,  et  puisque  leur  style  appartient  aux  meilleurs 
essais  poétiques  d'Erasme.  Le  grand  humaniste  éprouva  une  bien  vive 
douleur  de  la  mort  inattendue  de  Busleiden,  et  se  reprocha  de  lui  avoir 
montré  un  peu  de  froideur  avant  son  départ  pour  l'Espagne  -  :  Morlem 
Buslidii  ex  animo  doleo ,  et  hoc  magis  doleo ,  quod  anle  discessum  illo  lam  frigide 
sim  usiis.  Il  se  fit  un  devoir  d'offrir  au  public  une  expression  aussi  élégante 
que  possible  de  ses  sentiments  d'estime  et  d'affection  envers  le  défunt. 
Nous  le  voyons  soumettre  le  premier  croquis  de  ses  vers  à  ses  doctes 
amis,  par  exemple,  Jean  Robbinus  ou  Robbyns,  doyen  de  Malines,  avec 
qui  il  entretenait  des  relations  littéraires  ^;  nous  le  voyons  consulter  dans 
les  mêmes  vues  Gilles  ou  ^Egide  Busleiden,  frère  de  son  ami  *,  et  c'est, 
enfin,  à  ce  personnage  qu'il  adressa  la  dernière  rédaction  de  ses  vers,  à 
la  suite  d'une  lettre  qui  ne  renferme  pas  un  éloge  moins  solennel  du 
mérite  de  Jérôme  Busleiden^.  Érasme  s'excuse  ici  comme  ailleurs,  tou- 
chant tes  défauts  de  sa  poésie  qu'il  rejette  sur  la  sévérité  de  ses  récentes 
études  ;  il  a  témoigné  son  bon  vouloir  en  attendant  que  d'autres  écri- 
vains et  poètes  célèbrent  à  leur  tour  la  gloire  durable  de  ce  protecteur  des 
lettres. 


'  Exordia,  p.  7.  —  C'est  à  tort,  sans  doiile,  que,  dans  le  même  passage,  Valère  André  parle 
d'une  épitaplie  en  trois  langues  composée  par  Érasme  pour  le  toiiilieaii  de  Jérôme  Busleiden.  Paquot, 
dans  ses  Fasli  (t.  I,  p.  472),  dit  très-bien  que  si  Valère  André  avait  connu  une  épilaphe  hébraï- 
que, il  ne  manquait  pas  de  caractères  hébraïques  pour  la  reproduire,  mais  que  probablement  cette 
troisième  épilaphe  n'a  jamais  existé,  parce  qu'Érasme  n'était  pas  doué  d'une  connaissance  assez 
l';m)ilière  de  l'hébreu  pour  s'essayer  en  cette  langue. 

-  Lettre  à  Barbirius,  2  novembre  I5i7  {Epist.,  I,  p.  270). 

•'  Lettre  de  Louvain  en  date  du  20  mars  1518,  Epist.,  Il,  1677  :  Epilophid  mitto,  non  qualia 
nierebulur  ille,  sed  qualia  nos  praeslare  potuimxis...  Si  quid  cetisehis  mutarulwn ,  mm  Bnrsaio 
communica ,  /.';  mihi  tuam  senlenliam  perscribet. 

'  Dès  1517,  Érasme  en  envoyant  à  Gilles  le  Carttiai  Trocliuicuw ,  accompagné  de  plusieurs 
variâmes,  déclare  ne  le  faire  que  pour  avoir  son  avis  :  Tuutum  lit  experiar  sothnim  nnimi  lui.  Fient 
alin,  simid  atque  cognovero  (Epist.,  H,  1655-1 634.) 

■^  Epist.  CCCLXII,  I,  pj).  577-578.  Cctle  lettre  datée  de  Louvain,  1518,  commence  ainsi  ; 
Quoi  ornamenta  in  uno  perdidimus  homine?  Facile  divino,  quo  tu  animo  mortem  germani  feras; 
cu7n  itniversus  bonorum  atque  eruditorum  chorus  unice  doleat.  Sed  quid  prosunt  inanes  quere.lac. 


DES  TKOIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  45 


Ëpitaphium  ad  pictam  imaginem  Cluris&imi  viri  Hieronymi  Buslidii, 

Praepositi  Ariensis. 


[AMBOI   TPIMETPOI 

O  T/;v  0£  ypy.{pcr.ç  oùp-ax-iz  ^.op'siriV  /.a/iwç , 
ûïî/.eç  aj'X/.^.a  'Çi'xiypaaùv  /.ai  "sj  vsi;. 
Eaufeû/  «!/  SI  •/]  TC'.vay.oç,  sv  p^xq  Tréôo) , 
ApîTtiiv  àr.x'jôiv  ipaTÔv  i-yy'Jjvj  X^,^^"-' 
Ty;]/  e'j7é(3aoa/  vi)v  leptTtpsi:^  Tiy.vj, 

Tip  y^pyjcrixïjza ,  vriv  re  r.ou^îiay  y.oDtiV. 
Kaî  TaûTa  zaW.a  f^svsç  ÙKfipy^    lipdivufj.cç, 
O  B3ii7?,eo«az>ji;  cjzt'aç  ffe'Àaç  iJ.éyor.. 

TROCHÂICI  TETRAMETKI. 

Nominis  Busleidiani  proximum  primo  decus, 
liane  nos  orbas,  virenli  raplus  aevo,  Hieronyme!' 
Lilerae ,  genus ,  Senatus,  aida,  plebs,  Ecdesia, 
Aul  suum  sidus  requirunt,  aut  palronum  flagilant. 
Nescil  inlerire,  quisquis  vilain  honeste  finiit. 
Fama  virtututn  perennis  vivel  iisque  posleris. 
Eruditio  TiiiLiNGUis  tripHci  facundia 
Te  loquetur,  cujus  opibus  resliluta  refloruit. 

C'est  ici  le  lieu  de  juger  les  intentions  qui  ont  guidé  Jérôme  Ijusleiden 
dans  la  rédaction  de  son  leslanienl,  avant  d'exposer  les  principales  dis- 
positions de  cet  acte  et  d'en  faire  ressortir  les  premiers  effets. 

Busleidcn  était  convaincu   qu'une   étude  sérieuse  des  langues  et  des 

quld  inutiles  lucryinae?  Ihic  nascimur  omnes.  In  epilaphiis,  ntc  itlius  nieritis,  iwc  m«u  /jenio  satis- 
fecL...  Vereor  autrs  tuas  lonrje  lersissinias.  ("est  d'après  la  grauiic  édilioii  île  Levde  que  nous  don 
lions  ici  le  texte  des  deux  inscriptions. 


46  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLÈGE 

lettres  anciennes  était  le  fondement  d'un  savoir  vraiment  élevé  :  c'étaient, 
à  son  avis,  autant  de  degrés  par  lesquels  l'esprit  parvient  à  des  régions 
plus  hautes.  Leur  culture  est  indispensable  dès  le  principe  pour  former 
l'intelligence  et  pour  la  polir  :  les  principes  de  la  vraie  sagesse  reçoivent 
d'elles  plus  de  force  et  plus  de  nerf  ^ 

11  voyait  que  déjà  en  Italie,  en  France  et  ailleurs,  la  culture  des  langues 
et  des  lettres  avait  resplendi  d'un  grand  éclat,  et  que  bientôt  leur  étude 
allait  dominer  dans  les  écoles  les  plus  célèbres  de  l'Europe,  où  l'on  appe- 
lait au  prix  de  grands  avantages  ceux  qui  pouvaient  les  professer.  Ce  que 
Busleiden  souhaitait  avant  tout,  c'était  de  préserver  la  Belgique  d'une 
indifférence  pour  les  lettres  qu'il  craignait  de  voir  s'accroître  sans  remède  : 
il  entendait  les  rappeler  de  l'exil  et  les  faire  servir  d'ornement  et  de 
défense  à  la  société  chrétienne  tout  entière.  Si  ce  projet  ne  pouvait  se 
réaliser  de  son  vivant  et  sous  ses  yeux,  il  voulait,  du  moins,  après  sa 
mort,  témoigner  à  la  postérité  des  efforts  et  du  zèle  qu'il  aurait  mis  à 
l'accomplir. 

L'examen  que  nous  allons  faire  de  la  partie  du  testament  de  Jérôme 
Busleiden,  relative  à  l'érection  du  collège  des  Trois-Langues,  justifiera 
tout  ce  qu'on  a  dit  de  ses  sentiments  élevés,  de  ses  vues  droites  et  pures  : 
Valère  André  n'a  pas  exagéré  en  appelant,  après  Dorpius,  Mécène  de  la 
Belgique,  un  si  généreux  promoteur  des  lettres,  et,  en  présence  des  motifs 
religieux  qu'il  invoque  dans  cet  acte  solennel ,  personne  ne  serait  en  droit 
de  reprocher  à  Jérôme  Busleiden  la  conformité  de  ses  opinions  avec 
celles  d'Erasme  et  d'autres  savants  contemporains  sur  l'avenir  des  études. 
L'œuvre  littéraire  qu'il  avait  méditée  depuis  de  longues  années  remplit  à 


'  C'est  en  ces  termes  que  Valère  André  se  fait  l'interprète  de  la  pensée  de  Busleiden,  dans  un 
passage  de  son  discours,  dont  nous  citerons  les  fragments  suivants  [Exordia,  pp.  5-6)  :  Judicabat 
aiitem  sine  his  gradibus  facilem  nulli  ad  allmra  palere  adilum  :  amoenioribus  hiscc  sliidiis  ani- 
mum  primum  formari  alque  excoli  oportere  ;  ab  illis  sapientiae  décréta  robur  nervosque  solidiores 
accipere.  Viderai  jam  unie  in  Italia,  Galliu  et  alibi ,  puisa  paidalim  barbariei  caligine,  Literarmn 
alque  linyuarum  lucere  soient....  Unuin  ilaque  in  volis  illi  cral ,  nialo  huic  in  Belgio  magis  magis- 
que  sensim  grassanti  medelam  aliquam  adferre,  Literas,  Linguasque,  Reip.  Christianae  orna- 
menla  alque  praesidia ,  quasi  postliminio  revocare  :  mil  si  l'ivo  illo  videnleque  fîeri  id  fartasse  non 
possel ,  a  morte  saltem  conalum  ea  in  re  suum,  indusiriamque  teslulam  posteris  reddere. 


DES  TROIS-LANGLES  A  LOIIVAIN.  47 

elle  seule,  pour  ainsi  dire,  le  testament  de  Busleiden  '  :  dans  ce  chapiln' 
et  dans  les  suivants,  nous  en  relèverons  uniquement  les  clauses  les  plus 
importantes,  qui  ont  traita  la  constitution  de  l'établissement  spécial  bien- 
tôt célèbre  parmi  les  fondations  académiques  -. 

Dans  son  testament  de  1517,  outre  diflerenls  legs,  les  uns  affectés  à  des 
œuvres  pies,  les  autres  faits  à  des  personnes  de  sa  famille,  Jérôme  Bus- 
leiden prit  les  dispositions  nécessaires  à  la  dotation  d'un  enseignement  des 
trois  langues  savantes,  latine,  grecque  et  bébraïque,  qui  serait  institué  à 
l'université  de  Louvain.  Il  la  préleva  sur  tous  ses  biens  tant  mobiliers  qu'im- 
mobiliers, et  voulut  que  l'établissement  nouveau  qu'il  qualifia  de  collège, 
eût  son  siège  dans  le  collège  de  Saint-Donat  -^5  si  l'on  pouvait  y  trouver 
un  local  convenable,  ou  bien  dans  le  collège  d'Arras  *.  Peut-être  agit-il 
ainsi  dans  l'inlérêt  de  son  institution  littéraire  ^,  afin  qu'il  ne  fût  pas 
nécessaire  d'acquérir  un  nouveau  bâtiment,  d'ouvrir  un  collège  particu- 
lier, d'y  entretenir  un  président  et  de  subvenir  à  d'autres  charges  encore. 

Le  fondateur  instituait  dans  son  collège  treize  bourses,  pour  les  hono- 
raires des  trois  professeurs  de  latin,  de  grec  et  d'hébi-eu,  et  pour  l'entre- 
tien de  dix  élèves  boursiers.  Nous  traiterons  d'abord  des  dispositions  con- 
cernant ces  derniers. 

Les  six  premiers  des  boursiers  seraient  choisis  de  préférence  parmi  les 

'  On  trouvera,  dans  les  pièces  juslificatives,  lettre  B,  un  extrait  complet  du  testament,  en  ce 
qui  concerne  la  fondation  du  coUi^ge  de  Busleiden,  d'après  le  texte  qu'on  en  a  donné  au  tome  IV 
des  Diplomata  Belyica  d'Aub.  Miraeus  (Bruxelles,  1748),  mais  que  nous  avons  collationné  avec  une 
copie  authentique  faite  sur  l'original  au  commencement  du  XVIII""  siècle  (  1701  ),  et  revêtue  de 
l'attestation  de  11.  U.  Quirini,  notaire  apostolique. 

^  Les  détails  du  lèglement,  les  menues  dispositions  touchant  à  des  alfaires  d'argent  ou  à  des 
usages  surannés,  n'ont  pas  été  compris  dans  cette  analyse;  on  les  lira  dans  le  texte  latin  avec  cer- 
tain intérêt,  pour  connaître  les  garanties  et  charges  autrefois  exigées  de  ceux  qui  prolitaient  d'une 
fondation  scolaire. 

"'  Colieijium  S.  Dunutiani.  —  Ce  collège,  situé  rue  des  Chats,  avait  élé  fondé  en  l-i88,  par  un 
prélat,  originaire  du  diocèse  d'Arras ,  Antoine  Hanneron,  prévôt  de  l'église  de  Saiiit-Donat ,  a 
Bruges;  il  conserva  pour  patron,  dans  les  siècles  suivants,  le  prévôt  de  la  même  église.  V.  André, 
Fasti,  pp.  298-299. 

'  Le  collège  d'Arras,  Collegiwn  Àtnbalense,  avait  élé  fondé  peu  auparavant  par  l'évoque 
d'Arras,  Nicolas  Rutherius  ou  de  Ruistre,  seigneur  du  pays  de  Luxembourg,  mort  à  Malines  eu 
novembre  1509.  Voy.  Fasti,  pp.  301-502. 

•"*  V.  André,  ibid.,  p.  273. 

Tome  XXVIIl.  8 


48  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

Luxembourgeois  ;  deux  devaient  être  natifs  de  la  commune  même  de  Bus- 
leideii,  deux  autres  de  Marville,  et  deux  d'Arlon,  lieu  natal  de  la  plupart 
des  membres  de  la  famille  Rusleiden;  enfin,  deux  autres  devaient  être 
originaires,  l'un  d'Aire  en  Artois,  et  l'autre  de  Steenberg.  On  eboisirait, 
à  défaut  de  ceux-ci,  des  jeunes  gens  nés  dans  les  localités  les  plus  voisines 
des  endroits  désignés,  c'est-à-dire  situées  à  trois  ou  quatre  milles  de  dis- 
tance ^  Tous  devaient  être  nés  en  légitime  mariage,  être  bien  doués  sous 
le  rapport  de  l'esprit  et  pourvus  d'une  instruction  convenable  pour  leur 
âge  :  le  choix  devait  se  porter,  suivant  l'expression  de  Jérôme  Busieiden. 
sur  ceux  qui  donneraient  les  plus  belles  espérances  à  l'Eglise  de  Dieu  et 
aux  bonnes  études. 

Chacun  des  boursiers  jouirait  d'une  bourse  de  vingt-cinq  florins  du 
Rhin,  mais  il  était  tenu  de  prouver  que  cette  somme  ne  pouvait  être  fournie 
par  sa  famille.  Entre  plusieurs  concurrents,  le  plus  pauvre  devait  être 
préféré,  s'il  n'était  pas  inférieur  aux  autres  en  esprit  et  en  moralité.  Pour 
être  admis  à  la  jouissance  de  ces  bourses,  les  candidats  ordinaires  devaient 
être  âgés  de  treize  ans  au  moins;  seuls,  les  candidats  natifs  de  Busieiden 
pouvaient  se  présenter  à  l'âge  de  dix  ans.  Le  testateur  fixait  à  huit  années 
la  possession  des  bourses  fondées  pour  les  élèves  désignés  ;  il  ne  créait  une 
exception  que  pour  les  seuls  élèves  reconnus  capables  d'en  diriger  d'au- 
tres dans  les  études  oîi  ils  s'étaient  eux-mêmes  déjà  distingués;  il  leur 
accordait  jouissance  de  la  bourse  pendant  deux  années  au  delà  du  terme 
fixé,  toujours  à  la  discrétion  des  proviseurs.  Nous  reviendrons  plus  loin 
sur  les  obligations  imposées  aux  boursiers  relativement  à  la  fréquentation 
des  leçons  et  à  l'emploi  quotidien  de  leur  temps. 

Quant  aux  trois  professeurs  désignés  par  Jérôme  Busieiden  pour  l'en- 
seignement des  langues  et  des  lettres  anciennes,  nous  dirons  ailleurs  quelle 
position  leur  était  faite  dans  l'établissement  nouveau,  quelles  qualités 
étaient  requises  en  leur  personne,  et  quelles  mesures  étaient  proposées  afin 

'  Ueiix  autres  élèves  soraicnt  appelés  à  la  jouissance  de  bourses  semblables,  ruii  nalit'  île  Ma- 
iines,  l'autre  de  Luxenibourç;,  après  une  période  de  dix  ans,  quand  une  portion  de  revenu  affectée 
extraordinairenient  aux  chaires  de  grec  et  d'hébreu  ,  lors  de  l'ouverture  du  collège,  rentrerait  entri' 
les  mains  des  proviseurs. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  49 

que  leur  enseignement  fût  accessible  et  profitable  au  plus  grand  nombre  '. 
Nous  nous  bornerons  à  faire  remarquer  ici  que  Busleiden  donne  toujours, 
dans  son  testament,  aux  futurs  maîtres  de  son  collège,  le  nom  de  praecep- 
lores,  et  jamais  celui  de  professores.  Était-ce  peut-être  alors,  dans  la  langue 
académique,  l'usage  de  nommer  praeceptores  ceux  qui  donnaient  dans  les 
collèges  des  cours  particuliers,  et  qui  n'occupaient  pas  une  des  cbaires 
légalement  instituées  en  la  Faculté  des  Arts  ou  en  d'autres  Facultés? 
Voyons  maintenant  ce  qui  se  passa  après  la  mort  de  Busleiden,  comment 
procédèrent  les  exécuteurs  testamentaires  qu'il  avait  chargés  spécialement 
de  faire  l'inventaire  de  sa  fortune  et  de  régler  toutes  choses  suivant  ses 
volontés  formellement  exprimées  ^.  De  fait,  les  deux  collèges  les  plus  an- 
ciens, ceux  de  Saint-Donat  et  d'Arras,  n'acceptèrent,  ni  l'un  ni  l'autre, 
le  legs  par  lequel  Busleiden  croyait  les  avoir  favorisés;  ils  y  renoncèrent, 
nous  dit-on,  après  mûre  délibération  de  leurs  directeurs,  en  considération 
non-seulement  de  la  modicité  du  profit  pécuniaire  que  cette  fondation  nou- 
velle leur  procurerait,  mais  encore  des  charges  futures  que  son  accep- 
tation leur  imposerait  dans  la  suite  des  temps. 

Jérôme  Busleiden  avait  désigné  Jean  Robbyns ,  doyen  de  Malines. 
comme  un  des  exécuteurs  de  son  testament,  dans  le  cas  oià  la  fondation 
serait  établie  dans  le  collège  d'Arras,  et  Jean  Stercke,  de  Meerbeke,  pré- 
sident du  collège  de  Saint-Donat,  dans  le  cas  où  l'on  aurait  pu  l'établii 
dans  ce  dernier  collège.  Ces  deux  hommes  n'eurent  sans  doute  point  de 
droit  au  legs  personnel  que  Busleiden  leur  avait  fait  dans  la  prévision  de 
l'important  service  qu'il  réclamait  d'eux;  mais  Jean  Stercke  devint  plus 
tard  le  premier  président  du  nouveau  collège. 

Il  y  eut  alors  un  instant  d'hésitation  touchant  l'emploi  qui  serait  fait  de 
la  donation  de  J.  Busleiden  en  faveur  des  lettres.  Bien  des  gens  se  figurèreni 
que  le  collège  projeté  n'existerait  peut-être  jamais,  ou  bien  qu'il  passerait 
de  Louvain  à  Bruges  ou  à  Tournai,  dont  les  magistrats  offraient  d'y  affectei 
gratuitement  de  spacieux  édifices.  Bruges  était  incontestablement  à  cette 
époque  une  ville  littéraire,  qui  renfermait  «   des  hommes  érudits  et  de 

'   Voy.  chapilres  III  el  IV. 

-  Voy.  les  FasU  academici  de  V.  André ,  p.  476. 


§0  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLÈGE 

sain  ingénient  »,  portés  à  bien  accueillir  une  telle  institution  ';  cette  ville, 
où  lirasme  comptait  tant  d'amis,  où  Vives  a  passé  ses  dernières  années, 
n'a-l-elle  pas  fourni  un  auditoire  aux  leçons  de  rhétorique  de  Georges  Cas- 
sander?  Tournai  avait  eu  des  écoles  célèbres  dans  les  siècles  antérieurs, 
et,  dans  les  années  mêmes  où  s'organisa  le  collège  des  Trois-Langues,  elle 
donna  l'hospitalité  à  Jacques  Ceratinus,  qui  y  enseigna  les  belles-lettres  2. 
Force  fut,  en  cette  conjoncture,  aux  hommes  qui  s'étaient  chargés  de 
l'exécution  du  testament  de  J.  Busleiden  s,  de  prendre  une  prompte  déci- 
sion :  ils  s'arrêtèrent  à  la  résolution  de  construire  et  d'ériger  un  nouveau 
collège  qui  répondît  en  quelque  sorte  aux  intentions  du  testateur  et  à 
l'attente  de  ses  amis.  Ainsi  comprirent  leur  tâche  trois  hommes  considé- 
rables de  ce  temps,  Antoine  Sucquet,  qui  avait  accompagné  Busleiden  dans 
son  voyage  d'Espagne,  Nicolas  de  Nispen,  secrétaire  de  Robert  de  Croy, 
archevêque  de  Cambrai ,  et  Barthélémy  de  Vessem,  chanoine  de  Malines  *. 
Us  usèrent  de  la  faculté  que  Busleiden  avait  laissée  à  ses  mandataires 
d'interpréter  ce  qu'il  pourrait  y  avoir  d'obscur  et  d'ambigu  dans  le  texte 
de  son  testament,  et  d'exécuter  et  accomplir  avec  liberté  les  clauses  et 
arrangements  qu'il  avait  voulu  y  consigner.  Ils- n'agirent  point  du  reste 
sans  avoir  recours  aux  conseils  de  plusieurs  personnes,  entre  autres  du 
frère  de  J.  Busleiden,  Gilles  ou  Egide,  ainsi  que  de  Didier  Érasme,  qui 
avait  eu  connaissance  de  son  dessein.  On  se  trouva  d'accord  sur  l'acquisi- 
tion immédiate  de  bâtiments  particuliers. 

•  Voy.  y  Histoire  de  Flmnlrc,  par  Kervyn  de  Leltenhovc,  i.  VI  (Ihuixelles,  1  8.j0,  \>\>.  33-38),  où  sont 
citées  les  lettres  d'Érasme  relatives  aux  savants  de  Bruges,  et  sur  G.  Cassandcr,  I^oppriis,  pp.  333-35. 

2  Voy.  au  chapitre  VU  (langue  grecque)  la  notice  relative  à  cet  humaniste  et  aux  relations  qu'il 
eut  en  Belgique.  -  Les  magistrats  de  Tournai  ayant  tenté,  vers  t525,  d'ouvrir  une  école  où  l'on  en- 
seignai avec  la  grammaire  les  éléments  des  sciences,  réclamation  fut  faite  auprès  de  la  gouver- 
nante des  Pays-Bas,  Marguerite  d'Autriche,  par  l'université  et  par  la  ville  de  I-ouvain.  Malgré  la 
transaction  que  proposa  Tournai,  le  conseil  souverain  de  Belgique  lui  interdit,  par  décision  portée 
à  Malines  en  t530,  de  donner  suite  à  cette  affaire.  Fasli  acad.,  pp.  338-359. 

'  Adrien  .losel ,  chanoine  d'Anvers,  que  Busleiden  leur  avait  adjoint  et  qu'il  avait  institué  d'autre 
part  distrihuteur  de  ses  aumônes,  ne  parait  pas  avoir  pris  part  à  l'éieetion  du  collège. 

'  B.  de  Vessem,  à  qui  Jérôme  Busleiden  avait  donné  le  plus  de  peine  et  de  responsabilité  en 
celte  affaire,  avait  été  gratifié  par  lui  d'un  legs  de  deux  cents  florins  d'or,  servant  d'ailleurs  d'in- 
demnité pour  ses  dépenses  et  avances;  cinquante  florins  d'or  étaient  assignés  du  même  chef  aux 
autres  exécuteurs  du  testament. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  5i 

C'est  Barlhélemy  de  Vessem  qui  se  chargea  d'acheter  à  Louvain,  en 
face  du  marché  aux  Poissons,  une  maison  qui  avait  une  issue  sur  la  place 
des  Augustins  et  une  autre  dans  la  rue  des  Écriniers  '  (de  Sclirynstraele). 
C'est  là  que  se  firent  les  travaux  nécessaires  à  l'appropriation  des  bâti- 
ments qui  devaient  servir  de  siège  au  collège  de  Busleiden.  Mais  ce  fut 
seulement  au  mois  d'octobre  1620  que  les  professeurs  titulaires  de  la 
fondation  purent  prendre  possession  du  local  ^.  L'endroit  était  bien  choisi 
et  l'édifice  n'était  pas  sans  élégance^  :  Colleriii  locits  el  lionestiis  est,  nec 
inelegaïuis  aiructume,  comme  s'exprimait  Érasme  l'année  suivante.  La  for- 
tune de  J.  Busleiden  n'était  pas  très-considérable '%  malgré  la  part  de 
biens  que  son  frère  François  lui  avait  laissée  naguère  :  elle  n'entrait  pas 
en  comparaison  avec  celle  des  personnages  de  son  rang  attachés  longtemps 
au  service  de  l'État  ou  de  l'Église.  Cependant  les  hommes  de  cette  époque 
qui,  comme  Érasme,  avaient  dû  compter  sur  la  libéralité  des  grands  et 
des  prélats ,  regardèrent  sans  doute  comme  très-large  et  comme  extraordi- 
naire la  dotation  de  J.  Busleiden,  faite  sans  réserve  au  profit  des  belles- 
lettres.  A  part  les  legs  d'une  valeur  déterminée  dont  il  a  été  question  plus 
haut,  c'était  sa  fortune  pour  ainsi  dire  tout  entière  qu'il  avait  affectée  à 
ce  but  de  généreux  prosélytisme^,  La  fondation  instituée  par  J.  Busleiden 
constituait  avec  les  legs  une  charge  énorme  pour  ses  héritiers  directs;  elle 
équivalait  presque  à  un  abandon  complet  de  leurs   droits*^,  et  il  fallut 

*  Ces  détails  sont  tirés  du  recueil  de  \ia\  (fol.  1409).  La  maison  qui  avait  appartenu  à  la  faniillf 
de  Calstre  (de  Catstris),  de  même  que  le  collège  de  Winkelius,  fut  aclietée  des  héritiers  ou  exécu- 
teurs testamentaires  de  Walther  de  Beka,  docteur  en  droit.  Ex  libro  A.  IS19  a  prima  caméra 
oppidi  Lovaniennis  ad  \-i  septembris. 

-  On  verra  plus  loin  que  les  premières  leçons  furent  données  dans  la  maison  des  PP.  Augustins. 

^  Epist.,  t.  I,  p.  652  (an.  1521). 

'  Dans  un  passage  d'Erasme  (lettre  de  1S3I  à  J.  Tnsanusou  Toussain,  que  nous  aur'ons  occasion 
de  citer  au  chapitre  suivant),  il  est  dit  de  notre  Dusleiden  :  Decessit  et  auctorilale  et  re  mediocri,  etc.: 
il  faut  entendre  ces  mots  de  l'état  médiocre  de  sa  fortune,  par  rapport  à  raccroissement  qu'elle 
aurait  reçu  dans  la  carrière  politique  où  il  était  entré,  s'il  eût  vécu  plus  longtemps. 

■'  Dans  la  môme  lettre  à  J.  Tusanus,  Érasme  dit  expressément  :  Quidquid  erat  facullatwn ,  id 
universum  ei  negolio  dedicavit,  et  on  lit  dans  une  autre  lettre  du  même  à  l'évêque  de  Liège,  Érard 
de  la  Marck  :  Universam  forlunam  Iniic  pulclierrimo  inlendit  nerjolio. 

Qui  fraudatis  eliani  haeredibus  ingenlem  pecuniarum  vim  in  hune  usum  legato  retiquil .  ut 
honesto  salarin  pararentur,  qui  Lovanii  très  linguas  profiterenttir.  —  Érasme,  de  ralione  verae  Iheo- 


32  MÉMOIRE  SIR  LE  COLLEGE 

assuréinenl  le  bon  vouloir  des  membres  de  sa  famille,  ainsi  que  le  dé- 
vouement des  hommes  à  qui  il  avail  fait  appel,  pour  que  l'afliiire  fût  menée 
à  bonne  fin.  C'est  en  cette  occurrence  que  les  sollicitations  d'Érasme  furent 
décisives  :  il  prévint  le  découragement  chez  les  mandataires  à  qui  son  ami 
avait  confié  un  pouvoir  illimité  et  sans  contrôle  pour  le  partage  de  sa  for- 
tune, et  il  détourna  les  héritiers  de  la  pensée  de  faire  aucune  espèce 
d'opposition  à  ce  partage.  Érasme  agit  en  temps  opportun  et  à  diverses 
reprises  auprès  de  Gilles  Busleiden,  qui  était  alors  à  la  tête  de  la  famille 
et  qui  occupait  un  haut  emploi  dans  les  finances  royales  (Calliolici  Régis  a 
rationibm^J;  il  le  traita  comme  un  homme  public  qui  a  des  devoirs  envers 
la  société  en  raison  de  ses  titres,  et  qui  ne  peut  rester  étranger  à  la  cause 
des   lettres;  il  invoqua  surtout  auprès  de  lui   l'honneur  de  sa  famille, 
l'obligation  de  soutenir  cette  fois  encore  le  nom  déjà  célèbre  des  Buslei- 
den- :  Cujus  laudis  non  minima  porlio,  a  pu  dire  Érasme  lui-même  5,  debetiir 
et  ejus  germano ,  JE^Gimo  Buslidio  qui  sic  favet  fratris  teslamento,  imo  sic  Litteris 
ipse  litteralissiniits,  ul  malil  cam  pccuniam  juvandis  sludiis  omnium  qmim  suis 
scriniis  augendis  dicalum.  11  est  de  fait  que  les  Busleiden,  alors  représentés 

logiae.  0pp.,  t.  V,  p.  75.  Voy.  EpiU.,  1. 1,  p.  632.  Six  mois  ne  s'étaient  pas  écoulés  qu'Érasme,  instruii 
(le  lout,  écrivait  à  Builé  (  Louvain,  22  février  13IS.  EpUl.,  t.  I,  p.  305)  :  DusUdianum  legalum  uc 
Trilingue  coUeginm  pidclire  procedit.  Est  cmicm  magiiifimtUus  quam  pularam.  DeslincUa  eiiim  hitiv 
negotio  plus  viginti  francortim  millia  :  utinam  cxemplmn  hoc  coinplures  inveniat  aemidos.  Voy. 
Episl.,  t.  I,  p.  ÔI9.  MulUi  millia  ducatonwi. 

*  Bayle  interprèle  le  titre  latin  (a  ralionibvs)  qu'Érasme  et  d'autres  donnent  à  Gilles  Busleiden, 
en  disant  qu'il  «  avait  une  charge  dans  la  (hanibre  des  finances  du  roi  d'Espagne.  »  Dicl.  histo- 
rique et  dit.,  t.  I,  p.  "O'J.  Un  peu  plus  tard,  Gilles  Busleiden  remplissait  la  même  charge  au 
service  de  l'empereur,  ce  qui  le  fait  nommer  par  Valère  André  (Exordia,  p.  8)  :  Caroli  F  imper  u- 
loris  a  ralionibus.  Selon  Valère  André,  Fasli,  p.  276,  Gilles  avait  une  prébende  à  la  collégiale 
de  Bruxelles,  et  le  titre  de  trésorier  de  celte  église  {Cunonici  et  thesaurarii  ad  S.  GudiUuni 
Bruxellis  ) . 

-  Voy.  Episl.,  t.  I,  p.  1633  (Lovan.,  1517)  :  Quare  te  nigo  per  oplimi  fralris  memoriam  perqae 
communein  itomiins  Busiidiani  yloriatn,  ne  patiare  te  itb  eo  quod  cocplum  est  abduci  :  sunt  enim 
fortassis  qui  ipsi  sua  bono  invideant,  maliulqne  alias  a  melioribus  sludiis  aveiicre,  quam  ipsi  dis- 
cere  melioru.  —  Episl.,  1. 1 ,  p.  378  (Lov.  anno  I  a  1 8)  :  i)f  Collegio  insliluendo  cave  le  paliaris  abduci 
a  seiilcntiu.  Mihi  credc,  res  ea  cuni  omni  studiorum  yeneri  supra  quam  dici  possit,  conducet,  tum 
Buslidiiino  nomini  ,  juni  per  se  multisynodis  illuslri,  non  )iiediocrem  decoris  ac  lucis  accessionem 
adjunget. 

'  JJerationeveraetheologiae,  1.  c.  \oy.  Episl.,  1. 1,  p.  652.  Danieli  Tois/nV/o.  (Anderlecht,  1521.) 


DES  TROIS-LANGUES   \  LOIVAIIN.  53 

par  le  chevalier  Gilles  ou  Égide,  ont  concouru  à  la  réussite  de  l'œuvre, 
et  que  leur  nom  collectif  a  été  plus  d'une  fois  cité  pour  glorifier  la  géné- 
rosité du  conseiller  de  Malines. 

Nul  ne  doit  être  associé  plus  étroitement  qu'Érasme  à  la  gloire  recueillie 
de  ce  chef  par  Jérôme  Busleiden  et  les  siens.  Il  fallait  le  feu  de  sa  parole 
pour  ranimer  au  début  de  l'entreprise  des  volontés  chancelantes  :  plus 
tard  encore,  quand  la  chose  fut  décidée  et  l'œuvre  même  déjà  inaugurée, 
c'est  Érasme  qui,  de  près  et  de  loin,  de  la  voix  et  du  geste,  soutint  dans 
leur  mission  les  premiers  maîtres  du  collège  des  Trois-Langues.  (^et  hom- 
mage a  été  rendu  à  Érasme  par  Valère  André,  dans  son  discours  sur 
l'origine  de  ce  collège  ^.  lllo  itaque  hortalore,  a  magni  Buslidii  e  vita  discessii, 
magnis  animis  impeudiisque  domicitium  hoc,  vei  Musanim  potius  templum  erigi 
coeptum,  itlo  éi:Q/oâia}y.zyj  fervere  opiis  visum,  ad  exitumque  festinare  :  unde  non  parva 
tandis  Buslidianae  porlio  ad  Erasmum  derivala. 

C'est  sous  de  tels  auspices  que  s'ouvrit,  en  1518,  le  collège  qui  devait 
subsister  aussi  longtemps  que  l'université  sous  le  nom  de  Collegium  Tri- 
lingue (collège  des  Trois-Langues.  —  (loUegie  van  de  dry  tonglien),  et  sous 
celui  de  Collegium  Ihislidiannm  ou  Buslidii,  collège  de  Busleiden. 

'  Exordia  ac  progressas ,  p.  8.  Ainsi  que  l'a  fait  observer  Valère  André  en  cet  endroit  et  dans  la 
suite  du  même  travail  (pp.  41-i2),  Juste  Lipse  s'est  trompé  dans  son  {Lovaniiim,  lib.  III,  cap.  IV), 
en  rapportant  à  Erasme  l'idée  même  de  l'inslilution,  si  clairement  énoncée  dans  le  testament  de 
J.  Busleiden  :  Neque  enim  iiroprie  collegium  taie  insliluil;  sed  vertit  et  flexit  eo  curatores  teslamciiti 
Erasmus,  etc.  C.eile  méprise  a  eu  sa  source  dans  un  passasse  de  la  vie  d'Erasme  par  Beatus  Rhe- 
narus  où  on  lit  :  Erasmus  leslamenlariis  auctor  fnil  nt  Alhenuenm  Lovanii  instilnerelur .  etc. 


M  MEMOIRE  SI  R  LE  COLLEGE 


CHAPITRE  in. 

DE  L'OUVERTURE  ET  DES  COMMENCEMEiNTS  DU  COLLÈGE  DES 

TROIS-LANGUES. 


tiività  Stinervà. 
Bien  ignorante  elle  est  d'esire  enneinr(> 
Dc'lu  Trilingue  et  Doble  Académie 


L'épisode  que  nous  allons  raconter  a  beaucoup  de  ressemblance  avec 
une  foule  d'auli'es  dont  se  compose  l'histoire  de  l'esprit  humain  dans  tous 
les  temps  et  dans  tous  les  pays  :  c'est  le  sort  de  toute  institution  née  viable, 
de  s'établir  au  milieu  des  contradictions,  de  ne  grandir  que  par  la  lutte, 
et  cette  lutte  offre  presque  toujours  la  même  suite  de  péripéties. 

11  s'agissait  de  faire  une  petite  place,  dans  un  corps  savant  privilégié, 
à  une  branche  d'enseignement  qui  avait  droit  d'exister  à  part,  et  qui  ne 
menaçait  aucunement  l'existence  des  autres.  On  verra  ce  qu'il  fallut  pour 
cela  d'efforts  et  de  courage  chez  les  hommes  qui  avaient  pris  en  main  la 
cause  des  études  littéraires ,  de  persévérance  et  d'ardeur  chez  ceux  qui 
donnaient  celte  instruction  nouvelle  comme  chez  ceux  qui  la  recevaient 
avidement.  Il  y  avait  division  dans  le  camp  universitaire  de  Louvain  :  les 
uns,  en  plus  petit  nombre,  prenaient  le  parti  des  belles-lettres  [poliliores 
litej-ae),  qui  étaient  aussi  les  bonnes  lettres  [bonae  Hterae);  les  autres  décla- 
maient contre  elles,  ou  bien  ils  en  parlaient  avec  effroi  comme  on  fait  des 
calamités  publiques  grossies  par  la  peur.  Ceux  qui  se  taisaient  ne  leur 
étaient  pas  moins  hostiles,  car  ils  conspiraient.  Parmi  les  hauts  dignitaires 
de  l'académie  brabançonne,  quelques-uns  pressentaient  la  force  et  l'éclat 
qu'elle  allait  recevoir  par  l'adoption  de  ces  fdles  cadettes,  déjà  émancipées 
dans  les  écoles  d'Italie;  mais  la  plupart  vacillaient.  Quelques  théologiens 
protestaient;  les  juristes  branlaient  la  tête;  la  Facultédes  Arts  était  de  mau- 
vaise humeur Minerve  boudait! 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIIS.  55 

L'érection  d'un  nouveau  collège  à  Louvain  une  fois  décidée,  les  man- 
dataires de  Jérôme  Busleiden  ne  perdirent  point  de  temps  :  pendant  que 
se  faisait  la  réparation  des  bâtiments  qu'ils  venaient  d'acheter  au  centre 
de  la  ville,  ils  jetèrent  les  fondements  de  l'œuvre  littéraire,  et,  par  une 
détermination  que  justifiaient  sans  doute  les  usages  du  temps ,  ils  l'inau- 
gurèrent le  l"^"^  septembre  1518,  dans  un  local  voisin,  le  couvent  des  PP. 
augiistins.  C'est  dans  des  salles  prêtées  par  ces  religieux  que  les  premières 
leçons  furent  données  par  les  titulaires  des  trois  chaires  désignées  dans 
l'acte  de  fondation;  c'était  Adrianus  Barlandus  pour  le  latin,  Rutgerus 
Rescius  pour  le  grec,  et  Matthaeus  Adrianus  pour  l'hébreu  :  nous  revien- 
drons sur  le  mérite  de  ces  trois  hommes,  que  Valèie  André  comparait  aux 
lampadophores  des  cortèges  antiques,  aux  soldats  qui  précédaient  les  en- 
seignes {^a.$où-/piit  6'  <iuasi  anlesignanis). 

Mais  ce  n'était  pas  assez  d'avoir  proclamé  dans  cette  première  tentative 
l'idée  conçue  par  un  membre  éminent  du  clergé  national ,  et  accueillie 
favorablement  par  les  bons  esprits,  d'avoir  ainsi  éclairé  l'opinion  et  de 
l'avoir  mise  en  demeure  de  se  prononcer  à  cet  égard.  Il  restait  à  vaincre 
la  résistance  ouverte  ou  cachée  que  des  hommes  nombreux  et  influents 
opposeraient  longtemps  encore  à  l'enseignement  nouveau  ;  et  puis  il  y 
avait  lieu  de  compter  avec  les  prétentions  ou  les  droits  des  corporations 
antérieurement  constituées;  cependant  il  importait  de  conserver  au  collège 
de  Busleiden  son  caractère  distinctif,  sa  destination  spéciale,  tout  en  l'an- 
nexant à  l'établissement  universitaire  selon  les  vœux  du  fondateur. 

L'université  de  Jean  IV  se  montra  inquiète  des  actes  qui  venaient  d'être 
posés.  Dans  sa  sollicitude  pour  le  maintien  de  sa  constitution  et  de  ses 
privilèges,  elle  prétendit  devoir  appliquer  aux  professeurs  de  langues  du 
collège  naissant  à  peine,  celui  de  ses  statuts  qui  portait  que,  dans  ladite 
université,  nul  docteur,  maître,  licencié,  bachelier,  ne  pouvait  être  admis 
à  professer,  à  argumenter,  etc.,  s'il  n'y  avait  été  dûment  autorisé  aupa- 
ravant :  cette  décision  fut  portée  le  8  mars  1519.  La  Faculté  des  Arts,  en 
particulier,  soutenait  que  les  lecteurs,  les  boursiers  et  les  autres  étudiants 
du  même  collège  devaient  être  réputés  lui  appartenir,  et  qu'il  entrait  aussi 
dans  ses  attributions  de  prescrire  les  règlements  suivant  lesquels  les  pro- 
ToME  XXVIII.  9 


m  MÉMOIRE  SLR  LE  COLLÈGE 

fesseurs  de  ce  collège  feraieiU  leurs  cours  au  plus  grand  profit  de  leurs 
auditeurs,  et  même  les  heures  les  plus  convenables  auxquelles  ils  les 
feraient. 

L'affaire  fut  instruite  officiellement,  et  après  de  nombreuses  conférences 
des  délégués  de  l'université  avec  les  exécuteurs  du  testament  de  Jérôme 
Busleiden,  le  collège  desTrois-Langucs  fut  admis  et  reconnu  comme  faisant 
partie  de  l'université  ^  :  les  clauses  établies  par  le  testateur  devaient  être 
formellement  respectées,  de  même  que  les  statuts  de  l'université  strictement 
observés;  à  cette  condition,  les  professeurs  de  ladite  institution  seraient 
investis  de  la  prérogative  de  faire  des  leçons  publiques  sans  crainte  de 
réclamations  et  de  poursuites.  C'est  vraisemblablement  dans  le  cours  de 
l'année  même  1519,  que  cet  accord  fut  conclu-;  l'acte  par  lequel  le 
collège  était  reconnu  par  le  recteur  et  l'université  aurait  été  notifié  en  date 
<lu  12  juillet  1S19;  l'approbation  et  la  ratification  de  cet  acte  auraient 
eu  lieu  le  20  septembre  de  la  même  année  où  les  protestations  du  corps 
universitaire  avaient  été  formulées  dès  le  8  mars. 

Pendant  un  terme  fort  long  encore,  les  leçons  de  langues  furent  don- 
nées dans  le  couvent  des  PP.  augustins,  et  cet  état  provisoire  d'environ 
deux  ans  n'a  rien  qui  doive  surprendre,  quand  on  sait  combien  de  temps 
les  lecteurs  du  Roi,  au  collège  de  France  fondé  un  peu  plus  tard,  man- 
quèrent d'un  local  convenable,  malgré  le  bon  vouloir  de  François  I",  et 
durent  enseigner,  jusqu'à  la  fin  du  siècle,  tantôt  dans  un  collège,  tantôt 
dans  un  autre.  Enfin  le  18  du  mois  d'octobre  de  l'année  1520,  jour  de 
la  fête  de  saint  Luc,  les  professeurs  titulaires  du  collège,  qui  étaient  alors 
Conrad  Goclenius,  Rutger  Rescius  et  Jean  Campensis,  prirent  solennelle- 
ment (solemni  majorum  more)  possession  du  local  définitif  de  l'établissement^; 

'  Fasii  academici ,  pp.  276-277  :  Plamit  tandem  an.  MDXX.  111.  hl.  Martii,  Collegium  hoc 
juxta  et  gecundum  parlicidas,  clausitlaset  ordinationes ,  in  Uslamenlo  dicli  quondam  D.  Pracposili 
i-xpressus,  et  statuta  Uinve7-sitalis ,  ucceplandum,  ac  di.spensandum  esse  supei-  slatulo  dispoiwiite  de 
iis,  qui  leyere  publiée  volunt  in  dicta  Universitate ,  quantum  saltem  concernerel  Professores  pro 
tempore  dicti  Collegii. 

^  Celle  dale  semble  préférable  à  celle  de  15:20  (lô  mars)  que  donne  Valère  André  (voir  la  nou; 
ci-dessus);  elle  est  garantie  par  l'indication  des  deux  époques  de  l'arrangement  définilif  consignée 
dans  le  recueil  de  Bax  (fol.  IHO). 

'  Valère  André,  Fasti,  p.  277.  Exordia,  p.  8. 


DES  TROfS-LANGLES  A  LOUVAIIS.  57 

déjà  ils  avaient  à  leur  lêle  un  président,  Jean  Slercke  ou  Fortis,  de  Meer- 
beck,  licencié  en  théologie  '.  Les  proviseurs  qui  firent  l'installation  du  per- 
sonnel étaient,  suivant  la  volonté  du  fondateur^,  le  curé  ou  pléban  de 
l'église  collégiale  de  S'-Pierre;  le  membre  de  l'université  chargé  de  la  pré- 
sidence ordinaire  dans  les  disputes  hebdomadaires  du  collège  des  théolo- 
giens (dites  Sabbatines)^,  et  le  père  ou  prieur  de  la  Chartreuse  de  Louvain. 

Écoutons  maintenant  ce  que  J.  Busieiden  lui-même  exigeait  des  pro- 
fesseurs chargés  de  l'enseignement  des  langues,  quelle  tâche  il  leur  assi- 
gnait, et  ce  qu'il  pensait  du  choix  des  auteurs.  11  recommandait  dans  son 
testament*,  de  prendre  pour  professeurs  des  hommes  instruits  «  sous  tous 
»  les  rapports,  de  mœurs  éprouvées,  d'une  vie  irréprochable,  qui  lussent 
»  et  expliquassent  chaque  jour  en  public,  à  tous  ceux  qui  se  présente- 
»  raient,  des  écrivains  chrétiens  ainsi  que  des  auteurs  moraux  et  d'autres 
»  jugés  dignes  d'approbation  (tarn  clirislianos  qiiam  morales ,  ac  altos  probatos 
»  auctores),  dans  les  trois  langues  latine,  grecque  et  hébraïque,  et  cela  à 
»  des  heures  qui  seraient  fixées  pour  leur  commodité  et  pour  celle  de 
»    leurs  auditeurs » 

Évidemment,  J.  Busieiden  faisait  allusion  à  un  usage  introduit  depuis 
la  seconde  moitié  du  siècle  précédent  à  Louvain  et  dans  plusieurs  écoles 
des  Pays-Bas;  c'était  de  joindre  des  écrivains  choisis  de  l'antiquité,  des 
classiques  publiés  naguère  en  Italie,  et  plus  récemment  en  Allemagne,  en 
Belgique  et  ailleurs,  à  des  auteurs  chrétiens,  poètes  et  prosateurs,  qui 
avaient  été  expliqués  avec  faveur  au  moyen  âge.  Érasme  ne  pensait  pas 
autrement,  comme  le  prouvent  ses  divers  écrits  ainsi  que  ses  travaux  sur  les 
Pères  et  sur  d'autres  écrivains  de  l'antiquité.  Ce  qui  avait  été  pratiqué 
dans  l'enseignement  plus  restreint  des  anciens  collèges,  ou  bien  dans  les 

'  Déjà  directeur  du  collège  de  Saint-Donat,  J.  Stercke  avait  reçu  de  Busieiden  une  mission  de 
confiance,  dans  le  cas  où  les  chaires  auraient  pu  être  établies  dans  ledit  collège.  Voy.  chap.  Il,  p.  49. 

^  Nous  exposerons,  au  chapitre  IV,  comment  Busieiden  avait  réglé  les  attributions  des  provi- 
seurs et  du  président  de  son  collège. 

'  Dans  le  cas  où  les  Sabbatines  n'existassent  plus,  c'était  au  doyen  de  la  faculté  de  théologie 
que  la  qualité  de  proviseur  serait  transmise. 

^  Le  texte  de  ce  passage  a  été  cité  par  Valère  André  dans  ses  Exordia,  pp.  7-8,  et  dans  ses  Fasti, 
p.  278. 


S8  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

leçons  privées  et  les  exercices  de  nos  humanistes  ^,  le  fut  encore  au  début 
de  l'enseignement  public  du  collège  des  Trois-Langues  ;  les  textes  qu'on 
y  lisait  et  commentait  dans  les  leçons  étaient  pris  dans  le  cercle  des  livres 
d'une  valeur  et  d'une  utilité  incontestables.  On  s'y  occupa  des  écrivains 
chrétiens,  en  même  temps  que  d'auteurs  profanes,  choisis  dans  tous  les 
genres.  On  a  lieu  de  croire  qu'il  n'y  eut  que  de  fort  rares  exemples  d'un 
abus  des  classiques;  encore  faudrait-il  juger  les  faits  à  une  telle  distance 
de  temps,  en  rapport  avec  l'espèce  de  candeur  et  de  simplicité  dans  les 
mœurs,  qui  faisait  tolérer  autrefois  certaine  rudesse  et  grossièreté  dans 
l'expression,  et  ne  faudrait-il  pas  oublier  que  le  latin,  si  cultivé  et  si 
l'épandu  qu'il  fût  alors,  avait  les  droits  d'une  langue  morte,  dont  la  licence 
dans  les  termes  ne  choque  pas  autant  que  celle  qui  régnerait  dans  une 
langue  vulgaire.  Il  serait  faux,  nous  a-t-il  paru,  après  examen  des  seuls 
détails  encore  connus,  de  supposer  que  l'œuvre  de  Busleiden  ait  encouru 
quelque  reproche  du  chef  d'une  témérité  quelconque,  apportée  dans  le 
choix  des  auteurs  et  des  livres.  Mais  c'est  là  une  matière  historique  toute 
spéciale  que  nous  aurons  à  élucider  plus  loin;  de  prime  abord,  nous  allons 
rechercher  les  véritables  causes  de  l'opposition  qui  fut  faite  aux  membres 
du  collège  des  Trois-Langues  pendant  plusieurs  années,  et  représenter  les 
principaux  traits  de  la  lutte  que  cette  institution  dut  soutenir  dès  son 
berceau. 

Tous  les  obstacles  extérieurs  qui  auraient  pu  entraver  les  travaux  du 
nouveau  collège  avaient  été  levés  à  la  suite  de  négociations  dont  nous 
avons  parlé  précédemment;  mais  à  peine  incorporé  à  l'université,  ou 
pour  mieux  dire,  autorisé  par  elle,  le  collège  ne  pouvait  subsister  sans 
être  en  butte  à  des  hostilités  de  plus  d'un  genre. 

Le  conflit  des  opinions,  qui  s'était  manifesté  tout  d'abord,  éclata  avec 
plus  de  force,  quand  on  vit  l'enseignement  des  langues  attirer  un  bon 
nombre  d'auditeurs,  et  concilier  à  ceux  qui  le  donnaient  l'estime  d'une 
jeunesse  choisie.  Il  se  forma  un  parti  assez  nombreux,  qui  fit  une  conti- 

'  On  verra  au  chapitre  V  ce  qui  fut  fait  à  Louvain  pour  l'élude  des  langues  anciennes  avant  le 
collège  de  Busleiden.  Nous  n'avons  point  placé  ces  renseitçnements  dans  les  premiers  chapitres, 
pour  ne  pas  trop  différer  l'exposé  de  la  fondation  de  ce  collège. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  59 

nuelle  opposition  aux  progrès  de  l'établissement  de  Busleiden.  Mais  les 
factions  dont  il  se  composait  étaient  mues  dans  leurs  déclamations  et  leurs 
actes  par  dos  mobiles  fort  divers  :  c'était  l'ignorance  pour  les  uns,  l'intérêt 
pour  les  autres,  et  même  l'envie  pour  quelques-uns  ;  cbez  plusieurs,  c'était 
l'empire  de  leurs  préjugés  d'éducation  et  d'école,  ou  encore  l'effet  des 
déclamations  qu'on  entendait  partout  '.  Tous  ces  sentiments  produisaient 
la  défiance  ou  l'irritation,  qui  se  traduisait  dans  leur  conduite;  les  plus 
calmes  d'entre  tant  d'adversaires  étaient  des  hommes  d'une  instruction 
médiocre,  qui  n'acceptaient  point  l'idée  que  les  langues  pussent  être  cul- 
tivées utilement,  comme  des  études  à  part,  et  qu'on  leur  assignât  un  rang 
spécial ,  à  côté  des  sciences  reçues  dans  le  haut  enseignement  :  ils  savaient 
d'ailleurs  que  leur  étude  excitait  alors  partout  beaucoup  d'ardeur  et  d'en- 
thousiasme; et  ils  la  tenaient  pour  suspecte  en  raison  même  de  cette  faveur 
générale  et  spontanée.  Des  hommes  graves  et  plus  instruits  n'étaient  pas 
animés  de  cette  hostilité  envers  les  lettres  ;  mais  ils  ne  se  déclaraient  point, 
et  ne  s'avançaient  pas  jusqu'à  prendre  leur  défense,  en  présence  des  pro- 
grès de  la  Réforme  dans  tout  l'occident  de  l'Europe,  au  bruit  des  trou- 
bles politiques  qu'ils  entraînèrent  presque  toujours.  Enfin,  venait  un  petit 
groupe  d'hommes  d'un  caractère  naturellement  exalté,  qui  voulaient  con- 
tenir d'une  manière  absolue  l'esprit  d'indépendance  et  de  nouveauté,  qui 
le  redoutaient  sous  toutes  ses  formes,  et  qui  le  poursuivaient  partout  où 
il  aurait  pu  se  produire  :  il  y  en  avait  parmi  eux  à  qui  la  force  de  leurs 
convictions  religieuses,  éclairées  par  l'étude,  aurait  dû  donner  plus  d'em- 
pire sur  eux-mêmes  dans  ces  moments  de  crise,  alors  que  l'inquiétude  et 
la  passion  prévalaient  chez  tant  d'autres  sur  l'examen  sérieux  des  choses: 
mais  ils  étaient  excités  sans  cesse  à  protester,  à  déclamer,  à  combattre, 
par  ces  esprits  impétueux  qui  ne  veulent  ni  trêve,  ni  ménagement.  Qu'ar- 
riva-t-il  nécessairement  alors?  Ce  parti  tout  entier,  suivant  la  tactique  de 
quelques  chefs,  fit  une  résistance  aveugle  aux  opinions  contraires;  il  atta- 
qua sans  relâche  l'étude  des  langues  et  des  lettres,  quelquefois  à  force 

'  Qui  exprimerait  mieux  ces  choses  que  ne  l'a  fait  Érasme?  Epist..  t.  I,  p.  909  :  quosdam  im- 
pellit  ingeiiii  stoliililas,  quosdam  amor  quaestus.  nonmdlos  livor  :  sunt  qui  mbserviunt  aliénât 
volimlati. 


60  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

ouverte,  mais  suiloul  avec  l'arme  des  insinuations,  et  si  l'on  considère  ce 
qui  se  passait  à  l'intérieur  de  notre  pays,  évidemment,  il  n'eut  pas  le 
devoir  d'incriminer  des  excès  déjà  commis,  mais  la  prétention  de  dénon- 
cer les  excès  qu'on  aurait  pu  ou  qu'on  allait  commettre. 

H  est  resté  bien  des  témoignages  de  cette  conspiration  des  craintes,  des 
opinions,  des  intérêts,  contre  laquelle  le  collège  des  Ïrois-Langues  eut  à 
lutter  fort  longtemps.  Sans  pénétrer  dans  aucune  des  controverses  tliéolo- 
giques  qui  ont  réagi  à  cette  époque  sur  les  circonstances  de  cette  lutte,  nous 
ne  pouvons  nous  dispenser  de  mettre  en  scène  pendant  quelques  instants 
les  hommes,  les  chefs  d'école,  qui  nous  représentent  les  différents  points 
de  vue  auxquels  se  plaçaient  les  antagonistes  du  collège;  nous  devrons 
aussi  parler  de  l'altitude  des  personnages  influents  qui  étaient  en  dehors 
du  débat  intérieur,  ou ,  à  proprement  parler,  de  la  querelle  académique. 
Érasme,  dont  le  nom  avait  le  plus  de  célébrité  dans  les  lettres,   et 
devait  être  mêlé  plus  qu'aucun  autre  à  de  telles  discussions,  était  sur- 
tout la  pierre  de  scandale.  Il  advint  de  son  temps,  ce  qu'on  a  vu  tant  de 
fois  dans  l'histoire  des  idées  ou  des  méthodes  sujettes  à  la  controverse  : 
on  n'a  tenu  compte  ni  des  assertions  ni  des  intentions  d'Érasme;  on  l'a 
chargé  de  toute  la  haine  que  l'on  portait  aux  novateurs  des  nations  voi- 
sines, et  on  l'a  rendu  responsable  de  leurs  erreurs  et  de  leurs  excès  ^ 
On  a  très-facilement  fait  passer  l'apparente  neutralité  qu'il  avait  gardée 
sur  certains  points  pour  une  hostilité  profonde,  cachée,  mais  d'autant 
plus  perfide  et  plus  dangereuse,  et  c'est  ainsi  qu'on  a  pu  lui  prêter,  sans 
trop  d'invraisemblance  aux  yeux  de  la  foule,  une  connivence  secrète  avec 
Luther.  Tous  les  moyens  étaient  bons  pour  ceux  qui  désiraient  arrêter  le 
mouvement  littéraire  et  détruire  dès  le  principe  l'œuvre  de  Busleiden  :  à 
part  des  scrupules,  émis  de  bonne  foi  peut-être  par  quelques  théologiens, 
les  opposants  faisaient  arme  de  tout,  et  les  plus  minces  intrigues  devaient 

'  Bien  des  fois  Érasme  s'est  déciiargéde  ceUe  responsabilité,  comme  quand  il  a  dit,  par  exemple, 
en  1520,  que  c'était  «  la  plus  grande  iniquité  de  lui  imputer  la  témérité  d'autrui.  »  Epist.,  t.  I, 
p.  545.  Quand  il  n'avait  pas  encore  rompu  avec  Luther,  dans  une  lettre  adressée  à  celui-ci,  en 
1519,  il  soutenait  l'obligation  de  mettre  de  la  prudence  dans  ses  actes  et  ses  paroles  pour  être 
fidèle  à  l'esprit  du  Christ.  Epist.,  t.  I,  pp.  444-445. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  61 

grossir  toujours  davantage  la  querelle  à  leur  profit  ;  au  milieu  de  celte 
longue  agitation,  les  prétextes  les  plus  futiles  étaient  pris  pour  des  raisons. 

Il  fut  donné  d'abord  à  Érasme  de  voir  les  choses  de  près,  puisqu'il 
résida  en  Belgique,  presque  sans  interru|Uion ,  de  l'an  1517  à  l'an  13:21. 
et  plus  tard,  il  suivit  de  loin  avec  beaucoup  d'attention  le  (il  des  intri- 
gues nouées  sans  cesse  contre  le  collège  qu'il  avait  vu  naître.  Instruit  de 
ces  choses  par  les  hommes  honorables  qu'il  avait  connus  à  Louvain  et 
dans  d'autres  villes  de  ce  pays,  il  ne  semble  pas  qu'il  ait  mis  de  l'exagé- 
ration dans  la  peinture  que  plusieurs  pièces  de  sa  correspondance  litté- 
raire nous  en  ont  conservée  ^;  seulement  importerait-il  de  distinguer  dans 
ces  passages  les  questions  littéraires  d'avec  les  affaires  religieuses  et  les 
controverses  théologiques,  et  de  discerner  les  endroits  oîi  l'humaniste  a 
été  entraîné  par  l'habitude  à  une  trop  grande  vivacité  d'expression.  Le 
rôle  d'Érasme,  comme  promoteur  du  collège  des  Trois-Langues,  appar- 
tient en  tous  cas  à  notre  sujet;  mais  puisque  de  Burigny  ne  s'est  pas  soucié 
de  retracer  dans  sa  Vie  d'Ërasme  les  relations  de  celui-ci  avec  les  profes- 
seurs de  Louvain,  et  sa  participation  active  à  l'exécution  des  plans  de 
Busleiden,  les  nombreux  emprunts  que  nous  ferons  ici  à  sa  correspon- 
dance ne  manqueront  pas,  nous  aimons  à  le  croire,  de  quelque  attrait  de 
nouveauté,  et  de  l'espèce  de  curiosité  qui  s'attache  aux  vicissitudes  des 
idées  littéraires  au  XVI"''  siècle. 

Des  démonstrations  hostiles  aux  professeurs  du  collège  de  Busleiden  ne 
s'étaient  pas  fait  attendre.  On  ne  se  contenta  pas  de  les  noircir  auprès  de 
leurs  confrères  et  de  leurs  amis,  dont  quelques-uns  s'éloignèrent  d'eux,  on 
voulut  intimider  les  jeunes  gens  qui  fréquentaient  leurs  cours  et  recher- 
chaient leur  société.  Comme  il  n'arrive  que  trop  souvent  en  pareil  cas . 
l'animosité  de  quelques  hommes  se  communiqua  à  des  coteries  qui  ne 
reculèrent  devant  aucune  espèce  d'outrage,  du  moins  en  paroles.  Quand 
le  nouveau  collège  venait  d'être  ouvert  près  du  marché  aux  Poissons,  des 

'  Valère  André  s'est  servi  du  témoignage  d'Érasme  pour  peindre  les  diflieultés  que  le  Collegiutii 
Trilingue  avait  traversées  dans  la  période  de  ses  vingt  premières  années.  (FaMi,  p.  277;  Exordiu 
et  progressu.1 ,  pp.  8  et  suiv.,  pp.  34-39),  et  il  a  pu  dire  d'Érasme  :  Qui  in  collegio  celebrando  fre- 
quens,  in  promovendo  lotus  fuit. 


62  MÉMOIRE  SLR  LE  COLLEGE 

étudiants  de  la  Faculté  des  Arts,  excités  peut-être  par  l'un  ou  l'autre  de 
leurs  maîtres,  ou  bien  par  leur  mépris  naturel  pour  les  belles-lettres,  pre- 
naient plaisir  à  crier  partout  :  ISos  non  loquimur  lalinum  de  foro  Piscium,  sed 
loqnimur  lalimtm  Malris  nostrae  Facullatis!  Est-ce  là  un  bruit  répété  à  tort, 
comme  l'affirme  Valère  André  ^?  En  tout  cas,  c'est  un  de  ces  cris  de  l'igno- 
rance jalouse,  qui  était  une  des  faiblesses  des  anciennes  écoles,  et  cet 
incident  seulement  plaisant  s'efface  devant  les  scènes  bien  autrement  vio- 
lentes qui  se  passèrent,  pour  des  causes  semblables,  vers  la  même  époque, 
à  Paris,  à  Oxford  et  dans  d'autres  universités  renommées  :  là  aussi,  il 
y  eut  bien  des  llucluations,  des  disputes  oiseuses,  des  menaces  et  des 
altercations,  avant  que  la  cause  de  l'enseignement  littéraire  fût  gagnée. 
Selon  toute  apparence,  les  invectives  et  les  voies  de  fait  furent  bientôt  dé- 
fendues par  les  dignitaires  de  l'université,  dans  l'intérêt  de  l'ordre,  à  une 
époque  où  les  écoles  de  Louvain  comptaient  trois  mille  élèves  2;  dans  un 
tel  moment,  les  réclamations  devaient  avoir  leur  cours  légal,  malgré  l'im- 
patience des  intéressés. 

Les  vues  d'Érasme  avaient  été  suivies  avec  succès  par  les  représentants 
de  Busleiden;  l'altitude  calme  et  digne  des  hommes  qui  acceptèrent  d'eux 
l'honneur  de  faire  les  premières  leçons  dissipa  les  préventions  de  quelques- 
uns,  et  prévint  les  récriminations  les  plus  amères  de  la  part  de  beaucoup 
d'autres;  elle  permit  à  ces  maîtres  d'entendre  impunément  un  langage 
d'injures  qui  fut  bien  vite  épuisé.  C'est  à  Erasme  sans  doute  qu'il  faut 
faire  honneur  de  la  résolution   qui  fut  prise  d'ouvrir  les  cours  au  plus 

*  Fasti,  p.  277  :  Rklicuium  illud  est,  quod  fermt ,  cxim  nascente  ac  florenle  hoc  collegio,  silo  ad 
forum  Piscium....  jaclilari  idenlidem  solilum,  etc. 

2  11  ressort  d'une  lettre  d'Érasme  (an.  1521.  Epist.,  t.  I,  p.  689)  que  les  administrateurs  de  ce 
corps  avaient  dû  arrêter  le  mouvement  :  Lovunii  quibus  tumultibus  obsliterc  Proceres.  ne  qiiis  quam- 
libel  hoimtam  discipliiiam  profileretur,  vd  gratis?  quibus  modis  conspiralum  est  adversum  rem 
magno  et  usui  et  ornumenlo  futtiram  ,  non  sobim  Academiae ,  sed  loti  regioni?  Prodila  est  nova  vêtus 
constilutio.  Jdhibita  est  toiius  Academiae  auctoritas ,  imploratum  est  praesidium  aulae  regiae. 
Acciti  sunt  ad  suppetias  magistratus  prophani  (sic).  Postremo  ad  lictores  ventum  est.  Nullus  non 

est  motus  lapis,  nihii  iiUentalum  reliclum  est Nec  aliud  ogebatur  tantu  rermn  molimine,  quam 

ne  quis  poUlioribus  literis  adjuiaret  Academiae  studia  ,  praescrtim  quam  honestissima  essent,  quae 
docebaiHur,  ac  professores  tam  sanctis  essent  moribus,  et  tam  sancle  profiterentur,  ul  aliquoties  in 
concionibus  audianlur  minus  ad  bonos  mores  facientia.  Voy.  plus  loin  un  passage  analogue.  Epist., 
t.  l,  p.  535. 


DES  TROIS-LANGLES  A  LOUVAIN.  63 

lot;  il  s'exprime  ainsi  dans  une  lettre  du  2(3  mars  I0I8  au  doyen  de 
Malines,  Jean  Robbyns,  homme  prudent  et  droit,  qui  estimait  Érasme, 
et  qui  s'intéressait  vivement  à  la  réussite  du  projet  de  Busleiden  •  :  De 
domo ,  siio  leinpore  fiet  quod  faciendum  est.  Ego  professiones  slalim  censeo  inewi- 
das ,  ne  res  intérim  fririescal ,  mit  ne  quis  malus  cjenius  rem  salularem  omnibus 
interturbet.  Crede  milii,  tlieologicorum  Collcgioriim  abunde  satis  erit,  et  Qnaes- 
tionariorum  ubique  plus  satis  :  at  hoc  pulcherrimum  negotium ,  nisi  ex  Buslidii  anima 
SHCcesscrit ,  non  video  per  quem  possit  instaurari. 

Le  dépit  avec  lequel  la  plupart  voyaient  s'élever  le  collège  n'échappait 
pas  à  Érasme,  malgré  le  soin  avec  lequel  quelques-uns  le  dissimulaient. 
Il  avait  assez  de  preuves  du  mauvais  vouloir  que  des  hommes  élevés  en 
dignité  apportaient  en  toutes  ces  affaires,  et,  s'il  respectait  l'université 
comme  organisée  plus  fortement  que  bien  d'autres,  il  souhaitait  de  la  voir 
administrée  par  des  mains  plus  dignes  ^.  Mais  quelquefois  il  se  sentait 
animé  du  plus  grand  espoir  pour  l'avenir  de  l'œuvre ,  en  raison  même  des 
obstacles  qui  s'élevaient  autour  de  son  berceau;  il  devinait  qu'elle  sérail 
un  jour  très-florissante  '',  et  invoquant  les  enseignements  de  l'histoire  sur 
l'origine  des  empires  et  même  sur  celle  du  christianisme,  il  répétait  à  son 
sujet  qu'il  n'est  rien  d'excellent  qui  ne  soit  né  dans  le  monde  sans  des 
commencements  difficiles. 

Tant  qu'il  y  eut  un  doute  sur  la  libre  existence  du  collège  de  Busleiden, 
Érasme  saisit  toute  occasion  de  recommander  les  études  qui  devaient  y 
fleurir;  il  s'adressa,  à  cet  effet,  à  plusieurs  personnes  d'un  grand  crédit, 
afin  de  parer  aux  difficultés  qui  seraient  suscitées  au  nom  des  pouvoirs 
constitués  de  l'État  comme  au  nom  des  corporations  de  l'université.  Quand 

'  Epist.,  t.  Il,  p.  i677.  Cette  lettre,  déjà  citée,  a  été  écrite  à  Loiivain  ,  et  signée  ainsi  :  Erasmus 
tibi  deditissimus. — Voy.  Lettre  à  G.  Spalaliniis,  1319;  Vit^um  prudcntia  simjidari,  summa  inte- 
gritale ,  sed  ingenio  perquam  festivo.  Is  est  in  quem  Collegii  Trilinguis  praecipua  cura  inclinata 
recunibil.  Epist.,  t.  I ,  p.  482. 

-  Lettre  à  J.  Robb\ns.  Louvain,  !"■  décembre  iol9  {Epist.,  t.  I,  p.  S23)  :  dissinnilent  quanlum- 

libet,  hoc  Collegium  illos pcssime  hahel Et  plus  loin  :  0  sanclam  Academiam,  si  cum  atiis  con- 

feralur,  sed  dignam  aliis,  quorum  arbitrio  temperetur! 

5  Ibid.,  p.  5-25:  Atque  hacc  auguria  mihi  porlendunl ,  olim  florenlissimam  futuram.  Sic  ortiim 
est  Romanum  imperium;  sic  crcvit  Uebraeorum  gloria;  sic  orla,  sic  propagata ,  sic  constabiiita 
Christiana  religio.Nulla  res  egregia,  nisi  difficilibus  initiisnata  est. 

Tome  XXVHI.  iO 


64  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

il  écrit  à  un  conseiller  de  Brabanl,  le  7  janvier  1519  ',  il  réclame  l'inter- 
vention du  grand  chancelier  dans  l'intérêt  des  sciences  qui  donneront  un 
grand  renom  à  cette  académie  nationale,  si  elles  y  sont  enseignées  libre- 
ment ,  et  il  invoque  à  cet  égard  les  désirs  d'un  souverain  aussi  éclairé  que 
l'était  Charles  d'Espagne  ;  il  veut  rassurer  les  magistrats  de  la  cour  suprême 
sur  les  dispositions  de  la  jeunesse  de  Louvain ,  qui  ne  menace  l'État  d'au- 
cun trouble  et  qui  suit  docilement  l'impulsion  de  ses  maîtres.  C'est  avec 
un  complet  désintéressement  qu'il  fait  valoir  la  cause  des  bonnes  études, 
puisque  lui-même  ne  réclame  rien  pour  lui  ;  il  n'enseigne  pas,  et  il  ne  suit 
les  leçons  de  personne  -. 

C'est  probablement  dans  l'intervalle  du  temps  qui  sépara  l'ouverture  du 
collège  de  son  agrégation  à  l'université,  que  se  fit  entendre  ce  concert  de 
déclamations  et  d'invectives  contre  les  langues,  contre  les  belles-lettres,  dont 
Erasme  parlait  d'une  manière  si  piquante  en  écrivant,  en  1519,  à  P.  Mosel- 
lanus  5.  Il  voyait  dans  tout  ce  bruit  une  conspiration  bien  montée,  et  qui 
avait  dû  éclater  partout  en  même  temps  :  c'était  merveille  avec  quel  en- 
semble elle  avait  été  organisée,  et  comment  les  rôles  des  conjurés  avaient 
été  partagés  avec  art  :  Ego  si  qiiid  milii  imris  est ,  arbilror  rem  a  conjuratis  ac 
devotis  ex  composito  (jeri  :  adco  cm  dato  signo  clamatum  est  iibique  gentium  in 
lingiias,  in  bonas  liueras.  Cotiglomeranl  se  phalanges,  quo  vel  numéro  defendanlur 
adversus  paucos.  Parlitmtiir  opéras  inter  se ,  ut  alii  blaterent  in  conviviis  et  conci- 
tiabulis  :  alii  apud  imperitam  plebem  vociferentur,  cui  imponere  facillimum  est  : 
alii  disputent  in  scholis  :  alii  magnatibus  suum  virus  instillent  in  aurem.  Sunt  et 
qui  libros  scriptitent ,  pi^aesertim  Coloniae  *. 

'  Epist.,  t.  I,  p.  409  (Jodoco  Noetio).  On  y  lit,  à  propos  d'une  requête  dirigée  contre  les  nou- 
velles études:  Res per  paucos  conjuralos  acta  est,  qui  sua  doctrina  contenli  magis  student  augendae 
rei,  quam  literis;  nec  curant  quantum  proficianl  juvenes ,  modo  ipsi  Lovanii  stio  régnent  arbitralu. 
Nusquam  est  Academia  quae  modestiores  hnbeat  juvenes,  minusque  tunndtitantes  quam  hodie  Lnva- 
nium 

2  Ibid.  :  Mihi  hic  nec  serilur,  nec  metitur,  ipse  nec  lego  cuiquam  ,  nec  amlio  quemquam.  A  ne- 
mine  colligo  quicquam  ,  do  nonnidiis.  Sed  lamen  movet  me  publica  causa  sludiorum. 

'"  Lettre  de  Louvain.  Epist.,  1. 1,  p.  405.  —  P.  Mosellanus,  professeur  de  grec  à  Leipzig,  avait 
écrit,  sur  les  langues,  un  discours  cloquent,  qui  avait  eu  beaucoup  de  retentissement. 

*  Ici  et  ailleurs,  Érasme  noie  l'école  de  Cologne  comme  un  des  centres  d'études  où  l'on  fit  aux 
lettres  classiques  la  plus  opiniâtre  résistance.  Voy.  Epist.,  t.  I,  pp.  689  et  749. 


DES  TROIS-LANGCES  A  LOUVAIN.  65 

Nulle  part  Érasme  n'a  usé  d'une  fiction  plus  ingénieuse  pour  signaler 
les  motifs  d'intérêt  pécuniaire  qui  avaient  mis  tant  de  monde  en  campagne 
contre  les  chaires  de  belles-lettres  ^.  Quand  il  consulta  des  astrologues  au 
sujet  de  cette  guerre  générale  des  ignorants  contre  les  savants ,  ils  lui  ap- 
prirent que  tout  le  mal  provenait  de  l'éclipsé  de  l'année  précédente.  Il  est 
bien  vrai  que  cette  éclipse  eut  lieu  sous  le  signe  du  Bélier,  qui  agit  sur  la 
tète  ;  mais  Mercure,  touché  par  Saturne ,  en  a  le  plus  souffert,  et  personne 
n'a  été  frappé  plus  que  ceux  qui  étaient  placés  sous  l'influence  de  Mercure: 
or,  suivant  Erasme,  c'étaient  entre  autres  les  docteurs  de  Louvain,  et  il 
expliquait  ainsi,  dans  son  langage  satirique,  le  trouble  inouï  qui  régnait 
depuis  peu  dans  une  académie  «  où  les  lettres  étaient  accoutumées  à  fleurir 
le  plus  tranquillement.  » 

Ces  craintes  occupaient  sans  cesse  Érasme,  qui  en  faisait  part  à  ses 
meilleurs  amis  ,  et  qui,  recueillant  tout  ce  qui  se  faisait  ailleurs  d'utile 
pour  l'étude  des  langues,  déplorait  l'acharnement  dont  elle  était  l'objet 
sous  ses  yeux.  Tantôt  il  opposait  aux  machinations  dirigées  contre  le 
collège  des  Trois-Langues  à  Louvain,  la  protection  dont  le  pape  et  les  car- 
dinaux couvriraient  à  Piome  une  institution  semblable^;  tantôt  il  rappro- 
chait les  libéralités  faites  par  la  cour  de  France  à  une  foule  de  savants,  des 
efforts  que  tant  de  gens,  même  élevés  en  dignité,  dirigeaient  opiniâtrement 
chez  nous  contre  l'enseignement  gratuit  des  langues  à  peine  organisé  ^. 

'  Nous  faisons  ici  mention  de  cette  alk'gorie  après  M.  de  Rciffenbei'g,  qui  l'a  analysée  dans  la 
première  section  des  Notices  et  extraits  des  manuscrits  île  la  Bibliothèque  de  Bourf/ogne  (Brnxelies, 
1829,  in-A",  pp.  26-27),  parce  qu'elle  représente  bien  l'esprit  et  le  langage  du  temps  :  Aslrologos 

aliquot  consului ii  mali  causam  in  anni  superioris  cclipsim  refcrunt.  Ea  contigit ,  ni  fallor ,  in 

Ariele,  Aries  aulem  ad  caput  pertinet  ;  ad  haec  Mercurius  vitiatus  est  afflatu  Saturni  ;  perinde  ma- 
lum  hoc polissimum  illos  afpcere  qui  Mercurio  subsunl  :  inter  quos  numerant  Lovanicnses ,  si  quident 
haec  Academia,  in  qua  tranquiUissime  soient  jlorere  lillerarum  studio,  miris  lumuUibus  agitata  est, 
ut  ego  cerle  niliil  unquain  simile  viderim  in  vita{Episl.,  t.  I,  p.  403). 

2  Lettre  de  Louvain  à  G.  Budé.  Louvain,  17  février  1519,  Epist.,  1. 1,  p.  417  :  Si  quid  natum 
hujus  modi  fuisset  in  urbe  Roma ,  qune  non  alia  pluribns  abundat  ornamenlis,  tamen  et  cardinales 
et  sunvnus  ipse  pontifcx,  summis  tum  favoribus ,  liun  honoribus  prosequerentur....  At  isti  remet 

muni/îcam,  et  ad  tam  insignem  omnium  utilitatem paralam,  sic  abominantur ,  sic  horrent  ut 

olim  Romani  non  aeque  formidarint  Gallos  urbe  jam  capta,  Capitolio  insidiantes.  Ch.  Epist., 
t.  I,p.  689. 

5  Lettre  de  Louvain  à  L.  Vives,  1319,  Epist.,  t.  [,  pp.  533-536  :  Hujus  Academiae  proceres 


66  MEMOIRE  SIR  LE  COLLÈGE 

Il  se  plaisait  à  dire  que  Léon  X,  François  ]"  et  Henri  VIII  devaient  être 
frappés  de  démence,  si  la  sagesse  et  la  raison  étaient  du  côté  de  ces 
ennemis  fougueux  des  lettres,  qui  ne  reculaient  devant  aucune  énormité; 
il  convenait  toutefois  que  le  nombre  des  acteurs  qui  dirigeaient  la  con- 
spiration se  réduisait  à  trois  ou  quatre  coryphées  profondément  stupides^  : 
c'étaient  ceux  qui  criaient  le  plus  fort,  et  qui  faisaient  le  plus  de  mal.  Ce 
qui  l'indisposait  contre  le  corps  même  de  l'université  de  Louvain,  c'était 
l'attitude  superbe  qu'il  prenait  tout  à  coup,  l'autorité  despotique  à  laquelle 
il  semblait  prétendre,  tandis  que  la  célébrité  plus  grande,  que  cette  école 
devait  uniquement  aux  belles-lettres,  datait  d'un  si  petit  nombre  d'années-. 
Les  saines  études,  malgré  tout,  allaient  gagner  de  jour  en  jour,  et  elles 
prévaudraient  bientôt,  en  dépit  de  quelques  détracteurs  acharnés  :  Érasme 
osait  le  prédire,  alors  même  qu'il  signalait  à  Vives  le  danger  qu'elles 
couraient. 

La  vigilance  d'Érasme  fut  extrême,  toutes  les  fois  qu'il  eut  l'occasion 
de  soutenir  les  vrais  intérêts  des  études  et  de  pourvoir  aux  besoins  du  col- 
lège doté  par  Busleiden  :  sans  y  avoir  accepté  aucune  charge,  il  se  faisait  le 
défenseur  officieux  de  cette  institution  par  reconnaissance  pour  un  de  ses 
protecteurs,  qui  avait  été  aussi  pour  lui  le  plus  bienveillant  des  amis^.  et  il 

)ion  ferunt  Trilingue  collegium,  gratis  adjuvans  publica  omnia  studia,  gratis  ornaus  non  solttm 
liane  scholam ,  vcrum  eliani  iiniversani  principis  ditionem.  Non  ferunt  p7'ofessores  moribus  inculpa- 
tissimis,  professione  easta,  doetrina  longe  Faiistinae  praeferenda.  Il  y  a  ici  une  allusion  à  un  certain 
Faustus,  qui  avait  fait  à  Paris,  avec  beaucoup  de  scandale,  des  leçons  sur  les  poêles,  leçons  tolérées 
cependant  fort  longtemps  par  l'université.  En  celte  même  lettre,  Érasme  dit  que  celte  université  a 
pu  favoriser  davantage  d'autres  études,  mais  qu'elle  n'a  pas  refusé  les  secours  qui  lui  sont  venus 
du  côté  des  lettres.  Cfr.  Epist.,  1. 1,  p.  689. 

'  Epist.,  l.  I,  p.  417. 

2  Voici  ce  curieux  passage  de  la  lettre  déjà  citée  à  Vives,  Epist.,  t.  1,  p.  336  :  Ante  annos  non 
lia  multos  frigebat  haec  seliola ,  nunc  bonarum  Uteraruin  eommendatione  facta  celebrior,  mirwn 
quas  cristas  erigit ,  guod  altoltil  supercilium ,  quam  mcditalur  tyrannidem.  Sed  hoe  quicqmd  est  tra- 
goediae  dtiobus  artl  tribus  acceptum  ferinnis.  Quos  ctiamsi  non  queant  mitescere  ;  lamen  obruent 
tandem  in  dies  inagis  ac  mugis  invalescentia  reetiora  studia,  praesertim  si  tule  in  hoc  belto  Camil- 
lum  quemdam  praebeas. 

^  Epist.,  t.  1,  p.  353  {/Egidio  Bnslidio.  Lov.,  18  oct.  1318)  :  Non  meum  ago  negolium,  sed  iin- 
pense  faveo  memoriae  benignissimi  palroni ,  et  amici  incomparabilis.  Faveo  publicae  temporum 
nosirorum  felicitati,  cui  et  ipse,  pro  mea  viriti,  lantum  vigiliarum  impendi ,  ntque  eliamnwn 
impendo. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  67 

confondait  ici  un  devoir  particulier  avec  la  lâche  qu'il  avait  poursuivie 
jusque-là  avec  une  étonnante  autorité,  celle  de  diriger  le  mouvement  des 
hautes  études;  seulement  il  a  pu  arriver  à  Érasme  de  croire  trop  facilement 
à  l'exécution  prochaine  des  mesures  et  des  plans  sur  lesquels  il  supposait 
l'opinion  suffisamment  éclairée,  et  de  mettre  dans  les  termes  une  irrita- 
tion toute  personnelle  contre  les  classes  d'hommes  qui  étaient  censées  y 
faire  obstacle.  Érasme  dut  porter  ailleurs  ses  coups,  quand  le  collège  de 
Busleiden  fut  reconnu  par  l'université,  avant  la  fin  de  l'année  1519  : 
alors,  il  eut  à  répondre  aux  attaques  ouvertes  ou  déguisées  qui  s'adres- 
saient autant  à  sa  personne  qu'à  cette  fondation  littéraire  ou  bien  à  l'en- 
seignement des  langues  •  ;  il  dut  se  borner  souvent  à  éventer  des  intrigues 
qui  se  formaient  autour  d'une  institution  déjà  en  exercice,  ou  bien  à  plai- 
der en  général  la  cause  des  bonnes  lettres,  avec  allusion  au  procès  de  ten- 
dance que  leurs  adversaires  ne  se  lassaient  pas  de  recommencer. 

La  conspiration  qu'Érasme  avait  dénoncée  dans  ses  premières  lettres 
ne  cessa  pas  après  l'installation  des  professeurs  de  Busleiden  dans  leur 
collège  :  à  partir  de  ce  moment,  les  intérêts  et  l'honneur  d'aucune  autre 
corporation  ou  association  n'étaient  plus  en  jeu,  puisque  l'autorité  uni- 
versitaire ne  s'était  engagée  à  aucune  concession  d'argent  ou  de  privilèges 
à  un  collège  qui  ne  conférait  pas  de  grades  et  qui  devait  subsister  par 
son  propre  revenu.  Ce  qu'on  se  mit  à  incriminer,  ce  fut  l'esprit  dans  lequel 
on  enseignerait  la  grammaire,  et  surtout  l'application  que  l'on  ferait  de 
cette  science  aux  textes  de  l'Écriture  et  des  Pères  :  à  vrai  dire,  quoiqu'il 
s'agît  d'une  lecture  des  anciens  auteurs,  faite  en  concurrence  à  celle  des 
écrivains  chrétiens ,  la  question  des  «  classiques  païens  »  ,  comme  on 
dirait  de  nos  jours ,  compte  fort  peu  dans  la  querelle  que  nous  retraçons. 
Les  déclamations  publiques,  les  digressions  polémiques  faites  dans  les 

*  C'est  de  l'an  1519  que  date  un  écrit  de  J.  Latomus  ,  dirigé  contre  l'application  des  langues  à 
l'élude  de  la  lliéologie  et  des  Écritures  :  De  tribus  linguis  et  ratione  studii  theologici  dialogus; 
Érasme  répondit  avec  mesure  pour  défendre  son  point  de  vue.  Nous  n'insistons  pas  sur  cet  inci- 
dent, qui  touche  cependant  à  la  matière  de  ce  chapitre,  parce  qu'il  ne  serait  bien  élucidé,  selon 
nous,  que  dans  un  travail  particulier  comportant  un  examen  des  questions  théologiques  à  côté 
des  autres;  il  a  été  esquissé  brièvement  par  M.  Rotlier,  dans  son  Mémoire  sur  Erasme,  pp.  129- 
132,  et  par  de  Burigny,  t.  1 ,  pp.  532-534. 


68  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

leçons  des  Facultés,  les  insinuations  et  les  entreliens  privés  roulaient  sur 
le  péril  que  l'étude  des  langues  ferait  courir  à  la  foi  chrétienne,  à  l'an- 
cienne théologie ,  et  surtout  à  ses  méthodes  consacrées  par  l'usage  des 
siècles.  C'en  était  assez  pour  que  le  collège  de  Busleiden  fût  enveloppé  dans 
la  proscription  qui  devait  atteindre  toutes  les  nouvelles  écoles  de  gram- 
maire et  de  belles-lettres,  et  une  conjuration  permanente  menaça,  pendant 
une  vingtaine  d'années,  l'existence  même  d'un  établissement  que  la  plu- 
part des  autres  États  de  l'Europe  enviaient  alors  à  l'université  de  Louvain. 
Avant  de  raconter  les  derniers  incidents  de  cette  conjuration  ,  à  laquelle 
survécut  le  collège  des  Trois-Langues,  nous  ne  pouvons  nous  dispenseï' 
d'apprécier  la  valeur  des  prétextes  et  des  opinions  qui  ont  eu  le  plus  de 
force  dans  les  attaques  dirigées  contre  lui.  Si  large  que  l'on  fasse  la  pan 
de  l'ignorance  dans  de  tels  conflits ,  il  faut  bien  distinguer  de  la  foule  des 
adversaires  des  hommes  sérieux  et  honnêtes,  qui  s'opposaient  aux  progrès 
des  nouvelles  études  avec  une  conviction  réfléchie ,  et  tenir  compte  des  rai- 
sons spécieuses  sur  lesquelles  se  fondait  leur  conduite.  Habitués  aux  pro- 
cédés sévères  de  la  théologie  et  d'autres  sciences  qu'ils  cultivaient  eux- 
mêmes,  ils  se  défiaient  de  l'enthousiasme  qui  éclatait  partout  où  les  études 
philologiques  s'étaient  implantées;  ils  redoutaient  cette  prose  latine,  élé- 
gante, vive,  enjouée  ,  qui  avait  gagné  tout  à  coup  une  mobilité  qui  lui  était 
étrangère  depuis  des  siècles,  et  qui  allait  être  à  la  fois  l'arme  de  la  plaisan- 
terie, l'instrument  de  la  polémique  et  le  véhicule  des  idées.  La  prompte 
popularité  que  celte  nouvelle  langue  latine  donnait  à  tout  ce  qu'elle  expri- 
mait, leur  inspirait  une  sorte  de  terreur,  et  le  succès  prodigieux  des  écrits 
d'Érasme  les  portait  à  croire  que  la  libre  censure  de  toutes  choses  sorti- 
rait de  ces  écoles,  où  l'on  faisait  du  beau  langage  un  art  et  une  science. 
L'exemple  d'Érasme,  on  doit  en  convenir,  autorisait  à  certain  point  les 
préventions  de  ces  hommes  contre  le  développement  nouveau  des  études 
de  philologie  et  de  littérature  :  sans  prendre  garde  aux  intentions  et  aux 
essais  de  tant  d'autres  humanistes  qui  le  suivaient  de  près,  ils  considé- 
raient l'abus  en  lui-même,  puis  dans  les  habitudes  et  les  tendances  qu'il 
autoriserait.  Érasme  n'avait-il  pas  plus  d'une  fois  abordé  les  questions  les 
plus  graves,  au  milieu  de  matières  fort  légères,  et  ne  les  avait-il  pas  traitées 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  69 

avec  hardiesse,  alors  même  qu'il  n'avait  rien  cédé  à  l'erreur?  N'avait-il 
pas  porté  dans  la  satire,  par  exemple  dans  YÊloge  de  la  Folie,  une  causticité 
excessive,  qu'avaient  dû  blâmer  ses  admirateurs  sincères,  tels  qu'Adrien 
Barland  et  Dorpius?  Et  même  ne  s'était-il  pas  laissé  aller  quelquefois  à 
des  sorties  violentes  et  de  mauvais  goût  contre  des  docteurs  entêtés, 
inexorables  en  leurs  discours  contre  les  lettres  et  ceux  qui  les  cultivaient? 
On  aurait  peine  à  le  dissimuler  :  les  préventions  les  plus  hostiles  aux 
langues  et  aux  lettres  avaient  un  aliment  dans  le  ton  et  les  allures  de  la 
plupart  de  ceux  qui  se  piquaient  de  bien  écrire  ;  et  presque  aux  frontières 
des  Pays-Bas,  l'effervescence  et  l'agitation  produites  parla  Réforme  crois- 
saient de  jour  en  jour.  On  ne  se  croyait  pas  coupable  de  paradoxe  en 
faisant  retomber  sur  la  grammaire  et  la  littérature,  la  sympathie  des 
écoles  et  des  classes  lettrées,  acquise  en  beaucoup  de  pays  à  la  révolu- 
tion religieuse  qui  éclatait.  Le  plus  grand  nombre  ne  se  faisait  pas  une 
juste  idée  du  mouvement  qui  s'était  accompli  dans  le  cercle  entier  des 
études,  en  Italie  et  au  dehors,  et  qui  commençait  à  s'étendre  à  la  théo- 
logie, à  l'Écriture  et  aux  sciences  ecclésiastiques;  quelques  hommes  plus 
instruits,  qui  n'ignoraient  pas  ces  choses,  fermaient  les  yeux  sur  les  be- 
soins d'un  enseignement  plus  complet,  où  les  langues  avaient  une  place 
nécessaire,  et  ils  auraient  voulu  mettre  un  arrêt  aux  progrès  dont  cette 
dernière  étude  était  déjà  redevable  aux  professeurs  de  Busleiden.  L'hébreu 
était  sans  doute  suspect  à  la  majorité  des  défenseurs  de  l'ancienne  méthode 
qui  dominait  en  théologie;  car  ils  la  voyaient  menacée  par  toute  discussion 
faite  à  l'aide  des  Écritures,  et  par  un  recours  direct  à  l'Ancien  Testament 
en  hébreu.  Toutefois  des  théologiens  éminents,  Dorpius,  par  exemple  ^ 
avaient  entrevu  la  lumière  qui  jaillirait  du  texte  original  de  la  Bible, 
dûment  interprété;  et  bien  d'autres,  sans  rejeter  tout  à  fait  l'étude  de  la 
langue  sainte,  l'ajournaient  indéfiniment  sous  l'empire  de  préoccupations 
polémiques.  Mais  le  grec,  semble-t-il,  excitait  bien  autrement  la  défiance. 
à  cause  de  l'application  que  l'on  se  disposait  à  en  faire  à  une  exégèse  en- 
tièrement neuve  du  Nouveau  Testament,  et  non  moins  à  cause  de  l'abon- 
dance des  sources  de  la  patrologie  grecque,  qui  allaient  être  invoquées 

'  Voy.  au  chapitre  V  ce  qu'avait  voulu  faire  Dorpius  en  faveur  de  l'hébreu 


70  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

dans  la  théologie  et  qui  étaient  appelées  à  renouveler  en  les  enrichissant 
toutes  les  branches  de  l'érudition  ecclésiastique  ^ 

Au  moment  même  où  la  Faculté  de  théologie  semblait  prendre  parti  à  Lou- 
vain  contre  ces  deux  langues  savantes,  en  considérant  surtout  la  destina- 
tion hostile  qu'elles  recevraient  sans  doute  de  l'esprit  de  l'époque,  l'Espagne 
se  glorifiait  de  l'achèvement  de  la  Bible  polyglotte  de  Ximenès ,  qui  était  un 
monument  élevé,  à  l'aide  de  la  connaissance  des  langues,  à  la  science  des 
saintes  Écritures^;  Rome  accueillait  avec  reconnaissance  cet  ouvrage  im- 
provisé et  conduit  à  bonne  fin  au  sein  des  écoles  d'Espagne,  et  l'Italie  se 
préparait  à  d'utiles  et  vastes  travaux,  comme  ceux  de  Santés  Pagninus. 
Érasme ,  qui  était  regardé  d'un  œil  défiant  à  Louvain  ,  à  Cologne,  à  Paris, 
ne  parlait  pas  des  langues  anciennes,  celles  de  la  Bible  et  de  ses  premières 
versions,  en  d'autres  termes  que  le  cardinal  Ximenès,  dont  nous  rappor- 
tions les  expressions  plus  haut  :  «  Une  telle  institution,  disait-il  en  désignant 
celle  de  Busleiden  ^,  doit  ramener  les  travaux  de  tous  les  savants,  des 
fossés  d'eau  trouble  aux  sources  les  plus  limpides  des  divines  Écritures.  » 

Érasme,  de  son  côté,  avait  entrepris  une  édition  grecque  des  Évangiles, 
regardée  comme  l'édition  princeps  de  leur  texte  original,  puisque  les 
Évangiles  grecs  d'Alcala  ne  furent  livrés  à  la  publicité  qu'en  1522,  et  il  y 
avait  joint  une  paraphrase  latine  qui  avait  l'importance  d'un  commentaire; 
son  travail  fut  agréé  par  le  pape  Léon  X  *,  et  après  les  deux  éditions  de 
Bàle  qui  se  suivirent  de  près,  en  1510  et  1518,  il  eut  encore  trois  autres 
éditions  de  son  vivant.  Le  savoir  et  la  sagacité  d'Érasme,  sa  réputation 
d'écrivain  et  de  théologien,  avaient  donné  l'espoir  à  Rome  qu'il  accompli- 
rait sa  tâche  avec  autant  de  prudence  que  de  supériorité.  Mais,  si  l'œuvre 
de  l'helléniste  consommé  était  remarquable,  et  si  bien  des  parties  de  l'inter- 
prétation se  distinguaient  par  leur  justesse,  il  y  avait  dans  les  notes  des 
observations  hardies,  qui  n'échappèrent  point  à  la  censure  des  écoles  de 

'  J.  Latomus,  qui  n'était  point  un  homme  sans  lettres  {Epist.  Er.  I,  674),  entendait  n'autoriser 
la  lecture  des  Pères  grecs  et  latins ,  qu'après  l'étude  des  docteurs  et  maîtres  de  la  scolastique. 

^  Voy.  ci-dessus,  cliap   I,  §  II!,  pp  32-3Ô. 

5  Epist.,  t.  II,  1677.  Haecuna  res  omnium  sliidia ,  a  turbidis  lacimis ,  ad  divinae  scripturae 
limpidissiinos  fontes  rcvocabit.  —  Cfr.  Prologue  de  la  Polyglotte  d'Alcala,  Hefele,  loc  cit.,  p.  144. 

*  Voy.  de  Biirigny,  t.  I,  pp.  545  et  suiv.,  et  Hefele,  ihid.,  p.  162-65. 


DES  TROIS-LAISGUES  A  LOUVAIN.  71 

théologie  '  :  c'en  était  assez  pour  justifier  les  appréhensions  de  nos  théolo- 
giens touchant  l'emploi  des  langues  pour  l'étude  des  livres  saints.  Dans  ce 
premier  moment,  personne  n'était  disposé  à  transiger  :  on  n'était  pas  à 
même  de  discerner  et  de  séparer  les  assertions  hasardées,  les  expressions 
téméraires,  jetées  çà  et  là  dans  les  meilleurs  traités  d'Érasme,  des  vues 
saines  et  neuves  qu'il  avait  émises  en  abondance  sur  bien  des  points  ;  on 
n'examinait  pas  les  pièces  du  débat  avec  assez  de  sang-froid  pour  recon- 
naître la  valeur  de  la  méthode  simple  et  naturelle,  raisonnée  et  utile,  qu'il 
avait  appliquée  à  l'étude  du  Nouveau  Testament  dans  son  texte  original; 
cette  fois  encore,  on  n'est  pas  arrivé  d'emblée  à  une  juste  appréciation  du 
livre  et  de  la  méthode,  ce  qui  n'a  presque  jamais  lieu  qu'à  une  grande  dis- 
tance de  temps. 

Il  y  eut  alors,  selon  toute  apparence,  bien  des  vacillations  dans  l'opi- 
nion, et  surtout  dans  la  conduite  des  docteurs  les  plus  influents  de  la  vieille 
université  à  propos  d'Érasme  et  de  ses  livres  :  Jean  Briard,  M.  Dorpius  ^, 
et  plusieurs  autres  se  sentaient  souvent  entraînés  vers  lui  par  sympathie 
naturelle,  et  aussi  par  admiration  pour  son  talent;  mais  venaient  les  heures 
d'animosité,  et  l'amitié  la  plus  sincère  était  ébranlée  ^.  Alors  plus  de  trêve  : 
on  voyait  dans  les  philologues  les  plus  appliqués  autant  de  novateurs  et  de 
rebelles;  on  identifiait  la  cause  des  lettres  anciennes  avec  les  formules  har- 
dies que  la  nouvelle  exégèse  appuyait  sur  le  grec  ou  même  sur  l'hébreu. 
Évidemment,  il  est  nécessaire  de  faire  ressortir  le  point  de  vue  auquel  les 
théologiens  se  mettaient  sur  la  défensive  pour  rendre  raison,  d'une  manière 
plausible,  de  leur  mauvais  vouloir  envers  les  membres  de  l'institution 
de  Busleiden.  Tout  s'enchaînait  à  leurs  yeux  :  ils  attribuaient  d'avance  le 
rôle  de  frondeurs  aux  hommes  lettrés  qui  auraient  puisé  là  leur  instruc- 
tion.  Bien  plus  forte  encore  était  l'opposition  qui  partait  des  rangs  de 

'  Ce  fui  surtout,  dit-on  ,  dans  les  éditions  postérieures  au  règne  de  Léon  X. 

-  Des  relations  d'eslime  et  d'amitié  subsistèrent  pendant  de  longues  années  entre  ces  deux 
liommes  distingués  et  le  savant  humaniste,  qui  les  a  épargnés  presque  jusqu'à  la  (in  tout  en  atta- 
quant leurs  confrères  et  leurs  successeurs. 

''  lîriaid  lui-même  se  laissa  emporter  jusqu'à  dénoncer  Érasme  dans  ses  leçons  de  théologie,  où 
il  y  avait  foule,  in  frequentissima  schola.  Voy.  la  lettre  d'Érasme  à  P.  Barbirius.  Bruges,  1521 
[Epist.,  t.  I,  p.  6o3).  Dans  sa  polémique  écrite,  Jacobus  Latomus  s'était  abstenu  de  personnalités. 
Tome  XXVIII.  M 


72  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

quelques  ordres  religieux,  surtout  de  ceux  des  carmes  et  des  dominicains  '  : 
jusque  dans  leurs  prédications,  ils  représentaient  comme  dangereuse, 
comme  entachée  d'hérésie,  une  science  grammaticale  et  philologique  qui 
allait  s'attaquer  à  la  lettre  de  l'Écriture,  et  autoriser  la  licence  des  opinions. 

Le  débat  eût  été  plus  vif  encore ,  et  peut  être  la  petite  cohorte  des  huma- 
nistes et  des  professeurs  de  langues  eût-elle  dû  céder  à  Louvain  devant  le 
grand  nombre  des  assaillants ,  si  un  personnage  considérable  n'avait  fait 
entendre  sa  voix  pour  protéger  les  premiers^;  Adrien  VI  était  déjà  car- 
dinal ,  quand  il  prononça  ce  mot  qui  fut  répété  comme  un  oracle  :  «  Je  ne 
»  condamne  pas  les  bonnes  lettres,  je  condamne  seulement  les  hérésies 
»  et  les  schismes!  »  Ce  mot  n'arrêta  point,  et  c'est  à  peine  s'il  tempéra 
la  colère  inquiète  qui  était  entrée  dans  la  plupart  des  esprits,  et  qui  était 
nourrie  par  le  retentissement  des  controverses  de  l'Allemagne. 

Nous  rencontrons  ici  une  seconde  partie  de  la  question  historique  que 
nous  avons  prise  en  considération  au  commencement  de  ce  chapitre,  c'est-à- 
dire  le  prétexte  que  l'étude  des  classiques  païens  aurait  pu  donner  aux  hos- 
tilités d'un  grand  parti  contre  le  collège  des  Trois-Langues  :  on  se  trompe- 
rait fort,  comme  nous  allons  le  faire  voir,  si  l'on  croyait  en  trouver  une  des 
causes  principales  dans  la  matière  des  travaux  et  des  leçons  de  cette  école. 

Dès  le  XV""=  siècle,  on  avait  lu  un  certain  nombre  d'auteurs  anciens, 
aussi  bien  dans  les  collèges  de  l'université  de  Louvain  que  dans  l'école  de 
Deventer  ou  dans  les  collèges  de  la  Belgique  et  de  la  Hollande  qui  relevaient 
d'elle;  on  avait  appris  surtout  à  connaître  l'antiquité  latine  dans  plusieurs 
de  ses  prosateurs  et  de  ses  poètes  ^;  quand,  au  commencement  du  siècle 
suivant,  les  moyens  d'instruction  se  multiplièrent  avec  les  livres,  à  Lou- 
vain, plus  qu'ailleurs   dans  les  Pays-Bas,  la  culture  littéraire  se  fonda 

'  Le  carme  Nicolas  d'Egniond  est  assez  connu  par  ses  sermons,  où  il  attaquait  Erasme  (voy.  de 
Burigny,  t.  Il,  pp.  i2l  et  suiv.,  pp.  132- 133),  et  il  fut  réprimandé  de  ce  chef  par  le  pape  Adrien  VI. 

2  Lettre  d'Érasme.  Fribourg,  28  mars  1331 ,  Episl.,  t.  11,  p.  1387  :  Vix  nostra phalanx  susti- 
nuisset  hostium  conjuralorum  impressionem,  ni  Adrianus,  tum  cardinalis,  poslea  Ronianus  Pon- 
lifex ,  lioc  edidissel  oraculuni  :  Bonas  litteras  non  danino,  haereses  et  scliismala  danino.  Cfr.  Epiât.. 
t.  I,  p.  654  (a.  1321).  —  Cons.  de  Ram,  Dixquis.  hist.  de  Us  qitae  contra  Lutherum  Lovanienses 
theologi  cgerunt ,  anno  MDXIX.  (Brux.,  1843,  in-l",  pp.  21-27.) 

5  Voy.  chap.  1 ,  §§  I  et  II. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  73 

sur  l'étude  simultanée  de  quelques  écrivains  grecs  et  latins  ^  Les  pre- 
miers professeurs  du  collège  de  Busleiden  trouvèrent  le  sol  préparé,  et 
ils  n'eurent  sous  certains  rapports  qu'à  édifier  sur  les  fondements  jetés 
par  d'autres  mains;  ils  donnèrent  une  direction  plus  forte  aux  travaux  de 
philologie,  mais  n'en  modifièrent  pas  sensiblement  l'esprit.  Or,  il  s'en 
fallait  de  beaucoup  que  les  œuvres  littéraires  du  paganisme  eussent  pro- 
duit dans  nos  provinces  l'enthousiasme  désordonné  qu'elles  avaient  excité 
naguère  en  Italie,  et  l'on  chercherait  en  vain  des  preuves  ou  des  symp- 
tômes de  cette  espèce  d'apostasie  intellectuelle,  dont  on  a  fait  un  grief 
aux  plus  ardents  promoteurs  de  la  Renaissance  au  delà  des  Alpes  ^.  L'en- 
traînement avait  été  plus  fort  sous  le  ciel  du  3Iidi  ;  il  était  favorisé  dans  les 
villes  d'Italie  par  la  mollesse  des  mœurs  et  le  luxe  des  habitudes  de  la  vie, 
par  la  vue  de  ces  œuvres  de  l'art  antique,  que  l'on  exhumait  sans  cesse 
du  sol  et  que  l'on  étalait  sur  les  places  publiques  et  dans  les  palais. 

Bien  différentes  étaient  les  conditions  dans  lesquelles  le  mouvement 
littéraire,  qui  était  au  nombre  des  besoins  de  l'époque,  s'accomplissait 
dans  le  Nord  :  il  n'empruntait  rien  aux  séductions  du  climat;  il  se  con- 
centrait dans  un  cercle  d'esprits  accoutumés  à  une  réflexion  plus  froide, 
à  une  conduite  plus  logique,  que  ne  l'étaient  les  Italiens,  et  il  se  conci- 
liait chez  eux  avec  les  exigences  pratiques  de  la  vie  chrétienne.  C'est  ce 
qu'atteste  l'histoire  des  écoles  établies  et  dirigées  par  les  Hiéronymites  , 
ainsi  que  la  biographie  des  premiers  humanistes  appartenant  à  l'univer- 
sité de  Louvain.  Mais  il  n'en  est  pas  d'exemple  plus  frappant  qu'en  la 
personne  d'Adrien  Boyens,  qui  fut  un  des  soutiens  de  l'école  théologique 
de  cette  université,  avant  d'occuper  le  siège  pontifical  sous  le  nom 
d'Adrien  VI  :   il  enseigna  d'abord  la  philosophie  au  collège  du  Faucon, 

'  Pour  éviter  en  cet  endroit  une  trop  longue  digression,  nous  renvoyons  au  cliapitre  V  quelques 
détails  sur  la  connaissance  des  trois  langues  qui  étaient  avant  1318  l'objet  d'études  privées. 

"^  A  part  l'abus  des  termes  et  des  noms  païens  qu'ont  pu  faire  alors  les  plus  célèbres  littérateurs 
de  l'Italie,  on  s'était  laissé  emporter  on  ce  pays  à  d'étranges  illusions,  qui  se  traduisaient  en  actes  ; 
rappelons  seulement  les  fêtes  célébrées  à  Florence  pour  honorer  d'une  sorte  de  culte  le  divin  Platon, 
et  la  glorification  des  institutions  et  des  mœurs  antiques,  tentée  au  milieu  de  Rome  dans  l'Académie 
de  Pomponius  Laetus.  Voir  à  ce  sujet,  outre  les  ouvrages  connus  de  Tiraboschi  et  de  Gingnené 
sur  la  littérature  italienne,  Y  Histoire  de  la  renaissance  des  lettres  en  Europe  au  XV'"'  siècle,  par 
J.-P.  Charpentier.  Paris,  1843,  1. 1,  chap.  XXIII  et  XXVI. 


74  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLÈGE 

et  quand  il  s'adonna  tout  entier  à  la  théologie,  il  porta  toujours  son 
attention  sur  l'utilité  des  autres  sciences,  que  celle-ci  devait  éclairer  sans 
jamais  les  opprimer;  il  était  digne  d'un  esprit  véritablement  chrétien, 
comme  le  sien,  de  demander  à  la  science  religieuse  des  armes  pour  l'Église 
contre  la  Réforme,  tandis  que  tant  d'autres  voulaient  recourir  avant  tout 
à  la  force,  Adrien  avait  en  partage  une  éducation  littéraire  qui  l'élevait 
fort  au-dessus  de  mesquines  préventions  touchant  la  lecture  des  monu- 
ments grecs  et  latins;  mais,  s'il  n'était  pas  étranger  aux  bonnes  lettres, 
comme  il  appelait  les  études  littéraires,  il  n'en  pouvait  approuver  ou  encou- 
rager l'application  frivole;  et  sur  ce  point  comme  sur  tant  d'autres,  il  a 
été  jugé  avec  injustice  et  passion  par  les  Italiens,  qui  craignirent  dès  son 
avènement  la  prochaine  réforme  d'abus  invétérés.  Il  ne  se  posa  pas  en  en- 
nemi acharné  des  lettres,  lioslis  acerrimus ,  comme  ils  l'ont  dépeint  sans  le 
bien  connaître  ^;  ce  n'était  pas  «  un  barbare  caché  dans  le  Vatican  ^  », 
mais  il  était  fort  éloigné,  par  son  caractère  et  son  éducation,  de  ce  prompt 
enthousiasme  que  les  savants  de  la  Péninsule  concevaient  pour  les  œuvres 
et  pour  tous  les  souvenirs  de  Rome  ou  de  la  Grèce.  Si  on  lui  a  reproché 
son  inimitié  envers  les  gens  de  lettres,  parce  qu'il  les  appelait  Téreniiens^, 
ne  croirait-on  pas  qu'il  avait  stigmatisé  comme  un  abus  véritable  qui  avait 
pris  racine  dans  les  écoles  latines  même  de  la  Belgique,  l'adoption  des 
pièces  de  Plante  et  de  ïérence  comme  livres  de  classe,  comme  modèles 
préférés  de  la  bonne  latinité  *?  N'est-il  pas  nécessaire  aussi  de  mettre  quel- 
que restriction  à  cette  haine  absolue  pour  la  poésie,  que  lui  a  prêtée  la 
rancune  de  quelques  poètes  et  d'autres  écrivains  méridionaux? 

Arrivant  en  Italie,  Adrien  dut  être  frappé  de  la  multitude  des  œuvres 
de  l'art  païen  exposées  à  tous  les  regards;  comme  les  voyageurs  et  les 

*  Paul  Jove  lui-même,  qui  avait  été  à  sa  cour,  l'a  traité  injustement  en  écrivant  sa  vie,  et  il  a 
exagéré,  semble-t-il,  plus  d'un  fait  (voy.  Charpentier,  ouvrage  cité,  t.  Il,  pp.  46-48).  dette  bio- 
graphie latine  fait  partie  du  recueil  de  G.  Burman;  Analecta  hislorica  de  Hudriuno  sexto  (  Ti-ajecti 
ad  Rhenura,  1727,  in-4°).  Voy.  chap.  I  et  XV. 

-  Ainsi  le  désignait  une  épigranime  irrévérencieuse  de  Sannazar. 

^  Pierius  Valerianus,  de  infelicitate  literalorum,  lih.  Il  :  Qui  literatis  o)nnibus  inimicitias  mini- 
tarelur,  quoniam,  ut  ipse  dictitabat,  Terenliani  esscnt,  etc.  Voy.  Hallara,  Hist.  de  la  lillérut.  de 
l'Europe,  t.  I,  pp.  323-324. 

•*  Voy.  sur  ce  fait  particulier  le  chapitre  V  et  le  commencement  du  chapitre  IX. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  7S 

savants  qui  venaient  des  pays  du  Nord,  et  pour  qui  ce  spectacle  était  nou- 
veau *,  il  montra  une  surprise  qui  choqua  les  esprits  cultivés  de  la  société 
italienne.  Indubitablement,  Adrien  ne  vit  pas  sans  crainte  le  prestige  exercé 
sur  les  imaginations,  quelquefois  sur  les  âmes,  par  l'évocation  du  poly- 
théisme et  de  l'antiquité  sous  les  formes  brillantes  de  la  statuaire.  Selon 
plusieurs  de  ses  biographes,  il  n'aurait  eu  qu'indifférence  pour  ces  mer- 
veilles de  l'art  qui  décoraient  les  palais  de  Rome  :  on  rapporte  même  qu'il 
aurait  détourné  un  jour  ses  regards  du  Laocoon,  retrouvé  sous  son  pré- 
décesseur, comme  s'il  blâmait  les  simulacres  d'une  nation  impie  ^.  Et  que 
penser  de  l'exclamation  qu'il  aurait  poussée  à  la  vue  de  ce  groupe  fameux  : 
«  Oh!  les  idoles  des  gentils  ^!  »  Fût-elle  vraie,  elle  exprimerait  la  première 
et  profonde  impression  ressentie  par  le  pontife  étranger;  s'il  eût  résidé 
à  Rome  plus  longtemps,  il  eût  considéré  sans  doute  d'un  autre  œil  ces 
débris  de  la  civilisation  païenne  rassemblés  sous  les  auspices  des  hommes 
les  plus  distingués  qui  aient  orné  la  cour  et  la  ville  pontificale,  depuis 
Nicolas  V  jusqu'à  Léon  X;  lui-même,  il  les  eût  donnés  comme  des  dé- 
pouilles du  paganisme  rendant  témoignage  au  triomphe  de  la  vraie  reli- 
gion dans  la  capitale  du  monde  chrétien  *. 

Cette  simple  esquisse  de  la  carrière  et  des  intentions  d'Adrien   VI, 
appelé  tout  à  coup  à  vivre  dans  l'Italie  des  Médicis,  suffit,  nous  l'espé- 

•  '  Les  splendeurs  de  Rome  avaient  répugné  profondément  à  Luther,  qui  n'eut  que  des  anathèmes 
pour  les  arts  anciens  et  nouveaux  (voy.  Y  Histoire  de  la  vie  et  des  doctrines  de  Martin  Luther,  par 
Audin,  1. 1 ,  cliap.  Il  et  XVI  ).  Érasme  fut  frappé  de  la  grandeur  de  la  Rome  des  Papes;  mais  l'habile 
humaniste  n'avait  pas  non  plus  le  sentiment  de  la  beauté  des  œuvres  de  la  statuaire  antique.  Voy. 
l'Histoire  de  Léon  X  du  même  auteur,  chap.  XV,  et  l'histoire  citée  de  Luther,  chap.  XVL 

-  Cette  anecdote,  qui  vient  des  écrivains  italiens,  a  été  recueillie  par  Bayle  dans  son  Diction- 
naire historique  etcritique,  t.  II,  pp.  9-10.  Le  même  trait  et  d'autres  semblables  sont  rapportés  par 
Tiraboschi,  Hist.  de  la  litl.  ital.,  liv.  1,  chap.  Il,  p.  4,  et  par  Ginguené,  son  abréviateur,  t.  IV, 
pp.  34-33. 

^  Il  y  a  plusieurs  variantes  de  ce  mot,  qui  n'est  peut-être  qu'un  de  ces  mots  prêtés  à  plaisir  à 
degi'ands  personnages  :  Proh!  idola  barbarorum  !  ou  bien  Idola  gentium,  ou  encore  Idola  anti- 
quorum. Nous  ne  le  rapportons  que  comme  traduction  de  la  véritable  pensée  d'Adrien. 

•*  Adrien  était  un  de  ces  esprits  sérieux  qui  désiraient  pour  l'Église  orthodoxeune  réforme  sage- 
ment conduite,  qui  eût  tout  sauvé.  Son  éloge  indirect  et  spirituel  est  au  fond  d'un  court  pamphlet 
du  temps,  qu'on  a  retrouvé  sous  ce  litre  :  Dyalogue  et  ung  merveilleux  parlement  faist  pas  loing  de 
Triens,  sur  le  cheming  de  Rome  d'iiiuj  abbé  curtisan  et  du  dyable,  allencontre  le  bon  pape  Adrien. 
L'an  MDXXII.  —  S.  L.,  petit  in-i"  de  4  feuillets.  (Bull,  du  Bibliophile,  n»  18,  octobre  1841.) 


76  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLÈGE 

rons,  à  établir  ce  que  nous  avancions  plus  haul,  touchant  les  disposi- 
tions d'esprit  bien  différentes  avec  lesquelles  les  hommes  de  nos  écoles 
entraient  dans  le  mouvement  de  la  Renaissance  :  on  n'oubliera  pas  non 
plus  que  l'autorité  du  même  Pape  a  été  invoquée  avec  succès  en  faveur  du 
collège  des  Trois-Langues,  dans  la  période  de  lutte  dont  nous  nous  occu- 
pons ici,  et  qu'il  n'a  pas  craint  d'appeler  Érasme  à  Rome,  sans  avoir  égard 
à  l'animadversion  dont  celui-ci  était  l'objet  dans  une  partie  de  l'Église. 

Voyons  maintenant  comment  Érasme  lui-même  conciliait  avec  la  foi 
chrétienne  les  vues  et  les  espérances  d'un  homme  dévoué  aux  lettres  clas- 
siques et  au  culte  de  la  bonne  latinité  :  il  n'est  pas  inutile  de  montrer  à 
quelle  dislance  il  est  resté  des  hallucinations,  ou  même  des  excès  d'une  foule 
d'humanistes  de  la  même  époque,  soit  dans  les  idées,  soit  dans  le  langage. 
Il  est  de  fait  que  l'Italie  se  ressentait  dès  lors,  dans  sa  littérature  comme 
dans  ses  mœurs,  des  suites  d'une  éducation  accomplie  presque  exclusive- 
ment à  l'aide  des  livres  de  l'antiquité  classique.  D'une  part,  ses  écrivains 
avaient  adopté  un  néologisme  faux,  reposant  sur  de  continuels  emprunts 
à  la  langue  et  aux  usages  des  siècles  païens  :  sans  aucune  exagération , 
on  dirait  que  cette  méprise  avait  gagné  des  esprits  distingués  et  séduit  des 
cœurs  chrétiens.  D'autre  part,  les  nouvelles  générations  d'auteurs  et  de 
poètes  étaient  entraînées  par  une  déplorable  tendance  à  chercher  la  beauté 
dans  l'harmonie  des  périodes  ou  les  formes  de  la  versiflcation;  rien  d'ori- 
ginal et  de  vraiment  grand  n'était  produit  sous  l'empire  de  l'idée  vaine 
d'une  sorte  de  rivalité  avec  les  anciens  :  si  le  prosateur  était  enchaîné  à 
une  imitation  servile  de  Cicéron ,  le  poëte  ne  pouvait  se  passer  dans  aucun 
sujet  des  épithètes  antiques,  et  donnait  place  en  tout  endroit  aux  dieux 
et  aux  génies  de  la  mythologie.  On  sait  assez  généralement  qu'Érasme  a 
prolesté  contre  ce  qu'il  y  avait  d'erroné  dans  ces  diverses  tendances;  mais 
ne  l'oublie-t-on  pas  comme  à  dessein,  pour  charger  d'autant  mieux  sa  mé- 
moire? Dans  le  Cicéronien,  qui  est  un  de  ses  meilleurs  traités ,  il  a  signalé 
avec  finesse  l'abus  des  noms  anciens,  des  expressions  païennes,  et  bien  qu'il 
n'ait  pas  échappé  lui-même  à  de   graves  inconséquences  ^ ,   il  a   défini 

'   Nulle  pari  Érasme  n"a  confondu  aussi  mallieureusement  le  sacré  et  le  profane  que  dans  son 
Éloge  de  la  folie;  ailleurs,  ce  sont  plutôt  des  boutades  ou  des  inadvertances. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  77 

d'une  main  ferme  la  destination  des  lettres,  le  rang  qui  leur  revient,  à 
côté  des  sciences,  dans  l'éducation  et  dans  les  relations  sociales.  Une  de 
ses  lettres  à  Vives  retrace  le  mieux,  ce  nous  semble,  les  opinions  fort 
sages  qu'il  s'était  formées  à   ce  sujet  '  :  on  y  voit  qu'il  renfermait  le 
domaine  des  lettres  dans  de  justes  limites,  et  qu'il  croyait  leur  puissance 
assez  grande  pour  qu'elles  ne  dussent  pas  les  franchir.  La  mission  des 
Muses  longtemps  exilées,  comme  il  s'exprimait,  était  alors  de  chasser  la 
barbarie  du  langage,  de  faire  disparaître  les  frivoles  subtilités  d'argu- 
mentation. Non-seulement  il  ne  voulait  pas  que  les  lettres  écrasassent  les 
sciences,  dont  la  connaissance  est  d'une  si  haute  nécessité,  au  lieu  de 
servir  d'auxiliaires  dans  leur  acquisition;  mais  encore  il  s'élevait  contre  le 
culte  exclusif  que  les  Italiens  de  son  temps  rendaient  aux  belles-lettres 
d'une  manière  trop  païenne,  nimis  elhnice,  et  au  détriment  des  autres  bran- 
ches du  savoir.  N'a-t-il  pas  aussi  dirigé  contre  eux  ce  reproche  fort  amer, 
qu'ils  se  croyaient  tout  à  fait  savants,  quand  ils  avaient  inséré  dans  quel- 
ques vers  les  noms  de  Jupiter,  de  Bacchus,  de  Neptune,  de  Cynthius,  de 
Cyllenius.  Le  célèbre  humaniste  ajoutait  avec  beaucoup  de  raison  :  «  Les 
belles-lettres  ont  l'honneur  qui  leur  revient  en  propre,  quand  elles  viennent 
se  mêler  comme  un  assaisonnement  aux  autres  sciences  d'une  nature  plus 
sérieuse.   »  Quand  on  se  rappelle  quel  était  l'ascendant  d'Erasme  à  Lou- 
vain,  et  dans  les  autres  centres  d'études,  sur  tous  ceux  qui  s'occupaient 
des  langues  et  des  lettres  anciennes,  on  n'a  pas  de  peine  à  se  figurer  com- 
bien grave,  combien  utile  était  la  direction  donnée  aux  travaux  de  nos 
humanistes  dans  les  premières  années  du  second  siècle  de  la  Renaissance. 
Encore  une  fois,  des  soupçons  et  des  craintes  qui  provenaient  de  l'atta- 
chement aux  anciennes  méthodes  et  d'un  amour  mal  entendu  de  i'ortho- 

*  Lettre  de  Loiivain,  1S21  (Epist.,  l.  1,  p.  688).  On  y  lit,  à  propos  des  dispositions  meilleures 
de  la  Sorbonne  :  Gaitdeo  revocari  Musas,  antchac  prorsus  exules  a  piiblicis  gymnasiis,  quas  lu- 
men sic  recipi  velim,  ut  barbariem  ac  frivohis  tricas  tantum  discutiant,  von  etiani  obruant  disci- 
plinas cognitu  necessarias;  atque  ad  lias  perdiscendas  conducent  eliam ,  lanluin  abest  ut  o/fœiant. 
Neque  enim  solis  bonis  lileris  vacandum ,  qtiod  quidam  apud  halos  nimis  ethnice  faciunt ,  qui  postea- 
quam  Joverii,  Baecliuni,  Neptuniim,  C.ynlliiiiin,  Cylleniuin  versibus  aliquot  infulserunl,  absolute 
docti  sibi  videntur.  Ilis  lileris  tum  demum  suus  est  honos ,  quum  aliis  disciplinis  gravioribus ,  quasi 
condinienlum,  admiscentur. 


78  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLÈGE 

doxie  fureuL  les  principaux  mobiles  de  l'opposition  que  le  collège  des 
Trois-Lan"ues  éprouva  si  longtemps-,  l'antiquité  et  sa  littérature  n'étaient 
pas  directement  en  jeu  pamni  les  griefs  sous  lesquels  on  cherchait  à  l'ac- 
cabler :  c'est  là  le  point  d'histoire  littéraire  que  nous  tenions  à  élucider. 
Mais  il  nous  importe  d'achever  le  tableau  de  la  situation  de  l'école 
littéraire  de  Busleiden  dans  les  années  difficiles  qui  suivirent  son  inaugu- 
ration :  malgré  la  continuité  des  attaques  dont  elle  était  l'objet,  ou  du 
moins  l'occasion,  ces  années  ne  furent  pas  sans  gloire  pour  elle. 

Les  hommes  qui  furent  appelés  les  premiers  à  enseigner  dans  le  collège 
des  Trois-Langues  se  trouvèrent  en  présence  de  nombreux  obstacles  ;  ils 
n'avaient  pas  la  sympathie  de  tous  les  membres  de  l'université,  en  raison 
même  du  titre  de  l'établissement,  et  ils  ne  purent  d'abord  compter  que 
sur  un  nombre  restreint  d'auditeurs  persévérants,  assez  courageux  pour 
se  soustraire  aux  obsessions  et  aux  reproches  de  leurs  condisciples.  Ils 
se  ressentirent  également  des  embarras  inséparables  d'une  première  orga- 
nisation, et,  pour  y  faire  face,  ils  déployèrent  un  zèle  qui  suppléa  en 
réalité  à  l'insuffisance  des  ressources  matérielles. 

L'animosité  excitée  par  l'érection  du  collège  se  maintint,  après  1520, 
avec  la  même  force  dans  les  rangs  de  ses  adversaires.  Érasme  quitta  la 
Belgique  vers  la  fin  de  l'année  1521;  mais  il  fut  informé  de  l'état  des 
choses  par  les  amis  qu'il  avait  laissés  à  Louvain  et  dans  plusieurs  autres 
(le  nos  villes,  et  il  ne  perdit  aucune  occasion  de  signaler  le  mal  à  des  per- 
sonnages influents,  dont  il  savait  les  intentions  généreuses.  Ses  lettres  nous 
apprennent  quel  fut  le  cours  de  la  polémique,  et  avec  quel  mérite  les 
professeurs  de  Busleiden  poursuivirent  leurs  travaux  sous  l'impression 
des  rumeurs  et  des  complots  qui  se  succédaient  autour  d'eux.  Vives  fut 
aussi  mêlé  aux  premières  scènes  de  cette  pièce  interminable  *,  qui  ne 
devait  être  interrompue  que  vers  l'époque  de  la  mort  d'Erasme. 

Trois  années  ne  s'étaient  pas  écoulées ,  et  déjà  Érasme  rendait  témoignage 
aux  dispositions  fermes  des  maîtres  et  des  élèves,  qui  leur  avaient  permis 
de  traverser  heureusement  la  première  crise.  D'autres  fois,  il  avait  osé 

'   Epist.,  1. 1 ,  p.  689  :  Ipse  hvjus  tumiilliis  von  Icwlitm  teslis,  sccl  et  pars  aligna  fuisti. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  79 

revendiquer  pour  les  professeurs  une  sagesse  de  conduite  et  une  prudence 
dans  l'enseignement  qui  défiaient  également  la  critique;  c'est  à  leurs  efforts 
qu'il  faisait  allusion,  quand  il  n'hésitait  pas  à  dire,  en  1521,  que  la  cul- 
ture littéraire  avait  déjji  jeté  de  profondes  racines  à  Louvain,  aussi  bien 
que  nulle  part  ailleurs  ^  Erasme  avait  eu  l'occasion  de  s'assurer  lui-même 
de  l'application  sérieuse  que  plusieurs  Belges  avaient  apportée  à  l'étude 
des  langues,  de  la  maturité  de  goût  et  de  jugement  avec  laquelle  ils  s'y 
étaient  attachés. 

C'est  avec  complaisance  déjà  qu'il  représentait,  en  1521,  l'état  du  col- 
lège comme  florissant,  quand  il  répondait  à  un  évêque  étranger,  Daniel 
Taispillus,  au  sujet  d'un  candidat  que  celui-ci  proposait  pour  l'une  des 
chaires  de  langues  ^.  Le  collège  se  composait  encore  de  peu  de  monde; 
mais  l'assistance  des  leçons  était  d'ordinaire  fort  nombreuse,  et  formée 
quelquefois  d'environ  trois  cents  auditeurs.  Les  professeurs  ne  recevaient 
pas  des  honoraires  élevés,  mais  proportionnés  au  revenu  actuel  du  col- 
lège; les  administrateurs  avaient  liberté  de  les  augmenter,  et  l'on  fondait 
quelque  espoir  sur  les  libéralités  des  princes  et  des  grands  pour  les  res- 
sources de  l'établissement  dans  l'avenir.  Si  Agathius  se  présentait,  il  serait 
traité  avec  égard  par  les  hommes  pleins  de  droiture  qui  faisaient  partie 
du  collège,  et  il  recevrait  l'autorisation  de  faire  des  leçons  extraordinaires 
à  son  gré  sur  le  grec  ou  sur  l'hébreu  ''. 

Il  serait  difficile  sans  doute  de  prendre  à  la  lettre  le  chiffre  de  trois  cents 


'  Lettre  déjà  citée  à  Vives.  Louvain,  152L  Episl.,  t.  I,  p.  G89  :  Nos  Trilingue  collegium,  ex 
munifœenlia  BudiiHanorum  inslilutum ,  non  minus  ulilitalis  allaturuni  omni  generi  sludiorum  , 
quam  ornamenti  loti  Inde  dilioni  Caesarcae ,  sic  maehinis  omnibus  oppugnavimus ,  ut  majore  studio 
fieri  non  potueril.  Et  lamen  haud  scio  an  usquam  gentium  magis  invaleseant  iilerae  politiores,  quam 
hic, ut  plane  milii  videre  videar  illud  horalianum  .'Diiris  iitilcx,  etcaelera;  nam  carmen  agnoscis. 

^  Auditorium  est ,  ut  in  hac  Academia  satis  frequens,  aliquoties  non pauciores  habens  trecentis.... 
Et  bona  spes  est  fore,  ut  brevi  ex  principum  liberalitate  crescant  Collegii  proventus,  praeserlim  si 
lu  luiqnc  similes  suum  favorcm  adjunxcrint.  Pium  est  opus  magnoqueolim  ornamento  futurum,  et 
liuic  Academiae,  et  Carolo  principi.  Anderlecht,  5  juillet  1521.  Epist.,  t.  I ,  p.  652. 

^  Et  licebitHU  extra  ordinem  profiteri ,  seu  Graece  malit,  seu  Hebraice.  Erit  illi  res  cum  viris 
probissimis  optimaeqne  fuki.  [Ibid.)  —  La  motion  faite  en  faveur  de  Hieronymus  Agatliius  n'eut  pas 
de  suites;  mais  ce  personnage  entretint  des  relations  scienlillqiies  avec  Érasme  qui  l'estimait, 
Epist.,  t.  II,  p.  1I0G-M07.  Bftle,  1528. 

Tome  XXVIII.  J2 


80  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

auditeurs,  dont  il  s'agit  dans  le  document  que  nous  analysions  à  l'instant, 
à  moins  de  le  rapporter  à  des  séances  d'ouverture ,  à  quelques  leçons 
oratoires  qui  piquaient  l'attention  de  l'élite  de  la  jeunesse.  Toujours  est-il 
qu'en  1550  il  y  avait  encore  l'affluence  accoutumée  aux  cours  du  collège, 
et  surtout  à  ceux  de  Goclenius  :  on  enseignait  intrépidement  les  langues, 
mais  le  latin  avec  plus  de  succès  que  les  autres  S  et  si  le  grec  ne  faisait 
pas  autant  de  prosélytes,  on  compta  toutefois  des  hellénistes  di^ingués 
parmi  ceux  qui  avaient  entendu  Rescius. 

Du  fond  de  sa  retraite  de  Bàle ,  oîi  il  était  allé  chercher  un  peu  de  repos 
pour  échapper  à  toutes  les  tracasseries  dont  on  ne  cessait  de  le  poursuivre 
dans  le  Brabant ,  Érasme  se  trouva  dans  l'impossibilité  de  suivre  les 
impulsions  de  son  dévouement  :  une  œuvre  dont  il  avait  surveillé  et  pro- 
tégé les  commencements  avec  succès,  ne  profita  point  de  tous  les  avan- 
tages qu'il  avait  naguère  projeté  de  lui  assurer.  Ainsi  on  le  voit  manifester, 
en  1317,  l'intention  de  prendre  un  logement  à  ses  frais  dans  le  collège  de 
Busleiden,  si  tout  marche  bien,  de  le  patronner  par  sa  résidence  même, 
et  enfin  de  lui  léguer  un  jour  sa  bibliothèque ,  comme  au  meilleur  des 
héritiers  ^.  Ce  plan  n'eut  pas  de  suites  :  il  paraît  qu'Érasme  n'avait  ensei- 
gné, à  proprement  parler,  ni  au  collège  des  Trois-Langues,  ni  dans  un 
autre  collège  de  Louvain  ;  mais  par  ses  entretiens  avec  des  humanistes  déjà 
formés,  par  ses  relations  bienveillantes  avec  quiconque  cultivait  les  lettres, 
il  avait  donné  de  véritables  leçons.  Une  confi^aternité  d'études  et  de  goûts 
l'avait  lié  dès  lors  avec  quelques  hommes  d'État,  et  il  avait  pu  se  louer 
fort  de  l'émulation  littéraire  qui  régnait  parmi  ses  amis  ^. 

'  Linguae  docenlnr  slrenue,  et  maxime  latina.  Exsullai'el  tuus  animiis,  si  ad  professionem  con- 
currentem  videres  juvenlutem,  maxime  verà  dum  docel  nosler  Goclenius.  Lettre  du  procureur  des 
Chartreux  de  Louvain  à  Érasme,  à  qui  il  était  attaché —  toto pectore  tuus  — .  (Louvain,  14  juillet 
toôO.  Epist.,  t.  II,  p.  1747). 

-  Epist.,  t.  II,  p.  1633.  (JEgidio  Buslidio)  :  Si processerit ,  ut  spero  fore,  mihi  magis  adlubescet 
Lovanium  :  nec  ullius  contuhernii  malitn  hospes  esse,  idque  meopte  sumtu;  etputo  meum  eonvictum 
non  inutilem  fore  tait  Colleyio.  Postremo  non  malim  ullum  alium  haeredem  Bibliothecae  noslrae.  — 
En  1317,  Érasme,  qui  était  en  paix  avec  les  théologiens,  se  croyait  bien  fixé  à  Louvain  :  Tolus 
commigravi  Lovanium,  disait-il  à  Tunslall,  Épist.,  t.  II,  16"28,  ibid.,  268. 

'  Voy.  par  exemple  sa  lettre  du  31  juillet  1320.  (Epist.,  t.  I,  p.  376)  :  Dorpius  optimis  studiis 
seniet  deleclut.  Idem  nos  ugimus.  quod  quidem  licet. 


DES  TROIS-LAINGUES  A  LOUVAIN.  8i 

Que  fit  Érasme ,  retenu  loin  de  Louvain  le  reste  de  ses  jours?  11  ne 
cessa  point  d'avoir  les  yeux  sur  l'institution  qu'il  avait  laissée  en  plein 
exercice ,  et  d'agir  à  la  fois  sur  les  savants  qui  la  composaient ,  et  sur 
tous  les  hommes  qui  pouvaient  comprendre  la  mission  des  premiers. 
Après  la  mort  d'Antoine  Sucquet,  il  s'adressa  à  son  frère  Jean,  un  des 
dignitaires  de  la  cour  de  Charles-Quint^,  pour  l'engager  à  user  de  son 
crédit  dans  l'intérêt  des  lettres ,  suivant  l'exemple  de  sa  famille.  Il  fil 
valoir  auprès  de  lui  les  avantages  que  l'enseignement  des  langues,  tel 
qu'on  l'avait  organisé  à  Louvain,  procurerait  à  la  société  tout  entière. 
Non-seulement  le  collège  de  Busleiden  était  l'ornement  unique  de  notre 
pays  et  même  de  tout  l'Empire,  mais  encore  il  devait  être  une  pépinière 
d'hommes  utiles  à  l'État,  donnant  à  la  cour  impériale  des  secrétaires 
instruits,  des  conseillers  d'une  haute  prudence,  des  ambassadeurs  élo- 
quents, des  grands  qui  ne  seraient  pas  nobles  seulement  par  leurs  armoi- 
ries. Bien  plus,  des  princes  eux-mêmes  pourraient  y  acquérir  la  faculté 
de  répondre  aux  discours  qui  leur  sont  adressés  sans  recourir  à  un  inter- 
prète ;  enfin ,  les  sciences  élevées  et  tous  les  arts  utiles  recevraient  de  ce 
côté  un  accroissement  de  lumières  et  de  dignité.  Un  tel  collège  n'existàt-il 
pas,  répétait  Érasme,  l'empereur  ne  devrait  rien  avoir  plus  à  cœur  que  de 
l'établir  à  ses  frais;  cependant,  c'est  cet  établissement  utile  qui  est  le  but 
de  machinations  continuelles  et  de  perfides  attaques.  Érasme  suppliait 
Jean  Sucquet  d'en  prendre  la  défense  en  haut  lieu  et  de  le  recommander 
à  la  bienveillance  des  grands  de  l'Empire'^;  il  lui  représentait  en  même 

'  Lettre  de  Bâle,  1523.  Epist.,  t.  I,  p.  909.  Nous  donnerons  quelques  passages  de  cette  sup- 
plique élégante,  qui  renferme  l'éloge  d'Antoine  Sucquet  (voy.  sur  ce  dernier  le  chapitre  II,  p.  43). 
Sunt  compiures  Lovanii,  velul  in  hoc  conjurali,  ut  Collegiimi  Buslidianum,  unicum  nostrae  regionis, 
imo  tolius  Caesareae  dilionis,  ornamentum,  sublalum  cuperent  :  eique  miris  cuniculis  exilium 
moliuntur;  unde  quum  omnibus  publiée  pariter  ae  private  proditura  est  summa  iitililas ,  tum  aidac 

Caesareae  prodibunt  eruditi  sccrelaiii ,  elc denique  principes ,  qui,  si  videalur,  possint  orato- 

rihus  dira  interprelem  respondere...  Si  non  esset  instilutum  taie  collegium,  nihil  prius  erat  curan- 
dum  Caesari,  qunm  ut  suis  impendiis  instittteret. 

-  Ibid.,  p.  909  :  Quare  te  rogo  majorem  in  modum ,  ul  quod  Antonius  féliciter  orsus  est,  lui 
gratia  et  antoritale  tua,  qua  tu  merito  vales  in  aulaplurimum,  perficias ,  ut  hoc  collegium  sil  om- 
nibus aulae  proceribus  quam  maxime  gratiosum.  Rcditus  adimc  tenues  sunt;  vix  alunt  profcs- 
sores,  eos  augebit  Principum  ac  divitum  liberalitas ,  te  Inique  similibus  rem  provehentibus 


82  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

temps  combien  il  serait  opportun  d'augmenter  le  revenu  encore  modique 
du  collège,  et  d'améliorer  le  sort  des  professeurs  par  de  nouvelles  largesses , 
comme  on  est  porté  à  en  attendre  des  princes  et  des  hommes  opulents. 
Érasme  ne  craignit  pas  non  plus  de  s'adresser  à  des  prélats  instruits, 
prenant  part  à  la  direction  des  affaires  publiques,  pour  leur  faire  com- 
prendre quel  dommage  causaient  à  l'Église  et  à  l'État  les  persécutions  diri- 
gées contre  le  collège  des  Trois-Langues ,  et  en  général  contre  les  gens  de 
lettres.  11  s'était  déjà  plaint  à  Carondelet,  archevêque  de  Palerme  ,  chance- 
lier de  Brabant^  d'avoir  eu  beaucoup  à  souffrir  de  la  part  de  quelques  théo- 
logiens à  cause  du  collège  de  Busleiden  ,  et  lui  avait  déclaré  n'avoir  refusé 
la  charge  que  lui  offrait  François  I"  dans  un  collège  semblable  à  celui 
de  Louvain ,  que  par  crainte  des  mêmes  déboires.  C'est  encore  auprès  de 
ce  haut  dignitaire  ecclésiastique  qu'il  réclama  plus  tard  contre  les  décla- 
mations qui  atteignaient  le  collège  des  Trois-Langues  du  haut  de  la  chaire^; 
en  lui  recommandant  la  cause  des  études,  il  dut  lui  signaler,  en  1527, 
le  carme  Paschasius  qui,  à  Malines ,  dans  ses  prédications  publiques, 
attaquait  à  tort  et  à  travers  les  langues  et  les  lettres.  Dans  cette  pièce 
où  il  défendait  leur  étude  comme  auxiliaire  de  toutes  les  sciences,  il  prou- 
vait que  la  guerre  qu'on  lui  faisait  était  contre  les  intentions  de  l'empereur 
et  du  pape  ;  c'est  la  faute  des  hommes  ,  disait-il,  si  la  connaissance  du  grec 
et  de  l'hébreu  a  prêté  des  armes  à  Mèlanchlhon  et  à  d'autres  partisans  de 
la  Réforme  :  combien  est-il  d'hommes,  ignorant  le  grec  et  même  le  latin, 
qui  l'ont  embrassée  avec  chaleur!  mais  il  y  a  encore  bien  plus  d'hellénistes 
et  d'hébraisants  qui  en  sont  les  adversaires  déclarés!  à  Louvain  même,  il 
n'y  a  pas  un  seul  homme  versé  en  ces  choses,  qui  ne  soit  tout  à  fait  con- 


'  Letire  de  Bûle,  ôO  mars  iôU  (EpisL,  1. 1,  p.  79-i). 

2  Lettre  de  Bàle,  50  mars  1527  (EpisL,  t.  I,  pp.  972-973)....  Sed  stiidioriim  causant  libi  com- 
mendo.  Mechliniae  carmelita  quidam  Paschasius,  ut  ex  midtorum  liter'is  accipio,  pubiiciiùs  e  sug- 
geslo  debacchatur  in  livguas  ac  bonus  literas ,  et  nominalim  in  Collegium  Trilingue.  Agant  hoc  quod 
habent  in  mandatis ,  pugnent  adversus  haereses:  at  bellum  gerere  cum  literis,  sine  quibus  omnes 
reliquae  disciplinae  mulae  sunt ,  mancae  sunt ,  caecae  sunl,  plurimum  abest  ab  anima  tum  Caesaris, 
tvm  Ponlificis....  ista  non  studiurmn  est  culpa.  sed  hominum,  sed  longe piures  favent  Luihero  qui 
neque  graece  sciunt  neque  latine.  Mxdto  piures  his  literis  instructi  pugnant  cum  LiUhero.  Certe  Lo- 
vanii  nidhis  est  ex  hoc  génère  non  alienissimus  a  re  Lutherana.... 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  83 

traire  à  la  cause  de  Luther.  Que  deviendraient  toutes  les  sciences,  el  la 
théologie  même,  si  l'on  en  supprimait  l'enseignement  à  cause  du  penchant 
des  hommes  qui  les  cultivent  pour  une  secte  condamnée?  3Iais  le  nom 
d'Érasme  n'avait  pas  cessé  d'être  mêlé  à  ces  bruyantes  et  stériles  querelles  : 
plus  d'une  fois  des  docteurs  et  des  prélats  avaient  flétri  le  langage  inju- 
rieux et  «  digne  des  fureurs  d'Oreste  »  ,  comme  il  disait,  sous  lequel  on 
croyait  l'accabler.  Après  Léon  X,  qui  l'avait  encouragé,  le  pape  Adrien  VI 
et  son  successeur,  ordonnèrent  formellement  de  ménager  la  personne 
d'Érasme  et  de  respecter  son  talent,  et  celui  qui  avait  porté  ses  protes- 
tations jusqu'à  Rome,  n'avait  pas  pu  trouver  une  protection  plus  généreuse 
que  celle  dont  Clément  VII  entendit  le  couvrir,  quand  il  enjoignit,  en 
l'année  1525,  aux  membres  de  la  faculté  de  théologie  de  Louvain  de 
s'abstenir  de  toute  attaque  qui  compromettrait  l'influence  souvent  salu- 
taire d'Érasme  dans  le  monde  savant  de  l'époque  '. 

On  avait  compris  à  Rome  combien  il  était  imprudent  à  l'heure  où  les 
lettres  excitaient  l'attention  générale,  de  s'en  prendre  à  elles,  et  de  leur 
attribuer  tous  les  désordres  du  temps,  et  combien  il  était  injuste  de  les 
honnir  en  celui  qui  était  leur  plus  brillant  représentant.  L'événement 
prouva  que  cette  fois  encore  le  zèle  se  crut  au-dessus  de  l'obéissance;  les 
passions,  qui  ne  raisonnent  pas,  ne  tinrent  point  compte  de  si  sages  avis. 
On  persistait  à  confondre  dans  une  même  réprobation  les  hommes  et  les 
idées,  les  tendances  et  les  principes;  on  voulait  la  ruine  d'une  étude  nou- 
velle en  haine  d'un  écrivain  qui  la  prônait  puissamment. 

La  cause  des  lettres  était  vengée  aux  yeux  des  hommes  sérieux,  quand 
Érasme  se  justifiait  lui-même  par  le  témoignage  de  personnages  éminents 
qui  l'avaient  soutenu  et  encouragé  :  il  gagnait  à  cette  cause  le  chancelier  de 
Brabant,  Carondelet -,  alors  qu'il  lui  communiquait,  en  1527,  des  lettres 

'  On  trouvera  parmi  les  pièces  justificatives  (lettre  D)  le  texte,  revu  sur  le  MS.  original,  de  la 
lettre  si  remarquable,  écrite  de  Rome,  le  12  juillet  lo23,  par  Albert  Pighius  à  ses  anciens  maîtres 
de  Louvain.  Pighius  déclare  avoir  dû  faire  les  plus  grands  efforts  pour  qu'un  brefne  fût  pas  adressé 
directement  à  Érasme,  renfermant  un  blâme  formel  de  leur  conduite,  qui  eût  fait  grand  bruit  dans 
le  monde.  Sur  les  avertissements  répétés  de  Rome,  voy.,  par  exemple,  une  lettre  d'Érasme  à  Bili- 
bald  Pirckheimer.  Bàle,  1326  (Episl.,  I,  p.  940). 

^  Bâle,  1S27.  Episl.,  1. 1,  p.  973  :  Ut  faciUimum ,  ila  fuerit  optimum  primas  islorum  impeliis 
retundere.  Qiiod  si  facere  non  gravaberis,  omnes  Mudiorum  cultores  libi  reddes  addictissimos. 


84  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

toutes  récentes  de  l'empereur,  du  chancelier  de  l'Empire,  Mercurio  Gatti- 
nara,  et  du  cardinal  Campegio  ^  Que  voulait-il?  Convaincre  Carondelet 
de  la  nécessité  de  réprimer  la  fougue  avec  laquelle  on  attaquait  les  belles- 
lettres,  combattre  l'effet  des  déclamations  effrontées  sur  son  esprit  et  lui 
donner  la  conviction  que  lui-même  n'avait  pas  failli  en  matière  religieuse, 
sous  le  rapport  de  la  foi  et  du  zèle,  que  reconnaissaient  et  que  louaient  en 
lui  les  chefs  des  deux  puissances -.  Certes,  les  suffrages  dont  Erasme  s'est 
prévalu  dans  ces  circonstances,  ne  vont  pas  jusqu'à  justifier  les  inconsé- 
quences de  sa  conduite,  qui  ont  presque  toujours  une  raison  de  vanité; 
mais  ils  autorisent  à  penser  que  ses  vues  s'accordaient  avec  celles  des 
membres  les  plus  éclairés  de  la  cour  romaine  et  des  conseils  de  l'État, 
quand  il  plaidait  si  chaleureusement  en  faveur  des  lettres  repoussées  par 
un  parti  assez  nombreux  dans  presque  toutes  les  universités. 

Les  réclamations  d'Érasme  avaient  aussi  trouvé  de  l'écho  auprès  d'un 
prélat  lettré  de  l'Italie,  Jean  Matthieu  Gibbertus  ou  Giberti,  qui  fut  évêque 
de  Vérone;  secrétaire  (datarius)  de  Clément  YIl,  il  avait  rendu,  à  la  de- 
mande d'Érasme,  un  service  particulier  au  collège  des  Trois-Langues  au 
nom  duquel  l'humaniste  s'empressa  de  le  remercier  ^.  Il  avait  autrefois 
prévenu  Gibbertus  des  faux  bruits  qui  couraient  en  Belgique  sur  les 
intentions  du  pape  Clément  touchant  l'université  de  Louvain,  menacée 
de  se  voir  retirer  tous  ses  pi'iviléges  *,  et  dans  la  suite  il  lui  avait  fait 

'  Mercurio  Arborio  di  Gatlinara  avait  succédé  à  Sauvage,  en  toi 8,  et  il  mourut  cardinal  en 
toôO.  M.  le  D'  Le  Glaylui  a  consacré  une  élude  biographique  dans  les  Mémoires  de  la  Société  des 
sciences  de  Lille,  années  1847-48.  Voy.  sur  sa  sympathie  pour  Érasme,  de  Burigny,  1. 1,  p.  279;  t.  Il, 
p.  104,  pp.  1-54-160.  —  Légat  du  pape  en  Allemagne,  Laurent  Campegio  avait  témoigné  à  Érasme 
sa  confiance,  et  l'avait  appelé  avec  instances  auprès  de  lui.  Voy.  Epist.,  1. 1,  pp.  437,468,  794  et  795. 

-  Epist.,  t.  I,  p.  973  :  Jn  quem,  inqiiies ,  umm?  ut  intelliyat  tua  prudentia ,  meam  ftdem  et  stu- 
dium  in  negotio  pietalis  probari  summis  ulriusque  status  Principibus ,  nec  vel  lantulum  commoveare 
quorumdam  impudentissimis  bluter  utionibus... 

'  Lettre  de  Bâie  mai  1326.  Epist.,  1. 1,  p.  938  :  Agnoscit  Trilingue  collegium,  quantum  debeat 
Ampliludini  luae,  cujus  favore  consequutum  est  quod  optabal,  et  largitcr  et  gratis.  In  Inijus  beni- 

fîcii  consortium  me  quoque  recipit,  elc Si  la  nature  de  ce  service  n'est  pas  spécifiée,  il  était  relatif 

sans  doute  aux  intérêts  de  l'instruction  que  Gibbertus  avait  à  cœur;  il  avait  préparé  lui-même  une 
édition  grecque  de  saint  Jean  Chrysostôme  [Epist.  Erasmi,  t.  I,  pp.  811-812;  t.  Il,  pp.  1308- 
1309,  1416). 

^  Epist.,  t.  I,  p.  812,  sept.  1524. 


DES  TROIS-LAINGUES  A  LOUVAIN.  85 

comprendre  sans  peine  combien  il  était  injuste  et  dangereux  de  mettre 
en  cause  les  langues  sans  nécessité,  à  propos  des  controverses  reli- 
gieuses; il  ne  craignait  pas  de  lui  affirmer  que  l'on  cherchait  querelle, 
sous  prétexte  du  luthéranisme,  à  ceux  qui  étaient  chargés  des  leçons  des 
langues  à  Louvain,  mais  qu'ils  se  comportaient  et  professaient  de  manière 
à  ne  pouvoir  être  trouvés  en  défaut  par  le  génie  même  de  la  critique  K 

Dans  le  même  laps  de  temps,  Érasme  ne  négligea  point  de  s'adresser 
au  prince  évéque  de  Liège,  Èrard  de  La  Marck,  dont  il  connaissait  d'an- 
cienne date  la  bienveillance  à  son  égard,  fondée  sur  l'estime  de  ses  travaux 
littéraires  2.  Il  lui  fit  part  de  ses  plaintes  sur  les  invectives  qui  retentis- 
saient contre  les  lettres  et  contre  lui  dans  les  chaires  de  la  Belgique, 
avant  comme  après  la  mort  d'Egmond  s,  et  plus  tard,  faisant  appel  à  ses 
habitudes  de  munificence,  il  lui  demanda  pour  le  collège  des  Trois-Lan- 
gues  une  intervention  efficace,  qui  donnât  à  cet  établissement  plus  d'éclat 
et  plus  d'action*.  Encore  une  fois,  Érasme  rendait  hommage  à  la  géné- 
rosité de  Busleiden,  poussée  aussi  loin  que  sa  fortune  le  permettait; 
mais  il  faisait  entendre  que  les  revenus  du  collège  suffisaient  à  peine  aux 
dépenses  strictement  nécessaires,  et  que  c'était  là  une  entreprise  royale 
(regiiim  erat  negotium),  que  les  largesses  d'un  seul  homme  ne  suffisaient 
pas  à  terminer  complètement.  Érard  était  appelé,  selon  lui,  à  eu  être  à 
son  tour,  un  des  promoteurs^;  Érasme  invoquait  auprès  du  puissant 
évêque,  non-seulement  le  soin  de  sa  gloire  parmi  les  hommes,  mais  encore 
Vintérêt  éternel  qui  lui  serait  acquis  par  une  œuvre  fort  agréable  à  Dieu. 

'  Jbid.,  p.  939  :  Lovanii  sic  vivunt,  ac  profttentur  linguas  ad  id  destinali,  ut  nec  Momus  ha- 
beat  quod  reprehendat...  Mallenl  illos  Lutlierissare ,  quo  delitr  occasio  culpam  Iwminum  in  studia 
conferendi....  Cfr.  Episl.,  t.  I,  p.  997. 

'^  Le  prince  manifestait  à  Érasme,  en  1518,  le  désir  de  le  voir  et  l'intention  de  l'aller  trouver, 
si  Érasme  ne  pouvait  se  rendre  à  Liège  (Episl.,  1. 1,  p.  559).  Érasme  lui  avait  exprimé  le  souhait  que 
les  théologiens  de  Louvain,  trop  prompts  à  se  (ikher,  pussent  hoire  d'un  vase  qu'il  avait  reçu  en 
présent  du  cardinal  archevêque  de  Mayence,  sous  le  nom  de  coupe  d'amour  [poculumamoris).  Epist., 
t.  I,  p.  383. 

^  Bâle,  1328.  Epist.,  t.  K,  p.  1 123. 

^  Fribourg,  7  septembre  1530.  Episl,  t.  II,  pp.  1317-1318. 

'^  Ibid ,  p.  1318  :  Cui  si  tua  sublimitas  favere  dignabitur ,  ul  optime  mereberis  de  studiis,  ita  et 
npud  homines  plurimiim  verae  gloriae  comparabis ,  et  Deo  rem  cum  primis  gralam  foeneraris.... 


86  MEMOIRE  SUR  LE  COLLÈGE 

La  sollicilude  d'Érasme  pour  le  collège  de  Busleiden  s'exerça  d'une 
manière  non  moins  digne  de  curiosité  dans  ses  relations  fréquentes  avec 
des  professeurs  ou  des  partisans  de  ce  collège.  Engagé  dans  la  composi- 
tion de  beaucoup  de  livres,  chargé  d'une  volumineuse  correspondance, 
Érasme,  à  Bâle  et  à  Fribourg,  ne  perdit  pas  de  vue  les  besoins  de  l'in- 
stitut naissant,  et  n'oublia  aucun  de  ceux  qui  coopéraient  à  ses  progrès. 
Il  savait  trop  bien  qu'il  faut  des  mobiles  toujours  nouveaux  à  l'activité 
humaine  *,  et  que  l'esprit  qui  n'est  pas  sollicité  par  l'attrait  ou  par  la 
nouveauté  des  objets,  est  blasé  fort  vite,  s'engourdit  trop  souvent,  et 
s'endort.  C'est  bien  là  le  secret  des  vives  instances  qui  reviennent  à  chaque 
page  de  ses  spirituelles  épîtres. 

On  voit,  en  effet,  que  les  mots  tombés  de  la  plume  d'Érasme  sojit 
comme  des  traits  qui  frappent  à  coup  sûr  :  dans  ses  lettres  aux  philo- 
logues de  Louvain,  tantôt,  c'étaient  des  félicitations  sur  leurs  efforts  et 
leur  persévérance;  tantôt,  c'étaient  des  encouragements  qui  venaient  après 
des  défaillances  passagères,  et  qui  en  prévenaient  de  nouvelles.  Campensis 
et  Rutger  Rescius  eurent  plus  d'une  marque  de  son  intérêt  et  de  son 
estime;  il  avait  fait  en  Belgique  de  fréquentes  démarches  en  faveur  du 
second,  qui,  dès  1519,  réclamait  une  meilleure  rémunération  de  ses  ser- 
vices, et  plus  tard  il  ne  lui  épargna  point  les  reproches,  quand  cet  hellé- 
niste ne  vit  plus  qu'une  occupation  secondaire  dans  l'enseignement  du 
collège.  Il  apprécia  non  sans  raison  le  zèle  de  Goclenius;  il  le  traita  en 
ami  éprouvé,  digne  d'être  son  principal  correspondant  littéraire  dans  nos 
provinces  ^.  Il  n'était  aucun  moyen  de  prosélytisme  qui  lui  parût  inu- 
tile :  c'est  ainsi  qu'il  envoya  aux  professeurs  des  Trois-Langues  l'épître 
grecque  pleine  d'élégance,  qu'il  avait  reçue  avec  étonnement  d'un  jeune 
professeur  d'Espagne,  François  Vergara  ^;  toujours  il  osa  parler  en  patron 

'  Lettre  à  Gilles  Busleiden,  Fribourg,  décembre  1531  {Episl.,  t.  II,  p.  1425)  :  Nisi  diiigenlla 
professormn  udvirjild,  mettio  ne  tandem  frigeat  hoc  Collef/iuni.  Mirum  est  hiimani  ingenii  fasti- 
dium,  obdormiscit ,  nisi  subinde  vel  voluptate,  vel  nuvitate  excilelur.  Hac  de  re  professores  admonui 
per  litteras. 

-  Voy.  plus  loin  les  notices  sur  ces  trois  professeurs  (cliapitres  VI,  VU,  et  VIII). 

'  B.île,  septembre  1527  {Episl.,  t.  I,  1013).  —  Voy.  au  cliap.  IV  les  salutations  d'Érasme  adres- 
sées, en  1527,  aux  professeurs,  par  l'intermédiaire  de  Nie.  Wary,  leur  président. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  87 

de  l'œuvre  à  laquelle  restait  attaché  le  nom  de  son  ami;  n'avait-il  pas 
d'ailleurs  le  droit  de  prendre  ce  ton  d'autorité  ^,  après  avoir  travaillé 
depuis  trente  ans,  au  milieu  de  l'opposition  la  plus  vive,  à  répandre  le 
goût  de  l'éloquence  ainsi  que  des  lettres  grecques  et  latines,  après  avoir 
résisté  tant  de  fois  aux  assauts  des  barbares,  comme  il  appelle  leurs  ad- 
versaires ignorants?  N'avait-il  pas  prêché  d'exemple  par  cette  constance 
éprouvée? 

En  1550,  François  I'^''  ayant  réalisé  le  projet  longtemps  différé  d'ériger 
une  école  destinée  à  l'enseignement  des  langues,  le  Collège  royal,  Érasme, 
qui  voyait  ses  vœux  exaucés,  s'empressa  d'écrire  aux  professeurs  de  Lou- 
vain  touchant  cette  heureuse  nouvelle,  et  ne  manqua  pas  d'exciter  en  eux 
le  sentiment  d'une  salutaire  et  généreuse  rivalité  ^  : 

«  Vous  voyez,  leur  dit-il  ^,  quelle  émule  vous  est  donnée,  et  quelle  ému- 
»  lation  va  sortir  pour  vous  de  ce  collège  des  Deux-Langues  que  le  roi 
»  de  France,  François  I<"",  vient  d'établir  à  Paris,  au  grand  désir  de  tous. 
»  Quelle  que  soit  l'issue,  que  j'espère  et  souhaite  très-heureuse,  vous 
»  conserverez  intact  l'honneur  d'avoir  abordé  les  premiers  la  plus  belle 
»  des  entreprises,  et  d'avoir  provoqué  l'émulation  dans  les  autres;  ce 
»  qui  augmente  votre  gloire,  c'est  d'avoir  subi  et  soutenu  les  premières 
»  attaques  de  l'envie,  et  d'avoir  transmis  à  vos  successeurs  une  mission 
«  de  beaucoup  plus  facile.  En  outre,  votre  mérite  sera  plus  célèbre  à  ce 
»  titre,  que  l'autorité  du  nom  d'un  roi  ne  vous  a  pas  protégés  contre  cette 
»  hydre  de  l'envie  [adversiis  excelram).  Si  les  choses  l'emportent  ici  sur  ce 
»  point,  qu'il  est  deux  professeurs  pour  chaque  langue,  avec  un  salaire 
»    que  l'on  dit  plus  considérable,  on  ne  peut  l'imputer  à  Jérôme  Bus- 

*  Lettre  à  N.  Mallier,  Fribourg,  mars  1SI8  {Epist.,  t.  H,  p.  1387  )  :  Facile  conjectas  qiws  bar- 
barorum  impelus  exceperim ,  ante  annos  ferme  triginla  apud  nostrates ,  juventtttem  ad  eloquentiae 
sludium  graecarumque  llterarnm  amorem  cxslbmdans.... 

2  Collegii  Buslidiani  professoribus  S.  D.  Fribourg  en  Brisgau  ,  1"  avril  1330.  {Epist.,  t.  Il, 
p.  1288).  L'abbé  Goujet,  dans  son  Mémoire  historique  et  littéraire  sur  le  Collège  royal  de  France 
(éd.  in  12»,  Paris,  l7o8,  t.  I,  pp.  76-78),  a  traduit  presque  entière  cette  leUre,  dont  nous  avons 
fait  une  nouvelle  version.  Valère  André  en  a  donné  le  texte  dans  ses  Exordia,  p.  37-38. 

■>  Epist.,  t.  Il,  p.  1288  :  Videtis  quanta  sil  vobis  adversaria  parata,  quantumque  certamen  ex 
Collegio  bilingui  quod  Galliaruni  rex  Franciscus  inslituit  Lutetiae  summa  omnium  expeclatione, 
etc....  Les  premiers  professeurs  furent  nommés  pour  le^;  seules  langues  tfreeque  et  bébraïque. 
Tome  XXVIII.  ^  15 


88  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLÈGE 

»  leiden,  qui  a  consacré  à  la  fondation  rinlégrité  de  sa  fortune  K  Je  ne 
»  désapprouve  point  qu'on  n'ait  pas  nommé  en  France  un  professeur  de 
»  langue  latine;  je  pense  que  vous  feriez  bien  de  suivre  cet  exemple, 
»  quand  celui  qui  enseigne  cette  langue  se  sera  retiré  en  toute  conve- 
»  nance,  et  de  partager  ses  appointements  entre  les  deux  autres  maîtres  ^. 
»  Je  vous  écris  ceci ,  afin  que  vous  accroissiez  encore  votre  ancienne  ar- 
»  deur,  et  que  vous  reteniez  par  l'habileté  de  votre  enseignement  l'affluence 
»  ordinaire  de  vos  auditeurs  {andilonim  frequentiam).  Nous  sommes  la  plu- 
..  pari  attirés  surtout  par  les  nouveautés,  et  voici  que  la  France  commence 
»  à  être  en  paix.  Que  si  les  auditeurs  vous  font  défaut,  vous  serez  portés 
»  vous-mêmes  à  professer  avec  plus  de  froideur.  Il  vous  faut  lutter  contre 
»  de  telles  éventualités  avec  beaucoup  de  soin  et  d'intelligence  '^.  Jusqu'ici 
»  les  premiers  actes  de  la  pièce  se  sont  bien  passés;  grâce  à  la  rivalité  du 
»  Collège  royal,  l'exposition  du  drame  se  déroulera  de  même,  et  il  appar- 
.)  tient  à  votre  vigilance  de  lui  donner  un  dénoûment  digne  d'applaudis- 
»   sèment.   » 

C'est  encore  sur  le  collège  des  Trois-Langues  qu'Érasme  faisait  un 
retour  en  1551 ,  quand  de  Fribourg  ^,  il  exprimait  sa  sympathie  à  Jacques 
Tusanus  ou  Toussain ,  professeur  de  grec  au  collège  de  France,  à  propos 
des  persécutions  que  celui-ci  avait  essuyées  à  cause  de  cette  charge  ^.  Tout 
en  encourageant  son  ami ,  Érasme  répétait  les  conseils  qu'il  avait  donnés 

«  Crévier  dit  très-bien  que  François  I"  eut  dessein  de  remplir  avec  une  magnificence  royale  le 
projet  qu'un  particulier  avait  déjà  exécuté  à  Louvain.  Hisl.  de  l'Univ.  de  Paris,  t.  V,  p.  240. 

2  Busleiden  avait  moins  bien  doté  la  chaire  de  latin  que  les  deux  autres;  cependant  Goclenius, 
qui  l'occupait  du  vivant  d'Érasme,  la  conserva  jusqu'à  sa  mort,  et  il  eut  des  successeurs.  A  Paris, 
dès  1534  ,  on  reconnut  l'opportunité  d'une  leçon  de  langue  ou  d'éloquence  latine,  et  elle  fut  confiée 
à  Barlbélemy  Latomus  ou  Masson  :  alors  le  collège  de  France  fut  très-souvent  appelé  collège  des 
Trois-Langues  dans  les  actes  du  temps. 

^  Ibid.  Contra  haec  vobis  onini  cura  cl  induslria  connitendum  est.  Eacteinis  piilclire  se  habent 
primi  aclus  fabulac.  Protasin  excitabit  acmidaliu  Collegii  régit,  vestra  vigHanlia  imponet  plausibi- 
lem  catastrophen. 

'  Lettre  du  13  mars  153L  Epist.,  t.  Il ,  I367-I3G9.  Dans  une  autre  lettre  de  la  même  année, 
Érasme  félicitait  Toussain  de  sa  nomination  {Epist.,  t.  II,  pp.  ISol-lôo'â). 

5  Goujet  a  cité  quelques  courts  passages  de  cette  lettre,  en  racontant  l'opposition  que  l'université 
de  Paris  fit  au  Collège  royal,  principalement  par  des  raisons  d'intérêt  (ouvrage  cité,  1. 1,  pp.  82-97, 
et  1 10-115). 


DES  TROIS-LAINGUES  A  LOUVAIN.  89 

dès  le  principe  aux  professeurs  de  Louvain  *  ;  on  lira  avec  plaisir  en  quels 
termes  il  a  recommandé  la  prudence  et  la  mesure,  la  dignité  et  l'urbanité, 
à  ceux  qui  représentaient  alors  dans  les  écoles  une  puissance  nouvelle, 
celle  des  lettres  : 

«  J'ai  toujours  regardé,  dit-il,  comme  un  heureux  présage,  que  l'on 
»  ait  protesté  contre  l'étude  des  langues  et  des  belles-letti-es ,  commen- 
»  çant  à  fleurir  chez  nous,  d'une  manière  si  odieuse  et  par  une  telle  con- 
»  juration  d'efforts  :  car  c'est  toujours  avec  de  semblables  commencements 
»  que  se  sont  produites  les  choses  illustres,  destinées  à  un  long  empire. 
»  Sinon  le  premier,  du  moins  avec  les  premiers  d'entre  les  nôtres,  j'ai 
»  été  exposé  aux  sifflements  de  cette  hydre  de  l'envie  (Imjus  excetrae).  Je 
»  regrette,  mon  cher  ïoussain,  qu'elle  ait  pu  vous  atteindre  vous-même 
»  quelque  peu.  Cependant,  il  dépend  de  nous  en  partie,  que  cette  envie, 
»  que  le  progrès  du  temps  adoucit  insensiblement  2,  soit  plus  vite  as- 
»  soupie  :  c'est  à  la  condition  que  nous  nous  conciliions  la  bienveillance 
»    de  tous  par  la  politesse,  l'urbanité  et  les  bons  oflîces. 

»  A  peine  le  collège  de  Busleiden  existait-il  à  Louvain,  qu'il  se  formait 
»  une  redoutable  conspiration  de  tous  ceux  qui  se  persuadaient  que  cet 
»  accroissement  donné  aux  études  porterait  dommage  à  leurs  vues  et  à 
»  leurs  intérêts.  C'est  pourquoi  j'ai  donné  aux  professeurs  le  conseil  de 
»  ne  pas  dire  un  mot  contre  les  professeurs  des  autres  sciences,  mais  de 
»  faire  en  sorte,  grâce  à  la  politesse  des  manières  et  au  zèle  porté  dans 
»  l'enseignement,  d'attirer  à  eux  la  jeunesse,  et  de  laisser  des  ennemis  irré- 
»  conciliables  se  consumer  eux-mêmes.  Rien  de  plus  beau,  rien  de  plus 
»    efficace  que  cette  sorte  de  vengeance  '\  Ils  ont  obéi ,  et  quelques  mois 


'  Nous  avons  traduit  un  extrait  étendu  de  cette  curieuse  lettre,  dont  Valère  André  a  reproduit 
un  fragment  original  dans  ses  Exordia,  p.  38-39. 

"'  Si  longue  et  si  opiniâtre  qu'ait  été  la  résistance  des  anciens  collèges  de  Paris  aux  premiers 
hellénistes  ou  pliilhellènes,  comme  disait  Érasme,  l'envie  perdait  ses  forces  de  jour  en  jour  (lettre 
à  Nicolas  Maliier,  1331.  Epist.,  t.  Il,  p.  1387).  Le  coassement  des  grenouilles  va  cesser,  ajoutait-il 
en  louant  la  fondation  de  François  I" ,  et  il  ne  sera  plus  permis  à  aucun  théologien  de  se  prévaloir 
(le  l'ignorance  des  langues. 

'•  C'est  le  langage  d'Érasme  dans  sa  lettre  de  1520  à  Goclenius  {Epist.,  t.  I,  S69)  :  Vis  tibi  com- 
monstrem  splendidum  ac  magnificum  vindictaegenus? 


90  MEMOIRE  SUR  LE  COLLÈGE 

»  après,  ils  ont  avoué  avoir  compris  par  expérience  combien  ce  conseil 
»  était  propice  et  heureux.  Votre  prudence  et  votre  caractère  n'ont  pas 
»  besoin  d'un  semblable  conseil ,  et  d'ailleurs  vous  aurez  une  lutte  bien 
»  plus  douce  à  soutenir  contre  l'hydre,  en  partie,  parce  que  chez  vous, 
»  le  vif  éclat  du  progrès  des  lettres  a  déjà  dissipé  à  peu  près  les  nuages 
»  d'une  ignorance  prétentieuse;  en  partie  ,  puisque  vous  avez  pour  auteur 
»  de  cette  belle  entreprise  un  si  grand  prince,  non  moins  doux  et  clément 
»  que  puissant,  qui  a  saisi  avec  une  profonde  pénétration  combien  de 
»  vraie  gloire  il  ajouterait  par  là  à  ses  autres  titres,  et  quelle  utilité  en 
»   résulterait  dans  toute  l'étendue  de  sa  domination.    » 

Encore,  vers  la  fin  de  sa  vie,  les  craintes  d'Érasme  allèrent  jusqu'à 
l'anxiété  toutes  les  fois  qu'il  apprit  quelque  chose  de  défavorable  à  l'insti- 
tution de  Busieiden.  Le  départ  de  Jean  Campensis  l'avait  contrarié  :  un 
procès  engagé  par  Goclenius  lui  semblait  une  entrave  inutile  à  son  ensei- 
gnement; il  lui  répugnait  d'apprendre  que  Rescius  se  laissait  absorber 
par  sa  profession  de  libraire  et  d'imprimeur.  Il  exprimait  en  1355  tout 
son  mécontentement  dans  une  lettre  à  Goclenius  ',  où  on  lit  :  Doleo  Colle- 
gium  istiid  tam  cito  frigescere,  et  perilurum  video,  nisi  praesidis  et  exectitorum 
cura  vigilel,  et  professorinn  adsit  diligentia. 

Ces  cris  d'alarme ,  souvent  répétés ,  ne  furent  point  perdus.  Avant  la 
mort  d'Érasme,  l'organisation  du  collège  des  Trois-Langucs  ne  fut  pas 
ébranlée,  et  elle  se  consolida  encore  après  lui  :  son  enseignement  resta  en 
harmonie  avec  les  besoins  de  la  jeunesse  qui  fréquentait  les  cours  acadé- 
miques de  Louvain,  et  il  se  poursuivit  sans  obstacles  nouveaux  jusqu'à  la 
fin  du  siècle.  C'est  même  dans  cette  période  de  son  existence,  comme 
nous  le  montrerons  plus  loin-,  que  l'école  de  Busieiden  rendit  les  plus 
grands  services,  en  formant  une  foule  d'hommes  distingués,  qui  se  signa- 
lèrent dans  toutes  les  carrières;  c'est  alors  aussi  qu'elle  soutint  véritable- 
ment le  parallèle  avec  les  écoles  semblables  des  autres  pays ,  et  cependant , 
dans  la  suite  des  temps,  le  collège  de  Louvain  ne  fut  pas  comblé  des 
faveurs  des  princes,  comme  le  furent  plusieurs  de  ces  écoles. 

'   Friboiirg,  7  novembre  I5ôô.  Epist.,  l.  II,  1679.  —  Voir  thap.  VI,  §  2,  et  cliap.  Vil,  §  1. 
■^  Voy.  chapitres  IX  et  X. 


DES  TROIS-LANGCES  A  LOUVAIN.  9i 

Nous  n'en  viendrons  à  l'influence  du  collège  sur  les  lettres  anciennes 
et  la  philologie  orientale,  qu'après  avoir  examiné  au  préalable  la  consti- 
tution même  de  cet  établissement  et  son  régime  intérieur;  avant  l'appré- 
ciation générale  des  résultats  obtenus,  nous  devrons  dire  dans  quelle 
mesure  on  avait  étudié  ou  enseigné  les  trois  langues  savantes,  antérieure- 
ment à  l'ouverture  des  leçons  spéciales  fondées  par  Busleiden,  et  nous 
ferons  connaître  la  série  des  professeurs  qui  occupèrent  les  trois  chaires 
de  cette  fondation  pendant  un  espace  d'environ  trois  siècles. 


CHAPITRE  lY. 

DE  L'ORGANISATION  INTÉRIEURE   ET  DE  L'ADMINISTRATION  DU  COLLÈGE 

DES  TROIS-LANGUES. 


t  consfiDtlia. 


Il  était  dans  l'esprit  des  fondations  scientifiques  d'autrefois  qu'un  comité 
d'administration  et  de  surveillance  disciplinaire  fût  organisé  à  côté  du  per- 
sonnel enseignant.  Busleiden  avait  pourvu  surabondamment  à  cette  néces- 
sité dans  une  suite  de  dispositions  formelles  consignées  en  son  testament. 
Pour  que  l'on  saisisse  mieux  la  position  qui  était  faite  aux  professeurs 
dans  son  collège,  nous  croyons  utile  de  reconnaître  d'avance  quel  pouvoir 
il  avait  donné  à  ceux  qu'il  en  avait  institués  les  curateurs,  et  au  prési- 
dent que  ceux-ci  avaient  le  droit  de  nommer;  ce  que  nous  dirons  des  bour- 
siers, de  leurs  devoirs  et  obligations,  achèvera  de  compléter  ce  tableau  du 
régime  intérieur  de  l'institution. 

Les  trois  proviseurs  de  la  fondation  avaient  été  choisis  par  Busleiden  *; 
ils  étaient  à  perpétuité  ses  représentants  munis  de  pleins  pouvoirs  pour 
la  direction  du  collège  une  fois  constitué  suivant  ses  volontés.  Ils  avaient 

*   Voy.  plus  haut,  chap.  III,  et  l'extrait  du  testament;  pièces  justificatives,  lettre  B. 


92  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

la  nomination  non-seulement  du  président,  mais  encore  des  professeurs, 
et,  malgré  le  droit  de  présentation  donné  à  d'autres,  ils  étaient  les  véri- 
tables coUateurs  des  bourses  fondées.  Leur  autorité  d'administrateurs 
s'étendait  de  la  surveillance  à  la  gestion  même  des  biens  :  elle  leur  per- 
mettait d'opérer  le  rachat  des  rentes  du  collège  et  d'en  acheter  de  nou- 
velles, de  vendre  et  d'aliéner  les  biens  du  collège  comme  leurs  propres 
biens,  d'en  disposer  en  vue  de  la  plus  grande  utilité  de  l'établissement. 
H  leur  appartenait  aussi  de  retirer  les  bourses  aux  titulaires  qui  auraient 
démérité  et  de  les  conférera  d'autres. 

Les  proviseurs  avaient  mandat  exprès  pour  examiner  et  approuver 
chaque  année  le  compte  des  recettes  et  dépenses.  S'il  restait  quelque  doute, 
s'il  s'élevait  quelque  difficulté  dans  la  marche  des  affaires,  la  solution  en 
était  laissée  à  leur  libre  appréciation  :  ils  pouvaient  modifier  la  lettre  des 
règlements  et  statuts  disciplinaires,  pourvu  qu'ils  se  conformassent  le  plus 
possible  à  l'esprit  du  testament,  aux  intentions  nettement  exprimées  sur 
d'autres  points.  En  constituant  les  trois  proviseurs  juges  de  l'opportunité 
en  toutes  choses,  il  est  clair  que  Jérôme  Busleiden  avait  fait  dépendre  de 
leurs  lumières  la  prospérité  du  collège  :  aussi,  c'est  en  faisant  appel  à 
leur  conscience  de  chrétiens  plus  encore  qu'à  leur  honneur  et  à  leur  pro- 
bité que  le  fondateur  leur  avait  conféré  cette  charge.  La  négligence  de  ces 
hommes,  et  même  leur  désaccord,  pouvaient  amener  des  crises  funestes  à 
l'établissement. 

Le  président  du  collège  des  Trois-Langues,  nommé  et  installé  par  les 
proviseurs,  était  chargé  de  la  surveillance  directe  et  permanente  de  cette 
institution.  Un  des  devoirs  qui  lui  étaient  le  mieux  recommandés,  c'était 
celui  de  pourvoir  à  la  collation  des  bourses  à  mesure  qu'elles  devenaient 
vacantes;  dans  les  quinze  jours  suivants,  il  était  tenu  d'annoncer  chaque 
vacature  dans  les  localités  désignées  expressément  par  le  fondateur,  et 
d'en  faire  part  à  la  fois  aux  curés  des  paroisses  et  aux  magistrats  civils. 
Après  publication  de  cette  vacature  faite  en  l'église  du  lieu  trois  dimanches 
de  suite,  les  candidats  qui  avaient  des  prétentions  à  la  bourse  vacante 
étaient  invités  à  se  présenter  aux  dignitaires  nommés  par  Busleiden ,  à 
cet  effet,  pour  chacune  des  sept  localités.  Au  dehors,  les  présentateurs 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  95 

étaient  le  chapitre  d'Aire  en  Artois,  et  le  chapitre  de  la  métropole  de 
iMalines  :  dans  le  Luxembourg,  c'étaient  Égide  ou  Gilles  Busleiden ,  son 
frère,  et  François  Busleiden,  son  neveu,  et  puis  après  eux  leurs  héritiers, 
à  qui  Jérôme  avait  conféré  le  droit  de  présentation.  Si,  après  dix  jours. 
il  ne  se  présentait  aucun  boursier,  autorisation  était  donnée  aux  mêmes 
personnes  de  rechercher  dans  les  endroits  les  plus  rapprochés  un  can- 
didat réunissant  les  conditions  voulues.  Les  proviseurs  prononçaient  en 
dernier  ressort,  et  faisaient  la  collation  de  la  bourse.  A  la  vigilance  du 
président  et  à  la  leur  était  confiée  l'application  de  tout  excédant  du  revenu  : 
si  une  bourse  était  vacante,*  ou  si  le  produit  d'une  bourse  était  retiré  à 
quelqu'un  à  cause  d'une  longue  absence,  ces  fonds  devaient  être  affectés 
aux  travaux  nécessaires  pour  la  conservation  des  bâtiments  du  collège  et 
pour  l'entretien  intérieur  de  la  maison.  Busleiden  avait  prévu  le  cas  où 
l'un  de  ses  biens  s'accroîtrait  en  valeur;  il  voulait  que  les  boursiers  du 
collège  en  profitassent,  comme  ses  héritiers  légitimes  et  incontestés,  mais 
que  toutefois  une  part  de  cet  accroissement  fût  réservée  aux  besoins  de 
la  fondation,  et  affectée  soit  au  renouvellement  du  matériel,  soit  à  la  ré- 
paration de  l'édifice. 

La  charge  de  président,  si  bien  définie  dans  le  testament  de  Busleiden, 
était  confondue  avec  celle  de  receveur.  Ce  fonctionnaire  était  chargé  de 
la  recette  des  biens  et  revenus  du  collège  ■•.  Il  devait  en  rendre  compte 
chaque  année,  à  un  jour  fixé,  en  présence  des  proviseurs  et  aussi  des 
professeurs  de  l'établissement.  Le  président  avait  sa  part  dans  le  profit 
extraordinaire  qui  proviendrait  des  pensionnaires  ou  des  personnes  auto- 
risées à  payer  leur  table  dans  le  collège  '-^  :  le  testateur  en  admettait  huit, 
à  la  condition  qu'une  partie  de  leur  pension  formât  un  fonds  pour  l'entre- 
tien et  la  réparation  du  local;  il  donnait  la  même  destination  à  l'argent 
que  payeraient  quatre  autres  pensionnaires,  reçus  à  la  table  des  boursiers, 
et  soumis  à  peu  près  aux  mêmes  formalités  d'admission  que  ceux-ci.  Nous 
reviendrons  aux  devoirs  du  président  envers  les  boursiers  et  les  pension- 

'   Outre  la  gratification  annuelle  de  vingt  florins  du  llhin  comme  honoraires  de  la  présidence, 
il  touchait  de  ce  chef  une  autre  somme  de  vingt  florins. 
"^  Ces  personnes  partageaient  la  tahle  du  président. 


94  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

naires,    comme  directeur   d'une   maison   d'études,   quand   nous  aurons 
exposé  les  obligations  et  les  droits  des  professeurs  de  Busleiden. 

Le  fondateur  avait  réglé  lui-même  les  émoluments  de  chacune  des  trois 
chaires  qu'il  instituait.  Il  supposait  que  les  trois  professeurs  habiteraient 
le  collège,  et  il  leur  assignait  à  chacun  une  bourse  ou  portion  de  table, 
estimée  à  six  livres  environ.  Mais,  quant  aux  honoraires ,  il  établissait 
entre  eux  quelque  distinction  :  pendant  un  terme  de  dix  ans,  les  profes- 
seurs de  grec  et  d'hébreu  jouiraient  d'un  traitement  de  douze  livres  de 
monnaie  de  Flandre,  tandis  que  le  maître  de  latin  aurait  un  traitement 
invariable  de  six  livres.  Busleiden  avait  pris  cette  décision,  en  raison  de 
l'instruction  spéciale  et  encore  rare  que  requérait  alors  l'enseignement  des 
langues  hébraïque  et  grecque  :  il  avait  pensé  qu'on  serait  peut-être  forcé 
d'appeler,  à  cet  effet,  des  savants  d'autres  villes  et  même  d'universités 
étrangères,  et  que  la  promesse  d'honoraires  suffisamment  élevés  les  atti- 
rerait plus  facilement  à  Louvain.  Cependant,  après  le  terme  fixé,  quand 
ces  deux  hommes  seraient  formés  à  leur  besogne,  leur  traitement  devait 
être  réduit  à  huit  livres  de  Flandre.  Il  leur  serait  concédé  de  continuer 
alors  leurs  leçons,  avec  cette  différence  de  salaire,  à  la  condition  d'y 
apporter  toujours  le  même  zèle  ^  Cette  disposition  était  prise  dans  l'hy- 
pothèse que  l'on  trouverait  facilement  d'autres  maîtres  parmi  les  jeunes 
gens  qui,  dans  l'intervalle,  se  seraient  appliqués  sérieusement  à  ces  deux 
branches  de  philologie;  elle  avait  pour  motif,  dans  l'esprit  du  testateur, 
le  désir  d'augmenter  de  deux  le  nombre  des  boursiers  de  la  fondation, 
comme  nous  l'avons  observé  plus  haut  -.  Malgré  la  minutieuse  précision 
avec  laquelle  Jérôme  Busleiden  avait  réglé  la  rémunération  des  profes- 
seurs de  son  collège,  des  modifications  furent  apportées  dès  le  premier 
siècle  au  règlement  qu'il  avait  laissé.  Cependant,  dans  cette  question 
d'ordre  intérieur  comme  dans  toutes  les  autres,  on  fit  en  sorte  de  suivre 
les  vues  pratiques  et  libérales  qui  l'avaient  guidé. 

Suivant  les  propres  termes  de  Jérôme  Busleiden,   les  professeurs  du 
collège  des  Trois -Langues  étaient  tenus  d'enseigner  à   qui  se  présente- 

'  Modo  fueriiit  diligentes,  necin  negolio  torpeant.  Testam. 
-  Voy.  chapitre  11,  note,  p.  48. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  9S 

rail  '  «  sans  exiger  aucune  rétribution  et  sans  en  accepter  aucune.  »  Certes, 
la  publicité  et  la  gratuité  des  leçons  étaient  conformes  à  l'esprit  d'une  œuvre 
avant  tout  pédagogique  et  littéraire.  Il  y  avait  cependant  une  réserve  faite  à 
cette  prescription  générale  :  c'est  que  les  professeurs  pourraient  demander 
un  salaire  à  leurs  auditeurs  pour  des  leçons  données  en  particulier  (/«wiiim) 
sans  préjudice  des  leçons  ordinaires  et  publiques  dont  chacun  d'eux  était 
chargé.  De  plus,  les  professeurs  étaient  autorisés  à  recevoir  les  gratifica- 
tions qui  leur  seraient  offertes  volontairement  par  des  prélats  ou  des  per- 
sonnages nobles,  assistant  aux  leçons  publiques  :  seulement,  d'après  les 
intentions  de  Busleiden ,  ces  dons  et  présents  extraordinaires  devaient 
être  répartis  en  parts  égales  entre  les  trois  professeurs  titulaires. 

Cette  clause,  qui  stipulait  le  partage  des  libéralités  des  étrangers  à  titre 
d'égalité,  ne  fut  pas  littéralement  maintenue  par  les  exécuteurs  du  testa- 
ment et  par  Gilles  Busleiden,  protecteur  du  collège,  quand  ils  apportèrent 
quelques  changements  à  cet  acte,  en  date  du  6  février  1522.  On  entendit 
alors  laisser  chaque  professeur  proflter  du  présent  qui  lui  serait  fait  ^.  On 
n'approuve  pas  non  plus  que,  suivant  une  autre  clause,  les  professeurs, 
au-dessus  de  leur  traitement,  tirassent  quelque  profit  des  pensionnaires 
leurs  commensaux  ^,  ou  bien  encore  touchassent  un  autre  émolument 
quelconque  aux  dépens  du  collège  lui-même  :  il  fut  décidé  que  «  chacun 
d'eux  recevrait  à  l'avenir  pour  traitement,  au  delà  des  frais  de  la  table, 
neuf  livres  de  Flandre  *.  »  On  peut  augurer  de  ce  texte  que  la  distinction 
faite  par  le  fondateur  entre  le  professeur  de  latin  et  ses  deux  collègues 
ne  subsista  pas  longtemps. 

Malgré  cet  arrangement,  les  amis  et  patrons  du  collège  ne  regardè- 

'   Qui  in  (lies  leganl  ac  profiteantur  publiée sine  aliquo  stipendio  ab  adventanlibus  eXigendo  , 

et  non  exaclo  acceptando. 

-  Valère  André  relate  cette  modificalion  de  l'an  1522  dans  ses  Fasli  aeademici ,  édit.  1630, 
p.  279  ;  Vej-um  Itaec  claiisula....  postea  an.  MDXXII.  VIII.  Id.  Febr.  factis  quibusdam  mulalio- 
nibus  et  moderationibus ,  non  placuit  dictis  Exeeutoribus sed  tU  quisqiie  stto  gauderct  namcre. 

'  Ces  pensionnaires,  au  nombre  de  huit,  étaient  admis  primitivement  à  la  table  du  président  cl 
des  professeurs. 

'  Fasti,  ibid  :  Sed  quod  singitlis  pro  stipendio,  ultra  expensas  mensae,  adsignentur  IX  librae 
Flandricae. 

Tome  XXVlll.  14 


96  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

renl  pas  la  rémunération  des  professeurs  comme  assez  bien  assurée  pour 
l'avenir.  Erasme  qui ,  jugeant  par  comparaison  avec  d'autres  écoles,  don- 
nait, en  1518  ,  le  salaire  dont  jouirait  le  professeur  de  grec  comme  magni- 
fique ' ,  reconnut  bientôt  ce  que  l'état  des  revenus  laissait  à  désirer  pour 
la  rétribution  des  leçons;  ainsi  qu'on  a  pu  le  lire  au  chapitre  précédent, 
il  a  sollicité  en  toute  occasion  de  nouveaux  dons,  des  largesses  extraor- 
dinaires, afin  que  la  fondation  littéraire  de  Jérôme  Busleiden  jetât  autour 
d'elle  d'autant  plus  d'éclat.  De  grandes  libéralités  n'augmentèrent  point 
considérablement  les  finances  du  collège;  mais  grâce  à  la  bonne  adminis- 
tration du  premier  fonds,  l'enseignement  resta  assez  régulièrement  orga- 
nisé jusqu'à  la  fin  du  siècle  pour  porter  d'heureux  fruits-.  D'ailleurs,  dans 
le  cours  de  ce  premier  siècle  du  collège,  plusieurs  professeurs  usèrent  du 
droit  qui  leur  était  concédé  de  joindre  des  leçons  privées  à  leurs  leçons 
publiques  :  Cornélius  Valerius  le  fit  ainsi,  au  grand  profit  d'une  foule  de 
jeunes  gens  distingués  par  leur  naissance,  qui  se  rendirent  utiles  au  pays  ^. 

Les  aperçus  qui  précèdent  montrent  assez  l'espoir  qui  avait  animé 
Jérôme  Busleiden  de  rendre  l'étude  des  langues  et  des  lettres  accessible 
à  un  grand  nombre  d'élèves  choisis  dans  tous  les  rangs  de  la  société  : 
examinons  maintenant  ce  qu'il  a  stipulé  touchant  l'ordre  de  leurs  études 
et  le  régime  auquel  ils  seraient  soumis  pendant  les  années  où  ils  appartien- 
draient au  collège  des  Trois-Langues. 

Les  étudiants  de  l'institution  de  Busleiden,  dont  quelques-uns  étaient 
fort  jeunes  encore,  suivant  les  conditions  d'admission  prescrites  par  lui- 
même  ,  avaient  la  faculté  de  fréquenter  les  cours  de  grammaire  et  de  phi- 
losophie, en  se  conformant  aux  statuts  de  l'université,  et  ils  étaient  libres 
de  prendre  le  grade  de  maître  es  arts  {usque  ad  gradum  magisterii).  En  faveur 
de  cette  catégorie  d'élèves,  des  leçons  de  langues  étaient  instituées  au 

'  Lettre  à  J.  Lascaris,  26  avril  1518  :  Salaria  salis  magniftco  circiter  sepluaginta  diicatonim. 
Epist.,  t.  1,  p.  339. 

-  Dans  quelques  cas  seulement,  comme  on  le  verra  dans  la  biographie  des  professeurs,  la  mo- 
dicité des  honoraires  causa  des  difficultés;  ce  sera  le  motif  du  départ  du  premier  hébraïsant  Ma- 
thaeus  Adrianus,  et  aussi  des  plaintes  et  griefs  de  Rutger  Rescius. 

''  Paquot,  Mémoires  sur  l'Iiist.  liltér.,  t.  H,  p.  S97.  L'auteur  observe  que  pareil  usage  n'existait 
plus  de  son  temps.  —  (Nous  citerons  toujours  l'édition  in-folio  des  Mémoires  en  3  volumes). 


DES  TROIS-LArSGUES  A  LOUVAIN.  97 

collège  les  jours  de  dimanches  et  fêtes;  le  professeur  de  latin  était  chargé 
de  les  fortifier  dans  la  connaissance  de  celte  langue,  et  les  deux  autres 
professeurs,  de  leur  communiquer  les  principes  et  les  éléments  du  grec 
et  de  l'héhreu.  De  la  sorte ,  l'étude  des  langues  était  facilitée  à  la  jeunesse 
qui  fréquentait  dans  la  semaine  les  cours  de  la  faculté  des  arts.  Cette 
clause,  faite  dans  l'intérêt  des  plus  jeunes  d'entre  les  boursiers  du  collège, 
ne  préjudiciait  aucunement  à  la  régularité  des  leçons  quotidiennes  sur  les 
trois  langues  qui  devaient  être  données  dans  l'intérieur  de  l'établissement. 

Jérôme  Busleiden,  qui  a  si  bien  énoncé  dans  son  testament  le  but  reli- 
gieux, social  et  scientifique  de  l'enseignement  des  langues  savantes,  a  tracé 
lui-même  les  obligations  auxquelles  les  boursiers  et  les  pensionnaires 
seraient  astreints  pendant  leur  séjour  dans  le  collège  :  il  les  a  soumis  aux 
pratiques  de  la  vie  chrétienne,  qui  étaient  d'usage  dans  les  établissements 
du  même  genre  à  son  époque  ',  en  même  temps  qu'il  leur  a  imposé  des 
habitudes  d'ordre  et  de  travail^. 

La  prévoyance  de  Busleiden  s'était  étendue  aux  jeunes  hommes  admis 
dans  le  collège  à  titre  de  pensionnaires,  soit  à  la  table  du  président,  soit 
à  celle  des  boursiers  :  ils  devaient  observer  le  règlement  intérieur  et 
prendre  part  à  tous  les  exercices  de  la  journée.  A  l'origine,  il  y  eut  quel- 
ques personnes  qui  habitèrent  le  collège  dans  ces  conditions  -^^  dans  la 
suite,  le  nombre  alla  toujours  en  diminuant,  surtout  quand  les  profes- 
seurs cessèrent  de  résider  dans  l'établissement. 

C'est  au  président  qu'incombait  le  devoir  de  faire  observer  les  règle- 
ments, de  veiller  à  l'accomplissement  des  devoirs  religieux,  de  maintenir 

'  Dans  la  chapelle  même  dii  collège  on  récitait  journellement  des  prières  pour  l'âme  de  Jérôme 
Busleiden  et  des  membres  de  sa  famille;  quatre  fois  dans  l'année,  des  services  anniversaires  y 
étaient  célébrés  en  présence  des  professeurs  et  des  étudiants;  à  la  messe,  qui  avait  lieu  tous  les 
jours,  les  boursiers  avaient  l'obligation  de  lire  les  vigiles  des  morts. 

2  Busleiden  a  tout  prévu  jusqu'à  prescrire,  pendant  le  dîner  et  le  souper,  la  lecture  d'un  auteur 
latin  approuvé,  qui  serait  faite  par  un  des  jeunes  gens. 

■'  Dans  une  lettre  déjà  citée  à  D.  Taispillus,  en  date  du  5  juillet  1321,  Érasme  fait  ce  petit 
tableau  de  la  maison  de  Busleiden.  {Episl.,  t.  I,  p.  6bi)  :  Colkgiwn  doiiii paucùsimos  alit,  praesi- 
(lem  umiin  cui  rei  famiUaris  cura  delegala,  professores  b-es,  et  duodecim,  opinor,  adolescentes 
(itque  hos  graliiito.  Extra  hos  paiicos  capil  domus,  qui  siio  sumplu  vivunl  apud  praefectum  ac  pro- 
fessores. 


98  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

une  sévère  discipline  parmi  les  membres  du  collège,  d'exciter  en  ces 
jeunes  gens,  suivant  l'expression  de  J.  Busleiden ,  «l'amour  des  lettres  et 
de  la  vertu.  »  C'est  encore  sur  le  président  que  retombaient,  d'autre  part, 
les  soins  les  plus  graves  de  la  comptabilité  :  il  recevait  le  revenu  et  devait 
en  rendre  un  compte  annuel  ;  il  pourvoyait  aux  nécessités  de  la  vie  pour 
les  boursiers  et  tous  ceux  qui  demeuraient  dans  le  collège,  et  il  avait  sous 
sa  garde  les  ressources  qu'on  y  avait  réunies  dans  l'intérêt  des  études.  Il 
y  eut,  sans  aucun  doute,  une  bibliothèque  particulière  au  service  des 
professeurs  et  des  étudiants  dans  le  local  des  leçons;  vraisemblablement, 
une  grande  partie  des  livres  précieux  du  fondateur  y  fut  déposée,  et  plus 
tard  des  dons  ou  legs,  faits  par  des  professeurs  et  par  diverses  personnes, 
accrurent  cette  première  collection  :  ainsi,  Theodoricus  Langius,  profes- 
seur de  grec,  avait  laissé  au  collège  sa  propre  bibliothèque,  fournie  d'ex- 
cellents ouvrages  ^ 

Puisque  la  charge  de  président  comportait  avec  des  obligations  déter- 
minées une  mission  toute  morale  de  surveillance  et  de  persuasion,  le 
collège  des  Trois-Langues  a  été  redevable  d'une  partie  de  sa  prospérité  au 
choix  éclairé  des  hommes  appelés  à  la  remplir.  Plusieurs  de  ceux  qui  ont 
occupé  cette  fonction  ont  contribué  soit  par  leur  vigilance,  soit  même 
par  leur  libéralité,  à  rendre  le  séjour  du  collège  favorable  aux  études 
soutenues  des  jeunes  humanistes  :  quelques-uns,  qui  jouissaient  d'une 
considération  personnelle  dans  l'université,  furent  appelés  à  exercer  la 
charge  alors  semestrielle  du  rectorat.  Yalère  André  a  conservé  les  noms 
des  onze  premiers  présidents  du  collège  2,  depuis  Jean  Stercke  ou  Fortis, 
qui  assista  à  son  inauguration,  jusqu'à  Philippe  Bellenus  ou  Bellens,  qui 
occupa  ce  poste  pendant  presque  toute  la  seconde  moitié  du  XVir"'=  siècle; 
mais  les  notes  recueillies  par  l'abbé  Bax  nous  ont  mis  à  même  de  com- 
pléter la  liste  des  présidents  jusqu'à  la  suppression  du  collège.  Il  nous  a 
paru  préférable  de  rejeter  à  V Appendice  les  détails  biographiques  qui  con- 

*  L'abandon  dans  lequel  fut  le  collège  à  la  fin  du  XVI"»^  siècle  causa  probablement  la  dispersion 
ou  la  perte  d'une  partie  de  ces  anciens  fonds.  On  verra  plus  loin  que  les  papiers  eux-mêmes  furent 
perdus  quelquefois  par  négligence  dans  les  deux  siècles  suivants. 

2  Fusli  acad.,  éd.  1C50,  pp.  277-278. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  99 

cernent  ces  honorables  fonctionnaires  '.  L'histoire  littéraire  du  collège  n  a 
pas  besoin,  ce  nous  semble,  d'être  surchargée  du  bagage  un  peu  lourd  de 
celte  statistique,  qui  aurait  plus  de  prix  dans  des  recherches  historiques 
d'un  genre  différent  :  la  plupart  de  ces  présidents  sortaient  des  rangs  du 
clergé,  et  leur  carrière  appartient  aux  annales  de  la  théologie  bien  plus 
qu'à  celles  d'autres  sciences,  quand  elle  n'appartient  pas  uniquement  au 
ministère  ecclésiastique.  Nous  signalerons  ici  les  noms  des  seuls  présidents 
qui  aient  eu  des  titres  particuliers  à  la  reconnaissance  publique  comme 
administrateurs,  restaurateurs  et  bienfaiteurs  de  l'institut  de  Busleiden. 

Le  premier  président,  dont  le  nom  s'est  déjà  présenté  à  nous  plusieurs 
fois,  fut  Jean  Stercke,  appelé  plus  souvent  Fortis,  surnommé  aussi  Mirbe- 
camis,  du  nom  de  son  lieu  natal.  Il  avait  eu  l'honneur  d'être  désigné  par 
J.  Busleiden  à  ses  mandataires  ;  il  eut  aussi  l'honneur  d'entrer  à  la  tête  des 
professeurs  dans  le  nouvel  édifice  approprié  au  collège,  le  jour  de  leur 
installation  solennelle,  18  octobre  1520.  Pendant  les  sept  ou  huit  années 
de  son  administration,  Jean  Fortis  donna  à  l'école  l'appui  d'un  beau  carac- 
tère, plein  de  désintéressement,  ainsi  que  l'ornement  d'une  érudition 
solide  et  variée. 

Le  successeur  de  Fortis,  Nicolas  Wary,  de  Marville,  dit  le  plus  souvent 
Marvillanus.  recueillit  les  fruits  d'une  première  organisation  de  l'établisse- 
ment faite  avec  habileté  en  peu  d'années,  et  les  accrut  encore  pendant  sa 
courte  gestion  de  trois  ans  environ  (lo26-1529).  Il  nous  suffira  de  men- 
tionner en  cet  endroit  la  distinction  dont  l'honora  Érasme,  en  lui  dédiant 
sa  traduction  latine  du  traité  de  saint  Jean  Chrysostôme  sur  S.  Babylas. 
Nous  devrons  revenir,  dans  un  autre  chapitre,  sur  les  vues  remarquables 
émises  par  Erasme  touchant  l'étude  des  Pères  grecs,  dans  la  lettre  qu'il  a 
écrite  à  Marvillanus  eu  manière  de  dédicace  '^;  mais  c'est  bien  ici  le  lieu 
d'insister  sur  un  fait  peu  remarqué,  l'approbation  qu'Érasme  a  donnée  à 

'  Voy.  parmi  les  pièces  justilicatives,  ieltre  E,  la  Série  des  présidents  du  collège  des  Trois- 
Langucs. 

-  Lettre  de  Bâle,  14  août  1 327  :  iVico/ao  Marvitlano  coUegii  Ruslidiani  apud  Lovanienses 
Praesidi.  (Epist.,  1. 1,  pp.  996-997). —  Nous  reportons  au  chapitre  IX' l'examen  îles  idées  relatives 
au  choix  des  auteurs  et  le  témoignage  rendu  dans  cette  pièce  au  mérite  des  maîtres. 


100  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLÈGE 

la  direction  intérieure,  aux  travaux  et  aux  habitudes  de  l'institution  chré- 
tienne qu'il  a  toujours  patronnée.  Il  est  bien  vrai  que  le  maître  répète 
encoi*e  ces  avis,  ces  conseils  de  fermeté  et  de  prudence  ,  auxquels  il  est 
revenu  tant  de  fois,  et  qu'il  combat,  dans  la  personne  des  savants,  tout 
découragement  résultant  de  la  légèreté  et  de  l'ingratitude  de  ceux  qu'ils 
instruisent;  mais  il  loue  expressément  la  sagesse  avec  laquelle  on  a  con- 
duit les  choses  à  Louvain  ;  il  met  en  parallèle  l'esprit  de  nouveauté  et  de 
turbulence  qui  a  gâté  ailleurs  la  cause  des  études,  et  qui  a  exposé  bien 
des  maîtres  en  Allemagne  au  soupçon  d'impiété  *.  Puis  s'adressant  à  Mar- 
villanus,  comme  représentant  et  directeur  du  collège,  Érasme  le  félicite 
des  succès  obtenus  et  lui  en  prédit  de  plus  grands  encore,  si  tous  persé- 
vèrent dans  la  même  voie  ''^. 

«  Parce  que  jusqu'ici  vous  vous  êtes  gardés  de  tous  ces  excès  avec 
»  une  vigilance  tout  à  fait  remarquable,  vous  possédez  par  une  faveur  de 
«  Dieu  le  collège  de  beaucoup  le  plus  florissant,  et  vous  le  rendrez  plus 
»  florissant  encore,  si  vous  avancez  toujours  dans  la  roule  où  vous  êtes 
»  entrés.  Je  ne  doute  pas  qu'une  connaissance  très-douce  de  si  beaux 
»  fruits  ne  parvienne  jusqu'à  cette  sainte  intelligence  de  Jérôme  Bus- 
»  leiden,  qui,  certes,  n'a  pas,  sans  une  inspiration  particulière  de  la 
»    Providence,  institué  dans  notre  patrie  une  œuvre  tellement  utile.  Tes 

'  12n  présence  d'un  passage  saillant  qui  a  Irait  à  l'histoire  des  études,  nous  ne  pouvions  nous 
contenter  d'une  analyse,  et  nous  en  donnons  ici,  presque  entier,  le  texte  latin.  Ibid.,  p.  997  :  Quum 
igilur  lain  ingens  ulililas  a  vribis  omni  studiorum  (jcneri  cunferalur ,  prudcnlrr  el  illud  curue  lia- 
betis ,  ut  commode  dexlreque  detis  bencficium.  Périt  enim  fréquenter  danlis  vitio  beneficium,  quia 
dure  neseit....  Ut  parentum  ita  doclorum  est,  atiquandiu  ferre  eorum ,  quos  instituunt,  vel  fasti- 
dium,  vel  ingraiitudinem ,  donee  aiias  et  rerum  usus  illos  doceat,  quantum  muuus  accepcrinl.  Hoc 
pacto  futurum  est,  lU  qui  nunc  oblatranl  liis  studiis,  post  utrisque  manibus  applaudant.  Omniuui 
aulem  pessime  de  studiis  merentur,  qui  ad  novitatis  ac  pelulantiae  invidiam  addunt  etiam  impietatis 
suspicionem ,  quales  aliquot  habet  Germania. 

-  Cette  déclaration  d'Érasme  a  trop  de  poids  pour  que  nous  ne  la  rapportions  pas  ici  en  enlier 
dans  l'original.  (Ibid.,  p.  997)  :  A  quibus  omnibus  quoniam  hactenus  singulari  vigilantia  abstinuisiis . 
favore  divino,  Collegium  Itabetis  florentissimum ,  florentins  etiam  habituri  si,  qua  ceperimus,  per- 
rexeritis.  Ncc  dubilo,  quin  hujuspulcherrimi  fructus  gratissimus  quidam  censits,  ad  sanctam  illam 
Hieronymi  Buslidii  mentemperveniat,  qui  nihil  dubito  quin  propitii  numinis  afjlalu  hujus  praeclari 
muneris  uurtor  fuerit  noslr'ae  patriae.  Neque  nihil  hic  attulere  momenti  tuamonita.  Professoribns 
optimis,  cmn  loto  ■ji>.orXà"av  choro,  me'is  verbis  salulcm  dices. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIW.  10^ 

■■>  sages  avis,  dit-il  à  Marvillarius,  n'ont  pas  peu  contribué  à  ce  succès: 
»  tu  voudras  bien  saluer  en  usant  de  mes  propres  paroles  les  excellents 
«    professeurs,  et  avec  eux  le  cbœur  tout  entier  des  amis  des  langues.  » 

3Iarvillanus  avait  pu,  dans  les  temps  qui  suivirent,  confirmer  Érasme 
dans  cette  heureuse  idée,  et  celui-ci  reconnaissait  en  1528,  sous  la  mo- 
destie des  termes  employés  par  son  ami,  la  durée  de  la  haute  prospérité 
des  études  au  sujet  de  laquelle  il  l'avait  loué  naguère  ^  Seulement  Érasme, 
qui  s'était  attiré  tant  de  désagréments  par  sa  liberté  de  langage,  avertissait 
Marvillanus  de  se  défier  de  la  franchise ,  de  l'ouverture  de  cœur  qui  lui 
était  naturelle  -;  il  craignait  que  sa  candeur  ne  l'exposât  à  beaucoup  de 
déboires  et  d'avanies  de  la  part  d'esprits  mal  faits. 

Nous  passons  du  second  au  sixième  des  présidents  du  collège,  Jean 
Reineri,  de  Weert,  qui  fut  en  charge  de  1544  à  1560  :  il  légua  à  sa 
mort  un  revenu  de  XLl  florins,  que  ses  successeurs  étaient  chargés  de 
distribuer  aux  étudiants  sans  fortune,  appartenant  à  l'établissement  ■'. 
Après  Reineri,  Melchior  Van  Ryckenroy  et  Jean  Verhaghen  maintinrent 
avec  grande  peine  les  choses  sur  le  pied  où  ils  les  trouvèrent  établies,  à 
cause  du  malheur  des  temps. 

L'histoire  des  troubles  atteste  suffisamment  quelles  entraves  furent 
apportées  à  diverses  reprises  aux  travaux  de  cette  école  comme  de  toutes 
les  autres.  Louvain  eut  sa  part  dans  les  calamités  qui  marquèrent  pour 
ainsi  dire  chaque  année  d'une  si  déplorable  époque;  elle  souffrit  à  certains 
moments  du  passage  des  troupes  ou  de  la  poursuite  des  hostilités  dans 
le  Brabant  '' ,  d'un  état  de  siège  plein  d'anxiété  ^,  et  puis  du  retour  de 
maladies  épidémiques  qui  frappèrent  douloureusement  le  corps  univer- 

'  F^ettre  de  Bàle ,  1 3  mars  \  528.  Episl.,  t.  I ,  p.  i  069  :  Negabas  esse  quid  scriberes ,  imo  multtim 
est  mihique  gratissiiimm  quod  scribis  islic  fausla  feliciaque  esse  omnia ,  qnodque  summo  consensii 
negolium  lileraritm  gnaviter  agilis.... 

*  Ibid.,  p.  d069.  Subvereor...  ne  tua  libertas,  quani  tibi  natura  insitam  esse  video,  praebeat  ali- 
quani  ojfensiouis  unsam,  etc.  —  Marvillanus  mourut  l'année  suivante,  le  2  octobre  1529,  sans  avoir 
été  mêlé  à  de  graves  querelles. 

'  Valère  André.  Fasti,  p.  278. 

"•  Par  exemple,  en  1572,  une  contribution  fui  imposée  à  Louvain  par  le  prince  d'Orange.  Vov. 
Vernulaeus.  Acad.  Lov.,  pp.  88-89. 

5  En  1578,  Louvain  fut  prise  par  Don  Juan  d'Autricbe,  vainqueur  à  Gcmbloui's. 


102  MEMOIRE  SUR  LE  COLLÈGE 

silaire  '.  Qu'on  ajoute  à  cola  la  présence  de  bandes  indisciplinées,  qui 
battaient  le  pays,  et  qui  empêchaient  la  réunion  ordinaire  des  savants  et 
le  concours  accoutumé  des  étudiants  de  toute  province,  qu'on  rattache  à 
ces  faits  les  conséquences  de  la  séparation  qui  allait  se  consommer  entre 
les  États  de  la  Hollande  et  les  Pays-Bas  espagnols,  et  la  situation  parti- 
culière de  nos  provinces  du  midi  qui  avaient  obtenu  du  roi  en  1562  la 
création  de  l'univei'sité  de  Douai,  on  voit  à  l'instant  que  les  études 
n'avaient  pu  marcher  que  péniblement  à  Louvain  dès  les  premières  années 
de  la  révolution  religieuse.  Les  exercices  et  les  concours  de  l'Université 
furent  plus  d'une  fois  empêchés  ou  du  moins  ajournés  :  s'il  n'y  eut  point 
de  promotion  en  15GG-1567,  à  l'époque  ordinaire,  et  si  l'épreuve  des 
métaphysiciens  fut  abandonnée  ^,  c'est  que  la  ville  était  dans  de  conti- 
nuelles alarmes,  et  que  l'on  avait  armé  pour  sa  garde  les  plus  forts  d'entre 
les  jeunes  gens,  par  crainte  d'un  coup  de  main;  de  même  en  1582,  c'est 
à  cause  des  troubles  qu'aucune  promotion  ne  put  se  faire  ^. 

Dans  les  dernières  années  du  XVI'=  siècle,  le  collège  de  Busleiden  fut 
soumis  à  une  épreuve  plus  rude  encore;  après  la  mort  de  Jean  Yerhaghen, 
qui  arriva  le  2  septembre  1585,  la  fondation  ne  fut  plus  administrée 
régulièrement  pendant  un  long  laps  de  temps;  dès  lors  elle  n'eut  plus  de 
président,  et  peu  d'années  après  la  mort  ou  la  retraite  des  derniers  pro- 

'  C'est  pnr  suite  de  fièvres  pestilentielles  que  Aug.  Hunnoeus  niourul  à  I^ouvain  en  septembre 
-1077,  (le  même  que  le  P.  J.  Guilielmus,  le  i"  octolire  1378.  Dans  la  peste  de  l'année  1379,  les  deux 
uialhéniaticiens  Cornélius  Gemma  et  Pierre  Beausard  succombèrent  en  peu  de  semaines.  Quand 
(iornelius  Valerius  mourut,  en  t378,  il  avait  vu  de  ses  yeux  tous  les  désastres  accumulés  par  l.i 
guerre  autour  de  Louvain ,  et  comme  le  dit  André  Scliolt  dans  un  tableau  simple,  mais  énergique, 
de  cette  crise,  le  vieillard  souhaitait  sincèrement  d'émigrer  dans  la  céleste  patrie.  Lettre  à  Chris- 
tophe Plantin.  (Tolède,  1381),  insérée  dans  l'édition  de  Pomponius  Mêla,  donnée  par  Schott.  (An- 
vers, 1382).  —  A.  Schott  s'écriait  dans  la  même  lettre,  en  parlant  des  hommes  et  dés  lieux  :  Equi- 
dem  de  me  affirmare  hoc  possimi  non  mediocriler  affici  me  (ivûpavoi  ydp  èi/ù)  eum  illorum  obitu,  Inm 
l.or.i  illius  interitu.... 

'  On  lit  dans  le  MS.  de  Foppens,  Promoliones  in  artibus,  fol.  12,  v.  An.  1506-1367.  [Promoli 
218.)  Promotio  non  fuit  consueto  tempore  celebrala.  Ratio  in  libris  aetorum  haec  adscribilur. 
Propter  iconodasliam  et  geiisioruiii  rabiem  ,  quae  et  miKjistroH  et  furiioreu  jnceiies  ad  nocturnas 
diurnusque  compulit  vifjilias,  omissum  ftiit  anno  loGO  Tentunieu  Melaphyùcorum.  —  Le  premier 
de  la  promotion  alors  retardée  fut  Henri  Cuyck  de  Culemburg. 

'  Promotiones  ibi.,  fol.  14.  v.  Niilla  piuiiiolio  propter  titmidlus  belgicos  et  dissidia  slatiium  Bra- 
hanliue  contra  Joann.  Austr.  Belgii  Gubcrnatortm. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIÎN.  103 

fesseurs  ',  les  chaires  devinrent  tour  à  tour  vacantes,  et  l'enscignemenl 
resta  suspendu.  Il  y  eut  un  instant  où  l'institution,  si  llorissantc  naguère, 
semblait  être  l'ombre  d'elle-même,  ou  bientôt  ne  serait  plus  qu'un  sou- 
venir 


I-  2 


Ludihrium  status  prioris  et  fait, 

Alque  umbra,  somniumque  floris  antiqui. 

Quand  Juste  Lipsefut  rentré  à  Louvain,  en  1597,  il  trouva  sans  doute  le 
collège  fermé,  et  personne  ne  songeait  encore  à  raviver  la  flamme  éteinte 
dans  ses  murs  déserts.  C'est  à  cette  vue  qu'il  s'écriait  en  1602,  comme  on 
lit  dans  un  de  ses  dialogues^  :  «  At  mine  jacent  ibi  omnia  et  sitenl  :  heu  tem- 
»  pora,  an  et  heu  judicia  dicam?  sed  refraeno.  »  Juste  Lipse  avait  eu  raison 
de  ne  pas  désespérer,  et  d'ajouter  aussitôt  :  «  Tempeslivilas  expectcmda  est  : 

»    tamen  et  ego  eos  qui  praemnt  liortor  intendere » 

Quand  l'ordre  fut  bien  rétabli  dans  notre  pays,  quand  ses  institutions 
anciennes  se  relevèrent  tour  à  tour  sous  le  gouvernement  des  archiducs, 
le  moment  vint  où  l'on  s'occupa  activement  de  la  réouverture  du  collège 
des  Trois-Langues.  Trente  ans  s'étaient  écoulés  depuis  la  mort  de  son  der- 
nier président,  quand  on  procéda,  en  1506,  à  la  nomination  d'un  direc- 
teur capable  de  le  réorganiser  :  ce  fut  Adrien  Baecx  de  Barlandt,  origi- 
naire de  Malines,  qui  fut  revêtu  successivement,  pendant  les  années  de  son 
administration,  de  titres  académiques  et  de  plusieurs  dignités  ecclésias- 
tiques*. Baecx  n'était  pas  un  homme  sans  lettres,  et  Suffridus  Pétri  avai( 
des  raisons  pour  le  qualifier  de  très-docte.  Paquot,  qui  l'a  loué  de  ce  chef  ^, 
avait  vu  quelques-unes  de  ses  harangues  latines,  entre  autres  un  sermon 

'  Nous  croyons,  avec  Paquot,  que  des  leçons  furent  encore  données  après  la  mort  de  Jean  Verha- 
glien.  G.  Huysmans,  nommé  en  1586,  enseigna  le  latin  au  moins  jusqu'à  l'an  1589,  époque  où  il 
prenait  encore  le  tilre  de  professeur  public  (voy.  diapilre  VI,  la  notice  sur  G.  Huysmannus),  et  ce  fut 
seulement  en  1590  que  le  professeur  de  grec,  Guillaume  Fabius,  périt  la  nuit  dans  une  émeute 
d'éludianls. 

-  Vers  de  Juste  Lipse  sur  Louvain,  appliqués  dans  les  Exordia,  p.  59,  au  sort  du  Collège. 

5  Lovanium,  lib.  III,  c.  IV.  —  Voy.  de  Reiffcnberg,  Cinquième  Mémoire,  p.  9. 

*  Voy.  les  renseignements  biographiques  dans  la  vie  des  présidents  du  collège,  piècesjustifica- 
tives,  lettre  E ,  n°  9. 

"  Mémoires  surthist.  liltér.  des  Pays-Bas,  t.  III,  pp.  253-254. 

Tome  XXVIII.  15 


104  MEMOIRE  SLR  LE  COLLEGE 

sur  l'Annonciation,  et  il  rapporte  qu'il  s'était  fait  remarquer  dans  la  dis- 
cussion des  (iitaeslionesqtiodlibeticae^',  elle  n'était  certes  pas  inutile  et  vaine 
comme  tant  d'autres,  la  thèse  qu'il  soutint  un  jour  sur  la  nécessité,  pour 
le  jurisconsulte,  d'étudier  l'histoire  et  la  philosophie. 

Adrien  Baecx  fit  exécuter  d'ahord  les  travaux  urgents,  nécessaires  à 
l'entretien  du  matériel;  il  fil  réparer  le  local  servant  d'auditoire  pour  les 
leçons  elles  divers  bâtiments  du  collège;  il  y  fit  ajouter  une  nouvelle 
chapelle  dont  la  première  pierre  fut  posée  le  11  juillet  1614  ^.  Le  noble 
personnage  qui  présida  à  cette  cérémonie,  Georges  d'Aulriche,  prévôt  de 
Saint-Pierre  et  chancelier  de  l'université  de  Louvain  ^,  légua  en  mourant, 
par  une  disposition  remontant  à  l'année  1613,  un  revenu  annuel  de  cin- 
quante florins  au  collège  des  Trois-Langues.  Ce  legs  servit  à  la  fondation 
d'une  bourse  équivalente  au  revenu  susdit,  et  qui  était  de  collation  libre  à 
la  volonté  des  proviseurs,  mais  avec  droit  de  présentation  pour  les  parents 
du  défunt  *;  elle  pouvait  être  conférée  pour  un  temps  illimité,  à  tout  élève 
faisant  un  cours  complet  d'études.  La  reprise  des  cours  préoccupa  le  pré- 
sident Baecx  non  moins  que  les  autres  soins  de  l'administration.  Juste 
Lipse,  qui  avait  eu  part  à  la  fondation  de  Busleiden  sans  faire  de  leçons, 
étant  mort  peu  de  semaines  après  la  réouverture  du  collège  (mais  1606), 
Baecx,  d'accord  avec  les  proviseurs,  offrit  la  chaire  de  latin  à  Erycius 
Puteanus  qui  avait  enseigné  avec  éclat  en  Italie^  :  grâce  au  concours  du 

'  Valère  André  cite  seulement  dans  sa  première  édition  de  la  Bibliotlteca  Belgica  (Lov.  1623, 
p.  t04)  les  deux  questions  sur  lesquelles  Baecx  a  disserté  en  1617  :  —  An  impensae  sliidiorum 
causa  a  parentibus  faclao ,  bonorum  collationi  subjectae  sinl?  —  De  hislnria ,  elhicaqiie  philosoiihia . 
jurisconsullo  necessarils. 

-  Valère  André.  Fasti,  p.  278.  —  Il  y  avait  eu  dès  le  principe  un  chapelain  attaché  au  collège 
pour  la  messe  et  les  prières. 

'  Voy.  sur  l'origine  et  la  vie  de  Georges d' .Autriche,  dit  aussi  Georges  de  Brienien,  qui  mourut  le 
21  avril  1519,  la  note  de  Paquot.  Mémoires,  t.  II,  p.  597. 

■'  Voici  la  teneur  de  celte  fondation  particulière  eonjme  elle  fut  acceptée  par  le  collège,  d'après 
une  copie  authentique  :  Accessit  desnper  iina  hursa  fnndala  a  perillusiri  Domino  Joanne  (sic)  ab  Aus- 
Iria  quondam  hic  Cancellario,  pro  qua  reliquil  nnum  rcdilum  50  flor.  ad  niimmum  decimwm  sextmu; 
praesentationem  habent  consangiiinei  D.  Domini  Cancellarii  :  Collalores  sunl  D.  D.  pmvisores.  Le 
président  du  collège  avait  approuvé  la  formule  de  cette  clause  :  Dalum  \  8  Decembris  1 700.  F.  Deens. 
—  A  la  fin  du  dernier  siècle,  le  droit  de  présentation  à  titre  de  parenté  appartenait  au  baron  Snoy, 
bourgmestre  de  Malines. 

•■'  Valère  André,  Fasti ,  pp.  280-28 1 . 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  i05 

souverain  et  des  états,  Puteaniis  se  rendit  à  Louvain,  dès  l'an  1607.  Ce 
ne  fut  pas  la  faute  de  Baecx,  si  les  leçons  de  grec  ne  furent  pas  reprises 
plus  régulièrement;  Henri  Zoesius,  nommé  en  1606,  ne  les  donna  que 
pendant  une  année  et  demie,  et  c'est  seulement  en  1609  que  ces  leçons 
furent  faites  avec  suite  par  Petrus  à  Castello,  qui  avait  déjà  enseigné  le 
grec  à  Orléans  ^  Plus  tard  seulement,  en  1612,  la  chaire  d'hébreu  fut 
conférée  à  Valère  André,  qui  l'inaugura  le  28  mars  de  la  même  année, 
par  un  éloge  latin  de  la  langue  hébraïque,  discours  imprimé  en  1614,  sur 
lequel  nous  aurons  à  revenir. 

Adrien  Baecx  conserva  la  direction  du  collège  des  Trois-Langues  jusqu'à 
l'an  1624,  après  avoir  rendu  une  partie  de  son  ancien  lustre  à  l'établisse- 
ment inauguré  du  vivant  d'Érasme.  On  peut  considérer  comme  un  de  ses 
principaux  soutiens  celui  qui,  pendant  vingt -deux  ans,  n'épargna  ni 
peines,  ni  dépenses,  ni  largesses-,  pour  en  défendre  les  intérêts  moraux 
et  les  intérêts  matériels.  D'après  tous  les  actes  connus,  on  ne  le  jugerait 
pas  indigne  des  louanges  que  Valère  André  lui  a  prodiguées  sur  le  ton  un 
peu  cmpliatique  et  quelquefois  pédantesque  de  la  rhétorique  latine.  Le 
jeune  philologue  de  Dessel  avait  été  naguère  appelé  d'Anvers  à  Louvain 
par  A.  Baecx,  pour  donner  les  leçons  d'Iiébreu  :  c'était  reconnaissance  et 
justice  de  sa  part  que  de  dédier  au  président  vigilant  qui  venait  de  le  rou- 
vrir et  de  le  restaurer,  l'histoire  du  collège  de  Busleiden,  de  son  origine  et 
de  ses  progrès  au  siècle  précédent  ^.  L'institution  entrait  dans  une  ère  nou- 
velle, grâce  à  l'habileté  et  au  dévouement  soutenu  de  son  chef  immédiat  : 
dans  la  prose  oratoire  de  la  dédicace  de  Valère  André  '',  on  démêle  faci- 
lement la  vérité  des  actes,  la  grandeur  des  services  qui  ont  signalé  l'admi- 
nistration d'Adrien  Baecx. 

Pour  plus  de  fidélité,  nous  citerons  de  celte  pièce  originale  un  certain 

'   Valèic  Aiiilio,  FasU ,  \).  283. 

'  Dans  la  Dibl.  Btigica  de  1623,  on  lit  au  sujet  de  Baexius,  p.  104  :  Suo  eliam  dispendio  alque 
aère. 

'  (;'esl  rouvrat;e  que  nous  avons  cité  dans  l'Introduclion  au  noml)ro  des  sources  le  plus  consullées 
pour  l'exéculion  de  ce  travail  :  CoUegii  TriUmjuis  Bustidiani  in  Academia  Lovaniensi  exordia  ac 
progressus,  etc.  Lovanii,  1014,  petit  in-4°. 

^  L'épître  dédicatoire ,  datt^e  du  I"  septenihre  1614,  y  occupe  deux  feuillets;  elle  est  signée  : 
Reverendue  Doiniiuitioni  tuae  ac  Collvgio  dévolus  Valerius  Andréas. 


106  MEMOIRE  SLR  LE  COLLEGE 

nombre  de  passages,  qui  peignent  les  désastres  de  la  guerre  civile  dans 
les  Pays-Bas,  et  qui  se  rapportent  à  la  restauration  du  collège  et  à  l'in- 
tervention personnelle  de  son  président  '  :  Aupii  lundis  illius  non  parva  in 
Te  portio  redundal  —  ainsi  s'exprime  l'écrivain,  —  qui  Praeses  collegio  datas, 
(i  superioribus  illud  temporum  calamilalibiis  alquc  injuriis  egregie  vindicasli.  FUt- 
grahanl  in  Belgio  bellorum  civilium  faces....  Fhicluabat  Brabanlia  universa.... 
ipsnmque  adeo  caput  Lovanium,  sacra  Musis  sedes,  ab  hoc  malo  non  stetit  im- 
mune  :  nam  et  mililum  rabies,  et  bellorum  cornes  morborum  contagio  bonam  urbis 
partent  incolis  ad  iinum  omnibus  nudavit ,  domos  dejecil ,  ac  solo  aeqiiavit.  Sed  et 
in  collegium  hoc  Inm  florenlissimum ,  et  alteram  velut  politioris  literatiirae  Aca- 
demiam ,  tempeslas  eu  desaeviit ,  et  e  Tuilingli  Elingue  mox  facttim ,  aiit  iina  vix 
balbutiens  lingua. 

Mais  voilà  que  le  collège,  resté  muet  si  longtemps,  retentit  de  nouveau 
des  trois  langues  parlées  et  enseignées  dans  ses  murs;  pour  dire  grande- 
ment qui  avait  fait  cette  merveille,  Valère  André  ne  sut  rien  de  mieux  que 
d'emprunter  à  Erycius  Puteanus  une  métaphore  bien  pompeuse,  qui  avait 
déjà  servi  à  féliciter  Adrien  Baecx.  Il  fallait  le  bras  d'un  Hercule  pour 
pareil  exploit,  et  ce  nouvel  Hercule  s'est  trouvé  pour  venger  les  Muses, 
pour  sauver  les  langues,  pour  rendre  sa  triple  voix  h  cet  athénée  réduit 
au  silence. 

Hercule  ilaqne  opiis  eral,  qui  Musarum  hoc  linguarum  domicilium  bellis 
annisque  deformatum  restaiiraret ,  lustris  aliqitot  clausum  recludcret,  MusASçue 
quasi  e  fuga  retraheret.  —  Tu  Mlsarum  ille  ac  linguarum  Hercules....  Tua 
industria,  sludioque  Alhenaeum  hoc ,  quod  ruinam  atque  inlerilum  paulalim  mina- 
batur,  instauratum,  et  ex  Elingui  Trilingue  rursus  factum. 

Valère  André  n'esquisse  ensuite  la  gloire  ancienne  des  Busleiden  que 
pour  la  faire  rejaillir  sur  le  courageux  président,  qui  a  reconstitué  d'une 
main  ferme  leur  œuvre  menacée  de  ruine;  et  puis,  ce  qui  n'est  pas  le 
moindre  de  ses  mérites,  il  glorifie  Baecx  pour  la  loyauté  de  son  caractère, 
pour  sa  bienveillance  connue  envers  tous  les  amis  des  langues  et  des  lettres. 

*  Ces  traits  complètent  l'aperçu  que  nous  donnions  plus  haut  sur  les  causes  de  la  décadence  du 
collège  et  de  sa  réouverture  vers  la  fin  du  XV1°"'  siècle.  Mais  qu'il  soit  entendu  que  la  prose  de 
Valère  André  vaut  mieux,  partout  ailleurs,  que  dans  cette  éplire. 


1 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOLVAIÎS.  107 

Enfin,  nous  aurons  donné  ici  un  échantillon  de  tous  les  genres  de  louange 
que  cet  administrateur  a  eus  en  partage  chez  ses  contemporains,  si  nous 
•apportons  les  vers  latins  de  Petrus  à  Castello  ad  Rêver.  V.  Hadrianiim 
Baexinm,  Collegii  Praesidem  et  instaiiratorem^,  où  l'auteur  joue  sur  le  prénom 
d'Adrien  porté  aussi  par  d'anciens  professeurs,  Matthaeus  et  Barland,  qui 
ont  donné,  en  1518,  les  premières  leçons  de  langue  hébraïque  et  de  litté- 
rature latine  : 

Linguani ,  Tuilingui  ,  induxit  Isacidiim  Scholae 
Matthaeus  Hadrianus,  Ausoniam  intulit 
Barlandus  IIadkianus,  ast  ternas  simul 
Reduxit  Hadrianus  ,  a  Barlandiae 
Numerans  Toparchis  generis  auctorem  sui. 

Après  Adrien  Baecx,  on  ne  rencontre  plus  de  pi-ésident  qui  ait  acquis 
quelque  célébrité  en  dehors  de  l'accomplissement  des  devoirs  de  sa  charge; 
un  seul,  l'avant-dernier,  Menri  Wouters,  s'est  fait  connaître  par  la  part 
qu'il  a  prise  à  l'enseignement  du  Séminaire  général.  Dans  certains  inter- 
valles, faute  d'ordre  intérieur,  beaucoup  de  livres  et  de  pièces  manu- 
scrites se  perdirent;  plusieurs  des  papiers  et  manuscrits  que  Valère  André 
avait  vus  et  consultés  au  collège  des  Ïrois-Langues  n'existaient  plus  du 
temps  de  Paquot  :  «  On  n'y  trouve  aujourd'hui,  dit  celui-ci',  que  les 
»  débris  d'une  bibliothèque  où  il  y  avait  beaucoup  de  richesses  litlé- 
»   raires.  » 

Une  fondation  réunie  au  collège  de  lîusleiden ,  sous  l'administration 
d'Adrien  Baecx,  en  fut  détachée  avant  la  fin  du  XVII""'  siècle  :  c'était  celle 
de  Claude  Verrydt,  de  Malines,  curé  d'Audenarde,  qui  en  avait  attribué 
la  jouissance  à  ce  collège  en  1614  ou  en  1615.  Après  un  long  procès 
poursuivi  au  nom  de  la  ville  de  Malines,  elle  fut  retirée  en  1638  et  trans- 
portée à  un  autre  collège  qu'elle  servit  à  restaurer,  le  collège  dit  de 
Malines,  fondé  en  1501  par  Arnold  Trot,  mais  resté  en  souffrance  depuis 
lors.  C'est  en  1676  que  fut  réorganisé  le  Collegium  Ulecliliniense ,  par  l'ac- 

'   Voy.  les  Exordia  el  progressiis ,  feuillet  ô  verso. 

-  Mémoires,  t.  II,  p.  599.  Voy.  tome  III,  p.  128,  sur  la  di.sparition  des  manuscrits  de  Nannius. 


108  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLÈGE 

cession   du    fonds  Verrydt  %    el  il    se   maintint  jusque  vers   la   fin  du 
XVIll™''  siècle,  grâce  au  concours  des  magistrats  de  Malines. 

Parmi  les  affaires  litigieuses  qui  survinrent  dans  les  deux  derniers 
siècles  du  collège  des  Trois-Langues ,  nous  pourrions  rapporter  ici  l'oppo- 
sition faite  à  deux  professeurs,  Rutger  Vanderburgh,  en  1681,  et  Léonard 
Gautius,  en  1689  2,  par  des  hommes  puissants  et  opiniâtres,  au  point  de 
mettre  obstacle  à  leur  enseignement  public;  mais  nous  différerons  l'exposé 
de  ces  deux  incidents,  qui  concernent  plutôt  l'histoire  des  études  que 
celle  de  l'administration  générale  du  collège.  Nous  ajournons  pour  les 
mêmes  raisons  au  chap.  XII,  consacré  à  l'histoire  littéraire  du  collège  au 
XVIII'"'  siècle,  la  relation  détaillée  d'un  conflit  très-curieux  qui  éclata 
en  1722  entre  les  proviseurs  de  l'institution  au  sujet  de  la  collation  de 
la  leçon  de  grec,  et  qui  fut  porté  devant  les  autorités  universitaires  et 
jusque  devant  les  chefs  du  gouvernement. 

Nous  ne  pouvons  mieux  terminer  le  présent  chapitre  que  par  un  court 
exposé  de  l'état  du  collège  de  Busleiden  dans  les  dernières  années  du 
siècle  passé,  sous  le  rapport  tant  de  son  organisation  intérieure  que  de 
sa  situation  Gnancière.  Nous  en  tirons  les  matériaux  d'un  compte  rendu 
qui  fut  dressé  vers  1785^,  par  les  commissaires  du  gouvernement  des 
Pays-Bas  autrichiens,  sous  la  présidence  de  Henri  Wouters,  et  qui  fut 
signé  par  ce  fonctionnaire  et  contre-signe  par  le  recteur  de  cette  époque, 
le  S"^  Van  Leempoel.  Il  va  sans  dire  que  nous  écartons  les  détails  histori- 
ques qui  sont  bien  connus  d'ailleurs,  et  qui  ont  déjà  trouvé  place  dans  ce 
chapitre  et  dans  les  précédents. 

Des  trois  proviseurs  du  collège,  les  deux  premiers  étaient  alors  les 
dignitaires  institués  par  Busleiden  lui-même,  c'est-à-dire  le  pléban  de 
Saint- Pierre  à  Louvain  et  le  président  des  thèses  dites  sabbalines  en 
théologie;  mais  au  troisième,  le  prieur  des  Chartreux,  il  avait  plu  à  Sa 

'  Voy.  Paqiiot.  Mémoires  ,  t.  III,  p.  25') ,  d';iprès  les  papiers  du  collège  des  Trois-Langues.  Cfr. 
Fanti  acad.,  p.  529. 

-  Vov.  cliapiire  Vil  pour  le  premier,  chapitre  VI  pour  le  second. 

5  Celle  pièce ,  rédigée  en  français  et  ne  portant  pas  de  date,  a  été  annexée  sous  le  n"  21  à  l'inven- 
taire des  fondations  acadénii(|ues  qui  fut  fait  lors  de  la  suppression  de  l'université  de  Louvain  ; 
État  du  collège  de  Busleiden,  dit  des  Trois- Lmigues,  à  Louvain;  5  feuillets,  pelit  in-folio. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIIS.  109 

Majesté  Impériale  et  Iloyale  de  substituer  M.  Thysbaerl,  président  du 
collège  royal.  Les  allrihutions  du  président  ainsi  que  des  proviseurs  étaient 
restées  les  mêmes  que  ci-devant,  et  leurs  indemnités  ou  honoraires  étaient 
réglés  de  la  même  manière;  au  service  de  la  chapelle  était  resté  attaché 
un  prêtre  à  qui  on  a  donné  quelquefois  le  nom  de  liseur,  parce  qu'il  récitait 
journellement  les  prières  d'usage.  Mais  quelques  modifications  s'étaient 
introduites  dans  le  régime  intérieur  du  collège,  et  quelques  secousses 
s'étaient  fait  sentir  dans  la  gestion  de  son  revenu. 

11  existait  encore  deux  professeurs,  l'un  de  langue  hébraïque,  l'autre  de 
langue  grecque,  qui  donnaient  des  leçons  dans  l'intérieur  du  collège.  S'il 
n'est  plus  parlé  des  professeurs  de  langue  latine,  c'est  qu'on  avait  cessé  de 
pourvoira  cette  chaire,  après  la  mort  de  J.-.J.  Vandensteen ,  en  1768  '. 
Depuis  deux  siècles,  nous  dit-on,  les  professeurs  ne  demeuraient  plus  au 
collège  et  n'y  prenaient  plus  leur  table;  maison  vertu  d'arrangements  nou- 
veaux, chacun  avait  pour  ses  honoraires  cent  cinquante  florins. 

Le  nombre  des  bourses  était  restreint  à  six,  dont  cinq  de  soixante  et  dix 
florins  chacune,  et  la  sixième  de  vingt  florins^.  Une  autre  bourse  de  cin- 
quante florins,  provenant  de  la  fondation  de  Georges  d'Autriche,  comme 
on  l'a  vu  plus  haut,  était  conférée  à  part;  le  possesseur  en  était  alors  Jos.- 
J.  de  Quartemont  de  Malines.  On  observait  encore  les  formalités  requises 
antérieurement  pour  la  collation  des  bourses;  mais  il  est  à  remarquer  que 
deux  des  localités  privilégiées.  Aire  en  Artois,  et  Marville,  étaient  depuis 
longtemps  sous  la  domination  du  roi  de  France.  La  durée  de  la  jouissance 
des  bourses  était  encore  de  huit  années,  mais  à  la  condition  d'habiter  le 
collège,  n'importe  la  faculté  dans  laquelle  le  titulaire  faisait  ses  études. 
Il  y  avait  place  dans  le  local  du  collège  pour  vingt-trois  étudiants;  mais 
on  admettait  d'ordinaire  avec  les  boursiers  sept  ou  huit  commensaux,  sui- 
vant l'usage  établi  dès  l'origine  ^.  Les  pensionnaires  ,  comme  les  boursiers. 

'   Voy.  l'iiapitrc  VI,  professeurs  de  langue  latine,  n"  t8. 

-  Le  nombi  e  de  ces  petites  bourses  de  20  florins  pouvait  être  augmenté  par  les  proviseurs  selon 
les  ressources  actuelles  du  collège. 

3  On  se  plaignait  alors  de  ce  que  les  commensaux ,  non  boursiers,  faisaient  difficulté  d'assister 
aux  prières  dites  journellement  dans  la  chapelle,  et  de  ce  qu'ils  quittaient  quelquefois  le  collège 
plutôt  que  de  s'y  voir  astreints,  et  allaient  demeurer  ailleurs  sans  subordination  ni  discipline. 


110  MEMOIRE  SLR  LE  COLLEGE 

prenaient  leur  repas  avec  le  président  :  la  table  entière  était  payée  deux 
cents  florins  argent  de  Brabant.  Les  libéralités  des  princes,  des  prélats 
et  des  grands,  sur  lesquelles  Érasme  avait  compté  pour  donner  à  la 
fondation  de  Busleideu  un  éclat  durable,  lui  avaient  fait  défaut;  non- 
seulement  le  premier  capital  ne  s'était  pas  accru,  mais  encore  les  res- 
sources modiques  du  collège  s'étaient  amoindries  à  plusieurs  époques 
calamiteuses.  Après  les  troubles  politiques  et  religieux  du  XVI""  siècle, 
la  fondation  avait  subi  des  pertes  considérables,  faute  d'une  administra- 
tion vigilante  et  régulière;  plusieurs  rentes  s'étaient  tout  à  fait  perdues^ 
et,  pour  d'autres  qui  n'avaient  pas  été  payées,  on  avait  été  obligé  d'aban- 
donner les  arrérages,  et  de  se  contenter  du  remboursement  des  capitaux. 
Trois  rentes  sur  les  états  de  Brabant,  créées  au  denier  seize,  étaient  encore 
arriérées  de  vingt  ans  à  l'époque  du  rapport  administratif  sur  lequel  nous 
nous  appuyons,  et  l'on  appréciait  à  la  somme  de  7,650  florins  le  montant 
des  rentes  perdues  ou  arriérées. 

Les  revenus  annuels  du  collège  des  Trois-Langues  se  répartissaieni , 
vers  1783,  de  la  manière  suivante  -  : 

ELn  terres  labourables  et  prairies FI.      488     18     » 

En  maisons 470       »     » 

En  renies 732     10    5 

Florins 1691       8     3 

Avec  la  fondation  de  Georges  d'Autriche 51       »     i> 

Total,  en  argent  courant  de  Brabant FI.     1742      8    3 

On  avait  levé  de  l'argent  dans  les  dernières  années  de  la  présidence  de 
François  Jacques  dit  Jacobi  (1759-85),  pour  une  restauration  extraor- 

'  On  peut  considérer  ainsi  les  deux  rentes  arriérées  depuis  plus  de  deux  siècles:  l'une  de  18  flo- 
rins, due  par  le  comte  de  Buren,  affectée  sur  ses  terres  de  Saint-Marlendyck,  et  que  le  prime 
d'Orange  n'avait  plus  payée  depuis  I57.j;  l'autre  de  30  florins,  sur  la  ville  et  le  marquisat  de  Bera:- 
op-Zooni ,  en  retard  depuis  loG9. 

^  Cet  aperçu  du  revenu  est  basé ,  de  même  que  l'évaluation  des  capitaux  donnée  plus  loin ,  sur  le» 
calculs  consignés  dans  YElal  dressé  du  temps  de  H.  Wouters,  sur  une  Tahvlle  qui  lui  serl  d'an- 
nexé, et  sur  un  relevé  de  tous  les  biens  et  rentes  du  collège  fait  vers  la  même  époque. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  Hl 

dinaire  des  bâtiments  du  collège,  pour  la  construction  d'un  petit  bâti- 
ment destiné  au  logement  des  étudiants  ,  et  pour  l'appropriation  des 
maisons  situées  sur  des  terrains  de  sa  dépendance  :  ce  qui  avait  mis  à  la 
charge  de  l'établissement  des  rentes  nouvelles  (montant  annuellement  à 
323  fl.  10  sols)  en  surcroît  de  ses  dépenses  accoutumées. 

D'après  la  récapitulation  des  charges  du  collège,  qui  s'élevaient  à  la 
somme  de  1575  florins,  il  restait,  année  commune,  un  excédant  d'environ 
116  florins  qui  était  employé  pour  le  remboursement  des  rentes  ou  poui' 
quelques  réparations  non  prévues  ^  Les  choses  en  étaient  là,  à  la  veille 
de  la  fermeture  de  l'établissement  littéraire,  qui  suivit  la  dispersion  des 
membres  de  l'université  et  sa  suppression  officielle  ;  quand  le  gouver- 
nement des  Pays-Bas  se  fit  rendre  compte,  en  1818,  de  la  situation  des 
anciennes  fondations  universitaires,  il  nomma  pour  celle-ci  comme  pour 
les  autres  de  nouveaux  collateurs,  et  appela  à  la  jouissance  de  bourses 
d'étude,  de  la  valeur  de  100  à  150  florins,  des  jeunes  gens  nés  dans  le 
cercle  des  localités  désignées  primitivement  par  Busleiden  2. 

Il  ne  nous  reste  plus  qu'à  jeter  un  coup  d'œil  sur  la  valeur  des  ca- 
pitaux qui  ont  suffi  pendant  trois  siècles  à  l'entretien  du  collège  des 
Trois-Langues  : 

Capitaux  de  la  fondation  primitive,  évalués  à V\.     tG,055    5     » 

Capital  de  la  fondation  de  Georges  d'Autriche,  évalué  à 1,650     »     » 

Total  en  argent  de  change  .     .     .     .FI.     17,685     5     » 

Nous  n'avons  pas  besoin  de  faire  remarquer  au  lecteur  que  la  valeur 
réelle  de  ces  capitaux  a  varié  d'époque  en  époque,  suivant  le  cours  des 
monnaies  qui  servaient  à  les  apprécier.  Nous  n'avons  consigné  ici  cette 
indication  sommaire  des  ressources  du  collège,  que  pour  attirer  l'attention 
sur  leur  exiguïté,  si  on  les  compare  aux  ressources  de  tant  d'autres  fon- 
dations. Le  collège  de  Busleiden  a  rendu  des  services  signalés  à  l'instruc- 

'  Le  dernier  compte  qui  fut  fait  avant  l'état  susdit,  l'an  1783,  présentait  un  déficit  d'un  millier 
de  florins  environ. 

-  Voy.  parmi  les  pièces  justificatives,  lettre  F,  la  copie  d'un  arrêté  ministériel  de  l'an  1821 , 
relatif  à  la  destination  des  fondations  de  l'ancien  collécje  de  Busleiden. 

TojiE  XXVIll  '  16 


H  2  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

tion  et  aux  lettres  dans  le  siècle  de  sa  fondation;  mais  il  a  toiijouis  déchu 
dans  les  deux  siècles  suivants.  En  parcourant  ses  annales  pour  se  faire 
une  idée  de  l'action  qu'il  a  exercée,  il  n'est  pas  permis  de  perdre  de  vue 
les  faibles  moyens  dont  disposaient  les  hommes  qui  l'ont  dirigé  :  laissée  à 
ses  seules  forces,  pour  ainsi  dire,  pendant  trois  cents  ans,  dédaignée  par 
les  rois  et  les  docteurs  qui  portèrent  leurs  largesses  ailleurs,  l'institution  de 
Jérôme  Busleiden  ne  peut  être  traitée  avec  la  même  sévérité  que  le  seraient 
des  écoles  richement  dotées.  On  estimera  assez  grande  la  part  du  succès, 
si  l'on  prend  garde  à  la  mauvaise  chance  qu'elle  a  eue  de  ne  pas  voir  sa 
dotation  s'accroître. 


CHAPITRE  \ . 

DES  TROIS  LANGUES  SAVANTES  AU  XVr^  SIÈCLE,  ET  DE  LUTILITE 
DE  LEUR  ENSEIGNEMENT  PUBLIC. 


.  H«De  dicere  haud  absurdum  est. 

(  S4LLUSTE.  ) 


Ce  ne  sera  pas,  il  nous  semble,  faire  au  milieu  de  ce  travail  une  di- 
gression inutile,  que  de  jeter  un  coup  d'œil  sur  l'objet  même  des  trois 
chaires  instituées  par  Jérôme  Busleiden,  avant  de  voir  à  l'œuvre  les 
hommes  qui  les  ont  occupées  et  déjuger  les  fruits  de  leur  enseignement. 
Il  ressort  des  recherches  dont  nous  avons  déposé  le  résultat  dans  le 
l"  chapitre,  que  les  Pays-Bas  étaient  entrés,  dès  la  fin  du  XV'""  siècle, 
dans  le  mouvement  de  la  renaissance  des  lettres,  et  qu'on  y  avait  bien  saisi 
le  côté  utile  et  sérieux  de  cette  rénovation  des  études;  mais  nous  voulons 
signaler  plus  particulièrement  en  cet  endroit,  ce  qu'il  existait  de  ressources 
à  Louvain  pour  l'étude  des  langues  mortes,  dans  les  années  qui  précé- 


DES  TROIS-L ARGUES  A  LOUVAIN.  il3 

dèrent  immédiatement  l'érection  du  collège  de  Busleiden;  nous  en  pren- 
drons l'occasion  de  déterminer  le  point  de  vue  auquel  les  langues  étaient 
cultivées  par  les  meilleurs  esprits ,  et  le  genre  d'application  qu'on  a  pu 
faire  tout  d'abord  des  travaux  de  grammaire  et  de  philologie. 

Rien  ne  serait  mieux  approprié  à  ce  but  qu'une  analyse  du  discours 
qu'un  jeune  théologien  de  haut  mérite,  Martin  Dorpius ,  fut  autorisé  à 
prononcer  devant  toute  l'Université,  le  1"^'  octobre  1515,  lors  de  la  reprise 
des  leçons,  sur  les  avantages  particuliers  de  toutes  les  sciences*;  mais 
force  nous  est  d'y  glaner  seulement  quelques  considérations,  afin  de  ne 
pas  trop  grossir  ces  préliminaires  historiques.  C'est  au  nom  de  la  véné- 
rable Faculté  des  Arts  que  Dorpius  s'adresse  à  son  auditoire,  et  c'est  du 
respect  dont  elle  jouit  auprès  de  tous  qu'il  attend  quelque  autorité  pour 
ses  paroles.  Quand  il  a  passé  en  revue  toutes  les  sciences  et  défini  le 
prix  de  chacune,  il  s'élève  à  une  véritable  éloquence  pour  célébrer  l'ex- 
cellence de  la  théologie  et  pour  vanter  ensuite  la  philosophie,  qu'il  con- 
sidère comme  l'habileté  pratique  de  l'intelligence  dans  tous  les  ordres  du 
savoir.  Le  seul  point  de  cette  harangue  auquel  nous  devons  toutefois  nous 
arrêter  ici,  c'est  l'éloge  des  trois  arts  libéraux  qui  formaient  le  Triviiim  des 
anciennes  écoles,  la  Grammaire,  la  Dialectique  et  la  Rhétorique.  D'après  les 
termes  dans  lesquels  Dorpius  en  parle,  il  est  évident  que  la  notion  de  ces 
arts  et  la  méthode  de  les  étudier  avaient  changé  considérablement  depuis 
un  demi-siècle  dans  l'établissement  académique  de  Louvain;  l'orateur,  qui 
n'a  rien  cédé  ailleurs  des  droits  des  sciences  positives,  traite  des  études 
philologiques  et  littéraires,  comme  si  le  besoîn  en  était  vivement  senti, 
comme  si  leur  admission  parmi  les  travaux  universitaires  ne  pouvait  plus 
être  contestée. 


'  Or\tio  Martini  Dorpii  theologi  De  laudibiis  sigillaliin  cujusque  disciplinaruiii  uc  anioenissimi 
Lovanii  Acadeiniaeque  Lovaniensis,  dicla  KalemUs  Octobribus,  anno  M.  CCCCC.  XIII.  in  fre- 
queiitissimo  totius  Academiae  conceiitu  qunm  post  uestivas  studiorum  ferias  docendi  audiendiqve 
officia  publiée  renovanda  indicerenlur .  —  Ce  discours  a  été  inipiiiné  vers  la  fin  de  l'an  1313,  à  Lou- 
vain ,  chez  Th.  Martens  (vol.  in-4°,  5-2  feuilles. — Van  Isegliem,  Bioqraplde,  n°  73,  p.  240-2il). — 
La  réimpression  qu'en  a  faite  M.  de  INélis  pour  son  premier  volume  A'Analectes  (pp.  I-G6,  in-8°), 
n'est  pas  moins  rare  que  l'édition  de  Marlens.  Voy.  sur  la  publication  inachevée  de  INélis  le  tome  VI 
des  Archives  philologiques  de  M.  de  ReifFenherg,  pp.  340  341 ,  et  son  Cinquième  Mémoire,  p.  26. 


H4  MEMOIRE  SLR  LE  COLLÈGE 

En  abordant  la  définition  de  la  grammaire,  Dorpius  ne  craint  pas  de 
déclarer  que  cette  science  a  été  renouvelée  et  ennoblie  dans  les  derniers 
temps  par  des  qualités  d'ordre  et  de  lucidité,  de  justesse  et  d'agrément, 
qui  lui  manquaient  jusque-là,  et  qu'elle  peut  mieux  que  jamais  servir 
d'introduction  à  toutes  les  autres  sciences';  le  rôle  du  grammairien, 
comme  l'ont  dit  les  anciens,  est  de  bien  entendre  le  texte  des  auteurs, 
d'en  donner  aux  autres  une  intelligence  complète,  et  d'appliquer  à  toutes 
les  œuvres  l'art  de  la  critique  qui  fait  de  lui  un  autre  Arislarque.  C'est 
une  tâche  laborieuse  qui  appartenait  en  propre  à  cette  époque,  disait  Dor- 
pius, que  de  faire  disparaître  cette  rouille  de  barbarie  qui  avait  envahi 
tous  les  écrits  et  qui  défigurait  encore  les  livres  les  plus  répandus.  Pour- 
quoi ne  citerions-nous  pas  dans  sa  forme  vive  et  originale  ce  manifeste  de 
la  jeune  école  contre  laquelle  les  docteurs  de  l'assistance,  parait-il,  n'ont 
point  protesté? 

«  Age  vcro  ;  nostra  tempeslate  nimio  plus  operae  (lagiuil ,  qitod  liactenus  umnes 
chartas  focda  barbaries  obsederh  :  quod  passim  riisticanus  scrmo,  nli  (jamjrena ,  serp- 
serit  :  qiiodqiie  eam  ob  rem  haud  facile  evclli  ac  exlirpari  qucal  radix  illa  ineplae 
loqimtionis,  qiiae  ktm  aile,  lot  annorum  curriculis  in  majoribus  nuslris  liaesit  : 
apud  quos  impolili  ineleganlesque  aticlores  lam  firmitm  regniim  possedeninl ,  ni  vix 
lainen  eUminari  possint  et  in  perpetuum  cxilium  agi.  Qiiid  aulem  ?  An  non  siimmo 
acerrimoquc  jndicio  opns  est,  quo  Gothicas  dictiones  a  Lalinis ,  et  Romana  monela 
percussis,  secernamus?  lllas  scilicel  in  Scyllnam  et  barbarorum  sedem  relegantes; 
lias  vcro  Lalii  jure  donatas ,  in  noslrum  fumiliam  asciscentes ,  quando  et  apud 
nos  liae  Ilalicae  opes  mire  luxuriant,  et  Lalinae  segetes  afjalim  succrescunl.  n 

Dorpius  étendait  la  tâche  du  grammairien  à  l'art  de  la  conversation  fami- 
lière, que  les  hommes  instruits  trouvaient  du  charme  à  nourrir  en  latin,  et 
qu'ils  faisaient  passer  dans  la  composition  des  dialogues;  il  l'étendait  aussi 
à  l'art  plus  savant  du  style  épislolaire,  qui  devait  servir  si  longtemps  les 
besoins  de  la  littérature  et  en  former  un  des  genres  les  mieux  autorisés. 

'  Eu  muiidior  jam,  ornât ior ,  decenlior ,  venuslior  emersit ,  non  illutinis  vocibus  lacera,  non 
perpkxaseribiligine  involuta,  non  situ  carieque  verborum  obsita....  Dorpius  et  plusieurs  des  profes- 
seurs (lu  collétfc  (lu  Lis,  roninie  nous  le  dirons  pins  loin  ,  avaient  Iravailk-  en  première  ligne  fi  cette 
rénovation  de  la  grammaire  et  des  études  qui  en  dépendent;  mais  il  ne  faudrait  pas  la  faire  remonter 
au  delà  des  premières  années  du  siècle. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN  115 

Puisque  Érasme  et  ses  amis  ont  donné  le  modèle  de  ce  genre  dans  notre 
pays,  on  verra  volontiers  comment  Dorpius  le  recommandait  en  1515.  à 
l'attention  de  la  jeunesse  universitaire. 

Poiro  hue  accedunt  domeslicae  confcdmlaliones,  quas  cultissimas  docere,  ijuas 
suaves  ac  nidla  înepliarum  labe  infectas  facere,  Grammatici  sunl  partes.  Ejitsdem 
est  epislolarem  sliliim  teretem ,  tornatum,  graphiciim  cudere;  ut  fïexu  levi  jUd- 
tuntem  mdia  asperitas  remoretur  :  rU  apertus,  ut  famUiaris  sil;  quo  dulccs  amicos 
absentes,  praesentes  fucimus,  quoties  anhni  curas  litterarum  eis  ancjusliu  instre- 
pimus.  Jocosa,  séria,  risum,  dolorem  et  quaecunque  usu  veniunl,  communicamus  et 
ante  absenlium  ocidos  statuimus.... 

Quand  il  passe  à  la  dialectique  ,  Dorpius  représente  l'utilité  et  la 
dignité  de  cette  science,  tout  en  combattant  l'esprit  sophistique  par  lequel 
on  l'a  défigurée.  Puis  il  montre  dans  la  rhétorique  une  sœur  des  deux 
autres  sciences  qu'il  a  définies;  c'est  déjà  au  point  de  vue  d'un  siècle  nou- 
veau, et  dans  un  langage  libre  et  vif,  que  l'orateur  montre  le  rôle  éminent 
de  l'éloquence  dans  tous  les  temps  et  dans  toutes  les  conditions  de  la  vie 
sociale:  à  l'éloge  de  Cicéron,  qu'il  nomme  l'Achille  des  orateurs  anciens, 
il  fait  succéder  des  exemples  tirés  de  l'histoire  des  derniers  siècles  pour 
attester  l'heureux  ascendant  d'une  éloquence  forte  et  vraie.  Mais  Dorpius 
qui,  dans  ce  discours,  faisait  de  l'éloquence  une  puissante  auxiliaire  de 
toutes  les  études,  mettant  au  grand  jour  le  savoir  du  théologien,  du  juris- 
consulte, du  philosophe,  a  stigmatisé  un  genre  d'études  qui  se  produisait 
sous  le  nom  de  philologie,  mais  qui  s'arrêtait  à  une  critique  minutieuse 
et  stérile  des  mots^;  c'était  sans  doute  le  fait  de  quelques  grammairiens 
qui  abusaient  de  la  faveur  avec  laquelle  on  entendait  alors  disputer  sui 
les  termes  peu  usités  et  les  formes  peu  connues.  Or,  comme  l'abus  ne  naîi 

'  Voici  le  lexte  de  cette  curieuse  el  piquante  réserve,  faite  à  la  suite  d'un  plaidoyer  tout  litté- 
raire :  Neqiic  ego,  viri  clarissimi,  de  nmhra  loqtior  Eloquentiae,  quae  Pliilologia  dicitur  ; garritla, 
obslrepera,  verborum  dumtaxat  fundUatrix  maxima;  nulla  habens  senlentiarum  fulcimina,  nullum 
ratiormm  pondus,  nidlos  nervos,  nullum  inventionis  ingenium;  qnalen  logodaedali  sectanlur,  qui 
poslquam  decem  voculas,  non  omnibus  usitatas,  e  piUribus  chartis  vel  niutilo  saxo  exuerinl,  non 
aliter  gestiunt  ac  triumphanl ,  quam  si  Gallias  subegissent.  Tune  sese  Solones  pnlant  ;  lune  quicquid 
voculis  mis  non  est  aspersum,  id  ineler/ans,  seqne  indignum  arbilrcmlur.  Hos  equidem  in  eorum 
ordinem  refero ,  quos  bis  abecedarios  dixi ,  nempe  Sophistarum  ;  ulrormn  siqnidem  vanior,  inulilior. 
adde  perniciosior,  sil  conalus ,  non  ausim  definire. 


116  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

qu'à  la  suite  du  travail,  Dorpius  a  voulu  eu  préniuuir  ses  nombreux  audi- 
teurs déjà  occupés  des  études  de  grammaire  et  de  style.  Sans  nul  doute, 
ces  études  étaient  faites  à  Louvain  et  dans  d'autres  écoles  de  la  Belgique, 
avec  plus  de  lenteur,  mais  aussi  avec  plus  de  discernement,  qu'elles  n'a- 
vaient été  traitées  en  Italie  dans  le  siècle  précédent;  on  s'y  attachait  à 
quelques  textes  importants;  comme  on  n'y  travaillait  que  rarement  sur  des 
manuscrits,  on  n'était  pas  exposé,  du  moins  au  même  degré,  au  danger  de 
renfermer  tout  le  mérite  du  philologue  dans  la  confection  de  gloses  pro- 
lixes. 

Constatons,  en  premier  lieu,  jusqu'où  allait  la  culture  du  latin  à 
l'époque  dont  nous  devons  retracer  ici  les  tendances  et  les  besoins.  Le 
latin  était,  il  est  bien  vrai,  la  langue  exclusive  de  la  science  et  des  écoles; 
il  était  l'objet  de  leçons  et  d'exercices  dans  les  collèges  de  la  Faculté  des 
Arts  ,  et  on  augurerait  que  son  enseignement  a  été  poussé  assez  loin, 
puisque  nous  voyons  cette  langue  écrite  avec  goût  par  Dorpius  et  par  plu- 
sieurs autres  hommes  distingués  dans  les  premières  années  du  XVI'' siècle  '. 
Cependant  une  connaissance  mûiie  des  principaux  monuments  de  la  lati- 
nité n'entrait  pas  dans  le  cours  d'études  généralement  accompli  :  c'était 
par  des  efforts  individuels  et  isolés  qu'il  était  donné  à  quelques-uns  de 
l'acquérir,  et  le  programme  des  lectures  était  encore  fort  restreint  pour 
la  plupart  des  humanistes.  La  nécessité  d'un  enseignement  spécial  du 
latin  était  bien  comprise  par  ceux  qui  s'étaient  rendus  maîtres  de  cette 
langue  :  quand  il  serait  dûment  organisé,  elle  servirait  à  la  découverte  de 
meilleurs  procédés  pour  la  grammaire  et  la  rhétorique  en  général,  et  elle 
contribuerait  à  l'acquisition  plus  facile  des  deux  autres  langues  savantes: 
de  plus,  c'était  l'idiome  qui,  par  ses  formes  et  par  son  génie,  était  le  plus 

'  Naluiellenient  nous  ne  comprenons  point,  dans  les  résultats  de  cet  enseigneiiienl ,  la  connais- 
sance pratique  d'un  certain  latin  ou  plutùt  d'un  jargon  latin  ,  chez  des  gens  qui  ne  se  piquaient  pns 
d'instruction;  mais  qui  avaient  appris  en  latin  les  premières  formules  de  grammaire.  C'est  celui 
que  parlaient  les  artisans  eux-mômes  à  Louvain  ,  suivant  Juan  Calvete  de  Estrella  ,  qui  a  décrit  en 
espagnol  le  voyage  fait  par  Philippe  II,  en  1549,  dans  les  provinces  helges  :  Per  toda  la  villa  se 
liabla  mucito  lalhi,  aun  en  las  casas  de  los  ofjlciales;  de  manera  que  ellos  y  algunas  iintgeres  lo 
mtienden. —  (De  Reiffenherg,  Bulletins  de  l'Acad.  roy.,  t.  V,  n°  10,  p.2.'i5:  Annuaire  de  la  Bibliolh 
roy.,  t    III,  pp.  242  et  suiv.) 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  117 

propre  à  la  iraduction  des  œuvres  de  la  lillërature  grecque.  Que  tallail-il 
à  cet  effet?  des  leçons  suivies  et  méthodiques  de  langue  et  de  grammaire 
latines,  appuyées  sur  la  lecture  d'auteurs  bien  choisis,  et  en  outre,  pour 
les  esprits  cultivés,  des  exercices  de  littérature  et  de  critique  qui  leur 
ouvrissent  peu  à  peu  le  champ  de  l'érudition  classique.  C'était  d'ailleurs  le 
moment  où  la  plupart  des  savants  étaient  sollicités  à  écrire  eux-mêmes  des 
traités  de  grammaire,  et,  dans  tous  ces  travaux  étendus  ou  abrégés,  la 
grammaire  latine  avait  toujours  la  meilleure  part  :  il  va  de  soi  que  de  tels 
livres  s'enrichissaient  continuellement  d'exemples  nouveaux,  à  mesure  que 
de  nouveaux  écrivains  classiques  étaient  imprimés  en  Italie,  et  comme  leur 
texte  était  presque  toujours  réimprimé  en  deçà  des  monts,  au  bout  de 
peu  d'années,  le  cercle  des  travaux  d'herméneutique  et  de  critique  s'élar- 
gissait sans  cesse,  et  les  questions  résolues  dans  les  gloses  et  les  commen- 
taires étaient  définitivement  acquises  à  la  science  grammaticale. 

Que  dire  après  cela  de  la  nécessité  d'adopter  un  langage  latin  net  et 
correct  pour  des  compositions  de  toute  espèce  qui  prenaient  faveur?  Une 
connaissance  vulgaire  de  l'ancienne  langue  de  Rome  ne  suffisait  plus  à 
ceux  qui  devaient  écrire  en  latin  sur  des  matières  scientifiques,  ni  aux 
historiens  qui  préféreraient  la  langue  savante,  universelle  de  fait,  à  l'une 
ou  l'autre  langue  nationale  non  encore  bien  formée.  Mais  quelle  habileté 
n'était  pas  requise  de  ceux  qui  créaient,  dans  des  œuvres  d'imagination, 
danades  productions  de  forme  variée,  une  nouvelle  liitéi'ature  latine,  re- 
cherchée, lue,  applaudie  !  Qui  voulait  se  faire  poëte,  qui  tentait  de  suivre 
même  de  loin  Érasme  et  les  meilleurs  latinistes  du  temps,  n'avançait  pas 
sans  efforts,  sans  études  préalables  :  il  est  clair  que,  dans  ces  circon- 
stances, des  leçons  régulières  de  langue  latine  devaient  venir  heureuse- 
ment en  aide  à  la  majorité  des  jeunes  gens  qui  allaient  entrer  dans  des 
carrières  libérales.  Mais  nous  n'irons  point  plus  loin  sans  entretenir  le  lec- 
teur d'une  tentative  très-hardie,  faite  à  Louvain  pour  intéresser  la  jeunesse 
à  la  culture  littéraire  de  la  langue  de  Rome,  et  pour  lui  en  donner  une 
connaissance  familière  :  nous  voulons  parler  de  la  lecture  des  comiques 
latins,  et  de  la  représentation  de  leurs  pièces  à  l'intérieur  des  collèges. 
C'étaient  Barland  et  Dorpius  qui  avaient  concouru  l'un  et  l'autre  à  donner 


H  s  MEMOIRE  SLR  LE  COLLEGE 

à  Plaute  et  à  Térence  ce  nouveau  genre  de  popularité  :  évidemment  un  tel 
honneur  ne  fut  fait  à  ces  poètes  que  quand  déjà  leurs  comédies  avaient 
été  beaucoup  lues  par  les  jeunes  latinistes;  voici  les  faits. 

Martin  Dorpius,  qui  avait  étudié  avec  ardeur  les  anciens  poètes  et  qui 
en  avait  retenu  admirablement  les  fictions  \  n'avait  pas  craint  de  prendre 
une  part  active  à  l'étude  des  deux  comiques  romains.  Dans  un  recueil  très- 
rare  d'opuscules  qu'il  a  publié  en  1514,  en  prenant  le  litre  de  licencié  en 
théologie-,  on  lisait,  après  un  texte  restitué  de  VAulidaria,  des  prologues 
et  des  analyses  de  sa  façon  sur  des  pièces  de  Plaute  :  Ejusdcm  Tliomus  {sic) 
Anhtlariae  Plaiiliime  adjeclus  ciim  prologis  aliquot  in  comedianim  uctiones  :  et 
paucidis  carminibus.  C'est  au  collège  du  Lis,  où  il  enseigna  la  philosophie 
et  la  rhétorique  pendant  plusieurs  années,  que  Dorpius  avait  fait  jouer, 
dès  l'an  1508,  la  pièce  de  Piaule  qui  occupe  la  première  place  dans  le 
recueil  cité  :  les  acteurs  étaient  les  plus  distingués  de  ses  élèves  {primarii 
(liscipuli). 

Il  est  peu  de  morceaux  de  l'érudition  latine  moderne  plus  curieux  que 
celui  où  Dorpius  invitait  le  public  universitaire  a  assister  à  la  représenta- 
tion de  YAidularia  de  Plaute,  qui  aurait  lieu  au  Lis,  le  5  septembre  1508, 
à  neuf  heures  du  matin  :  non-seulement  il  conviait  une  nombreuse  assis- 
tance à  donner  ainsi  aux  belles -lettres  des  marques  d'intérêt  et  aux  jeunes 
acteurs  de  modestes  encoui'agements,  mais  encore  il  coopérait  au  succès 
de  cette  fête  dramatique  en  écrivant  un  prologue  en  vers  latins  du  genre  de 
ceux  de  Plaute,  pour  servir  d'introduction  à  la  pièce  même,  et  de  plus, 
il  avait  risqué  de  combler,  par  des  tirades  nouvelles,  des  lacunes  qui  res- 
taient dans  l'action.  L'originalité  de  cette  entreprise  est  bien  digne  d'atten- 
tion :  quoiqu'on  ait  préféré  dans  la  suite  le  prologue  et  le  supplément  de 

'  Bai'land  dit  dans  le  chapitre  de  sa  Chronique  où  il  fait  l'éloge  de  Dorpius  :  Mire  poelarum 
omniKin  fabulas  tcncbat.  Ontorimi  et  historiconim  Ubros  omnes  exciisserat....  (Hislorica,  p.  231). — 
Dorpius  avait  mis  on  œuvre  l'allégorie  célèbre  sur  le  choix  d'Hercule  entre  la  vertu  et  la  volupté,  dans 
un  dialogue  latin,  publié  en  1514.  C'est  le  premier  des  deux  opuscules  dont  parle  la  note  suivante. 

-  Marlbn  Dorpii  sacre  Iheolorjie  licentiuti  opiisrula,  vol.  in-i°,  56  feuillets,  iinp.  à  l^ouvain. 
en  1314,  chez  Thierry  Martens.  Voy.  n°  81  dans  la  Biographie  du  P.  van  Isegheni,  pp.  246-247. 
IjBS  deux  opuscules  de  Dorpius  y  sont  suivis  de  deux  opuscules  d'autres  auteurs.  —  Cfr.  de  ReilTen- 
berg,  Deurième  Mémoire,  pp.  66-70,  et  Goethals,  Lectures  relat.  à  l'hist.  des  lettres  en  Belgique, 
1. 1",  pp.  42  8143. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  H9 

Philippe  Paré  à  ceux  de  Dorpius  \  les  essais  de  celui-ci  attestent  une 
connaissance  surprenante  du  génie  de  l'ancienne  poésie  latine,  et  ils  mon- 
trent aussi  chez  leur  auteur  une  juste  confiance  en  ses  forces,  puisqu'il 
tentait  une  restitution  littéraire  qui  avait  déjà  exercé  le  talent  de  l'italien 
Urceus  Codrus  ^.  Le  ton  du  programme  latin  est  concis,  ferme,  sérieux, 
comme  si  Dorpius  était  bien  assuré  de  l'assentiment  d'un  auditoire  sérieux 
aussi.  11  y  a  dans  ces  textes  de  la  main  de  Dorpius  un  tel  pressentiment 
de  l'importance  bientôt  reconnue  des  monuments  classiques,  que  nous 
n'hésitons  pas  à  en  donner  quelques  extraits  à  la  suite  de  ce  mémoire^  : 
on  peut  voir  dans  plusieurs  lettres  qui  accompagnent  ces  textes,  que  Dor- 
pius n'avait  pas  travaillé  sans  recueillir  les  suffrages  d'hommes  instruits, 
tels  que  J.  Naevius  et  J.  Borsalus  à  Louvain,  Georges,  seigneur  de  Halle- 
win,  etc. 

L'épreuve  que  Dorpius  avait  faite  des  dispositions  de  son  public  avait 
si  bien  réussi,  qu'il  le  convoqua  une  autre  fois  à  la  représentation  d'une 
seconde  pièce  de  Plante,  le  Miles,  pour  laquelle  il  prit  la  peine  d'écrire  de 
même  un  long  prologue  en  vers  *,  et,  le  jour  même  du  spectacle,  il  fit 
aussi  une  annonce  en  vers  pour  la  comédie  que  la  troupe  des  acteurs  du 
Lis  devait  jouer  dans  ce  vaste  collège,  à  cinq  heures  de  l'après-midi  •'. 

Tout  ce  qu'avait  fait  Dorpius  pour  la  réussite  de  ces  séances  dramati- 

'  Le  supplément  de  Dorpius  est  contenu  dans  une  édition  de  VAulularia  donnée  à  Anvers, 
en  lo37.  Voy.  Levée,  Thcâtre  des  Latins,  t.  Il,  p.  573. 

•^  Dans  la  dédicace  de  ce  travail  sur  Plante  à  Jérôme  Busleiden,  Dorpius  s'étend  sur  la  difliciillé 
fju'ii  y  a  pour  lui,  jeune  encore  et  homme  du  Nord,  à  entrer  en  rivalité  avec  un  écrivain  d'un  talent 
niùri ,  avec  un  Italien  ;  du  reste,  il  a  composé  ses  vers,  sans  connaître  encore  ceux  d'Urceus  Codrus. 

'•  M.  de  Nélis  a  réimprimé  ces  PknUina  de  Dorpius  parmi  les  feuilles  destinées  au  1"  volume 
de  ses  Analecles,  pp.  67-96;  la  rareté  de  ces  feuilles,  comme  del'édilion  de  Maitcns,  nous  autorise  à 
donner  dans  l'appendice  l'invitation  en  prose  et  envers,  ainsi  que  le  prologue  de  XAululuria,  comme 
si  nous  en  publiions  le  manuscrit.  Voy.  pièces  justificalives,  lettre  G. 

i  Voy.  Analecles,  t.  I,  pp.  89-9"2.  Prologus  in  Militem  comoediam  Plaulinam  a  Martinn  Dorpio 
composiltts.  Ce  morceau  valut  au  jeune  poète  les  félicitations  particulières  de  Thomas  Morus. 

•'  Dorpius  a  offert  plus  tard  cette  petite  pièce  fort  gaie  à  ses  lecteurs,  ibid.,  pp.  92-93. 

DORPIUS    CiVNDIDlS    LECTOniBUS. 

l'hiulina  Miles  est  scatcns  salsissimis 
Sallbus  Comoedla,  et  Jttka  vencre. 

Tome  XXVIII.  17 


120  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

ques,  qu'il  assimilait  à  des  exercices  littéraires,  ne  lui  attira  point  de  désa- 
grément; à  peine  quelques  murmures  se  firent-ils  entendre  autour  de  lui  ^ 
On  savait  quelle  était  la  fermeté  de  sa  foi  et  quelle  était  son  aptitude  aux 
études  les  plus  sérieuses.  Dorpius,  qui  n'avait  que  trente  ans,  fut  reçu 
docteur  en  théologie  en  1515,  et  chargé  d'un  cours  d'Écriture  sainte  :  si 
l'on  parla  mal  de  lui ,  ce  fut  bien  plutôt  à  cause  de  son  admiration  pour 
Érasme  -,  et  non  point  pour  sa  part  de  collaboration  au  théâtre  de  Piaule. 
Du  reste,  l'exemple  de  Dorpius  ne  fut  point  unique  à  Louvain  :  un 
autre  humaniste  du  même  temps,  Barland,  s'intéressa  à  l'exhibition  de 
YAuliilaria,  qui  eut  lieu  peu  d'années  après,  par  les  élèves  du  collège  d'Ar- 
ras;  il  avait  composé  lui-même  pour  cette  pièce  un  prologue  qui  occupe 
deux  pages ,  à  la  fin  d'un  recueil  de  proverbes  tirés  des  Bucoliqties  de  Vir- 
gile ^,  et  d'autres  prologues  encore  pour  la  représentation  d'autres  comé- 

Eam,  auspice  Thalia ,  comoedorum  Dea, 

Grex  Lilianus  est  actiirus  hodie, 

Hora  secunda  pomeridiana ,  eodem 

In  Liliorum  amplo  Gymnasio,  ubi 

Et  Aululariam  egerunt  nuperrime. 

Hoc  significandum  duximus,  ne  quispiam 

Hoc  Bacchico  die,  tam  sese  poculo , 

Tarn  se  esculenlo  copioso  ingurgitet. 

Ut  nil  fuat  loci  esitandis  fabulis. 

Qui  pransi  erunt  deparcius,  adsunto  alacres  : 

Eos  studebimus  exsatiirare  fabulis  : 

Cibo  nihil  exhibente  negocii  stomaclw. 

'  Dans  la  même  année,  loi -4,  Dorpius  avait  publié,  chez  Martens,  un  sermon  sur  l'Assomption, 
qu'il  avait  prononcé  en  I  olO  (Voy.  van  Iseghem  ,  loc.  cit.,  n"  80,  pp.  4.^-46).  C'est  le  sens  des  vers  qui 
terminent  une  pièce  de  Judocus  Delphus,  en  l'honneur  de  notre  poète.  Analecta,  pp.  93-94. 

Quique  tuo  scilus  manavit  ab  ore  libellus  , 

Testatur  sacris  te  ora  rigasse  vadis. 
Quare,  âge,  securus  vulgi  Irivialia  spernc 

Judicia  :  Aonius  te  chorus  omnis  amat. 

i  Voy.  Goethals,  Lectures, etc.,  1. 1,  pp.  42-44,  et  de  Burigny,  t.  I,  pp.  200  et  suiv..  sur  la  cri- 
tique que  Dorpius  fut  amené  à  faire  de  \ Eloge  de  la  folie. 

^  Paquot  décrit  ce  recueil  parmi  les  ouvrages  d'Adrien  Barland,  dont  nous  avons  donné  la  liste 
d'après  ses  recherches  [Fasti  acad.  Lovan.,  t.  I,  p.  480).  Voy.  pièces  justificatives,  lettre  H,  n"  10. 
vol.  in-4",  imprimé  par  Th.  Martens,  en  1514,  et  inconnu  à  MM.  de  Gand  et  van  Iseghem.  —  Paquol 
ajoute  au  litre  de  ce  volume  ;  Pagellas  duas  extremas  occupât  Prologus  Barlandi  in  PlauiiXuhx- 
lariam ,  quae  acta  est  Lovunii  in  aedibus  ampl.  P.  Nicolai  Ruterii  episc.  Alrebat.  per  ejusdem 
alumnos. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIIN.  m 

dies  antiques  *.  On  peut  en  inférer  que  les  humanistes,  qui  faisaient  des 
études  latines  dans  plusieurs  collèges,  avaient  conçu  pour  cette  sorte 
d'exercices  une  véritable  émulation  qui  avait  l'assentiment  des  maîtres. 

Cependant,  cet  usage  de  lire  Plante  etTérence,  et  de  donner  des  rôles 
dans  leurs  pièces  à  des  étudiants,  ne  pouvait  subsister  longtemps  dans 
nos  écoles  :  il  faut  plutôt  le  prendre  comme  un  de  ces  impromptus  que 
les  circonstances  excusent.  Avant  qu'il  résultât  de  graves  abus  d'une  trop 
grande  familiarité  permise  à  la  jeunesse  avec  les  personnages  peu  recom- 
niandables  de  la  comédie  latine,  déjà  l'attention  était  fixée  sur  d'autres 
auteurs  de  l'antiquité;  le  cercle  des  classiques  entre  lesquels  les  maîtres 
pouvaient  choisir  s'était  agrandi  en  peu  d'années,  et  lorsque  le  collège 
des  Trois-Langues  s'ouvrit,  il  n'y  avait  point  de  grief  à  articuler  contre 
ses  professeurs,  du  chef  d'avoir  accordé  aux  comiques  latins  une  préfé- 
rence dangereuse;  c'est  du  moins  un  argument  qui  ne  figura  point  dans 
le  procès.  Quant  à  Dorpius  et  Barland,  on  ne  peut  non  plus  faire  peser 
sur  eux  une  trop  grande  responsabilité  pour  l'innovation  imprudente  qu'ils 
ont  patronnée  avec  leurs  amis  et  leurs  confrères  -  :  les  mœurs  chrétiennes , 
qui  régnaient  encore  dans  les  institutions  académiques  de  notre  pays,  onl 
prévenu  le  péril  qu'elle  avait  dû  entraîner  presque  infailliblement  en  Italie 
et  ailleurs  ^.  Plus  tard ,  on  avisera  au  moyen  de  satisfaire  au  goût  de  la 
jeunesse  pour  les  exercices  dramatiques,  en  créant  un  nouveau  théâtre 
latin ,  dont  les  pièces  seront  tirées  de  l'histoire  ou  de  la  critique  des 
mœurs  modernes. 

Nous  serons  plus  court  sur  le  rôle  que  la  langue  grecque  devait  avoir 
dans  les  études  philologiques  de  la  même  époque.  Il  n'est  pas  besoin,  sans 

'  Rarland  comptait  lui-même  parmi  ses  œuvres  :  Varii  in  Comoedias  hic  exhibitas  prologi. 
(Historica,  p.  274.) 

••'  Voy.  le  jugement  porté  sur  Dorpius  par  M.  Rottier,  dans  son  Mémoire  sur  Érasme,  pp.  24-26. 

"'  Déjà  au  XV""  siècle,  Pomponius  Laetus  avait  dirigé  les  jeunes  gens  de  Rome  dans  la  repré- 
sentation des  pièces  de  Plaute,  de  Térence  et  d'auteurs  plus  modernes,  qui  se  faisait  avec  pompe 
dans  les  vestibules  des  grands;  c'est  dans  la  môme  société  que  s'est  formée  cette  Académie  toute 
païenne  d'esprit  et  de  mœurs,  dont  nous  avons  parlé  au  chapitre  III.  Voy.  Sabellicus  Pompomi 
Laeli  vila:  Tiraboschi,  Sloria  delta  litter.  ital.,  et  Charpentier,  Histoire  delà  Renaissance  des 
lettres,  t.  i,  p.  275. 


122  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

doute,  de  prouver  que  la  nécessité  d'un  enseignement  régulier  de  celte 
langue  était  urgente,  à  un  plus  haut  point  que  pour  la  langue  latine.  Elle 
était  la  clef  de  sources  innombrables,  qui  restaient  fermées  à  la  plupart  des 
hommes  d'études;  mais  qui  devaient  exciter  bien  vivement  leur  curiosité 
et  leur  émulation:  le  texte  original  du  Nouveau  Testament,  la  palrologie 
tout  entière  de  l'Eglise  orientale ,  à  côté  des  ouvrages  grecs  de  l'antiquité 
profane,  dont  quelques-uns  seulement  étaient  connus  de  nom  jusqu'alors. 
Or,  l'idiome  de  ces  deux  classes  de  monuments  littéraires  n'était  appris 
qu'à  la  condition  d'un  grand  et  pénible  labeur;  on  était  réduit  à  quelques 
textes  imprimés,  rares  et  chers,  fautifs  du  reste  pour  la  plupart,  et  on 
n'avait  encore  sous  la  main  que  des  grammaires  trop  savantes  et  souvent 
trop  étendues,  abstraites  dans  leur  composition,  et  dont  les  règles  étaient 
généralement  formulées  suivant  la  méthode  des  grammairiens  grecs,  anciens 
ou  byzantins.  L'enseignement  oral  était  l'unique  moyen  de  débrouiller  le 
chaos  qui  régnait  encore  dans  les  seuls  livres  où  l'on  pût  s'instruire.  Naturel- 
lement, on  s'exagérait  les  difficultés  d'une  langue  qu'on  n'entrevoyait  qu'à 
travers  le  dédale  des  théorèmes  de  grammaire,  et  dans  laquelle  on  décou- 
vrait confusément  une  prodigieuse  richesse  de  formes  et  de  tournures.  Des 
études  et  des  leçons  privées  avaient  bien  pu  initier  quelques  jeunes  gens  aux 
règles  les  plus  essentielles  de  la  langue  grecque;  mais  il  fallait  des  guides 
patients  et  sûrs  à  la  majorité  des  élèves  qui  voulaient  aller  au  delà,  qui 
désiraient  acquérir  une  intelligence  prompte  des  livres  sans  cesse  pu- 
bliés. 

Quand  quelques  hommes  se  seront  rendus  maîtres  du  fond  de  la  langue, 
ils  seront  les  initiateurs  de  beaucoup  d'autres  à  ses  premiers  mystères;  ils 
leur  épargneront,  ou  du  moins  leur  faciliteront,  le  long  apprentissage  des 
rudiments,  et  ce  sera  le  grand  avantage  assuré  à  la  jeunesse  de  Louvain 
par  l'érection  d'une  chaire  spéciale  de  grec,  que  de  lui  fournir  un  maître 
qui  la  guidera  des  plus  simples  éléments  jusqu'aux  difficultés  réelles  qui 
tiennent  au  génie  de  cette  langue  savante. 

Une  fois  l'étude  du  grec  rendue  facile  et  mise  en  honneur,  chaque  classe 
d'étudiants  y  cherchera  un  but  distinct,  une  application  particulière;  aux 


DES  TROIS -LANGUES  A  LOUVAIN.  123 

uns,  la  lecture  des  livres  saints  *;  à  d'autres,  celle  des  Pères,  à  d'autres 
encore,  celle  des  classiques  et  des  écrivains  de  la  décadence.  L'attente  était 
grande,  en  effet,  chez  les  hommes  de  quelque  instruction  ;  sans  discerner 
encore  nettement  la  valeur  des  œuvres  suivant  leur  âge  et  leur  genre,  ils 
accueillaient  avec  faveur  tout  ce  qui  pouvait  jeter  du  jour  sur  celte 
autre  partie  de  la  docte  antiquité  qu'ils  ne  connaissaient  guère  que  par 
le  témoignage  des  Latins.  On  en  a  un  exemple  dans  les  encouragements 
qu'Érasme  reçut  des  prélats  et  des  grands,  quand  il  leur  présenta  à  diffé- 
rentes reprises  des  morceaux  traduits  pour  la  première  fois  du  grec  en 
latin  :  lorsqu'il  eut  offert  au  chancelier  de  l'université,  Nicolas  Rutherius. 
ses  déclamations  traduites  du  grec,  l'une  du  sophiste  Libanius,  deux 
d'un  auteur  incertain  -,  ce  prélat  l'appela  à  sa  table  et  lui  promit  son 
appui. 

En  fait,  une  nouvelle  branche  de  littérature  latine  se  formait  incessam- 
ment par  cette  série  d'ouvrages  grecs ,  païens  et  chrétiens ,  que  chaque 
école  d'hellénistes  s'imposait  la  tâche  de  traduire.  Au  XVI"'"  siècle  comme 
au  XV'"",  c'était  là  tenter  un  premier  déchiffrement  de  la  pensée  antique; 
c'était  prononcer  sur  un  texte  inconnu  et  en  donner  un  commentaire  per- 
pétuel. Et  quel  péril  n'y  avait-il  pas  à  aborder  tant  d'œuvres  d'un  genre 
et  d'un  style  nouveau,  alors  qu'on  manquait  encore  du  secours  que  la 
comparaison  des  monuments  a  fourni  dans  la  suite.  Évidemment,  les  pre- 
miers interprètes  de  la  grécité  étaient  réduits  fort  souvent  à  deviner,  et  la 
sagacité  des  Italiens  instruits  par  les  Grecs  réfugiés  n'avait  pu  échapper 
elle-même  à  beaucoup  de  méprises  '  :  pendant  plus  d'un  siècle,  que  de 
labeur  a  été  enfoui  dans  des  versions  qui  n'étaient  qu'une  suite  de  conjec- 
tures, ou  qui  du  moins  n'allaient  guère  au  delà  de  paraphrases  plus  ou 
moins  vagues! 

Le  même  genre  de  travail  ne  devait  occuper  dans  les  Pays-Bas  une  classe 

'  Nous  ferons  remarquer  en  passant  qu'il  n'existe  encore  aucun  ouvrage  d'histoire,  judicieux 
et  complet ,  sur  les  travaux  exégétiques  dont  les  textes  grecs  de  la  Bible  ont  été  l'objet  au  XVI°" 
siècle. 

-  LeUreàG.  Gaudanus  (£•/)!««.,  t.  Il,  1836,  D.),  non  datée,  mais  qui  doitétreantérieureàl'an  1509. 

ï  Heeren  ,  Gesch.  der  class.  Liter.  im  Miltelalter,  t.  II,  livre  IV,  pp.  28  et  suiv. 


\n  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

nombreuse  de  savants  que  quand  l'enseignement  du  grec  aurait  été  orga- 
nisé à  son  tour  *;  on  verra  plus  loin  quels  fruits  nos  ancêtres  ont  retirés, 
pour  cette  partie  des  lettres,  des  leçons  publiques  données  à  l'institut  de 
Busleiden.  Il  y  eut  dès  lors  bien  des  bommes  capables  d'interpréter  les 
textes  grecs  au  profit  des  sciences,  de  l'histoire  et  de  la  grammaire  :  la 
parole  du  maître  avait  éveillé  en  leur  esprit  cette  faculté  de  discernement 
dont  l'exercice  est  nécessaire  à  toute  critique,  et  l'ardeur  de  savoir  ne  fit 
point  défaut  à  ceux  qui  s'en  étaient  une  fois  sentis  pénétrés. 

Si  nous  passons  à  la  troisième  des  langues  savantes,  l'hébreu ,  nous 
devons  constater  d'abord  que  son  étude  n'était  pas  absolument  une  nou- 
veauté pour  les  écoles  des  Pays-Bas  au  XYI""'  siècle  :  de  grands  efforts 
avaient  été  tentés  dès  la  fin  du  siècle  précédent  pour  en  répandre  la  con- 
naissance dans  plusieurs  contrées  de  l'Europe ,  et  des  notions  élémentaires 
de  la  langue  sainte  avaient  pénétré  en  Belgique  après  que  Rodolphe  Agri- 
cola  et  Jean  Wesselus  l'avaient  apprise  et  cultivée  dans  le  cours  de  leurs 
vovages  '".  Mais,  si  les  études  hébraïques  étaient  déjà  poussées  assez  loin 
en  Allemagne  et  en  Espagne,  pour  servir  de  fondement  à  des  publications 
considérables,  tels  que  les  travaux  de  J.  Reuchlin  et  la  Polyglotte  d'Alcala, 
comme  nous  l'avons  établi  dans  nos  préliminaires,  les  esprits  curieux  et 
diligents  en  étaient  encore  réduits  chez  nous  à  quelques  règles  fort  suc- 
cinctes sur  les  rudiments  de  l'hébreu  ;  tout  leur  semblait  énigme  et  mys- 
tère dans  les  explications  du  moindre  fait  d'écriture,  d'orthographe,  de 
grammaire  et  de  syntaxe  :  pour  cette  langue  plus  encore  que  pour  la 
langue  grecque,  un  enseignement  méthodique  était  de  toute  nécessité. 

Il  y  avait  en  ce  moment  plus  d'un  genre  d'opportunité  dans  la  culture 
de  l'hébreu  :  c'était  la  langue  de  l'Écriture  et  aussi  des  œuvres  rabbini- 
ques  dont  les  Juifs  se  réservaient  la  clef  avec  beaucoup  d'orgueil;  c'était 
la  langue  primitive  et  originale  de  l'Ancien  Testament,  dont  les  versions 
anciennes,  grecque  et  latine,  allaient  être  l'objet  des  recherches  les  plus 
approfondies;  enfin,  c'était  un  idiome  antique,  d'un  organisme  étranger 

'  Voy.  au  cliapitre  I,  §  5,  ce  qu'on  avait  fait  en  d'autres  pays  pour  l'élude  du  grec  dans  la  mémo 
période  de  temps  (iS00-t520). 
^  Voy.  le  chapitre  I,  §  1  et  2. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LODVAIN.  i25 

à  celui  des  langues  étudiées  jusque-là,  et  dont  la  comparaison  allait 
agrandir  le  champ  des  sciences  philologiques. 

Au  point  de  vue  des  opinions  et  des  besoins  intellectuels  de  l'époque,  il 
est  donc  incontestable  que  l'hébreu  ne  pouvait  être  séparé  des  deux  autres 
langues,  dans  une  institution  littéraire  telle  que  celle  qui  allait  s'ouvrir 
sous  les  auspices  du  nom  de  Busleiden  *;  il  ne  serait  pas  assurément  un 
hors-d'œuvre  dans  le  cercle  des  hautes  études  poursuivies  simultanément 
à  Louvain;  enseigné  dans  une  école  spéciale,  il  ne  serait  d'ailleurs  im- 
posé à  aucune  catégorie  d'étudiants  au  détriment  d'une  science  quelconque, 
et  il  ne  compterait  jamais  que  des  auditeurs  choisis.  Mais  c'est  là  ce  qui 
ressortira  de  l'histoire  du  collège  de  Busleiden;  en  cet  endroit  de  notre 
exposé,  nous  avons  surtout  l'intention  de  rechercher  dans  quelles  disposi- 
tions les  maîtres  et  la  jeunesse  de  Louvain  accueillaient  l'étude  de  la 
langue  hébraïque,  objet  de  travaux  individuels,  avant  d'être  la  matière 
d'un  enseignement  public. 

Érasme  ne  resta  point  indifférent  au  sort  des  études  hébraïques, 
malgré  sa  prédilection  marquée  pour  les  études  grecques  et  latines;  c'est 
encore  à  sa  correspondance  qu'il  faut  demander  quelques  renseignements 
positifs  sur  ce  point.  Nul  doute  qu'Érasme  ne  comprît  la  haute  valeur 
de  l'hébreu  comme  langue  religieuse  et  comme  langue  savante;  mais  i! 
ne  s'y  était  pas  appliqué  avec  succès  dans  sa  jeunesse,  et  il  en  retira  peu 
de  fruit  quand  il  y  revint  dans  un  âge  avancé  ^.  Toutes  les  fois  qu'il  s'agit 
de  l'organisation  des  études  nouvelles,  Érasme  se  montra  juge  impartial  et 
désintéressé;  il  le  prouva  bien  dans  cette  question  particulière  de  la  leçon 
d'hébreu.  Seulement,  Érasme,  esprit  net  et  ouvert,  se  défendait  de  l'en- 
gouement qu'il  remarquait  chez  plusieurs  de  ses  contemporains  pour  les 
études  hébraïques  et  rabbiniques,  où  les  chrétiens  avaient  été  presque 
toujours  à  la  merci  de  docteurs  juifs  ou  de  juifs  convertis;  or,  ces  insti- 
tuteurs laissaient  souvent  beaucoup  d'obscurité  dans  leurs  travaux,  et 
mettaient  dans  leurs  leçons,  à  dessein  peut-être,  une  subtilité  de  langage 

>  Jérôme  Busleiden  n'a  pas  donné  un  cadre  trop  large  aux  travaux  de  son  collège,  en  y  faisant 
entrer  l'hébreu,  comme  l'alFirme  trop  hardiment  M.  Rottier.  Mémoire  sur  Erasme,  p.  1"27. 
2  A  cinquante-trois  ans,  Érasme  s'est  encore  occupé  d'hébreu.  Exordia,  p.  29. 


i26  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

qui  répugnait  à  leurs  prosélytes.  C'est  parce  qu'Érasme  se  déliait  de  leur 
art  ténébreux  et  n'ajoutait  pas  pleine  foi  aux  lumineuses  profondeurs  du 
Talmud  et  de  la  Kabbale,  qu'il  a  témoigné  plus  d'une  fois  sa  mauvaise 
humeur  au  sujet  des  hébraïsants  d'Espagne  et  d'Italie.  Sous  l'empire  de 
cette  préoccupation,  il  a  pu  donner  un  avertissement  sévère  à  Capito,  qui 
s'était  adonné  avec  passion  à  l'hébreu ,  et  il  manifestait  en  même  temps 
cette  crainte  que  l'attention  plus  grande  qui  serait  accordée  au  texte  ori- 
ginal de  la  Bible,  ne  fût  préjudiciable  aux  études  que  le  texte  grec  du  Nou- 
veau Testament  réclamait,  selon  lui,  à  bien  plus  de  titres  *.  C'est,  en  eflet, 
à  ce  second  texte  qu'Érasme  lui-même  a  voué  ses  plus  profondes  recher- 
ches; mais  on  prétend  qu'il  dut  recourir  aux  avis  d'OEcolampade,  pour 
se  rendre  compte  d'idiotismes  et  de  locutions  sémitiques  dans  certains 
passages  des  Évangiles,  et  il  est  vraisemblable  que,  lorsqn'il  fut  invité 
par  des  personnages  éminents,  par  exemple,  Adrien  VI  et  Henri  VIII,  à 
commenter  des  livres  de  l'Ancien  Testament  ^,  il  renonça  à  cette  tâche, 
faute  d'une  connaissance  suffisante  de  la  langue  hébraïque. 

Quelques  hommes  s'étaient  appliqués  à  l'hébreu  dans  les  années  qui 
précédèrent  l'ouverture  du  collège  de  Busleiden  à  Louvain;  ils  eurent, 
déjà  en  1516,  un  conseiller  au  milieu  d'eux,  quand  3Iatthaeus  Adrianus 
vint  se  fixer  dans  cette  ville  pour  y  donner  des  leçons  privées,  avant  d'y 
avoir  le  titre  de  professeur  (1618-1519).  Martin  Dorpius,  qui  enseignait 
alors  l'Écriture  sainte  au  collège  du  Saint-Esprit ,  était  du  nombre  de  ceux 
qui  prenaient  parti  ouvertement  pour  l'hébreu  ;  il  était  même  leur  chef  5, 
et  il  bravait  courageusement  les  murmures  qui  se  changeraient  un  jour 
en  applaudissements.  L'ère  nouvelle  dont  Érasme  saluait  l'aurore  pendant 
son  séjour  en  Belgique  était  inaugurée  par  un  compromis  des  lettres  avec 
les  sciences.  Dorpius  le  ratifiait  au  nom  delà  théologie  et  de  l'exégèse  dans 
ses  discours  et  dans  ses  leçons.  Déjà  dans  la  harangue  solennelle  qu'il 

<  Lettre  à  J.  Capilo.  Louvain,  13  mars  1518.  Epist.,  t.  II,  p.  1673  :  Oplarim  te propensiorem 
u(l  Graeca,  quam  ad  Hebraica,  etc.  —  V.  ci-dessus,  chap.  III,  pp.  70-71. 

-  De  Buiigny,  1. 1,  pp.  38I-Ô8-2. 

3  Ex  bilniguibus  hic  omnes  trilingues  rcddimur....  Dorpius  Hebraicae  factionis  dux  est.  Videbis 
brevi  novum  saecuhim  hue  exoriri....  Lettre  d'Érasme  a  P.  Barbirius,  6  mars  \t\\^(Epist.,  t.  1, 
p.  507).  —  Cfr.  Er.  Ue  ralione  ver.  theol.  (0pp.,  t.  V,  p.  75.)  — •  Exordia,  pp.  36-57. 


DES  TROIS-LAISGUES  A  LOUVAIN.  d27 

prononçait  en  1515  à  la  reprise  des  cours,  il  s'était  fait  le  promoteur  de 
l'étude  des  langues,  de  leur  culture,  indispensable  auxiliaire  des  sciences 
les  plus  hautes,  et  là  même  il  s'élevait  avec  une  vivacité  qui  rappelait  les 
allures  d'Érasme  contre  la  manière  de  traiter  la  théologie  dans  les  écoles. 
Dorpius  fut  fidèle  à  sa  thèse,  et,  s'il  est  le  seul  des  théologiens  de  sa  Faculté 
qui  se  soit  avancé  aussi  loin,  c'est  qu'il  avait  confiance  dans  un  mouvement 
qu'il  voyait  diriger  sous  ses  yeux  avec  modération  et  sagesse.  Qu'on  sache 
bien  que  le  suffrage  de  Dorpius  en  cette  matière  était  un  avis  tout  à  fait 
désintéressé  :  avouant  qu'il  ne  savait  pas  le  grec,  il  se  résignait  modeste- 
itient  à  profiter  de  ce  qu'il  y  aurait  d'utile  dans  les  travaux  des  autres  ^ 
et  c'est  sans  doute  en  adoptant  les  conclusions  d'autrui  qu'il  avait  com- 
posé un  traité  de  codicibus  sacris  casligandis  qu'il  avait  lu  dans  ses  cours  de 
Louvain  {in  schola  Lovaniensi)  et  qu'il  destinait  à  la  publicité.  Sans  s'arrêter 
aux  écarts  d'Érasme,  de  Laurent  Valla,  de  Lefèvre  d'Élaples,  ou  peut-être 
sans  s'en  rendre  bien  compte,  Dorpius  osait  requérir  des  futurs  théolo- 
giens une  égale  habileté  dans  les  langues  hébraïque  et  grecque. 

Il  advint  alors,  comme  presque  toujours  en  pareille  occurrence,  qu'une 
fraction  assez  nombreuse  d'esprits  sérieux,  s'attachant  inébranlablement 
aux  méthodes  reçues,  fit  une  résistance  passive  aux  travaux  de  linguistique 
qui  avaient  le  caractère  de  nouveautés.  Cette  opposition  deviendra  vive  et 
ardente  chez  quelques-uns,  quand  les  troubles  et  les  excès  de  la  Réforme 
lui  fourniront  des  armes;  Dorpius  mourut  en  1325,  sans  voir  la  fin 
d'une  lutte  où  les  langues  et  les  lettres  étaient  signalées  sans  réserve  à 
l'animadversion  et  même  à  la  haine  des  vrais  chrétiens.  Mais  l'impulsion 
avait  été  donnée,  et  déjà  en  1518,  avant  que  les  leçons  du  Colleghim  tri- 
lingue eussent  pu  porter  leurs  fruits,  Louvain  comptait  une  pépinière 
d'hellénistes  et  d'hébraïsanls  pleins  de  zèle  et  de  talent.  On  lit  dans  les 

'  Réflexions  de  Paquot  diins  ses  notes  manuscrites  {Fusti  Acad.  Lov.,  1. 1,  fol.  03-64),  avec  renvoi 
au  discours  d'ouverture  de  Dorpius  à  ses  leçons  sur  sainl  Paul  :  Oraiio  in  praelectiunem  cpislolarwii 
divi  Patili ,  de  laudibiis  Pauli,  de  literis  sacris  ediscendis,  de  eloqueiitia,  de  pernicie  sophistices,  dr 
sucrorum  codicum  ad  Graecos  casligatione,  et  linyuarum  pcritia.  Antverpiae,  !Mich.  Hillenius, 
1319,  in-4».  Basileae,  Froben,  1520.  Antverp.,  !o2l.  (Voy.  Foppens,  Bibl.  Belg.,  p.  853,  et  Goc- 
thals.  Lectures,  t.  1,  id.,  p.  46.) 

Tome  XXVIII.  18 


128  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

vers  que  Elius  Eobanus  Hessus  a  adressés  à  Érasme  lors  de  son  départ 
de  Louvain,  en  1518  \  au  sujet  de  cette  ville  et  de  son  école  : 

ExcellUque  viris,  qui  non  Laiialia  solum 
Dogmala,  Romanaeque  loquacia  scliemata  linguae, 
Nec  tantum  ad  Graïas  possinl  vigilarc  lucernas, 
Verum  etiam  Hebraeo  sudent  in  pulvere,  et  omni 
Parle  schola  celebri  veteres  imitentur  Allienas. 

Nous  croyons  avoir  assez  démontré  le  genre  d'utilité  qui  était  attribué 
à  chacune  des  trois  langues  savantes,  au  moment  où  l'usage  de  saines  mé- 
thodes allait  régénérer  les  études  littéraires  en  Belgique^,  et  l'assentiment 
presque  unanime  que  leur  enseignement  rencontrait  parmi  les  jeunes  hom- 
mes qui  étudiaient  et  enseignaient  alors  dans  les  collèges  de  Louvain.  Mais 
nous  allons  donner,  pour  complément  à  ces  premiers  aperçus,  quelques 
recherches  historiques  sur  les  ressources  qui  existèrent  à  Louvain,  pour  la 
connaissance  des  lettres  anciennes,  avant  l'ouverture  du  collège  de  Buslei- 
den  et  pendant  les  premières  années  de  son  établissement.  Nous  ferons  en 
sorte  de  déterminer  quelle  fut  l'action  des  docteurs  et  des  maîtres  qui 
s'occupèrent  des  langues  et  des  lettres  dans  les  collèges  de  l'université; 
c'est  de  là  que  sortiront  les  professeurs  appelés  aux  chaires  spéciales  de 
création  nouvelle.  Nous  montrerons  aussi  quelle  était  la  largeur  des  vues 
de  ceux  qui  avaient  à  cœur  de  répandre  autour  d'eux  le  goût  des  travaux 
de  l'esprit,  et  dans  quelle  mesure  il  fut  permis  à  des  personnes  étrangères 
à  l'université  d'ouvrir  des  cours  non  officiels,  librement  fréquentés. 

La  rhétorique  continua  à  être  enseignée  dans  les  pédagogies  acadé- 
miques de  Louvain,  comme  elle  l'avait  été  dans  le  cours  du  XV"""  siècle; 
seulement  les  méthodes  et  les  livres  changèrent,  à  mesure  que  les  hommes 

'  Le  poëme  sur  son  retour  en  Allemagne  envoyé  à  Érasme,  par  cet  humaniste,  a  été  imprimé  à 
Louvain,  en  1519,  par  les  soins  de  son  ami,  chez  Th.  Martens  :  Relit  Eobani  Hessi  a  profectione 
ad  Des.  Erasmum  Roterodamwn  hodoeporicon ,  etc.,  28  feuillets  in-i"  (van  Iseghem ,  Biographie, 
n"  147,  p.  30-2j.  Valère  André  en  a  cité  un  passage  dans  ses  Fasli,  édit.  de  1630,  pp.  ô'J9-400. 

-  Écoulons  Érasme  sur  la  question  des  méthodes  [0pp.  V.  73)  :  «  Si  non  desit  aniniits.  si  7wn 
desit  praeceptor  idoneus,  minore  paene  negolio  très  liae  linguae  discentiir,  quam  hodie  discilur  tmius 
semilinguac  niiseranda  balbuties,  nimirum  ob  praeceptor um,  tum  inscitiam,  tuniinopiam.  » 


DES  ÏROIS-L  Aïs  GUES  A  LOUVAIN.  129 

aulorisés  à  professer  lirèrenl  de  la  lecture  des  anciens  auteurs  des  vues 
plus  saines  sur  la  grammaire  et  sur  la  composition  littéraire  en  général. 
Les  premiers  qui,  sans  sortir  de  la  sphère  des  règles  grammaticales, 
parlèrent  de  la  rénovation  du  style,  furent  naturellement  écoutés  avec 
réserve  par  quiconque  croyait  à  l'autorité  illimitée  des  anciens  livres. 
Quand  déjà  circulaient  des  traités  où  la  grammaire  latine  était  exposée- 
avec  méthode  et  simplicité,  il  y  eut  encore  des  défenseurs  du  Doctrinale 
puerorum  d'Alexandre  de  Yilledieu,  livre  diffus  et  incomplet,  qui  multi- 
pliait sans  raison  les  difficultés  de  l'étude,  pour  n'enseigner  après  tout 
qu'un  latin  défiguré,  fort  différent  du  latin  antique  K  C'est  au  proGt  d'un 
tel  livre  que  l'on  fit  opposition  au  travail  considérable  de  Despaulère,  dont 
la  carrière  commença,  comme  on  va  le  voir,  dans  un  des  collèges  de 
Louvain;  ce  travail  était  recommandable  par  son  plan  et  par  son  contenu; 
il  était  une  mine  pour  les  latinistes,  et  l'on  a  pu,  suivant  l'expression  de 
M.  de  Reiffenberg  2,  «  y  tailler  à  l'aise  la  matière  de  plusieurs  ouvrages 
vraiment  utiles.  »  Enfin,  la  véritable  méthode  d'étudier  et  d'enseigner  les 
langues  prévalut,  giâce  au  bon  sens,  aux  patients  efforts,  aux  relations 
littéraires  des  humanistes  qui ,  avec  Despautère  et  après  lui ,  contribuèrent 
dans  Louvain  à  la  réforme  des  études  de  grammaire. 

Le  précurseur  de  Despautère,  Jean  Custos  ou  de  Coster,  de  Brecht, 
étudia  au  Lis,  et  fut  le  premier  d'entre  les  philosophes  en  1496;  il  pro- 
fessa les  belles-lettres  au  Château,  et  il  réussit  à  porter  le  premier  coup 
aux  livres  si  défectueux  que  nous  signalions  à  l'instant;  sa  grammaire, 
quoique  chargée  de  règles  superflues,  eut  de  la  célébrité  au  delà  de  son 
temps  5.  Jean  Despautère,  de  Ninove,  après  être  sorti  du  Château  maître- 
ès-arts  à  la  promotion  de  l'an  1501 ,  enseigna  la  rhétorique  au  collège  du 
Lis,  et  il  mit  en  vigueur  de  nouveaux  procédés  qui   donnaient  à  ses  ou- 

•  Voy.  l'analyse  du  Doclrinale.  par  le  Grand  d'Aussy,  Notices  et  extraits  des  man.  de  la  Bibliotli. 
nation.,  t.  V,  pp.  512-541 ,  et  la  llièse  latine  de  M.  Cli.  Thiirot  sur  le  sort  de  ce  livre  :  De  Dorlri- 
nali  ejusqiie  forluna,  etc.  (Paris,  1850,  p.  47  sq.). 

'-  Troisième  Mémoire  sur  l'Univ.  de  Louvain,  p.  2.^j.  —  On  y  trouve  une  revue  des  autres  livres 
de  grammaire  qui  avaient  conservé  un  monopole  de  deux  à  trois  siècles  en  Occident.  Ibid.,  pp.  10- 
26.  Voy.  aussi  le  Mémoire  c'né  Sur  l'inslrtict.  publ.  au  moyen  âge,  pp.  115-120. 

3  De  Reiffenberg,  Quatrième  Mémoire,  pp.  77-78.  Foppens,  t.  Il,  p.  623. 


\Z0  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

vrages  de  grammaire  une  complète  supériorité  sur  tous  les  livres  alors 
connus  '.  Quand  Despaulère  eut  quitté  Louvain  pour  enseigner  en  diverses 
localités,  sa  méthode  y  fut  appliquée  avec  d'abondants  fruits. 

Après  Despautère,  nous  nommerons  en  première  ligne  Jean  Paludanus, 
comme  un  des  maîtres  qui  avaient  la  puissance  d'exciter  dans  les  autres 
le  goût  des  lettres;  Jean  Paludanus,  ou  Desmarais,  de  Cassel,  qui  ne 
mourut  qu'en  1526,  était,  depuis  la  fin  du  siècle  précédent,  professeur 
d'éloquence  à  la  faculté  des  arts  ^,  et  quoique  son  enseignement  se  bornât 
au  latin,  il  eut  beaucoup  d'ascendant  sur  tous  ceux  qui  s'occupaient  des 
langues,  et  obtint  des  gages  de  leur  reconnaissance.  Érasme  l'a  considéré 
comme  un  maître  dont  il  vantait  souvent  les  précieuses  qualités  ^,  et  l'a 
traité  d'autre  part  comme  un  intime  ami,  à  qui  il  a  demandé  l'hospitalité 
à  Louvain  pendant  de  longues  années  *. 

S'il  faut  ensuite  nommer  les  autres  hommes  qui  rendirent  quelque  ser- 
vice par  l'enseignement  littéraire  dans  les  collèges,  nous  devons  citer  avec 
Martin  Dorpius  et  Adrien  Barland,  Jean  Borsalus,  Jean  Naevius  et  Jacques 
Ceratinus.  Comme  on  l'a  i^emarqué  au  commencement  de  ce  chapitre, 
Dorpius  a  donné  au  Lis  des  leçons  de  philosophie  et  de  rhétorique  plu- 
sieurs années  avant  d'appartenir  à  la  faculté  de  théologie,  et  c'est  alors 
qu'il  a  excité  le  zèle  de  ses  élèves  par  cette  exhibition  dramatique  des 
Plautina,  sur  laquelle  nous  avons  insisté.  Dorpius  s'était  toujours  pi'éoc- 
cupé  de  l'éducation  des  jeunes  gens  et  de  l'avancement  des  études,  comme 
l'atteste  Barland,  qui  avait  beaucoup  recherché  sa  société  ^  :  toutes  les 

'  Commentarii  grammatici.Y'avisns,  1o37,  in-folio.  Voir  Cli.  Tliiiiot,  loc.  cit.,  pp.  60-61.  De  Reil- 
fenberg,  Troisième  Mémoire,  pp.  24-26,  et  Foppens,  11,  628.  —  Jean  Despautère  mourut  à  Co- 
niines,  en  1520,  avant  d'avoir  donné  une  édition  complète  de  ces  traités. 

-  Voy.  de  Reiffenberg,  Qiiatricme  Mémoire,  pp.  79-80.  Là  sont  indiqués  les  autres  personnages 
dn  nom  de  Paludanus,  qu'il  ne  faut  pas  confondre  avec  celui-ci. 

5  Érasme  dédia  à  Paludanus  son  Panégyrique  de  Pbilippc  le  Beau,  imprimé  en  lo04',  chez  Th. 
Maliens,  à  Anvers;  l'épîtrc  en  trois  feiiillels  commence  par  ces  mots  :  Erasmiis  M.  Johanni  Pahi- 
dano  doctissimo  utque  humamssimo  hospiti  sua  S.  D.  Voir  van  Iseghem ,  Biographie ,  p.  51  , 
pp.  221-222.  —  Voy.  une  lettre  d'Érasme,  sans  date,  où  il  le  nomme  :  Vir  iitrivsque  linguae  peri- 
tus  (Epist.,  t.  II,  p.  1857). 

■^  C'est  seulement  vers  la  fin  de  Fan  1517,  qu'Érasme  se  décida  à  aller  habiter  ailleurs,  au  collège 
du  Lis,  pour  y  jouir  de  plus  d'espace.  Voy.  EpiM.,  t.  11,  p.  1658.  Ibid.,  p.  1628  (août  1517). 

■'  Historica,  p.  231  (cd.  Colon.,  1603).  —  Chronica,  cap.  CLXXXIV. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  131 

fois  que  celui-ci  se  rendait  auprès  de  lui  aux  heures  de  l'après-midi,  il 
le  trouvait  toujours  à  l'étude  et  au  milieu  des  livres;  en  se  promenant 
dans  le  verger,  voisin  de  sa  demeure,  Dorpius  s'entretenait  continuelle- 
ment des  moyens  de  former  et  d'instruire  la  jeunesse.  On  ne  peut  balancer 
à  mettre  Dorpius  parmi  ceux  qui  ont  eu  le  plus  d'influence  sur  l'activité 
litléraire  de  cette  curieuse  époque,  quand  on  lui  voit  attribuer,  avec  des 
connaissances  approfondies  dans  toutes  les  sciences,  l'élégance  et  la  fer- 
meté d'un  langage  vraiment  romain  *.  Qui  lira  cet  éloge  de  Dorpius  con- 
firmé par  Erasme,  dira  avec  de  Reifl"enberg  que  ce  n'est  pas  celui  d'un 
homme  ordinaire  -. 

Adrien  Barland,  avant  d'être  appelé,  en  1518,  à  faire  les  premières 
leçons  de  latin  au  collège  des  Trois-Langues,  avait  eu  un  rôle  fort  actif 
entre  tous  ceux  qui  travaillaient  à  faire  connaître  les  anciens  auteurs;  par 
ses  entretiens  et  ses  conseils,  sans  doute  aussi  par  des  leçons  bien  fré- 
quentées, il  avait  gagné  des  prosélytes  aux  lettres  latines.  Son  autorité  était 
assez  grande  en  151G,  puisqu'il  fit  part  de  ses  vues,  en  publiant  les  let- 
tres de  Pline  le  jeune  avec  ses  scholies,  à  tous  les  maîtres  enseignant  alors 
les  humanités  dans  les  provinces  belgiques  ^.  Cette  espèce  d'encyclique , 
qui  fait  époque  dans  les  annales  de  la  pédagogie  classique,  porte  l'adresse 
suivante  :  Hadriamis  Darlandus  apud  Lovanienses  cidtioris  Hleratiime  professer 
infumis  S.  D.  omnibus  in  liraban.  Flan,  et  Hotlan.  ludinmgistris.  On  verra  plus 
loin  de  quelle  nature  étaient  les  élucubrations  philologiques  qu'il  mit  au 
jour  "*,  aux  diverses  époques  de  sa  carrière  de  professeur,  pour  inspirer 
le  goût  de  la  lecture  des  classiques. 

Jacques  Ceratinus,  qui  brigua  tour  à  tour  la  chaire  de  grec  et  celle  de 
latin  au  collège  de  Busleiden  ^,  s'était  distingué  par  le  même  genre  de 

'  Ce  passage  de  Barland,  emprunté  au  même  chapitre  de  sa  chronique,  et  répété  en  grande 
paitie  par  Foppens,  t.  IF,  p.  852,  se  termine  ainsi  :  Qiiam  latinus  et  elegans,  planeque  Romanus 
ilti  sermo!  —  Cfr.  de  Ram,  Visquis.  hislor.,  etc.,  pp.  22-25. 

2  Le  texte  de  Barland  est  cité  en  entier,  dans  le  Quatrième  Mémoire,  pp.  83-66. 

5  Biographie  citée  de  Thierry  Martens,  n»  100,  pp.  261-262. 

'  Voy.  chap.  VI,  §  I,  et  la  lettre  H  de  l'appendice. 

'^  Voy.  rintroduclion  au  chapitre  VII. 


d32  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

service;  il  s'était  rendu  apte  à  l'enseignement  des  deux  langues  par  des  lec- 
tures et  des  exercices.  De  même,  Jean  Borsalus,  qui  quitta  Louvain,  en 
1518,  quand  il  était  sur  le  point  de  prendre  la  nouvelle  leçon  de  latin  ', 
s'était  formé  avec  ses  confrères  de  son  âge  dans  un  sentiment  commun 
de  zèle  et  d'émulation  pour  les  études  littéraires;  il  avait  acquis  l'estime 
particulière  de  J.  Busleiden,  de  M.  Dorpius  et  de  beaucoup  d'hommes  let- 
trés 2  :  s'il  fit  des  leçons  à  Louvain,  vers  l'an  1516,  ce  fut  probablement 
à  l'intérieur  de  la  pédagogie  du  Lis,  où  les  langues  anciennes  étaient  le 
plus  en  faveur. 

Des  maîtres  du  collège  du  Lis,  celui  que  nous  connaissons  le  mieux, 
grâce  à  la  correspondance  d'Érasme,  c'est  Jean  Naevius,  ou  de  Neve , 
d'Hondschote  {Hondiscliolanus),  qui,  à  Louvain,  accueillit  à  son  foyer  le 
grand  humaniste,  quand  celui-ci  eut  renoncé  à  l'hospitalité  de  Paludanus. 
Érasme  apprit  à  l'estimer  ainsi  que  ses  collègues  et  ses  amis  d'étude,  pen- 
dant sa  résidence  dans  le  collège,  dont  Naevius  était  alors  devenu  prési- 
dent ^.  Déjà,  auparavant,  il  avait  suivi  avec  intérêt  les  efforts  faits  par  son 
ami  pour  mettre  en  honneur  les  études  latines,  et  il  lui  avait  dédié,  en 
1515,  comme  à  leur  directeur  fLi/Jonontm  Lovanii  Gijmnasiarclme) ,  un  re- 
cueil d'opuscules  choisis,  commençant  par  les  distiques  de  Caton,  destinés 
à  servir  de  texte  aux  exercices  des  élèves  de  Naevius  *,  comme  il  le  disait 
dans  son  épître  :  Ut  luibeas  quocl  tiiis  praelegi  cures  alumnis. 

Personne  ne  fit   plus  de  cas  qu'Érasme  des  services   rendus  par  ce 

'  Voy.  l'introduction  au  chapitre  VI. 

-  Dans  la  dédicace  de  ses  Pluulina  à  Jérôme  Dusleiden ,  Dorpius  le  nomme  :  Lilterutorimi  can- 
didissimus  Jouîmes  Borsalus,  canonicus  Middelburgensis.  Voy.  les  Analecles  de  M.  de  Nélis,  p.  "i, 
et  la  note  1,  et  les  Mémoires  de  Paquot,  t.  I ,  p.  9. 

5  Président  du  Lys,  en  1515,  il  y  demeura  jusqu'à  sa  mort,  l'an  15'24.  —  Le  séjour  d'Érasme 
dans  ce  collège  est  compris  entre  les  années  1517  et  1521  ;  il  disait,  en  novembre  d5l7,  après  y 
être  entré;  Nec  unquam  vixi  niagls  ex  animi  mei  sentenlia  (Episl..  t.  I ,  p.  273.  Cfr.  pp.  270, 
6.%  et  677).  U  y  connut  aussi  un  maître  fort  instruit,  Josse  de  Vroye,  de  Gavre,  dit  Gaverns. 

*  Opuscula  aliquol  Erasmo  Rolerodamo  caslirjatore  et  inlerprele  :  quibus  primae  aelati  nihil 
praelegi  potest  :  neque  vtilius  neque  elegantius.  Vol.  in-4°,  52  feuillets.  (Voy.  la  Biographie  de 
Th.  Martens  par  van  Iseghem,  n°90,  pp.  254-255.)  Le  même  recueil  d'opuscules  eut  une  seconde 
édition,  en  1518,  avec  des  additions  et  des  améliorations  {purtim  compleliora,  partim  nova). 
Voy.  la  même  Biographie,  n"  130,  pp.  188-189. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIIN.  i33 

maître  à  la  jeunesse,  dans  les  cours  d'humanités  qui  prospéraient  au  Lis; 
aussi  s'eiTorça-t-il  de  prévenir  toute  querelle  et  même  tout  refroidissement 
entre  Naevius  et  Dorpius  ou  d'autres  de  ses  confrères,  atin  que  la  cause 
des  études  n'en  souffrît  pas  K  11  se  plut  à  vanter  à  tout  le  monde  la  réu- 
nion des  qualités  de  l'esprit  et  du  cœur  qu'il  avait  observées  en  lui  ^,  et  à 
lui  attribuer  une  habileté  de  langage  peu  commune  et  une  élégance  pleine 
de  sel,  dans  la  discussion  ou  dans  la  plaisanterie  :  Niliil  est  JSaevio  meo, 
disait-il  en  1517  ^,  in  liac  Academia  vcl  cnidilius,  vel  melius,  vel  feslivius,  vel 
denique  sincerius.  La  douleur  d'Érasme  fut  grande  quand  il  apprit  à  Bàle 
la  mort  presque  subite  de  son  hôte,  dans  l'appartement  qu'il  avait  occupé 
lui-même  à  Louvain,  et  son  irritation  fut  très-vive  quand  on  lui  apprit  que 
Nicolas  d'Egmond  donnait  la  un  si  prompte  du  président  du  Lis  comme 
une  punition  du  ciol  *. 

Les  esquisses  biographiques  que  nous  venons  de  tracer  montrent  suffi- 
samment quel  secours  les  études  de  langues  et  de  lettres  avaient  trouvé 
dans  les  collèges  de  l'université  avant  que  l'école  spéciale  de  Busleiden 
leur  fût  consacrée;  quand  cette  école  fut  ouverte,  des  cours  d'humanités 
qui  roulaient  sur  la  grammaire  et  la  rhétorique  latines ,  continuèrent  à 
être  donnés  dans  les  pédagogies,  du  moins  pendant  le  XVT""=  siècle,  et 
nous  dirons  ailleurs  comment  son  exemple  contribua  à  l'amélioration  de 
ces  cours.  Rappelons  aussi  que  la  leçon  d'éloquence  fut  conservée  dans 
les  attributions  de  la  Faculté  des  Arts,  et  qu'elle  concourut  à  nourrir  des 
goûts  littéraires  dans  une  partie  de  la  jeunesse;  elle  eut  quelquefois  du 
relief,  surtout  quand  elle  fut  donnée  par  des  hommes  tels  que  Adrien 
Barland  et  Nicolas  Vernulaeus. 

•  Voy.  les  conseils  d'Érasme  à  Dorpius,  dans  une  leUre  de  1517.  ^/)ts<.,  t.  II,  p.  1651,  elle  retour 
d'Érasme  sur  les  conseils  d'urbanité  et  de  mesure  qu'il  avait  donnés  naguère  à  Naevius,  trop  en- 
clin à  prolonger  les  différends.  Ibid.,  t.  I,  p.  784. 

2  Voy.  EpisL,  1. 1 ,  pp.  306 ,  ^23,  784  :  Jam  quae  linguae  félicitas,  quam  parala  dicendi  facid- 
tas,  si  de  re  séria  dicendum  cssct?  qui  lepos,  quae  argulia,  si  jocis  aul  salibits  ludere  Ubuisset? 
Tum  qui  morum  candorî  quae  conviclus  suavilas?  quam  erat  amicus  amico?  quam  arcani  crediii 
conlinens?  quam  non  sordidus?  Unum  in  eo  desiderabam,  ne  nuHus  esset  naevus  in  Naevio,  etc. 
Ibid.,  p.  784. 

■"  Episl.,  1. 1,  p.  273. 

*  Voy.  Epist.,  t.  I,  p.  784  (an.  1324).  Ibid.,  p.  979  (an.  1527). 


iU  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

11  nous  reste  à  dire  mainlenant  quelle  liberté  fut  laissée  à  l'enseigne- 
ment littéraire  en  dehors  du  collège  des  Trois-Langues  et  des  pédagogies 
de  l'Université.  11  y  a  lieu  de  croire  qu'à  côté  des  trois  professeurs  dûment 
nommés  aux  chaires  du  collège  de  Busleiden,  octroi  ne  fut  pas  donné  à  tout 
le  monde  d'y  ouvrir  des  leçons  publiques  et  permanentes;  mais,  vraisem- 
blablement, des  savants  étrangers  eurent  en  ce  collège  des  conférences  avec 
les  maîtres  et  de  libres  relations  avec  les  élèves,  sans  qu'aucun  obstacle 
fût  apporté  du  dehors  à  ces  entreliens  ou  à  ces  réunions.  11  est  plausible 
aussi  d'admettre  que  quelquefois  des  élèves  fort  avancés  furent  autorisés 
à  y  faire  des  leçons,  qui  avaient  plutôt  le  caractère  de  répétitions  et 
d'exercices.  Cependant  ce  fut  le  plus  souvent  après  une  autorisation  de- 
mandée en  due  forme  que  des  humanistes  et  des  philologues  furent  admis 
à  donner  un  enseignement  public  accessible  à  tous  :  nous  tâcherons  de 
compléter  les  renseignements  historiques  laissés  à  cet  égard  par  Valère 
André  ^ 

On  a  des  exemples  d'un  refus  opposé  à  des  hommes  instruits,  qui 
voulaient  ouvrir  à  Louvain  des  leçons  publiques;  on  appliqua  aux  leçons 
de  langues  latine,  hébraïque  et  grecque,  la  mesure  qu'on  avait  prise  en 
1484  pour  empêcher  que  des  cours  nouveaux  ne  nuisissent  à  la  fréquen- 
tation des  cours  institués  dans  chaque  faculté.  Un  premier  fait  se  présenta 
en  1519,  quand  M.  Alardus  ou  Adelardus  d'Amsterdam  eut  annoncé,  dans 
un  programme  affiché  publiquement,  qu'il  expliquei-ait  un  ouvrage  de  Didier 
Érasme.  Interdiction  fut  signifiée  à  ce  savant,  le  8  mars  1519,  en  vertu 
d'un  article  des  statuts  académiques  :  suivant  cet  article,  on  requérait  une 
inscription  sur  le  registre  de  l'Université  de  tout  docteur,  maître,  licencié 
ou  bachelier,  qui  voulait  être  admis  à  enseigner,  à  discuter  ou  à  poser 
quelque  acte  du  ressort  de  l'enseignement,  et  on  exigeait  de  lui  en  outre 
une  permission  du  recteur,  donnée  au  nom  du  corps  universitaire.  Alardus, 
qui  était  d'ailleurs  entouré  d'une  grande  considération  comme  latiniste  et 
même  comme  théologien,  resta  à  Louvain  en  rapport  avec  les  membres 

*  Fasti  .icad.,  pp.    357-358.    Voy.  les  noies    manuscrites  de  Paquot.  Fasli  Acad.  Lovaii  , 
t.  I,  p.  388. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  135 

de  l'Université  et  avec  tous  les  amis  des  lettres  %  et  il  y  mourut  en  1544. 

Une  interdiction  fondée  sur  le  même  règlement  fut  portée  en  lo20  contre 
Guillaume  Nesenus,  humaniste  étranger,  allemand  de  naissance,  qui  se 
proposait  d'expliquer  publiquement  la  géographie  de  Pomponius  Mêla. 
Son  passage  en  Belgique  nous  est  connu  par  les  lettres  d'Érasme,  que 
nous  allons  interroger  à  ce  sujet. 

Guillaume  Nesenus  s'était  signalé  comme  latiniste,  en  donnant  à  Bàle, 
en  1515,  une  édition  de  Sénèque.  Il  se  rendit  à  Louvain  en  1519,  et  sa 
qualité  d'étranger,  ignorant  la  langue  du  pays,  non  moins  que  ses  talents 
et  son  honnêteté,  lui  valurent  la  protection  d'Érasme 2;  dès  celte  année, 
celui-ci  réclamait  hautement  contre  les  entraves  qu'on  voulait  apporter  aux 
leçons  gratuites  de  Nesenus  sur  Pomponius  Mela^.  L'affaire  se  termina 
en  1520  par  un  refus  motivé  peut-être  sur  les  opinions  religieuses  de 
Nesenus;  il  venait  de  rentrer  en  Allemagne,  las  des  difficultés  sans  lin 
qu'on  lui  avait  suscitées,  quand  Érasme  écrivait  à  Herman  Buschius*  : 
ISesenus  taedio  stotidissimarum  iragoediarurn ,  qiias  hic  quidam  agimt  sine  fine, 
ad  vos  se  recepit. 

En  d'autres  cas  encore,  l'importance  attachée  à  la  lettre  des  statuts, 
sinon  des  motifs  particuliers  de  défiance,  fit  prendre  des  mesures  sembla- 
bles à  l'égard  de  personnages  qui  ne  nous  sont  pas  connus;  il  est  avéré, 
cependant,  que  l'Université  a  donné  son  assentiment  aux  leçons  faites 
temporairement,  sans  titre  officiel,  par  des  hommes  présentés  par  de 
puissants  patrons;  de  ce  nombre  furent  Nicolas  Cleynarts,  qui  professa 
les  langues  au  collège  de  Houterlé  ou  même  dans  le  local  des  Trois- 
Langues ,   et  les  deux  juifs   convertis  du  nom  de  l^evita,  Jean  Isaac  et 

'  Outre  divers  ouvrages  estimés,  Alardus  fit  paraître  à  Cologne,  en  d529,  ime  édition  devenue 
fort  r;ire  des  œuvres  de  Rodolphe  Agricola.  —  Voy.  l'oppens,  Bibl.  Belg.,  pp.  38-39.  Miraeus, 
Elogia,  Dec.  VII.  De  Reifl'enherg,  Quatrième  Mémoire,  p.  83. 

-  Epist.,  t.  I,  p.  409  :  Hospes  et  linguae  nostratis  imperitus,  qiio  magis  favendwn  est  viro  alio- 
quin  dodo,  intégra  uc  modesto. 

'"  Voy.  trois  lettres  d'Érasme  à  Vives  (Epist.,  t.  I,  pp.  523,  526  et  689).  On  lit  dans  une  des 
lettres  de  1519,  p.  536  :  Hic  Guilielmo  Neseno,  Pomponii  Melae  geographiam  profiteri  gratis 
ag7-esso,  vihil  rcmissioribus  stvdiis  obsliterunt  quam  siparasset  totam  hanc  ttrbem  incendia  miscere. 
Érasme  reconnut  plus  tard  seulement  la  propension  de  son  client  au  Luthéranisme.  [Epist.,  I,  633.) 

»  Epist.,  1. 1,  p.  567 (an.  1520).  —  Nesenus est  mort  à  WiUenberg.en  ib'ii.  Epist.,  1. 1,  p. 821. 
Tome  XXVllI.  19 


136  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

Etienne,  fils  d'Isaac ,  dont  nous  ferons  connaître  plus  loin  la  venue  et  les 
fonctions  à  Louvain  ^  Nous  citerons  dans  la  suite  de  ce  mémoire  d'autres 
érudiis  qui  furent  de  même  autorisés  à  faire  des  leçons  privées  sur  les 
langues  et  sur  quelques  auteurs  anciens.  Mais  nous  devons  nous  étendre 
ici  sur  la  part  d'influence  qui  revint  à  Louis  Vives  dans  le  prosélytisme 
auquel  il  se  dévoua  avec  les  meilleurs  esprits  pendant  les  quelques  années 
qu'il  passa  à  Louvain  :  c'était  précisément  l'époque  où  les  trois  chaires  de 
Busleiden  venaient  d'être  inaugurées. 

Quand  Louis  Vives  fut  chargé  de  l'éducation  du  prince  Guillaume  de 
Croy,  il  s'associa  de  cœur  à  tout  ce  qui  se  faisait  en  Belgique  pour  les 
éludes  littéraires,  qui  lui  avaient  déjà  valu  quelque  renommée;  il  publia  à 
Louvain,  chez  Thierry  Martens,  plusieurs  de  ses  opuscules,  dans  les  années 
1519  et  1525^,  et  quoiqu'il  n'eût  pas  beaucoup  de  goût  pour  l'enseigne- 
ment oral,  l'on  ne  peut  douter  qu'il  n'ait  enseigné  publiquement  en  cette 
ville  avec  le  plein  assentiment  de  l'Université,  qui  lui  fut  accordé  le  5  mars 
1520^.  D'après  le  propre  témoignage  de  Vives,  on  affirmerait  même  qu'il 
a  fait  ses  leçons  en  partie  aux  Halles,  siège  de  l'Université,  en  partie  dans 
une  maison  particulière  de  la  rue  de  Diest*  :  il  aurait  expliqué  le  matin, 
aux  Halles,  VHisloirc  natureUe  de  Pline  ,  et  l'après-midi ,  dans  l'autre  local, 
les  Géorgiqites  de  Virgile;  quand  après  un  court  séjour  à  Bruges,  pour 
cause  de  maladie,  en  1521,  Vives  rentra  à  Louvain,  il  se  serait  proposé  de 
donner  une  troisième  leçon  sur  Pomponius  Mêla.  Enfin,  d'après  les  œuvres 
mêmes  de  Vives,  on  croirait,  avec  son  dernier  biographe,  qu'il  a  fait 
aussi  des  cours  sur  les  Lois  de  Cicéron,  sur  le  traité  de  ScnectiUe ,  sur  le 

'  Aux  clinpilrcs  VIII  et  X. 

-  La  première  publiealion,  qui  date  de  1519,  renferme  le  traité  De  sectis ,  initiis  cl  laudibiis 
Philosophiae ,  et  le  traité  In  Psevdoiiialccticos ,  vol.  in-i",  de  MA  feuillets  (voy.  van  Isepliem,  liio- 
grapltie,  n"  14-8,  pp.  302-503).  En  1523,  Vives  publia,  chez  le  même  imprimeur,  une  édition  com- 
plète de  sa  Veritas  fucala  (sive  de  Ucentiii  poelica,  (juantum  poelis  licel  a  verllale  ahscedere) ,  et 
deux  discours  (dedamaliones  duae).  Voy.  Biogr.,  n"*  184  et  185,  pp  326-327.  —  Vives  n'était 
plus  à  Louvain  quand  Th.  Martens  y  imprima,  en  I52I,  son  Inlroduclio  ad  sapienliam.  Voy.  ibid.. 
n"  I9C.  p.  ÔU. 

^  Valère  André,  Fasti  Acad.,  pp.  357-358.  Paquot,  Mémoires,  t.  1,  p.  i\1. 

^  Voy.  de  Reiffenberg,  Quatrième  Mémoire,  p.  87,  et  le  Mémoire  de  M.  Namèche  Sur  la  vie  et 
les  écrits  de  Vives,  pp.  21-23. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  157 

lymc  WxiQ  Rhetorkoruni  ad  Uerennium,  sur  les  Convivia  de  Philelphe  ^,  et  sur 
plusieurs  de  ses  piopres  ouvrages,  entre  autres  sur  le  Cliriali  trhimplms. 
C'était  en  outre  un  bel  et  puissant  exemple  que  celui  que  donnait  Vives 
aux  jeunes  docteurs  de  Louvain,  en  se  livrant,  pendant  son  séjour  au 
milieu  d'eux  2,  à  son  travail  de  révision  et  de  commentaire  sur  le  texte 
des  vingt-deux  livres  de  la  Cilé  de  Dieu  de  saint  Augustin. 

On  vient  de  voir  que  le  précieux  appui  dos  conseils,  des  leçons  et  des 
écrits  de  Vives  n'a  pas  manqué  aux  hommes  dévoués  et  intelligents  qui 
associaient  leurs  efforts  pour  donner  à  la  science  des  universités  le  secours 
et  le  relief  des  travaux  littéraires.  Érasme  avait  été  leur  guide  et  leur  ami, 
il  eut  même  la  satisfaction  d'applaudir  à  leurs  modestes  et  solides  succès; 
il  leur  avait  gagné  l'estime  de  Guillaume  Budé,  qui  remplissait  en  France 
un  rôle  analogue  au  sien.  Le  troisième  de  ces  humanistes  qui  représentent 
éminemment  le  génie  des  lettres  et  de  l'érudition  à  cette  période  de  la 
Renaissance,  Louis  Vives,  vint  de  son  côté  encourager  par  sa  présence 
notre  première  école  de  philologie ,  où  il  trouvait  en  parfait  accord  avec 
ses  propres  sentiments  l'amour  des  lettres  ,  la  confiance  en  leurs  progrès, 
et  une  pratique  sincère  de  cette  sagesse  chrétienne  qu'il  a  si  bien  glorifiée. 
On  ne  connaît  pas  les  noms  de  tous  ceux  qui  ont  concouru  de  prime 
abord  au  but  de  l'institution  due  à  la  généreuse  prévoyance  de  Busleiden; 
mais  on  n'ignore  pas  du  moins  ce  dont  elle  est  redevable  au  travail  persé- 
vérant des  humanistes  qui  s'étaient  formés  dans  les  collèges  académiques, 
et  aussi  à  ce  patronage  moral  d'Érasme  et  de  Vives ,  plus  puissant  que  les 
privilèges  et  les  faveurs  des  princes. 

<  Vv.  Filelfo  ou  Philelphe  était  un  des  humanistes  d'Italie  dont  les  écrits  s'étaient  répandus  avec 
une  vogue  presque  égale  à  celle  des  classiques.  (Ginc;uené,  Hist.  lillér.  de  l'Italie,  t.  111,  p.  526-50.) 

-  l'ixé  à  Bruges  à  son  retour  de  l'Angleterre,  il  ne  perdit  point  de  vue  les  premiers  travaux  des 
littérateurs  de  Louvain. 


i38  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

CHAPITRE  VI. 

LES  PROFESSEURS  DE  LANGUE  LATINE. 


Pellcgc  :  Sttiuicquam  Grvdiob,  duvturibus  illit, 
.lut  l/aibarifs,  aut  Zoiltis  dicat  ru/Irs. 


(Jndreae  Valerio  K90.  W'ESBurs.) 


En  abordant  celle  première  série  de  biographies  ' ,  il  nous  imporle 
de  rappeler  ce  que  nous  avons  dit  dans  l'introduction  sur  la  destination 
de  telles  notices  dans  le  corps  de  ce  mémoire  historique.  Si  nous  nous 
sommes  décidé  à  enregistrer  en  trois  chapitres  les  principales  circonstances 
de  la  vie  de  tous  les  hommes  qui  ont  enseigné  au  collège  des  Trois-Lan- 
gues,  c'est  non-seulement  parce  qu'elles  sont  extraites  en  partie  de  docu- 
ments inédits,  mais  encore  parce  qu'elles  font  connaître  le  genre  d'action 
qu'il  a  été  donné  à  chacun  de  ces  hommes  d'exercer  autour  de  lui,  suivant 
l'esprit  et  les  dispositions  de  son  époque.  De  la  sorte,  on  peut  se  repré- 
senter plus  facilement  par  avance  l'espèce  de  vie  que  l'exemple  et  le 
concours  des  maîtres  ont  fait  régner  dans  l'école  d'une  période  à  une 
autre.  Encore  une  fois,  quoique  ce  ne  soit  pas  le  lieu  de  tracer  une 
biographie  complète  de  chaque  personnage,  les  notices  ici  insérées  ont 
leur  raison  dans  la  nature  du  sujet  nouveau  que  nous  traitons,  et  peut- 
être  les  renseignements  inédits  qu'elles  renferment  seront-ils  de  quelque 
utilité  aux  écrivains  qui  voudraient  dans  l'avenir  consacrer  à  ces  mêmes 
hommes  des  monographies  détaillées. 

On  porte  à  dix-huit  le  nombre  des  professeurs  de  langue  latine  qui  ont 
appartenu  au  collège  de  Busleiden,  depuis  Adrien  Barland,  qui  reçut 
le  premier  ce  titre,  jusqu'à  Henri  Joseph  Vandensteen,  qui  mourut  en 
1768  et  qui  n'eut  point  de  successeur.  On  verra  plus  loin  pourquoi  la 

'  Nous  avons  donné  la  première  place  anx  professeurs  de  latin,  à  l'exemple  de  Valère  André,  dans 
la  seconde  partie  de  ses  Exordia  ac  progressus  collegii  Trilinguis ,  pp.  45-63  (professores  lalini). 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  139 

collation  de  la  chaire  de  latin,  dite  aussi  d'histoire,  ne  fut  plus  faite 
dans  la  seconde  moitié  du  dernier  siècle. 

Plusieurs  concurrents  se  présentèrent  aux  mandataires  de  Busieiden 
pour  la  chaire  de  latin,  sans  nid  doute  parce  que  cette  langue  avait  été 
cultivée  de  date  récente  avec  plus  d'extension  et  de  succès  que  les  deux 
autres.  Idiome  de  l'Église  et  de  la  science  en  Occident,  le  latin  avait  pro- 
gressé le  premier  et  fort  rapidement,  grâce  à  l'investigation  des  anciens 
manuscrits  et  à  leur  publication  par  l'imprimerie'.  Il  paraît  certain  que  la 
leçon  de  latin  fut  offerte  tout  d'abord  à  Jean  Borsalus  ou  van  Borsseleii. 
natif  de  la  Zélande,  nommé  quelquefois  chanoine  de  Middelbourg,  et  qui 
était  estimé  à  Louvain  comme  humaniste 2.  Il  avait  habité  quelque  temps 
au  collège  du  Lis  avec  des  confrères  qui  aimaient  comme  lui  les  lettres: 
c'est  là  qu'Érasme  avait  appris  à  le  connaître,  et  il  rend  hommage  à  son 
caractère  aimable  et  gai ,  et  aux  qualités  solides  de  son  esprit^.  Borsalus 
qui  avait,  au  dire  d'Érasme,  peu  de  moyens  d'existence,  déclina  l'hon- 
neur qu'on  avait  en  vue  de  lui  conférer,  pour  accepter  la  place  de  doyen 
de  Weere  en  Zélande,  et  quitta  Louvain  dans  l'année  1518*. 

Après  le  départ  de  Borsalus,  et  peut-être  sur  sa  recommandation, 
Adrien  BarJand,  son  compatriote  et  son  parent,  fut  chargé  de  la  leçon 
de  latin  ^.  L'épître  que  celui-ci  adressa  plus  tard  à  Borsalus  est  une  des 
meilleures  sources  de  la  biographie  de  Barland  lui-même  ;  elle  a  été  d'un 
grand  secours  à  Valère  André,  dans  la  notice  qu'il  a  consacrée  à  ce  der- 
nier ^,   et  nous  la  mettrons  de  notre  côté  à  contribution  sur  plusieurs 

'  Voy.  Chapitre  I,  et  chapitre  V. 

2  Lettre  d'Érasme  à  Barhirius,  6  mars  1518.  [Epist.,  t.  I,  p.  303.) 

'  Adest  Joannes  Borsalus  hujiis  collegii  contubenudis ,  conviclor  omnium  festivissimus.  Epist.. 
t.  I,  p.  382  (an.  1318).  Voy.  lettre  à  J.  ['.obyns,  26  mars  1318  {Epist.,  t.  Il ,  p.  1677)...  Refert  om- 
nium nostrum  lalem  virum  Lovanii  retineri,  quo  lumen  illius  lalius  luceat ,  de. 

*  Lettre  de  Dorpiiis  à  Érasme,  tijuillet  1318  (Epist.,  t.  I,  p.  ô3"2)  :  Borsalus  tuus ,  ccut  verius 
noster,  amicus  hatid  impurus  ,  sincerus,  candiilus ,  deseruit  nos,  designatus  decanm  Veriensis.  Voy. 
Epist.,  t.  I,  p.  462.  —  De  la  Rue,  Geletterd  Zeeland,  p.  313  (Middelbourg,  173-i,  in-i"). 

3  Dorpiiis,  loc.  cit.,  t.  I,  p.  3i2  :  Provincia  quam  coeperal,  lutine  doeendi,  mandata  est  Bar- 
lando. 

"  Exordia,  pp.  43-47.  —  Les  Mi'moires  de  Paqiiot  ne  contiennent  pas  de  notice  sur  Barland; 
l'article  de  Foppens  {Bibl.  Belg.,  p.  tO)  répète  l'article  fort  maigre  de  Valère  André  dans  sa  biblio- 
thèque, et  celui  du  Geletterd  Zeeland  de  P.  De  la  Rue,  pp.  266-268,  n'est  guère  plus  satisfaisant. 


140  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

points'.  Nous  traiterons  cette  vie  avec  quelque  détail,  parce  que  Barlanù 
représente  très-bien  cette  classe  d'humanistes  que  l'on  peut  regarder 
comme  la  pépinière  du  collège  des  Trois-Langues. 


1.   Hadkiakus   Barlaîsdus  ou   Ailriaen   van  Darlandt. 

(1318-19). 

Le  savant  du  nom  de  Hadrianus  Barlandus  naquit  le  28  octobre  1  487  '^ 
à  Barlandt  (Daiiamlia)  ,  bourg  de  Sud-Beveland,  près  de  la  petite  ville  de 
Goes  ou  Gousa  ,  au  milieu  des  îles  de  la  Zélande  :  le  nom  qu'il  a  conservé 
dans  l'histoire  est  tiré  de  celui  de  son  endroit  natal  "'^.  Il  faisait  ses  premières 
études  à  Gand,  sous  Pierre  Scotus,  quand  il  vit  les  fêtes  célébrées  en  celte 
ville  lors  de  la  naissance  et  du  baptême  de  Charles-Quint;  il  achevait  plus 
lard  son  cours  de  philosophie  à  Louvain,  quand  il  fut  témoin,  en  1505, 
de  la  réception  faite  par  l'Université  et  les  magistrats  à  Philippe  le  Beau, 
qui  allait  partir  pour  l'Espagne. 

Adrien  Barland  prit  à  vingt-quatre  ans  le  litre  de  maître  es  arts,  et  revint 
alors  à  l'étude  des  lettres  qu'il  aimait  depuis  son  enfance.  Quoiqu'il  ait 
regretté  les  années  qu'il  avait  données  à  la  philosophie,  et  qu'il  se  soit 
plaint  des  efforts  et  des  veilles  qu'il  avait  dû  s'imposer  pour  regagner  le 
temps  perdu,  il  fut  bientôt  à  même  de  former  le  goût  des  autres.  Pendant 
plus  de  neuf  années,  Barland  mérita  par  ses  leçons  la  faveur  de  nombreux 
auditeurs,  dont  la  plupart  avouèrent  en  avoir  tiré  beaucoup  de  profit  :  s'il 
n'avait  pas  de  titre  officiel  dans  l'Université ,  il  était  du  nombre  de  ceux  qui 
donnaient  des  leçons  privées  dans  les  principaux  collèges  *.  Il  n'avait  pas 

*   CeUe  épilre,  qui  esl  une  aulobiograpliie,  comme  on  dirait  aujourd'hui,  a  été  réimprimée  dans 
ie  recueil  des  Historica  Hadriuiii  Barland i ,  pul)lié  à  Cologne,  en  1603,  pp.  278-280. 

-  D'après  Paquet  {Fasti  Jcud.,  1. 1,  p.  480)  et  d'après  Bax  (fol.  1425),  Barlandus  se  serait  donné 
l'âge  de  ûj  ans  dans  un  acte  de  l'an  1520. 

On  a  déjà  plus  d'une  fois  modernisé  son  nom  sous  la  forme  de  Barland,  que  nous  adopterons 
dans  la  suite  de  cette  notice. 

'  Voy.  chapitre  V,  p.  131.  Voici  ce  que  dit  Barland  dans  l'épîlre  citée  (  Historica,  p.  74)  ;  In 
tnaximis  doccndi  kiboribus,  eliam  siilo  exercendo,  plurimum  temporis  imperlili  sumus. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  Ui 

reculé  devant  de  longs  exercices  pour  se  rendre  maître  des  règles  du  style, 
et  pour  diriger  les  jeunes  latinistes. 

Barland  eut  l'honneur  d'inaugurer  l'enseignement  du  latin,  comme 
professeur  de  la  fondation  de  Busleiden,  quand  les  premières  leçons  se 
firent,  le  1"  septembre  1518,  dans  un  local  du  couvent  des  Augustins.  II 
le  poursuivit  pendant  une  année  et  demie;  mais  alors  il  se  rendit  en  Angle- 
terre, en  qualité  de  gouverneur,  avec  Antoine,  seigneur  de  Grimberghe, 
fils  du  comte  de  Berghes.  Peu  de  temps  après,  il  fut  appelé  à  Affligera, 
pour  diriger  de  nouveau  les  études  de  Charles  de  Croy,  administrateur  de 
cette  abbaye,  qu'il  avait  initié  naguère  à  Louvain  aux  belles-lettres. 

Plus  tard ,  Barland  rentra  à  Louvain ,  et  eut  rang  dans  l'Université 
comme  professeur  d'éloquence  [rhelor  publiais),  succédant  à  Jean  Palu- 
danus ,  mort  en  février  1525.  C'est  dans  cette  charge  qu'il  passa  honora- 
blement les  années  de  sa  vieillesse,  et  qu'il  mourut  vers  l'an  1542. 

Adrien  Barland  était  un  des  hommes  qui  avaient  contribué  davanlage 
au  mouvement  littéraire,  dont  le  collège  de  Busleiden  allait  devenir  le 
centre;  il  avait  préparé  l'opinion  publique  par  des  leçons  et  aussi  par  des 
écrits;  et  il  eut  encore  le  privilège  de  donner  du  relief  à  la  chaire  publique 
d'éloquence  latine.  On  a  pu  dire  qu'il  avait  laissé  après  lui  plusieurs 
élèves  d'un  savoir  peu  ordinaire  et  sagement  appliqué  '. 

Barland  avait  mérité  de  bonne  heure  l'estime  d'Ërasme,  qui  s'est  plu  à 
louer  la  sincérité  de  son  caractère,  ainsi  que  la  pureté  et  l'agrément  de 
son  langage,  et  c'est  de  lui  qu'il  a  dit  quelque  part  ^  :  vit-  niillo  fiico,  sïncerus 
et  amicus,  prompta  quadam  ac  pura  nec  inamoena  sermonis  facilitate  praeditus. 

On  rencontre  la  matière  d'observations  fort  curieuses  dans  les  nom- 
breux opuscules  que  Barland  a  publiés  pour  servir  à  l'étude  de  l'art  ora- 
toire, et  à  celle  de  la  latinité  des  anciens  auteurs^.  Ils  témoignent  de  ses 

'  Valère  André,  Bibl.  Belg.,  édil.  \G'l'),  p.  103  :  Multos  rarae  et  caslae  eruditionis  discipidos 
habuit,  in  Iris  omnium  instar.  Corn.  Crocum  et  Gerardum  Moringum.  Le  premier  de  ces  deux 
homines,  liiinianiste  habile  et  apologiste  chrétien,  niourut  en  tooo  {Foppciis,  pp.  197-198);  le 
second  fui  latiniste  fort  correct,  connu  par  divers  écrits  moraux  et  religieux,  et  mourut  en  tbSG. 
(  Foppens,  p.  5387). 

-  Episl.,  t.  I,  p.  667  (an.  1521  ).  —  Seulement  Érasme  osa  le  blâmer  de  s'être  engagé  dans  une 
querelle  fort  vaine  avec  Goclenius.  Voy.  le  Mémoire  de  M.  Rottier,  pp.  111-1 12. 

'■•  Nous  renvoyons  une  liste  aussi  complète  que  possible  des  travaux  littéraires  d'Adrien  Barland , 


142  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

habitudes  laborieuses,  et  du  zèle  qu'il  a  déployé  pour  donner  un  aliment 
nouveau  à  l'activité  littéraire  de  ceux  qui  l'entouraient.  Pline,  Térence, 
Virgile,  Cicéron,  ont  été  tour  à  tour  l'objet  de  ses  soins  :  on  voit  qu'il  a 
voulu  habituer  ses  auditeurs  à  commenter  tous  les  passages  de  ces  auteurs 
et  d'autres  classiques,  avec  la  rigueur  grammaticale  qui  était  possible 
alors;  et  puis,  il  eut  le  bon  esprit  de  ne  pas  s'attacher  aveuglément  à 
un  seul  auteur,  Cicéron  par  exemple,  dont  l'imitation  était  la  plus  sédui- 
sante, et  sur  ce  point  de  critique,  il  suivit  fort  heureusement  la  manière 
et  les  avis  d'Erasme,  qui  d'ailleurs  a  loué  en  lui  «  le  naturel  et  la  faci- 
lité de  Tullius  *   ». 

Barland  a  travaillé  dans  le  goût  de  son  temps ,  quand  il  a  pris  la  peine 
de  faire  un  recueil  de  saillies  et  de  boas  mots  pris  dans  les  auteurs 
anciens  et  modernes  ;  avant  qu'on  eût  tiré  des  sources  la  suite  de  l'histoire 
ancienne,  on  la  servait  aux  lecteurs  latins  en  détail,  sous  la  forme  de 
traits  et  d'anecdotes;  ainsi  Barland  fit-il  des  extraits  de  Cicéron,  de  Quin- 
lilien  ,  de  Suétone,  de  Macrobe  et  surtout  de  Martial.  Mais  n'était-il  pas  au- 
torisé, en  ce  genre,  par  l'exemple  d'Érasme,  qui  avait  composé  avec  succès 
son  livre  d'Adages,  et  lui-même  n'avait-il  pas  payé  tribut  à  la  prodigieuse 
célébrité  de  ce  livre,   quand   il  en  publiait  dès  l'an   1508  un  abrégé? 

Adrien  Barland  avait  en  partage  les  qualités  du  style  qui  distinguent 
l'homme  de  goût,  et  il  possédait  en  outre  cette  érudition  variée  qui  était 
fort  prisée  de  son  temps,  et  qui  l'a  fait  appeler  «  un  arsenal  de  brillante 
littérature-  »  :  politioris  liltei'aturae  armarium. 

Nous  n'avons  point  à  juger  ici  les  œuvres  historiques  de  Barland  ;  mais 
nous  signalerons,  en  passant,  un  morceau  où  se  révèle  un  point  de  vue 


à  cause  de  sa  longueur,  aux  pièces  justificatives,  lettre  H.  Elle  est  tirée,  presque  entière,  d'une 
notice  préparée  par  Paquot  [Fasti  Acad.  Lov.,  t.  I,  p.  480),  sans  doute  en  vue  d'une  biog;raphie 
lie  Barland;  notre  polygraphe  y  a  fait  entrer  plusieurs  des  observations  utiles  du  P.  Nicéron  dans 
son  chapitre  relatif  à  Barland.  Mémoires  sur  les  hommes  illustres  de  la  république  des  letlres,  etc., 
t.  XLI,  pp.  245-253. 

'  Ciceronianus .  0pp.  Er.,  t.  I,  p.  1050.  Nannius,  Miscell.  2  :  Vir  sanè  accurntue  et  poiitae 
dictinnis. 

-  Geraidns  Noviomagus ,  Epi.st.  de  Zelamliae  situ.  —  Voy.  un  coup  d'oeil  général  sur  les  travaux 
lie  Barland  dans  le  Mémoire  de  M.  Rottier  sur  Érasme,  pp.  28-50. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  143 

historique  et  littéraire  à  la  fois ,  fort  rare  dans  les  élucubralions  savantes 
du  même  âge  :  c'est  l'opuscule  de  lileralis  urbis  Romae  principibus,  où  l'auteur 
traite  de  la  vie  de  quarante  empereurs  ,  qui  auraient  cultivé  les  lettres 
depuis  Jules-César  jusqu'à  Théodose. 

2.    CONRADUS    GOCLENIUS. 

(1519-1539.) 


Curritor  ad  voceiu  jucuadam.. 


Aucun  des  professeurs  de  Busleiden  ne  donna  autant  de  popularité  aux 
leçons  de  langues  qui  venaient  d'être  inaugurées  que  Conrad  Goclenius, 
qui  fut  promu  à  la  chaire  de  latin  en  1519;  la  jeunesse  de  Louvain  cou- 
rait à  ses  leçons ,  et  cet  empressement  que  lui  valaient  l'élégance  et  la 
pureté  de  sa  diction  latine  ne  se  démentit  pas  pendant  une  longue  suite 
d'années^  Il  répondit  pleinement  à  l'idée  que  l'on  avait  conçue  de  lui, 
quand  il  se  présentait  aux  suffrages  des  proviseurs  du  collège,  après  la 
retraite  de  Barland;  plus  qu'aucun  autre  de  ses  confrères  de  Louvain, 
il  eut  le  privilège  de  recevoir  d'Érasme  des  communications  littéraires  et 
des  confidences  d'amitié.  Conrad  Goclen  ou  Goclenius  était  né  à  Men- 
gerichausen  en  Westphalie,  sur  le  teiritoire  de  la  principauté  de  Wal- 
deck.  Il  se  fixa  à  Louvain  pour  se  vouer  aux  lettres,  qui  prenaient  un  essor 
toujours  plus  grand  en  Belgique;  cependant,  son  mérite  lui  valut  un 
canonicat  en  l'église  Notre-Dame  à  Anvers ,  sans  qu'il  dût  résider  en 
celte  ville  ^. 

Goclenius  venait  à  peine  de  prendre  ses  degrés  à  la  Faculté  des  Arts, 
quand  il  entra  en  concurrence  pour  la  chaire  de  latin  avec  Jacques 
Ceratinus,  jeune  homme  déjà  fort  vanté  et  très-instruit  dans   les   deux 


'  Jean  Heemstediiis  parlait ,  en  1530,  de  ce  grand  concours  d'auditeurs,  dans  un  passage  de  sa 
lettre  à  Érasme  ,  cité  ci-dessiis  au  chapitre  111.  [Epist.,  t.  II,  1 747). 

-  Voy.  sur  la  vie  de  Goclenius  Valère  André,  Exordia,  pp.  47-50  et  Fasti,  p.  279;  Foppens 
Bibl.  Belgica,  p.  189,  et  Bax,  fol.  1427.  Cfr.  Coupé,  Soirées  litlér.,  t.  XVI,  pp.  140,  172-73. 
Tome  XXVIII.  20 


144  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

langues  '.  Il  l'emporta  sur  celui-ci,  et  ouvrit  ses  leçons  le  1"  décembre 
1519.  L'autorité  de  son  enseignement  le  fit  recevoir  le  28  février  1524, 
dans  le  conseil  de  l'Université,  comme  représentant  de  la  Faculté  des  Arts. 
Il  avait  professé  pendant  vingt  années,  quand  il  succomba  à  un  mal  qui 
le  minait  depuis  longtemps,  le  25  janvier  1559.  Goclenius  eut  les  hon- 
neurs d'une  oraison  funèbre,  prononcée  par  P.  Nannius,  qui  devait  être 
son  successeur^,  et  il  fut  inhumé  dans  l'église  de  Saint-Pierre. 

Outre  l'épitaphe  qui  résumait  tous  les  litres  de  Goclenius^,  son  tombeau 
orné  d'un  portrait  porta  une  inscription  en  beaux  vers  latins,  qui  rappe- 
laient ses  précieuses  qualités,  et  qui  étaient  l'œuvre  de  son  ami,  Alardus 
d'Amsterdam.  Il  s'est  conservé  une  seconde  inscription  en  vers,  qui  appar- 
tient également  à  la  plume  d'Alardus^.  Nous  relevons  dans  la  première  quel- 
ques traits  qui  jettent  du  jour  sur  certaines  idées  et  opinions  de  l'époque. 

L'éloge  était  écrit  par  un  poète  respecté  d'ailleurs  comme  théologien , 
et  puisque  le  premier  fondement  de  cet  éloge  est  la  ressemblance  de  Go- 
clenius avec  Érasme,  pour  l'esprit  et  le  langage,  pour  le  caractère  et  la  foi , 
le  nom  d'Erasme  ne  devait  pas  être  un  nom  généralement  maudit  peu 
d'années  après  sa  mort  dans  la  cité  universitaire: 

Conradus  jacet  hic  Goclenius,  alter  Erasmus 
Ingenio,  lingua,  moribus,  atque  fide. 

Les  vers  suivants  exprimaient  les  regrets  des  littérateurs  de  la  perte 
de  celui  qui  avait  donné  un  si  grand  relief  à  l'école  de  Busleiden  : 

Hune  lugete  virum  Graecae  charilesque  Latinae, 
Et  decus  arnissurn,  Buslidiana  domus. 

'  Nous  verrons  Ceralinus,  qui  jouissait  de  la  faveur  d'Érasme,  se  présenter  un  peu  auparavant 
pour  la  chaire  de  grec. 

-  Pétri  Nannii  Funebris  Oratio  habita  pro  mortuo  Conrado  Goclmio.  Lovanii,  excudebat  Ser- 
vatius  Zassenus  [sic]  anno  M.  D.  XLII.  Vol.  petit  in-i" ,  8  feuillets.  —  A  cause  de  la  grande  rareté  de 
ce  morceau ,  nous  en  ferons  usage  plusieurs  fois  dans  cette  notice. 

3  Comme  on  y  lit  après  la  mention  du  collège  des  Trois-Langues  :  Latino  professori  famndis- 
simo  ac  conservatori  optinw,  on  serait  tenté  d'augurer  de  ces  derniers  mots  que  Goclenius  prit  les 
fonctions  de  président,  en  lo.57  et  1.558,  avant  la  nomination  de  J.  Edellieere  à  la  présidence. 

*  Nous  ne  rapporterons  point  en  entier  le  texte  de  ces  pièces,  dont  les  deux  premières  ont  été 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAir^.  14S 

Mais  l'hyperbole  poétique  entraîne  l'auteur  de  ces  vers,  quand  il  parle 
des  milliers  d'hommes  de  toute  nation  attirés  par  Goclenius  à  Louvain  : 

JUe  scholarum  auxit  pomoeria  lata  Lovant 
Traxil  eu  oinnigemini  miUia  mulla  virûm. 

Un  de  nos  poètes,  Nicolas  Nicolaïus,  dit  Grudius,  a  encore  dépassé 
ce  trait  hyperbolique  au  livre  II  de  ses  poëmes  funèbres  [Fttnera)  ;  il  le 
proclame  (p.  25)  nullls  valibiis  inferior,  et  il  le  fait  ailleurs  (p.  158)  l'égal 
de  Gicéron,  qui  a  transporté  la  Rome  antique  dans  nos  contrées  : 

Goclenie,  ingenti  nil  Cicérone  minor, 
Qui  iiostras  Urbem  iransvexsH  nuper  in  oras, 
Quam  Tros  cum  socio  slruxil  Aborigène. 

La  pompe  de  telles  Ogures  ou  comparaisons  n'est  certainement  pas  né- 
cessaire pour  établir  la  renommée  solide,  mais  modeste,  de  Goclenius, 
due  à  sa  profonde  connaissance  de  la  latinité  classique.  Goclenius  n'a  pas 
beaucoup  écrit;  mais  il  a  montré,  par  quelques-uns  de  ses  travaux,  ce 
dont  il  était  capable,  si  l'enseignement  lui  eût  laissé  plus  de  loisir  et  de 
repos.  Praeler  liaec  niliil  scripsit,  nec  edidil ,  dit  Nannius,  sed  tamen  abunde 
spécimen  sui  dédit,  quid  in  utroque  scribendi  génère  valerel. 

On  attribue  à  Goclenius  :  1°  des  Notas  perbreves  in  officia  Ciceronis,  notes 
qui  furent  en  partie  mêlées  à  celles  d'Érasme,  en  partie  rejetées  à  la 
marge  ';  2"  une  révision  des  œuvres  de  Lucain;  5°  la  traduction  latine 
de  VIfcrmotime  de  Lucien,  dialogue  sur  les  sectes  des  philosophes  -.  C'est 
ce  travail,  la  principale  publication  de  Goclenius,  qu'il  dédia  à  Thomas 
Morus  dans  une  longue  et  savante  préface  :  ce  digne  hommage  lui  valut 
en  retour,  de  la  part  de  ce  juge  insigne,  un  vase  doré  rempli  de  pièces  d'or 

impi-iniéesdans  les  JS'xorrfm,  pp.  49-50  et  dans  la  Bibllolheca  Belg.,  p.  189.  La  troisième  figure  dans 
les  Exordia,  p.  50,  et  dans  les  Monum.sepulchr.  Brabantiae  de  François  Sweertius,  p.  20;  elle  vante 
l'hiibiicté  de  Goclenius  dans  la  po6li(|ue,  la  rhétori(pie,  l'astronomie,  l'histoire  sacrée  et  profane. 

'   Dans  une  édition  de  ce  traité,  Basileae,  1320,  in-4°.  —  Voir  plus  loin,  cl).  IX. 

=*  Luciani  Samosatensis  Hermolimus ,  sive  de  sectis  phihsophorum ,  Conrado  Godenio  inter- 
prète, vol.  in-4°,  52  fetiillets.  Lov.,  ap.  Theod.  Martinum,  an.  .M.  D.  XXK.  —  La  dédicacées!  datée 
du  collège  (les  Trois-Langues,  le  29  octobre  1522.  Voy.  van  Iseghem,  Biogr.  de  Tli.  Marlens, 
n"  181  ,  p.  324. 


146  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

anglaises  ^  En  outre,  on  conservait  encore,  au  XVII*  siècle,  des  explications 
recueillies  dans  les  leçons  de  Goclenius  sur  quelques  discours  et  traités  de 
Cicéron,  et  dont  le  manuscrit  avait  passé  entre  les  mains  de  Valère  André  ". 
Une  foule  d'auditeurs  entoura  toujours  la  chaire  de  Goclenius,  et  ce 
maître  eut,  au  témoignage  de  son  panégyriste^,  l'art  de  ne  jamais  les 
fatiguer  malgré  la  fréquence  et  la  longueur  des  leçons.  Il  professa  long- 
temps avec  fruit  comme  avec  éclat,  et  non-seulement  il  fut  l'objet  d'un 
profond  respect  de  la  part  de  ses  disciples,  mais  encore  il  se  concilia  l'af- 
fection d'hommes  éminents.  Érasme  lui  fut  sincèrement  attaché;  il  lui 
donna  des  gages  de  son  amitié  et  de  sa  confiance,  en  le  consultant  sur  la 
marche  des  affaires  qui  le  concernaient  lui-même,  en  le  chargeant  du  soin 
de  ses  intérêts,  en  le  mettant  au  courant  de  ses  propres  projets,  et  même 
en  lui  confiant  d'avance  ses  dernières  volontés  *.  C'est  à  Goclenius  qu'il 
légua  son  gobelet  d'argent,  sur  le  bord  duquel  était  gravée  l'image  de  la 
fortune.  Érasme  considérait  Goclenius  comme  un  des  principaux  soutiens 
du  collège  des  Trois-Langues,  et  il  le  louait  de  la  persévérance  avec  la- 
quelle il  accomplissait  sa  tâche.  Ce  n'est  pas  en  vain  qu'il  lui  conseillait 
d'avoir  assez  de  force  d'âme,  pour  ne  point  perdre  de  temps  à  répondre 
aux  écrits  et  aux  imprécations  du  dehors,  mais  de  concourir  sans  cesse 
au  progrès  des  bonnes  études  ''  :  on  vit,  en  effet,  à  tous  les  instants, 
Goclenius  unir  dans  sa  conduite  le  zèle  à  la  prudence.  Mais  Érasme  avait 

'  C'est  ce  que  nous  rapporte  Nanniiis  dans  l'oraison  funèbre  de  Goclenius  :  Quod  opus  a  Thoma 
Moro  cui  dedicaliim  voluit,  lanti  aestimatum  est,  u(  euin  in  aurato  poculo  aureis  Ancjlicis  pleno 
remuneralus  sil,  existimam  auream  viri  eloquenliam  optimo  auro  et  copiosissimo  repensandam. 

2  Explanalionis  in  Milonianam  et  Manilianam  Ciceronis,  in  Paradoxa  et  Somnium  Scipionix 
ejusdem.  (Exordia,  p.  487.) 

'  Maximae  reverentiae  inler  discipulos  fuit.  Retinuit  suam  majestatem  semper  integram,  ac  vires- 
cenlevi,  nec  assiduitate  satiavil  nec  diulvrnilale  auditorem  lassavit.  Nec  viginli  ejus  anni  quasi 
senio  supcr-veiiiente ,  quicquid  de  flore  jiwentutis  amiserunl.  (Orat.  fun.) 

*  Voy.  la  vie  d'Érasme  par  de  Burigny,  t.  II,  pp.  419,  421-422,  et  le  mémoire  de  M.  Roltier, 
p.  113.  Nannius  dit  dans  son  discours  :  Illuin  inter  arctissimae  familiariialis  amicos  habuit. 
Quod....  et  in  vila  et  in  morte  iestatus  est,  etc. 

3  Epist.,  t.  I ,  p.  369.  Bruges,  12  août  1520  :  Te  amo  te  qui  tam  gnaviter  rem  géras  in  profes- 
sione  lingnae  Lalinae....  Tu  quod  temporis  eras  perdilurits,  anl  certe  inale  coUocalurus  rixando  cum 
malis  rabulis,  hoc  bonis  sludiis  juvandis  impende.  —  Le  conseil  de  Brabant  ne  prit  pas  attention  à 
des  plaintes  qui  lui  furent  faites  vers  1536  sur  les  opinions  de  Goclenius  {Epist.  p.  1520). 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  147 

aussi  une  haute  opinion  du  savoir  de  ce  professeur  dans  la  plupart  dos 
sciences  alors  enseignées,  comme  de  son  mérite  d'écrivain;  il  le  donnait 
à  ses  plus  illustres  amis,  Th.  Morus,  A.  Uesendius,  Florent  Iselslein  , 
comme  versé  dans  les  deux  langues,  et  leur  vantait  son  habileté  à  écrire 
soit  en  prose,  soit  en  vers.  Dans  ses  poésies  latines,  il  savait  allier  à  une 
grâce  toute  particulière  beaucoup  de  clarté  et  de  douceur.  Il  se  soutenait 
dans  sa  prose,  et  toutefois  il  y  était  si  diflerent  de  lui-même,  qu'en  la 
lisant,  on  aurait  cru  son  auteur  tout  à  fait  étranger  à  la  poésie. 

L'affection  d'Érasme  pour  Goclenius  était  fondée  sur  l'estime  qu'il  fai- 
sait des  qualités  solides  de  son  esprit;  il  s'en  rapportait  si  volontiers  à  ses 
avis,  que  bien  souvent  il  ne  demandait  plus  d'autres  raisons  pour  être 
convaincu.  «  Le  jugement  de  Conrad  Goclenius,  écrivait-il  en  1521  '. 
est  pénétrant,  son  savoir  peu  ordinaire,  son  zèle  infatigable,  son  esprit 
élevé,  ses  manières  pleines  d'urbanité,  sa  parole  très-certaine,  et  il  a  de 
plus  cette  expérience  dans  les  choses  de  la  vie  qui  manque  à  peu  près 
d'ordinaire  aux  hommes  voués  à  l'étude.  »  Ainsi  arrivait-il,  comme  Érasme 
s'exprime  ailleurs,  que  «  Goclenius  faisait  trouver  grâce  aux  lettres  qu'il 
enseignait  auprès  de  ceux  qui  les  avaient  prises  auparavant  en  aversion.  » 

En  toute  circonstance  Goclenius  montra  son  attachement  à  Érasme; 
non-seulement  il  ne  s'écarta  pas  de  sa  méthode  et  de  ses  opinions  en 
commentant  Cicéron,  en  prenant  ses  écrits  comme  fondement  des  études 
de  philologie  latine  2,  mais  encore  il  lui  prêta  son  aide  pour  divers  travaux 
et  principalement  pour  perfectionner  la  collection  des  Adages  5;  enfin,  il 
composa  en  distiques  un  poëme  où  il  récapitulait  toutes  les  œuvres  de 
l'illustre  écrivain  *. 

'  Epist.,  1. 1,  p.  667,  ad  Bern.  Biiclioneni  :  Est  Conradm  Goclenius,  vir  acri  judicio,  doclrina 
minime  Iriviali,  induslria  indefatigabili ,  animo  excelso,  moribus  mira  comitale  ac  jucunditale 
conduis,  ftde  cerlissima ,  rerum  etiam  communium  prudentia  valens  quae  fere  solet  in  sludiorum 
cultorihus  desidcrari. 

"'  Voy.  Uotlier,  mém.citt',  pp.  1 12-115,  et  les  beaux  vers  de  Resendius  à  Goclenius.  (FasH,  p.  401). 

'"  M.  Adam ,  Yilae  philos.  Germ.,  p.  81.  —  De  Biirigny ,  t.  H,  p.  367. 

'  Complexus  est  quoque  carminé  plerosque  libros  Er'asmi.  Orat.  fun.  —  Ce  morceau  est  connu 
sous  le  titre  de  :  Elenchus  elucubraliomim  Desiderii  Erasmi  versu  elegiaco;  il  parut,  en  1319,  dan.- 
un  recueil  latin  publié  par  Th.  Martens,  à  Louvain.  (Voy.  Biographie,  n"  147,  p.  302.) 


148  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

Érasme  avait  pardonné  à  son  ami  d'écrire  si  peu,  parce  qu'il  enseignait 
si  bien;  cependant  il  lui  était  échappé  un  mot  fort  piquant  sur  la  santé 
trop  floi'issante  de  Goclenius ,  qui  savait  se  soustraire  à  la  peine  d'écrire  '. 
Ce  mot  a  été  relevé  par  Nannius  qui ,  dans  l'oraison  funèbre  de  ce  profes- 
seur, a  insisté  tout  particulièrement  sur  le  dévouement  de  Goclenius  à  la 
mission  d'enseigner.  Il  est  dans  ce  passage  quelques  données,  mêlées  il 
est  vrai  à  des  exemples  accumulés  outre  mesure  et  à  des  lieux  communs, 
mais  si  importantes  pour  la  connaissance  de  la  direction  des  classes  au 
siècle  d'Erasme ,  que  nous  ne  balançons  pas  à  les  analyser  ici. 

Nannius  s'attache  à  prouver  que  Goclenius  ne  mérite  pas  moins  de 
louanges,  quoiqu'il  n'ait  pas  beaucoup  écrit,  et  à  l'aide  de  plusieurs  com- 
paraisons plus  ou  moins  heureuses^,  il  veut  soutenir  que,  «  pour  apprécier 
à  sa  juste  valeur  l'érudition  de  quelqu'un  ,  il  faut  considérer  non  pas  tant 
ce  qu'il  a  écrit  que  ce  qu'il  aurait  pu  écrire.  »  Ce  n'est  point  par  paresse 
ou  par  indifférence  que  Goclenius  a  privé  la  postérité  du  fruit  de  ses 
veilles  :  on  ne  peut  en  accuser  un  homme  qui  a  consacré  sa  vie  tout 
entière  à  l'enseignement  de  la  jeunesse,  et,  par  excès  de  travail,  a  abrégé 
une  destinée  qui  eût  été  longue  peut-être.  Nannius  rapporte  les  propres 
paroles  qu'a  proférées  Goclenius  sur  son  lit  de  souflVance,  en  témoignage 
de  l'abnégation  qu'il  avait  portée  dans  ses  études  :  »  En  qiiem  finem  Imbenl 
nostra  sludia  ?  Canescimus  ante  senectutem  ,  morimur  anle  fata  noslra  :  dum 
publicae  juventnti  consutimiis  ,  maie  considimus  vilae  nostroe.  Sed  bene  impensum 
est,  quiccjuid  sludiosis  impenditiir.  En  se  croyant  le  droit  de  donner  cette  dé- 
claration comme  un  des  derniers  signes  de  l'intelligence  du  mourant , 
Nannius  proteste  que  Goclenius  n'a  pu  encourir  un  reproche  sérieux  pour 
avoir  dépensé  aux  travaux  continuels  de  l'enseignement  les  forces  qu'il  eût 
pu  employer  à  la  composition  de  livres  savants.  Puis,  il  paye  un  tribut  à 

'  Erasmi...  verbumest,  Conradi  ingenium  quodvis  poluisse ,  sed  maluisse  ips}iiii  se  obesuliiiii 
quam  izo'k-jy fi-^av ,  esse.  (Or.  fun.). 

^  Voici  un  spécimen  de  sa  démonslration  :  Ingeiiii  tandem  tant  ex  paucis  quam  ex  mullis  spcc- 
tari  passe ,  nec  ut  cognoscas  frumenlum  ,  opus  esse  insiieclis  omnibus  granis;  nec  ut  vinum  probes , 
tolos  endos  deguslandos  esse  :  nec  ut  viri  pectus  agnoscas  multa  voiumina  ad  id  rcquiri  :  facile  ex 
nnguibus  leo,  facile  ex  solo  vestigio  grandilas  Herculis  inlelHgilur...  Cum  virtutem  eruditionis 
alicujus  meliri  velis  ,  non  lam  considerandum  est  quid  scripseril,  quam  quid  scrihere  potueril. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  149 

la  mémoire  de  Goclenius  en  énuméraiil  tant  d'écrivains  de  génie  qui  sont 
morts  à  la  fleur  de  l'âge,  et  en  rappelant  la  mission  féconde  pour  l'avenir 
qu'il  a  remplie  auprès  de  la  jeunesse.  Avant  de  finir,  Nannius  demande 
comment  honorer  le  nom  de  cet  homme  dévoué,  et  sa  péroraison  est 
pleine  d'une  éloquence  vraiment  pathétique,  qui  repose  sur  l'élévation  des 
idées  *  :  Quid  nobis  faciendum ,  quaeso ,  despicite.  ^^on  enim  statuarum  lionor 
amplius  in  usu  est,  nec  mérita  sepulcris  distingiiuntur ,  nec  divinitas  sive  àmBé^aïc, 
chrislianorum  judiciis  mortali  (sic)  assignaiitr ,  quibus  beneficiis  mortiii  (jraliam 
demcrebimur?  Omnia  prisca  honorandi  mimia  praesens  consuctudo  abokvil;  unum 

qitiddam   restât,   sed  quod  restai,  amptissimum    est Reponamus  hominem 

divinum ,  in  divinissima  liominis  parte ,  in  mente  scilicel  nostra ,  ibi  figaltir  non 
statua  muta ,  sed  idœa  eloquens  :  concionelur  in  memoria  nostra  solita  sua  elo- 
quenlia' :  quicquid  unquam  dixit,  scripsit,  perpétua  recordatione  nobiscum  retrac- 
temus,  Merentur  hoc  amplissimi  viri  dotes  imiumerae,  qiiem  natura  acutissimo 
ingenio  instruxit ,  fortuna  prosperitate  beavit ,  eruditissimi  viri  coluerunt ,  poten- 
tissimi  maximis  miineribus  exornarunt,  quem  sua  mérita  nobis  venerabilem  faciunt , 
libri  ab  oblivione  vendicant,  virtutes  Deo  superisque  commendant.  Dixi.  » 

3.   Petuus  Nannius  [Pierre  JSanninck). 

(1SÔ9-1537.) 

Le  digne  successeur  de  Goclenius,  que  nous  venons  de  prendre  comme 
son  principal  biographe,  a  déjà  trouvé  des  historiens  diligents,  qui  ont 
résumé  sa  vie,  indiqué  ses  relations  littéraires,  et  passé  en  revue  ses  écrits 
fort  nombreux,  appartenant  pour  la  plupart  aux  deux  littératures  grecque 
et  latine.  Certes,  l'enseignement  et  les  travaux  de  Nannius  méritent  encore 
des  recherches  approfondies  après  celles  de  Valère  André,  de  Nicéron 
et  de  Paquot  ^^  mais  s'il  mérite  d'obtenir  un  jour  d'un  humaniste  une 

'  On  verra,  dans  ces  courts  extraits,  quelle  grandeur  et  quel  charme  a  pu  atteindre  l'orateur 
latin  toutes  les  fois  qu'il  a  su  échapper  à  la  déclamation  et  au  lieu  commun. 

2  La  facilité  d'improvisation  qui,  suivant  Cicéron  et  Quintilien,  atteste  la  puissance  du  génie 
oratoire,  rehaussa  le  talent  de  Goclenius,  et  on  en  avait  conservé  à  Louvain  un  vif  souvenir  quand 
J.  Lœzius  y  faisait  ses  leçons  sur  Cicéron  (pro  Arcliia,  édit.  de  1560,  fol.  41  ). 

■>  Exordia,  pp.  50-55.  DM.  Belg.,  édit.  10^23 ,  pp.  069-67 1  ;  édit.  Foppens,  pp.  994-996.  —  Ni- 
céron ,  Mémoires,  t.  XXVIl ,  pp.  25-33.  —  Paquot,  Mémoires,  t.  lll,  pp.  123-128. 


150  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

monographie  littéraire  complète,  nous  sommes  forcé  de  nous  borner  ici 
aux  seules  particularités  qui  intéressent  l'histoire  de  la  philologie  an- 
cienne. 

Pierre  Nanninck,  nommé  Pelrus  Nannius  dans  le  monde  des  lettres, 
naquit  en  1500  à  Alkmaar,  ville  maritime  du  nord  de  la  Hollande.  Il  vint 
faire  à  Louvain  son  cours  de  philosophie,  et  prit  ensuite  dans  sa  patrie  la 
direction  d'un  collège  pendant  plusieurs  années.  Revenu  vers  1555  à 
Louvain,  Nannius  donna  un  enseignement  privé  à  des  jeunes  gens  nobles 
dans  le  collège  de  Saint-Jérôme  ^  et  il  se  fit  connaître  par  ses  premières 
traductions  du  grec  en  latin.  Jugé,  à  l'unanimité,  le  plus  digne  de  succéder 
à  Goclenius,  il  prit  possession  de  la  chaire  de  latin,  au  collège  de  Buslei- 
den ,  le  l'^'^  février  1539,  par  un  discours  sur  l'art  poétique  d'Horace. 

La  carrière  de  Nannius,  remplie  par  les  devoirs  de  l'enseignement  et 
par  la  publication  de  nombreux  travaux,  fut  trop  tôt  brisée  :  son  tempé- 
lament  naturellement  sain  et  vigoureux  ne  put  résister  aux  fatigues  de 
l'étude:  il  avait  professé  dix-huit  ans,  quand,  le  21  juillet  1557,  il  suc- 
comba à  une  fièvre  opiniâtre,  âgé  de  cinquante-sept  ans  seulement.  Cor- 
nélius Valerius,  qu'il  avait  désigné  comme  son  successeur,  prononça  son 
oraison  funèbi'e ,  qui,  selon  toute  apparence,  ne  fut  pas  imprimée.  Une 
épitaphe  gravée  sur  marbre  noir  fut  placée  près  de  la  sépulture  de  Nan- 
nius, en  face  de  l'autel  de  Saint-Pierre,  dans  la  collégiale  de  Louvain  ^, 
aux  frais  d'un  de  ses  élèves,  Sigismond  Frédéric  Fugger,  baron  et  seigneur 
de  Kirchberg  et  Viane,  qui  lui  rendit  cet  hommage  sur  la  recommanda- 
lion  de  ses  parents. 

P.  Nannius,  qui  avait  reçu  les  ordres,  fut  pourvu  d'un  canonicat  de  la 

<  Ex  coUegio  divi  Hieronymi  ad  Leidam.  Dédicace  à  N.  Olahus  de  sa  déclamation  sur  les  Turcs, 
en  1536.  — Le  collège,  situé  près  du  quai  de  Leyde,  a  cessé  d'exister  depuis  longtemps.  (Paqnot.) 

-  L'inscription  rappelait  la  mémoire  de  Nannius  avec  une  simplicité  pleine  de  grandeur;  nous 
n'en  citerons  que  ces  mots  :  Firo  doclisshno  [itéras  hwnaniores  in  celeberrimo  collegio  Buslidiano 
XVIII  annos  professa.  Ils  disent  plus,  en  effet,  que  les  vers  élégiaques  de  l'ami  de  Nannius,  le  carme 
.Vdrien  Hecquet  (voy.  Exordia,  pp.  52-S5) ,  et  que  le  jeu  d'esprit  d'André  Scliott,  dans  ses  vers 
lieslinés  au  portrait  des  Elogia  de  Miraeus  :  llaud  Nainim  vocilet,  sed  ô  Giganlcm!  Le  texte  de 
l'inscription  a  été  donné  par  Paquot  avec  plus  de  correction  que  par  les  polygraphes  antérieurs, 
tels  que  Fr.  Sweertius,  A.  Miraeus  et  Foppens,  sauf  que  la  date  de  la  mort  de  Nannius  est  lixée  par 
lîrreur  au  21  juin  1557,  au  lieu  du  21  ou  du  51  juillet  que  donnent  les  autres  auteurs. 


DES  TROIS -LANGUES  A  LOUVAIN.         IM 

cathédrale  d'Arras  ',  par  Antoine  Perrenot  de  Granvelle,  évêque  de  cette 
ville:  ce  prélat,  à  qui  Nannius  dédia,  le  22  août  1555,  sa  traduction 
de  saint  Athanase,  le  gratifia  d'une  pension  annuelle  sur  sa  propre  cas- 
sette. 

Nannius  eut  les  relations  les  plus  honorables  avec  des  personnages  dis- 
tingués de  nos  provinces  et  de  l'étranger,  tels  que  Nicolas  Èverard,  pré- 
sident du  grand  conseil  de  Malines,  ainsi  que  les  deux  fils  d'Éverard,  Jean 
et  Nicolas,  poètes  célèbres,  Paul  Léopard,  Corneille  Musius,  Nicolas 
Olahus,  conseiller  du  roi  Ferdinand,  Jacques  Fieschi  de  Gênes,  qui  fut 
plus  tard  évêque  de  Savone,  etc.  Quand,  en  1542,  il  accompagna  en  Italie 
ce  dernier,  qui  avait  été  son  élève  à  Louvain,  il  fut  remplacé  dans  sa 
charge  par  son  ami  Justus  Velsius  ou  NVelseus  ^,  hollandais  comme  lui. 

Nannius  était  doué  d'un  esprit  poli  et  séduisant,  souple  et  capable 
d'initiative,  rehaussé  par  une  grande  douceur  et  une  grande  gaieté  de 
caractère  ^.  Il  était  également  habile  dans  les  deux  langues,  et  il  avait 
une  connaissance  profonde  des  auteurs  sacrés  et  profanes.  Il  n'est  pas 
douteux  que  Nannius  n'ait  atteint  un  haut  mérite  dans  le  maniement  du 
latin,  si  même  il  n'est  point  parvenu  à  la  perfection  qu'on  admirait  dans 
l'élocution  de  Goclenius.  Adrien  Junius,  qui  le  met  au-dessous  de  ce  der- 
nier '*,  ne  peut  disconvenir  qu'il  ne  se  soit  fait  un  nom  mémorable  par  l'étude 
de  l'éloquence;  il  n'est  pas  improbable  que  les  succès  de  Nannius  n'aient 
excité  une  jalousie  que  sa  persévérance  au  travail  n'a  pu  vaincre;  mais 
nous  ne  voyons  pas  bien  en  quoi  il  aurait  été  coupable,  comme  l'insinue 
Junius,  de  s'être  posé,  même  avec  des  forces  inégales,  le  rival  et  l'imitateur 
de  son  prédécesseur  Goclenius.  Comment  ne  pas  ajouter  foi  au  suffrage 
de  Juste  Lipse,  qui  rapporte  à  P.  Nannius  le  fort  grand  honneur  d'avoir 

'   Par  privilège  académique,  suivant  la  Bibliotheca  Belgica  de  Foppens,  p.  994. 

2  Velsius  proclamé  docteur  à  Louvain  en  loil ,  professa  plus  tard,  à  Cologne,  le  grec  et  le  latin. 
{Foppem,  p.  789.)  Il  lut  au  collège  des  Trois-Langues,  en  mars  1542,  les  Quaestiones  acadevticae  de 
Cicéron,  comme  l'apprend  une  dédicace  à  J.  Fieschi,  mise  en  tête  de  l'édition  de  ce  traité,  sortie 
des  presses  de  Sassenus.  Voy.  Exordia,  p.  51. 

^  Voir  les  Exordia  de  Valère  André,  /.  c,  et  les  Elocjia  de  Miraeus.  Ce  dernier  l'appelle  vir 
comis  et  hlandi  iiujenii. 

^  Dans  un  passage  de  sa  Batavia  (édit.  1652),  cité  textuellement  par  Paquet ,  1. 111,  p.  124,  note. 

XXVlfl.  21 


1S2  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

excité  une  généreuse  ardeur  pour  les  lettres  dans  Técole  de  Louvain  '?  Le 
talent  de  Nannius  s'est  révélé  dans  les  nombreuses  traductions  qu'il  fit 
du  grec  en  latin,  et  c'est  là  une  tâche  qui  était  de  la  plus  haute  utilité  à 
son  époque,  comme  nous  l'établirons  plus  loin.  C'est  aussi  cette  tâche  qui 
lui  a  valu  une  longue  célébrité,  puisque  ses  versions  ont  été  réimprimées 
presque  sans  exception  à  Paris  ou  à  Bâle,  peu  après  les  premières  éditions 
imprimées  à  Louvain.  Le  savant  Iluet  a  parlé  de  lui  en  de  bons  termes 
dans  son  traité  de  Inlerprclatione  ~  :  «  Locum  eliam  suum  in  interpretilms  tnctur 
Petrus  Nannius,  fidiis  scntenliarum  explicator,  à'j-c^uk  ilhtd  miré  in  se  expressil. 

En  se  tournant  vers  la  littérature  grecque,  Nannius  a  payé  largement 
son  tribut  aux  Pères  de  l'Église  grecque,  et  il  l'a  fait  avec  un  succès 
marqué.  S'il  faut  en  croire  Junius,  il  mourut  quand  il  songeait  à  quitter 
sa  charge  publique  pour  s'occuper  uniquement  de  littérature  sacrée,  dans 
les  loisirs  que  la  possession  d'un  canonicat  lui  avait  créés.  Au  milieu  de 
ses  travaux  d'infatigable  commentateur,  Nannius  n'avait  pas  non  plus 
perdu  de  vue  les  livres  de  l'Écriture  sainte;  on  lui  doit  des  scolies  accom- 
pagnant une  édition  de  la  Sagesse  de  Salomon  ^,  et  une  paraphrase  du  Can- 
tiqne  des  cantiques  qui  réunit  le  sens  allégorique  au  sens  littéral,  et  qui  est 
accompagnée  de  scolies  comparant  les  différentes  versions  *. 

Puisqu'il  ne  peut  entrer  dans  le  plan  de  ce  mémoire  de  produire  une 
complète  énumération  des  œuvres  d'un  auteur  aussi  fécond,  nous  pré- 
senterons seulement  un  tableau  sommaire  des  écrits  de  Nannius,  distri- 
bués en  quatre  groupes,  comme  l'avait  essayé  Valère  André  dans  son  his- 
toire du  collège  ^. 

I.  Une  classe  nombreuse  d'ouvrages  de  Nannius  est  formée  par  ses 

'  Episl.  sclecl.  Miscell.  centuria  III ,  ep.  87  (édit.  de  1605,  p.  92)  :  ...  Petro  Nannio  qui  primus 
hotieslum  ibi  igncm  accenderat...  » 

*  Au  second  livre  intitulé  :  de  claris  interprelibus  (édit.  ait.  Hagae  Com.,  1683),  p.  23_l. 

•'  Sapientia  Salom.  Basileae,  1552,  in-4".  — Paqiiot,  Bibliogr.,  n"  23. 

■*  In  Canlica  Canlicorum  paraphrases  et  sclioliu.  Lovanii,  13.^4,  in-4°,  pp.  H  I  (Paquot,  n^ST). 

^'  Cette  classification,  tentée  dans,  \es  Exordia,  p.  52-5-4,  n'a  point  passé  dans  la  Bibliolheca 
betyica  du  niénie  auteur,  ni  dans  celle  de  Foppens.  Paquot  a  décrit  trente-neuf  ouvrages  deNannius, 
mais  sans  autre  ordre  que  Tordre  chronologi(|ue  des  éditions;  une  bibliographie  complète  serait 
fondée  utilement  sur  les  bulletins  détachés,  que  comprend  cette  notice  de  Paquot. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  f"55 

travaux  de  philologie,  qui  donnent  une  idée  de  sa  manière  de  commenter 
les  auteurs  :  on  y  comprendrait,  par  exemple,  dix  livres  de  mélanges 
[Miscellaneorum  sive  Iv^iilv.xtùv  decas  îina)  où  il  relevait  et  corrigeait  les  fautes 
restées  dans  le  texte  imprimé  de  plusieurs  auteurs,  et  où  il  expliquait  des 
sentences  et  des  passages  obscurs  ^  ;  puis  des  annotations  ou  corrections 
sur  deux  Veirines  de  Cicéron;  des  corrections  sur  le  III™°  livre  de  la  T'  dé- 
cade de  Tile-Live;  un  commentaire  sur  les  Géorgiques  de  Virgile,  un  autre 
sur  les  Bucoliques;  des  remarques  détachées  sur  le  IV"""  livre  de  Y  Enéide, 
et  un  commentaire  sur  \Arl  poétique  d'Horace,  qui  vit  le  jour  un  demi- 
siècle  apiès  la  mort  de  Nannius,  à  la  suite  du  texte  de  ce  poêle  ;  commenté 
par  Laevinus  Torrentius  ^.  Ensuite  on  ne  peut  oublier  ce  qu'a  fait  Nannius 
pour  la  grammaire  latine,  en  corrigeant  le  texte  des  trois  livres  de  Rhé- 
torique de  Consultus  Curius  Fortunatianus  ^,  grammairien  du  111""=  siècle. 
II.  Les  discours  de  Nannius  forment  une  classe  à  part  :  c'est  dans  ces 
pièces  de  circonstance,  portant  le  nom  à'oraliones  ou  de  declamaliones ,  qu'il 
avait  le  champ  libre  pour  exposer  ses  idées,  et  c'est  là  aussi  qu'il  a  donné 
la  mesure  de  sa  latinité.  Trois  fois,  dit-on,  Nannius  fut  chargé  de  compli- 
menter l'empereur  Charles-Quint  sur  son  heureuse  arrivée  dans  le  Bra- 
bant  '.  En  1556,  il  répandit  dans  le  public  une  déclamation  sur  la  néces- 
sité de  faire  la  guerre  aux  Turcs"*  :  on  sait  que  c'était  le  lieu  commun 
repris  en  ce  siècle  par  tous  les  écrivains,  Sadolet,  Érasme,  Vives,  etc. 
En  1545,  il  adressa  à  l'Université  un  discours  sur  le  siège  de  Louvain 
par  Martin  van  Rossem,  qui  avait  eu  lieu  l'année  précédente.  Nannius 
restait  bien  mieux  dans  sa  sphère,  quand  il  discourait  sur  les  avantages 
de  l'éloquence,  de  l'histoire  et  de  l'agriculture  ^,  avant  d'expliquer  à  ses 
auditeurs  VOratew  de  Cicéron,  des  morceaux  de  Tite-Live  et  les  Géorgiques 

'  Lov.,  Serv.  Sassen,  1548,  pp.  3'21,  in  8".  —  Réimp.  au  Thesmirus  crit.  de  Gruter. 

■'  Antverp.,  1608,  gr.  in-4",  pp.  767-839. 

■'  Rhetoricorum  lib.  JJI casUyaliores  redditi.  Lovanii,  Mart.  Rotarius,  15S0,  in-12.  Paquot,  ii°24. 

■'  On  a  publié  ses  discours  prononcés  en  1340  et  en  1543.  Voy.  la  Bibiiogr.  de  PaquoI,  n°'  7  el  13. 

■'  De  bello  Tiircis  inferendo.  Lovan.,  IS56,  in-16, 161 1 ,  J.  Masius,  in-4'';  puis  dans  des  recueils 
de  pièces  semblables,  tels  que  celui  de  Reusner  (Paqiiot,  n"  2). 

<^  Oraiioïies  très.  Lovanii  ex  olficina  Rutgeri  Rescii.  An.  MDXLI.  Men.  Decenib.,  vol.  petit 
in-4°,  21  feuillets.—  Paquot,  n»  G. 


154  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

de  Virgile,  ou  quand  il  dissertait  sur  l'épisode  de  la  descente  aux  enfers, 
en  expliquant  le  VI'""  livre  de  VEnéide  ^ 

III.  Sous  le  titre  de  Dialogismi  on  rangerait,  parmi  les  écrits  de  Nan- 
nius,  ces  discussions  oratoires,  quelquefois  sous  forme  de  monologues, 
que  les  rhéteurs  de  son  temps  traitaient  avec  tant  de  complaisance.  Ainsi , 
dans  ses  Diatogismi  lieroinarum  ,  il  a  présenté  les  réflexions  morales,  les 
délibérations  intérieures  de  cinq  dames,  parmi  lesquelles  la  romaine  Lu- 
crèce flgure  à  côté  de  Susanne ,  de  Judith  et  de  sainte  Agnès;  il  a  traité, 
sous  une  forme  analogue,  l'histoire  de  sainte  Agathe  et  de  sainte  Lucie. 
N'était-ce  point  là  une  des  applications  des  préceptes  que  l'on  donnait  dans 
les  cours  de  rhétorique  latine?  N'était-ce  pas  le  prélude  de  ces  tragédies 
latines  choisies,  un  peu  plus  tard,  dans  l'histoire  des  martyrs  et  des  pre- 
miers chrétiens  comme  dans  celle  des  héros  de  l'antiquité? 

IV.  Enfin  une  série  considéi-able  des  travaux  de  Nannius  consistait  dans 
la  traduction  d'ouvrages  grecs  en  latin  ;  d'une  part,  ce  sont  les  vies  de 
Gaton  et  de  Phocion  par  Plularque  (1540),  le  discours  de  Démosthène 
Sur  l'immuuitc  contre  Leptine  {  15-42),  des  lettres  de  Démosthène  et 
d'Eschine  (1557);  d'autre  part  ^,  quelques  lettres  de  l'évèque  Synésius 
et  d'Apollonius  (154i),  le  traité  d'Athénagore  Sur  la  résurrection  des 
morts  (1541);  en  grec  et  en  latin  ^•,  l'homélie  sur  la  Nativité,  trois  autres 
homélies  et  trois  épîtres  de  saint  Basile  le  Grand  (1558  et  1559),  trois 
homélies  de  saint  Jean  Ghrysostôme,  et  enfin  presque  toutes  les  œuvres 
de  saint  Athanase ,  évéque  d'Alexandrie  (1556). 

Il  paraît  juste  d'attribuer  un  fort  grand  mérite  à  Nannius  du  chef  de 
ces  essais  de  traduction,  qui  enrichissaient  la  littérature  latine,  organe 
universel  de  l'érudition,  des  monuments  grecs  de  l'antiquité  profane  et  de 
l'antiquité  chrétienne.  Gette  œuvre  lui  permettait  de  mettre  au  jour  toute 
sa  sagacité  de  philologue,  et  de  faire  valoir  toutes  les  ressources  de  la 

'  C'était  un  discours  allégorique  contre  le  luxe  ,  sous  la  forme  d'un  supplément  à  la  fiction  de 
Virgile  :  Res  inferae  a  poeta  relirtae,  etc.  Il  ne  fut  publié  qu'en  ttil  1,  par  Puteanus  (Paquot,  n°  37). 

'^  Des  notes  de  Nannius  sur  deux  lettres  célèbres  de  S\ninia(|ue  et  de  saint  Ambroise  ont  trouvé 
place  dans  l'édition  des  œuvres  de  Prudence,  publiée  d'après  dix  MS.  à  Anvers  en  1564.  (Paquot, 
n°  31.)  Un  de  ces  MS.,  portant  le  nom  de  Nannius.  est  conservé  à  Louvain  (Bibi,  MS.  n°  -234). 

5  Ce  premier  texte  grec  servit  beaucoup  aux  autres  éditeurs  d'Athénagore. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOLVÂlN.  155 

phraséologie  latine  dont  il  était  maître.  N'importe  si  plus  tard  on  a  traduit 
de  nouveau  les  ouvrages  qu'il  avait  fait  passer,  quelquefois  le  premier,  du 
grec  en  latin,  et  souvent  même  d'après  des  copies  de  manuscrits  circu- 
lant alors  de  main  en  main,  son  rôle  a  été  celui  de  l'investigateur  patient 
qui  doit  ouvrir,  à  ses  risques  et  périls,  les  trésors  d'une  science  nouvelle  : 
l'empreinte  de  la  main  qui  a  osé  toucher  à  ces  trésors  n'y  reste  pas  mar- 
quée dans  la  suite  des  temps,  quand  d'autres  mains  les  ont  produits  dans 
tout  leur  éclat.  iMais  l'histoire  d'une  école  de  philologie  réclame  la  men- 
tion de  ces  périlleuses  tentatives;  et,  si  on  ne  leur  rend  pas  toujours  une 
pleine  justice,  celles  de  Nannius  l'ont  obtenue  de  son  temps,  et  après  lui, 
jusque  dans  le  XVII""'  siècle. 

Voici  un  exemple  du  mérite  relatif  de  versions  entreprises  dans  les 
mêmes  conditions  que  l'ont  été  celles  de  Nannius  :  Hermant  a  accusé  ce 
philologue  d'avoir  rendu  saint  Athanase  obscur  en  plusieurs  endroits,  et 
d'avoir  fait  tomber  dans  l'erreur  plusieurs  de  ceux  qui  l'ont  suivi,  et  il  est 
de  fait  que  Montfaucon,  dans  sa  belle  édition  de  1698,  a  retouché  la 
version  de  Nannius,  au  point  d'en  faire  une  œuvre  nouvelle  '.  En  décri- 
vant le  sort  du  grand  travail  de  Nannius,  accompli  sur  trois  manuscrits 
grecs  remplis  de  fautes  ^,  Paquot  ne  nie  pas  les  fautes  que  ce  savant  a 
commises  lui-même  en  devinant  le  sens  d'un  ancien  auteur  tel  que  saint 
Athanase  :  toujours  est-il  que,  pendant  plus  d'un  siècle,  la  version  latine 
de  Nannius  fut  reproduite,  dans  les  éditions  de  ce  Père,  en  France  et  en 
Allemagne. 

Mais  qu'on  ne  croie  pas  toutefois  que  Nannius  ait  entrepris  légèrement 
la  tà(;he  de  traduire  d'une  langue  savante  dans  une  autre  :  il  a  con- 
signé dans  une  épître  dédicatoire  des  reiiiarques  fort  curieuses  sur  les 
difficultés  d'une  première  traduction,  et  surtout  sur  celles  que  présente  le 
génie  fort  différent  des  auteurs  ^.  Nous  citerons  ailleurs  un  long  passage 

<   Voy.  Nicëron,  Mémoires,  t.  XXXVII,  pp.  'ÎT-SO. 

*  S.  Athanasii....  opéra  latine  ex  interprel.  Pelri  Nannii  et  aliorum.  Basileaeex  officina  l'robe- 
niana,  1556,  IV  volumes  in -fol.  La  version  des  trois  premiers  volumes  sortait  de  la  plume  de 
Nannius.  Voy.  Paquot,  Bibliogr.,  n"  28. 

^  Dédicace  à  Nie.  Olaluis,  en  lête  du  discours  de  Démosthène  contre  Leptine,  dont  la  version 
parut  pour  la  première  fois  à  Louvain,  en  i342,  chez  Barthélemi  Gravius,  in-4°,  et  fut  réimprimée 


156  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

de  ce  morceau  de  critique,  qui  se  trouve  perdu  dans  un  opuscule  très-rare, 
quand  nous  traiterons  de  l'importance  des  versions  parmi  les  travaux  phi- 
lologiques du  premier  siècle  du  collège  '.  Les  hommes  instruits  reconnaî- 
tront quelle  est  la  justesse  des  réflexions  de  Nannius  sur  l'insuffisance 
d'une  langue,  même  aussi  riche  que  le  latin,  pour  rendre  les  tournures,  les 
locutions  de  la  prose  grecque,  et  surtout  les  expressions  d'un  sens  si  pro- 
fond qu'une  autre  langue  ne  peut  les  traduire  que  par  une  périphrase;  ils 
verront  qu'on  ne  peut  critiquer  avec  une  sévéï'ité  ahsolue  les  travaux  d'un 
tel  homme  ^. 

4.   CouNEULS  Valerius  {Corneille  Wouters). 

(1537-1578.) 

Ce  savant,  dont  le  nom  vulgaire  aurait  été  bien  mieux  traduit  sous  la 
forme  de  Cornélius  Wallheri  ou  Gualtheri,  était  né  en  1512,  à  Oude 
Water  [Aquae  Veteres),  petite  localité  du  comté  de  Hollande  enclavée  dans  la 
seigneurie  d'Utrecht.  Sa  vie  est  bien  connue  ^,  et  nous  n'en  relèverons  que  les 
traits  principaux,  pour  passer  à  l'appréciation  de  ses  leçons  et  de  ses  écrits. 

Valerius  fit  ses  études  fort  tard,  à  Ulrecht,  dans  le  collège  des  Hiéro- 
nymites,  sous  la  direction  de  Georges  Macropedius  ou  van  Langhveldt,  qui 
était  alors  le  chef  de  cet  établissement  :  il  rendit  hommage  dans  la  suite 
à  ce  maître  zélé,  philologue,  grammairien  et  poëte,  dont  plusieurs  élèves 
brillèrent  dans  le  même  siècle  *.  Valerius  vint  ensuite  étudier  à  Louvain, 

à  Bâie,  en  1542,  in-12,  avec  la  version  du  discours  contre  Androtion.  Voy.  Paquot,  n"  13.  Nous 
la  citerons  d'après  une  réimpression  de  Paris,  faite  en  loi2,  chez  ChrtHien  Wechel. 

'   Voy.  chapitre  IX. 

-  Des  travaux  inédits  de  Nannius,  discours,  préfaces,  observations  philologiques,  s'étaient 
éclipsés  avec  la  plupart  des  manuscrits  du  collège  des  Trois-Langues,  avant  la  fin  du  dernier  siècle. 
Voy.  les  Exordia  de  V'alère  André,  pp.  .34-55,  et  la  notice  de  Paquot,  t.  III,  p.  128. 

^  Elle  a  été  élaborée  avec  soin  par  Paquot,  au  tome  II  de  ses  Mémoires  d'histoire  lilléraire, 
pp.  597-599,  d'après  les  écrits  de  Valère  André,  Auberl  le  Mire,  Foppens  et  Burmann. 

*  Macropedius  avait  enseigné  à  Bois-le-Duc  et  à  Liège,  avant  de  diriger  l'école  d'Utrecht.  Voy.  le 
mémoire  de  MM.  Stallaert  et  Vander  Haghen  Sur  iiiistruclion  publique  cm  moyen  âge,  pp.  98-99, 
édit.  in-8°.  Dans  la  notice  qu'il  a  consacrée  à  G.  Macropedius  (Mémoires,  t.  II,  pp.  611-613), 
Paquot  cite  ses  livres  de  grammaire  et  ses  pièces  latines,  intitulées  Tragédies  et  Comédies,  et 
prises  dans  l'histoire  sacrée. 


DES  TROIS-L ARGUES  A  LOUVAIN.  1S7 

pendant  six  ans  (1552-58),  les  langues  grecque  et  latine,  au  collège  de 
Busleiden,  où  il  eut  pour  maîtres  Goclenius  et  llescius.  Au  bout  de  ce 
terme,  il  se  forma  à  l'enseignement  de  la  rhétorique  dans  le  collège  même 
d'Utrecht,  où  il  avait  reçu  sa  première  instruction.  Un  peu  plus  tard 
(1544),  on  le  voit  chargé  à  Louvain  de  l'éducation  de  quelques  jeunes 
gens  nobles,  qu'il  accompagna  en  France  jusqu'à  Orléans  (1547),  et  puis 
reprendre  pendant  plusieurs  années  encore  le  même  genre  d'enseignement 

privé. 

Valeriiis  était  connu  par  ses  leçons  et  par  des  ouvrages  imprimés  en 
divers  lieux,  Utrecht,  Louvain,  Bâle,  etc.,  quand,  le  7  octobre  1557, 
il  fut  appelé  à  succéder  à  Nannius  dans  la  chaire  de  latin.  Ce  choix  lui 
fit  d'autant  plus  d'honneur,  qu'il  eut  alors  plusieurs  compétiteurs  fort 
instruits,  entre  autres  Jean  Boschius,  médecin  et  humaniste,  traducteur 
du  traité  philosophique  d'Ocellus  Lucanus  \ 

Valerius  fut  un  professeur  intelligent  et  dévoué  :  formé  de  bonne  heure 
à  la  pratique  de  l'enseignement,  il  eut  la  gloire  solide  de  diriger  dans 
l'étude  des  lettres  la  fleur  de  la  jeunesse  belge,  et  il  profita  du  privilège 
laissé  par  Busleiden  aux  professeurs  de  son  collège,  de  joindre  aux  leçons 
publiques  un  enseignement  particulier,  consistant  en  leçons  et  en  exer- 
cices 2.  L'action  exercée  par  Valerius  fut  double  :  d'un  côté,  il  fut  le  maître 
et  l'ami  déjeunes  gentilshommes  ^  ducs,  princes  et  comtes,  qui  devaient 
conserver  dans  le  monde  l'ascendant  d'une  bonne  éducation  littéraire, 

'  Jean  Bossclie,  Bosciusou  Boschius,  était  né  à  Looz,  dans  la  principauté  de  Liège.  Il  avait  t'ait 
imprimer  à  Louvain,  en  ISoi,  son  édition  du  traité  d'Ocellus  Lucanus,  avec  une  version  latine, 
De  univerxi  orhis  nalura  (ap.  Peirum  Colinaeum,  in-t!2).  Ce  livre  avait  été  traduit  une  première 
fois  par  Guillaume  Chrétien ,  médecin  de  François  I".  Paris,  1541 ,  in-12  (Fr.  Schoell,  Hist.  de  lu 
littéral,  grecque,  t.  Il,  p.  312).  Boschius  consulta  sans  doute,  outre  l'édition  du  texte  grec  donnée  à 
Paris ,  en  I S39,  un  manuscrit  de  l'ouvrage  conservé  à  Louvain,  et  cité  parmi  ses  sources  par  Jérôme 
Comelinus,  dans  l'édition  de  Heidelberg,  1596.  Voy.  l'avant-propos  de  Balteux  à  la  trad.  franc,  du 
traité  d'Ocellus,  p.  U.  —  On  verra  au  chapitre  X  Boschius  appelé,  en  d558,  à  Ingoldstadt,  pour 
l'enseignement  de  l'art  oratoire. 

-  Exordia,  p.  56  :  Bis  privatus  adjecit  adolescentum  instituliones  ac  studiorum  commenta- 
tiones,  etc.—  Voy.  Paquot,  t.  II,  p.  997. 

5  En  1560,  il  dédia  son  ouvrage  de  grammaire  aux  jeunes  seigneurs  de  Melun,  et  la  même 
année,  il  fit  l'éloge  funèbre  de  l'un  des  jeunes  frères  de  ce  nom ,  Jacques,  mort  à  la  fleur  de  i'àge. 
Voy.  la  Bibliogr.  de  la  notice  de  Paquot ,  n°'  4  et  5. 


138  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

et,  d'un  aiilre  côté,  il  forma  la  plupart  des  critiques,  des  littérateurs  et 
des  humanistes,  qui  soutinrent  hautement  dans  les  dernières  années  du 
XV1""=  siècle  la  réputation  de  la  Belgique  savante,  A.  Schott,  Juste  Lipse, 
G.  Canterus  et  tant  d'autres.  Toute  une  génération  d'écrivains  et  d'érudits 
a  été  assise  sur  les  bancs  de  la  même  école,  et  Juste  Lipse,  qui  a  rappelé 
avec  complaisance  ses  condisciples,  n'a  pas  oublié  le  maître  ',  Yalerius, 
qu'il  appelle  «  notre  guide  à  tous,  et  en  quelque  sorte  le  chef  du  chœur  » 
{dnclore  omnitim  noslnhn  Cornclio  Valcrio  et  (juasi  cliorcujo).  Sans  contredire 
absolument  le  jugement  que  Juste  Lipse  tire  d'un  parallèle  avec  Nannius, 
comme  si  Valerius  avait  été  l'égal  de  celui-ci  par  le  zèle,  mais  inférieur  à 
lui  en  intelligence  [studio  non  impar,  ingenio  inferior),  on  peut  donner  un 
rang  très-élevé  à  Cornélius  Valerius  parmi  les  humanistes  qui  ont  éclairé 
les  provinces  belgiques  dans  ce  siècle  de  grandeur  intellectuelle. 

L'enseignement  de  Valerius  était  méthodique  et  raisonné,  et  il  avait 
pour  but  de  développer  à  la  fois  le  jugement  et  le  goût;  il  était  basé  sur 
une  lecture  bien  dirigée  de  Cicéron  et  de  Virgile,  qu'il  faisait  considérer 
tour  à  tour  comme  des  modèles  achevés  dans  l'art  d'écrire  2,  et  il  dissertait 
sur  le  fond  des  œuvres  qu'il  expliquait  avec  un  admirable  discernement. 
Plusieurs  fois  il  a  livré  à  d'autres  humanistes  le  fruit  de  ses  observations 
sur  d'anciens  auteurs,  et  s'est  associé  à  leurs  travaux;  ainsi  ses  remar- 
ques sur  Lucrèce  ont-elles  passé  dans  l'édition  que  Obert  Giphanius  donna 
de  ce  poëte,  en  1566,  chez  Plantin,  à  Anvers  ^;  ainsi  a-t-il  plus  tard  joint 
ses  notes  sur  le  traité  des  Devoirs  de  Cicéron  à  celles  de  G.  Canterus,  un 
de  ses  disciples  chéris,  et  à  celles  de  Jean  Caucius  ou  Cauchius,  philo- 
logue distingué  du  même  pays  *. 

Valerius  appuyait  les  conseils  et  les  préceptes  qu'il  dispensait  dans  ses 

'  Epist.  selcct.,  ccntur.  111.  Miscell.,  ep.  87  (  Anlv.,  exoff.  Plant.,  1605,  p.  9-2  ). 

-  Solebat....  mine  oratorem,  nunc  poelam  in  manus  sumere,  ac  publiée  in  frequenlissimo  audi- 
lorum  eonsessu  praelegere ,  ulrumque  suo  in  tjenere  principem,  Tallium  ac  Maronem.  —  Exordiii . 
]).  06.  —  Sur  l'enseignement  oral  de  Valerius,  lire  S.  Pétri  de  Script.  Frisiae ,  dec.  XII. 

^  Observationes  in  T.  Lucrelium  Carum.  Voy.  Paquot,  n"  7. 

'  Animadversiones  in  officia  Ciceronis.  Antverp.,  I5G8  et  1576.  — Jean  Cauchius  ou  Van  Cuyck 
avait  exercé  sa  critique  avec  succès  sur  les  œuvres  de  saint  Paulin  et  de  Prudence,  ainsi  que  sur 
le  traité  de  Varron  de  Lingua  Mina;  il  mourut  en  1566.  Voy.  Mémoires  de  Paquot,  t.  III ,  p.  394  . 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  159 

leçons  de  littérature  latine  par  des  écrits  spéciaux  sur  plusieurs  des 
sciences  cultivées  par  ses  auditeurs,  la  grammaire,  la  syntaxe,  la  rhéto- 
rique et  même  la  philosophie.  Il  montrait  ainsi  d'une  manière  pratique  le 
rapport  des  études  littéraires  avec  toutes  les  autres,  et  il  faisait  servir  la 
lucidité  d'exposition  qu'il  avait  acquise  en  latin  à  la  vulgarisation  des 
notions  essentielles  de  chaque  science.  Auteur  d'une  sorte  d'encyclopédie 
philosophique  que  nous  décrirons  brièvement  à  l'instant,  Valerius  était 
lui-même  un  écrivain  très-habile,  et  pourquoi  ne  pas  croire  André  Schott 
sur  ce  point  '?  «  Le  successeur  de  Nannius,  disait-il,  a  marché  sur  ses 
traces,  et  l'on  ne  se  figurait  point  qu'il  fût  possible  de  s'exprimer  avec  plus 
de  pureté  et  de  correction  que  lui.  »  Son  talent  de  latiniste  était  égal,  qu'il 
écrivît  des  vers  ou  de  la  prose  ^;  il  reposait  sur  une  connaissance  appro- 
fondie du  génie  de  la  langue. 

Déjà  en  1640  Valerius  avait  été  chargé  d'une  relation  de  la  réception 
solennelle  de  Charles  V  à  Utrecht,  et,  en  15i6,  il  avait  complimenté  le 
même  prince  sur  son  arrivée  en  compagnie  des  chevaliers  de  la  Toison 
d'or  :  c'était  l'œuvre  du  poëte  autant  que  de  l'orateur  ^.  On  eut  encore 
recours  à  l'éloquence  de  Valerius,  quand  l'Université  célébra,  en  1559, 
un  service  funèbre  à  la  mémoire  de  l'empereur  Charles-Quint  :  le  discours 
officiel  prononcé  par  ce  professeur  nomine  Universilatis  s'est  conservé  dans 
un  ouvrage  d'histoire  du  siècle  suivant  *. 

Après  vingt  et  une  années  de  professorat,  Cornélius  Valerius,  qui  avait 
toujours  été  d'une  complexion  faible  et  qui  avait  souffert  longtemps  des 
douleurs  de  la  goutte,  mourut  à  Louvain,  le  11  août  1578,  à  l'âge  de 
66  ans  :  il  avait  conservé  jusqu'à  la  fin  des  sentiments  conformes  à  la 
dignité  sacerdotale  dont  il  était  revêtu.  A  cause  des  calamités  publiques, 

'  Lettre  à  Plantin,  1581  (édit.  de  Poraponiiis  Mêla)  :  Huic  Corn.  Valerius  succenturiatus  ita 
fideliler  provinciam  :<iibivit,  niliil  ut  aul  purins  mit  tei'sius  dici,  qumn  ah  illo ,  posse  viderelur. 

-  (l'est  ce  qu'a  dit  Juniusdans  sa  Batavia,  en  ces  ternies  :  Utrique  paijinae  factum  ingenium , 
in  utroque  dicendi  génère  paene  par. 

'  Ces  pièces,  qui  sont  mêlées  d'inscriptions  et  de  vers  héroïques ,  font  partie  du  recueil  de  poésies 
publié  à  Anvers,  en  1566,  par  Adrien  Schorelius  ou  Vanschoreel.  Voy.  Paquot ,  notice  sur  C.  Va- 
lerius, n"  I  ,  et  sa  notice  sur  Schorelius,  au  tome  ]\\  des  Mémoires ,  p.  257. 

•*  Nie.  Vernulaei  Epitome  /(isforiarum.  (Lovanii,  1654,  in-4").  Vov.  Paquot,  n"  12. 

Tome  XXVIII.  22 


160  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

sa  tombe  resta  trente  ans  environ  sansépitaphe  clans  l'intérieur  de  la  col- 
légiale de  S'-Pierre;  enfin,  en  1010,  un  prévôt  de  cette  église,  Georges 
d'Autriche,  chancelier  de  l'Université,  qui  avait  été  élève  de  Valerius,  fit 
dresser  à  la  mémoire  de  celui-ci  une  magniflque  épitaphe  d'une  rédaction 
qui  vise  trop  à  l'esprit  ^.  Ils  valent  bien  mieux,  les  quelques  vers  inscrits 
au  bas  du  portrait  de  Valerius,  dans  les  Elogia  belyica  d'Aubert  Le  Mire; 
ils  glorifient  le  maître  en  ses  élèves  : 


o' 


Quisquis  es,  et  magni  nescis  décora  alla  Valerl , 

Adspice  magnorum  tiomina  clara  virùm. 
Lipsius  hune  coluit,  Schotlus,  Canterus,  et  omnis 

Belgica  Nobililas  est  venerata  ducem. 

Personne  n'a  mieux  loué  le  caractère,  de  Valerius,  son  amour  de  la 
science,  ses  qualités  d'écrivain  et  de  critique  que  Valère  André,  dans  un 
passage  de  son  histoire  du  collège,  que  nos  polygraphes  ont  eu  le  tort  de 
ne  pas  reproduire  ^  :  Fuit  Vaterio  robur  supra  modulum  corporis  non  ila  pro- 
ceri  firmum ,  corporis  vires  ingemiae,  valetudo  mediocris,  animus  forlis,  lùlaris, 
liumanus ,  pietati  dedilus,  lacessentibus  alios  et  oblreciantibus  mulevolens,  clemen- 
tibus  favens ,  ipse  milis  et  induUjentior  quam  severior,  bene  cupiens  omnibus,  incre- 
dibili  discendi  studio  jhgrans,  sed  ab  omni  sopliistica  prorsus  abhorrens.  Familiare 
un,  purum,  candidum,  et  minime  veteratorium  dicendi  genus  :  diclionem  anli- 
quariam,  obsoletam,  liorridam  atque  incidlam,  lanquam  scopulum,  fugiendam  suo 
docuit  exempLo. 

Plusieurs  des  écrits  de  Corneille  Valerius,  discours,  leçons  d'ouver- 
ture, préfaces,  se  sont  perdus  dans  la  suite  des  temps,  malgré  le  désir  que 
V.  André  a  exprimé  de  les  voir  publier  un  jour  ^  :  de  ce  nombre  était 
l'oraison  funèbre  de  Nannius,  son  prédécesseur.  Mais,  à  part  les  observa- 
lions  philologiques  sur  Lucrèce  et  Cicéron,  dont  nous  avons  dit  un  mot 

I  Paquot,  qui  rapporte  cette  inscription,  p.  397,  ne  se  trompe  pas,  nous  le  pensons,  en  la 
croyant  de  la  façon  d'Erycius  Puteanus.  L'inscription  se  lit  aussi  dans  les  Exordia.  p.  37,  et  dans 
Foppens,  p.  "2^"!. 

•^  Exordia  ac  progressas ,  p.  56.  La  rareté  de  cet  opuscule  nous  a  déterminé  à  insérer  ici  le  pas- 
sage lalin  en  entier. 

^  Voy.  Exordia,  p.  39.  Paquot,  t.  Il,  p.  599. 


DES  TROIS-LÂNGUES  A  LOUVAIN.  161 

plus  haut,  il  nous  est  resté  une  série  de  travaux  de  Valerius,  qui  sont 
dignes  de  toute  attention.  Ce  sont  des  traités  réimprimés  plusieurs  fois  ', 
parce  qu'ils  formaient  un  cours  de  sciences  dont  on  avait  apprécié  la  va- 
leur pratique  :  ils  présentent,  en  effet,  une  encyclopédie  complète  des  arts 
libéraux,  et  ils  supposent  chez  leur  auteur  une  connaissance  fort  exacte 
de  plusieurs  sciences,  mise  en  œuvre  avec  la  plus  grande  lucidité  d'ex- 
pression. Ces  traités  mériteraient  un  examen  spécial  au  point  de  vue  his- 
torique, puisqu'on  y  trouverait  l'exposition  de  chaque  science  d'après  les 
principes  qui  dominaient  dans  son  enseignement  au  milieu  du  XVI""^  siècle, 
et  ils  n'offriraient  pas  moins  d'intérêt  à  quiconque  y  chercherait  la  mé- 
thode de  leur  auteur  et  la  puissance  de  vulgarisation  dont  il  a  été  doué. 
C'est  assez  dire  quelle  est  leur  importance  pour  l'histoire  des  sciences 
philosophiques  et  de  plusieurs  sciences  positives  qui  étaient  à  la  même 
époque  l'objet  d'un  enseignement  régulier  dans  les  écoles  de  Louvain  ^  : 
il  n'est  pas  douteux  que  C.  Valerius  ne  les  ait  traitées  dans  le  même  esprit. 
La  grammaire,  la  rhétorique,  la  dialectique,  la  philosophie  morale, 
la  physique  et  l'astronomie  sont  les  matières  d'autant  de  traités  qui ,  pu- 
bliés d'abord  à  part,  composent  un  ensemble  de  manuels  lucides  et  com- 
plets. Elles  ont  dû  être  cultivées  par  Valerius  avec  beaucoup  de  précision, 
avant  qu'il  mît  la  main  à  ces  traités  qui  en  résument  la  théorie  et  les 
préceptes.  On  sait,  du  reste,  que,  même  dans  ses  leçons,  il  mêlait  des 
observations  philosophiques  et  morales  à  l'explication  des  auteurs  ^,  et 
donnait  ainsi  à  la  philologie  une  direction  tout  à  fait  sérieuse,  fort  éloi- 
gnée de  la  légèreté  ou  du  sophisme.  Dans  la  grammaire,  Valerius  avait 

'  Voy.  les  bulletins  bibliographiques  de  Paquot  sur  chacun  de  ces  traités,  imprimés  la  plupail 
chez  Plantin,  et  sur  les  abrégés  que  d'autres  mains  en  ont  faits  quelquefois  pour  le  besoin  des  classes. 

-  il  appartiendrait  à  des  philosophes  bien  plus  qu'à  des  humanistes  de  décrire  et  d'.inalyser,  à 
ce  titre,  la  plupart  des  publications  de  Valerius,  que  nous  signalons  ici. 

'  Cette  remarque  de  Valère  André  a  passé  de  sa  Bibliolheca  Belgica,  édit.  i6'23,  p.  222,  dans 
celle  de  Foppens,  pp.  220-221  :  Iii  docemlo  ea  vtebalitr  melhodo,  quam  omnibus  bonas  liUeras 
profitentibus  inculcatam  volebut,  ut  Pliilosophiam  insocietaiem  rocarent ,  Dialecticam,  dico ,  Pliysi- 
cam,  eamque  quae  de  moribus  est  :  contra  alqueputidi  quidem  magistelli,  qui  bonas  Hlteras  barbaro 
H  imjnn-o,  ne  dicam  snphiftico  ore  profanant.  Descripsit  vero  nitide  ac  lersc  totnm  arlium  enry- 
clopaediuni.  —  Il  parait  que  Valerius  avait  expliqué  ses  tables  de  dialectique  dans  des  conférences 
spéciales  suivies  par  des  savants.  Voy.  Paquot,  ibid.,  n"  3. 


162  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

dégagé  la  mélliode  d'une  infinité  de  minuties  et  d'inutilités;  il  avait  traité 
la  physique  d'après  les  idées  de  son  temps ,  mais  en  la  débarrassant  de 
beaucoup  de  subtilités,  et  dans  son  Éthique,  il  avait  analysé  les  préceptes 
de  morale  des  anciens  philosophes  pour  en  faciliter  l'intelligence. 

Le  mérite  de  ce  cours  de  hautes  études  avait  frappé  André  Schott,  qui 
l'a  donné  comme  une  œuvre  unique  en  son  genre,  exécutée  avec  soin  et 
répandue  partout  pour  la  plus  grande  utilité  de  la  jeunesse;  il  dit  en  par- 
lant de  Valerius,  à  la  suite  du  passage  cité  précédemment^  :  DiscipHnannn 
citm  orbem,  qiiem  Graeci  syw/lor.atâslo'y  vacant,  latinis  literis  cotiscripsit  :  quo  nihil 
sane  in  eo  génère  liactemis  prodiit  acctiraliits ,  nec  alitai  puerorum  manibus  leritur, 
apud  omnes  fere  nation  es ,  aut  freqiœnlim ,  aut  utiliiis.  Cette  assertion  ne  souffre 
point  de  doute,  en  présence  des  éditions  de  ces  divers  traités  données  en 
Belgique,  à  Louvain  et  à  Anvers,  et  des  réimpressions  qui  en  furent  faites 
à  Bàle,  à  Francfort  et  en  d'autres  villes  d'Allemagne,  à  Leyde,  à  Venise,  etc. 

C.  Valerius  n'avait  pas  toutefois  perdu  de  vue  les  obligations  que  lui 
imposait  le  titre  de  sa  chaire;  à  la  veille  des  troubles  au  milieu  desquels 
il  est  mort,  il  avait  préparé  des  études  complètes  sur  la  grammaire  latine, 
qui  furent  imprimées  avec  élégance  par  les  presses  de  Plantin,  comme 
l'avaient  été  plusieurs  autres  de  ses  écrits;  c'est  ce  qu'annonçait  A.  Schott 
dans  la  même  lettre  au  célèbre  imprimeur  d'Anvers  :  Jam  commeniarios  lin- 
guae  latinae  in  manibus  habebat  affectas,  et  inibi  ut  abs  le,  qui  reliqua  elegantiss. 
typis  saepenumero  beasti,  excuderentur. 

5.  GuiLiELMUS   IIuYSMANNUs  {GuUlaume  Hmjsmans). 

(Ann.  1580  et  suiv.) 

Guillaume,  fils  de  Henri  Huysmans  ou  Huysman,  était  né  vers  le  milieu 
du  XVI""*  siècle,  à  Lierre,  ville  du  marquisat  d'Anvers  2;  mais  il  se  donna 
quelquefois  le  surnom  à' Antverpiensis.  On  le  voit  fréquenter,  après  ses 
études,  les  cours  de  l'Université  de  Douai  et  prendre  en  cette  ville  le  grade 

'   Lettre  à  Plantin,  écrite  de  Tolède,  en  1381. 

2  Voy.  la  notice  de  Paquet  {Mémoires,  t.  III,  p.  C08)  tirée  surtout  des  écrits  de  Valère  André  et 
de  Foppens  (Exordia,  p.  o9;  Fasti .  p.  89;  Bibl.  Belg.,  p.  408).  Voy.  aussi  Vernulaeus,  Acad.Lovan., 
edit.  ait.,  pp.  74  et  73. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  163 

de  licencié  es  droits.  Puis,  il  fait  un  séjour  de  six  années  en  Italie,  et 
c'est  quand  il  s'y  est  fait  estimer  par  sa  profonde  connaissance  des  langues 
anciennes,  qu'il  est  appelé,  en  158G,  à  Louvain  par  les  proviseurs  du 
collège  de  Busleiden,  pour  y  remplir  la  chaire  de  lalin  restée  vacante  par  la 
mort  de  Cornélius  Valerius  (1 1  août  1578).  Tout  porte  à  croire  que  Huys- 
mannus  occupa  cette  chaire  pendant  plusieurs  années  :  en  effet,  il  prend 
encore  le  titre  de  professeur  public  de  langue  latine  {in  collegio  Biislkliano 
Trilingui)  dans  une  dédicace  datée  de  Louvain,  le  16  juin  1589,  et  mise 
en  tête  de  sa  version  latine  de  lettres  italiennes  écrites  de  la  mission  des 
Indes  en  1585  et  158C  ^;  cette  traduction,  qu'on  a  jugée  bien  écrite,  est 
le  seul  travail  littéraire  connu  que  Huysmannus  ait  laissé  :  cependant  il  ne 
manque  pas  de  témoignages  sur  les  qualités  précieuses  de  sa  latinité  -, 
et  sur  les  heureuses  dispositions  qu'il  apportait  à  l'exercice  de  ses  fonc- 
tions ^.  Le  succès  ne  répondit  pas  aux  efforts  de  Guillaume  Huysmans  : 
voyant  que  les  événements  l'empêcheraient  de  rendre  cà  l'étude  du  lalin 
son  ancien  éclat  *,  et  de  donner  libre  cours  à  son  zèle,  il  se  décida  à  quitter 
Louvain,  et  se  relira  dans  la  principauté  de  Liège,  à  Dinant,  où  il  devint 
directeur  de  l'école  latine.  Plus  tard,  il  passa  en  Italie,  et  se  lia  d'amitié 
avec  Erycius  Puteanus ,  qui  y  enseignait  la  rhétorique.  Le  reste  de  ses 
jours  s'écoula  en  Italie,  où  il  mourut  en  1615. 

C'est  grâce  à  deux  pièces  publiées  il  y  a  quelques  années  d'après  les 
autographes^,  que  l'on  sait  un  peu  mieux  comment  la  carrière  de  G.  Huys- 
mannus fut  partagée,  et  à  quel  point  elle  fut  remplie  par  l'étude.  La  leçon 

'  Narraliones  rerum  Indicarum .  ex  litteris  Patrum  socielatis  Jesu  desumptue.etc.  Lovan.  J.  Ma- 
sius,  1589,  in-12,  pp.  141.  Voy.  dans  l'aquot  le  contenu  de  ce  volume. 

2  Exordia,  p.  59  :  Fuit  Huysmanno  sermo  facilis  et  aeqttaliter  fluens,  non  anxie ,  non  morose 
diligens,  concinnus  lumen ,  purics  ac  nuinerosus. 

3  Jean  Bernartius,  qui  l'a  loué  pour  la  droiture  de  son  caractère,  déclare  qu'on  ne  le  fréquen- 
tait pas  sans  apprendre  de  lui  beaucoup  {de  utilitale  legendae  historiae,  lib.  I). 

^  La  retraite  de  Huysmannus  n'a  pu  être  antérieure  à  l'an  1589  :  peut-être  après  cette  date,  les 
auditeurs  lui  firent  défaut  pour  les  raisons  indiquées  précédemment  (chapitre  IV)  dans  l'histoire 
de  l'administration  du  collège.  Mais  il  n'est  pas  prouvé  jusqu'ici,  que  le  séjour  de  Huysmannus  dans 
la  maison  ait  été  de  onze  ans,  comme  l'avance  Paquot. 

5  V.  notre  notice  intitulée  :  Relalions  de  Sii/jfridus  Pétri  et  d'autres  savants  du  XYI"'  siècle,  etc. , 
dans  YAtmuaire  de  l'itniv.  de  Louvain,  18-48,  pp.  220-224  (tir.  5  part,  pp.  58-62). 


164  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

lie  latin  était  restée  vacante  environ  huit  ans  ^,  quand  on  songea  à  y 
pourvoir,  en  1586,  dans  les  premiers  moments  de  la  sécurité  rendue  au 
pays  après  la  capitulation  d'Anvers.  Tandis  que  les  proviseurs  du  collège 
cherchaient  un  humaniste  qui  fît  cette  leçon  avec  honneur,  deux  person- 
nages haut  placés  intervinrent  en  faveur  de  Guillaume  Iluysniannus,  et 
firent  valoir  avec  succès  la  bonne  renommée  qu'il  avait  apportée  de  l'Italie. 
L'un  d'eux  ,  Christophe  d'Assonleville,  membre  du  grand  conseil  auprès 
du  gouvernement  des  Pays-Bas  espagnols,  a  résumé  les  titres  de  Guillaume 
Huysmannus,  déjà  fort  nombreux  à  cette  époque,  dans  une  lettre  adressée 
au  recteur  de  l'Université,  en  date  de  la  fin  de  décembre  1585  ^.  Le  jeune 
candidat  s'était  appliqué  surtout  à  l'étude  des  belles- lettres ,  non-seule- 
ment à  Douai ,  mais  encore  en  Italie  pendant  un  terme  de  six  années  :  il 
avait  dirigé  des  jeunes  gens  de  la  noblesse  dans  l'étude  de  l'éloquence, 
et  il  avait  enseigné  publiquement  la  littérature  latine  dans  le  palais  de  l'il- 
lustre cardinal  Charles  Borromée  ^  qui,  à  Milan  comme  à  Rome,  avait 
voulu  former  sous  ses  yeux  une  académie  des  hautes  études.  De  plus, 
il  avait  augmenté  beaucoup  sa  réputation  en  donnant  une  éducation  dis- 
tinguée au  petit- fils  du  vice-roi  de  Sicile.  Le  texte  de  cette  lettre  de 
Christophe  d'Assonleville  nous  paraît  digne  d'être  reproduit,  parce  qu'il 
indique  avec  précision  tous  les  points  de  la  biographie  toute  littéraire  de 
son  protégé,  et  qu'il  fait  sentir  la  nécessité  de  ne  pas  rendre  plus  longue 
la  vacature  de  la  leçon  de  latin  *. 

'  Valère  Xndré  {Fasti,  p.  280)  dit  que  Huysmannus  a  remplacé  Valerius  à  un  long  inlervalle  de 
temps,  et  Vernulaeus  {Acad.  Lovan.,  p.  74)  parle  de  la  crise  assez  longue  qui  suivit  la  mort  de 
Valerius  :  PosI  hune  saevientilms  bellis  civilibns  nmltos  amws  jacuil  vehit  in  sqnulore  CoUegiwn. 

-  Si  cette  lettre  ne  porte  point  d'année  et  n'a  d'autre  date  que  le  4  des  calendes  de  janvier,  on 
la  fixerait  le  mieux  au  29  décembre  ISSb,  en  rapport  avec  la  date  de  la  seconde  lettre  citée  ci- 
après,  le  2  janvier  I5S6. 

'  Voy.  la  Biographie  universelle,  t.  V,  pp.  197-198,  et  la  vie  de  saint  Charles  Borromée,  par 
Alexandre  Martin  ,  chapitre  II. 

'  Magnifice  D.  Reclor.  Innoluil  nobis  in  Abna  Vcstra  Uiiiversitcite,  cujiis  M.  V.  D.  clavum 
tenet,  déesse  laliiuie  Lingnae  profcssorcm  in  coltegio  Trinm  Lvnguarum ,  quod  curn  Uiiiversitali 
ipsi,  singulnri  l)ci  bénéficia  jani pedHenlim  recrescenli ,  dcdecori,  el  sludiosae  juventnti  non  parvo 
sit  delrimento  :  hinc  est  quod  nos  ejus  cominodis  qua  possunms  solerlia  considère  ciipientes,  hnnes- 
lum  eiprobatae  vitae  ac  conditionis  virwn  Gulicimum  Hmjsmannum  J.  U.  Licenlialum,  quo  maxime 
fieri  potest  fervore  vobis  commendutum  cupinms,  eoque  magis  quod  humaniorum  litlerarum  studio 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOLVAIIN.  465 

Huysmannus  trouva  bientôt  après  une  occasion  de  témoigner  sa  recon- 
naissance au  conseiller  d'Assonleville;  il  lui  adressa  une  épître  latine  de 
félicitations  sur  les  brillants  débuis  de  son  fils  Guillaume,  qui  étudiait  le 
droit  à  Louvain,  et  qui  s'était  distingué  devant  les  bauts  dignitaires  de 
l'Université  dans  une  discussion  solennelle,  qu'il  avait  soutenue  au  collège 
du  Lis  sur  des  questions  de  politique  et  de  droite 

A  la  recommandation  pressante  de  l'bomme  d'État,  s'était  jointe  autre- 
fois en  faveur  de  Huysmannus  la  recommandation  non  moins  expresse 
d'un  prélat  italien  qui  séjournait  en  Belgique  pour  l'arrangement  d'af- 
faires religieuses,  en  qualité  de  nonce  apostolique,  J.  Fr.  Bonomi,  évêque 
de  Verceil^.  Ce  prélat,  qui  avait  connu  Huysmannus  en  Italie,  et  qui  savait 
en  quelle  estime  on  l'avait  tenu  à  Milan,  le  présenta  à  l'Université  comme 
un  homme  savant,  pieux  et  honnête,  digne  d'occuper  la  chaire  «  dite 
d'humanités.  »  On  trouve  dans  cette  seconde  lettre  au  recteur  de  Louvain 


praecipne  semper  incuhuerU  ,  operamqiie  siiam  illtistribus  adolescentibus  in  oratoria  facultalc  insti- 
tueiidis,  Itou  Duaci  laiitnm,  sed  per  inte(jrum  quoque  sexteimium,  in  Italia  impenderit.  Nam  et  in 
Aula  III""  et  Rev'"'  D.  Cardinalis  Borrlwmaei  liUcras  lalinas  publiée  doeuit,  et  deinde  Proregis  Siei- 
liae  ejc  filia  nepolem ,  non  sine  magrio  nominis ,  in  exteris  regionibus,  ineremento ,  liberalibus  artibus 
erudivit,  ut  e  publico  lillerarum  testinmiio  qiias  legcndas  nobis  exhibuil  conslat.  Qua  propter  udhi- 
bita  in  consilium  r'atione ,  commendalione  nostra  non  indigmim  judicavimus ,  nihil  plane  addnbi- 
lantes  qnin  vos  eliam  itbi  viruni  audierilis  nobis  silis  assensiu'i.  Scio  testimonio  nostro  plurimum 
vos  semper  tribuisse;  facile  obsecro,  lU  in  hoc  vivo  commendalionem  nostram  maximum  pondus 
habuisse  re  ipsa  intelliganius.  Vale.  Bruxellae,  A.  Cal.  Januarii.  V.  M.  D. 

Sumus  fidus  amicus  et  servilor, 
C.  d'Assonleville. 

'  Declamatio  habita  Lovanii  in  Seholis  Artium,  XVI  Decemb.  MDLXXXVFIl,  per  nob.  ac  erud. 
Adol.  Guilielmum  ab  .^ssonlemlle,  etc.  Anlverpiae,  Plantin,  lo89,  in-12.  L'épUre  de  G.  Huysmannus 
est  datée  du  collège  des  Truis-Langues,  le  U  des  calendes  de  janvier  1588.  La  dédicace  du  jeune 
d'Assonleville  à  son  père  nous  apprend  qu'on  avait  repris  dans  les  collèges  de  la  Faculté  des  Arts, 
en  1SS7  ,  la  discussion  des  Quacstioncs  quodlibeticue  interrompue  par  les  tioublcs. 

-  J.-F.  Bonomi  avait  été  sacré  évoque  de  Verceil  par  saint  Charles  de  Borroniée,  à  qui  l'unissait 
une  sincère  ad'ection.  11  ne  montra  pas  moins  d'habileté  dans  la  mission  qu'il  remplit  dans  nos 
provinces  que  dans  celles  dont  il  avait  été  chargé  précédemment  en  Allemagne;  il  mourut  à  Liège, 
en  1387.  iionomi  était  lui-même  homme  de  goût  et  auteur  de  poésies  latines.  Voy.  la  notice  de 
Becdelièvre  (Biographie  liégeoise,  t.  I,  pp.  273-275),  reproduction  presque  littérale  de  celle  de 
Ginguené  (Biogr.  univ.,  t.  V,  pp.  159-140). 


166  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

la  confirmation  des  éloges  qui  valurent  à  lluysmannus  une  prompte  nomi- 
nation '. 

6.  JusTLS   LiPsiLs  (Juste  Lipsc). 


Ne  forçoDs  point  notre  (aient; 
Nous  ne  ferions  rien  avec  grâce- 


C'est  bien  le  plus  célèbre  des  savants  et  des  humanistes  dont  le  nom 
se  rattache  au  collège  des  Trois-Langues ,  si  l'on  en  excepte  Érasme ,  qui 
après  en  avoir  été  le  second  fondateur,  en  fut  le  premier  des  maîtres  par 
ses  conseils.  Nous  devrions  à  Juste  Lipse  bien  plus  qu'une  mention  fort 
honorable  dans  cette  série  de  biographies,  s'il  avait  soutenu  l'établissement 
de  Busleiden  d'une  manière  active,  par  sa  direction  ou  par  ses  leçons.  Il 
n'en  fut  point  ainsi  :  Lipse  jouit  d'une  pension  prise  sur  les  revenus  de  la 
fondation  de  Busleiden  à  titre  de  professeur  de  latin;  mais  le  collège,  fermé 
à  la  suite  des  troubles,  ne  fut  pas  rouvert  en  temps  opportun  pour  que  ce 
savant  ait  pu  paraître  dans  une  de  ses  chaires. 

Plus  d'une  fois  déjà  on  a  écrit  la  vie  du  savant  écrivain  qui  a  été  un 
des  oracles  de  l'érudition  à  la  fin  du  grand  siècle  de  la  Renaissance;  aux 
éloges  pompeux  de  Miraîus  ont  succédé  les  sévères  notices  des  diction- 
naires historiques;  bientôt  on  n'a  plus  demandé  sa  vie  à  d'autres  sources 
qu'à  sa  correspondance  même  et  à  celle  de  ses  amis  ,  étalées  dans  le  Sylloge 
de  P.  Burmann  et  dans  d'autres  recueils  d'épistolographie  savante.  De  notre 
temps,  M.  de  Reifïenberg  a  rassemblé  les  matériaux  d'une  monographie 

'  Mag'  ac  R'''  D'",  umice  plurimum  dilecte  et  hon'''.  Gidielmo  Huysmanno  Lirensi ,  Jitris  ittrius- 
que  Licentiato,  lilerarumque  liumaniorum  item  non  mediocriter  perilo ,  utor  familiarissime  gra- 
viumque  virormn  gui  ex  Italia,  ubi  is  aliquot  annos  laudahiliter  et  honoripcevixit ,  ad  me  diligcnler 
de  illo  pcrscripserunt,  testimonio  adductus ,  illum  in  palrocimum  meiiiii  suscepi  :  quamobrem  com- 
mittere  non  possum,  quin  Mag'""  Tuae  euni  Gidielmutn,  hominem  doctum,  pium,  probumque  de 
meliore  nota  commendem,  ut  in  humaniorum  Hlerurum  professnrem  in  ista  Academia  assumatitr  ; 
quod  eo  libcnlius  fucio,  qund  etiam  catliedrcun  istaiii ,  quani  Iiuiiimiitalis  l'ocant,  vacare  nunc  intcl- 
ligam,  et  illum  ad  istud  munus  recte  obeundmn  idoneum  esse  tion  dubitem.  Hoc  illi  charitalis  offi- 
ciiim  si  Mag""  Tua  praestiterit,  ego  non  vulguri  me  ah  ipsa  benefîcio  cumulatum  exislimabo ,  omni- 
bus se.  officiis,  occasione  oblulu  ,  compensando.  —  Toruuci,  1111°.  No7i.  Januarii  M.  D.  LXXXVl. 
—  Mag''"'  Tuae.  Sludiosissimus  ntque  ad  officia  paratissimus .  J.  Fr.  Ep.  Vercellen.  Nunc.que 
Apt"-. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  167 

sur  la  vie  et  sur  les  écrits  de  Juste  Lipse  ^  plutôt  qu'il  n'a  jugé  l'une  et 
critiqué  les  autres;  après  son  travail  tout  analytique  et  à  la  suite  des 
esquisses  quelquefois  brillantes  tracées  par  M.  Ch.  Nisard  en  vue  d'un 
parallèle  ^,  la  place  est  encore  ouverte  dans  les  annales  des  lettres  à  qui 
dira  un  jour  ce  que  fut  Juste  Lipse,  et  ce  que  vaut  sa  prodigieuse  renom- 
mée. Quant  à  nous,  dans  ce  chapitre,  nous  n'aurons  en  vue  que  de  signaler 
en  général  l'action  que  ce  grand  écrivain  a  exercée  sur  la  culture  des 
lettres  à  Louvain  et  dans  les  provinces  belgiques. 

Né  à  Issche,  près  de  Bruxelles,  en  1547,  Juste  Lipse  accomplit  ses 
cours  d'humanités  d'abord  au  collège  d'Ath,  qu'il  appelle  Z)ia<n6«  piicritiae 
suae  ^,  puis  à  Cologne,  où  il  apprit  déjà  les  éléments  de  la  philosophie; 
quand  il  se  rendit  à  Louvain,  à  l'âge  de  16  ans,  en  1563,  sa  vocation 
scientifique  était  décidée  :  il  s'appliqua  avec  ardeur  aux  lettres  et  à  l'his- 
toire de  l'antiquité;  il  trouva  en  cette  carrière  de  dignes  émules  dans 
André  Schott,  M.  Del  Rio ,  J.  Lernutius ,  Victor  Giselinus  et  bien  d'autres  , 
qui  s'étaient  mis  comme  lui  sous  la  direction  de  C.  Valerius  au  collège 
des  Trois-Langues.  Cédant  à  une  opinion  dominante  de  son  temps,  et  vou- 
lant d'ailleurs  interpréter  l'antiquité  latine  à  l'aide  des  lois  romaines,  il 
fit  à  Louvain  un  cours  de  droit  avant  d'entreprendre  de  longs  voyages  à 
l'étranger.  Cette  exploration  scientifique  de  plusieurs  pays,  l'Allemagne, 
l'Italie,  la  France,  lui  valut  de  bonne  heure  la  sympathie  des  hommes  de 
lettres  et  une  renommée  extraordinaire.  Cependant,  comme  pour  prendre 
rang  parmi  les  jurisconsultes.  Juste  Lipse  vint  résider  de  nouveau  à  Lou- 
vain, vers  1576,  et  peu  après  il  y  interpréta  publiquement  les  Leges  regiae 
et  decemvirales  *.  C'est  seulement  à  son  retour  de  Leyde,  où  il  travailla  et 


'   De  Justi  Lipsii  vita  et  scriplis.  Bruxellis,  de  Mat,  1823,  in-^"  (Mém.  cour.,  t.  111,  an.  1821). 

"^  Le  triumvirat  littéraire  au  XVI""  siècle.  Juste  Lipse,  Joseph  Scaliger  et  Isaac  Casaubon. 
Paris,  t8S2,  vol.  in-S". 

•'  Epist.  cenluria  I,  ad  BeUjax.  Epist.  90.  —  Plusieurs  théologiens  et  savants  avaient  fait  la 
réputation  de  cette  ville  et  de  son  collège  :  on  lit  dans  la  Bibliotheca  Belg.,  de  Valère  André  [{'"  édi- 
tion, 1623,  p.  41)  :  Athum  Mercurii  Musarumque  emporium  et  lilterarum  ac  litteratorum  allrix. 
Erudiit  Latomum,  Lensaeum,  Beverum,  Lipsium ,  Bochium ,  Bajos ,  aliosque. 

''  Selon  de  Reiffenberg,  Cinq.  Mémoire,  p.  6,  Juste  Lipse  aurait  expliqué  en  même  temps  le 
1"  livre  de  Tite-Live,  dont  il  a  donné  ensuite  une  édition.  Voy.  les  Exordia,  pp.  60-63. 
Tome  XXVIII.  25 


168  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

enseigna  pendant  treize  ans  environ  (1579-1591),  qu'il  Gt  part  à  son  pays, 
par  des  leçons  comme  par  des  livres,  de  son  prodigieux  savoir  en  histoire 
et  en  antiquités. 

C'est  en  1592  que  Juste  Lipse  fut  appelé  à  Louvain  par  les  États  de 
Brabant,  dont  les  propositions  l'emportèrent  à  ses  yeux  sur  celles  de  puis- 
sants princes,  désireux  d'associer  sa  gloire  à  celle  de  leur  règne.  11  n'avait 
tergiversé  que  trop  longtemps  j  il  donna  cette  fois  décidément  la  préfé- 
rence à  son  pays  ^  La  chaire  que  les  Etats  conférèrent  à  Juste  Lipse  était 
la  chaire  d'histoire  ancienne,  qu'un  jeune  savant,  Jean  Stadius,  avait 
occupée  le  premier  (semble-t-il)  et  avec  distinction  ^.  L'histoire  romaine 
faisait  le  fond  de  cet  enseignement  :  les  historiens,  et  en  général  les  écri- 
vains latins,  en  fournissaient  pour  ainsi  dire  le  programme.  Juste  Lipse 
suivit  cette  tradition  et  demanda  aux  sources  mêmes  l'intelligence  des  faits 
et  des  idées  de  la  société  romaine  ;  à  une  époque  aussi  rapprochée  de  celle 
des  troubles,  il  réunit  autour  de  lui  un  auditoire  considérable.  C'était 
l'orateur,  le  philosophe,  le  publiciste  que  les  gens  du  monde  se  plaisaient 
à  entendre  et  à  admirer  dans  le  professeur  d'histoire  :  les  traités  de 
Sénèque,  on  le  sait,  lui  fournirent  un  thème  abondant  d'études  politiques 
et  de  réflexions  morales.  Puis,  le  titre  d'historiographe  du  roi  donnait 
pour  la  première  fois  un  haut  relief  à  la  chaire  d'histoire,  qui  deviendra 
après  Juste  Lipse  une  des  plus  recherchées  d'entre  les  chaires  de  l'Université. 

Accueilli  avec  faveur  par  tous  les  corps  de  l'Académie  brabançonne. 
Juste  Lipse  fut  gratifié  d'un  supplément  de  traitement  par  les  administra- 
teurs de  la  fondation  de  Busleiden,  comme  si  la  leçon  de  latin  lui  eût  été 
dévolue;  mais  il  est  très-probable  qu'il  ne  fit  des  leçons  d'aucune  espèce 
dans  l'intérieur  du  collège  des  Trois-Langues,  qui  resta  désorganisé  jus- 

'  Juste  Lipse  se  rendit  à  Louvain,  dès  159:2 ,  mais  il  ne  reçut  droit  de  bourgeoisie  en  cette  ville 
que  le  7  janvier  1600  (ex  actis  lubicis.  —  Paquot,  Fasli  Acad.  Lovan.,  1. 1,  p.  488). 

-  Jean  Stadius,  né  en  1327  à  Loenhout,  sur  le  territoire  d'Anvers,  élabora  comme  spécimen  de 
ses  leçons  un  commentaire  sur  L.  Florus  (Val.  André,  Fasti,  p.  280),  imprimé  seulement  en  1.584 
chez  Plantin.  S  étant  fait  un  nom  au  dehors  dans  la  culture  des  sciences,  il  se  rendit  à  Paris, 
sur  les  instances  du  roi  Henri  III,  pour  y  professer  publiquement  l'histoire  et  les  mathématiques 
(voy.  Foppens,  t.  Il,  pp.  7ô4-73o).  Il  y  mourut  le  17  juin  1379.  Joseph  Scaliger  et  les  savants  de 
l'époque  l'eurent  en  grande  estime.  Voy.  Goujel,  Hisl.  du  coll.  royal  de  France,  t.  Il,  pp.  97-98, 
117-126. 


DES  TROIS-LAINGUES  A  LOUVAIN.  169 

qu'en  1606,  l'année  même  de  sa  mort  '.  S'il  eût  vécu  plus  longtemps, 
Juste  Lipse  eût  contribué  vraisemblablement  à  la  réouverture  de  cette 
institution,  et  il  y  eût  pris  pour  sa  part  l'enseignement  de  la  langue  latine; 
c'est  par  suite  de  cette  présomption,  comme  en  raison  des  honoraires  qu'il 
avait  touchés,  qu'il  était  compté  dans  le  siècle  suivant  parmi  les  profes- 
seurs du  collège  de  Busleiden^,  Du  moins,  on  peut  le  croire,  il  fut  donné 
à  Juste  Lipse  de  stimuler  le  zèle  des  membres  de  l'Université  qui  coopé- 
rèrent à  la  réorganisation  du  collège  des  Trois-Langues;  le  poids  de  sa 
parole  dans  ses  relations  journalières  avec  les  amis  des  lettres  a  dû  se 
faire  sentir  au  milieu  des  démarches  tentées  dans  ce  but  :  on  sait  qu'il  sol- 
licitait une  prochaine  reprise  des  études  grecques,  dont  il  savait  tout  le 
prix  ^,  quoiqu'il  s'y  fût  moins  appliqué  lui-même  qu'aux  études  latines. 
En  tout  cas,  la  méthode  consacrée  par  Juste  Lipse  dans  sa  chaire  d'his- 
toire ancienne  eut  une  influence  décisive  sur  celle  qui  prévalut  désormais 
dans  la  leçon  de  latin  au  collège  de  Busleiden  :  les  historiens  latins  y 
furent  préférés  presque  toujours  à  d'autres  auteurs,  au  point  qu'elle  devint 
en  quelque  sorte  une  leçon  d'histoire. 

Peu  d'années  après  son  retour  à  Louvain,  Juste  Lipse  i-ecevait  du  gou- 
vernement une  gratification  extraordinaire,  dont  mention  est  faite  dans  les 
comptes  de  l'année  1595'*;  on  y  remarque  le  titre  de  «  professeur  de 
langue  latine  »  donné  à  notre  savant,  comme  s'il  était  de  notoriété  publique 

'  Valèie  André,  qui  rapporte  le  fait  de  la  dotation  {Fasti,  p.  280),  dit  positivement  que  Juste 
Lipse  n'enseigna  jamais  dans  le  collège;  c'est  légèrement  sans  doute  qu'il  avait  antérieurement 
insinué  la  chose  dans  ses  Exordia,  p.  60,  en  parlant  de  ce  que  Lipse  aurait  fait  sans  les  malheurs 
du  temps  ;  Faclurus  id  diibio  procul  in  CoUegio  Trilingui  Buslidiano  (quod  docenlem  aiiquando 

Lipsium  vidit).  absque  kmporum  fuisset  injuria,  etc nam  praeter  honeslum,  quo  Brubuntiae 

eum  Ordines  ornabant,  honorarium  stipendii  Bmlidiani  addebant  iidem  auctarium,  a  Carolo  Y 
Caesare  concessum. 

-  Faisant  l'éloge  de  ses  prédécesseurs  à  l'ouverture  de  ses  leçons  de  latin ,  en  1664,  Chr.  Van  I^an- 
gendonck  saluait  Juste  Lipse  en  ces  termes  {Academia  Lovan.,  p.  75)  :  Meminisse  debeo  cujus  in 
locum  adscriplus  sum;  in  locimi  Justi  Lipsii  literatorum  maximi  :  ad  cujus  laudes  et  successionem 
tolus  stupeo  et  haereo.  Il  avait  dit  plus  haut  (p.  7-i)  que  Lipse  n'avait  pas  occupé  sa  chaire. 

''  Voy.  de  Reiffenberg,  Cinquième  Mémoire,  p.  7. 

'  Extraits  anal,  de  quelques  comptes  de  la  recelte  générale  des  finances ,  etc.,  conservés  aux  ar- 
chives du  département  du  Nord,  à  Lille,  par  M.  Gachaid.  Bulletins  de  la  comm.  roy.  d'histoire, 
i'""  série,  t.  I,  p.  149. 


170  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

qu'il  alliait  les  lettres  latines  à  l'histoire  dans  la  chaire  que  les  Étals  lui 
avaient  conférée;  ainsi,  est-il  dit  dans  le  troisième  compte  de  Christophe 
Godin  :  «  800  livres  à  Justus  Lipsius,  professeur  de  la  langue  latine  en 
»  l'Université  de  Louvain,  en  vertu  de  lettres  patentes  du  5  juin  1595, 
»  et  en  considération  de  la  petitesse  de  ses  gages,  chièreté  du  temps,  et 
»  le  bénéfice  qu'il  avoit  fait  à  la  jeunesse  estudiant  en  ladicte  Université.  « 

Nous  n'avons  pas  à  discuter  ici  la  force  ou  la  faiblesse  du  caractère  de 
Juste  Lipse,  bien  qu'il  y  ait  quelque  douceur  pour  l'historien  à  montrer 
les  sentiments  et  la  conduite  d'un  grand  homme  méconnu  à  la  hauteur  de 
son  génie  ou  de  son  talent;  mais  nous  devinons  combien  serait  ardue 
la  tâche  de  quiconque  tenterait  cette  réhabilitation  en  faveur  de  Juste 
Lipse.  On  aurait  tort  peut-être  de  lui  refuser  un  bon  fonds  de  convictions 
religieuses;  mais  on  perdrait  sa  peine  à  justifier  le  système  de  dissimu- 
lation qu'il  a  mis  en  pratique  dans  l'aveu  de  ses  croyances,  et  à  le  dis- 
culper d'avoir  cédé  aux  calculs  intéressés  de  l'amour- propre,  aux  dépens 
même  de  sa  dignité  ^  Nous  ne  faisons  plus  que  caractériser  quelques- 
unes  des  opinions  de  Juste  Lipse  sur  la  culture  des  lettres,  sur  l'étude  des 
langues  et  les  qualités  du  style. 

La  plupart  des  ouvrages  de  Juste  Lipse  appartiennent  à  l'histoire  de 
l'érudition  latine;  on  peut  ranger  les  uns  dans  les  travaux  de  philologie 
et  de  critique;  les  autres  se  rapportent  à  l'histoire,  à  la  politique,  aux 
antiquités.  La  prononciation  véritable  du  latin  a  fourni  à  Lipse  la  matière 
d'un  traité  sous  forme  de  dialogue;  sa  sagacité  de  philologue  s'est  exercée, 
tantôt  dans  les  détails ,  tantôt  dans  des  vues  d'ensemble  sur  le  texte  de 
plusieurs  auteurs  classiques  du  premier  ordre,  parmi  lesquels  Plante,  ïite- 
Live,  Sénèque,  Valère  Maxime,  et  elle  a  passé  de  l'examen  des  variantes  à 
l'exécution  des  plus  savants  commentaires.  Ses  traités  de  politique  et  de 
morale  eux-mêmes  témoignaient  d'une  lecture  approfondie  des  sources; 
ses  écrits  étendus,  comme  ses  notes,  indiquaient  une  intelligence  complète 
des  idiotismes  et  de  toutes  les  ressources  de  la  langue  romaine.  Que  l'on 

'  Le  respect  qu'on  a  porté  à  la  personne  d'André  Schott ,  savant  de  la  compaa;nie  de  Jésus,  dans 
loules  les  écoles  de  l'Europe,  dit  ce  que  vaut  la  loyauté  du  caractère  unie  à  la  fermeté  cluélieane 
devant  les  hommes  sincères  de  toute  communion  et  de  tout  système. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  171 

compare  les  œuvres  de  Juste  Lipse  aux  élucubrations  des  humanistes 
belges  qui  ouvrent  le  même  siècle,  on  est  frappé  de  voir  l'esprit  littéraire 
parvenu  si  rapidement  à  une  maturité  et  une  puissance  qui  n'étaient  point 
surpassées  dans  de  plus  grands  pays  que  le  nôtre,  et  même  en  Italie,  pre- 
mier foyer  des  études  classiques. 

Mais,  quand  on  a  payé  à  Juste  Lipse  un  juste  tribut  d'éloges  pour  la 
supériorité  avec  laquelle  il  a  fait  revivre  la  civilisation  romaine  dans  ses 
traités  d'histoire  et  cherché  dans  les  historiens  latins  une  connaissance 
plus  vraie  des  idées  et  des  mœurs,  des  révolutions  et  des  doctrines  de 
l'antiquité  que  celle  qu'on  avait  possédée  jusque-là,  on  ne  peut  se  dissi- 
muler qu'il  s'est  montré  exclusif  dans  ses  goûts  et  ses  tendances,  comme 
philologue  et  aussi  comme  écrivain.  Lipse  n'a  pas  su  se  défendre  d'une 
préférence  marquée  pour  des  auteurs  qui  n'étaient  plus  les  représentants 
de  la  belle  et  pure  latinité;  on  sait  assez  avec  quelle  partialité  il  s'est 
adonné  à  la  lecture  et  à  l'imitation  de  Tacite,  dont  il  s'est  fait  l'éditeur  et 
l'interprète,  et  cette  prédilection  ne  s'est-elle  pas  étendue  à  d'autres  écri- 
vains, vigoureux  et  brillants  sans  doute,  mais  qui  appartiennent  au  pre- 
mier siècle  de  la  décadence  littéraire,  Sénèque,  Florus,  Velleius  Paler- 
culus,  Valère  Maxime,  Pline  le  Jeune?  Séduit  par  les  qualités  qui  s'allient 
à  de  graves  défauts  chez  ces  auteurs,  et  qui  en  sont  quelquefois  la  source, 
entraîné  d'ailleurs  par  les  exigences  de  l'érudition,  Juste  Lipse  s'est  beau- 
coup écarté  de  ce  culte  de  la  latinité  classique,  si  sagement  conçu  et  si 
bien  propagé  par  Cornélius  Valerius;  il  a  donné  l'exemple  d'une  recherche 
de  style  qui  fait  contraste  avec  la  diction  claire  et  limpide  dont  son  judi- 
cieux maître  avait  montré  la  source  dans  l'imitation  de  Cicéron  et  de  Vir- 
gile. Son  exemple  porta  préjudice  aux  études  et  aux  compositions  de  lit- 
térature latine,  puisque,  si  l'on  s'attache  le  plus  souvent  à  de  brillants 
défauts,  on  exagère  infailliblement  ceux  que  l'exemple  et  les  succès  d'un 
grand  maître  ont  en  quelque  sorte  autorisés. 

Prenez  mieux  votre  ton.  Soyez  simple  avec  art , 
Sublime  sans  orgueil ,  agréable  sans  fard. 

Certes,  Juste  Lipse  ouvrait  la  carrière  à  une  investigation  savante  de 


172  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

l'antiquité  latine,  et  il  apprenait  à  puiser  dans  les  textes  les  vues  de  l'his- 
torien ,  les  réflexions  du  philosophe  ;  mais  qu'on  le  prenne  comme  homme 
de  goût,  écrivain  et  critique,  on  ne  saurait  le  placer  au  dessus  des  philo- 
logues qui  ont  écrit  en  latin  ou  qui  ont  enseigné  la  littérature  classique 
dans  les  Pays-Bas  pendant  la  première  moitié  du  XYl"'"  siècle  :  nos  pre- 
miers humanistes,  contemporains,  disciples  ou  imitateurs  d'Érasme  et 
de  Vives,  savaient  mettre  dans  leur  style  une  heureuse  clarté,  une  ama- 
bilité et  une  grâce,  un  accent  de  candeur  et  de  vérité,  dont  on  regrette 
presque  toujours  l'absence  dans  les  pages  latines  du  grand  Lipse. 


7.  Erycius  Puteanus  (Henri  de  Put). 

(1607—1046.) 

S'il  faut  conserver  à  nos  érudits  leur  nom  d'école,  nul  ne  le  mérite 
mieux  que  celui  qui  a  toujours  posé  à  la  manière  des  rhéteurs  de  la  Grèce 
et  de  Rome.  Il  a  renchéri  sur  tous  les  autres  en  aff'ectation ,  et  cependant 
on  ne  peut  lui  refuser  un  fond  excellent  de  droiture,  de  zèle  et  de  dé- 
vouement. On  reculerait  devant  la  tâche  de  parler  d'un  si  haut  person- 
nage avec  l'impartialité  qui  convient  à  l'histoire  écrite  à  distance,  si  l'on 
considérait  l'engouement  de  son  siècle  pour  son  talent.  Que  de  savants 
Jatinistes  ont  défié  la  postérité  dans  des  termes  solennels  qui  ne  valent  pas 
les  vers  adressés  à  Puteanus,  en  retour  d'un  de  ses  compliments,  par  la 
princesse  Dorothée  de  Croy  ^  : 

Blâmera,  qui  voudra ,  le  stile  de  la  voix 
Et  les  divius  écrits,  d'où  naissent  (sic)  l'ambroisie. 
Elle  n'a  pas  de  goût  pour  l'ignare  et  l'envie: 
Ains  agace  leurs  dénis,  et  cause  tant  d'abois , 
Abois,  qui  n'ont  pouvoir  que  d'iionnorer  ta  f'àme, 
Et  aceroislre  ton  ios,  en  accroissant  leur  blâme. 


'   Pièce  en  dale  du  tj  iévriei-  1614.  Notices  et  extraits  des  Mun.  de  la  Bibliothèque  de  Bourgogne, 
I.  I,  p.  52.  (Lettres  inédites  de  Puteanus.) 


DES  ÏROIS-LANGUES  A  LOUVAIIS.  il5 

Le  savant  qui  s'est  nommé  Erycius  Puteanus  s'appelait  Henri  de  Put  ^ 
et  non  Van  de  Putte  ou  Van  den  Putten  :  la  traduction  de  ce  nom  par  la 
forme  française  de  Du  Puy  est  fort  inutile,  en  présence  du  nom  latin 
Puleanus  ^.  Il  était  originaire  de  Venloo,  dans  la  Gueldre  espagnole  ^,  et 
il  appartenait  par  son  père,  Jean  de  Put,  à  l'ancienne  famille  des  Bamel- 
rode,  déjà  prépondérante  en  cette  contrée  au  XVI"'"  siècle. 

L'éducation  du  jeune  Henri  fut  irès-soignée,  et  les  arts  y  furent  asso- 
ciés aux  lettres  et  aux  sciences  *.  A  Cologne  et  à  Louvain,  il  suivit  avec 
succès  les  leçons  des  meilleurs  maîtres,  et  c'est  Juste  Lipse  qui  eut  le 
privilège  de  se  l'attacher  davantage,  au  point  qu'il  fut  compris  plus  tard 
et  non  sans  raison,  dans  son  école  ^.  D'après  ses  conseils,  fort  jeune  en- 
coi-e,  Puteanus  se  rendit  en  Italie  où  il  contracta  bientôt  d'illustres  amitiés. 
Agé  de  vingt-cinq  ans  seulement,  la  chaire  publique  d'éloquence  lui  fut 
confiée  à  Milan,  et  il  résida  quelques  années  en  cette  ville,  où  la  munifi- 
cence éclairée  du  cardinal  Frédéric  Borromée  venait  de  créer  des  res- 
sources inappréciables  pour  les  études,  la  Bibliothèque  Ambrosienne, 
des  écoles  et  des  réunions  savantes  ^.  Puteanus  fut  honoré  de  la  confiance 
et  de  l'amitié  du  cardinal,  ainsi  que  de  celle  des  hommes  les  plus  in- 

'  Il  en  faut  croire  sa  propre  attestation,  quand  il  donne  à  son  père  le  nom  de  Jean  de  Put  dans 
une  lettre  à  Plouvier  {Not.  et  extr.,  t.  I,  p.  51).  Il  a  beaucoup  disserté  lui-même  sur  le  prénom 
XErycius. 

-  Weiss  a  écrit  sa  notice  sous  le  nom  de  Du  Puij,  dans  la  Biographie  universelle,  t.  XII,  p.  324. 

'  Voici  une  petite  pièce  de  vers  latins,  peu  connue  sans  doute,  mise  au  bas  de  son  portrait, 
ijui  était  conservé  à  l'hôtel  de  ville  de  Venloo  (Bax,  fol.  1440)  : 

ffic  est  Ericius  Gelrorum  gloria,  clarus 

Ingénia,  scriptis,  et  gravis  eloquio. 
Jller  et  es  Florus ,  Tacitus  quoque  diceris  aller, 

Fenlonae  aeternum  tu  Puteane  decus. 

'•  Nous  n'avons  qu'à  glaner,  pour  satisfaire  au  but  de  la  présente  notice,  dans  les  biographies 
de  ce  personnage  écrites  déjà  par  Valère  André  et  par  Paquot.  Voy.  le  travail  du  premier  dans  les 
Exordia,  pp.  62-6.5,  dans  sa  Bibliotheca  heUjica ,  édit.  1043,  pp.  203-21 1,  et  dans  l'édition  de 
Foppens,  pp.  264-269,  et  le  travail  plus  étendu  du  second,  au  tome  III  de  ses  Mémoires  d'histoire 
littéraire,  pp.  90-103. 

■''  Academia  Lovaniensis ,  édit.  van  Langendonck,  p.  170  :  £■  schola  magni  Lipsii,  Er.  Puleanus 
Veulonensis ,  praeceptori  daliis  in  regia  professimie  successor,  etc. 

'î  Deux  écrits  de  Puteanus  relatifs  à  ces  fondations  virent  alors  le  jour  à  Milan  :  De  rheloribus 
et  scholis  palatinis  Mediolanensibus  (1605)  ;  De  bibliotheca  Ambrosiana  (1604). 


174  MEMOIRE  SUR  LE  COLLÈGE 

struils  de  la  Lombardie,  et  il  entretint  plus  tard  avec  eux  de  fréquentes 
correspondances. 

Déjà  Erycius  Puteanus  avait  été  comblé  d'bonneurs  en  Italie  \  et  il  y 
avait  contracté  une  alliance  des  plus  élevées  ^,  quand  il  se  décida  à  ren- 
trer en  Belgique  vers  l'an  1607.  Les  arcbiducs  et  les  États  de  Brabant 
venaient  de  lui  oiïrir  la  cbaire  d'histoire,  laissée  vacante  par  la  mort  de 
Lipse.  Non-seulement  le  titre  d'historiographe  lui  fut  conféré  avec  celte 
charge  par  l'archiduc  Albert,  mais  encore  le  même  titre  lui  fut  accordé 
un  peu  plus  tard  de  la  part  du  roi  d'Espagne  Philippe  IV;  bientôt  après 
il  fut  appelé  dans  les  conseils  de  l'Etat,  à  cause  des  rares  qualités  de  son 
intelligence  et  de  ses  vertus  déjà  connues.  La  leçon  de  latin  qui  avait  été 
attribuée  à  son  prédécesseur  dans  la  chaire  d'histoire  au  collège  des  Trois- 
Langues  échut  de  même  à  Puteanus.  Il  entra  en  jouissance  de  ces  dignités 
académiques,  selon  toute  apparence,  à  la  fin  de  l'an  1607  ^  et,  pendant 
un  espace  d'environ  trente-neuf  ans,  il  se  livra  avec  une  ardeur  soutenue 
aux  fonctions  du  professorat,  et  à  des  travaux  littéraires  qui  lui  don- 
nèrent une  grande  considération  dans  les  classes  lettrées  et  jusque  dans  la 
noblesse. 

Tant  de  faveurs  réunies  sur  la  tête  de  Puteanus  déchaînèrent  contre 
lui  bien  des  gens  de  l'Université  *  :  «  Des  docteurs  crièrent  au  passe- 
»  droit,  et  voulurent  se  plaindre  à  l'archiduc  d'être  sacrifiés  à  un  homme 
»  qui  avait  moins  vieilli  qu'eux  sous  la  robe.  »  Puteanus,  en  faisant  de 
l'érudition  et  de  la  morale  à  propos  du  luxe  de  la  table,  avait  excité  d'au- 
tres susceptibilités.  Il  y  eut  grand  bruit  à  Louvain,  et  surtout  à  Anvers,  à 
cause  des  allusions  qu'il  aurait  faites  dans  un  opuscule  aux  habitudes 
gasti'onomiques  des  Anversois,  et  on  brûla  même  quelques  exemplaires 
du  livre  dans  la  ville  outragée  ^. 

'   On  prétend  qu'il  fut  dès  lors  historiographe  du  roi  Philippe  III. 

-  En  1604,  il  avait  épousé  à  Milan  Marie  Madeleine  Catherine  délia  Torre  {Turrinnn),  noble 
dame  issue  de  l'antique  maison  des  ducs  de  Milan. 

•■'  Voy.  Exordia,  p.  64,  et  le  recueil  de  Bax,  fol.  1438. 

'  Lettre  inédite  analysée  par  de  Reiffenberg,  Notices  et  extraits,  p.  55. 

■'  L'épître  de  Luxu  conviviorum  avait  paru  à  I>ouvain ,  en  1608.  Lire  sur  cet  incident  l'ana- 
lyse de  lettres  inédites,  ibid.,  pp.  41-43. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  175 

Krycius  Puteanus  mourut  à  Louvain ,  le  17  septembre  16  i6,  à  l'âge 
de  soixante-treize  ans,  et  eut  le  privilège  d'être  inhumé  un  des  premiers 
dans  la  chapelle  de  S'-Charles  Borromée,  érigée  récemment  à  la  collégiale 
de  Saint-Pierre.  Nous  ne  poussons  pas  plus  loin  cet  exposé  sommaire  sur  sa 
vie;  elle  sera  écrite  quelque  jour  à  nouveaux  frais,  quand  on  aura  dépouillé 
tant  de  pièces  et  de  correspondances  encore  inédites,  où  sa  personne  est 
en  jeu.  Il  doit  nous  suffire  de  caractériser  le  talent  particulier  de  Puteanus, 
et  de  faire  comprendre  l'espèce  d'action  qu'il  a  pu  exercer  dans  le  monde 
des  lettres.  Il  serait  toutefois  superflu  de  rapporter  à  cet  elîet  la  liste  des 
nombreux  écrits  de  cet  auteur,  que  ses  deux  biographes  cités  ont  déjà  pris 
soin  de  dresser  :  seulement,  si  la  nomenclature  de  Paquot  l'emporte  par  la 
description  bibliographique  des  écrits  imprimés  qui  y  sont  portés  au  chif- 
fre de  cent  seize,  sans  parler  d'une  foule  de  pièces  inédites,  la  Bibliotheca 
belgica  présente  une  division  générale  des  ouvrages  et  opuscules  sous  plu- 
sieurs titres  \  division  qui  semble  bien  préférable  à  leur  énumération 
chronologique.  C'est  d'après  un  plan  semblable,  et  en  tenant  compte  des 
genres,  que  devra  procéder  le  littérateur  patient,  qui  jugera  bon  de  s'oc- 
cuper à  l'avenir  de  l'héritage  littéraire  de  Puteanus  :  il  sera  tenu  d'insister 
sur  les  œuvres  les  plus  remarquables,  en  y  rattachant  la  foule  des  mor- 
ceaux publiés  à  part,  et  d'introduire  un  peu  de  lumière  dans  ce  chaos  d'élu- 
cubrations  en  prose  et  en  vers.  Il  serait  certainement  assez  difficile  de 
lassembler  complètement  une  si  volumineuse  collection  ^,  et  plus  difficile 
encore  de  mettre  la  main  sur  les  onecdota  du  même  auteur,  dispersés  et 
encore  cachés  dans  quelques  bibliothèques.  On  ne  doit  pas  désespérer  de 
voir  ce  labeur,  si  lourd  qu'il  soit,  entrepris  un  jour  par  un  de  nos  infatiga- 
bles bibliographes,  en  société  d'un  humaniste  qui  ne  recule  pas  devant  la 
peine  de  rechercher  les  infiniment  petits  dans  l'érudition  latine  de  nos  aïeux. 

Assurément,   une  sage  critique  rabattra   beaucoup  de  l'enthousiasme 

'  Cette  division  est  la  suivante  :  Oraloria,  —  Epislolica,  —  Philologica  et  philosopkica,  —Histo- 
ricaetpoiitica.  Miscellanea.  Les  différentes  éditions  des  Epistolae  de  Puteanus,  qui  ont  été  impri- 
mées, donneraient  déjà  lieu  à  des  investigations  bibliograpiiiques  et  historiques  fort  longues  et 
détaillées. 

^  Les  premiers  écrits  de  Puteanus  ont  vu  le  jour  en  Italie,  à  Milan  et  ailleurs,  dans  les  années 
t  598-1599,  IGOO  et  les  suivantes. 

Tome  XXVIII.  24 


17G  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

avec  lequel  le  XYII"""  siècle  a  célébré  l'esprit  et  le  mérite  de  Puteanus  : 
cependant,  l'élude  analytique  de  ses  productions  littéraires  jettera  un 
grand  jour  sur  la  vie  intérieure  et  sur  les  relations  des  savants  dans  la 
période  qui  suivit  immédiatement  la  carrière  de  Juste  Lipse.  On  ne  peut 
prononcer  en  dernier  ressort  sur  Puteanus,  sans  l'entendre,  lui,  ses  amis, 
ses  patrons  et  ses  confrères;  puisque  son  cabinet  a  été  le  centre  d'une 
correspondance  littéraire,  approchant  beaucoup  par  son  volume  de  celle 
d'Érasme  ^,  il  faudra  rechercher  et  lire  attentivement  ce  dossier  considé- 
rable, avant  de  croire  la  cause  définitivement  jugée.  Le  savoir  et  l'origi- 
nalité n'ont  point  manqué  entièrement  à  celui  qui  a  pris  intérêt  à  tant 
d'études,  et  discuté  de  sa  main  tant  de  questions. 

On  suivrait  Puteanus  avec  un  certain  attrait  dans  sa  carrière  de  dilet- 
tante, favorisée  par  son  éducation  et  par  les  circonstances;  on  le  verrait 
donner  libre  cours  à  ses  goûts  de  littérateur  et  d'artiste  dans  la  société  des 
grands  en  Italie,  et  mêler  encore  un  certain  idéal  de  grandeur  princière  à 
ses  habitudes  laborieuses  de  professeur  et  d'écrivain.  Ses  titres  officiels  ne 
le  détournaient  point  de  la  science  elle-même  ^;  mais  ils  lui  servaient  à 
exercer  plus  d'ascendant  qu'aucun  autre  sur  les  jeunes  gens  les  plus  dis- 
tingués par  leur  naissance,  qui  fréquentaient  les  écoles  de  Louvain.  C'est 
encore  à  l'avancement  des  lettres  qu'il  fit  tourner  la  jouissance  qui  lui  fut 
donnée  en  1G14,  de  la  résidence  des  anciens  souverains  au  cbàteau  César 
à  Louvain,  avec  le  litre  de  gouverneur  de  cette  résidence.  Il  se  crut  autorisé 
à  lui  donner  le  nom  de  forteresse  de  Minerve,  At^x  Palladis,  quand  il  v  eut 
transporté  le  siège  de  la  société  qu'il  avait  fondée  sous  le  nom  de  Palaestra 
bnnae  mentis,  pour  favoriser  les  progrès  de  la  jeunesse  dans  l'art  de  parler 
et  d'écrire. 

'  On  porte  à  16,000  le  nombre  des  leltres  qui  formaient,  à  l'époque  de  sa  morl,  la  correspon- 
dance dé  Puteanus  avec  des  personnages  de  distinclion  en  Belgique  et  à  l'étranger.  (Paquot,  111, 
p.  92).  Dans  les  lettres  inédites,  dépouillées  par  M.  de  Reiffenberg,  il  en  est  plusieurs  de  Daniel 
Heinsius  [Notices  el  extraits,  fasc.  I).  L'intérêt  d'autres  pièces  de  la  même  correspondance,  au 
nombre  de  plus  de  1500,  acquises  par  notre  bibliothèque  royale,  est  l'objet  d'un  article  fort  spi- 
rituel du  même  auteur  dans  les  Bull,  de  l'Acud.  roy.  de  Brux.,  1841 ,  t.  VIII,  part.  I,  pp.  1 1  et  suiv, 

-  Sa  devise  était  :  Sludiosa  vita  optima.  Elle  était  exprimée  en  grec  dans  la  première  ligne  de 
l'épitapbe  qu'il  se  fit  à  lui-même  :  SllOTûAins  ZHNAPIï;T0N  (Voy.  Foppens  et  Paquot). 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  177 

Malgré  ses  autres  fonctions,  Puteanus  prit  au  sérieux  sa  charge  de  pro- 
fesseur de  latin  au  collège  des  Trois-Langues;  il  y  donna,  croit-on,  des 
leçons  quotidiennes  et  les  mil  en  rapport  avec  les  autres  moyens  d'action 
qu'il  avait  sur  la  jeunesse.  Malheureusement,  comme  on  en  jugera  par  les 
observations  qui  vont  suivre,  il  a  porté  dans  l'enseignement  des  lettres 
latines  une  autre  méthode,  d'autres  procédés  que  ses  prédécesseurs,  et  on 
ne  sera  pas  injuste  à  son  égard,  en  lui  refusant  une  influence  aussi  heureuse 
que  la  leur  sur  la  culture  des  langues  anciennes.  11  n'est  que  trop  vrai  que 
bien  des  latinistes  de  notre  pays,  et  plusieurs  de  ceux  qui  ont  enseigné 
après  lui  à  Louvain,  ont  contracté  et  même  exagéré  ses  défauts  :  on  re- 
trouve chez  eux  sa  manière  d'écrire  toujours  compassée,  souvent  préten- 
tieuse, faussement  brillante,  énigmatique  et  obscure  même. 

Pour  avoir  le  droit  d'apprécier  Puteanus,  on  devra  soumettre  à  la  même 
critique  les  deux  branches  principales  de  son  enseignement  :  or,  s'il  n'a 
pas  su  reprendre  habilement  la  tradition  de  la  bonne  et  pure  latinité 
qui  avait  régné  au  siècle  précédent,  il  n'a  pas  non  plus  maintenu  l'ensei- 
gnement de  l'histoire  au  degré  d'étendue,  de  justesse  et  de  solidité  où 
l'avait  porté  Juste  Lipse.  Puteanus,  nous  semble-t-il,  a  visé  à  faire  des 
études  latines  un  instrument  de  minces  et  faciles  succès  à  l'usage  d'un 
monde  élégant,  pour  qui  l'érudition  devait  être  chose  aimable  et  légère  : 
le  côté  sérieux  et  positif  de  l'histoire  l'a  fort  peu  occupé  lui-même;  que 
sera-ce  chez  ceux  pour  qui  des  recherches  d'histoire  n'étaient  qu'une 
affaire  de  ton? 

On  est  surpris  de  voir  quelle  petite  place  Puteanus  a  faite  aux  anciens, 
au  texte  de  leurs  ouvrages,  dans  ses  élucubrations  accumulées  d'année 
en  année  avec  une  si  élonnante  variété  de  titres  ^  ;  on  a  lieu  de  remarquer 
aussi  le  nombre  relativement  petit  des  seules  dissertations  vraiment  utiles 
qu'il  ait  prises  dans  le  domaine  des  antiquités  latines,  et  qui  aient  mérité 
d'être  reproduites  plus  tard  dans  les  recueils  les  plus  vantés  ^.  La  vanité 

'  On  citerait  en  ce  genre  ses  notices  préliminaires  sur  Q.  Curtius,  L.  Florus,  G.  Tacite,  qui  ne 
sont  pas  des  classiques  du  grand  siècle. 

-  Ainsi  ses  Olympiades  ont  pris  place  dans  la  suite  au  tome  IX  du  Thésaurus  mtiquitalum 
Graecartmi  de  Gronovius;  sa  Pecuniae  romanae  ratio,  dans  les  Antiquités  romaines  de  Sailengre, 


178  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

de  Puteanus  l'a  fait  céder  à  la  tenlalion  de  composer  une  nouvelle  litté- 
rature de  sa  façon,  éloges  et  discours,  anecdotes  et  recherches  étymolo- 
giques, notices  et  discussions,  lettres  et  compliments,  traités  de  morale  et 
de  politique.  Évidemment,  fasciné  par  de  coupables  louanges,  il  s'aveugla 
sur  l'intérêt  de  ces  menus  travaux  qu'il  osa  comparer  un  jour  aux  Opus- 
cules de  Plutarque  ^  11  avait  pu  être  séduit  par  le  succès  prodigieux  qui 
avait  accueilli  des  productions  de  Juste  Lipse  du  même  genre  ou  du  même 
titre  que  les  siennes;  mais  il  lui  arriva  rarement  à  lui-même  d'aller  au 
delà  d'un  examen  superficiel  de  la  matière,  de  joindre  dans  ses  écrits  à 
l'éclat  de  la  diction,  la  portée  des  recherches  et  la  valeur  des  résultats. 
Presque  jamais  il  ne  prit  la  peine  de  faire  un  plan  pour  un  ouvrage  de 
quelque  étendue.  Le  plus  souvent,  Puteanus  eut  le  malheur  de  s'acharner 
à  des  investigations  interminables  sur  des  sujets  de  peu  de  valeur,  et, 
bien  des  fois,  de  tomber  même  dans  des  divagations  tout  à  fait  oiseuses, 
où  la  rhétorique  comblait  le  vide  des  faits.  Si  nous  ne  nous  trompons, 
Puteanus  a  été  exposé  aux  mêmes  illusions  et  aux  mêmes  faiblesses  que 
ces  brillants  écrivains  du  siècle  présent,  qui,  dans  des  articles  de  journaux 
ou  de  revues,  défendent  ou  critiquent  des  idées  et  des  opinions  recueillies 
à  l'aventure;  mais  du  moins  il  a  été  retenu  sur  la  pente  du  paradoxe  par 
sa  droiture  naturelle  et  par  ses  sentiments  chrétiens. 

Que  peut-on  dire  à  la  louange  de  Puteanus,  comme  savant  et  comme 
écrivain,  pour  rendre  raison  en  certaine  mesure  de  la  haute  renommée 
que  ses  contemporains  lui  ont  faite  -?  Il  a  touché  à  tout,  avec  l'espoir 
d'être  utile  et  agréable  aux  autres;  la  plupart  des  sciences  et  des  arts  qui 
étaient  en  faveur  de  son  temps,  la  poésie  et  la  musique,  les  mathéma- 
ques  et  l'astronomie,  l'histoire  et  la  morale,  etc.,  sont  entrées  tour  à  tour 
dans  le  cercle  de  ses  recherches.  Il  n'a  pu  le  faire  en  tout  cas  que  grâce 

t.  ni;  ses  trois  écrits  de  Nundiiiis  romanis,  de  bissexto,  de  stipendia  militari,  dans  le  recueil 
célèbre  de  Graevius,  tomes  V,  IX  et  X. 

*  Il  n'v  a  rien  de  si  improbable,  quoi  qu'en  dise  Paquet,  dans  l'anecdole  rapportée  à  ce  sujet  par 
deColomiès  (Particularités,  n"  12d.  —  Opéra,  édit.  de  Hamburg,  1709;  Fabricius,  p.  326). 

-  Il  faut  voir  comment  est  conçu  l'éloge  de  Puteanus  dans  VAcademia  Lovaniensis ,  où  il  est 
appelé  :  Saeculi  nostri  dcms  (p.  170  et  p.  75).  Mais  les  étrangers  ont  encore  rencbéri  sur  tout 
cela,  dans  leurs  formules  laudatives  à  l'adresse  de  Puteanus. 


DES  TROIS-LAISGUES  A  LOUVAIN.  179 

à  d'immenses  éludes,  dont   il  aurait  dû  chercher  une  meilleure  applica- 
tion ^ 

M.  de  Reiffenberg,  observant  l'importance  qui  revient  à  Puteanus  dans 
l'histoire  de  l'action  qu'il  a  exercée  sur  son  siècle,  met  en  équilibre  l'éloge 
et  la  critique  dans  le  passage  suivant  ^  ;  «  Sans  doute,  ce  n'était  pas  un 
homme  de  génie;  mais  il  possédait  des  connaissances  étendues  et  avait 
même  abordé  certaines  études,  que  dédaignaient  les  savants  de  profession. 
Doué  d'un  esprit  prompt  et  d'une  activité  merveilleuse,  il  se  hâtait  de 
toucher  à  tous  les  sujets,  en  formant  mille  projets  de  travail  et  d'amélio- 
rations pour  l'avenir.  Quoiqu'il  n'ait  laissé  qu'une  foule  d'écrits  souvent 
médiocres,  et  qu'il  ait  essentiellement  manqué  de  goût  et  de  profondeur, 
il  n'en  a  pas  moins  étonné  ses  contemporains,  qui,  frappés  de  ces  évolu- 
tions continuelles,  se  sont  surfait  sa  valeur  littéraire.  On  peut  dire  aussi 
avec  justice  qu'il  fut  un  de  ceux  qui  contribuèrent  le  plus  puissamment 
à  retarder  parmi  nous  la  décadence  des  lettres ,  et  ce  sommeil  de  plomb 
qui  devait  suivre  nos  formidables  commotions  politiques  et  religieuses.  >> 

En  somme,  le  plus  bel  éloge  que  l'on  puisse  faire  de  Puteanus,  c'est  de 
le  montrer,  ce  qu'il  a  été  au  dire  de  tous,  un  homme  de  cœur;  c'est  de  le 
louer  pour  son  caractère  et  ses  sentiments,  de  faire  ressortir  la  sincérité  et 
la  constance  d'un  dévouement  toujours  désintéressé.  Il  ne  refusait  son  appui 
ou  ses  conseils  à  personne,  et  il  avait  de  nombreux  amis  qui  l'estimaient. 
Il  avait  surtout  une  grande  et  vive  sollicitude  pour  la  jeunesse  qui  habitait 
les  collèges  de  Louvain.  Il  l'attirait  à  lui  par  ses  bons  procédés,  comme 
il  l'intéressait  aux  lettres  par  ses  leçons  et  ses  entretiens;  il  rendait  les 
voies  de  la  science  plus  douces  par  les  méthodes  familières  qu'il  avait 
mises  à  l'essai,  et  par  les  exercices  qu'il  avait  institués  dans  une  académie 
des  bonnes   études,   la  célèbre   Palaeslra  bonae  mentis  ^.   L'écrivain   titré, 

*  «  C'était,  dit  Weiss  (Biogr.  univers.,  t.  XII,  p.  322),  un  homme  d'une  vaste  lecture,  mais  de 
peu  de  jugement.  »  Le  P.  Nicéron  n'a  pas  pu  lui  épargner  des  reproches  analogues;  Paquet  n'a 
I  ien  dit  de  décisif  pour  les  atténuer. 

-  Bulletins  de  l'Acad.  royale,  t.  VIII,  toc.  cit.,  p.  12;  ailleurs  encore  [Cinquième  Mémoire,  p.  19), 
de  P.eiffenberg  a  fort  bien  dit  :  «  Nous  n'avons  en  quelque  sorte  que  la  petite  monnaie  de  son  génie.  » 

'  Nous  nous  étendrons  ((uelque  peu  au  chapitre  XI  sur  l'esprit  de  celte  institution  et  sur  ses 
résultats  pratiques. 


180  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

l'historiographe  royal,  se  faisait  pédagogue  pour  se  faire  écouter  des  plus 
faibles  intelligences;  il  employait  des  formules  littéraires  pleines  de  bien- 
veillance et  d'urbanité ,  en  toute  affaire ,  et  jusque  dans  les  certiûcats  qu'il 
aimait  à  délivrer  aux  jeunes  concurrents  de  son  arène  pacifique  '  :  on 
blâmerait  plus  fortement  le  pédanlisme  qu'il  a  mis  en  ces  choses,  s'il 
n'était  point  d'ailleurs  si  naïf  et  si  honnête. 

Nous  terminons  cette  notice  par  la  mention  du  témoignage  que  Puteanus 
s'est  rendu  à  lui-même,  et  que  rien  dans  sa  conduite  n'est  venu  démentir  -  : 
Mihi  modestia,  sobrieias,  ttno  verbo  lionestas  placet,  et  in  hune  finem,  quidqiiid 
est  iuerarum  diriijo,  ut  bonus  polius  quam  conspicuus  sim ,  aliosque  faciam. 

8.   NicoLAUS  Vernulael's  (Nicolas  de  Veruulz). 

(1646-1649.) 

Aucun  maître  de  Louvain  n'était  plus  digne  de  prononcer  l'éloge  funèbre 
de  Puteanus  que  celui  qui,  depuis  le  commencement  du  siècle,  était  le 
représentant  officiel  de  l'éloquence  latine  dans  le  corps  universitaire  ^. 
La  chaire  de  Puteanus  lui  fut  conférée,  et  il  en  était  digne  par  ses  longs 
services  *;  malheureusement  il  ne  la  remplit  que  pendant  trois  années 
environ,  de  1646  à  1649.  Quoique  nous  ne  devions  pas  à  Vernulaeus  une 
longue  mention  à  litre  de  professeur  au  collège  des  Trois-Langues,  il  est  de 
notre  sujet  de  faire  lessortir  ce  qu'il  a  fait,  dans  d'autres  fonctions,  au 
profit  des  études  de  langue  et  de  littérature  latines. 

Nicolas  de  Vernulz,  que  nous  nommerons  Vernulaeus  selon  l'usage, 
était  fils  de  Pierre  de  Vernulz,  capitaine  au   service  du  roi  d'Espagne;  il 

I   Maiiyrematum  Acndemicorum  formulae.  Voy.  le  mot  judicieux  de  Paquot,  n°  58,  p.  97. 

-  Lettre  inédite  de  l'an  1608  {Not.  et  Exlr.,  p.  41). 

^  Ce  panégyrique,  prononcé  en  l'église  de  S'-Gerlrude,  le  19  septembre  1646,  fut  imprimé  à 
Louvain  la  même  année,  chez  J.  Vryenborch ,  in-i°.  Voy.  la  bibliographie  des  œuvres  de  Vernulaeus 
dans  Paquot,  n"-47. 

^  Des  notices  biographiques  sur  Vernulaeus  font  partie  des  recueils  les  plus  connus  en  ce  genre  ; 
In  Bibliotheca  Belgka  (Valère  André,  édit.  1645,  pp.  699-70).  —  Foppens,  pp.  92-2-924)  ;  le.s 
Mémoires  du  P.  Nicéron,  t.  XXXIll,  pp.  387-597,  et  les  Mémoires  de  Paquot,  t.  I,  pp.  028-553. 
Une  très-courte  notice  précède  le  S'"'  volume  de  ses  Tragoediae  (édit.  de  1636). 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  181 

naquit  en  avril  1585,  à  Robelmonl,  bourg  du  territoire  de  Virton,  dans 
le  duché  de  Luxembourg.  Les  charges  importantes  qui  lui  furent  confiées 
à  Louyain  le  mirent  à  même  de  développer  sou  talent  naturel,  et  de  gagner 
beaucoup  d'ascendant  sur  la  jeunesse  universitaire.  A  peine  âgé  de  vingt- 
cinq  ans,  il  obtint,  en  1608,  au  collège  du  Porc  ,  la  place  de  professeur  de 
rhétorique,  que  J.-B.  Gramaye  résigna  en  sa  faveur,  et  trois  ans  plus  tard 
(1611),  il  eut  l'honneur  de  remplacer  Gramaye  dans  la  chaire  d'éloquence 
à  la  Faculté  des  Arts  '.  C'est  la  seconde  de  ces  charges  qui  donna  d'emblée 
à  Vernulaeus  un  rang  distingué  dans  l'Université,  et  qui  attira  autour  de 
lui  un  concours  extraordinaire  d'auditeurs  choisis.  Cependant,  malgré  le 
zèle  qu'il  déploya  pour  maintenir  la  renommée  de  la  chaire  et  le  titre 
envié  qu'elle  lui  donnait  [lilielor  publktis),  il  se  livra  avec  assez  de  soin  à 
l'étude  de  la  théologie  pour  obtenir,  en  1618,  le  grade  de  licencié.  Des 
charges  académiques,  des  dignités  honorifiques  et  quelques  bénéfices 
furent  conférés  dans  la  suite  à  Vernulaeus,  comme  une  récompense  des 
services  qu'il  avait  rendus  à  l'Université,  aux  lettres  et  à  l'Église  -.  Mais 
aucune  fonction  ne  consacra  mieux  dans  l'opinion  le  mérite  qu'il  avait 
su  atteindre  comme  professeur  et  comme  écrivain,  que  cette  leçon  de  latin 
au  collège  des  Trois-Langues,  illustrée  par  ses  deux  derniers  titulaires, 
Lipse  et  Puteanus  :  de  plus,  il  fut  à  son  tour  historiographe  de  S.  M. 
catholique  [Reyius  liistoriograpims).  Vernulaeus  ne  jouit  pas  longtemps  de 
ce  surcroît  d'honneurs;  il  mourut,  âgé  de  66  ans,  le  6  janvier  1649,  et 
fut  déposé  à  Saint-Pierre,  auprès  de  Puteanus,  un  de  ses  amis  intimes. 
Un  théologien  lettré,  Antoine  Dave,  prononça  en  cette  église,  le  8  janvier, 

'  On  lit  dans  les  Fasti  de  Valère  André,  pp.  247-248,  un  courl  exposé  du  conflit  qui  s'éleva  au 
sujet  de  cette  nomination  ,  entre  la  Faculté  des  Arts  et  le  magistrat  de  Louvain,  ainsi  que  le  texte 
de  !'arran2;ement  qui  survint.  Vernulaeus  fut  dispensé  des  conditions  qui  pouvaient  lui  manquer 
au  point  de  vue  des  attributions  de  ladite  Faculté.  Voy.  deReifFenberg.  [Cinquième  Mémoire ,  p.  23.) 

"^  Quand  s'ouvrit,  en  IG19,  le  collège  de  Mylius  ou  de  Luxembourg,  fondé  par  le  D''  Jean  de 
Myle,  qui  était  mort  en  Kspagnc  l'an  1593  (voy.  les  Fasli,  p.  324-26,  sur  cet  établissement),  Ver- 
nulaeus fut  choisi  comme  président  de  ce  collège  par  les  comtes  de  Fugger,  qui  en  firent  la  pre- 
mière organisation.  En  1626,  il  fut  investi  des  bénéfices  attachés  à  deux  canonicats,  l'un  de  Saint- 
Hermès  à  Renais,  l'autre  de  Saint-Pierre  à  Douai,  en  vertu  des  privilèges  académiques.  Trois  fois 
il  fut  recteur  de  l'Université  (en  1632,  1644  et  4643),  et  il  porta  le  titre  de  conseiller  et  d'histo- 
riographe de  l'empereur  Ferdinand  111  (Caesareus  historiographus). 


182  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

son  oraison  funèbre,  qui  fut  imprimée  avec  une  élégie  latine  du  même 
auteur  ^ 

Vernulaeus  était  incontestablement  un  liomme  de  talent;  il  a  acquis 
dans  son  siècle  beaucoup  de  renommée  à  l'établissement  universitaire  de 
Louvain,  dont  il  a  pu  sans  témérité  retracer  l'histoire  deux  fois  séculaire, 
dans  un  livre  de  forme  oratoire,  publié  en  1G27  -.  D'autres  entrepren- 
dront une  analyse  critique  de  ses  nombreux  écrits,  et  comprendront  dans 
une  monographie  historique  la  carrière  académique  de  Vernulaeus,  ei 
ses  travaux  d'humaniste,  de  grammairien,  d'orateur,  de  poète  et  d'histo- 
rien^. Force  nous  est  de  nous  en  tenir  ici  à  une  appréciation  sommaire 
des  oeuvres  philologiques  et  littéraires  qui  rentrent  dans  la  matière  histo- 
rique de  ce  chapitre. 

Vernulaeus  éiait  un  écrivain  doué  d'un  goût  sûr,  qui  s'est  développé 
par  l'étude,  et  que  n'a  point  gâté  la  grande  facilité  avec  laquelle  il  com- 
posait. Si  \ernulaeus  n'a  point  poursuivi  les  travaux  de  critique  et  d'her- 
méneutique sur  les  anciens,  qui  distinguent  l'école  philologique  de  Louvain 
dans  la  période  antérieure,  on  ne  peut  oublier  que,  pendant  la  plus  grande 
partie  de  sa  carrière,  il  a  dû  satisfaire  aux  exigences  pratiques  du  cours 
d'éloquence  dont  il  était  chargé.  Sa  mission  était  plutôt  de  former  des 
écrivains  pour  toutes  les  fonctions  qui  réclamaient  alors  une  connaissance 
familière  du  latin,  que  d'approfondir  la  critique  des  textes.  Il  a  tenu  à 
honneur  de  donner  l'exemple  en  même  temps  que  le  précepte  :  tout  ce 
qu'il  a  écrit  était  marqué  au  coin  d'un  esprit  sage  et  réglé;  ses  œuvres 
latines  devaient  être  lues  avec  faveur  par  les  hommes  instruits,  et  prises 
comme  des  modèles  par  la  jeunesse.  C'était  là  un  grand  et  légitime  succès 

'  Voy.  la  nolice  de  Paquot  sur  A.  Dave,  au  (oine  II  de  ses  Mémoires,  p.  305-306.  (Bibliogr.,  ii°  4. 
Lovanii,  .1.  Vryenbach,  p.  16,  in-4°). 

-  L'Academiu  Lovaniensis ,  dédiée  par  son  ;iiiteiir  au  roi  d'Espagne,  Philippe  IV,  vit  le  jour  au 
second  anniversaire  de  la  fondation  de  l'Université.  Voy.  sur  celte  première  édition  ,  et  sur  la 
seconde,  le  Bulletin  bibliogr.  de  P.nquot,  n"  19,  t.  III,  p.  ô.ïO. 

''  Paquot,  dans  ses  Mémoires,  a  détaillé  les  productions  imprimées  de  Vernulaeus  jusqu'au  chiffre 
de  31  articles;  mais,  au  lieu  de  les  énumérer  dans  Tordre  chronologique,  il  aurait  bien  mieux  fait 
de  les  classer  d'après  le  genre  et  les  sujets,  comme  il  l'avait  essayé  dans  ses  notes  préparaloires 
(Fasti  Acad.  Lnvati.,  1. 1,  fol.  ."iPO-.^Oô)  en  les  rangeant  sous  ces  quatre  rubriques  :  Poelica,—  Ora- 
torio -  Polilica ,  —  Historim. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  183 

à  une  époque  où  les  sciences  les  plus  importantes  étaient  traitées  en  latin, 
et  ojj  les  vers  latins  charmaient  bien  d'autres  que  les  savants  de  profession. 

Il  est  juste  de  reconnaître  que  Vernulaeus  a  mis  bien  plus  de  jugement 
que  Puteanus  dans  le  choix  des  sujets  qu'il  a  traités  en  vers  et  en  prose  ^ 
et  qu'il  a  choisi  aussi  avec  plus  de  discernement  la  matière  sur  laquelle 
ses  élèves  pouvaient  le  mieux  s'exercer.  D'une  part,  il  a  traité,  sans  sortir 
de  sa  sphère,  des  questions  de  politique  dans  de  courtes  dissertations,  et 
il  a  laissé  des  traités  historiques  qui  furent  longtemps  estimés;  il  a  com- 
posé des  discours  dans  tous  les  genres  :  sermons  et  panégyriques,  éloges 
et  oraisons  funèbres,  dont  les  événements  contemporains  lui  fournissaient 
l'occasion  et  la  matière ,  et  dans  lesquels  un  sentiment  très-vif  de  natio- 
nalité s'alliait  à  un  grand  attachement  à  la  maison  d'Autriche.  D'autre 
part,  Vernulaeus  se  mit  à  l'œuvre  dans  l'espoir  de  procurer  à  la  littéra- 
ture latine  l'espèce  d'universalité,  de  popularité  et  de  vie  qui  semble 
n'appartenir  qu'à  des  œuvres  écrites  dans  les  langues  modernes.  Dans  le 
cercle  où  s'étendait  son  action,  il  donna  de  l'intérêt  et  du  relief  à  la 
tragédie  latine  ,  qui  était  au  nombre  des  compositions  alors  les  plus 
goûtées.  Il  la  cultiva  lui-même  avec  intelligence-,  et  fit  en  sorte  d'en  tirer 
pour  les  autres  à  la  fois  de  l'agrément  et  de  l'instruction,  de  piquer  la 
curiosité  des  jeunes  gens  et  d'exciter  en  eux  avec  l'émulation  un  besoin  de 
jouissances  littéraires. 

Le  théâtre  latin  de  Vernulaeus  a  conservé,  aux  yeux  d'une  critique  im- 
partiale, une  valeur  intrinsèque  qui  le  met  fort  au-dessus  du  plus  grand 
nombre  des  pièces  latines  composées  dans  le  même  siècle  ^.  Sous  plus 
d'un  rapport,  le  style  oratoire  du  poète  n'échappe  pas  à  la  censure,  et 
le  défaut  d'être  trop  recherché  et  surtout  trop  fleuri  peut  être  signalé 
d'autant  plus  justement,  qu'il  s'est  toujours  grossi  sous  la  plume  des  lati- 
nistes qui  se   sont  réglés  sur  Vernulaeus.    Cependant  les  leçons  de  ce 


'  On  remarquera  ces  mots  dans  le  court  éloge  de  la  Bibliotheca  Belgica  :  Ad  haec  doctrina 
varius ,  ingcnio  politus  et  elcyans ,  judicio  perspicax ,  etc. 

■^  Valère  André,  Fasti,  p.  281  :  Tragico  praeseriim  Cothurno  excelluit. 

'  Les  Tragoediae  de  Vernulaeus,  publiées  à  part  en  diverses  années,  ont  été  recueillies  plus  tard 
dans  une  seconde  édition  en  deux  tomes  in-H".  (Lovanii,  1636.)  Voy.  la  Bibliogr.  dans  Paquot. 
Tome  XXVIII.  25 


184  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

maître  ont  eu  cet  heureux  effet  de  donner  du  prix  à  une  latinité  étudiée, 
d'habituer  les  jeunes  gens  à  attacher  quelque  importance  à  la  forme;  elles 
rendirent  la  culture  de  l'art  oratoire  profitable  aux  hommes  destinés  à  jouer 
un  rôle  dans  les  affaires  ^.  Comme  Paquot  l'observe  à  ce  propos,  cet  art  si 
utile  était  beaucoup  trop  négligé  dans  nos  provinces  au  siècle  suivant. 


9.   Bernardus  Heimbachius  (Bernard  von  lleymbach). 

(1649-1664.) 

Originaire  d'une  contrée  du  Rhin  et  sorti  des  écoles  de  Cologne  ^,  Ber- 
nard von  Heymbach,  dit  Heimbachius,  fut  à  Louvain  un  des  soutiens  des 
études  de  philologie  latine  à  l'époque  qui  suivit  immédiatement  Puteanus 
et  Vernulaeus.  Quand,  au  mois  de  mars  1649,  il  fut  choisi  pour  remplacer 
ce  dernier,  il  quittait  Maestricht  où  il  avait  dirigé  avec  éclat,  pendant  deux 
ans,  la  rhétorique  dans  l'école  de  Saint-Servais.  11  conserva  à  la  leçon  de 
latin  le  caractère  sérieux  qu'elle  avait  eu  naguère,  en  expliquant  de  pré- 
férence les  historiens  latins,  comme  l'avaient  fait  ses  prédécesseurs  :  c'est 
cet  usage  qui  fit  donner  alors  au  professeur  de  latin  un  second  titre,  celui 
de  Professeur  d'histoire  [Professor  lingiiae  lalinae  seu  hisloriarum) ,  et  qui  fit 
appeler  vulgairement  la  leçon  elle-même  Leclio  hisloriarum. 

L'activité  de  Heymbach  fut  grande  :  tout  en  poursuivant  d'autres 
études  ^,  il  mit  assez  d'intérêt  dans  ses  leçons  de  latin  auxquelles  il  mêlait 
des  considérations  d'histoire  et  de  politique*,  pour  y  attirer  grand  nombre 

'  Les  irailés  oratoires  de  Vernulaeus  sont  restés  en  usage  longtemps  après  lui  :  ses  trois  livres 
De  Jrle  dicendi  ont  été  publiés  de  nouveau  et  même  abrégés  par  J.  Impens,  en  1662  et  1672.  en 
\ue  d'un  emploi  tout  à  fait  pratique.  —  Paquet,  n"  o ,  t.  III,  p.  3'29. 

-  Heymbach  serait  né  vers  1620,  à  Zulpich,  dans  le  pays  de  Bonn,  faisant  partie  de  l'électoral 
de  Cologne.  Voy.  Paquot,  Mémoires,  1. 1,  pp.  oI3-ol-i,  d'après  les  papiers  du  collège  et  les  registres 
de  Saint-Pierre. 

'"  Déjà  bachelier  en  théologie  à  Cologne,  il  étudia  la  jurisprudence  à  Louvain,  où  il  obtint  le 
grade  de  licencié  es  droits,  en  \  654.  On  a  conservé  sa  thèse,  qui  roulait  sur  les  coutumes  féodales  : 
Bepelilio  seu  disputatio  postrema  cul  consneliidiiics  feudaks.  (Lov.,  Sassen  ,  1633,  petit  in-i".) 

"*  Voy.  l'apostrophe  de  van  Langendontk  à  Heymbach,  son  prédécesseur.  {Academia  Lovan., 
p.  75.)  Heymbach  était  conseiller  et  historiographe  de  l'archiduc  Léopold. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIIS.  18S 

d'étudiaiUs  étrangers  el  surtout  de  gentilshommes  allemands;  il  fut  chargé 
de  la  leçon  de  grec  dans  le  même  collège,  en  mars  16o4,  après  le  départ 
de  Jean  Normenton. 

Bernard  Heymbach,  qui  mourut  en  juillet  1664,  contribua,  pendant 
plusieurs  années,  par  son  dévouement  infatigable,  à  soutenir  la  renom- 
mée de  l'école  de  Busleiden.  Il  prit  la  défense  de  la  poésie  contre  ceux 
qui  voulaient  la  bannir  entièrement  des  études  du  jeune  théologien  *.  11 
cultiva  lui-même  les  lettres  latines  et  composa  des  discours  et  des  poëmes^. 
On  ne  voit  pas  que  Ileymbach  ait  concentré  l'attention  de  ses  élèves  sur  les 
anciens  monuments  de  la  latinité^;  mais  du  moins  il  n'a  négligé  aucune 
peine  pour  leur  montrer  combien  d'applications  on  pouvait  faire  alors  des 
règles  du  style  latin  à  des  productions  nouvelles.  Le  reproche  que  lui 
fait  Paquot  d'avoir  «  un  peu  gâté  ses  opuscules  à  force  d'y  vouloir  mettre 
de  l'esprit,  »  ne  paraît  pas  sans  fondement  :  il  venait  à  une  époque  où, 
pour  donner  de  la  vogue  à  ce  qu'on  écrivait  en  latin,  on  cherchait  des 
formes  nouvelles  et  oîi  l'on  renchérissait  en  élégance,  souvent  fort  maladroi- 
tement, sur  les  latinistes  de  l'âge  précédent.  Heymbach  a  rendu  quelque 
service  en  provoquant  le  goût  des  études  d'histoire  dans  la  jeunesse;  il 
voulut  prouver,  par  un  travail  sur  l'histoire  romaine,  quel  est  le  prix  de 
cette  science  pour  une  instruction  solide,  et  il  recommanda  comme  émi- 
nemment utile  l'alliance  de  l'histoire  et  de  la  science  du  droit*.  Heymbach 
laissa  des  souvenirs  honorables  au  sein  de  l'Université^;  mais  il  n'imprima 
pas  aux  études  philologiques  une  assez  forte  direction,  pour  qu'elles  résis- 
tassent à  l'influence  funeste  des  événements  politiques  et  au  mauvais  vou- 
loir de  la  génération  suivante. 

'   Voy.  ses  Vindieiae  poeticue  et  son  Poeta  cltrislianus ,  n"M  I  et  12  de  la  liibliogr.  dans  Paquot. 

-  Un  drame  et  des  pièces  de  vers  en  l'honneur  de  saint  Servais  ont  marqué  le  début  de  sa  car- 
rière d'écrivain  (ann.  1649-1630).  Voy.  Paquot,  /.  c,  n°^  I  et  2. 

•"  On  sait  seulement  qu'il  avait  pris  pour  matière  de  ses  leçons  publiques  l'opuscule  apologé- 
tique de  TertuUien  Pro  Pallio,  et  qu'il  avait  l'intention  d'en  publier  un  commentaire,  dont  il  ne 
parut  que  le  spécimen.  (Prodroma ,  etc.,  1655,  in- 12.)  Voy.  Paquot,  ibid.,  n°  8. 

'  Hisloria,  seu  verus  ex  ea  fructus ,  etc.  (1650).  De  historiae  cumjurispriuleiitia  coiijunclione 
dissertatio  epistolica  (1635).  Voy.  Paquot,  ibid.,  n°^  3  et  6. 

•'  Son  oraison  funèbre  fut  prononcée  par  J.  de  Sauter,  son  ami  et  son  collègue. 


186  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

10.   Christianus  a  Langendonck   (Clirélien  van  Langendonck). 

(1664-1669.) 

Successeur  de  Heymbach,  ce  personnage  n'occupa  qu'environ  cinq  ans 
la  chaire  de  latin.  Nous  empruntons  les  éléments  de  sa  biographie,  qui 
n'a  pas  encore  été  écrite,  aux  notes  inédites  de  l'abbé  Bax  et  à  celles  de 
Paquol ^ 

Christianus  van  Langendonck  naquit  à  Louvain  le  24  novembre  1650, 
dans  la  paroisse  Saint- Jacques,  de  Pierre  van  Langendonck  et  d'Anne 
de  Muntere,  appartenant  à  d'anciennes  familles  de  cette  ville.  Il  apprit  le 
latin  au  collège  des  PP.  augustins,  et,  après  avoir  terminé  son  cours  de 
philosophie  à  la  pédagogie  du  Lis,  il  obtint  la  quarante-septième  place  dans 
la  promotion  générale  de  l'an  1649.  Il  était  prêtre,  bachelier  en  théologie, 
licencié  en  droit  quand,  à  la  fin  de  l'année  1664,  il  fut  appelé  aux  Trois- 
Langues.  Déjà  au  commencement  de  l'année  1669,  il  renonça  à  l'enseigne- 
ment pour  occuper  la  cure  de  Sainte-Gertrude  dans  sa  ville  natale.  Deux 
ans  après,  le  22  octobre  1671,  il  fut  nommé  pléban  à  Lierre,  et  ensuite 
il  devint  archiprêtre  ou  doyen  du  district  :  c'est  en  cette  ville  qu'il  mourut 
le  28  août  1672.  Van  Langendonck  passait  pour  un  bon  latiniste;  cepen- 
dant il  gâtait  son  style  par  la  recherche  et  l'enflure,  qui  étaient  des  imper- 
fections de  son  temps.  On  est  frappé  de  ces  défauts  quand  on  lit  l'édition 
de  YAcademia  Lovaniensis  de  Vernulaeus,  qu'il  donna,  en  1667,  avec  des 
additions  nombreuses  sur  les  personnages  qui  avaient  fleuri  après  l'appa- 
tion  de  ce  livre  ^.  Dans  ces  notices  supplémentaires,  il  n'est  point  de 
phrase  qui  ne  sente  la  recherche  ;  la  diction  est  presque  toujours  ampou- 
lée, chargée  d'antithèses,  et  même  de  jeux  de  mots  misérables.  Paquot  a 
bien  pu  dire  ^  :  Stylo  lalino  valuit,  etsi  pro  aevi  more  nimiiis  aciiminum  cap- 

'  Bax,  folio  1442.  —  Fasli  Acad.  Lov.,  1. 1,  p.  504. 

2  AcADEMU  Lovaniensis,  ejus  origo,  incrementiim ,  forma,  magish-atus ,  facilitâtes,  etc.,  recognUa 
dein  et  aucta  pcr  Christlanum  à  Langendonck  J.  C.  et  professorem  hisloriarum.  (Lovanii,  lypis 
Pétri  Sassenii,  1667,  p.  198,  in-4".)  Le  livre  est  dédié  à  P.  Stockraans,  conseiller  de  Brabant.  an- 
cien professeur  de  grec. 

'  MS.  des  Fasli,  p.  504. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIiN.  187 

laior.  Les  plus  étranges  rapprochements  de  mots  et  d'étymologies  ,  d'idées 
et  d'images  composent  la  louange  des  hommes  que  l'auteur  admire  le  plus 
et  qu'il  veut  exalter  ^ 


11.    JOANNES    BaPTISTA    ViCTOR    DE    ScHUTTELAERE. 

(1609-1683.) 

Cet  humaniste,  qui  naquit  à  Furncs,  en  Flandre,  en  1638,  et  qui 
étudia  à  Douai,  fut  professeur  de  poésie  au  collège  de  la  S'^-Trinité,  à 
Louvain,  dès  l'an  1660.  Il  succéda,  en  1669,  à  Chr.  van  Langendonck 
dans  la  chaire  de  latin  qu'il  conserva  douze  ans.  Il  était  pourvu  de  plu- 
sieurs bénéfices  quand  il  mourut  à  Louvain,  le  4  mai  1685,  avec  une 
réputation  dont  on  ne  peut  plus  bien  juger  aujourd'hui  ^.  En  tout  cas. 
c'était  pédantisme  et  pure  illusion  de  la  part  de  ses  confrères  ou  élèves 
de  la  Trinité  que  de  le  traiter,  après  avoir  déjà  employé  beaucoup  d'épi- 
thètes  sonores  et  de  titres  magnifiques,  de  «  digne  successeur  de  Lipsius  », 
et  de  comparer  sa  mort  à  la  chute  d'un  astre  ^. 

12.   Dominique  Snellaerts. 

(1083-1688.) 

La  vie  de  ce  personnage,  né  à  Anvers  le  18  mars  1650,  est  remplie 
d'incidents  qui  seraient  mieux  relatés  dans  l'histoire  d'autres  sciences;  en 
effet,  Snellaerts  fut  philologue,  philosophe,  juriste,  théologien  *,  et  il 
n'occupa  que  pendant  cinq  ans  la  chaire  de  latin  après  de  Schuttelaere. 

«  Voy.  ses  notices  sur  Pierre  à  Castello  [Musarum  et  Grallarum  Castellum.ctc....)  el  sur  Vernu- 
laeus  {nondicam  Ver  nnllum,  elc...),  dans  \Acudemla,  pp.  170-171. 

2  Voy.  dans  la  notice  de  Paqiiot  [Mémoires,  t.  III,  pp.  406-407)  le  titre  des  deux  élucubrations 
historiques  que  de  Schuttelaere  avait  léguées  au  collège  des  Trois- Langues. 

5  Cette  pièce,  qui  a  été  recueillie  par  Paquot  (p.  407),  finit  par  ces  mots  :  LUX  aCaOeMlae 
e\p\rdS\l. 

^  Lire  surtout  Paquot,  Mémoires,  t.  III,  pp.  70-73. 


188  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

Promu,  en  1GG8,  maître  es  arts,  Snellaerts  avait  professé  la  philosophie 
pendant  une  dizaine  d'années  au  Faucon,  et  s'était  efforcé  d'y  faire  préva- 
loir la  physique  expérimentale  tirée  des  ouvrages  de  Descartes  *;  il  s'était 
adonné  toutefois  pendant  ce  temps  à  l'étude  des  langues  et  de  l'histoire^. 

Snellaerts  avait  quitté  Louvain  à  cause  des  embarras  que  lui  donnait 
la  présidence  du  collège  de  Saint-Yves  qu'il  avait  acceptée  en  1G88.  Il  ne 
put  donner  libre  cours  à  ses  goûts  studieux  à  Gand,  oîi  son  titre  de  cha- 
noine l'engagea  dans  la  direction  d'affaires  litigieuses,  et  quand  il  devint 
chanoine  à  Anvers,  en  1711,  il  fut  empêché,  par  les  infirmités  de  l'âge, 
de  reprendre  ses  plans  d'étude.  Il  mourut  en  celte  ville  le  o  mars  de 
l'année  1720. 

L'amour  de  Snellaerts  pour  les  lettres  ne  s'est  pas  démenti  à  la  fin  de 
sa  carrière,  puisqu'il  légua  à  l'université  de  Louvain  une  bibliothèque 
riche  et  bien  choisie,  qui  devait  être  mise  à  la  disposition  des  hommes 
d'étude,  et  qui  fut  réunie  au  premier  fonds  de  la  bibliothèque  acadé- 
mique ^. 

15.   Léonard  Gautius. 

Ce  personnage,  né  à  Maestricht,  avait  été  élève  de  la  pédagogie  du  Lis 
et  il  avait  obtenu  le  premier  rang  dans  la  promotion  des  arts  l'an  1676 
il  devint  plus  tard  professeur  primaire  de  rhétorique  à  la  pédagogie  di 
Faucon.  Puis,  lors  de  la  retraite  de  Snellaerts,  les  proviseurs  du  collège 
des  Trois-Langues  jetèrent  les  yeux  sur  lui  pour  la  chaire  de  latin  et  d'his 
toire  'K 

On  va  voir  que  Gautius  n'eut  cependant  jamais  une  jouissance  paisible 

^  On  lit  dans  les  noies  de  Paquot.  (MS.  des  Fasti.  t.  I,  p.  304)  :  Jnlentus praesertim  remcandae 
saniori  atqtie  experimenlis  nixae  pliysicae. 

-  Snellaei'ls  présida  aii  Faucon ,  le  14  décembre  1680,  une  thèse  d'histoire  mieux  choisie  que  les 
ijuestious  discutées  d'ordinaire  :  Citi  cansae  adscribenda  sit  exlerminatio  Templariorum?  — 
Promol.  in  artibus  (Foppens),  folio  64. 

'  Voy.  P.  iSamur,  Bist.  des  bibliolh.  publ.  de  la  Belgique,  t.  II  [Bibl.  de  Louvain),  pp.  18-19. 
Bruxelles,  1841. 

'  Desigiialus  est  historiae  latinae  magister.  —  Paquet,  Fasii.  Acad.  Lov.,  t.  I,  p.  503. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  189 

de  celte  chaire,  et  qu'il  dut  céder  devant  le  crédit  d'un  compétiteur  habile 
et  audacieux  '. 

C'est  le  3  janvier  1689  que  Gautius  fut  nommé  professeur  de  latin  par 
les  proviseurs,  et,  le  16  du  même  mois,  il  inaugura  son  enseignement, 
qu'il  poursuivit  jusqu'aux  vacances  académiques  de  la  même  année  1689, 
faisant  ses  leçons  d'abord  à  trois  heures  et  demie  de  relevée,  et  ensuite  à 
quatre  heures. 

Un  conflit  surgit  quand  L.  Gautius  réclama  le  titre  d'historiographe  royal 
presque  toujours  inséparable,  depuis  le  commencement  du  siècle,  de  la 
chaire  de  latin,  ainsi  que  la  pension  de  plusieurs  centaines  de  florins 
attachée  à  ce  titre  ^.  Or  le  gouverneur  de  la  Belgique,  François  Antoine 
de  Agurto,  marquis  de  Caslanaga,  avait  déjà  mis  en  possession  du  titre 
d'historiographe  le  frère  Bernard  Désirant,  docteur  en  théologie,  de 
l'ordre  des  ermites  de  saint  Augustin  :  la  collation  avait  eu  lieu  en  date  du 
il  avril  1689,  avec  des  clauses  particulières.  Le  gouverneur  apprit  que 
Gautius  enseignait  l'histoire  au  lieu  de  la  langue  latine^,  et  qu'il  donnait 
sa  leçon ,  avec  consentement  de  son  confrère  François  Martin ,  pi'ofesseur 
de  grec,  à  trois  heures  de  relevée,  heure  réservée  à  Désirant  pour  l'ensei- 
gnement de  l'histoire.  En  conséquence,  il  donna  l'ordre  au  recteur  de 
l'Université,  en  date  du  26  septembre  1689,  d'empêcher  que  quelqu'un 
enseignât  l'histoire  au  collège  des  Trois-Langues,  à  l'exception  de  Dési- 
rant, à  qui  il  assigna  de  nouveau  l'heure  susdite  :  quant  à  Gautius,  il 
entendait  qu'il  se  contentât  de  professer  la  langue  latine. 

Gautius  prolesta  contre  cet  arrêt,  et  invoqua  la  concession  faite  à  ses  pré- 
décesseurs, qui  avaient  professé  l'histoire  romaine  en  expliquant  les  histo- 


*  L'exposé  de  l'affiiire  est  fait  d'une  manière  complète  par  Paquot  (Fasti,  p.  503)  et  lire  peu 
de  lumière  de  la  compilation  de  Bax. 

-  Erycius  Puteanus  et  Vernulaeus,  après  Juste  Lipse,  avaient  joui  de  ce  titre,  n)ais  non  pas 
leurs  successeurs  immédiats,  Heymbacli,  van  Langendonck,  Snellaerts,  d'après  le  témoignage  de 
Paquot  (dans  ses  Fasti  manuscrits,  1. 1,  pp.  323-524).  Le  titre  de  hisloringraphi  regii  fut  donné 
ensuite  à  Gaspar  Gevartlus,  en  1631  {Stipendio  ann.  Floren.  400),  et  à  P.  Galarde,  historien  et 
conseiller,  le  18  décembre  1676;  enfin,  le  même  titre  fut  donné  au  frère  Désirant,  en  1689,  avec 
un  traitement  de  300  livres. 

'  On  a  vu  en  quel  sens  la  leçon  de  latin  était  devenue  une  leçon  d'histoire  romaine. 


190  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

riens  latins.  L'affaire  traîna  en  longueur;  la  cour  ayant  maintenu  sa  défense 
de  prendre  le  titre  de  professeur  d'histoire,  il  paraît  que  Gautius  cessa 
tout  à  fait  d'enseigner  à  partir  de  1695,  et  que,  plusieurs  années  après, 
il  donna  sa  démission  (7  mars  1705).  Il  se  l'etira  alors  à  Anvers,  où  il 
fut  chanoine  de  Notre-Dame,  et  c'est  là  qu'il  mourut  le  8  novembre  1728. 

14.  Bernard  Désirant. 

Ce  religieux ,  dont  les  prétentions  déterminèrent  la  retraite  de  L.  Gau- 
tius, se  trouva  maître  de  la  position,  et  prit  en  réalité  la  place  qui  reve- 
nait au  professeur  de  latin  et  d'histoire  (Instoi-iariim) ,  pour  exercer  le  mo- 
nopole de  l'enseignement  historique.  Comme  Désirant  a  joué  un  rôle  fort 
curieux  dans  les  affaires  religieuses  de  son  temps  ',  nous  ne  croyons  pas 
superflu  d'exposer  ici,  d'après  Paquot  ^,  l'origine  de  ce  petit  débat,  où  le 
protégé  du  gouvernement  l'emporta  sur  l'élu  de  la  fondation.  Quand  le 
frère  Désirant  reçut  le  titre  d'historiographe  royal,  en  avril  1689,  par 
décret  du  marquis  de  Castanaga,  il  obtint  en  même  temps  la  faculté  d'en- 
seigner publiquement  l'histoire  au  collège  des  Trois-Langues  et  dans  tout 
autre,  avec  promesse  d'une  pension  de  cinq  cents  livres^.  Bientôt  après. 
Désirant,  ayant  publié  son  programme,  fit  savoir  qu'il  inaugurerait  sa 
charge  de  professeur  le  14  mai  1689.  Cependant,  sur  les  représentations 
des  proviseurs  dudit  collège,  le  recteur  lui  interdit  cet  acte  auquel  il  se 
croyait  autorisé  par  son  brevet  *. 

Au  jour  fixé,  Désirant  fit  l'ouverture  de  ses  leçons  au  Collegium  Regium, 

'  Voy.  Goelhals,  Lectures  relat.  à  l'histoire  des  sciences  et  des  lettres,  t.  I,  pp.  200-208, 

2  Fasti  Acad.  Lov.,  1. 1,  folio  S03  et  525. 

"'  On  exigeait  de  Désirant  qu'il  prêtât  le  grand  serment  de  fidélité  au  Roi;  mais  on  lui  donnait  : 
'<  Plein  pouvoir,  autorité  et  mandement  spécial  de  faire  bien  et  dûment  toutes  et  singulières 
ji  choses,  qu'un  bon  et  royal  Historiographe  peut  et  doit  faire,  avec  faculté  d'enseigner  non-seule- 
))  ment  au  collège  des  Trois-Langues  en  l'université  de  Louvain,  comme  ont  fait  tant  d'autres 
»  pourvus  de  semblable  état,  mais  aussi  dans  tout  collège  où  il  sera  trouvé  convenir,  à  la  pen- 
))  sion  de  500  livres  du  prix  de  40  gros  de  monnoie  de  Flandre  la  livre  par  an,  dont  il  sera  payé 
»  par  la  l'ecette  générale  des  Finances.  » 

^  Désirant  avait  tenté  un  jour  de  pénétrer  par  force  dans  le  collège. —  Goethals ,  Lert.,  I,  p.  205. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  191 

au  milieu  d'un  grand  concours  d'auditeurs  attirés  par  la  nouveauté  du 
fait.  Mais  plus  tard,  par  lettres  royales  du  A  juillet,  l'intendant  de  Lou- 
vain  {Praetor  seu  Villlciis)  reçut  ordre  de  mettre  Désirant  à  même  d'en- 
seigner dans  le  collège  de  Busleiden  :  ce  qui  fut  exécuté.  On  voit  ce 
personnage  porter  dans  les  années  suivantes,  par  exemple  en  tête  de 
thèses  qu'il  présidait  %  la  double  qualification  de  Hisloriograpims  regius  et 
de  Hisloriarum  professor  publiciis.  Sans  doute  la  leçon  de  latin  était  sup- 
primée de  fait,  par  suite  de  l'abstention  à  laquelle  Gautius  se  résigna,  et 
Désirant,  qui  avait  reçu  le  singulier  privilège  d'enseigner  en  tout  collège, 
avait  sa  chaire  d'histoire  bien  établie  là  où  elle  se  confondait  dans  sa  dési- 
gnation avec  une  autre  leçon,  la  lectio  hisloriarum'^.  Désirant  conserva  sa 
charge  jusqu'à  l'an  1701  ;  mais  il  est  constant  que  l'histoire  romaine  n'était 
pas  une  partie  importante  de  son  enseignement.  Il  traitait  de  préférence 
l'histoire  moderne  et  même  l'histoire  contemporaine,  et  ce  sont  des  allu- 
sions imprudentes  à  des  faits  tout  récents  qui  amenèrent  la  suspension 
de  ses  leçons,  et  le  firent  condamner  lui-même  à  l'exil  5.  Après  son  départ 
précipité,  la  chaire  qu'il  avait  disputée  à  Gautius  dut  rester  vacante  quel- 
ques années. 

'  Voir  des  thèses  du  20  décembre  1691.  Promot.  in  artibus,  folio  72. 

■2  On  ne  dit  pas  si  Desiranl ,  agréé  enfin  par  les  proviseurs,  toucha  les  honoraires  de  cette  leçon 
suivant  les  usages  de  la  fondation. 

5  Nous  n'avons  point  à  rapporter  en  détail  toute  celte  affaire,  esquissée  par  Paquot  (MS  ,  p.  325). 
Désirant  expliquait  l'histoire  d'Angleterre  en  juin  1701 ,  quand,  arrivé  aux  règnes  de  Jacques  II  et 
de  Guillaume  III,  il  se  permit  de  donner  de  grandes  louanges  à  ce  dernier.  La  chose  fut  relevée 
par  des  Irlandais  et  par  d'autres  élèves;  elle  fut  déférée  à  quelques  généraux  français ,  entre  autres 
au  maréchal  de  Boufflers,  et  ensuite  au  gouverneur  de  la  Belgique,  le  marquis  de  Bedmar.  En  vain, 
Désirant  se  justifia  par  lettres  :  un  arrêté  du  gouverneur,  promulgué  à  Louvain,  le  20  juillet  1701, 
lui  enjoignit  de  sortir  des  terres  de  la  juridiction  royale  et  de  renoncer  à  tout  professorat,  à  cause 
de  ses  discours  injurieux  pour  deux  rois,  Louis  XIV  et  Jacques  II.  Une  brochure  justificative  avec 
des  attestations  de  ses  auditeurs  ne  fit  point  d'elfet.  Désirant  s'exila,  et  il  ne  revint  plus  tard 
en  Belgique  que  pour  semer  de  nouvelles  intrigues,  entre  autres  celle  à  laquelle  son  nom  est  atta- 
ché, la  fourberie  de  Louvain.  Désirant  mourut  à  Rome,  en  1723,  laissant  la  réputation  d'un  esprit 
exalté,  intolérant  et  ambitieux. 


Tome  XXVIII.  26 


192  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

15.  Jean  François  de  Laddeksols. 

(1705-1720). 

Jean  François  de  Laddersous,  né  à  Malines,  termina  brillamment  ses 
humanités,  fit  son  cours  de  philosophie  au  collège  du  Faucon,  et  obtint 
la  cinquième  place  dans  le  concours  académique  de  l'an  1G82.  Après 
quelques  années  consacrées  à  l'étude  de  la  théologie,  il  fut  chargé  de 
l'enseignement  de  la  philosophie  à  la  pédagogie  du  Porc  '  ;  il  avait  le  rang 
de  professeur  primaire  et  le  grade  de  bachelier  en  théologie  (S.-T.-B.-F. ), 
quand  il  fut  appelé  à  l'enseignement  du  latin,  au  collège  des  Trois-Langues. 
Gautius  ayant  résigné  définitivement  sa  charge,  en  date  du  7  mars  1705, 
les  proviseurs  du  collège  la  conférèrent  le  2  avril  suivant  à  de  Ladder- 
sous, à  celte  condition  qu'il  ne  poursuivît  pas,  sans  leur  consentement,  le 
débat  suscité  autrefois  par  Désirant,  et  qu'il  n'en  provoquât  pas  d'autre. 

De  Laddersous ,  en  acceptant  cette  charge ,  dut  s'entendre  avec  les  deux 
compétiteurs  qui  se  l'étaient  disputée^.  Du  moins  put-il  sans  obstacle  se 
nommer,  suivant  la  dénomination  qu'avait  prise  la  chaire  primitive  de 
langue  latine,  Lalinae  Historiae  ac  Politicae  professor  publicus^.  Rien  ne 
prouve  qu'il  se  soit  distingué  comme  latiniste;  du  moins  il  se  rendit  utile 
dans  plusieurs  fonctions,  par  exemple  dans  celle  de  directeur  de  la  biblio- 
thèque académique  de  Louvain*,  et  de  président  du  collège  de  Malines. 
En  vertu  des  privilèges  de  la  Faculté  des  Arts,  il  avait  été  pourvu  d'un 
canonicat  en  l'église  primaire  de  S'-Lambert  à  Liège.  De  Laddersous 
mourut  à  Louvain  le  2  janvier  1720,  et  fut  enterré  dans  le  petit  cimetière 
de  S'-Pierre,  où  l'inscription  de  sa  pierre  sépulcrale  était  presque  effacée 
et  devenue  illisible  du  temps  de  Paquot. 

'  C'est  en  celle  qualité  qu'il  fut  attaqué  avec  une  certaine  violence  par  des  membres  de  la  com- 
pagnie de  Jésus,  dans  l'affaire  du  Formulaire  Belgique,  affaire  qui  donna  lieu,  de  part  et  d'autre, 
à  la  publication  de  plusieurs  réquisitoires  latins,  mais  dont  l'examen  est  étranger  à  noire  travail. 

-  Paquot,  Fasti,  I,  folio  506  :  Satisfacere  vero  cum  Gaulio,  tum  Desirantio  debuit. 

'■>  Gomme  le  porte  sa  signature  au  bas  de  plusieurs  approbations. 

*  Il  n'y  a  aucune  mention  de  Laddersous  dans  l'Histoire  de  cette  bibliothèque,  par  P.  .Namur. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  493 

16.   Christianus  Bombaeus   (Chrétien   Bombcnje). 

(1720,  ann.  suiv.). 

Chrétien  Bombaye,  dont  le  nom  est  écrit  quelquefois  aussi  Bombay, 
naquit  à  Rolduc,  dans  le  district  d'Aix-la-Chapelle,  le  16  novembre 
1688.  Quatrième  dans  la  promotion  de  l'an  1706  avec  Adrien  Marcq  de 
Nivelles  %  il  fut  lecteur  au  collège  du  pape  Adrien  VI,  et  obtint  le  17  aoiit 
1718  le  grade  de  licencié  en  théologie.  En  1720,  il  succéda  à  de  Ladder- 
sous  comme  professeur  d'histoire  au  collège  des  Trois- Langues  ;  mais 
d'autres  études  et  d'autres  charges  occupèrent  Bombaye  à  partir  de  cette 
époque.  Il  fut  recteur  en  172!8,  et  il  devint,  en  1756,  professeur  des 
décrets  {ad  Decrelum  Graliani)  et  chanoine  de  S'-Pierre.  L'an  1752,  le 
21  octobre,  il  fut  proclamé  docteur  es  droits^  et  l'an  1741  il  fut  nommé 
professeur  ordinaire  de  droit  civil  [Ordinurms  in  jure  civili).  Il  mourut  à 
Louvain,  le  12  mars  1747. 

Malgré  les  titres  académiques  de  Bombaye  à  l'époque  de  sa  nomination 
au  collège  des  Trois-Langues,  on  lui  suscita  des  difficultés  au  sujet  de 
l'enseignement  du  latin  ^  et  on  le  remplaça  momentanément  par  Lambert 
de  Jenefîe  de  Iluy,  licencié  en  théologie  '',  qui  ne  remplit  du  reste  ce  poste 
que  pendant  une  seule  année  (1721-1722).  Cependant,  par  suite  d'une 
motion  des  proviseurs  et  d'un  décret  académique,  Bombaye  fut  rétabli 
dans  sa  dignité.  Seulement  il  arriva  que  ce  professeur,  qui  avait  d'autres 
fonctions  à  remplir  et  qui  avait  à  lutter  sans  cesse  contre  sa  mauvaise  santé, 
confia  à  diverses  reprises  la  leçon  de  latin  à  un  humaniste  déjà  fort  estimé 
dans  l'Université,  Gérard  Jean  Kerckherdere.  Les  fonctions  de  ce  dernier, 

'  IJno  noio  additionnelle  an  MS.  de  Foppens  (Promotiones  in  arlibus,  folio  29o)  nous  a  fonrni 
plnsienrs  des  renseignemenls  hiographiqnes  dont  nous  avons  fait  usage  en  celte  notice. 

2  Voy.  le  supplément  aux  Fastes  académiques  de  Valère  André.  Annuaire  de  Vuniv.  de  Louvain  , 
ann.  1844-,  p.  U9.  —  Bomliaye  était  licencié  en  droit  depuis  1721. 

'•  Nous  empruntons  ces  détails  aux  notes  de  Paquot,  Fa&li,  MS.,  t.  I,  p.  507. 

'■  (^e  personnage  (Lambertus  de  Jeneffe,  Huensis)  fut  promu  docteur  en  théologie,  le  5  août 
173-2.  [Snppl.  nd  Fastns  doct.  S.  Th.  —  Oratiode  laudibus,  etc..  pp.  145-146.)  Il  fut  président  du 
collège  d'Arras,  devint  recteur  en  1741  et  mourut  en  1753.  Ses  contemporains  louaient  en  lui 
de  brillantes  qualités  :  Dicendi  facundia,  scribendi  ekgantia ,  docendi  solci-tia ,  etc. 


194  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

à  titre  de  suppléant,  furent  de  si  longue  durée,  qu'on  peut  le  compter  parmi 
les  professeurs  du  collège  des  Trois-Langues,  et  lui  accorder  de  ce  chef 
une  notice  séparée. 

La  chaire  de  latin  appartenait  toujours  de  droit  à  Bombaye;  quand 
Kerckherdere  mourut  en  1758,  le  premier  en  fit  valoir  la  légitime  posses- 
sion, et  il  ne  la  résigna  en  faveur  de  J.  II.  Vanden  Steen,  en  1741 .  que 
(jnand  il  fut  promu  lui-même  à  la  chaire  de  droit  civil. 

17.   Gérard  Jean  Kerckherdere. 

Le  suppléant  de  Bombaye,  qui  professa  le  latin  au  collège  des  Trois- 
Langues  entre  les  années  1722  et  1758,  était  un  des  membres  les  plus 
actifs  de  la  Faculté  des  Arts.  Puisque  sa  vie  n'a  pas  encore  été  écrite  avec 
détails,  on  nous  saura  gré  d'en  reproduire  ici  les  principaux  traits  *. 

Gérard  Jean  Kerckherdere  (nom  qu'on  trouve  écrit  aussi  Kerkherdere 
et  Kerkherderen )  était  né  à  Ilulsberg,  localité  du  territoire  de  Fauque- 
mont,  dans  le  Limbourg,  en  1677'-^;  de  là  vient  le  surnom  de  Falcobiir- 
gensis  qu'on  lui  donna  souvent.  Après  ses  premières  études,  faites  au 
collège  des  jésuites  à  Maestricht,  il  se  rendit  à  Louvain  en  1694,  et  en 
terminant  son  cours  de  philosophie  au  collège  du  Porc,  il  fut  le  quatrième 
dans  la  promotion  du  20  novembre  1696.  Le  reste  de  ses  jours  s'écoula 
à  Louvain  :  il  avait  étudié  les  langues  et  les  éléments  de  la  théologie, 
avant  d'occuper  successivement  deux  chaires  au  collège  de  la  Sainte-Trinité, 
celle  de  Grammaire  de  1700  à  1702  et  celle  de  Syntaxe,  de  1702  à  1708. 
C'est  en  1708  que  l'empereur  Joseph  I"  lui  conféra  le  titre  d'historio- 
graphe impérial  et  royal  [Caesarci  et  Rajii  hislorioçjrapln)^  titre  qui  ne  fut 

*  Nous  tirons  des  faits  neufs  des  notes  de  l'abbé  Bax,  folio  1443,  1517  el  1527,  et  des  Faxti 
manuscrits  de  Paqiiot,  1. 1,  p.  524  (  Historingraphi  regii). 

-  Comme  en  fait  foi  l'extrait  suivant  du  registre  des  baptêmes  de  la  paroisse  de  Hulsberg, 
pour  l'an  1677.  Exlraclmn  ex  regislro  baplizalormn  parochiae  Ilulsberg  (  1077).  Die  seplimii 
Novemhris  baplizalus  est  Ger ardus  Jouîmes  ftHus  Joannis  Kercherderen scabini  curiac  Climensis  et 
Muriae  Roebroox  conjiigum.  Susceperunl  eum  e  sacro  baplismalis  fonte  D.  Henricus  Franssen  loco 
coHsultissimi  Domiui  Gerardi  Paris  (?)  Régis  christianissitni  consiliarii  nec  non  ejusdem  concilii 
Brabantiae  Trnjecli  secretarii  et  Maria  Ubachts  loco  Calharinae  Gansl  (ou  Fauss). 


DES  TROIS  LANGUES  A  LOUVAIN.  193 

donné  à  personne  après  lui  jusqu'en  1762  K  II  fournit  encore  une  longue 
carrière  ^  et  il  était  âgé  de  62  ans,  quand  il  mourut  le  16  mars  1758. 
Sous  le  rapport  de  son  instruction  et  des   qualités  naturelles  de  son 
esprit,  Kerckherdere  n'était  pas  indigne  de  prendre  la  parole  dans  une  des 
chaires  de  Busleiden.  Doué  d'une  érudition  qui  était  devenue  de  son  temps 
peu  commune,  Kerckherdere  était  habile  dans  les  trois  langues  grecque , 
latine  et  hébraïque;  s'il  faut  en  croire  les  souvenirs  de  ses  contemporains, 
il  les  savait  au  point  de  les  parler  avec  facilité,  et  il  s'en  servit  pour 
aborder  les  questions  les  plus  difficiles  de  l'antiquité  sacrée  et  profane-'. 
Plusieurs  de  ses  élucubrations  d'histoire  et  d'exégèse  en  ce  genre  ont  vu  le 
jour*;  mais,  bien  loin  d'avoir  joui  de  l'approbation  des  savants,  elles  ont 
été  jugées  avec  assez  de  sévérité  par  des  hommes  instruits  qui  ont  fleuri 
peu  après  lui   dans  le  même  siècle.  Ils  n'ont  attaché  qu'une  importance 
secondaire  aux  traités  de  Kerckherdere  intitulés  :  Prodromus  DanielUicus 
(1711),  Syslema  apocalyplicum  (1708),  Ceplias  reprelwmis ,  de  Situ  Paradm 
terrestris  (1751),  etc.  Quant  h  son  ouvrage  plus  étendu,  qui,  sous  le  titre 
de  la  Monarchie  de  Rome  païenne  ■',  établissait  une  stricte  concordance 
entre  Daniel  et  saint  Jean  dans  leurs  prophéties  sur  les  destinées  et  l'his- 
toire de  l'empire  romain,  il  a  été  jugé  plein  de  vues  hasardées  et  de  con- 

'  Après  sa  mort,  la  charge  d'historiographe  resta  quelques  années  vacante;  puis,  par  un  décret 
du  6  février  1743,  le  revenu  de  500  florins  (D  florimrum)  qui  y  était  attaché,  fut  partagé  {provi- 
sionaliter)  en  trois  parts.  Le  passage  peu  explicite  de  Paquot,  auquel  nous  devons  ce  renseigne- 
ment, est  resté  inachevé  (Fasii,  MS.,  t.  I,  p.  323).  Plus  tard  seulement  la  charge  échut  à  Paquot 
(voy.  chap.  VllI,  §  13). 

2  II  avait  épousé,  en  1319,  \nne-Marie  Gaulants,  fille  de  Charles-François  Gaulants,  greffier, 
et  de  Jeanne-Françoise-Caroline  Smits. 

5  Latine,  Graece  utque  Hebraice  ita  perilus .  u(  husce  ires  linguas  sacras  ac  si  nativae  forent 
eloqueretur  facillime;  hisce  adminiculis  antiqiiilatis  sacrae  et  profanae  abstrusas  historias ,  prae- 
sertim  Scriptiirae  sacrae  exponebat;  multaquc  in  lus  edidit  calcula  erudilorum  prohata.  etc.  Re- 
cueil de  Bas,  folio  1317-1318. 

*  Voy.  la  bibliographie  qui  suit  la  vie  de  Kerkherdere  dans  la  Biorjraphie  liégeoise  du  conile 
de  Becdelièvre,  t.  II,  pp.  383-383,  et  dans  l'article  de  la  Biographie  universelle  calqué  sur  celui-ci 
par  M.  Lavalleye(t.  LXVIII,  pp.  493-94). 

s  MoNARcniA  RoMAE  Paganae,  Secundum  concordiam  inter  S.  S.  Prophetas  Danielem  H  Joanneni 
nunquam  haelenus  tetilalam.  Consequens  hisloria  a  Monarchiae  conditoribus  usque  ml  Urbis  et 
Imperii  ruinam,  opus  praemissum  quatuor  Monarchiis.  —  Accessit  séries  IJistoriae  apocaUjpticae. 
.\uctore  J.-G.  Kerckherdere.  Lovanii ,  typis  M.  van  Overbeke,  17"27,  pp.  572,  in-8°. 


19G  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

clusions  forcées  :  poussé  par  un  esprit  de  système  qui  indique  peu  de  juge- 
ment ^,  l'auteur  a  prétendu  montrer  dans  les  Écritures  la  désignation 
précise  des  événements  politiques  de  règne  en  règne.  Dans  la  préface  de 
ce  travail,  Kerckherdere  fait  entendre  que  s'il  en  a  différé  la  publication, 
c'est  à  cause  des  soins  que  réclame  de  lui  l'enseignement  de  l'histoire  ou  la 
composition  de  poésies;  il  compte  bien  regagner  le  temps  perdu  en  mettant 
au  jour  un  grantl  nombre  de  dissertations  sur  les  points  historiques  les 
plus  compliqués  de  l'Ancien  et  du  Nouveau  Testament  -.  11  est  fort  à 
craindre  que,  malgré  des  intentions  droites,  il  n'ait  souvent  été  entraîné,  en 
ce  genre  de  recherches,  à  défendre  savamment  des  opinions  sans  valeur. 
Mais  nous  n'insistons  pas  davantage  sur  ces  travaux ,  par  lesquels 
Kerckherdere  entendait  satisfaire  à  sa  mission  d'historien  et  payer  son 
tribut  à  la  science  des  Écritures  ;  il  nous  reste  à  dire  ce  qu'il  fit  d'un  autre 
côté  pour  les  études  de  philologie  et  de  littérature.  11  professait  encore 
les  humanités  quand  il  publia,  en  1706,  un  abrégé  méthodique  de  gram- 
maire latine,  qui  présentait  les  règles  essentielles  avec  clarté  et  sans  sur- 
charge d'exemples;  il  expliqua  son  dessein  dans  une  préface  adressée 
aux  membres  de  la  Faculté  des  Arts  de  l'Université,  et  il  recueillit  les 
suftrages  des  trois  hommes  qui  enseignaient  alors  au  collège  de  Busleiden  , 
Fr.  Martin,  J.  van  Iloven  et  J.  F.  Laddersous,  comme  on  le  voit  dans 
leurs  attestations  qui  terminent  le  volume.  On  lui  sut  gré  d'avoir  résumé 
avec  intelligence  les  éléments  d'une  science  proposée  à  l'attention  de  la 
jeunesse,  et  aujourd'hui  même  il  est  juste  de  lui  attribuer  le  mérite 
d'avoir  donné  aux  classes  un  livre  qui  leur  manquait.  Kerckherdere  fut 
bien  plus  renommé  de  son  temps  comme  poète  latin  :  à  cause  de  sa  grande 
facilité   de  composition  ou  d'improvisation,  on  ne  fit  pas  difficulté  de  le 

'  (j'est  en  ce  sens  que  sont  rédigées  les  notes  critiques  fort  nombreuses  dont  M.  Giiyaux,  profes- 
seur d'Écriture  sainte  au  dernier  siècle,  a  chargé  un  exemplaire  interfolié  qui  a  passé  sous  nos  yeux. 

-  Plusieurs  sont  restées  manuscrites,  telles  (]ue  celles  sur  les  ((uatre  Ages,  sur  les  quatre  monar- 
chies, sur  les  LXX  semaines  de  Daniel.  Voy.  la  Biorjraphie  liégeoise,  l.  Il,  p.  583. 

''  Granimatica  latina  in  faciliorem  methoditm  redacta  additis  anomaliarum  causis.  Pws  prima 
ot  secnnda.  Lovanii,  apud  .'Egidium  Deniqne.  a"  1706,  pp.  \  17,  in-12.  Nous  avons  remarqué  un 
appendice  De  veleri  Hnguae  latinae  prommtialione  (pp.  d06-l  17),  où  l'auteur  s'appuie  sur  de  con- 
tinuels rapprochements  entre  le  grec  et  le  latin  sous  le  rapport  de  l'euphonie  et  de  l'orthographe. 


DES  TROIS-LAINGUES  A  LOLVAIN.  197 

comparer  à  Virgile  et  à  Ovide,  et  même  de  lui  appliquer  l'aveu  naïf  que 
faisait  ce  dernier  poêle,  comme  s'il  ne  savait  plus  parler  autrement  qu'en 
vers  : 

Quidquid  lenlabam  dicere  versus  erat. 

Non -seulement  Kerckherdere  flt  grand  nombre  de  pièces  de  circon- 
stance pour  des  premiers,  des  licenciés,  des  docteurs,  etc.;  il  publia  trois 
recueils  de  poésies  latines,  intitulés  Vox  academica,  où  il  se  faisait  l'in- 
terprète des  sentiments  de  l'Université,  à  l'occasion  delà  naissance  et 
ensuite  de  la  mort  du  sérénissime  archiduc  Léopold*,  puis  à  l'occasion 
de  la  bataille  de  Belgrade.  On  a  aussi  de  lui  une  pièce  latine  qui  est 
une  histoire  en  vers  de  la  Faculté  de  Théologie  de  Louvain  jusqu'à  son 
époque  ^  :  de  Schola  theologica  Lovaniensi. 

Kerckherdere  avait  fait  tant  de  vers  pour  les  autres;  on  le  paya  après  sa 
mort  de  la  même  monnaie,  et  on  lui  rendit  ses  compliments  avec  usure. 
Un  versificateur  du  temps,  Jean  Ferdinand  Delhoungne,  composa  un 
poëme  funèbre  in  obitum  subtilissimi  (sic)  Domini  Kerckherdere  ^.  Nous  ne 
pouvons  charger  ces  pages  de  la  longue  série  de  distiques  ampoulés  qui 
portent  la  gloire  de  Kerckherdere  jusqu'aux  astres;  qu'on  juge  par  le 
suivant  de  l'extravagance  des  comparaisons  : 

Qui  Cicero  velut  aller  erat,  velutalter  Apollo, 
Inlerque  hisloricos  Curlius  aller  eral. 

Que  penser  des  qualités  qu'on  a  démesurément  exaltées  en  sa  per- 
sonne, au  point  d'en  faire  un  grand  poëte  et  même  un  génie  original  *  ! 
Kerckherdere  eut  en  partage,  avec  de  l'érudition,  un  talent  remarquable 

'  Ces  recueils  onl  été  imprimés  chez  Ég.  Denique,  à  Louvain,  en  t716,  petit  in-4°.  Voy.  Pa- 
quot,  MS.  cité,  p.  524. 

2  Elle  a  été  publiée  comme  document  historique  dans  les  Analectes  de  VAnnuaire  de  l'imiv.  de 
Louvain,  an.  1840,  pp.  190  et  suiv. 

5  Ces  vers  ont  été  imprimés  à  la  fin  de  la  Vox  academica,  editio  tertia.  (Lovanii,  P.  É.  Denique, 
pp.  40,  in-4°.) 

^  Les  textes  latins,  dont  Bax  cite  des  extraits,  le  nomment  :  Poeta  sui  aevi  longé  primus ,  praes- 
tantissimus  Apullinis  inlerpres ,  ciinctarum  arlium  vutcs  studiosissimus ,  etc. 


498  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

Je  versificaleui-;  mais  ce  ne  fut,  à  vrai  dire,  ni  un  historien,  ni  un  poëte. 
11  fut  bon  grammairien  et  enseigna  sans  doute  avec  méthode;  mais  il  ne 
fit  rien  pour  étendre  le  cercle  des  études  latines,  en  remontant  aux  monu- 
ments classiques  qu'on  avait  négligés. 

18.  Henri  Joseph  Vandensteen. 

Natif  de  Jumet,  près  de  Charleroy,  Vandensteen  succéda  à  Chr.  Bom- 
baye  le  50  novembre  1741,  et  il  conserva  la  chaire  de  latin  jusqu'à  sa 
mort,  qui  arriva  l'an  1768^ 

Vandensteen  avait  étudié  au  Porc  et  obtenu  la  cinquième  place  dans 
la  promotion  de  1726,  ou  bien,  suivant  Paquot ,  de  1728.  Il  eut  plus 
tard  la  charge  de  conservateur  du  bâtiment  académique  qu'on  appelle 
/es  Halles.  On  ne  connaît  point  de  fait  significatif  qui  ait  marqué  son  pro- 
fessorat au  collège  de  Busleiden. 

Après  la  mort  de  V^andensteen,  on  ne  fit  plus  de  nomination  pour  la 
leçon  de  langue  latine,  dite  vulgairement  leçon  des  histoires  {liisturut- 
rum).  , 

'    Periii  irtu  molae  alalne.  Nous  devons  ces  détails  sur  sa  vie  à  l'ahiié  Bax,  folio  1444  et  1519, 
et  à  l'aqiiot,  Fusti,  t.  I,  p.  507. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  ^99 

CHAPITRE  VU. 

LES  PROFESSEURS  DE  LANGUE  GRECQUE. 


VyùvM  t'Ête/t",  àpx«~îov  cvei^oi  àhiié^iv 
Aéycii  Et  ifeùyofisv,  Boii^Tiav  \/v.  .  .  . 
(l*iNDAB   Ohpnp.  VI.) 


Le  préjugé  était  vaincu  sur  notre  sol,  et  plusieurs  hommes  s'étaient 
mis  à  l'œuvre,  depuis  un  demi-siècle,  pour  être  initiés  à  la  connaissance 
jadis  encore  mystérieuse  du  grec ,  à  l'envi  des  étrangers  qui  s'en  étaient 
longtemps  prévalus.  Érasme  pouvait  dire  aux  savants  belges,  comme  à  ce 
jeune  savant  espagnol  auquel  il  écrivait  en  1526  \  que  leur  pays  allait 
être  lavé  de  tout  reproche  de  barbarie,  et  que,  comme  l'Espagne,  il  re- 
deviendrait l'égal  de  l'Italie  dans  la  culture  de  l'esprit.  11  est  de  fait 
qu'Érasme  n'avait  plus  à  craindre  pour  l'honneur  de  ses  compatriotes, 
quand  déjà ,  en  l'absence  d'un  enseignement  régulier,  un  si  grand  nombre 
d'hellénistes  s'étaient  formés  au  milieu  d'eux  en  quelques  années.  C'est  au 
point  qu'au  moment  où  les  mandataires  de  Busleiden  devaient  pourvoir 
une  première  fois  à  la  chaire  de  grec,  il  se  présenta  plusieurs  concurrents 
qui  avaient  travaillé  en  s'entr'aidant,  en  recourant  aux  lumières  des  plus 
avancés  de  leurs  condisciples,  dans  les  collèges  de  Louvain. 

Un  de  ceux  dont  les  titres  parurent  le  mieux  établis,  fui  Jacques  Teign, 
de  Horn  en  Hollande,  dit  Ceratinus  2,  du  nom  de  sa  ville  natale.  Il  pou- 
vait compter  plus  qu'aucun  autre  sur  l'appui  d'Érasme,  qui  louait  en  lui 

'  Epist.,  t.  I,  p.  932.  Nicolao  Hispano  (Basileae,  1526)  :  Pmdarus  in  Dithyrambis  studel  ele- 
gaiilia  carminum  âbolere  probrum,  quod  vulgus  in  Boeotos  jacere  solel,  onôyciuiy ,  inquiens.  r.om- 
zixy  \i'j;  quo  facilius  erit  ingenii,  doctrinae,  facundiaeque  laudem,  qua  quondam  Bispania  non 
cessit  llaliae,  postliminio  revocare,  etc.. 

-  Il  a  figuré  au  chapitre  V  (p.  131),  parmi  ceux  qui  ont  favorisé  les  premiers  par  des  leçons  ou 
des  exercices  le  mouvement  littéraire  dans  l'Université.  Voy.  Foppens,  Bibl.  BeUj.,  pp.  508-509,  et 
de  Reifîenberg,  Qnatriènœ  Mémoire,  pp.  80-82.  —  Ceratinus  ne  mourut  qu'en  1530. 

Tome  XXVIIl.  27 


200  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

la  modestie  alliée  au  savoir  '.  Déjà  il  avait  gagné  à  Louvain  des  prosélytes 
aux  deux  langues  classiques  dans  lesquelles  il  était  versé.  Comme  il  n'ob- 
tint aucune  des  chaires  de  Busleiden,  il  essaya  d'ouvrir  à  Tournai  une 
école  de  philologie  où  il  prit  pour  sa  part  l'enseignement  du  grec  ^.  Mais 
peu  d'années  après,  vers  1520,  chassé  de  Tournai  par  la  peste  et  la 
guerre,  il  passa  en  Allemagne,  enseigna  à  Leipzig  vers  1525,  et  puis 
séjourna  de  nouveau  à  Louvain.  Il  est  incertain  s'il  donna  dans  cette 
ville  des  leçons  publiques  avec  un  titre  quelconque;  mais  vraisemblable- 
ment il  s'y  occupa  sans  relâche  de  ses  deux  principaux  travaux,  qui  méri- 
tent d'être  cités  dans  l'histoire  des  humanités  :  car  ils  sont  restés  en  témoi- 
gnage de  son  savoir  et  de  son  aptitude  à  traiter  les  matières  philologiques 
avec  une  rigueur  encore  bien  rare  de  son  temps.  C'est  son  dictionnaire 
grec,  le  premier  qui  ait  été  composé  en  Belgique,  et  son  traité  sur  le  son, 
la  valeur  et  la  prononciation  des  lettres  grecques  ^.  Plus  d'une  fois  Érasme 
a  déclaré  Ceratinus  capable  de  professer  avec  succès  en  Italie  même  : 
mais  on  a  lieu  de  croire  que  son  bon  vouloir  envers  lui  fut  arrêté  par 
l'idée  qui  le  préoccupait  fortement  en  1517  et  1518,  celle  de  faire  venir 
de  l'Italie  un  des  Grecs  réfugiés  en  ce  pays,  afin  qu'il  enseignât  la  langue 
avec  la  vraie  prononciation  conservée  par  les  Byzantins.  La  persistance 
avec  laquelle  Érasme  nourrit  cette  pensée  *,  et  l'enthousiasme  avec  lequel 
il  en  fit  part  à  Jean  Lascaris  ^,  prouvent  assez  quel  développement  il  con- 
seillait à  ses  amis  de  Louvain  de  donner  incessamment  à  l'étude  du  grec. 

'  Préface  du  dictionnaire  publié  en  1529  (voy.  ci-après,  note  5)  :  Qui...  exactam  ulriusque  lin- 
gnae  peritiam  citm  incredibili  modeslia  copulavit. 

-  Voy.  de  Reiffenberg,  Quatrième  Mém.,  pp.  4^2  et  81,  et  Bottier,  Mém.  sur  Érasme,  pp.  1 17-1 18. 

^  Le  premier  ouvrage  a  paru  à  Bàle,  en  1324.,  avec  une  préface  élogieuse  d'Érasme  (voy.  de 
Reiffenberg,  /.  c,  p.  82)  :  Dictionnarius  Graecus  praeter  omnes  superiores  accessiones....  ingenti 
vocabulorum  numéro  locuplelntuf. ,  etc.  Basil.,  J.  Froben,  in-fol.  —  Le  second  ouvrage  De  Sono  grae- 
carum  iUerarum  parut  à  Cologne,  en  1529,  in-8". 

'  Érasme  demandait  l'assentiment  de  J.  Robbyns  par  sa  lettre  du  18  mars  1318:  De  Grneco 
accersendo  narrabis  Borsalo  quid  tibi  sententiae;  is  libi  vicissim  meum  referet  aiiimum...  (Epist., 
t.  11,  p.  1C77). 

»  Jean  André  Lascaris  avait  été,  dès  1493,  le  maître  de  G.  Budé  et  de  Danès  en  France;  sous 
Léon  X,  il  avait  dirigé  5  Rome  une  école  grec(|ue.  IMais  il  passa  de  nouveau  en  France  vers  1317, 
et  il  ne  rentra  à  Rome  que  sous  Clément  Vil.  — Voy.  Hodius  De  Graecis  illuslribus.  Londini, 
1742,  pp.  257-260,  et  Roerner  De  hominibus  erudilis,  etc. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  201 

La  lettre  d'Érasme  à  Lascaris  nous  a  paru  assez  curieuse  pour  être  ana- 
lysée en  tète  de  ce  chapitre,  consacré  aux  titulaires  de  la  chaire  de  grec  '  : 
on  y  voit  qu'Érasme  avait  été  chargé  officieusement  de  cette  affaire,  et 
qu'il  la  négociait  avec  plein  pouvoir.  Érasme  parle  de  la  fondation  faite 
récemment  par  la  munificence  de  Jérôme  Busleiden,  de  l'enseignement 
gratuit  et  public  du  collège  des  Trois-Langues ,  et  des  honoraires  assez 
beaux  (d'environ  70  ducats)  promis  à  chaque  professeur.  11  presse  J.  Las- 
caris de  lui  envoyer  au  plus  tôt,  pour  la  chaire  de  grec,  un  de  ses  compa- 
triotes instruits,  un  Grec  qui  donne  sans  peine  aux  jeunes  gens  la  pure  et 
vraie  prononciation  de  son  idiome  maternel.  Il  fait  valoir,  au-dessus  de 
l'indemnité  et  des  égards  qui  lui  seront  dus,  la  probité  et  la  douceur  des 
hommes  avec  qui  il  devra  vivre  ^.  Il  ne  donne  point  de  promesse  écrite  à 
Lascaris;  la  meilleure  garantie,  c'est  la  parole  d'Érasme,  qui  vaut  cent 
diplômes,  qui  est  une  promesse  royale. 

Malheureusement,  la  proposition  d'Érasme  ne  put  avoir  de  suites.  Jean 
Lascaris,  qui  était  en  France,  ne  la  reçut  pas  en  temps  opportun,  et  celui 
sur  qui  Érasme  avait  compté  comme  dévoué  d'ordinaire  aux  hommes  d'es- 
pérance et  d'avenir  ^,  ne  lui  donna  pas  de  réponse.  Instruit  de  ce  contre- 
temps par  la  correspondance  officieuse  de  Paul  Bombasius  qu'il  avait  mis 
au  courant  de  ses  démarches  *,  Érasme  ne  put  pas  insister  plus  longtemps 
sur  le  choix  d'un  Grec  de  naissance.  Bombasius,  il  est  vrai,  lui  promit 
de  nouvelles  recherches  en  Italie  pour  satisfaire  à  son  désir  ^;  mais  il 
n'était  plus  temps  de  compter  sur  les  débris  de  l'émigration  byzantine, 

•  Lettre  de  Louvain,  26  avril  1518.  £'pts(.,  t.  I,  p.  319. 

-  Ibid...  Dabitur  viaticum ,  dabitttr  salarium  ,  dnbitur  locits.  Eril  ilU  res  cum  viris  integerriniis 
et  Inunanissimis. 

■'  Érasme  dit  de  lui  :  Semper  candidissime  favit  bonae  spei  ingeniis  (Epist.,  t.  I,  p.  377). 

*  Lettre  de  Rome,  1"  octobre  1318  {Episl.,  t.  I,  p.  332)  :  Lascaris  in  Gallia  nune  agil,prop- 
lereaque  a  me  conveniri  non  poluil.  Si  quae  viri  docti,  qualem  mihi  describis ,  facultas  mihi  se 
obtulerit,  tuae  voluntcUi  pariler,  acillius  commodo  inserviam.  Dans  une  lettre  d'Erasme  à  P.  Bom- 
basius {Episl.,  1. 1,  p.  558,  en  décembre  1518),  le  premier  témoigne  sa  surprise  du  départ  de 
Lascaris,  sous  Léon  X  :  Demiror  quae  res  Joannem  Lascarim  Rorna  potueril  avellere,  praeserlim 
Leone  praesidenle  rébus  ac  sludiis. 

s  Paul  Bombasius  était  un  des  amis  et  correspondants  les  plus  officieux  d'Érasme  en  Italie;  il 
fut  secrétaire  du  cardinal  Sanctorum  quatuor,  et  fui  mêlé  à  plusieurs  affaires  politiques  et  reli- 


202  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

réduite  à  quelques  érudits  presque  otlogénaires,  et  l'on  procéda  au  choix 
d'un  helléniste  sorti  de  nos  écoles  '. 


1,    RuTGERUS  Rescuis  (EiiUjcr  Ressen). 

(1518-1543.) 

Le  premier  professeur  élu  par  les  mandataires  de  Busleiden,  pour  la 
chaire  de  grec,  était  un  élève  de  ce  Jacques  Ceratinus,  qui  semblait  devoir 
l'emporter  sur  tout  autre,  grâce  aux  services  rendus  aussi  bien  qu'aux 
suffrages  d'Érasme.  Rutgerus  Rescius,  dont  le  nom  vulgaire  était  Ressen  2, 
naquit  à  Maseyck,  petite  ville  de  l'ancienne  principauté  de  Liège,  sur  les 
bords  de  la  Meuse  :  il  se  donnait  à  lui-même  l'épithète  de  Dryopolitunua.  Il 
prit  à  Louvain,  le  22  août  1515,  le  grade  de  bachelier  en  droit;  mais, 
fort  instruit  dans  la  langue  grecque  qu'il  avait  apprise  dans  sa  jeunesse, 
il  eut  des  occasions  de  l'enseigner  à  d'autres  jeunes  gens.  Il  put  bientôt 
l'enseigner  en  titre,  comme  professeur  de  la  fondation  de  Busleiden,  et  il 
fut  un  des  trois  maîtres  qui  inaugurèrent  leur  chaire  le  1"  septembre 
1518,  dans  un  local  provisoire.  Mais  qu'il  n'y  ait  plus  demépriseà  l'avenir 
sur  l'espèce  de  profession  que  fit  Rescius  chez  les  PP.  Augustins  ^  :  il  ne 
revêtit  jamais  l'habit  de  ces  religieux ,  il  ne  prononça  aucun  vœu  entre 

gieiises.  Érasme  le  tenait  pour  un  homme  fort  instruit,  qui  aurait  écrit  avec  distinction,  si  les 
circonstances  extérieures  n'y  avaient  fait  obstacle.  (V^oy.  Episl.,  t.  I,  pp.  665-660.  Eruditissiniu 
P.  Borabasio.  Anderlecht,  1521.) 

'  On  croirnil  qu'un  certain  Roberlus  Cnesar  s'élait  mis  sur  les  rangs,  dès  1317  :  c'était  un  bel 
esprit  qu'Erasme  avait  appris  à  connaître  chez  un  de  ses  amis,  Antoine  Clava,  conseiller  de  Flandie. 
Dans  une  des  lettres  sans  date,  il  s'agit  d'une  épttre  de  R.  Caesar,  pleine  d'excessives  louanges  pour 
Érasme.  (Episl.,  t.  II,  p.  1787.)  Mais  ailletir.>5,  dans  une  lettre  de  décembre  1317,  celui-ci  dità  Clava, 
sans  doute  à  propos  de  quelque  ouvrage  ou  de  quelque  pièce  :  Caesaii  gratulor  tantiwi  Graecilutis. 
Video quid  ayat ,  umbit  Graecanicam professionem  in  hoc  novo  colkgio,  etc.  {Epist.,  l.  Il,  p.  1651.) 

-  Voy.  Bihl.  lielg.,  éJit.  Foppens,  p.  l'iSD,  et  les  Exordiu  de  Vaière  André,  p.  66.  De  plus, 
nous  avons  consulté  pour  celte  notice  Paquot.  Fusti,  MS.,  t.  I,  p.  508,  et  l'abbé  Bax,  fol,  1449-1430. 

'"  Auspicatus  fuit  professionem  anno  1518  Kal.  Septemhr.  apud  Paires  Augustinianos  (Vaière 
André,  Fasli ,  p.  282).  Voy.  les  notes  du  discours  de  M»'  de  Ram  :  Coiisid.  sur  l'Iiist.  de  l'Uiiiv. 
de  Louvain,  pp.  46-48  (mai  1834);  il  y  a  rectifié  l'assertion  du  P.  van  Iseghem  au  sujet  de  l'apos- 
tasie de  Rescius,  et  cette  inadvertance  a  été  depuis  réparée  par  l'auleur. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  203 

leurs  mains;  tout  simplement  comme  ses  deux  collègues,  il  donna  sa  pre- 
mière leçon  dans  une  salle  de  leur  maison. 

Rescius  fit  ses  débuts  sous  les  yeux  d'Érasme  qui,  l'année  suivante, 
prenait  ses  repas  en  sa  société  et  trouvait  du  charme  à  plaisanter  avec 
lui  '.  Il  avait  deux  nouveaux  collègues,  Goclenius  et  Campensis,  à  l'époque 
où  se  fit  l'installation  des  professeurs  dans  le  local  définitif  du  collège  2. 
Jusqu'à  la  fin  de  sa  carrière,  Rescius  remplit  les  mêmes  fonctions  :  il 
mourut  à  Louvain,  le  2  octobre  1545,  et  l'on  porte  à  vingt-sept  ans  la 
durée  de  son  professorat. 

Le  savoir  était  uni  chez  Rescius  à  beaucoup  de  talent;  ce  ne  sont  pas 
sans  doute  de  vains  éloges  qu'Érasme  lui  a  donnés,  en  louant  à  la  fois  sa 
science  et  ses  qualités  morales  :  «  Je  ne  sais,  disait-il,  en  1519,  à  J.  Rob- 
byns  "^,  si  l'on  rencontrerait  un  homme  plus  savant  :  certainement  on  ne 
trouverait  pas  dans  un  autre  plus  de  zèle  et  des  mœurs  plus  pures  »  ;  et 
ailleurs  encore  '*,  il  lui  attribue  «  une  érudition  peu  commune,  rehaussée 
par  une  modestie  incroyable  et  par  une  pudeur  en  quelque  sorte  virgi- 
nale. »  La  réputation  de  Rescius  s'était  répandue  assez  vite  au  dehors,  pour 
qu'il  eût  reçu,  vers  1527,  des  offres  brillantes  de  François  I"''  qui  voulait 
l'attirer  dans  ses  États.  La  tentation  dut  être  forte  pour  Rescius,  qui  s'était 
plaint  trop  souvent  :  aussi  Érasme  le  pressa-t-il  sur-le-champ  de  consacrer 
de  nouveau  toute  son  activité  au  collège  de  Rusleiden  ^  et  le  supplia- 1- il 

'  Epist.,  t.  I ,  p.  523  (1"  décembre  1319)  :  Utimiir  eadem  mensa  et  inter  pocula  quidvis  (jur- 
rimus. 

-  Paquot  {Fasti  Acad  ,  t.  I,  p.  S08)  parle  d'une  copie  du  discours  prononcé  le  9  mars  1318.  Il 
faudrait  en  loul  cas  substituer  l'année  1319  à  l'année  1518,  puisque  le  personnel  ne  fut  constitué 
qu'en  septembre  1318;  mais  comment  expliquer  la  grande  difl'érence  des  dates,  à  moins  de  sup- 
poser que  Rescius  n'ait  commencé  qu'environ  six  mois  après  les  deux  autres  :  Orationem  in  auspi- 
ciis  yraecae  professionis  anno  1318  VU  Mus  Marlias....  in  collegio  Triliiigui  Lovanii  habitam, 
exscriplatnqne  ex  Rescii  aulographo  3  Septembre  1039  abcjus  pronepole  Nicolao  Nessel,  S.  T.  L. 
Proton,  upostolico,  et  Leodii  ad  S.  Paulum  canonico,  adserval  (in-4'',  pp.  13)  J.  F.  Baelemans. 

^  Docliur  an  inveniri  potest  ncscio;  cerle  diligentiorem  et  moribus  puriorein  vix  inventas.  — 
Epist.,  1. 1,  p.  523. 

■'  Ep.  ad  Bern.  Buchonem,  sept.  1321  (Epist.,  t.  1,  p.  C67):  Qui  doctrinamnon  vulgaremincre- 
dibili  quadam  modestia  pkinvque  pttdore  quodam  virginco  dedecorut. 

■>  Leitre  de  Bùle  (7  octobre  13-27)  sur  laquelle  nous  reviendrons  encore.  (  Epist.,  t.  I,  pp.  1017- 
1018.)  En  voici  des  extraits;  Ojferenliir  libi  aliunde magni/icae conditiones...  amplissimis promissis 


204  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLÈGE 

même  de  «  rendre  aux  lettres  par  l'habileté  de  son  enseignement  l'éclat 
que  les  lettres  avaient  déjà  jeté  sur  son  nom.  »  Érasme  se  souvenait  des 
efforts  qu'il  avait  faits  autrefois  pour  vaincre  l'hostilité  de  quelques 
hommes  de  l'Université  contre  Rescius,  et  pour  lui  obtenir  quelques  avan- 
tages nouveaux  ^  :  il  l'avait  défendu  contre  d'indignes  préventions  qu'il 
attribuait  au  mauvais  vouloir  de  plusieurs  envers  les  lettres,  et  qu'il  reje- 
tait aussi  sur  le  caractère  timide  de  Rescius.  Il  le  représentait  captif,  en- 
chaîné au  collège  des  Trois-Langues,  comme  saint  Paul  était  captif  de 
Jésus-Christ;  seulement,  disait-il  bien  haut,  ses  persécuteurs  ne  sont  plus 
des  Juifs,  mais  des  maîtres  de  la  doctrine  chrétienne.  Cédant  aux  repré- 
sentations d'Erasme  qui  lui  venaient  de  si  loin  ,  Rescius  conserva  son 
poste;  mais  il  encourut  à  d'autres  égards  les  reproches  de  son  ami ,  comme 
on  le  verra  ci-après. 

Rutger  Rescius  savait  beaucoup,  et  il  était  apte  à  de  grands  travaux  : 
mais  il  fut  entraîné,  paraît-il,  par  l'idée  commune  à  plusieurs  hellénistes 
de  son  temps,  de  négliger  l'étude  ou  la  critique  des  œuvres,  de  dédaigner 
le  soin  de  les  traduire,  en  vue  de  publier  un  plus  grand  nombre  de  textes 
grecs.  Certes,  c'était  une  entreprise  alors  fort  utile  que  de  donner  des 
textes  revus,  et  quelquefois  corrigés  d'après  les  manuscrits  :  ainsi  fit  Res- 
cius en  publiant  les  Aphorismes  d'Hippocrate  avec  des  leçons  inédites  mises 
en  marge.  On  ne  peut  disconvenir  non  plus  que  la  rareté  des  livres  grecs 
n'ait  fait  désirer  vivement  la  publication  de  bons  textes  mis  à  la  portée 
de  tout  le  monde.  Mais  il  fallait,  d'autre  part,  dans  une  chaire  de  grec , 
travailler  à  former  le  goût  par  la  lecture  des  meilleures  œuvres  de  la 
littérature  ancienne.  Peut-être  Rescius  eut-il  le  tort  de  perdre  de  vue  cette 


inmlaris  in  Gallium,  scis  qualia  vuhjo  ftrantur  GaUorum  promissa,  nec  ignoras  qtiid  acciderit 
JEsopico  cani.  Sed....  meinineris  lutjus  eliam  commodi  portioiiein  non  minimam  te  isii  dehcre  col- 
leyio.  Quaie  lerogo,  mi  Resci,  liUerae,quae  le  ornarmit,  vicissim  ornare  conlende  diligentia  dexle- 
rilateque  profîlendi. 

'  LeUre  à  J.  llobbyns,  décembre  i519  {Epist.,  t.  I,  p.  523)  :  Paulus  gloriatur  se  vincium  esse 
Jesu  Chrisli;  Rulgerus  gloriari polesl  se  vinctum  esse  collegii  Trilinguis....  O  pectus  vere  christia- 
num.  Modo  mm  Paido  conluli  Itulgerum  qui  hac  cerle  parle  vincit,  quod  qui  Paulum  affligebant, 
errabant,  nimirum  alieni  a  professione  evunyelica.  Ui  proceres  cliristianae  doclrinae,  prudentes, 
de  composilo  haec  designanl. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  205 

première  obligation;  il  s'attacha  trop  à  l'étude  d'auteurs  grecs  qui  n'of- 
fraient pas  assez  d'attrait  à  ses  auditeurs  et  à  son  public.  Érasme,  qui  l'a 
suivi  avec  le  plus  vif  intérêt,  n'a  pu  s'empêcher  de  blâmer  Rescius  d'avoir 
fait  fausse  route,  d'avoir  préféré  des  textes  lourds,  tels  que  celui  des 
Inslilutes,  traduites  en  grec  par  Théophile,  à  des  auteurs  d'une  lecture 
agréable,  où  les  beautés  de  la  langue  grecque  fussent  facilement  apprises, 
Démoslhène,  par  exemple,  Lucien,  les  Tragiques  ^  La  méprise,  on  ,  si  l'on 
veut,  l'erreur  de  Rescius,  consista  à  se  faire  éditeur  au  lieu  d'être  avant 
tout  littérateur  et  critique,  comme  l'exigeait  l'honneur  de  son  emploi.  On 
ne  peut  donner  tort  aux  membres  de  l'Université  qui,  s'apercevant  de  cette 
tendance,  témoignaient  à  Rescius  leur  mécontentement. 

Après  la  retraite  de  Thierry  Martens,  en  1529,  Rescius  se  mit  à  la  tête 
d'une  imprimerie  bien  organisée,  et  il  porta  dans  les  travaux  de  sa  maison 
un  zèle  qui  nuisait  à  la  solidité  de  ses  leçons  de  philologie.  L'amitié  patiente 
d'Érasme  l'avait  averti  à  diverses  reprises^;  mais  Rescius  ne  revint  pas 
aux  lettres  avec  ce  dévouement,  dont  il  avait  un  exemple  dans  ses  amis 
et  dans  ses  propres  collègues.  Érasme  n'y  tint  plus,  et  dans  une  de  ses 
dernières  lettres  ^,  il  se  plaignit  hautement  de  ce  que  Rescius  était  tout 
entier  au  gain,  et  qu'il  ruinait  bel  et  bien  le  collège. 

L'importance  toujours  croissante  de  l'art  typographique  détermina  peu 
à  peu  Rescius  à  en  faire  sa  véritable  profession.  Dans  sa  jeunesse,  il  avait 
corrigé  les  épreuves  des  impressions  grecques  et  latines  sortant  des  ateliers 
de  Thierry  Martens*.  Il  ne  vit  que  les  succès  de  celui-ci,  qui  n'avait  pas 

'  Lettre  à  Goclenius,  juin  1S36  {Epist.,  t.  II,  p.  1522)  :  Quid  neeesse  fuit,  RiUgerum  inlerpre- 
tari  Graecas  Inslitutiones,  è  Lalino  veisas?  conducihilhtx  erat  interprelari  Demosthenem,  Liicin- 
num,  si  quid  liabel  casti,  Tragoedias  giavibus  senkniiis  referlas,  ac  similes  auclores,  mule discitiir 
graeci  sermonis  elegantia.  Voy.  le  mémoire  de  M.  Rottier  sur  Érasme,  pp.  H8-120. 

2  En  1521 ,  il  le  détournait  de  prolonger  un  procès  avec  le  médecin  Jean  Calaber  (Epist.,  t.  I, 
p.  685);  en  1527,  il  le  priait  de  cesser  toute  contestation  avec  Goclenius,  de  se  montrer  plus  désin- 
téressé et  non  moins  zélé  qu'auparavant,  et  de  ne  pas  se  laisser  absorber  par  les  soins  de  l'état 
de  mariage  qu'il  avait  embrassé;  il  lui  recommandait  de  ne  pas  abuser  de  la  lolérance  que  les  admi- 
nistrateurs du  collège  avaient  montrée  à  son  égard.  {Epist.,  1. 1,  pp.  I0I7-I0I8.)  Voy.  les  notes 
du  discours  cité  plus  haut,  Considëratiotis ,  etc.,  pp.  48-50. 

'  Lettre  citée  de  1536  {Epist.,  t.  II,  p.  1522)  :  Sed  ilte  totus  ad  quaestum  spécial,  et  gnaviter 
perdit  illud  collegiiini. 

'•  Biographie  de  Thierry  Martens  par  le  P.  van  Iseghem,  pp.  104-105,  p.  140. 


206  MEMOIRE  SUR  LE  COLLÈGE 

cependant  poursuivi  le  gain  dans  sa  profession,  et  il  voulut  être  impri- 
meur à  son  leur.  Il  fournit  ses  ateliers  de  types  fort  élégants,  gravés  en 
Allemagne  pour  les  trois  langues  hébraïque,  grecque  et  latine;  et  chercha 
à  tenir  ses  presses  en  constante  activité  à  l'aide  de  deux  associés.  Le  pre- 
mier fut  Jean  Sturm,  de  Sleiden,  qui  quitta  Louvain  dès  1550,  et  qui 
fournit  au  dehors  une  longue  carrière,  vouée  à  l'instruction.  Le  second  fut 
Barthélémy  van  Grave  ou  Gravius  qui,  de  libraire  intelligent,  devint  dans 
la  suite  imprimeur  titré  de  l'Université  '.  C'est  dans  cette  dernière  période  de 
sa  vie  que  Rescius  sembla  abdiquer  son  rôle  de  savant,  et  prendre  d'autres 
rôles  d'accord  avec  de  nouveaux  intérêts  :  Varias  personas  suslinet,  disait 
Erasme^,  en  se  plaignant  de  la  métamorphose  de  son  ami  de  Louvain, 

C'était  assurément  un  fort  dangereux  exemple  que  celui  qu'avait  donné 
un  homme  sur  qui  tous  les  amis  des  études  avaient  les  regards  fixés  ;  mais  il 
ne  doit  pas  nous  fermer  les  yeux  sur  le  mérite  de  Rescius.  La  sagacité  de  ce 
maître  dans  la  correction  et  l'interprétation  des  textes  grecs  ne  faisait  de 
doute  pour  aucun  des  humanistes  de  son  temps.  Ils  le  consultaient  et  por- 
taient intérêt  à  ses  travaux.  Rescius  avait  dédié  son  édition  grecque  des 
Lois  de  Platon,  à  François  Craneveldt,  jurisconsulte  et  homme  d'État,  qui 
cultivait  aussi  les  lettres  grecques.  C'est  à  Rescius  que  ce  dernier  dédia 
sa  traduction  de  trois  homélies  de  saint  Basile  :  dans  l'épître  dédicatoire  ^ 
il  ne  craignait  pas  de  l'appeler  «  très-sage  et  très-éloquent  »  ,  de  le  nom- 
mer :  Vir  omnibus  virtutis  atque  doctrinae  numeris  absohitus. 

Que  si  l'on  considère  en  même  temps  le  nombre  déjà  fort  grand  des 
personnes  qui  étaient  en  Belgique  versées  dans  le  grec  avant  le  milieu  du 
XV!""  siècle,  on  se  refusera  à  croire  que  l'enseignement  de  Rescius  ail  été 
sans  valeur,  et  que  son  activité  d'éditeur  n'ait  pas  servi  souvent  avec  effi- 
cacité les  intérêts  de  cette  nouvelle  branche  d'étude. 

Nous  ne  dresserons  pas  ici  une  liste  complète  des  publications  de  Res- 
cius appartenant  à  la  littérature  grecque*;  mais  il  nous  paraît  indispen- 

'  Sur  l'association  de  Rescius  avec  cet  imprimeur,  voy.  l'article  de  M.  Edw.  van  Even  dans  le 
Bulletin  du  bibliophile  belge,  t.  IX,  1852,  pp.  256-257. 
^  I^ettre  de  1533  à  Goclenius. 
'  Paquet,  Fasli.  l.  c,  p.  508. 
^  Elle  trouvera  mieux  sa  place  dans  les  aperçus  historiques  et  littéraires  du  chapitre  IX. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  207 

sable  d'observer  en  terminant  cette  notice  biographique,  que  bien  des 
fois  Rescius,  en  examinant  les  sources  les  plus  dignes  d'une  étude  spé- 
ciale ou  d'une  réimpression,  a  attiré  l'attention  de  ses  élèves  sur  des  au- 
teurs d'une  utilité  classique.  Dans  une  dédicace  remarquable  de  son  édition 
des  Mémoires  sur  Sacrale  par  Xénoplion  S  premier  ouvrage  grec  qu'il  publia 
dans  sa  propre  imprimerie  (septembre  1529),  il  déclare  que,  dans  le 
vaste  champ  des  auteurs  grecs,  il  s'efforcera  d'abord  de  choisir  les  meil- 
leurs, ensuite  de  les  imprimer  aussi  correctement  que  possible.  Puis, 
quand  il  s'est  glorifié  d'avoir  donné  à  ce  premier  ouvrage  une  correction 
qu'on  chercherait  en  vain  dans  les  éditions  précédentes,  il  déclare  qu'il 
a  choisi  à  dessein  les  Mémoires  de  Xénophon,  qui  doivent  servir  à  la  con- 
tinuation de  ses  leçons;  il  s'est  assuré  que  d'autres  écrits  du  même  auteur 
la  Cyropédie,  Y  Économique  et  le  Hiéron,  avaient  plu  à  son  auditoire  l'année 
précédente,  et  il  a  reconnu  que  les  Grecs  et  après  eux  les  Latins  ont  parlé 
de  Xénophon  avec  les  plus  grands  éloges.  Nous  relevons  ce  fait  principale- 
ment pour  montrer  que,  si  Piescius  a  été  souvent  coupable  de  négligence 
ou  d'inadvertance  dans  sa  tâche  d'helléniste  et  de  professeur,  et  s'il  n'a  pas 
mis  toujours  assez  de  discernement  dans  le  choix  des  livres  classiques,  il 
a  étendu  ses  lectures  à  un  cercle  fort  vaste  d'écrivains,  et  en  a  su  tirer  quel- 
quefois bon  parti  dans  ses  leçons  comme  dans  ses  publications. 

2.  Hadrunus  Amerotius  (Adiien  Amerol). 
(1543-1  ses.) 

Ce  successeur  de  Rutger  Rescius  eut  l'honneur  d'être  distingué  par 
Érasme,  quand,  tout  jeune  encore,  il  habitait  le  collège  du  Lis,  avec 
d'autres  jeunes  hommes  fort  appliqués  ^  :  Est  in  eodem  collegio  Adriamis 

'  Le  P.  van  Isegheiii  l'a  traduite  dans  sa  Biographie  de  Thierry  Martens,  pp.  106-108,  et  en  a 
donné  le  texte,  pp.  159-140. —Cette  dédicace  à  Gilles  Biisleiden,  frère  du  fondateur  du  collège, 
est  datée  du  31  juillet  1329. 

2  Lettre  à  B.  Buclion.  Epist.,  t.  I ,  p.  667 ,  A.  (Ânderlcclit,  1521).  Érasme  met  au  nombre  de 
ceux  qui  habitaient  le  collège  du  Lis  Hermannus  Westphalus,  sans  doute  Herraann  Buschiiis,  du 
diocèse  de  Munster,  qui  était  sorti  de  l'école  de  Deveuter  (voy.  chap.  I,  §  1,  p.  14).  11  dit  que  cet  Her- 
niann  faisait  servir  son  érudition  fort  étendue  à  former  et  à  instruire  la  jeunesse  avec  une  ardeur 

ToMii  XXVIIl.  28 


208  iMEMOlRE  SUR  LE  COLLEGE 

Siiessionius ,  prcieler  exactam  utrhisque  litcralnrae  peritiam  et  philosopliiue  gtiarus, 
et  juris  Cacsarei  non  irjnarus,  moribus  mire  ccindidis. 

Cet  étudiant  de  Soissons,  qui  donnait  de  si  belles  espérances,  entra 
au  collège  de  Busleiden  en  1545,  et  mit  dans  l'enseignement  du  grec  ce 
zèle  intelligent  et  soutenu  qui  avait  manqué  à  Rescius  dans  ses  dernières 
années.  Adrien  Amerot  ^  ou  Amerotius,  originaire  de  Soissons  en  Picardie, 
et  connu  par  son  surnom  de  Sucssioniiis  ou  Suessionensis,  était  venu  de  bonne 
heure  à  Louvain  ;  il  y  fit  sa  philosophie  au  collège  du  Lis,  sous  la  direc- 
tion de  Josse  de  Vroye  de  Gavre  {Jmlocus  Laetus  Gavenis  ou  Gaveriiis),  et  fut 
le  premier  dans  la  promotion  de  l'an  1516.  Amerotius  enseigna  la  langue 
grecque  dans  les  premiers  temps  au  collège  du  Lis,  où  il  avait  Tappui 
du  président,  J.  Naevius,  et  de  Gaverius,  son  ancien  maître;  bien  des 
années  s'écoulèrent  avant  qu'il  fût  chargé  de  l'enseignement  public  de 
cette  langue,  avec  un  titre  officiel  ^.  Cependant,  dès  l'an  1520,  il  publia 
chez  Thierry  Marions  un  abrégé  de  grammaire  grecque,  qui  mérite  une 
place  d'honneur  parmi  les  livres  méthodiques  qui  ont  assuré  la  rapide 
extension  des  études  grecques  au  XYI"'"  siècle  -*. 

Nous  avons  tiré  de  la  préface  de  cette  grammaire  des  renseignements  irès- 
curieux  sur  les  relations  qu'Amerotius  a  eues  avec  les  membres  de  l'Uni- 
versité, sur  le  but  qu'il  s'est  proposé  en  concentrant  sur  la  langue  grecque 
l'application  et  les  forces  de  son  esprit  :  la  dédicace  au  prince  Antoine  de  la 
Marck  n'est  pas  un  morceau  d'adulation  banale,  mais  le  programme  d'un 
homme  studieux  qui  veut  concourir  pour  sa  part  aux  progrès  de  l'instruc- 
tion publique.  Amerotius  témoigne  hautement  sa  reconnaissance  envers 
ses  maîtres  et  ses  patrons,  surtout  envers  ceux  sous  lesquels  il  a  long- 
infatigable.  Buschius  est  donc  un  de  ces  étrangers  qui  enseignèrent  temporairement  à  Louvain. 
Voy.  ciiap.  V,  p.  134. 

'  Son  nom  vulgaire  est  aussi  donné  sous  les  formes  d'Anioury  et  d'Amaury  (Valère  André,  Fasli). 
Paquot  préfère  t'orthograplie  Amerot  (Fasti,  folio  SOS). 

-  C'est  dans  cet  intervalle  qu'Araerot  se  livra  à  d'autres  études  ;  on  lui  donne  le  litre  de  licencié 
es  droits. 

3  Compendium  Graecae  Grammalices ,  perspicua  brevitate  complectens,  quidquid  est  octo  parlium 
oralionis.  Le  P.  van  Iseghem  (p.  310)  décrit  cette  édition  de  la  manière  suivante  :  «  Vol.  in-4°  de 
92  feuillets  à  36  lig.,  sans  la  réclame,  signatures  a  ii-R  ii ,  caractères  grecs  de  1516  et  romain 
cicéro...  » 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  209 

temps  travaillé  dans  la  pédagogie  du  Lis ,  et  il  se  loue  de  ses  bons  rap- 
ports avec  un  religieux  de  l'époque,  Paschasius  Berselius  *,  plein  de  zèle 
pour  la  diffusion  des  lumières. 

Le  travail  d'Amerotius  est  une  œuvre  toute  pratique,  qu'il  a  élaborée  en 
vue  des  besoins  de  la  jeunesse;  il  est  assez  volumineux  pour  comprendre 
beaucoup  d'exemples,  dont  le  texte  grec  est  toujours  accompagné  d'une 
version  latine  dans  la  ligne  suivante  :  il  renferme  un  exposé  détaillé  des 
règles  qui  concernent  les  formes  grammaticales,  spécialement  les  dési- 
nences et  les  contractions ,  et  donne  la  preuve  que  l'auteur  avait  poussé 
fort  loin  l'analyse  de  tous  les  faits  de  grammaire.  Non-seulement  Amero- 
tius  avait  éclairci  les  irrégularités  et  les  anomalies  des  formes  grecques, 
à  l'aide  de  courts  tableaux  ;  mais  encore  il  avait  dressé  des  paradigmes 
fort  étendus  pour  présenter  d'un  coup  d'œil  le  système  de  la  conjugaison  2. 
Nous  ne  balançons  pas  à  affirmer  qu'il  est  peu  de  livres  de  grammaire 
qui  l'emportent  sur  celui  d'Amerotius  :  il  est  conçu  suivant  les  procédés 
de  la  logique  occidentale,  et  il  se  distingue  ainsi,  au  point  de  vue  de  la 
méthode  et  de  l'application,  des  grammaires  calquées  sur  les  traités  des 
réfugiés  grecs  Théodore  Gaza  et  Constantin  Lascaris. 

Plus  tard  encore,  Amerolius  mit  au  jour  un  écrit  spécial  sur  les  diffé- 
rences des  dialectes  dans  les  flexions  de  la  langue  grecque ,  d'après  Corin- 
thus  et  d'autres  grammairiens,  et  ce  petit  traité,  qui  dut  paraître  une  pre- 
mière fois  en  Belgique  '",  fut  ensuite  deux  fois  réimprimé  à  Paris  :  Libellus 
de  dialeclis  graecorum  ex  Corintho  aliisque  grammalicis  colleclus  (1534  et  1556). 
Ce  même  traité,  à  qui  les  bibliographes  ont  quelquefois  donné  d'autres 
titres,  fut  réimprimé  en  1578  avec  le  traité  de  J.  Varennius  de  accen- 
tibiis  *. 

Amerotius  apportait  une  grande  aptitude  à  un  enseignement  raisonné  du 

'  Voy.  sur  ce  personnage  Paquot,  Mémoires,  t.  Il,  pp.  353-554. 

-  Les  hibliopliiles  sont  tenus  de  l'aire  honneur  à  Thierry  Martens  des  difficultés  qu'il  a  vaincues 
dans  son  art,  en  exécutant  avec  une  précision  et  une  netteté  surprenantes  les  paradigmes  et  ta- 
bleaux très-compliqués  que  renferme  la  grammaire  d'Amerotius. 

5  On  n'en  voit  pas  de  trace  parmi  les  impressions  de  Thierry  Martens,  quoique  Valère  André 
semble  l'insinuer. 

*  Joecher,  Gelehrlen-Lexico  Fortselzung  von  Adelung,  t.  I,  p.  723-724. 


210  MEMOIRE  SUR  LE  COLLÈGE 

grec,  et  l'on  doit  lui  attribuer  une  très-large  part  en  ce  qui  s'est  fait  pour 
cette  langue  à  Louvain,  dans  les  leçons  publiques,  avant  Th.  Langius.  Un 
des  beaux  titres  de  notre  savant  réside,  en  outre,  dans  l'éducation  solide 
qu'il  donna  à  une  foule  de  jeunes  gens  de  distinction  :  il  compta  aussi 
parmi  ses  élèves  Antoine  Perrenot,  qui  devint  plus  tard  le  cardinal  Gran- 
velle,  et  c'est  à  sa  demande  qu'il  instruisit  de  la  religion  Jean  Isaac  Levita, 
juif  d'Allemagne,  qui  fit  un  séjour  à  Louvain  et  qui  même  y  enseigna. 
(Voir  chap.  VIII  et  X.)  Amerotius  mourut  le  14  janvier  1560  '  et  fut 
enterré  à  l'abbaye  de  Sainte -Gertrude.  Revêtu  du  sacerdoce,  il  remplit 
avec  zèle  plusieurs  fonctions  en  rapport  avec  cette  dignité;  il  s'occupait 
beaucoup  de  la  prédication,  et  on  le  vil,  par  exemple,  pendant  deux 
ans,  faire  chaque  dimanche  des  sermons  en  latin  devant  le  clergé,  dans 
la  chapelle  des  Augustins  2. 

5.  TnEODORicus  Langius  (Thiernj  de  Langhe). 

(1360-1578.) 

Ce  nom  de  Langius  ne  doit  pas  être  confondu  avec  celui  de  Ch.  de 
Langhe  ou  Langius,  qui  est  un  de  nos  célèbres  philologues  et  latinistes 
du  même  siècle.  Thierry  de  Langhe  était  natif  d'Enkhuisen,  en  Hollande 
{Enckiisamis),  et  c'est  comme  helléniste  qu'il  a  laissé  un  souvenir  dans 
notre  histoire  '. 

Il  avait  enseigné  pendant  dix  ans  la  littérature  grecque  à  Bordeaux,  et 
avait  mérité  en  France  l'estime  des  hommes  instruits ,  avant  de  venir  ha- 
biter Louvain.  Suffridus  Pétri  parle  de  lui,  comme  professeur  de  grec,  dans 
une  lettre  écrite  d'Erfurt  l'an  1557  *,  et  cela  peut  faire  croire  que  Langius 
suppléa  Amerotius  dans  les  dernières  années  de  la  vie  de  ce  dernier.  Quoi 

'  Valère  André,  Exordia,  p.  G6,  donne  la  date  de  1562.  Paquol,  dans  ses  Fasti,  celle  de  1560. 

-  Amerot  légua  une  grande  valeur  en  argent  el  en  livres  pour  l'érection  d'un  collège  théolo- 
gique; mais  un  procès  de  plus  de  20  années  s'éleva  à  ce  sujet,  et  vers  le  milieu  du  siècle  suivant 
(1640),  on  ignorait  encore  s'il  reviendrait  aux  théologiens  quelque  chose  de  cette  fondation.  — 
Paquol,  Fasti,  t.  I,  p.  509. 

'  Valère  .\ndré.  Exordia,  p.  66;  Fasti,  p.  1282.  La  Bibliotheca  Belg.  de  Foppens  et  les  Mémoires 
de  Paquot  n'en  parlent  pas. 

■*  Lettre  que  nous  avons  puhliée  dans  VAntmaire  de  ÏUniv.  de  Louv.,  1848  (p.  203). 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  2il 

qu'il  en  soit  de  cette  circonstance,  on  voit  Langius,  une  fois  nommé  suc- 
cesseur d'Amerotius,  porter  au  travail  beaucoup  de  persévérance  et  d'ar- 
deur. Bientôt,  cependant,  affaibli  par  l'âge  et  devenu  presque  aveugle  *, 
il  fut  aidé  dans  sa  tâche  de  professeur  par  Augustin  Huens  ou  Hunnaeus, 
de  Malines  2. 

Un  peu  plus  tard,  il  fut  suppléé  par  Suffridus  Pétri  de  Leeuv^arden, 
en  Frise,  qui  était  au  nombre  des  étudiants  les  plus  distingués  de  l'Uni- 
versité %  et  qui  y  comptait  beaucoup  de  protecteurs  et  d'amis.  Suffridus 
Pétri  expliquait  dans  ses  leçons  Pindare,  qu'on  pouvait  bien  dire  alors 
«  le  plus  difficile  des  poètes  grecs  »,  et  si  l'on  en  croit  M.  Goethais  *,  il 
faudrait  comprendre  des  commentaires  sur  les  Olympiques  de  Pindare  au 
nombre  des  manuscrits  de  Pétri,  qui  ne  sont  pas  perdus.  Quand,  après 
avoir  repris  ses  études  de  droit  et  obtenu,  en  1574,  le  grade  de  licencié, 
Pétri  quitta  la  Belgique,  en  1577,  pour  se  retirer  à  Cologne,  où  il  avait 
accepté  une  chaire  de  droit,  ce  fut  Pierius  à  Smenga,  hébraïsant  dont  nous 
parlerons  plus  loin,  qui  devint  le  suppléant  de  Langius.  Celui-ci  mourut 
à  Louvain  le  12  juin  1578,  léguant  au  collège  des  Trois-Langues  sa  biblio- 
thèque très-bien  fournie. 

Il  ne  reste  aucun  écrit  de  Langius;  mais  il  a  mis  au  jour  les  commen- 
taires posthumes  de  Nannius  sur  les  Bucoliques  de  Virgile  ^,  et  en  a  fait  la 
dédicace,  datée  du  29  août  1558,  à  Sigismond  Frédéric,  fds  de  Jean 
.Jacques  Fugger,  seigneur  de  Kirchberg  et  Weissenhorn.  On  chercherait 
vainement,  en  l'honneur  de  Langius,  un  témoignage  plus  flatteur  que  celui 
d'André  Schott,  qui  avait  été  élève  assidu  de  Valerius  et  de  Langius,  à 
Louvain,  pendant  deux  ans.  Il  avait  connu  celui-ci  à  Anvers,  et  il  rend 
hommaae  à  son  infatigable  activité  et  à  son  habileté  dans  l'étude  des 
textes  des  poêles  anciens.  Illis  enim  Lovanii  Grudiorum  in  Graecis  Latinisqiie 

'  Dum  Th.  Langius  saxum  hoc  volveret,  scipione  utcns  et  caeciitiens.  Foppens ,  p.  IHO. 

^  Nous  verrons  au  chapitre  VIII ,  Hunnaeus  suppléer  un  autre  professeur  du  même  collège ,  Gen- 
nep.  Pendant  4  ans,  Hunnaeus  aurait  suppléé  le  professeur  de  grec  et  pendant  un  an  celui  d'hébreu. 

^  Voy.  Pa(\aoi.Mém.,  t.  II,  pp.  68-74,  et  quelques  détails  supplémentaires  dans  notre  notice  de 
V Annuaire  de  l'Université  de  Louvain ,  1848,  pp.  184  et  suiv.  :  Relations  de  S.  Pétri,  etc. 

^  Lectures  relatives  à  l'histoire  des  sciences,  t.  II,  p.  169. 

5  Voy.  la  notice  de  Paquot  sur  les  écrits  de  Nannius,  n°  30.  Cfr.  Fasti,  t.  I,  pp.  509  et  483. 


2i2  MEMOIRE  SLR  LE  COLLÈGE 

toturn  biennium  publiée  privaiimque  operum  dedi  :  hoc  vero  Anlverpiae  meae 
jucundissime  sum  usiis,  liomine  in  illuslrandis  et  ad  vêlera  exemplaria  eompa- 
randis  poëtis  anliquis  diu  mullumque  versato.  Quantum  enim  otii  ab  aliis  rei  do- 
mesticae  negotiis  suppeditare  poterat,  omne  id  ad  vitam  legendo,  scribendoque  ex 
Varronis  praecepto ,  procudendam  conferebat.  Lanqius  omnem  in  Graecis  literis 
aetalem  consumpserat ,  quas  Biirdigalae  apud  Gallos  annos  fere  deeem  professus 
est  :  reliqiio  tempore  in  gymnasio  Trilingni  Biisleidiano ,  coUega  P.  ISannii  viri 
doctiss.  qui  Lalinae  Eloqucntiae  et  Fhilosopliiae  doctor  erat  '.... 

4.   GuLiELMis  Fabius. 

(1578-1590.) 

Ce  professeur,  dont  le  nom  vulgaire  était  Boonaerls^,  avait  vu  le  jour 
dans  un  village  du  Brabant,  Hilvarenbeek,  dépendant  de  la  mairie  de  Bois- 
le-Duc  (Hilvarebeeanus).  11  était  licencié  en  médecine;  mais,  versé  dans  les 
langues  classiques,  il  dirigea  pendant  plusieurs  années,  à  Anvers,  des  cours 
d'humanités.  Dans  des  conjonctures  difficiles,  au  milieu  des  troubles,  il 
demeura  toujours  fermement  attaché  à  la  foi  catholique,  et  préserva  ses 
élèves  des  atteintes  de  l'hérésie''. 

Appelé  à  Louvain  à  une  époque  qu'on  ne  saurait  guère  préciser,  et  mis 
en  possession  de  la  chaire  occupée  auparavant  par  Th.  Langius,  Fabius  ne 
resta  pas  inactif.  On  le  voit  publiant  à  Anvers,  en  158-4,  un  abrégé  de  la 
Syntaxe  greeque,  tiré  de  Vareunius,  de  Rulandus  et  d'autres  auteurs*. 

Fabius  périt  à  Louvain ,  le  26  mai  1590,  d'une  manière  malheureuse, 
dans  une  émeute  nocturne,  causée  par  des  étudiants  indisciplinés^. 

'  Lettre  à  Plantin,  lo8I.  —  Cfr.  Annuaire  de  l'Univ.  de  Louvain,  1847,  p.  237. 

-  Paquot.  Fasti,  MS.,  t.  I ,  p.  507  :  ttilvarebecanus ,  qiiod  mmiicipiiim  est  Brabuntiae  Campi- 
niae.  —  Cons.  Valère  André,  Exordia,  p.  67;  Fusli,  p.  28-2.  f'oppens,  p.  400.  Bax,  folio  Uol. 

^  Encore  en  l'année  1581  (?)  ses  classes  étaient  fréquentées  par  des  jeunes  gens  de  famille,  tels 
que  Fr.  Sweertiiis,  auteur  de  XAthenae  Belgicae,  et  par  les  trois  frères  de  celui-ci,  Théodore,  Ro- 
bert et  Guillaume. 

■'  Synlaxeos  linguae  graecae  epitome.  Antverpiae,  1584,  apud  Andr.  Baxiuro,  in- 12.  Voy.  plus 
loin,  chapitre  X. 

2  Les  étudiants  qui  avaient  contribué  à  la  défense  de  Louvain  contre  Martin  van  Rossem,  eu 
1342,  prirent  encore  les  armes  en  1572  et  en  1390,  quand  la  ville  fut  menacée  par  quelque 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  213 

5.   Geraudus  Corselius  {Gérard  de  Coursèle). 

(1591-1596.) 

Malgré  le  malheur  des  temps,  les  administrateurs  du  collège  qui  n'a- 
vait plus  de  président,  comme  nous  l'avons  remarqué  ci-dessus  (eh.  IV, 
p.  102-105),  pourvurent  à  la  chaire  de  grec  après  la  mort  de  Fabius,  en 
y  appelant  Gérard  de  Coursèle,  de  Liège,  qui  avait  obtenu  la  quatrième 
place  dans  la  promotion  de  1586. 

G.  Corselius  —  nous  lui  conserverons  son  nom  latin  —  prit  possession 
de  sa  chaire  le  5  mars  1591 ,  et  la  remplit  pendant  six  années.  En  1594, 
il  fut  une  première  fois  recteur  de  l'Université,  et  dans  la  suite  il  fut 
encore  honoré  huit  fois  de  cette  dignité.  C'est  en  1596  qu'il  résigna  l'en- 
seignement du  grec,  pour  occuper  une  chaire  royale  de  jurisprudence 
{Instilulionum  professer  regius).  La  haute  réputation  qu'il  parvint  à  s'acquérir 
lui  valut  plus  tard  des  fonctions  importantes  dans  l'État,  telles  que  celles 
de  membre  du  conseil  de  Malines,  de  conseiller  privé  et  de  maître  des 
requêtes.  Il  dut  quitter  Louvain,  en  1617,  pour  habiter  le  plus  souvent 
Bruxelles,  oià  il  mourut  en  1636  *. 

De  ses  ti'avaux,  on  ne  peut  rapporter  aux  lettres  que  son  oraison  funèbre 
de  Juste  Lipse,  prononcée  à  Louvain,  en  1606,  et  peut-être  quelques 
discours  restés  manuscrits ,  mais  qui  furent  probablement  composés  à 
Louvain. 

6.  IIenricus  Zoesius. 

(1606-1607.) 

A  cause  de  l'état  encore  précaire  de  l'institution,  Corselius  n'eut  pas 
immédiatement  un  successeur;  mais,  dans  l'année  de  la  reconstitution  de 
l'école,  le  12  avril  1606,  la  chaire  qu'il  avait  occupée  fut  confiée  à  un 

ennemi.  Voy.de  Reiffenberg,  Deuxième  Mémoire,  t.  VU,  pp.  21-22,  et  plus  haut  le  chapitre  IV, 
p.  102. 

*  Voy.  sa  vie  dans  Foppens,  Bibliot.  Belgic,  pp.  3i7-348,  et  dans  Paquot,  Mémoires,  t.  H, 
pp.  472-473. 


214  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

jeune  savant  de  Hollande,  Henri  Zoes  ou  Zoesius,  d'Amersfoort,  qui  avait 
naguère  donné  des  leçons  de  rhétorique  et  de  langue  grecque  au  collège 
du  Faucon. 

Zoesius  ne  remplit  pas  au  delà  d'une  année  et  demie  les  fonctions 
attachées  à  sa  nouvelle  chaire.  Cédant  à  un  goût  très-vif  qu'il  avait  montré 
dès  sa  jeunesse  pour  les  études  de  droit,  il  donna  sa  démission  au  moment 
oîi  la  chaire  de  droit  civil  lui  fut  décernée  par  nomination  royale  ^,  et  le 
reste  de  sa  carrière  s'écoula  dans  l'enseignement  du  droit.  11  y  porta  les 
qualités  précieuses  d'un  esprit  cultivé,  un  zèle  infatigable,  et  il  y  acquit  une 
haute  distinction  -.  Zoesius  mourut  à  Louvain  en  1C27,  quand  il  venait 
de  célébrer,  dans  la  dignité  de  recteur,  le  deuxième  jubilé  séculaire  de 
l'Université. 

7.  Petrus  a  Castello  ou  Caslellanus  (P.  Ducliastel?). 

(1609-1632.) 

En  1609  seulement,  le  titre  de  professeur  de  grec  fut  conféré  au  suc- 
cesseur de  Zoesius.  Celui-ci,  né  à  Grammont,  en  Flandre,  vers  1515, 
avait  passé  une  grande  partie  de  sa  jeunesse  en  France;  il  avait  pris  ses 
degrés  en  jurisprudence  à  l'Université  de  droit  établie  à  Orléans,  et  il 
avait  même  enseigné  en  cette  ville  les  humanités  et  la  langue  grecque. 

Petrus  à  Castello,  homme  de  goût  et  de  savoir  ^,  accomplit  à  Louvain 
tous  les  devoirs  de  la  chaire  qu'il  avait  acceptée,  et  il  la  conserva  jusqu'à 
l'année  de  sa  mort.  Il  avait  résigné  sa  charge  en  faveur  de  Pierre  Stock- 
mans,  le  17  janvier  1G52,  quand  il  vint  à  mourir  le  23  février  de  cette 
même  année  *. 

Toute  l'activité  de  Castellanus  ne  fut  pas  absorbée  à  Louvain  par  les 
belles-lettres  :  il  y  poursuivit  ses  études  en  médecine  jusqu'au  doctorat, 

'  Exordia ,  p.  67 .  Fir  stmlii  indefessi ,  judicii  subacti ,  qui  hoc  unum  agit  ut  quam  cepit  docendi 
provinciam  illustriorem  reddat. 

-  Valère  André,  Exordia;  Fasti,  pp.  204,  285.  Foppens.  Bibl.  468-469. 

'  En  1614,  Valère  André  l'appelait  vir  docirinae  eleganlis  (Exordia,  p.  67).  Voy.  sur  Castellanus 
les  Fasli  Academici ,  p.  283,  et  la  Bibl.  Belg.  de  Foppens,  p.  96ô. 

•  Paquot,  Fasti,  MS.,  t.  I,  p.  510,  d'après  les  pièces  manuscrites. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  21S 

qui  lui  fut  conféré  le  23  octobre  1618,  et  il  fut  mis  à  celte  époque  en 
possession  d'une  chaire  royale  de  la  faculté  de  médecine. 

On  fait  honneur  à  Castellanus  d'une  érudition  solide  et  bien  digérée, 
ainsi  que  d'une  diction  latine  remarquable.  C'est  au  collège  des  Trois- 
Langues  qu'il  prononça,  en  1622,  l'éloge  funèbre  de  l'archiduc  Albert, 
quand  il  avait  déjà  quelque  réputation  littéraire  :  ce  discours  latin  a  été 
imprimé  ',  et  l'on  y  voit  Castellanus  prendre  le  double  titre  de  professeur 
de  médecine  et  de  professeur  de  littérature  grecque. 

Les  principaux  écrits  de  ce  savant  appartiennent  à  sa  première  voca- 
tion, et  ils  attestent  des  recherches  spéciales  sur  les  usages  et  les  mœurs 
de  l'antiquité,  telles  que  peu  d'hommes  étaient  alors  capables  d'en  faire , 
faute  d'une  connaissance  suffisante  des  sources. 

La  première  des  publications  de  Castellanus  est  le  Ludiis  sive  convivium 
satiirnale  '-*,  qui  présente  une  conversation  familière  et  piquante  sur  une 
foule  de  points  de  littérature  et  de  critique,  écrite  à  la  manière  des  poly- 
graphes  de  l'antiquité.  Il  y  a  beaucoup  de  sel  dans  ce  morceau  latin,  mêlé 
de  citations  grecques ,  qui  était  le  début  littéraire  de  son  auteur.  Castel- 
lanus s'est  excusé  lui-même  d'avoir  touché  à  des  sujets  si  variés  sous  une 
forme  légère;  cependant  le  mérite  de  ce  jeu,  comme  il  l'a  appelé,  a  paru 
assez  grand  à  M.  de  Nélis  pour  qu'il  l'ait  réimprimé  au  siècle  dernier 
dans  ses  Analecles  %  et  cet  estimable  savant  n'a  pas  craint  à  ce  propos  de 
rehausser  le  nom  de  Castellanus  comme  celui  d'un  des  hommes  qui  avaient 
fait  le  plus  pour  la  conservation  du  bon  goût  dans  les  études  :  Conditor 
illius  vir  doclrina  omni  liberali  erudilus,  qui  voce  olim  et  calamo  bonarum  arliiim 
studia  apiid  Lovanienses  propagare  ctim  primis  annisiis  est.  On  s'était  fâché  for- 
tement autrefois  contre  Puteanus,  pour  les  allusions  qu'il  aurait  faites  à 

'  Laudalio  fwiebris  Albcrli  Behjurum  principis,  dicta  Lovanii  in  collegio  Triiingui,  a  Petro 
Castellano,  Graccarum  literarum  et  medicinae  professore  regio.  Lovanii,  apud  Henricum  Haste- 
niuni,  1682,  pp.  62,  in-4". 

^  Lovanii,  1616.  Typis  Masii,  in-8°. 

3  Tome  I,  pp.  95-139.  M.  de  Nélis  dit,  dans  son  Prologue  :  Si  qui  sunt,  qui  veteris  Romuc 
delicias,  et  a  iloctis  illis  Alhenis  repetita  bellaria  hodie  non  fastidiunt;  yratuin,  opinor,  haheburtt , 
instaurari  sibi  plénum  hoc  priscae  elegantiae  convivium.  Caeteri  se  non  vocatos  esse,  meminerint. 
rogo. 

Tome  XXVIil.  29 


216  MEMOIRE  SUR  LE  COLLÈGE 

la  gourmandise  des  Anversois  *.  De  Nélis.  ne  demande  point  d'indulgence 
pour  les  peintures  du  Convivium  de  Caslellanus,  puisqu'elles  ont  perdu, 
grâce  aux  changements  survenus  dans  les  habitudes  nationales,  la  vérité 
d'application  qu'elles  pouvaient  avoir  de  son  temps. 

Un  traité  de  Caslellanus,  plus  sérieux,  plus  étendu,  et  tout  à  fait 
savant,  parut,  l'année  suivante,  sous  le  titre  de  'Eopxolôyiov ,  sive  de  Festis 
Graecoritm  srjnlacjma ,  in  quo  pliirimi  anliquitalis  ritus  illiislrantur  ^.  C'est  une 
dissertation  raisonnée  sur  cette  partie  des  antiquités  grecques,  tirée  par 
Caslellanus  de  la  lettre  des  monuments  anciens.  11  avait  remarqué  que 
Sigonius,  dans  ses  cinq  livres  De  lief/iiblicâ  Athcniensium  (Boloniae,  1564), 
avait  omis  ou  négligé  bien  des  particularités  dignes  d'intérêt.  Il  connaissait 
les  premiers  travaux  de  Jean  Meursius  sur  l'histoire  et  les  mœurs  de  la 
Grèce  ancienne,  et  rendait  hommage  à  la  solidité  de  son  savoir  :  il  avait 
même  supprimé  un  travail  terminé,  quand  parut,  en  1616,  son  livre  De 
Populis  Atticae.  Mais  comme  Meursius  n'avait  encore  rien  publié  sur  les 
fêtes  des  Grecs  ^,  il  crut  faire  chose  utile  en  donnant  au  public  le  fruit  de 
ses  propres  recherches.  On  voit  que  Caslellanus  avait  consulté  par  lui- 
même  une  foule  d'auteurs  classiques,  grecs  et  latins,  pour  définir  et  dé- 
crire chacune  des  fêles  qu'il  a  comprises  dans  son  traité.  A  la  fin  du 
volume  (pp.  247-505),  on  trouve  un  second  travail  sur  les  mois  et  l'année 
des  Grecs,  et  spécialement  des  Athéniens. 

Caslellanus  mil  au  jour,  en  1617,  un  autre  ouvrage,  qui  témoignait  à 
la  fois  de  son  goût  pour  les  études  de  médecine  qu'il  avait  entreprises, 
et  de  la  lecture  qu'il  avait  faite  des  œuvres  anciennes  et  modernes;  c'est  sa 

'  Dans  son  traité  de  Liixu  eonviviorum.  Voy.  plus  haut,  chap.  VI ,  §  7,  p.  174. 

■^  Antverpiae,  ex  off.  Hieionymi  Verdussii,  1617,  p.  303,  in-8°,  sans  les  préliminaires  et 
l'index. 

"'  La  Graecia  feriala  de  Meursius,  ne  parut  qu'en  1619,  ainsi  que  les  Panathénées  et  les  t^leu- 
.«inies  du  même  auteur.  —  Dans  la  préface  de  ce  traité  (Opéra,  éd.  Lami,  Florentiae,  t.  IH,  p.  78), 
Meursius  rend  justice  i\  l'essai  de  Petrus  Caslellanus:  Vir  doctrina  et  iMmanitule  insiynis ,  ne 
diulius  haec  Antiquitutis  Graecae  pars  laterct ,  suuin  nobis  'Eop-cXsyioy  communicavit ,  quod  lanlicm 
abest,  ut  aegre  feram,  ccu  injecta  in  messem  meam  sua  falce,  quod  nonnuUi  clamitarent ,  iit  eloyio 
mihi  hic  publico  tam  praeclaram  volunlatem  bene  de  liepublica  nostra  Ulleraria  promerendi  oriiun- 
dam,  putem,  etc.  Meursius  fait  ressortir  la  loyauté  mise  dans  ses  recherches  par  Caslellanus,  tout 
en  signalant  les  lacunes  de  son  livre  qui  laissaient  le  champ  ouvert  à  d'autres. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  217 

vie  des  médecins  célèbres  de  tous  les  temps  K  Les  notices  étendues  qu'il 
a  consacrées  aux  médecins  de  l'antiquité  font  reconnaître  l'helléniste,  qui 
était  à  même  de  citer  les  meilleures  autorités. 

Petrus  à  Castello  mourut  jeune  et  justement  regretté  :  il  était  entré 
dans  la  bonne  voie  de  l'érudition  et  de  la  critique,  et,  à  la  faveur  d'une 
plus  longue  carrière,  il  eût  réussi  peut-être  à  fixer  chez  nous  l'opinion  sur 
la  vraie  destination  des  lettres  classiques.  Déjà  il  avait  réuni  sous  sa  main, 
à  une  époque  où  il  n'y  avait  pas  encore  de  bibliothèque  académique  à 
Louvain,  une  collection  considérable  de  bons  livres,  et  en  particulier  des 
meilleures  éditions  alors  existantes  des  auteurs  grecs  et  latins  :  le  catalogue 
de  sa  bibliothèque,  vendue  environ  deux  ans  après  sa  mort,  en  fait  foi  -. 

8.  Pierre  Stockmaxs. 

(1652-43.) 

Peu  après  la  mort  de  Castellanus,  le  l"mars  1652,  Pierre  Stockmans, 
d'Anvers,  inaugura  par  un  discours  son  enseignement  du  grec  dans  la  chaire 
du  collège  des  Trois-Langues;  il  le  poursuivit  jusqu'en  1G45.  La  vocation 
de  Stockmans  le  portait  aux  études  de  droit,  qui  lui  ouvrirent  la  route 
des  hauts  emplois.  Il  avait  été  à  Louvain  professeur  royal  de  droit  civil 
{Regiustitulorum  professor);  ses  mérites  comme  jurisconsulte  le  firent  appeler 
plus  tard  au  conseil  souverain  de  Brabant  et  à  d'autres  dignités;  sa  vie  est 
une  de  celles  qui  font  le  plus  d'honneur  à  l'ancienne  magistrature  de  notre 
pays  ^.  Stockmans  mourut  en  1671. 

'  Vitae  illmtrium  medicorum  qui  lolo  orbe  ad  liaec  usque  tempora  floruerunl.  Antverpiae,  apud 
Guil.  a  Tongris,  1617,  p.  256,  in-8°,  sans  la  table.  Plus  tard,  en  1626,  parut  un  traité  spécial 
de  Castellanus  :  Kpnofxyix,  sive  de  esu  carnhtm  libri  IT.  Antv.  Hier.  Verdussen,  p.  1626,  in-8". 
Vov.  ['Essai  sur  thist.  de  la  médecine  belge  par  le  D'  Broeckx,  p.  236,  article  sur  Ducliastel  ou 
Castellan. 

"i  Calalofjus  librorum  Biblinlhecae  clar.  viri  Pétri  Castellani,  etc.,  qui  libri  vendentur  publica 
auctione  Lovanii ,  die  17  Januarii,  anno  1634....  per  H.  Joan.  Oliveriuni  Bibliopolam  juratum.  25 
feuillets  petit  in-4".  Les  ouvrages  de  pbilologie  et  de  littérature  y  occupent  environ  neuf  feuillets. 

'  Valère  André,  Fasti.  pp  136,  208,  283;  Foppens,  Bibl.,  pp.  1012-1013. 


218  MEMOIRE  SLR  LE  COLLEGE 

9.  Matthieu  Theige. 

(1643-52.) 

Né  à  Limerick  en  Irlande  ^  M.  Theige  avait  étudié  à  Louvain;  mais  il 
enseigna  la  théologie  chez  les  céleslins,  à  Héverlé,  et  au  séminaire  archié- 
piscopal de  Malines,  avant  de  recevoir,  en  novembre  1638,  le  bonnet  de 
docteur  à  l'Université.  Prêtre  de  la  congrégation  de  l'oratoire  de  BéruUe, 
il  devint  chanoine  de  S'-Pierre  à  Louvain,  ainsi  que  président  du  collège 
pastoral  des  Irlandais,  établi  en  1C25.  A  sa  mort,  il  fonda  trois  bourses 
dans  ce  collège. 

Ce  personnage  ouvrit  ses  leçons  publiques,  après  la  retraite  de  Stock- 
mans,  au  collège  des  Trois-Langucs,  le  28  juillet  1643,  et  il  continua  à  y 
professer  jusqu'à  sa  mort,  arrivée  le  9  novembre  1652. 

10.  Jean  Noumenton. 

(1652-54.) 

Jean  Normenton,  qu'on  appelait  vulgairement  de  Bruyn,  ou  de  Brun, 
était  un  gentilhomme  anglais,  qui  succéda  à  M.  Theige,  à  la  fin  de 
l'année  1652.  Il  renonça  à  son  professorat,  pense-t-on-,  après  le  3  mars 
16S4,  et  fut  aussi  i^emplacé  par  un  autre  professeur  de  l'institution. 

11.  Bernard  Hei.mbachil'S  (B.  von  Ileijmbach). 

(1654-64.) 

Cet  humaniste,  allemand  de  naissance,  qui  occupait  la  chaire  de  latin 
depuis  1649  ^,  fut  chargé  de  professer  simultanément  le  grec  dans  le 
collège  de  Busleiden,  à  partir  de  l'an  1654,  et  on  a  lieu  de  croire  qu'il  a 
exercé  cette  double  charge  jusqu'à  sa  mort,  le  8  juillet  1664,  c'est-à-dire, 
pendant  une  dizaine  d'années.  Ses  travaux  ont  eu  surtout  la  langue  latine 
et  l'histoire  ancienne  pour  objets,  comme  on  l'a  vu  précédemment. 

'  Valère  André,  Fasli.  p.  143;  Paquot,  Fasli,  MS.,  pp.  178,  SU.  Bax,  folio  143-2. 

-  Paquot,  Fasli,  t.  I,  p.  511 ,  et  les  Mémoires,  1. 1,  p.  .518,  dans  sa  notice  su»  Heymbach. 

'  Voy.  plus  haut,  cliap.  VI,  §9,  p.  184. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIW.  219 

12.  Jean  de  Hamere. 

(1CG4-80.) 

Ileymbach  fut  remplacé,  le  29  juillet  16G4,  dans  la  chaire  de  grec,  par 
Jean  de  Hamere  de  Lierre  S  qui,  selon  toute  apparence,  fut  un  homme 
fort  instruit. 

Doué  d'un  esprit  vif,  d'un  jugement  pénétrant  et  d'une  robuste  mémoire, 
de  Hamere  fit  avec  des  succès  signalés  ses  premières  études  à  Malines. 
Après  un  cours  de  deux  années  au  collège  du  Faucon,  il  obtint  le  troi- 
sième rang  dans  les  maîtres  es  arts  promus  l'an  1655.  11  avait  passé  en- 
viron quatre  ans  dans  le  grand  collège  des  Théologiens,  quand  il  fut  appelé 
à  faire  des  cours  d'humanités  au  collège  de  la  S'<^-Trinité,  qui  était  sur  le 
point  d'être  ouvert.  11  y  fut  chargé,  de  1657  à  1658,  de  la  classe  de  la 
grande  figure  {figurarum) ,  et  de  1658  à  1662,  de  celle  de  grammaire  -. 

De  Hamere  confirma  toutes  les  espérances  qu'on  avait  conçues  de  lui; 
il  tempérait  la  sévérité  de  ses  autres  études  par  la  composition  de  pièces 
latines  fort  goûtées,  en  prose  et  en  vers.  De  plus,  sans  le  secours  d'un 
maître,  il  avait  acquis  une  connaissance  profonde  de  la  langue  grecque, 
par  une  lecture  assidue  des  auteurs  et  surtout  des  Pères  grecs. 

Cette  dernière  circonstance  explique  assez  bien  le  choix  qu'on  fit  de  lui, 
en  1664,  pour  succéder  à  Ileymbach  au  collège  de  Busleiden.  Cependant 
d'Hamere  ne  mit  pas  à  profit  ses  heureuses  dispositions  pour  les  lettres, 
en  dépassant  les  strictes  obligations  du  professorat.  Licencié  en  théologie 
et  jugé  digne  du  bonnet  de  docteur,  il  fut  chargé,  en  1666,  de  la  prési- 
dence du  petit  collège  des  Théologiens.  La  renommée  qu'il  avait  acquise 
le  faisait  considérer  comme  capable  de  jeter  un  nouveau  lustre  sur  l'Uni- 
versité, puisqu'il  unissait  à  l'habileté  du  latiniste  le  savoir  de  l'helléniste. 
Mais  d'Hamere  se  contenta  de  poursuivre  en  secret  ses  études,  pour  se 
livrer  d'autant  mieux  aux  exercices  de  piété  et  aux  devoirs  du  ministère 

*  On  trouve  son  nom  écrit  sous  ces  formes  diverses:  de  Hamere,  d'Hamere,  van  Hameren  , 
d'Haemere,  d'Hamers. 

-  Nous  résumerons  sa  vie  d'après  Paquot,  qui  n'indique  pas  ses  sources,  Fastiacad.,  1. 1,  p.  511, 
et  d'après  la  compilation  de  Bax,  folio  1452. 


220  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLÈGE 

évangélique;  il   montra  surtout  le  zèle  qui  l'animait  pour  le  service  de 
Dieu,  quand  il  devint  membre  du  chapitre  de  S'-Pierre  ^. 

Il  succomba  à  une  longue  maladie,  le  29  avril  1680,  à  l'âge  de  47  ans. 
Voici  le  distique  que  ses  contemporains  lui  consacrèrent  en  manière 
d'épitaphe,  parce  qu'il  résumait  sa  vie  : 

Simplice  vir  doctus  latet  Itac  sub  marnioris  umbra  .- 
Egerat  hoc  vivens,  hoc  lumiUatus  agit. 

15.    RuTGER    VAN    DEN    BlJRGH. 

Rutger  van  den  Burgh,  d'Amersfoort  en  Hollande,  seizième  dans  la 
promotion  des  arts  en  1675,  et  bachelier  en  théologie  (S.  T.  B.  F,),  fut 
choisi,  le  20  janvier  1681,  comme  professeur  de  langue  grecque;  mais 
il  n'occupa  point  longtemps  cette  chaire,  s'il  y  monta  jamais  ^  à  cause  de 
l'opposition  qu'avait  faite  à  sa  nomination  le  prieur  de  la  Chartreuse  de 
Louvain,  à  titre  de  proviseur  du  collège. 

Van  den  Burgh  fut  nommé,  en  1690,  à  la  cure  de  Heussen,  dans 
le  diocèse  d'Utrecht,  et  mourut  le  5  août  1705. 

14.   François  Martin. 

(1685-1722.) 

Ce  personnage,  irlandais  de  naissance  {Galviensis  seu  Calviensis  Hibernus), 
fut  désigné,  l'an  1681,  pour  la  leçon  de  grec,  quand  le  titre  de  profes- 
seur fut  contesté  par  un  des  proviseurs  à  van  den  Burgh,  déjà  nommé. 
Enfin,  après  un  procès  de  deux  années  porté  jusque  devant  le  conseil  de 
Brabant,  procès  dont  nous  parlerons  ailleurs,  il  fut  mis  régulièrement 
en  possession  de  la  chaire  de  langue  grecque,  qu'il  avait  remplie  à  titre 
provisoire  depuis  environ  trois  ans. 

François  Martin,  qui  avait  beaucoup  d'esprit  et  de  mémoire,  passait 
pour  être  très-versé  dans  le  grec;  et  comme  il  est  vraisemblable  de  le 

'  Voy.  les  tlélails  consigni^s  à  ce  sujet  dans  Paquol. 

-  Bax.  Pacificam  possessionem  non  videlur  habuisse  (folio  1451).  Nous  exposerons  brièvenieut 
cette  affaire  au  chapitre  XII. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  22< 

croire,  il  conserva  la  charge  de  l'enseigner  au  collège  de  Busleiden  pen- 
dant un  terme  de  plus  de  quarante  années  ^ 

11  reçut  le  titre  de  docteur  en  théologie  le  12  octobre  1G88,  et  mourut 
à  Bruges,  âgé  de  70  ans,  le  4  octobre  1722  ^. 

La  réputation  de  Martin  comme  helléniste  était  grande,  et  elle  rendait 
difficile  le  choix  de  son  successeur.  Les  difficultés  s'accrurent  encore  par 
les  mesures  qu'un  des  proviseurs  du  collège  voulut  prendre  pour  resti- 
tuer à  la  chaire  de  grec  son  ancien  éclat.  Un  débat  presque  aussi  animé 
que  celui  qui  avait  eu  lieu  à  propos  de  Martin,  s'éleva,  en  1722,  quand 
il  s'agit  de  le  remplacer  :  nous  en  réservons  l'exposé  au  chapitre  XII. 

15.  iEciDius  Franciscus  Audenaeut. 

(1723-1732.) 

L'heureux  élu  qui  fut  enfin  jugé  digne  d'être  accepté  comme  succes- 
seur de  Martin,  était  un  des  anciens  lauréats  de  la  Faculté  des  Arts,  pro- 
clamé piimus  à  l'unanimité  dans  le  concours  de  l'an  1711  '. 

Égide  (Gilles)  François  Audenaert,  de  Lokeren,  dans  le  pays  de  Waes  *, 
fut  appelé,  après  un  cours  de  théologie  de  trois  années,  à  enseigner  la 
philosophie  au  collège  du  Château,  dont  il  était  un  des  anciens  élèves. 

Il  avait  déjà  passé  sept  années  dans  cet  enseignement,  et  il  venait  d'être 
élevé  au  grade  de  licencié  en  théologie  (19  août  1721),  quand  il  entra  au 
collège  de  Busleiden,  probablement  en  1725.  Audenaert  resta  professeur 
de  grec  jusqu'au  mois  d'août  1752,  époque  à  laquelle  il  quitta  Louvain. 
Il  fut  alors  promu,  par  nomination  académique,  à  un  canonicat  de  Malines. 
Plus  tard  (7  mars  1758),  il  fut  élu  à  la  cathédrale  de  Gand  parmi  les 
chanoines  dits  gradués;  il  devint  dans  la  même  église  archiprêtre,  puis 

*  Quand  Martin  quitta  Louvain,  du  mois  de  janvier  1691  jusqu'à  la  fin  de  l'année  suivante, 
pour  professer  au  séminaire  archiépiscopal  de  Malines,  il  eut  pour  suppléant  un  certain  Bodry, 
licenciées  droits,  qui  fut  ensuite  avocat  à  Bruxelles.  Fasli  de  Paquot,  1. 1,  p.  51 1. 

2  Voy.  le  supplément  aux  Fastes  académiques  :  Oral,  de  laudibus,  etc.,  p.  132. 

5  Promot.  in  artib.,  folio  30.  Paquot,  Fasli,  MS.,  1. 1,  p.  511 ,  et  Bax,  folio  1453. 

''  Voy.  sur  Audenaert  un  article  du  Messager  des  sciences  historiques  (1855,  ô""  livr.):  Les  trois 
premiers  de  Lokeren  au  concours  de  l'université  de  Louvain,  parHenry  Rapsaet ,  pp.  357-358. 


222  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

doyen  du  chapitre,  et  c'est  revêtu  de  cette  dignité  qu'il  mourut  le  15  no- 
vembre 17G8 


I 


IG.   François  Claude  de  Quareux. 

(1732-1740.) 

Ce  personnage,  originaire  de  Quareux,  bourg  du  district  de  Stavelot, 
était  de  naissance  noble.  11  avait  eu  la  deuxième  place  dans  la  grande 
promotion  du  25  novembre  1092,  après  avoir  terminé  ses  études  philo- 
sophiques au  Castrum.  On  ne  sait  rien  de  précis  sur  la  carrière  professo- 
rale de  François  Claude  de  Quareux,  quand  il  fut  titulaire  de  la  chaire 
de  grec,  à  partir  de  1732  2,  On  suppose  qu'il  mourut  vers  l'an  1741 ,  ou 
même  un  peu  auparavant.  On  donne  à  de  Quareux  le  titre  de  chanoine 
de  S'-Martin,  à  Liège ^. 

17.  Jean-Baptiste  Zegers   (Segers). 

(1741-1782.) 

Zegers  OU  Segers,  qui  était  néà  Louvain,  au  commencement  du  XVIII"« 
siècle,  fit  un  cours  complet  d'études  dans  sa  ville  natale*. 

Il  fut  d'abord  élève  du  collège  de  la  S'^-Trinité,  et  entra  ensuite  à  la 
pédagogie  du  Faucon.  On  le  vit  obtenir  la  dixième  place  dans  le  concours 
académique  de  1727.  Jouissant  d'une  des  fondations  du  collège  de  My- 
lius,  il  se  livra  à  l'étude  de  la  théologie;  dans  la  suite,  il  obtint  successi- 
vement plusieurs  charges  académiques  et  des  dignités  ecclésiastiques. 

Le  9  janvier  1741,  il  fut  nommé  professeur  de  langue  grecque  au 

'  Voy.  tlans  Rapsaet,  loc.  cit.,  l'épitaplie  d'Audenacrt  à  Saint-Bavon,  énumérant  tous  les  titres 
(le  ce  personnage,  et  rappelant  la  fondation  considérable  qu'il  fit,  en  1737,  pour  des  étudiants  de 
Lokeren  et  du  pays  de  Waes. 

■^  Il  était  frère  de  Gérard  Joseph  de  Quareux,  premier  dans  la  promotion  de  1685,  licencié  en 
théologie,  professeur  de  théologie  et  régent  au  collège  du  Porc,  ensuite  chanoine  de  Saint-Pierre, 
et  président  du  collège  de  Divaeus,  à  Louvain,  mort  le  6  janvier  17-41,  .'i  l'Age  de  77  ans.  Voy.  une 
note  de  Foppens,  Prom.  in  art.,  folio  27. 

''  Paquot.  Fasti,  MS.,  p.  51"2;  notes  de  Bax,  folio  1433. 

*  Voy.  Paquot.  Fasti,  MS.,  t.  I,  p.  512.  Bax,  folio  1453. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  223 

collège  de  Buslelden,  et  président  du  collège  de  Divaeus.  Il  remplit  aussi 
les  fonctions  de  bibliothécaire  de  l'Université,  entre  les  années  1752 
et  1755  ^ 

Après  avoir  été  chanoine  de  S'-Pierre,  secrétaire  du  chapitre  et  même 
doyen,  il  mourut  le  10  août  1785,  à  l'âge  de  78  ans,  au  collège  de 
Craenendonck,  dont  il  avait  la  présidence  dans  ses  vieux  jours. 

J.-B.  Zegers  avait  conservé  la  chaire  de  grec  pendant  environ  40  ans. 
Il  ne  donna  sa  démission  qu'en  1782;  nous  n'avons  trouvé  aucun  fait 
de  quelque  importance  qui  ait  signalé  ce  long  professorat. 

18.  Jean  Hubert  Joseph  Leemput. 

(1782-1787.) 

Leemput,  natif  de  Roterdam,  avait  été  second  dans  le  concours  de 
1768.  Il  fut  proclamé  docteur  en  théologie  le  22  août  1780  ^,  eut  la 
présidence  du  collège  de  Hollande,  et  obtint  en  date  du  18  juillet  1782 
la  chaire  de  grec.  Quand  il  la  résigna,  en  1787,  il  devint  doyen  de  la 
cathédrale  de  Renaix.  Plus  tard,  on  le  voit  professeur  d'histoire  à  l'école 
centrale  de  Gand,  où  il  mourut  en  1802^;  il  avait  quitté  Louvain 
vers  1790. 

11  n'y  a  pas  lieu  d'exalter  grandement  le  mérite  de  Leemput  comme  hel- 
léniste, puisqu'il  n'a  pas  eu  le  temps  ou  l'occasion  de  le  manifester;  mais 
il  nous  paraît  équitable  de  constater  le  déni  de  justice  dont  M.  Ch.  van  liul- 
them,  son  élève,  semble  avoir  été  coupable  envers  lui.  Comment  prendre 
à  la  lettre  l'aveu  que  Leemput  lui  aurait  fait  un  jour,  et  dont  van  Hulthem 
parle  dans  un  de  ses  rapports  à  l'Académie  de  Bruxelles  *?  Cet  ancien  pro- 
fesseur de  grec  aurait  dit  «  qu'il  ne  le  comprenait  pas,  et  que  toutes  ses 
connaissances   se  bornaient  aux  premiers  éléments  de  la  grammaire.   » 

1  Histoire  des  biblioth.  piibl.  de  lu  Bclg.,  par  P.  Naiiiur,  t.  Il  (Louvain),  p.  28. 

2  Suppl.  ad  Fastos.  V.  Orat.  de  laudibus ,  p.  159. 

■'  Bax,  folio  1453.  —  i>/-o?)î.  »i  art.,  folio  38  V.  Addition  de  la  main  de  van  Hullhem. 
'  Voy.  l'extrait  cité  par  le  baron  de  Reifîenberg,  au  tome  II  de  ses  Archives  philologiques ,  p.  i  23. 
Louvain,  1827. 

Tome  XXVIII.  30 


224  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

Renchérissant  sur  ce  mot,  van  Hulthem  répétait  qu'il  avait  opposé  un 
refus  forme]  à  son  ancien  maître,  qui  lui  demandait  une  chaire  à  la 
Faculté  des  lettres  de  Bruxelles,  et  qu'il  l'avait  mis  au  défi  de  traduire 
Ésope. 

On  ne  se  résoudrait  pas  vite  à  taxer  d'une  telle  ignorance  le  professeur 
qui  publiait  en  1782,  l'année  même  où  il  était  mis  en  possession  de  la 
chaire  de  grec  au  collège  des  Trois-Langues,  une  grammaire  méthodique  % 
qui  fut  réimprimée  à  Louvain  à  l'imprimerie  académique,  quinze  années 
après  (1797).  Ce  travail  peu  étendu,  mais  systématique,  paraît  avoir  été 
mûri  longtemps  par  Lcemput  :  il  a  été  entrepris  en  vue  des  besoins  pra- 
tiques de  l'enseignement  du  grec,  comme  il  ressort  de  la  distribution  du 
livre,  ainsi  que  des  déclarations  de  l'auteur  dans  sa  préface.  11  est  constant 
que  Leeraput  est  parti  de  cette  observation,  que  les  livres  classiques, 
existant  en  grand  nombre  pour  l'étude  de  la  grammaire  grecque,  avaient 
accordé  le  plus  d'importance  à  la  syntaxe,  et  que  ceux  qui  avaient  traité 
de  la  partie  analytique  de  la  grammaire  l'avaient  fait  avec  trop  peu  d'or- 
dre ou  avec  trop  de  brièveté.  L'ouvrage  qu'il  a  composé  pour  servir  d'in- 
troduction facile  à  la  connaissance  du  grec,  est  destiné  surtout  à  l'analyse 
du  fond  de  la  langue,  à  la  théorie  des  formes.  Qui  examinera  attenti- 
vement le  livre  même,  en  tenant  compte  de  l'intention  particulière  du 
professeur,  reconnaîtra  qu'il  a  mis  dans  cet  abrégé  de  grammaire  beau- 
coup de  concision  et  de  lucidité,  et  qu'il  l'a  rédigé  dans  un  style  latin 
d'une  clarté  remarquable.  Un  simple  coup  d'œil  fera  juger  la  valeur  de  la 
première  de  ces  assertions. 

L'opuscule  {opusctdum,  comme  l'auteur  le  nomme)  est  partagé  en  six 
sections.  La  première,  qui  traite  des  éléments  de  la  grammaire,  présente 
plusieurs  essais  de  simplification  dans  l'exposé  de  la  déclinaison  et  de  la 
conjugaison  :  ainsi  Leemput,  rejetant  le  nombre  de  dix  déclinaisons,  en 
établit  trois  principales  -,  et  relègue  dans  un  chapitre  à  part  les  règles 

'  Jnsliluliones  linguae  Graccae,  ad  analysim  poUssimum  comparatas ,  edidU  J.  H.  J.  Leemput, 
in  Universilale  Lovaniensi  S.  T.  D.  et  limjuae  Gruecae  professor.  I.ovanii,  tvpis  Academicis, 
1782,  iii-8».—  Editio  altéra.  Lov.,  typis  Acad.,  1797,  pp.  V1II-1G7,  in-S". 

-  Elles  répondent  aux  trois  déclinaisons  de  la  Grammaire  grecque  de  J.-L.  Burnouf. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  225 

relatives  aux  contractions  clans  les  noms.  De  même,  dans  la  théorie  des 
verbes,  il  établit  simplement  deux  conjugaisons  (celle  des  verbes  en  o,  et 
celle  des  verbes  en  ixi),  et  réduit  à  quelques  règles  les  contractions  propres 
à  la  classe  de  verbes,  dite  jusqu'alors  circonflexe,  et  longuement  exposée. 
Un  glossaire  des  verbes  défectueux  est  présenté  aux  conmiençants  à  la  suite 
des  principes  essentiels  de  la  conjugaison. 

La  syntaxe,  traitée  dans  la  U'"^  section,  est  courte,  mais  méthodique,  et 
les  règles  bien  enchaînées  :  Leemput  l'a  débarrassée  des  rapprochements 
entre  le  grec  et  le  latin ,  dont  on  l'avait  surchargée  dans  d'autres  livres 
classiques.  La  prosodie  du  grec  est  nettement  résumée  dans  la  III'  section, 
en  deux  pages.  La  section  suivante,  qui  traite  des  ûgures,  est  pleine  d'in- 
térêt et  d'utilité;  elle  initie  l'humaniste  aux  termes  usités  par  les  gram- 
mairiens pour  désigner  les  particularités  de  l'orthographe,  de  la  syntaxe 
et  de  la  prosodie.  La  V""  section  donne  des  notions  succinctes  sur  les  dia- 
lectes, et  la  VI""*^  un  abrégé  fort  clair  de  la  théorie  des  accents. 

Celui  qui  avait  analysé  ainsi  la  grammaire  d'une  langue  savante  ne 
serait  pas  resté  muet  devant  les  auteurs  grecs;  et  si  van  Hulthem,  moins 
absorbé  par  la  bibliographie,  eût  cédé  comme  Caton  au  désir  d'apprendre 
le  grec  dans  ses  vieux  jours,  il  eût  tiré  lui-même  bon  profit  de  la  lecture 
des  rudiments  de  Leemput. 

19.  Jean-Baptiste  Cypers. 

(1790-1791.) 

Les  mesures  qui  amenèrent  la  révolution  brabançonne  et  les  troubles 
qu'elle  entraîna,  causèrent  vraisemblablement  une  interruption  dans  les 
études  au  collège  des  Trois-Langues ,  comme  dans  celles  d'autres  institu- 
tions de  Louvain.  En  février  1790  seulement,  un  successeur  fut  donné  à 
Leemput  en  la  personne  de  J.-B.  Cypers  d'Anvers,  humaniste  recomman- 
dable  de  l'Université  ^. 

Ce  professeur  avait  été  le  7""*  de  la  5™"  ligne,  c'est-à-dire  le  Sl™^  dans 
la  promotion  de  1776.  Admis  le  16  mai  1785  au  conseil  de  la  Faculté  des 

'  Bax,  folio  1453  et  1514.—  Fasti  Acad.  MS.  delà  Bibl.  académique  de  Louvain,  n"  20. 


22G  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

Arts,  et  nommé  dans  le  même  mois  professeur  de  syntaxe  au  collège  de 
la  Sainte-Trinité ,  il  venait  de  passer  à  la  classe  de  poésie,  en  1790,  quand 
il  fut  appelé  à  la  chaire  de  langue  grecque  rendue  vacante  par  la  retraite 
de  Leemput  '. 

Le  7  mai  1791,  il  obtint,  par  nomination  de  la  Faculté  des  Arts,  la  cure 
de  Beveren  ,  dans  le  pays  de  Waes,  et  c'est  dans  cette  localité  qu'il  est 
mort,  le  21  mars  1820. 

20.  Antoine  van  Gils. 

(1791-97.) 

A.  van  Gils,  deTilbourg,  né  le  28  juillet  1758,  était  président  des  col- 
lèges de  Malderus  et  de  S'^-Anne.  Licencié  en  théologie  et  chanoine  de 
S'-Pierre  (1790),  il  fut  élu  professeur  de  langue  grecque ,  le  21  mai  1791. 
et  il  professa  dans  le  collège  de  Busleiden  jusqu'à  sa  suppression,  en 
1797  2. 

A.  van  Gils  soutint  ses  thèses  pour  le  doctorat  en  théologie  l'an  1 794  ^. 
et  l'année  suivante  il  devint  professeur  de  théologie  à  l'Université. 

Il  fut  au  nombre  des  membres  de  ce  corps  qui  protestèrent  contre  la 
spoliation  décrétée  par  les  représentants  de  la  république  française,  et  il 
vécut  assez  longtemps  pour  se  joindre  aux  anciens  professeurs  qui  récla- 
mèrent, en  1814 ,  le  rétablissement  de  l'Université  *.  Il  mourut  le  10  jan- 
vier 1834,  président  du  séminaire  de  Bois-le-Duc. 

'   Posl  discessum  Eximii  D.  Leemput.  —  Bax,  folio  1314.. 

-   Recueil  de  Bax,  folio  I4.5.D. — Prom.  in  artibiis,  folio  42.  Addition  de  la  main  de  van  Hiilthem. 
'  Voy.  Oratio  de  laudlbus,  etc.,  p.  lo9.  (Append.) 

*  Voir  les  pièces  relatives  à  leurs  démarches  dans  YAnnuaire  de  l'Univ.  de  Loiivain,  1858, 
pp.  199  et  sniv. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  227 

CHAPITRE  VIII. 

LES  PROFESSEURS  DE  LANGUE  HÉBRAÏQUE. 


' hSôXac,  TE  i/xaOcv  ,  àySoVu;  Tf  /ziTK'ïi^afn  , 
rcy  ^?^duTcv  àuTÎj;  eux  àTracpÙTTc/uj-.i. 
{Sapienlia.  VII.) 


La  langue  sainte  n'était  plus  regardée  comme  un  mystère  impénétra- 
ble; son  étude  n'était  plus  envisagée  comme  une  témérité,  et,  à  part  le 
mécontentement  de  quelques  esprits,  elle  pouvait  être  inaugurée  en  1518, 
dans  l'institut  de  Busleiden,  sous  les  mêmes  auspices  que  la  langue  grec- 
que. Il  devait  s'écouler  toutefois  une  vingtaine  d'années  avant  que  la 
lumière  tirée  des  études  hébraïques  parût  également  vive  et  pure  à  tous 
les  yeux  :  tout  fut  conduit  avec  prudence;  les  principes  de  la  langue  furent 
enseignés  sans  détours  et  sans  arcanes;  sa  véritable  richesse  fut  révélée 
à  des  intelligences  cultivées,  qui  en  conçurent  bientôt  l'application  aux 
sciences  théologiques,  et  les  préventions  qui  s'étaient  élevées  contre  le 
seul  nom  d'hébreu  ou  de  texte  hébreu  ne  survécurent  pas  à  la  première 
effervescence  des  conflits  que  nous  avons  rapportés,  en  faisant  l'histoire  du 
collège  à  son  berceau.  Érasme  en  avait  bien  auguré  :  le  jour  allait  se  faire, 
et  l'hébreu  serait  accueilli  dans  nos  écoles  avec  le  même  respect  que  les 
deux  autres  langues  savantes.  11  ne  s'était  donc  pas  trompé  quand  il  disait 
en  1518  *  :  «  Cet  Érasme  qu'on  avait  lapidé,  on  l'embrassera  un  jour!  » 

Ah!  permettez,  de  grâce 

Pour  l'amour  de  l'hébreu 

Les  noms  de  trois  étrangers  ouvrent  cette  troisième  série  des  professeurs 

'   Lettre  à  Barbirius,  6  mars    iSI8.  Episl.,  t.  I ,  p.  307  :  El  exosculabunlur  illum  paulo  ante 
lapidalum  Erasmum.  —  Voy.  plus  haut,  chapitre  V,  pp.  123-127. 


228  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLÈGE 

du  collège  de  Busleiden;  ces  hommes  ne  s'attachèrent  pas,  il  est  vrai,  à 
l'institution;  mais  leur  nomination  prouve  quelles  relations  littéraires  exis- 
taient entre  tous  les  pays  d'Europe,  et  quelle  fraternité  la  libre  fréquenta- 
fion  de  leurs  écoles  établissait  entre  des  nations  divisées  d'intérêt.  La  chaire 
d'hébreu  fut  dévolue  tout  d'abord  à  un  étranger  instruit,  juif  originaire 
d'Espagne,  Matlhaeus  Adrianus,  que  tout  le  monde  désignait  pour  l'occu- 
per. Mais  il  ne  fit  pas  un  long  séjour  à  Louvain ,  où  il  fut  remplacé  par 
deux  hébraïsants  anglais,  qui  abandonnèrent  leur  poste  plus  vite  encore. 
Robert  VVackefield  et  Robert  Shirwood.  Quoique  leur  carrière  se  soit  écou- 
lée et  terminée  ailleurs,  il  nous  a  paru  indispensable  de  leur  consacrer  à 
chacun  une  notice  biographique  en  léte  de  ce  chapitre  :  leurs  travaux  nous 
représentent  fidèlement  les  besoins  et  les  applications  de  l'érudition  hé- 
braïque, à  une  époque  oîi  elle  ne  faisait  que  s'introduire  dans  les  Univer- 
sités. Nous  ne  pouvons  faire  moins  que  de  compléter  la  notice  de  Paquoi 
sur  le  premier  de  ces  professeurs  d'hébreu  \  d'après  des  sources  qu'il  n'a 
pas  consultées  ou  qu'il  n'a  pas  citées,  et  d'esquisser  la  vie  des  deux  autres 
à  qui  la  plume  de  cet  historien  n'a  pas  fait  le  même  honneur. 

1.   Matthaeus  Adrianus  (Malllneu  Aclrian). 

(1518-I9.) 

Matthieu  Adrianus  (ou  Hadrianus) ,  né  en  Espagne  vers  1470  ou  1480, 
avait  été  d'abord  élevé  dans  le  judaïsme.  Peut-être  fut-il  au  nombre  des 
juifs  qui  se  convertirent  et  furent  baptisés  sous  le  règne  de  Ferdinand  et 
Isabelle. 

Adrianus,  qui  avait  reçu  le  titre  de  chevalier  du  Christ,  quitta  l'Espagne 
pour  mettre  à  profit  sa  connaissance  de  l'hébreu.  Vers  1515,  il  se  rendit 
à  Bàle,  un  des  centres  scientifiques  des  pays  allemands,  et  y  fit  des  prosé- 
lytes parmi  des  hommes  restés  célèbres,  entre  autres  Wolfgang  Fabricius 
Capiton,  il  prit  le  grade  de  docteur  en  médecine  à  Heidelberg,  où   il 

'  Voy.  Mémoires  d'Idstoire  littéraire,  t.  III,  pp.  74-73.  Nous  avons  en  outre  repris,  touchant. 
M.  Adrianus  et  ses  deux  successeurs,  les  faits  que  nous  avons  réunis  naguère  dans  une  notice  sur 
.TeanCampcnsis,  insérée  dans  l'annuaire  rfe  l'Univ.de  Louv.,  I84S,  pp.  180-185. 


DES  TROIS- LANGUES  A  LOUVAIN.  229 

compta  pour  disciples  Jean  OEcolampade  et  Jean  Brentius  '.  C'est  vers 
1516  qu'Adrianus  passa  dans  les  Pays-Bas,  à  la  sollicitation  de  Louis 
Vacus,  qui  paraît  avoir  été  un  Espagnol  fixé  à  Bruxelles. 

Adrianus  fut  attiré  à  Louvain  par  Érasme,  qui  vante  hautement  son 
savoir,  sur  la  parole  d'autrui,  il  est  vrai,  et  qui  fit  des  efforts  pour  le 
placer  et  ensuite  pour  le  x-etenir^.  D'abord,  Adrianus  ne  parvint  qu'avec 
grand'peine  à  subsister  à  Louvain  :  il  donna  longtemps  des  leçons  pri- 
vées, et  il  les  continua  probablement  pendant  une  partie  de  l'année  1518, 
avant  l'ouverture  du  collège  des  Trois-Langues,  où  les  amis  d'Érasme  lui 
avaient  assuré  une  place  ^.  On  croyait  la  cause  de  l'hébreu  gagnée  parce 
qu'on  avait  donné  un  titre  et  promis  des  honoraires  à  cet  étranger  *.  Une 
lettre  d'Érasme  à  J.  Robbinus  ou  Robbyns  nous  apprend  qu'Adrianus, 
dès  le  début  de  ses  leçons,  commencées  peut-être  avant  l'ouverture  du 
collège,  comptait  un  auditoire  nombreux  et  distingué,  dans  lequel  il  y 
avait  même  des  professeurs  ou  docteurs  de  l'Université  :  il  souhaitait  que 
la  chose  fût  aussi  avancée  pour  la  chaire  de  grec.  Nous  rapportons  tout 
ce  passage,  qui  constate  les  bonnes  dispositions  d'une  partie  du  public^: 

Matiliaeiis  suas  partes  et  gnaviter  et  féliciter  agit  :  liabet  aitditores  cum  satis, 

ut  in  re  tam  nova,  fréquentes,  lum  honestos,  in  quibus  sunt  aliquot  Magistri  nostri. 
Utinam  nobis  contingat,  qui  simili  siiccessu  Gi^aeci  partes  tueri  queat! 

Il  y  avait  du  zèle,  sinon  de  l'enthousiasme,  chez  les  auditeurs  d'Adria- 
nus;  mais  la  faim  de  cet  Espagnol  était  toujours  fort  grande,  et  peu  géné- 


'  Voy.  les  témoignages  recueillis  par  Paqiiot,  t.  III,  p.  74.  Les  personnages  ici  mentionnés  sont 
d'ailleurs  connus  dans  l'histoire  du  luthéranisme  et  dans  celle  de  l'érudition. 

^  Dès  le  mois  d'octobre  loi",  tout  occupe  du  grand  projet,  il  disait  avec  joie  à  Lupsetus  {Epist., 
t.  II,  1628)  :  Jam  adest  Hebraeus,  exquisUe  dodus,  nomine  Malthaeus.  Voy.  lettre  à  Budé,  octobre 
loi".  Epist.,  t.  Il,  p.  1637  :  Hitjus  aetatis,  omnium  judicio ,  doclissimics. 

'•  On  voit  Érasme,  en  1517,  remercier  Gilles  Busleiden  de  l'accueil  fait  au  juif  Malthaeus,  dont 
l'arrivée  en  Belgique  est  un  événement  à  souhait.  Epist.,  t.  II,  p.  1653. 

»  Le  15  mars  1518,  Érasme  écrivit  à  OEcolampade  [Epist.,  t.  II,  p.  1675)  :  Adest  iiiv  Mal- 
thaeus.... conductits  publico  perpeluoque  salaria  ut  Hebraea  profttealur  :  rcs  probe  succedit. 

~'  Lettre  de  Louvain,  26  mars  1518  (Episl.,  t.  II,  p.  1677).  Dans  une  lettre  à  Barbiriusen  date 
du  6  mars  1518  [Epist.,  t.  I,  p.  307),  il  est  question  d'un  enseignement  en  plein  exercice  :  Mut- 
thaeus  vir  suae  linguae,  in  qua  natus  est,  in  paueis  peritus,  publiée  profitetur  Hebraice,  quusi 
parum  hic  fucril  cbriorum. 


230  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

reux,  paraît-il,  de  leur  naturel,  ils  ne  faisaient  pas  assez  pour  l'apaiser. 
Dorpius,  qui  encourageait  la  petite  école  des  hébraïsanls,  se  plaignait  à 
Érasme  de  la  parcimonie  de  ceux  qui  auraient  pu  satisfaire  le  maître  '. 
Lorsque  Érasme  rendit  compte  à  Gilles  Busleiden  de  l'ouverture  des  leçons 
le  18  octobre  1518^,  il  exalta  de  nouveau  l'instruction  si  rare  de  notre 
Adrianus,  et  le  fit  en  termes  un  peu  hasardés  ^,  en  se  fondant  sur  la 
rumeur  publique,  sur  l'opinion  des  savants  d'Allemagne  et  d'Italie;  il  lui 
attribuait,  avec  une  connaissance  exacte  de  la  langue,  une  habileté  d'in- 
terprétation assez  grande  pour  pénétrer  jusqu'au  fond  de  la  pensée  des 
auteurs.  Il  avait  osé  le  présenter  aux  théologiens  sous  sa  propre  responsa- 
bilité *.  Érasme  insistait,  dans  la  même  pièce,  sur  la  nécessité  de  retenir 
par  tous  moyens  un  homme  aussi  utile  ^. 

Malgré  les  pressantes  recommandations  d'Érasme  et  d'autres,  les  man- 
dataires de  Busleiden  ne  purent  augmenter  d'une  manière  notable  les 
appointements  d' Adrianus;  cet  étranger  renonça  à  sa  charge  vers  le  milieu 
de  l'année  suivante  (1519),  et  cessa  d'enseigner  à  la  fin  de  juillet '^  :  peut- 
être  ne  quitta-t-il  Louvain  que  vers  le  commencement  de  décembre.  On 
sait  qu'ensuite  Adrianus  accepta  une  charge  de  professeur  à  Wittemberg, 
comme  le  prouve  une  lettre  de  Mélanchthon  à  J.  Langius,  datée  de  15:20  '. 
Il  n'est  rien  resté  de  positif  sur  la  fin  de  la  carrière  de  Matthaeus,  ni  sur 
sa  mort.  Il  avait  déjà  changé  tant  de  fois  de  résidence,  qu'on  avait  douté 
légitimement  de  sa  persévérance,  sinon  de  sa  loyauté  :  ainsi  il  était  parti  de 

'  Lettre  du  16  juillet  1318.  Epist.,  t.  1,  p.  332.  —Trait  cité  par  Paquot,  ib.,  p.  74,  note. 

-  Epist.,  t.  I,  p.  353.  Le  texte  de  ce  passage  a  été  reproduit  presque  entier  par  Paquot,  p.  74. 

'  Erasme  fait,  il  est  vrai,  cette  réserve  :  Quod  si  meum  jtidicium  in  hac  re  non  satis  habebit 
apud  le  pomicris.—  Dans  ses  notes  manuscrites  {Fasti,  t.  I,  p.  512),  Paquot  interrompt  Érasme  par 
ce  petit  mot  d'avis  :  Pace  tua ,  Erasme,  minimi  ponderis  est  tua  sentenlia,  qui  Hebraeam  linguam 
irjnorabas. 

*  Exposui  theologis  cjualis  sit,  rieque  dubitarim  meo  recipere  perieido. 

^  Cum  posteaquam  aliquis  Deus  propitius  ultro  nobis  obtulit.  nosiri  muneris  esse  videtur,  ul 
oblatum  modis  omnibus  retineanms. 

'"'  Exurdia,  p.  18  :  Docuit  lladrianus  annum  ununi  ac  menses  très. 

■'  Conductus  est  Adi-ianus ,  professor  Lovaniensis  qui  apud  nos  hebraïca  doceat.  C'était  le  mo- 
ment delà  retraite  de  J.  Boeschenstein,  hébraïsant  de  cette  université. — Paquot,  Fasti,  1. 1,  p.  312, 
cite  en  preuve  du  même  fait  un  recueil  é|)islolographique  :  Epistotarum  Lutheri  a  Th.  Aurifiibro 
editarum,  t.  I,  pp.  84,  sq.  Cfr.  Wolf  ap.  Colomiès,  Hispunia  Orientalis. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOLVAIN.  231 

Middelbourg  chargé  de  dettes  avant  de  venir  dans  le  Brabant  ^  Érasme 
lui-même  eut  avec  3Iatthaeus  une  fort  singulière  aventure,  qu'il  ne  manqua 
pas  de  raconter  à  Capiton  :  l'étranger  l'avait  prié  avec  instance  de  lire  à 
haute  voix  devant  lui  une  lettre  qu'il  lui  présentait  de  la  part  de  Capiton; 
mais  il  fit  la  plus  triste  contenance,  quand  il  entendit  les  choses  fort 
désagréables  qu'elle  renfermait  à  l'adresse  du  porteur. 

11  n'est  resté  sous  le  nom  de  Matthaeus  Adrianus  que  deux  opuscules 
publiés  à  Lyon  chez  Gryphius  ou  Sébastien  Gryphe,  célèbre  typographe 
qui  imprima  plus  tard,  en  hébreu,  le  Tliesauims  de  Sanctes  Pagninus 2.  Ce 
sont  :  1°  une  Inlroditctio  in  linguam  liebràicam  (in-8°),  qui  ne  porte  pas  de 
date  certaine  suivant  les  bibliographes,  et  2°,  un  recueil  de  prières  en 
latin  et  en  hébreu,  suivi  de  quelques  réflexions  contre  les  Juifs  au  sujet 
de  la  substitution  du  dimanche  au  sabbat"'.  Il  n'est  pas  improbable  que 
Matthaeus  ait  passé  directement  de  Louvain  en  France,  dans  le  cas  où 
lesdits  opuscules  y  aient  été  imprimés*. 

2.   RoBEUTus   Wackfeldus  (Robert    Wackefield). 

(1519.) 

Cet  anglais,  dont  les  travaux  et  les  opinions  n'ont  pas  été  sans  reten- 
tissement au  XV1""=  siècle,  n'a  fait  qu'un  court  séjour  en  Belgique,  et  il 
a  enseigné  à  Louvain  seulement  pendant  quatre  mois ,  du  mois  d'août  au 
mois  de  décembre  1519  ^.  Sa  biographie  ne  sera  point  pourtant  envisagée 
comme  une  digression  inutile  en  cet  endroit  ^,  puisque  Wackefield,   à 

'  LeUre  du  13  mars  1518  à  Capiton.  Epist.,  t.  Il ,  p.  1675. 

■^  Voy.  Colomiès,  Italia  et  Hispania  Orientalis,  élit.  VVolf  (  Hamburgi,  1730),  pp.  255-256, 
et  la  fin  de  la  notice  de  Paquot  dans  ses  Mémoires.  —  Cependant  Grasse  {Allrjem.  Lilercirgeschichte. 
B.  III ,  Th.  I ,  p.  1204)  suppose  \' Inlroditctio  publiée  à  Bâle  en  1520  avec  le  texte  hébreu  de  prières 
chrétiennes,  imprimé  auparavant  par  J.  Boeschenstein. 

'  Cet  opuscule,  de  3  feuillets  in-4°,  était  intitulé  :  Libellus  hora  (sic)  faciendipro  Domino  scilicel 
filin  Virginis  Mariae,  ciijus  myslerium  in  prologo  patente  patebil. 

^  Suivant  Aub.  Miraeus  :  Auctarium  de  scriptoribus  ccclesiasticis,  p.  138,  édit.  de  Hambourg 
(cité  par  Colomiès,  ibid.) 

»  Valère  .\ndré.  Fasti  aead.,  p.  283. 

^  Les  notes  latines  encore  inédites  de  Paquot  (Fasti  acad.  Lov.,  t.  I,  p.  513)  nous  ont  servi 
beaucoup  pour  utiliser  les  renseignements  tirés  d'autres  sources. 

Tome  XXVllI.  31 


232  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

raison  même  de  la  science  spéciale  qu'il  cultivait,  a  été  mêlé  à  la  politique 
et  aux  affaires  religieuses  de  son  temps. 

Robert  Wackefield ,  qui  vit  le  jour  dans  les  contrées  du  nord  de  l'An- 
gleterre, avait  fait  dans  sa  jeunesse,  à  l'Université  de  Cambridge,  des 
études  complètes  en  littérature,  en  philosophie  et  en  théologie;  il  entre- 
prit ensuite  des  voyages  dans  la  vue  d'enseigner  les  langues  orientales, 
parmi  lesquelles  il  cultivait  l'hébreu,  le  chaldéen  et  le  syriaque,  et  de 
vivre  dans  la  société  des  hommes  les  plus  savants. 

On  prétend  qu'après  une  courte  résidence  à  Louvain,  il  eut  l'occasion 
de  professer  les  langues  orientales  à  Tubingue  et  à  Paris.  Dans  la  pre- 
mière de  ces  villes,  il  remplaça  en  1522,  dans  la  chaire  d'hébreu,  le 
fameux  Jean  R^euchlin,  qui  venait  de  mourir;  mais  il  n'y  résida  pas  long- 
temps, malgré  les  efforts  que  fit  le  duc  Ferdinand  de  Wurtemberg  pour 
conserver  à  cette  Université  l'éclat  de  son  enseignement  ^ 

Quand  \Yackefield  fut  de  retour  en  Angleterre,  il  se  fixa  d'abord  à 
Cambridge  (152-4),  et  son  érudition  biblique  lui  gagna  les  bonnes  grâces 
de  Henri  VIII ,  qui  en  fit  bientôt  un  de  ses  aumôniers  (  lîegi  fuit  a  sacris). 
La  position  de  Wackefield  à  la  cour  l'entraîna  fort  loin  à  l'époque  où  le 
schisme  d'Angleterre  éclata  ;  on  le  vit  défendre  le  divorce  que  le  roi  vou- 
lait justifier  par  la  théologie-,  et  ses  écrits  de  même  que  sa  conduite  le 
rendirent  suspect  de  certaines  erreurs  :  il  est  avéré  que  quelques-uns  de 
ses  livres  furent  condamnés  de  son  vivant. 

Wackefield  fut  envoyé  en  1550  à  Oxford,  où  il  donna  des  leçons  de 
langues  aux  membres  de  l'Université,  dans  la  grande  salle  du  Clirist-churcli 
(in  Triclinio  aedis  Cliristi).  Deux  ans  après,  il  obtint  un  des  canonicats  du 
même  collège,  et  le  grade  de  bachelier  en  théologie;  il  enseigna  ensuite 
à  Cambridge,  puis  de  nouveau  à  Oxfoi^d. 

'  Voy.  Sclmiirrer,  Biographische  und  literarische  Nachrichlen  von  ehmaligen  Lehren  der  hebrai- 
schen  Lilcratiir  in  Tubiinjen.  Ulni,  1792,  in-S",  pp.  67-70. 

^  Henri  VIll  sollicita  des  principales  Universités  de  l'Europe,  comme  des  deux  Universités 
d'Angleterre,  une  décision  favorable  à  ses  vues,  et  il  fit  fléchir  de  son  côté  plusieurs  facultés  de 
théologie  :  il  n'osa  rien  tenter  de  semblable  auprès  de  celle  de  Louvain.  Voir  le  discours  latin  de 
M^  de  Ram  :  de  Laudibus,  etc.,  p.  4,  et  note  9,  pp.  40-4:2,  et  VHistoire  de  Henri  Mil  par 
Audin,  t.  II. 


DES  TROIS-LA?<GUES  A  LOLVAIN.  235 

L'attitude  de  R.  Wackefield  pendant  les  troubles  fut  conforme  au  rôle 
avancé  qu'il  avait  pris  dans  l'affaire  qui  fut  le  point  de  départ  de  la 
réforination  en  Angleterre;  il  prêta  la  main  aux  mesures  prises  alors  par  le 
pouvoir,  et  assista  à  la  destruction  du  monastère  de  Ramsgate  (Monaslerium 
Ramesiense),  ordonnée  par  le  roi,  en  155G.  11  passait  pour  avoir  enlevé 
lui-même  grand  nombre  de  livres  de  la  bibliothèque  de  ce  monastère,  et 
entre  autres  le  Diclionarium  hebrdicum  Laurentu  Holbecci.  ouvrage  savant  et 
bien  travaillé  *. 

Robert  Wackefield  mourut  à  Londres,  en  1558  suivant  les  uns,  le 
8  octobre  1557  selon  d'autres. 

Des  ouvrages  ou  des  opuscules  de  R.  Wackeûeld  -,  les  uns  avaient  trait 
à  l'enseignement  de  l'hébreu  et  des  langues  bibliques  ou  à  l'exégèse  phi- 
lologique des  Écritures;  les  autres  étaient  des  traités  destinés  à  justifier 
par  la  Bible  ses  opinions  en  morale  et  en  droit  canonique  ^;  d'autres  enfin, 
étaient  des  discours  et  des  pièces  de  circonstance  appartenant  à  ses  rela- 
tions avec  les  deux  Universités  d'Angleterre.  Nous  indiquerons  unique- 
ment, comme  relatifs  à  la  philologie  sacrée,  VOratio  de  kmdibus  et  ulililate 
trium  l'mguariim  Arab.,  Cliald.  et  Hebr.  atque  idiomaiibus  hebraïcis  quae  in  ulroque 
Teslamento  inveniunlur  (Cantabr.,  1524,  in-i"),  la  Paraphrasis  in  librum  Kohe- 
lelh  (quem  vulgo  Ecclesiasten  vocant)  succincla,  clara  atque  fidelis  (In-P),  et  le 
Syntagma  de  Hebraeorum  codicum  incorruptione  * ,  publié  seulement  après  la 
mort  de  l'auteur  [Oxonii,  1552,  in-4"). 

'  Pitseus,  de  Academiis  et  illustribus  Angliae  scriptoribus  ad  ann.  1338,  n°  957.  Paris,  1619, 
in-4°  (t.  1,  seul  paru). 

2  Pitseus,  loc.  cit.,  en  a  dressé  une  liste,  et  Wood  en  donne  une  autre  dans  ses  Athenae  Oxo- 
/lienses  (t.  I,  p.  40,  S""  édit.).  Schnurrer,  dans  le  volume  cité,  n'en  mentionne  que  les  principaux. 
Paquot  {Fusli,  1. 1,  p.  3-2-2)  a  rassemblé  les  matériaux  d'une  bibliographie  complète,  trop  étendus, 
nous  a-t-il  paru,  pour  servir  de  complément  utile  à  la  présente  notice. 

-»  Par  exemple,  Kolser  Codicis,  etc.  Londini,  15-28,  in-4»  :  dissertation  où  Wackefield  prouvait, 
d'après  les  Écritures  et  les  décrets  de  l'Église,  l'illégitimité  du  mariage  du  roi  avec  Catherine 
d'Aragon ,  veuve  de  son  frère. 

'  Ce  traité  paraît  avoir  été  une  portion  détachée  de  sa  première  publication  sur  les  trois  langues 
bibliques.  Wackefield  y  parlait  de  lui-même  avec  une  excessive  confiance  :  Spero  me  in  ea praestitisse 
de  tropis  Scriplnrae,  punciis,  positinnibus  et  nonmdlis  aiiis  rébus,  qmd  a  nascente  Ecclesia ,  quod 
sciam,  praestitit  nemo,  ne  dicam  atteutavit.  —  L'impression  de  l'hébreu  se  faisait  dans  les  premières 
éditions  de  ses  écrits,  à  l'aide  de  caractères  taillés  en  bois  (Hallam  ,  H,  530). 


234  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLÈGE 

5.  RoBEUTLS  SniRwoDus  (Robert  Sliirtvood). 

(1319.) 

Robert  Shirwood,  qui  fut  présenté  par  Wackefield  au  moment  de  son 
départ,  ne  professa  que  pendant  un  mois,  le  mois  de  décembre  1519  : 
Post  mensem  umim  professionem  inglorins  deserml,  comme  a  dit  de  lui  Valère 
André  '.  Ce  personnage,  né  à  Covenlry,  dans  le  comté  de  Warwyck,  s'était 
livré,  à  Oxford,  à  l'étude  des  belles-lettres  et  de  la  théologie,  et  on  pré- 
tend même  qu'il  aurait  pris  dans  cette  Université  le  grade  de  docteur  en 
théologie-.  Selon  Pitseus,  Shirwood  aurait  ensuite  enseigné  publiquement 
la  langue  grecque  et  la  théologie  à  Louvain'^;  mais,  comme  l'observe  Pa- 
quot,  on  ne  trouve  son  nom  nulle  part  parmi  ceux  qui  ont  professé  ces 
sciences,  à  moins  qu'il  n'ait  été  lecteur  dans  quelque  collège  [fors  lectorem 
egerit  in  aliqiio  collegio).  On  n'a  pas  de  détails  sur  le  reste  de  sa  carrière. 

On  attribuait  à  Robert  Shirwood  beaucoup  d'intelligence  et  d'érudition. 
De  tous  les  ouvrages  qu'on  a  pu  lui  attribuer  *,  un  seul  a  obtenu  une 
certaine  célébrité  :  c'est  le  commentaire  sur  VEcclésiaste,  que  Valère  André 
appelle  Recognitio  scu  explanalio  in  Ecclesiasten,  et  qui  a  paru  à  Anvers, 
en  1525  ^.  Le  lieu  et  la  date  de  cette  publication  feraient  croire  à  un  séjour 
prolongé  de  Shirwood  en  Belgique,  ou  du  moins  à  ses  relations  suivies 
avec  notre  pays. 

Shirwood  a  dédié  ce  livre  à  Jean  Webb,  abbé  des  moines  bénédictins 
du  couvent  de  Coventry;  il  disait  dans  sa  dédicace  qu'il  s'était  efforcé  de 

'  Exordia,  p.  68.  Fusti ,  p.  284.  —  Nous  avons  consulté  aussi  Pnquot.  MS.,  1. 1,  p.  513. 

^  Si  Baleo  et  Pilseo  fiJes,  rerjislra  eniin  lacent,  ini|uit  Tanneras  (Bibl.  Brilannico-Hiberna , 
p.  6C9)  ap.  Paquol. 

5  Pitseus.  De  Acad.  H  illi  script.,  a°  1530,  n°  934. 

*  Pitseus,  loc.cit.,  attribue  à  Sliirwodus  des  Sermones  varii,  en  un  livre,  dédiés  à  Webb,  et 
(]uel(]ues  autres  ouvrages  que  Paquot  n'est  pas  parvenu  à  connaître.  Baleus  {De  ncriptoribns  eccle- 
siaslicis)  ne  cite  d'autre  ouvrage  que  VEcclésiaste. 

'  Le  titre  de  la  publication  mérite  d'être  cité  en  entier  :  Ecclesiastes  latine  ad  verilatem  he- 
braïcam  recognitus ,  cum  nonnullis  annotatioiiibus  chaldaicis  et  quorumdam  Rabbinorum  senten- 
tiis,  texlits  ubscuros  aliquol  literaliter  crplananlibus.  Studio  Roberti  Shirwood.  .Vntverpiae,  apud 
Guilielmuni  Vorstnian,  1523,  in-4".  —  Voy.  Dibliotheca  Sacr.,  Vir.  Cl.  I^elong  et  Boerner,  edid. 
Masth.  (Halae,  1783)  tome  III,  part.  II,  p.  548. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  23S 

réparer  en  partie  l'obscurité  de  VEcclésiaste  par  sa  version  et  ses  notes 
{Ecclesiaslae  obscurilatem  versione  sua  et  nous  ex  parle  sarcire).  Jean  Pineda, 
docte  commentateur  des  Ëcrilures,  a  fait  tant  de  cas  de  l'interpi-étation 
de  Shirwood,  qu'il  l'a  insérée  dans  son  grand  commentaire  de  YEcclésiasle, 
publié  à  Séville  *.  Un  passage  de  la  préface  de  Pineda  (c.  12.,  §  2.)  a  fait 
croire  à  plusieurs  érudits  que  Shirwood  était  aussi  l'auteur  d'une  version 
latine  de  tout  l'ancien  Testament,  faite  sur  l'hébreu  ^.  Si  on  ne  peut  le  nier 
absolument,  on  ne  connaît,  du  moins,  d'autre  partie  achevée  qu'un  seul 
des  livres  Sapientiaux. 

4.  JoHANNES  Campensis  (Jcaii  van  den  Campen). 

(1520-1531.) 

Le  successeur  de  Shirwood  eut  enOn  la  bonne  chance  d'occuper  plus 
longtemps,  et  avec  distinction,  la  chaire  d'hébreu,  que  lui  confièrent  les 
administrateurs  du  collège.  ,Iean  Campensis  a  déjà  obtenu  une  mention 
spéciale  et  détaillée  de  nos  biographes  les  plus  estimés  ^  et  Valère  André, 
le  premier,  a  célébré  son  mérite  dans  le  tableau  historique  du  premier 
siècle  du  collège  des  Trois-Langues  *.  Nous  sommes  tenu  de  reprendre  ici 
les  principaux  faits  de  sa  biographie,  pour  le  juger  comme  hébraïsant  et 
comme  professeur. 

Le  nom  de  Campensis  n'est  autre  chose  que  la  transcription  latine  du 
nom  de  van  Campen,  ou  plutôt  van  den  Campen^,  lequel  a  pu  être  tiré 

'  Ecclesiastes  Salomonis  latine  ex  versione  J.  J.  Pineda  cum  cowmentariis.  Hispali,  1619, 
in-f'ol.  Parisiis,  1620,  in-fol. 

2  De  ce  nombre  sont  Jacques  Tirinus.  Comment,  in  V.  et  N.  T.  (In  Indice  anclorum)  et  Jean 
(le  la  Haye  (Prolcg.  ad  Biblia  maxima).  —  Voy.  Bibliotlteca  sacra ,  loc.  cit. 

^  Bibliotheca  Belg.,  édit.  1643,  p.  475,  édit.  Foppens,  1. 1,  pp.  349-600.  Mémoires  d'hist.  litlér. 
par  Paquet,  t.  H,  pp.  S0S-o07. —  Le  travail  plus  complet  de  ce  dernier  est  élaboré  dans  ses 
notes  des  Fasti  acad.,  folio  313-314. 

'  Exordia  ac  progrcssus,  pp.  68-69.  Cfr.  Fasti,  p.  284.  Nous  userons  librement  de  notre  notice 
sur  J.  Campensis  dans  V Annuaire  de  l'Univ.  de  Louvain ,  année  1843,  pp.  183  et  suiv.,  et  nous 
la  citerons  quelquefois  par  extraits,  grAce  au  droit  do  reprendre  son  bien  où  on  le  trouve. 

5  C'est  sous  le  nom  de  Jean  de  Campen  qu'il  figure  dans  la  Biographie  universelle,  t.  IV.  p.  637 
(art.  de  Tabaraud). 


236  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

du  lieu  d'où  ce  personnage  était  originaire,  si  ce  n'est  pas  celui  de  sa 
famille.  Il  était  né  vers  1490,  en  Hollande,  dans  la  province  d'Over-Yssel 
(d'où  il  est  aussi  qualifié  de  Transisatanus) ,  à  Campen  ou  auprès  de  Campen, 
petite  ville  située  à  cinq  lieues  de  Deventer,  sur  la  rive  gauche  de  l'Yssel. 
La  patrie  de  Campensis  n'était  pas  restée  sans  illustration  dans  les  siècles 
de  la  Renaissance  ',  et  la  ville  de  Deventer,  dans  le  même  pays,  avait  été 
longtemps  la  meilleure  de  nos  écoles  d'humanités.  Tout  porte  à  croire  que 
Campensis  avait  déjà  étudié  les  langues  grecque  et  latine  à  l'école  toujours 
tlorissante  de  Deventer,  avant  de  se  rendre  à  Louvain. 

De  bonne  heure,  Campensis  se  livra  à  l'étude  de  l'hébreu,  avec  le 
secours  de  quelques  livres  publiés  en  Allemagne,  et  aussi  avec  l'aide 
d'hommes  instruits  qui  possédaient  les  éléments  de  cette  langue.  On  n'a 
fait  que  conjecturer  que  Campensis  aurait  eu  l'occasion  de  voir  et  d'en- 
tendre dans  sa  jeunesse  le  célèbre  Jean  Reuchlin.  II  est  certain,  au  con- 
traire, que  Campensis  avait  passé  environ  neuf  années  à  étudier  et  à 
enseigner  l'hébreu  à  Louvain  ^,  quand  il  fit  un  voyage  en  Allemagne, 
pour  y  acquérir  par  lui-même  de  nouvelles  lumières.  Il  avait  professé 
d'abord  en  élucidant  avec  persévérance  les  notions  de  grammaire  répan- 
dues par  les  leçons  de  Malthaeus  Adrianus  et  d'autres;  mais,  peu  satisfait 
de  ces  notions,  il  voulut  savoir  suivant  quels  principes  la  langue  hébraïque 
était  étudiée  par  les  Allemands,  et  si  l'on  pouvait  tirer  quelque  utilité 
des  points -voyelles,  à  la  condition  d'en  réduire  l'usage  en  méthode-'. 
Les  doutes  de  Campensis  furent  éclaircis  au  bout  d'une  année  d'études  : 
il  se  convainquit   qu'une  saine  critique  admet  avec  raison   l'emploi  de 

'  Campen  avait  vu  naître  un  théologien  célèbre,  Heinieric,  dit  de  Campen  ( Heimericun  de 
Campo),  qui  se  distingua  au  concile  de  Bâle  par  l'habileté  de  sa  dialectique,  écrivit  plusieurs  traités 
à  la  demande  du  cardinal  Nicolas  de  Cusa,  et  enfin  vint  professer  la  théologie  à  Louvain  dans  les 
dernières  années  de  sa  vie  (1444-1460),  C'était  aussi  le  lieu  natal  d'Albert  Pighius,  qui  remplit  des 
postes  de  hante  confiance  dans  l'Église,  vécut  à  Rome  à  la  cour  des  papes ,  et  finit  ses  jours  en 
1555,  à  Utrecht.  Voy.  Foppens,  pp.  4'2-4ô,  et  Paqiiot,  Mémoires,  t.  I,  p.  52. 

2  Valère  André,  Exordiu,  p.  08,  d'après  la  préface  de  la  grammaire  hébraïque  de  Campensis 
[\''°  édit.)  :  Qui  cum  annos plwt  minus  novem  linguae  hebrateae  discendae  alque  docendae  impen- 
dissel.... 

'  Exordia,  ibid.  :  In  Germaniam  concessit,  ul  cognosceret  esset  ne  ars  aliqiia  in  punclis,  qiiibus 
Docalium  loco  nluntur  Hebraei,  an  vero  constaret  nnllam  esse;  haesitque  ibidem  anmim  unum..  . 


DES  TROIS -LANGUES  A  LOUVAIN.  237 

signes  de  convention,  qui  déterminent  et  conservent  la  prononciation 
traditionnelle  de  l'hébreu;  dès  lors  il  se  livra  avec  plus  de  sécurité  et  plus 
d'attrait  à  une  étude  qu'il  avait  trouvée  naguère  pleine  d'aridité  et  d'in- 
certitude *,  et  peu  après,  en  1528,  il  donna  le  fruit  de  ses  recherches  dans 
sa  Grammaire  hébraïque, 

La  chaire  d'hébreu  du  collège  de  Busleiden  avait  été  conférée  à  Jean 
Gampensis  probablement  au  commencement  de  l'an  1520;  au  mois  d'oc- 
tobre de  la  même  année,  il  entra  dans  le  nouveau  collège  avec  Piescius 
et  Goclenius,  et  pendant  un  terme  de  onze  ans,  il  forma  un  grand  nombre 
d'élèves,  à  qui  il  aplanit  l'accès  de  la  grammaire  hébraïque,  hérissée 
jusque-là  de  tant  de  difficultés.  Lorsque  Jean  Gampensis  se  démit  de  ses 
fonctions,  en  loôl,  il  se  prépara  à  un  voyage  en  Italie,  où  l'appelait, 
dit-on,  une  invitation  du  pape  Glément  VII  ^.  Gependant,  il  ne  se  rendit 
pas  directement  à  Rome;  il  parcourut  tout  d'abord  l'Allemagne  et  la  Po- 
logne, dans  l'intention  de  conférer  avec  des  rabbins  instruits  et  des  hébraï- 
sants  célèbres.  Puis  il  s'arrêta  quelque  temps  dans  le  midi  de  l'Allemagne, 
et  visita  à  Bàle  Sébastien  3Iunster,  ancien  cordelier  de  Tubingue,  infati- 
gable éditeur  de  livres  destinés  à  l'enseignement  de  l'hébreu  ^.  Il  résida 
ensuite  deux  années  à  Venise,  y  enseigna  l'hébreu,  et  noua  des  relations 
scientifiques  avec  un  juif  instruit,  que  le  célèbre  Hieronimo  Aleandro  lui 
avait  fait  connaître  *.  Les  pérégrinations  de  Gampensis  avaient  été  assez 
longues;  Érasme  n'avait  pu  s'empêcher  de  le  comparer  à  l'acteur  d'une 

'  Valère  André.  ExoriUa  :  Quo  faclum  est  ut  quae  di/peilis  illi  primum,  morosa  et  inamoena, 
facilem  sit  ei-perlus  Hiujuam,  Imem  et  amoenam;  damnala  sacrosanctu  illa  plurimorum  x/j-Min, 
negantium  certa  aliqua  ratione  literis  Hebraïcis  adjecta  puncta. 

-  Par  distraction  sans  doute,  Valère  André  et  Foppens  ont  ici  nommé  Léon  X,  qui  était  mort 
en  1321. 

5  Voy.  sur  les  services  de  cet  érudit  dans  les  études  hébraïques,  Hetzel,  Gesch.  der  hebr.  Spruche 
und  ti/er.,  pp.  132  et  suiv.,  etGesenius,  Gesch.  der  hebr.  Sprache  und  Schrifl ,  pp.  109-110,  112. 

^  Campensis  avait  pu  connaître  autrefois  Jérôme  Aléander  en  Belgique,  où  celui-ci  séjourna  en 
qualité  de  nonce,  quand  les  écrits  de  Luther  furent  brûlés  en  plusieurs  villes.  Lorsque  Gampensis 
le  rencontra  de  nouveau  à  Venise,  il  y  remplissait  une  mission  du  pape.  Aléander  était  un  des 
hommes  qui  avaient  pris  le  plus  à  cœur  l'intérêt  des  lettres;  à  cause  de  sa  connaissance  des  langues, 
Aide  Manuce  lui  donnait  «  cinq  cœurs  d  homme  ».  Sur  son  mérite  littéraire  voir  Roscoé,  Histoire 
de  Léon  X,  t.  IV,  et  Audin,  Ilisloire  de  Luther,  2™^  édit.,  chap.  XVII. 


258  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLÈGE 

comédie  toule  de  mouvement  :  Motoriam  egit  fubulam,  écrivait-il  à  Gocle- 
nius,  ancien  collègue  et  ami  du  voyageur  '.  C'est  avec  un  vif  déplaisir 
qu'Érasme  avait  appris  la  démission  et  le  départ  de  Canipensis;  il  l'esli- 
mait  '^,  et  comptait  sur  son  zèle  pour  l'affermissement  du  collège  des 
Trois- Langues;  tout  en  regrettant  son  absence^,  il  le  suivait  cependant 
encore  avec  un  bienveillant  intérêt,  dont  il  lui  donna  des  preuves. 

A  Rome,  Campensis  fut  accueilli  avec  grande  faveur  par  l'autorité  pontifi- 
cale, sous  le  règne  de  Paul  III,  qui  avait  succédé  à  Clément  VII,  en  1554, 
et  il  fut  investi  de  bénéfices  et  de  titres  ecclésiastiques.  Cependant,  les 
honneurs  ne  purent  le  retenir  en  Italie,  et  il  se  mit  en  route  dans  l'espoir 
de  faire  hommage  à  sa  pairie  des  connaissances  qu'il  avait  acquises  dans 
les  villes  étrangères.  Déjà  il  était  arrivé  à  Fribourg  en  Brisgau,  quand 
il  fut  atteint  de  la  peste  qui  y  sévissait  alors,  et  il  y  fut  enlevé  encore  à 
la  fleur  de  l'âge,  le  7  du  mois  de  septembre  de  l'an  1558. 

Les  ouvrages  de  Campensis,  que  nos  polygraphes  ont  pris  soin  d'énu- 
mérer  ^,  méritent  ici  une  description  toule  spéciale,  puisqu'ils  attestent 
sur  quel  ordre  de  travaux  l'enseignement  de  l'hébreu  était  alors  fondé, 
par  quel  genre  d'application  il  était  justifié  aux  yeux  des  savants,  et  mis 
en  rapport  avec  les  autres  sciences.  Un  abrégé  de  grammaire  hébraïque, 
une  paraphrase  des  Psaumes  et  une  autre  de  V Ecclésiaste ,  telles  sont  les 
publications  de  Campensis,  qu'il  nous  importe  d'analyser,  pour  parfaire 
la  biographie  d'un  des  hommes  qui  ont  la  plus  belle  place  dans  les  an- 
nales du  collège  de  Busleiden. 

I.  Grammaire  hébraïque.  —  La  première  en  date  des  productions  de 
Jean  Campensis  est  sa  grammaire  hébraïque,  sortie,  en  1528,  des  presses 
de  Thierry  Martens  à  Louvain.  Voici  le  titre  prolixe  de  celle  grammaire, 
qui  remplit  le  7-ecto  du  premier  feuillet  ^  :  Ex  imiis  libellis  Eliae  grammati- 

I  Episl.  poslh.,  ann.  1332-1533  {Fasti ,  p.  28i). 

-  En  1524,  il  lui  avait  transmis  une  de  ses  créances  à  la  charge  du  libraire  Fr.  Birckmann 
d'Anvers.  Epist.,  t.  I,  p.  822. 

^  Voy.  sa  lettre  à  Égide  Busleiden.  Fribourg,  décembre  1531  {Epist.,  t.  Il,  p.  1424),  et  sa 
lettre  à  Gocienius,  novembre  1533  :  Canipensis  abest.  {Epist.,  t.  Il,  p.  1479). 

*  Voy.  Foppens,  p.  600.  Paquot,  I.  Il,  p.  S06,  et  Sweertius,  Deliciae  orbis  christiani,  p.  363. 

"'  Un  volume  in-4°  de  52  feuillets,  décrit  d'après  l'exemplaire  de  M.  van  der  Meersch  ,  par  IM.  de 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  239 

corum  omnium  doctissimi,  hue  fere  congesHim  est  opéra  Joliannis  Campensis,  quidquid 
ad  absohitam  grammalicam  liebràicam  est  necessarmm.  Quod  scquens  pagella  magis 
indicabit.  —  Lovanii ,  apiid  Tlieodoricum  Murlhmm.  An.  MDXXVUl.  Meuse  junio. 

Cette  première  édition  renferme  une  épître  de  l'auteur  à  Daniel  Boni- 
berg,  consistant  en  trois  feuillets,  et  datée  de  Louvain  1528,  qui  n'a  pas 
été  reproduite  dans  les  réimpressions  de  son  livre.  Campensis  y  parle  du 
terme  de  ueuf  années  qui  s'est  écoulé  depuis  le  début  de  son  enseignement, 
et  y  déclare  n'avoir  bien  compris  la  théorie  des  accents  qu'après  avoir 
étudié  la  grammaire  d'Elias  Levita. 

L'essai  de  Campensis,  qui  présentait  un  résumé  des  règles  essentielles 
de  l'hébreu ,  tant  sous  le  rapport  de  la  lecture  et  de  l'écriture  que  sous  celui 
des  formes,  valut  aussitôt  de  la  renommée  à  son  auteur;  il  fut  réimprimé 
plusieurs  fois  dans  les  années  qui  suivirent,  surtout  à  Paris,  à  la  librairie  de 
Chrétien  Wechel  ^  ;  ces  éditions  ont  leur  prix,  à  cause  de  l'excessive  rareti' 
de  l'édition  originale.  Le  fond  de  l'ouvrage  avait  conservé  une  utilité  assez 
pratique  aux  yeux  de  Valère  André,  pour  qu'il  en  ait  préparé  lui-même, 
comme  on  le  verra  plus  loin,  une  édition  revue,  où  il  voulait  indiquer  les 
emprunts  faits  par  Campensis  à  Elias. 

La  grammaire  de  Campensis  n'abonde  pas  en  exemples  ;  mais  elle  se 
distingue  par  des  définitions  concises;  libre  de  digressions,  elle  a  les  qua- 
lités d'un  ouvrage  élémentaire.  A  ce  point  de  vue,  Paquot  n'a  pas  dit  sans 
raison  «  que  la  grammaire  de  Campensis  est  bien  faite,  fort  méthodique, 
et  dégagée  des  ennuyeuses  minuties,  dont  on  a  farci  la  plupart  de  celles 
qui  ont  paru  depuis.  »  Cependant,  si  cette  grammaire  offrait  dans  sa  mé- 
thode l'avantage  de  la  clarté,  il  lui  manquait  encore  l'utilité  de  fournira 
la  mémoire  une  connaissance  exacte  et  facile  des  formes  grammaticales  : 
c'est  ce  que  lit  Cleynarts,  élève  et  ami  de  Campensis,  en  publiant,  en  1529. 
ses  Tables  pour  la  langue  hébraïque  -,  et  il  laissa  ainsi  à  l'ouvrage  de  son 

r.aïui ,  dans  sa  monographie  sur  Tli.  Marlens,  n°  106,  p.  l'iO,  pt  récemment  par  le  P.  van  Iseglieni , 
dans  la  Biofjrnphic  citée ,  n"  20."i,  |)p.  337-Ô38.  CcUc  édition  princcps  est  resléc  iiiconniie  à  M.  Jiil. 
Fiirst,  éditeur  de  la  Bibtiotheca  judaïca ,  qui  appelle  lautcur  Jean  Campange  (Th.  il,  239). 

'   Poiisiis,  npiid  Clirislianum  Wcchelum,  lo3o,  1339,  Ijii  et  1553,  petit  in-S". 

-  Scripueram  quondam  tahulam  lirbraïcam ,  tubulam  ,  inqwim  ,  non  jnalam  grammalicam,  quod 
et  typi  minores  deesscnt ,  cl  Campensem  noUem  vidcri  emendare.  [Episl.,  p.  181.) 

Tome  XXVIII.  32 


240  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

maître,  qu'il  n'aurait  point  voulu  paraître  corriger,  la  destination  parti- 
culière de  grammaire  élémentaire  et  classique.  Comme  aujourd'hui  le  livre 
de  Jean  Campensis  ne  présente  plus  en  lui-même  qu'un  intérêt  historique, 
nous  avons  surtout  à  rechercher  ici  dans  quel  rapport  il  est  avec  les  tra- 
vaux du  même  genre,  qiii  datent  de  la  première  moitié  du  XVI""=  siècle. 
Il  est  impossible  de  déterminer  de  quels  auteurs  Campensis  aura  fait  usage 
dans  la  composition  de  son  livre,  parce  qu'il  ne  cite  aucun  des  grammai- 
riens chrétiens,  dont  il  a  été  contemporain;  il  est  seulement  probable  qu'il 
aura  eu  connaissance,  soit  à  Louvain,  soit  pendant  son  voyage  d'Alle- 
magne vers  1528,  des  premières  grammaires  publiées  par  des  Allemands 
d'après  la  méthode  des  l'abbins ,  par  exemple,  celles  de  Conrad  Pelli- 
canus  *,  de  Jean  Reuchlin  ^  et  de  Jean  Boeschenstein  ^,  et  plus  tard ,  avant 
d'achever  son  propre  travail,  il  a  pu  mettre  à  profit  quelques  livres  qui 
avaient  sans  doute  déjà  pénétré  dans  les  Pays-Bas ,  tels  que  ÏEpitome  et  les 
Imtitittiones  de  Sébastien  Munster  ^,  ou  bien  la  grammaire  de  Santés  Pagni- 
nus  ^.  Campensis  paraît  avoir  pris  surtout  pour  guide  un  écrivain  juif, 
qui  était  allemand  de  naissance,  mais  vivait  alors  en  Italie,  Elias  Levita, 
qu'il  appelle  le  premier  des  grammairiens^  et  qui  est,  en  effet,  loué  encore 
par  les  modernes  comme  un  grammairien  judicieux  :  «  C'est  celui  de  tous 
les  rabbins  ,  a  pu  dire  Richard  Simon,  dans  son  Catalogue  des  auteurs  juifs , 
qui  ait  été  le  moins  superstitieux,  et  qui  mérite  le  plus  d'être  lu.  » 

Comme  Campensis  l'annonce  par  le  titre  même  de  sa  grammaire,  il  a  eu 
recours  aux  différents  traités  d'Elias  Levita,  qui  lui  ont  paru  avec  raison 
moins  compliqués  que  le  système  d'autres  grammairiens  juifs;  il  a  fait 
sans  doute  usage  des  éditions  de  ces  traités  publiées  par  Sébastien  Mûns- 

'  De  modo  legendi  et  intelligendi  Hebraea.  Basil.,  1503,  in-i". 

-  Voy.  plus  haut  (chapitre  I,  p.  31)  le  titre  (le  son  premier  ouvrage:  en  1318,  parut  son  livre  Z>f 
accentibus  H  orlhographia,  complétant  le  précédent. 

^  Elementale  inlrod.  Aiisb.,  15I4,  in-i°.  Hebr.  grammat.  instllutiones.  Wlehergae.  1318,  in-i". 

*  1520  et  1324,  in-12.  Basil.,  apud  J.  Frobenium.  —  Son  Dictionnarium  llebratcum  parut  en 
1520. 

■''  Inslit.  grammat.  Ling.  Hebr.  Lugduni ,  1326.  —  S.  Pagniniis  en  a  donné  une  Abbreviatio 
qui  a  paru  à  Lyon  ,  en  1328,  en  même  temps  que  la  grammaire  de  Campensis  à  Louvain. 

•^  Voy.  Gesenius,  Gescli.  der  Hebr.  Sprache,  pp.  97  et  99.  —  Elias  Levita,  né  en  1469  dans  le 
pays  de  Baireuth,  enseigna  à  Padoue  vers  1304,  habita  ensuite  Rome  et  Venise,  et  mourut  en  t549. 


DES  TROIS-LAINGUES  A  LOUVAIÎN.  241 

ter,  chez  Jean  Froben,  à  Bâle  :  par  exemple,  le  Liber  eleclus,  grammaire 
sous  la  forme  de  quatre  discours,  qui  parut  en  1525,  avec  une  traduc- 
tion latine  en  regard  de  l'hébreu,  et  les  dissertations  grammaticales,  Capila 
Eliae,  imprimées  à  Pesaro  en  1520,  et  reproduites  à  Bàle,  en   1527. 
Peut-être  Campensis  a-t-il  eu  aussi  entre  les  mains  le  Liber  composiiionis , 
dont  la  première  édition  fut  faite  par  Elias  à  Piome,  en  1516  '.  C'est  à 
l'aide  de  ces  sources  que  notre  auteur  a  pu  souvent  invoquer  dans  les 
pages  de  sa  grammaire  l'autorité  d'Elias  Levita  :  il  le  fait  surtout  dans  une 
question  déjà  débattue  par  les  hébraïsanls  de  son  époque,  la  nature  et 
l'autorité  des  points- voyelles;  il  applique  le  système  de  ponctuation  reçu 
jusqu'alors  dans  les  écoles,  mais  avec  une  réserve  qu'il  devait  sans  doute 
à  la  lecture  des  ouvrages  d'Elias.  Ce  rabbin,  en  elfet,  a  osé  le  premier 
mettre  en  doute,  au  grand  scandale  de  ses  coreligionnaires,  l'antiquité  du 
système  masorélhique,  qui  fut  bientôt  après  attaquée  par  des  hébraisants 
chrétiens,  et  aussi  par  Luther;  mais  le  grammairien  novateur  n'a  pas  en- 
tendu nier  l'usage  nécessaire  des  points-voyelles;  il  n'a  fait  que  combattre, 
au  point  de  vue  d'une  libre  critique,  l'importance  superstitieuse  que  la  Syna- 
gogue avait  fini  par  y  attacher;  il  était  loin  encore  de  dénaturer  la  langue 
hébraïque  par  le  système  arbitraire  de  lecture  qui  a  été  substitué  à  la 
ponctuation  et  à  l'orthographe  des  Masorèthes,  et  qui  a  été  propagé,  surtout 
en  France,  par  les  ouvrages  polémiques  de  Louis  Capelle,  de  Masclef  et 
du  P.  Houbigant.  L'exposition  des  règles  de  lecture,  faite  par  Campensis 
d'après  Elias  Levita,  nous  représente  une  sorte  de  méthode  éclectique, 
qui  fut  aussi  celle  de  la  plupart  des  hébraisants  qui  vinrent  après  lui  dans 
leurs  ouvrages  de  grammaire;  nous  trouvons  cette  méthode  énoncée  sur 
le  titre  qu'il  a  donné  à  son  introduction  :  Libellus  de  natura  Uterarum  et  punc- 
torum  Ilebraïcorum ,  aliisque  ad  exaclam  grammaticis,  clirislianis,  et  neotericis 
jiidaeis  liucusque  incognita,  nece^sariis,  ex  variis  opusculis  Eliae  Jiidaci,  grarnma- 
ticorum  omnium  facile  principis,  per  Joamiem  Campensem  concinnatus.  Quand 
le  grammairien  a  défini  la  valeur  des  consonnes  et  l'emploi  des  points- 
voyelles,  il  s'occupe  des  gutturales  :  Lilerae  aleph,  hé,  kheth,  ghaïn,  muHum 

'  Munster  n'en  a  fait  une  réimpression  qu'en  IS56. 


242  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

exliibuerunt  negoUi  omnibus  qui  anle  liunc  noslrum  Eliatn  de  grammalica  scrip- 
serunt,  nec  quisquam  quod  sciam  salis  iliarum  naturam  novit.  Après  avoir  carac- 
térisé leur  naliire  gutturale,  distincte  de  celle  des  autres  ordres  de  con- 
sonnes, il  établit  que  si  ces  lettres  n'ont  pas  de  sons  par  elles-mêmes  et  ne 
peuvent  recevoir  les  sclicva  comme  les  autres,  elles  prennent  le  son  d'une 
voyelle  brève  dont  le  signe  est  joint  à  celui  du  scheva  :  ce  sont  les  points 
qu'il  nomme  semi-pwxcla ,  qui  sont  plutôt  des  demi-voyelles  ou  voyelles  auxi- 
liaires, et  que  les  grammairiens  modernes  appellent  scheva  composé,  ou 
voyelles  abrégées  :  ciiATEPH-/«Uflc/i ,  segol  et  kamets.  On  trouve,  en  outre, 
l'usage  des  lettres  quiescentes  dans  les  flexions  grammaticales,  expliqué 
par  Campensis  d'une  manière  aussi  claire  que  le  comportait  la  connais- 
sance exclusive  de  l'hébreu,  sans  la  comparaison  des  idiomes  congénères, 
qui  n'a  été  appliquée  à  la  grammaire  que  dans  le  cours  du  XYIl'""  siècle. 

IL  Paraphrases  des  Psaumes  et  de  t'Ecclésiaste.  —  Ces  travaux  de  Cam- 
pensis appartiennent  comme  le  premier  à  sa  carrière  philologique  ^  Les 
Psaumes  et  l'Ecclésiasleont  donné  matière  à  deux  publications  différentes, 
sur  la  valeur  et  les  éditions  desquelles  Paquot  s'est  beaucoup  étendu  dans 
l'article  de  ses  Mémoires.  Les  aperçus  qui  vont  suivre  reprendront  unique- 
ment les  faits  les  plus  importants,  qui  doivent  être  éclaircis  par  des  obser- 
vations nouvelles. 

La  première  édition  de  la  Paraphrase  du  Psautier  a  pour  titre  :  Psal- 
morum  omnium  juxla  Hebraïcam  veritatem  paraphrastica  interpi^elalio ,  auclore 
Jeanne  Campensi,  publico ,  cum  nascerelur  et  ahsolveretur,  Lovaniensi  Hebraï- 
carum  literarum  professore.  (Noribergae,  1552,  in-16.)  On  apprend  par  ces 
termes,  que  c'est  dans  le  cours  de  son  professorat  que  Campensis  a  exé- 
cuté son  travail  d'exégèse  philologique  ;  il  ne  l'a  donc  publié  qu'un  an  après 
son  dépari  de  Louvain,  à  Nuremberg,  où  il  parait  avoir  fait  quelque 
séjour;  c'est  aussi  de  cette  même  ville  qu'est  datée  la  dédicace  qu'il  a 
faite  du  livre  à  Jean  Dantiscus  ou  de  Dantzig  ^,  évêque  de  Culm,  et  am- 

'  On  a  mis  sans  preuves,  sous  le  nom  de  Campensis,  les  Commentarioli  in  Epislolas  Pauli  ad 
Romanos  cl  Galalas  (Vcnctiis,  1534,  in-8°). 

'^  Érasme  avait  recommandé  (lampensis  à  ce  prélal  :  Campensis  nientionem  feci  in  projcimts  ad 
Dantiscum  liieris  honori/îcam.  (Episl.,  l.  Il ,  p.  1479.) 


DES  TROIS-LAISGUES  A  LOUVAIN.  245 

bassadeur  du  roi  de  Pologne  auprès  de  l'empereur  Charles-Quint.  La 
même  année,  la  Paraphrase  latine  de  Campensis  était  réimprimée  à  Paris, 
chez  Claude  Chevallon  ;  mais  avec  celle  du  Psautier  paraissait,  pour  la 
première  fois,  la  Paraphrase  du  livre  de  Salomon ,  dit  Cohdelli  ou  l'Ecclé- 
siaste  :  Succinclissiina ,  el  quanlum  ilebraïca  plirasis  permitlit,  ad  literam  proximc 
accedens  Paraphrasis  in  concionem  Salomonis  Ecclesiaslac.  (Ap.  Claudium  Che- 
vallonium,  Parisiis,  1532,  45  pages.)  Celle  Paraphrase  remontait,  comme 
l'autre,  aux  premières  années  de  l'enseignement  de  Campensis,  qui  l'ap- 
pelait les  prémices  de  ses  travaux;  il  dit  même  qu'il  l'avait  dictée  à  ses 
auditeurs  du  collège  des  Trois-Langues,  avant  de  la  donner  au  public. 
Dans  la  suite,  les  deux  Paraphrases  ont  été  réimprimées  ensemble  dans 
plusieurs  villes  qui  étaient  devenues  en  quelque  sorte  les  foyers  de  l'art 
typographique,  à  Paris  ^  à  Lyon  -,  à  Anvers  ^  et  à  Bâle  *.  Des  versions 
faites  en  langue  vulgaire,  en  flamand,  en  allemand,  en  anglais  et  en  fran- 
çais, sur  le  texte  latin  du  Psautier  paraphrasé,  ont  paru  bientôt  après  : 
une  version  vulgaire  de  la  Paraphrase  de  l'Ecclésiaste  a  été  jointe  aux 
traductions  flamande  et  française  ^.  La  publication  de  cette  dernière  était 
due  au  trop  fameux  Etienne  Dolet,  qui  annonça  la  Paraphrase  «  faite  par 
le  très-savant  M.  Jean  Campensis  »  comme  «  une  claire  et  succincte  inter- 
prétation juxte  la  sentence,  non  juxte  la  lettre.  »  L'éditeur  français  a,  dans 
une  Êpislre  au  lecteur  fidèle,  expliqué  le  nom  et  le  titre  des  Psaumes;  peut- 
être  Irouvera-t-on  ici  avec  plaisir  la  définition  du  mot  donnée  dans  la 
langue  et  avec  l'orthographe  du  XVI™"  siècle  :  «  Semblablement  te  vou- 
»  Ions  bien  advertir  que  ce  mot  pseaidme  signifie  proprement  le  son  de 
»  la  harpe;  toutesfois  le  mot  hébreu,  nûzmor,  signifie  proprement  carme, 
»  ode,  chanson  :  mais  nous  disons  les  Pseaulmes,  parce  qu'ils  ont  été 
»    chantés  à  certains  instruments;  mais  cestoit  en  telle  sorte  que  la  mo- 

'  Dans  les  années  1534,  1545  et  1565,  in- 10. 

4  Chez  Séb.  Gryphiiis,  1533,  1536,  1558,  1348,  15G8,  in-12. 

■'  1535,in-8°. 

'  1548,  in-16.  1553,  in-12.  Voir  l'indication  des  éditions  latines  des  deux  paraphrases  de  (Cam- 
pensis dans  la  Bibliolheca  sncra  du  P.  Lclontt,  éd.  Masch,  t.  III,  p.  II,  pp.  528-32  et  547. 

^  Les  premières  éditions  de  la  version  française  sont  celles  de  Paris,  1534  et  1342,  in-16,  et 
celle  d'Anvers,  1544. 


244  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

»  dulalion  d'iceulx  instruments  préparoit  et  disposoit  les  affections  des 
»  oyants  a  plus  plainement  percepvoir  et  entendre  les  paroles  des  sainctes 
»    chansons.  » 

Après  l'examen  sommaire  des  travaux  de  Campensis,  constatons  quels 
témoignages  honorables  ont  été  rendus  à  sa  mémoire,  par  des  littérateurs 
qui  étaient  alors  l'écho  des  savants  de  leur  pays.  Ses  connaissances  éten- 
dues lui  ont  valu  l'estime  el  l'amitié  d'un  des  hommes  les  plus  actifs  de 
l'époque,  Sébastien  Munster,  qui  lui  a  adressé  une  lettre  latine  insérée  en 
tète  de  la  traduction  de  la  logique  de  Maimonides  ^.  Des  humanistes  qui 
avaient  connu  Campensis,  ont  célébré  son  savoir;  après  l'éloge  donné  par 
le  poète  portugais  Andi'é  Resende  à  ses  leçons  de  langue  hébraïque  -,  on 
citerait  la  pièce  de  vers  élégiaques,  dans  laquelle  son  ami  et  compatriote, 
Alardus  Amstelrodamus,  a  transmis  le  récit  abrégé  d'une  vie  bien  rem- 
plie et  sitôt  tranchée  : 

Campensis  praestans  sanctae  mysteria  linguae, 

Davidicos  Psalinos  fusiùs  expltcuit. 
Non  sine  laude  diù  Veneta  praelegit  in  urbe , 

Obtinei  hinc  Romae  mulla  sacerdolia. 
Lovanii  slaluit  vitam  fmire  docendo , 

Frilnirgum  veniens  peste  repente  péril. 
Ne  fartasse  senem  mulet  [urluna  secunda, 

Hinc  juvenem  Campos  misit  in  Elysios. 
I  nunc,  rara  sludens,  Hehraeis  jungito  Graeca  : 

Mors  etiam  dodos  opprimit  alra  viras. 

La  réputation  que  Campensis  avait  acquise,  par  son  enseignement  et 
ses  ouvrages,  a  autorisé  Valère  André  à  lui  décerner  cet  éloge  solennel, 
dans  son  discours  historique  ^  :  Et  Joannes  quidem  Campensis  qualis  quantus- 
que  vir  fuerit,  e  scriplis  illiiis,  6jç  eç  èvûyoiv'/.icvctx,  lied  aeslimare  :  nam  el  Veneliis 
publiée  docuit,  el  erudiïwnis  gratia  a  Leone  X,  Ponl.  Max.,  magno  illo  imjemo- 
rum  aestimalore,  in  urbeni  evocaliis,  bénigne  exceptus  est,  ac  habitus  liberaliter. 

'   Basiieae,  ■1526.  Voy.  une  note  dans  Paqiiot,  p  50o. 

-  Dans  son  Encomium  urhis  et  Acud.  Lovan.,  152î)  {Fasti  acud.,  p.  401). 

'  Exordia  ac  progressiis,  p.  1 1 . 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIiN.  245 

5.  Andréas  Gennepios  (André  Gennep,  dit  Balenus). 

(153-2-1568.) 

Le  successeur  de  Jean  Campensis  élait  né  à  Baelen,  bourg  de  la  Cam- 
pine,  et  c'est  pourquoi  il  est  nommé  quelquefois  Andréas  Balenus,  et 
même  simplement  Balenus,  dans  les  écrits  latins  du  temps.  André  Gennep, 
qui  prit  possession  de  la  chaire  d'hébreu,  le  26  février  1552,  à  l'âge  de 
48  ans,  la  conserva  jusqu'à  sa  mort,  arrivée  l'an  1568. 

II  eut  le  privilège  de  jouir  jusqu'à  une  extrême  vieillesse  d'une  santé 
encore  vigoureuse  et  d'une  grande  gaieté  de  caractère  ^;  c'est  dans  les  der- 
nières années  seulement  de  son  professorat  d'environ  56  ans,  qu'il  réclama 
l'assistance  de  jeunes  hébraïsants  ^. 

Distingué  par  la  simplicité  et  la  bonté  de  son  âme,  doué  d'un  caractère 
exempt  de  prétention  et  de  feinte  ^,  André  Gennep  élait  fort  instruit  :  il 
avait  joint  à  la  connaissance  des  langues  la  culture  de  plusieurs  études 
spéciales,  telles  que  la  médecine,  la  botanique;  cependant,  il  rendit  des 
services  signalés  par  sa  connaissance  approfondie  de  l'hébreu,  dont  il  avait 
pénétré  les  mystères,  nous  dit-on,  avec  une  perspicacité  qui  aurait  défié 
celle  des  rabbins  *. 

Il  réussit  à  former  des  élèves  distingués,  dont  plusieurs,  entre  autres 
Lindanus,  lui  ont  rendu  témoignage;  c'est  grâce  aux  entretiens  particuliers 
qu'il  accorda  à  Lindanus,  et  grâce  à  des  recherches  entreprises  de  concert, 
que  celui-ci  parvint  à  des  vues  aussi  sûres  et  aussi  solides  sur  la  manière 
d'interpréter  les  Écritures.  Si  Lindanus,  qui  l'a  nommé  une  des  gloires 
de  l'Académie  de  Louvain  [Lovaniensis  Academiae  dectis),  s'est  laissé  peut-être 
entraîner  trop  loin  par  sa  reconnaissance,  on  peut  du  moins  mettre  son 
maître  au  nombre  des  professeurs  les  plus  utiles  et  les  plus  judicieux  que 

'    Vegelus  et  hilaris ,  qui  gcnlis  illius  gmius  est.  (Exordia,  p.  70.) 

2  Valèrc  André.  Exordia,  p.  69.  —  Fasli,  p.  28.i.  —  Foppens,  Bibl.  Belg.,  pp.  32-55.  —  Pa- 
quet, Fusli  MS.,  t.  I,  pp.  514-3)3. 

3  Havensius  {Comment,  de  erect.  nov.  episc,  p.  97  )  :  Homo  fuit  ingénia  lU  faciti,  ila  simplici 
atque  benigno,  sine  fnco  ac  fallacia. 

■*  Valère  André.  Exordia.  p.  69  :  Linguae  Hebraïcae,  ac  potissimiim  rei  grammaiicae  mysteria 
Rabbinis  prope  ipsis  culkbal  accuralius. 


246  MKMOIRE  SUR  LE  COLLÈGE 

l'enseignement  des  langues  y  ait  comptés.  On  n'a  pas  d'ouvrage  toutefois, 
sous  le  nom  de  Gennep;  il  avait  préparé  un  travail  sur  les  accents  hébraï- 
ques {de  accmlibus  liebraïcis,  et  un  autre  sur  l'accord  de  la  Vulcale  avec  le 
texte  oi-iginal  hébreu  [de  consensu  cdhionis  Ytdrjatae  mm  hebrdica  veritale^). 
Un  petit  travail  manuscrit  sur  la  dérivation  des  mois  dans  l'hébreu  exis- 
tait encore  au  siècle  passé  on  manuscrit  -  :  De  inveslkjalionc  tliamtlis  in 
hebraïco  sermone  (MS.,  in-i",  12  p.). 

Selon  toute  apparence,  Gennep  fit  beaucoup  pour  venir  en  aide  aux 
études  et  aux  travaux  des  autres.  Nous  aurons  lieu  de  rapporter  ailleurs 
ses  bons  offices  en  faveur  des  deux  Levita,  juifs  convertis,  réfugiés  à  Lou- 
vain  quelque  temps,  à  cette  époque.  Jean  3Iolanus,  docteur  en  théologie, 
disait  avoir  appris  de  la  bouche  même  de  Gennep  ^,  que  celui-ci  était  l'au- 
teur de  la  Grammaire  hébraïque,  publiée  par  Jean  Isaac  Levita,  sous  son 
propre  nom,  à  Cologne,  et  qu'il  la  lui  avait  dictée  pendant  le  séjour  d'Isaac 
à  Louvain. 

André  Gennep  mourut,  en  1568,  âgé  de  84  ans*;  il  fut  inhumé  en 
l'église  S'-Pierre  {in  pronao) ,  auprès  de  sa  femme,  morte  un  an  aupara- 
vant. 11  avait  chargé  de  distribuer  ses  biens  «  aux  pauvres  du  Seigneur  » 

*  Valèrc  André  dit  (Exordla ,  p.  70)  n'avoir  pas  pu  voir  ces  ouvrages  qui  sont  cités  par  i.in- 
danus.  [De  opt.  iiiterp.  script,  gen.,  liv.  1,  cliap.  VII.) 

^  Paquot,  Fasti,  p.  515  :  «  Apud  Jo.  Fr.  Sal.  Baelemans,  Toparchani  de  Steenweglien.  » 

^  Dans  les  Ancilecla  rcrum  Lovairiensium ,  vus  par  Valère  André  {Fasti,  p.  28  i).  C'est  sans  doute 
le  même  ouvrage  de  Molanus ,  dont  parle  Valère  André ,  sous  le  nom  de  :  Annales  urbis  Lovaniensis, 
dans  la  Bihl.  Belgica.  T"  édit ,  p.  513,  et  aussi  dans  la  seconde.  Voir  sur  ce  manuscrit  la  noiice 
de  M.  Alvin.  (Bullet.  de  lAcad.,  t.  XXII ,  n"  8,  p.  283.) 

'  Cornélius  Valerius,  son  collègue,  Ht  à  sa  ménioire  cette  pièce  de  vers,  qui  mérite,  nous  pa- 
raît-il  ,  d'être  reproduite  : 

jt/igravil  octogesimo  quarto  senex 
jElatis  aniio  funr.tus  inlegerrime  : 
Scx  atque  trig/itta  pir  aiinos  publiée 
SacJ'ns  Hehrneorum  profcssus  litrras  , 
Zinyunmquc  en  liens  optime  sanctissimam; 
Biislidiano  i/tor/om  Collei;io, 
Sibique  favorem  comparavit  omnium  ; 
Dum  consulens  bénigne  aegrotantibus , 
O/ze  medica  multis  salutem  contuUl. 
Nunc  liberalus  omnibus  molestits , 
Fruitur  beato  coelitiim  rnnsortio  , 
Nomine  reliclo  postcris  laudabili 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  247 

ses  exécuteurs  testamentaires  Petrus  Peckius,  docteur  en  droit,  et  Mel- 
chior  van  Ryckenroy,  président  du  collège  des  Trois-Langues. 

Dans  son  extrême  vieillesse,  Gennep  avait  eu  pour  suppléant,  pendant 
une  année  entière,  un  docteur  en  théologie,  Augustin  Ilunnaeusou  lluens  ', 
de  Malines  :  un  jeune  Frison,  Buchon  de  Montzuma  (à  3Iontzima),  plus  tard 
docteur  en  théologie  2,  le  remplaça  aussi  pendant  quelque  temps. 

La  juste  célébrité  de  Hunnaeus  comme  théologien  et  comme  linguiste, 
appartenant  par  sa  vie  et  ses  travaux  à  l'école  de  Louvain ,  nous  impo- 
serait l'obligation  d'entrer  ici  dans  quelques  détails  sur  les  services  rendus 
par  lui  à  l'enseignement  du  collège  des  Trois-Langues ,  et  sur  sa  collabora- 
tion à  la  grande  œuvre  de  la  typographie  plantinienne.  Nous  y  reviendrons 
ailleurs,  en  parlant  de  l'époque  où  le  savant  interprèle  de  la  Bible,  direc- 
teur de  la  polyglotte  d'Anvers,  Arias  Montanus,  appelait  à  son  aide  les 
plus  actifs  des  théologiens  de  Louvain,  qui  s'étaient  livrés  à  l'étude  des 
langues  bibliques  :  Hunnaeus  fut  de  ce  nombre. 

6.  JOHANNES  GuiLIELMIUS    (GuUielmi)    HAULEMIUS. 
(1568-1369.) 

Après  la  mort  de  Gennep,  les  proviseurs  du  collège  chargèrent  de  la 
leçon  d'hébreu  J.  Guilielmius,  qui  devint  licencié  en  théologie  l'an  1571  ^. 

Ce  personnage,  natif  de  Harlem,  est  appelé  en  latin  Guilielmius  ou 
Guilielmi,  d'après  son  nom  vulgaire,  qui  était  probablement  Willems.  Il 
avait  été  élève  du  collège  d'Arras,  à  Louvain;  mais  il  était  entré  dans  la 
compagnie  de  Jésus,  où  il  occupa  la  charge  de  recteur  dans  la  maison  de 

'  Hunnaeus  avait  suppléé,  pendant  quatre  ans  ,  Thierry  Langius  dans  la  chaire  de  grec.  — 
Voy.  chap.  VII,  §4,  p.  211. 

2  II  était  de  la  promotion  de  1564,  qui  fut  célébrée  avec  une  pompe  extraordinaire;  il  mourut 
en  février  1594,  prévôt,  archidiacre  d'Utrecht,  etc.  (Valère  André,  Fasti ,  pp.  1 17-118).  Voici  un 
extrait  de  l'inscription  de  son  portrait  suspendu  dans  l'église  d'Utrecht  :  Praecipiiarum  linguanm 
egregie  peritus ,  ex  quibits  Hehraicam  in  Lovaniensi  Academia  publiée  professiis  est. 

5  Valère  André.  Exordia,  p.  "I.  —  Fasti,  245.  —  Foppens,  p.  653.  —  Alegambe.  Bibl.  scrip. 
S.  J.,  p.  1i^.-~  Bibliolh.  des  éerivains  de  la  compagnie  de  Jésus,  par  les  PP.  Aug.  et  AI.  de  Backer, 
l.  II,  p.  286.—  Inibonati,  Biblioth.  hebr.  lalina,  p.  205. 

Tome  XXVIH.  33 


248  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

Louvain;  puis,  selon  Paquot,  celle  de  vice-provincial  des  Pays-Bas.  Le 
mérite  de  Guilielmius  a  été  généralement  reconnu,  en  ce  qui  touche  à 
l'interprétation  de  l'Écriture  et  à  la  connaissance  des  langues  bibliques  '  : 
nous  parlerons  plus  loin  (ch.  IX)  du  concours  qu'il  a  donné  à  l'exécution 
de  la  polyglotte  d'Anvers.  Il  mourut  à  Louvain,  le  l"  octobre,  d'une  fièvre 
maligne  régnant  en  cette  ville  [igue  loemico). 

7.   Petrus  Pierius  a  Smenga. 

(1309-1577.) 

Pendant  que  J.  Guilielmius  professait  l'hébreu,  les  proviseurs  du  col- 
lège se  mettaient  en  mesure  de  pourvoir  à  la  chaire  affectée  à  cette  langue 
par  la  nomination  définitive  d'un  titulaire.  Deux  hommes  sollicitaient 
l'honneur  d'y  monter,  et  il  leur  fut  permis  de  donner  des  leçons  en  de- 
hors du  collège ,  pour  justifier  leur  mérite  par  leurs  œuvres  :  c'est  ce 
qu'entreprirent  de  faire  Pierre  Pierius  à  Smenga,  frison  de  naissance,  et 
Cornélius  Piobertus,  d'Anvers  ^,  chacun  pendant  un  mois. 

Enfin,  le  premier  l'emporta  sur  son  compétiteur,  aux  yeux  de  l'admi- 
nistration et  de  Guillaume  Busleiden  ,  écuyer,  fils  d'Égide,  qui  était 
considéré  comme  un  des  protecteurs  du  collège.  La  nomination  de  Pierius 
porte  la  date  du  10  juillet  15G9,  et  il  professa  l'hébreu  pendant  huit 
ans,  c'est-à-dire  jusqu'en  1577  '\  Il  quitta  alors  le  collège  des  Trois- 
Langues,  se  maria  *,  et  l'élude  de  la  médecine  lui  ouvrit  promptement 
une  nouvelle  carrière  où  il  ne  tarda  pas  à  se  distinguer.  Promu  docteur 
et  professeur  royal  en  1579,  il  s'adonna  tout  entier  à  son  art,  sur  lequel 
il  composa  quelques  écrits  ^,  et  il  mourut  à  Louvain  au  commencement 
de  l'an  IGOl  e. 

'  Paquot.  Fasii,  MS.,  p.  oIS  :  Linguae  Hebraïcae,  Chaldaïcae,  Syriacae  et  Arabicae  peritissi- 
rmis,  uli  et  Lalinae  Graccaequc.  Tlicologiae  qiwque  inlima  mysteriapenetr avérât. 
^  Nous  ne  savons  rien  d'autre  sur  ce  Cornélius  RoLertus. 
■'  Recueil  de  Bas,  folio  l46'2-65. 

*  Sa  femme  s'appelait  Pélronille  van  den  Woude  ;  elle  était  la  veuve  de  GodevarJ  de  Jeger  ou  Jegers. 
5  On  cite  en  ce  genre  des  yJnnolaliones  in  Gulcnum  et  des  Emendalionum  ChUiades. 
s  Valère  André.  Fasli,  p.  221.  —  Le  dO  février  1601,  après  la  mort  de  Pierius  à  Smenga,  un 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  249 

Pierius  à  Smenga  était  un  homme  d'un  esprit  prompt  et  vif  {acri  et 
vivido  vir  ingenio);  nous  n'avons  à  enregistrer  ici  que  ses  titres  acquis  à  l'his- 
toire comme  professeur  d'hébreu;  mais  on  en  conchira  facilement  qu'il 
s'est  appliqué  avec  une  grande  ardeur  à  l'objet  de  ses  premières  études. 

Il  existait  sous  son  nom  un  petit  traité  intitulé  :  Prosodia  hebraea,  seu 
Ratio  accentùs  grammalici  (MS.,  8  pages  in-4°),  que  Paquot  dit  avoir  vu  lui- 
même  chez  J.  Fr.  Baelemans  ^  mais  c'est  surtout  d'après  les  notices  de 
Suffridus  Pétri  sur  les  écrivains  de  la  Frise  2,  que  l'on  peut  juger  de 
l'étendue  des  recherches  philologiques  de  notre  auteur.  Malheureusement 
la  plupart  des  travaux  énumérés  par  l'historien  de  la  Frise  sont  restés  en 
grande  partie  inédits;  nous  ne  ferons  que  jeter  un  coup  d'oeil  sur  leur 
contenu,  en  vue  de  donner  à  cette  notice  son  complément  littéraire". 

Les  Livres  saints  et  les  auteurs  anciens,  grecs  et  latins,  ont  eu  la  plus 
grande  part  à  des  études  historiques  et  critiques  préparées  de  longue 
main  par  Pierius  à  Smenga.  La  principale  de  ses  publications  sur  les 
Écritures  était  un  travail  volumineux,  qui  avait  pour  but  de  signaler  les 
altérations  et  les  mauvaises  corrections  que  l'exégèse  de  son  siècle  avait 
introduites  dans  le  texte  original,  hébreu  et  grec,  de  la  Bible.  En  voici  le 
titre  rapporté  par  Suffridus  Pétri  :  Sacrosancti  et  geniiini  Bibliomm  textûs 
Hebraei  Graeci,  inniimeris  locis  linguarum  peritiâ  sese  vendilanlibus  maie  castigando, 
cilando  et  interpretando  corrupti,  et  in  alienum  sensiim  detorti  Apodeixis  *.  Il 
avait,  en  outre,  élaboré  un  commentaire  littéral  et  historique  sur  la  plu- 
part des  Prophètes  qu'il  avait  expliqués  publiquement  dans  ses  leçons; 
c'est  là  un  trait  saillant  dans  l'histoire  de  son  enseignement.  Il  aurait 
aussi  ajouté  des  observations  au  Micidol  de  David  Kimchi,  pour  élucider 
la  rédaction  hébraïque  de  ce  traité  grammatical. 

subside  nouveau  fut  accordé  à  Gérard  de  Vileers.  Foppens,  p.  1002,  fait  mourir  Pierius  nonagé- 
naire, en  1630,  après  72  ans  de  doctorat. 

'  Paquot.  Fasti,  MS.,  1. 1,  p.  317. 

2  Decas  XVII de  scripl.  Frisiae,  n"  2  (Franekerae,  1699,  pp.  492-496). 

5  Paquot  {Fasti,  MS.,  pp.  316-517)  nous  est  venu  en  aide  dans  celte  revue  sommaire.  — L'es- 
quisse d'une  œuvre  philosophique  de  Petrus  à  Smenga  sur  l'antiquité  et  son  histoire  a  vu  le  jour  à 
I.ouvain ,  chez  Masius,  en  1381 ,  grand  in-folio  :  Mercurius  seu  Hermalliena,  de  Ilarmonia  mundi. 

'  Ce  manuscrit  qui  formait  un  épais  volume  in-folio  ne  fut  jamais  imprimé. 


2S0  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

D'autre  part,  Pierius  à  Snienga  avait  mis  l'érudition  d'un  humaniste 
dans  des  travaux  analytiques  fort  nombreux  sur  des  auteurs  grecs  et  latins, 
sacrés  et  profanes,  et  sur  l'histoire  de  l'antiquité.  C'étaient  des  notes  des- 
tinées à  corriger  ou  à  restituer  des  passages  de  ces  auteurs,  prosateurs  ou 
poêles,  et  entre  autres,  des  notes  critiques  sur  Vllistoh-e  naturelle  de  Pline; 
c'étaient  des  extraits  de  passages  remarquables  de  divers  écrivains  que 
Pierius  avait  recueillis  dans  ses  vastes  lectures. 

A  partir  de  l'an  1577,  quand  Pierius  eut  abandonné  l'hébreu  pour  se 
livrer  à  la  médecine ,  sa  charge  ne  fut  pas  remplie  pendant  plus  de  trente 
ans.  Non-seulement  la  chaire  d'hébreu  fut  vide  avant  les  autres  chaires 
du  même  collège,  et  resta  vacante  pendant  toute  l'époque  des  troubles^; 
mais  encore  elle  ne  fut  pas  immédiatement  occupée,  quand  le  collège 
se  rouvrit  en  1606.  Ce  n'est  qu'en  1612  que  l'enseignement  de  l'hébreu 
y  fut  de  nouveau  inauguré,  après  la  nomination  de  Yalère  André,  dont 
nous  allons  retracer  la  vie  et  les  services. 

8.  Valerius  Andréas   (Walther  Driessens  ou    Valère  André). 

(1612-1655.) 

La  carrière  de  ce  personnage  appartient  tout  entière  au  XYII"®  siècle, 
et  c'est  à  Louvain  qu'elle  s'est  écoulée  en  grande  partie.  L'objet  du  présent 
chapitre  ne  comporte  pas  une  biographie  complète  de  Valère  André;  force 
nous  sera  dans  cette  notice  d'être  sévèrement  éclectique,  puisque  nous 
n'avons  pas  à  juger  indistinctement  tous  ses  travaux.  Il  s'agira  surtout  ici 
du  littérateur  qui,  chargé  de  la  chaire  d'hébreu  au  collège  des  Trois- 
Langues,  non-seulement  a  relevé  cette  branche  d'enseignement,  mais 
encore  s'est  fait  l'historien  de  ce  collège  ^. 

'  Valère  André,  Exordia,  p.  71  :  Ingravescentibus  mox  inteslinis  in  Belgio  bellis,  quadraginla 
amplius  annos  liebraïcae  Musae  siluere,  ipsnmque  paulatim  Collegium  Trilingue  Elinguc  factum. 

-  Nous  avons  consulté,  outre  Foppens  [Bibl.  Belgica,  pp.  1 147-1  l-i8),  les  notes  manuscrites  que 
Paquet  destinait  à  une  biographie  fort  étendue  {Fasli  Acad.  Lov.,  t.  I,  pp.  SI7-520),  et  qu'il  a 
rédigées  en  partie  d'après  des  notes  laissées  par  Valère  André  lui-même.  Nous  avons  de  même  mis 
à  profit,  et  souvent  cité  textuellement,  notre  notice  historique,  insérée  dans  YAnmiaire  de  l'Uni- 
versité de  Louvain  de  l'an  1846  (pp.  139-216)  :  Valère  /Indré,  professeur  d'hébreu,  etc. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIIS.  2§1 

Valerius  Andréas,  dont  le  nom  latin  ne  cache  ni  finesse  ni  épigramme, 
comme  bien  des  noms  ou  épithètes  des  savants  de  la  Renaissance,  naquit 
en  novembre  1588  à  Dessell,  ou  Deschell  ',  bourg  du  Brabant,  placé  sur 
les  confins  de  la  Campine,  dans  le  voisinage  de  Moll  et  de  Baelen,  avec 
lesquels  il  formait  une  avouerie.  C'en  est  assez  pour  entendre  le  surnom 
de  Desselius,  qu'il  s'est  donné  en  tète  de  ses  ouvrages.  Il  fit  ses  premières 
études  dans  son  endroit  natal,  sous  la  direction  de  Valerius  Iloutius  -,  très- 
estimé  alors  pour  ses  succès  dans  l'éducation  de  la  jeunesse.  Envoyé  à 
Anvers,  il  eut  le  bonheur  d'y  recevoir  pendant  trois  ans  les  leçons  du 
célèbre  André  Schott,  prêtre  de  la  Compagnie  de  Jésus.  Ce  fut  surtout 
dans  la  connaissance  du  grec  que  le  jeune  campinaire  fut  redevable  au 
savant  humaniste  de  ses  progrès  fort  rapides  :  aussi  n'a-t-il  négligé  aucune 
occasion  de  lui  rendre  hommage  comme  à  son  maître,  son  guide  et  son 
protecteur  ^.  François  Schott,  frère  de  ce  savant,  investi  de  hautes  charges 
dans  la  magistrature  d'Anvers,  ainsi  qu'Aubertus  Miraeus  ,  s'intéressèrent 
vivement  aux  études  de  Valère  André.  C'est  encore  en  cette  ville  que  le 
futur  professeur  de  Louvain  recueillit  les  premières  notions  d'hébreu  dans 
les  leçons  du  jésuite  Jean  Haïus,  écossais  de  naissance,  données  sans 
doute  au  collège  de  son  ordre. 

Sur  l'avis  d'A.  Schott,  il  alla  faire  un  cours  de  philosophie  à  Douai  *  : 
il  y  resta  deux  ans  disciple  de  Philippe  du  Trieu ,  alors  jésuite,  autrefois 
professeur  à  la  pédagogie  du  Porc.  Il  y  suivit  assidûment  aussi  les  leçons 
d'Andréas  Ilaïus  ^  de  Bruges,  enseignant,  dans  la  même  x\cadémie,  les 
lettres  grecques,  la  langue  latine  et  l'histoire.  Comme  s'est  exprimé  Valère 
André  lui-même,  dans  un  de  ses  opuscules  ^,  «  pour  donner  quelques 


'  Il  est  plusieurs  renseignements  curieux,  consignés  par  Valère  André  lui-même  dans  une  sorte 
de  Curriculiim  vitae,  qu'il  a  rais  à  la  fin  de  sa  première  édition  de  la  Bibliotheca  (lG2ô),  p.  752. 

*  Lileris  polilioribus  parlbn  in  palria,  manuducenle  et  docente  Valerio  Houlio ,  felici  ingenio- 
rum  formatore.  —  Valère  André,  Bibl.,  ibid.  —  Foppens,  1 1-47. 

^  Bibl.  Belg.,  p.  752.  Ad  Graecae  liiiguae  sludium  auclor  et  diiclor.  Voy.  Ling.  Hebr.  Eneo- 
miiim,  p.  12. 

•  Paquet,  Fasti,  folio  517. 

'  Foppens,  Bibl.  Belg.,  pp.  53-54. 

6  Praef.  Comment,  in  Ibin  (cit.  ap.  Paquot).  Ul  vero  scientiam  illam  morosam  tune  sibi  et  super- 


252  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

assaisonnements  à  une  science  qui  lui  paraissait  pleine  de  dégoûts  et  d'as- 
pérités ,  il  est  quelquefois  rentré  en  grâce  auprès  des  Muses ,  en  s'exerçant 
à  de  petits  travaux  de  philologie.  » 

Valère  André  était  de  retour  à  Anvers  depuis  une  année  seulement, 
quand  il  fut  appelé  à  l'enseignement  de  l'hébreu  au  collège  des  Trois-Lan- 
gues;  cette  place  lui  fut  offerte  par  Adrien  Baecx,  président  du  collège, 
dont  nous  avons  dit  ci-dessus  (ch.  IV)  les  importants  services  '. 

La  collation  de  la  chaire  fut  faite  à  Valère  André  vers  la  Noël  de 
l'an  1611,  comme  en  fait  foi  un  diplôme  des  archiducs-;  mais  il  n'en  prit 
possession  que  le  27  mars  1012,  en  prononçant  un  discours  sur  les  qua- 
lités et  les  avantages  de  la  langue  hébraïque,  dont  nous  devrons  parler 
explicitement  dans  la  suite  de  ce  chapitre. 

Valère  André  n'abandonna  jamais  la  chaire  d'hébreu,  malgré  les  autres 
charges  et  dignités  qui  lui  échurent  dans  sa  longue  et  belle  carrière.  Nous 
ne  ferons  plus  que  jeter  un  coup  d'œil  sur  les  services  rendus  aux  éludes 
académiques  en  général  par  Valère  André,  avant  d'examiner  de  plus  près 
ses  travaux  de  philologue. 

Quoique  titulaire  d'une  chaire  au  collège  de  Busleidcn,  Valère  André 
se  décida  à  entreprendre  l'étude  du  droit,  dans  ses  deux  branches  alors 
enseignées  simultanément,  le  droit  civil  et  le  droit  ecclésiastique.  Nous  le 
voyons  promu  au  doctorat  (/.  U.  Doctor),  le  22  novembre  1621,  admis 
au  conseil  de  l'Université  le  50  janvier  1622,  et  en  1628  nommé  profes- 
seur royal,  chargé  de  l'explication  des  Institutes  [Regius  imperialium  insti- 
ttuiomim  prof  essor). 

Tout  ce  que  Valère  André  a  tenté  ou  réalisé  pour  la  science  du  droit 

dlinsam  in  multis  literurum  condimentis  redderel  conditiorem ,  in  yraliain  cum  Musis  rediit  inler- 
dmn ,  seribendis  opusculis  pliilologicis  se  exercens. 

^  11  avait  dédié  à  Baecx  en  1608  (suivant  Paquot,  Fasti,  folio  518)  une  de  ses  premières  publi- 
(•aiions,  le  commentaire  de  P.  Nanniiis  sur  VArs  poetica,  dans  l'édition  d'Horace  de  Laevinus 
Torrentius.  —  Dans  la  suite,  le  21  août  1621,  Valère  André  épousa  la  nièce  de  Baecx,  dame  Cathe- 
rine Baecx  de  iVIalines,  qui  mourut  en  d640. 

-  C'est  ce  qu'a  lu  Paquot  (  Fas<«,  p.  517)  dans  un  diplôme,  date  du  29  décembre  1612,  par  lequel 
les  archiducs  Albert  et  Isabelle  accordent  à  Valère  André  en  supplément  d'honoraires,  une  gratifi- 
cation (bis  qitolannis)  de  trente  livres  de  40  gros,  monnaie  de  Flandre,  prise  sur  les  revenus  de 
leur  domaine  (ex  domiuio  suo). 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  255 

mérite  un  examen  à  part  '.  En  attendant  que  cette  partie  de  ses  ouvrages 
soit  jugée  avec  autorité  par  un  jurisconsulte,  il  est  permis  d'observer  qu'ils 
roulent  sur  toutes  les  sources  de  la  science  du  droit,  et  s'étendent  du  droit 
romain  et  du  droit  féodal  au  droit  canonique;  tantôt,  il  s'est  borné  à 
reproduire  le  texte  d'auteurs  célèbres,  accompagné  de  notes  originales  et 
de  commentaires  plus  ou  moins  étendus,  comme  il  l'a  fait  pour  d'anciens 
jurisconsultes,  tels  que  H.  Canisius,  Lancelottus,  A.  Vallensis,  J.  Yende- 
ville;  tantôt,  il  a  réuni  les  matériaux  d'ouvrages  méthodiques,  tels  que  le 
Synopsis  juris  canonici,  qui  compta  plusieurs  éditions  à  Louvain,  avant  d'être 
réimprimé  en  Allemagne. 

Suivons  maintenant  Valère  André  quelques  instants  dans  d'autres  entre- 
prises ,  qui  montrent  à  l'évidence  l'activité  vraiment  extraordinaire  dont 
il  fut  capable;  elles  répondaient  à  des  besoins  réels  de  l'enseignement  et 
de  la  science,  aux  intérêts  présents  de  l'Université,  dont  il  était  un  des 
principaux  fonctionnaires.  En  effet,  les  ouvrages  d'histoire  et  de  biogra- 
phie que  l'on  doit  à  ses  recherches  personnelles  présentent  un  caractère 
marqué  d'opportunité,  et  c'est  pourquoi  ils  ont  fait  époque  dans  nos  an- 
nales littéraires. 

La  Bibliollieca  Delgica,  que  nous  citerons  en  premier  lieu,  est  une  bio- 
graphie des  hommes  illustres  de  la  Belgique  dans  les  sciences,  les  arts  et 
les  lettres,  dont  l'auteur  a  donné  lui-même  deux  éditions  2.  Il  avait  pré- 
paré cette  œuvre  de  longue  main  5,  et  il  l'a  conduite  à  un  état  assez  avancé 
pour  qu'elle  ait  servi  de  source  à  tous  nos  recueils  biographiques  depuis 
deux  siècles,  et  de  fondement  à  l'œuvre  connue  de  Foppens  *.  Mais  ce  n'est 

'  Voy.  la  Bibliographie  dans  la  notice  de  Foppens,  pp.  1148-1149,  et  dans  Goetlials,  Lec- 
tures, etc.,  tome  II,  pp.  197-200.  Voy.  aussi  Paquot,  Fasli  MS.,  t.  I,  folio  296. 

2  La  première  est  de  1623,  in-8°;  la  seconde,  double  en  étendue,  de  1643,  in-4°.  Voy.  V An- 
nuaire de  1846  (art.  cité,  pp.  176-204)  et  unenote  judicieuse  de  M.  i)odt  van  Flensburg,  dans  les 
BuUelim  de  la  Soc.  hisl.  cCUlrechl,  1. 11,  1846,  pp.  27-34. 

''  Ce  fut  en  manière  de  prélude  que  Valère  André  imprima,  en  1607,  son  Catalogus  claror. 
Ilisp.  scriptorum  et,  en  1611 ,  les  courts  éloges  accompagnant  ses  Imagines  doctorum  virorum  <■ 
variis  gcnlibus.  Le  premier  travail  était  fautif,  et  rempli  de  noms  tirés  uniquement  de  catalogues  : 
comme  s'il  le  désavouait,  Valère  André  a  cessé  de  le  mentionner  plus  tard.  Foppens  (p.  1148)  fait 
la  même  observation  sur  les  deux  opuscules  que  nous  venons  de  désigner. 

*  L'édition  de  Foppens,  selon  M.  de  Reiffenberg,  ne  dispense  pas  de  posséder  les  deux  éditions 


254  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

pas  tout  :  Valère  André,  qui  avait  procédé  dans  ce  Iravail  avec  l'appui  des 
hommes  les  plus  recommandables,  et  qui  se  fondait  sur  l'opinion  de  son 
maître  éminent,  André  Scholt  ',  a  tiré  parti  avec  un  soin  minutieux  de 
tous  les  recueils  de  biographie  impi'imés  avant  le  sien,  et  d'ouvrages  encore 
manuscrits  que  ses  protecteurs  et  amis  lui  fournirent.  Il  est  reconnu  que 
Valère  André  a  proOté  bien  mieux  que  F.  Sweertius,  auteur  des  Athenae 
Belgicae,  des  secours  et  des  lumières  dont  ils  étaient  l'un  et  l'autre  entourés. 

Ce  n'est  pas  ici  le  lieu  d'entrer  dans  plus  de  détails  sur  les  mérites  et 
les  défauts  de  la  Bibliolheca  Belgica  ;  nous  donnerons  cependant  une  idée 
des  observations  critiques  que  l'aquol  a  formulées  contre  l'œuvre  du  poly- 
graphe  qui  l'a  précédé  ^.  Il  blâme  Valère  André  d'avoir  transcrit  inexac- 
tement, dans  sa  Bibliothèque,  les  titres  des  ouvrages  cités,  de  les  avoir 
modifiés  ou  abrégés  à  sa  guise;  il  lui  reproche  d'avoir  souvent  omis  des 
livres  imprimés  en  français  ou  eu  flamand,  et  encore  d'avoir,  en  les  citant, 
traduit  leur  titre  en  latin,  de  sorte  qu'on  ne  peut  toujours  bien  reconnaître 
en  quelle  langue  chaque  ouvrage  a  été  écrit.  Enfin,  il  observe  que  Valère 
André  aurait  dû  émettre  un  jugement  sur  le  mérite  des  auteurs,  pour  que 
ses  lecteurs  discernassent  sans  peine  les  meilleurs  des  médiocres. 

Le  second  travail  qui  témoigne  du  vaste  savoir  de  Valère  André,  a  pour 
titre  :  Annales  des  études  académiques  à  Louvain,  Fasti  Academici  studii 
(jeneralis  Lovaniensis ,  dont  il  a  pu  donner  lui-même,  comme  de  l'ouvrage 
précédent,  une  seconde  édition  ^.  Il  est  de  fait  que  l'auteur  a  bien  présumé 
du  désir  de  son  public,  quand  il  a  fait  succéder  à  XAcadcmia  Lovaniensis 
de  Vernulaeus,  composition  oratoire  qui  avait  paru  en  1627,  un  livre 
véritablement  historique,  qui  contient  tous  les  faits  de  l'histoire  deux  fois 
séculaire  de  l'Université,  dans  leur  ordre  chronologique  et  dans  les  termes 
de  la  plus  rigoureuse  exactitude.  Cependant,  si  l'écrivain  a  introduit  des 

originales,  devenues  Irès-rares,  où  il  y  a  des  variantes  à  conserver.  Voy.  Annuaire  de  la  Bibl. 
royale  de  Bruxelles,  1840,  pp.  93-98,  p.  103. 

'  Primus  vero  mihi  admodum  adolesceitti  auetor  operis  liujus  fuit  Andréas  Schottus,  e  Societ. 
Jesu,  vir  praesluntissimus ,  cum  illi  ego  a  manibus  cssem  ac  stitdiis. 

'-  Fasti,  MS.,  1. 1,  folio  519. 

•^  Lov.,  1635,  in-i",  230  pages.  Ed.  iterala  accuratior  et  altéra  parle  auctior;  Lov.,  1630,  in-4", 
•408  pages.  Voy.  r.4(iii.  de  1846  (p.  205-208)  pour  les  titres  détaillés  et  la  description  des  éditions. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  255 

améliorations  considérables  dans  la  seconde  édition  de  son  ouvrage,  il  a 
sacrifié  sans  raison  grave  un  morceau  qui  donne  du  prix  à  la  première  : 
c'est  un  discours  qu'il  a  prononcé  lui-même  le  22  septembre  162G,  à 
réalise  de  S'-Pierre,  dans  une  cérémonie  commémorative  de  la  fondation 
de  l'Université*.  Prenant  le  style  élégant  et  soutenu  qui  convient  au  pané- 
gyrique, forateur  caractérise  les  progrès  rapides  de  l'œuvre  commune  des 
pontifes  et  des  princes;  il  rattache  à  ces  glorieux  souvenirs  l'éloge  des 
collèges  faisant  partie  du  corps  de  l'Université,  et  des  hommes  les  plus 
célèbres  qui  en  sont  sortis. 

Les  Fasti  de  Valère  André  ont  mérité  les  suffrages  de  son  siècle  et  du 
siècle  suivant.  Vers  i750,  il  a  été  question  de  les  réimprimer  sous  le  titre 
de  Hisloria  Universitalis  Lovaniensis.  L'entreprise  n'a  pas  eu  de  suite  :  Paquot, 
qui  avait  vu  la  première  feuille  imprimée  chez  Égide  Denique,  a  repris 
cette  tâche  abandonnée,  en  rédigeant  des  notes  complémentaires  du  tra- 
vail de  Valère  André,  que  nous  avons  mises  souvent  à  contribution  dans 
la  présente  monographie  à  propos  des  études  littéraires. 

Nous  ne  pouvons  pas  non  plus  passer  sous  silence  un  travail  d'un  autre 
genre,  qui  s'accordait  toutefois  très-bien  avec  les  deux  publications  que 
nous  venons  de  mentionner.  Ami  des  livres,  Valère  André  devint,  en 
165G,  bibliothécaire  de  l'Université,  quand  cet  établissement  fut  doté 
d'une  bibliothèque  centrale,  établie  dans  le  bâtiment  des  Halles;  c'est  un 
morceau  fort  curieux  que  le  discours  prononcé  par  Valère  André,  le 
1"  octobre  1656,  devant  l'Université,  pour  montrer  l'importance  de  cette 
création  nouvelle  -.  11  rend  justice  au  passé,  et  exprime  des  espérances 
fondées  pour  l'avenir.  Son  Oralio  aiispicalis  est  suivi  d'un  catalogue  des 
imprimés  et  manuscrits  de  la  bibliothèque  qui  venait  de  s'ouvrir  ^. 

'  On  lit  dans  l'édition  de  l6ôo  (pp.  205-217  ),  cette  pièce  intitulée:  Eucliaristicon  fimdalo- 
ribus,  pcttronis  el  benefacloribus  Universitalis  Lovaniensis,  qui  n'est  plus  que  mentionnée  dans  la 
seconde  (p.  396).  Voy.  l'analyse  du  panégyrique  dans  notre  Notice  citée,  pp.  207-208. 

•2  II  a  été  publié  en  1639  seulement,  à  la  suite  du  traité  d'Erycius  Puteanus  :  Auspicia  bibl. 
publ.  Lovan.  (Lov.,  Éverard  de  Witte,  in-4°).— Sur  les  incidents  relatifs  à  l'ouverture  de  la  biblio- 
thèque, voy.  P.  Namur,  Bist.  des  Bibl.  publ.  de  Belgique,  t.  Il,  pp.  11-18. 

5  1 10  pages,  ibid.  —  Paquot  remarque  {Fasli  MS.,  p.  519)  que  la  plupart  des  111  ouvrages 
énumérés  par  Valère  André  n'existaient  plus  de  son  temps,  et  qu'il  restait  à  peine  dix  manuscrits 
d'entre  les  61  qu'il  a  décrits. 

Tome  XXVIII.  34 


2S6  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

Telles  sont  les  principales  œuvres  auxquelles  Valère  André  a  attaché 
son  nom  :  l'exercice  de  charges  temporaires,  mais  importantes,  doit  aussi 
être  mis  en  ligne  de  compte,  si  l'on  veut  apprécier  sa  vie  publique.  De  1G42 
à  1645,  il  remplit  les  fonctions  de  dictateur  \  et  il  fut  élu  deux  fois,  le 
28  février  IGAA  et  le  même  jour  de  l'an  1649,  recteur  de  l'Université,  à 
une  époque  oià  la  durée  de  celte  charge  s'étendait  à  un  semestre.  Valère 
André  fut  actif  jusque  vers  la  fin  de  sa  longue  carrière,  et  il  ne  cessa  de 
s'intéresser  aux  matières  de  ses  premières  études. 

Si  nous  devons  louer  bientôt  l'homme  de  goût,  le  littérateur  et  le  sa- 
vant, nous  ne  pouvons  manquer  de  recueillir  ici  ce  que  la  renommée  nous 
a  transmis  de  l'honorabilité  de  son  caractère  -;  plein  de  droiture,  il  ne 
souffrait  pas  que  l'on  portât  atteinte  à  la  réputation  d'autrui  :  il  a  mérité 
d'être  appelé  vulgairement  le  bon  Yalerius  [den  goeden  Valerhis).  Dans  ses 
dernières  années,  il  a  supporté  avec  force  et  constance  de  pénibles  infir- 
mités :  l'affaiblissement  de  sa  vue,  qui  alla  jusqu'à  la  cécité,  et  une  hydro- 
pisie  qui  lui  causa  une  enflure  toujours  croissante  des  deux  jambes.  Il 
mourut  pieusement  le  29  mars  1655,  à  l'âge  de  68  ans.  Cette  date  est 
rendue  certaine  par  celle  qu'il  faut  donner  à  la  cérémonie  de  ses  funé- 
railles solennelles,  qui  eut  lieu  environ  un  an  après,  en  1656. 

Bernard  Heymbach,  professeur  d'histoire  et  successeur  de  Vernulaeus 
au  collège  des  Trois-Langues,  prononça  devant  toute  l'Université  l'oraison 
funèbre  de  Valère  André,  qui  fut  imprimée  avec  une  dédicace  à  l'abbé  de 
Tongerloo,  Auguste  Wichmans,  et  qui  est  datée  du  5  mars  de  la  même 
année  ^.  L'écrivain ,  dans  son  avis  au  lecteur,  reconnaît  que  son  hommage 
était  bien  tardif  :  Jiisto  tardius  liaecjiista  in  luce  vides,  etc.  Au  lieu  d'attribuer 
ce  retard  aux  événements  politiques,  comme  si  la  sécurité  avait  manqué 

*  Le  dictateur  d'alors  était  le  dignitaire  chargé  de  composer  et  de  dicter  les  lettres  ou  les  pièces 
officielles  expédiées  au  nom  de  l'Université,  et  chargé  aussi  de  répondre  aux  lettres  adressées  au 
corps  académique  ou  à  son  chef,  le  recteur.  Fasli  acad.,  p.  49.  —  Jcad.  Lov.,  p.  37. 

r  Voy.  l^aquol,  Fusti,  folio  517. 

5  Cette  pièce,  dont  |)arle  I^aquot  dans  sa  notice  sur  Heymhach,  est  devenue  d'une  excessive 
rareté  et  manque  dans  la  collection  de  van  Hiilthem.  Voy.  Mémoires  de  Paquot,  t.  I,  p.  31  i  (ou- 
vrages de  Heymhach,  n°  10).  Jusla  Valeriana,  seu  Laiulalio  funvbris  Vulerii  Andreae  Desselii... 
Dictum  in  Basilica  S.  PHri  corum  Academiae tolius  consessu...  Lovan.,  Hier.  Nenipaeus,  1656,  in-4". 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  237 

à  notre  pays,  quand  l'archiduc  Léopold  le  parcourut  avec  ses  troupes  en 
prévision  d'invasions  imminentes,  nous  admettrions  volontiers  avec  Paquet 
que  l'orateur  prit  le  temps  de  joindre  au  texte  de  son  discours  un  choix 
de  lettres  adressées  par  divers  savants  à  celui  qu'il  honorait  d'un  éloge 
public  '. 

Les  relations  littéraires  de  Valère  André  avaient  été  fort  étendues  pen- 
dant les  années  laborieuses  de  son  professorat  :  il  avait  dû  entretenir  une 
correspondance  suivie  dans  la  Belgique  et  au  dehors,  afin  d'obtenir  des 
matériaux  pour  ses  œuvres  d'érudition  et  de  compilation  ^.  On  connaît 
plusieurs  hommes  dont  il  demanda  les  conseils  ou  le  concours,  tels  que 
Justus  Rycquius  (de  Rycke)  ^  de  Gand,  et  Boxhorn,  professeur  h  Leyde  *. 

Valère  André  avait  été  visité  à  Louvain  par  plusieurs  voyageurs  de 
distinction  :  il  a  mérité  un  souvenir  tout  particulier  du  savant  Iluet,  dans 
le  passage  de  ses  Mémoii-es  où  il  rappelle  ses  voyages  en  Hollande  et  en 
Belgique.  «  Parmi  les  professeurs  de  Louvain,  dit-il  ^  Valère  André  s'était 
fait  un  nom  par  son  livre  sur  les  écrivains  belges  et  espagnols.  Je  le  saluai, 
et  voulus  être  inscrit  sur  la  liste  de  ses  amis.  » 

Mais  n'avons-nous  pas  à  rechercher  ici  les  litres  de  Valère  André  comme 
littérateur  et  comme  philologue?  Ami  des  lettres  dès  sa  jeunesse,  il  le  resta 
toujours,  même  quand  il  s'occupa  de  matières  juridiques  et  de  recher- 
ches biographiques.  11  eut  le  talent  d'écrire  ses  divers  livres  d'un  style 
qui  n'était  pas  dépourvu  d'éloquence,  et  qui  n'était  non  plus  ni  affecté  ni 

<  Paquot,  Fasti  MS.,  folio  ol7.  —  On  lit  (Mémoires,  loc.  c.)  dans  le  titre  de  l'oraison  funèbre  : 
Âceessere  epislolae  aliquol  sclectae  clarorum  virorum,  ex  plurimispaucae,  ad  eum  scriptae. 

"^  Il  reste  .i  la  critique  la  tâche  de  constater  ce  dont  notre  polygraphe  fut  redevable  à  celle 
correspondance,  et  de  définir  la  part  de  mérite  qui  lui  demeure. 

^  Poète  et  orateur  latin,  mort  en  1627.  —  Foppens,  pp.  788-789. 

^  MarcZuerius  Boxbornius,  professeur  d'éloquence  et  de  politique  à  Leyde,  était  d'une  famille 
originaire  des  Pays-Bas  espagnols.  Paquot  (Mém.,  t.  I,  p.  104)  énumère  68  de  ses  ouvrages. 
Voy.  V.  Gaillard,  De  l' influence  exercée  par  la  Belgique  sur  les  Provinces-Unies ,  pp.  101 ,  143. 

'  Nous  donnons  ici,  d'après  la  traduction  de  M.  Ch.  Nisard,  ce  passage  de  Huet,  dont  M.  de 
ReitFenbcrg  a  cité  naguère  le  texte  latin  dans  sa  notice  critique  sur  la  Bibl.  BeUjica.  —  Inler  Lova- 
nienses  professores  nomen  aliquod  luin  gerebal  V.  A.,  qui  scriploribus  Bclgis  et  Hispanis  celcbrif: 
inclaruit.  Salutavi  hominem,  et  in  ainicorum  ejus  album  referri  volui.  —  [Comm.  de  reb.  ad  eum 
perlin.  Amst.,  1718,  in-12,  p.  \ôl .  — Mémoires  de  Daniel  Fluel .traduits,  etc.  Paris,  1853,  p.  89). 


2S8  ME3I0IRE  SUR  LE  COLLEGE 

obscur.  C'est  faire  son  éloge  que  de  reconnaître  qu'il  est  resté  homme  de 
goût  et  de  mesure,  dans  un  temps  où  l'on  écrivait  rarement  sans  recherche 
et  sans  antithèse.  Agé  de  moins  de  vingt  ans,  Valère  André  s'était  exercé 
sur  différents  sujets  d'érudition  latine,  et  à  Anvers,  en  1G08,  il  avait  mis 
au  jour,  d'après  les  cahiers  dictés  par  Nannius,  le  commentaire  de  ce  savant 
sur  Horace,  en  suppléant  ce  qui  y  manquait.  A  Douai,  en  IGIO,  il  avait 
fait  imprimer  un  système  d'orthographe  suivi  d'un  traité  de  ponctuation  *, 
et  il  avait  ajouté  ses  propres  observations  au  traité  d'Aide  Manuce,  en 
insistant  sur  la  nécessité  de  distinguer  davantage  les  variations  de  l'ortho- 
graphe latine,  suivant  l'ordre  des  temps,  et  de  tenir  compte  des  diffé- 
rences que  l'usage  introduit  dans  l'écriture  comme  dans  la  prononciation. 
Plus  tard,  Valère  André  composa  des  notes  fort  étendues  sur  ïlbis  d'Ovide, 
poëme  réputé  très-obscur,  pocma  mczsivov  ^. 

Si  l'on  rapproche  de  ces  premières  élucubralions  les  efforts  voués  par 
Valère  André,  à  Anvjers  et  à  Douai,  à  l'étude  des  lettres  grecques,  on  se 
fait  de  lui  l'idée  d'un  humaniste  instruit,  qui  avait  accès  à  toutes  les 
sources,  et  qui  était  digne  de  coopérer  au  maintien  des  saines  études. 

On  ne  peut  révoquer  en  doute  qu'il  ne  se  soit  appliqué  à  l'hébreu  avec 
persévérance,  pour  remplir  ses  obligations  comme  titulaire  de  la  chaire 
qu'il  occupa  45  ans;  cependant  il  va  de  soi  que  Valère  André  ne  fut  pas 
un  hébraïsant  très-habile,  puisqu'il  dépensa  la  meilleure  partie  de  ses 
forces  et  de  son  temps  à  une  multitude  d'œuvres  étrangères  à  la  philologie  : 
s'il  ne  forma  pas  d'élève  distingué  en  cette  partie,  il  prêta  son  concours  à 
ceux  qui  voulurent  faire  servir  l'étude  de  l'hébreu  et  des  langues  anciennes 
à  la  polémique  religieuse,  et  l'on  a  conservé  le  texte  d'une  discussion  qu'il 
soutint,  en  1617,  pour  mettre  en  évidence  l'opportunité  de  ce  genre 
d'étude  dans  un  siècle  oîi  les  écoles  protestantes  en  tiraient  grand  parti  ^. 


'  Orlho(jraphiae  ralio  ab  Atdo  Mumitio  collecta  primo,  mullis  aucta.  -  Diiaci,  Dellere,  in-12. 
—  Ed.  Il,  altéra  parte  auctior.  Lov.,  in-2-i,  d'après  Paquot.  Voy.  la  Notice  de  YAiiiiuai7-e,  p.  187. 

2  Antverpiae,  typis  Nutii,  1618,  in-fol. 

■'  Elle  est  iniprim(}e  à  la  fin  d'un  volume  publié  à  Cologne  par  Kincliius  :  Fumiani  Slraclae 
Romani  e  S.  J.  orationes  variae.  —  Les  Qnaestioncs  qnodlilteticae,  insérées  sous  le  nom  de  Valère 
André,  forment  53  pages  avec  un  titre  à  part  :  Quaestiones  quodlibeticae  habilae  Lovanii  XVll  Kal. 


DES  ÏROIS-LA^GUES  A  LOUVAIN.  2o9 

La  question  est  présentée  dans  ces  termes  :  Qnae  commodior  faciliorqite  ad 
convincendos  seclarios  nostros  via,  qua  proprie  quis  eos  gladio  jiujulet,  quoties  vel 
ad  S.  S.,  vel  ad  Patres  linguasqiie  concurrunt. 

Parmi  les  manuscrits  de  Valère  André,  conservés  au  siècle  passé  par 
l'échevin  Baelemans,  et  dont  Paquot  a  pu  prendre  connaissance  \  il  faut 
compter  quelques  cahiers  de  notes  qui  appartiennent  aux  études  bibli- 
ques et  hébraïques  -  : 

1°   De  inscriptione  el  divisione  Bibliorum  apud  Ilebraeos,  pp.  7  in-4''. 

2°  Exercilaliones  qrammalicae  in  capp.  VI  priora  Ecclesiasiae.  Ce  sont  des 
annotations  écrites  à  la  marge  et  en  regard  des  pages  d'un  exemplaire  de 
l'Ecclésiaste,  imprimé  en  hébreu  chez  Plantin.  (Ântv.,  1571,  in-4°.) 

Valère  André  avait  aussi  préparé  une  grammaire  entièrement  basée  sur 
celle  de  son  prédécesseur,  Jean  Campensis,  ou  plutôt  une  révision  aug- 
mentée et  considérablement  enrichie  de  cet  ouvrage  :  un  exemplaire  de 
l'édition  de  Paris  (Chr.  Wechel,  1543),  interfolié  de  papier,  avait  été 
chargé  dans  ce  dessein  de  notes  de  la  main  de  Valère  André,  qui  avait 
indiqué  dans  ses  additions  notamment  tous  les  passages  que  Campensis 
avait  empruntés  à  Elias  Levita  (voy.  Paquot,  Fasti  MS.,  fol.  520)  : 

Grammalica  liebraea  e  variis  opiisculis  Eliae  Levilae,  grammaiicoriim  omnium 
facile  principis ,  olim  qiiidem  concinnala  et  delineata  a  Jeanne  Campensi ,  Delya , 
publico  Ling.  Hebr.  in  Coll.  Tril.  Buslidiano  apud  Lovanienses  olim  professore. 
Nunc  vero  a  Val.  Andréa  Desselio  ejusdem  Ilebraïcae  in  eodem  Collcgio  professore 
recensita ,  alque  in  ordinem  commodiorem  digesta. 

Cependant  la  plus  grande  preuve  que  Valère  André  ait  laissée  de  son 
aptitude  à  l'enseignement  de  l'hébreu,  c'est  le  discours  qu'il  a  prononcé 
en  1612,  et  qui  roulait  sur  la  valeur,  les  qualités  et  les  applications  de  la 
langue  sainte.  C'est  proprement  la  seconde  partie  de  sa  harangue  d'instal- 

Janu.  MDCXVIU  in  scholis  artium  à  V.  A.  Desselio.  J.  L.  el  Ling.  Hebr.  prof,  publico.  Voy.  Pa- 
quot, Fasti  MS.,  folio  S 17. 

'  [^aquot  {Ibid.,  p.  5"20)  énonce  jusqu'à  1 1  ouvrages  ou  opuscules  en  dehors  des  matériaux  épars 
laissés  par  Valère  André  pour  des  travaux  de  droit.  —  Nous  y  avons  remarqué  un  court  trailé  : 
Brevis  Academiae  Lugd.  Bulavae  Descriplio  .\n-(o\.,  pp.  0;  Valère  André  avait  entretenu  des  rela- 
tions de  courtoisie  avec  l'Universilé  rivale. 

2  Cit.  ap.  Delgeur,  Schels  eener  geschiedenis  der  oostersche  taelstudlen ,  p.  19  (Antv.,  1847). 


260  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

lation,  qu'il  prononça  le  26  mars  1612,  et  qu'il  ne  publia  qu'en  1614  ^  : 
dans  la  pi-emière,  il  avait  retracé  l'origine  et  l'histoire  du  collège  des 
Trois- Langues  pendant  son  premier  siècle,  et  le  lecteur  a  pu  remarquer 
les  nombreux  emprunts  que  nous  lui  avons  faits  d'un  bout  à  l'autre  de  ce 
Mémoire. 

Une  analyse  de  la  partie  littéraire  du  discours  fera  connaître  les  ten- 
dances et  les  vues  que  Valère  André  portait  dans  la  philologie  hébraïque; 
nous  la  reprenons  dans  la  notice  historique  que  nous  avons  indiquée  à  la 
suite  de  nos  sources  ^  :  «  Valère  André  a  voulu  traiter  de  l'orisine  et  de 
l'usage  des  langues  ainsi  que  des  qualités  éminentes  de  l'hébreu  ^;  c'est 
pourquoi  il  a  pu  intituler  la  suite  de  son  travail  :  Éloge  de  la  langue  hébraïque 
(Encomium  linguae  hebraïcae),  et  voici  sous  quels  rapports  il  a  entendu  la 
louer*  :  Satis  vero  superque  eam  laudavero,  si  anliquitatem  qtiam  comitntur 
dignitas ,  necessilatemque  ejiis ,  hoc  praesertim  exulceratissimo  saectUo ,  paiicis  dc- 
monslravero. 

»  On  ne  peut,  il  est  vrai,  accepter  toutes  les  assertions  de  Valère  André 
sur  l'affinité  des  langues  et  la  supériorité  de  l'hébreu  comme  des  vérités 
scientifiques,  ou  comme  des  faits  incontestables;  les  opinions  qu'il  émet  et 
qu'il  défend  avaient  cours  longtemps  avant  lui,  et  elles  ont  d'ailleurs  un 
caractère  vénéi'able  de  tradition  et  de  foi,  qui  leur  donne  sous  sa  plume 
un  autre  mérite  qu'un  intérêt  historique.  Il  faut  bien  cependant  opposer 
quelquefois  aux  opinions  de  notre  auteur  une  thèse  diflerente  ou  même 
contradictoire,  quand  elle  est  le  résultat  des  investigations  d'une  science 
sévère  dans  ses  méthodes  et  sérieuse  dans  son  but;  et  d'ailleurs,  qui  n'a 
pas  observé  que  les  combinaisons  les  plus  hardies  et  les  plus  neuves  de  la 
linguistique  ont  fourni  aux  grands  faits  de  la  science  biblique,  une  con- 
firmation bien  autrement  solide  et  décisive  que  l'appui  de  certaines  tradi- 
tions qui  ne  sont  revêtues  d'aucun  signe  d'authenticité? 

»  Valère  André  cherche  à  établir  tout  d'abord  la  relation  intime  de  la 


'  Exordia  ac progressus ,  pp.  12-30  (voir  rinti-oduclion  ,  noie  I,  p.  xv). 

"^  Annuaire  de  l'Universilé  de  Louvain ,  1846,  pp.  174-186. 

^  Cum  de  limjuarum  orlu  alque  imu,  lum  de  linrjitue  Hehraicae  laudibus.  Ib.,  p.  2  et  p.  12. 

^  Coll.  Tril.  exordia,  etc.,  p.  2. 


DES  TROIS-LA^GUES  A  LOUVAIN.  261 

raison  et  du  discours ,  qui  fait  de  l'homme  un  être  social  [Ralione  atque 
oratione),  et  il  en  tire  la  nécessité  de  la  connaissance  des  langues,  inter- 
prètes naturelles  de  la  pensée  parlée;  il  reconnaît  que  «  leur  usage  facile 
»  à  l'origine  du  monde,  a  été  rendu  difficile  par  la  confusion  de  Babel  ^  » 
Valère  André  ne  se  contente  pas  de  rapporter  ainsi ,  dans  sa  vraie  signi- 
fication,  l'événement  dont  nous  devons  la  transmission  au  témoignage 
de  Moïse,  et  que  semblent  confirmer  les  efl"orts  prodigieux  de  la  philo- 
logie moderne,  pour  découvrir  l'affinité  primitive  des  radicaux  appar- 
tenant aux  grandes  familles  de  langues.  Il  mentionne  une  tradition  ac- 
créditée par  les  Juifs  et  par  les  saints  Pères  2,  et  d'après  laquelle  la 
confusion  de  Babel  a  engendré  dans  le  monde  la  distinction  de  soixante- 
douze  langues;  il  ne  se  prononce  pas  sur  ce  nombre,  qui  a  varié  dans  le 
cours  des  siècles  parmi  les  interprètes  ^.  «  Entre  toutes  ces  langues , 
»  ajoute  Valère  André,  il  en  est  trois  qui  ont  été  toujours  considérées 
»  comme  d'un  prix  infini  :  ce  sont  les  langues  hébraïque,  grecque  et 
»  latine.  »  Ecoulons  les  raisons  qu'il  donne  de  cette  primauté  :  Qidbus 
vieil icem  triumplianùs  crucis  t'Uuhim  inscribi  Clirislus  vohàt ,  ut  divinitatis ,  huma- 
nhalis,  vilaeque  ac  morlis  testibiis  *  :  quibus  divinarum  liiimanarumque  rerumscien- 
tiae  sunt  conservatae ,  ad  postei-osque  iransmissae  :  quibus  sacrosanctum  illud  Evan- 
gelium ,  ille  fidei  nostrae  arrhabo ,  per  universum  lerrarum  orbem  est  propagatum . 
C'en  était  assez  pour  peindre  la  mission  providentielle  des  trois  langues 
qui  ont  servi  d'intermédiaires  entre  l'antiquité  païenne  et  la  civilisation 
moderne;  mais  peu  après,  Valère  André  cède  à  la  vaine  satisfaction  de 

'  Magnus  profeclo  Lingnarum  iisits ,  gui  facilis  in  mundi  exorclio ,  dum  unius  Iwmines  omnes 
essent  labii  :  difficiliorcm  reddil  babilonicunt  Chaos  et  confusio.  Diversilas  liaec  quanlum  damni 
humanae  socielati  invexerit  nemini  non  est  compertum.  Ib.,  p.  13. 

^  Valère  André  cile  particulièrement  saint  Augustin,  De  civitate  Dei.Wh.Wl,  c.G,el  De  mirab. 
S.  Scripliirae,  lib.  1 ,  c.  9.  Nous  nous  bornerons  à  faire  remarquer  ici  que  le  premier  ouvrage 
donne  une  paraphrase  sublime  du  point  d'histoire  sacrée  qui  est  en  question  (à  partir  du  chapitre  IV 
du  même  livre). 

"  Il  use  des  expressions  :  Nam  alii  delrahunt,  addunl  alii. 

'  Le  traducteur  français  de  l'Ulysses  Belgico-Gallicus  de  Golnitz  rend  ainsi  ce  passage,  qui  con- 
cerne le  Collegium  Trilingue  (YUhjsse  français,  Paris,  1643,  p.  82)  :  «  Les  trois  langues  qui  firent 
l'éloge  et  l'épitapbe  de  Jésus-Christ  se  montrent  dans  un  autre  collège,  qui  fut  fondé  par  un  favori 
de  Charles-Quint,  Hiérosme  Buslidius.  » 


262  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

comparer  chacune  de  ces  langues  à  un  arbre,  qui  se  partage  en  trois 
rameaux  ou  en  trois  dialectes  ^,  et  il  est  entraîné  à  faire  dériver  toutes 
les  autres  langues  de  cette  triple  source  dans  le  cours  des  temps. 

»  Valère  André  passe  ensuite  à  l'examen  des  trois  qualités  qu'il  assigne 
comme  essentielles  à  la  langue  hébraïque  :  l'antiquité,  la  dignité,  l'utilité. 
En  poursuivant  le  développement  du  premier  point  de  ce  triple  thème,  il 
s'en  tient  aux  opinions  traditionnelles,  qui,  sans  être  dépourvues  de  toute 
réalité,  avaient  le  tort  d'être  présentées  de  son  temps  comme  des  vérités 
incontestables  et  supérieures  à  toute  discussion  :  c'est  ainsi  qu'il  ne  fait 
pas  seulement  de  l'hébreu  une  langue  ancienne,  vénérable  par  son  an- 
cienneté et  consacrée  par  sa  destination  exceptionnelle,  mais  encore  la 
langue  primitive,  la  formatrice  de  tous  les  idiomes  connus,  la  langue  des 
ancêtres  de  l'humanité  dans  le  séjour  d'Éden  2.  Il  n'invoque  pas  seulement 
à  cet  égard  le  témoignage  de  saint  Jérôme,  de  saint  Augustin,  «  lumières 
de  l'Église  orthodoxe  »,  et  ne  se  borne  pas  à  soutenir  la  possibilité  d'un 
fait  que  l'Écriture  n'éclaircit  pas  complètement;  il  cherche  à  en  établir  la 
certitude  par  l'autorité  des  Grecs,  qui ,  malgré  leur  vanité,  auraient  forcé- 
ment rendu  hommage  à  l'évidence  de  la  vérité.  Mais  il  ne  s'aperçoit  pas 
qu'il  s'agit,  dans  les  passages  qu'il  invoque,  de  la  transmission  de  l'Écriture 
des  Hébreux  aux  Phéniciens,  et  des  Phéniciens  aux  Grecs  ^.  La  question 
de  l'origine  de  la  langue  hébraïque  reste  indépendante  des  preuves  acquises 
à  l'histoire  sur  la  formation  de  l'alphabet  grec  et  des  alphabets  européens, 
et  elle  ne  peut  être  tranchée  en  philologie  que  par  une  comparaison  atten- 
tive et  raisonnée  des  langues  les  plus  anciennes. 

»    Un  esprit  de  saine  critique  dicte  à  Valère  André  la  réfutation  d'un 

*  L'hébreu  se  partage  régulièrement  en  dialectes  chaldéen ,  syriaque  et  arabe;  le  grec  en  dialectes 
altique,  dorien  et  éolien;  le  latin,  en  dialectes  italien,  espagnol  et  français.  L'auteur  ajoute  ;  Hinc 
variae,  lapsu  temporis ,  ut  gentium  ila  limjuarum  deduclae  cotoniac.  Ibid. 

-  Dignitate  et  antiquilate  procul  duhio  prima  est,  mundo  coaeva,  linguariim  omnium  matrix , 
cujiis  communionc  primas  parentes  noslrns  conjunocil  optimus  parens  Deus. 

5  Valère  André  répèle,  d'après  Clément  d'Alexandrie,  un  passage  d'Eupolème,  écrivain  grec, 
d'ailleurs  peu  connu,  qui  fait  Moïse  l'auteur  des  lettres  hébraïques  dans  son  livre  sur  les  rois  de  la 
Judée;  puis,  il  y  ajoute,  d'après  la  même  source,  l'assertion  d'un  autre  écrivain  grec,  Artapanus, 
dans  son  ouvrage  sur  les  Juifs,  touchant  l'enseignement  donné  par  Moïse  aux  Égyptiens.  Voir  les 
Stromates,  liv.  I,p.  343  (éd.  Sylburg,  Coloniae,  1688). 


DES  TROrS-LANGUES  A  LOUVAIN.  265 

paradoxe  qui  avait  fait  quelque  bruit  à  l'époque  où  il  l'écrivait  :  c'est 
l'hypothèse  de  J.  Goropius  Becanus,  qui,  dans  ses  Origines  Antverpictnae  \ 
avait  revendiqué  pour  le  flamand  la  prérogative  de  langue  mère  univer- 
selle, parlée  par  le  premier  couple  humain  dans  la  solitude  du  Paradis 
terrestre.  Une  telle  tentative  méritait  d'être  citée  parmi  toutes  celles  qui 
avaient  été  faites  au  XV1""=  siècle  dans  le  but  de  prouver  la  priorité  absolue 
d'une  langue  donnée  :  Et  nuper  Joannes  Goropius  Becanus  nosler,  qui  Beirjarum 
ingeniosissimus  aiidire  meruit ,  laudem  eam  Cimbris  [ô  Cimmeriae  tenebrae!)  vin- 
dicare  stiiduit,  ingeniose  magis  quam  solide;  sliidiumque  siium  alque  induslriam 
Belgis  suis,  pro  quorum  pugtiat  auctoritate,  probare  conatus  est.  Il  faut  savoir 
are  à  Valère  André  d'avoir  parlé  aussi  franchement  d'une  découverte  qui 
avait  pu  jeter  bien  des  esprits  dans  les  illusions  du  patriotisme;  il  faut 
le  louer  plus  encore  d'avoir  si  bien  caractérisé  l'aveugle  opiniâtreté  avec 
laquelle  certains  hommes  poursuivent  une  hypothèse  favorite,  et  en  parti- 
culier l'acharnement  que  les  étymologistes  ont  porté  en  tout  temps  dans 
la  défense  des  rapprochements  les  plus  hasardés  de  mois  et  de  syllabes. 
La  réprobation  de  fausses  méthodes,   franchement  proclamée  dans  son 
discours,  fait  honneur  au  futur  professeur  de  philologie  hébraïque,  dont 
nous  allons  citer  les  paroles  ^  :  Equidem  laudo  studium ,  laudo  induslriam 
eorum,  qui  a  seriis  nonnunquam  digressi,  in  ludicris  illis  festivisque  exercent, 
laxantque  ingcnii  vires.  At  vero  jocularia  illa,  verborum  lenoeiniis  ac  fucis,  longe 
petitis  vocum  etymis  adornata,  ut  certa,  y.où  w;  £■/.  -pmoôoi  pronuntiata  velle  vulgi  insi- 
nuare  animis,  hoc  vero  est  Naturam  deludere,  et  quando  ipsa  pro  se  stat  Veritas, 

deridendum  se  praebere 

»  Revenant  à  la  langue  hébraïque,  Valère  André  en  explique  le  nom 
par  celui  de  Héber,  petit-fds  de  Noé,  et  repoussant  le  secours  de  langues 
étrangères  choisies  arbitrairement  pour  l'explication  des  anciens  noms  de 
la  Bible  ^,  il  établit  par  l'hébreu  l'interprétation  naturelle  des  mots  Adam, 
Eve,  Gaïn,  Abel,  Babel,  pris  pour  exemples  de  recherches  étymologiques. 

'  Antverp.,  Plantin,  1569,  in-fol.,  pp.  33i,  sq.  —  L'auteur  {J.  van  Gorp),  né  en  i3l8,  exerça  la 
médecine  à  Anvers  à  la  suite  de  ses  voyages,  et  il  mourut  à  Maestricht ,  en  1572. 

■'  Coll.  Tril.exord.,p.  15.  Cfr.  N.Wiseman,  Rapports  enlre  la  science  et  la  religinn,  1"  Discours. 
5  Certwn  est  eas  non  a  Cimbris,  et  ici  genus  delirantium  somniis  petendas.  Ibid.,  p.  16. 
Tome  XXVIII.  "^^ 


264  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

Puis  s'occupant  des  langues  qu'il  appelle  dérivées  de  l'hébreu,  il  donne 
la  première  place  au  chaldéen,  en  lire  le  syriaque  parlé  en  Palestine  à 
l'époque  du  Sauveur,  étend  l'éthiopien  à  la  plus  grande  partie  de  l'Afrique 
et  assigne  pour  domaine  à  l'arabe  la  masse  des  pays  mahoniétans. 

»  Le  plan  du  discours  conduit  Valère  André  à  démontrer  en  second 
lieu  ce  qu'il  appelle  la  dignité  de  la  langue  sainte  :  sans  s'arrêter  aux  qua- 
lités éminentes  qu'elle  possède,  telles  que  la  concision  et  la  simplicité,  il 
rappelle  qu'elle  a  servi  aux  entretiens  de  Dieu  et  de  ses  anges  avec  les 
patriarches  et  les  prophètes,  à  la  première  expression  des  oracles  divins, 
à  l'établissement  et  à  la  promulgation  de  l'ancienne  loi. 

»  S'agit-il  de  l'utilité  comme  d'un  troisième  caractère  des  études  hé- 
braïques, Valère  André  peut  invoquer  des  exemples  tout  récents,  les  travaux 
des  théologiens  catholiques  du  XYI"^  siècle,  et  il  proclame  la  nécessité  de 
défendre  la  révélation  biblique  contre  l'hérésie  à  l'aide  du  texte  original 
des  Saintes  Écritures.  Il  croit  inutile  d'insister  sur  les  signes  merveilleux 
de  la  sublimité  de  leur  langage,  qu'il  caractérise  en  peu  de  mots  ^ 

')  L'obligation  de  cultiver  l'hébreu  est  représentée  par  Valère  André 
comme  plus  forte  et  plus  impérieuse  que  jamais,  en  raison  du  secours  que 
les  hérétiques  de  tous  les  temps,  et  particulièrement  ceux  du  dernier  siècle, 
ont  tiré  de  l'habileté  de  leurs  fauteurs  dans  la  connaissance  de  diverses 
langues;  c'est  à  l'aide  d'un  tel  moyen,  observe-t-il ,  qu'ils  ont  pu  maintes 
fois  surprendre  un  peuple  inexpérimenté,  et  lui  imposer  leurs  inventions  et 
leurs  mensonges  comme  découlant  des  sources  pures  de  la  science  sacrée. 
Valère  André  en  prend  occasion  de  signaler  une  des  causes  qui  ont  amené 
les  désordres  et  les  attaques  dont  l'Église  avait  souffert  pendant  le  premier 
siècle  de  la  réformation,  et  dont  le  souvenir  devait  être  présent  à  l'esprit 
d'un  grand  nombre  de  ses  auditeurs.  Écoutons  son  langage  clair  et  concis, 
mais  énergique  ^  :  Hinc  conlemplus  ille  orlhodoxoriim  Patrum  :  liinc  tam  dis- 

'  Ut  lacemn  ex  hac  vcram  soliilaiiique  saplentinm,  tamqitam  a  Umpiclissimis  peti  fonlibm;  qiiae 
Dei  nobis  arcana  non  capliusis  ralionibus ,  non  inuliUbus  slrophis ,  al  veritate  simplici,  brevitale- 
que  proponil  :  in  qua  toi  sunl  sacramenla  quoi  lilterae  ,  lot  arcana  quoi  pimcla  :  in  qua  apex  niillus 
aul  /cjTix  ollosum  :  in  qua  Jenique  ipsae  radiées,  Iribus  conslanles  lilteris,  Sanclissimae  Triudos 
uhique  referunl  vesligia Ibid.,  p.  18. 

-  Coll.  Tril.  exordia,  pp.  19-20. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  265 

sidenles,  piignanlesque  Sacras  Scriplurae  versiones  e  maie  sanis  novatorum  istoru)ii 
cerebris  nalae.  Videmus  Iwdieque  circumforaneos  doctores  illos,  cl  rumigcrulos 
rabulas,  in  scliolis,  in  compilis,  in  triviis,  in  popinis,  et  tibi  non?  nifiil  jacùtare 
ac  crcpare  aliud,  quam  Biblia  Ilebraïca  ac  Graeca,  ilhim  ul  aiiint,  piiriim 
putum  fidei  Cliristianae  tliesaiirum  ((juibns  lamen  ipsi  promiscne  atqne  indigne , 
lamquam  praedam  omnibus;  summis,  imis,  doctis,  indoctis,  rodendiim ,  scqiie 
ridendos,  cxponiint);  idque  Itim  confidentiiis  pctidanliusque  cum  nosiros  videnl, 
aiil  linyuariim  illarum  rudes  esse,  imperitos,  aitt  odisse  cane  pejus  et  ongue. 
Cette  peinture  si  vraie  des  manœuvres  et  des  succès  des  novateurs  est 
accompagnée  dans  le  discours  de  Valère  André  d'une  exhortation  pres- 
sante aux  théologiens  catholiques,  pour  qu'ils  s'emparent  des  mêmes 
armes  que  ces  autres  Géryons  ont  tant  de  fois  tournées  contre  eux;  l'ora- 
teur ne  dissimule  pas  la  présomption  personnelle  qui  a  déshonoré  la 
plupart  des  exégètes  de  la  réformation,  et  la  vanité  audacieuse  de  leur 
science  ';  mais  il  démontre  l'avantage  de  déjouer  leurs  intrigues  et  de 
confondre  leur  orgueil  par  les  réponses  péremptoires  qu'une  exégèse  phi- 
lologique, se  fondant  sur  les  textes  originaux,  peut  fournir  constamment 
aux  défenseurs  de  la  vérité.  Valère  André  a  compris  d'autant  mieux  l'op- 
portunité de  telles  instances  que,  depuis  la  publication  de  la  Polyglotte 
d'Anvers,  l'étude  de  la  philologie  sacrée  avait  été  négligée  et  presque  mise 
en  oubli  dans  les  Pays-Bas  catholiques;  il  se  croyait  en  droit  de  se  plaindre 
au  nom  de  l'Église  qu'elle  eût  si  peu  de  combattants  capables  de  soutenir 
glorieusement  les  efforts  de  la  polémique  protestante  -. 

»    Le  nouveau  professeur  d'hébreu  prévient  une  objection  qu'il  pouvait 
attendre  de  la  bouche  de  quelques  hommes,  portés  à  redouter  les  consé- 

'  Neque  enim  verenlur  novitii  illi  magistelU,  fronlis  nullius  mit  piidoris  homines ,  SS.  Patrum 
scripta  universi  orbisjam  olim  probata  calculo  iraduccre,  Anliquitalem  omnem  erroris  danmarr, 
ipsi  scilicet  wpoSxTovvrH,  et  in  ipsa  scientiarum  arce  constiluti  viros  sanctitate  doctrinaque  illustres 
lamquam  umbr as  premunt,  et  in  Hebraeis  Graecisque,  ut  ipsis  quidem  videtur,  soH  vident.  Ibid., 
p.  20. 

a  Valère  André  cite  l'exemple  rare,  à  l'époque  où  il  parle,  d'un  homme  qui  a  pu  avec  succès 
rétorquer  les  traits  lancés  par  les  adversaires  de  l'orthodoxie;  c'est  Pierre  Uornickius,  appelé  de 
Douai  à  une  cure  près  de  Bréda  par  Jean  Miraeus,  évoque  d'Anvers;  il  se  fit  connaître  par  une 
application  habile  de  l'étude  des  langues  hébraïque  et  grecque  à  la  controverse  (ibid.,  p.  21). 


266  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

quences  d'études  nouvelles  :  c'est  l'authenticité  de  la  Vulgate,  proclamée 
dans  la  quatrième  session  du  Concile  de  Trente ,  avec  défense  de  la  con- 
tester sous  quelque  prétexte  que  ce  soit.  Cette  déclaration  avait  pu  faire 
considérer  par  quelques-uns  l'élude  du  texte  hébreu  comme  désormais 
superflue  et  même  comme  dangereuse.  Yalère  André  reconnaît  avec  eux 
que  l'édition  latine  de  la  Bible  a  été  corrigée  presque  dans  chaque  siècle 
par  la  main  fidèle  d'hommes  instruits  qui  ont  travaillé  à  celte  révision 
par  l'ordre  des  souverains  pontifes;  mais  il  soutient  que  ce  n'est  point 
nuire  à  l'autorité  de  la  Vulgate  que  de  recourir  aux  sources  hébraïque 
et  grecque,  d'où  les  hérétiques  tirent  leurs  arguments  pour  la  combattre 
et  la  détruire;  il  veut  qu'on  oppose  à  leurs  versions  nouvelles,  aussi 
nombreuses  et  aussi  différentes  que  leurs  sectes,  le  témoignage  imposant 
des  paroles  authentiques  qu'ils  dénaturent  avec  la  prétention  de  les  inter- 
préter; il  démontre  qu'une  étude  critique  du  texte  hébreu  et  de  la  version 
grecque  doit  contribuer  à  la  défense  de  la  Vulgate,  et  en  même  temps  à 
une  réfutation  péremploire  des  artifices  ou  des  témérités  des  sectaires. 
Il  était  facile  à  Valère  André  de  soutenir  cette  thèse,  en  invoquant  les 
assertions  formelles  de  saint  Jérôme  et  de  saint  Augustin  sur  la  valeur 
des  deux  textes  originaux  :  il  a  soin  de  rappeler  que  depuis  l'époque 
de  saint  Jérôme  la  ponctuation  dite  masoréthique  a  donné  au  texte  hébreu 
une  forme  en  quelque  sorte  invariable,  gage  d'une  transmission  fidèle; 
il  ne  néglige  pas  non  plus  de  prendre  à  témoin  le  respect  professé  par 
les  Pères  de  l'Église  grecque  pour  la  version  des  Septante,  qu'ils  ont 
citée  dans  leurs  ouvrages,  sans  en  méconnaître  les  défauts  -. 

»  Valère  André  combat  une  objection  d'une  autre  nature,  tirée  de  la 
difficulté  que  présente  l'étude  de  l'hébreu  ;  il  cite  saint  Jérôme,  qui  n'a  point 
caché  dans  ses  écrits  avec  quelles  peines  infinies  il  s'est  rendu  maître  des 
éléments  d'une  langue  plus  rude,  au  moment  où  son  esprit  s'était  fami- 
liarisé avec  les  modèles  de  l'éloquence  latine;  mais  il  le  fait  en  vue  de  faire 
ressortir  l'abondance  des  secours  que  les  travaux  des  hébraïsants  du  siècle 

'  Il  renvoie  aux  œuvres  du  cardinal  Robert  Bellarmin  ,  alors  très-répandues,  quiconque  désirait 
connaître  l'abus  que  les  iiéréliques  ont  fait  des  versions  de  l'Écriture,  et  les  altérations  dont  ils  se 
sont  rendus  coupables. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAFN.  267 

précédent  peuvent  fournir  à  ceux  de  son  siècle;  il  n'a  pour  cela  qu'à  nom- 
mer les  hommes  de  chaque  nation,  auteurs  d'ouvrages  spéciaux  sur  les 
principes  de  la  grammaire  hébraïque,  Elias  Levita  et  Jean  Reuchlin,  etc., 
en  Allemagne;  Jean  Campensis  et  Nicolas  Cleynarts,  en  Belgique;  P.  Gala- 
tinus,  Sanctes  Pagninus  et  Piob.  Bellarmin  en  Italie;  J.  Quinquarboreus, 
en  France;  Vincent  Trillesius,  en  Espagne.  Valère  André  ne  craint  pas 
d'accuser  un  grand  nombre  d'hommes  de  redouter  d'avance  les  aridités  des 
éléments  de  la  langue  et  de  se  décourager  au  premier  aspect  de  quelque 
difficulté;  il  se  plaint  qu'ils  ont  recours  trop  vite  à  l'adage  des  ignorants  : 
llebraïcum  est,  non  legilur,  comme  s'ils  voulaient  justifier  à  leur  tour  la 
fameuse  glose  d'Accurse  :  Graeca  sunl,  legi  non  possunt,  et  il  leur  reproche 
aussi  d'ajouter  foi  sans  examen  aux  jugements  les  plus  inconsidérés  ^ 
L'âge  n'est  à  ses  yeux  qu'un  prétexte  allégué  par  la  paresse  :  l'exemple  de 
Jean  Pieuchlin,  de  Rodolphe  Agricola  et  d'Érasme  prouve  assez  qu'on  peut 
s'adonner  avec  fruit  à  l'étude  de  l'hébreu,  même  dans  un  âge  avancé.  Les 
dispositions  essentielles  que  Valère  André  requiert  de  ceux  qui  veulent 
aborder  cette  étude,  ce  sont  le  zèle  et  la  constance,  qui  leur  garantissent 
des  progrès  remarquables  dans  un  terme  de  quelques  mois.  Les  sentences 
des  anciens  ne  manquent  pas  à  l'orateur  pour  recommander  dans  sa  péro- 
raison aux  jeunes  hébraisants  la  patience  et  le  courage;  enfin,  il  emprunte 
à  Hésiode  une  comparaison  qui  paraîtra  peut-être  ambitieuse  à  quelques- 
uns;  c'est  le  vers  oii  le  poëte  chante  la  vertu  dont  la  roule,  d'abord  escarpée 
et  rude,  devient  facile  et  douce  h  mesure  qu'on  approche  du  sommet  -  : 

P>)t^t>î  â'/)  enena  Tiéhi,  jcÙ£m'i  ■ne.p  èoûaa..  » 

'  Valère  André,  p.  28.  VitUjaris  hicjudicii  morbus  est ,  temere  de  facilitate  difficultateqne  judican- 
liiim,  priusqumn  pericidiim  aliquod  fecerint ,  et  plus  auribus  quam  rationi  experientiaeque  tribuen- 
lium.  Neque  video,  quam  hic  delicaluli  illi  asperitatem  temere  obtendant ,  nisi  si  domi  latentes  vernae 
patrium  sermonem ,  lit  mammillas  infantes ,  tenere  nimis  ament  et  admirentur,  caetera  rudes ,  re- 
rumque  inexperles. 

*  Opéra  et  dies  (v.  290,  éd.  Goettling). 


268  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

9.  JoANNES  Sauterus  (Jean  de  Sauter). 

(1C5G-1C79.) 

Jean  Sauter  ou  de  Sauter,  à  qui  la  chaire  d'hébreu  fut  confiée  en  1656, 
était  originaire  du  pays  d'Alost  •  :  il  était  né  à  Denderwindeke,  village 
voisin  de  la  Dendre,  entre  Alost  et  Grammont.  Il  avait  étudié  la  philoso- 
phie au  collège  du  Faucon  ^  et  obtenu  la  161'""  place  dans  la  promotion 
de  1619,  qui  comptait  210  concurrents.  Il  s'adonna  ensuite  au  droit  et 
s'exerça  dans  cette  science  sous  les  auspices  du  professeur  Pierre  Happen- 
brouwer,  licencié  en  droit,  qui  habitait  dans  le  voisinage  du  collège  des 
Trois-Langues. 

Nommé  tout  à  coup  professeur  d'hébreu,  J.  Sauter  fit  une  tentative 
certainement  louable  :  comme  des  caractères  hébraïques  manquaient 
chez  les  imprimeurs  de  Louvain,  Sauter  cisela  lui-même  en  plomb  un 
spécimen  de  caractères  élégants  de  diverse  grandeur,  et  surveilla  la 
gravure  de  poinçons  de  cuivre  pour  la  fonte  d'un  corps  de  caractères  de 
ce  même  dessin.  Il  voulait  aussi  se  pourvoir  de  points-voyelles  qui  lui 
permissent  d'imprimer  des  textes  hébreux  de  quelque  étendue.  Sauter  ne 
réussit  à  mettre  au  jour  qu'un  seul  opuscule,  une  courte  introduction  à 
la  langue  hébraïque,  qui  parut  à  Louvain  en  1675  ^.  Mais  il  ne  fut  pas  à 
même  de  ponctuer  le  texte  hébreu  ;  il  dut  laisser  aux  commençants  le 
soin  d'y  apposer  à  la  main  les  points-voyelles. 

Sauter,  qui  avait  été  reçu  le  1"  février  1674  au  conseil  de  la  Faculté 

'  Il  est  nommé  Regrado- Alostensis  par  van  Langendonck,  dans  la  seconde  édition  de  VAca- 
demia  Lovanienns ,  p.  76,  où  sont  consignés  une  partie  des  détails  recueillis  ici.  D'autres  rensei- 
gnements nous  viennent  des  notes  rassemblées  par  Paquot  {Fasti,  1. 1,  p.  521)  et  par  Bas,  fol.  1463. 
L'esquisse  de  M.  L.  Delgeur:  Schels  over  de  Oostersche  Taelen  in  Belgie,  pp.  19-20,  et  notre  article 
historique  de  VAmiuaire  de  l'Unie,  de  Louvain,  1848  (pp.  278  et  suiv.),  sur  les  derniers  temps  de 
l'enseignement  de  l'hébreu  au  collège  de  Trois-Langues,  nous  ont  fourni  des  matériaux  pour  les 
notices  de  ce  chapitre  sur  Jean  Sauter  et  sur  ses  successeurs. 

-  Aristolelicuin  pulverem  hausil  e  Pacdagofjio  Fcdconis.  Paquol. 

■'  Brevis  inlroduclio  ad  Linguam  sanclam  Hebraeam ,  qua  ea  praeserlim  in  quibus  ad  hoc  slu- 
dium  acccdenles  maxime  laboranl ,  ea  docenlur  melkodo ,  ut  parvo  lubore  quivis  ea  possit  superaie , 
et  quae  studii  sunt  profundioris  ulililer  dein  adiré.  Lovanii,  typis  .\driani  de  Witte,  1673,  in- 12 
(pp.  24). 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  269 

des  Arts,  mourut  le  25  juillet  1679,  et  fut  inhumé  le  lendemain  dans 
la  collégiale  de  S*- Pierre  *.  La  mort  l'arrêta  dans  l'exécution  d'autres 
œuvres  littéraires  qui  nous  auraient  permis  de  mieux  juger  son  mérite  : 
c'était  d'abord  une  grammaire  méthodique  et  complète  de  l'hébreu  (Audi- 
torium hebraicum  lolam  Linguae  sanclae  scientiam  metliodice  et  copiose  conti- 
nens) ,  des  études  grammaticales  sur  le  chaldéen  (grammaticalia  clialdaïca) 
et  d'autres  travaux  du  même  genre-. 

10.  Jean  Herys  (Herrijs). 

Successeur  de  Sauter,  en  1680,  Herys  échangea  l'enseignement  des 
humanités  contre  celui  de  l'hébreu;  mais  il  prit  celui-ci  en  sous-œuvre, 
pour  cultiver  les  études  de  droit  et  pour  en  briguer  les  profils. 

Jean  Herys,  que  les  uns  font  naître  à  Maestricht^  et  d'autres  à  Me- 
chelen,  bourg  du  Limbourg,  voisin  de  cette  ville  *,  avait  été  le  treizième 
dans  la  promotion  de  1663,  comme  élève  du  Faucon.  II  entra  d'abord 
au  collège  de  la  S'^-Trinité  ^,  où  il  fut  successivement  professeur  de  petite 
figure(1671)  et  de  grammaire  (1672),  et  il  conserva  cette  dernière  charge 
au  moins  jusqu'en  1666  ou  1678.  Quand  il  devint  professeur  d'hébreu, 
cette  langue  fut  le  moindre  de  ses  soucis;  on  le  vit  s'appliquer  ardemment 
aux  études  juridiques  et  prendre  le  grade  de  licencié  en  droit,  ensuite 
celui  de  docteur,  en  date  du  14  novembre  1690  ^. 

Ce  premier  succès  lui  fit  conférer  peu  après  les  fonctions  de  professeur 
royal  pour  les  titres  du  code,  et  ensuite  de  professeur  ordinaire  pour  les 
Pandectes  (1701). 

'    Paquot ,  d'après  les  registres  de  l'Eglise. 

-  Van  Langendonck,  Acad.  Lov.  (édit.  1667),  p.  76.  L'opuscule  imprimé  est  sans  aucun  doute 
l'abrogé  dont  il  est  question  en  ce  passage  :  Auditoru  compenditim,  sive  aditus  ad  linguam  sanctam. 

"'  Mosae-lrajectinus.  —  Voy.  Paquot,  Fasti,  p.  521,  et  Prom.  in  art.,  fol.  72  v. 

*  Recueil  de  Bax,  fol.  l.j-26  et  1554. 

'  Voy.  la  biographie  de  Tonsern  dans  Paquot,  t.  III,  p.  648,  note  i. 

•^  Suppl.  au\  Fastes  du  doctorat  en  droit,  Aimiiaire,  18i5,  p.  144.  Dans  une  thèse  défendue 
le  19  décembre  1691 ,  il  discutait  cette  question  :  Utrum  historiae  ac  lingiiarum  cognitio  in  jure 
versantibus  sit  uliiis  ,  aul  neccssaria?...  Promolio  in  art.,  MS.,  fol.  72. 


270  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

Jean  Herys,  qui  avait  souiïert  d'une  hydropisie  pendant  deux  ans. 
mourut  d'apoplexie  à  Louvain,  le  17  février  1704. 

1 1 .   Jean  Guillaume  van   Hoven  ou  vunden  Uoveii. 

(1704-1723.) 

Jeune  encore ,  van  Hoven  avait  été  le  suppléant  de  J.  Herys  dans  la 
chaire  d'hébreu;  il  en  eut  l'héritage  immédiatement  après  la  mort  de 
celui-ci,  en  1704. 

Né  à  Mechelen,  près  de  Maestricht,  en  1678,  J.  G.  van  Hoven  avait 
obtenu  de  grands  succès  dans  ses  études  ihéologiques,  et  s'était  surtout 
distingué  dans  les  disputes  publiques  des  bacheliers.  Son  mérite  dans  la 
connaissance  des  langues  anciennes  *  et  l'appui  de  son  maître,  Martin 
Steyaert,  lui  valurent  la  chaire  du  collège  de  Busleiden. 

Van  Hoven  fit  preuve  également  d'un  savoir  approfondi  dans  les  ma- 
thématiques, jusqu'à  obtenir  la  charge  de  professeur  royal  pour  cette 
branche  d'étude;  il  la  remplit,  dit-on,  pendant  douze  ans  avec  une  dis- 
tinction et  une  renommée  qui  passèrent  jusqu'en  Allemagne.  Cependant, 
il  ne  négligea  rien  pour  compléter  son  instruction  dans  les  sciences 
théologiques  ;  il  subit  successivement  les  épreuves  qu'on  exigeait  alors 
pour  les  grades  inférieurs,  et  remporta  toujours  dans  les  discussions  pu- 
bliques un  triomphe  signalé  et  suivi  d'un  grand  retentissement;  enfin, 
après  avoir  donné  des  leçons  à  l'abbaye  de  Sainte-Gertrude  et  au  collège 
d'Adrien  YI,  il  fut  promu,  le  11  novembre  1721 ,  au  grade  de  docteur  en 
théologie^.  Le  haut  mérite  de  J.  G.  van  Hoven  fut  bientôt  après  récompensé 
par  la  collation  de  la  chaire  royale  d'Écriture  sainte  et  d'un  canonicat  de 
S'-Pierre;  mais  il  n'avait  encore  donné  que  sept  leçons  quand  il  fut  enlevé 
par  une  violente  maladie,  à  l'âge  de  quarante-cinq  ans,  le  24  avril  1725'. 

'  Au  témoignage  de  Moréri  (édit.  1759,  t.  VI,  p.  98),  van  Hoven  aurait  obtenu  les  mêmes 
suffrages  par  ses  leçons  d'hébreu  que  par  ses  autres  leçons. 

-  Fastes  doctorales  Fac.  S.  Theologiae,  p.  454,  recueil  manuscrit  d'où  sont  extraits  les  détails 
biographiques  consignés  ici.  Cfr.  Or.  de  laudibus,  etc.,  p.  139. 

''  Qu'il  soit  permis  de  reproduire  quelques-unes  des  figures  dont  s'est  servi  l'historiographe  du 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  271 

Il  paraît  incontestable  que  les  connaissances  solides  que  van  Hoven  avait 
acquises  par  l'étude  de  l'Écriture  et  des  Pères ,  ainsi  que  de  toute  l'his- 
toire ecclésiastique,  avaient  révélé  en  lui  un  théologien  de  premier  ordre, 
en  même  temps  que  sa  profonde  piété  avait  fait  l'admiration  de  tous  ceux 
qui  l'entouraient.  Les  regrets,  que  J.  G.  Kerckherdere  a  exprimés  sur 
la  fin  prématurée  de  van  Hoven,  dans  son  poëme  latin  sur  l'École  théo- 
logique  de  Louvain  ',  semblent  bien  justifiés  par  l'activité  qu'il  avait  dé- 
ployée dans  un  petit  nombre  d'années.  Rien  n'empêche  d'admettre  comme 
fondées  les  espérances  du  panégyriste  qui  disait,  en  voyant  s'éteindre  un 
talent  naissant,  que  «  Hovius  serait  allé  un  jour  bien  au  delà  du  savoir 
de  Lucas  de  Bruges  et  du  premier  des  Jansénius  »;  mais,  toujours  est-il 
vrai  que  van  Hoven  ne  réussit  point,  par  les  leçons  diverses  dont  il  fut 
chargé,  à  exciter  puissamment  l'attention  et  le  zèle  des  théologiens  eu 
faveur  de  l'exégèse  sacrée  et  des  travaux  philologiques  qu'elle  réclame. 

12.  GisBERT  Joseph  Hagen. 

(1726-1750.) 

G.  J.  Hagen,  qui  naquit  à  Venlo  le  26  avril  1689,  d'une  famille  célèbre 
dans  les  armes,  s'était  occupé  de  bonne  heure  de  la  théologie,  et  il  devait 
professer  un  jour  cette  science.  Quoique  van  Hoven  fût  mort  en  1723, 
Hagen  n'hérita  de  la  charge  de  celui-ci  qu'en  1726,  et  il  la  géra  en  con- 
currence avec  ses  autres  fonctions  jusqu'à  sa  mort,  comme  nous  l'apprend 
son  épitaphe  qui  se  voyait  au  cimetière  de  S*-Michel  à  Louvain^.  Hagen 

doctorat  pour  faire  allusion  au  nom  et  aux  talents  de  van  Hoven  :  Profusorum  divinae  in  se  gra- 
tiae  donorum  recondilor,  dentissa  humililale  diu  fuit  Hortus  conclusus  donec  diseiplinarum  cunc- 
larum  flore  conspicuus ,  deinceps  lU  fons  signalus  apparuit...  Lugenii  Academiae  eripUur,  Fous 
Horlorum  repente  siceuiiis. 

'  Carmen  de  Schola  Theol.  Lov.,  Annuaire  de  1840,  p.  206;  en  voici  quelques  vers: 

.  ...  Tu  clauilis,  ffovi,  suspiria  coetnU,  etc.... 
....  Supra  Lucae  Brugensis  iturutn 
Janseniique  prioris  opes,  jam  gratia  magni 
Caesaris  ex  merilo  donarat  sede  magistra 
Scripturae....  Sutnmusque  Irilinguis,  etc. 

■^  Paquot  a  inséré  cette  inscription  dans  son  édition  manuscrite  des  Fastes  (  p.  521  ).  M.  Uelgeiir 
l'a  reproduite  d'après  Paquot.  (Schets ,  p.  21.) 

Tome  XXV ill.  5G 


272  3IEM0IRE  SUR  LE  COLLEGE 

a  professé  la  théologie  après  avoir  pris  le  grade  de  licencié,  et  il  aurait 
occupé  tour  à  lour  les  chaires  de  catéchisme  et  de  théologie  scolastique  *  ; 
il  est  devenu  chanoine  de  S'-Pierre  et  président  du  collège  de  Malderus. 
Mort  sexagénaire  le  2  juin  1750,  Hagen  avait  refusé  par  humilité  l'évêché 
de  lUireinonde^. 

15.  Jean  Noël  ou  Natalis  Paquot. 

(1733-1772.) 


Jiixitilut  tnm  imter  morlucs  auetali. 
(PS) 


Nous  rencontrons  dans  Paquot  un  de  ces  esprits  vigoureusement  trem- 
pés pour  le  travail,  comme  il  y  en  eut  peu  dans  notre  école  nationale  au 
XYIII"'  siècle.  Il  a  souffert,  il  a  été  méconnu,  et  cependant  par  son 
caractère  comme  par  son  talent,  il  était  digne  d'un  meilleur  sort.  Des 
hommes  qui  étaient  morts  à  la  science  et  chez  qui  ne  vivait  plus  que  l'en- 
vie résolurent  sa  perte,  parce  qu'ils  ne  purent  supporter  sa  supériorité.  11 
fut  en  butte  plus  que  personne  de  son  temps  aux  dédains,  aux  contradic- 
tions,  aux  intrigues,  voire  même  aux  accusations  les  plus  odieuses,  et 
malgré  tout,  quand  il  eut  courbé  la  tête  quelques  instants  devant  l'orage 
soulevé  par  les  petites  passions,  il  reprit  cette  plume  d'une  érudition  sûre 
et  mûrie,  que  la  jalousie  aurait  voulu  arracher  de  ses  mains.  Quoique 
nous  n'ayons  pas  à  retracer  ici  sa  vie  de  tous  points,  il  nous  a  paru  juste 
de  dire  un  mot  à  l'avance  sur  le  mérite  exceptionnel  d'un  homme  qui  ne 
peut  être  confondu  avec  la  foule  des  maîtres  de  la  même  époque  dont  la 
biographie  est  enregistrée  à  côté  de  la  sienne  dans  ce  chapitre  et  dans 

'  Fasli  doctor ,  p.  440,  dans  la  notice  consacrée  à  J.  R.  G.  Caimo,  promu  docleur  en  \~iô  et 
devenu  plus  tard  évêque  de  Bruges. 

■^  Son  nom  est  rattaché  à  une  brochure  dirigée  contre  les  idées  du  P.  Ch.  René  Billuart  touchant 
l'obligation  de  rapporter  les  actions  à  Dieu;  Hngen  avait  communiqué  à  M.  Antoine  Médard,  pré- 
sident du  séminaire  de  Liège ,  ses  remarques  sur  cette  question  ,  dans  laquelle  il  soutenait  les  opi- 
nionsdes  théologiens  de  Louvain;  la  brochure  publiée  donna  lieu  à  une  longue  polémique  à  laquelle 
prit  part  le  P.  Maugis.  docteur-régent  de  la  Faculté  de  Théologie.  Syslemn  uovuni  R.  Ptilris  Bil- 
luart (le  relatione  operuii)  in  Deum ,  refiitatuiii  a  R.  adm.  cic  erudilissimo  D.  Hagens  (sic),  prof. 
regio,  etc.  Leodii,  17.3-2,  in-12  (4-1  pages  pour  la  réfutation).  Voy.  Paquot,  Mémoires,  notice  sur  le 
P.  Billuart,  t.  il ,  p.  11-2. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOLVAIN.  27Ô 

les  deux  précédents.  Nous  parlerons  d'abord  du  savant  en  général  poui 
faire  mieux  connaître  l'hébraisant. 

Le  docte  J.  N.  Paquot,  de  Florennes,  était  licencié  en  théologie  '  à 
l'époque  où  il  fut  appelé  à  la  chaire  d'hébreu  ,  et  il  dut  l'occuper  en  1755, 
sinon  dès  l'an  1750  ou  1752.  Versé  comme  il  l'était  dans  toutes  les 
sciences  ecclésiastiques,  il  était  capable  de  donner  beaucoup  d'éclat  à 
cette  chaire,  et  l'on  verra  qu'en  effet  il  fit  des  recherches  spéciales  et  fort 
utiles  en  vue  des  leçons  qu'il  y  donnait. 

Pendant  le  terme  de  plus  de  vingt  ans  que  Paquot  passa  à  Louvain,  il 
fut  absorbé  constamment  par  des  travaux  d'érudition  et  de  bibliographie, 
d'histoire  littéraire  et  d'histoire  ecclésiastique  2.  Ses  charges  s'accrurent 
à  mesure  que  le  champ  de  ses  études  s'agrandit  :  Paquot  fut  nommé  his- 
toriographe impérial  par  lettres  patentes  de  Marie  Thérèse,  en  date  du 
25  avril  1762.  Puis,  de  1769  à  1771,  il  eut  les  fonctions  de  bibliothé- 
caire de  l'Université 5  et  s'y  fit  remarquer  par  sa  vigilaiice.  Il  avait  la  pré- 
sidence du  collège  de  Houterlé,  mais  avec  la  seule  indemnité  du  loge- 
ment, et  il  devait  à  lui  seul  défrayer  sa  table.  La  cour  de  Vienne  fut 
instruite  de  la  position  gênée  où  se  trouvait  Paquot,  et  c'est  pour  y  remé- 
diei-  que  l'impératrice  lui  conféra,  en  la  même  année  1762,  une  pension 
annuelle  de  six  cents  florins  ^.  On  voit  dans  une  lettre  de  cette  princesse 
à  son  beau-frère,  Charles  de  Lorraine,  qui  l'avait  informée  «  des  mérites 
de  Jean  Natalis  Paquot,  ainsi  que  du  cas  où  il  se  trouve  d'avoir  à  peine 

'  Il  serait  parvenu,  dit-on,  difficilemenl  jusqu'au  doctoral,  à  cause  des  frais  de  la  promotion, 
environ  3000  florins,  qu'il  était  iiors  d'état  d'acquitter. 

■^  Cons.  Goethals,  Lectures  relui,  à  l'histoire  des  sciences,  t.  III,  pp.  273-293  (Bruxelles,  1838). 
—  Tout  le  monde  sait  la  valeur  des  Mémoires  de  Paquot,  comme  recueil  de  biographies  nationales 
et  comme  répertoire  littéraire  :  ils  sont  sortis  de  l'imprimerie  académique  de  Louvam  .  de  1763- 
1770,  alors  que  ce  savant  résidait  encore  au  sein  de  l'Université. 

-'  Voy.  P.  Namur,  Hist.  de  la  bibl.  jmbl.  de  Louvain,  pp.  C5-68,  et  de  Reiffenberg,  Annuaire 
di-  lu  bibl.  royale,  année  1841  ,  p.  172. 

'  Voir  la  note  de  M.  Th.  Piol  dans  le  Bibliophile  belge,  t.  Il ,  pp.  149152.  Paquot  relirait  de  la 
chaire  d'hébreu  571  florins,  et  il  regardait  comme  précaire  le  canonicat  de  S'- Pierre  qu'il  avait 
obtenu  en  17.56,  et  qui  devait  lui  valoir  oOO  florins,  parce  qu'il  ne  supportait  pas  bien  la  fatigue 
que  lui  causait  le  chant  des  oflices.  Paquot  ne  pouvait  espérer  une  meilleure  position  à  cause  de 
l'animadversion  de  plusieurs  personnages  importants  de  l'Université. 


274  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

de  quoi  vivre,  »  qu'elle  lui  accordait  cette  faveur,  «  touchée  de  compas- 
sion pour  ce  savant  homme  et  se  faisant  un  plaisir  de  réparer  le  tort  qu'ont 
ses  collègues  de  lui  témoigner  plus  de  jalousie  que  d'envie  de  concourir 
à  son  avancement.  » 

Paquot  quitta  Louvain  en  1772,  quelques  mois  après  le  déplorable 
procès  qui  lui  fut  intenté^;  il  n'abandonna  rien  de  ses  projets  scientifiques, 
et  il  travaillait  dans  la  retraite,  quand  il  fut  nommé,  en  1785,  professeur 
d'Écriture  sainte  au  séminaire  épiscopal  de  Liège.  A  ce  sujet,  Feller  écri- 
vait au  prince-évêque  -  :  «  Que  vous  avez  bien  fait  de  nommer  le  vieux, 
pauvre  et  très-savant  Paquot,  professeur  de  l'Écriture  sainte!  En  vérité, 
c'est  une  bonne,  sainte,  chrétienne  et  judicieuse  œuvre.  »  Ce  polygraphe 
mourut  à  Liège  le  8  juin  1803,  âgé  de  81  ans  :  ses  livres  et  manuscrits 
furent  vendus  en  1804,  en  cette  ville. 

11  nous  reste  maintenant  à  montrer  dans  Paquot  la  prévoyance  du  théo- 
logien, la  sollicitude  du  professeur  d'hébreu  pour  les  intérêts  des  études 
qui  relevaient  de  sa  chaire.  Or,  il  sut  trouver  assez  de  loisir  pour  rassem- 
bler les  matériaux  non-seulement  de  recueils  considérables  d'histoire  et 
d'hagiographie,  comme  on  peut  le  voir  en  parcourant  la  série  de  ses  ma- 
nuscrits, appartenant  aujourd'hui  à  la  Bibliothèque  l'oyale  ^;  mais  encore 
de  traités  spéciaux,  d'ouvrages  sérieux  relatifs  à  l'étude  de  la  langue  hé- 
braïque ou  à  l'interprétation  des  livres  de  l'Écriture.  Quoique  Paquot  ait 
pu  mettre  la  main  à  cette  classe  de  ses  travaux  dans  la  seconde  partie 
de  sa  carrière,  il  est  plausible  de  croire  qu'il  destinait  aux  leçons  et  aux 
exercices  du  collège  des  Trois-Langues  la  majeure  partie  des  œuvres  d'exé- 
gèse et  de  philologie  sacrée  qui  nous  restent.  Un  théologien  fera  bien  de 
s'appliquer  un  jour  à  une  analyse  critique  des  ces  écrits  de  Paquot,  et  de 
caractériser  la  méthode  qu'il  y  a  appliquée  et  le  prix  qu'ils  auraient  eu 
dans  le  développement  complet  d'un  enseignement  théologique. 

Nous  nous  contenterons  de  citer  parmi  ses  ouvrages  restés  manuscrits  : 

'  Voy.  Bulletins  de  la  Comm.  roy.  d'Histoire,  t.  IV,  p.  349. 

-  I^ellre  du  6  février  1787.  Extraits  inédits  de  la  correspondance  de  Feller  (Remie  catlio'.,  mai 
1835,  p.  270;. 
'  Voir  Bibliotheca  Hultliemiana,t.  \] ,  Manuscrits  {Gand ,  1858,  in-8°). 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  273 

1"  Un  Lexicon  lalino-hebraeum  (n°  184),  volume  in-folio  écrit  de  sa  main,  et 
renfermant  la  traduction  latine  de  plusieurs  Psaumes;  2°  ses  Notae  in  Gène- 
sim  et  in  Psalmos  (n»  12),  autographe  m-i";  3°  ses  Commentaires  français  sur 
Jërémie,  Barucli,  Ézéchiel,  Daniel  (n»  H),  2  volumes  in-i";  A"  ses  notes 
et  paraphrases  latines  (n"  6)  sur  un  exemplaire  des  Psalini  poenitcntiales ; 
5°  son  grand  travail  (n°  10)  sur  VAnalofjia  Veteris  ac  Novi  Testamcnli  '  {aiict. 
M.  Becano,  Lovanii,  1775,  in-8°). 

Paquot  avait  prouvé  son  érudition  biblique  en  publiant  avec  des  notes 
l'ouvrage  de  Fleury  sur  les  Mœurs  des  Israëliics  et  des  Chrétiens'^.  Le  censeur 
apostolique  et  royal  Fr.  Jacobi,  dans  son  approbation,  déclare  qu'il  a  trouvé 
les  réflexions  de  l'éditeur  des  plus  exactes,  et  qu'elles  montrent  un  auteur 
aussi  zélé  que  savant.  Paquot  rendit  un  plus  grand  service  en  soignant 
l'impression  du  célèbre  commentaire  de  Siméon  de  Muis  sur  les  Psaumes: 
il  se  chargea  de  le  publier,  avec  les  notes  de  Bossuet,  en  2  volumes  in-4". 
en  1770,  à  l'imprimerie  académique  de  Louvain  ^;  sans  avoir  mis  son 
nom  dans  quelque  endroit  de  cette  publication,  il  remplit  consciencieuse- 
ment ses  fonctions  d'éditeur,  et  apporta  une  grande  correction  dans  l'or- 
thographe des  mots  hébreux  insérés  fréquemment  dans  le  commentaire 
considérable  du  savant  archidiacre  de  Soissons.  Nul  doute  qu'un  tel  livre 
ne  fût  très-propre  à  répandre  le  goût  de  la  littérature  sacrée  et  à  favoriser 
la  culture  d'une  exégèse  savante  :  il  dut  faire  naître  quelque  espoir  d'un 
nouvel  essor  des  études  ecclésiastiques  en  Belgique,  dans  les  esprits  les 
plus  éclairés  snr  l'importance  et  la  destination  de  la  théologie  *. 

*  L'exemplaire  interfolié  de  papier  blanc  forme  2  vol.  in-4°.  L'édileiir  de  la  Bibliolhecci  ffulthe- 
miana  en  parle  ainsi,  dans  l'introdiiction  au  tome  VI,  p.  xviii  :  «  Les  notes  et  les  suppléments 
qu'il  y  avait  ajoutés  doublaient  au  moins  cet  ouvrage  savant.  Pendant  les  dernières  années  de  sa 
vie,  Paquot  parlait  souvent  de  cet  ouvrage,  qu'il  avait  particulièrement  à  cœur:  les  circonstance.s 
du  temps  l'ont  empêebé  de  le  faire  imprimer.  » 

^  Louvain,  imprim.  acad.,  1773,  in-8°  (avec  une  vie  abrégée  de  Fleury). 

-  Commentarius  liltcr.  et  hist.  in  omnes  Psalmos  et  seiccla  Vet.  Test.  Canlim ,  ad  éd.  optimam 
Parisiensem  anni  MDCL  recusus,  etc.  Lovanii,  lypis  .\cademicis.  L'éditeur  a  pu  ajouter  au  titre, 
à  cause  de  la  bonne  disposition  des  matières:  Omnia  nunc  primimi  accuratissime  recognita;  et 
conimodissimo  ordine  distribula.  Le  haut  des  pages  est  occupé  par  le  texte  latin  des  psaumes, 
d'après  les  trois  versions  de  la  Vulgate,  de  saint  Jérôme  et  de  S.  de  Muis;  viennent  ensuite  le 
commentaire  de  celui-ci,  et  enfin,  plus  bas,  les  observations  de  Bossnet. 

*  Voici  les  termes  dans  lesquels  X approbation  du  livre  a  été  conçue  par  François  Jacques,  dit 


276  MEMOIRE  SUR  LE  COLLÈGE 

J^aquot  avait  élé  nommé,  le  1"  février  1769,  membre  de  la  Société  litlé- 
mire  de  Bruxelles,  qui  fut  érigée  l'an  1772  en  Académie  impériale  et 
royale  des  Sciences  et  Belles-Lettres;  mais  il  ne  prit  pas  une  part  active 
aux  travaux  de  celte  compagnie. 

14.   Gérard  Deckers. 

(1774-1782.) 

C'est  seulement  vers  1774,  deux  ans  après  la  reti'aile  de  Paquet,  que 
la  chaire  d'hébreu  fut  assignée  à  un  des  meilleurs  théologiens  de  son 
époque,  Gérard  Deckers,  né  à  Kevelaer  dans  la  Gueldre,  en  1755.  Après 
avoir  accompli  ses  études  de  philosophie  et  de  théologie  avec  distinction 
dans  les  collèges  de  Louvain,  il  obtint  les  fonctions  de  secrétaire  auprès  de 
H.  G.  van  Gameren,  nommé  évéque  d'Anvers;  mais,  avant  le  départ  de  ce 
prélat,  il  fut  appelé,  au  mois  d'août  1759,  à  une  chaire  de  philosophie  au 
collège  du  Porc.  Deckers,  qui  était  devenu  président  du  collège  S'-Anne 
et  chanoine  de  la  fondation  de  l'autel  du  S'- Esprit  à  l'église  de  S'-Pierre, 
fut  proclamé  docteur  en  théologie  le  21  octobre  1766  *,  et  nous  le  voyons, 
deux  ans  plus  tard,  élu  recteur  de  l'Université.  C'est  après  avoir  rempli 
beaucoup  d'autres  charges  que  Deckers  fut  désigné  pour  occuper  la  place 
restée  vacante  au  collège  de  Busleiden  :  il  mourut  à  49  ans,  le  25  juillet 
1782,  sincèrement  regretté  pour  sa  science  comme  pour  son  zèle,  sa 
charité  et  ses  autres  vertus  sacerdotales.  Deckers  ne  paraît  pas  avoir 
obtenu  quelque  succès  particulier  dans  l'enseignement  philologique  dont 
on  l'avait  chargé;  mais  il  a  laissé  parmi  ses  contemporains  et  parmi  ses 
élèves  la  réputation  d'un  homme  profond  dans  les  branches  principales 
des  études  théologiques. 

Jacobi,  lie.  en  Théol.,  président  du  eoUége  des  Trois-Langues,  censeur  apostolique  et  royal  dans 
les  Pays-Bas  :  Clarissimorum  virorum  nomina,  praecellenli  hujus  operis  titulo  inserta,  vet  solu 
sufficiwnt  ci  pro  dignitate  aestimando.  Menin  huic  siiff'ragium  addcre,  necesse  non  est  Votum  tamcit 
arijicio ,  ni  oinnes  licirum  dioeceseon  clerici  scdida  cjus  leclione  magis  ac  macjis  accenduntur,  iil  pie 
simul  et  inteliigentcr  psallant  Régi  Begnm  et  Domino  Dominanlium.  Actum  Lovanii  die  8  noveni- 
bris  1770. 

'   Fusti  doctorales  l'ar.  S.  TheoL,  p.  459.  Cfr.  Or.  de  laudihus,  etc.,  p.  loi. —  Promot.  in  Art.. 
fol.  55,  V. 


DES  TROIS-LAINGUES  A  LOUVAIN.  277 

15.  Joseph  Benoît  de  Mazière. 

(1782-1786.) 

Dans  la  même  année  1782,  les  leçons  d'hébreu  furent  reprises  au  col- 
lège des  Trois-Langues  par  un  docteur  promu  un  an  auparavant  ',  Joseph 
Benoît  de  Mazière,  natif  de  Leysele  près  de  Furnes  :  il  était  devenu  lec- 
teur au  collège  d'Adrien  VI,  où  il  avait  fait  ses  études  en  théologie,  et  il 
venait  d'être  élu  président  du  collège  de  Divaeus,  quand  il  succéda  à 
Deckers  dans  l'enseignement  de  l'hébreu.  De  Mazière  ne  put  se  livrer  que 
fort  peu  de  temps  à  cet  enseignement  spécial  :  il  entra,  en  octobre  1786, 
dans  le  personnel  du  séminaire  général  de  Joseph  II,  comme  professeur 
de  théologie  dogmatique  2,  et,  au  mois  de  mars  1788,  il  fut  mis'en  pos- 
session de  la  même  chaire  dans  la  Faculté  de  Théologie,  reconstituée  sous 
le  rectorat  de  van  Leempoel,  par  le  gouvernement  impérial  ^.  Le  cours  de 
langue  hébraïque  fut  assigné  dans  l'organisation  du  nouveau  séminaire  à 
un  autre  théologien,  Henri  Wouters,  de  Louvain,  qui  était  chargé  en 
même  temps  des  leçons  sur  l'Ancien  Testament*. 

De  Mazière  se  trouva  mêlé  à  tous  les  débats  dans  lesquels  s'engagea  la 
Faculté  de  Théologie  avant  qu'eût  éclaté  la  révolution  brabançonne;  il  fut 
chargé,  comme  doyen  de  cette  Faculté,  de  transmettre  ses  réponses  et  ses 
observations  tant  aux  membres  du  gouvernement  qu'au  cardinal-arche- 
vêque de  Malines,  quand  celui-ci  fut  forcé  de  se  prononcer  sur  l'ortho- 
doxie du  nouvel  enseignement  '*. 

Lorsque  les  troubles  eurent  grossi  au  point  d'amener  une  insurrection 
générale  et  le  renversement  de  la  domination  autrichienne,  de  Mazière 

»  Le  20  février  1781  {FasU  doct.,  p.  470.  Cfr.  Or.  de  laudihus,  p.  159).  La  plupart  des  détails 
biographiques  sur  les  deux  successeurs  de  Paquot  proviennent  du  même  recueil. 

2  Voy.  les  Mémoires  de  Rupédius  de  Berg.  pour  servir  à  t'Hisl.  de  In  réooliUion  brabançonne . 
publ.  par  P.  Gérard.  Bruxelles,  1843,  t.  H,  pp.  7  et  14,  noies. 

''  Ibid.,  p.  36. 

'•  H.  Wouters,  licencié  en  Théologie  depuis  1776,  avait  été  élu  ,  le  13  novembre  1783,  président 
du  collège  des  Trois-Langues.  Voy.  la  série  des  présidents,  n°  16. 

»  Mémoires  de  Rapédius  de  Berg,  t.  Il,  p.  149,  p.  156.  —  La  réponse  justificative  de  la  Faculté 
au  cardinal  est  datée  du  10  mars  1789. 


278  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

se  condamna  prudemment  à  la  retraite.  A  peine  réorganisée  sur  l'ancien 
pied,  rUniversité  de  Louvain  prononça  contre  lui,  par  contumace,  le 
1:2  juillet  1790,  une  sentence  qui  le  déclara  déchu  de  toutes  ses  fonctions 
académiques  ^  Ainsi  puni  d'avoir  secondé  ouvertement  les  vues  du  gou- 
vernement de  Joseph  II,  de  Mazière  ne  rentra  plus  à  Louvain  après  la 
restauration,  qui  eut  lieu  au  commencement  du  règne  de  Léopold  '^. 

16.   Etienne  Heuschling. 

(1790-1797). 

Quand  l'Université  eut  prononcé,  en  1790,  la  déchéance  du  professeur 
de  Mazière,  ainsi  que  nous  venons  de  le  rapporter,  la  troisième  chaire  de 
la  fondation  Busleiden  fut  donnée  à  un  jeune  savant  qui  avait  parcouru 
dans  ses  propres  études  le  cercle  de  la  grammaire  des  langues  sémitiques, 
sans  se  borner  à  la  seule  connaissance  de  l'hébreu  de  la  Bible.  Le  récit  des 
circonstances  principales  de  sa  carrière  ne  sera  peut-être  pas  à  cet  égard 
sans  intérêt  :  nous  les  empruntons  en  grande  partie  à  une  notice  rédigée  par 
lui-même,  selon  l'usage  du  temps,  pour  les  archives  de  l'Académie  uni- 
versitaire qui  fut  établie  à  Bruxelles,  sous  l'empire  français,  et  à  laquelle 
il  appartenait  comme  membre  de  la  Faculté  de  droit  ^. 

Etienne  Heuschling,  né  à  Luxembourg,  le  G  avril  1762,  était  fds 
d'Hubert  Heuschling  et  de  Christine  Theyes*.  Ce  fut  au  collège-pensionnat 
royal  de  Luxembourg,  qu'il  fit  les  humanités,  la  philosophie  et  la  théo- 
logie,  en  terminant  ces  deux  derniers  cours  par  des  thèses  publiques. 

'  Mémoires,  ibid.,  p.  7,  note. 

^  De  Mazière  fui  nommé,  en  novembre  1791,  prévôt  du  chapitre  de  Saint-Vincent,  à  Soignies 
(praeposilits  cccksiae  Sonegiensis);  en  1803,  lors  de  la  réorganisation  du  diocèse  de  Gand,  il  fut 
appelé  à  la  cure  de  Dixniude,  et  c'est  dans  cette  ville  qu'il  est  mort  en  1824. 

'  Le  recueil  formé  par  van  Hullhem,  un  des  directeurs  de  l'Académie,  fait  maintenant  partie 
des  manuscrits  de  la  Dibliotliùque  royale  (n"  17S87,  registre  in-folio.  —  Bibl.  Hullh.,  MS.  868); 
il  a  pour  titre  :  RenseUjnemenls  sur  le  personnel  des  recteurs,  des  secrétaires,  des  inspecteurs  des 
trois  facultés,  leurs  éludes,  les  fonctions  qu'ils  ont  remplies  antérieurement,  so'vanl  de  matériaux 
pour  les  Fastes  de  l'Acad.  de  Unix.  —  Fac.  de  droit,  folio  101  et  suiv.  (Et.  Heuschling,  fol.  III.) 

'  Ces  documents  biograpIii(|ues  sont  tirés  de  notre  notice  déjà  citée  sur  les  derniers  temps  de 
l'enseignement  de  l'hébreu  au  collège  des  Trois-Langues  (Annuaire  de  l'Université  de  Louvain, 
ann.  1848,  pp.  103  et  suiv.). 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  279 

«  Au  sortir  de  l'enfance,  nous  dit-il,  il  s'était  destiné  à  l'enseignement 
..  public,  et,  dès  l'âge  de  20  ans,  il  y  fut  appelé  par  le  gouvernement 
»  des  Pays-Bas.  »  Ce  fut  vers  1782  qu'il  devint  professeur  de  sixième 
et  de  cinquième  au  collège-pensionnat  royal  de  Naniur,  Un  peu  plus  tard, 
Etienne  Ileuschling  se  rendit  à  Louvain  pour  y  faire  ses  études  de  droit, 
et  il  y  prit  le  grade  de  licencié;  il  fut  soutenu  dans  ces  études  nouvelles 
par  un  parent  qui  s'était  fait  un  nom  comme  jurisconsulte  :  son  oncle, 
Jean  Pierre  Ileuschling,  professeur  royal  de  Pandectes  depuis  1765  ',  fut 
pour  lui  un  généreux  protecteur. 

Cependant  Etienne  Ileuschling  ne  resta  pas  longtemps  à  Louvain  :  il 
partit  pour  Rome  dans  l'intention  d'y  poursuivre  l'étude  des  langues,  et 
en  particulier  des  langues  orientales,  qu'il  avait  sans  doute  cultivées 
dans  son  pays  autant  que  le  lui  permirent  les  ressources  qu'il  y  trouvait. 
Il  se  rendit  bientôt  assez  habile  dans  cette  branche  d'étude,  pour  prendre 
part  à  un  concours  public  ouvert  à  Piome  pour  la  chaire  de  la  langue 
syro-chaldaïque,  devenue  vacante  à  la  Sapience;  il  fit,  le  22  juillet  1788, 
les  épreuves  exigées  pour  le  concours  en  présence  du  cardinal  Buon- 
compagni,  secrétaire  d'État,  et  des  avocats  consistoriaux  de  Sa  Sainteté. 
Heuschling  sortit  de  ces  épreuves  avec  honneur  ;  mais  il  ne  put  l'emporter 
sur  un  savant  Maronite  de  la  famille  des  Assémani,  célèbres  depuis  un 
siècle  par  leurs  travaux  sur  la  langue  et  la  littérature  syriaques  :  son  heu- 
reux rival  était  Antoine  Assémani,  scribe  pour  la  langue  syriaque  à  la 
bibliothèque  du  Vatican,  et  professeur  de  langue  arabe  au  collège  de  la 
Propagande  ^.  Il  existe,  en  témoignage  du  résultat  de  ce  concours,  demeuré 
glorieux  pour  Heuschling,  le  certificat  qui  lui  fut  délivré  par  le  recteur 
de  l'archigymnase  romain,  Ch.  A.  Conslantini,  au  nom  du  collège  des 
avocats  de  la  cour  consistoriale  ^. 

•  Jean  Pierre  Heuschlins;,  promu  docteur  avec  grande  solennité  le  16  juin  1761,  mourut  à 
Louvain  le  10  juillet  1797  (Suppl.  aux  Fasles  de  Valère  André  pour  les  docteurs  de  la  Faculté  de 
Droit;  Annuaire  de  l'Univ.  catlt.  de  1845,  pp.  131-152). 

=  La  même  chaire,  à  l'Université  romaine  de  la  Sapience ,  a  été  occupée  depuis  par  le  savant  abbé 
André  Molza,  qui  était  en  même  temps  un  des  conservateurs  à  la  Vaticane  et  qui  est  mort  en  I8y  1 . 

^  Carolus  Aloysius  Conslantinus,  sacrae  consislorialis  Aulae  advocalus,  et  Romani  arcliigijin- 
msii  reclnr  depulatus.  Contresigné  :  Marins  TuUopello  a  secretis.  —  Nous  nous  plaisons  à  recon- 

ToME  XXVIII.  37 


280  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

Universis  et  singulis  praesentes  lileras  nostras  inspecturis  fulem  facimiis,  alque 
teslamur  CL  D.  Steplianum  Heiischimg'mm  Litxemburgensem  in  concursu  liabilo 
die  22  Juin  labentis  anni  coram  E'""  et  R""  D""  Card.  Boncompagni  a  secrelis  Status 
sanctissimi  Domini  Nosl7-i  Pii  Papae  VI,  £"'"  et  R"'"  D""  Card.  Camerario  adversa 
valeludine  detento  siiffecto ,  et  coram  III"'"  et  R"'"  DD.  sacrae  consistoiialis  Aulae 
Advocalis  adeo  perilum  iinguae  chaldaïco-syrae  sese  tribus  electis  perilis  examina- 
toribus  cxhibuisse,  ut  inspectis  caeteris  quibus  pollel ,  scientiae  et  probitatis  requi- 
silis,  judicio  primum  examinatorum ,  digmis  remmtialus  fuerit  cathedra  sive  Icclura 
ejusdem  Iinguae,  tune  in  noslro  urchigymnasio  vacante;  deinde  vero,  ejusdem 
cathedrae  professer  designatus  fuerit  per  pluraliiatcm  suffragiorum ,  in  secreto 
scrutinio,  ab  E'"""  et  R'""  D""  et  IW"'  et  R""'  viris  supradiclis  :  licet  obtento  om- 
nium suffragiorum  concursu,  ejusdem  cathedrae  possessio  décréta  fuerit  Cl.  vira 
Antonio  Assemanni  {sic)  Syro-Maronitae ,  scriptore  supradiclae  Linguae  in  Diblio- 
theca  Vaticana,  et  Linguae  Arabicae  professori  in  U.  Collegio  Urbano  de  Propa- 
ganda  Fide.  In  quorum  fulem  praesentes  literas  subscripsimus ,  et  magno  Collegii 
Nostri  sigillo  muniri  curavimus  ^  Dalum  ex  Aula  Magna  Romanae  Sapientiae 
quarto  Kalendas  Januarii,  anno  a  Nativitate  S  S""  Domini  Nostri  Jesu  Christi 
MDCCLXXXIX. 

Etienne  Heuscliling  nous  apprend  lui-même  que,  pour  le  retenir  à 
Rome,  on  lui  avait  promis  la  première  chaire  qui  viendrait  à  vaquer  et 
une  place  de  scrittore  délia  Biblioteca  Vaticana.  Cependant  cette  perspective 
ne  put  le  de'cider  à  rester  beaucoup  plus  longtemps  en  Italie-  :  il  regagna 
la  Belgique;  et  c'est  après  la  réintégration  des  cinq  Facultés  de  l'Univer- 
sité à  Louvain,  dans  le  courant  de  l'année  1790,  qu'il  fut  mis  en  posses- 
sion de  la  chaire  de  langue  hébraïque  au  collège  des  Trois-Langues.  Il 
n'occupa  cette  chaire  que  peu  d'années,  à  cause  des  événements  qui 
ébranlèrent  ou  détruisirent  toutes  les  institutions  publiques  en  Belgique. 
Nous  ne  savons  s'il   quitta  Louvain  au  moment  de  la  première  invasion 

naître  ici  que  nous  devons  la  communication  de  la  minute  de  ce  document  curieux  à  la  complai- 
sance du  neveu  du  savant  qu'il  concerne,  M.  Xavier  Heuscliling,  chef  de  la  division  de  statistique 
générale  au  ministère  de  l'intérieur. 

'  Le  sceau  de  la  Sapience  porte  la  figure  de  saint  Ives,  ou  Ivo,  entourée  de  cette  légende  :  Colle- 
gium  sacrae  Aulae  consislorialis  advoculorum. 

-  Heuscliling  demeura  membre  associé  de  l'Académie  théologique  de  la  Sapience. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAiN.  281 

française  ou  seulement  à  l'époque  de  la  dispersion  de  l'Université,  en 
octobre  1797.  Toujours  est-il  que  Ileuschling  avait  rapporté  de  l'Italie, 
pour  l'accomplissement  de  sa  charge,  une  variété  et  une  étendue  de  con- 
naissances philologiques  que  n'avaient  point  possédées  depuis  deux  siècles 
ses  prédécesseurs  dans  la  même  chaire.  Vers  le  temps  où  l'étude  du 
syriaque  était  en  vogue  aux  Universités  d'Allemagne,  où  J.  D.  Michaelis 
réimprimait  le  Lexique  de  Castell,  où  Kirsch  et  Bruns  publiaient,  à  Goet- 
tingue,  le  texte  de  la  Chronique  de  Bar-IIebraeus,  Etienne  Heuschling 
allait  communiquer  à  la  Belgique  les  éléments  fondamentaux  d'une  étude 
qui  est  d'un  si  grand  secours  pour  la  philologie  sacrée  et  pour  l'histoire 
du  christianisme;  mais  l'approche  des  plus  mauvais  jours  de  la  révolution 
ne  lui  permit  pas  d'atteindre  à  cet  égard  quelque  résultat. 

Pour  bien  juger  l'activité  d'un  des  hommes  qui  ont  appartenu  à  l'an- 
cienne Université  au  double  titre  d'élève  et  de  maître,  il  est  indispensable 
de  le  suivre  dans  la  retraite  studieuse  qu'il  s'était  faite,  et  ensuite  dans  les 
charges  qui  le  firent  rentrer  à  plusieurs  reprises  dans  la  vie  publique. 
Etienne  Heuschling  était  gradué  dans  toutes  les  facultés,  sauf  la  médecine  ; 
il  s'appliqua  toujours  à  entretenir  ou  à  augmenter  les  connaissances  spé- 
ciales qu'il  avait  acquises  dans  les  meilleures  années  de  ses  études  acadé- 
miques, et  il  fut  appelé  à  différents  emplois  en  raison  de  l'espèce  d'univer- 
salité qui  distinguait  son  savoir.  Déjà  nous  le  voyons,  après  l'incorporation 
de  la  Belgique  à  la  France  ,  membre  du  jury  d'instruction  publique  formé 
l'an  V  à  Bruxelles;  un  peu  plus  tard,  il  entre  à  l'école  centrale  du  dépar- 
tement de  la  Dyle  comme  professeur  de  grammaire  générale.  Le  goût  qu'il 
avait  toujours  montré  pour  l'élude  des  langues  rend  raison  de  la  distinc- 
tion qui  lui  fut  accordée  en  cette  circonstance:  Heuschling  parlait,  dit-on, 
quatorze  langues;  il  en  avait  appris  plusieurs  en  fort  peu  de  temps,  et  il 
avait  montré  autant  d'habileté  dans  le  déchiffrement  des  alphabets  que  de 
facilité  pour  l'étude  scientifique  des  grammaires.  Il  existe  une  pièce  im- 
primée d'après  laquelle  on  peut  juger  l'étendue  des  recherches  qu'il  prenait 
pour  matière  de  ses  observations  et  pour  fondement  de  ses  théories  : 
c'est  le  Discours  cT ouverture  de  la  classe  de  grammaire  générale,  dans  l'école 
centrale,  le  17  vendémiaire  an  VIII,  par  E.  Heuschling,  professeur  de  la 


282  3IEM0IRE  SUR  LE  COLLEGE 

même  classe  ^  On  reconnaît  dans  ce  Discours  de  Heuschling  la  tendance 
de  son  esprit  à  généraliser  les  faits  spéciaux  fournis  par  la  science  posi- 
tive de  la  linguistique,  à  faire  prédominer  un  point  de  vue  philosophique 
dans  l'étude  raisonnée  des  lois  de  la  grammaire  considérées  à  la  fois  dans 
les  langues  anciennes  et  modernes  ;  on  aperçoit  qu'il  n'avait  négligé  aucune 
peine  pour  rassembler  tous  les  éléments  d'une  étude  systématique  du 
langage,  à  une  époque  où  n'avait  paru  aucun  des  ouvrages  fondamentaux 
sur  cette  matière,  à  l'exception  des  Vocabulaires  de  Pallas^.  Les  vues  de 
Heuschling  peuvent  être  quelquefois  exclusives,  et  ses  rapprochements 
hasardés;  mais  il  n'en  pouvait  être  autrement  en  l'absence  d'idées  univer- 
sellement reçues  sur  le  partage  des  langues  en  groupes  et  en  familles, 
avant  l'institution  des  méthodes  plus  rigoureuses  dans  l'investigation  des 
racines  et  la  comparaison  des  mots.  Heuschling  a  du  moins  le  mérite 
d'avoir  deviné  les  travaux  de  notre  temps,  qui  préparent  la  démonstration 
de  l'unité  primitive  du  langage  humain.  Si  nous  rapportons  ici  quelques 
passages  du  discours  cité,  c'est  non-seulement  pour  constater  les  prin- 
cipes que  Heuschling  cherchait  à  établir  en  linguistique,  mais  encore 
pour  signaler  les  vues  générales  qu'il  prétendait  faire  prévaloir  dans  cette 
science,  d'accord  avec  le  mouvement  des  études  philosophiques^. 

L'auteur  du  Discours  fait  part  à  son  auditoire  d'une  première  difficulté 
qui  s'opposera  aux  recherches  synthétiques  de  grammaire  dont  il  a  indi- 
qué la  nature  dans  son  exorde  :  le  phénomène  extraordinaire,  étonnant, 
qui  devrait  éloigner  le  philologue  du  but  proposé ,  la  découverte  de 
lois  identiques   dans    l'organisme   de  toutes  les  langues,   c'est  l'idiome 

'    12  pages  in-12,  sans  nom  d'auteur  et  sans  titre  particulier. 

-  Publiés  pour  la  première  fois  à  S'-Pétersbourg,  en  17871789. 

''  Voici  d'abord  le  préambule  du  discours,  dans  lequel  Heuschling  expose  en  général  sondes- 
sein  :  «  Tout  est  lié  dans  l'univers.  11  existe  un  rapport  bien  étendu,  bien  sensible,  vraimentadmi- 
))  rable,  entre  toutes  les  langues  de  tous  les  peuples  de  la  terre.  Ce  rapport  est  nécessaire;  il  est 
B  incontestable.  Ces  grandes  vérités,  ainsi  que  toutes  celles  dont  la  grammaire  universelle  se 
»  nourrit;  sur  lesquelles  elle  établit  ses  théories,  elle  fonde  sa  doctrine;  comment  parvenir  à  les 
))  démontrer,  à  les  rendre  palpables?  En  suivant  les  inspirations  du  génie  créateur  des  sciences, 
»  l'esprit  d'observation  ;  en  recueillant  les  faits,  en  niullipliant  les  expériences,  en  poussant  nos 
»  recherches  en  ce  genre,  aussi  loin  qu'elles  peuvent  aller;  en  ramassant  les  matériaux  les  plus 
1)   propres  à  construire  un  édifice  durable  et  majestueux;  en  un  mot,  en  perfectionnant  la  glosso- 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  283 

monosyllabique  des  Chinois,  avec  son  écriture  riche  de  quatre-vingt  mille 
caractères  qu'ils  ont  ramenés  eux-mêmes  à  deux  cent  quatorze  clefs  : 
«  Voilà  donc,  disait  Ileuschling,  un  problème  des  plus  piquants,  de 
savoir  s'il  est  possible  de  découvrir  quelque  conformité,  quelque  res- 
semblance entre  nos  langues  d'Europe  et  d'Asie,  et  la  langue  de  ce  peuple 
fameux,  peuple  unique  à  tant  d'égards.  Essayons  de  tracer  une  esquisse 
abrégée  de  la  solution  de  cet  intéressant  problème,  en  faisant  voir  que  le 
chinois  est  d'accord  avec  les  autres  langues  connues,  dans  sa  grammaire, 
son  écriture  et  ses  mots.    » 

Puis,  Ileuschling  s'attache  à  déterminer  par  quelles  opérations  on 
parviendrait  à  comparer  aux  thèmes  monosyllabiques  du  chinois  la  forme 
primitive  des  racines  polysyllabiques  de  la  plupart  des  langues,  en  d'au- 
tres termes  le  radical  dépouillé  de  tout  accessoire  et  envisagé  dans  sa 
simplicité  originaire  :  il  indique  par  quelques  exemples  le  genre  d'analo- 
gie qu'il  prétend  exister  entre  la  langue  chinoise  et  toutes  les  autres.  En 
outre,  Ileuschling  considère  tour  à  tour  les  lois  des  diverses  parties  du 
discours  et  la  manière  d'assembler  les  idées,  et  il  examine  sous  ces  diffé- 
rents rapports  comment  la  nation  chinoise  se  conforme  aux  principes  géné- 
raux et  immuables  du  langage  ainsi  que  les  autres  peuples,  bien  qu'elle 
semble  faire  une  classe  à  part  :  «  c'est  ce  nouveau  point  de  vue  qui 
continuera,  dit-il,  de  nous  faire  jouir  du  spectacle  brillant  d'une  ravis- 
sante harmonie.    » 

Cependant,  Ileuschling  a  plutôt  émis  à  cet  égard  des  espérances  et  des 
vœux,  qu'il  n'a  établi  et  prouvé  des  faits  de  linguistique.  Les  analogies 

»  logie,  c'est-à-dire  la  connaissance  positive  et  raisonnée  des  langues.  Il  s'agit  de  nous  emparer 
1)  successivement  de  tous  les  idiomes  répandus  sur  notre  globe;  de  les  analyser,  de  les  comparer. 
»  Les  conséquences  immédiates  qui  résulteront  naturellement  de  cet  examen  et  de  celte  comparai- 
)i  son,  formeront  autant  de  principes  solides,  féconds,  lumineux,  inébranlables.  C'est  là  la  route 
))  que  tant  de  grands  hommes  nous  ont  indiquée  depuis  longtemps,  que  tant  de  beaux  génies 
»  nous  ont  déjà  frayée,  et  que  doit  suivre  l'honime  qui,  par  état  et  par  goût,  consacre  ses  veilles 
).  à  cette  sorte  d'études,  de  méditations;  méditations  qui  ont  pour  objet  l'apanage  le  plus  noble,  le 
»  plus  magnifique  de  notre  espèce,  son  caractère  distinctif  le  plus  glorieux,  la  parole,  que  nous 
1)  devons  regarder  comme  une  partie  essentielle,  comme  un  organe  de  la  philosophie.  »  —  Le  discours 
porte  cette  épigraphe  grecque  en  lettres  latines:  Kai  organa  de philosophias  Locos,  elc.  (Jul.  Pollue. 
Onomast,  VI,  6,  40.) 


284  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

partielles  qu'il  a  signalées  ne  pouvaient  mener  à  la  conclusion  d'unité 
originelle  qu'il  invoquait  sans  cesse;  les  difficultés  étaient,  en  réalité,  si 
nombreuses  et  si  compliquées,  que  la  synglosse,  malgré  ses  progrès,  n'est 
point  encore  parvenue  à  reconnaître  avec  assurance  l'origine  et  les  affi- 
nités de  la  langue  antique  du  Céleste  Empire  *.  Des  rapprochements  de 
syllabes  prises  dans  le  vocabulaire  d'une  foule  de  langues  avec  des  mono- 
syllabes chinois,  n'ont  encore  fait  obtenir  à  personne  quelque  résultat 
sérieux  et  durable  :  il  importait,  au  contraire,  de  bien  préciser  la  prépon- 
dérance de  la  syntaxe  sur  la  grammaire  dans  le  chinois ,  pour  préparer 
les  investigations  ultérieures  de  la  philologie.  Ileuschling  n'avait  pas  été 
heureux  dans  son  choix,  en  s'escrimant  exclusivement  dans  une  pre- 
mière leçon  contre  quelques  termes  de  la  langue  chinoise,  et  il  n'avait 
dans  tout  cela  à  recueillir  d'autre  avantage  que  celui  de  la  nouveauté  d'une 
pareille  entreprise;  il  eût  mieux  réussi  à  s'attaquer  aux  affinités  des  lan- 
gues grecque  et  latine  avec  les  langues  germaniques,  affinités  qui  furent 
éclaircies  peu  après  par  des  travaux  solides  de  ses  contemporains,  surtout 
en  Allemagne.  Au  moins  Heuschling  avait- il  entrevu  l'application  de 
recherches  vraiment  scientifiques  à  la  comparaison  des  langues  de  toutes 
les  familles,  et  il  a  pu  dire  en  terminant  ses  études  tirées  du  vocabulaire 
chinois  :  «  Un  travail  semblable  à  celui  dont  je  viens  de  vous  présenter  une 
ébauche  très-imparfaite,  appliqué  aux  langues  indiennes,  tartares ,  celti- 
ques, et  ainsi  de  suite ,  nous  donnera  les  mêmes  résultats,  et  des  résultats 
d'autant  plus  satisfaisants  ,  que  nous  serons  rompus  davantage  à  cet  exer- 
cice. Il  nous  convaincra  toujours  par  de  nouvelles  preuves  de  fait,  que  le 
langage  est  essentiellement  le  même  partout;  que  toutes  les  grammaires 
se  tiennent  comme  par  la  main;  que  le  même  esprit  fit  naître  et  anime 
toutes  les  langues  '^.  » 

Ileuschling  avait  passé  les  années  les  plus  funestes  de  la  révolution 

'  La  question  d'origine  n'a  point  été  abordée  par  un  des  hommes  de  notre  temps  qui  ont  porté 
le  plus  de  lumière  dans  la  philosophie  du  langage,  M.  Guillaume  de  Ilumboldt,  dans  sa  lettre 
célèbre  à  M.  Âbel  Rémusat,  sur  la  nature  des  formes  grammaticales  en  général ,  et  sur  le  génie  de 
la  langue  chinoise  en  particulier  (Paris,  1827,  in-S"). 

-  Nous  allons  reproduire  la  péroraison  consacrée  par  Heuschling  à  la  louange  de  l'Harmonie, 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  285 

française  dans  des  fonctions  qui  l'arrachaient  aux  luttes  politiques,  au 
milieu  de  travaux  qui  lui  permettaient  d'attendre  avec  patience  et  avec 
calme  la  fin  des  bouleversements  et  des  orages  dont  la  Belgique  avait 
retenti.  Il  eut  le  bonheur  d'être  apprécié  par  quelques  hommes  d'ordre 
qui  usaient  de  leur  influence  auprès  des  représentants  du  nouveau  pou- 
voir, afin  de  maintenir  et  de  multiplier  les  moyens  d'instruction.  L'an  VII, 
Ileuschling  fut  compris  par  l'administration  du  département  de  la  Dyle 
au  nombre  des  personnes  destinées  à  former  le  noyau  d'une  société  libre 
des  arts,  des  sciences  et  des  lettres,  près  ladite  administration  :  on  sait  que 
cette  société  peut  être  considérée  comme  un  des  fondements  de  la  nouvelle 
Académie  de  Bruxelles,  réorganisée  par  arrêté  royal  du  5  juillet  1816  ^. 
Quand  le  gouvernement  français  eut  joint  en  1806  une  école  de  droit  aux 
autres  Facultés  composant  l'Académie  de  Bruxelles,  Ileuschling  qui  était 
gradué  en  droit,  en  fit  partie  comme  suppléant  2.  Heuschling  ne  paraît 

qu'il  contemple  dans  le  langage,  dans  l'univers,  dans  les  sphères  célestes,  dans  Ihorame  et  dans  la 
sociélé  ;  on  ne  verra  pas  sans  linéique  sentiment  de  curiosité  et  de  surprise  l'homélie  de  Heuschling 
en  l'honneur  de  la  nouvelle  déesse  qui  préside  à  la  grammaire  générale  et  à  la  législation  révolu- 
tionnaire :  «  L'harmonie  règne  donc  aussi  dans  cette  partie  de  la  nature.  0  harmonie ,  fille  aînée  de 
n  l'Éternel,  divine  émanation  de  son  essence  inefFable...  salut!...  Souveraine  toute-puissante  de 

»   myriades  de  mondes,  chaîne  d'or  qui  unis  les  cieux  avec  la  terre,  salut! toi  qui  présidas  aux 

»  œuvres  du  Créateur,  qui  réglas  la  course  d'innombrables  soleils,  auguste  conservatrice  des 
»  êtres!  Heureux,  trois  fois  heureux  le  mortel  qui  a  des  yeux  pour  te  voir,  des  oreilles  pour  t'en- 
I.  tendre,  un  cœur  pour  t'adorer,  une  âme  pour  jouir  des  délicieuses  extases  qui  naissent  de  la 
»  contemplation  de  tes  charmes  immortels.  Toi  qui  formes  le  premier  besoin  et  le  premier  lien  de 
»  l'humanité;  loi,  la  mère  des  vertus,  sois  propice  aux  cœurs  droits  :  que  tes  mystères  leur  soient 
B  révélés!  que  leurs  idées,  leurs  sentiments,  leurs  actions,  leurs  habitudes,  leurs  ouvrages,  leur 
»  vie  et  leur  mort  soient  dignes  de  loi,  dignes  de  la  sagesse,  dignes  de  leurs  hautes  destinées.  Toi. 
»  qui  fondes  les  sociétés,  affermis  la  république  française,  rends-la  fortunée  parla  paix,  autant 
)>  qu'elle  est  formidable  et  glorieuse  par  la  guerre;  que  toutes  ses  institutions  soient  l'expression 
»  fidèle  de  tes  lois!   « 

*  Heuschling  se  trouva  dès  lors  associé  à  beaucoup  d'hommes  qui  se  sont  fait  ensuite  un  nom 
dans  la  science  :  Lesbroussart  père,  van  Mons,  Laserna  de  Santander,  le  baron  de  Poederlé,  le 
vicomte  de  Nieuport,  Plasschaert,  van  Hulthcm,  van  Hooghten,  Jacquelart,  Gendebien  ,  Dotrenge, 
L.  P.  Rouillé  et  d'autres.  Plusieurs  de  ceux  que  Heuschling  eut  alors  pour  confrères  rentrèrent 
en  même  temps  que  lui  dans  l'enseignement  universitaire,  sous  l'empire  et  ensuite  sous  le  régime 
hollandais. 

'-  Il  avait  pour  collègues  dans  cette  faculté  Michel  Joseph  van  Gobbeischroy,  ancien  professeur 
de  Louvain,  Bertrand  Cahuac,  Jean  J.  P.  Tarte,  J.  G.  van  Hooghten,  X.  Jacquelart,  auxquels  fut 
adjoint,  en  1810,  Jean  Gérard  Ernst. 


286  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

pas  avoir  exercé  souvent  les  fonctions  attachées  à  ce  titre;  mais  il  continua 
à  s'adonner  courageusement  à  l'étude  simultanée  de  plusieurs  sciences  ^ 
Lorsque  le  roi  Guillaume  I"""  institua,  en  1817,  les  trois  Universités 
des  provinces  méridionales  des  Pays-Bas,  il  nomma  Etienne  Meuschling 
à  une  chaire  de  la  Faculté  de  philosophie  à  l'Université  de  Louvain ,  en 
même  temps  que  les  anciens  professeurs  Sentelet  et  Jacquclart  cà  des 
chaires  de  sciences  et  de  droit  -.  Heuschling  revint  avec  prédilection  à 
ses  premières  études,  en  acceptant  un  double  enseignement  philosophique 
et  littéraire.  La  grammaire  des  langues  orientales  devait  y  avoir  une 
large  place,  comme  on  en  pourra  juger  par  un  extrait  du  premier  pro- 
gramme de  l'Université  royale,  publié  en  octobre  1817  ^.  Si  Heuschling 
n'a  point  trouvé  à  la  nouvelle  Université  de  Louvain  de  nombreux  audi- 
teurs pour  toutes  ces  branches  d'enseignement,  il  faut  l'attribuer  en  partie 
à  l'état  naissant  de  cette  institution,  en  partie  à  la  faveur  beaucoup  plus 
grande  dont  jouissaient  dans  l'opinion  les  leçons  de  philologie  classique 
données  en  vue  des  cours  d'humanités,  en  partie  aussi  à  l'exposition  un  peu 
confuse  du  penseur,  qui  aimait  à  mêler  des  vues  philosophiques  abstraites  à 
l'exposé  élémentaire  de  toute  science.  Heuschling  ne  persévéra  point  long- 
temps dans  la  carrière  active  que  sa  dignité  académique  ouvrait  devant 
lui  :  au  bout  de  trois  ans  environ,  il  résigna  cette  dignité  et  quitta  Lou- 
vain ^*  pour  reprendre  à  Bruxelles,  dans  la  solitude,  ses  occupations  favo- 
rites. «  Vétéran  de  l'enseignement  universitaire,  »  comme   il   s'appelait 

•  Heuschling  était  membre  de  la  Société  de  jurisprudence  de  Bruxelles. 

-  Voy.  sur  la  carrière  de  Sentelet  la  note  étendue  de  P.  Gérard,  dans  les  Mémoires  de  Rapédius 
de  Berg,  t.  Il,  pp.  ô6-ô7. 

^  Etal  de  l'enseignement  supérieur  en  Belgique,  rapport  de  M.  Nothomb.  Bruxelles,  1844,  t.  I , 
p.  350.  —  Praeleclioncs  ordinis  philosophoriim.  Heuschling,  per  hune  anmim  diclabil  posiliones 
elementarcs  jiiris  nalurae,  ex  ontoloyia  et  psycholngia  depromplas,  etc.  Interprelabitur ,  guidquid 
in  scriplis  Aristolelis  ad  /Logic,  Dialec.  elMelupUys.  propius  spécial  ;  porro  exponet  aliqnol  tragoe- 
dias  Sophoclis  et  Euripidis  ;  tum  praemissis  necessariis  insHtulionibus  in  Linguam  Hebr.,  Syriiic. 
Chaldaïc.  et  Arab.;  explicabil  libros  Gènes,  cl  Psalmos  aliquol;  item  (Chald.)  Danielem  el  Esram; 
porro  (Syriac.)  N.  Test,  et  carmina  Mphrem  Syri;  tum  (Arab.)  Adagia  Arabica,  Fabulas  Lok- 
mnnni  el  partem  Alcorani ,  diebus  Jovis,  Feneris  et  Salurni ,  h.  XI. 

■*  Après  le  départ  de  Heuschling,  l'enseignement  de  Thébreu  fut  quelque  temps  suspendu  à 
I^ouvain;  mais,  lorsque  l'arrêté  royal  qui  créait  le  collège  philosophique  eut  désigné  la  littéralure 
hébraïque  parmi  les  matières  de  l'enseignement  (art.  2),  un  cours  d'hébreu  fut  organisé  par  un 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  287 

volontiers  lui-même,  Ileuschling,  qui  avait  eu  à  l'Université  de  Louvain 
le  titre  de  professeur  ordinaire,  obtint  du  gouvernement  une  pension  de 
1,500  florins,  qui,  jointe  à  son  patrimoine,  le  mit  à  l'abri  de  toute  gêne. 
Cependant,  l'isolement  ne  permit  pas  à  Ileuschling  de  tirer  parti  des 
connaissances  qu'il  avait  amassées  pendant  de  longues  années  avec  un  la- 
beur infatigable  :  voulant  trop  embrasser  dans  ses  études  journalières, 
il  ne  lui  fut  pas  donné  d'atteindre  au  but,  d'obtenir  un  autre  fruit  que  la 
satisfaction  d'avoir  exercé  noblement  jusqu'au  bout  de  son  existence  ses 
forces  intellectuelles.  S'il  n'a  pu  se  rendre  utile  plus  longtemps  dans  l'en- 
seignement supérieur,  s'il  n'a  point  laissé  quelque  ouvrage  marquant 
comme  le  résultat  principal  de  ses  patientes  investigations,  il  a  eu  en  cela 
le  sort  d'un  grand  nombre  d'esprits  indépendants  et  oiiginaux,  que  l'his- 
toire des  lettres  nous  montre  jetés  par  les  événements  hors  de  la  vore  où 
ils  étaient  appelés  à  rendre  de  véritables  services.  D'ailleurs,  il  faut  tenir 
compte  des  malheurs  domestiques  qui  ont  pu  réagir  sur  le  caractère 
d'Élienne  Ileuschling  \  en  le  séquestrant  de  la  société,  en  l'isolant  des 
membres  même  de  sa  propre  famille,  en  le  poussant  à  une  vie  solitaire 
et  rêveuse  où  venait  s'absorber  la  meilleure  activité  de  son  esprit.  Devenu 
depuis  longtemps  indifl^érent  aux  relations  scientiliques  qu'il  avait  nouées 
naguère,  il  avait  laissé  se  disperser  peu  à  peu  la  bibliothèque  qui  avait 
servi  aux  travaux  de  toute  sa  vie,  et,  réduit  à  des  soins  mercenaires,  il 
s'était  dépouillé  sans  prévoyance  d'une  assez  bonne  partie  de  ses  res- 
sources personnelles.  C'est  le  29  août  1847  qu'Etienne  Heuschling  est 
mort  à  Bruxelles,  à  l'âge  de  85  ans  "-,  après  avoir  repris,  dans  les  jours 
de  sa  dernière  maladie,  toute  l'ardeur  et  tout  l'enthousiasme  de  la  jeu- 
nesse au  sujet  des  éludes  qui  avaient  été  sa  première  passion. 

pror-sswir  le  la  ficiiUé  de  phil  )snph:e  à  l'Université,  M.  G.  J.  Bekker,  qui  publia,  à  cette  occasion, 
une  granimaire  élénienlaire  destinée  exclusivement  à  l'usage  des  élèves  :  Rudimenla  Hnyiiae  lie- 
braïcae  ad  usiim  lUainnorum  coll.  philos.  (Louvain,  182(5,  p.  168,  in-8°). 

'  Il  avait  épouse,  le  14  ventôse  an  VI,  Catherine  Vandeisanden,  de  Bruxelles,  dont  il  eut  deux 
enfants  mâles,  Charles  et  Romain ,  décédés  en  bis  .âge,  et  qui  ne  leur  siirvécul  pas  longtemps. 

-  Une  notice  nécrologique  a  été  insérée  dans  Yliidépenduiice  belge  peu  de  juuis  après,  el  elle  a 
été  reproduite  en  grande  partie  dans  le  Journal  de  l'iiutniction  publique,  111""  année,  ô°"^  livr. 
S.jptenibre  1847,  p.  '2 16. 

Tome  \XM11.  38 


288  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

On  ne  sait  ce  que  sont  devenus  la  plupart  des  manuscrits,  fruit  des 
longs  travaux  de  Heuschling  :  il  en  aura,  selon  toute  apparence,  disposé 
de  son  vivant.  Quelques  traités  philosophiques  dont  il  avait  donné  le  ma- 
nuscrit à  l'un  de  ses  neveux,  M.  Joseph  Heuschling  ^  décédé  à  Bruxelles 
le  26  novembre  1856,  sont  tombés  depuis  lors  en  la  possession  d'un 
autre  de  ses  neveux,  frère  de  feu  Joseph,  M.  Xavier  Heuschling'^. 

Nous  dirons  ici,  comme  en  terminant  noire  précédente  notice  sur  la  per- 
sonne d'Etienne  Heuschling,  qu'il  a  donné  l'exemple  d'une  volonté  forte 
qui  persévère  dans  la  poursuite  d'un  même  but,  malgré  un  grand  nombre 
d'obstacles  extérieurs  :  il  avait  fait  preuve  d'un  esprit  heureusement  doué, 
d'une  grande  force  de  mémoire,  d'une  rare  puissance  de  réflexion  et  de 
combinaison  des  idées;  mais  il  lui  a  manqué  peut-être  un  certain  ordre 
dans  ses  travaux,  une  certaine  précision  dans  ses  recherches,  et,  faute 
d'un  juste  calcul  de  son  temps  et  de  ses  forces,  tant  de  précieuses  facultés 
qu'il  avait  en  partage  n'ont  pas  été  appliquées  par  lui  à  la  réalisation  d'oeu- 
vres utiles  et  durables. 

'  Joseph  Heuschling,  docleur  en  philosopliie  et  lettres,  atlaché  au  cabinet  du  Roi,  fut  profes- 
seur de  philosopliieau  Musée  des  sciences  et  belles-lettres  de  Bruxelles,  comme  suppléant  de  M.  Syl- 
vain van  de  Wever  jusqu'en  1834,  époque  où  cet  établissement  fut  remplacé  par  l'Université  libre. 

^  En  voici  les  titres  que  M.  Xavier  Heuschling  a  bien  voulu  nous  communiquer  :  1°  Examen 
analytique  de  l'ouvrage  intitulé  :  La  logique,  ou  les  premiers  développements  de  l'art  de  penser,  par 
l'abbé  de  Condillac,  94  pages  in-4°,  chargées  de  notes  d'une  écriture  très-compacte;  2°  Examen 
anahjt.et  critique,  etc.,  comme  ci-dessus,  218  pages  in-folio  d'une  écriture  également  serrée; 
ô"  Positiones  elementares  philosophiae  theoreticae,  cahier  in-folio.  Le  second  de  ces  manuscrits, 
qui  paraît  le  plus  important,  est  le  développement  du  premier  :  c'est  un  traité  ex  professa  contre 
la  philosophie  empirique  et  sensualiste,  et  plus  spécialement  une  réfutation  raisonnée  de  la  logique 
de  Condillac;  son  possesseur  actuel  se  proposait  naguère  de  le  livrer  à  la  publicité. 


DES  ÏROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  289 


CHAPITRE  IX. 

LES  ÉTUDES  LITTÉRAIRES  ET  PHILOLOGIQUES  AU  COLLEGE  DES 
TROIS-LANGUES  PENDANT  LE  XVI"'  SIÈCLE. 


Piiirm  habelit  quns  oppanat  Gmecinc 
(l'nÊDnt  ) 


Ce  n'est  pas  en  vain  qu'une  pensée  d'émulation  s'était  emparée  de  la 
jeunesse  de  nos  écoles  nationales,  au  commencement  de  ce  siècle,  où 
déjà  l'Italie  pouvait  s'enorgueillir  du  grand  nombre  de  ses  savants,  où 
elle  se  glorifiait  d'avoir  ravivé  les  monuments  du  génie  latin  et  d'avoir 
rallumé  le  flambeau  des  études  grecques.  Lorsque  l'institution  fondée  par 
Busleiden  et  patronée  par  Érasme  eut  organisé  un  enseignement  régulier 
des  trois  langues  savantes,  il  en  sortit  deux  générations  d'écrivains,  de 
philologues  et  d'érudits  qui  entrèrent  en  lice  et  revendiquèrent  leur  place 
dans  le  domaine  de  la  science  et  des  lettres  :  notre  pays  fut  alors  vengé 
autant  qu'aucun  des  pays  en  deçà  des  monts,  du  dédain  avec  lequel  les 
Italiens  l'avaient  traité  naguère;  sans  forfanterie,  il  avait  plus  d'un  auteur 
«  à  opposer  aux  auteurs  célèbres  de  la  Grèce.  » 

Le  XVI""=  siècle,  dont  l'histoire  littéraire  s'ouvre  par  le  triumvirat 
d'Érasme,  de  G.  Budé  et  de  Vives  ^,  se  termine  par  le  règne  d'un  autre 
triumvirat,  formé  par  les  noms  de  Juste  Lipse ,  de  Joseph  Scaliger  et 
(ïlsaac  Casaitbon;  dans  l'un  comme  dans  l'autre,  un  nom  qui  le  dispute  à 
tout  nom  rival  appartient  aux  Pays-Bas  :  Érasme  brille  dans  le  premier, 
Juste  Lipse  dans  le  second.  Elle  ne  fut  point  stérile  pour  la  saine  érudi- 
tion, pour  l'avancement  des  études,  pour  la  formation  et  la  diffusion  du 
bon  goût  dans  les  lettres,  cette  école  qui  a  fleuri  dans  la  vieillesse  d'Érasme 
et  qui,  moins  de  cent  ans  après,  a  produit  le  grand  Lipsius,  idole  de  son 

'  Nous  nous  sommes  aUaclié  it  fiiire  ressorlir  rinfliieni  e  d'Éi  asme  sur  les  éludes  grecques  en  Bel- 
gique :  on  sait  que  lUidé,  son  ami,  fut  le  restaurateur  principal  des  mêmes  études  en  France.  C'est 
ce  qui  fait  l'objet  de  VEssai  historique  de  M.  D.  Rebitté  sur  (Guillaume  Budé  (Paris,  1846,  in-8°). 


290  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

époque.  Ce  premier  siècle  du  collège  des  Trois-Langues  est  cerlainement 
glorieux  pour  l'Université  qui  l'a  vu  naître  dans  son  sein  et  grandir  rapi- 
dement; pour  la  Belgique,  qui  a  été  éclairée  la  première  par  ses  travaux. 
L'histoire  de  ce  collège  ne  peut  être  séparée  de  l'histoire  des  études  de 
philologie  et  de  littérature  qui  ont  alors  prospéré  sur  viotre  sol  plus  qu'en 
aucun  autre  temps;  on  dirait  même  qu'elle  en  est  le  fondement.  Dans  les 
deux  siècles  suivants,  l'institution  déchoit  sans  cesse,  et  au  bout  d'un  terme 
de  trois  cents  ans  environ ,  elle  semble  n'être  plus  que  l'ombre  d'elle-même. 
Nous  serons  bref  forcément  en  esquissant  cette  dernière  partie  de  ses 
annales;  mais  on  nous  autorisera  sans  doute  à  parler  louguement  des 
services  qu'elle  a  rendus  à  l'instruction  dans  cette  période  de  splendeur 
qui  a  suivi  de  près  sa  fondation. 

Nous  insisterons  d'autant  plus  sur  les  faits  qui  composent  l'histoire  du 
collège  de  Busleiden  au  XVl"""  siècle,  qu'ils  fournissent  le  mieux  les  élé- 
ments du  travail  de  synthèse  qui  doit  terminer  cette  monographie;  car 
c'est  alors  principalement  que  le  collège  des  Trois-Langues  a  exercé  une 
influence  incontestable  «  sui-  le  développement  de  la  littérature  classique, 
ainsi  que  sur  l'étude  des  langues  orientales.  »  Les  questions  et  les  ren- 
seignements historiques  se  présentent  sur  ce  terrain  en  si  grand  nombre, 
que  nous  ne  balançons  pas  à  en  répartir  l'exposé  en  deux  chapitres  :  lun 
qui  fera  connaître  l'état  des  études,  le  genre  et  la  portée  des  travaux, 
l'action  prépondérante  de  quelques  hommes;  l'autre  qui  mettra  en  lumière 
les  résultats  remarquables  que  l'enseignement  du  collège  a  produits  dans 
la  Belgique  et  au  dehors. 

Nous  donnerions  à  ce  premier  chapitre  une  étendue  démesurée,  si  nous 
nous  piquions  de  rendre  compte  de  toutes  les  particularités  dignes  d'intérêt 
qui  appartiennent  au  sujet;  mais  dans  une  matière  historique  si  abondante, 
nous  ferons  choix  des  choses  qui  offrent  le  plus  d'importance  en  elles- 
mêmes,  et  qui  tirent  aussi  quelque  prix  de  la  comparaison  qui  peut  être 
établie  avec  les  annales  littéraires  d'autres  pays  dans  la  même  période. 
Le  second  siècle  de  la  Renaissance  présente  partout  à  l'histoire  une  riche 
moisson  de  faits  et  d'observations  :  nous  arrêterons  notre  attention  de  pré- 
férence sur  les  tentatives  et  les  œuvres  qui  ont  été  couronnées  d'un  succès 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  29i 

marqué  en  Belgique.  Les  chapitres  précédenls  ont  donné  aux  lecteurs  une 
idée  du  régime  intérieur  du  collège  de  Busleiden,  et  une  connaissance 
préalable  de  la  vie  et  des  travaux  des  hommes  qui  y  ont  enseigné  les  lan- 
gues latine,  grecque  et  hébraïque;  dans  celui-ci  comme  dans  les  suivants, 
nous  n'avons  plus  à  parler  que  des  seuls  professeurs  qui  ont  exercé  une 
action  décisive  par  leur  enseignement  sur  le  progrès  des  études,  ou  qui  ont 
contribué  par  des  œuvres  originales  à  imprimer  une  impulsion  particu- 
lière à  la  grammaire  et  aux  belles-lettres. 

La  première  question  qu'il  nous  importe  de  traiter  en  cet  endroit,  c'est 
celle  du  choix  des  auteurs,  qui  présente  beaucoup  d'intérêt  sous  le  point 
de  vue  de  l'histoire  aussi  bien  que  sous  celui  de  la  pédagogie.  Il  est  cu- 
rieux de  constater  de  quels  textes  grecs  et  latins  on  a  fait  usage  dans 
les  leçons  du  collège  des  Trois-Langues,  et  de  quelle  espèce  d'études  et 
d'exercices  ils  ont  été  l'objet.  A  l'époque  où  il  fut  ouvert,  les  humanistes 
n'avaient  encore  à  leur  disposition  qu'un  nombre  limité  d'auteurs,  et  les 
maîtres  ne  pouvaient  établir  de  sitôt  une  sorte  de  programme,  fixant 
l'ordre  dans  lequel  ils  seraient  lus,  et  accordant  aux  meilleurs  la  plus 
large  part  dans  les  lectures  et  les  explications  de  la  classe.  Bien  des  fois 
on  accueillit  avec  faveur  des  écrivains  anciens  qui  venaient  d'être  publiés, 
avant  qu'un  rang  leur  fût  assigné  parmi  les  monuments  littéiaires  de  la 
même  langue,  et  bien  des  fois  on  continua  à  lire  et  à  commenter  publi- 
quement des  auteurs  latins  ou  grecs  qui  avaient  été  mis  à  l'étude  dans  les 
leçons  privées  des  pédagogies  de  l'Université. 

Les  premiers  professeurs  du  collège  de  Busleiden,  leurs  confrères  et 
leurs  amis,  qui  cultivaient  de  même  les  lettres  anciennes,  ont,  sans  aucun 
doute,  admis  dans  le  cercle  de  leurs  études  la  plupart  des  écrivains  an- 
ciens, païens  et  chrétiens,  qui  étaient  à  peine  sortis  des  presses  des  im- 
piimeurs  les  plus  vantés  :  elle  était  devenue  vaste  en  peu  d'années,  cette 
collection  de  classiques,  connus  et  lus  en  Belgique  dans  la  première  moitié 
du  XYI""^  siècle.  Mais  il  y  a  lieu  de  rechercher  sur  le  texte  de  quels  ou- 
vrages était  mis  en  pratique  l'enseignement  de  la  grammaire  grecque  et 
latine,  quel  compte  on  tenait  du  contenu  de  ces  ouvrages  et  aussi  de  la 
difficulté  de  leur  diction  et  de  leur  style;  on  est  amené  à  examiner  en 


292  MEMOIRE  SLR  LE  COLLEGE 

même  temps  quels  écrivains  chrétiens  ont  été  lus  et  expliqués  dans  le 
même  but,  et  dans  quelle  mesure  ils  ont  été  employés  par  les  professeurs 
en  concurrence  avec  les  écrivains  de  l'antiquité  profane  ^ 

Adrien  Barland,  qui  avait  enseigné  les  lettres  auparavant  à  Louvain,  et 
qui  fut  le  premier  des  professeurs  de  latin  au  collège  des  Trois-Langues , 
nous  a  laissé,  dans  une  épître  adressée  à  un  autre  humaniste,  Guillaume 
Zagara  -,  ses  opinions  et  ses  vues  sur  la  direction  des  études  d'humanités  : 
nous  en  extrairons  quelques  détails  relatifs  aux  études  de  littérature  latine. 
C'est  d'Aide  Manuce  et  de  J.  Despautère  que  tout  maître  tirera  le  mieux  les 
préceptes  essentiels  de  la  langue;  il  les  choisira  avec  discernement  dans 
leurs  ouvrages  fondés  sur  ceux  des   ancienis  grammairiens. 

En  vient-il  d'abord  aux  poètes  latins,  Barland  se  montre  tout  autrement 
sévère  qu'il  ne  l'a  été  naguère,  alors  qu'il  favorisait  l'étude  et  la  représen- 
tation des  pièces  de  Plante,  et  qu'il  composait  à  cet  effet  des  prologues^. 
La  lecture  de  Térence  serait  faite  utilement  en  premier  lieu,  parce  que 
sa  latinité  est  pure,  et  que  le  ton  familier  qui  règne  dans  ses  pièces  rap- 
proche son  langage  de  celui  de  la  conversation  dans  la  vie  ordinaire.  Cette 
raison  donnée  à  l'étude  de  Térence  est  sans  doute  la  meilleure ,  et  elle 
explique  en  partie  la  prérogative  accordée  alors  à  ce  poète  d'être  manié 
et  appris  dans  les  classes.  Mais  Barland  ne  s'en  tient  pas  là  :  il  allègue 
ouvertement  en  faveur  du  même  poète  que  c'est  le  plus  chaste  des  comi- 
ques, et  que  les  mœurs  des  jeunes  gens  n'ont  rien  à  en  redouter.  Quant  à 
Plante,  cette  fois  il  proteste  contre  son  introduction  dans  les  écoles,  parce 
qu'il  rapporte  des  traits  honteux,  et  parce  qu'il  se  sert  d'une  diction  vieillie, 
tombée  en  désuétude  '*. 

'  Nous  n'avons  pas  à  poursuivre  spécialement  ici  ce  dernier  point  de  recherches,  qui  a  Irait  aux 
questions  débattues  avec  chaleur  dans  ces  dernières  années;  mais  des  données  historiques  de  quel- 
que poids  ressorliront  de  nos  aperçus. 

2  Deralione  sludii.  —  Hislorica,  pp.  276-79.  — Cette  épître,  qui  ne  porte  pas  de  date,  paraît  avoir 
été  écrite  quand  déjà  Barland  avait  acquis  beaucoup  d'expérience  dans  renseiE;nement  :  s'il  n'était 
jiUis  professeur  au  collège  des  Trois-Langues,  il  parle  d'études  qui  lui  étaient  communes  avec  ceux 
qui  y  enseignaient.  Voir  ci-dessus,  pp.  131,  140-42. 

*  Voy.  plus  haul ,  chapitre  V,  pp.  1 18-21. 

*  Ijai'Iand,  qui  n'avait  pas  toujours  pensé  ainsi,  dit  en  cet  endroit:  Nom  Plaulus  el  fuedn 
recensée,  el  obsolHo  ulilur  diceudi  yenere,  quod  me  qiiidem  nuiiquam  magnopere  cepit.  —  l'rofesseur 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  295 

Piaule  est-il  exclu  des  collèges,  Térence  y  sera  toléré  pour  servir  d'ini- 
tiateur à  la  connaissance  de  la  poésie.  Puis  vient  immédiatement  le  tour 
de  Virgile  «  le  meilleur,  le  plus  chaste  des  poètes  latins  » ,  celui,  dit  Bar- 
land,  que  saint  Jérôme  et  saint  Augustin  ont  beaucoup  feuilleté,  et  même 
expliqué  à  d'autres.  Ici,  faisant  allusion  au  désir  qu'auraient  des  maîtres 
pieux  de  joindre  à  Virgile  Prudence  et  Baptista  Mantuanus,  Barland  dit 
que,  chrétien  lui-même,  il  ne  réclame  pas  contre  une  telle  pratique,  et 
qu'il  admire  beaucoup  ces  poètes  chrétiens  doués  d'un  esprit  vif  et  nourri 
d'idées  élevées  K  A  Virgile  succéderait  Horace,  dont  on  lirait  surtout  les 
épîtres ,  et  dont  on  prendrait  des  odes  choisies  :  Juvénal  et  Martial  seraient 
écartés  comme  ayant  peint  avec  trop  de  naturel  des  mœurs  infâmes. 

Quand  Barland  passe  des  poètes  aux  prosateurs,  il  donne  la  première 
place  à  Cicéron,  qui  a  parcouru  toutes  les  régions  de  l'éloquence  et  qui 
se  distingue  en  toutes  choses  par  la  plus  heureuse  facilité.  Des  trois  histo- 
riens qu'il  désigne  ensuite,  il  loue  davantage  le  premier,  Jules  César,  dans 
les  Commentaires  duquel  le  discours  est  coulant  et  plein  de  douceur,  la 
pureté  du  langage  latin  toujours  admirable;  le  second,  Salluste,  n'est  pas 
inutile  à  connaître,  quoiqu'il  soit  novateur  dans  l'usage  des  mots  plus  que 
ne  devrait  l'être  un  Piomain  ;  Tite-Live  est  un  auteur  d'un  grand  poids; 
mais  il  semble  pécher  par  le  défaut  d'être  obscur,  et  c'est  un  motif  de  ne 
pas  le  proposer  à  l'étude  de  la  jeunesse.  Parmi  les  anciens,  Pline  et 
Cicéron  seront  ensuite  les  modèles  du  style  épistolaire,  comme  parmi  les 
modernes  l'italien  Philelphe.  Barland  dirige  ici  la  critique  la  plus  vive  con- 
tre Apulée  à  cause  de  l'estime  dans  laquelle  bien  des  hommes  le  tenaient  : 
non-seulement  il  l'écarté  pour  l'immoralité  de  son  sujet-;  mais  encore  il 


d'éloquence,  Barland  s'occupa  encore  deTérencc,  et  nn  de  ses  élèves,  Reyniarius,  pnhlia  des  gloses 
sur  ce  poète  recueillies  dans  ses  leçons.  Voy.  la  liste  des  travaux  d'Adr.  Barland,  Pièces  juslif., 
lettre  II.         . 

'  Voici  les  termes  dans  lesquels  Barland  fait  cette  déclaration  :  Hnic  si  quis  pietalis  amore, 
Prudmliiim,  ac  Baptistam  Maiittuimtm  piitetmidendos,  eqiddem  non  reclumo  qui  chrixlianus  H  vivi- 
pci  lavacri  mijsleriis  inUiuUis,  Christianos  poêlas  non  modo  nonconlemno.  sed  etium  vehemenler 
admiror;  fuisse  enim  ulerquc  vidctur  peracri  imjenio  et  doclrina  exiinia. 

-  Revenant  peu  après  sur  les  auteurs  dont  il  a  déconseillé  la  lecture  dans  les  cours  d'humanités, 
Barland  prévient  l'objection  qu'on  tirerait  de  l'exemple  de  saints  personnages  et  de  grands  théo- 


294  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

blâme  sa  diclion  recherchée,  qui  entraînera  ses  imitateurs  à  tous  les  dé- 
fauts d'un  style  pompeux  et  enflé.  A  cette  revue  des  auteurs,  il  ajoute  des 
conseils  fort  sages  sur  le  genre  de  travaux  et  d'exercices  qui  formera  le 
mieux  l'humaniste  à  la  connaissance  du  latin  et  à  l'art  de  l'écrire,  et  qui 
le  préparera  à  la  dialectique  et  aux  sciences. 

Tout  ce  programme  tracé  par  Barland,  et  dont  nous  venons  d'analyser 
quelques  passages  seulement,  a  de  l'importance  dans  la  question  qui  nous 
occupe,  et  cela  sous  un  double  rapport  :  cai-,  il  ne  semble  pas  douteux 
que  ses  vues  n'aient  été  partagées  par  la  plupart  de  ses  anciens  confrères 
des  collèges  académiques  de  Louvain,  ainsi  que  par  ceux  qui  ont  enseigné 
tout  d'abord  aux  Trois-Langues.  On  reconnaissait  à  celte  époque  le  besoin 
de  choisir  les  auteurs  et  de  les  classer  de  manière  à  ce  que  les  jeunes  gens 
puisassent  à  la  fois  les  règles  de  la  langue  et  les  préceptes  du  goût  dans 
les  ouvrages  qui  seraient  principalement  l'objet  des  leçons  :  évidemment 
celte  tâche  de  bien  choisir  les  livres  était  un  des  premiers  devoirs  des 
hommes  appelés  à  fonder  l'enseignement  des  lettres  anciennes,  et  nous 
verrons  quel  mérite  en  est  revenu  aux  maîtres  les  plus  renommés  de  l'in- 
stitution de  Busleiden. 

D'un  autre  côté,  les  philologues  les  plus  zélés  ont  bien  compris  tout  ce 
qu'il  fallait  de  prudence  et  de  discernement  dans  l'élude  des  anciens,  en 
présence  de  la  défiance  et  de  l'opposition  qui  se  manifestaient  autour 
d'eux  :  maîtres  chrétiens,  ils  se  sont  gardés  d'expliquer  publiquement  sans 
distinction  des  classiques  grecs  et  latins  que  l'imprimerie  répandait  de 
plus  en  plus,  et  ils  ont  mis  une  sage  réserve  dans  la  manière  de  commenter 
les  auteurs  de  leur  choix. 

Nous  ne  pouvons  que  rappeler  ici  les  éloges  qu'Érasme  a  donnés  aux 
professeurs  des  Trois-Langues  pour  avoir  pratiqué  ses  avis  formels  en  cette 
matière^,  pour  avoir  interprété  les  anciens  avec  une  si  grande  chasleié 

logii'us  qui  ont  lu  ces  mêmes  auteurs;  il  est  persuadé  qu'aucun  îles  anciens  lliéologiens  n'ignorail 
h  poétique;  mais  il  considère  le  péril  qu'il  y  a  pour  des  esprits  non  foiniés  d'appiendre  à  combultie 
désormais  plus  faiblement  des  vices  décrits  avec  tant  d'élégance.  Probablement  des  abus  avaient 
été  signalés  <lans  nos  écoles  quand  Darland,  dés  la  première  moitié  du  XV!'  siècle,  faisait  ces  ré- 
serves au  sujet  des  anciens,  (|iii  avaient  été  lus  par  tous  si  avidement. 
'   Vov'.  plus  haut,  chapitre  111,  pp.  58,  62,  79  et  89. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  295 

de  langage  qu'aucun  grief.sérieux  ne  s'était  élevé  contre  eux  de  ce  chef. 
Ces  hommes  accomplissaient  leur  mission,  sans  s'inquiéter  des  cris  du 
dehors,  et,  irréprochables  eux-mêmes  dans  leur  conduite,  ils  savaient  con- 
tenir dans  de  justes  bornes  l'ardeur  des  jeunes  gens  pour  les  études  nou- 
velles oîi  ils  les  guidaient. 

La  jeunesse  qui  fréquentait  leurs  leçons  était  assidue,  appliquée, 
persévérante  et  toujours  grave.  La  sagesse  des  maîtres  et  des  élèves,  à  une 
époque  où  si  peu  d'hommes  restaient  dans  la  juste  mesure,  était  un  spec- 
tacle fort  beau  sans  doute,  et  bien  fait  pour  valoir  aux  uns  et  aux  autres 
la  sympathie  et  l'admiration  d'Érasme  :  il  voyait  en  1520  *  la  jeunesse, 
méprisant  les  «  coassements  »  de  l'ignorance,  concourir  avec  enthousiasme 
à  un  mouvement  littéraire  qui  tendait  au  perfectionnement  de  toutes  les 
sciences;  il  apercevait  dans  les  savants  qui  la  dirigeaient  avec  une  si  grande 
fermeté  de  caractère  et  de  vues,  une  telle  retenue  dans  leurs  paroles  et 
dans  leurs  leçons,  qu'ils  devaient  se  concilier  bientôt  la  faveur  des 
hommes  d'intelligence  et  de  cœur. 

Quand  on  considère  la  destination  des  leçons  de  latin  au  collège  des 
Trois-Langues,  ou  dans  tout  autre  établissement  de  Louvain,  on  ne  peut 
oublier  non  plus  les  nombreuses  applications  que  recevait  à  cette  époque 
la  connaissance  de  cette  langue ,  dans  toutes  les  sciences  alors  cultivées  et 
dans  toutes  les  carrières  libérales  :  il  va  de  soi  que  les  maîtres  qui  étaient 
chargés  de  son  enseignement  ne  perdaient  pas  de  vue  que  la  lecture  des 
auteurs  n'était  qu'un  moyen  pour  la  plupart  de  leurs  élèves;  c'est  ce  qui 
donna  une  direction  plus  pratique  à  la  leçon  de  latin  qu'aux  deux  autres 
leçons,  même  pendant  le  premier  siècle  du  collège.  Sans  apporter  ici  des 
preuves  détaillées  de  la  popularité  du  latin  dans  la  vie  publique  aussi  bien 
que  dans  les  écoles,  nous  montrerons  suffisamment  les  longs  efforts  que 
réclamait  la  culture  de  l'ancienne  langue  de  Home,  comme  organe  uni- 

'  Letlic  à  Gocleniiis.  Bruges,  12  aoùl  1520  (Episl.,  t.  1,  p.  569):  Félix  jiwentiis  nostra  qnaeiu 
hocseculun  uidikrU....  Quo  magis  obslrepunl  ci ^y-py-x^  ,  hoc  macjis  iic  maçiis  giiscll  ardorjuveniiw. 

spretis  illiteratis  lileris,  ad  meliora  grassantmm llitid  in  primis  mihi  semper  in  utroque  vestrum 

placuit,  quod  ni  mores  absunt  ab  omni  titrpitiuline,  iUi  casia  est  et  professio,  ncque  lasta  soluin  ,  ve- 

riim  etiam  modesta.  Qiiidenim  sensuri  suni  cordaliviri,  quuni  audient  Lovanii  poelices  ac  rhelorices 

professionem  nec  obscoenitatis  habere  quicqnam,  née  maledicenliae,  etc.  Cfr.  Ep.,  p.  634.  Basil.,  1 52 1 . 

Tome  XXVIIl.  39 


296  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

versel  des  hommes  éclairés,  comme  instrument  des  relations  scientifiques 
ou  littéraires.  La  connaissance  des  classiques  anciens  et  le  désir  de  les 
imiter  élargirent  de  beaucoup  le  domaine  de  l'idiome  latin  qui  avait  suffi 
aux  besoins  intellectuels  des  siècles  antérieurs  :  les  latinistes  des  Pays-Bas, 
comme  ceux  de  l'Italie,  en  vinrent  presque  aussitôt  de  la  publication  et  de 
la  critique  des  textes  à  la  création  d'une  nouvelle  littérature  latine,  dont 
les  formes  furent  calquées  en  partie  sur  celles  de  l'antiquité.  Les  langues 
vulgaires  ne  purent  le  disputer  alors  à  la  langue  privilégiée  des  classes 
élevées,  au  latin,  qui  recevait  du  public  lettré  et  de  l'opinion  générale  la 
confirmation  de  ses  droits  de  primauté  :  on  revendiquait  pour  elle  les  com- 
positions légères  comme  les  œuvres  sérieuses,  et  on  lui  demandait  l'idéal 
de  l'urbanité  et  de  l'élégance,  quand  on  voulait  parler  ou  écrire  pour  les 
gens  instruits,  converser  ou  exposer  en  prose,  badiner  ou  chanter  en  vers. 

S'il  y  eut  un  genre  de  composition  où  nos  latinistes  ont  calqué  de  près 
le  style  des  anciens,  ce  fut  bien  cette  poésie  latine  de  toute  longueur,  de 
toute  mesure,  qui  occupa  tant  d'esprits  distingués,  et  qui  trouva  une  si 
grande  faveur  en  dehors  des  classes  et  loin  du  cabinet  des  savants.  En  Bel- 
gique  comme  en  Italie,  la  poésie  latine  fut  un  champ  de  rivalité  pour  les 
modernes  avec  les  anciens  ',  et  bien  des  hommes  qui  se  sentaient  de  la 
verve  et  de  l'inspiration  s'y  évertuaient  exclusivement,  pleins  de  dédain 
pour  l'une  ou  l'autre  des  langues  nationales. 

L'histoire,  réduite  encore  à  la  forme  de  chroniques,  continua  à  être 
écrite  en  latin;  mais  ce  ne  fut  qu'au  bout  d'un  siècle  que  l'étude  des  his- 
toriens de  Rome  donna  à  nos  annalistes  une  idée  plus  élevée  de  la  science 
qu'ils  traitaient  2,  et  leur  communiqua  l'art  de  l'exposition  et  les  qualités 
sévères  du  style  historique. 

De  tous  les  genres  de  composition  en  prose  qui  jouirent  alors  des  suf- 
frages de  l'opinion,  YÉpUre  et  le  Dialogue  furent  certainement  les  plus  culti- 
vés et  les  plus  favorisés. 

'    Vov.  Heeren,  Gesch.  cler  ctass.  Literattir  in  Mittelaller,  B.  Il,  p.  329. 

-  Les  Italiens,  qui  avaient  déjà  au  XV"'<^  siècle  écrit  l'histoire  à  Timitation  des  anciens,  avaient 
pris  trop  de  soin  de  la  forme  et  amassé  les  faits  sans  discernement.  Voy.  Heeren,  ibid..  t.  11. 
pp.  ô4j-3-i6. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUV  AIN.  297 

L'épistolographie,  dans  laquelle  on  se  piquait  de  suivre  l'exemple  et  le 
goût  des  anciens,  prit  bientôt  des  proportions  considérables;  c'est  dans  ses 
recueils  que  nous  trouvons  l'échange  des  idées  et  des  vues  qui  se  faisait 
alors  avec  une  étonnante  activité  entre  toutes  les  écoles,  entre  tous  les 
centres  d'études.  Les  habitudes  et  les  relations  des  savants,  les  travaux  de 
l'enseignement,  l'influence  et  les  progrès  incessants  des  lettres  y  sont  re- 
tracés comme  dans  un  tableau  vivant  et  animé.  Le  caractère  des  hommes, 
les  vertus  et  les  passions  du  temps  y  sont  exprimés  avec  naturel  et  vérité, 
dans  un  langage  familier,  qui  prend  quelquefois  les  grâces  et  l'élégance, 
l'ironie  et  le  mordant  des  prosateurs  anciens.  Malgré  la  renommée  des 
latinistes  de  l'Italie  dans  le  genre  épistolaire  ',  les  humanistes  des  Pays-Bas 
atteignirent  bientôt  un  si  haut  mérite  en  ce  genre,  que  leurs  lettres  réunies 
et  publiées  bien  des  fois  furent  lues  avec  avidité  dans  toute  l'Europe. 
Érasme  leur  avait  donné  un  exemple  qui  profita  à  beaucoup  d'entre  eux, 
et  vers  la  fin  du  même  siècle,  l'épistolographie  représentée  par  Juste  Lipse, 
André  Schott  et  tant  d'autres,  assura  longtemps  à  nos  écoles  d'érudition 
et  de  critique  le  maintien  de  leur  premier  empire. 

Le  dialogue  latin  partageait  dans  la  même  période  les  honneurs  faits  à 
l'épître  :  il  consacrait,  avec  l'imitation  du  style  des  prosateurs  classiques, 
celle  d'un  eenre  dont  les  deux  littératures  anciennes  offrirent  bien  des 
modèles;  il  admettait  la  manifestation  des  opinions  de  l'époque,  et  en 
comportait  même  une  discussion  aussi  animée  que  celle  qui  avait  lieu  dans 
la  vie  réelle.  Les  dialogues  qui  furent  écrits  par  une  foule  d'humanistes, 
à  l'envi  de  ceux  d'Érasme,  étaient,  comme  les  épîtres,  des  travaux  de 
cabinet,  dont  la  minute  était  soigneusement  revue  et  bien  des  fois  corrigée. 
Qu'on  ajoute  à  ces  deux  espèces  de  productions  les  discours  académiques, 
les  déclamations  de  morale  et  de  politique,  les  oraisons  funèbres,  on  aura 
une  idée  de  la  variété  des  matières  sur  lesquelles  s'exerçait  le  talent  de 
quiconque  se  sentait  le  goût  d'écrire  en  latin. 

L'autorité  de  quelques  œuvres  de  la  nouvelle  latinité  parut  si  grande, 
qu'on  les  prit  quelquefois  pour  texte  des  leçons  de  grammaire  et  de  philo- 

'  Voy.  Heeren ,  op.  cil ,  t.  Il,  pp.  328-329. 


298  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

logie;  si  on  avait  lu  en  Italie  et  en  Europe,  comme  productions  classi- 
ques les  lettres  de  Philelphe,  celles  d'Érasme  eurent  la  même  prérogative 
dans  les  Pays-Bas,  et  des  philologues  estimés,  tels  que  Barland,  firent  à 
Louvain  même  des  extraits  de  ses  traités  les  plus  célèbres  à  l'usage  des 
classes  ^  Le  service  éminent  que  rendit  Erasme  aux  latinistes  du  BeUjimn, 
c'est  celui  de  les  avoir  préservés  de  cette  tendance  qui  avait  prévalu  en 
Italie,  touchant  l'imitation  exclusive  de  Cicéron  :  il  leur  fit  sentir  le  prix 
des  autres  auteurs  classiques  pour  mettre  en  œuvre  toutes  les  ressources 
de  la  bonne  latinité ,  et  il  donna  l'exemple  d'un  sage  éclectisme  dans  l'étude 
et  l'imitation  des  anciens.  En  retraçant,  dans  un  dialogue  célèbre,  le 
Ciceroniamis ,  la  querelle  qui  divisait  alors  les  humanistes  dans  toute  l'Eu- 
rope, et  en  critiquant  les  prétentions  de  Chr.  Longolius  ou  Longueil.  il 
a  donné  de  justes  éloges  à  ceux  de  nos  philologues  qui  s'étaient  tenus 
dans  de  justes  bornes,  qui  avaient  atteint  à  une  élégance  toute  cicéro- 
nienne,  sans  s'asservir  à  l'emploi  des  seules  expressions  de  Cicéron  :  sans 
nul  doute,  il  a  ainsi  maintenu,  chez  ceux  qui  ont  enseigné  de  son  temps 
et  après  lui,  des  idées  saines  qui  sont  entrées  dans  leur  méthode  et  dans 
leurs  livres,  et  grâces  auxquelles  nos  écrivains  se  sont  gardés  fort  long- 
temps de  tout  excès.  Le  sens  droit  qui  fut  en  partage  aux  uns  et  aux 
autres  donna  raison  à  la  sagacité  de  sa  critique. 

Les  professeurs  de  latin  du  collège  des  Trois-Langues  restèrent  dans 
la  voie  qui  leur  était  tracée  par  les  opinions  et  par  les  écrits  non-seule- 
ment d'Érasme  et  de  Vives,  mais  encore  de  Dorpius,  de  Barland  et  des 
humanistes  de  la  même  génération.  Goclenius,  qui  vit  accourir  à  ses  leçons 
pendant  tant  d'années  la  jeunesse  de  Louvain^,  donna  la  première  place 
à  Cicéron  parmi  les  auteurs  qu'il  commenta  publiquement;  il  lut  tour  à 
tour  la  plus  grande  partie  de  ses  discours  et  de  ses  traités;  il  composa 
même  sur  le  livre  de  Officiis,  des  annotations  critiques  dont  Érasme  tira 
parti  dans  deux  éditions  de  ce  livre  données  à  Bàle,  en  1555  et  en  1555^; 

*  Encore  en  1521,  Barland  a  publié  un  abrégé  des  Adages  d'Érasme,  chez  Th.  Martens.  {Bio- 
graphie ciléc,  n"  172.) 

-  Voy.  la  notice  biographique  sur  Goclenius,  au  chap.  VI,  n°  2,  pp.  143  el  suiv. 

-'  Dans  son  Historia  litleraria  Ciceronis,  le  savant  Orelli  cite  un  exemplaire  des  Officia,  revus  et 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  299 

mais  Goclenius  n'entraîna  personne  dans  une  admiration  exclusive  pour 
l'auteur  sur  lequel  il  s'était  livré  lui-même  avec  plus  de  soin  à  une  étude 
longue  et  approfondie.  Son  successeur,  Nannius,  parcourut  dans  ses 
leçons  un  cercle  plus  étendu  de  prosateurs  et  de  poètes  latins;  mais  parmi 
les  premiers,  il  comprit  toujours  Cicéron,  et  parmi  les  seconds,  il  lut 
de  préférence  Virgile  et  Horace;  enfin  Cornélius  Valerius,  qui  occupa  la 
chaire  de  latin  dans  la  seconde  moitié  du  même  siècle,  sut  baser  son 
enseignement  sur  une  étude  simultanée  de  Cicéron  et  de  Virgile,  sans 
proscrire  la  lecture  ou  l'imitation  des  écrivains  qui  peuvent  être  comparés 
avec  avantage  à  ces  maîtres  de  la  latinité.  La  méthode  de  Valerius  fut 
justifiée  par  un  double  succès;  elle  forma  d'excellents  latinistes  qui  bril- 
lèrent également  dans  des  écrits  fort  variés  par  leur  sujet,  et  elle  pro- 
duisit en  même  temps  une  école  de  critiques  qui  appliquèrent  au  choix 
des  leçons  et  à  la  correction  des  textes  une  connaissance  parfaite  du  génie 
de  la  langue  latine,  de  ses  élégances  et  de  ses  finesses.  Ce  ne  fut  point  la 
faute  de  Valerius,  s'il  y  eut,  par  exception  entre  ses  élèves,  quelques- 
uns,  même  des  plus  distingués,  qui  méconnurent  l'autorité  des  vrais  clas- 
siques latins  et  popularisèrent  d'autres  auteurs.  Mais  ce  sera  seulement 
dans  le  siècle  suivant  que  se  manifesteront  les  suites  funestes  de  cet  aban- 
don des  saines  doctrines  littéraires  qui  avaient  eu  si  longtemps  à  Louvain 
leur  foyer  au  collège  de  Busleiden. 

Recherchons  maintenant  ce  qui  s'est  fait  pour  l'enseignement  de  la 
langue  grecque.  Il  semble  que,  pour  cette  langue  bien  plus  encore  que 
pour  le  latin ,  on  s'attacha  tout  d'abord  à  quelques  ouvrages  un  peu  au 
hasard,  faute  de  posséder  la  série  des  meilleurs  auteurs  et  d'y  faire  un 
choix  avec  connaissance  de  cause.  Rescius  ,  comme  nous  l'avons  dit 
ailleurs  ' ,  put  se  méprendre  dans  les  premiers  temps  de  son  enseigne- 
ment sur  les  fruits  que  les  élèves  pouvaient  tirer  de  la  lecture  de  livres 

publiés  par  Érasme,  en  1520  (Basileae,  ail  pp.  in-4"),  conservé  à  Goeltingue  et  cliarç;é  de  notes 
manuscrites  de  Goclenius;  on  lit  à  la  table  :  Frobenius  Conrudo  Gocleiiio  doiio  (ledit ,  liic  vero  notis 
jihilosnphico-crilicis  copiosissimis  itiiistravit.  Voy.  Onomnsliam  Tiilliammi.  Fars  I,  Turici,  1856, 
pp.  344-345. 

'  Voy.  plus  haut,  chap.  VII,  n°  1,  pp.  203  cl  suiv. 


300  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

d'un  genre  irop  spécial  ou  trop  sérieux;  mais  il  ne  tarda  pas  à  reconnaître 
les  ressources  d'instruction  bien  plus  grandes  qu'ils  trouveraient  dans  des 
auteurs  d'un  abord  facile,  d'une  étude  agréable,  tels  que  Lucien  et  surtout 
Xénophon.  Si  Rescius,  comme  professeur,  manqua  de  discernement  ainsi 
que  d'assiduité,  il  ouvrit  l'accès  de  sources  fort  nombreuses  aux  plus  vigi- 
lants de  ses  auditeurs,  et  leur  fournit  les  armes  de  l'érudition.  Amerotius, 
qui  lui  succéda,  s'occupa  davantage  de  la  grammaire;  il  répara  les  lacunes 
que  le  manque  de  méthode  avait  laissées  dans  l'enseignement  de  Rescius, 
grâces  à  l'expérience  qu'il  avait  acquise  en  professant  de  bonne  heure  le 
grec  au  collège  du  Lis.  Son  mérite  de  philologue  ressort  assez  de  son  beau 
travail  de  grammaire;  mais  on  ignore  quels  auteurs  il  a  expliqués  dans 
ses  leçons  publiques  au  collège  des  Trois-Langues.  On  ne  sait  non  plus 
rien  de  positif  sur  les  ouvrages  grecs  qui  furent  adoptés  après  lui  par 
Th.  Langius,  connaissant  fort  bien  lui-même  toutes  les  sources  publiées  à 
son  époque  :  on  ne  peut  que  conjecturer  qu'ils  ont  l'un  et  l'autre  donné 
place  dans  leurs  cours  à  des  écrits  de  la  littérature  grecque  profane  et  à 
quelques  traités  de  Pères  de  l'Église  grecque  *.  Le  nombre  des  auteurs  an- 
ciens, grecs  ou  latins,  lus  et  interprétés  dans  les  leçons,  fut  probablement 
limité,  soit  en  raison  de  la  méthode  adoptée  par  chaque  maître,  soit  eu 
égard  à  la  convenance  plus  ou  moins  grande  des  sujets  qu'on  voulait  étu- 
dier. Mais  il  faut  juger  en  même  temps  le  mouvement  littéraire,  issu  du 
collège  des  Trois-Langues,  d'après  les  travaux  de  philologie,  de  littérature 
et  de  critique  librement  accomplis  par  les  professeurs  qui  lui  appartenaient 
ou  par  des  érudits  qui  travaillaient  de  concert  avec  eux.  En  examinant  la 
série  de  leurs  ouvrages,  on  aperçoit  sans  peine  que  c'est  à  leur  initiative 
qu'ont  été  dus  en  grande  partie  l'accroissement  rapide  et  la  prospérité 
des  études  de  langues  et  d'érudition  anciennes  dans  la  Relgique  du  XVI"'" 
siècle.  Sur  cette  seconde  question,  les  faits  abondent  :  on  n'exigera  pas 
de  nous  autre  chose  qu'une  revue  sommaire. 

Il  est  impossible  de  séparer,  dans  cette  recherche,  les  professeurs  de 

'  Dans  la  période  de  leur  enseignement,  des  traductions  du  grec  en  latin ,  dont  il  va  être  question 
bientôt,  celles  de  Nannius,  \y,u-  exemple,  Juroiil  répandre  le  goût  d'entendre  expliquer  des  au- 
teurs chrétiens  à  côté  d'ouvrages  païens. 


DES  TROIS-LANGLES  A  LOUVAIN.  501 

Busieiden  de  leurs  protecteurs  et  de  leurs  amis  ,  et  même  de  l'artiste  intel- 
ligent et  désintéressé  qui  les  a  secondés  si  puissamment  par  ses  efforts 
personnels,  Thierry  Martens.  Nous  avons  indiqué  précédemment  les  heu- 
reux effets  du  concours  que  ce  premier  imprimeur  prêta  aux  travaux  de 
l'Université,  en  se  fixant  à  Louvain  au  commencement  de  ce  siècle  ^ 
C'est  maintenant  le  lieu  de  déterminer  sous  quel  rapport  il  concourut  à 
l'avancement  des  belles-lettres,  et  jusqu'à  quel  point  il  réalisa  les  projets 
littéraires  de  ses  savants  amis.  C'est  de  ses  presses  que  sortit  en  un  petit 
nombre  d'années  cette  série  considérable  d'éditions  grecques  et  latines,  qui 
étaient  le  fruit  des  veilles  de  quelques-uns,  mais  qui  devaient  servir  d'ali- 
ment aux  études  et  à  l'activité  d'un  public  tous  les  jours  plus  grand. 

Tout  ce  que  nous  savons  de  l'histoire  de  Martens  ^  nous  le  montre  en 
relation  d'intime  amitié  avec  les  humanistes  les  plus  actifs  de  Louvain,  et 
avec  quelques  fervents  amis  des  lettres  habitant  d'autres  villes.  S'il  rece- 
vait d'eux  des  conseils,  il  s'associait  à  leurs  espérances,  et  c'est  à  lui  seul 
qu'ils  ont  dû  bien  des  fois  la  publicité  de  leurs  travaux.  Les  uns,  faisant 
autorité  dans  la  science,  le  poussèrent  à  de  grandes  et  nouvelles  entre- 
prises; les  autres,  après  avoir  été  d'abord  les  correcteurs  de  ses  manu- 
scrits et  de  ses  épreuves,  préparèrent  eux-mêmes  des  publications  qui 
mirent  en  relief  son  imprimerie.  Érasme,  Dorpius,  Barland,  Rescius  et 
bien  d'autres^,  ont  contribué  de  bonne  heure  à  la  renommée  de  ses  ateliers, 
et,  quand  le  collège  des  Trois-Langues  fut  ouvert,  les  mêmes  hommes 
l'attachèrent  de  plus  en  plus  à  sa  cause,  qui  était  celle  des  langues  et  des 
lettres.  Dès  lors,  Martens,  admirateur  comme  eux  des  plans  de  ,1.  Bus- 
ieiden, fut  animé  d'un  vrai  sentiment  d'émulation  *,  et  il  ne  négligea  rien 
pour  associer  son  nom  aux  travaux  difficiles  de  la  nouvelle  école. 

Les  ouvrages  de  littérature  latine  publiés  par  Thierry  Martens  le  cèdent 
en  importance  à  la  collection  des  ouvrages  grecs,  dont  le  nombre  jusqu'ici 

'  Voy.  chap.  1,  §  II,  pp.  21-23. 

^  Le  1'.  van  Iscghem,  dans  la  Biographie  iéya  cilée,  en  a  rassemblé  et  discuté  les  circonstances 
connues,  dans  plusieuis  chapitres  qui  précèdent  la  bibliographie  de  ses  éditions. 

'  Voy.  la  Biorjraphiv  de  Th.  Martens,  pp.  90  et  suiv.,  pp.  t  12-1 41. 

''  Voy.  sa  préface  au  lecteur  en  lèle  d'un  recueil  d'opuscules  latins,  publié  en  novembre  1318. 
Bibliographie,  n°  130,  texte,  pp.  288-289.  Trad.  franc,  par  le  P.  van  Iseghem ,  pp.  137-138. 


->()2  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

connu ,  monte  à  plus  de  cinquante  volumes  :  cet  imprimeur  avait  déjà  fait, 
en  1612,  une  fonte  de  caractères  grecs;  mais  quand  l'ouverture  des  leçons 
lui  lit  présager  un  plus  grand  développement  de  l'étude  de  cette  langue,  il 
s'efforça  de  perfectionner  les  types  de  ses  caractères,  et  il  se  mit  à  impri- 
mer les  auteurs  classiques  avec  une  prodigieuse  activité  '.  Comme  c'est  sur 
l'avis  de  ses  doctes  amis,  et  sans  doute  avec  leur  concours,  qu'il  donna  à 
tous  ces  textes  une  correction  qui  égale  la  netteté  de  leur  exécution  typo- 
graphique, nous  pouvons  juger  facilement  du  vaste  cercle  des  ouvrages 
qui  occupaient  les  veilles  de  nos  philologues. 

De  la  connaissance  de  quelques  traités  de  Lucien,  naguère  traduits  par 
Érasme,  on  avait  passé  fort  rapidement  à  celle  des  auteurs  les  plus  célèbres 
de  la  littérature  grecque  :  on  les  lut  avec  avidité  dans  les  éditions  grecques 
de  Thierry  Martens,  qui  le  disputaient  en  valeur  aux  premières  éditions 
faites  en  Italie.  La  plupart  des  livres  et  des  dialogues  de  Lucien  furent 
publiés  successivement  à  Louvain;  l'Iliade  et  l'Odyssée  parurent,  en  1525, 
avec  tout  l'éclat  dont  l'art  était  capable;  des  tragédies  d'Euripide,  le  Plutus 
d'Aristophane,  les  Idylles  de  Théocrite,  les  Fables  d'Esope,  des  dialogues 
de  Platon,  plusieurs  des  traités  d'Aristote,  plusieurs  des  discours  de  Dé- 
mosthène,  l'histoire  d'Hérodien,  quelques  opuscules  moraux  et  historiques 
de  Plutarque,  la  Cyropédie  de  Xénophon  et  deux  autres  de  ses  ouvrages, 
virent  le  jour  avant  1529,  année  de  la  retraite  du  laborieux  typographe  à 
Alost,  sa  ville  natale.  Les  éditions  qu'il  avait  répandues  de  Louvain  dans 
tout  notre  pays,  satisfirent  la  juste  curiosité  que  les  lettres  grecques,  si 
peu  connues,  devaient  encore  exciter  à  cette  époque.  Versé  lui-même  dans 
les  langues,  Thierry  Martens  s'est  adressé  quelquefois  en  littérateur  à  son 
public  dans  la  préface  de  ses  éditions  ;  il  parle  de  l'essor  des  études  litté- 
raires et  de  l'enthousiasme  avec  lequel  la  jeunesse  les  poursuit;  il  va  même 
jusqu'à  faire  l'éloge  de  la  comédie  grecque,  et  donne  des  regrets  à  la 
perte  des  pièces  de  Ménandre,  dans  une  épître  dédicatoire  de  son  Plulufi 
(1518)  aux  étudiants  de  l'Académie  de  Louvain  -. 

'  Van  Isegheiu,  p|i.  104-106. 

-  Dans  la  Biographie,  le  P.  van  Isegliem  a  pris  soin  de  traduire  cette  piquante  épitre  (pp.  154- 
l.ia),  dont  il  donne  aussi  le  le.\te  latin  dans  la  descriplion  de  l'édition  du  Plutus,  pp.  279-280. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  303 

II  est  bien  juste  de  vanter  Thierry  3Iartens  comme  un  type  de  l'ancienne 
probité,  rehaussé  par  le  dévouement  le  plus  noble  aux  intérêts  intellec- 
tuels et  moraux  que  son  art  pouvait  servir  :  il  a  porté  dans  les  affaires  une 
droiture  et  un  désintéressement  qui  aurait  manqué,  du  moins  au  même 
degré,  aux  Froben  de  Bâle  et  à  d'autres  imprimeurs  vantés  de  l'époque. 
11  est  un  fait  dont  le  rapprochement  tourne  à  la  gloire  de  Martens  :  c'est 
l'infériorité  des  impressions  grecques  de  Paris  comparées  aux  siennes, 
avant  qu'il  existât  dans  cette  capitale  un  imprimeur  privilégié  pour  la 
langue  grecque  ^  François  F""  entendit  donner  aux  belles-lettres  un  en- 
couragement efficace  et  direct,  quand  il  institua,  par  lettres  patentes  du 
17  janvier  1558,  le  premier  imprimeur  royal  pour  le  grec,  qui  fut  Conrad 
Néobar,  et  non  pas  Ptobert  Etienne.  Tout  ce  que  Crapelet  dit  à  ce  propos 
de  l'influence  de  l'imprimerie  sur  la  littérature  s'applique  avec  une  exacte 
vérité  aux  tentatives  de  Thierry  Martens. 

Du  moment  oîi  les  humanistes  avaient  entre  les  mains  cette  grande 
abondance  de  textes  originaux^,  la  philologie  grecque  allait  prendre  à 
l'Université  de  Louvain  une  importance  presque  égale  à  celle  de  la  philo- 
logie latine;  les  progrès  de  l'une  augmentèrent  les  forces  de  l'autre.  Des 
travaux  de  plus  d'une  espèce  furent  dès  lors  enti-epris  concurremment  : 
la  grammaire  grecque  fut  cultivée  pour  elle-même  et  mise  en  rapport  avec 
l'étude  grammaticale  du  latin;  les  formes  et  les  règles  en  furent  apprises  à 
l'aide  d'une  analyse  rigoureuse  de  textes  choisis.  Sans  doute,  dans  un  col- 
lège organisé  comme  celui  des  Trois-LangUes,  l'enseignement  était  gradué  , 
et  en  dehors  des  leçons,  déjeunes  hellénistes  plus  avancés  que  les  autres 
étaient  dirigés, par  les  professeurs  dans  la  lecture  de  nombreux  auteurs.  I^a 
lâche  personnelle  des  maîtres  s'étendait  de  l'enseignement  à  la  science  :  elle 
consistait  alors  dans  le  double  soin  de  corriger  ou  même  d'éditer  les  textes, 

'  M.  Crapelet  a  publié  ces  lettres,  d'après  un  manuscrit  de  la  bibliothèque  Mazarine,  dans  sa 
curieuse  brochure  :  Des  progrès  de  l'imprimerie  en  France  et  en  Italie  au  XVI""  siècle ,  etc.  Taris, 
Crapelet,  1836,  in-8°,  pp.  27-39,  43-43. 

2  Dans  l'année  même  de  leur  publication  et  dans  les  suivantes,  la  plupart  des  auteurs  furent 
imprimés  à  BAle,  .'i  Paris  et  dans  d'autres  villes  étrangères,  et  quelquefois  ces  éditions  n'étaient  que 
des  contrefaçons  de  celles  de  Th.  Martens  ou  de  B.  Gravius  :  les  Froben,  bien  qu'amis  d'Érasme, 
n'avaient  sur  ce  point  aucune  délicatesse. 

Tome  XXVIII.  40 


504  MEMOIRE  SUR  LE  COLLÈGE 

et  de  les  traduire  ou  de  les  commenter.  Us  purent  bien  quelquefois  céder 
à  la  satisfaction  de  tourner  quelques  vers  grecs  ou  d'écrire  une  épître 
grecque;  mais  ils  s'appliquèrent  surtout  à  l'élude  des  monuments,  et 
travaillèrent  à  leur  vulgarisation,  selon  les  besoins  de  cette  époque. 

Le  premier  professeur  de  grec  au  collège  des  Trois-Langues,  Rescius, 
prit  de  préférence  le  rôle  d'éditeur,  et  c'est  avec  le  concours  d'un  libraire 
diligent,  Barthélémy  Gravius,  qu'il  mit  au  jour,  à  partir  de  l'an  1529, 
plusieui*s  textes  importants  revus  par  lui-même.  Sa  propre  expérience  lui 
ayant  fait  reconnaître  le  prix  des  œuvres  deXénophon,  il  donna  tout  d'a- 
bord une  édition  des  MemorabUia  Socralis  '  et  lit  paraître  ensuite  quelques 
écrits  de  Lucien  (1551),  les  Lois  de  Platon  (1551)  les  Apliorismes  d'Hippo- 
crale  (1555),  quelques  textes  d'Homère  (1555)  et  la  traduction  grecque  des 
Institutes  par  Théophile  (1556).  Dans  plusieurs  de  ces  travaux,  Rescius 
fit  autre  chose  qu'une  reproduction  de  livres  grecs  déjà  imprimés;  il  eut 
la  bonne  chance  de  corriger  les  textes  sur  l'examen  et  la  comparaison  des 
manuscrits,  par  exemple  dans  son  édition  d'Hippocrate  -  et  dans  celle  des 
Institittiones  juris  avilis  ^.  On  attribue  encore  à  Rescius  et  à  son  associé  la 
publication  d'autres  éditions  grecques,  des  livres  d'isocrate  et  de  Plu- 
tarque,  des  traités  de  saint  Basile  et  de  saint  Jean  Chrysoslôme  *.  Barthé- 
lémy Gravius  survécut  à  Rescius^;  mais  sa  maison  ne  poursuivit  pas  le 
cours  de  publications  semblables  en  langue  grecque,  et  une  autre  maison 
d'imprimerie  ne  s'éleva  pas  à  Louvain  pour  reprendre  avec  le  même  zèle 
que  Th.  Martens  et  Rescius,  l'impression  d'ouvrages  considérables  en  lan- 
gue grecque  ou  latine.  Les  hommes  qui  professèrent  le  grec  au  collège 
des  Trois-Langues  dans  le  milieu  du  même  siècle  s'occupèrent  eux-mêmes 

*  Cette  édition  de  Xénophon  parut  quand  Rescius  avait  encore  J.  Sturm  pour  associé.  Voy.  plus 
liant ,  chap.  Vil,  n"  I ,  pp.  206-207. 

-  Aphorismi  Hippocralis  ex  diversorum  graecorum  codicum  collnlione  recogniti,  variis  eoriwt- 
dtm  leclionibus  passim  ad  margines  annotatis.  I^ovanii ,  Barlliolora.  Gravius ,  i  oôô ,  in-8°. 

^  Paquot  {Fasti,  t.  I,  p.  508)  nous  apprend  que  Rescius  s'est  servi  dans  cette  édition  d'un  ma- 
nuscrit que  Viglius  Zuicheniius  avait  acquis  en  loôô  à  Venise,  et  qui  avait  été  copié  sur  un  ancien 
manuscrit  appartenant  à  J.-Bapt.  Egnatiiis. 

'  Voy.  Maitlaire,  Annules  typographici ,  t.  II,  p.  (jô,  et  le  Bulletin  du  Bibliophile  belge,  t.  IX, 
1852,  pp.  256-237.  Les  recherches  faites  sur  ce  terrain  ne  l'ont  pas  encore  épuisé. 

5  Vov.  sur  la  vie  de  B.  Gravius,  mort  en  ISSO,  le  Bullelin  cité  ci-dessus,  pp.  234-260. 


DES  ÏROIS-LANGUES  A  LOUVAIiN.  303 

moins  de  la  publication  des  textes  que  de  l'enseignement  philologique, 
et,  quand  vers  la  lin  du  siècle  leurs  élèves  les  plus  distingués  que  nous 
mentionnerons  bientôt  mettront  la  main  à  des  éditions  grecques  d'ouvrages 
importants  encore  inédits,  c'est  à  Anvers,  chez  Christophe  Plantin,  ou 
dans  une  ville  de  l'étranger  qu'elles  seront  exécutées. 

Nous  passons  maintenant  à  l'examen  du  second  moyen  à  l'aide  duquel 
les  maîtres  et,  à  leur  exemple,  les  élèves  du  collège  de  Busleiden  ont 
fait  avancer  la  philologie  ancienne  :  l'herméneutique  prêtait  secours  à  la 
critique;  la  traduction  des  œuvres  grecques  en  latin  était  le  complément 
du  travail  entrepris  pour  éditer  des  textes  originaux.  Rescius  avait  ouvert 
cette  voie;  mais  aucun  de  ses  collègues  n'y  est  entré  avec  plus  de  résolu- 
tion que  P.  Nannius,  qui  a  élaboré  la  version  latine  d'une  foule  d'auteurs 
grecs  sacrés  et  profanes  *.  C'était  là  un  travail  d'urgence  sous  plus  d'un 
rapport  :  une  bonne  version  était  le  meilleur  des  commentaires,  et  elle 
enrichissait  tous  les  jours  la  science  grammaticale  d'observations  puisées 
directement  aux  sources  ;  le  caractère  d'universalité  et  la  puissance  d'in- 
vention, qui  sont  propres  à  la  littérature  grecque,  se  révélaient  mieux  de 
cette  sorte  au  public  qui  ne  lisait  pas  encore  les  originaux,  et  les  œuvres 
traduites  élégamment  en  latin  formaient  un  précieux  appendice  des  œu- 
vres de  l'esprit  romain,  étudiées  alors  par  tout  le  monde.  Il  y  avait  donc 
profit  dans  ce  labeur  pour  le  progrès  de  l'étude  des  deux  langues  et  des 
deux  littératures  anciennes;  les  promoteurs  les  plus  éclairés  de  cette  étude 
l'avaient  bien  compris,  et  l'on  avait  vu  Érasme  interrompre  les  écrits  de 
son  goût  pour  donner  à  ses  contemporains  la  première  version  de  quel- 
ques ouvrages  d'isocrate,  de  Lucien  2,  de  Plutarque,  d'Euripide,  ainsi 
que  de  plusieurs  Pères  grecs.  Nannius  ne  recula  point  devant  les  difiîcultés 
d'un  travail  semblable  sur  des  monuments  qui  n'avaient  pas  encore  été 
traduits.  11  l'entreprit  consciencieusement  ^,  et  eut  le  mérite  non-seule- 
ment de  laisser  des  versions  d'une  importance  considérable,  telles  que 

'  Voy.  plus  haut,  chap.  VI,  ii°  3,  pp.  d 52- 156. 

"^  Gocleniiis  avait  aussi  traduit,  en  1522,  YHermolime  de  Lucien  (voir  p.  145). 
5  Les  traductions  de  Nannius  furent  très-recherciiées,  et  elles  furent  réimprimées  presque  tou- 
jours en  pays  étranger  :  les  réimpressions  se  rencontrent  plus  facilement  que  les  éditions  originales. 


306  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

celle  des  œuvres  de  saint  Athanase,  mais  de  donner  à  ceux  qui  vinrent 
après  lui  l'idée  d'une  bonne  traduction,  des  conditions  qu'elle  requiert,  et 
des  efforts  particuliers  que  réclame  le  génie  distinctif  de  certains  auteurs. 
Nous  laisserons  parler  sur  ce  point  Nannius  lui-même,  dans  la  dédicace 
de  sa  traduction  d'un  discours  de  Démosthène  sur  l'immunité  contre 
Leptine,  à  un  de  ses  protecteurs,  Nicolas  Olahus,  conseiller  du  roi  Ferdi- 
nand et  de  la  reine  Marie  de  Hongrie^  :  Bis  couyressiis  sinn  cum  liac  transla- 
tione,  bis  inclioalinn  ojms  de  manibus  abjeci,  terlià  vel  felicius,  vel  ])(tlicmius 
auspicalits  incepla  absolvi.  Dici  non  potest  quam  aegrc  patiatur  Demostlicnes  sua 
scripla  alienis  manibus  conlrectari ,  ila  ut  videaris  libi  vel  Hercuii  clavmn ,  vel  Jovi 
fnlmen  extorquere.  In  Luciano  feslivilas  salium ,  eliam  in  translatione  qualicunque 
multum  suae  graiiae  i^etinet.  In  Plularcho  dignilas  rerum,  el  undecunque  ab 
omnibus  scriploribus  petili  flosculi  midlum  sui  veris ,  el  amoenitatis  in  aliéna  lingua 
conservant.  Uasilii  et  Chrysostomi  explanatissima  facilitas  sine  salebris  interpretem 
Iranmiittunt  (sic).  Platonis  illa  beatissima  luxuries  non  ita  jejune  a  translalore 
tractari  potest,  quin  semper  plwimum  suae  copiae  ostentcl.  Thucydides  et  Herodotus 
historiae  commendatione  fastidium  sui  non  movenl ,  licel  aliéna  linyua  loquantur. 
Demostkenes  contra  ut  est  serins,  ucer,  viribus  mayis  pollens,  quam  ornatibus 
florens,  verbis  paucissimus,  sententiis  uber,  non  oblectalioni ,  sed  victoriae  inser- 
viens,  summam  requirit  in  vertendo  dexteritatem.  Si  fusius  illum  trans feras,  périt 
acumen,  involucris  verborum  hebelatum.  Si  eodem  numéro  vocum  ,  périt  dicjnitas, 
ac  nonnunquam  sententia  :  saepe  enim  lingua  Latina  non  nisi  per  anfractuosam 
vieplfpa.'yiv ,  Graeca  scripta  explicai^e  potest.  Quid  autem  facias  in  vocabulis  TAu^r,iioiz, 
cum  sententia  autoris  omnia  significata  simul  respicit  ?  quibus  nisi  opponas  idem 
vocabulum  aeque  mlùl^YiiJLov ,  omnis  argutia  funditus  intercidit.  Cum  vero  res  ita 
alienae  stmt  a  Romanorum  usu,  ut  vix  longo  Iractatu  innotescere  queant ,  quules 
inultae  sunt  in  Imc  oratione ,  quae  tamen  a  Demoslhene  unico  verbo  exprimimlur, 
nlpote  quae  notissima  erant  Graecis  liominibus  :  ibi  si  evageris  ad  interprclaliu- 


'  Nous  reproduisons  le  texte  de  l'édition  de  Paris,  faite  la  même  année  que  l'édition  originale 
de  Louvain,  qui  parut  chez  B.  Gravius,  en  1.^42  :  Demostftenis  de  immunitate  adversus  Lepiinem 
oratio  Petro  Nannio  Alcmariano  inlei-prelc ,  Lovanii  in  collegio  Trilingui  latinarum  lilterarum 
profcssore.  Parisiis,  ap.  Cli.  Wecheluni,  M.  D.  XLII,  in-4°.  (Epist.  nuncup.,  pp.  Ô-6.)  La  même 
version  fut  réimprimée  à  Bâle,  en  1544,  in-l2.  Voy.  Paquot,  t.  III,  not.  sur  Nannius,  n°  15,  p.  125 


DES  TROIS-LA^GUES  A  LOUVAIN.  507 

nem  vocum  ,  et  rerum  incognilarum  ,  et  emblemalis  TtapîvOéaewv,  orationem  distendis, 
non  Demosthenem  reddere ,  sed  (jrammaticum  referre  videberis.  Jam  omnis  siibti- 
litas ,  quae  teste  Cicérone  in  hac  oratione  summa  eut ,  ex  temii  fit  arida ,  ex  sobria 
jejuna  ,  ex  séria  fil  tristis ,  si  in  aliam  linyiiam  refundas  :  semper  enim  nescio  quid 
nativi  succi  ex  refitsione  adimilur.  Illa  qiioque  Demostlienis  in  rejiciendo  ciUtu  dic- 
tionis  simplicilas ,  apnd  ipsum  elegantiam  cum  proprietale ,  apud  hiterprelem  sentes 
et  liorrores  liabet  :  nisi  fartasse  talis  arlifex,  qitalis  Cicero,  aut  Ciceroni  similli- 
mus  accédât.  Nec  mirum,  cum  verba  verbis  fere  rcpendenda  sint ,  iisque  interpres 
vel  sua  inscitia  vel  Latinae  lingiiae  inopia  careat.  Si  addis  amoenitates ,  lascivien- 
tem  aliquem,  non  Demosthenem  illum  serium  ;  si  verborum  aliquam  copiam  adjun- 
gis,  luxuriosum,  non  Demostlienis  brevitatem  repraesentes.  Si  compenses  alibi,  ubi 
alibi  in  reddendu  dignitaie  victus  fueris,  ambiliosus  imitator ,  non  religiosus  trans- 
lator  existimaberis.  In  summa,  ille  de  Graecorum  usui  notissimis  loqiiebatur,  ac 
proinde  mdlas  obscurilates  liabuit  :  tu  de  legibus ,  ritibus  ignotissimis  Romano  foro, 
iisdem  verbis,  velis  nolis,  cogeris  loqui,  nisi  velis  paraphraslen  agere,  a  quo  nu- 
mine  quaeso  impetrabis,  ut  obscurilate  careas? 

Les  exercices  auxquels  se  livra  G.  Canterus  pendant  son  séjour  au  col- 
lège des  Trois-Langues ,  sous  la  direction  de  C.  Valerius,  nous  appren- 
nent que  l'on  s'y  efforçait  de  mettre  dans  un  rapport  étroit  les  études 
grecques  et  les  études  latines.  Quoiqu'il  ait  montré  plus  tard  une  prédi- 
lection marquée  pour  les  premières,  G.  Canterus  s'était  rendu  dans  sa 
jeunesse  habile  à  écrire  en  grec  et  en  latin,  et  il  avait  été  initié  même  à 
l'hébreu;  il  s'était  exercé,  à  Louvain,  dans  tous  les  genres  de  composi- 
tion; chaque  semaine,  il  avait  la  coutume  de  rédiger  des  épîtres  grecques 
et  latines,  et  souvent  il  le  lit  avec  bonheur.  11  s'appliqua  beaucoup  à  la 
version  latine  des  écrivains  grecs,  traduisant  d'ordinaire  les  poêles  en 
vers;  quelquefois  il  s'occupa  de  la  composition  de  comédies  qui  n'étaient 
pas  sans  mérite  ^  C'est  sur  le  fond  solide  de  connaissances  philologiques 
acquises  d'abord  à  Louvain,  que  G.  Canterus  édifia  son  savoir,  qui  s'ac- 
crut encore  par  ses  études  poursuivies  à  Paris  -,  et  dans  plusieurs  villes 

«  Suir.  Pétri,  De  Scriptoribus  Frisiae ,  decasXlC  (édit.  1G99,  pp.  201-203). 
2  Années  1560-1562.  —  Jean  Dorât  ou  d'Aurat,  qu'il  eut  pour  maître  à  Paris,  était  le  8""'  pro- 
fesseur de  grec  au  Collège  royal  (Goujel,  Mém.  sur  te  Coll.  de  France,  1. 1,  pp.  404-460). 


508  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

de  France,  d'Ailcinugne  et  d'Ilalie  :  il  n'est  pas  superflu  de  noter  que 
c'est  d'après  les  conseils  de  C.  Valerius  que  G.  Canterus  entra  de  bonne 
heure  en  rapport  avec  les  hellénistes  étrangers. 

Avant  de  clore  ces  considérations  sur  les  travaux  qui  fondèrent  en  Bel- 
gique la  philologie  grecque  et  latine,  nous  ne  pouvons  nous  empêcher  de 
jeter  un  coup  d'œil  sur  la  part  qui  fut  faite  dans  ces  travaux  aux  monu- 
ments du  christianisme  primitif,  à  côté  de  ceux  de  l'antiquité  païenne; 
nous  le  faisons  à  un  point  de  vue  historique,  aimant  à  penser  que  des 
hommes  d'opinions  fort  opposées  apprendront  volontiers  ce  que  voulaient, 
ce  que  pratiquaient  nos  humanistes  au  second  siècle  de  la  Renaissance. 
Les  maîtres  prirent  connaissance  de  toutes  les  sources  anciennes,  à  me- 
sure qu'elles  tombaient  dans  le  domaine  de  la  science,  et  même  ils  coopé- 
rèrent à  leur  publication  sans  alarmes,  sans  fausse  crainte;  mais,  quand 
l'enseignement  philologique  réclama  la  lecture  des  anciens,  on  ne  donna 
pas  l'entrée  des  classes  à  tous  les  auteurs  indistinctement,  et,  s'il  y  eut 
méprise  ou  inadvertance  touchant  quelques  poètes,  tels  que  Plaute  ou 
Aristophane,  il  est  à  présumer  que  la  chose  fut  passagère.  Érasme  lui- 
même  ,  qui  a  eu  la  faiblesse  d'imiter  les  satiriques  et  les  comiques  anciens 
jusque  dans  leur  licence,  n'a  pas  érigé  en  principe  qu'il  fallait  accorder 
à  tous  les  classiques  la  même  place  dans  l'éducation ,  sans  égard  à  la 
moralité  de  leur  sujet  ou  de  leur  langage.  Les  restrictions  sur  lesquelles 
on  s'entendit  n'entravèrent  point  les  progrès  de  la  haute  érudition. 

Puis ,  ces  mêmes  hommes  qu'on  a  taxés  d'un  dédain  calculé  pour  les 
œuvres  de  l'antiquité  chrétienne  ,  non-seulement  les  ont  hautement  appré- 
ciées ,  mais  encore  en  ont  recommandé  instamment  la  lecture  et  l'étude. 
Il  importe  de  dire  que  les  écrivains  de  la  plus  grande  autorité  l'ont  prouvé 
par  leur  propre  exemple,  qui  n'a  pu  manquer  d'efficacité  :  ainsi  l'avis 
d'Erasme  et  de  Vives  a  dû  se  faire  sentir  heureusement  dans  notre  pays 
et  même  y  prévenir  des  écarts. 

Érasme  avait  lui-même  étudié  les  Pères  grecs,  et  il  a  compris  dans  ses 
œuvres  des  études  qui  accompagnaient  le  texte  des  Pères  latins,  tels  que 
Arnobe  et  saint  Cyprien  ;  il  a  encouragé  ses  amis  d'Oxford,  qui  travaillaient 
sur  les   mêmes  sources,  et  il   a  soutenu   Vives  dans  son   grand  travail 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  309 

critique  sur  la  Cilé  de  Dieu  de  saint  Augustin  K  Nous  nous  bornerons  à  un 
seul  fait  qui  se  rattache  à  la  direction  donnée  aux  études  de  philologie  au 
collège  des  Trois-Langues  :  voulant,  en  1527,  dédier  à  son  ami  Nicolas 
Warry,  dit  Marvillanus -,  sa  version  du  Traité  de  saint  Jean  Chrysoslôme 
in  Dabylam,  Érasme  a  parlé  de  l'éloquence  de  cet  illustre  pontife  avec  une 
admiration  sincère  qui  le  rend  éloquent  lui-même.  11  offre  à  Warry,  prési- 
dent du  collège  des  Trois-Langues,  une  œuvre  oratoii-e  qui  sera  lue  avec 
grand  fruit  par  la  jeunesse  de  ce  collège,  et  qui  servira  très-bien  de  modèle 
à  ses  exercices;  il  lui  semble  que  ce  petit  livre  de  Chrysoslôme  ne  le 
cède  point  aux  discours  des  orateurs  profanes  sous  le  rapport  de  l'élé- 
gance de  la  diction  ,  de  l'habileté  du  raisonnement,  et  de  la  richesse  de 
la  composition,  et  que  c'est  merveilleux  de  voir  avec  quel  éclat  de  cou- 
leurs le  génie  de  l'écrivain  a  exposé  un  sujet  fort  simple  en  lui-même; 
c'est  là  ce  qui  en  augmente  l'intérêt  pour  qui  en  fait  un  objet  d'étude. 
«  Et  puis,  dit  Érasme  5,  qu'y  a-t-il  de  plus  utile  au  premier  âge  que  d'ap- 
prendre à  la  fois  la  langue  et  l'art  oratoire  de  ces  auteurs,  dont  le  lan- 
gage ne  respire  pas  moins  le  Christ  que  Démosthène?   » 

Dans  bien  des  écoles  Érasme  avait  vu  des  hommes,  entraînés  vers  les 
auteurs  païens  par  leurs  études  oratoires,  montrer  une  injuste  aversion 
pour  l'éloquence  des  Pères,  et  rechercher  plutôt  «  ce  qui  les  éloigne  du 
Christ*.  »  Pour  lui,  il  réserverait  par  principe  la  lecture  des  auteurs 
païens  aux  maîtres,  mais  ne  conseillerait  pas  de  les  expliquer  aux  jeunes 
gens.  Sans  prendre  à  la  lettre  le  mot  d'Érasme  dans  ce  passage,  on  a  lieu 
de  croire  que,  frappé  des  abus,  il  réclamait  dans  le  choix  des  ouvrages 
une  réserve  qu'on  avait  méconnue  dans  le  premier  élan  de  l'enthousiasme 

'  Voy.  Mémoire  sur  la  vie  elles  écrits  de  Vives,  par  l'abbé  Namèche,  pp.  23-24,  pp.  97  etsuiv. 

2  Voy.  sur  ce  personnage  et  ses  relations  avec  Érasme,  le  cbapitre  IV,  pp.  99-101 ,  et  les  pièces 
justificatives,  lettre  E,  n"  2.  —  La  lettre  d'Érasme,  que  nous  avons  déjà  citée  à  propos  de  l'organi- 
sation du  collège,  est  écrite  de  Bâle,  le  14  août  1527.  (EpisL,  t.  I,  pp.  996-997.) 

5  Quid  autem  utilius  isli  aetati,  quam  ul  litujiiam  simid  et  eloqitenliam  prolinus  imbibant  ex  his 
auctoribus  quorum  oratio  non  minus  Christuni  spirat  quam  Demostheneni? 

•*  Novi  muUos  Ituic  iiteraturae  generi  deditos,  qitibus  nihil  arridet ,  nisi  quod  a  Chrislo  su 
alienissimum,  quamquam  Ethnicos  auctores  ob  sermonis  elerjantiam  professoribus  legendos  arbitrer 
potius  quam  adolescenlibus  praelegendos. 


310  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

scientifique.  Il  n'avait  alors  que  des  louanges  à  donner  au  collège  des 
Trois-Langues  en  la  personne  de  son  directeur,  et  c'est  dans  la  suite  de 
cette  même  lettre  qu'il  félicite  les  professeurs  de  Louvain  de  s'être  com- 
portés avec  tant  de  sagesse,  de  s'être  gardés  des  imprudences  et  des  excès 
alors  si  fréquents  en  Allemagne.  Érasme  était  de  l'avis  de  Marvillanus,  qui 
recommandait  à  tout  le  monde,  aux  ignorants  comme  aux  savants,  la  con- 
naissance approfondie  des  langues,  mais  à  la  condition  qu'au  sortir  de  son 
collège,  les  parents  recevraient  leurs  enfants  non-seulement  plus  habiles 
dans  la  parole,  mais  encore  plus  religieux  et  plus  vertueux  ^  Selon  toute 
apparence,  les  conseils  d'Érasme,  qui  étaient  ceux  de  la  prudence  chré- 
tienne, furent  exactement  suivis;  on  porta  un  sage  discernement  dans  l'em- 
ploi des  auteurs  anciens  répandus  par  l'impression,  et  l'on  mit  en  honneur, 
d'autre  part,  la  lecture  non-seulement  des  ouvrages  des  Pères,  mais  encore 
des  compositions  d'écrivains  et  de  poêles  chrétiens,  tels  que  Prudence,  par 
exemple.  Adrien  Barland ,  comme  on  l'a  vu ,  conseillait  d'expliquer  ce  poêle 
après  Virgile;  J.  Murmellius,  philologue  de  la  même  époque,  l'avait  com- 
menté; Érasme  lui-même  avait  donné  un  commentaire  sur  deux  hymnes 
de  Prudence,  célébrant  la  Nativité  et  l'Epiphanie  ".  Nannius  s'est  encore 
occupé  de  Prudence  à  l'époque  qui  suivit  l'ouverture  du  collège^;  il  ne 
faisait  que  se  conformer  à  tant  d'exemples,  entre  lesquels  on  ne  saurait 
oublier  celui  du  vieux  Thierry  Martens,  qui  s'est  adressé  avec  effusion 
de  cœur  aux  jeunes  amis  des  belles-lettres  {bonarum  litterarum  sludiosis),  en 
leur  offrant,  au  mois  de  novembre  1518,  des  morceaux  choisis  du  plus 
éloquent  des  poêles  chrétiens  *.  Ainsi  s'exprimait  l'infatigable  éditeur  des 
classiques  en  parlant  à  la  jeunesse  chrétienne  de  nos  contrées  : 

^  Qua  quidem  in  re  seiiipe?-  exosculatus  sum  animum  titinn ,  cui  sludio  fuit,  hac  quoque  ratione, 
linguarum  peritiam  doclis  et  indoctis  commendare.  Quanam  inquies?  Ut  ex  hoc  celeberrimo  col- 
legio  parentes  recipercnt  suos  liberos ,  non  solitm  linguaciorcs ,  verum  etiam  magis  pios  nieliitsque 
moratos. 

2  Opéra,  t.  V.  BAle,  décembre  1525.  —  En  dcdiïint  ces  liymnes  à  la  fille  de  Moriis,  Marguerite 
Roper,  Érasme  dit  à  cette  femme  lettréeqiie  Jésus  sera  désormais  le  véritable  Apollon  de  ses  études. 

^  L'auteur  d'une  dissertation  récente  Sur  ta  vie  et  les  écrits  de  Prudence  (Louvain,  1 8o5 ,  in-8°) , 
M.  l'abbé  Brys,  a  consulté  un  manuscrit  remarquable  du  collège  de  Busleiden ,  dont  s'est  servi 
autrefois  Nannius,  et  sur  lequel  on  lit  :  ex  cubicido  Nanti  Alcmariuni  (voir  p.  154,  note  2). 

*  Prudcntii  inter  christianos  facundissimi  poetae  carmina  quaedam  selecta  pielalis  cidloi-ibus. 


DES  TROIS-LAISGI'ES  A  LOUVAIN.  3H 

«  Mon  imprimerie  ne  doit  pas  se  borner  à  éditer  des  auteurs  qui  vous 
instruisent,  elle  doit  encore  vous  en  présenter  qui  vous  rendent  meilleurs. 
Dans  cette  vue,  j'ai  fait  imprimer  ces  jours  passés  plusieurs  pièces  de  vers 
du  poète  chrétien  Prudence;  lisez-les  avec  goût,  chers  jeunes  gens,  et  vous 
ferez  de  grands  progrès  dans  la  piété.  C'est  cette  piété  que  moi,  vieillard 
aux  cheveux  blancs,  à  la  peau  ridée,  après  tant  de  travaux  d'une  longue 
carrière,  c'est  elle  que  je  recherche  avant  tout;  car  je  sais  que  nulle  étude 
n'est  agréable  à  Dieu,  si  elle  n'est  accompagnée  de  la  piété,  qui  ignore 
les  dissensions,  qui  nous  fait  aimer  de  tout  notre  cœur  Jésus-Christ,  le 
sauveur  du  genre  humain,  et  tous  les  hommes  comme  nos  frères « 

Elle  dut  être  aussi  d'un  grand  poids  dans  la  tradition  de  nos  écoles, 
l'autorité  de  Vives,  qui  n'avait  jamais  perdu  de  vue  la  foi  chrétienne  au 
milieu  des  entraînements  de  la  Renaissance;  à  Louvain  comme  ailleurs, 
L.  Vives  avait  quelquefois  expliqué  des  traités  religieux  tels  que  le  Clirisli 
triumplius  qui  fait  partie  de  ses  œuvres,  dans  le  but  avoué  de  substituer, 
en  littérature,  l'élément  chrétien  à  la  mythologie;  il  revient  plusieurs  fois 
à  cette  pensée  dans  ses  écrits,  soit  littéraires,  soit  théologiques  '.  On  sait 
quel  cas  Vives  faisait  des  poètes  chrétiens,  et  quel  rang  d'honneur  il  assi- 
gnait à  Prudence  et  à  plusieurs  autres,  parmi  les  poètes  de  l'antiquité  -. 

11  faut  convenir  que  les  hommes  qui  défendaient  si  habilement  les  droits 
de  la  littérature  chrétienne  méritaient  bien  d'être  écoutés  avec  respect  par 
leurs  contemporains,  quand  ils  recommandaient  à  leur  étude  les  chefs- 
d'œuvre  littéraires  de  la  Grèce  et  de  Rome.  On  a  donc  accueilli  les  clas- 
siques païens  dans  notre  enseignement  national,  mais  avec  la  mesure  que 
ces  sages  et  grands  esprits  avaient  prescrite;  on  a  cru  à  leur  parole, 
quand  ils  ont,  comme  Vives  et  d'autres  penseurs  non  moins  profonds  l'ont 
fait,  signalé  ailleurs  le  danger  moral  que  quelques-uns  voyaient  unique- 
ment dans  les  écrivains  du  polythéisme.  C'étaient  bien  plutôt  les  œuvres 
modernes,  les   poésies  populaires  et  galantes,  des  romans  corrupteurs 

vol.  in-4°,  2G  feuillets.  —  Voy.  dans  la  Biographie  de  Thierry  Martens .  l'épître  traduite  par  1« 
P.  van  Isegheni  (p.  t56),  ainsi  que  le  texte  original  (p.  -287). 

'  Mémoire  cité  de  M.  Namèche,  p.  23,  pp.  90  et  suiv.,  pp.  101  et  suiv. 

^  De  ralione  stiulii  piteriiis.  Epistola  II. 

Tome  XXVIII.  ^^ 


312  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

comme  il  y  en  eut  dans  toutes  les  langues,  cette  classe  d' œuvres  où  Dame 
dénonçait  d'immenses  périls,  qu'il  fallait  mettre  en  cause  pour  sauvegarder 
la  conscience  publique  ^;  mais  très-souvent,  et  même  jusqu'à  des  temps 
fort  voisins  de  nous,  on  a  chargé  les  Grecs  et  les  Latins  de  tout  le  mal  dont 
on  ne  voyait  pas  la  source  près  de  soi ,  et  l'on  s'est  plu ,  en  dépit  d'eux  sans 
doute,  à  prêter  gratuitement  aux  écrivains  du  moyen  âge  la  perfection  de  la 
vertu  et  celle  de  l'orthodoxie  ^.  Nous  croyons  avoir  montré  suffisamment 
en  quel  équilibre  les  deux  littératures  païenne  et  chrétienne  se  sont  main- 
tenues dans  les  travaux  de  la  principale  école  de  philologie  des  Pays-Bas, 
avant  la  révolution  religieuse  qui  éclata  vers  la  fin  de  son  premier  siècle: 
nous  avons  indiqué  le  genre  d'œuvres  et  d'exercices  à  l'aide  duquel  les  deux 
langues  classiques  furent  enseignées  par  les  principaux  professeurs  de  Bus- 
leiden,  et  la  nature  des  études  et  des  recherches  qu'ils  entreprirent  eux- 
mêmes  sans  relâche,  afin  de  répandre  le  gotît  des  lettres  et  de  développer 
le  sens  de  la  critique,  sans  laquelle  il  n'y  a  point  de  saine  érudition.  On  verra 
dans  les  aperçus  du  chapitre  suivant,  quels  furent  les  fruits  de  leurs  efforts: 
une  phalange  de  philologues  et  d'écrivains,  de  latinistes  et  d'hellénistes 
rendra  témoignage  à  l'habileté ,  au  savoir,  à  la  persévérance  des  huma- 
nistes qui  ont  dirigé  les  études  de  la  jeunesse  au  collège  des  Trois-Langues. 

Le  programme  que  nous  nous  étions  assigné  dans  ce  chapitre  sera 
rempli,  quand  nous  aurons  montré  quel  fut  le  sort  des  études  hébraïques 
dans  l'institution  de  Busleiden  :  comme  elles  ont  été  par  leur  nature  même 
le  partage  d'un  nombre  limité  d'étudiants,  il  nous  a  paru  préférable  de 
leur  accorder  un  examen  tout  particulier,  en  dehors  des  questions  histo- 
riques qui  leur  restent  étrangères. 

L'opportunité  de  connaître  la  langue  des  Livres  saints  ne  faisait  plus  de 
doute  pour  les  esprits  jeunes  et  vigoureux,  qui  pénétraient  le  mieux  les 

*  Voy.  Daniel,  des  Eludes  classiques  dans  la  Société  chrétienne,  pp.  193  el  siiiv.,  pp.  209-21 1. 

^  Fr.  Ozanam  a  très-bien  dit  dans  ses  Documents  sur  l'histoire  lillèr.  de  l'Italie,  p.  28  :  «  On  a 
poussé  trop  loin  le  conlraste,  on  a  trop  élarcçi  l'abîme  entre  le  moyen  âge  et  la  renaissance.  Il  ne 
l'aliail  pas  méconnaître  ce  qu'il  y  avait  de  paganisme  littéraire  dans  ces  temps,  où  l'on  attribue  à 
la  foi  chrétienne  l'empire  absolu  des  esprits  et  des  consciences.  »  Comment  oublier  ou  comment 
justifier  les  hardiesses  n)ylholoâ;iques  des  troubadours,  le  cynisme  des  trouvères,  le  culte  de  la 
nature  dans  le  roman  de  la  Rose? 


DES  TllOlS-LANGUES  A  LOUVAIN.  315 

nécessités  intellectuelles  de  leur  école  et  de  leur  pays  *.  Les  moyens  d'étude 
ne  manquèrent  pas,  quand  l'hébreu  fut  doté  à  Louvain  d'un  enseignement 
régulier,  et  le  suffrage  des  philologues  les  plus  zélés  pour  les  lettres  clas- 
siques ne  fit  point  défaut  à  ceux  qui  s'adonnèrent  plus  spécialement  à 
l'étude  de  la  langue  sacrée.  Les  leçons  du  nouveau  collège  n'avaient  pas 
encore  commencé,  et  déjà  Thierry  Martens,  toujours  docile  à  l'opinion  de 
ceux  qu'il  prenait  pour  arbitres  des  besoins  de  la  science,  voulait  que  son 
art  fût  au  service  de  cette  langue  comme  des  autres.  Le  50  mars  1518, 
il  annonçait  son  dessein  d'imprimer  en  hébreu,  et  réclamait  le  concours 
bienveillant  du  public,  qui  l'avait  soutenu  dans  toutes  ses  autres  entre- 
prises -  :  «  Pour  ce  qui  regarde  les  éditions  latines,  disait-il,  je  ne  le  cède 
à  personne;  j'ai  très-peu  de  rivaux  pour  le  grec;  je  veux  mériter  les  mêmes 
éloges  pour  l'impression  en  langue  hébraïque;  et  le  même  succès  répondra 
à  mon  attente,  si  vous  secondez  mes  efforts  selon  vos  moyens.  Vous  les 
seconderez,  ajoutait-il,  si  vous  prenez  garde  à  vos  propres  intérêts  et  à  la 
réputation  de  cette  école  Irès-tlorissante.  » 

Martens  s'occupa  dès  lors  de  la  formation  d'un  double  alphabet  hébraï- 
que pourvu  de  points-voyelles,  et  vraisemblablement  il  s'en  servit  à  diverses 
reprises  pour  fournir  quelques  pages  de  texte  aux  premières  leçons  d'hé- 
breu, avant  l'impression  d'ouvrages  hébraïques  volumineux  ^  Hébraïsant 
lui-même,  Martens  aurait,  vers  l'an  1520,  réuni  les  matériaux  du  diction- 
naire hébreu  qu'il  a  publié  sans  date  et  sous  l'anonyme  ''.  Ce  fut  des  Rxidi- 
menta  liebraïca  de  J.  Reuchlin,  en  trois  livres,  qu'il  tira  le  fond  de  ce 
lexique,  comme  il  le  déclarait  lui-même  dans  la  préface;  il  s'est  servi  des 
propres  expressions  du  savant  allemand,  tout  en  abrégeant  son  ouvrage, 
et  lui-même  il  n'a  entrepris  ce  travail  de  compilation  que  pour  épargner 
aux  commençants  un  long  et  pénible  labeur,  faute  d'un  recueil  de  radicaux 

*  Voy.  plus  haut,  chap.  I ,  §§  1  et  2 ,  et  cliap.  V. 

-  Cet  appel  est  placé  en  tête  d'un  recueil  de  Dedamationes  d'Érasme;  il  a  été  relevé  et  en  pailii; 
traduit  parle  P.  van  Isegheni,  dans  sa  Biographie  de  Martens,  pp.  108-109,  p.  I8ô. 
^  Suivant  la  conjecture  fort  plausible  de  l'auteur  de  la  Biographie,  pp.  109-110. 

*  Dictionnarium  Uebraicum,  vol.  In-i" ,  48  feuillets.  Voir  dans  la  Biographie  (pp.  3IS-ÔI6) ,  la 
description  de  ce  volume  et  le  texte  latin  de  la  préface,  et  (p.  110)  les  raisons  qui  font  pencher 
l'auteur  vers  la  date  approximative  de  1520.  Voy.  sur  les  Rudimenla  de  Reuchlin  notre  chap.  I,  §  III. 


344  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLÈGE 

liébraïques  :  quand  un  travail  plus  complet  verra  le  jour  plus  tard,  déjà  les 
jeunes  hébraisants  auront  vaincu  les  premières  difTicultés.  Puisque  Martens 
a  pris  en  cette  circonstance  le  rôle  de  savant  et  en  quelque  sorte  de  pro- 
fesseur, il  nous  paraît  indispensable  de  rapporter  les  termes  dans  lesquels 
il  justifie  sa  publication,  comme  étant  d'une  utilité  toute  pratique  pour 
qui  voudrait  s'initier  aux  éléments  de  l'hébreu  :  Bcdegimus  in  Enchiridion  \ 
Lectures  optimi,  primiliva  vocabula,  sive  radiées  liebrdicarum  dictionum,  quae  a 
Capnione  diligenter  el  diffuse  Imclantur,  ciijusideo  ubiqiie  verba  apposuimus ,  quod 
inyeniosi  in  alienis  iibris  videri  noluimus.  Excerpsimiis  tamen  liaec  in  rem  vestram , 
ne  sine  liis  frustra  in  liac  sacra  lingna  perdiscenda  sudaretis....  Nos  compendio  apud 
vos  utimur,  ut  cito  percipiaiis  quae  discenda  erunt,  et  percepta  fideliler  teneatis. 
Si  l'hébreu  excita  à  ce  point  le  sentiment  d'une  noble  ambition  dans 
l'esprit  de  Th.  Martens,  un  zèle  non  moins  grand  que  le  sien  fut  déplové 
par  Jean  Campensis,  qui  donna  le  premier  un  enseignement  suivi  de  celte 
langue,  et  par  ses  élèves  les  plus  diligents.  Ce  professeur,  dont  nous  avons 
décrit  assez  longuement  la  vie  et  les  travaux,  fit  pour  la  grammaire  ce 
que  le  docte  typographe  avait  fait  pour  le  lexique;  il  donna  un  traité  qui 
résumait  les  notions  essentielles  de  la  langue  hébraïque  d'après  le  gram- 
mairien le  plus  estimé  de  son  temps,  et  l'on  a  la  meilleure  preuve  de 
l'application  avec  laquelle  de  nombreux  auditeurs  avaient  suivi  son  ensei- 
gnement, dans  l'accueil  qui  fut  fait  à  son  Li6e//Ms,  imprimé  en  1528,  et 
dans  le  succès  de  la  grammaire  abrégée,  publiée  l'année  suivante  sous  le 
litre  de  Tabida  par  Nicolas  Clenardus  ou  Cleynarts  de  Diest,  son  élève  2. 
On  ne  peut  guère  séparer  ces  deux  hébraisants,  en  recherchant  les  pre- 
miers fruits  qu'a  produits  l'enseignement  public  de  la  langue  sainte;  ce 
que  Cleynarts  a  fait  d'utile  pour  cette  étude,  de  même  que  pour  celle  du 
grec,  doit  être  rapporté  au  collège  oh  il  avait  d'abord  étudié,  et  où  il  a 
exercé  à  son  tour  l'influence  d'un  maître  ^. 

'  C'est  ce  mol  qui,  sans  doute,  a  fait  nommer  l'ouvrage  de  Martens  :  Enchiridion  Radiciuii,  sive 
IHclionum  Hebraïcarum  ex  Joanne  Reuchlino.  dans  le  texte  de  la  Bihliotheca  Bcigica  (éd.  Fop- 
pens,  p.  Il  17). 

2  Tabula  in  yrammaticen  hebraeam,  aulliore  Nicolao  Clenartio,  vol.  in4°  de  64  feuillets,  30  jan- 
vier 15"29.  Voy.  Biographie  de  Martens,  pp.  540-341. 

■'  Avant  son  départ  pour  l'Espagne,  Cleynarts  fut  autorisé  à  faire  des  leçons  publiques  au  collège 
de  Houlerlé,  sinon  au  collège  de  Busleiden.  Voy.  plus  haut,  chapitre  V,  p.  135. 


DES  TROIS-LAINGUES  A  LOUVAIN.  315 

Campensis  avait  donné  la  théorie  et  rassemblé  les  éléments  de  la  science 
grammaticale  :  Cleynarts  appliquait  à  l'hébreu  ses  vues  sur  la  méthode 
d'apprendre  les  langues.  Les  leçons  du  premier  avaient  éveillé  le  goût 
d'une  telle  étude,  fort  rare  et  toujours  exceptionnel  auparavant;  les  pro- 
cédés essayés  par  le  second  et  consignés  dans  son  court  Tableau  dévelop- 
pèrent ce  goût,  et  déterminèrent  de  faciles  et  rapides  progrès  dans  la 
jeunesse  de  l'école.  Cleynarts  eut  la  satisfaction  de  voir  sa  méthode  justifiée 
par  la  pratique;  le  petit  livre  qui  en  était  le  résumé  avait  paru  en  janvier 
1629  :  au  mois  d'août  de  la  même  année,  il  s'applaudissait  du  parti  qu'en 
avaient  tiré  en  peu  de  mois  des  jeunes  gens,  capables  d'écrire  déjà  des 
lettres  en  hébreu  sur  des  sujets  familiers  ^. 

Le  successeur  de  Campensis  entretint,  parmi  les  jeunes  gens  qui  fré- 
quentaient ses  leçons  au  collège  des  Trois-Langues,  le  même  esprit  de  zèle 
et  d'application  :  André  Gennep  donna  à  l'enseignement  philologique  de 
l'hébreu  des  soins  qui  furent  efficaces;  il  prépara  à  lui  seul,  pendant  de 
longues  années,  et  dans  sa  vieillesse,  avec  l'aide  d'Augustin  Hunnaeus  et  de 
J.  Guilielmius,  la  génération  des  hébraisants  qui  fut  dans  ce  siècle  un  des 
ornements  et  des  soutiens  des  études  théologiques  à  Louvain.  L'ardeur 
nourrie  pour  l'hébreu  par  Gennep  et  par  ses  suppléants  fut  assez  grande 
pour  que  des  étudiants  fréquentant  les  cours  de  théologie  aient  désiré  et 
même  sollicité  plus  d'extension  dans  l'enseignement  de  cette  langue  :  ce  fut 
l'objet  de  la  démarche  qu'ils  firent  en  1565  auprès  du  magistrat  de  Lou- 
vain '2.  Ces  étudiants  demandèrent  qu'il  y  eût  tous  les  jours  des  leçons  pour 
la  langue  hébraïque  ;  le  magistrat  en  référa  directement  à  la  Faculté  de 
Théologie,  qui  approuva  fort  la  chose;  mais  elle  exigea  que  le  professeur  fût 
un  théologien,  plein  de  prudence  et  de  gravité,  désigné  d'avance  à  son  suf- 
frage, et  non  pas  un  professeur  choisi  librement  par  le  magistrat.  Cette 
décision  ayant  été  transmise  à  l'autorité  urbaine  par  le  doyen  de  la  Fa- 
culté, le  chef  de  la  magistrature  répondit  que  c'était  bien  son  avis  et  celui 

'  Cleynarts  s'étend  sur  ce  résultat  dans  une  épître  placée  en  tôte  de  l'édition  des  Dialogues  de 
saint  Jean  Chrysostôme,  imprimée  par  Rescius  le  18  novembre  to-29.  Le  lecteur  trouvera  le  texte 
latin  de  celte  pièce  intéressante  et  rare  à  la  fin  de  l'ouvrage  cité  du  P.  van  Iseghem,  pp.  341-3-42. 

2  Voy.  Valère  André,  Fasti  acad.,  p.  284. 


51()  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

des  autres  magistrats,  que  rien  ne  fût  fait,  relativement  à  ce  professorat, 
sans  les  conseils  et  l'assentiment  de  ladite  Faculté,  qu'ils  n'installeraient 
jamais  un  professeur,  si  elle  ne  l'avait  présenté  et  agréé,  et  qu'ils  étaient 
prêts  à  en  faire  à  la  Faculté  une  promesse  publique  :  ce  fut  l'objet  d'un 
acte  daté  du  26  avril  1505. 

On  ne  trouve  nulle  trace  de  mesures  prises  en  conséquence  de  cette 
réclamation  des  étudiants,  et  de  celte  entente  du  magistrat  avec  la  Fa- 
culté de  Théologie;  nous  avons  mentionné  l'incident,  comme  un  signe 
certain  que  l'hébreu  avait  une  assez  belle  part,  au  milieu  du  XVl™^  siècle, 
dans  l'activité  de  la  jeunesse  universitaire.  Les  événements  calamiteux  de 
la  fin  du  même  siècle  mirent  des  obstacles  à  la  prospérité  de  celte  étude, 
comme  de  toutes  les  autres,  et  la  chaire  d'hébreu  resta  vacante  plus  de 
30  ans,  après  la  retraite  de  Pierius  à  Smenga. 

On  ne  jugerait  pas  bien  l'importance  que  prit  à  Louvain  l'enseigne- 
ment de  la  langue  hébraïque,  si  on  n'y  rattachait  pas  les  travaux  d'exégèse 
biblique  fondés  sur  la  connaissance  de  cette  langue.  Les  paraphrases  des 
Psaumes  et  de  l'Ecclésiaste,  faites  par  J.  Campensis  d'après  l'hébreu,  du- 
rent exciter  l'attention  générale  sur  l'utilité  de  celte  langue  et  sur  ses 
nombreuses  applications,  et  longtemps  après  lui,  elles  conservèrent  leur 
valeur  scientifique*. 

«  Les  paraphrases  de  Campensis  furent  d'abord  très-répandues  dans 
leur  texte  original  autant  que  dans  leurs  versions  dans  des  langues  mo- 
dernes. Si  plus  tard  elles  ont  cessé  d'être  réimprimées,  il  faut  l'attribuer 
tantôt  à  l'apparition  de  nouveaux  ouvrages  du  même  genre  ^,  tantôt  à 
l'abus  qu'on  avait  pu  faire  des  traductions  vulgaires  de  quelques  livres  de 
la  Bible.  Elles  n'en  révélaient  pas  moins  le  travail  neuf  et  difficile  qu'avait 
accompli  leur  auteur,  en  faisant  passer  la  pensée  de  David  et  de  Salomon , 
de  l'expression  poétique  des  versets  de  l'hébreu  dans  l'expression  encore 
fidèle  mais  plus  nette  de  la  paraphrase  :  le  mérite  atteint  par  Campensis  dans 
un  premier  essai  de  ce  genre  de  traduction  '  n'a  pas  été  surpassé  dans  la 

'  Nous  donnons  ici  les  preuves  du  fait  d'après  une  notice  dfjh  citée  dans  la  Biographie  de  Cam- 
pensis (voy.  ciiap.  VIII,  §  4,  pp.  233,  242-43).  —  Annuaire  de  l'Uniu.  de  Louvain,  1845,  pp.  199-202. 
^  En  1550  parut  la  Bible  française,  publiée  à  Louvain  par  ordre  deCiiarlesQuint. 
^  Il  n'y  avait,  à  proprement  parler,  que  des  traductions  latines  plus  ou  moins  littérales  et 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOIJVAÏN.  317 

paraphrase  nouvelle  de  Théodore  de  Bèze,  qui  avait  critiqué  son  devan- 
cier avec  quelque  amertume.  On  n'a  prouvé  nulle  part  que  Carapensis  ait 
été  coupable  de  témérité  dans  l'interprétation  de  la  partie  mystique  des 
Psaumes,  dans  l'explication  du  sens  réputé  à  la  fois  littéral  et  figuré  de  cer- 
tains passages.  Aucune  décision  ne  fut  portée  à  cet  égard;  seulement  c'est 
avec  une  certaine  défiance  que  l'ouvrage  exégélique  de  Campensis  fut  ac- 
cueilli dans  les  Pays-Bas,  comme  l'attestent  les  actes  de  la  Faculté  de  Lou- 
vain  1;  elle  répondit  à  la  gouvernante  Marie  de  Hongrie,  qui  l'avait,  en 
octobre  1555,  consultée  sur  l'opportunité  des  traductions  de  la  Bible  en 
flamand  et  en  français,  que  les  explications  de  Campensis  ne  s'accordaient 
pas  avec  celles  des  Pères  et  n'avaient  pas  éclairci  les  endroits  dont  les  Pères 
avaient  fait  usage  pour  réfuter  les  hérétiques.  Cette  défiance  de  l'autorité 
locale  s'explique  par  la  crainte  qu'inspiraient  à  l'époque  de  la  Réforme  les 
premiers  fruits  de  l'esprit  d'innovation,  et  par  l'usage  presque  exclusif 
qu'on  avait  fait  jusqu'alors  des  commentaires  moraux  sur  les  Psaumes.  Si  ce 
que  les  anciens  ont  laissé  de  plus  littéral  sur  les  Psaumes  eût  déjà  été  réim- 
primé alors,  l'entreprise  de  l'hébraïsant  aurait  été  mieux  jugée  tout  d'abord  : 
en  rapportant  l'opinion  sévère  des  contemporains  de  Campensis ,  Paquot 
lui  fait  honneur  d'une  explication  heureuse  de  nombreuses  difficultés. 

.(  La  paraphrase  des  Psaumes  a  été  un  de  ces  livres  dans  lesquels  de 
nouveaux  venus  puisent  beaucoup  d'instruction  sans  se  croire  tenus  à  la 
reconnaissance  :  que  d'interprètes  de  la  Bible  et  des  Psaumes,  même 
parmi  les  protestants  du  premier  siècle,  ont  composé  de  volumineux  ou- 
vrages, sans  recourir  eux-mêmes  aux  textes  originaux,  mais  en  se  servant 
largement  et  sans  scrupule  des  premières  versions  ou  paraphrases  comme 
celles  de  Campensis,  de  Santés  Pagninus  ou  de  Valable  ^1  Ne  faut-il  pas 
en  même  temps  tenir  compte  des  procédés  de  plusieurs  auteurs  de  l'époque 
suivante,  qui  ont  basé  leur  interprétation  des  Psaumes  sur  un  nouvel  exa- 
men des  textes  et  sur  les  opinions  des  plus  anciens  commentateurs  5?  » 

exactes  dans  les  Psauliers  Polyglottes,  lels  que  celui  de  Fabri  (1309  et  1513)  et  le  Psalterium 
Nebiense. 
*  Voy.  Paquot,  Mémoires,  tome  II,  p.  306,  et  les  notes. 

2  Remarque  du  célèbre  G.  Génébrard  dans  sa  préface  des  t>saumes  expluiués. 

3  On  s'explique  aisément  ainsi  pourquoi  G.  Lindanus,  par  exemple,  ne  lait  aucune  mention  du 


318  ftlEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

La  partie  de  la  Bible  choisie  par  Campensis  comme  objet  de  ses  éludes 
était  celle  qui  devait  exciter  le  plus  longtemps  l'intérêt  des  interprètes  :  les 
éditions  et  les  commentaires  des  Psaumes  ont  abondé  au  XVI""^  siècle; 
l'Ecclésiaste  a  été  traduit  et  expliqué  par  plusieurs  hommes  dans  chaque 
pays;  les  deux  prédécesseurs  de  Campensis  à  Louvain,  Rob.  Wackefield 
et  Rob.  Shirwood,  avaient  commenté  le  même  livre,  et  vers  le  même 
temps  Alardus  d'Amsterdam  et  Amand  de  Zierikzée,  dans  les  Pays-Bas, 
ont  aussi  composé  des  paraphrases  de  l'Ecclésiaste  ^. 

Il  existe  dans  l'histoire  lilléraire  du  même  siècle  d'autres  témoignages 
d'un  grand  poids  en  faveur  de  la  direction  donnée  aux  études  hébraïques 
par  les  maîtres  du  collège  des  Trois-Langues  ;  plusieurs  de  ceux  qui  s'ap- 
pliquèrent à  l'exégèse  avaient  été  les  élèves  de  Campensis  ou  de  Gennep  ; 
un  prélat  fort  instruit,  qui  avait  entendu  les  leçons  de  ce  dei'nier,  Guil- 
laume Lindanus,  a  répandu  un  nouvel  éclat  sur  cette  science,  par  un 
ouvrage  de  critique  publié  à  Cologne,  en  1558  :  De  opiimo  génère  interpre- 
tandi  Scripturas  libri  III.  Il  faudrait  citer  une  partie  des  théologiens  du  même 
temps  qui  se  sont  occupés  des  Écritures,  Louis  de  Blois,  Fr.  Titelmann  ^, 
Léonard  Hasselius,  et  beaucoup  d'autres,  pour  rendre  compte  de  la  propa- 
gation toujours  plus  grande  de  la  connaissance  de  l'hébreu ,  et  avec  l'hébreu, 
des  langues  congénères  qui  s'en  rapprochent  davantage,  le  chaldéen  et  le 
syriaque.  Mais  il  n'est  aucun  fait  qui  l'atteste  mieux  que  l'appel  honorable 
qui  fut  fait  à  l'Université  de  Louvain  par  Arias  Monlanus,  quand  il  jeta  les 
bases  de  la  Polyglotte,  dont  la  direction  lui  était  confiée  par  Philippe  II  '; 

travail  de  Campensis  dans  son  édition  du  Psautier  latin,  accompagnée  d'une  courte  paraphrase. 
C'est  par  des  raisons  analogues  que  les  éditeurs  de  la  collection  des  Critici  sacri  (tome  III)  n'auront 
pas  donné  de  place  à  Campensis  parmi  les  auteurs  dont  ils  ont  réuni  de  nombreux  extraits,  Munster, 
Vatable,  Clarius,  Drusius,  Castalio,  et  il  en  est  de  même  pour  une  autre  collection,  la  Synopsis 
crilicorum  aliorunique  Sacrae  Scripturae  interprelum  (au  tome  II)  :  les  commentaires  étendus  ont 
dû  faire  oublier  les  paraphrases. 

'  Sur  le  second  de  ces  hommes,  qui  fut  au  nombre  des  hébraïsants  de  Louvain,  voir  la  notice 
insérée  dans  les  Archives  philologiques  de  M.  de  ReifFenberg,  t.  III,  pp.  240  et  suiv. 

5  Voir  sa  biographie  par  M.  Thonissen  {Bulletin  de  la  Soc.  seient.  du  Limbourr/ ,  1855). 

^  Nous  tirons  une  partie  des  données  historiques  dont  se  compose  notre  récit,  du  travail  de 
Don  Tomas  Gonzalez  Carvajal  :  Elogio  historico  del  doctor  Benito  Arias  Monlano  {Memorias  de 
ta  real  Academia  de  la  Hisloria .  tomo  VII.  Madrid,  1832),  accompagné  de  documents  nombreux 
espagnols  et  latins  copiés  dans  les  archives  de  Simancas. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIÎN.  519 

sans  l'existence  d'une  école  d'exégèse  philologique  formée  par  les  leçons 
du  collège  de  Busleiden,  elle  n'aurait  pas  pu  y  répondre  avec  autant  de 
distinction  et  de  succès. 

Immédiatement  après  son  arrivée  en  Belgique,  au  mois  de  mai  1568, 
Arias  3Iontanus  se  rendit  à  Louvain,  et  augura  de  l'accueil  qu'il  y  reçut 
et  de  l'organisation  des  études  qu'il  y  observa  que  l'Université  concourrait 
utilement  à  son  entreprise;  il  écrivit  à  ce  sujet  au  roi  d'Espagne,  en  louant 
beaucoup  la  science  et  les  intentions  des  membres  de  ce  corps,  et  quand 
il  leur  transmit  la  lettre  fort  flatteuse  que  Philippe  II  leur  adressa  de 
Madrid  peu  après  S  '1  exposa  ses  plans  à  l'autorité  académique  et  lui 
demanda  le  concours  actif  de  deux  savants,  à  la  fois  théologiens  et  lin- 
guistes, choisis  entre  ceux  qu'on  lui  avait  déjà  présentés. 

La  pièce  inédite  qui  constate  cette  consultation  officielle  de  l'Université 
par  le  docteur  espagnol  2,  énonce  clairement  les  parties  de  l'œuvre  pour 
lesquelles  il  requérait  son  avis  et  son  appui.  Arias  Montanus  comptait  obte- 
nir l'assentiment  de  ses  docteurs,  comme  il  avait  obtenu  celui  des  hommes 
instruits  d'autres  pays,  sur  un  premier  point  de  quelque  importance  :  c'était 
l'opportunité  d'insérer  une  version  littérale  du  texte  hébreu  dans  les  Biblia 
regia.  Le  principe  admis,  il  proposait  de  confier  à  des  théologiens  exercés 
la  révision  et  la  correction  de  toute  version  qu'on  adopterait  dans  ce  but, 
celle  par  exemple  de  Santés  Pagninus,  qui  avait  reçu  naguère  les  suffrages 
des  souverains  Pontifes.  En  second  lieu.  Arias  Montanus  montrait  l'im- 
portance d'une  version  complète  de  la  Paraphrase  chaldaïque,  qui  ne 
s'étendait  qu'au  Pentateuque  dans  la  Bible  d'Âlcala,  et  il  souhaitait  que 
cette  version  fût  exécutée  par  les  soins  des  membres  de  l'Université.  Il  tenait 
dès  lors  pour  ses  collaborateurs  les  deux  hommes  qu'on  lui  avait  déjà 

'  La  lettre  royale,  en  date  du  15  août  1.^68,  a  été  publiée  en  tête  de  la  Polyglotte  d'Anvers,  et 
d'après  la  copie  des  archives  espagnoles,  parmi  les  documents  de  YElogio,  pp.  150-151.  M''  de 
Ram  l'a  réimprimée,  d'après  l'autographe,  dans  les  notes  de  ses  Considérations,  pp.  55-56. 

•^  Il  nous  a  paru  intéressant  de  l'aire  connaître  cette  pièce  louchant  de  si  près  au  sujet  que  nous 
traitons  :  on  eu  trouvera  le  texte  parmi  les  pièces  justificatives,  lettre  7.  —  Consulter  sur  la  Po- 
lyglotte d'Anvers,  qui  est  une  Bible  en  cinq  langues  (8  vol.  gr.  in-folio,  ann.  1569-1572),  la  Bihlio- 
theca  sacra  de  Lelong(édit.  Masch,  p.  I,  ch.  II!,  pp.  340-549),  et  V Encyclopédie  élémentaire  de 
Petity,  t.  II,  part.  II,  pp.  CCLIV-LVII. 

Tome  XXVIII.  42 


320  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

désignés,  et  il  les  prenait  pour  intermédiaires  dans  ses  relations  avec 
l'Académie  dont  il  invoquait  l'autorité  :  c'étaient  les  docteurs  Augustin 
Ilunnaeus  et  Cornélius  Reineri ,  dit  Gaudamis.  Or,  l'un  avait  non-seule- 
ment étudié  les  langues  au  collège  de  Busleiden ,  tout  en  accomplissant 
ses  cours  de  théologie,  mais  encore  enseigné  l'hébreu  comme  suppléant 
de  Gennep,  et  il  s'était  signalé  dans  les  études  bibliques;  l'autre  appar- 
tenait à  la  Faculté  de  Théologie  ^  et,  avant  qu'il  fût  mêlé  à  la  discussion 
de  questions  importantes,  il  jouissait  déjà  de  beaucoup  d'autorité.  A  ces 
deux  hommes  fut  adjoint  ensuite  Jean  Guilielmius,  dit  Hcnicmkts,  jésuite 
qui  s'était  distingué  comme  interprète  de  l'Ecriture,  et  qui  avait  ensei- 
gné les  langues  bibliques  au  collège  de  la  compagnie,  à  Louvain  2. 

Ces  hommes  accomplirent,  au  nom  de  l'Université,  la  tâche  pour  la- 
quelle Arias  Montanus  avait  sollicité  leur  concours  :  ils  examinèrent  les 
textes  et  les  versions  de  tout  l'ouvrage  avec  une  attention  scrupuleuse  d  un 
bout  à  l'autre,  et  méritèrent  les  éloges  solennels  du  savant  éminent  qui 
avait  tout  ordonné  et  tout  dirigé  ^.  On  trouve  dans  plusieurs  tomes  leurs 
signatures  accompagnant  les  versions  et  les  paraphrases  que  renferme  la 
Polyglotte  d'Anvers,  par  exemple  la  version  latine  interlinéaire  de  la  Bible 
hébraïque  au  tome  VII  de  cette  collection  *.  Puisque  l'éducation  littéraire 
de  Hunnaeus  et  de  Gaudanus  s'est  faite  à  Louvain,  il  n'est  pas  superflu 
de  relever,  parmi  les  louanges  que  Montanus  leur  a  décernées,  leur  éru- 
dition littéraire  et  leur  connaissance  peu  commune  des  langues  bibliques. 
Si  on  ne  peut  méconnaître  dans  ces  belles  qualités  l'influence  de  l'ensei- 
gnement dispensé  dans  l'institution  dont  nous  faisons  l'histoire,  on  ne  se 
tromperait  point,  sans  doute,  en  rapportant  à  cette  même  source  une 

*  Voy .  Fasli  acad.,  pp.  369 ,371.  —  Son  nom  est  écrit  tantôt  Reineri ,  tantôt  Reinerus ,  et  son 
.surnom ,  sous  la  forme  soit  de  Gaudanus,  soit  de  Goudanus,  du  nom  de  la  ville  de  Gouda  en  Hol- 
lande. Arias  et  les  Espagnols  l'ont  appelé  le  plus  souvent  Goudano  ou  Goudan. 

^  Jean  Harlemius  se  chargea,  outre  la  révision  générale,  de  la  confection  de  V  Index  biblicus  et 
des  Variae  lectiows ,  dans  \'  Apparatus  sacer  de  la  Polyglotte.  Voir  ci -dessus,  pp.  247-48. 

■^  Voy.  la  préface  de  la  Polyglotte,  datée  du  22  juillet  1S7I ,  et  reproduite  en  partie  dans  la  Bi- 

bliotlieca  sacra  (éd.  Masch,  t.  1,  pp.  344-346).  In  primis  aulein duobus  Lovaniensis  rjymnasii 

Imninibus,  ac  loli  rei  literuriae  addictissimis ,  ingénies  habeant  gralias,  etc.... 

*  On  lit  en  tête  de  ce  tome  qui  est  le  second  de  YApparatus  :  Bebraïcorum  liibliorum  Intina 
inlerprelalio  censorum  Lovaniensium  judicio  et  Acadeiniae  suffrayio  comprobatu. 


DES  TROIS-LAiNGUES  A  LOUVAIN.  321 

partie  de  l'illustration  qu'un  Belge  du  même  siècle,  André  Masius,  s'est 
acquise  dans  la  philologie  sémitique.  Cet  autre  collaborateur  d'Arias  Mon- 
tanus,  natif  du  Brabant  ^  et  qui  avait  fait  à  Louvain  ses  premières  armes, 
a  fourni  à  la  polyglotte  royale  la  grammaire  et  le  dictionnaire  syriaques 
qui  en  forment  le  tome  VI,  ainsi  que  des  portions  de  la  paraphrase  chal- 
daïque  qu'il  avait  découvertes  à  Rome. 

11  ne  nous  est  pas  permis  d'aller  plus  loin  dans  cette  enquête  sur  le 
secours  que  des  élèves  du  collège  des  Trois-Langues  prêtèrent  à  l'éditeur 
des  Bihlki  Regia  :  ce  magnifique  monument,  chef-d'œuvre  de  l'art  des  Plan- 
tins,  attend  encore  des  historiens,  dont  les  uns  examineront  l'œuvre  des 
critiques  et  des  traducteurs  au  point  de  vue  de  la  théologie  et  de  la  lin- 
guistique, dont  les  autres  décriront  toutes  les  circonstances  de  son  exé- 
cution et  de  sa  publication.  On  ne  lira  point  avec  déplaisir  ici  les  vers 
composés  par  un  écrivain  français  de  la  même  époque  en  l'honneur  d'Arias 
Montanus,  puisqu'ils  glorifient  en  lui  la  science  des  langues,  cultivée  avec 
éclat  par  l'institution  dont  nous  recueillons  les  titres  principaux.  Guy  Le- 
fèvre  de  la  Boderie,  qui  était  linguiste  lui-même  et  qui  avait  traduit  en 
latin  le  texte  syriaque  du  Nouveau  Testament,  s'exprime  ainsi  dans  un  de 
ses  sonnets  adressés  à  Philippe  II  ^  : 

Encor  que  vostre  sceptre  à  meins  peuples  commande; 
Encor  que  vous  soyez  le  plus  grand  terrien 
Qui  vive  de  ce  temps,  soit  le  Tarlarien , 
L'Abyssin ,  ou  le  Turc  qui  l'Asie  gourmande  : 

Si  est-ce  qu'à  grand'peine  en  une  si  grand'bande 
Auriez-vous  peu  choisir  un  plus  homme  de  bien 
Que  le  docte  Arias,  car  le  sçavoir  n'est  rien 
Si  plus  que  le  sçavoir  la  piété  n'est  grande. 

'  André  Maes,  né  à  Linnich,  a  fait  des  voyages  scientifiques,  et  publié  plusieurs  ouvrages  de 
linguistique  et  d'exégèse;  il  fui  conseiller  du  duc  de  Clèves,  et  mourut  en  1573.  Voir  la  notice  de 
Paquol,  Mémoires,  tome  II,  pp.  27i-78. 

■-  L'Encyclie  des  secrets  de  l'Élernilé.  Anvers,  Planlin  (1570).  —  Sonnets  au  roi  Catholique 
sur  l'impression  des  grandes  Bibles  d'Anvers,  pp.  244-246.  —  Le  docte  imprimeur  François  de 
Raulenghien  ou  Raphelengius  a  eu  sa  part  dans  les  sonnets  du  poète  français;  et  Jean  Harlemius 
n'a  pas  obtenu  le  moindre  lot  dans  cette  distribution  de  vers  et  de  louanges.  Guy  Lefèvre  de  la 
Boderie  dit  au  premier  (p.  252)  : 

....  Tu  sers  au  bien  public,  en  constance  asseurée  : 


322  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

A  luy  l'iiébrieu  myslic,  ni  le  chaldé  {sic)  antique, 
Le  grec,  ni  le  latin,  ni  l'obscur  arabique 
Ne  sont  point  inconnus.  Gérion  ce  me  semble 
N'eut  trois  corps  ni  trois  chefs;  et  n'eut  Argus  cent  yeus, 
Briarée  cent  mains,  ce  sont  des  contes  viens  : 
Mais  il  a  dans  un  chef  plusieurs  langues  ensemble. 


CHAPITRE  X. 

EXAMEN  DES  RÉSULTATS  GÉNÉRAUX  DE   LENSEIGNEMENT  DU   COLLÈGE 
DES  TROIS-LANGUES  AU  XVI""^  SIÈCLE. 


Tum  aulae  Cae$areae  prodibttnt  eruditi  seeretarii, 
cordati  consiliarii,  legati  acundi,  procertt  non  tan- 
lum  imaginibus  nobiles 


(Emsu.  AD  JO.    SCCQCETCM.; 


Il  ne  se  trompait  point,  l'ingénieux  humaniste  qui  fut  comme  le  second 
fondateur  du  collège  des  Trois-Langues ,  quand  il  écrivait,  en  1525  ,  à  un 
homme  de  cour,  Jean  Sucquet  *,  que  ce  collège,  patronné  comme  il  méri- 

Tu  sçais  que  vaul  le  grec ,  el  la  langue  épurée 
Des  Hebrieus  et  Cbaldez,  et  les  Rommains  thresors. 

Tu  donnes  ton  labeur,  Ion  temps  et  diligence 
Pour  accorder  la  lettre  avec  l'intelligence 
Tant  aus  Livres  sacrez,  qu'ans  profanes  Escrits  -. 

Il  fait  sonner  bien  haut  dans  l'éloge  de  «  M.  Jan  Harlem  »  (  p.  2o5)  sa  profonde  connaissance  du 
Chaldéen  : 

Si  je  dy  que  tu  as  d'Atbènes ,  et  du  Temple 
De  la  sainte  Cité,  et  de  Romme  encor  mieus 
La  langue  familière,  et  du  peuple  ocieus 
Qui  l'heur  et  le  malheur  par  les  astres  contemple, 
.le  diray  vérité,  et  n'ay  peur  que  ma  Muse 
De  fard,  ou  flaterie,  ou  mensonge  on  accuse: 
Tant  seulement  je  crein  de  te  teindre  la  joue 
De  vermeillon  flambant 

'  Lettre  citée  et  traduite  en  partie  ci-dessus,  chapitre  III,  pp.  81-82. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  523 

tait  de  l'être,  serait  une  pépinière  d'hommes  utiles  au  souverain  et  à  l'État. 
Ce  ne  fut  pas,  en  effet,  le  moindre  des  services  rendus  à  la  patrie  par  les 
hommes  qui  y  enseignèrent,  que  d'avoir  formé  des  jeunes  gens  de  toute 
naissance  et  de  toute  vocation ,  d'avoir  dispensé  à  chacun  d'eux  le  genre 
d'instruction  littéraire  qui  convenait  le  mieux  à  sa  carrière  publique. 

Pour  estimer  à  sa  juste  valeur  l'action  qu'il  fut  donné  aux  professeurs 
du  collège  de  Busleiden  d'exercer  sur  la  jeunesse  de  leur  temps,  il  faudrait 
parcourir  toutes  les  branches  de  la  science  et  de  l'enseignement,  il  faudrait 
parcourir  de  même  le  cercle  des  hautes  fonctions  de  l'Église  et  de  l'État  : 
on  apercevrait  alors  sans  peine  ce  qui  leur  revient  de  mérite  et  d'honneur 
pour  avoir  dirigé  les  premiers  pas  de  tant  d'hommes  instruits  et  dévoués. 
Quoique  nous  ne  puissions  pas  pousser  cette  revue  jusqu'aux  détails  de  la 
biographie,  nous  essayerons  de  montrer  ce  que  la  culture  de  l'esprit, 
animée  par  le  génie  des  lettres,  a  valu  d'ascendant  aux  nombreux  élèves 
qui  fréquentèrent  les  leçons  de  langues  anciennes  ouvertes  à  l'Université  de 
Louvain.  Si  l'on  joint  à  ces  conséquences  pratiques  la  distinction  acquise 
par  les  maîtres  dont  les  écrits  firent  avancer  la  philologie  et  la  critique, 
il  ne  sera  douteux  pour  personne  que  le  collège  des  Trois-Langues  n'ait 
répondu,  dans  son  premier  siècle,  le  XVI^S  à  sa  destination  d'école  spé- 
ciale des  langues  savantes,  et  qu'il  ne  puisse  être  mis  en  parallèle,  sans 
partialité,  avec  les  institutions  littéraires  qui  ont  joui  de  célébrité  dans  la 
même  période. 

La  réputation  du  collège  des  Trois-Langues  s'étendit  au  dehors,  peu 
après  son  établissement,  et  plus  d'un  pays  étranger,  comme  on  en  aura  des 
preuves  dans  la  suite  de  ce  chapitre,  recueillit  bientôt  les  fruits  de  son 
enseignement.  C'est  ce  qu'a  reconnu  un  des  historiens  de  la  Renaissance. 
Henri  Hallam,  en  parlant  de  la  fondation  de  Jérôme  Busleiden,  qui  suivit 
de  près  l'érection  des  chaires  de  langues  à  l'Université  d'Alcala  ^  :  «  Cet 
établissement,  dit-il,  produisit  une  foule  d'hommes  distingués  par  leur 
érudition  et  leurs  talents  ;  et  Louvain  ,  au  moyen  de  son  Collegmn  Trilingue, 
s'élevant  à  un  rang  plus  éminent  encore  que  celui  qu'avait  occupé  Deventer 

1  Histoire  de  la  littérature  de  l'Europe,  t.  I,  p.  273.  Selon  l'historien  de  Ximenès,  M.  Hefele, 
le  collège  des  Trois-Langues  d'Alcala,  consacré  à  S'-Jérôme,  recevait  trente  élèves  boursiers. 


524  MEMOIRE  SUR  LE  COLLÈGE 

dans  le  XV""  siècle,  devint  non-seulement  le  foyer  principal  des  connais- 
sances en  Belgique,  mais  encore  un  foyer  d'oîi  elles  se  répandirent  en 
différentes  parties  de  l'Allemagne.   » 

On  peut  présumer,  sans  crainte  de  se  tromper,  que  l'assistance  aux 
leçons  du  collège  de  Busleiden  a  été  considérable  pendant  la  plus  grande 
partie  du  siècle  de  sa  fondation,  jusqu'à  l'époque  des  guerres  civiles;  la 
raison  en  est  simple.  Différentes  catégories  d'auditeurs  suivaient  les  leçons 
données  chaque  jour  au  collège,  comme  le  prescrivait  l'acte  d'institution; 
les  leçons  de  grec,  et  surtout  celles  de  latin ,  devaient  attirer  grand  nombre 
de  jeunes  gens  à  qui  on  avait  fait  sentir  le  besoin  de  perfectionner  leur 
éducation  littéraire  ,  et  l'on  n'a  pas  de  peine  à  croire  que  l'éloquence  attri- 
buée à  plusieurs  maîtres  dans  ces  leçons ,  n'ait  rendu  la  plupart  de  leurs 
auditeurs  jaloux  de  posséder  à  leur  tour  une  bonne  latinité.  L'influence 
des  professeurs  s'exerçait  différemment  en  dehors  des  leçons  publiques  : 
tantôt  ils  donnaient  des  -avis  et  accordaient  des  entretiens  et  même  des 
leçons  privées  aux  ûls  de  famille  qu'on  leur  recommandait  ou  même  qu'on 
leur  confiait  directement  (Nannius  en  usa  ainsi  à  l'égard  de  plusieurs 
gentilshommes,  et  après  lui,  Cornélius  Yalerius  bien  davantage  encore); 
tantôt  ils  encourageaient  le  talent  naissant  de  jeunes  philologues,  en  sur- 
veillant leurs  études,  en  dirigeant  leurs  lectures  et  leurs  exercices,  en 
revoyant  leurs  compositions.  De  la  sorte,  chacun  avait  sa  part  :  aux  gen- 
tilshommes, aux  enfants  de  la  noblesse,  les  principes  de  l'art  oratoire  et 
la  connaissance  des  grands  auteurs;  aux  humanistes  et  aux  maîtres  es 
arts,  aux  docteurs  futurs  de  toute  faculté,  la  science  grammaticale,  les 
règles  de  la  critique  et  les  recherches  de  l'érudition.  C'est  ainsi  que  les 
membres  de  l'institution  parvenaient  à  satisfaire,  avec  autant  de  dévoue- 
ment que  d'intelligence,  aux  aptitudes  et  aux  tendances  fort  diverses  qui 
se  manifestaient  dans  une  si  grande  foule  d'élèves. 

Cent  ans  ne  s'étaient  pas  écoulés,  et  déjà  on  comptait  dans  le  pays  ou 
au  dehors  une  multitude  d'hommes  utiles  et  estimés  qui  étaient  sortis 
du  collège  des  Trois-Langues.  Quand  Valère  André  retraçait  les  annales 
de  cette  institution  vers  la  fin  de  son  premier  siècle,  il  ne  craignit  pas  de 
représenter  par  des  noms  propres  le  concours  de  toutes  les  classes  de  la 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  32S 

société  autrefois  confondues  sur  ses  bancs  '  :  c'étaient  des  personnages  de 
la  haute  noblesse,  des  hommes  d'État,  des  capitaines  et  des  magistrats, 
des  écrivains,  des  théologiens  et  des  savants,  dont  les  titres  étaient  connus 
de  tous. 

Nous  dirons  d'abord  quelques  mots  des  hommes  destinés  à  une  gran- 
deur princière  ou  à  la  conduite  des  affaires  publiques,  que  l'on  est  en 
droit  de  comprendre  dans  la  jeunesse  admise  aux  leçons  du  collège  de 
Busleiden,  et  tout  d'abord  nous  recourrons  aux  propres  paroles  de  Valère 
André,  qui  a  ainsi  évoqué  leur  souvenir  dans  son  discours  historique  : 
Repelile  memoria  inde  usque  ab  miliis  Scholae  liujus  patriae  principes  et  BeUjii 
nostri  Atlantes,  qui  sagum  toqae,  purpuram  fascesque  Doctorilms  suis  submiserunt. 
Ici,  l'orateur  indique  dans  un  seul  groupe  les  ducs  d'Aerschot,  les  princes 
d'Orange  et  d'Espinoy,  les  comtes  de  Lalaing,  de  Mansfeldt  et  de  Berlay- 
mont;  une  foule  de  barons;  et  à  leur  suite,  beaucoup  d'étrangers  devenus 
célèbres  dans  la  politique  ou  dans  les  armes.  Puis,  il  désigne  les  hommes 
profondément  instruits,  appelés  aux  charges  publiques  et  au  gouverne- 
ment de  la  société,  et,  enfin,  une  foule  de  savants  distingués,  parmi  les 
hôtes  et  les  élèves  du  collège  des  Trois-Langues  -  :  Repetite  viros  in  Repiibl. 
magnos,  qui  loci  ducti  genio,  sedem  hic  habitalioncmque  aliquando  fixenint,  meros 
liinc  Heroes,  graece  latineque  doctissimos,  prodiisse  comperietis. 

C'est,  en  effet,  des  rangs  de  la  noblesse  et  des  familles  patriciennes 
que  le  pays  vit  sortir  ces  jeunes  hommes  fort  habiles,  mêlés  dans  notre 
histoire  nationale  aux  négociations,  aux  affaires,  aux  événements  qui  mar- 
quèrent plusieurs  règnes.  Le  vœu  d'Érasme  était  accompli  :  les  souverains 
des  Pays-Bas  trouvèrent  en  eux  des  secrétaires  instruits,  des  conseillers 
d'une  haute  prudence,  des  ambassadeurs  éloquents,  et  la  cour  se  peupla  de 
grands  qui  avaient  une  autre  noblesse  que  celle  de  leurs  armoiries.  C'est 
là  un  fait  qui  méritait  bien  d'être  rappelé  hautement,  en  1627,  quand 
Valère  André,  prononçant,  devant  toute  l'Université  de  Louvain,  une  ha- 
rangue d'actions  de  grâces  à  ses  fondateurs,  revendiquait  la  part  de  gloire 

*  Exordia  cw  progressus,  \>\).  11-12. 

2  Tels  que  Jean  et  François  Sauvage,  fils  de  Jean  Sauvage,  chancelier  de  Bourgogne,  Charles 
Laurinus,  Arnold  de  Mérode,  Guillaume  et  Michel  Enckevoord,  Arnold  Sasbout ,  Nicolas  Assen- 
delft,  et  au-dessus  d'eux  encore,  Viglius  et  Hopperus. 


326  MEiMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

qui  revenait  de  ce  chef  au  collège  des  Trois- Lan  gués  *  :  Dedil  et  formavn 
viros  in  Rcpubl.  magnos  ac  praestmites,  vel  ideo  etiam,  quia  sic  forrnali,  litterarum 
cognitione  praestai~cnt  caeteris.  La  supériorité  de  la  plupart  des  hommes  qui 
avaient  joué  un  rôle  dans  des  postes  éminenls,  dans  des  assemblées  délibé- 
lanles,  dans  des  missions  difficiles,  pouvait  être  attribuée  à  l'influence 
décisive  des  belles-lettres  sous  laquelle  leur  dernière  éducation  s'était 
mûrie  et  achevée. 

Si  nous  nous  tournons  maintenant  vers  la  catégorie  d'élèves  qui  cher- 
chaient les  lettres  pour  elles-mêmes,  nous  les  voyons  accepter  et  suivre 
une  direction  intelligente,  qui  développe  en  eux  le  goût  des  études  phi- 
lologiques et  littéraires,  leur  en  fait  aimer  le  côté  sérieux  et  chercher  les 
applications  les  plus  utiles.  Il  n'est  pas  de  science  alors  enseignée  dans  les 
Universités,  au  profit  de  laquelle  n'aient  tourné  les  travaux  de  grammaire 
et  de  philologie,  poursuivis  sous  les  auspices  des  professeurs  du  collège 
des  Trois-Langues. 

On  a  pu  remarquer  au  chapitre  précèdent  que  l'enseignement  de  l'hé- 
breu avait  fait  des  prosélytes  parmi  les  théologiens,  et  fourni  aux  sciences 
ihéologiques  un  appui  qui  leur  manquait  auparavant,  l'exégèse  des  Écri- 
tures fortifiée  par  la  connaissance  des  langues  anciennes  et  originales  : 
à  côté  des  hébraisants  dont  nous  avons  dit  le  mérite  et  les  services  per- 
sonnels, il  exista  sans  doute  une  classe  nombreuse  de  gradués  en  théo- 
logie, qui  apprirent  les  éléments  de  l'hébreu  en  vue  de  suivre  attentivement 
les  travaux  exègètiques  de  l'époque.  Les  efforts  d'André  Masius  avaient  doté 
la  science  d'une  grammaire  et  d'un  dictionnaire  syriaques,  faisant  partie  de 
la  grande  polyglotte;  mais  on  sentait  le  besoin  de  livres  élémentaires  et  de 
textes  choisis  pour  étudier  cette  langue  et  d'autres  langues  de  la  famille 
sémitique.  C'est  pour  y  satisfaire  que  Guy  Lefèvre  de  la  Boderie  réim- 
prima, à  Anvers,  les  éléments  de  grammaire  syriaque  composés  par  le 
chancelier  Ferdinand  Widmandstadt,  et  comprenant  avec  les  règles  de  la 
lecture  une  série  de  prières  chrétiennes  et  de  textes  de  l'Évangile  ^.  Le 

'  Eiicharislicon  fundatoribiis ,  patronis ,  etc.,  dans  la  d''^  édition  des  Fasti  Academici,  p.  214. 
-  Stjriacae  linguae  prima  elementa.  Antv.,  Plantin,   1572,  32  pages  petit  in-4°.  —  Cfr.  Hoff- 
mann, Grammaticae  syriacae  tibri  III.  Halis,  1838,  pp.  42-43  (Introduction  historique). 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIIS.  327 

même  savant  déférait  au  vœu  de  philologues  de  Louvain ,  quand  il  publiait, 
dans  la  même  année,  un  texte  inédit  accompagné  d'une  traduction  latine  : 
c'est  le  traité  de  Sévère  sur  les  rites  du  baptême  et  de  la  sainte  Eucharistie 
chez  les  chrétiens  de  Syrie  \  qu'il  tira  d'un  manuscrit  des  Évangiles  que 
Daniel  Bomberg  avait  acquis  à  Venise  et  procuré  à  Plantin. 

On  doit  rapprocher  de  cette  première  classe  de  savants  et  d'étudiants 
ceux  qui  se  sont  attachés  à  la  culture  du  grec  dans  un  but  religieux  :  ce 
n'était  point  sans  de  graves  motifs  qu'ils  voulaient  être  à  même  d'inter- 
préter le  Nouveau  Testament,  plusieurs  fois  publié  dans  son  idiome  ori- 
ginal,  et  ils  étaient  d'autre  part  attirés  naturellement  à  la  lecture  des 
monuments  de  la  patrologie  grecque,  dont  la  publication  occupait  à  la  fois 
tant  d'écoles.  Bien  que  des  éditions  grecques  des  Pères  n'aient  pas  été 
faites  alors  en  nombre  considérable  dans  l'une  ou  l'autre  de  nos  villes,  il 
est  certain  que  les  éditions  de  Bàle ,  de  Paris  et  d'autres  localités  de 
l'étranger  circulaient  dans  notre  pays  et  y  trouvaient  des  lecteurs  :  la  ver- 
sion de  plusieurs  traités  des  Pères  grecs,  due  à  P.  Nannius,  dut  aussi 
solliciter  puissamment  les  esprits  à  la  connaissance  d'une  langue  qui  était 
la  clef  de  ces  livres  si  recherchés.  Vers  la  fin  du  siècle,  la  Belgique  eut  à 
son  tour  des  hellénistes  qui  s'occupèrent  des  œuvres  grecques  chrétiennes 
en  même  temps  que  des  ouvrages  profanes  :  leurs  noms  se  présenteront 
dans  la  suite  des  aperçus  appartenant  à  la  matière  de  ce  chapitre. 

Il  y  eut  aussi  quelques  élèves  du  Collegium  Trilingue  qui  firent  servir 
leur  connaissance  des  langues  grecque  et  latine  à  leurs  études  postérieures 
de  droit  et  de  médecine  :  les  uns  s'occupant  de  recherches  historiques  sur 
la  législation  romaine,  ou  de  l'interprétation  d'anciens  textes;  les  autres 
voulant  lire  eux-mêmes  les  monuments  conservés  de  l'art  médical  chez 

'  Severi  Akxandrini  quondam  palriarchae  de  ritibus  baptismi  et  sacrae  synaxis  apud  Syros 
christianos  receptis  liber,  etc.  Antverp.,  1572,  pp.  132,  petit  in-4''  (traité  réimprimé  par  J.-L.  Assé- 
mani  au  t.  H  du  Codex  liturgicus  ccclesiae  universae).  —  On  lit  dans  l'épître  dédicatoire  de  Guy 
Lefèvre  de  la  Boderie:  Rogavercml  enim  nos  et  hic,  et  Lovanii  viri  cdiquot  percelcbres ,  ac  de  literis 
linguisque  peregrinis  bene  meriti,  ut  aliquid  Syriace  seorsim  a  Bibliis  Regiis  in  lucem  emitterem,  in 
quo  tyronesse  ipsos  exercèrent,  quorum  petitioni,  vel  potius  imperio  (eorum  enim  estjubere,  milu 
jussa  capessere  f'as  est)  perquam  Ubenter  acquievi.  Ac  ut  facilius  legendi  modum  in  Syrismo  addis- 
cerentsludiosi,  puncta  ubique  addidi,  quae  in  veteri  manuscripto  exemplari  defuerunt. 

Tome  XXVIII.  ^^ 


328  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

les  anciens  ^  Parmi  les  jurisconsultes,  médecins  et  professeurs  de  droit 
dont  la  carrière  coïncide  avec  les  dernières  années  du  siècle,  on  en  voit 
plusieurs  qui  s'étaient  appliqués  au  grec,  et  quelques-uns  même  au  point 
d'être  en  état  de  l'enseigner,  comme  le  prouve  l'exemple  de  Gérard  Cor- 
selius  et  de  Henri  Zoesius^.  C'est  là  un  des  traits  qui  distinguent  la  direc- 
tion générale  des  études  au  XVI""=  siècle  de  leur  tendance  plus  pratique 
au  siècle  suivant  :  l'élément  littéraire  eut  alors  dans  l'instruction  du  juris- 
consulte et  du  magistrat  plus  de  place  et  d'influence  qu'il  n'en  eut  posté- 
rieurement; le  chancelier  Viglius,  Joachim  Hopperus,  Pierre  Peckius,  sont 
les  plus  distingués  de  ces  magistrats  lettrés,  dont  le  collège  de  Busleiden 
conservait  les  noms  dans  ses  annales. 

Les  cours  d'humanités  furent  améliorés  rapidement  dans  presque  toutes 
nos  villes,  à  la  faveur  des  méthodes  que  propagèrent  les  jeunes  huma- 
nistes formés  au  collège  des  Trois-Langues,  et  dont  plusieurs  enseignèrent 
en  diverses  localités.  Les  livres  publiés  par  des  maîtres  ou  des  élèves  du 
même  collège,  contribuèrent  d'un  autre  côté  à  une  culture  plus  avancée 
du  grec  et  du  latin.  La  grammaire  grecque  d'Amerotius  fut  longtemps  le 
manuel  le  plus  complet  consulté  par  les  professeurs  et  les  élèves  pour  la 
connaissance  des  formes;  elle  ne  perdit  pas  son  utilité,  quand  Nicolas 
Cleynarts  eut  publié  un  manuel  plus  court  dans  l'intérêt  des  commen- 
çants. Les  InstUuliones  linguae  graccae,  qui  parurent  en  avril  1550,  ont 
assuré  de  prime  abord  à  Cleynarts  un  rang  distingué  parmi  les  hommes 
de  la  Renaissance,  qui  se  sont  ingéniés  à  répandre  les  langues  classiques, 
et  surtout  à  en  vulgariser  l'enseignement.  Quoique  Cleynarts  n'ait  pas 
occupé  une  des  chaires  du  collège  de  Busleiden,  il  a  concouru  au  but  de 
l'institution  par  les  leçons  où  il  mit  sa  méthode  grammaticale  à  l'épreuve, 
par  les  exercices  oîi  il  en  fit  l'application  ^,  par  le  livre  où  il  la  résuma, 
et  qui  lui  valut  un  fort  long  empire  dans  les  classes.  Sa  grammaire,  dont 
il  n'y  a  pas  lieu  d'ènumérer  ici  toutes  les  éditions,  chargées  de  notes  de 

'  Rescius  avait  publié  en  grec  les  Institutes  de  Théopliile  et  les  Aphorismes  d'Hippocrate. 
^  A.  Gennep  et  Pieriiis  h  Smenga,  hébraïsaïUs  qui  ont  enseigné  au  même  collège,  ont  pratiqué 
la  médecine,  de  même  que  Caslellanus,  qui  fut  professeur  de  grec  de  1609  à  103:2. 

^  C'est  l'objet  de  ses  Meditationes  Graecanicae  in  artem  grammaticam.  Louvain,  juillet  1331 . 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  329 

différents  grammairiens  et  philologues,  fut  en  usage  plus  de  deux  cents 
ans  après  lui  dans  les  Pays-Bas,  en  Allemagne  et  en  France,  ou  bien  elle 
fut  prise  comme  base  d'ouvrages  nouveaux  '.  On  vendait  à  Paris,  en  1551, 
grand  nombre  d'exemplaires  de  cette  grammaire,  et  sa  popularité  fut  si 
bien  associée  h  celle  de  l'œuvre  d'un  autre  de  nos  grammairiens,  qu'il  y 
avait  encore  en  France,  du  temps  de  la  Fontaine,  plus  d' 

Un  écolier  qui  ne  s'amusait  guère 
A  feuilleter  Clénard  et  Despaulère. 

Gomment  passer  sous  silence,  dans  cette  histoire  des  études  littéraires, 
les  tentatives  ingénieuses  de  Cleynarts,  élève  de  Rescius  et  de  Campensis, 
pour  se  rendre  maître,  à  l'aide  de  l'hébreu,  des  éléments  de  l'arabe  et 
d'autres  langues  sémitiques?  Ce  fut  là  le  but  de  son  exil  volontaire,  de 
ses  voyages  en  Espagne  et  en  Afrique  2,  après  lesquels  il  succomba  sans 
avoir  terminé  quelque  œuvre  de  grammaire  ou  de  philologie  orientale. 
Un  jour  peut-être  nous  retracerons  sa  vie  et  ses  travaux. 

Les  traités  d'Amerotius  et  de  Cleynarts  sur  la  grammaire  grecque  trou- 
vèrent leur  complément  dans  un  traité  de  J.  Varennius  ou  van  der  Varen, 
de  Malines,  sur  la  syntaxe  de  la  même  langue,  qui  parut  au  mois  d'août 
1552  ^  et  qui  eut  plusieurs  éditions  à  Louvain  et  ailleurs  dans  le  même 
siècle*;  ces  livres,  qui  forment  ensemble  un  cours  de  grammaire,  ont 

'  Voy.  Haliam,  Littér.  de  l'Europe,  t.  I,  pp.  33Ô-334,  t.  II,  p.  19,  et  Baillet,  Jugements  des 
savants,  édition  in-12,  t.  Il,  P.  III,  pp.  164-165. 

2  Lire  la  Notice  analytique  des  lettres  de  Nie.  Cleynarts  dans  les  Anakcla  -  Biblion  du  marquis 
du  Roure,  1. 1,  p.  448,  et  les  Voyageurs  belges  de  M.  le  baron  J.  de  Saint-Génois ,  1. 1 ,  pp.  1 12  et  suiv. 

5  Le  titre  de  la  première  édition  est  ainsi  conçu  :  Stjntaxis  linguae  graecae ,  eu potissimum  coni- 
plectens  quae  a  latinis  dissentimt;  auctore  Joanne  Varennio  Mechlinien.  Venundantur  Lovanii  a 
Bartholomeo  Gravio  sub  sole  aureo.  02  feuillets  in-4°.  Sign.  Â.  II.  —  Q.  III.  -  On  lit  au  dernier 
feuillet  :  Lovanii,ex  offlcina  Rutgeri  Rescii  anno  MDXXXIl.  Sexto  idus  augusiL  Sumptu  ejiisdem 
ac  Bartholomei  Gravit.  Dans  la  dédicace  l'auteur  dit  :  Commisimus  ea  praelo  Rescii  nostri.  Il  avait 
trouvé  un  confrère  et  un  conseiller  peut-être  dans  Fbelléniste  qu'il  prit  pour  éditeur. 
.  -i  Outre  les  éditions  énumérées  par  l'aquol  dans  sa  notice  sur  Varennius  {Mémoires,  t.  I,  p.  185), 
une  édition  de  sa  syntaxe  fut  faite  en  1531 ,  à  Louvain ,  chez  B.  Gravius  (pp.  174,  in-8°).  Varennius 
est  mort  septuagénaire  à  Lierre,  en  1536;  son  traité  sur  les  accents  grecs,  dont  la  plus  ancienne 
édition  connue  remonte  à  1544,  fut  réimprimé  plusieurs  fois  {Bibl.  HuUhemiana,  t.  II,  pp.  246- 
247);  une  édition  revue  parut,  en  1551,  à  Louvain  :  Ucpi  a-poratev,  id  est ,  de  accentibus  Graecorum 


330  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

contribué  à  l'introduction  du  grec  dans  l'éducation  de  la  jeunesse  de  nos 
provinces;  les  maîtres  seuls  étaient  tenus  de  recourir  à  des  ouvrages  éten- 
dus, tels  que  les  Commentarii  de  G.  Budé,  ou  bien  aux  grammaires  de 
Lascaris  et  de  Théodore  Gaza.  Guillaume  Fabius ,  professeur  de  grec  après 
Th.  Langius,  fit  un  nouveau  travail  sur  la  syntaxe  grecque,  mais  en  s'ap- 
puyant  principalement  sur  celui  de  Varennius,  et  en  consultant  quelques 
traités  plus  récents  ^ 

La  langue  latine,  qui  fut  cultivée  avec  plus  de  soin  et  d'extension  que 
tout  autre,  exerça  la  sagacité  d'un  grand  nombre  d'humanistes  de  la  Belgi- 
que, qui  éci'ivirent  des  traités  de  grammaire  pour  seconder  le  mouvement 
des  études  :  de  ce  nombre  était  ce  dilettante,  ami  des  lettres,  Georges  Ha- 
lewyn  ou  de  Halluin,  seigneur  de  Comines,  qui  savait  honorer  quiconque 
se  signalait  par  son  savoir;  en  dissertant  lui-même  sur  la  langue  latine  -,  il 
voulait  prouver,  contre  l'avis  des  grammairiens  antérieurs  qui  avaient  pris 
les  règles  et  l'analogie  pour  bases  de  leur  enseignement,  que  l'usage  et  la 
lecture  des  anciens  étaient  les  seuls  éléments  véritables  de  la  connaissance 
du  latin.  Ce  petit  livre,  si  curieux  qu'il  fût,  s'est  effacé  comme  beaucoup 
d'autres  devant  la  célébrité  permanente  de  l'ouvrage  de  J.  Despautère,  et 
même  des  abrégés  qui  en  furent  faits  par  Simon  Verepaeus  ou  Verrypen 
et  par  d'autres  latinistes.  Un  des  maîtres  les  plus  diligents  d'alors  fut  Jean 
Gillet  (Joannes  Gilletianus),  qui  professa  au  collège  de  Iloudain,  fondé  à 
Mons  en  154-5  :  il  reconnut  le  besoin  de  fournir  aux  commençants  une 
méthode  facile  d'étudier  la  langue  latine;  il  dicta  à  ses  élèves  une  gram- 
maire très-courte,  formulée  par  demandes  et  par  réponses,  et  il  la  publia, 
en  1555,  sous  le  titre  de  :  Lalinonim  elenientorum  erotemata.  Cet  opuscule 
eut  un  grand  succès  dans  les  écoles,  pour  lesquelles  il  fut  souvent  réim- 

libellus,  jam  denuo  recognihis,  multisque  in  locis  restitutus.  Lov.,  ex  offic.  Barth.  Gravii,  1531, 
pp.  31 ,  in-8°. 

^  Syntaxeos  linguae  graecae  epitome.  Voy.  chapitre  VII,  p.  212. 

2  Reslauralio  linguae  latinae ,  \)er  l>.  Georghim  Halvini,  etc.  (Antverpiae,  Ibôô,  90  feuillets 
petit  in-8°  non  chiffrés.)  M.  de  Reitfenbera;  ayant  signalé  l'excessive  rareté  de  cet  opuscule  {Bul- 
letin du  Bibliophile,  publié  par  Techener;  Paris,  1834,  n°  8),  M.  Polain  a  eu  la  bonne  chance  d'en 
découvrir  un  exemplaire  qu'il  a  décrit  dans  le  même  recueil  (Bulletin,  1836,  n"  24).  L'épîlre  dédi- 
catoire  à  J.  Despautère  est  datée  du  24  octobre  1508.  Cfr.  Foppens,  p.  338. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  531 

primé  '.  Ainsi,  pour  le  latin  encore,  la  Belgique  ne  devait  qu'à  elle-même 
les  meilleurs  livres  qui  pussent  servir  à  son  enseignement,  et  elle  reçut  de 
Cornélius  Valerius  un  nouveau  travail,  où  ce  maître  consommé  donnait  à 
l'art  grammatical  l'ordre  et  la  clarté  admirés  dans  ses  leçons  et  dans  ses 
manuels  sur  toutes  les  sciences  :  c'est  en  15o4  que  Valerius  mit  au  jour 
la  première  édition  de  ses  Grammalicarum  institulionum  libri  IV,  comprenant 
la  grammaire,  l'étymologie ,  la  syntaxe  et  la  versification  latines  -. 

La  méthode  usitée  dans  les  leçons  du  Collegiion  Trilhujue  détermina  des 
réformes  utiles  dans  l'enseignement  de  la  grammaire  et  de  la  rhétorique, 
qui  se  faisait  dans  les  pédagogies  de  la  Faculté  des  Arts  :  ce  fut  bien  là 
un  des  services  pratiques  que  rendit  le  nouvel  établissement.  La  Faculté 
réclama,  vers  1559,  l'appui  d'Arnold  Streyters,  abbé  de  Tongerloo,  pour 
multiplier  les  moyens  de  former  les  jeunes  gens  dans  l'art  de  parler  et 
d'écrire-'.  La  pédagogie  du  Château  publia,  en  1561,  un  manifeste  ou  pro- 
gramme qui  constatait  les  modifications  introduites  dans  ses  leçons  de 
grammaire  et  de  philosophie  *  ;  cette  pièce  commençait  en  ces  termes  •'  : 
Gymnasiaucha  Lectoui  S.  —  Quemadmoduin  minqtiam.  Candide  Lector,  usque 
adeo  stupidi  fuimus,  mil  sectiri  famae,  quin,  quae  fiominum  maxime  prudentitim  de 
paedagogicis  sludiis  sententia  sit,  inleUigere  poluerimus  :  ita  neque  lam  arrogantes 
nos  fuisse,  credas  velim,  ut  quod  in  iis  a  magnis  viiis  damnaretur,  defendere 
exislimaverimiis....  Cornélius  Valerius  célébra  en  quelques  vers  la  résolu- 
tion qui  venait  d'être  prise  par  les  directeurs  de  cette  pédagogie  du  Cas- 
trum,  pour  le  progrès  des  études  philologiques  et  littéraires  : 

Prima  reformati  Studii  laus  vestra  feretur, 

IJl  res  cumque  caclat ,  colilis  qui  Castra  Minervae 

Castrensemque  scholain  regitis,  pubemque  docetis. 

'  Éléments  de  la  grammaire  latine,  par  J.  Gillet,  oxtr.  publ.  par  M.  Cam.Wyns.  Mons,  1834,  pp.  36; 
in-12.  La  Grammatica  latina  de  P.  Procurator,  successeur  de  Gillet,  n'eut  pas  moins  de  vogue. 

^  Les  noms  des  professeurs  et  des  humanistes,  dont  nous  énumérons  dans  les  chapitres  IX  et  X 
les  travaux  de  grammaire  et  de  philologie,  se  retrouvent  presque  tous  dans  la  liste  des  livres  clas- 
siques approuvés  par  l'Université  en  1530. 

5  Pièce  latine  publiée  d'après  la  minute  dans  \Ann.  de  l'univ.  de  Louv.,  1841 ,  pp.  134-39. 

''  Valère  André,  Fasti  acad.,  p.  2,30,  d'a<pvès  le  programme:  Exemplum  reformatae  ralionis 
Studiorum. 

3  Dans  ses  Fasti,  t.  I ,  p.  397 ,  Paquet  cite  les  premiers  mots  de  celte  pièce  imprimée  in-folio. 


332  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

Avec  le  secours  de  livres  méthodiques  comme  ceux  que  nous  avons 
nommés  tout  à  l'heure,  et  de  l'interprétation  qu'en  Orent  des  professeurs 
pleins  de  goût  et  d'expérience,  Goclenius,  Nannius,  Valerius,  plusieurs 
générations  d'étudiants  acquirent,  àLouvain,  l'usage  d'une  latinité  pure, 
élégante,  riche  et  abondante,  sans  surcharge  et  sans  afféterie.  Ceux  qui 
persévérèrent  dans  la  lecture  des  anciens,  possédèrent  la  plupart  la  faculté 
de  discernement  qui  fait  les  critiques,  et  plusieurs  d'entre  eux  montrèrent 
cette  qualité  au  plus  haut  degré,  dans  les  éditions  dont  ils  se  chargèrent, 
ou  dans  leurs  écrits,  dissertations,  gloses  et  mélanges,  consacrés  principa- 
lement à  l'histoire  romaine  et  à  la  littérature  latine.  Seulement  il  arriva 
que,  quand  notre  école  de  philologie  fut  en  possession  de  toute  sa  puis- 
sance d'érudition  et  de  critique,  ses  principes  littéraires  se  modiflèrent, 
et  le  goût  qui  avait  caractérisé  le  style  de  ses  premiers  représentants  subit 
de  graves  atteintes.  C'était  l'époque  où  l'autorité,  attribuée  à  quelques  lit- 
térateurs savants  et  ingénieux,  avait  dégénéré  en  une  sorte  de  tyrannie 
exercée  sur  l'opinion ,  et  où  la  manière  d'un  écrivain  vanté  déterminait 
une  foule  d'autres  à  l'imiter  aveuglément  jusque  dans  ses  défauts.  La 
renommée  de  Juste  Lipse  entraîna  chez  nous  une  de  ces  méprises  qu'on 
n'aperçoit  bien  qu'après  coup  :  on  idolâtrait  Lipsius;  on  prit  à  son  exemple 
un  langage  concis,  serré,  solennel  ;  on  voulut  être  magnifique  comme  lui, 
et  l'on  tomba  avec  lui  dans  cette  dureté  d'expression,  dans  cette  obscurité 
affectée  qui  déparent  sa  latinité.  Il  était  permis  à  Lipsius  seul  de  persister 
dans  un  tel  vice,  qu'il  savait  dissimuler  par  le  prestige  d'une  grandeur 
toute  romaine,  répandu  dans  toutes  ses  productions,  où  respire  l'esprit  de 
l'antiquité,  où  la  roideur  stoïcienne  revit  dans  le  ton  et  dans  les  sentences. 
Mais,  après  lui,  lorsque  tant  d'hommes  se  mettront  à  composer  des  traités 
et  des  lettres  sans  atteindre  ni  à  son  savoir  historique  ni  à  sa  vigueur  de 
pensée,  un  style  obscur  et  affecté,  ou  bien  encore  fleuri  et  redondant, 
l'emportera  chez  eux  sur  les  bonnes  traditions  du  siècle  d'Érasme  et  de 
C.  Valerius  :  le  mal  n'aura  point  de  remède  dans  l'enseignement  public 
confié  le  plus  souvent  à  des  maîtres  qui  eux-mêmes  en  étaient  imbus. 

S'il  y  a  une  raison  plausible  de  l'altération  que  Juste  Lipse  et  d'autres 
célèbres  érudits  contemporains  ont  fait  subir  à  la  latinité  classique ,  res- 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  353 

taurée  par  leurs  devanciers  et  leurs  maîtres,  c'est  radrairation  qu'ils  onl 
professée  ouvertement  pour  de  grands  écrivains  romains  de  la  décadence 
et  surtout  pour  Tacite  ^;  c'est  la  préférence  qu'ils  ont  donnée,  et  qu'on 
a  donnée  à  leur  exemple,  à  la  diction  énergique,  souvent  prétentieuse, 
chargée  d'images,  de  plusieurs  auteurs  de  l'empire  romain,  éloignés  déjà 
de  l'âge  de  Cicéron  et  de  Virgile.  Voudrait-on  trouver  un  adoucissement  au 
blâme  qui  pèse  sur  la  latinité  de  Lipsius,  on  serait  tenté  de  reconnaître  com- 
bien est  dangereux  le  contact  d'écrivains  convaincus  et  passionnés,  comme 
Sénèque  et  Tacite,  que  ce  savant  aimait  et  qu'il  connaissait  par  cœur^  : 
toujours  est-il  vrai  que  l'enseignement  littéraire  des  professeurs  du  collège 
de  Busleiden  avait  fixé  chez  nous,  dans  l'âge  précédent,  l'idée  de  la  véri- 
table éloquence  latine,  puisée  aux  sources  les  plus  pures,  et  qu'il  n'y  eut 
point  progrès  dans  le  goût,  quand  un  progrès  se  fit  dans  l'érudition. 

Il  est  des  faits  nombreux  qui  prouvent  l'empressement  avec  lequel  une 
partie  de  la  jeunesse  a  recueilli  les  leçons  de  langues  dans  la  période  qui 
suivit  l'ouverture  du  collège  de  Busleiden  ;  un  des  plus  remarquables  est 
l'autorisation  donnée  à  des  littérateurs  ou  philologues  étrangers  d'ouvrir 
des  cours  publics  pour  satisfaire  l'avidité  de  savoir  qui  s'était  emparée 
des  esprits.  Ainsi,  aux  époques  mêmes  où  les  leçons  du  Coltegium  Trilingue 
étaient  le  mieux  fréquentées,  nous  voyons  des  leçons  de  grammaire  et 
de  philologie  données  séparément  par  des  hommes,  tels  que  Cleynarts, 
J.  Varennius  ^  Jacques  Ceratinus,  Joachim  Politès*.  Hieronimus  Elenus  ^ 
après  avoir  entendu  à  Paris  J.  Straselius,  qui  professait  le  grec  au  Collège 
royal  ^,  donna  des  leçons  de  cette  langue  à  Louvain,  dans  les  années  qui 

'  Voy.  plus  liant ,  chap.  VI,  n'e,  pp.  171-72.  Cons.  Hallani,  Liltér.  de  l'Europe,  l.  III,  pp.  16-20. 

-  La  diction  de  Tacite  n'a-t-elle  pas  laissé  son  empreinte  sur  le  style  et  sur  l'exposition  d'écri- 
vains modernes  très-célèbres,  qui  ont  écrit  après  lui  l'histoire  de  la  Rome  impériale,  Chateaubriand, 
dans  ses  Études  historiques,  et  M.  de  Ghampagny  dans  les  Césars  ? 

5  J.  Varennius  donnait,  à  Louvain,  des  leçons  particulières  d'humanités,  et  il  avait  enseigné 
l'Écriture  aux  religieux  de  l'abbaye  de  Parc.  Voy.  de  Reiffenberg,  Quatrième  Mémoire,  pp.  33-36. 

•  Sur  cet  humaniste  et  poète,  lire  Paquot,  Mémoires,  t.  Il,  pp.  48-49. 

3  NatifdeBaelen,en  Campine,  Elenus  avait  été  premier  dans  la  promotion  delS42;  il  mourut, 
avocat  à  Anvers,  en  1372.  Foppens  (pp.  481-482)  place  sa  mort  en  1576. 

6  Jean  Straselius,  natif  de  Straseele  près  de  Bailleul,  occupa  pendant  vingt-six  ans  la  chaire  de 
A.  Danès,  et  mourut  en  1336.  Voir  Goujet,  Mém.  sur  le  Collège  royal  de  France,  t.  I,  pp.  400-403. 


334  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

correspondent  au  professorat  d'Ainerotius,  et  dans  d'autres  leçons  qu'il  fit 
sur  les  lois,  il  présenta  la  connaissance  des  anciens  comme  auxiliaire  de 
la  science  du  droit.  Vers  1555,  Boetius  Epo,  qui  sortait  de  l'école  de 
Cologne,  fut  autorisé  à  expliquer  publiquement  à  Louvain  Homère  et 
Hésiode,  et  c'est  alors  qu'il  publia  en  cette  ville  son  recueil  de  Sentences 
homériques,  accompagnées  d'une  version  latine*:  dans  la  suite,  il  s'a- 
donna au  droit,  qu'il  enseigna  à  l'Université  de  Douai. 

C'est  avec  une  semblable  autorisation  que  le  célèbre  Jacques  Amyot , 
plus  tard  évéque  et  aumônier  du  roi  de  France,  expliqua  à  Louvain,  en 
1565,  dans  un  auditoire  de  la  Faculté  de  Médecine,  la  grammaire  grecque 
de  Nicolas  Cleynarts,  et  vers  le  même  temps,  un  autre  français,  Jean 
Loezius  de  La  Rochelle ,  fit  au  collège  de  Savoie  des  leçons  sur  le  dis- 
cours de  Cicéron  pro  Arcliia  poeta,  dont  il  publia  ensuite  un  commentaire  -. 
Cette  publication,  faite  à  Anvers,  en  1560  ^,  est  une  défense  des  études 
littéraires,  une  glorification  de  cette  poétique  que  l'on  entendait  quelquefois 
encore  décrier.  Le  nouvel  éditeur  du  discours  pro  Arcliia  se  défend  de  la 
prétention  de  vouloir  éclaircir  le  texte  d'une  œuvre  à  laquelle  tant  desavants 
ont  déjà  consacré  des  commentaires;  mais  il  lui  a  paru  utile  de  plaider, 
sous  les  auspices  du  nom  de  Cicéron ,  la  cause  des  lettres  et  de  la  poésie. 
Il  déclare  avoir  revu  avec  soin  le  fond  de  ses  leçons  orales,  et  les  mettre 
au  jour  suivant  les  conseils  du  professeur  de  latin.  Corn.  Valerius,  vir 
poluissimus ,  comme  il  l'appelle  *. 

Jean  Sturm  ou  Sturmius,  allemand  de  naissance,  avait  étudié  et  enseigné 
les  langues  anciennes  pendant  un  séjour  d'environ  six  ans  à  Louvain  (1524- 
1529),  avant  de  voyager,  et  de  prendre  la  direction  de  l'école  de  Stras- 

'  Sententiae  homerieae,  collectore  et  interprète  Boetio  Epone.  Lov.,  1555,  in-i",  apud  Colo- 
naeiim.  Voy.  Foppens,  Bibl.  belg.,  pp.  139-140,  et  de  Reiffenberg,  Cinquième  Mémoire,  p.  9. 

2  Valère  André,  Fasti  Acad.,  p.  358. 

5  Jo.  Loezii  Rupellani  de  poeticorum  studiorum  utililate ,  in  orationem  M.  Tullii  Ciceronis  pro 
A.  Licinio  Archia  poeta. —  Antv.,  ex  ofïîc.  Giiil.  Sylvii,  typ.  regii,  anno  MDLX,  titre  et  7  feuillets 
sans  pagination ,  63  feuillets  numérotés,  1  vol.  petit  in-8°. 

*  Dans  sa  dédicace  à  Joach.  Hopperus,  Loezius  fait  ainsi  allusion  au  but  de  sa  publication  :  Milii 
certe  qumn  longe  aliud  consilium  fuit  hujtis  Orationis  enarrandae  (quum  primum  professionem 
liane  amicorum  quorumdam  hortalu  Lovanii  suscepi) ,  tum  in  praesentia  mulliim  dissimilem  habeo 
rationem  hosce  meos  Commentarios  sub  tuo  nomine,  Hoppere  doctissime,  edendi. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIÎS.  335 

bourg,  qu'il  conserva  avec  tant  de  renommée  jusqu'à  la  fin  du  siècle  *;  il  fut 
l'ami  de  R.  Rescius  et  son  premier  associé,  dans  les  années  1529  et  1550. 

Un  juif  fort  érudit  en  sa  langue,  Isaac  Levita,  étant  venu  à  Louvain 
pour  être  instruit  dans  la  religion  chrétienne  et  pour  apprendre  le  latin, 
on  lui  demanda  des  leçons  de  grammaire  hébraïque  et  chaldaïque,  à 
l'époque  même  où  André  Gennep  professait  :  c'est  sous  les  auspices  du 
cardinal  Granvelle  qu'il  les  ouvrit  vers  1547.  Il  quitta  Louvain  en  1551, 
et  s'étant  rendu  à  Cologne,  sur  l'appel  des  magistrats  de  cette  ville,  il  y 
occupa  la  chaire  d'hébreu  pendant  vingt-six  ans  ^.  Des  nombreux  traités 
qu'il  publia,  nous  ne  citerons  que  sa  grammaire  méthodique  de  l'hébreu, 
imprimée  à  Louvain  en  1552  ^,  avec  l'aide  et  sous  la  surveillance  de  Gen- 
nep, qui  avait  favorisé  les  études  de  cet  hébraisant  étranger.  Le  fils  d'Isaac, 
Stephanus  ou  Etienne  Levita,  séjourna  à  Louvain  avec  son  père,  et,  après 
avoir  poursuivi  ses  études  philosophiques  ailleurs,  il  y  revint  vers  1560 
pour  se  livrer  à  l'étude  de  la  médecine,  sous  Nie.  Biesius  et  C.  Gemma  : 
c'est  alors  qu'il  se  procura  les  ressources  nécessaires  à  sa  subsistance  par 
les  leçons  privées  de  langue  hébraïque  qu'il  fut  autorisé  à  donner. 

Nous  devrions  maintenant  énumérer  une  longue  série  de  noms  histo- 
riques, si  nous  voulions  indiquer  l'appui  que  l'entreprise  littéraire  des 
professeurs  de  Busleiden  a  trouvé  dans  les  rangs  élevés  de  la  société. 
Parmi  les  hommes  revêtus  de  charges  publiques  qui  se  sont  attachés  aux 

'  Jean  Sturin,  ué  à  Schleiden,  dans  l'Eiffel,  était,  en  1318,  élève  des  Hiéronyniites  à  Liège,  et 
joua  alors  le  rôle  de  Gela  dans  le  Phormio  de  Térence.  Il  fut  directeur  du  Gymimshim  de  Strasbourg 
depuis  1537  jusque  peu  de  temps  avant  sa  mort  (1589),  écrivit  sur  les  iiiélhodes  et  fit  des  com- 
mentaires sur  des  auteurs  anciens.  Voy.  K.  von  Raunier,  Gesch.  der  Paedagogih,  t.  I,  pp.  230-278, 
et  Foppens,  Bibl.  belg.,  p.  737.  —  Tout  récemment  M.  Ch.  Schraidt  vient  de  retracer  la  carrière 
complète  de  ce  personnage  dans  une  monographie  intitulée  :  La  vie  et  les  travaux  de  Jean  Sturm, 
premier  recteur  du  Gymnase  et  de  l'Académie  de  Strasbourg  (avec  portrait).  Strasbourg,  1854, 
1  vol.  in-8°.  Voy.  chap.  I,  pp.  3-8,  sur  le  séjour  de  Sturm  à  Louvain. 

*  Voy.  la  Biogr.  univ.,  t.  XXI,  p.  268,  et  la  Bibliolhecu  Rabbinica  de  Bartolocci,  t.  III ,  p.  902. 
—  D'amples  détails  ont  été  recueillis  sur  Isaac  Levita  et  son  lils  Etienne,  par  Paquot,  dans  sou 
manuscrit  des  Fasti,  t.  II,  pp.  529-340.  Voy.  la  lettre  /dans  les  pièces  justificatives. 

'  De  Hebraeorum  grammatica  liber  methodo  dilucida  admodum  ac  facili  à  Joanne  Isaac  Levita 
geniiano  concinnalus.  Lovanii  ap.  Mari.  Rotarium,  Ioo2,  in-8°.  S'il  faut  en  croire  Paquot,  ce  pre- 
mier traité  aurait  vu  le  jour  à  Louvain ,  tandis  que  les  autres  livres  de  l'auteur  ont  été  imprimés  à 
Cologne  et  à  Anvers  :  nous  v  reviendrons  dans  l'Appendice. 

Tome  XXVIIl."  44 


336  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

mêmes  études  ,  nous  citerons  surtout  François  de  Graneveldt  ' ,  qui  apprit 
le  grec  sans  maître  dans  ses  vieux  jours,  et  que  nos  anciens  auteurs  se  sont 
plu  souvent  à  comparer  à  Caton  le  Censeur  2.  Ami  d'Érasme,  il  noua  et 
conserva  des  relations  avec  la  plupart  de  ceux  qui  cultivèrent  ou  ensei- 
gnèrent les  belles-lettres  en  Belgique.  Nous  mentionnerons  également  ici 
un  humaniste  distingué  qui  concourut,  dans  une  autre  partie  du  pays,  au 
réveil  des  études  et  qui  fut  encore  estimé  par  les  critiques  de  l'âge  sui- 
vant. Paul  Leopardus  ^,  qui  avait  étudié  à  Louvain  sous  la  direction  de  Nie. 
Gleynarts  et  de  R.  Rescius,  entretint  des  rapports  littéraires  avec  d'autres 
maîtres  du  collège  des  Trois-Langues.  C'est  à  la  demande  de  Nannius  * 
qu'il  mit  au  jour  son  recueil  des  vies  et  des  mots  célèbres  de  quelques 
philosophes  grecs  ''.  C'est  aussi  à  l'exemple  de  Nannius  qu'il  prépara  ses 
Emendationum  et  Miscellaneorum  libri  XX,  où  il  élucidait  ou  corrigeait  de 
nombreux  passages  d'auteurs  grecs  et  latins  :  ces  mélanges  de  critique  qui 
ne  sont  pas  indignes  des  recueils  contemporains  du  même  genre  sous  le 
nom  de  Variae  lectiones,  Adversaria,  etc.,  restent  son  meilleur  titre  litté- 
raire. Leopardus,  qui  avait  refusé  par  modestie  une  chaire  royale  à  Paris, 
fut  longtemps  à  la  tète  du  collège  de  Hondschote;  le  plus  connu  de  ses 
élèves,  Jean  l'Heureux  ^,  dit  Joannes  Macarius,  de  Gravelines,  a  laissé 
une  douzaine  de  traités  inédits  comprenant  des  traductions  du  grec,  et 
des  dissertations  sur  des  matièi'es  de  philologie  et  d'antiquités.  Comme  il 
avait  connu  l'institution  de  Busleiden  en  faisant  à  Louvain  son  cours  de 
philosophie,  il  a  légué  au  collège  des  Trois-Langues  ses  manuscrits,  qui 
se  sont  perdus  dans  la  suite,  sauf  le  volume  des  IIa(jioglyjHa,  ou  descrip- 

'  Franciscus  CianevelJiiis,  élève  de  Despaulère,  docteur  es  droits  (1509),  était  membre  du 
grand  conseil  de  Malines  depuis  do22;  il  mourut  en  1564.  Voy.  ci-dessus,  p.  206,  et  le  Quatrième 
Mémoire  de  M.  de  Reiffenberg  (pp.  85-86),  qui  renvoie  aux  Notices  de  nos  polygraphes. 

■^  ParexenipleValère  André  et  encore  Leemput,  dans  la  dédicace  de  sa  grammaire  grecque  en  1782. 

^  Né  en  Flandre,  à  Isenberghe  près  de  Furnes,  mort  en  1567  à  Bergues-S'-VVinoc.  Voy.  Fop- 
pens,  Bibl.  Belg.,  p.  912,  et  Paquol,  Mémoires,  1. 1,  p.  553. 

*  Philologicarum  Epistolarttm  centuriu  una,  p.  245. 

^  yUae,  Chriae,  Apophthegmata  Ârislippi,  etc.  Antverpiae,  Belleri  lypis,  1356,  in- 12.  —  Le 
tome  I  de  son  autre  recueil  n'a  paru  qu'en  1368  (Anvers,  Plantin,  in-4°)  ;  le  reste,  en  1604. 

•^  Né  vers  1331 ,  il  mourut  chanoine  d'Aire,  en  1604.  Voy,  Bibl.  Belij.,  édit.  de  1623,  p.  503,  et 
Foppens,  p.  683.  Valère  André  disait  que  ses  manuscrits  étaient  dignes  de  l'impression. 


DES  TROIS-LAINGLES  A  LOUVAIN.  337 

tion  des  œuvres  primitives  de  l'art  chrétien,  qu'il  avait  étudiées  à  Rome  V 
EnOn,  comment  oublierions-nous  Jacques  Cruquius  ou  de  Crucque  -, 
de  Messines  en  Flandre,  qui  avait,  dans  sa  jeunesse,  entendu  à  Louvain 
Goclenius  et  Nannius?  Il  succéda  à  G.  Cassandre  dans  la  chaire  publique 
des  belles-lettres  à  Bruges  ,  et  il  publia  cette  édition  commentée  d'Horace , 
très-célèbre  par  les  scolies  tirées  d'anciens  manuscrits  et  plus  d'une  fois 
réimprimée^. 

Il  nous  importe  de  mettre  en  ligne  de  compte,  dans  cette  partie  de  nos 
recherches,  les  services  que  des  humanistes  formés  à  Louvain,  élèves  du 
Collegium  Trilingue,  ont  pu  rendre  bientôt  après  leurs  études  à  des  écoles 
étrangères  :  c'était  l'époque  où  plusieurs  philologues  belges  enseignèrent  à 
Paris.  Un  savant,  natif  du  Luxembourg,  Barthélémy  Masson  ou  Latomus*, 
venait  d'être  appelé  à  la  chaire  de  langue  latine  au  collège  de  France,  où 
Jean  Straselius  occupait  une  chaire  de  grec.  Nous  mentionnerons,  au  même 
titre,  comme  sortant  des  écoles  de  Louvain,  Suffridus  Pétri  ou  Sjurd 
Peeters,  et  Jean  Boschius. 

Le  premier  fit  part  à  la  Frise,  son  pays  natal,  des  connaissances  litté- 
raires qu'il  avait  acquises  au  collège  des  Trois-Langues,  et,  quelques 
années  après,  il  fut  envoyé  par  le  sénat  académique  de  Louvain  à  l'Uni- 
versité d'Erfurt,  quand  celle-ci  demanda,  en  1557,  à  celle  de  Louvain 
un  professeur  de  grec  et  de  latin  ^.  Suffridus  Pétri  habita  Erfurt  et  y  en- 

'  Voy.  la  notice  de  M.  le  Glay  sur  les  Ilagioglypla  de  Jean  l'Heureux,  dans  ses  Nouveaux  ana- 
kctes.  Lille,  t8S2,  pp.  79-83.  —  M.  le  comte  Lescalopiera  publié  récemment  le  manuscrit  susdit 
avec  une  préface  et  des  notes  du  P.  Garrucci  :  Hagioglypta  ,  sive  Piciurae  et  Sculplurae  sacrae  anli- 
quiores,  explicatae  a  Joanne  l'Heureux  (Macario).  Paris,  Didot ,  dS36,  1  vol.  in-8°. 

2  Voy.  Foppens,  p.  oll;  Sanderus,  De  Briujeiisibus ,  pp.  40-41;  Paquot,  Mémoires,  t.  III. 
pp.  650-51 ,  et  la  Bioyr.  des  hommes  remarquables  de  la  Flandre  occident.,  t.  I,  pp.  84-85. 

*  Voir  sur  le  Scholiastes  dit  Crucquianns ,  l'édition  d'Horace  par  Vanderbourg,  et  YHist.  crit. 
scholiastarum  latinorum  (P.  III)  de  VV.-H.-D.  Suringar,  pp.  62  et  suiv. 

'  Barth.  Masson,  d'Arlon,  élevé  en  Allemagne,  avait  séjourné  à  Louvain  vers  1324,  et  s'était 
distingué  par  ses  travaux  relatifs  à  Cicéron  et  à  l'étude  de  l'éloquence  latine.  Il  occupa,  à  Paris, 
la  chaire  illustrée  dans  le  même  siècle  par  Denis  Lambin,  et  partagée  le  plus  souvent  entre  deux 
professeurs.  Voy.  Paquot,  Mémoires,  t.  I ,  pp.  136-159,  Goujet,  Mém.  hisl.  el  litt,  sur  le  Coll.  roy. 
de  France,  t.  Il ,  pp.  327-543,  et  le  Discours  prononcé  à  l'ouverture  du  cours  de  poésie  latine,  par 
M.  Sainte-Beuve,  le  9  mars  1833. 

''  Voy.  ma  notice  intitulée  :  Relations  de  Suffridus  Pétri  et  d'autres  savants  avec  l'Univ.  de 


338  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

seigna  jusqu'en  1562.  De  retour  dans  les  Pays-Bas,  il  s'occupa  encore  de 
belles-leltres  avant  de  se  consacrer  presque  exclusivemenl  aux  études  juri- 
diques. Il  eut  l'honneur  de  suppléer  quelque  temps  un  des  hellénistes  du 
collège  de  Busleiden,  celui  qu'il  a  nommé  son  Mécène,  Th.  Langius,  ac- 
cablé par  les  infirmités  de  l'âge  ^,  et  c'est  alors  qu'il  entreprit  l'explication 
publique  des  odes  de  Pindare.  Il  publia,  dans  cette  période  de  sa  vie,  la 
traduction  latine  de  plusieurs  traités  de  Plutarque,  de  Y  Apologie  (tAthé- 
nagore,  et  des  trois  derniers  livres  de  V Histoire  ecclésiastique  de  Sozomène  -. 
Ses  discours  sur  les  lettres  grecques,  dont  il  a  fait  imprimer  un  recueil  à 
Btàle,  se  rattachent  sans  doute  aux  leçons  faites  publiquement  à  Louvain 
ainsi  que  dans  d'autres  villes^.  Quoiqu'il  n'ait  point  porté  le  titre  de  pro- 
fesseur, le  collège  des  Trois-Langues  peut  revendiquer  une  part  fort  hono- 
rable de  l'activité  scientifique  de  Suffridus  Pétri  *. 

Un  autre  humaniste  de  Belgique  fut  appelé,  vers  le  même  temps,  en  sep- 
tembre 1558,  à  l'université  d'ingolstadt,  pour  y  donner  la  leçon  d'éloquence 
(Oraloria  lectio)  :  c'est  Jean  Bosche  ou  Boschius,  qui  avait  été  un  des  com- 
pétiteurs de  Valerius  à  la  chaire  de  Nannius  ^.  Il  avait  donné  des  preuves 
de  son  savoir  dans  les  lettres  grecques  et  latines  ;  mais  comme  il  possédait 
le  grade  de  licencié  en  médecine  ,  il  lui  fut  octroyé  de  joindre  à  ses  leçons 
sur  l'art  oratoire  dans  cette  université  des  leçons  de  médecine  et  d'histoire 
naturelle.  Boschius  publia,  à  Ingolstadt,  plusieurs  traités  sur  l'art  médical^, 

Louv.,  dans  l'Ann.  de  l'Univ.  calh.,  ann.  18iS,  pp.  183  etsuiv.  Ce  personnage,  né  en  1527,  mourut 
.1  Cologne  en  1597.  Cfr.  le  tome  II  des  Mémoires  de  Paquot,  le  tome  II  des  Lectures  de  Goetliaels, 
pp.  162-169,  et  de  vrye  Pries,  Mengelingen,  II  d.,  ¥^  st.,  Leeuwarden.  1842,  pp.  413-471. 

'  Voy.  plus  haut,  chap.  VII,  n"  5,  p.  211. 

2  Ces  traductions  ont  paru  à  Erfurt ,  à  Bâle,  à  Louvain  et  à  Cologne. 

^  Orationes  quinque  de  utilitate  muUiplici  lingucie  graecac.  Basil.,  ap.  J.  Oporinum,  1366,  in-8'\ 

*  C'est  avec  affection  et  reconnaissance  qu'il  parle  de  ses  maîtres  et  amis  de  ce  collège,  dans 
plusieurs  de  ses  lettres  écrites  d'Erfiirt  à  l'Université,  en  septembre  1557.  (Voy.  la  notice  citée, 
p.  203.)  Il  déplore  la  perte  de  Nannius  et  se  recommande  à  la  bienveillance  de  Th.  Langius,  d'.\me- 
rotius  et  de  C.  Valerius. 

^  Voy.  plus  haut,  chap.  VI,  n°  4,  p.  137  et  la  note  1.  —  Sur  l'appel  de  Boschius  à  Ingolstadt  et 
sur  les  conditions  qui  lui  furent  faites  dans  cette  Université,  on  peut  lire  la  pièce  publiée  dans  la 
notice  citée  de  l'Annuaire,  pp.  179-180. 

8  Voy.  les  titres  de  ces  traités  dans  la  Biographie  liégeoise  de  Becdelièvre,  t.  I,  pp.  261-262. 
(Liège,  1836.) 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVÂIN.  359 

et  l'on  a  compris  son  discours  de  Optimo  mcdico  et  medicinae  auctoribus  dans 
le  recueil  des  harangues  académiques  de  cette  ville  •.  Il  fut  recteur  en  1561, 
prononça  des  discours  solennels  en  1572  et  1578  ^  et  mourut  en  1585, 
après  vingt-cinq  années  de  professorat,  laissant  une  grande  réputation 
d'éloquence  et  de  savoir.  C'est  encore  à  Ingolsladt  qu'un  ancien  élève  du 
collège  des  Trois-Langues  devenu  franciscain,  P.  Godefroi  Fabricius,  de 
Liège,  enseigna  les  lettres  sacrées  sur  l'appel  qui  lui  fut  fait  par  le  duc 
de  Bavière,  Guillaume  :  il  avait  suivi  dans  sa  jeunesse,  à  Louvain,  les  cours 
de  Goclenius,  de  Rescius  et  d'André  Gennep  ^.  On  trouverait  aussi  à  l'aca- 
démie de  Dillingen  (1555-56)  dans  la  chaire  d'Écriture  sainte  G.  Lindanus, 
élève  des  mêmes  maîtres,  et  l'on  suivrait  au  dehors,  dans  un  grand  nombre 
d'écoles  de  droit,  Fr.  Balduinus  ou  Bauduin,  d'Arras,  qui  acheva  sous  leur 
direction  ses  études  littéraires. 

Nous  ajouterions  aux  noms  qui  précèdent  celui  de  Hannard  Gamerius 
ou  van  Gameren,  de  Maseyck,  ditMosaeus,  s'il  était  prouvé  qu'il  a  étudié 
d'abord  à  Louvain  :  toujours  est-il  que  cet  éloquent  humaniste  qui  avait 
laissé  des  souvenirs  honorables  à  Ingolsladt,  après  y  avoir  enseigné  le 
grec  *,  et  qui,  à  son  retour  en  Belgique,  en  1568,  dirigea  l'école  latine  de 
Tongres,  doit  être  compté  parmi  les  meilleurs  hellénistes  de  notre  pays  au 
XVI""=  siècle  ■'  :  il  avait  traduit  plusieurs  ouvrages  grecs,  entre  autres  le 
poème  orphique  Uepl  Hew,  ou  sur  la  vertu  des  pierres  ^. 

De  ce  coup  d'œil  sur  le  rôle  de  nos  humanistes  et  philologues  à  l'étran- 
ger, nous  en  revenons  à  l'examen  des  œuvres  de  savoir  et  d'érudition, 
dans  lesquelles  des  hommes  supérieurs  ont  rendu ,  avant  la  fin  du  même 
siècle,  un  solennel  hommage  à  leurs  professeurs  du  collège  des  Trois- 

'  Orationes  j4cadevniae  Ingolstadiensis  (tom.  I). 

*  Voy.  les  Annales  Ingolstadiensis  Academiae  (édit.  Rotniaro  et  Mederer).  Ingolsladt,  1784, 
in-4'',  t,  I,  p.  27,  où  il  est  nommé  :  Joannes  Lonoeus  Boschius  Brabanlinus,  années  1360  et  1385, 
et  où  son  épitaphe  est  reproduite. 

'  Voir  le  tome  I  des  Annales  d'ingolstadt. 

•*  Le  duc  Albert  de  Bavière  lui  donna  à  son  départ  une  reconiiiiandation  dont  on  peut  lire  le 
texte  dans  la  notice  citée  ci-dessus,  Relations  de  S.  Pétri,  etc.,  pp.  180-184.  A  Ingolsladt, 
Gamerius  avait  prononcé,  en  décembre  1564,  un  discours  De  Laudibus  linguae  graecae. 

5  Vov.  Foppens,  Bibl.  Belg.,  1. 1,  p.  431,  et  Joecher,  Allgem.  Gelehrten-Lexicon ,  t.  II,  p.  .332. 

fi  Traduction  en  vers  latins,  avec  des  Observationes  (Leodii ,  in-4°). 


340  MEMOIRE  SUR  LE  COLLÈGE 

Langues,  et  sont  restés  fidèles  aux  notions  du  bon  goût  que  ceux-ci  leur 
avaient  inculquées. 

A  aucune  autre  époque,  le  concours  d'une  foule  d'auditeurs  n'avait 
donné  autant  d'importance  aux  chaires  du  collège  des  Trois-Langues  qu'à 
cette  époque  des  études  de  Juste  Lipse,  antérieure  à  l'explosion  des  troubles 
politiques  :  c'est  alors  que  cet  écrivain  vit  à  Louvain  cette  affluence  de 
jeunes  gens  de  toutes  les  provinces  belgiques,  ainsi  que  de  français  %  d'an- 
glais, d'espagnols,  d'italiens,  dont  il  parle  dans  son  Lovanium,  composé  plus 
tard  ^;  c'est  alors  aussi  que  se  forma,  sous  l'influence  des  professeurs  de 
Busleiden,  une  génération  d'écrivains,  de  philologues  et  de  savants,  dont 
les  noms  représentent  la  vie  littéraire  et  scientifique  parvenue  chez  nous  à 
son  plus  haut  point  de  splendeur.  André  Schott,  qui  avait  fait  lui-même  des 
études  complètes  à  Louvain,  énumérait,  en  1581 ,  tous  les  hommes  déjà 
célèbres  qui  étaient  sortis  pleins  de  science  de  la  même  Université,  comme 
autrefois  les  héros  grecs  du  cheval  de  Troie  ^  : 

Omitto  praeslanlissima  ingénia  eorum,  qui  e  Grudiis,  ut  olim  ex  equo  Trojano 
meri  lieroës,  doclissimi  prodienmt  :  Lipsium,  Carrionem,  Canteros,  Giselinum  , 
Fruterium,  Gifanium,  Duzam,  Torrentiiim,  Levineiwn,  Papiiim,  Modium,  ceteros  : 
qui  rem  liUerariam  mirifice  cxornant ,  et  BeUjii  dectis  gnaviler  tuentur,  nec ,  ut 
spero,  intermori  sincnt,  quin  potius  atio  migrantes  Musas,  tamquam  e  fuga,  ohtorto 
collo  retralient. 

'  Dans  une  lettre  d'Hopperus  à  Vigiiiis,  datée  de  Malines,  du  28  novembre  1557,  quelques  an- 
nées avant  l'époque  indiquée  par  Juste  Lipse,  on  voit  qu'au  nombre  des  améliorations  qu'on  pro- 
jetait d'introduire  à  l'Université,  il  était  question  d'une  chaire  de  langue  française.  C'est  au  moins 
dans  ce  sens  qu'on  peut  interpréter  les  mots  Gallice  docere.  Hopperus  émet  l'avis  d'ajouter  aux 
chaires  d'hébreu  ,  de  grec  el  de  latin ,  une  leçon  de  français;  mais  les  considérants  dont  il  l'accom- 
pagne font  assez  pressentir  l'insuccès  de  sa  proposition  :  Venit  aliquando  in  mentem  quid  viderelur 
si  Iribus  professoribiis  lingiiaium  quarlus  qui  Gcdlice  doceret,  adderetur.  Est  enim  hiijus  linguae 
snmmus  liodie  usus,  el  retinerel  ea  res  fartasse  midtos  quominus  in  Galliam  proficiscerentur.  Quam- 
quam  in  altéra  parte  satis  indignum  videlur,  linguam  barbaram  ,  et  quac  hosli  propria  sil ,  in  tan- 
tuin  Iiabere  lionorem.  —  Voy.  Lettres  inédites  adressées  à  Yiylius,  publiées  par  M^'  de  Ram,  Bidl. 
de  la  Comm.  d'JIist.,  2"'"  série,  t.  II,  n°  3,  et  V Annuaire  de  1852,  p.  292. 

2  Écrivant  le  Lovanium  (t.  1,  p.  1  )  en  1G02,  Juste  Lipse  se  reporte  à  trente-sept  années  en  ar- 
rière, el  désigne  l'année  1565,  qui  était  celle  de  son  cours  d'études.  Voy.  de  Reiffenberg,  Cinquième 
Mémoire,  pp.  9-10. 

5  Lettre  de  Tolède  à  Chr.  Plantin  ,  citée  plusieurs  fois,  pp.  102,  162,  211-12. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  541 

Ceux  que  citait  Schott  en  cet  endroit  étaient  la  plupart  encore  vivants, 
et  il  attendait  d'eux  des  œuvres  nouvelles  qui  soutinssent  et  agrandissent 
la  première  réputation  de  leur  école  littéraire.  Plusieurs,  il  est  vrai ,  sont 
morts  avant  la  fin  du  siècle,  au  milieu  d'une  carrière  consacrée  surtout 
aux  travaux  de  l'esprit;  mais  il  est  demeuré  d'eux  non-seulement  des  ou- 
vrages remarquables,  mais  encore  de  beaux  exemples,  des  vues  fécondes 
dont  l'époque  suivante  n'a  pas  su  profiler.  Les  uns  avaient  en  partage  à  la 
fois  la  science  et  le  goût,  les  autres  étaient  des  maîtres  consommés  dans 
l'art  d'écfire:  leur  talent  paraît  d'un  prix  d'autant  plus  grand,  si  on  les 
compare  aux  écrivains  prétentieux  qu'on  admirait  cinquante  ans  plus  tard. 
Quoique  plusieurs  de  ces  nobles  esprits  aient  déjà  trouvé  des  bistoriens, 
nous  ne  sommes  point  dispensé  de  faire  ici  une  revue  des  titres  qu'ils  ont 
acquis  comme  littérateurs  et  critiques,  après  avoir  été  condisciples  et  amis 
dans  les  collèges  de  Louvain. 

Quels  latinistes  louerions-nous  à  un  plus  liant  point  que  Laevinus  Tor- 
renlius,  cet  aimable  prélat,  commentateur  d'Horace,  poète  lui-même,  digne 
ami  de  cet  autre  admirateur  des  classiques  latins,  Charles  Langius,  cha- 
noine de  Liège  '?  Parmi  les  hommes  plus  jeunes,  on  se  partageait  géné- 
reusement les  travaux  de  l'érudition  latine  et  grecque;  c'étaient  Théodore 
Pulmannus  ou  Poelman  -  et  Victor  Giselinus  ^,  qui  corrigeaient  et  anno- 
taient les  textes  latins  imprimés  sans  relâche  dans  les  ateliers  de  Chris- 
tophe Plantin,  à  Anvers;  c'étaient  Jean  Livineïus  et  Guillaume  Canterus 
qui  se  dévouaient  à  la  correction  des  textes  grecs,  et  préparaient  l'édition 
corrigée  d'auteurs  à  peine  publiés;  ils  avaient  fourni  à  la  Polyglotte  royale 
les  variantes  de  la  Bible  grecque  avec  des  observations  tirées  d'un  manu- 
scrit de  la  version  des  Septante,  et  ils  devaient  mettre  au  jour,  d'après  les 
manuscrits,  plusieurs  monuments  de  la  littérature  grecque,  sacrée  et  pro- 

'  Voy.  la  vie  de  ces  deux  personnages  par  M.  Félix  van  Huist ,  dans  la  Revue  de  Liège,  t.  1  et  II. 

^  Paquot  a  donné  une  notice  littéraire  sur  le  premier,  et  décrit  ses  éditions  de  poètes  latins, 
païens  et  chrétiens,  tels  que  Juvénal,  l^ucain,  Claudien  ,  Prudence,  Juvencus,  etc.  (Mémoires,  t.  III, 
pp.  417-419.) 

^  Sur  Victor  Giselinus,  ou  Gislain,  né  près  d'Ostende,  en  loiô,  mort  en  1391 ,  voir  outre  San- 
derus  {de  Bruyeiisibus ,  etc.,  pp.  73-74),  et  Paquot  {Mém.,  t.  I,  pp.  141-142),  la  Biographie  des 
hommes  remarquables  de  la  Flandre  occident.,  1. 1,  pp.  120-1 '22. 


342  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

fane  '.  C'était  une  alfaire  d'étude  et  aussi  de  goût  que  cet  examen  de  sources 
peu  connues,  exigeant  une  critique  vigilante,  aussi  bien  pour  choisir  les 
leçons  en  détail  que  pour  prononcer  sur  l'authenticité  des  œuvres.  Guil- 
laume Canterus  et  son  frère  Théodore  avaient  fait  leurs  preuves  ^  :  l'édition 
grecque  et  latine  du  Florileginm  de  Stobée,  donnée  par  le  premier  ^,  faisait 
reconnaître  en  lui  un  helléniste  des  plus  habiles,  qui  avait  triomphé  de 
véritables  difficultés.  G.  Canterus,  qui  est  mort  à  la  Heur  de  l'âge,  est  le 
modèle  de  l'homme  qui  aime  les  letti-es  d'un  amour  sincère,  et  qui  se  dé- 
voue à  leurs  progrès  avec  autant  d'intelligence  que  de  désintéressement. 
Cependant  tous  ces  noms,  qui  rappellent  la  loyauté  du  caractère,  la 
finesse  de  l'esprit  et  le  dévouement  à  la  science,  pâlissent  devant  ceux  de 
.luste  Lipse  el  d'André  Schott,  si  l'on  considère  la  portée  et  la  durée  des 
œuvres.  II  fut  donné  à  l'un  de  ressusciter  en  quelque  sorte  l'antiquité  latine 
avec  la  grandeur  que  son  siècle  se  plaisait  à  retrouver  dans  les  monuments 
des  beaux-arts  et  dans  ceux  des  lettres  :  il  eut  la  puissance  de  fonder  une 
science  historique,  ingénieuse  et  vaste,  sur  cette  investigation  de  l'histoii-e 
romaine,  dans  laquelle  il  comprenait  des  études  de  philosophie,  de  mo- 
rale el  de  politique;  il  eut  aussi  à  un  haut  degré  cette  autre  puissance  de 
communiquer  de  l'actualité  et  de  la  vie  à  la  langue  et  à  la  littérature  de 
Rome,  dont  ses  œuvres  et  celles  des  savants,  ses  émules,  semblaient  alors 
une  continuation  légitime.  Le  second  de  ces  hommes,  André  Schott,  qui 
survécut  à  Lipsius  et  à  presque  tous  les  membres  de  la  même  école,  était 
philologue  el  critique  d'une  autorité  plus  grande  que  sa  renommée  *:  il 

'  Sur  la  carrière  de  Jean  Lievens  ou  Livineïus  de  Termonde,  mort  en  1595,  voy.  de  Reiffen- 
berg,  Cinquième  Mémoire,  pp.  10-15,  et  l'article  biographique  de  M.  van  Hulst,  qui  comprend  la 
vie  d'un  autre  philologue ,  André  Papius  ou  de  Paep,  t.  VI  de  la  Revue  de  Liège. 

^  Voy.  sur  les  deux  Ganter  le  Trajeclum  eruditum  de  Gaspar  Burmann  (Utrecht,  1750),  pp.  59 
et  suiv.  et  pp.  70  et  suiv.,  et  l'écrit  de  S.  Peiri  de  scriptoribus  Frisiae,  dec.  XII  et  XV. 

^  Antv.,  1579,  folio.  Voy.  Fr.  Schoell,  Hist.de  la  liltér.  grecque,  t.  Vil,  p.  157.  Déjà  en  1566, 
G.  Ganter  avait  publié  chez  Oporinus,  à  Bâle,  des  fragments  de  Stobée  sur  les  doctrines  morales 
des  Pythagoriciens;  il  en  communiqua  la  version  latine  à  son  maître  G.  Valerius,  qui  l'inséra  dans 
son  traité  de  morale.  (Ethicu,  édit.  de  15C8  et  ann.  suiv.) 

■*  Voy.  au  tome  XXIIl  des  Mémoires  de  f  Académie  royale  de  Belgique,  la  Notice  biographique  el 
titlèr  aire  sur  André  Schott,  par  M.  le  professeur  Baguet  (Bruxelles,  1848,  pp.  49,  in-4°),  et  au  t.  V  de 
la  Rnnie  de  Liège  (1 846) ,  l'article  biographique  de  M.  F.  van  Huist.  André  Schott  n'est  mort  qu'en 


DES  TROIS-LArsGLES  A  LOUVAIN.  343 

ouvrit  d'une  main  diligente  les  trésors  peu  explorés  dans  le  domaine  des 
œuvres  antiques,  et  il  partagea  son  activité  entre  les  littératures  grecque 
et  latine,  comme  l'avaient  tenté  Livineius  et  les  deux  Ganter  :  l'auteur  des 
Tnllianae  quaestiones  et  des  Observationes  humanae,  l'éditeur  de  Sénèque  d'Au- 
rélius  Victor,  faisait  des  prosélytes  à  l'étude  des  sources  grecques,  et  atta- 
chait son  nom  à  une  édition  longtemps  célèbre  de  la  Dibliotlièque  de  Photius. 

On  trouve  encore  d'autres  représentants  de  la  même  école  philologique 
et  littéraire  parmi  les  humanistes  et  les  savants  qui ,  pendant  ou  après 
la  période  des  guerres  civiles,  ont  passé  en  d'autres  pays,  surtout  en 
Hollande  et  en  Allemagne  :  quelques-uns  des  Belges  qui  ont  brillé  à 
l'étranger  dans  les  sciences  et  dans  les  lettres,  en  avaient  puisé  les  notions 
dans  les  leçons  et  les  écrits  des  maîtres  que  nous  avons  fait  connaître  ',  et 
d'autres  avaient  concouru  au  même  but  en  dirigeant  le  mouvement  litté- 
raire dans  plusieurs  de  nos  villes ,  Bruges ,  Gand ,  Anvers  -.  Incontesta- 
blement la  révolution  religieuse,  la  division  qu'elle  mit  dans  les  esprits 
et  la  séparation  qu'elle  amena  entre  les  provinces  septentrionales  et  méri- 
dionales du  Belgiiim,  privèrent  la  Belgique  restée  espagnole  de  la  splen- 
deur intellectuelle  plus  grande  et  plus  complète  que  lui  aurait  assurée  la 
réunion  de  tous  les  talents  éclos  dans  son  sein  :  de  fait,  elle  n'a  recueilli 
qu'une  portion  restreinte  de  cet  héritage,  qui  avait  été  amassé  par  le  la- 
beur de  ses  enfants. 

Le  collège  des  Trois-Langues  avait  produit  une  foule  d'humanistes 
actifs  et  judicieux;  il  avait  dirigé  les  études  de  grammaire  et  de  philologie 
anciennes,  poursuivies  et  naturalisées  dans  le  pays  tout  entier,  pendant 
cette  époque  du  XVI""'  siècle,  où  les  contrées  de  l'Allemagne  étaient  agitées 

16-29.  —  Une  description  détaillée  des  nombreuses  publications  littéraires  et  philologiques  de  cet 
éminent  humaniste  a  trouvé  place  dans  la  Bibliogr.  des  écriv.  de  la  comp.  de  Jésus,  par  les  PP.  Al.  et 
Aiig.  de  Backer,  t.  I.  Liège,  Lardinois,  1853,  pp.  710-27. 

<  On  citerait  L.  Carrion,  J.  Douza,  J.  Drusius,  M.  Doxhornius  et  plusieurs  des  premiers  profes- 
seurs de  Leyde.  Voy.  le  Mémoire  de  M.  V.  Gaillard  :  de  l'in/hience  exercée  par  la  Belgique  sur  les 
Provinces-Unies,  t.  VI  des  Méin.  couronnés,  2"»  partie,  1855,  in-8°,  pp.  80  et  suiv.,  pp.  203-215. 

-  De  ce  nombre  sont  Bonaventure  Vulcanius  ou  de  Sniet,  François  Raphelingius  ou  Raulen- 
ghien,  .lanus  Lernulius,  Âdolpliede  Metkerke,  Janus  Gruterus,  P.  Berlius,  Jean  Molanus  de  Gand, 
qui  dirigea  l'école  de  Drême. 

Tome  XXVIIl.  45 


544  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

et  bouleversées  par  les  controverses  de  la  R.éforme  et  par  les  scènes  de 
désordres  qui  les  accompagnèrent.  Que  l'on  prenne  en  considération  les 
circonstances  qui  ont  arrêté  longtemps  alors  le  progrès  des  études  dans 
cette  Allemagne,  toujours  si  fière  de  son  savoir,  l'on  appréciera  d'autant 
mieux  la  solidité  des  services  que  l'institution  de  Louvain  rendit  à  l'édu- 
cation et  aux  sciences  dans  la  Belgique,  la  Hollande  et  les  pays  voisins. 
Pendant  que  l'abandon  des  études  littéraires,  qui  suivit  le  premier  déve- 
loppement du  luthéranisme,  arrachait  à  Érasme  les  plaintes  les  plus  vives, 
et  que  Jean  Sturm,  Bucer,  Capiton,  Mélanchthon  et  d'autres  maîtres  luthé- 
riens se  lamentaient  sur  la  décadence  de  leurs  écoles,  sur  la  dépopulation 
des  Universités  et  sur  la  marche  rétrograde  de  la  science  ',  un  foyer  d'in- 
struction, ouvert  au  centre  de  notre  pays,  répandait  à  l'intérieur  de  ses 
provinces  et  au  delà  de  ses  frontières  le  goût  des  belles-lettres  et  les  prin- 
cipes de  philologie  nécessaires  à  une  connaissance  de  plus  en  plus  appro- 
fondie des  langues  et  des  littératures  anciennes. 

C'est  un  glorieux  souvenir  pour  la  Belgique,  ainsi  que  pour  la  prin- 
cipale école  qui  l'a  éclairée,  que  celui  de  cet  âge  de  la  Renaissance  où 
elle  était,  au  nord  de  la  France  et  de  l'Italie,  l'asile  le  plus  paisible  et  le 
plus  fréquenté  des  études  classiques.  La  critique  historique  manquerait 
à  la  vérité,  si  elle  ne  rendait  hommage  à  une  si  belle  initiative  et  aux 
fruits  abondants  qu'elle  a  produits  :  en  reconnaissant  la  défaillance  qui 
se  manifeste  au  siècle  suivant  dans  la  vie  de  nos  écoles,  et  spécialement 
dans  notre  culture  littéraire,  on  ne  peut  contempler  sans  admiration  cette 
ère  de  prospérité,  qui  commença  pendant  la  carrière  d'Érasme,  et  qui  ne 
prit  fin  qu'avec  celle  de  Juste  Lipse  et  de  ses  plus  dignes  émules.  La  pro- 
tection des  archiducs  et  de  leurs  successeurs,  assurée  à  quelques  hommes 
distingués,  fut  impuissante  à  susciter  un  mouvement  comparable  à  celui 
qui  venait  de  finir  :  c'est  à  nos  futurs  historiens  qu'il  appartiendra  de  faire 
saisir,  toutefois  sans  système  préconçu,  à  quel  point  les  effets  de  la  domi- 
nation étrangère  se  firent  sentir  alors  jusque  dans  l'inertie  des  esprits. 

'  Voir  les  témoignages  formels  des  ériulils  et  savants  de  l'époque,  recueillis  dans  l'ouvrage  de 
M.  le  \)'  i.  Doellinger  sur  la  Réforme ,  traduction  française,  1. 1 ,  pp.  442  et  suiv.,  pp.  479  et  suiv  , 
p.  533. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  345 

S'il  est  encore  dans  l'histoire  littéraire  de  la  même  période  un  autre 
argument  qui  fasse  ressortir  la  gloire  légitime  du  collège  des  Trois-Lan- 
gues,  nous  le  tirerions  d'un  simple  parallèle  avec  la  destinée  d'un  établis- 
sement semblable  ouvert  à  Paris  peu  d'années  après  sa  fondation  (1550), 
le  collège  royal  de  France.  Il  ne  s'agit  pas  de  revendiquer  pour  le  premier, 
fondé  avec  des  ressources  privées,  l'enseignement  toujours  plus  vaste  que 
la  munificence  des  rois  a  assuré  au  second;  on  sait  que,  dès  le  XVI""  siècle, 
ils  ont  ajouté  aux  chaires  de  langues  anciennes  des  leçons  de  mathéma- 
tiques, de  philosophie  grecque  et  latine,  et  aussi  de  médecine  et  de  bota- 
nique *.  Mais  il  est  intéressant  de  reconnaître  à  quel  degré  prospéra  dans 
l'une  et  dans  l'autre  institution  l'étude  des  langues  savantes,  qui  était  la 
raison  principale  de  leur  érection.  Or,  il  résulterait  clairement  des  faits, 
dont  l'examen  détaillé  ne  peut  trouver  place  ici,  que  les  trois  leçons  de 
latin,  de  grec  et  d'hébreu,  données  dans  l'école  de  Busleiden,  ont  produit 
dans  les  Pays-Bas  espagnols  pendant  le  XYI""^  siècle,  une  rénovation  des 
études  de  grammaire  et  de  philologie  non  moins  générale,  que  celle  que 
les  leçons  des  mêmes  langues  instituées  au  collège  royal  ont  produite  dans 
le  royaume  de  France  :  les  travaux  de  la  plupart  des  professeurs  de  Bus- 
leiden n'ont  pas  eu  moins  de  succès  en  Allemagne  et  en  France  même,  que 
ceux  des  lecteurs  l'oyaux,  chargés  de  cours  semblables.  L'une  et  l'autre 
école  ont  subi  les  mêmes  persécutions  à  leur  berceau  de  la  part  du  corps 
universitaire  auprès  duquel  elles  étaient  fondées  ^.  Mais  le  Collegium  Tri- 
lingue conquit  bientôt  l'appui  de  l'opinion,  grâce  à  la  fermeté  de  ses  maî- 
tres. Il  fut  soutenu  par  les  sympathies  d'une  nombreuse  jeunesse,  s'il  ne 
recueillit  point  la  faveur  et  les  largesses  des  princes,  qui,  toutefois,  ne 
préservèrent  pas  le  collège  royal  des  hostilités  réitérées  de  l'Université  de 
Paris.  Quand  vint  la  période  des  guerres  civiles,  les  deux  écoles  ne  purent 
échapper  à  leurs  conséquences,  et  suspendirent  longtemps  leurs  leçons. 
Les  rois  de  France  relevèrent  plus  tard  le  collège  de  François  I",  lui  don- 

•  Voy.  l'exposé  de  l'abbé  Goujct  sur  l'établissement  du  collège  royal  et  ses  progrès,  au  tome  I 
de  son  Mémoire  historique  et  littéraire  sur  le  collège  royal  de  France.  Paris,  1758. 

"^  Sur  la  fondation  de  François  1",  voy.  le  Mémoire  cilé  de  Goujet,  t.  I,  1"  partie,  pp.  135  et 
suiv.,  160  et  suiv.,  et  VHistoire  de  l'Université  de  Paris,  par  Crevier,  livre  X,  t.  V,  pp.  237-246. 


346  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

nèrent  asile  dans  un  bâtiment  somptueux,  et  le  dotèrent  de  nouvelles 
chaires  pour  les  langues  orientales,  l'arabe  et  le  syriaque,  ainsi  que  pour 
les  sciences;  les  souverains  des  Pays-Bas  ne  feront  rien  de  semblable  pour 
fournir  à  l'institution  de  Busleiden  les  éléments  d'une  prospérité  toujours 
croissante  et  de  puissants  moyens  d'action. 

La  prospérité  primitive  du  collège  des  Trois-Langues,  les  contempo- 
rains en  faisaient  honneur  à  Érasme,  nous  aimons  à  le  rappeler,  en  ter- 
minant nos  réflexions  sur  les  brillantes  destinées  qui  furent  d'abord  le 
partage  de  cette  institution.  Cornélius Musius  lui-même,  poète  et  martyr  de 
la  foi  chrétienne,  l'a  reconnu  dans  de  beaux  vei's,  que  nous  reproduisons 
ici,  comme  conclusion  de  ce  chapitre*  : 

Nescio  quas  nugas,  el  frivola  segnis  amabam  : 

Ingenium  ut  taceam 
Quam  fuit  exiguum,  quodque  omnia  tempore  in  illo , 

Barbarieque  niera , 
El  plusqumn  Gothicis  fuerant  pknissima  monslris  : 

Plena  hodieque  forent, 
Si  non  praesidium  studiorum  magnus  Erasmus  , 

Talia  monstra  stilo 
Confecisset  ^,  et  insigni  procul  urbe  fugasset  : 

Et  nisi  BusLiDius 
Ille,  ScHOLAM  proprio  qui  condidit  aère  Trilinguem, 

Perpetuaque  stipe 
Dotavit,  Musas  omnes  Charilesque  benignus , 

Praeside  cum  Clario, 
Mercuriumque  una,  veluti  ad  sua  lempla  vocasset. 

•  Une  partie  de  cette  pièce  a  été  publiée  par  Valère  André  dans  les  Exordia  ,  p.  40  (Corn.  Mu- 
sius, Ode  de  temporum  ftigacitate,  qiia  vitue  suae  curswn  prosequilur).  Il  en  a  reproduit  un  plus 
long  passage  dans  l'édilion  de  1G23  de  la  Bibl.  Belgica,  p.  216.  Musius  avait  suivi  les  leçons  de 
Goclenius  et  de  Rescius  (Foppens,  p.  214-15). 

■^  Les  conseils  d'Érasme  avaient  porté  bonheur  à  l'établissement,  comme  on  a  pu  le  voir  dans 
les  aperçus  de  notre  chapitre  III,  et  ses  efforts  avaient  été  si  grands  qu'il  les  comptait  lui-même 
parmi  ses  prodigieux  travaux.  N'écrivait-il  pas  à  Goclenius  :  «  Decebal  ut  ego  senex  jam  particeps 
cssem  vestrarum  felicitatum,  sed  video  meos  labores  plane  fuisse  Herculanos?  »  (Epist.  I,  p.  634. 
ann.  1521.) 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIIS.  347 


CHAPITRE  XL 

LES  ÉTUDES  LITTÉRAIRES  ET  PHILOLOGIQUES  AU  COLLÈGE  DES 
TROIS-LANGUES,  PEiNDANT  LE  XVII"  SIÈCLE. 


Perile  artein  putumux,  nui  appareat,  ijuùin  ilesinul 

art  eue,  si  apparet.  (Qcismiiii;. 

FoQiler,  c'est  graod;  maintenir,  c>tt  difficilr 


Après  la  longue  crise  politique  qui  avait  suspendu  les  travaux  de  la 
plupart  des  institutions  académiques  de  Louvain,  le  collège  de  Busleiden, 
longtemps  fermé,  reprit  enfin  son  ancienne  organisation,  grâce  au  bien- 
veillant concours  de  quelques  membres  de  l'Université,  et  surtout  à  l'ac- 
tivité déployée  par  le  président  Adrien  Baecx,  qui  en  fit  la  réouverture  ^ 
Mais  l'appel  adressé  alors  à  des  hommes  estimables,  et  même  à  des  écri- 
vains d'une  brillante  réputation,  et  la  vigilance  des  administrateurs  de  la 
fondation,  qui  ne  négligèrent  aucun  moyen  d'action  sur  la  jeunesse,  ne 
rendirent  pas  à  ce  collège  sa  première  prospérité  et  son  premier  éclat. 
La  décadence  visible  dont  il  fut  frappé  au  second  siècle  de  son  exis- 
tence, malgré  le  maintien  extérieur  de  ses  règlements  et  de  ses  privilèges, 
mérite  d'être  étudiée  avec  attention  ;  nous  ferons  en  sorte,  sans  trop  étendre 
les  limites  de  ce  chapitre,  d'en  montrer  les  signes  incontestables  et  d'en 
assigner  les  causes. 

Lenseignement  des  lettres  ne  se  présente  pas  dans  les  mêmes  conditions 
que  celui  des  sciences,  sous  le  rapport  de  sa  direction  et  de  sa  perpétuité  : 
la  plupart  des  sciences  qui  étaient  dans  les  attributions  des  Facultés  uni- 
versitaires, et  qui  avaient  fleuri  depuis  cent  ou  deux  cents  ans,  furent  de 
nouveau  cultivées  et  enseignées  à  Louvain  avec  un  égal  succès  ;  l'on  croi- 
rait même  que  les  progrès  que  chacune  de  ces  sciences  avait  faits  de  date 
récente,  furent  alors  mis  à  profit  par  les  maîtres  qui  en  étaient  chargés.  Il 
n'en  fut  pas  de  même  pour  l'étude  des  langues  et  des  lettres  :  la  tradition 

*  Voir  un  exposé  de  son  administration  (ann.  I606-1G24),  au  chapitre  IV. 


348  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

des  idées  et  des  principes  ne  s'y  fait  pas  d'un  âge  à  un  autre  avec  la  même 
fidélité  et  la  même  rigueur  que  dans  le  champ  limité  des  sciences  positives 
la  mobilité  des  opinions  s'y  fait  sentir  davantage,  et  les  variations  du  goût, 
tenant  à  l'influence  d'un  écrivain  ou  d'une  école,  ont  quelquefois  des  con- 
séquences désastreuses  qui  s'étendent  à  un  siècle  tout  entier. 

Le  collège  des  Trois-Langues,  qui  était  resté  sur  la  limite  des  deux 
siècles  sous  le  patronage  du  nom  de  Juste  Lipse,  ne  put  échapper  à  de 
telles  vicissitudes  dans  son  enseignement  littéraire  et  philologique;  il  ne 
rentra  pas  dans  les  voies  où  l'avaient  engagé  les  exemples  et  les  tendances 
de  ses  premiers  protecteurs  et  de  ses  maîtres  les  plus  distingués.  La  cul- 
ture des  langues  y  fut  poursuivie  sous  l'empire  d'autres  idées ,  dans  un 
but  d'utilité  pratique,  ou  bien  encore  de  vanité  et  d'agrément;  mais  on 
avait  perdu  le  sentiment  de  la  vérité  et  de  la  beauté  littéraires,  au  point 
de  ne  plus  les  chercher  l'une  et  l'autre  dans  leurs  principaux  et  constants 
modèles  :  une  nouvelle  rhétorique  et  une  nouvelle  poétique  furent  alors 
substituées  aux  notions  et  aux  règles  qu'on  avait  tirées  des  classiques 
latins  et  grecs  avec  une  merveilleuse  entente. 

La  décadence  n'était  pas  moins  marquée  du  côté  de  la  matière  et  des 
pensées  que  du  côté  des  règles  du  style  et  des  principes  esthétiques.  La 
méthode  et  les  travaux  des  premiers  maîtres  avaient  acheminé  nos  huma- 
nistes et  nos  écrivains  jusqu'au  véritable  centre  de  la  critique  et  de  l'érudi- 
tion littéraires,  l'antiquité  classique,  qui  en  était  alors  le  champ  de  bataille; 
ils  avaient  été,  à  l'époque  qui  venait  de  finir,  les  directeurs  du  mouve- 
ment, les  arbitres  de  l'opinion.  Ceux  qui  ont  occupé  au  XVI1°"=  siècle  les 
chaires  du  collège  de  Busleiden  ont  rompu  insensiblement  avec  les  écoles 
qui  avaient  accepté  l'héritage  de  Juste  Lipse  et  d'André  Schott;  ils  n'ont 
pas  poursuivi  de  concert  les  recherches  d'histoire  et  de  philologie  qui 
devaient  conduire  si  loin  l'érudition  classique  dans  les  pays  voisins,  et, 
se  condamnant  à  un  isolement  volontaire,  ils  se  sont  complus  dans  l'admi- 
ration d'un  petit  cercle  d'auteurs  anciens,  ou  dans  la  composition  d'œuvres 
nouvelles  sans  raison  d'être,  sans  règles  vraies,  et  partant,  sans  portée, 
sans  valeur  durable.  Il  n'y  eut  qu'un  fort  petit  nombre  d'exceptions  à  cet 
entraînement  d'esprits  honnêtes  et  laborieux  dans  des  routes  écartées  et 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  349 

malheureusement  stériles  '  :  nous  signalerons  les  vues  plus  profondes  de 
quelques  hommes  qui,  toutefois,  ne  réussirent  point  à  donner  aux  travaux 
des  autres  une  impulsion  meilleure. 

Nous  jetterons  d'abord  un  coup  d'œil  sur  la  direction  qui  fut  imprimée 
aux  leçons  de  langues,  puis  sur  l'application  qui  en  fut  faite;  nous  verrons 
ensuite  quelle  espèce  de  vie  littéraire  se  produisit  au  sein  de  l'école  nou- 
velle; enfin  nous  examinerons  quels  préjugés  ou  quels  abus  portèrent  dom- 
mage aux  intérêts  les  plus  vrais  des  lettres  et  même  des  sciences,  dans  la 
sphère  où  l'action  du  collège  de  Busleiden  pouvait  s'étendre. 

Le  latin  n'avait  rien  perdu  au  XYII"'"  siècle  de  son  ancien  empire  dans 
les  provinces  belgiques  :  les  idiomes  nationaux  du  nord  et  du  midi  ne 
pouvaient  lui  disputer  d'aucune  façon  la  prééminence  d'honneur  et  même 
de  fait,  qu'il  avait  aux  yeux  des  hommes  des  classes  élevées  et  des  profes- 
sions libérales.  Non-seulement  l'enseignement  des  humanités  et  celui  des 
sciences  sans  exception  se  faisait  en  latin;  mais  encore  les  écrits  sérieux  et 
les  livres  scientifiques,  les  discours  officiels  et  les  compositions  poétiques, 
n'avaient  point  d'autre  langue  :  s'il  y  eut  alors  quelques  productions  dans 
l'une  ou  l'autre  des  langues  vulgaires,  elles  n'avaient  qu'un  succès  local 
et  ne  s'adressaient  pas  au  public  lettré. 

11  faut  lire  avec  quelle  verve  un  philosophe  de  ce  siècle  prenait  chez 
nous  la  défense  du  latin  contre  les  prétentions  de  la  langue  belgique,  qui 
était  sa  langue  maternelle  :  dans  une  de  ses  Quaestiones  quodUOeticae  2,  petits 
discours  prononcés  à  Louvain  quand  il  professait  encore,  Arnold  Geu- 
lincx  établit  une  altercation  simulée  entre  les  deux  langues,  et  c'est  pour 
glorifier  le  latin  comme  langue  universelle,  comme  langue  de  l'Église, 
des  écoles,  de  la  science  et  des  livres;  c'est  pour  louer  les  Belges  et  les 
Allemands  d'en  posséder  une  connaissance  plus  parfaite  que  les  Italiens 
eux-mêmes.  Le  philosophe  anversois  ose  bien  demander  où  est  la  langue 

"  Nous  ne  reprendrons  pas  dans  les  biographies  esquissées  précédemment  lous  les  renseigne- 
ments qui  confirment  les  assenions  énoncées  en  ce  chapitre  :  quelques  personnages  seulement 
seront  mentionnés  plus  d'une  fois  comme  représentant  l'opinion  de  leur  siècle. 

2  Salurnulia  seuquaesl.  quodlib.  Antverpiae,  1655,  in-4°.  —  Ed.  ait.,  Lugd.  Bat.,  1665,  in-I2. 
—  Quaeslio  XXIV...  Utro  praestantior  Belgica,  an  lalina  lingua?  (édit.  1665,  pp.  305-312). 


550  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

belgiqiie,  et  il  la  cherche  «  sur  ce  coin  de  lerre  »  reléguée  dans  les  réu- 
nions dn  peuple  ^  Dans  une  autre  discussion,  Geulincx  combat  l'étude 
des  langues  de  diverses  nations,  et,  après  avoir  stigmatisé  les  particula- 
rités euphoniques  des  principaux  idiomes  connus,  il  revient  à  dire  que 
c'est  bien  assez  du  latin  comme  langue  des  hommes  instruits,  des  esprits 
cultivés  qui  n'ont  que  faire  de  tant  de  peines  et  d'efforts  pour  apprendre 
des  langues  qui  lui  sont  toutes  inférieures.  Que  le  peuple  garde  son  jar- 
gon !  les  savants  ont  en  partage  la  langue  de  Rome,  qui  rend  toutes  les 
autres  inutiles.  Voici  la  fin  de  ce  plaidoyer  d'un  latiniste  habile  -  :  Noti 
mendicanda  nobis  a  percgrinis  linguis  arlium  pi-aecepta  :  lotus  in  Latiiim  conccssit 
scienlianan  clioims ,  lolus  illi  lingnae  credihir  liodie  doctrimie  tlicsaiinis  :  sola  Itaec 
e  magislri  calliedi^a  tonat ,  sola  discipulorum  calamos  exercet ,  sola  replet  volumi- 
nibus  Musaea  :  Inijus  commercio  in  unam  Remp.  coëunt ,  quotquot  per  Enropam 
et  idlra  dispergunlnr  docti  :  ciim  liac  ubi  tantiim  extra  vilissimam  plebem  snmiis, 
vbique  in  palria  sumiis.  Deniqiie  in  ipsis  exterorum  linguis,  nescio  quo  conta gio , 
eorumdem  vitia  sunt  :  alia  loquax,  nlia  salax,  alia  in  supervacaneas  caeremonias 
pomposa,  alia  in  serviles  principiim  adulationes  projecta  :  candidus  liis ,  o  Belgae , 
quia  colorem  facile  bibit,  inqiiinalur  aninnis. 

A  n'en  point  douter,  le  latin,  qui  avait  conservé  encore  intacts  ses 
droits  de  langue  littéraire  et  polie  dans  les  Pays-Bas,  était  écrit  avec  pu- 
reté, simplicité,  élégance,  par  bien  des  hommes,  comme  le  prouvent  les 
œuvres  conservées  du  siècle  où  Geulincx  l'élevait  si  haut;  mais  ces  hommes 
avaient  pu  se  préserver  par  leurs  propres  éludes,  ou  par  la  lecture  d'au- 
teurs choisis,  des  défauts  qui  étaient  autorisés  par  les  latinistes  les  plus 
vantés  de  leur  époque.  Sans  considérer  les  exceptions,  et  sans  avoir  besoin 
d'en  indiquer  toutes  les  causes,  nous  allons  droit  à  la  source  du  mal  que 
nous  dénoncions  tout  à  l'heure  :  on  a  écrit  le  latin  avec  prétention  à  la 
finesse  et  même  à  l'éloquence,  sans  se  soucier  des  anciens  modèles,  les 


'  At  Belgira  linyiia  iibi  est?  In  hoc  Itrrae  anyulo,  in  hac  gleba  :  el  ibidem  non  nisi  verna  et 
famula ,  per  culinas  strepit  et  popelli  tabervas  :  Aulam  freqtientat  Gallica,  Academiam  Latina, 
mercalorum  Basilicas  Liisitana,  inter  elegantiorum  sitbinde  coetus  Itala  lascivit  et  Castellana. 
Quam  sonal  iste  caestus,  o  Belgica! 

-  Qiiaeslio  XI.  An  laudabile  diversarum  gentimn  idimnata  perdiscendi  sludium? 


DES  TROIS-LAiNGLES  A  LOUVAIN.  3S1 

yeux  toujours  fixés  sur  quelques  écrivains  récents  fort  aimés  du  public. 
La  faute  en  retombe  certainement  sur  les  hommes  qui  ont  été  appelés 
dès  le  commencement  du  siècle  à  cette  leçon  de  langue  latine,  qui  avait 
procuré  autrefois  au  collège  de  Busleiden  tant  de  solide  renommée.  Le 
premier  d'entre  eux,  Érycius  Puteanus,  que  l'on  considérait  comme  un 
autre  Lipsius,  n'imprima  une  direction  ni  assez  ferme  ni  assez  large  aux 
études  latines  :  quoiqu'il  eût  visité  Rome  et  l'Italie,  il  ne  fit  pas  une 
critique  profonde  des  historiens  romains  qu'il  expliquait  souvent;  il  ne 
chercha  lui-même  dans  les  anciens  qu'un  thème  de  considérations  philo- 
sophiques, morales  et  historiques,  le  plus  souvent  très-hasardées,  et  il 
perdit  de  vue  la  valeur  littéraire  des  œuvres.  Il  trouva  beaucoup  d'admi- 
rateurs de  ses  productions,  dans  lesquelles  il  s'escrimait  sur  des  ques- 
tions oiseuses,  et  il  entraîna  ceux  qui  lui  furent  confiés  à  disserter  et  à 
écrire  de  même.  Puteanus  était  bon  prince;  mais  son  règne  ne  fut  que 
trop  long,  et  la  pédanterie  qu'il  professait  de  si  bonne  foi  eut  le  temps 
de  s'implanter  comme  une  de  ces  modes  bizarres  dont  les  années  font 
passer  le  ridicule.  Discours,  diatribes,  dissertations,  vers,  tout  était  mar- 
qué au  même  coin  d'un  art  prétentieux,  qui  n'avait  ni  la  grâce  du  naturel 
ni  les  élans  de  l'enthousiasme.  Celait  un  art  qui  se  détruisait  lui-même  à 
force  d'affectation,  et  c'est  ce  genre  d'affectation  qui  doit  répugner  à  des 
esprits  non  prévenus  K  L'emphase  déparait  toutes  ces  productions  dont 
les  auteurs  avaient  peur  d'être  simples,  et  dont  le  sujet  mal  choisi,  mes- 
quin d'ordinaire,  était  rehaussé  inutilement  par  le  grandiose  des  mots  : 

L'un  n'est  pas  trop  fardé,  mais  sa  muse  est  trop  nue; 
L'autre  a  peur  de  ramper,  il  se  perd  dans  la  nue. 

Vernulaeus,  qui  succéda  à  Puteanus,  avait  à  un  plus  haut  degré  le 
sentiment  du  vrai  qui  est  une  des  conditions  du  beau  littéraire;  mais  il 
n'eut  pas  le  temps  de  soumettre  la  jeunesse  du  collège  à  l'épreuve  d'une 

*  Tel  est  le  sens  d'un  mot  que  Dorpius  prenait,  en  1515,  comme  devise  de  son  discoursrfe  Laudi- 
bus  disciplinarum  (van  Iscglieni,  Biogr.  de  Th.  Martens,  p.  241.  Cfr.  ch.  V,  pp.  113-15)  :  Optima 
est  ars  sine  arle  :  et  odiosa  semper  a/feetalio.  C'est  aussi  celui  de  la  sentence  d'un  critique  ancien 
inscrite  en  tête  de  ce  chapitre. 

Tome  XXVIII.  46 


3S2  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

direction  plus  sage;  il  avait  été  obligé  lui-même  de  se  plier  à  toutes  les 
exigences  de  l'enseignement  officiel  de  la  rhétorique  aux  étudiants  de  la 
Faculté  des  Arts,  et  comme  littérateur  et  poète  latin,  il  avait  conservé  de 
l'indépendance  et  du  goût  tout  en  imitant  dans  ses  tragédies  le  théâtre  latin 
de  Sénèque.  Les  successeurs  de  Yernulaeus,  B.  Heimbachius,  Christophe 
van  Langendonck,  etc.,  firent  quelques  efforts  pour  exercer  la  jeunesse  à 
la  composition,  et  pour  l'intéresser  à  la  lecture  de  quelques  bons  auteurs. 
Mais,  bien  que  la  chaire  de  latin  qu'ils  remplissaient  portât  encore  le 
litre  de  chaire  d'histoire,  parce  qu'ils  expliquaient  les  historiens  latins, 
ils  n'obtinrent  aucun  résultat  important  dans  celte  étude  où  Juste  Lipse 
avait  brillé.  Puteanus  n'avait  déjà  plus  l'intelligence  de  la  civilisation 
romaine  et  des  enseignements  que  fournissent  les  monuments  historiques 
et  littéraires;  ceux  qui  vinrent  après  étaient  dépourvus  davantage  encore 
de  ce  sens  historique,  qui  fait  découvrir  les  réalités  du  monde  ancien  dans 
leur  vrai  jour,  et  les  beautés  des  œuvres  anciennes  à  la  lumière  des  idées 
et  des  faits  ^  Il  ne  faut  pas  s'étonner  après  cela  que  la  lâche  de  critique 
et  d'éditeur  n'ait  été  revendiquée  par  aucun  des  latinistes  d'alors  :  nous 
avons  cherché  en  vain  l'édition  ou  le  commentaire  d'un  écrivain  latin 
de  quelque  importance  auquel  l'on  pût  attacher  leur  nom;  il  n'est  pas 
un  texte  de  littérature  ancienne,  imprimé  sous  leurs  auspices,  que  l'on 
puisse  opposer  à  l'activité  des  écoles  philologiques  qui  avaient  dépassé  leur 
aînée. 

Les  études  grecques  souffrirent  plus  encore  que  les  études  latines;  elles 
perdirent  de  tout  point,  et  par  rapport  au  nombre  de  ceux  qui  s'y  adon- 
nèrent, et  au  point  de  vue  des  résultats  qu'on  pouvait  alors  en  attendre. 
Les  premiers  professeurs  de  langue  grecque  ne  furent  point  responsables 
de  l'indifférence  avec  laquelle  le  public  universitaire  traita  bientôt  cette 
leçon  :  Pierre  Stockmans  possédait  les  qualités  nécessaires  pour  la  rele- 
ver dans  l'opinion,  mais  il  n'enseigna  que  pendant  environ  dix  ans;  c'est 
Pierre  Castellanus,  son  prédécesseur,  qui  eut  surtout  le  pouvoir  d'exciter 
l'intérêt  des  meilleurs  esprits  pour  une  élude  qui  présentait  tant  d'aspects 

'  Sur  la  direction  des  cours  d'humanités  en  France  dans  la  même  période,  voir  le  travail  de 
M.  Ch.  Lenorniant  :  De  l'enseignement  des  langues  anciennes.  (Extr.  du  Correspondant,  I844.) 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  3S3 

différents.  On  a  pu  remarquer  dans  la  biographie  de  ce  savant  helléniste 
et  médecin  •,  quelle  érudition  de  bon  aloi,  puisée  aux  sources  grecques, 
il  avait  mise  dans  des  écrits  qui  avaient  trait  à  la  civilisation  et  aux  sciences 
de  l'antiquité.  Bien  mieux  que  Puteanus  et  qu'aucun  autre,  Castellanus 
était  capable  de  fonder  une  école  de  critique  historique  et  littéraire  qui  se 
fût  tenue  au  niveau  de  celles  de  la  France,  de  la  Hollande  et  des  autres 
pays;  mais  il  mourut  jeune  en  1652,  et  après  lui  non-seulement  les  lettres 
grecques,  mais  encore  toute  érudition  positive  et  utile,  basée  sur  une  phi- 
lologie judicieuse,  tombèrent  en  discrédit.  Cette  décadence  fut  sans  retour, 
et  encore  au  dernier  siècle,  M.  de  Nélis  jetait  un  regard  de  tristesse  sur  les 
vicissitudes  toujours  plus  fâcheuses  qui  atteignirent  les  lettres  anciennes, 
après  l'époque  de  Castellanus  et  la  retraite  de  P.  Stockmans  2. 

Il  n'y  eut  jusqu'à  la  fin  du  XYIl"'"  siècle  aucune  application  sérieuse 
des  études  sur  la  langue  grecque,  qui  était  réduite,  sans  doute,  aux  élé- 
ments de  la  grammaire  dans  les  leçons  du  Collegium  Trilingue.  Justice  étant 
rendue  au  zèle  d'un  professeur  irlandais  de  naissance,  Fr.  Martin,  qui 
enseigna  le  grec  de  1683  à  1722,  on  ne  peut  fermer  les  yeux  sur  les  faits 
qui  attestent  suffisamment  la  déchéance  de  cette  étude,  et  l'incurie  des 
hommes  qui  auraient  dû  la  soutenir.  Non-seulement  on  ne  voit  paraître 
alors  aucun  nouveau  travail  de  grammaire,  aucun  texte  d'un  auteur  clas- 
sique, mais  encore  on  voit  les  leçons  de  grec  abandonnées  par  cette  classe 
d'étudiants  en  droit  et  en  théologie  qui  les  fréquentaient  avec  empresse- 
ment autrefois^.  Sans  rendre  ces  leçons  obligatoires,  on  aurait  dû  prendre 
des  mesures  efficaces  pour  qu'elles  profitassent  comme  par  le  passé  aux 
études  de  droit,  de  théologie  et  même  de  médecine.  Cet  abandon  eut  des 

•  Voy.  plus  haut,  chap.  VII,  §  7,  pp.  215-17. 

*  Prologue  sur  le  Ludus  de  Castellanus,  au  tome  I  de  ses  Analectes,  p.  98.  — Si  l'on  réimprime 
tant  d'élucubrations  sans  valeur,  et  qu'on  oublie  des  œuvres  pleines  de  gr.^ce  et  d'élégance,  de 
Nélis  l'attribue  à  la  chute  sans  cesse  plus  grande  des  études  littéraires:  Verum  mirari  desino 
quum  non  Gruccarum  modo  Utterarum...  sed  etiam  Lalinarum  eliam  fatum ,  qtiale  temporis  Mo 
inlervallo  fuerit ,  mecum  considéra.  Castellanus  noster,  Erycius  Puteanm,  paucique  alii.post  Justi 
Lipsii  excessum,  labanlibus  humeras  aliquamdiu  supposuere  :  ah  eorum  morte  jacuere  penitus. 
tanlutn  non  exstinctae. 

s  Dans  la  seconde  moitié  du  XVI""'  siècle,  un  grand  nombre  de  gradués  en  droit  avaient  fait  un 
cours  de  grec  pour  accroître  leurs  connaissances  historiques  et  littéraires. 


354  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

conséquences  fort  graves  :  nos  jurisconsultes  et  nos  magistrats  n'acquirent 
plus  cette  érudition  littéraire,  qui  avait  fait  l'ornement  du  savoir  de  leurs 
prédécesseurs.  Les  études  théologiques  ne  furent  plus  sans  cesse  alimen- 
tées par  la  tradition  des  Pères,  recherchée  naguère  si  avidement  dans  les 
sources  :  on  n'aperçoit  aucun  monument  de  la  Patrologie  grecque,  qui  ail 
été  publié  ou  traduit  à  Louvain  dans  ce  laps  de  temps;  il  reste  même  dou- 
teux qu'un  certain  nombre  de  théologiens  fût  en  état  ou  eût  l'habitude  de 
lire  les  Pères  dans  les  belles  éditions  grecques,  publiées  surtout  par  les 
Bénédictins. 

La  leçon  de  langue  hébraïque  fut  continuée  pendant  la  même  période, 
sans  produire  d'autre  fruit  que  la  transmission  des  premiers  principes, 
suffisant  à  quelques  théologiens  pour  prendre  connaissance  des  passages 
invoqués  dans  des  controverses  célèbres.  Il  est  bien  vrai  que  cette  leçon 
se  fit  avec  autant  d'assiduité  que  les  autres,  et  que  les  professeurs  d'hé- 
breu ou  d'autres  membres  de  l'Université  défendirent  plusieurs  fois  en 
public  des  thèses  qui  avaient  pour  objet  la  nécessité  d'une  étude  appro- 
fondie des  langues  bibliques;  mais  en  fait,  il  n'y  eut  point  d'œuvre  qui 
servît  de  programme  ou  de  base  à  des  travaux  de  philologie  sacrée  ou  à  des 
recherches  d'exégèse  proprement  dites.  Versé  dans  l'hébreu,  J.-B.  Gramaye 
recueillit  des  données  sur  les  langues  et  les  alphabets  du  monde  ancien; 
mais  le  curieux  Spécimen  qu'il  élabora  au  retour  de  ses  voyages  '  ne  provo- 
qua point  de  semblables  efforts.  Jean  Sauter  ne  donna  qu'avec  de  grandes 
peines  une  introduction  extraite  du  cours  de  grammaire  qu'il  avait  rédigé 
(1675).  Puisque  ce  professeur  dut  travailler  lui-même  à  l'exécution  d'un 
nouveau  corps  de  caractères  hébreux,  on  avait  probablement  laissé  se  perdre 
ou  se  détruire  dans  le  courant  du  siècle,  la  collection  de  caractères  qui  avait 
servi  dans  ses  premières  années  à  l'impression  de  mots  et  de  textes  de  la 
langue  sainte  :  appartenaient-elles  en  pleine  propriété  à  un  seul  imprimeur, 
ces  lettres  qui  ont  reproduit  les  mots  hébreux  cités  (p.  16)  dans  le  dis- 
cours de  V.  André  sur  la  langue  hébraïque,  imprimé  en  161-4  par  Ph.  Dor- 

'  Voir  notre  Examen  historique  du  tableau  des  langues  et  des  alphabets  de  l'univers  que  J.-B.  Gra- 
maye a  publié  à  Ath  en  1622.  Gand,  1834,  in-S»  (Extrait  du  Messager  des  sciences  historiques . 
ann.  1834,  pp.  108  et  190). 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  35a 

malius,  et  qui  ont  suffi  à  l'exécution  assez  difficile  du  miroir  hébraïque 
sorti,  en  IGlo,  des  presses  de  Gérard  Rivius  '? 

On  croirait  difficilement  que  l'auteur  de  ce  miroir,  qui  était  un  lexique 
des  radicaux  de  l'hébreu  fort  habilement  construit,  ait  enseigné  à  Louvain, 
à  côté  de  la  chaire  d'hébreu  du  collège  des  Trois-Langues  :  Valère  André 
occupait  alors  cette  chaire,  et  dans  aucun  livre  historique  relatif  à  l'Uni- 
versité, il  n'est  question  de  l'étranger  dont  ledit  lexique  porte  le  nom 
avec  la  qualité  de  professeur  de  langues  orientales.  Si  Joseph  Abudacnus 
dit  Barbatus,  chrétien  d'Egypte  ^,  a  enseigné  quelque  part  en  Belgique, 
c'est  bien  plutôt  à  Anvers,  puisqu'il  dédia  ce  premier  travail  aux  magis- 
trats de  cette  ville  ;  l'histoire  antérieure  de  ce  personnage  n'est  pas  con- 
nue, et  il  n'est  rien  de  certain  touchant  la  durée  et  l'emploi  du  séjour 
qu'il  a  fait  en  Angleterre,  après  son  passage  en  Belgique. 

Que  nous  envisagions  maintenant  les  moyens  et  les  exercices  mis  en 
usage  par  les  professeurs  de  langues  et  de  belles-lettres  dans  l'intention 
de  favoriser  leur  étude,  nous  apercevons  des  méprises  tout  à  fait  sem- 
blables à  celles  que  nous  avons  signalées  dans  l'enseignement  et  dans  les 
écrits  donnés  et  pris  pour  modèles.  Il  y  eut  toujours  quelque  chose  de 
factice,  ou  du  moins  de  fort  mesquin  dans  la  vie  littéraire  que  l'on  pré- 
tendit exciter  dans  la  jeunesse  par  des  essais  de  composition  oratoire  et 
poétique;  le  travail  paraissait  fort  animé,  et  les  têtes  étaient  pleines  d'es- 
pérances et  de  projets;  mais  tout  ce  mouvement  devait  aboutir  à  une  litté- 
rature fort  banale  de  compliments  ou  de  considérations  morales. 

Puteanus  avait  établi,  dès  l'an  1610,  une  espèce  d'académie  dans  le 
lieu  de  sa  résidence,  le  château  César,  qui  devenait  dès  lors  pour  cette 
petite  république  la  forteresse  de  Minerve,  Arx  Palladis.  Il  voulait  sincè- 
rement le  bien,  et  pour  aider  les  autres  à  y  atteindre  par  la  culture  de 

'  Spéculum  hebratcum,  ou  lexique  des  racines  et  de  leurs  principaux  dérivés ,  vol.  grand  in-folio. 
(Lovanii,  in  oflicina  typograpliica  Gerardi  Rivii,  1615.  Dern.  signât.,  F.  2.)  —  Gerardus  Rivius 
(ou  Gérard  van  Rivieren)  demeurait  à  Louvain,  à  l'enseigne  de  Pégase,  et  il  y  a  imprimé  de  l'an 
1599  à  l'an  t634. 

2  Voir,  dans  le  Messager  des  sciences  historiques  de  Behjique ,  ann.  1830,  1"  liv.  (pp.  248-59), 
ma  note  sur  le  Lexique  hébreu,  publié  à  Louvain  en  1613.  Voir  aussi  l'arlicle  Ht  Aboudacnus  (dont 
le  nom  signifie  l'ère  de  la  Barbe),  dans  la  Nouvelle  biogr.  imiv.  de  la  maison  Didot. 


356  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

l'esprit,  il  avait  ouvert  une  «  lice  de  la  saine  intelligence  »,  sa  Palaeslra 
bonae  mentis,  où  la  jeunesse  dissertait,  récitait,  lisait,  disputait  sous  sa 
haute  présidence.  Le  collège  des  Trois-Langues  avait  l'honneur  de  servir 
tous  les  mois  aux  assemblées  générales  de  la  Palaeslra ,  tandis  que  les 
réunions  particulières  avaient  lieu  chaque  semaine  dans  la  demeure  de  Pu- 
teanus  ^.  Les  gentilshommes  recommandés  à  ce  professeur  étaient  conviés 
par  lui  à  ces  exercices,  fort  utiles  sous  plus  d'un  rapport,  s'ils  avaient  été 
mieux  dirigés  :  la  pensée  de  l'œuvre,  et  le  dévouement  de  celui  qui  l'or- 
ganisa sont  également  louables;  mais  là  comme  ailleurs  manquèrent  les 
notions  littéraires  et  historiques  qui  s'effaçaient  de  plus  en  plus  dans  la 
nouvelle  école.  On  se  contenta  de  peu;  les  modèles  assignés  par  le  maître 
étaient  d'un  choix  malheureux,  et  la  critique  qu'il  exerçait  lui-même  ne 
rachetait  pas  des  défauts  cjue  ses  exemples  n'autorisaient  que  trop.  Les 
amis  de  Puteanus  le  savaient  ou  le  devinaient  fort  bien  :  Daniel  Heinsius 
n'osait  lui  dire  en  face  que  son  académie  était  d'un  intérêt  trop  local,  mais 
lui  donnait  le  conseil  de  provoquer  de  plus  vastes  études  qui  eussent  du 
retentissement^.  Les  essais  que  (it  Puteanus  pour  que  des  jeunes  gens  de  la 
noblesse  terminassent  leurs  études  littéraires  dans  le  court  espace  de  deux 
ans,  méritent  quelque  attention,  au  point  de  vue  de  la  pédagogie  ^;  mais 
les  statuts  qu'il  publia,  à  cet  effet,  donnent  lieu  de  penser  qu'une  étude  si 
précipitée  des  langues  et  de  l'histoire  nuii-ait  à  l'idée  que  la  jeunesse  doit 
se  faire  de  l'étendue  de  la  science  et  de  la  nécessité  du  travail,  et  qu'elle 
favoriserait  en  elle  cette  présomptueuse  confiance  dont  il  n'y  a  que  trop 
de  traces  dans  les  élucubrations  latines  de  la  même  école.  On  ne  peut  non 
plus  s'empêcher  d'observer  que  les  premiers  historiens  que  Puteanus  vou- 
lait mettre  entre  les  mains  de  ses  nobles  élèves  étaient  Sulpice  Sévère, 


'  Voii'  l'analyse  des  lettres  de  Puteanus  par  de  Reiffenberg,  Notices  et  extraits,  4  829.  t.  I, 
pp.  4C-47.  —  La  Palaeslra  avait  admis,  parmi  ses  membres,  l'imprimeur  I^hilippe  Dormalius  ou 
van  Uormael,  pour  bonorer  en  lui  l'art  typographique.  (Ibid.,  p.  54.) 

*  Lettres  de  Leyde,  IGll  (Not.  et  exir.,  p.  47),  où  on  lit,  par  exemple:  Instituti  lui  praeslan- 
tiam  nisi  Lovanitim  agnoscit,  ad posleritutem  provocare  potes. 

'  Designatio  contubernii  nobitium  puerorum  quo  institulio  titeraria  biennio  absolvatur,  pièce 
inédile,  publiée  en  1839  dansl'/l?»;.  de  l'univ.  de  Louv.,  pp.  272-277.  —Voy.  aussi  l'article  intitulé: 
Puteanus  et  sa  métiiode  d'enseignement.  Annuaire  de  1852  ,  p.  319. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  357 

Justin  et  Florus,  à  la  suite  desquels  il  plaçait  modestement  son  histoire 
des  invasions  des  races  germaines  [Irrupliones  barbarorum). 

La  jeunesse  de  l'époque  faisait  la  prose  et  les  vers  à  l'instar  de  ses 
maîtres  :  on  l'avait  habituée  à  se  passer  de  l'imitation  des  anciens,  et  au 
moment  où  les  littératures  anglaise  et  française  fixaient  leurs  règles  et 
leurs  genres  avec  une  profonde  intelligence  des  secrets  de  l'art  antique, 
nos  écrivains  cherchaient  leurs  modèles  dans  les  oeuvres  latines  de  second 
ordre,  et  même  dans  des  compositions  toutes  modernes.  Celte  médiocrité 
des  auteurs  que  l'on  copiait  n'est-elle  pas  une  raison  suffisante  de  la  valeur 
non  moins  médiocre  des  travaux  d'imitation? 

On  se  ferait  avec  peine  une  idée  des  écarts  dans  lesquels  la  majorité  des 
littérateurs  latins  tomba  sous  l'empire  de  ces  préjugés  d'école,  si  on  ne 
lisait  pas  les  produits  de  leur  plume,  qui  ont  échappé  à  l'indifférence  des 
générations  suivantes  et  aux  outrages  du  temps.  La  plupart  des  œuvres  ora- 
toires se  réduisent  à  des  discours  pompeux,  mais  vides  de  choses;  la  décla- 
mation remplace  les  faits  et  l'élément  historique  est  absorbé  par  de  préten- 
dues considérations  politiques;  les  vues  et  réflexions  philosophiques  ou 
morales  ne  tiennent  à  aucun  système.  La  poésie  ne  consiste  guère  qu'en 
pièces  de  vers  alambiqués;  autour  d'un  nom  se  groupent  les  épithètes  les 
plus  louangeuses;  trop  souvent  les  formules  d'adulation  banale  sont  épui- 
sées jusqu'à  la  dernière,  et  il  y  a  encore  banalité  dans  ces  chants  d'apo- 
théose, où  le  prince,  le  guerrier,  le  savant,  le  poète,  est  porté  jusqu'aux 
cieux,  jusqu'aux  astres.  Les  illusions  de  ces  auteurs  et  de  ces  poètes 
allaient  aussi  loin  que  la  sincérité  de  leur  confiance  dans  l'emploi  des 
ressources  qu'on  leur  conseillait,  des  procédés  dont  ils  faisaient  tous  les 
jours  l'application  mécanique.  Ils  se  promettaient  les  uns  aux  autres  l'im- 
mortalité, et  Puteanus  ne  fut  pas  le  seul  à  croire  à  la  sienne^.  On  se 
tromperait  apparemment  si  on  ne  voyait  que  la  réclame  dans  tout  ce 
pathos,  où  Apollon,  Minerve,  les  Muses  interviennent  sans  cesse,  sous 
tous  les  noms  et  avec  toutes  leurs  qualités.  Les  nouveaux  latinistes,  si 
honnêtes  qu'il  fussent,  ne  savaient  plus  louer  sans  cet  appareil  fort  lourd 

'  Voir  (de  ReilTenberg,  Cinquième  Mémoire,  p.  20)  les  éloges  inqualifiables  de  J.  Imperialis, 
écrivain  d'Italie,  à  ce  personnage,  que  d'autres  ont  appelé  «  le  plus  grand  des  mortels  »,  etc. 


358  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

de  comparaisons  mythologiques,  et  ils  s'ingéniaient  à  découvrii"  des 
expressions  toujours  plus  énergiques  et  plus  hautes  de  leur  admiration, 
qui  n'était  certes  pas  feinte  et  empruntée  dans  la  sphèi^e  où  ils  vivaient. 
Cette  aberi\ation  du  XYII"""  siècle  aurait-elle  peut-être  une  sorte  de  justi- 
fication dans  les  faiblesses  d'une  autre  époque?  Elle  devrait  être  assez  faci- 
lement excusée  dans  la  nôtre  :  la  prose  du  journalisme  n'est-elle  pas  coupa- 
ble de  bien  plus  grands  excès  que  les  tirades  oratoires  et  poétiques  de  nos 
aïeux?  ne  dispense-t-elle  pas  tous  les  jours  sans  mesure ,  sans  vergogne,  sans 
pudeur,  l'éloge  et  le  blâme?  ne  décerne-t-elle  pas  les  noms  de  docte,  d'il- 
lustre, d'éminent,  aA'ec  la  même  extravagance  que  nos  versificateurs  latins 
distribuaient  leurs  épithètes  tirées  à  pleines  mains  du  vocabulaire  de  la  poé- 
tique latine  et  grecque?  ne  concourt-elle  pas  à  la  dépravation  du  langage, 
à  l'altération  du  sens  des  mots  qui  devient  menteur  au  gré  des  passions? 
Que  l'on  fasse  ce  retour  sur  les  travers  du  temps  présent,  et  l'on  ne  vou- 
dra point  parler  avec  colère  des  prétentions  littéraires  et  du  langage  vani- 
teux de  l'école  de  Puteanus  ou  bien  encore  de  l'école  voisine  de  J.  Scaliger. 

Nous  avons  dénoncé  jusqu'ici  dans  le  second  siècle  littéraire  de  l'Uni- 
versité de  Louvain  de  fausses  directions,  de  regrettables  méprises,  qui 
ont  arrêté  le  mouvement  des  sciences  philologiques  si  rapide  et  si  glo- 
rieux dans  le  siècle  antérieur;  nous  devons  indiquer  en  finissant  plusieurs 
préjugés  et  plusieurs  abus  qui  ont  contribué  à  ce  résultat  dans  l'organi- 
sation universitaire,  à  laquelle  la  direction  du  collège  des  Trois-Langues 
restait  subordonnée. 

En  premier  lieu ,  signalons  le  grave  abus  du  cumul  des  charges;  car  il 
exista  au  détriment  du  collège  de  Busleiden  comme  à  celui  de  plusieurs 
institutions  de  l'Université.  Il  n'y  eut  pour  ainsi  dire  aucun  professeur  qui, 
à  partir  du  XVIl™"  siècle,  n'ait  entrepris  des  études  étrangères  à  son  ensei- 
gnement littéraire  ou  historique,  et  le  plus  souvent  il  en  a  considéré  les 
fonctions  comme  tout  à  fait  accessoires,  du  moins  comme  secondaires 
dans  l'ordre  de  ses  devoirs.  Les  chaires  des  Facultés  de  l'Université  étant 
mieux  rétribuées  que  celles  du  collège  des  Trois-Langues,  la  plupart  des 
hommes  n'acceptèrent  celles-ci  qu'avec  la  perspective  de  prendre  des  grades 
soit  en  droit,  soit  en  théologie,  pour  avoir  part  aux  honoraires,  aux  pré- 


DES  TROIS-LANGLES  A  LOUVAIÎN.  559 

bendes  et  aux  bénéfices  attachés  aux  chaires  plus  élevées.  INous  n'avons  pas 
besoin  d'examiner  si  le  souverain,  les  états,  les  corps  constitués  n'avaient 
pas  alors  l'obligation  d'assurer,  dans  l'intérêt  des  belles-lettres,  une  posi- 
tion meilleure  et  plus  indépendante  à  ceux  qui  les  professaient  :  le  fait 
subsiste,  et  il  donne  en  partie  la  clef  de  cette  suspension  des  travaux  utiles, 
qui  avaient  été  poursuivis  sans  relâche  et  presque  toujours  avec  plus  de 
désintéressement  dans  le  siècle  précédent. 

L'exemple  de  Valère  André  le  prouve  surabondamment  :  que  pouvait-il 
faire  de  sérieux  et  de  durable  pour  les  études  hébraïques,  quand  il  étu- 
diait et  enseignait  le  droit,  quand  il  joignait  à  ses  commentaires  juridi- 
ques des  travaux  d'histoire  et  de  biographie?  On  réclama  de  son  temps 
contre  le  cumul  de  plusieurs  charges  :  Valère  André  composa  un  mémoire 
intitulé  :  Pro  defensione  mea,  afin  de  conserver  les  siennes^;  il  allégua  à 
cet  effet  plusieurs  exemples  d'une  possession  semblable  de  deux  chaires  à 
la  fois,  et  il  réussit.  Au  moins  cet  homme  instruit  et  actif  rendit-il  des 
services  signalés  à  d'autres  branches  de  la  science;  mais  combien  de  gra- 
dués en  droit  ou  en  théologie,  qui  possédèrent  les  chaires  du  collège  de 
Busleiden,  furent-ils  en  état  de  satisfaire  aux  nécessités  les  plus  urgentes 
de  l'enseignement  littéraire! 

En  second  lieu  ,  une  fraction  considérable  de  l'Université  oublia  trop  en 
quel  honneur  on  y  avait  naguère  tenu  l'étude  des  lettres  classiques;  l'in- 
différence ou  le  dédain  de  quelques-uns  pour  les  professeurs  de  langues  et 
de  belles-lettres  put  devenir,  en  plus  d'une  circonstance,  un  motif  de  dé- 
couragement, et  même  une  source  de  sérieux  obstacles  pour  ceux-ci. 
L'exemple  de  Puteanus  ne  saurait  servir,  ce  nous  semble,  en  cet  endroit, 
d'argument  décisif;  cependant  il  montre  quelles  devaient  être  les  disposi- 
tions du  plus  grand  nombre  envers  ses  collègues,  comme  envers  lui. 

Les  titres  de  Puteanus  avaient  excité  autour  de  lui  certaine  jalousie^  : 
conseiller  du  prince,  Puteanus  voulait  prendre  rang  au-dessus  de  ses 
collègues,  les  membres  de  la  Faculté  des  Arts;  de  nombreux  opposants 
soutinrent  que  Puteanus  n'appartenait  plus  ni  à  celle-ci ,  ni  non  plus  à 

'  Paquot  a  vu  la  défense  de  ce  professeur.  (Fasti,  MS.,  t.  I,  p.  517.) 
^  Voir  ses  lettres  de  l'an.  1613.  Notices  et  extr.,  ibid.,  pp.  50-51. 

Tome  X.XVllI.  ^7 


560  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

aucune  autre;  que  ses  auditeurs  ne  pouvaient  avoir  droit  aux  privilèges 
de  l'Université,  et  que  les  certificats  qu'il  délivrait  à  ses  élèves  ne  pou- 
vaient être  reconnus. 

Nous  ne  pouvons  passer  sous  silence  une  troisième  cause  bien  grave  de 
l'aflaiblissement  des  études  littéraires  :  elle  se  fit  sentir  au  collège  de 
Busleiden  plus  que  partout  ailleurs.  Les  esprits  s'étaient  trop  vite  habi- 
tués à  rester  indifférents  aux  entreprises  savantes,  aux  recherches  criti- 
ques qui  faisaient  avancer  la  science  et  les  lettres  chez  d'autres  nations; 
de  fait,  les  relations  si  suivies  autrefois  avec  les  écoles  célèbres  de  l'Eu- 
rope avaient  toujours  diminué,  et  enfin  cessé  presque  entièrement.  Est-il 
besoin  de  prouver  combien  cet  isolement  fut  préjudiciable  à  une  institu- 
tion qui  ne  pouvait  rester  étrangère  à  ce  mouvement  des  esprits  sans  renier 
son  passé?  Le  mal  devint  d'autant  plus  grand  que,  vivant  constamment 
dans  ce  milieu  où  ils  ne  voyaient  plus  autre  chose  qu'eux-mêmes,  les 
hommes  crurent  de  bonne  foi  qu'il  n'y  avait  rien  de  mieux  au  delà. 

Une  quatrième  circonstance  que  nous  n'omettrons  pas  de  citer  dans  la 
revue  des  faits  qui  ont  influé  sur  le  sort  des  études  académiques  pendant 
le  XVli""=  siècle,  c'est  l'ouverture  d'un  collège  spécial  pour  les  cours  d'hu- 
manités, celui  dit  de  la  Sainte-Trinité,  Collegiicm  sanclissiinae  Triuiiatis,  qui 
eut  lieu  en  1657.  Les  fondations  des  anciens  collèges  de  Gand  (Gandense) 
et  de  Vaulx  (Vaidxianum)  ',  destinées  à  des  cours  préparatoires  de  gram- 
maire, furent  réunies  au  nouvel  établissement,  qui  prit  bientôt  une  grande 
importance.  Le  collège  des  Trois-Langues  conservait  sa  renommée  et  sa 
destination;  mais  les  classes  d'humanités  organisées  dans  le  collège  de  la 
Trinité  suppléèrent  à  l'enseignement  élémentaire  des  langues  grecque  et 
latine,  qui  avait  attiré  autrefois  une  foule  de  jeunes  étudiants  autour  des 
chaires  du  collège  de  Busleiden.  Cet  enseignement  d'une  utilité  pratique 
se  poursuivra  avec  zèle  et  avec  fruit  pendant  le  reste  du  siècle,  et  jusqu'à 
la  fin  du  XVIII"-. 

'  Valère  André,  Fasti  ucuikni.ici ,  pp.  583-86. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN  361 


CHAPITRE  Xll. 

DE  L'ENSEIGNEMENT  DU  COLLÈGE  DES  TROIS-LANGUES 
PENDANT  LE  XVIII' '"  SIÈCLE. 


'T^rèp  'Etrifisviâ'i'iV  z:.'^5cr9«/. 


Le  proverbe  grec  disait  :  «  Dormir  plus  longtemps  qu'Épiménide.  >> 
en  souvenir  du  sommeil  de  soixante-quinze  ans  que  la  fable  prêtait  à  ce 
personnage  mystérieux.  Le  collège,  dont  nous  avons  fait  l'histoire  dans  ce 
XVI"'"  siècle,  qu'on  appellerait  volontiers  son  âge  héroïque,  était  tombé 
à  la  fin  du  XVII""^  siècle  dans  un  état  déplorable  d'inertie  et  d'assoupisse- 
ment :  ce  fut  bien  pis  au  XVlll'"^  alors  qu'il  dormit  d'un  long  et  profond 
sommeil,  interrompu  par  le  décret  de  sa  suppression. 

Toutes  les  causes  de  décadence  que  nous  signalons  au  chapitre  précé- 
dent, agirent  d'une  manière  non  moins  désastreuse  sur  la  destinée  du 
collège  des  Trois-Langues,  pendant  le  troisième  siècle  de  son  existence, 
que  pendant  le  second  ;  les  faits  ne  laissent  point  de  doute  sur  les  fautes 
alors  commises  au  préjudice  de  l'éducation  littéraire  et  des  sciences  en 
général.  Les  études  furent  conduites  mollement;  l'enseignement  continua 
à  être  donné  suivant  les  procédés  qui  s'étaient  accrédités  dans  l'école  par 
l'influence  de  Puteanus,  de  Ileimbachius  et  de  leurs  successeurs;  il  ne  fut 
point  soutenu  par  les  travaux  personnels  des  maîtres  qui  renfermassent 
le  précepte  et  l'exemple.  Quelques  tentatives  isolées,  quelques  efforts 
honorables,  mais  sans  portée,  ne  contredisent  point  celle  appréciation 
générale,  fondée  sur  la  réunion  d'indices  infaillibles. 

11  n'y  a  aucune  trace  d'études  dirigées  avec  suite  dans  l'une  et  l'autre 
des  branches  de  philologie  qui  relevaient  de  chacune  des  trois  chaires  de 
Busleiden.  La  leçon  de  latin  ne  regagna  d'aucune  façon  son  ancienne 
renommée ,  malgré  la  haute  opinion  qu'on  se  fit  en  ce  temps  de  l'élo- 


362  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

quence  et  du  savoir  de  quelques  professeurs,  de  G.-J.  Kerkherdere  par 
exemple  :  on  maintint  l'usage  d'expliquer  dans  cette  leçon  les  historiens 
latins;  mais  la  méthode  était  sans  doute  vicieuse,  puisqu'il  n'est  résulté  de 
ce  genre  d'explications  aucun  profit  ni  pour  la  critique  littéraire,  ni  pour 
la  science  de  l'histoire.  La  grammaire  latine  ne  fut  non  plus  l'objet  d'au- 
cun travail  de  synthèse  ou  d'analyse,  qui  l'enrichît  d'observations  et  de 
particularités  tirées  de  la  lecture  des  classiques  :  du  reste  elle  était,  dans  la 
même  période,  enseignée  utilement  dans  les  cours  d'humanités,  au  collège 
de  la  Sainte-Trinité,  et  c'est  là  qu'elle  fut  résumée  dans  quelques  livres  élé- 
mentaires, destinés  aux  seuls  commençants  K  En  1768,  la  chaire  de  latin 
fut  supprimée  par  les  administrateurs  de  la  fondation  du  collège  de  Bus- 
leiden ,  soit  par  des  raisons  d'économie,  soit  en  considération  de  la  mé- 
diocre utilité  qu'elle  leur  semblait  présenter  alors.  Il  n'est  pas  nécessaire 
de  prouver  que  ce  fut  au  détriment  des  études  littéraires,  que  les  leçons 
éloquentes  de  Goclenius,  de  Nannius  et  de  Valerius  avaient  su  populariser. 
L'étude  du  grec  ne  fut  pas  plus  prospère  :  après  le  long  professorat 
de  Fr.  Martin,  on  réclama,  comme  nous  l'exposerons  bientôt,  la  nomi- 
nation d'un  helléniste  qui  fût  capable  de  la  relever;  mais  cette  motion 
n'eut  pas  de  suite,  et  nous  ne  remarquons  aucun  signe  de  quelque  réac- 
tion qui  se  sei'ait  opérée  au  sujet  de  cette  étude,  déjà  fort  languissante 
dans  le  siècle  précédent.  Nous  ne  rencontrons  pas  une  œuvre  digne  de 
quelque  attention  qui  la  concerne,  si  ce  n'est  cette  grammaire  concise 
et  claire  de  Leemput,  qui  parut  à  la  fin  du  dernier  siècle,  et  dont  nous 
avons  dit  les  qualités  ^.  C'est  en  tout  cas  un  fait  personnel  et  fort  tardif, 
qui  n'infirme  pas  le  jugement  défavorable  que  toutes  les  autres  circon- 
stances connues  nous  obligent  à  porter;  on  ne  publie  ni  éditions,  ni  ver- 
sions d'auteurs  grecs,  ni  commentaires  d'un  genre  quelconque,  et  on  ne 
s'inquiète  pas  suffisamment  des  travaux  de  l'époque  relatifs  à  la  publica- 
tion, à  la  traduction  ou  à  la  critique  des  Pères  grecs,  ou  des  écrivains 
ecclésiastiques  de  cette  nation. 

'  Kerkherdere  était  encore  professeur  dans  ce  collège,  quand  il  donna,  en  1706,  son  abrégé 
méthodique  de  grammaire  latine,  dont  il  a  été  question  plus  haut.  Voir  chap.  VI,  p.  190. 
-  Voir  plus  haut,  chap.  VII,  pp.  :22i-2o. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  565 

Quant  à  l'hébreu,  c'est  justice  que  de  relever  les  efforts  d'un  petit  nombre 
d'hommes  pour  en  conserver  la  connaissance  parmi  les  jeunes  gens  qui  étu- 
diaient la  (héologie  d'une  manière  approfondie.  Van  lloven  avait  d'excel- 
lentes vues*;  mais  il  ne  forma  pas  d'école.  D'autres  encore,  par  exemple, 
Henri  de  Bukenlop  et  J.  J.  Guyaux,  professeurs  d'Écriture  sainte,  recom- 
mandèrent l'étude  des  langues  ^5  mais  ils  n'eurent  point  d'action,  et  n'é- 
branlèrent aucunement  la  paresse  et  les  préjugés.  Paquot,  qui  était  natu- 
rellement actif,  mit  à  son  tour  la  main  à  l'œuvre;  mais  les  événements  ont 
paralysé  son  zèle.  Heuschling  fut  empêché  de  même  par  les  conséquences 
d'une  révolution  et  l'imminence  d'une  autre  de  rien  entreprendre  de  solide. 

L'impuissance  où  furent  les  meilleurs  maîtres  à  réveiller  le  goût  de 
l'étude,  même  en  invoquant  les  motifs  les  plus  solennels,  atteste  assez 
que  les  dispositions  de  la  jeunesse  ne  valaient  pas  mieux  que  les  opinions 
des  hommes  influents  et  des  fonctionnaires  qui  avaient  l'obligation  de 
veiller  sur  le  progrès  de  toutes  les  sciences.  Tant  d'abus  étaient  réunis  à 
la  même  époque,  et  conspiraient  contre  l'intérêt  bien  entendu  des  lettres, 
qu'on  ne  peut  pas  être  trop  étonné  de  la  stagnation  intellectuelle  au  milieu 
de  laquelle  s'éteignit  le  collège  des  Trois- Langues,  création  d'Érasme  et 
de  Busleiden. 

Le  cumul  des  places  était  toléré  en  vertu  d'arrangements  administratifs 
établissant  en  apparence  un  ordre  parfait.  Il  n'est  pour  ainsi  dire  aucun 
homme  qui  n'ait  pris  des  charges  diverses,  se  conciliant  d'ordinaire  fort 
mal  avec  l'enseignement  philologique,  et  avec  les  travaux  approfondis  qui 
lui  donnent  quelque  portée.  Les  nominations  étaient  faites  le  plus  souvent 
en  l'absence  de  véritables  garanties  sur  la  capacité  et  sur  les  habitudes  la- 
borieuses des  candidats;  sans  vocation  déterminée,  sans  études  prépara- 
toires, sans  aptitude  bien  prouvée,  des  élèves  de  différentes  facultés,  licen- 

»  Dans  une  ihèse  qu'il  présidait,  le  18  décembre  1713,  on  discutait  ce  point  :  Recte  ne  sibi  con- 
sulanl  theolorji  illi,  qui  Ihnjuarmn  sacrae  Scripturae  oriijinaHum  studio  sibi  supersedendum  exisli- 
manl?  Promutio  in  arlibus ,  lolio  76.  (.MS.  de  Foppens.)  Voir  cliap.  VIII,  pp.  270-71. 

2  Le  t7  décembre  1720,  Hagen  présidait  des  tlièses  sur  ces  questions:  An  thcologo  ulilis  sit 
sacrarum  Linguarum  periliu?  An  Scriplura  sacra  luquatur  uliquando  ut  nos  elium  dum  loquimur 
ex  errore?  (Promotio  in  artibus,  folio  78.)  Sur  J.  J.  Guyaux,  voir  YOratio  Je  laudibus,  etc.. 
pp.  140-45,  et  sur  H.  de  Bukentop,  les  Mémoires  de  Paquot,  t.  I,  pp.  661-63. 


364  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

ciés  es  droits,  licenciés  ou  docteurs  en  théologie,  maîtres  es  arts,  étaient 
investis  par  les  proviseurs  des  chaires  du  collège  de  Busleiden,  et  de  tels 
hommes  prenaient  dorénavant  fort  peu  de  souci  de  l'avancement  des  éludes. 

Il  arriva  aussi  fort  souvent  que  des  ecclésiastiques,  pourvus  d'un  grade 
théologique,  ou  revêtus  d'une  dignité  ou  d'une  charge  dans  l'Église,  ne 
se  sont  point  appliqués  sérieusement  à  la  branche  d'étude  qui  leur  avait  été 
confiée;  ils  n'ont  exercé  aucune  influence  ni  sur  leurs  élèves,  ni  sur  le  pu- 
blic ^.  Il  y  avait  ici  de  leur  part  une  déplorable  méprise;  convaincus  que 
leur  vocation  les  appelait  ailleurs,  ils  n'auraient  pas  dû  porter  longtemps  le 
fardeau  de  l'enseignement  et  de  la  science,  puisque  toute  liberté  leur  était 
laissée  de  le  déposer.  On  dirait  même  qu'il  était  du  devoir  de  l'autorité  de 
les  forcer  d'opter  entre  la  vie  de  leur  choix  et  la  carrière  active  du  profes- 
sorat. Si  les  vertus  du  presbytère  et  du  cloître,  partage  des  uns,  sont  des 
puissances  auxiliaires  qui  assurent  la  prospérité  et  la  force  des  sociétés  chré- 
tiennes, à  d'autres  appartiennent  les  travaux  de  la  pensée,  qui  fournissent 
à  leur  tour  des  armes  dans  la  lutte  incessante  delà  vérité  contre  l'erreur. 

Bien  d'autres  abus  qui  se  manifestèrent  dans  le  même  temps  n'ont  pas 
porté  moins  de  préjudice  aux  études;  nous  voulons  parler  des  fautes  per- 
sonnelles, imputables  à  ceux-là  mêmes  qui  devaient  être  les  défenseurs 
des  bonnes  traditions  de  l'école  et  les  promoteurs  de  ses  progrès.  11  y  eut 
plus  d'un  exemple  d'une  triste  animosilé  contre  des  hommes  qui  se  distin- 
guaient par  les  qualités  de  leur  esprit  ou  par  la  spécialité  et  l'originalité 
de  leurs  travaux  :  Paquot  ne  fut  pas  le  seul  à  en  sentir  les  atteintes.  Le 
mauvais  vouloir  et  la  jalousie  que  l'on  montrait  à  qui  ne  suivait  pas  les 
sentiers  ordinaires,  à  qui  parlait  d'améliorations  et  de  réformes,  devait 
décourager  bien  des  esprits  capables,  tout  le  fait  croire,  d'imprimer  une 
impulsion  utile  et  vigoureuse  à  la  science  ou  aux  lettres. 

Les  revenus  du  collège  de  Busleiden  ne  s'étant  pas  accrus  par  des  legs 
ou  des  largesses,  les  honoraires  affectés  à  chaque  chaire  ne  paraissaient 
plus  suffisants  à  la  plupart  des  gradués  de  diverses  facultés,  et  ils  justi- 
fiaient ainsi  la  poursuite  qu'ils  faisaient  d'autres  charges  académiques,  ou 

'   Voir  les  trois  chapitres  de  biographies,  p;ir  exemple,  pp.  192,  2t9,  221-23,  269,  271  et  276. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  363 

de  fonctions  étrangères  à  l'Université.  Dans  cet  état  de  choses,  personne 
ne  fixa  son  attention  sur  les  besoins  intellectuels  du  présent  et  de  l'avenir; 
ni  le  gouvernement,  ni  les  hauts  dignitaires  de  l'Église  et  de  l'État  ne  son- 
gèrent à  donner  un  nouveau  relief  à  l'enseignement  d'un  collège  si  célèbre; 
aucune  mesure,  d'autre  part,  ne  fut  prise  au  sein  de  l'Université  pour 
suppléer  à  la  modicité  de  la  première  fondation.  L'indifférence  pour  le 
culte  des  lettres  était  entrée  profondément  dans  les  esprits  :  leurs  droits, 
qu'on  ne  pouvait  nier  sans  méconnaître  les  intérêts  les  plus  précieux  de 
l'instruction  publique,  trouvaient  de  i*ares  défenseurs.  La  voix  de  ceux-ci 
n'était  pas  écoutée;  auraient-ils  réclamé  plus  hautement,  on  se  serait  con- 
tenté de  leur  répondre  :  «  Nous  ne  nous  soucions  pas  de  vos  raisons  !  » 
comme  autrefois  l'Espagnol  Jean  de  Vargas  répondait  aux  représentations 
des  députés  de  l'Université  invoquant  les  immunités  et  privilèges  qu'elle 
tenait  des  papes  et  des  princes  :  Non  curamus  privilegios  veslros! 

N'oublions  pas  de  consigner  ici  quelques  incidents  connus  parmi  tous 
ceux  qui  ont  marqué  l'administration  du  collège,  pour  qu'on  se  fasse  une 
idée  de  toutes  les  difficultés  contre  lesquelles  l'œuvre  se  heurtait  à  chaque 
instant.  Des  conflits  du  même  genre,  toujours  nuisibles  aux  intérêts  de  la 
science,  s'élevèrent  sans  doute  bien  des  fois  à  propos  de  nominations,  soit 
en  raison  de  l'aptitude  douteuse  des  candidats,  soit  à  cause  des  opinions 
divergentes  des  proviseurs. 

Un  conflit  d'une  grande  ressemblance  avec  celui  qui  avait  eu  lieu  pour 
la  chaire  de  latin  *,  surgit  à  la  fin  du  XVII""=  siècle  entre  les  proviseurs  de 
la  fondation  de  Busleiden,  au  sujet  de  la  chaire  de  grec.  Il  avait  pour 
objet  l'appréciation  difl'érente  que  l'on  faisait  du  mérite  de  plusieurs  con- 
currents. Un  des  proviseurs  du  collège,  le  prieur  de  la  Chartreuse  de  Lou- 
vain,  avait  nommé,  en  1681,  Rutger  van  der  Burgh  professeur  de  grec  : 
opposition  fut  faite  à  cette  nomination  en  faveur  de  François  Martin,  ir- 
landais, qui  finit  par  rester  maître  de  la  place  :  nous  l'ésumerons  les  inci- 
dents de  cette  aflaire  en  nous  appuyant  sur  les  notes  inédites  de  Paquot  -. 

La  difficulté  naquit  de  ce  qu'au  moment  où  la  chaire  de  grec  devenait 

'  Voir  plus  haiU ,  chapitre  V[,  la  Notice  sur  L  Gautius  et  B.  Désirant,  pp.  t88-9l. 

^  Fa««t,  MS.,  1. 1,  p.  31 1.  —  Voy.  la  Notice  sur  ces  deux  hoinines  dans  le  chapitre  VII,  pp.  2-20-2 1. 


566  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

vacante  par  la  morl  de  Jean  cl'llamere,  il  n'y  avait  point  de  pléban  à 
l'église  de  S'-Pierre,  et  qu'en  .l'absence  de  ce  dignitaire,  un  des  provi- 
seurs de  la  fondation,  le  choix  du  candidat  était  déféré  aux  deux  autres 
proviseurs,  qui  étaient  alors  François  van  Vianen,  président  des  thèses, 
dites  sabbatims,  et  François  Bodart,  supérieur  des  Chartreux. 

Le  premier  désirait  la  promotion  d'un  élève  de  son  collège  (le  grand 
collège  des  Théologiens),  Rutger  van  der  Burgh,  d'Amersfort  (dont  le 
nom  est  écrit  Van  der  Borcht  par  Paquot),  et  il  le  désigna  en  vertu  de 
son  autorité,  le  20  janvier  1681.  Le  second  proviseur  protesta  aussitôt, 
et  le  13  février  suivant,  il  mit  en  avant  François  Martin,  candidat  qui  était 
recommandé  par  Jean  O'Sullivan,  président  du  collège  irlandais,  et  mon- 
seigneur Tanora,  internonce  apostolique. 

L'affaire  s'engagea  aussitôt  d'une  manière  sérieuse ,  et  fut  instruite 
comme  un  véritable  procès  :  il  allais  durer  environ  deux  ans.  Martin  eut 
pour  soutien  de  ses  droits  Nicolas  Dubois,  licencié  en  droit  et  en  théo- 
logie, qui  prit  sa  défense  dans  des  pièces  écrites  et  dans  des  discussions 
orales.  Le  débat  ayant  été  porté  à  la  connaissance  du  conseil  de  Brabant, 
le  conseil  désigna  (probablement  avant  le  16  juillet  1685)  Henri  de  Char- 
neux,  alors  recteur  de  l'Université,  pour  prononcer  une  décision  :  celui-ci 
établit  un  concours  ou  examen,  et  donna  gain  de  cause  au  prieur  des  Char- 
treux. En  conséquence,  le  candidat  que  ce  dernier  avait  présenté,  et  qui 
avait  été  admis  à  professer  provisoirement  dès  l'an  1681,  François  Martin, 
fut  reconnu,  en  1685,  seul  possesseur  de  la  chaire  de  grec. 

Une  seconde  affaire,  dont  l'exposé  ne  saurait  être  mieux  placé  qu'en  cet 
endroit,  est  la  réclamation  faite  hautement,  en  1722,  par  un  des  provi- 
seurs du  collège  de  Busleiden,  le  pléban  J.-B.  Schoeps,  de  l'église  de  Saint- 
Pierre,  à  propos  de  la  collation  de  la  chaire  de  grec  devenue  vacante  par  la 
mort  de  ce  même  Martin,  dont  nous  venons  de  raconter  la  nomination  ^ 

Fr.  Martin  était  mort  le' 4  octobre  1722,  et  presque  aussitôt  après,  le 
premier  d'entre  les  collateurs  de  l'établissement  auquel  il  avait  appar- 
tenu, le  pléban  de  S'-Pierre  ci-dessus  nommé,  demandait  au  recteur  et 

'  Nous  donnerons  une  idée  sommaire  des  causes  et  des  incidcnls  de  ce  débat,  en  nous  servant 
de  pièces  manuscrites,  dont  quelques-unes  sont  les  originaux,  et  qui  appartiennent  à  M^' de  Ram. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  367 

à  l'Université  de  pourvoir  à  la  chaire  de  langue  grecque  d'une  manière 
solennelle,  à  l'aide  d'un  concours  public.  H  s'appuyait  sur  l'absence  de 
candidats  d'une  capacité  bien  reconnue;  il  invoquait  des  motifs  tirés  de 
l'esprit  même  de  l'institution,  et  rappelait  le  concours  institué  naguère, 
lors  de  la  nomination  de  Martin,  pour  mettre  fin  au  dissentiment  des  pro- 
viseurs. Le  pléban  Schoeps  ne  se  contenta  pas  de  s'adresser  à  l'Université 
pour  faire  valoir  son  opinion;  il  exposa  ses  vues  peu  de  temps  après  dans 
une  i-equête,  et  l'envoya  au  gouvernement  de  l'empereur  et  roi. 

Au  nom  de  Sa  Majesté,  deux  apostilles  furent  mises  à  Bruxelles  sur 
cette  requête  ^  Dans  l'une  et  dans  l'autre,  il  est  interdit  aux  proviseurs 
et  coliatcurs  de  procéder  à  la  collation  de  la  leçon  de  langue  grecque  ; 
seulement,  dans  la  première,  en  date  du  5  octobre  1722,  l'affaire  était 
renvoyée  à  l'avis  du  recteur  et  de  l'Université  de  Louvain,  «  ouïs  les  trois 
proviseurs  et  collateurs  de  la  leçon  »  ;  dans  la  seconde,  en  date  du  5  no- 
vembre 1722,  on  déclarait  que,  «  quant  k  présent,  il  suffira  de  demander 
l'avis  du  recteur  magnifique.  »  C'est  à  ce  dernier  parti  que  se  rapporte 
une  lettre  du  marquis  de  Prié,  ministre  plénipotentiaire  pour  le  gouver- 
nement des  Pays-Bas,  adressée  le  5  novembre  au  recteur  de  Louvain. 

Dès  le  mois  d'octobre,  les  deux  autres  proviseurs  du  collège  de  Bus- 
leiden  avaient  fait  diligence  de  leur  côté  pour  paralyser  l'effet  de  la  pro- 
testation de  Schoeps  ;  c'étaient  alors  le  docteur  Ilermann  Damen  ^  et  le 
frère  Bruno  Hermann,  supérieur  de  la  Chartreuse  de  Louvain.  Ils  s'étaient 
adressés  à  plusieurs  reprises  au  recteur  pour  se  plaindre  des  procédés 
inusités,  et  h  leur  avis  illégaux,  du  pléban  de  S'-Pierre,  et  pour  s'opposer 
à  ce  que  l'affaire  fût  déférée  a  l'Université,  comme  celui-ci  le  voulait.  Ils 
demandaient  au  recteur  d'abord  de  réunir  le  collège  des  proviseurs  dans 
le  délai  de  deux  jours,, pour  que  l'affaire  pût  être  entamée.  Le  22  octo- 
bre 1722,  ils  revinrent  à  la  charge,  et  sollicitèrent  du  recteur  la  convo- 
cation dudit  collège  des  proviseurs  pour  le  lendemain  25  octobre,  a  dix 

»  Une  copie  authentique  en  fut  faite  et  communiquée,  le  1 1  novembre  17^22,  par  E.  Stalgoet. 
notaire  apostolique. 

2  Promu  docteur  en  1691,  II.  Damen,  deTongres,  qui  professait  la  théologie  au  Grand  Collège, 
avait  succédé  à  M.  Steyaerl  dans  la  présidence  des  Sabbntines  {Oratio  de  laudibus,  etc.,  pp.  l32-5i). 
Tome  XXVIIL  ^8 


368  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

heures  du  malin.  Dans  celte  pièce,  les  deux  signataires  se  portaient  garants 
de  la  capacité  de  plusieurs  candidats  qui  se  présentaient  pour  la  leçon  de 
grec  ^  Ils  se  fondaient  sur  le  relus  du  pléban  de  convoquer  le  collège  en 
sa  qualité  de  premier  proviseur,  et  ils  faisaient  valoir  le  dommage  que 
causerait  aux  études  la  longue  vacance  de  la  chaire  de  grec  au  commence- 
ment d'une  année  académique. 

La  convocation  du  collège  ne  se  fil  pas,  malgré  le  désir  de  ces  deux  sol- 
liciteurs ,  et  l'affaire  fut  portée  sans  retard  au  siège  du  gouvernement, 
comme  le  prouvent  les  deux  apostilles  donl  nous  avons  parlé  ci-dessus. 
Tout  en  se  réservant  le  droit  d'intervenir  plus  tard,  le  cabinet  de  Bruxelles 
remit  l'instruction  de  toute  cette  affaire  d'abord  au  recteur  et  à  l'Univer- 
sité, puis  au  recteur  seul. 

C'est  alors  que  le  pléban  Schoeps  fut  prié  deux  fois  par  le  recteur  de 
lui  communiquer  l'annexe  à  sa  requête,  présentée  au  Conseil  d'État  '-. 
Une  première  fois,  Schoeps  répondit  qu'il  n'avait  pas  cette  annexe,  et 
qu'on  lui  avait  dit  que  la  simple  présentation  de  la  requête  suffirait;  la 
seconde  fois,  il  répondit  que  l'annexe  était  restée  au  greffe  du  Conseil 
d'État,  mais  qu'il  avait  retenu  une  copie  de  l'original,  et  que,  s'il  plaisait 
à  sa  Magnificence,  il  fournirait  des  copies  authentiques. 

C'est  d'après  une  copie  de  cette  pièce  justificative,  signée  par  Jean 
Baptisle  Schoeps,  et  datée  du  15  novembre  1722,  que  nous  avons  pu 
prendre  connaissance  des  vues  qui  dirigeaient  ce  dignitaire  ecclésiastique 
dans  son  opposition  à  ses  deux  collègues.  La  pièce  a  pour  titre  :  Judicium 
plebani  Lovaniensis  in  causa  coUalionis  lectiotiis  graecae;  elle  porte  à  la  fin ,  près 
de  la  signature  de  son  auteur,  les  mots  suivants,  écrits  de  sa  main  :  Rogans 
rnagnificiim  D.  Hectorem  qualenus  lias  rationes  cum  judicio  suo  ad  sacram  suam 
Caesar.  et  Reg.  Majestatem  mittere  dignetur. 

La  pièce  latine  dont  nous  parlons  est  un  plaidoyer  vigoureux  en  faveur 
d'une  juste  sévérité  dans  la  collation  de  la  chaire  de  grec  :  elle  est  inté- 

'  Ad  quam  eliam  plurcs  se  praesentant  qui  ad  eamdem  lectionem  .  ul  infra  scriptis  constat ,  recte 
doceiuluiu  siiiit  capaces. 

^  Atlestalioi)  du  notaiie  aposlolique  Slalgoet,  relative  à  ces  déiiiarclies  officielles,  faites  en  date 
du  51  oclobie  et  du  7  uovembie. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  369 

ressanle  en  ce  qu'elle  montre  chez  son  auteur  une  profonde  intelligence 
des  besoins  de  l'enseignement  supérieur  et  des  hautes  études  en  notre 
pays  ;  elle  établit  un  parallèle  entre  les  destinées  des  lettres  anciennes  et 
l'organisation  des  autres  éludes,  et  elle  le  présente  dans  son  ensemble 
d'une  manière  si  nette  et  si  instructive,  que  nous  ne  balançons  pas  à  don- 
ner, dans  les  pièces  justificatives  ^  le  texte  de  ce  réquisitoire,  rédigé  d'un 
bout  à  l'autre  avec  sens  et  modération.  Une  courte  analyse  nous  servira  à 
montrer  ici  sous  quel  rapport  l'intérêt  du  morceau  nous  semble  très-grand. 

J.-B.  Schoeps  énumère  les  garanties  de  savoir  et  de  capacité  exigées  à 
l'Université  dans  toutes  les  autres  parties  de  l'enseignement,  et  soutient 
qu'il  n'existe  rien  de  semblable  relativement  à  l'enseignement  de  la  langue 
grecque.  Cependant,  la  chaire  spéciale,  instituée  à  cet  effet  par  Busleiden, 
doit  être  maintenue  à  sa  première  hauteur,  comme  l'exigent  les  motifs  les 
plus  graves,  l'esprit  de  l'institution,  la  réputation  de  l'Université,  le  bien 
de  l'Église  et  de  l'État. 

L'importance  des  éludes  grecques  est  de  premier  ordre  dans  une  Univer- 
sité; la  connaissance  approfondie  de  celte  langue  est  le  fondement  d'une 
érudition  solide,  la  condition  d'une  culture  féconde  et  profitable  de  toutes 
les  sciences;  mais  elle  est  entourée  de  graves  difficultés.  Non-seulement 
elle  exige  une  étude  longue  et  sérieuse,  mais  encore  elle  suppose,  pour 
atteindre  à  toute  son  utilité,  pour  produire  tous  ses  résultats,  la  connais- 
sance de  l'histoire  et  des  antiquités  :  elle  s'adresse  à  la  fois  au  théologien, 
à  l'historien,  au  jurisconsulte,  au  publiciste.  Ce  n'est  pas  sans  une  grande 
préparation  que  l'on  parvient  à  interpréter  avec  fruit  les  auteurs  dont 
parle  le  testament  de  Busleiden,  les  auteurs  chrétiens,  surtout  les  Pères 
de  l'Église,  les  écrivains  moralistes,  les  philosophes  et  les  orateurs,  sans 
oublier  le  poëte  par  excellence,  Homère. 

Afin  de  parvenir  à  ce  but  dans  l'institution  de  Busleiden,  Schoeps  pro- 
pose d'établir  des  épreuves  publiques,  dirigées  par  des  hommes  instruits, 
et  obligatoires  pour  tous  les  candidats  à  la  chaire  de  grec.  S'il  ne  peut 
s'appuyer  sur  des  règlements  antérieurs,  il  invoque,  pour  justifier  ses  vues, 
les  nécessités  de  l'époque. 

*  Appendice.  Lettre  K. 


370  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

La  question  imporlanle  dans  noire  sujet  n'est  pas  précisément  de  savoir 
si  Sclioeps  a  dépassé  le  droit  de  représentation  que  lui  donnait  son  titre 
de  proviseur;  le  fait  principal,  c'est  de  constater  qu'il  a  plaidé  avec  intel- 
ligence en  celte  occasion  la  cause  des  bonnes  et  solides  études.  Différents 
motifs  ont  pu  s'opposer  à  l'institution  du  concours  difficile  dont  il  faisait 
une  rigoureuse  obligation  pour  la  collation  des  cbaires  de  belles -lettres; 
mais  il  semble  qu'en  réalité,  la  réforme  qu'il  sollicitait  a  été  sacrifiée  à  la 
crainte  de  toute  innovation.  Quoi  qu'il  en  soit,  il  lui  reste  l'honneur 
d'avoir  mis  le  doigt  sur  une  des  plaies  de  l'organisation  de  la  Faculté  des 
Arts,  sur  l'absence  de  garanties  scientifiques  dans  les  candidats  présentés. 

Quand  on  voit,  par  les  détails  dans  lesquels  nous  venons  d'entrer,  à 
quel  point  les  réclamations  les  mieux  fondées  sont  restées  sans  efficacité, 
on  ne  s'étonne  plus  que  les  éludes  classiques  aient  décliné  toujours  davan- 
tage au  collège  des  Trois-Langues,  et  qu'elles  aient  baissé  en  même  temps 
dans  la  plupart  des  établissements  d'instruction  moyenne  de  la  Belgique  : 
il  est  arrivé  qu'il  «  n'était  question  de  la  langue  grecque  dans  presque 
aucun  collège,  et  que  dans  ceux  où  l'on  daignait  encore  s'en  occuper,  on 
s'y  bornait  à  la  simple  connaissance  des  éléments  *.  » 

Il  y  eut,  à  n'en  pas  douter,  relâchement  dans  la  direction  scientifique 
du  collège  de  Busleiden,  comme  il  y  eut  insouciance  dans  la  jeunesse  qui 
était  appelée  par  le  but  de  ses  études  à  profiter  de  celte  fondation.  Dans 
une  des  notes  annexées  au  rapport  fait  sur  l'état  du  collège  2,  du  temps  de 
la  présidence  de  Henri  Wouteis,  vers  1783,  sous  le  rectorat  de  van  Leem- 
poel ,  on  lit  :  «  Il  serait  à  désirer  que  les  professeurs  chargés  de  donner  les 
leçons  de  la  langue  grecque  et  hébraïque,  qui  sont  payés  par  ce  collège, 
fussent  obligés  de  remplir  exactement  leur  devoir,  el  que  les  étudiants 
fussent  également  obligés  de  se  rendre  ausdites  leçons.  Il  y  a  des  Univer- 
sités oîi  ces  deux  leçons  sont  attachées  aux  chaires  du  Vieux  et  du  Nouveau 
Testament.  Il  résulte  quelquefois  de  cette  disposition  que  les  professeurs 
font  très-peu  de  cas  de  ces  langues,  et  n'eu  parlent  que  pour  autant  qu'il 

'  J.-B.  I.esbroussart,  De  l'éducation  belgique.  Bruxelles,  1783. 

-  Pièce  citée  au  cliapitrc  IV  (pp.  108-1 1 1).  Il  s'agit  de  la  noie  6  ,  qui  suit  des  observations  rela- 
tives à  la  situation  financière  de  l'établissement,  et  qui  termine  le  rapport  signé  par  van  l.eempoel. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  371 

est  nécessaire  pour  l'explication  du  Testament;  de  sorte  que  les  leçons  des 
langues  se  réduisent  à  rien,  d'où  il  s'ensuit  qu'on  ne  les  cultive  pas,  et  un 
autre  inconvénient  qui  n'est  pas  moindre,  c'est  qu'il  ne  se  trouve  à  ces 
leçons  que  des  théologiens  :  or,  ces  langues,  et  spécialement  le  grec,  sont 
très-utiles  à  d'autres  sciences  qu'à  la  théologie.  » 

L'observation  qui  termine  cette  note  a  quelque  portée,  si  l'on  considère 
l'application  diverse  qui  devait  être  faite  des  langues  savantes  à  l'Écriture, 
aux  sciences  théologiques,  à  la  connaissance  des  Pères,  ainsi  qu'aux 
sciences  profanes,  comme  J.-B.  Schoeps  l'avait  si  bien  démontré  en  1722. 
L'étude  du  grec  ou  de  l'hébreu  n'était  pas  identifiée,  par  les  statuts  du 
collège  des  Trois-Langues,  avec  celle  des  livres  saints,  comme  il  en  fut 
au  Séminaire  général,  où,  par  exemple,  l'enseignement  de  la  langue- hé- 
braïque fut  confié  à  Henri  Wouters  avec  le  cours  sur  l'Ancien  Testament; 
mais  il  n'est  que  trop  vrai  que  les  leçons  du  collège  n'étaient  plus  suivies 
par  un  certain  nombre  d'étudiants  de  différente  vocation,  comme  par  le 
passé.  Toutefois,  quand  on  voit  plus  tard  les  élèves  réunis  au  Séminaire 
général  prolester  contre  l'obligation  imposée  par  le  règlement  d'assister  aux 
leçons  des  langues  hébraïque  et  grecque  ',  on  ne  pourrait  attribuer  leur 
démarche  uniquement  à  des  habitudes  de  paresse  :  elle  avait  certainement 
sa  raison  dans  la  défiance  que  leur  inspiraient  les  tendances  de  leurs  nou- 
veaux maîtres,  et  dans  la  légèreté  avec  laquelle  on  avait  traité  récem- 
ment l'herméneutique  sacrée  dans  les  Facultés  théologiques  de  Bonn  et 
de  Vienne. 

Malheureusement  aucune  main  habile  et  forte  ne  toucha  aux  abus  qui 
nuisaient  le  plus  à  l'organisation  d'une  école  telle  que  le  collège  des  Trois- 
Langues,  et  il  n'y  eut  point  concert  entre  les  pouvoirs  dont  l'intervention 
eût  agi  le  mieux  sur  l'opinion  du  corps  enseignant  et  sur  l'esprit  des 
élèves.  Le  gouvernement  des  Pays-Bas  autrichiens,  qui  s'occupa  souvent 
de  réformes  dans  le  système  de  l'instruction  publique,  ne  se  montra  pas 
disposé  à  accorder  aux  études  littéraires  à  Louvain  un  patronage  généreux 
et  désintéressé.  De  son  côté,  l'Université  de  Louvain,  toujours  inquiète, 

'  La  pièce  a  été  publiée  dans  les  Mémoires  de  Bapédius  de  Berg,  tome  II,  p.  M. 


372  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE,  etc. 

el  souvent  non  sans  motifs,  du  moindre  changement  à  ses  statuts,  ne  prit 
aucune  mesure  d'ordre  intérieur  pour  relever  l'enseignement  littéraire, 
une  des  nécessités  de  l'époque,  pour  reporter  de  ce  côté  ce  qu'il  y  avait 
peut-être  de  superflu  dans  ses  ressources  employées  à  l'entretien  de  ses 
collèges  et  de  ses  Facultés. 

Il  est  à  regretter  que  l'Université  n'ait  pu  donner  un  appui  solide  à 
l'établissement  de  Busleiden ,  et  le  maintenir  à  quelque  hauteur  à  côté  de 
ses  institutions  richement  dotées  :  infailliblement,  le  collège  des  Trois- 
Langues  lui  eût  donné  en  retour  autant  de  force  et  de  relief  qu'il  avait 
pu  lui  en  prêter  deux  cents  ans  auparavant;  en  lui  conservant  la  gloire 
des  lettres,  il  eût  contribué  à  augmenter  encore  son  influence  et  son 
ascendant.  Si  les  bonnes  traditions  d'autrefois  étaient  restées  toutes  en  hon- 
neur, évidemment  la  puissance  nouvelle  qu'elles  auraient  communiquée  à 
VAIma  Mater  aurait  commandé  le  respect  aux  adversaires  conjurés  contre 
elle  à  la  fin  du  siècle  passé,  et  à  ceux  des  écrivains  modernes  qui  se  font 
ses  détracteurs  par  système.  A  la  lumière  de  ces  nouveaux  succès  litté- 
raires, on  eût  mieux  aperçu  les  incontestables  services  que  l'Université 
n'a  cessé  de  rendre  jusqu'à  son  dernier  jour  à  beaucoup  de  branches  im- 
portantes de  l'enseignement. 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 


A. 

(Voir  cliiip.  11.  |i.  58.) 

Essai  d'une  généalogie  de  la  famille  des  Busleiden  '. 

i°  Jean  de  Busleïden,  chevalier,  seigueur  de  Busleyden,  vivait  eu  1252,  et  épousa 
Françoise  de  Brusfeld,  fille  de  Warner,  chevalier,  sire  de  Brusfeld ,  de  (jui  il  eut: 
2°  Pierre,  écuyer,  mort  en  lôGG,  qui  épousa  Marguerite  de  Matborch,  de  qui  il  eut: 
5°  Pierre,  chevalier,  naort  en  1412,  qui  épousa  Odile  de  Dobbelstein,  de  qui  il  eut: 
4°  Henri,  chevalier,  mort  en  1419,  qui  épousa  Marguerite  van  Etteren,  de  qui  il  eut: 
o"  Gilles,  seigneur  de  Ghiers  et  de  Busleyden ,  lait  chevalier  par  Philippe  le  Bon  *  et 
chambellan  de  Charles  le  Hardi,  il  épousa  Jeanne  de  Musset,  de  qui  il  eut  : 

G"  Gilles  %  chevalier,  seigneur  de  Busleyden,  Ghiers  et  Ter-Herst,  Rode  et  Sortelaer, 
mort  en  155G;  il  épousa  Adrienne  de  Goudeval,  vicomtesse  de  Grimberghe,  fille  de 
Nicolas,  chevalier,  maître  d'hôtel  de  l'archiduc  Philippe,  qui  acheta,  en  1512,  le  vicomte 
de  Grimberghe.  Gilles  eut  de  sa  femme  : 

7°  a.  François,  chevalier,  seigneur  de  Herst; 

b.  iNicoLAS,  chevalier,  seigneur  de  Busleyden,  Ghiers  et  Ter-Tammen ,  vicomte  de 
Grimberghe  (son  fils  du  nom  de  Gilles  de  Busleyden  lut  bourgmestre  de  Bruxelles.  — 
Nobil.  des  P.-B.,  1.  c,  p.  116); 

c.  jÉRô.nE,  gentilhomme  de  la  maison  du  pape  ,  à  Rome  ; 

d.  Guillaume  *,  écuyer,  qui  mourut,  laissant  seulement  deux  bâtards; 

e.  Anne,  qui  épousa  Arnold  d'Eynalten ,  chevalier,  seigneur  de  Schoonhoven  et 
d'Heuxelen. 

'  Nous  reproduisons,  sans  pouvoir  la  rutlilier,  la  première  esquisse  d'un  lableau  généalogique  laissée  par  Paquot, 
au  tome  I  de  ses  Fasli  acad.  Lov.,  fol.  470.  On  remarquera  qu'il  adopte  Busleyden. 

'  .4nobli  par  lettres  de  février  1471,  il  fut  secrétaire  et  greffier  de  l'état  noble  de  Luxembourg.  Nobiliaire  des 
Pays-Bas ,  Louv  ,  17G0,  part.  I,  p.  10. 

'  Les  autres  frères  de  Gilles  étaient  François,  archevêque  de  Besançon,  Jérôme,  chanoine  de  Cambrai,  de  Sainte- 
Gudule,  etc.,  et  prévôt  d'Aire,  et  enfin  Valérien. 

*  Guillaume  Busleiden  ,  qui,  comme  membre  de  la  famille,  avait  droit  de  présentation  aux  chaires  du  collège,  inter 
vint,  en  156U,  en  faveur  de  Petrus  Pierius  à  Smenga,  sollicitant  la  chaire  d'hébreu.  Voir  ci-dessus,  chap.  VUI .  p.  24><. 


374  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

L'historien  du  Luxembourg,  le  P.  J.  Berlholet,  cite  parmi  les  maisons  nobles  de  ce 
pays  '  :  Busieiden  ou  Bauschleiden  près  d'Arlon,  mais  de  la  prévôté  de  Bastogne,  «  qui 
portait  d'argent  à  la  fasce  de  gueules,  ayant  en  pointe  une  rose  de  même  et,  selon  quel- 
ques-uns, d'azur  à  une  rose  d'or  à  la  fasce  haussée  de  même.  » 


B. 

(Voir  chap.  Il,  p.  47.  ^ 

Extraits  du  Testament  de  Jérôme  Busieiden,  relatifs  à  l'érection  du  collège  des 

Trois- Langues. 

Foppens  a  reproduit  celte  pièce  an  tome  IV  de  la  Diplomatum  Belgicorum  nova  col- 
lectio,  qu'il  a  publiée  comme  supplément  aux  Diplomala  Belgica  d'Aub.  Miraeus  ^.  iVous 
nous  contenterons  d'analyser  les  préliminaires  du  Testament  de  Jérôme  Busieiden  et  les 
dispositions  qu'il  a  prises  en  faveur  des  pauvres,  des  églises  auxquelles  l'attachaient  ses 
titres,  et  de  quelques  membres  de  sa  famille  '.  On  verra  que  le  promoteur  des  études 
nouvelles  n'avait  pas  désappris  le  langage  de  la  foi  chrétienne  et  mis  en  oubli  les  œuvres 
traditionnelles  de  la  charité. 


Testamentum,  vere  pium,  revercndi  admodum  D.  Hieronymi  Buslidii,  preslnjleri,  Praepo- 
siti  ecclesiae  Aeriensis  in  Arthesia,  nec  non  ecclesiae  S.  Rumoldi  Mcchliniae  Canonici;  in 
quo  etiam  exhibetiir  institiita  per  illum  fundaiio  celebris  collcgii  Trilinguis,  sive  Busli- 
diani,  in  academia  Lovaniensi,  anno  1517. 

In  nomine  Sanctae  et  individuae  Trinitatis,  Patris  et  Filii  et  Spiritus  Sancti,  amen. 
Ouoniam  caduca  et  fragilis  est  vita  humana,  et  cujuscumque  vocationis  hora  incerla 
adeo  ut  quo  in  loco,  quo  lempore  ea  nos  exspectet  nedum  sciamus,  verum  id  salis  qui- 
dem  prospicere  nequimus;  ergo  nos  illam  exspectare  omni  tempore,  onini  momento  debe- 
mus,  memores  verbi  Apostoli,  quia  iila  non  lardât,  et  quae  de  terra  sunt  in  terram  rever- 

tunlur Quare  ut  concedente  Deo  adhuc  corpore  sospes,  et  mente  sanus, ad 

meum  ,  non  alienum  ,  arbitrium  rem  omnem  mihi  a  Deo  colialani  proinde  disponam, 
trausitoria  scilicet  in  aelerna,  felici  quodam  commercio  commutando,  curavi  iilud  Isaïae 
imilari,  dispone  Domui  tiiae,  quia  moricris  et  non  vives,  etc. 

«  Ego  IIiERONYMus  BusLiDius  Aricusis  Praepositus,  statui  hoc  Testamentum  condere, 

'  //ist.  ecclés.  et  civile  du  duché  de  Luxembourg ,  t.  \l,  p.  42. 

-  Tonnis  IV,  Bruxellis,  ap.  Petrum  Foppens,  1748,  in-folio,  pp.  042-48  (capul  CXXVIll). 

"  l/édileur  n'a  omis  dans  celle  pièce  que  quelques  délails  concernant  des  affaires  delà  maison  liusieiden. 


DES  TKOIS-LANGUES  A  LOCVAIN.  375 

meo  cirograplio  subscriptuin,  et  sigillo  muuitum;  ciii  ita  vim  esse  volo ,  si  id  ipsum 
toium.vel  ejus  parlem  anle  niortem  non  revocem.  » 

Après  une  prière  Irès-humblc  adressée  au  Dieu  Créateur  dans  les  termes  de  l'Ecriture , 
le  testateur,  qui  est  à  la  veille  d'un  long  voyage,  règle  ce  qui  concerne  sa  sépulture  s'il 
vient  à  mourir ,  soit  en  deçà ,  soit  au  delà  des  Pyrénées  : 

«  Deinde  hoc  vile  cadaver  meum,  vitiis  proh  dolor!  multis  conlaminatum,  quia  ter- 
reum  est,  staluo  terrae  reddendum;  idque  minori  quo  fieri  poteril  pompa,  atque  impensa 
inhumandi,  videlicet  in  clioro  basilicae  divi  Rumoldi  opidi  Mechliniensis,  ad  latus  dex- 
trum  sumnii  altaris;  et  hoc,  si  in  hac  profectioue  mea  Hispanica  clauserodiem  extremam 
in  regno  Franciae,  aut  citra  Alpes. 

»  Item  volo,  ut  ad  parietem  conliguum  monumenti  mei  infigatur  tabella  illa  depicla, 
quae  extat  in  oratorio  domus  meae,  et  liant  duae  alae  ad  praefatam  tabellam  in  quarum 
altéra  depingalur  repraesentalio  mea,  in  altéra  inscribatur  epitaphium  aliquod  in  mei 
memoriam. 

»  Si  vero  in  Hispania  moriar,  aut  ultra  Alpes,  cu[iio  inhumari  in  acde  divi  Bernardi 
juxta  Toletum,  in  sarcophago,  in  quo  frater  meus  archiepiscopus  Bisunlinus  positusesl.  » 

Ensuite,  Jérôme  Busleiden  établit  à  perpétuité  une  messe  quotidienne  de  Requiem 
dans  l'église  où  il  aura  reçu  la  sépulture  et  ordonne,  outre  la  célébration  de  nomhreux 
sacriljces  après  sa  mort,  une  distribution  d'aumônes  (veris  pauperibus  Chrisli)  montant  à 
la  somme  de  deux  cents  florins  du  Rhin. 

Il  fonde,  de  plus,  un  service  anniversaire  en  l'église  de  Saiul-Rombaut  à  Malines  avec 
les  mêmes  libéralités,  dont  avait  donné  l'exemple  Charles  de  Ronchicourt,  conseiller 
ecclésiastique  en  celte  ville,  mort  le  15  juillet  1506.  Puis  viennent  les  autres  églises  d'où 
Jérôme  Busleiden  tenait  ses  diverses  dignités'  :  à  l'église  de  Saint-Pierre,  à  Aire,  il 
lègue  cent  florins  du  Rhin,  et  il  y  fonde  également  un  anniversaire^;  à  la  fabrique  de 
chacune  des  églises  de  Sainte-Waudru  à  Mons  et  de  Notre-Dame  de  Cambrai  '%  il  lègue 
vingt  florins  du  Rhin  ,  et  de  même  aux  églises  de  Sainte-Gudule  à  Bruxelles  et  de  Saint- 
Lambert  à  Liège;  il  en  lègue  cent  à  l'église  paroissiale  de  Steenberg  et  le  même  nombre 
au  couvent  des  Carmes  d'Arlon ,  fondé  naguère  par  son  père. 

Dans  les  trois  mois  qui  suivront  sa  mort,  J.  Busleiden  entend  qu'une  somme  de 
trois  cents  florins  soit  distribuée  aux  pauvres  par  les  mains  d'Adrien  Josel,  chanoine 
d'Anvers,  à  qui  il  a  manifesté  formellement  cette  intention. 

Puis,  Busleiden  prend  une  disposition  particulière  au  sujet  de  la  maison  qu'il  liabi- 

'  Voy.  plus  haut  chap  II. 

'  Piévôt  (le  l'cglise  d'Aire,  qui  possédait  un  morceau  de  la  Vraie-Croix  du  Sauveur,  Jérôme  Busleiden  fil  don  à 
cette  église  d'une  grande  croix  dorée,  ornée  des  insignes  de  son  frère  François,  autrefois  archevêque  de  Besançon  ; 
il  manifesta  à  ses  anciens  confrères  du  chapitre  le  désir  exprès  que  la  relique  susdite  fut  enchâssée  dans  cette  croix . 
et  qu'elle  fût  ainsi  portée  à  la  procession ,  comme  on  était  accoutumé  à  le  faire  jadis.  Testant,  ibidem. 

'  Archidiacre  de  Cambrai ,  il  légua  en  outre  dix  florins  du  Rhin  à  l'aumônerie  de  cette  église. 

To^iE  XXVHI.  49 


376  MEMOIRE  SUR  LE  COLLÈGE 

tait  à  Malines,  et  qui  se  composait  d'achats  successifs  et  de  constructions  nouvelles  par 
lui  ordonnées.  Il  charge  ses  exécuteurs  testamentaires  de  vendre  cette  maison  au  plus 
haut  prix  possible,  et  de  faire  du  produit  de  ce  bien  trois  parts  égales  attribuée  l'une  à 
son  frère  Égide  ou  Gilles,  l'autre  à  son  neveu  François,  fils  de  son  frère  Valérien,  et 
la  troisième  aux  boursiers  de  la  fondation  ci-après  désignée.  C'est  aussi  à  cette  fonda- 
tion que  doivent  être  rapportées  les  maisons  contiguës  à  sa  propre  demeure  qu'il  a  pré- 
cédemment décrite  :  il  est  donc  exact  de  dire  qu'à  part  la  réserve  qu'il  faisait  pour  cette 
maison  de  Malines  et  la  valeur  des  legs  et  aumônes  qu'il  prenait  soin  d'énoncer,  J.  Bus- 
leidea  faisait  passer  la  plus  grande  partie  de  sa  fortune  dans  l'institution  universitaire 
qui  porterait  le  nom  de  Collège  des  Trois-Langues.  C'est  un  tel  dessein  bien  mûri  dans 
son  esprit,  qu'il  a  exposé  avec  détail  dans  son  testament  dont  le  texte  suit  : 

«  De  reliquis  omnibus  bonis  meis,  tam  mobilibus  quam  iramobilibus  institui  volo  et 
stabiliri  unum  CoUegium,  in  Universitate  Lovaniensi ,  in  coliegio  sancti  Donatiani,  si 
ipse  locus  commode  obtineri  possit  :  vel  alias  in  coliegio  Atrebatensi. 

»  In  quo  erunt  tredecim  Bursae,  eo  modo,  ordine  et  forma,  ut  infra  patebit. 

»  Primo  octo  Bursae  pro  octo  juvenibus,  valoris  viginti  quinque  florenorum  Renen- 
sium  communium,  qui  propriorum  parentum  sacramento,  ac  insuper  provisorum  ipsius 
coUegii  infra  nominalorum  diligenti  examine  vere  pauperes  probati  sint,  quorum  pa- 
rentum facultates  nullo  modo  suppetant,  quibus  honeste  in  studiis  litterarum  alerentur 
ipsi  juvenes;  scilicel  ipsos  a  parentibus  annuos  viginti  quinque  florenosRenenses  com- 
munes recipere  non  posse,  sine  status  et  conditionis  ipsorum  parentum  nolabili  detri- 
mento. 

»  Item  quod  sint  légitime  matrimonio  procreati;  ita  ut  eorum  duo  sint  Buslydii, 
aetatis  decem  annorum,  ad  omne  minus,  quorum  ingenium  ac  indoles  et  jam  percepta 
aliqua  litteratura  spem  praebeant  fuluiae  probitalis. 

»  Praeterea  duo  Marviliani,  duo  Arelunenses,  unus  Ariensis,  et  unusSteenbergensis, 
modo  sint  boni  ingenii  et  competentis  lilteralurae,  cujus  communiter  mediocrem  pri- 
marium  Lovanii  esse  decet,  ac  alias  taies,  ut  inde  notabilis  in  Ecclesia  Dei  fructus 
sperari  possit,  et  qui  decimum  tertium  annum  attigerunt. 

)>  Quos  omnes,  simul  et  alios  duos  juvenes,  de  quibus  postea  dicetur,  volo  juxta 
statuta  Universitatis  visitare  Lectiones  Grammatices  et  Philosophiae,  usque  ad  gradum 
Magisterii,  quem  adipiscenlur  si  velinl;  ad  quem  parentes  necessariam  impensam  mi- 
nistrabunt. 

»  Diebus  vero  dominicis  et  festis,  loco  lectionum  quas  in  Collegiis  Artium  audirent 
a  praeceptoribus,  in  hoc  meo  coliegio  principia  et  rudimenta  prima  capiant  in  Linguis 
Graeca  etHebraïca;  simul  accipientes  aliquod  linguae  latinae,  cujus  principium  habent, 
additamenlum  a  Praeceptore  Latino. 

»  Qui  quidem  Praeceptores ,  cum  dictis  diebus  publiée  non  legant,  ipsos  juvenes 
fideliter  instruere  tenebunlur. 

»  In  eventum  aulem,  quo  laies  ex  jam  dictis  locis  non  haberenlur  eo  modo  qualificali. 


DES  ÏROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  377 

ut  supra;  lune  ex  locis  propinquioribus  aliquos  subslilui  volo  et  surrogari,  ejusdein 
scilicet  conditionis,  idoneilatis  et  qualitalis.  Loca  vero  propinquiora  inlelligo,  quae 
ultra  tria  aut  quatuor  milliaria  vulgaria  a  locis  praenomiiialis  respective  non  distant. 

»  Quod  si  plures  ejusdem  loci  praerogativa  aeque  qualilicali  concurrerint,  prael'e- 
rendus  esset  pauperior,  modo  non  sit  omnino  liebetis  ingenii,  aul  alias  minus  aptus  ad 
litleras,  seu  alias  reprobandus. 

»  Très  autem  aliae  Dursae  pro  tribus  Praeceploribus,  viris  undecumque  eruditis, 
probatis  raoribus  et  vilae  iuculpatae  statuentur;  qui  in  dies  legant  et  proliteantur  publiée 
in  eodem  coUegio,  tam  chrislianos  quam  morales,  ac  alios  probatos  auctores  omnibus 
eo  adventanlibus,  in  tribus  Linguis,  Latina  scilicet,  Graeca  et  Hebraica,  diversis  horis, 
pro  sua  et  auditorii  commodilate  dislribueudis,  sine  aliquo  stipendie  ab  adventantibus 
exigendo ,  et  non  exacte  acceptando. 

»  Salvo,  quod  in  cubiculis  suis  particulares  lectiones  exercere  poterunt;  pro  quibus 
ab  auditoribus  stipe'ndium  récipient,  modo  taies  particularium  leclionum  commodum 
et  fructum  leclionum  publicarum  non  impediverint. 

B  Quod  diligenter  investigabunt  et  prospicient  mei  Provisores,  et  Praesidens;  qui 
eas  pro  publica  et  commuai  utilitale  prohibere  poterunt. 

»  Si  insuper  aliqui  Praelati  aul  nobiles  lectiones  publicas  visitantes  eis  aliquid  obtu- 
lerinl ,  hoc  ipsum  honeste  et  cum  gratiarum  actione  récipient. 

»  Volo  tanien  ,  hujusmodi  dona  et  munera  extraordinaria  ipsis  tribus  Praeceptoribus 
esse  communia ,  et  eis  per  aequales  dividi  portiones. 

»  Horum  slipendium  taie  erit;  videiicet  duobus  Praeceploribus  Graeco  et  Hebraïco, 
qui  ex  locis  remotioribus  accersentur,  modo  Lovanii  aul  alibi  vicinis  non  reperianlur 
aeque  idonei  et  docti,  cuilibet  slipendium  deslinabilur  duodecim  librarum  Monetae 
Flandricae,  sallem  per  decennium.  Ad  quod  majus  slipendium  slatuendum,  me  induxit 
rei  novilas,  et  ipsius  principii  dillicultas;  quam  ferlasse  mulli  vel  apprime  lillerati 
rejicerent  aut  négligèrent;  qui  aliquantulum  majori  stipendie  ducli ,  ad  islud  negolium 
peragendum  velieraenlius  incilarenlur.  Praecepleres  eliam  ipsos  ex  aliis  Universilatibus 
haud  facile  necparvo  stipendie  allicere  valerent,  qui  eo  faciiius  advolabunt. 

»  Verum  tertius  praeceptor  latinus,  qui  in  lingua  selum  latina  praefatos  auctores  pro- 
lilebitur,  lanlum  sex  libras  ullra  bursam  seu  meusae  portionem  recipiet;  idque  semper 
sine  aliqua  diminuliene. 

»  Et  pest  decem  annos  praefatos,  Graecus  Praeceptor  et  Hebraicus  récipient  tantum 
modo  octo  libras;  attente  quod  lapsu  temporis  hujus  decennii  istarum  linguarum  traditio 
levier  et  magis  vulgata  reddclur;  per  quod  et  praecepleres  alii  pro  hoc  stipendie  facile 
acquirenlur,  ex  his  qui  dictis  artibus  praefalo  décennie  durante  incubuerint. 

»  Ipsi  tamen  antiqui  Praecepleres  semper  pre  bec  stipendie,  si  velint,  in  suis  lectio- 
nibus  permanebunt,  modo  fuerinl  diligentes,  nec  in  negolio  torpeaul. 

»  Poteril  nihilominus  diclum  majus  slipendium,  vel  pre  necessilale,  vel  magna  uti- 
lilate  per  meos  provisores  ad  duos  aut  Ires  aunes  contiuuari,  extra  diclum  decennium  ; 
modo  id  commode  per  facultates  liceat. 


578  MEMOIRE  SUR  LE  COLLÈGE 

i>  Quorum  triuni  mensae  porlio  merilo  instiluetur  sex  librarum  similiuin.  liabila 
ratione  dignilatis  et  excellentiae  ipsorum  Praeceptorura. 

D  Ex  aliis  aulem  oclo  libris  nionetae  Flandricae  reslanlibus  ex  slipendio  deceniiali, 
aul  adliuc  extra  duos  aut  1res  annos  de  tjuibus  supra,  Praeceptoribus  Graeco  et  Hebrako 
statuto,  institui  volo  duas  bursas  similes  bursis  dictorum  ipsorum  juvenum  ,  pro  duobus 
juvenibus  quorum  aller  Mechliniensis,  aller  vero  Lucemburgensis  eril,  e]ualifîeali  ul  supra. 

»  llem  omnes  bi  juvenes  obligabunlur  singulis  diebus  inleresse  Missae,  et  ibi  pro 
anima  lundaloris  et  parenlum  ejus  légère  vigilias  mortuoru-m  in  sacello  ipsius  follegii  ; 
in  quo  perpétua  missa  t'undata  est,  quae  est  viginti  llorenorum  Pienensium,  earaque  ad 
triginta  florenos  Renenses  communes  augeri  volo;  scilicet  ex  mea  fundalione  decem  ilo- 
renos  Renenses  communes  superaddendo;  sub  bis  lamen  conditionibus  et  oneribus  infra 
dicendis. 

»  Scilicet  ut  imprimis  ter  aut  quater  in  hebdomade  legatur  missa  de  deiiinctis;  in 
aliis  vero  duplicibus  et  triplicibus  et  aliis  diebus  hebdomadae  legatur  missa  de  lempore, 
et  addatur  collecta  pro  fundatore  def'unclo. 

»  El  in  fine  missae  leget  presbyter  celebrans,  respondenlibus  ipsis  praeceptoribus,  et 
juvenibus  Bursariis  De  profundis  cum  collecta ,  pro  anima  fundatoris  et  parenlum  ejus. 

»  Item  eliam  in  eodem  sacello  celebrari  volo  quater  in  anno  anniversarium,  videlicet 
in  quatuor  lemporum  primo  die ,  in  quo  très  missae  celebrabunlur,  quarum  unam  decan- 
tabit  ipse  sacerdos,  qui  missas  quotidianas  célébrât  in  eodem  loco. 

»  Duae  vero  aliae  per  duos  aliossacerdotes  ad  boc  par  praesidentem  invilatos  celebra- 
bunlur et  legentur;  una  quidem  anle  missam  canlatam,  altéra  post,  et  cantabil  unus 
eorum  epistolam,  aller  vero  evangelium,  juvabuntque  juvenes  in  cantando  ipsam  mis- 
sam. Observabuntur  insuper  vigiliae  die  praecedenle,  quibus  omnes  hi  sacerdoles  inte- 
resse debebunl,  cum  praesidente,  praeceptoribus  et  juvenibus;  praefatique  juvenes  in  eis 
novem  iectiones  decantabunt,  et  in  ipsa  missa  prosam  Dies  illa,  (lies  irae,  etc.  Et  post 
missam  decantabuntur  commeraorationes  et  preces  illae  anle  ihrenum,  Subvenite  Sancii 
Dei,  etc.,  qui  pro  dei'unclis  subnecli  soient.  Pro  quibus  omnibus  ordino  octo  llorenos 
annuos  et  perpetuos,  per  praesidentem  ejusdem  collegii  in  bunc  modum  distribuendos. 
Primo  :  in  quolibet  anniversario  erunt  duae  candelae  cereae  pro  decem  stuferis,  et  qui- 
libet  dictorum  trium  sacerdotum  recipiet  sex  stul'eros,  ipsique  simul  cum  praeceptoribus 
prandebunt. 

»  Duodecim  autem  stuferi  rémanentes,  pro  aliquali  portionis  illius  prandii  augmenio, 
et  ipsorum  trium  praeceptorum  vino  sumentur;  et  in  fine  hujus  prandii  legelur  per  sacer- 
dotem  qui  missam  canlavit,  respondente  praesidente,  aliis  sacerdotibus,  praeceptoribus 
et  juvenibus.  Miserere,  cum  De  profundis ,  et  collecta. 

»  Decantabuntur  praelerea  in  dies  in  eodem  sacello  per  ipsos  juvenes  Bursarios  laudes 
Salve  Résina,  adstantibus  praesidente  et  praeceptoribus;  in  quibus  ipse  sacerdos  cele- 
brans dictas  missas  quotidianas  cantabil  collectam,  si  fuerit  praesidens  ipsius  collegii, 
aut  alius  sacerdos  de  dicto  collegio.  Si  vero  fuerit  exlraneus  sacerdos  assumendus  pro 
bujusmodi  missis  celebrandis,  lune  Bursarius  senior  eandem  collectam  decantabit,  ne 
talis  sacerdos  in  dies  ad  laudes  veniendo  nimium  gravetur. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  579 

»  Item  tenipore  prandii  el  coenae  (juvenum  dico)  aliquis  jiivenum  quolibet  die  leget 
in  aliquo  lalino  auclore  prol)ato,  juxta  ordinalioneni  ipsorum  praeceptorum  ,  termmabi- 
turqiie  hiijusmodi  leclio,  cum  praesidenti  visum  lueril  oporlunuin. 

»  Item  volo  unum  esse  receptoium  bonorum  et  reddituiim  dicli  collegii ,  cujiis  slipen- 
dium  annuum  crit  vigiuti'  llorenorum  Reneusium  communium;  ejiisque  erit  singulis 
annisstaluto  aliquo  die  coram  ipsis  Provisoribus  et  in  praesentia  diclorum  Praeceptorum 
reddere  ralioiies  suas  et  computum;  quibus  parabitur  prandium  :  pro  quo  lego  supra 
porlionem  ipsorum  praeceptorum,  quae  luuc  eis  erit  communis,  Iriginta  stuferos  :  ad 
quod  ipsum  prandium  limito. 

>  Quo  peracto,  dabit  praesidens  cuilibet  provisori  decem  sluloros;  qui  si  hujusmodi 
statuto  dievacarenon  possint,  difl'eraturin  aiium  diem.int'ra  tamen  meiisem  ,  sub  poena 
perditorum  dictorum  decem  stulerorum. 

»  Nec  volo,  quod  aliis  committant  vices  suas,  ni  forte  unus  eorum;  ita  videlicet,  quod 
ad  minus  semper  duo  eorum  |)ersonaliter  intersint. 

»  Hoc  muuus  seu  officium  receptoris  simul  habebit  ipse  Praesidens  collegii ,  qui  cum 
dicto  stipendio  pro  praesidentia  retinebit  Bursam  praesidentis  anliquae  fundationis,  quae 
est  viginti  Pienensium. 

»  Et  in  emolumentis  ex  commensalibus  provenientibus  cum  tribus  ipsis  Praecepto- 
ribus  aequaliter  parlicipabit. 

»  Insuper  praedictam  missam  quotidianam  in  eodem  coilegio  celebrabit.  si  velit,  et 
ad  hoc  commode  vacare  poterit  sine  dispendio,  aut  citra  incommodum  ipsius  collegii. 
Si  vero  eandera  celebrare  recusaverit ,  aut  id  ex  re  collegii  lacère  non  debeat,  ordinabunt 
mei  provisores  aliquem  ex  ipso  codera  coilegio  sacerdotem,  qui  id  muneris  subeal;  et  si 
nullus  ibidem  fuerit,  tune  aliquis  sacerdos  vicinus,  vir  bonae  vitae,  per  ipsos  ad  istud 
officium  assumetur,  dictamque  summam  triginta  lîenensium  recipiet.  Item  poterunt  a 
dictis  praesidente  et  praeceploribus  honesti  aliqui  commensales  assurai,  usquead  nume- 
rum  octonarium,  non  ultra,  in  eadem  mensa;  et  utililas  hinc  proveniens  cedet,  partira 
in  rem  ipsius  collegii  et  reparationem ,  partira  vero  in  ulilitatem  ipsius  praesidentis  et 
praeceptorum,  el  hoc  acquis  portiouibus. 

»  Poterunt  et  juvenes  aliqui  in  mensa  ipsorum  juvenum  Bursariorum,  usque  ad  nu- 
raerura  qualernariura,  dummodo  sint  de  familia  et  gente  ipsius  fundatoris,  aut  praesen- 
tati  et  nominati,  per  eos  ad  quos  praesentalio  ipsorum  Bursariorum  speclabit,  meos 
scilicet  successores,  de  quibus  inlVa  dicetur. 

»  Qui  juvenes  solvent  irapensas  suas  juxta  discretionera  ipsorura  provisorùra,  habita 
ratione  teraporura  et  penuria  victualiura,  utilitasque  inde  proveniens  applicabitur,  ut 
supra. 

»  Horura  autem  omniura  jgvenura  coraraensaliuraque  sic  assumptorum  non  bursa- 
riorum quilibet  supra  impensas  mensae  singulis  annis  exsolvere  tenebitur  unam  librara 
grossorum,  attenta  doctrina  speciali,  quara  ex  ipsis  praeceptoribus  conlinuo  accipient; 

'   Fiyinti  quinque ,  in  apographo. 


380  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

cum  quibus  familiariter  super  dubiis  loquenlur;  tolaque  summa  hinc  collecta  ipsis 
tribus  praeceptoribus  clistribuetur  aequalibus  portionibus. 

»  Item  ipsi  Bursarii  juvenes  per  vices,  seu  aiternalim  mensae  ministrabunl,  juxta 
ordinationem  praesidentis;  slerneiilque  lectos  praesidentis,  et  ipsorum  praeceptorum. 
Unus  autem  praeceptorum  semper  mensae  juvenum  praeerit;  quod  onus  eorum  cuiiibet 
per  hebdomadas  incumbet. 

»  Volo  praeterea,  omnes  ipsos  juvenes  Bursarios  cum  assumentur  ad  bursam,  Busli- 
diis  et  Steenbergensibus  dumtaxat  exceptis,  dare  in  manibus  praesidentis  unam  libram 
grossorum  Flandriae,  ex  qua  praesidens  faciet  emi  unum  bonum  leclum;  remanebitque 
dictus  lectus  recedenle  ipso  a  dicto  collegio,  pro  communi  utilitate  in  eadem  domo.  Ex 
qua  pecunia  sic  recepla,  si  temporis  cursu  aliquid  accrescat,  ex  que  leclos  emi  non  sit 
necesse,  reservabilur  pro  reparatione  domus  et  utensiiium. 

»  Ipsis  autem  Buslidiis  et  Steenbergensibus  meis  sumptibus  a  proprio  '  lecti  ementur; 
quibus  detritis  lectis,  qui  ex  aiiis  discedentibus  remanebunt  ipsi  utentur. 

»  Si  vero  aliquem  Bursariorum  niortem  obire  contingeret  in  eodem  collegio,  etiam 
libri  et  vestes  in  rem  collegii  convertentur. 

»  Omnesque  Bursarii  juvenes,  durante  oclennio,  fructibus  dictarum  Bursarum  gau- 
debunt,  et  non  ultra;  nisi  aliquis  dictorum  Bursariorum  adeo  excelieret  in  sludiis 
Jitlerarum,  ut  idoneus  esset  caeleris  Bursariis  minus  eruditis  ultra  dictas  lectiones 
communes  profiteri  leclionem  aliquam  extraordinariam;  tune  juxta  provisorum  discre- 
tionem  ad  biennium  conlinuari  possit. 

»  Semelque  ad  dictas  bursas  assumpti,  ante  dictum  tempus  octennii  terminatum  non 
deslituentur,  aut  expellentur  a  dicto  collegio,  proplerea  quia  per  bénéficia  quae  intérim 
ipsi  assecuti  essent,  ditiores,  aut  forte  satis  opulenti  evasissent;  sed  tempus  ipsis  prae- 
fixum,  si  velint,  in  eodem  collegio  perlicient. 

B  Verum  ut  praedicti  omnes  Bursarii  juvenes  curiosius  intendant  litterarum  sludiis, 
volo  et  ordino,  quod  nullum  fructum  ex  suarum  Bursarum  cursu  percipiant,  quamdiu 
es  dicto  collegio  absentes  fuerint,  ultra  continuum  50  dierum  spatium,  sine  liceutia 
Praesidentis  oblenta;  converlendis  longioris  absentiae  l'ructibus,  in  reparationem  domus 
et  utensiiium. 

»  Quod  si  quis  ultra  trium  mensium  tempus  absens  fuerit,  poterit  de  ejus  bursa  veiuti 
vacante  pro  alio  disponi;  nisi  ipsius  longioris  absentiae  (cilra  tamen  semestre,  quam 
nulle  paclo  concède)  gratiam  a  Provisoribus,  cum  allegatione  rationabilis  causae  obti- 
uuerit. 

»  Vacante  autem  aliqua  Bursa ,  tenebitur  Praesidens  dicli  collegii  infra  quindecim 
dies  immédiate  sequenles  bujusmodi  vacalionem  intimare  curatis  Ecclesiarum,  et  prae- 
fectis  saecularibus  dictorum  septem  locorum,  impensis  ipsius  assumendi. 

»  Et  tune  in  Ecclesia  tribus  dominicis  diebus,  dum  ibidem  major  populi  multitude 
concurrerit,  bujusmodi  vacalionem  publiée  immédiate  et  sine  fraude  publicabunl;  inqui- 
rendo  fideliter,  si  sit  aliquis  volens  ad  bujusmodi  Bursam  praesentari. 

'  Lcg   o  principio  in  apograplio. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  381 

K  Qui  ubi  repertus  fuerit,  qualificalus  ut  supra  ,  coram  Decano  et  capitule  Ecclesiae 
collegiatae  Sancli  Pétri  Ariensis,  si  ex  Aria  aut  loco  viciniori,  modo  dicto ,  fuerit 
oriundus. 

»  Si  Mechliniensis,  similiter  coram  Decano  et  capitulo  Ecclesiae  Sancti  Rumoldi 
ibidem. 

»  Si  vero  Steenbergensis,  coram  fratre  meo  Magistro  Egidio  Buslidio  vel  ejus  succes- 
soribus,  et  coram  Francisco  Buslidio  mihi  ex  fratre  nepote,  aut  ejus  successoribus.  et 
Magistro  Nicolao  de  Naves,  vita  ejus  durante. 

»  Si  talisassumendus  Buslidius,  Marvilianus,  Arelunensisaut  Lucemburgensis  fuerit 
(ad  quos  illorum  Bursariorum  praesentationem  spectare  volo)  compareat  infra  decem 
dierum  spatium,  petens  a  diclis  aut  eorum  altero,  modo  dicto,  ad  talem  Bursam  prae- 

senlari. 
»  Si  vero  postdiclos decem  diesnulluscomparuerit,  poterunt  dicti  successores  et  prae- 

sentatores,  facta  in  locis  vicinioribus  inquisitione,  unum  alium  idoneum  praesentare. 

1)  Quod  si  etiam  es  locis  vicinioribus  infra  decem  alios  dies  sequentes  nullus  compa- 
ruerit,  poterunt  tune  mei  Provisores  aliquem  alium  idoneum  assumere  ex  aliquo  dic- 
torum  septem  locorum  ,  vel  loco  ipsis  viciniori,  modo  et  ordine  prius  dicto;  hoc  ipso 
videlicet  servato,  ut  oriundus  ex  aliquo  illorum  septem  locorum  praeferatur  nato  in 
loco  viciniori. 

»  Quia  autem  puto  nullos  Busiidios  nunc  esse  idoneos  ad  ipsas  Bursas,  volo  in  prin- 
cipio  erectionis  hiijus  mei  collegii  ipsas  duas  Bursas  pro  Busiidiis  vacare  per  duos 
annos,  si  nulli  ex  dicto  pago  ad  eas  apli  et  idonei  inveniantur;  sperans  temporis  biennii 
cursu  aliquos  se  ad  eas  reddituros  idoneos. 

»  Quapropter  volo  per  Praesidentem  immédiate  post  dictam  erectionem  eis  insi- 
nuari;  et  fructus  harum  Bursarum  pro  tempore  hujus  vacationis  applicabitur  aedificiis 
et  reparationibus  necessariis. 

»  Ex  fructibus  vero  et  utilitatibus,  ad  communem  reparationem  collegii  modo  dicto 
vertendis,  sumetur  etiam  stipendium  ancillae  aut  ancillarum  si  plures  habendae  sint. 

»  Erit  autem  Praesidentis  ollicium,  collegium  ipsum  laudabilitcr  gubernare,  prae- 
sertim  juvenes  quos  pro  viribus  ad  Litteras,  et  virtules  hortari  debebit ,  eorumque  illicita 
conventicula  prohibebit. 

»  Clausurae  nocturnae  diligenter  intendet;  et  in  principio  quadragesimae  et  in  qua- 
tuor principalibus  anni  festivitatibus  eosdem  ad  confessionem  et  circa  eam  necessaria. 
latino  sermone  brevi  ac  utili  informabit,  eorumque  singulos  errores  emendabit. 

»  Quod  si  facere  non  possit,  id  ipsum  Provisoribus  intimabit;  qui  desuper  juxta  sibi 
traditam  potestatem  sincère  et  immédiate  providebunt,  ad  aliorum  exemplum. 

»  Postremo  hujus  Fundationis  piique  inslituti  Provisores  staluo,  curatum  Sancti 
Pelri  Lovaniensis;  Magistrum  nostrum  ordinarie  seu  communiler  Praesidentem  in  dis- 
putationibus  collegii';  vel  alioquin  si  taies  disputationes  non  essent,  Decanum  ipsius 

'  Add.  Theuloyorum  in  apogc. 


382  MEMOIRE  SLR  LE  COLLEGE 

FacultatisTheologiae,  el  Pairem  seu  Priorem  domus  Carlhusicnsis  Lovaniensis.  Quibus 
quidem  Provisoribus  dictas  Bursas  cum  vacabunt  conferendi,  reddiluum  collegii  redemp- 
tioneni  recipiendi,  novosque  rursus  emendi ,  ac  alia  quaccumque  ipsius  collegii  boiia  ap- 
preiiendendi,  vendeiidi,  alienandi,  ac  alias  proul  de  propriis  bonis,  pro  collegii  quidem  ne- 
cessitaieaut  magna utililale,  disponendi,  Eursasipsaspro  Bursaiiis démentis suspendendi 
ac  eliam  aliis  conferendi,  singulis  annis  raliones  et  compuium  de  receplis  et  expositis 
audiendi ,  emendandi ,  corrigendi ,  et  approbandi  ;  dubia  quaecumque  et  dilïicullates  circa 
hanc  meam  Fuudalionem  émergentes  interpretandi ,  et  moderandi,  novas  Picgulas  et 
Slaluta  (si  expediens  videbilur)  concedendi,  ac  orania  et  singula  faciendi,  quae  circa 
iioc  primuni  inslilulum  necessaria  videbuntur,  vel  quoniodolibel  oporluna,  salva  semper, 
qiianto  proximius  fieri  poteril,  mea  intentione  plenariam  iribuo  auctoritalem. 

»  Super  quibus  omnibus  conscieutiam  iilorum  el  bonorem,  simul  et  ipsorum  prae- 
sentaniium ,  pro  ea  parte  quae  ad  eos  speclat,  onero;  orando  illos  in  visceribus  Christi , 
ui  taies  se  gérant  in  hoc  uegolio  quales  ego  illos  fuluros  opto  et  spero,  ad  laudem  Dei 
oplimi ,  ad  augmenlum  cultus  divini,  decorem  universaiis  Ecclesiae,  et  Religioiiis 
christianae,  quam  bac  pia  instituiione  et  salutari  fundalione,  per  universum  orbem 
magis  magisque  conlirmalam  et  propagalam  iri  cupio. 

»  Si  vero  aliquid  de  meis  accrescat,  praescriplis  débile  complelis,  donc  et  lego  eisdem 
Hursariis  meis,  sic  ul  praemitlitur  fundandis.  Iliosque  meos  veros  legitimos  et  indubi- 
latos  heredes  in  hujusmodi  residuo  bonorum  meorum  facio  et  institue. 

B  [ta  tamen ,  uL  in  reparalione  et  aediûciis  pars  una  ponalur,  altéra  in  augmenlo 
JJursarum,  juxta  meorum  Provisorum  discrelionem. 

»  Et  ul  omnia  et  singula  praemissa  debilae  execulioni  demandenlur,  suumque  quam 
brevissime  polerii  sortiantur  etfeclnm  ,  omnibus  melioribus  modo,  via,  jure,  causa,  et 
forma,  quibus  ellicacius  possum,  ordino,  eligo  el  deputo,  si  fundalio  dictorum  aluni- 
noruni  liai  in  coilegio  Alrebalensi  Lovanii  supradicti,  Decanum  Mechliniensem  Magis- 
irum  Joannem  Robbyns,  una  cum  aliis  infra  nominandis.  Si  vero  in  collegio  Sancii 
Donaliani,  in  locum  dicli  Decani  surrogari  cupio  Magislrum  Joannem  Slercke,  de  Meer- 
heke,  praedicli  collegii  Sancti  Donaliani  Reclorem,  |iraeterea  Magislrum  Adrianum 
José!  canonicum  Anlverpiensem,  aut  si  ipse  huic  negotio  vacare  non  possel,  rogo  qua- 
tenus  bominem  probum  el  fidelem,  qui  juxta  meum  votum  banc  meam  inslilulionem 
ad  tinem  perducere  possil  pro  se  instituai;  Nicolaum  de  Nispen  el  Barlholomaeum  de 
Wessem  Execulores  meos. 

B  Quibus  Iribus,  scilicel  deeano,  aut  Meerbeke,  Nispen  et  Adriano  Josel,  pro  onere 
executionis,  cuilibel  eorum  lego  quinquaginta  llorenos  aureos. 

»  Et  diclo  Barlholoniaeo  de  Wessem,  summam  ducentorum  llorenorum  aureorum; 
medianie  qua  sumnia  contenlus  eril,  nihil  anipiius  pelere,  occasione  siipendiorum  suo- 
rum,  el  praefati  legali  executionis  per  dictos  omnes,  acceplare  hoc  onus  volentes, 
absentes  tamquam  pracsentes,  et  quemiibel  eorum  in  solidum  (ita  quod  non  sit  melior 
condiiio  primilus  occupanlis,  necdelerior  subsequenlis,  sed  quod  unus  eorum  inceperil. 
aller  eorum  id  prosequi  valeal,  mediare  pariter  el  lerminare.) 


DES  TROIS-LANGIES  A  LOUVAfîS.  383 

B  Quibus  et  eorum  cuilibel  in  solidum  do  plenam  et  liberam  poteslatem,  auctoiilaieni 
et  mandalum,  omnia  et  singiila,  per  me,  ut  praeferiur,  desiderata,  petita  et  ordinata 
gerendi.faciendi,  procuraodi  et  exequendi,  omnia  etsingula  crédita  mea,  redditus,  pro- 
venlus,  pensiones  et  pecuniares  siimmas  michi  débitas,  ab  omnibus  personis,  et  coram 
quibuscumque  judicibus,  vigore  hujusmodi  leslamenti  mei  petendi,  exigendi,  ievandi, 
et  recipiendi ,  de  receplis  quoque  et  levatis  quitlantiam ,  acceptiiationem,  cedulas  verbo 
vel  in  scriptis  dandi,  et  faciendi;  unum  quoqiie  et  plures  subexecutores  loco  suo  aut 
eorum  cujuslibel,  cum  simili  aut  limitata  poteslate  subslituendi ,  eosque  cura  expedire 
videbilur  revocandi;  et  gencraliter  omnia  et  singuia  faciendi,  quae  in  praemissis  aut 
circa  ea  quaelibel  necessaria  videbunlur  et  oportuna. 

»  Et  ut  praenominati  mei  Execulores  boc  onus  executionis  libenlius  acceptent,  nolo 
eos  de  hujusmodi  executione  aut  aliquo  praemissorum  cuicumque  vivenli  reddere  ratio- 
nem;  concedens  eorum  singulis,  si  quae  in  praemissis  obscura  vel  ambigua  occurrerint , 
liberam  ea  declarandi  et  interprelandi  facultalem.  • 

»  Et  eliam  numerum  dictarum  Bursarum  mearum  instiluendarum  minuere  vel  augere, 
juxta  qualitatem  et  quantitatem  facullatum  mearum  (piis  legatis  et  debilis  liquide  omni- 
bus persolutis)  superextantium. 

B  Volens  insuper  et  desidcrans,  ut  si  hujusmodi  leslamentaria  dispositio  forte  jure 
Testamenii  non  sit  valida,  propter  alicujus  personae  praeterilionem ,  solemnilalum  et 
legum  vigore  requisitorum  omissionem,  quod  id  saltem  jure  codicillorum  seu  douationis 
causa  morlis,  aut  inter  vivos,  seu  quomodolibet  alias,  ut  ultimae  defunctorum  volun- 
tates,  praecipue  juxla  pontificii  juris  sancliones,  valere  possit  et  valeat,  et  pleni  roboris 
firmitalem  oblineat.  Cassans  praelerea,  annullans  et  irritans  quodvis  aliud  Testamen- 
tum,  seu  codicillos  a  me  quomodolibet  conditos;  salvo  mihi  semper  jure  addendi,  dimi- 
nuendi,  corrigendi,  mutandi. 

»  Acla  fuerunt  baec  in  domo  mea  Mechliniae,  per  me  dictitata  et  propria  manu  sub- 
scripta  die  XXII  mensisjunii  anno  a  Nalivltate  domini  millesimo  quingentesimo  decimo 
septimo. 

»  Sic  scriptum.  Haec  est  volunlas  mea  et  dispositio  testamenlaria ,  quam  ego  Hiero- 
nymus  tesialor  in  omnibus  et  singulis  articulis  suis  post  morlem  meam  per  Executores 
supra  nominatos,  ocius  ac  fieri  poteril,  commode  exequuta  iri  fldeliter  cupio;  testamen- 
laria bac  subscriptione  mea  manu  propria  facta  et  sigilli  mei  appensione  roborala. 

»  Actum  in  domo  habitatioiiis  meae  Mechliniae  die  XXII  junii  anno  millesimo  quin- 
gentesimo decimo  septimo. 

B  Denuo  sic  subscriptum  :  ila  est,  ut  supra;  Buslidius  Ariensis  Praepositus  Tesialor, 
manu  propria.  De  et  super  quibus  omnibus  praemissis  ante  dicti  Executores,  nomine-quo 
supra  execuiorio,  petierunl  a  me  Notario  publico  infra  scriplo  sibi  fieri,  conflci  atque 
tradi,  unum  vel  plura  publica  instrumenta. 

»  Acta  fuerunt  haec  Mechliniafi  anle  diclae  Cameracensis  dioecesis,  in  loco  capilulari 
dictae  ecclesiae  sancli  Rumoldi ,  sub  anno,  indiclioiie,  mense,  die,  et  pontificatu  prae- 
scriptis,  praesentibus  ibidem  honorabilibus  et  discretis  viris  Dominis  Symone  Roboscb. 
Tome  XXVIII.  SO 


384  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

Joanne  Joannis,  Nicolao  de  Sluylere,  Jeanne  Hoeldere  presbyleris,  dictae  ecclesiae 
beneficialis,  et  Symone  Reys,  virgario,  dictae  Cameraceusis  dioecesis,  teslibus  ad 
praeraissa  vocatis  specialiter  alque  rogalis. 


c. 

(Voir  chap.  Il ,  p.  H.  ) 

Poésies  latines  de  Thomas  Morus  en  l'honneur  de  Jérôme  Busleiden ,  au  sujet  de 
ses  vers,  de  sa  demeure  et  de  ses  collections  d'art  '. 


De  NUMMIS  ANTIQUIS  APUD  IIlERONYMUM  BUSLIDIANUM  SEIIVATIS. 

Roma  suis  olim  ducibus  quam  debuit,  illi 

Tara  dobentomnes,  Buslidianc,  libi. 
Roma  suis  ducibus  servata  est  :  ipse  réservas 

Romanos  Roma  pracmorientc  duces. 
Nam  quae  Caesareos  anliqua  nomismata  vultus, 

Aut  referunt  claros  lumve  priusve  vires  : 
Haec  tu  saeclorum  studio  quaesila  priorum 

Congeris,  et  solas  bas  tibi  ducis  opes. 
Cumque  Iriumphaleis  densus  cinis  occulat  arcus, 

Ipse  triumplianlum  nomen  et  ora  tenes. 
Nec  jam  Pyramides  procerum  monumenta  suorum 

Tam  sunt,  quam  pyxis,  Busiidiane,  tua. 

ÂD    EUNDEM. 

Ecquid  adliuc  placidam,  mi  Buslidianc,  Camocriam 

Tua  coerces  capsula? 
In  tenebras  abdis  cur  dignam  luce,  quid  illi? 

Quid  invides  morlalibus? 
Musae  fania  tuae  toto  debetur  ab  orbe, 

Quid  huic  repellis  gloriam? 

'  Il  nous  a  paru  qu'il  n'y  avait  point  de  plus  bel  hommage  à  la  mémoire  du  généreux  Mécène,  après  les  louanges 
d'Érasme,  que  les  vers,  peu  connus  en  notre  pays,  rlu  grand  et  malheureux  chancelier  qui  fui  aussi  son  ami  Ils  font 
partie  du  recueil  des  œuvres  poétiques  de  Thomas  Morus  portant  le  titre  d'Spigrammala  et  compris  dans  les 
œuvres  complètes  de  More,  latines  et  anglaises,  imprimées  plusieurs  fois.  Nous  les  donnons  ici  d'après  une  curieuse 
édition  du  XVI""  siècle  qui  comprend  l'Utopie  et  d'autres  traités  latins  du  publiciste  lettré  :  Thomae  Jllori  Anyliae 
ornamenti  eximii  Lucubrationes ,  etc.,  Basileae,  ap.  Episcopium  F.,  1563  (in-8"),  pp.  258-260.  On  les  lit  aussi 
(fol.  30  et  31)  dans  une  édition  revue  de  ses  œuvres  latines,  faite  à  Louvain,  en  1563,  in-folio  ,  chez  Jean  Bogard, 
et  portant  l'approbation  du  professeur  de  théologie,  F.-J.  Hentenius. 


DES  TROIS- LANGUES  A  LOUVAIN.  385 

Gralus  ab  liac  fructus  toti  debetur  et  orbi, 

Quid  unus  obstas  omnibus? 
An  tibi  casta  procul  coetu  cohibenda  virili 

Cohors  videtur  virginura? 
Sunt  hacc  virginihus  faleor  metuenda,  sed  illis 

Devirginari  quae  queunt. 
Ede  tuam  intrepidus,  pudor  est  inflexilis  illi, 

Née  ille  rudis,  aut  rusticus. 
Ut  tua  non  ipsi  cessura  est  virgo  Dianae, 

Pudorc  grata  lacteo  : 
Sic  tua  non  ipsi  cessura  est  virgo  Minervae, 

Sensu,  lepore,  gratia. 

Ad  Bustidianum  de  aedibus  magnifias  Mecliliniae. 

Culta  modo  fixis  dum  conteraplabar  ocellis 

Ornamenta  luae,  Buslidiane,  domus, 
Obslupui,  quonam  exoratis  earminc  fa  lis 

Tôt  rursus  veteres  nactus  es  artifices? 
Nam  reor  illustres  vafris  ambagibus  aedes, 

Non  nisi  daedaleas  aedificasse  manus. 
Quod  pictura  est  illie,  pinxissc  videtur  Apelles  ; 

Quod  sculptum,  credas  esse  Myronis  opus. 
Plastica  quum  video,  Lysippi  suspicor  artem  : 

Quum  statuas,  doctum  cogito  Praxitelem. 
Disticha,  quodque  notant  opus,  at  quae  disticha  vellct, 

Si  non  coraposuit,  composuisse  Maro. 
Organa  lam  varias  raodulis  imilantia  voces, 

Sola  tamcn  veteres,  vel  potuissc  negem. 
Ergo  domus  tota  est,  vel  saecli  nobile  prisci, 

Aut  quod  prisca  novum  saecula  vincat,  opus. 
At  domus  haec  nova  nunc,  tarde  seroque  senescat, 

Tune  videat  dominum ,  nec  tamen  usque  senem. 


386  MEMOIRE  SLR  LE  COLLEGE 

D. 

(  Voir  cliap.  III ,  p.  83.) 

Texte  de  la  lettre  écrite  de  Rome  aux  Réi).  docteurs  de  la  Faculté  de  théolorjie  de  Lou- 
vain,  par  Albert  Pighius,  camérier  secret  du  pape  Clément  VII,  en  date  du  i'2  juil- 
let 1525  '. 

Venerabiles  ac  Doclissimi  Domini  Preceptores  mei  observandissimi.  S. 

Pessime  hic  audit  veneranda  ac  Sancta  ilia  Facuitas  veslra,  ob  maiedicentiam  quo- 
riimdam  inter  vos  seditiosorum ,  qui  in  suis  ad  popuium  concionibus  non  cessant  in- 
sanis  ciamoribus  vexare  Erasmum  Roterodamum ,  virum  certe  quem  nostra  vidit  etas 
eloquentissimuni  et  eruditissimum ,  et  lam  apud  Poiuificem  ac  Optimales  omnes,  quam 
universos  qui  in  literis  nomen  habent,  magnae  imprimis  gratiae  et  auctoritalis,  quibus 
hoc  unum  agere  ac  moliri  videntur,  dum  videiicet  eum  nunc  ut  lierelicuni ,  nunc  ut 
Lutheranum,  et  nescio  quibus  aliis  nominibus  traducunl  apud  popuium,  ut  qui  uuper 
pro  nobis  et  catholica  (ide  ex  professo  se  adversarium  fecit  Luthero,  et  quem  Pontifex , 
prudenler  intelligens  quantum  unus  in  alterutram  partem  momentum  adferre  potest , 
nulio  non  beneficii  génère  studet  sibi  demereri,  hune  a  nobis  aliènent,  et  pro  uno 
Luthero,  quasi  dissenlionum  et  scismatum  nondum  satis  esset,  exsuscitent  pluriraos. 

Commiserat  Sua  Sanclitas  Revereudo  Domino  Theodorico  Hezio^  hinc  proficiscenli, 
ut  suo  nomine  amice  ilios  ac  secreto  moneret,  quo  poslhac  discerent  loqui  modestius,  et 
quemadmodum  decet  Theologos,  et  Religionem  professos,  quales  nominalim  hac  in  re 
accusati  sunt.  Sed  eum  intérim  non  cessarent  assiduae  querelae  multorum,  quorum, 
eorumque  maximae  auctorilatis  virorum ,  et  non  unius  Erasmi  solum,  iileras  mihi  os- 
tendil  R"'  D.  Datarius,  nisi  forte  ego  iulervenissem  féliciter,  jam  dalum  esset  Erasmo 
apostolicum  brève  rigorosum  admodum,  adversus  Lovanieuses  Theologos  detraclores 
suos.  Quo  eum  videbam  honori  facuitatis  vestrae  imprimis  derogalum  iri ,  resliti  omnibus 
viribus  (nihil  dubitans  mox  ut  hinc  exivisset  evolaturum  in  universum  orbem),  et  maxi- 
mis  laboribus  vix  impetravi  ut  retineretur.  Tamen  loco  illius  mihi  injunclum  est  ad  ves- 
tram  Universitateni  scribere,  ut  omnino  provideat  ne  plures  islinc  querelae  afferantur. 

Erasmo  etiam  jussus  sum  hac  de  re  per  iileras  satisl'acere.  Quare  mei  ofTicii  esse  pu- 
tavi  etiam  ad  V.  P.  scribere,  et  monere  easdem  ut  ralionem  habeant  honoris  sui,  quem 

'  Cette  pièce  a  été  publiée  pour  la  première  fois  par  le  Plat,  dans  le  fascicule  aDonyme  très-rare  qu'il  a  intitulé  : 
Recueil  de  quelques  pièces  pour  servir  à  la  continuation  des  Fastes  académiques  de  l'Université  de  Louvain 
(Lille,  1783,  petit  in-5",  pp.  -58-31),  et  elle  a  été  léiraprimée  par  le  baron  de  Reiffenberg  d'après  ce  texte,  dans  la 
première  livraison  du  tome  I  des  Notices  et  extraits  des  manuscrits  de  la  bibliothèque  de  Bourgogne  (Bruxelles, 
1829,  in-4',  pp.  34-36),  qui  n'a  pas  eu  de  suite. 

En  reproduisant  cette  lettre  à  cause  de  son  poids  dans  la  question  d'histoire  que  nous  traitons  au  cbap.  III,  nous 
en  avons  corrigé  le  texte  latin  et  copié  l'orthographe  en  quelques  endroits ,  d'après  l'original  que  nous  avons  sous  les 
jeux,  et  qui  appartient  à  la  collection  d'autographes  de  W  de  Ram. 

^  Th.  Hezius  avait  été  secrétaire  d'.\drien  VI.  Érasme  lui  avait  écrit  en  septembre  1324,  en  lui  envoyant  son  traité 
de  Libéra  arbitrio.  {Epist ,  I,  809.) 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  587 

hic  sluduimus  modis  omnibus  facere  non  vulgarem,  et  diiigenlissime  semper  promo- 
vimus,  cui  per  illam  nonnullorum  pervicaciam,  maledicenliam  et  deiractiones,  et  per 
aliorum  assiduas  contra  vos  querelas  plmimiim  derogatur. 

Meo  itaque  judicio  quam  reclissime  facietis,  si  eos  qui  iiis  quereiis  dare  non  cessant 
occasionem,  modestius  loqui  cogatis,  et  domino  Erasmo  per  iiteras  vestrasquam  primum 
satisfeceritis;  ut  inteiligat  sibi  poslhac  ab  illis  niliil  timendum  fore,  et  Sanctissimi 
Domini  nostri  pro  se  mandata  apud  vos  profecisse  aliquid.  Quo  vos  non  dilîerat  excu- 
sare,  imo  et  suis  literis  commendare  apud  R""»  D.  Dalarium  et  reliques  hic  amicos,  ne 
paucorum  culpa  praeclarissimae  Facuitati  imputetur.  Quod  scio  illum,  si  scripseritis, 
pro  sua  humanitate  facturum  magnificentissime. 

Ego  intérim  pro  mea  virili  non  cessabo  honorem  vestrum,  quem  et  meum  duco, 
tueri  ac  defendere.  _ 

Valete  féliciter,  et  banc  festinantissirae  et  neglectissime  scriptam  compositam  (cptam) 
aequi  consulite;  opprimebar  enim  multis  simul  occupationibus  quum  festinaret  vereda- 
rius,  et  plurima  simul  scribenda  orant. 

Ex  palatio  Apostolico  Die  xii°  Julii  152o. 

E.  D.  V.  Alumnus  devotissimus 

Albertus  Pighils,  Câpen.  S.  D.  N.  Cubi- 
cularius  secretus. 

Inscriptio  eral  :  «  Reverendis  Plibus  ac  Doctissimis  viris  Decano  et  Facuitati  Theo- 
logiae  insignis  sludii  Lovaniensis.  » 


E. 

(Voirchap.  IV,  p.  99.) 


Série  des  présidents  du  collège  de  Busleiden  ou  des  Trois- Langues  à  Louvain. 


\.  JoANNES  Stercke,  sive  Forlis. 

Jean  Stercke,  appelé  plus  souvent  dans  les  sources  du  temps  du  nom  latin  de  Fortis, 
était  natif  de  Meerbeke  {Mirbecanus) ;  il  avait  le  titre  de  licencié  en  théologie,  et  il  était 
directeur  du  collège  de  Saint-Donat  en  1517,  quand  il  fut  mis  par  Busleiden  au  nombre 
de  ses  mandataires.  Nommé  un  peu  plus  lard  président  du  collège  des  Trois-Langues,  il 
prit  possession,  le  18  octobre  1520,  du  bâtiment  qui  devait  en  être  le  siège.  Il  ne  donna 
sa  démission  qu'en  1526,  pour  rentrer  dans  la  vie  privée.  Il  mourut  le  5  avril  1536,  et  fut 
enterré,  suivant  son  désir,  dans  l'église  de  Saint-Martin.  On  voyait  sa  sépulture  à  l'entrée 
du  chœur  de  celte  église  :  elle  portait  une  inscription  fort  élogieuse  qui  résumait  sa  car- 
rière et  témoignait  de  l'estime  qu'on  avait  pour  son  savoir  et  son  caractère  dans  la  ville 


588  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLÈGE 

universitaire  '.  Nous  la  reproduisons  ici  à  cause  de  sa  rédaction  élégante  et  simple  : 

Doclissimo  thcologo,  piissimo  sacerdoti,  pliilosopho ,  disciplina,  moribus  absohttis,  jusliliae  et  privilegio- 
rum  Universitatis  dcfcnsori  inviclo ,  dcceplundiim  pacificalori  acquiss.  D.  Joak^i  I'orti  Mirbccano,  collegii 
Biislcdiani  Pnicsidi,  quo  in  dcspiciendo  quac  ad  liempublicam  perlincbant ,  nemo  fuit  sayacior,  rursus  nemo 
in  pcrpciendo  constanlior ,  nemo  ab  omni  ambilione  rcmotior,  ut  qui  uUro  oblatas  dignitales  et  ampliora  sacer- 
dotia,  mcdiocritale  contentus,  singulari  animimodeslia  récusant,  consiliisque,  re  et  opcra  in  omnes  perpétua 
libcralissime  nstts ,  incredibile  sui  desidcriuin ,  et  mncrorcm  inconiparabilem ,  tum  civibus,  lum  toti  Aca- 
demiae  reliquit. 

JoANNES  FORTIS  MiRBECAMiS  PROFESSIONE  TIIEOLOCUS,  SED  .MLLILS  FEUE  DISCIPLINAE  IGNARIS  ,  VIR  CELE- 
BERRIMI  OB  CLARISS.  VIRTl'TES  NOMINIS,  niC  SIBI  SEPULTURAM  DELEGIT.  MoRTUUS  ANNO  DoMINI  MDXXXV. 
V  APRILIS  '. 

hivitus  terrain  qui  deserit ,  coelum  limct. 

Jean  Fortis  avait  été  en  relation  avec  Louis  Vives,  qu'il  paraît  avoir  rencontré  à  Paris 
dans  le  temps  où  ils  y  faisaient  des  éludes.  C'est  à  Jean  Fortis  que  Vives  adressa  la  célèbre 
invective  In  Pseudodialeclicos ,  qu'il  publia  à  Louvain  en  1519  :  morceau  curieux  dirigé 
contre  la  pernicieuse  sophistique  qu'il  avait  observée  dans  les  écoles  de  Paris  '. 

2.  NicoLAUs  Warius  Marvillanus  ou  Nicolas  Warij  de  Manille. 

(1320-29.) 

Natif  de  Marville,  localité  du  Luxembourg  désignée  dans  le  testament  de  Busieiden, 
Nicolas  Wary  ou  Warry  fut  appelé,  en  1526,  à  la  présidence  du  collegium  Buslidianum; 
l'épithèle  de  Marvillanus  est  le  nom  qui  lui  appartint  surtout  parmi  les  hommes  lettrés 
du  temps.  Distingué  entre  bien  d'autres  par  Érasme,  il  eut  une  petite,  mais  fort  belle 
part  dans  ses  suffrages,  et  c'est  assez  de  cette  lettre  que  nous  avons  citée  plus  haut*, 
servant  de  dédicace  à  la  version  du  traité  de  Saint-Jean  Chrysoslôme  in  Babylam,  pour 
lui  valoir  une  mention  particulière  dans  l'histoire  des  études. 

Nicolas  Wary  avait  étudié  la  philosophie  au  Faucon,  et  obtenu  la  quatrième  place  au 
concours  de  1511.  Il  mourut  jeune  encore,  le  2  octobre  1529,  et  fut  enterré  en  l'église 
de  S'-Pierre  près  de  l'autel  de  S'-Nicolas  ^. 

'  Celle  insciiplion  latine  a  élé  insérée  dans  le  Théâtre  sacré  du  Brabant  (éd.  de  La  Haje ,  1 729,  part.  1,  p.  123) 
et  dans  les  Monumenta  sepulchralia  Brabanliae  de  Fr.  Sweei  tins ,  p.  225.  —  Elle  a  été  recueillie  aussi  par  Paquot 
(Fasti  acad.,  I,  478)  comme  digne  de  remarque. 

'  Comme  Pâques  tombait  alors  en  cette  année  le  10  avril,  il  faut  reporter  à  l'an  1530  ce  que  l'inscription  flxe  à 
l'an  L'ISS  suivant  l'ancien  style  (Bax,  fol.  1411  ). 

'  Voy.  le  Mémoire  sur  la  vie  et  les  écrits  de  L.  Fivès,  par  l'abbé  Kamèche,  pp.  16,  33,  59-40. 

*  Voy.  cbapitre  IV  (pp.  99-101  ).  —  Érasme  avait  écrit  naguère  à  Marvillanus,  quand  il  était  président  d'une  as- 
sociation de  jeunes  littérateurs.  (Praeses  sodalitatis  vestrae,  comme  il  disait  à  Goclenius,  en  octobre  1517.)  Epist., 
1,267. 

'  Valèrp  André,  Fasti ,  p.  277. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  589 

3.  JuDOCus  ou  JossE  Vanden  Hove. 

(IS29-36.) 

Vanden  Hove  avait  été  d'abord  bedeau,  bedellus,  de  la  faculté  de  théologie  ';  il  fut  pré- 
sident du  collège  des  Trois-Langues  après  Marvillanus,  et  mourut  le  10  seplennbre  1556. 

Josse  Vanden  Hove  avait  fait,  en  1311,  un  premier  testament  d'accord  avec  sa  pre- 
mière femme,  Catherine  Macs  de  Louvain  (qui  mourut  en  janvier  1312),  dans  la  maison 
d'Adrien  d'Utrecht,  doyen  de  S'-Pierre,  située  sous  la  paroisse  de  S'-Michel.  H  se  maria  en 
secondes  noces  avec  Marie  Loenis  dont  il  eut  un  fils  du  nom  d'Antoine.  Par  un  testament 
du  12  août  1336  '\  il  laissa  à  ce  dernier  l'usufruit  du  reste  de  ses  biens,  qui  servirait, 
après  la  mort  de  ce  fils,  à  une  fondation  dans  le  collège  du  S'-Esprit  ou  des  théologiens  '. 

4.  Jacobus  ou  Jacques  Edelheere. 

Jacques  Edelheere  était  fils  de  messire  Jérôme  Edelheere,  secrétaire  de  la  ville  de 
Louvain,  fils  de  Jacques  Edelheere  et  de  Marie  Peeiers.  Maître  es  arts,  et  âgé  seulement 
de  23  ans,  il  fut  élu  président  du  collège  des  Trois-Langues  *.  H  se  promenait  après  le 
repas  dans  son  jardin,  quand  il  mourut  subitement,  le  26  mai  1339,  le  second  jour  de 
la  fête  de  Pentecôte  *. 

H  existait  à  S'-Pierre,  devant  l'autel  de  S'-Albert ,  un  sarcophage  en  pierre  bleue,  por- 
tant des  inscriptions  flamandes  en  lettres  gothiques.  Elles  rappelaient  les  membres  de  la 
famille  Edelheere,  qui  étaient  inhumés  dans  cette  chapelle  particulière,  depuis  Guillaume, 
qui  en  était  le  fondateur  (Willem  Edelheere  fondateur  van  desen  clioore),  jusqu'à  Jacques, 
Catherine,  Jean  et  Guillaume,  tous  enfants  de  Jérôme  ". 

Mention  du  premier  était  faite  en  ces  termes  : 

McESTEB  Jacob  Edle  die  lest 
sterf'op  den  26  dach  maii  a"  1559. 

'  Le  bedeau  devait  avoir  une  connaissance  familière  du  latin,  et  avoir  été  inscrit  sur  les  rôles  de  l'Universilé.  Voy. 
Statuta  Facultatis  theologiae.  (de  Ram,  De  Inudibus ,  etc.,  oratio,  annot.,  p.  97.) 

'  Détails  extraits  du  recueil  de  Bax,  f.  1412  :  U$um  fructum  Residui  suorum  Bonorum  reliquit  praenominato 
filio,  volens  post  illius  obitum  ex  hoc  Residuo  erigi  fundalionem  in  collegio  Theologorum. 

'  Val.  André  Fasti,  277-78  :  qui  sui  memoriam  reliquit  in  collegio  S.  Spiritus. 

*  L'abbé  Bax  à  qui  nous  empruntons  ces  détails  sur  Jacques  Edelheere  et  sa  famille  (f.  1413),  fixe  cette  élection  au 
17  mai  15ô9.  Le  collège  serait-il  resté  sans  président,  pendant  les  années  1337  et  1338?  Voir  suprà,  p.  144,  note  ô. 

'  Val.  André,  qui  écrit  son  nom  Edclheer ,  le  fait  mourir  en  1538  (vieux  style).  Fasti,  278. 

'  Jérôme,  qui  ne  mourut  qu'en  1335,  avait  fondé,  en  1345,  une  bourse  dans  le  collège  de  S'-Ives.  —  Voy.  sur  la 
famille,  Divaeus  rerum  Lovanien.,  p.  65.  De  cette  famille  descendait  Jacques  Edelheere,  né  à  Louvain  en  1.599,  dont 
la  carrière  politique  appartient  au  XV!!""  siècle.  Voy.  Goethals,  Bist.  des  lettres  et  des  sciences  en  Belgique,  t.  III , 
1842,  pp.  131-152. 


390  MEMOIRE  SDR  LE  COLLEGE 

5.  NicoLAus  A  Castro. 

(1539-1544.) 

La  vie  de  ce  personnage,  que  nos  polygraphes  n'ont  pas  retracée,  appartient  plus 
encore  à  l'iiisloire  de  l'Eglise  qu'à  celle  des  lettres;  cependant  nous  en  reproduisons  les 
principaux  traits  ',  ne  fût-ce  que  pour  montrer  la  force  de  l'action  puisée  dans  la  solidité 
des  éludes  en  un  siècle  de  luttes  et  de  calamités. 

Nicolas  à  Castro  était  d'une  famille  patricienne  de  Louvain;  il  était  fils  de  Nicolas  à 
Castro  (dont  le  nom  vulgaire  était  Verborch,  Verburcli  ou  Verbruch)  et  de  Catherine 
Vanderstraelen.  Un  de  ses  frères  du  nom  de  Jean  fut  chanoine  de  Saint-Pierre  à  Louvain. 

Nicolas  appliqua  aux  éludes  les  facultés  supérieures  dont  il  était  doué.  Après  avoir  fait 
avec  éclat  ses  cours  d'humanités  et  de  philosophie,  il  atteignit  le  grade  de  licencié  en 
théologie;  il  prit  part  fort  souvent,  avec  grand  profit  pour  les  autres  comme  avec  hon- 
neur pour  lui-même,  à  des  discussions  ou  disputes  scolastiques  dans  la  pédagogie  du 
Faucon  ^,  et  même  il  y  aurait  enseigné  la  philosophie.  Nommé  président  du  collège  de 
Busleiden  en  1559,  il  remplit  cette  charge  pendant  peu  d'années  (jusqu'en  1544).  Peu 
après  il  fut  nommé  chanoine  de  Sainte-Marie,  selon  d'autres  de  Saint-Jean,  à  Utrecht. 

Plus  tard,  Nicolas  à  Castro  fut  délégué  par  Philippe  II  pour  combattre  les  nouvelles 
hérésies  nées  dans  la  Hollande^;  ce  prince  le  désigna  pour  le  siège  de  Middelbourg, 
quand  cette  église  fut  érigée  en  évêché,  sufTragant  de  celui  d'Ulrechl  dont  elle  fut  alors 
détachée,  et,  quand  le  pape  Pie  IV  eut  confirmé  sa  nomination,  il  fut  promu  comme 
premier  évêque  de  Middelbourg  en  1561  *. 

Nicolas  à  Castro  fut  sacré  à  Malines,  en  même  temps  que  Pierre  Curlius  ou  de  Corte, 
évêque  de  Bruges,  par  le  cardinal  Granvelle,  le  26  décembre  1561  ;  il  assista  au  synode 
d'Utrecht,  en  1565,  et  signa  le  30  octobre  de  la  même  année,  en  qualité  d'évêque  de  Mid- 
delbourg. Son  épiscopat  dura  douze  années  et  fut  signalé  par  des  preuves  de  fermeté  et 
de  grandeur  d'âme.  Nicolas  joignit  constamment  la  prudence  au  zèle,  suivant  le  témoi- 
gnage d'écrivains  réformés^,  et  il  tâcha  de  diminuer  l'effet  des  mesures  prises  par  le 
duc  d'Albe,  par  exemple,  de  l'impôt  du  dixième  denier. 

On  rapporte  que  de  grands  troubles  s'ètanl  élevés  à  Middelbourg,  en  1566,  les  magis- 
trats invitèrent  Nicolas  à  se  dérober  à  la  fureur  du  peuple  égaré.  L'évêque  leur  aurait 

'  Le  recueil  de  Bax  nous  a  fourni  la  plupart  des  détails  biographiques  dont  nous  faisons  usage  ici  (ff.  1414-16).  Il  est 
question  de  Nicolas  à  Castro  dans  VOpus  chronographicum  de  Pierre  Opmeer,  imprimé  à  Anvers  (en  1612,  in-folio) , 
l)ar  les  soins  de  Laurent  Bejerlinck,  chanoine  d'Anvers,  [f/ist.  de  Eelgio,  p.  53,) 

^  Magistrales  scolasticos  actus....  frequens  praestitit. 

'  Fr.  Sonnii  ad  Figlium  Zuicliemum  epistolae  (éd.  de  Ram,  1850),  pp.  8,  Ifi,  19,  77. 

'  Le  diplôme  cité  par  Heussen  (Dioec.  tViddelb.,  p.  12),  porte  le  12  mars  1360  :  mais  comme  en  celte  année 
Pâques  tombait  le  10  mars,  et  comme  les  bulles  des  papes  dataient  l'année  suivant  le  vieux  slvie,  ou  peut  tenir  à  la 
date  de  1561  donnée  par  Suffridus  Pelri. 

'  Boxiiornius,  Zelandiac  chronicon,  p.  55  :  p'ir  cum  primis  doctus  et  sapiens ,  et  qui,  ducis  Jlbani  con- 
silia,  semper  ut  poteral,  compressit.  —  Cfr.  Considérations  sur  l'hist.  de  t'Univ.  de  louvain,  pp.  20  et  71. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  39i 

alors  répondu  avec  force  :  «  Aunoiicez-nioi,  je  vous  prie,  l'arrivée  des  assassins,  afin 
»  que,  révéla  de  mon  costume  épiscopal,  je  puisse  être  séparé  de  mon  troupeau,  et 
»  succomber  pour  mon  troupeau  comme  évêque.  » 

Quelques  années  après,  la  ville  de  Middelbourg  fut  assiégée  par  les  troupes  du  prince 
d'Orange.  Nicolas  de  Castro  qui  avait  toujours  désiré  le  martyre  resta  dans  la  place;  avant 
la  fin  du  siège,  il  fut  enlevé  par  une  maladie  subite  et  violente,  âgé  de  70  ans,  le  16  mai 
1575.  Comme  saint  Augustin  qui  n'avait  pas  voulu  abandonner  Hippone  cernée  par  les 
Vandales,  il  mourut  avant  l'assaut  et  n'eut  pas  la  douleur  de  voir  sa  ville  épiscopale  livrée 
aux  fureurs  de  l'ennemi  *.  Nicolas  à  Castro  fut  enterré  dans  sa  cathédrale,  mais  son 
tombeau  resta  sans  épilapbe  à  cause  des  malheurs  de  l'époque. 

On  attribue  à  Gramaye  deux  vers  en  son  honneur  qui  jouent  sur  son  nom  et  sur  sa 
qualité  d'ancien  maître  de  philosophie  au  Faucon';  nous  les  donnons  pour  ce  qu'ils 
valent  : 

A  Castro  ad  liiirgmn  properal,  Pracsulque  Zelaiidis 
Esl  :  per  terrain  aeqne  ac  pcr  mare  Falco  volât, 

G.  JoANNES  Reineri  Weerthanus. 

(1544-1559.) 

Jean  Reineri,  dit  Weerthanus  (vulgo  de  Weerdl),  était  natif  de  la  Gueldre.  En  1518, 
il  avait  été  second  d'entre  cent  cinquante-huit  maîtres  es  arts,  comme  élève  du  Château, 
et  il  fut  ensuite  professeur  de  philosophie  ou  régent  dans  cette  pédagogie  :  peut-être  y 
remplit-il  tour  à  tour  l'une  et  l'autre  de  ces  fondions'.  En  1544,  Jean  Reineri  devint 
président  du  collège  de  Busleiden*,  et  obtint  peu  après  le  grade  de  licencié  en  théo- 
logie. Le  1"  mars  1544,  il  prit  possession  d'une  prébende  de  chanoine  de  Saint-Donat 
de  Bruges,  obtenue  par  voie  de  nomination  académique.  En  1558,  il  fut  élu  par  le 
souverain  et  le  chapitre,  doyen  de  l'église  collégiale  de  Saint-Jean  l'Évangéliste  à 
Bois-le-Duc,  en  remplacement  de  Gérard  van  Gameren ,  mort  le  18  juillet  de  la  même 
année.  Reineri,  qui  avait  quitté  Louvain  en  1559,  mourut  le  14  octobre  1560. 

7.  Melchior  van  Ryckenroy. 
(1B59-1570.) 

Natif  de  Malines,  Melchior  Van  Ryckenroy,  bachelier  en  théologie,  fut  d'abord  vice- 
curé  (vice-curatus)  à  Saint-Pierre,  et  puis  chapelain  (capellanus)  de  la  même  église.  Pré- 

'  Voy.  (le  Ram,  Orat.  de  Laudibus,  etc.,  p.  44. 

'  Nicolas  à  Caslio  avait  fondé  une  bourse  dans  cette  pédagogie. 

=  Notes  de  Bax,  f.  1417.  Ibid.,(.  lOGO,  1080. 

'  Au  temps  de  sa  présidence  se  rapporte  l'éloge  que  J.  Vendeville  faisait,  en  mai  1357,  de  l'assiduité  exemplaire 
des  professeurs  du  Collegium  trilingue  dans  leurs  fonctions  d'enseignement.  Lettres  inédites  adressées  à  riglius , 
p  22.  (Extr.  des  Eulletins  de  la  Commission  royale  d'Itistoire,  t.  Il,  2™'  série,  n'  3.) 

Tome  XXVIII.  SI 


392  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

sidenl  du  collège  des  Trois-Langues  avant  la  lia  de  l'année  1559,  il  reçut  plus  tard  le 
grade  de  licencié  en  théologie,  et  fut  élu  recteur  de  l'Université,  le  28  février  1370  '.  Il 
avait  été  nommé  curé  à  Grootsundert,  bourg  du  territoire  de  Bréda;  il  mourut  peu  de 
temps  après,  à  une  date  non  certaine,  mais  du  moins  avant  la  seconde  moitié  de 
l'an  1578;  en  effet,  son  cousin,  Augustin  Hunnœus,  docteur  en  théologie,  dans  son 
testament  fait  le  3  septembre  1578,  manifesta  le  désir  d'être  enterré  près  de  Melchior, 
sous  la  même  pierre,  avec  une  épilaphe  gravée  sur  cuivre  qui  rappelât  modestement  leurs 
titres  à  tous  deux^. 

8.  JoANNES  Verhaghen  Riemenensis. 

(1371-83.) 

Jean  Verhaghen  était  né  à  Rymenant,  bourg  situé  près  de  la  Dyle  à  uue  lieue  et  demie 
deMalines;  il  fut  proclamé  docteur  es  droits  le  27  août  1570^,  et  déjà  en  1572,  il  rem- 
plaça J.  Molinœus  comme  professeur  royal  des  décrets  {Professer  Decrelorum  regius);  il 
fut  élu  recteur  quatre  fois,  dont  deux  fois  à  la  demande  de  la  Faculté  de  droit  civil ,  et 
il  eut  aussi  les  fonctions  d'official  à  la  cour  souveraine  de  Malines  *.  Jean  Verhaghen 
avait  été  nommé  en  1571  président  du  collège  de  Busleiden,  et  il  conserva  cette  charge 
jusqu'à  sa  mort,  le  2  septembre  1585.  Après  lui,  le  collège  resta  sans  président  jusqu'aux 
premières  années  du  XVII""  siècle. 

9.  Adrianus  Baecx  a  Barlandia. 

(1606-1624.) 

Adrien  Baecx  van  Barlandl,  naquit  à  Malines,  le  9  août  1574*.  Après  avoir  fait  son 
cours  de  philosophie  au  collège  du  Porc,  il  embrassa  l'état  ecclésiastique,  et  puis  s'ap- 
pliqua sérieusement  au  droit.  Quand  il  fut  devenu  président  du  collège  des  Trois-Langues 
le  4  février  1C06,  il  remplit  cette  charge  avec  beaucoup  de  sagesse  et  de  bonheur,  comme 
on  l'a  vu  au  chapitre  IV  (pp.  103-107};  il  poursuivit  cependant  ses  études  juridiques, 
obtint  en  1607  le  grade  de  licencié,  et  fut  proclamé  docteur  le  50  août  1616  ". 

Adrien  Baecx  était  aussi  chanoine  et  grand  chantre  à  Saint-Pierre  depuis  I6!l:  il 
eut  en  1619  les  honneurs  du  rectorat,  et  c'est  par  déférence  pour  sa  personne  autant 
peut-être  qu'en  considération  de  son  origine  et  de  sa  naissance  qu'il  reçut  dès  1615  le 

'  /''asti  Àcad-,  pp.  Ai ,  278. 
'  Recueil  de  Bax,  f.  1417. 

'  Doctores  U.  J.  Fasti  Acad.,  \i.  197.  Vbi  Epitaphium. 
*  fasti  Acad.,  p.  45. 

=  Recueil  de  Bax,  f.  M\>^.  -  Suivanl  Valère  André,  Fasli  (p.  20G),  le  3  des  Kalendes  d'am'il,  c'esl-à-dire  le  28 
juillet  1374. 

'  Fasti ,  p.  206  ;  le  31  aoûl  1014. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  593 

titre  de  président  du  collège  de  Malines  d'Arnold  Trot'.  Baecx  résigna,  en  1U24,  toutes 
ses  charges  et  dignités,  et  quitta  Louvain  où  il  laissa  la  réputation  d'un  homme  instruit 
et  d'un  administrateur  habile"-.  Il  se  retira  à  Orschot  (in  Oorscholo) ,  dans  la  mairie  de 
Bois-le-Duc  [Stjlvae  Ducis  majoralus),  où  il  lut  doyen  et  chanoine  de  l'église  collégiale 
de  Saint-Pierre.  On  présume  qu'il  fut  privé  en  1G29  de  son  doyenné,  quand  les  Hollan- 
dais abolirent  en  cette  contrée  l'exercice  public  de  la  religion  catholique. 

1(J.  Fridericis  Havens. 

(162G-1C47.) 

Frédéric  Havens  de  Louvain,  était  fils  de  Thierry  (Theodoricus)  Havens,  receveur  des 
États  ^.  Il  était  licencié  es  droits,  et  il  avait  le  rang  de  protonotaire  apostolique,  quand 
il  devint  en  1G26  président  des  Trois-Langues ,  après  la  retraite  de  Baecx;  le  7  août 
162,5,  il  succéda  au  même  dans  ses  fonctions  de  chanoine  et  de  chantre  en  la  collégiale 
deS'-Pierre.  En  1629  et  en  1638  (août),  Fr.  Havens  fut  recteur  de  l'Université  *;  il 
est  mort  le  4  novembre  1049,  et  non  en  1648,  comme  le  dit  Paquot  dans  la  courte 
notice  qu'il  lui  consacre  ^. 

On  conservait  au  collège  de  Malines  un  discours  manuscrit  de  Havens  sur  cette  ques- 
tion ''  :  Magni-ne  aeslimanda  sit  pulchriludo  in  Principe? 

1 1 .  Philippus  Bellenus. 

(1648-1693.). 

Philippus  Bellens,  de  Louvain,  était  fils  de  François  Bellens  et  de  Marie  Rogglie'. 
Bachelier  en  théologie,  il  devint  recteur  ou  curé  de  l'hospice  civil  à  Louvain,  où  il 
exerça  ses  fonctions  de  1644  à  1674.  Élu  président  du  collège  le  lo  mai  1648,  il  conserva 
cette  dignité  jusqu'à  sa  mort,  en  l'année  1695;  il  fut  enterré  le  27  octobre  en  l'église 
de  S'-Jacques  où  il  avait  fait  ériger  un  monument  à  ses  aïeux  et  parents  du  nom  de 
Bellens  avec  une  inscription  latine  rappelant  son  titre  académique  :  Pracses  collegii  Bus- 
lidiani  Trilinguis^. 

'  Le  CoUegium  Mechliniense  était  iinu  fondation  du  XV""=  siècle,  qui  ne  fut  pas  administrée  régulièrement  faute 
de  ressources  pour  rentrelien  d'un  collège.  (Fasti ,  p.  329.) 

-  Voy.  Paquot,  Mémoires,  t.  III,  pp.  233-54. 

^  Recueil  de  Bax,  f.  1419. —  Jean  Arnold  Havens,  capitaine,  était  l'oncle  de  Frédéric,  et  l'avocat  Pierre  François 
Havens,  son  frère. 

'  Valére  André,  Fasti ,  pp.  47  et  48. 

^  Mémoires  sur  l'histoire  littér.,  t.  III,  p.  254.  —  L'abbé  Bax  fixe  la  première  date  d'après  le  Directorium  de 
S'-Pierre  où  Havens  avait  fondé  un  anniversaire. 

"^  Paquot,  Fasti  y/cad.  Lov.,  t.  I,  p.  47'J. 

'  Son  aïeul ,  Jean  Bellens,  originaire  de  Rethy  en  Campine,  avait  été  le  troisième  dans  le  concours  de  1357;  il  était 
licencié  es  droits,  et  il  fut  promu  recteur  de  l'Université  en  février  1539.  iVotes  de  Bax,  f.  1419.  —  Paquot  (ait  mention 
de  Pli.  Bellens,  dans  une  note  de  ses  mémoires ,  t.  III ,  p.  234, 

*  L'inscription  a  été  transcrite  par  l'abbé  Bax  ,  f.  1420. 


594  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

12.  LuDOvicus  Franciscus  Deens. 

(1693-1725.) 

Louis  François  Deens,  de  Louvain,  naquit  en  1650  d'une  famille  patricienne  de  celte 
ville;  il  était  fils  de  Jean  Deens  et  d'Anne  Cremers'.  Après  son  cours  de  philosophie,  il 
devint  bachelier  en  théologie  et  reçut  la  prêtrise.  En  168(>,  il  fut  nommé  chanoine  de 
S'-Jacques  à  Louvain,  et  en  1G95,  président  du  collège  de  Busieiden.  Il  avait  rempli 
cette  dernière  charge  pendant  trente-trois  ans,  quand  il  mourut  des  suites  d'une  longue 
hydropisie,  le  15  novembre  1723.  L'épitapbe  latine  qui  était  placée  sur  son  tombeau, 
dans  la  chapelle  de  S'-Hubert  à  S'-Jacques,  apprenait  que  Louis  Fr.  Deens  réunissait  à 
ses  autres  litres  ecclésiastiques  et  universitaires,  celui  de  protonotaire  apostolique.  Le 
legs  qu'il  aurait  fait  au  collège  ne  figure  point  dans  les  relevés  des  finances  de  la  fon- 
dation ". 

15.  Leonardus  Josephus  Streithagen. 

(1723-1752.) 

Léonard  Joseph  Streithagen,  de  Louvain,  était  le  frère  d'Égide  François  Streit- 
hagen, qui  fut  chancelier  de  Brabanl  et  qui  mourut  le  o  mars  17G9.  Il  fut  élu  le 
15  novembre  1725  président  du  collège  des  Trois-Langues,  où  il  resta  jusqu'en  17.^2. 
En  celte  dernière  année,  il  obtint  la  présidence  du  collège  de  S'-Yves,  après  la  mort  de 
Gaspar  Magermans,  et  y  ajouta  en  1757  celle  du  collège  de  Savoye.  Depuis  l'an  1752, 
Streithagen  portait  le  titre  de  docteur  es  droits,  et  il  eut  ensuite  le  rang  de  professeur 
ordinaire  dans  la  faculté  de  droit  '.  Il  mourut  à  l'âge  d'environ  80  ans ,  le  25  mai  1777. 

14.    MaRTINUS    CiELDOLPHUS    VaiNDERBUECKEN. 
(17.';2-1739.) 

Martin  Geldolphe  Vanderbuecken  ,  fils  de  Geldolphe  Vanderbuecken  et  de  Marie  Thé- 
rèse Bollens,  issus  tous  deux  de  famille  patricienne,  naquit  à  Louvain  le  25  novembre 
1711.  Vingt-troisième  dans  la  promotion  de  1751,  il  fit  ses  études  théologiques  au  col- 
lège du  Pape  et  parvint  très-vite  au  grade  de  bachelier.  Après  qu'il  eut  reçu  les  ordres 
en  1757,  il  fut  attaché  à  la  paroisse  de  S'-Jacques  à  Louvain.  En  1743,  il  passa  à  la  cure 
de  Campenhoudt  par  voie  de  nomination  acadèmiiiue;  mais  le  IG  avril  1750,  il  fut  élu 
par  le  magistrat  de  Louvain  pléban  de  l'église  collégiale  de  S'-Pierre,  à  la  grande  satis- 
faction de  tous  les  habitants.  Enfin,  en  1731,  il  obtint  le  21  avril  le  grade  de  licencié 

'  lin  fière  de  L.-F.  Deens,  du  nom  de  Guillaume,  était  secrétaire  de  la  ville  de  Loiiv.iin,  et  il  s'était  fait  (|iieli)ue 
réputation  comme  jurisconsulte  et  comme  avocat  de  la  ville;  il  mourut  en  1720. 

'  Legnvit  quaedam  capitula  Sancti  Jacobi,  item  coUegio  TrUingui.  Recueil  de  Bax  ,  f.  1421. 

=  Streithagen  fut  promu  le  21  octobre  1732  avec  Christ.  Robert  et  Chrétien  Bombaye.  Voy.  le  Siippl.  aux  Fastes  du 
doctorat  Aîns  Y  Annuaire  de  l' Vniv.de  Louvain  ,  années  184'i,  pp.  149  150. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  395 

en  théologie,  el  fut  admis  le  28  mai  suivant  dans  le  conseil  de  la  Faculté  de  théologie. 
L'an  1752,  Vanderbuecken  fut  nommé  par  le  prince  Charles  de  Lorraine  gouverneur 
des  provinces  belgiqucs,  chanoine  de  première  fondation  en  la  collégiale  de  S'-Pierre. 
Le  18  avril  de  la  même  année,  il  fut  élu  président  par  les  proviseurs  du  collège  de 
Busleiden,  et  le  28  octobre,  il  fut  admis  au  nombre  des  patriciens  de  la  ville'.  Il  allait 
succéder  à  J.-B.  Cocquetle  dans  la  présidence  du  collège  de  Houterlé,  quand  il  fut 
frappé  d'une  mort  inopinée  le  13  septembre  1759 ,  à  l'âge  de  48  ans.  On  faisait  honneur 
à  M.  G.  Vanderbuecken ,  d'une  certaine  élégance  de  langage,  d'une  grande  aptitude  à 
traiter  les  affaires  difTiciles,  de  beaucoup  de  charité  envers  les  pauvres  et  d'un  grand 
zèle  pour  rendre  service  au  prochain. 

13.  Franciscus  Jacques,  d ictus  Jacobi,  Wavriensis. 

(1739-1783.) 

François  Jacques,  dit  Jacobi,  était  né  à  Wavre  le  13  octobre  1725;  il  fut  élève  de  la 
pédagogie  du  Château  et  obtint  la  seconde  place  dans  la  promotion  de  1748^  Après  avoir 
étudié  la  théologie  au  collège  du  Pape,  il  devint  prêtre,  et  fui  nommé  confesseur  et 
prédicateur  français  à  Saint-Pierre. 

François  Scheppers  étant  venu  à  mourir  le  1 1  août  1737  ,  Jacobi  lui  succéda  dans  sa 
charge  de  censeur  el  visiteur  apostolique  et  royal  des  livres  dans  les  Pays-Bas  (Lihronm 
censor  Recjius  el  Apostolicus);  charge  à  laquelle  élail  attaché  un  canonicat  de  S'-Pierre 
à  Louvain.  Le  9  mai  1758,  il  fut  promu  à  la  licence  en  théologie,  et  le  21  septembre 
1759,  il  remplaça  Vanderbuecken  dans  la  présidence  du  collège  des  Trois-Langues.  Il 
v  mourut  le  1 1  novembre  1783 ,  âgé  de  58  ans.  On  remarque  le  sens  profond  des  termes 
ainsi  qu'un  style  ferme  et  correct,  dans  les  formules  de  l'approbation  que  Jacobi  donna 
à  plusieurs  ouvrages  publiés  de  son  temps,  par  exemple  à  ceux  de  Paquot. 

J6.  Henricus  Wouters. 

(1783.  sq.) 

Henri  Wouters,  de  Louvain,  appartint  à  la  pédagogie  du  Château,  et  fut  le  sixième 
de  la  seconde  ligne  dans  la  promotion  de  1770.  Il  fut  ensuite  élève  au  grand  collège  des 
théologiens,  obtint  le  50  avril  177G,  le  grade  de  licencié,  et  au  mois  de  juillet  de  la 
même  année,  fut  fait  lecteur  ou  vice-président  du  petit  collège  des  théologiens. 

'  Inter patridos  hujus  oppidi  admittitur.  —  Bax,  f.  1422. 
Promotiones  in  ariibus.  MSS.  cité ,  fol.  33 ,  où  sont  énumérés  tous  les  titres  de  Jacobi  que  nous  détaillons  dans  la 
notice.  L'abbé  Bax  (fol.  1423)  lui  donne  le  prénom  de  Jean,  et  le  dit  61s  d'un  Jean  Jacques,  licencié  es  droits,  et 
avocat  à  Wavre.  Le  prénom  de  François  lui  est  donné  dans  le  texte  des  approbations  dont  il  a  revêtu  plusieurs  livres  à 
titre  de  censeur. 


596  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

En  1779,  Woulers  fui  désigné  par  les  proviseurs  du  Faucon,  pour  succéder  en  qualité 
de  régent  à  J.-B.  Mondet,  qui  se  retirait;  mais  il  ne  put  prendre  possession  de  celle 
charge,  en  raison  de  l'opposition  que  fit  le  gouvernement  d'alors  à  l'exercice  du  droit 
des  proviseurs. 

Puis,  le  15  novembre  1783,  Woulers  fut  nommé  président  du  collège  de  Busieiden 
par  les  |)roviseurs  de  cet  établissement,  et  probablement  il  conserva  cette  dignité  jus- 
qu'en 1786  ou  1787. 

C'est  en  178G,  que  Woulers  accepta  une  charge  de  professeur  dans  le  nouveau  sémi- 
naire général,  et  prit  dans  ses  attributions  le  cours  d'Écriture  Sainte,  s'étendant  à  l'An- 
cien et  au  Nouveau  Testament  '. 

En  1792,  le  24  mai,  Woulers  fut  nommé  doyen  du  chapitre  de  Leuze.  Dès  1794,  il 
quitta  la  Belgique  lors  de  l'entrée  des  Français,  et  se  retira  en  Allemagne.  Il  mourut, 
dit-on,  à  Prague,  en  Bohème,  vers  1820. 

17.  JOANNES  JOSEPHL'S   VaNDEN  FLlSKEN. 

(17U0-0".) 

.lean  Joseph  Vandeu  Elsken,  né  à  Alsemberg  Notre-Dame,  après  avoir  été  élève  du 
séminaire  archiépiscopal  de  Malines,  et  du  collège  d'Arras  à  Louvain,  reçut  le  baccalau- 
réat en  théologie,  puis  devint  prêtre  et  confesseur  en  l'église  du  Béguinage  à  Louvain. 

En  1788  ou  1789,  à  l'époque  oij  l'Université  était  bouleversée  par  les  réformes  du  gou- 
vernement autrichien ,  Vanden  Elsken  se  retira  à  S'-Trond ,  et  il  passa  pour  avoir  été  vers 
ce  temps  l'auteur  ou  l'éditeur  des  pamphlets  publiés  contre  le  séminaire  général  ^.  Tombé 
entre  les  mains  des  soldats  autrichiens  que  le  gouvernement  avait  envoyés  à  sa  poursuite 
au  delà  des  limites  de  son  territoire,  il  fut  délivré  de  leurs  mains  par  des  paysans. 

Quand  l'Université  fut  reconstituée  en  1790,  Vanden  Elsken  fut  nommé  à  la  prési- 
dence du  Collegium  Busiidianum ,  qu'il  conserva  jusqu'à  la  suppression  de  l'Université 
en  1797.  Il  fut  aussi  protonotaire  apostolique;  mais  il  ne  posséda  qu'une  seule  année, 
jusqu'au  rétablissement  de  l'autorité  impériale,  le  canonicat  de  première  fondation  à 
S'-Pierre  que  les  états  du  Brabant  lui  avaient  conféré  le  9  mars  1790  ^ 

Dans  la  suite,  Jean  Joseph  Vanden  Elsken  devint  curé  de  Humbeke  dans  le  district 
de  Cappelle  près  du  canal  de  Bruxelles,  et  il  mourut  dans  cette  localité  le  1"  avril  1803. 

'  Voy.  Tli  '.luste,  Essai  sur  l'Iiist.  dcl'instr.  publ,  p.  201.  —  Rapédius  de  Berg,  Mémoires,  t  II,  p.  53. 

^  Sub  nomine  Ernesli  et  Sinceri  Keuremenne. 

'  Celait  la  |)r('liende  à  laquelle  élail  annexée  la  charge  de  Censeur  apostolique  el  royal  des  livres. 


DES  TROIS-LAiSGUES  A  LOUV  AIN.  397 

F. 

(  Voir  tllu|).  IV,  |i.  111.) 

Copie  de  l'arre'té  en  date  du  13  avril  1821,  relatif  au  rélablisseinenl  et  à  la  deslinatiuu  des 
fondations  de  l'ancien  collège  de  Busleiden.  (Extrait  du  registre  des  arrêtés  du  ministre 
pour  l'instruction  publique,  l'industrie  nationale  et  les  colonies,  le  lô  avril  1821.) 

1°  Lecture  ayant  été  faite  de  l'arrêté  royal  du  26  décembre  1818,  qui  ordonne  le 
rétablissement  des  fondations  de  bourses  pour  études,  et  attribue  au  ministre  de  l'instruc- 
tion publique,  de  l'industrie  nationale  et  des  colonies,  le  droit  de  le  prononcer; 

2"  Des  statuts  des  fondations  annexées  à  l'ancien  collège  de  Busleiden,  dit  des  Trois- 
Langues  à  Louvain  ; 

5°  D'un  état  de  biens,  rentes  et  revenus  appartenant  ci-devant  à  chacune  des  fondations; 

4°  D'un  état  des  rentes  qui  y  sont  dues  par  des  villes  ou  communes; 

5°  Du  rapport  de  la  Commission  des  bourses  du  10  de  ce  mois. 

Il  a  été  résolu  : 

Art,  1".  Les  fondations  de  l'ancien  collège  de  Busleiden  sont  rétablies,  les  revenus 
qui  en  subsistent  seront  divisés  en  bourses  de  100  à  loO  florins  chacune  qui  devront 
être  conférées  à  des  régnicoles  des  Pays-Bas; 

Art.  2.  Les  études  devront  être  faites  dans  un  des  établissements  d'instruction  pu- 
blique du  royaume  qui  sont  reconnus  par  le  gouvernement; 

Art.  ô.  Il  y  aura,  comme  par  le  passé,  trois  proviseurs  de  ces  fondations  aux(iuels 
appartiendra  à  l'avenir  le  droit  de  nommer  l'administrateur-receveur  desdites  fondations, 
de  surveiller  sa  gestion  et  d'entendre  annuellement  ses  comptes.  Ces  proviseurs  seront 
les  curés  de  S'-Pierre,  de  S'-Gertrude  et  de  S'-Michel  à  Louvain. 

Le  sieur  Simons,  ancien  président  du  collège  du  Porc  à  Louvain,  est  nommé  à  cette 
place  d'administrateur-receveur.  Il  poursuivra  immédiatement  le  recouvrement  des  biens 
et  rentes  des  fondations  et  de  leurs  revenus  arriérés.  Il  proposera  audit  ministre,  de  con- 
cert avec  les  proviseurs,  le  meilleur  emploi  au  profit  de  ces  fondations  de  ceux  de  tes 
revenus  dont  il  fera  le  recouvrement. 

Il  rendra  chaque  année  compte  de  sa  gestion  aux  proviseurs;  ce  compte  leur  sera 
remis  en  double  minute,  dont  l'un,  après  qu'ils  l'auront  approuvé,  sera  transmis  par  eux 
à  la  députation  des  étals  du  Drabant  méridional; 

Art.  4.  La  collation  des  bourses  appartiendra  pour  une  moitié  au  chapitre  de  Malines, 
et  pour  l'autre  moitié  au  premier  bourgmestre  et  au  curé  primaire  d'Arlon  ; 

Art.  5.  Les  biens  et  renies  desdites  fondations  seront  régis  conformément  aux  règles 
et  mode  établis  pour  la  régie  des  biens  et  rentes  d'établissements  publics; 

Art.  6.  Les  frais  d'administration  et  de  recette  réunis  ne  pourront  s'élever  au  delà 
deo  p.  %  du  revenu  effectif  de  la  fondation; 


398  MÉMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

Art.  7.  Cinq  expéditions  du  présent  arrêté,  les  statuts  des  fondations  du  collège  de 
Busleiden,  l'état  des  biens,  rentes  et  revenus  anciens,  et  l'étal  des  rentes  de  ces  fonda- 
tions dues  par  des  villes  et  communes  seront  adressés  avec  la  lettre  suivante  à  monsieur 
le  gouverneur  du  Drabant  méridional  pour  être  transcrits,  conformément  à  l'art.  9  de 
l'arrêté  royal  du  20  décembre  1818,  dans  le  registre  à  ce  destiné,  tenu  au  greffe  des  états 
de  cette  province  et  être  ensuite  transmis  : 

Une  expédition,  les  statuts  et  états  aux  proviseurs  et  administrateur-receveur  nommés; 

Une  expédition  au  chapitre  de  Malines; 

Une  expédition  au  premier  bourgmestre  et  au  curé  primaire  d'Arlon; 

Une  expédition  à  chacune  des  régences  de  Bruxelles  et  de  Louvain ,  chargées,  aux 
termes  de  l'arrêté  de  S.  M.  du  4  mai  1819,  de  payer,  à  partir  du  1"  janvier  1819,  les 
renies  dont  ces  villes  sont  débitrices  envers  ces  fondations. 

Art.  8.  Invitation  sera  faite,  par  la  lettre  ci-après,  à  monsieur  le  gouverneur  de  la 
province  de  Namur,  d'informer  la  régence  de  Namur  du  rétablissement  des  fondations 
du  collège  de  Busleiden,  pour  qu'elle  ail  à  prendre  les  mesures  nécessaires  à  l'eflet  de 
payer  également  à  partir  du  1"  janvier  1819,  les  rentes  que  celle  ville  y  doit.  Conforme 
au  registre. 

Le  secrétaire  chargé  de  la  1"  division, 

L.    G.    VAN   EWYCK. 


G. 

fVoirchsp.  V,  p.  119.) 

Extraits  du  travail  de  Martin  Dorpius  composé  pour  servir  à  la  représentation  de  /'Aulu- 
LARiA  DE  Plaute  AU  COLLÈGE  du  Lis ,  le  ô  Septembre  1Ij08  '.  Ad  Lovanienses  invitatiun- 
cuLA  ad  spectandam  Allulariam  Plauti  ,  completam  a  Dorpio;  quae  acta  est  in  Liiio  per 
primarios  discipulos  Dorpii,  tertio  nonas  septembres,  anno  millesimo  quingentesitno 
octavo. 

Ut  inlelligant  polilioris  litleraturae  amasii,  Lovanienses  quoque  nonnihil  in  lilteris 
mussilare,  cras,  hora  nona  auleraeridiana,  Musis  propiciis,  agetur  in  famigeralo  gym- 
nasio  Lilii  Aulularia  :  comoedia,  per  Jovem,  una,  quotquol  sunl  Plaulinae,  omnium 
bellissima,  argutissima,  salsissiraa.  Eam  Martinus  Dorpius,  qui  et  ipse  praeest  gregi  illic 
actuio,  quum  essel  (ut  noslis)  imperfecta,  ita  complevil,  et  quidem  versibus  comicis,  ul 
aiiquol  doctis  (nam  vulgus  nihil  moratur)  laborem  videalur  neuliquam  maie  collocasse. 
Cujus  si  quis  forle  curiosulus  quoddam  veluti  degustamentum  eupiat,  is  gymnasium  Lilii 

'  Analectes  de  M.  de  Nélis,  t.  l.  |>p.  72-73. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  399 

adeal,  invenlurus  illic  Prologum  Dorpiauum  ia  tolam  Auhilariam,  valvis  allixum,  atque 
cum  versibus  ilidem  comicis. 

Quicunique  philomusi  csUs,  quicumquc  vel 

Amatis  Atticos  sales ,  vel  ipsius 

Latiac  nitorcni  linguae,  adostc,  et  quidquid  est 

Ncgotii,  pou  i  te.  Vobis  acturus  est 

Plauli  grex  Lilianus  Aululariam 

Quac  fabularum  una  est,  quas  Plautus  scripserif , 

Joco,  lepore,  argutiis  bellissima. 

Qui  nossc  caelera  volt,  is  adesto  craslino. 

Curabilur,  Musis  belle  juvantibus, 

Ne  quempiam  ventilasse  poeniteat. 


Prolocus  Martini  Dorpii  in  Aululariam  Plauti. 

SalQte  multa  vos  pro  more  impartior, 
Quicumque  adestis,  speclatores  candidi  : 
Nigros  siquidem  (ni  se  abluerint)  nihil  moror. 
Comocdiam  actitabimus  Aululariam  ; 
Quae  fabularum  una  est,  quas  Plautus  scripseril, 
Joco,  lepore,  argutiis  bellissima. 
Sat  se  poeta,  sat  laudarit  fabula, 
ïali,  herele,  vino  hederam  inscitum  est  suspcnderc. 
Caeterum  haud  fallit  me  :  contorquctis  capita. 
Susurrantes,  bacc  impcrfecta  'st  fabula. 
Est,  hercle,  vcrum;  qui  nostro  pracest  gregi, 
Is,  scilicet",  est  Plautina  factus  simia. 
A  Plauto  doctus  ipso,  quamvis  mortuo, 
Quod  deerat,  id  pro  virili,  codera  fere 
Quoad  potis  est,  peniculo  appingere. 
Porro  id  quantum  fiet  negotii,  Veneris 
Apelleae  partem,  inferiorem  absolverc, 
Hic  démuni  sentient,  quicumquc  harcnula 
Fn  eadem  colluctantes  desudaverint. 
Nae  illi  pluteum  ferlent,  et  ungues  denique 
Vivos  arrodent,  et  caput  scabent  suum. 
Plauti  jocos,  sales,  venerem,  plus,  pcr  Jovem, 
Quam  Atlicam,  et  illam  Romanam  elegantiam, 
An  conscquutus  est,  haud  ausim  asserere. 
Nam  quid  foret  jactantius,  aut  dementius? 
Conatus  oppido  est  (nara  ingénue  fatcbimur) . 
Appendicem  ex  Plauti  farina  anncctere, 
Quam  Plautus  ipsus  in  pistrino  comico 
Moluit  :  nam  egit  (ut  probe  nostis)  trusatiles 
Tome  XXVIII.  ko 


400  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

Tantus  poeta  molas,  coactus  inopia. 

Jam  vero  censuram  haud  ita  deprecabimur 

Vestram,  modo  aequi  omncs,  et  sitis  candidi  : 

Modo  rcputet  sccum  quisque  diutulc, 

Num  dura  sit  provincia,  horaini  penitus 

Âdulescenti,  a  mutis  docto,  et  duntaxat  iis 

Magistris;  qui  nullas  Alpes  transceiideril, 

Nullas  adierit  Athcnas,  linguae  gratia 

Ornandac;  nato  ad  cxtremum  ferme  angulura 

Totius  orbis.  Huic  num  est,  quaeso,  negotii 

Res  neuliquam  minuti,  Plautum  exprimere? 

Comicum  scilicet  tam  varium,  amplissimum  : 

Verborum  et  rerum  majcstate  principcm. 

At  erunt  fortasse  qui  faciles  fatcbuntur  hoc; 

Verum  ob  id,  inquient,  non  coeptnm  oportuit. 

Humeri  hoc  onus  tenolli  si  non  sufferunt, 

Cur  suscipis?  Ibi  Critici  responsum  habenio  sic. 

Si  tantisper  doctissimus  quisque  abstineal, 

Vel  a  scribendo,  vcl  edendo  quippiam  : 

Dum  nil  ab  amussi  discrcpct,  et  puncla  dum 

Ferat  oninia  :  dispeream,  si  scribat  quispiam. 

Ita  comparatum,  ut  nil  sit  humanae  rei 

Absolutissimum,  quin  ungucs  uspiam 

Periliorum  liians  rcmoretur  quippiam. 

Postremo ,  si  quis  Momus  crit  moleslior, 

Is  noverit  bifrontes  Janos  esse  nos  : 

Quos  nulla  inipune  ciconia  pinsuerit 

A  tergo;  et  est  nobis  non  rctunsus  stilus, 

Quo  blacterantes  istos  insectabimur, 

Quis  nil  placet  nisi  domi  natum  suae. 

Verum  enimvero  malunius  per  gratias 

(Nam  dicendura  est  iterum)  aequos  et  candidos, 

Quin  conniventes,  si  quando  opu  'st,  judices. 

Sed  heus  vos,  heus,  practcricram  penussime, 

Quod  dicluni  oportet  imprimis  :  videlicet. 

Ne  quis  loquaculus  esto  :  neu  turbato  quis  : 

Neu  quid  prorsus  loquitor  :  nam  qui  jam  nunc  senex 

Prodibit,  is  quemcunique  forte  audivcrit, 

Furem  illico  vocitabit,  inque  jus  rapiet  : 

Quod  rapiunda  super  aula  consuluerit. 

Nondum  tacctis,  ultimus  ille  mussitat? 

Decretuni,  pol,  jam  promulgabo  scenicum, 

Quod  cum  grege  sanxit  impcrator  histricus. 

Quicnmque  lingulax  fuat,  bue  raptabitur; 

Et  cjus  fiel  lingua  conmiunis  gregi. 

Abeo,  tacete ,  quolquol  estis,  obsccro. 


DES  TROIS-LANGLIES  A  LOUVAIN.  40i 


CoMPLEMENTUM  Martini  Dorpii  in  Aululariam  Plauti. 

Suivent  (  pages  75-84  des  .lna/ec<es)  les  scènes  en  vers  écrites  parle  poëte  du  I.is, 
pour  servir  de  supplément  à  la  pièce  originale. 

Enfin,  nous  donnerons  place  ici  à  quelques  vers  d'un  docteur  en  droit,  Judocus  Del- 
phus,  adressés  à  la  jeunesse  pour  louer  les  restitutions  de  Dorpius  dans  cette  comédie  '. 

Judocus  Delphus  ulriusque  juris  doclor  ad  studiosam  juventutem  in  laudem 

complementi  Aululariae. 

Tu  modo  Plautini  pubes  studiosa  Icporis , 

Cecropios  Lalio  quae  legis  orc  sales, 
Hue  ades  :  en  quondam  Silvani  perdita  luco, 

Nunc  tandem  misero  est  aula  reperta  seni. 
Et  quac  manca  fuit  mullis  jam  fabula  seclis, 

Integra  excelsum  toUit  in  astra  caput. 
Nec  novus  est  cupidas  auctor  qui  lacscrit  aures  ; 

Plautus  ab  infernis  hue  remeavit  aquis. 


H. 

Des  travaux  littéraires  d'Adrien  Barland.  (Appendice  au  chap.  VI,  §  I;  p.  142). 

Nous  n'avons  réuni  dans  cette  note  bibliographique  que  les  livres  et  opuscules  de 
Barland  qui  ont  trait  à  l'élude  des  lettres  et  surtout  des  auteurs  anciens  :  nous  n'avons 
pas  reproduit  la  série  des  traités  historiques  de  cet  auteur  ^,  quoique  Paquot  leur  ait 
donné  place  à  la  suite  de  la  notice  dont  nous  faisons  usage  ici.  (Fasti  academici  Lovan., 
I,  p.  480)  ;  nous  avons  en  quelques  points  complété  celte  dernière  notice  à  l'aide  de 
détails  empruntés  à  la  description  des  travaux  de  Barland  publiés  chez  Thierry  Marlens 
à  Loiivain  (Van  Iseghem,  Biographie  de  Th.  Marlens,  seconde  partie)  : 

1°  Dialogi  LXIU  ad  profligandam  e  Scholis  barbariem  longe  utilissimi.  —  Coloniae, 

'  Analectes  de  M.  de  Nélis,  l.  I,  p.  H8. 

■  Ces  traités  ont  été  réunis  en  un  seul  volume  publié  par  Bernard  Gualtherus  ou  Waltlier  ;  Uistorica  Hadriani 
Barlaniii  Rhetoris  Lovaniensis  nunc  primum  collecta  simulquc  édita.  Coloniae,  1003,  in-1-2".  —  Nous  indique- 
rons celles  des  pièces  insérées  dans  ce  volume  assez  rare,  qui  se  rapportent  à  l'histoire  littéraire. 


402  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

ap.  Euchar.  Ceivicoruum,  1350,  in-8°;  Aniverpiae,  1532,  in-8°;  ib.,  ap.  Mich.  Hille- 
nium  ,  lo34,  ib.,  1559,  8°.  —  Paiisiis,  ap.  Christ.  Wechelum,  do33,  in-8°;ib.  ap.  Mau- 
ritium  de  Porta,  1542,  8"... 

«  Prima  editio  quae  Lovanii  anno  1524  (ex  Epistola  nuntupatoria  ad  Carolum  de 
Croy)  prodiisse  videtur,  XLI  continuerit...  caeterum  hi  Dialogi  ab  Erasniiaaorum  elo- 
quentia  et  lepore  prociil  absunt.  » 

1!  est  constant  que  deux  éditions  des  Dialogues  format  in-8°,  parurent  à  Louvain  en 
mars  et  en  août  1524,  et  que  la  seconde  élait  augmentée  de  treize  dialogues  :  l'une  et 
l'autre  portaient  toutefois  le  même  titre  :  Dialogi  XLII  (sic)  per  Hadrianum  Barlandum 
ad  profligandam ,  etc.  (Voy.  la  Bibliographie  de  l'ouvrage  cité  du  P.  van  Iseghem  ,  n"  194 
et  195); 

2"  Epistola  de  ralione  studii  ad  Guilielmum  Zagaram  [Vid.  IJistorica,  pp.  27G-82); 

5°  ImlHulio  hominis  christiani  aphorismis  digesta.  Excusa  est  ad  calcera  Vitae  honestae, 
aut.  Hermanno  Schoten  Hesso  inscriplae.  Antverp.,  lypis  Ph.  Latii,  p.  2G,  in-12°.  — 
Lugd.,  1559,  in-12°.  (Voy.  Historica,  pp.  415-54)  ; 

4"  Instilutio  compendiosa  arlis  oraloriae  et  amplificandi  ex  Topicis  ratio  ; 

5°  Jocorum  veterum  ac  recentiorum  libri  III.  Antv.,  ap.  Mich.  Hilleniura,  1529,  in-8° 
et  Coloniae,  1529,  in-8''.  —  «  Primi  duo  jocos  variorum  scriptorum  seu  scite  dicta, 
lertius  aliquot  Martialis  Epigrammata  complectitur.  »  —  (Voy.  Historica,  pp.  551-412.) 

Une  première  édition  de  1524  a  dû  paraître  à  Louvain  :  Jocorum  veterum  ac  recentium 
duae  centuriae  cum  scholiis  Hadriani  Barlandi,  in-8°.  (Van  Iseghem,  n°  198); 

G°  Scholia  in  Sekctas  Plinii  Secundi  epistolas.  —  Scholia  in  Mcnandri  canttina  sive 
dicta  '.  V.  Joh.  Clericus  in  suis  Menandri  reliquiis. 

7°  Argumenta  et  commentarius  in  Publii  Tercntii  Comoedias  iti  quibus  et  artificium 
oslenditnr  oratorium  et  mulli  difjlcilcs  poelae  nodi  explicantur ,  guos  interprètes  alii  reli- 
querunt  -.  —  Lovanii,  Rulger  Rescius,  1550,  in-4°.  Francof.,  1557,  fol.  Paris.,  1552, 
fol.  (cum  Terentio)  ; 

8°  Enarrationes  in  VI  libros  priores  Aeneidos  Virgilianae,  e  vetusto  codice  (Douati) 
desumplae,  et  additionibus  auctae.  Aulverpiae,  Hillenius,  1529  et  1555,  in-4°.  — 
Recusae  in  aliquot  Edd.  Virgilii  cum  nolis  variorum. 

9°  In  primam  Ciccronis  Catilinariam  et  Philippicam  IX. 

10°  Iladr.  Barlandi  versuum  ex  Bucolicis  Virgilii  Provcrbialium  collectanea.  Ejusdem 
de  laudibus  amoenissimi  Lovanii.  Ode  hexamelro  iambicoque  dmietro  alternans.  .Martini 
Dorpii  iambicum  dimetrum  in  laudem  Barlandi.  —  Prostant  (Lovanii)  in  aedibus  Theo- 

'  Paquot  donne  ces  deux  recueils  de  glosses  comme  imprimés,  mais  il  ne  cite  ni  Heu,  ni  date.  Le  premier  des 
auteurs  a  été  publié  par  Barland,  en  1516  :  C.  Plinii  Secundi  Epistole  (sic)  familiares  cum  Barlandi  Sclioliis , 
in-^",  82  feuillets  (Van  Iseghem,  n"  100). 

'  Un  des  élèves  de  Barland,  Augustin  Reymarius,  avait  recueilli  une  partie  de  ces  gloses  dans  les  leçons  mêmes 
de  cet  humaniste,  ou  les  avait  extraites  de  ses  cahiers;  il  en  avait  tiré  lui-même  d'autres  des  anciens  grammairiens. 
Barland  en  fit  la  recension,  avant  qu'on  la  publiât  en  un  seul  volume  (1350).  Reymarius,  natif  de  Malines,  mourut 
fort  jeune  quand  déjà  il  s'était  distingué  dans  les  lettres.  On  imprima  un  de  ses  dialogues,  Ludus  chartarxim ,  danf 
nlusieurs  éditions  des  Dialogues  de  Barland.  Voj.  Foppens,  Bibl.  Behj.,  115. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIIN.  403 

dorici  Marliiii  Aloslensis,  pp.  30,  iii-4%  aniio  1514.  —  (La  Bibliographie  citée  de 
Th.  Marions  ne  dit  rien  de  ce  volume); 

ir  Hadriani  Barlandi  De  lileralis  urbis  liomae  Principibus  opusculuni.  —  Elisii 
Calentii  oppido  quam  élégantes  Epislolae  a  Barlando  recofjnitae  el  arguments  auctae. 
Menandri  dicta  eximia  ah  eodem  Barlando  adnolallonibus  aucla.  Ad  communem  studio- 
rum  utilitalem  atque  emolumenlum.  —  Proslaut  parvo  Lovanii  in  Bibliolheca  Theod. 
Martini  Alostensis  chalcographi  (1515,  in-4'').  —  (Voir  la  description  de  ce  volume 
dans  Van  Iseghem,  n"  89).  Le  litre  commence  par  les  mots  :  Hoc  in  libello  coniuienlur 
(-3 i  feuillets,  in-4°); 

12°  In  omnes  Erasmi  Adagiorum  chiliades  Epitome  (Lov.,  1308)  '.  —  Colon.,  1524, 
in-12°  ^.  Paris.,  1526,  in-8.  Basileae,  1328,  in-8°.  Il  laul  ajouter  à  ce  dernier  travail  le 
choix  des  lettres  d'Érasme  publié  eu  1320  par  les  soins  de  Barland.  (Van  Iseghem,  I.  c. 
n°  163.) 


I. 

{Voircbap.  IX,  p.  3iy.) 

Lettre  d'Arias  Montanus  à  l'Université  de  Louvain  pour  lui  demander,  en  1368,  sa  coopé- 
ration aux  travaux  de  la  Polyglotte  d'Anvers. 

«  Benedictl's  Arias  MontaiNus  llispalensis  docl.  Theol.,  Philippi  Régis  calholici  aulae 
familiaris  et  regius  sacerdos  atque  in  hanc  Belgicam  provinciam  regia  auclorilate  et 
Domine  ad-eam  rem  legalus,  ut  excudendis  Antverpiae  quinquelinguibus  Bibliis  adsil  ac 
praesit,  et  ([uidquid  ad  ejus  operis  perfeclionem  conferre  posse  inlellexerit  diligenler 
curet  ut  in  legationis  suae  exemplis  el  mandalis  diCusius  conlinelur,  huic  insigni  calho- 
licae  ac  pientissimae  Lovaniensi  Academiae,  quam  semel  jam  inviseral  el  salutaverat, 
chrislianam  cum  primis  pacem  omneraque  commodilalem,  amplitudinem  et  felicilatem 
pubiice  privaleque  cupit  el  precaUir. 

»  Deinde  vero  hoc  praeclarissimum  opus,  quod  ad  lolius  Ecclesiae  utilitalem  institu- 
tum  inceplumque  est,  ut  communem  causam  ab  hac  pientissima  Academiasuscipi  etiam 
juvarique  exoplat,  cujus  academiae  ille  et  praesens  in  Hispania  et  absens  per  iiteras, 
maxiniara  ratiouem  habendam  esse  censuil,  atque  haberi  curavit ,  idque  Régi  noslro  alias 
hujus  Academiae  amanlissimo  atque  aiiis  principibus  et  erudilis  viris  facile  persuasif. 

»  Namque  is  in  Complulensi  Academia  de  hac  eadem  causa  ex  supremi  Inquisitionis 
SenaUis  consullo  et  Régis  mandalo  libéra  iegalione  functus,  solum  de  illa  re  sibi  agen- 
dum  duxit  ut  de  ipsius  ulilitate  consultaretur  :  quam  cum  maximam  atque  perpetuam 
fore  omnibus  sententiis  indicalum  esset,  de  caeteris  rébus  omnibus,  quaecumque  ad 

'  Le  P.  van  Iseghem  décrit  la  seule  édition  de  1521  ,  124  feuillets  in-4°  (n"  172).  Mais  un  avis  placé  au  dernier 
feuillet  suppose  une  réimpression  :  Tlieodoricus  alostensis  imprcssit  ex  Archetypo. 

'  Antverp.,  Midi    Hillenius,  1320  el  1328.  Voj.  de  Reiflenberg,  IV""  Mémoire,  p.  6,  notes. 


404  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

liujus  operis  commodilalem,  splendorem  atque  amplitudinem  pertinere  possint,  ad  liunc 
pienlissimura  et  doclissimum  Lovaniensis  Academiae  senaium  referre  decrevil. 

»  Igiliir  duo  mine  primum  apiid  liane  amplissimam  Acadeniiam  jiidicanda  et  staluenda 
Legalus  relert.  Alteruni  illudest: 

»  Cum  catholicus  Rex  nosler  opiis  hoc  non  modo  opporlunis  dictionariis  inslrucluni, 
sed  omnibus  partibus  quaecumque  ad  usum  commoditatemque  studiosorum  facere  pos- 
sunt,  aucluni  esse  voluerit,  videri  mullis  doctiset  piis  virisnon  hujus  regionis  modo,  sed 
Hispanis,  llalis  el  Galliseliam  versioneni  aliquam  ex  Ilebraeo  ad  vcrbum,  ut  dicitur,  addi 
oportere  ut  iis  qui  in  illa  lingua  sese  exercere  voluerint  hacetiam  parte  consulalur,sicut 
graecis  el  chaldaeis  versione  etiam  apposita  consulitur;  verum  ciim  iis  columnis  quaein 
singuiis  paginis  imprinuinlur  niliil  addi  possit,  quod  operis  dignilatem  et  purilalem 
non  minuat,  ea  versio  seorsum  imprimenda  caeterisque  adjumentis  addenda  videlur. 

»  Ex  liis  vero  versionibiis  quae  hactenus  ad  verbum  extant  illa  maxime  ac  pluribus 
doclis  probatur  quae  a  Sancte  Pagnino  édita  est,  tum  quod  Summoruni  Pontificum  pri- 
vilegiis  comprobata  fueril,  tum  etiam  quod  ea  ad  liane  rem  utilitatis  plurimum,  suspi- 
cionis  et  offensionis  minimum  habere  putetur. 

»  Hujus  aulem  slatuendae  rei  consilium  judiciunique  omne  ad  praeclaram  Lovanien- 
sium  Academiam  ex  calliolici  Régis  mandate  Legatus  déferre decrevit,quam  in  judicando 
diligentissimam  et  inlegerrimam  esse  intellexit.  Quaerit  itaque  an  placeat  ad  studiosorum 
utilitalem  et  operis  ornamentum  versionem  aliquam  ex  hebraico  ad  verbum  in  fine  addi, 
et  si  id  placuerit,  quaenam  ex  iis  omnibus  quae  eircumferri  soient  potissimum  probelur 
optari  et  declarari  cupit.  Deinde  oral  ut  ea  quae  probata  magisfuerit  doclissimis  ex  hoc 
senatu  viris  relegenda  committatur,  ut  si  quid  vel  correctione  vel  aunotalione  indigere 
deprehensum  fuerit  quod  cum  sancto  et  receplo  dograate  forsan  pugnet,  id  opporluna 
animadversione  observetur. 

»  Alterum  vero  quod  ab  bac  Academia  curari  exoptat  illud  est ,  ut  chaldaicae  Paraphra- 
seos  latina  versio,  quae  in  Complutensibus  Bibliis  praeterquam  in  Peniateucho  desidera- 
batur,  quam  isex  Régis  nostri  mandato  allatam  suis  locis  additurus  est,  antequam  praelo 
mandelur,  eruditis  et  piis  viris  per  parles  commissa  relegatur  et  ex  more  ap|)robetur. 
Nam  quamquam  in  Hispania  jam  olim  cardinalis  Ximenius  qui  Complutensia  Biblia 
magnis  sumptibus  et  mulla  industria  excusserat,  Paraphrasim  illam  latine  ad  verbum 
reddi  curaverit  atque  jamjam  excudendam  morte  praeventus  reliquerit  probatam,  tamen 
hujus  Academiae  in  bac  et  in  aliis  rébus  nomini  et  dignitati  plurimum  tribuendum  esse 
idem  Legalus  ex  Régis  nostri  mandato  statuit  '.  Oral  igilur  ut  hos  labores  subire  non 
pigeât,  quos  Deo  imprimis  el  Régi  nostro  gratissimos  Ecclesiaeque  utilissimos  et  Acade- 
miae huic  bonestissimos  futures  intelligit. 

'  Malgré  la  prudence  que  mirent  les  éditeurs  dans  la  publication  de?  paraphrases  chaldaïques,  leur  travail  fut  eu 
liutte  aux  critiques  les  plus  vives.  François  Lucas,  dit  lîrugensis,  fort  savant  dans  les  langues  bibliques  qu'il  avait 
apprises  à  Louvain,  défendit  l'autorité  des  paraphrases  et  l'honneur  des  docteurs  de  l'université  (/>(■  usii  chaldaicae 
Bibliorum  Paraphraseos,  sive  Jpologia  pro  clialdaïco  paraphrasic ,jiissu  Theologorum  Lovanicnskim  scripUi 
Aniv.,  Planlin,  in-fol.)  Voir  Foppeus,  p.  299,  et  Richard  Simon,  fjist.  crit.  du  Fieux  Testament ,  liv  II,  chap.  XMll. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIiN.  405 

»  Ul  autem  omnia  quae  cum  liac  praeclara  Academia  de  hujus  operis  causa  et  rébus 
agenda  exiiterinl  commodissime  etiani  absens  Legalus  ipse  expedire  possit,  doclissimos 
atqiie  optimos  viros  el  Academiae  ipsi  cum  piimis  charissimos  dorainum  Doclorem 
AuG.  HuNAEUM  el  dominum  Doclorem  Cou.  Gaudancm  diligenliae  suae  vicarios  dalos 
publiée  honoris  causa  appellat. 

ï  B.  Arias  Montanus.  Talmid.  '   » 


J. 

[Voir  clia[i.  X  ,  p.  335.] 

Notice  sur  Jean  Isaac  Levila  et  Etienne  son  fils ,  juifs  allemands  convertis ,  qui  ont  enseigne 

l'hébreu  à  Louvain  au  XVI""  siècle'-. 

Jean  Isaac  Levita  (Levi),  d'origine  el  de  religion  juive,  élail  Rabbin  à  Wetziar,  et  il 
en  remplissait  les  fondions,  quand,  sur  le  point  d'expliquer  le  cbap.  55  d'Isaie,  il  re- 
connut qu'il  fallait  entendre  la  prophétie  qu'il  contient  de  Jésus-Christ,  et  non  d'un 
autre.  Il  se  relira  à  Marbourg  et  reçut  le  baptême  sous  les  auspices  de  Philippe,  prince 
de  Hesse,  en  134G.  Jean  Draconiles  publia  à  celle  occasion  un  manifeste  pour  faire  gloire 
à  l'église  luthérienne  d'un  tel  prosélyte. 

L'année  1547  ayant  été  funeste  au  Landgrave  son  protecteur,  Isaac  fut  appelé  à  Lou- 
vain par  Granvelle,  pour  y  professer  les  lellres  hébraïques  el  chaldaïques.  Comme  Isaac 
n'avait  encore  qu'une  connaissance  fort  faible  du  latin,  il  fut  confié  -d  Adrien  Amerolius 
qui  le  lui  enseigna  el  qui  l'instruisit  aussi  dans  la  foi  catholique  ^  Ses  leçons  ne  furent 
pas  de  longue  durée,  et  l'eu  doit  leur  assigner  pour  limites  les  années  1547  à  1551. 

Après  le  départ  de  Granvelle,  il  avait  peine  à  subsister  avec  sa  famille.  Les  magis- 
trats de  Cologne,  Constantin  Von  Lyskirchen  et  Ilermann  Suderman,  jetèrent  alors  les 
yeux  sur  lui  pour  lui  confier  l'enseignement  de  l'hébreu  dans  leur  ville.  Il  alla  occuper 
cette  chaire  vers  1551,  et  la  remplit  avec  honneur  pendant  20  ans.  Toujours  fidèle  à  la 
foi  qu'il  avait  embrassée,  il  mourut,  avant  l'apostasie  de  son  lils,  et  fut  enterré  dans 
l'église  de  la  S'^-Vierge,  dite  aux  Indulgences  [ad  Indulgentias),  en  1577. 

Voici ,  toujours  d'après  Paquot ,  la  liste  de  ses  écrits  *  : 

I.  Rationes  desertae  Synagogue,  Marpurgi,  1540  [aut  circiter.). 

'  C'est  la  transcriplion  du  mol  arabe  signifiant  disciple ,  dont  Arias  Montanus  a  fait  suivre  fort  souient  sa  signature. 

-  Extraits  traduits  des  Pasti  MS.  de  Paquot,  II,  f.  .5ô'J-340. 

=  C'est  pendant  le  séjour  de  son  mari  à  Louvain,  que  la  femme  d'Isaac  se  fit  catliolique,  après  avoir  opposé  une 
longue  résistance  aux  efforts  des  théologiens  de  Louvain,  R.  Tapperus,  Petrus  Curtius,  Judorus  Tiletanus  et  J.  Has- 
selius,  pour  la  convertir. 

'  Le  D'Fûrst,danssa  Bibiiotheca  jttdaïca  (1851,  t.  II,  p.  94),  a  donné  en  allemand  une  courte  nomenclature 
des  écrits  de  Levita,  où  ne  figurent  pas  les  quatre  premiers  ouvrages  qui  sont  ici  énumérés. 


406  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

II.  De  Hebraeorum  grammatica  liber  metliodo  dilucida  admodum  ac  facili  a  Jo.  Isaac 
LevUa  germano  concinnalus.  Lov.  ap.  Mart.  Rolarium ,  1552 ,  in-8°  (voir  p.  335,  note  2). 

ni.  De  aslrologia  Rabbi  Mosis  plii  Maimon  epislola  elegans,  et  cum  ehristiana  religione 
congruens,  liebraea  nunc  primuin  édita,  et  latine  facla.  Col.,  per  J.  Solerum,  1555,  in-8°. 

IV.  Physica  hebraea  Rabbi  Aben  Tibbon,  ul  fertur,  quae  Spiritus  gratiae  inscribitur, 
nunc  primum  édita  et  latine  facta.  J.  Isaac  authore.  Col.,  excufl.  J.  Soter.,  1555. 

L'auteur  dit  avoir  trouvé  par  un  rare  bonheur  trois  vieux  manuscrits  à  Louvain;  il  en 
publie  un  dans  ce  livre  à  la  demande  des  professeurs  de  l'Université,  et  il  le  dédie  à 
.Adolphe  deSchaumbourg,  archevêque  de  Cologne.  Ces  détails  sont  tirés  de  sa  Préface, 
qui  contient  d'autres  particularités  curieuses. 

V.  Manuduclio  ad  verba  clegantiae,  pcrfectissima  Itebraïca  grammatica  commodo  admo- 
dum ordincin  treslibros  dislincta;exoff.  ïypo^r.,  Colon.  J.  Soteris,  1553,  ia-A° [éd. altéra?)  ; 
éd.  m,  1557,  pp.  161  et  522.  —  Réimprimé  sous  cet  autre  titre  : 

Grammatica  liebraea  absolutissima  in  duos  libros  distincta,nec  non  in  ordinem  studiosis 
commodiorem  digesta , ac phiribus  in  locis  locuplelata,  éd.  IV  '.  Antv.  ex  ofl'.  Christ.  Plant., 
1564,  in-i",  pp.  162;  éd.  V,  Ibid.,  1570,  in-4%  p.  25U.  —  Dans  la  préface  de  la  IV""^  édi- 
tion, Levila  annonce  qu'il  s'était  rendu  à  Anvers  pour  corriger  l'édition  du  Lexique  hébreu 
de  Sanctes  Pagninus,  qu'on  réimprimait  alors  chez  Plantin,  et  que,  pendant  son  absence, 
le  magistrat  de  Cologne  [Scnalus  Coloniensis)  lui  avait  conservé  son  traitement. 

Il  n'est  point  douteux  que  cette  grammaire  hébraïque  qui  a  eu  plusieurs  éditions ,  sous 
le  nom  d'Isaac  Levita,  n'ait  été  le  fruit  des  leçons  et  des  communications  faites  par  André 
(■ennepà  cet  étranger  (Voir  ci-dessus,  pp.  246  et  535). 

VI.  Tabulae  in  gramm.  hebr.  auct.  Nie.  Clenardo  a  J.  Is.  Levita  nunc  recens  correctae, 
Col.  ap.  II.  Birckmannum,  1555,  in-8°.  — Ed.  IV cum  titulo:  Tabula  etc.,  a  J.  Quinquar- 
boreo  Aurelianensi  mendis  qiiibus  scatebat  repurgata.  Accessere  J.  Isaaci  et  Genebrardi  ad 
absolutiorem  institutionem  schotia;  Paris,  ap.  Mart.  Juvenem.,  1564,  in-4°  et  in-8°. 

VII.  Meditationes  hebraïcae  in  artem  grammaticam  per  integrum  librum  Ruth  explicalae, 
una  cum  aliarum  rerum  accessionibus  tiujiis  linguae  tironibus  cumprimis  utilibus  et  neces- 
.•iariis.  Col.,  ex  ofl'.  J.  Soteris,  1558,  in-S",  pp.  52  et  404. 

VIII.  Defensio  veritatis  hebraïcae  contra  Wilhelmum  Lindanum  Ruraemundensem  epis- 
copum,  qui  videlicet  libro  deopt.  gen.  interpretandi  parum  Irihuere  hebraeo  SS.  Bibliorum 
tpxlui  videtur.  Col.  1558.  Rivet,  d'après  Moreri,  remarque  qu'lsaac  a  si  bien  répondu  à 
Lindanus,  qu'il  est  inutile  désormais  d'écrire  sur  la  même  matière.  Cfr.  R.  Simon,  Hist. 
rrit.  du  Vieux  Testament,  1.  III,  chap.  XVII. 

Siephanuson  Etienne,  fils  d'Isaac  Levita,  né  à  Welzlar  en  1542,  fut  baptisé  à  l'âge  de  4 
ans  avec  son  père  (1546)  ;il  vint  avec  lui,  en  1547,  à  Louvain,  et  le  suivit ,  en  1551,  à  Co- 
logne. Il  étudia  les  lettres  dans  celle  dernière  ville;  et,  en  1557,  il  fut  confié  au  D' Jean 
Telgius,  gymnasiarqueà  Zwolle.  De  retour  à  Cologne,  il  suivit  les  cours  de  philosophie  au 

'  Celte  IV""  édilion  esl  décrite  avec  soin  dans  les  Annales  de  l'imprimerie  pinntinienne,  par  MM.  de  Backor  ei 
Riielens,  pp  ôS-ô9.  Levita  s\v  nomme  professer  ptiblicu s. 


DES  TROIS-LAINGUES  A  LOUVAIN.  407 

collegium  Monlanum,  et  fut  proclamé  maître  (magister).  Bientôt  après ,  voulant  s'adonner 
à  la  médecine,  à  l'exemple  de  ses  ancêtres,  il  suivit  à  Louvain  (avida  aure)  les  leçons  de 
Biesius,  de  Bernartius,  de  Corn.  Gemma,  en  se  procurant  les  ressources  nécessaires  à  sa 
subsistance  par  des  leçons  privées  d'hébreu.  En  laGô,  il  voyagea;  l'année  suivante,  il  se 
rendit  à  Douai,  où  il  fut  élu  professeur  royal  et  ordinaire  de  langue  hébraïque  et  chal- 
daïque  à  l'Université  de  cette  ville,  par  la  protection  de  Max.  de  Berghes,  archevêque  de 
Cambrai,  de  François  Richardot,d'Arras,  et  de  Joachim  Hopperus,  sénateur  de  Bruxelles. 
Néanmoins,  il  ne  renonça  pas  encore  entièrement  à  la  pratique  de  la  médecine ,  mais  fidèle 
à  ses  convictions  catholiques,  il  refusa  de  répondre  à  l'appel  des  Calvinistes  français  qui 
cherchaient  à  l'attirer  parmi  eux. 

Stephanus  Levita  abandonna  tout  à  coup  Douai,  malgré  les  représentations  de  Richar- 
dot,  qui  était  alors  un  de  ses  auditeurs,  quand  le  recteur  et  les  doyens  de  l'académie  de 
Cologne,  d'accord  avec  les  magistrats  de  la  ville,  proviseurs  de  l'académie,  lui  eurent 
déféré  en  son  absence  la  prébende  de  S'°-Ursule.  Stephanus,  à  peine  arrivé  à  Cologne, 
fut  admis  aux  ordres  sacrés  en  1362,  et  presque  immédiatement  après,  le  recteur  de 
l'Université  de  Louvain,  Cunerus  Pelri,  le  choisit  pour  remplacer  dans  la  chaire  d'hébreu 
au  collège  des  Trois-Langues  André  Gennep  qui  venait  de  mourir;  mais  les  magistrats  de 
Cologne  s'opposèrent  au  départ  de  Levita. 

On  le  voit  plus  tard  devenir  licencié  en  théologie,  vicaire  de  l'église  primaire  de  Saint- 
Pierre,  desservant  de  N.-D.  aux  Indulgences,  charge  où  il  fut  maintenu,  en  présence 
d'un  puissant  compétiteur,  par  l'évêque  de  Liège,  Gérard  de  Groesbeck.  Dans  la  paroisse 
de  N.-D.,  il  annonçait  fréquemment  la  parole  divine  aux  catholiques  et  aux  réformés , 
et  il  n'oubliait  pas  non  plus  ses  anciens  coreligionnaires.  Du  consentement  d'Adolphe, 
archevêque  de  Cologne,  le  légat  du  pape,  François  de  Mendoza,  donna  à  Etienne  Levita 
et  à  son  père  un  pouvoir  illimité  de  convertir  par  la  parole,  et  même  par  la  force  (m  et 
adhibita) ,  les  juifs  appartenant  aux  trois  diocèses  des  Électeurs. 

Stephanus  s'appliqua  en  vue  de  ses  prédications  à  la  lecture  des  livres  des  hérétiques, 
mais  bientôt,  il  ne  se  contenta  plus  de  s'abstenir  de  les  combattre;  il  se  mit  à  les  imiter. 
Sous  Gebhard  Truchsès,  protecteur  des  dissidents ,  il  s'éleva  contre  l'usage  des  saintes 
images,  et  sous  Ernest  de  Bavière,  il  alla  jusqu'à  déclamer  en  public,  le  12  octobre  1585, 
contre  le  culte  des  images,  tel  que  le  pratiquent  les  catholiques.  La  ville  entière  fut  en 
émoi.  Michel  Brilmacher  monte  le  même  jour  en  chaire  à  6  heures,  pour  le  réfuter. 
D'autres  théologiens  de  Cologne  s'empressent  de  combattre,  dans  des  réunions  publiques , 
tous  les  sophismes  que  Stephanus  a  empruntés  aux  iconoclastes.  Le  chef  du  clergé  de 
Sainte-Ursule,  président  du  chapitre,  le  fait  appeler  devant  lui.  Stephanus,  renfermé 
dans  sa  demeure  depuis  quatre  jours ,  refuse  de  comparaître,  en  prétextant  sa  mauvaise 
santé.  Les  députés  de  l'archevêque  vont  en  personne  le  solliciter  à  faire  une  démarche 
qui  lui  obtiendra  la  levée  de  la  suspense  qu'il  a  encourue.  Levita  s'obstine  dans  ses  refus , 
et  ne  tarde  pas  à  obtenir  du  magistrat  de  Cologne,  à  la  grande  indignation  des  commis- 
saires épiscopaux,  la  permission  de  continuer  l'enseignement  de  la  doctrine  évangélique. 
Le  doyen  de  l'église  métropolitaine  renouvelle  ses  instances;  elles  restent  longtemps 
Tome  XXVIII.  S3 


408  MÉMOIRE  SLR  LE  COLLEGE 

infructueuses.  Enfin,  le  juif  converti  se  présente,  muni  d'un  sauf-conduit  donné  par  le 
chapitre;  mais  c'est  pour  se  démettre  de  ses  trois  charges  {tria  sacerdotia)  et  pour  décla- 
rer qu'il  va  se  faire  l'apôtre  des  Calvinistes.  En  io86,  Stephanus  publia  en  allemand  une 
apologie  de  sa  conduite,  avec  un  récit  des  persécutions  qu'il  s'était  attirées;  il  y  déclarait 
qu'il  avait  été  entraîné  par  la  force  des  argument.s  de  Sadelius  contre  la  primauté  de 
l'Église  romaine. 


K. 

(  Voir  chap.  XII ,  p.  3fi9.) 

Rapport  dupléban  de  Louvain,  J.-B.  Sclweps ,  dans  l'affaire  de  la  nomination  d'un  pro- 
fesseur de  grec  au  collège  des  Trois-Langues,  en  date  du  13  novembre  1722,  et  adresse 
du  même  au  recteur  de  l'Université  louchant  la  même  affaire. 


JlDICItM    PLEBAM    LOVAMENSIS    IN    CAtSA    COLLATIONIS    lECTIOMIS    GraECAE. 

»  Infra  scriptus  plebanus  Lovaniensis  qua  provisor  et  collator  Lectionis  Graecae  man- 
dato  Majestatis  suae  C.  et  R.,  interrogatus  a  Magnifico  Domino  Rectore,  quid  censeam  de 
modo  conferendi  Lectionem  Graecam  collegii  Trilinguis  Buslidiani ,  respondeo  sub 
correctione  et  judicio  meliori  salvo. 

B  Cum  notorium  sit  quod  in  IV  superioribus  facultatibus  hujus  Universitatis  nulla 
Lectio  aut  professio  conferatur,  ne  a  Rege  quidem,  nisi  habito  prius  advisamento  seu 
judicio  illius  Facultatis  sive  collegii  professorum,  ad  quam  Lectio  pertinet. 

»  Cum  Facultatis  artium  lectiones  duae  publicae,  altéra  Ethices,  altéra  Eloquentiae, 
eodem  modo  conferantur. 

B  Atque  ibidem  professorum  Philosophiae  electiones  per  ultimum  Regulamentum 
Regium  anni  1702,  restriclae  sint  ad  magistros  qui  promoli  sint  inter  quinque  primes 
et  aliisquibusdamconditionibus  praediti. 

»  Cum  ejusdem  Facultatis  Lectiones  litterariae,  quae  jam  traduntur  in  Gymnasio 
SS.  Trinitatis,  conferantur  a  corpore  ejusdem  Facultatis,  debeatque  praemilti  earum 
publicatio,  ut  detur  liber  concursus  omnibus. 

»  Lectiones  vero  Trilingues  de  quibus  agitur,  cum  non  sint  incorporalae  ulli  ex  quin- 
que Facultatibus,  cujus  advisamentum  ante  earum  collationem  requiri  possit. 

»  Nec  habealur  in  Graecis  sicut  in  aliis  scienliis  ulla  promotio  per  loca  aut  gradus, 
nisi  forte  in  Gymnasiis  Litter^riis ,  quod  hic  non  suflicit. 

B  Neque  provisores  Buslidiani  per  se  de  Graecis  cognoscere  possint. 

B  Cum  Doctor  Martin  ultimus  Lectionis  Graecae  professer  eam  non  obtinuerit  uisi 
praevio  examine  legitimo  :  et  habitus  fuerit  concursus  pro  ejusdem  substitutione,  dum 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIIS.  409 

dictus  Doctor  evocabatur  ad  prolessoratura  Seminarii  Mechliniensis,  cui  concursui  praesi- 
deruat  Doclores  Sleyaert  et  Heris  (ul  patet  ex  annexo  sub  A). 

Hinc  videiur  res  ipsa  loqui ,  quod  in  praesente  casu  collationis  Lectionis  Graecae  adhi- 
beuda  sit  similis  aliqua  cautela  et  exploratio,  qualem  in  omnibus  hujusmodi  provisioni- 
bus  ipsa  aequitas  dictavit  esse  praemittendam. 

»  Attento  maxime  quod  aspirantes  seu  candidat!  non  sint  omni  exceptione  majores, 
aut  per  se  célèbres. 

»  Videiur,  inquam,  vel  instiluendos  esse  concursus,  ut  novi  quidam  aspirantes  expe- 
tunt,  et  qualis  in  collatione  aliarum  Bursarum,  ad  quas  nullospeeiali  tilulo  quisquam 
praeferendus  veail,  hic  Lovanii  non  rare  adliibetur,  qualis  item  ex  instituto  principum 
nostrorum  adhiberi  solebat  in  provisione  Cathedrarum  Universitatis  Duacenae. 

1  Vel,  quod  forte  magis  placeat,  praemiltendum  videtur  Examen  aliquod  publicum 
cui  praeliciantur  delecti  viri,  inlegri  et  intelligentes,  qui  de  eruditione  et  Graecitale 
concurrentium  judicium  ferant,  quod  Collatores  sequantur. 

»  Raliones  aulem  et  causae  addi  possunt  sequentes  : 

a  Quod  alioquin  provisores  Buslidiani,  si  neglecto  tali  expérimente,  prosiliant  ad 
eiectionem ,  exponant  se  manifesto  periculo  assumendi  professorem  contra  menlem  et 
institutum  Fundatoris,  contra  honorera  et  famam  hujus  Universitatis ,  atqueadeo  conlra 
ipsius  Reipuhlicae  et  Ecclesiae  commoda. 

»  Fundator  fuit  D.  Hieronymus  Busleiden  Aegidii  Equitis  aurati  fliius,  J.  U.  Doctor, 
Cameraci  in  Divae  M.  Virginis  praepositus,  et  supremi  senatus  Belgici  apud  Mechli- 
niensesconsiliarius,  ac  Libellorum  supplicum  Magister,  vir  doctus,  facundus,  qui  variis 
apud  Poutilicem,Reges  Legationibusfunctus,  in  ipsa  Legatione  qua  a  Carolo  V  Imp.  in 
Hispanias  mittebatur,  mortuusesl  anno  1517. 

r  Hictam  illuslris  vir  et  de  Repubiica  tara  bene  meritus,  cum  videret  suorum  tem- 
porum  calamitates  raaxima  ex  parte  a  seculi  sui  ignorantia  et  barbarie  provenire,  nihil 
in  salutem  publicam  se  praeclarius  praestare  posse  existimavit,  quam  si  in  celeberrima 
Academia  Lovaniensi  a  qua  praecipuum  adversus  ista  mala  remedium  atque  praesidium 
tune  exspectabatur ,  et  rêvera  postea  advenit  ; 

i>  Si ,  iuquam ,  in  hujus  Academiae  sinu  institueret  et  fundaret  trium  celeberrimarum 
Linguarum  professiones  publicas,  sine  quarum  Linguarumadminiculoet  lumine  constat 
reliquas  scientias  et  doctrinas  jacere  incultas ,  débiles  et  informes. 

»  Quod  ejusdem  institutum  sapientissimorum  virorum  encomiis  ita  statim  depraedi- 
catum  est,  itaque  omnibus  placuit,  ut  illius  exemplum  mox  in  Gallia  Franciscus  I,  in 
Anglia  Richardus  Wintonensis  Episcopus  et  cardinalis  Ximenes  in  Hispania  aemuiati 
sint ,  simile  collegium  Trilingue  erigeudo. 

;>  Incredibile  auteni  dictu  est  quantum  ex  his  Busiidianis  Lectionibus  Universilas 
nostra  splendoris  et  adjumenti,  quantum  Respublica  et  Ecclesia  emolumenti  acceperit. 

»  Et  porro  spes  est  fore  ut  accipere  pergant,  modo  ad  easdem  professiones  seu  lec- 
tiones  assumantur  taies  viri ,  quales  assurai  voluit  sapienlissiraus  fundator  Buslidius. 

B  Videlicet ,  viri ,  ut  ait  Fundator,  undecumque  eruditi,  probatis  moribus  et  vitae  incul- 


410  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

patae,  qui  in  dies  legant  et  profileantur  in  eodem  coUegio  tam  Christianos  quam  morales, 
ac  alios  probalos  auctores  ;  omnibus  eo  adventantibus  in  tribus  linguis ,  lalina  scilicet ,  Graeca 
et  Ilebraïca,  diversis  horis  pro  sua  et  auditorum  commodilale  distribuendis,  sine  aliquu 
stipendia  ab  adventantibus  exigendo ,  et  non  exacte  acceptando. 

»  Quoi  si  Fundalor  pro  qualibel  Irium  harum  professionum ,  virum  undecumque 
eruditum  jure  merilo  requisiverit,  lalis  profecto  imprimis  quaerendus  est  pro  leclione 
linguae  Graecae,  quae,  ut  intelligentes  omnes  asserunt,  est  longe  copiosissiraa  et  diffi- 
cillima. 

»  Maxime  cum  Graeci  scriptores,  sive  Christiani  ul  v.  g.  Athanasius,  Basilius,  Gre- 
gorius  Nazianzenus,  Eusebius,  Theodoretus;  sive  morales ,  aliique  auctores ,  ut  v.  g.  Plu- 
tarchus,  Plato,  Isocrates,  Xenophon,  Demosthenes,  el  poeta  Homerus  exponi  rite  non 
possint,  nisi  ab  eo,  qui  in  sermone  isto  diu  multumque  esercitalus,  profunda  insuper 
rerum  antiquarum  tum  sacrarum  tum  profanarum  peritia  eruditus  sit. 

1)  Et  sane  etiamsi  in  casu  proposito  talem  virum  leclioni  Graecae  vi  ipsius  fundationis 
providere  non  tenerenlur  collegii  Trilinguis  Provisores,  ipse  tamen  Academiae  noslrae 
honor  et  boni  publici  ratio  eosdem  ad.  hoc  adducere  deberet. 

»  Nisi  enim  studium  Graecitalis  in  Universitate  ttoreat,  nulla  in  altioribus  scientiis 
solida  el  perfecta  eruditio  sperari  potest. 

i)  Non  invenientur  theologi,  ut  olim  nostri  fuerunt,  qui  Bibliorum  versiones  latinas 
et  vernaculas  curent,  qui  traditionum  fontes  adeant,  et  inde  antiquilates  eruant  eccle- 
siasticas  in  fîdei  et  praeceptorum  evangelicorum  defensionem,  confirmationem,  elucida- 
tionem. 

B  Maximam  partem  antiquorum  canonum,  historiae  et  disciplinae  ecclesiasticae  non 
scrutabuntur  canonistae  nostri,  ut  oporteret,  in  originibus. 

»  Neque  politicorum  et  legislationum  praeclariora  monumenla ,  in  eo  sermone  quo 
primitus  scripta  sunt,  legent  juris  publici  et  civilis  antecessores. 

»  Neque  medici  aut  philosophi  auctores  suos  in  fonte  gustabunt. 

»  Dubiiari  itaque  non  potest  quin  lectioni  Graecae  vacanti,  de  qua  quaestio,  provideri 
debealdeprofessorelitterarumGraecarum  peritissimoetmulta  undiqueeruditioneornato. 

B  Hoc  aulem  qua  ratione  Provisores  pro  officio  suo  praestare,  cerlaque  via  exequi 
poterunt,  nisi  instituendo,  facta  publicatione,  praefatum  concursum  aut  examen  publi- 
cum?  non  enim  idoneum  et  Graeca  cathedra  dignum  professorem  ab  aliis  semidoctis  et 
minus  dignis  compeiitoribus  ullo  alio  certo  criterio  dignoscere  ipsi  queant. 

»  Neque  sutficere  potest,  si,  ut  quidam  vellent,  eligatur  vir  aliquali  Graecitatis  tinc- 
tura  imbutus,  modo  talis  existai,  qui  cerlam  spem  praebeal  fore  ut  brevi  sit  perfeclus. 

»  Nam  praelerquam  quod  hic  conceplus  nec  justiliae  dislribulivae,  nec  bono  com- 
muni  sit  consentaneus,  ut  pote  animum  praeripiens  iis,  qui  lalibus  quasi  stimulis  et 
praemiis  ad  inexhaustos  studii  litterarii  labores  suscipiendos  non  rare  excilanlur  : 
secunduni  illud  honos  alit  artes  ;  itemque,  sint  Moecenates; 

»  Quis  spondere  ausit,  fore  ut  talis  aliquis  praecox  Magister,  qui  a  lirocinio  suo 
nondum  ferlasse  absolvendus  foret,  adepia  semel  lectionis  collatione,  impensurus  sit 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN.  Ui 

omnem  diligentiam  et  operam,  quae  requirilur  maxiraa,  ul  perfeclus  évadât?  Sed  deinus 
etiam  l'uturum,  ut  non  parcal  labori  et  studio,  demus  eum  magno  ingenio  praeditum 
esse,  et  in  majoribus  scientiis  praecellere:  an  ex  iis  sequitur  negotium  ei  successurum 
quoad  Graeca,  quae  spéciale  quoddam  ingenium  exigunt?  Maxime  si  hoc  tentet  in  pro- 
vectiore  aetate  altiorum  honorum  cupiditate  forlassis  incensus,  et  majorum  negotiorum 
curis  distractus. 

»  Quin  et  ponamus,  ut  lapsu  temporis  progressus  ex  voto  succédât,  id  qiiod  paucis 
taiibus  equidem  contingit,  nonne  liac  condilione  accidet,  ut  in  cathedra  Graeca  sedeat: 
qui  viris  exlraneis  visendae  Universitatis  causa  fortasse  adventantibus,  vel  nostratibus 
etiam  doctoribus,  aut  discipulis  provectioribus  diilîcultatem  aliquam  moveulibus  res- 
pondere,  sine  insigni  ipsius  cathedrae  totiusque  Academiae  dedecore,  non  valeat? 

»  Propterquas  res  idem  infra  scriptus,  non  improbando  id  quod  in  provisionibus  lec- 
tionum  collegii  Trilinguis,  mutalis  lorte  circumstantiis,  ante  bac  interdum  actum  luit, 
concludo  et  censeo: 

a  Non  abhorrendum  esse  a  concursu  quem  quidam  candidati  expetunt,  et  muiti  Aca- 
demici  laudarent,  in  quo  quasi  ex  sponsione  deberelur  oblinenti  palmam. 

»  Quia  tamen  ténor  fundalionis  supra  allegatus  praeter  erudilionem  completam  et 
Graecitatem  non  vulgarem ,  etiam  exigit  mores  probatos  et  vitam  inculpatam  ; 

»  Auctor  sim,  ut  in  liis  circumstantiis  rogentur  viri  quidam  delecti,  satis  in  hoc  eru- 
dili  et  integri,  ut  examen  publicum  habeant  aspiranlibus  omnibus  subeundum  sub  bis 
nempe  condilionibus  : 

B  r  Ut  testimonium  de  unoquoqueexaminato  reddatur  in  scriplis; 

»  2°  Et  annotetur  locus  et  ordo  quem  inler  reliquos  promerili  sunt; 

»  3°  Ut  de  unoquoque  edicant,  an  sit  talis  qualem  fundatio  exigit,  nimirum,  jam 
nunc,  undecumque  eruditus  et  idoneus  qui  in  dies  légat  et profilealur  publiée....  tam  Chris- 
tianos  quam  morales  ac  alios  probatos  auctores  omnibus  adventantibus  in  lingua  graeca; 

»  4°  Ut  is,  qui  habeat  hoc  testimonium,  praeferatur  in  electione  illi  qui  non  habet: 

»  o"  Ut  nemo  tamen  eligatur,  nisi  qui  locum  adeptus  est  inter  très  primos; 

»  6°  Ut  hoc  examen  ante  publicetur  in  vicinis  etiam  civitatibus,  imo  et  in  aJiis  Uni- 
versitatibus  catholicis,  si  videbitur; 

»  7°  Ut  omnes  hae  conditiones  observentur  sub  poena  nullitatis  electionis  aut  suftra- 
gii.  —  Rogans  Magnificum  D.  Rectorem  quatenus  lias  rationes  cumjudicio  suo  ad  sacrum 
suam  Caesar.  et  Reg.  Majestatem  mittere  dignetur. 

»  Datum  Lovanii  15  novembris  1722. 

»    J.-B.  SCHOEPS. 


Magnifico  domino  Rectori  almaeque  Universitati  Lovaniensi. 

■■>  Exponit  ea,  qua  par  est,  veneratione  infra  scriptus  ad  divum  Petrum  in  bac  civitate 
plebanus  et  in  ea  qualitale  primus  provisor  collegii  trilinguis  Busieidiani,  quod  perobitum 


4i2  MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 

docioris  Marliu  vacel  iu  praesenlia  ejusdem  collegii  lectio  Graeca,  quodque  secundiim  vo- 
lunialem  lundatoris  ad  eam  assumendus  sil  vir,  ut  ait,  undecumque  eruditus  qui  in  dies 
légal  el  protiteatur  in  dicto  collegio  tara  Christianos,  quam  morales  ac  alios  probatos  auc- 
tores  omnibus  60  adventaniibus  in  liugua  Graeca.  Cumautem  inter  eosqui  haclenus  aspi- 
rant nullus  reperialur,  dequo  vel  per  famamautspecimina  publica  constarepossitproviso- 
ribushujusliuguaeexpertibus,  eumadprofessionemillamesseidoneura:existimatomnino 
et  conlendit  Orator  non  esse  in  hoc  casu  procedendum  ad  eleclionem,  nisi  prius  vel  insti- 
tuatur  concursus  publicus,  vel  saltem  legilimuni  aliquod  examen ,  in  quo  concurrentes  per 
ijuasdam  interprelationes  et  expositionesvariorum  auctorum  Graecorum  se  probent  ser- 
monis  Graeci  sic  esse  peritos,  ut  ejus  professionem  cum  iionore  fundationis  et  Universitatis 
exercere  possint.  QuaeOraloris  praetensio  quam  sit  aequa  et  in  hoc  eventu  necessaria  vel 
ex  eo  elucere  polest,  quod  alioquin  evidentissimum  periculum  sit  aberrandi  enormitera 
laudatissima  intentione  et  mente  illustrissimi  fundatoris  et  hujus  Academiae  benefactoris 
maximi,  qui  adeo  leclionesillas  trilingues  inslituit,  ut  per  litterarumadminiculum,orna- 
mentum  el  lumen,  depulsa  quae  tune  regnabat  barbarie,  omnibus  hujus Studii  generalis 
Facullatibus  debilus  suussplendor,  honos  et  perfectio  redderetur,  alque  ut  etiam  contra 
horum  temporum  haelerodoxos  politiori  lilteralura  fucum  facientes  proPerre  possel  haec 
Universilas ,  uli  semper  haclenus  fecit,  orihodoxae  lidei  defensores  illustrissimes,  omnibus 
numeris  absolûtes,  adeo  ut  hic  agalur  non  solum  de  lideli  fundationis  provisione,  quod 
ipsum  per  se  grave  est,  sed  de  commodo  etiam ,  honore  el  celebrilale  Almae  Mains,  de 
ipsius  Ecclesiae,  et  Reipublicae  praesidio  el  bono,  quae  raliones  tanto  magis  probari 
debeut  venerabilibus  Dominationibus  veslris,  quod  omnino  conformes  sint  inslilutis  et 
moribus  hujus  Academiae,  a  quibus  ne  quidem  Rex  ipse  se  eximere  voluit,  nimirum  quod 
nulla  hic  lectio  publica  couferri  possil,  nisi  petilo  prius  el  habilo  super  compelentium 
capacilate  illius  Facullalis  ad  quam  pertinel,  testimonio  et  judicio.  Accedit  quod ,  ut  me- 
minisse  possunt  seniores  Academici,  pro  hac  eadem  leciione  Graeca  similis  probalio 
adhibita  fuerit,  semel  cum  de  ea  cerlaret  praefalus  doctor  Martin,  et  iterum  cum  idem 
vocatus  ad  professoralum  seminarii  episcopalis  Mechliniensis  linguae  Graecae  profes- 
sionem deseruisse  videbatur.  Cum  igitur  memoralae  Oraloris  pelitioni  et  ralionibus,  ui 
videlur,  aequissimis,  acquiescere  haclenus  noliul  reliqui  duo  domini  provisores  collegii 
irilinguis  praefati,  etiamsi  in  hoc  specialiler  pluries  fuerint  convocati,  hinccogitur  Orator 
recurrere  ad  Magnificum  dominum  lotamque  banc  Almam  Universilalem,  enixe  rogans 
et  supplicans  ut  in  hac  parle  suflragari  diguentur  voto  el  pelitioni  supplicanlis,  nempe 
ut,  interposita  auclorilate  sua,  omni  meliori  modo  efficiant  ut  in  casu  proposito  ad  lin- 
guae Graecae  professionis  collationem  non  procedatur  nisi  habilo  prius  per  concursum 
publicum,  vel  saltem  per  examen  legitimum,  ul  supra  dictum  est,  de  aspirantium  erudi- 
lione  et  peritia,  judicio. 

B    J.-B.  SCHOEPS.   » 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN. 


413 


INDEX  LITTÉRAIRE 


TABLE  DES  AUTEURS  ET  DES  OUVRAGES  ANCIENS  E&PLIQUÉS,  PUBLIÉS,  TRADUITS  OU  ANNOTÉS,  AINSI  QUE  DES  OUVRAGES 
DE  GRAMMAIRE  ET  DE  PHILOLOGIE  QUI  ONT  UNE  MENTION  SPÉCULE  DANS  CE  MÉMOIRE  '. 


A. 


Aristophane.  Édition  grecque  du  Plutiis  (1518); 

épitre  de  Th.  Jlartens  sur  la  comédie  grecque. 

Page  302. 
Aristote.  Version   latine  de  sa    morale,   publ.  à 

Louvain  (li75).  Page  20. 
Athanase  (S.).  Traduction  latine  de  ses  œuvres  par 

Nannius  (Bàle,  1556,  in-fol.).  Pages  154-155. 


Athénagore.  Son  Ivaiié de  Resurreclionc  mnrtiiorum , 
trad.  par  Nannius.  Page  1 3i. 

—  Son  Apologia,  trad.  par  Suff.  Pétri.  Page  358. 
Augustin  (S.).  De  Civilate  Dci  Hbri  XXII ,  éd.  de 

Louvain  (1488).  Page  21. 

—  Travaux  de  L.  Vives  sur  cet  ouvrage.  Pages  137 
et  509. 


B. 


Basile  le  Grand  (S.).  Trois  homélies,  trad.  par 
Fr.  Craneveldt  (Louvain,  R.  Rescius,  1534). 
Page  206. 

—  Trois  homélies  et  trois  épîtres,  trad.  par  Nan- 
nius. Page  154. 

Biblia  regia,  ou  Polyglotte  royale  d'Anvers  .• 

—  Index  biblinis ,  et  Variae  lectiones ,  par  J.  Harlc- 
mius.  Page  320. 

—  Variantes  de  la  version  des  Septante,  recueillies 


par  G.  Ganter  et  Livineïus.  Page  341. 

—  Révision  do  la  version  latine  interlinéaire  du 
texte  hébreu.  Pages  319-320  et  404. 

—  Rév.  de  la  nouv.  version  latine  de  la  paraphrase 
chaldaïque.  Pages  320  et  404. 

BoÈCE.  Influence  de  ses  écrits.  Pages  11-12. 

—  De  Consolatione  philosophiae ,  éd.  de  Louvain 
(1482  et  1487).  Page  12. 


'  Nous  avons  indiqué  de  préférence  dans  cette  table  tes  livres  et  les  éditions  dont  on  n'a  pas  relevé  jusqu'ici  l'importance 
dans  la  plupart  des  ouvrages  d'histoire  littéraire  et  de  bibliographie  ,  et  surtout  ceux  qui  font  le  mieux  juger  de  la  direction 
donnée  aux  travaux  du  collège  des  Trois-Langues.  Il  va  de  soi  que  nous  n'avons  pas  compris  dans  celle  table  les  écrits  nom- 
breux et  connus  de  nos  plus  célèbres  savants,  dont  l'énumération  et  la  description  ont  trouve  place  dans  des  notices  et  des 
collections  justement  estimées. 


4i4 


MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 


Cktoti {Distiques  dits  de),  imprimés  pour  les  classes 

par  Érasme.  Page  132. 
Cbrvsostôme  (S.Jean).  Son  traité  in  Babylam,  Irad. 

par  Érasme.  Pages  99  et  509. 

—  Trois  homélies,  trad.  par  Nannius.  Page  15i. 
CicÉRON.  Ses  traités  publiés  à  Louvain  au  XV"»  siè- 
cle. Page  20. 

—  Ses  Officia  annotés  par  Goclenius.  Pages  148 


et  298-299. 

—  Observ.  sur  les  Officia,  par  C.  Valerius  (éd.  de 
1568  et  1!)78).  Page  158. 

—  Deux  des  Vcrrincs,  ann.  par  Nannius.  Page  1 53. 

—  Son  discours  Pro  Arcliia  expliqué  par  .1.  Loe- 
zius,  et  imprimé  avec  commentaire  par  le  même 
(1560).  Pages  U9  et  554. 


D. 


DÉMOSTHÈ^E.  Disc.  De  immimitate  adv.  Leptinem, 

trad.  par  Nannius  (1542).  Pages  154-156. 
—  Difficultés  d'une  traduction  des  discours  de  cet 


EccLÉsiASTE.  Livre  de  rEccIésiasle. 

—  Travail  exégétique  de  R.  Wackcfield.  Page  235. 

—  Travail  de  R.   Shirwood    { Explanatio,    etc.; 
Antv.  1525).  Pages  254-235. 

—  Paraphrase  célèbre  due  à  Campensis  (1552). 
Pag.  242-243.  Sort  de  ce  travail.  Pag.  510-517. 

Érasme  (D.).  Ses  Adages  lus  dans  les  classes;  édition 


orateur,  d'après  Nannius.  Pages  300-507. 
-  Lettres  attribuées  à  Démosthène  et  à  Eschine. 
trad.  par  Nannius.  Page  154. 


£. 


abrégée  par  Barland  (1508  et  1521).  Pages  142, 
298  et  405. 

—  Ce  même  recueil  augmenté  avec  l'aide  de  Go- 
clenius. Page  147. 

Évangiles.  Éditions  grecques  du  N.  T.  par  Érasme. 
Pages  70-71,  120. 


Florus.  Commentaire  sur  son  histoire,  composé 
par  Stadius  pour  ses  leçons,  et  publié  à  Anvers 
(1585).  Page  168. 


G. 


Grammaire  et  langue  grecques  : 

—  Usage  de  la  grammaire  de  Théodore  Gaza,  tra- 
duite par  Érasme  (1518).  Pages  209  et  550. 

—  Compendium  Graecae  grammalices,  par  Amero- 
tius  (Louvain,  1520,  in-4°).  Pages  208-209. 

—  Diclionarius  Graecus,  publié  à  Bàle  en  1524, 
par  J.  Ceratinus.  Page  200. 

—  De  sono  literarum  Graecarnm,  par  le  même.  (Co- 
loniae,  1.^29).  Page  200. 

—  Instiliitiones  linguae  Graecae,  par  N.  Cleynarts 
(Louvain,  1550).  Pages  328-529,  354. 

—  Meditationes  Graecanicac  in  artem  grammati- 


FoRTUNATiANUs  (CoHSiillHS  Cufitis).  Édition   de  sa 
Rhétorique  corrigée  par  Nannius.  Page  133. 


cam,  par  le  même  (Louvain,  1531).  Page  328. 

—  Libeltus  de  dialectis  Graeconim.,  etc.,  par  Amero- 
tius  (1534  et  1550).  Page  209. 

—  Syntaxis  linguae  Graecae,   par  J.   Varennius 
(Louvain,  1532).  Page  329. 

—  Traité   du    même   de  Acceiilibus    Graecorum. 
Pages  329-330. 

—  Abrégé  de  la  syntaxe  grecque,  par  G.  Fabius 
(1584).  Pages  212  et  330. 

—  Orationes  V  de  ntilitaie  linguae  Graecae,  auct. 
S.  Pétri  (Bàle,  1565).  Page  558. 

—  Instiluliones  linguae  Graecae,  par  H.  J.  Leemput 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN. 


415 


(Louvain,  1782  et  1797).  Pages  224-225. 
Grammaire  et  langue  latines. 

—  Trailés  de  J.  Dcspautèrc  sur  la  grammaire  la- 
tine. Pages  129-130. 

—  Abrégé  de  la  grammaire  de  Dcspautèrc.  P.  330. 

—  Restauratio  liiiguae  Lalinae,  par  G.  Halewyn. 
Page  330. 

—  Éléments  de  grammaire  latine,  par  J.  Gillet  et 
P.  Procurator.  Pages  530-531. 

—  lusliluliomim  grammaticarum  lihri  IV,  par 
C.  Valcrius  (ISKi).  Pages  161  et  331. 

—  Traités  de  rhétorique  et  de  dialectique,  par  le 
même.  Pages  161-102. 

—  Traités  de  Vcrnulaeus  sur  l'art  oratoire.  P.  18i. 

—  Grammalica  Latina  in  faciliorcin  methodum  re- 
dacta,  par  Kerkherdere  (Louv.,  1706,  10-12°). 
Page  19C. 

Grammaire  et  langue  hébraïques. 

—  Diclionarium  Ilebralcum,  publié  par  Th.  Mar- 
tens,  à  Louvain,  vers  1520.  Pages  513-314. 

—  Grammaire  hébraïque  de  J.  Campensis  (Lou- 
vain, juin  1528,  in-4»).  Pages  238-242. 

—  Tabula  in  grammatkaw  llebraeam,   par  Nie. 


Clcynarls  (Louv.,  1529,  in-i").  Pages  314-31  .'i. 

—  De  grammalica  llebraea  liber,  par  J.  Isaac  Le- 
vila  (Louv.,  1552),  et  autres  éditions  du  même 
ouvrage  à  Anvers  et  à  Cologne.  Pages  533  et  400. 

—  Encomium  linguae  Hebraïcae,  par  V.  André, 
publié  en  1014.  Pages  xv  et  259. 

—  Analyse  de  ce  discours.  Pages  260-267. 

—  MS.  d'une  nouv.  éd.  de  la  grammaire  de  J.  Cam- 
pensis, préparée  par  V.  André.  Page  259. 

—  Spéculum  Hebrakum,  impr.  à  Louvain  en  1615, 
par  Jos.  Abudacnus.  Page  555. 

—  Inlroductio  brevis  ad  Uiiguam  Hebraeam ,  par 
J.  Sauterus  (Louv.,  1075,  in-12»).  Page  268. 

—  Lcxicon  hebraco-lalinum ,  manuscrit  de  Paquot. 
Page  275. 

Grammaire  et  langue  syriaques. 

—  Grammaire  et  dictionnaire  syriaques  par  A.  Ma- 
sius,  au  tome  I"  de  VApparatus  de  la  Polyglotte 
d'Anvers.  Pages  521  et  526. 

—  Elcm.enla  linguae  syriacae ,  et  de  Hilibiis  bup- 
tismi;  etc.  Publications  syriaques  faites  en  1572, 
par  Guy  Lefèvre  de  la  Boderie,  à  la  demande  de 
philologues  de  Louvain.  Pages  326-327. 


H. 


Hippocrate,  Aphorismes,  éd.  gr.  par  Rescius  (1833). 

Pages  204  et  304. 
Histoire  et  antiquités  (traités  divers). 

—  Barland ,  opuscule  sur  quarante  princes  lettrés 
de  Rome.  Pages  143  et  403. 

—  Puteanus,  épître  sur  le  luxe  de  la  table.  P.  174. 

—  P.  Castcllanus,  traité  sur  les  fêtes  des  Grecs. 
(Anvers,  1617).  Page  210. 

—  Id.  Vies  des  médecins  illustres,   anciens  et 
modernes  (Anvers,  1018).  Page  217. 

Homère.  Édition  complète  de  l'Iliade  et  de  l'Odys- 


sée, par  Th.  Martens  (1523).  Page  302. 

—  Pocmcs  homériques,  publiés,  en  1535,  par  Res- 
cius (  2  vol.  in-4»).  Page  304. 

—  Scntentiae  Hnmericae,  recueil  de  Boetius  Epo 
(Louvain,  1555).  Page  554. 

Horace.  Ars  poetica,  objet  d'un  discours  de  Nan- 
nius,  page  150,  et  d'un  commentaire  par  le 
même,  dans  l'édition  de  Laev.  Torrentius(1608). 
Pages  155  et  258. 

—  Élude  de  ses  poésies  recommandée  par  Barland 
et  par  Nannius.  Pages  293  et  299. 


Juvénal.  Ses  satires  imprimées  par  Jean  de  West-  phalie  (1475).  Page  20. 


LiVE  (Tite).   Corrections  sur  le  III""  livre  de  la 
I"  décade  par  Nannius,   page  153.  Morceaux 

Tome  XXVIII. 


expliqués  par  le  même  dans  son  cours  de  latin. 
Ibid. 

u 


U6 


MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 


—  Le  I"  livre  de  ses  ^nna/fs,  expliqué  par  J.  Lipsc  —  VHermntime ,  traduit   par  Goclcnius   (1522). 

en  157G.  Page  167.  Page  iio. 

LucAiN.  Révision  de  ses   poèmes  par   Goclenius.  —  Divers  de  ses  dialogues  traduits  par  Érasme. 

Page  H3.  Page  305. 

Li'ciEN.  Ses  traités  publiés  en  grand  nombre  par  Lucrèce.  Observations  crit.  de  C.  Valerius  dans 

Th.  Martens,  à  Louvain.  Page  502.  l'édition  de  Giphanius  (1506).  Page  158. 


M. 


Manti:a]vls  (Daptisla),  poëte  latin  moderne.  P.  293. 
Martial.  Choix  d'Épigrammes  publié  par  Barland. 

Pages  1 42  et  402. 
Mklanges  de  philologie  ancienne. 

—  Dialogi  ad  profligandam  barharicm,  par  Bar- 
land (1S24  et  ann.  suiv.).  Pages  401-102. 

—  MisccHaiicoriim  dccas  unn,  par  Nannius  (1544). 
Page  153. 


—  Emendationum  cl  Misccllanenriim  lihri  XX,  par 
P.  Leopardus  (1S68).  Page  330. 

—  Version  des  vies  et  mots  célèbres  des  philoso- 
phes grecs,  par  le  même.  Page  33C. 

—  Tullianac  quacstiones  d'André  Schott.  Page  343. 

—  Ludics  Sipe  convivium  sahirnale  .    par   Castel- 
lanus  (IC16).  Page  215. 


o. 


OcELLLS    LicANUs.  Son    traité   de   la   Nature   des 

c/ioses,  traduit  par  J.Boschius  (1554).  Page  157. 

Orphée.  Le  poëme  nrph\(\ue  Sur  les  pierres ,  trad. 


par  H.  Gamcrius.  Page  359. 
Ovide.  Son   poëme   VJhis,   commenté  par  Valère 
André  (1018).  Page  258. 


P. 


Perse.  Ses  satires  impr.  à  Louvain  (1475).  Page  20. 

Phiielphe  (Fr.).  Lecture  de  ses  écrits  dans  les 
classes.  Pages  137  et  293. 

Photics.  Edition  célèbre  de  sa  Bibliothèque,  par 
A.  Schott.  Page  343. 

Pindare.  Ses  odes  expliquées  h  Louvain  par  S.  Pé- 
tri. Pages  211  et  338. 

Platon.  Ses  Lois  publiées  en  grec  par  Rescius. 
Pages  200  et  304. 

—  Dialogues  impr.  par  Martens.  Page  302. 
Plaiite.  Prologue  et  complément  de  .son  Aulularia, 

parDorpius  (1508).  Pages  118-120  et  598-401. 

—  Prologue  de  Barland  pour  la  même  pièce. 
Page  120.  —  Jugements  divers  sur  le  théâtre  de 
ce  poète.  Pages  121  et  292. 

Pline  l'Ancien.  Son  Histoire  universelle  expl.  par 
Vives  à  Louvain  (1522).  Page  136. 

Pline  le  Jeune.  Scholies  sur  ses  lettres,  par  Bar- 
land. Page  402.  —  Donné  comme  modèle  du  style 


épistolaire.  Page  293. 
Plutarque.  Opuscules  trad.  par  Erasme.  Page  305. 

—  Vies  de  Caton  et  de  Phocion,  trad.  par  Nan- 
nius (1540).  Page  154. 

—  Divers  traités  trad.  par  SulT.  Pétri.  Page  338. 
PoMPONlus  Mêla,  expliqué  par  Vives  à  Louvain. 

Page  136. 
Prudence.  Poèmes  choisis  oiTerts  à  la  jeunesse,  en 
1518,  par  Th.  Martens.  Pages  310-331. 

—  Recommandé  par  Vives  avec  les  av.tres  poêles 
chrétiens.  Page  311. 

—  Vanté  comme  classique  par  Barland.  Page  293. 

—  Edition  de  ses  poèmes  d'après  un  MS.  de  Nan- 
nius (Anvers,  1564).  Pages  184  et  310. 

Psaumes.  Psalmorum  paraphrastica  iîilerpretatio , 
par  J.  Canipensis  (1532  et  an.  suiv.).  Pages  242- 
243,310-317. 

—  Édit.  des  Commentaires  de  Simon  de  Muis,  par 
Paquot  (1770).  Page  275. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN. 


417 


S. 


Salomon.  Livre  de  lu  Sagesse,  scolics  par  Nannius 

(lbS2).  Pagelii2. 
—  Cantique  des  cantiques,  paraphrasé  par  le  mciiic. 

(1534.).  Ibid. 
SozoMÈNB.  Hist.  ccelésiast.;  les  trois  derniers  livres 


traduits  jiar  Sulfr.  Pelri.  Page  338. 
Stobee  (Jean).  Florilegium,  ou  Ecloguc;  édition  gr. 

et  lat.  par  G.  Ganter  (1579).  Page  542. 
SviNEsiLs.  Quelques  lettres  traduites  par  Nannius. 

Page  154. 


T. 


TÉREiNCE.  Commentaires  sur  ses  comédies,  par  Bar- 

land.  Pages  295,  142  et  402. 
—  Opinions  diverses  sur  la  moralité  de  ses  pièces. 

Pages  74,  121,293-291. 


TuEOCKiTE.  Idylles.  Édition  grecque  par  Th.  Mar- 

tens  (1518).  Page  502. 
TaÉopuiLE.  Sa  version  grecque  des  Instilutcs,  éd.  de 

Rescius  (1536).  Pages  205  et  304. 


Virgile.  Ane.  édition  des  Bucoliques  et  des  Géor- 
rjiques,  par  Jean  de  Westphalie  (1475).  Page  20. 

—  Edit.  de  VÈniide  (1476).  Page  20. 

—  Ses  Géorgiqucs  expliquées  par  Vives  (1522). 
Page  136. 

—  Éludes  de  Barland  sur  les  IV  premiers  livres  de 
r£Kcidc  (1529),  avec  extraits  d'un  commentaire 
attribué  b  Donatus.  Page  402. 

—  Bucoliques  et  Gcorgiques  commentées  par  Nan- 


nius. Page  155. 

—  Son  commentaire  sur  les  Bucoliques,  publié  par 
Th.  Langius.  Page  211. 

—  Remarques  de  Nannius  sur  le  VI'""  livre  de 
V Enéide.  Page  154. 

Virgile  lu  de  préférence  dans  les  classes  par  Bar- 
land, Goclenius,  Nannius  et  Valerius.  Pages  142, 
155,158,295,  299. 


X. 


Xénophon.  Ses  traités  publiés  par  Th.  Martens  en 

grec.  Page  502. 
—  La  Cgropédie,  VÉconomique  et  le  Hiéro/t  expli- 


qués par  Rescius.  Page  207. 
-  Ses  Memorabilia  Sûcratis,  édil.  gPccque  par  Res- 
cius (1529).  Pages  207  et  30-4. 


418 


MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 


ONOMASTICON 


TABLE  ALPHABÉTIQUE  DES  PROFESSEURS  ET  DES  SAVANTS,  DES  PRÉSIDENTS  ET  AUTRES  FONCTIONNAIRES, 
AINSI  QUE  DES  PERSONNAGES  CÉLÈBRES,  CITÉS  DANS  CE  MÉMOIRE. 


Abudacnls  (Joseph),  hcbraisant,  éditeur  d'un  Spé- 
culum Hcbraïcum  (i61S).  Page  355. 

Adrianus  (Matthieu),  juif  espagnol,  prof,  d'iiébreu 
(1518).  Pages  126,  228-251. 

Adrien  VI  (Adrien  Boyens,  d'Utreeht),  prof,  de 
théologie  à  Louvain;  puis  cardinal  et  pape.  Ses 
sentiments  sur  la  culture  des  belles -lettres. 
Pages  72,  74-75. 

.^GRicoLA  (Rodolphe),  maître  es  arts  à  Louvain 
(1465);  influence  de  ses  travaux  littéraires  sur 
les  écoles  des  Pays-Bas.  Pages  15-14,  16,  124. 

Alabdus  (Adelardus),  d'Amsterdam,  humaniste  et 
poëte,  en  1544.  Son  séjour  et  ses  travau.x  à  Lou- 
vain. Pages  154-155,  518. 

—  Ses  vers  à  la  mémoire  de  C.  Goclenius,  p.  144, 
et  de  J.  Campensis.  P.  244. 

Aleandro  ou  Aleander  (Hieronimo),  humaniste 
italien,  ami  d'Erasme  et  protecteur  de  Campen- 
sis. Paae  257. 


Amand,  de  Zirickzéc,  hébraisant.  Page  518, 

Amerotils  ou  Amerot  (Adrianus),  prof,  de  grec 
(1545-1560).  Pages  208-210,  500. 

Ammonius  (  Gaspard  ) ,  hcbraisant  du  XV °"^  siècle. 
Page  17. 

Amyot  (Jacques).  Ses  leçons  de  grammaire  grecque 
à  Louvain.  Page  534. 

Andréas  (Valcrius)  vulgo  Driessens,  ou  Valère 
André,  prof,  d'hébreu  (1612-1655).  Sa  vie  et  ses 
travaux.  Pages  250-258. 

—  Son  histoire  du  collège  des  Trois-Laiigucs,  et 
son  éloge  de  l'hébreu.  Pages  xv,  105  et  259-267. 

Arias  Montanus  (Benedictus),  éditeur  de  la  Poly- 
glotte d'Anvers.  Son  appel  aux  docteurs  de  l'Uni- 
versité de  Louvain.  Pages  318-522. 

Assonleville  (Christ,  d'),  membre  du  conseil  sou- 
verain des  Pays-Bas  (1586).  Sa  lettre  en  faveur 
de  G.  Huysmannus.  Pages  164-165. 

.\iDENAERT  (Egide  Fr.),  prof,  de  grec.  P.  221-222. 


B. 


Baecx  (Adrien)  van  Baerlandt,  président  du  col- 
lège des  Trois-Langues  (1606-1624).  Ses  ser- 
vices comme  administrateur,  pages  105-107. 

—  Sa  vie.  Pages  592-595. 

Balduinus  ou  Bauduin  (Fr.),  jurisconsulte  lettré. 
Page  339. 

Barbirrs  (Pctrus),  doyen  de  Tournai,  ami  d'É- 


rasme. Pages  71,  229, 

Barland  (Adrien),  prof,  de  latin  (1518-1319);  son 
mérite  dans  l'enseignement  des  lettres  à  Lou- 
vain. Pages  120-121,  131. 

—  Sa  vie  et  son  influence  sur  les  études  latines  au 
collège  des  Trois-Langues.  Pages  140-143, 
292-291. 


DES  TROIS-LANGCES  A  LOUVAIN. 


419 


Bix  (Jean  Lambert),  anc.  économe  du  collège  du 
S'-Esi)rit.  Ses  notices  d'histoire  littéraire.  P.  xvi 
et  98. 

Bellenus  ou  Bellens  (Philippe),  président  (1648- 
1693).  Page  395. 

Block  (Jean) ,  premier  professeur  d'éloquence  à  la 
faculté  des  Arts  (I'i43-14-S3).  Page  8. 

Blosius  ou  de  Blois  (Louis) ,  abbé  de  Liessies  ;  in- 
struit dans  les  trois  langues.  Page  518. 

BoHBASivs  (Paulus),  prof,  de  grec  à  Bologne,  cor- 
respondant d'Érasme.  Pages  201-202. 

BoMBAYE  (Chrétien),  prof,  de  latin  (1720-1741). 
Pages  193-194. 

BoNOMi  (J.  Fr.),  littérateur  et  protecteur  des  sa- 
vants, nonce  apostolique  en  Belgique,  mort  en 
1887.  Son  intervention  en  faveur  de  G.  Huys- 
raannus.  Pages  16a-lC6. 

BoRROMÉE  (S.  Charles),  archevêque  de  Milan.  Ecole 
de  son  palais,  où  enseigna  J.  Huysmannus. 
Page  164. 

BoRROMÉE  (Frédéric),  cardinal.  Ses  fondations 
scientifiques  à  Milan,  à  l'époque  du  séjour  de 
Putcanus.  Page  173. 

BoRSALUS  ou  VAN  BoRSEEL  (Jean),  humaniste.  Ses 
services  littéraires  dans  les  collèges  de  Louvain. 
Pages  H 9,  130,  152. 

—  Désigné  comme  premier  titulaire  de  la  leçon  de 
latin  (1818).  Page  139. 


BosciiiLs  ou  BosscHE  (Jean),  médecin  et  huma- 
niste, prof,  à  Ingolstadt.  Pages  187  et  558-539. 

Bldé  (Guill.),  ami  d'Erasme,  restaurateur  des  éludes 
grecques  en  France.  Pages  137,  289  et  330. 

BuECKEN  (Martinus  van  deb),  président  (1752- 
1789).  Pages  394-398. 

BiKENTOp  (Henri  de),  frère  récollct,  prof.  d'Écrit, 
sainte,  hébraïsant.  Page  565. 

BiRGii  (Rulger  van  der  ),  prof,  de  grec.  Pages  221. 
268-266. 

Busciiius  (Hermann),  humaniste  de  l'école  de  De- 
venter.  Son  séjour  à  Louvain.  Pages  14,  507-508. 

BusLEiDEN  ou  BosLiDius  (Jérôme),  fondateur  du 
collège  des  Trois-Langucs ,  mort  en  1517.  Sa  vie. 
Pages  37  et  suiv. 

—  Ses  dispositions  testamentaires.  Pages  47-49. 

—  Extraits  de  son  testament.  Pages  374-584. 
Blsleiden  (Valérien),  son  frère.  Pages  39  et  573. 

—  (François),  fils  do  Valérien.  Pages  39 

et  576. 

—  (François),  archevêque  de  Besançon, 

mort  en  1503.  Pages  58-59  et  575. 

—  (.'Egidius,   Gilles),    chevalier,   un   des 

premiers  promoteurs  du  collège  des 
Trois-Langues.  Page  58,  80,  52,  95, 
207. 

—  (Guillaume),  fils  de  Gilles,  patron  du 

collège.  Pages  248  et  375. 


c. 


Campensis  (Joannes)  ou  Jean  van  den  Campen,  prof. 

d'hébreu  (  1250-1551).  Pages  255-258.  —  Ses 

ouvrages.  Pages  258-244,  514-518. 
Canterus  (Guill.),  d'Utrecht,  savant  philologue, 

élève  de  Valerius,  mort  en  1873.  Pages  188, 

507-508,  541-542. 
Canterus  (Théod.),  èrudit  et  philologue.  Page 542. 
Carondelet,  chancelier  de  Brabant.  Pages  82-84. 
Castellanus  ou  a  Castello  (Petrus),  prof,  de  grec 

(1609-1652).  Pages  214-217. 
—  Son  mérite  d'écrivain  et  de  critique.  Pages  217 

et  555. 
Castro  (Nicolas  a)  ou  Verbruch,  président  (1559- 

1544).  Pages  590-591. 
Cauchius   (Jean)   ou  van  Cuvck,  d'Utrecht,    lati- 


niste, mort  en  1866.  Page  158. 
Ceratinus  (Jacobus)  ou  Jacques  Teyng,  de  Horn, 

helléniste,  mort  en  1830.  Ses  relations  avec  les 

humanistes  de  Louvain.  Pages  80,  131,    199- 

200. 
Clément  VII ,  pape.  Son  avertissement  aux  théolo- 
giens de  Louvain,  au  sujet  d'Érasme.  Pages  85, 

386-387. 
Clenardiis  ou  Clevnaerts  (Nicolas),  linguiste.  Ses 

études  et  ses  leçons  à  Louvain.  Pages  52,  155, 

328. 
—  Ses  traités  sur  la  langue  grecque,  p.  328-529, 

et  sur  la  langue  hébraïque,  pages  259,  514-315. 
Corselius  ou  DE  CouRSÈLE  (Gérard),  jurisconsulte, 

prof,  de  grec  (1591-1590).  Pages  215  et  528. 


420 


MEMOIRE  sua  LE  COLLEGE 


Ckanbveldt  (François  de),  magistrat,  ami  des 
lettres  et  helléniste  lui-même.  Pages  206  et  356. 

CRLgtius  ou  DE  Crucque  (Jacques),  prof,  à  Bruges, 
éditeur  d'Horace.  Page  357. 


Clsios  (Joannes)  ou  Jean  de  Costek,  professeur  à 

Louvain,  vers  1-498.  Page  129. 
CypERS  (Jean-Baptiste),  prof,  de  grce,  en  1790, 

Pages  225-22U. 


D. 


Damen  (Hcrmann),  Th.   U.,  i)roviscur  du  collège 

(1722).  Page  567. 
Deckers   (Jean),    prof,   d'hchreu    (1772-1782). 

Page  276. 
Deens  (Louis   François),   président  (1695-1725). 

Page  594. 
DELPnts  (Judocus) ,  docteur  en  droit.  Ses  vers  en 

l'honneur  de  M.  Dorpius.  Pages  120  et  401. 
Désirant  (le  Frère  Bernard),  historiographe  royal, 

prof,  de    latin   au    collège  des  Trois -Langues 

(1689-1701).  Pages  189,  190-191. 
Despautère  (Jean),  de  Ninove,  grammairien  ,  prof. 

au  collège  du  Lis.  Pages  15,  129-150. 
—  Célébrité  de  ses  traités  de  grammaire  latine. 

Pages  292,  329-550. 
Dellin  (Henri),  de  Merville,  prof,    d'éloquence 

avant  U90.  Page  9. 


Durât  ou  d'Aurat  (Jean),  prof,  à  Paris,  un  des 

maîtres  de  G.  Ganter.  Page  307. 
DoRMALiLs  ou  VAN  DoRMAEL  (Philippe),  imprirneur. 

Pages  554,  336. 
DoRPics  (Martin),  théologien  et  humaniste,  mort  en 

152S.  Pages  22,  127  et  150. 

—  Ses  vues  générales  sur  la  rénovation  des  études. 
Pages  115-110. 

—  Ses  études  sur  Plautc,  et  ses  travaux  pour  la 
restitution  de  r/l«/w?an'(t  et  pour  la  représenta- 
tion d'autres  pièces  de  Plante.  Pages  117-121. 

—  Son  prologue  en  vers  pour  la  représentation  de 
VAulularia  de  Plante.  Pages  598-100. 

—  Son  prologue  pour  le  Miles.  Pages  119-120 
(note). 

—  Ses  prévisions  sur  le  rôle  de  la  philologie  dans 
l'e.xégèse  biblique.  Pages  69,  126-128. 


E. 


Edelheere  (Jacques),  président  (1559).  Page  589. 

ELEM;s(Hieronymus),deBaelen.  Ses  leçons  privées 
de  grec  au  XVl"»  siècle.  Page  550. 

Elsken  (Jean  Jos.  van  de.n),  président  (1790-1797). 
Page  596. 

EoBANUs  Htssts  (Helius).  Ses  vers  sur  l'école  de 
Louvain  (1518).  Page  128. 

Epo  (Boetius).  Ses  leçons  de  grec  en  1555,  à  Lou- 
vain. Page  534. 

Érasme  (Didier)  ou  Dcsiderius  Eras.mis,  l'un  des 
promoteurs  du  mouvement  de  la  Renaissance, 
mort  en  1556.  Pages  56,  157  et  289. 

—  Appui  qu'il  donne  aux  projets  de  Jérôme  Bus- 
leidcn  ;  ses  démarches  en  faveur  du  collège  des 
Trois-Langucs.  Pages  36-57,  52-55,  60  et  suiv., 
78-90,  99-100,  200-201. 

—  Influence  de  ses  écrits  sur  la  nouvelle  littéra- 
ture latine.  Pages  154-142,  297-298. 


—  Ses  vues  sur  l'étude  du  grec  et  sur  celle  de  l'hé- 
breu. Pages  125-128. 

—  Ses  opinions  sur  l'utilité  des  langues  pour  la 
science  des  saintes  Écritures,  pages  60-71,  et  sur 
l'élude  des  classiques  et  des  auteurs  chrétiens. 
Pages  57,  76-77,  508-512. 

—  Ses  relations  d'amitié  avec  les  maîtres  et  les 
savants  de  Louvain.  Pages  86-90,  141,  146-147, 
204-205,  229-250,  258. 

—  Réalisation  de  ses  prévisions  dans  le  premier 
siècle  du  collège  des  Trois-Langucs.  Pages  157, 
227,  289,  295,  522-523,  545-546. 

—  Protection  accordée  à  Érasme  par  les  papes 
Léon  X,  Adrien  VI  et  Clément  "VU.  Pages  70,  72, 
85,  586. 

ÉvERAKD  (Nicolas),  membre  du  grand  conseil  de 
iMalines,  mort  en  1552.  Pages  36  et  151. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN. 


421 


F. 


Fabius  (Guil.),  viilf/n  Boonaerts,  professeur  de  grec 
(1578-1590).  Pages  212,  350. 

FABRicitJs(Godcfi'oid\  de  Liège,  professeur  de  litté- 
rature sacrée,  à  Ingolstadt.  Page  ôô9. 


FoRTis  (Joanncs),  ou  Jean  Sïercke,  de  Meerbeke, 
dit  Mirbecanus,  premier  président  du  collège. 
Pages  49,  98-99,  382,  387-88. 


G. 


Gamerius  (Hannardus),  àW,  Mosacns ,  professeur  à 
Ingolstadt,  directeur  à  l'école  de  Tongres.  P.  339. 

Gattinara  (Mcrcurin  Arborio  de),  chancelier  de 
l'Empire,  successeur  de  Sauvage  (1518).  P.  84. 

GaUDANUS  ou  GOUDANLS.  V.  Reineri. 

Gautiis  (Léonard),  professeur  de  latin  (1089  et 
suiv.).  Pages  188-190. 

Gennepius  (Andréas)  ou  André  Gennep,  professeur 
d'hébreu  (1532-1568).  Pages  245-247,  315,  335. 

Georges  d'Autriche,  prévôt  et  chancelier  de  l'Uni- 
versité, fondateur  d'une  bourse  au  collège  des 
Trois-Langues,  mort  en  1619.  Pages  104,  160. 

Geuli>cx  (Arnold),  défenseur  du  latin  comme  lan- 
gue savante.  Pages  349-350. 

GiDBERTi's  (Jean  Matthieu),  cvèque  de  Vérone, 
secrétaire  de  Clément  VII;  son  intervention  offi- 
cieuse en  faveur  du  collège  des  Trois-Langues. 
Page  84. 

GiLLET  (Jean),  professeur  à  Mons,  ses  études  sur  la 
grammaire  latine.  Page  330. 

GiLs  (Antoine  vaiv),   prof,  de  grec  (1791-1797). 


Page  226. 
GisELiNus  OU  Gislain  (Victor),  latiniste  du  XVI"" 

siècle.  Pages  167,  340-341. 
Goclenius  ou  Goclen  (Conrad),  professeur  de  latin, 

mort  en  1539.  Sa  vie.  Pages  143-149. 

—  De  l'influence  de  son  enseignement  sur  la  philo- 
logie latine.  Pages  151 ,  298-299,  332. 

Goropius  (Jean)  Bccanus.  Critique  de  son  opinion 
sur  le  flamand  comme  langue  mère  universelle, 
par  Valèrc  André.  Page  263. 

GuAMAYE  (J.-B.),  professeur  d'éloquence.  Son  Spé- 
cimen Htterarwm  et  linguarum  (1622).  Page  354. 

Gravius  (Barthélémy),  imprimeur,  associé  de  Res- 
cius.  Pages  206,  304  et  327. 

Gl'ilielmius  (Joannes)  ou  Jean  Giiilieimi,  dit  Har- 
lemius,  S.  J.,  prof,  d'hébreu  en  1 568.  Page  247- 
248. 

—  Sa  coopération  aux  travaux  de  la  Polyglotte 
d'Anvers.  Pages  320-322. 

GuvAix  (J.  J.),  professeur  d'Écriture  sainte.  P.  190 
et  363. 


Hagem  (Gilbert-Joseph),  professeur  d'hébreu  (1723- 
1750).  Pages  271-272. 

Haiewym  (Georges),  dit  Haloisls,  latiniste  et  pro- 
tecteur des  lettres.  Pages  36,  119  et  330. 

Hamere  (de)  ou  van  Hameren  (Jean),  prof,  de  grec 
1664-1680).  Pages  219-220. 

Harlem  (Hugues  de),  prof,  d'éloquence  (1453- 
1460).  Pages  9. 

Harlemius.  Voir  Guilielmius. 

Hasseius  (Leonardus),  théologien  et  hébraïsant. 
Page  318. 


Havens  (Frédéric),  président  (1624-1648).  P.  393. 
Hegil'S  (Alex.),  maître  d'Érasme  et  de  Goclenius  et 

d'autres  humanisles  célèbres,  à  Devcnter.  P.  14. 
Heimbaciiiis  ou  von  Heysirach  (Bernard),  prof,  de 

latin  (1649),  et  de  grec  (1054).  Pages  184-185, 

218,  352. 
HERYs(Jean),  professeur  d'hébreu  (1680-1704). 

Pages  269-270. 
Heuschling  (Etienne),  prof,  d'hébreu  (1790-1797). 

Pages  278-288. 
Hezius  (Théod.),  secrétaire  d'Adrien  VL  Page  386. 


422 


MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 


HiÉRONYJiiTES,  OU  frèrcs  de  la  Vie  commune.  Leurs 

écoles  à  Deventer  et  ailleurs.  Pages  12-15. 
HoppERLS  (Joachim),  conseiller  d'Étal.  Pages  525, 

528,  340. 
HovE  (Judoeus  van  den),  président,   1529-1536. 

Pages  589. 
HovEN  (Guillaume  van  den),  professeur  d'hébreu 

(1704-1723).  Pages  270-271. 
HoYLs  (André),  professeur  de  littérature  grecque  à 

Douai.  Page  251. 
Hi'ET  (D.),  évoque  d'Avranclies.  Sa  visite  h  Valère 


André,  à  Louvain.  Pages  287. 

—  Son  jugement  sur  les  traductions  latines  de 
Nannius.  Page  152. 

Hl'nnaels  ou  HcENs  (Augustin),  de  Malines,  sup- 
pléant de  Th.  Langius  et  de  Gennep.  Pages  102, 
211-247. 

—  Associé  aux  travaux  de  la  Poljglotti-  royale. 
Pages  319-320,  405. 

HuvsMANNis  ou  HiYSMANs  (Guillaume),  prof,  de 
latin  au  collège  des  Trois-Langues  (158C  et  sui- 
vant). Pages  162-160. 


Jacqies  dit  Jacofcî  (.Jean),  président  (1759-1783). 

Pages  592. 
Jeneffe  (Lambert  de),  de  Huy,  suppléant  de  Boiii- 


baye  au  collège  des  Trois-Langues.  Page  193. 
Josel  (Adrien),  chanoine  d'Anvers,  mandataire  de 
Jérôme  Busieiden.  Pages  50,  575,  582. 


Kerkherdere  (Jean  Gcr. ),  historiographe  royal, 
suppléant  de   Bombaye  (1722-1758)  dans   la 


chaire  de  latin.  Pages  194-197. 


Laddersois  (Jean  Fr.  de),  prof,  de  latin  (1705- 
1720).  Page  192. 

Lange.ndo.nck  (Chrétien  van),  prof,  de  latin  (1064- 
1669).  Pages  186-187,  552. 

Langius  ou  de  Langue  (Thcodoricus),  prof,  de  grec 
(1560-1578).  Pages  98,  210-212. 

Langils  (Car.),  ou  Ch.  de  Langue,  humaniste.  Pa- 
ges 210,341. 

Lascaris  (Constantin).  Étude  de  sa  grammaire  grec- 
que par  nos  hellénistes.  Pages  209  et  330. 

Lascaris  (Jean),  prié  par  Érasme  de  choisir  un 
Grec  de  naissance  pour  la  chaire  de  Busieiden. 
Pages  35,  200-201. 

Latomls  (Barthol.)  ou  Masson,  latiniste,  professeur 
à  Paris.  Pages  88  et  537. 

Latomis  (Jacobus)  ou  J.  Masson,  théologien.  Son 
rôle  dans  la  polémique  sur  l'élude  des  langues. 
Pages  67,  70-71. 

Leempit  (Jean   Hub.  Jos.),  prof,  de  grec  (1772- 


1787).  Pages  223-225. 
Lefèvre  (Guy)  de   la   Boderie.  Ses  sonnets   en 
l'honneur  des  philologues,  éditeurs  des  Diblia 
regia.  Pages  321-522. 

—  Ses  publications  de  textes  syriaques  h  la  de- 
mande des  savants  de  Louvain.  Pages  326-527. 

Leopardis  (Paul),  humaniste  du  XVI"*  siècle. 
Pages  151  et  336. 

Levita  (Elias),  savant  rabbin.  Ses  traités  de  gram- 
maire hébraïque  et  leur  usage  au  XVI'  siècle. 
Pages  31,  240-241. 

Levita  (Jean  Isaac),  juif  converti,  enseigne  l'hébrcn 
à  Louvain.  Pages  248  et  555. 

—  Sa  vie  et  ses  ouvrages.  Pages  405-406. 
Levita  (Stephanus  ou  Etienne),  fils.  Ses  études  à 

Louvain  et  à  Cologne.  Pages  553,  406-407. 
Lindanls  (Guil.),  évêque  de  Ruremonde,  hébraï- 
sant  et  théologien,  élève  de  Gennep.  Pages  245, 
518,  359. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN. 


423 


Lipsius  (Justus)  ou  Juste  Lipse,  professeur  hono- 
raire de  latin  au  collège  des  Trois -Langues. 
Pages  166-170. 

—  Influence  de  ses  écrits  et  de  sa  latinité  sur  les 
études  littéraires  dans  les  Pays-Bas.  P.  171-172, 
032-333. 


LiviNEius  OU  LiEVEXs  (Jcan),   savant  helléniste. 

Pages  5i0-341 ,  343. 
LoEzius   (Jean).  Ses   leçons  de  latin  à  Louvain. 

Pages  li9  et  334. 
LccAS  (Franciscus,  dit  Bnigensis),  ou  Llcas  de 

Eriges,  théologien  et  exégète.  Pages  271  et  404. 


M. 


.Uac,\rils  (Joarincs)  ou  l'Heureux,  humaniste  et 

savant,   lègue  ses  MSS.  au  collège  des  Trois- 

Langues.  Pages  336-337. 
Macropedius  (Georges)   ou  G.  van   Langhveldt  , 

maître  de  Valerius.  Page  1 56. 
Martexs  (Thierry),  d'Alost,  imprimeur  habile  et 

savant.   Son  établissement   à    Louvain   (1512- 

1529).  Pages  21-23. 

—  Services  qu'il  rend  aux  lettres  anciennes;  ses 
éditions  grecques.  Pages  301-303,  310-311. 

—  Ses  efforts  en  faveur  de  l'étude  de  l'hébreu. 
Pages  313-314. 

Martin  (Franc.),  Irlandais ,  prof,  de  grec  (1683- 
1722j.  Pages  220-221,  563-366. 

Marvilla.\us.  Voy.  Warrt. 

Masius  ou  Maes  (André),  philologue  et  orientaliste. 
Ses  travaux  sur  la  langue  syriaque,  publiés  dans 
la  Polyglotte  d'Anvers.  Pages  321 ,  326. 

Massox  (Barthél.).  Voy.  Latomcs  (B.). 


Masso.n  (Jacques).  Voy.  Latomus  (J.). 
Mazière  (Jean  Benoît  de),  prof,  d'hébreu  (1782- 
1786).  Pages  277-278. 

MiRBECANUS.  Voy.   FûRTIS. 

MoxTANUs.  Voy.  Arias. 

MoNTZUMA  (Bucho  de),  Frison,  suppl.  de  Gennep. 
Page  247. 

MoRus  (Thomas),  chancelier  d'Angleterre.  Son  ami- 
tié pour  Jérôme  Busleidcn.  Pages  40-41. 

—  Ses  vers  sur  les  collections  d'art  et  les  poésies 
de  son  ami.  Pages  384-385. 

—  Son  riche  présent  à  Goclenius.  Pages  146-146. 
MiiNSTER    (Sébastien),    hébraisant    d'Allemagne. 

Page  31.  Usage  de  ses  traités  par  J.  Campensis. 

Pages  257,  240,  244. 
Mlrmellius  (Jean),  de  Ruremonde,  philologue  de 

l'école  de  Deventer.  Pages  14  et  310. 
Musius  (Cornélius),  humaniste  et  poète,  mort  en 

1672.  Pages  181,  346. 


». 


Naevils  ou  de  Neve  (Jean),  de  Hondschote,  huma- 
niste, président  du  collège  du  Lis.  Pages  130, 
132-133,208. 

Nanmus  ou  Naïv'mxck  (Pctrus),  professeur  de  latin, 
(1539-1587).  Pages  149-154. 

—  Mérites  de  ses  traductions  du  grec  en  latin. 
Pages  152,  155- 156,  327. 

—  Ses  observations  sur  la  difficulté  de  traduire 
certains  auteurs.  Pages  305-207. 

Nelis  (de),  évoque  d'Anvers,  éditeur  d'Anatecles 


inachevés  sur  l'histoire  littéraire  de   Louvain. 

Pages  113,  119,215,598. 
—  Ses  vues  sur  les  vicissitudes  des  études  littéraires 

en  Belgique.  Page  553. 
Neseni's  (Guillaume),   humaniste   allemand.   Son 

séjour  à  Louvain  (1519).  Page  135. 
NispEN  (Nicolas  de),  secrétaire  de  Robert  de  Croy, 

mandataire  de  Busleidcn.  Pages  50-51 ,  382. 
NoRMENTON  (Jcan),  prof,  de  grec.  Page  219. 


Paludanus  (Jean)  ou  Desmarais,  professeur  d'élo- 
quence, mort  en  1626.  Pages  130,  141. 
Papiis  (Andr.)  ou   Andtié   de  Paep  ,  philologue. 

Tome  XXVIIf. 


Pages  540,  342. 
Paquot  (Jean  Noël),  prof,  d'hébreu  (1735-1772). 
Pages  272-276,  363. 

55 


424 


MEMOIRE  SUR  LE  COLLEGE 


—  Son  édition   manuscrite  des  Fasii  academici 
Lovanimscs.  Pages  xvi  et  2S5. 

Pétri  (Suffridus),  Frison,  helléniste  suppléant  de 
Tli.  Langius.  Page  211. 

—  Son  appel  à  Erfurf  ;  ses   travaux    littéraires. 
Pages  357-558. 

PiGHiLS  (Albertus),  de  Campen  (ISiS).  Page  256. 

—  Sa  lettre  aux  théologiens  de  Louvain,  au  nom  de 
Clément  VU  (1525).  Pages  85,  586. 

Plantin  (Christophe),  imprimeur.  Ses  services  en- 


vers les  lettres.  P.  161-162,  50b,  321,  527,  341. 
PonTÈs  (Joachim),  humaniste  et  poëtc.  Page  353. 
PuLMANNCs  ou  PoELMAN  (Thcodore),  latiniste  du 

XVI'"':  siècle.  Page  Si!. 
PuTEANus  (Erycius)  ou  Henri  de  PtT,  professeur 

de  latin  au  collège  des  Trois-Langucs  (1607- 

1646).  Pages  172-180,  559. 

—  Son  influence  sur  la  culture  des  études  classi- 
ques. Pages  178-179,  551. 

—  Sa  Palaestra  bonae  menlis.  Pages  179,  355-338. 


Q 

QuAREUX  (François  Claude  de),  professeur  de  grec  (1752-1741).  Page  222. 


R. 


Kai'uelingiiis  ou  Kallenghie.v  (  Fr.  ),  loué  comme 
orientaliste.  Pages  521-322. 

REiNEni  (Corn.),  surnommé  Gaitdanus ,  D'  en 
théologie  (1568),  chargé  par  l'Université  de  la 
révision  de  la  Polyglotte  d'Anvers.  Pages  519- 
320,  405. 

Keineri  (Jean),  dit  Wccrthanus,  président.  Pages 
101,  591. 

Rescius  (Rutgerus),  mlgo  Ressen,  prof,  de  grec 
(151S-1545).  Pages  202-206. 

—  Ses  éditions  grecques.  Pages  S07,  300,  501. 

Reuchlim  (Jean),  dit  aussi  J.  Capnion,  savant  alle- 
mand. Ses  travaux  sur  la  langue  hébraïque,  et 


leur  influence  sur  l'étude  de  cette  langue  en  Bel- 
gique. Pages  50-52,  124,  256,  240. 

Reymarius  (Augustinus),  humaniste,  élève  de  Bar- 
land.  Pages  195  et  401 ,  notes. 

Rivo  (PetrusA)  ou  Pierre  Vanderbeke,  prof,  d'élo- 
quence (1460).  Page  9. 

RoBBiiNus  ou  RoBYNS,  doycu  de  Malincs,  désigné 
dans  le  testament  de  Busleiden.  Page  49. 

—  Erasme  réclame  son  patronage  pour  le  collège 
des  Trois-Langucs.  Pages  44,  63,  204,  229. 

RoBERTis  (Cornélius),  d'Anvers,  hébraïsant.  P.  248. 

Ryckenroy  (Melchior  van),  président  (1559-1570). 
Pages  591-592. 


S. 


Sauterl's  ou  Sauter  (Jean) ,  prof,  d'hébreu  (1655- 
1680).  Pages  268-269,  555. 

Sauvage  (Jean),  chancelier  de  Bourgogne.  Ses  rela- 
tions avec  Érasme  et  J.  Busleiden.  Page  45. 

SceoEPS  (J.-B.),  pléban  de  S'-Pierrc  (1713-42), 
proviseur  du  collège  des  Trois-Langues  (1722). 
Il  réclame  un  concours  pour  la  collation  de  la 
chaire  de  grec.  Pages  566-570. 

—  Texte  de  sa  requête.  Pages  408-412. 

ScHOTT  (André),  S.  J.,  humaniste  célèbre ,  mort  en 
1629,  élève  de  C.  Valerius,  pages  158,  160,  162; 
maître  de  V.  André,  pages  251 ,  254;  représen- 
tant de  la  haute  érudition  classique,  pages  540, 
542-545. 

ScnuTTEiAERE  (Jean-Baptistc  Viclor  de),  prof,  de 


latin  (1669-1685).  Page  187. 
Shirvodus  ou  SniRvooD  (Robertus),  prof,  d'hébreu 

(1519).  Pages  254-255,  518. 
Smenga  (Pctrus  Pierius  a),  prof,  d'hébreu  (1569- 

1577).  Pages  248-250. 
S.NEiLAERTS  (Dominique),  prof,  de  latin  (1683- 

1688).  Pages  187-188. 
Stadius  (Jean),  historien  et  savant.  Ses  leçons 

d'histoire  ancienne  à  Louvain.  Page  168. 
Steen  (Hen.  Jos.   van  den),  prof,  de  latin  après 

Bombayc  (1741-1768).  Page  198. 
Stercke.  Voy.  Fortis. 

Straselics  (Jean),  prof,  de  grec  h  Paris.  Page  533. 
Streithagen  (Léonard),  président  (1723-1752). 

Pase  394. 


DES  TROIS-LANGUES  A  LOUVAIN. 


425 


STURMiisouSTiRM(Jean),  son  séjour  el  ses  travaux  à 

Louvain,  an.  1 524,  el  suiv.  Pages  20G  et  ôS-i-ôôïi. 

SucQUET  (Antoine),  chevalier  et  conseiller  impé- 


rial. Page  iô. 
SicQur.T  (Jean),  frère  d'Antoine,  homme  de  cour, 
ami  dos  lettres.  Pages  81-82,  322. 


T. 


Theige   (Mathieu),  Irlandais,  professeur  de  grec 

(164Ô-1CB2).  Page  218. 
TiTELMAN.yi's  ou  TiTEiMANS  (François),  franciscain, 

philologue  hébraïsant.  Page  318. 
ToBRE.«iTius(Laevinus),  humaniste  et  poète,  cvéque 


d'Anvers.  Pages  Itiô  et  541. 
TusANi's  ou  ToissAiN  (Jacqucs),  professeur  de  grec 
à  Paris.  Encourage  par  l'exemple  des  professeurs 
de  Buslcidcn.  Paa;cs  88-90. 


V. 


Vaierils  ou  WoLTERs  (ComcHus),  prof,  de  latin 

(1557-1578).  Sa  vie  et  ses  travaux.  P.  156-162. 
—  Sa  longue  influence  sur  les  études  littéraires  en 

Belgique.  Pages  289,  324,  332. 
Varenmus  (Joanncs)  ou  Jean  van  der  Varen  de  Ma- 

lincsj  helléniste,  mort  en  1536.  P.  329-550,  333.~ 
Velshs  ouWelseus  (Justus),  docteur  en  médecine, 

suppléant  de  Nannius  au  collège  des  Trois-Lan- 

gues  (1542).  Page  151. 
VERHAcnEN  (Jean),  président  (1571-1585).  P.  392. 


Vernllaeus  ou  Ver.mlz  (Nicolas) ,  prof,  de  latin 
(1646- 1649).  Pages  180-184,  351-552. 

ViGLiis  ZuicHEMUs,  président  du  conseil  souverain 
des  Pays-Bas.  Pages  325,  528,  540. 

ViRiaus  (Carolus)  ou  Charles  Mevnigken  ou  Man- 
NEKEN,  fondateur  du  collège  du  Lis,  mort  en 
1495.  Ses  Formtilae  epistolarcs.  Pages  9-10. 

Vives  (Louis),  de  Valence.  Ses  leçons  de  littérature 
à  Louvain  (1519  à  1522).  Pages  156-157. 

—  Influence  de  ses  opinions.  Pages  308,  311. 


w. 


Wackfeldus  ou  Wackfield  (Robertus),  prof,  d'hé- 
breu (1519).  Pages  251-255,  518. 

Warry  (Nie.)  de  Marville,  dit  aussi  Marvillamts,  pré- 
sident (1526-1529).  Son  administration.  P.  99- 
101,  388. 

—  Ses  vues  sur  l'éducation.  P.  509-510. 

Wesselus  (Joannes)  ou  Jean  Wessel  de  Gronin- 
gue,  humaniste  et  hébraïsant.  Pages  15,  16. 


Wessem  (Barthélémy  de),  chanoine  de  Malines, 
mandataire  de  Busleiden.  Page  582. 

Westpiialie  (Jean  de)  ,  imprimeur  du  W'^'  siècle , 
à  Louvain.  Ses  impressions  d'auteurs  anciens. 
Pages  17,  19-21. 

VVouTERS  (Henri), président  (1782);  prof,  de  théo- 
logie au  séminaire  général.  Pages  108,  277,  570 
et  595-590. 


X. 


XiMENES  (le  cardinal)  de  Cisncros.  Ses  fondations 
scientifiques  à  Aleala ,  et  publication  de  la  pre- 


mière Bible  polyglotte  sous  ses  auspices.  Pages 
52-34,  70,  523,404. 


Zegers  (J.-B.),  de  Louvain,  prof,  de  grec  (1741-        Zoesius  (Henri),  Jurisc,  prof,  de  grec  (1606-1609). 
1782).  Pages  222-223.  Pages  213-214. 


ERRATA. 


Page      3,  noies  1  et  2.  —  Transposez  les  chiffres. 

—  9,  ligne  25  ;  originaire  de  Gand.  Zùei  .•  originaire  de  Casse!. 

—  93,  ligne  17  :  n'approuve.  Lisez  :  n'approuva. 

—  141 ,  ligne  13  ;  en  février  1525  (vieux  style).  Lisez  :  1326. 

—  173,  ligne  6  :  XV!""  siècle.  Lisez  :  XIV""'  siècle. 

—  199,  ligne  13  :  Jacques  Teign.  Lisez  :  Jacques  Teyng. 

—  205,  note  4,  ligne  2  ;  dedecorat.  Lisez  :  condecorat. 

—  216,  ligne  22  :  en  1617.  Lisez  .-  en  1618. 

—  217,  note  1 ,  ligne  2  ;  1617.  Lisez  :  1618. 

—  220,  lignes  8,  9  et  15  :  Van  den  Burgh.  Lisez  .•  Vander  Burgh. 

—  251 ,  ligne  23  :  Andréas  Haïus.  Lisez  :  André  Hoyus  ou  Van  Hove. 

—  322  (épigraphe)  :  acitndi.  Lisez  :  facundi. 

—  343,  ligne  4  :  de  Sénèque  d'Aurélius  Victor.  Lisez  .■  de  Sénèque  cl  d'Aurelius  Victor 

—  .347  (épigraphe)  ;  Perite.  Lisez  :  Perire. 

—  .332,  ligne  3  :  Christophe.  Lisez  :  Chrétien. 

—  360,  ajoutez  à  la  note  :  Academia  Lovan.,  éd.  ait ,  pages  76-77. 


.■v'^ 


TABLE  DES  MATIÈRES. 


Paees. 

INTRODUCTION si-xviii 

Chapitre  1".  Coup  d'œil  sur  l'étude  des  langues  el  des  littératures  anciennes  dans  les 
écoles  des  Pays-Bas,  avant  l'érection  du  collège  des  Trois-Langues 
(1400-1520).  —  Préliminaires 1-35 

§    1.  L'Université  de  Louvain  au  XV"""  siècle 6 

§  II.  L'Université  de  Louvain  de  1500. 'i  1520 17 

§  IH.  Considérations  sur  la  renaissance  des  lettres  en  Europe  et  sur 
l'avènement  des  études  hébraïques,  en  rapport  avec  l'histoire 
de  l'enseignement  littéraire  en  Belgique 23 

Chapitre     II.  De  la  fondation  du  collège  des  Trois-Langues  à  Louvain,  par  Jérôme 

Busleiden 56-5j 

—  111.  De  l'ouverture  et  des  commencements  du  collège  des  Trois-Langues.     .         54-91 

—  IV.  De  l'organisation  intérieure  et  de  l'administration  du  collège  des  Trois- 

Langues  91-112 

—  V.  Des  trois  langues  savantes  au  XVl'"^  siècle,  et  de  l'utilité  de  leur  ensei- 

gnement public 112-lo7 

—  VI.  Les  professeurs  de  langue  latine 138-198 

—  VU.  Les  professeurs  de  langue  grecque 199-226 

—  VIII.  Les  professeurs  de  langue  hébraïque 227-288 

—  IX.  Les  études  littéraires  et  philologiques  au  collège  des  Trois-Langues  pen- 

dant le  XVI""' siècle    289-322 

—  X.  Examen  des  résultats  généraux  de  l'enseignement  du  collège  des  Trois- 

Langues  au  XVl""  siècle 322-346 

—  XI.  Les  études  littéraires  et  philologiques  au  collège  des  Trois-Langues 

pendant  le  XVII™»  siècle 346-360 

—  XII.  De  l'enseignement  du  collège  des  Trois-Langues  pendant  leXVIlI"" siècle.     361-372 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 

Lettre  A.  —  Essai  d'une  généalogie  de  la  famille  des  Busleiden  (chap.  Il,  p.  38).     •     .     .     373 
Lettre  B.  —  Extraits  du  testament  de  Jérôme  Busleiden,  relatifs  à  l'érection  du  collège  des 

Trois-Langues  (chap.  II,  p.  47) 374 


428  TABLE  DES  MATIERES. 


Pa-îP?. 


Lettre  C. —  Poésies  lalines  de  Thomas  Morus  en  l'honneur  deJ.  Busleiden,  au  sujel  de  ses 

vers,  de  sa  demeure  et  de  ses  coUeclions  d'an  (chap.  Il,  p.  41)     ....     ,384 

Lkttrk  D-  —  Texte  de  la  lettre  écrite  de  Rome  aux  révérends  docteurs  de  la  Faculté  de  théo- 
logie de  Louvain  ,  par  Alherl  Pighiiis,  eamérier  secret  dn  pape  Clément  VII, 
en  date  du  12  juillet  I52o  (chap.  III,  p.  85) 586 

Lettre  E. —  Série  des  présidents  du  collège  de  Rusleiden  ou  des  Trois-Langues  à  Louvain 

(chap.  IV,  p.  99) 387 

Lf.ttre  F.  —  Copie  de  l'arrêté  en  date  du  15  avril  18"2I,  relatif  au  rétablissement  et  à  la  des- 
tination des  fondations  de  l'ancien  collège  de  Busleiden.  Extrait  du  registre 
des  arrêtés  du  ministre  pour  l'instruction  publique,  l'industrie  nationale  et 
les  colonies  (chap.  IV,  p.  d  I  )  ) 597 

Lettre  g.  —  Extraits  du  travail  de  Martin  Dorpius,  composé  pour  servir  à  la  représentation 
de  VAtdularia  de  Plante  au  collège  du  Lis,  le  5  septembre  1508  (diap.  V, 
!'•  119) .398 

Lettre  H.  —  Des  travaux  littéraires  d'Adrien  Barland  (append.  au  chap.  VI,  §  I,  p.  142).     .     401 

Lettre  7.  —  Lettre  d'Arias  Montanus  à  l'Université  de  Louvain  pour  lui  demander, 
en  1568,  sa  coopération  aux  travaux  delà  Polyglotte  d'Anvers  (chap.  IX, 
P-  519) 405 

Lettre  /.  —  Notice  sur  Jean  IsaacLevita  et  Etienne,  son  fils,  juifs  allemands  convertis,  qui 

ont  enseigné  l'hébreu  à  Louvain  au  XVl""^  siècle  (chap.  X,  p.  355).     .     .     .     405 

Lettre  K. —  P.apport  du  pléban  de  Louvain  J.-B.  Schoeps,  dans  l'affaire  de  la  non)ination 
d'un  professeur  de  grec  au  collège  des  Trois-Langues,  en  date  du  d.">  novem- 
bre 1722,  et  adresse  du  môme  au  recteur  de  l'Université  touchant  la  même 
affaire(chap.  XII,  p.  569) 408 

Index  littéraire,  ou  table  des  auteurs  el  des  ouvrages  anciens  expliqués,  publiés,  traduits  ou 
annotés,  ainsi  que  des  ouvrages  de  grammaire  et  de  philologie,  qui  ont  mérité  une  men- 
tion spéciale  dans  ce  mémoire    4)5 

Onomasiicon,  ou  table  alphabétique  des  professeurs  el  des  savants,  des  présidents  el  autres 
fonctionnaires,  ainsi  que  des  personnages  célèbres,  cités  dans  ce  mémoire 418 

Table  générale  du  mémoire 427 


FIN. 


NOTICE 


LE  BARON  DE  ST4SSART, 

PAR 

M.  Eugène  VAN  BEMMEL, 

PROFESSEUR    A    l'uNIVERSITÉ     LIBRE    DE    BRUXELLES. 

(Mémoire  couronné  le  26  mai  IMC.  i 


I)  faut  plus  qu'on  ne  pense  de  force  d'àme  et  de  cnunge 
d'esprit  pour  ne  jamais  Trancliir  les  bornes  de  la  mode- 
ration.  (Pentées  de  Cirré.  2H.) 


Tome  XXVIII. 


"h 


Le  5  novembre  1851,  le  baron  de  Slassarl  vint  mettre  à  la  disposition 
de  l'Académie  «  un  capital  de  deux  mille  seize  francs  en  rentes  sur  l'État 
belge,  pour  fonder,  au  moyen  des  intérêts  accumulés,  un  prix  perpétuel, 
qui,  tous  les  six  ans,  à  la  suite  d'un  concours,  ouvert  deux  années 
d'avance,  fût  décerné,  par  la  classe  des  lettres,  à  l'auteur  d'une  notice 
sur  un  Belge  célèbre  '.  » 

Cette  noble  et  généreuse  initiative  fut  accueillie  avec  la  plus  vive  grati- 
tude, et,  à  la  mort  du  baron  de  Stassart,  arrivée  le  10  octobre  1854, 
l'Académie  crut  devoir  ouvrir  la  série  de  ces  concours  par  une  notice  sur 
le  baron  de  Stassart  lui-même.  C'était  rendre  un  juste  hommage  à  la 
mémoire  du  donateur,  et  l'idée  était,  sans  aucun  doute,  des  plus  heu- 


reuses. 


L'Académie  ne  s'en  tint  pas  là  cependant.  Elle  devait  à  la  mémoire  du 
défunt  «  le  même  tribut  de  reconnaissance  qu'elle  s'est  toujours  plu  à 
payer  aux  hommes  qui  l'ont  secondée  avec  le  plus  de  succès  dans  ses 
travaux.  »  \]n  ouvrage  produit  par  un  concours  serait  arrivé  d'ailleurs  tar- 
divement, et  il  importait  que  la  manifestation  de  l'Académie  fût  prompte. 
Le  secrétaire  perpétuel  fut  invité  à  préparer  une  notice  sur  le  baron  de 
Stassart  ^. 

'   Bulletin  de  l  Académie,  t.  XVIII,  2""  partie,  p.  420. 
-  Séance  du  6  novembre  1854. 


Cette  notice,  lue  en  séance  publique  de  la  classe  des  sciences,  le  17  dé- 
cembre 1854  ,  est  une  œuvre  remarquable.  Tout  en  ne  prétendant  y  men- 
tionner que  les  principaux  faits,  M.  Quetelet  présente  ces  faits  dans  leur 
véritable  enchaînement,  et  en  donne  une  appréciation  pleine  de  déli- 
catesse. Les  notes,  extrêmement  multipliées,  les  citations  tirées  des  ma- 
nuscrits légués  par  le  baron  de  Stassart  à  l'Académie ,  les  fragments  de 
mémoires,  toutes  les  pièces  qui  foi'ment  ïappendice  de  ce  travail,  sont 
aussi  des  plus  importantes ,  et  offrent  un  secours  immense  à  l'auteur  d'un 
travail  plus  développé. 

«  Si  j'avais  à  considérer  notre  confrère  comme  homme  d'État,  dit 
M.  Quetelet  *,  je  devrais  faire  passer  sous  vos  yeux  la  plupart  des  grands 
événements  de  notre  histoire  contemporaine.  Tel  n'est  certainement  pas 
la  tâche  qui  m'est  imposée.  La  classe  des  lettres  a  plutôt  désiré  voir 
retracer,  ici,  quelques  souvenirs  de  la  vie  intime  du  défunt,  sans  renoncer 
toutefois  à  entendre  parler  des  services  éminents  qu'il  a  rendus  à  son 
pays  :  elle  a,  de  plus,  réservé  à  un  concours  le  soin  d'apprécier  ses  mé- 
rites, en  l'étudiant  avec  plus  de  détail  sous  différents  aspects.    » 

Je  me  suis  conformé  à  ces  intentions,  j'ai  surtout  adopté  la  dernière 
idée  en  composant  ma  Notice  de  trois  grandes  parties,  dans  lesquelles  je 
considère  successivement  la  vie  publique ,  la  vie  littéraire  et  la  vie  intime  du 
bai'on  de  Stassart. 

La  première  partie  montre  le  fonctionnaire  et  l'homme  d'État,  mêlé, 
comme  le  dit  M.  Quetelet,  à  tous  les  grands  événements  de  l'histoire  con- 
temporaine. La  deuxième  partie  s'occupe  de  l'écrivain,  du  penseur,  du 
moraliste,  de  l'académicien  et  de  l'orateur.  La  troisième,  enfin,  ne  traite 
que  de  l'homme ,  de  son  caractère,  de  ses  sentiments,  de  ses  habitudes  et 
de  ses  relations  intimes. 

*  Notice,  p.  5. 


NOTICE 


LE  BARON  DE  STASSÂRT. 


I. 

VIE  PUBLIQUE. 


GoswiN-JosEPH-AuGUSTiN ,  BARON  DE  Stassakt  ,  iiaquil  à  Maliiies  le  2  sep- 
tembre 1780.  Sa  famille,  fort  ancienne,  puisqu'elle  descend,  selon  liem- 
ricourt,  des  premiers  seigneurs  de  Neufchâteau,  reçut  de  Charles-Quint, 
molu  proprio,  confirmation  de  noblesse,  et  de  Léopold  II  le  litre  de  baron, 
transmissible  par  ordre  de  primogéniture.  Cette  famille,  qui  s'était  illus- 
trée par  les  armes  jusqu'à  la  fin  du  XVII™^  siècle,  se  distingua  ensuite, 
d'une  façon  plus  remarquable  encore,  dans  la  magistrature  belge  *.  Le 
père  de  Goswin,  Jacques- Joseph- Augustin  de  Stassart,  était,  lors  de  la 
naissance  de  son  fils,  conseiller  au  grand  conseil  de  Malines,  et  remplit 
ces  importantes  fonctions  jusqu'à  l'époque  de  la  réunion  de  la  Belgique  à 
la  France,  en  1794. 

Si  je  parle  ici  de  cette  noblesse  de  naissance,  ce  n'est  point  que  le 

'  Voy.  la  notice  de  N.-J.  Vander  Heyden,  extraite  du  Nobiliaire  des  Pays-Bas. 


6  NOTICE 

baron  de  Stassart  y  allachât  quelque  valeur  ou  s'en  attribuât  le  moindre 
mérite.  Son  esprit  et  ses  sentiments  étaient  trop  élevés,  trop  cultivés  surtout 
pour  laisser  place  à  de  telles  préoccupations,  et  l'orgueil,  sous  quelque 
forme  qu'il  se  présentât,  lui  inspirait  d'ailleurs  une  horreur  trop  pro- 
fonde. Mais  les  influences  de  race  sont  souvent  fortes,  particulièrement 
dans  le  premier  âge,  et  il  est  nécessaire  de  connaître  l'origine  du  baron 
de  Stassart,  pour  comprendre  certaines  faces  de  son  caractère.  On  aurait 
peut-être  peine  à  bien  apprécier,  sans  cela,  ce  respect  pour  le  souverain, 
cette  fidélité  au  monarque,  qui  se  révèle  dans  toute  sa  vie,  dans  toutes 
ses  actions,  dans  ses  opinions  mêmes,  et  qui  servait  de  devise  à  ses 
armoiries  :  semper  fîdelis. 

C'est  précisément  par  cette  idée  qu'il  débute  en  écrivant  les  Souvenirs 
que  l'on  a  retrouvés,  à  sa  mort,  parmi  les  papiers  légués  à  l'Académie, 
et  qui  devaient  évidemment  faire  partie  du  chapitre  \"  de  ses  Mémoires  '. 

«  Des  objets  de  deuil,  dit-il,  furent  pour  ainsi  dire  les  premiers  qui 
frappèrent  mes  yeux.  L'impératrice  JMarie-Thérèse ,  après  quarante  années 
d'un  règne  glorieux,  mourut  le  29  novembre  de  la  même  année  (1780). 
La  douleur  fut  universelle;  l'amour,  en  ce  temps  déjà  si  loin  de  nous, 
ennoblissait  encore  la  dépendance;  le  monarque  était  considéré  comme 
le  père  de  la  grande  famille,  et  les  peuples  se  montraient  reconnaissants 
des  soins  qu'on  donnait  au  maintien  de  l'ordre,  à  l'accroissement  de  la 
prospérité  publique.  » 

Je  ne  puis  trop  insister,  dès  l'abord,  sur  ces  tendances,  en  quelque 
sorte  traditionnelles,  qui  peuvent  être  un  anachronisme,  une  anomalie 
dans  notre  siècle,  mais  qui  font  apparaître  sous  un  jour  nouveau  des 
faits  en  apparence  inexplicables  dans  la  conduite  et  dans  la  constante 
manière  de  voir  du  baron  de  Stassart. 

Combien  ne  devons-nous  pas  regretter  que  les  Mémoires  dont  je  viens  de 
citer  un  fragment  n'aient  pu  être  achevés  d'après  le  plan  qui  nous  en  a 
été  transmis  !  Le  simple  sommaire  du  premier  chapitre  semble  nous  initier 
déjà,  par  l'imagination,  à  cette  vie  intime  de  la  première  jeunesse,  dont 

'  Voy.  Y  Appendice  à  la  notice  de  M.  Qiietelet. 


SUR  LE  BARON  DE  STASSART.  7 

l'influence  est  si  décisive  sur  toute  la  carrière  que  l'homme  parcourt  dans 
la  suite.  Voici  ce  sommaire  : 

«  1780-1802.  —  Mes  pi^emières  années;  la  Belgique  telle  qu'elle  était 
sous  le  gouvernement  autrichien.  Émigration  à  l'approche  des  armées 
républicaines  en  1794.  Dusseldorf,  la  Westphalie,  retour  dans  nos  foyers. 
Mes  études  au  collège  de  Namur,  ensuite  chez  moi;  publication  de  mes 
premiers  ouvrages.  Je  vais  chercher  mon  père  à  Francfort,  après  le  IV  bru- 
maire. Mort  de  mon  grand-père;  séjour  à  la  campagne.  Je  pars  pour  Paris.  » 

Le  jeune  de  Stassart  alla  donc,  en  1802,  terminer  ses  études  à  l'uni- 
versité de  jurisprudence  de  Paris  ,  où  ses  succès  ne  tardèrent  pas  à  appeler 
sur  lui  l'attention  du  gouvernement.  Le  5  août  1804',  il  fut  nommé,  par 
décret  impérial,  auditeur  près  le  Conseil  d'État,  et,  vers  la  fin  de  l'année 
suivante,  à  l'âge  de  25  ans  à  peine,  il  partait  pour  Inspruck  comme  inten- 
dant du  Tyrol  et  du  Vorarlberg. 

Une  activité  extraordinaire ,  jointe  à  une  prudence  et  à  une  modération 
fort  rares  dans  l'extrême  jeunesse,  lui  firent  confier  successivement  plu- 
sieurs missions  aussi  importantes  que  délicates.  Partout  son  esprit  conci- 
liant et  sa  probité  sévère  lui  attirèrent,  dans  les  circonstances  les  plus 
difficiles,  la  bienveillance  de  l'empereur  et  de  ses  ministres,  autant  que 
l'amour  et  l'estime  des  populations  vaincues.  Intendant  de  l'armée  et  des 
pays  conquis  à  Varsovie ,  sous  les  ordres  du  comte  Daru,  en  décembre 
1806;  intendant  d'Elbing  et  de  la  vieille  Prusse,  en  février  1807;  peu  de 
temps  après,  intendant  de  la  Prusse  orientale  jusqu'à  Tilsitt;  puis  de  la 
Prusse  occidentale  à  Marienwerder  et  à  Marienbourg;  puis,  enfin,  de  la 
moyenne  Marche  à  Berlin,  au  mois  de  mai  1808,  sa  conduite  ne  se 
démentit  pas  un  seul  instant. 

A  son  départ  d'Elbing,  la  régence  de  cette  ville  avait  manifesté  l'in- 
tention de  lui  offrir  un  présent  considérable  :  il  déclara  qu'il  n'acceptait 
que  des  lettres  de  bourgeoisie  K  A  Kœnigsberg,  oîi  il  avait  obtenu  qu'une 
contribution  de  huit  millions  imposée  à  la  ville  fût  supportée  par  toute 
la  province,  des  députés  vinrent  l'en  remercier,  et  voulurent  lui  faire 

1  Manuscrits  cités  par  M.  Quelelet,  Notice,  p.  12. 


8  NOTICE 

accepter  dix  mille  ducals,  en  témoignage  de  reconnaissance  :  «  Voudriez- 
vous,  3Iessieurs,  s'écria-t-il,  me  faire  rougir  d'un  acte  de  justice?  »  A 
Berlin,  au  contraire,  il  mit  fin,  avec  une  remarquable  énergie  et  une 
grande  habileté,  à  la  disette  factice  qui  désolait  cette  capitale,  et  toutes 
les  mesures  administratives  qu'il  prit  durant  ces  diverses  intendances 
furent,  en  général,  considérées  comme  excellentes  ^ 

Nommé  sous-préfet  d'Orange,  et,  bientôt  après,  en  1810,  préfet  de 
Vaucluse,  le  baron  de  Stassart  se  rendit  l'idole  de  ses  administrés  par  sa 
douceur,  sa  bienveillance,  son  esprit  de  conciliation,  autant  que  par  son 
zèle  infatigable,  par  la  protection  éclairée  qu'il  accorda  aux  arts  et  aux 
lettres,  et  par  les  améliorations  de  tout  genre  qu'il  parvint  à  réaliser. 

Assurément  cette  tâche  était  plus  facile  que  toutes  celles  dont  on  l'avait 
chargé  jusqu'alors.  La  résidence  était  charmante  aussi,  sous  le  rapport 
des  sites  pittoresques  et  des  monuments  de  l'art,  et  la  vive  imagination 
d'un  jeune  poète  devait  y  trouver  bien  des  éléments  d'inspiration.  C'est 
encore  à  cette  époque  que  le  baron  de  Stassart  conclut  avec  M"''  Caroline 
du  Mas  de  Peysac,  un  hymen  qui  mit  le  comble  à  ses  vœux,  et  lui  assura 
une  félicité  douce  et  durable;  en  un  mot,  tout  sembla  se  réunir  pour 
faire  de  ces  deux  années  les  plus  belles  de  sa  vie. 

Mais  les  circonstances  ne  font  pas  tout  l'homme,  et  c'est  au  caractère 
même  du  baron  de  Stassart  qu'il  faut  attribuer  l'affection  profonde  que 
lui  vouèrent  les  habitants  d'Orange  et  de  Vaucluse;  c'est  à  son  dévoue- 
ment, à  la  sagesse  de  ses  mesures,  à  son  influence  toute  personnelle,  qu'ils 
furent  redevables  de  la  prospérité  dont  ils  jouirent  ensuite  pendant  tant 
d'années. 

Une  simple  nomenclature  des  actes  du  baron  de  Stassart,  pendant  sa 
préfecture,  pourra  donner  une  idée  de  l'étonnante  activité  dont  il  était 
capable,  lorsque  ses  fonctions  lui  donnaient  le  pouvoir  de  répandre  les 
bienfaits.  Pour  les  améliorations  matérielles  ou  administratives,  on  lui 
dut  la  réorganisation  des  écoles  primaires,  l'amélioration  des  hospices  et 
des  bureaux  de  bienfaisance,  l'extinction  delà  mendicité,  la  propagation 

'  Voy.  en  général  la  notice  placée  en  têle  des  OEuvres  diverses. 


SUR  LE  BARON  DE  STASSART.  9 

de  la  vaccine,  et  les  encouragements  efficaces  à  la  culture  du  coton  et  du 
mûrier.  Pour  les  lettres  et  les  beaux-arts,  on  lui  dut  le  monument,  élevé 
par  ses  soins  et  à  ses  frais,  à  la  mémoire  du  vertueux  évêque  Dutillet,  un 
prix  fondé  pour  l'éloge  de  Pétrarque  à  l'athénée  de  Vaucluse,  l'érection 
d'une  société  d'agriculture,  de  lettres  et  de  beaux-arts,  la  fondation  de  la 
bibliothèque  publique  d'Orange,  à  laquelle  il  fit  le  premier  un  don  de 
1186  ouvrages,  la  restauration  de  l'arc  de  triomphe  d'Orange,  le  cours 
qui  conduit  aux  eaux  de  Vacqueyras  et  la  charmante  promenade  à  laquelle 
l'acclamation  publique  a  donné  le  nom  de  de  Stassart.  Enfin,  il  prodigua 
des  secours  nombreux  aux  malheureux  ruinés  par  la  déastreuse  inonda- 
tion du  Rhône,  en  1810,  concilia  les  catholiques  et  les  protestants  alors  en 
lutte  ouverte  dans  tout  le  midi  de  la  France,  et  ramena  au  devoir,  par  la 
seule  persuasion,  de  nombreux  rassemblements  de  conscrits  réfractaires 
cantonnés  dans  les  communes  voisines  du  Mont- Venteux  *. 

Faut-il  s'étonner,  après  tout  cela,  de  l'enthousiasme  que  les  popula- 
tions de  ces  localités  ressentirent  pour  leur  jeune  préfet?  enthousiasme 
qui  subsista  aussi  vivace  pendant  plus  de  trente  années,  qui  se  transmit 
même  à  la  génération  suivante,  et  dont  le  baron  de  Stassart  recueillit 
encore  les  témoignages  en  1840,  alors  que,  se  rendant  à  Turin  en  qualité 
de  ministre  plénipotentiaire  du  roi  des  Belges,  il  voulut  revoir  la  contrée 
oîi  il  avait  été  si  heureux  2. 

Faut-il  s'étonner  de  voir  cet  enthousiasme  se  manifester  de  toutes  les 
façons,  en  1810  et  1811,  par  des  chants,  des  poésies,  des  fêtes  en  l'hon- 
neur du  préfet?  Mais  ce  n'est  pas  dans  les  hommages  officiels  que  j'irai 
chercher  la  preuve  de  ses  vertus  et  dé  son  mérite.  Voici  un  fragment  d'une 
lettre  écrite  d'Orange,  le  10  janvier  1810  ^,  par  M.  Augier,  le  père  du 
charmant  auteur  de  Gabrielle  et  de  la  Ciguë  : 

«  Jusqu'à  présent,  Orange  n'avait  été  renommée  que  par  un 

cirque  et  un  arc  de  triomphe,  restes  majestueux  de  la  magnificence 
romaine.  Maintenant,  mon  ami,  elle  possède  un  trésor  infiniment  plus 

*   Voy.  ['Almanach  de  L'arrondissement  d'Orange,  pour  1810,  1  vol.  in-8°. 
-  V'oy.  ses  touclianles  paroles  à  ce  sujet,  OEuvres,  p.  1039. 
5  Insérée  dans  \ Almanach  d'Orange. 

Tome  XXVIII.  2 


10  ÎSOTICE 

rare  et  plus  précieux  que  ces  antiques  monuments.  C'est  un  sous-préfet 
qui  joint  aux  talents  les  plus  brillants  les  qualités  les  plus  respectables. 
Savant  modeste,  magistrat  généreux,  il  a  souvent  donné  des  preuves  d'un 
désintéressement  vraiment  héroïque.  Encore  dans  l'âge  des  passions,  il 
n'en  a  d'autres  que  celle  de  faire  le  bonheur  de  tous  ceux  qui  l'envi- 
ronnent. Accoutumé  aux  douceurs  de  la  vie,  il  ne  craint  pas  d'aller  dans 
l'humble  cabane  du  pauvre,  porter  des  consolations  et  des  secours.  Pro- 
tecteur des  lettres,  qu'il  cultive  lui-même  avec  beaucoup  de  succès,  il  en- 
courage les  jeunes  talents  par  des  éloges  ou  par  de  ilatteuses  récompenses; 
il  va  chercher  le  savant  dans  l'obscurité  de  son  cabinet,  et  préfère  sa 
société  à  celle  des  cercles  les  plus  brillants.  Sa  politesse  égale  ses  autres 
qualités 

»  Je  te  laisse  à  penser  combien  un  pareil  homme  doit  être  cher  à  tous 
ses  administrés.  Il  n'y  a  qu'une  voix  sur  son  compte,  et  l'on  ne  peut 
parler  de  lui  sans  que  le  langage  de  la  vérité  ne  ressemble  à  celui  de  la 
flatterie. 

»  Un  si  beau  sujet  n'a  pas  manqué  d'être  célébré  mille  fois  en  vers 
et  en  prose.  Voici  ma  quote-part  du  tribut  univei'sel  que  l'admiration  a 
arraché  aux  muses  vauclusiennes  : 

c/2i  dans  un  homme  seul  on  peignait  réunies 

Houles  les  qualités  de  l'esprit  et  du  cœur, 

>-de  rares  talents,  des  vertus  infinies, 

c/5cience,  aménité,  bienfaisance,  douceur; 

c«i  l'on  disait  qu'il  est  ami  sûr  et  bon  maître  : 

>ce  portrait  flatteur  et  point  du  tout  flatté, 

33endu  sans  coloris,  mais  avec  vérité, 

Hoi  seul  pourrais,  Slassart,  ne  pas  te  reconnaître.  » 

Ces  vers  seraient  sans  doute  désavoués  aujourd'hui  par  le  fils  de  l'auteur, 
mais  on  conçoit  que,  si  je  les  cite  ici ,  ce  n'est  point  pour  la  beauté  de  la 
poésie. 

Je  me  suis  un  peu  étendu  sur  cette  époque  de  la  vie  du  baron  de  Slas- 
sart, parce  que  lui-même  se  la  rappelait  avec  bonheur,  avec  attendrisse- 
ment, et  que  l'on  peut  y  voir,  sous  son  véritable  jour,  le  caractère  de 


SUR  LE  BARON  DE  SÏASSART.  11 

l'homme  public  dont  j'ai  entrepris  d'esquisser  l'éloge,  il  importe  aussi  de 
ne  point  perdre  de  vue  ce  brillant  épisode  de  sa  carrière  administrative, 
pour  juger  avec  impartialité  la  conduite  et  les  actes  du  baron  de  Stassart 
pendant  sa  résidence  en  Hollande. 

Autant  sa  préfecture  de  Vaucluse  avait  été  agréable  et  douce,  le  séjour 
enchanteur  et  favorable  à  ses  goûts,  la  population  sympathique  et  bien- 
veillante, autant  sa  préfecture  des  Bouches-de-la-Meuse  lui  offrit  d'em- 
barras, de  difficultés,  d'obstacles,  presque  insurmontables  et  sans  cesse 
renaissants,  à  toutes  ses  mesures,  à  toutes  ses  intentions  même  les  plus 
louables.  C'est  qu'il  avait  affaire  à  un  peuple  indépendant  par  nature  et 
par  habitude,  à  un  peuple  où  la  démocratie  avait  eu  le  temps  de  pousser 
de  profondes  et  fortes  racines,  à  un  peuple  hostile  depuis  des  siècles  au 
joug  de  l'étranger,  et  impatient  de  révéler,  à  la  première  occasion  favo- 
rable, son  indomptable  instinct  de  patriotisme. 

En  vain  le  nouveau  préfet  essaya-t-il  d'allier  son  aménité,  sa  modération 
naturelle  à  la  sévérité  qu'exigeaient  les  circonstances;  en  vain  mit-il  en 
œuvre  ce  zèle  et  ce  dévouement,  ces  moyens  de  persuasion  et  cette  magna- 
nimité qui  lui  avaient  si  bien  servi  jusqu'alors  :  les  Hollandais  ne  virent 
jamais  en  lui  qu'un  principe,  et  un  principe  fatal  à  leur  indépendance,  à 
leur  prospérité. 

On  a  reproché  à  l'administration  du  baron  de  Stassart,  en  Hollande, 
de  la  dureté,  de  l'obstination,  de  la  passion  même  :  on  n'a  point  fait  la 
part  de  la  position  spéciale  dans  laquelle  il  se  trouvait,  on  ne  s'est  pas 
souvenu  surtout  de  ce  respect  du  devoir,  de  cette  fidélité  au  souverain 
qu'il  observa  pendant  toute  sa  vie,  qu'il  avait  héritée  de  ses  ancêtres, 
et  qui  fait  le  fond  de  son  caractère.  Entraîné  d'ailleurs  par  l'influence 
magnétique  du  grand  empereur,  enivré  de  sa  gloire,  ébloui  de  son 
prestige,  saisi  tout  à  la  fois  par  le  cœur  et  par  l'imagination,  le  jeune 
magistrat  avait  voué  à  son  maître  une  admiration  sincère,  enthousiaste, 
presque  exclusive  :  il  avait  peine  à  concevoir,  à  cette  époque  du  moins, 
le  sentiment  tout  populaire  de  la  résistance  chez  des  nationalités  oppri- 
mées. 

Les  discours  prononcés  à  la  Haye  par  le  baron  de  Stassart,  et  dont 


i2  NOTICE 

M.  Polain  a  fait  hommage  à  l'Académie  \  sont  surtout  curieux  par  cette 
tendance  qui  s'y  manifeste  à  chaque  phrase,  à  chaque  mot,  pour  ainsi 
dire,  et  peuvent  servir  à  expliquer  une  conduite,  en  apparence  condam- 
nable, ou  du  moins  en  dehors  de  toutes  nos  idées  actuelles. 

c<  Soldats,  —  s'écrie  le  préfet  des  Bouches -de-la -Meuse,  le  lo  août 
1812,  en  s'adressant  à  la  compagnie  de  réserve  en  garnison  à  la  Haye, 
—  soldats,  que  ce  jour,  où  l'airain,  devenu  l'interprète  de  notre  amour 
et  de  notre  reconnaissance,  proclame  la  fête  de  NAPOLÉON  LE  GRAND, 
est  cher  à  tous  les  peuples  qui  composent  la  nation  française!  Je  l'ai  choisi 
ce  jour  mémorable,  pour  vous  donner  un  témoignage  éclatant  de  ma 
confiance;  je  l'ai  choisi  pour  vous  remettre  ce  drapeau  que  vous  saurez 
défendre,  s'il  en  est  besoin,  au  prix  même  de  votre  sang.  Vous  allez  voir 
flotter,  au  milieu  de  vous,  ces  trois  couleurs  qui,  depuis  vingt  ans,  font 
l'étonnement  et  l'admiration  de  l'Europe.  Pialliés  sous  ces  nobles  enseignes, 
puissiez-vous  bientôt  participer  à  la  gloire  de  combattre  et  de  vaincre  les 
ennemis  de  votre  patrie!  Que  ne  vous  est-il  permis  de  suivre  nos  aigles 
victorieuses  dans  les  champs  de  la  Pologne  et  de  la  Russie!  Mais  le  devoir 
vous  enchaîne  ici » 

De  tels  discours  n'étaient  pas  de  nature  sans  doute  à  lui  attirer  les 
sympathies  des  Hollandais;  mais  le  baron  de  Stassart,  en  prononçant  ces 
paroles,  faisait  ce  qu'il  pensait  être  son  devoir,  et  jamais,  à  aucune  époque 
de  sa  longue  carrière,  il  n'hésita  un  instant  sur  ce  point,  même  au  risque 
de  perdre  sa  popularité. 

Quelques  écrivains  ont  cherché  à  réhabiliter,  à  leur  point  de  vue,  le 
préfet  des  Bouches-de-la-Meuse.  M.  le  chevalier  Pascal-Lacroix,  entre 
autres  ,  a  prétendu  ,  dans  sa  Notice,  que  le  baron  de  Stassart  avait  accordé 
aux  négociants  hollandais  des  faveurs  contraires  au  système  continental. 
Cette  sorte  d'excuse  a  été  repoussée  avec  énergie  par  le  baron  de  Stassart 
lui-même,  dans  une  note  écrite  sur  un  exemplaire  de  la  Notice  :  «  C'eût 
été,  ajoute-t-il,  m'écarter  de  mes  devoirs  ^.   » 

Le  devoir,  en  efi'et,  voilà  toute  sa  règle  de  conduite,  voilà  son  excuse 

'  Notice  (lo  M.  Qiietelet,  p.  15,  ;i  la  note. 
'^  Idem.,  p.  16,  à  la  note  1". 


SUR  LE  BARON  DE  STASSART.  d5 

et  sa  justification,  si  tant  est  qu'il  lui  faille  une  justification  ou  une  excuse. 

Cependant,  les  difficultés  se  multipliaient  de  plus  en  plus,  à  mesure 
qu'approchait  le  moment  de  la  crise.  Après  avoir  réussi  à  dompter  plu- 
sieurs émeutes,  au  commencement  de  l'année  1815,  dans  l'île  d'Oud- 
Beyerland,  à  la  Haye  et  à  Leyde,  le  baron  de  Stassart  fut  enfin  contraint 
de  quitter  son  poste  le  17  novembre,  à  la  suite  du  prince  Lebrun,  gouver- 
neur général,  qui  avait  évacué  Amsterdam  dans  la  nuit  du  15  au  16. 

En  181  i,  nous  retrouvons  un  instant  le  baron  de  Stassart  au  siège  de 
Paris,  faisant  les  fonctions  d'officier  supérieur  d'ordonnance  auprès  du 
roi  Joseph.  Il  refuse  la  préfecture  de  l'Indre,  que  lui  ofl'rait  le  prince 
Lebrun,  et,  l'abdication  de  Fontainebleau  ayant  été  prononcée,  il  se  retire 
en  Allemagne  chez  quelques  membres  de  sa  famille.  Les  Cent-Jours  le 
ramènent  en  France,  le  25  mars  1815,  et  le  16  avril  l'empereur  le  charge 
d'une  mission  de  confiance  à  Vienne,  avec  des  pleins  pouvoirs  pour  négo- 
cier le  maintien  du  traité  de  Paris.  N'ayant  pu  aller  plus  loin  que  Lintz, 
il  trouva  cependant  moyen  d'expédier  à  l'empereur  d'Autriche  les  pièces 
dont  il  était  porteur,  en  les  accompagnant  d'un  rapport  écrit  à  la  hâte, 
sur  une  table  d'auberge,  dans  la  petite  ville  de  Velz.  Voici  le  commence- 
ment de  ce  rapport,  remarquable  à  plus  d'un  titre  ^ 

«  A  Sa  Majesté  Cempereur  d'Autriche. 
»  Sire, 

»  J'ai  trois  maîtres  que  j'espère  servir  également  bien...,  l'honneur 
d'abord,  le  prince  qui  a  reçu  mes  premiers  serments  (l'empereur  Napo- 
léon), et  Votre  Majesté,  qui  daigna  m'accorder  sa  clef  de  chambellan 
comme  un  témoignage  de  bienveillance,  pour  la  conduite  que  j'ai  tenue, 
en  1806,  dans  le  Tyrol,  où  je  remplissais  les  fonctions  d'intendant,  ainsi 
qu'en  mémoire  des  services  rendus  par  mes  ancêtres  à  l'auguste  maison 
d'Autriche,  pendant  plus  de  trois  siècles.  » 

Le  plénipotentiaire  expliquait  ensuite  à  l'empereur,  d'une  façon  tout 

'   Vov  aux  Causeries  tiiléraires,  OEiivres,  p.  1073.  " 


14  NOTICE 

à  la  fois  ferme  et  persuasive,  la  nécessité  de  maintenir  la  paix;  il  faisait 
un  tableau  brillant  de  la  force  et  de  la  grandeur  de  la  France,  et  parlait 
(le  l'union  formidable  que  la  nouvelle  constitution  venait  de  cimenter 
entre  le  souverain  et  le  peuple.  «  Je  ne  dois  pas  vous  laisser  ignorer, 
Sire,  ajoutait-il  énergiquement,  que  l'absence  forcée  de  Sa  Majesté  l'im- 
pératrice Marie-Louise,  celle  du  prince  impérial  et  le  renvoi  des  courriers 
français  exaltent  toutes  les  imaginations,  toutes  les  têtes;  »  et  il  terminait 
son  rapport  par  celte  parole  pleine  de  dignité  :  «  Je  serais  au  désespoir 
d'être  obligé  de  remettre  à  Votre  Majesté  ma  clef  de  chambellan.    » 

Cette  négociation,  comme  on  sait,  resta  sans  issue.  Le  baron  de  Stas- 
sart,  à  son  retour  à  Paris,  fut  nommé  maître  des  requêtes  en  service 
extraordinaire,  et  avait  même  été  désigné  pour  être  commissaire  général 
de  la  Belgique,  lorsque  arriva  le  désastre  de  Waterloo. 

Rentré  alors  dans  la  vie  privée,  retiré  à  son  château  de  Corioule,  le 
baron  de  Stassart  prit  part  au  mouvement  littéraire  qui  signale  à  cette 
époque  une  véritable  renaissance  dans  les  provinces  belgiques.  Mais, 
compris  dès  1815,  dans  l'organisation  du  corps  équestre  de  la  province 
de  Namur,  il  fut  élu,  en  1818,  membre  des  états  provinciaux,  et,  en 
1821,  membre  de  la  seconde  chambre  des  états  généraux,  où  plusieurs 
élections  successives  le  maintinrent  jusqu'en  1850. 

Nous  entrons  ici  dans  la  période  peut-être  la  plus  importante  de  la  vie 
publique  du  baron  de  Stassart,  celle  qui  est  la  plus  digne  d'exciter  nos 
sympathies,  à  nous  Belges,  et  qui  a  fait  du  nom  de  Stassart  un  des  plus 
populaires  dans  notre  pays. 

Sans  doute  qu'il  y  avait  dans  cette  opposition,  dans  cette  résistance 
ouverte  au  gouvernement  hollandais,  quelques  souvenirs,  quelques  regrets 
même  du  temps  où  la  Belgique  était  réunie  à  la  France.  L'empereur 
Napoléon  paraissait  au  baron  de  Stassart  un  souverain  plus  légitime  que 
le  roi  Guillaume,  et  l'alliance  avec  la  France  plus  avantageuse  que  la 
réunion  à  la  Hollande.  Mais  à  cette  époque,  il  importe  de  le  remarquer, 
ne  se  sentant  lié  aux  Bourbons  ni  par  devoir  ni  par  reconnaissance,  il 
manifesta  en  toute  occasion  un  sincère  et  véritable  patriotisme. 

Les  discours  qu'il  prononça  aux  états  généraux  pendant  neuf  sessions 


SUR  LE  BARON  DE  STASSART.  i5 

consécutives,  eurent,  la  plupart,  un  immense  retentissement,  et  l'on  peut 
dire  que  les  idées  les  plus  généreuses,  les  plus  élevées  s'y  trouvent  déve- 
loppées avec  la  sagesse  et  la  fermeté  que  j'ai  déjà  signalées  plus  d'une  fois 
dans  la  conduite  de  l'intendant  et  du  préfet  de  l'empire. 

Ces  idées,  presque  toujours  en  opposition  avec  celles  du  gouverne- 
ment, n'étaient  cependant  pas  toujours  celles  d'un  parti  dont  il  eût  accepté 
le  mot  d'ordre  et  qui  l'eût  entraîné  à  quelque  opinion  exclusive. 

«  La  province  de  Namur,  dit-il*,  m'avait  élu  membre  de  la  seconde 
chambre  des  états  généraux,  en  182L  J'y  défendis  les  intérêts  de  mon 
pays  avec  le  zèle  et  la  conscience  de  l'homme  d'honneur,  mais  sans 
m'écarter  toutefois  des  règles  de  la  modération.  Je  combattis  toutes  les 
doctrines  exagérées,  de  quelque  part  qu'elles  vinssent....  »  —  C'est  l'un 
des  traits  les  plus  saillants  du  caractère  du  baron  de  Stassart. 

Ainsi,  la  liberté  illimitée  du  commerce  lui  semble  une  chose  utile  et 
juste,  mais  il  ne  l'admet  qu'en  principe,  et  exige  pour  l'application  une 
rigoureuse  réciprocité  -.  Ainsi  les  droits  de  timbre  et  d'enregistrement  lui 
sont  odieux,  mais  il  se  garde  d'en  demander  la  suppression  complète,  et 
ne  veut  dans  la  perception  de  ces  droits  qu'une  certaine  mesure '.  Ainsi  il 
s'oppose  avec  force  à  ce  que  l'on  rende  des  privilèges  quelconques  à  la 
noblesse,  mais  il  ne  voit  aucun  inconvénient  aux  majorats  «  qui  lui 
donnent,  dit-il ,  celte  indépendance  héréditaire,  par  laquelle  elle  est  le 
soutien  d'une  sage  liberté*.  »  Ainsi  encore  il  se  prononce  contre  toute 
centralisation  absorbante,  mais  en  considérant  «  comme  souverainement 
impolilique  cette  continuelle  tendance  à  détacher  du  point  central  les 
différentes  parties  du  royaume,  pour  y  créer  des  intérêts  divergents,  pour 
les  transformer  en  autant  de  petites  républiques  régies  par  des  règlements 
disparates  et  soumises  à  la  plus  incroyable  bigarrure  dans  la  perception 
des  impôts  ■'.    » 


*   Coup  d'œil  rétrospectif,  en  lête  des  Discours,  OEuvres,  p.  ul-4. 

"^  Sur  le  tarif  des  douanes.  OEuvres,  pp.  353  et  608. 

■>  OEuvres,  pp.  363  et  368. 

''  Discussion  du  nouveau  Code  civil.  OliuvRES,  p.  528. 

''  Budget  de  1824;  OEuvres,  p.  362. 


l«i  NOTICE 

Mais,  dans  une  foule  de  questions  où  la  justice,  riiuinanité,  le  bien- 
ê  trematériel  ou  la  prospérité  de  la  nation  étaient  enjeu,  nous  voyons  le 
haron  de  Stassart  oublier  cette  naodération  même  qui  semble  le  fond  de 
son  caractère,  et,  s'abandonnant  à  ses  généreux  instincts,  défendre  avec 
vivacité  la  cause  la  plus  noble. 

Il  ne  cesse  de  réclamer  des  lois  qui  favorisent  l'industrie  agricole  et 
qui  la  débarrassent  des  entraves  que  le  pouvoir  lui  impose  ^  Il  demande 
la  liberté  de  la  chasse  pour  chaque  propriétaire,  et  obtient  rabrogalioii 
d'un  arrêté  qui  affermait  la  chasse  au  profit  des  communes  ^.  Il  veut  que 
les  enfants  trouvés  soient  à  la  charge  de  l'État  ^.  Dans  la  discussion  du 
nouveau  code  civil,  il  se  prononce  pour  le  testament  olographe  qui  repré- 
sente la  liberté  absolue  en  fait  de  testaments,  et  pour  le  maintien  du 
divorce,  contrairement  à  certains  scrupules  religieux  *.  Il  réclame  la 
liberté  des  langues  et  le  rétablissement  du  jury  ^.  Quant  aux  impôts,  il 
admet  l'impôt  sur  le  vin,  sur  les  boissons  distillées  à  l'étranger  6,  mais  il 
s'élève  avec  force  contre  les  impôts  si  impopulaires  prélevés  sur  le  sel, 
sur  la  bière,  sur  la  moulure  des  grains  et  sur  l'abatage  '. 

Parfois  ces  discours  témoignent  d'une  éloquence  peu  commune,  que 
l'orateur  puisait  dans  un  sentiment  naturel  d'équité  ou  de  noble  indigna- 
lion.  C'est  ainsi  que  ses  paroles  sur  le  trafic  de  la  traite  des  nègres  ^  ont  été 
citées  comme  modèle  par  M.  Dupin ,  dans  ses  Notions  élémentaires  sur  la 
justice,  le  droit  et  les  lois. 

A  mesure,  surtout,  que  les  circonstances  devenaient  plus  critiques,  à 
mesure  que  le  sentiment  public  se  prononçait  avec  plus  de  force  contre 
les  abus  du  régime  hollandais,  et  que,  par  suite,  la  résistance  des  gou- 
vernants devenait  plus  vexatoire,  plus  obstinée  et  plus  tyrannique,  les 
discours  du  député  de  Namur  prennent  une  chaleur  extraordinaire,  une 
énergie  entraînante;  ce  sont  des  satires,  des  pamphlets,  des  philippiques 


'  Discours  aux  étals  généraux,  passim. 

■^  OEuvBES,  p.  SI7.  I  5  M.,  pp.  S62  et  o7o.  |  *  Id..  pp.  5-23  et  528. 

'■  Id.,  pp.  553  et  536.  i  «  Jd.,  pp.  540,  543  et  551. 

■^  Id..  pp.  541,  542,  545,  549,  550,  556,  613,  etc. 

*  Séance  du  18  décembre  1824.  OEuvres,  p.  577. 


SUR  LE  BARON  DE  STASSART.  17 

tantôt  piquantes,  tantôt  terribles.  La  discussion  des  budgets,  les  innom- 
brables pétitions  apportées  chaque  jour  aux  états  généraux,  les  rapports 
sur  les  projets  de  loi  \  tout  lui  sert  d'occasion  ou  de  prétexte  pour  com- 
battre un  gouvernement  désormais  odieux  au  peuple  belge. 

Je  ne  puis  résister  au  désir  de  citer  ici  l'exorde  d'un  admirable  dis- 
cours prononcé  le  24  avril  1829,  et  dans  lequel,  d'une  façon  à  la  fois 
adroite  et  ferme,  ironique  et  vigoureuse,  il  résume  les  principaux  griefs 
pour  le  redressement  desquels  on  ne  cessait  de  pétitionner.  Ce  discours 
était  prononcé  en  faveur  du  projet  de  loi  relatif  à  la  presse  ^. 

«  On  ose  imprimer  que  c'est  une  maladresse  aux  gouvernants  de  donner 
l'exemple  du  mépris  pour  une  charte  qui  seule  constitue  leurs  droits  et 
leur  sert  de  sauvegarde;  on  ose  imprimer  qu'il  est  temps  de  mettre  en  pra- 
tique, avec  toutes  les  conséquences  qu'ils  entraînent,  les  principes  con- 
sacrés par  la  loi  fondamentale,  et  que  la  théorie  ne  suffit  point;  on  ose 
IMPRIMER  que  l'éducation  constitutionnelle  des  Belges  faisant  chaque  jour 
d'immenses  progrès ,  on  ne  parviendra  plus  à  les  mettre  en  état  de  guerre 
intestine  pour  des  opinions  divergentes  sur  des  matières  abstraites  et 
délicates,  qui  tiennent  à  l'asile  inviolable  de  la  conscience,  et  qui  ne 
doivent  pas,  d'ailleurs,  les  empêcher  de  s'entendre  quand  il  est  question 
de  remplir  un  devoir  patriotique;  on  ose  imprimer  que  les  états  provinciaux 
ne  sont  pas  un  rouage  inutile  dans  notre  édifice  social,  qu'ils  ont  des 
attributions  déterminées ,  qti'ils  peuvent  appuijer  tes  intérêts  de  leurs  provinces 
et  de  leurs  administrés  près  du  roi  et  des  états  généraux,  et  que  le  ministère, 
pour  peu  qu'il  se  pique  de  prudence ,  se  gardera  bien  de  porter  atteinte 
désormais  à  leurs  prérogatives;  ON  ose  imprimer  qu'il  est  non  moins  injuste 
qu'impolitique  de  créer,  en  quelque  sorte,  dans  un  même  État,  deux  par- 
ties distinctes ,  d'avoir  des  cantons  privilégiés ,  de  favoriser  telle  ou  telle 
formule  religieuse  ,  et  de  faciliter  à  tel  ou  tel  accent  particulier  l'accès  aux 
emplois,  de  manière  que  la  désinence  septentrionale  prévale  dans  les  noms 

'  Voy.  surtout  :  Sur  les  changements  proposés  à  la  législation  sur  la  presse,  OEuvbes,  p.  607. 
Sur  la  loi  relative  aux  délits  séditieux,  Id,  p.  61  I .  Sur  les  pétitions  pour  le  redressement  des  griefs , 
pp.  620  et  stiiv.  Sur  la  liberté  de  la  presse,  pp.  629,  655,  654,  640,  646. 

2  OEUVRES ,  p.  626. 

Tome  XXVIIl.  5 


18  NOTICE 

dont  se  compose  la  longue  pancarte  de  nos  généraux  ;  et  qu'elle  se  repro- 
duise dix -sept  fois  sur  vingt  et  un  dans  la  liste  de  nos  agents  diploma- 
tiques, ou  six  fois  sur  sept  au  tableau  de  nos  ministres,  afin,  sans  doute, 
que  le  midi  n'ait  pas  trop  à  se  plaindre  des  méridionaux,  si  la  marche  des 
affaires  n'est  pas  meilleure;  on  ose  imprimer  que  la  réunion  de  deux  pays 
sous  le  même  sceptre,  sans  que  l'un  ait  subi  le  joug  militaire  de  l'autre, 
exige  une  égalité  parfaite  dans  la  distribution  des  faveurs  et  des  charges, 
et  que,  si,  dès  le  principe,  on  s'est  écarté  de  cette  règle,  nonobstant  les 
obligations  imposées  par  le  traité  de  Londres,  ce  n'est  pas  un  motif  pour 
s'obstiner  à  suivre  une  route  dont  le  terme  serait  un  affreux  précipice: 
ON  OSE  IMPRIMER  qu'il  faut  laisser  à  chacun  le  libre  usage  de  la  langue  qui 
lui  convient  le  mieux  pour  la  stipulation  de  ses  intérêts  privés,  et  qu'une 
politique  sage,  élevée,  prévoyante,  se  serait  empressée  de  rétablir  ces 
légions  wallonnes  où,  sous  la  république  des  Provinces-Unies,  le  com- 
mandement se  faisait  en  français,  mesure  propre  à  doubler  l'enthousiasme 
du  patriotisme,  au  jour  du  danger,  par  une  noble  et  généreuse  émulation 
entre  les  habitants  des  diverses  contrées  ;  on  ose  imprimer  que  le  dogme 
de  l'infaillibilité  ministérielle  est  tellement  absurde,  qu'il  est  difficile  de 
croire  à  la  bonne  foi  de  ses  zélés  sectateurs;  on  ajoute  que  les  ministres 
sont  tenus  pour  responsables  chez  nous,  parce  qu'ainsi  le  veulent  lout 
à  la  fois  notre  régime  représentatif,  la  saine  raison,  le  respect  et  la  sûreté 
du  trône;  on  ose  imprimer  que,  si,  dans  ses  écoles  (qu'il  fera  bien  de  rendre 
les  sièges  d'études  solides,  profondes  et  dirigées  par  des  professeurs  imbus 
de  nos  souvenirs  nationaux),  le  gouvernement  éloigne  avec  soin  tout  ce 
qui  pourrait  effaroucher  une  secte  ou  l'autre,  il  regardera  néanmoins 
comme  un  devoir  de  laisser  toute  liberté  de  doctrine  et  de  méthode  aux 
établissements  particuliers;  on  ose  imprimer  que  moins  la  liberté  de  la 
presse  aura  d'entraves,  et  moins  ses  abus  deviendront  redoutables;  on  ose 
imprimer  que  la  charge  des  impôts  est  accablante,  que  des  économies  sont 
indispensables  et  qu'il  ne  serait  pas  impossible  de  retrancher  six  ou  sept 
millions  du  budget  de  nos  dépenses  ;  enfin  l'on  ose  imprimer  l'apologie  des 
demandes  en  redressement  de  griefs ,  et  même  les  considérer  comme  des 
témoignages  de  confiance  pour  un   prince  qu'il  suffira  d'éclairer  sur  la 


SUR  LE  BARON  DE  STASSART.  49 

fausse  direction  donnée  aux  affaires  par  ses  minisires,  pour  le  voir  ra- 
mener tout  à  l'ordre  légal.  —  C'est  une  horreur!  C'est  un  scandale  inouï  ! 
La  licence  de  la  presse  est  à  son  comble!....  N'est-ce  pas  ainsi  que  rai- 
sonnent certaines  excellences?....  La  liberté  de  la  presse  n'est  à  leurs  yeux 
que  la  liberté  de  dire  ce  qui  flatte  le  pouvoir;  la  vérité  les  irrite;  on  ne 
pardonne  pas  à  nos  jeunes  publicistes  cette  espèce  de  fièvre  du  bien  public 
que  leur  reprochait  un  homme  d'esprit  de  ma  connaissance,  tout  en  re- 
grettant que  ce  ne  fût  pas  une  maladie  plus  contagieuse;  nos  hommes 
d'État,  furieux  de  ne  pouvoir  plus  exploiter  au  profit  de  leur  inepte  des- 
potisme une  législation  usée  et  flétrie,  voudraient  la  rajeunir  sous  une 
forme  nouvelle.    » 

Tout  fut  inutile  cependant.  L'esprit  public,  si  hautement  manifesté  par 
la  bouche  des  hommes  les  plus  éminents  de  la  nation,  ne  fut  pas  un 
instant  écouté  du  roi  et  des  ministres  qu'un  aveugle  entêtement  précipi- 
tait à  leur  ruine.  En  ce  moment  suprême,  les  luttes  de  partis  vinrent  à 
cesser  spontanément;  on  avait  senti  le  besoin  de  se  réunir  contre  l'en- 
nemi commun.  «  De  là,  dit  le  baron  de  Slassart  lui-même  ^  cette  union 
formidable  des  catholiques  et  des  libéraux.  Elle  fit  éclater,  en  septembre 
1850,  une  révolution  qui ,  malgré  tous  les  obstacles  qu'elle  eut  à  vaincre, 
produisit  l'indépendance  de  la  Belgique.  Ce  qui  venait  de  se  passer  à 
Paris,  au  mois  de  juillet,  avait  précipité  ce  mouvement  auquel  la  mala- 
dresse et  la  tergiversation  du  gouvernement  hollandais  donnèrent  bientôt 
des  proportions  gigantesques.  » 

Le  baron  de  Stassart,  comme  il  arrive  toujours  dans  ces  moments  de 
crise  et  de  passion,  avait  été  plus  loin  qu'il  ne  l'avait  voulu,  plus  loin 
même  qu'il  ne  le  pensait.  Il  avait  désiré  des  réformes,  mais  non  une  révo- 
lution, et  la  révolution  était  déjà  dans  tous  les  esprits,  elle  était,  en 
quelque  sorte,  accomplie,  qu'il  rêvait  encore  des  moyens  de  concilia- 
tion ^.  Aussi  n'hésita-t-il  pas  à  remplir  la  mission  dont  les  notables  de 
Namur  le  chargèrent  au  commencement  de  septembre  1850,  et  qui  con- 

'   Coup  d'œil  rélrosptctif,  OEuvres,  p.  514. 

'  Voiries  deux  lettres  trouvées  dans  les  papiers  du  défunt,  et  publiées  par  M.  Queteîet,  à  la  suite 
de  sa  Notice. 


20  INOTICE 

sistail  à  porter  à  la  Haye,  conjointement  avec  MM.  Zoude,  Brabanl,  de 
Bruges  de  Branclion  et  le  comte  de  Quarré,  une  adresse  au  roi  des  Pays- 
Bas.  Mais  celte  tentative,  rendue  vaine  par  l'obstination  du  monarque, 
faillit  même  devenir  fatale  au  baron  de  Stassart,  en  qui  le  peuple  reconnut 
l'ancien  préfet  des  Bouches-de-la-Meuse.  Le  courage  personnel  ne  lui 
manqua  pas  en  cette  circonstance,  et  il  ne  craignit  point  de  se  désigner 
lui-même  à  l'émeute  pour  éloigner  le  danger  de  la  tête  de  ses  collègues  '. 

Au  retour  de  cette  périlleuse  mission,  le  baron  de  Stassart  fut  reçu  par 
les  Namurois  avec  tous  les  témoignages  du  plus  vif  enthousiasme.  Cette 
popularité  qu'il  avait  perdue  en  Hollande,  pour  avoir  suivi  ses  devoirs 
trop  scrupuleusement,  il  la  retrouvait  heureusement  chez  ses  compatriotes, 
et  précisément  par  les  mêmes  motifs. 

Malgré  tous  les  dangers  qui  l'avaient  menacé  et  qu'il  pouvait  craindre 
encore,  le  baron  de  Stassart  ne  laissa  pas  de  retourner  en  Hollande, 
quelques  jours  après,  pour  assister  à  l'ouverture  des  états  généraux. 
Mais  le  discours  du  trône  était  conçu  de  manière  à  ne  plus  lui  permettre 
le  moindre  espoir,  et,  sur  le  point  d'être  arrêté,  même  en  Belgique,  il  fut 
contraint  de  chercher  un  asile  à  Givet. 

A  peine  la  révolution  de  septembre  eut-elle  éclaté,  que  le  baron  de 
Stassart  fut  appelé  à  la  présidence  du  comité  de  l'intérieur.  Cette  révolu- 
tion,  qu'il  avait,  sinon  prévue,  au  moins  préparée,  devait  avoir  toutes  ses 
sympathies  ^;  mais,  ami  de  l'ordre  et  de  la  modération,  il  eut  peine  à  se 
faire  au  tumulte  et  à  la  confusion  inséparable  de  toute  commotion  popu- 
laire. 11  préféra  le  gouvernement  de  la  province  de  Namur  au  poste  impor- 
tant qui  lui  avait  été  confié,  et  qu'il  ne  conserva  que  huit  jours,  du 
l*^'"  au  8  octobre.  S'appliquant  à  faire  renaître  la  sécurité,  la  confiance, 
la  prospérité  dans  sa  province,  calmant  les  haines,  prévenant  les  réac- 
tions, et  donnant  lui-même  l'exemple  d'un  oubli  complet  des  anciennes 
animosités  ^,  il  reprit  peu  à  peu  les  habitudes  de  bienveillance,  de  zèle  et 

'  Voir  le  rapport  de  la  commission  d'adresse,  inséré  le  8  septembre  1830  dans  le  Courrier  de 
la  Samhre. 

-  Voir  la' proclamation  adressée  aux  habitants  de  Namur.  OEuvnES,  p.  "80,  à  la  note. 
5  Voir  les  manuscrits  cités  par  M.  Queteict  aux  pages  50  et  31  de  sa  Notice. 


SUR  LE  BARON  DE  STASSART.  21 

de  dévouement  qu'il  semblait  avoir  contractées  dans  sa  préfecture  de  \  au- 
cluse,  et  qui  n'étaient  que  les  tendances  naturelles  à  son  caractère.  11  s'y 
trouva  même  si  heureux,  qu'il  refusa  un  instant  de  quitter  ses  administrés 
pour  aller  siéger  au  congrès  national  '.  Son  élection,  faite  à  une  immense 
majorité,  le  força  pour  ainsi  dire  à  accepter  ces  éminentes  fonctions; 
mais,  dès  le  12  février  1851,  il  donna  sa  démission  de  membre  du  congrès. 

Pendant  ces  trois  mois,  les  discussions  les  plus  importantes  qui  furent 
agitées  au  sein  du  congrès,  et  auxquelles  le  baron  de  Stassart  prit  une  pari 
active,  eurent  pour  objet  la  forme  du  gouvernement  ta  plus  convenable  ù  ht 
Belgique  et  le  choix  du  chef  de  l'État. 

Le  parti  que  le  baron  de  Stassart  avait  à  prendre  dans  la  première  de 
ces  discussions  ne  pouvait  être  douteux,  eu  égard  à  ses  sentiments,  à  ses 
influences  de  famille,  aux  préoccupations  de  toute  sa  vie.  Le  discours  qu'il 
prononça,  le  19  novembre  1830  ^,  est  néanmoins  un  chef-d'œuvre  de 
modération  et  d'impaitialité  pour  les  différents  partis.  Cherchant  à  mettre 
d'accord  l'instinct  de  liberté  qui  venait  de  se  faire  jour  en  Belgique  d'une 
manière  si  éclatante,  et  le  besoin  d'ordre,  de  gouvernement  stable  et  régu- 
lier, il  se  prononce  pour  la  monarchie  constitutionnelle  représentative, 
rigoureusement  limitée,  mais  héréditaire. 

«  Des  institutions  vraiment  libérales,  dit-il  en  terminant,  des  institu- 
tions presque  républicaines,  si  l'on  veut,  mais  sous  un  chef  héréditaire 
qui  nous  en  garantit  la  durée,  voilà  ce  qui  doit  nous  servir  de  point  de 
ralliement  et  prouver  à  l'Europe  que,  si  nous  avons  su  conquérir  notre 
indépendance ,  nous  saurons  aussi  la  conserver.    » 

Lorsqu'il  s'agit,  au  congrès,  de  choisir  le  chef  de  l'Etat,  les  vues  du 
baron  de  Stassart  se  portèrent  naturellement  vers  un  prince  français  qui, 
tout  en  assurant  la  prospérité  de  Bruxelles,  pût  amener  une  quasi-réu- 
nion à  la  France,  Mais  dès  qu'il  lui  fut  démontré  que  le  roi  Louis-Philippe 
craindrait  de  ratifier  une  pareille  élection,  il  proposa  la  candidature  du 
duc  de  Leuchtenberg,  fds  d'Eugène  Beauharnais.  On  peut  voir,  par  cette 
proposition,  combien  étaient  encore  vivaces  dans  le  cœur  du  baron  de 

'  Lettre  au  Courrier  de  la  Sambre,  insérée  en  note  à  la  page  652  des  OEuvres  diverses. 
2  OEUVRES,  p.  653. 


22  NOTICE 

Slassart,  l'admiration  et  la  reconnaissance  qu'il  avait  ressenties  pour  la 
famille  de  l'empereur.  Il  ne  dissimulait  point,  du  reste,  que  la  combi- 
naison en  faveur  du  duc  de  Leuchtenberg  n'était,  dans  sa  pensée,  qu'un 
acheminement  à  la  réunion  intime  de  la  Belgique  avec  la  France  *.  Et  qui 
pourrait  lui  en  faire  un  crime,  alors  que  ce  fut  le  duc  de  Nemours  lui- 
même,  fils  du  roi  des  Français,  qui,  dans  la  séance  du  5  février,  obtint  la 
majorité  des  suffrages  ^. 

Le  duc  de  Leuchtenberg,  bien  qu'à  peine  âgé  de  vingt  ans,  était  doué 
de  toutes  les  qualités  propres  à  gagner  les  cœurs,  à  gagner  l'estime  et  la 
confiance  des  hommes  les  plus  austères. 

Il  avait  lui-même  et  naturellement  cette  affabilité,  cette  modération  et 
cet  esprit  élevé  qui  distinguaient  à  un  si  haut  degré  le  baron  de  Slassart. 
La  lettre  écrite  par  le  duc  à  M.  de  Bassano,  le  12  janvier  1851  ^,  est  aussi 
digne  que  touchante,  et  avait  dû  lui  créer  bien  des  partisans.  11  semble 
impossible,  à  part  toute  autre  considération,  que  le  baron  de  Stassart 
n'ait  pas  été  entraîné  vers  ce  jeune  prince  par  une  sympathie  en  quelque 
sorte  instinctive. 

Élu  sénateur  par  la  province  de  Namur,  dès  l'organisation  du  sénat, 
en  1851,  le  baron  de  Stassart  fut  appelé  à  l'honneur  de  la  présidence 
pendant  sept  années  consécutives.  Il  lui  appartenait,  pour  ainsi  dire, 
d'être  à  la  tête  de  ce  pouvoir  modérateur  par  excellence,  destiné  à  con- 
tre-balancer,  par  sa  prudence  et  sa  sagesse,  les  tendances  plus  vives  de 
la  première  chambre. 

Cette  partie  de  sa  carrière,  peut-être  moins  brillante,  ne  laissa  pas  de 
mettre  en  x^elief  ses  grandes  qualités,  et  l'on  a  remarqué  avec  raison 
qu'il  ne  manqua  jamais,  en  aucune  circonstance,  de  défendre  les  intérêts 
des  sciences,  des  lettres  et  des  arts  *.  Plusieurs  des  questions  que  les 
anciens  états  généraux  avaient  déjà  débattues,  lui  fournirent  aussi  l'oc- 


'   Voy.  la  lettre  du  baron  de  Stassart  au  duc  de  Rassano.  (Huyttens,  t.  II,  \>.  400.) 
-  97  voix  sur  192  votants.  Le  duc  de  Leuchtenberg  en  obtint  74,  et  l'arcliiduc  Charles  d'Au- 
triche 21. 

*  OEuvuEs,  p.  6S8,  en  note. 

■*  Voir  la  Notice  de  M.  Quetelel,  p.  32,  à  la  note. 


SUR  LE  BARON  DE  STASSART.  23 

casion  de  se  révéler  d'une  manière  éclatante.  Je  ne  puis  oublier  de  men- 
tionner à  ce  propos  ses  discussions  avec  le  ministre,  M.  le  comte  de 
Theux,  en  1859. 

La  position  du  baron  de  Stassart  à  l'égard  du  ministère  venait  de  se 
compliquer  de  difficultés  toutes  nouvelles.  Grand  maître  de  la  maçon- 
nerie nationale,  il  se  trouvait,  par  l'encyclique  épiscopale  de  1837,  et 
pour  ainsi  dire  malgré  lui,  hostile  au  clergé;  gouverneur  de  la  province 
de  Brabanl  depuis  le  mois  de  septembre  1854,  il  contrecarrait,  par  ses 
idées  administratives,  la  marche  que  le  ministère  avait  adoptée.  Son  in- 
fluence officielle  dut  en  souffrir,  et  la  session  de  1858  le  vit  éloigner  de  la 
présidence  du  sénat;  mais  sa  popularité  n'en  fit  que  grandir  encore,  et  trois 
arrondissements  électoraux,  Namur,  Nivelles  et  Bruxelles,  le  réélurent  à 
la  fois  et  à  une  immense  majorité,  en  1859.  Le  ministère,  on  le  conçoit, 
ne  fit  que  s'en  irriter  davantage,  et,  le  17  juin,  le  baron  de  Stassart  fut 
révoqué  de  ses  fonctions  de  gouverneur,  précisément  quelques  jours  après 
qu'il  avait  été  nommé,  par  une  singulière  inconséquence,  officier  de 
l'ordre  de  Léopold. 

On  se  rappelle  l'émotion  que  produisit  à  Bruxelles  une  telle  mesure, 
prise  dans  de  telles  circonstances.  L'administrateur  actif  et  dévoué  s'était 
fait  aimer  et  estimer  de  la  population  entière,  et  les  témoignages  de  sym- 
pathie de  toutes  les  classes  de  la  société  changèrent  sa  disgrâce  en  un 
véritable  triomphe.  Plus  do  trois  mille  personnes  se  rendirent  proces- 
sionnellement  à  l'hôlel  du  gouvernement,  et  il  fallut  toute  la  fermeté, 
toute  l'éloquence  persuasive  du  baron  de  Stassart  pour  empêcher  cette 
démonstration  de  dégénérer  en  émeute.  Les  protestations,  les  brochures 
se  multiplièrent  en  peu  de  jours  pour  défendre  une  si  noble  cause,  et 
une  médaille  d'or  fut  décernée  par  souscription  à  l'ex -gouverneur  du 
Brabant.  11  en  avait  été  de  même  en  1850,  lorsque  le  gouvernement  hol- 
landais avait  retiré  à  l'ancien  préfet  de  l'empire  la  pension  qui  lui  avait 
été  attribuée;  et,  sans  vouloir  tirer  aucune  induction  de  ce  rapprochement 
de  dates,  on  peut  y  remarquer  deux  révélations  analogues  d'un  caractère 
noble  mais  indépendant,  conciliant  mais  ferme. 

De  telles  luttes  ne  pouvaient  plus  convenir,  cependant,  ni  à  l'âge  ni 


U  NOTICE 

aux  goûts  du  baron  de  Stassart,  et  c'est  à  partir  de  cette  époque  que 
nous  le  voyons  peu  à  peu  s'éloigner  des  affaires  pour  rentrer  dans  la  vie 
privée,  au  milieu  du  cercle  d'amis,  de  littérateurs  et  d'artistes  dont  il 
s'était  attiré  l'afTection.  Une  mission  extraordinaire,  en  qualité  de  ministre 
plénipotentiaire  à  Turin,  en  1840,  fut  le  dernier  acte  important  de  sa  vie 
politique. 

En  1841,  il  donna  sa  démission  de  la  grande  maîtrise  de  la  maçon- 
nerie, poste  qu'il  n'avait  accepté  que  par  déférence  pour  le  roi  et  par 
dévouement  au  pays,  afin  d'éviter  qu'on  ne  fît  de  cette  institution  un 
moyen  de  correspondance  avec  le  Grand  Orient  de  la  Haye,  dirigé  par 
le  prince  Frédéric  *. 

En  1847,  il  cessa  de  faire  partie  du  sénat.  «  J'avais  accompli,  dit-il^, 
les  huit  années  de  mon  second  mandat  de  sénateur;  les  élections  devaient 
avoir  lieu,  cette  année,  pour  le  Brabant;  je  fis  connaître  aux  électeurs  qui 
vinrent,  de  toutes  parts,  m'offrir  d'appuyer  ma  candidature,  qu'ayant 
vendu  quelques  propriétés  foncières,  je  cessais  d'être  éligible,  aux  termes 
de  la  constitution.  Je  n'étais  pas  fâché  de  me  replier  sur  moi-même,  de 
jouir  de  mon  intérieur,  de  ne  plus  vivre  que  pour  mes  amis  et  pour  mes 
livres.  » 

Jj'année  suivante,  ayant  établi  son  domicile  dans  un  des  faubourgs  de 
Bruxelles,  il  renonça  volontairement  au  mandat  de  conseiller  communal. 
Enfin,  la  perte  d'une  épouse  chérie,  arrivée  le  8  juillet  1849,  le  déter- 
mina à  quitter  la  vie  publique  d'une  manière  encore  plus  complète,  et  il 
refusa  même  désormais  de  faire  partie  des  jurys  et  des  commissions  qui , 
jusqu'alors,  avaient  tenu  à  honneur  de  le  compter  dans  leur  sein. 


J'ai  suivi  l'homme  public,  sinon  pas  à  pas,  ce  qui  me  paraissait  im- 
possible, du  moins  sans  jamais  le  perdre  de  vue  et  en  le  considérant  aux 
plus  importantes  périodes  de  sa  longue  carrière.  Je  l'ai  montré  d'abord, 

'  Ce  sont  les  expressions  d'une  notice  hiographique,  faite  sans  doute  sous  les  yeux  du  baron 
de  Stassart,  puisqu'elle  se  trouve  en  tête  de  ses  œuvres. 
-  OEuvREs,  p.  760,  à  la  note. 


SUR  LE  BARON  DE  SÏASSART.  2S 

sous  l'empire,  intendant  de  l'armée  et  des  pays  conquis  en  Pologne  et 
dans  le  nord  de  l'Allemagne;  puis  sous-préfet  d'Orange,  préfet  de  Vau- 
cluse,  et  préfet  en  Hollande;  puis  membre  de  la  seconde  chambre  des 
états  généraux,  membre  du  congrès  national  en  1830,  et  membre  du  sénat 
jusqu'en  18  47. 

En  parcourant  rapidement  cet  intervalle  de  quarante- trois  années,  je 
n'ai  prétendu  peindre  que  le  caractère  le  plus  saillant,  le  plus  facile  à 
saisir  et  à  apprécier,  de  l'homme  dont  je  fais  ici  l'éloge.  Je  n'ai  point 
parlé  de  sa  vie  littéraire,  qui  est  l'une  de  ses  gloires,  je  n'ai  fait  qu'ef- 
fleurer sa  vie  intime,  qui  est  son  titre  le  plus  légitime  à  notre  admiration 
et  à  nos  sympathies.  Il  m'est  arrivé  de  passer  même  légèrement  sur  cer- 
tains détails  qui  me  semblaient  convenir  davantage  à  l'appréciation  du 
talent  d'écrivain  ou  de  la  conduite  privée.  C'est  ainsi  que  je  n'ai  point  cru 
pouvoir  juger  encore  à  son  véritable  point  de  vue  le  rôle  qu'il  remplit  dans 
la  politique,  comme  homme  d'État;  c'est  ainsi  que  j'ai  indiqué  à  peine 
la  place  importante  qu'il  occupa  dans  la  littérature  de  notre  pays,  et  l'in- 
fluence qu'il  eut  sur  cette  lettérature,  d'abord  personnellement,  puis 
comme  membre  de  l'Académie  de  Belgique. 


II. 

VIE  LITTÉRAIRE. 


Voici  en  quels  termes  le  baron  de  Stassart  raconte,  dans  ses  souvenirs  ', 
comment  son  esprit  s'éveilla  pour  la  première  fois  à  la  vie  littéraire. 

«  J'étais  avide  de  connaissances ,  et  j'étais  heureux  lorsqu'on  me  per- 
mettait d'assister  à  la  lecture  que  mon  père  faisait,  le  soir,  après  le  repas 
de  famille.  Cette  faveur  m'était  accordée,  le  dimanche,  de  plein  droit; 

'  Insérés  h  la  suite  de  la  Notice  de  M.  Quetelet. 

Tome  XXVIII.  4 


26  NOTICE 

j'attendais  ce  jour  avec  une  véritable  impatience,  et  quoique  ma  journée 
se  trouvât  ainsi  prolongée  de  quelques  heures,  il  était  bien  rare  que  je 
cédasse  au  sommeil.  Les  tragédies  de  Corneille,  de  Racine  et  de  Voltaire 
étaient  les  ouvrages-  de  prédilection  du  lecteur.  Il  arrivait  souvent  aussi, 
pendant  la  journée,  qu'en  récompense  de  ma  bonne  conduite,  ma  mère 
me  lut  quelque  ouvrage  nouveau.  Je  me  souviendrai  toute  la  vie  de  l'effet 
que  produisirent  sur  moi  les  Incas  de  Marmontel.  Us  m'inspirèrent  pour 
le  fanatisme  religieux  une  horreur  qui  ne  s'est  jamais  démentie.  Las  Casas 
était  mon  liéros.  Le  théâtre  de  M'""  de  Genlis  jouissait  alors  d'une  grande 
vogue;  on  me  lut  entre  autres  Agar  dans  le  désert,  l'Aveugle  de  Spa.  Ces 
pièces  excitèrent  au  plus  haut  degré  mon  intérêt.  Je  ne  voyais  plus  un 
aveugle  sans  implorer  du  secours  en  sa  faveur,  et  je  ne  pardonnais  pas  au 
patriarche  Abraham  le  renvoi  d'Agar  et  d'Ismaël.  Ma  mère  tirait  parti  de 
ces  lectures  pour  développer  mes  instincts  moraux.  Elle  m'inspira  surtout 
de  l'éloignement  pour  le  mensonge  et  pour  toute  tendance  à  se  prévaloir 
d'une  supériorité  quelconque  de  position.  » 

S'il  est  permis  de  tirer  quelque  indice  de  ces  premières  impressions,  de 
ces  vagues  aspirations  de  l'enfance,  on  peut  y  reconnaître  déjà  le  goût  de 
la  littérature  morale,  de  la  littérature  vraie,  ayant  une  idée,  un  but,  une 
utilité.  Les  romans  de  Marmontel  et  de  M™''  de  Genlis  sont  loin  de  nous 
sans  doute,  mais  il  faut  ici  tenir  compte  et  de  l'esprit  de  l'enfant  et  de 
l'esprit  de  l'époque.  Celui  qui,  à  six  ou  sept  ans,  ressentait  aussi  profon- 
dément l'intluence  d'une  lecture,  devait  chercher  plus  tard  à  produire  lui- 
même  cette  influence. 

Grâce  à  ces  dispositions  naturelles,  et  aux  conditions  favorables  où 
l'avait  placé  sa  naissance,  le  jeune  de  Stassart  montra  des  talents  précoces, 
et,  à  peine  âgé  de  Li  ans ,  pendant  un  séjour  de  six  mois  que  fit  sa  famille 
dans  la  petite  ville  d'Iserlohn,  en  Westphalie,  il  traduisit  d'un  bout  à 
l'autre  les  Méditations  religieuses  d'Eckarlshausen. 

Cet  ouvrage  ne  vit  cependant  le  jour  que  quelques  années  après,  et  con- 
sidérablement retouché.  Ce  fut  par  des  poésies  de  circonstance,  des  ma- 
drigaux, des  impromptu  \  puis  par  des  pièces  insérées  dans  le  Chansonnier 

'  OEUVRES,  pp.  156,  176. 


SUR  LE  BARON  DE  STASSART.  27 

des  Grâces  *,  et  enfin  par  un  recueil  d'idylles  en  prose  intitulé  :  Bagatelles 
sentimentales  (1799),  que  le  baron  de  Stassart  débuta  dans  la  carrière. 
Début  modeste,  de  fort  peu  au-dessus  du  médiocre,  mais  dont  l'auteur 
aimait  à  se  souvenir  dans  les  dernières  années  de  sa  vie.  11  comprit  même 
les  idylles  dans  son  volume  d'OEuvres  diverses,  mais  en  expliquant  cette 
sorte  d'anachronisme  par  une  courte  et  spirituelle  préface.  «  Que  voulez- 
vous?  dit-il  à  ses  lecteurs,  ce  sont  des  péchés  de  jeunesse Notre  siècle,  je 

dois  en  convenir,  n'est  rien  moins  que  pastoral ,  mais  la  fin  du  XVIII""=  siècle 
ne  l'était  guère  davantage.  Cependant  l'églogue  obtenait  encore  un  accueil 
favorable  du  public  :  Gessner  avait  toujours  la  vogue,  et  les  salles  d'auberge 
étaient  encore  tapissées  des  candides  amours  d'Estelle  et  de  Némorin.  » 
Le  séjour  de  Paris  ne  manqua  pas  d'exercer  une  grande  influence  sur 
le  développement  de  cet  esprit  impatient  de  succès.  Au  milieu  même  de 
ses  études  de  jurisprudence,  il  remporta  le  prix  d'éloquence,  en  1803, 
aux  exercices  publics  de  l'université,  pour  un  Discours  de  Régtdus  au  peuple 
romain,  et,  l'année  suivante,  le  prix  de  législation  criminelle.  Quelques 
poésies  légères  composées  à  cette  époque  prouvent  que  le  baron  de  Stassart 
était  poussé,  en  quelque  sorte  malgré  lui,  par  le  démon  des  vers.  Ce  ne 
sont  néanmoins  que  des  chansons  de  circonstances,  des  épigrammes,  des 
couplets  intercalés  dans  des  comédies,  et  qui  valurent  à  leur  auteur  ano- 
nyme ses  entrées  au  théâtre  du  Vaudeville.  Tout  cela  formait  un  délasse- 
ment, une  distraction  à  des  travaux  plus  sérieux,  qui  se  révèlent  par 
quelques  publications  destinées  à  l'enseignement.  Mais  ces  publications 
ne  sont  que  des  essais  timides,  que  l'auteur  ose  à  peine  avouer,  et  qu'il 
n'a  jamais  considérés,  dans  la  suite,  que  comme  une  préparation,  une 
espèce  de  gymnastique  intellectuelle.  Il  faut  citer  à  ce  propos  une  Géogra- 
phie élémentaire,  sans  nom  d'auteur,  qui  ne  laissa  pas  d'avoir  deux  éditions, 
en  1804  et  en  1806,  une  analyse  de  V Histoire  de  la  Belgique  de  Dewez, 
tirée  seulement  à  vingt  exemplaires ,  et  une  Description  des  communes  de 
l'arrondissement  d'Orange,  avec  des  notes  statistiques,  insérées,  en  1810, 
dans  YAlmanacli  d'Orange. 

'  OEUVRES,  p.  156,  note  2. 


28  INOTICE 

Les  deux  années  passées  à  l'université  de  jurisprudence  furent  sans 
doute  les  plus  importantes  pour  le  développement  de  celte  jeune  et  belle 
intelligence,  et  l'on  conçoit  que  ce  n'est  point  aux  résultats  immédiats 
qu'il  faut  s'arrêter  pour  juger  de  cette  influence  secrète,  intime,  pour  ainsi 
dire  latente.  «  1803!  s'écrie  quelque  part  le  baron  de  Stassart',  année 
heureuse,  consacrée  tout  entière  à  l'étude,  à  la  culture  des  lettres,  à 
l'amitié! » 

Mais  bientôt  les  préoccupations  de  la  vie  publique  vinrent  l'arracher  à 
la  carrière  littéraire,  et  ce  ne  fut  qu'à  de  rares  intervalles  qu'il  s'aban- 
donna, dans  la  solitude  du  cabinet,  à  ses  inspirations  poétiques,  à  ses 
tendances  instinctives  et  irrésistibles.  L'année  1808  vit  éclore  ainsi  une 
élégie,  Le  tombeau  de  la  religieuse,  qui  s'éloigne  entièrement  de  la  manière 
habituelle  du  jeune  auteur,  et  ses  premières  fables,  au  nombre  de  cinq  ou 
six,  qui  révèlent,  au  contraire,  son  génie  spécial,  sa  véritable  originalité^. 

«  Lancé  fort  jeune,  dit-il,  dans  la  carrière  des  emplois,  et  résolu  de 
ne  jamais  sacrifier  mes  devoirs  à  mes  goûts  les  plus  chers,  j'ai  négligé 
longtemps  la  culture  des  lettres  :  dans  l'intervalle  de  1805  à  1814,  je 
n'ai  peut-être  pas  composé  cinq  cents  vers.    » 

Il  faut  rappeler  ici,  parmi  les  influences  qui  furent  sans  doute  les  plus 
directes  sur  les  propensions  littéraires  du  baron  de  Stassart,  le  séjour  de 
Vaucluse,  où  le  souvenir  de  Pétrarque  et  des  troubadours  provençaux  et 
italiens,  encore  si  vivant  aujourd'hui,  dut  nécessairement  exciter  dans 
son  cœur  un  fécond  et  bienfaisant  enthousiasme.  Nous  avons  vu  qu'il  avait 
fondé  un  prix  pour  l'éloge  de  Pétrarque  à  l'athénée  de  Vaucluse;  il  fit 
également  frapper  une  médaille  à  la  mémoire  du  célèbre  poëte,  et  favorisa 
de  tous  ses  moyens  les  travaux  poétiques,  historiques  ou  scientifiques 
parmi  les  populations  qui  composaient  sa  préfecture. 

Nous  savons  aussi  qu'il  tenait  à  honneur  de  faire  partie  des  principales 
sociétés  établies  dans  le  ressort  de  son  administration,  et  qu'il  y  cherchait 
une  occasion  de  s'associer  au  mouvement  des  lettres  et  des  arts.  Beaucoup 

'  OEuvREs,  p.  139,  noie. 

-  Ce  sonl  les  fables  IV,  VIII,  XIV  du  1'^  livre;  III  et  XIV  du  2"'  livre,  et  la  fable  XX  du  i" 
livre. 


SUR  LE  BARON  DE  STASSART.  29 

de  ces  sociétés  lui  témoignèrent  spontanément  leurs  sympathies,  soit  en 
l'inscrivant  au  nombre  de  leurs  membres,  soit  même  en  le  nommant  leur 
président.  C'est  ainsi  que  déjà,  durant  ses  intendances  militaires,  il  avait 
été  élu  membre  de  la  société  d'agriculture  d'inspruck,  en  Tyrol,  et  de 
l'académie  des  belles-lettres  et  des  arts  de  Varsovie.  Dans  le  midi  de  la 
France ,  sept  sociétés  s'empressèrent  de  réclamer  son  concours  :  ce  furent 
l'athénée  de  Vaucluse,  le  cercle  littéraire  de  Lyon,  la  société  des  trouba- 
dours de  Marseille,  l'académie  d'Aix  en  Provence ,  la  société  italienne  des 
amis  de  Pétrarque,  la  société  des  sciences,  lettres  et  arts  d'Orange,  et 
l'académie  de  Lyon  '. 

Et  mentionnons,  à  ce  propos,  que  la  Hollande  même  rendit  justice, 
sous  ce  rapport  du  moins,  au  baron  de  Slassart.  Il  fut  inscrit,  en  1812, 
parmi  les  membres  de  la  société  littéraire  de  Leyde  et  de  la  société  de 
physique  de  Rotterdam,  et  ce  fut  un  acte  d'impartialité,  un  hommage  dû 
à  un  mérite  reconnu,  éprouvé,  incontestable. 

Je  ne  crois  point  devoir  parler,  dans  la  vie  littéraire  du  baron  de  Slas- 
sart, des  discours  prononcés  en  diverses  circonstances,  de  1804  à  1815, 
ainsi  que  de  ceux  prononcés  à  l'athénée  de  Vaucluse.  Ces  discours,  comme 
l'avoue  l'auteur  lui-même  ^,  ont  perdu  toute  actualité  et  n'intéressent  plus 
que  médiocrement  les  lecteurs  d'aujourd'hui  ;  mais  on  peut  du  moins  y 
suivre  les  principales  phases  d'une  vie  si  pleine  de  vicissitudes,  et  y  re- 
marquer aussi  que  les  opinions  et  les  sentiments  du  baron  de  Stassart 
sont  restés  inébranlables  à  toutes  les  époques.  Il  y  a  même  une  singulière 
analogie  entre  ses  discours  officiels  de  cette  période  et  ceux  qu'il  prononça 
de  1850  à  18-45. 

C'est  au  mois  de  juin  1814  que  le  baron  de  Stassart  se  montre  pour 
la  première  fois  avec  éclat  sur  la  scène  littéraire,  par  une  œuvre  dont  le 
titre  est  assurément  fort  étrange.  Cette  œuvre  s'intitule  :  Pensées,  maximes, 
réflexions,  observaiiom,  cxlrailes  des  mémoires  sur  les  mœurs  de  ce  siècle,  par 
Circé,  chienne  célèbre,  membre  de  plusieurs  sociétés  savantes.  —  Ou 
comprendra  l'intention  de  l'auteur  par  la  première  pensée  de  cet  opuscule. 

'   Voir  l'appendice  à  la  Notice  de  M.  Qiietelel. 
°  OEuvEEs ,  p.  763 ,  note. 


30  NOTICE 

«  Le  public,  dit-il,  est  tellement  rassasié  de  livres  aujourd'hui,  qu'à 
moins  d'imaginer  un  titre  bizarre  et  qui  pique  la  curiosité,  il  est  bien 
difficile  de  se  faire  lire.  » 

Il  est  à  croire  cependant  que  cette  raison  n'est  pas  la  seule  pour 
laquelle  cet  ouvrage  resta  à  peu  près  anonyme.  En  effet,  depuis  le  com- 
mencement de  sa  carrière  politique,  sous  l'empire,  le  baron  de  Stassart 
n'avait  signé  aucune  œuvre  de  quelque  importance,  et  il  avoue  lui-même 
qu'une  réputation  d'écrivain  lui  eût  été  sans  doute  plus  nuisible  qu'utile. 
On  connaît  l'aversion  que  professait  l'empereur  pour  les  idéologues,  et, 
bien  que  les  Pensées  de  Circé  ne  pussent  point  être  regardées  comme  de 
l'idéologie,  c'est-à-dire,  comme  de  la  philosophie  pure,  c'était  du  moins 
une  morale  assez  franche,  assez  hardie,  assez  frondeuse  parfois. 

Malgré  cela,  ou  plutôt  à  cause  de  cela,  le  livre  obtint  un  succès  consi- 
dérable, et  le  fait  est  digne  de  remarque  eu  égard  aux  événements  poli- 
tiques qui  absorbaient  alors  l'attention  générale.  Les  félicitations  en  prose 
et  en  vers  ne  manquèrent  point  à  l'auteur,  et,  parmi  les  épîtres  les  plus 
spirituelles  et  les  plus  flatteuses  qui  lui  furent  adressées,  il  faut  compter 
celles  de  MM.  Violet  d'Épagny,  Victor  Augier,  le  baron  de  Trappe, 
J.-II.  Ilubin,  Teste  et  le  prince  de  Ligne.  Les  vers  du  prince  de  Ligne 
sont  peut-être  les  derniers  qui  soient  sortis  de  la  plume  de  ce  charmant 
écrivain,  mort  le  15  décendîre  1814. 

Différents  recueils  s'empressèrent  aussi  d'emprunter  aux  Pensées  de  Circé 
de  nombreuses  citations,  et  le  nom  de  la  fameuse  levrette  donna  lieu  sou- 
vent à  de  plaisantes  méprises.  MM.  Bescherelle,  les  auteurs  de  la  Gram- 
maire nationale,  placèrent  Circé  sur  la  liste  des  moralistes,  et  cela,  grâce  à 
l'ordre  alphabétique,  entre  Cicéron  et  Clarac. 

Le  caractère  général  des  Pensées  de  Circé  est  une  observation  juste, 
fine,  piquante,  une  grande  expérience  du  monde,  une  douce  indulgence 
qui  n'est  ni  de  l'insouciance  ni  de  la  bonhomie;  c'est  de  la  satire,  souvent 
dirigée  contre  les  personnes,  mais  sans  aigreur  et  sans  passion;  ce  sont 
des  vérités  exprimées  avec  une  verve  railleuse  bien  qu'inoffensive;  c'est, 
en  un  mot,  une  bienveillante  modération,  dont  l'auteur  donne,  à  chaque 
page,  à  chaque  paragraphe,  tout  à  la  fois  le  précepte  et  l'exemple. 


SUR  LE  BARON  DE  STASSART.  31 

L'esprit  qui  domine  dans  ces  Pensées  ne  rappelle  ni  les  Caractères  de 
la  Bruyère,  ces  peintures  vives,  souvent  trop  chatoyantes,  aux  contours 
nets  et  bien  accusés,  ni  surtout  les  Maximes  de  la  Rochefoucauld,  ces 
aphorismes  saisissants  d'une  âme  chagrine  et  vindicative.  C'est  plutôt  l'es- 
prit de  Vauvenargues ,  et  Vauvenargues  était,  en  effet,  l'un  des  auteurs  de 
prédilection  du  baron  de  Stassart  '.  Il  y  a  dans  les  Maximes  du  protégé  de 
Voltaire  plus  de  concision,  plus  de  tendance  à  l'aphorisme  que  dans  les 
Pensées  de  Circé,  mais  c'est  la  même  simplicité  de  langage,  la  même  finesse 
d'aperçus,  la  même  chaleur  douce  et  persuasive. 

Un  travail  intéressant  qu'il  y  aurait  à  faire,  à  notre  point  de  vue,  sur 
les  Pensées  de  Circé,  serait  d'y  chercher  la  véritable  manière  de  voir  du 
baron  de  Stassart  sur  une  foule  de  questions;  car  nulle  part  cette  manière 
de  voir  n'est  exposée  d'une  façon  plus  nette,  plus  franche,  plus  explicite, 
plus  complète.  Non-seulement  on  y  trouve  la  pensée  de  l'auteur  sous  toutes 
les  faces,  mais  lui-même  s'y  peint  d'une  façon  bien  reconnaissable  dans 
certains  types,  dans  certains  personnages,  et  particulièrement  dans  Dtdis, 
Dorante  et  Vérax  ^. 

11  importe  aussi  de  remarquer  la  frappante  analogie  qui  existe  entre  les 
Pensées  de  Circé  et  les  Fables  qui  parurent  peu  de  temps  après.  Ce  sont 
les  mêmes  sentiments,  les  mêmes  idées;  seulement,  les  Fables  sont  des 
réflexions  morales  précédées  d'une  historiette  où  les  animaux  jouent  quel- 
que rôle,  en  guise  d'exemple  ou  d'application.  Bien  plus,  lorsqu'on  y 
donne  toute  son  attention,  on  s'aperçoit  qu'il  y  a  de  la  Fable  aussi  dans 
les  Pensées  de  Circé.  N'est-ce  pas,  en  effet,  une  chienne  qui  parle  et  qui 
écrit?  La  fable  n'est-elle  pas  la  préface  du  livre,  et  la  moralité,  le  livre 
même,  le  livre  tout  entier? 

On  ne  pourra  donc  point  contester  que  le  génie  de  la  fable  n'appartint 
bien  réellement  au  baron  de  Stassart,  et  que,  s'ignorant  encore  lui-même 
en  18L4,  ou  plutôt  retardé  dans  son  développement  littéraire  par  les 
affaires  publiques  auxquelles  il  se  trouva  mêlé,  il  ne  fît,  en  écrivant  les 


'  Voy.  pensée  188. 

2  Pensées,  1^1,  292  et  417. 


32  ISOTICE 

Pensées  de  Circé,  que  préluder  au  véritable  apologue.  Depuis  1808,  en 
effet,  jusque  pour  ainsi  dire  à  la  veille  de  sa  mort,  la  fable  fut  incontes- 
tablement le  genre  qu'il  cultiva  avec  le  plus  d'intérêt,  le  plus  de  bonbeur, 
le  plus  de  succès  '. 

Quant  au  mérite  exclusivement  littéraire  des  Pensées  de  Circé,  on  doit 
avouer,  tout  d'abord,  que  cette  forme,  sans  transition,  sans  liaison,  sans 
unité,  était  la  plus  ingrate  et  la  plus  monotone. 

L'auteur  semble  s'en  être  aperçu,  dès  le  commencement  de  son  livre. 
«  Les  pensées  qu'on  jette  isolément  sur  le  papier,  dit-il,  ont,  en  général, 
un  air  d'apprêt  qui  gâte  tout.  Les  pensées,  au  contraire,  qu'on  laisse 
tomber  de  loin  en  loin  dans  un  ouvrage,  sont,  pour  ainsi  dire,  nées  du 
sujet;  elles  plaisent  par  ces  grâces  naturelles,  par  ce  facile  abandon  et 
cette  aimable  bonhomie  qu'exclut  nécessairement  la  prétention  affichée  de 
régenter  le  lecteur  -.  »  Un  moyen  se  présentait  au  baron  de  Slassart  d'ani- 
mer son  style  et  de  stimuler  la  curiosité;  c'était,  comme  il  le  dit,  de 
"  tourner  toutes  ses  pensées  en  saillies  et  toutes  ses  maximes  en  épigram- 
mes  ^,  »  mais  ce  moyen  lui  répugne;  il  préfère  instruire,  il  préfère  inté- 
resser par  sa  morale  même,  par  la  vérité  de  ses  observations,  et,  après 
tout,  dit-il  en  terminant,  «  quelle  est  la  conversation  sans  bavardage  et  le 
livre  sans  remplissage?  Je  n'en  connais  point  *.  » 

Ce  n'est  pas  à  dire  pourtant  que  beaucoup  de  ces  pensées  n'aient  point 
une  allure  essentiellement  originale,  une  vivacité  des  plus  piquantes. 
Voyez,  par  exemple,  la  confusion  qu'il  s'efforce  malicieusement  d'établir 
entre  la  modestie  et  l'amour-propre  ^.  Voyez  aussi  certaines  de  ses  ré- 
flexions sur  la  musique  du  jour  ^. 

Je  ne  puis  m'empêcher  de  citer  ici  quelques-unes  des  pensées  que  je 
considère  comme  les  plus  jolies  sous  le  rapport  de  la  forme,  de  l'expres- 
sion. On  verra  que  celles-là  du  moins  ne  le  cèdent  en  rien  aux  plus  spi- 
rituelles observations  de  Vauvenargues  ou  de  la  Bruyère  sur  les  hommes 
et  la  société. 

«  —  Enclume  ou  marteau  :  tel  est  le  sort  de  la  plupart  des  hommes! 

'  OEUVRES,  p.  X,  note.  |  '^  Pensées,  111.  |  ^  Jd.,  188.  |  *  Pensée  500  et  dernière.  |  ^  Pensées, 
5,  28  et  474.  \  ^  M,  29,  206  et  348. 


SUR  LE  BARON  DE  STASSART.  33 

Heureux,  mille  fois  heureux,  le  sage  qui  possède  le  secret  de  n'être  ni 
l'un  ni  l'autre,  et  qui  parvient  à  quitter  ce  monde  sublunaire  sans  avoir 
été  ni  froissant  ni  froissé  ^  !  » 

«  —  Il  est  des  gens  si  pleins  d'eux-mêmes,  et  qui  trouvent  tant  de 
charmes  à  s'appesantir  sur  le  monosyllabe  moi,  qu'en  le  prononçant  ils 
ont  le  secret  d'en  faire  deux  syllabes  -.  » 

«  —  Le  ton  de  fatuité,  l'air  de  suffisance  et  le  babil  sentencieux  de  ce 
qu'on  veut  bien  appeler,  à  Paris,  gens  de  bonne  compagnie,  peuvent  en 
imposer  un  instant  à  l'homme  modeste;  mais  bientôt  le  charme  cesse,  et 
ces  esprits  si  brillants,  si  sémillants,  semblables  aux  machines  de  Vau- 
canson,  s'arrêtent  tout  court  ou  se  répètent^.  » 

0  —  Comme  il  y  a  d'aimables  négligences  qui  servent  de  parure  à  l'es- 
prit, il  est  aussi  des  faiblesses  dont  le  cœur  s'honore*.  » 

«  —  Les  palais  des  princes  et  des  grands  ont  beau  changer  de  pro- 
priétaires, les  salons  et  les  antichambres  offrent  toujours  à  l'œil  du  phi- 
losophe observateur  les  mêmes  personnages.  Les  courtisans  ressemblent 
aux  chats,  qui  sont  moins  attachés  au  maître  qu'à  la  maison  ^.  » 

Ces  citations  peuvent  aussi  faire  juger  du  style  des  Pensées.  Ce  style, 
on  le  voit,  est  aisé,  coulant,  gracieux,  pur  et  correct,  mais  d'une  correc- 
tion et  d'une  pureté  qui  n'excluent  ni  l'entrain  ni  la  verve  :  c'est  la  langue 
classique,  ample,  limpide  et  régulière,  douée  de  cette  admirable  trans- 
parence qui  laisse,  pour  ainsi  dire,  apercevoir  tout  d'abord  la  pensée. 
Les  mots,  en  effet,  ne  frappent  point  par  eux-mêmes,  et  les  saillies  sont 
plutôt  dans  l'idée  que  dans  l'expression. 

Peut-être  une  telle  langue,  à  force  d'être  pure,  perd- elle  un  peu  de 
sa  saveur;  peut-être  le  goût  actuel  y  désirerait-il  plus  de  mots  pittores- 
ques, plus  de  métaphores;  mais  gardons-nous  de  méconnaître  que  la  pureté 
a  aussi  son  charme  spécial,  que  le  style  pailleté,  brillante  de  certains 
auteurs  modernes  s'éloigne  considérablement  du  génie  de  la  langue  fran- 
çaise, et,  pour  tout  dire,  que  l'axiome  de  Buffon  est  encore  toujours  d'une 
frappante  application. 


'  Pensée  71.  |  2  y^.  gg.  |  5  /,/.   122.  |  /.  jd.  130.  1  =  Id.  154. 
Tome  XXVIII. 


34  NOTICE 

«  Quand  on  voit  le  style  naturel,  avait  dit  Pascal,  on  est  tout  étonné 
et  ravi;  car  on  s'attendait  de  voir  un  auteur,  et  on  trouve  un  homme.  » 

Or,  c'est  l'homme  que  nous  retrouvons  ici,  l'homme  au  caractère 
simple,  à  l'esprit  un,  aux  opinions  justes  et  modérées,  et  nous  aimons 
cet  homme  dans  son  livre,  et  nous  aimons  l'écrivain  dans  cet  homme. 

Les  affaires  publiques,  comme  je  l'ai  fait  remarquer  plus  haut,  avaient 
seules  empêché  jusqu'alors  le  baron  de  Stassart  de  se  livrer  à  ses  goûts 
de  prédilection,  à  ses  penchants  littéraires.  A  peine  la  chute  de  Napoléon 
fut-elle  consommée,  qu'il  reprit  avec  ardeur  l'étude  des  lettres,  mais 
d'abord  sans  but  arrêté,  sans  plan  préconçu,  et  en  se  mêlant  plus  ou 
moins  au  mouvement  général. 

La  Belgique  entrait  à  cette  époque  dans  une  ère  toute  nouvelle  pour 
les  sciences,  les  lettres  et  les  arts.  La  paix  d'abord  avait  favorisé  ces  ten- 
dances, qui  ne  tardèrent  pas  à  devenir  plus  actives  parla  restauration  ou 
la  réorganisation  des  diverses  sociétés  littéraires,  et  par  la  présence  sur 
le  sol  belge  d'un  grand  nombre  de  proscrits  français  ^ 

L'influence  des  exilés  français,  à  toutes  les  époques,  a  été  fort  grande 
sur  les  littératures  voisines  de  la  France,  et  si  M.  Savons  a  pu  faire 
récemment  un  ouvrage  du  plus  haut  intérêt  sur  la  littérature  française 
à  l'étranger,  on  pourrait,  sans  doute,  compléter  cette  étude  au  point  de 
vue  des  étrangers  eux-mêmes. 

La  Belgique  surtout  devait  servir  d'asile  aux  proscrits  de  toutes  les 
révolutions  qui  se  sont  successivement  accomplies  en  France;  et,  par  la 
similitude  du  langage,  au  moins  pour  la  capitale  et  certaines  provinces, 
elle  devait  en  ressentir  une  influence  plus  ou  moins  salutaire.  1815  , 
1850,  1848  et  1852  nous  en  ont  offert  la  preuve.  Et  n'est-ce  pas  actuel- 
lement, depuis  le  2  décembre  1851 ,  et  par  suite  de  l'impulsion  due  aux 
réfugiés  français,  que  les  conférences,  les  lectures  et  les  cours  publics 
se  sont  multipliés  dans  notre  pays  d'une  façon  si  extraordinaire?  Il  y  a 
là  un  résultat  bien  appréciable,  et  que  nous  croyons  pouvoir  haute- 
ment avouer,  aujourd'hui  surtout  que  la  Belgique  est  assez  forte  pour  ne 

'  M.  Quelelet  n  fort  bien  caractérisé  ces  influences. 


SUR  LE  BARON  DE  STASSART.  35 

plus  devoir  se  renfermer  dans  de  mesquines  considérations  de  vanité  na- 
tionale. 

3Iais  si  celte  influence  étrangère  est  encore  si  remarquable,  après 
vingt-cinq  années  de  paix  et  de  progrès,  combien  elle  était  nécessaire  à 
une  époque  où  tout  était  à  refaire,  à  organiser,  à  créer! 

Parmi  les  sociétés  littéraires  qui  prirent  la  plus  grande  part  à  ce  mou- 
vement, il  faut  citer  l'Académie  de  Bruxelles,  que  le  nouveau  gouverne- 
ment venait  de  rétablir,  la  société  littéraire  de  Bruxelles,  dont  le  baron 
de  Stassart  faisait  partie  depuis  1802,  et  la  société  d'émulation  de  Liège 
oîi  il  entra  en  1815. 

Ce  fut  une  union  presque  intime  entre  les  membres  de  ces  diverses 
sociétés,  et  leurs  relations  avec  les  écrivains  français  réfugiés  en  Bel- 
gique, qui  donnèrent  naissance  aux  recueils  et  aux  journaux  dans  les- 
quels se  concentre  presque  toute  la  vie  littéraire  de  cette  époque.  MM.  de 
Stassart,  Ph.  Lesbroussart,  Quetelet,  de  Reiffenberg,  Jouy,  Cornelissen, 
Comhaire,  Hubin,  Van  Bemmel ,  Rouveroy,  Vanden  Zande,  etc.,  etc., 
auxquels  se  joignirent  plus  tard  MM.  Raoul,  Baron,  Alvin,  et  beaucoup 
d'autres,  se  signalèrent  dès  lors  plus  particulièrement  dans  Y  Annuaire 
poétique  ^  recueil  modeste,  que  l'on  peut  considérer  comme  le  berceau  de 
notre  littérature  nationale  contemporaine. 

Le  baron  de  Stassart,  qui  s'était  senti  depuis  longtemps  porté  vers 
l'apologue  d'une  manière  irrésistible,  et  qui  avait  remporté  les  suffrages 
de  ses  compatriotes  pour  quelques  pièces  de  ce  genre  insérées  dans 
Y  Annuaire  poétique,  résolut  enfin,  au  mois  de  mars  1818,  de  publier 
un  recueil  de  Fables. 

Dans  la  préface  de  ce  recueil ,  faisant  allusion  à  sa  douce  retraite  de 
Corioule  :  «  J'ai  joui,  disait-il,  cette  année  (1817),  à  la  campagne,  d'un 
loisir  que  des  travaux  importants  ne  m'avaient  pas  permis  de  goûter 
encore;  j'ai  succombé,  comme  tant  d'autres,  à  la  séduction;  j'ai  fait  des 
fables,  et,  sans  m'en  douter  le  moins  du  monde,  à  la  fln  de  l'biver  je 
m'en  suis  vu  cent  vingt-neuf,  en  y  comprenant  le  prologue  et  l'épilogue. 

'  L'Alimnnch  ou  Avnnairc  poélique  fut  publié  depuis  1801  par  la  sociiHé  littéraire  de  Bruxelles, 
et  le  baron  de  Slassarl  y  écrivit  depuis  1802,  mais  le  plus  souvent  sous  le  voile  de  l'anonyme. 


36  NOTICE 

Les  fabulistes  étrangers  m'ont  fourni,  je  crois,  une  cinquantaine  de 
sujets;  le  surplus  m'appartient  entièrement.  » 

Les  cent  vingt-neuf  fables,  successivement  augmentées  jusqu'au  nombre 
de  deux  cents  environ,  eurent  neuf  éditions,  de  1818  à  1854;  une  traduc- 
tion complète  en  anglais,  par  M.  Kean,  parut  en  1852,  et  des  traductions 
partielles  en  furent  faites  à  diverses  époques  en  hollandais  par  Swan,  en 
allemand  par  Cattel,  en  suédois  par  Wahunck,  en  provençal  par  Ilvacinthe 
Morel,  en  patois  liégeois  et  namurois  par  MM.  Dumarteau  et  Werolte  K 
C'est  assez  indiquer  le  succès  immense,  le  succès  vraiment  européen 
qu'elles  ne  cessèrent  d'obtenir  durant  tant  d'années. 

Quand  on  parle  de  fables,  on  pense  tout  d'abord  à  la  Fontaine  qui 
semble,  par  sa  toute-puissante  originalité,  avoir  absorbé  en  lui  le  genre 
même.  Le  baron  de  Stassart  prévit  cette  difficulté,  et  s'efforça  de  la  lever 
adroitement  en  disant  dans  son  Prologue  : 

«  Lorsque  le  rossignol  commence, 
»  Par  respect  les  oiseaux  gardent  tous  le  silence; 
»  C'est  le  vrai  Phénix  de  nos  bois; 
»  Mais  on  peut  bien,  en  son  absence, 
)>  Plaire  un  moment  sans  égaler  sa  voix.  » 

Il  fit  mieux  :  il  eut  l'esprit  de  ne  jamais  chercher  à  imiter  le  maître, 
ou  à  le  suivre  de  près  ou  de  loin.  Il  s'abandonna  à  ses  propres  sentiments, 
à  ses  propres  inclinations,  et,  en  donnant  à  ses  fables  le  cachet  de  son 
caractère,  il  rencontra  une  originalité  nouvelle. 

La  Fontaine  avait,  on  le  sait,  publié  d'abord  les  six  premiers  livres  de 
ses  fables;  il  publia  ensuite  les  cinq  suivants,  et  enfin  le  douzième,  et 
ces  trois  dates  forment  dans  son  recueil  trois  phases  différentes  parfaite- 
ment saisissables.  Le  baron  de  Stassart  eut  peut-être  le  tort  de  mêler,  dans 
chaque  livre,  des  fables  de  dates  diverses  :  il  serait  sans  doute  facile  de 
reconnaître  à  certaines  époques  les  préoccupations  particulières  de  fau- 
teur, et  même  des  manières  distinctes. 

'   Bibliographie  académique,  p.  91. 


SUR  LE  BARON  DE  STASSART.  37 

Il  est  évident,  par  exemple,  que  les  premières  fables,  surtout  celles 
qui  portent  la  date  de  1808,  sont  d'une  moralité  moins  piquante,  moins 
caustique,  et  n'ont  rapport  qu'à  des  lieux  communs  de  morale,  aux  travers 
et  aux  ridicules  de  l'individu  dans  la  vie  privée.  La  vie  publique,  la  poli- 
tique surtout  "semblaient  alors  exclues  de  la  littérature.  3Iais,  à  partir 
de  1815,  et  à  mesure  que  l'auteur  se  trouve  mêlé  aux  agitations  des 
partis,  aux  luttes  avec  le  pouvoir,  ses  fables  deviennent  peu  à  peu  plus 
vives,  plus  satiriques,  plus  empreintes  d'actualité,  et  finissent  par  être  le 
reflet  de  ses  opinions  les  plus  chères. 

Je  vais  tâcher  de  caractériser  rapidement  les  fables  du  baron  de  Stas- 
sart,  en  y  considérant  ainsi  l'histoire  de  sa  vie  intellectuelle. 

Parmi  les  fables  qui  appartiennent  à  ce  que  j'appelle  sa  première 
manière,  il  en  est  sans  doute  de  charmantes,  malgré  la  moralité  souvent 
banale  qui  les  accompagne.  Mais  c'est  alors  le  récit  même  qui  nous 
charme,  par  ses  allures  comiques  ou  dramatiques,  c'est  le  récit  qui 
absorbe  l'attention.  Il  faut  citer,  dans  ce  genre,  le  Singe  et  la  Montre  ', 
le  Cheval  belliqueux  -  et  la  jeune  Fille,  sa  Mère  et  te  Feu  follet  ^  Parfois 
aussi  le  sentiment  seul  nous  émeut  et  nous  intéresse,  comme  dans  les 
fables  de  Florian.  Ainsi  l'Hirondelle  et  le  Moineau"^,  qui  commence  par  ces 
jolis  vers  : 

«  J'eslime  beaucoup  l'hirondelle. 
B  Elle  a  peu  de  talents,  mais  elle  a  des  vertus; 
»  Bonne,  jamais  coquette,  à  ses  amours  fidèle, 

»  Elle  sait  aimer...  rien  de  plus.  » 

Ainsi  encore  ces  petits  poèmes  composés  en  l'honneur  de  l'amitié  ^,  ou 
en  haine  de  l'orgueil  S;  car  l'orgueil,  pour  me  servir  d'une  expression  tri- 
viale, semble  surtout  la  bête  noire  du  fabuliste,  et  il  trouve  pour  l'attaquer 
des  accents  pleins  d'énergie. 

S'il  lui  arrive,  à  ce  moment  de  sa  vie,  de  toucher  à  la  politique,  de 
l'effleurer,  pour  mieux  dire,  c'est  pour  recommander  la  plus  grande  cir- 

'  Livre  I,  fable  4.  |  ^  |.  8.  p  I,  10.  ^  •■  3. 
5  I,  16;  V,  22;  VH,  1.  |  «  I,  15;  IV,  2;  V,  7. 


38  NOTICE 

conspeciion  et  pour  prêcher  l'accord  entre  le  souverain  et  le  peuple,  en 
donnant  au  premier  le  plus  de  prérogatives  '. 

La  date  de  ces  fables,  remarquons-le  bien,  ne  dépasse  pas  l'année  1816 
ou  l'année  1817. 

Mais  bientôt  le  style  de  l'auteur  s'élève;  sa  pensée  devient  plus  active 
et  plus  forte;  l'instinct  de  résistance  à  une  oppression  injuste  s'est  éveillé 
dans  son  âme,  et  peu  s'en  faut  même  qu'entraîné  par  sa  verve,  il  n'aille 
jusqu'à  blâmer  la  conduite  de  Napoléon.  C'est  ce  que  l'on  peut  remarquer 
avec  étonnement  dans  certaine  moralité  qui  attaque  assez  franchement 

a  Maint  héros  couronné  des  lauriers  de  la  guerre, 
«  Maint  redresseur  de  torts,  qui ,  le  glaive  à  la  main , 

»  On  le  sait,  ravagent  la  terre 

i>  Pour  le  bonheur  du  genre  humain  '-.  » 

Le  roi  des  Pays-Bas  a  naturellement  la  plus  grande  part  des  traits  lancés 
contre  une  royauté  impopulaire,  contre  une  administration  tyrannique  et 
vexatoire.  Ce  sujet  a  inspiré  au  baron  de  Stassart  ses  plus  jolies  fables. 
Le  Roitelet  ambitieux  ^,  le  Conseil  d'Étal  du  Lion  *,  le  Trône  de  ISeige  ^  et  le  Pin- 
son roi  ^  sont  de  véritables  chefs-d'œuvre.  On  peut  y  joindre  l'Enfant  et  le 
Hanneton  '',  l'Aigle  et  le  Corbeau  ^,  et  te  Léopard  et  CÊlcphant  rois  des  animaux  ^. 

Ces  allégories  facilement  transparentes,  et  d'autres  allusions  dissémi- 
nées, n'étaient  que  l'écho  des  plaintes  et  des  murmures  du  peuple.  Le 
baron  de  Stassait,  qui  savait  si  bien  défendre  à  la  tribune  les  droits  des 
provinces  méridionales  du  royaume,  s'était  fait  le  généreux  interprète  de 
ces  droits  jusque  dans  ses  poésies. 

A  cette  époque  où  Déranger  sapait,  au  moyen  de  ses  chansons,  la  restau- 
ration en  France,  le  baron  de  Stassart  semble  avoir  choisi  instinctivement 
le  même  rôle  en  Belgique,  et  le  fabuliste  a,  sous  ce  rapport,  plus  d'une 
analogie  avec  le  grand  chansonnier  ••^.  En  effet,  les  fables  que  je  viens  de 

'  Voy.  I,  4;  I,  9;  IF,  8;  V,  16. 

^  Le  Rat ,  la  Belette,  le  Renard  et  le  Loup,  Vil,  3. 

-  IV,  9.  I  *  IV,  23.  1  s  V,  10.  I  6  V,  20.  |  ■  V,  18.  |  «  V,  19.  |  '■'  VII,  6. 

'"  Il  est  à  remarquer  que  tous  les  deux  étaient  nés  en  1780. 


SUR  LE  BARON  DE  STASSART.  39 

citer  sont  plutôt  de  petites  satires,  d'ingénieux  pamphlets,  et  l'auteur,  en 
s'éloignant  ainsi  de  la  nature  même  du  genre,  en  devient  d'autant  plus 
original,  d'autant  plus  individuel  dans  toute  la  signiCcation  de  ce  mot. 

Comme  le  dit  fort  bien  le  baron  de  Stassart,  «  ce  qui  n'était  qu'une  fable 
en  1818  est  devenu  de  l'histoire  en  1830  '.  »  Mais  à  peine  la  révolution 
de  septembre  est-elle  accomplie,  que  le  caractère,  les  idées,  les  préoccu- 
pations de  l'homme  reprennent  le  dessus.  C'est  désormais  la  modération 
qu'il  conseille,  l'oubli  des  animosités,  l'accord  et  la  conciliation.  En 
18Ô2,  il  traduit  en  fable  son  vote  en  faveur  de  la  monarchie,  sans  pour- 
tant injurier  la  république  2.  Plus  tard,  il  déplore  les  chicanes  que  se 
font  les  diverses  nations  entre  elles  ^,  ou  les  divers  partis  au  sein  d'une 
même  nation  '.  Il  attaque  les  hommes  d'État  sans  talent  qui  se  mêlent  de 
vouloir  diriger  les  peuples  ^,  mais  il  attaque  également  les  démolisseurs^ 
et  les  exagérations  des  progressistes  ". 

Après  la  révolution  de  1848,  c'est  cette  dernière  tendance  qui  se 
remarque  presque  exclusivement  *.  Et  pouvait-il  en  être  autrement?  Pou- 
vons-nous exiger  d'un  vieillard  qu'il  renonce  pour  ainsi  dire  aux  idées  de 
toute  sa  vie  pour  se  jeter  dans  le  tourbillon  des  idées  nouvelles?  Sachons 
gré,  au  contraire,  au  baron  de  Stassart  de  ne  pas  s'être  élevé  avec  âpreté, 
avec  acrimonie  contre  la  fougue  révolutionnaire  de  1848,  autant  que  de 
ne  point  s'être  rallié  complètement  à  la  réaction  de  1852  ;  sachons-lui  gré 
de  la  modération,  de  la  juste  mesure  qu'il  sut  conserver,  à  son  âge  et 
dans  une  pareille  crise  sociale,  à  l'égard  d'excès  tout  opposés. 

Quelques  fables  de  cette  dernière  époque  rappellent  aussi ,  et  tout  natu- 
rellement, sa  première  manière  simplement  narrative,  et,  en  ce  genre,  tes 
deux  petits  Savoyards  ^  méritent  certainement  d'être  placés  parmi  les  meil- 
leures. 

S'il  fallait  maintenant  porter  un  jugement  général  sur  tout  ce  recueil 

'  OEUVRES,  p.  87,  note  165,  et  p.  92,  note  2-24. 

î'  VU,  d5.  I  5  Les  bons  Voisins,  Vlll,  3.  |  *  Le  Conducteur  el  ses  Chevaux,  VIII,  3.  |  ^  VIII,  9 
Il  19.  1  6  Vlll,  13.  I  ■>  VIII,  23. 

«  l[,  21;  III,  22;  V,  21;  VIII,  20;  Vlll,  22,  et  les  fables  intercalées  dans  les  Miscellanées ,  I,  2 
et  6,0EuvKEs,  p.  1043. 

«  IV,  22. 


40  NOTICE 

de  fables,  je  dirais  que  c'est  une  guerre  de  détail,  une  guerre  de  partisans 
faite  à  l'exagération  en  toutes  choses,  à  l'injustice,  à  l'arbitraire,  à  l'orgueil, 
à  l'ambition;  une  guerre  dans  laquelle  le  provocateur  reste  calme  et 
n'abandonne  jamais,  au  sein  même  de  la  lutte,  l'esprit  de  tolérance  dont 
il  s'est  fait  une  loi  suprême.  Plus  fin  que  malicieux  et  plus  naïf  que 
railleur,  il  se  borne  à  plaisanter  des  sottises  et  des  fautes,  en  lançant,  de 
temps  à  autre,  des  coups  d'épingle  dans  les  ballons  de  l'aniour-propre, 
et  les  questions,  même  les  plus  brûlantes,  ainsi  traitées  sans  fanatisme, 
deviennent  un  sujet  de  méditations  fécondes. 

A  ne  considérer  les  fables  du  baron  de  Stassart  qu'au  point  de  vue 
littéraire,  nous  devons  remarquer  d'abord  le  charme  de  la  narration,  qui 
semble  appartenir  à  une  simple  conversation  amicale  et  familière,  pleine 
de  négligence  et  d'abandon.  On  est  à  peu  près  d'accord  pour  attribuer  à 
la  fable  cette  liberté  d'allures  et  ces  formes  capricieuses  où  ne  domine 
absolument  que  le  goût.  Or,  le  goût  était  précisément  l'une  des  plus  remar- 
quables qualités  de  notre  fabuliste,  et  jamais  ni  le  sujet,  ni  les  person- 
nages, ni  le  cadre,  ni  le  style  ne  pèchent  contre  cette  loi  suprême. 

Toutes  les  fables  du  baron  de  Stassart  ont  une  longueur  convenable 
et  appropriée  au  sujet  même;  toutes  offrent  des  animaux  en  scène,  c'est- 
à-dire  des  êtres  vivants  et  animés,  comparables  à  nous  sous  beaucoup  de 
rapports,  tandis  que  des  êtres  inanimés  peuvent  difficilement  se  concevoir 
comme  créatures  parlantes  ^;  toutes  enfin,  ou  presque  toutes,  présentent 
une  action,  action  qui,  par  elle-même,  nous  inspire  une  pensée  morale, 
avant  que  l'auteur  nous  ait  donné  ce  qu'on  nomme  la  moralité  de  la  fable. 

La  plupart  des  observations  que  j'ai  faites  sur  le  style  du  baron  de 
Stassart,  à  propos  des  Pensées  de  Circé,  s'appliquent  également  à  ses  Fables, 
malgré  la  différence  qui  semble  exister  naturellement  entre  les  vers  et  la 
prose.  C'est  que  cette  différence  est  moins  profonde  qu'on  ne  le  croirait; 
et  ceci  ne  veut  pas  dire  que  le  vers  du  baron  de  Stassart  soit  entaché  de 
prosaïsme,  mais  bien  que  les  mêmes  caractères  de  correction  et  de  pureté 
se  retrouvent  de  part  et  d'autre.  Les  licences  poétiques  sont  aussi  incon- 

'  Voiries  observations  à  ce  sujet  dans  ta  préface  de  la  sixième  édilion ,  en  note. 


SUR  LE  BARON  DE  STASSART.  41 

nues  à  l'auleur  que  le  faste  et  l'apparat  qui,  aux  yeux  du  XVIII'"''  siècle, 
constituaient  le  langage  des  dieux. 

L'harmonie  seule,  mais  une  harmonie  toute  particulière,  propre  sur- 
tout aux  vers  libres,  distingue  le  style  poétique  du  baron  de  Stassart.  Il 
ne  faut  point  y  chercher  cette  phrase  souple,  mobile,  pittoresque  et  pim- 
pante qui  caractérise  à  peu  près  toute  la  poésie  légère  de  notre  époque, 
mais  il  faut  y  reconnaître  un  rhythme  toujours  conforme  au  sens,  au  sen- 
timent, à  l'expression  du  discours  ou  du  récit. 

Et  c'est  à  dessein  que  je  me  sers  du  mot  rhythme,  auquel  on  donne 
d'ordinaire  une  signiflcation  de  régularité  et  de  symétrie.  Il  est  évident 
que  la  langue  française,  dépourvue  d'accentuation  syllabique,  doit  cher- 
cher dans  l'accentuation  oratoire ,  c'est-à-dire  dans  le  sens  même  de  la 
phrase ,  des  ressources  spéciales  et  une  harmonie  toute  nouvelle.  Or,  le 
baron  de  Stassart  comprenait  admirablement  cette  harmonie,  et  avait, 
sous  ce  rapport,  suivi  d'instinct  la  voie  ouverte  par  la  Fontaine. 

Il  est  beaucoup  d'écrivains,  de  grands  poètes  même,  qui  affectent 
encore  de  ne  pas  comprendre  l'harmonie  des  vers  libres.  M.  de  Lamartine, 
entre  autres,  n'a  pas  craint,  dans  la  préface  des  Dernières  confidences,  de 
blâmer  ouvertement  la  Fontaine,  et  de  tourner  en  ridicule  «  cette  poésie 
composée  de  lignes  d'inégales  longueurs.  »  C'est  méconnaître  complète- 
ment l'esprit  de  la  langue  française,  c'est  même  proscrire  toute  poésie 
en  cette  langue.  M.  de  Lamartine  peut -il  s'imaginer  que  ces  diverses 
mesures  de  vers  soient  purement  arbitraires;  peut-il  s'imaginer  que  les 
vers  alexandrins  eux-mêmes  n'empruntent  pas  à  une  loi  naturelle,  néces- 
saire, leur  période  de  douze  syllabes,  si  monotone  aux  yeux  du  vulgaire? 
En  terminant  cette  appréciation  des  Fables,  \q  dois  citer  les  notes  expli- 
catives, placées  à  la  suite  du  recueil,  et  qui  renferment  une  foule  de  détails 
instructifs  ou  curieux  :  c'est  une  preuve  du  soin  et  de  la  conscience  que 
mettait  le  baron  de  Stassart  à  la  composition  de  toutes  ses  œuvres;  c'était 
aussi  un  moyen  d'instruire  et  d'éclairer  les  jeunes  intelligences  auxquelles 
l'auteur  savait  que  l'on  présente  souvent  des  fables  pour  première  étude. 
Je  me  suis  étendu  un  peu  longuement  sur  les  Pensées  et  sur  les  Fables, 
qui  sont  réellement  les  deux  titres  les  plus  importants  de  l'écrivain  à  notre 
Tome  XXVIII.  6 


42  ÎNOTICE 

admiration.  Je  passerai  rapidement  en  revue  ses  autres  œuvres,  extrê- 
mement nombreuses,  mais  dont  le  véritable  mérite  n'est  point  exclusive- 
ment littéraire. 

Il  faut  que  je  m'arrête  néanmoins  quelques  instants  encore  sur  les 
Méditations  religieuses  d'Eckartshausen,  qui  parurent  en  1825  pour  la  pre- 
mière fois  avec  le  nom  du  traducteur,  et  sous  le  titre  de  :  Dieu  est  l'amour 
le  plus  pur.  Celte  traduction  fut  bientôt  dans  toutes  les  mains,  et  le  succès 
qu'elle  obtint  ne  tarda  pas  à  effaroucher  certaines  âmes  trop  scrupuleuses 
ou  trop  craintives.  Les  Méditations,  en  effet ,  présentaient  la  religion  sous 
l'aspect  le  plus  aimable,  le  plus  consolant,  avec  une  sorte  d'élan  el  de 
tendresse;  mais  ce  n'était  guère  que  le  triomphe  du  sentiment  religieux, 
sans  acception  de  cultes  ni  de  croyances.  On  reprocha  au  traducteur  des 
expressions  trop  poétiques,  trop  profanes,  trop  vagues;  on  lui  reprocha 
d'avoir  tutoyé  Dieu;  et  l'on  finit  par  obtenir  la  proscription  du  livre. 

C'est  par  cet  ouvrage  que  se  manifeste  le  talent  de  l'écrivain  de  la  façon 
la  plus  brillante,  la  plus  éclatante.  Il  y  a,  dans  cette  simple  traduction, 
iion-seulement  une  admirable  pureté  de  style,  mais  de  la  grâce  et  de  la 
force,  de  la  couleur  et  de  la  lumière.  La  douce  chaleur  de  ce  style  nous 
pénètre,  et  sa  suave  harmonie  nous  fait  rêver,  indépendamment  des  idées 
exprimées.  Il  faut  lire  les  chapitres  intitulés  :  Sur  le  sentiment  de  notre  exis- 
tence. Sur  la  destinée  de  l'homme,  et  quelques  autres,  pour  comprendre  cette 
influence  bienfaisante  de  la  parole  considérée  en  elle-même. 

J'ai  cité  un  grand  nombre  des  discours  officiels  du  baron  de  Stassart, 
prononcés  aux  états  généraux,  au  congrès  national,  au  sénat  et  dans  di- 
verses circonstances.  J'en  ai  donné  l'analyse  et  l'appréciation,  à  propos 
de  la  vie  publique  de  l'auteur,  et  je  ne  crois  point  devoir  y  revenir 
ici.  Je  ne  puis  m'empêcher,  cependant,  de  faire  remarquer  dans  ces  dis- 
cours des  qualités  littéiaires  assez  rares  en  général,  et  dont  toutes  les 
œuvres  du  baron  de  Stassart  portent  l'empreinte.  Combien  cette  pureté  de 
diction,  cette  régularité  de  composition  méritent  nos  éloges,  dans  une 
branche  de  la  littérature  oîi  domine  d'ordinaire,  avec  tous  ses  défauts  el 
fort  peu  de  ses  qualités,  le  caractère  de  l'improvisation! 

Le  12  octobre  1853,  l'Académie  appela  le  baron  de  Stassart  à  venir 


SUR  LE  BARON  DE  STASSART.  4ô 

siéger  parmi  ses  membres,  et  cette  date  indique  encore  une  phase  nouvelle 
dans  la  carrière  de  l'écrivain.  Les  occupations  de  l'Académie  étaient  pré- 
cisément celles  qui  convenaient  le  mieux  à  sa  nature  et  à  ses  habitudes; 
il  avait  peu  de  propension  aux  travaux  de  longue  haleine;  il  lui  fallait  un 
public  pour  écouter  la  lecture  de  ses  divers  opuscules,  il  lui  fallait  un 
recueil  pour  les  insérer,  et  c'est  précisément  ce  qu'il  rencontrait  à  l'Aca- 
démie. Ses  rapports,  ses  notes  et  ses  discours  ont  été  cités  souvent  comme 
dignes  d'attention.  Plusieurs  de  ces  pièces  ont  même  donné  lieu  à  des 
polémiques  assez  acerbes  dans  des  journaux  et  des  revues,  polémiques 
auxquelles  l'auteur  s'empressait  de  prendre  part  avec  convenance  et 
dignité. 

Les  rapports  du  baron  de  Stassart  étaient  généralement  empreints  d'une 
bienveillance  éclairée,  d'une  sage  indulgence  qui,  loin  de  provoquer  chez 
les  jeunes  écrivains  une  vanité  ridicule  ou  une  activité  stérile,  les  excitait 
à  mieux  faire  et  encourageait  leurs  eiïorts.  Le  plus  complet  et  le  plus 
remarquable  de  ces  rapports  est  le  rapport  sur  le  concours  ouvert  par 
l'Académie  pour  la  meilleure  pièce  de  vers  français  consacrée  à  la  mémoire  de 
la  reine  (8  mai  1851).  Quelques  Notes  aussi  sont  du  plus  haut  intérêt  pour 
l'histoire  de  la  littérature  :  ce  sont  celles  relatives  à  l'évéque  Philippe  Cos- 
peau  ,  aux  descendants  de  Corneille  et  au  poëte  Lainez.  Enfin,  parmi  les 
Discours  académiques,  je  ne  puis  manquer  de  citer  les  cinq  discours  spécia- 
lement consacrés  à  l'histoire  de  la  Belgique,  et  qui  s'enchaînent  de  ma- 
nière à  présenter  les  principaux  faits  et  les  personnages  les  plus  saillants 
de  nos  annales.  Le  discours  du  15  décembre  1811,  notamment,  renferme 
une  idée  des  plus  heureuses,  en  traçant  d'une  façon  sommaire  un  itinéraire 
historique  de  la  Belgiqiie  ^ 

Le  baron  de  Stassart  ne  tarda  pas  à  s'attacher  de  plus  en  plus  à  l'Aca- 
démie, après  avoir  consenti  à  occuper  la  présidence  alternativement  avec 
M.  le  baron  de  Gerlachc.  Par  une  coïncidence  remarquable,  ces  deux 
hommes  qui  s'étaient  rencontrés  à  Paris  en  1802,  sur  les  bancs  de  l'uni- 
versité de  jurisprudence,  qui  avaient  été  un  instant  ensemble  vice-prési- 

'  OEuvEES,  p.  279. 


44  NOTICE 

dents  du  congrès  national,  et  qui  avaient  été  élus  ensuite,  l'un  président 
de  la  chambre  des  représentants,  l'autre  président  du  sénat,  se  trouvèrent 
partager  aussi  la  présidence  de  l'Académie. 

A  mesure  surtout  que  le  baron  de  Stassart  s'éloigna  des  affaires  publi- 
ques, il  s'occupa  davantage  de  ses  travaux  à  l'Académie,  qui  devinrent  ses 
plus  douces  distractions,  ses  délassements  les  plus  chers.  Ce  n'était  ni  la 
gloire,  ni  même  une  satisfaction  d'amour-propre  qui  le  poussaient  à  mul- 
tiplier ses  publications,  c'était  une  sorte  d'habitude  qu'il  s'était  créée  dès 
la  jeunesse  et  dont  son  intelligence,  toujours  active,  ne  pouvait  plus  se 
passer. 

Le  même  penchant  l'avait  porté  à  accepter  une  certaine  part  dans  la 
rédaction  d'une  foule  de  recueils  périodiques.  Il  fut  un  des  principaux 
collaborateurs  de  la  Biographie  universelle  des  frères  Michaud ,  de  la  Revue 
encyclopédique  de  France,  de  la  fievtie  belge,  du  Trésor  national,  du  Bibliophile 
belge,  du  Bibliophile  de  Paris  et  de  la  Bévue  du  nord  de  la  France  publiée  par 
M.  Arthur  Dinaux.  Il  avait  écrit  également  dans  VAnnuaire  nécrologique  de 
M.  Mahul,  dans  la  Thémis,  dans  le  Mémorial  européen,  dans  le  Journal  de 
f Empire,  dans  le  Journal  de  la  Belgique,  dans  VAnnuaire  de  la  Société  philo- 
lechnique,  etc.,  etc. 

Des  critiques  littéraires  insérées  dans  les  journaux,  des  pièces  et  des 
discours  de  circonstance,  des  opuscules  composés  dans  sa  jeunesse  et 
qu'il  revoyait  avec  attention,  des  publications  d'autographes  importants, 
des  réponses  à  des  opinions  hasardées  par  différents  écrivains,  des  recti- 
fications d'erreurs  historiques,  occupèrent  également  les  loisirs  que  s'était 
faits  le  baron  de  Stassart,  et  ne  tardèrent  pas  à  prendre  place  dans  son 
volume  d'OEitvres  diverses. 

11  avait  aussi,  depuis  de  longues  années,  la  pensée  d'écrire  des  Mémoires, 
et  l'on  conçoit  de  prime  abord  de  quel  intérêt  eût  été  un  pareil  ouvrage, 
embrassant  toute  la  période  comprise  entre  la  révolution  de  89  en  France 
et  la  restauration  bonapartiste  de  1852.  L'entreprise  était  gigantesque, 
et  de  nature  à  effrayer  un  écrivain  qui  n'avait  jamais,  au  temps  même  de 
sa  plus  grande  virilité,  conçu  le  plan  d'un  ouvrage  de  longue  haleine.  La 
lecture  de  plusieurs  mémoires  contemporains  acheva  de  le  dégoûter,  et 


SUR  LE  BARON  DE  STASSART.  45 

l'abus  que  l'on  faisait  de  ce  genre  lui  lit  craindre  de  tomber  dans  la  manie 
générale.  Nous  n'avons  de  cet  ouvrage  qu'une  sorte  d'avant-projet,  de  table 
des  matières,  et  un  fragment  destiné  sans  doute  à  former  le  commence- 
ment du  premier  chapitre. 

Pendant  les  dernières  années  de  sa  vie,  seul  au  milieu  de  ses  livres  et 
de  ses  collections,  il  prit  une  sorte  de  plaisir  d'enfant  à  augmenter  le 
nombre  de  ses  précieux  autographes,  à  cataloguer  son  immense  biblio- 
thèque, à  compléter  sa  collection  de  fabulistes,  à  rassembler  même  des 
tableaux,  des  médailles  et  des  œuvres  d'art,  tout  en  s'occupant  avec  le 
plus  grand  soin  de  l'impression  de  ses  OEuvres. 

Cette  impression  dura  près  de  trois  ans,  du  2  septembre  1851  au  mois 
de  juin  1854.  Le  volume  portait,  en  guise  de  préface,  ces  paroles  tou- 
chantes : 

«  J'ai  sous  mes  yeux  mon  acte  de  naissance;  je  ne  puis  me  faire  illu- 
sion :  je  suis  né  le  2  septembre  1780.  C'est  aujourd'hui  ma  soixante-dou- 
zième année....  il  est  plus  que  temps  de  dresser  mon  bilan  littéraire.  Le 
public  connaît  déjà  la  plupart  des  pièces  qui  le  composent.  Puisse  son 
indulgence,  qui  m'a  souvent  encouragé,  ne  pas  se  démentir  à  la  vue  de 
ce  bagage  trop  volumineux  peut-être!    » 

Ce  que  le  baron  de  Stassart  appelait  son  «  bilan  littéraire,  »  forme 
réellement  une  petite  bibliothèque.  C'est  un  volume  grand  in-8%  de  1092 
pages  à  deux  colonnes,  renfermant  non-seulement  toutes  les  œuvres  que 
j'ai  citées  dans  le  cours  de  cette  appréciation,  mais  un  nombre  prodigieux 
de  pièces  détachées,  d'excellentes  notices  biographiques,  de  critiques 
littéraires  et  de  miscellanées ,  qui  forment  une  partie  spéciale  infiniment 
plus  considérable  que  la  première. 

Mêlé  à  toutes  les  affaires  de  son  temps,  depuis  le  commencement  de 
ce  siècle;  appelé,  par  ses  diverses  fonctions,  à  la  discussion  de  tous  les 
intérêts  intellectuels;  en  rapport  avec  tous  les  hommes  qui  ont  eu  quelque 
influence  sur  les  idées  de  notre  époque,  le  baron  de  Stassart  était,  par 
ces  circonstances,  à  même  de  nous  fournir  mille  données,  mille  détails 
précieux  sur  l'histoire  contemporaine.  De  plus ,  doué  d'un  patient  esprit 
d'investigation  joint  à  une  rigoureuse  impartialité ,  d'une   mémoire  ex- 


i6  NOTICE 

traord inaire  au  secours  de  laquelle  il  pouvait  appeler  conslanimenl  de 
riches  collections  de  livres,  de  manuscrits  et  d'autographes  :  nul  n'avait 
aussi  plus  de  ressources  pour  faire  les  immenses  travaux  que  renferme 
cette  seconde' partie  de  ses  œuvres.  Combien  la  simple  indication  de  celle 
foule  d'études  détachées  serait  utile  à  nos  littérateurs,  à  nos  historiens, 
à  nos  critiques,  à  tous  ceux  qui  veulent  mettre  de  la  conscience  et  de 
l'exactitude  dans  leurs  recherches,  quelles  qu'elles  soient  ! 

Le  bien  que  le  baron  de  Stassarl  avait  fait,  pendant  sa  longue  carrière, 
à  la  littérature  et  aux  littérateurs,  il  voulut  le  continuer  même  après  sa 
mort.  L'Académie,  qu'il  avait  fini  par  considérer  comme  sa  famille  d'a- 
doption, eul  la  plus  grande  partie  de  sa  riche  collection  de  livres  et 
d'autographes ,  toute  sa  correspondance  privée ,  tous  ses  papiers  intimes. 
Il  fonda  en  outre  un  prix  en  faveur  de  la  meilleure  notice  sur  un  Belge 
célèbre,  et  un  autre  prix,  plus  important,  destiné  à  encourager  l'étude  de 
l'histoire  nationale.  Une  somme  de  10,000  francs  fut  léguée  à  l'Institut 
de  France  pour  fonder  un  prix  à  décerner,  tous  les  six  ans,  alternative- 
ment pour  l'éloge  d'un  moraliste  et  pour  une  question  de  morale.  Enûn, 
le  jeune  officier  qui,  pendant  l'année,  sortirait  premier  de  l'école  mili- 
taire, devait  recevoir  un  précieux  autographe  de  Bayard ,  ainsi  qu'une 
somme  de  5,000  francs  pour  son  équipement. 

En  présence  de  ces  legs,  dont  je  n'indique  ici  que  les  principaux,  ne 
peut-on  pas  dire  que  la  vie  littéraire  du  baron  de  Stassarl  continue  encore? 


SIR  LE  BAROiS  DE  STASSART  47 

III. 

VIE  INTIME. 


Lorsqu'on  jelte  les  yeux  sur  l'un  des  nombreux  portraits  du  baron  de 
Slassarl,  et  particulièrement  sur  la  lithographie  de  M.  Baugniet,  sur  la 
belle  médaille  de  M.  Léopold  Wiener,  ou  sur  le  buste  qu'achève  en  ce 
moment  même  M.  Eugène  Simonis,  ce  n'est  point  la  régularité  des  traits, 
la  noblesse  de  l'ensemble,  la  pureté  des  détails  qui  frappent  tout  d'abord: 
c'est  la  bonté,  c'est  la  bienveillance,  c'est  une  douce  sérénité,  une  félicité 
franche  et  souriante  qui  vient  de  la  conscience  et  qui  se  répand  sur  le 
visage  en  calmes  rayonnements. 

Mais  les  artistes  n'ont  jamais  pu  rendre  l'expression  essentiellement 
mobile  de  cette  physionomie,  expression  qui  devenait  tantôt  (ine  et  mali- 
cieuse, tantôt  affable  et  pleine  de  bonhomie,  tantôt  vive  et  animée.  Les 
sentiments  et  les  pensées  du  baron  de  Stassart,  c'est-à-dire  toute  son  âme 
se  manifestait  à  chaque  instant,  non-seulement  sur  ses  traits,  mais  dans 
toute  son  altitude,  dans  ses  gestes,  dans  sa  personne  entière.  Ces  divers 
aspects  de  sa  vie  intime,  facilement  appréciables,  ne  présentaient  cepen- 
dant ni  contrastes,  ni  disparates;  car  l'égalité  d'humeur  et  la  charmante 
indulgence  qui  formaient  l'unité  réelle  de  ce  caractère,  se  révélaient  aussi 
(  onstamment  par  un  sourire  aimable,  sans  affectation  ni  banalité. 

On  se  sentait  attiré  malgré  soi,  instinctivement  et  irrésistiblement,  vers 
cet  homme,  en  remarquant  l'urbanité,  le  bon  goût,  le  tact  exquis  de  son 
langage  et  de  ses  manières;  on  l'estimait  à  la  première  vue,  on  l'aimait 
sans  le  connaître,  sans  savoir  encore  qu'il  était  l'une  des  gloires  les  plus 
pures  et  les  plus  respectables  de  notre  temps  et  de  notre  pays. 

Ceux  qui,  n'ayant  point  approché  le  baron  de  Stassart,  n'ont  pas  éprouvé 
non  plus  son  influence  toute  personnelle,  jugeraient  difficilement  un  carac- 
tère aussi  en  dehors  du  commun  des  hommes ,  aussi  vraiment  rare  à  toutes 


48  NOTICE 

les  époques  et  particulièrement  à  la  nôtre.  Lorsqu'on  se  rappelle  avec 
quelle  indulgence  éclairée  ce  vieillard  accueillait  et  encourageait  les  jeunes 
gens  qui  se  destinaient  à  la  carrière  des  lettres ,  lui  dont  les  idées  arrêtées 
depuis  longtemps  paraissaient  devoir  être  d'autant  plus  obstinées  et  exclu- 
sives ,  on  ne  peut  s'empêcher  de  ressentir  pour  l'homme  même,  indé- 
pendamment de  sa  vie  et  de  son  talent,  non-seulement  une  vive  admira- 
tion, mais  un  véritable  et  sincère  enthousiasme. 

Et  cependant,  on  regrette  de  devoir  s'en  souvenir  aujourd'hui,  combien 
le  baron  de  Stassart  n'a-t-il  pas  été  attaqué  durant  sa  longue  et  laborieuse 
carrière,  combien  n'a-t-il  pas  été  en  butte  aux  fureurs  des  partis,  aux 
rancunes  de  la  plus  étroite  et  de  la  plus  mesquine  jalousie.  Peut-être  est-ce 
le  sort  inévitable  de  tous  les  hommes  supérieurs  qui  savent  se  mettre  au- 
dessus  des  considérations  d'actualité,  et  ne  se  guider  que  par  les  idées  de 
l'honneur,  du  bien,  du  juste,  du  vrai.  Peut-être  aussi  y  avait-il,  dans  le 
caractère  même  du  baron  de  Stassart,  un  côté  vulnérable,  une  propension 
peu  sympathique  à  la  foule,  un  trait  distinctif  que  l'on  n'est  que  trop 
porté  à  confondre  avec  la  faiblesse,  et  dont  les  envieux  ne  manquaient  pas 
de  tirer  parti.  Je  veux  parler  de  la  modération  presque  systématique  que 
j'ai  eu  si  souvent  l'occasion  de  signaler,  tant  dans  la  vie  publique  que 
dans  la  vie  littéraire  de  l'homme  dont  je  fais  ici  l'éloge. 

La  modération,  en  effet,  telle  est  la  vertu,  suivant  les  uns,  tel  est  le 
défaut,  suivant  les  autres,  qui  domine  toute  l'existence,  tous  les  actes, 
toutes  les  opinions  du  baron  de  Stassart.  Et,  remarquons-le  bien,  ce  n'est 
pas  seulement  par  inclination  naturelle,  c'est  de  parti  pris,  de  propos 
délibéré,  après  réflexion  et  méditation,  qu'il  s'efforce  de  faire  prévaloir  ce 
principe.  En  politique,  au  sein  même  de  la  lutte  la  plus  vive,  au  sein  de 
la  révolution,  il  rêve  la  conciliation  des  partis;  il  hait  les  tyrans,  mais  il 
craint  la  liberté  illimitée.  Les  extrêmes  en  tous  genres  lui  répugnent;  il  les 
attaque  l'un  après  l'autre,  et  souvent  à  la  fois,  n'ayant  alors  pour  partisans 
que  certaines  gens  médiocres,  incapables  de  l'appuyer  ou  de  le  soutenir,  et 
pour  récompense  que  sa  conscience  d'homme  de  cœur  et  d'homme  de  bien. 

Pense-t-on  que  la  modération,  ainsi  entendue,  ainsi  pratiquée,  soit 
une  qualité  bien  commune?  Pense-t-on  qu'il  faille  beaucoup  plus  de  force 


SLR  LE  BARON  DE  STASSART.  49 

et  de  courage  pour  se  jeter  dans  un  parti,  et  s'abandonner  ensuite,  aveu- 
glément, à  toutes  les  exagérations  de  ce  parti,  que  pour  s'arrêter  sur  la 
pente  et  cliercher  même  à  arrêter  les  autres? 

Le  baron  de  Stassart  se  rendait  parfaitement  compte  lui-même  des 
dangers  de  cette  situation,  et,  comme  c'était  surtout  de  propos  délibéré 
qu'il  l'avait  prise,  il  en  avait  pesé  mûrement  toutes  les  conséquences. 

«  Ce  que  les  partis  extrêmes  pardonnent  le  moins,  dit-il,  c'est  la  mo- 
dération, qu'ils  considèrent  comme  la  critique  permanente  de  leurs  actes. 
Ainsi  de  toutes  les  vertus,  la  modération  est,  je  crois,  celle  dont  la  pra- 
tique exige  le  plus  de  courage  ^  » 

Il  est  vrai  que,  se  faisant  illusion  sur  les  hommes  de  son  époque,  il  se 
flattait  toujours  de  finir  par  les  ramener  au  moyen  de  la  persuasion. 

«  Laissons,  dit-il  encore,  les  hommes  des  partis  extrêmes  injurier  les 
partisans  d'une  sage  modération,  laissons-les  invoquer  contre  eux  la  loi 
d'Athènes..,.  Il  faudra  bien  qu'on  en  revienne  au  juste  milieu,  base  uni- 
que de  toute  vérité  pratique  ^.  » 

Cette  opinion  se  reproduit  sans  cesse  dans  les  Fables,  dans  les  Pensées 
de  Circé  et  en  maint  endroit  de  ses  autres  ouvrages.  Ce  n'est  pas  pour  la 
politique  seulement  qu'il  l'invoque,  c'est  aussi  pour  toute  la  conduite  de 
l'homme  dans  la  vie  privée, 

«  La  modération  plus  que  toute  autre  vertu  sert  de  garantie  au  bon- 
heur ^.  » 

Mais,  là  encore,  il  est  le  premier  à  reconnaître  que  la  mise  en  prati- 
que de  cette  maxime  est  malaisée.  «  Il  faut  plus  qu'on  ne  pense  de  force 
d'âme  et  de  courage  d'esprit  pour  ne  jamais  franchir  les  bornes  de  la 
modération  *.  » 

Sans  doute  que  la  haine  de  l'orgueil,  si  vivace  chez  le  baron  de  Stas- 
sart, provenait  de  ce  penchant  invincible,  allié  à  un  sentiment  de  justice 
et  de  convenance.  Sans  doute  aussi  que  l'indulgence,  qui  le  caractérisait 
à  un  si  haut  point,  avait  la  même  source,  tout  en  étant  la  conséquence 
d'une  bonté  naturelle  et  irréfléchie.  Mais  il  est  évident  que  cette  indul- 


'  Pensées  de  Circé,  493.  ]  -  Pensée  480.  |  '  Id.  470.  |  '•  fd.  2t  I. 
Tome  XXVIH. 


50  NOTICE 

gence  et  cette  haine  de  l'orgueil,  développées  de  cette  façon,  devaient 
finir  par  appuyer  à  leur  tour  la  modération  elle-même. 

On  voit  maintenant  que  cette  tendance  remarquable  du  caractère  du 
baron  de  Stassart  était  tout  autre  chose  qu'un  impuissant  éclectisme, 
qu'un  timide  juste  milieu,  qu'un  adroit  équilibre,  comme  on  l'en  a  sou- 
vent accusé.  Député,  homme  d'État  ou  écrivain,  loin  de  redouter  les 
exagérations,  il  les  combattait  en  face  et  à  outrance;  loin  de  pactiser  avec 
les  extrêmes,  il  leur  avait  voué  une  haine  vigoureuse;  loin  de  se  placer 
entre  les  systèmes,  il  s'élevait  au-dessus,  et  les  dominait  de  toute  la  hau- 
teur de  ses  vues  nobles  et  généreuses. 

Certainement,  et  je  suis  le  premier  à  en  convenir,  un  tel  rôle  exigeait  une 
ardeur  constante  et  soutenue,  qui  parfois  fit  défaut  au  baron  de  Stassart, 
surtout  dans  les  dix  dernières  années  de  sa  vie.  Comme  l'a  fort  bien  fait 
remarquer  M.  Quetelet,  à  propos  de  certains  actes  de  cette  période  '  :  «  11 
put  reconnaître  alors  que  le  rôle  le  plus  difficile  à  remplir,  c'est  de  n'en 
point  avoir,  et  de  se  trouver,  sans  le  mot  d'ordre,  entre  deux  partis  qui  en 
sont  aux  mains  :  les  chances  d'être  frappé  sont  doubles.  Il  n'existe,  en 
pareil  cas,  que  deux  manières  de  se  préserver  :  c'est  de  s'effacer  par  une 
nullité  complète,  ou  d'exercer  sur  tous  un  puissant  ascendant.  Or,  cet 
ascendant,  le  baron  de  Stassart  l'avait  perdu,  et,  d'une  autre  part,  il  n'était 
point  un  homme  que  l'on  pût  considérer  comme  étant  de  médiocre  impor- 
tance. » 

Il  serait  impossible  de  caractériser  avec  plus  de  justesse  la  position  spé- 
ciale à  laquelle  le  baron  de  Stassart  devait  aboutir,  par  son  système  de 
modération,  vers  la  fin  de  sa  carrière.  Mais  il  faut  bien  se  garder  d'en 
accuser  la  tendance  elle-même,  malgré  toutes  les  inimitiés,  toutes  les  ani- 
mosités  qu'elle  suscita  constamment  et  dans  des  camps  diamétralement 
opposés. 

Ce  qu'on  ne  peut  perdre  de  vue,  c'est  que  le  baron  de  Stassart  eut 
toujours  «  le  courage  de  la  modération  »,  comme  il  le  dit  lui-même,  et 
qu'il  ne  recula  jamais  sur  ce  point,  ni  devant  la  disgrâce,  ni  devant  l'im- 

'  Notice,  p.  33,  note  2. 


SUR  LE  BARON  DE  STASSART.  M 

popularité.  Les  conséquences  de  cette  conduite  furent  souvent  pour  lui 
des  plus  cruelles;  mais  il  en  prenait  son  parti  avec  le  calme  du  sage,  avec 
la  sérénité  d'âme  que  donne  à  l'honnête  homme  la  conscience  du  devoir 
accompli.  Il  allait  jusqu'à  en  plaisanter  en  présence  de  ses  amis,  sans 
aigreur,  sans  dépit,  avec  cette  finesse  et  cette  douceur  qui  lui  étaient 
particulières.  Ses  Fables,  ses  Pensées  de  Circé,  ses  Ëpigrammes ,  ses  Petits 
dialogues  épiyrammaliques  et  moraux,  devenaient  aussi  les  confidents  de  ses 
impressions,  de  ses  observations,  de  ses  souvenirs. 

Ne  s'est-il  pas,  évidemment,  dépeint  lui-même  sous  le  nom  de  Uulis, 
dans  la  pensée  suivante  ^  ? 

«  Dulis  ne  réussit  pas  dans  le  Midi,  parce  qu'il  y  passe  pour  un  esprit 
apathique  et  lier  qui  ne  sait  pas  courtiser  les  grands  et  faire  à  propos 
une  démarche  importante;  dans  le  Nord,  il  ne  réussit  pas  davantage, 
parce  qu'on  l'y  regarde  comme  un  intrigant,  attendu  qu'il  n'évite  pas  de 
plaire  à  des  hommes  très-aimables,  à  la  vérité,  et  très-dignes  de  l'estime 
publique,  mais  qui  sont  assez  malheureux  pour  avoir  du  crédit  à  la  cour. 
Que  manque-t-il  donc  à  Dulis  pour  se  concilier  les  esprits?  —  De  savoir 
prendre  successivement  les  mœurs  et  les  usages  des  divers  pays  qu'il 
habite.  Il  est  certains  cas  où  le  mezzo  termine,  si  vanté  des  sages,  n'est  bon 
à  rien.  » 

N'est-ce  pas  lui  encore  que  l'on  doit  reconnaître  dans  cet  autre  por- 
trait 2? 

«  Vérax  respecte  l'ordre  public;  on  ne  le  voit  pas  déclamant  sans  cesse 
contre  les  sommités  sociales.  Aussi  les  frondeurs  de  profession  le  consi- 
dèrent-ils comme  un  courtisan,  tandis  qu'à  la  cour  on  le  traite  de  déma- 
gogue, parce  qu'il  ne  craint  pas  d'y  faire  entendre  le  langage  de  la  vérité, 
parce  qu'il  n'hésite  jamais  à  blâmer  les  mesures  défavorables  aux  intérêts 
du  peuple.  » 

C'est  à  ces  confidences  littéraires  que  se  bornait  toute  la  vengeance  du 
baron  de  Stassart.  Jamais  il  n'eut  l'idée  de  se  poser  en  âme  incomprise 
ou  méconnue,  en  victime  ou  en  martyr.  Et  pourtant  à  combien  d'attaques 

'   Pensée  -2'27. 
"2  Pensée  417. 


S2  NOTICE 

et  de  persécutions  ne  fut-il  pas  exposé  !  Tout  autre  que  lui,  sans  aucun 
doute,  se  fût  dégoûté  d'un  système  qui  ne  lui  attirait  que  des  ennemis; 
tout  autre  se  serait  renfermé  dans  son  dépit,  dans  son  orgueil,  dans  son 
mépris  du  monde  et  de  la  société.  Lui,  tout  au  contraire,  n'en  devint  que 
plus  indulgent,  plus  bienveillant,  plus  affable.  Et  n'est-ce  pas  là  une  preuve 
convaincante  de  la  véritable  force  d'àme,  de  la  véritable  supériorité? 

«  Quand  on  considère,  dit -il  encore,  l'ingratitude  et  les  injustices 
auxquelles  l'bomme  en  place  est  plus  exposé  que  personne,  on  doit  lui 
savoir  quelque  gré  de  n'être  ni  dur  ni  égoïste  à  quarante  ans  '.  » 

Or,  cet  égoïsme  et  cette  dureté,  le  baron  de  Stassart  n'en  laissait  pas 
encore  observer  le  moindre  synq^tôme,  dans  ses  opinions  ou  dans  sa  con- 
duite, à  73  ans,  c'est-à-dire  à  son  plus  grand  âge. 

Bien  plus,  il  encourageait  chez  les  jeunes  gens,  avec  une  bonté  sans 
égale,  des  instincts  qui,  en  apparence  du  moins,  semblaient  s'opposer 
aux  préoccupations  de  toute  sa  vie.  11  aimait  leur  hardiesse,  leur  témé- 
rité même,  sachant  bien  que  ces  penchants  ne  se  modifient  que  trop  avec 
le  temps,  et  persuadé  que  la  liberté  seule  conduit  aux  plus  nobles  et  aux 
plus  éclatantes  vertus.  Écoulez  plutôt  ce  piquant  petit  dialogue  qui  n'est 
que  le  reflet  de  ses  conversations  intimes. 

«  N.  Théophile,  qui  passe  pour  votre  élève,  est  un  jeune  homme  très- 
dangereux  par  son  exaltation.  Si  le  mot  excentricilé  n'existait  pas,  on  l'au- 
rait créé  pour  lui.  Les  abus  du  pouvoir,  les  injustices  de  l'opinion  l'irritent 
et  le  révoltent  :  il  se  fait  dans  toutes  les  occasions  le  défenseur  de  l'op- 
primé. Je  le  répète,  c'est  un  frondeur  dangereux.  Que  ne  le  ramenez-vous 
dans  une  voie  meilleure  ?  Il  semble  vraiment  dévoré  de  la  fièvre  du  bien 
public. 

«   X.  Ne  craignez  rien....  cette  fièvre  là  n'est  pas  contagieuse  2.  » 

L'homme  qui  écrivait  ces  charmantes  paroles  n'aurait-il  pas  dit  aussi 
avec  le  grand  chansonnier  auquel  il  ressemble  par  plus  d'un  côté  : 

«  ....  Il  est  peu  de  jeunes  gens  qui  ne  sachent  l'intérêt  que  tous  m'inspi- 
rent. Combien  de  fois  me  suis-je  entendu  reprocher  des  applaudissements 

'  Pensée  58. 

2  Petits  dialogues  épigrammatiques  et  moraux.  OEuvres  ,  p.  217. 


SUR  LE  BARON  DE  STASSART.  53 

donnés  à  leurs  plus  audacieuses  innovations  !  Pouvais-je  ne  pas  applaudir, 
niênie  en  blâmant  un  peu  *  ?  » 

C'est  cerlaineaient  là  l'un  des  traits  les  plus  sympathiques  du  ca- 
ractère du  baron  de  Stassart,  et,  nolons-le  bien,  c'était  la  modération 
même  qui  produisait  cette  indulgence,  et  qui  allait,  sinon  jusqu'à  encou- 
rager, du  moins  jusqu'à  permettre  une  certaine  exagération  de  senti- 
ments. 

Il  est  donc  plus  qu'absurde  de  considérer  la  modération  comme  une 
qualité  toute  passive,  connue  synonyme  d'impuissance  ou  de  timidité.  La 
vie  intime  du  baron  de  Stassart  nous  présente  mille  exemples,  mille 
preuves  du  contraire. 

Et  d'abord,  cet  homme  si  modéré,  cet  esprit  si  conciliant,  cet  ennemi 
déclaré  de  tout  excès,  de  toute  violence,  était  loin  de  posséder  le  calme, 
la  quiétude,  la  placidité  d'âme  qui  semble  inséparable  d'une  telle  manière 
de  voir.  La  vivacité,  l'impatience  même,  et  parfois  l'obstination  se  révé- 
laient chez  lui  de  la  façon  la  plus  singulière,  la  plus  inattendue.  Mais, 
hàtons-nous  de  le  dire,  à  la  louange  du  baron  de  Stassart,  ces  défauts, 
en  tant  que  défauts ,  ne  prenaient  jamais  leur  source  que  dans  un  sen- 
timent d'honneur,  de  justice,  de  générosité,  violemment  froissé  ou  com- 
battu. 

«  Ces  accès  d'impatience,  dit  M.  Quetelet,  se  manifestaient  par  une 
vive  rougeur,  un  certain  embarras  d'expression  et  un  mouvement  nerveux 
dans  toute  sa  personne^.  »  Parfois  même  ils  lui  inspiraient  quelque  saillie, 
quelque  épigramme  piquante,  mais  où  la  colère  et  la  brutalité  n'avaient 
jamais  la  moindre  part.  C'était  au  côté  ridicule  qu'il  s'attaquait  de  préfé- 
rence, et  le  principe  seul,  ou  plus  souvent  encore  l'expression,  excitait 
cette  verve  satirique. 

Du  reste,  l'explication  de  cette  apparente  anomalie  se  trouve  tout  entière 

dans  un  passage  des  Souvenirs  laissés  par  le  baron  de  Stassart  à  l'Académie. 

«   Mon  enfance,  dit  l'auteur,  fut  entourée  de  témoignages  d'affection. 

Aussi,  plus  tard,  lorsque  je  fus  au  collège,  je  cédais  volontiers  aux  moyens 

'  Déranger,  préface  des  chansons  nouvelles  et  dernières. 
-  Notice,  p.  41 . 


M  NOTICE 

de  douceur,  mais  je  savais  me  roidir  avec  une  obstination  sans  égale  contre 
tout  ce  qui  ressemblait  le  moins  du  monde  à  la  violence.  » 

Ce  qui  n'était  qu'un  instinct  chez  l'enfant  devint  chez  l'homme  un  trait 
caractéristique;  mais  le  bien  seul  était  l'objet  de  cette  vivacité,  que  la 
bonté  naturelle  et  le  sentiment  des  convenances  empêchèrent  toujours  de 
dégénérer  en  personnalités  blessantes. 

L'impatience  et  l'obstination  même  ne  forment  donc  nullement,  à  ce 
point  de  vue,  un  défaut,  une  dissonance  dans  l'esprit  du  baron  de  Stassart. 
Rien,  au  contraire,  ne  prouve  mieux  la  parfaite  unité,  l'admirable  har- 
monie de  son  caractère,  et,  si  je  ne  craignais  de  tomber  dans  le  paradoxe, 
je  soutiendrais  que  la  modération,  dans  le  sens  élevé  que  lui  attribue 
l'homme  de  cœur,  provoque  l'activité  et  entraîne  par  moments  à  la  lutte. 

Qu'on  lise,  par  exemple,  la  lettre  que  le  baron  de  Stassart  écrivit, 
le  6  juin  1847,  aux  journaux  qui  avaient  attaqué  son  discours  académique. 
On  y  verra,  non  point  un  courage  tout  passif,  mais  une  énergie  extraor- 
dinaire, bien  rare  dans  une  cause  et  dans  un  ordre  d'idées  que  l'on  consi- 
dère comme  le  domaine  de  la  médiocrité. 

Voici  un  passage  remarquable  de  cette  réponse,  que  je  tiens  à  placer  ici 
sous  les  yeux  des  lecteurs  '  : 

«  ....  Je  n'ai  jamais  hésité  le  moins  du  monde  à  mettre  au  grand  jour 
mes  opinions  :  c'est  une  habitude  de  toute  ma  vie.  J'ai  dit  la  vérité  (ou 
du  moins  ce  que  je  croyais  être  la  vérité)  aux  ministres  de  l'empereur, 
à  l'empereur  lui-même  ;  je  l'ai  dite  aux  ministres  du  roi  Guillaume  ;  je  l'ai 
dite  à  tous  les  hommes  d'État  ou  prétendus  hommes  d'État  qui,  chez 
nous,  se  sont  succédé  au  pouvoir  depuis  1850.  Je  ne  l'ai  pas  épargnée  non 
plus  aux  tribuns  populaires,  et  je  la  dirai  partout  où  j'aurai  mission 
pour  prendre  la  parole.  C'est  le  plus  sûr  moyen  de  déplaire  aux  deux 
camps  ennemis;  je  l'ai  plus  d'une  fois  éprouvé  dans  ma  longue  carrière; 
mais  le  temps  de  la  justice  arrive  tôt  ou  tard,  et,  suivant  un  de  ces  vieux 
adages  qu'un  vieillard  aime  tant  à  se  rappeler  :  La  raison  finit  lonjonrs  pot- 
avoir  raison.  » 

'  OEcvRES,  p.  328. 


SUR  LE  BAROÎS  DE  STASSART.  55 

Plaise  à  Dieu  que  ce  temps  soit  enfin  arrivé,  et  que  ma  faible  appré- 
ciation contribue  à  faire  voir,  dans  tout  son  jour,  l'un  de  nos  grands 
hommes  contemporains  les  plus  dignes  de  toutes  nos  sympathies  ! 

Je  n'ai  considéré  jusqu'à  présent  que  les  principaux  traits  du  caractère 
du  baron  de  Stassart,  en  signalant  l'ensemble  et  l'unité  qui  s'y  révèlent, 
malgré  d'apparentes  contradictions. 

C'est  là  toute  la  vie  intime  que  j'ai  à  dépeindre,  car,  sauf  quelques  mo- 
difications presque  inappréciables,  dues  à  l'âge  et  aux  circonstances,  cette 
existence  se  présente  la  même  à  toutes  les  époques  et  dans  tous  les  pays. 
Les  personnes  qui  ont  connu  le  baron  de  Stassart  à  un  moment  quel- 
conque de  sa  carrière,  l'ont  connu  tout  entier;  et,  tel  qu'il  se  manifesta 
d'abord  à  Inspruck,  à  Varsovie,  à  Elbing ,  à  Koenigsberg  et  à  Berlin,  tel 
il  fut  à  Orange,  à  la  Haye ,  à  Namur  et  à  Bruxelles,  jusqu'au  dernier  jour 
de  sa  vie. 

Et,  qu'on  ne  s'y  trompe  pas,  ce  n'était  point  là  de  l'immobilité,  ce 
n'était  point  là  de  l'apathie,  c'était  de  la  constance.  Si  son  attachement  à 
l'empereur,  si  sa  prédilection  pour  la  France,  si  son  respect  du  devoir,  si 
sa  haine  de  l'orgueil  et  de  l'exagération,  si  ses  instincts  nobles  et  géné- 
reux ne  se  démentirent  pas  un  instant,  en  un  mot,  si  ses  sentiments 
restèrent  les  mêmes,  ses  idées  n'en  prirent  pas  moins  un  nouveau  cours, 
ou  pour  mieux  dire  une  forme  nouvelle. 

Or,  lorsque  l'on  considère  les  événements  si  nombreux  et  si  variés  que 
le  baron  de  Stassart  eut  à  traverser,  on  ne  peut  que  lui  faire  un  mérite 
d'avoir  su  conserver,  au  sein  de  ces  événements,  une  ligne  invariable  de 
conduite,  d'avoir  su  résister  à  des  impulsions  contradictoires,  tout  en 
acceptant  le  progrès  pour  but  essentiel  et  pour  loi  suprême. 

Il  me  reste  à  examiner  quelques  détails  de  cette  vie  intime,  si  féconde 
en  enseignements  de  tout  genre,  quelques  opinions,  quelques  propensions 
secrètes  de  cet  esprit  à  la  fois  si  constant  et  si  vif. 

J'ai  répété  à  diverses  reprises,  dans  le  cours  de  cet  Éloge,  que  le  baron 
de  Stassart  avait  le  génie  de  la  fable.  Tous  ceux  qui  ont  connu  l'homme 
peuvent  s'en  convaincre  en  se  rappelant  les  deux  faces  principales  de  son 
intelligence,  les  deux  talents  qui  le  distinguaient  le  plus  dans  ses  rela- 


o6  NOTICE 

lions  de  société,  et  qui  conslitiient  précisément  l'esprit  de  l'apologue.  Le 
baron  de  Stassart  possédait  au  plus  haut  degré  l'art  de  conter  avec  finesse 
et  bonhomie,  et  l'on  pourrait  former  un  recueil  charmant  des  spirituelles 
anecdotes  dont  sa  conversation  était  semée.  Il  possédait  ensuite  le  don , 
plus  rare  encore,  de  faire  saisir  la  portée  et,  en  quelque  sorte,  la  mora- 
lité de  ces  anecdotes.  Ses  réflexions  et  ses  appréciations  avaient  surtout  un 
côté  pratique,  qu'il  rendait  d'autant  plus  saillant  par  une  forme  piquante, 
par  un  persifflage  de  bon  goût  et  de  bon  ton.  11  ne  dissimulait  nullement 
ses  sympathies  et  ses  antipathies,  mais  toujours  il  les  rattachait  à  quelque 
principe  supérieur  qui  les  faisait  comprendre  et  souvent  même  adopter 
par  ses  auditeurs. 

Dans  ces  conversations  ou  plutôt  dans  ces  causeries ,  son  visage  s'épa- 
nouissait et  rayonnait  d'une  douce  satisfaction  intérieure;  il  semblait 
heureux  d'être  écouté  et  de  faire  partager  à  ceux  qui  l'entouraient  ses 
sentiments  et  ses  pensées.  Combien  de  fois  on  a  dû  regretter  depuis  qu'il 
n'ait  point  écrit  les  Mémoires  qui  auraient  été  le  reflet  de  ces  confidences 
familières.  Que  reste-t-il  aujourd'hui  de  tant  de  charme,  de  tant  d'esprit, 
de  tant  d'expansion?  Quelques  traits  épars  dans  ses  OEuvres  diverses,  ou 
religieusement  conservés  dans  le  souvenir  de  ses  nombreux  amis. 

C'était  l'amitié  qui  avait,  à  toutes  les  époques,  procuré  le  plus  de  joie 
et  de  contentement  au  baron  de  Stassart,  qui  l'avait  promptement  consolé 
de  ses  disgrâces  et  de  la  haine  de  ses  adversaires.  ïl  importe  de  remar- 
quer ici  que  tous  ceux  qui  furent  ses  amis  lui  restèrent  constamment  aussi 
attachés,  aussi  fidèles,  et  que,  sur  ce  point  du  moins,  les  déceptions  ne 
vinrent  jamais  attiédir  ses  affections  ou  réprimer  ses  généreux  élans.  Il 
savait  aussi  reconnaître  cette  amitié  par  mille  soins,  mille  complaisances, 
par  un  dévouement  infatigable  et  sans  bornes.  Les  démarches  qu'il  n'eût 
sans  doute  point  faites  pour  lui-même,  il  les  multipliait  pour  ses  amis  au 
risque  de  se  rendre  importun  et  d'essuyer  des  refus  blessants  de  la  part 
de  personnes  qui  ne  se  piquaient  ni  de  bienveillance,  ni  de  politesse. 

Comme  homme  du  monde,  le  baron  de  Stassart  avait  conservé  les  tra- 
ditions de  l'ancienne  aristocratie,  mais  en  y  ajoutant  plus  d'affabilité, 
plus  d'aménité,  plus  de  cordialité  surtout.   L'arrogance  et  la  prétention 


SUR  LE  BARON  DE  STASSART.  57 

étaient  également  bannies  de  ses  manières  et  de  son  langage.  11  savait 
écouter  sans  montrer  d'ennui,  et  témoignait  en  toute  occasion  la  plus 
grande  délicatesse  pour  les  opinions  qui  n'étaient  point  les  siennes.  La 
tolérance  était  aussi  l'une  de  ses  vertus  dominantes;  il  professait  un  véri- 
table respect  pour  toute  idée  énoncée  avec  modération  et  avec  fran- 
chise '. 

Bon  pour  tout  le  monde,  pour  les  étrangers  comme  pour  sa  famille, 
pour  ses  inférieurs,  pour  ses  domestiques,  il  se  faisait  estimer  et  chérir 
de  tous  ceux  qui  l'approchaient.  Et  comment  eût-il  pu  en  être  autrement 
d'un  homme  qui  semblait  semer  le  bonheur  autour  de  lui?  Pour  tout  dire 
en  un  mot,  on  peut  affirmer  que  ses  ennemis  ne  se  recrutèrent  jamais  que 
parmi  les  personnes  qui  ne  le  connaissaient  point,  ou  qui,  du  moins, 
n'avaient  pas  eu  avec  lui  de  relations  intimes. 

Une  vie  aussi  active  devait  pour  ainsi  dire  se  répandre  au  dehors. 
L'orgueil  seul  sait  se  renfermer  en  lui-même  et  ne  vivre  que  pour  lui.  Le 
baron  de  Stassart  vivait  en  grande  partie  dans  les  autres,  et  ce  que  l'on 
a  interprété  si  faussement  en  y  voyant  un  indice  de  vanité  puérile,  n'était 
qu'un  penchant  irrésistible  à  l'expansion  et  le  besoin  d'être  aimé. 

N'ayant  jamais  eu  d'enfants,  il  avait  concentré  toutes  ses  affections  de 
famille  sur  une  épouse  bien  aimée,  qui  était  réellement  digne  de  cet  amour, 
et  qui  éprouvait  pour  le  baron  de  Stassart  une  tendresse  mêlée  d'une 
sorte  de  vénération.  Il  s'était  créé  également  une  société  d'amis  dévoués, 
presque  tous  jeunes  gens,  qui  professaient  la  plus  vive  admiration  pour  ses 
sentiments  et  son  caractère.  Mais  là  ne  se  bornait  pas  encore  le  cercle  de 
ses  affections  :  lui-même  nous  l'apprend  dans  cette  pensée  ingénieuse,  écrite 
sous  forme  de  dialogue  : 

«   N.   On  ne  vous  voit  jamais  dans  le  monde vous  vivez  dans   un 

isolement  complet. 

»    X.   Que  voulez-vous je  tiens  à  la  bonne  société;  je  vis  au  milieu 

de  mes  livres  ^.  » 

'   M.  Qiiptelet,  dans  son  discours,  prononcé  sur  la  tombe  de  M.  de  Stassart,  a  parfaitement 
apprécié  l'induence  de  ces  qualités  sur  les  relations  intimes  des  académiciens. 
-  Pelils  dialogues.  OEuvres,  p.  218. 

Tome  XXVIIL  8 


58  NOTICE 

Bien  dos  années  aupaiavanl  il  avait  déjà  dit  : 

«  Le  philosophe,  le  sage,  qui  dédaigne  de  défendre  contre  l'intrigue 
une  position  qu'il  n'avait  pas  ambitionnée,  passe  pour  un  niais  aux  yeux 
de  bien  des  gens,  mais  il  s'en  console  dans  sa  bibliothèque  avec  les  morts, 
avec  ses  vrais  amis  •.  » 

En  effet,  le  baron  de  Stassart  semblait  avoir  choisi  un  certain  nombre 
de  ces  morts  pour  en  faire  sa  société  intime.  Il  relisait  leur  histoire  ou 
leurs  œuvres,  il  les  citait  avec  complaisance,  et  s'enthousiasmait  souvent, 
au  souvenir  de  leurs  pensées  ou  de  leurs  actions,  avec  une  ardeur  toute 
juvénile.  On  comprend  qu'il  devait  y  avoir  quelques  rapports  secrets  entre 
le  caractère  de  ces  grands  hommes  et  celui  du  baron  de  Stassart  lui-même, 
et  l'on  pourrait  presque  deviner  déjà  les  noms  de  ceux  qui  furent  l'objet 
de  celte  prédilection. 

Parmi  les  héros  qui  se  sont  illustrés  dans  l'histoire,  ce  n'étaient  point 
les  plus  célèbres,  ceux  dont  la  renommée  est  la  plus  éclatante,  qui  avaient 
le  privilège  d'exciter  ses  sympathies,  mais  plutôt  ceux  qui,  par  leurs  sen- 
timents chevaleresques  et  leur  grandeur  d'âme,  pouvaient  être  considérés 
comme  hommes  d'honneur  avant  d'être  admirés  comme  guerriers. 

C'était  Bayard  d'abord,  le  plus  grand  de  tous  à  ses  yeux,  Bayard,  en 
faveur  duquel  il  rompit  une  lance,  à  l'âge  de  72  ans,  contre  un  des 
rédacteurs  de  L'Indépendance  -,  et  dont  il  légua  un  précieux  autographe  à 
l'élève  qui  sortirait  premier  de  l'école  militaire.  C'était  ensuite  le  Prince 
Noir,  dont  il  admirait  la  noble  conduite  à  l'égard  du  roi  Jean  ;  puis  Catinal, 
dont  les  vertus  privées  égalaient  le  courage  ;  le  chevalier  d'Assas ,  Tu- 
renne,  Gustave-Adolphe.  Cet  engouement  bien  naturel  pour  les  sentiments 
généreux  et  chevaleresques  l'avait  même  porté  un  instant  vers  le  prince 
d'Orange  (plus  tard  Guillaume  II)  ^.  Un  respect  héréditaire  pour  le  souve- 
rain lui  faisait  aimer  Marie -Thérèse  et  le  prince  Charles  de  Lorraine  **: 
la  reconnaissance  et  l'admiration  l'avaient  enchaîné  à  Napoléon,  et  Vol- 

'   Pensées  de  Circé,  462. 

*  OEuvBES,  p.  1056.  Voy.  aussi  :  note  61  des  Fables. 
'  OEUVRES,  p.  165,  note  2,  et  Fables,  note  119. 
•*  OEUVRES,  Promenade  à  Tervueren,  p.  211. 


SUR  LE  BAROIN  DE  STASSART.  59 

taire  lui  avait  appris  à  estimer  sinon  à  aimer  Henri  IV  et  Frédéric  II  '. 

Mais  gardons-nous  de  croire  que  la  gloire  militaire  ait  eu  jamais  le 
pouvoir  d'éblouir  le  baron  de  Stassart.  Dans  ces  derniers  bommes,  même 
dans  Napoléon,  Henri  IV  et  Frédéric  H,  ce  n'était  que  l'homme  d'Etat 
et  le  pacificateur  qui  avaient  droit  à  son  estime  2. 

Je  viens  de  citer  le  nom  de  Voltaire,  et  c'est  Voltaire,  en  effet,  qui 
semble  avoir  été  le  premier  maître,  le  guide  et  le  modèle  du  baron  de 
Stassart.  En  vain  blâme-t-il  son  scepticisme^,  il  imite  Voltaire,  pour  ainsi 
dire,  sans  le  savoir,  dans  ses  Épîtres,  dans  ses  Lettres  en  prose  et  en  vers, 
dans  ses  Êpkjrammes  et  ses  Inscriptions;  et  il  n'y  a  pas  jusqu'aux  Fables  qui 
n'aient,  de  temps  à  autre,  une  tendance  légèrement  voltairienne. 

Après  Voltaire,  venaient  la  Fontaine  et  Béranger  *,  ces  deux  esprits 
si  essentiellement  français.  Parmi  les  poètes  de  l'antiquité,  il  préférait 
Horace,  l'auteur  de  la  fameuse  maxime  Est  modus  in  rébus,  et  le  chantre 
de  Vaitrea  mediocrilas  ^.  Parmi  les  compositeurs,  ce  ne  pouvait  être  que 
Grétry  ^. 

Walter  Scott  avait  excité  l'enthousiasme  du  baron  de  Stassart  au  point 
de  lui  faire  passer  plusieurs  jours  et  plusieurs  nuits  consécutives  à  la 
lecture  d'Ivanlioé,  de  V Antiquaire  et  de  Quentin  Durward  :  enthousiasme  qu'il 
faillit  payer  cher,  et  qui  eut  pour  résultai  une  grave  et  longue  maladie.  Ce 
n'était  cependant  point  dans  les  littératures  étrangères  que  le  baron  de 
Stassart  allait  ordinairement  chercher  ses  amis,  et  le  choix  qu'il  fit  parmi 
les  auteurs  français  ne  tomba  pas  toujours  non  plus  sur  les  plus  illustres 
écrivains.  Ce  choix  est  même  assez  curieux,  et  semblerait  peut-être  incom- 
préhensible, si  nous  ne  connaissions  déjà  l'homme. 

La  Curne  de  Sainte-Palaye,  le  charmant  auteur  des  Mémoires  sur  l'an- 
cienne clievalerie;  le  moraliste  Vauvenargues  ;  l'abbé  Blanchet,  auteur  des 
Apologues  et  contes  moraux;  Gresset,  à  cause  de  son  Vert-Vert,  «  l'une  des 

'  Pensées,  6.  Fables,  note  147. 

-  Voy.  la  n^ponse  au  général  Langermann.  OEuvnrs,  p.  317. 

''  Petisées,  380. 

*  Voy.  la  dédicace  du  livre  VIII  des  Fables. 

=  Voy.  les  JmUalions  d'Horace.  OEivkes,  p.  1-46. 

6  Pensées,  29  et  206. 


60  NOTICE 

productions  les  plus  piquantes  de  la  gaieté  française  ^;  »  l'abbé  Barthé- 
lémy, l'auteur  d' Anacliarsis ,  pour  ses  Mémoires;  CoUin  d'IIarleville,  pour 
son  Oplintisle  et  ses  Châteaux  en  Espagne;  Menriechet,  l'ancien  lecteur  de 
Louis  XVIII,  et  auteur  d'un  Cours  d'histoire  lilléraire  trop  peu  connu; 
Charles  de  Bernard,  pour  son  roman  intitulé  :  L'homme  sérieux  ^,  et  quel- 
ques autres,  étaient  les  amis  avec  lesquels,  disait-il,  il  aimait  le  mieux  à 
s'entretenir. 

Il  ne  faut  point  s'imaginer  cependant  que  là  se  bornaient  ses  prédilec- 
tions ;  mais  à  quoi  bon  parler  des  grands  auteurs,  que  tout  le  monde  a 
lus,  compris,  goûtés,  admirés?  Les  noms  que  je  viens  de  citer  étaient,  au 
contraire,  de  ceux  qu'il  importe  de  faire  connaître.  Mais,  d'ailleurs,  à 
part  toute  autre  considération,  n'étaient-ce  pas  ces  auteurs  qui,  par  leur 
esprit  et  leur  caractère ,  se  rapprochaient  le  plus  du  baron  de  Stassart? 

Sans  orgueil  et  sans  affectation,  le  baron  de  Stassart  s'empressait  de 
rendre  justice  à  toutes  les  gloires,  et  ne  permettait  pas  même  qu'on  osât,  en 
sa  présence  ,  par  une  manie  trop  commune  de  notre  temps,  chercher  à  les 
rabaisser.  Parmi  les  gloires  littéraires,  il  y  en  avait  naturellement  qui  lui 
étaient  plus  sympathiques  les  unes  que  les  autres.  Outre  Voltaire,  la  Fon- 
taine et  Béranger,  que  j'ai  cités  plus  haut,  il  admirait  particulièrement  Mon- 
tesquieu, à  cause  de  ses  idées  d'équilibre  constitutionnel;  il  aimait  Racine, 
l'homme  de  goût  par  excellence,  l'harmonieux  auteur  d'Athalie  ^,  et  il  raf- 
folait de  madame  de  Sévigné,  en  souvenir  de  laquelle  il  entreprit,  peu  de 
mois  avant  sa  mort,  une  sorte  de  pèlerinage  au  château  des  Rochers  *. 

On  conçoit  qu'une  semblable  société,  aussi  aimable,  aussi  spirituelle, 
aussi  bien  choisie ,  ait  fini  par  repeupler  un  peu  la  solitude  qui  s'était  faite, 
autour  du  pauvre  vieillard,  après  la  mort  de  sa  femme  chérie.  Mais  il  fal- 
lait en  outre,  on  doit  en  convenir,  une  activité  intellectuelle  prodigeuse 
pour  remplir  de  longues  et  monotones  journées  passées  tout  entières  au 
milieu  de  ses  livres  et  de  ses  collections. 

'   Fables,  note  251. 

^  Petits  dialogues  épigrammatiques  et  moraux,  p.  216. 

■'  Voy.  Pensées,  593,  et  Fables,  note  lOi. 

■'  Près  de  Vilré  ,  en  Bretagne. 


SUR  LE  BARON  DE  STASSART.  61 

Le  baron  de  Stassart,  en  effet,  n'avait  abandonné  aucune  des  habitudes 
d'une  vie  sobre,  austère  et  toute  consacrée  au  travail,  et  cette  vie  passera 
sans  doute  pour  une  sorte  de  phénomène  à  notre  époque. 

Levé  tous  les  jours,  été  comme  hiver,  dès  quatre  ou  cinq  heures  du 
matin,  il  ne  se  couchait  que  vers  minuit  ou  une  heure,  et,  dans  ce  long 
intervalle,  il  ne  faisait  que  deux  repas,  l'un  à  7  heures  du  matin,  l'autre 
à  5  heures.  Il  s'était  lui-même  interdit  le  vin  depuis  sa  jeunesse,  et  sa 
sobriété  était  des  plus  extraordinaires. 

Vivant,  de  cette  façon,  presque  doublement,  le  baron  de  Stassart  avait 
atteint  sa  soixante-quatorzième  année  sans  infirmités  apparentes,  et  ses 
amis  avaient  l'espoir  de  le  conserver  encore  pendant  bien  des  années,  lors- 
que plusieurs  petites  maladies  successives  vinrent  ébranler  cette  santé 
robuste  et  nécessiter  un  changement  de  régime  qui  lui  fut  peut-être 
funeste. 

Le  10  octobre  1854,  se  répandit  tout  à  coup  la  triste  nouvelle  de  la 
mort  subite  et  imprévue  du  baron  de  Stassart.  Une  légère  attaque  de  cho- 
léra s'était,  disait-on,  manifestée  l'avant-veille,  et  le  souvenir,  peut-être, 
de  son  épouse  morte  de  la  même  maladie  cinq  années  auparavant,  avait 
rendu  impuissants  les  secours  de  l'art. 

Ainsi  s'éteignait  une  vie  qui  avait  été  mêlée,  pendant  plus  de  cinquante 
ans,  à  toutes  les  grandeurs,  à  toutes  les  vicissitudes  de  notre  temps,  et 
qui,  au  milieu  de  tant  d'événements  divers,  avait  conservé  une  admirable 
et  constante  unité.  Cette  vie,  le  baron  de  Stassart  nous  l'a  léguée  presque 
tout  entière  dans  ses  OEuvres  diverses,  dont  l'impression  venait  à  peine 
d'être  achevée;  et  nous  pouvons  y  constater,  pour  ainsi  dire  à  chaque 
page,  les  éminentes  qualités  qui  distinguaient  l'homme  public,  l'écrivain, 
l'homme  privé;  nous  pouvons  y  retrouver  une  longue  et  laborieuse  exis- 
tence, toujours  active,  toujours  utile,  toujours  digne  d'admiration,  de 
sympathie  et  de  respect. 


FIN