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OF
COMPARATIVE ZOOLOGY,
AT HARVARD COLLEGE, CAÎIBRIDCE, MASS.
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No. \5^^^
MÉMOIRES COURONNÉS
MÉMOIRES DES SAVANTS ÉTRANGERS,
PUBLIES PAR
L'ACADÉMIE ROYALE
DES SCIENCES, DES LETTRES ET DES BEAUX- ARTS DE BELGIQUE.
MÉMOIRES COURONNÉS
ET
MÉMOIRES DES SAVANTS ÉTRANGERS,
PUBLIÉS PAR
L'ACADEMIE ROYALE
DES SCIENCES, DES LETTRES ET DES BEAUX-ARTS DE BELGIQUE.
TOME XXVIII. — 1856.
BRUXELLES
?
»L HAYEZ, IMPRIMEUR DE L'ACADÉMIE ROYALE.
1856.
5=^
TABLE
DES MEMOIKES CONTENUS DANS LE TOME XXVIII.
CLASSE DES SCIENCES.
MEMOIRES DES SWANTS ETRANGERS.
La cause de la scinlillation ne dériverait-elle point de phénomènes de réfraction et de dispersion
par l'atmosphère? Par M. Monligny.
CLASSE DES LETTRES.
MÉMOIRES COURONNÉS.
Mémoire liistorique el littéraire sur le collège des Trois-Langues à l'université de Loiivaiii; pai
M. Félix Nève.
Notice sur le haroii de Stassart; par M. Eugène Van Beniniel.
LA CAUSE
DE
LA SCINTILLATION
NE DÉRFVERAIT-ELLE POINT DE PHÉNOMÈNES DE RÉFRACTION ET
DE DISPERSION PAR L'ATMOSPHÈRE?
M. MONTIGNY.
PROFESSEUR A l\tHÉNÉK DE NAfflUK.
{Mémoire présenté â TAcaJéinie , dans sa séance du 3 avril 1856. )
Tome XXVHI.
LA CAUSE
LA SCINTILLATION
NE DÉRIVEKAIT-ELLE POINT DE PHÉNOMÈNES DE RÉFRACTION ET DE DISPERSION
PAR L'ATMOSPHÈRE?
La question, posée en ces termes, paraîtra peut-être un acte hardi aux
yeux du lecteur instruit de l'ingénieuse théorie de la scintillation de
M. Arago, qui est basée sur des phénomènes d'interférence des rayons
stellaires dans l'air, comme le montre sa belle Notice insérée dans VAn-
nuaire du Bureau des longitudes de 1851. Aussi, me crois-je obligé d'exposer
les motifs qui m'ont engagé à émettre des idées opposées à celles de ce
célèbre savant sur la cause de la scintillation. Ce phénomène intéressant
ne constitue cependant pour beaucoup de personnes, qu'une simple cu-
riosité scientifique; car son étude ne présente point la perspective de quel-
que application utile, genre de mérite si recherché à notre époque, même
dans les travaux scientifiques.
L'absence d'avenir de la question, envisagée sous ce point de vue, jointe
au sentiment de respect dû au talent scientifique, au génie même de
M. Arago, trop tôt ravi à la science, m'imposait une certaine réserve dans
l'examen de ce point délicat. Mais un appel me fut adressé par M. Moigno,
dans le journal le Cosmos, de 1851 ^, pour m'engagera rechercher la cause
de la scintillation autre part que dans les phénomènes d'interférence; et
cela, à propos de l'espèce de connexion qu'il crut entrevoir entre cette
cause et des phénomènes rapportés dans un travail que j'ai eu l'honneur
I T. Il, p. 18.
4 DE LA SCINTILLATION.
de présenter à l'Académie de Belgique '. Je juge utile de transcrire ici les
réflexions dont M. Moigno fit suivre l'exposé du rapport de M. Plateau sur
ce travail, attendu que cette transcription me donnera occasion de rap-
peler en peu de mots les points fondamentaux de la théorie de M. Arago,
tels qu'ils sont présentés dans l'article du Cosmos.
Après avoir exprimé l'opinion que les expériences exposées dans le tra-
vail cité pourraient être utilisées dans une théorie de la scintillation,
M. Moigno aborde ainsi la question :
« La scintillation, dit M. Arago, consiste, pour une personne regardant
» le ciel à l'œil nu, en des changements d'éclat des étoiles très-souvent
» renouvelés. Ces changements sont ordinairement, sont presque toujours
» accompagnés de variations de couleurs et de quelques effets secondaires,
>) conséquence immédiate de toute augmentation ou diminution d'inten-
» site, tels que des altérations considérables dans le diamètre apparent
» des astres ou dans les longueurs des rayons divergents qui paraissent
» s'élancer de leur centre suivant diverses directions. » Dans son essence,
donc la scintillation est la perception, sous forme discontinue et multi-
colore, d'une lumière en elle-même continue et multicolore... Cela posé,
M. Arago voit dans la scintillation un phénomène non pas seulement sub-
jectif, mais avant tout objectif. « Puisque toutes les étoiles du firmament,
» dit-il, deviennent vivement colorées dans l'acte de la scintillation, il y
» a indubitablement quelques-uns des rayons dont leur lumière se com-
» pose, qui n'agissent pas alors sur l'œil; soit qu'ils aient été arrêtés au
» moment de leur pénétration dans l'organe, soit que leur effet ait été
» détruit avant qu'ils aient atteint la rétine ou sur la surface de cette
» membrane. » Pour expliquer cette absence d'action de certains rayons
de l'œil, M. Arago recourt naturellement aux interférences dépendantes à
la fois et des chemins parcourus par les rayons, et de la nature ou de la
réfringence des milieux qu'ils ont traversés, et formule en ces termes la
théorie de la scintillation, pour l'œil d'abord armé d'une lunette : « Sup-
!> posons que les rayons qui tombent à gauche du centre de l'objectif aient
' Phénomènes de persistance des impressions de la lumière sur la rétine, Mém. de l'Ac\ii. koïale
DE Belgique, l. XXIV.
DE LA SCirSTILLATIOiN. S
» rencontré depuis les limites supérieures de l'atmosphère des couches
» qui, à cause de leur densité, de leur température ou de leur état hygro-
» métrique, étaient douées d'une réfringence différente de celle que possé-
» daient les couches traversées par les rayons de droite; il pourra arrivei'
» qu'à raison de cette différence de réfringence, les rayons rouges de droite
» détruisent en totalité les rayons rouges de gauche, et que le foyer passe
» du blanc, son état normal, au vert; que l'instant d'après, par la même
» cause, les rayons verts soient totalement anéantis, et que le foyer, par
» conséquent, devienne rouge. » De la scintillation dans les lunettes à la
scintillation à l'œil nu, le passage est facile : « L'œil, dit M. Ârago, peut
» être assimilé à une lentille ayant à son foyer un écran nerveux, nommé
» la rétine, et l'on l'econnaîtra que tout ce que nous avons dit de la grande
» lentille, partie principale de la lunette, est applicable à l'œil; il suffira
» pour que l'image d'une étoile se colore en vert, par exemple, que, dans
» le faisceau de lumière parallèle blanche qu'embrasse la surface de la
« pupille, un vingtième se trouve dans les conditions de destruction des
» rayons rouges. L'image de l'étoile, au contraire, deviendra rouge, lors-
» que la destruction de lumière à la surface de la rétine portera sur les
» rayons verts. Si, enfin, par voie d'interférence, les rayons blancs, arri-
» vant à la pupille par la gauche, deviennent rouges, et les rayons de
» droite deviennent verts, ces deux couleurs se neutraliseront, et l'effet
» définitif sera un changement d'intensité. » Celte théorie est éminemment
ingénieuse, et elle a été généralement acceptée; elle est, sinon démontrée,
du moins confirmée par les expériences faites avec les diverses scintillo-
mètres ou scintilloscopes de M. Arago; elle est rendue plus probable
encore par une mémorable expérience que M. Ârago , — et nous le regret-
tons vivement, — n'a pas formellement ou explicitement décrite dans son
admirable Notice sur ta scintillation ^...
» 11 est cependant une toute petite objection, ajoute M. Moigno, que
M. Arago nous permettra de soulever, et dont nous n'aurions peut-èlie
pas eu la pensée, si, dans les expériences avec son réfracteur interféren-
' M. Moigno décrit ici l'appareil qire lui-iiiênie nomme Réfracteur interfèrent iel. et qui ;i été
imaginé par M. Arago.
6 DE LA SCINTILLATION.
tiel , nous avions opéré non pas avec la lampe ordinaire, mais avec la
lumière électrique, qui nous aurait donné et un point lumineux plus con-
centré et une lumière incomparablement plus vive. Notre objection est
que, dans le réfracteur interférentiel , nous ne retrouvons pas les couleurs
brillantes de la scintillation des étoiles. Voilà pourquoi nous avons osé
nous demander, sans raison peut-être, si les expériences de M. Montigny
et les raisonnements de M. Plateau ne mettraient pas sur la voie d'une
autre explication, en ce sens qu'au lieu d'apparaître par suite de l'inter-
férence de quelques-uns des rayons, les couleurs apparaîtraient par simple
séparation, par retard ou avance, par la perception en temps différents.
Laissons à MM. Plateau et Montigny développer notre pensée, si elle leur
semble digne d'attention. »
Ainsi que M. Moigno j'avais été frappé de l'espèce de connexion qui,
de prime abord, semble exister entre la cause de l'apparition des couleurs
dans mes expériences et celle des variations de coloration dans la scintil-
lation : aussi me décidai-je à rechercher la cause de ce dernier phénomène
parmi des faits naturels, moins délicats et moins complexes que les inter-
férences. Mais je jugeai indispensable de faire précéder cette étude de
recherches sur des phénomènes d'optique météorologique, qui sont incon-
testablement les résultats de phénomènes de réfraction et de dispersion
par l'air atmosphérique ^. Je n'ai qu'à m'applaudir d'avoir suivi cette mai-
che rationnelle, puisque c'est parmi les phénomènes observés que je crois
avoir trouvé les éléments d'une théorie de la scintillation, qui repose ex-
clusivement sur des effets de l'éfraction et de dispersion par l'air atmosphé-
rique.
Mais, objectera-l-on peut-être, cette voie n'est point nouvelle, car le
résumé des diverses explications de la scintillation, proposées antérieure-
ment, que renferme la Notice de M. Arago, montre que la plupart reposent
sur des effets de réfraction partiels de l'air; or M. Arago semble avoir
combattu avec succès toutes ces explications. Cela est vrai; mais il résulte
évidemment de ce résumé que les savants qui s'occupèrent de la scintil-
' Mémoires de l'Académie royale de Belgique, t. XXVI.
DE LA SCINTILLATION. 7
lation, se sont bornés à émettre leurs idées sous forme de présomptions.
L'explication de M. Arago par les interférences est la seule qui ait été
formulée d'une manière précise et avec détails. En présence de cela, il
ne m'était plus permis d'émettre ma théorie sous forme conjecturale et
sans la fortifier tant par des faits que par les inductions du calcul , au-
tant du moins que celles-ci peuvent s'appliquer aux éléments d'une ques-
tion , parmi lesquels plusieurs présentent de l'incertitude dans leur valeur.
Le lecteur ainsi prévenu , comprendra la raison pour laquelle je m'élen-
drai sur certaines particularités.
Je ne rappellerai point dans un ordre didactique les diverses circon-
stances ou caractères de la scintillation; elles ont été traitées avec exten-
sion dans la savante Notice de M. Arago. Seulement, je ferai précéder
l'expose de la théorie de deux expériences, dont l'une repose sur une
disposition entièrement nouvelle.
Nicholson est le premier qui ait signalé le fait suivant, que du reste
M. Arago avait également observé de son côté. Si l'on imprime un mou-
vement vibratoire, rapide, au tube d'une lunette achromatique dirigée
vers une étoile scintillante, telle que Sirius, son image décrit dans la
lunette des courbes lumineuses qui se revêtent de teintes diversement
colorées, et d'autant plus vives que l'étoile est plus brillante : le rouge,
le jaune, le vert et le bleu-vert sont les couleurs les plus remarquables.
Dans cette expérience, la perception d'une de ces teintes, à un instant
donné sur une portion de courbe, a pour cause première l'absence mo-
mentanée d'un ou de plusieurs rayons constitutifs de l'étoile dans l'organe
visuel, par suite du phénomène de la scintillation lui-même; et, pour
cause seconde , le déplacement de l'image de l'étoile sur la rétine. On
conçoit en effet, que les vibrations de la lunette déplaçant continuellement
l'image sur la rétine, chaque point de celle-ci par où l'image passe,
reçoive l'impression résultant du mélange des rayons de l'étoile qui par-
viennent en ce point de la rétine à l'instant considéré. Si les mêmes con-
ditions de mélange des rayons persistent pendant un certain temps , la
8 DE LA SCINTILLATION.
portion de courbe décrite par l'image durant cet intervalle, offre une
même teinte colorée. Il est évident que l'arc revêtu de la teinte complé-
mentaire des rayons déficients, est d'autant plus étendu que les déplace-
ments de l'image sont plus rapides, toutes choses égales d'ailleurs. Dans
ses observations, Nicholson en ayant égard à la rapidité des vibrations de
la lunette et à la longueur apparente des arcs diversement colorés, évalua
par estime à trente le nombre des changements de couleurs distincts que
la lumière de l'étoile Sirius éprouve par seconde dans la scintillation ^
Nous aurons occasion de voir que ce nombre est encore au-dessous de la
réalité.
M. Arago a proposé, comme moyen de réaliser commodément le dépla-
cement de l'étoile sur la rétine, de placer un peu en avant du foyer de la
lunette, c'est-à-dire entre l'objectif et le foyer, un petit miroir plan incliné
de 45° sur l'axe, et destiné à l'ejeter latéralement l'image de l'étoile vers
un oculaire ad hoc, comme dans la disposition du télescope newtonien.
Un mouvement de rotation imprimé à ce miroir, à l'aide de quelque rouage
d'horlogerie, eût amené la séparation des couleurs. Aûn de dénombrer
aisément les teintes qui auraient composé la ligne décrite par l'image dans
ses déplacements, M. Arago proposait de déduire leur nombre total de la
quantité de couleurs réunies sur une portion, sur le dixième par exemple,
de la ligne de déplacement qui eût été décrite en un temps déterminé.
M. Arago n'entre point dans de plus grands détails sur cette combinaison -.
Voici le principe d'une autre disposition à laquelle je me suis arrêté.
Tout le monde a pu remarquer qu'en imprimant des ondulations de peu
d'étendue à une lentille concave ou convexe placée entre l'œil et un objet ,
l'image de celui-ci suit sur la rétine le déplacement de la lentille. Ainsi
l'image décrit une courbe circulaire si , par le mouvement rapide de la
main, le centre optique de la lentille trace sensiblement un petit cercle
dans le plan môme de la lentille. La courbe de l'image sera encore cir-
culaire, quand la lentille tournera autour d'un axe perpendiculaire à son
plan, mais qui la traversera en tout autre point que son centre optique.
* Notice, page 379.
- Jb., page 442.
DE LA SCINTILLATION. 9
Le diamètre du cercle décrit sera évidemment d'autant plus grand que
l'axe de rotation traversera la lentille plus loin de son centre, ou que
celle-ci sera plus excentrique. Si donc on dispose une lentille concave ou
convexe entre l'œil et l'oculaire d'une lunette de façon à y recevoir un
mouvement de rotation autour d'un axe excentrique, l'image d'une étoile
scintillante vers laquelle l'instrument sera dirigé, décrira un cercle par-
tagé en arcs diversement colorés. Dans ce procédé , l'interposition d'un
nouveau milieu lenticulaire affaiblit d'une quantité imperceptible l'inten-
sité de l'image.
J'entrerai dans quelques détails sur la manière dont j'ai réalisé cette
disposition. AB mécanisme d'horlogerie de petite dimension, mû par un
ressort et fixé, à l'aide de vis, sur le porte-oculaire CD du télescope. E
petite lentille concave à rotation excentrique, qui est placée entre l'ocu-
laire M et le diaphragme percé d'une petite ouverture contre laquelle l'œil
s'applique. Dans le dessin , ce diaphragme est représenté par une cir-
conférence pointillée, afin de laisser voir le mode de monture de la len-
tille E. L'axe F qui la traverse à une petite distance du centre, reçoit
un mouvement de rotation rapide au moyen du fil qui embrasse à la
fois la petite poulie F, fixée à l'axe, et la poulie plus grande H que
porte l'arbre prolongé d'une roue du mécanisme. On peut retarder ou
accélérer à volonté la vitesse de tout le système au moyen d'une pièce fai-
sant l'office de frein; elle se compose du ressort J fixé à une extrémité,
tandis que l'autre reçoit la pression d'une vis à tête I qui , selon le besoin,
éloigne ou rapproche le ressort de la poulie sans gorge K, montée sur
l'axe d'une autre roue. La pression du ressort contre K modère ainsi la
vitesse du mécanisme. Comme la tension du fil qui embrasse les poulies
F et H, est exposée à subir de faibles variations, la monture L, com-
posée de deux branches recourbées servant de support à l'axe F de la
lentille, n'est point fixée directement au diaphragme en avant de l'ocu-
laire, mais bien par l'intermédiaire d'un petit ressort recourbé G auquel
cette monture est rivée; l'autre extrémité de ce ressort est vissée sur le
diaphragme. Sa faible tension suffit pour que la rotation de la lentille
s'efTectue avec régularité.
Tome XXVIII. 2
dO DE LA SCINTILLATION.
Dans mes observations, j'ai dû limiter la grandeur du cercle décrit par
l'image de l'étoile, lequel augmente avec l'excentricité de la lentille, afin
de conserver plus d'éclat à la courbe lumineuse et pour éviter des effets de
coloration prismatique de l'image, qui se seraient manifestés aux phases
de révolution de la lentille oîi les rayons eussent traversé les parties du
milieu lenticulaire de courbure plus prononcée. De semblables effets doi-
vent être rigoureusement évités dans les expériences sur la scintillation :
aussi n' ai-je employé qu'une lentille concave de faible excentricité. Pour
les observations où il serait nécessaire d'imprimer un mouvement circu-
laire de grand diamètre à l'image télescopique d'un objet, la lentille ordi-
naire E serait remplacée avec avantage par une lentille achromatique.
Quant à la vitesse de rotation du système, il est facile de la faire varier
entre des limites très-étendues, en serrant ou en lâchant le frein. Avec
l'appareil que j'ai disposé, cette vitesse pourrait, au besoin, s'élever à 44
tours de la lentille par seconde; mais nous verrons qu'il n'est nullement
nécessaire d'avoir recours à des vitesses aussi grandes.
Le principe de cette disposition, très-simple en lui-même, est suscep-
tible de s'appliquer à l'étude de différents phénomènes de persistance des
impressions lumineuses sur la rétine. D'ailleurs, l'appareil une fois con-
struit, peut s'adapter aisément en avant de l'oculaire d'un télescope ou
d'une lunette, sans qu'il soit nécessaire de modifier la disposition préexis-
tante des instruments , sauf à enlever le diaphragme antérieur contre
lequel l'œil s'applique, qui se trouvera alors remplacé par celui du méca-
nisme.
Sirius est l'étoile scintillante qui fut l'objet des observations, en avril
dernier; l'appareil fut adapté d'abord à un télescope grégorien de 0"',08
de diamètre, jouissant d'un pouvoir grossissant de 37 fois, puis à une
lunette de 0'°,05 d'ouverture, de puissance moindre mais qui conserve
plus d'éclat aux images. L'instrument étant dirigé vers l'étoile élevée de
14" au-dessus de l'horizon, je réglai la vitesse de rotation de la lentille
pour que l'image télescopique décrivît une circonférence entière, avec
cette condition que, pour une vitesse moindre, la courbe n'eût point été
fermée. La circonférence se montra divisée en arcs diversement colorés,
DE LA SCINTILLATION. H
parmi lesquels le rouge pourpre, l'orangé, le jaune et le vert-pois étaient
les mieux caractérisés. Je n'ai pas réussi à distinguer d'une manière cer-
taine les teintes bleues, quoique Nicholson ait remarqué le bleu verdâtre
et le bleu d'acier dans ses expériences. Toutefois, j'ai constaté l'existence
d'arcs de teinte sombre, soit qu'ils fussent réellement noirs, ou qu'il y en
eût d'un bleu foncé dont la nuance se distingua difficilement du bleu du
ciel, qui se voyait également dans le champ de la lunette. Les couleurs
perçues n'ont point paru affecter la disposition relative des couleurs du
spectre; elles alternaient entre elles sans régularité. Mais j'ai la certitude
que sur une même circonférence, les arcs rouges étaient plus fréquents,
plus éclatants et occupaient plus d'espace que d'autres couleurs, le vert
par exemple. Le jaune se manifesta aussi plus souvent que ce dernier,
mais sans égaler toutefois la fréquence du rouge.
Chaque couleur ne persiste point en un même lieu de la circonférence
fractionnée en arcs colorés : toutes ces teintes changent incessamment de
position. Il est important de montrer que, dès l'instant où la vitesse de
révolution de la lentille ne dépasse pas une certaine limite de grandeur,
chaque apparence de coloration ne persiste plus sensiblement en un point
de l'orbite décrite par l'image sur la rétine, quand celle-ci revient au
même lieu après une révolution de la lentille. En effet, M. Plateau a
prouvé, par des expériences connues, que la durée totale des impressions
produites sur l'œil par des objets de différentes couleurs, éclairés par la
lumière du jour, était moyennement de 0",34. ^ Dans les expériences sur
' J'ai obtenu à peu près le même résultat, voici dans quelles circonstances. La lunette, munie
de l'appareil décrit, ayant été dirigée vers la planète Vénus, je réglai la vitesse de rotation de la
lentille de manière que l'image brillante et incolore de la planète décrivit une circonférence fer-
mée : la vitesse de l'image était telle que cette dernière retrouvait en cbaque point de sa course,
l'impression précédente aflaiblie au point d'être près de s'évanouir complètement; car, pour une
vitesse de la lentille moindre, la circonférence eût été interrompue. Le temps d'une révolution,
que je trouvai égal à 0",31 exprimait la durée totale d'une impression sur la rétine produite par
l'image de Vénus dans les conditions où j'opérai.
On va voir que la durée d'une révolution nécessaire pour obtenir une circonférence fermée, était
supérieure aux nombres 0",54 et 0",ôl, quand elle se composait d'ares diversement colorés par la
.scintillation d'une étoile; cet excédant n'infirme point les résultats précédents, obtenus au milieu
de circonstances très-différentes.
12 DE LA SCir^TILLATION.
l'étoile scintillante, son image revenait au même lieu de la rétine après
un temps sensiblement plus long, comme on va le voir; l'impression pro-
duite en un point de l'orbite était donc totalement évanouie quand l'image
repassait au même lieu , après une révolution complète. Concluons de là,
que chacune des teintes aperçues sur l'orbite pendant une révolution,
était le résultat d'une impression complètement indépendante de la nature
de l'impression produite au même lieu de l'orbite pendant la révolution
précédente.
Les variations de position incessantes que les arcs colorés éprouvent
à chaque révolution, fortifient ces raisonnements. Mais ces déplacements
continuels répandent quelque incertitude sur l'estimation exacte du nombre
des teintes colorées.
Voici les résultats obtenus pour l'étoile Sirius, quand elle était élevée de
14» sur l'horizon : le nombre des arcs colorés a été estimé à 50, la durée
d'une révolution de la lentille excentrique étant de 0",4o. D'après ces nom-
bres, les changements de couleur et d'intensité de Sirius se seraient élevés
à 70 par seconde. Dans la même soirée, au moment oîi l'étoile n'était plus
qu'à 5° au-dessus de l'horizon, les couleurs avaient beaucoup perdu de
leur netteté, à cause de l'affaiblissement que les rayons éprouvent en tra-
versant une plus grande épaisseur de l'atmosphère. Nonobstant cette dimi-
nution, j'estimai à 25 le nombre des arcs colorés de l'orbite, lorsque la
durée d'une révolution était de 0",41 ; d'après ces chiffres, les change-
ments de l'étoile s'élevaient encore à 66 par seconde.
Une vitesse de révolution de la lentille supérieure à celle indiquée,
aurait pour effet de diminuer la quantité d'arcs colorés de l'orbite en
augmentant leur longueur. Cette circonstance devrait faciliter, semble-t-il,
l'évaluation de la quantité d'arcs, mais l'accroissement de vitesse présente
l'inconvénient d'affaiblir notablement l'éclat des couleurs. Cet affaiblisse-
ment résulte de ce qu'il faut un temps sensible pour qu'une impression
se forme d'une manière complète sur la rétine; conséquemment les im-
pressions produites par l'image de l'étoile sur son orbite, perdent une
portion de leur intensité quand la vitesse absolue du point lumineux aug-
mente. C'est pour la même raison qu'il convient de limiter l'excentricité de
DE LA SCINTILLATION. 13
la lentille; car, d'une part, le rayon de la courbe circulaire augmentant
avec l'excentricité, et de l'autre, la vitesse absolue de l'image lumineuse
croissant avec ce rayon, cette vitesse suivra nécessairement les accroisse-
ments de l'excentricité, la vitesse angulaire de l'image restant la même.
J'ai reconnu l'inconvénient de dépasser une certaine excentricité dans mes
expériences, car j'ai été obligé de remplacer une lentille par une autre
moins excentrique.
Le meilleur correctif de la perte d'éclat que subissent les teintes de
l'orbite quand la vitesse augmente, serait sans contredit l'emploi d'une
lunette à large objectif, qui réunirait ainsi un grand nombre de rayons
au foyer; mais cette ressource m'a fait défaut. Je suis persuadé qu'avec
des appareils plus puissants que ceux dont j'ai disposé, et qui seraient
munis du mécanisme décrit, on ferait des observations intéressantes sur
le nombre et la nature des changements qu'une étoile scintillante éprouve
selon sa couleur propre, son élévation et l'état de l'atmosphère. Si le
peu de puissance de mes instruments, joint au petit nombre de soirées
favorables dont j'ai joui depuis la confection du mécanisme, ne m'a
point permis de multiplier mes observations, on peut toujours induire
des résultats cités que l'étoile Sirius, scintillant dans les régions infé-
rieures de l'atmosphère, éprouve 60 à 70 variations d'intensité et de cou-
leurs par seconde, quantité égale au double de l'estimation de Nicholson.
Je dis ici, des variations d'intensité et de couleur, parce qu'il pourrait
se faire que les arcs blancs et d'un jaune clair de l'orbite correspon-
dissent à des phases de non-coloration, ou plutôt d'apparition de la teinte
propre de Sirius; tandis que certains arcs sombres se seraient manifestés
aux instants oîi l'éclat de l'étoile eût été notablement affaibli, sinon même
complètement éteint.
Il ne serait pas sans intérêt d'adapter le mécanisme en question à l'ocu-
laire d'un héliomètre, puissante lunette dont l'objectif, coupé suivant un
diamètre, donne lieu à deux images télescopiques, quand on a fait glisser
ses deux moitiés suivant cette ligne de coupure. Il est évident que la rota-
tion de la lentille, placée en avant de l'oculaire unique, ferait voir deux
courbes égales disposées à côté l'une de l'autre. On doit présumer qu'il
14 DE LA SCINTILLATION.
se présentera au même instant des différences dans l'ordre relatif des cou-
leurs des deux orbites K
Voici un procédé tout différent du premier, qui est également appli-
cable à l'étude de la scintillation. Si l'on dispose un prisme réfringent
ordinaire de manière à projeter dans la direction d'une lunette le spectre
d'une étoile scintillante qu'il produit, ce spectre, notablement ampliflé,
accuse d'une manière irréfragable les modifications que subissent les
rayons de l'étoile, séparés les uns des autres par le prisme^.
Dans les soirées où les expériences précédentes eurent lieu, je plaçai
perpendiculairement au plan de l'étoile Sirius, élevée de 10" environ sur
l'horizon, l'arête d'un prisme de crown-glass dont l'angle réfringent,
de 45", occupait le sommet. La lunette achromatique était disposée de
manière à montrer le spectre stellaire bien étalé. Les couleurs rouge,
orangé, jaune, vert, bleu et violet étaient nettement caractérisées sur
l'étendue d'un spectre long et étroit; les quatre premières teintes jouis-
saient d'un éclat très-vif. Mais le spectre fut loin de conserver des dimen-
sions et une position invariables dans son ensemble et ses parties : des
allongements et des raccourcissements rapides agitèrent ses extrémités, plus
fréquemment, toutefois, et sur une plus grande étendue du côté du violet.
Le spectre subissait, en outre, des trépidations transversales, brusques et
presque continuelles. Ces phénomènes se produisirent, soit que les obser-
vations se fissent à li'avers la fenêtre ouverte d'un appartement, ou au
milieu d'un jardin dans lequel j'effectuai momentanément la même dis-
position d'appareil, afin de m'assurer que les effets observés ne pussent
être attribués en partie au mélange des courants aériens, entrant et sor-
tant par la fenêtre de l'appartement.
J'ai dit que les changements étaient plus caractérisés du côté du violet :
en effet, les raccourcissements presque continuels de cette partie, rapides
' Telle esl du moins la présomption de M. Arago, le premier qui ait proposé d'appliquer l'iié-
liomètre à l'étude de la scintillation, dans le but de constater la dissemblance que les images de
l'étoile, étalée en ruban par le fait de légères vibrations imprimées au tube de riiélioraètre, eussent
manifestée. {Notice, p. 402.)
- Ce moyen d'analyser les particularités de la scintillation n'a été proposé par aucun observa-
teur, du moins à ma connaissance.
DE LA SCINTILLATION. 15
et parfois saccadés, résultaient de la disparition du violet d'abord, puis
du bleu; à ces instants, le spectre se raccourcissait de la moitié de sa
longueur. Parfois, le vert et le jaune semblèrent s'élancer par traits vers
le bleuet le violet, sur lesquels les premières couleurs, le vert surtout,
empiétèrent sensiblement. L'extrémité rouge vacilla également vers le
jaune, qui quelquefois s'étendit à son tour du côté du rouge, comme je
l'observai facilement eu cachant tout le spectre, sauf le rouge, au delà du
champ de la lunette. Il est à remarquer que la teinte rouge ne parut
point subir d'extinction complète, et que les empiétements du jaune y
furent beaucoup plus restreints que ceux du vert sur l'autre extrémité.
Quelquefois aussi un trait lumineux semblait s'élancer comme un éclair
sur toute l'étendue du spectre; il se montrait alors très-agité.
Quand l'étoile fut descendue à 5" près de l'horizon, les couleurs, encore
distinctes, avaient perdu de leur éclat : le rouge était le moins altéré.
L'extrémité du bleu violet subissait des variations aussi fréquentes que
précédemment, mais le jaune et le vert étaient plus stables. Très-près de
l'horizon, le rouge et le vert restèi-ent les seules couleurs distinctes; les
changements s'y effectuaient lentement, et la partie du spectre encore per-
ceptible semblait passer successivement du rouge au vert.
Le spectre de Sirius avait présenté des vacillations accompagnées de sem-
blables caractères, lors d'observations de même genre effectuées au moyen
du prisme, il y a quatre ans environ, au mois de février, à une heure de la
soirée où l'étoile était très-élevée. L'extrémité violette fut aussi plus parti-
culièrement le siège de vacillations et d'extinctions totales, et le spectre
subit parfois aussi des trépidations transversales.
— Les changements instantanés de couleurs sont sans contredit la par-
ticularité la plus remarquable et la plus difficile à expliquer dans la scin-
tillation des étoiles, observée soit à l'œil nu ou dans une lunette. L'expli-
cation que j'en propose a pour base des effets de réfraction et de dispersion
par l'atmosphère; il importe donc d'étudier de quelle manière la sépara-
tion des rayons diversement colorés d'une étoile s'effectue dans l'air.
Soient A et Z, ^3. 2, le lieu et le zénith de l'observateur; le rayon Rm
arrivant en A après avoir traversé l'atmosphère, non-seulement s'est infléchi
46 DE LA SCINTILLATION.
suivant une courbe mbk, mais il s'est décomposé en ses rayons consti-
tutifs, diversement réfrangibles, de manière que leurs trajectoires ont
traversé des lieux différents de l'atmosphère. Ce fait, rigoureusement vrai
pour toute dislance zénithale autre que 0°, ne souffre d'exception que près
du zénith, là où la réfraction est nulle et d'où le rayon arrive suivant ZA
sans éprouver de décomposition. Le pouvoir dispersif de l'air étant très-
faible, les effets de dispersion ne restent manifestes qu'à peu de degrés
au-dessus de l'horizon, quand on se sert d'instruments ordinaires.
La forme de la trajectoire, décrite par un rayon coloré, dépend à la
fois de la distance zénithale de l'étoile et de la puissance réfractive de l'air
pour ce rayon, au moment où on l'observe. Dans un travail précédent ', j'ai
fait voir qu'à la température de 0" et sous la pression de 0",76, les indices
de réfraction de l'air, pour le rouge moyen et le bleu extrême, sont res-
pectivement 1,00029242 et 1,00029654. Le rayon bleu étant le plus
réfrangible, la courbure de sa trajectoire est plus prononcée que celle du
rayon rouge; aussi le premier s'écarte-t-il plus que celui-ci de la direc-
tion qui serait suivie par le rayon Rm, si la puissance réfractive de l'air
était nulle. D'après cela, les trajectoires des rayons bleu et rouge prove-
nant du rayon Rm, ont respectivement les positions mb et mr pour les-
quelles le rayon rouge se dirige au-dessus du rayon bleu.
Ce dernier est donc le seul provenant de Rm qui parvienne en A, lieu
de l'observateur; le rayon rouge aboutit au delà, en A'. La dispersion
d'un rayon R'm', différent de R?n, mais parallèle à sa direction en dehors
de l'atmosphère puisqu'il provient de la même étoile, envoie un rayon
rouge en A suivant la trajectoire m'r'A. Ce rayon , dont la courbure
ne diffère sensiblement de mrA' que par son transport parallèle, est le
seul des rayons constitutifs de R'm' qui arrive en A; car le rayon bleu
de même origine suit la direction m'b'k". Les droites kt et At', respec-
tivement tangentielles en A aux trajectoires bleu et rouge, comprendront
un angle tkt' égal à l'étendue angulaire du spectre stellaire visible en A.
La grandeur de cet angle augmente avec la distance zénithale : j'ai fait
' Essai sur des effels-de réfraction et de dispersion par l'air atmosphérique , Mém. de l'âcad. de
Bri-GiQUE , t. XXVI.
DE LA SCINTILLATION. 17
voir qu'elle est successivement égale à 1", à 2", à 5" et à 29" aux dis-
lances zénithales apparentes de 50, 70, 80 et 90°; c'est environ -^ de la
réfraction.
Les mêmes raisonnements s'appliquant aux rayons des teintes autres
que le rouge et le bleu, concluons-en que, dans les conditions normales
de l'atmosphère, les rayons diversement colorés provenant d'un même
rayon stellaire incolore se séparent par dispersion dans l'atmosphère pour
ne plus se réunir; et que les rayons émanés d'une étoile non voisine du
zénith, ont traversé des régions différentes avant de parvenir à l'observa-
teur. Dans les conditions ordinaires de vision d'une étoile à l'œil nu, celui-
ci ne perçoit qu'un point brillant et non un spectre stellaire, parce que
l'espace occupé par les couleurs sur la rétine est tellement restreint, que
l'organe de la vue ne peut en opérer la séparation, et qu'il éprouve l'im-
pression résultant de leur mélange, c'est-à-dire celle de la couleur propre
de l'étoile. Mais si l'œil est armé d'une lunette, la longueur du spectre
est amplifiée par le pouvoir grossissant de l'instrument; alors ses teintes
deviennent généralement distinctes. M. Struve assure que les effets de dis-
persion sont perceptibles jusqu'à 40° de hauteur quand on se sert d'instru-
ments puissants.
Il est actuellement important de montrer comment l'écartement des
trajectoires rouge et bleue, par exemple, augmente avec l'éloignement du
lieu où un spectateur le considère dans l'air. J'ai démontré, dans une
note qui termine ce travail, que, si l'on représente par x l'éloignement
Am {fîg. 5) du point m de la trajectoire bleue au spectateur A, par Z la
distance zénithale de l'étoile observée, la longueur D de la droite me, nor-
male au rayon coloré moyen ou plus simplement au rayon rouge cA, qui
mesure en m la distance rectiligne des trajectoires rouge et bleue aboutis-
sant à l'observateur A, a pour expression générale :
/ 1,00038890
(10) D = sin Z X 26",25 / 1 —
cos (Z -
X r:r-
10
Cette formule est mise sous la forme la plus simple, celle qui convien-
ToME XXVIII. 3
18 DE LA SCINTILLATION.
drait au cas où la tension de l'air serait 0'",~Q en A, et la température 0"
en ce lieu et dans les couches d'air jusque la hauteur m.
Si l'on applique cette formule à calculer l'écart D des trajectoires rouge
et bleue provenant d'une éloile distante de 80° du zénith, et pour les dif-
férents cas où l'éloignement x du point m au spectateur en A varie depuis
100 jusqu'à 10000 mètres, on obtient les résultats suivants :
Valeur de ar 100" 1000" dOOOO"
Valeurs de D correspondantes 0",03 0",35 3",ô
Les valeurs de D étant peu influencées par la température de l'air, on est
en droit de conclure que, dans une atmosphère calme, l'écart rectiligne
des trajectoires rouge et bleue provenant d'une étoile éloignée à 80° du
zénith, atteint 0"',60 à une distance de 1000 mètres du spectateur auquel
ces rayons aboutissent. La ligne me étant la plus courte des lignes que
l'on peut mener du point m à la trajectoire m'A, toute portion de sécante
comprise entre les deux trajectoires, qui serait oblique à me avec la-
quelle elle aurait le point m commun, dépasserait en longueur 0",50,
pour une distance zénithale de l'étoile de 80° et à 1000 mètres de l'ob-
servateur.
Dans la réalité, chaque trajectoire colorée ne peut être considérée
comme une ligne sans dimension transversale : évidemment, les rayons de
même teinte qui pénètrent dans l'œil ou dans la lunette constituent un
faisceau cylindrique courbe ayant pour base l'ouverture de la pupille ou
de l'objectif. Représentons-nous ainsi les trajectoires curvilignes des rayons
rouge, orangé, jaune, vert et bleu provenant de la dispersion des rayons
d'une étoile élevée de 10° sur l'horizon, qui pénètrent dans une lunette
de O'MO d'ouverture; nous concevrons cinq faisceaux cylindriques di-
versement colorés, chacun de 0'*',10 de diamètre, et dont les axes mé-
dians divergent dans le plan vertical de l'astre. D'après ce qui vient
d'être dit, la plupart de ces faisceaux sont sensiblement séparés l'un
de l'autre à 1000 mètres de distance de la lunette, puisqu'à cette dis-
tance l'écart D des trajectoires médianes rouge et bleu est égal à 0"',50 au
moins. Les diamètres des trois faisceaux intermédiaires, considérés dans
DE LA SCINTILLATION. 19
le plan vertical de l'astre indépendamment des autres teintes, ne se tou-
chent même pas à leurs extrémités en regard, attendu que la somme de
ces diamètres (O'^SôO) est moindre que la portion de 1) (0'*',40), qui reste
comprise entre les faisceaux rouge et bleu. Le calcul montre qu'à des
distances de 2, 5, 4 et 5 mille mètres, l'écartement des trajectoires mé-
dianes rouge et bleu, émanées d'une étoile élevée de 10", a respective-
ment pour valeur 1",08, 1",57, 2'V16, 2", 66 : les rayons seront donc
suffisamment séparés aux distances indiquées, pour qu'un phénomène ré-
sultant de l'interposition d'une onde aérienne sur un des rayons colorés,
se produise sans que tous les rayons voisins subissent au même instant
l'interposition de la même onde, et par conséquent les effets qui en ré-
sultent. Les impressions sur la rétine dues aux phénomènes que les di-
vers rayons subiront successivement, et dont nous allons nous occuper,
resteront ainsi généralement distinctes les unes des autres. Ces consé-
quences s'appliquent également aux rayons émanés d'une étoile élevée de
plus de 10° sur l'horizon; le calcul indiquerait alors à quelle distance x
de l'observateur les rayons dispersés par l'air sont écartés d'une quantité
donnée.
Les faits tels que je viens de les exposer se passent réellement dans
l'atmosphère, et leur existence est indépendante de toute hypothèse.
Actuellement, quelle est la cause de l'extinction d'un rayon coloré dans
certains cas d'interposition d'une onde sur sa trajectoire, extinction plus
ou moins complète et qui donne lieu à la coloration des étoiles dans la
scintillation? C'est ce que nous avons à établir.
D'abord, quelle que soit cette cause, il faut admettre que l'œil perçoit la
teinte complémentaire des rayons déficients au moment de la suspension de
leur perception. Ainsi, par exemple, selon qu'un ensemble de rayons stel-
laires, dont le mélange ou la superposition presque complète sur la rétine
donnerait naissance à l'impression du blanc, est privé momentanément du
bleu foncé ou du vert, l'œil perçoit la teinte jaune ou la rouge, couleurs
respectivement complémentaires du bleu et du vert. Mais l'impression
résultant de l'extinction d'un rayon, ne devient distincte sur la rétine que
si la rapidité de succession des diverses teintes ne dépasse pas une cer-
20 DE LA SCINTILLATION.
taine limite. J'ai montré, dans un travail précédent, que les couleurs du
spectre, en se succédant au même lieu de la rétine, y produisent la sen-
sation du blanc quand toutes ces teintes s'y succèdent en un temps sen-
siblement moindre que 0",04. Concluons de là que, dans la scintillation,
une teinte n'apparaît en un point de la rétine par défaut du rayon com-
plémentaire, que si la suspension de perception de celui-ci se prolonge au
delà de 0",04 de durée. Dans les circonstances ordinaires, les variations
de couleur d'une étoile, observées par l'œil, se succèdent avec beaucoup
moins de rapidité que celle prescrite par cette limite supérieure. Mais lors-
que, par l'emploi des artifices exposés précédemment, l'image de l'étoile
est amenée en des points de la rétine successivement différents, on peut dis-
tinguer beaucoup de cbangements en très-peu de temps. Ainsi, quand la
lentille excentrique en rotation fut adaptée à une lunette, soixante effets
de coloration par seconde se distinguèrent dans la scintillation de Sirius;
la durée de chacun de ces changements, et par conséquent de l'intercep-
tion du rayon défaillant, ne dépassa point moyennement 0",016.
Dans mon travail sur des effets de réfraction et de dispersion par
l'atmosphère, j'expliquai par les phénomènes de réflexion totale ou d'angte-
limite des suspensions momantanées de la perception d'objets terrestres ,
éclairés, que j'avais observées. Ces cas de réflexion résulteraient de l'in-
terposition des ondes aériennes sur les trajectoires lumineuses, dans des
conditions où de tels phénomènes pussent se produire. Le calcul indi-
que, en effet, que si un rayon lumineux incolore se présente sous un
angle d'incidence plus grand que 89° -48' 50" à la face d'une onde dont
la température est supérieure de 5° à celle de l'air ambiant, ce rayon ne
peut pénétrer dans l'onde, car il est réfléchi à la face d'incidence. La
réflexion du rayon aurait également lieu par une onde plus froide de 5°
que l'air ambiant, mais ce serait sur la face d'émergence que le l'ayon
serait alors réfléchi, quand il s'y présenterait sous un angle égal à la
grandeur citée. Parmi la multitude d'ondes interposées entre l'observa-
teur et un objet dont des parties faisaient momentanément défaut à la
vision lors des observations précitées, il en est évidemment qui rencon-
trèrent les rayons lumineux dans les conditions d'angle-limite: il s'ensui-
DE LA SCliVTILLATIO?»). 21
vit nécessairement que l'œil cessa de percevoir ces rayons pendant la durée
de leurs interceptions.
N'est-il point rationnel d'admettre que les trajectoires des rayons stel-
laires qui traversent toute l'épaisseur de l'atmosphère, agitée par des ondes
multipliées et de densités si diverses, soient les lieux d'interceptions subites
dues à la cause citée? Nous avons vu précédemment qu'au delà de 1000
mètres de distance de l'observateur, les faisceaux cylindriques colorés,
émanés d'une étoile éloignée du zénith, sont suffisamment séparés poui'
qu'une onde ascendante qui traversai! successivement ces rayons dans les
conditions d'angle-limite, pût donner lieu à des impressions sur la rétine
essentiellemenl distinctes. De cette manière, l'œil doit percevoir les cou-
leurs complémentaires successives des rayons interceptés, soit par le fait
d'une même onde, soit, ce qui est plus probable, par celui de plusieurs
ondes, au milieu de la multitude qu'ils rencontrent.
Telle est l'essence de l'explication des changements de couleur dans la
scintillation que je propose *. Voyons si cette théorie s'accorde avec les
faits observés jusqu'à maintenant, car les détails sont la pierre de touche
des théories, a dit Arago.
« Les effets de réflexion totale, bases essentielles de la théorie proposée et qui la distinguent de
toute autre explication, ne peuvent, en principe, être niés, même à légard d'une très-petite por-
tion d'air jouissant d'un pouvoir réfringent autre que celui de l'air ambiant, à cause d'une ditle-
rence de température. Les edéls de ce genre sont la source iuconteslable des phénomènes de
mirage, dont l'observation révèle de plus en plus la fréquence dans l'air. Ils peuvenl résulter par-
fois de très -petites différences de température des couches d'air : ainsi, Pouillet cite, dans son
Traité de physique, un effet de mirage latéral observé sur le lac de Genève, qui eut pour cause la
diversité de température de deux parties de l'air, dont l'une se trouvait dans l'ombre depuis long-
temps, tandis que l'autre était échauffée par le soleil. On a déjà cherché à faire intervenir les
effets de réflexion totale dans la production de phénomènes que présente parfois la vision des
astres : ainsi, Brandès ramène à un effet de mirage le phénomène si singulier de la fluctuation
des étoiles. (De lliimboldt, Cosmos, t. III , p. 293.)
Comme il sera toujours difficile de prouver directement l'intervention des effets invoqués dans
la scintillation, il convient de citer à l'appui les résultats de quelques expériences qui ont été effec-
tuées dans des circonstances où la température s'écartait beaucoup, il est vrai, des différences que
les phénomènes naturels présentent ordinairement.
Un microscope solaire, muni de son miroir rédecleur et du système de lentilles ordinaire, ayant
été adapté an volet d'un appartement obscur, j'interposai sur le passage des rayons solaires la
cheminée en verre d'une lampe modérateur allumée; le courant des gaz fortement échauffés traver-
22 DE LA SCINTILLATION
L'observation du spectre de Sirius obtenu au moyen d'un prisme, a
montré que les couleurs bleue et violette sont les parties oîi des extinctions
partielles et complètes se manifestent le plus souvent. Ce fait se conçoit
aisément , si l'on remarque que , parmi les rayons dispersés par l'atmos-
phère, les trajectoires des divers rayons bleus et violets sont en plus
grand nombre que les trajectoires des autres rayons, le jaune et le rouge
surtout; car, dans le spectre produit par un milieu solide ou liquide, le
bleu, l'indigo et le violet occupent des espaces plus étendus que les autres
couleurs, quand la lumière primitive est blanche; or tel est le cas de
Sirius. Gela posé, il est évident que les chances d'interceptions partielles
par phénomène de réflexion totale, ont été plus fréquentes pour les rayons
violets et bleus que pour les teintes de l'extrémité opposée, puisque
sait ainsi les rayons solaires divergeant vers un écran où ils s'étalaient en cercle. Quand le courant
s'éleva tranquillement, ses bords extérieurs se dessinèrent sur l'écran, suivant toute leur hauteur,
avec plus d'éclat que les parties voisines, et surtout que la partie intérieure du courant contiguë
à ses bords, laquelle était plus sombre que la portion centrale. L'accroissement d'éclat à l'extérieur
du courant, projeté sur l'écran, s'explique par la réflexion totale des rayons lumineux qui arri-
vaient presque taugentiellement aux bords du cylindre d'air échauffé sortant du tube, et par
conséquent, sous une inclinaison égale ou supérieure à l'angle extrême de pénétration possible
des rayons lumineux de l'air ambiant dans les gaz chauds. De ce fait résultaient lout à la fois un
éclat prononcé près des bords extérieurs du cylindre, lieux de la réunion sur l'écran des rayons
réfléchis par angle-limite, et un obscurcissement sensible à l'intérieur de ces mêmes bords, là où
ces rayons faisaient défaut.
Les bords de la flamme projetée sur l'écran se montrent avec un éclat excessivement vif quand ,
après avoir enlevé le verre, on détourne la flamme en la soufflant au chalumeau : si le dard est
dirigé dnns un plan perpendiculaire à l'écran, les parties latérales de son profd sur celui-ci sont
chacune bordées d'une zone extérieure très-brillante, même comparativement aux parties de l'écran
environnantes, très-éclairées. Ces zones se montrent d'autant plus brillantes que l'on soiiflle plus
fort, et que la direction du dard se rapproche de la normale à l'écran. L'intérieur du profil du dard
paraît plus sombre, sauf un trait brillant et effilé s'éiançant du point où est percé le trou du bec.
L'explication de ces faits repose, comme celle qui précède, sur les eff'ets de réflexion totale pro-
duits près (les bords du dard fortement éthaiiffé. Mais on pourrait objecter à celte explication que
l'accroissement d'éclat près des bords extérieurs résulte, non de la réunion de rayons réfléchis par
suite de ces effets, mais bien de l'empiétement des rayons qui, au sortir d'un milieu gazeux forte-
ment échauffé, ont dû acquérir une divergence plus forte que celles qu'ils avaient avant de tra-
verser ce milieu. Cette objection se fonderait sur ce qu'une masse d'air chaud terminée par des
limites de forme convexe, doit jouer, dans l'air atmosphérique, le rôle de milieu divergent à l'égard
des rayons qui la traversent. L'éclat extrêmement vif des zones extérieures au dard ne me permet
point de l'attribuer au pouvoir divergent du milieu échauffé. D'ailleurs, le calcul m'a démontré que
DE LA SCINTILLATION. 25
les premiers, plus nombreux dans la dispersion par Tatmosphère, se trou-
vèrent, avant d'atteindre le prisme, dans des conditions à rencontrer
plus d'ondes aériennes que les trajectoires constitutives du jaune et du
rouge.
Ajoutons aussi que la rélrangibilité par l'air étant sensiblement moin-
dre pour les rayons rouges et jaunes que pour les bleus et les violets, les
premiers doivent échapper parfois à certains effets d'angle-liraite, et les
seconds, au contraire, se trouver plus tôt dans les conditions de ces effets.
Ces raisons nous font ainsi comprendre pourquoi le bleu et le violet du
spectre de Sirius, produits par un prisme et observés dans une lunette,
ont présenté des raccourcissements plus fréquents et sur une plus grande
étendue que les variations semblables des autres couleurs.
l'accroissement de divergence acquise par les rayons en traversant celui-ci, élait tellement faible
nu'arrivé à l'écran , un de ces rayons ne devait s'écarter exlérieurenient ;i l'image du dard que d'une
fraction de millimètre par rapport au point où il eût atteint l'écran , s'il n'avait subi aucun accrois-
sement de divergence en traversant la masse du dard fortement échauffée. (Les bases de ce calcul
ont été les distances respectives de l'écran et du dard au foyer de la lentille du microscope, som-
met du cône des rayons lumineux; puis les dimensions transversales du dard considéré comme un
milieu de forme lenticulaire convexe, mais entièrement vide d'air et, par conséquent, jouissant
des propriétés divergentes). Dans les observations faites avec le chalumeau, les zones extérieures
au dard, excessivement brillantes, avaient plusieurs millimètres de largeur; elles ne sont donc
point le résultat de divergences, mais bien des effets de réflexion totale qui, en se produisant
presque tangentiellement au bord du dard, devient les rayons de manière à satisfaire aux obser-
vations.
Quand la flamme est soufflée horizontalement et parallèlement à l'écran, la zone brillante se
dessine à son bord inférieur seulement; mais il n'y a ni accroissement, ni diminution d'éclat à son
bord supérieur. Cela s'explique facilement : la partie supérieure du dard n'a point ses limites
nettement tranchées avec l'air froid ambiant comme le bord inférieur, et cela à cause du courant
de gaz échaufTés qui, en s'élevant verticalement du dard lui-même, ne permet pas que sa partie
supérieure soit le lieu des effets de réflexion totale sur les rayons qui traversent le courant ascen-
dant, au voisinage de cette portion supérieure.
La lampe étant munie de son verre, si le courant est troublé au-dessus de celui-ci soit par
un souffle de vent, soit par l'agitation de l'air avec la main, il se produit à l'instant sur l'écran des
ondulations brillantes, entremêlées d'ondulations obscures, même comparativement à la partie
de l'écran tranquillement éclairée. Ces aff'aihlissements d'éclat ont pour origine les interceptions
des rayons solaires, réfléchis par effets d'angle-limite à la surface de certaines ondes, parmi la
multitude d'ondes auxquelles donne lieu le mélange de l'air froid lancé dans le courant des gaz
échauffés. Les rayons réfléchis de cette manière dessinent sur l'écran des ondulations et des sinuo-
sités plus éclatantes.
24 DE LA SCINTILLATION
Il n'esl pas hors de propos de remarquer que la diminution d'éclat des
rayons bleu et violet d'un spectre stellaire, peut paraître plus prononcé à
une certaine distance zénithale de l'étoile; car le pouvoir absorbant de
l'air augmente plus rapidement pour ces rayons que pour le rouge par
exemple, à mesure que l'épaisseur de la masse d'air traversé augmente.
C'est pour cette raison que le rouge et le vert prédominèrent dans le
spectre de Sirius, quand cette étoile s'approcha de l'horizon.
Les rayons foncés du spectre subissant les modifications les plus fré-
quentes, on s'explique comment dans les observations à l'aide de l'appareil
avec lentille excentrique en rotation adapté à la lunette, les couleurs de
l'autre extrémité du spectre aient paru prédominer en nombre. Du reste,
rien ne peut être spécifié d'une manière absolue sur la cause de la fré-
quence relative ou de l'éclat de certaines couleurs dans la scintillation ;
car le plus souvent il doit arriver que plusieurs couleurs de l'étoile font
simultanément défaut; alors la teinte perçue est la résultante du mélange
des rayons qui parviennent à l'œil. Ce point touche à une question scien-
tifique intéressante qui n'est pas encore complètement éclaircie.
Un fait important, c'est qu'un faisceau coloré ne doit pas être néces-
sairement intercepté en totalité pour que sa couleur complémentaire de-
vienne sensible à l'œil. M. Arago a prouvé que , dans les phénomènes
d'interférence ordinaires, il sufiit de la destruction du vingtième d'un fais-
ceau, pour que l'endroit oii la totalité des rayons se serait réunie, paraisse
sensiblement coloré '. Le même fait a lieu bien certainement si un ving-
tième de l'un ou l'autre rayon fait défaut par toute autre cause que par
phénomènes d'interférence. Ainsi donc, l'image d'une étoile se montrera
sensiblement colorée en rouge dans la scintillation, quand yô ^^^ rayons
verts, complémentaires du rouge, seront interceptés par effet de réflexion
totale à la face d'une onde.
Nicholson a signalé cet autre fait : Si l'oculaire d'une lunette achromati-
que dirigée vers une étoile scintillante, est poussé hors du foyer, son image
se transforme en un disque irrégulier d'un diamètre plus ou moins grand,
' Notice . p. 424.
DE LA SCINTILLATION 25
selon la position de l'oculaire; le disque circulaire devient alors le lieu
d'un genre de vacillation tel, que l'on croirait voir, dit Nicholson, un
certain nombre de disques de couleurs diiférentes passer successivement
les uns devant les autres. L'ilhimmalion, ajoute-t-il, paraît venir de divers
côtés. Celte circonstance sur laquelle M. Arago appuie d'une façon toute
particulière dans sa Notice (p. 378), m'avait aussi frappé, quand j'eus vu
l'apparition de chaque couleur se faire non instantanément sur toute
l'étendue du disque élargi, mais à des intervalles de temps distincts, aux
diverses parties de celui-ci. Le disque est ainsi le lieu d'un travail continuel
qui résulte des successions rapides et partielles de toutes ces touleurs.
Cette variété d'effets s'explique facilement en concevant que, lors de l'in-
terception de la moitié du faisceau cylindrique des rayons verts de droite,
par exemple, qui tombent sur l'objectif, la partie du disque élargi corres-
pondant à cette moitié, devient aussitôt le lieu d'une coloration en rouge
complémentaire, qui persiste pendant la courte durée de l'interception de
la fraction des rayons verts.
La théorie exposée fait naître une objection que je dois réfuter. Parmi
les nombreuses réflexions des rayons stellaires opérées dans l'atmosphère
et dues à la cause invoquée, n'en est-il point qui s'effectuent dans des
conditions capables d'amener incidemment vers l'œil de l'observateur des
rayons qui n'étaient point destinés à y entrer, ce qui donnerait lieu pour
lui à une seconde image d'une étoile dans une direction différente de celle
où il voit son image vraie? Supposons une onde réfléchissant par effet
d'angle-limite des rayons dans la direction de l'observateur : les circon-
stances où ces rayons seraient aptes à former une image nette dans l'œil
doivent être excessivement rares, à cause de la courbure que les faces-
limites des ondes présentent généralement. Cette courbure étant le plus
souvent très-irrégulière, elle aura pour effet d'éparpiller aussi très-irrégu-
lièrement les rayons, qui ne pourront alors exciter dans l'œil aucune image
perceptible. On doit, à plus forte raison, conclure de là qu'il est de toute
impossibilité que l'observateur reçoive une image formée par seconde
réflexion des rayons qui en auraient déjà subi une première K
1 Pour plus de dévelonpenients sur cette objection, voir à la fin l'addition faite au mémoire.
Tome XXVIIl. 4
26 DE LA SCINTILLATION.
Passons actuellement à un autre point important. La théorie de la scin-
tillation par effet de réflexion totale, ne conduit-elle point forcément à
admettre qu'un déplacement plus ou moins étendu de l'image de l'étoile
doit accompagner, généralement, les phénomènes de la scintillation? Si
cette conséquence est inévitable, comment la concilier avec l'assertion de
M. Arago dans sa Notice, où il dit textuellement que la scintillation n'est
point accompagnée d'un mouvement ondulatoire de l'étoile? La persuasion
que la théorie proposée triomphera de cette objection , m'engage à examiner
avec détails le point de discussion soulevé.
Si l'assertion contraire à une connexion entre la scintillation et les
oscillations des étoiles, est positivement énoncée à certains passages de
la Notice, aux pages 488 et 494 par exemple, il n'en est pas de même
en d'autres endroits. Ainsi M. Arago cite des altérations considérables du
diamètre apparent des astres ' , phénomène secondaire de la scintillation
d'après lui, qui cependant est, à mes yeux, inévitablement un résultat
d'une variation dans la réfraction. De plus, ce savant fait concourir le
genre d'ondulations des étoiles dans les lunettes, appelé par lui mouve-
menl d'anguille, à la production de phénomènes d'interférence et de colo-
ration de l'image de l'étoile 2. D'autre part, M. Biot dit textuellement,
dans son traité A' Astronomie plnjsique, que l'on voit presque toujours les
images des étoiles, même voisines du pôle, agitées de petits mouvements
ondulatoires dans les lunettes. Un travail récent sur la transparence de
l'atmosphère du P. Antonelli cite ce fait : « Quand la vision nette et dis-
>> tincte d'un objet semble prouver une grande pureté d'atmosphère , il
» arrive assez souvent qu'un tremblement considérable ou .un soubresaut
» imprévu de l'astre observé rendent impossible une bonne observation
» astronomique ^. » Carlini a remarqué plusieurs fois des oscillations de
10 à 12" d'amplitude de la polaire, lofs de son passage dans la lunette
méridienne à fort grossissement de l'observatoire de Milan *.
* Page 365.
2 Page 427.
5 Journal Le Cosmos, t. V, p. 93.
* De Humboldt, Cosmos, t. III, p. 293. Des oscillations aussi grandes s'expliqueraient très-
DE LA SCINTILLATION. 27
Mais la réalité des mouvements ondulatoires des éloiles en divers sens,
pendant les phases de la scintillation, est incontestablement mise hors
de doute par les trépidations transversales du spectre de Sirius, obtenu à
l'aide d'un prisme et observé dans une lunette, comme il a été indiqué
plus haut. Les trépidations de l'ensemble du spectre ou de ses parties sont
nettement accusées : quand les trépidations totales se succèdent rapide-
ment, l'image s'affaiblit entre les limites de ses déplacements pour re-
prendre plus d'éclat à ces limites mêmes, là où la vitesse ondulatoire
devient nulle pendant un intervalle de temps très-court. Ces trépidations
sont déterminées par le passage des ondes à une distance, en avant du
prisme, où les trajectoires des divers rayons, dispersés par l'air, se trou-
vent sensiblement réunies. 3Iais si les ondes traversent l'une des trajectoires
seulement, n'importe à quelle distance, la teinte du spectre produite par
cette trajectoire éprouve seule des trépidations en ce moment. Dans l'un
et l'autre cas, ces ondes s'interposent évidemment dans des conditions
incompatibles avec les effets de réflexion totale.
Les mouvements des couleurs du spectre dans la direction longitudi-
nale résultent en partie de trépidations dans ce sens; mais je ne puis ad-
mettre que les empiétements apparents et rapides de certaines couleurs sur
celles qui leur sont contiguës, soient, en toute leur étendue, les résultats
de déviations que subiraient isolément les trajectoires des couleurs qui
accusent ces mouvements. S'il en était autrement, il faudrait concéder un
pouvoir de déviation à la masse d'une onde qui s'élèverait à plusieurs mi-
nutes de degré, pour expliquer l'amplitude des éclairs rapides que parfois
le jaune et le vert lancent instantanément du côté du bleu ^
bien parla déviation qu'auraient subie des rayons de la polaire en rasant momentanément, et sous
des angles de 5 à 6", la convexité d'une onde qui eût réfléchi ces rayons par effet de réflexion
totale : les rayons auraient dans ce cas pénétré dans la lunette avec une déviation égale au double
de 5 à 6". Cette explication est très-admissible, si l'on se refuse à accorder à des ondes, élevées dans
l'atmosphère, une puissance déviatrice de 12" sur les rayons qui peuvent les traverser.
' On trouve par le calcul , que si une déviation devait déplacer le rayon jaune d'une quantité
égale à la distance des raies E et F du spectre produit par le crown-glass, qui sont, la première près
de la limite du jaune et du vert, la seconde au milieu de cette dernière teinte, il faudrait que la
déviation du rayon jaune s'élevût à 7' avant qu'il ne pénétrât dans le prisme, les autres rayons
restant immobiles.
28 DE LA SCINTILLATIOIN.
L'observation et la théorie s'accordent pour montrer que, le soir, l'inter-
position des ondes ne peut donner lieu qu'à de très-faibles déviations des
rayons d'une étoile, observée dans une lunette de la manière ordinaire '.
Mais il ne suit point de là que les effets de réllexion totale soient impos-
sibles avec des ondes peu capables d'imprimer de fortes déviations. En
effet, la grandeur d'une ondulation dépend à la fois de l'incidence du
i-ayon à la face de l'onde, de la différence des températures de celle-ci et
de l'air ambiant, et, enfin, de l'inclinaison des plans tangents aux faces
d'incidence et d'émergence de l'onde. Or, la réflexion totale est entière-
ment indépendante de ce dernier élément, qui influe sensiblement sur
l'amplitude de la déviation. Il doit même arriver assez souvent que la
réflexion d'un rayon s'effectue là où il n'éprouverait pas de déviation sen-
sible, s'il lui était facultatif de traverser l'onde; cela se produit quand le
rayon stellaire est intercepté par une onde pour laquelle il y a sensible-
ment parallélisme des plans tangents à la face d'incidence et à la face
opposée de l'onde. J'ai démontré, dans le mémoire déjà cité, qu'un rayon
* Les plus fortes ondulations que j'aie observées au plein de la chaleur du jour, s'élèvent à 23"
pour les objets terrestres. J'ai démontré (Mém. sur des effeU de réfrac, et dispcr. par l'air atmo-
sphérique) que la grandeur du déplacement produit par une onde, tontes choses égales d'ailleurs,
dépend de ses positions par rapport h l'obseivateur et au point d'émanation du rayon. Si l'on dé-
signe par d' et d les dislances respectives de l'onde à ces points, par y l'amplitude de la déviation
vraie que le pouvoir réfringent de l'onde fait subir au rayon, et enfin para? cette même amplitude
si le rayon, émané de l'infini, traversait l'onde dans des mêmes conditions, on a entre a: et j/ la
relation :
d
y = X
d -t- d'
Dans le cas des observations citées , le rapport équivaut à \^ : concluons de ce chiffre et
du maximum y = 25" que, si le rayon eût émané de l'infini, la déviation a; subie par l'interposi-
tion de la même onde aurait dépassé de -^^ seulement l'ondulation maximum 25", mesurée pour les
objets terrestres. Ainsi une étoile observée près de l'horizon et au travers des mêmes ondes que
ces objets, eût éprouvé des ondulations de 27" d'amplitude. Dans les après-midi et vers les soirées
où je fis d'autres observations, les ondulations des objets terrestres près de l'horizon ont générale-
ment paru tellement restreintes, qu'elles échappe rent à des mesures microméliques, quoiqu'elles
fussent encore perceptibles. Il n'est donc point surprenant que les ondulations des étoiles, qui
surpassent très-peu celles des objets terrestres, aient généralement une faible amplitude, même
près de l'horizon.
DE LA SCINTILLATION. 29
émané de l'infini, ce qui peut être considéré comme étant le cas pour un
rayon slellaire, ne subit point de déviation angulaire en traversant un
milieu limité par des faces parallèles.
Si donc un rayon stellaire traverse, même sous une forte inclinaison,
une partie d'onde offrant la condition du parallélisme des plans tangents
sensiblement satisfaite, il n'éprouvera pas de déviation; et si, dans le
mouvement propre de l'onde, l'inclinaison de la face d'incidence par rap-
port au rayon augmente au point d'amener l'effet de réflexion totale, le
rayon sera subitement intercepté, et un phénomène de scintillation se pro-
duira pour l'œil sans déplacement sensible de l'image de l'étoile.
Du reste, un faible mouvement de l'étoile pourrait parfois accompagner
la scintillation et échapper à l'observateur, en vertu de causes secondaires.
On sait, en ellet, que l'image d'une étoile occupe sur la rétine un espace
beaucoup plus grand que ne le comporte son diamètre vrai , car les in-
struments d'optique les plus parfaits donnent encore aux étoiles des dia-
mètres factices. Enfin la vision non précise d'une étoile est augmentée par
les rayons qui, à l'œil nu surtout, émanent des étoiles brillantes et con-
stituent des espèces de queues dont le nombre, la position et la longueur
varient pour chaque observateur. C'est ici le lieu de faire remarquer que
ces rayons divergents, dont la cause réside dans l'œil et non dans le corps
lumineux ', participent aux variations d'éclat et de couleurs des étoiles
scintillantes, et contribuent ainsi à augmenter beaucoup les caractères de
la scintillation.
Voici un phénomène dont les particularités prêtent un puissant appui à
la théorie proposée. J'ai observé que le sommet d'une montagne éclairé par
la lune et élevé de 2° environ sur l'horizon, qui faisait saillie sur la partie
du disque faiblement entamée par l'approche du second quartier, se colora
momentanément en rouge pourpre, puis passa au bleu; mais, à l'instant
de ce dernier changement, sa saillie sur le disque s'accrut sensiblement.
Le point revint bientôt à la première position où il reprit la couleur rouge:
il ne tarda pas à l'échanger contre la coloration en bleu, qui se montra de
' NoUce, p. 491.
30 DE LA SCINTILLATION.
nouveau accompagnée d'un exhaussement de la sommité. Ces changements
de couleurs se succédèrent pendant quelque temps, toujours accompagnés
des mêmes mouvements ondulatoires.
La compréhension de la cause de ces variations sera beaucoup facilitée
par la connaissance du fait suivant. Lorsqu'un spectre stellaire est très-
reslreint, les couleurs d'une extrémité deviennent beaucoup plus distinctes
quand celles de l'autre n'arrivent pas sur la rétine. Ainsi, dernièrement,
j'observai la planète Vénus, par un ciel serein , un peu avant son coucher :
ses arcs supérieur et inférieur étaient colorés l'un en bleu et l'autre en
rouge, par eflet de dispersion atmosphérique, visible dans la lunette; le
milieu du disque, entamé par les phases de la planète, était complètement
incolore. La partie rouge du disque ayant été fortuitement cachée au delà
du champ du télescope, la teinte bleue, encore visible, acquit aussitôt
une intensité et une extension notables sur la portion du disque planétaire
non cachée. Mais celte partie redevenait incolore aussitôt que la teinte rouge
était mise à découvert.
Ce fait étant constaté, la sommité brillante de la lune en question est
réellement le lieu d'un spectre très-restreint, dû à la dispersion atmosphé-
rique, et dont les teintes, trop rapprochées les unes des autres dans les con-
ditions de vision normale, ne sont pas distinctes quand leurs impressions
se produisent en des points de la rétine très-voisins : alors celle-ci éprouve
nécessairement l'impression de la couleur blanche, qui est la teinte résul-
tant du mélange des couleurs primitives. Si, actuellement, nous admet-
tons qu'une ou plusieurs ondes aériennes interceptent à la fois, par effet
de réflexion totale, les trajectoires bleue et violette, les couleurs de l'autre
extrémité du spectre prédomineront, et parmi elles le rouge, qui est à la
fois la teinte la plus vive et celle à laquelle l'air livre le plus facilement
passage, surtout dans les couches inférieures. A cet instant, la sommité
dut donc paraître colorée en rouge plus ou moins prononcé. Mais, au
moment suivant, l'interception ayant eu lieu principalement pour les autres
rayons colorés, par le fait des mêmes ondes ou d'ondes différentes, les
trajectoires de la partie foncée du spectre furent alors les seules qui par-
vinssent à l'œil, où leur mélange donna lieu à une teinte dans laquelle le
DE LA SCINTILLATION.
31
bleu prédomina. Comme les trajectoires de la partie foncée d'un spectre,
produit par dispersion atmosphérique, sont disposées au-dessus des rayons
de l'autre partie, la sommité du disque lunaire dut infailliblement paraître
plus élevée quand elle se revêtit de la teinte bleue qu'au moment où elle
se colora en rose ^ II a pu se faire que la sommité ait passé par d'autres
teintes intermédiaires aux premières, qui m'ont échappé à cause de leur
faible intensité. J'ajouterai que le passage du rouge au bleu ne s'est point
effectué brusquement, mais graduellement, quoique dans un court inter-
valle de temps.
Ce phénomène oîi les ondes aériennes firent l'office d'écrans successi-
vement sur les différentes trajectoires colorées, et qui semble montrer
sous son véritable jour la cause des changements de couleurs des étoiles
dans la scintillation, a été observé plusieurs fois : ainsi, un autre soir,
des teintes successivement rouges et bleues, également combinées avec
des mouvements ondulatoires bien caractérisés, parurent sur les arêtes
* Afin que le lecteur puisse suppléer aux détails sur la succession des couleurs, que je crois
devoir omettre dans l'explication générale ci-dessus, je rapporterai un tableau où sont exposées
les couleurs résultant du mélange, deux ù deux, de cinq couleurs du spectre, tableau qui a été
extrait du tome il du journal Le Cosmos , où il termine un exposé des expériences intéressantes de
M. Helmholtz sur les couleurs composées. Le lecteur reconnaîtra que, d'une part, le rouge, le rose,
l'orangé, et de l'autre, le bleu et les teintes qui dérivent de cette couleur, sont les nuances les
plus fréquentes. Dans ce tableau, la couleur résultante est ù la ligne d'intersection des deux lignes
borizontale et verticale, où sont indiquées les couleurs composantes. Quelques-uns de ces résultats
contredisent les idées reçues.
Violet.
Bleu.
Vert.
Jaune.
Rouge.
Rouge.
Poorpre.
Rose.
Jaune mat.
Orange.
Rouge.
Jaune.
Rose.
Blanc.
Jaune verdâire.
Jaune.
Vert.
ttlca p&le.
Dieu vcrdàlre.
Vert.
Blea.
Blen-lodigo.
Bleu.
Violet.
Violet.
32 DE LA SCINTILLATION.
du contour de cratères lunaires observés dans le télescope, qui recevaient
obliquement la lumière près de la partie supérieure du disque, entamé par
l'approche d'un quartier.
Jusqu'à présent, je ne me suis attaché qu'aux variations de couleurs
des étoiles, phénomène le plus difficile à expliquer dans la scintillation;
car toute théorie basée sur des inégalités de réfraction, envisagées comme
on le fait ordinairement, ne trouve guère d'obstacle dans l'explication des
variations brusques de l'éclat des étoiles scintillantes. Dans la théorie
proposée, ces extinctions plus ou moins complètes, suivies de réappari-
tions d'éclat d'une certaine vivacité, s'expliquent très-facilement par les
effets de réflexion totale. En effet, admettons qu'une ou plusieurs ondes
s'interposent simultanément avec les conditions voulues pour ceux-ci , dans
la partie des trajectoires comprise entre l'observateur et le lieu où elles
sont sensiblement séparées; il y aura interception de la majeure partie,
sinon de la totalité des trajectoires peu dispersées en ce lieu; l'image de
l'étoile éprouvera, à cet instant, une extinction momentanée, pour repa-
raître avec tout son éclat lorsque l'onde aura traversé la totalité du fais-
ceau des rayons réunis.
L'affaiblissement d'éclat passager d'une étoile et son retour à sa puis-
sance ordinaire sont, tout autant que ses changements de couleurs, plus
forts dans la réalité qu'ils ne le paraissent à l'œil nu, comme le fait remar-
quer M. de Humboldt S à cause des effets de la persistance des impres-
sions lumineuses qui se superposent sur la rétine. Mais il ne faut point
oublier que les apparences de la scintillation, et particulièrement l'impres-
sion résultant pour l'œil des pertes et des accroissements d'éclat succes-
sifs de l'étoile, doivent être notablement accrus par les extensions et les
contractions intermittentes de la couronne de rayons qui divergent, sur
une étendue de S à 6', à partir de l'image de l'étoile, vue à l'œil nu. Ces
rayons parasites, d'après Hassenfratz, ne seraient rien autre que les caus-
tiques du cristallin formées par les rayons réfractés. Ils doivent évidem-
ment éprouver les effets des variations d'intensité et de couleurs des images
' Cosmos, t. III , p. 79.
DE LA SCINTILLATION. 33
stellaires, si toutefois les rayons qui forment chacune de ces caustiques,
subissent simultanément les mêmes effets.
La scintillation a pour eifet nécessaire, comme le remarque M. Arago,
d'afl'aiblir l'intensité des images des étoiles. « C'est très-rarement, dit-il,
» que ces astres s'aperçoivent avec leur éclat intrinsèque. Des étoiles qu'on
» a rangées dans la sixième grandeur, parce que de temps en temps elles
» sont visibles à l'œil nu, peuvent donc disparaître habituellement. Une
» étoile qui aurait été classée dans la septième grandeur, parce qu'elle
» serait ordinairement invisible, peut, quand le phénomène de la scintil-
» lation cesse tout à fait pour elle, devenir perceptible, flooke s'est assuré
» que les choses se passent comme je viens de le dire, relativement à
» certaines étoiles de sixième et de septième grandeur. » En lisant ce
passage de la Notice ', je me suis demandé si ce n'est point de là que dérive
la cause principale de la visibilité instantanée de nombreuses petites étoiles
qu'on ne distingue aisément qu'avec des lunettes, et qui apparaissent par
moments, tantôt ici, tantôt là, dans les nuits des climats tempérés, fa-
vorables à la scintillation? Il n'y aurait, en réalité, dans les variations
d'éclat de ces étoiles scintillantes que des phases de renforcements de
lumière plutôt relatifs qu'absolus. Ils résulteraient de la cessation momen-
tanée des causes qui , dans l'état général de l'atmosphère, tendent à dimi-
nuer l'intensité des rayons : on peut citer parmi elles les effets d'angle-limite
de durée excessivement courte, puis l'affaiblissement que subit infaillible-
ment tout rayon en traversant une multitude d'ondes aériennes de densités
différentes, et dont aucune ne se trouve dans les conditions de réflexion
totale par rapport à lui.
11 n'est pas inutile de rappeler ici , que l'œil jouit à un haut degré de
la faculté d'apprécier de petites différences d'intensité que subissent des
impressions lumineuses, même quand ces variations, réitérées à des inter-
valles rapprochés, persistent pendant des instants très-courts. Plusieurs
faits prouvent incontestablement cette faculté de l'organe visuel. D'après
]M. Arago , l'œil cesserait de percevoir des différences d'intensité de ~
dans l'état de repos ' ; mais , quand les impressions , variables en intensité,
' ^Islronomie populaire , t. I, p. 194.
Tome XXVill. S
34 DE LA SCIISÏILLATION.
sont accompagnées de changements de lieu sur la rétine, la limite de per-
ceptibilité des variations descend au-dessous de -^.
Uooke, astronome anglais, s'est assuré que des petites étoiles scintil-
lent sans variations de couleurs. Des observations récentes faites par
M. (joujon, à la demande de M. Arago, ont montré que l'image d'une
étoile scintillante de septième grandeur se développe en ruban sans laisser
de trace de coloration dans l'expérience de la lunette vibrante; tandis
que le même observateur vit encore des traces de couleurs en opérant de
cette façon pour une étoile de sixième grandeur ^. De mon côté, j'ai
observé des phases d'affaiblissement et d'extinction rapides de la part
des satellites de Jupiter, mais sans aucune apparence de coloration. Or.
d'après M. de Humboldt, le troisième satellite , le plus brillant des quatre,
est tout au plus de la cinquième ou de la sixième grandeur; et les autres,
qui ont une lumière variable, oscillent entre le sixième et le septième
ordre d'éclat. Notons qu'au moment de mes observations, les satellites
de Jupiter et les bords de la planète, peu élevée sur l'horizon, éprouvaient
de petites ondulations.
On doit, me paraît-il , attribuer au faible éclat des étoiles de septième
grandeur l'absence des phénomènes de coloration , malgré la visibilité
des changements d'intensité dans leur scintillation. Remarquons d'abord
que cet ordre est réellement le terme de démarcation entre les étoiles
visibles à l'œil nu et les télescopiques -. La différence d'éclat des étoiles
de première et de septième grandeur est considérable. John Herschell
regarde celles du sixième ordre comme possédant ^^ï ^^ l'éclat de
Sirius^, la plus brillante du firmament : l'intensité d'une étoile de sep-
tième grandeur descend donc au-dessous de cette faible quantité. Cela
posé, il faut encore admettre que les rayons constitutifs de la lumière
d'une de ces étoiles, supposée parfaitement blanche, sont doués de
pouvoirs éclairants excessivement faibles. A la vérité, on n'a point fait
d'expérience pour déterminer les éclats relatifs des différentes teintes de
' Notice, pp. 583 et 384.
- Arago, Astroriuin. populaire, t. I, p. 330.
^ 1(1., p. 360.
DE LA SCINTILLATION. 35
spectres stellaires, mais on a opéré cette détermination sur les couleurs
du spectre solaire. Ainsi, pour ne citer qu'un rayon, le bleu, Frauenhoffer
a évalué son pouvoir éclairant à 0,17, le pouvoir du jaune étant pris
pour unité ^ Comparé au pouvoir éclairant du blanc pur, ce rapport per-
drait encore de sa valeur. On conçoit, d'après ces résultats, combien est
faible le pouvoir éclairant de chaque rayon constitutif de la lumière d'une
étoile de septième grandeur, et que la plupart, pris isolément ou réunis
à quelques-uns, sont incapables de produire de sensation perceptible sur
la rétine. Aussi la scintillation d'une de ces étoiles doit-elle se résumer en
une extinction d'éclat, même dans les phases où, en réalité, il y a varia-
tion de couleur. Il dut en être de même, à plus forte raison, dans l'expé-
rience de M. Goujon, où le développement en ruban de l'image de toute
étoile scintillante affaiblit notablement l'intensité propre de chaque phase
lumineuse de la scintillation, comme j'ai eu occasion de le dire à l'égard
de Sirius.
La généralité des observateurs, qui ont traité de la scintillation, disent
que les étoiles scintillent d'autant plus qu'elles sont plus rapprochées de
l'horizon ^. « Cela est vrai, ajoute M. Arago à ce sujet, en ce sens que le
phénomène est plus facilement observable près de l'horizon qu'à certaines
hauteurs. Hooke a fait cette observation, remarquable par sa finesse, que
la scintillation près de l'horizon n'est pas à beaucoup près aussi rapide ,
aussi soudaine dans le passage d'un état de l'étoile à l'état suivant, que dans
la scintillation des étoiles situées près du zénith ^. » Je ferai remarquer
que cette observation de Hooke n'est point en contradiction avec l'opinion
générale d'après laquelle les changements d'intensité ou de couleurs sont
plus fréquents dans les régions inférieures de l'air; elle signifie que chacun
d'eux s'effectue en un temps plus court dans les hautes régions que près
de l'horizon.
* Traité de physique , par Becquerel , t. II, p. 315.
- M. de Huniboldt a constaté qu'à Cumana et dans la partie péruvienne du littoral de l'océan
Pacifique, les étoiles les plus brillantes cessent de scintiller moyennement vers 10 à 12° de hau-
teur. {Cosmos, t. III, p. 83.)
^ Notice, p. 401 .
36 DE LA SCINTILLATION.
Dans ma théorie, deux faits rendent compte des variations de la scin-
tillation avec l'élévation de l'étoile : c'est d'abord l'accroissement d'épais-
seur de la masse d'air, traversée par les rayons colorés, avec l'abaisse-
ment de l'étoile vers l'horizon, circonstance qui augmente évidemment les
chances d'interception des rayons lumineux par les ondes aériennes, dont
le nombre doit être plus grand au voisinage de l'horizon. En second lieu ,
l'écartement des trajectoires colorées étant variable avec la hauteur de
l'étoile, les ondes aériennes traversent en un temps plus ou moins court
un faisceau ou l'ensemble des trajectoires, ce qui tend à modifier la rapi-
dité et la fréquence des phases de la scintillation, comme je vais le faire
voir par quelques détails.
La valeur de D dans l'équation (10) de la note, exprime l'écartement
des rayons rouge et bleu ou la longueur de la normale cm (fig. 5). (^)uoi-
que D soit la mesure réelle de cet écartement, j'ai formé également, dans
l'équation (6) , l'expression d de la distance nnn' de deux points des
mêmes trajectoires, prise sur la verticale mo , et dans l'équation (9),
l'expression d' de la distance bm de deux points de ces trajectoires mesu-
rée dans une couche d'air concentrique au centre terrestre; la distance
bm ou d' est ainsi de direction horizontale. C'est suivant bm qu'il est le plus
important d'évaluer la séparation des trajectoires, car, d'après toute pro-
babilité, la direction horizontale est le sens le plus fréquent du mouve-
ment de transport des ondes et , par conséquent, celui suivant lequel
s'opère le plus souvent l'interception des rayons. Cette probabilité repose
sur ce que l'influence du vent et des faibles courants d'air, qui régnent
pendant la nuit à certaine hauteur au-dessus du sol, doit donner lieu à
une composition de leurs vitesses propres avec la vitesse ascendante ou
descendante des ondes ; et comme probablement celle-ci est générale-
ment faible par rapport à la vitesse des courants aériens, la direction du
mouvement absolu des ondes et le sens de leur passage à travers les tra-
jectoires doivent s'effectuer, le plus souvent, dans une direction presque
horizontale.
La dislance mb des trajectoires a pour expression :
DE LA SCINTILLATIOIN. 37
sin Z ^„ ,. /. 1,00058890
(9) rf' = X26v25/1
COS V \ _JI^
18393
10
Dans celte équalion , qui n'est rigoureusement applicable que jusqu'à
80" de distance zénithale, Z et v expriment respectivement les distances
zénithales apparentes, observées en A et en m (fig. 3) pour une même
étoile; y représente la hauteur verticale mo au-dessus du sol de la couche
d'air où bm est mesurée. La réfraction astronomique étant un peu plus
forte en A, à la surface du sol, que dans la couche mb, au même instant
d'observation, la distance zénithale v surpasse un peu la grandeur de Z,
mesurée en A; mais cette différence étant généralement très-petite, nous
pourrons ne pas en tenir compte pour la facilité du raisonnement, et con-
sidérer cos V comme étant égal à cos Z. Conséquerament, tang Z peut se
substituer au facteur '-^ dans la formule (9); alors d' devient sensible-
COS V \ i 7
ment proportionnelle à la tangente de Z. Si donc on considère les varia-
tions de d' en rapport avec Z, constamment dans la même couche d'air
élevée de y au-dessus du sol, on doit admettre que la grandeur de l'écar-
tement d' des trajectoires, évaluée dans le sens horizontal, est à très-peu
près proportionnelle à la tangente de la distance zénithale de l'étoile jus-
qu'à vers 80°.
Cette conséquence est applicable à deux faisceaux autres que le rouge
et le bleu : l'éparpillement des divers faisceaux cylindriques dans le plan
vertical de l'étoile est donc d'autant plus grand suivant le sens indiqué,
que l'étoile est plus éloignée du zénith. Ajoutons qu'un diamètre de la sec-
tion en ellipse, suivant laquelle un quelconque des faisceaux cylindriques
pénètre dans la surface sphérique d'une couche, est d'autant plus grand
que ce cylindre est plus oblique par rapport à celte surface, ou que la
distance zénithale est plus grande; le diamètre considéré étant oblique au
plan vertical de l'astre dans lequel la distance Z est supposée varier.
Nous expliquerons maintenant avec facilité les modifications dans la
scintillation, signalées par Ilooke et les autres observateurs, selon la hau-
teur de l'étoile au-dessus de l'horizon. Quand une onde capable de pro-
38 DE LA SCirSTILLATlOlN.
duire un effet de réflexion totale, en mouvement horizontal, rencontre les
faisceaux d'une étoile très-élevée, elle les trouve plus resserrés entre eux
qu'ils ne le seront dans la même couche lorsque l'étoile viendra plus près
de l'horizon : on conçoit qu'il faille ainsi d'autant moins de temps à l'onde
pour traverser l'ensemble des faisceaux, que l'étoile est plus élevée, toutes
choses égales d'ailleurs. Si l'onde ne traverse qu'un ou deux faisceaux, obli-
quement par rapport au plan vertical de l'astre, son passage s'effectuera
avec d'autant plus de promptitude que l'étoile sera plus haut, puisque
l'étendue de la section de pénétration diminue avec la distance zénithale.
Si l'onde traverse tous les faisceaux, son passage sera aussi d'autant plus
facile et plus pi-ompt que l'étoile sera plus élevée. Selon que l'intercep-
tion sera partielle ou totale, il y aura variation de couleur ou d'éclat.
Dans l'un et l'autre cas, le passage d'un état de l'étoile à l'état suivant pa-
raîtra beaucoup plus soudain dans les scintillations des étoiles situées près
du zénith, comme Hooke le prétende
L'écartement des faisceaux augmente assez rapidement pour une dis-
tance zénithale supérieure à 45% et les rayons sont plus disséminés dans
la même couche horizontale; il y a donc moins de probabilité qu'alors
une onde puisse, en les traversant, les intercepter simultanément tous,
et donner lieu à des changements d'intensité aussi fréquents. D'ailleurs,
le passage de l'onde à travers la section de pénétration du faisceau dans
la couche exigera sensiblement un temps plus long, la vitesse propre
de l'onde restant la même , puisque tout diamètre de cette section , non
normal au plan vertical de l'étoile, augmente avec la distance zénithale
de celle-ci.
Si nous rapprochons de tout ce qui précède cet autre fait, que plus
l'étoile s'abaisse vers l'horizon, plus les faisceaux stellaires traversent
une grande masse d'air, on sera convaincu, bien que les chances de ren-
contre des ondes capables des effets de réflexion totale augmentent pour
^ 11 n'est pas inutile de faire remarquer que plus une étoile est élevée, plus elle brille d'un
vif éclat par rapport à la lumière atmosphérique qui l'entoure; cette cause tend aussi à rendre
plus sensibles les variations que les étoiles scintillantes éprouvent dans les régions supérieures
de l'air.
DE LA SCINTILLATION. 39
chacun des faisceaux avec la distance zénithale, et qu'ainsi les étoiles
scintillent davantage dans les couches inférieures. Seulement, les chan-
gements de couleurs doivent être d'autant plus variés et plus fréquents
que l'étoile est moins élevée.
La fréquence des effets de coloration avec l'abaissement de l'étoile a
aussi ses limites, avant que celle-ci ait atteint l'horizon. Les couleurs
principales d'un spectre stellaire se séparent avec d'autant plus de net-
teté que l'étoile est plus bas; alors elles deviennent perceptibles dans
une lunette de puissance moyenne. Or, il y a moins de chance de pro-
duction d'un effet de couleur complémentaire par l'interception d'un
rayon, du rouge, par exemple, quand la séparation des principales teintes
est très-prononcée dans la lunette, attendu que les autres rayons ne se
trouvent plus mélangés au même lieu de la rétine, mais bien étalés en
des lieux essentiellement distincts. Aussi, voit-on, à une petite distance
de l'horizon, les teintes du spectre d'un astre brillant onduler séparé-
ment en flamboyant, et parfois tantôt l'une tantôt l'autre cesser momen-
tanément d'être visible. Plus près encore de l'horizon , les mouvements
ondualoires des teintes, devenues plus larges, mais aussi plus sombres,
s'effectuent plus lentement; enfin, près de disparaître sous l'horizon, le
spectre ondulant de l'étoile Sirius ne laisse distinguer que le rouge et
un vert sombre, qui semblent tour à tour subir des extinctions presque
complètes.
II n'y a donc rien de surprenant, d'après ce qui précède, que l'étoile
Sirius, observée à l'aide de l'appareil avec lentille excentrique, ait accusé
sensiblement le même nombre de variations en une seconde, à des hau-
teurs de 15 et de 5° au-dessus de l'horizon (page 12).
« La scintillation est très-marquée quand des vents violents régnent
» dans l'atmosphère et quand le ciel est alternativement serein et cou-
« vert, dit M. Kaemtz, dans son Traité de Météorologie. » Serait-ce céder
trop aisément à des présomptions hypothétiques que de considérer ce fait
comme une conséquence de la rapidité avec laquelle les ondes, entraînées
par les courants aériens , traversent l'ensemble ou une partie des faisceaux
colorés?
40 DE LA SCIWÏILLATIOIV.
La lliéoi'ie proposée rend-elle compte du fait de la scintillation peu
prononcée de Mars et de celle plus faible encore de Saturne et de Jupiter,
tandis que Vénus et surtout Mercure, planète de très-petit diamètre, scin-
tillent très-fortement? C'est ce que nous avons à examiner. Mais avant il
convient de faire observer avec M. Arago, qu'aucun astronome ne dit,
comme pour les étoiles, que la scintillation des planètes est accompagnée
d'un changement de couleurs. La scintillation consisterait donc, en une
simple variation d'intensité.
Je pourrais me borner, pour expliquer la faible scintillation des pla-
nètes, à rappeler, avec M. Arago, qu'un disque planétaire doit être regardé
comme une agglomération d'un certain nombre d'étoiles; que chacun de
ces points pris isolément scintillerait comme une étoile, non par effet d'in-
terférence, comme le veut ce savant, mais par les effets des causes invo-
quées dans la théorie proposée. Il doit y avoir généralement discordance,
dit-il, entre les scintillations de points du disque de la planète assez éloi-
gnés pour que les rayons, émanés de ceux-ci, traversent des parties d'air
sensiblement différentes; alors les effets de ces scintillations partielles se
contrarient plus ou moins sur la rétine. Mais pour une planète de petit
diamètre, les scintillations de certains points doivent concorder plus sou-
vent, alors l'agglomération de ces points scintille par moments.
Telle est l'essence de l'explication de la faible scintillation des planètes
donnée par M. Arago; seulement, je ne puis voir avec ce savant des effets
d'interférence dans les cas accidentels de scintillation des grandes pla-
nètes ni dans la scintillation plus fréquente des petites planètes : c'est à
des effets de réflexion totale que je rapporterai l'origine de ces phénomènes.
Il est opportun de faire remarquer que, pour une planète examinée près
de l'horizon ou avec une puissante lunette, les diverses teintes du spectre
coloré d'un point de son disque, qui n'appartient pas à ses arcs supérieur
ou inférieur, ne peuvent être distinguées dans l'état normal de l'atmo-
sphère. En effet, la partie de la rétine où se dessinerait une de ces teintes,
est aussi le lieu de superposition des autres teintes qui sont propres à
former avec celle-ci de la lumière blanche ou plus exactement la couleur
propre de la planète ; ces teintes, superposées à la première, appartien-
DE LA SCIINTlLLATIOrS. 41
nenl évidemment aux spectres particuliers de points de la planète placés
au voisinage l'un de l'autre, sur la même corde verticale de son disque.
Enfin une fraction des rayons de la planète doit se répandre sur une por-
tion de la rétine sous forme de lumière diffuse, à cause de l'espèce d'épar-
pillement que les défauts de la cornée font subir aux rayons émanés de
tous les points du disque planétaire ^ Or, on doit admettre que l'illumi-
nation irrégulière dérivant de cette défectuosité est d'autant plus grande
que le disque a plus d'étendue. Cette cause physiologique intervient sans
nul doute avec celle invoquée par M. Arago, pour afl'aiblir sur la rétine les
caractères de la scintillation d'un point quelconque d'une planète de grand
diamètre.
L'explication précédente est fortifiée par cet autre fait, que la percep-
tion des variations d'éclat ou de couleurs devient possible quand l'image du
point lumineux n'est pas entourée, de toutes parts, des images de points
également éclatants : c'est ce que nous avons vu se produire pour une som-
mité éclairée du disque lunaire lorsque, dans sa position en saillie sur la
partie du contour échancrée, elle passa successivement par des teintes
différentes. Il n'est pas même nécessaire, comme ici, que le point brillant
contraste avec la teinte foncée du ciel ; il suffit qu'il y ait sur la rétine une
différence d'éclat assez prononcée entre le point et les parties voisines :
c'est ainsi que des traces de coloration, variant rapidement, ont pu être
distinguées sur les arêtes de cratères de la lune, qui, par leur éclat, se
détachaient des parties du disque voisines, moins éclairées. Enfin je rappel-
lerai les apparitions d'ondulations rosées, dont il a été question dans un
mémoire précédent déjà cité, qui se manifestent parfois dans l'arc bleu
que la dispersion fait naître à la partie supérieure du disque solaire près de
l'horizon. Si les planètes jouissaient d'un éclat plus vif, peut-être remar-
' C'est par la diffusion de la lumière due aux irrégularités de la cornée, que M. Arago explique
des faits qui sont cités dans son Astronomie populaire, 1. 1, p. 191, et d'après lesquels la yisibililé
d'un objet se peignant sur un point donné de la rétine, serait affectée par la formation d'images
très-faibles aux points environnants, quand même aucun rayon divergent n'émane ostensiblement
de l'objet principal. (Voir à la fin de l'Addition les développements plus étendus sur la scintillation
des planètes.)
Tome XXVIll. 6
42 DE LA SCINTILLAÏIOIS.
querait-on des ondulations semblables sur leur bord coloré, dans les
mêmes conditions.
Je ne puis passer sous silence un fait que M. Arago a proposé comme
base d'un scintillomètre. Voici en quoi il consiste : Si l'on enfonce l'ocu-
laire d'une lunette, on sait que l'image d'une étoile devient confuse et
prend des dimensions de plus en plus considérables. M. Arago a remarqué
que si, dans cet état, l'objectif est recouvert d'un diaphragme dont l'ou-
verture est de 4 centimètres environ, le centre de l'image devient un disque
circulaire, qui est obscur ou lumineux selon la distance où l'oculaire est
enfoncé dans la lunette. Si celle-ci est dirigée vers une étoile scintillante
et l'oculaire placé dans une des positions où le centre de l'image, encore
tout à fait obscur, est près de devenir lumineux, un petit point brillant
apparaît au milieu de la tache noire, à des intervalles de temps d'autant
plus courts que les scintillations de l'étoile sont plus fréquentes.
M. Araso attribue la formation des trous noirs au centre de l'image
dilatée, à l'interférence des rayons directs de l'étoile avec d'autres rayons
qui ont été déviés latéralement par les bords de l'ouverture du diaphragme,
placé en avant de l'objectif. Si le phénomène n'est pas constant, dit-il,
c'est que les rayons qui interfèrent à un certain moment, n'interfèrent pas
un instant après, lorsqu'ils ont traversé des couches atmosphériques dont
le pouvoir réfringent a varié.
Le phénomène dont il est ici question, se rattache à une classe de faits
qui ne sont point complètement expliqués : ainsi, l'image d'une étode,
vue dans une lunette dont l'objectif est recouvert d'un diaphragme, se
montre entourée d'arcs successivement lumineux et obscurs, dont la figure
varie avec la forme de l'ouverture du diaphragme. Ces effets, qui sont
indépendants des phénomènes de la scintillation et qui se produisent dans
des conditions normales, résulteraient, paraîtrait-il, de phénomènes d'in-
terférence ^
Pour expliquer l'apparition des trous successivement noirs et lumineux
au centre de l'image dilatée d'une étoile scintillante, j'admettrai avec
' Traité de la lumière, par J. Herschell , t. 1 , p. 303.
DE LA SCINTILLATION. 43
M. Arago que les trous noirs d'une étoile qui ne scintille point, ont pour
origine l'interférence au foyer de certains rayons directs avec des rayons
originaires de la même étoile, qui ont été infléchis par les bords du dia-
phragme de l'objectif K Quand l'étoile scintille, le système des rayons
directs donne lieu à un point lumineux au centre de l'image dilatée au mo-
ment où des rayons, infléchis par le diaphragme, sont interceptés, même
partiellement, par des effets de réflexion totale avant d'atteindre l'objectif.,
Après avoir montré que l'explication des particularités de la scintilla-
tion, les plus importantes parmi celles qui sont connues, ne constitue
aucune difficulté pour la théorie proposée, je résumerai les principaux
points sur lesquels cette théorie repose :
l*" Tout rayon émané d'une étoile, située à une certaine distance du
zénith au lieu de l'observation, est décomposé dans l'atmosphère en ses
rayons primitifs par le pouvoir dispersif de l'air;
2° Les faisceaux cylindriques curvilignes, chacun d'un diamètre égal
à celui de la pupille de l'œil nu ou de l'objectif de la lunette, qui consti-
tuent les rayons diversement colorés , ainsi dispersés, sont entièrement
séparés à une certaine distance de l'observateur, au delà de laquelle les
trajectoires ont traversé des régions atmosphériques essentiellement diffé-
rentes ;
ô» Si une ou plusieurs ondes aériennes, douées d'un pouvoir réfringent
autre que celui de l'air ambiant, s'interposent sur une ou plusieurs tra-
jectoires dans des conditions où des effets de réflexion totale sont capables
de se produire à l'égard de la totalité ou d'une partie des rayons consti-
tutifs des trajectoires, les rayons interceptés font défaut à l'œil. L'organe
de la vue éprouve aussitôt l'impression de la couleur complémentaire des
rayons déOcients, pendant toute la durée de ces interceptions, soit qu'il
observe le phénomène avec ou sans le secours d'une lunette ;
4" L'interception d'un rayon lumineux résultant de sa réflexion à la
' Il résulterait de certains passages des Oeuvres d'Arago (Asiron. populaire, t. 1, p. 139, el No-
tices biographiques , t. III, p. 406) où il est question de la vision télescopique, qu'il y a lieu de
supposer qu'une partie des rayons qui se croisent dans les télescopes, s'éteignent mutuellement
au point de croisement. Cette supposition et les faits cités plus haut méritent un examen sérieux.
44 DE LA SCmTILLATIOIS.
face d'une onde, n'est point nécessairement accompagnée d'un mouvement
ondulatoire de l'image de l'étoile qui soit d'amplitude notable; il peut
même arriver, et c'est peut-être un des cas les plus fréquents, que la dé-
viation d'un rayon venant de l'infini, ainsi intercepté, soit non-seulement
inappréciable à l'œil, mais même tout à fait nulle;
5" Quand une ou plusieurs ondes simultanées traversent l'ensemble des
faisceaux plus près de l'observateur, et dans les conditions de réflexion
totale pour la pluralité des rayons diversement colorés, ceux-ci font défaut
dans la vision, et il y a alors évanouissement presque complet de l'image.
Au contraire, il y aura perception plus vive de l'étoile aux instants de
courte durée où les rayons rencontreront comparativement peu d'ondes
réfringentes sur leur passage;
6" Les images des étoiles ne sont pas nettement limitées : non-seule-
ment elles ont des diamètres factices, même dans les lunettes, mais, par
suite d'un défaut inhérent à l'organe visuel, des rayons semblent diverger
en tous sens autour de l'étoile sur une certaine étendue, surtout à l'œil
nu. Comme ces rayons parasites participent aux variations de coloration
et d'intensité de l'image stellaire proprement dite, il en résulte que les
caractères de la scintillation se manifestent dans l'organe visuel sur une
plus grande étendue que ne le voudrait la réalité.
Parmi ces bases théoriques, il en est, telles que la dispersion et la sépa-
ration des rayons diversement colorés, qui spécifient d'une manière nette
et positive des faits déjà connus ou à prévoir, parce qu'ils sont des con-
séquences irréfutables de la réfraction et de la dispersion par l'air. L'in-
fluence des rayons parasites résulte d'un fait physiologique dont l'inter-
vention dans les phénomènes de la scintillation a déjà été invoquée par
des physiciens. Mais je pense que personne n'a jamais attribué de rôle aux
effets de réflexion totale dans les interceptions des rayons par les ondes
aériennes. Les savants qui ont précédé M. Arago dans la recherche des
causes de la scintillation , n'ont guère émis que des opinions conjecturales
sur l'origine de ce curieux phénomène, à en juger du moins d'après 1 ex-
posé général qui termine la Notice de M. Arago. Aucun d'eux n'a sans doute
fortifié l'explication qu'il proposait en l'appuyant par les résultats du cal-
DE LA SCINTILLATION. 4S
cul, autant toutefois que le comporte l'incertitude de nos connaissances
à l'égard des conditions réelles où les phénomènes en question se pro-
duisent.
Plusieurs de ces physiciens auraient pu attribuer la cause de la scin-
tillation à des effets d'angle-limite , si leurs vues s'étaient portées vers ce
genre d'effet. Mais il est à remarquer que l'application de ces phénomènes
à l'air est de date récente, du moins, à ma connaissance, aucun physicien
ne l'a faite avant que Monge eût appliqué ces effets à l'explication du
mirage, phénomène naturel que les armées françaises observèrent si sou-
vent en Egypte. La fréquence dans l'atmosphère de ces effets, soit géné-
raux, soit partiels, qui devient de plus en plus manifeste avec le nombre
des observations, ne peut que fortifier l'application du principe fonda-
mental de la réflexion totale aux petites portions d'air qui constituent les
ondes aériennes, d'ailleurs si multipliées; cette fréquence a donc pour
conséquence inévitable de nous amener à considérer ce phénomène comme
étant la cause originaire de l'interception des rayons dans la scintillation.
La cessation momentanée de la visibilité d'objets terrestres, fait que j'ai
observé dans certaines conditions oîi les rayons émanés de ceux-ci traver-
saient des ondes nombreuses et agitées, s'explique très-bien à l'aide des
effets de réflexion totale; il vient ajouter ainsi un nouveau degré de pro-
babilité à l'intervention de la même cause dans la scintillation. J'ai déjà
eu occasion de le dire, c'est en cherchant l'explication de ces disparitions
partielles dans les effets de réfraction atmosphérique, que l'application
du même principe au phénomène de la scintillation m'est venue à l'esprit.
Je ne m'arrêterai pas à un examen des théories émises par divers sa-
vants; M. Arago les a réfutées dans sa Notice. Je ferai remarquer seule-
ment qu'à propos du détournement des rayons de la prunelle occasionné
par la trémtdation de l'air, phénomène cité par Newton dans sa Philoso-
phie naturelle pour expliquer la scintillation, M. Arago dit que si cette
trémulation écartait certains rayons stellaires de l'œil, la même cause dé-
viatrice y ferait pénétrer, par compensation, des rayons voisins qui, dans
une atmosphère tranquille, seraient tombés sur la cornée opaque. On voit
par cette objection de M. Arago et par une explication, un peu différente
46 DE LA SCINTILLATION.
de la première que donne NeAvton dans son Optique, en la faisant reposer
sur les effets qu'éprouveraient les images des étoiles sur la rétine par
suite de petites déviations des rayons stellaires dues à l'agitation de l'air,
on voit, dis-je, qu'il n'a pu être question des phénomènes de réflexion
totale dans cette théorie de Newton, à laquelle M. Arago consacre un
article très-étendu.
Maintenant, j'établirai quelques points de comparaison entre la théorie
de M. Arago par les phénomènes d'interférence, et l'explication de la
scintillation que je propose.
M. Arago paraît avoir pressenti, dans sa Notice^, que le peu de lar-
geur du faisceau introduit dans l'œil par la pnpille, ne laisse difficilement
concevoir la destruction par interférence de rayons presque contigus, qui
auraient traversé des régions atmosphériques excessivement rapprochées.
A la vérité, ce savant fait valoir contre cette difficulté la longueur du
trajet des rayons dans l'atmosphère, et le peu de différence des états indi-
viduels des couches nécessaire pour que la destruction mutuelle de cer-
tains rayons du faisceau s'effectue par interférence. Cette difficulté n'en
serait pas une dans l'hypothèse des effets par réflexion totale : loin de là.
car l'interception du faisceau se trouvera d'autant plus près d'être com-
plète, que ses dimensions transversales seront moindres relativement à la
face d'interception de l'onde.
Une remarque importante, c'est que la théorie de M. Arago semble
porter avec elle une cause de diminution dans le nombre possible des
phénomènes d'interférence, lors de la scintillation. Comme on le sait,
d'après cette théorie la destruction des rayons rouges, par exemple,
aurait lieu au foyer d'une lentille ou sur la rétine, quand les rayons stel-
laires de cette teinte, qui ont traversé la partie gauche de la lentille,
arrivent au foyer ou sur la rétine en avance ou en retard d'une demi-
ondulation sur les rayons rouges, réfractés par la partie droite de la
lentille; la différence de la demi-ondulation ayant eu pour cause supposée
la variété de puissance réfringente des couches d'air traversées par les
« Notice, p. 426.
DE LA SCINTILLATION. 47
deux systèmes de rayons. Il est excessivement probable que, dans cette
transmission, chaque système éprouvera des alternatives d'avance et de
retard d'ondulation par rapport à l'autre : ainsi donc, à diverses distances
de l'observateur, les deux systèmes se trouveraient dans des conditions
relatives tantôt d'extinction complète, tantôt d'accroissement d'intensité,
s'ils se réunissaient en chaque lieu où on les considère. On conçoit, d'après
cela, que les rayons rouges spéciûés puissent très-bien se rencontrer au
foyer dans des phases d'ondulation additives, c'est-à-dire propres à un
accroissement d'intensité, après s'être trouvés, à diverses reprises sur leur
trajet, dans des phases d'extinction relatives. Les chances d'accroissement
d'éclat ou d'extinction au foyer n'augmenteraient donc point, en général,
avec le nombre des couches traversées, car on pourrait très-bien suppri-
mer, par la pensée, un certain nombre de variations des phases ondula-
toires des rayons considérés, sans que l'état d'intensité final au foyer
devînt différent de celui oii il s'y trouve en réalité.
Cette conséquence de la théorie par interférence réduirait beaucoup le
nombre des chances des variations d'éclat ou de couleurs, comparative-
ment à celui des changements dont la théorie par réflexion totale rend
compte; car dès l'instant oîi , en vertu de tout effet semblable, une onde
intercepte un rayon lumineux, même dans des couches atmosphériques
éloignées, ce rayon, subitement arrêté, ne peut plus parvenir à l'œil et
y produire d'impression, à moins de circonstances tout à fait exception-
nelles. Ainsi, dans cette théorie, plus un rayon rencontre d'ondes aériennes
dans son trajet, plus il y a de chances qu'il s'en présente qui soient capa-
bles des effets de réflexion totale, de façon à donner lieu à la suspension
subite et définitive de la perception du rayon par l'œil. On conçoit aisé-
ment, d'après cela, que l'on ait pu observer soixante variations d'éclat et
de couleurs de l'étoile Sirius par seconde, dans les couches atmosphé-
ri ques pu élevées.
NOTE.
Proposons-nous d'abord de déterminer la distance verticale m m' des points m et m' des trajec-
toires bleue et rouge appartenant à une même étoile, et qui arrivent en A, fig. 3.
Désignons par r la distance mC du point m de la trajectoire bleue P m A au centre de la terre C,
par a le rayon terrestre 0 C, et par Z et « les distances zénithales apparentes du rayon bleu de
l'étoile observées respectivement en A et en m. Si N et n représentent les indices de réfraction de
l'air pour le rayon bleu , respectivement en A et en m, on sait, d'après les recherches du mouve-
ment de la lumière dans un milieu réfringent ', que l'on a la relation :
r sin t) N
a s'mZ n
Concluons de cette relation, qui est applicable à l'atmosphère quand la distance zénithale Z n'ex-
cède pas 80°:
sin Z.N
r = a
Si nous désignons par r' la dislance m'C au centre terrestre du point m' de la trajectoire rouge
P'm'A, par Z' et v' les distances zénithales observées pour ce rayon en A et en m'; si de plus N'
et n' sont les indices de réfraction de l'air pour le rouge respectivement en A et en m\ nous avons
également l'expression ;
sin Z'.N'
Soit d la distance r — r' des points considérés m et m' , on aura ;
/sin Z.N sinZ'.N'N
(2) d = a { : p-; •
' \ sin v.n sin v .n j
Le rapport ^ diffère excessivement peu de '^,, même à de grandes dislances zénithales;
ainsi soit Z ="80° pour le rayon bleu , on aura Z' = 80° 0'5" pour le rayon rouge, parce que à 80°
' ■' , , sinZ' sin 80°5"
la longueur du spectre est sensiblement égale à 5" ; on trouve par le calcul , -^^ = ^.^ g^,
1,00002. Le rapport ^^ des distances zénithales des rayons rouge et bleu observées en m' et m
' Voir V astronomie physique de Biot, t. I, p. 311 , article Réfraction atmosphérique.
DE LA SCINTILLATION. 49
dittère excessivement peu du nombre précédent, lequel est sensiblement égal à l'unité, même à la
distance zénithale de 80° : on peut donc poser ^!^ = ~. L'équation (2) prend alors la forme :
' sm D sifl v' ' \ I r
sin Z /N iY\
(o) d = a •
sin t) \ n n j
On sait que la puissance réfiactive de l'air est proportionnelle à sa densité; soient donc respec-
tivement H et T la hauteur barométrique et la température de l'air en A, h et t les éléments sem-
blables en m, on aura en vertu de cette loi :
h 1 -+- T X 0,00366
»i» - 1 = ( N^ — 1 ) - X ^^-^ .
H l + t X 0,00360
ou plus simplement :
/(
(4> »i - 1 =(N — 1) - (1 -(-(T-t)0,OOûôO).
U
La formule barométrique la plus en usage pour mesurer les hauteurs des montagnes donnerait
pour l'élévalion mO =j/ du point m au-dessus du sol,
r 2 T'-t- f)l H
y = 18393» 1 H ï og -•
•^ L 1000 J h
Posons
" L 1000 J
on déduit de l'équation précédente.
h
- = 10
H
J'ai accentué T', parce que cette lettre exprime la température au niveau du sol en 0, ([ui diffé-
rera de T en A si la dislance A 0 est considérable. De la dernière équation et de l'expression (4) ,
où p a remplacé le facteur (1 -t- (T — t) 0,00366), on déduit
n — 1 =(N — l)p X 10 ' ■
On est conduit par cette équation à l'expression suivante du rapport - :
<l 1 <l
10 10 10
Tome XXVIII.
go DE LA SCINTILLATION.
Je ferai lemaïquer, avant de former par les mêmes procédés le développement de -, , que d étant
très-petit comparativement à »/iO ou ij, on peut considérer y, p et q comme ayant les n)êmes va-
leurs dans ce développement que dans celui de ,7 ; on a donc :
/ (N'- 1) , (N'- 1)= , (N'- 1)' \
10 10 10
;
Mais, avant de prendre la différence de ces deux développements, il convient de faire obser-
ver que l'on peut négliger les termes affectés des puissances de (N — 1) et de (N' — I) supé-
rieures à la première, sans commettre d'erreur appréciable. En effet (N — 1) et (N' — 1) sont
.les quantités très-petites et respectivement égales à 0,00029654 et 0,00029242 ; la seconde et la
troisième puissance de ces nombres seront donc excessivement faibles. De plus, le dénominateui
iO» croissant suivant les mêmes puissances, est toujours supérieur à l'unité, sauf le cas dej/ = o,
pour lequel 10'^ = 1. Enfin, le facteur p diffère très-peu de l'unité. Concluons de là que la diffé-
rence des développements précédents se réduit sensiblement à :
ou plus simplement :
îl _ - = N - N' - 4 (N'- N - lN"-t-N')
n n f
10
N N' / p (N-+-N' — 1)
.!! _ 1- = (N - N') / I - '-^ ; ■
n n
>j
10
Si, après avoir remplacé N etN' parles valeurs numériques indiquées ci-dessus, on substitue l'ex-
pression de ~ - ^ dans l'équation (5), où l'on aura d'ailleurs mis ;ui lieu de «le nombre 6 366 198",
lonÊ;ueur du rayon terrestre moyen, on obtiendra, après tout calcul fait ;
sinZ -„,„ /, px 1,00058896 A
V 10'
Le coefficient 26",25 convient, à la rigueur, au seul cas où la tension de lair et sa température en
A sont respectivement 0"',76 et 0°; pour d'autres valeurs H et T de ces éléments, il faudrait mul-
tiplier le facteur 26",2Ô par le rapport pn, ,6 (i -h" x o,oo56») " ^°'"" '"^"^^ 'î"*' "°"* ^''''""* '^^ ''^"^
formule, nous supposerons H = O^.ÏB en A, et les températures T, T' et l, respectivement égales
à 0». La condition d'une température de 0° conslante à tous les points de la trajectoire mA est admis-
sible en vue de faciliter les calculs, dès que 1/ ne reçoit pas une valeur trop grande. Les supposi-
DE LA SCINTILLATION. SI
lions précédentes nécessitent les équations/» = 1 et 9 = 18395'; l'expression ded devient alors ' ;
(0) d = !iîli 26.,2Ô A - lfi^^^î^\ .
sin t) y I
\ 18393 y
^ 10 ^
Il peut être avantageux d'exprimer d en fonction de a; = mk, dislance recliligne du point
de la trajectoire considéré à l'observateur. A cet effet, remarquons que le 'triangle kmO donne
y = 3;''!""' ■ Désignons par R l'angle TAm compris entre a; et la tangente AT à la courbe au
sm mOA o i o i o
point A, et par A l'angle OAC lequel est égal à 0; nous aurons : sin mAO = sin (Z + R -t- A).
La portion mSA de la trajectoire serait en réalité la marche que suivrait le rayon lumineux
émané d'un objet terrestre m, Irôs-élevé sur l'horizon, vers l'observateur placé en A : d'après
cette manière de voir, l'angle TAm ou R, compris entre la tangente AT à l'arc j»iSA et sa corde
»jA, est égal à la réfraction terrestre qui se produirait pour l'objet terrestre m. On a reconnu
que, dans l'état moyen de l'atmosphère, la réfraction terrestre est moyennement égale h y^ de
l'arc A0 ou de l'angle au centre G qui mesure l'écart des verticales AC et OC; on peut donc poser
R ==— ■. Cette manière de raisonner est admissible aussi longtemps que ASm ou sa corde x ne
dépasse pas une certaine limite, Z étant d'ailleurs très-grand.
La somme des angles égaux A et 0 étant supplémentaire de C , on a A = 90 — ~ , et
sin mOA = cos - . Il résulte de ce qui précède et de l'expression précédente de y :
cos (Z — 0,41 C)
y = ^ _
cos —
Soit L la longueur de l'arc AO mesurée en mèlres : dans la supposition de la sphéricité de la
terre, le mèlre équivaut sensiblement à un arc de méridien de 0",0û2; on a donc - = 0",0I6 X L.
En supposant L = 10,000 mètres, cos - ou cos d60" diffère très-peu de l'unité, on peut donc
poser cos ^ = i pour toute valeur de L moindre que 10,000 mètres ou égale à cette longueur.
L'expression de y se réduit alors à
y = X cos [Z — 0",01ôô L).
On rend cette formule indépendante de L en remarquant que
sinAmO sin(Z-»-A — C)
L —X . ,-^ = X — = •
sin AOm C
cos —
' Quand on pose y = o dans celle formule, d conserve une valeur Irès-petile au lieu d'avoir une valeur nulle; cela
résulte des (ermes très-faibles dont il n'a pas été tenu compte dans les développements qui ont conduit à l'équation
(5). Si l'on suppose j/ = 0 ^ on a N = N' et n = n', puis d = 0, dans l'équation (3), de laquelle les suivantes déri-
vent.
52 DE LA SCINTILLATIOJN.
Après la substitution des valeurs prénéJentes de A et de C, on obtient à très-peu près :
L = X sin [Z — 0",0295x sin Z].
L'expression finale de y est alors :
(7) )/ = x cos[Z — 0",01ô3 X X X sin (Z — 0",0295 X sin Z)].
Représentons par e le second ternie compris entre les parenthèses, puis substituons x cos (Z — e),
au lieu de y dans la valeur (6) de d, nous obtiendrons
sinZ / 1,00038896 \
sm V
X ■
10
18.103
La ligne d ou mm' est mesurée sur la verticale mC; il est important de considérer aussi la dis-
lance des trajectoires suivant une ligne horizontale ou, en d'autres ternies, de déterminer la dis-
tance mb des trajectoires dans la même couche d'air. Soit d' cette ligne; le triangle mm'b, dans
lequel l'angle mm'b mesure la distance zénithale v' du rayon rouge observée en m', nous conduit
à l'équation d' = d tang v'. L'angle v' diffère excessivement peu dev, distance zénithale du rayon
rouge observée en A, on peul donc poser d' =^d tang i'. Cette équation combinée avec l'expres-
sion (6) donne :
sinZ / 1,00058896 \
(9) <^'=^—, 26',23 / 1 - -^— ] -
cos V — i —
\ 18395 /
^10 ^
Les expressions de d et de d' mesurent les distances des trajectoires, selon qu'on les considère
l'une, suivant la verticale mC et l'autre, suivant la portion horizontale mb d'une couche d'air.
Il est également facile de former l'expression de la distance réelle ou de l'écartement linéaire
des trajectoires extrêmes mX. et 6A mesuré en m; à cet effet, du point m abaissons la normale me
à la trajectoire du rayon moyen, ou, pour plus de simplicité, à la trajectoire rouge ÔA. Si nous
désignons par D la distance me, nous aurons, en vertu des relations trigononiélriques que pré-
sente le triangle mcm' : D = d X sin d' ou D = rf X sin v. Cette équation, combinée avec la va-
leur de d (8), donne pour l'expression finale de D :
1,00058896 \
(10) D ^ sin z X 26',2Ô / 1 - ' ^„,„_^, j
8393 y
X
10
Les formules précédentes conduisent à des résultats calculés qui ne seraient rigoureusement
exacts que pour des valeurs de Z peu supérieures 80°; attendu que l'équation (I), d'où ces for-
mules sont dérivées, n'est plus rigoureusement vraie au delà de 80° de la dislance zénithale,
parce que la réfraction se trouve trop fortement influencée par la courbure des couches atmos-
phériques.
ADDITIONS.
Dans le rapport où M. Plateau a exposé , d'une manière si claire et si précise , les bases
(le la théorie précédente, il insiste sur une objection que soulève l'explication de l'extinc-
tion des rayons d'une étoile scintillante par phénomène de réflexion totale à la surface
d'une onde aérienne. Après avoir reconnu que les irrégularités de forme présumablesde
ces surfaces ne permettent guère d'admettre que l'œil d'un spectateur perçoive nettement
l'image d'une étoile réfléchie par une onde, M. Plateau se demande « si, dans les cas où
» par une réflexion opérée assez près de l'observateur, l'ensemble des faisceaux colorés
» provenant d'une étoile très-brillante serait ramené vers lui, celui-ci ne devrait point
» voir, au moins à une certaine dislance de l'étoile, une trace déformée, une lueur [las-
» sagère ' ?
Il importe de soumettre à un examen approfondi une objection qui touche un des
points fondamentaux de la théorie proposée.
Quoique l'on ne puisse nier la réalité des réflexions totales aux surfaces-limites de por-
tions d'air d'inégales densités puisque c'est à des réflexions de ce genre que sont dus les
phénomènes du mirage, il convient d'insister d'abord sur la fréquence des effets naturels
de ce genre qui échappent à la vue.
Je ferai remarquer que, quand un effet de mirage ordinaire est visible pour un specta-
teur, généralement l'image réfléchie se distingue par des dimensions étendues, son appa-
rition persévère pendant un temps plus ou moins prolongé; enfin, la régularité et la fixité
qui le plus souvent caractérisent l'image artificielle, toutes ces circonstances, dis-je, se
réunissent pour démontrer que, dans le phénomène du mirage, les rayons lumineux sont
réfléchis quasi avec les mêmes conditions que si la réflexion s'opérait sur une surface
immobile et presque plane en toute son étendue.
Mais si les dimensions de l'objet sont petites; si la durée de l'apparition de l'image
est courte; si celle-ci éprouve des déplacements plus ou moins rapides; si , enfin , l'image
se déforme d'une façon bizarre, alors le phénomène échappe le plus souvent à l'attention ,
même dans des localités où il se produit fréquemment. Aussi, les observations de cette
sorte de faits ne sont-elles point fréquentes : c'est dans ces derniers temps seulement
que l'on a signalé des effets de mirage partiels qui se produisent, presque chaque jour,
au milieu de circonstances très-diverses, en plusieurs endroits de Paris. M. Bigoundan
a notamment signalé la réflexion par effet de mirage d'un très-petit objet sur un des murs
' Bulletins de l'Académie de Belgique, t. XXII.
U DE LA SCliMlLLAÏlON.
de la Bourse, où il l'ail saillie'. Le plus grand angle de réflexion que cet observateur
ait remarqué, dépassait 14'; mais il en a mesuré qui n'excédaient guère 1'. On voit par
là que les angles de réflexion totaîe produits à la surface de couches d'air, même dans
les conditions ordinaires, varient entre des limites assez éloignées et que l'un de ces
angles n'a qu'une très-faible valeur.
Combien de phénomènes du genre de ceux-ci échappent à nos yeux , soit par inatten-
tion de notre part, soit à cause du peu d'intensité et de la mobilité du phénomène, ou par
suite du trouble que l'agitation des ondes aériennes interposées apporte dans la percep-
tion des images. « Nous sommes pleinement convaincus, dit M. Moigno, que les phéno-
» mènes du mirage, regardés jusqu'ici comme des faits rares et extraordinaires, sont,
» au contraire, très-fréquents pour ne pas dire très-communs. De sorte que, si un œil
» patient et perçant s'exerçait à les retrouver dans l'atmosphère, il les verrait partout^. »
Après avoir établi incontestablement la fréquence très-prononcée des phénomènes de
réflexion totale dans l'air, je prouverai maintenant que les rayons stellaires déviés à la
face des ondes aériennes par des phénomènes semblables, ont encore moins de chance
d'être perçus que la multitude des effets de mirage partiels qui sont inaperçus, sinon
même absolument imperceptibles.
Remarquons d'abord que, si certaines conditions géométriques applicables à la posi-
tion du spectateur vers lequel les rayons sont accidentellement réfléchis ne sont point
satisfaites, ce spectateur ne pourra recevoir tous les rayons déviés par l'onde. Eu effet,
avant cette déviation, tous les rayons diversement colorés et émanés d'une même étoile
convergeaient vers l'œil d'un observateur A; il est évident , d'après les lois de la réflexion,
qu'au moment où ils seront interceptés à l'égard de A par une onde, ces rayons réfléchis
ne pourront pénétrer tous dans l'œil d'un spectateur A', à moins que cet œil n'occupe
exactement une position symétrique à celle de l'observateur A, par rapport au plan indé-
finiment prolongé de la surface réfléchissante de l'onde supposée plane. Ces mêmes
lois nous apprennent encore que, si, après une première réflexion, les rayons en subis-
saient une nouvelle par le fait d'une deuxième onde qui s'interposerait dans les condi-
tions de réflexion totale entre la première onde et le point de concentration A', ou au
delà de ce dernier, dans l'un et l'autre cas, disons-nous, un spectateur A" ne pourrait
recueillir tous ces rayons, à moins d'occuper une position symétrique à A' par rapport
au plan réflecteur de la deuxième onde.
On verrait aussi que, dans les cas possibles de la première comme de la deuxième
réflexion , jamais la totalité des rayons ne serait ramenée par réflexion à l'œil de l'obser-
vateur A, à l'égard duquel ils seraient momentanément interceptés; car il est géométri-
quement impossible qu'il y ait coïncidence entre le point de convergence primitif A et
les lieux de réflexion A' ou A".
Les conditions de rigueur qui viennent d'être indiquées, sont une conséquence des
' .louinal Vlnstitut, n° 1130.
' Journal le Cosmos.
DE LA SCIINTILLATION. m
différences d'inclinaisons relatives que le pouvoir dispersif de l'air fait subir aux trajec-
toires diversement colorées qui convergent vers l'œil de l'observateur A. Ces conditions
doivent toujours être satisfaites pour des rayons non parallèles, quelle que soit la dis-
tance du lieu d'interposition de l'onde à l'œil de l'observateur.
Examinons actuellement s'il est présumabic que, dans la nature, les conditions pres-
crites se rencontrent souvent lors même de la réflexion par une première onde, le seul
cas que nous examinerons en détail? Peut-on admettre, par exemple, que la partie réflé-
chissante de l'onde soit plane sur une étendue sullisante pour que la totalité des rayons se
trouve déviée symétriquement? La question est susceptible d'être soumise au calcul. A cet
effet, accordons à chaque faisceau coloré, qui devrait pénétrer dans l'œil par réflexion,
un diamètre égal à celui de la pupille, soit 5 millimètres. La réflexion d'un faisceau
cylindrique par une onde n'est possible que sous un angle d'incidence de 89° 50' au
moins. La section que la partie plane de l'onde opère dans le faisceau est limitée par
une courbe elliptique. Son grand axe, qui mesure la plus grande dimension de la partie
plane, est égal au produit de la sécante de l'angle d'incidence multiplié par 5 millimè-
tres, diamètre du faisceau entrant dans la pupille. La sécante de 89° 50' ayant pour
valeur 544 (le rayon des tables est pris égal à l'unité), la longueur du grand axe cher-
chée sera 0",005 X 544 ou 1 mètre environ. Telle doit être au minimum l'étendue de la
partie plane pour la réflexion , dans une même direction, de tous les rayons du même
faisceau coloré de 5 millimètres de diamètre.
Si l'onde s'interpose très-près de l'observateur A, qui est sensiblement à la même dis-
tance de l'onde que le spectateur A' vu les conditions de symétrie, les divers faisceaux
colorés, chacun de 5 millimètres de diamètre, sont sensiblement réunis en un seul au
lieu de la réflexion ; tous les rayons pourraient à la rigueur être réfléchis vers un point de
concentration A', dès l'iuslanl où l'étendue plane de l'onde atteint 1 mètre en longueur
sur 5 millimètres de large. Mais si l'interposition s'effectue en un lieu où les trajectoires
sont nettement séparées, lieu qui sera assez rapproché de l'observateur quand l'étoile se
trouvera à de grandes distances zénithales, les dimensions de la partie plane de l'onde
devront être nécessairement bien plus considérables que 1 mètre pour que la réflexion
de tous les rayons soit possible vers un spectateur, celui-ci étant superposé placé dans
un plan passant par son œil et par l'onde très-incliné sur le plan vertical de l'étoile
et de l'onde. Ainsi, par exemple, à 100 mètres de l'observateur, l'écartement désigné
par d des rayons médians rouge et bleu , originaires d'une étoile éloignée de 80° du
zénith, est sensiblement égal à 0",056, comme on l'a vu; les faisceaux diversement
colorés, chacun de 5 millimètres, seront donc nelloment séparés en ce lieu. On trouve,
au moyen d'un calcul semblable à celui qui vient d'être effectué, que la longueur de la
partie plane de l'onde devrait nécessairement s'étendre sur 15 mètres environ pour
intercepter très-obliquement tous les faisceaux à 100 mètres, puis les réfléchir vers le
spectateur A' supposé placé très-proche du plan verlical de l'onde et de l'étoile, ou dans
ce plan même.
Concluons de ce qui précède que la réflexion de tous les faisceaux, de 5 millimètres
36 DE LA SCirSTlLLATION.
chacun, vers loeil d'un spectateur par une onde interposée à une distance de lui ou de
l'observateur bien inférieure à 100 mètres, exigeant que l'onde ait une étendue parfai-
tement plane sur une longueur de 1 mètre au moins, celte condition réunie à celle de
face plane disposée de façon que l'observateur et le spectateur occupent des positions
symétriques par rapport à ce plan, rendent presque impossible la réllexion accidentelle
de tous les rayons vers le spectateur, même par une onde très-rapprochée de lui, à moins
d'un hasard bien extraordinaire. Enfin, la concentration de tous les rayons réfléchis vers
le spectateur deviendrait absolument impossible, vu les grandes dimensions en longueur
qu'il faudrait concéder à la partie plane d'une onde, si celle-ci interceptait les rayons
à une distance de 100 mètres ou plus de l'œil.
Ces conclusions s'appliquent, à bien plus forte raison, au cas où l'œil du spectateur
est armé d'une lunette, vers laquelle de larges faisceaux devraient être réfléchis.
Dans la nature, les ondes présentent des courbures de toute espèce à leurs faces; lors-
que les cas de réflexion totale surviennent, les rayons sont éparpillés suivant des direc-
tions très-différentes. Si quelques-uns étaient fortuitement réfléchis vers l'œil d'un spec-
tateur, leur passage n'y donnerait lieu qu'à de faibles images colorées qui passeraient
complètement inaperçues*.
Cette discussion n'est point épuisée : il importe de montrer que, quand bien même les
conditions géométriques de la forme de l'onde et de la position du spectateur se trou-
veraient un instant réalisées au point que tous les rayons pussent pénétrer dans l'œil,
il y aurait impossibilité, pour celui-ci, de percevoir une image nette de l'objet, ni
même nue trace déformée, et cela à cause des raisons suivantes, parmi lesquelles une est
très-importante.
Si l'image fictive d'une étoile était perceptible, elle n'apparaîtrait qu'à une très-petite
dislance de l'image vraie, sans dépasser beaucoup les extrémités des rayons parasites que
l'œil nu aperçoit autour des étoiles et des planètes. Pour le prouver, soit e'ôA' un rayon
émané d'une étoile, qu'une onde écarte de sa direction OA vers l'observateur A, pour le
' Les résultats auxquels le calcul nous a conduit ne deviennent en aucune manière des armes hostiles à ma
théorie; ainsi, il n'est nullement indispensable, pour les effets de réflexion totale, que les rayons soient interceptés
par une partie d'onde plane, puisque dans la scintillation une portion courbe peut arrêter et réfléchir les rajons in-
cidents en les éparpillant dans diverses directions. Ces interceptions ont lieu sans que les ondes dépassent des dimen-
sions possibles, car il n'est nullement nécessaire à la production d'un changement d'éclat ou de couleur d'une étoile
scintillante qu'il y ait suspension de la totalité d'un ou de plusieurs faisceaux colorés. Non-seulement M. Arago a
prouvé qu'il suffit de la disparition d'un vingtième des rayons d'une couleur pour modifier la teinte résultante, mais
il a démontré , comme j'ai déjà eu occasion de le dire, que l'œil peut percevoir des différences d'intensité de la lumière
en repos équivalents à ^ de son intensité normale, et que, si ces modifications sont accompagnées de changements
déposition de la lumière, la limite de perception descend encore au-dessous de cette faible quantité.
Si l'on veut, cependant, admettre que, dans certains cas, l'extinction momentanée d'une étoile scintillante est
réellement complète, soit près du zénith là où les divers faisceaux sont presque réunis, soit même au voisinage de
l'horizon là où ils sont très-écartés, on trouverait la cause de l'extinction complète dans la simultanéité des intercep-
tions opérées en divers lieux par plusieurs ondes capables de la réflexion totale : chaque rayon doit infailliblement en
rencontrer plusieurs au milieu de la multitude d'ondes de toute espèce qu'il trouve sur son passage dans l'étendue de
l'atmosphère.
DE LA SCINTILLATION. 57
rejeter incidemment vers le spectateur A'. Il est évident que la déviation OA'e du rayon
réfléchi par rapport au rayon direct eA', est toujours égale au double de l'angle d'incli-
naison e'oï mesuré entre eo et le plan oT tangent à l'onde. D'après les conditions pré-
sumables de la différence des densités de l'onde et de l'air ambiant, la réflexion totale
à la face de l'onde doit s'opérer sous un angle de quelques minutes seulement, 4 à 6 au
plus. Et admettant 5' d'incidence, la déviation e"A'e portera l'image à 10' au plus de
l'étoile. Remarquons, d'autre part, que les rayons parasites des étoiles s'étendent à 5
ou 6 minutes pour la vue ordinaire, selon M. de Humboldt. Cela posé, si l'onde 0 s'in-
terpose sur une trajectoire, émanée de la même étoile, de manière à la dévier incidem-
ment vers le spectateur A', l'image ne s'écartera qu'un peu au delà des rayons parasites.
En supposant que le mouvement propre de l'onde s'effectue, tout exceplionnelleraent,
dans des conditions assez favorables à la perception de l'image pour que celle-ci persé-
vère au même lieu pendant un temps appréciable, alors l'image se trouverait pour ainsi
dire éclipsée dans le champ de la vision tant par l'éclat des queues que par celui bien
plus vif de l'étoile. Mais, le plus souvent, le mouvement de l'onde donnera lieu à un
déplacement des rayons réfléchis sur la rétine tellement rapide qu'ils ne pourraient lais-
ser qu'une trace lumineuse fugitive, à laquelle l'œil resterait d'ailleurs insensible, tant
par la cause indiquée que par la courte durée du passage et l'effet du déplacement de
l'image sur la rétine, comme nous allons le voir. Remarquons, toutefois, que les effets
dépendants des rayons parasites n'ont d'importance que dans la vision à l'œil nu ou à
l'aide de faibles lunettes, puisque les images des étoiles sont dépouillées des queues en
question dans une bonne et puissante lunette.
Si l'on voulait que les circonstances se réunissent fortuitement pour diminuer les
obstacles à la perception de l'image fictive que les causes examinées font naître, le temps
excessivement court pendant lequel les rayons seraient intégralement réfléchis vers l'œil
du spectateur, joint à la mobilité elle-même de ces rayons, rendrait presque impossible
la perception de l'image par l'œil. Remarquons que d'après toute présomption , la totalité
des rayons ne pourrait généralement converger vers celui-ci que pendant un temps très-
court. En effet, les phénomènes qui concourent à une phase perceptible de la scintilla-
tion , ou en d'autres termes , le passage d'une onde à travers un ensemble de rayons, sont
de très-courte durée, car les changements qui caractérisent la scintillation des étoiles se
succèdent avec une rapidité excessive, comme nous l'avons déjà vu '. Or, on sait qu'il
faut aussi un temps sensible pour qu'une impression se forme sur la rétine d'une manière
complète. Il résulte de là et de ce qui précède qu'en laissant à une onde sa vitesse de
' J'ai évalué à 70 environ par seconde les changements de couleurs et d'intensité que l'image de Sirius
présente dans une lunette où elle se déploie en ruban, 11 ne faut point conclure de ce chiffre que les phéno-
mènes particuliers de coloration ou d'éclat , dont l'ensemble concourut à produire l'un ou l'autre des 70 chan-
gements observés en iine seconde, aient été entièrement renouvelés après yô d^ seconde; car nous savons qu'il
suffit qu'une faible portion de ces particularités ait été modifiée pour donner lieu à un changement appréciable.
Néanmoins, on doit admettre que chaque variation subie par un rayon d'une étoile scintillante, et par conséquent
le passage d'une onde à travers ce rayon ou même à travers tin faisceau de rayons, ne dure qu'une petite fraction
de seconde.
Tome XXVHI. 8
S8 DE LA SCINTILLATION
Iranslation ordinaire, la réflexion des rayons vers l'œil d'un spectateur sera de trop courte
durée pour y donner lieu à des impressions connplètes, même en admettant que la face
réfléchissante de l'onde, supposée plane d'ailleurs, conserve pendant la traversée de
chaque rayon une inclinaison constante, ce qui n'occasionnerait aucun déplacement du
rayon réfléchi par rapport à l'œil du spectateur. Ainsi donc, en supposant que cette con-
dition tout exceptionnelle persévère, l'image artificielle, loin d'avoir l'éclat de l'étoile
vraie, serait affaiblie au point de passer peut-être tout à fait inaperçue.
Mais la variété naturelle du mouvement des ondes jointe à la courbure des faces
réfléchissantes s'oppose à ce qu'un rayon puisse généralement conserver une direc-
tion invariable pendant sa réflexion par la même onde : il arrivera le plus souvent que
les rayons en se déptaçani balayeront plus ou moins rapidement l'œil du spectateur.
Or, ce mouvement propre des rayons sur la rétine tendra encore à affaiblir beaucoup
les impressions que la trace linéaire d'un rayon pourrait laisser aux points de passage
sur la rétine, si le déplacement s'effectuait plus lentement. Voici un fait qui oflre la
plus grande analogie avec celui dont nous nous occupons, et qui met en évidence l'af-
faiblissement des impressions sur la rétine par le passage rapide des rayons. Si l'œil
parcourt avec une certaine vitesse le ciel étoile à l'aide d'une bonne lunette, des étoiles,
même brillantes, passent dans son champ sans laisser de trace sensible sur la rétine.
Devons-nous ici prévenir une objection tendant à inférer que, si le temps du passage
des rayons réfléchis dans l'œil du spectateur A' est trop court pour y donner lieu à des
impressions sensibles, l'observateur A ne devrait point non plus percevoir les effets de
scintillation de l'étoile qui résultent de l'interception des rayons directs? On répondrait
à cette objection que, dans la généralité des cas, l'interception des rayons pour l'obser-
vateur A est toujours de plus longue durée que la pénétration possible des rayons réflé-
chis dans l'œil du spectateur A'; car il sullit de la moindre variation d'inclinaison de la
face réfléchissante par rapport au rayon pour le détourner de cet œil, bien avant que
l'interception du rayon direct ait cessé pour l'observateur A.
Concluons de tout ce qui précède que : 1° l'éparpillement des rayons déviés par ré-
flexion totale à la surface d'ondes très -irrégulières de forme; 2° l'affaiblissement que
l'image fictive éprouverait soit au voisinage de l'image réelle plus brillante, soit en se
confondant avec les rayons parasites qui entourent une étoile à l'œil nu; 5° l'excessive
brièveté de la concentration fortuite des rayons réfléchis vers un même point, jointe à
la probabilité d'un déplacement très-rapide; 4° enfin, la presque certitude qu'avant d'at-
teindre l'œil du spectateur, un ou plusieurs rayons réfléchis rencontreront de nouvelles
ondes capables de les rejeter d'autre côté; toutes ces raisons, dis-je, expliquent complè-
tement pourquoi le phénomène de la réflexion totale se produit à la face des ondes dans
la scintillation, laquelle dérive de celte cause fondamentale, sans que parfois ce phéno-
mène soit nécessairement accompagné des traces déformées d'une image artificielle, ni
même d'une lueur passagère au voisinage de l'étoile scintillante.
L'objection sur laquelle on conçoit, du reste, que M. Plateau ait insisté, s'est montrée
avec la même importance aux yeux de M. le docteur Donati, qui a présenté récemment
DE LA SCliMlLLATIOIN. S9
à l'Académie del Cimenlo de Florence une noie renfermant des considérations sur la
théorie de la scintillation que je propose ', et dont il avait pu se former une idée précise
en lisant l'exposé des principaux points que renferme l'excellent rapport de M. Plateau.
A propos des effets de réflexion totale, M. Donali dit qu'il a aussi constaté au milieu
des ondulations d'objets terrestres, produites par les ondes aériennes, des disparitions
momentanées de certaines parties; il a vu, par exemple, une ligne éloignée ondulante
offrir successivement des différences d'éclat, puis disparaître et comme se rompre par
parties. « Si ces disparitions résultaient d'un effet de réflexion totale, dit M. Donati, on
» devrait voir, au moins souvent, certaines parties d'un objet lointain produire le plié-
» nomène du mirage. Or, je ne sache pas que cela ait été observé dans nos climats. »
Les raisons qui viennent d'être invoquées pour rendre compte de l'absence d'un phéno-
mène de mirage à l'égard des étoiles, s'appliquent à plus forte raison aux images fictives
des objets terrestres; elles expliquent mieux encore, à l'égard de ceux-ci, pourquoi l'œil
se trouve presque toujours dans l'impossibilité de percevoir des effets de mirage très-
restreinls passant rapidement, et qui ne pourraient être vus d'ailleurs qu'au travers d'une
multitude d'ondes tumultueusement agitées.
Nous examinerons plus loin à quelle cause M. Donati attribue ces dispositions et le
phénomène de la scintillation lui-même. Il fait connaître dans la note qu'il a eu l'obli-
geance de m'adresser, quelques observations qui lui sont personnelles, et dont je vais
donner la traduction. Voici d'abord ce que M. Donati dit au sujet des observations qui
ont été proposées par M. Plateau comme moyen de décider entre la théorie de M, Arago
et celle que je propose.
« Il ne m'est jamais arrivé d'apercevoir des variations de couleur pour une étoile
» proche du zénith, quoique, dans des cas très-rares, il s'y manifeste des variations
» d'éclat. Je pense que les physiciens qui disent avoir vu scintiller les étoiles les plus
» rapprochées du zénith, entendent parler de simples variations d'intensité de lumière,
B puisque jamais il n'est question d'une manière explicite de changements de couleurs.
» J'indiquerai ici une expérience qui m'a été suggérée par le professeur Amici. Que l'on
1. place à une grande distance une petite boule argentée et très-près d'elle un prisme de
» cristal, disposé de telle façon que, quand le soleil l'éclairé, on puisse voir à l'œil nu
» ou avec une lunette, non-seulement un rayon réfléchi par la petite boule, mais aussi
B un autre rayon qui, après une réflexion, aura traversé le prisme où il se sera faible-
B ment décomposé par dispersion. Ces deux rayons donnent lieu à deux images qui se
» montrent comme deux points ou deux étoiles artificielles. Maintenant, comme il sur-
» vient presque toujours divers changements dans l'air interposé entre la boule et l'ob-
» servateur, on voit toujours l'image produite par le rayon simplement réfléchi rester
ï constamment blanche, taudis que celle due au rayon qui a traversé le prisme change
» de couleur ou scintille par intervalle. Cette expérience prouve que la dispersion a une
■ Eslrutto del Nuovo cimenta, 1. 1, p. 336. M. Mossotli a joint aux considérations de M. Donati une note ayant
pour objet princip.-)! la détermination de la distance qui sépare les trajectoires bleue et rouge à leur entrée dans l'al-
mosphèri».
60 DE LA SCINTILLATION.
B plus grande part d'inlervenlion dans le phénomène de la scinlillalion que ne pour-
» raient l'avoir les interférences '. a
M. Donati rapporte ensuite des observations faites avec la grande lunette de l'obser-
vatoire de Florence, de 10 pouces d'ouverture, qui lui ont montré dans les spectres
slellaires des étoiles voisines de l'horizon des variations de couleurs analogues aux chan-
gements que j'avais remarqués dans le spectre stellaire produit à l'aide d'un prisme, et
qui ont été cités par M. Plateau dans son rapport.
« J'ai vu, dit M. Donati, le rayon rouge prendre la place du jaune ou du vert et vice-
» versa, puis le rayon vert empiéter sur le bleu et même jusque sur le violet. Il s'opère
» également des superpositions et des entre-croisements des diverses couleurs qui quel-
). quefois même restaient séparées. Dans ce mélange des différentes teintes, jamais je
» n'ai vu les rayons rouges atteindre l'extrémité du violet, et lorsque le spectre était
1) tranquille, les couleurs conservaient chacune la place qui leur est propre.
» Par le fait de ces entre-croisements et superpositions on observe, dans chacune des
» couleurs ou dans tout le spectre, des allongements {dilatazioni) et des raccourcissements
» (ristringimenli) qui sont cause que tantôt une couleur, tantôt une autre prédomine.
« Si, par exemple, les rayons bleus se superposent aux jaunes, leur réunion produit la
M sensation de la couleur verte, qui, jointe à celle que possédait déjà le spectre, est
» cause d'un accroissement apparent de cette teinte. Si le rayon jaune empiète sur le
» rouge, ce dernier est diminué et la sensation de la teinte rouge est affaiblie. La variété
» des mouvements des diverses couleurs amène la prédominance tantôt d'une couleur,
» tantôt d'une autre sur l'étendue du spectre.
» 11 m'est rarement survenu de voir pâlir et s'affaiblir tout le spectre et plus encore
» chacune de ses parties; le tout indépendamment des mouvements qui viennent d'êlre
1» décrits. »
Ces faits offrent beaucoup de rapport avec ceux que j'ai observés dans le spectre d'une
étoile produit artificiellement à l'aide d'un prisme. Cependant M. Donati ne parle point
des vibrations transversales que j'ai remarquées dans ce spectre; il dit textuellement que
les affaiblissements du spectre entier ou de ses parties se sont rarement manifestés pour
lui; tandis que dans mes expériences ces affaiblissements se manifestèrent au contraire
fréquemment. Le lecteur conciliera aisément ces différences en remarquant en premier
lieu , que les observations de M. Donati se sont portées sur des spectres aériens ondulants
de quelques secondes d'étendue seulement; tandis que, dans mon expérience avec le
prisme, le spectre de l'étoile Sirius, comparativement plus étendu, était mieux défini dans
ses parties diversement colorées et se trouvait nettement limité latéralement; ces circon-
stances rendirent plus aisée l'observation des trépidations tranversales et des affaiblisse-
ments d'éclat dans ce spectre presque linéaire. En second lieu, les faisceaux lumineux qui
• L'absence de dispersion sensible quand les i-ajons lumineux traversent de faibles dislances dans l'atmosphère ,
nous exi)li(|ue parfaitement pourquoi les images du soleil réflëchies par les boules dorées de clocher ou par des objets
polis éloignés, paraissent animées d'une sorte de trépidation qui est accompagnée de variations d'éclat, mais sans
aucun changement de couleur, comme on peut s'en assurer à l'aide du procédé indiqué.
DE LA SCINTILLATION. 61
pénétraient dans la hinetle de Florence avaient 10 pouces de diamètre; mais dans mon
expérience cette dimension était réduite à 2 centimètres, largeur de l'objectif de ma petite
lunette. On conçoit qu'une même onde, capable des effets de réflexion totale, doive pro-
duire relativement bien plus d'effet sur l'ensemble d'un faisceau de rayons bleus par
exemple, de 2 centimètres de diamètre, qu'en traversant, dans les mêmes conditions,
un faisceau également bleu qui aurait 10 pouces de large. Ainsi donc, certaines particu-
larités ont pu passer inaperçues avec une large lunette, dans les mômes circonstances.
Enfin, il semble que les pbénomènes de la scintillation sont généralement moins carac-
térisés dans les contrées méridionales que sous nos climats : les effets des ondes aériennes
sur les faisceaux constitutifs des spectres aériens, observés à Florence, peuvent ainsi être
moins fréquents et moins apparents qu'ils ne le sont dans nos contrées.
Disons actuellement quelques mots de la cause à laquelle M. Donati rapporte la dispari-
tion de certaines parties d'un objet terrestre et l'extinction des rayons slellaircs dans la
scintillation, rayons qu'il reconnaît avoir été préalablement séparés par dispersion dans
l'atmosphère, comme je l'ai prouvé. C'est à l'interposition d'ondes capables d'absorber et d'é-
parpiller {dijfondere) la lumière provenant de la partie affaiblie ou divisée de l'objet terrestre
et aux diffusions [diffusioni) ou absorptions semblables subies par les rayons stellaires, que
M. Donati attribue les disparitions de parties d'objets terrestres et l'extinction des rayons
d'une étoile scintillante. La cause invoquée par ce savant rend très-difficilement compte,
me paraît-il , de la vivacité et de la rapidité des changements continuels qui caractérisent
la scintillation; au contraire, le phénomène de la réflexion totale satisfait parfaitement à
ces conditions. Comment comprendre, d'ailleurs, la dilfusion complète de la lumière à la
face d'une onde aérienne autrement que par des effets de réflexion totale, soit dans la scin-
tillation, soit pour expliquer les disparitions de certaines parties d'objets terrestres ondu-
lants? iM. Donati fait aussi intervenir un autre effet pour expliquer les changements de
couleurs d'une étoile dans la scintillation. Après avoir décrit les vacillations qui agitent
les couleurs composant les spectres aériens observés dans la grande lunette de Florence,
il ajoute : « On conçoit qu'à l'œil nu ou dans une petite lunette, aucune des apparences
» décrites ne pouvant être distinguée, l'image entière de l'étoile semble alors se revêtir
» par intervalle de différentes teintes accompagnées de variations d'éclat, et, enfin,
» donner lieu au phénomène de la scintillation. » Les variations de couleurs, observées
à l'œil nu, ne peuvent en aucune manière dériver de la cause citée ici par M. Donati;
car, dans sa manière d'envisager les faits, pas un seul des rayons émanés de l'étoile ne
fait défaut sur l'excessive petite portion de la rétine que ces rayons impressionnent, et
où ils produisent nécessairement, à l'œil nu et dans une petite lunette, la même sensa-
tion de lumière blanche que si tous étaient rigoureusement concentrés en un seul point.
M. Donati termine sa note par quelques considérations sur la cause de l'apparition
des arcs diversement colorés de l'image d'une étoile scintillante déployée en ruban, quand
on agite la lunette dans laquelle on l'observe. Il se demande si ces arcs colorés ne
seraient point les diverses parties du spectre allongées. Il ne peut en être ainsi; car, pour
le cas où les oscillations seraient imprimées à la lunette dans le sens horizontal, le spectre
62 DE LA SCirSTILLATION.
(l'une éloile observée près de l'horizon dans des conditions atmosphériques ou la scintilla-
tion se produirait peu, échelonnerait ses couleurs sur une plus grande étendue dans le
sens horizontal que quand la lunette est immobile. Si le mouvement est imprimé à
celle-ci dans le sens vertical, le spectre peut devenir incolore, comme M. Donati dit l'avoir
observé à Florence, sous un climat où la fréquence moins prononcée de la scintillation
lui a permis de voir des traits incolores bien marqués pour certaines vacillations de la
lunette. Dans le phénomène, tel que nous l'observons avec ia lunette vacillante, la ligne
incolore se Cractionne en arcs diversement colorés quand une ou plusieurs couleurs de
l'étoile scintillante font défaut, comme je l'ai suffisamment expliqué.
Je terminerai ces additions en rapportant deux observations concernant la scintilla-
tion de Vénus, puis j'expliquerai pour quelles raisons la faible scintillation des planètes
est limitée à des variations d'éclat.
Dernièrement, au mois de janvier, avant le lever du soleil, j'observai dans une lunette
la planète Vénus, assez élevée sur l'horizon, qui scintillait par intervalles; l'objectif de
la lunette, de 5 centimètres d'ouverture, était recouvert d'un diaphragme percé d'un trou
de (> millimètres de diamètre. L'image planétaire, parfaitement ronde et bien terminée,
se montra entourée de plusieurs anneaux colorés où le rouge-pourpre, le jaune et le vert
prédominaient '. Mais la couleur de chaque anneau n'était point stable : le contour d'un
même anneau passait partiellement par l'une ou l'autre des teintes spécifiées, comme si
tous les anneaiix eussent été agités de variations scintillatoires. Ce fait prouverait, au
besoin , que la lumière d'une planète, qui est une lumière réfléchie, est apte de sa nature
à scintiller avec variation décoloration. (On lit à la page 571 de la Notice d'Arago, que
Kepler croyait avec Cléomède, que la lumière réfléchie des planètes n'est pas susceptible
d'éprouver des variations de couleur en scintillant.)
Il est bien prouvé pour moi que, dans les circonstances ordinaires, la scintillation de
petites planètes telles que Vénus, est limitée à des variations d'éclat sans aucun changement
de couleur. En efl"et, j'ai développé en cercle l'image de Vénus dans une lunette à objectif
découvert et munie du mécanisme décrit, sans pouvoir distinguer aucun arc coloré sur ce
cercle brillant, contrairement à ce qui se serait montré si l'instrument eût été dirigé vers
une éloile scintillante; seulement, la circonférence présentait des solutions de continuité
qui correspondaient aux variations d'éclat que la planète scintillante accusait à l'œil nu.
Il convient, me paraît-il, de remonter à la cause de la difl'érence entre les scintilla-
lions des étoiles et des petites planètes, car les premières oflrent tout à la fois des va-
riations d'éclat et de couleur, et les secondes ne donnent lieu à aucun changement de
coloration. Cela provient de ce que les trajectoires diversement colorées, originaires d'une
' W, Herschell est le premier qui ail remarqué la présence de semblables anneaux aulour de l'image d'une
étoile dans une puissante lunette acbiomatique, avec objectif découvert ou formé par un diaphragme percé d'une
petite ouverture. On trouve des détails sur ce sujet dans le Traité de ta lumière par .1. Herschell. J'ai remarqué
que ces anneaux sont également visibles quand on dirige une lunette, munie d'un diaphragme, vers un objet
poli réfléchissant avec éclat la lumière solaire. Pour une petite ouverture du diaphragme (6 mill.), l'image de
l'objet réflecteur paraît ronde, quelle que .soit l'irrégularité de sa formée réelle.
DE LA SCINTILLATION. 63
même étoile, arrivent à l'œil sans s'être préalablement croisées dans lalmosphère, au lieu
que des rayons colorés appartenant à certains points d'une planète très-voisins les uns
des autres se rencontrent dans l'atmosphère avant leur croisement dans l'œil. C'est ce
que je vais prouver, en considérant la planète Vénus descendue à 80° de distance zéni-
thale.
Notonsd'abord qu'à cette dislance l'étendue du spectre d'un point de la planète seraitde
5" environ , longueur d'un spectre stellaire à 80°. Soit donc ni le rayon blanc émané d'un
point du disque planétaire dont le rayon rouge IRA atteint l'œil en A. Soit ni' un autre
rayon incolore originaire d'un point de la planète situé sur la corde verticale du pre-
mier point cl un peu au-dessous , à 3" de dislance angulaire, par exemple : l'BA repré-
sentera la trajectoire bleue originaire de n'V, qui, tout en restant dans le plan vertical
du rayon rouge IRA, pénètre avec lui dans l'œil. Or ces deux trajectoires se sont cou-
pées préalablement; car la longueur du spectre stellaire est de 3" à 80° et la tangente
au rayon bleu «iBA en A s'élève de 2" par rapport à la tangente au rayon rouge niRA,
puisque le point d'émanation du premier rayon est placé à 5" au-dessous du point origi-
naire du rayon rouge : il faut nécessairement que les deux trajectoires, toujours dans
le même plan , se soient préalablement croisées quelque part dans l'atmosphère en m
par exemple, avant d'arriver en A.
La dislance Ain du point de croisement des trajectoires dépend d'abord de la distance
zénithale Z de l'astre, et de l'angle <f compris entre les deux trajectoires considérées
à leur entrée dans l'œil. Quand cet angle dépasse une limite déterminée, le croisement
a lieu, mais pour certains rayons incolores seulement, en dehors de l'atmosphère :
nous n'avons point à nous occuper de ce cas. La formule donnée ci-dessous permet
de calculer l'éloignement rectiligne Am du point de croisement dans l'atmosphère des
trajectoires bleue et rouge, pour des valeurs déterminées de ? et de Z '. Ainsi, on trouve
que la distance x du point de croisement m est égale à 24660 mètres pour les irajec-
' Si dans réquation ("i) de la note qui précède ces addilions, nous posons fl=ii>, afin d'indiquer que les trajee-
lôires rouge et bleue se coupent en m , nous aurons :
siii Z N
siil Z'
N'
X - =
=
X
Mn V n
sin v'
n'
Si f exprime l'angle compris entre les tangentes aux rayons rouge et bleu dont les distances zénithales sont res-
pectivement Z' et Z dans l'oeil; si u', u représentent ces mêmes distances en m, on a : Z'=Z-+- f. Comme «et v' dif-
férent très-peu entre eux, on considère pour plus de simplicité, sin v = sin v'. Après avoir remplacé N et N' par leurs
expressions respectives en fonction de n, de n', de x, valeur de la distance cherchée Am, et à l'aide des éléments nu-
mériques indiqués dans la note, on oblienl une formule dans laquelle Z-hf doit se substituer à Z'. On en déduit aisé-
ment pour la valeur de x .•
/ tang Z
l 0,41224 X — - — — sa.as
J sin 'f
18393"
"^ ^ wiTZ - ml ^ '"= ] lang Z
0,412 X .— 100029,2»
îiin o
Celte formule conduit a des valeurs de x qui sont sulTisamment approchées pour l'usage qu'on veut en faire.
64 DE LA SCINTILLATION.
toires rouge et bleue, dont les directions font un angle y de 2" à leur entrée dans l'œil
et lorsque la planète d'où ces rayons émanent est à 80° de distance zénithale. L'éléva-
tion du point m au-dessus du sol est de 4280 mètres environ. Si l'on sujipose 9 = 0",5,
le calcul montre que a; = 50ôG mètres, et que la hauteur du point m est de 875 mètres.
Observons que le point m est aussi le lieu de croisement de rayons orange, jaune,
vert , tous originaires de points du disque placés sur la planète entre les lieux d'émana-
tion du rouge et du bleu, et sur la même onde verticale. Comme ces faits s'appliquent à
tout autre |)oint de l'une des trajectoires considérées, il faut en conclure qu'un lieu
quelconque de l'atmosphère où passe une trajectoire colorée, émanant d'un point d'une
planète et qui parvient à l'œil d'un observateur, est aussi le lieu où se croisent des rayons
de toutes les autres couleurs, également originaires de points de la planète très-proches
du premier, et qui parviennent à l'œil de l'observateur.
Ce fait général étant bien établi, il devient évident qu'à l'instant où une onde s'inter-
pose en m par exemple, dans les conditions de réflexion totale pour un quelconque
des rayons, elle intercepte simultanément tous les autres rayons de la même planète,
qui, après s'être croisés avec le premier au point de passage de l'onde, aboutissaient
antérieurement avec lui à l'œil de l'observateur. Or, comme les lieux où tous ces rayons
se peignaient sur la rétine sont tellement rajiprochés qu'avant l'interception commune
leurs impressions mélangées y produisaient la sensation de la lumière blanche, il devient
indubitable qu'au moment de l'interception ce lieu de la rétine ne peut éprouver qu'une
variation d'éclat ou une extinction de lumière complète, et sans que celle-ci soit accom-
pagnée d'aucun changement de couleur.
Les variations d'éclat sont plus sensibles à l'œil pour les planètes de petit diamètre
que pour les grandes, qui scintillent très-peu par la raison qu'il y a d'autant plus de
chance de discordance entre les changements d'éclat de points différents de la planète
que le nombre de points lumineux est plus considérable, comme je l'ail déjà dit, d'après
M. Arago.
FIN.
MÉMOIKK HISTORIOIE ET LITTÉRAIRE
LE COLLEGE DES TROTS-L/^^NGIES
L'UNIVERSITÉ DE LOUVAIN,
EN RÉPOHSE X LA QUESTION SUIVANTE :
KAIRE LllISTOIllE Dt COLLÈGE DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN, ET EXPOSER l'iNFUENCE QU'lL A
EXERCÉE SUR LE DÉVELOPPEMENT DE LA LITTÉRATURE CLASSIQUE, AINSI QUE SUR L'ÉTUDE
DES LANGUES ORIENTALES;
Par m. Félix NÈVE,
PROFESSEUR A l/ UNIVERSITÉ 1)E LOUVAIN.
Sacros vetuHate Ittcoa. . . . in i/uibus grandia et antiqua
rofioi'a jtim uoti lautain fuihent Hpenem , iiuanlani rcHffio
7tefn. (QVIKTIMEH.)
(Mémoire couronné dans la séance du 20 mai 185(î.
Tome XXVIII.
INTRODUCTION.
Une des périodes les plus remarquables que présente le cours entier
de nos annales, c'est le XVI""' siècle, signalé par un mouvement intellec-
tuel qui faisait de la Belgique l'émule des plus grands États : il ne serait
pas téméraire de dire qu'à aucune époque, noire nation n'a montré plus
d'ardeur et plus de puissance d'initiative. En d'autres moments , on a vu
briller davantage chez elle le génie des arts , et peut-être sous le rapport
de l'ascendant politique, serait-on fondé à opposer la domination des ducs
de Bourgogne à ce règne de Charles-Quint, qui ouvrit la carrière à nos
diplomates, à nos légistes et à nos capitaines. Mais quelle est l'autre
période de notre histoire, où l'on trouve les aptitudes de l'esprit scienti-
fique et la fécondité de l'esprit littéraire réunies au même degré que dans
la belle suite d'années qui sépare le quinzième siècle, temps d'immenses
découvertes, de la révolution politique et religieuse marquant la fin du
seizième?
De nombreux essais ont été faits dans la Belgique depuis 1850 pour
animer le tableau des principaux âges de son histoire par des traits et des
épisodes empruntés à la culture des arts, des sciences et des lettres chez
nos ancêtres, et déjà une foule de documents neufs, analysés par le labeur
de nos érudits , ofTrent d'importants matériaux à de semblables recherches ;
on ne peut, en efïet, séparer la culture des intelligences de l'histoire poli-
tique, si l'on veut se former une juste idée de notre passé, recueillir tous
IV IINTRODUCTIOIS.
les souvenirs glorieux qui appartiennent sans conteste à la Belgique dans
les fastes de la civilisation européenne.
Jusqu'ici l'histoire de nos écoles savantes n'est pas aussi avancée que
celle de nos écoles d'arts et de peinture; mais du moins, des monogra-
phies , des mémoires et des notices ont mis sur la voie ceux qui seront
à même de l'écrire un jour. Le XVI'"'' siècle a eu de droit la plus belle
part dans ce travail préliminaire de réhabilitation : il a piqué l'ingénieuse
curiosité de M. le baron de Reiffenberg, quand il a écrit en bibliographe,
doublé d'un satirique, ses Mémoires sur les deux premiers siècles de l'Uni-
versité de Loitvain^. L'Académie royale de Belgique, qui avait couronné
autrefois une biographie latine de Juste Lipse, a mis naguère au concours
la composition d'écrits spéciaux sur la vie et les travaux de Louis Vives et
de D. Erasme ^. Le mémoire historique et littéraire que nous présentons
aujourd'hui à l'Académie sur le collège des Trois-Langues , dit aussi col-
lège de Busleiden, appartient au même cycle d'études.
Cette institution, consacrée à l'enseignement des trois langues savantes,
le latin, le grec et l'hébreu, a son origine, sa raison d'être dans le
mouvement général des études classiques qui s'est propagé de l'Italie
dans toute l'Europe, et jusque dans les provinces belgiques. Le temps a
manqué à M. de Reiffenberg pour retracer, à l'aide de son immense éru-
dition, l'histoire de cette école littéraire, à laquelle il fait allusion sans
cesse avec certaine complaisance dans les cinq mémoires publiés.
En entreprenant la présente monographie, nous nous proposons de
' Ils sont ainsi répartis dans la collection des Nouveaux Mémoires de l'Académie royale des
sciences el belles-letlres de Bruxelles, où ils ont été imprimés à d'assez longs intervalles : Premier
mémoire, p. 44 , au tome V (1829); Second , troisième el qualrième mémoire , pp. 43, 46 et HO, au
tome VII (1832); Cinquième mémoire , ç. 27, au tome X (1837).
2 Voir le Mémoire de M. l'abbé Namèche, sur la vie du premier de ces savants, au tome XV""^ des
Mémoires couronnés (1842), coll. in-4°, el le Mémoire de M. E. Rotlier sur Érasme, au tonieVr%
3'"' partie, des Mémoires couronnés, coll. in-S", I8.i33.
INTRODUCTIOiN. v
poursuivre l'histoire du collège des Ïrois-Laiigues depuis sa fondation
jusqu'à la chute de l'université de Louvain , au sort de laquelle son sort fut
lié : cependant on nous permettra de nous arrêter le plus longtemps aux
commencements glorieux de cette institution, qui pouvait alors être mise-
en parallèle avec les institutions semblables érigées en d'autres pays : nous
ferons en sorte de montrer en toute vérité quelle action elle a exercée sur
l'état intellectuel de nos provinces, et même sur la direction des études
dans les contrées voisines.
Le collège des Trois-Langues a eu son temps de splendeur, et plusieurs
des hommes qu'il a formés ont bien mérité de la patrie. Nous parlerons
avec une sincère admiration de cette gloire bien acquise; mais nous nous
garderons toujours de ce ton de forfanterie qui déligure trop souvent
aujourd'hui nos publications nationales d'art, d'histoire et de critique :
c'est à nos yeux un vain et dangereux patriotisme que celui qui voit des
idoles dans toutes les figures de notre panthéon historique :
Tola licel veleres exornenl undique cerae
Alria, nohilitas sola est alque unica virlus.
Quand nous devrons mentionner dans le cours de notre exposé des
tendances fausses, des abus et des préjugés funestes, nous le ferons avec
quelque ménagement ; nous souvenant de l'excellent conseil que donnait
M. de Reiffenberg, sans le pratiquer lui-même * : « Transporter dans les
» siècles antérieurs les opinions de nos jours, c'est des erreurs la source
» la plus féconde. » De même , quand nous en viendrons à la décadence
de l'institution, nous tâcherons d'en assigner les causes, sans devenir cou-
pable du dénigrement calculé avec lequel on a quelquefois parlé de l'uni-
versité de Louvain, de ses hommes et de son histoire au siècle passé.
L'espace de temps sur lequel ont porté nos recherches répond aux trois
* En lête de la Préface, au premier de ses Mémoires cités.
VI INTRODUCTION.
derniers siècles : le collège des Trois-Langues fut le plus florissant pendant
le premier, celui de sa fondation et de son développement normal; il se
maintint dans le siècle suivant, le XVII""', avec quelque utilité pratique
pour les études universitaires, mais sans éclat et sans influence extérieure ;
enfin, il fut frappé pendant le XVIII"' siècle d'une déchéance qui atteignit
à la fois son enseignement et son influence littéraire et scientifique.
Une telle appréciation de l'histoire du collège doit ressortir de l'en-
semble de notre travail ; cependant elle sera l'objet d'aperçus synthétiques,
qui en occuperont les derniers chapitres. Dans la première partie, qui est
la plus étendue , nous avons accordé notre principale attention aux faits
qui composent le fond historique du sujet, et c'est surtout sur l'exécution
de cette partie du mémoire que nous aurons à nous expliquer ici.
11 nous importait, en premier lieu, de faire connaître aux lecteurs
l'état de l'instruction et particulièrement de l'élude des langues anciennes
dans les Pays-Bas, avant l'érection de l'établissement du collège des Trois-
Langues à Louvain : nous avons signalé, à cet effet, tout ce qui s'est
fait pour l'enseignement de ces langues à l'école de Deventer et à l'uni-
versité de Louvain, pendant le XV'"'' siècle et dans les premières années
du XVI""; nous avons dû en même temps jeter un regard sur les travaux
qui ont marqué, dans cet intervalle, l'introduction de la philologie clas-
sique, ainsi que des études hébraïques, en plusieurs États de l'Eiirope.
Le terrain ainsi préparé, nous exposons toutes les circonstances de la
fondation du collège des Trois-Langues par Jérôme Busleiden, et nous
replaçons ce protecteur éclairé des lettres anciennes dans la société d'es-
prits distingués au milieu de laquelle il a nourri son projet; puis nous
mettons en scène Érasme, qui prit à cœur plus que personne l'existence
et la prospérité du collège de Busleiden ^; nous le montrons conseiller et
' Nous citerons constamment Érasme d'après la grande édition de ses œuvres , donnée à Leyde,
IISTRODUCTION. vri
guide de ses premiers maîtres, défenseur de ses droits devant l'opinion
et de ses intérêts devant les princes et les grands, promoteur vigilant des
études utiles, auxquelles ses chaires étaient affectées. Il nous fallait, en
second lieu, rétablir, dans la mesure du possible, l'histoire chronologique
du collège des Trois-Langues , exposer son organisation intérieure et ses
ressources flnancières, faire connaître la série des professeurs qui ont
enseigné en ce collège depuis sa fondation jusqu'à sa suppression. Les
ouvrages de Valère André nous présentaient les renseignements les plus
utiles pour le premier siècle de cette histoire; le livre qu'il publia en 1614
renferme les annales du collège et la biographie de ses professeurs pen-
dant un espace d'environ cent années, et c'est là une des meilleures
sources relativement à cette belle période * ; les Fasti Academici du même
auteur résument l'histoire du collège dans les mêmes temps, et la con-
duisent jusqu'au milieu du XVII"'® siècle ^. Un autre travail de Valère
André, sa Bibliolheca belgica , nous fournissait, d'autre part, des notions
biographiques et littéraires d'un grand intérêt pour notre sujet ^.
Nous avons toutefois voulu recourir à des documents encore inédits,
soit pour compléter les données réunies dans Valère André, soit pour
en 1702 et années suivantes, chez Pierre Vander Aa : ses lettres en forment le troisième volume,
divisé en deux parties.
' Ce petit traité, dont Van Huitheni signalait la rareté, se compose de 4 feuillets non chiffrés
et de 72 pages, petit in-4"; il est intitulé : Colhgii Trilinguis Buslidiani, in Academia Lova-
niensi, exordia ac progressus, et linguae hebraicae encomium, publiée pronuntiatum V Kal. April.
MDCXII, ab Andréa Valerio Uesselio, in professionis auspiciis. — Lovanii, Typis Philippi Dor-
malii,MDCXlV.
- Fasti Academici sludii generalis Lovaniensis , etc. Lovanii, typis V]orn. Coenestenii, i635,
in-i". — Id. editio iterata accuralior et altéra parte auctior. Lovanii, apud Hier. Nempoeum.
MDCL, in-4°. Voy. sur le Collegium Trilingue, pp. 273-285.
'> Bibliotheca belgica, éd. 1623, in-8". Ed. ait., 1643 , in-4". Voy. plus loin chap. Vlll , biog. de
V. André. Nous citons quelquefois ces éditions de préférence à celle de Foppens (1739). V Acade-
mia Lovaniensis de Vernulaeus ne renferme que des généralités sur le Collegium Trilingue.
VIII INTRODUCTION.
rassembler des fails nouveaux servant à continuer la même histoire de-
puis le milieu du XVII"'^ siècle jusqu'à la fin du XVIII"''. C'est dans cette
intention que nous avons consulté quelques sources manuscrites sur
lesquelles nous devons nous étendre ici quelque peu, sans parler des
pièces détachées, dont nous sommes parvenu à avoir communication et
dont nous avons tiré parti, soit dans le texte, soit dans l'Appendice.
Nous avons mis à profit : 1" un recueil de notes historiques et biogra-
phiques sur les établissements universitaires de Louvain, rédigé par un
érudit consciencieux , au commencement de ce siècle , d'après les livres
et d'après d'anciens papiers ' ; 2° les notes détachées i-ecueillies par
J.-N. Paquot, en vue d'une édition nouvelle et complète des Fasti de
Valère André, et formant un recueil en deux gros volumes, qu'on a inti-
tulé : Fasti academici Lovanienses^; o" un manuscrit de Foppens intitulé :
Promotiones in artibus, chargé de notes biographiques de la main de G. de
Servais et de Ch. Van Hulthem, sur plusieurs des lauréats cités ^.
Nous osons croire que la biographie des professeurs du collège de
Rusleiden, de leurs suppléants, et même de leurs principaux élèves, sera
considérée comme un élément indispensable de ce mémoire historique :
' Le principal auteur de celte compilation est Jean Liinibert Bax, autrefois économe [procuralor)
au grand collège du Saint-Esprit à Louvain, mort à Malines en 1854. Nous désignerons par le
seul nom de Bax ledit recueil , qui est aujourd'hui en la possession de M«' P.-F.-X. de Ram, recteur
de l'université catholique.
- Ouvrage acheté à Liège, en d804, à la vente de Paquot, et relié en 2 vol. in-folio. \oy.Bi-
hhotheca flulthemiana , L VI, p. 242, n" 805. MS. de la Bibliothèque Royale, n"' 17567 et 17568.
— On trouve, dans ces Fasti de Paquot, les éléments de biographies encore inédites (et , en ce cas ,
nous en avons fait un aipple usage) , et l'esquisse des biographies qu'il a achevées et insérées dans
ses Mémoires d'histoire littéraire.
■' Promotiones in artibus ab erectione universitatis Lovaniensis usque ad haec lempora (circa,
1760), vol. in-folio, demi-rel. Biblioth. BuHhem. DIS. n» 807, t. VI, p. 242. MS. de la Biblioth.
Roy., n» 17571. Voy. XAnn. de la Bibl. Roy., 1840, p. 101.— A la fin du volume sont ajoutées des
thèses et pièces académiques, dont nous avons indiqué quelques-unes, en renvoyant 5 ce manuscrit.
IINTRODUCTION. ix
on apercevra sans peine pourquoi nous avons groupé quelquefois les
noms d'humanistes distingués autour des noms de ceux qui ont enseigné
publiquement les langues et les lettres; nous avions intérêt à montrer
dans quel milieu littéraire ont vécu les maîtres du collège des Trois-
Langues, et quel public lettré il leur a été donné de former et de diriger.
Il va de soi que notre tâche ne comporte pas toutefois la composition
de biographies détaillées et chargées de faits accessoires, étrangers au
rôle des personnages comme professeurs et comme philologues; il ne
peut entrer non plus dans notre plan de joindre aux notices biographi-
ques de ce mémoire un bulletin bibliographique complet, sinon dans de
rares exceptions, lorsqu'il s'agit, par exemple, de livres qui sont d'une
valeur marquée dans l'histoire de la philologie et des lettres. Nous avons
l'envoyé pour les particularités de plusieurs vies aux recueils bien connus
de nos polygraphes nationaux, et quand nous avons rencontré des savants,
dont les écrits très-nombreux n'ont encore été l'objet d'aucun travail ana-
lytique, nous nous sommes borné à un jugement sommaire sur leurs
œuvres, laissant à d'autres le soin de les décrire dans des monographies
étendues. De même nous ne pouvons entreprendre ici des recherches trop
détaillées sur les livres et les éditions : si ces recherches ne rentrent pas
toujours dans le cadre des travaux d'histoire et de biographie, elles s'ac-
cordent très-bien avec ces patientes études consacrées aujourd'hui, en
Belgique, par une foule de bibliophiles distingués, aux productions de
l'art typographique dans la Belgique ancienne.
.\ous espérons du moins que les renseignements historiques et litté-
raires que nous avons réunis en ce mémoire présenteront quelque intérêt
aux personnes déjà versées dans la lecture des sources, et qu'ils offriront
un intérêt plus grand encore aux érudits étrangers qui ne connaissent
qu'à demi notre histoire et nos institutions; ils ne seront pas dépourvus
du mérite de la nouveauté, ce nous semble, même après les livres de ces
Tome XXVill. 2
, INTRODUCTION.
polygraphes allemands qui ont l'air et qui se donnent la prétention de
tout savoir.
Nous avons remarqué, dans le cours de nos recherches, bien d'autres
points d'histoire, dignes d'un examen spécial et approfondi, mais sur
lesquels nous n'avons pas pu insister à notre gré. D'autres fois, nous
nous sommes arrêté dans nos aperçus ou dans nos inductions, à cause
de l'insuffisance des documents et des secours que nous avions sous la
main. On sait de quelle rareté sont les éditions originales de bien des
œuvres qui ont une haute importance dans les annales de l'érudition litté-
raire : on sait aussi que les études d'humanités, pas plus que la plupart
des sciences jadis cultivées en ce pays, n'ont pas encore trouvé leur his-
torien ^ Nous nous sommes abstenu toutefois de développer nos réflexions
ou d'aborder des questions nouvelles ; nous avons même renoncé à faire
usage de tous les matériaux que nous avions rassemblés , afin de ne pas
étendre la rédaction de notre travail au delà des limites ordinaires d'un
mémoire : nous serions disposé à utiliser les plus intéressants de ces
matériaux -, si notre travail recevait l'accueil que nous espérons.
Louvain, 29 janvier 1856.
' d'est en vue des recliei'clies que d'aulres iiuiiiiaienl diriger de ce côté, que nous avons mis ;i
la fin du mémoire un double index, concernani, l'un, les auteurs expliqués et les livres publiés;
l'aiitre, la personne des professeurs, des savants et de leurs amis ou protecteurs les plus célèbres.
- Puisqu'il n'est pas entré dans les vues de la Classe des Lettres de nous autoriser à développer
quelques parties du présent travail , nous nous réservons d'en donner ailleurs le complément dans
des notices détachées — (juin I80G).
MÉMOIRE HISTORIQUE ET LITTÉRAIRE
SLR
LE COLLÈGE DES TROLSL ATS GUES
L'UNIVERSITE DE LOUVAIÎN
CHAPITRE 1"
COUP D'OEIL SUR L'ÉTUDE DES LANGUES ET DES LITTÉRATURES ANCIENNES
DANS LES ÉCOLES DES PAYS-BAS , AVANT L'ÉRECTION DU COLLÈGE DES
TROIS- LANGUES (1400-1520).
i'Lxeyc fyjtlt^ ante Ajamemntiva
Mulli
PRELIMINAIRES.
On avait trop longtemps considéré le moyen âge comme étranger à toute
culture classique, et, comme si l'on était ébloui par l'éclat des trésors
littéraires mis au jour et avidement étudiés à l'époque dite de la Renais-
sance, on n'avait pas pris la peine de voir ce qui était au delà : on parlait
d'une longue et profonde nuit , elle était restée rompue, disait-on,
pendant plusieurs siècles, la chaîne des traditions scolaires, relatives aux
langues de l'antiquité, à la grammaire, à l'art oratoire, à la composition
littéraire en général.
2 MEMOIRE SLR LE COLLEGE
Sans doute, depuis la fondation des royaumes germains d Occident,
les lettres subirent en Europe de fréquentes vicissitudes, et elles parurent
quelquefois menacées d'une ruine complète. Mais il fallait s'attendre à re-
trouver, dans les annales des nations modernes, des traces non équivoques
de l'empire que les lettres anciennes avaient conservé dans l'éducation :
de graves historiens ont pris à cœur cette tâche dédaignée par la critique
des siècles précédents , et leurs premiers efforts ont été couronnés de
succès. La lecture des sources leur a fait découvrir, dans l'instruction de
la jeunesse, les méthodes et les procédés pédagogiques des écoles de l'an-
tiquité. Non-seulement ils ont constaté la persistance de cette culture de
la langue latine, sans laquelle il n'y avait pas d'enseignement possible;
mais encore ils ont reconnu qu'une connaissance élémentaire du grec s'était
conservée d'âge en âge par le fait de quelques hommes intelligents et
zélés; ils ont de même aperçu que l'hébreu n'était pas resté entièrement
ignoré dans le monde chrétien pendant un millier d'années, de saint
Jérôme à J. Reuchlin.
Les recherches d'histoire et de critique, dirigées en ce sens depuis une
cinquantaine d'années, ont servi à démontrer de quelle manière les monu-
ments de l'antiquité profane, aussi bien que ceux de l'antiquité chrétienne,
ont été transmis dans celle longue période qui sépare la chute du paganisme
et la fermeture des écoles païennes, de l'invention de l'imprimerie, de la
publication des manuscrits et de l'organisation des études dites classiques;
elles ont mis aussi en lumière dans quelles conditions on s'occupa, à
différentes époques, des langues anciennes qui étaient seules l'objet d'une
culture régulière.
Un livre judicieux de M. Ileeren, professeur à Goltingue, a attiré l'at-
tention des savants sur le sort de la littérature classique au moyen âge et
sur la nature des travaux dont elle fut l'objet, et qui servirent à la con-
server ^. Ses conclusions ont été généralement adoptées '^, et depuis lors
' Gescliichte der classisclien Lileratur im MiUelaltcr, i 799 , H vol. iii-8°. Goelliiigen , nouv. édit..
dans les œuvres historiques de l'auteur, en allemand. (Ibid., 1822, 2 vol. in-8°.)
2 Voy. Fr. Ast, Grimdriss der Philologie (Landslnit, d808, in-S"); Fr. Schoell, Histoire de la
iiltèralure ijrccque profane, t. VII, pp. 269-295; Henri Hallam , Histoire de la lillcraltire de l'Eu-
rope, pendant les XV'", XVI"" et XVll"" siècles (irad. franc, par Alpli. Borgliers, 1. 1. Paris, 1839).
DES TROIS-LAINGUES A LOUVAIN. 3
des ouvrages consciencieux sont venus éclaircir l'histoire des études de
grammaire et de littérature, aux époques les plus remarquables, dans les
principaux pays de l'Europe.
On doit à M. le D' Félix Baehr, professeur à Heidelbcrg, un tableau
complet de la littérature latine sous la dynastie des Carlovingiens ', et
plus d'un écrivain s'est occupé sérieusement à retracer cette première
renaissance latine, oîi le nom d'Alcuin le dispute en célébrité, sinon en
grandeur, à celui de Gharlemagne -, où l'on réhabilitait les plus illustres
poètes de Rome, comme pour faire descendi'e leur gloire jusque sur les
écoles du nouvel empire romain.
L'Italie était restée une terre privilégiée, que les invasions des barbares
n'avaient pu ni dépouiller, ni flétrir : il était réservé à un jeune écrivain
français de réveiller, à l'envi de ses meilleurs érudits, l'écho de la tradition
littéraire toujours vivante en ses écoles, et de le redire à la France avei
une éloquente émotion ; c'est l'objet d'une des dernières œuvres de Fré-
déric Ozanam, d'une de celles qu'on a le plus vantées ^. « La lumière ne
s'éteignit point aux plus mauvais temps du moyen âge l'Italie, nous dit-
il, eut une de ces nuits lumineuses où les dernières clartés du soir se pro-
longent jusqu'aux premières blancheurs du matin. D'un côté, le souvenii
des écoles impériales se perpétue dans l'enseignement laïque, qui subor-
donne la grammaire et la rhétorique à l'étude des lois D'un autre côté.
la tradition des premiers siècles chrétiens se conserve dans l'enseignement
ecclésiastique; les lettres y trouvent asile à condition de servir la foi, de
développer la vocation théologique des Italiens, et de leur assurer la
palme de la philosophie scolastique ; le peuple, encore tout pénétré de
l'antiquité, ne peut en oublier ni la gloire, ni les fables, ni la langue. »
Les doctes continuateurs des Bénédictins n'ont pas manqué de relever.
' Fr. Lorenz , Alcuins Leben; Halle, 1829, in-8° ; J.-B. Laforêt , Alcuin restaurateur des sciences
en Occident. Louvain, 18Si , in-8°; F. Monnier, Alcuin et son influence religieuse, politique et lit-
téraire chez les Fi'ancs, etc. Paris, Durand , 1853, in-8°.
- Gescliiclite der roemischen Literalur im karolingischen Zeitalter. Cailsriihe, 1840; I vol.
in -8°.
^ Documents inédits pour servir à l'histoire littéraire de l'Italie , depuis le VIll"" siècle jusqu'au
XIII"", etc. Paris, Lecoffre, 1849; 1 vol. in-8°, p. 78. — OEuvres compL, l. Il, p. 452-33.
4 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
dans les derniers volumes de Y Histoire liltéraire de la France ', tout ce que
les sources encore inédites révèlent d'activité, de labeur sérieux, et même
d'ingénieux etTorts, dans des périodes imparfaitement connues, prises au
cœur du moyen âge. Ils ont pu montrer la France du XII™' siècle, rivale
de l'Italie dans ses institutions ecclésiastiques, dans ses écoles, dans ses
monastères, et faire à plusieurs écrivains honneur d'un style, si non cor-
rect, du moins quelquefois vigoureux et quelquefois élégant. Ils ont
rattaché à la marche des études en France les faits qui signalent leur
reprise en d'autres pays; ainsi ont-ils montré, çà et là, d'étonnantes tenta-
tives pour la culture des langues grecque et latine, même de l'hébreu et
de l'arabe -, dans ce XIII""= siècle, qui avait été marqué de flétrissure à
cause des nombreux défauts qui déparent sa latinité. Le siècle qui posséda
Guillaume de Moerbeke, helléniste de goût, traducteur d'Âristote, mis-
sionnaire initié à plusieurs idiomes de l'Orient, vit naître Raymond Lulle,
promoteur de l'élude des langues sémitiques dans un but de science et de
propagande religieuse.
Les variations que la culture du latin a subies dans l'Europe occiden-
tale de siècle en siècle ont déjà été mieux appréciées; les ressources néces-
saires à sa transmission et assurées à son étude ne font plus de doute, on
ne tardera pas à connaître aussi les moyens que l'on eut pendant la même
période de cultiver la langue grecque, et même d'apprendre quelques-
unes des langues de l'Orient ^.
La Belgique, que nous considérons ici dans la réunion de toutes ses
provinces, ne peut être oubliée dans tout tableau de la culture intellec-
tuelle des temps chrétiens; elle entretenait alors des l'elations suivies avec
les monarchies et les Églises voisines; elle avait des monastères et des
écoles dignes d'être comparés aux plus florissants en d'autres États; elle
' Tomes XI à XXd de la conliniiation de l'ouvrage, publiés par des membres de l'Académie des.
Inscriptions el Beiles-Leltres , MM. Daunou, Émeric David, V. Leclerc, P. Paris, etc.
2 Voy. au tome XVI de VHist. Hltér., le discours sur l'état des lettres au XIII"" siècle, pp. 138
et suiv. — Grammaire , cHtule et usage des langues anciennes.
5 L'Académie des Inscriptions el Belles-Lettres a couronné, il y a quelques années (1848). un
mémoire de M. Ernest Renan sur YElmle du grec et des langues orientales en Occident, pendant le
moyen âge; ce mémoire n'est point encore imprimé.
DES TROIS- LANGUES A LOUVAIN. S
prenait part non sans gloire à de grands événements politiques, tels que les
croisades et l'occupation de Constanlinoplc. Tout porte à croire que notre
pays ne le cédait point non plus aux pays qui l'entouraient dans la cul-
ture de l'esprit. La connaissance du latin s'y était maintenue au même
niveau qu'ailleurs ; on a déjà signalé naguère plusieurs indices fort curieux
d'une connaissance notable du grec, qui fut le partage de quelques hommes
chez nos aïeux ^ , et cela dans les siècles le moins favorisés.
Déjà une statistique Irès-détaillée des moyens d'instruction que nos
provinces possédaient, depuis le temps des Carlovingiens jusqu'à la fon-
dation de l'université de Louvain, a été dressée avec une louable exacti-
tude -; les écoles, les hommes qui y enseignaient, les méthodes et les livres
qu'on y adoptait, Ogurent dans le cadre de ce travail utile, qui donne une
haute idée du zèle et de l'application de nos ancêtres, et qui est de nature
à provoquer des recherches ultérieures sur les hommes et les institutions.
Les chroniques, les cartulaires, les diplômes et les documents historiques
qu'on exploite et qu'on publie sans cesse, fourniront encore des couleurs
et des traits au tableau de la vie intellectuelle qui fut départie aux con-
trées de la Belgique dans ces âges reculés. Au siècle de Pétrarque et de
Boccace, l'Italie seule avait des latinistes renommés, et c'est elle aussi
qui, grâce à ses communications avec l'Orient, rallumera la première le
flambeau des études grecques ■' : non-seulement elle donne asile à Emma-
nuel Chrysoloras, mais encore elle a dès lors ses hellénistes, qui vulga-
risent à leurs risques et périls des œuvres antiques non connues. Le
mouvement qui devait produire la renaissance des lettres poursuivait
son cours en Italie, quand les Pays-Bas n'avaient pas encore d'école pu-
blique qui servît de centre à un mouvement de même nature. C'est à
' Voir les deux lellres de M. Le Glay sur l'étude du grec dans les Pays-Bas (Cambrai, 1828, in-b"),
et la noie de M. de Reiffenberg sur le même point, Bullelins de l'Académie royale, I8il, t. VIII,
p. I, pp. 239 et suiv.
2 De l'inslruclion publique au moyen âge (VIII""-XVI"'^ siècle) , par MM. Ch. Slallaert et Ph. Van
ilerHaeghen; Mémoire couronné par l'Académie royale de Belgique, le 8 mars 18.50 {Recueil des
Mémoires couronnés, in-i", t. XXIII. — 2""= édit. Bruxelles, 18.53, in-S").
' V. Hallam, Liltéralure de l'Europe, t. I, pp. 68-83, pp. 98 et suiv. — En iUO. aprè.s le con-
cile de Florence , le grec put être appris dans quatre ou cinq villes de l'Italie.
6 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
Deventer, en Hollande, que fut ëlablie la première école qui contribua à
la culture et aux progrès des études philologiques, à leur propagation
dans toutes nos provinces : la suite de ce travail montrera quelle fut l'im-
portance de cette institution , qui eut pour auteur Gérard Groote (Gerardus
Magnus) vers la fin du XIV™" siècle, et qui fleurit pendant tout le siècle
suivant. Mais nous devons rapporter ici tout d'abord de quelle consé-
quence fut la fondation de l'université de Louvain, qui eut lieu en 1426,
pour l'éducation de l'esprit national, surtout pour l'éveil des idées litté-
raires. Avant d'entreprendre l'histoire de l'institut consacré spécialement
aux langues savantes, jetons un regard sur les cent années antérieures :
notre marche sera d'autant plus sûre, que nous aurons réuni par avance
des données plus précises sur l'état intellectuel de notre pays dans l'espace
de temps qui sépare l'établissement de l'école académique de Louvain, de
l'érection du collège qui devait lui donner un nouveau lustre.
A cet etïet, nous partagerons nos aperçus historiques sur l'université
de Louvain en deux sections, dont l'une concerne la partie du XV'"= siècle
qui a suivi sa fondation, et l'autre les premières années du XVI""= siècle.
Nous aurons à dire ce qui s'est fait dans l'université et en dehors d'elle
pour la cause des études littéraires, et comme ces études avaient déjà été
poursuivies en Italie avec beaucoup d'ardeur et de passion, nous ferons
suivre ces préliminaires de quelques considérations sur l'origine, l'esprit
et les conséquences de la renaissance des lettres.
§ I.
L'uMVERSrrÉ DE LOt'VAIN Al W"" SIÈCLE.
L'école des hautes études, fondée à Louvain, en 1426, sous le règne
de Jean IV, duc de Brabant, et par l'autorité du pape Martin V, est une
des premières universités qui aient été établies, d'un commun accord
entre les papes et les souverains, dans les contrées du nord de l'Europe ^
' Voir touchant les circonstances de sa fondation, et les particularités qui composent son histoire
externe, le Premier et le Deuxième Mémoire de M. de ReilFenberg Sur les deux premiers siècles de
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 7
Ouverte au centre des provinces belgiques , elle fut un point de réunion
pour toute la jeunesse qui avait été forcée jusque-là de chercher l'instruc-
tion dans les écoles étrangères, à l'université de Paris et même à celle
de Bologne K Nul doute que, dès son premier siècle, elle n'ait eu la
puissance d'exciter les esprits aux mêmes études qui étaient en honneur
dans les pays voisins.
C'est la faculté des arts qui fut constituée la première dans l'établisse-
ment brabançon, tandis que l'enseignement de la théologie ne fut octroyé
et organisé que cinq années après son ouverture (1451). La philosophie
et ses auxiliaires eurent donc des chaires au centre de notre pays, au mo-
ment où l'éducation des classes élevées avait besoin d'une direction plus
forte; les élèves de la vénérable faculté des arts {Venetwida Facullas Arthim)
jouirent de bonne heure des libertés et immunités promises aux docteurs
et aux maîtres es arts dans les autres universités du monde chrétien 2;
les artistes ou les artietis formaient le noyau de toute école complète, et
leurs grades avaient la même valeur dans les écoles d'autres pays que dans
celle d'où ils sortaient. D'autre part, ses premiers professeurs soutinrent
les prérogatives qui lui avaient été concédées contre le mauvais vouloir
de ceux des magistrats ou des princes, qui craignaient toute atteinte portée
à leur juridiction. Quoique la faculté des arts n'ait pas conservé le premier
rang parmi les corps dont se composait l'université, elle a été l'objet de
faveurs marquées dans l'ordre de celles qui servaient alors h honorer les
études; avant qu'un siècle se fût écoulé, c'était déjcà une récompense très-
haute de ses services que ce privilège des nominations, ou le droit de
nommer à certains bénéfices ecclésiastiques, qui lui fut accordé par le
l'université de Loiwain, t. V et Vil des Nouveaux Mémoires de l'Acad. royale de Bruxelles, el le
chap. IV de l'essai de M. Th. Jusie sur l'Hist. de l'inst.publ.en Be/g^jçiie (Bruxelles, 18-46).
' D'ancienne date, la plupart des jeunes gens de la haute noblesse allaient faire leurs cours de
droit à Cologne, et y prendre des grades : Velerum exemplo, dit V. André, à propos de Fr. Bus-
leiden et de ses frères (Exordia, p. 5). L'université de Cologne, fondée en 1385, avait été fiéqnen-
tée aussi par des Belges.
- Consulter sur ce point les historiens de l'université de Paris, Crevier, par exemple (t. I et 11 de
son Histoire), et comparer avec les règlements de cette école les pièces analysées par V. André et
publiées dans le recueil des Privilégia Academiae I.ovaniensis.
Tome XXVill. 3
8 MEMOIRE SIR LE COLLÈGE
pape Lëon X, et qui fui ensuite confiinjé et étendu ])ar Clément MI *.
Nous n'avons pas à nous étendre ici sur l'organisation intérieure de
cette faculté, et sur la distribution et les titres des matières de phi-
losophie qui composaient son enseignement '^; mais nous insisterons
(juelque peu sur l'existence fort ancienne d'une chaire spéciale de rhéto-
rique et d'éloquence 5 qui appartint en propre à la faculté des arts. Cette
chaire fut créée dès l'an 1445, en même temps que la chaire d'éthique ou
de philosophie morale, de l'autorité du pape Eugène IV, et elle donna droit
à ceux qui la remplirent au titre de chanoine de l'église de S'-Pierre. « 11
fut réglé, le 14 mars 1446, que la leçon de rhétorique se donnerait dans
les écoles des arts {in Sclwlis Arlimn), que les bacheliers seraient tenus de
la fréquenter et de prouver leur fréquentation par un certificat du profes-
seur {Lectoris Hlielorices). » On a conservé le nom de la plupart des titu-
laires de cette chaire jusqu'à la fin du XV™" siècle, et on a des preuves
(le l'intérêt qui s'attacha à leur enseignement au sein de l'université ^.
Quand le premier professeur nommé, Jean Block, licencié en théologie,
pléban de Iloogstraeten, fut mort en 1455, la faculté des arts réclama le
concours de toutes les facultés afin de pourvoir dignement à la chaire de
rhétorique; elle voulut donner part dans la nomination qui allait se faire
à toute l'université, dont l'honneur se trouvait désormais engagé dans le
succès et l'éclat du cours d'éloquence *. On admit à la possession de la
' V. André, Fusti Acadcmici, éd. 1650, pp. 259-240. — Le premier de ces papes a pu la com-
parer à une source d'où avaient jailli les autres facultés, et la glorifier d'avoir donné à la théologie
même des hommes très-lettrés [viris lileralissitiiis) qui ont hrillé comme des flamheaux élincelanls.
— Voy. de Reiffenberg, Troisième Mémoire, p. 8.
- Lire sur la faculté des arts dans les universités de l'Allemagne au XV""' siècle, Karl von l'iau-
mer, Geschichtc cler Pàdagoyik seit dcm Wiederaufbliihen der classischen Studien , t. IV. Stuttgart ,
1834, pp. 20-23.
•'' Voy. V. André, Fasli, pp. 245-247; de Reift'enberg, Cinquième Mémoire, pp. 21-22.
■'• Nous citons V. .^ndré (pp. 246-247) qui n'a fait, sans doute, qu'analyser d'anciens actes:
Facilitas Artiiim , sollicita et satagens pro suecessore, requisivii ad hoc reliquas Facilitâtes, digna-
ventur cooperari circa provisioncm diiiae leclionis : coin prii)}is attento, qiiod leclura rheloricae
(irdinata essel secundiim formam bullae apostolicae desuper editae, ad lUilitalem cl honcstatcm
nediim Faciiltatis Arlium, sed totius Universitatis; ad quam cum honore et fritclu obeundam necesse
sit digère el itistituere Leclorem seu Professorem Rlielorices varia scienlia et insigni cloquentia in
primis commeiidubilem , ad qiiem sludiosi in quulibet factillate recursmn habeanl , quique faniu nu-
minis sui impkat exornetque tolam universitatem.
DES TROIS-LANGI'ES A LOUVAIN. . 9
chaire et de la prébende Hugues de Harlem, qui avait été présenté par le
magistrat de la ville, et qui s'était muni du consentement du doyen de
S'-Pierre. H eut pour successeur Petrus à Piivo, ou Vanderbeke, qui fit
sa première leçon le G juillet 1460, et qui plus lard devint docteur et
professeur en théologie '. Après 1472, sinon plus tôt, il fut remplacé par
Henri Deulin, de Merville, membre du conseil de l'université, et quand
celui-ci, qui avait été promu, en 1477, au doctorat^, occupa, en 1490, la
chaire de droit canon, la leçon d'éloquence fut conférée à ce même Jean
Paludanus ou des Marais, dont le nom figurera encore dans l'histoire lit-
téraire du XV!""" siècle.
C'en est assez pour qu'on croie à l'existence d'études littéraires qui
complétaient les études de grammaire, accomplies auparavant par les
jeunes gens admis à faire leur cours de philosophie à la faculté des arts : le
professeur qui les dirigeait était appelé professeur d'éloquence, et encore
rhéteur : Rhelor publictis , ïihetor Lovaniensis, Rhelor Academicus.
La faculté des arts, qui avait vu s'accroître le nombre de ses collèges,
devint de plus en plus le foyer des travaux préparatoires qui devaient
conduire de la connaissance mûrie de la langue latine à la lecture de
nombieux auteurs. Alors qu'il n'y avait des cours d'humanités que dans
un petit nombre d'écoles du pays, il fut urgent d'établir des leçons de
grammaire dans les anciennes pédagogies de Louvain ^. Celle où l'on
s'occupa davantage de la langue et des lettres fut la pédagogie du Lis, le
Liliiim, qui s'ouvrit peu d'années après Pérection de l'université (1457).
Son fondateur, qui fut aussi son premier président pendant un laps de cin-
quante-six ans, Carolus Virutm, ou Charles Manneken, originaire de Gand,
s'occupa lui-même des méthodes d'enseignement, et se piqua de donner une
' Le même P. à Rivo, d'Assclie, qui mourut le 27 janvier 1499, eut quelque célébrité connue
théologien, surtout à propos d'une controverse De fuluris conlingentibus. Il était recteur en 1477,
lors de l'arrivée de rarcliiduc Maxiniilien en Brabant. Voy. Fasli Acad., pp. 93-94; Foppens .
pp. 1004-lOOS.
- Fasti, p. 173.
■' Sur les deux anciennes pédagogies du Château et du Porc, Paedagogium caslri, Paedagoghim
Standonck vulgn Porci, voy. les Fasti, pp. 232, 236, et sur le Vctiis Falco, première formede l'éta-
blissement agrandi au siècle suivant sous le litre de Falco ou Collège du Faucon, pp. 263-264.
10 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE
nouvelle direction aux éludes de grammaire : si l'on prit plus tard en pitié
la bizarrerie des règles qu'il composa, il eut de son temps le renom d'un
promoteur des belles-lettres ^, et l'on ne peut du moins lui refuser le mé-
rite d'avoir rempli cette tâcbe avec autant de persévérance que de sincé-
rité, cl d'avoir attiré de ce côté l'attention et les sympathies de la jeunesse.
Ainsi, quoiqu'il soit impossible de défendre tout à fait les Formulac
epistolares des sarcasmes de l'âge suivant ^5 il faut rendre justice à cette
science pratique par laquelle Virulus se mettait à la portée de la jeunesse
à tous les instants de chaque journée, à ce dévouement entier qu'il fai-
sait de sa personne à la propagation de sa méthode. Vives, qui n'était ni
entêté, ni pédant, a relevé le mérite personnel et le zèle de Virulus dans
son traité sur l'enseignement des sciences ^. Paquot a été bien plus sévère
à l'égard de Virulus et des plus anciens maîtres de grammaire et de style* :
Erasmus aliique fontes lîomani Eloquii multis saeculis prope ùjnotos pulcris illis
DicTAMiMBUs, scu varlis ineptis ac squalidis praecepùonibus , quales etiam in noslro
Carolo Virulo cernere est , substituer unt.
Les traités alors répandus en Belgique, pour l'étude delà grammaire,
appartenaient à cette classe de lourdes élucubrations, sur laquelle s'est
exercée la verve des critiques de la Renaissance : Érasme s'est élevé avec
tant d'autres contre ces oracles de l'éducation ^, qui participaient à la fois
de la subtilité et de la prolixité portées d'ordinaire au moyen âge dans
l'exposé des principes de toutes les sciences; ces mêmes livres'', ne l'ou-
blions pas, avaient conservé un égal empire dans les écoles qui relevaient
' Voy. Fasli, p. 262. — Car. Virulus, qui niourul en 1493, est appelé dans son épitaphe: Uni-
versilalis quoque Lovaniensis in liUeris humanis el omni humaniUile i/ccus.
'^ Ce livre de Virulus sur le style épislolaire ou plutôt sur l'art d'écrire, qui eut deux éditions
il Louvain en 1476, fut réimprimé plusieurs fois dans les années suivantes, par exemple, à Lou-
vain, à Paris, à Deventer et ailleurs. Voy. de Reiffenberg, loc. cit., p. 19 (note 3).
' De tradeiidis discipliiiis , t. IV, lib. I, p. 336. Voy. l'analyse de ce traité dans le mémoire de
M. Namèche sur Louis Vives, pp. Cu-7o.
^ Fasli MS., t. I, p. 397.
■' Le Graecisunis d'Evrard de Béthune , le Catliolicon de Jean Balbi de Gènes, le Mcwimolrectus
de Joannes de Garlandia. Voy. le Troisième Mémoire de Reiffenberg , pp. 10-16, el le mémoire cité
sur Y Instruction publique au moyen âge, pp. lloetsuiv.
f' Voy. dans le curieux ouvrage des Eludes classiques dans la société chrétienne, par le P. Daniel
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. H
à un degré quelconque de l'université de Paris, arbitre de tout enseigne-
ment dans l'ancien royaume de France.
Une méthode fort simple d'exposer la grammaire devait ressortir un
jour d'une lecture familière d'un grand nombre de bons auteurs. Mais
au XV"" siècle, en plusieurs écoles de notre pays, on ne connaissait les
anciens que par l'intermédiaire d'écrits de l'antiquité chrétienne, dont les
copies avaient été fort multipliées au moyen âge : tels étaient les ouvrages
de Boèce, et la grande compilation d'Isidore de Séville, connue sous le
nom d'Origines ou d'Elymologiae. Boèce, comme écrivain et comme pen-
seur, avait eu dans tous les siècles une célébrité non interrompue; dans
son traité fameux de Consolalione pliilosophiae, le culte de la philosophie
platonicienne s'alliait à la profession fervente des dogmes chrétiens '. On
le mettait au nombre des plus sages d'entre les clercs de la vénérable anti-
quité, maison l'y distinguait de ceux qui avaient vécu dans le paganisme.
Un ancien poëte, qui lui donnait la septième place après Cicéron, Salomon,
Sénèque, Térence, Lucain, Perse, Alard de Cambrai n'avait point de
réserve à faire pour lui - :
Boèces est après nommés;
Cil n'est pas repris ne blâmés
Par faute de boine clergie.
Sous le nom de Boèce circulaient aussi des ouvrages de dialectique ;
précieuses versions, grâce auxquelles revient à Boèce l'insigne honneur
d'avoir conservé dans le monde latin la pensée aristotélique. C'était bien
là entrevoir l'antiquité sous ses grands aspects, et il y avait dans les
pages de la Consolation de quoi exciter la curiosité des générations sui-
vantes, qui ne connaissaient point encore les œuvres littéraires oîi Boèce
s'était inspiré. Sa composition principale était populaire autant qu'aucune
(Paris, 1 853 , t vol. in-S"); le chapitre VI , ÏUniversité du XIU'" au XF'" siècle, pp. 137 et suiv.,
pp. 158, 176-178.
' Cons. la dissertation de M. Toussaint, De la philosophie de Boèce, et spécialement le chapitre
sur l'influence de sa philosophie. Louvain, 1848, in-8", pp. 80 et suiv., pp. 102-115.
- Extrait de son poeine : Li livres extrais de pliilosofie et de moralité. Voy. la thèse de M. Fran-
cisque Michel : Quae vices Virgilium in média aevo exceperint. Paris, 1846, p. 52.
12 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE
autre au XV"*^ siècle; elle vit le jour en trois langues dans les premières
années où l'art nouveau de la typographie fleurit en Belgique ^
Déjà les allusions continuelles aux monuments littéraires de R^ome cl
de la Grèce, que renfermaient de pareils ouvrages, excitaient naturelle-
ment chez les lecteurs le désir d'en connaître l'original, d'en étudier le
texte, quand il sortirait un jour de la poussière des bihliothèques : un tel
désir était l'éveil de l'esprit scientifique qui allait s'attacher bientôt à l'in-
vestigation des choses de l'antiquité. Le siècle de la découverte de l'im-
primerie ne se passa pas pour la Belgique, sans que ce besoin intellectuel
fût satisfait en quelque mesure : on verra dans les pages qui vont suivre
que cet art paya son tribut aux lettres en même temps qu'aux sciences,
et que plusieurs auteurs latins de premier ordre furent imprimés à Lou-
vain, dans les trente dernières années du siècle oîi l'art lui-même fui
inventé. Des matériaux, des textes ne manquèrent donc pas aux esprits
d'élite qui, par des efforts partiels, tâchaient de s'approprier la langue des
anciens auteurs, et pressentaient la prochaine régénération des études
littéraires en général.
Il faut encore tenir compte d'une autre influence qui agit à Louvain,
comme dans nos provinces du midi, en faveur des lettres : l'institution
des frères de la vie commune -, dits aussi Uiéronymites (Clerici regulares
S. Ilieromjmi), institution qui avait son siège à Deventer, se répandit en
plusieurs villes ^ et grâce à ses soins, la connaissance du latin gagna tous
les jours dans l'éducation de la jeunesse. Si l'Italie, en ces mêmes épo-
' La Consolation de Boèce paraissait en français, à Bruges, en 1477, in-folio; c'était une des
premières éditions de Colard Mansion. Voy. la Notice de M. van Praet sur cet imprimeur. Paris.
1829, p. 22, et l'ouvrage récent de M. A. Bernard : De l'origine et des débuts de l'imprimerie,
part. Il, pp. 389-590. La version flamande parut à Gand, en 1485, et le texte latin , à Louvain ,
en 1482 et 1487, in-4", chez Jean de Westplialie.
- L'écrit hollandais de M. Delprat sur la Corporation de Gérard Groot et sur XInfluence des
maisons de frères , etc. (Utrecht , 1 830, in-S") , a été mis à profit par plusieurs écrivains modernes ,
et a été traduit en allemand par M. Mohnike (Leipzig, 1840).
^ Lire l'énuniération de leurs écoles dans nos villes principales, dans le mémoire cité sur l'y»-
struction publique, pp. 97-101. Le nombre de leurs maisons, qui était de quarante-cinq en 1430,
avait triplé en 1460. Voy. Hallani , Littér. de l' Europe, l. I. pp. 109-1 10. et de Pieiffenberg. Troi-
sième Mémoire, pp. 27 et suiv.
DES TROIS-LANGLES A LOLVAIIN. 13
ques, s'occupait déjà à mettre au jour les œuvres de l'aïuiquilé, un avan-
cerait sans exagération aucune que l'instruction n'y était pas mieux enten-
due et plus soignée que dans ces écoles nées du dévouement de quelques
liommes sur le sol de la Hollande, et ensuite de la Belgique. Leur attention
se portait à la fois sur l'éducation du peuple et sur celle des classes éle-
vées. Les vues qui les guidaient en toutes choses étaient chrétiennes, et
cependant ils renonçaient ouvertement aux formes de la scolastique *.
Les travaux des Iliéronymites ne furent point stériles pour l'avancement
des lettres classiques : il y eut des memhres de cette école qui écrivirent à
l'imitation des anciens auteurs ; il y en eut d'autres qui s'appliquèrent aussi
h la correction des manuscrits, et même qui mirent la main un peu plus
tard à la publication des textes.
Vers le milieu du XV™" siècle, plusieurs membres distingués de l'école
de Deventer voyagèrent en Europe, et firent en Italie un séjour assez loua
pour être initiés à tous les genres de recherches qui avaient pour objet
l'antiquité, son histoire et ses langues; l'influence de ces hommes fut
grande partout, à leur retour dans les Pays-Bas. De ce nombre furent
Joannes Wesselus et Rodolphus Agricola, qui s'abouchèrent en tout pays
avec les hommes les plus avancés en chaque science. Le premier, qui sortait
de l'école de ZwoUe, revint dans sa patrie après avoir fait un long séjour
à Paris, puis en Italie, où il fréquenta Bessarion et les personnages les
plus lettrés : il dirigea les études d'une nombreuse jeunesse et partagea ses
propres études entre la Bible et les anciens auteurs ^.
C'est surtout Piodolphe Agricola ou Iluesman, dont l'exemple dut réagit
sur l'opinion que l'on se faisait des lettres à Louvain et dans d'autres villes
de la Belgique. Il était venu prendre à Louvain, en 1465, le bonnet de
maître es arts, et il y avait obtenu les honneurs suprêmes dans la promo-
tion de philosophie; là déjà il s'adonna à la lecture des écrivains latins.
' Voy. tieeren, Gesch. der class. LUer., B. Il, pp. 160-170.
- La part que Wesselus donna aux Écritures dans les travaux de son école, l'a fait considérer
en Allemagne et en Hollande, mais sans preuves décisives, comme un théologien protestant
d'avant Luther. Voy. Ullmann, Johann Wessel (Hamburg, 1834), et des dissertations latine*
publiées à Utrecht et à Amsterdam, en I8.3I et 18-iO. — Wesselus reçut les surnoms de Lux
mimdi et de Magister Controversianwt.
14 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
particulièrement de Cicéron et de Quinlilien ^. Agricola revint de l'Italie
helléniste habile, après avoir entendu les leçons de Théodore Gaza, et il
enseigna la langue grecque à Alexandre Hégius, qui en fonda l'étude dans
le cercle fort étendu de ses relations -; suivant Érasme^, Agricola était
l'homme qui avait le plus de culture littéraire en deçà des Alpes, et il a
obtenu de lui pour son goiil d'humaniste le nom de il/«ro, pour son savoir
en grec l'épi ihète de Graedssimus.
La direction de Deventer fut dès l'an 1408 entre les mains d'Alexandre
Hégius, qui mit en honneur l'érudition, et qui fournit la carrière la plus
laborieuse, dégagée de toute ambition personnelle *. 11 a laissé peu d'écrits,
mais formé de nombreux élèves dignes de renommée ^. Plusieurs d'entre
eux brillèrent au siècle suivant en Belgique et en Allemagne, et se distin-
guèrent par un enthousiasme pour la culture classique plus modéré, plus
sage, moins païen que celui des Italiens, comme le voulait l'esprit reli-
gieux qui avait régné dans l'école. Après Érasme, qui entendit Hégius à
l'âge de neuf ans (vers 147G), citons Hermann von dem Busch, qui visita
l'Italie en 1480, et brilla dans plusieurs universités ''; J. Murmellius, de
Ruremonde, qui enseigna à Munster pendant quatorze ans "; J. Caesarius,
de Juliers, un des premiers éditeurs de Pline; J. Horlenius et Timannus
Camener, directeurs d'écoles publiques à Herford et à Munster; enfin,
Conrad Goclenius, latiniste plus tard célèbre du collège desTrois-Langues.
' Voy. de Heiffenberg, Troisième Mémoire, pp. 29-31 ; Hallam, loc. cil., 1. 1 , pp. 184, 209-210;
Raiimer, Gescli. dcr Paedagocjih , B. I , s. 77-83. C'est à Heidelberg, à la cour de l'éleeleur palatin ,
que se passèrent les dernières années d'Agricola, qui mourut en 1485.
- Suivant une conjecture de Hallam [Ibid., 1. 1, p. 182, note), un traité de l'école de Deventer
sur la conjugaison grecque : Conjugaliones verbortim linyuae graecae, Davcntriae novo extremo
labore collectae et impressae, in-4", daterait de l'an 1480, et serait le premier essai de typogra-
phie grecque dans les pays cisalpins.
^ In Adag. quid cani cum balneo? — 0pp. Il, p. 166 c.
* Hégius mourut en 1498. Voy. Revii Davenlriu illustrata, libri VI. Lugd-Bal., 1651, pp. 129-1 30.
■'' Voy. Raumer, Gesch. der Paedagogik, B. I, s. 86-90.
" Herniannus Buschius, qui habita le Lis, à Louvain, vers 1321 , mourut en 1534. Sur sa car-
rière voy. le discours de Perizonius cité par de Reiffenberg , Troisième Mémoire, p. 36, et Raumer,
Op. cit.,l. I, pp. 91-93.
' Murmellius revint en Hollande en 1314 et mourut en 1317, à Deventer. Nous citerons de ses
écrits entre autres le Scoparius ad pro/Uyandam barhariem e svholis.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 15
On ne saurait mettre en doute que renseignement de Deventer et des
écoles qui en relevèrent à un degré quelconque n'ait concouru à déterminer
quelques vocations pour l'étude de la grammaire et des langues anciennes
dans la jeunesse universitaire de Louvain : les idées se modifièrent, K'
besoin d'une méthode régulière se fit sentir; c'est du collège du Lis, où
avaient régné les préceptes de Virulus, que sortit Jean Despautère, un des
réformateurs de la grammaire latine, et c'est là même où nous le verrons
enseigner au commencement du siècle suivant.
Quant au grec, le nombre de ceux qui s'en occupèrent fut encore très-
restreint, ce qu'il faut attribuer non -seulement aux difficultés inhérentes
à l'étude de ses formes grammaticales , mais encore à la rareté des pre-
miers livres grecs imprimés en Italie, rareté qui se fit sentir jusque dans
les premières années de l'autre siècle ^ Des obstacles différents se produi-
saient, au reste partout, en opposition à l'organisation et au développe-
ment des études grecques. En Italie, la renaissance latine leur faisait
concurrence; les uns, cédant à une fierté nationale poussée très-loin, se
complaisaient exclusivement dans l'étude des œuvres latines, qui respi-
raient la grandeur de l'ancienne Rome, les splendeurs de la civilisation
antique; les autres, pleins de confiance en leurs propres talents, se faisaient
auteurs dans une pensée de rivalité, et se croyaient être les héritiers, les
continuateurs des anciens en les imitant. Les premiers travaux nécessaires
à la correction et à la publication des textes grecs furent l'œuvre des ré-
fugiés de Byzance; les éditions faites par les érudils italiens ne vinrent
qu'après ^. En Allemagne même, ce n'est pas des universités que sortit
l'initiative en faveur des classiques; la connaissance du grec fut encore
très-rare en ce siècle de transition : il semble que le seul homme qui y ait
atteint une force remarquable ait été Jean Reuchlin ; le premier, en ce
pays, il aurait fait à Bàle, vers 1473, des leçons sur les auteurs grecs, et
amassé une collection de manuscrits en cette langue ^. Encore sait-on
' Hatlani, Liltér. de l'Europe , t. l, pp. '232-233.
* Sur ces deux époques, voy. YHisloire de la liltérat. grecque de Sclioell, t. VII.
'» Hallam , loc. cit., t. I, p. 232; Raumer, op. cit., t. I, pp. 120 et i27. J.-G. Eichliorn n'a pu
contredire ce fait dans son ouvrage connu d'histoire littéraire, qui forme dix volumes, publiés ;'i
GoUingue, de 180S à 1811. Voy. GeschiclUe der Literatur, B. IH, Tli. I, p. 232 u. foUj.
Tome XXVIIL 4
16 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
suffisaninienl que Reuchlin s'est appliqué avec prédilection à l'hébreu et
à la philosophie Kabbalistique.
Eu France, les livres grecs étaient rares et chers; et ce n'est que de-
puis l'an 1458 que l'enseignement de la langue fut organisé et commença
à prendre faveur à l'université de Paris ^ L<à aussi l'étude du grec était le
plus souvent une affaire individuelle, et les leçons du Grec Hermonyme,
de Sparte, payées fort cher, étaient de peu de fruit, au dire de tous les
humanistes du temps qui les ont suivies. Cependant, c'est en fréquentant
l'université de Paris que plusieurs jeunes gens de nos provinces ont pu
acquérir des notions de grec, et provoquer ainsi dans l'esprit de quelques-
uns de leurs compatriotes un sentiment de salutaire émulation ; il fallait
des exemples avant que l'opinion se formât.
Au XV"" siècle, l'hébreu fut moins connu chez nous que le grec; cepen-
dant, de proche en proche, son étude gagna du terrain : comment n'au-
rait-elle pas sollicité la curiosité d'un certain nombre d'hommes, quand
on la vit embrassée avec ardeur par des savants si hautement estimés que
l'étaient Joannes Wesselus et Rodolphus Agricola, cités précédemment
comme philologues?
J. Wesselus, de Groningue, initié à l'hébreu aussi bien qu'au grec,
enseigna la langue sainte dans plusieurs villes où il séjourna, à Paris
(1452), à Rome (1470), à Bàle (1475), à Heidelberg (1477); il l'enseigna
de même, selon toute apparence, à Louvain et à Cologne ^. Il ne fut pas,
prétend-on, sans influence sur le cours que Reuchlin donna à ses études,
quand il l'eut rencontré à Paris et en Allemagne. Ce ne fut pas un médiocre
hébraïsant que celui qui était alors en état de lire l'Ancien Testament dans
le texte original^. Le second de ces hommes, Agricola, eut, comme Wessel,
la renommée d'avoir allié le savoir de l'hébraïsant aux études de l'huma-
niste. Son exemple dut gagner des prosélytes à l'hébreu dans les Pays-
' Voy. Crevier, Hisl. de l'université de Paris, t. IV, pp. -2iù-^2i6.
- Voy. Hetzel, Gvsch. dcr hebraischen Sprache, pp. 15.5-136. — Sullr. Pelii, Ve scriploribtis
Frisiae, decas VIII, c. 4.
■' Wesselus avait demandé au pape Sixte IV, comme la plus grande faveui', l'aulorisalion dem-
portei- de Rome, en Belgique, des manuscrits hébraïques de la Bible. Voy. Foppens, Bibl. Belg.,
p. 1 163, et Reifl'cnberg, Troisième Mémoire, p. 36.
DES TROIS -LANGUES A LOUVAIN. H
Bas : c'est en Italie qu'il l'avait appris avec grande application dans ses
vieux jours, sous la direction d'un juif converti, et on lui attribua une
traduction du Psautier hébraïque en latin.
Pourquoi ne nommerions-nous pas, après Agricola, cet Augustin de
Hasselt, né vers le milieu du même siècle, Gaspar Ammonius, versé dans
l'hébreu au point de l'enseigner plus tard à plusieurs savants en Alle-
magne, où il résida * ?
Enfin, on est en droit de présumer qu'une teinture de l'hébreu était
répandue dans une classe nombreuse de théologiens, puisqu'on trouve
dans un livre de polémique, imprimé à Louvain en 1487, par Jean de
Westphalie -, des citations hébraïques imprimées en caractères originaux
d'une forme massive et d'un dessin peu élégant, tandis que les passages
grecs y sont écrits à la main. C'était beaucoup d'avoir attiré l'attention
des lecteurs sur ces lettres étrangères, qui n'étaient plus des énigmes
pour tout le monde : les études hébraïques prendront leur essor au siècle
suivant avec une telle rapidité, qu'il faut bien supposer les écoles prédis-
posées à leur culture.
§ II.
l'cnivershé de lolvais de 1500 A 1520.
Cette institution avait grandi au bout d'un terme de moins d'un siècle
au point d'être comptée parmi les universités de premier ordre en Europe,
et sa population d'étudiants avait été toujours croissant en même temps
que la renommée de ses docteurs et la solidité de son enseignement : on
n'a pas de peine à croire à cette grande prospérité dont parlent ses anna-
listes, non-seulement si l'on interroge l'histoire des maîtres qu'elle a for-
' Voy- Paqiiot, Mémoires, l. I, pp. 454-435. La graniinaiie que le P. Manlelius {Husselelum .
p. 108) attribue à Ammonius, paraît 6!re l'œuvre d'un autre lu^braisant, peut-être deSéb. Munster.
Ammonius ne mourut que vers 1.524.
'- Epislola apolofjctica mcigistri Puuli de Middelburgo ad duclures Lovanienses, petit in-4° de
37 feuillets, portant à la dernière page : Impressunt in aima universilate Lovaniensi per Joanneui
de Westplialia. Voy. Lambinet, De l'origine de l'impritnerie , 2'"'' éd., t. Il, pp. 51-32. — Le même
imprimeur fit paraître, en 1492, une édition de la réponse de l'antagoniste de Paul de Middel-
hourg : Pétri a Rivo resp. ad epistolam apologelicam.
\S MÉMOIRE SUR LE COLLÈGE
mes, mais encore si l'on considère qu'elle était l'établissement d'instruc-
tion supérieure, alors unique, placé au centre des États qui avaient passé
entre les mains des princes de la maison de Bourgogne. La Hollande, la
Flandre et l'Artois, le Brabant et les provinces avoisinantes, ainsi que la
Bourgogne, formaient le grand territoire sur lequel s'étendaient plus spé-
cialement ses immunités et privilèges : cette espèce de domination litté-
raire fut longue; elle ne fut concentrée dans la Belgique proprement dite
qu'après la séparation des Provinces-Unies au nord, et plus tard après la
conquête des provinces du midi par Louis XIV. La Faculté des arts, pépi-
nière des autres facultés, reconnut, pour ainsi dire à l'origine, une distinc-
tion de ses membres en quatre Nations, dites de Brabant, de France, de
Flandre et de Hollande ^ ; quoiqu'elle obéît à un autre souverain , la France
était comprise dans cette reconnaissance des droits académiques concédés
aux étudiants et aux gradués de diverse origine. D'autre part, comme siège
d'enseignement général [sludium générale), comme institution de la répu-
blique chrétienne unie à toutes les autres de même titre et de même fon-
dation, l'université de Louvain attirait à elle grand nombre d'étudiants de
' On a accordé, ce nous semble, si peu d'attention à ce fait dans les derniers écrits relatifs à
rinslruclion, que nous n'hésitons pas à en faire apprécier les particularités dans une noie d'après
V. André, Fasli academici, p. 240. Dès le 31 janvier liôo, on distingua quatre Nations au sein de
la Faculté des arts : Brabanlia, Gallia, Flandrki, Hollandia. Ainsi furent réglées les choses : sous le
nom de Brabanlia, on comprendrait tous les pays qui n'étaient pas renfermés sous la dénomination
d'autres Nations; sous le nom de Gallia , tout le royaume de France, avec toutes ses possessions, y
compris le territoire de Cambrai; peu après, par décision du 25 octobre 1448, on adjoignit à la
Nation de France le pays de Liège et le comté de Looz. Sous le nom de Flandria, on comprendrait
toute la Flandre, les comtés de Hainaut et de Namur, ainsi que la rille de Malines; sous le nom de
Uollandia. la province de Hollande, la Zélande, le territoire d'Utrecht, la Frise, et toute la con-
trée au nord voisine de la mer.
Bientôt s'introduisit la coutume de pourvoir aux fonctions et dignités de la Faculté des arts
dans l'ordre des Nations qui la composaient. Chaque Nation avait un procureur, dont l'oifice était
de la convoquer quand et autant de fois qu'il en était besoin. Les quatre procureurs formaient avec
le doyen et les quatre présidents des pédagogies, ce qu'on appelait le petit conseil : le grand conseil
était formé par l'adjonction de maîtres es arts et de docteurs, ou môme de gradués en d'autres
facultés. Cependant, toutes les Nations délibéraient ensemble, soit dans les assemblées acadé-
miques générales, soit dans celles de la faculté, sous la présidence et en présence d'un seul et
même doven. Quand le recteur devait être élu dans la Faculté des arts, on le choisissait parmi ses
membres en général , sans distinction de Nation.
DES TROIS -LANGUES A LOI VAIN. 49
pays étrangers, de l'Angleterre, de la Westphalie, des contrées du Khin.
11 existait alors en fait d'études un droit international très-large : les di-
plômes délivrés par une académie légalement constituée avaient une valeur
universelle, dont les rapports scientifiques des universités d'Allemagne,
tels qu'ils sont entendus de nos jours, donnent à peine une idée.
Cette diversité d'origine, qui existait chez les étudiants de l'université
de Louvain, s'étendait aux maîtres eux-mêmes : parmi ses professeurs titu-
laires, et aussi parmi ceux h qui était octroyé le droit de professer dans
ses collèges, on rencontre une foule d'étrangers dont la présence à Lou-
vain atteste non-seulement cette fraternité littéraire établie entre les univer-
sités dont nous parlions tout à l'heure, mais encore le fait d'une commu-
nication incessante des maîtres de Louvain avec des savants et des maîtres
étrangers. Des hommes qui avaient complété leur instruction à Louvain, ou
qui étaient sortis de quelque école latine de l'une ou l'autre de nos villes,
visitaient d'autres universités en Allemagne, en Italie, en France, et bien
des fois des érudits, qui avaient fait leurs preuves ailleurs, séjournèrent à
Louvain et firent là un échange fort utile de connaissances et de méthodes.
Ils inspiraient le goîit des diverses branches de philologie qui étaient floris-
santes en Italie, et qui avaient déjà fait des prosélytes en deçà des monts.
Nous rencontrerons sur notre route les noms de plusieurs de ces hôtes
célèbres, qui soutinrent le zèle ou stimulèrent l'ardeur de nos premiers
humanistes ^.
Nous n'irons pas plus loin sans caractériser le genre de concours que
l'art de l'imprimerie a prêté, à l'époque que nous étudions, aux travaux
des écrivains, aux efforts de tous ceux qui se sentaient une vocation
scientifique ou littéraire. Il s'agit d'une force nouvelle qui s'était produite
tout à coup au cœur de l'Europe civilisée : notre pays fut un des premiers
à s'en emparer, et il est permis de dire qu'il s'en est servi dignement, notre
sujet en fournit les preuves.
Sans révoquer en doute les droits de Thierry Martens à être appelé le
' Voy. au cliap. V des aperçus sur les humanistes qui enseignèrent dans les pédagogies de
l'université, et sur les savants étrangers qui firent des leçons à Louvain ou y servirent d'une autre
manière la cause des lettres.
20 MEMOIRE SLR LE COLLEGE
premier imprimeur de la Belgique *, nous avons à constater ici, comme un
lait important, la présence à Louvain, dès l'an 1475, d'un premier impri-
meur connu et autorisé, veuu de l'Allemagne : ce fut Jean de Westplialie
[Juannes de Weslplialia) , se nommant quelquefois lui-même Vaderbornensis ,
comme étant né à Aken, dans le diocèse de Paderborn -, Il obtint de l'uni-
versité le litre de mayister artis impressoriae, et imprima son premier ouvrage
à Louvain en décembre 147i : Libei- ruralium commodorum Pétri de Crescen-
liis. Pendant une résidence d'environ vingt-quatre ans, jusqu'à l'an 1497,
date de sa mort, Jean de Westphalie mit au jour plus de cent vingt ouvrages ^
dont les exemplaires conservés sont mis au nombre des plus curieux monu-
ments de la typographie naissante*. Parmi ces ouvrages, les uns présentent
un intérêt tout pratique, d'autres répondent aux besoins des sciences théo-
logiques, d'autres reproduisent des controverses du temps; mais il est aussi
bon nombre d'anciens auteurs imprimés dans le même intervalle par Jean
de Westphalie, probablement d'après des éditions qui étaient en ce genre
les premières productions de la presse en Italie, rarement d'après des
manuscrits. Nous citerons parmi ces auteurs, l'es satires de Juvénal et de
Perse (1475), le traité de Cicéron, De claris oratoribtis (1475), les Bucoli-
ques et les Géorgiques de Virgile (1475), les XII livres de l'Enéide (1476).
les traités de Cicéron, De Officiis, Paradooca, de umicilia, de senccliite (1485),
une traduction de la morale d'Aristote par Léonard Arétin (1475) ^; nous
' Un exposé des opinions en présence a été fait par M*' de Ram , dans les notes de ses Consi-
dérations sur l'histoire de l'université de Louvain, pp. 43-46 (Brux., 1854).
- Les autres imprimeurs du même temps que fait connaître Lanibinet, sont d'abord : Jean Vel-
dener (1467-1479), qui alla ensuite exercer son état en Hollande; puis en second ordre, Gilles
Vander Heerstraeten , Louis Ravescot, Conrad de Paderborn (frère de Jean) et Conrard Graem.
' Voy. Lambinet, Orirjine de l'imprimerie, 2"" édit., 1810, I. II, pp. 1-80.
* La plupart des éditions de J. de Westphalie ont été exécutées, dans un local concédé par
l'université, et l'imprimeur, comme celui qui a le droit de chasser sur les terres d'autrui, datait
ses publications du territoire académique où il travaillait: In aima et florentissima universitale
fMvaniensi.
^ M. de Reill'enberg a énuniéré plusieurs de ces classiques et autres anciens auteurs , alors impri-
més à Louvain, ainsi que les Épîlies de Cicéron Jd familiares (Troisième Mémoire, pp. 17-18) ,
d'après le Dictionnaire bibliographique de La Serna Santander, et les Annales de Maittaire. Au
nord de la Belgique, on imprimait à Utrecht, vers 1473, Végèce. et le poème deClaudien De rujitu
Proserpiiuie.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIIN. 21
y ajouterons Boèce déjà cilé, les XXII livres De Civilate Dei de saini Aiigus-
lin (1488), et ses livres sur la Trinité (1495); enfin, les Epislolae pcramoemte
d'Aeneas Sylvius Piccolomini (1485). On conserverait difficilement des
doutes sur les progrès lents, mais sûrs, des études de philologie latine, en
voyant ces textes étendus de Cicéron et de Virgile, publiés à Louvain avec
netteté, et mis à la portée de la jeunesse de ses collèges.
Justice étant rendue à ce que fit Jean de Westphalie à Louvain pour la
cause des études, nous avons à glorifier bien davantage de ce même chef la
mémoire de Thierry Martens d'Alost : que l'on suppose Martens associé de
Jean de Westphalie dès 1475 ^, ou bien élève de celui-ci, qui, après avoir
imprimé tout d'abord à Alost, lui aurait laissé un nombre suffisant de ca-
ractères pour continuer sa profession 2, il n'en faut pas moins le considérer
comme le premier typographe de la période dont nous nous occupons.
Avec quelle persévérance, habitant Anvers et Alost tour à tour, il cultiva
son art et le perfectionna sans cesse, tandis que son émule avait le séjour
et le marché de la ville universitaire! Avec quelle activité et quel zèle il se
posa plus tard comme son successeur ! Dès la fin du XV"'" siècle. Th. 3Iar-
tens, qui avait racheté les ateliers de Jean de Westphalie, offrit ses services
à l'institution de Louvain : si d'abord il ne résida pas constamment dans
cette ville, il s'assura des titres à ce nom de maître en l'ait d'imprimer, qui lui
fut donné l'an 1501. Ainsi Th. Martens s'est associé avec une noble généro-
sité aux travaux scientifiques et littéraires qui allaient réclamer le secour.»;
d'un imprimeur habile et intelligent, et nous verrons que son nom peut
être dignement uni dans l'histoire des lettres aux noms des hommes qui
en furent les promoteurs. Si on lui a donné le nom à' Aide de la Belgique,
il avait, certes, dans sa sphère, acquis une érudition qui le rapproche
de la savante dynastie des Aides : latin, grec, hébreu, idiomes vivants,
c'étaient les langues de sa conversation et de ses écrits. Enfin, en 1512.
' C'est l'opinion dii P. van Isegiiem dans son ouvrage que nous citons |>lus d'une fois : Bio-
(/raphie de Thicrrtj Martens d'Alost, premier imprimeur de la Belgique (Malines, Hanicq, t8.ï2.
I vol. in-S").
- L'opinion de Lambinet défavorable à Th. Martens, a été reprise par M. A. Bernard, qui ne
connaissait encore que l'ouvrage de M. de Gand, publié à Alost en 18-4.^, quand il a donné son livre
intitulé : Origine et débuis de l'imprimerie en Europe (Paris, I, I, 1852, t. Il, pp. 401-400).
22 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE
Th. Maliens vint se fixer à Louvain, et y installer tout son matériel d'im-
primerie : c'est surtout dans cette ville qu'il déploya son art de graveur
en caractères; des corps nouveaux de caractères romains, et aussi de ca-
ractères grecs, lui servirent à l'impression de ses nombreuses éditions,
qui sont des garants de son habileté, de sa merveilleuse aptitude, comme
de l'érudition des humanistes, au milieu desquels il vivait. Il est un de
ces personnages qui, à l'époque de la Renaissance, ont participé, comme
imprimeurs éclairés, à l'avancement des études, et qui ont eu le privi-
lège de venir puissamment en aide aux travailleurs de l'inlelligence. Il
recevait d'eux des lumières, et en retour, il sollicitait leur zèle, il réalisait
leurs projets, il donnait aux fruits de leur labeur une prompte publicité;
il contribuait à nourrir, au centre de la Belgique, l'émulation qui animait
les écoles de l'Europe occidentale. Comme l'a très-bien dit son historien * :
« c'est surtout à la Faculté des lettres qu'il consacra ses presses. Aussi est-ce
à l'activité avec laquelle iMarlens secondait les efforts d'Érasme, de Bar-
land, de Martin Dorp, de Pierre Gilles, de Louis Vives, et de plusieurs
autres latinistes, que l'université de Louvain dut l'avantage de contribuer
puissamment à la renaissance de la saine littérature au commencement
du XVI"'<' siècle. Quatre-vingts éditions, dont la latinité toute cicéronienne
bannit à jamais du sol belge le jargon barbare du moyen âge, attestent
encore aujourd'hui la part que prit Marlens à cette œuvre glorieuse. »
Thierry Martens était alors seul en état d'imprimer avec autant de soin
et de correction celte foule de livres adoptés comme classiques, qui servirent
de texte aux études privées, ainsi qu'aux leçons de philologie données
dans les pédagogies de Louvain ^ : c'est lui qui fournit aux jeunes maîtres
d'alors les moyens de publier ces livres qui en préparaient de plus savants*,
et c'est lui aussi qui, renonçant à propos à l'in-folio des premières œuvres
de la typographie, offrit à la jeunesse des livres portatifs, commodes par
leur format, corrects dans leur lexle, et vendus à bon marché '^. Il fui
' Van Isegheni, Biographie, p. 100.
2 Voy. plus loin la seconde partie du chapitre V.
- Voir dans la Biographie citée une traduction de la lettre adressée en 1317, par Martens à ses
bienveillants lecteurs, en tête delà paraphrase d'Érasme sur YÉpUre de saint Paul aux Romains,
pp. 155-154.— Dès l'an 1501, les Aides avaient donné la préférence à l'in-^2 ou petit in-S".
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 23
donné aussi à Martens de rendre des services à la science et aux lettres : les
érudits qui fréquentaient sa maison , et souvent se faisaient ses correcteurs,
trouvèrent toujours en lui un éditeur désintéressé : et qui sait si Lrasnie
aurait fait une aussi longue résidence à Louvain, s'il n'y avait pas compté,
outre la sympathie des esprits les plus distingués, sur l'amitié et le dévoue-
ment de Thierry?
L'ouverture du collège des Trois-Langues donna une nouvelle activité
aux presses de Th. Martens : c'est avec l'aide des professeurs de ce collège
et de leurs confrères, c'est en vue du mouvement intellectuel qu'ils allaient
produire et diriger, qu'il publiera une partie de ses belles éditions ^ Ce
que nous voulions signaler par avance dans cette revue historique, c'est la
faveur de l'opinion, acquise à la culture des langues et des lettres; c'est la
nature et l'abondance des ressources qui étaient assurées à cette culture
dans l'école centrale, sur laquelle le pays tout entier avait les yeux fixés.
§ III.
COINSIDÉIUTIONS SUIl L\ RENAISSANCE DES LETTRES EN EUROPE ET SUR l'aVÉNE-
MENT DES ÉTUDES HÉBRAÏQUES, EN RAPPORT AVEC l'hISTOIRE DE l'eNSEIGNE-
MENT LITTÉRAIRE EN BELGIQUE.
Félix tjui poluH rerum cognoseere causas.
Ce serait un hors-d'œuvre, en raison des limites du sujet que nous
traitons, que de disserter en cet endroit sur les causes de la Renaissance
et sur les effets qu'elle a produits dans le monde chrétien. Cependant,
comme nous devons parler de l'étude des langues classiques , de la pre-
mière publication des auteurs païens, et de l'accession de l'hébreu aux
deux langues savantes de l'antiquité, il nous a paru impossible, avant
d'aller plus loin, de garder le silence sur la véritable origine, sur la légi-
timité d'un mouvement littéraire qui a permis à l'esprit moderne de se
manifester avec toutes ses forces. Ce qui peut être dit de l'Italie et de la
direction de ses écoles, s'applique aux nations cisalpines qui sont entrées
à leur tour dans le même mouvement.
' Voy. plus loin chapitre IX.
Tome XXVIII. 5
24 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
Et (l'abord , qu'on ne se méprenne pas sur le point de départ de cette
rénovation des études littéraires que l'on désigne universellement du nom
de Renaissance. Ce n'est point là un fait accidentel qui s'est produit instanta-
nément, un phénomène sans raison et sans cause, une anomalie du monde
moral. N'est-il pas constant aujourd'hui que depuis la chute du poly-
théisme, une tradition littéraire non interrompue n'a jamais cessé d'exercer
quelque empire sur l'éducation européenne? Ne voit-on pas poindre deux
cents ans auparavant cette culture des lettres anciennes, que l'on vou-
drait, dans des vues intéressées, faire coïncider avec la révolution religieuse
du XVI"' siècle? Il est de fait que la renaissance des lettres répondait à
un besoin réel des intelligences dans la république chrétienne, qu'elle
était appelée par l'activité toujours plus grande de ses écoles, et qu'elle a
commencé longtemps avant les troubles religieux et politiques qui ont
divisé profondément l'Europe. Mais on a porté, en cette cause, un esprit
de système contraire à la vérité historique, placée, comme nous allons le
montrer, entre deux opinions extrêmes.
D'une part, un grand nombre d'écrivains appartenant au protestantisme
dénient à l'Église la meilleure part de la gloire qui lui revient pour avoir
favorisé l'étude de l'antiquité dans ses langues et ses monuments, ou bien,
s'ils accordent leur admiration aux pontifes et aux puissants personnages
de l'Italie qui ont encouragé davantage la restauration des lettres anti-
ques, ils insinuent fréquemment qu'ils n'ont pu le faire sans abjuration
cachée de leur foi , sans danger pour leurs mœurs et pour celles des peu-
ples chrétiens, voire même sans une sorte de compromis coupable avec
le paganisme ^
La conclusion de la plupart de ces auteurs tend à ceci : Déclarer le
catholicisme impuissant à diriger ce mouvement qui devait faire entrer
des éléments nouveaux dans la science, et, partant, en rapporter tout l'hon-
' Il fait beau voir, par exemple, dans Yf/istoire de la pédagogie Aép citée (t. I), avec quel puri-
lanisme Ch. de Raunier fait leur procès, au nom de l'Évangile et de la morale, aux écrivains et
aux protecteurs de la renaissance italienne, et aussi de quel air il gourmande la papauté. — Dans
leurs ouvrages généralement connus sur l'histoire des lettres, J. Eicliliorn et Hallam donnent sou-
vent aux faits une interprétation semblable, mais tempérée dans la forme.
DES ÏROIS-LANGUES A LOUVAIN. 2S
neur à la Réforme, tomme si seule elle avait conduit à son terme celle
grande entreprise de la résurrection des méthodes et des études. Beaucoup
d'écrivains renommés ont renchéri tout récemment sur cette hypothèse ,
sauf à charger le moyen âge des ténèbres que leur propre main avait lenlé
naguère de dissiper ^ et les plus sincères ne dissimulent pas que c'est
pour refuser au principe chrétien toute action salutaire dans les siècles
antérieurs : de là ces tableaux imaginaires de la renaissance des arts et
des lettres en Europe, commençant avec le siècle de Luther.
Une méprise non moins grande est commise de nos jours par des écri-
vains qui se placent à un point de vue tout opposé : sortant des rangs
de la littérature chrétienne, ils font violence, eux aussi, à l'histoire avec
la prétention de servir la cause de la foi et de l'Église, et ils semblent ne
pas s'apercevoir qu'ils font à l'une et à l'autre un sanglant outrage. Selon
ces hommes, rien n'est bon dans les lettres et les arts après le XIII™'' siècle ^ ;
il n'y a qu'aberrations dans les efforts voués en Italie à la restitution de
la littérature antique, à la recherche et à l'étude des monuments de l'art
ancien; il n'y a qu'illusion, vanité et faiblesse chez les papes qui ont prêté
la main à ces efforts. Ce n'est point assez pour ces écrivains de stigmatiser
l'époque de la Renaissance comme un âge funeste de tout point à la doctrine
et à la morale du christianisme, et la Renaissance même comme une des
causes déterminantes de la Réforme, de ses négations et de ses excès : ils
font retomber la même responsabilité sur les chefs de leur Église qui ont
autorisé l'usage des classiques païens dans les écoles d'humanités, et ils
parlent avec amertume et avec superbe de l'aveuglement de quiconque a
' Des critiques éclairés de loiile école ont signalé cette tendance dans les derniers tomes de
V Histoire de France, par M. Miclielet (tomes Vit et VIII, la Renaissance et la Réforme).
- Le moyen âge est encore , à l'Iieure qu'il est, une pierre d'achoppement dans le monde savant :
objet d'un dénigrement aveugle et passionné de la part des uns, d'une admiration fervente et sans
bornes de la part des autres. Les travaux les plus remarquables de réhabilitation composés de notre
temps en faveur de siècles mal connus et mal jugés, n'ont pas dépassé le but; mais ils ont créé
des illusions... Que de gens voient uniquement dans le moyen âge les prodiges de la foi et les mi-
racles de l'abnégation chrétienne, mais ferment les yeux sur les violences et les désordres qui
éclatent partout! Éblouis par l'art, attendris par la légende, ils se forgent un idéal qu'ils voudraient
fixer dans le monde, comme s'il n'y avait pas de progrès possible à travers beaucoup de luttes et
de combats, comme ceux qui remplissent l'histoire moderne.
26 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE
concouru à le maintenir. On sait que, pour être conséquents, ils ont ré-
clamé l'abandon des auteurs anciens, classiques attitrés depuis quatre
cents ans, dans l'espoir d'extirper ainsi le mal en sa racine ^.
Nous n'avons pu caractériser autrement qu'en termes généraux ces deux
espèces d'erreurs, également préjudiciables à une saine appréciation de
grands faits de l'histoire et aux nécessités intellectuelles du temps présent.
Elles présentent un rapprochement des plus singuliers : en effet, l'une
glorifie la Renaissance par esprit d'opposition à l'Église, et elle en refuse
l'honneur à celle-ci; l'autre honnit la Renaissance comme anti-chrétienne,
et elle en répudie l'honneur pour l'Église.
Gardons-nous de déplacer les termes et surtout de confondre les épo-
ques. Le fait de la renaissance qui apparut au XIV"" siècle avait ses racines
dans le travail des générations antérieures : le labeur incessant des univer-
sités et des écoles de tout degré répandues sur la surface de l'Europe, la-
beur auquel les lettres et les arts de l'antiquité allaient concourir, était, à
l'origine, dans les conditions du progrès qui devait tourner à la grandeur
et à la gloire de la société chrétienne. N'advint-il pas que, dans cette portion
de l'activité humaine comme en tant d'autres, le mal se mêla au bien, que
de fausses directions paralysèrent les plus nobles efforts, et que l'on dévia
plusieurs fois de la voie droite avant d'arriver au terme? Dans cet âge de
transition, comme dans tous ceux où se prépare une transfoi'mation sociale,
que ne doit-on pas concéder aux séductions qui suivent de grandes décou-
vertes, à l'enivrement d'une première admiration ou d'un premier succès?
Elle fut très-longue et très-douloureuse, la crise qui précéda les époques
les plus belles et les plus glorieuses de l'ère moderne.
' Nous ne relèverons pas les noms de ces nouveaux Troyens, comme on disait du temps
d'Érasme; M^' Gaurae conserve le triste honneur d'avoir été leur chef de file, et le journalisme est
veste leur auxiliaire avec sa fougue et son outrecuidance. Des hommes de mérite, MM. Landriot,
de Valroger, Leblanc, Martin, Laurentie, ont répondu avec avantage à ces prolestants littéraires;
la compagnie de Jésus s'est acquis de nouveaux titres à l'estime de tous les hommes impartiaux, en
prenant la défense de la tradition littéraire et des saines doctrines; c'est ce qu'a fait après le P. Ar-
sène Cahours, un de ses confrères, le P. Daniel , dans son livre remarquable et trop peu vanté :
Des éludes classiques dans la Société chrétienne (Paris, 1853, 1 vol. in-8°). Elle est enfin suspen-
due, celte querelle qui, selon l'expression de l'archevêque de Rouen, allait « livrer la France à
la risée et aux sifflets de l'Europe civilisée. »
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 27
Que l'on blâme l'onlhousiasrae irréfléchi porté par les Italiens dans le
culte des lettres antiques, de même que la fougue qu'ils ont mise dans la
plaisanterie et dans la censure, que l'on déplore l'inconséquence ou la lé-
gèreté dans la conduite et les écrits des hommes remarquables qui ont pré-
sidé au travail de la Renaissance, en Italie, en Allemagne et ailleurs ^ il
n'en est pas moins vrai que l'œuvre à laquelle ils s'appliquaient de toutes
leurs forces , était une œuvre grande et légitime, utile et féconde pour la
chrétienté. Cette œuvre a été altérée dans son cours, quelquefois même
détournée de son but; mais, considérée dans son principe et dans sa
destination, elle entrait, à n'en pas douter, dans les desseins delà Provi-
dence, qui conduit admirablement toutes choses et qui dispense un pain
toujours plus fort aux intelligences et aux sociétés chrétiennes, à mesure
qu'elles s'avancent dans la voie de la vraie civilisation.
Le moment était venu oii le cercle des sciences s'agrandissant conti-
nuellement et le savoir se vulgarisant toujours davantage, la puissance de
la parole écrite comme de la parole parlée devait s'accroître aussi. Les
langues nationales, encore dans l'enfance, devaient recevoir l'empreinte
des langues plus parfaites de l'antiquité, avant d'entrer dans leur âge viril,
et les essais du génie moderne, être mesurés patiemment aux proportions
du génie antique, avant la création des monuments originaux de nos litté-
ratures européennes. Celte marche des choses était logique; et comment
s'étonner que plusieurs pontifes, les Nicolas V et les Léon X, aient pris
en main la cause des lettres qui intéressait si vivement l'avenir de la chré-
tienté? Il est bien vrai, après cela, que la rénovation littéraire ne se fit point
partout en conformité avec les prescriptions souveraines de la foi chrétienne,
et qu'elle porta ses fruits les plus abondants , quand l'autorité religieuse
se trouvait déjà ébranlée. Mais est-ce à dire que les chefs de l'Église n'y
aient pas contribué dans les vues les plus larges et les plus généreuses ^ ?
' L'abus fut très-grand surtout dans les termes : encore a-t-on beaucoup exagéré le paganisme
littéraire de Bembo et d'autres écrivains de son temps , dignitaires ou membres de l'Église, comme
le fait remarquer judicieusement le P. Daniel dans le livre cité à l'instant.
- Heeren a loué la conduite des papes à cet égard. Gesch. der class. Liler. in Mitlelalter, t. II.
pp. 349-036.
28 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
Est-il juste de leur refuser cette haute connaissance des besoins de leur
temps, cette profonde prévoyance des nécessités de l'avenir qui se montrent
dans leur politique et dans tous leurs actes? Il y a sous ce rapport aveugle-
ment chez les adversaires comme chez les panégyristes delà Renaissance,
ceux-ci la considérant uniquement comme un des actes d'émancipation de
l'esprit humain , ceux-là s'obstinant à la déclarer absolument mauvaise.
L'altitude du catholicisme devant la Renaissance fut celle qu'il avait prise
autrefois pour sauver les débris de la littérature antique : ce qu'avaient
fait les bénédictins, et après eux les chefs des écoles épiscopales et monas-
tiques, l'Église le voyait faire, avec confiance, par les universités qu'elle
avait fondées, par les écoles et les académies qu'elle avait patronnées. Mais,
dira-t-on , quelle résistance ne fit-on pas, dans ses rangs, aux hommes
comme aux livres de la Renaissance, aux méthodes comme aux idées? Cette
résistance ne fut-elle pas la même à Cologne, à Oxford, à Paris, à Lou-
vain?Mais qu'on y prenne garde : c'est bien la condition de toute science
d'être soumise à de nombreuses contradictions avant de s'enrichir d'une
découverte incontestée, avant de prendre sa place dans le cercle des hautes
études, et quand on y regarde de près, ne voit-on pas presque toujours
des raisons étrangères à la science, ou simplement des intérêts de corpora-
tion, servir d'armes pour la combattre?
Il n'est pas besoin de prouver que la Renaissance s'est accomplie en
Italie avant la Réforme, et qu'elle y a poursuivi son cours après l'ère de
la Réforme, et de même qu'elle a pénétré en bien d'autres pays en dehors
des circonstances de la révolution religieuse. Il y a peut-être quelque
utilité à établir ce qui a été entrepris chez les nations chrétiennes avant
l'apparition de Luther, pour la connaissance et l'interprétation de l'Écri-
ture : ce seront les préliminaires de l'exposé que nous devrons faire de
l'état des études hébraïques au XVI""" siècle.
Partout où florissaient les sciences théologiques, des tentatives ingé-
nieuses, inspirées par l'esprit des croisades, furent faites pour que la
langue sainte entrât dans le domaine des hautes études. Raymond LuUe
avait compris les langues de l'Orient parmi les armes qu'il voulait four-
nir à la société chrétienne dans sa lutte contre la société musulmane.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 29
Bien que ses projets aient été traités de chimériques dans plusieurs écoles,
des papes s'en préoccupèrent : Honorius IV se proposa d'introduire l'en-
seignement de l'arabe dans l'université de Paris. Au concile de Vienne .
en loi 1 , Clément V décréta l'érection de chaires spéciales, au nombre de
deux, pour chacune de ces quatre langues, le grec, l'hébreu, l'arabe et
le chaldaïque, à Rome même et dans les universités de Bologne, Paris,
Oxford et Salamanque. Cette constitution n'eut pas une exécution com-
plète et suivie, à cause des événements qui divisèrent l'Europe ^
Au XV™" siècle, le goût des mêmes études se réveilla à l'université de
Paris : en l^SO, un décret fut porté, au nom de la Nation de France, avec
celte conclusion que l'on allouât des bénéfices suffisants aux professeurs
d'hébreu, de grec et de chaldéen , et un peu plus tard le professeur
d'hébreu reçut, en effet, un salaire de l'autorité académique^. Mais il fal-
lait bien des années encore avant que l'étude de la langue hébraïque cessât
d'être le monopole des écoles israélites , et que les chrétiens ne fussent
plus à la merci des rabbins juifs, ou des juifs convertis, qui faisaient
payer à grand prix un enseignement souvent fort pauvre, presque tou-
jours subtil et peu applicable. Une lutte d'habileté, quelquefois inégale,
s'établissait entre les rabbins et leurs élèves , ceux-ci ayant la plus grande
peine d'obtenir de la cupidité de leurs maîtres des documents neufs,
authentiques et vraiment curieux ^.
Avant les querelles bien plus sérieuses de la Piéforme, les esprits se
préoccupèrent vivement des controverses que firent naître des assertions
des premiers hébraïsanls, puisant avec témérité à des sources tout à fait
inconnues : un sentiment de défiance entourait leur personne et accueil-
lait leurs communications. 11 est certes plus d'un homme intelligent qui
se laissa, de ce côté, entraîner dans les spéculations et les rêves d'un faux
mysticisme; mais il y a fort loin de leurs aberrations dangereuses aux
' Voy. notre Introduction à l'hist. génér. des littératures orientales, pp. 63-68.
- Voy. Crevier, Histoire de l'université de Paris, t. IV, pp. 46, 263.
^ C'est ce qu'a exposé le célèbre professeur W. Gesenius, de Halle, dans un ouvrage allemand :
Geschichie der hcbraïsclien Schrifl und Sprache , p. 3i2. (Leipzig, 1813.) Cfr., \ Histoire générale des
langues sémitiques, par M. Ernest Renan, t. 1, 1833, pp. 164-163.
30 MEMOIRE SIR LE COLLEGE
apostasies du siècle suivant, qui rompirent avec la tradition catholique
et qui défièrent l'autorité de l'Église.
Il est deux noms , mais des plus célèbres , qui trouveront ici leur place
à titre d'exemples. En Italie, Jean Pic de la Mirandole avait tenté de
réduire à un petit nombre de propositions un système aussi étendu que
celui qui peut être formé par les doctrines de la Kabbale^; quand ses
ennemis dénoncèrent dans son livre treize propositions entachées d'hérésie ,
Pic soumit ses Conclusions cnbbalislùjitcs au jugement du pape Innocent VIII,
et il sortit justifié du tribunal où il avait provoqué une décision nou-
velle ^. Cet homme prodigieux mourut à Florence en 1494 à la fleur de
l'âge, avant d'avoir mis la dernière main à son entreprise.
Le second de ces hardis hébraïsanls, Jean Reuchlin (que j'ai dû si-
gnaler plus haut comme un des premiers hellénistes de l'Allemagne),
s'égara plus loin peut-être par les mystères de la Kabbale; mais il appela
de même au tribunal de la papauté des jugements portés contre lui à
Cologne et à IVlayence. Le procès fut différé par ordre de Léon X [Man-
datum de supersedendo — 1515), et puis abandonné par suite des troubles
religieux de l'Allemagne; mais l'issue semblait devoir être favorable à
'celui qui s'apprêtait à défendre l'orthodoxie de ses doctrines'.
Les hommes qui ont fondé l'exégèse nouvelle ne sont pas sortis de
l'Église; elle n'a pas désespéré d'eux, et leur science doit lui appartenir
dans l'histoire. Jean Reuchlin, qui est mort en 1522, sans avoir passé à
la réformation, ouvrit la voie aux travaux d'exégèse sur l'Ancien Testa-
' C'est la matière de son principal ouvrage imprimé à Rome (i486, in-folio) : Conclmiones cab-
hniisticae numéro XLVIl, secundum secrelam doctrinam sapienlium Hcbraïcorum. Voy. Ad. Franck,
La Kabbale, ou la philosophie religieuse des Hébreux. Paris, 1843, p. 8, et YliHrod. à la littér. de
l'Europe, par Hallam , 1. 1 , pp. 205-208.
"^ VApologia suivit ksConclusiones en 1 489. Les œuvres de Pic furent ensuite réunies et publiées
à Bologne (1496), à Venise (1498), à l?âle, en 16 volumes in-folio.
■ Le premier ouvrage de Reuchlin (Z>c i'er6omîV«/*co; Basil., 1494, in folio) clierclie l'origine
de toute philosophie dans les livres hébreux, et montre l'analogie des principaux dogmes chrétiens
avec les traditions de la kabbale, posant ainsi les fondements de ce qu'on a appelé plus lard Kabbale
chrétienne. Un second ou\vae:e de Arte cabbalislica (Haguenau, 1.^17, in-folio) contient une expo-
sition plus régulière de la doctrine critique des Hébreux. Voy. Franck, La kabbale, préface,
pp. 10-14, et Hallam, ouvrage cilé, t. I, pp. 297-298.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 3i
meut, comme Érasme, qui n'a pas cessé d'être catholique, a jeté les bases
de l'exégèse philologique sur le Nouveau Testament. C'était le but prin-
cipal qu'il assignait lui-même à ses travaux de grammaire dans sa préface,
comme s'il avait travaillé pour la religion et la vraie théologie.
Reuchlin a servi en réalité cette cause de la science sacrée par sa
grammaire, qui porte l'empreinte des sources qu'il consulta et des leçons
qu'il reçut avec de grandes peines et de grands sacrifices ^ ; il y a, en effet,
conservé une foule de distinctions minutieuses inventées par les juifs, et
expliqué scrupuleusement les formules grammaticales qu'il empruntait au
Mklilot de David Kimchi et aux traités d'autres écrivains israélites. Ses
trois livres De rudimcntis liehraïcis'^ lui ont valu, chez les chrétiens, le titre
de Père de la grammaire hébraïque.
Les études hébraïques entrèrent dans une nouvelle phase peu après
l'apparition des Rudiments de Pteuchlin : la langue fut soumise à une étude
plus pratique, réduite à une exposition plus claire et plus logique; l'on
s'est ingénié dès lors à ramener à quelques propositions fort simples la
théorie de ses formes et l'ensemble de ses lois. De tous les grammairiens
juifs des derniers temps, aucun n'avait contribué plus qu'Elias Levita par
ses nombreux écrits à faciliter une étude méthodique de l'hébreu. Ce sont
les traités d'Elias Levita qui ont servi de fondement et de source aux
livres élémentaires composés par plusieurs professeurs d'hébreu dans le
cours du XV!""" siècle. Il fut le maître de Paul Fagius et de Sébastien
Munster, qui mit la main à l'édition ou à la version latine de plusieurs
de ses traités de grammaire^.
L'exposé que nous venons de faire de la naissance des études hébraï-
ques en Europe pendant une période de deux cents ans environ antérieure
à l'époque de la Réformation, trouvera son complément dans une indica-
tion sommaire des œuvres d'exégèse philologique marquant la un de celte
' Parmi ses maîtres, on connaît un médecin juif, de la suite de l'empereur Frédéric JII . Jeiiiel
Loans, et un certain Abdias qu'il rencontra à Rome en 1498.
- Libri Ill/le Rtidiineiitis hebraïcis, 1506, in-folio, imprimé à Pforzlieim [Phorcae], ville natale
de Reuchlin.
'• Voy. Gesenius, GeschiclUe . note IV, p. 98, pp. 109-HO, et J. Fùrst , Bibliotheca jitdaica .
i. 11, pp. 259-42, pp. 407-408.
Tome XX VIII. 6
32 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE
période, ainsi que des moyens qui furent alors même assurés à l'élude
de l'hébreu et des langues qui lui sont afliiiées.
Un religieux d'Italie s'occupa, dès les premières années du XVI""' siècle,
du rapprochement des textes originaux et des versions orientales de la
Bible : A. Giustiniani ' , évêque de Nebbio en Corse , fit paraître le premier
psautier polyglotte dédié à Léon X, et comprenant cinq langues^, hébreu ,
grec, chaldéen, arabe, latin, et ce fut longtemps un des seuls livres qui
servirent de source aux études privées de linguistique '.
Le commentaire perpétuel qui y figure à titre de version n'était que le
prélude de cette version littérale qui accompagna la bible hébraïque de
Sautes Pagninus, quelques années plus tard, et qui présente souvent un
résumé judicieux des opinions et des explications rabbiniques en rapport
avec l'interprétation traditionnelle de l'Église. Un progrès remarquable
était dû à la science grammaticale et à l'érudition hébraïque de Pagninus.
comme l'a constaté un savant moderne "* : « Un peu plus tard que Reuchlin ,
.. enseigna, en Italie, Santés Pagninus dont les travaux contiennent, il
» est vrai, bien des extraits des rabbins, mais dépassent de beaucoup ceux
I. de Reuchlin en étendue et pour la connaissance de ces sources. »
C'est de même, dans les années précédant immédiatement les réforma-
teurs d'Allemagne, qu'un cardinal fameux comme savant et comme homme
d'État, Ximenès de Cisneros, dirigea l'impression de la première des
bibles polyglottes : type et modèle de celles qui ont été publiées depuis,
cette polyglotte a conservé le nom du cardinal et celui de l'université où
elle fut élaborée et imprimée ^. Ximenès réunit les forces des professeurs
d'Alcala et de Salamanque ^ ainsi que de beaucoup d'hommes instruits.
' Il visila plusieurs pays de l'Europe. Voy. Colomiès, Ilaiia oricnlalis, p|). (}\-7>o. Sur 1 appel de
(iiustiniani à Paris , en 1517, voy. V/Jistoirc du collège de France, par Goujet , 1.1, p. -40.
- On appelle vulgairement ce recueil Psallerium Ncbiense. En voici le titre exact: Psallerium
hebraïcuiii , graecum, araUcum, clialdiucum cum tribus latinis inlerprelationibus cl ijlossis. Genuae.
1.tI6, iOO pages in-folio. Cons. Bibliollieca sacra de Lolong, éd. C. Maseh, 1, pp. 400-401.
'• Gleynarts y avait puisé laborieusement des notions d'arabe avant ses voyages dans le Midi.
* Gesenius, Geschichte der hebr. Sproche, p. 108. Cfr., pp. H 5 et 115.
s Biblia Polyglolla, —in Complulensi universitatp, 1514-1517, C vol. in-folio. On l'appelle
quelquefois Bible de Complule, du nom latin, Complulmn, de l'ancienne ville d'Alcala.
•^ Antoine Ncbrissensis, Lopez de Zuniga (dit Astuniga ou Slunica, Ferdinand l'incianus, étaient
DES TROJS-LANGUES A LOIJVAIN. 33
pour livrei' au monde chrétien le texte comparatif des saintes Écrituies
dans les langues antiques, grecque et latine, hébraïque et chaldaïque.
Cette entreprise laborieuse qui avait entraîné une dépense de 30,000
écus d'or, fut couronnée de succès : la grande Bible vit le jour en 1517 ^
avant toute polémique religieuse et confessionnelle. Quand le dernier tome
lui fut présenté, Ximenès se félicita hautement de ce travail qu'il avait
ordonné, plus que des autres actions de sa vie ^ : « cette bible, s'écria-t-il,
» va ouvrir les sources sacrées d'où l'on puisera une théologie bien plus
» pure que de ces ruisseaux où la plupart l'allaient chercher. »
Mais, demandera- 1- on, quelle espèce d'enseignement fut- il organisé,
dans le cours des mêmes années, pour satisfaire cette impulsion qui entraî-
nait tant de solides esprits vers la philologie sacrée de même que vers les
études classiques? Nous dirons brièvement ce qui fut réalisé à cette époque.
Dès l'an 1505, dans une lettre à Christophe Fisher relative aux textes
de la Bible ^, Érasme combattait les faux prétextes allégués contre l'étude
de l'hébreu et des anciens idiomes, et rappelait le décret du concile de
Vienne, qui prescrit de former des maîtres dans les trois langues *. En
ce même moment l'Espagne mettait à exécution la pensée longtemps
méconnue des chefs de la chrétienté : l'université d'Alcala, qui était née
sous les yeux de Ximenès ^, et qui était devenue une petite république
dans la monarchie espagnole ^, dut à la sollicitude de ce grand ministre
des professeurs en langues grecque et latine. Voy. Flécliier, Vie de Ximenès, édil. I69Ô, I. I,
pp. t83-t87, et le cardinal Ximenès par le professeur Hefele de Tuhingue, cliap. XII (trad. fr..
Tournai, 1830, pp. 141-177). Cfr. Bibliotti. sacra, éd. Mascli, l, pp. 552-39.
' Le Nouveau Teslanu-nt qui était imprimé dès l'an 131-4, ne parut qu'en lo2"2.
- Fléchier, ibid., pp. 187-IS8. Cfr. Hefele, ch. XII, pp. 144 et 161.
"' Il ne faut pas confondre Clir. Fisher, prolonotaire apostolique, avec un autre prélat fort instruit,
J. Fisher qui, très-Agé, s'était rendu niaitre des trois langues. Voy. Érasme, Adag. Chil. IV, cent. V. I.
' Episl., I, p. 99 ; Alioqui quae tandem demenlia [itérât, alterum Testamentttm ab Hehraïcis
vertere, alterum a Graecis emendare, si nostra erant tUroque in cjenere meliora? Qiiorstim attinebat.
ut, in Viennensi concilia (quod refcrtur Clément, libro secundo, tiiulo De niagislris) tam sollicite
statuerit auctoritas ecclesiaslica de parandis triinn linguarum docloribus? Quo in loeo rursus ad-
miror , quoconsilio, graecam linguam eraserint. Verùm liaecdoctos admonuisse tantum, sal hubeo.
' liBS huiles d'institution avaienlélé reçues seulenienl en 1504. V. Hefele, ch. XI, Irad.cit., p. 127.
® Lire dans Fléchier, 1. 1, pp. 304-508, le récit de la visite du roi Ferdinand à Âlcala, en 1513.
— Le fait n'eut lieu qu'en 1514, suivant Hefele, pp. 136-138.
34 MÉMOIRE SLR LE COLLEGE
des chaires destinées à renseignement des langues savantes, comme à
celui de toutes les sciences ecclésiastiques et profanes. Des subsides et
des privilèges furent institués pour l'entretien et l'honneur de ceux qui
devaient les remplir ^. Quand Ximenès mourut, le 8 novembre 1517, son
école florissante était déjà pourvue d'une bibliothèque riche et choisie,
célèbre avant celle de l'Escurial '^, et dotée de leçons qui manquaient
encore dans les universités de l'Europe centrale : elle était un des beaux
fleurons de la couronne d'Espagne. L'hommage d'Érasme n'a manqué ni à
l'œuvre de Ximenès, ni à l'expérience du vieux Lebrixa, le plus célèbre
des humanistes espagnols ^.
Dans la même période,, à Oxford et à Cambridge, l'étude des lettres
grecques et latines avait jeté ses racines et avait prospéré lentement par
des leçons privées : il fut donné à plusieurs liommes de l'Angleterre, les
G. Latimer, les Morus, les Th. Linacre, etc., d'y acquérir de cette façon
une très-grande habileté. Mais des leçons régulières ne tardèrent pas à
être organisées : c'est Richard Fox, évêque de Winchester, qui combla le
premier, à Oxford, cette lacune, en dotant d'un cours de langue grecque
le collège dit Corpus Cliristi construit à ses frais. On comprit le grec parmi
les branches d'enseignement dans l'école de S'-Paul à Londres, suivant les
statuts de 1518, et, en 1519, le cardinal Wolsey institua une leçon de grec
parmi les leçons régulières de l'université d'Oxford. Jean Fisher, évêque
de Rochester, prit des mesures semblables à celle de Cambridge dont il
était chancelier. Evidemment l'Angleterre avait fait plus pour le grec que
l'Allemagne et la France *. Instruit par ses amis de ce qui se passait dans
les deux universités de la Grande-Bretagne, Érasme y voyait l'empire des
' Fléchiei-, t. I, pp. 124, 178, 554-358. Hefele, cliap. XI, pp. 119-139. Hallam, t. I, p. -275.
'- Hallam, Lillér.de l'Europe, t. I,p. 478; t. II, 559.
"' Academia Complutensis non alimide celebrilaU-iit iwminis auspicuta est, quam a compleclendo
linguas, ac bonus titeras. Ciijus praecipuum ornamentum est egret/ius Me senex, planeque dignus
qui midtos vincal Nestoras, Antoniiis Nebrissensis. — Epist., t. 1, p. 689, B.
•* Voir Hallam, Litlér. de l'Europe, t. I, pp. 255-230, 261, 276-279, et plusieurs lettres
d'Érasme, par exemple, sa lettre à Monljoie, Anvers, 1519 (Epist., t. I, p. 538), et sa lettre à
Claymond, juin 1519 (Epist., t. 1, p. 465,. C.fr. Wood , hïst. et aniiq. miiv. Oxon.. II, p. 227 sq.
(Oxon. 1674).
DES TROIS-LANGUES \ LOIVAIN. 3o
belles-leltres assuré, alors qu'il était contesté ailleurs, el quelquefois avec
acharnement ^; il attribuait leur triomphe sur un fort parti d'opposition
dans l'antique Oxford, à la fermeté du roi et du cardinal Wolsey. Se tour-
nait-il vers l'Italie, il apprenait que Léon X avait établi à Rome, en 1515,
une école ouverte aux Grecs habitant la Péninsule, et mise d'abord sous
la direction de Jean Lascaris, et que les travaux de ce collège avaient
pour appui une imprimerie bien organisée en vue de la publication d'ou-
vrages grecs -; il savait aussi que le même pontife ne cessait de donner
des encouragements à tous les savants s'occupant des langues de la Grèce
et de l'Orient ^.
Après cette esquisse des travaux privés et des fondations officielles qui
firent avancer l'étude des langues savantes en plusieurs pays de l'Europe,
on aperçoit à l'instant de quelle opportunité était l'établissement d'une
école qui mît la même étude en honneur dans les Pays-Bas. Le terrain
était préparé dans la ville universitaire et dans plusieurs villes de nos
provinces : le collège fondé en 1517 par Jérôme Busleiden et ouvert dès
1518, répondit à l'idée qui l'on se faisait alors d'un collège des Trois-
Langues. Nous pourrons passer maintenant à l'histoire de cette institution,
qui jeta un grand lustre sur le nom belge dans les siècles passés.
' LeUre à Vives. Louvain, 13^21 (Episl., t. I , p. 689). V. les détails dans Hiiber, die englùchen
Universitriten (Cassel, 1839), I" B., p. 575 sq. , el p. 413 sq.
2 Voy. La vie de Léon X, par lîoscoe, l. H, chap. XI, et Hallani, I. c. p. 269.
^ Voy. les faits détaillés par Audin , dans son Histoire de Léon X, t. H, chap. XIII (Théologie —
Linguistique), et h propos du grec par Crapelet : Progrrx de l'imprimerie en France et en lUdie .
au XVI' siècle, 1836, p. 6.
36 MÉMOIRE SUR LE COLLÈGE
CHAPITRE 11.
DE LA FONDATION DU COLLÈGE DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN,
PAR JEROME BUSLEIDEN.
Litundum Manihui
(VaIÈHE \SDBt.i
L'établissement d'un collège destiné spécialement à l'étude des langues
savantes est dû au concours de deux nobles intelligences qui ont com-
pris également bien les intérêts de leur pays et de leur temps : Jérôme
Busleiden et Didier Érasme partagent, ea quelque sorte, le mérite d'en
avoir été les fondateurs.
Le premier nous représente cette portion considérable de la noblesse
des provinces belgiques qui, dans les hauts emplois, dans les dignités
ecclésiastiques ou dans les loisirs d'une vie opulente, se piquait de con-
naître les arts et de les encourager, d'apprécier à leur juste valeur les
antiquités et les raretés de toute espèce, les manuscrits, les enluminures
et les beaux livres. Issu d'une famille distinguée par la naissance, Jérôme
Busleiden avait pour émules certain nombre de seigneurs et de prélats
dont les noms se sont conservés en souvenir de ces goûts vraiment nobles
plutôt qu'en raison de leurs titres et privilèges ';ce qu'il eut au-dessus
d'eux, c'est l'insigne honneur d'assurer l'exécution d'une œuvre qui ré-
pondait certainement aux idées des classes éclairées, mais qui réclamait
un promoteur d'une instruction égale à son autorité.
Le second, Érasme, était un des maîtres de l'opinion, si puissante au
XVI""= siècle qu'on la dirait alors la reine du monde, si elle le fut jamais.
Il avait été en rapport à Louvain et ailleurs avec les hommes les plus
instruits des Pays-Bas, et son suffrage, fortifié par l'étonnante renommée
' On nommerait à ce titre Raphaël de Marcatellis, abbé de S'-Bavon à Gand, Georges de Ha-
lewin ou Halluin, seigneur de Comines, Nicolas Everard, magistrat lettré qui entra, dès l'an loOo,
au «rand conseil de Malines.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 37
de ses écrits, pouvait donner un appui efficace à une entreprise littéraire
qui, à cause de sa nouveauté même, serait accueillie tout d'abord avec plus
de défiance que de faveur. On aurait, certainement, mauvaise grâce à con-
tester qu'une grande part de reconnaissance revienne à Érasme dans la
fondation du collège que Jérôme Busleiden prit le soin de doter. On
soutiendrait plutôt que, par son intervention dans la poursuite de cette
affaire, il a rendu à l'éducation publique un service signalé qui est à peine
dépassé par l'heureuse influence de quelques-uns de ses traités de littéra-
ture et de critique : en effet, comme nous le montrerons dans le chapitre
suivant, Érasme contribua plus que personne à la réalisation des volontés
de Jérôme Busleiden après la mort de son ami, et c'est au point que,
sans les instances d'Érasme, le collège n'aurait peut-être pas surmonté
les crises de ses dix premières années ^ Mobile tant de fois en sa con-
duite, Érasme montra ici une persévérance qui l'honore grandement, et
cela en présence de l'hostilité d'un parti considérable qui n'avait ni mé-
nagé son amour-propre, ni même respecté son caractère.
Ce serait, en tout cas, une tâche utile et pleine d'attrait, celle de retra-
cer la vie de Jérôme Busleiden; car il nous présente un noble exemple du
culte du beau uni h une profession sincère du christianisme, ainsi que l'a
compris l'élite de ses contemporains. Mais nous lui devons, dans ces pages,
une biographie détaillée, comme au fondateur du collège des Trois-Langues.
qui sera appelé aussi collège de Busleiden. Nous n'entrerons point en ma-
tière sans payer, suivant un usage antique et solennel, un tribut d'hom-
mages à sa mémoire, ou plutôt, comme disait Valère André 2, à ses mânes :
Litandum Manibus !
Jérôme Bisleiden (ou Busleyden), Hieromjmus Buslidius, était originaire
' M. Hottiei' Il indiqué ce que lit Érasme dans celle intenlion : Vie d'Erasme, chap. XIV: Le
collège des Trois- Lan f/ues , pp 1 10 sq., pp. 121 sq.
- Nous ferons des emprunts à la biographie de Jérôme Busleiden et de ses proches, que Valère
André a présentée, sons une forme oratoire, dans son discours sur l'origine du collège ; Collegii
Tril. Buslidiani exordia et progressiis , etc., pp. 2-6, et qu'il a résumée dans ses Fastes, p. 275.
Nous avons profité aussi des notes recueillies sur les Busleiden par Paquet, pour son édition des
Fasti acad. Lovan., t. I, p. 472. Déjà M. Rollier a montré ce que les lettres avaient dû à cette famille
du temps d'Érasme, dans son mémoire cité, pp. 105-109, et passim.
38 MÉMOIRE SLR LE COLLEGE
du Luxembourg el appartenait à une famille noble de cette province,
comblée des faveurs des princes qui avaient gouverné les Pays-Bas. Il
naquit à Ârlon vers 1470; il était fds de Gilles ou yEgide Busleiden et de
Jeanne de Musset. Son père avait été conseiller d'État et trésorier sous le
règne des ducs de Bourgogne et de Brabant, Philippe le Bon et Charles le
Téméraire: après la mort de Charles (1477), Gilles eut la présence d'esprit
et l'énergie nécessaires pour défendre le Luxembourg contre les invasions
ennemies et pour en pourvoir les places fortes de soldats, de vivres el
de munitions. Déjà il avait été élevé par l'empereur Frédéric III au grade
de chevalier {eqiies auralm) ^, le 5 janvier 1477. Gilles avait donné une
preuve de sa pieuse munilicence, en fondant, à Arlon, le couvent des
carmes.
La famille, alors représentée et illustrée par Gilles, portait, depuis trois
siècles environ, le nom de Busleiden ou Buskyden 2, localité du Luxembourg
non éloignée de Bastogne, et placée à la distance d'environ huit milles de
la ville même de Luxembourg : c'est là qu'elle avait exercé d'ancienne
date des droits seigneuriaux.
Le chevalier et conseiller Gilles Busleiden eut quatre fils du nom de
Gilles , François , Jérôme et Valérien : la carrière des trois premiers eut
assez d'éclat pour soutenir, pour rehausser même le nom qu'ils portaient.
Gilles ou /F]gide fit honneur, dans la noblesse mêlée aux affaires du temps,
à son titre de chevalier, et il ne répudia point les traditions généreuses qu'il
tenait de l'exemple des siens. François, appelé à la cour d'Autriche, fut
précepteur de Philippe le Beau et devint archevêque de Besançon (1498);
il avait déjà montré une main ferme dans l'administration de son église,
et il avait acquis un grand ascendant parmi les diplomates de l'Empire,
' Vraisemblablement celle qiialificalion désignail une classe de chevaliers ayant droit aux épe-
rons d'or, mais non pas les chevaliers de la Toison d'or (iNote de M. Max. de IVing, dans le Mes-
sager des sciences historiques. Qand, année 1853, pp. 369-370).
2 Nons reproduisons parmi les pièces juslilicalives, lettre A, l'essai généalogique laissé par
Paquot dans ses notes citées plus haut (Fasti, p. 470), sur la famille Busleiden, sur les ascendants
de Jérôme et sur les descendants de Gilles, celui de ses frères qui lui survécut. Des deux ortho-
graphes du nom, Busleiden ou Biisleyden, nous avons préféré la première comme adoptée presque
afénéralenienl dans les écrits modernes.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 39
.lorsqu'il mourut, en 1502, à Tolède '. Quant à Valérien Busleiden, il est
peu connu : il mourut avant Jérôme, qui laissa un tiers de sa maison de
Malines au fds de Valérien, François, qu'il appelle dans son testament son
très-cher neveu {charissimo nepoti meo).
Jérôme Busleiden profita sans doute de la position honorée acquise par
sa famille : s'il est inexact de dire avec Moréri qu'il fut « l'artisan de sa
propre fortune », il ne faut pas non plus, avec Bayle, l'attribuer tout
entière à la prospérité de sa maison et particulièrement au crédit de l'ar-
chevêque François ^. Il déploya une aptitude particulière aux choses de
l'esprit parmi les hommes de son nom qui avaient servi l'État : non-seule-
ment il honora les dignités de l'Église dont il fut revêtu, et montra, dans
plusieurs ambassades, les rares qualités de son intelligence, mais encore
il porta son goût naturel et précoce, pour les sciences et les lettres ^, dans
toutes ses relations sociales, et il se distingua dans ce rôle de protecteur
des lettres qu'il lui appartenait si bien de prendre.
A l'exemple de son frère François, Jérôme Busleiden visita l'Italie vers
l'an 1498, après avoir étudié les lettres et les éléments du droit à Louvain,
et c'est à Bologne qu'il obtint les honneurs du doctorat en droil. A peine
de retour dans sa patrie, encore à la fleur de l'âge, le 8 février 1505 *,
il occupa un siège au conseil souverain de Belgique et réunit à sa charge de
* Dans son Panégyrique de Philippe le Beau, Érasme loue François Busleiden comme un des
soutiens providentiels de la maison d'Aulriclie; il compare son rôle auprès du jeune prince à celui
des amis célèbres des rois de l'antiquité , Nestor, Parménion, I^éonidas, Zopyre. — Voy. dans les
Exordia de V. André (pp. 51-33) les épitaphes historiques, en vers latins, composées en l'honneur
de l'archevêque de Besançon.
- Dictionnaire historique et critique, t. 1 , p. 709, note A (éd. de Rotterdam , 1697.)
"' « h a teneris stutim annis felici praeditus indole alque ingenio , genio quodam ad lilterarum
l'erebutur studio....» Exordia, p. 5. Fort jeune encore, il avait témoigné pour Érasme une estime
dont celui-ci, qui ne faisait que débuter, se montra très-flattc. Lettre à J. Tutor. Paris, 1-490.
Epist. , I , p. 36 : Audio.... Itominem ipsum studiosos in pretio habere, vec de meo quidem ingenio
pessinie senlire.
' .Nous avons fixé avec Foppens (p. 480) à l'an 1503 l'obtention de cette dignité, quoique
Valère André la place après celle des dignités ecclésiastiques dont nous parlerons plus loin , et qui
auraient conduit Jérôme Busleiden au rang de conseiller. Reversus tamquam per quosdam digni-
lalum gradus, ad sunimu consccndit. Exordia, p. 5. (1503, 8 febr.) Valère André ne parle pas
de date dans sa Bibliolh. Belgica. S""' édit., 164.5, p. 386.
Tome XXVIU. 7
40 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE
conseiller celle de maîlrc des requêtes ^ Ensuite, il remplit, à la demande,
de l'empereur JMaximilien, plusieurs missions diplomatiques hors du pays,
auprès du pape Jules II, de François I" en France et de Henri VIII en
Angleterre.
Pendant les années qu'il résida en Belgique, Jérôme Busleiden mil au
jour le zèle le plus éclairé pour les progrès de l'instruction : il donna
aux lettres un splendide asile en sa propre demeure, où il rassembla une
collection d'antiquités, de manuscrits et de livres grecs et latins, qui était
considérée comme une des plus précieuses de l'époque ^. Il avait recueilli
autrefois en Italie des livres peu communs; il ne cessa point de rechercher
et d'acquérir les ouvrages curieux propres à composer une bibliothèque
savante. Les nombreux bibliophiles de la Belgique peuvent mettre sans
rougir parmi leurs ancêtres celui dont Érasme a dit ^ : Omnium librorim
emacissimus, un acheteur de tout et à tout prix.
Le sanctuaire de Jérôme Busleiden était ouvert à tous les hommes
instruits : c'est là qu'il communiquait incessamment avec de nombreux
visiteurs, animés comme lui d'un amour sincère des bonnes éludes; c'est
de là qu'il entretenait avec Érasme un commerce épistolaire qui était un
échange de vues élevées et de nobles projets. Quelle devait être la magni-
ficence du musée créé par les soins du prélat-sénateur de Malines, puis-
qu'elle excita la surprise de Thomas Morus , qui connaissait les riches
collections déjà formées par quelques grands de l'Angleterre ^! Quel éton-
' Qtia in fimctionc, quae propria Buslidioul'm semper taus fuit fidelem se régi, iitilem reipii-
blicae , gralum el benir/mim omnibus prucbuil, — Exordiu, p. 5.
- Nous faisons grâce an lecleur de la phrase de Valère André, qui compare la maison de Biisleidei»
au palais de Lucullus que décrit Pliitarquc; mais écoutons à quel litre il l'appelle le Mécène de son
îemps [Exordia, p. 5) : ... Vnus fere ea cxstitit tempeslate inler Belgii Hostri optimales doctissimonwk
virorum fautor ac Maecenas : cujus palatiiim (quod magnipce u se exstructum incotebal) tamguam
Miisarum quoddam domicHium , libris graccis , latinisque, manu lypisque descriplis, aliisqne anli-
quitatis cimeliis refertum , dvctis palebat omnibus.
^ Epist., I, 671 (lettre à Polj'dorus Vergllius). Busleiden avait un exemplaire des Adages de
ce dernier.
' Dans une lettre adressée à Érasme de Londres, en ibid, Morus se loue de l'accueil cordial de
Busleiden, et il énumère toutes les merveilles que celui-ci lui a montrées. (Epist., I, p. 222) :
... Cwn Buslidio mUii inlervcuit amicitia qui me et pro egregia fort una sua magnifiée , et pro animi
bonilate comiter cxcepit. Vomum tum singulari artificio excultum . tam cximia suppeltectile in-
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 41
nement devait produire la vue de toutes ces choses sur ceux qui n'avaient
pas visité l'Italie des Médicis, seule contrée où jusque-là ces trésors litté-
raires avaient été hautement estimés et recherchés avec passion!
Mais Jérôme Busleiden n'était pas seulement un amateur d'un goût
intelligent et sûr, il possédait lui-même beaucoup de savoir et il était très-
versé dans la connaissance des langues grecque et latine * : vir titriiisque
lingiiae callenlissimus. En outre, il avait en partage une habileté d'élocution
qui devait répandre autant de charme dans ses rapports scientifiques que
de prestige dans ses relations de diplomate, il n'eût pas obtenu à un si haut
point la sympathie et le respect d'Érasme , s'il n'eût joint ces dons exté-
rieurs, ces connaissances variées, ces habitudes libérales aux facultés sé-
rieuses de l'esprit. Il ne nous reste qu'une lettre de Jérôme Busleiden à
Thomas Morus , publiée en tète de Y Utopie du célèbre chancelier, dont la
première édition fut imprimée à Louvain , au commencement de l'an 1517,
par Th. Martens^; elle exprime son admiration pour la science et la haute
expérience de Morus, une confiance un peu trop grande peut-être dans
l'elïicacité des études sociales et politiques de son illustre ami , et elle n'est
pas indigne, par sa latinité, du style élégant qui était afiecté à la corres-
pondance des hommes lettrés du temps. Busleiden s'était essayé lui-même
en différents genres de composition latine, en vers et en prose, poèmes,
lettres et discours; il avait mên)e recueilli à ce sujet de nombreux suf-
frages; mais ces pièces sont restées inédites et n'ont circulé que dans un
petit cercle de lecteurs ^. Valère André en avait eu sous les yeux un recueil
manuscrit, grâce à la complaisance d'Oliverius Vredius, qui l'avait re-
slruclam oslendit. Ad haec loi vettistatis momtmenta quorum me sois esse percupulum. Postrcnio,
tam egregie refertam bibliothecam , et ipsius pechis quavis etiam bibliolheca refertius. tu me plane
nbsliipcfeeerit.—\'ou\ parmi les pièces justificatives, lettre C, les beaux distiques latins dans lesquels
ïii. Morus a célébré l'antiquaire, le dilettante de Malines.
' Erusmi Episl., II, p. 1836.
^ Hier. Buslidim Tliomae Moro S. D. Elle se termine par ces mots : Vak doctissime el idem
hitmotii.isinie More, tuae Britanniae, ac noslri hvjus orbis dectts. Ex aedibiis nostris Mechliniae.
Aniio MDXVI. Cette leUre a été reprodiiile dans les différentes éditions de l'Utopie. Voy. la descrip-
tion de l'édition de Louvain, n" 108, pp. 2G7-269, dans la monographie cilée du P. van Isegbem.
■" Uoclrivam facundiiwique monumenla ingenii, ub eo relielu, satis superque lestantur, id est,
carmina , orationes, epistolae variae, fdiaquc, è quibus pauea typis édita, pleraque vero àvéK'kra a
42 MÉMOIRE SUR LE COLLÈGE
trouvé à Bruges ', et la prévoyance d'un célèbre bibliophile en a assuré la
possession à notre Bibliothèque royale ^.
D'un autre côté, Jérôme Busleiden obtint dans l'Église une considéra-
tion à laquelle l'histoire de sa vie ne porte aucune atteinte; il ne dérogea
point à la vocation qu'il avait librement embi'assée à la suite de son frère
François. Des dignités ecclésiastiques, dont quelques-unes comportaient
des bénéfices considérables^, avaient été réunies en peu d'années sur la
tête de Jérôme Busleiden. Pourvu de bonne heure d'un canonicat à l'église
métropolitaine de Malines, il devint successivement chanoine de Sainle-
Waudru à Mons et de Saint-Lambert à Liège, trésorier de Sainte-Gudule
à Bruxelles, archidiacre de Notre-Dame à Cambrai ''*; il fut aussi prévôt de
l'église de Saint-Pierre à Aire, en Artois, et c'est cette dernière dignité qu'il
considéra comme la plus haute et qu'il mit en tète de ses titres religieux
{Praeposilus Ariensis).
Homme de science et de capacité, Jérôme Busleiden était un des beaux
ornements de la monarchie dont il relevait ^, et s'il fut comblé de tant
de faveurs, à cause de sa naissance et surtout de son mérite personnel, il
est vrai qu'il en fit le plus noble usage dans l'intérêt des lettres, qui lui
semblaient devoir répandre un fort grand lustre sur l'Église et sur l'État.
Son influence et son crédit lui servirent à rassembler les collections litté-
raires et artistiques que l'étranger lui enviait; il sacrifia la meilleure partie
de sa fortune à encourager plusieurs des études qui étaient la préoccu-
paiicioribus leyunlur. Val. Andréas, Fasli acacL, p. 276. —Voy. la seconde pièce de vers latins où
Th. Moriis conjure le poëte de vaincre sa modestie.
' Legunlur ea modo Lovanii bénéficia V. cl. Oliverii Vredii , qui Brugis Flandrorum reperla ad
nos misit. V. A., Bibl. Belg., éd. sec, p. 387. Voy. Foppens, p. i8\.
2 Le volume, acheté en 1813 du professeur P.-J. Baudewyns, à Bruxelles, par M. Van Hulthem,
fait partie de la collection de ses manuscrits acquis par l'État. Voy. Bibliotlieca HuUhemiana,
t. VI, pp. 38-59, n° 208 : Carmina, epistolae et orationes Hier. Busiidii J. U. D., etc.. Manuscrit
original in-folio, 273 pages. (MSS. Bibl. roy , n™ 13673-677.)
■■' Moréri observe, en parlant de Busleiden , que la pluralité de ces bénéfices n'avait point encore
été défendue par le concile de Trente.
* Nous ne savons sur quelle autorité l'abbé Bax fait aussi Jérôme Busleiden, chanoine de Saint-
Jean à Bois-le-Duc et prévôt de Notre-Uame à Bruges (fol. 1409).
^ Érasme à Lascaris, Episl., I, p. 319 : Hanm doctiis ac poleu.f , et hujiis regni decits incom-
parabilc.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 43
pation des esprits les plus actifs de son temps. Une mort prématurée ne
nuisit point à l'accomplissement de ses desseins : il y avait pourvu dans
son testament, dressé avant son départ pour l'Espagne. 11 se dirigeait vers
ce pays en qualité d'envoyé de Charles V, futur empereur, qui n'avait pas
encore pris possession du trône de Ferdinand le Catholique ^ Il fut mal-
heureusement un des premiers Belges à qui le voyage d'Espagne devait
être funeste : fias primitias Orco hispanico dedimus, cui jam nimium saepe lila-
mus, disait tristement Érasme à cette fatale nouvelle^. Busleiden était mort,
des suites d'une pleurésie, à Bordeaux, le 27 août 1517, âgé d'environ
quarante-sept ans.
Déjà Jérôme Busleiden avait rédigé, à Malines, le 22 juin de la même
année, l'acte de ses dernières volontés; à Bordeaux, qui fut le terme de
son voyage, il y ajouta des codicilles qu'il confia à deux de ses illustres
compagnons de route, Jean Sauvage, chancelier de Bourgogne ^ et Antoine
Sucquet, conseiller intime de l'Empire *. Suivant ses recommandations,
son corps fut rapporté à JMalines et déposé, vers la fin de septembre^,
dans l'église de Saint-Rombaut. Comme il l'avait souhaité, on érigea près
de sa sépulture un tombeau surmonté d'un tableau de son musée qu'il
avait désigné, et de même sur les deux volets de ce tableau, on plaça d'un
côté son portrait, de l'autre une inscription commémorative. L'épitaphe
était de la main même d'Érasme; mais elle disparut avec le monument,
quand la métropole de Malines fut dévastée par les novateurs, pendant
les troubles de la fin du XVI'"'' siècle. Heureusement on a conservé dans
des livres les deux pièces de vers grecs et latins qui composaient l'épi-
' Charles n'arriva en Espagne qu'en septembre 1 51 7.
2 Epist.J, p. 263, et II, p. 1629.
■^ Ce personnage, seigneur d'Eseaubeke et Bierbeek, devint grand chancelier en 1314 et niounil
à Saragosse en 1318. Voy. Butkens, Suppl. aux Trophées du Brabant, liv. W, et les Bulletins de lit
Comm. roy. d'histoire, t. X, p. 7.
"* Antoine Sucquet, originaire de la Bourgogne, était ami d'Érasme et protecteur des gens de
lettres; il fut membre du conseil privé de Cliarles-Quint et son chargé d'affaires en diverses cours.
Il mourut à Bruges en 1526. Voy. les Mémoires de Paquot, t. III (Notice sur Charles Sucquet, fils
d'Antoine).
" Valère André, qui rapporte ces diverses circonstances, donne aux obsèques célébrées à Malines
la date du 21 et du 24 septembre. Exordia, p. 6.
44 MEMOIRE SLR LE COLLEGE
taphe de Busleiden. Quoique Valère André les ait déjà reproduites *, elles
ne seront pas lues ici sans plaisir, puisqu'elles résument fort bien la gloire
de celui qui en est l'objet, et puisque leur style appartient aux meilleurs
essais poétiques d'Erasme. Le grand humaniste éprouva une bien vive
douleur de la mort inattendue de Busleiden, et se reprocha de lui avoir
montré un peu de froideur avant son départ pour l'Espagne - : Morlem
Buslidii ex animo doleo , et hoc magis doleo , quod anle discessum illo lam frigide
sim usiis. Il se fit un devoir d'offrir au public une expression aussi élégante
que possible de ses sentiments d'estime et d'affection envers le défunt.
Nous le voyons soumettre le premier croquis de ses vers à ses doctes
amis, par exemple, Jean Robbinus ou Robbyns, doyen de Malines, avec
qui il entretenait des relations littéraires ^; nous le voyons consulter dans
les mêmes vues Gilles ou ^Egide Busleiden, frère de son ami *, et c'est,
enfin, à ce personnage qu'il adressa la dernière rédaction de ses vers, à
la suite d'une lettre qui ne renferme pas un éloge moins solennel du
mérite de Jérôme Busleiden^. Érasme s'excuse ici comme ailleurs, tou-
chant tes défauts de sa poésie qu'il rejette sur la sévérité de ses récentes
études ; il a témoigné son bon vouloir en attendant que d'autres écri-
vains et poètes célèbrent à leur tour la gloire durable de ce protecteur des
lettres.
' Exordia, p. 7. — C'est à tort, sans doiile, que, dans le même passage, Valère André parle
d'une épitaplie en trois langues composée par Érasme pour le toiiilieaii de Jérôme Busleiden. Paquot,
dans ses Fasli (t. I, p. 472), dit très-bien que si Valère André avait connu une épilaphe hébraï-
que, il ne manquait pas de caractères hébraïques pour la reproduire, mais que probablement cette
troisième épilaphe n'a jamais existé, parce qu'Érasme n'était pas doué d'une connaissance assez
l';m)ilière de l'hébreu pour s'essayer en cette langue.
- Lettre à Barbirius, 2 novembre I5i7 {Epist., I, p. 270).
•' Lettre de Louvain en date du 20 mars 1518, Epist., Il, 1677 : Epilophid mitto, non qualia
nierebulur ille, sed qualia nos praeslare potuimxis... Si quid cetisehis mutarulwn , mm Bnrsaio
communica , /.'; mihi tuam senlenliam perscribet.
' Dès 1517, Érasme en envoyant à Gilles le Carttiai Trocliuicuw , accompagné de plusieurs
variâmes, déclare ne le faire que pour avoir son avis : Tuutum lit experiar sothnim nnimi lui. Fient
alin, simid atque cognovero (Epist., H, 1655-1 634.)
■^ Epist. CCCLXII, I, pj). 577-578. Cctle lettre datée de Louvain, 1518, commence ainsi ;
Quoi ornamenta in uno perdidimus homine? Facile divino, quo tu animo mortem germani feras;
cu7n itniversus bonorum atque eruditorum chorus unice doleat. Sed quid prosunt inanes quere.lac.
DES TKOIS-LANGUES A LOUVAIN. 45
Ëpitaphium ad pictam imaginem Cluris&imi viri Hieronymi Buslidii,
Praepositi Ariensis.
[AMBOI TPIMETPOI
O T/;v 0£ ypy.{pcr.ç oùp-ax-iz ^.op'siriV /.a/iwç ,
ûïî/.eç aj'X/.^.a 'Çi'xiypaaùv /.ai "sj vsi;.
Eaufeû/ «!/ SI •/] TC'.vay.oç, sv p^xq Tréôo) ,
ApîTtiiv àr.x'jôiv ipaTÔv i-yy'Jjvj X^,^^"-'
Ty;]/ e'j7é(3aoa/ vi)v leptTtpsi:^ Tiy.vj,
Tip y^pyjcrixïjza , vriv re r.ou^îiay y.oDtiV.
Kaî TaûTa zaW.a f^svsç ÙKfipy^ lipdivufj.cç,
O B3ii7?,eo«az>ji; cjzt'aç ffe'Àaç iJ.éyor..
TROCHÂICI TETRAMETKI.
Nominis Busleidiani proximum primo decus,
liane nos orbas, virenli raplus aevo, Hieronyme!'
Lilerae , genus , Senatus, aida, plebs, Ecdesia,
Aul suum sidus requirunt, aut palronum flagilant.
Nescil inlerire, quisquis vilain honeste finiit.
Fama virtututn perennis vivel iisque posleris.
Eruditio TiiiLiNGUis tripHci facundia
Te loquetur, cujus opibus resliluta refloruit.
C'est ici le lieu de juger les intentions qui ont guidé Jérôme Ijusleiden
dans la rédaction de son leslanienl, avant d'exposer les principales dis-
positions de cet acte et d'en faire ressortir les premiers effets.
Busleidcn était convaincu qu'une étude sérieuse des langues et des
quld inutiles lucryinae? Ihic nascimur omnes. In epilaphiis, ntc itlius nieritis, iwc m«u /jenio satis-
fecL... Vereor autrs tuas lonrje lersissinias. ("est d'après la grauiic édilioii île Levde que nous don
lions ici le texte des deux inscriptions.
46 MÉMOIRE SUR LE COLLÈGE
lettres anciennes était le fondement d'un savoir vraiment élevé : c'étaient,
à son avis, autant de degrés par lesquels l'esprit parvient à des régions
plus hautes. Leur culture est indispensable dès le principe pour former
l'intelligence et pour la polir : les principes de la vraie sagesse reçoivent
d'elles plus de force et plus de nerf ^
11 voyait que déjà en Italie, en France et ailleurs, la culture des langues
et des lettres avait resplendi d'un grand éclat, et que bientôt leur étude
allait dominer dans les écoles les plus célèbres de l'Europe, où l'on appe-
lait au prix de grands avantages ceux qui pouvaient les professer. Ce que
Busleiden souhaitait avant tout, c'était de préserver la Belgique d'une
indifférence pour les lettres qu'il craignait de voir s'accroître sans remède :
il entendait les rappeler de l'exil et les faire servir d'ornement et de
défense à la société chrétienne tout entière. Si ce projet ne pouvait se
réaliser de son vivant et sous ses yeux, il voulait, du moins, après sa
mort, témoigner à la postérité des efforts et du zèle qu'il aurait mis à
l'accomplir.
L'examen que nous allons faire de la partie du testament de Jérôme
Busleiden, relative à l'érection du collège des Trois-Langues, justifiera
tout ce qu'on a dit de ses sentiments élevés, de ses vues droites et pures :
Valère André n'a pas exagéré en appelant, après Dorpius, Mécène de la
Belgique, un si généreux promoteur des lettres, et, en présence des motifs
religieux qu'il invoque dans cet acte solennel , personne ne serait en droit
de reprocher à Jérôme Busleiden la conformité de ses opinions avec
celles d'Erasme et d'autres savants contemporains sur l'avenir des études.
L'œuvre littéraire qu'il avait méditée depuis de longues années remplit à
' C'est en ces termes que Valère André se fait l'interprète de la pensée de Busleiden, dans un
passage de son discours, dont nous citerons les fragments suivants [Exordia, pp. 5-6) : Judicabat
aiitem sine his gradibus facilem nulli ad allmra palere adilum : amoenioribus hiscc sliidiis ani-
mum primum formari alque excoli oportere ; ab illis sapientiae décréta robur nervosque solidiores
accipere. Viderai jam unie in Italia, Galliu et alibi , puisa paidalim barbariei caligine, Literarmn
alque linyuarum lucere soient.... Unuin ilaque in volis illi cral , nialo huic in Belgio magis magis-
que sensim grassanti medelam aliquam adferre, Literas, Linguasque, Reip. Christianae orna-
menla alque praesidia , quasi postliminio revocare : mil si l'ivo illo videnleque fîeri id fartasse non
possel , a morte saltem conalum ea in re suum, indusiriamque teslulam posteris reddere.
DES TROIS-LANGLES A LOIIVAIN. 47
elle seule, pour ainsi dire, le testament de Busleiden ' : dans ce chapiln'
et dans les suivants, nous en relèverons uniquement les clauses les plus
importantes, qui ont traita la constitution de l'établissement spécial bien-
tôt célèbre parmi les fondations académiques -.
Dans son testament de 1517, outre diflerenls legs, les uns affectés à des
œuvres pies, les autres faits à des personnes de sa famille, Jérôme Bus-
leiden prit les dispositions nécessaires à la dotation d'un enseignement des
trois langues savantes, latine, grecque et bébraïque, qui serait institué à
l'université de Louvain. Il la préleva sur tous ses biens tant mobiliers qu'im-
mobiliers, et voulut que l'établissement nouveau qu'il qualifia de collège,
eût son siège dans le collège de Saint-Donat -^5 si l'on pouvait y trouver
un local convenable, ou bien dans le collège d'Arras *. Peut-être agit-il
ainsi dans l'inlérêt de son institution littéraire ^, afin qu'il ne fût pas
nécessaire d'acquérir un nouveau bâtiment, d'ouvrir un collège particu-
lier, d'y entretenir un président et de subvenir à d'autres charges encore.
Le fondateur instituait dans son collège treize bourses, pour les hono-
raires des trois professeurs de latin, de grec et d'hébi-eu, et pour l'entre-
tien de dix élèves boursiers. Nous traiterons d'abord des dispositions con-
cernant ces derniers.
Les six premiers des boursiers seraient choisis de préférence parmi les
' On trouvera, dans les pièces juslificatives, lettre B, un extrait complet du testament, en ce
qui concerne la fondation du coUi^ge de Busleiden, d'après le texte qu'on en a donné au tome IV
des Diplomata Belyica d'Aub. Miraeus (Bruxelles, 1748), mais que nous avons collationné avec une
copie authentique faite sur l'original au commencement du XVIII"" siècle ( 1701 ), et revêtue de
l'attestation de 11. U. Quirini, notaire apostolique.
^ Les détails du lèglement, les menues dispositions touchant à des alfaires d'argent ou à des
usages surannés, n'ont pas été compris dans cette analyse; on les lira dans le texte latin avec cer-
tain intérêt, pour connaître les garanties et charges autrefois exigées de ceux qui prolitaient d'une
fondation scolaire.
"' Colieijium S. Dunutiani. — Ce collège, situé rue des Chats, avait élé fondé en l-i88, par un
prélat, originaire du diocèse d'Arras , Antoine Hanneron, prévôt de l'église de Saiiit-Donat , a
Bruges; il conserva pour patron, dans les siècles suivants, le prévôt de la même église. V. André,
Fasti, pp. 298-299.
' Le collège d'Arras, Collegiwn Àtnbalense, avait élé fondé peu auparavant par l'évoque
d'Arras, Nicolas Rutherius ou de Ruistre, seigneur du pays de Luxembourg, mort à Malines eu
novembre 1509. Voy. Fasti, pp. 301-502.
•"* V. André, ibid., p. 273.
Tome XXVIIl. 8
48 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
Luxembourgeois ; deux devaient être natifs de la commune même de Bus-
leideii, deux autres de Marville, et deux d'Arlon, lieu natal de la plupart
des membres de la famille Rusleiden; enfin, deux autres devaient être
originaires, l'un d'Aire en Artois, et l'autre de Steenberg. On eboisirait,
à défaut de ceux-ci, des jeunes gens nés dans les localités les plus voisines
des endroits désignés, c'est-à-dire situées à trois ou quatre milles de dis-
tance ^ Tous devaient être nés en légitime mariage, être bien doués sous
le rapport de l'esprit et pourvus d'une instruction convenable pour leur
âge : le choix devait se porter, suivant l'expression de Jérôme Busieiden.
sur ceux qui donneraient les plus belles espérances à l'Eglise de Dieu et
aux bonnes études.
Chacun des boursiers jouirait d'une bourse de vingt-cinq florins du
Rhin, mais il était tenu de prouver que cette somme ne pouvait être fournie
par sa famille. Entre plusieurs concurrents, le plus pauvre devait être
préféré, s'il n'était pas inférieur aux autres en esprit et en moralité. Pour
être admis à la jouissance de ces bourses, les candidats ordinaires devaient
être âgés de treize ans au moins; seuls, les candidats natifs de Busieiden
pouvaient se présenter à l'âge de dix ans. Le testateur fixait à huit années
la possession des bourses fondées pour les élèves désignés ; il ne créait une
exception que pour les seuls élèves reconnus capables d'en diriger d'au-
tres dans les études oîi ils s'étaient eux-mêmes déjà distingués; il leur
accordait jouissance de la bourse pendant deux années au delà du terme
fixé, toujours à la discrétion des proviseurs. Nous reviendrons plus loin
sur les obligations imposées aux boursiers relativement à la fréquentation
des leçons et à l'emploi quotidien de leur temps.
Quant aux trois professeurs désignés par Jérôme Busieiden pour l'en-
seignement des langues et des lettres anciennes, nous dirons ailleurs quelle
position leur était faite dans l'établissement nouveau, quelles qualités
étaient requises en leur personne, et quelles mesures étaient proposées afin
' Ueiix autres élèves soraicnt appelés à la jouissance de bourses semblables, ruii nalit' île Ma-
iines, l'autre de Luxenibourç;, après une période de dix ans, quand une portion de revenu affectée
extraordinairenient aux chaires de grec et d'hébreu , lors de l'ouverture du collège, rentrerait entri'
les mains des proviseurs.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 49
que leur enseignement fût accessible et profitable au plus grand nombre '.
Nous nous bornerons à faire remarquer ici que Busleiden donne toujours,
dans son testament, aux futurs maîtres de son collège, le nom de praecep-
lores, et jamais celui de professores. Était-ce peut-être alors, dans la langue
académique, l'usage de nommer praeceptores ceux qui donnaient dans les
collèges des cours particuliers, et qui n'occupaient pas une des cbaires
légalement instituées en la Faculté des Arts ou en d'autres Facultés?
Voyons maintenant ce qui se passa après la mort de Busleiden, comment
procédèrent les exécuteurs testamentaires qu'il avait chargés spécialement
de faire l'inventaire de sa fortune et de régler toutes choses suivant ses
volontés formellement exprimées ^. De fait, les deux collèges les plus an-
ciens, ceux de Saint-Donat et d'Arras, n'acceptèrent, ni l'un ni l'autre,
le legs par lequel Busleiden croyait les avoir favorisés; ils y renoncèrent,
nous dit-on, après mûre délibération de leurs directeurs, en considération
non-seulement de la modicité du profit pécuniaire que cette fondation nou-
velle leur procurerait, mais encore des charges futures que son accep-
tation leur imposerait dans la suite des temps.
Jérôme Busleiden avait désigné Jean Robbyns , doyen de Malines.
comme un des exécuteurs de son testament, dans le cas oià la fondation
serait établie dans le collège d'Arras, et Jean Stercke, de Meerbeke, pré-
sident du collège de Saint-Donat, dans le cas où l'on aurait pu l'établii
dans ce dernier collège. Ces deux hommes n'eurent sans doute point de
droit au legs personnel que Busleiden leur avait fait dans la prévision de
l'important service qu'il réclamait d'eux; mais Jean Stercke devint plus
tard le premier président du nouveau collège.
Il y eut alors un instant d'hésitation touchant l'emploi qui serait fait de
la donation de J. Busleiden en faveur des lettres. Bien des gens se figurèreni
que le collège projeté n'existerait peut-être jamais, ou bien qu'il passerait
de Louvain à Bruges ou à Tournai, dont les magistrats offraient d'y affectei
gratuitement de spacieux édifices. Bruges était incontestablement à cette
époque une ville littéraire, qui renfermait « des hommes érudits et de
' Voy. chapilres III el IV.
- Voy. les FasU academici de V. André , p. 476.
§0 MÉMOIRE SUR LE COLLÈGE
sain ingénient », portés à bien accueillir une telle institution '; cette ville,
où lirasme comptait tant d'amis, où Vives a passé ses dernières années,
n'a-l-elle pas fourni un auditoire aux leçons de rhétorique de Georges Cas-
sander? Tournai avait eu des écoles célèbres dans les siècles antérieurs,
et, dans les années mêmes où s'organisa le collège des Trois-Langues, elle
donna l'hospitalité à Jacques Ceratinus, qui y enseigna les belles-lettres 2.
Force fut, en cette conjoncture, aux hommes qui s'étaient chargés de
l'exécution du testament de J. Busleiden s, de prendre une prompte déci-
sion : ils s'arrêtèrent à la résolution de construire et d'ériger un nouveau
collège qui répondît en quelque sorte aux intentions du testateur et à
l'attente de ses amis. Ainsi comprirent leur tâche trois hommes considé-
rables de ce temps, Antoine Sucquet, qui avait accompagné Busleiden dans
son voyage d'Espagne, Nicolas de Nispen, secrétaire de Robert de Croy,
archevêque de Cambrai , et Barthélémy de Vessem, chanoine de Malines *.
Us usèrent de la faculté que Busleiden avait laissée à ses mandataires
d'interpréter ce qu'il pourrait y avoir d'obscur et d'ambigu dans le texte
de son testament, et d'exécuter et accomplir avec liberté les clauses et
arrangements qu'il avait voulu y consigner. Ils- n'agirent point du reste
sans avoir recours aux conseils de plusieurs personnes, entre autres du
frère de J. Busleiden, Gilles ou Egide, ainsi que de Didier Érasme, qui
avait eu connaissance de son dessein. On se trouva d'accord sur l'acquisi-
tion immédiate de bâtiments particuliers.
• Voy. y Histoire de Flmnlrc, par Kervyn de Leltenhovc, i. VI (Ihuixelles, 1 8.j0, \>\>. 33-38), où sont
citées les lettres d'Érasme relatives aux savants de Bruges, et sur G. Cassandcr, I^oppriis, pp. 333-35.
2 Voy. au chapitre VU (langue grecque) la notice relative à cet humaniste et aux relations qu'il
eut en Belgique. - Les magistrats de Tournai ayant tenté, vers t525, d'ouvrir une école où l'on en-
seignai avec la grammaire les éléments des sciences, réclamation fut faite auprès de la gouver-
nante des Pays-Bas, Marguerite d'Autriche, par l'université et par la ville de I-ouvain. Malgré la
transaction que proposa Tournai, le conseil souverain de Belgique lui interdit, par décision portée
à Malines en t530, de donner suite à cette affaire. Fasli acad., pp. 338-359.
' Adrien .losel , chanoine d'Anvers, que Busleiden leur avait adjoint et qu'il avait institué d'autre
part distrihuteur de ses aumônes, ne parait pas avoir pris part à l'éieetion du collège.
' B. de Vessem, à qui Jérôme Busleiden avait donné le plus de peine et de responsabilité en
celte affaire, avait été gratifié par lui d'un legs de deux cents florins d'or, servant d'ailleurs d'in-
demnité pour ses dépenses et avances; cinquante florins d'or étaient assignés du même chef aux
autres exécuteurs du testament.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 5i
C'est Barlhélemy de Vessem qui se chargea d'acheter à Louvain, en
face du marché aux Poissons, une maison qui avait une issue sur la place
des Augustins et une autre dans la rue des Écriniers ' (de Sclirynstraele).
C'est là que se firent les travaux nécessaires à l'appropriation des bâti-
ments qui devaient servir de siège au collège de Busleiden. Mais ce fut
seulement au mois d'octobre 1620 que les professeurs titulaires de la
fondation purent prendre possession du local ^. L'endroit était bien choisi
et l'édifice n'était pas sans élégance^ : Colleriii locits el lionestiis est, nec
inelegaïuis aiructume, comme s'exprimait Érasme l'année suivante. La for-
tune de J. Busleiden n'était pas très-considérable '% malgré la part de
biens que son frère François lui avait laissée naguère : elle n'entrait pas
en comparaison avec celle des personnages de son rang attachés longtemps
au service de l'État ou de l'Église. Cependant les hommes de cette époque
qui, comme Érasme, avaient dû compter sur la libéralité des grands et
des prélats , regardèrent sans doute comme très-large et comme extraordi-
naire la dotation de J. Busleiden, faite sans réserve au profit des belles-
lettres. A part les legs d'une valeur déterminée dont il a été question plus
haut, c'était sa fortune pour ainsi dire tout entière qu'il avait affectée à
ce but de généreux prosélytisme^, La fondation instituée par J. Busleiden
constituait avec les legs une charge énorme pour ses héritiers directs; elle
équivalait presque à un abandon complet de leurs droits*^, et il fallut
* Ces détails sont tirés du recueil de \ia\ (fol. 1409). La maison qui avait appartenu à la faniillf
de Calstre (de Catstris), de même que le collège de Winkelius, fut aclietée des héritiers ou exécu-
teurs testamentaires de Walther de Beka, docteur en droit. Ex libro A. IS19 a prima caméra
oppidi Lovaniennis ad \-i septembris.
- On verra plus loin que les premières leçons furent données dans la maison des PP. Augustins.
^ Epist., t. I, p. 652 (an. 1521).
' Dans un passage d'Erasme (lettre de 1S3I à J. Tnsanusou Toussain, que nous aur'ons occasion
de citer au chapitre suivant), il est dit de notre Dusleiden : Decessit et auctorilale et re mediocri, etc.:
il faut entendre ces mots de l'état médiocre de sa fortune, par rapport à raccroissement qu'elle
aurait reçu dans la carrière politique où il était entré, s'il eût vécu plus longtemps.
■' Dans la môme lettre à J. Tusanus, Érasme dit expressément : Quidquid erat facullatwn , id
universum ei negolio dedicavit, et on lit dans une autre lettre du même à l'évêque de Liège, Érard
de la Marck : Universam forlunam Iniic pulclierrimo inlendit nerjolio.
Qui fraudatis eliani haeredibus ingenlem pecuniarum vim in hune usum legato retiquil . ut
honesto salarin pararentur, qui Lovanii très linguas profiterenttir. — Érasme, de ralione verae Iheo-
32 MÉMOIRE SIR LE COLLEGE
assuréinenl le bon vouloir des membres de sa famille, ainsi que le dé-
vouement des hommes à qui il avail fait appel, pour que l'afliiire fût menée
à bonne fin. C'est en cette occurrence que les sollicitations d'Érasme furent
décisives : il prévint le découragement chez les mandataires à qui son ami
avait confié un pouvoir illimité et sans contrôle pour le partage de sa for-
tune, et il détourna les héritiers de la pensée de faire aucune espèce
d'opposition à ce partage. Érasme agit en temps opportun et à diverses
reprises auprès de Gilles Busleiden, qui était alors à la tête de la famille
et qui occupait un haut emploi dans les finances royales (Calliolici Régis a
rationibm^J; il le traita comme un homme public qui a des devoirs envers
la société en raison de ses titres, et qui ne peut rester étranger à la cause
des lettres; il invoqua surtout auprès de lui l'honneur de sa famille,
l'obligation de soutenir cette fois encore le nom déjà célèbre des Buslei-
den- : Cujus laudis non minima porlio, a pu dire Érasme lui-même 5, debetiir
et ejus germano , JE^Gimo Buslidio qui sic favet fratris teslamento, imo sic Litteris
ipse litteralissiniits, ul malil cam pccuniam juvandis sludiis omnium qmim suis
scriniis augendis dicalum. 11 est de fait que les Busleiden, alors représentés
logiae. 0pp., t. V, p. 75. Voy. EpiU., 1. 1, p. 632. Six mois ne s'étaient pas écoulés qu'Érasme, instruii
(le lout, écrivait à Builé ( Louvain, 22 février 13IS. EpUl., t. I, p. 305) : DusUdianum legalum uc
Trilingue coUeginm pidclire procedit. Est cmicm magiiifimtUus quam pularam. DeslincUa eiiim hitiv
negotio plus viginti francortim millia : utinam cxemplmn hoc coinplures inveniat aemidos. Voy.
Episl., t. I, p. ÔI9. MulUi millia ducatonwi.
* Bayle interprèle le titre latin (a ralionibvs) qu'Érasme et d'autres donnent à Gilles Busleiden,
en disant qu'il « avait une charge dans la (hanibre des finances du roi d'Espagne. » Dicl. histo-
rique et dit., t. I, p. "O'J. Un peu plus tard, Gilles Busleiden remplissait la même charge au
service de l'empereur, ce qui le fait nommer par Valère André (Exordia, p. 8) : Caroli F imper u-
loris a ralionibus. Selon Valère André, Fasli, p. 276, Gilles avait une prébende à la collégiale
de Bruxelles, et le titre de trésorier de celte église {Cunonici et thesaurarii ad S. GudiUuni
Bruxellis ) .
- Voy. Episl., t. I, p. 1633 (Lovan., 1517) : Quare te nigo per oplimi fralris memoriam perqae
communein itomiins Busiidiani yloriatn, ne patiare te itb eo quod cocplum est abduci : sunt enim
fortassis qui ipsi sua bono invideant, maliulqne alias a melioribus sludiis aveiicre, quam ipsi dis-
cere melioru. — Episl., 1. 1 , p. 378 (Lov. anno I a 1 8) : i)f Collegio insliluendo cave le paliaris abduci
a seiilcntiu. Mihi credc, res ea cuni omni studiorum yeneri supra quam dici possit, conducet, tum
Buslidiiino nomini , juni per se multisynodis illuslri, non )iiediocrem decoris ac lucis accessionem
adjunget.
' JJerationeveraetheologiae, 1. c. \oy. Episl., 1. 1, p. 652. Danieli Tois/nV/o. (Anderlecht, 1521.)
DES TROIS-LANGUES \ LOIVAIIN. 53
par le chevalier Gilles ou Égide, ont concouru à la réussite de l'œuvre,
et que leur nom collectif a été plus d'une fois cité pour glorifier la géné-
rosité du conseiller de Malines.
Nul ne doit être associé plus étroitement qu'Érasme à la gloire recueillie
de ce chef par Jérôme Busleiden et les siens. Il fallait le feu de sa parole
pour ranimer au début de l'entreprise des volontés chancelantes : plus
tard encore, quand la chose fut décidée et l'œuvre même déjà inaugurée,
c'est Érasme qui, de près et de loin, de la voix et du geste, soutint dans
leur mission les premiers maîtres du collège des Trois-Langues. (^et hom-
mage a été rendu à Érasme par Valère André, dans son discours sur
l'origine de ce collège ^. lllo itaque hortalore, a magni Buslidii e vita discessii,
magnis animis impeudiisque domicitium hoc, vei Musanim potius templum erigi
coeptum, itlo éi:Q/oâia}y.zyj fervere opiis visum, ad exitumque festinare : unde non parva
tandis Buslidianae porlio ad Erasmum derivala.
C'est sous de tels auspices que s'ouvrit, en 1518, le collège qui devait
subsister aussi longtemps que l'université sous le nom de Collegium Tri-
lingue (collège des Trois-Langues. — (loUegie van de dry tonglien), et sous
celui de Collegium Ihislidiannm ou Buslidii, collège de Busleiden.
' Exordia ac progressas , p. 8. Ainsi que l'a fait observer Valère André en cet endroit et dans la
suite du même travail (pp. 41-i2), Juste Lipse s'est trompé dans son {Lovaniiim, lib. III, cap. IV),
en rapportant à Erasme l'idée même de l'inslilution, si clairement énoncée dans le testament de
J. Busleiden : Neque enim iiroprie collegium taie insliluil; sed vertit et flexit eo curatores teslamciiti
Erasmus, etc. C.eile méprise a eu sa source dans un passasse de la vie d'Erasme par Beatus Rhe-
narus où on lit : Erasmus leslamenlariis auctor fnil nt Alhenuenm Lovanii instilnerelur . etc.
M MEMOIRE SI R LE COLLEGE
CHAPITRE in.
DE L'OUVERTURE ET DES COMMENCEMEiNTS DU COLLÈGE DES
TROIS-LANGUES.
tiività Stinervà.
Bien ignorante elle est d'esire enneinr(>
Dc'lu Trilingue et Doble Académie
L'épisode que nous allons raconter a beaucoup de ressemblance avec
une foule d'auli'es dont se compose l'histoire de l'esprit humain dans tous
les temps et dans tous les pays : c'est le sort de toute institution née viable,
de s'établir au milieu des contradictions, de ne grandir que par la lutte,
et cette lutte offre presque toujours la même suite de péripéties.
11 s'agissait de faire une petite place, dans un corps savant privilégié,
à une branche d'enseignement qui avait droit d'exister à part, et qui ne
menaçait aucunement l'existence des autres. On verra ce qu'il fallut pour
cela d'efforts et de courage chez les hommes qui avaient pris en main la
cause des études littéraires , de persévérance et d'ardeur chez ceux qui
donnaient celte instruction nouvelle comme chez ceux qui la recevaient
avidement. Il y avait division dans le camp universitaire de Louvain : les
uns, en plus petit nombre, prenaient le parti des belles-lettres [poliliores
litej-ae), qui étaient aussi les bonnes lettres [bonae Hterae); les autres décla-
maient contre elles, ou bien ils en parlaient avec effroi comme on fait des
calamités publiques grossies par la peur. Ceux qui se taisaient ne leur
étaient pas moins hostiles, car ils conspiraient. Parmi les hauts dignitaires
de l'académie brabançonne, quelques-uns pressentaient la force et l'éclat
qu'elle allait recevoir par l'adoption de ces fdles cadettes, déjà émancipées
dans les écoles d'Italie; mais la plupart vacillaient. Quelques théologiens
protestaient; les juristes branlaient la tête; la Facultédes Arts était de mau-
vaise humeur Minerve boudait!
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIIS. 55
L'érection d'un nouveau collège à Louvain une fois décidée, les man-
dataires de Jérôme Busleiden ne perdirent point de temps : pendant que
se faisait la réparation des bâtiments qu'ils venaient d'acheter au centre
de la ville, ils jetèrent les fondements de l'œuvre littéraire, et, par une
détermination que justifiaient sans doute les usages du temps , ils l'inau-
gurèrent le l"^"^ septembre 1518, dans un local voisin, le couvent des PP.
augiistins. C'est dans des salles prêtées par ces religieux que les premières
leçons furent données par les titulaires des trois chaires désignées dans
l'acte de fondation; c'était Adrianus Barlandus pour le latin, Rutgerus
Rescius pour le grec, et Matthaeus Adrianus pour l'hébreu : nous revien-
drons sur le mérite de ces trois hommes, que Valèie André comparait aux
lampadophores des cortèges antiques, aux soldats qui précédaient les en-
seignes {^a.$où-/piit 6' <iuasi anlesignanis).
Mais ce n'était pas assez d'avoir proclamé dans cette première tentative
l'idée conçue par un membre éminent du clergé national , et accueillie
favorablement par les bons esprits, d'avoir ainsi éclairé l'opinion et de
l'avoir mise en demeure de se prononcer à cet égard. Il restait à vaincre
la résistance ouverte ou cachée que des hommes nombreux et influents
opposeraient longtemps encore à l'enseignement nouveau ; et puis il y
avait lieu de compter avec les prétentions ou les droits des corporations
antérieurement constituées; cependant il importait de conserver au collège
de Busleiden son caractère distinctif, sa destination spéciale, tout en l'an-
nexant à l'établissement universitaire selon les vœux du fondateur.
L'université de Jean IV se montra inquiète des actes qui venaient d'être
posés. Dans sa sollicitude pour le maintien de sa constitution et de ses
privilèges, elle prétendit devoir appliquer aux professeurs de langues du
collège naissant à peine, celui de ses statuts qui portait que, dans ladite
université, nul docteur, maître, licencié, bachelier, ne pouvait être admis
à professer, à argumenter, etc., s'il n'y avait été dûment autorisé aupa-
ravant : cette décision fut portée le 8 mars 1519. La Faculté des Arts, en
particulier, soutenait que les lecteurs, les boursiers et les autres étudiants
du même collège devaient être réputés lui appartenir, et qu'il entrait aussi
dans ses attributions de prescrire les règlements suivant lesquels les pro-
ToME XXVIII. 9
m MÉMOIRE SLR LE COLLÈGE
fesseurs de ce collège feraieiU leurs cours au plus grand profit de leurs
auditeurs, et même les heures les plus convenables auxquelles ils les
feraient.
L'affaire fut instruite officiellement, et après de nombreuses conférences
des délégués de l'université avec les exécuteurs du testament de Jérôme
Busleiden, le collège desTrois-Langucs fut admis et reconnu comme faisant
partie de l'université ^ : les clauses établies par le testateur devaient être
formellement respectées, de même que les statuts de l'université strictement
observés; à cette condition, les professeurs de ladite institution seraient
investis de la prérogative de faire des leçons publiques sans crainte de
réclamations et de poursuites. C'est vraisemblablement dans le cours de
l'année même 1519, que cet accord fut conclu-; l'acte par lequel le
collège était reconnu par le recteur et l'université aurait été notifié en date
<lu 12 juillet 1S19; l'approbation et la ratification de cet acte auraient
eu lieu le 20 septembre de la même année où les protestations du corps
universitaire avaient été formulées dès le 8 mars.
Pendant un terme fort long encore, les leçons de langues furent don-
nées dans le couvent des PP. augustins, et cet état provisoire d'environ
deux ans n'a rien qui doive surprendre, quand on sait combien de temps
les lecteurs du Roi, au collège de France fondé un peu plus tard, man-
quèrent d'un local convenable, malgré le bon vouloir de François I", et
durent enseigner, jusqu'à la fin du siècle, tantôt dans un collège, tantôt
dans un autre. Enfin le 18 du mois d'octobre de l'année 1520, jour de
la fête de saint Luc, les professeurs titulaires du collège, qui étaient alors
Conrad Goclenius, Rutger Rescius et Jean Campensis, prirent solennelle-
ment (solemni majorum more) possession du local définitif de l'établissement^;
' Fasii academici , pp. 276-277 : Plamit tandem an. MDXX. 111. hl. Martii, Collegium hoc
juxta et gecundum parlicidas, clausitlaset ordinationes , in Uslamenlo dicli quondam D. Pracposili
i-xpressus, et statuta Uinve7-sitalis , ucceplandum, ac di.spensandum esse supei- slatulo dispoiwiite de
iis, qui leyere publiée volunt in dicta Universitate , quantum saltem concernerel Professores pro
tempore dicti Collegii.
^ Celle dale semble préférable à celle de 15:20 (lô mars) que donne Valère André (voir la nou;
ci-dessus); elle est garantie par l'indication des deux époques de l'arrangement définilif consignée
dans le recueil de Bax (fol. IHO).
' Valère André, Fasti, p. 277. Exordia, p. 8.
DES TROfS-LANGLES A LOUVAIIS. 57
déjà ils avaient à leur lêle un président, Jean Slercke ou Fortis, de Meer-
beck, licencié en théologie '. Les proviseurs qui firent l'installation du per-
sonnel étaient, suivant la volonté du fondateur^, le curé ou pléban de
l'église collégiale de S'-Pierre; le membre de l'université chargé de la pré-
sidence ordinaire dans les disputes hebdomadaires du collège des théolo-
giens (dites Sabbatines)^, et le père ou prieur de la Chartreuse de Louvain.
Écoutons maintenant ce que J. Busieiden lui-même exigeait des pro-
fesseurs chargés de l'enseignement des langues, quelle tâche il leur assi-
gnait, et ce qu'il pensait du choix des auteurs. 11 recommandait dans son
testament*, de prendre pour professeurs des hommes instruits « sous tous
» les rapports, de mœurs éprouvées, d'une vie irréprochable, qui lussent
» et expliquassent chaque jour en public, à tous ceux qui se présente-
» raient, des écrivains chrétiens ainsi que des auteurs moraux et d'autres
» jugés dignes d'approbation (tarn clirislianos qiiam morales , ac altos probatos
» auctores), dans les trois langues latine, grecque et hébraïque, et cela à
» des heures qui seraient fixées pour leur commodité et pour celle de
» leurs auditeurs »
Évidemment, J. Busieiden faisait allusion à un usage introduit depuis
la seconde moitié du siècle précédent à Louvain et dans plusieurs écoles
des Pays-Bas; c'était de joindre des écrivains choisis de l'antiquité, des
classiques publiés naguère en Italie, et plus récemment en Allemagne, en
Belgique et ailleurs, à des auteurs chrétiens, poètes et prosateurs, qui
avaient été expliqués avec faveur au moyen âge. Érasme ne pensait pas
autrement, comme le prouvent ses divers écrits ainsi que ses travaux sur les
Pères et sur d'autres écrivains de l'antiquité. Ce qui avait été pratiqué
dans l'enseignement plus restreint des anciens collèges, ou bien dans les
' Déjà directeur du collège de Saint-Donat, J. Stercke avait reçu de Busieiden une mission de
confiance, dans le cas où les chaires auraient pu être établies dans ledit collège. Voy. chap. Il, p. 49.
^ Nous exposerons, au chapitre IV, comment Busieiden avait réglé les attributions des provi-
seurs et du président de son collège.
' Dans le cas où les Sabbatines n'existassent plus, c'était au doyen de la faculté de théologie
que la qualité de proviseur serait transmise.
^ Le texte de ce passage a été cité par Valère André dans ses Exordia, pp. 7-8, et dans ses Fasti,
p. 278.
S8 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE
leçons privées et les exercices de nos humanistes ^, le fut encore au début
de l'enseignement public du collège des Trois-Langues ; les textes qu'on
y lisait et commentait dans les leçons étaient pris dans le cercle des livres
d'une valeur et d'une utilité incontestables. On s'y occupa des écrivains
chrétiens, en même temps que d'auteurs profanes, choisis dans tous les
genres. On a lieu de croire qu'il n'y eut que de fort rares exemples d'un
abus des classiques; encore faudrait-il juger les faits à une telle distance
de temps, en rapport avec l'espèce de candeur et de simplicité dans les
mœurs, qui faisait tolérer autrefois certaine rudesse et grossièreté dans
l'expression, et ne faudrait-il pas oublier que le latin, si cultivé et si
l'épandu qu'il fût alors, avait les droits d'une langue morte, dont la licence
dans les termes ne choque pas autant que celle qui régnerait dans une
langue vulgaire. Il serait faux, nous a-t-il paru, après examen des seuls
détails encore connus, de supposer que l'œuvre de Busleiden ait encouru
quelque reproche du chef d'une témérité quelconque, apportée dans le
choix des auteurs et des livres. Mais c'est là une matière historique toute
spéciale que nous aurons à élucider plus loin; de prime abord, nous allons
rechercher les véritables causes de l'opposition qui fut faite aux membres
du collège des Trois-Langues pendant plusieurs années, et représenter les
principaux traits de la lutte que cette institution dut soutenir dès son
berceau.
Tous les obstacles extérieurs qui auraient pu entraver les travaux du
nouveau collège avaient été levés à la suite de négociations dont nous
avons parlé précédemment; mais à peine incorporé à l'université, ou
pour mieux dire, autorisé par elle, le collège ne pouvait subsister sans
être en butte à des hostilités de plus d'un genre.
Le conflit des opinions, qui s'était manifesté tout d'abord, éclata avec
plus de force, quand on vit l'enseignement des langues attirer un bon
nombre d'auditeurs, et concilier à ceux qui le donnaient l'estime d'une
jeunesse choisie. Il se forma un parti assez nombreux, qui fit une conti-
' On verra au chapitre V ce qui fut fait à Louvain pour l'élude des langues anciennes avant le
collège de Busleiden. Nous n'avons point placé ces renseitçnements dans les premiers chapitres,
pour ne pas trop différer l'exposé de la fondation de ce collège.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 59
nuelle opposition aux progrès de l'établissement de Busleiden. Mais les
factions dont il se composait étaient mues dans leurs déclamations et leurs
actes par dos mobiles fort divers : c'était l'ignorance pour les uns, l'intérêt
pour les autres, et même l'envie pour quelques-uns ; cbez plusieurs, c'était
l'empire de leurs préjugés d'éducation et d'école, ou encore l'effet des
déclamations qu'on entendait partout '. Tous ces sentiments produisaient
la défiance ou l'irritation, qui se traduisait dans leur conduite; les plus
calmes d'entre tant d'adversaires étaient des hommes d'une instruction
médiocre, qui n'acceptaient point l'idée que les langues pussent être cul-
tivées utilement, comme des études à part, et qu'on leur assignât un rang
spécial , à côté des sciences reçues dans le haut enseignement : ils savaient
d'ailleurs que leur étude excitait alors partout beaucoup d'ardeur et d'en-
thousiasme; et ils la tenaient pour suspecte en raison même de cette faveur
générale et spontanée. Des hommes graves et plus instruits n'étaient pas
animés de cette hostilité envers les lettres ; mais ils ne se déclaraient point,
et ne s'avançaient pas jusqu'à prendre leur défense, en présence des pro-
grès de la Réforme dans tout l'occident de l'Europe, au bruit des trou-
bles politiques qu'ils entraînèrent presque toujours. Enfin, venait un petit
groupe d'hommes d'un caractère naturellement exalté, qui voulaient con-
tenir d'une manière absolue l'esprit d'indépendance et de nouveauté, qui
le redoutaient sous toutes ses formes, et qui le poursuivaient partout où
il aurait pu se produire : il y en avait parmi eux à qui la force de leurs
convictions religieuses, éclairées par l'étude, aurait dû donner plus d'em-
pire sur eux-mêmes dans ces moments de crise, alors que l'inquiétude et
la passion prévalaient chez tant d'autres sur l'examen sérieux des choses:
mais ils étaient excités sans cesse à protester, à déclamer, à combattre,
par ces esprits impétueux qui ne veulent ni trêve, ni ménagement. Qu'ar-
riva-t-il nécessairement alors? Ce parti tout entier, suivant la tactique de
quelques chefs, fit une résistance aveugle aux opinions contraires; il atta-
qua sans relâche l'étude des langues et des lettres, quelquefois à force
' Qui exprimerait mieux ces choses que ne l'a fait Érasme? Epist.. t. I, p. 909 : quosdam im-
pellit ingeiiii stoliililas, quosdam amor quaestus. nonmdlos livor : sunt qui mbserviunt aliénât
volimlati.
60 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE
ouverte, mais suiloul avec l'arme des insinuations, et si l'on considère ce
qui se passait à l'intérieur de notre pays, évidemment, il n'eut pas le
devoir d'incriminer des excès déjà commis, mais la prétention de dénon-
cer les excès qu'on aurait pu ou qu'on allait commettre.
H est resté bien des témoignages de cette conspiration des craintes, des
opinions, des intérêts, contre laquelle le collège des Ïrois-Langues eut à
lutter fort longtemps. Sans pénétrer dans aucune des controverses tliéolo-
giques qui ont réagi à cette époque sur les circonstances de cette lutte, nous
ne pouvons nous dispenser de mettre en scène pendant quelques instants
les hommes, les chefs d'école, qui nous représentent les différents points
de vue auxquels se plaçaient les antagonistes du collège; nous devrons
aussi parler de l'altitude des personnages influents qui étaient en dehors
du débat intérieur, ou , à proprement parler, de la querelle académique.
Érasme, dont le nom avait le plus de célébrité dans les lettres, et
devait être mêlé plus qu'aucun autre à de telles discussions, était sur-
tout la pierre de scandale. Il advint de son temps, ce qu'on a vu tant de
fois dans l'histoire des idées ou des méthodes sujettes à la controverse :
on n'a tenu compte ni des assertions ni des intentions d'Érasme; on l'a
chargé de toute la haine que l'on portait aux novateurs des nations voi-
sines, et on l'a rendu responsable de leurs erreurs et de leurs excès ^
On a très-facilement fait passer l'apparente neutralité qu'il avait gardée
sur certains points pour une hostilité profonde, cachée, mais d'autant
plus perfide et plus dangereuse, et c'est ainsi qu'on a pu lui prêter, sans
trop d'invraisemblance aux yeux de la foule, une connivence secrète avec
Luther. Tous les moyens étaient bons pour ceux qui désiraient arrêter le
mouvement littéraire et détruire dès le principe l'œuvre de Busleiden : à
part des scrupules, émis de bonne foi peut-être par quelques théologiens,
les opposants faisaient arme de tout, et les plus minces intrigues devaient
' Bien des fois Érasme s'est déciiargéde ceUe responsabilité, comme quand il a dit, par exemple,
en 1520, que c'était « la plus grande iniquité de lui imputer la témérité d'autrui. » Epist., t. I,
p. 545. Quand il n'avait pas encore rompu avec Luther, dans une lettre adressée à celui-ci, en
1519, il soutenait l'obligation de mettre de la prudence dans ses actes et ses paroles pour être
fidèle à l'esprit du Christ. Epist., t. I, pp. 444-445.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 61
grossir toujours davantage la querelle à leur profit ; au milieu de celte
longue agitation, les prétextes les plus futiles étaient pris pour des raisons.
Il fut donné d'abord à Érasme de voir les choses de près, puisqu'il
résida en Belgique, presque sans interru|Uion , de l'an 1517 à l'an 13:21.
et plus tard, il suivit de loin avec beaucoup d'attention le (il des intri-
gues nouées sans cesse contre le collège qu'il avait vu naître. Instruit de
ces choses par les hommes honorables qu'il avait connus à Louvain et
dans d'autres villes de ce pays, il ne semble pas qu'il ait mis de l'exagé-
ration dans la peinture que plusieurs pièces de sa correspondance litté-
raire nous en ont conservée ^; seulement importerait-il de distinguer dans
ces passages les questions littéraires d'avec les affaires religieuses et les
controverses théologiques, et de discerner les endroits oîi l'humaniste a
été entraîné par l'habitude à une trop grande vivacité d'expression. Le
rôle d'Érasme, comme promoteur du collège des Trois-Langues, appar-
tient en tous cas à notre sujet; mais puisque de Burigny ne s'est pas soucié
de retracer dans sa Vie d'Ërasme les relations de celui-ci avec les profes-
seurs de Louvain, et sa participation active à l'exécution des plans de
Busleiden, les nombreux emprunts que nous ferons ici à sa correspon-
dance ne manqueront pas, nous aimons à le croire, de quelque attrait de
nouveauté, et de l'espèce de curiosité qui s'attache aux vicissitudes des
idées littéraires au XVI"'' siècle.
Des démonstrations hostiles aux professeurs du collège de Busleiden ne
s'étaient pas fait attendre. On ne se contenta pas de les noircir auprès de
leurs confrères et de leurs amis, dont quelques-uns s'éloignèrent d'eux, on
voulut intimider les jeunes gens qui fréquentaient leurs cours et recher-
chaient leur société. Comme il n'arrive que trop souvent en pareil cas .
l'animosité de quelques hommes se communiqua à des coteries qui ne
reculèrent devant aucune espèce d'outrage, du moins en paroles. Quand
le nouveau collège venait d'être ouvert près du marché aux Poissons, des
' Valère André s'est servi du témoignage d'Érasme pour peindre les diflieultés que le Collegiutii
Trilingue avait traversées dans la période de ses vingt premières années. (FaMi, p. 277; Exordiu
et progressu.1 , pp. 8 et suiv., pp. 34-39), et il a pu dire d'Érasme : Qui in collegio celebrando fre-
quens, in promovendo lotus fuit.
62 MÉMOIRE SLR LE COLLEGE
étudiants de la Faculté des Arts, excités peut-être par l'un ou l'autre de
leurs maîtres, ou bien par leur mépris naturel pour les belles-lettres, pre-
naient plaisir à crier partout : ISos non loquimur lalinum de foro Piscium, sed
loqnimur lalimtm Malris nostrae Facullatis! Est-ce là un bruit répété à tort,
comme l'affirme Valère André ^? En tout cas, c'est un de ces cris de l'igno-
rance jalouse, qui était une des faiblesses des anciennes écoles, et cet
incident seulement plaisant s'efface devant les scènes bien autrement vio-
lentes qui se passèrent, pour des causes semblables, vers la même époque,
à Paris, à Oxford et dans d'autres universités renommées : là aussi, il
y eut bien des llucluations, des disputes oiseuses, des menaces et des
altercations, avant que la cause de l'enseignement littéraire fût gagnée.
Selon toute apparence, les invectives et les voies de fait furent bientôt dé-
fendues par les dignitaires de l'université, dans l'intérêt de l'ordre, à une
époque où les écoles de Louvain comptaient trois mille élèves 2; dans un
tel moment, les réclamations devaient avoir leur cours légal, malgré l'im-
patience des intéressés.
Les vues d'Érasme avaient été suivies avec succès par les représentants
de Busleiden; l'altitude calme et digne des hommes qui acceptèrent d'eux
l'honneur de faire les premières leçons dissipa les préventions de quelques-
uns, et prévint les récriminations les plus amères de la part de beaucoup
d'autres; elle permit à ces maîtres d'entendre impunément un langage
d'injures qui fut bien vite épuisé. C'est à Erasme sans doute qu'il faut
faire honneur de la résolution qui fut prise d'ouvrir les cours au plus
* Fasti, p. 277 : Rklicuium illud est, quod fermt , cxim nascente ac florenle hoc collegio, silo ad
forum Piscium.... jaclilari idenlidem solilum, etc.
2 11 ressort d'une lettre d'Érasme (an. 1521. Epist., t. I, p. 689) que les administrateurs de ce
corps avaient dû arrêter le mouvement : Lovunii quibus tumultibus obsliterc Proceres. ne qiiis quam-
libel hoimtam discipliiiam profileretur, vd gratis? quibus modis conspiralum est adversum rem
magno et usui et ornumenlo futtiram , non sobim Academiae , sed loti regioni? Prodila est nova vêtus
constilutio. Jdhibita est toiius Academiae auctoritas , imploratum est praesidium aulae regiae.
Acciti sunt ad suppetias magistratus prophani (sic). Postremo ad lictores ventum est. Nullus non
est motus lapis, nihii iiUentalum reliclum est Nec aliud ogebatur tantu rermn molimine, quam
ne quis poUlioribus literis adjuiaret Academiae studia , praescrtim quam honestissima essent, quae
docebaiHur, ac professores tam sanctis essent moribus, et tam sancle profiterentur, ul aliquoties in
concionibus audianlur minus ad bonos mores facientia. Voy. plus loin un passage analogue. Epist.,
t. l, p. 535.
DES TROIS-LANGLES A LOUVAIN. 63
lot; il s'exprime ainsi dans une lettre du 2(3 mars I0I8 au doyen de
Malines, Jean Robbyns, homme prudent et droit, qui estimait Érasme,
et qui s'intéressait vivement à la réussite du projet de Busleiden • : De
domo , siio leinpore fiet quod faciendum est. Ego professiones slalim censeo inewi-
das , ne res intérim fririescal , mit ne quis malus cjenius rem salularem omnibus
interturbet. Crede milii, tlieologicorum Collcgioriim abunde satis erit, et Qnaes-
tionariorum ubique plus satis : at hoc pulcherrimum negotium , nisi ex Buslidii anima
SHCcesscrit , non video per quem possit instaurari.
Le dépit avec lequel la plupart voyaient s'élever le collège n'échappait
pas à Érasme, malgré le soin avec lequel quelques-uns le dissimulaient.
Il avait assez de preuves du mauvais vouloir que des hommes élevés en
dignité apportaient en toutes ces affaires, et, s'il respectait l'université
comme organisée plus fortement que bien d'autres, il souhaitait de la voir
administrée par des mains plus dignes ^. Mais quelquefois il se sentait
animé du plus grand espoir pour l'avenir de l'œuvre , en raison même des
obstacles qui s'élevaient autour de son berceau; il devinait qu'elle sérail
un jour très-florissante '', et invoquant les enseignements de l'histoire sur
l'origine des empires et même sur celle du christianisme, il répétait à son
sujet qu'il n'est rien d'excellent qui ne soit né dans le monde sans des
commencements difficiles.
Tant qu'il y eut un doute sur la libre existence du collège de Busleiden,
Érasme saisit toute occasion de recommander les études qui devaient y
fleurir; il s'adressa, à cet effet, à plusieurs personnes d'un grand crédit,
afin de parer aux difficultés qui seraient suscitées au nom des pouvoirs
constitués de l'État comme au nom des corporations de l'université. Quand
' Epist., t. Il, p. i677. Cette lettre, déjà citée, a été écrite à Loiivain , et signée ainsi : Erasmus
tibi deditissimus. — Voy. Lettre à G. Spalaliniis, 1319; Vit^um prudcntia simjidari, summa inte-
gritale , sed ingenio perquam festivo. Is est in quem Collegii Trilinguis praecipua cura inclinata
recunibil. Epist., t. I , p. 482.
- Lettre à J. Robb\ns. Louvain, !"■ décembre iol9 {Epist., t. I, p. S23) : dissinnilent quanlum-
libet, hoc Collegium illos pcssime hahel Et plus loin : 0 sanclam Academiam, si cum atiis con-
feralur, sed dignam aliis, quorum arbitrio temperetur!
5 Ibid., p. 5-25: Atque hacc auguria mihi porlendunl , olim florenlissimam futuram. Sic ortiim
est Romanum imperium; sic crcvit Uebraeorum gloria; sic orla, sic propagata , sic constabiiita
Christiana religio.Nulla res egregia, nisi difficilibus initiisnata est.
Tome XXVHI. iO
64 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE
il écrit à un conseiller de Brabanl, le 7 janvier 1519 ', il réclame l'inter-
vention du grand chancelier dans l'intérêt des sciences qui donneront un
grand renom à cette académie nationale, si elles y sont enseignées libre-
ment , et il invoque à cet égard les désirs d'un souverain aussi éclairé que
l'était Charles d'Espagne ; il veut rassurer les magistrats de la cour suprême
sur les dispositions de la jeunesse de Louvain , qui ne menace l'État d'au-
cun trouble et qui suit docilement l'impulsion de ses maîtres. C'est avec
un complet désintéressement qu'il fait valoir la cause des bonnes études,
puisque lui-même ne réclame rien pour lui ; il n'enseigne pas, et il ne suit
les leçons de personne -.
C'est probablement dans l'intervalle du temps qui sépara l'ouverture du
collège de son agrégation à l'université, que se fit entendre ce concert de
déclamations et d'invectives contre les langues, contre les belles-lettres, dont
Erasme parlait d'une manière si piquante en écrivant, en 1519, à P. Mosel-
lanus 5. Il voyait dans tout ce bruit une conspiration bien montée, et qui
avait dû éclater partout en même temps : c'était merveille avec quel en-
semble elle avait été organisée, et comment les rôles des conjurés avaient
été partagés avec art : Ego si qiiid milii imris est , arbilror rem a conjuratis ac
devotis ex composito (jeri : adco cm dato signo clamatum est iibique gentium in
lingiias, in bonas liueras. Cotiglomeranl se phalanges, quo vel numéro defendanlur
adversus paucos. Parlitmtiir opéras inter se , ut alii blaterent in conviviis et conci-
tiabulis : alii apud imperitam plebem vociferentur, cui imponere facillimum est :
alii disputent in scholis : alii magnatibus suum virus instillent in aurem. Sunt et
qui libros scriptitent , pi^aesertim Coloniae *.
' Epist., t. I, p. 409 (Jodoco Noetio). On y lit, à propos d'une requête dirigée contre les nou-
velles études: Res per paucos conjuralos acta est, qui sua doctrina contenli magis student augendae
rei, quam literis; nec curant quantum proficianl juvenes , modo ipsi Lovanii stio régnent arbitralu.
Nusquam est Academia quae modestiores hnbeat juvenes, minusque tunndtitantes quam hodie Lnva-
nium
2 Ibid. : Mihi hic nec serilur, nec metitur, ipse nec lego cuiquam , nec amlio quemquam. A ne-
mine colligo quicquam , do nonnidiis. Sed lamen movet me publica causa sludiorum.
'" Lettre de Louvain. Epist., 1. 1, p. 405. — P. Mosellanus, professeur de grec à Leipzig, avait
écrit, sur les langues, un discours cloquent, qui avait eu beaucoup de retentissement.
* Ici et ailleurs, Érasme noie l'école de Cologne comme un des centres d'études où l'on fit aux
lettres classiques la plus opiniâtre résistance. Voy. Epist., t. I, pp. 689 et 749.
DES TROIS-LANGCES A LOUVAIN. 65
Nulle part Érasme n'a usé d'une fiction plus ingénieuse pour signaler
les motifs d'intérêt pécuniaire qui avaient mis tant de monde en campagne
contre les chaires de belles-lettres ^. Quand il consulta des astrologues au
sujet de cette guerre générale des ignorants contre les savants , ils lui ap-
prirent que tout le mal provenait de l'éclipsé de l'année précédente. Il est
bien vrai que cette éclipse eut lieu sous le signe du Bélier, qui agit sur la
tète ; mais Mercure, touché par Saturne , en a le plus souffert, et personne
n'a été frappé plus que ceux qui étaient placés sous l'influence de Mercure:
or, suivant Erasme, c'étaient entre autres les docteurs de Louvain, et il
expliquait ainsi, dans son langage satirique, le trouble inouï qui régnait
depuis peu dans une académie « où les lettres étaient accoutumées à fleurir
le plus tranquillement. »
Ces craintes occupaient sans cesse Érasme, qui en faisait part à ses
meilleurs amis , et qui, recueillant tout ce qui se faisait ailleurs d'utile
pour l'étude des langues, déplorait l'acharnement dont elle était l'objet
sous ses yeux. Tantôt il opposait aux machinations dirigées contre le
collège des Trois-Langues à Louvain, la protection dont le pape et les car-
dinaux couvriraient à Piome une institution semblable^; tantôt il rappro-
chait les libéralités faites par la cour de France à une foule de savants, des
efforts que tant de gens, même élevés en dignité, dirigeaient opiniâtrement
chez nous contre l'enseignement gratuit des langues à peine organisé ^.
' Nous faisons ici mention de cette alk'gorie après M. de Rciffenbei'g, qui l'a analysée dans la
première section des Notices et extraits des manuscrits île la Bibliothèque de Bourf/ogne (Brnxelies,
1829, in-A", pp. 26-27), parce qu'elle représente bien l'esprit et le langage du temps : Aslrologos
aliquot consului ii mali causam in anni superioris cclipsim refcrunt. Ea contigit , ni fallor , in
Ariele, Aries aulem ad caput pertinet ; ad haec Mercurius vitiatus est afflatu Saturni ; perinde ma-
lum hoc polissimum illos afpcere qui Mercurio subsunl : inter quos numerant Lovanicnses , si quident
haec Academia, in qua tranquiUissime soient jlorere lillerarum studio, miris lumuUibus agitata est,
ut ego cerle niliil unquain simile viderim in vita{Episl., t. I, p. 403).
2 Lettre de Louvain à G. Budé. Louvain, 17 février 1519, Epist., 1. 1, p. 417 : Si quid natum
hujus modi fuisset in urbe Roma , qune non alia pluribns abundat ornamenlis, tamen et cardinales
et sunvnus ipse pontifcx, summis tum favoribus , liun honoribus prosequerentur.... At isti remet
muni/îcam, et ad tam insignem omnium utilitatem paralam, sic abominantur , sic horrent ut
olim Romani non aeque formidarint Gallos urbe jam capta, Capitolio insidiantes. Ch. Epist.,
t. I,p. 689.
5 Lettre de Louvain à L. Vives, 1319, Epist., t. [, pp. 533-536 : Hujus Academiae proceres
66 MEMOIRE SIR LE COLLÈGE
Il se plaisait à dire que Léon X, François ]" et Henri VIII devaient être
frappés de démence, si la sagesse et la raison étaient du côté de ces
ennemis fougueux des lettres, qui ne reculaient devant aucune énormité;
il convenait toutefois que le nombre des acteurs qui dirigeaient la con-
spiration se réduisait à trois ou quatre coryphées profondément stupides^ :
c'étaient ceux qui criaient le plus fort, et qui faisaient le plus de mal. Ce
qui l'indisposait contre le corps même de l'université de Louvain, c'était
l'attitude superbe qu'il prenait tout à coup, l'autorité despotique à laquelle
il semblait prétendre, tandis que la célébrité plus grande, que cette école
devait uniquement aux belles-lettres, datait d'un si petit nombre d'années-.
Les saines études, malgré tout, allaient gagner de jour en jour, et elles
prévaudraient bientôt, en dépit de quelques détracteurs acharnés : Érasme
osait le prédire, alors même qu'il signalait à Vives le danger qu'elles
couraient.
La vigilance d'Érasme fut extrême, toutes les fois qu'il eut l'occasion
de soutenir les vrais intérêts des études et de pourvoir aux besoins du col-
lège doté par Busleiden : sans y avoir accepté aucune charge, il se faisait le
défenseur officieux de cette institution par reconnaissance pour un de ses
protecteurs, qui avait été aussi pour lui le plus bienveillant des amis^. et il
)ion ferunt Trilingue collegium, gratis adjuvans publica omnia studia, gratis ornaus non solttm
liane scholam , vcrum eliani iiniversani principis ditionem. Non ferunt p7'ofessores moribus inculpa-
tissimis, professione easta, doetrina longe Faiistinae praeferenda. Il y a ici une allusion à un certain
Faustus, qui avait fait à Paris, avec beaucoup de scandale, des leçons sur les poêles, leçons tolérées
cependant fort longtemps par l'université. En celte même lettre, Érasme dit que celte université a
pu favoriser davantage d'autres études, mais qu'elle n'a pas refusé les secours qui lui sont venus
du côté des lettres. Cfr. Epist., 1. 1, p. 689.
' Epist., l. I, p. 417.
2 Voici ce curieux passage de la lettre déjà citée à Vives, Epist., t. 1, p. 336 : Ante annos non
lia multos frigebat haec seliola , nunc bonarum Uteraruin eommendatione facta celebrior, mirwn
quas cristas erigit , guod altoltil supercilium , quam mcditalur tyrannidem. Sed hoe quicqmd est tra-
goediae dtiobus artl tribus acceptum ferinnis. Quos ctiamsi non queant mitescere ; lamen obruent
tandem in dies inagis ac mugis invalescentia reetiora studia, praesertim si tule in hoc belto Camil-
lum quemdam praebeas.
^ Epist., t. 1, p. 353 {/Egidio Bnslidio. Lov., 18 oct. 1318) : Non meum ago negolium, sed iin-
pense faveo memoriae benignissimi palroni , et amici incomparabilis. Faveo publicae temporum
nosirorum felicitati, cui et ipse, pro mea viriti, lantum vigiliarum impendi , ntque eliamnwn
impendo.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 67
confondait ici un devoir particulier avec la lâche qu'il avait poursuivie
jusque-là avec une étonnante autorité, celle de diriger le mouvement des
hautes études; seulement il a pu arriver à Érasme de croire trop facilement
à l'exécution prochaine des mesures et des plans sur lesquels il supposait
l'opinion suffisamment éclairée, et de mettre dans les termes une irrita-
tion toute personnelle contre les classes d'hommes qui étaient censées y
faire obstacle. Érasme dut porter ailleurs ses coups, quand le collège de
Busleiden fut reconnu par l'université, avant la fin de l'année 1519 :
alors, il eut à répondre aux attaques ouvertes ou déguisées qui s'adres-
saient autant à sa personne qu'à cette fondation littéraire ou bien à l'en-
seignement des langues • ; il dut se borner souvent à éventer des intrigues
qui se formaient autour d'une institution déjà en exercice, ou bien à plai-
der en général la cause des bonnes lettres, avec allusion au procès de ten-
dance que leurs adversaires ne se lassaient pas de recommencer.
La conspiration qu'Érasme avait dénoncée dans ses premières lettres
ne cessa pas après l'installation des professeurs de Busleiden dans leur
collège : à partir de ce moment, les intérêts et l'honneur d'aucune autre
corporation ou association n'étaient plus en jeu, puisque l'autorité uni-
versitaire ne s'était engagée à aucune concession d'argent ou de privilèges
à un collège qui ne conférait pas de grades et qui devait subsister par
son propre revenu. Ce qu'on se mit à incriminer, ce fut l'esprit dans lequel
on enseignerait la grammaire, et surtout l'application que l'on ferait de
cette science aux textes de l'Écriture et des Pères : à vrai dire, quoiqu'il
s'agît d'une lecture des anciens auteurs, faite en concurrence à celle des
écrivains chrétiens , la question des « classiques païens » , comme on
dirait de nos jours , compte fort peu dans la querelle que nous retraçons.
Les déclamations publiques, les digressions polémiques faites dans les
* C'est de l'an 1519 que date un écrit de J. Latomus , dirigé contre l'application des langues à
l'élude de la lliéologie et des Écritures : De tribus linguis et ratione studii theologici dialogus;
Érasme répondit avec mesure pour défendre son point de vue. Nous n'insistons pas sur cet inci-
dent, qui touche cependant à la matière de ce chapitre, parce qu'il ne serait bien élucidé, selon
nous, que dans un travail particulier comportant un examen des questions théologiques à côté
des autres; il a été esquissé brièvement par M. Rotlier, dans son Mémoire sur Erasme, pp. 129-
132, et par de Burigny, t. 1 , pp. 532-534.
68 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
leçons des Facultés, les insinuations et les entreliens privés roulaient sur
le péril que l'étude des langues ferait courir à la foi chrétienne, à l'an-
cienne théologie , et surtout à ses méthodes consacrées par l'usage des
siècles. C'en était assez pour que le collège de Busleiden fût enveloppé dans
la proscription qui devait atteindre toutes les nouvelles écoles de gram-
maire et de belles-lettres, et une conjuration permanente menaça, pendant
une vingtaine d'années, l'existence même d'un établissement que la plu-
part des autres États de l'Europe enviaient alors à l'université de Louvain.
Avant de raconter les derniers incidents de cette conjuration , à laquelle
survécut le collège des Trois-Langues, nous ne pouvons nous dispenseï'
d'apprécier la valeur des prétextes et des opinions qui ont eu le plus de
force dans les attaques dirigées contre lui. Si large que l'on fasse la pan
de l'ignorance dans de tels conflits , il faut bien distinguer de la foule des
adversaires des hommes sérieux et honnêtes, qui s'opposaient aux progrès
des nouvelles études avec une conviction réfléchie , et tenir compte des rai-
sons spécieuses sur lesquelles se fondait leur conduite. Habitués aux pro-
cédés sévères de la théologie et d'autres sciences qu'ils cultivaient eux-
mêmes, ils se défiaient de l'enthousiasme qui éclatait partout où les études
philologiques s'étaient implantées; ils redoutaient cette prose latine, élé-
gante, vive, enjouée , qui avait gagné tout à coup une mobilité qui lui était
étrangère depuis des siècles, et qui allait être à la fois l'arme de la plaisan-
terie, l'instrument de la polémique et le véhicule des idées. La prompte
popularité que celte nouvelle langue latine donnait à tout ce qu'elle expri-
mait, leur inspirait une sorte de terreur, et le succès prodigieux des écrits
d'Érasme les portait à croire que la libre censure de toutes choses sorti-
rait de ces écoles, où l'on faisait du beau langage un art et une science.
L'exemple d'Érasme, on doit en convenir, autorisait à certain point les
préventions de ces hommes contre le développement nouveau des études
de philologie et de littérature : sans prendre garde aux intentions et aux
essais de tant d'autres humanistes qui le suivaient de près, ils considé-
raient l'abus en lui-même, puis dans les habitudes et les tendances qu'il
autoriserait. Érasme n'avait-il pas plus d'une fois abordé les questions les
plus graves, au milieu de matières fort légères, et ne les avait-il pas traitées
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 69
avec hardiesse, alors même qu'il n'avait rien cédé à l'erreur? N'avait-il
pas porté dans la satire, par exemple dans YÊloge de la Folie, une causticité
excessive, qu'avaient dû blâmer ses admirateurs sincères, tels qu'Adrien
Barland et Dorpius? Et même ne s'était-il pas laissé aller quelquefois à
des sorties violentes et de mauvais goût contre des docteurs entêtés,
inexorables en leurs discours contre les lettres et ceux qui les cultivaient?
On aurait peine à le dissimuler : les préventions les plus hostiles aux
langues et aux lettres avaient un aliment dans le ton et les allures de la
plupart de ceux qui se piquaient de bien écrire ; et presque aux frontières
des Pays-Bas, l'effervescence et l'agitation produites parla Réforme crois-
saient de jour en jour. On ne se croyait pas coupable de paradoxe en
faisant retomber sur la grammaire et la littérature, la sympathie des
écoles et des classes lettrées, acquise en beaucoup de pays à la révolu-
tion religieuse qui éclatait. Le plus grand nombre ne se faisait pas une
juste idée du mouvement qui s'était accompli dans le cercle entier des
études, en Italie et au dehors, et qui commençait à s'étendre à la théo-
logie, à l'Écriture et aux sciences ecclésiastiques; quelques hommes plus
instruits, qui n'ignoraient pas ces choses, fermaient les yeux sur les be-
soins d'un enseignement plus complet, où les langues avaient une place
nécessaire, et ils auraient voulu mettre un arrêt aux progrès dont cette
dernière étude était déjà redevable aux professeurs de Busleiden. L'hébreu
était sans doute suspect à la majorité des défenseurs de l'ancienne méthode
qui dominait en théologie; car ils la voyaient menacée par toute discussion
faite à l'aide des Écritures, et par un recours direct à l'Ancien Testament
en hébreu. Toutefois des théologiens éminents, Dorpius, par exemple ^
avaient entrevu la lumière qui jaillirait du texte original de la Bible,
dûment interprété; et bien d'autres, sans rejeter tout à fait l'étude de la
langue sainte, l'ajournaient indéfiniment sous l'empire de préoccupations
polémiques. Mais le grec, semble-t-il, excitait bien autrement la défiance.
à cause de l'application que l'on se disposait à en faire à une exégèse en-
tièrement neuve du Nouveau Testament, et non moins à cause de l'abon-
dance des sources de la patrologie grecque, qui allaient être invoquées
' Voy. au chapitre V ce qu'avait voulu faire Dorpius en faveur de l'hébreu
70 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE
dans la théologie et qui étaient appelées à renouveler en les enrichissant
toutes les branches de l'érudition ecclésiastique ^
Au moment même où la Faculté de théologie semblait prendre parti à Lou-
vain contre ces deux langues savantes, en considérant surtout la destina-
tion hostile qu'elles recevraient sans doute de l'esprit de l'époque, l'Espagne
se glorifiait de l'achèvement de la Bible polyglotte de Ximenès , qui était un
monument élevé, à l'aide de la connaissance des langues, à la science des
saintes Écritures^; Rome accueillait avec reconnaissance cet ouvrage im-
provisé et conduit à bonne fin au sein des écoles d'Espagne, et l'Italie se
préparait à d'utiles et vastes travaux, comme ceux de Santés Pagninus.
Érasme , qui était regardé d'un œil défiant à Louvain , à Cologne, à Paris,
ne parlait pas des langues anciennes, celles de la Bible et de ses premières
versions, en d'autres termes que le cardinal Ximenès, dont nous rappor-
tions les expressions plus haut : « Une telle institution, disait-il en désignant
celle de Busleiden ^, doit ramener les travaux de tous les savants, des
fossés d'eau trouble aux sources les plus limpides des divines Écritures. »
Érasme, de son côté, avait entrepris une édition grecque des Évangiles,
regardée comme l'édition princeps de leur texte original, puisque les
Évangiles grecs d'Alcala ne furent livrés à la publicité qu'en 1522, et il y
avait joint une paraphrase latine qui avait l'importance d'un commentaire;
son travail fut agréé par le pape Léon X *, et après les deux éditions de
Bàle qui se suivirent de près, en 1510 et 1518, il eut encore trois autres
éditions de son vivant. Le savoir et la sagacité d'Érasme, sa réputation
d'écrivain et de théologien, avaient donné l'espoir à Rome qu'il accompli-
rait sa tâche avec autant de prudence que de supériorité. Mais, si l'œuvre
de l'helléniste consommé était remarquable, et si bien des parties de l'inter-
prétation se distinguaient par leur justesse, il y avait dans les notes des
observations hardies, qui n'échappèrent point à la censure des écoles de
' J. Latomus, qui n'était point un homme sans lettres {Epist. Er. I, 674), entendait n'autoriser
la lecture des Pères grecs et latins , qu'après l'étude des docteurs et maîtres de la scolastique.
^ Voy. ci-dessus, cliap I, § II!, pp 32-3Ô.
5 Epist., t. II, 1677. Haecuna res omnium sliidia , a turbidis lacimis , ad divinae scripturae
limpidissiinos fontes rcvocabit. — Cfr. Prologue de la Polyglotte d'Alcala, Hefele, loc cit., p. 144.
* Voy. de Biirigny, t. I, pp. 545 et suiv., et Hefele, ihid., p. 162-65.
DES TROIS-LAISGUES A LOUVAIN. 71
théologie ' : c'en était assez pour justifier les appréhensions de nos théolo-
giens touchant l'emploi des langues pour l'étude des livres saints. Dans ce
premier moment, personne n'était disposé à transiger : on n'était pas à
même de discerner et de séparer les assertions hasardées, les expressions
téméraires, jetées çà et là dans les meilleurs traités d'Érasme, des vues
saines et neuves qu'il avait émises en abondance sur bien des points ; on
n'examinait pas les pièces du débat avec assez de sang-froid pour recon-
naître la valeur de la méthode simple et naturelle, raisonnée et utile, qu'il
avait appliquée à l'étude du Nouveau Testament dans son texte original;
cette fois encore, on n'est pas arrivé d'emblée à une juste appréciation du
livre et de la méthode, ce qui n'a presque jamais lieu qu'à une grande dis-
tance de temps.
Il y eut alors, selon toute apparence, bien des vacillations dans l'opi-
nion, et surtout dans la conduite des docteurs les plus influents de la vieille
université à propos d'Érasme et de ses livres : Jean Briard, M. Dorpius ^,
et plusieurs autres se sentaient souvent entraînés vers lui par sympathie
naturelle, et aussi par admiration pour son talent; mais venaient les heures
d'animosité, et l'amitié la plus sincère était ébranlée ^. Alors plus de trêve :
on voyait dans les philologues les plus appliqués autant de novateurs et de
rebelles; on identifiait la cause des lettres anciennes avec les formules har-
dies que la nouvelle exégèse appuyait sur le grec ou même sur l'hébreu.
Évidemment, il est nécessaire de faire ressortir le point de vue auquel les
théologiens se mettaient sur la défensive pour rendre raison, d'une manière
plausible, de leur mauvais vouloir envers les membres de l'institution
de Busleiden. Tout s'enchaînait à leurs yeux : ils attribuaient d'avance le
rôle de frondeurs aux hommes lettrés qui auraient puisé là leur instruc-
tion. Bien plus forte encore était l'opposition qui partait des rangs de
' Ce fui surtout, dit-on , dans les éditions postérieures au règne de Léon X.
- Des relations d'eslime et d'amitié subsistèrent pendant de longues années entre ces deux
liommes distingués et le savant humaniste, qui les a épargnés presque jusqu'à la (in tout en atta-
quant leurs confrères et leurs successeurs.
'' lîriaid lui-même se laissa emporter jusqu'à dénoncer Érasme dans ses leçons de théologie, où
il y avait foule, in frequentissima schola. Voy. la lettre d'Érasme à P. Barbirius. Bruges, 1521
[Epist., t. I, p. 6o3). Dans sa polémique écrite, Jacobus Latomus s'était abstenu de personnalités.
Tome XXVIII. M
72 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
quelques ordres religieux, surtout de ceux des carmes et des dominicains ' :
jusque dans leurs prédications, ils représentaient comme dangereuse,
comme entachée d'hérésie, une science grammaticale et philologique qui
allait s'attaquer à la lettre de l'Écriture, et autoriser la licence des opinions.
Le débat eût été plus vif encore , et peut être la petite cohorte des huma-
nistes et des professeurs de langues eût-elle dû céder à Louvain devant le
grand nombre des assaillants , si un personnage considérable n'avait fait
entendre sa voix pour protéger les premiers^; Adrien VI était déjà car-
dinal , quand il prononça ce mot qui fut répété comme un oracle : « Je ne
» condamne pas les bonnes lettres, je condamne seulement les hérésies
» et les schismes! » Ce mot n'arrêta point, et c'est à peine s'il tempéra
la colère inquiète qui était entrée dans la plupart des esprits, et qui était
nourrie par le retentissement des controverses de l'Allemagne.
Nous rencontrons ici une seconde partie de la question historique que
nous avons prise en considération au commencement de ce chapitre, c'est-à-
dire le prétexte que l'étude des classiques païens aurait pu donner aux hos-
tilités d'un grand parti contre le collège des Trois-Langues : on se trompe-
rait fort, comme nous allons le faire voir, si l'on croyait en trouver une des
causes principales dans la matière des travaux et des leçons de cette école.
Dès le XV""= siècle, on avait lu un certain nombre d'auteurs anciens,
aussi bien dans les collèges de l'université de Louvain que dans l'école de
Deventer ou dans les collèges de la Belgique et de la Hollande qui relevaient
d'elle; on avait appris surtout à connaître l'antiquité latine dans plusieurs
de ses prosateurs et de ses poètes ^; quand, au commencement du siècle
suivant, les moyens d'instruction se multiplièrent avec les livres, à Lou-
vain, plus qu'ailleurs dans les Pays-Bas, la culture littéraire se fonda
' Le carme Nicolas d'Egniond est assez connu par ses sermons, où il attaquait Erasme (voy. de
Burigny, t. Il, pp. i2l et suiv., pp. 132- 133), et il fut réprimandé de ce chef par le pape Adrien VI.
2 Lettre d'Érasme. Fribourg, 28 mars 1331 , Episl., t. 11, p. 1387 : Vix nostra phalanx susti-
nuisset hostium conjuralorum impressionem, ni Adrianus, tum cardinalis, poslea Ronianus Pon-
lifex , lioc edidissel oraculuni : Bonas litteras non danino, haereses et scliismala danino. Cfr. Epiât..
t. I, p. 654 (a. 1321). — Cons. de Ram, Dixquis. hist. de Us qitae contra Lutherum Lovanienses
theologi cgerunt , anno MDXIX. (Brux., 1843, in-l", pp. 21-27.)
5 Voy. chap. 1 , §§ I et II.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 73
sur l'étude simultanée de quelques écrivains grecs et latins ^ Les pre-
miers professeurs du collège de Busleiden trouvèrent le sol préparé, et
ils n'eurent sous certains rapports qu'à édifier sur les fondements jetés
par d'autres mains; ils donnèrent une direction plus forte aux travaux de
philologie, mais n'en modifièrent pas sensiblement l'esprit. Or, il s'en
fallait de beaucoup que les œuvres littéraires du paganisme eussent pro-
duit dans nos provinces l'enthousiasme désordonné qu'elles avaient excité
naguère en Italie, et l'on chercherait en vain des preuves ou des symp-
tômes de cette espèce d'apostasie intellectuelle, dont on a fait un grief
aux plus ardents promoteurs de la Renaissance au delà des Alpes ^. L'en-
traînement avait été plus fort sous le ciel du 3Iidi ; il était favorisé dans les
villes d'Italie par la mollesse des mœurs et le luxe des habitudes de la vie,
par la vue de ces œuvres de l'art antique, que l'on exhumait sans cesse
du sol et que l'on étalait sur les places publiques et dans les palais.
Bien différentes étaient les conditions dans lesquelles le mouvement
littéraire, qui était au nombre des besoins de l'époque, s'accomplissait
dans le Nord : il n'empruntait rien aux séductions du climat; il se con-
centrait dans un cercle d'esprits accoutumés à une réflexion plus froide,
à une conduite plus logique, que ne l'étaient les Italiens, et il se conci-
liait chez eux avec les exigences pratiques de la vie chrétienne. C'est ce
qu'atteste l'histoire des écoles établies et dirigées par les Hiéronymites ,
ainsi que la biographie des premiers humanistes appartenant à l'univer-
sité de Louvain. Mais il n'en est pas d'exemple plus frappant qu'en la
personne d'Adrien Boyens, qui fut un des soutiens de l'école théologique
de cette université, avant d'occuper le siège pontifical sous le nom
d'Adrien VI : il enseigna d'abord la philosophie au collège du Faucon,
' Pour éviter en cet endroit une trop longue digression, nous renvoyons au cliapitre V quelques
détails sur la connaissance des trois langues qui étaient avant 1318 l'objet d'études privées.
"^ A part l'abus des termes et des noms païens qu'ont pu faire alors les plus célèbres littérateurs
de l'Italie, on s'était laissé emporter on ce pays à d'étranges illusions, qui se traduisaient en actes ;
rappelons seulement les fêtes célébrées à Florence pour honorer d'une sorte de culte le divin Platon,
et la glorification des institutions et des mœurs antiques, tentée au milieu de Rome dans l'Académie
de Pomponius Laetus. Voir à ce sujet, outre les ouvrages connus de Tiraboschi et de Gingnené
sur la littérature italienne, Y Histoire de la renaissance des lettres en Europe au XV'"' siècle, par
J.-P. Charpentier. Paris, 1843, 1. 1, chap. XXIII et XXVI.
74 MÉMOIRE SUR LE COLLÈGE
et quand il s'adonna tout entier à la théologie, il porta toujours son
attention sur l'utilité des autres sciences, que celle-ci devait éclairer sans
jamais les opprimer; il était digne d'un esprit véritablement chrétien,
comme le sien, de demander à la science religieuse des armes pour l'Église
contre la Réforme, tandis que tant d'autres voulaient recourir avant tout
à la force, Adrien avait en partage une éducation littéraire qui l'élevait
fort au-dessus de mesquines préventions touchant la lecture des monu-
ments grecs et latins; mais, s'il n'était pas étranger aux bonnes lettres,
comme il appelait les études littéraires, il n'en pouvait approuver ou encou-
rager l'application frivole; et sur ce point comme sur tant d'autres, il a
été jugé avec injustice et passion par les Italiens, qui craignirent dès son
avènement la prochaine réforme d'abus invétérés. Il ne se posa pas en en-
nemi acharné des lettres, lioslis acerrimus , comme ils l'ont dépeint sans le
bien connaître ^; ce n'était pas « un barbare caché dans le Vatican ^ »,
mais il était fort éloigné, par son caractère et son éducation, de ce prompt
enthousiasme que les savants de la Péninsule concevaient pour les œuvres
et pour tous les souvenirs de Rome ou de la Grèce. Si on lui a reproché
son inimitié envers les gens de lettres, parce qu'il les appelait Téreniiens^,
ne croirait-on pas qu'il avait stigmatisé comme un abus véritable qui avait
pris racine dans les écoles latines même de la Belgique, l'adoption des
pièces de Plante et de ïérence comme livres de classe, comme modèles
préférés de la bonne latinité *? N'est-il pas nécessaire aussi de mettre quel-
que restriction à cette haine absolue pour la poésie, que lui a prêtée la
rancune de quelques poètes et d'autres écrivains méridionaux?
Arrivant en Italie, Adrien dut être frappé de la multitude des œuvres
de l'art païen exposées à tous les regards; comme les voyageurs et les
* Paul Jove lui-même, qui avait été à sa cour, l'a traité injustement en écrivant sa vie, et il a
exagéré, semble-t-il, plus d'un fait (voy. Charpentier, ouvrage cité, t. Il, pp. 46-48). dette bio-
graphie latine fait partie du recueil de G. Burman; Analecta hislorica de Hudriuno sexto ( Ti-ajecti
ad Rhenura, 1727, in-4°). Voy. chap. I et XV.
- Ainsi le désignait une épigranime irrévérencieuse de Sannazar.
^ Pierius Valerianus, de infelicitate literalorum, lih. Il : Qui literatis o)nnibus inimicitias mini-
tarelur, quoniam, ut ipse dictitabat, Terenliani esscnt, etc. Voy. Hallara, Hist. de la lillérut. de
l'Europe, t. I, pp. 323-324.
•* Voy. sur ce fait particulier le chapitre V et le commencement du chapitre IX.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 7S
savants qui venaient des pays du Nord, et pour qui ce spectacle était nou-
veau *, il montra une surprise qui choqua les esprits cultivés de la société
italienne. Indubitablement, Adrien ne vit pas sans crainte le prestige exercé
sur les imaginations, quelquefois sur les âmes, par l'évocation du poly-
théisme et de l'antiquité sous les formes brillantes de la statuaire. Selon
plusieurs de ses biographes, il n'aurait eu qu'indifférence pour ces mer-
veilles de l'art qui décoraient les palais de Rome : on rapporte même qu'il
aurait détourné un jour ses regards du Laocoon, retrouvé sous son pré-
décesseur, comme s'il blâmait les simulacres d'une nation impie ^. Et que
penser de l'exclamation qu'il aurait poussée à la vue de ce groupe fameux :
« Oh! les idoles des gentils ^! » Fût-elle vraie, elle exprimerait la première
et profonde impression ressentie par le pontife étranger; s'il eût résidé
à Rome plus longtemps, il eût considéré sans doute d'un autre œil ces
débris de la civilisation païenne rassemblés sous les auspices des hommes
les plus distingués qui aient orné la cour et la ville pontificale, depuis
Nicolas V jusqu'à Léon X; lui-même, il les eût donnés comme des dé-
pouilles du paganisme rendant témoignage au triomphe de la vraie reli-
gion dans la capitale du monde chrétien *.
Cette simple esquisse de la carrière et des intentions d'Adrien VI,
appelé tout à coup à vivre dans l'Italie des Médicis, suffit, nous l'espé-
• ' Les splendeurs de Rome avaient répugné profondément à Luther, qui n'eut que des anathèmes
pour les arts anciens et nouveaux (voy. Y Histoire de la vie et des doctrines de Martin Luther, par
Audin, 1. 1 , cliap. Il et XVI ). Érasme fut frappé de la grandeur de la Rome des Papes; mais l'habile
humaniste n'avait pas non plus le sentiment de la beauté des œuvres de la statuaire antique. Voy.
l'Histoire de Léon X du même auteur, chap. XV, et l'histoire citée de Luther, chap. XVL
- Cette anecdote, qui vient des écrivains italiens, a été recueillie par Bayle dans son Diction-
naire historique etcritique, t. II, pp. 9-10. Le même trait et d'autres semblables sont rapportés par
Tiraboschi, Hist. de la litl. ital., liv. 1, chap. Il, p. 4, et par Ginguené, son abréviateur, t. IV,
pp. 34-33.
^ Il y a plusieurs variantes de ce mot, qui n'est peut-être qu'un de ces mots prêtés à plaisir à
degi'ands personnages : Proh! idola barbarorum ! ou bien Idola gentium, ou encore Idola anti-
quorum. Nous ne le rapportons que comme traduction de la véritable pensée d'Adrien.
•* Adrien était un de ces esprits sérieux qui désiraient pour l'Église orthodoxeune réforme sage-
ment conduite, qui eût tout sauvé. Son éloge indirect et spirituel est au fond d'un court pamphlet
du temps, qu'on a retrouvé sous ce litre : Dyalogue et ung merveilleux parlement faist pas loing de
Triens, sur le cheming de Rome d'iiiuj abbé curtisan et du dyable, allencontre le bon pape Adrien.
L'an MDXXII. — S. L., petit in-i" de 4 feuillets. (Bull, du Bibliophile, n» 18, octobre 1841.)
76 MÉMOIRE SUR LE COLLÈGE
rons, à établir ce que nous avancions plus haul, touchant les disposi-
tions d'esprit bien différentes avec lesquelles les hommes de nos écoles
entraient dans le mouvement de la Renaissance : on n'oubliera pas non
plus que l'autorité du même Pape a été invoquée avec succès en faveur du
collège des Trois-Langues, dans la période de lutte dont nous nous occu-
pons ici, et qu'il n'a pas craint d'appeler Érasme à Rome, sans avoir égard
à l'animadversion dont celui-ci était l'objet dans une partie de l'Église.
Voyons maintenant comment Érasme lui-même conciliait avec la foi
chrétienne les vues et les espérances d'un homme dévoué aux lettres clas-
siques et au culte de la bonne latinité : il n'est pas inutile de montrer à
quelle dislance il est resté des hallucinations, ou même des excès d'une foule
d'humanistes de la même époque, soit dans les idées, soit dans le langage.
Il est de fait que l'Italie se ressentait dès lors, dans sa littérature comme
dans ses mœurs, des suites d'une éducation accomplie presque exclusive-
ment à l'aide des livres de l'antiquité classique. D'une part, ses écrivains
avaient adopté un néologisme faux, reposant sur de continuels emprunts
à la langue et aux usages des siècles païens : sans aucune exagération ,
on dirait que cette méprise avait gagné des esprits distingués et séduit des
cœurs chrétiens. D'autre part, les nouvelles générations d'auteurs et de
poètes étaient entraînées par une déplorable tendance à chercher la beauté
dans l'harmonie des périodes ou les formes de la versiflcation; rien d'ori-
ginal et de vraiment grand n'était produit sous l'empire de l'idée vaine
d'une sorte de rivalité avec les anciens : si le prosateur était enchaîné à
une imitation servile de Cicéron , le poëte ne pouvait se passer dans aucun
sujet des épithètes antiques, et donnait place en tout endroit aux dieux
et aux génies de la mythologie. On sait assez généralement qu'Érasme a
prolesté contre ce qu'il y avait d'erroné dans ces diverses tendances; mais
ne l'oublie-t-on pas comme à dessein, pour charger d'autant mieux sa mé-
moire? Dans le Cicéronien, qui est un de ses meilleurs traités , il a signalé
avec finesse l'abus des noms anciens, des expressions païennes, et bien qu'il
n'ait pas échappé lui-même à de graves inconséquences ^ , il a défini
' Nulle pari Érasme n"a confondu aussi mallieureusement le sacré et le profane que dans son
Éloge de la folie; ailleurs, ce sont plutôt des boutades ou des inadvertances.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 77
d'une main ferme la destination des lettres, le rang qui leur revient, à
côté des sciences, dans l'éducation et dans les relations sociales. Une de
ses lettres à Vives retrace le mieux, ce nous semble, les opinions fort
sages qu'il s'était formées à ce sujet ' : on y voit qu'il renfermait le
domaine des lettres dans de justes limites, et qu'il croyait leur puissance
assez grande pour qu'elles ne dussent pas les franchir. La mission des
Muses longtemps exilées, comme il s'exprimait, était alors de chasser la
barbarie du langage, de faire disparaître les frivoles subtilités d'argu-
mentation. Non-seulement il ne voulait pas que les lettres écrasassent les
sciences, dont la connaissance est d'une si haute nécessité, au lieu de
servir d'auxiliaires dans leur acquisition; mais encore il s'élevait contre le
culte exclusif que les Italiens de son temps rendaient aux belles-lettres
d'une manière trop païenne, nimis elhnice, et au détriment des autres bran-
ches du savoir. N'a-t-il pas aussi dirigé contre eux ce reproche fort amer,
qu'ils se croyaient tout à fait savants, quand ils avaient inséré dans quel-
ques vers les noms de Jupiter, de Bacchus, de Neptune, de Cynthius, de
Cyllenius. Le célèbre humaniste ajoutait avec beaucoup de raison : « Les
belles-lettres ont l'honneur qui leur revient en propre, quand elles viennent
se mêler comme un assaisonnement aux autres sciences d'une nature plus
sérieuse. » Quand on se rappelle quel était l'ascendant d'Erasme à Lou-
vain, et dans les autres centres d'études, sur tous ceux qui s'occupaient
des langues et des lettres anciennes, on n'a pas de peine à se figurer com-
bien grave, combien utile était la direction donnée aux travaux de nos
humanistes dans les premières années du second siècle de la Renaissance.
Encore une fois, des soupçons et des craintes qui provenaient de l'atta-
chement aux anciennes méthodes et d'un amour mal entendu de i'ortho-
* Lettre de Loiivain, 1S21 (Epist., l. 1, p. 688). On y lit, à propos des dispositions meilleures
de la Sorbonne : Gaitdeo revocari Musas, antchac prorsus exules a piiblicis gymnasiis, quas lu-
men sic recipi velim, ut barbariem ac frivohis tricas tantum discutiant, von etiani obruant disci-
plinas cognitu necessarias; atque ad lias perdiscendas conducent eliam , lanluin abest ut o/fœiant.
Neque enim solis bonis lileris vacandum , qtiod quidam apud halos nimis ethnice faciunt , qui postea-
quam Joverii, Baecliuni, Neptuniim, C.ynlliiiiin, Cylleniuin versibus aliquot infulserunl, absolute
docti sibi videntur. Ilis lileris tum demum suus est honos , quum aliis disciplinis gravioribus , quasi
condinienlum, admiscentur.
78 MÉMOIRE SUR LE COLLÈGE
doxie fureuL les principaux mobiles de l'opposition que le collège des
Trois-Lan"ues éprouva si longtemps-, l'antiquité et sa littérature n'étaient
pas directement en jeu pamni les griefs sous lesquels on cherchait à l'ac-
cabler : c'est là le point d'histoire littéraire que nous tenions à élucider.
Mais il nous importe d'achever le tableau de la situation de l'école
littéraire de Busleiden dans les années difficiles qui suivirent son inaugu-
ration : malgré la continuité des attaques dont elle était l'objet, ou du
moins l'occasion, ces années ne furent pas sans gloire pour elle.
Les hommes qui furent appelés les premiers à enseigner dans le collège
des Trois-Langues se trouvèrent en présence de nombreux obstacles ; ils
n'avaient pas la sympathie de tous les membres de l'université, en raison
même du titre de l'établissement, et ils ne purent d'abord compter que
sur un nombre restreint d'auditeurs persévérants, assez courageux pour
se soustraire aux obsessions et aux reproches de leurs condisciples. Ils
se ressentirent également des embarras inséparables d'une première orga-
nisation, et, pour y faire face, ils déployèrent un zèle qui suppléa en
réalité à l'insuffisance des ressources matérielles.
L'animosité excitée par l'érection du collège se maintint, après 1520,
avec la même force dans les rangs de ses adversaires. Érasme quitta la
Belgique vers la fin de l'année 1521; mais il fut informé de l'état des
choses par les amis qu'il avait laissés à Louvain et dans plusieurs autres
(le nos villes, et il ne perdit aucune occasion de signaler le mal à des per-
sonnages influents, dont il savait les intentions généreuses. Ses lettres nous
apprennent quel fut le cours de la polémique, et avec quel mérite les
professeurs de Busleiden poursuivirent leurs travaux sous l'impression
des rumeurs et des complots qui se succédaient autour d'eux. Vives fut
aussi mêlé aux premières scènes de cette pièce interminable *, qui ne
devait être interrompue que vers l'époque de la mort d'Erasme.
Trois années ne s'étaient pas écoulées , et déjà Érasme rendait témoignage
aux dispositions fermes des maîtres et des élèves, qui leur avaient permis
de traverser heureusement la première crise. D'autres fois, il avait osé
' Epist., 1. 1 , p. 689 : Ipse hvjus tumiilliis von Icwlitm teslis, sccl et pars aligna fuisti.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 79
revendiquer pour les professeurs une sagesse de conduite et une prudence
dans l'enseignement qui défiaient également la critique; c'est à leurs efforts
qu'il faisait allusion, quand il n'hésitait pas à dire, en 1521, que la cul-
ture littéraire avait déjji jeté de profondes racines à Louvain, aussi bien
que nulle part ailleurs ^ Erasme avait eu l'occasion de s'assurer lui-même
de l'application sérieuse que plusieurs Belges avaient apportée à l'étude
des langues, de la maturité de goût et de jugement avec laquelle ils s'y
étaient attachés.
C'est avec complaisance déjà qu'il représentait, en 1521, l'état du col-
lège comme florissant, quand il répondait à un évêque étranger, Daniel
Taispillus, au sujet d'un candidat que celui-ci proposait pour l'une des
chaires de langues ^. Le collège se composait encore de peu de monde;
mais l'assistance des leçons était d'ordinaire fort nombreuse, et formée
quelquefois d'environ trois cents auditeurs. Les professeurs ne recevaient
pas des honoraires élevés, mais proportionnés au revenu actuel du col-
lège; les administrateurs avaient liberté de les augmenter, et l'on fondait
quelque espoir sur les libéralités des princes et des grands pour les res-
sources de l'établissement dans l'avenir. Si Agathius se présentait, il serait
traité avec égard par les hommes pleins de droiture qui faisaient partie
du collège, et il recevrait l'autorisation de faire des leçons extraordinaires
à son gré sur le grec ou sur l'hébreu ''.
Il serait difficile sans doute de prendre à la lettre le chiffre de trois cents
' Lettre déjà citée à Vives. Louvain, 152L Episl., t. I, p. G89 : Nos Trilingue collegium, ex
munifœenlia BudiiHanorum inslilutum , non minus ulilitalis allaturuni omni generi sludiorum ,
quam ornamenti loti Inde dilioni Caesarcae , sic maehinis omnibus oppugnavimus , ut majore studio
fieri non potueril. Et lamen haud scio an usquam gentium magis invaleseant iilerae politiores, quam
hic, ut plane milii videre videar illud horalianum .'Diiris iitilcx, etcaelera; nam carmen agnoscis.
^ Auditorium est , ut in hac Academia satis frequens, aliquoties non pauciores habens trecentis....
Et bona spes est fore, ut brevi ex principum liberalitate crescant Collegii proventus, praeserlim si
lu luiqnc similes suum favorcm adjunxcrint. Pium est opus magnoqueolim ornamento futurum, et
liuic Academiae, et Carolo principi. Anderlecht, 5 juillet 1521. Epist., t. I , p. 652.
^ Et licebitHU extra ordinem profiteri , seu Graece malit, seu Hebraice. Erit illi res cum viris
probissimis optimaeqne fuki. [Ibid.) — La motion faite en faveur de Hieronymus Agatliius n'eut pas
de suites; mais ce personnage entretint des relations scienlillqiies avec Érasme qui l'estimait,
Epist., t. II, p. 1I0G-M07. Bftle, 1528.
Tome XXVIII. J2
80 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
auditeurs, dont il s'agit dans le document que nous analysions à l'instant,
à moins de le rapporter à des séances d'ouverture , à quelques leçons
oratoires qui piquaient l'attention de l'élite de la jeunesse. Toujours est-il
qu'en 1550 il y avait encore l'affluence accoutumée aux cours du collège,
et surtout à ceux de Goclenius : on enseignait intrépidement les langues,
mais le latin avec plus de succès que les autres S et si le grec ne faisait
pas autant de prosélytes, on compta toutefois des hellénistes di^ingués
parmi ceux qui avaient entendu Rescius.
Du fond de sa retraite de Bàle , oîi il était allé chercher un peu de repos
pour échapper à toutes les tracasseries dont on ne cessait de le poursuivre
dans le Brabant , Érasme se trouva dans l'impossibilité de suivre les
impulsions de son dévouement : une œuvre dont il avait surveillé et pro-
tégé les commencements avec succès, ne profita point de tous les avan-
tages qu'il avait naguère projeté de lui assurer. Ainsi on le voit manifester,
en 1317, l'intention de prendre un logement à ses frais dans le collège de
Busleiden, si tout marche bien, de le patronner par sa résidence même,
et enfin de lui léguer un jour sa bibliothèque , comme au meilleur des
héritiers ^. Ce plan n'eut pas de suites : il paraît qu'Érasme n'avait ensei-
gné, à proprement parler, ni au collège des Trois-Langues, ni dans un
autre collège de Louvain ; mais par ses entretiens avec des humanistes déjà
formés, par ses relations bienveillantes avec quiconque cultivait les lettres,
il avait donné de véritables leçons. Une confi^aternité d'études et de goûts
l'avait lié dès lors avec quelques hommes d'État, et il avait pu se louer
fort de l'émulation littéraire qui régnait parmi ses amis ^.
' Linguae docenlnr slrenue, et maxime latina. Exsullai'el tuus animiis, si ad professionem con-
currentem videres juvenlutem, maxime verà dum docel nosler Goclenius. Lettre du procureur des
Chartreux de Louvain à Érasme, à qui il était attaché — toto pectore tuus — . (Louvain, 14 juillet
toôO. Epist., t. II, p. 1747).
- Epist., t. II, p. 1633. (JEgidio Buslidio) : Si processerit , ut spero fore, mihi magis adlubescet
Lovanium : nec ullius contuhernii malitn hospes esse, idque meopte sumtu; etputo meum eonvictum
non inutilem fore tait Colleyio. Postremo non malim ullum alium haeredem Bibliothecae noslrae. —
En 1317, Érasme, qui était en paix avec les théologiens, se croyait bien fixé à Louvain : Tolus
commigravi Lovanium, disait-il à Tunslall, Épist., t. II, 16"28, ibid., 268.
' Voy. par exemple sa lettre du 31 juillet 1320. (Epist., t. I, p. 376) : Dorpius optimis studiis
seniet deleclut. Idem nos ugimus. quod quidem licet.
DES TROIS-LAINGUES A LOUVAIN. 8i
Que fit Érasme , retenu loin de Louvain le reste de ses jours? 11 ne
cessa point d'avoir les yeux sur l'institution qu'il avait laissée en plein
exercice , et d'agir à la fois sur les savants qui la composaient , et sur
tous les hommes qui pouvaient comprendre la mission des premiers.
Après la mort d'Antoine Sucquet, il s'adressa à son frère Jean, un des
dignitaires de la cour de Charles-Quint^, pour l'engager à user de son
crédit dans l'intérêt des lettres , suivant l'exemple de sa famille. Il fil
valoir auprès de lui les avantages que l'enseignement des langues, tel
qu'on l'avait organisé à Louvain, procurerait à la société tout entière.
Non-seulement le collège de Busleiden était l'ornement unique de notre
pays et même de tout l'Empire, mais encore il devait être une pépinière
d'hommes utiles à l'État, donnant à la cour impériale des secrétaires
instruits, des conseillers d'une haute prudence, des ambassadeurs élo-
quents, des grands qui ne seraient pas nobles seulement par leurs armoi-
ries. Bien plus, des princes eux-mêmes pourraient y acquérir la faculté
de répondre aux discours qui leur sont adressés sans recourir à un inter-
prète ; enfin , les sciences élevées et tous les arts utiles recevraient de ce
côté un accroissement de lumières et de dignité. Un tel collège n'existàt-il
pas, répétait Érasme, l'empereur ne devrait rien avoir plus à cœur que de
l'établir à ses frais; cependant, c'est cet établissement utile qui est le but
de machinations continuelles et de perfides attaques. Érasme suppliait
Jean Sucquet d'en prendre la défense en haut lieu et de le recommander
à la bienveillance des grands de l'Empire'^; il lui représentait en même
' Lettre de Bâle, 1523. Epist., t. I, p. 909. Nous donnerons quelques passages de cette sup-
plique élégante, qui renferme l'éloge d'Antoine Sucquet (voy. sur ce dernier le chapitre II, p. 43).
Sunt compiures Lovanii, velul in hoc conjurali, ut Collegiimi Buslidianum, unicum nostrae regionis,
imo tolius Caesareae dilionis, ornamentum, sublalum cuperent : eique miris cuniculis exilium
moliuntur; unde quum omnibus publiée pariter ae private proditura est summa iitililas , tum aidac
Caesareae prodibunt eruditi sccrelaiii , elc denique principes , qui, si videalur, possint orato-
rihus dira interprelem respondere... Si non esset instilutum taie collegium, nihil prius erat curan-
dum Caesari, qunm ut suis impendiis instittteret.
- Ibid., p. 909 : Quare te rogo majorem in modum , ul quod Antonius féliciter orsus est, lui
gratia et antoritale tua, qua tu merito vales in aulaplurimum, perficias , ut hoc collegium sil om-
nibus aulae proceribus quam maxime gratiosum. Rcditus adimc tenues sunt; vix alunt profcs-
sores, eos augebit Principum ac divitum liberalitas , te Inique similibus rem provehentibus
82 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
temps combien il serait opportun d'augmenter le revenu encore modique
du collège, et d'améliorer le sort des professeurs par de nouvelles largesses ,
comme on est porté à en attendre des princes et des hommes opulents.
Érasme ne craignit pas non plus de s'adresser à des prélats instruits,
prenant part à la direction des affaires publiques, pour leur faire com-
prendre quel dommage causaient à l'Église et à l'État les persécutions diri-
gées contre le collège des Trois-Langues , et en général contre les gens de
lettres. 11 s'était déjà plaint à Carondelet, archevêque de Palerme , chance-
lier de Brabant^ d'avoir eu beaucoup à souffrir de la part de quelques théo-
logiens à cause du collège de Busleiden , et lui avait déclaré n'avoir refusé
la charge que lui offrait François I" dans un collège semblable à celui
de Louvain , que par crainte des mêmes déboires. C'est encore auprès de
ce haut dignitaire ecclésiastique qu'il réclama plus tard contre les décla-
mations qui atteignaient le collège des Trois-Langues du haut de la chaire^;
en lui recommandant la cause des études, il dut lui signaler, en 1527,
le carme Paschasius qui, à Malines , dans ses prédications publiques,
attaquait à tort et à travers les langues et les lettres. Dans cette pièce
où il défendait leur étude comme auxiliaire de toutes les sciences, il prou-
vait que la guerre qu'on lui faisait était contre les intentions de l'empereur
et du pape ; c'est la faute des hommes , disait-il, si la connaissance du grec
et de l'hébreu a prêté des armes à Mèlanchlhon et à d'autres partisans de
la Réforme : combien est-il d'hommes, ignorant le grec et même le latin,
qui l'ont embrassée avec chaleur! mais il y a encore bien plus d'hellénistes
et d'hébraisants qui en sont les adversaires déclarés! à Louvain même, il
n'y a pas un seul homme versé en ces choses, qui ne soit tout à fait con-
' Letire de Bûle, ôO mars iôU (EpisL, 1. 1, p. 79-i).
2 Lettre de Bàle, 50 mars 1527 (EpisL, t. I, pp. 972-973).... Sed stiidioriim causant libi com-
mendo. Mechliniae carmelita quidam Paschasius, ut ex midtorum liter'is accipio, pubiiciiùs e sug-
geslo debacchatur in livguas ac bonus literas , et nominalim in Collegium Trilingue. Agant hoc quod
habent in mandatis , pugnent adversus haereses: at bellum gerere cum literis, sine quibus omnes
reliquae disciplinae mulae sunt , mancae sunt , caecae sunl, plurimum abest ab anima tum Caesaris,
tvm Ponlificis.... ista non studiurmn est culpa. sed hominum, sed longe piures favent Luihero qui
neque graece sciunt neque latine. Mxdto piures his literis instructi pugnant cum LiUhero. Certe Lo-
vanii nidhis est ex hoc génère non alienissimus a re Lutherana....
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 83
traire à la cause de Luther. Que deviendraient toutes les sciences, el la
théologie même, si l'on en supprimait l'enseignement à cause du penchant
des hommes qui les cultivent pour une secte condamnée? 3Iais le nom
d'Érasme n'avait pas cessé d'être mêlé à ces bruyantes et stériles querelles :
plus d'une fois des docteurs et des prélats avaient flétri le langage inju-
rieux et « digne des fureurs d'Oreste » , comme il disait, sous lequel on
croyait l'accabler. Après Léon X, qui l'avait encouragé, le pape Adrien VI
et son successeur, ordonnèrent formellement de ménager la personne
d'Érasme et de respecter son talent, et celui qui avait porté ses protes-
tations jusqu'à Rome, n'avait pas pu trouver une protection plus généreuse
que celle dont Clément VII entendit le couvrir, quand il enjoignit, en
l'année 1525, aux membres de la faculté de théologie de Louvain de
s'abstenir de toute attaque qui compromettrait l'influence souvent salu-
taire d'Érasme dans le monde savant de l'époque '.
On avait compris à Rome combien il était imprudent à l'heure où les
lettres excitaient l'attention générale, de s'en prendre à elles, et de leur
attribuer tous les désordres du temps, et combien il était injuste de les
honnir en celui qui était leur plus brillant représentant. L'événement
prouva que cette fois encore le zèle se crut au-dessus de l'obéissance; les
passions, qui ne raisonnent pas, ne tinrent point compte de si sages avis.
On persistait à confondre dans une même réprobation les hommes et les
idées, les tendances et les principes; on voulait la ruine d'une étude nou-
velle en haine d'un écrivain qui la prônait puissamment.
La cause des lettres était vengée aux yeux des hommes sérieux, quand
Érasme se justifiait lui-même par le témoignage de personnages éminents
qui l'avaient soutenu et encouragé : il gagnait à cette cause le chancelier de
Brabant, Carondelet -, alors qu'il lui communiquait, en 1527, des lettres
' On trouvera parmi les pièces justificatives (lettre D) le texte, revu sur le MS. original, de la
lettre si remarquable, écrite de Rome, le 12 juillet lo23, par Albert Pighius à ses anciens maîtres
de Louvain. Pighius déclare avoir dû faire les plus grands efforts pour qu'un brefne fût pas adressé
directement à Érasme, renfermant un blâme formel de leur conduite, qui eût fait grand bruit dans
le monde. Sur les avertissements répétés de Rome, voy., par exemple, une lettre d'Érasme à Bili-
bald Pirckheimer. Bàle, 1326 (Episl., I, p. 940).
^ Bâle, 1S27. Episl., 1. 1, p. 973 : Ut faciUimum , ila fuerit optimum primas islorum impeliis
retundere. Qiiod si facere non gravaberis, omnes Mudiorum cultores libi reddes addictissimos.
84 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
toutes récentes de l'empereur, du chancelier de l'Empire, Mercurio Gatti-
nara, et du cardinal Campegio ^ Que voulait-il? Convaincre Carondelet
de la nécessité de réprimer la fougue avec laquelle on attaquait les belles-
lettres, combattre l'effet des déclamations effrontées sur son esprit et lui
donner la conviction que lui-même n'avait pas failli en matière religieuse,
sous le rapport de la foi et du zèle, que reconnaissaient et que louaient en
lui les chefs des deux puissances -. Certes, les suffrages dont Erasme s'est
prévalu dans ces circonstances, ne vont pas jusqu'à justifier les inconsé-
quences de sa conduite, qui ont presque toujours une raison de vanité;
mais ils autorisent à penser que ses vues s'accordaient avec celles des
membres les plus éclairés de la cour romaine et des conseils de l'État,
quand il plaidait si chaleureusement en faveur des lettres repoussées par
un parti assez nombreux dans presque toutes les universités.
Les réclamations d'Érasme avaient aussi trouvé de l'écho auprès d'un
prélat lettré de l'Italie, Jean Matthieu Gibbertus ou Giberti, qui fut évêque
de Vérone; secrétaire (datarius) de Clément YIl, il avait rendu, à la de-
mande d'Érasme, un service particulier au collège des Trois-Langues au
nom duquel l'humaniste s'empressa de le remercier ^. Il avait autrefois
prévenu Gibbertus des faux bruits qui couraient en Belgique sur les
intentions du pape Clément touchant l'université de Louvain, menacée
de se voir retirer tous ses pi'iviléges *, et dans la suite il lui avait fait
' Mercurio Arborio di Gatlinara avait succédé à Sauvage, en toi 8, et il mourut cardinal en
toôO. M. le D' Le Glaylui a consacré une élude biographique dans les Mémoires de la Société des
sciences de Lille, années 1847-48. Voy. sur sa sympathie pour Érasme, de Burigny, 1. 1, p. 279; t. Il,
p. 104, pp. 1-54-160. — Légat du pape en Allemagne, Laurent Campegio avait témoigné à Érasme
sa confiance, et l'avait appelé avec instances auprès de lui. Voy. Epist., 1. 1, pp. 437,468, 794 et 795.
- Epist., t. I, p. 973 : Jn quem, inqiiies , umm? ut intelliyat tua prudentia , meam ftdem et stu-
dium in negotio pietalis probari summis ulriusque status Principibus , nec vel lantulum commoveare
quorumdam impudentissimis bluter utionibus...
' Lettre de Bâie mai 1326. Epist., 1. 1, p. 938 : Agnoscit Trilingue collegium, quantum debeat
Ampliludini luae, cujus favore consequutum est quod optabal, et largitcr et gratis. In Inijus beni-
fîcii consortium me quoque recipit, elc Si la nature de ce service n'est pas spécifiée, il était relatif
sans doute aux intérêts de l'instruction que Gibbertus avait à cœur; il avait préparé lui-même une
édition grecque de saint Jean Chrysostôme [Epist. Erasmi, t. I, pp. 811-812; t. Il, pp. 1308-
1309, 1416).
^ Epist., t. I, p. 812, sept. 1524.
DES TROIS-LAINGUES A LOUVAIN. 85
comprendre sans peine combien il était injuste et dangereux de mettre
en cause les langues sans nécessité, à propos des controverses reli-
gieuses; il ne craignait pas de lui affirmer que l'on cherchait querelle,
sous prétexte du luthéranisme, à ceux qui étaient chargés des leçons des
langues à Louvain, mais qu'ils se comportaient et professaient de manière
à ne pouvoir être trouvés en défaut par le génie même de la critique K
Dans le même laps de temps, Érasme ne négligea point de s'adresser
au prince évéque de Liège, Èrard de La Marck, dont il connaissait d'an-
cienne date la bienveillance à son égard, fondée sur l'estime de ses travaux
littéraires 2. Il lui fit part de ses plaintes sur les invectives qui retentis-
saient contre les lettres et contre lui dans les chaires de la Belgique,
avant comme après la mort d'Egmond s, et plus tard, faisant appel à ses
habitudes de munificence, il lui demanda pour le collège des Trois-Lan-
gues une intervention efficace, qui donnât à cet établissement plus d'éclat
et plus d'action*. Encore une fois, Érasme rendait hommage à la géné-
rosité de Busleiden, poussée aussi loin que sa fortune le permettait;
mais il faisait entendre que les revenus du collège suffisaient à peine aux
dépenses strictement nécessaires, et que c'était là une entreprise royale
(regiiim erat negotium), que les largesses d'un seul homme ne suffisaient
pas à terminer complètement. Érard était appelé, selon lui, à eu être à
son tour, un des promoteurs^; Érasme invoquait auprès du puissant
évêque, non-seulement le soin de sa gloire parmi les hommes, mais encore
Vintérêt éternel qui lui serait acquis par une œuvre fort agréable à Dieu.
' Jbid., p. 939 : Lovanii sic vivunt, ac profttentur linguas ad id destinali, ut nec Momus ha-
beat quod reprehendat... Mallenl illos Lutlierissare , quo delitr occasio culpam Iwminum in studia
conferendi.... Cfr. Episl., t. I, p. 997.
'^ Le prince manifestait à Érasme, en 1518, le désir de le voir et l'intention de l'aller trouver,
si Érasme ne pouvait se rendre à Liège (Episl., 1. 1, p. 559). Érasme lui avait exprimé le souhait que
les théologiens de Louvain, trop prompts à se (ikher, pussent hoire d'un vase qu'il avait reçu en
présent du cardinal archevêque de Mayence, sous le nom de coupe d'amour [poculumamoris). Epist.,
t. I, p. 383.
^ Bâle, 1328. Epist., t. K, p. 1 123.
^ Fribourg, 7 septembre 1530. Episl, t. II, pp. 1317-1318.
'^ Ibid , p. 1318 : Cui si tua sublimitas favere dignabitur , ul optime mereberis de studiis, ita et
npud homines plurimiim verae gloriae comparabis , et Deo rem cum primis gralam foeneraris....
86 MEMOIRE SUR LE COLLÈGE
La sollicilude d'Érasme pour le collège de Busleiden s'exerça d'une
manière non moins digne de curiosité dans ses relations fréquentes avec
des professeurs ou des partisans de ce collège. Engagé dans la composi-
tion de beaucoup de livres, chargé d'une volumineuse correspondance,
Érasme, à Bâle et à Fribourg, ne perdit pas de vue les besoins de l'in-
stitut naissant, et n'oublia aucun de ceux qui coopéraient à ses progrès.
Il savait trop bien qu'il faut des mobiles toujours nouveaux à l'activité
humaine *, et que l'esprit qui n'est pas sollicité par l'attrait ou par la
nouveauté des objets, est blasé fort vite, s'engourdit trop souvent, et
s'endort. C'est bien là le secret des vives instances qui reviennent à chaque
page de ses spirituelles épîtres.
On voit, en effet, que les mots tombés de la plume d'Érasme sojit
comme des traits qui frappent à coup sûr : dans ses lettres aux philo-
logues de Louvain, tantôt, c'étaient des félicitations sur leurs efforts et
leur persévérance; tantôt, c'étaient des encouragements qui venaient après
des défaillances passagères, et qui en prévenaient de nouvelles. Campensis
et Rutger Rescius eurent plus d'une marque de son intérêt et de son
estime; il avait fait en Belgique de fréquentes démarches en faveur du
second, qui, dès 1519, réclamait une meilleure rémunération de ses ser-
vices, et plus tard il ne lui épargna point les reproches, quand cet hellé-
niste ne vit plus qu'une occupation secondaire dans l'enseignement du
collège. Il apprécia non sans raison le zèle de Goclenius; il le traita en
ami éprouvé, digne d'être son principal correspondant littéraire dans nos
provinces ^. Il n'était aucun moyen de prosélytisme qui lui parût inu-
tile : c'est ainsi qu'il envoya aux professeurs des Trois-Langues l'épître
grecque pleine d'élégance, qu'il avait reçue avec étonnement d'un jeune
professeur d'Espagne, François Vergara ^; toujours il osa parler en patron
' Lettre à Gilles Busleiden, Fribourg, décembre 1531 {Episl., t. II, p. 1425) : Nisi diiigenlla
professormn udvirjild, mettio ne tandem frigeat hoc Collef/iuni. Mirum est hiimani ingenii fasti-
dium, obdormiscit , nisi subinde vel voluptate, vel nuvitate excilelur. Hac de re professores admonui
per litteras.
- Voy. plus loin les notices sur ces trois professeurs (cliapitres VI, VU, et VIII).
' B.île, septembre 1527 {Episl., t. I, 1013). — Voy. au cliap. IV les salutations d'Érasme adres-
sées, en 1527, aux professeurs, par l'intermédiaire de Nie. Wary, leur président.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 87
de l'œuvre à laquelle restait attaché le nom de son ami; n'avait-il pas
d'ailleurs le droit de prendre ce ton d'autorité ^, après avoir travaillé
depuis trente ans, au milieu de l'opposition la plus vive, à répandre le
goût de l'éloquence ainsi que des lettres grecques et latines, après avoir
résisté tant de fois aux assauts des barbares, comme il appelle leurs ad-
versaires ignorants? N'avait-il pas prêché d'exemple par cette constance
éprouvée?
En 1550, François I'^'' ayant réalisé le projet longtemps différé d'ériger
une école destinée à l'enseignement des langues, le Collège royal, Érasme,
qui voyait ses vœux exaucés, s'empressa d'écrire aux professeurs de Lou-
vain touchant cette heureuse nouvelle, et ne manqua pas d'exciter en eux
le sentiment d'une salutaire et généreuse rivalité ^ :
« Vous voyez, leur dit-il ^, quelle émule vous est donnée, et quelle ému-
» lation va sortir pour vous de ce collège des Deux-Langues que le roi
» de France, François I<"", vient d'établir à Paris, au grand désir de tous.
» Quelle que soit l'issue, que j'espère et souhaite très-heureuse, vous
» conserverez intact l'honneur d'avoir abordé les premiers la plus belle
» des entreprises, et d'avoir provoqué l'émulation dans les autres; ce
» qui augmente votre gloire, c'est d'avoir subi et soutenu les premières
» attaques de l'envie, et d'avoir transmis à vos successeurs une mission
« de beaucoup plus facile. En outre, votre mérite sera plus célèbre à ce
» titre, que l'autorité du nom d'un roi ne vous a pas protégés contre cette
» hydre de l'envie [adversiis excelram). Si les choses l'emportent ici sur ce
» point, qu'il est deux professeurs pour chaque langue, avec un salaire
» que l'on dit plus considérable, on ne peut l'imputer à Jérôme Bus-
* Lettre à N. Mallier, Fribourg, mars 1SI8 {Epist., t. H, p. 1387 ) : Facile conjectas qiws bar-
barorum impelus exceperim , ante annos ferme triginla apud nostrates , juventtttem ad eloquentiae
sludium graecarumque llterarnm amorem cxslbmdans....
2 Collegii Buslidiani professoribus S. D. Fribourg en Brisgau , 1" avril 1330. {Epist., t. Il,
p. 1288). L'abbé Goujet, dans son Mémoire historique et littéraire sur le Collège royal de France
(éd. in 12», Paris, l7o8, t. I, pp. 76-78), a traduit presque entière cette leUre, dont nous avons
fait une nouvelle version. Valère André en a donné le texte dans ses Exordia, p. 37-38.
■> Epist., t. Il, p. 1288 : Videtis quanta sil vobis adversaria parata, quantumque certamen ex
Collegio bilingui quod Galliaruni rex Franciscus inslituit Lutetiae summa omnium expeclatione,
etc.... Les premiers professeurs furent nommés pour le^; seules langues tfreeque et bébraïque.
Tome XXVIII. ^ 15
88 MÉMOIRE SUR LE COLLÈGE
» leiden, qui a consacré à la fondation rinlégrité de sa fortune K Je ne
» désapprouve point qu'on n'ait pas nommé en France un professeur de
» langue latine; je pense que vous feriez bien de suivre cet exemple,
» quand celui qui enseigne cette langue se sera retiré en toute conve-
» nance, et de partager ses appointements entre les deux autres maîtres ^.
» Je vous écris ceci , afin que vous accroissiez encore votre ancienne ar-
» deur, et que vous reteniez par l'habileté de votre enseignement l'affluence
» ordinaire de vos auditeurs {andilonim frequentiam). Nous sommes la plu-
.. pari attirés surtout par les nouveautés, et voici que la France commence
» à être en paix. Que si les auditeurs vous font défaut, vous serez portés
» vous-mêmes à professer avec plus de froideur. Il vous faut lutter contre
» de telles éventualités avec beaucoup de soin et d'intelligence '^. Jusqu'ici
» les premiers actes de la pièce se sont bien passés; grâce à la rivalité du
» Collège royal, l'exposition du drame se déroulera de même, et il appar-
.) tient à votre vigilance de lui donner un dénoûment digne d'applaudis-
» sèment. »
C'est encore sur le collège des Trois-Langues qu'Érasme faisait un
retour en 1551 , quand de Fribourg ^, il exprimait sa sympathie à Jacques
Tusanus ou Toussain , professeur de grec au collège de France, à propos
des persécutions que celui-ci avait essuyées à cause de cette charge ^. Tout
en encourageant son ami , Érasme répétait les conseils qu'il avait donnés
« Crévier dit très-bien que François I" eut dessein de remplir avec une magnificence royale le
projet qu'un particulier avait déjà exécuté à Louvain. Hisl. de l'Univ. de Paris, t. V, p. 240.
2 Busleiden avait moins bien doté la chaire de latin que les deux autres; cependant Goclenius,
qui l'occupait du vivant d'Érasme, la conserva jusqu'à sa mort, et il eut des successeurs. A Paris,
dès 1534 , on reconnut l'opportunité d'une leçon de langue ou d'éloquence latine, et elle fut confiée
à Barlbélemy Latomus ou Masson : alors le collège de France fut très-souvent appelé collège des
Trois-Langues dans les actes du temps.
^ Ibid. Contra haec vobis onini cura cl induslria connitendum est. Eacteinis piilclire se habent
primi aclus fabulac. Protasin excitabit acmidaliu Collegii régit, vestra vigHanlia imponet plausibi-
lem catastrophen.
' Lettre du 13 mars 153L Epist., t. Il , I367-I3G9. Dans une autre lettre de la même année,
Érasme félicitait Toussain de sa nomination {Epist., t. II, pp. ISol-lôo'â).
5 Goujet a cité quelques courts passages de cette lettre, en racontant l'opposition que l'université
de Paris fit au Collège royal, principalement par des raisons d'intérêt (ouvrage cité, 1. 1, pp. 82-97,
et 1 10-115).
DES TROIS-LAINGUES A LOUVAIN. 89
dès le principe aux professeurs de Louvain * ; on lira avec plaisir en quels
termes il a recommandé la prudence et la mesure, la dignité et l'urbanité,
à ceux qui représentaient alors dans les écoles une puissance nouvelle,
celle des lettres :
« J'ai toujours regardé, dit-il, comme un heureux présage, que l'on
» ait protesté contre l'étude des langues et des belles-letti-es , commen-
» çant à fleurir chez nous, d'une manière si odieuse et par une telle con-
» juration d'efforts : car c'est toujours avec de semblables commencements
» que se sont produites les choses illustres, destinées à un long empire.
» Sinon le premier, du moins avec les premiers d'entre les nôtres, j'ai
» été exposé aux sifflements de cette hydre de l'envie (Imjus excetrae). Je
» regrette, mon cher ïoussain, qu'elle ait pu vous atteindre vous-même
» quelque peu. Cependant, il dépend de nous en partie, que cette envie,
» que le progrès du temps adoucit insensiblement 2, soit plus vite as-
» soupie : c'est à la condition que nous nous conciliions la bienveillance
» de tous par la politesse, l'urbanité et les bons oflîces.
» A peine le collège de Busleiden existait-il à Louvain, qu'il se formait
» une redoutable conspiration de tous ceux qui se persuadaient que cet
» accroissement donné aux études porterait dommage à leurs vues et à
» leurs intérêts. C'est pourquoi j'ai donné aux professeurs le conseil de
» ne pas dire un mot contre les professeurs des autres sciences, mais de
» faire en sorte, grâce à la politesse des manières et au zèle porté dans
» l'enseignement, d'attirer à eux la jeunesse, et de laisser des ennemis irré-
» conciliables se consumer eux-mêmes. Rien de plus beau, rien de plus
» efficace que cette sorte de vengeance '\ Ils ont obéi , et quelques mois
' Nous avons traduit un extrait étendu de cette curieuse lettre, dont Valère André a reproduit
un fragment original dans ses Exordia, p. 38-39.
"' Si longue et si opiniâtre qu'ait été la résistance des anciens collèges de Paris aux premiers
hellénistes ou pliilhellènes, comme disait Érasme, l'envie perdait ses forces de jour en jour (lettre
à Nicolas Maliier, 1331. Epist., t. Il, p. 1387). Le coassement des grenouilles va cesser, ajoutait-il
en louant la fondation de François I" , et il ne sera plus permis à aucun théologien de se prévaloir
(le l'ignorance des langues.
'• C'est le langage d'Érasme dans sa lettre de 1520 à Goclenius {Epist., t. I, S69) : Vis tibi com-
monstrem splendidum ac magnificum vindictaegenus?
90 MEMOIRE SUR LE COLLÈGE
» après, ils ont avoué avoir compris par expérience combien ce conseil
» était propice et heureux. Votre prudence et votre caractère n'ont pas
» besoin d'un semblable conseil , et d'ailleurs vous aurez une lutte bien
» plus douce à soutenir contre l'hydre, en partie, parce que chez vous,
» le vif éclat du progrès des lettres a déjà dissipé à peu près les nuages
» d'une ignorance prétentieuse; en partie , puisque vous avez pour auteur
» de cette belle entreprise un si grand prince, non moins doux et clément
» que puissant, qui a saisi avec une profonde pénétration combien de
» vraie gloire il ajouterait par là à ses autres titres, et quelle utilité en
» résulterait dans toute l'étendue de sa domination. »
Encore, vers la fin de sa vie, les craintes d'Érasme allèrent jusqu'à
l'anxiété toutes les fois qu'il apprit quelque chose de défavorable à l'insti-
tution de Busieiden. Le départ de Jean Campensis l'avait contrarié : un
procès engagé par Goclenius lui semblait une entrave inutile à son ensei-
gnement; il lui répugnait d'apprendre que Rescius se laissait absorber
par sa profession de libraire et d'imprimeur. Il exprimait en 1355 tout
son mécontentement dans une lettre à Goclenius ', où on lit : Doleo Colle-
gium istiid tam cito frigescere, et perilurum video, nisi praesidis et exectitorum
cura vigilel, et professorinn adsit diligentia.
Ces cris d'alarme , souvent répétés , ne furent point perdus. Avant la
mort d'Érasme, l'organisation du collège des Trois-Langucs ne fut pas
ébranlée, et elle se consolida encore après lui : son enseignement resta en
harmonie avec les besoins de la jeunesse qui fréquentait les cours acadé-
miques de Louvain, et il se poursuivit sans obstacles nouveaux jusqu'à la
fin du siècle. C'est même dans cette période de son existence, comme
nous le montrerons plus loin-, que l'école de Busieiden rendit les plus
grands services, en formant une foule d'hommes distingués, qui se signa-
lèrent dans toutes les carrières; c'est alors aussi qu'elle soutint véritable-
ment le parallèle avec les écoles semblables des autres pays , et cependant ,
dans la suite des temps, le collège de Louvain ne fut pas comblé des
faveurs des princes, comme le furent plusieurs de ces écoles.
' Friboiirg, 7 novembre I5ôô. Epist., l. II, 1679. — Voir thap. VI, § 2, et cliap. Vil, § 1.
■^ Voy. chapitres IX et X.
DES TROIS-LANGCES A LOUVAIN. 9i
Nous n'en viendrons à l'influence du collège sur les lettres anciennes
et la philologie orientale, qu'après avoir examiné au préalable la consti-
tution même de cet établissement et son régime intérieur; avant l'appré-
ciation générale des résultats obtenus, nous devrons dire dans quelle
mesure on avait étudié ou enseigné les trois langues savantes, antérieure-
ment à l'ouverture des leçons spéciales fondées par Busleiden, et nous
ferons connaître la série des professeurs qui occupèrent les trois chaires
de cette fondation pendant un espace d'environ trois siècles.
CHAPITRE lY.
DE L'ORGANISATION INTÉRIEURE ET DE L'ADMINISTRATION DU COLLÈGE
DES TROIS-LANGUES.
t consfiDtlia.
Il était dans l'esprit des fondations scientifiques d'autrefois qu'un comité
d'administration et de surveillance disciplinaire fût organisé à côté du per-
sonnel enseignant. Busleiden avait pourvu surabondamment à cette néces-
sité dans une suite de dispositions formelles consignées en son testament.
Pour que l'on saisisse mieux la position qui était faite aux professeurs
dans son collège, nous croyons utile de reconnaître d'avance quel pouvoir
il avait donné à ceux qu'il en avait institués les curateurs, et au prési-
dent que ceux-ci avaient le droit de nommer; ce que nous dirons des bour-
siers, de leurs devoirs et obligations, achèvera de compléter ce tableau du
régime intérieur de l'institution.
Les trois proviseurs de la fondation avaient été choisis par Busleiden *;
ils étaient à perpétuité ses représentants munis de pleins pouvoirs pour
la direction du collège une fois constitué suivant ses volontés. Ils avaient
* Voy. plus haut, chap. III, et l'extrait du testament; pièces justificatives, lettre B.
92 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE
la nomination non-seulement du président, mais encore des professeurs,
et, malgré le droit de présentation donné à d'autres, ils étaient les véri-
tables coUateurs des bourses fondées. Leur autorité d'administrateurs
s'étendait de la surveillance à la gestion même des biens : elle leur per-
mettait d'opérer le rachat des rentes du collège et d'en acheter de nou-
velles, de vendre et d'aliéner les biens du collège comme leurs propres
biens, d'en disposer en vue de la plus grande utilité de l'établissement.
H leur appartenait aussi de retirer les bourses aux titulaires qui auraient
démérité et de les conférera d'autres.
Les proviseurs avaient mandat exprès pour examiner et approuver
chaque année le compte des recettes et dépenses. S'il restait quelque doute,
s'il s'élevait quelque difficulté dans la marche des affaires, la solution en
était laissée à leur libre appréciation : ils pouvaient modifier la lettre des
règlements et statuts disciplinaires, pourvu qu'ils se conformassent le plus
possible à l'esprit du testament, aux intentions nettement exprimées sur
d'autres points. En constituant les trois proviseurs juges de l'opportunité
en toutes choses, il est clair que Jérôme Busleiden avait fait dépendre de
leurs lumières la prospérité du collège : aussi, c'est en faisant appel à
leur conscience de chrétiens plus encore qu'à leur honneur et à leur pro-
bité que le fondateur leur avait conféré cette charge. La négligence de ces
hommes, et même leur désaccord, pouvaient amener des crises funestes à
l'établissement.
Le président du collège des Trois-Langues, nommé et installé par les
proviseurs, était chargé de la surveillance directe et permanente de cette
institution. Un des devoirs qui lui étaient le mieux recommandés, c'était
celui de pourvoir à la collation des bourses à mesure qu'elles devenaient
vacantes; dans les quinze jours suivants, il était tenu d'annoncer chaque
vacature dans les localités désignées expressément par le fondateur, et
d'en faire part à la fois aux curés des paroisses et aux magistrats civils.
Après publication de cette vacature faite en l'église du lieu trois dimanches
de suite, les candidats qui avaient des prétentions à la bourse vacante
étaient invités à se présenter aux dignitaires nommés par Busleiden , à
cet effet, pour chacune des sept localités. Au dehors, les présentateurs
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 95
étaient le chapitre d'Aire en Artois, et le chapitre de la métropole de
iMalines : dans le Luxembourg, c'étaient Égide ou Gilles Busleiden , son
frère, et François Busleiden, son neveu, et puis après eux leurs héritiers,
à qui Jérôme avait conféré le droit de présentation. Si, après dix jours.
il ne se présentait aucun boursier, autorisation était donnée aux mêmes
personnes de rechercher dans les endroits les plus rapprochés un can-
didat réunissant les conditions voulues. Les proviseurs prononçaient en
dernier ressort, et faisaient la collation de la bourse. A la vigilance du
président et à la leur était confiée l'application de tout excédant du revenu :
si une bourse était vacante,* ou si le produit d'une bourse était retiré à
quelqu'un à cause d'une longue absence, ces fonds devaient être affectés
aux travaux nécessaires pour la conservation des bâtiments du collège et
pour l'entretien intérieur de la maison. Busleiden avait prévu le cas où
l'un de ses biens s'accroîtrait en valeur; il voulait que les boursiers du
collège en profitassent, comme ses héritiers légitimes et incontestés, mais
que toutefois une part de cet accroissement fût réservée aux besoins de
la fondation, et affectée soit au renouvellement du matériel, soit à la ré-
paration de l'édifice.
La charge de président, si bien définie dans le testament de Busleiden,
était confondue avec celle de receveur. Ce fonctionnaire était chargé de
la recette des biens et revenus du collège ■•. Il devait en rendre compte
chaque année, à un jour fixé, en présence des proviseurs et aussi des
professeurs de l'établissement. Le président avait sa part dans le profit
extraordinaire qui proviendrait des pensionnaires ou des personnes auto-
risées à payer leur table dans le collège '-^ : le testateur en admettait huit,
à la condition qu'une partie de leur pension formât un fonds pour l'entre-
tien et la réparation du local; il donnait la même destination à l'argent
que payeraient quatre autres pensionnaires, reçus à la table des boursiers,
et soumis à peu près aux mêmes formalités d'admission que ceux-ci. Nous
reviendrons aux devoirs du président envers les boursiers et les pension-
' Outre la gratification annuelle de vingt florins du llhin comme honoraires de la présidence,
il touchait de ce chef une autre somme de vingt florins.
"^ Ces personnes partageaient la tahle du président.
94 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE
naires, comme directeur d'une maison d'études, quand nous aurons
exposé les obligations et les droits des professeurs de Busleiden.
Le fondateur avait réglé lui-même les émoluments de chacune des trois
chaires qu'il instituait. Il supposait que les trois professeurs habiteraient
le collège, et il leur assignait à chacun une bourse ou portion de table,
estimée à six livres environ. Mais, quant aux honoraires , il établissait
entre eux quelque distinction : pendant un terme de dix ans, les profes-
seurs de grec et d'hébreu jouiraient d'un traitement de douze livres de
monnaie de Flandre, tandis que le maître de latin aurait un traitement
invariable de six livres. Busleiden avait pris cette décision, en raison de
l'instruction spéciale et encore rare que requérait alors l'enseignement des
langues hébraïque et grecque : il avait pensé qu'on serait peut-être forcé
d'appeler, à cet effet, des savants d'autres villes et même d'universités
étrangères, et que la promesse d'honoraires suffisamment élevés les atti-
rerait plus facilement à Louvain. Cependant, après le terme fixé, quand
ces deux hommes seraient formés à leur besogne, leur traitement devait
être réduit à huit livres de Flandre. Il leur serait concédé de continuer
alors leurs leçons, avec cette différence de salaire, à la condition d'y
apporter toujours le même zèle ^ Cette disposition était prise dans l'hy-
pothèse que l'on trouverait facilement d'autres maîtres parmi les jeunes
gens qui, dans l'intervalle, se seraient appliqués sérieusement à ces deux
branches de philologie; elle avait pour motif, dans l'esprit du testateur,
le désir d'augmenter de deux le nombre des boursiers de la fondation,
comme nous l'avons observé plus haut -. Malgré la minutieuse précision
avec laquelle Jérôme Busleiden avait réglé la rémunération des profes-
seurs de son collège, des modifications furent apportées dès le premier
siècle au règlement qu'il avait laissé. Cependant, dans cette question
d'ordre intérieur comme dans toutes les autres, on fit en sorte de suivre
les vues pratiques et libérales qui l'avaient guidé.
Suivant les propres termes de Jérôme Busleiden, les professeurs du
collège des Trois -Langues étaient tenus d'enseigner à qui se présente-
' Modo fueriiit diligentes, necin negolio torpeant. Testam.
- Voy. chapitre 11, note, p. 48.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 9S
rail ' « sans exiger aucune rétribution et sans en accepter aucune. » Certes,
la publicité et la gratuité des leçons étaient conformes à l'esprit d'une œuvre
avant tout pédagogique et littéraire. Il y avait cependant une réserve faite à
cette prescription générale : c'est que les professeurs pourraient demander
un salaire à leurs auditeurs pour des leçons données en particulier (/«wiiim)
sans préjudice des leçons ordinaires et publiques dont chacun d'eux était
chargé. De plus, les professeurs étaient autorisés à recevoir les gratifica-
tions qui leur seraient offertes volontairement par des prélats ou des per-
sonnages nobles, assistant aux leçons publiques : seulement, d'après les
intentions de Busleiden , ces dons et présents extraordinaires devaient
être répartis en parts égales entre les trois professeurs titulaires.
Cette clause, qui stipulait le partage des libéralités des étrangers à titre
d'égalité, ne fut pas littéralement maintenue par les exécuteurs du testa-
ment et par Gilles Busleiden, protecteur du collège, quand ils apportèrent
quelques changements à cet acte, en date du 6 février 1522. On entendit
alors laisser chaque professeur proflter du présent qui lui serait fait ^. On
n'approuve pas non plus que, suivant une autre clause, les professeurs,
au-dessus de leur traitement, tirassent quelque profit des pensionnaires
leurs commensaux ^, ou bien encore touchassent un autre émolument
quelconque aux dépens du collège lui-même : il fut décidé que « chacun
d'eux recevrait à l'avenir pour traitement, au delà des frais de la table,
neuf livres de Flandre *. » On peut augurer de ce texte que la distinction
faite par le fondateur entre le professeur de latin et ses deux collègues
ne subsista pas longtemps.
Malgré cet arrangement, les amis et patrons du collège ne regardè-
' Qui in (lies leganl ac profiteantur publiée sine aliquo stipendio ab adventanlibus eXigendo ,
et non exaclo acceptando.
- Valère André relate cette modificalion de l'an 1522 dans ses Fasli aeademici , édit. 1630,
p. 279 ; Vej-um Itaec claiisula.... postea an. MDXXII. VIII. Id. Febr. factis quibusdam mulalio-
nibus et moderationibus , non placuit dictis Exeeutoribus sed tU quisqiie stto gauderct namcre.
' Ces pensionnaires, au nombre de huit, étaient admis primitivement à la table du président cl
des professeurs.
' Fasti, ibid : Sed quod singitlis pro stipendio, ultra expensas mensae, adsignentur IX librae
Flandricae.
Tome XXVlll. 14
96 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
renl pas la rémunération des professeurs comme assez bien assurée pour
l'avenir. Erasme qui , jugeant par comparaison avec d'autres écoles, don-
nait, en 1518 , le salaire dont jouirait le professeur de grec comme magni-
fique ' , reconnut bientôt ce que l'état des revenus laissait à désirer pour
la rétribution des leçons; ainsi qu'on a pu le lire au chapitre précédent,
il a sollicité en toute occasion de nouveaux dons, des largesses extraor-
dinaires, afin que la fondation littéraire de Jérôme Busleiden jetât autour
d'elle d'autant plus d'éclat. De grandes libéralités n'augmentèrent point
considérablement les finances du collège; mais grâce à la bonne adminis-
tration du premier fonds, l'enseignement resta assez régulièrement orga-
nisé jusqu'à la fin du siècle pour porter d'heureux fruits-. D'ailleurs, dans
le cours de ce premier siècle du collège, plusieurs professeurs usèrent du
droit qui leur était concédé de joindre des leçons privées à leurs leçons
publiques : Cornélius Valerius le fit ainsi, au grand profit d'une foule de
jeunes gens distingués par leur naissance, qui se rendirent utiles au pays ^.
Les aperçus qui précèdent montrent assez l'espoir qui avait animé
Jérôme Busleiden de rendre l'étude des langues et des lettres accessible
à un grand nombre d'élèves choisis dans tous les rangs de la société :
examinons maintenant ce qu'il a stipulé touchant l'ordre de leurs études
et le régime auquel ils seraient soumis pendant les années où ils appartien-
draient au collège des Trois-Langues.
Les étudiants de l'institution de Busleiden, dont quelques-uns étaient
fort jeunes encore, suivant les conditions d'admission prescrites par lui-
même , avaient la faculté de fréquenter les cours de grammaire et de phi-
losophie, en se conformant aux statuts de l'université, et ils étaient libres
de prendre le grade de maître es arts {usque ad gradum magisterii). En faveur
de cette catégorie d'élèves, des leçons de langues étaient instituées au
' Lettre à J. Lascaris, 26 avril 1518 : Salaria salis magniftco circiter sepluaginta diicatonim.
Epist., t. 1, p. 339.
- Dans quelques cas seulement, comme on le verra dans la biographie des professeurs, la mo-
dicité des honoraires causa des difficultés; ce sera le motif du départ du premier hébraïsant Ma-
thaeus Adrianus, et aussi des plaintes et griefs de Rutger Rescius.
'' Paquot, Mémoires sur l'Iiist. liltér., t. H, p. S97. L'auteur observe que pareil usage n'existait
plus de son temps. — (Nous citerons toujours l'édition in-folio des Mémoires en 3 volumes).
DES TROIS-LArSGUES A LOUVAIN. 97
collège les jours de dimanches et fêtes; le professeur de latin était chargé
de les fortifier dans la connaissance de celte langue, et les deux autres
professeurs, de leur communiquer les principes et les éléments du grec
et de l'héhreu. De la sorte , l'étude des langues était facilitée à la jeunesse
qui fréquentait dans la semaine les cours de la faculté des arts. Cette
clause, faite dans l'intérêt des plus jeunes d'entre les boursiers du collège,
ne préjudiciait aucunement à la régularité des leçons quotidiennes sur les
trois langues qui devaient être données dans l'intérieur de l'établissement.
Jérôme Busleiden, qui a si bien énoncé dans son testament le but reli-
gieux, social et scientifique de l'enseignement des langues savantes, a tracé
lui-même les obligations auxquelles les boursiers et les pensionnaires
seraient astreints pendant leur séjour dans le collège : il les a soumis aux
pratiques de la vie chrétienne, qui étaient d'usage dans les établissements
du même genre à son époque ', en même temps qu'il leur a imposé des
habitudes d'ordre et de travail^.
La prévoyance de Busleiden s'était étendue aux jeunes hommes admis
dans le collège à titre de pensionnaires, soit à la table du président, soit
à celle des boursiers : ils devaient observer le règlement intérieur et
prendre part à tous les exercices de la journée. A l'origine, il y eut quel-
ques personnes qui habitèrent le collège dans ces conditions -^^ dans la
suite, le nombre alla toujours en diminuant, surtout quand les profes-
seurs cessèrent de résider dans l'établissement.
C'est au président qu'incombait le devoir de faire observer les règle-
ments, de veiller à l'accomplissement des devoirs religieux, de maintenir
' Dans la chapelle même dii collège on récitait journellement des prières pour l'âme de Jérôme
Busleiden et des membres de sa famille; quatre fois dans l'année, des services anniversaires y
étaient célébrés en présence des professeurs et des étudiants; à la messe, qui avait lieu tous les
jours, les boursiers avaient l'obligation de lire les vigiles des morts.
2 Busleiden a tout prévu jusqu'à prescrire, pendant le dîner et le souper, la lecture d'un auteur
latin approuvé, qui serait faite par un des jeunes gens.
■' Dans une lettre déjà citée à D. Taispillus, en date du 5 juillet 1321, Érasme fait ce petit
tableau de la maison de Busleiden. {Episl., t. I, p. 6bi) : Colkgiwn doiiii paucùsimos alit, praesi-
(lem umiin cui rei famiUaris cura delegala, professores b-es, et duodecim, opinor, adolescentes
(itque hos graliiito. Extra hos paiicos capil domus, qui siio sumplu vivunl apud praefectum ac pro-
fessores.
98 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE
une sévère discipline parmi les membres du collège, d'exciter en ces
jeunes gens, suivant l'expression de J. Busleiden , «l'amour des lettres et
de la vertu. » C'est encore sur le président que retombaient, d'autre part,
les soins les plus graves de la comptabilité : il recevait le revenu et devait
en rendre un compte annuel ; il pourvoyait aux nécessités de la vie pour
les boursiers et tous ceux qui demeuraient dans le collège, et il avait sous
sa garde les ressources qu'on y avait réunies dans l'intérêt des études. Il
y eut, sans aucun doute, une bibliothèque particulière au service des
professeurs et des étudiants dans le local des leçons; vraisemblablement,
une grande partie des livres précieux du fondateur y fut déposée, et plus
tard des dons ou legs, faits par des professeurs et par diverses personnes,
accrurent cette première collection : ainsi, Theodoricus Langius, profes-
seur de grec, avait laissé au collège sa propre bibliothèque, fournie d'ex-
cellents ouvrages ^
Puisque la charge de président comportait avec des obligations déter-
minées une mission toute morale de surveillance et de persuasion, le
collège des Trois-Langues a été redevable d'une partie de sa prospérité au
choix éclairé des hommes appelés à la remplir. Plusieurs de ceux qui ont
occupé cette fonction ont contribué soit par leur vigilance, soit même
par leur libéralité, à rendre le séjour du collège favorable aux études
soutenues des jeunes humanistes : quelques-uns, qui jouissaient d'une
considération personnelle dans l'université, furent appelés à exercer la
charge alors semestrielle du rectorat. Yalère André a conservé les noms
des onze premiers présidents du collège 2, depuis Jean Stercke ou Fortis,
qui assista à son inauguration, jusqu'à Philippe Bellenus ou Bellens, qui
occupa ce poste pendant presque toute la seconde moitié du XVir"'= siècle;
mais les notes recueillies par l'abbé Bax nous ont mis à même de com-
pléter la liste des présidents jusqu'à la suppression du collège. Il nous a
paru préférable de rejeter à V Appendice les détails biographiques qui con-
* L'abandon dans lequel fut le collège à la fin du XVI"»^ siècle causa probablement la dispersion
ou la perte d'une partie de ces anciens fonds. On verra plus loin que les papiers eux-mêmes furent
perdus quelquefois par négligence dans les deux siècles suivants.
2 Fusli acad., éd. 1C50, pp. 277-278.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 99
cernent ces honorables fonctionnaires '. L'histoire littéraire du collège n a
pas besoin, ce nous semble, d'être surchargée du bagage un peu lourd de
celte statistique, qui aurait plus de prix dans des recherches historiques
d'un genre différent : la plupart de ces présidents sortaient des rangs du
clergé, et leur carrière appartient aux annales de la théologie bien plus
qu'à celles d'autres sciences, quand elle n'appartient pas uniquement au
ministère ecclésiastique. Nous signalerons ici les noms des seuls présidents
qui aient eu des titres particuliers à la reconnaissance publique comme
administrateurs, restaurateurs et bienfaiteurs de l'institut de Busleiden.
Le premier président, dont le nom s'est déjà présenté à nous plusieurs
fois, fut Jean Stercke, appelé plus souvent Fortis, surnommé aussi Mirbe-
camis, du nom de son lieu natal. Il avait eu l'honneur d'être désigné par
J. Busleiden à ses mandataires ; il eut aussi l'honneur d'entrer à la tête des
professeurs dans le nouvel édifice approprié au collège, le jour de leur
installation solennelle, 18 octobre 1520. Pendant les sept ou huit années
de son administration, Jean Fortis donna à l'école l'appui d'un beau carac-
tère, plein de désintéressement, ainsi que l'ornement d'une érudition
solide et variée.
Le successeur de Fortis, Nicolas Wary, de Marville, dit le plus souvent
Marvillanus. recueillit les fruits d'une première organisation de l'établisse-
ment faite avec habileté en peu d'années, et les accrut encore pendant sa
courte gestion de trois ans environ (lo26-1529). Il nous suffira de men-
tionner en cet endroit la distinction dont l'honora Érasme, en lui dédiant
sa traduction latine du traité de saint Jean Chrysostôme sur S. Babylas.
Nous devrons revenir, dans un autre chapitre, sur les vues remarquables
émises par Erasme touchant l'étude des Pères grecs, dans la lettre qu'il a
écrite à Marvillanus eu manière de dédicace '^; mais c'est bien ici le lieu
d'insister sur un fait peu remarqué, l'approbation qu'Érasme a donnée à
' Voy. parmi les pièces justilicatives, ieltre E, la Série des présidents du collège des Trois-
Langucs.
- Lettre de Bâle, 14 août 1 327 : iVico/ao Marvitlano coUegii Ruslidiani apud Lovanienses
Praesidi. (Epist., 1. 1, pp. 996-997). — Nous reportons au chapitre IX' l'examen îles idées relatives
au choix des auteurs et le témoignage rendu dans cette pièce au mérite des maîtres.
100 MÉMOIRE SUR LE COLLÈGE
la direction intérieure, aux travaux et aux habitudes de l'institution chré-
tienne qu'il a toujours patronnée. Il est bien vrai que le maître répète
encoi*e ces avis, ces conseils de fermeté et de prudence , auxquels il est
revenu tant de fois, et qu'il combat, dans la personne des savants, tout
découragement résultant de la légèreté et de l'ingratitude de ceux qu'ils
instruisent; mais il loue expressément la sagesse avec laquelle on a con-
duit les choses à Louvain ; il met en parallèle l'esprit de nouveauté et de
turbulence qui a gâté ailleurs la cause des études, et qui a exposé bien
des maîtres en Allemagne au soupçon d'impiété *. Puis s'adressant à Mar-
villanus, comme représentant et directeur du collège, Érasme le félicite
des succès obtenus et lui en prédit de plus grands encore, si tous persé-
vèrent dans la même voie ''^.
« Parce que jusqu'ici vous vous êtes gardés de tous ces excès avec
» une vigilance tout à fait remarquable, vous possédez par une faveur de
« Dieu le collège de beaucoup le plus florissant, et vous le rendrez plus
» florissant encore, si vous avancez toujours dans la roule où vous êtes
» entrés. Je ne doute pas qu'une connaissance très-douce de si beaux
» fruits ne parvienne jusqu'à cette sainte intelligence de Jérôme Bus-
» leiden, qui, certes, n'a pas, sans une inspiration particulière de la
» Providence, institué dans notre patrie une œuvre tellement utile. Tes
' 12n présence d'un passage saillant qui a Irait à l'histoire des études, nous ne pouvions nous
contenter d'une analyse, et nous en donnons ici, presque entier, le texte latin. Ibid., p. 997 : Quum
igilur lain ingens ulililas a vribis omni studiorum (jcneri cunferalur , prudcnlrr el illud curue lia-
betis , ut commode dexlreque detis bencficium. Périt enim fréquenter danlis vitio beneficium, quia
dure neseit.... Ut parentum ita doclorum est, atiquandiu ferre eorum , quos instituunt, vel fasti-
dium, vel ingraiitudinem , donee aiias et rerum usus illos doceat, quantum muuus accepcrinl. Hoc
pacto futurum est, lU qui nunc oblatranl liis studiis, post utrisque manibus applaudant. Omniuui
aulem pessime de studiis merentur, qui ad novitatis ac pelulantiae invidiam addunt etiam impietatis
suspicionem , quales aliquot habet Germania.
- Cette déclaration d'Érasme a trop de poids pour que nous ne la rapportions pas ici en enlier
dans l'original. (Ibid., p. 997) : A quibus omnibus quoniam hactenus singulari vigilantia abstinuisiis .
favore divino, Collegium Itabetis florentissimum , florentins etiam habituri si, qua ceperimus, per-
rexeritis. Ncc dubilo, quin hujuspulcherrimi fructus gratissimus quidam censits, ad sanctam illam
Hieronymi Buslidii mentemperveniat, qui nihil dubito quin propitii numinis afjlalu hujus praeclari
muneris uurtor fuerit noslr'ae patriae. Neque nihil hic attulere momenti tuamonita. Professoribns
optimis, cmn loto ■ji>.orXà"av choro, me'is verbis salulcm dices.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIW. 10^
■■> sages avis, dit-il à Marvillarius, n'ont pas peu contribué à ce succès:
» tu voudras bien saluer en usant de mes propres paroles les excellents
« professeurs, et avec eux le cbœur tout entier des amis des langues. »
3Iarvillanus avait pu, dans les temps qui suivirent, confirmer Érasme
dans cette heureuse idée, et celui-ci reconnaissait en 1528, sous la mo-
destie des termes employés par son ami, la durée de la haute prospérité
des études au sujet de laquelle il l'avait loué naguère ^ Seulement Érasme,
qui s'était attiré tant de désagréments par sa liberté de langage, avertissait
Marvillanus de se défier de la franchise , de l'ouverture de cœur qui lui
était naturelle -; il craignait que sa candeur ne l'exposât à beaucoup de
déboires et d'avanies de la part d'esprits mal faits.
Nous passons du second au sixième des présidents du collège, Jean
Reineri, de Weert, qui fut en charge de 1544 à 1560 : il légua à sa
mort un revenu de XLl florins, que ses successeurs étaient chargés de
distribuer aux étudiants sans fortune, appartenant à l'établissement ■'.
Après Reineri, Melchior Van Ryckenroy et Jean Verhaghen maintinrent
avec grande peine les choses sur le pied où ils les trouvèrent établies, à
cause du malheur des temps.
L'histoire des troubles atteste suffisamment quelles entraves furent
apportées à diverses reprises aux travaux de cette école comme de toutes
les autres. Louvain eut sa part dans les calamités qui marquèrent pour
ainsi dire chaque année d'une si déplorable époque; elle souffrit à certains
moments du passage des troupes ou de la poursuite des hostilités dans
le Brabant '' , d'un état de siège plein d'anxiété ^, et puis du retour de
maladies épidémiques qui frappèrent douloureusement le corps univer-
' F^ettre de Bàle , 1 3 mars \ 528. Episl., t. I , p. i 069 : Negabas esse quid scriberes , imo multtim
est mihique gratissiiimm quod scribis islic fausla feliciaque esse omnia , qnodque summo consensii
negolium lileraritm gnaviter agilis....
* Ibid., p. d069. Subvereor... ne tua libertas, quani tibi natura insitam esse video, praebeat ali-
quani ojfensiouis unsam, etc. — Marvillanus mourut l'année suivante, le 2 octobre 1529, sans avoir
été mêlé à de graves querelles.
' Valère André. Fasti, p. 278.
"• Par exemple, en 1572, une contribution fui imposée à Louvain par le prince d'Orange. Vov.
Vernulaeus. Acad. Lov., pp. 88-89.
5 En 1578, Louvain fut prise par Don Juan d'Autricbe, vainqueur à Gcmbloui's.
102 MEMOIRE SUR LE COLLÈGE
silaire '. Qu'on ajoute à cola la présence de bandes indisciplinées, qui
battaient le pays, et qui empêchaient la réunion ordinaire des savants et
le concours accoutumé des étudiants de toute province, qu'on rattache à
ces faits les conséquences de la séparation qui allait se consommer entre
les États de la Hollande et les Pays-Bas espagnols, et la situation parti-
culière de nos provinces du midi qui avaient obtenu du roi en 1562 la
création de l'univei'sité de Douai, on voit à l'instant que les études
n'avaient pu marcher que péniblement à Louvain dès les premières années
de la révolution religieuse. Les exercices et les concours de l'Université
furent plus d'une fois empêchés ou du moins ajournés : s'il n'y eut point
de promotion en 15GG-1567, à l'époque ordinaire, et si l'épreuve des
métaphysiciens fut abandonnée ^, c'est que la ville était dans de conti-
nuelles alarmes, et que l'on avait armé pour sa garde les plus forts d'entre
les jeunes gens, par crainte d'un coup de main; de même en 1582, c'est
à cause des troubles qu'aucune promotion ne put se faire ^.
Dans les dernières années du XVI'= siècle, le collège de Busleiden fut
soumis à une épreuve plus rude encore; après la mort de Jean Yerhaghen,
qui arriva le 2 septembre 1585, la fondation ne fut plus administrée
régulièrement pendant un long laps de temps; dès lors elle n'eut plus de
président, et peu d'années après la mort ou la retraite des derniers pro-
' C'est pnr suite de fièvres pestilentielles que Aug. Hunnoeus niourul à I^ouvain en septembre
-1077, (le même que le P. J. Guilielmus, le i" octolire 1378. Dans la peste de l'année 1379, les deux
uialhéniaticiens Cornélius Gemma et Pierre Beausard succombèrent en peu de semaines. Quand
(iornelius Valerius mourut, en t378, il avait vu de ses yeux tous les désastres accumulés par l.i
guerre autour de Louvain , et comme le dit André Scliolt dans un tableau simple, mais énergique,
de cette crise, le vieillard souhaitait sincèrement d'émigrer dans la céleste patrie. Lettre à Chris-
tophe Plantin. (Tolède, 1381), insérée dans l'édition de Pomponius Mêla, donnée par Schott. (An-
vers, 1382). — A. Schott s'écriait dans la même lettre, en parlant des hommes et dés lieux : Equi-
dem de me affirmare hoc possimi non mediocriler affici me (ivûpavoi ydp èi/ù) eum illorum obitu, Inm
l.or.i illius interitu....
' On lit dans le MS. de Foppens, Promoliones in artibus, fol. 12, v. An. 1506-1367. [Promoli
218.) Promotio non fuit consueto tempore celebrala. Ratio in libris aetorum haec adscribilur.
Propter iconodasliam et geiisioruiii rabiem , quae et miKjistroH et furiioreu jnceiies ad nocturnas
diurnusque compulit vifjilias, omissum ftiit anno loGO Tentunieu Melaphyùcorum. — Le premier
de la promotion alors retardée fut Henri Cuyck de Culemburg.
' Promotiones ibi., fol. 14. v. Niilla piuiiiolio propter titmidlus belgicos et dissidia slatiium Bra-
hanliue contra Joann. Austr. Belgii Gubcrnatortm.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIÎN. 103
fesseurs ', les chaires devinrent tour à tour vacantes, et l'enscignemenl
resta suspendu. Il y eut un instant où l'institution, si llorissantc naguère,
semblait être l'ombre d'elle-même, ou bientôt ne serait plus qu'un sou-
venir
I- 2
Ludihrium status prioris et fait,
Alque umbra, somniumque floris antiqui.
Quand Juste Lipsefut rentré à Louvain, en 1597, il trouva sans doute le
collège fermé, et personne ne songeait encore à raviver la flamme éteinte
dans ses murs déserts. C'est à cette vue qu'il s'écriait en 1602, comme on
lit dans un de ses dialogues^ : « At mine jacent ibi omnia et sitenl : heu tem-
» pora, an et heu judicia dicam? sed refraeno. » Juste Lipse avait eu raison
de ne pas désespérer, et d'ajouter aussitôt : « Tempeslivilas expectcmda est :
» tamen et ego eos qui praemnt liortor intendere »
Quand l'ordre fut bien rétabli dans notre pays, quand ses institutions
anciennes se relevèrent tour à tour sous le gouvernement des archiducs,
le moment vint où l'on s'occupa activement de la réouverture du collège
des Trois-Langues. Trente ans s'étaient écoulés depuis la mort de son der-
nier président, quand on procéda, en 1506, à la nomination d'un direc-
teur capable de le réorganiser : ce fut Adrien Baecx de Barlandt, origi-
naire de Malines, qui fut revêtu successivement, pendant les années de son
administration, de titres académiques et de plusieurs dignités ecclésias-
tiques*. Baecx n'était pas un homme sans lettres, et Suffridus Pétri avai(
des raisons pour le qualifier de très-docte. Paquot, qui l'a loué de ce chef ^,
avait vu quelques-unes de ses harangues latines, entre autres un sermon
' Nous croyons, avec Paquot, que des leçons furent encore données après la mort de Jean Verha-
glien. G. Huysmans, nommé en 1586, enseigna le latin au moins jusqu'à l'an 1589, époque où il
prenait encore le tilre de professeur public (voy. diapilre VI, la notice sur G. Huysmannus), et ce fut
seulement en 1590 que le professeur de grec, Guillaume Fabius, périt la nuit dans une émeute
d'éludianls.
- Vers de Juste Lipse sur Louvain, appliqués dans les Exordia, p. 59, au sort du Collège.
5 Lovanium, lib. III, c. IV. — Voy. de Reiffcnberg, Cinquième Mémoire, p. 9.
* Voy. les renseignements biographiques dans la vie des présidents du collège, piècesjustifica-
tives, lettre E , n° 9.
" Mémoires surthist. liltér. des Pays-Bas, t. III, pp. 253-254.
Tome XXVIII. 15
104 MEMOIRE SLR LE COLLEGE
sur l'Annonciation, et il rapporte qu'il s'était fait remarquer dans la dis-
cussion des (iitaeslionesqtiodlibeticae^', elle n'était certes pas inutile et vaine
comme tant d'autres, la thèse qu'il soutint un jour sur la nécessité, pour
le jurisconsulte, d'étudier l'histoire et la philosophie.
Adrien Baecx fit exécuter d'ahord les travaux urgents, nécessaires à
l'entretien du matériel; il fil réparer le local servant d'auditoire pour les
leçons elles divers bâtiments du collège; il y fit ajouter une nouvelle
chapelle dont la première pierre fut posée le 11 juillet 1614 ^. Le noble
personnage qui présida à cette cérémonie, Georges d'Aulriche, prévôt de
Saint-Pierre et chancelier de l'université de Louvain ^, légua en mourant,
par une disposition remontant à l'année 1613, un revenu annuel de cin-
quante florins au collège des Trois-Langues. Ce legs servit à la fondation
d'une bourse équivalente au revenu susdit, et qui était de collation libre à
la volonté des proviseurs, mais avec droit de présentation pour les parents
du défunt *; elle pouvait être conférée pour un temps illimité, à tout élève
faisant un cours complet d'études. La reprise des cours préoccupa le pré-
sident Baecx non moins que les autres soins de l'administration. Juste
Lipse, qui avait eu part à la fondation de Busleiden sans faire de leçons,
étant mort peu de semaines après la réouverture du collège (mais 1606),
Baecx, d'accord avec les proviseurs, offrit la chaire de latin à Erycius
Puteanus qui avait enseigné avec éclat en Italie^ : grâce au concours du
' Valère André cite seulement dans sa première édition de la Bibliotlteca Belgica (Lov. 1623,
p. t04) les deux questions sur lesquelles Baecx a disserté en 1617 : — An impensae sliidiorum
causa a parentibus faclao , bonorum collationi subjectae sinl? — De hislnria , elhicaqiie philosoiihia .
jurisconsullo necessarils.
- Valère André. Fasti, p. 278. — Il y avait eu dès le principe un chapelain attaché au collège
pour la messe et les prières.
' Voy. sur l'origine et la vie de Georges d' .Autriche, dit aussi Georges de Brienien, qui mourut le
21 avril 1519, la note de Paquot. Mémoires, t. II, p. 597.
■' Voici la teneur de celte fondation particulière eonjme elle fut acceptée par le collège, d'après
une copie authentique : Accessit desnper iina hursa fnndala a perillusiri Domino Joanne (sic) ab Aus-
Iria quondam hic Cancellario, pro qua reliquil nnum rcdilum 50 flor. ad niimmum decimwm sextmu;
praesentationem habent consangiiinei D. Domini Cancellarii : Collalores sunl D. D. pmvisores. Le
président du collège avait approuvé la formule de cette clause : Dalum \ 8 Decembris 1 700. F. Deens.
— A la fin du dernier siècle, le droit de présentation à titre de parenté appartenait au baron Snoy,
bourgmestre de Malines.
•■' Valère André, Fasti , pp. 280-28 1 .
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. i05
souverain et des états, Puteaniis se rendit à Louvain, dès l'an 1607. Ce
ne fut pas la faute de Baecx, si les leçons de grec ne furent pas reprises
plus régulièrement; Henri Zoesius, nommé en 1606, ne les donna que
pendant une année et demie, et c'est seulement en 1609 que ces leçons
furent faites avec suite par Petrus à Castello, qui avait déjà enseigné le
grec à Orléans ^ Plus tard seulement, en 1612, la chaire d'hébreu fut
conférée à Valère André, qui l'inaugura le 28 mars de la même année,
par un éloge latin de la langue hébraïque, discours imprimé en 1614, sur
lequel nous aurons à revenir.
Adrien Baecx conserva la direction du collège des Trois-Langues jusqu'à
l'an 1624, après avoir rendu une partie de son ancien lustre à l'établisse-
ment inauguré du vivant d'Érasme. On peut considérer comme un de ses
principaux soutiens celui qui, pendant vingt -deux ans, n'épargna ni
peines, ni dépenses, ni largesses-, pour en défendre les intérêts moraux
et les intérêts matériels. D'après tous les actes connus, on ne le jugerait
pas indigne des louanges que Valère André lui a prodiguées sur le ton un
peu cmpliatique et quelquefois pédantesque de la rhétorique latine. Le
jeune philologue de Dessel avait été naguère appelé d'Anvers à Louvain
par A. Baecx, pour donner les leçons d'Iiébreu : c'était reconnaissance et
justice de sa part que de dédier au président vigilant qui venait de le rou-
vrir et de le restaurer, l'histoire du collège de Busleiden, de son origine et
de ses progrès au siècle précédent ^. L'institution entrait dans une ère nou-
velle, grâce à l'habileté et au dévouement soutenu de son chef immédiat :
dans la prose oratoire de la dédicace de Valère André '', on démêle faci-
lement la vérité des actes, la grandeur des services qui ont signalé l'admi-
nistration d'Adrien Baecx.
Pour plus de fidélité, nous citerons de celte pièce originale un certain
' Valèic Aiiilio, FasU , \). 283.
' Dans la Dibl. Btigica de 1623, on lit au sujet de Baexius, p. 104 : Suo eliam dispendio alque
aère.
' (;'esl rouvrat;e que nous avons cité dans l'Introduclion au noml)ro des sources le plus consullées
pour l'exéculion de ce travail : CoUegii TriUmjuis Bustidiani in Academia Lovaniensi exordia ac
progressus, etc. Lovanii, 1014, petit in-4°.
^ L'épître dédicatoire , datt^e du I" septenihre 1614, y occupe deux feuillets; elle est signée :
Reverendue Doiniiuitioni tuae ac Collvgio dévolus Valerius Andréas.
106 MEMOIRE SLR LE COLLEGE
nombre de passages, qui peignent les désastres de la guerre civile dans
les Pays-Bas, et qui se rapportent à la restauration du collège et à l'in-
tervention personnelle de son président ' : Aupii lundis illius non parva in
Te portio redundal — ainsi s'exprime l'écrivain, — qui Praeses collegio datas,
(i superioribus illud temporum calamilalibiis alquc injuriis egregie vindicasli. FUt-
grahanl in Belgio bellorum civilium faces.... Fhicluabat Brabanlia universa....
ipsnmque adeo caput Lovanium, sacra Musis sedes, ab hoc malo non stetit im-
mune : nam et mililum rabies, et bellorum cornes morborum contagio bonam urbis
partent incolis ad iinum omnibus nudavit , domos dejecil , ac solo aeqiiavit. Sed et
in collegium hoc Inm florenlissimum , et alteram velut politioris literatiirae Aca-
demiam , tempeslas eu desaeviit , et e Tuilingli Elingue mox facttim , aiit iina vix
balbutiens lingua.
Mais voilà que le collège, resté muet si longtemps, retentit de nouveau
des trois langues parlées et enseignées dans ses murs; pour dire grande-
ment qui avait fait cette merveille, Valère André ne sut rien de mieux que
d'emprunter à Erycius Puteanus une métaphore bien pompeuse, qui avait
déjà servi à féliciter Adrien Baecx. Il fallait le bras d'un Hercule pour
pareil exploit, et ce nouvel Hercule s'est trouvé pour venger les Muses,
pour sauver les langues, pour rendre sa triple voix h cet athénée réduit
au silence.
Hercule ilaqne opiis eral, qui Musarum hoc linguarum domicilium bellis
annisque deformatum restaiiraret , lustris aliqitot clausum recludcret, MusASçue
quasi e fuga retraheret. — Tu Mlsarum ille ac linguarum Hercules.... Tua
industria, sludioque Alhenaeum hoc , quod ruinam atque inlerilum paulalim mina-
batur, instauratum, et ex Elingui Trilingue rursus factum.
Valère André n'esquisse ensuite la gloire ancienne des Busleiden que
pour la faire rejaillir sur le courageux président, qui a reconstitué d'une
main ferme leur œuvre menacée de ruine; et puis, ce qui n'est pas le
moindre de ses mérites, il glorifie Baecx pour la loyauté de son caractère,
pour sa bienveillance connue envers tous les amis des langues et des lettres.
* Ces traits complètent l'aperçu que nous donnions plus haut sur les causes de la décadence du
collège et de sa réouverture vers la fin du XV1°"' siècle. Mais qu'il soit entendu que la prose de
Valère André vaut mieux, partout ailleurs, que dans cette éplire.
1
DES TROIS-LANGUES A LOLVAIÎS. 107
Enfin, nous aurons donné ici un échantillon de tous les genres de louange
que cet administrateur a eus en partage chez ses contemporains, si nous
•apportons les vers latins de Petrus à Castello ad Rêver. V. Hadrianiim
Baexinm, Collegii Praesidem et instaiiratorem^, où l'auteur joue sur le prénom
d'Adrien porté aussi par d'anciens professeurs, Matthaeus et Barland, qui
ont donné, en 1518, les premières leçons de langue hébraïque et de litté-
rature latine :
Linguani , Tuilingui , induxit Isacidiim Scholae
Matthaeus Hadrianus, Ausoniam intulit
Barlandus IIadkianus, ast ternas simul
Reduxit Hadrianus , a Barlandiae
Numerans Toparchis generis auctorem sui.
Après Adrien Baecx, on ne rencontre plus de pi-ésident qui ait acquis
quelque célébrité en dehors de l'accomplissement des devoirs de sa charge;
un seul, l'avant-dernier, Menri Wouters, s'est fait connaître par la part
qu'il a prise à l'enseignement du Séminaire général. Dans certains inter-
valles, faute d'ordre intérieur, beaucoup de livres et de pièces manu-
scrites se perdirent; plusieurs des papiers et manuscrits que Valère André
avait vus et consultés au collège des Ïrois-Langues n'existaient plus du
temps de Paquot : « On n'y trouve aujourd'hui, dit celui-ci', que les
» débris d'une bibliothèque où il y avait beaucoup de richesses litlé-
» raires. »
Une fondation réunie au collège de lîusleiden , sous l'administration
d'Adrien Baecx, en fut détachée avant la fin du XVII""' siècle : c'était celle
de Claude Verrydt, de Malines, curé d'Audenarde, qui en avait attribué
la jouissance à ce collège en 1614 ou en 1615. Après un long procès
poursuivi au nom de la ville de Malines, elle fut retirée en 1638 et trans-
portée à un autre collège qu'elle servit à restaurer, le collège dit de
Malines, fondé en 1501 par Arnold Trot, mais resté en souffrance depuis
lors. C'est en 1676 que fut réorganisé le Collegium Ulecliliniense , par l'ac-
' Voy. les Exordia el progressiis , feuillet ô verso.
- Mémoires, t. II, p. 599. Voy. tome III, p. 128, sur la di.sparition des manuscrits de Nannius.
108 MÉMOIRE SUR LE COLLÈGE
cession du fonds Verrydt % el il se maintint jusque vers la fin du
XVIll™'' siècle, grâce au concours des magistrats de Malines.
Parmi les affaires litigieuses qui survinrent dans les deux derniers
siècles du collège des Trois-Langues , nous pourrions rapporter ici l'oppo-
sition faite à deux professeurs, Rutger Vanderburgh, en 1681, et Léonard
Gautius, en 1689 2, par des hommes puissants et opiniâtres, au point de
mettre obstacle à leur enseignement public; mais nous différerons l'exposé
de ces deux incidents, qui concernent plutôt l'histoire des études que
celle de l'administration générale du collège. Nous ajournons pour les
mêmes raisons au chap. XII, consacré à l'histoire littéraire du collège au
XVIII'"' siècle, la relation détaillée d'un conflit très-curieux qui éclata
en 1722 entre les proviseurs de l'institution au sujet de la collation de
la leçon de grec, et qui fut porté devant les autorités universitaires et
jusque devant les chefs du gouvernement.
Nous ne pouvons mieux terminer le présent chapitre que par un court
exposé de l'état du collège de Busleiden dans les dernières années du
siècle passé, sous le rapport tant de son organisation intérieure que de
sa situation Gnancière. Nous en tirons les matériaux d'un compte rendu
qui fut dressé vers 1785^, par les commissaires du gouvernement des
Pays-Bas autrichiens, sous la présidence de Henri Wouters, et qui fut
signé par ce fonctionnaire et contre-signe par le recteur de cette époque,
le S"^ Van Leempoel. Il va sans dire que nous écartons les détails histori-
ques qui sont bien connus d'ailleurs, et qui ont déjà trouvé place dans ce
chapitre et dans les précédents.
Des trois proviseurs du collège, les deux premiers étaient alors les
dignitaires institués par Busleiden lui-même, c'est-à-dire le pléban de
Saint- Pierre à Louvain et le président des thèses dites sabbalines en
théologie; mais au troisième, le prieur des Chartreux, il avait plu à Sa
' Voy. Paqiiot. Mémoires , t. III, p. 25') , d';iprès les papiers du collège des Trois-Langues. Cfr.
Fanti acad., p. 529.
- Vov. cliapiire Vil pour le premier, chapitre VI pour le second.
5 Celle pièce , rédigée en français et ne portant pas de date, a été annexée sous le n" 21 à l'inven-
taire des fondations acadénii(|ues qui fut fait lors de la suppression de l'université de Louvain ;
État du collège de Busleiden, dit des Trois- Lmigues, à Louvain; 5 feuillets, pelit in-folio.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIIS. 109
Majesté Impériale et Iloyale de substituer M. Thysbaerl, président du
collège royal. Les allrihutions du président ainsi que des proviseurs étaient
restées les mêmes que ci-devant, et leurs indemnités ou honoraires étaient
réglés de la même manière; au service de la chapelle était resté attaché
un prêtre à qui on a donné quelquefois le nom de liseur, parce qu'il récitait
journellement les prières d'usage. Mais quelques modifications s'étaient
introduites dans le régime intérieur du collège, et quelques secousses
s'étaient fait sentir dans la gestion de son revenu.
11 existait encore deux professeurs, l'un de langue hébraïque, l'autre de
langue grecque, qui donnaient des leçons dans l'intérieur du collège. S'il
n'est plus parlé des professeurs de langue latine, c'est qu'on avait cessé de
pourvoira cette chaire, après la mort de J.-.J. Vandensteen , en 1768 '.
Depuis deux siècles, nous dit-on, les professeurs ne demeuraient plus au
collège et n'y prenaient plus leur table; maison vertu d'arrangements nou-
veaux, chacun avait pour ses honoraires cent cinquante florins.
Le nombre des bourses était restreint à six, dont cinq de soixante et dix
florins chacune, et la sixième de vingt florins^. Une autre bourse de cin-
quante florins, provenant de la fondation de Georges d'Autriche, comme
on l'a vu plus haut, était conférée à part; le possesseur en était alors Jos.-
J. de Quartemont de Malines. On observait encore les formalités requises
antérieurement pour la collation des bourses; mais il est à remarquer que
deux des localités privilégiées. Aire en Artois, et Marville, étaient depuis
longtemps sous la domination du roi de France. La durée de la jouissance
des bourses était encore de huit années, mais à la condition d'habiter le
collège, n'importe la faculté dans laquelle le titulaire faisait ses études.
Il y avait place dans le local du collège pour vingt-trois étudiants; mais
on admettait d'ordinaire avec les boursiers sept ou huit commensaux, sui-
vant l'usage établi dès l'origine ^. Les pensionnaires , comme les boursiers.
' Voy. l'iiapitrc VI, professeurs de langue latine, n" t8.
- Le nombi e de ces petites bourses de 20 florins pouvait être augmenté par les proviseurs selon
les ressources actuelles du collège.
3 On se plaignait alors de ce que les commensaux , non boursiers, faisaient difficulté d'assister
aux prières dites journellement dans la chapelle, et de ce qu'ils quittaient quelquefois le collège
plutôt que de s'y voir astreints, et allaient demeurer ailleurs sans subordination ni discipline.
110 MEMOIRE SLR LE COLLEGE
prenaient leur repas avec le président : la table entière était payée deux
cents florins argent de Brabant. Les libéralités des princes, des prélats
et des grands, sur lesquelles Érasme avait compté pour donner à la
fondation de Busleideu un éclat durable, lui avaient fait défaut; non-
seulement le premier capital ne s'était pas accru, mais encore les res-
sources modiques du collège s'étaient amoindries à plusieurs époques
calamiteuses. Après les troubles politiques et religieux du XVI"" siècle,
la fondation avait subi des pertes considérables, faute d'une administra-
tion vigilante et régulière; plusieurs rentes s'étaient tout à fait perdues^
et, pour d'autres qui n'avaient pas été payées, on avait été obligé d'aban-
donner les arrérages, et de se contenter du remboursement des capitaux.
Trois rentes sur les états de Brabant, créées au denier seize, étaient encore
arriérées de vingt ans à l'époque du rapport administratif sur lequel nous
nous appuyons, et l'on appréciait à la somme de 7,650 florins le montant
des rentes perdues ou arriérées.
Les revenus annuels du collège des Trois-Langues se répartissaieni ,
vers 1783, de la manière suivante - :
ELn terres labourables et prairies FI. 488 18 »
En maisons 470 » »
En renies 732 10 5
Florins 1691 8 3
Avec la fondation de Georges d'Autriche 51 » i>
Total, en argent courant de Brabant FI. 1742 8 3
On avait levé de l'argent dans les dernières années de la présidence de
François Jacques dit Jacobi (1759-85), pour une restauration extraor-
' On peut considérer ainsi les deux rentes arriérées depuis plus de deux siècles: l'une de 18 flo-
rins, due par le comte de Buren, affectée sur ses terres de Saint-Marlendyck, et que le prime
d'Orange n'avait plus payée depuis I57.j; l'autre de 30 florins, sur la ville et le marquisat de Bera:-
op-Zooni , en retard depuis loG9.
^ Cet aperçu du revenu est basé , de même que l'évaluation des capitaux donnée plus loin , sur le»
calculs consignés dans YElal dressé du temps de H. Wouters, sur une Tahvlle qui lui serl d'an-
nexé, et sur un relevé de tous les biens et rentes du collège fait vers la même époque.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. Hl
dinaire des bâtiments du collège, pour la construction d'un petit bâti-
ment destiné au logement des étudiants , et pour l'appropriation des
maisons situées sur des terrains de sa dépendance : ce qui avait mis à la
charge de l'établissement des rentes nouvelles (montant annuellement à
323 fl. 10 sols) en surcroît de ses dépenses accoutumées.
D'après la récapitulation des charges du collège, qui s'élevaient à la
somme de 1575 florins, il restait, année commune, un excédant d'environ
116 florins qui était employé pour le remboursement des rentes ou poui'
quelques réparations non prévues ^ Les choses en étaient là, à la veille
de la fermeture de l'établissement littéraire, qui suivit la dispersion des
membres de l'université et sa suppression officielle ; quand le gouver-
nement des Pays-Bas se fit rendre compte, en 1818, de la situation des
anciennes fondations universitaires, il nomma pour celle-ci comme pour
les autres de nouveaux collateurs, et appela à la jouissance de bourses
d'étude, de la valeur de 100 à 150 florins, des jeunes gens nés dans le
cercle des localités désignées primitivement par Busleiden 2.
Il ne nous reste plus qu'à jeter un coup d'œil sur la valeur des ca-
pitaux qui ont suffi pendant trois siècles à l'entretien du collège des
Trois-Langues :
Capitaux de la fondation primitive, évalués à V\. tG,055 5 »
Capital de la fondation de Georges d'Autriche, évalué à 1,650 » »
Total en argent de change . . . .FI. 17,685 5 »
Nous n'avons pas besoin de faire remarquer au lecteur que la valeur
réelle de ces capitaux a varié d'époque en époque, suivant le cours des
monnaies qui servaient à les apprécier. Nous n'avons consigné ici cette
indication sommaire des ressources du collège, que pour attirer l'attention
sur leur exiguïté, si on les compare aux ressources de tant d'autres fon-
dations. Le collège de Busleiden a rendu des services signalés à l'instruc-
' Le dernier compte qui fut fait avant l'état susdit, l'an 1783, présentait un déficit d'un millier
de florins environ.
- Voy. parmi les pièces justificatives, lettre F, la copie d'un arrêté ministériel de l'an 1821 ,
relatif à la destination des fondations de l'ancien collécje de Busleiden.
TojiE XXVIll ' 16
H 2 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
tion et aux lettres dans le siècle de sa fondation; mais il a toiijouis déchu
dans les deux siècles suivants. En parcourant ses annales pour se faire
une idée de l'action qu'il a exercée, il n'est pas permis de perdre de vue
les faibles moyens dont disposaient les hommes qui l'ont dirigé : laissée à
ses seules forces, pour ainsi dire, pendant trois cents ans, dédaignée par
les rois et les docteurs qui portèrent leurs largesses ailleurs, l'institution de
Jérôme Busleiden ne peut être traitée avec la même sévérité que le seraient
des écoles richement dotées. On estimera assez grande la part du succès,
si l'on prend garde à la mauvaise chance qu'elle a eue de ne pas voir sa
dotation s'accroître.
CHAPITRE \ .
DES TROIS LANGUES SAVANTES AU XVr^ SIÈCLE, ET DE LUTILITE
DE LEUR ENSEIGNEMENT PUBLIC.
. H«De dicere haud absurdum est.
( S4LLUSTE. )
Ce ne sera pas, il nous semble, faire au milieu de ce travail une di-
gression inutile, que de jeter un coup d'œil sur l'objet même des trois
chaires instituées par Jérôme Busleiden, avant de voir à l'œuvre les
hommes qui les ont occupées et déjuger les fruits de leur enseignement.
Il ressort des recherches dont nous avons déposé le résultat dans le
l" chapitre, que les Pays-Bas étaient entrés, dès la fin du XV'"" siècle,
dans le mouvement de la renaissance des lettres, et qu'on y avait bien saisi
le côté utile et sérieux de cette rénovation des études; mais nous voulons
signaler plus particulièrement en cet endroit, ce qu'il existait de ressources
à Louvain pour l'étude des langues mortes, dans les années qui précé-
DES TROIS-L ARGUES A LOUVAIN. il3
dèrent immédiatement l'érection du collège de Busleiden; nous en pren-
drons l'occasion de déterminer le point de vue auquel les langues étaient
cultivées par les meilleurs esprits , et le genre d'application qu'on a pu
faire tout d'abord des travaux de grammaire et de philologie.
Rien ne serait mieux approprié à ce but qu'une analyse du discours
qu'un jeune théologien de haut mérite, Martin Dorpius , fut autorisé à
prononcer devant toute l'Université, le 1"^' octobre 1515, lors de la reprise
des leçons, sur les avantages particuliers de toutes les sciences*; mais
force nous est d'y glaner seulement quelques considérations, afin de ne
pas trop grossir ces préliminaires historiques. C'est au nom de la véné-
rable Faculté des Arts que Dorpius s'adresse à son auditoire, et c'est du
respect dont elle jouit auprès de tous qu'il attend quelque autorité pour
ses paroles. Quand il a passé en revue toutes les sciences et défini le
prix de chacune, il s'élève à une véritable éloquence pour célébrer l'ex-
cellence de la théologie et pour vanter ensuite la philosophie, qu'il con-
sidère comme l'habileté pratique de l'intelligence dans tous les ordres du
savoir. Le seul point de cette harangue auquel nous devons toutefois nous
arrêter ici, c'est l'éloge des trois arts libéraux qui formaient le Triviiim des
anciennes écoles, la Grammaire, la Dialectique et la Rhétorique. D'après les
termes dans lesquels Dorpius en parle, il est évident que la notion de ces
arts et la méthode de les étudier avaient changé considérablement depuis
un demi-siècle dans l'établissement académique de Louvain; l'orateur, qui
n'a rien cédé ailleurs des droits des sciences positives, traite des études
philologiques et littéraires, comme si le besoîn en était vivement senti,
comme si leur admission parmi les travaux universitaires ne pouvait plus
être contestée.
' Or\tio Martini Dorpii theologi De laudibiis sigillaliin cujusque disciplinaruiii uc anioenissimi
Lovanii Acadeiniaeque Lovaniensis, dicla KalemUs Octobribus, anno M. CCCCC. XIII. in fre-
queiitissimo totius Academiae conceiitu qunm post uestivas studiorum ferias docendi audiendiqve
officia publiée renovanda indicerenlur . — Ce discours a été inipiiiné vers la fin de l'an 1313, à Lou-
vain , chez Th. Martens (vol. in-4°, 5-2 feuilles. — Van Isegliem, Bioqraplde, n° 73, p. 240-2il). —
La réimpression qu'en a faite M. de INélis pour son premier volume A'Analectes (pp. I-G6, in-8°),
n'est pas moins rare que l'édition de Marlens. Voy. sur la publication inachevée de INélis le tome VI
des Archives philologiques de M. de ReifFenherg, pp. 340 341 , et son Cinquième Mémoire, p. 26.
H4 MEMOIRE SLR LE COLLÈGE
En abordant la définition de la grammaire, Dorpius ne craint pas de
déclarer que cette science a été renouvelée et ennoblie dans les derniers
temps par des qualités d'ordre et de lucidité, de justesse et d'agrément,
qui lui manquaient jusque-là, et qu'elle peut mieux que jamais servir
d'introduction à toutes les autres sciences'; le rôle du grammairien,
comme l'ont dit les anciens, est de bien entendre le texte des auteurs,
d'en donner aux autres une intelligence complète, et d'appliquer à toutes
les œuvres l'art de la critique qui fait de lui un autre Arislarque. C'est
une tâche laborieuse qui appartenait en propre à cette époque, disait Dor-
pius, que de faire disparaître cette rouille de barbarie qui avait envahi
tous les écrits et qui défigurait encore les livres les plus répandus. Pour-
quoi ne citerions-nous pas dans sa forme vive et originale ce manifeste de
la jeune école contre laquelle les docteurs de l'assistance, parait-il, n'ont
point protesté?
« Age vcro ; nostra tempeslate nimio plus operae (lagiuil , qitod liactenus umnes
chartas focda barbaries obsederh : quod passim riisticanus scrmo, nli (jamjrena , serp-
serit : qiiodqiie eam ob rem haud facile evclli ac exlirpari qucal radix illa ineplae
loqimtionis, qiiae ktm aile, lot annorum curriculis in majoribus nuslris liaesit :
apud quos impolili ineleganlesque aticlores lam firmitm regniim possedeninl , ni vix
lainen eUminari possint et in perpetuum cxilium agi. Qiiid aulem ? An non siimmo
acerrimoquc jndicio opns est, quo Gothicas dictiones a Lalinis , et Romana monela
percussis, secernamus? lllas scilicel in Scyllnam et barbarorum sedem relegantes;
lias vcro Lalii jure donatas , in noslrum fumiliam asciscentes , quando et apud
nos liae Ilalicae opes mire luxuriant, et Lalinae segetes afjalim succrescunl. n
Dorpius étendait la tâche du grammairien à l'art de la conversation fami-
lière, que les hommes instruits trouvaient du charme à nourrir en latin, et
qu'ils faisaient passer dans la composition des dialogues; il l'étendait aussi
à l'art plus savant du style épislolaire, qui devait servir si longtemps les
besoins de la littérature et en former un des genres les mieux autorisés.
' Eu muiidior jam, ornât ior , decenlior , venuslior emersit , non illutinis vocibus lacera, non
perpkxaseribiligine involuta, non situ carieque verborum obsita.... Dorpius et plusieurs des profes-
seurs (lu collétfc (lu Lis, roninie nous le dirons pins loin , avaient Iravailk- en première ligne fi cette
rénovation de la grammaire et des études qui en dépendent; mais il ne faudrait pas la faire remonter
au delà des premières années du siècle.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN 115
Puisque Érasme et ses amis ont donné le modèle de ce genre dans notre
pays, on verra volontiers comment Dorpius le recommandait en 1515. à
l'attention de la jeunesse universitaire.
Poiro hue accedunt domeslicae confcdmlaliones, quas cultissimas docere, ijuas
suaves ac nidla înepliarum labe infectas facere, Grammatici sunl partes. Ejitsdem
est epislolarem sliliim teretem , tornatum, graphiciim cudere; ut fïexu levi jUd-
tuntem mdia asperitas remoretur : rU apertus, ut famUiaris sil; quo dulccs amicos
absentes, praesentes fucimus, quoties anhni curas litterarum eis ancjusliu instre-
pimus. Jocosa, séria, risum, dolorem et quaecunque usu veniunl, communicamus et
ante absenlium ocidos statuimus....
Quand il passe à la dialectique , Dorpius représente l'utilité et la
dignité de cette science, tout en combattant l'esprit sophistique par lequel
on l'a défigurée. Puis il montre dans la rhétorique une sœur des deux
autres sciences qu'il a définies; c'est déjà au point de vue d'un siècle nou-
veau, et dans un langage libre et vif, que l'orateur montre le rôle éminent
de l'éloquence dans tous les temps et dans toutes les conditions de la vie
sociale: à l'éloge de Cicéron, qu'il nomme l'Achille des orateurs anciens,
il fait succéder des exemples tirés de l'histoire des derniers siècles pour
attester l'heureux ascendant d'une éloquence forte et vraie. Mais Dorpius
qui, dans ce discours, faisait de l'éloquence une puissante auxiliaire de
toutes les études, mettant au grand jour le savoir du théologien, du juris-
consulte, du philosophe, a stigmatisé un genre d'études qui se produisait
sous le nom de philologie, mais qui s'arrêtait à une critique minutieuse
et stérile des mots^; c'était sans doute le fait de quelques grammairiens
qui abusaient de la faveur avec laquelle on entendait alors disputer sui
les termes peu usités et les formes peu connues. Or, comme l'abus ne naîi
' Voici le lexte de cette curieuse el piquante réserve, faite à la suite d'un plaidoyer tout litté-
raire : Neqiic ego, viri clarissimi, de nmhra loqtior Eloquentiae, quae Pliilologia dicitur ; garritla,
obslrepera, verborum dumtaxat fundUatrix maxima; nulla habens senlentiarum fulcimina, nullum
ratiormm pondus, nidlos nervos, nullum inventionis ingenium; qnalen logodaedali sectanlur, qui
poslquam decem voculas, non omnibus usitatas, e piUribus chartis vel niutilo saxo exuerinl, non
aliter gestiunt ac triumphanl , quam si Gallias subegissent. Tune sese Solones pnlant ; lune quicquid
voculis mis non est aspersum, id ineler/ans, seqne indignum arbilrcmlur. Hos equidem in eorum
ordinem refero , quos bis abecedarios dixi , nempe Sophistarum ; ulrormn siqnidem vanior, inulilior.
adde perniciosior, sil conalus , non ausim definire.
116 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
qu'à la suite du travail, Dorpius a voulu eu préniuuir ses nombreux audi-
teurs déjà occupés des études de grammaire et de style. Sans nul doute,
ces études étaient faites à Louvain et dans d'autres écoles de la Belgique,
avec plus de lenteur, mais aussi avec plus de discernement, qu'elles n'a-
vaient été traitées en Italie dans le siècle précédent; on s'y attachait à
quelques textes importants; comme on n'y travaillait que rarement sur des
manuscrits, on n'était pas exposé, du moins au même degré, au danger de
renfermer tout le mérite du philologue dans la confection de gloses pro-
lixes.
Constatons, en premier lieu, jusqu'où allait la culture du latin à
l'époque dont nous devons retracer ici les tendances et les besoins. Le
latin était, il est bien vrai, la langue exclusive de la science et des écoles;
il était l'objet de leçons et d'exercices dans les collèges de la Faculté des
Arts , et on augurerait que son enseignement a été poussé assez loin,
puisque nous voyons cette langue écrite avec goût par Dorpius et par plu-
sieurs autres hommes distingués dans les premières années du XVI'' siècle '.
Cependant une connaissance mûiie des principaux monuments de la lati-
nité n'entrait pas dans le cours d'études généralement accompli : c'était
par des efforts individuels et isolés qu'il était donné à quelques-uns de
l'acquérir, et le programme des lectures était encore fort restreint pour
la plupart des humanistes. La nécessité d'un enseignement spécial du
latin était bien comprise par ceux qui s'étaient rendus maîtres de cette
langue : quand il serait dûment organisé, elle servirait à la découverte de
meilleurs procédés pour la grammaire et la rhétorique en général, et elle
contribuerait à l'acquisition plus facile des deux autres langues savantes:
de plus, c'était l'idiome qui, par ses formes et par son génie, était le plus
' Naluiellenient nous ne comprenons point, dans les résultats de cet enseigneiiienl , la connais-
sance pratique d'un certain latin ou plutùt d'un jargon latin , chez des gens qui ne se piquaient pns
d'instruction; mais qui avaient appris en latin les premières formules de grammaire. C'est celui
que parlaient les artisans eux-mômes à Louvain , suivant Juan Calvete de Estrella , qui a décrit en
espagnol le voyage fait par Philippe II, en 1549, dans les provinces helges : Per toda la villa se
liabla mucito lalhi, aun en las casas de los ofjlciales; de manera que ellos y algunas iintgeres lo
mtienden. — (De Reiffenherg, Bulletins de l'Acad. roy., t. V, n° 10, p.2.'i5: Annuaire de la Bibliolh
roy., t III, pp. 242 et suiv.)
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 117
propre à la iraduction des œuvres de la lillërature grecque. Que tallail-il
à cet effet? des leçons suivies et méthodiques de langue et de grammaire
latines, appuyées sur la lecture d'auteurs bien choisis, et en outre, pour
les esprits cultivés, des exercices de littérature et de critique qui leur
ouvrissent peu à peu le champ de l'érudition classique. C'était d'ailleurs le
moment où la plupart des savants étaient sollicités à écrire eux-mêmes des
traités de grammaire, et, dans tous ces travaux étendus ou abrégés, la
grammaire latine avait toujours la meilleure part : il va de soi que de tels
livres s'enrichissaient continuellement d'exemples nouveaux, à mesure que
de nouveaux écrivains classiques étaient imprimés en Italie, et comme leur
texte était presque toujours réimprimé en deçà des monts, au bout de
peu d'années, le cercle des travaux d'herméneutique et de critique s'élar-
gissait sans cesse, et les questions résolues dans les gloses et les commen-
taires étaient définitivement acquises à la science grammaticale.
Que dire après cela de la nécessité d'adopter un langage latin net et
correct pour des compositions de toute espèce qui prenaient faveur? Une
connaissance vulgaire de l'ancienne langue de Rome ne suffisait plus à
ceux qui devaient écrire en latin sur des matières scientifiques, ni aux
historiens qui préféreraient la langue savante, universelle de fait, à l'une
ou l'autre langue nationale non encore bien formée. Mais quelle habileté
n'était pas requise de ceux qui créaient, dans des œuvres d'imagination,
danades productions de forme variée, une nouvelle liitéi'ature latine, re-
cherchée, lue, applaudie ! Qui voulait se faire poëte, qui tentait de suivre
même de loin Érasme et les meilleurs latinistes du temps, n'avançait pas
sans efforts, sans études préalables : il est clair que, dans ces circon-
stances, des leçons régulières de langue latine devaient venir heureuse-
ment en aide à la majorité des jeunes gens qui allaient entrer dans des
carrières libérales. Mais nous n'irons point plus loin sans entretenir le lec-
teur d'une tentative très-hardie, faite à Louvain pour intéresser la jeunesse
à la culture littéraire de la langue de Rome, et pour lui en donner une
connaissance familière : nous voulons parler de la lecture des comiques
latins, et de la représentation de leurs pièces à l'intérieur des collèges.
C'étaient Barland et Dorpius qui avaient concouru l'un et l'autre à donner
H s MEMOIRE SLR LE COLLEGE
à Plaute et à Térence ce nouveau genre de popularité : évidemment un tel
honneur ne fut fait à ces poètes que quand déjà leurs comédies avaient
été beaucoup lues par les jeunes latinistes; voici les faits.
Martin Dorpius, qui avait étudié avec ardeur les anciens poètes et qui
en avait retenu admirablement les fictions \ n'avait pas craint de prendre
une part active à l'étude des deux comiques romains. Dans un recueil très-
rare d'opuscules qu'il a publié en 1514, en prenant le litre de licencié en
théologie-, on lisait, après un texte restitué de VAulidaria, des prologues
et des analyses de sa façon sur des pièces de Plaute : Ejusdcm Tliomus {sic)
Anhtlariae Plaiiliime adjeclus ciim prologis aliquot in comedianim uctiones : et
paucidis carminibus. C'est au collège du Lis, où il enseigna la philosophie
et la rhétorique pendant plusieurs années, que Dorpius avait fait jouer,
dès l'an 1508, la pièce de Piaule qui occupe la première place dans le
recueil cité : les acteurs étaient les plus distingués de ses élèves {primarii
(liscipuli).
Il est peu de morceaux de l'érudition latine moderne plus curieux que
celui où Dorpius invitait le public universitaire a assister à la représenta-
tion de YAidularia de Plaute, qui aurait lieu au Lis, le 5 septembre 1508,
à neuf heures du matin : non-seulement il conviait une nombreuse assis-
tance à donner ainsi aux belles -lettres des marques d'intérêt et aux jeunes
acteurs de modestes encoui'agements, mais encore il coopérait au succès
de cette fête dramatique en écrivant un prologue en vers latins du genre de
ceux de Plaute, pour servir d'introduction à la pièce même, et de plus,
il avait risqué de combler, par des tirades nouvelles, des lacunes qui res-
taient dans l'action. L'originalité de cette entreprise est bien digne d'atten-
tion : quoiqu'on ait préféré dans la suite le prologue et le supplément de
' Bai'land dit dans le chapitre de sa Chronique où il fait l'éloge de Dorpius : Mire poelarum
omniKin fabulas tcncbat. Ontorimi et historiconim Ubros omnes exciisserat.... (Hislorica, p. 231). —
Dorpius avait mis on œuvre l'allégorie célèbre sur le choix d'Hercule entre la vertu et la volupté, dans
un dialogue latin, publié en 1514. C'est le premier des deux opuscules dont parle la note suivante.
- Marlbn Dorpii sacre Iheolorjie licentiuti opiisrula, vol. in-i°, 56 feuillets, iinp. à l^ouvain.
en 1314, chez Thierry Martens. Voy. n° 81 dans la Biographie du P. van Isegheni, pp. 246-247.
IjBS deux opuscules de Dorpius y sont suivis de deux opuscules d'autres auteurs. — Cfr. de ReilTen-
berg, Deurième Mémoire, pp. 66-70, et Goethals, Lectures relat. à l'hist. des lettres en Belgique,
1. 1", pp. 42 8143.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. H9
Philippe Paré à ceux de Dorpius \ les essais de celui-ci attestent une
connaissance surprenante du génie de l'ancienne poésie latine, et ils mon-
trent aussi chez leur auteur une juste confiance en ses forces, puisqu'il
tentait une restitution littéraire qui avait déjà exercé le talent de l'italien
Urceus Codrus ^. Le ton du programme latin est concis, ferme, sérieux,
comme si Dorpius était bien assuré de l'assentiment d'un auditoire sérieux
aussi. 11 y a dans ces textes de la main de Dorpius un tel pressentiment
de l'importance bientôt reconnue des monuments classiques, que nous
n'hésitons pas à en donner quelques extraits à la suite de ce mémoire^ :
on peut voir dans plusieurs lettres qui accompagnent ces textes, que Dor-
pius n'avait pas travaillé sans recueillir les suffrages d'hommes instruits,
tels que J. Naevius et J. Borsalus à Louvain, Georges, seigneur de Halle-
win, etc.
L'épreuve que Dorpius avait faite des dispositions de son public avait
si bien réussi, qu'il le convoqua une autre fois à la représentation d'une
seconde pièce de Plante, le Miles, pour laquelle il prit la peine d'écrire de
même un long prologue en vers *, et, le jour même du spectacle, il fit
aussi une annonce en vers pour la comédie que la troupe des acteurs du
Lis devait jouer dans ce vaste collège, à cinq heures de l'après-midi •'.
Tout ce qu'avait fait Dorpius pour la réussite de ces séances dramati-
' Le supplément de Dorpius est contenu dans une édition de VAulularia donnée à Anvers,
en lo37. Voy. Levée, Thcâtre des Latins, t. Il, p. 573.
•^ Dans la dédicace de ce travail sur Plante à Jérôme Busleiden, Dorpius s'étend sur la difliciillé
fju'ii y a pour lui, jeune encore et homme du Nord, à entrer en rivalité avec un écrivain d'un talent
niùri , avec un Italien ; du reste, il a composé ses vers, sans connaître encore ceux d'Urceus Codrus.
'• M. de Nélis a réimprimé ces PknUina de Dorpius parmi les feuilles destinées au 1" volume
de ses Analecles, pp. 67-96; la rareté de ces feuilles, comme del'édilion de Maitcns, nous autorise à
donner dans l'appendice l'invitation en prose et envers, ainsi que le prologue de XAululuria, comme
si nous en publiions le manuscrit. Voy. pièces justificalives, lettre G.
i Voy. Analecles, t. I, pp. 89-9"2. Prologus in Militem comoediam Plaulinam a Martinn Dorpio
composiltts. Ce morceau valut au jeune poète les félicitations particulières de Thomas Morus.
•' Dorpius a offert plus tard cette petite pièce fort gaie à ses lecteurs, ibid., pp. 92-93.
DORPIUS CiVNDIDlS LECTOniBUS.
l'hiulina Miles est scatcns salsissimis
Sallbus Comoedla, et Jttka vencre.
Tome XXVIII. 17
120 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE
ques, qu'il assimilait à des exercices littéraires, ne lui attira point de désa-
grément; à peine quelques murmures se firent-ils entendre autour de lui ^
On savait quelle était la fermeté de sa foi et quelle était son aptitude aux
études les plus sérieuses. Dorpius, qui n'avait que trente ans, fut reçu
docteur en théologie en 1515, et chargé d'un cours d'Écriture sainte : si
l'on parla mal de lui , ce fut bien plutôt à cause de son admiration pour
Érasme -, et non point pour sa part de collaboration au théâtre de Piaule.
Du reste, l'exemple de Dorpius ne fut point unique à Louvain : un
autre humaniste du même temps, Barland, s'intéressa à l'exhibition de
YAuliilaria, qui eut lieu peu d'années après, par les élèves du collège d'Ar-
ras; il avait composé lui-même pour cette pièce un prologue qui occupe
deux pages , à la fin d'un recueil de proverbes tirés des Bucoliqties de Vir-
gile ^, et d'autres prologues encore pour la représentation d'autres comé-
Eam, auspice Thalia , comoedorum Dea,
Grex Lilianus est actiirus hodie,
Hora secunda pomeridiana , eodem
In Liliorum amplo Gymnasio, ubi
Et Aululariam egerunt nuperrime.
Hoc significandum duximus, ne quispiam
Hoc Bacchico die, tam sese poculo ,
Tarn se esculenlo copioso ingurgitet.
Ut nil fuat loci esitandis fabulis.
Qui pransi erunt deparcius, adsunto alacres :
Eos studebimus exsatiirare fabulis :
Cibo nihil exhibente negocii stomaclw.
' Dans la même année, loi -4, Dorpius avait publié, chez Martens, un sermon sur l'Assomption,
qu'il avait prononcé en I olO (Voy. van Iseghem , loc. cit., n" 80, pp. 4.^-46). C'est le sens des vers qui
terminent une pièce de Judocus Delphus, en l'honneur de notre poète. Analecta, pp. 93-94.
Quique tuo scilus manavit ab ore libellus ,
Testatur sacris te ora rigasse vadis.
Quare, âge, securus vulgi Irivialia spernc
Judicia : Aonius te chorus omnis amat.
i Voy. Goethals, Lectures, etc., 1. 1, pp. 42-44, et de Burigny, t. I, pp. 200 et suiv.. sur la cri-
tique que Dorpius fut amené à faire de \ Eloge de la folie.
^ Paquot décrit ce recueil parmi les ouvrages d'Adrien Barland, dont nous avons donné la liste
d'après ses recherches [Fasti acad. Lovan., t. I, p. 480). Voy. pièces justificatives, lettre H, n" 10.
vol. in-4", imprimé par Th. Martens, en 1514, et inconnu à MM. de Gand et van Iseghem. — Paquol
ajoute au litre de ce volume ; Pagellas duas extremas occupât Prologus Barlandi in PlauiiXuhx-
lariam , quae acta est Lovunii in aedibus ampl. P. Nicolai Ruterii episc. Alrebat. per ejusdem
alumnos.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIIN. m
dies antiques *. On peut en inférer que les humanistes, qui faisaient des
études latines dans plusieurs collèges, avaient conçu pour cette sorte
d'exercices une véritable émulation qui avait l'assentiment des maîtres.
Cependant, cet usage de lire Plante etTérence, et de donner des rôles
dans leurs pièces à des étudiants, ne pouvait subsister longtemps dans
nos écoles : il faut plutôt le prendre comme un de ces impromptus que
les circonstances excusent. Avant qu'il résultât de graves abus d'une trop
grande familiarité permise à la jeunesse avec les personnages peu recom-
niandables de la comédie latine, déjà l'attention était fixée sur d'autres
auteurs de l'antiquité; le cercle des classiques entre lesquels les maîtres
pouvaient choisir s'était agrandi en peu d'années, et lorsque le collège
des Trois-Langues s'ouvrit, il n'y avait point de grief à articuler contre
ses professeurs, du chef d'avoir accordé aux comiques latins une préfé-
rence dangereuse; c'est du moins un argument qui ne figura point dans
le procès. Quant à Dorpius et Barland, on ne peut non plus faire peser
sur eux une trop grande responsabilité pour l'innovation imprudente qu'ils
ont patronnée avec leurs amis et leurs confrères - : les mœurs chrétiennes ,
qui régnaient encore dans les institutions académiques de notre pays, onl
prévenu le péril qu'elle avait dû entraîner presque infailliblement en Italie
et ailleurs ^. Plus tard , on avisera au moyen de satisfaire au goût de la
jeunesse pour les exercices dramatiques, en créant un nouveau théâtre
latin , dont les pièces seront tirées de l'histoire ou de la critique des
mœurs modernes.
Nous serons plus court sur le rôle que la langue grecque devait avoir
dans les études philologiques de la même époque. Il n'est pas besoin, sans
' Rarland comptait lui-même parmi ses œuvres : Varii in Comoedias hic exhibitas prologi.
(Historica, p. 274.)
••' Voy. le jugement porté sur Dorpius par M. Rottier, dans son Mémoire sur Érasme, pp. 24-26.
"' Déjà au XV"" siècle, Pomponius Laetus avait dirigé les jeunes gens de Rome dans la repré-
sentation des pièces de Plaute, de Térence et d'auteurs plus modernes, qui se faisait avec pompe
dans les vestibules des grands; c'est dans la môme société que s'est formée cette Académie toute
païenne d'esprit et de mœurs, dont nous avons parlé au chapitre III. Voy. Sabellicus Pompomi
Laeli vila: Tiraboschi, Sloria delta litter. ital., et Charpentier, Histoire delà Renaissance des
lettres, t. i, p. 275.
122 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
doute, de prouver que la nécessité d'un enseignement régulier de celte
langue était urgente, à un plus haut point que pour la langue latine. Elle
était la clef de sources innombrables, qui restaient fermées à la plupart des
hommes d'études; mais qui devaient exciter bien vivement leur curiosité
et leur émulation: le texte original du Nouveau Testament, la palrologie
tout entière de l'Eglise orientale , à côté des ouvrages grecs de l'antiquité
profane, dont quelques-uns seulement étaient connus de nom jusqu'alors.
Or, l'idiome de ces deux classes de monuments littéraires n'était appris
qu'à la condition d'un grand et pénible labeur; on était réduit à quelques
textes imprimés, rares et chers, fautifs du reste pour la plupart, et on
n'avait encore sous la main que des grammaires trop savantes et souvent
trop étendues, abstraites dans leur composition, et dont les règles étaient
généralement formulées suivant la méthode des grammairiens grecs, anciens
ou byzantins. L'enseignement oral était l'unique moyen de débrouiller le
chaos qui régnait encore dans les seuls livres où l'on pût s'instruire. Naturel-
lement, on s'exagérait les difficultés d'une langue qu'on n'entrevoyait qu'à
travers le dédale des théorèmes de grammaire, et dans laquelle on décou-
vrait confusément une prodigieuse richesse de formes et de tournures. Des
études et des leçons privées avaient bien pu initier quelques jeunes gens aux
règles les plus essentielles de la langue grecque; mais il fallait des guides
patients et sûrs à la majorité des élèves qui voulaient aller au delà, qui
désiraient acquérir une intelligence prompte des livres sans cesse pu-
bliés.
Quand quelques hommes se seront rendus maîtres du fond de la langue,
ils seront les initiateurs de beaucoup d'autres à ses premiers mystères; ils
leur épargneront, ou du moins leur faciliteront, le long apprentissage des
rudiments, et ce sera le grand avantage assuré à la jeunesse de Louvain
par l'érection d'une chaire spéciale de grec, que de lui fournir un maître
qui la guidera des plus simples éléments jusqu'aux difficultés réelles qui
tiennent au génie de cette langue savante.
Une fois l'étude du grec rendue facile et mise en honneur, chaque classe
d'étudiants y cherchera un but distinct, une application particulière; aux
DES TROIS -LANGUES A LOUVAIN. 123
uns, la lecture des livres saints *; à d'autres, celle des Pères, à d'autres
encore, celle des classiques et des écrivains de la décadence. L'attente était
grande, en effet, chez les hommes de quelque instruction ; sans discerner
encore nettement la valeur des œuvres suivant leur âge et leur genre, ils
accueillaient avec faveur tout ce qui pouvait jeter du jour sur celte
autre partie de la docte antiquité qu'ils ne connaissaient guère que par
le témoignage des Latins. On en a un exemple dans les encouragements
qu'Érasme reçut des prélats et des grands, quand il leur présenta à diffé-
rentes reprises des morceaux traduits pour la première fois du grec en
latin : lorsqu'il eut offert au chancelier de l'université, Nicolas Rutherius.
ses déclamations traduites du grec, l'une du sophiste Libanius, deux
d'un auteur incertain -, ce prélat l'appela à sa table et lui promit son
appui.
En fait, une nouvelle branche de littérature latine se formait incessam-
ment par cette série d'ouvrages grecs , païens et chrétiens , que chaque
école d'hellénistes s'imposait la tâche de traduire. Au XVI"'" siècle comme
au XV'"", c'était là tenter un premier déchiffrement de la pensée antique;
c'était prononcer sur un texte inconnu et en donner un commentaire per-
pétuel. Et quel péril n'y avait-il pas à aborder tant d'œuvres d'un genre
et d'un style nouveau, alors qu'on manquait encore du secours que la
comparaison des monuments a fourni dans la suite. Évidemment, les pre-
miers interprètes de la grécité étaient réduits fort souvent à deviner, et la
sagacité des Italiens instruits par les Grecs réfugiés n'avait pu échapper
elle-même à beaucoup de méprises ' : pendant plus d'un siècle, que de
labeur a été enfoui dans des versions qui n'étaient qu'une suite de conjec-
tures, ou qui du moins n'allaient guère au delà de paraphrases plus ou
moins vagues!
Le même genre de travail ne devait occuper dans les Pays-Bas une classe
' Nous ferons remarquer en passant qu'il n'existe encore aucun ouvrage d'histoire, judicieux
et complet , sur les travaux exégétiques dont les textes grecs de la Bible ont été l'objet au XVI°"
siècle.
- LeUreàG. Gaudanus (£•/)!««., t. Il, 1836, D.), non datée, mais qui doitétreantérieureàl'an 1509.
ï Heeren , Gesch. der class. Liter. im Miltelalter, t. II, livre IV, pp. 28 et suiv.
\n MÉMOIRE SUR LE COLLEGE
nombreuse de savants que quand l'enseignement du grec aurait été orga-
nisé à son tour *; on verra plus loin quels fruits nos ancêtres ont retirés,
pour cette partie des lettres, des leçons publiques données à l'institut de
Busleiden. Il y eut dès lors bien des bommes capables d'interpréter les
textes grecs au profit des sciences, de l'histoire et de la grammaire : la
parole du maître avait éveillé en leur esprit cette faculté de discernement
dont l'exercice est nécessaire à toute critique, et l'ardeur de savoir ne fit
point défaut à ceux qui s'en étaient une fois sentis pénétrés.
Si nous passons à la troisième des langues savantes, l'hébreu , nous
devons constater d'abord que son étude n'était pas absolument une nou-
veauté pour les écoles des Pays-Bas au XYI""' siècle : de grands efforts
avaient été tentés dès la fin du siècle précédent pour en répandre la con-
naissance dans plusieurs contrées de l'Europe , et des notions élémentaires
de la langue sainte avaient pénétré en Belgique après que Rodolphe Agri-
cola et Jean Wesselus l'avaient apprise et cultivée dans le cours de leurs
vovages '". Mais, si les études hébraïques étaient déjà poussées assez loin
en Allemagne et en Espagne, pour servir de fondement à des publications
considérables, tels que les travaux de J. Reuchlin et la Polyglotte d'Alcala,
comme nous l'avons établi dans nos préliminaires, les esprits curieux et
diligents en étaient encore réduits chez nous à quelques règles fort suc-
cinctes sur les rudiments de l'hébreu ; tout leur semblait énigme et mys-
tère dans les explications du moindre fait d'écriture, d'orthographe, de
grammaire et de syntaxe : pour cette langue plus encore que pour la
langue grecque, un enseignement méthodique était de toute nécessité.
Il y avait en ce moment plus d'un genre d'opportunité dans la culture
de l'hébreu : c'était la langue de l'Écriture et aussi des œuvres rabbini-
ques dont les Juifs se réservaient la clef avec beaucoup d'orgueil; c'était
la langue primitive et originale de l'Ancien Testament, dont les versions
anciennes, grecque et latine, allaient être l'objet des recherches les plus
approfondies; enfin, c'était un idiome antique, d'un organisme étranger
' Voy. au cliapitre I, § 5, ce qu'on avait fait en d'autres pays pour l'élude du grec dans la mémo
période de temps (iS00-t520).
^ Voy. le chapitre I, § 1 et 2.
DES TROIS-LANGUES A LODVAIN. i25
à celui des langues étudiées jusque-là, et dont la comparaison allait
agrandir le champ des sciences philologiques.
Au point de vue des opinions et des besoins intellectuels de l'époque, il
est donc incontestable que l'hébreu ne pouvait être séparé des deux autres
langues, dans une institution littéraire telle que celle qui allait s'ouvrir
sous les auspices du nom de Busleiden *; il ne serait pas assurément un
hors-d'œuvre dans le cercle des hautes études poursuivies simultanément
à Louvain; enseigné dans une école spéciale, il ne serait d'ailleurs im-
posé à aucune catégorie d'étudiants au détriment d'une science quelconque,
et il ne compterait jamais que des auditeurs choisis. Mais c'est là ce qui
ressortira de l'histoire du collège de Busleiden; en cet endroit de notre
exposé, nous avons surtout l'intention de rechercher dans quelles disposi-
tions les maîtres et la jeunesse de Louvain accueillaient l'étude de la
langue hébraïque, objet de travaux individuels, avant d'être la matière
d'un enseignement public.
Érasme ne resta point indifférent au sort des études hébraïques,
malgré sa prédilection marquée pour les études grecques et latines; c'est
encore à sa correspondance qu'il faut demander quelques renseignements
positifs sur ce point. Nul doute qu'Érasme ne comprît la haute valeur
de l'hébreu comme langue religieuse et comme langue savante; mais i!
ne s'y était pas appliqué avec succès dans sa jeunesse, et il en retira peu
de fruit quand il y revint dans un âge avancé ^. Toutes les fois qu'il s'agit
de l'organisation des études nouvelles, Érasme se montra juge impartial et
désintéressé; il le prouva bien dans cette question particulière de la leçon
d'hébreu. Seulement, Érasme, esprit net et ouvert, se défendait de l'en-
gouement qu'il remarquait chez plusieurs de ses contemporains pour les
études hébraïques et rabbiniques, où les chrétiens avaient été presque
toujours à la merci de docteurs juifs ou de juifs convertis; or, ces insti-
tuteurs laissaient souvent beaucoup d'obscurité dans leurs travaux, et
mettaient dans leurs leçons, à dessein peut-être, une subtilité de langage
> Jérôme Busleiden n'a pas donné un cadre trop large aux travaux de son collège, en y faisant
entrer l'hébreu, comme l'alFirme trop hardiment M. Rottier. Mémoire sur Erasme, p. 1"27.
2 A cinquante-trois ans, Érasme s'est encore occupé d'hébreu. Exordia, p. 29.
i26 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
qui répugnait à leurs prosélytes. C'est parce qu'Érasme se déliait de leur
art ténébreux et n'ajoutait pas pleine foi aux lumineuses profondeurs du
Talmud et de la Kabbale, qu'il a témoigné plus d'une fois sa mauvaise
humeur au sujet des hébraïsants d'Espagne et d'Italie. Sous l'empire de
cette préoccupation, il a pu donner un avertissement sévère à Capito, qui
s'était adonné avec passion à l'hébreu , et il manifestait en même temps
cette crainte que l'attention plus grande qui serait accordée au texte ori-
ginal de la Bible, ne fût préjudiciable aux études que le texte grec du Nou-
veau Testament réclamait, selon lui, à bien plus de titres *. C'est, en eflet,
à ce second texte qu'Érasme lui-même a voué ses plus profondes recher-
ches; mais on prétend qu'il dut recourir aux avis d'OEcolampade, pour
se rendre compte d'idiotismes et de locutions sémitiques dans certains
passages des Évangiles, et il est vraisemblable que, lorsqn'il fut invité
par des personnages éminents, par exemple, Adrien VI et Henri VIII, à
commenter des livres de l'Ancien Testament ^, il renonça à cette tâche,
faute d'une connaissance suffisante de la langue hébraïque.
Quelques hommes s'étaient appliqués à l'hébreu dans les années qui
précédèrent l'ouverture du collège de Busleiden à Louvain; ils eurent,
déjà en 1516, un conseiller au milieu d'eux, quand 3Iatthaeus Adrianus
vint se fixer dans cette ville pour y donner des leçons privées, avant d'y
avoir le titre de professeur (1618-1519). Martin Dorpius, qui enseignait
alors l'Écriture sainte au collège du Saint-Esprit , était du nombre de ceux
qui prenaient parti ouvertement pour l'hébreu ; il était même leur chef 5,
et il bravait courageusement les murmures qui se changeraient un jour
en applaudissements. L'ère nouvelle dont Érasme saluait l'aurore pendant
son séjour en Belgique était inaugurée par un compromis des lettres avec
les sciences. Dorpius le ratifiait au nom delà théologie et de l'exégèse dans
ses discours et dans ses leçons. Déjà dans la harangue solennelle qu'il
< Lettre à J. Capilo. Louvain, 13 mars 1518. Epist., t. II, p. 1673 : Oplarim te propensiorem
u(l Graeca, quam ad Hebraica, etc. — V. ci-dessus, chap. III, pp. 70-71.
- De Buiigny, 1. 1, pp. 38I-Ô8-2.
3 Ex bilniguibus hic omnes trilingues rcddimur.... Dorpius Hebraicae factionis dux est. Videbis
brevi novum saecuhim hue exoriri.... Lettre d'Érasme a P. Barbirius, 6 mars \t\\^(Epist., t. 1,
p. 507). — Cfr. Er. Ue ralione ver. theol. (0pp., t. V, p. 75.) — • Exordia, pp. 36-57.
DES TROIS-LAISGUES A LOUVAIN. d27
prononçait en 1515 à la reprise des cours, il s'était fait le promoteur de
l'étude des langues, de leur culture, indispensable auxiliaire des sciences
les plus hautes, et là même il s'élevait avec une vivacité qui rappelait les
allures d'Érasme contre la manière de traiter la théologie dans les écoles.
Dorpius fut fidèle à sa thèse, et, s'il est le seul des théologiens de sa Faculté
qui se soit avancé aussi loin, c'est qu'il avait confiance dans un mouvement
qu'il voyait diriger sous ses yeux avec modération et sagesse. Qu'on sache
bien que le suffrage de Dorpius en cette matière était un avis tout à fait
désintéressé : avouant qu'il ne savait pas le grec, il se résignait modeste-
itient à profiter de ce qu'il y aurait d'utile dans les travaux des autres ^
et c'est sans doute en adoptant les conclusions d'autrui qu'il avait com-
posé un traité de codicibus sacris casligandis qu'il avait lu dans ses cours de
Louvain {in schola Lovaniensi) et qu'il destinait à la publicité. Sans s'arrêter
aux écarts d'Érasme, de Laurent Valla, de Lefèvre d'Élaples, ou peut-être
sans s'en rendre bien compte, Dorpius osait requérir des futurs théolo-
giens une égale habileté dans les langues hébraïque et grecque.
Il advint alors, comme presque toujours en pareille occurrence, qu'une
fraction assez nombreuse d'esprits sérieux, s'attachant inébranlablement
aux méthodes reçues, fit une résistance passive aux travaux de linguistique
qui avaient le caractère de nouveautés. Cette opposition deviendra vive et
ardente chez quelques-uns, quand les troubles et les excès de la Réforme
lui fourniront des armes; Dorpius mourut en 1325, sans voir la fin
d'une lutte où les langues et les lettres étaient signalées sans réserve à
l'animadversion et même à la haine des vrais chrétiens. Mais l'impulsion
avait été donnée, et déjà en 1518, avant que les leçons du Colleghim tri-
lingue eussent pu porter leurs fruits, Louvain comptait une pépinière
d'hellénistes et d'hébraïsanls pleins de zèle et de talent. On lit dans les
' Réflexions de Paquot diins ses notes manuscrites {Fusti Acad. Lov., 1. 1, fol. 03-64), avec renvoi
au discours d'ouverture de Dorpius à ses leçons sur sainl Paul : Oraiio in praelectiunem cpislolarwii
divi Patili , de laudibiis Pauli, de literis sacris ediscendis, de eloqueiitia, de pernicie sophistices, dr
sucrorum codicum ad Graecos casligatione, et linyuarum pcritia. Antverpiae, !Mich. Hillenius,
1319, in-4». Basileae, Froben, 1520. Antverp., !o2l. (Voy. Foppens, Bibl. Belg., p. 853, et Goc-
thals. Lectures, t. 1, id., p. 46.)
Tome XXVIII. 18
128 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
vers que Elius Eobanus Hessus a adressés à Érasme lors de son départ
de Louvain, en 1518 \ au sujet de cette ville et de son école :
ExcellUque viris, qui non Laiialia solum
Dogmala, Romanaeque loquacia scliemata linguae,
Nec tantum ad Graïas possinl vigilarc lucernas,
Verum etiam Hebraeo sudent in pulvere, et omni
Parle schola celebri veteres imitentur Allienas.
Nous croyons avoir assez démontré le genre d'utilité qui était attribué
à chacune des trois langues savantes, au moment où l'usage de saines mé-
thodes allait régénérer les études littéraires en Belgique^, et l'assentiment
presque unanime que leur enseignement rencontrait parmi les jeunes hom-
mes qui étudiaient et enseignaient alors dans les collèges de Louvain. Mais
nous allons donner, pour complément à ces premiers aperçus, quelques
recherches historiques sur les ressources qui existèrent à Louvain, pour la
connaissance des lettres anciennes, avant l'ouverture du collège de Buslei-
den et pendant les premières années de son établissement. Nous ferons en
sorte de déterminer quelle fut l'action des docteurs et des maîtres qui
s'occupèrent des langues et des lettres dans les collèges de l'université;
c'est de là que sortiront les professeurs appelés aux chaires spéciales de
création nouvelle. Nous montrerons aussi quelle était la largeur des vues
de ceux qui avaient à cœur de répandre autour d'eux le goût des travaux
de l'esprit, et dans quelle mesure il fut permis à des personnes étrangères
à l'université d'ouvrir des cours non officiels, librement fréquentés.
La rhétorique continua à être enseignée dans les pédagogies acadé-
miques de Louvain, comme elle l'avait été dans le cours du XV""" siècle;
seulement les méthodes et les livres changèrent, à mesure que les hommes
' Le poëme sur son retour en Allemagne envoyé à Érasme, par cet humaniste, a été imprimé à
Louvain, en 1519, par les soins de son ami, chez Th. Martens : Relit Eobani Hessi a profectione
ad Des. Erasmum Roterodamwn hodoeporicon , etc., 28 feuillets in-i" (van Iseghem , Biographie,
n" 147, p. 30-2j. Valère André en a cité un passage dans ses Fasli, édit. de 1630, pp. ô'J9-400.
- Écoulons Érasme sur la question des méthodes [0pp. V. 73) : « Si non desit aniniits. si 7wn
desit praeceptor idoneus, minore paene negolio très liae linguae discentiir, quam hodie discilur tmius
semilinguac niiseranda balbuties, nimirum ob praeceptor um, tum inscitiam, tuniinopiam. »
DES ÏROIS-L Aïs GUES A LOUVAIN. 129
aulorisés à professer lirèrenl de la lecture des anciens auteurs des vues
plus saines sur la grammaire et sur la composition littéraire en général.
Les premiers qui, sans sortir de la sphère des règles grammaticales,
parlèrent de la rénovation du style, furent naturellement écoutés avec
réserve par quiconque croyait à l'autorité illimitée des anciens livres.
Quand déjà circulaient des traités où la grammaire latine était exposée-
avec méthode et simplicité, il y eut encore des défenseurs du Doctrinale
puerorum d'Alexandre de Yilledieu, livre diffus et incomplet, qui multi-
pliait sans raison les difficultés de l'étude, pour n'enseigner après tout
qu'un latin défiguré, fort différent du latin antique K C'est au proGt d'un
tel livre que l'on fit opposition au travail considérable de Despaulère, dont
la carrière commença, comme on va le voir, dans un des collèges de
Louvain; ce travail était recommandable par son plan et par son contenu;
il était une mine pour les latinistes, et l'on a pu, suivant l'expression de
M. de Reiffenberg 2, « y tailler à l'aise la matière de plusieurs ouvrages
vraiment utiles. » Enfin, la véritable méthode d'étudier et d'enseigner les
langues prévalut, giâce au bon sens, aux patients efforts, aux relations
littéraires des humanistes qui , avec Despautère et après lui , contribuèrent
dans Louvain à la réforme des études de grammaire.
Le précurseur de Despautère, Jean Custos ou de Coster, de Brecht,
étudia au Lis, et fut le premier d'entre les philosophes en 1496; il pro-
fessa les belles-lettres au Château, et il réussit à porter le premier coup
aux livres si défectueux que nous signalions à l'instant; sa grammaire,
quoique chargée de règles superflues, eut de la célébrité au delà de son
temps 5. Jean Despautère, de Ninove, après être sorti du Château maître-
ès-arts à la promotion de l'an 1501 , enseigna la rhétorique au collège du
Lis, et il mit en vigueur de nouveaux procédés qui donnaient à ses ou-
• Voy. l'analyse du Doclrinale. par le Grand d'Aussy, Notices et extraits des man. de la Bibliotli.
nation., t. V, pp. 512-541 , et la llièse latine de M. Cli. Thiirot sur le sort de ce livre : De Dorlri-
nali ejusqiie forluna, etc. (Paris, 1850, p. 47 sq.).
'- Troisième Mémoire sur l'Univ. de Louvain, p. 2.^j. — On y trouve une revue des autres livres
de grammaire qui avaient conservé un monopole de deux à trois siècles en Occident. Ibid., pp. 10-
26. Voy. aussi le Mémoire c'né Sur l'inslrtict. publ. au moyen âge, pp. 115-120.
3 De Reiffenberg, Quatrième Mémoire, pp. 77-78. Foppens, t. Il, p. 623.
\Z0 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
vrages de grammaire une complète supériorité sur tous les livres alors
connus '. Quand Despaulère eut quitté Louvain pour enseigner en diverses
localités, sa méthode y fut appliquée avec d'abondants fruits.
Après Despautère, nous nommerons en première ligne Jean Paludanus,
comme un des maîtres qui avaient la puissance d'exciter dans les autres
le goût des lettres; Jean Paludanus, ou Desmarais, de Cassel, qui ne
mourut qu'en 1526, était, depuis la fin du siècle précédent, professeur
d'éloquence à la faculté des arts ^, et quoique son enseignement se bornât
au latin, il eut beaucoup d'ascendant sur tous ceux qui s'occupaient des
langues, et obtint des gages de leur reconnaissance. Érasme l'a considéré
comme un maître dont il vantait souvent les précieuses qualités ^, et l'a
traité d'autre part comme un intime ami, à qui il a demandé l'hospitalité
à Louvain pendant de longues années *.
S'il faut ensuite nommer les autres hommes qui rendirent quelque ser-
vice par l'enseignement littéraire dans les collèges, nous devons citer avec
Martin Dorpius et Adrien Barland, Jean Borsalus, Jean Naevius et Jacques
Ceratinus. Comme on l'a i^emarqué au commencement de ce chapitre,
Dorpius a donné au Lis des leçons de philosophie et de rhétorique plu-
sieurs années avant d'appartenir à la faculté de théologie, et c'est alors
qu'il a excité le zèle de ses élèves par cette exhibition dramatique des
Plautina, sur laquelle nous avons insisté. Dorpius s'était toujours pi'éoc-
cupé de l'éducation des jeunes gens et de l'avancement des études, comme
l'atteste Barland, qui avait beaucoup recherché sa société ^ : toutes les
' Commentarii grammatici.Y'avisns, 1o37, in-folio. Voir Cli. Tliiiiot, loc. cit., pp. 60-61. De Reil-
fenberg, Troisième Mémoire, pp. 24-26, et Foppens, 11, 628. — Jean Despautère mourut à Co-
niines, en 1520, avant d'avoir donné une édition complète de ces traités.
- Voy. de Reiffenberg, Qiiatricme Mémoire, pp. 79-80. Là sont indiqués les autres personnages
dn nom de Paludanus, qu'il ne faut pas confondre avec celui-ci.
5 Érasme dédia à Paludanus son Panégyrique de Pbilippc le Beau, imprimé en lo04', chez Th.
Maliens, à Anvers; l'épîtrc en trois feiiillels commence par ces mots : Erasmiis M. Johanni Pahi-
dano doctissimo utque humamssimo hospiti sua S. D. Voir van Iseghem , Biographie , p. 51 ,
pp. 221-222. — Voy. une lettre d'Érasme, sans date, où il le nomme : Vir iitrivsque linguae peri-
tus (Epist., t. II, p. 1857).
■^ C'est seulement vers la fin de Fan 1517, qu'Érasme se décida à aller habiter ailleurs, au collège
du Lis, pour y jouir de plus d'espace. Voy. EpiM., t. 11, p. 1658. Ibid., p. 1628 (août 1517).
■' Historica, p. 231 (cd. Colon., 1603). — Chronica, cap. CLXXXIV.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 131
fois que celui-ci se rendait auprès de lui aux heures de l'après-midi, il
le trouvait toujours à l'étude et au milieu des livres; en se promenant
dans le verger, voisin de sa demeure, Dorpius s'entretenait continuelle-
ment des moyens de former et d'instruire la jeunesse. On ne peut balancer
à mettre Dorpius parmi ceux qui ont eu le plus d'influence sur l'activité
litléraire de cette curieuse époque, quand on lui voit attribuer, avec des
connaissances approfondies dans toutes les sciences, l'élégance et la fer-
meté d'un langage vraiment romain *. Qui lira cet éloge de Dorpius con-
firmé par Erasme, dira avec de Reifl"enberg que ce n'est pas celui d'un
homme ordinaire -.
Adrien Barland, avant d'être appelé, en 1518, à faire les premières
leçons de latin au collège des Trois-Langues, avait eu un rôle fort actif
entre tous ceux qui travaillaient à faire connaître les anciens auteurs; par
ses entretiens et ses conseils, sans doute aussi par des leçons bien fré-
quentées, il avait gagné des prosélytes aux lettres latines. Son autorité était
assez grande en 151G, puisqu'il fit part de ses vues, en publiant les let-
tres de Pline le jeune avec ses scholies, à tous les maîtres enseignant alors
les humanités dans les provinces belgiques ^. Cette espèce d'encyclique ,
qui fait époque dans les annales de la pédagogie classique, porte l'adresse
suivante : Hadriamis Darlandus apud Lovanienses cidtioris Hleratiime professer
infumis S. D. omnibus in liraban. Flan, et Hotlan. ludinmgistris. On verra plus
loin de quelle nature étaient les élucubrations philologiques qu'il mit au
jour "*, aux diverses époques de sa carrière de professeur, pour inspirer
le goût de la lecture des classiques.
Jacques Ceratinus, qui brigua tour à tour la chaire de grec et celle de
latin au collège de Busleiden ^, s'était distingué par le même genre de
' Ce passage de Barland, emprunté au même chapitre de sa chronique, et répété en grande
paitie par Foppens, t. IF, p. 852, se termine ainsi : Qiiam latinus et elegans, planeque Romanus
ilti sermo! — Cfr. de Ram, Visquis. hislor., etc., pp. 22-25.
2 Le texte de Barland est cité en entier, dans le Quatrième Mémoire, pp. 83-66.
5 Biographie citée de Thierry Martens, n» 100, pp. 261-262.
' Voy. chap. VI, § I, et la lettre H de l'appendice.
'^ Voy. rintroduclion au chapitre VII.
d32 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE
service; il s'était rendu apte à l'enseignement des deux langues par des lec-
tures et des exercices. De même, Jean Borsalus, qui quitta Louvain, en
1518, quand il était sur le point de prendre la nouvelle leçon de latin ',
s'était formé avec ses confrères de son âge dans un sentiment commun
de zèle et d'émulation pour les études littéraires; il avait acquis l'estime
particulière de J. Busleiden, de M. Dorpius et de beaucoup d'hommes let-
trés 2 : s'il fit des leçons à Louvain, vers l'an 1516, ce fut probablement
à l'intérieur de la pédagogie du Lis, où les langues anciennes étaient le
plus en faveur.
Des maîtres du collège du Lis, celui que nous connaissons le mieux,
grâce à la correspondance d'Érasme, c'est Jean Naevius, ou de Neve ,
d'Hondschote {Hondiscliolanus), qui, à Louvain, accueillit à son foyer le
grand humaniste, quand celui-ci eut renoncé à l'hospitalité de Paludanus.
Érasme apprit à l'estimer ainsi que ses collègues et ses amis d'étude, pen-
dant sa résidence dans le collège, dont Naevius était alors devenu prési-
dent ^. Déjà, auparavant, il avait suivi avec intérêt les efforts faits par son
ami pour mettre en honneur les études latines, et il lui avait dédié, en
1515, comme à leur directeur fLi/Jonontm Lovanii Gijmnasiarclme) , un re-
cueil d'opuscules choisis, commençant par les distiques de Caton, destinés
à servir de texte aux exercices des élèves de Naevius *, comme il le disait
dans son épître : Ut luibeas quocl tiiis praelegi cures alumnis.
Personne ne fit plus de cas qu'Érasme des services rendus par ce
' Voy. l'introduction au chapitre VI.
- Dans la dédicace de ses Pluulina à Jérôme Dusleiden , Dorpius le nomme : Lilterutorimi can-
didissimus Jouîmes Borsalus, canonicus Middelburgensis. Voy. les Analecles de M. de Nélis, p. "i,
et la note 1, et les Mémoires de Paquot, t. I , p. 9.
5 Président du Lys, en 1515, il y demeura jusqu'à sa mort, l'an 15'24. — Le séjour d'Érasme
dans ce collège est compris entre les années 1517 et 1521 ; il disait, en novembre d5l7, après y
être entré; Nec unquam vixi niagls ex animi mei sentenlia (Episl.. t. I , p. 273. Cfr. pp. 270,
6.% et 677). U y connut aussi un maître fort instruit, Josse de Vroye, de Gavre, dit Gaverns.
* Opuscula aliquol Erasmo Rolerodamo caslirjatore et inlerprele : quibus primae aelati nihil
praelegi potest : neque vtilius neque elegantius. Vol. in-4°, 52 feuillets. (Voy. la Biographie de
Th. Martens par van Iseghem, n°90, pp. 254-255.) Le même recueil d'opuscules eut une seconde
édition, en 1518, avec des additions et des améliorations {purtim compleliora, partim nova).
Voy. la même Biographie, n" 130, pp. 188-189.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIIN. i33
maître à la jeunesse, dans les cours d'humanités qui prospéraient au Lis;
aussi s'eiTorça-t-il de prévenir toute querelle et même tout refroidissement
entre Naevius et Dorpius ou d'autres de ses confrères, atin que la cause
des études n'en souffrît pas K 11 se plut à vanter à tout le monde la réu-
nion des qualités de l'esprit et du cœur qu'il avait observées en lui ^, et à
lui attribuer une habileté de langage peu commune et une élégance pleine
de sel, dans la discussion ou dans la plaisanterie : Niliil est JSaevio meo,
disait-il en 1517 ^, in liac Academia vcl cnidilius, vel melius, vel feslivius, vel
denique sincerius. La douleur d'Érasme fut grande quand il apprit à Bàle
la mort presque subite de son hôte, dans l'appartement qu'il avait occupé
lui-même à Louvain, et son irritation fut très-vive quand on lui apprit que
Nicolas d'Egmond donnait la un si prompte du président du Lis comme
une punition du ciol *.
Les esquisses biographiques que nous venons de tracer montrent suffi-
samment quel secours les études de langues et de lettres avaient trouvé
dans les collèges de l'université avant que l'école spéciale de Busleiden
leur fût consacrée; quand cette école fut ouverte, des cours d'humanités
qui roulaient sur la grammaire et la rhétorique latines , continuèrent à
être donnés dans les pédagogies, du moins pendant le XVT""= siècle, et
nous dirons ailleurs comment son exemple contribua à l'amélioration de
ces cours. Rappelons aussi que la leçon d'éloquence fut conservée dans
les attributions de la Faculté des Arts, et qu'elle concourut à nourrir des
goûts littéraires dans une partie de la jeunesse; elle eut quelquefois du
relief, surtout quand elle fut donnée par des hommes tels que Adrien
Barland et Nicolas Vernulaeus.
• Voy. les conseils d'Érasme à Dorpius, dans une leUre de 1517. ^/)ts<., t. II, p. 1651, elle retour
d'Érasme sur les conseils d'urbanité et de mesure qu'il avait donnés naguère à Naevius, trop en-
clin à prolonger les différends. Ibid., t. I, p. 784.
2 Voy. EpisL, 1. 1 , pp. 306 , ^23, 784 : Jam quae linguae félicitas, quam parala dicendi facid-
tas, si de re séria dicendum cssct? qui lepos, quae argulia, si jocis aul salibits ludere Ubuisset?
Tum qui morum candorî quae conviclus suavilas? quam erat amicus amico? quam arcani crediii
conlinens? quam non sordidus? Unum in eo desiderabam, ne nuHus esset naevus in Naevio, etc.
Ibid., p. 784.
■" Episl., 1. 1, p. 273.
* Voy. Epist., t. I, p. 784 (an. 1324). Ibid., p. 979 (an. 1527).
iU MÉMOIRE SUR LE COLLEGE
11 nous reste à dire mainlenant quelle liberté fut laissée à l'enseigne-
ment littéraire en dehors du collège des Trois-Langues et des pédagogies
de l'Université. 11 y a lieu de croire qu'à côté des trois professeurs dûment
nommés aux chaires du collège de Busleiden, octroi ne fut pas donné à tout
le monde d'y ouvrir des leçons publiques et permanentes; mais, vraisem-
blablement, des savants étrangers eurent en ce collège des conférences avec
les maîtres et de libres relations avec les élèves, sans qu'aucun obstacle
fût apporté du dehors à ces entreliens ou à ces réunions. 11 est plausible
aussi d'admettre que quelquefois des élèves fort avancés furent autorisés
à y faire des leçons, qui avaient plutôt le caractère de répétitions et
d'exercices. Cependant ce fut le plus souvent après une autorisation de-
mandée en due forme que des humanistes et des philologues furent admis
à donner un enseignement public accessible à tous : nous tâcherons de
compléter les renseignements historiques laissés à cet égard par Valère
André ^
On a des exemples d'un refus opposé à des hommes instruits, qui
voulaient ouvrir à Louvain des leçons publiques; on appliqua aux leçons
de langues latine, hébraïque et grecque, la mesure qu'on avait prise en
1484 pour empêcher que des cours nouveaux ne nuisissent à la fréquen-
tation des cours institués dans chaque faculté. Un premier fait se présenta
en 1519, quand M. Alardus ou Adelardus d'Amsterdam eut annoncé, dans
un programme affiché publiquement, qu'il expliquei-ait un ouvrage de Didier
Érasme. Interdiction fut signifiée à ce savant, le 8 mars 1519, en vertu
d'un article des statuts académiques : suivant cet article, on requérait une
inscription sur le registre de l'Université de tout docteur, maître, licencié
ou bachelier, qui voulait être admis à enseigner, à discuter ou à poser
quelque acte du ressort de l'enseignement, et on exigeait de lui en outre
une permission du recteur, donnée au nom du corps universitaire. Alardus,
qui était d'ailleurs entouré d'une grande considération comme latiniste et
même comme théologien, resta à Louvain en rapport avec les membres
* Fasti .icad., pp. 357-358. Voy. les noies manuscrites de Paquot. Fasli Acad. Lovaii ,
t. I, p. 388.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 135
de l'Université et avec tous les amis des lettres % et il y mourut en 1544.
Une interdiction fondée sur le même règlement fut portée en lo20 contre
Guillaume Nesenus, humaniste étranger, allemand de naissance, qui se
proposait d'expliquer publiquement la géographie de Pomponius Mêla.
Son passage en Belgique nous est connu par les lettres d'Érasme, que
nous allons interroger à ce sujet.
Guillaume Nesenus s'était signalé comme latiniste, en donnant à Bàle,
en 1515, une édition de Sénèque. Il se rendit à Louvain en 1519, et sa
qualité d'étranger, ignorant la langue du pays, non moins que ses talents
et son honnêteté, lui valurent la protection d'Érasme 2; dès celte année,
celui-ci réclamait hautement contre les entraves qu'on voulait apporter aux
leçons gratuites de Nesenus sur Pomponius Mela^. L'affaire se termina
en 1520 par un refus motivé peut-être sur les opinions religieuses de
Nesenus; il venait de rentrer en Allemagne, las des difficultés sans lin
qu'on lui avait suscitées, quand Érasme écrivait à Herman Buschius* :
ISesenus taedio stotidissimarum iragoediarurn , qiias hic quidam agimt sine fine,
ad vos se recepit.
En d'autres cas encore, l'importance attachée à la lettre des statuts,
sinon des motifs particuliers de défiance, fit prendre des mesures sembla-
bles à l'égard de personnages qui ne nous sont pas connus; il est avéré,
cependant, que l'Université a donné son assentiment aux leçons faites
temporairement, sans titre officiel, par des hommes présentés par de
puissants patrons; de ce nombre furent Nicolas Cleynarts, qui professa
les langues au collège de Houterlé ou même dans le local des Trois-
Langues , et les deux juifs convertis du nom de l^evita, Jean Isaac et
' Outre divers ouvrages estimés, Alardus fit paraître à Cologne, en d529, ime édition devenue
fort r;ire des œuvres de Rodolphe Agricola. — Voy. l'oppens, Bibl. Belg., pp. 38-39. Miraeus,
Elogia, Dec. VII. De Reifl'enherg, Quatrième Mémoire, p. 83.
- Epist., t. I, p. 409 : Hospes et linguae nostratis imperitus, qiio magis favendwn est viro alio-
quin dodo, intégra uc modesto.
'" Voy. trois lettres d'Érasme à Vives (Epist., t. I, pp. 523, 526 et 689). On lit dans une des
lettres de 1519, p. 536 : Hic Guilielmo Neseno, Pomponii Melae geographiam profiteri gratis
ag7-esso, vihil rcmissioribus stvdiis obsliterunt quam siparasset totam hanc ttrbem incendia miscere.
Érasme reconnut plus tard seulement la propension de son client au Luthéranisme. [Epist., I, 633.)
» Epist., 1. 1, p. 567 (an. 1520). — Nesenus est mort à WiUenberg.en ib'ii. Epist., 1. 1, p. 821.
Tome XXVllI. 19
136 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
Etienne, fils d'Isaac , dont nous ferons connaître plus loin la venue et les
fonctions à Louvain ^ Nous citerons dans la suite de ce mémoire d'autres
érudiis qui furent de même autorisés à faire des leçons privées sur les
langues et sur quelques auteurs anciens. Mais nous devons nous étendre
ici sur la part d'influence qui revint à Louis Vives dans le prosélytisme
auquel il se dévoua avec les meilleurs esprits pendant les quelques années
qu'il passa à Louvain : c'était précisément l'époque où les trois chaires de
Busleiden venaient d'être inaugurées.
Quand Louis Vives fut chargé de l'éducation du prince Guillaume de
Croy, il s'associa de cœur à tout ce qui se faisait en Belgique pour les
éludes littéraires, qui lui avaient déjà valu quelque renommée; il publia à
Louvain, chez Thierry Martens, plusieurs de ses opuscules, dans les années
1519 et 1525^, et quoiqu'il n'eût pas beaucoup de goût pour l'enseigne-
ment oral, l'on ne peut douter qu'il n'ait enseigné publiquement en cette
ville avec le plein assentiment de l'Université, qui lui fut accordé le 5 mars
1520^. D'après le propre témoignage de Vives, on affirmerait même qu'il
a fait ses leçons en partie aux Halles, siège de l'Université, en partie dans
une maison particulière de la rue de Diest* : il aurait expliqué le matin,
aux Halles, VHisloirc natureUe de Pline , et l'après-midi , dans l'autre local,
les Géorgiqites de Virgile; quand après un court séjour à Bruges, pour
cause de maladie, en 1521, Vives rentra à Louvain, il se serait proposé de
donner une troisième leçon sur Pomponius Mêla. Enfin, d'après les œuvres
mêmes de Vives, on croirait, avec son dernier biographe, qu'il a fait
aussi des cours sur les Lois de Cicéron, sur le traité de ScnectiUe , sur le
' Aux clinpilrcs VIII et X.
- La première publiealion, qui date de 1519, renferme le traité De sectis , initiis cl laudibiis
Philosophiae , et le traité In Psevdoiiialccticos , vol. in-i", de MA feuillets (voy. van Isepliem, liio-
grapltie, n" 14-8, pp. 302-503). En 1523, Vives publia, chez le même imprimeur, une édition com-
plète de sa Veritas fucala (sive de Ucentiii poelica, (juantum poelis licel a verllale ahscedere) , et
deux discours (dedamaliones duae). Voy. Biogr., n"* 184 et 185, pp 326-327. — Vives n'était
plus à Louvain quand Th. Martens y imprima, en I52I, son Inlroduclio ad sapienliam. Voy. ibid..
n" I9C. p. ÔU.
^ Valère André, Fasti Acad., pp. 357-358. Paquot, Mémoires, t. 1, p. i\1.
^ Voy. de Reiffenberg, Quatrième Mémoire, p. 87, et le Mémoire de M. Namèche Sur la vie et
les écrits de Vives, pp. 21-23.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 157
lymc WxiQ Rhetorkoruni ad Uerennium, sur les Convivia de Philelphe ^, et sur
plusieurs de ses piopres ouvrages, entre autres sur le Cliriali trhimplms.
C'était en outre un bel et puissant exemple que celui que donnait Vives
aux jeunes docteurs de Louvain, en se livrant, pendant son séjour au
milieu d'eux 2, à son travail de révision et de commentaire sur le texte
des vingt-deux livres de la Cilé de Dieu de saint Augustin.
On vient de voir que le précieux appui dos conseils, des leçons et des
écrits de Vives n'a pas manqué aux hommes dévoués et intelligents qui
associaient leurs efforts pour donner à la science des universités le secours
et le relief des travaux littéraires. Érasme avait été leur guide et leur ami,
il eut même la satisfaction d'applaudir à leurs modestes et solides succès;
il leur avait gagné l'estime de Guillaume Budé, qui remplissait en France
un rôle analogue au sien. Le troisième de ces humanistes qui représentent
éminemment le génie des lettres et de l'érudition à cette période de la
Renaissance, Louis Vives, vint de son côté encourager par sa présence
notre première école de philologie , où il trouvait en parfait accord avec
ses propres sentiments l'amour des lettres , la confiance en leurs progrès,
et une pratique sincère de cette sagesse chrétienne qu'il a si bien glorifiée.
On ne connaît pas les noms de tous ceux qui ont concouru de prime
abord au but de l'institution due à la généreuse prévoyance de Busleiden;
mais on n'ignore pas du moins ce dont elle est redevable au travail persé-
vérant des humanistes qui s'étaient formés dans les collèges académiques,
et aussi à ce patronage moral d'Érasme et de Vives , plus puissant que les
privilèges et les faveurs des princes.
< Vv. Filelfo ou Philelphe était un des humanistes d'Italie dont les écrits s'étaient répandus avec
une vogue presque égale à celle des classiques. (Ginc;uené, Hist. lillér. de l'Italie, t. 111, p. 526-50.)
- l'ixé à Bruges à son retour de l'Angleterre, il ne perdit point de vue les premiers travaux des
littérateurs de Louvain.
i38 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
CHAPITRE VI.
LES PROFESSEURS DE LANGUE LATINE.
Pellcgc : Sttiuicquam Grvdiob, duvturibus illit,
.lut l/aibarifs, aut Zoiltis dicat ru/Irs.
(Jndreae Valerio K90. W'ESBurs.)
En abordant celle première série de biographies ' , il nous imporle
de rappeler ce que nous avons dit dans l'introduction sur la destination
de telles notices dans le corps de ce mémoire historique. Si nous nous
sommes décidé à enregistrer en trois chapitres les principales circonstances
de la vie de tous les hommes qui ont enseigné au collège des Trois-Lan-
gues, c'est non-seulement parce qu'elles sont extraites en partie de docu-
ments inédits, mais encore parce qu'elles font connaître le genre d'action
qu'il a été donné à chacun de ces hommes d'exercer autour de lui, suivant
l'esprit et les dispositions de son époque. De la sorte, on peut se repré-
senter plus facilement par avance l'espèce de vie que l'exemple et le
concours des maîtres ont fait régner dans l'école d'une période à une
autre. Encore une fois, quoique ce ne soit pas le lieu de tracer une
biographie complète de chaque personnage, les notices ici insérées ont
leur raison dans la nature du sujet nouveau que nous traitons, et peut-
être les renseignements inédits qu'elles renferment seront-ils de quelque
utilité aux écrivains qui voudraient dans l'avenir consacrer à ces mêmes
hommes des monographies détaillées.
On porte à dix-huit le nombre des professeurs de langue latine qui ont
appartenu au collège de Busleiden, depuis Adrien Barland, qui reçut
le premier ce titre, jusqu'à Henri Joseph Vandensteen, qui mourut en
1768 et qui n'eut point de successeur. On verra plus loin pourquoi la
' Nous avons donné la première place anx professeurs de latin, à l'exemple de Valère André, dans
la seconde partie de ses Exordia ac progressus collegii Trilinguis , pp. 45-63 (professores lalini).
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 139
collation de la chaire de latin, dite aussi d'histoire, ne fut plus faite
dans la seconde moitié du dernier siècle.
Plusieurs concurrents se présentèrent aux mandataires de Busieiden
pour la chaire de latin, sans nid doute parce que cette langue avait été
cultivée de date récente avec plus d'extension et de succès que les deux
autres. Idiome de l'Église et de la science en Occident, le latin avait pro-
gressé le premier et fort rapidement, grâce à l'investigation des anciens
manuscrits et à leur publication par l'imprimerie'. Il paraît certain que la
leçon de latin fut offerte tout d'abord à Jean Borsalus ou van Borsseleii.
natif de la Zélande, nommé quelquefois chanoine de Middelbourg, et qui
était estimé à Louvain comme humaniste 2. Il avait habité quelque temps
au collège du Lis avec des confrères qui aimaient comme lui les lettres:
c'est là qu'Érasme avait appris à le connaître, et il rend hommage à son
caractère aimable et gai , et aux qualités solides de son esprit^. Borsalus
qui avait, au dire d'Érasme, peu de moyens d'existence, déclina l'hon-
neur qu'on avait en vue de lui conférer, pour accepter la place de doyen
de Weere en Zélande, et quitta Louvain dans l'année 1518*.
Après le départ de Borsalus, et peut-être sur sa recommandation,
Adrien BarJand, son compatriote et son parent, fut chargé de la leçon
de latin ^. L'épître que celui-ci adressa plus tard à Borsalus est une des
meilleures sources de la biographie de Barland lui-même ; elle a été d'un
grand secours à Valère André, dans la notice qu'il a consacrée à ce der-
nier ^, et nous la mettrons de notre côté à contribution sur plusieurs
' Voy. Chapitre I, et chapitre V.
2 Lettre d'Érasme à Barhirius, 6 mars 1518. [Epist., t. I, p. 303.)
' Adest Joannes Borsalus hujiis collegii contubenudis , conviclor omnium festivissimus. Epist..
t. I, p. 382 (an. 1318). Voy. lettre à J. ['.obyns, 26 mars 1318 {Epist., t. Il , p. 1677)... Refert om-
nium nostrum lalem virum Lovanii retineri, quo lumen illius lalius luceat , de.
* Lettre de Dorpiiis à Érasme, tijuillet 1318 (Epist., t. I, p. ô3"2) : Borsalus tuus , ccut verius
noster, amicus hatid impurus , sincerus, candiilus , deseruit nos, designatus decanm Veriensis. Voy.
Epist., t. I, p. 462. — De la Rue, Geletterd Zeeland, p. 313 (Middelbourg, 173-i, in-i").
3 Dorpiiis, loc. cit., t. I, p. 3i2 : Provincia quam coeperal, lutine doeendi, mandata est Bar-
lando.
" Exordia, pp. 43-47. — Les Mi'moires de Paqiiot ne contiennent pas de notice sur Barland;
l'article de Foppens {Bibl. Belg., p. tO) répète l'article fort maigre de Valère André dans sa biblio-
thèque, et celui du Geletterd Zeeland de P. De la Rue, pp. 266-268, n'est guère plus satisfaisant.
140 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
points'. Nous traiterons cette vie avec quelque détail, parce que Barlanù
représente très-bien cette classe d'humanistes que l'on peut regarder
comme la pépinière du collège des Trois-Langues.
1. Hadkiakus Barlaîsdus ou Ailriaen van Darlandt.
(1318-19).
Le savant du nom de Hadrianus Barlandus naquit le 28 octobre 1 487 '^
à Barlandt (Daiiamlia) , bourg de Sud-Beveland, près de la petite ville de
Goes ou Gousa , au milieu des îles de la Zélande : le nom qu'il a conservé
dans l'histoire est tiré de celui de son endroit natal "'^. Il faisait ses premières
études à Gand, sous Pierre Scotus, quand il vit les fêtes célébrées en celte
ville lors de la naissance et du baptême de Charles-Quint; il achevait plus
lard son cours de philosophie à Louvain, quand il fut témoin, en 1505,
de la réception faite par l'Université et les magistrats à Philippe le Beau,
qui allait partir pour l'Espagne.
Adrien Barland prit à vingt-quatre ans le litre de maître es arts, et revint
alors à l'étude des lettres qu'il aimait depuis son enfance. Quoiqu'il ait
regretté les années qu'il avait données à la philosophie, et qu'il se soit
plaint des efforts et des veilles qu'il avait dû s'imposer pour regagner le
temps perdu, il fut bientôt à même de former le goût des autres. Pendant
plus de neuf années, Barland mérita par ses leçons la faveur de nombreux
auditeurs, dont la plupart avouèrent en avoir tiré beaucoup de profit : s'il
n'avait pas de titre officiel dans l'Université , il était du nombre de ceux qui
donnaient des leçons privées dans les principaux collèges *. Il n'avait pas
* CeUe épilre, qui esl une aulobiograpliie, comme on dirait aujourd'hui, a été réimprimée dans
ie recueil des Historica Hadriuiii Barland i , pul)lié à Cologne, en 1603, pp. 278-280.
- D'après Paquet {Fasti Jcud., 1. 1, p. 480) et d'après Bax (fol. 1425), Barlandus se serait donné
l'âge de ûj ans dans un acte de l'an 1520.
On a déjà plus d'une fois modernisé son nom sous la forme de Barland, que nous adopterons
dans la suite de cette notice.
' Voy. chapitre V, p. 131. Voici ce que dit Barland dans l'épîlre citée ( Historica, p. 74) ; In
tnaximis doccndi kiboribus, eliam siilo exercendo, plurimum temporis imperlili sumus.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. Ui
reculé devant de longs exercices pour se rendre maître des règles du style,
et pour diriger les jeunes latinistes.
Barland eut l'honneur d'inaugurer l'enseignement du latin, comme
professeur de la fondation de Busleiden, quand les premières leçons se
firent, le 1" septembre 1518, dans un local du couvent des Augustins. II
le poursuivit pendant une année et demie; mais alors il se rendit en Angle-
terre, en qualité de gouverneur, avec Antoine, seigneur de Grimberghe,
fils du comte de Berghes. Peu de temps après, il fut appelé à Affligera,
pour diriger de nouveau les études de Charles de Croy, administrateur de
cette abbaye, qu'il avait initié naguère à Louvain aux belles-lettres.
Plus tard , Barland rentra à Louvain , et eut rang dans l'Université
comme professeur d'éloquence [rhelor publiais), succédant à Jean Palu-
danus , mort en février 1525. C'est dans cette charge qu'il passa honora-
blement les années de sa vieillesse, et qu'il mourut vers l'an 1542.
Adrien Barland était un des hommes qui avaient contribué davanlage
au mouvement littéraire, dont le collège de Busleiden allait devenir le
centre; il avait préparé l'opinion publique par des leçons et aussi par des
écrits; et il eut encore le privilège de donner du relief à la chaire publique
d'éloquence latine. On a pu dire qu'il avait laissé après lui plusieurs
élèves d'un savoir peu ordinaire et sagement appliqué '.
Barland avait mérité de bonne heure l'estime d'Ërasme, qui s'est plu à
louer la sincérité de son caractère, ainsi que la pureté et l'agrément de
son langage, et c'est de lui qu'il a dit quelque part ^ : vit- niillo fiico, sïncerus
et amicus, prompta quadam ac pura nec inamoena sermonis facilitate praeditus.
On rencontre la matière d'observations fort curieuses dans les nom-
breux opuscules que Barland a publiés pour servir à l'étude de l'art ora-
toire, et à celle de la latinité des anciens auteurs^. Ils témoignent de ses
' Valère André, Bibl. Belg., édil. \G'l'), p. 103 : Multos rarae et caslae eruditionis discipidos
habuit, in Iris omnium instar. Corn. Crocum et Gerardum Moringum. Le premier de ces deux
homines, liiinianiste habile et apologiste chrétien, niourut en tooo {Foppciis, pp. 197-198); le
second fui latiniste fort correct, connu par divers écrits moraux et religieux, et mourut en tbSG.
( Foppens, p. 5387).
- Episl., t. I, p. 667 (an. 1521 ). — Seulement Érasme osa le blâmer de s'être engagé dans une
querelle fort vaine avec Goclenius. Voy. le Mémoire de M. Rottier, pp. 111-1 12.
'■• Nous renvoyons une liste aussi complète que possible des travaux littéraires d'Adrien Barland ,
142 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE
habitudes laborieuses, et du zèle qu'il a déployé pour donner un aliment
nouveau à l'activité littéraire de ceux qui l'entouraient. Pline, Térence,
Virgile, Cicéron, ont été tour à tour l'objet de ses soins : on voit qu'il a
voulu habituer ses auditeurs à commenter tous les passages de ces auteurs
et d'autres classiques, avec la rigueur grammaticale qui était possible
alors; et puis, il eut le bon esprit de ne pas s'attacher aveuglément à
un seul auteur, Cicéron par exemple, dont l'imitation était la plus sédui-
sante, et sur ce point de critique, il suivit fort heureusement la manière
et les avis d'Erasme, qui d'ailleurs a loué en lui « le naturel et la faci-
lité de Tullius * ».
Barland a travaillé dans le goût de son temps , quand il a pris la peine
de faire un recueil de saillies et de boas mots pris dans les auteurs
anciens et modernes ; avant qu'on eût tiré des sources la suite de l'histoire
ancienne, on la servait aux lecteurs latins en détail, sous la forme de
traits et d'anecdotes; ainsi Barland fit-il des extraits de Cicéron, de Quin-
lilien , de Suétone, de Macrobe et surtout de Martial. Mais n'était-il pas au-
torisé, en ce genre, par l'exemple d'Érasme, qui avait composé avec succès
son livre d'Adages, et lui-même n'avait-il pas payé tribut à la prodigieuse
célébrité de ce livre, quand il en publiait dès l'an 1508 un abrégé?
Adrien Barland avait en partage les qualités du style qui distinguent
l'homme de goût, et il possédait en outre cette érudition variée qui était
fort prisée de son temps, et qui l'a fait appeler « un arsenal de brillante
littérature- » : politioris liltei'aturae armarium.
Nous n'avons point à juger ici les œuvres historiques de Barland ; mais
nous signalerons, en passant, un morceau où se révèle un point de vue
à cause de sa longueur, aux pièces justificatives, lettre H. Elle est tirée, presque entière, d'une
notice préparée par Paquot [Fasti Acad. Lov., t. I, p. 480), sans doute en vue d'une biog;raphie
lie Barland; notre polygraphe y a fait entrer plusieurs des observations utiles du P. Nicéron dans
son chapitre relatif à Barland. Mémoires sur les hommes illustres de la république des letlres, etc.,
t. XLI, pp. 245-253.
' Ciceronianus . 0pp. Er., t. I, p. 1050. Nannius, Miscell. 2 : Vir sanè accurntue et poiitae
dictinnis.
- Geraidns Noviomagus , Epi.st. de Zelamliae situ. — Voy. un coup d'oeil général sur les travaux
lie Barland dans le Mémoire de M. Rottier sur Érasme, pp. 28-50.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 143
historique et littéraire à la fois , fort rare dans les élucubralions savantes
du même âge : c'est l'opuscule de lileralis urbis Romae principibus, où l'auteur
traite de la vie de quarante empereurs , qui auraient cultivé les lettres
depuis Jules-César jusqu'à Théodose.
2. CONRADUS GOCLENIUS.
(1519-1539.)
Curritor ad voceiu jucuadam..
Aucun des professeurs de Busleiden ne donna autant de popularité aux
leçons de langues qui venaient d'être inaugurées que Conrad Goclenius,
qui fut promu à la chaire de latin en 1519; la jeunesse de Louvain cou-
rait à ses leçons , et cet empressement que lui valaient l'élégance et la
pureté de sa diction latine ne se démentit pas pendant une longue suite
d'années^ Il répondit pleinement à l'idée que l'on avait conçue de lui,
quand il se présentait aux suffrages des proviseurs du collège, après la
retraite de Barland; plus qu'aucun autre de ses confrères de Louvain,
il eut le privilège de recevoir d'Érasme des communications littéraires et
des confidences d'amitié. Conrad Goclen ou Goclenius était né à Men-
gerichausen en Westphalie, sur le teiritoire de la principauté de Wal-
deck. Il se fixa à Louvain pour se vouer aux lettres, qui prenaient un essor
toujours plus grand en Belgique; cependant, son mérite lui valut un
canonicat en l'église Notre-Dame à Anvers , sans qu'il dût résider en
celte ville ^.
Goclenius venait à peine de prendre ses degrés à la Faculté des Arts,
quand il entra en concurrence pour la chaire de latin avec Jacques
Ceratinus, jeune homme déjà fort vanté et très-instruit dans les deux
' Jean Heemstediiis parlait , en 1530, de ce grand concours d'auditeurs, dans un passage de sa
lettre à Érasme , cité ci-dessiis au chapitre 111. [Epist., t. II, 1 747).
- Voy. sur la vie de Goclenius Valère André, Exordia, pp. 47-50 et Fasti, p. 279; Foppens
Bibl. Belgica, p. 189, et Bax, fol. 1427. Cfr. Coupé, Soirées litlér., t. XVI, pp. 140, 172-73.
Tome XXVIII. 20
144 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE
langues '. Il l'emporta sur celui-ci, et ouvrit ses leçons le 1" décembre
1519. L'autorité de son enseignement le fit recevoir le 28 février 1524,
dans le conseil de l'Université, comme représentant de la Faculté des Arts.
Il avait professé pendant vingt années, quand il succomba à un mal qui
le minait depuis longtemps, le 25 janvier 1559. Goclenius eut les hon-
neurs d'une oraison funèbre, prononcée par P. Nannius, qui devait être
son successeur^, et il fut inhumé dans l'église de Saint-Pierre.
Outre l'épitaphe qui résumait tous les litres de Goclenius^, son tombeau
orné d'un portrait porta une inscription en beaux vers latins, qui rappe-
laient ses précieuses qualités, et qui étaient l'œuvre de son ami, Alardus
d'Amsterdam. Il s'est conservé une seconde inscription en vers, qui appar-
tient également à la plume d'Alardus^. Nous relevons dans la première quel-
ques traits qui jettent du jour sur certaines idées et opinions de l'époque.
L'éloge était écrit par un poète respecté d'ailleurs comme théologien ,
et puisque le premier fondement de cet éloge est la ressemblance de Go-
clenius avec Érasme, pour l'esprit et le langage, pour le caractère et la foi ,
le nom d'Erasme ne devait pas être un nom généralement maudit peu
d'années après sa mort dans la cité universitaire:
Conradus jacet hic Goclenius, alter Erasmus
Ingenio, lingua, moribus, atque fide.
Les vers suivants exprimaient les regrets des littérateurs de la perte
de celui qui avait donné un si grand relief à l'école de Busleiden :
Hune lugete virum Graecae charilesque Latinae,
Et decus arnissurn, Buslidiana domus.
' Nous verrons Ceralinus, qui jouissait de la faveur d'Érasme, se présenter un peu auparavant
pour la chaire de grec.
- Pétri Nannii Funebris Oratio habita pro mortuo Conrado Goclmio. Lovanii, excudebat Ser-
vatius Zassenus [sic] anno M. D. XLII. Vol. petit in-i" , 8 feuillets. — A cause de la grande rareté de
ce morceau , nous en ferons usage plusieurs fois dans cette notice.
3 Comme on y lit après la mention du collège des Trois-Langues : Latino professori famndis-
simo ac conservatori optinw, on serait tenté d'augurer de ces derniers mots que Goclenius prit les
fonctions de président, en lo.57 et 1.558, avant la nomination de J. Edellieere à la présidence.
* Nous ne rapporterons point en entier le texte de ces pièces, dont les deux premières ont été
DES TROIS-LANGUES A LOUVAir^. 14S
Mais l'hyperbole poétique entraîne l'auteur de ces vers, quand il parle
des milliers d'hommes de toute nation attirés par Goclenius à Louvain :
JUe scholarum auxit pomoeria lata Lovant
Traxil eu oinnigemini miUia mulla virûm.
Un de nos poètes, Nicolas Nicolaïus, dit Grudius, a encore dépassé
ce trait hyperbolique au livre II de ses poëmes funèbres [Fttnera) ; il le
proclame (p. 25) nullls valibiis inferior, et il le fait ailleurs (p. 158) l'égal
de Gicéron, qui a transporté la Rome antique dans nos contrées :
Goclenie, ingenti nil Cicérone minor,
Qui iiostras Urbem iransvexsH nuper in oras,
Quam Tros cum socio slruxil Aborigène.
La pompe de telles Ogures ou comparaisons n'est certainement pas né-
cessaire pour établir la renommée solide, mais modeste, de Goclenius,
due à sa profonde connaissance de la latinité classique. Goclenius n'a pas
beaucoup écrit; mais il a montré, par quelques-uns de ses travaux, ce
dont il était capable, si l'enseignement lui eût laissé plus de loisir et de
repos. Praeler liaec niliil scripsit, nec edidil , dit Nannius, sed tamen abunde
spécimen sui dédit, quid in utroque scribendi génère valerel.
On attribue à Goclenius : 1° des Notas perbreves in officia Ciceronis, notes
qui furent en partie mêlées à celles d'Érasme, en partie rejetées à la
marge '; 2" une révision des œuvres de Lucain; 5° la traduction latine
de VIfcrmotime de Lucien, dialogue sur les sectes des philosophes -. C'est
ce travail, la principale publication de Goclenius, qu'il dédia à Thomas
Morus dans une longue et savante préface : ce digne hommage lui valut
en retour, de la part de ce juge insigne, un vase doré rempli de pièces d'or
impi-iniéesdans les JS'xorrfm, pp. 49-50 et dans la Bibllolheca Belg., p. 189. La troisième figure dans
les Exordia, p. 50, et dans les Monum.sepulchr. Brabantiae de François Sweertius, p. 20; elle vante
l'hiibiicté de Goclenius dans la po6li(|ue, la rhétori(pie, l'astronomie, l'histoire sacrée et profane.
' Dans une édition de ce traité, Basileae, 1320, in-4°. — Voir plus loin, cl). IX.
=* Luciani Samosatensis Hermolimus , sive de sectis phihsophorum , Conrado Godenio inter-
prète, vol. in-4°, 52 fetiillets. Lov., ap. Theod. Martinum, an. .M. D. XXK. — La dédicacées! datée
du collège (les Trois-Langues, le 29 octobre 1522. Voy. van Iseghem, Biogr. de Tli. Marlens,
n" 181 , p. 324.
146 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE
anglaises ^ En outre, on conservait encore, au XVII* siècle, des explications
recueillies dans les leçons de Goclenius sur quelques discours et traités de
Cicéron, et dont le manuscrit avait passé entre les mains de Valère André ".
Une foule d'auditeurs entoura toujours la chaire de Goclenius, et ce
maître eut, au témoignage de son panégyriste^, l'art de ne jamais les
fatiguer malgré la fréquence et la longueur des leçons. Il professa long-
temps avec fruit comme avec éclat, et non-seulement il fut l'objet d'un
profond respect de la part de ses disciples, mais encore il se concilia l'af-
fection d'hommes éminents. Érasme lui fut sincèrement attaché; il lui
donna des gages de son amitié et de sa confiance, en le consultant sur la
marche des affaires qui le concernaient lui-même, en le chargeant du soin
de ses intérêts, en le mettant au courant de ses propres projets, et même
en lui confiant d'avance ses dernières volontés *. C'est à Goclenius qu'il
légua son gobelet d'argent, sur le bord duquel était gravée l'image de la
fortune. Érasme considérait Goclenius comme un des principaux soutiens
du collège des Trois-Langues, et il le louait de la persévérance avec la-
quelle il accomplissait sa tâche. Ce n'est pas en vain qu'il lui conseillait
d'avoir assez de force d'âme, pour ne point perdre de temps à répondre
aux écrits et aux imprécations du dehors, mais de concourir sans cesse
au progrès des bonnes études '' : on vit, en effet, à tous les instants,
Goclenius unir dans sa conduite le zèle à la prudence. Mais Érasme avait
' C'est ce que nous rapporte Nanniiis dans l'oraison funèbre de Goclenius : Quod opus a Thoma
Moro cui dedicaliim voluit, lanti aestimatum est, u( euin in aurato poculo aureis Ancjlicis pleno
remuneralus sil, existimam auream viri eloquenliam optimo auro et copiosissimo repensandam.
2 Explanalionis in Milonianam et Manilianam Ciceronis, in Paradoxa et Somnium Scipionix
ejusdem. (Exordia, p. 487.)
' Maximae reverentiae inler discipulos fuit. Retinuit suam majestatem semper integram, ac vires-
cenlevi, nec assiduitate satiavil nec diulvrnilale auditorem lassavit. Nec viginli ejus anni quasi
senio supcr-veiiiente , quicquid de flore jiwentutis amiserunl. (Orat. fun.)
* Voy. la vie d'Érasme par de Burigny, t. II, pp. 419, 421-422, et le mémoire de M. Roltier,
p. 113. Nannius dit dans son discours : Illuin inter arctissimae familiariialis amicos habuit.
Quod.... et in vila et in morte iestatus est, etc.
3 Epist., t. I , p. 369. Bruges, 12 août 1520 : Te amo te qui tam gnaviter rem géras in profes-
sione lingnae Lalinae.... Tu quod temporis eras perdilurits, anl certe inale coUocalurus rixando cum
malis rabulis, hoc bonis sludiis juvandis impende. — Le conseil de Brabant ne prit pas attention à
des plaintes qui lui furent faites vers 1536 sur les opinions de Goclenius {Epist. p. 1520).
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 147
aussi une haute opinion du savoir de ce professeur dans la plupart dos
sciences alors enseignées, comme de son mérite d'écrivain; il le donnait
à ses plus illustres amis, Th. Morus, A. Uesendius, Florent Iselslein ,
comme versé dans les deux langues, et leur vantait son habileté à écrire
soit en prose, soit en vers. Dans ses poésies latines, il savait allier à une
grâce toute particulière beaucoup de clarté et de douceur. Il se soutenait
dans sa prose, et toutefois il y était si diflerent de lui-même, qu'en la
lisant, on aurait cru son auteur tout à fait étranger à la poésie.
L'affection d'Érasme pour Goclenius était fondée sur l'estime qu'il fai-
sait des qualités solides de son esprit; il s'en rapportait si volontiers à ses
avis, que bien souvent il ne demandait plus d'autres raisons pour être
convaincu. « Le jugement de Conrad Goclenius, écrivait-il en 1521 '.
est pénétrant, son savoir peu ordinaire, son zèle infatigable, son esprit
élevé, ses manières pleines d'urbanité, sa parole très-certaine, et il a de
plus cette expérience dans les choses de la vie qui manque à peu près
d'ordinaire aux hommes voués à l'étude. » Ainsi arrivait-il, comme Érasme
s'exprime ailleurs, que « Goclenius faisait trouver grâce aux lettres qu'il
enseignait auprès de ceux qui les avaient prises auparavant en aversion. »
En toute circonstance Goclenius montra son attachement à Érasme;
non-seulement il ne s'écarta pas de sa méthode et de ses opinions en
commentant Cicéron, en prenant ses écrits comme fondement des études
de philologie latine 2, mais encore il lui prêta son aide pour divers travaux
et principalement pour perfectionner la collection des Adages 5; enfin, il
composa en distiques un poëme où il récapitulait toutes les œuvres de
l'illustre écrivain *.
' Epist., 1. 1, p. 667, ad Bern. Biiclioneni : Est Conradm Goclenius, vir acri judicio, doclrina
minime Iriviali, induslria indefatigabili , animo excelso, moribus mira comitale ac jucunditale
conduis, ftde cerlissima , rerum etiam communium prudentia valens quae fere solet in sludiorum
cultorihus desidcrari.
"' Voy. Uotlier, mém.citt', pp. 1 12-115, et les beaux vers de Resendius à Goclenius. (FasH, p. 401).
'" M. Adam , Yilae philos. Germ., p. 81. — De Biirigny , t. H, p. 367.
' Complexus est quoque carminé plerosque libros Er'asmi. Orat. fun. — Ce morceau est connu
sous le titre de : Elenchus elucubraliomim Desiderii Erasmi versu elegiaco; il parut, en 1319, dan.-
un recueil latin publié par Th. Martens, à Louvain. (Voy. Biographie, n" 147, p. 302.)
148 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
Érasme avait pardonné à son ami d'écrire si peu, parce qu'il enseignait
si bien; cependant il lui était échappé un mot fort piquant sur la santé
trop floi'issante de Goclenius , qui savait se soustraire à la peine d'écrire '.
Ce mot a été relevé par Nannius qui , dans l'oraison funèbre de ce profes-
seur, a insisté tout particulièrement sur le dévouement de Goclenius à la
mission d'enseigner. Il est dans ce passage quelques données, mêlées il
est vrai à des exemples accumulés outre mesure et à des lieux communs,
mais si importantes pour la connaissance de la direction des classes au
siècle d'Erasme , que nous ne balançons pas à les analyser ici.
Nannius s'attache à prouver que Goclenius ne mérite pas moins de
louanges, quoiqu'il n'ait pas beaucoup écrit, et à l'aide de plusieurs com-
paraisons plus ou moins heureuses^, il veut soutenir que, « pour apprécier
à sa juste valeur l'érudition de quelqu'un , il faut considérer non pas tant
ce qu'il a écrit que ce qu'il aurait pu écrire. » Ce n'est point par paresse
ou par indifférence que Goclenius a privé la postérité du fruit de ses
veilles : on ne peut en accuser un homme qui a consacré sa vie tout
entière à l'enseignement de la jeunesse, et, par excès de travail, a abrégé
une destinée qui eût été longue peut-être. Nannius rapporte les propres
paroles qu'a proférées Goclenius sur son lit de souflVance, en témoignage
de l'abnégation qu'il avait portée dans ses études : » En qiiem finem Imbenl
nostra sludia ? Canescimus ante senectutem , morimur anle fata noslra : dum
publicae juventnti consutimiis , maie considimus vilae nostroe. Sed bene impensum
est, quiccjuid sludiosis impenditiir. En se croyant le droit de donner cette dé-
claration comme un des derniers signes de l'intelligence du mourant ,
Nannius proteste que Goclenius n'a pu encourir un reproche sérieux pour
avoir dépensé aux travaux continuels de l'enseignement les forces qu'il eût
pu employer à la composition de livres savants. Puis, il paye un tribut à
' Erasmi... verbumest, Conradi ingenium quodvis poluisse , sed maluisse ips}iiii se obesuliiiii
quam izo'k-jy fi-^av , esse. (Or. fun.).
^ Voici un spécimen de sa démonslration : Ingeiiii tandem tant ex paucis quam ex mullis spcc-
tari passe , nec ut cognoscas frumenlum , opus esse insiieclis omnibus granis; nec ut vinum probes ,
tolos endos deguslandos esse : nec ut viri pectus agnoscas multa voiumina ad id rcquiri : facile ex
nnguibus leo, facile ex solo vestigio grandilas Herculis inlelHgilur... Cum virtutem eruditionis
alicujus meliri velis , non lam considerandum est quid scripseril, quam quid scrihere potueril.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 149
la mémoire de Goclenius en énuméraiil tant d'écrivains de génie qui sont
morts à la fleur de l'âge, et en rappelant la mission féconde pour l'avenir
qu'il a remplie auprès de la jeunesse. Avant de finir, Nannius demande
comment honorer le nom de cet homme dévoué, et sa péroraison est
pleine d'une éloquence vraiment pathétique, qui repose sur l'élévation des
idées * : Quid nobis faciendum , quaeso , despicite. ^^on enim statuarum lionor
amplius in usu est, nec mérita sepulcris distingiiuntur , nec divinitas sive àmBé^aïc,
chrislianorum judiciis mortali (sic) assignaiitr , quibus beneficiis mortiii (jraliam
demcrebimur? Omnia prisca honorandi mimia praesens consuctudo abokvil; unum
qitiddam restât, sed quod restai, amptissimum est Reponamus hominem
divinum , in divinissima liominis parte , in mente scilicel nostra , ibi figaltir non
statua muta , sed idœa eloquens : concionelur in memoria nostra solita sua elo-
quenlia' : quicquid unquam dixit, scripsit, perpétua recordatione nobiscum retrac-
temus, Merentur hoc amplissimi viri dotes imiumerae, qiiem natura acutissimo
ingenio instruxit , fortuna prosperitate beavit , eruditissimi viri coluerunt , poten-
tissimi maximis miineribus exornarunt, quem sua mérita nobis venerabilem faciunt ,
libri ab oblivione vendicant, virtutes Deo superisque commendant. Dixi. »
3. Petuus Nannius [Pierre JSanninck).
(1SÔ9-1537.)
Le digne successeur de Goclenius, que nous venons de prendre comme
son principal biographe, a déjà trouvé des historiens diligents, qui ont
résumé sa vie, indiqué ses relations littéraires, et passé en revue ses écrits
fort nombreux, appartenant pour la plupart aux deux littératures grecque
et latine. Certes, l'enseignement et les travaux de Nannius méritent encore
des recherches approfondies après celles de Valère André, de Nicéron
et de Paquot ^^ mais s'il mérite d'obtenir un jour d'un humaniste une
' On verra, dans ces courts extraits, quelle grandeur et quel charme a pu atteindre l'orateur
latin toutes les fois qu'il a su échapper à la déclamation et au lieu commun.
2 La facilité d'improvisation qui, suivant Cicéron et Quintilien, atteste la puissance du génie
oratoire, rehaussa le talent de Goclenius, et on en avait conservé à Louvain un vif souvenir quand
J. Lœzius y faisait ses leçons sur Cicéron (pro Arcliia, édit. de 1560, fol. 41 ).
■> Exordia, pp. 50-55. DM. Belg., édit. 10^23 , pp. 069-67 1 ; édit. Foppens, pp. 994-996. — Ni-
céron , Mémoires, t. XXVIl , pp. 25-33. — Paquot, Mémoires, t. lll, pp. 123-128.
150 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
monographie littéraire complète, nous sommes forcé de nous borner ici
aux seules particularités qui intéressent l'histoire de la philologie an-
cienne.
Pierre Nanninck, nommé Pelrus Nannius dans le monde des lettres,
naquit en 1500 à Alkmaar, ville maritime du nord de la Hollande. Il vint
faire à Louvain son cours de philosophie, et prit ensuite dans sa patrie la
direction d'un collège pendant plusieurs années. Revenu vers 1555 à
Louvain, Nannius donna un enseignement privé à des jeunes gens nobles
dans le collège de Saint-Jérôme ^ et il se fit connaître par ses premières
traductions du grec en latin. Jugé, à l'unanimité, le plus digne de succéder
à Goclenius, il prit possession de la chaire de latin, au collège de Buslei-
den , le l'^'^ février 1539, par un discours sur l'art poétique d'Horace.
La carrière de Nannius, remplie par les devoirs de l'enseignement et
par la publication de nombreux travaux, fut trop tôt brisée : son tempé-
lament naturellement sain et vigoureux ne put résister aux fatigues de
l'étude: il avait professé dix-huit ans, quand, le 21 juillet 1557, il suc-
comba à une fièvre opiniâtre, âgé de cinquante-sept ans seulement. Cor-
nélius Valerius, qu'il avait désigné comme son successeur, prononça son
oraison funèbi'e , qui, selon toute apparence, ne fut pas imprimée. Une
épitaphe gravée sur marbre noir fut placée près de la sépulture de Nan-
nius, en face de l'autel de Saint-Pierre, dans la collégiale de Louvain ^,
aux frais d'un de ses élèves, Sigismond Frédéric Fugger, baron et seigneur
de Kirchberg et Viane, qui lui rendit cet hommage sur la recommanda-
lion de ses parents.
P. Nannius, qui avait reçu les ordres, fut pourvu d'un canonicat de la
< Ex coUegio divi Hieronymi ad Leidam. Dédicace à N. Olahus de sa déclamation sur les Turcs,
en 1536. — Le collège, situé près du quai de Leyde, a cessé d'exister depuis longtemps. (Paqnot.)
- L'inscription rappelait la mémoire de Nannius avec une simplicité pleine de grandeur; nous
n'en citerons que ces mots : Firo doclisshno [itéras hwnaniores in celeberrimo collegio Buslidiano
XVIII annos professa. Ils disent plus, en effet, que les vers élégiaques de l'ami de Nannius, le carme
.Vdrien Hecquet (voy. Exordia, pp. 52-S5) , et que le jeu d'esprit d'André Scliott, dans ses vers
lieslinés au portrait des Elogia de Miraeus : llaud Nainim vocilet, sed ô Giganlcm! Le texte de
l'inscription a été donné par Paquot avec plus de correction que par les polygraphes antérieurs,
tels que Fr. Sweertius, A. Miraeus et Foppens, sauf que la date de la mort de Nannius est lixée par
lîrreur au 21 juin 1557, au lieu du 21 ou du 51 juillet que donnent les autres auteurs.
DES TROIS -LANGUES A LOUVAIN. IM
cathédrale d'Arras ', par Antoine Perrenot de Granvelle, évêque de cette
ville: ce prélat, à qui Nannius dédia, le 22 août 1555, sa traduction
de saint Athanase, le gratifia d'une pension annuelle sur sa propre cas-
sette.
Nannius eut les relations les plus honorables avec des personnages dis-
tingués de nos provinces et de l'étranger, tels que Nicolas Èverard, pré-
sident du grand conseil de Malines, ainsi que les deux fils d'Éverard, Jean
et Nicolas, poètes célèbres, Paul Léopard, Corneille Musius, Nicolas
Olahus, conseiller du roi Ferdinand, Jacques Fieschi de Gênes, qui fut
plus tard évêque de Savone, etc. Quand, en 1542, il accompagna en Italie
ce dernier, qui avait été son élève à Louvain, il fut remplacé dans sa
charge par son ami Justus Velsius ou NVelseus ^, hollandais comme lui.
Nannius était doué d'un esprit poli et séduisant, souple et capable
d'initiative, rehaussé par une grande douceur et une grande gaieté de
caractère ^. Il était également habile dans les deux langues, et il avait
une connaissance profonde des auteurs sacrés et profanes. Il n'est pas
douteux que Nannius n'ait atteint un haut mérite dans le maniement du
latin, si même il n'est point parvenu à la perfection qu'on admirait dans
l'élocution de Goclenius. Adrien Junius, qui le met au-dessous de ce der-
nier '*, ne peut disconvenir qu'il ne se soit fait un nom mémorable par l'étude
de l'éloquence; il n'est pas improbable que les succès de Nannius n'aient
excité une jalousie que sa persévérance au travail n'a pu vaincre; mais
nous ne voyons pas bien en quoi il aurait été coupable, comme l'insinue
Junius, de s'être posé, même avec des forces inégales, le rival et l'imitateur
de son prédécesseur Goclenius. Comment ne pas ajouter foi au suffrage
de Juste Lipse, qui rapporte à P. Nannius le fort grand honneur d'avoir
' Par privilège académique, suivant la Bibliotheca Belgica de Foppens, p. 994.
2 Velsius proclamé docteur à Louvain en loil , professa plus tard, à Cologne, le grec et le latin.
{Foppem, p. 789.) Il lut au collège des Trois-Langues, en mars 1542, les Quaestiones acadevticae de
Cicéron, comme l'apprend une dédicace à J. Fieschi, mise en tête de l'édition de ce traité, sortie
des presses de Sassenus. Voy. Exordia, p. 51.
^ Voir les Exordia de Valère André, /. c, et les Elocjia de Miraeus. Ce dernier l'appelle vir
comis et hlandi iiujenii.
^ Dans un passage de sa Batavia (édit. 1652), cité textuellement par Paquet , 1. 111, p. 124, note.
XXVlfl. 21
1S2 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE
excité une généreuse ardeur pour les lettres dans Técole de Louvain '? Le
talent de Nannius s'est révélé dans les nombreuses traductions qu'il fit
du grec en latin, et c'est là une tâche qui était de la plus haute utilité à
son époque, comme nous l'établirons plus loin. C'est aussi cette tâche qui
lui a valu une longue célébrité, puisque ses versions ont été réimprimées
presque sans exception à Paris ou à Bâle, peu après les premières éditions
imprimées à Louvain. Le savant Iluet a parlé de lui en de bons termes
dans son traité de Inlerprclatione ~ : « Locum eliam suum in interpretilms tnctur
Petrus Nannius, fidiis scntenliarum explicator, à'j-c^uk ilhtd miré in se expressil.
En se tournant vers la littérature grecque, Nannius a payé largement
son tribut aux Pères de l'Église grecque, et il l'a fait avec un succès
marqué. S'il faut en croire Junius, il mourut quand il songeait à quitter
sa charge publique pour s'occuper uniquement de littérature sacrée, dans
les loisirs que la possession d'un canonicat lui avait créés. Au milieu de
ses travaux d'infatigable commentateur, Nannius n'avait pas non plus
perdu de vue les livres de l'Écriture sainte; on lui doit des scolies accom-
pagnant une édition de la Sagesse de Salomon ^, et une paraphrase du Can-
tiqne des cantiques qui réunit le sens allégorique au sens littéral, et qui est
accompagnée de scolies comparant les différentes versions *.
Puisqu'il ne peut entrer dans le plan de ce mémoire de produire une
complète énumération des œuvres d'un auteur aussi fécond, nous pré-
senterons seulement un tableau sommaire des écrits de Nannius, distri-
bués en quatre groupes, comme l'avait essayé Valère André dans son his-
toire du collège ^.
I. Une classe nombreuse d'ouvrages de Nannius est formée par ses
' Episl. sclecl. Miscell. centuria III , ep. 87 (édit. de 1605, p. 92) : ... Petro Nannio qui primus
hotieslum ibi igncm accenderat... »
* Au second livre intitulé : de claris interprelibus (édit. ait. Hagae Com., 1683), p. 23_l.
•' Sapientia Salom. Basileae, 1552, in-4". — Paqiiot, Bibliogr., n" 23.
■* In Canlica Canlicorum paraphrases et sclioliu. Lovanii, 13.^4, in-4°, pp. H I (Paquot, n^ST).
^' Cette classification, tentée dans, \es Exordia, p. 52-5-4, n'a point passé dans la Bibliolheca
betyica du niénie auteur, ni dans celle de Foppens. Paquot a décrit trente-neuf ouvrages deNannius,
mais sans autre ordre que Tordre chronologi(|ue des éditions; une bibliographie complète serait
fondée utilement sur les bulletins détachés, que comprend cette notice de Paquot.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. f"55
travaux de philologie, qui donnent une idée de sa manière de commenter
les auteurs : on y comprendrait, par exemple, dix livres de mélanges
[Miscellaneorum sive Iv^iilv.xtùv decas îina) où il relevait et corrigeait les fautes
restées dans le texte imprimé de plusieurs auteurs, et où il expliquait des
sentences et des passages obscurs ^ ; puis des annotations ou corrections
sur deux Veirines de Cicéron; des corrections sur le III™° livre de la T' dé-
cade de Tile-Live; un commentaire sur les Géorgiques de Virgile, un autre
sur les Bucoliques; des remarques détachées sur le IV""" livre de Y Enéide,
et un commentaire sur \Arl poétique d'Horace, qui vit le jour un demi-
siècle apiès la mort de Nannius, à la suite du texte de ce poêle ; commenté
par Laevinus Torrentius ^. Ensuite on ne peut oublier ce qu'a fait Nannius
pour la grammaire latine, en corrigeant le texte des trois livres de Rhé-
torique de Consultus Curius Fortunatianus ^, grammairien du 111""= siècle.
II. Les discours de Nannius forment une classe à part : c'est dans ces
pièces de circonstance, portant le nom à'oraliones ou de declamaliones , qu'il
avait le champ libre pour exposer ses idées, et c'est là aussi qu'il a donné
la mesure de sa latinité. Trois fois, dit-on, Nannius fut chargé de compli-
menter l'empereur Charles-Quint sur son heureuse arrivée dans le Bra-
bant '. En 1556, il répandit dans le public une déclamation sur la néces-
sité de faire la guerre aux Turcs"* : on sait que c'était le lieu commun
repris en ce siècle par tous les écrivains, Sadolet, Érasme, Vives, etc.
En 1545, il adressa à l'Université un discours sur le siège de Louvain
par Martin van Rossem, qui avait eu lieu l'année précédente. Nannius
restait bien mieux dans sa sphère, quand il discourait sur les avantages
de l'éloquence, de l'histoire et de l'agriculture ^, avant d'expliquer à ses
auditeurs VOratew de Cicéron, des morceaux de Tite-Live et les Géorgiques
' Lov., Serv. Sassen, 1548, pp. 3'21, in 8". — Réimp. au Thesmirus crit. de Gruter.
■' Antverp., 1608, gr. in-4", pp. 767-839.
■' Rhetoricorum lib. JJI casUyaliores redditi. Lovanii, Mart. Rotarius, 15S0, in-12. Paquot, ii°24.
■' On a publié ses discours prononcés en 1340 et en 1543. Voy. la Bibiiogr. de PaquoI, n°' 7 el 13.
■' De bello Tiircis inferendo. Lovan., IS56, in-16, 161 1 , J. Masius, in-4''; puis dans des recueils
de pièces semblables, tels que celui de Reusner (Paqiiot, n" 2).
<^ Oraiioïies très. Lovanii ex olficina Rutgeri Rescii. An. MDXLI. Men. Decenib., vol. petit
in-4°, 21 feuillets.— Paquot, n» G.
154 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE
de Virgile, ou quand il dissertait sur l'épisode de la descente aux enfers,
en expliquant le VI'"" livre de VEnéide ^
III. Sous le titre de Dialogismi on rangerait, parmi les écrits de Nan-
nius, ces discussions oratoires, quelquefois sous forme de monologues,
que les rhéteurs de son temps traitaient avec tant de complaisance. Ainsi ,
dans ses Diatogismi lieroinarum , il a présenté les réflexions morales, les
délibérations intérieures de cinq dames, parmi lesquelles la romaine Lu-
crèce flgure à côté de Susanne , de Judith et de sainte Agnès; il a traité,
sous une forme analogue, l'histoire de sainte Agathe et de sainte Lucie.
N'était-ce point là une des applications des préceptes que l'on donnait dans
les cours de rhétorique latine? N'était-ce pas le prélude de ces tragédies
latines choisies, un peu plus tard, dans l'histoire des martyrs et des pre-
miers chrétiens comme dans celle des héros de l'antiquité?
IV. Enfin une série considéi-able des travaux de Nannius consistait dans
la traduction d'ouvrages grecs en latin ; d'une part, ce sont les vies de
Gaton et de Phocion par Plularque (1540), le discours de Démosthène
Sur l'immuuitc contre Leptine { 15-42), des lettres de Démosthène et
d'Eschine (1557); d'autre part ^, quelques lettres de l'évèque Synésius
et d'Apollonius (154i), le traité d'Athénagore Sur la résurrection des
morts (1541); en grec et en latin ^•, l'homélie sur la Nativité, trois autres
homélies et trois épîtres de saint Basile le Grand (1558 et 1559), trois
homélies de saint Jean Ghrysostôme, et enfin presque toutes les œuvres
de saint Athanase , évéque d'Alexandrie (1556).
Il paraît juste d'attribuer un fort grand mérite à Nannius du chef de
ces essais de traduction, qui enrichissaient la littérature latine, organe
universel de l'érudition, des monuments grecs de l'antiquité profane et de
l'antiquité chrétienne. Gette œuvre lui permettait de mettre au jour toute
sa sagacité de philologue, et de faire valoir toutes les ressources de la
' C'était un discours allégorique contre le luxe , sous la forme d'un supplément à la fiction de
Virgile : Res inferae a poeta relirtae, etc. Il ne fut publié qu'en ttil 1, par Puteanus (Paquot, n° 37).
'^ Des notes de Nannius sur deux lettres célèbres de S\ninia(|ue et de saint Ambroise ont trouvé
place dans l'édition des œuvres de Prudence, publiée d'après dix MS. à Anvers en 1564. (Paquot,
n° 31.) Un de ces MS., portant le nom de Nannius. est conservé à Louvain (Bibi, MS. n° -234).
5 Ce premier texte grec servit beaucoup aux autres éditeurs d'Athénagore.
DES TROIS-LANGUES A LOLVÂlN. 155
phraséologie latine dont il était maître. N'importe si plus tard on a traduit
de nouveau les ouvrages qu'il avait fait passer, quelquefois le premier, du
grec en latin, et souvent même d'après des copies de manuscrits circu-
lant alors de main en main, son rôle a été celui de l'investigateur patient
qui doit ouvrir, à ses risques et périls, les trésors d'une science nouvelle :
l'empreinte de la main qui a osé toucher à ces trésors n'y reste pas mar-
quée dans la suite des temps, quand d'autres mains les ont produits dans
tout leur éclat. iMais l'histoire d'une école de philologie réclame la men-
tion de ces périlleuses tentatives; et, si on ne leur rend pas toujours une
pleine justice, celles de Nannius l'ont obtenue de son temps, et après lui,
jusque dans le XVII""' siècle.
Voici un exemple du mérite relatif de versions entreprises dans les
mêmes conditions que l'ont été celles de Nannius : Hermant a accusé ce
philologue d'avoir rendu saint Athanase obscur en plusieurs endroits, et
d'avoir fait tomber dans l'erreur plusieurs de ceux qui l'ont suivi, et il est
de fait que Montfaucon, dans sa belle édition de 1698, a retouché la
version de Nannius, au point d'en faire une œuvre nouvelle '. En décri-
vant le sort du grand travail de Nannius, accompli sur trois manuscrits
grecs remplis de fautes ^, Paquot ne nie pas les fautes que ce savant a
commises lui-même en devinant le sens d'un ancien auteur tel que saint
Athanase : toujours est-il que, pendant plus d'un siècle, la version latine
de Nannius fut reproduite, dans les éditions de ce Père, en France et en
Allemagne.
Mais qu'on ne croie pas toutefois que Nannius ait entrepris légèrement
la tà(;he de traduire d'une langue savante dans une autre : il a con-
signé dans une épître dédicatoire des reiiiarques fort curieuses sur les
difficultés d'une première traduction, et surtout sur celles que présente le
génie fort différent des auteurs ^. Nous citerons ailleurs un long passage
< Voy. Nicëron, Mémoires, t. XXXVII, pp. 'ÎT-SO.
* S. Athanasii.... opéra latine ex interprel. Pelri Nannii et aliorum. Basileaeex officina l'robe-
niana, 1556, IV volumes in -fol. La version des trois premiers volumes sortait de la plume de
Nannius. Voy. Paquot, Bibliogr., n" 28.
^ Dédicace à Nie. Olaluis, en lête du discours de Démosthène contre Leptine, dont la version
parut pour la première fois à Louvain, en i342, chez Barthélemi Gravius, in-4°, et fut réimprimée
156 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
de ce morceau de critique, qui se trouve perdu dans un opuscule très-rare,
quand nous traiterons de l'importance des versions parmi les travaux phi-
lologiques du premier siècle du collège '. Les hommes instruits reconnaî-
tront quelle est la justesse des réflexions de Nannius sur l'insuffisance
d'une langue, même aussi riche que le latin, pour rendre les tournures, les
locutions de la prose grecque, et surtout les expressions d'un sens si pro-
fond qu'une autre langue ne peut les traduire que par une périphrase; ils
verront qu'on ne peut critiquer avec une sévéï'ité ahsolue les travaux d'un
tel homme ^.
4. CouNEULS Valerius {Corneille Wouters).
(1537-1578.)
Ce savant, dont le nom vulgaire aurait été bien mieux traduit sous la
forme de Cornélius Wallheri ou Gualtheri, était né en 1512, à Oude
Water [Aquae Veteres), petite localité du comté de Hollande enclavée dans la
seigneurie d'Utrecht. Sa vie est bien connue ^, et nous n'en relèverons que les
traits principaux, pour passer à l'appréciation de ses leçons et de ses écrits.
Valerius fit ses études fort tard, à Ulrecht, dans le collège des Hiéro-
nymites, sous la direction de Georges Macropedius ou van Langhveldt, qui
était alors le chef de cet établissement : il rendit hommage dans la suite
à ce maître zélé, philologue, grammairien et poëte, dont plusieurs élèves
brillèrent dans le même siècle *. Valerius vint ensuite étudier à Louvain,
à Bâie, en 1542, in-12, avec la version du discours contre Androtion. Voy. Paquot, n" 13. Nous
la citerons d'après une réimpression de Paris, faite en loi2, chez ChrtHien Wechel.
' Voy. chapitre IX.
- Des travaux inédits de Nannius, discours, préfaces, observations philologiques, s'étaient
éclipsés avec la plupart des manuscrits du collège des Trois-Langues, avant la fin du dernier siècle.
Voy. les Exordia de V'alère André, pp. .34-55, et la notice de Paquot, t. III, p. 128.
^ Elle a été élaborée avec soin par Paquot, au tome II de ses Mémoires d'histoire lilléraire,
pp. 597-599, d'après les écrits de Valère André, Auberl le Mire, Foppens et Burmann.
* Macropedius avait enseigné à Bois-le-Duc et à Liège, avant de diriger l'école d'Utrecht. Voy. le
mémoire de MM. Stallaert et Vander Haghen Sur iiiistruclion publique cm moyen âge, pp. 98-99,
édit. in-8°. Dans la notice qu'il a consacrée à G. Macropedius (Mémoires, t. II, pp. 611-613),
Paquot cite ses livres de grammaire et ses pièces latines, intitulées Tragédies et Comédies, et
prises dans l'histoire sacrée.
DES TROIS-L ARGUES A LOUVAIN. 1S7
pendant six ans (1552-58), les langues grecque et latine, au collège de
Busleiden, où il eut pour maîtres Goclenius et llescius. Au bout de ce
terme, il se forma à l'enseignement de la rhétorique dans le collège même
d'Utrecht, où il avait reçu sa première instruction. Un peu plus tard
(1544), on le voit chargé à Louvain de l'éducation de quelques jeunes
gens nobles, qu'il accompagna en France jusqu'à Orléans (1547), et puis
reprendre pendant plusieurs années encore le même genre d'enseignement
privé.
Valeriiis était connu par ses leçons et par des ouvrages imprimés en
divers lieux, Utrecht, Louvain, Bâle, etc., quand, le 7 octobre 1557,
il fut appelé à succéder à Nannius dans la chaire de latin. Ce choix lui
fit d'autant plus d'honneur, qu'il eut alors plusieurs compétiteurs fort
instruits, entre autres Jean Boschius, médecin et humaniste, traducteur
du traité philosophique d'Ocellus Lucanus \
Valerius fut un professeur intelligent et dévoué : formé de bonne heure
à la pratique de l'enseignement, il eut la gloire solide de diriger dans
l'étude des lettres la fleur de la jeunesse belge, et il profita du privilège
laissé par Busleiden aux professeurs de son collège, de joindre aux leçons
publiques un enseignement particulier, consistant en leçons et en exer-
cices 2. L'action exercée par Valerius fut double : d'un côté, il fut le maître
et l'ami déjeunes gentilshommes ^ ducs, princes et comtes, qui devaient
conserver dans le monde l'ascendant d'une bonne éducation littéraire,
' Jean Bossclie, Bosciusou Boschius, était né à Looz, dans la principauté de Liège. Il avait t'ait
imprimer à Louvain, en ISoi, son édition du traité d'Ocellus Lucanus, avec une version latine,
De univerxi orhis nalura (ap. Peirum Colinaeum, in-t!2). Ce livre avait été traduit une première
fois par Guillaume Chrétien , médecin de François I". Paris, 1541 , in-12 (Fr. Schoell, Hist. de lu
littéral, grecque, t. Il, p. 312). Boschius consulta sans doute, outre l'édition du texte grec donnée à
Paris , en I S39, un manuscrit de l'ouvrage conservé à Louvain, et cité parmi ses sources par Jérôme
Comelinus, dans l'édition de Heidelberg, 1596. Voy. l'avant-propos de Balteux à la trad. franc, du
traité d'Ocellus, p. U. — On verra au chapitre X Boschius appelé, en d558, à Ingoldstadt, pour
l'enseignement de l'art oratoire.
- Exordia, p. 56 : Bis privatus adjecit adolescentum instituliones ac studiorum commenta-
tiones, etc.— Voy. Paquot, t. II, p. 997.
5 En 1560, il dédia son ouvrage de grammaire aux jeunes seigneurs de Melun, et la même
année, il fit l'éloge funèbre de l'un des jeunes frères de ce nom , Jacques, mort à la fleur de i'àge.
Voy. la Bibliogr. de la notice de Paquot , n°' 4 et 5.
138 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE
et, d'un aiilre côté, il forma la plupart des critiques, des littérateurs et
des humanistes, qui soutinrent hautement dans les dernières années du
XV1""= siècle la réputation de la Belgique savante, A. Schott, Juste Lipse,
G. Canterus et tant d'autres. Toute une génération d'écrivains et d'érudits
a été assise sur les bancs de la même école, et Juste Lipse, qui a rappelé
avec complaisance ses condisciples, n'a pas oublié le maître ', Yalerius,
qu'il appelle « notre guide à tous, et en quelque sorte le chef du chœur »
{dnclore omnitim noslnhn Cornclio Valcrio et (juasi cliorcujo). Sans contredire
absolument le jugement que Juste Lipse tire d'un parallèle avec Nannius,
comme si Valerius avait été l'égal de celui-ci par le zèle, mais inférieur à
lui en intelligence [studio non impar, ingenio inferior), on peut donner un
rang très-élevé à Cornélius Valerius parmi les humanistes qui ont éclairé
les provinces belgiques dans ce siècle de grandeur intellectuelle.
L'enseignement de Valerius était méthodique et raisonné, et il avait
pour but de développer à la fois le jugement et le goût; il était basé sur
une lecture bien dirigée de Cicéron et de Virgile, qu'il faisait considérer
tour à tour comme des modèles achevés dans l'art d'écrire 2, et il dissertait
sur le fond des œuvres qu'il expliquait avec un admirable discernement.
Plusieurs fois il a livré à d'autres humanistes le fruit de ses observations
sur d'anciens auteurs, et s'est associé à leurs travaux; ainsi ses remar-
ques sur Lucrèce ont-elles passé dans l'édition que Obert Giphanius donna
de ce poëte, en 1566, chez Plantin, à Anvers ^; ainsi a-t-il plus tard joint
ses notes sur le traité des Devoirs de Cicéron à celles de G. Canterus, un
de ses disciples chéris, et à celles de Jean Caucius ou Cauchius, philo-
logue distingué du même pays *.
Valerius appuyait les conseils et les préceptes qu'il dispensait dans ses
' Epist. selcct., ccntur. 111. Miscell., ep. 87 ( Anlv., exoff. Plant., 1605, p. 9-2 ).
- Solebat.... mine oratorem, nunc poelam in manus sumere, ac publiée in frequenlissimo audi-
lorum eonsessu praelegere , ulrumque suo in tjenere principem, Tallium ac Maronem. — Exordiii .
]). 06. — Sur l'enseignement oral de Valerius, lire S. Pétri de Script. Frisiae , dec. XII.
^ Observationes in T. Lucrelium Carum. Voy. Paquot, n" 7.
' Animadversiones in officia Ciceronis. Antverp., I5G8 et 1576. — Jean Cauchius ou Van Cuyck
avait exercé sa critique avec succès sur les œuvres de saint Paulin et de Prudence, ainsi que sur
le traité de Varron de Lingua Mina; il mourut en 1566. Voy. Mémoires de Paquot, t. III , p. 394 .
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 159
leçons de littérature latine par des écrits spéciaux sur plusieurs des
sciences cultivées par ses auditeurs, la grammaire, la syntaxe, la rhéto-
rique et même la philosophie. Il montrait ainsi d'une manière pratique le
rapport des études littéraires avec toutes les autres, et il faisait servir la
lucidité d'exposition qu'il avait acquise en latin à la vulgarisation des
notions essentielles de chaque science. Auteur d'une sorte d'encyclopédie
philosophique que nous décrirons brièvement à l'instant, Valerius était
lui-même un écrivain très-habile, et pourquoi ne pas croire André Schott
sur ce point '? « Le successeur de Nannius, disait-il, a marché sur ses
traces, et l'on ne se figurait point qu'il fût possible de s'exprimer avec plus
de pureté et de correction que lui. » Son talent de latiniste était égal, qu'il
écrivît des vers ou de la prose ^; il reposait sur une connaissance appro-
fondie du génie de la langue.
Déjà en 1640 Valerius avait été chargé d'une relation de la réception
solennelle de Charles V à Utrecht, et, en 15i6, il avait complimenté le
même prince sur son arrivée en compagnie des chevaliers de la Toison
d'or : c'était l'œuvre du poëte autant que de l'orateur ^. On eut encore
recours à l'éloquence de Valerius, quand l'Université célébra, en 1559,
un service funèbre à la mémoire de l'empereur Charles-Quint : le discours
officiel prononcé par ce professeur nomine Universilatis s'est conservé dans
un ouvrage d'histoire du siècle suivant *.
Après vingt et une années de professorat, Cornélius Valerius, qui avait
toujours été d'une complexion faible et qui avait souffert longtemps des
douleurs de la goutte, mourut à Louvain, le 11 août 1578, à l'âge de
66 ans : il avait conservé jusqu'à la fin des sentiments conformes à la
dignité sacerdotale dont il était revêtu. A cause des calamités publiques,
' Lettre à Plantin, 1581 (édit. de Poraponiiis Mêla) : Huic Corn. Valerius succenturiatus ita
fideliler provinciam :<iibivit, niliil ut aul purins mit tei'sius dici, qumn ah illo , posse viderelur.
- (l'est ce qu'a dit Juniusdans sa Batavia, en ces ternies : Utrique paijinae factum ingenium ,
in utroque dicendi génère paene par.
' Ces pièces, qui sont mêlées d'inscriptions et de vers héroïques , font partie du recueil de poésies
publié à Anvers, en 1566, par Adrien Schorelius ou Vanschoreel. Voy. Paquot , notice sur C. Va-
lerius, n" I , et sa notice sur Schorelius, au tome ]\\ des Mémoires , p. 257.
•* Nie. Vernulaei Epitome /(isforiarum. (Lovanii, 1654, in-4"). Vov. Paquot, n" 12.
Tome XXVIII. 22
160 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE
sa tombe resta trente ans environ sansépitaphe clans l'intérieur de la col-
légiale de S'-Pierre; enfin, en 1010, un prévôt de cette église, Georges
d'Autriche, chancelier de l'Université, qui avait été élève de Valerius, fit
dresser à la mémoire de celui-ci une magniflque épitaphe d'une rédaction
qui vise trop à l'esprit ^. Ils valent bien mieux, les quelques vers inscrits
au bas du portrait de Valerius, dans les Elogia belyica d'Aubert Le Mire;
ils glorifient le maître en ses élèves :
o'
Quisquis es, et magni nescis décora alla Valerl ,
Adspice magnorum tiomina clara virùm.
Lipsius hune coluit, Schotlus, Canterus, et omnis
Belgica Nobililas est venerata ducem.
Personne n'a mieux loué le caractère, de Valerius, son amour de la
science, ses qualités d'écrivain et de critique que Valère André, dans un
passage de son histoire du collège, que nos polygraphes ont eu le tort de
ne pas reproduire ^ : Fuit Vaterio robur supra modulum corporis non ila pro-
ceri firmum , corporis vires ingemiae, valetudo mediocris, animus forlis, lùlaris,
liumanus , pietati dedilus, lacessentibus alios et oblreciantibus mulevolens, clemen-
tibus favens , ipse milis et induUjentior quam severior, bene cupiens omnibus, incre-
dibili discendi studio jhgrans, sed ab omni sopliistica prorsus abhorrens. Familiare
un, purum, candidum, et minime veteratorium dicendi genus : diclionem anli-
quariam, obsoletam, liorridam atque incidlam, lanquam scopulum, fugiendam suo
docuit exempLo.
Plusieurs des écrits de Corneille Valerius, discours, leçons d'ouver-
ture, préfaces, se sont perdus dans la suite des temps, malgré le désir que
V. André a exprimé de les voir publier un jour ^ : de ce nombre était
l'oraison funèbre de Nannius, son prédécesseur. Mais, à part les observa-
lions philologiques sur Lucrèce et Cicéron, dont nous avons dit un mot
I Paquot, qui rapporte cette inscription, p. 397, ne se trompe pas, nous le pensons, en la
croyant de la façon d'Erycius Puteanus. L'inscription se lit aussi dans les Exordia. p. 37, et dans
Foppens, p. "2^"!.
•^ Exordia ac progressas , p. 56. La rareté de cet opuscule nous a déterminé à insérer ici le pas-
sage lalin en entier.
^ Voy. Exordia, p. 39. Paquot, t. Il, p. 599.
DES TROIS-LÂNGUES A LOUVAIN. 161
plus haut, il nous est resté une série de travaux de Valerius, qui sont
dignes de toute attention. Ce sont des traités réimprimés plusieurs fois ',
parce qu'ils formaient un cours de sciences dont on avait apprécié la va-
leur pratique : ils présentent, en effet, une encyclopédie complète des arts
libéraux, et ils supposent chez leur auteur une connaissance fort exacte
de plusieurs sciences, mise en œuvre avec la plus grande lucidité d'ex-
pression. Ces traités mériteraient un examen spécial au point de vue his-
torique, puisqu'on y trouverait l'exposition de chaque science d'après les
principes qui dominaient dans son enseignement au milieu du XVI""^ siècle,
et ils n'offriraient pas moins d'intérêt à quiconque y chercherait la mé-
thode de leur auteur et la puissance de vulgarisation dont il a été doué.
C'est assez dire quelle est leur importance pour l'histoire des sciences
philosophiques et de plusieurs sciences positives qui étaient à la même
époque l'objet d'un enseignement régulier dans les écoles de Louvain ^ :
il n'est pas douteux que C. Valerius ne les ait traitées dans le même esprit.
La grammaire, la rhétorique, la dialectique, la philosophie morale,
la physique et l'astronomie sont les matières d'autant de traités qui , pu-
bliés d'abord à part, composent un ensemble de manuels lucides et com-
plets. Elles ont dû être cultivées par Valerius avec beaucoup de précision,
avant qu'il mît la main à ces traités qui en résument la théorie et les
préceptes. On sait, du reste, que, même dans ses leçons, il mêlait des
observations philosophiques et morales à l'explication des auteurs ^, et
donnait ainsi à la philologie une direction tout à fait sérieuse, fort éloi-
gnée de la légèreté ou du sophisme. Dans la grammaire, Valerius avait
' Voy. les bulletins bibliographiques de Paquot sur chacun de ces traités, imprimés la plupail
chez Plantin, et sur les abrégés que d'autres mains en ont faits quelquefois pour le besoin des classes.
- il appartiendrait à des philosophes bien plus qu'à des humanistes de décrire et d'.inalyser, à
ce titre, la plupart des publications de Valerius, que nous signalons ici.
' Cette remarque de Valère André a passé de sa Bibliolheca Belgica, édit. i6'23, p. 222, dans
celle de Foppens, pp. 220-221 : Iii docemlo ea vtebalitr melhodo, quam omnibus bonas liUeras
profitentibus inculcatam volebut, ut Pliilosophiam insocietaiem rocarent , Dialecticam, dico , Pliysi-
cam, eamque quae de moribus est : contra alqueputidi quidem magistelli, qui bonas Hlteras barbaro
H imjnn-o, ne dicam snphiftico ore profanant. Descripsit vero nitide ac lersc totnm arlium enry-
clopaediuni. — Il parait que Valerius avait expliqué ses tables de dialectique dans des conférences
spéciales suivies par des savants. Voy. Paquot, ibid., n" 3.
162 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE
dégagé la mélliode d'une infinité de minuties et d'inutilités; il avait traité
la physique d'après les idées de son temps , mais en la débarrassant de
beaucoup de subtilités, et dans son Éthique, il avait analysé les préceptes
de morale des anciens philosophes pour en faciliter l'intelligence.
Le mérite de ce cours de hautes études avait frappé André Schott, qui
l'a donné comme une œuvre unique en son genre, exécutée avec soin et
répandue partout pour la plus grande utilité de la jeunesse; il dit en par-
lant de Valerius, à la suite du passage cité précédemment^ : DiscipHnannn
citm orbem, qiiem Graeci syw/lor.atâslo'y vacant, latinis literis cotiscripsit : quo nihil
sane in eo génère liactemis prodiit acctiraliits , nec alitai puerorum manibus leritur,
apud omnes fere nation es , aut freqiœnlim , aut utiliiis. Cette assertion ne souffre
point de doute, en présence des éditions de ces divers traités données en
Belgique, à Louvain et à Anvers, et des réimpressions qui en furent faites
à Bàle, à Francfort et en d'autres villes d'Allemagne, à Leyde, à Venise, etc.
C. Valerius n'avait pas toutefois perdu de vue les obligations que lui
imposait le titre de sa chaire; à la veille des troubles au milieu desquels
il est mort, il avait préparé des études complètes sur la grammaire latine,
qui furent imprimées avec élégance par les presses de Plantin, comme
l'avaient été plusieurs autres de ses écrits; c'est ce qu'annonçait A. Schott
dans la même lettre au célèbre imprimeur d'Anvers : Jam commeniarios lin-
guae latinae in manibus habebat affectas, et inibi ut abs le, qui reliqua elegantiss.
typis saepenumero beasti, excuderentur.
5. GuiLiELMUS IIuYSMANNUs {GuUlaume Hmjsmans).
(Ann. 1580 et suiv.)
Guillaume, fils de Henri Huysmans ou Huysman, était né vers le milieu
du XVI""* siècle, à Lierre, ville du marquisat d'Anvers 2; mais il se donna
quelquefois le surnom à' Antverpiensis. On le voit fréquenter, après ses
études, les cours de l'Université de Douai et prendre en cette ville le grade
' Lettre à Plantin, écrite de Tolède, en 1381.
2 Voy. la notice de Paquet {Mémoires, t. III, p. C08) tirée surtout des écrits de Valère André et
de Foppens (Exordia, p. o9; Fasti . p. 89; Bibl. Belg., p. 408). Voy. aussi Vernulaeus, Acad.Lovan.,
edit. ait., pp. 74 et 73.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 163
de licencié es droits. Puis, il fait un séjour de six années en Italie, et
c'est quand il s'y est fait estimer par sa profonde connaissance des langues
anciennes, qu'il est appelé, en 158G, à Louvain par les proviseurs du
collège de Busleiden, pour y remplir la chaire de lalin restée vacante par la
mort de Cornélius Valerius (1 1 août 1578). Tout porte à croire que Huys-
mannus occupa cette chaire pendant plusieurs années : en effet, il prend
encore le titre de professeur public de langue latine {in collegio Biislkliano
Trilingui) dans une dédicace datée de Louvain, le 16 juin 1589, et mise
en tête de sa version latine de lettres italiennes écrites de la mission des
Indes en 1585 et 158C ^; cette traduction, qu'on a jugée bien écrite, est
le seul travail littéraire connu que Huysmannus ait laissé : cependant il ne
manque pas de témoignages sur les qualités précieuses de sa latinité -,
et sur les heureuses dispositions qu'il apportait à l'exercice de ses fonc-
tions ^. Le succès ne répondit pas aux efforts de Guillaume Huysmans :
voyant que les événements l'empêcheraient de rendre cà l'étude du lalin
son ancien éclat *, et de donner libre cours à son zèle, il se décida à quitter
Louvain, et se relira dans la principauté de Liège, à Dinant, où il devint
directeur de l'école latine. Plus tard, il passa en Italie, et se lia d'amitié
avec Erycius Puteanus , qui y enseignait la rhétorique. Le reste de ses
jours s'écoula en Italie, où il mourut en 1615.
C'est grâce à deux pièces publiées il y a quelques années d'après les
autographes^, que l'on sait un peu mieux comment la carrière de G. Huys-
mannus fut partagée, et à quel point elle fut remplie par l'étude. La leçon
' Narraliones rerum Indicarum . ex litteris Patrum socielatis Jesu desumptue.etc. Lovan. J. Ma-
sius, 1589, in-12, pp. 141. Voy. dans l'aquot le contenu de ce volume.
2 Exordia, p. 59 : Fuit Huysmanno sermo facilis et aeqttaliter fluens, non anxie , non morose
diligens, concinnus lumen , purics ac nuinerosus.
3 Jean Bernartius, qui l'a loué pour la droiture de son caractère, déclare qu'on ne le fréquen-
tait pas sans apprendre de lui beaucoup {de utilitale legendae historiae, lib. I).
^ La retraite de Huysmannus n'a pu être antérieure à l'an 1589 : peut-être après cette date, les
auditeurs lui firent défaut pour les raisons indiquées précédemment (chapitre IV) dans l'histoire
de l'administration du collège. Mais il n'est pas prouvé jusqu'ici, que le séjour de Huysmannus dans
la maison ait été de onze ans, comme l'avance Paquot.
5 V. notre notice intitulée : Relalions de Sii/jfridus Pétri et d'autres savants du XYI"' siècle, etc. ,
dans YAtmuaire de l'itniv. de Louvain, 18-48, pp. 220-224 (tir. 5 part, pp. 58-62).
164 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
lie latin était restée vacante environ huit ans ^, quand on songea à y
pourvoir, en 1586, dans les premiers moments de la sécurité rendue au
pays après la capitulation d'Anvers. Tandis que les proviseurs du collège
cherchaient un humaniste qui fît cette leçon avec honneur, deux person-
nages haut placés intervinrent en faveur de Guillaume Iluysniannus, et
firent valoir avec succès la bonne renommée qu'il avait apportée de l'Italie.
L'un d'eux , Christophe d'Assonleville, membre du grand conseil auprès
du gouvernement des Pays-Bas espagnols, a résumé les titres de Guillaume
Huysmannus, déjà fort nombreux à cette époque, dans une lettre adressée
au recteur de l'Université, en date de la fin de décembre 1585 ^. Le jeune
candidat s'était appliqué surtout à l'étude des belles- lettres , non-seule-
ment à Douai , mais encore en Italie pendant un terme de six années : il
avait dirigé des jeunes gens de la noblesse dans l'étude de l'éloquence,
et il avait enseigné publiquement la littérature latine dans le palais de l'il-
lustre cardinal Charles Borromée ^ qui, à Milan comme à Rome, avait
voulu former sous ses yeux une académie des hautes études. De plus,
il avait augmenté beaucoup sa réputation en donnant une éducation dis-
tinguée au petit- fils du vice-roi de Sicile. Le texte de cette lettre de
Christophe d'Assonleville nous paraît digne d'être reproduit, parce qu'il
indique avec précision tous les points de la biographie toute littéraire de
son protégé, et qu'il fait sentir la nécessité de ne pas rendre plus longue
la vacature de la leçon de latin *.
' Valère Xndré {Fasti, p. 280) dit que Huysmannus a remplacé Valerius à un long inlervalle de
temps, et Vernulaeus {Acad. Lovan., p. 74) parle de la crise assez longue qui suivit la mort de
Valerius : PosI hune saevientilms bellis civilibns nmltos amws jacuil vehit in sqnulore CoUegiwn.
- Si cette lettre ne porte point d'année et n'a d'autre date que le 4 des calendes de janvier, on
la fixerait le mieux au 29 décembre ISSb, en rapport avec la date de la seconde lettre citée ci-
après, le 2 janvier I5S6.
' Voy. la Biographie universelle, t. V, pp. 197-198, et la vie de saint Charles Borromée, par
Alexandre Martin , chapitre II.
' Magnifice D. Reclor. Innoluil nobis in Abna Vcstra Uiiiversitcite, cujiis M. V. D. clavum
tenet, déesse laliiuie Lingnae profcssorcm in coltegio Trinm Lvnguarum , quod curn Uiiiversitali
ipsi, singulnri l)ci bénéficia jani pedHenlim recrescenli , dcdecori, el sludiosae juventnti non parvo
sit delrimento : hinc est quod nos ejus cominodis qua possunms solerlia considère ciipientes, hnnes-
lum eiprobatae vitae ac conditionis virwn Gulicimum Hmjsmannum J. U. Licenlialum, quo maxime
fieri potest fervore vobis commendutum cupinms, eoque magis quod humaniorum litlerarum studio
DES TROIS-LANGUES A LOLVAIIN. 465
Huysmannus trouva bientôt après une occasion de témoigner sa recon-
naissance au conseiller d'Assonleville; il lui adressa une épître latine de
félicitations sur les brillants débuis de son fils Guillaume, qui étudiait le
droit à Louvain, et qui s'était distingué devant les bauts dignitaires de
l'Université dans une discussion solennelle, qu'il avait soutenue au collège
du Lis sur des questions de politique et de droite
A la recommandation pressante de l'bomme d'État, s'était jointe autre-
fois en faveur de Huysmannus la recommandation non moins expresse
d'un prélat italien qui séjournait en Belgique pour l'arrangement d'af-
faires religieuses, en qualité de nonce apostolique, J. Fr. Bonomi, évêque
de Verceil^. Ce prélat, qui avait connu Huysmannus en Italie, et qui savait
en quelle estime on l'avait tenu à Milan, le présenta à l'Université comme
un homme savant, pieux et honnête, digne d'occuper la chaire « dite
d'humanités. » On trouve dans cette seconde lettre au recteur de Louvain
praecipne semper incuhuerU , operamqiie siiam illtistribus adolescentibus in oratoria facultalc insti-
tueiidis, Itou Duaci laiitnm, sed per inte(jrum quoque sexteimium, in Italia impenderit. Nam et in
Aula III"" et Rev'"' D. Cardinalis Borrlwmaei liUcras lalinas publiée doeuit, et deinde Proregis Siei-
liae ejc filia nepolem , non sine magrio nominis , in exteris regionibus, ineremento , liberalibus artibus
erudivit, ut e publico lillerarum testinmiio qiias legcndas nobis exhibuil conslat. Qua propter udhi-
bita in consilium r'atione , commendalione nostra non indigmim judicavimus , nihil plane addnbi-
lantes qnin vos eliam itbi viruni audierilis nobis silis assensiu'i. Scio testimonio nostro plurimum
vos semper tribuisse; facile obsecro, lU in hoc vivo commendalionem nostram maximum pondus
habuisse re ipsa intelliganius. Vale. Bruxellae, A. Cal. Januarii. V. M. D.
Sumus fidus amicus et servilor,
C. d'Assonleville.
' Declamatio habita Lovanii in Seholis Artium, XVI Decemb. MDLXXXVFIl, per nob. ac erud.
Adol. Guilielmum ab .^ssonlemlle, etc. Anlverpiae, Plantin, lo89, in-12. L'épUre de G. Huysmannus
est datée du collège des Truis-Langues, le U des calendes de janvier 1588. La dédicace du jeune
d'Assonleville à son père nous apprend qu'on avait repris dans les collèges de la Faculté des Arts,
en 1SS7 , la discussion des Quacstioncs quodlibeticue interrompue par les tioublcs.
- J.-F. Bonomi avait été sacré évoque de Verceil par saint Charles de Borroniée, à qui l'unissait
une sincère ad'ection. 11 ne montra pas moins d'habileté dans la mission qu'il remplit dans nos
provinces que dans celles dont il avait été chargé précédemment en Allemagne; il mourut à Liège,
en 1387. iionomi était lui-même homme de goût et auteur de poésies latines. Voy. la notice de
Becdelièvre (Biographie liégeoise, t. I, pp. 273-275), reproduction presque littérale de celle de
Ginguené (Biogr. univ., t. V, pp. 159-140).
166 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
la confirmation des éloges qui valurent à lluysmannus une prompte nomi-
nation '.
6. JusTLS LiPsiLs (Juste Lipsc).
Ne forçoDs point notre (aient;
Nous ne ferions rien avec grâce-
C'est bien le plus célèbre des savants et des humanistes dont le nom
se rattache au collège des Trois-Langues , si l'on en excepte Érasme , qui
après en avoir été le second fondateur, en fut le premier des maîtres par
ses conseils. Nous devrions à Juste Lipse bien plus qu'une mention fort
honorable dans cette série de biographies, s'il avait soutenu l'établissement
de Busleiden d'une manière active, par sa direction ou par ses leçons. Il
n'en fut point ainsi : Lipse jouit d'une pension prise sur les revenus de la
fondation de Busleiden à titre de professeur de latin; mais le collège, fermé
à la suite des troubles, ne fut pas rouvert en temps opportun pour que ce
savant ait pu paraître dans une de ses chaires.
Plus d'une fois déjà on a écrit la vie du savant écrivain qui a été un
des oracles de l'érudition à la fin du grand siècle de la Renaissance; aux
éloges pompeux de Miraîus ont succédé les sévères notices des diction-
naires historiques; bientôt on n'a plus demandé sa vie à d'autres sources
qu'à sa correspondance même et à celle de ses amis , étalées dans le Sylloge
de P. Burmann et dans d'autres recueils d'épistolographie savante. De notre
temps, M. de Reifïenberg a rassemblé les matériaux d'une monographie
' Mag' ac R''' D'", umice plurimum dilecte et hon'''. Gidielmo Huysmanno Lirensi , Jitris ittrius-
que Licentiato, lilerarumque liumaniorum item non mediocriter perilo , utor familiarissime gra-
viumque virormn gui ex Italia, ubi is aliquot annos laudahiliter et honoripcevixit , ad me diligcnler
de illo pcrscripserunt, testimonio adductus , illum in palrocimum meiiiii suscepi : quamobrem com-
mittere non possum, quin Mag'"" Tuae euni Gidielmutn, hominem doctum, pium, probumque de
meliore nota commendem, ut in humaniorum Hlerurum professnrem in ista Academia assumatitr ;
quod eo libcnlius fucio, qund etiam catliedrcun istaiii , quani Iiuiiimiitalis l'ocant, vacare nunc intcl-
ligam, et illum ad istud munus recte obeundmn idoneum esse tion dubitem. Hoc illi charitalis offi-
ciiim si Mag"" Tua praestiterit, ego non vulguri me ah ipsa benefîcio cumulatum exislimabo , omni-
bus se. officiis, occasione oblulu , compensando. — Toruuci, 1111°. No7i. Januarii M. D. LXXXVl.
— Mag''"' Tuae. Sludiosissimus ntque ad officia paratissimus . J. Fr. Ep. Vercellen. Nunc.que
Apt"-.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 167
sur la vie et sur les écrits de Juste Lipse ^ plutôt qu'il n'a jugé l'une et
critiqué les autres; après son travail tout analytique et à la suite des
esquisses quelquefois brillantes tracées par M. Ch. Nisard en vue d'un
parallèle ^, la place est encore ouverte dans les annales des lettres à qui
dira un jour ce que fut Juste Lipse, et ce que vaut sa prodigieuse renom-
mée. Quant à nous, dans ce chapitre, nous n'aurons en vue que de signaler
en général l'action que ce grand écrivain a exercée sur la culture des
lettres à Louvain et dans les provinces belgiques.
Né à Issche, près de Bruxelles, en 1547, Juste Lipse accomplit ses
cours d'humanités d'abord au collège d'Ath, qu'il appelle Z)ia<n6« piicritiae
suae ^, puis à Cologne, où il apprit déjà les éléments de la philosophie;
quand il se rendit à Louvain, à l'âge de 16 ans, en 1563, sa vocation
scientifique était décidée : il s'appliqua avec ardeur aux lettres et à l'his-
toire de l'antiquité; il trouva en cette carrière de dignes émules dans
André Schott, M. Del Rio , J. Lernutius , Victor Giselinus et bien d'autres ,
qui s'étaient mis comme lui sous la direction de C. Valerius au collège
des Trois-Langues. Cédant à une opinion dominante de son temps, et vou-
lant d'ailleurs interpréter l'antiquité latine à l'aide des lois romaines, il
fit à Louvain un cours de droit avant d'entreprendre de longs voyages à
l'étranger. Cette exploration scientifique de plusieurs pays, l'Allemagne,
l'Italie, la France, lui valut de bonne heure la sympathie des hommes de
lettres et une renommée extraordinaire. Cependant, comme pour prendre
rang parmi les jurisconsultes. Juste Lipse vint résider de nouveau à Lou-
vain, vers 1576, et peu après il y interpréta publiquement les Leges regiae
et decemvirales *. C'est seulement à son retour de Leyde, où il travailla et
' De Justi Lipsii vita et scriplis. Bruxellis, de Mat, 1823, in-^" (Mém. cour., t. 111, an. 1821).
"^ Le triumvirat littéraire au XVI"" siècle. Juste Lipse, Joseph Scaliger et Isaac Casaubon.
Paris, t8S2, vol. in-S".
•' Epist. cenluria I, ad BeUjax. Epist. 90. — Plusieurs théologiens et savants avaient fait la
réputation de cette ville et de son collège : on lit dans la Bibliotheca Belg., de Valère André [{'" édi-
tion, 1623, p. 41) : Athum Mercurii Musarumque emporium et lilterarum ac litteratorum allrix.
Erudiit Latomum, Lensaeum, Beverum, Lipsium , Bochium , Bajos , aliosque.
'' Selon de Reiffenberg, Cinq. Mémoire, p. 6, Juste Lipse aurait expliqué en même temps le
1" livre de Tite-Live, dont il a donné ensuite une édition. Voy. les Exordia, pp. 60-63.
Tome XXVIII. 25
168 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
enseigna pendant treize ans environ (1579-1591), qu'il Gt part à son pays,
par des leçons comme par des livres, de son prodigieux savoir en histoire
et en antiquités.
C'est en 1592 que Juste Lipse fut appelé à Louvain par les États de
Brabant, dont les propositions l'emportèrent à ses yeux sur celles de puis-
sants princes, désireux d'associer sa gloire à celle de leur règne. 11 n'avait
tergiversé que trop longtemps j il donna cette fois décidément la préfé-
rence à son pays ^ La chaire que les Etats conférèrent à Juste Lipse était
la chaire d'histoire ancienne, qu'un jeune savant, Jean Stadius, avait
occupée le premier (semble-t-il) et avec distinction ^. L'histoire romaine
faisait le fond de cet enseignement : les historiens, et en général les écri-
vains latins, en fournissaient pour ainsi dire le programme. Juste Lipse
suivit cette tradition et demanda aux sources mêmes l'intelligence des faits
et des idées de la société romaine ; à une époque aussi rapprochée de celle
des troubles, il réunit autour de lui un auditoire considérable. C'était
l'orateur, le philosophe, le publiciste que les gens du monde se plaisaient
à entendre et à admirer dans le professeur d'histoire : les traités de
Sénèque, on le sait, lui fournirent un thème abondant d'études politiques
et de réflexions morales. Puis, le titre d'historiographe du roi donnait
pour la première fois un haut relief à la chaire d'histoire, qui deviendra
après Juste Lipse une des plus recherchées d'entre les chaires de l'Université.
Accueilli avec faveur par tous les corps de l'Académie brabançonne.
Juste Lipse fut gratifié d'un supplément de traitement par les administra-
teurs de la fondation de Busleiden, comme si la leçon de latin lui eût été
dévolue; mais il est très-probable qu'il ne fit des leçons d'aucune espèce
dans l'intérieur du collège des Trois-Langues, qui resta désorganisé jus-
' Juste Lipse se rendit à Louvain, dès 159:2 , mais il ne reçut droit de bourgeoisie en cette ville
que le 7 janvier 1600 (ex actis lubicis. — Paquot, Fasli Acad. Lovan., 1. 1, p. 488).
- Jean Stadius, né en 1327 à Loenhout, sur le territoire d'Anvers, élabora comme spécimen de
ses leçons un commentaire sur L. Florus (Val. André, Fasti, p. 280), imprimé seulement en 1.584
chez Plantin. S étant fait un nom au dehors dans la culture des sciences, il se rendit à Paris,
sur les instances du roi Henri III, pour y professer publiquement l'histoire et les mathématiques
(voy. Foppens, t. Il, pp. 7ô4-73o). Il y mourut le 17 juin 1379. Joseph Scaliger et les savants de
l'époque l'eurent en grande estime. Voy. Goujel, Hisl. du coll. royal de France, t. Il, pp. 97-98,
117-126.
DES TROIS-LAINGUES A LOUVAIN. 169
qu'en 1606, l'année même de sa mort '. S'il eût vécu plus longtemps,
Juste Lipse eût contribué vraisemblablement à la réouverture de cette
institution, et il y eût pris pour sa part l'enseignement de la langue latine;
c'est par suite de cette présomption, comme en raison des honoraires qu'il
avait touchés, qu'il était compté dans le siècle suivant parmi les profes-
seurs du collège de Busleiden^, Du moins, on peut le croire, il fut donné
à Juste Lipse de stimuler le zèle des membres de l'Université qui coopé-
rèrent à la réorganisation du collège des Trois-Langues; le poids de sa
parole dans ses relations journalières avec les amis des lettres a dû se
faire sentir au milieu des démarches tentées dans ce but : on sait qu'il sol-
licitait une prochaine reprise des études grecques, dont il savait tout le
prix ^, quoiqu'il s'y fût moins appliqué lui-même qu'aux études latines.
En tout cas, la méthode consacrée par Juste Lipse dans sa chaire d'his-
toire ancienne eut une influence décisive sur celle qui prévalut désormais
dans la leçon de latin au collège de Busleiden : les historiens latins y
furent préférés presque toujours à d'autres auteurs, au point qu'elle devint
en quelque sorte une leçon d'histoire.
Peu d'années après son retour à Louvain, Juste Lipse i-ecevait du gou-
vernement une gratification extraordinaire, dont mention est faite dans les
comptes de l'année 1595'*; on y remarque le titre de « professeur de
langue latine » donné à notre savant, comme s'il était de notoriété publique
' Valèie André, qui rapporte le fait de la dotation {Fasti, p. 280), dit positivement que Juste
Lipse n'enseigna jamais dans le collège; c'est légèrement sans doute qu'il avait antérieurement
insinué la chose dans ses Exordia, p. 60, en parlant de ce que Lipse aurait fait sans les malheurs
du temps ; Faclurus id diibio procul in CoUegio Trilingui Buslidiano (quod docenlem aiiquando
Lipsium vidit). absque kmporum fuisset injuria, etc nam praeter honeslum, quo Brubuntiae
eum Ordines ornabant, honorarium stipendii Bmlidiani addebant iidem auctarium, a Carolo Y
Caesare concessum.
- Faisant l'éloge de ses prédécesseurs à l'ouverture de ses leçons de latin , en 1664, Chr. Van I^an-
gendonck saluait Juste Lipse en ces termes {Academia Lovan., p. 75) : Meminisse debeo cujus in
locum adscriplus sum; in locimi Justi Lipsii literatorum maximi : ad cujus laudes et successionem
tolus stupeo et haereo. Il avait dit plus haut (p. 7-i) que Lipse n'avait pas occupé sa chaire.
'' Voy. de Reiffenberg, Cinquième Mémoire, p. 7.
' Extraits anal, de quelques comptes de la recelte générale des finances , etc., conservés aux ar-
chives du département du Nord, à Lille, par M. Gachaid. Bulletins de la comm. roy. d'histoire,
i'"" série, t. I, p. 149.
170 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
qu'il alliait les lettres latines à l'histoire dans la chaire que les Étals lui
avaient conférée; ainsi, est-il dit dans le troisième compte de Christophe
Godin : « 800 livres à Justus Lipsius, professeur de la langue latine en
» l'Université de Louvain, en vertu de lettres patentes du 5 juin 1595,
» et en considération de la petitesse de ses gages, chièreté du temps, et
» le bénéfice qu'il avoit fait à la jeunesse estudiant en ladicte Université. «
Nous n'avons pas à discuter ici la force ou la faiblesse du caractère de
Juste Lipse, bien qu'il y ait quelque douceur pour l'historien à montrer
les sentiments et la conduite d'un grand homme méconnu à la hauteur de
son génie ou de son talent; mais nous devinons combien serait ardue
la tâche de quiconque tenterait cette réhabilitation en faveur de Juste
Lipse. On aurait tort peut-être de lui refuser un bon fonds de convictions
religieuses; mais on perdrait sa peine à justifier le système de dissimu-
lation qu'il a mis en pratique dans l'aveu de ses croyances, et à le dis-
culper d'avoir cédé aux calculs intéressés de l'amour- propre, aux dépens
même de sa dignité ^ Nous ne faisons plus que caractériser quelques-
unes des opinions de Juste Lipse sur la culture des lettres, sur l'étude des
langues et les qualités du style.
La plupart des ouvrages de Juste Lipse appartiennent à l'histoire de
l'érudition latine; on peut ranger les uns dans les travaux de philologie
et de critique; les autres se rapportent à l'histoire, à la politique, aux
antiquités. La prononciation véritable du latin a fourni à Lipse la matière
d'un traité sous forme de dialogue; sa sagacité de philologue s'est exercée,
tantôt dans les détails , tantôt dans des vues d'ensemble sur le texte de
plusieurs auteurs classiques du premier ordre, parmi lesquels Plante, ïite-
Live, Sénèque, Valère Maxime, et elle a passé de l'examen des variantes à
l'exécution des plus savants commentaires. Ses traités de politique et de
morale eux-mêmes témoignaient d'une lecture approfondie des sources;
ses écrits étendus, comme ses notes, indiquaient une intelligence complète
des idiotismes et de toutes les ressources de la langue romaine. Que l'on
' Le respect qu'on a porté à la personne d'André Schott , savant de la compaa;nie de Jésus, dans
loules les écoles de l'Europe, dit ce que vaut la loyauté du caractère unie à la fermeté cluélieane
devant les hommes sincères de toute communion et de tout système.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 171
compare les œuvres de Juste Lipse aux élucubrations des humanistes
belges qui ouvrent le même siècle, on est frappé de voir l'esprit littéraire
parvenu si rapidement à une maturité et une puissance qui n'étaient point
surpassées dans de plus grands pays que le nôtre, et même en Italie, pre-
mier foyer des études classiques.
Mais, quand on a payé à Juste Lipse un juste tribut d'éloges pour la
supériorité avec laquelle il a fait revivre la civilisation romaine dans ses
traités d'histoire et cherché dans les historiens latins une connaissance
plus vraie des idées et des mœurs, des révolutions et des doctrines de
l'antiquité que celle qu'on avait possédée jusque-là, on ne peut se dissi-
muler qu'il s'est montré exclusif dans ses goûts et ses tendances, comme
philologue et aussi comme écrivain. Lipse n'a pas su se défendre d'une
préférence marquée pour des auteurs qui n'étaient plus les représentants
de la belle et pure latinité; on sait assez avec quelle partialité il s'est
adonné à la lecture et à l'imitation de Tacite, dont il s'est fait l'éditeur et
l'interprète, et cette prédilection ne s'est-elle pas étendue à d'autres écri-
vains, vigoureux et brillants sans doute, mais qui appartiennent au pre-
mier siècle de la décadence littéraire, Sénèque, Florus, Velleius Paler-
culus, Valère Maxime, Pline le Jeune? Séduit par les qualités qui s'allient
à de graves défauts chez ces auteurs, et qui en sont quelquefois la source,
entraîné d'ailleurs par les exigences de l'érudition, Juste Lipse s'est beau-
coup écarté de ce culte de la latinité classique, si sagement conçu et si
bien propagé par Cornélius Valerius; il a donné l'exemple d'une recherche
de style qui fait contraste avec la diction claire et limpide dont son judi-
cieux maître avait montré la source dans l'imitation de Cicéron et de Vir-
gile. Son exemple porta préjudice aux études et aux compositions de lit-
térature latine, puisque, si l'on s'attache le plus souvent à de brillants
défauts, on exagère infailliblement ceux que l'exemple et les succès d'un
grand maître ont en quelque sorte autorisés.
Prenez mieux votre ton. Soyez simple avec art ,
Sublime sans orgueil , agréable sans fard.
Certes, Juste Lipse ouvrait la carrière à une investigation savante de
172 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
l'antiquité latine, et il apprenait à puiser dans les textes les vues de l'his-
torien , les réflexions du philosophe ; mais qu'on le prenne comme homme
de goût, écrivain et critique, on ne saurait le placer au dessus des philo-
logues qui ont écrit en latin ou qui ont enseigné la littérature classique
dans les Pays-Bas pendant la première moitié du XYl"'" siècle : nos pre-
miers humanistes, contemporains, disciples ou imitateurs d'Érasme et
de Vives, savaient mettre dans leur style une heureuse clarté, une ama-
bilité et une grâce, un accent de candeur et de vérité, dont on regrette
presque toujours l'absence dans les pages latines du grand Lipse.
7. Erycius Puteanus (Henri de Put).
(1607—1046.)
S'il faut conserver à nos érudits leur nom d'école, nul ne le mérite
mieux que celui qui a toujours posé à la manière des rhéteurs de la Grèce
et de Rome. Il a renchéri sur tous les autres en aff'ectation , et cependant
on ne peut lui refuser un fond excellent de droiture, de zèle et de dé-
vouement. On reculerait devant la tâche de parler d'un si haut person-
nage avec l'impartialité qui convient à l'histoire écrite à distance, si l'on
considérait l'engouement de son siècle pour son talent. Que de savants
Jatinistes ont défié la postérité dans des termes solennels qui ne valent pas
les vers adressés à Puteanus, en retour d'un de ses compliments, par la
princesse Dorothée de Croy ^ :
Blâmera, qui voudra , le stile de la voix
Et les divius écrits, d'où naissent (sic) l'ambroisie.
Elle n'a pas de goût pour l'ignare et l'envie:
Ains agace leurs dénis, et cause tant d'abois ,
Abois, qui n'ont pouvoir que d'iionnorer ta f'àme,
Et aceroislre ton ios, en accroissant leur blâme.
' Pièce en dale du tj iévriei- 1614. Notices et extraits des Mun. de la Bibliothèque de Bourgogne,
I. I, p. 52. (Lettres inédites de Puteanus.)
DES ÏROIS-LANGUES A LOUVAIIS. il5
Le savant qui s'est nommé Erycius Puteanus s'appelait Henri de Put ^
et non Van de Putte ou Van den Putten : la traduction de ce nom par la
forme française de Du Puy est fort inutile, en présence du nom latin
Puleanus ^. Il était originaire de Venloo, dans la Gueldre espagnole ^, et
il appartenait par son père, Jean de Put, à l'ancienne famille des Bamel-
rode, déjà prépondérante en cette contrée au XVI"'" siècle.
L'éducation du jeune Henri fut irès-soignée, et les arts y furent asso-
ciés aux lettres et aux sciences *. A Cologne et à Louvain, il suivit avec
succès les leçons des meilleurs maîtres, et c'est Juste Lipse qui eut le
privilège de se l'attacher davantage, au point qu'il fut compris plus tard
et non sans raison, dans son école ^. D'après ses conseils, fort jeune en-
coi-e, Puteanus se rendit en Italie où il contracta bientôt d'illustres amitiés.
Agé de vingt-cinq ans seulement, la chaire publique d'éloquence lui fut
confiée à Milan, et il résida quelques années en cette ville, où la munifi-
cence éclairée du cardinal Frédéric Borromée venait de créer des res-
sources inappréciables pour les études, la Bibliothèque Ambrosienne,
des écoles et des réunions savantes ^. Puteanus fut honoré de la confiance
et de l'amitié du cardinal, ainsi que de celle des hommes les plus in-
' Il en faut croire sa propre attestation, quand il donne à son père le nom de Jean de Put dans
une lettre à Plouvier {Not. et extr., t. I, p. 51). Il a beaucoup disserté lui-même sur le prénom
XErycius.
- Weiss a écrit sa notice sous le nom de Du Puij, dans la Biographie universelle, t. XII, p. 324.
' Voici une petite pièce de vers latins, peu connue sans doute, mise au bas de son portrait,
ijui était conservé à l'hôtel de ville de Venloo (Bax, fol. 1440) :
ffic est Ericius Gelrorum gloria, clarus
Ingénia, scriptis, et gravis eloquio.
Jller et es Florus , Tacitus quoque diceris aller,
Fenlonae aeternum tu Puteane decus.
'• Nous n'avons qu'à glaner, pour satisfaire au but de la présente notice, dans les biographies
de ce personnage écrites déjà par Valère André et par Paquot. Voy. le travail du premier dans les
Exordia, pp. 62-6.5, dans sa Bibliotheca heUjica , édit. 1043, pp. 203-21 1, et dans l'édition de
Foppens, pp. 264-269, et le travail plus étendu du second, au tome III de ses Mémoires d'histoire
littéraire, pp. 90-103.
■'' Academia Lovaniensis , édit. van Langendonck, p. 170 : £■ schola magni Lipsii, Er. Puleanus
Veulonensis , praeceptori daliis in regia professimie successor, etc.
'î Deux écrits de Puteanus relatifs à ces fondations virent alors le jour à Milan : De rheloribus
et scholis palatinis Mediolanensibus (1605) ; De bibliotheca Ambrosiana (1604).
174 MEMOIRE SUR LE COLLÈGE
struils de la Lombardie, et il entretint plus tard avec eux de fréquentes
correspondances.
Déjà Erycius Puteanus avait été comblé d'bonneurs en Italie \ et il y
avait contracté une alliance des plus élevées ^, quand il se décida à ren-
trer en Belgique vers l'an 1607. Les arcbiducs et les États de Brabant
venaient de lui oiïrir la cbaire d'histoire, laissée vacante par la mort de
Lipse. Non-seulement le titre d'historiographe lui fut conféré avec celte
charge par l'archiduc Albert, mais encore le même titre lui fut accordé
un peu plus tard de la part du roi d'Espagne Philippe IV; bientôt après
il fut appelé dans les conseils de l'Etat, à cause des rares qualités de son
intelligence et de ses vertus déjà connues. La leçon de latin qui avait été
attribuée à son prédécesseur dans la chaire d'histoire au collège des Trois-
Langues échut de même à Puteanus. Il entra en jouissance de ces dignités
académiques, selon toute apparence, à la fin de l'an 1607 ^ et, pendant
un espace d'environ trente-neuf ans, il se livra avec une ardeur soutenue
aux fonctions du professorat, et à des travaux littéraires qui lui don-
nèrent une grande considération dans les classes lettrées et jusque dans la
noblesse.
Tant de faveurs réunies sur la tête de Puteanus déchaînèrent contre
lui bien des gens de l'Université * : « Des docteurs crièrent au passe-
» droit, et voulurent se plaindre à l'archiduc d'être sacrifiés à un homme
» qui avait moins vieilli qu'eux sous la robe. » Puteanus, en faisant de
l'érudition et de la morale à propos du luxe de la table, avait excité d'au-
tres susceptibilités. Il y eut grand bruit à Louvain, et surtout à Anvers, à
cause des allusions qu'il aurait faites dans un opuscule aux habitudes
gasti'onomiques des Anversois, et on brûla même quelques exemplaires
du livre dans la ville outragée ^.
' On prétend qu'il fut dès lors historiographe du roi Philippe III.
- En 1604, il avait épousé à Milan Marie Madeleine Catherine délia Torre {Turrinnn), noble
dame issue de l'antique maison des ducs de Milan.
•■' Voy. Exordia, p. 64, et le recueil de Bax, fol. 1438.
' Lettre inédite analysée par de Reiffenberg, Notices et extraits, p. 55.
■' L'épître de Luxu conviviorum avait paru à I>ouvain , en 1608. Lire sur cet incident l'ana-
lyse de lettres inédites, ibid., pp. 41-43.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 175
Krycius Puteanus mourut à Louvain , le 17 septembre 16 i6, à l'âge
de soixante-treize ans, et eut le privilège d'être inhumé un des premiers
dans la chapelle de S'-Charles Borromée, érigée récemment à la collégiale
de Saint-Pierre. Nous ne poussons pas plus loin cet exposé sommaire sur sa
vie; elle sera écrite quelque jour à nouveaux frais, quand on aura dépouillé
tant de pièces et de correspondances encore inédites, où sa personne est
en jeu. Il doit nous suffire de caractériser le talent particulier de Puteanus,
et de faire comprendre l'espèce d'action qu'il a pu exercer dans le monde
des lettres. Il serait toutefois superflu de rapporter à cet elîet la liste des
nombreux écrits de cet auteur, que ses deux biographes cités ont déjà pris
soin de dresser : seulement, si la nomenclature de Paquot l'emporte par la
description bibliographique des écrits imprimés qui y sont portés au chif-
fre de cent seize, sans parler d'une foule de pièces inédites, la Bibliotheca
belgica présente une division générale des ouvrages et opuscules sous plu-
sieurs titres \ division qui semble bien préférable à leur énumération
chronologique. C'est d'après un plan semblable, et en tenant compte des
genres, que devra procéder le littérateur patient, qui jugera bon de s'oc-
cuper à l'avenir de l'héritage littéraire de Puteanus : il sera tenu d'insister
sur les œuvres les plus remarquables, en y rattachant la foule des mor-
ceaux publiés à part, et d'introduire un peu de lumière dans ce chaos d'élu-
cubrations en prose et en vers. Il serait certainement assez difficile de
lassembler complètement une si volumineuse collection ^, et plus difficile
encore de mettre la main sur les onecdota du même auteur, dispersés et
encore cachés dans quelques bibliothèques. On ne doit pas désespérer de
voir ce labeur, si lourd qu'il soit, entrepris un jour par un de nos infatiga-
bles bibliographes, en société d'un humaniste qui ne recule pas devant la
peine de rechercher les infiniment petits dans l'érudition latine de nos aïeux.
Assurément, une sage critique rabattra beaucoup de l'enthousiasme
' Cette division est la suivante : Oraloria, — Epislolica, — Philologica et philosopkica, —Histo-
ricaetpoiitica. Miscellanea. Les différentes éditions des Epistolae de Puteanus, qui ont été impri-
mées, donneraient déjà lieu à des investigations bibliograpiiiques et historiques fort longues et
détaillées.
^ Les premiers écrits de Puteanus ont vu le jour en Italie, à Milan et ailleurs, dans les années
t 598-1599, IGOO et les suivantes.
Tome XXVIII. 24
17G MEMOIRE SUR LE COLLEGE
avec lequel le XYII""" siècle a célébré l'esprit et le mérite de Puteanus :
cependant, l'élude analytique de ses productions littéraires jettera un
grand jour sur la vie intérieure et sur les relations des savants dans la
période qui suivit immédiatement la carrière de Juste Lipse. On ne peut
prononcer en dernier ressort sur Puteanus, sans l'entendre, lui, ses amis,
ses patrons et ses confrères; puisque son cabinet a été le centre d'une
correspondance littéraire, approchant beaucoup par son volume de celle
d'Érasme ^, il faudra rechercher et lire attentivement ce dossier considé-
rable, avant de croire la cause définitivement jugée. Le savoir et l'origi-
nalité n'ont point manqué entièrement à celui qui a pris intérêt à tant
d'études, et discuté de sa main tant de questions.
On suivrait Puteanus avec un certain attrait dans sa carrière de dilet-
tante, favorisée par son éducation et par les circonstances; on le verrait
donner libre cours à ses goûts de littérateur et d'artiste dans la société des
grands en Italie, et mêler encore un certain idéal de grandeur princière à
ses habitudes laborieuses de professeur et d'écrivain. Ses titres officiels ne
le détournaient point de la science elle-même ^; mais ils lui servaient à
exercer plus d'ascendant qu'aucun autre sur les jeunes gens les plus dis-
tingués par leur naissance, qui fréquentaient les écoles de Louvain. C'est
encore à l'avancement des lettres qu'il fit tourner la jouissance qui lui fut
donnée en 1G14, de la résidence des anciens souverains au cbàteau César
à Louvain, avec le litre de gouverneur de cette résidence. Il se crut autorisé
à lui donner le nom de forteresse de Minerve, At^x Palladis, quand il v eut
transporté le siège de la société qu'il avait fondée sous le nom de Palaestra
bnnae mentis, pour favoriser les progrès de la jeunesse dans l'art de parler
et d'écrire.
' On porte à 16,000 le nombre des leltres qui formaient, à l'époque de sa morl, la correspon-
dance dé Puteanus avec des personnages de distinclion en Belgique et à l'étranger. (Paquot, 111,
p. 92). Dans les lettres inédites, dépouillées par M. de Reiffenberg, il en est plusieurs de Daniel
Heinsius [Notices el extraits, fasc. I). L'intérêt d'autres pièces de la même correspondance, au
nombre de plus de 1500, acquises par notre bibliothèque royale, est l'objet d'un article fort spi-
rituel du même auteur dans les Bull, de l'Acud. roy. de Brux., 1841 , t. VIII, part. I, pp. 1 1 et suiv,
- Sa devise était : Sludiosa vita optima. Elle était exprimée en grec dans la première ligne de
l'épitapbe qu'il se fit à lui-même : SllOTûAins ZHNAPIï;T0N (Voy. Foppens et Paquot).
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 177
Malgré ses autres fonctions, Puteanus prit au sérieux sa charge de pro-
fesseur de latin au collège des Trois-Langues; il y donna, croit-on, des
leçons quotidiennes et les mil en rapport avec les autres moyens d'action
qu'il avait sur la jeunesse. Malheureusement, comme on en jugera par les
observations qui vont suivre, il a porté dans l'enseignement des lettres
latines une autre méthode, d'autres procédés que ses prédécesseurs, et on
ne sera pas injuste à son égard, en lui refusant une influence aussi heureuse
que la leur sur la culture des langues anciennes. 11 n'est que trop vrai que
bien des latinistes de notre pays, et plusieurs de ceux qui ont enseigné
après lui à Louvain, ont contracté et même exagéré ses défauts : on re-
trouve chez eux sa manière d'écrire toujours compassée, souvent préten-
tieuse, faussement brillante, énigmatique et obscure même.
Pour avoir le droit d'apprécier Puteanus, on devra soumettre à la même
critique les deux branches principales de son enseignement : or, s'il n'a
pas su reprendre habilement la tradition de la bonne et pure latinité
qui avait régné au siècle précédent, il n'a pas non plus maintenu l'ensei-
gnement de l'histoire au degré d'étendue, de justesse et de solidité où
l'avait porté Juste Lipse. Puteanus, nous semble-t-il, a visé à faire des
études latines un instrument de minces et faciles succès à l'usage d'un
monde élégant, pour qui l'érudition devait être chose aimable et légère :
le côté sérieux et positif de l'histoire l'a fort peu occupé lui-même; que
sera-ce chez ceux pour qui des recherches d'histoire n'étaient qu'une
affaire de ton?
On est surpris de voir quelle petite place Puteanus a faite aux anciens,
au texte de leurs ouvrages, dans ses élucubrations accumulées d'année
en année avec une si élonnante variété de titres ^ ; on a lieu de remarquer
aussi le nombre relativement petit des seules dissertations vraiment utiles
qu'il ait prises dans le domaine des antiquités latines, et qui aient mérité
d'être reproduites plus tard dans les recueils les plus vantés ^. La vanité
' On citerait en ce genre ses notices préliminaires sur Q. Curtius, L. Florus, G. Tacite, qui ne
sont pas des classiques du grand siècle.
- Ainsi ses Olympiades ont pris place dans la suite au tome IX du Thésaurus mtiquitalum
Graecartmi de Gronovius; sa Pecuniae romanae ratio, dans les Antiquités romaines de Sailengre,
178 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
de Puteanus l'a fait céder à la tenlalion de composer une nouvelle litté-
rature de sa façon, éloges et discours, anecdotes et recherches étymolo-
giques, notices et discussions, lettres et compliments, traités de morale et
de politique. Évidemment, fasciné par de coupables louanges, il s'aveugla
sur l'intérêt de ces menus travaux qu'il osa comparer un jour aux Opus-
cules de Plutarque ^ 11 avait pu être séduit par le succès prodigieux qui
avait accueilli des productions de Juste Lipse du même genre ou du même
titre que les siennes; mais il lui arriva rarement à lui-même d'aller au
delà d'un examen superficiel de la matière, de joindre dans ses écrits à
l'éclat de la diction, la portée des recherches et la valeur des résultats.
Presque jamais il ne prit la peine de faire un plan pour un ouvrage de
quelque étendue. Le plus souvent, Puteanus eut le malheur de s'acharner
à des investigations interminables sur des sujets de peu de valeur, et,
bien des fois, de tomber même dans des divagations tout à fait oiseuses,
où la rhétorique comblait le vide des faits. Si nous ne nous trompons,
Puteanus a été exposé aux mêmes illusions et aux mêmes faiblesses que
ces brillants écrivains du siècle présent, qui, dans des articles de journaux
ou de revues, défendent ou critiquent des idées et des opinions recueillies
à l'aventure; mais du moins il a été retenu sur la pente du paradoxe par
sa droiture naturelle et par ses sentiments chrétiens.
Que peut-on dire à la louange de Puteanus, comme savant et comme
écrivain, pour rendre raison en certaine mesure de la haute renommée
que ses contemporains lui ont faite -? Il a touché à tout, avec l'espoir
d'être utile et agréable aux autres; la plupart des sciences et des arts qui
étaient en faveur de son temps, la poésie et la musique, les mathéma-
ques et l'astronomie, l'histoire et la morale, etc., sont entrées tour à tour
dans le cercle de ses recherches. Il n'a pu le faire en tout cas que grâce
t. ni; ses trois écrits de Nundiiiis romanis, de bissexto, de stipendia militari, dans le recueil
célèbre de Graevius, tomes V, IX et X.
* Il n'v a rien de si improbable, quoi qu'en dise Paquet, dans l'anecdole rapportée à ce sujet par
deColomiès (Particularités, n" 12d. — Opéra, édit. de Hamburg, 1709; Fabricius, p. 326).
- Il faut voir comment est conçu l'éloge de Puteanus dans VAcademia Lovaniensis , où il est
appelé : Saeculi nostri dcms (p. 170 et p. 75). Mais les étrangers ont encore rencbéri sur tout
cela, dans leurs formules laudatives à l'adresse de Puteanus.
DES TROIS-LAISGUES A LOUVAIN. 179
à d'immenses éludes, dont il aurait dû chercher une meilleure applica-
tion ^
M. de Reiffenberg, observant l'importance qui revient à Puteanus dans
l'histoire de l'action qu'il a exercée sur son siècle, met en équilibre l'éloge
et la critique dans le passage suivant ^ ; « Sans doute, ce n'était pas un
homme de génie; mais il possédait des connaissances étendues et avait
même abordé certaines études, que dédaignaient les savants de profession.
Doué d'un esprit prompt et d'une activité merveilleuse, il se hâtait de
toucher à tous les sujets, en formant mille projets de travail et d'amélio-
rations pour l'avenir. Quoiqu'il n'ait laissé qu'une foule d'écrits souvent
médiocres, et qu'il ait essentiellement manqué de goût et de profondeur,
il n'en a pas moins étonné ses contemporains, qui, frappés de ces évolu-
tions continuelles, se sont surfait sa valeur littéraire. On peut dire aussi
avec justice qu'il fut un de ceux qui contribuèrent le plus puissamment
à retarder parmi nous la décadence des lettres , et ce sommeil de plomb
qui devait suivre nos formidables commotions politiques et religieuses. >>
En somme, le plus bel éloge que l'on puisse faire de Puteanus, c'est de
le montrer, ce qu'il a été au dire de tous, un homme de cœur; c'est de le
louer pour son caractère et ses sentiments, de faire ressortir la sincérité et
la constance d'un dévouement toujours désintéressé. Il ne refusait son appui
ou ses conseils à personne, et il avait de nombreux amis qui l'estimaient.
Il avait surtout une grande et vive sollicitude pour la jeunesse qui habitait
les collèges de Louvain. Il l'attirait à lui par ses bons procédés, comme
il l'intéressait aux lettres par ses leçons et ses entretiens; il rendait les
voies de la science plus douces par les méthodes familières qu'il avait
mises à l'essai, et par les exercices qu'il avait institués dans une académie
des bonnes études, la célèbre Palaeslra bonae mentis ^. L'écrivain titré,
* « C'était, dit Weiss (Biogr. univers., t. XII, p. 322), un homme d'une vaste lecture, mais de
peu de jugement. » Le P. Nicéron n'a pas pu lui épargner des reproches analogues; Paquet n'a
I ien dit de décisif pour les atténuer.
- Bulletins de l'Acad. royale, t. VIII, toc. cit., p. 12; ailleurs encore [Cinquième Mémoire, p. 19),
de P.eiffenberg a fort bien dit : « Nous n'avons en quelque sorte que la petite monnaie de son génie. »
' Nous nous étendrons ((uelque peu au chapitre XI sur l'esprit de celte institution et sur ses
résultats pratiques.
180 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE
l'historiographe royal, se faisait pédagogue pour se faire écouter des plus
faibles intelligences; il employait des formules littéraires pleines de bien-
veillance et d'urbanité , en toute affaire , et jusque dans les certiûcats qu'il
aimait à délivrer aux jeunes concurrents de son arène pacifique ' : on
blâmerait plus fortement le pédanlisme qu'il a mis en ces choses, s'il
n'était point d'ailleurs si naïf et si honnête.
Nous terminons cette notice par la mention du témoignage que Puteanus
s'est rendu à lui-même, et que rien dans sa conduite n'est venu démentir - :
Mihi modestia, sobrieias, ttno verbo lionestas placet, et in hune finem, quidqiiid
est iuerarum diriijo, ut bonus polius quam conspicuus sim , aliosque faciam.
8. NicoLAUS Vernulael's (Nicolas de Veruulz).
(1646-1649.)
Aucun maître de Louvain n'était plus digne de prononcer l'éloge funèbre
de Puteanus que celui qui, depuis le commencement du siècle, était le
représentant officiel de l'éloquence latine dans le corps universitaire ^.
La chaire de Puteanus lui fut conférée, et il en était digne par ses longs
services *; malheureusement il ne la remplit que pendant trois années
environ, de 1646 à 1649. Quoique nous ne devions pas à Vernulaeus une
longue mention à litre de professeur au collège des Trois-Langues, il est de
notre sujet de faire lessortir ce qu'il a fait, dans d'autres fonctions, au
profit des études de langue et de littérature latines.
Nicolas de Vernulz, que nous nommerons Vernulaeus selon l'usage,
était fils de Pierre de Vernulz, capitaine au service du roi d'Espagne; il
I Maiiyrematum Acndemicorum formulae. Voy. le mot judicieux de Paquot, n° 58, p. 97.
- Lettre inédite de l'an 1608 {Not. et Exlr., p. 41).
^ Ce panégyrique, prononcé en l'église de S'-Gerlrude, le 19 septembre 1646, fut imprimé à
Louvain la même année, chez J. Vryenborch , in-i°. Voy. la bibliographie des œuvres de Vernulaeus
dans Paquot, n"-47.
^ Des notices biographiques sur Vernulaeus font partie des recueils les plus connus en ce genre ;
In Bibliotheca Belgka (Valère André, édit. 1645, pp. 699-70). — Foppens, pp. 92-2-924) ; le.s
Mémoires du P. Nicéron, t. XXXIll, pp. 387-597, et les Mémoires de Paquot, t. I, pp. 028-553.
Une très-courte notice précède le S'"' volume de ses Tragoediae (édit. de 1636).
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 181
naquit en avril 1585, à Robelmonl, bourg du territoire de Virton, dans
le duché de Luxembourg. Les charges importantes qui lui furent confiées
à Louyain le mirent à même de développer sou talent naturel, et de gagner
beaucoup d'ascendant sur la jeunesse universitaire. A peine âgé de vingt-
cinq ans, il obtint, en 1608, au collège du Porc , la place de professeur de
rhétorique, que J.-B. Gramaye résigna en sa faveur, et trois ans plus tard
(1611), il eut l'honneur de remplacer Gramaye dans la chaire d'éloquence
à la Faculté des Arts '. C'est la seconde de ces charges qui donna d'emblée
à Vernulaeus un rang distingué dans l'Université, et qui attira autour de
lui un concours extraordinaire d'auditeurs choisis. Cependant, malgré le
zèle qu'il déploya pour maintenir la renommée de la chaire et le titre
envié qu'elle lui donnait [lilielor publktis), il se livra avec assez de soin à
l'étude de la théologie pour obtenir, en 1618, le grade de licencié. Des
charges académiques, des dignités honorifiques et quelques bénéfices
furent conférés dans la suite à Vernulaeus, comme une récompense des
services qu'il avait rendus à l'Université, aux lettres et à l'Église -. Mais
aucune fonction ne consacra mieux dans l'opinion le mérite qu'il avait
su atteindre comme professeur et comme écrivain, que cette leçon de latin
au collège des Trois-Langues, illustrée par ses deux derniers titulaires,
Lipse et Puteanus : de plus, il fut à son tour historiographe de S. M.
catholique [Reyius liistoriograpims). Vernulaeus ne jouit pas longtemps de
ce surcroît d'honneurs; il mourut, âgé de 66 ans, le 6 janvier 1649, et
fut déposé à Saint-Pierre, auprès de Puteanus, un de ses amis intimes.
Un théologien lettré, Antoine Dave, prononça en cette église, le 8 janvier,
' On lit dans les Fasti de Valère André, pp. 247-248, un courl exposé du conflit qui s'éleva au
sujet de cette nomination , entre la Faculté des Arts et le magistrat de Louvain, ainsi que le texte
de !'arran2;ement qui survint. Vernulaeus fut dispensé des conditions qui pouvaient lui manquer
au point de vue des attributions de ladite Faculté. Voy. deReifFenberg. [Cinquième Mémoire , p. 23.)
"^ Quand s'ouvrit, en IG19, le collège de Mylius ou de Luxembourg, fondé par le D'' Jean de
Myle, qui était mort en Kspagnc l'an 1593 (voy. les Fasli, p. 324-26, sur cet établissement), Ver-
nulaeus fut choisi comme président de ce collège par les comtes de Fugger, qui en firent la pre-
mière organisation. En 1626, il fut investi des bénéfices attachés à deux canonicats, l'un de Saint-
Hermès à Renais, l'autre de Saint-Pierre à Douai, en vertu des privilèges académiques. Trois fois
il fut recteur de l'Université (en 1632, 1644 et 4643), et il porta le titre de conseiller et d'histo-
riographe de l'empereur Ferdinand 111 (Caesareus historiographus).
182 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
son oraison funèbre, qui fut imprimée avec une élégie latine du même
auteur ^
Vernulaeus était incontestablement un liomme de talent; il a acquis
dans son siècle beaucoup de renommée à l'établissement universitaire de
Louvain, dont il a pu sans témérité retracer l'histoire deux fois séculaire,
dans un livre de forme oratoire, publié en 1G27 -. D'autres entrepren-
dront une analyse critique de ses nombreux écrits, et comprendront dans
une monographie historique la carrière académique de Vernulaeus, ei
ses travaux d'humaniste, de grammairien, d'orateur, de poète et d'histo-
rien^. Force nous est de nous en tenir ici à une appréciation sommaire
des oeuvres philologiques et littéraires qui rentrent dans la matière histo-
rique de ce chapitre.
Vernulaeus éiait un écrivain doué d'un goût sûr, qui s'est développé
par l'étude, et que n'a point gâté la grande facilité avec laquelle il com-
posait. Si \ernulaeus n'a point poursuivi les travaux de critique et d'her-
méneutique sur les anciens, qui distinguent l'école philologique de Louvain
dans la période antérieure, on ne peut oublier que, pendant la plus grande
partie de sa carrière, il a dû satisfaire aux exigences pratiques du cours
d'éloquence dont il était chargé. Sa mission était plutôt de former des
écrivains pour toutes les fonctions qui réclamaient alors une connaissance
familière du latin, que d'approfondir la critique des textes. Il a tenu à
honneur de donner l'exemple en même temps que le précepte : tout ce
qu'il a écrit était marqué au coin d'un esprit sage et réglé; ses œuvres
latines devaient être lues avec faveur par les hommes instruits, et prises
comme des modèles par la jeunesse. C'était là un grand et légitime succès
' Voy. la nolice de Paquot sur A. Dave, au (oine II de ses Mémoires, p. 305-306. (Bibliogr., ii° 4.
Lovanii, .1. Vryenbach, p. 16, in-4°).
- L'Academiu Lovaniensis , dédiée par son ;iiiteiir au roi d'Espagne, Philippe IV, vit le jour au
second anniversaire de la fondation de l'Université. Voy. sur celte première édition , et sur la
seconde, le Bulletin bibliogr. de P.nquot, n" 19, t. III, p. ô.ïO.
'' Paquot, dans ses Mémoires, a détaillé les productions imprimées de Vernulaeus jusqu'au chiffre
de 31 articles; mais, au lieu de les énumérer dans Tordre chronologique, il aurait bien mieux fait
de les classer d'après le genre et les sujets, comme il l'avait essayé dans ses notes préparaloires
(Fasti Acad. Lnvati., 1. 1, fol. ."iPO-.^Oô) en les rangeant sous ces quatre rubriques : Poelica,— Ora-
torio - Polilica , — Historim.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 183
à une époque où les sciences les plus importantes étaient traitées en latin,
et ojj les vers latins charmaient bien d'autres que les savants de profession.
Il est juste de reconnaître que Vernulaeus a mis bien plus de jugement
que Puteanus dans le choix des sujets qu'il a traités en vers et en prose ^
et qu'il a choisi aussi avec plus de discernement la matière sur laquelle
ses élèves pouvaient le mieux s'exercer. D'une part, il a traité, sans sortir
de sa sphère, des questions de politique dans de courtes dissertations, et
il a laissé des traités historiques qui furent longtemps estimés; il a com-
posé des discours dans tous les genres : sermons et panégyriques, éloges
et oraisons funèbres, dont les événements contemporains lui fournissaient
l'occasion et la matière , et dans lesquels un sentiment très-vif de natio-
nalité s'alliait à un grand attachement à la maison d'Autriche. D'autre
part, Vernulaeus se mit à l'œuvre dans l'espoir de procurer à la littéra-
ture latine l'espèce d'universalité, de popularité et de vie qui semble
n'appartenir qu'à des œuvres écrites dans les langues modernes. Dans le
cercle où s'étendait son action, il donna de l'intérêt et du relief à la
tragédie latine , qui était au nombre des compositions alors les plus
goûtées. Il la cultiva lui-même avec intelligence-, et fit en sorte d'en tirer
pour les autres à la fois de l'agrément et de l'instruction, de piquer la
curiosité des jeunes gens et d'exciter en eux avec l'émulation un besoin de
jouissances littéraires.
Le théâtre latin de Vernulaeus a conservé, aux yeux d'une critique im-
partiale, une valeur intrinsèque qui le met fort au-dessus du plus grand
nombre des pièces latines composées dans le même siècle ^. Sous plus
d'un rapport, le style oratoire du poète n'échappe pas à la censure, et
le défaut d'être trop recherché et surtout trop fleuri peut être signalé
d'autant plus justement, qu'il s'est toujours grossi sous la plume des lati-
nistes qui se sont réglés sur Vernulaeus. Cependant les leçons de ce
' On remarquera ces mots dans le court éloge de la Bibliotheca Belgica : Ad haec doctrina
varius , ingcnio politus et elcyans , judicio perspicax , etc.
■^ Valère André, Fasti, p. 281 : Tragico praeseriim Cothurno excelluit.
' Les Tragoediae de Vernulaeus, publiées à part en diverses années, ont été recueillies plus tard
dans une seconde édition en deux tomes in-H". (Lovanii, 1636.) Voy. la Bibliogr. dans Paquot.
Tome XXVIII. 25
184 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
maître ont eu cet heureux effet de donner du prix à une latinité étudiée,
d'habituer les jeunes gens à attacher quelque importance à la forme; elles
rendirent la culture de l'art oratoire profitable aux hommes destinés à jouer
un rôle dans les affaires ^. Comme Paquot l'observe à ce propos, cet art si
utile était beaucoup trop négligé dans nos provinces au siècle suivant.
9. Bernardus Heimbachius (Bernard von lleymbach).
(1649-1664.)
Originaire d'une contrée du Rhin et sorti des écoles de Cologne ^, Ber-
nard von Heymbach, dit Heimbachius, fut à Louvain un des soutiens des
études de philologie latine à l'époque qui suivit immédiatement Puteanus
et Vernulaeus. Quand, au mois de mars 1649, il fut choisi pour remplacer
ce dernier, il quittait Maestricht où il avait dirigé avec éclat, pendant deux
ans, la rhétorique dans l'école de Saint-Servais. 11 conserva à la leçon de
latin le caractère sérieux qu'elle avait eu naguère, en expliquant de pré-
férence les historiens latins, comme l'avaient fait ses prédécesseurs : c'est
cet usage qui fit donner alors au professeur de latin un second titre, celui
de Professeur d'histoire [Professor lingiiae lalinae seu hisloriarum) , et qui fit
appeler vulgairement la leçon elle-même Leclio hisloriarum.
L'activité de Heymbach fut grande : tout en poursuivant d'autres
études ^, il mit assez d'intérêt dans ses leçons de latin auxquelles il mêlait
des considérations d'histoire et de politique*, pour y attirer grand nombre
' Les irailés oratoires de Vernulaeus sont restés en usage longtemps après lui : ses trois livres
De Jrle dicendi ont été publiés de nouveau et même abrégés par J. Impens, en 1662 et 1672. en
\ue d'un emploi tout à fait pratique. — Paquet, n" o , t. III, p. 3'29.
- Heymbach serait né vers 1620, à Zulpich, dans le pays de Bonn, faisant partie de l'électoral
de Cologne. Voy. Paquot, Mémoires, 1. 1, pp. oI3-ol-i, d'après les papiers du collège et les registres
de Saint-Pierre.
'" Déjà bachelier en théologie à Cologne, il étudia la jurisprudence à Louvain, où il obtint le
grade de licencié es droits, en \ 654. On a conservé sa thèse, qui roulait sur les coutumes féodales :
Bepelilio seu disputatio postrema cul consneliidiiics feudaks. (Lov., Sassen , 1633, petit in-i".)
"* Voy. l'apostrophe de van Langendontk à Heymbach, son prédécesseur. {Academia Lovan.,
p. 75.) Heymbach était conseiller et historiographe de l'archiduc Léopold.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIIS. 18S
d'étudiaiUs étrangers el surtout de gentilshommes allemands; il fut chargé
de la leçon de grec dans le même collège, en mars 16o4, après le départ
de Jean Normenton.
Bernard Heymbach, qui mourut en juillet 1664, contribua, pendant
plusieurs années, par son dévouement infatigable, à soutenir la renom-
mée de l'école de Busleiden. Il prit la défense de la poésie contre ceux
qui voulaient la bannir entièrement des études du jeune théologien *. 11
cultiva lui-même les lettres latines et composa des discours et des poëmes^.
On ne voit pas que Ileymbach ait concentré l'attention de ses élèves sur les
anciens monuments de la latinité^; mais du moins il n'a négligé aucune
peine pour leur montrer combien d'applications on pouvait faire alors des
règles du style latin à des productions nouvelles. Le reproche que lui
fait Paquot d'avoir « un peu gâté ses opuscules à force d'y vouloir mettre
de l'esprit, » ne paraît pas sans fondement : il venait à une époque où,
pour donner de la vogue à ce qu'on écrivait en latin, on cherchait des
formes nouvelles et oîi l'on renchérissait en élégance, souvent fort maladroi-
tement, sur les latinistes de l'âge précédent. Heymbach a rendu quelque
service en provoquant le goût des études d'histoire dans la jeunesse; il
voulut prouver, par un travail sur l'histoire romaine, quel est le prix de
cette science pour une instruction solide, et il recommanda comme émi-
nemment utile l'alliance de l'histoire et de la science du droit*. Heymbach
laissa des souvenirs honorables au sein de l'Université^; mais il n'imprima
pas aux études philologiques une assez forte direction, pour qu'elles résis-
tassent à l'influence funeste des événements politiques et au mauvais vou-
loir de la génération suivante.
' Voy. ses Vindieiae poeticue et son Poeta cltrislianus , n"M I et 12 de la liibliogr. dans Paquot.
- Un drame et des pièces de vers en l'honneur de saint Servais ont marqué le début de sa car-
rière d'écrivain (ann. 1649-1630). Voy. Paquot, /. c, n°^ I et 2.
•" On sait seulement qu'il avait pris pour matière de ses leçons publiques l'opuscule apologé-
tique de TertuUien Pro Pallio, et qu'il avait l'intention d'en publier un commentaire, dont il ne
parut que le spécimen. (Prodroma , etc., 1655, in- 12.) Voy. Paquot, ibid., n° 8.
' Hisloria, seu verus ex ea fructus , etc. (1650). De historiae cumjurispriuleiitia coiijunclione
dissertatio epistolica (1635). Voy. Paquot, ibid., n°^ 3 et 6.
•' Son oraison funèbre fut prononcée par J. de Sauter, son ami et son collègue.
186 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
10. Christianus a Langendonck (Clirélien van Langendonck).
(1664-1669.)
Successeur de Heymbach, ce personnage n'occupa qu'environ cinq ans
la chaire de latin. Nous empruntons les éléments de sa biographie, qui
n'a pas encore été écrite, aux notes inédites de l'abbé Bax et à celles de
Paquol ^
Christianus van Langendonck naquit à Louvain le 24 novembre 1650,
dans la paroisse Saint- Jacques, de Pierre van Langendonck et d'Anne
de Muntere, appartenant à d'anciennes familles de cette ville. Il apprit le
latin au collège des PP. augustins, et, après avoir terminé son cours de
philosophie à la pédagogie du Lis, il obtint la quarante-septième place dans
la promotion générale de l'an 1649. Il était prêtre, bachelier en théologie,
licencié en droit quand, à la fin de l'année 1664, il fut appelé aux Trois-
Langues. Déjà au commencement de l'année 1669, il renonça à l'enseigne-
ment pour occuper la cure de Sainte-Gertrude dans sa ville natale. Deux
ans après, le 22 octobre 1671, il fut nommé pléban à Lierre, et ensuite
il devint archiprêtre ou doyen du district : c'est en cette ville qu'il mourut
le 28 août 1672. Van Langendonck passait pour un bon latiniste; cepen-
dant il gâtait son style par la recherche et l'enflure, qui étaient des imper-
fections de son temps. On est frappé de ces défauts quand on lit l'édition
de YAcademia Lovaniensis de Vernulaeus, qu'il donna, en 1667, avec des
additions nombreuses sur les personnages qui avaient fleuri après l'appa-
tion de ce livre ^. Dans ces notices supplémentaires, il n'est point de
phrase qui ne sente la recherche ; la diction est presque toujours ampou-
lée, chargée d'antithèses, et même de jeux de mots misérables. Paquot a
bien pu dire ^ : Stylo lalino valuit, etsi pro aevi more nimiiis aciiminum cap-
' Bax, folio 1442. — Fasli Acad. Lov., 1. 1, p. 504.
2 AcADEMU Lovaniensis, ejus origo, incrementiim , forma, magish-atus , facilitâtes, etc., recognUa
dein et aucta pcr Christlanum à Langendonck J. C. et professorem hisloriarum. (Lovanii, lypis
Pétri Sassenii, 1667, p. 198, in-4".) Le livre est dédié à P. Stockraans, conseiller de Brabant. an-
cien professeur de grec.
' MS. des Fasli, p. 504.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIiN. 187
laior. Les plus étranges rapprochements de mots et d'étymologies , d'idées
et d'images composent la louange des hommes que l'auteur admire le plus
et qu'il veut exalter ^
11. JOANNES BaPTISTA ViCTOR DE ScHUTTELAERE.
(1609-1683.)
Cet humaniste, qui naquit à Furncs, en Flandre, en 1638, et qui
étudia à Douai, fut professeur de poésie au collège de la S'^-Trinité, à
Louvain, dès l'an 1660. Il succéda, en 1669, à Chr. van Langendonck
dans la chaire de latin qu'il conserva douze ans. Il était pourvu de plu-
sieurs bénéfices quand il mourut à Louvain, le 4 mai 1685, avec une
réputation dont on ne peut plus bien juger aujourd'hui ^. En tout cas.
c'était pédantisme et pure illusion de la part de ses confrères ou élèves
de la Trinité que de le traiter, après avoir déjà employé beaucoup d'épi-
thètes sonores et de titres magnifiques, de « digne successeur de Lipsius »,
et de comparer sa mort à la chute d'un astre ^.
12. Dominique Snellaerts.
(1083-1688.)
La vie de ce personnage, né à Anvers le 18 mars 1650, est remplie
d'incidents qui seraient mieux relatés dans l'histoire d'autres sciences; en
effet, Snellaerts fut philologue, philosophe, juriste, théologien *, et il
n'occupa que pendant cinq ans la chaire de latin après de Schuttelaere.
« Voy. ses notices sur Pierre à Castello [Musarum et Grallarum Castellum.ctc....) el sur Vernu-
laeus {nondicam Ver nnllum, elc...), dans \Acudemla, pp. 170-171.
2 Voy. dans la notice de Paqiiot [Mémoires, t. III, pp. 406-407) le titre des deux élucubrations
historiques que de Schuttelaere avait léguées au collège des Trois- Langues.
5 Cette pièce, qui a été recueillie par Paquot (p. 407), finit par ces mots : LUX aCaOeMlae
e\p\rdS\l.
^ Lire surtout Paquot, Mémoires, t. III, pp. 70-73.
188 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
Promu, en 1GG8, maître es arts, Snellaerts avait professé la philosophie
pendant une dizaine d'années au Faucon, et s'était efforcé d'y faire préva-
loir la physique expérimentale tirée des ouvrages de Descartes *; il s'était
adonné toutefois pendant ce temps à l'étude des langues et de l'histoire^.
Snellaerts avait quitté Louvain à cause des embarras que lui donnait
la présidence du collège de Saint-Yves qu'il avait acceptée en 1G88. Il ne
put donner libre cours à ses goûts studieux à Gand, oîi son titre de cha-
noine l'engagea dans la direction d'affaires litigieuses, et quand il devint
chanoine à Anvers, en 1711, il fut empêché, par les infirmités de l'âge,
de reprendre ses plans d'étude. Il mourut en celte ville le o mars de
l'année 1720.
L'amour de Snellaerts pour les lettres ne s'est pas démenti à la fin de
sa carrière, puisqu'il légua à l'université de Louvain une bibliothèque
riche et bien choisie, qui devait être mise à la disposition des hommes
d'étude, et qui fut réunie au premier fonds de la bibliothèque acadé-
mique ^.
15. Léonard Gautius.
Ce personnage, né à Maestricht, avait été élève de la pédagogie du Lis
et il avait obtenu le premier rang dans la promotion des arts l'an 1676
il devint plus tard professeur primaire de rhétorique à la pédagogie di
Faucon. Puis, lors de la retraite de Snellaerts, les proviseurs du collège
des Trois-Langues jetèrent les yeux sur lui pour la chaire de latin et d'his
toire 'K
On va voir que Gautius n'eut cependant jamais une jouissance paisible
^ On lit dans les noies de Paquot. (MS. des Fasti. t. I, p. 304) : Jnlentus praesertim remcandae
saniori atqtie experimenlis nixae pliysicae.
- Snellaei'ls présida aii Faucon , le 14 décembre 1680, une thèse d'histoire mieux choisie que les
ijuestious discutées d'ordinaire : Citi cansae adscribenda sit exlerminatio Templariorum? —
Promol. in artibus (Foppens), folio 64.
' Voy. P. iSamur, Bist. des bibliolh. publ. de la Belgique, t. II [Bibl. de Louvain), pp. 18-19.
Bruxelles, 1841.
' Desigiialus est historiae latinae magister. — Paquet, Fasii. Acad. Lov., t. I, p. 503.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 189
de celte chaire, et qu'il dut céder devant le crédit d'un compétiteur habile
et audacieux '.
C'est le 3 janvier 1689 que Gautius fut nommé professeur de latin par
les proviseurs, et, le 16 du même mois, il inaugura son enseignement,
qu'il poursuivit jusqu'aux vacances académiques de la même année 1689,
faisant ses leçons d'abord à trois heures et demie de relevée, et ensuite à
quatre heures.
Un conflit surgit quand L. Gautius réclama le titre d'historiographe royal
presque toujours inséparable, depuis le commencement du siècle, de la
chaire de latin, ainsi que la pension de plusieurs centaines de florins
attachée à ce titre ^. Or le gouverneur de la Belgique, François Antoine
de Agurto, marquis de Caslanaga, avait déjà mis en possession du titre
d'historiographe le frère Bernard Désirant, docteur en théologie, de
l'ordre des ermites de saint Augustin : la collation avait eu lieu en date du
il avril 1689, avec des clauses particulières. Le gouverneur apprit que
Gautius enseignait l'histoire au lieu de la langue latine^, et qu'il donnait
sa leçon , avec consentement de son confrère François Martin , pi'ofesseur
de grec, à trois heures de relevée, heure réservée à Désirant pour l'ensei-
gnement de l'histoire. En conséquence, il donna l'ordre au recteur de
l'Université, en date du 26 septembre 1689, d'empêcher que quelqu'un
enseignât l'histoire au collège des Trois-Langues, à l'exception de Dési-
rant, à qui il assigna de nouveau l'heure susdite : quant à Gautius, il
entendait qu'il se contentât de professer la langue latine.
Gautius prolesta contre cet arrêt, et invoqua la concession faite à ses pré-
décesseurs, qui avaient professé l'histoire romaine en expliquant les histo-
* L'exposé de l'affiiire est fait d'une manière complète par Paquot (Fasti, p. 503) et lire peu
de lumière de la compilation de Bax.
- Erycius Puteanus et Vernulaeus, après Juste Lipse, avaient joui de ce titre, n)ais non pas
leurs successeurs immédiats, Heymbacli, van Langendonck, Snellaerts, d'après le témoignage de
Paquot (dans ses Fasti manuscrits, 1. 1, pp. 323-524). Le titre de hisloringraphi regii fut donné
ensuite à Gaspar Gevartlus, en 1631 {Stipendio ann. Floren. 400), et à P. Galarde, historien et
conseiller, le 18 décembre 1676; enfin, le même titre fut donné au frère Désirant, en 1689, avec
un traitement de 300 livres.
' On a vu en quel sens la leçon de latin était devenue une leçon d'histoire romaine.
190 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE
riens latins. L'affaire traîna en longueur; la cour ayant maintenu sa défense
de prendre le titre de professeur d'histoire, il paraît que Gautius cessa
tout à fait d'enseigner à partir de 1695, et que, plusieurs années après,
il donna sa démission (7 mars 1705). Il se l'etira alors à Anvers, où il
fut chanoine de Notre-Dame, et c'est là qu'il mourut le 8 novembre 1728.
14. Bernard Désirant.
Ce religieux , dont les prétentions déterminèrent la retraite de L. Gau-
tius, se trouva maître de la position, et prit en réalité la place qui reve-
nait au professeur de latin et d'histoire (Instoi-iariim) , pour exercer le mo-
nopole de l'enseignement historique. Comme Désirant a joué un rôle fort
curieux dans les affaires religieuses de son temps ', nous ne croyons pas
superflu d'exposer ici, d'après Paquot ^, l'origine de ce petit débat, où le
protégé du gouvernement l'emporta sur l'élu de la fondation. Quand le
frère Désirant reçut le titre d'historiographe royal, en avril 1689, par
décret du marquis de Castanaga, il obtint en même temps la faculté d'en-
seigner publiquement l'histoire au collège des Trois-Langues et dans tout
autre, avec promesse d'une pension de cinq cents livres^. Bientôt après.
Désirant, ayant publié son programme, fit savoir qu'il inaugurerait sa
charge de professeur le 14 mai 1689. Cependant, sur les représentations
des proviseurs dudit collège, le recteur lui interdit cet acte auquel il se
croyait autorisé par son brevet *.
Au jour fixé, Désirant fit l'ouverture de ses leçons au Collegium Regium,
' Voy. Goelhals, Lectures relat. à l'histoire des sciences et des lettres, t. I, pp. 200-208,
2 Fasti Acad. Lov., 1. 1, folio S03 et 525.
"' On exigeait de Désirant qu'il prêtât le grand serment de fidélité au Roi; mais on lui donnait :
'< Plein pouvoir, autorité et mandement spécial de faire bien et dûment toutes et singulières
ji choses, qu'un bon et royal Historiographe peut et doit faire, avec faculté d'enseigner non-seule-
)) ment au collège des Trois-Langues en l'université de Louvain, comme ont fait tant d'autres
» pourvus de semblable état, mais aussi dans tout collège où il sera trouvé convenir, à la pen-
)) sion de 500 livres du prix de 40 gros de monnoie de Flandre la livre par an, dont il sera payé
» par la l'ecette générale des Finances. »
^ Désirant avait tenté un jour de pénétrer par force dans le collège. — Goethals , Lert., I, p. 205.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 191
au milieu d'un grand concours d'auditeurs attirés par la nouveauté du
fait. Mais plus tard, par lettres royales du A juillet, l'intendant de Lou-
vain {Praetor seu Villlciis) reçut ordre de mettre Désirant à même d'en-
seigner dans le collège de Busleiden : ce qui fut exécuté. On voit ce
personnage porter dans les années suivantes, par exemple en tête de
thèses qu'il présidait % la double qualification de Hisloriograpims regius et
de Hisloriarum professor publiciis. Sans doute la leçon de latin était sup-
primée de fait, par suite de l'abstention à laquelle Gautius se résigna, et
Désirant, qui avait reçu le singulier privilège d'enseigner en tout collège,
avait sa chaire d'histoire bien établie là où elle se confondait dans sa dési-
gnation avec une autre leçon, la lectio hisloriarum'^. Désirant conserva sa
charge jusqu'à l'an 1701 ; mais il est constant que l'histoire romaine n'était
pas une partie importante de son enseignement. Il traitait de préférence
l'histoire moderne et même l'histoire contemporaine, et ce sont des allu-
sions imprudentes à des faits tout récents qui amenèrent la suspension
de ses leçons, et le firent condamner lui-même à l'exil 5. Après son départ
précipité, la chaire qu'il avait disputée à Gautius dut rester vacante quel-
ques années.
' Voir des thèses du 20 décembre 1691. Promot. in artibus, folio 72.
■2 On ne dit pas si Desiranl , agréé enfin par les proviseurs, toucha les honoraires de cette leçon
suivant les usages de la fondation.
5 Nous n'avons point à rapporter en détail toute celte affaire, esquissée par Paquot (MS , p. 325).
Désirant expliquait l'histoire d'Angleterre en juin 1701 , quand, arrivé aux règnes de Jacques II et
de Guillaume III, il se permit de donner de grandes louanges à ce dernier. La chose fut relevée
par des Irlandais et par d'autres élèves; elle fut déférée à quelques généraux français , entre autres
au maréchal de Boufflers, et ensuite au gouverneur de la Belgique, le marquis de Bedmar. En vain,
Désirant se justifia par lettres : un arrêté du gouverneur, promulgué à Louvain, le 20 juillet 1701,
lui enjoignit de sortir des terres de la juridiction royale et de renoncer à tout professorat, à cause
de ses discours injurieux pour deux rois, Louis XIV et Jacques II. Une brochure justificative avec
des attestations de ses auditeurs ne fit point d'elfet. Désirant s'exila, et il ne revint plus tard
en Belgique que pour semer de nouvelles intrigues, entre autres celle à laquelle son nom est atta-
ché, la fourberie de Louvain. Désirant mourut à Rome, en 1723, laissant la réputation d'un esprit
exalté, intolérant et ambitieux.
Tome XXVIII. 26
192 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
15. Jean François de Laddeksols.
(1705-1720).
Jean François de Laddersous, né à Malines, termina brillamment ses
humanités, fit son cours de philosophie au collège du Faucon, et obtint
la cinquième place dans le concours académique de l'an 1G82. Après
quelques années consacrées à l'étude de la théologie, il fut chargé de
l'enseignement de la philosophie à la pédagogie du Porc ' ; il avait le rang
de professeur primaire et le grade de bachelier en théologie (S.-T.-B.-F. ),
quand il fut appelé à l'enseignement du latin, au collège des Trois-Langues.
Gautius ayant résigné définitivement sa charge, en date du 7 mars 1705,
les proviseurs du collège la conférèrent le 2 avril suivant à de Ladder-
sous, à celte condition qu'il ne poursuivît pas, sans leur consentement, le
débat suscité autrefois par Désirant, et qu'il n'en provoquât pas d'autre.
De Laddersous , en acceptant cette charge , dut s'entendre avec les deux
compétiteurs qui se l'étaient disputée^. Du moins put-il sans obstacle se
nommer, suivant la dénomination qu'avait prise la chaire primitive de
langue latine, Lalinae Historiae ac Politicae professor publicus^. Rien ne
prouve qu'il se soit distingué comme latiniste; du moins il se rendit utile
dans plusieurs fonctions, par exemple dans celle de directeur de la biblio-
thèque académique de Louvain*, et de président du collège de Malines.
En vertu des privilèges de la Faculté des Arts, il avait été pourvu d'un
canonicat en l'église primaire de S'-Lambert à Liège. De Laddersous
mourut à Louvain le 2 janvier 1720, et fut enterré dans le petit cimetière
de S'-Pierre, où l'inscription de sa pierre sépulcrale était presque effacée
et devenue illisible du temps de Paquot.
' C'est en celle qualité qu'il fut attaqué avec une certaine violence par des membres de la com-
pagnie de Jésus, dans l'affaire du Formulaire Belgique, affaire qui donna lieu, de part et d'autre,
à la publication de plusieurs réquisitoires latins, mais dont l'examen est étranger à noire travail.
- Paquot, Fasti, I, folio 506 : Satisfacere vero cum Gaulio, tum Desirantio debuit.
'■> Gomme le porte sa signature au bas de plusieurs approbations.
* Il n'y a aucune mention de Laddersous dans l'Histoire de cette bibliothèque, par P. .Namur.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 493
16. Christianus Bombaeus (Chrétien Bombcnje).
(1720, ann. suiv.).
Chrétien Bombaye, dont le nom est écrit quelquefois aussi Bombay,
naquit à Rolduc, dans le district d'Aix-la-Chapelle, le 16 novembre
1688. Quatrième dans la promotion de l'an 1706 avec Adrien Marcq de
Nivelles % il fut lecteur au collège du pape Adrien VI, et obtint le 17 aoiit
1718 le grade de licencié en théologie. En 1720, il succéda à de Ladder-
sous comme professeur d'histoire au collège des Trois- Langues ; mais
d'autres études et d'autres charges occupèrent Bombaye à partir de cette
époque. Il fut recteur en 172!8, et il devint, en 1756, professeur des
décrets {ad Decrelum Graliani) et chanoine de S'-Pierre. L'an 1752, le
21 octobre, il fut proclamé docteur es droits^ et l'an 1741 il fut nommé
professeur ordinaire de droit civil [Ordinurms in jure civili). Il mourut à
Louvain, le 12 mars 1747.
Malgré les titres académiques de Bombaye à l'époque de sa nomination
au collège des Trois-Langues, on lui suscita des difficultés au sujet de
l'enseignement du latin ^ et on le remplaça momentanément par Lambert
de Jenefîe de Iluy, licencié en théologie '', qui ne remplit du reste ce poste
que pendant une seule année (1721-1722). Cependant, par suite d'une
motion des proviseurs et d'un décret académique, Bombaye fut rétabli
dans sa dignité. Seulement il arriva que ce professeur, qui avait d'autres
fonctions à remplir et qui avait à lutter sans cesse contre sa mauvaise santé,
confia à diverses reprises la leçon de latin à un humaniste déjà fort estimé
dans l'Université, Gérard Jean Kerckherdere. Les fonctions de ce dernier,
' IJno noio additionnelle an MS. de Foppens (Promotiones in arlibus, folio 29o) nous a fonrni
plnsienrs des renseignemenls hiographiqnes dont nous avons fait usage en celte notice.
2 Voy. le supplément aux Fastes académiques de Valère André. Annuaire de Vuniv. de Louvain ,
ann. 1844-, p. U9. — Bomliaye était licencié en droit depuis 1721.
'• Nous empruntons ces détails aux notes de Paquot, Fa&li, MS., t. I, p. 507.
'■ (^e personnage (Lambertus de Jeneffe, Huensis) fut promu docteur en théologie, le 5 août
173-2. [Snppl. nd Fastns doct. S. Th. — Oratiode laudibus, etc.. pp. 145-146.) Il fut président du
collège d'Arras, devint recteur en 1741 et mourut en 1753. Ses contemporains louaient en lui
de brillantes qualités : Dicendi facundia, scribendi ekgantia , docendi solci-tia , etc.
194 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
à titre de suppléant, furent de si longue durée, qu'on peut le compter parmi
les professeurs du collège des Trois-Langues, et lui accorder de ce chef
une notice séparée.
La chaire de latin appartenait toujours de droit à Bombaye; quand
Kerckherdere mourut en 1758, le premier en fit valoir la légitime posses-
sion, et il ne la résigna en faveur de J. II. Vanden Steen, en 1741 . que
(jnand il fut promu lui-même à la chaire de droit civil.
17. Gérard Jean Kerckherdere.
Le suppléant de Bombaye, qui professa le latin au collège des Trois-
Langues entre les années 1722 et 1758, était un des membres les plus
actifs de la Faculté des Arts. Puisque sa vie n'a pas encore été écrite avec
détails, on nous saura gré d'en reproduire ici les principaux traits *.
Gérard Jean Kerckherdere (nom qu'on trouve écrit aussi Kerkherdere
et Kerkherderen ) était né à Ilulsberg, localité du territoire de Fauque-
mont, dans le Limbourg, en 1677'-^; de là vient le surnom de Falcobiir-
gensis qu'on lui donna souvent. Après ses premières études, faites au
collège des jésuites à Maestricht, il se rendit à Louvain en 1694, et en
terminant son cours de philosophie au collège du Porc, il fut le quatrième
dans la promotion du 20 novembre 1696. Le reste de ses jours s'écoula
à Louvain : il avait étudié les langues et les éléments de la théologie,
avant d'occuper successivement deux chaires au collège de la Sainte-Trinité,
celle de Grammaire de 1700 à 1702 et celle de Syntaxe, de 1702 à 1708.
C'est en 1708 que l'empereur Joseph I" lui conféra le titre d'historio-
graphe impérial et royal [Caesarci et Rajii hislorioçjrapln)^ titre qui ne fut
* Nous tirons des faits neufs des notes de l'abbé Bax, folio 1443, 1517 el 1527, et des Faxti
manuscrits de Paqiiot, 1. 1, p. 524 ( Historingraphi regii).
- Comme en fait foi l'extrait suivant du registre des baptêmes de la paroisse de Hulsberg,
pour l'an 1677. Exlraclmn ex regislro baplizalormn parochiae Ilulsberg ( 1077). Die seplimii
Novemhris baplizalus est Ger ardus Jouîmes ftHus Joannis Kercherderen scabini curiac Climensis et
Muriae Roebroox conjiigum. Susceperunl eum e sacro baplismalis fonte D. Henricus Franssen loco
coHsultissimi Domiui Gerardi Paris (?) Régis christianissitni consiliarii nec non ejusdem concilii
Brabantiae Trnjecli secretarii et Maria Ubachts loco Calharinae Gansl (ou Fauss).
DES TROIS LANGUES A LOUVAIN. 193
donné à personne après lui jusqu'en 1762 K II fournit encore une longue
carrière ^ et il était âgé de 62 ans, quand il mourut le 16 mars 1758.
Sous le rapport de son instruction et des qualités naturelles de son
esprit, Kerckherdere n'était pas indigne de prendre la parole dans une des
chaires de Busleiden. Doué d'une érudition qui était devenue de son temps
peu commune, Kerckherdere était habile dans les trois langues grecque ,
latine et hébraïque; s'il faut en croire les souvenirs de ses contemporains,
il les savait au point de les parler avec facilité, et il s'en servit pour
aborder les questions les plus difficiles de l'antiquité sacrée et profane-'.
Plusieurs de ses élucubrations d'histoire et d'exégèse en ce genre ont vu le
jour*; mais, bien loin d'avoir joui de l'approbation des savants, elles ont
été jugées avec assez de sévérité par des hommes instruits qui ont fleuri
peu après lui dans le même siècle. Ils n'ont attaché qu'une importance
secondaire aux traités de Kerckherdere intitulés : Prodromus DanielUicus
(1711), Syslema apocalyplicum (1708), Ceplias reprelwmis , de Situ Paradm
terrestris (1751), etc. Quant h son ouvrage plus étendu, qui, sous le titre
de la Monarchie de Rome païenne ■', établissait une stricte concordance
entre Daniel et saint Jean dans leurs prophéties sur les destinées et l'his-
toire de l'empire romain, il a été jugé plein de vues hasardées et de con-
' Après sa mort, la charge d'historiographe resta quelques années vacante; puis, par un décret
du 6 février 1743, le revenu de 500 florins (D florimrum) qui y était attaché, fut partagé {provi-
sionaliter) en trois parts. Le passage peu explicite de Paquot, auquel nous devons ce renseigne-
ment, est resté inachevé (Fasii, MS., t. I, p. 323). Plus tard seulement la charge échut à Paquot
(voy. chap. VllI, § 13).
2 II avait épousé, en 1319, \nne-Marie Gaulants, fille de Charles-François Gaulants, greffier,
et de Jeanne-Françoise-Caroline Smits.
5 Latine, Graece utque Hebraice ita perilus . u( husce ires linguas sacras ac si nativae forent
eloqueretur facillime; hisce adminiculis antiqiiilatis sacrae et profanae abstrusas historias , prae-
sertim Scriptiirae sacrae exponebat; multaquc in lus edidit calcula erudilorum prohata. etc. Re-
cueil de Bas, folio 1317-1318.
* Voy. la bibliographie qui suit la vie de Kerkherdere dans la Biorjraphie liégeoise du conile
de Becdelièvre, t. II, pp. 383-383, et dans l'article de la Biographie universelle calqué sur celui-ci
par M. Lavalleye(t. LXVIII, pp. 493-94).
s MoNARcniA RoMAE Paganae, Secundum concordiam inter S. S. Prophetas Danielem H Joanneni
nunquam haelenus tetilalam. Consequens hisloria a Monarchiae conditoribus usque ml Urbis et
Imperii ruinam, opus praemissum quatuor Monarchiis. — Accessit séries IJistoriae apocaUjpticae.
.\uctore J.-G. Kerckherdere. Lovanii , typis M. van Overbeke, 17"27, pp. 572, in-8°.
19G MEMOIRE SUR LE COLLEGE
clusions forcées : poussé par un esprit de système qui indique peu de juge-
ment ^, l'auteur a prétendu montrer dans les Écritures la désignation
précise des événements politiques de règne en règne. Dans la préface de
ce travail, Kerckherdere fait entendre que s'il en a différé la publication,
c'est à cause des soins que réclame de lui l'enseignement de l'histoire ou la
composition de poésies; il compte bien regagner le temps perdu en mettant
au jour un grantl nombre de dissertations sur les points historiques les
plus compliqués de l'Ancien et du Nouveau Testament -. 11 est fort à
craindre que, malgré des intentions droites, il n'ait souvent été entraîné, en
ce genre de recherches, à défendre savamment des opinions sans valeur.
Mais nous n'insistons pas davantage sur ces travaux , par lesquels
Kerckherdere entendait satisfaire à sa mission d'historien et payer son
tribut à la science des Écritures ; il nous reste à dire ce qu'il fit d'un autre
côté pour les études de philologie et de littérature. 11 professait encore
les humanités quand il publia, en 1706, un abrégé méthodique de gram-
maire latine, qui présentait les règles essentielles avec clarté et sans sur-
charge d'exemples; il expliqua son dessein dans une préface adressée
aux membres de la Faculté des Arts de l'Université, et il recueillit les
suftrages des trois hommes qui enseignaient alors au collège de Busleiden ,
Fr. Martin, J. van Iloven et J. F. Laddersous, comme on le voit dans
leurs attestations qui terminent le volume. On lui sut gré d'avoir résumé
avec intelligence les éléments d'une science proposée à l'attention de la
jeunesse, et aujourd'hui même il est juste de lui attribuer le mérite
d'avoir donné aux classes un livre qui leur manquait. Kerckherdere fut
bien plus renommé de son temps comme poète latin : à cause de sa grande
facilité de composition ou d'improvisation, on ne fit pas difficulté de le
' (j'est en ce sens que sont rédigées les notes critiques fort nombreuses dont M. Giiyaux, profes-
seur d'Écriture sainte au dernier siècle, a chargé un exemplaire interfolié qui a passé sous nos yeux.
- Plusieurs sont restées manuscrites, telles (]ue celles sur les ((uatre Ages, sur les quatre monar-
chies, sur les LXX semaines de Daniel. Voy. la Biorjraphie liégeoise, l. Il, p. 583.
'' Granimatica latina in faciliorem methoditm redacta additis anomaliarum causis. Pws prima
ot secnnda. Lovanii, apud .'Egidium Deniqne. a" 1706, pp. \ 17, in-12. Nous avons remarqué un
appendice De veleri Hnguae latinae prommtialione (pp. d06-l 17), où l'auteur s'appuie sur de con-
tinuels rapprochements entre le grec et le latin sous le rapport de l'euphonie et de l'orthographe.
DES TROIS-LAINGUES A LOLVAIN. 197
comparer à Virgile et à Ovide, et même de lui appliquer l'aveu naïf que
faisait ce dernier poêle, comme s'il ne savait plus parler autrement qu'en
vers :
Quidquid lenlabam dicere versus erat.
Non -seulement Kerckherdere flt grand nombre de pièces de circon-
stance pour des premiers, des licenciés, des docteurs, etc.; il publia trois
recueils de poésies latines, intitulés Vox academica, où il se faisait l'in-
terprète des sentiments de l'Université, à l'occasion delà naissance et
ensuite de la mort du sérénissime archiduc Léopold*, puis à l'occasion
de la bataille de Belgrade. On a aussi de lui une pièce latine qui est
une histoire en vers de la Faculté de Théologie de Louvain jusqu'à son
époque ^ : de Schola theologica Lovaniensi.
Kerckherdere avait fait tant de vers pour les autres; on le paya après sa
mort de la même monnaie, et on lui rendit ses compliments avec usure.
Un versificateur du temps, Jean Ferdinand Delhoungne, composa un
poëme funèbre in obitum subtilissimi (sic) Domini Kerckherdere ^. Nous ne
pouvons charger ces pages de la longue série de distiques ampoulés qui
portent la gloire de Kerckherdere jusqu'aux astres; qu'on juge par le
suivant de l'extravagance des comparaisons :
Qui Cicero velut aller erat, velutalter Apollo,
Inlerque hisloricos Curlius aller eral.
Que penser des qualités qu'on a démesurément exaltées en sa per-
sonne, au point d'en faire un grand poëte et même un génie original * !
Kerckherdere eut en partage, avec de l'érudition, un talent remarquable
' Ces recueils onl été imprimés chez Ég. Denique, à Louvain, en t716, petit in-4°. Voy. Pa-
quot, MS. cité, p. 524.
2 Elle a été publiée comme document historique dans les Analectes de VAnnuaire de l'imiv. de
Louvain, an. 1840, pp. 190 et suiv.
5 Ces vers ont été imprimés à la fin de la Vox academica, editio tertia. (Lovanii, P. É. Denique,
pp. 40, in-4°.)
^ Les textes latins, dont Bax cite des extraits, le nomment : Poeta sui aevi longé primus , praes-
tantissimus Apullinis inlerpres , ciinctarum arlium vutcs studiosissimus , etc.
498 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE
Je versificaleui-; mais ce ne fut, à vrai dire, ni un historien, ni un poëte.
11 fut bon grammairien et enseigna sans doute avec méthode; mais il ne
fit rien pour étendre le cercle des études latines, en remontant aux monu-
ments classiques qu'on avait négligés.
18. Henri Joseph Vandensteen.
Natif de Jumet, près de Charleroy, Vandensteen succéda à Chr. Bom-
baye le 50 novembre 1741, et il conserva la chaire de latin jusqu'à sa
mort, qui arriva l'an 1768^
Vandensteen avait étudié au Porc et obtenu la cinquième place dans
la promotion de 1726, ou bien, suivant Paquot , de 1728. Il eut plus
tard la charge de conservateur du bâtiment académique qu'on appelle
/es Halles. On ne connaît point de fait significatif qui ait marqué son pro-
fessorat au collège de Busleiden.
Après la mort de V^andensteen, on ne fit plus de nomination pour la
leçon de langue latine, dite vulgairement leçon des histoires {liisturut-
rum). ,
' Periii irtu molae alalne. Nous devons ces détails sur sa vie à l'ahiié Bax, folio 1444 et 1519,
et à l'aqiiot, Fusti, t. I, p. 507.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. ^99
CHAPITRE VU.
LES PROFESSEURS DE LANGUE GRECQUE.
VyùvM t'Ête/t", àpx«~îov cvei^oi àhiié^iv
Aéycii Et ifeùyofisv, Boii^Tiav \/v. . . .
(l*iNDAB Ohpnp. VI.)
Le préjugé était vaincu sur notre sol, et plusieurs hommes s'étaient
mis à l'œuvre, depuis un demi-siècle, pour être initiés à la connaissance
jadis encore mystérieuse du grec , à l'envi des étrangers qui s'en étaient
longtemps prévalus. Érasme pouvait dire aux savants belges, comme à ce
jeune savant espagnol auquel il écrivait en 1526 \ que leur pays allait
être lavé de tout reproche de barbarie, et que, comme l'Espagne, il re-
deviendrait l'égal de l'Italie dans la culture de l'esprit. 11 est de fait
qu'Érasme n'avait plus à craindre pour l'honneur de ses compatriotes,
quand déjà , en l'absence d'un enseignement régulier, un si grand nombre
d'hellénistes s'étaient formés au milieu d'eux en quelques années. C'est au
point qu'au moment où les mandataires de Busleiden devaient pourvoir
une première fois à la chaire de grec, il se présenta plusieurs concurrents
qui avaient travaillé en s'entr'aidant, en recourant aux lumières des plus
avancés de leurs condisciples, dans les collèges de Louvain.
Un de ceux dont les titres parurent le mieux établis, fui Jacques Teign,
de Horn en Hollande, dit Ceratinus 2, du nom de sa ville natale. Il pou-
vait compter plus qu'aucun autre sur l'appui d'Érasme, qui louait en lui
' Epist., t. I, p. 932. Nicolao Hispano (Basileae, 1526) : Pmdarus in Dithyrambis studel ele-
gaiilia carminum âbolere probrum, quod vulgus in Boeotos jacere solel, onôyciuiy , inquiens. r.om-
zixy \i'j; quo facilius erit ingenii, doctrinae, facundiaeque laudem, qua quondam Bispania non
cessit llaliae, postliminio revocare, etc..
- Il a figuré au chapitre V (p. 131), parmi ceux qui ont favorisé les premiers par des leçons ou
des exercices le mouvement littéraire dans l'Université. Voy. Foppens, Bibl. BeUj., pp. 508-509, et
de Reifîenberg, Qnatriènœ Mémoire, pp. 80-82. — Ceratinus ne mourut qu'en 1530.
Tome XXVIIl. 27
200 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
la modestie alliée au savoir '. Déjà il avait gagné à Louvain des prosélytes
aux deux langues classiques dans lesquelles il était versé. Comme il n'ob-
tint aucune des chaires de Busleiden, il essaya d'ouvrir à Tournai une
école de philologie où il prit pour sa part l'enseignement du grec ^. Mais
peu d'années après, vers 1520, chassé de Tournai par la peste et la
guerre, il passa en Allemagne, enseigna à Leipzig vers 1525, et puis
séjourna de nouveau à Louvain. Il est incertain s'il donna dans cette
ville des leçons publiques avec un titre quelconque; mais vraisemblable-
ment il s'y occupa sans relâche de ses deux principaux travaux, qui méri-
tent d'être cités dans l'histoire des humanités : car ils sont restés en témoi-
gnage de son savoir et de son aptitude à traiter les matières philologiques
avec une rigueur encore bien rare de son temps. C'est son dictionnaire
grec, le premier qui ait été composé en Belgique, et son traité sur le son,
la valeur et la prononciation des lettres grecques ^. Plus d'une fois Érasme
a déclaré Ceratinus capable de professer avec succès en Italie même :
mais on a lieu de croire que son bon vouloir envers lui fut arrêté par
l'idée qui le préoccupait fortement en 1517 et 1518, celle de faire venir
de l'Italie un des Grecs réfugiés en ce pays, afin qu'il enseignât la langue
avec la vraie prononciation conservée par les Byzantins. La persistance
avec laquelle Érasme nourrit cette pensée *, et l'enthousiasme avec lequel
il en fit part à Jean Lascaris ^, prouvent assez quel développement il con-
seillait à ses amis de Louvain de donner incessamment à l'étude du grec.
' Préface du dictionnaire publié en 1529 (voy. ci-après, note 5) : Qui... exactam ulriusque lin-
gnae peritiam citm incredibili modeslia copulavit.
- Voy. de Reiffenberg, Quatrième Mém., pp. 4^2 et 81, et Bottier, Mém. sur Érasme, pp. 1 17-1 18.
^ Le premier ouvrage a paru à Bàle, en 1324., avec une préface élogieuse d'Érasme (voy. de
Reiffenberg, /. c, p. 82) : Dictionnarius Graecus praeter omnes superiores accessiones.... ingenti
vocabulorum numéro locuplelntuf. , etc. Basil., J. Froben, in-fol. — Le second ouvrage De Sono grae-
carum iUerarum parut à Cologne, en 1529, in-8".
' Érasme demandait l'assentiment de J. Robbyns par sa lettre du 18 mars 1318: De Grneco
accersendo narrabis Borsalo quid tibi sententiae; is libi vicissim meum referet aiiimum... (Epist.,
t. 11, p. 1C77).
» Jean André Lascaris avait été, dès 1493, le maître de G. Budé et de Danès en France; sous
Léon X, il avait dirigé 5 Rome une école grec(|ue. IMais il passa de nouveau en France vers 1317,
et il ne rentra à Rome que sous Clément Vil. — Voy. Hodius De Graecis illuslribus. Londini,
1742, pp. 257-260, et Roerner De hominibus erudilis, etc.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 201
La lettre d'Érasme à Lascaris nous a paru assez curieuse pour être ana-
lysée en tète de ce chapitre, consacré aux titulaires de la chaire de grec ' :
on y voit qu'Érasme avait été chargé officieusement de cette affaire, et
qu'il la négociait avec plein pouvoir. Érasme parle de la fondation faite
récemment par la munificence de Jérôme Busleiden, de l'enseignement
gratuit et public du collège des Trois-Langues , et des honoraires assez
beaux (d'environ 70 ducats) promis à chaque professeur. 11 presse J. Las-
caris de lui envoyer au plus tôt, pour la chaire de grec, un de ses compa-
triotes instruits, un Grec qui donne sans peine aux jeunes gens la pure et
vraie prononciation de son idiome maternel. Il fait valoir, au-dessus de
l'indemnité et des égards qui lui seront dus, la probité et la douceur des
hommes avec qui il devra vivre ^. Il ne donne point de promesse écrite à
Lascaris; la meilleure garantie, c'est la parole d'Érasme, qui vaut cent
diplômes, qui est une promesse royale.
Malheureusement, la proposition d'Érasme ne put avoir de suites. Jean
Lascaris, qui était en France, ne la reçut pas en temps opportun, et celui
sur qui Érasme avait compté comme dévoué d'ordinaire aux hommes d'es-
pérance et d'avenir ^, ne lui donna pas de réponse. Instruit de ce contre-
temps par la correspondance officieuse de Paul Bombasius qu'il avait mis
au courant de ses démarches *, Érasme ne put pas insister plus longtemps
sur le choix d'un Grec de naissance. Bombasius, il est vrai, lui promit
de nouvelles recherches en Italie pour satisfaire à son désir ^; mais il
n'était plus temps de compter sur les débris de l'émigration byzantine,
• Lettre de Louvain, 26 avril 1518. £'pts(., t. I, p. 319.
- Ibid... Dabitur viaticum , dabitttr salarium , dnbitur locits. Eril ilU res cum viris integerriniis
et Inunanissimis.
■' Érasme dit de lui : Semper candidissime favit bonae spei ingeniis (Epist., t. I, p. 377).
* Lettre de Rome, 1" octobre 1318 {Episl., t. I, p. 332) : Lascaris in Gallia nune agil,prop-
lereaque a me conveniri non poluil. Si quae viri docti, qualem mihi describis , facultas mihi se
obtulerit, tuae voluntcUi pariler, acillius commodo inserviam. Dans une lettre d'Erasme à P. Bom-
basius {Episl., 1. 1, p. 558, en décembre 1518), le premier témoigne sa surprise du départ de
Lascaris, sous Léon X : Demiror quae res Joannem Lascarim Rorna potueril avellere, praeserlim
Leone praesidenle rébus ac sludiis.
s Paul Bombasius était un des amis et correspondants les plus officieux d'Érasme en Italie; il
fut secrétaire du cardinal Sanctorum quatuor, et fui mêlé à plusieurs affaires politiques et reli-
202 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
réduite à quelques érudits presque otlogénaires, et l'on procéda au choix
d'un helléniste sorti de nos écoles '.
1, RuTGERUS Rescuis (EiiUjcr Ressen).
(1518-1543.)
Le premier professeur élu par les mandataires de Busleiden, pour la
chaire de grec, était un élève de ce Jacques Ceratinus, qui semblait devoir
l'emporter sur tout autre, grâce aux services rendus aussi bien qu'aux
suffrages d'Érasme. Rutgerus Rescius, dont le nom vulgaire était Ressen 2,
naquit à Maseyck, petite ville de l'ancienne principauté de Liège, sur les
bords de la Meuse : il se donnait à lui-même l'épithète de Dryopolitunua. Il
prit à Louvain, le 22 août 1515, le grade de bachelier en droit; mais,
fort instruit dans la langue grecque qu'il avait apprise dans sa jeunesse,
il eut des occasions de l'enseigner à d'autres jeunes gens. Il put bientôt
l'enseigner en titre, comme professeur de la fondation de Busleiden, et il
fut un des trois maîtres qui inaugurèrent leur chaire le 1" septembre
1518, dans un local provisoire. Mais qu'il n'y ait plus demépriseà l'avenir
sur l'espèce de profession que fit Rescius chez les PP. Augustins ^ : il ne
revêtit jamais l'habit de ces religieux , il ne prononça aucun vœu entre
gieiises. Érasme le tenait pour un homme fort instruit, qui aurait écrit avec distinction, si les
circonstances extérieures n'y avaient fait obstacle. (V^oy. Episl., t. I, pp. 665-660. Eruditissiniu
P. Borabasio. Anderlecht, 1521.)
' On croirnil qu'un certain Roberlus Cnesar s'élait mis sur les rangs, dès 1317 : c'était un bel
esprit qu'Erasme avait appris à connaître chez un de ses amis, Antoine Clava, conseiller de Flandie.
Dans une des lettres sans date, il s'agit d'une épttre de R. Caesar, pleine d'excessives louanges pour
Érasme. (Episl., t. II, p. 1787.) Mais ailletir.>5, dans une lettre de décembre 1317, celui-ci dità Clava,
sans doute à propos de quelque ouvrage ou de quelque pièce : Caesaii gratulor tantiwi Graecilutis.
Video quid ayat , umbit Graecanicam professionem in hoc novo colkgio, etc. {Epist., l. Il, p. 1651.)
- Voy. Bihl. lielg., éJit. Foppens, p. l'iSD, et les Exordiu de Vaière André, p. 66. De plus,
nous avons consulté pour celte notice Paquot. Fusti, MS., t. I, p. 508, et l'abbé Bax, fol, 1449-1430.
'" Auspicatus fuit professionem anno 1518 Kal. Septemhr. apud Paires Augustinianos (Vaière
André, Fasli , p. 282). Voy. les notes du discours de M»' de Ram : Coiisid. sur l'Iiist. de l'Uiiiv.
de Louvain, pp. 46-48 (mai 1834); il y a rectifié l'assertion du P. van Iseghem au sujet de l'apos-
tasie de Rescius, et cette inadvertance a été depuis réparée par l'auleur.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 203
leurs mains; tout simplement comme ses deux collègues, il donna sa pre-
mière leçon dans une salle de leur maison.
Rescius fit ses débuts sous les yeux d'Érasme qui, l'année suivante,
prenait ses repas en sa société et trouvait du charme à plaisanter avec
lui '. Il avait deux nouveaux collègues, Goclenius et Campensis, à l'époque
où se fit l'installation des professeurs dans le local définitif du collège 2.
Jusqu'à la fin de sa carrière, Rescius remplit les mêmes fonctions : il
mourut à Louvain, le 2 octobre 1545, et l'on porte à vingt-sept ans la
durée de son professorat.
Le savoir était uni chez Rescius à beaucoup de talent; ce ne sont pas
sans doute de vains éloges qu'Érasme lui a donnés, en louant à la fois sa
science et ses qualités morales : « Je ne sais, disait-il, en 1519, à J. Rob-
byns "^, si l'on rencontrerait un homme plus savant : certainement on ne
trouverait pas dans un autre plus de zèle et des mœurs plus pures » ; et
ailleurs encore '*, il lui attribue « une érudition peu commune, rehaussée
par une modestie incroyable et par une pudeur en quelque sorte virgi-
nale. » La réputation de Rescius s'était répandue assez vite au dehors, pour
qu'il eût reçu, vers 1527, des offres brillantes de François I"'' qui voulait
l'attirer dans ses États. La tentation dut être forte pour Rescius, qui s'était
plaint trop souvent : aussi Érasme le pressa-t-il sur-le-champ de consacrer
de nouveau toute son activité au collège de Rusleiden ^ et le supplia- 1- il
' Epist., t. I , p. 523 (1" décembre 1319) : Utimiir eadem mensa et inter pocula quidvis (jur-
rimus.
- Paquot {Fasti Acad , t. I, p. S08) parle d'une copie du discours prononcé le 9 mars 1318. Il
faudrait en loul cas substituer l'année 1319 à l'année 1518, puisque le personnel ne fut constitué
qu'en septembre 1318; mais comment expliquer la grande difl'érence des dates, à moins de sup-
poser que Rescius n'ait commencé qu'environ six mois après les deux autres : Orationem in auspi-
ciis yraecae professionis anno 1318 VU Mus Marlias.... in collegio Triliiigui Lovanii habitam,
exscriplatnqne ex Rescii aulographo 3 Septembre 1039 abcjus pronepole Nicolao Nessel, S. T. L.
Proton, upostolico, et Leodii ad S. Paulum canonico, adserval (in-4'', pp. 13) J. F. Baelemans.
^ Docliur an inveniri potest ncscio; cerle diligentiorem et moribus puriorein vix inventas. —
Epist., 1. 1, p. 523.
■' Ep. ad Bern. Buchonem, sept. 1321 (Epist., t. 1, p. C67): Qui doctrinamnon vulgaremincre-
dibili quadam modestia pkinvque pttdore quodam virginco dedecorut.
■> Leitre de Bùle (7 octobre 13-27) sur laquelle nous reviendrons encore. ( Epist., t. I, pp. 1017-
1018.) En voici des extraits; Ojferenliir libi aliunde magni/icae conditiones... amplissimis promissis
204 MÉMOIRE SUR LE COLLÈGE
même de « rendre aux lettres par l'habileté de son enseignement l'éclat
que les lettres avaient déjà jeté sur son nom. » Érasme se souvenait des
efforts qu'il avait faits autrefois pour vaincre l'hostilité de quelques
hommes de l'Université contre Rescius, et pour lui obtenir quelques avan-
tages nouveaux ^ : il l'avait défendu contre d'indignes préventions qu'il
attribuait au mauvais vouloir de plusieurs envers les lettres, et qu'il reje-
tait aussi sur le caractère timide de Rescius. Il le représentait captif, en-
chaîné au collège des Trois-Langues, comme saint Paul était captif de
Jésus-Christ; seulement, disait-il bien haut, ses persécuteurs ne sont plus
des Juifs, mais des maîtres de la doctrine chrétienne. Cédant aux repré-
sentations d'Erasme qui lui venaient de si loin , Rescius conserva son
poste; mais il encourut à d'autres égards les reproches de son ami , comme
on le verra ci-après.
Rutger Rescius savait beaucoup, et il était apte à de grands travaux :
mais il fut entraîné, paraît-il, par l'idée commune à plusieurs hellénistes
de son temps, de négliger l'étude ou la critique des œuvres, de dédaigner
le soin de les traduire, en vue de publier un plus grand nombre de textes
grecs. Certes, c'était une entreprise alors fort utile que de donner des
textes revus, et quelquefois corrigés d'après les manuscrits : ainsi fit Res-
cius en publiant les Aphorismes d'Hippocrate avec des leçons inédites mises
en marge. On ne peut disconvenir non plus que la rareté des livres grecs
n'ait fait désirer vivement la publication de bons textes mis à la portée
de tout le monde. Mais il fallait, d'autre part, dans une chaire de grec ,
travailler à former le goût par la lecture des meilleures œuvres de la
littérature ancienne. Peut-être Rescius eut-il le tort de perdre de vue cette
inmlaris in Gallium, scis qualia vuhjo ftrantur GaUorum promissa, nec ignoras qtiid acciderit
JEsopico cani. Sed.... meinineris lutjus eliam commodi portioiiein non minimam te isii dehcre col-
leyio. Quaie lerogo, mi Resci, liUerae,quae le ornarmit, vicissim ornare conlende diligentia dexle-
rilateque profîlendi.
' LeUre à J. llobbyns, décembre i519 {Epist., t. I, p. 523) : Paulus gloriatur se vincium esse
Jesu Chrisli; Rulgerus gloriari polesl se vinctum esse collegii Trilinguis.... O pectus vere christia-
num. Modo mm Paido conluli Itulgerum qui hac cerle parle vincit, quod qui Paulum affligebant,
errabant, nimirum alieni a professione evunyelica. Ui proceres cliristianae doclrinae, prudentes,
de composilo haec designanl.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 205
première obligation; il s'attacha trop à l'étude d'auteurs grecs qui n'of-
fraient pas assez d'attrait à ses auditeurs et à son public. Érasme, qui l'a
suivi avec le plus vif intérêt, n'a pu s'empêcher de blâmer Rescius d'avoir
fait fausse route, d'avoir préféré des textes lourds, tels que celui des
Inslilutes, traduites en grec par Théophile, à des auteurs d'une lecture
agréable, où les beautés de la langue grecque fussent facilement apprises,
Démoslhène, par exemple, Lucien, les Tragiques ^ La méprise, on , si l'on
veut, l'erreur de Rescius, consista à se faire éditeur au lieu d'être avant
tout littérateur et critique, comme l'exigeait l'honneur de son emploi. On
ne peut donner tort aux membres de l'Université qui, s'apercevant de cette
tendance, témoignaient à Rescius leur mécontentement.
Après la retraite de Thierry Martens, en 1529, Rescius se mit à la tête
d'une imprimerie bien organisée, et il porta dans les travaux de sa maison
un zèle qui nuisait à la solidité de ses leçons de philologie. L'amitié patiente
d'Érasme l'avait averti à diverses reprises^; mais Rescius ne revint pas
aux lettres avec ce dévouement, dont il avait un exemple dans ses amis
et dans ses propres collègues. Érasme n'y tint plus, et dans une de ses
dernières lettres ^, il se plaignit hautement de ce que Rescius était tout
entier au gain, et qu'il ruinait bel et bien le collège.
L'importance toujours croissante de l'art typographique détermina peu
à peu Rescius à en faire sa véritable profession. Dans sa jeunesse, il avait
corrigé les épreuves des impressions grecques et latines sortant des ateliers
de Thierry Martens*. Il ne vit que les succès de celui-ci, qui n'avait pas
' Lettre à Goclenius, juin 1S36 {Epist., t. II, p. 1522) : Quid neeesse fuit, RiUgerum inlerpre-
tari Graecas Inslitutiones, è Lalino veisas? conducihilhtx erat interprelari Demosthenem, Liicin-
num, si quid liabel casti, Tragoedias giavibus senkniiis referlas, ac similes auclores, mule discitiir
graeci sermonis elegantia. Voy. le mémoire de M. Rottier sur Érasme, pp. H8-120.
2 En 1521 , il le détournait de prolonger un procès avec le médecin Jean Calaber (Epist., t. I,
p. 685); en 1527, il le priait de cesser toute contestation avec Goclenius, de se montrer plus désin-
téressé et non moins zélé qu'auparavant, et de ne pas se laisser absorber par les soins de l'état
de mariage qu'il avait embrassé; il lui recommandait de ne pas abuser de la lolérance que les admi-
nistrateurs du collège avaient montrée à son égard. {Epist., 1. 1, pp. I0I7-I0I8.) Voy. les notes
du discours cité plus haut, Considëratiotis , etc., pp. 48-50.
' Lettre citée de 1536 {Epist., t. II, p. 1522) : Sed ilte totus ad quaestum spécial, et gnaviter
perdit illud collegiiini.
'• Biographie de Thierry Martens par le P. van Iseghem, pp. 104-105, p. 140.
206 MEMOIRE SUR LE COLLÈGE
cependant poursuivi le gain dans sa profession, et il voulut être impri-
meur à son leur. Il fournit ses ateliers de types fort élégants, gravés en
Allemagne pour les trois langues hébraïque, grecque et latine; et chercha
à tenir ses presses en constante activité à l'aide de deux associés. Le pre-
mier fut Jean Sturm, de Sleiden, qui quitta Louvain dès 1550, et qui
fournit au dehors une longue carrière, vouée à l'instruction. Le second fut
Barthélémy van Grave ou Gravius qui, de libraire intelligent, devint dans
la suite imprimeur titré de l'Université '. C'est dans cette dernière période de
sa vie que Rescius sembla abdiquer son rôle de savant, et prendre d'autres
rôles d'accord avec de nouveaux intérêts : Varias personas suslinet, disait
Erasme^, en se plaignant de la métamorphose de son ami de Louvain,
C'était assurément un fort dangereux exemple que celui qu'avait donné
un homme sur qui tous les amis des études avaient les regards fixés ; mais il
ne doit pas nous fermer les yeux sur le mérite de Rescius. La sagacité de ce
maître dans la correction et l'interprétation des textes grecs ne faisait de
doute pour aucun des humanistes de son temps. Ils le consultaient et por-
taient intérêt à ses travaux. Rescius avait dédié son édition grecque des
Lois de Platon, à François Craneveldt, jurisconsulte et homme d'État, qui
cultivait aussi les lettres grecques. C'est à Rescius que ce dernier dédia
sa traduction de trois homélies de saint Basile : dans l'épître dédicatoire ^
il ne craignait pas de l'appeler « très-sage et très-éloquent » , de le nom-
mer : Vir omnibus virtutis atque doctrinae numeris absohitus.
Que si l'on considère en même temps le nombre déjà fort grand des
personnes qui étaient en Belgique versées dans le grec avant le milieu du
XV!"" siècle, on se refusera à croire que l'enseignement de Rescius ail été
sans valeur, et que son activité d'éditeur n'ait pas servi souvent avec effi-
cacité les intérêts de cette nouvelle branche d'étude.
Nous ne dresserons pas ici une liste complète des publications de Res-
cius appartenant à la littérature grecque*; mais il nous paraît indispen-
' Sur l'association de Rescius avec cet imprimeur, voy. l'article de M. Edw. van Even dans le
Bulletin du bibliophile belge, t. IX, 1852, pp. 256-257.
^ I^ettre de 1533 à Goclenius.
' Paquet, Fasli. l. c, p. 508.
^ Elle trouvera mieux sa place dans les aperçus historiques et littéraires du chapitre IX.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 207
sable d'observer en terminant cette notice biographique, que bien des
fois Rescius, en examinant les sources les plus dignes d'une étude spé-
ciale ou d'une réimpression, a attiré l'attention de ses élèves sur des au-
teurs d'une utilité classique. Dans une dédicace remarquable de son édition
des Mémoires sur Sacrale par Xénoplion S premier ouvrage grec qu'il publia
dans sa propre imprimerie (septembre 1529), il déclare que, dans le
vaste champ des auteurs grecs, il s'efforcera d'abord de choisir les meil-
leurs, ensuite de les imprimer aussi correctement que possible. Puis,
quand il s'est glorifié d'avoir donné à ce premier ouvrage une correction
qu'on chercherait en vain dans les éditions précédentes, il déclare qu'il
a choisi à dessein les Mémoires de Xénophon, qui doivent servir à la con-
tinuation de ses leçons; il s'est assuré que d'autres écrits du même auteur
la Cyropédie, Y Économique et le Hiéron, avaient plu à son auditoire l'année
précédente, et il a reconnu que les Grecs et après eux les Latins ont parlé
de Xénophon avec les plus grands éloges. Nous relevons ce fait principale-
ment pour montrer que, si Piescius a été souvent coupable de négligence
ou d'inadvertance dans sa tâche d'helléniste et de professeur, et s'il n'a pas
mis toujours assez de discernement dans le choix des livres classiques, il
a étendu ses lectures à un cercle fort vaste d'écrivains, et en a su tirer quel-
quefois bon parti dans ses leçons comme dans ses publications.
2. Hadrunus Amerotius (Adiien Amerol).
(1543-1 ses.)
Ce successeur de Rutger Rescius eut l'honneur d'être distingué par
Érasme, quand, tout jeune encore, il habitait le collège du Lis, avec
d'autres jeunes hommes fort appliqués ^ : Est in eodem collegio Adriamis
' Le P. van Isegheiii l'a traduite dans sa Biographie de Thierry Martens, pp. 106-108, et en a
donné le texte, pp. 159-140. —Cette dédicace à Gilles Biisleiden, frère du fondateur du collège,
est datée du 31 juillet 1329.
2 Lettre à B. Buclion. Epist., t. I , p. 667 , A. (Ânderlcclit, 1521). Érasme met au nombre de
ceux qui habitaient le collège du Lis Hermannus Westphalus, sans doute Herraann Buschiiis, du
diocèse de Munster, qui était sorti de l'école de Deveuter (voy. chap. I, § 1, p. 14). 11 dit que cet Her-
niann faisait servir son érudition fort étendue à former et à instruire la jeunesse avec une ardeur
ToMii XXVIIl. 28
208 iMEMOlRE SUR LE COLLEGE
Siiessionius , prcieler exactam utrhisque litcralnrae peritiam et philosopliiue gtiarus,
et juris Cacsarei non irjnarus, moribus mire ccindidis.
Cet étudiant de Soissons, qui donnait de si belles espérances, entra
au collège de Busleiden en 1545, et mit dans l'enseignement du grec ce
zèle intelligent et soutenu qui avait manqué à Rescius dans ses dernières
années. Adrien Amerot ^ ou Amerotius, originaire de Soissons en Picardie,
et connu par son surnom de Sucssioniiis ou Suessionensis, était venu de bonne
heure à Louvain ; il y fit sa philosophie au collège du Lis, sous la direc-
tion de Josse de Vroye de Gavre {Jmlocus Laetus Gavenis ou Gaveriiis), et fut
le premier dans la promotion de l'an 1516. Amerotius enseigna la langue
grecque dans les premiers temps au collège du Lis, où il avait Tappui
du président, J. Naevius, et de Gaverius, son ancien maître; bien des
années s'écoulèrent avant qu'il fût chargé de l'enseignement public de
cette langue, avec un titre officiel ^. Cependant, dès l'an 1520, il publia
chez Thierry Marions un abrégé de grammaire grecque, qui mérite une
place d'honneur parmi les livres méthodiques qui ont assuré la rapide
extension des études grecques au XYI"'" siècle -*.
Nous avons tiré de la préface de cette grammaire des renseignements irès-
curieux sur les relations qu'Amerotius a eues avec les membres de l'Uni-
versité, sur le but qu'il s'est proposé en concentrant sur la langue grecque
l'application et les forces de son esprit : la dédicace au prince Antoine de la
Marck n'est pas un morceau d'adulation banale, mais le programme d'un
homme studieux qui veut concourir pour sa part aux progrès de l'instruc-
tion publique. Amerotius témoigne hautement sa reconnaissance envers
ses maîtres et ses patrons, surtout envers ceux sous lesquels il a long-
infatigable. Buschius est donc un de ces étrangers qui enseignèrent temporairement à Louvain.
Voy. ciiap. V, p. 134.
' Son nom vulgaire est aussi donné sous les formes d'Anioury et d'Amaury (Valère André, Fasli).
Paquot préfère t'orthograplie Amerot (Fasti, folio SOS).
- C'est dans cet intervalle qu'Araerot se livra à d'autres études ; on lui donne le litre de licencié
es droits.
3 Compendium Graecae Grammalices , perspicua brevitate complectens, quidquid est octo parlium
oralionis. Le P. van Iseghem (p. 310) décrit cette édition de la manière suivante : « Vol. in-4° de
92 feuillets à 36 lig., sans la réclame, signatures a ii-R ii , caractères grecs de 1516 et romain
cicéro... »
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 209
temps travaillé dans la pédagogie du Lis , et il se loue de ses bons rap-
ports avec un religieux de l'époque, Paschasius Berselius *, plein de zèle
pour la diffusion des lumières.
Le travail d'Amerotius est une œuvre toute pratique, qu'il a élaborée en
vue des besoins de la jeunesse; il est assez volumineux pour comprendre
beaucoup d'exemples, dont le texte grec est toujours accompagné d'une
version latine dans la ligne suivante : il renferme un exposé détaillé des
règles qui concernent les formes grammaticales, spécialement les dési-
nences et les contractions , et donne la preuve que l'auteur avait poussé
fort loin l'analyse de tous les faits de grammaire. Non-seulement Amero-
tius avait éclairci les irrégularités et les anomalies des formes grecques,
à l'aide de courts tableaux ; mais encore il avait dressé des paradigmes
fort étendus pour présenter d'un coup d'œil le système de la conjugaison 2.
Nous ne balançons pas à affirmer qu'il est peu de livres de grammaire
qui l'emportent sur celui d'Amerotius : il est conçu suivant les procédés
de la logique occidentale, et il se distingue ainsi, au point de vue de la
méthode et de l'application, des grammaires calquées sur les traités des
réfugiés grecs Théodore Gaza et Constantin Lascaris.
Plus tard encore, Amerolius mit au jour un écrit spécial sur les diffé-
rences des dialectes dans les flexions de la langue grecque , d'après Corin-
thus et d'autres grammairiens, et ce petit traité, qui dut paraître une pre-
mière fois en Belgique '", fut ensuite deux fois réimprimé à Paris : Libellus
de dialeclis graecorum ex Corintho aliisque grammalicis colleclus (1534 et 1556).
Ce même traité, à qui les bibliographes ont quelquefois donné d'autres
titres, fut réimprimé en 1578 avec le traité de J. Varennius de accen-
tibiis *.
Amerotius apportait une grande aptitude à un enseignement raisonné du
' Voy. sur ce personnage Paquot, Mémoires, t. Il, pp. 353-554.
- Les hibliopliiles sont tenus de l'aire honneur à Thierry Martens des difficultés qu'il a vaincues
dans son art, en exécutant avec une précision et une netteté surprenantes les paradigmes et ta-
bleaux très-compliqués que renferme la grammaire d'Amerotius.
5 On n'en voit pas de trace parmi les impressions de Thierry Martens, quoique Valère André
semble l'insinuer.
* Joecher, Gelehrlen-Lexico Fortselzung von Adelung, t. I, p. 723-724.
210 MEMOIRE SUR LE COLLÈGE
grec, et l'on doit lui attribuer une très-large part en ce qui s'est fait pour
cette langue à Louvain, dans les leçons publiques, avant Th. Langius. Un
des beaux titres de notre savant réside, en outre, dans l'éducation solide
qu'il donna à une foule de jeunes gens de distinction : il compta aussi
parmi ses élèves Antoine Perrenot, qui devint plus tard le cardinal Gran-
velle, et c'est à sa demande qu'il instruisit de la religion Jean Isaac Levita,
juif d'Allemagne, qui fit un séjour à Louvain et qui même y enseigna.
(Voir chap. VIII et X.) Amerotius mourut le 14 janvier 1560 ' et fut
enterré à l'abbaye de Sainte -Gertrude. Revêtu du sacerdoce, il remplit
avec zèle plusieurs fonctions en rapport avec cette dignité; il s'occupait
beaucoup de la prédication, et on le vil, par exemple, pendant deux
ans, faire chaque dimanche des sermons en latin devant le clergé, dans
la chapelle des Augustins 2.
5. TnEODORicus Langius (Thiernj de Langhe).
(1360-1578.)
Ce nom de Langius ne doit pas être confondu avec celui de Ch. de
Langhe ou Langius, qui est un de nos célèbres philologues et latinistes
du même siècle. Thierry de Langhe était natif d'Enkhuisen, en Hollande
{Enckiisamis), et c'est comme helléniste qu'il a laissé un souvenir dans
notre histoire '.
Il avait enseigné pendant dix ans la littérature grecque à Bordeaux, et
avait mérité en France l'estime des hommes instruits , avant de venir ha-
biter Louvain. Suffridus Pétri parle de lui, comme professeur de grec, dans
une lettre écrite d'Erfurt l'an 1557 *, et cela peut faire croire que Langius
suppléa Amerotius dans les dernières années de la vie de ce dernier. Quoi
' Valère André, Exordia, p. G6, donne la date de 1562. Paquol, dans ses Fasti, celle de 1560.
- Amerot légua une grande valeur en argent el en livres pour l'érection d'un collège théolo-
gique; mais un procès de plus de 20 années s'éleva à ce sujet, et vers le milieu du siècle suivant
(1640), on ignorait encore s'il reviendrait aux théologiens quelque chose de cette fondation. —
Paquol, Fasti, t. I, p. 509.
' Valère .\ndré. Exordia, p. 66; Fasti, p. 1282. La Bibliotheca Belg. de Foppens et les Mémoires
de Paquot n'en parlent pas.
■* Lettre que nous avons puhliée dans VAntmaire de ÏUniv. de Louv., 1848 (p. 203).
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 2il
qu'il en soit de cette circonstance, on voit Langius, une fois nommé suc-
cesseur d'Amerotius, porter au travail beaucoup de persévérance et d'ar-
deur. Bientôt, cependant, affaibli par l'âge et devenu presque aveugle *,
il fut aidé dans sa tâche de professeur par Augustin Huens ou Hunnaeus,
de Malines 2.
Un peu plus tard, il fut suppléé par Suffridus Pétri de Leeuv^arden,
en Frise, qui était au nombre des étudiants les plus distingués de l'Uni-
versité % et qui y comptait beaucoup de protecteurs et d'amis. Suffridus
Pétri expliquait dans ses leçons Pindare, qu'on pouvait bien dire alors
« le plus difficile des poètes grecs », et si l'on en croit M. Goethais *, il
faudrait comprendre des commentaires sur les Olympiques de Pindare au
nombre des manuscrits de Pétri, qui ne sont pas perdus. Quand, après
avoir repris ses études de droit et obtenu, en 1574, le grade de licencié,
Pétri quitta la Belgique, en 1577, pour se retirer à Cologne, où il avait
accepté une chaire de droit, ce fut Pierius à Smenga, hébraïsant dont nous
parlerons plus loin, qui devint le suppléant de Langius. Celui-ci mourut
à Louvain le 12 juin 1578, léguant au collège des Trois-Langues sa biblio-
thèque très-bien fournie.
Il ne reste aucun écrit de Langius; mais il a mis au jour les commen-
taires posthumes de Nannius sur les Bucoliques de Virgile ^, et en a fait la
dédicace, datée du 29 août 1558, à Sigismond Frédéric, fds de Jean
.Jacques Fugger, seigneur de Kirchberg et Weissenhorn. On chercherait
vainement, en l'honneur de Langius, un témoignage plus flatteur que celui
d'André Schott, qui avait été élève assidu de Valerius et de Langius, à
Louvain, pendant deux ans. Il avait connu celui-ci à Anvers, et il rend
hommaae à son infatigable activité et à son habileté dans l'étude des
textes des poêles anciens. Illis enim Lovanii Grudiorum in Graecis Latinisqiie
' Dum Th. Langius saxum hoc volveret, scipione utcns et caeciitiens. Foppens , p. IHO.
^ Nous verrons au chapitre VIII , Hunnaeus suppléer un autre professeur du même collège , Gen-
nep. Pendant 4 ans, Hunnaeus aurait suppléé le professeur de grec et pendant un an celui d'hébreu.
^ Voy. Pa(\aoi.Mém., t. II, pp. 68-74, et quelques détails supplémentaires dans notre notice de
V Annuaire de l'Université de Louvain , 1848, pp. 184 et suiv. : Relations de S. Pétri, etc.
^ Lectures relatives à l'histoire des sciences, t. II, p. 169.
5 Voy. la notice de Paquot sur les écrits de Nannius, n° 30. Cfr. Fasti, t. I, pp. 509 et 483.
2i2 MEMOIRE SLR LE COLLÈGE
toturn biennium publiée privaiimque operum dedi : hoc vero Anlverpiae meae
jucundissime sum usiis, liomine in illuslrandis et ad vêlera exemplaria eompa-
randis poëtis anliquis diu mullumque versato. Quantum enim otii ab aliis rei do-
mesticae negotiis suppeditare poterat, omne id ad vitam legendo, scribendoque ex
Varronis praecepto , procudendam conferebat. Lanqius omnem in Graecis literis
aetalem consumpserat , quas Biirdigalae apud Gallos annos fere deeem professus
est : reliqiio tempore in gymnasio Trilingni Biisleidiano , coUega P. ISannii viri
doctiss. qui Lalinae Eloqucntiae et Fhilosopliiae doctor erat '....
4. GuLiELMis Fabius.
(1578-1590.)
Ce professeur, dont le nom vulgaire était Boonaerls^, avait vu le jour
dans un village du Brabant, Hilvarenbeek, dépendant de la mairie de Bois-
le-Duc (Hilvarebeeanus). 11 était licencié en médecine; mais, versé dans les
langues classiques, il dirigea pendant plusieurs années, à Anvers, des cours
d'humanités. Dans des conjonctures difficiles, au milieu des troubles, il
demeura toujours fermement attaché à la foi catholique, et préserva ses
élèves des atteintes de l'hérésie''.
Appelé à Louvain à une époque qu'on ne saurait guère préciser, et mis
en possession de la chaire occupée auparavant par Th. Langius, Fabius ne
resta pas inactif. On le voit publiant à Anvers, en 158-4, un abrégé de la
Syntaxe greeque, tiré de Vareunius, de Rulandus et d'autres auteurs*.
Fabius périt à Louvain , le 26 mai 1590, d'une manière malheureuse,
dans une émeute nocturne, causée par des étudiants indisciplinés^.
' Lettre à Plantin, lo8I. — Cfr. Annuaire de l'Univ. de Louvain, 1847, p. 237.
- Paquot. Fasti, MS., t. I , p. 507 : ttilvarebecanus , qiiod mmiicipiiim est Brabuntiae Campi-
niae. — Cons. Valère André, Exordia, p. 67; Fusli, p. 28-2. f'oppens, p. 400. Bax, folio Uol.
^ Encore en l'année 1581 (?) ses classes étaient fréquentées par des jeunes gens de famille, tels
que Fr. Sweertiiis, auteur de XAthenae Belgicae, et par les trois frères de celui-ci, Théodore, Ro-
bert et Guillaume.
■' Synlaxeos linguae graecae epitome. Antverpiae, 1584, apud Andr. Baxiuro, in- 12. Voy. plus
loin, chapitre X.
2 Les étudiants qui avaient contribué à la défense de Louvain contre Martin van Rossem, eu
1342, prirent encore les armes en 1572 et en 1390, quand la ville fut menacée par quelque
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 213
5. Geraudus Corselius {Gérard de Coursèle).
(1591-1596.)
Malgré le malheur des temps, les administrateurs du collège qui n'a-
vait plus de président, comme nous l'avons remarqué ci-dessus (eh. IV,
p. 102-105), pourvurent à la chaire de grec après la mort de Fabius, en
y appelant Gérard de Coursèle, de Liège, qui avait obtenu la quatrième
place dans la promotion de 1586.
G. Corselius — nous lui conserverons son nom latin — prit possession
de sa chaire le 5 mars 1591 , et la remplit pendant six années. En 1594,
il fut une première fois recteur de l'Université, et dans la suite il fut
encore honoré huit fois de cette dignité. C'est en 1596 qu'il résigna l'en-
seignement du grec, pour occuper une chaire royale de jurisprudence
{Instilulionum professer regius). La haute réputation qu'il parvint à s'acquérir
lui valut plus tard des fonctions importantes dans l'État, telles que celles
de membre du conseil de Malines, de conseiller privé et de maître des
requêtes. Il dut quitter Louvain, en 1617, pour habiter le plus souvent
Bruxelles, oià il mourut en 1636 *.
De ses ti'avaux, on ne peut rapporter aux lettres que son oraison funèbre
de Juste Lipse, prononcée à Louvain, en 1606, et peut-être quelques
discours restés manuscrits , mais qui furent probablement composés à
Louvain.
6. IIenricus Zoesius.
(1606-1607.)
A cause de l'état encore précaire de l'institution, Corselius n'eut pas
immédiatement un successeur; mais, dans l'année de la reconstitution de
l'école, le 12 avril 1606, la chaire qu'il avait occupée fut confiée à un
ennemi. Voy.de Reiffenberg, Deuxième Mémoire, t. VU, pp. 21-22, et plus haut le chapitre IV,
p. 102.
* Voy. sa vie dans Foppens, Bibliot. Belgic, pp. 3i7-348, et dans Paquot, Mémoires, t. H,
pp. 472-473.
214 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
jeune savant de Hollande, Henri Zoes ou Zoesius, d'Amersfoort, qui avait
naguère donné des leçons de rhétorique et de langue grecque au collège
du Faucon.
Zoesius ne remplit pas au delà d'une année et demie les fonctions
attachées à sa nouvelle chaire. Cédant à un goût très-vif qu'il avait montré
dès sa jeunesse pour les études de droit, il donna sa démission au moment
oîi la chaire de droit civil lui fut décernée par nomination royale ^, et le
reste de sa carrière s'écoula dans l'enseignement du droit. 11 y porta les
qualités précieuses d'un esprit cultivé, un zèle infatigable, et il y acquit une
haute distinction -. Zoesius mourut à Louvain en 1C27, quand il venait
de célébrer, dans la dignité de recteur, le deuxième jubilé séculaire de
l'Université.
7. Petrus a Castello ou Caslellanus (P. Ducliastel?).
(1609-1632.)
En 1609 seulement, le titre de professeur de grec fut conféré au suc-
cesseur de Zoesius. Celui-ci, né à Grammont, en Flandre, vers 1515,
avait passé une grande partie de sa jeunesse en France; il avait pris ses
degrés en jurisprudence à l'Université de droit établie à Orléans, et il
avait même enseigné en cette ville les humanités et la langue grecque.
Petrus à Castello, homme de goût et de savoir ^, accomplit à Louvain
tous les devoirs de la chaire qu'il avait acceptée, et il la conserva jusqu'à
l'année de sa mort. Il avait résigné sa charge en faveur de Pierre Stock-
mans, le 17 janvier 1G52, quand il vint à mourir le 23 février de cette
même année *.
Toute l'activité de Castellanus ne fut pas absorbée à Louvain par les
belles-lettres : il y poursuivit ses études en médecine jusqu'au doctorat,
' Exordia , p. 67 . Fir stmlii indefessi , judicii subacti , qui hoc unum agit ut quam cepit docendi
provinciam illustriorem reddat.
- Valère André, Exordia; Fasti, pp. 204, 285. Foppens. Bibl. 468-469.
' En 1614, Valère André l'appelait vir docirinae eleganlis (Exordia, p. 67). Voy. sur Castellanus
les Fasli Academici , p. 283, et la Bibl. Belg. de Foppens, p. 96ô.
• Paquot, Fasti, MS., t. I, p. 510, d'après les pièces manuscrites.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 21S
qui lui fut conféré le 23 octobre 1618, et il fut mis à celte époque en
possession d'une chaire royale de la faculté de médecine.
On fait honneur à Castellanus d'une érudition solide et bien digérée,
ainsi que d'une diction latine remarquable. C'est au collège des Trois-
Langues qu'il prononça, en 1622, l'éloge funèbre de l'archiduc Albert,
quand il avait déjà quelque réputation littéraire : ce discours latin a été
imprimé ', et l'on y voit Castellanus prendre le double titre de professeur
de médecine et de professeur de littérature grecque.
Les principaux écrits de ce savant appartiennent à sa première voca-
tion, et ils attestent des recherches spéciales sur les usages et les mœurs
de l'antiquité, telles que peu d'hommes étaient alors capables d'en faire ,
faute d'une connaissance suffisante des sources.
La première des publications de Castellanus est le Ludiis sive convivium
satiirnale '-*, qui présente une conversation familière et piquante sur une
foule de points de littérature et de critique, écrite à la manière des poly-
graphes de l'antiquité. Il y a beaucoup de sel dans ce morceau latin, mêlé
de citations grecques , qui était le début littéraire de son auteur. Castel-
lanus s'est excusé lui-même d'avoir touché à des sujets si variés sous une
forme légère; cependant le mérite de ce jeu, comme il l'a appelé, a paru
assez grand à M. de Nélis pour qu'il l'ait réimprimé au siècle dernier
dans ses Analecles % et cet estimable savant n'a pas craint à ce propos de
rehausser le nom de Castellanus comme celui d'un des hommes qui avaient
fait le plus pour la conservation du bon goût dans les études : Conditor
illius vir doclrina omni liberali erudilus, qui voce olim et calamo bonarum arliiim
studia apiid Lovanienses propagare ctim primis annisiis est. On s'était fâché for-
tement autrefois contre Puteanus, pour les allusions qu'il aurait faites à
' Laudalio fwiebris Albcrli Behjurum principis, dicta Lovanii in collegio Triiingui, a Petro
Castellano, Graccarum literarum et medicinae professore regio. Lovanii, apud Henricum Haste-
niuni, 1682, pp. 62, in-4".
^ Lovanii, 1616. Typis Masii, in-8°.
3 Tome I, pp. 95-139. M. de Nélis dit, dans son Prologue : Si qui sunt, qui veteris Romuc
delicias, et a iloctis illis Alhenis repetita bellaria hodie non fastidiunt; yratuin, opinor, haheburtt ,
instaurari sibi plénum hoc priscae elegantiae convivium. Caeteri se non vocatos esse, meminerint.
rogo.
Tome XXVIil. 29
216 MEMOIRE SUR LE COLLÈGE
la gourmandise des Anversois *. De Nélis. ne demande point d'indulgence
pour les peintures du Convivium de Caslellanus, puisqu'elles ont perdu,
grâce aux changements survenus dans les habitudes nationales, la vérité
d'application qu'elles pouvaient avoir de son temps.
Un traité de Caslellanus, plus sérieux, plus étendu, et tout à fait
savant, parut, l'année suivante, sous le titre de 'Eopxolôyiov , sive de Festis
Graecoritm srjnlacjma , in quo pliirimi anliquitalis ritus illiislrantur ^. C'est une
dissertation raisonnée sur cette partie des antiquités grecques, tirée par
Caslellanus de la lettre des monuments anciens. 11 avait remarqué que
Sigonius, dans ses cinq livres De lief/iiblicâ Athcniensium (Boloniae, 1564),
avait omis ou négligé bien des particularités dignes d'intérêt. Il connaissait
les premiers travaux de Jean Meursius sur l'histoire et les mœurs de la
Grèce ancienne, et rendait hommage à la solidité de son savoir : il avait
même supprimé un travail terminé, quand parut, en 1616, son livre De
Populis Atticae. Mais comme Meursius n'avait encore rien publié sur les
fêtes des Grecs ^, il crut faire chose utile en donnant au public le fruit de
ses propres recherches. On voit que Caslellanus avait consulté par lui-
même une foule d'auteurs classiques, grecs et latins, pour définir et dé-
crire chacune des fêles qu'il a comprises dans son traité. A la fin du
volume (pp. 247-505), on trouve un second travail sur les mois et l'année
des Grecs, et spécialement des Athéniens.
Caslellanus mil au jour, en 1617, un autre ouvrage, qui témoignait à
la fois de son goût pour les études de médecine qu'il avait entreprises,
et de la lecture qu'il avait faite des œuvres anciennes et modernes; c'est sa
' Dans son traité de Liixu eonviviorum. Voy. plus haut, chap. VI , § 7, p. 174.
■^ Antverpiae, ex off. Hieionymi Verdussii, 1617, p. 303, in-8°, sans les préliminaires et
l'index.
"' La Graecia feriala de Meursius, ne parut qu'en 1619, ainsi que les Panathénées et les t^leu-
.«inies du même auteur. — Dans la préface de ce traité (Opéra, éd. Lami, Florentiae, t. IH, p. 78),
Meursius rend justice i\ l'essai de Petrus Caslellanus: Vir doctrina et iMmanitule insiynis , ne
diulius haec Antiquitutis Graecae pars laterct , suuin nobis 'Eop-cXsyioy communicavit , quod lanlicm
abest, ut aegre feram, ccu injecta in messem meam sua falce, quod nonnuUi clamitarent , iit eloyio
mihi hic publico tam praeclaram volunlatem bene de liepublica nostra Ulleraria promerendi oriiun-
dam, putem, etc. Meursius fait ressortir la loyauté mise dans ses recherches par Caslellanus, tout
en signalant les lacunes de son livre qui laissaient le champ ouvert à d'autres.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 217
vie des médecins célèbres de tous les temps K Les notices étendues qu'il
a consacrées aux médecins de l'antiquité font reconnaître l'helléniste, qui
était à même de citer les meilleures autorités.
Petrus à Castello mourut jeune et justement regretté : il était entré
dans la bonne voie de l'érudition et de la critique, et, à la faveur d'une
plus longue carrière, il eût réussi peut-être à fixer chez nous l'opinion sur
la vraie destination des lettres classiques. Déjà il avait réuni sous sa main,
à une époque où il n'y avait pas encore de bibliothèque académique à
Louvain, une collection considérable de bons livres, et en particulier des
meilleures éditions alors existantes des auteurs grecs et latins : le catalogue
de sa bibliothèque, vendue environ deux ans après sa mort, en fait foi -.
8. Pierre Stockmaxs.
(1652-43.)
Peu après la mort de Castellanus, le l"mars 1652, Pierre Stockmans,
d'Anvers, inaugura par un discours son enseignement du grec dans la chaire
du collège des Trois-Langues; il le poursuivit jusqu'en 1G45. La vocation
de Stockmans le portait aux études de droit, qui lui ouvrirent la route
des hauts emplois. Il avait été à Louvain professeur royal de droit civil
{Regiustitulorum professor); ses mérites comme jurisconsulte le firent appeler
plus tard au conseil souverain de Brabant et à d'autres dignités; sa vie est
une de celles qui font le plus d'honneur à l'ancienne magistrature de notre
pays ^. Stockmans mourut en 1671.
' Vitae illmtrium medicorum qui lolo orbe ad liaec usque tempora floruerunl. Antverpiae, apud
Guil. a Tongris, 1617, p. 256, in-8°, sans la table. Plus tard, en 1626, parut un traité spécial
de Castellanus : Kpnofxyix, sive de esu carnhtm libri IT. Antv. Hier. Verdussen, p. 1626, in-8".
Vov. ['Essai sur thist. de la médecine belge par le D' Broeckx, p. 236, article sur Ducliastel ou
Castellan.
"i Calalofjus librorum Biblinlhecae clar. viri Pétri Castellani, etc., qui libri vendentur publica
auctione Lovanii , die 17 Januarii, anno 1634.... per H. Joan. Oliveriuni Bibliopolam juratum. 25
feuillets petit in-4". Les ouvrages de pbilologie et de littérature y occupent environ neuf feuillets.
' Valère André, Fasti. pp 136, 208, 283; Foppens, Bibl., pp. 1012-1013.
218 MEMOIRE SLR LE COLLEGE
9. Matthieu Theige.
(1643-52.)
Né à Limerick en Irlande ^ M. Theige avait étudié à Louvain; mais il
enseigna la théologie chez les céleslins, à Héverlé, et au séminaire archié-
piscopal de Malines, avant de recevoir, en novembre 1638, le bonnet de
docteur à l'Université. Prêtre de la congrégation de l'oratoire de BéruUe,
il devint chanoine de S'-Pierre à Louvain, ainsi que président du collège
pastoral des Irlandais, établi en 1C25. A sa mort, il fonda trois bourses
dans ce collège.
Ce personnage ouvrit ses leçons publiques, après la retraite de Stock-
mans, au collège des Trois-Langucs, le 28 juillet 1643, et il continua à y
professer jusqu'à sa mort, arrivée le 9 novembre 1652.
10. Jean Noumenton.
(1652-54.)
Jean Normenton, qu'on appelait vulgairement de Bruyn, ou de Brun,
était un gentilhomme anglais, qui succéda à M. Theige, à la fin de
l'année 1652. Il renonça à son professorat, pense-t-on-, après le 3 mars
16S4, et fut aussi i^emplacé par un autre professeur de l'institution.
11. Bernard Hei.mbachil'S (B. von Ileijmbach).
(1654-64.)
Cet humaniste, allemand de naissance, qui occupait la chaire de latin
depuis 1649 ^, fut chargé de professer simultanément le grec dans le
collège de Busleiden, à partir de l'an 1654, et on a lieu de croire qu'il a
exercé cette double charge jusqu'à sa mort, le 8 juillet 1664, c'est-à-dire,
pendant une dizaine d'années. Ses travaux ont eu surtout la langue latine
et l'histoire ancienne pour objets, comme on l'a vu précédemment.
' Valère André, Fasli. p. 143; Paquot, Fasli, MS., pp. 178, SU. Bax, folio 143-2.
- Paquot, Fasli, t. I, p. 511 , et les Mémoires, 1. 1, p. .518, dans sa notice su» Heymbach.
' Voy. plus haut, cliap. VI, §9, p. 184.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIW. 219
12. Jean de Hamere.
(1CG4-80.)
Ileymbach fut remplacé, le 29 juillet 16G4, dans la chaire de grec, par
Jean de Hamere de Lierre S qui, selon toute apparence, fut un homme
fort instruit.
Doué d'un esprit vif, d'un jugement pénétrant et d'une robuste mémoire,
de Hamere fit avec des succès signalés ses premières études à Malines.
Après un cours de deux années au collège du Faucon, il obtint le troi-
sième rang dans les maîtres es arts promus l'an 1655. 11 avait passé en-
viron quatre ans dans le grand collège des Théologiens, quand il fut appelé
à faire des cours d'humanités au collège de la S'<^-Trinité, qui était sur le
point d'être ouvert. 11 y fut chargé, de 1657 à 1658, de la classe de la
grande figure {figurarum) , et de 1658 à 1662, de celle de grammaire -.
De Hamere confirma toutes les espérances qu'on avait conçues de lui;
il tempérait la sévérité de ses autres études par la composition de pièces
latines fort goûtées, en prose et en vers. De plus, sans le secours d'un
maître, il avait acquis une connaissance profonde de la langue grecque,
par une lecture assidue des auteurs et surtout des Pères grecs.
Cette dernière circonstance explique assez bien le choix qu'on fit de lui,
en 1664, pour succéder à Ileymbach au collège de Busleiden. Cependant
d'Hamere ne mit pas à profit ses heureuses dispositions pour les lettres,
en dépassant les strictes obligations du professorat. Licencié en théologie
et jugé digne du bonnet de docteur, il fut chargé, en 1666, de la prési-
dence du petit collège des Théologiens. La renommée qu'il avait acquise
le faisait considérer comme capable de jeter un nouveau lustre sur l'Uni-
versité, puisqu'il unissait à l'habileté du latiniste le savoir de l'helléniste.
Mais d'Hamere se contenta de poursuivre en secret ses études, pour se
livrer d'autant mieux aux exercices de piété et aux devoirs du ministère
* On trouve son nom écrit sous ces formes diverses: de Hamere, d'Hamere, van Hameren ,
d'Haemere, d'Hamers.
- Nous résumerons sa vie d'après Paquot, qui n'indique pas ses sources, Fastiacad., 1. 1, p. 511,
et d'après la compilation de Bax, folio 1452.
220 MÉMOIRE SUR LE COLLÈGE
évangélique; il montra surtout le zèle qui l'animait pour le service de
Dieu, quand il devint membre du chapitre de S'-Pierre ^.
Il succomba à une longue maladie, le 29 avril 1680, à l'âge de 47 ans.
Voici le distique que ses contemporains lui consacrèrent en manière
d'épitaphe, parce qu'il résumait sa vie :
Simplice vir doctus latet Itac sub marnioris umbra .-
Egerat hoc vivens, hoc lumiUatus agit.
15. RuTGER VAN DEN BlJRGH.
Rutger van den Burgh, d'Amersfoort en Hollande, seizième dans la
promotion des arts en 1675, et bachelier en théologie (S. T. B. F,), fut
choisi, le 20 janvier 1681, comme professeur de langue grecque; mais
il n'occupa point longtemps cette chaire, s'il y monta jamais ^ à cause de
l'opposition qu'avait faite à sa nomination le prieur de la Chartreuse de
Louvain, à titre de proviseur du collège.
Van den Burgh fut nommé, en 1690, à la cure de Heussen, dans
le diocèse d'Utrecht, et mourut le 5 août 1705.
14. François Martin.
(1685-1722.)
Ce personnage, irlandais de naissance {Galviensis seu Calviensis Hibernus),
fut désigné, l'an 1681, pour la leçon de grec, quand le titre de profes-
seur fut contesté par un des proviseurs à van den Burgh, déjà nommé.
Enfin, après un procès de deux années porté jusque devant le conseil de
Brabant, procès dont nous parlerons ailleurs, il fut mis régulièrement
en possession de la chaire de langue grecque, qu'il avait remplie à titre
provisoire depuis environ trois ans.
François Martin, qui avait beaucoup d'esprit et de mémoire, passait
pour être très-versé dans le grec; et comme il est vraisemblable de le
' Voy. les tlélails consigni^s à ce sujet dans Paquol.
- Bax. Pacificam possessionem non videlur habuisse (folio 1451). Nous exposerons brièvenieut
cette affaire au chapitre XII.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 22<
croire, il conserva la charge de l'enseigner au collège de Busleiden pen-
dant un terme de plus de quarante années ^
11 reçut le titre de docteur en théologie le 12 octobre 1G88, et mourut
à Bruges, âgé de 70 ans, le 4 octobre 1722 ^.
La réputation de Martin comme helléniste était grande, et elle rendait
difficile le choix de son successeur. Les difficultés s'accrurent encore par
les mesures qu'un des proviseurs du collège voulut prendre pour resti-
tuer à la chaire de grec son ancien éclat. Un débat presque aussi animé
que celui qui avait eu lieu à propos de Martin, s'éleva, en 1722, quand
il s'agit de le remplacer : nous en réservons l'exposé au chapitre XII.
15. iEciDius Franciscus Audenaeut.
(1723-1732.)
L'heureux élu qui fut enfin jugé digne d'être accepté comme succes-
seur de Martin, était un des anciens lauréats de la Faculté des Arts, pro-
clamé piimus à l'unanimité dans le concours de l'an 1711 '.
Égide (Gilles) François Audenaert, de Lokeren, dans le pays de Waes *,
fut appelé, après un cours de théologie de trois années, à enseigner la
philosophie au collège du Château, dont il était un des anciens élèves.
Il avait déjà passé sept années dans cet enseignement, et il venait d'être
élevé au grade de licencié en théologie (19 août 1721), quand il entra au
collège de Busleiden, probablement en 1725. Audenaert resta professeur
de grec jusqu'au mois d'août 1752, époque à laquelle il quitta Louvain.
Il fut alors promu, par nomination académique, à un canonicat de Malines.
Plus tard (7 mars 1758), il fut élu à la cathédrale de Gand parmi les
chanoines dits gradués; il devint dans la même église archiprêtre, puis
* Quand Martin quitta Louvain, du mois de janvier 1691 jusqu'à la fin de l'année suivante,
pour professer au séminaire archiépiscopal de Malines, il eut pour suppléant un certain Bodry,
licenciées droits, qui fut ensuite avocat à Bruxelles. Fasli de Paquot, 1. 1, p. 51 1.
2 Voy. le supplément aux Fastes académiques : Oral, de laudibus, etc., p. 132.
5 Promot. in artib., folio 30. Paquot, Fasli, MS., 1. 1, p. 511 , et Bax, folio 1453.
'' Voy. sur Audenaert un article du Messager des sciences historiques (1855, ô"" livr.): Les trois
premiers de Lokeren au concours de l'université de Louvain, parHenry Rapsaet , pp. 357-358.
222 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
doyen du chapitre, et c'est revêtu de cette dignité qu'il mourut le 15 no-
vembre 17G8
I
IG. François Claude de Quareux.
(1732-1740.)
Ce personnage, originaire de Quareux, bourg du district de Stavelot,
était de naissance noble. 11 avait eu la deuxième place dans la grande
promotion du 25 novembre 1092, après avoir terminé ses études philo-
sophiques au Castrum. On ne sait rien de précis sur la carrière professo-
rale de François Claude de Quareux, quand il fut titulaire de la chaire
de grec, à partir de 1732 2, On suppose qu'il mourut vers l'an 1741 , ou
même un peu auparavant. On donne à de Quareux le titre de chanoine
de S'-Martin, à Liège ^.
17. Jean-Baptiste Zegers (Segers).
(1741-1782.)
Zegers OU Segers, qui était néà Louvain, au commencement du XVIII"«
siècle, fit un cours complet d'études dans sa ville natale*.
Il fut d'abord élève du collège de la S'^-Trinité, et entra ensuite à la
pédagogie du Faucon. On le vit obtenir la dixième place dans le concours
académique de 1727. Jouissant d'une des fondations du collège de My-
lius, il se livra à l'étude de la théologie; dans la suite, il obtint successi-
vement plusieurs charges académiques et des dignités ecclésiastiques.
Le 9 janvier 1741, il fut nommé professeur de langue grecque au
' Voy. tlans Rapsaet, loc. cit., l'épitaplie d'Audenacrt à Saint-Bavon, énumérant tous les titres
(le ce personnage, et rappelant la fondation considérable qu'il fit, en 1737, pour des étudiants de
Lokeren et du pays de Waes.
■^ Il était frère de Gérard Joseph de Quareux, premier dans la promotion de 1685, licencié en
théologie, professeur de théologie et régent au collège du Porc, ensuite chanoine de Saint-Pierre,
et président du collège de Divaeus, à Louvain, mort le 6 janvier 17-41, .'i l'Age de 77 ans. Voy. une
note de Foppens, Prom. in art., folio 27.
'' Paquot. Fasti, MS., p. 51"2; notes de Bax, folio 1433.
* Voy. Paquot. Fasti, MS., t. I, p. 512. Bax, folio 1453.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 223
collège de Buslelden, et président du collège de Divaeus. Il remplit aussi
les fonctions de bibliothécaire de l'Université, entre les années 1752
et 1755 ^
Après avoir été chanoine de S'-Pierre, secrétaire du chapitre et même
doyen, il mourut le 10 août 1785, à l'âge de 78 ans, au collège de
Craenendonck, dont il avait la présidence dans ses vieux jours.
J.-B. Zegers avait conservé la chaire de grec pendant environ 40 ans.
Il ne donna sa démission qu'en 1782; nous n'avons trouvé aucun fait
de quelque importance qui ait signalé ce long professorat.
18. Jean Hubert Joseph Leemput.
(1782-1787.)
Leemput, natif de Roterdam, avait été second dans le concours de
1768. Il fut proclamé docteur en théologie le 22 août 1780 ^, eut la
présidence du collège de Hollande, et obtint en date du 18 juillet 1782
la chaire de grec. Quand il la résigna, en 1787, il devint doyen de la
cathédrale de Renaix. Plus tard, on le voit professeur d'histoire à l'école
centrale de Gand, où il mourut en 1802^; il avait quitté Louvain
vers 1790.
11 n'y a pas lieu d'exalter grandement le mérite de Leemput comme hel-
léniste, puisqu'il n'a pas eu le temps ou l'occasion de le manifester; mais
il nous paraît équitable de constater le déni de justice dont M. Ch. van liul-
them, son élève, semble avoir été coupable envers lui. Comment prendre
à la lettre l'aveu que Leemput lui aurait fait un jour, et dont van Hulthem
parle dans un de ses rapports à l'Académie de Bruxelles *? Cet ancien pro-
fesseur de grec aurait dit « qu'il ne le comprenait pas, et que toutes ses
connaissances se bornaient aux premiers éléments de la grammaire. »
1 Histoire des biblioth. piibl. de lu Bclg., par P. Naiiiur, t. Il (Louvain), p. 28.
2 Suppl. ad Fastos. V. Orat. de laudibus , p. 159.
■' Bax, folio 1453. — i>/-o?)î. »i art., folio 38 V. Addition de la main de van Hullhem.
' Voy. l'extrait cité par le baron de Reifîenberg, au tome II de ses Archives philologiques , p. i 23.
Louvain, 1827.
Tome XXVIII. 30
224 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE
Renchérissant sur ce mot, van Hulthem répétait qu'il avait opposé un
refus forme] à son ancien maître, qui lui demandait une chaire à la
Faculté des lettres de Bruxelles, et qu'il l'avait mis au défi de traduire
Ésope.
On ne se résoudrait pas vite à taxer d'une telle ignorance le professeur
qui publiait en 1782, l'année même où il était mis en possession de la
chaire de grec au collège des Trois-Langues, une grammaire méthodique %
qui fut réimprimée à Louvain à l'imprimerie académique, quinze années
après (1797). Ce travail peu étendu, mais systématique, paraît avoir été
mûri longtemps par Lcemput : il a été entrepris en vue des besoins pra-
tiques de l'enseignement du grec, comme il ressort de la distribution du
livre, ainsi que des déclarations de l'auteur dans sa préface. 11 est constant
que Leeraput est parti de cette observation, que les livres classiques,
existant en grand nombre pour l'étude de la grammaire grecque, avaient
accordé le plus d'importance à la syntaxe, et que ceux qui avaient traité
de la partie analytique de la grammaire l'avaient fait avec trop peu d'or-
dre ou avec trop de brièveté. L'ouvrage qu'il a composé pour servir d'in-
troduction facile à la connaissance du grec, est destiné surtout à l'analyse
du fond de la langue, à la théorie des formes. Qui examinera attenti-
vement le livre même, en tenant compte de l'intention particulière du
professeur, reconnaîtra qu'il a mis dans cet abrégé de grammaire beau-
coup de concision et de lucidité, et qu'il l'a rédigé dans un style latin
d'une clarté remarquable. Un simple coup d'œil fera juger la valeur de la
première de ces assertions.
L'opuscule {opusctdum, comme l'auteur le nomme) est partagé en six
sections. La première, qui traite des éléments de la grammaire, présente
plusieurs essais de simplification dans l'exposé de la déclinaison et de la
conjugaison : ainsi Leemput, rejetant le nombre de dix déclinaisons, en
établit trois principales -, et relègue dans un chapitre à part les règles
' Jnsliluliones linguae Graccae, ad analysim poUssimum comparatas , edidU J. H. J. Leemput,
in Universilale Lovaniensi S. T. D. et limjuae Gruecae professor. I.ovanii, tvpis Academicis,
1782, iii-8».— Editio altéra. Lov., typis Acad., 1797, pp. V1II-1G7, in-S".
- Elles répondent aux trois déclinaisons de la Grammaire grecque de J.-L. Burnouf.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 225
relatives aux contractions clans les noms. De même, dans la théorie des
verbes, il établit simplement deux conjugaisons (celle des verbes en o, et
celle des verbes en ixi), et réduit à quelques règles les contractions propres
à la classe de verbes, dite jusqu'alors circonflexe, et longuement exposée.
Un glossaire des verbes défectueux est présenté aux conmiençants à la suite
des principes essentiels de la conjugaison.
La syntaxe, traitée dans la U'"^ section, est courte, mais méthodique, et
les règles bien enchaînées : Leemput l'a débarrassée des rapprochements
entre le grec et le latin , dont on l'avait surchargée dans d'autres livres
classiques. La prosodie du grec est nettement résumée dans la III' section,
en deux pages. La section suivante, qui traite des ûgures, est pleine d'in-
térêt et d'utilité; elle initie l'humaniste aux termes usités par les gram-
mairiens pour désigner les particularités de l'orthographe, de la syntaxe
et de la prosodie. La V"" section donne des notions succinctes sur les dia-
lectes, et la VI""*^ un abrégé fort clair de la théorie des accents.
Celui qui avait analysé ainsi la grammaire d'une langue savante ne
serait pas resté muet devant les auteurs grecs; et si van Hulthem, moins
absorbé par la bibliographie, eût cédé comme Caton au désir d'apprendre
le grec dans ses vieux jours, il eût tiré lui-même bon profit de la lecture
des rudiments de Leemput.
19. Jean-Baptiste Cypers.
(1790-1791.)
Les mesures qui amenèrent la révolution brabançonne et les troubles
qu'elle entraîna, causèrent vraisemblablement une interruption dans les
études au collège des Trois-Langues , comme dans celles d'autres institu-
tions de Louvain. En février 1790 seulement, un successeur fut donné à
Leemput en la personne de J.-B. Cypers d'Anvers, humaniste recomman-
dable de l'Université ^.
Ce professeur avait été le 7""* de la 5™" ligne, c'est-à-dire le Sl™^ dans
la promotion de 1776. Admis le 16 mai 1785 au conseil de la Faculté des
' Bax, folio 1453 et 1514.— Fasti Acad. MS. delà Bibl. académique de Louvain, n" 20.
22G MEMOIRE SUR LE COLLEGE
Arts, et nommé dans le même mois professeur de syntaxe au collège de
la Sainte-Trinité , il venait de passer à la classe de poésie, en 1790, quand
il fut appelé à la chaire de langue grecque rendue vacante par la retraite
de Leemput '.
Le 7 mai 1791, il obtint, par nomination de la Faculté des Arts, la cure
de Beveren , dans le pays de Waes, et c'est dans cette localité qu'il est
mort, le 21 mars 1820.
20. Antoine van Gils.
(1791-97.)
A. van Gils, deTilbourg, né le 28 juillet 1758, était président des col-
lèges de Malderus et de S'^-Anne. Licencié en théologie et chanoine de
S'-Pierre (1790), il fut élu professeur de langue grecque , le 21 mai 1791.
et il professa dans le collège de Busleiden jusqu'à sa suppression, en
1797 2.
A. van Gils soutint ses thèses pour le doctorat en théologie l'an 1 794 ^.
et l'année suivante il devint professeur de théologie à l'Université.
Il fut au nombre des membres de ce corps qui protestèrent contre la
spoliation décrétée par les représentants de la république française, et il
vécut assez longtemps pour se joindre aux anciens professeurs qui récla-
mèrent, en 1814 , le rétablissement de l'Université *. Il mourut le 10 jan-
vier 1834, président du séminaire de Bois-le-Duc.
' Posl discessum Eximii D. Leemput. — Bax, folio 1314..
- Recueil de Bax, folio I4.5.D. — Prom. in artibiis, folio 42. Addition de la main de van Hiilthem.
' Voy. Oratio de laudlbus, etc., p. lo9. (Append.)
* Voir les pièces relatives à leurs démarches dans YAnnuaire de l'Univ. de Loiivain, 1858,
pp. 199 et sniv.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 227
CHAPITRE VIII.
LES PROFESSEURS DE LANGUE HÉBRAÏQUE.
' hSôXac, TE i/xaOcv , àySoVu; Tf /ziTK'ïi^afn ,
rcy ^?^duTcv àuTÎj; eux àTracpÙTTc/uj-.i.
{Sapienlia. VII.)
La langue sainte n'était plus regardée comme un mystère impénétra-
ble; son étude n'était plus envisagée comme une témérité, et, à part le
mécontentement de quelques esprits, elle pouvait être inaugurée en 1518,
dans l'institut de Busleiden, sous les mêmes auspices que la langue grec-
que. Il devait s'écouler toutefois une vingtaine d'années avant que la
lumière tirée des études hébraïques parût également vive et pure à tous
les yeux : tout fut conduit avec prudence; les principes de la langue furent
enseignés sans détours et sans arcanes; sa véritable richesse fut révélée
à des intelligences cultivées, qui en conçurent bientôt l'application aux
sciences théologiques, et les préventions qui s'étaient élevées contre le
seul nom d'hébreu ou de texte hébreu ne survécurent pas à la première
effervescence des conflits que nous avons rapportés, en faisant l'histoire du
collège à son berceau. Érasme en avait bien auguré : le jour allait se faire,
et l'hébreu serait accueilli dans nos écoles avec le même respect que les
deux autres langues savantes. 11 ne s'était donc pas trompé quand il disait
en 1518 * : « Cet Érasme qu'on avait lapidé, on l'embrassera un jour! »
Ah! permettez, de grâce
Pour l'amour de l'hébreu
Les noms de trois étrangers ouvrent cette troisième série des professeurs
' Lettre à Barbirius, 6 mars iSI8. Episl., t. I , p. 307 : El exosculabunlur illum paulo ante
lapidalum Erasmum. — Voy. plus haut, chapitre V, pp. 123-127.
228 MÉMOIRE SUR LE COLLÈGE
du collège de Busleiden; ces hommes ne s'attachèrent pas, il est vrai, à
l'institution; mais leur nomination prouve quelles relations littéraires exis-
taient entre tous les pays d'Europe, et quelle fraternité la libre fréquenta-
fion de leurs écoles établissait entre des nations divisées d'intérêt. La chaire
d'hébreu fut dévolue tout d'abord à un étranger instruit, juif originaire
d'Espagne, Matlhaeus Adrianus, que tout le monde désignait pour l'occu-
per. Mais il ne fit pas un long séjour à Louvain , où il fut remplacé par
deux hébraïsants anglais, qui abandonnèrent leur poste plus vite encore.
Robert VVackefield et Robert Shirwood. Quoique leur carrière se soit écou-
lée et terminée ailleurs, il nous a paru indispensable de leur consacrer à
chacun une notice biographique en léte de ce chapitre : leurs travaux nous
représentent fidèlement les besoins et les applications de l'érudition hé-
braïque, à une époque oîi elle ne faisait que s'introduire dans les Univer-
sités. Nous ne pouvons faire moins que de compléter la notice de Paquoi
sur le premier de ces professeurs d'hébreu \ d'après des sources qu'il n'a
pas consultées ou qu'il n'a pas citées, et d'esquisser la vie des deux autres
à qui la plume de cet historien n'a pas fait le même honneur.
1. Matthaeus Adrianus (Malllneu Aclrian).
(1518-I9.)
Matthieu Adrianus (ou Hadrianus) , né en Espagne vers 1470 ou 1480,
avait été d'abord élevé dans le judaïsme. Peut-être fut-il au nombre des
juifs qui se convertirent et furent baptisés sous le règne de Ferdinand et
Isabelle.
Adrianus, qui avait reçu le titre de chevalier du Christ, quitta l'Espagne
pour mettre à profit sa connaissance de l'hébreu. Vers 1515, il se rendit
à Bàle, un des centres scientifiques des pays allemands, et y fit des prosé-
lytes parmi des hommes restés célèbres, entre autres Wolfgang Fabricius
Capiton, il prit le grade de docteur en médecine à Heidelberg, où il
' Voy. Mémoires d'Idstoire littéraire, t. III, pp. 74-73. Nous avons en outre repris, touchant.
M. Adrianus et ses deux successeurs, les faits que nous avons réunis naguère dans une notice sur
.TeanCampcnsis, insérée dans l'annuaire rfe l'Univ.de Louv., I84S, pp. 180-185.
DES TROIS- LANGUES A LOUVAIN. 229
compta pour disciples Jean OEcolampade et Jean Brentius '. C'est vers
1516 qu'Adrianus passa dans les Pays-Bas, à la sollicitation de Louis
Vacus, qui paraît avoir été un Espagnol fixé à Bruxelles.
Adrianus fut attiré à Louvain par Érasme, qui vante hautement son
savoir, sur la parole d'autrui, il est vrai, et qui fit des efforts pour le
placer et ensuite pour le x-etenir^. D'abord, Adrianus ne parvint qu'avec
grand'peine à subsister à Louvain : il donna longtemps des leçons pri-
vées, et il les continua probablement pendant une partie de l'année 1518,
avant l'ouverture du collège des Trois-Langues, où les amis d'Érasme lui
avaient assuré une place ^. On croyait la cause de l'hébreu gagnée parce
qu'on avait donné un titre et promis des honoraires à cet étranger *. Une
lettre d'Érasme à J. Robbinus ou Robbyns nous apprend qu'Adrianus,
dès le début de ses leçons, commencées peut-être avant l'ouverture du
collège, comptait un auditoire nombreux et distingué, dans lequel il y
avait même des professeurs ou docteurs de l'Université : il souhaitait que
la chose fût aussi avancée pour la chaire de grec. Nous rapportons tout
ce passage, qui constate les bonnes dispositions d'une partie du public^:
Matiliaeiis suas partes et gnaviter et féliciter agit : liabet aitditores cum satis,
ut in re tam nova, fréquentes, lum honestos, in quibus sunt aliquot Magistri nostri.
Utinam nobis contingat, qui simili siiccessu Gi^aeci partes tueri queat!
Il y avait du zèle, sinon de l'enthousiasme, chez les auditeurs d'Adria-
nus; mais la faim de cet Espagnol était toujours fort grande, et peu géné-
' Voy. les témoignages recueillis par Paqiiot, t. III, p. 74. Les personnages ici mentionnés sont
d'ailleurs connus dans l'histoire du luthéranisme et dans celle de l'érudition.
^ Dès le mois d'octobre loi", tout occupe du grand projet, il disait avec joie à Lupsetus {Epist.,
t. II, 1628) : Jam adest Hebraeus, exquisUe dodus, nomine Malthaeus. Voy. lettre à Budé, octobre
loi". Epist., t. Il, p. 1637 : Hitjus aetatis, omnium judicio , doclissimics.
'• On voit Érasme, en 1517, remercier Gilles Busleiden de l'accueil fait au juif Malthaeus, dont
l'arrivée en Belgique est un événement à souhait. Epist., t. II, p. 1653.
» Le 15 mars 1518, Érasme écrivit à OEcolampade [Epist., t. II, p. 1675) : Adest iiiv Mal-
thaeus.... conductits publico perpeluoque salaria ut Hebraea profttealur : rcs probe succedit.
~' Lettre de Louvain, 26 mars 1518 (Episl., t. II, p. 1677). Dans une lettre à Barbiriusen date
du 6 mars 1518 [Epist., t. I, p. 307), il est question d'un enseignement en plein exercice : Mut-
thaeus vir suae linguae, in qua natus est, in paueis peritus, publiée profitetur Hebraice, quusi
parum hic fucril cbriorum.
230 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
reux, paraît-il, de leur naturel, ils ne faisaient pas assez pour l'apaiser.
Dorpius, qui encourageait la petite école des hébraïsanls, se plaignait à
Érasme de la parcimonie de ceux qui auraient pu satisfaire le maître '.
Lorsque Érasme rendit compte à Gilles Busleiden de l'ouverture des leçons
le 18 octobre 1518^, il exalta de nouveau l'instruction si rare de notre
Adrianus, et le fit en termes un peu hasardés ^, en se fondant sur la
rumeur publique, sur l'opinion des savants d'Allemagne et d'Italie; il lui
attribuait, avec une connaissance exacte de la langue, une habileté d'in-
terprétation assez grande pour pénétrer jusqu'au fond de la pensée des
auteurs. Il avait osé le présenter aux théologiens sous sa propre responsa-
bilité *. Érasme insistait, dans la même pièce, sur la nécessité de retenir
par tous moyens un homme aussi utile ^.
Malgré les pressantes recommandations d'Érasme et d'autres, les man-
dataires de Busleiden ne purent augmenter d'une manière notable les
appointements d' Adrianus; cet étranger renonça à sa charge vers le milieu
de l'année suivante (1519), et cessa d'enseigner à la fin de juillet '^ : peut-
être ne quitta-t-il Louvain que vers le commencement de décembre. On
sait qu'ensuite Adrianus accepta une charge de professeur à Wittemberg,
comme le prouve une lettre de Mélanchthon à J. Langius, datée de 15:20 '.
Il n'est rien resté de positif sur la fin de la carrière de Matthaeus, ni sur
sa mort. Il avait déjà changé tant de fois de résidence, qu'on avait douté
légitimement de sa persévérance, sinon de sa loyauté : ainsi il était parti de
' Lettre du 16 juillet 1318. Epist., t. 1, p. 332. —Trait cité par Paquot, ib., p. 74, note.
- Epist., t. I, p. 353. Le texte de ce passage a été reproduit presque entier par Paquot, p. 74.
' Erasme fait, il est vrai, cette réserve : Quod si meum jtidicium in hac re non satis habebit
apud le pomicris.— Dans ses notes manuscrites {Fasti, t. I, p. 512), Paquot interrompt Érasme par
ce petit mot d'avis : Pace tua , Erasme, minimi ponderis est tua sentenlia, qui Hebraeam linguam
irjnorabas.
* Exposui theologis cjualis sit, rieque dubitarim meo recipere perieido.
^ Cum posteaquam aliquis Deus propitius ultro nobis obtulit. nosiri muneris esse videtur, ul
oblatum modis omnibus retineanms.
'"' Exurdia, p. 18 : Docuit lladrianus annum ununi ac menses très.
■' Conductus est Adi-ianus , professor Lovaniensis qui apud nos hebraïca doceat. C'était le mo-
ment delà retraite de J. Boeschenstein, hébraïsant de cette université. — Paquot, Fasti, 1. 1, p. 312,
cite en preuve du même fait un recueil é|)islolographique : Epistotarum Lutheri a Th. Aurifiibro
editarum, t. I, pp. 84, sq. Cfr. Wolf ap. Colomiès, Hispunia Orientalis.
DES TROIS-LANGUES A LOLVAIN. 231
Middelbourg chargé de dettes avant de venir dans le Brabant ^ Érasme
lui-même eut avec 3Iatthaeus une fort singulière aventure, qu'il ne manqua
pas de raconter à Capiton : l'étranger l'avait prié avec instance de lire à
haute voix devant lui une lettre qu'il lui présentait de la part de Capiton;
mais il fit la plus triste contenance, quand il entendit les choses fort
désagréables qu'elle renfermait à l'adresse du porteur.
11 n'est resté sous le nom de Matthaeus Adrianus que deux opuscules
publiés à Lyon chez Gryphius ou Sébastien Gryphe, célèbre typographe
qui imprima plus tard, en hébreu, le Tliesauims de Sanctes Pagninus 2. Ce
sont : 1° une Inlroditctio in linguam liebràicam (in-8°), qui ne porte pas de
date certaine suivant les bibliographes, et 2°, un recueil de prières en
latin et en hébreu, suivi de quelques réflexions contre les Juifs au sujet
de la substitution du dimanche au sabbat"'. Il n'est pas improbable que
Matthaeus ait passé directement de Louvain en France, dans le cas où
lesdits opuscules y aient été imprimés*.
2. RoBEUTus Wackfeldus (Robert Wackefield).
(1519.)
Cet anglais, dont les travaux et les opinions n'ont pas été sans reten-
tissement au XV1""= siècle, n'a fait qu'un court séjour en Belgique, et il
a enseigné à Louvain seulement pendant quatre mois , du mois d'août au
mois de décembre 1519 ^. Sa biographie ne sera point pourtant envisagée
comme une digression inutile en cet endroit ^, puisque Wackefield, à
' LeUre du 13 mars 1518 à Capiton. Epist., t. Il , p. 1675.
■^ Voy. Colomiès, Italia et Hispania Orientalis, élit. VVolf ( Hamburgi, 1730), pp. 255-256,
et la fin de la notice de Paquot dans ses Mémoires. — Cependant Grasse {Allrjem. Lilercirgeschichte.
B. III , Th. I , p. 1204) suppose \' Inlroditctio publiée à Bâle en 1520 avec le texte hébreu de prières
chrétiennes, imprimé auparavant par J. Boeschenstein.
' Cet opuscule, de 3 feuillets in-4°, était intitulé : Libellus hora (sic) faciendipro Domino scilicel
filin Virginis Mariae, ciijus myslerium in prologo patente patebil.
^ Suivant Aub. Miraeus : Auctarium de scriptoribus ccclesiasticis, p. 138, édit. de Hambourg
(cité par Colomiès, ibid.)
» Valère .\ndré. Fasti aead., p. 283.
^ Les notes latines encore inédites de Paquot (Fasti acad. Lov., t. I, p. 513) nous ont servi
beaucoup pour utiliser les renseignements tirés d'autres sources.
Tome XXVllI. 31
232 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
raison même de la science spéciale qu'il cultivait, a été mêlé à la politique
et aux affaires religieuses de son temps.
Robert Wackefield , qui vit le jour dans les contrées du nord de l'An-
gleterre, avait fait dans sa jeunesse, à l'Université de Cambridge, des
études complètes en littérature, en philosophie et en théologie; il entre-
prit ensuite des voyages dans la vue d'enseigner les langues orientales,
parmi lesquelles il cultivait l'hébreu, le chaldéen et le syriaque, et de
vivre dans la société des hommes les plus savants.
On prétend qu'après une courte résidence à Louvain, il eut l'occasion
de professer les langues orientales à Tubingue et à Paris. Dans la pre-
mière de ces villes, il remplaça en 1522, dans la chaire d'hébreu, le
fameux Jean R^euchlin, qui venait de mourir; mais il n'y résida pas long-
temps, malgré les efforts que fit le duc Ferdinand de Wurtemberg pour
conserver à cette Université l'éclat de son enseignement ^
Quand \Yackefield fut de retour en Angleterre, il se fixa d'abord à
Cambridge (152-4), et son érudition biblique lui gagna les bonnes grâces
de Henri VIII , qui en fit bientôt un de ses aumôniers ( lîegi fuit a sacris).
La position de Wackefield à la cour l'entraîna fort loin à l'époque où le
schisme d'Angleterre éclata ; on le vit défendre le divorce que le roi vou-
lait justifier par la théologie-, et ses écrits de même que sa conduite le
rendirent suspect de certaines erreurs : il est avéré que quelques-uns de
ses livres furent condamnés de son vivant.
Wackefield fut envoyé en 1550 à Oxford, où il donna des leçons de
langues aux membres de l'Université, dans la grande salle du Clirist-churcli
(in Triclinio aedis Cliristi). Deux ans après, il obtint un des canonicats du
même collège, et le grade de bachelier en théologie; il enseigna ensuite
à Cambridge, puis de nouveau à Oxfoi^d.
' Voy. Sclmiirrer, Biographische und literarische Nachrichlen von ehmaligen Lehren der hebrai-
schen Lilcratiir in Tubiinjen. Ulni, 1792, in-S", pp. 67-70.
^ Henri VIll sollicita des principales Universités de l'Europe, comme des deux Universités
d'Angleterre, une décision favorable à ses vues, et il fit fléchir de son côté plusieurs facultés de
théologie : il n'osa rien tenter de semblable auprès de celle de Louvain. Voir le discours latin de
M^ de Ram : de Laudibus, etc., p. 4, et note 9, pp. 40-4:2, et VHistoire de Henri Mil par
Audin, t. II.
DES TROIS-LA?<GUES A LOLVAIN. 235
L'attitude de R. Wackefield pendant les troubles fut conforme au rôle
avancé qu'il avait pris dans l'affaire qui fut le point de départ de la
réforination en Angleterre; il prêta la main aux mesures prises alors par le
pouvoir, et assista à la destruction du monastère de Ramsgate (Monaslerium
Ramesiense), ordonnée par le roi, en 155G. 11 passait pour avoir enlevé
lui-même grand nombre de livres de la bibliothèque de ce monastère, et
entre autres le Diclionarium hebrdicum Laurentu Holbecci. ouvrage savant et
bien travaillé *.
Robert Wackefield mourut à Londres, en 1558 suivant les uns, le
8 octobre 1557 selon d'autres.
Des ouvrages ou des opuscules de R. Wackeûeld -, les uns avaient trait
à l'enseignement de l'hébreu et des langues bibliques ou à l'exégèse phi-
lologique des Écritures; les autres étaient des traités destinés à justifier
par la Bible ses opinions en morale et en droit canonique ^; d'autres enfin,
étaient des discours et des pièces de circonstance appartenant à ses rela-
tions avec les deux Universités d'Angleterre. Nous indiquerons unique-
ment, comme relatifs à la philologie sacrée, VOratio de kmdibus et ulililate
trium l'mguariim Arab., Cliald. et Hebr. atque idiomaiibus hebraïcis quae in ulroque
Teslamento inveniunlur (Cantabr., 1524, in-i"), la Paraphrasis in librum Kohe-
lelh (quem vulgo Ecclesiasten vocant) succincla, clara atque fidelis (In-P), et le
Syntagma de Hebraeorum codicum incorruptione * , publié seulement après la
mort de l'auteur [Oxonii, 1552, in-4").
' Pitseus, de Academiis et illustribus Angliae scriptoribus ad ann. 1338, n° 957. Paris, 1619,
in-4° (t. 1, seul paru).
2 Pitseus, loc. cit., en a dressé une liste, et Wood en donne une autre dans ses Athenae Oxo-
/lienses (t. I, p. 40, S"" édit.). Schnurrer, dans le volume cité, n'en mentionne que les principaux.
Paquot {Fusli, 1. 1, p. 3-2-2) a rassemblé les matériaux d'une bibliographie complète, trop étendus,
nous a-t-il paru, pour servir de complément utile à la présente notice.
-» Par exemple, Kolser Codicis, etc. Londini, 15-28, in-4» : dissertation où Wackefield prouvait,
d'après les Écritures et les décrets de l'Église, l'illégitimité du mariage du roi avec Catherine
d'Aragon , veuve de son frère.
' Ce traité paraît avoir été une portion détachée de sa première publication sur les trois langues
bibliques. Wackefield y parlait de lui-même avec une excessive confiance : Spero me in ea praestitisse
de tropis Scriplnrae, punciis, positinnibus et nonmdlis aiiis rébus, qmd a nascente Ecclesia , quod
sciam, praestitit nemo, ne dicam atteutavit. — L'impression de l'hébreu se faisait dans les premières
éditions de ses écrits, à l'aide de caractères taillés en bois (Hallam , H, 530).
234 MÉMOIRE SUR LE COLLÈGE
5. RoBEUTLS SniRwoDus (Robert Sliirtvood).
(1319.)
Robert Shirwood, qui fut présenté par Wackefield au moment de son
départ, ne professa que pendant un mois, le mois de décembre 1519 :
Post mensem umim professionem inglorins deserml, comme a dit de lui Valère
André '. Ce personnage, né à Covenlry, dans le comté de Warwyck, s'était
livré, à Oxford, à l'étude des belles-lettres et de la théologie, et on pré-
tend même qu'il aurait pris dans cette Université le grade de docteur en
théologie-. Selon Pitseus, Shirwood aurait ensuite enseigné publiquement
la langue grecque et la théologie à Louvain'^; mais, comme l'observe Pa-
quot, on ne trouve son nom nulle part parmi ceux qui ont professé ces
sciences, à moins qu'il n'ait été lecteur dans quelque collège [fors lectorem
egerit in aliqiio collegio). On n'a pas de détails sur le reste de sa carrière.
On attribuait à Robert Shirwood beaucoup d'intelligence et d'érudition.
De tous les ouvrages qu'on a pu lui attribuer *, un seul a obtenu une
certaine célébrité : c'est le commentaire sur VEcclésiaste, que Valère André
appelle Recognitio scu explanalio in Ecclesiasten, et qui a paru à Anvers,
en 1525 ^. Le lieu et la date de cette publication feraient croire à un séjour
prolongé de Shirwood en Belgique, ou du moins à ses relations suivies
avec notre pays.
Shirwood a dédié ce livre à Jean Webb, abbé des moines bénédictins
du couvent de Coventry; il disait dans sa dédicace qu'il s'était efforcé de
' Exordia, p. 68. Fusti , p. 284. — Nous avons consulté aussi Pnquot. MS., 1. 1, p. 513.
^ Si Baleo et Pilseo fiJes, rerjislra eniin lacent, ini|uit Tanneras (Bibl. Brilannico-Hiberna ,
p. 6C9) ap. Paquol.
5 Pitseus. De Acad. H illi script., a° 1530, n° 934.
* Pitseus, loc.cit., attribue à Sliirwodus des Sermones varii, en un livre, dédiés à Webb, et
(]uel(]ues autres ouvrages que Paquot n'est pas parvenu à connaître. Baleus {De ncriptoribns eccle-
siaslicis) ne cite d'autre ouvrage que VEcclésiaste.
' Le titre de la publication mérite d'être cité en entier : Ecclesiastes latine ad verilatem he-
braïcam recognitus , cum nonnullis annotatioiiibus chaldaicis et quorumdam Rabbinorum senten-
tiis, texlits ubscuros aliquol literaliter crplananlibus. Studio Roberti Shirwood. .Vntverpiae, apud
Guilielmuni Vorstnian, 1523, in-4". — Voy. Dibliotheca Sacr., Vir. Cl. I^elong et Boerner, edid.
Masth. (Halae, 1783) tome III, part. II, p. 548.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 23S
réparer en partie l'obscurité de VEcclésiaste par sa version et ses notes
{Ecclesiaslae obscurilatem versione sua et nous ex parle sarcire). Jean Pineda,
docte commentateur des Ëcrilures, a fait tant de cas de l'interpi-étation
de Shirwood, qu'il l'a insérée dans son grand commentaire de YEcclésiasle,
publié à Séville *. Un passage de la préface de Pineda (c. 12., § 2.) a fait
croire à plusieurs érudits que Shirwood était aussi l'auteur d'une version
latine de tout l'ancien Testament, faite sur l'hébreu ^. Si on ne peut le nier
absolument, on ne connaît, du moins, d'autre partie achevée qu'un seul
des livres Sapientiaux.
4. JoHANNES Campensis (Jcaii van den Campen).
(1520-1531.)
Le successeur de Shirwood eut enOn la bonne chance d'occuper plus
longtemps, et avec distinction, la chaire d'hébreu, que lui confièrent les
administrateurs du collège. ,Iean Campensis a déjà obtenu une mention
spéciale et détaillée de nos biographes les plus estimés ^ et Valère André,
le premier, a célébré son mérite dans le tableau historique du premier
siècle du collège des Trois-Langues *. Nous sommes tenu de reprendre ici
les principaux faits de sa biographie, pour le juger comme hébraïsant et
comme professeur.
Le nom de Campensis n'est autre chose que la transcription latine du
nom de van Campen, ou plutôt van den Campen^, lequel a pu être tiré
' Ecclesiastes Salomonis latine ex versione J. J. Pineda cum cowmentariis. Hispali, 1619,
in-f'ol. Parisiis, 1620, in-fol.
2 De ce nombre sont Jacques Tirinus. Comment, in V. et N. T. (In Indice anclorum) et Jean
(le la Haye (Prolcg. ad Biblia maxima). — Voy. Bibliotlteca sacra , loc. cit.
^ Bibliotheca Belg., édit. 1643, p. 475, édit. Foppens, 1. 1, pp. 349-600. Mémoires d'hist. litlér.
par Paquet, t. H, pp. S0S-o07. — Le travail plus complet de ce dernier est élaboré dans ses
notes des Fasti acad., folio 313-314.
' Exordia ac progrcssus, pp. 68-69. Cfr. Fasti, p. 284. Nous userons librement de notre notice
sur J. Campensis dans V Annuaire de l'Univ. de Louvain , année 1843, pp. 183 et suiv., et nous
la citerons quelquefois par extraits, grAce au droit do reprendre son bien où on le trouve.
5 C'est sous le nom de Jean de Campen qu'il figure dans la Biographie universelle, t. IV. p. 637
(art. de Tabaraud).
236 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
du lieu d'où ce personnage était originaire, si ce n'est pas celui de sa
famille. Il était né vers 1490, en Hollande, dans la province d'Over-Yssel
(d'où il est aussi qualifié de Transisatanus) , à Campen ou auprès de Campen,
petite ville située à cinq lieues de Deventer, sur la rive gauche de l'Yssel.
La patrie de Campensis n'était pas restée sans illustration dans les siècles
de la Renaissance ', et la ville de Deventer, dans le même pays, avait été
longtemps la meilleure de nos écoles d'humanités. Tout porte à croire que
Campensis avait déjà étudié les langues grecque et latine à l'école toujours
tlorissante de Deventer, avant de se rendre à Louvain.
De bonne heure, Campensis se livra à l'étude de l'hébreu, avec le
secours de quelques livres publiés en Allemagne, et aussi avec l'aide
d'hommes instruits qui possédaient les éléments de cette langue. On n'a
fait que conjecturer que Campensis aurait eu l'occasion de voir et d'en-
tendre dans sa jeunesse le célèbre Jean Reuchlin. II est certain, au con-
traire, que Campensis avait passé environ neuf années à étudier et à
enseigner l'hébreu à Louvain ^, quand il fit un voyage en Allemagne,
pour y acquérir par lui-même de nouvelles lumières. Il avait professé
d'abord en élucidant avec persévérance les notions de grammaire répan-
dues par les leçons de Malthaeus Adrianus et d'autres; mais, peu satisfait
de ces notions, il voulut savoir suivant quels principes la langue hébraïque
était étudiée par les Allemands, et si l'on pouvait tirer quelque utilité
des points -voyelles, à la condition d'en réduire l'usage en méthode-'.
Les doutes de Campensis furent éclaircis au bout d'une année d'études :
il se convainquit qu'une saine critique admet avec raison l'emploi de
' Campen avait vu naître un théologien célèbre, Heinieric, dit de Campen ( Heimericun de
Campo), qui se distingua au concile de Bâle par l'habileté de sa dialectique, écrivit plusieurs traités
à la demande du cardinal Nicolas de Cusa, et enfin vint professer la théologie à Louvain dans les
dernières années de sa vie (1444-1460), C'était aussi le lieu natal d'Albert Pighius, qui remplit des
postes de hante confiance dans l'Église, vécut à Rome à la cour des papes , et finit ses jours en
1555, à Utrecht. Voy. Foppens, pp. 4'2-4ô, et Paqiiot, Mémoires, t. I, p. 52.
2 Valère André, Exordiu, p. 08, d'après la préface de la grammaire hébraïque de Campensis
[\''° édit.) : Qui cum annos plwt minus novem linguae hebrateae discendae alque docendae impen-
dissel....
' Exordia, ibid. : In Germaniam concessit, ul cognosceret esset ne ars aliqiia in punclis, qiiibus
Docalium loco nluntur Hebraei, an vero constaret nnllam esse; haesitque ibidem anmim unum.. .
DES TROIS -LANGUES A LOUVAIN. 237
signes de convention, qui déterminent et conservent la prononciation
traditionnelle de l'hébreu; dès lors il se livra avec plus de sécurité et plus
d'attrait à une étude qu'il avait trouvée naguère pleine d'aridité et d'in-
certitude *, et peu après, en 1528, il donna le fruit de ses recherches dans
sa Grammaire hébraïque,
La chaire d'hébreu du collège de Busleiden avait été conférée à Jean
Gampensis probablement au commencement de l'an 1520; au mois d'oc-
tobre de la même année, il entra dans le nouveau collège avec Piescius
et Goclenius, et pendant un terme de onze ans, il forma un grand nombre
d'élèves, à qui il aplanit l'accès de la grammaire hébraïque, hérissée
jusque-là de tant de difficultés. Lorsque Jean Gampensis se démit de ses
fonctions, en loôl, il se prépara à un voyage en Italie, où l'appelait,
dit-on, une invitation du pape Glément VII ^. Gependant, il ne se rendit
pas directement à Rome; il parcourut tout d'abord l'Allemagne et la Po-
logne, dans l'intention de conférer avec des rabbins instruits et des hébraï-
sants célèbres. Puis il s'arrêta quelque temps dans le midi de l'Allemagne,
et visita à Bàle Sébastien 3Iunster, ancien cordelier de Tubingue, infati-
gable éditeur de livres destinés à l'enseignement de l'hébreu ^. Il résida
ensuite deux années à Venise, y enseigna l'hébreu, et noua des relations
scientifiques avec un juif instruit, que le célèbre Hieronimo Aleandro lui
avait fait connaître *. Les pérégrinations de Gampensis avaient été assez
longues; Érasme n'avait pu s'empêcher de le comparer à l'acteur d'une
' Valère André. ExoriUa : Quo faclum est ut quae di/peilis illi primum, morosa et inamoena,
facilem sit ei-perlus Hiujuam, Imem et amoenam; damnala sacrosanctu illa plurimorum x/j-Min,
negantium certa aliqua ratione literis Hebraïcis adjecta puncta.
- Par distraction sans doute, Valère André et Foppens ont ici nommé Léon X, qui était mort
en 1321.
5 Voy. sur les services de cet érudit dans les études hébraïques, Hetzel, Gesch. der hebr. Spruche
und ti/er., pp. 132 et suiv., etGesenius, Gesch. der hebr. Sprache und Schrifl , pp. 109-110, 112.
^ Campensis avait pu connaître autrefois Jérôme Aléander en Belgique, où celui-ci séjourna en
qualité de nonce, quand les écrits de Luther furent brûlés en plusieurs villes. Lorsque Gampensis
le rencontra de nouveau à Venise, il y remplissait une mission du pape. Aléander était un des
hommes qui avaient pris le plus à cœur l'intérêt des lettres; à cause de sa connaissance des langues,
Aide Manuce lui donnait « cinq cœurs d homme ». Sur son mérite littéraire voir Roscoé, Histoire
de Léon X, t. IV, et Audin, Ilisloire de Luther, 2™^ édit., chap. XVII.
258 MÉMOIRE SUR LE COLLÈGE
comédie toule de mouvement : Motoriam egit fubulam, écrivait-il à Gocle-
nius, ancien collègue et ami du voyageur '. C'est avec un vif déplaisir
qu'Érasme avait appris la démission et le départ de Canipensis; il l'esli-
mait '^, et comptait sur son zèle pour l'affermissement du collège des
Trois- Langues; tout en regrettant son absence^, il le suivait cependant
encore avec un bienveillant intérêt, dont il lui donna des preuves.
A Rome, Campensis fut accueilli avec grande faveur par l'autorité pontifi-
cale, sous le règne de Paul III, qui avait succédé à Clément VII, en 1554,
et il fut investi de bénéfices et de titres ecclésiastiques. Cependant, les
honneurs ne purent le retenir en Italie, et il se mit en route dans l'espoir
de faire hommage à sa pairie des connaissances qu'il avait acquises dans
les villes étrangères. Déjà il était arrivé à Fribourg en Brisgau, quand
il fut atteint de la peste qui y sévissait alors, et il y fut enlevé encore à
la fleur de l'âge, le 7 du mois de septembre de l'an 1558.
Les ouvrages de Campensis, que nos polygraphes ont pris soin d'énu-
mérer ^, méritent ici une description toule spéciale, puisqu'ils attestent
sur quel ordre de travaux l'enseignement de l'hébreu était alors fondé,
par quel genre d'application il était justifié aux yeux des savants, et mis
en rapport avec les autres sciences. Un abrégé de grammaire hébraïque,
une paraphrase des Psaumes et une autre de V Ecclésiaste , telles sont les
publications de Campensis, qu'il nous importe d'analyser, pour parfaire
la biographie d'un des hommes qui ont la plus belle place dans les an-
nales du collège de Busleiden.
I. Grammaire hébraïque. — La première en date des productions de
Jean Campensis est sa grammaire hébraïque, sortie, en 1528, des presses
de Thierry Martens à Louvain. Voici le titre prolixe de celle grammaire,
qui remplit le 7-ecto du premier feuillet ^ : Ex imiis libellis Eliae grammati-
I Episl. poslh., ann. 1332-1533 {Fasti , p. 28i).
- En 1524, il lui avait transmis une de ses créances à la charge du libraire Fr. Birckmann
d'Anvers. Epist., t. I, p. 822.
^ Voy. sa lettre à Égide Busleiden. Fribourg, décembre 1531 {Epist., t. Il, p. 1424), et sa
lettre à Gocienius, novembre 1533 : Canipensis abest. {Epist., t. Il, p. 1479).
* Voy. Foppens, p. 600. Paquot, I. Il, p. S06, et Sweertius, Deliciae orbis christiani, p. 363.
"' Un volume in-4° de 52 feuillets, décrit d'après l'exemplaire de M. van der Meersch , par IM. de
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 239
corum omnium doctissimi, hue fere congesHim est opéra Joliannis Campensis, quidquid
ad absohitam grammalicam liebràicam est necessarmm. Quod scquens pagella magis
indicabit. — Lovanii , apiid Tlieodoricum Murlhmm. An. MDXXVUl. Meuse junio.
Cette première édition renferme une épître de l'auteur à Daniel Boni-
berg, consistant en trois feuillets, et datée de Louvain 1528, qui n'a pas
été reproduite dans les réimpressions de son livre. Campensis y parle du
terme de ueuf années qui s'est écoulé depuis le début de son enseignement,
et y déclare n'avoir bien compris la théorie des accents qu'après avoir
étudié la grammaire d'Elias Levita.
L'essai de Campensis, qui présentait un résumé des règles essentielles
de l'hébreu , tant sous le rapport de la lecture et de l'écriture que sous celui
des formes, valut aussitôt de la renommée à son auteur; il fut réimprimé
plusieurs fois dans les années qui suivirent, surtout à Paris, à la librairie de
Chrétien Wechel ^ ; ces éditions ont leur prix, à cause de l'excessive rareti'
de l'édition originale. Le fond de l'ouvrage avait conservé une utilité assez
pratique aux yeux de Valère André, pour qu'il en ait préparé lui-même,
comme on le verra plus loin, une édition revue, où il voulait indiquer les
emprunts faits par Campensis à Elias.
La grammaire de Campensis n'abonde pas en exemples ; mais elle se
distingue par des définitions concises; libre de digressions, elle a les qua-
lités d'un ouvrage élémentaire. A ce point de vue, Paquot n'a pas dit sans
raison « que la grammaire de Campensis est bien faite, fort méthodique,
et dégagée des ennuyeuses minuties, dont on a farci la plupart de celles
qui ont paru depuis. » Cependant, si cette grammaire offrait dans sa mé-
thode l'avantage de la clarté, il lui manquait encore l'utilité de fournira
la mémoire une connaissance exacte et facile des formes grammaticales :
c'est ce que lit Cleynarts, élève et ami de Campensis, en publiant, en 1529.
ses Tables pour la langue hébraïque -, et il laissa ainsi à l'ouvrage de son
r.aïui , dans sa monographie sur Tli. Marlens, n° 106, p. l'iO, pt récemment par le P. van Iseglieni ,
dans la Biofjrnphic citée , n" 20."i, |)p. 337-Ô38. CcUc édition princcps est resléc iiiconniie à M. Jiil.
Fiirst, éditeur de la Bibtiotheca judaïca , qui appelle lautcur Jean Campange (Th. il, 239).
' Poiisiis, npiid Clirislianum Wcchelum, lo3o, 1339, Ijii et 1553, petit in-S".
- Scripueram quondam tahulam lirbraïcam , tubulam , inqwim , non jnalam grammalicam, quod
et typi minores deesscnt , cl Campensem noUem vidcri emendare. [Episl., p. 181.)
Tome XXVIII. 32
240 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
maître, qu'il n'aurait point voulu paraître corriger, la destination parti-
culière de grammaire élémentaire et classique. Comme aujourd'hui le livre
de Jean Campensis ne présente plus en lui-même qu'un intérêt historique,
nous avons surtout à rechercher ici dans quel rapport il est avec les tra-
vaux du même genre, qiii datent de la première moitié du XVI""= siècle.
Il est impossible de déterminer de quels auteurs Campensis aura fait usage
dans la composition de son livre, parce qu'il ne cite aucun des grammai-
riens chrétiens, dont il a été contemporain; il est seulement probable qu'il
aura eu connaissance, soit à Louvain, soit pendant son voyage d'Alle-
magne vers 1528, des premières grammaires publiées par des Allemands
d'après la méthode des l'abbins , par exemple, celles de Conrad Pelli-
canus *, de Jean Reuchlin ^ et de Jean Boeschenstein ^, et plus tard , avant
d'achever son propre travail, il a pu mettre à profit quelques livres qui
avaient sans doute déjà pénétré dans les Pays-Bas , tels que ÏEpitome et les
Imtitittiones de Sébastien Munster ^, ou bien la grammaire de Santés Pagni-
nus ^. Campensis paraît avoir pris surtout pour guide un écrivain juif,
qui était allemand de naissance, mais vivait alors en Italie, Elias Levita,
qu'il appelle le premier des grammairiens^ et qui est, en effet, loué encore
par les modernes comme un grammairien judicieux : « C'est celui de tous
les rabbins , a pu dire Richard Simon, dans son Catalogue des auteurs juifs ,
qui ait été le moins superstitieux, et qui mérite le plus d'être lu. »
Comme Campensis l'annonce par le titre même de sa grammaire, il a eu
recours aux différents traités d'Elias Levita, qui lui ont paru avec raison
moins compliqués que le système d'autres grammairiens juifs; il a fait
sans doute usage des éditions de ces traités publiées par Sébastien Mûns-
' De modo legendi et intelligendi Hebraea. Basil., 1503, in-i".
- Voy. plus haut (chapitre I, p. 31) le titre (le son premier ouvrage: en 1318, parut son livre Z>f
accentibus H orlhographia, complétant le précédent.
^ Elementale inlrod. Aiisb., 15I4, in-i°. Hebr. grammat. instllutiones. Wlehergae. 1318, in-i".
* 1520 et 1324, in-12. Basil., apud J. Frobenium. — Son Dictionnarium llebratcum parut en
1520.
■'' Inslit. grammat. Ling. Hebr. Lugduni , 1326. — S. Pagniniis en a donné une Abbreviatio
qui a paru à Lyon , en 1328, en même temps que la grammaire de Campensis à Louvain.
•^ Voy. Gesenius, Gescli. der Hebr. Sprache, pp. 97 et 99. — Elias Levita, né en 1469 dans le
pays de Baireuth, enseigna à Padoue vers 1304, habita ensuite Rome et Venise, et mourut en t549.
DES TROIS-LAINGUES A LOUVAIÎN. 241
ter, chez Jean Froben, à Bâle : par exemple, le Liber eleclus, grammaire
sous la forme de quatre discours, qui parut en 1525, avec une traduc-
tion latine en regard de l'hébreu, et les dissertations grammaticales, Capila
Eliae, imprimées à Pesaro en 1520, et reproduites à Bàle, en 1527.
Peut-être Campensis a-t-il eu aussi entre les mains le Liber composiiionis ,
dont la première édition fut faite par Elias à Piome, en 1516 '. C'est à
l'aide de ces sources que notre auteur a pu souvent invoquer dans les
pages de sa grammaire l'autorité d'Elias Levita : il le fait surtout dans une
question déjà débattue par les hébraïsanls de son époque, la nature et
l'autorité des points- voyelles; il applique le système de ponctuation reçu
jusqu'alors dans les écoles, mais avec une réserve qu'il devait sans doute
à la lecture des ouvrages d'Elias. Ce rabbin, en elfet, a osé le premier
mettre en doute, au grand scandale de ses coreligionnaires, l'antiquité du
système masorélhique, qui fut bientôt après attaquée par des hébraisants
chrétiens, et aussi par Luther; mais le grammairien novateur n'a pas en-
tendu nier l'usage nécessaire des points-voyelles; il n'a fait que combattre,
au point de vue d'une libre critique, l'importance superstitieuse que la Syna-
gogue avait fini par y attacher; il était loin encore de dénaturer la langue
hébraïque par le système arbitraire de lecture qui a été substitué à la
ponctuation et à l'orthographe des Masorèthes, et qui a été propagé, surtout
en France, par les ouvrages polémiques de Louis Capelle, de Masclef et
du P. Houbigant. L'exposition des règles de lecture, faite par Campensis
d'après Elias Levita, nous représente une sorte de méthode éclectique,
qui fut aussi celle de la plupart des hébraisants qui vinrent après lui dans
leurs ouvrages de grammaire; nous trouvons cette méthode énoncée sur
le titre qu'il a donné à son introduction : Libellus de natura Uterarum et punc-
torum Ilebraïcorum , aliisque ad exaclam grammaticis, clirislianis, et neotericis
jiidaeis liucusque incognita, nece^sariis, ex variis opusculis Eliae Jiidaci, grarnma-
ticorum omnium facile principis, per Joamiem Campensem concinnatus. Quand
le grammairien a défini la valeur des consonnes et l'emploi des points-
voyelles, il s'occupe des gutturales : Lilerae aleph, hé, kheth, ghaïn, muHum
' Munster n'en a fait une réimpression qu'en IS56.
242 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
exliibuerunt negoUi omnibus qui anle liunc noslrum Eliatn de grammalica scrip-
serunt, nec quisquam quod sciam salis iliarum naturam novit. Après avoir carac-
térisé leur naliire gutturale, distincte de celle des autres ordres de con-
sonnes, il établit que si ces lettres n'ont pas de sons par elles-mêmes et ne
peuvent recevoir les sclicva comme les autres, elles prennent le son d'une
voyelle brève dont le signe est joint à celui du scheva : ce sont les points
qu'il nomme semi-pwxcla , qui sont plutôt des demi-voyelles ou voyelles auxi-
liaires, et que les grammairiens modernes appellent scheva composé, ou
voyelles abrégées : ciiATEPH-/«Uflc/i , segol et kamets. On trouve, en outre,
l'usage des lettres quiescentes dans les flexions grammaticales, expliqué
par Campensis d'une manière aussi claire que le comportait la connais-
sance exclusive de l'hébreu, sans la comparaison des idiomes congénères,
qui n'a été appliquée à la grammaire que dans le cours du XYIl'"" siècle.
IL Paraphrases des Psaumes et de t'Ecclésiaste. — Ces travaux de Cam-
pensis appartiennent comme le premier à sa carrière philologique ^ Les
Psaumes et l'Ecclésiasleont donné matière à deux publications différentes,
sur la valeur et les éditions desquelles Paquot s'est beaucoup étendu dans
l'article de ses Mémoires. Les aperçus qui vont suivre reprendront unique-
ment les faits les plus importants, qui doivent être éclaircis par des obser-
vations nouvelles.
La première édition de la Paraphrase du Psautier a pour titre : Psal-
morum omnium juxla Hebraïcam veritatem paraphrastica interpi^elalio , auclore
Jeanne Campensi, publico , cum nascerelur et ahsolveretur, Lovaniensi Hebraï-
carum literarum professore. (Noribergae, 1552, in-16.) On apprend par ces
termes, que c'est dans le cours de son professorat que Campensis a exé-
cuté son travail d'exégèse philologique ; il ne l'a donc publié qu'un an après
son dépari de Louvain, à Nuremberg, où il parait avoir fait quelque
séjour; c'est aussi de cette même ville qu'est datée la dédicace qu'il a
faite du livre à Jean Dantiscus ou de Dantzig ^, évêque de Culm, et am-
' On a mis sans preuves, sous le nom de Campensis, les Commentarioli in Epislolas Pauli ad
Romanos cl Galalas (Vcnctiis, 1534, in-8°).
'^ Érasme avait recommandé (lampensis à ce prélal : Campensis nientionem feci in projcimts ad
Dantiscum liieris honori/îcam. (Episl., l. Il , p. 1479.)
DES TROIS-LAISGUES A LOUVAIN. 245
bassadeur du roi de Pologne auprès de l'empereur Charles-Quint. La
même année, la Paraphrase latine de Campensis était réimprimée à Paris,
chez Claude Chevallon ; mais avec celle du Psautier paraissait, pour la
première fois, la Paraphrase du livre de Salomon , dit Cohdelli ou l'Ecclé-
siaste : Succinclissiina , el quanlum ilebraïca plirasis permitlit, ad literam proximc
accedens Paraphrasis in concionem Salomonis Ecclesiaslac. (Ap. Claudium Che-
vallonium, Parisiis, 1532, 45 pages.) Celle Paraphrase remontait, comme
l'autre, aux premières années de l'enseignement de Campensis, qui l'ap-
pelait les prémices de ses travaux; il dit même qu'il l'avait dictée à ses
auditeurs du collège des Trois-Langues, avant de la donner au public.
Dans la suite, les deux Paraphrases ont été réimprimées ensemble dans
plusieurs villes qui étaient devenues en quelque sorte les foyers de l'art
typographique, à Paris ^ à Lyon -, à Anvers ^ et à Bâle *. Des versions
faites en langue vulgaire, en flamand, en allemand, en anglais et en fran-
çais, sur le texte latin du Psautier paraphrasé, ont paru bientôt après :
une version vulgaire de la Paraphrase de l'Ecclésiaste a été jointe aux
traductions flamande et française ^. La publication de cette dernière était
due au trop fameux Etienne Dolet, qui annonça la Paraphrase « faite par
le très-savant M. Jean Campensis » comme « une claire et succincte inter-
prétation juxte la sentence, non juxte la lettre. » L'éditeur français a, dans
une Êpislre au lecteur fidèle, expliqué le nom et le titre des Psaumes; peut-
être Irouvera-t-on ici avec plaisir la définition du mot donnée dans la
langue et avec l'orthographe du XVI™" siècle : « Semblablement te vou-
» Ions bien advertir que ce mot pseaidme signifie proprement le son de
» la harpe; toutesfois le mot hébreu, nûzmor, signifie proprement carme,
» ode, chanson : mais nous disons les Pseaulmes, parce qu'ils ont été
» chantés à certains instruments; mais cestoit en telle sorte que la mo-
' Dans les années 1534, 1545 et 1565, in- 10.
4 Chez Séb. Gryphiiis, 1533, 1536, 1558, 1348, 15G8, in-12.
■' 1535,in-8°.
' 1548, in-16. 1553, in-12. Voir l'indication des éditions latines des deux paraphrases de (Cam-
pensis dans la Bibliolheca sncra du P. Lclontt, éd. Masch, t. III, p. II, pp. 528-32 et 547.
^ Les premières éditions de la version française sont celles de Paris, 1534 et 1342, in-16, et
celle d'Anvers, 1544.
244 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
» dulalion d'iceulx instruments préparoit et disposoit les affections des
» oyants a plus plainement percepvoir et entendre les paroles des sainctes
» chansons. »
Après l'examen sommaire des travaux de Campensis, constatons quels
témoignages honorables ont été rendus à sa mémoire, par des littérateurs
qui étaient alors l'écho des savants de leur pays. Ses connaissances éten-
dues lui ont valu l'estime el l'amitié d'un des hommes les plus actifs de
l'époque, Sébastien Munster, qui lui a adressé une lettre latine insérée en
tète de la traduction de la logique de Maimonides ^. Des humanistes qui
avaient connu Campensis, ont célébré son savoir; après l'éloge donné par
le poète portugais Andi'é Resende à ses leçons de langue hébraïque -, on
citerait la pièce de vers élégiaques, dans laquelle son ami et compatriote,
Alardus Amstelrodamus, a transmis le récit abrégé d'une vie bien rem-
plie et sitôt tranchée :
Campensis praestans sanctae mysteria linguae,
Davidicos Psalinos fusiùs expltcuit.
Non sine laude diù Veneta praelegit in urbe ,
Obtinei hinc Romae mulla sacerdolia.
Lovanii slaluit vitam fmire docendo ,
Frilnirgum veniens peste repente péril.
Ne fartasse senem mulet [urluna secunda,
Hinc juvenem Campos misit in Elysios.
I nunc, rara sludens, Hehraeis jungito Graeca :
Mors etiam dodos opprimit alra viras.
La réputation que Campensis avait acquise, par son enseignement et
ses ouvrages, a autorisé Valère André à lui décerner cet éloge solennel,
dans son discours historique ^ : Et Joannes quidem Campensis qualis quantus-
que vir fuerit, e scriplis illiiis, 6jç eç èvûyoiv'/.icvctx, lied aeslimare : nam el Veneliis
publiée docuit, el erudiïwnis gratia a Leone X, Ponl. Max., magno illo imjemo-
rum aestimalore, in urbeni evocaliis, bénigne exceptus est, ac habitus liberaliter.
' Basiieae, ■1526. Voy. une note dans Paqiiot, p 50o.
- Dans son Encomium urhis et Acud. Lovan., 152î) {Fasti acud., p. 401).
' Exordia ac progressiis, p. 1 1 .
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIiN. 245
5. Andréas Gennepios (André Gennep, dit Balenus).
(153-2-1568.)
Le successeur de Jean Campensis élait né à Baelen, bourg de la Cam-
pine, et c'est pourquoi il est nommé quelquefois Andréas Balenus, et
même simplement Balenus, dans les écrits latins du temps. André Gennep,
qui prit possession de la chaire d'hébreu, le 26 février 1552, à l'âge de
48 ans, la conserva jusqu'à sa mort, arrivée l'an 1568.
II eut le privilège de jouir jusqu'à une extrême vieillesse d'une santé
encore vigoureuse et d'une grande gaieté de caractère ^; c'est dans les der-
nières années seulement de son professorat d'environ 56 ans, qu'il réclama
l'assistance de jeunes hébraïsants ^.
Distingué par la simplicité et la bonté de son âme, doué d'un caractère
exempt de prétention et de feinte ^, André Gennep élait fort instruit : il
avait joint à la connaissance des langues la culture de plusieurs études
spéciales, telles que la médecine, la botanique; cependant, il rendit des
services signalés par sa connaissance approfondie de l'hébreu, dont il avait
pénétré les mystères, nous dit-on, avec une perspicacité qui aurait défié
celle des rabbins *.
Il réussit à former des élèves distingués, dont plusieurs, entre autres
Lindanus, lui ont rendu témoignage; c'est grâce aux entretiens particuliers
qu'il accorda à Lindanus, et grâce à des recherches entreprises de concert,
que celui-ci parvint à des vues aussi sûres et aussi solides sur la manière
d'interpréter les Écritures. Si Lindanus, qui l'a nommé une des gloires
de l'Académie de Louvain [Lovaniensis Academiae dectis), s'est laissé peut-être
entraîner trop loin par sa reconnaissance, on peut du moins mettre son
maître au nombre des professeurs les plus utiles et les plus judicieux que
' Vegelus et hilaris , qui gcnlis illius gmius est. (Exordia, p. 70.)
2 Valèrc André. Exordia, p. 69. — Fasli, p. 28.i. — Foppens, Bibl. Belg., pp. 32-55. — Pa-
quet, Fusli MS., t. I, pp. 514-3)3.
3 Havensius {Comment, de erect. nov. episc, p. 97 ) : Homo fuit ingénia lU faciti, ila simplici
atque benigno, sine fnco ac fallacia.
■* Valère André. Exordia. p. 69 : Linguae Hebraïcae, ac potissimiim rei grammaiicae mysteria
Rabbinis prope ipsis culkbal accuralius.
246 MKMOIRE SUR LE COLLÈGE
l'enseignement des langues y ait comptés. On n'a pas d'ouvrage toutefois,
sous le nom de Gennep; il avait préparé un travail sur les accents hébraï-
ques {de accmlibus liebraïcis, et un autre sur l'accord de la Vulcale avec le
texte oi-iginal hébreu [de consensu cdhionis Ytdrjatae mm hebrdica veritale^).
Un petit travail manuscrit sur la dérivation des mois dans l'hébreu exis-
tait encore au siècle passé on manuscrit - : De inveslkjalionc tliamtlis in
hebraïco sermone (MS., in-i", 12 p.).
Selon toute apparence, Gennep fit beaucoup pour venir en aide aux
études et aux travaux des autres. Nous aurons lieu de rapporter ailleurs
ses bons offices en faveur des deux Levita, juifs convertis, réfugiés à Lou-
vain quelque temps, à cette époque. Jean 3Iolanus, docteur en théologie,
disait avoir appris de la bouche même de Gennep ^, que celui-ci était l'au-
teur de la Grammaire hébraïque, publiée par Jean Isaac Levita, sous son
propre nom, à Cologne, et qu'il la lui avait dictée pendant le séjour d'Isaac
à Louvain.
André Gennep mourut, en 1568, âgé de 84 ans*; il fut inhumé en
l'église S'-Pierre {in pronao) , auprès de sa femme, morte un an aupara-
vant. 11 avait chargé de distribuer ses biens « aux pauvres du Seigneur »
* Valèrc André dit (Exordla , p. 70) n'avoir pas pu voir ces ouvrages qui sont cités par i.in-
danus. [De opt. iiiterp. script, gen., liv. 1, cliap. VII.)
^ Paquot, Fasti, p. 515 : « Apud Jo. Fr. Sal. Baelemans, Toparchani de Steenweglien. »
^ Dans les Ancilecla rcrum Lovairiensium , vus par Valère André {Fasti, p. 28 i). C'est sans doute
le même ouvrage de Molanus , dont parle Valère André , sous le nom de : Annales urbis Lovaniensis,
dans la Bihl. Belgica. T" édit , p. 513, et aussi dans la seconde. Voir sur ce manuscrit la noiice
de M. Alvin. (Bullet. de lAcad., t. XXII , n" 8, p. 283.)
' Cornélius Valerius, son collègue, Ht à sa ménioire cette pièce de vers, qui mérite, nous pa-
raît-il , d'être reproduite :
jt/igravil octogesimo quarto senex
jElatis aniio funr.tus inlegerrime :
Scx atque trig/itta pir aiinos publiée
SacJ'ns Hehrneorum profcssus litrras ,
Zinyunmquc en liens optime sanctissimam;
Biislidiano i/tor/om Collei;io,
Sibique favorem comparavit omnium ;
Dum consulens bénigne aegrotantibus ,
O/ze medica multis salutem contuUl.
Nunc liberalus omnibus molestits ,
Fruitur beato coelitiim rnnsortio ,
Nomine reliclo postcris laudabili
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 247
ses exécuteurs testamentaires Petrus Peckius, docteur en droit, et Mel-
chior van Ryckenroy, président du collège des Trois-Langues.
Dans son extrême vieillesse, Gennep avait eu pour suppléant, pendant
une année entière, un docteur en théologie, Augustin Ilunnaeusou lluens ',
de Malines : un jeune Frison, Buchon de Montzuma (à 3Iontzima), plus tard
docteur en théologie 2, le remplaça aussi pendant quelque temps.
La juste célébrité de Hunnaeus comme théologien et comme linguiste,
appartenant par sa vie et ses travaux à l'école de Louvain , nous impo-
serait l'obligation d'entrer ici dans quelques détails sur les services rendus
par lui à l'enseignement du collège des Trois-Langues , et sur sa collabora-
tion à la grande œuvre de la typographie plantinienne. Nous y reviendrons
ailleurs, en parlant de l'époque où le savant interprèle de la Bible, direc-
teur de la polyglotte d'Anvers, Arias Montanus, appelait à son aide les
plus actifs des théologiens de Louvain, qui s'étaient livrés à l'étude des
langues bibliques : Hunnaeus fut de ce nombre.
6. JOHANNES GuiLIELMIUS (GuUielmi) HAULEMIUS.
(1568-1369.)
Après la mort de Gennep, les proviseurs du collège chargèrent de la
leçon d'hébreu J. Guilielmius, qui devint licencié en théologie l'an 1571 ^.
Ce personnage, natif de Harlem, est appelé en latin Guilielmius ou
Guilielmi, d'après son nom vulgaire, qui était probablement Willems. Il
avait été élève du collège d'Arras, à Louvain; mais il était entré dans la
compagnie de Jésus, où il occupa la charge de recteur dans la maison de
' Hunnaeus avait suppléé, pendant quatre ans , Thierry Langius dans la chaire de grec. —
Voy. chap. VII, §4, p. 211.
2 II était de la promotion de 1564, qui fut célébrée avec une pompe extraordinaire; il mourut
en février 1594, prévôt, archidiacre d'Utrecht, etc. (Valère André, Fasti , pp. 1 17-118). Voici un
extrait de l'inscription de son portrait suspendu dans l'église d'Utrecht : Praecipiiarum linguanm
egregie peritus , ex quibits Hehraicam in Lovaniensi Academia publiée professiis est.
5 Valère André. Exordia, p. "I. — Fasti, 245. — Foppens, p. 653. — Alegambe. Bibl. scrip.
S. J., p. 1i^.-~ Bibliolh. des éerivains de la compagnie de Jésus, par les PP. Aug. et AI. de Backer,
l. II, p. 286.— Inibonati, Biblioth. hebr. lalina, p. 205.
Tome XXVIH. 33
248 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
Louvain; puis, selon Paquot, celle de vice-provincial des Pays-Bas. Le
mérite de Guilielmius a été généralement reconnu, en ce qui touche à
l'interprétation de l'Écriture et à la connaissance des langues bibliques ' :
nous parlerons plus loin (ch. IX) du concours qu'il a donné à l'exécution
de la polyglotte d'Anvers. Il mourut à Louvain, le l" octobre, d'une fièvre
maligne régnant en cette ville [igue loemico).
7. Petrus Pierius a Smenga.
(1309-1577.)
Pendant que J. Guilielmius professait l'hébreu, les proviseurs du col-
lège se mettaient en mesure de pourvoir à la chaire affectée à cette langue
par la nomination définitive d'un titulaire. Deux hommes sollicitaient
l'honneur d'y monter, et il leur fut permis de donner des leçons en de-
hors du collège , pour justifier leur mérite par leurs œuvres : c'est ce
qu'entreprirent de faire Pierre Pierius à Smenga, frison de naissance, et
Cornélius Piobertus, d'Anvers ^, chacun pendant un mois.
Enfin, le premier l'emporta sur son compétiteur, aux yeux de l'admi-
nistration et de Guillaume Busleiden , écuyer, fils d'Égide, qui était
considéré comme un des protecteurs du collège. La nomination de Pierius
porte la date du 10 juillet 15G9, et il professa l'hébreu pendant huit
ans, c'est-à-dire jusqu'en 1577 '\ Il quitta alors le collège des Trois-
Langues, se maria *, et l'élude de la médecine lui ouvrit promptement
une nouvelle carrière où il ne tarda pas à se distinguer. Promu docteur
et professeur royal en 1579, il s'adonna tout entier à son art, sur lequel
il composa quelques écrits ^, et il mourut à Louvain au commencement
de l'an IGOl e.
' Paquot. Fasii, MS., p. oIS : Linguae Hebraïcae, Chaldaïcae, Syriacae et Arabicae peritissi-
rmis, uli et Lalinae Graccaequc. Tlicologiae qiwque inlima mysteriapenetr avérât.
^ Nous ne savons rien d'autre sur ce Cornélius RoLertus.
■' Recueil de Bas, folio l46'2-65.
* Sa femme s'appelait Pélronille van den Woude ; elle était la veuve de GodevarJ de Jeger ou Jegers.
5 On cite en ce genre des yJnnolaliones in Gulcnum et des Emendalionum ChUiades.
s Valère André. Fasli, p. 221. — Le dO février 1601, après la mort de Pierius à Smenga, un
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 249
Pierius à Smenga était un homme d'un esprit prompt et vif {acri et
vivido vir ingenio); nous n'avons à enregistrer ici que ses titres acquis à l'his-
toire comme professeur d'hébreu; mais on en conchira facilement qu'il
s'est appliqué avec une grande ardeur à l'objet de ses premières études.
Il existait sous son nom un petit traité intitulé : Prosodia hebraea, seu
Ratio accentùs grammalici (MS., 8 pages in-4°), que Paquot dit avoir vu lui-
même chez J. Fr. Baelemans ^ mais c'est surtout d'après les notices de
Suffridus Pétri sur les écrivains de la Frise 2, que l'on peut juger de
l'étendue des recherches philologiques de notre auteur. Malheureusement
la plupart des travaux énumérés par l'historien de la Frise sont restés en
grande partie inédits; nous ne ferons que jeter un coup d'oeil sur leur
contenu, en vue de donner à cette notice son complément littéraire".
Les Livres saints et les auteurs anciens, grecs et latins, ont eu la plus
grande part à des études historiques et critiques préparées de longue
main par Pierius à Smenga. La principale de ses publications sur les
Écritures était un travail volumineux, qui avait pour but de signaler les
altérations et les mauvaises corrections que l'exégèse de son siècle avait
introduites dans le texte original, hébreu et grec, de la Bible. En voici le
titre rapporté par Suffridus Pétri : Sacrosancti et geniiini Bibliomm textûs
Hebraei Graeci, inniimeris locis linguarum peritiâ sese vendilanlibus maie castigando,
cilando et interpretando corrupti, et in alienum sensiim detorti Apodeixis *. Il
avait, en outre, élaboré un commentaire littéral et historique sur la plu-
part des Prophètes qu'il avait expliqués publiquement dans ses leçons;
c'est là un trait saillant dans l'histoire de son enseignement. Il aurait
aussi ajouté des observations au Micidol de David Kimchi, pour élucider
la rédaction hébraïque de ce traité grammatical.
subside nouveau fut accordé à Gérard de Vileers. Foppens, p. 1002, fait mourir Pierius nonagé-
naire, en 1630, après 72 ans de doctorat.
' Paquot. Fasti, MS., 1. 1, p. 317.
2 Decas XVII de scripl. Frisiae, n" 2 (Franekerae, 1699, pp. 492-496).
5 Paquot {Fasti, MS., pp. 316-517) nous est venu en aide dans celte revue sommaire. — L'es-
quisse d'une œuvre philosophique de Petrus à Smenga sur l'antiquité et son histoire a vu le jour à
I.ouvain , chez Masius, en 1381 , grand in-folio : Mercurius seu Hermalliena, de Ilarmonia mundi.
' Ce manuscrit qui formait un épais volume in-folio ne fut jamais imprimé.
2S0 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
D'autre part, Pierius à Snienga avait mis l'érudition d'un humaniste
dans des travaux analytiques fort nombreux sur des auteurs grecs et latins,
sacrés et profanes, et sur l'histoire de l'antiquité. C'étaient des notes des-
tinées à corriger ou à restituer des passages de ces auteurs, prosateurs ou
poêles, et entre autres, des notes critiques sur Vllistoh-e naturelle de Pline;
c'étaient des extraits de passages remarquables de divers écrivains que
Pierius avait recueillis dans ses vastes lectures.
A partir de l'an 1577, quand Pierius eut abandonné l'hébreu pour se
livrer à la médecine , sa charge ne fut pas remplie pendant plus de trente
ans. Non-seulement la chaire d'hébreu fut vide avant les autres chaires
du même collège, et resta vacante pendant toute l'époque des troubles^;
mais encore elle ne fut pas immédiatement occupée, quand le collège
se rouvrit en 1606. Ce n'est qu'en 1612 que l'enseignement de l'hébreu
y fut de nouveau inauguré, après la nomination de Yalère André, dont
nous allons retracer la vie et les services.
8. Valerius Andréas (Walther Driessens ou Valère André).
(1612-1655.)
La carrière de ce personnage appartient tout entière au XYII"® siècle,
et c'est à Louvain qu'elle s'est écoulée en grande partie. L'objet du présent
chapitre ne comporte pas une biographie complète de Valère André; force
nous sera dans cette notice d'être sévèrement éclectique, puisque nous
n'avons pas à juger indistinctement tous ses travaux. Il s'agira surtout ici
du littérateur qui, chargé de la chaire d'hébreu au collège des Trois-
Langues, non-seulement a relevé cette branche d'enseignement, mais
encore s'est fait l'historien de ce collège ^.
' Valère André, Exordia, p. 71 : Ingravescentibus mox inteslinis in Belgio bellis, quadraginla
amplius annos liebraïcae Musae siluere, ipsnmque paulatim Collegium Trilingue Elinguc factum.
- Nous avons consulté, outre Foppens [Bibl. Belgica, pp. 1 147-1 l-i8), les notes manuscrites que
Paquet destinait à une biographie fort étendue {Fasli Acad. Lov., t. I, pp. SI7-520), et qu'il a
rédigées en partie d'après des notes laissées par Valère André lui-même. Nous avons de même mis
à profit, et souvent cité textuellement, notre notice historique, insérée dans YAnmiaire de l'Uni-
versité de Louvain de l'an 1846 (pp. 139-216) : Valère /Indré, professeur d'hébreu, etc.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIIS. 2§1
Valerius Andréas, dont le nom latin ne cache ni finesse ni épigramme,
comme bien des noms ou épithètes des savants de la Renaissance, naquit
en novembre 1588 à Dessell, ou Deschell ', bourg du Brabant, placé sur
les confins de la Campine, dans le voisinage de Moll et de Baelen, avec
lesquels il formait une avouerie. C'en est assez pour entendre le surnom
de Desselius, qu'il s'est donné en tète de ses ouvrages. Il fit ses premières
études dans son endroit natal, sous la direction de Valerius Iloutius -, très-
estimé alors pour ses succès dans l'éducation de la jeunesse. Envoyé à
Anvers, il eut le bonheur d'y recevoir pendant trois ans les leçons du
célèbre André Schott, prêtre de la Compagnie de Jésus. Ce fut surtout
dans la connaissance du grec que le jeune campinaire fut redevable au
savant humaniste de ses progrès fort rapides : aussi n'a-t-il négligé aucune
occasion de lui rendre hommage comme à son maître, son guide et son
protecteur ^. François Schott, frère de ce savant, investi de hautes charges
dans la magistrature d'Anvers, ainsi qu'Aubertus Miraeus , s'intéressèrent
vivement aux études de Valère André. C'est encore en cette ville que le
futur professeur de Louvain recueillit les premières notions d'hébreu dans
les leçons du jésuite Jean Haïus, écossais de naissance, données sans
doute au collège de son ordre.
Sur l'avis d'A. Schott, il alla faire un cours de philosophie à Douai * :
il y resta deux ans disciple de Philippe du Trieu , alors jésuite, autrefois
professeur à la pédagogie du Porc. Il y suivit assidûment aussi les leçons
d'Andréas Ilaïus ^ de Bruges, enseignant, dans la même x\cadémie, les
lettres grecques, la langue latine et l'histoire. Comme s'est exprimé Valère
André lui-même, dans un de ses opuscules ^, « pour donner quelques
' Il est plusieurs renseignements curieux, consignés par Valère André lui-même dans une sorte
de Curriculiim vitae, qu'il a rais à la fin de sa première édition de la Bibliotheca (lG2ô), p. 752.
* Lileris polilioribus parlbn in palria, manuducenle et docente Valerio Houlio , felici ingenio-
rum formatore. — Valère André, Bibl., ibid. — Foppens, 1 1-47.
^ Bibl. Belg., p. 752. Ad Graecae liiiguae sludium auclor et diiclor. Voy. Ling. Hebr. Eneo-
miiim, p. 12.
• Paquet, Fasti, folio 517.
' Foppens, Bibl. Belg., pp. 53-54.
6 Praef. Comment, in Ibin (cit. ap. Paquot). Ul vero scientiam illam morosam tune sibi et super-
252 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
assaisonnements à une science qui lui paraissait pleine de dégoûts et d'as-
pérités , il est quelquefois rentré en grâce auprès des Muses , en s'exerçant
à de petits travaux de philologie. »
Valère André était de retour à Anvers depuis une année seulement,
quand il fut appelé à l'enseignement de l'hébreu au collège des Trois-Lan-
gues; cette place lui fut offerte par Adrien Baecx, président du collège,
dont nous avons dit ci-dessus (ch. IV) les importants services '.
La collation de la chaire fut faite à Valère André vers la Noël de
l'an 1611, comme en fait foi un diplôme des archiducs-; mais il n'en prit
possession que le 27 mars 1012, en prononçant un discours sur les qua-
lités et les avantages de la langue hébraïque, dont nous devrons parler
explicitement dans la suite de ce chapitre.
Valère André n'abandonna jamais la chaire d'hébreu, malgré les autres
charges et dignités qui lui échurent dans sa longue et belle carrière. Nous
ne ferons plus que jeter un coup d'œil sur les services rendus aux éludes
académiques en général par Valère André, avant d'examiner de plus près
ses travaux de philologue.
Quoique titulaire d'une chaire au collège de Busleidcn, Valère André
se décida à entreprendre l'étude du droit, dans ses deux branches alors
enseignées simultanément, le droit civil et le droit ecclésiastique. Nous le
voyons promu au doctorat (/. U. Doctor), le 22 novembre 1621, admis
au conseil de l'Université le 50 janvier 1622, et en 1628 nommé profes-
seur royal, chargé de l'explication des Institutes [Regius imperialium insti-
ttuiomim prof essor).
Tout ce que Valère André a tenté ou réalisé pour la science du droit
dlinsam in multis literurum condimentis redderel conditiorem , in yraliain cum Musis rediit inler-
dmn , seribendis opusculis pliilologicis se exercens.
^ 11 avait dédié à Baecx en 1608 (suivant Paquot, Fasti, folio 518) une de ses premières publi-
(•aiions, le commentaire de P. Nanniiis sur VArs poetica, dans l'édition d'Horace de Laevinus
Torrentius. — Dans la suite, le 21 août 1621, Valère André épousa la nièce de Baecx, dame Cathe-
rine Baecx de iVIalines, qui mourut en d640.
- C'est ce qu'a lu Paquot ( Fas<«, p. 517) dans un diplôme, date du 29 décembre 1612, par lequel
les archiducs Albert et Isabelle accordent à Valère André en supplément d'honoraires, une gratifi-
cation (bis qitolannis) de trente livres de 40 gros, monnaie de Flandre, prise sur les revenus de
leur domaine (ex domiuio suo).
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 255
mérite un examen à part '. En attendant que cette partie de ses ouvrages
soit jugée avec autorité par un jurisconsulte, il est permis d'observer qu'ils
roulent sur toutes les sources de la science du droit, et s'étendent du droit
romain et du droit féodal au droit canonique; tantôt, il s'est borné à
reproduire le texte d'auteurs célèbres, accompagné de notes originales et
de commentaires plus ou moins étendus, comme il l'a fait pour d'anciens
jurisconsultes, tels que H. Canisius, Lancelottus, A. Vallensis, J. Yende-
ville; tantôt, il a réuni les matériaux d'ouvrages méthodiques, tels que le
Synopsis juris canonici, qui compta plusieurs éditions à Louvain, avant d'être
réimprimé en Allemagne.
Suivons maintenant Valère André quelques instants dans d'autres entre-
prises , qui montrent à l'évidence l'activité vraiment extraordinaire dont
il fut capable; elles répondaient à des besoins réels de l'enseignement et
de la science, aux intérêts présents de l'Université, dont il était un des
principaux fonctionnaires. En effet, les ouvrages d'histoire et de biogra-
phie que l'on doit à ses recherches personnelles présentent un caractère
marqué d'opportunité, et c'est pourquoi ils ont fait époque dans nos an-
nales littéraires.
La Bibliollieca Delgica, que nous citerons en premier lieu, est une bio-
graphie des hommes illustres de la Belgique dans les sciences, les arts et
les lettres, dont l'auteur a donné lui-même deux éditions 2. Il avait pré-
paré cette œuvre de longue main 5, et il l'a conduite à un état assez avancé
pour qu'elle ait servi de source à tous nos recueils biographiques depuis
deux siècles, et de fondement à l'œuvre connue de Foppens *. Mais ce n'est
' Voy. la Bibliographie dans la notice de Foppens, pp. 1148-1149, et dans Goetlials, Lec-
tures, etc., tome II, pp. 197-200. Voy. aussi Paquot, Fasli MS., t. I, folio 296.
2 La première est de 1623, in-8°; la seconde, double en étendue, de 1643, in-4°. Voy. V An-
nuaire de 1846 (art. cité, pp. 176-204) et unenote judicieuse de M. i)odt van Flensburg, dans les
BuUelim de la Soc. hisl. cCUlrechl, 1. 11, 1846, pp. 27-34.
'' Ce fut en manière de prélude que Valère André imprima, en 1607, son Catalogus claror.
Ilisp. scriptorum et, en 1611 , les courts éloges accompagnant ses Imagines doctorum virorum <■
variis gcnlibus. Le premier travail était fautif, et rempli de noms tirés uniquement de catalogues :
comme s'il le désavouait, Valère André a cessé de le mentionner plus tard. Foppens (p. 1148) fait
la même observation sur les deux opuscules que nous venons de désigner.
* L'édition de Foppens, selon M. de Reiffenberg, ne dispense pas de posséder les deux éditions
254 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
pas tout : Valère André, qui avait procédé dans ce Iravail avec l'appui des
hommes les plus recommandables, et qui se fondait sur l'opinion de son
maître éminent, André Scholt ', a tiré parti avec un soin minutieux de
tous les recueils de biographie impi'imés avant le sien, et d'ouvrages encore
manuscrits que ses protecteurs et amis lui fournirent. Il est reconnu que
Valère André a proOté bien mieux que F. Sweertius, auteur des Athenae
Belgicae, des secours et des lumières dont ils étaient l'un et l'autre entourés.
Ce n'est pas ici le lieu d'entrer dans plus de détails sur les mérites et
les défauts de la Bibliolheca Belgica ; nous donnerons cependant une idée
des observations critiques que l'aquol a formulées contre l'œuvre du poly-
graphe qui l'a précédé ^. Il blâme Valère André d'avoir transcrit inexac-
tement, dans sa Bibliothèque, les titres des ouvrages cités, de les avoir
modifiés ou abrégés à sa guise; il lui reproche d'avoir souvent omis des
livres imprimés en français ou eu flamand, et encore d'avoir, en les citant,
traduit leur titre en latin, de sorte qu'on ne peut toujours bien reconnaître
en quelle langue chaque ouvrage a été écrit. Enfin, il observe que Valère
André aurait dû émettre un jugement sur le mérite des auteurs, pour que
ses lecteurs discernassent sans peine les meilleurs des médiocres.
Le second travail qui témoigne du vaste savoir de Valère André, a pour
titre : Annales des études académiques à Louvain, Fasti Academici studii
(jeneralis Lovaniensis , dont il a pu donner lui-même, comme de l'ouvrage
précédent, une seconde édition ^. Il est de fait que l'auteur a bien présumé
du désir de son public, quand il a fait succéder à XAcadcmia Lovaniensis
de Vernulaeus, composition oratoire qui avait paru en 1627, un livre
véritablement historique, qui contient tous les faits de l'histoire deux fois
séculaire de l'Université, dans leur ordre chronologique et dans les termes
de la plus rigoureuse exactitude. Cependant, si l'écrivain a introduit des
originales, devenues Irès-rares, où il y a des variantes à conserver. Voy. Annuaire de la Bibl.
royale de Bruxelles, 1840, pp. 93-98, p. 103.
' Primus vero mihi admodum adolesceitti auetor operis liujus fuit Andréas Schottus, e Societ.
Jesu, vir praesluntissimus , cum illi ego a manibus cssem ac stitdiis.
'- Fasti, MS., 1. 1, folio 519.
•^ Lov., 1635, in-i", 230 pages. Ed. iterala accuratior et altéra parle auctior; Lov., 1630, in-4",
•408 pages. Voy. r.4(iii. de 1846 (p. 205-208) pour les titres détaillés et la description des éditions.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 255
améliorations considérables dans la seconde édition de son ouvrage, il a
sacrifié sans raison grave un morceau qui donne du prix à la première :
c'est un discours qu'il a prononcé lui-même le 22 septembre 162G, à
réalise de S'-Pierre, dans une cérémonie commémorative de la fondation
de l'Université*. Prenant le style élégant et soutenu qui convient au pané-
gyrique, forateur caractérise les progrès rapides de l'œuvre commune des
pontifes et des princes; il rattache à ces glorieux souvenirs l'éloge des
collèges faisant partie du corps de l'Université, et des hommes les plus
célèbres qui en sont sortis.
Les Fasti de Valère André ont mérité les suffrages de son siècle et du
siècle suivant. Vers i750, il a été question de les réimprimer sous le titre
de Hisloria Universitalis Lovaniensis. L'entreprise n'a pas eu de suite : Paquot,
qui avait vu la première feuille imprimée chez Égide Denique, a repris
cette tâche abandonnée, en rédigeant des notes complémentaires du tra-
vail de Valère André, que nous avons mises souvent à contribution dans
la présente monographie à propos des études littéraires.
Nous ne pouvons pas non plus passer sous silence un travail d'un autre
genre, qui s'accordait toutefois très-bien avec les deux publications que
nous venons de mentionner. Ami des livres, Valère André devint, en
165G, bibliothécaire de l'Université, quand cet établissement fut doté
d'une bibliothèque centrale, établie dans le bâtiment des Halles; c'est un
morceau fort curieux que le discours prononcé par Valère André, le
1" octobre 1656, devant l'Université, pour montrer l'importance de cette
création nouvelle -. 11 rend justice au passé, et exprime des espérances
fondées pour l'avenir. Son Oralio aiispicalis est suivi d'un catalogue des
imprimés et manuscrits de la bibliothèque qui venait de s'ouvrir ^.
' On lit dans l'édition de l6ôo (pp. 205-217 ), cette pièce intitulée: Eucliaristicon fimdalo-
ribus, pcttronis el benefacloribus Universitalis Lovaniensis, qui n'est plus que mentionnée dans la
seconde (p. 396). Voy. l'analyse du panégyrique dans notre Notice citée, pp. 207-208.
•2 II a été publié en 1639 seulement, à la suite du traité d'Erycius Puteanus : Auspicia bibl.
publ. Lovan. (Lov., Éverard de Witte, in-4°).— Sur les incidents relatifs à l'ouverture de la biblio-
thèque, voy. P. Namur, Bist. des Bibl. publ. de Belgique, t. Il, pp. 11-18.
5 1 10 pages, ibid. — Paquot remarque {Fasli MS., p. 519) que la plupart des 111 ouvrages
énumérés par Valère André n'existaient plus de son temps, et qu'il restait à peine dix manuscrits
d'entre les 61 qu'il a décrits.
Tome XXVIII. 34
2S6 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE
Telles sont les principales œuvres auxquelles Valère André a attaché
son nom : l'exercice de charges temporaires, mais importantes, doit aussi
être mis en ligne de compte, si l'on veut apprécier sa vie publique. De 1G42
à 1645, il remplit les fonctions de dictateur \ et il fut élu deux fois, le
28 février IGAA et le même jour de l'an 1649, recteur de l'Université, à
une époque oià la durée de celte charge s'étendait à un semestre. Valère
André fut actif jusque vers la fin de sa longue carrière, et il ne cessa de
s'intéresser aux matières de ses premières études.
Si nous devons louer bientôt l'homme de goût, le littérateur et le sa-
vant, nous ne pouvons manquer de recueillir ici ce que la renommée nous
a transmis de l'honorabilité de son caractère -; plein de droiture, il ne
souffrait pas que l'on portât atteinte à la réputation d'autrui : il a mérité
d'être appelé vulgairement le bon Yalerius [den goeden Valerhis). Dans ses
dernières années, il a supporté avec force et constance de pénibles infir-
mités : l'affaiblissement de sa vue, qui alla jusqu'à la cécité, et une hydro-
pisie qui lui causa une enflure toujours croissante des deux jambes. Il
mourut pieusement le 29 mars 1655, à l'âge de 68 ans. Cette date est
rendue certaine par celle qu'il faut donner à la cérémonie de ses funé-
railles solennelles, qui eut lieu environ un an après, en 1656.
Bernard Heymbach, professeur d'histoire et successeur de Vernulaeus
au collège des Trois-Langues, prononça devant toute l'Université l'oraison
funèbre de Valère André, qui fut imprimée avec une dédicace à l'abbé de
Tongerloo, Auguste Wichmans, et qui est datée du 5 mars de la même
année ^. L'écrivain , dans son avis au lecteur, reconnaît que son hommage
était bien tardif : Jiisto tardius liaecjiista in luce vides, etc. Au lieu d'attribuer
ce retard aux événements politiques, comme si la sécurité avait manqué
* Le dictateur d'alors était le dignitaire chargé de composer et de dicter les lettres ou les pièces
officielles expédiées au nom de l'Université, et chargé aussi de répondre aux lettres adressées au
corps académique ou à son chef, le recteur. Fasli acad., p. 49. — Jcad. Lov., p. 37.
r Voy. l^aquol, Fusti, folio 517.
5 Cette pièce, dont |)arle I^aquot dans sa notice sur Heymhach, est devenue d'une excessive
rareté et manque dans la collection de van Hiilthem. Voy. Mémoires de Paquot, t. I, p. 31 i (ou-
vrages de Heymhach, n° 10). Jusla Valeriana, seu Laiulalio funvbris Vulerii Andreae Desselii...
Dictum in Basilica S. PHri corum Academiae tolius consessu... Lovan., Hier. Nenipaeus, 1656, in-4".
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 237
à notre pays, quand l'archiduc Léopold le parcourut avec ses troupes en
prévision d'invasions imminentes, nous admettrions volontiers avec Paquet
que l'orateur prit le temps de joindre au texte de son discours un choix
de lettres adressées par divers savants à celui qu'il honorait d'un éloge
public '.
Les relations littéraires de Valère André avaient été fort étendues pen-
dant les années laborieuses de son professorat : il avait dû entretenir une
correspondance suivie dans la Belgique et au dehors, afin d'obtenir des
matériaux pour ses œuvres d'érudition et de compilation ^. On connaît
plusieurs hommes dont il demanda les conseils ou le concours, tels que
Justus Rycquius (de Rycke) ^ de Gand, et Boxhorn, professeur h Leyde *.
Valère André avait été visité à Louvain par plusieurs voyageurs de
distinction : il a mérité un souvenir tout particulier du savant Iluet, dans
le passage de ses Mémoii-es où il rappelle ses voyages en Hollande et en
Belgique. « Parmi les professeurs de Louvain, dit-il ^ Valère André s'était
fait un nom par son livre sur les écrivains belges et espagnols. Je le saluai,
et voulus être inscrit sur la liste de ses amis. »
Mais n'avons-nous pas à rechercher ici les litres de Valère André comme
littérateur et comme philologue? Ami des lettres dès sa jeunesse, il le resta
toujours, même quand il s'occupa de matières juridiques et de recher-
ches biographiques. 11 eut le talent d'écrire ses divers livres d'un style
qui n'était pas dépourvu d'éloquence, et qui n'était non plus ni affecté ni
< Paquot, Fasti MS., folio ol7. — On lit (Mémoires, loc. c.) dans le titre de l'oraison funèbre :
Âceessere epislolae aliquol sclectae clarorum virorum, ex plurimispaucae, ad eum scriptae.
"^ Il reste .i la critique la tâche de constater ce dont notre polygraphe fut redevable à celle
correspondance, et de définir la part de mérite qui lui demeure.
^ Poète et orateur latin, mort en 1627. — Foppens, pp. 788-789.
^ MarcZuerius Boxbornius, professeur d'éloquence et de politique à Leyde, était d'une famille
originaire des Pays-Bas espagnols. Paquot (Mém., t. I, p. 104) énumère 68 de ses ouvrages.
Voy. V. Gaillard, De l' influence exercée par la Belgique sur les Provinces-Unies , pp. 101 , 143.
' Nous donnons ici, d'après la traduction de M. Ch. Nisard, ce passage de Huet, dont M. de
ReitFenbcrg a cité naguère le texte latin dans sa notice critique sur la Bibl. BeUjica. — Inler Lova-
nienses professores nomen aliquod luin gerebal V. A., qui scriploribus Bclgis et Hispanis celcbrif:
inclaruit. Salutavi hominem, et in ainicorum ejus album referri volui. — [Comm. de reb. ad eum
perlin. Amst., 1718, in-12, p. \ôl . — Mémoires de Daniel Fluel .traduits, etc. Paris, 1853, p. 89).
2S8 ME3I0IRE SUR LE COLLEGE
obscur. C'est faire son éloge que de reconnaître qu'il est resté homme de
goût et de mesure, dans un temps où l'on écrivait rarement sans recherche
et sans antithèse. Agé de moins de vingt ans, Valère André s'était exercé
sur différents sujets d'érudition latine, et à Anvers, en 1G08, il avait mis
au jour, d'après les cahiers dictés par Nannius, le commentaire de ce savant
sur Horace, en suppléant ce qui y manquait. A Douai, en IGIO, il avait
fait imprimer un système d'orthographe suivi d'un traité de ponctuation *,
et il avait ajouté ses propres observations au traité d'Aide Manuce, en
insistant sur la nécessité de distinguer davantage les variations de l'ortho-
graphe latine, suivant l'ordre des temps, et de tenir compte des diffé-
rences que l'usage introduit dans l'écriture comme dans la prononciation.
Plus tard, Valère André composa des notes fort étendues sur ïlbis d'Ovide,
poëme réputé très-obscur, pocma mczsivov ^.
Si l'on rapproche de ces premières élucubralions les efforts voués par
Valère André, à Anvjers et à Douai, à l'étude des lettres grecques, on se
fait de lui l'idée d'un humaniste instruit, qui avait accès à toutes les
sources, et qui était digne de coopérer au maintien des saines études.
On ne peut révoquer en doute qu'il ne se soit appliqué à l'hébreu avec
persévérance, pour remplir ses obligations comme titulaire de la chaire
qu'il occupa 45 ans; cependant il va de soi que Valère André ne fut pas
un hébraïsant très-habile, puisqu'il dépensa la meilleure partie de ses
forces et de son temps à une multitude d'œuvres étrangères à la philologie :
s'il ne forma pas d'élève distingué en cette partie, il prêta son concours à
ceux qui voulurent faire servir l'étude de l'hébreu et des langues anciennes
à la polémique religieuse, et l'on a conservé le texte d'une discussion qu'il
soutint, en 1617, pour mettre en évidence l'opportunité de ce genre
d'étude dans un siècle oîi les écoles protestantes en tiraient grand parti ^.
' Orlho(jraphiae ralio ab Atdo Mumitio collecta primo, mullis aucta. - Diiaci, Dellere, in-12.
— Ed. Il, altéra parte auctior. Lov., in-2-i, d'après Paquot. Voy. la Notice de YAiiiiuai7-e, p. 187.
2 Antverpiae, typis Nutii, 1618, in-fol.
■' Elle est iniprim(}e à la fin d'un volume publié à Cologne par Kincliius : Fumiani Slraclae
Romani e S. J. orationes variae. — Les Qnaestioncs qnodlilteticae, insérées sous le nom de Valère
André, forment 53 pages avec un titre à part : Quaestiones quodlibeticae habilae Lovanii XVll Kal.
DES ÏROIS-LA^GUES A LOUVAIN. 2o9
La question est présentée dans ces termes : Qnae commodior faciliorqite ad
convincendos seclarios nostros via, qua proprie quis eos gladio jiujulet, quoties vel
ad S. S., vel ad Patres linguasqiie concurrunt.
Parmi les manuscrits de Valère André, conservés au siècle passé par
l'échevin Baelemans, et dont Paquot a pu prendre connaissance \ il faut
compter quelques cahiers de notes qui appartiennent aux études bibli-
ques et hébraïques - :
1° De inscriptione el divisione Bibliorum apud Ilebraeos, pp. 7 in-4''.
2° Exercilaliones qrammalicae in capp. VI priora Ecclesiasiae. Ce sont des
annotations écrites à la marge et en regard des pages d'un exemplaire de
l'Ecclésiaste, imprimé en hébreu chez Plantin. (Ântv., 1571, in-4°.)
Valère André avait aussi préparé une grammaire entièrement basée sur
celle de son prédécesseur, Jean Campensis, ou plutôt une révision aug-
mentée et considérablement enrichie de cet ouvrage : un exemplaire de
l'édition de Paris (Chr. Wechel, 1543), interfolié de papier, avait été
chargé dans ce dessein de notes de la main de Valère André, qui avait
indiqué dans ses additions notamment tous les passages que Campensis
avait empruntés à Elias Levita (voy. Paquot, Fasti MS., fol. 520) :
Grammalica liebraea e variis opiisculis Eliae Levilae, grammaiicoriim omnium
facile principis , olim qiiidem concinnala et delineata a Jeanne Campensi , Delya ,
publico Ling. Hebr. in Coll. Tril. Buslidiano apud Lovanienses olim professore.
Nunc vero a Val. Andréa Desselio ejusdem Ilebraïcae in eodem Collcgio professore
recensita , alque in ordinem commodiorem digesta.
Cependant la plus grande preuve que Valère André ait laissée de son
aptitude à l'enseignement de l'hébreu, c'est le discours qu'il a prononcé
en 1612, et qui roulait sur la valeur, les qualités et les applications de la
langue sainte. C'est proprement la seconde partie de sa harangue d'instal-
Janu. MDCXVIU in scholis artium à V. A. Desselio. J. L. el Ling. Hebr. prof, publico. Voy. Pa-
quot, Fasti MS., folio S 17.
' [^aquot {Ibid., p. 5"20) énonce jusqu'à 1 1 ouvrages ou opuscules en dehors des matériaux épars
laissés par Valère André pour des travaux de droit. — Nous y avons remarqué un court trailé :
Brevis Academiae Lugd. Bulavae Descriplio .\n-(o\., pp. 0; Valère André avait entretenu des rela-
tions de courtoisie avec l'Universilé rivale.
2 Cit. ap. Delgeur, Schels eener geschiedenis der oostersche taelstudlen , p. 19 (Antv., 1847).
260 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
lation, qu'il prononça le 26 mars 1612, et qu'il ne publia qu'en 1614 ^ :
dans la pi-emière, il avait retracé l'origine et l'histoire du collège des
Trois- Langues pendant son premier siècle, et le lecteur a pu remarquer
les nombreux emprunts que nous lui avons faits d'un bout à l'autre de ce
Mémoire.
Une analyse de la partie littéraire du discours fera connaître les ten-
dances et les vues que Valère André portait dans la philologie hébraïque;
nous la reprenons dans la notice historique que nous avons indiquée à la
suite de nos sources ^ : « Valère André a voulu traiter de l'orisine et de
l'usage des langues ainsi que des qualités éminentes de l'hébreu ^; c'est
pourquoi il a pu intituler la suite de son travail : Éloge de la langue hébraïque
(Encomium linguae hebraïcae), et voici sous quels rapports il a entendu la
louer* : Satis vero superque eam laudavero, si anliquitatem qtiam comitntur
dignitas , necessilatemque ejiis , hoc praesertim exulceratissimo saectUo , paiicis dc-
monslravero.
» On ne peut, il est vrai, accepter toutes les assertions de Valère André
sur l'affinité des langues et la supériorité de l'hébreu comme des vérités
scientifiques, ou comme des faits incontestables; les opinions qu'il émet et
qu'il défend avaient cours longtemps avant lui, et elles ont d'ailleurs un
caractère vénéi'able de tradition et de foi, qui leur donne sous sa plume
un autre mérite qu'un intérêt historique. Il faut bien cependant opposer
quelquefois aux opinions de notre auteur une thèse diflerente ou même
contradictoire, quand elle est le résultat des investigations d'une science
sévère dans ses méthodes et sérieuse dans son but; et d'ailleurs, qui n'a
pas observé que les combinaisons les plus hardies et les plus neuves de la
linguistique ont fourni aux grands faits de la science biblique, une con-
firmation bien autrement solide et décisive que l'appui de certaines tradi-
tions qui ne sont revêtues d'aucun signe d'authenticité?
» Valère André cherche à établir tout d'abord la relation intime de la
' Exordia ac progressus , pp. 12-30 (voir rinti-oduclion , noie I, p. xv).
"^ Annuaire de l'Universilé de Louvain , 1846, pp. 174-186.
^ Cum de limjuarum orlu alque imu, lum de linrjitue Hehraicae laudibus. Ib., p. 2 et p. 12.
^ Coll. Tril. exordia, etc., p. 2.
DES TROIS-LA^GUES A LOUVAIN. 261
raison et du discours , qui fait de l'homme un être social [Ralione atque
oratione), et il en tire la nécessité de la connaissance des langues, inter-
prètes naturelles de la pensée parlée; il reconnaît que « leur usage facile
» à l'origine du monde, a été rendu difficile par la confusion de Babel ^ »
Valère André ne se contente pas de rapporter ainsi , dans sa vraie signi-
fication, l'événement dont nous devons la transmission au témoignage
de Moïse, et que semblent confirmer les efl"orts prodigieux de la philo-
logie moderne, pour découvrir l'affinité primitive des radicaux appar-
tenant aux grandes familles de langues. Il mentionne une tradition ac-
créditée par les Juifs et par les saints Pères 2, et d'après laquelle la
confusion de Babel a engendré dans le monde la distinction de soixante-
douze langues; il ne se prononce pas sur ce nombre, qui a varié dans le
cours des siècles parmi les interprètes ^. « Entre toutes ces langues ,
» ajoute Valère André, il en est trois qui ont été toujours considérées
» comme d'un prix infini : ce sont les langues hébraïque, grecque et
» latine. » Ecoulons les raisons qu'il donne de cette primauté : Qidbus
vieil icem triumplianùs crucis t'Uuhim inscribi Clirislus vohàt , ut divinitatis , huma-
nhalis, vilaeque ac morlis testibiis * : quibus divinarum liiimanarumque rerumscien-
tiae sunt conservatae , ad postei-osque iransmissae : quibus sacrosanctum illud Evan-
gelium , ille fidei nostrae arrhabo , per universum lerrarum orbem est propagatum .
C'en était assez pour peindre la mission providentielle des trois langues
qui ont servi d'intermédiaires entre l'antiquité païenne et la civilisation
moderne; mais peu après, Valère André cède à la vaine satisfaction de
' Magnus profeclo Lingnarum iisits , gui facilis in mundi exorclio , dum unius Iwmines omnes
essent labii : difficiliorcm reddil babilonicunt Chaos et confusio. Diversilas liaec quanlum damni
humanae socielati invexerit nemini non est compertum. Ib., p. 13.
^ Valère André cile particulièrement saint Augustin, De civitate Dei.Wh.Wl, c.G,el De mirab.
S. Scripliirae, lib. 1 , c. 9. Nous nous bornerons à faire remarquer ici que le premier ouvrage
donne une paraphrase sublime du point d'histoire sacrée qui est en question (à partir du chapitre IV
du même livre).
" Il use des expressions : Nam alii delrahunt, addunl alii.
' Le traducteur français de l'Ulysses Belgico-Gallicus de Golnitz rend ainsi ce passage, qui con-
cerne le Collegium Trilingue (YUhjsse français, Paris, 1643, p. 82) : « Les trois langues qui firent
l'éloge et l'épitapbe de Jésus-Christ se montrent dans un autre collège, qui fut fondé par un favori
de Charles-Quint, Hiérosme Buslidius. »
262 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
comparer chacune de ces langues à un arbre, qui se partage en trois
rameaux ou en trois dialectes ^, et il est entraîné à faire dériver toutes
les autres langues de cette triple source dans le cours des temps.
» Valère André passe ensuite à l'examen des trois qualités qu'il assigne
comme essentielles à la langue hébraïque : l'antiquité, la dignité, l'utilité.
En poursuivant le développement du premier point de ce triple thème, il
s'en tient aux opinions traditionnelles, qui, sans être dépourvues de toute
réalité, avaient le tort d'être présentées de son temps comme des vérités
incontestables et supérieures à toute discussion : c'est ainsi qu'il ne fait
pas seulement de l'hébreu une langue ancienne, vénérable par son an-
cienneté et consacrée par sa destination exceptionnelle, mais encore la
langue primitive, la formatrice de tous les idiomes connus, la langue des
ancêtres de l'humanité dans le séjour d'Éden 2. Il n'invoque pas seulement
à cet égard le témoignage de saint Jérôme, de saint Augustin, « lumières
de l'Église orthodoxe », et ne se borne pas à soutenir la possibilité d'un
fait que l'Écriture n'éclaircit pas complètement; il cherche à en établir la
certitude par l'autorité des Grecs, qui , malgré leur vanité, auraient forcé-
ment rendu hommage à l'évidence de la vérité. Mais il ne s'aperçoit pas
qu'il s'agit, dans les passages qu'il invoque, de la transmission de l'Écriture
des Hébreux aux Phéniciens, et des Phéniciens aux Grecs ^. La question
de l'origine de la langue hébraïque reste indépendante des preuves acquises
à l'histoire sur la formation de l'alphabet grec et des alphabets européens,
et elle ne peut être tranchée en philologie que par une comparaison atten-
tive et raisonnée des langues les plus anciennes.
» Un esprit de saine critique dicte à Valère André la réfutation d'un
* L'hébreu se partage régulièrement en dialectes chaldéen , syriaque et arabe; le grec en dialectes
altique, dorien et éolien; le latin, en dialectes italien, espagnol et français. L'auteur ajoute ; Hinc
variae, lapsu temporis , ut gentium ila limjuarum deduclae cotoniac. Ibid.
- Dignitate et antiquilate procul duhio prima est, mundo coaeva, linguariim omnium matrix ,
cujiis communionc primas parentes noslrns conjunocil optimus parens Deus.
5 Valère André répèle, d'après Clément d'Alexandrie, un passage d'Eupolème, écrivain grec,
d'ailleurs peu connu, qui fait Moïse l'auteur des lettres hébraïques dans son livre sur les rois de la
Judée; puis, il y ajoute, d'après la même source, l'assertion d'un autre écrivain grec, Artapanus,
dans son ouvrage sur les Juifs, touchant l'enseignement donné par Moïse aux Égyptiens. Voir les
Stromates, liv. I,p. 343 (éd. Sylburg, Coloniae, 1688).
DES TROrS-LANGUES A LOUVAIN. 265
paradoxe qui avait fait quelque bruit à l'époque où il l'écrivait : c'est
l'hypothèse de J. Goropius Becanus, qui, dans ses Origines Antverpictnae \
avait revendiqué pour le flamand la prérogative de langue mère univer-
selle, parlée par le premier couple humain dans la solitude du Paradis
terrestre. Une telle tentative méritait d'être citée parmi toutes celles qui
avaient été faites au XV1""= siècle dans le but de prouver la priorité absolue
d'une langue donnée : Et nuper Joannes Goropius Becanus nosler, qui Beirjarum
ingeniosissimus aiidire meruit , laudem eam Cimbris [ô Cimmeriae tenebrae!) vin-
dicare stiiduit, ingeniose magis quam solide; sliidiumque siium alque induslriam
Belgis suis, pro quorum pugtiat auctoritate, probare conatus est. Il faut savoir
are à Valère André d'avoir parlé aussi franchement d'une découverte qui
avait pu jeter bien des esprits dans les illusions du patriotisme; il faut
le louer plus encore d'avoir si bien caractérisé l'aveugle opiniâtreté avec
laquelle certains hommes poursuivent une hypothèse favorite, et en parti-
culier l'acharnement que les étymologistes ont porté en tout temps dans
la défense des rapprochements les plus hasardés de mois et de syllabes.
La réprobation de fausses méthodes, franchement proclamée dans son
discours, fait honneur au futur professeur de philologie hébraïque, dont
nous allons citer les paroles ^ : Equidem laudo studium , laudo induslriam
eorum, qui a seriis nonnunquam digressi, in ludicris illis festivisque exercent,
laxantque ingcnii vires. At vero jocularia illa, verborum lenoeiniis ac fucis, longe
petitis vocum etymis adornata, ut certa, y.où w; £■/. -pmoôoi pronuntiata velle vulgi insi-
nuare animis, hoc vero est Naturam deludere, et quando ipsa pro se stat Veritas,
deridendum se praebere
» Revenant à la langue hébraïque, Valère André en explique le nom
par celui de Héber, petit-fds de Noé, et repoussant le secours de langues
étrangères choisies arbitrairement pour l'explication des anciens noms de
la Bible ^, il établit par l'hébreu l'interprétation naturelle des mots Adam,
Eve, Gaïn, Abel, Babel, pris pour exemples de recherches étymologiques.
' Antverp., Plantin, 1569, in-fol., pp. 33i, sq. — L'auteur {J. van Gorp), né en i3l8, exerça la
médecine à Anvers à la suite de ses voyages, et il mourut à Maestricht , en 1572.
■' Coll. Tril.exord.,p. 15. Cfr. N.Wiseman, Rapports enlre la science et la religinn, 1" Discours.
5 Certwn est eas non a Cimbris, et ici genus delirantium somniis petendas. Ibid., p. 16.
Tome XXVIII. "^^
264 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
Puis s'occupant des langues qu'il appelle dérivées de l'hébreu, il donne
la première place au chaldéen, en lire le syriaque parlé en Palestine à
l'époque du Sauveur, étend l'éthiopien à la plus grande partie de l'Afrique
et assigne pour domaine à l'arabe la masse des pays mahoniétans.
» Le plan du discours conduit Valère André à démontrer en second
lieu ce qu'il appelle la dignité de la langue sainte : sans s'arrêter aux qua-
lités éminentes qu'elle possède, telles que la concision et la simplicité, il
rappelle qu'elle a servi aux entretiens de Dieu et de ses anges avec les
patriarches et les prophètes, à la première expression des oracles divins,
à l'établissement et à la promulgation de l'ancienne loi.
» S'agit-il de l'utilité comme d'un troisième caractère des études hé-
braïques, Valère André peut invoquer des exemples tout récents, les travaux
des théologiens catholiques du XYI"^ siècle, et il proclame la nécessité de
défendre la révélation biblique contre l'hérésie à l'aide du texte original
des Saintes Écritures. Il croit inutile d'insister sur les signes merveilleux
de la sublimité de leur langage, qu'il caractérise en peu de mots ^
') L'obligation de cultiver l'hébreu est représentée par Valère André
comme plus forte et plus impérieuse que jamais, en raison du secours que
les hérétiques de tous les temps, et particulièrement ceux du dernier siècle,
ont tiré de l'habileté de leurs fauteurs dans la connaissance de diverses
langues; c'est à l'aide d'un tel moyen, observe-t-il , qu'ils ont pu maintes
fois surprendre un peuple inexpérimenté, et lui imposer leurs inventions et
leurs mensonges comme découlant des sources pures de la science sacrée.
Valère André en prend occasion de signaler une des causes qui ont amené
les désordres et les attaques dont l'Église avait souffert pendant le premier
siècle de la réformation, et dont le souvenir devait être présent à l'esprit
d'un grand nombre de ses auditeurs. Écoutons son langage clair et concis,
mais énergique ^ : Hinc conlemplus ille orlhodoxoriim Patrum : liinc tam dis-
' Ut lacemn ex hac vcram soliilaiiique saplentinm, tamqitam a Umpiclissimis peti fonlibm; qiiae
Dei nobis arcana non capliusis ralionibus , non inuliUbus slrophis , al veritate simplici, brevitale-
que proponil : in qua toi sunl sacramenla quoi lilterae , lot arcana quoi pimcla : in qua apex niillus
aul /cjTix ollosum : in qua Jenique ipsae radiées, Iribus conslanles lilteris, Sanclissimae Triudos
uhique referunl vesligia Ibid., p. 18.
- Coll. Tril. exordia, pp. 19-20.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 265
sidenles, piignanlesque Sacras Scriplurae versiones e maie sanis novatorum istoru)ii
cerebris nalae. Videmus Iwdieque circumforaneos doctores illos, cl rumigcrulos
rabulas, in scliolis, in compilis, in triviis, in popinis, et tibi non? nifiil jacùtare
ac crcpare aliud, quam Biblia Ilebraïca ac Graeca, ilhim ul aiiint, piiriim
putum fidei Cliristianae tliesaiirum ((juibns lamen ipsi promiscne atqne indigne ,
lamquam praedam omnibus; summis, imis, doctis, indoctis, rodendiim , scqiie
ridendos, cxponiint); idque Itim confidentiiis pctidanliusque cum nosiros videnl,
aiil linyuariim illarum rudes esse, imperitos, aitt odisse cane pejus et ongue.
Cette peinture si vraie des manœuvres et des succès des novateurs est
accompagnée dans le discours de Valère André d'une exhortation pres-
sante aux théologiens catholiques, pour qu'ils s'emparent des mêmes
armes que ces autres Géryons ont tant de fois tournées contre eux; l'ora-
teur ne dissimule pas la présomption personnelle qui a déshonoré la
plupart des exégètes de la réformation, et la vanité audacieuse de leur
science '; mais il démontre l'avantage de déjouer leurs intrigues et de
confondre leur orgueil par les réponses péremptoires qu'une exégèse phi-
lologique, se fondant sur les textes originaux, peut fournir constamment
aux défenseurs de la vérité. Valère André a compris d'autant mieux l'op-
portunité de telles instances que, depuis la publication de la Polyglotte
d'Anvers, l'étude de la philologie sacrée avait été négligée et presque mise
en oubli dans les Pays-Bas catholiques; il se croyait en droit de se plaindre
au nom de l'Église qu'elle eût si peu de combattants capables de soutenir
glorieusement les efforts de la polémique protestante -.
» Le nouveau professeur d'hébreu prévient une objection qu'il pouvait
attendre de la bouche de quelques hommes, portés à redouter les consé-
' Neque enim verenlur novitii illi magistelU, fronlis nullius mit piidoris homines , SS. Patrum
scripta universi orbisjam olim probata calculo iraduccre, Anliquitalem omnem erroris danmarr,
ipsi scilicet wpoSxTovvrH, et in ipsa scientiarum arce constiluti viros sanctitate doctrinaque illustres
lamquam umbr as premunt, et in Hebraeis Graecisque, ut ipsis quidem videtur, soH vident. Ibid.,
p. 20.
a Valère André cite l'exemple rare, à l'époque où il parle, d'un homme qui a pu avec succès
rétorquer les traits lancés par les adversaires de l'orthodoxie; c'est Pierre Uornickius, appelé de
Douai à une cure près de Bréda par Jean Miraeus, évoque d'Anvers; il se fit connaître par une
application habile de l'étude des langues hébraïque et grecque à la controverse (ibid., p. 21).
266 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
quences d'études nouvelles : c'est l'authenticité de la Vulgate, proclamée
dans la quatrième session du Concile de Trente , avec défense de la con-
tester sous quelque prétexte que ce soit. Cette déclaration avait pu faire
considérer par quelques-uns l'élude du texte hébreu comme désormais
superflue et même comme dangereuse. Yalère André reconnaît avec eux
que l'édition latine de la Bible a été corrigée presque dans chaque siècle
par la main fidèle d'hommes instruits qui ont travaillé à celte révision
par l'ordre des souverains pontifes; mais il soutient que ce n'est point
nuire à l'autorité de la Vulgate que de recourir aux sources hébraïque
et grecque, d'où les hérétiques tirent leurs arguments pour la combattre
et la détruire; il veut qu'on oppose à leurs versions nouvelles, aussi
nombreuses et aussi différentes que leurs sectes, le témoignage imposant
des paroles authentiques qu'ils dénaturent avec la prétention de les inter-
préter; il démontre qu'une étude critique du texte hébreu et de la version
grecque doit contribuer à la défense de la Vulgate, et en même temps à
une réfutation péremploire des artifices ou des témérités des sectaires.
Il était facile à Valère André de soutenir cette thèse, en invoquant les
assertions formelles de saint Jérôme et de saint Augustin sur la valeur
des deux textes originaux : il a soin de rappeler que depuis l'époque
de saint Jérôme la ponctuation dite masoréthique a donné au texte hébreu
une forme en quelque sorte invariable, gage d'une transmission fidèle;
il ne néglige pas non plus de prendre à témoin le respect professé par
les Pères de l'Église grecque pour la version des Septante, qu'ils ont
citée dans leurs ouvrages, sans en méconnaître les défauts -.
» Valère André combat une objection d'une autre nature, tirée de la
difficulté que présente l'étude de l'hébreu ; il cite saint Jérôme, qui n'a point
caché dans ses écrits avec quelles peines infinies il s'est rendu maître des
éléments d'une langue plus rude, au moment où son esprit s'était fami-
liarisé avec les modèles de l'éloquence latine; mais il le fait en vue de faire
ressortir l'abondance des secours que les travaux des hébraïsants du siècle
' Il renvoie aux œuvres du cardinal Robert Bellarmin , alors très-répandues, quiconque désirait
connaître l'abus que les iiéréliques ont fait des versions de l'Écriture, et les altérations dont ils se
sont rendus coupables.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAFN. 267
précédent peuvent fournir à ceux de son siècle; il n'a pour cela qu'à nom-
mer les hommes de chaque nation, auteurs d'ouvrages spéciaux sur les
principes de la grammaire hébraïque, Elias Levita et Jean Reuchlin, etc.,
en Allemagne; Jean Campensis et Nicolas Cleynarts, en Belgique; P. Gala-
tinus, Sanctes Pagninus et Piob. Bellarmin en Italie; J. Quinquarboreus,
en France; Vincent Trillesius, en Espagne. Valère André ne craint pas
d'accuser un grand nombre d'hommes de redouter d'avance les aridités des
éléments de la langue et de se décourager au premier aspect de quelque
difficulté; il se plaint qu'ils ont recours trop vite à l'adage des ignorants :
llebraïcum est, non legilur, comme s'ils voulaient justifier à leur tour la
fameuse glose d'Accurse : Graeca sunl, legi non possunt, et il leur reproche
aussi d'ajouter foi sans examen aux jugements les plus inconsidérés ^
L'âge n'est à ses yeux qu'un prétexte allégué par la paresse : l'exemple de
Jean Pieuchlin, de Rodolphe Agricola et d'Érasme prouve assez qu'on peut
s'adonner avec fruit à l'étude de l'hébreu, même dans un âge avancé. Les
dispositions essentielles que Valère André requiert de ceux qui veulent
aborder cette étude, ce sont le zèle et la constance, qui leur garantissent
des progrès remarquables dans un terme de quelques mois. Les sentences
des anciens ne manquent pas à l'orateur pour recommander dans sa péro-
raison aux jeunes hébraisants la patience et le courage; enfin, il emprunte
à Hésiode une comparaison qui paraîtra peut-être ambitieuse à quelques-
uns; c'est le vers oii le poëte chante la vertu dont la roule, d'abord escarpée
et rude, devient facile et douce h mesure qu'on approche du sommet - :
P>)t^t>î â'/) enena Tiéhi, jcÙ£m'i ■ne.p èoûaa.. »
' Valère André, p. 28. VitUjaris hicjudicii morbus est , temere de facilitate difficultateqne judican-
liiim, priusqumn pericidiim aliquod fecerint , et plus auribus quam rationi experientiaeque tribuen-
lium. Neque video, quam hic delicaluli illi asperitatem temere obtendant , nisi si domi latentes vernae
patrium sermonem , lit mammillas infantes , tenere nimis ament et admirentur, caetera rudes , re-
rumque inexperles.
* Opéra et dies (v. 290, éd. Goettling).
268 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
9. JoANNES Sauterus (Jean de Sauter).
(1C5G-1C79.)
Jean Sauter ou de Sauter, à qui la chaire d'hébreu fut confiée en 1656,
était originaire du pays d'Alost • : il était né à Denderwindeke, village
voisin de la Dendre, entre Alost et Grammont. Il avait étudié la philoso-
phie au collège du Faucon ^ et obtenu la 161'"" place dans la promotion
de 1619, qui comptait 210 concurrents. Il s'adonna ensuite au droit et
s'exerça dans cette science sous les auspices du professeur Pierre Happen-
brouwer, licencié en droit, qui habitait dans le voisinage du collège des
Trois-Langues.
Nommé tout à coup professeur d'hébreu, J. Sauter fit une tentative
certainement louable : comme des caractères hébraïques manquaient
chez les imprimeurs de Louvain, Sauter cisela lui-même en plomb un
spécimen de caractères élégants de diverse grandeur, et surveilla la
gravure de poinçons de cuivre pour la fonte d'un corps de caractères de
ce même dessin. Il voulait aussi se pourvoir de points-voyelles qui lui
permissent d'imprimer des textes hébreux de quelque étendue. Sauter ne
réussit à mettre au jour qu'un seul opuscule, une courte introduction à
la langue hébraïque, qui parut à Louvain en 1675 ^. Mais il ne fut pas à
même de ponctuer le texte hébreu ; il dut laisser aux commençants le
soin d'y apposer à la main les points-voyelles.
Sauter, qui avait été reçu le 1" février 1674 au conseil de la Faculté
' Il est nommé Regrado- Alostensis par van Langendonck, dans la seconde édition de VAca-
demia Lovanienns , p. 76, où sont consignés une partie des détails recueillis ici. D'autres rensei-
gnements nous viennent des notes rassemblées par Paquot {Fasti, 1. 1, p. 521) et par Bas, fol. 1463.
L'esquisse de M. L. Delgeur: Schels over de Oostersche Taelen in Belgie, pp. 19-20, et notre article
historique de VAmiuaire de l'Unie, de Louvain, 1848 (pp. 278 et suiv.), sur les derniers temps de
l'enseignement de l'hébreu au collège de Trois-Langues, nous ont fourni des matériaux pour les
notices de ce chapitre sur Jean Sauter et sur ses successeurs.
- Aristolelicuin pulverem hausil e Pacdagofjio Fcdconis. Paquol.
■' Brevis inlroduclio ad Linguam sanclam Hebraeam , qua ea praeserlim in quibus ad hoc slu-
dium acccdenles maxime laboranl , ea docenlur melkodo , ut parvo lubore quivis ea possit superaie ,
et quae studii sunt profundioris ulililer dein adiré. Lovanii, typis .\driani de Witte, 1673, in- 12
(pp. 24).
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 269
des Arts, mourut le 25 juillet 1679, et fut inhumé le lendemain dans
la collégiale de S*- Pierre *. La mort l'arrêta dans l'exécution d'autres
œuvres littéraires qui nous auraient permis de mieux juger son mérite :
c'était d'abord une grammaire méthodique et complète de l'hébreu (Audi-
torium hebraicum lolam Linguae sanclae scientiam metliodice et copiose conti-
nens) , des études grammaticales sur le chaldéen (grammaticalia clialdaïca)
et d'autres travaux du même genre-.
10. Jean Herys (Herrijs).
Successeur de Sauter, en 1680, Herys échangea l'enseignement des
humanités contre celui de l'hébreu; mais il prit celui-ci en sous-œuvre,
pour cultiver les études de droit et pour en briguer les profils.
Jean Herys, que les uns font naître à Maestricht^ et d'autres à Me-
chelen, bourg du Limbourg, voisin de cette ville *, avait été le treizième
dans la promotion de 1663, comme élève du Faucon. II entra d'abord
au collège de la S'^-Trinité ^, où il fut successivement professeur de petite
figure(1671) et de grammaire (1672), et il conserva cette dernière charge
au moins jusqu'en 1666 ou 1678. Quand il devint professeur d'hébreu,
cette langue fut le moindre de ses soucis; on le vit s'appliquer ardemment
aux études juridiques et prendre le grade de licencié en droit, ensuite
celui de docteur, en date du 14 novembre 1690 ^.
Ce premier succès lui fit conférer peu après les fonctions de professeur
royal pour les titres du code, et ensuite de professeur ordinaire pour les
Pandectes (1701).
' Paquot , d'après les registres de l'Eglise.
- Van Langendonck, Acad. Lov. (édit. 1667), p. 76. L'opuscule imprimé est sans aucun doute
l'abrogé dont il est question en ce passage : Auditoru compenditim, sive aditus ad linguam sanctam.
"' Mosae-lrajectinus. — Voy. Paquot, Fasti, p. 521, et Prom. in art., fol. 72 v.
* Recueil de Bax, fol. l.j-26 et 1554.
' Voy. la biographie de Tonsern dans Paquot, t. III, p. 648, note i.
•^ Suppl. au\ Fastes du doctorat en droit, Aimiiaire, 18i5, p. 144. Dans une thèse défendue
le 19 décembre 1691 , il discutait cette question : Utrum historiae ac lingiiarum cognitio in jure
versantibus sit uliiis , aul neccssaria?... Promolio in art., MS., fol. 72.
270 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
Jean Herys, qui avait souiïert d'une hydropisie pendant deux ans.
mourut d'apoplexie à Louvain, le 17 février 1704.
1 1 . Jean Guillaume van Hoven ou vunden Uoveii.
(1704-1723.)
Jeune encore , van Hoven avait été le suppléant de J. Herys dans la
chaire d'hébreu; il en eut l'héritage immédiatement après la mort de
celui-ci, en 1704.
Né à Mechelen, près de Maestricht, en 1678, J. G. van Hoven avait
obtenu de grands succès dans ses études ihéologiques, et s'était surtout
distingué dans les disputes publiques des bacheliers. Son mérite dans la
connaissance des langues anciennes * et l'appui de son maître, Martin
Steyaert, lui valurent la chaire du collège de Busleiden.
Van Hoven fit preuve également d'un savoir approfondi dans les ma-
thématiques, jusqu'à obtenir la charge de professeur royal pour cette
branche d'étude; il la remplit, dit-on, pendant douze ans avec une dis-
tinction et une renommée qui passèrent jusqu'en Allemagne. Cependant,
il ne négligea rien pour compléter son instruction dans les sciences
théologiques ; il subit successivement les épreuves qu'on exigeait alors
pour les grades inférieurs, et remporta toujours dans les discussions pu-
bliques un triomphe signalé et suivi d'un grand retentissement; enfin,
après avoir donné des leçons à l'abbaye de Sainte-Gertrude et au collège
d'Adrien YI, il fut promu, le 11 novembre 1721 , au grade de docteur en
théologie^. Le haut mérite de J. G. van Hoven fut bientôt après récompensé
par la collation de la chaire royale d'Écriture sainte et d'un canonicat de
S'-Pierre; mais il n'avait encore donné que sept leçons quand il fut enlevé
par une violente maladie, à l'âge de quarante-cinq ans, le 24 avril 1725'.
' Au témoignage de Moréri (édit. 1759, t. VI, p. 98), van Hoven aurait obtenu les mêmes
suffrages par ses leçons d'hébreu que par ses autres leçons.
- Fastes doctorales Fac. S. Theologiae, p. 454, recueil manuscrit d'où sont extraits les détails
biographiques consignés ici. Cfr. Or. de laudibus, etc., p. 139.
'' Qu'il soit permis de reproduire quelques-unes des figures dont s'est servi l'historiographe du
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 271
Il paraît incontestable que les connaissances solides que van Hoven avait
acquises par l'étude de l'Écriture et des Pères , ainsi que de toute l'his-
toire ecclésiastique, avaient révélé en lui un théologien de premier ordre,
en même temps que sa profonde piété avait fait l'admiration de tous ceux
qui l'entouraient. Les regrets, que J. G. Kerckherdere a exprimés sur
la fin prématurée de van Hoven, dans son poëme latin sur l'École théo-
logique de Louvain ', semblent bien justifiés par l'activité qu'il avait dé-
ployée dans un petit nombre d'années. Rien n'empêche d'admettre comme
fondées les espérances du panégyriste qui disait, en voyant s'éteindre un
talent naissant, que « Hovius serait allé un jour bien au delà du savoir
de Lucas de Bruges et du premier des Jansénius »; mais, toujours est-il
vrai que van Hoven ne réussit point, par les leçons diverses dont il fut
chargé, à exciter puissamment l'attention et le zèle des théologiens eu
faveur de l'exégèse sacrée et des travaux philologiques qu'elle réclame.
12. GisBERT Joseph Hagen.
(1726-1750.)
G. J. Hagen, qui naquit à Venlo le 26 avril 1689, d'une famille célèbre
dans les armes, s'était occupé de bonne heure de la théologie, et il devait
professer un jour cette science. Quoique van Hoven fût mort en 1723,
Hagen n'hérita de la charge de celui-ci qu'en 1726, et il la géra en con-
currence avec ses autres fonctions jusqu'à sa mort, comme nous l'apprend
son épitaphe qui se voyait au cimetière de S*-Michel à Louvain^. Hagen
doctorat pour faire allusion au nom et aux talents de van Hoven : Profusorum divinae in se gra-
tiae donorum recondilor, dentissa humililale diu fuit Hortus conclusus donec diseiplinarum cunc-
larum flore conspicuus , deinceps lU fons signalus apparuit... Lugenii Academiae eripUur, Fous
Horlorum repente siceuiiis.
' Carmen de Schola Theol. Lov., Annuaire de 1840, p. 206; en voici quelques vers:
. ... Tu clauilis, ffovi, suspiria coetnU, etc....
.... Supra Lucae Brugensis iturutn
Janseniique prioris opes, jam gratia magni
Caesaris ex merilo donarat sede magistra
Scripturae.... Sutnmusque Irilinguis, etc.
■^ Paquot a inséré cette inscription dans son édition manuscrite des Fastes ( p. 521 ). M. Uelgeiir
l'a reproduite d'après Paquot. (Schets , p. 21.)
Tome XXV ill. 5G
272 3IEM0IRE SUR LE COLLEGE
a professé la théologie après avoir pris le grade de licencié, et il aurait
occupé tour à lour les chaires de catéchisme et de théologie scolastique * ;
il est devenu chanoine de S'-Pierre et président du collège de Malderus.
Mort sexagénaire le 2 juin 1750, Hagen avait refusé par humilité l'évêché
de lUireinonde^.
15. Jean Noël ou Natalis Paquot.
(1733-1772.)
Jiixitilut tnm imter morlucs auetali.
(PS)
Nous rencontrons dans Paquot un de ces esprits vigoureusement trem-
pés pour le travail, comme il y en eut peu dans notre école nationale au
XYIII"' siècle. Il a souffert, il a été méconnu, et cependant par son
caractère comme par son talent, il était digne d'un meilleur sort. Des
hommes qui étaient morts à la science et chez qui ne vivait plus que l'en-
vie résolurent sa perte, parce qu'ils ne purent supporter sa supériorité. 11
fut en butte plus que personne de son temps aux dédains, aux contradic-
tions, aux intrigues, voire même aux accusations les plus odieuses, et
malgré tout, quand il eut courbé la tête quelques instants devant l'orage
soulevé par les petites passions, il reprit cette plume d'une érudition sûre
et mûrie, que la jalousie aurait voulu arracher de ses mains. Quoique
nous n'ayons pas à retracer ici sa vie de tous points, il nous a paru juste
de dire un mot à l'avance sur le mérite exceptionnel d'un homme qui ne
peut être confondu avec la foule des maîtres de la même époque dont la
biographie est enregistrée à côté de la sienne dans ce chapitre et dans
' Fasli doctor , p. 440, dans la notice consacrée à J. R. G. Caimo, promu docleur en \~iô et
devenu plus tard évêque de Bruges.
■^ Son nom est rattaché à une brochure dirigée contre les idées du P. Ch. René Billuart touchant
l'obligation de rapporter les actions à Dieu; Hngen avait communiqué à M. Antoine Médard, pré-
sident du séminaire de Liège , ses remarques sur cette question , dans laquelle il soutenait les opi-
nionsdes théologiens de Louvain; la brochure publiée donna lieu à une longue polémique à laquelle
prit part le P. Maugis. docteur-régent de la Faculté de Théologie. Syslemn uovuni R. Ptilris Bil-
luart (le relatione operuii) in Deum , refiitatuiii a R. adm. cic erudilissimo D. Hagens (sic), prof.
regio, etc. Leodii, 17.3-2, in-12 (4-1 pages pour la réfutation). Voy. Paquot, Mémoires, notice sur le
P. Billuart, t. il , p. 11-2.
DES TROIS-LANGUES A LOLVAIN. 27Ô
les deux précédents. Nous parlerons d'abord du savant en général poui
faire mieux connaître l'hébraisant.
Le docte J. N. Paquot, de Florennes, était licencié en théologie ' à
l'époque où il fut appelé à la chaire d'hébreu , et il dut l'occuper en 1755,
sinon dès l'an 1750 ou 1752. Versé comme il l'était dans toutes les
sciences ecclésiastiques, il était capable de donner beaucoup d'éclat à
cette chaire, et l'on verra qu'en effet il fit des recherches spéciales et fort
utiles en vue des leçons qu'il y donnait.
Pendant le terme de plus de vingt ans que Paquot passa à Louvain, il
fut absorbé constamment par des travaux d'érudition et de bibliographie,
d'histoire littéraire et d'histoire ecclésiastique 2. Ses charges s'accrurent
à mesure que le champ de ses études s'agrandit : Paquot fut nommé his-
toriographe impérial par lettres patentes de Marie Thérèse, en date du
25 avril 1762. Puis, de 1769 à 1771, il eut les fonctions de bibliothé-
caire de l'Université 5 et s'y fit remarquer par sa vigilaiice. Il avait la pré-
sidence du collège de Houterlé, mais avec la seule indemnité du loge-
ment, et il devait à lui seul défrayer sa table. La cour de Vienne fut
instruite de la position gênée où se trouvait Paquot, et c'est pour y remé-
diei- que l'impératrice lui conféra, en la même année 1762, une pension
annuelle de six cents florins ^. On voit dans une lettre de cette princesse
à son beau-frère, Charles de Lorraine, qui l'avait informée « des mérites
de Jean Natalis Paquot, ainsi que du cas où il se trouve d'avoir à peine
' Il serait parvenu, dit-on, difficilemenl jusqu'au doctoral, à cause des frais de la promotion,
environ 3000 florins, qu'il était iiors d'état d'acquitter.
■^ Cons. Goethals, Lectures relui, à l'histoire des sciences, t. III, pp. 273-293 (Bruxelles, 1838).
— Tout le monde sait la valeur des Mémoires de Paquot, comme recueil de biographies nationales
et comme répertoire littéraire : ils sont sortis de l'imprimerie académique de Louvam . de 1763-
1770, alors que ce savant résidait encore au sein de l'Université.
-' Voy. P. Namur, Hist. de la bibl. jmbl. de Louvain, pp. C5-68, et de Reiffenberg, Annuaire
di- lu bibl. royale, année 1841 , p. 172.
' Voir la note de M. Th. Piol dans le Bibliophile belge, t. Il , pp. 149152. Paquot relirait de la
chaire d'hébreu 571 florins, et il regardait comme précaire le canonicat de S'- Pierre qu'il avait
obtenu en 17.56, et qui devait lui valoir oOO florins, parce qu'il ne supportait pas bien la fatigue
que lui causait le chant des oflices. Paquot ne pouvait espérer une meilleure position à cause de
l'animadversion de plusieurs personnages importants de l'Université.
274 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
de quoi vivre, » qu'elle lui accordait cette faveur, « touchée de compas-
sion pour ce savant homme et se faisant un plaisir de réparer le tort qu'ont
ses collègues de lui témoigner plus de jalousie que d'envie de concourir
à son avancement. »
Paquot quitta Louvain en 1772, quelques mois après le déplorable
procès qui lui fut intenté^; il n'abandonna rien de ses projets scientifiques,
et il travaillait dans la retraite, quand il fut nommé, en 1785, professeur
d'Écriture sainte au séminaire épiscopal de Liège. A ce sujet, Feller écri-
vait au prince-évêque - : « Que vous avez bien fait de nommer le vieux,
pauvre et très-savant Paquot, professeur de l'Écriture sainte! En vérité,
c'est une bonne, sainte, chrétienne et judicieuse œuvre. » Ce polygraphe
mourut à Liège le 8 juin 1803, âgé de 81 ans : ses livres et manuscrits
furent vendus en 1804, en cette ville.
11 nous reste maintenant à montrer dans Paquot la prévoyance du théo-
logien, la sollicitude du professeur d'hébreu pour les intérêts des études
qui relevaient de sa chaire. Or, il sut trouver assez de loisir pour rassem-
bler les matériaux non-seulement de recueils considérables d'histoire et
d'hagiographie, comme on peut le voir en parcourant la série de ses ma-
nuscrits, appartenant aujourd'hui à la Bibliothèque l'oyale ^; mais encore
de traités spéciaux, d'ouvrages sérieux relatifs à l'étude de la langue hé-
braïque ou à l'interprétation des livres de l'Écriture. Quoique Paquot ait
pu mettre la main à cette classe de ses travaux dans la seconde partie
de sa carrière, il est plausible de croire qu'il destinait aux leçons et aux
exercices du collège des Trois-Langues la majeure partie des œuvres d'exé-
gèse et de philologie sacrée qui nous restent. Un théologien fera bien de
s'appliquer un jour à une analyse critique des ces écrits de Paquot, et de
caractériser la méthode qu'il y a appliquée et le prix qu'ils auraient eu
dans le développement complet d'un enseignement théologique.
Nous nous contenterons de citer parmi ses ouvrages restés manuscrits :
' Voy. Bulletins de la Comm. roy. d'Histoire, t. IV, p. 349.
- I^ellre du 6 février 1787. Extraits inédits de la correspondance de Feller (Remie catlio'., mai
1835, p. 270;.
' Voir Bibliotheca Hultliemiana,t. \] , Manuscrits {Gand , 1858, in-8°).
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 273
1" Un Lexicon lalino-hebraeum (n° 184), volume in-folio écrit de sa main, et
renfermant la traduction latine de plusieurs Psaumes; 2° ses Notae in Gène-
sim et in Psalmos (n» 12), autographe m-i"; 3° ses Commentaires français sur
Jërémie, Barucli, Ézéchiel, Daniel (n» H), 2 volumes in-i"; A" ses notes
et paraphrases latines (n" 6) sur un exemplaire des Psalini poenitcntiales ;
5° son grand travail (n° 10) sur VAnalofjia Veteris ac Novi Testamcnli ' {aiict.
M. Becano, Lovanii, 1775, in-8°).
Paquot avait prouvé son érudition biblique en publiant avec des notes
l'ouvrage de Fleury sur les Mœurs des Israëliics et des Chrétiens'^. Le censeur
apostolique et royal Fr. Jacobi, dans son approbation, déclare qu'il a trouvé
les réflexions de l'éditeur des plus exactes, et qu'elles montrent un auteur
aussi zélé que savant. Paquot rendit un plus grand service en soignant
l'impression du célèbre commentaire de Siméon de Muis sur les Psaumes:
il se chargea de le publier, avec les notes de Bossuet, en 2 volumes in-4".
en 1770, à l'imprimerie académique de Louvain ^; sans avoir mis son
nom dans quelque endroit de cette publication, il remplit consciencieuse-
ment ses fonctions d'éditeur, et apporta une grande correction dans l'or-
thographe des mots hébreux insérés fréquemment dans le commentaire
considérable du savant archidiacre de Soissons. Nul doute qu'un tel livre
ne fût très-propre à répandre le goût de la littérature sacrée et à favoriser
la culture d'une exégèse savante : il dut faire naître quelque espoir d'un
nouvel essor des études ecclésiastiques en Belgique, dans les esprits les
plus éclairés snr l'importance et la destination de la théologie *.
* L'exemplaire interfolié de papier blanc forme 2 vol. in-4°. L'édileiir de la Bibliolhecci ffulthe-
miana en parle ainsi, dans l'introdiiction au tome VI, p. xviii : « Les notes et les suppléments
qu'il y avait ajoutés doublaient au moins cet ouvrage savant. Pendant les dernières années de sa
vie, Paquot parlait souvent de cet ouvrage, qu'il avait particulièrement à cœur: les circonstance.s
du temps l'ont empêebé de le faire imprimer. »
^ Louvain, imprim. acad., 1773, in-8° (avec une vie abrégée de Fleury).
- Commentarius liltcr. et hist. in omnes Psalmos et seiccla Vet. Test. Canlim , ad éd. optimam
Parisiensem anni MDCL recusus, etc. Lovanii, lypis .\cademicis. L'éditeur a pu ajouter au titre,
à cause de la bonne disposition des matières: Omnia nunc primimi accuratissime recognita; et
conimodissimo ordine distribula. Le haut des pages est occupé par le texte latin des psaumes,
d'après les trois versions de la Vulgate, de saint Jérôme et de S. de Muis; viennent ensuite le
commentaire de celui-ci, et enfin, plus bas, les observations de Bossnet.
* Voici les termes dans lesquels X approbation du livre a été conçue par François Jacques, dit
276 MEMOIRE SUR LE COLLÈGE
J^aquot avait élé nommé, le 1" février 1769, membre de la Société litlé-
mire de Bruxelles, qui fut érigée l'an 1772 en Académie impériale et
royale des Sciences et Belles-Lettres; mais il ne prit pas une part active
aux travaux de celte compagnie.
14. Gérard Deckers.
(1774-1782.)
C'est seulement vers 1774, deux ans après la reti'aile de Paquet, que
la chaire d'hébreu fut assignée à un des meilleurs théologiens de son
époque, Gérard Deckers, né à Kevelaer dans la Gueldre, en 1755. Après
avoir accompli ses études de philosophie et de théologie avec distinction
dans les collèges de Louvain, il obtint les fonctions de secrétaire auprès de
H. G. van Gameren, nommé évéque d'Anvers; mais, avant le départ de ce
prélat, il fut appelé, au mois d'août 1759, à une chaire de philosophie au
collège du Porc. Deckers, qui était devenu président du collège S'-Anne
et chanoine de la fondation de l'autel du S'- Esprit à l'église de S'-Pierre,
fut proclamé docteur en théologie le 21 octobre 1766 *, et nous le voyons,
deux ans plus tard, élu recteur de l'Université. C'est après avoir rempli
beaucoup d'autres charges que Deckers fut désigné pour occuper la place
restée vacante au collège de Busleiden : il mourut à 49 ans, le 25 juillet
1782, sincèrement regretté pour sa science comme pour son zèle, sa
charité et ses autres vertus sacerdotales. Deckers ne paraît pas avoir
obtenu quelque succès particulier dans l'enseignement philologique dont
on l'avait chargé; mais il a laissé parmi ses contemporains et parmi ses
élèves la réputation d'un homme profond dans les branches principales
des études théologiques.
Jacobi, lie. en Théol., président du eoUége des Trois-Langues, censeur apostolique et royal dans
les Pays-Bas : Clarissimorum virorum nomina, praecellenli hujus operis titulo inserta, vet solu
sufficiwnt ci pro dignitate aestimando. Menin huic siiff'ragium addcre, necesse non est Votum tamcit
arijicio , ni oinnes licirum dioeceseon clerici scdida cjus leclione magis ac macjis accenduntur, iil pie
simul et inteliigentcr psallant Régi Begnm et Domino Dominanlium. Actum Lovanii die 8 noveni-
bris 1770.
' Fusti doctorales l'ar. S. TheoL, p. 459. Cfr. Or. de laudihus, etc., p. loi. — Promot. in Art..
fol. 55, V.
DES TROIS-LAINGUES A LOUVAIN. 277
15. Joseph Benoît de Mazière.
(1782-1786.)
Dans la même année 1782, les leçons d'hébreu furent reprises au col-
lège des Trois-Langues par un docteur promu un an auparavant ', Joseph
Benoît de Mazière, natif de Leysele près de Furnes : il était devenu lec-
teur au collège d'Adrien VI, où il avait fait ses études en théologie, et il
venait d'être élu président du collège de Divaeus, quand il succéda à
Deckers dans l'enseignement de l'hébreu. De Mazière ne put se livrer que
fort peu de temps à cet enseignement spécial : il entra, en octobre 1786,
dans le personnel du séminaire général de Joseph II, comme professeur
de théologie dogmatique 2, et, au mois de mars 1788, il fut mis'en pos-
session de la même chaire dans la Faculté de Théologie, reconstituée sous
le rectorat de van Leempoel, par le gouvernement impérial ^. Le cours de
langue hébraïque fut assigné dans l'organisation du nouveau séminaire à
un autre théologien, Henri Wouters, de Louvain, qui était chargé en
même temps des leçons sur l'Ancien Testament*.
De Mazière se trouva mêlé à tous les débats dans lesquels s'engagea la
Faculté de Théologie avant qu'eût éclaté la révolution brabançonne; il fut
chargé, comme doyen de cette Faculté, de transmettre ses réponses et ses
observations tant aux membres du gouvernement qu'au cardinal-arche-
vêque de Malines, quand celui-ci fut forcé de se prononcer sur l'ortho-
doxie du nouvel enseignement '*.
Lorsque les troubles eurent grossi au point d'amener une insurrection
générale et le renversement de la domination autrichienne, de Mazière
» Le 20 février 1781 {FasU doct., p. 470. Cfr. Or. de laudihus, p. 159). La plupart des détails
biographiques sur les deux successeurs de Paquot proviennent du même recueil.
2 Voy. les Mémoires de Rupédius de Berg. pour servir à t'Hisl. de In réooliUion brabançonne .
publ. par P. Gérard. Bruxelles, 1843, t. H, pp. 7 et 14, noies.
'' Ibid., p. 36.
'• H. Wouters, licencié en Théologie depuis 1776, avait été élu , le 13 novembre 1783, président
du collège des Trois-Langues. Voy. la série des présidents, n° 16.
» Mémoires de Rapédius de Berg, t. Il, p. 149, p. 156. — La réponse justificative de la Faculté
au cardinal est datée du 10 mars 1789.
278 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
se condamna prudemment à la retraite. A peine réorganisée sur l'ancien
pied, rUniversité de Louvain prononça contre lui, par contumace, le
1:2 juillet 1790, une sentence qui le déclara déchu de toutes ses fonctions
académiques ^ Ainsi puni d'avoir secondé ouvertement les vues du gou-
vernement de Joseph II, de Mazière ne rentra plus à Louvain après la
restauration, qui eut lieu au commencement du règne de Léopold '^.
16. Etienne Heuschling.
(1790-1797).
Quand l'Université eut prononcé, en 1790, la déchéance du professeur
de Mazière, ainsi que nous venons de le rapporter, la troisième chaire de
la fondation Busleiden fut donnée à un jeune savant qui avait parcouru
dans ses propres études le cercle de la grammaire des langues sémitiques,
sans se borner à la seule connaissance de l'hébreu de la Bible. Le récit des
circonstances principales de sa carrière ne sera peut-être pas à cet égard
sans intérêt : nous les empruntons en grande partie à une notice rédigée par
lui-même, selon l'usage du temps, pour les archives de l'Académie uni-
versitaire qui fut établie à Bruxelles, sous l'empire français, et à laquelle
il appartenait comme membre de la Faculté de droit ^.
Etienne Heuschling, né à Luxembourg, le G avril 1762, était fds
d'Hubert Heuschling et de Christine Theyes*. Ce fut au collège-pensionnat
royal de Luxembourg, qu'il fit les humanités, la philosophie et la théo-
logie, en terminant ces deux derniers cours par des thèses publiques.
' Mémoires, ibid., p. 7, note.
^ De Mazière fui nommé, en novembre 1791, prévôt du chapitre de Saint-Vincent, à Soignies
(praeposilits cccksiae Sonegiensis); en 1803, lors de la réorganisation du diocèse de Gand, il fut
appelé à la cure de Dixniude, et c'est dans cette ville qu'il est mort en 1824.
' Le recueil formé par van Hullhem, un des directeurs de l'Académie, fait maintenant partie
des manuscrits de la Dibliotliùque royale (n" 17S87, registre in-folio. — Bibl. Hullh., MS. 868);
il a pour titre : RenseUjnemenls sur le personnel des recteurs, des secrétaires, des inspecteurs des
trois facultés, leurs éludes, les fonctions qu'ils ont remplies antérieurement, so'vanl de matériaux
pour les Fastes de l'Acad. de Unix. — Fac. de droit, folio 101 et suiv. (Et. Heuschling, fol. III.)
' Ces documents biograpIii(|ues sont tirés de notre notice déjà citée sur les derniers temps de
l'enseignement de l'hébreu au collège des Trois-Langues (Annuaire de l'Université de Louvain,
ann. 1848, pp. 103 et suiv.).
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 279
« Au sortir de l'enfance, nous dit-il, il s'était destiné à l'enseignement
.. public, et, dès l'âge de 20 ans, il y fut appelé par le gouvernement
» des Pays-Bas. » Ce fut vers 1782 qu'il devint professeur de sixième
et de cinquième au collège-pensionnat royal de Naniur, Un peu plus tard,
Etienne Ileuschling se rendit à Louvain pour y faire ses études de droit,
et il y prit le grade de licencié; il fut soutenu dans ces études nouvelles
par un parent qui s'était fait un nom comme jurisconsulte : son oncle,
Jean Pierre Ileuschling, professeur royal de Pandectes depuis 1765 ', fut
pour lui un généreux protecteur.
Cependant Etienne Ileuschling ne resta pas longtemps à Louvain : il
partit pour Rome dans l'intention d'y poursuivre l'étude des langues, et
en particulier des langues orientales, qu'il avait sans doute cultivées
dans son pays autant que le lui permirent les ressources qu'il y trouvait.
Il se rendit bientôt assez habile dans cette branche d'étude, pour prendre
part à un concours public ouvert à Piome pour la chaire de la langue
syro-chaldaïque, devenue vacante à la Sapience; il fit, le 22 juillet 1788,
les épreuves exigées pour le concours en présence du cardinal Buon-
compagni, secrétaire d'État, et des avocats consistoriaux de Sa Sainteté.
Heuschling sortit de ces épreuves avec honneur ; mais il ne put l'emporter
sur un savant Maronite de la famille des Assémani, célèbres depuis un
siècle par leurs travaux sur la langue et la littérature syriaques : son heu-
reux rival était Antoine Assémani, scribe pour la langue syriaque à la
bibliothèque du Vatican, et professeur de langue arabe au collège de la
Propagande ^. Il existe, en témoignage du résultat de ce concours, demeuré
glorieux pour Heuschling, le certificat qui lui fut délivré par le recteur
de l'archigymnase romain, Ch. A. Conslantini, au nom du collège des
avocats de la cour consistoriale ^.
• Jean Pierre Heuschlins;, promu docteur avec grande solennité le 16 juin 1761, mourut à
Louvain le 10 juillet 1797 (Suppl. aux Fasles de Valère André pour les docteurs de la Faculté de
Droit; Annuaire de l'Univ. catlt. de 1845, pp. 131-152).
= La même chaire, à l'Université romaine de la Sapience , a été occupée depuis par le savant abbé
André Molza, qui était en même temps un des conservateurs à la Vaticane et qui est mort en I8y 1 .
^ Carolus Aloysius Conslantinus, sacrae consislorialis Aulae advocalus, et Romani arcliigijin-
msii reclnr depulatus. Contresigné : Marins TuUopello a secretis. — Nous nous plaisons à recon-
ToME XXVIII. 37
280 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
Universis et singulis praesentes lileras nostras inspecturis fulem facimiis, alque
teslamur CL D. Steplianum Heiischimg'mm Litxemburgensem in concursu liabilo
die 22 Juin labentis anni coram E'"" et R"" D"" Card. Boncompagni a secrelis Status
sanctissimi Domini Nosl7-i Pii Papae VI, £"'" et R"'" D"" Card. Camerario adversa
valeludine detento siiffecto , et coram III"'" et R"'" DD. sacrae consistoiialis Aulae
Advocalis adeo perilum iinguae chaldaïco-syrae sese tribus electis perilis examina-
toribus cxhibuisse, ut inspectis caeteris quibus pollel , scientiae et probitatis requi-
silis, judicio primum examinatorum , digmis remmtialus fuerit cathedra sive Icclura
ejusdem Iinguae, tune in noslro urchigymnasio vacante; deinde vero, ejusdem
cathedrae professer designatus fuerit per pluraliiatcm suffragiorum , in secreto
scrutinio, ab E'""" et R'"" D"" et IW"' et R""' viris supradiclis : licet obtento om-
nium suffragiorum concursu, ejusdem cathedrae possessio décréta fuerit Cl. vira
Antonio Assemanni {sic) Syro-Maronitae , scriptore supradiclae Linguae in Diblio-
theca Vaticana, et Linguae Arabicae professori in U. Collegio Urbano de Propa-
ganda Fide. In quorum fulem praesentes literas subscripsimus , et magno Collegii
Nostri sigillo muniri curavimus ^ Dalum ex Aula Magna Romanae Sapientiae
quarto Kalendas Januarii, anno a Nativitate S S"" Domini Nostri Jesu Christi
MDCCLXXXIX.
Etienne Heuscliling nous apprend lui-même que, pour le retenir à
Rome, on lui avait promis la première chaire qui viendrait à vaquer et
une place de scrittore délia Biblioteca Vaticana. Cependant cette perspective
ne put le de'cider à rester beaucoup plus longtemps en Italie- : il regagna
la Belgique; et c'est après la réintégration des cinq Facultés de l'Univer-
sité à Louvain, dans le courant de l'année 1790, qu'il fut mis en posses-
sion de la chaire de langue hébraïque au collège des Trois-Langues. Il
n'occupa cette chaire que peu d'années, à cause des événements qui
ébranlèrent ou détruisirent toutes les institutions publiques en Belgique.
Nous ne savons s'il quitta Louvain au moment de la première invasion
naître ici que nous devons la communication de la minute de ce document curieux à la complai-
sance du neveu du savant qu'il concerne, M. Xavier Heuscliling, chef de la division de statistique
générale au ministère de l'intérieur.
' Le sceau de la Sapience porte la figure de saint Ives, ou Ivo, entourée de cette légende : Colle-
gium sacrae Aulae consislorialis advoculorum.
- Heuscliling demeura membre associé de l'Académie théologique de la Sapience.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAiN. 281
française ou seulement à l'époque de la dispersion de l'Université, en
octobre 1797. Toujours est-il que Ileuschling avait rapporté de l'Italie,
pour l'accomplissement de sa charge, une variété et une étendue de con-
naissances philologiques que n'avaient point possédées depuis deux siècles
ses prédécesseurs dans la même chaire. Vers le temps où l'étude du
syriaque était en vogue aux Universités d'Allemagne, où J. D. Michaelis
réimprimait le Lexique de Castell, où Kirsch et Bruns publiaient, à Goet-
tingue, le texte de la Chronique de Bar-IIebraeus, Etienne Heuschling
allait communiquer à la Belgique les éléments fondamentaux d'une étude
qui est d'un si grand secours pour la philologie sacrée et pour l'histoire
du christianisme; mais l'approche des plus mauvais jours de la révolution
ne lui permit pas d'atteindre à cet égard quelque résultat.
Pour bien juger l'activité d'un des hommes qui ont appartenu à l'an-
cienne Université au double titre d'élève et de maître, il est indispensable
de le suivre dans la retraite studieuse qu'il s'était faite, et ensuite dans les
charges qui le firent rentrer à plusieurs reprises dans la vie publique.
Etienne Heuschling était gradué dans toutes les facultés, sauf la médecine ;
il s'appliqua toujours à entretenir ou à augmenter les connaissances spé-
ciales qu'il avait acquises dans les meilleures années de ses études acadé-
miques, et il fut appelé à différents emplois en raison de l'espèce d'univer-
salité qui distinguait son savoir. Déjà nous le voyons, après l'incorporation
de la Belgique à la France , membre du jury d'instruction publique formé
l'an V à Bruxelles; un peu plus tard, il entre à l'école centrale du dépar-
tement de la Dyle comme professeur de grammaire générale. Le goût qu'il
avait toujours montré pour l'élude des langues rend raison de la distinc-
tion qui lui fut accordée en cette circonstance: Heuschling parlait, dit-on,
quatorze langues; il en avait appris plusieurs en fort peu de temps, et il
avait montré autant d'habileté dans le déchiffrement des alphabets que de
facilité pour l'étude scientifique des grammaires. Il existe une pièce im-
primée d'après laquelle on peut juger l'étendue des recherches qu'il prenait
pour matière de ses observations et pour fondement de ses théories :
c'est le Discours cT ouverture de la classe de grammaire générale, dans l'école
centrale, le 17 vendémiaire an VIII, par E. Heuschling, professeur de la
282 3IEM0IRE SUR LE COLLEGE
même classe ^ On reconnaît dans ce Discours de Heuschling la tendance
de son esprit à généraliser les faits spéciaux fournis par la science posi-
tive de la linguistique, à faire prédominer un point de vue philosophique
dans l'étude raisonnée des lois de la grammaire considérées à la fois dans
les langues anciennes et modernes ; on aperçoit qu'il n'avait négligé aucune
peine pour rassembler tous les éléments d'une étude systématique du
langage, à une époque où n'avait paru aucun des ouvrages fondamentaux
sur cette matière, à l'exception des Vocabulaires de Pallas^. Les vues de
Heuschling peuvent être quelquefois exclusives, et ses rapprochements
hasardés; mais il n'en pouvait être autrement en l'absence d'idées univer-
sellement reçues sur le partage des langues en groupes et en familles,
avant l'institution des méthodes plus rigoureuses dans l'investigation des
racines et la comparaison des mots. Heuschling a du moins le mérite
d'avoir deviné les travaux de notre temps, qui préparent la démonstration
de l'unité primitive du langage humain. Si nous rapportons ici quelques
passages du discours cité, c'est non-seulement pour constater les prin-
cipes que Heuschling cherchait à établir en linguistique, mais encore
pour signaler les vues générales qu'il prétendait faire prévaloir dans cette
science, d'accord avec le mouvement des études philosophiques^.
L'auteur du Discours fait part à son auditoire d'une première difficulté
qui s'opposera aux recherches synthétiques de grammaire dont il a indi-
qué la nature dans son exorde : le phénomène extraordinaire, étonnant,
qui devrait éloigner le philologue du but proposé , la découverte de
lois identiques dans l'organisme de toutes les langues, c'est l'idiome
' 12 pages in-12, sans nom d'auteur et sans titre particulier.
- Publiés pour la première fois à S'-Pétersbourg, en 17871789.
'' Voici d'abord le préambule du discours, dans lequel Heuschling expose en général sondes-
sein : « Tout est lié dans l'univers. 11 existe un rapport bien étendu, bien sensible, vraimentadmi-
)) rable, entre toutes les langues de tous les peuples de la terre. Ce rapport est nécessaire; il est
B incontestable. Ces grandes vérités, ainsi que toutes celles dont la grammaire universelle se
» nourrit; sur lesquelles elle établit ses théories, elle fonde sa doctrine; comment parvenir à les
)) démontrer, à les rendre palpables? En suivant les inspirations du génie créateur des sciences,
» l'esprit d'observation ; en recueillant les faits, en niullipliant les expériences, en poussant nos
» recherches en ce genre, aussi loin qu'elles peuvent aller; en ramassant les matériaux les plus
1) propres à construire un édifice durable et majestueux; en un mot, en perfectionnant la glosso-
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 283
monosyllabique des Chinois, avec son écriture riche de quatre-vingt mille
caractères qu'ils ont ramenés eux-mêmes à deux cent quatorze clefs :
« Voilà donc, disait Ileuschling, un problème des plus piquants, de
savoir s'il est possible de découvrir quelque conformité, quelque res-
semblance entre nos langues d'Europe et d'Asie, et la langue de ce peuple
fameux, peuple unique à tant d'égards. Essayons de tracer une esquisse
abrégée de la solution de cet intéressant problème, en faisant voir que le
chinois est d'accord avec les autres langues connues, dans sa grammaire,
son écriture et ses mots. »
Puis, Ileuschling s'attache à déterminer par quelles opérations on
parviendrait à comparer aux thèmes monosyllabiques du chinois la forme
primitive des racines polysyllabiques de la plupart des langues, en d'au-
tres termes le radical dépouillé de tout accessoire et envisagé dans sa
simplicité originaire : il indique par quelques exemples le genre d'analo-
gie qu'il prétend exister entre la langue chinoise et toutes les autres. En
outre, Ileuschling considère tour à tour les lois des diverses parties du
discours et la manière d'assembler les idées, et il examine sous ces diffé-
rents rapports comment la nation chinoise se conforme aux principes géné-
raux et immuables du langage ainsi que les autres peuples, bien qu'elle
semble faire une classe à part : « c'est ce nouveau point de vue qui
continuera, dit-il, de nous faire jouir du spectacle brillant d'une ravis-
sante harmonie. »
Cependant, Ileuschling a plutôt émis à cet égard des espérances et des
vœux, qu'il n'a établi et prouvé des faits de linguistique. Les analogies
» logie, c'est-à-dire la connaissance positive et raisonnée des langues. Il s'agit de nous emparer
1) successivement de tous les idiomes répandus sur notre globe; de les analyser, de les comparer.
» Les conséquences immédiates qui résulteront naturellement de cet examen et de celte comparai-
)i son, formeront autant de principes solides, féconds, lumineux, inébranlables. C'est là la route
)) que tant de grands hommes nous ont indiquée depuis longtemps, que tant de beaux génies
» nous ont déjà frayée, et que doit suivre l'honime qui, par état et par goût, consacre ses veilles
). à cette sorte d'études, de méditations; méditations qui ont pour objet l'apanage le plus noble, le
» plus magnifique de notre espèce, son caractère distinctif le plus glorieux, la parole, que nous
1) devons regarder comme une partie essentielle, comme un organe de la philosophie. » — Le discours
porte cette épigraphe grecque en lettres latines: Kai organa de philosophias Locos, elc. (Jul. Pollue.
Onomast, VI, 6, 40.)
284 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
partielles qu'il a signalées ne pouvaient mener à la conclusion d'unité
originelle qu'il invoquait sans cesse; les difficultés étaient, en réalité, si
nombreuses et si compliquées, que la synglosse, malgré ses progrès, n'est
point encore parvenue à reconnaître avec assurance l'origine et les affi-
nités de la langue antique du Céleste Empire *. Des rapprochements de
syllabes prises dans le vocabulaire d'une foule de langues avec des mono-
syllabes chinois, n'ont encore fait obtenir à personne quelque résultat
sérieux et durable : il importait, au contraire, de bien préciser la prépon-
dérance de la syntaxe sur la grammaire dans le chinois , pour préparer
les investigations ultérieures de la philologie. Ileuschling n'avait pas été
heureux dans son choix, en s'escrimant exclusivement dans une pre-
mière leçon contre quelques termes de la langue chinoise, et il n'avait
dans tout cela à recueillir d'autre avantage que celui de la nouveauté d'une
pareille entreprise; il eût mieux réussi à s'attaquer aux affinités des lan-
gues grecque et latine avec les langues germaniques, affinités qui furent
éclaircies peu après par des travaux solides de ses contemporains, surtout
en Allemagne. Au moins Heuschling avait- il entrevu l'application de
recherches vraiment scientifiques à la comparaison des langues de toutes
les familles, et il a pu dire en terminant ses études tirées du vocabulaire
chinois : « Un travail semblable à celui dont je viens de vous présenter une
ébauche très-imparfaite, appliqué aux langues indiennes, tartares , celti-
ques, et ainsi de suite , nous donnera les mêmes résultats, et des résultats
d'autant plus satisfaisants , que nous serons rompus davantage à cet exer-
cice. Il nous convaincra toujours par de nouvelles preuves de fait, que le
langage est essentiellement le même partout; que toutes les grammaires
se tiennent comme par la main; que le même esprit fit naître et anime
toutes les langues '^. »
Ileuschling avait passé les années les plus funestes de la révolution
' La question d'origine n'a point été abordée par un des hommes de notre temps qui ont porté
le plus de lumière dans la philosophie du langage, M. Guillaume de Ilumboldt, dans sa lettre
célèbre à M. Âbel Rémusat, sur la nature des formes grammaticales en général , et sur le génie de
la langue chinoise en particulier (Paris, 1827, in-S").
- Nous allons reproduire la péroraison consacrée par Heuschling à la louange de l'Harmonie,
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 285
française dans des fonctions qui l'arrachaient aux luttes politiques, au
milieu de travaux qui lui permettaient d'attendre avec patience et avec
calme la fin des bouleversements et des orages dont la Belgique avait
retenti. Il eut le bonheur d'être apprécié par quelques hommes d'ordre
qui usaient de leur influence auprès des représentants du nouveau pou-
voir, afin de maintenir et de multiplier les moyens d'instruction. L'an VII,
Ileuschling fut compris par l'administration du département de la Dyle
au nombre des personnes destinées à former le noyau d'une société libre
des arts, des sciences et des lettres, près ladite administration : on sait que
cette société peut être considérée comme un des fondements de la nouvelle
Académie de Bruxelles, réorganisée par arrêté royal du 5 juillet 1816 ^.
Quand le gouvernement français eut joint en 1806 une école de droit aux
autres Facultés composant l'Académie de Bruxelles, Ileuschling qui était
gradué en droit, en fit partie comme suppléant 2. Heuschling ne paraît
qu'il contemple dans le langage, dans l'univers, dans les sphères célestes, dans Ihorame et dans la
sociélé ; on ne verra pas sans linéique sentiment de curiosité et de surprise l'homélie de Heuschling
en l'honneur de la nouvelle déesse qui préside à la grammaire générale et à la législation révolu-
tionnaire : « L'harmonie règne donc aussi dans cette partie de la nature. 0 harmonie , fille aînée de
n l'Éternel, divine émanation de son essence inefFable... salut!... Souveraine toute-puissante de
» myriades de mondes, chaîne d'or qui unis les cieux avec la terre, salut! toi qui présidas aux
» œuvres du Créateur, qui réglas la course d'innombrables soleils, auguste conservatrice des
» êtres! Heureux, trois fois heureux le mortel qui a des yeux pour te voir, des oreilles pour t'en-
I. tendre, un cœur pour t'adorer, une âme pour jouir des délicieuses extases qui naissent de la
» contemplation de tes charmes immortels. Toi qui formes le premier besoin et le premier lien de
» l'humanité; loi, la mère des vertus, sois propice aux cœurs droits : que tes mystères leur soient
B révélés! que leurs idées, leurs sentiments, leurs actions, leurs habitudes, leurs ouvrages, leur
» vie et leur mort soient dignes de loi, dignes de la sagesse, dignes de leurs hautes destinées. Toi.
» qui fondes les sociétés, affermis la république française, rends-la fortunée parla paix, autant
)> qu'elle est formidable et glorieuse par la guerre; que toutes ses institutions soient l'expression
» fidèle de tes lois! «
* Heuschling se trouva dès lors associé à beaucoup d'hommes qui se sont fait ensuite un nom
dans la science : Lesbroussart père, van Mons, Laserna de Santander, le baron de Poederlé, le
vicomte de Nieuport, Plasschaert, van Hulthcm, van Hooghten, Jacquelart, Gendebien , Dotrenge,
L. P. Rouillé et d'autres. Plusieurs de ceux que Heuschling eut alors pour confrères rentrèrent
en même temps que lui dans l'enseignement universitaire, sous l'empire et ensuite sous le régime
hollandais.
'- Il avait pour collègues dans cette faculté Michel Joseph van Gobbeischroy, ancien professeur
de Louvain, Bertrand Cahuac, Jean J. P. Tarte, J. G. van Hooghten, X. Jacquelart, auxquels fut
adjoint, en 1810, Jean Gérard Ernst.
286 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
pas avoir exercé souvent les fonctions attachées à ce titre; mais il continua
à s'adonner courageusement à l'étude simultanée de plusieurs sciences ^
Lorsque le roi Guillaume I""" institua, en 1817, les trois Universités
des provinces méridionales des Pays-Bas, il nomma Etienne Meuschling
à une chaire de la Faculté de philosophie à l'Université de Louvain , en
même temps que les anciens professeurs Sentelet et Jacquclart cà des
chaires de sciences et de droit -. Heuschling revint avec prédilection à
ses premières études, en acceptant un double enseignement philosophique
et littéraire. La grammaire des langues orientales devait y avoir une
large place, comme on en pourra juger par un extrait du premier pro-
gramme de l'Université royale, publié en octobre 1817 ^. Si Heuschling
n'a point trouvé à la nouvelle Université de Louvain de nombreux audi-
teurs pour toutes ces branches d'enseignement, il faut l'attribuer en partie
à l'état naissant de cette institution, en partie à la faveur beaucoup plus
grande dont jouissaient dans l'opinion les leçons de philologie classique
données en vue des cours d'humanités, en partie aussi à l'exposition un peu
confuse du penseur, qui aimait à mêler des vues philosophiques abstraites à
l'exposé élémentaire de toute science. Heuschling ne persévéra point long-
temps dans la carrière active que sa dignité académique ouvrait devant
lui : au bout de trois ans environ, il résigna cette dignité et quitta Lou-
vain ^* pour reprendre à Bruxelles, dans la solitude, ses occupations favo-
rites. « Vétéran de l'enseignement universitaire, » comme il s'appelait
• Heuschling était membre de la Société de jurisprudence de Bruxelles.
- Voy. sur la carrière de Sentelet la note étendue de P. Gérard, dans les Mémoires de Rapédius
de Berg, t. Il, pp. ô6-ô7.
^ Etal de l'enseignement supérieur en Belgique, rapport de M. Nothomb. Bruxelles, 1844, t. I ,
p. 350. — Praeleclioncs ordinis philosophoriim. Heuschling, per hune anmim diclabil posiliones
elementarcs jiiris nalurae, ex ontoloyia et psycholngia depromplas, etc. Interprelabitur , guidquid
in scriplis Aristolelis ad /Logic, Dialec. elMelupUys. propius spécial ; porro exponet aliqnol tragoe-
dias Sophoclis et Euripidis ; tum praemissis necessariis insHtulionibus in Linguam Hebr., Syriiic.
Chaldaïc. et Arab.; explicabil libros Gènes, cl Psalmos aliquol; item (Chald.) Danielem el Esram;
porro (Syriac.) N. Test, et carmina Mphrem Syri; tum (Arab.) Adagia Arabica, Fabulas Lok-
mnnni el partem Alcorani , diebus Jovis, Feneris et Salurni , h. XI.
■* Après le départ de Heuschling, l'enseignement de Thébreu fut quelque temps suspendu à
I^ouvain; mais, lorsque l'arrêté royal qui créait le collège philosophique eut désigné la littéralure
hébraïque parmi les matières de l'enseignement (art. 2), un cours d'hébreu fut organisé par un
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 287
volontiers lui-même, Ileuschling, qui avait eu à l'Université de Louvain
le titre de professeur ordinaire, obtint du gouvernement une pension de
1,500 florins, qui, jointe à son patrimoine, le mit à l'abri de toute gêne.
Cependant, l'isolement ne permit pas à Ileuschling de tirer parti des
connaissances qu'il avait amassées pendant de longues années avec un la-
beur infatigable : voulant trop embrasser dans ses études journalières,
il ne lui fut pas donné d'atteindre au but, d'obtenir un autre fruit que la
satisfaction d'avoir exercé noblement jusqu'au bout de son existence ses
forces intellectuelles. S'il n'a pu se rendre utile plus longtemps dans l'en-
seignement supérieur, s'il n'a point laissé quelque ouvrage marquant
comme le résultat principal de ses patientes investigations, il a eu en cela
le sort d'un grand nombre d'esprits indépendants et oiiginaux, que l'his-
toire des lettres nous montre jetés par les événements hors de la vore où
ils étaient appelés à rendre de véritables services. D'ailleurs, il faut tenir
compte des malheurs domestiques qui ont pu réagir sur le caractère
d'Élienne Ileuschling \ en le séquestrant de la société, en l'isolant des
membres même de sa propre famille, en le poussant à une vie solitaire
et rêveuse où venait s'absorber la meilleure activité de son esprit. Devenu
depuis longtemps indifl^érent aux relations scientiliques qu'il avait nouées
naguère, il avait laissé se disperser peu à peu la bibliothèque qui avait
servi aux travaux de toute sa vie, et, réduit à des soins mercenaires, il
s'était dépouillé sans prévoyance d'une assez bonne partie de ses res-
sources personnelles. C'est le 29 août 1847 qu'Etienne Heuschling est
mort à Bruxelles, à l'âge de 85 ans "-, après avoir repris, dans les jours
de sa dernière maladie, toute l'ardeur et tout l'enthousiasme de la jeu-
nesse au sujet des éludes qui avaient été sa première passion.
pror-sswir le la ficiiUé de phil )snph:e à l'Université, M. G. J. Bekker, qui publia, à cette occasion,
une granimaire élénienlaire destinée exclusivement à l'usage des élèves : Rudimenla Hnyiiae lie-
braïcae ad usiim lUainnorum coll. philos. (Louvain, 182(5, p. 168, in-8°).
' Il avait épouse, le 14 ventôse an VI, Catherine Vandeisanden, de Bruxelles, dont il eut deux
enfants mâles, Charles et Romain , décédés en bis .âge, et qui ne leur siirvécul pas longtemps.
- Une notice nécrologique a été insérée dans Yliidépenduiice belge peu de juuis après, el elle a
été reproduite en grande partie dans le Journal de l'iiutniction publique, 111"" année, ô°"^ livr.
S.jptenibre 1847, p. '2 16.
Tome \XM11. 38
288 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
On ne sait ce que sont devenus la plupart des manuscrits, fruit des
longs travaux de Heuschling : il en aura, selon toute apparence, disposé
de son vivant. Quelques traités philosophiques dont il avait donné le ma-
nuscrit à l'un de ses neveux, M. Joseph Heuschling ^ décédé à Bruxelles
le 26 novembre 1856, sont tombés depuis lors en la possession d'un
autre de ses neveux, frère de feu Joseph, M. Xavier Heuschling'^.
Nous dirons ici, comme en terminant noire précédente notice sur la per-
sonne d'Etienne Heuschling, qu'il a donné l'exemple d'une volonté forte
qui persévère dans la poursuite d'un même but, malgré un grand nombre
d'obstacles extérieurs : il avait fait preuve d'un esprit heureusement doué,
d'une grande force de mémoire, d'une rare puissance de réflexion et de
combinaison des idées; mais il lui a manqué peut-être un certain ordre
dans ses travaux, une certaine précision dans ses recherches, et, faute
d'un juste calcul de son temps et de ses forces, tant de précieuses facultés
qu'il avait en partage n'ont pas été appliquées par lui à la réalisation d'oeu-
vres utiles et durables.
' Joseph Heuschling, docleur en philosopliie et lettres, atlaché au cabinet du Roi, fut profes-
seur de philosopliieau Musée des sciences et belles-lettres de Bruxelles, comme suppléant de M. Syl-
vain van de Wever jusqu'en 1834, époque où cet établissement fut remplacé par l'Université libre.
^ En voici les titres que M. Xavier Heuschling a bien voulu nous communiquer : 1° Examen
analytique de l'ouvrage intitulé : La logique, ou les premiers développements de l'art de penser, par
l'abbé de Condillac, 94 pages in-4°, chargées de notes d'une écriture très-compacte; 2° Examen
anahjt.et critique, etc., comme ci-dessus, 218 pages in-folio d'une écriture également serrée;
ô" Positiones elementares philosophiae theoreticae, cahier in-folio. Le second de ces manuscrits,
qui paraît le plus important, est le développement du premier : c'est un traité ex professa contre
la philosophie empirique et sensualiste, et plus spécialement une réfutation raisonnée de la logique
de Condillac; son possesseur actuel se proposait naguère de le livrer à la publicité.
DES ÏROIS-LANGUES A LOUVAIN. 289
CHAPITRE IX.
LES ÉTUDES LITTÉRAIRES ET PHILOLOGIQUES AU COLLEGE DES
TROIS-LANGUES PENDANT LE XVI"' SIÈCLE.
Piiirm habelit quns oppanat Gmecinc
(l'nÊDnt )
Ce n'est pas en vain qu'une pensée d'émulation s'était emparée de la
jeunesse de nos écoles nationales, au commencement de ce siècle, où
déjà l'Italie pouvait s'enorgueillir du grand nombre de ses savants, où
elle se glorifiait d'avoir ravivé les monuments du génie latin et d'avoir
rallumé le flambeau des études grecques. Lorsque l'institution fondée par
Busleiden et patronée par Érasme eut organisé un enseignement régulier
des trois langues savantes, il en sortit deux générations d'écrivains, de
philologues et d'érudits qui entrèrent en lice et revendiquèrent leur place
dans le domaine de la science et des lettres : notre pays fut alors vengé
autant qu'aucun des pays en deçà des monts, du dédain avec lequel les
Italiens l'avaient traité naguère; sans forfanterie, il avait plus d'un auteur
« à opposer aux auteurs célèbres de la Grèce. »
Le XVI""= siècle, dont l'histoire littéraire s'ouvre par le triumvirat
d'Érasme, de G. Budé et de Vives ^, se termine par le règne d'un autre
triumvirat, formé par les noms de Juste Lipse , de Joseph Scaliger et
(ïlsaac Casaitbon; dans l'un comme dans l'autre, un nom qui le dispute à
tout nom rival appartient aux Pays-Bas : Érasme brille dans le premier,
Juste Lipse dans le second. Elle ne fut point stérile pour la saine érudi-
tion, pour l'avancement des études, pour la formation et la diffusion du
bon goût dans les lettres, cette école qui a fleuri dans la vieillesse d'Érasme
et qui, moins de cent ans après, a produit le grand Lipsius, idole de son
' Nous nous sommes aUaclié it fiiire ressorlir rinfliieni e d'Éi asme sur les éludes grecques en Bel-
gique : on sait que lUidé, son ami, fut le restaurateur principal des mêmes études en France. C'est
ce qui fait l'objet de VEssai historique de M. D. Rebitté sur (Guillaume Budé (Paris, 1846, in-8°).
290 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE
époque. Ce premier siècle du collège des Trois-Langues est cerlainement
glorieux pour l'Université qui l'a vu naître dans son sein et grandir rapi-
dement; pour la Belgique, qui a été éclairée la première par ses travaux.
L'histoire de ce collège ne peut être séparée de l'histoire des études de
philologie et de littérature qui ont alors prospéré sur viotre sol plus qu'en
aucun autre temps; on dirait même qu'elle en est le fondement. Dans les
deux siècles suivants, l'institution déchoit sans cesse, et au bout d'un terme
de trois cents ans environ , elle semble n'être plus que l'ombre d'elle-même.
Nous serons bref forcément en esquissant cette dernière partie de ses
annales; mais on nous autorisera sans doute à parler louguement des
services qu'elle a rendus à l'instruction dans cette période de splendeur
qui a suivi de près sa fondation.
Nous insisterons d'autant plus sur les faits qui composent l'histoire du
collège de Busleiden au XVl""" siècle, qu'ils fournissent le mieux les élé-
ments du travail de synthèse qui doit terminer cette monographie; car
c'est alors principalement que le collège des Trois-Langues a exercé une
influence incontestable « sui- le développement de la littérature classique,
ainsi que sur l'étude des langues orientales. » Les questions et les ren-
seignements historiques se présentent sur ce terrain en si grand nombre,
que nous ne balançons pas à en répartir l'exposé en deux chapitres : lun
qui fera connaître l'état des études, le genre et la portée des travaux,
l'action prépondérante de quelques hommes; l'autre qui mettra en lumière
les résultats remarquables que l'enseignement du collège a produits dans
la Belgique et au dehors.
Nous donnerions à ce premier chapitre une étendue démesurée, si nous
nous piquions de rendre compte de toutes les particularités dignes d'intérêt
qui appartiennent au sujet; mais dans une matière historique si abondante,
nous ferons choix des choses qui offrent le plus d'importance en elles-
mêmes, et qui tirent aussi quelque prix de la comparaison qui peut être
établie avec les annales littéraires d'autres pays dans la même période.
Le second siècle de la Renaissance présente partout à l'histoire une riche
moisson de faits et d'observations : nous arrêterons notre attention de pré-
férence sur les tentatives et les œuvres qui ont été couronnées d'un succès
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 29i
marqué en Belgique. Les chapitres précédenls ont donné aux lecteurs une
idée du régime intérieur du collège de Busleiden, et une connaissance
préalable de la vie et des travaux des hommes qui y ont enseigné les lan-
gues latine, grecque et hébraïque; dans celui-ci comme dans les suivants,
nous n'avons plus à parler que des seuls professeurs qui ont exercé une
action décisive par leur enseignement sur le progrès des études, ou qui ont
contribué par des œuvres originales à imprimer une impulsion particu-
lière à la grammaire et aux belles-lettres.
La première question qu'il nous importe de traiter en cet endroit, c'est
celle du choix des auteurs, qui présente beaucoup d'intérêt sous le point
de vue de l'histoire aussi bien que sous celui de la pédagogie. Il est cu-
rieux de constater de quels textes grecs et latins on a fait usage dans
les leçons du collège des Trois-Langues, et de quelle espèce d'études et
d'exercices ils ont été l'objet. A l'époque où il fut ouvert, les humanistes
n'avaient encore à leur disposition qu'un nombre limité d'auteurs, et les
maîtres ne pouvaient établir de sitôt une sorte de programme, fixant
l'ordre dans lequel ils seraient lus, et accordant aux meilleurs la plus
large part dans les lectures et les explications de la classe. Bien des fois
on accueillit avec faveur des écrivains anciens qui venaient d'être publiés,
avant qu'un rang leur fût assigné parmi les monuments littéiaires de la
même langue, et bien des fois on continua à lire et à commenter publi-
quement des auteurs latins ou grecs qui avaient été mis à l'étude dans les
leçons privées des pédagogies de l'Université.
Les premiers professeurs du collège de Busleiden, leurs confrères et
leurs amis, qui cultivaient de même les lettres anciennes, ont, sans aucun
doute, admis dans le cercle de leurs études la plupart des écrivains an-
ciens, païens et chrétiens, qui étaient à peine sortis des presses des im-
piimeurs les plus vantés : elle était devenue vaste en peu d'années, cette
collection de classiques, connus et lus en Belgique dans la première moitié
du XYI""^ siècle. Mais il y a lieu de rechercher sur le texte de quels ou-
vrages était mis en pratique l'enseignement de la grammaire grecque et
latine, quel compte on tenait du contenu de ces ouvrages et aussi de la
difficulté de leur diction et de leur style; on est amené à examiner en
292 MEMOIRE SLR LE COLLEGE
même temps quels écrivains chrétiens ont été lus et expliqués dans le
même but, et dans quelle mesure ils ont été employés par les professeurs
en concurrence avec les écrivains de l'antiquité profane ^
Adrien Barland, qui avait enseigné les lettres auparavant à Louvain, et
qui fut le premier des professeurs de latin au collège des Trois-Langues ,
nous a laissé, dans une épître adressée à un autre humaniste, Guillaume
Zagara -, ses opinions et ses vues sur la direction des études d'humanités :
nous en extrairons quelques détails relatifs aux études de littérature latine.
C'est d'Aide Manuce et de J. Despautère que tout maître tirera le mieux les
préceptes essentiels de la langue; il les choisira avec discernement dans
leurs ouvrages fondés sur ceux des ancienis grammairiens.
En vient-il d'abord aux poètes latins, Barland se montre tout autrement
sévère qu'il ne l'a été naguère, alors qu'il favorisait l'étude et la représen-
tation des pièces de Plante, et qu'il composait à cet effet des prologues^.
La lecture de Térence serait faite utilement en premier lieu, parce que
sa latinité est pure, et que le ton familier qui règne dans ses pièces rap-
proche son langage de celui de la conversation dans la vie ordinaire. Cette
raison donnée à l'étude de Térence est sans doute la meilleure , et elle
explique en partie la prérogative accordée alors à ce poète d'être manié
et appris dans les classes. Mais Barland ne s'en tient pas là : il allègue
ouvertement en faveur du même poète que c'est le plus chaste des comi-
ques, et que les mœurs des jeunes gens n'ont rien à en redouter. Quant à
Plante, cette fois il proteste contre son introduction dans les écoles, parce
qu'il rapporte des traits honteux, et parce qu'il se sert d'une diction vieillie,
tombée en désuétude '*.
' Nous n'avons pas à poursuivre spécialement ici ce dernier point de recherches, qui a Irait aux
questions débattues avec chaleur dans ces dernières années; mais des données historiques de quel-
que poids ressorliront de nos aperçus.
2 Deralione sludii. — Hislorica, pp. 276-79. — Cette épître, qui ne porte pas de date, paraît avoir
été écrite quand déjà Barland avait acquis beaucoup d'expérience dans renseiE;nement : s'il n'était
jiUis professeur au collège des Trois-Langues, il parle d'études qui lui étaient communes avec ceux
qui y enseignaient. Voir ci-dessus, pp. 131, 140-42.
* Voy. plus haul , chapitre V, pp. 1 18-21.
* Ijai'Iand, qui n'avait pas toujours pensé ainsi, dit en cet endroit: Nom Plaulus el fuedn
recensée, el obsolHo ulilur diceudi yenere, quod me qiiidem nuiiquam magnopere cepit. — l'rofesseur
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 295
Piaule est-il exclu des collèges, Térence y sera toléré pour servir d'ini-
tiateur à la connaissance de la poésie. Puis vient immédiatement le tour
de Virgile « le meilleur, le plus chaste des poètes latins » , celui, dit Bar-
land, que saint Jérôme et saint Augustin ont beaucoup feuilleté, et même
expliqué à d'autres. Ici, faisant allusion au désir qu'auraient des maîtres
pieux de joindre à Virgile Prudence et Baptista Mantuanus, Barland dit
que, chrétien lui-même, il ne réclame pas contre une telle pratique, et
qu'il admire beaucoup ces poètes chrétiens doués d'un esprit vif et nourri
d'idées élevées K A Virgile succéderait Horace, dont on lirait surtout les
épîtres , et dont on prendrait des odes choisies : Juvénal et Martial seraient
écartés comme ayant peint avec trop de naturel des mœurs infâmes.
Quand Barland passe des poètes aux prosateurs, il donne la première
place à Cicéron, qui a parcouru toutes les régions de l'éloquence et qui
se distingue en toutes choses par la plus heureuse facilité. Des trois histo-
riens qu'il désigne ensuite, il loue davantage le premier, Jules César, dans
les Commentaires duquel le discours est coulant et plein de douceur, la
pureté du langage latin toujours admirable; le second, Salluste, n'est pas
inutile à connaître, quoiqu'il soit novateur dans l'usage des mots plus que
ne devrait l'être un Piomain ; Tite-Live est un auteur d'un grand poids;
mais il semble pécher par le défaut d'être obscur, et c'est un motif de ne
pas le proposer à l'étude de la jeunesse. Parmi les anciens, Pline et
Cicéron seront ensuite les modèles du style épistolaire, comme parmi les
modernes l'italien Philelphe. Barland dirige ici la critique la plus vive con-
tre Apulée à cause de l'estime dans laquelle bien des hommes le tenaient :
non-seulement il l'écarté pour l'immoralité de son sujet-; mais encore il
d'éloquence, Barland s'occupa encore deTérencc, et nn de ses élèves, Reyniarius, pnhlia des gloses
sur ce poète recueillies dans ses leçons. Voy. la liste des travaux d'Adr. Barland, Pièces juslif.,
lettre II. .
' Voici les termes dans lesquels Barland fait cette déclaration : Hnic si quis pietalis amore,
Prudmliiim, ac Baptistam Maiittuimtm piitetmidendos, eqiddem non reclumo qui chrixlianus H vivi-
pci lavacri mijsleriis inUiuUis, Christianos poêlas non modo nonconlemno. sed etium vehemenler
admiror; fuisse enim ulerquc vidctur peracri imjenio et doclrina exiinia.
- Revenant peu après sur les auteurs dont il a déconseillé la lecture dans les cours d'humanités,
Barland prévient l'objection qu'on tirerait de l'exemple de saints personnages et de grands théo-
294 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
blâme sa diclion recherchée, qui entraînera ses imitateurs à tous les dé-
fauts d'un style pompeux et enflé. A cette revue des auteurs, il ajoute des
conseils fort sages sur le genre de travaux et d'exercices qui formera le
mieux l'humaniste à la connaissance du latin et à l'art de l'écrire, et qui
le préparera à la dialectique et aux sciences.
Tout ce programme tracé par Barland, et dont nous venons d'analyser
quelques passages seulement, a de l'importance dans la question qui nous
occupe, et cela sous un double rapport : cai-, il ne semble pas douteux
que ses vues n'aient été partagées par la plupart de ses anciens confrères
des collèges académiques de Louvain, ainsi que par ceux qui ont enseigné
tout d'abord aux Trois-Langues. On reconnaissait à celte époque le besoin
de choisir les auteurs et de les classer de manière à ce que les jeunes gens
puisassent à la fois les règles de la langue et les préceptes du goût dans
les ouvrages qui seraient principalement l'objet des leçons : évidemment
celte tâche de bien choisir les livres était un des premiers devoirs des
hommes appelés à fonder l'enseignement des lettres anciennes, et nous
verrons quel mérite en est revenu aux maîtres les plus renommés de l'in-
stitution de Busleiden.
D'un autre côté, les philologues les plus zélés ont bien compris tout ce
qu'il fallait de prudence et de discernement dans l'élude des anciens, en
présence de la défiance et de l'opposition qui se manifestaient autour
d'eux : maîtres chrétiens, ils se sont gardés d'expliquer publiquement sans
distinction des classiques grecs et latins que l'imprimerie répandait de
plus en plus, et ils ont mis une sage réserve dans la manière de commenter
les auteurs de leur choix.
Nous ne pouvons que rappeler ici les éloges qu'Érasme a donnés aux
professeurs des Trois-Langues pour avoir pratiqué ses avis formels en cette
matière^, pour avoir interprété les anciens avec une si grande chasleié
logii'us qui ont lu ces mêmes auteurs; il est persuadé qu'aucun îles anciens lliéologiens n'ignorail
h poétique; mais il considère le péril qu'il y a pour des esprits non foiniés d'appiendre à combultie
désormais plus faiblement des vices décrits avec tant d'élégance. Probablement des abus avaient
été signalés <lans nos écoles quand Darland, dés la première moitié du XV!' siècle, faisait ces ré-
serves au sujet des anciens, (|iii avaient été lus par tous si avidement.
' Vov'. plus haut, chapitre 111, pp. 58, 62, 79 et 89.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 295
de langage qu'aucun grief.sérieux ne s'était élevé contre eux de ce chef.
Ces hommes accomplissaient leur mission, sans s'inquiéter des cris du
dehors, et, irréprochables eux-mêmes dans leur conduite, ils savaient con-
tenir dans de justes bornes l'ardeur des jeunes gens pour les études nou-
velles oîi ils les guidaient.
La jeunesse qui fréquentait leurs leçons était assidue, appliquée,
persévérante et toujours grave. La sagesse des maîtres et des élèves, à une
époque où si peu d'hommes restaient dans la juste mesure, était un spec-
tacle fort beau sans doute, et bien fait pour valoir aux uns et aux autres
la sympathie et l'admiration d'Érasme : il voyait en 1520 * la jeunesse,
méprisant les « coassements » de l'ignorance, concourir avec enthousiasme
à un mouvement littéraire qui tendait au perfectionnement de toutes les
sciences; il apercevait dans les savants qui la dirigeaient avec une si grande
fermeté de caractère et de vues, une telle retenue dans leurs paroles et
dans leurs leçons, qu'ils devaient se concilier bientôt la faveur des
hommes d'intelligence et de cœur.
Quand on considère la destination des leçons de latin au collège des
Trois-Langues, ou dans tout autre établissement de Louvain, on ne peut
oublier non plus les nombreuses applications que recevait à cette époque
la connaissance de cette langue , dans toutes les sciences alors cultivées et
dans toutes les carrières libérales : il va de soi que les maîtres qui étaient
chargés de son enseignement ne perdaient pas de vue que la lecture des
auteurs n'était qu'un moyen pour la plupart de leurs élèves; c'est ce qui
donna une direction plus pratique à la leçon de latin qu'aux deux autres
leçons, même pendant le premier siècle du collège. Sans apporter ici des
preuves détaillées de la popularité du latin dans la vie publique aussi bien
que dans les écoles, nous montrerons suffisamment les longs efforts que
réclamait la culture de l'ancienne langue de Home, comme organe uni-
' Letlic à Gocleniiis. Bruges, 12 aoùl 1520 (Episl., t. 1, p. 569): Félix jiwentiis nostra qnaeiu
hocseculun uidikrU.... Quo magis obslrepunl ci ^y-py-x^ , hoc macjis iic maçiis giiscll ardorjuveniiw.
spretis illiteratis lileris, ad meliora grassantmm llitid in primis mihi semper in utroque vestrum
placuit, quod ni mores absunt ab omni titrpitiuline, iUi casia est et professio, ncque lasta soluin , ve-
riim etiam modesta. Qiiidenim sensuri suni cordaliviri, quuni audient Lovanii poelices ac rhelorices
professionem nec obscoenitatis habere quicqnam, née maledicenliae, etc. Cfr. Ep., p. 634. Basil., 1 52 1 .
Tome XXVIIl. 39
296 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
versel des hommes éclairés, comme instrument des relations scientifiques
ou littéraires. La connaissance des classiques anciens et le désir de les
imiter élargirent de beaucoup le domaine de l'idiome latin qui avait suffi
aux besoins intellectuels des siècles antérieurs : les latinistes des Pays-Bas,
comme ceux de l'Italie, en vinrent presque aussitôt de la publication et de
la critique des textes à la création d'une nouvelle littérature latine, dont
les formes furent calquées en partie sur celles de l'antiquité. Les langues
vulgaires ne purent le disputer alors à la langue privilégiée des classes
élevées, au latin, qui recevait du public lettré et de l'opinion générale la
confirmation de ses droits de primauté : on revendiquait pour elle les com-
positions légères comme les œuvres sérieuses, et on lui demandait l'idéal
de l'urbanité et de l'élégance, quand on voulait parler ou écrire pour les
gens instruits, converser ou exposer en prose, badiner ou chanter en vers.
S'il y eut un genre de composition où nos latinistes ont calqué de près
le style des anciens, ce fut bien cette poésie latine de toute longueur, de
toute mesure, qui occupa tant d'esprits distingués, et qui trouva une si
grande faveur en dehors des classes et loin du cabinet des savants. En Bel-
gique comme en Italie, la poésie latine fut un champ de rivalité pour les
modernes avec les anciens ', et bien des hommes qui se sentaient de la
verve et de l'inspiration s'y évertuaient exclusivement, pleins de dédain
pour l'une ou l'autre des langues nationales.
L'histoire, réduite encore à la forme de chroniques, continua à être
écrite en latin; mais ce ne fut qu'au bout d'un siècle que l'étude des his-
toriens de Rome donna à nos annalistes une idée plus élevée de la science
qu'ils traitaient 2, et leur communiqua l'art de l'exposition et les qualités
sévères du style historique.
De tous les genres de composition en prose qui jouirent alors des suf-
frages de l'opinion, YÉpUre et le Dialogue furent certainement les plus culti-
vés et les plus favorisés.
' Vov. Heeren, Gesch. cler ctass. Literattir in Mittelaller, B. Il, p. 329.
- Les Italiens, qui avaient déjà au XV"'<^ siècle écrit l'histoire à Timitation des anciens, avaient
pris trop de soin de la forme et amassé les faits sans discernement. Voy. Heeren, ibid.. t. 11.
pp. ô4j-3-i6.
DES TROIS-LANGUES A LOUV AIN. 297
L'épistolographie, dans laquelle on se piquait de suivre l'exemple et le
goût des anciens, prit bientôt des proportions considérables; c'est dans ses
recueils que nous trouvons l'échange des idées et des vues qui se faisait
alors avec une étonnante activité entre toutes les écoles, entre tous les
centres d'études. Les habitudes et les relations des savants, les travaux de
l'enseignement, l'influence et les progrès incessants des lettres y sont re-
tracés comme dans un tableau vivant et animé. Le caractère des hommes,
les vertus et les passions du temps y sont exprimés avec naturel et vérité,
dans un langage familier, qui prend quelquefois les grâces et l'élégance,
l'ironie et le mordant des prosateurs anciens. Malgré la renommée des
latinistes de l'Italie dans le genre épistolaire ', les humanistes des Pays-Bas
atteignirent bientôt un si haut mérite en ce genre, que leurs lettres réunies
et publiées bien des fois furent lues avec avidité dans toute l'Europe.
Érasme leur avait donné un exemple qui profita à beaucoup d'entre eux,
et vers la fin du même siècle, l'épistolographie représentée par Juste Lipse,
André Schott et tant d'autres, assura longtemps à nos écoles d'érudition
et de critique le maintien de leur premier empire.
Le dialogue latin partageait dans la même période les honneurs faits à
l'épître : il consacrait, avec l'imitation du style des prosateurs classiques,
celle d'un eenre dont les deux littératures anciennes offrirent bien des
modèles; il admettait la manifestation des opinions de l'époque, et en
comportait même une discussion aussi animée que celle qui avait lieu dans
la vie réelle. Les dialogues qui furent écrits par une foule d'humanistes,
à l'envi de ceux d'Érasme, étaient, comme les épîtres, des travaux de
cabinet, dont la minute était soigneusement revue et bien des fois corrigée.
Qu'on ajoute à ces deux espèces de productions les discours académiques,
les déclamations de morale et de politique, les oraisons funèbres, on aura
une idée de la variété des matières sur lesquelles s'exerçait le talent de
quiconque se sentait le goût d'écrire en latin.
L'autorité de quelques œuvres de la nouvelle latinité parut si grande,
qu'on les prit quelquefois pour texte des leçons de grammaire et de philo-
' Voy. Heeren , op. cil , t. Il, pp. 328-329.
298 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
logie; si on avait lu en Italie et en Europe, comme productions classi-
ques les lettres de Philelphe, celles d'Érasme eurent la même prérogative
dans les Pays-Bas, et des philologues estimés, tels que Barland, firent à
Louvain même des extraits de ses traités les plus célèbres à l'usage des
classes ^ Le service éminent que rendit Erasme aux latinistes du BeUjimn,
c'est celui de les avoir préservés de cette tendance qui avait prévalu en
Italie, touchant l'imitation exclusive de Cicéron : il leur fit sentir le prix
des autres auteurs classiques pour mettre en œuvre toutes les ressources
de la bonne latinité , et il donna l'exemple d'un sage éclectisme dans l'étude
et l'imitation des anciens. En retraçant, dans un dialogue célèbre, le
Ciceroniamis , la querelle qui divisait alors les humanistes dans toute l'Eu-
rope, et en critiquant les prétentions de Chr. Longolius ou Longueil. il
a donné de justes éloges à ceux de nos philologues qui s'étaient tenus
dans de justes bornes, qui avaient atteint à une élégance toute cicéro-
nienne, sans s'asservir à l'emploi des seules expressions de Cicéron : sans
nul doute, il a ainsi maintenu, chez ceux qui ont enseigné de son temps
et après lui, des idées saines qui sont entrées dans leur méthode et dans
leurs livres, et grâces auxquelles nos écrivains se sont gardés fort long-
temps de tout excès. Le sens droit qui fut en partage aux uns et aux
autres donna raison à la sagacité de sa critique.
Les professeurs de latin du collège des Trois-Langues restèrent dans
la voie qui leur était tracée par les opinions et par les écrits non-seule-
ment d'Érasme et de Vives, mais encore de Dorpius, de Barland et des
humanistes de la même génération. Goclenius, qui vit accourir à ses leçons
pendant tant d'années la jeunesse de Louvain^, donna la première place
à Cicéron parmi les auteurs qu'il commenta publiquement; il lut tour à
tour la plus grande partie de ses discours et de ses traités; il composa
même sur le livre de Officiis, des annotations critiques dont Érasme tira
parti dans deux éditions de ce livre données à Bàle, en 1555 et en 1555^;
* Encore en 1521, Barland a publié un abrégé des Adages d'Érasme, chez Th. Martens. {Bio-
graphie ciléc, n" 172.)
- Voy. la notice biographique sur Goclenius, au chap. VI, n° 2, pp. 143 el suiv.
-' Dans son Historia litleraria Ciceronis, le savant Orelli cite un exemplaire des Officia, revus et
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 299
mais Goclenius n'entraîna personne dans une admiration exclusive pour
l'auteur sur lequel il s'était livré lui-même avec plus de soin à une étude
longue et approfondie. Son successeur, Nannius, parcourut dans ses
leçons un cercle plus étendu de prosateurs et de poètes latins; mais parmi
les premiers, il comprit toujours Cicéron, et parmi les seconds, il lut
de préférence Virgile et Horace; enfin Cornélius Valerius, qui occupa la
chaire de latin dans la seconde moitié du même siècle, sut baser son
enseignement sur une étude simultanée de Cicéron et de Virgile, sans
proscrire la lecture ou l'imitation des écrivains qui peuvent être comparés
avec avantage à ces maîtres de la latinité. La méthode de Valerius fut
justifiée par un double succès; elle forma d'excellents latinistes qui bril-
lèrent également dans des écrits fort variés par leur sujet, et elle pro-
duisit en même temps une école de critiques qui appliquèrent au choix
des leçons et à la correction des textes une connaissance parfaite du génie
de la langue latine, de ses élégances et de ses finesses. Ce ne fut point la
faute de Valerius, s'il y eut, par exception entre ses élèves, quelques-
uns, même des plus distingués, qui méconnurent l'autorité des vrais clas-
siques latins et popularisèrent d'autres auteurs. Mais ce sera seulement
dans le siècle suivant que se manifesteront les suites funestes de cet aban-
don des saines doctrines littéraires qui avaient eu si longtemps à Louvain
leur foyer au collège de Busleiden.
Recherchons maintenant ce qui s'est fait pour l'enseignement de la
langue grecque. Il semble que, pour cette langue bien plus encore que
pour le latin , on s'attacha tout d'abord à quelques ouvrages un peu au
hasard, faute de posséder la série des meilleurs auteurs et d'y faire un
choix avec connaissance de cause. Rescius , comme nous l'avons dit
ailleurs ' , put se méprendre dans les premiers temps de son enseigne-
ment sur les fruits que les élèves pouvaient tirer de la lecture de livres
publiés par Érasme, en 1520 (Basileae, ail pp. in-4"), conservé à Goeltingue et cliarç;é de notes
manuscrites de Goclenius; on lit à la table : Frobenius Conrudo Gocleiiio doiio (ledit , liic vero notis
jihilosnphico-crilicis copiosissimis itiiistravit. Voy. Onomnsliam Tiilliammi. Fars I, Turici, 1856,
pp. 344-345.
' Voy. plus haut, chap. VII, n° 1, pp. 203 cl suiv.
300 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
d'un genre irop spécial ou trop sérieux; mais il ne tarda pas à reconnaître
les ressources d'instruction bien plus grandes qu'ils trouveraient dans des
auteurs d'un abord facile, d'une étude agréable, tels que Lucien et surtout
Xénophon. Si Rescius, comme professeur, manqua de discernement ainsi
que d'assiduité, il ouvrit l'accès de sources fort nombreuses aux plus vigi-
lants de ses auditeurs, et leur fournit les armes de l'érudition. Amerotius,
qui lui succéda, s'occupa davantage de la grammaire; il répara les lacunes
que le manque de méthode avait laissées dans l'enseignement de Rescius,
grâces à l'expérience qu'il avait acquise en professant de bonne heure le
grec au collège du Lis. Son mérite de philologue ressort assez de son beau
travail de grammaire; mais on ignore quels auteurs il a expliqués dans
ses leçons publiques au collège des Trois-Langues. On ne sait non plus
rien de positif sur les ouvrages grecs qui furent adoptés après lui par
Th. Langius, connaissant fort bien lui-même toutes les sources publiées à
son époque : on ne peut que conjecturer qu'ils ont l'un et l'autre donné
place dans leurs cours à des écrits de la littérature grecque profane et à
quelques traités de Pères de l'Église grecque *. Le nombre des auteurs an-
ciens, grecs ou latins, lus et interprétés dans les leçons, fut probablement
limité, soit en raison de la méthode adoptée par chaque maître, soit eu
égard à la convenance plus ou moins grande des sujets qu'on voulait étu-
dier. Mais il faut juger en même temps le mouvement littéraire, issu du
collège des Trois-Langues, d'après les travaux de philologie, de littérature
et de critique librement accomplis par les professeurs qui lui appartenaient
ou par des érudits qui travaillaient de concert avec eux. En examinant la
série de leurs ouvrages, on aperçoit sans peine que c'est à leur initiative
qu'ont été dus en grande partie l'accroissement rapide et la prospérité
des études de langues et d'érudition anciennes dans la Relgique du XVI"'"
siècle. Sur cette seconde question, les faits abondent : on n'exigera pas
de nous autre chose qu'une revue sommaire.
Il est impossible de séparer, dans cette recherche, les professeurs de
' Dans la période de leur enseignement, des traductions du grec en latin , dont il va être question
bientôt, celles de Nannius, \y,u- exemple, Juroiil répandre le goût d'entendre expliquer des au-
teurs chrétiens à côté d'ouvrages païens.
DES TROIS-LANGLES A LOUVAIN. 501
Busieiden de leurs protecteurs et de leurs amis , et même de l'artiste intel-
ligent et désintéressé qui les a secondés si puissamment par ses efforts
personnels, Thierry Martens. Nous avons indiqué précédemment les heu-
reux effets du concours que ce premier imprimeur prêta aux travaux de
l'Université, en se fixant à Louvain au commencement de ce siècle ^
C'est maintenant le lieu de déterminer sous quel rapport il concourut à
l'avancement des belles-lettres, et jusqu'à quel point il réalisa les projets
littéraires de ses savants amis. C'est de ses presses que sortit en un petit
nombre d'années cette série considérable d'éditions grecques et latines, qui
étaient le fruit des veilles de quelques-uns, mais qui devaient servir d'ali-
ment aux études et à l'activité d'un public tous les jours plus grand.
Tout ce que nous savons de l'histoire de Martens ^ nous le montre en
relation d'intime amitié avec les humanistes les plus actifs de Louvain, et
avec quelques fervents amis des lettres habitant d'autres villes. S'il rece-
vait d'eux des conseils, il s'associait à leurs espérances, et c'est à lui seul
qu'ils ont dû bien des fois la publicité de leurs travaux. Les uns, faisant
autorité dans la science, le poussèrent à de grandes et nouvelles entre-
prises; les autres, après avoir été d'abord les correcteurs de ses manu-
scrits et de ses épreuves, préparèrent eux-mêmes des publications qui
mirent en relief son imprimerie. Érasme, Dorpius, Barland, Rescius et
bien d'autres^, ont contribué de bonne heure à la renommée de ses ateliers,
et, quand le collège des Trois-Langues fut ouvert, les mêmes hommes
l'attachèrent de plus en plus à sa cause, qui était celle des langues et des
lettres. Dès lors, Martens, admirateur comme eux des plans de ,1. Bus-
ieiden, fut animé d'un vrai sentiment d'émulation *, et il ne négligea rien
pour associer son nom aux travaux difficiles de la nouvelle école.
Les ouvrages de littérature latine publiés par Thierry Martens le cèdent
en importance à la collection des ouvrages grecs, dont le nombre jusqu'ici
' Voy. chap. 1, § II, pp. 21-23.
^ Le 1'. van Iscghem, dans la Biographie iéya cilée, en a rassemblé et discuté les circonstances
connues, dans plusieuis chapitres qui précèdent la bibliographie de ses éditions.
' Voy. la Biorjraphiv de Th. Martens, pp. 90 et suiv., pp. t 12-1 41.
'' Voy. sa préface au lecteur en lèle d'un recueil d'opuscules latins, publié en novembre 1318.
Bibliographie, n° 130, texte, pp. 288-289. Trad. franc, par le P. van Iseghem , pp. 137-138.
->()2 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE
connu , monte à plus de cinquante volumes : cet imprimeur avait déjà fait,
en 1612, une fonte de caractères grecs; mais quand l'ouverture des leçons
lui lit présager un plus grand développement de l'étude de cette langue, il
s'efforça de perfectionner les types de ses caractères, et il se mit à impri-
mer les auteurs classiques avec une prodigieuse activité '. Comme c'est sur
l'avis de ses doctes amis, et sans doute avec leur concours, qu'il donna à
tous ces textes une correction qui égale la netteté de leur exécution typo-
graphique, nous pouvons juger facilement du vaste cercle des ouvrages
qui occupaient les veilles de nos philologues.
De la connaissance de quelques traités de Lucien, naguère traduits par
Érasme, on avait passé fort rapidement à celle des auteurs les plus célèbres
de la littérature grecque : on les lut avec avidité dans les éditions grecques
de Thierry Martens, qui le disputaient en valeur aux premières éditions
faites en Italie. La plupart des livres et des dialogues de Lucien furent
publiés successivement à Louvain; l'Iliade et l'Odyssée parurent, en 1525,
avec tout l'éclat dont l'art était capable; des tragédies d'Euripide, le Plutus
d'Aristophane, les Idylles de Théocrite, les Fables d'Esope, des dialogues
de Platon, plusieurs des traités d'Aristote, plusieurs des discours de Dé-
mosthène, l'histoire d'Hérodien, quelques opuscules moraux et historiques
de Plutarque, la Cyropédie de Xénophon et deux autres de ses ouvrages,
virent le jour avant 1529, année de la retraite du laborieux typographe à
Alost, sa ville natale. Les éditions qu'il avait répandues de Louvain dans
tout notre pays, satisfirent la juste curiosité que les lettres grecques, si
peu connues, devaient encore exciter à cette époque. Versé lui-même dans
les langues, Thierry Martens s'est adressé quelquefois en littérateur à son
public dans la préface de ses éditions ; il parle de l'essor des études litté-
raires et de l'enthousiasme avec lequel la jeunesse les poursuit; il va même
jusqu'à faire l'éloge de la comédie grecque, et donne des regrets à la
perte des pièces de Ménandre, dans une épître dédicatoire de son Plulufi
(1518) aux étudiants de l'Académie de Louvain -.
' Van Isegheiu, p|i. 104-106.
- Dans la Biographie, le P. van Isegliem a pris soin de traduire cette piquante épitre (pp. 154-
l.ia), dont il donne aussi le le.\te latin dans la descriplion de l'édition du Plutus, pp. 279-280.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 303
II est bien juste de vanter Thierry 3Iartens comme un type de l'ancienne
probité, rehaussé par le dévouement le plus noble aux intérêts intellec-
tuels et moraux que son art pouvait servir : il a porté dans les affaires une
droiture et un désintéressement qui aurait manqué, du moins au même
degré, aux Froben de Bâle et à d'autres imprimeurs vantés de l'époque.
11 est un fait dont le rapprochement tourne à la gloire de Martens : c'est
l'infériorité des impressions grecques de Paris comparées aux siennes,
avant qu'il existât dans cette capitale un imprimeur privilégié pour la
langue grecque ^ François F"" entendit donner aux belles-lettres un en-
couragement efficace et direct, quand il institua, par lettres patentes du
17 janvier 1558, le premier imprimeur royal pour le grec, qui fut Conrad
Néobar, et non pas Ptobert Etienne. Tout ce que Crapelet dit à ce propos
de l'influence de l'imprimerie sur la littérature s'applique avec une exacte
vérité aux tentatives de Thierry Martens.
Du moment oîi les humanistes avaient entre les mains cette grande
abondance de textes originaux^, la philologie grecque allait prendre à
l'Université de Louvain une importance presque égale à celle de la philo-
logie latine; les progrès de l'une augmentèrent les forces de l'autre. Des
travaux de plus d'une espèce furent dès lors enti-epris concurremment :
la grammaire grecque fut cultivée pour elle-même et mise en rapport avec
l'étude grammaticale du latin; les formes et les règles en furent apprises à
l'aide d'une analyse rigoureuse de textes choisis. Sans doute, dans un col-
lège organisé comme celui des Trois-LangUes, l'enseignement était gradué ,
et en dehors des leçons, déjeunes hellénistes plus avancés que les autres
étaient dirigés, par les professeurs dans la lecture de nombreux auteurs. I^a
lâche personnelle des maîtres s'étendait de l'enseignement à la science : elle
consistait alors dans le double soin de corriger ou même d'éditer les textes,
' M. Crapelet a publié ces lettres, d'après un manuscrit de la bibliothèque Mazarine, dans sa
curieuse brochure : Des progrès de l'imprimerie en France et en Italie au XVI"" siècle , etc. Taris,
Crapelet, 1836, in-8°, pp. 27-39, 43-43.
2 Dans l'année même de leur publication et dans les suivantes, la plupart des auteurs furent
imprimés à BAle, .'i Paris et dans d'autres villes étrangères, et quelquefois ces éditions n'étaient que
des contrefaçons de celles de Th. Martens ou de B. Gravius : les Froben, bien qu'amis d'Érasme,
n'avaient sur ce point aucune délicatesse.
Tome XXVIII. 40
504 MEMOIRE SUR LE COLLÈGE
et de les traduire ou de les commenter. Us purent bien quelquefois céder
à la satisfaction de tourner quelques vers grecs ou d'écrire une épître
grecque; mais ils s'appliquèrent surtout à l'élude des monuments, et
travaillèrent à leur vulgarisation, selon les besoins de cette époque.
Le premier professeur de grec au collège des Trois-Langues, Rescius,
prit de préférence le rôle d'éditeur, et c'est avec le concours d'un libraire
diligent, Barthélémy Gravius, qu'il mit au jour, à partir de l'an 1529,
plusieui*s textes importants revus par lui-même. Sa propre expérience lui
ayant fait reconnaître le prix des œuvres deXénophon, il donna tout d'a-
bord une édition des MemorabUia Socralis ' et lit paraître ensuite quelques
écrits de Lucien (1551), les Lois de Platon (1551) les Apliorismes d'Hippo-
crale (1555), quelques textes d'Homère (1555) et la traduction grecque des
Institutes par Théophile (1556). Dans plusieurs de ces travaux, Rescius
fit autre chose qu'une reproduction de livres grecs déjà imprimés; il eut
la bonne chance de corriger les textes sur l'examen et la comparaison des
manuscrits, par exemple dans son édition d'Hippocrate - et dans celle des
Institittiones juris avilis ^. On attribue encore à Rescius et à son associé la
publication d'autres éditions grecques, des livres d'isocrate et de Plu-
tarque, des traités de saint Basile et de saint Jean Chrysoslôme *. Barthé-
lémy Gravius survécut à Rescius^; mais sa maison ne poursuivit pas le
cours de publications semblables en langue grecque, et une autre maison
d'imprimerie ne s'éleva pas à Louvain pour reprendre avec le même zèle
que Th. Martens et Rescius, l'impression d'ouvrages considérables en lan-
gue grecque ou latine. Les hommes qui professèrent le grec au collège
des Trois-Langues dans le milieu du même siècle s'occupèrent eux-mêmes
* Cette édition de Xénophon parut quand Rescius avait encore J. Sturm pour associé. Voy. plus
liant , chap. Vil, n" I , pp. 206-207.
- Aphorismi Hippocralis ex diversorum graecorum codicum collnlione recogniti, variis eoriwt-
dtm leclionibus passim ad margines annotatis. I^ovanii , Barlliolora. Gravius , i oôô , in-8°.
^ Paquot {Fasti, t. I, p. 508) nous apprend que Rescius s'est servi dans cette édition d'un ma-
nuscrit que Viglius Zuicheniius avait acquis en loôô à Venise, et qui avait été copié sur un ancien
manuscrit appartenant à J.-Bapt. Egnatiiis.
' Voy. Maitlaire, Annules typographici , t. II, p. (jô, et le Bulletin du Bibliophile belge, t. IX,
1852, pp. 256-237. Les recherches faites sur ce terrain ne l'ont pas encore épuisé.
5 Vov. sur la vie de B. Gravius, mort en ISSO, le Bullelin cité ci-dessus, pp. 234-260.
DES ÏROIS-LANGUES A LOUVAIiN. 303
moins de la publication des textes que de l'enseignement philologique,
et, quand vers la lin du siècle leurs élèves les plus distingués que nous
mentionnerons bientôt mettront la main à des éditions grecques d'ouvrages
importants encore inédits, c'est à Anvers, chez Christophe Plantin, ou
dans une ville de l'étranger qu'elles seront exécutées.
Nous passons maintenant à l'examen du second moyen à l'aide duquel
les maîtres et, à leur exemple, les élèves du collège de Busleiden ont
fait avancer la philologie ancienne : l'herméneutique prêtait secours à la
critique; la traduction des œuvres grecques en latin était le complément
du travail entrepris pour éditer des textes originaux. Rescius avait ouvert
cette voie; mais aucun de ses collègues n'y est entré avec plus de résolu-
tion que P. Nannius, qui a élaboré la version latine d'une foule d'auteurs
grecs sacrés et profanes *. C'était là un travail d'urgence sous plus d'un
rapport : une bonne version était le meilleur des commentaires, et elle
enrichissait tous les jours la science grammaticale d'observations puisées
directement aux sources ; le caractère d'universalité et la puissance d'in-
vention, qui sont propres à la littérature grecque, se révélaient mieux de
cette sorte au public qui ne lisait pas encore les originaux, et les œuvres
traduites élégamment en latin formaient un précieux appendice des œu-
vres de l'esprit romain, étudiées alors par tout le monde. Il y avait donc
profit dans ce labeur pour le progrès de l'étude des deux langues et des
deux littératures anciennes; les promoteurs les plus éclairés de cette étude
l'avaient bien compris, et l'on avait vu Érasme interrompre les écrits de
son goût pour donner à ses contemporains la première version de quel-
ques ouvrages d'isocrate, de Lucien 2, de Plutarque, d'Euripide, ainsi
que de plusieurs Pères grecs. Nannius ne recula point devant les difiîcultés
d'un travail semblable sur des monuments qui n'avaient pas encore été
traduits. 11 l'entreprit consciencieusement ^, et eut le mérite non-seule-
ment de laisser des versions d'une importance considérable, telles que
' Voy. plus haut, chap. VI, ii° 3, pp. d 52- 156.
"^ Gocleniiis avait aussi traduit, en 1522, YHermolime de Lucien (voir p. 145).
5 Les traductions de Nannius furent très-recherciiées, et elles furent réimprimées presque tou-
jours en pays étranger : les réimpressions se rencontrent plus facilement que les éditions originales.
306 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
celle des œuvres de saint Athanase, mais de donner à ceux qui vinrent
après lui l'idée d'une bonne traduction, des conditions qu'elle requiert, et
des efforts particuliers que réclame le génie distinctif de certains auteurs.
Nous laisserons parler sur ce point Nannius lui-même, dans la dédicace
de sa traduction d'un discours de Démosthène sur l'immunité contre
Leptine, à un de ses protecteurs, Nicolas Olahus, conseiller du roi Ferdi-
nand et de la reine Marie de Hongrie^ : Bis couyressiis sinn cum liac transla-
tione, bis inclioalinn ojms de manibus abjeci, terlià vel felicius, vel ])(tlicmius
auspicalits incepla absolvi. Dici non potest quam aegrc patiatur Demostlicnes sua
scripla alienis manibus conlrectari , ila ut videaris libi vel Hercuii clavmn , vel Jovi
fnlmen extorquere. In Luciano feslivilas salium , eliam in translatione qualicunque
multum suae graiiae i^etinet. In Plularcho dignilas rerum, el undecunque ab
omnibus scriploribus petili flosculi midlum sui veris , el amoenitatis in aliéna lingua
conservant. Uasilii et Chrysostomi explanatissima facilitas sine salebris interpretem
Iranmiittunt (sic). Platonis illa beatissima luxuries non ita jejune a translalore
tractari potest, quin semper plwimum suae copiae ostentcl. Thucydides et Herodotus
historiae commendatione fastidium sui non movenl , licel aliéna linyua loquantur.
Demostkenes contra ut est serins, ucer, viribus mayis pollens, quam ornatibus
florens, verbis paucissimus, sententiis uber, non oblectalioni , sed victoriae inser-
viens, summam requirit in vertendo dexteritatem. Si fusius illum trans feras, périt
acumen, involucris verborum hebelatum. Si eodem numéro vocum , périt dicjnitas,
ac nonnunquam sententia : saepe enim lingua Latina non nisi per anfractuosam
vieplfpa.'yiv , Graeca scripta explicai^e potest. Quid autem facias in vocabulis TAu^r,iioiz,
cum sententia autoris omnia significata simul respicit ? quibus nisi opponas idem
vocabulum aeque mlùl^YiiJLov , omnis argutia funditus intercidit. Cum vero res ita
alienae stmt a Romanorum usu, ut vix longo Iractatu innotescere queant , quules
inultae sunt in Imc oratione , quae tamen a Demoslhene unico verbo exprimimlur,
nlpote quae notissima erant Graecis liominibus : ibi si evageris ad interprclaliu-
' Nous reproduisons le texte de l'édition de Paris, faite la même année que l'édition originale
de Louvain, qui parut chez B. Gravius, en 1.^42 : Demostftenis de immunitate adversus Lepiinem
oratio Petro Nannio Alcmariano inlei-prelc , Lovanii in collegio Trilingui latinarum lilterarum
profcssore. Parisiis, ap. Cli. Wecheluni, M. D. XLII, in-4°. (Epist. nuncup., pp. Ô-6.) La même
version fut réimprimée à Bâle, en 1544, in-l2. Voy. Paquot, t. III, not. sur Nannius, n° 15, p. 125
DES TROIS-LA^GUES A LOUVAIN. 507
nem vocum , et rerum incognilarum , et emblemalis TtapîvOéaewv, orationem distendis,
non Demosthenem reddere , sed (jrammaticum referre videberis. Jam omnis siibti-
litas , quae teste Cicérone in hac oratione summa eut , ex temii fit arida , ex sobria
jejuna , ex séria fil tristis , si in aliam linyiiam refundas : semper enim nescio quid
nativi succi ex refitsione adimilur. Illa qiioque Demostlienis in rejiciendo ciUtu dic-
tionis simplicilas , apnd ipsum elegantiam cum proprietale , apud hiterprelem sentes
et liorrores liabet : nisi fartasse talis arlifex, qitalis Cicero, aut Ciceroni similli-
mus accédât. Nec mirum, cum verba verbis fere rcpendenda sint , iisque interpres
vel sua inscitia vel Latinae lingiiae inopia careat. Si addis amoenitates , lascivien-
tem aliquem, non Demosthenem illum serium ; si verborum aliquam copiam adjun-
gis, luxuriosum, non Demostlienis brevitatem repraesentes. Si compenses alibi, ubi
alibi in reddendu dignitaie victus fueris, ambiliosus imitator , non religiosus trans-
lator existimaberis. In summa, ille de Graecorum usui notissimis loqiiebatur, ac
proinde mdlas obscurilates liabuit : tu de legibus , ritibus ignotissimis Romano foro,
iisdem verbis, velis nolis, cogeris loqui, nisi velis paraphraslen agere, a quo nu-
mine quaeso impetrabis, ut obscurilate careas?
Les exercices auxquels se livra G. Canterus pendant son séjour au col-
lège des Trois-Langues , sous la direction de C. Valerius, nous appren-
nent que l'on s'y efforçait de mettre dans un rapport étroit les études
grecques et les études latines. Quoiqu'il ait montré plus tard une prédi-
lection marquée pour les premières, G. Canterus s'était rendu dans sa
jeunesse habile à écrire en grec et en latin, et il avait été initié même à
l'hébreu; il s'était exercé, à Louvain, dans tous les genres de composi-
tion; chaque semaine, il avait la coutume de rédiger des épîtres grecques
et latines, et souvent il le lit avec bonheur. 11 s'appliqua beaucoup à la
version latine des écrivains grecs, traduisant d'ordinaire les poêles en
vers; quelquefois il s'occupa de la composition de comédies qui n'étaient
pas sans mérite ^ C'est sur le fond solide de connaissances philologiques
acquises d'abord à Louvain, que G. Canterus édifia son savoir, qui s'ac-
crut encore par ses études poursuivies à Paris -, et dans plusieurs villes
« Suir. Pétri, De Scriptoribus Frisiae , decasXlC (édit. 1G99, pp. 201-203).
2 Années 1560-1562. — Jean Dorât ou d'Aurat, qu'il eut pour maître à Paris, était le 8""' pro-
fesseur de grec au Collège royal (Goujel, Mém. sur te Coll. de France, 1. 1, pp. 404-460).
508 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
de France, d'Ailcinugne et d'Ilalie : il n'est pas superflu de noter que
c'est d'après les conseils de C. Valerius que G. Canterus entra de bonne
heure en rapport avec les hellénistes étrangers.
Avant de clore ces considérations sur les travaux qui fondèrent en Bel-
gique la philologie grecque et latine, nous ne pouvons nous empêcher de
jeter un coup d'œil sur la part qui fut faite dans ces travaux aux monu-
ments du christianisme primitif, à côté de ceux de l'antiquité païenne;
nous le faisons à un point de vue historique, aimant à penser que des
hommes d'opinions fort opposées apprendront volontiers ce que voulaient,
ce que pratiquaient nos humanistes au second siècle de la Renaissance.
Les maîtres prirent connaissance de toutes les sources anciennes, à me-
sure qu'elles tombaient dans le domaine de la science, et même ils coopé-
rèrent à leur publication sans alarmes, sans fausse crainte; mais, quand
l'enseignement philologique réclama la lecture des anciens, on ne donna
pas l'entrée des classes à tous les auteurs indistinctement, et, s'il y eut
méprise ou inadvertance touchant quelques poètes, tels que Plaute ou
Aristophane, il est à présumer que la chose fut passagère. Érasme lui-
même , qui a eu la faiblesse d'imiter les satiriques et les comiques anciens
jusque dans leur licence, n'a pas érigé en principe qu'il fallait accorder
à tous les classiques la même place dans l'éducation , sans égard à la
moralité de leur sujet ou de leur langage. Les restrictions sur lesquelles
on s'entendit n'entravèrent point les progrès de la haute érudition.
Puis , ces mêmes hommes qu'on a taxés d'un dédain calculé pour les
œuvres de l'antiquité chrétienne , non-seulement les ont hautement appré-
ciées , mais encore en ont recommandé instamment la lecture et l'étude.
Il importe de dire que les écrivains de la plus grande autorité l'ont prouvé
par leur propre exemple, qui n'a pu manquer d'efficacité : ainsi l'avis
d'Erasme et de Vives a dû se faire sentir heureusement dans notre pays
et même y prévenir des écarts.
Érasme avait lui-même étudié les Pères grecs, et il a compris dans ses
œuvres des études qui accompagnaient le texte des Pères latins, tels que
Arnobe et saint Cyprien ; il a encouragé ses amis d'Oxford, qui travaillaient
sur les mêmes sources, et il a soutenu Vives dans son grand travail
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 309
critique sur la Cilé de Dieu de saint Augustin K Nous nous bornerons à un
seul fait qui se rattache à la direction donnée aux études de philologie au
collège des Trois-Langues : voulant, en 1527, dédier à son ami Nicolas
Warry, dit Marvillanus -, sa version du Traité de saint Jean Chrysoslôme
in Dabylam, Érasme a parlé de l'éloquence de cet illustre pontife avec une
admiration sincère qui le rend éloquent lui-même. 11 offre à Warry, prési-
dent du collège des Trois-Langues, une œuvre oratoii-e qui sera lue avec
grand fruit par la jeunesse de ce collège, et qui servira très-bien de modèle
à ses exercices; il lui semble que ce petit livre de Chrysoslôme ne le
cède point aux discours des orateurs profanes sous le rapport de l'élé-
gance de la diction , de l'habileté du raisonnement, et de la richesse de
la composition, et que c'est merveilleux de voir avec quel éclat de cou-
leurs le génie de l'écrivain a exposé un sujet fort simple en lui-même;
c'est là ce qui en augmente l'intérêt pour qui en fait un objet d'étude.
« Et puis, dit Érasme 5, qu'y a-t-il de plus utile au premier âge que d'ap-
prendre à la fois la langue et l'art oratoire de ces auteurs, dont le lan-
gage ne respire pas moins le Christ que Démosthène? »
Dans bien des écoles Érasme avait vu des hommes, entraînés vers les
auteurs païens par leurs études oratoires, montrer une injuste aversion
pour l'éloquence des Pères, et rechercher plutôt « ce qui les éloigne du
Christ*. » Pour lui, il réserverait par principe la lecture des auteurs
païens aux maîtres, mais ne conseillerait pas de les expliquer aux jeunes
gens. Sans prendre à la lettre le mot d'Érasme dans ce passage, on a lieu
de croire que, frappé des abus, il réclamait dans le choix des ouvrages
une réserve qu'on avait méconnue dans le premier élan de l'enthousiasme
' Voy. Mémoire sur la vie elles écrits de Vives, par l'abbé Namèche, pp. 23-24, pp. 97 etsuiv.
2 Voy. sur ce personnage et ses relations avec Érasme, le cbapitre IV, pp. 99-101 , et les pièces
justificatives, lettre E, n" 2. — La lettre d'Érasme, que nous avons déjà citée à propos de l'organi-
sation du collège, est écrite de Bâle, le 14 août 1527. (EpisL, t. I, pp. 996-997.)
5 Quid autem utilius isli aetati, quam ul litujiiam simid et eloqitenliam prolinus imbibant ex his
auctoribus quorum oratio non minus Christuni spirat quam Demostheneni?
•* Novi muUos Ituic iiteraturae generi deditos, qitibus nihil arridet , nisi quod a Chrislo su
alienissimum, quamquam Ethnicos auctores ob sermonis elerjantiam professoribus legendos arbitrer
potius quam adolescenlibus praelegendos.
310 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
scientifique. Il n'avait alors que des louanges à donner au collège des
Trois-Langues en la personne de son directeur, et c'est dans la suite de
cette même lettre qu'il félicite les professeurs de Louvain de s'être com-
portés avec tant de sagesse, de s'être gardés des imprudences et des excès
alors si fréquents en Allemagne. Érasme était de l'avis de Marvillanus, qui
recommandait à tout le monde, aux ignorants comme aux savants, la con-
naissance approfondie des langues, mais à la condition qu'au sortir de son
collège, les parents recevraient leurs enfants non-seulement plus habiles
dans la parole, mais encore plus religieux et plus vertueux ^ Selon toute
apparence, les conseils d'Érasme, qui étaient ceux de la prudence chré-
tienne, furent exactement suivis; on porta un sage discernement dans l'em-
ploi des auteurs anciens répandus par l'impression, et l'on mit en honneur,
d'autre part, la lecture non-seulement des ouvrages des Pères, mais encore
des compositions d'écrivains et de poêles chrétiens, tels que Prudence, par
exemple. Adrien Barland , comme on l'a vu , conseillait d'expliquer ce poêle
après Virgile; J. Murmellius, philologue de la même époque, l'avait com-
menté; Érasme lui-même avait donné un commentaire sur deux hymnes
de Prudence, célébrant la Nativité et l'Epiphanie ". Nannius s'est encore
occupé de Prudence à l'époque qui suivit l'ouverture du collège^; il ne
faisait que se conformer à tant d'exemples, entre lesquels on ne saurait
oublier celui du vieux Thierry Martens, qui s'est adressé avec effusion
de cœur aux jeunes amis des belles-lettres {bonarum litterarum sludiosis), en
leur offrant, au mois de novembre 1518, des morceaux choisis du plus
éloquent des poêles chrétiens *. Ainsi s'exprimait l'infatigable éditeur des
classiques en parlant à la jeunesse chrétienne de nos contrées :
^ Qua quidem in re seiiipe?- exosculatus sum animum titinn , cui sludio fuit, hac quoque ratione,
linguarum peritiam doclis et indoctis commendare. Quanam inquies? Ut ex hoc celeberrimo col-
legio parentes recipercnt suos liberos , non solitm linguaciorcs , verum etiam magis pios nieliitsque
moratos.
2 Opéra, t. V. BAle, décembre 1525. — En dcdiïint ces liymnes à la fille de Moriis, Marguerite
Roper, Érasme dit à cette femme lettréeqiie Jésus sera désormais le véritable Apollon de ses études.
^ L'auteur d'une dissertation récente Sur ta vie et les écrits de Prudence (Louvain, 1 8o5 , in-8°) ,
M. l'abbé Brys, a consulté un manuscrit remarquable du collège de Busleiden , dont s'est servi
autrefois Nannius, et sur lequel on lit : ex cubicido Nanti Alcmariuni (voir p. 154, note 2).
* Prudcntii inter christianos facundissimi poetae carmina quaedam selecta pielalis cidloi-ibus.
DES TROIS-LAISGI'ES A LOUVAIN. 3H
« Mon imprimerie ne doit pas se borner à éditer des auteurs qui vous
instruisent, elle doit encore vous en présenter qui vous rendent meilleurs.
Dans cette vue, j'ai fait imprimer ces jours passés plusieurs pièces de vers
du poète chrétien Prudence; lisez-les avec goût, chers jeunes gens, et vous
ferez de grands progrès dans la piété. C'est cette piété que moi, vieillard
aux cheveux blancs, à la peau ridée, après tant de travaux d'une longue
carrière, c'est elle que je recherche avant tout; car je sais que nulle étude
n'est agréable à Dieu, si elle n'est accompagnée de la piété, qui ignore
les dissensions, qui nous fait aimer de tout notre cœur Jésus-Christ, le
sauveur du genre humain, et tous les hommes comme nos frères «
Elle dut être aussi d'un grand poids dans la tradition de nos écoles,
l'autorité de Vives, qui n'avait jamais perdu de vue la foi chrétienne au
milieu des entraînements de la Renaissance; à Louvain comme ailleurs,
L. Vives avait quelquefois expliqué des traités religieux tels que le Clirisli
triumplius qui fait partie de ses œuvres, dans le but avoué de substituer,
en littérature, l'élément chrétien à la mythologie; il revient plusieurs fois
à cette pensée dans ses écrits, soit littéraires, soit théologiques '. On sait
quel cas Vives faisait des poètes chrétiens, et quel rang d'honneur il assi-
gnait à Prudence et à plusieurs autres, parmi les poètes de l'antiquité -.
11 faut convenir que les hommes qui défendaient si habilement les droits
de la littérature chrétienne méritaient bien d'être écoutés avec respect par
leurs contemporains, quand ils recommandaient à leur étude les chefs-
d'œuvre littéraires de la Grèce et de Rome. On a donc accueilli les clas-
siques païens dans notre enseignement national, mais avec la mesure que
ces sages et grands esprits avaient prescrite; on a cru à leur parole,
quand ils ont, comme Vives et d'autres penseurs non moins profonds l'ont
fait, signalé ailleurs le danger moral que quelques-uns voyaient unique-
ment dans les écrivains du polythéisme. C'étaient bien plutôt les œuvres
modernes, les poésies populaires et galantes, des romans corrupteurs
vol. in-4°, 2G feuillets. — Voy. dans la Biographie de Thierry Martens . l'épître traduite par 1«
P. van Isegheni (p. t56), ainsi que le texte original (p. -287).
' Mémoire cité de M. Namèche, p. 23, pp. 90 et suiv., pp. 101 et suiv.
^ De ralione stiulii piteriiis. Epistola II.
Tome XXVIII. ^^
312 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
comme il y en eut dans toutes les langues, cette classe d' œuvres où Dame
dénonçait d'immenses périls, qu'il fallait mettre en cause pour sauvegarder
la conscience publique ^; mais très-souvent, et même jusqu'à des temps
fort voisins de nous, on a chargé les Grecs et les Latins de tout le mal dont
on ne voyait pas la source près de soi , et l'on s'est plu , en dépit d'eux sans
doute, à prêter gratuitement aux écrivains du moyen âge la perfection de la
vertu et celle de l'orthodoxie ^. Nous croyons avoir montré suffisamment
en quel équilibre les deux littératures païenne et chrétienne se sont main-
tenues dans les travaux de la principale école de philologie des Pays-Bas,
avant la révolution religieuse qui éclata vers la fin de son premier siècle:
nous avons indiqué le genre d'œuvres et d'exercices à l'aide duquel les deux
langues classiques furent enseignées par les principaux professeurs de Bus-
leiden, et la nature des études et des recherches qu'ils entreprirent eux-
mêmes sans relâche, afin de répandre le gotît des lettres et de développer
le sens de la critique, sans laquelle il n'y a point de saine érudition. On verra
dans les aperçus du chapitre suivant, quels furent les fruits de leurs efforts:
une phalange de philologues et d'écrivains, de latinistes et d'hellénistes
rendra témoignage à l'habileté , au savoir, à la persévérance des huma-
nistes qui ont dirigé les études de la jeunesse au collège des Trois-Langues.
Le programme que nous nous étions assigné dans ce chapitre sera
rempli, quand nous aurons montré quel fut le sort des études hébraïques
dans l'institution de Busleiden : comme elles ont été par leur nature même
le partage d'un nombre limité d'étudiants, il nous a paru préférable de
leur accorder un examen tout particulier, en dehors des questions histo-
riques qui leur restent étrangères.
L'opportunité de connaître la langue des Livres saints ne faisait plus de
doute pour les esprits jeunes et vigoureux, qui pénétraient le mieux les
* Voy. Daniel, des Eludes classiques dans la Société chrétienne, pp. 193 el siiiv., pp. 209-21 1.
^ Fr. Ozanam a très-bien dit dans ses Documents sur l'histoire lillèr. de l'Italie, p. 28 : « On a
poussé trop loin le conlraste, on a trop élarcçi l'abîme entre le moyen âge et la renaissance. Il ne
l'aliail pas méconnaître ce qu'il y avait de paganisme littéraire dans ces temps, où l'on attribue à
la foi chrétienne l'empire absolu des esprits et des consciences. » Comment oublier ou comment
justifier les hardiesses n)ylholoâ;iques des troubadours, le cynisme des trouvères, le culte de la
nature dans le roman de la Rose?
DES TllOlS-LANGUES A LOUVAIN. 315
nécessités intellectuelles de leur école et de leur pays *. Les moyens d'étude
ne manquèrent pas, quand l'hébreu fut doté à Louvain d'un enseignement
régulier, et le suffrage des philologues les plus zélés pour les lettres clas-
siques ne fit point défaut à ceux qui s'adonnèrent plus spécialement à
l'étude de la langue sacrée. Les leçons du nouveau collège n'avaient pas
encore commencé, et déjà Thierry Martens, toujours docile à l'opinion de
ceux qu'il prenait pour arbitres des besoins de la science, voulait que son
art fût au service de cette langue comme des autres. Le 50 mars 1518,
il annonçait son dessein d'imprimer en hébreu, et réclamait le concours
bienveillant du public, qui l'avait soutenu dans toutes ses autres entre-
prises - : « Pour ce qui regarde les éditions latines, disait-il, je ne le cède
à personne; j'ai très-peu de rivaux pour le grec; je veux mériter les mêmes
éloges pour l'impression en langue hébraïque; et le même succès répondra
à mon attente, si vous secondez mes efforts selon vos moyens. Vous les
seconderez, ajoutait-il, si vous prenez garde à vos propres intérêts et à la
réputation de cette école Irès-tlorissante. »
Martens s'occupa dès lors de la formation d'un double alphabet hébraï-
que pourvu de points-voyelles, et vraisemblablement il s'en servit à diverses
reprises pour fournir quelques pages de texte aux premières leçons d'hé-
breu, avant l'impression d'ouvrages hébraïques volumineux ^ Hébraïsant
lui-même, Martens aurait, vers l'an 1520, réuni les matériaux du diction-
naire hébreu qu'il a publié sans date et sous l'anonyme ''. Ce fut des Rxidi-
menta liebraïca de J. Reuchlin, en trois livres, qu'il tira le fond de ce
lexique, comme il le déclarait lui-même dans la préface; il s'est servi des
propres expressions du savant allemand, tout en abrégeant son ouvrage,
et lui-même il n'a entrepris ce travail de compilation que pour épargner
aux commençants un long et pénible labeur, faute d'un recueil de radicaux
* Voy. plus haut, chap. I , §§ 1 et 2 , et cliap. V.
- Cet appel est placé en tête d'un recueil de Dedamationes d'Érasme; il a été relevé et en pailii;
traduit parle P. van Isegheni, dans sa Biographie de Martens, pp. 108-109, p. I8ô.
^ Suivant la conjecture fort plausible de l'auteur de la Biographie, pp. 109-110.
* Dictionnarium Uebraicum, vol. In-i" , 48 feuillets. Voir dans la Biographie (pp. 3IS-ÔI6) , la
description de ce volume et le texte latin de la préface, et (p. 110) les raisons qui font pencher
l'auteur vers la date approximative de 1520. Voy. sur les Rudimenla de Reuchlin notre chap. I, § III.
344 MÉMOIRE SUR LE COLLÈGE
liébraïques : quand un travail plus complet verra le jour plus tard, déjà les
jeunes hébraisants auront vaincu les premières difTicultés. Puisque Martens
a pris en cette circonstance le rôle de savant et en quelque sorte de pro-
fesseur, il nous paraît indispensable de rapporter les termes dans lesquels
il justifie sa publication, comme étant d'une utilité toute pratique pour
qui voudrait s'initier aux éléments de l'hébreu : Bcdegimus in Enchiridion \
Lectures optimi, primiliva vocabula, sive radiées liebrdicarum dictionum, quae a
Capnione diligenter el diffuse Imclantur, ciijusideo ubiqiie verba apposuimus , quod
inyeniosi in alienis iibris videri noluimus. Excerpsimiis tamen liaec in rem vestram ,
ne sine liis frustra in liac sacra lingna perdiscenda sudaretis.... Nos compendio apud
vos utimur, ut cito percipiaiis quae discenda erunt, et percepta fideliler teneatis.
Si l'hébreu excita à ce point le sentiment d'une noble ambition dans
l'esprit de Th. Martens, un zèle non moins grand que le sien fut déplové
par Jean Campensis, qui donna le premier un enseignement suivi de celte
langue, et par ses élèves les plus diligents. Ce professeur, dont nous avons
décrit assez longuement la vie et les travaux, fit pour la grammaire ce
que le docte typographe avait fait pour le lexique; il donna un traité qui
résumait les notions essentielles de la langue hébraïque d'après le gram-
mairien le plus estimé de son temps, et l'on a la meilleure preuve de
l'application avec laquelle de nombreux auditeurs avaient suivi son ensei-
gnement, dans l'accueil qui fut fait à son Li6e//Ms, imprimé en 1528, et
dans le succès de la grammaire abrégée, publiée l'année suivante sous le
litre de Tabida par Nicolas Clenardus ou Cleynarts de Diest, son élève 2.
On ne peut guère séparer ces deux hébraisants, en recherchant les pre-
miers fruits qu'a produits l'enseignement public de la langue sainte; ce
que Cleynarts a fait d'utile pour cette étude, de même que pour celle du
grec, doit être rapporté au collège oh il avait d'abord étudié, et où il a
exercé à son tour l'influence d'un maître ^.
' C'est ce mol qui, sans doute, a fait nommer l'ouvrage de Martens : Enchiridion Radiciuii, sive
IHclionum Hebraïcarum ex Joanne Reuchlino. dans le texte de la Bihliotheca Bcigica (éd. Fop-
pens, p. Il 17).
2 Tabula in yrammaticen hebraeam, aulliore Nicolao Clenartio, vol. in4° de 64 feuillets, 30 jan-
vier 15"29. Voy. Biographie de Martens, pp. 540-341.
■' Avant son départ pour l'Espagne, Cleynarts fut autorisé à faire des leçons publiques au collège
de Houlerlé, sinon au collège de Busleiden. Voy. plus haut, chapitre V, p. 135.
DES TROIS-LAINGUES A LOUVAIN. 315
Campensis avait donné la théorie et rassemblé les éléments de la science
grammaticale : Cleynarts appliquait à l'hébreu ses vues sur la méthode
d'apprendre les langues. Les leçons du premier avaient éveillé le goût
d'une telle étude, fort rare et toujours exceptionnel auparavant; les pro-
cédés essayés par le second et consignés dans son court Tableau dévelop-
pèrent ce goût, et déterminèrent de faciles et rapides progrès dans la
jeunesse de l'école. Cleynarts eut la satisfaction de voir sa méthode justifiée
par la pratique; le petit livre qui en était le résumé avait paru en janvier
1629 : au mois d'août de la même année, il s'applaudissait du parti qu'en
avaient tiré en peu de mois des jeunes gens, capables d'écrire déjà des
lettres en hébreu sur des sujets familiers ^.
Le successeur de Campensis entretint, parmi les jeunes gens qui fré-
quentaient ses leçons au collège des Trois-Langues, le même esprit de zèle
et d'application : André Gennep donna à l'enseignement philologique de
l'hébreu des soins qui furent efficaces; il prépara à lui seul, pendant de
longues années, et dans sa vieillesse, avec l'aide d'Augustin Hunnaeus et de
J. Guilielmius, la génération des hébraisants qui fut dans ce siècle un des
ornements et des soutiens des études théologiques à Louvain. L'ardeur
nourrie pour l'hébreu par Gennep et par ses suppléants fut assez grande
pour que des étudiants fréquentant les cours de théologie aient désiré et
même sollicité plus d'extension dans l'enseignement de cette langue : ce fut
l'objet de la démarche qu'ils firent en 1565 auprès du magistrat de Lou-
vain '2. Ces étudiants demandèrent qu'il y eût tous les jours des leçons pour
la langue hébraïque ; le magistrat en référa directement à la Faculté de
Théologie, qui approuva fort la chose; mais elle exigea que le professeur fût
un théologien, plein de prudence et de gravité, désigné d'avance à son suf-
frage, et non pas un professeur choisi librement par le magistrat. Cette
décision ayant été transmise à l'autorité urbaine par le doyen de la Fa-
culté, le chef de la magistrature répondit que c'était bien son avis et celui
' Cleynarts s'étend sur ce résultat dans une épître placée en tôte de l'édition des Dialogues de
saint Jean Chrysostôme, imprimée par Rescius le 18 novembre to-29. Le lecteur trouvera le texte
latin de celte pièce intéressante et rare à la fin de l'ouvrage cité du P. van Iseghem, pp. 341-3-42.
2 Voy. Valère André, Fasti acad., p. 284.
51() MEMOIRE SUR LE COLLEGE
des autres magistrats, que rien ne fût fait, relativement à ce professorat,
sans les conseils et l'assentiment de ladite Faculté, qu'ils n'installeraient
jamais un professeur, si elle ne l'avait présenté et agréé, et qu'ils étaient
prêts à en faire à la Faculté une promesse publique : ce fut l'objet d'un
acte daté du 26 avril 1505.
On ne trouve nulle trace de mesures prises en conséquence de cette
réclamation des étudiants, et de celte entente du magistrat avec la Fa-
culté de Théologie; nous avons mentionné l'incident, comme un signe
certain que l'hébreu avait une assez belle part, au milieu du XVl™^ siècle,
dans l'activité de la jeunesse universitaire. Les événements calamiteux de
la fin du même siècle mirent des obstacles à la prospérité de celte étude,
comme de toutes les autres, et la chaire d'hébreu resta vacante plus de
30 ans, après la retraite de Pierius à Smenga.
On ne jugerait pas bien l'importance que prit à Louvain l'enseigne-
ment de la langue hébraïque, si on n'y rattachait pas les travaux d'exégèse
biblique fondés sur la connaissance de cette langue. Les paraphrases des
Psaumes et de l'Ecclésiaste, faites par J. Campensis d'après l'hébreu, du-
rent exciter l'attention générale sur l'utilité de celte langue et sur ses
nombreuses applications, et longtemps après lui, elles conservèrent leur
valeur scientifique*.
« Les paraphrases de Campensis furent d'abord très-répandues dans
leur texte original autant que dans leurs versions dans des langues mo-
dernes. Si plus tard elles ont cessé d'être réimprimées, il faut l'attribuer
tantôt à l'apparition de nouveaux ouvrages du même genre ^, tantôt à
l'abus qu'on avait pu faire des traductions vulgaires de quelques livres de
la Bible. Elles n'en révélaient pas moins le travail neuf et difficile qu'avait
accompli leur auteur, en faisant passer la pensée de David et de Salomon ,
de l'expression poétique des versets de l'hébreu dans l'expression encore
fidèle mais plus nette de la paraphrase : le mérite atteint par Campensis dans
un premier essai de ce genre de traduction ' n'a pas été surpassé dans la
' Nous donnons ici les preuves du fait d'après une notice dfjh citée dans la Biographie de Cam-
pensis (voy. ciiap. VIII, § 4, pp. 233, 242-43). — Annuaire de l'Uniu. de Louvain, 1845, pp. 199-202.
^ En 1550 parut la Bible française, publiée à Louvain par ordre deCiiarlesQuint.
^ Il n'y avait, à proprement parler, que des traductions latines plus ou moins littérales et
DES TROIS-LANGUES A LOIJVAÏN. 317
paraphrase nouvelle de Théodore de Bèze, qui avait critiqué son devan-
cier avec quelque amertume. On n'a prouvé nulle part que Carapensis ait
été coupable de témérité dans l'interprétation de la partie mystique des
Psaumes, dans l'explication du sens réputé à la fois littéral et figuré de cer-
tains passages. Aucune décision ne fut portée à cet égard; seulement c'est
avec une certaine défiance que l'ouvrage exégélique de Campensis fut ac-
cueilli dans les Pays-Bas, comme l'attestent les actes de la Faculté de Lou-
vain 1; elle répondit à la gouvernante Marie de Hongrie, qui l'avait, en
octobre 1555, consultée sur l'opportunité des traductions de la Bible en
flamand et en français, que les explications de Campensis ne s'accordaient
pas avec celles des Pères et n'avaient pas éclairci les endroits dont les Pères
avaient fait usage pour réfuter les hérétiques. Cette défiance de l'autorité
locale s'explique par la crainte qu'inspiraient à l'époque de la Réforme les
premiers fruits de l'esprit d'innovation, et par l'usage presque exclusif
qu'on avait fait jusqu'alors des commentaires moraux sur les Psaumes. Si ce
que les anciens ont laissé de plus littéral sur les Psaumes eût déjà été réim-
primé alors, l'entreprise de l'hébraïsant aurait été mieux jugée tout d'abord :
en rapportant l'opinion sévère des contemporains de Campensis , Paquot
lui fait honneur d'une explication heureuse de nombreuses difficultés.
.( La paraphrase des Psaumes a été un de ces livres dans lesquels de
nouveaux venus puisent beaucoup d'instruction sans se croire tenus à la
reconnaissance : que d'interprètes de la Bible et des Psaumes, même
parmi les protestants du premier siècle, ont composé de volumineux ou-
vrages, sans recourir eux-mêmes aux textes originaux, mais en se servant
largement et sans scrupule des premières versions ou paraphrases comme
celles de Campensis, de Santés Pagninus ou de Valable ^1 Ne faut-il pas
en même temps tenir compte des procédés de plusieurs auteurs de l'époque
suivante, qui ont basé leur interprétation des Psaumes sur un nouvel exa-
men des textes et sur les opinions des plus anciens commentateurs 5? »
exactes dans les Psauliers Polyglottes, lels que celui de Fabri (1309 et 1513) et le Psalterium
Nebiense.
* Voy. Paquot, Mémoires, tome II, p. 306, et les notes.
2 Remarque du célèbre G. Génébrard dans sa préface des t>saumes expluiués.
3 On s'explique aisément ainsi pourquoi G. Lindanus, par exemple, ne lait aucune mention du
318 ftlEMOIRE SUR LE COLLEGE
La partie de la Bible choisie par Campensis comme objet de ses éludes
était celle qui devait exciter le plus longtemps l'intérêt des interprètes : les
éditions et les commentaires des Psaumes ont abondé au XVI""^ siècle;
l'Ecclésiaste a été traduit et expliqué par plusieurs hommes dans chaque
pays; les deux prédécesseurs de Campensis à Louvain, Rob. Wackefield
et Rob. Shirwood, avaient commenté le même livre, et vers le même
temps Alardus d'Amsterdam et Amand de Zierikzée, dans les Pays-Bas,
ont aussi composé des paraphrases de l'Ecclésiaste ^.
Il existe dans l'histoire lilléraire du même siècle d'autres témoignages
d'un grand poids en faveur de la direction donnée aux études hébraïques
par les maîtres du collège des Trois-Langues ; plusieurs de ceux qui s'ap-
pliquèrent à l'exégèse avaient été les élèves de Campensis ou de Gennep ;
un prélat fort instruit, qui avait entendu les leçons de ce dei'nier, Guil-
laume Lindanus, a répandu un nouvel éclat sur cette science, par un
ouvrage de critique publié à Cologne, en 1558 : De opiimo génère interpre-
tandi Scripturas libri III. Il faudrait citer une partie des théologiens du même
temps qui se sont occupés des Écritures, Louis de Blois, Fr. Titelmann ^,
Léonard Hasselius, et beaucoup d'autres, pour rendre compte de la propa-
gation toujours plus grande de la connaissance de l'hébreu , et avec l'hébreu,
des langues congénères qui s'en rapprochent davantage, le chaldéen et le
syriaque. Mais il n'est aucun fait qui l'atteste mieux que l'appel honorable
qui fut fait à l'Université de Louvain par Arias Monlanus, quand il jeta les
bases de la Polyglotte, dont la direction lui était confiée par Philippe II ';
travail de Campensis dans son édition du Psautier latin, accompagnée d'une courte paraphrase.
C'est par des raisons analogues que les éditeurs de la collection des Critici sacri (tome III) n'auront
pas donné de place à Campensis parmi les auteurs dont ils ont réuni de nombreux extraits, Munster,
Vatable, Clarius, Drusius, Castalio, et il en est de même pour une autre collection, la Synopsis
crilicorum aliorunique Sacrae Scripturae interprelum (au tome II) : les commentaires étendus ont
dû faire oublier les paraphrases.
' Sur le second de ces hommes, qui fut au nombre des hébraïsants de Louvain, voir la notice
insérée dans les Archives philologiques de M. de ReifFenberg, t. III, pp. 240 et suiv.
5 Voir sa biographie par M. Thonissen {Bulletin de la Soc. seient. du Limbourr/ , 1855).
^ Nous tirons une partie des données historiques dont se compose notre récit, du travail de
Don Tomas Gonzalez Carvajal : Elogio historico del doctor Benito Arias Monlano {Memorias de
ta real Academia de la Hisloria . tomo VII. Madrid, 1832), accompagné de documents nombreux
espagnols et latins copiés dans les archives de Simancas.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIÎN. 519
sans l'existence d'une école d'exégèse philologique formée par les leçons
du collège de Busleiden, elle n'aurait pas pu y répondre avec autant de
distinction et de succès.
Immédiatement après son arrivée en Belgique, au mois de mai 1568,
Arias 3Iontanus se rendit à Louvain, et augura de l'accueil qu'il y reçut
et de l'organisation des études qu'il y observa que l'Université concourrait
utilement à son entreprise; il écrivit à ce sujet au roi d'Espagne, en louant
beaucoup la science et les intentions des membres de ce corps, et quand
il leur transmit la lettre fort flatteuse que Philippe II leur adressa de
Madrid peu après S '1 exposa ses plans à l'autorité académique et lui
demanda le concours actif de deux savants, à la fois théologiens et lin-
guistes, choisis entre ceux qu'on lui avait déjà présentés.
La pièce inédite qui constate cette consultation officielle de l'Université
par le docteur espagnol 2, énonce clairement les parties de l'œuvre pour
lesquelles il requérait son avis et son appui. Arias Montanus comptait obte-
nir l'assentiment de ses docteurs, comme il avait obtenu celui des hommes
instruits d'autres pays, sur un premier point de quelque importance : c'était
l'opportunité d'insérer une version littérale du texte hébreu dans les Biblia
regia. Le principe admis, il proposait de confier à des théologiens exercés
la révision et la correction de toute version qu'on adopterait dans ce but,
celle par exemple de Santés Pagninus, qui avait reçu naguère les suffrages
des souverains Pontifes. En second lieu. Arias Montanus montrait l'im-
portance d'une version complète de la Paraphrase chaldaïque, qui ne
s'étendait qu'au Pentateuque dans la Bible d'Âlcala, et il souhaitait que
cette version fût exécutée par les soins des membres de l'Université. Il tenait
dès lors pour ses collaborateurs les deux hommes qu'on lui avait déjà
' La lettre royale, en date du 15 août 1.^68, a été publiée en tête de la Polyglotte d'Anvers, et
d'après la copie des archives espagnoles, parmi les documents de YElogio, pp. 150-151. M'' de
Ram l'a réimprimée, d'après l'autographe, dans les notes de ses Considérations, pp. 55-56.
•^ Il nous a paru intéressant de l'aire connaître cette pièce louchant de si près au sujet que nous
traitons : on eu trouvera le texte parmi les pièces justificatives, lettre 7. — Consulter sur la Po-
lyglotte d'Anvers, qui est une Bible en cinq langues (8 vol. gr. in-folio, ann. 1569-1572), la Bihlio-
theca sacra de Lelong(édit. Masch, p. I, ch. II!, pp. 340-549), et V Encyclopédie élémentaire de
Petity, t. II, part. II, pp. CCLIV-LVII.
Tome XXVIII. 42
320 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
désignés, et il les prenait pour intermédiaires dans ses relations avec
l'Académie dont il invoquait l'autorité : c'étaient les docteurs Augustin
Ilunnaeus et Cornélius Reineri , dit Gaudamis. Or, l'un avait non-seule-
ment étudié les langues au collège de Busleiden , tout en accomplissant
ses cours de théologie, mais encore enseigné l'hébreu comme suppléant
de Gennep, et il s'était signalé dans les études bibliques; l'autre appar-
tenait à la Faculté de Théologie ^ et, avant qu'il fût mêlé à la discussion
de questions importantes, il jouissait déjà de beaucoup d'autorité. A ces
deux hommes fut adjoint ensuite Jean Guilielmius, dit Hcnicmkts, jésuite
qui s'était distingué comme interprète de l'Ecriture, et qui avait ensei-
gné les langues bibliques au collège de la compagnie, à Louvain 2.
Ces hommes accomplirent, au nom de l'Université, la tâche pour la-
quelle Arias Montanus avait sollicité leur concours : ils examinèrent les
textes et les versions de tout l'ouvrage avec une attention scrupuleuse d un
bout à l'autre, et méritèrent les éloges solennels du savant éminent qui
avait tout ordonné et tout dirigé ^. On trouve dans plusieurs tomes leurs
signatures accompagnant les versions et les paraphrases que renferme la
Polyglotte d'Anvers, par exemple la version latine interlinéaire de la Bible
hébraïque au tome VII de cette collection *. Puisque l'éducation littéraire
de Hunnaeus et de Gaudanus s'est faite à Louvain, il n'est pas superflu
de relever, parmi les louanges que Montanus leur a décernées, leur éru-
dition littéraire et leur connaissance peu commune des langues bibliques.
Si on ne peut méconnaître dans ces belles qualités l'influence de l'ensei-
gnement dispensé dans l'institution dont nous faisons l'histoire, on ne se
tromperait point, sans doute, en rapportant à cette même source une
* Voy . Fasli acad., pp. 369 ,371. — Son nom est écrit tantôt Reineri , tantôt Reinerus , et son
.surnom , sous la forme soit de Gaudanus, soit de Goudanus, du nom de la ville de Gouda en Hol-
lande. Arias et les Espagnols l'ont appelé le plus souvent Goudano ou Goudan.
^ Jean Harlemius se chargea, outre la révision générale, de la confection de V Index biblicus et
des Variae lectiows , dans \' Apparatus sacer de la Polyglotte. Voir ci -dessus, pp. 247-48.
■^ Voy. la préface de la Polyglotte, datée du 22 juillet 1S7I , et reproduite en partie dans la Bi-
bliotlieca sacra (éd. Masch, t. 1, pp. 344-346). In primis aulein duobus Lovaniensis rjymnasii
Imninibus, ac loli rei literuriae addictissimis , ingénies habeant gralias, etc....
* On lit en tête de ce tome qui est le second de YApparatus : Bebraïcorum liibliorum Intina
inlerprelalio censorum Lovaniensium judicio et Acadeiniae suffrayio comprobatu.
DES TROIS-LAiNGUES A LOUVAIN. 321
partie de l'illustration qu'un Belge du même siècle, André Masius, s'est
acquise dans la philologie sémitique. Cet autre collaborateur d'Arias Mon-
tanus, natif du Brabant ^ et qui avait fait à Louvain ses premières armes,
a fourni à la polyglotte royale la grammaire et le dictionnaire syriaques
qui en forment le tome VI, ainsi que des portions de la paraphrase chal-
daïque qu'il avait découvertes à Rome.
11 ne nous est pas permis d'aller plus loin dans cette enquête sur le
secours que des élèves du collège des Trois-Langues prêtèrent à l'éditeur
des Bihlki Regia : ce magnifique monument, chef-d'œuvre de l'art des Plan-
tins, attend encore des historiens, dont les uns examineront l'œuvre des
critiques et des traducteurs au point de vue de la théologie et de la lin-
guistique, dont les autres décriront toutes les circonstances de son exé-
cution et de sa publication. On ne lira point avec déplaisir ici les vers
composés par un écrivain français de la même époque en l'honneur d'Arias
Montanus, puisqu'ils glorifient en lui la science des langues, cultivée avec
éclat par l'institution dont nous recueillons les titres principaux. Guy Le-
fèvre de la Boderie, qui était linguiste lui-même et qui avait traduit en
latin le texte syriaque du Nouveau Testament, s'exprime ainsi dans un de
ses sonnets adressés à Philippe II ^ :
Encor que vostre sceptre à meins peuples commande;
Encor que vous soyez le plus grand terrien
Qui vive de ce temps, soit le Tarlarien ,
L'Abyssin , ou le Turc qui l'Asie gourmande :
Si est-ce qu'à grand'peine en une si grand'bande
Auriez-vous peu choisir un plus homme de bien
Que le docte Arias, car le sçavoir n'est rien
Si plus que le sçavoir la piété n'est grande.
' André Maes, né à Linnich, a fait des voyages scientifiques, et publié plusieurs ouvrages de
linguistique et d'exégèse; il fui conseiller du duc de Clèves, et mourut en 1573. Voir la notice de
Paquol, Mémoires, tome II, pp. 27i-78.
■- L'Encyclie des secrets de l'Élernilé. Anvers, Planlin (1570). — Sonnets au roi Catholique
sur l'impression des grandes Bibles d'Anvers, pp. 244-246. — Le docte imprimeur François de
Raulenghien ou Raphelengius a eu sa part dans les sonnets du poète français; et Jean Harlemius
n'a pas obtenu le moindre lot dans cette distribution de vers et de louanges. Guy Lefèvre de la
Boderie dit au premier (p. 252) :
.... Tu sers au bien public, en constance asseurée :
322 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
A luy l'iiébrieu myslic, ni le chaldé {sic) antique,
Le grec, ni le latin, ni l'obscur arabique
Ne sont point inconnus. Gérion ce me semble
N'eut trois corps ni trois chefs; et n'eut Argus cent yeus,
Briarée cent mains, ce sont des contes viens :
Mais il a dans un chef plusieurs langues ensemble.
CHAPITRE X.
EXAMEN DES RÉSULTATS GÉNÉRAUX DE LENSEIGNEMENT DU COLLÈGE
DES TROIS-LANGUES AU XVI""^ SIÈCLE.
Tum aulae Cae$areae prodibttnt eruditi seeretarii,
cordati consiliarii, legati acundi, procertt non tan-
lum imaginibus nobiles
(Emsu. AD JO. SCCQCETCM.;
Il ne se trompait point, l'ingénieux humaniste qui fut comme le second
fondateur du collège des Trois-Langues , quand il écrivait, en 1525 , à un
homme de cour, Jean Sucquet *, que ce collège, patronné comme il méri-
Tu sçais que vaul le grec , el la langue épurée
Des Hebrieus et Cbaldez, et les Rommains thresors.
Tu donnes ton labeur, Ion temps et diligence
Pour accorder la lettre avec l'intelligence
Tant aus Livres sacrez, qu'ans profanes Escrits -.
Il fait sonner bien haut dans l'éloge de « M. Jan Harlem » ( p. 2o5) sa profonde connaissance du
Chaldéen :
Si je dy que tu as d'Atbènes , et du Temple
De la sainte Cité, et de Romme encor mieus
La langue familière, et du peuple ocieus
Qui l'heur et le malheur par les astres contemple,
.le diray vérité, et n'ay peur que ma Muse
De fard, ou flaterie, ou mensonge on accuse:
Tant seulement je crein de te teindre la joue
De vermeillon flambant
' Lettre citée et traduite en partie ci-dessus, chapitre III, pp. 81-82.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 523
tait de l'être, serait une pépinière d'hommes utiles au souverain et à l'État.
Ce ne fut pas, en effet, le moindre des services rendus à la patrie par les
hommes qui y enseignèrent, que d'avoir formé des jeunes gens de toute
naissance et de toute vocation , d'avoir dispensé à chacun d'eux le genre
d'instruction littéraire qui convenait le mieux à sa carrière publique.
Pour estimer à sa juste valeur l'action qu'il fut donné aux professeurs
du collège de Busleiden d'exercer sur la jeunesse de leur temps, il faudrait
parcourir toutes les branches de la science et de l'enseignement, il faudrait
parcourir de même le cercle des hautes fonctions de l'Église et de l'État :
on apercevrait alors sans peine ce qui leur revient de mérite et d'honneur
pour avoir dirigé les premiers pas de tant d'hommes instruits et dévoués.
Quoique nous ne puissions pas pousser cette revue jusqu'aux détails de la
biographie, nous essayerons de montrer ce que la culture de l'esprit,
animée par le génie des lettres, a valu d'ascendant aux nombreux élèves
qui fréquentèrent les leçons de langues anciennes ouvertes à l'Université de
Louvain. Si l'on joint à ces conséquences pratiques la distinction acquise
par les maîtres dont les écrits firent avancer la philologie et la critique,
il ne sera douteux pour personne que le collège des Trois-Langues n'ait
répondu, dans son premier siècle, le XVI^S à sa destination d'école spé-
ciale des langues savantes, et qu'il ne puisse être mis en parallèle, sans
partialité, avec les institutions littéraires qui ont joui de célébrité dans la
même période.
La réputation du collège des Trois-Langues s'étendit au dehors, peu
après son établissement, et plus d'un pays étranger, comme on en aura des
preuves dans la suite de ce chapitre, recueillit bientôt les fruits de son
enseignement. C'est ce qu'a reconnu un des historiens de la Renaissance.
Henri Hallam, en parlant de la fondation de Jérôme Busleiden, qui suivit
de près l'érection des chaires de langues à l'Université d'Alcala ^ : « Cet
établissement, dit-il, produisit une foule d'hommes distingués par leur
érudition et leurs talents ; et Louvain , au moyen de son Collegmn Trilingue,
s'élevant à un rang plus éminent encore que celui qu'avait occupé Deventer
1 Histoire de la littérature de l'Europe, t. I, p. 273. Selon l'historien de Ximenès, M. Hefele,
le collège des Trois-Langues d'Alcala, consacré à S'-Jérôme, recevait trente élèves boursiers.
524 MEMOIRE SUR LE COLLÈGE
dans le XV"" siècle, devint non-seulement le foyer principal des connais-
sances en Belgique, mais encore un foyer d'oîi elles se répandirent en
différentes parties de l'Allemagne. »
On peut présumer, sans crainte de se tromper, que l'assistance aux
leçons du collège de Busleiden a été considérable pendant la plus grande
partie du siècle de sa fondation, jusqu'à l'époque des guerres civiles; la
raison en est simple. Différentes catégories d'auditeurs suivaient les leçons
données chaque jour au collège, comme le prescrivait l'acte d'institution;
les leçons de grec, et surtout celles de latin , devaient attirer grand nombre
de jeunes gens à qui on avait fait sentir le besoin de perfectionner leur
éducation littéraire , et l'on n'a pas de peine à croire que l'éloquence attri-
buée à plusieurs maîtres dans ces leçons , n'ait rendu la plupart de leurs
auditeurs jaloux de posséder à leur tour une bonne latinité. L'influence
des professeurs s'exerçait différemment en dehors des leçons publiques :
tantôt ils donnaient des -avis et accordaient des entretiens et même des
leçons privées aux ûls de famille qu'on leur recommandait ou même qu'on
leur confiait directement (Nannius en usa ainsi à l'égard de plusieurs
gentilshommes, et après lui, Cornélius Yalerius bien davantage encore);
tantôt ils encourageaient le talent naissant de jeunes philologues, en sur-
veillant leurs études, en dirigeant leurs lectures et leurs exercices, en
revoyant leurs compositions. De la sorte, chacun avait sa part : aux gen-
tilshommes, aux enfants de la noblesse, les principes de l'art oratoire et
la connaissance des grands auteurs; aux humanistes et aux maîtres es
arts, aux docteurs futurs de toute faculté, la science grammaticale, les
règles de la critique et les recherches de l'érudition. C'est ainsi que les
membres de l'institution parvenaient à satisfaire, avec autant de dévoue-
ment que d'intelligence, aux aptitudes et aux tendances fort diverses qui
se manifestaient dans une si grande foule d'élèves.
Cent ans ne s'étaient pas écoulés, et déjà on comptait dans le pays ou
au dehors une multitude d'hommes utiles et estimés qui étaient sortis
du collège des Trois-Langues. Quand Valère André retraçait les annales
de cette institution vers la fin de son premier siècle, il ne craignit pas de
représenter par des noms propres le concours de toutes les classes de la
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 32S
société autrefois confondues sur ses bancs ' : c'étaient des personnages de
la haute noblesse, des hommes d'État, des capitaines et des magistrats,
des écrivains, des théologiens et des savants, dont les titres étaient connus
de tous.
Nous dirons d'abord quelques mots des hommes destinés à une gran-
deur princière ou à la conduite des affaires publiques, que l'on est en
droit de comprendre dans la jeunesse admise aux leçons du collège de
Busleiden, et tout d'abord nous recourrons aux propres paroles de Valère
André, qui a ainsi évoqué leur souvenir dans son discours historique :
Repelile memoria inde usque ab miliis Scholae liujus patriae principes et BeUjii
nostri Atlantes, qui sagum toqae, purpuram fascesque Doctorilms suis submiserunt.
Ici, l'orateur indique dans un seul groupe les ducs d'Aerschot, les princes
d'Orange et d'Espinoy, les comtes de Lalaing, de Mansfeldt et de Berlay-
mont; une foule de barons; et à leur suite, beaucoup d'étrangers devenus
célèbres dans la politique ou dans les armes. Puis, il désigne les hommes
profondément instruits, appelés aux charges publiques et au gouverne-
ment de la société, et, enfin, une foule de savants distingués, parmi les
hôtes et les élèves du collège des Trois-Langues - : Repetite viros in Repiibl.
magnos, qui loci ducti genio, sedem hic habitalioncmque aliquando fixenint, meros
liinc Heroes, graece latineque doctissimos, prodiisse comperietis.
C'est, en effet, des rangs de la noblesse et des familles patriciennes
que le pays vit sortir ces jeunes hommes fort habiles, mêlés dans notre
histoire nationale aux négociations, aux affaires, aux événements qui mar-
quèrent plusieurs règnes. Le vœu d'Érasme était accompli : les souverains
des Pays-Bas trouvèrent en eux des secrétaires instruits, des conseillers
d'une haute prudence, des ambassadeurs éloquents, et la cour se peupla de
grands qui avaient une autre noblesse que celle de leurs armoiries. C'est
là un fait qui méritait bien d'être rappelé hautement, en 1627, quand
Valère André, prononçant, devant toute l'Université de Louvain, une ha-
rangue d'actions de grâces à ses fondateurs, revendiquait la part de gloire
* Exordia cw progressus, \>\). 11-12.
2 Tels que Jean et François Sauvage, fils de Jean Sauvage, chancelier de Bourgogne, Charles
Laurinus, Arnold de Mérode, Guillaume et Michel Enckevoord, Arnold Sasbout , Nicolas Assen-
delft, et au-dessus d'eux encore, Viglius et Hopperus.
326 MEiMOIRE SUR LE COLLEGE
qui revenait de ce chef au collège des Trois- Lan gués * : Dedil et formavn
viros in Rcpubl. magnos ac praestmites, vel ideo etiam, quia sic forrnali, litterarum
cognitione praestai~cnt caeteris. La supériorité de la plupart des hommes qui
avaient joué un rôle dans des postes éminenls, dans des assemblées délibé-
lanles, dans des missions difficiles, pouvait être attribuée à l'influence
décisive des belles-lettres sous laquelle leur dernière éducation s'était
mûrie et achevée.
Si nous nous tournons maintenant vers la catégorie d'élèves qui cher-
chaient les lettres pour elles-mêmes, nous les voyons accepter et suivre
une direction intelligente, qui développe en eux le goût des études phi-
lologiques et littéraires, leur en fait aimer le côté sérieux et chercher les
applications les plus utiles. Il n'est pas de science alors enseignée dans les
Universités, au profit de laquelle n'aient tourné les travaux de grammaire
et de philologie, poursuivis sous les auspices des professeurs du collège
des Trois-Langues.
On a pu remarquer au chapitre précèdent que l'enseignement de l'hé-
breu avait fait des prosélytes parmi les théologiens, et fourni aux sciences
ihéologiques un appui qui leur manquait auparavant, l'exégèse des Écri-
tures fortifiée par la connaissance des langues anciennes et originales :
à côté des hébraisants dont nous avons dit le mérite et les services per-
sonnels, il exista sans doute une classe nombreuse de gradués en théo-
logie, qui apprirent les éléments de l'hébreu en vue de suivre attentivement
les travaux exègètiques de l'époque. Les efforts d'André Masius avaient doté
la science d'une grammaire et d'un dictionnaire syriaques, faisant partie de
la grande polyglotte; mais on sentait le besoin de livres élémentaires et de
textes choisis pour étudier cette langue et d'autres langues de la famille
sémitique. C'est pour y satisfaire que Guy Lefèvre de la Boderie réim-
prima, à Anvers, les éléments de grammaire syriaque composés par le
chancelier Ferdinand Widmandstadt, et comprenant avec les règles de la
lecture une série de prières chrétiennes et de textes de l'Évangile ^. Le
' Eiicharislicon fundatoribiis , patronis , etc., dans la d''^ édition des Fasti Academici, p. 214.
- Stjriacae linguae prima elementa. Antv., Plantin, 1572, 32 pages petit in-4°. — Cfr. Hoff-
mann, Grammaticae syriacae tibri III. Halis, 1838, pp. 42-43 (Introduction historique).
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIIS. 327
même savant déférait au vœu de philologues de Louvain , quand il publiait,
dans la même année, un texte inédit accompagné d'une traduction latine :
c'est le traité de Sévère sur les rites du baptême et de la sainte Eucharistie
chez les chrétiens de Syrie \ qu'il tira d'un manuscrit des Évangiles que
Daniel Bomberg avait acquis à Venise et procuré à Plantin.
On doit rapprocher de cette première classe de savants et d'étudiants
ceux qui se sont attachés à la culture du grec dans un but religieux : ce
n'était point sans de graves motifs qu'ils voulaient être à même d'inter-
préter le Nouveau Testament, plusieurs fois publié dans son idiome ori-
ginal, et ils étaient d'autre part attirés naturellement à la lecture des
monuments de la patrologie grecque, dont la publication occupait à la fois
tant d'écoles. Bien que des éditions grecques des Pères n'aient pas été
faites alors en nombre considérable dans l'une ou l'autre de nos villes, il
est certain que les éditions de Bàle , de Paris et d'autres localités de
l'étranger circulaient dans notre pays et y trouvaient des lecteurs : la ver-
sion de plusieurs traités des Pères grecs, due à P. Nannius, dut aussi
solliciter puissamment les esprits à la connaissance d'une langue qui était
la clef de ces livres si recherchés. Vers la fin du siècle, la Belgique eut à
son tour des hellénistes qui s'occupèrent des œuvres grecques chrétiennes
en même temps que des ouvrages profanes : leurs noms se présenteront
dans la suite des aperçus appartenant à la matière de ce chapitre.
Il y eut aussi quelques élèves du Collegium Trilingue qui firent servir
leur connaissance des langues grecque et latine à leurs études postérieures
de droit et de médecine : les uns s'occupant de recherches historiques sur
la législation romaine, ou de l'interprétation d'anciens textes; les autres
voulant lire eux-mêmes les monuments conservés de l'art médical chez
' Severi Akxandrini quondam palriarchae de ritibus baptismi et sacrae synaxis apud Syros
christianos receptis liber, etc. Antverp., 1572, pp. 132, petit in-4'' (traité réimprimé par J.-L. Assé-
mani au t. H du Codex liturgicus ccclesiae universae). — On lit dans l'épître dédicatoire de Guy
Lefèvre de la Boderie: Rogavercml enim nos et hic, et Lovanii viri cdiquot percelcbres , ac de literis
linguisque peregrinis bene meriti, ut aliquid Syriace seorsim a Bibliis Regiis in lucem emitterem, in
quo tyronesse ipsos exercèrent, quorum petitioni, vel potius imperio (eorum enim estjubere, milu
jussa capessere f'as est) perquam Ubenter acquievi. Ac ut facilius legendi modum in Syrismo addis-
cerentsludiosi, puncta ubique addidi, quae in veteri manuscripto exemplari defuerunt.
Tome XXVIII. ^^
328 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
les anciens ^ Parmi les jurisconsultes, médecins et professeurs de droit
dont la carrière coïncide avec les dernières années du siècle, on en voit
plusieurs qui s'étaient appliqués au grec, et quelques-uns même au point
d'être en état de l'enseigner, comme le prouve l'exemple de Gérard Cor-
selius et de Henri Zoesius^. C'est là un des traits qui distinguent la direc-
tion générale des études au XVI""= siècle de leur tendance plus pratique
au siècle suivant : l'élément littéraire eut alors dans l'instruction du juris-
consulte et du magistrat plus de place et d'influence qu'il n'en eut posté-
rieurement; le chancelier Viglius, Joachim Hopperus, Pierre Peckius, sont
les plus distingués de ces magistrats lettrés, dont le collège de Busleiden
conservait les noms dans ses annales.
Les cours d'humanités furent améliorés rapidement dans presque toutes
nos villes, à la faveur des méthodes que propagèrent les jeunes huma-
nistes formés au collège des Trois-Langues, et dont plusieurs enseignèrent
en diverses localités. Les livres publiés par des maîtres ou des élèves du
même collège, contribuèrent d'un autre côté à une culture plus avancée
du grec et du latin. La grammaire grecque d'Amerotius fut longtemps le
manuel le plus complet consulté par les professeurs et les élèves pour la
connaissance des formes; elle ne perdit pas son utilité, quand Nicolas
Cleynarts eut publié un manuel plus court dans l'intérêt des commen-
çants. Les InstUuliones linguae graccae, qui parurent en avril 1550, ont
assuré de prime abord à Cleynarts un rang distingué parmi les hommes
de la Renaissance, qui se sont ingéniés à répandre les langues classiques,
et surtout à en vulgariser l'enseignement. Quoique Cleynarts n'ait pas
occupé une des chaires du collège de Busleiden, il a concouru au but de
l'institution par les leçons où il mit sa méthode grammaticale à l'épreuve,
par les exercices oîi il en fit l'application ^, par le livre où il la résuma,
et qui lui valut un fort long empire dans les classes. Sa grammaire, dont
il n'y a pas lieu d'ènumérer ici toutes les éditions, chargées de notes de
' Rescius avait publié en grec les Institutes de Théopliile et les Aphorismes d'Hippocrate.
^ A. Gennep et Pieriiis h Smenga, hébraïsaïUs qui ont enseigné au même collège, ont pratiqué
la médecine, de même que Caslellanus, qui fut professeur de grec de 1609 à 103:2.
^ C'est l'objet de ses Meditationes Graecanicae in artem grammaticam. Louvain, juillet 1331 .
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 329
différents grammairiens et philologues, fut en usage plus de deux cents
ans après lui dans les Pays-Bas, en Allemagne et en France, ou bien elle
fut prise comme base d'ouvrages nouveaux '. On vendait à Paris, en 1551,
grand nombre d'exemplaires de cette grammaire, et sa popularité fut si
bien associée h celle de l'œuvre d'un autre de nos grammairiens, qu'il y
avait encore en France, du temps de la Fontaine, plus d'
Un écolier qui ne s'amusait guère
A feuilleter Clénard et Despaulère.
Gomment passer sous silence, dans cette histoire des études littéraires,
les tentatives ingénieuses de Cleynarts, élève de Rescius et de Campensis,
pour se rendre maître, à l'aide de l'hébreu, des éléments de l'arabe et
d'autres langues sémitiques? Ce fut là le but de son exil volontaire, de
ses voyages en Espagne et en Afrique 2, après lesquels il succomba sans
avoir terminé quelque œuvre de grammaire ou de philologie orientale.
Un jour peut-être nous retracerons sa vie et ses travaux.
Les traités d'Amerotius et de Cleynarts sur la grammaire grecque trou-
vèrent leur complément dans un traité de J. Varennius ou van der Varen,
de Malines, sur la syntaxe de la même langue, qui parut au mois d'août
1552 ^ et qui eut plusieurs éditions à Louvain et ailleurs dans le même
siècle*; ces livres, qui forment ensemble un cours de grammaire, ont
' Voy. Haliam, Littér. de l'Europe, t. I, pp. 33Ô-334, t. II, p. 19, et Baillet, Jugements des
savants, édition in-12, t. Il, P. III, pp. 164-165.
2 Lire la Notice analytique des lettres de Nie. Cleynarts dans les Anakcla - Biblion du marquis
du Roure, 1. 1, p. 448, et les Voyageurs belges de M. le baron J. de Saint-Génois , 1. 1 , pp. 1 12 et suiv.
5 Le titre de la première édition est ainsi conçu : Stjntaxis linguae graecae , eu potissimum coni-
plectens quae a latinis dissentimt; auctore Joanne Varennio Mechlinien. Venundantur Lovanii a
Bartholomeo Gravio sub sole aureo. 02 feuillets in-4°. Sign. Â. II. — Q. III. - On lit au dernier
feuillet : Lovanii,ex offlcina Rutgeri Rescii anno MDXXXIl. Sexto idus augusiL Sumptu ejiisdem
ac Bartholomei Gravit. Dans la dédicace l'auteur dit : Commisimus ea praelo Rescii nostri. Il avait
trouvé un confrère et un conseiller peut-être dans Fbelléniste qu'il prit pour éditeur.
. -i Outre les éditions énumérées par l'aquol dans sa notice sur Varennius {Mémoires, t. I, p. 185),
une édition de sa syntaxe fut faite en 1531 , à Louvain , chez B. Gravius (pp. 174, in-8°). Varennius
est mort septuagénaire à Lierre, en 1536; son traité sur les accents grecs, dont la plus ancienne
édition connue remonte à 1544, fut réimprimé plusieurs fois {Bibl. HuUhemiana, t. II, pp. 246-
247); une édition revue parut, en 1551, à Louvain : Ucpi a-poratev, id est , de accentibus Graecorum
330 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
contribué à l'introduction du grec dans l'éducation de la jeunesse de nos
provinces; les maîtres seuls étaient tenus de recourir à des ouvrages éten-
dus, tels que les Commentarii de G. Budé, ou bien aux grammaires de
Lascaris et de Théodore Gaza. Guillaume Fabius , professeur de grec après
Th. Langius, fit un nouveau travail sur la syntaxe grecque, mais en s'ap-
puyant principalement sur celui de Varennius, et en consultant quelques
traités plus récents ^
La langue latine, qui fut cultivée avec plus de soin et d'extension que
tout autre, exerça la sagacité d'un grand nombre d'humanistes de la Belgi-
que, qui éci'ivirent des traités de grammaire pour seconder le mouvement
des études : de ce nombre était ce dilettante, ami des lettres, Georges Ha-
lewyn ou de Halluin, seigneur de Comines, qui savait honorer quiconque
se signalait par son savoir; en dissertant lui-même sur la langue latine -, il
voulait prouver, contre l'avis des grammairiens antérieurs qui avaient pris
les règles et l'analogie pour bases de leur enseignement, que l'usage et la
lecture des anciens étaient les seuls éléments véritables de la connaissance
du latin. Ce petit livre, si curieux qu'il fût, s'est effacé comme beaucoup
d'autres devant la célébrité permanente de l'ouvrage de J. Despautère, et
même des abrégés qui en furent faits par Simon Verepaeus ou Verrypen
et par d'autres latinistes. Un des maîtres les plus diligents d'alors fut Jean
Gillet (Joannes Gilletianus), qui professa au collège de Iloudain, fondé à
Mons en 154-5 : il reconnut le besoin de fournir aux commençants une
méthode facile d'étudier la langue latine; il dicta à ses élèves une gram-
maire très-courte, formulée par demandes et par réponses, et il la publia,
en 1555, sous le titre de : Lalinonim elenientorum erotemata. Cet opuscule
eut un grand succès dans les écoles, pour lesquelles il fut souvent réim-
libellus, jam denuo recognihis, multisque in locis restitutus. Lov., ex offic. Barth. Gravii, 1531,
pp. 31 , in-8°.
^ Syntaxeos linguae graecae epitome. Voy. chapitre VII, p. 212.
2 Reslauralio linguae latinae , \)er l>. Georghim Halvini, etc. (Antverpiae, Ibôô, 90 feuillets
petit in-8° non chiffrés.) M. de Reitfenbera; ayant signalé l'excessive rareté de cet opuscule {Bul-
letin du Bibliophile, publié par Techener; Paris, 1834, n° 8), M. Polain a eu la bonne chance d'en
découvrir un exemplaire qu'il a décrit dans le même recueil (Bulletin, 1836, n" 24). L'épîlre dédi-
catoire à J. Despautère est datée du 24 octobre 1508. Cfr. Foppens, p. 338.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 531
primé '. Ainsi, pour le latin encore, la Belgique ne devait qu'à elle-même
les meilleurs livres qui pussent servir à son enseignement, et elle reçut de
Cornélius Valerius un nouveau travail, où ce maître consommé donnait à
l'art grammatical l'ordre et la clarté admirés dans ses leçons et dans ses
manuels sur toutes les sciences : c'est en 15o4 que Valerius mit au jour
la première édition de ses Grammalicarum institulionum libri IV, comprenant
la grammaire, l'étymologie , la syntaxe et la versification latines -.
La méthode usitée dans les leçons du Collegiion Trilhujue détermina des
réformes utiles dans l'enseignement de la grammaire et de la rhétorique,
qui se faisait dans les pédagogies de la Faculté des Arts : ce fut bien là
un des services pratiques que rendit le nouvel établissement. La Faculté
réclama, vers 1559, l'appui d'Arnold Streyters, abbé de Tongerloo, pour
multiplier les moyens de former les jeunes gens dans l'art de parler et
d'écrire-'. La pédagogie du Château publia, en 1561, un manifeste ou pro-
gramme qui constatait les modifications introduites dans ses leçons de
grammaire et de philosophie * ; cette pièce commençait en ces termes •' :
Gymnasiaucha Lectoui S. — Quemadmoduin minqtiam. Candide Lector, usque
adeo stupidi fuimus, mil sectiri famae, quin, quae fiominum maxime prudentitim de
paedagogicis sludiis sententia sit, inleUigere poluerimus : ita neque lam arrogantes
nos fuisse, credas velim, ut quod in iis a magnis viiis damnaretur, defendere
exislimaverimiis.... Cornélius Valerius célébra en quelques vers la résolu-
tion qui venait d'être prise par les directeurs de cette pédagogie du Cas-
trum, pour le progrès des études philologiques et littéraires :
Prima reformati Studii laus vestra feretur,
IJl res cumque caclat , colilis qui Castra Minervae
Castrensemque scholain regitis, pubemque docetis.
' Éléments de la grammaire latine, par J. Gillet, oxtr. publ. par M. Cam.Wyns. Mons, 1834, pp. 36;
in-12. La Grammatica latina de P. Procurator, successeur de Gillet, n'eut pas moins de vogue.
^ Les noms des professeurs et des humanistes, dont nous énumérons dans les chapitres IX et X
les travaux de grammaire et de philologie, se retrouvent presque tous dans la liste des livres clas-
siques approuvés par l'Université en 1530.
5 Pièce latine publiée d'après la minute dans \Ann. de l'univ. de Louv., 1841 , pp. 134-39.
'' Valère André, Fasti acad., p. 2,30, d'a<pvès le programme: Exemplum reformatae ralionis
Studiorum.
3 Dans ses Fasti, t. I , p. 397 , Paquet cite les premiers mots de celte pièce imprimée in-folio.
332 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
Avec le secours de livres méthodiques comme ceux que nous avons
nommés tout à l'heure, et de l'interprétation qu'en Orent des professeurs
pleins de goût et d'expérience, Goclenius, Nannius, Valerius, plusieurs
générations d'étudiants acquirent, àLouvain, l'usage d'une latinité pure,
élégante, riche et abondante, sans surcharge et sans afféterie. Ceux qui
persévérèrent dans la lecture des anciens, possédèrent la plupart la faculté
de discernement qui fait les critiques, et plusieurs d'entre eux montrèrent
cette qualité au plus haut degré, dans les éditions dont ils se chargèrent,
ou dans leurs écrits, dissertations, gloses et mélanges, consacrés principa-
lement à l'histoire romaine et à la littérature latine. Seulement il arriva
que, quand notre école de philologie fut en possession de toute sa puis-
sance d'érudition et de critique, ses principes littéraires se modiflèrent,
et le goût qui avait caractérisé le style de ses premiers représentants subit
de graves atteintes. C'était l'époque où l'autorité, attribuée à quelques lit-
térateurs savants et ingénieux, avait dégénéré en une sorte de tyrannie
exercée sur l'opinion , et où la manière d'un écrivain vanté déterminait
une foule d'autres à l'imiter aveuglément jusque dans ses défauts. La
renommée de Juste Lipse entraîna chez nous une de ces méprises qu'on
n'aperçoit bien qu'après coup : on idolâtrait Lipsius; on prit à son exemple
un langage concis, serré, solennel ; on voulut être magnifique comme lui,
et l'on tomba avec lui dans cette dureté d'expression, dans cette obscurité
affectée qui déparent sa latinité. Il était permis à Lipsius seul de persister
dans un tel vice, qu'il savait dissimuler par le prestige d'une grandeur
toute romaine, répandu dans toutes ses productions, où respire l'esprit de
l'antiquité, où la roideur stoïcienne revit dans le ton et dans les sentences.
Mais, après lui, lorsque tant d'hommes se mettront à composer des traités
et des lettres sans atteindre ni à son savoir historique ni à sa vigueur de
pensée, un style obscur et affecté, ou bien encore fleuri et redondant,
l'emportera chez eux sur les bonnes traditions du siècle d'Érasme et de
C. Valerius : le mal n'aura point de remède dans l'enseignement public
confié le plus souvent à des maîtres qui eux-mêmes en étaient imbus.
S'il y a une raison plausible de l'altération que Juste Lipse et d'autres
célèbres érudits contemporains ont fait subir à la latinité classique , res-
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 353
taurée par leurs devanciers et leurs maîtres, c'est radrairation qu'ils onl
professée ouvertement pour de grands écrivains romains de la décadence
et surtout pour Tacite ^; c'est la préférence qu'ils ont donnée, et qu'on
a donnée à leur exemple, à la diction énergique, souvent prétentieuse,
chargée d'images, de plusieurs auteurs de l'empire romain, éloignés déjà
de l'âge de Cicéron et de Virgile. Voudrait-on trouver un adoucissement au
blâme qui pèse sur la latinité de Lipsius, on serait tenté de reconnaître com-
bien est dangereux le contact d'écrivains convaincus et passionnés, comme
Sénèque et Tacite, que ce savant aimait et qu'il connaissait par cœur^ :
toujours est-il vrai que l'enseignement littéraire des professeurs du collège
de Busleiden avait fixé chez nous, dans l'âge précédent, l'idée de la véri-
table éloquence latine, puisée aux sources les plus pures, et qu'il n'y eut
point progrès dans le goût, quand un progrès se fit dans l'érudition.
Il est des faits nombreux qui prouvent l'empressement avec lequel une
partie de la jeunesse a recueilli les leçons de langues dans la période qui
suivit l'ouverture du collège de Busleiden ; un des plus remarquables est
l'autorisation donnée à des littérateurs ou philologues étrangers d'ouvrir
des cours publics pour satisfaire l'avidité de savoir qui s'était emparée
des esprits. Ainsi, aux époques mêmes où les leçons du Coltegium Trilingue
étaient le mieux fréquentées, nous voyons des leçons de grammaire et
de philologie données séparément par des hommes, tels que Cleynarts,
J. Varennius ^ Jacques Ceratinus, Joachim Politès*. Hieronimus Elenus ^
après avoir entendu à Paris J. Straselius, qui professait le grec au Collège
royal ^, donna des leçons de cette langue à Louvain, dans les années qui
' Voy. plus liant , chap. VI, n'e, pp. 171-72. Cons. Hallani, Liltér. de l'Europe, l. III, pp. 16-20.
- La diction de Tacite n'a-t-elle pas laissé son empreinte sur le style et sur l'exposition d'écri-
vains modernes très-célèbres, qui ont écrit après lui l'histoire de la Rome impériale, Chateaubriand,
dans ses Études historiques, et M. de Ghampagny dans les Césars ?
5 J. Varennius donnait, à Louvain, des leçons particulières d'humanités, et il avait enseigné
l'Écriture aux religieux de l'abbaye de Parc. Voy. de Reiffenberg, Quatrième Mémoire, pp. 33-36.
• Sur cet humaniste et poète, lire Paquot, Mémoires, t. Il, pp. 48-49.
3 NatifdeBaelen,en Campine, Elenus avait été premier dans la promotion delS42; il mourut,
avocat à Anvers, en 1372. Foppens (pp. 481-482) place sa mort en 1576.
6 Jean Straselius, natif de Straseele près de Bailleul, occupa pendant vingt-six ans la chaire de
A. Danès, et mourut en 1336. Voir Goujet, Mém. sur le Collège royal de France, t. I, pp. 400-403.
334 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE
correspondent au professorat d'Ainerotius, et dans d'autres leçons qu'il fit
sur les lois, il présenta la connaissance des anciens comme auxiliaire de
la science du droit. Vers 1555, Boetius Epo, qui sortait de l'école de
Cologne, fut autorisé à expliquer publiquement à Louvain Homère et
Hésiode, et c'est alors qu'il publia en cette ville son recueil de Sentences
homériques, accompagnées d'une version latine*: dans la suite, il s'a-
donna au droit, qu'il enseigna à l'Université de Douai.
C'est avec une semblable autorisation que le célèbre Jacques Amyot ,
plus tard évéque et aumônier du roi de France, expliqua à Louvain, en
1565, dans un auditoire de la Faculté de Médecine, la grammaire grecque
de Nicolas Cleynarts, et vers le même temps, un autre français, Jean
Loezius de La Rochelle , fit au collège de Savoie des leçons sur le dis-
cours de Cicéron pro Arcliia poeta, dont il publia ensuite un commentaire -.
Cette publication, faite à Anvers, en 1560 ^, est une défense des études
littéraires, une glorification de cette poétique que l'on entendait quelquefois
encore décrier. Le nouvel éditeur du discours pro Arcliia se défend de la
prétention de vouloir éclaircir le texte d'une œuvre à laquelle tant desavants
ont déjà consacré des commentaires; mais il lui a paru utile de plaider,
sous les auspices du nom de Cicéron , la cause des lettres et de la poésie.
Il déclare avoir revu avec soin le fond de ses leçons orales, et les mettre
au jour suivant les conseils du professeur de latin. Corn. Valerius, vir
poluissimus , comme il l'appelle *.
Jean Sturm ou Sturmius, allemand de naissance, avait étudié et enseigné
les langues anciennes pendant un séjour d'environ six ans à Louvain (1524-
1529), avant de voyager, et de prendre la direction de l'école de Stras-
' Sententiae homerieae, collectore et interprète Boetio Epone. Lov., 1555, in-i", apud Colo-
naeiim. Voy. Foppens, Bibl. belg., pp. 139-140, et de Reiffenberg, Cinquième Mémoire, p. 9.
2 Valère André, Fasti Acad., p. 358.
5 Jo. Loezii Rupellani de poeticorum studiorum utililate , in orationem M. Tullii Ciceronis pro
A. Licinio Archia poeta. — Antv., ex ofïîc. Giiil. Sylvii, typ. regii, anno MDLX, titre et 7 feuillets
sans pagination , 63 feuillets numérotés, 1 vol. petit in-8°.
* Dans sa dédicace à Joach. Hopperus, Loezius fait ainsi allusion au but de sa publication : Milii
certe qumn longe aliud consilium fuit hujtis Orationis enarrandae (quum primum professionem
liane amicorum quorumdam hortalu Lovanii suscepi) , tum in praesentia mulliim dissimilem habeo
rationem hosce meos Commentarios sub tuo nomine, Hoppere doctissime, edendi.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIÎS. 335
bourg, qu'il conserva avec tant de renommée jusqu'à la fin du siècle *; il fut
l'ami de R. Rescius et son premier associé, dans les années 1529 et 1550.
Un juif fort érudit en sa langue, Isaac Levita, étant venu à Louvain
pour être instruit dans la religion chrétienne et pour apprendre le latin,
on lui demanda des leçons de grammaire hébraïque et chaldaïque, à
l'époque même où André Gennep professait : c'est sous les auspices du
cardinal Granvelle qu'il les ouvrit vers 1547. Il quitta Louvain en 1551,
et s'étant rendu à Cologne, sur l'appel des magistrats de cette ville, il y
occupa la chaire d'hébreu pendant vingt-six ans ^. Des nombreux traités
qu'il publia, nous ne citerons que sa grammaire méthodique de l'hébreu,
imprimée à Louvain en 1552 ^, avec l'aide et sous la surveillance de Gen-
nep, qui avait favorisé les études de cet hébraisant étranger. Le fils d'Isaac,
Stephanus ou Etienne Levita, séjourna à Louvain avec son père, et, après
avoir poursuivi ses études philosophiques ailleurs, il y revint vers 1560
pour se livrer à l'étude de la médecine, sous Nie. Biesius et C. Gemma :
c'est alors qu'il se procura les ressources nécessaires à sa subsistance par
les leçons privées de langue hébraïque qu'il fut autorisé à donner.
Nous devrions maintenant énumérer une longue série de noms histo-
riques, si nous voulions indiquer l'appui que l'entreprise littéraire des
professeurs de Busleiden a trouvé dans les rangs élevés de la société.
Parmi les hommes revêtus de charges publiques qui se sont attachés aux
' Jean Sturin, ué à Schleiden, dans l'Eiffel, était, en 1318, élève des Hiéronyniites à Liège, et
joua alors le rôle de Gela dans le Phormio de Térence. Il fut directeur du Gymimshim de Strasbourg
depuis 1537 jusque peu de temps avant sa mort (1589), écrivit sur les iiiélhodes et fit des com-
mentaires sur des auteurs anciens. Voy. K. von Raunier, Gesch. der Paedagogih, t. I, pp. 230-278,
et Foppens, Bibl. belg., p. 737. — Tout récemment M. Ch. Schraidt vient de retracer la carrière
complète de ce personnage dans une monographie intitulée : La vie et les travaux de Jean Sturm,
premier recteur du Gymnase et de l'Académie de Strasbourg (avec portrait). Strasbourg, 1854,
1 vol. in-8°. Voy. chap. I, pp. 3-8, sur le séjour de Sturm à Louvain.
* Voy. la Biogr. univ., t. XXI, p. 268, et la Bibliolhecu Rabbinica de Bartolocci, t. III , p. 902.
— D'amples détails ont été recueillis sur Isaac Levita et son lils Etienne, par Paquot, dans sou
manuscrit des Fasti, t. II, pp. 529-340. Voy. la lettre /dans les pièces justificatives.
' De Hebraeorum grammatica liber methodo dilucida admodum ac facili à Joanne Isaac Levita
geniiano concinnalus. Lovanii ap. Mari. Rotarium, Ioo2, in-8°. S'il faut en croire Paquot, ce pre-
mier traité aurait vu le jour à Louvain , tandis que les autres livres de l'auteur ont été imprimés à
Cologne et à Anvers : nous v reviendrons dans l'Appendice.
Tome XXVIIl." 44
336 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
mêmes études , nous citerons surtout François de Graneveldt ' , qui apprit
le grec sans maître dans ses vieux jours, et que nos anciens auteurs se sont
plu souvent à comparer à Caton le Censeur 2. Ami d'Érasme, il noua et
conserva des relations avec la plupart de ceux qui cultivèrent ou ensei-
gnèrent les belles-lettres en Belgique. Nous mentionnerons également ici
un humaniste distingué qui concourut, dans une autre partie du pays, au
réveil des études et qui fut encore estimé par les critiques de l'âge sui-
vant. Paul Leopardus ^, qui avait étudié à Louvain sous la direction de Nie.
Gleynarts et de R. Rescius, entretint des rapports littéraires avec d'autres
maîtres du collège des Trois-Langues. C'est à la demande de Nannius *
qu'il mit au jour son recueil des vies et des mots célèbres de quelques
philosophes grecs ''. C'est aussi à l'exemple de Nannius qu'il prépara ses
Emendationum et Miscellaneorum libri XX, où il élucidait ou corrigeait de
nombreux passages d'auteurs grecs et latins : ces mélanges de critique qui
ne sont pas indignes des recueils contemporains du même genre sous le
nom de Variae lectiones, Adversaria, etc., restent son meilleur titre litté-
raire. Leopardus, qui avait refusé par modestie une chaire royale à Paris,
fut longtemps à la tète du collège de Hondschote; le plus connu de ses
élèves, Jean l'Heureux ^, dit Joannes Macarius, de Gravelines, a laissé
une douzaine de traités inédits comprenant des traductions du grec, et
des dissertations sur des matièi'es de philologie et d'antiquités. Comme il
avait connu l'institution de Busleiden en faisant à Louvain son cours de
philosophie, il a légué au collège des Trois-Langues ses manuscrits, qui
se sont perdus dans la suite, sauf le volume des IIa(jioglyjHa, ou descrip-
' Franciscus CianevelJiiis, élève de Despaulère, docteur es droits (1509), était membre du
grand conseil de Malines depuis do22; il mourut en 1564. Voy. ci-dessus, p. 206, et le Quatrième
Mémoire de M. de Reiffenberg (pp. 85-86), qui renvoie aux Notices de nos polygraphes.
■^ ParexenipleValère André et encore Leemput, dans la dédicace de sa grammaire grecque en 1782.
^ Né en Flandre, à Isenberghe près de Furnes, mort en 1567 à Bergues-S'-VVinoc. Voy. Fop-
pens, Bibl. Belg., p. 912, et Paquol, Mémoires, 1. 1, p. 553.
* Philologicarum Epistolarttm centuriu una, p. 245.
^ yUae, Chriae, Apophthegmata Ârislippi, etc. Antverpiae, Belleri lypis, 1356, in- 12. — Le
tome I de son autre recueil n'a paru qu'en 1368 (Anvers, Plantin, in-4°) ; le reste, en 1604.
•^ Né vers 1331 , il mourut chanoine d'Aire, en 1604. Voy, Bibl. Belij., édit. de 1623, p. 503, et
Foppens, p. 683. Valère André disait que ses manuscrits étaient dignes de l'impression.
DES TROIS-LAINGLES A LOUVAIN. 337
tion des œuvres primitives de l'art chrétien, qu'il avait étudiées à Rome V
EnOn, comment oublierions-nous Jacques Cruquius ou de Crucque -,
de Messines en Flandre, qui avait, dans sa jeunesse, entendu à Louvain
Goclenius et Nannius? Il succéda à G. Cassandre dans la chaire publique
des belles-lettres à Bruges , et il publia cette édition commentée d'Horace ,
très-célèbre par les scolies tirées d'anciens manuscrits et plus d'une fois
réimprimée^.
Il nous importe de mettre en ligne de compte, dans cette partie de nos
recherches, les services que des humanistes formés à Louvain, élèves du
Collegium Trilingue, ont pu rendre bientôt après leurs études à des écoles
étrangères : c'était l'époque où plusieurs philologues belges enseignèrent à
Paris. Un savant, natif du Luxembourg, Barthélémy Masson ou Latomus*,
venait d'être appelé à la chaire de langue latine au collège de France, où
Jean Straselius occupait une chaire de grec. Nous mentionnerons, au même
titre, comme sortant des écoles de Louvain, Suffridus Pétri ou Sjurd
Peeters, et Jean Boschius.
Le premier fit part à la Frise, son pays natal, des connaissances litté-
raires qu'il avait acquises au collège des Trois-Langues, et, quelques
années après, il fut envoyé par le sénat académique de Louvain à l'Uni-
versité d'Erfurt, quand celle-ci demanda, en 1557, à celle de Louvain
un professeur de grec et de latin ^. Suffridus Pétri habita Erfurt et y en-
' Voy. la notice de M. le Glay sur les Ilagioglypla de Jean l'Heureux, dans ses Nouveaux ana-
kctes. Lille, t8S2, pp. 79-83. — M. le comte Lescalopiera publié récemment le manuscrit susdit
avec une préface et des notes du P. Garrucci : Hagioglypta , sive Piciurae et Sculplurae sacrae anli-
quiores, explicatae a Joanne l'Heureux (Macario). Paris, Didot , dS36, 1 vol. in-8°.
2 Voy. Foppens, p. oll; Sanderus, De Briujeiisibus , pp. 40-41; Paquot, Mémoires, t. III.
pp. 650-51 , et la Bioyr. des hommes remarquables de la Flandre occident., t. I, pp. 84-85.
* Voir sur le Scholiastes dit Crucquianns , l'édition d'Horace par Vanderbourg, et YHist. crit.
scholiastarum latinorum (P. III) de VV.-H.-D. Suringar, pp. 62 et suiv.
' Barth. Masson, d'Arlon, élevé en Allemagne, avait séjourné à Louvain vers 1324, et s'était
distingué par ses travaux relatifs à Cicéron et à l'étude de l'éloquence latine. Il occupa, à Paris,
la chaire illustrée dans le même siècle par Denis Lambin, et partagée le plus souvent entre deux
professeurs. Voy. Paquot, Mémoires, t. I , pp. 136-159, Goujet, Mém. hisl. el litt, sur le Coll. roy.
de France, t. Il , pp. 327-543, et le Discours prononcé à l'ouverture du cours de poésie latine, par
M. Sainte-Beuve, le 9 mars 1833.
'' Voy. ma notice intitulée : Relations de Suffridus Pétri et d'autres savants avec l'Univ. de
338 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
seigna jusqu'en 1562. De retour dans les Pays-Bas, il s'occupa encore de
belles-leltres avant de se consacrer presque exclusivemenl aux études juri-
diques. Il eut l'honneur de suppléer quelque temps un des hellénistes du
collège de Busleiden, celui qu'il a nommé son Mécène, Th. Langius, ac-
cablé par les infirmités de l'âge ^, et c'est alors qu'il entreprit l'explication
publique des odes de Pindare. Il publia, dans cette période de sa vie, la
traduction latine de plusieurs traités de Plutarque, de Y Apologie (tAthé-
nagore, et des trois derniers livres de V Histoire ecclésiastique de Sozomène -.
Ses discours sur les lettres grecques, dont il a fait imprimer un recueil à
Btàle, se rattachent sans doute aux leçons faites publiquement à Louvain
ainsi que dans d'autres villes^. Quoiqu'il n'ait point porté le titre de pro-
fesseur, le collège des Trois-Langues peut revendiquer une part fort hono-
rable de l'activité scientifique de Suffridus Pétri *.
Un autre humaniste de Belgique fut appelé, vers le même temps, en sep-
tembre 1558, à l'université d'ingolstadt, pour y donner la leçon d'éloquence
(Oraloria lectio) : c'est Jean Bosche ou Boschius, qui avait été un des com-
pétiteurs de Valerius à la chaire de Nannius ^. Il avait donné des preuves
de son savoir dans les lettres grecques et latines ; mais comme il possédait
le grade de licencié en médecine , il lui fut octroyé de joindre à ses leçons
sur l'art oratoire dans cette université des leçons de médecine et d'histoire
naturelle. Boschius publia, à Ingolstadt, plusieurs traités sur l'art médical^,
Louv., dans l'Ann. de l'Univ. calh., ann. 18iS, pp. 183 etsuiv. Ce personnage, né en 1527, mourut
.1 Cologne en 1597. Cfr. le tome II des Mémoires de Paquot, le tome II des Lectures de Goetliaels,
pp. 162-169, et de vrye Pries, Mengelingen, II d., ¥^ st., Leeuwarden. 1842, pp. 413-471.
' Voy. plus haut, chap. VII, n" 5, p. 211.
2 Ces traductions ont paru à Erfurt , à Bâle, à Louvain et à Cologne.
^ Orationes quinque de utilitate muUiplici lingucie graecac. Basil., ap. J. Oporinum, 1366, in-8'\
* C'est avec affection et reconnaissance qu'il parle de ses maîtres et amis de ce collège, dans
plusieurs de ses lettres écrites d'Erfiirt à l'Université, en septembre 1557. (Voy. la notice citée,
p. 203.) Il déplore la perte de Nannius et se recommande à la bienveillance de Th. Langius, d'.\me-
rotius et de C. Valerius.
^ Voy. plus haut, chap. VI, n° 4, p. 137 et la note 1. — Sur l'appel de Boschius à Ingolstadt et
sur les conditions qui lui furent faites dans cette Université, on peut lire la pièce publiée dans la
notice citée de l'Annuaire, pp. 179-180.
8 Voy. les titres de ces traités dans la Biographie liégeoise de Becdelièvre, t. I, pp. 261-262.
(Liège, 1836.)
DES TROIS-LANGUES A LOUVÂIN. 359
et l'on a compris son discours de Optimo mcdico et medicinae auctoribus dans
le recueil des harangues académiques de cette ville •. Il fut recteur en 1561,
prononça des discours solennels en 1572 et 1578 ^ et mourut en 1585,
après vingt-cinq années de professorat, laissant une grande réputation
d'éloquence et de savoir. C'est encore à Ingolsladt qu'un ancien élève du
collège des Trois-Langues devenu franciscain, P. Godefroi Fabricius, de
Liège, enseigna les lettres sacrées sur l'appel qui lui fut fait par le duc
de Bavière, Guillaume : il avait suivi dans sa jeunesse, à Louvain, les cours
de Goclenius, de Rescius et d'André Gennep ^. On trouverait aussi à l'aca-
démie de Dillingen (1555-56) dans la chaire d'Écriture sainte G. Lindanus,
élève des mêmes maîtres, et l'on suivrait au dehors, dans un grand nombre
d'écoles de droit, Fr. Balduinus ou Bauduin, d'Arras, qui acheva sous leur
direction ses études littéraires.
Nous ajouterions aux noms qui précèdent celui de Hannard Gamerius
ou van Gameren, de Maseyck, ditMosaeus, s'il était prouvé qu'il a étudié
d'abord à Louvain : toujours est-il que cet éloquent humaniste qui avait
laissé des souvenirs honorables à Ingolsladt, après y avoir enseigné le
grec *, et qui, à son retour en Belgique, en 1568, dirigea l'école latine de
Tongres, doit être compté parmi les meilleurs hellénistes de notre pays au
XVI""= siècle ■' : il avait traduit plusieurs ouvrages grecs, entre autres le
poème orphique Uepl Hew, ou sur la vertu des pierres ^.
De ce coup d'œil sur le rôle de nos humanistes et philologues à l'étran-
ger, nous en revenons à l'examen des œuvres de savoir et d'érudition,
dans lesquelles des hommes supérieurs ont rendu , avant la fin du même
siècle, un solennel hommage à leurs professeurs du collège des Trois-
' Orationes j4cadevniae Ingolstadiensis (tom. I).
* Voy. les Annales Ingolstadiensis Academiae (édit. Rotniaro et Mederer). Ingolsladt, 1784,
in-4'', t, I, p. 27, où il est nommé : Joannes Lonoeus Boschius Brabanlinus, années 1360 et 1385,
et où son épitaphe est reproduite.
' Voir le tome I des Annales d'ingolstadt.
•* Le duc Albert de Bavière lui donna à son départ une reconiiiiandation dont on peut lire le
texte dans la notice citée ci-dessus, Relations de S. Pétri, etc., pp. 180-184. A Ingolsladt,
Gamerius avait prononcé, en décembre 1564, un discours De Laudibus linguae graecae.
5 Vov. Foppens, Bibl. Belg., 1. 1, p. 431, et Joecher, Allgem. Gelehrten-Lexicon , t. II, p. .332.
fi Traduction en vers latins, avec des Observationes (Leodii , in-4°).
340 MEMOIRE SUR LE COLLÈGE
Langues, et sont restés fidèles aux notions du bon goût que ceux-ci leur
avaient inculquées.
A aucune autre époque, le concours d'une foule d'auditeurs n'avait
donné autant d'importance aux chaires du collège des Trois-Langues qu'à
cette époque des études de Juste Lipse, antérieure à l'explosion des troubles
politiques : c'est alors que cet écrivain vit à Louvain cette affluence de
jeunes gens de toutes les provinces belgiques, ainsi que de français % d'an-
glais, d'espagnols, d'italiens, dont il parle dans son Lovanium, composé plus
tard ^; c'est alors aussi que se forma, sous l'influence des professeurs de
Busleiden, une génération d'écrivains, de philologues et de savants, dont
les noms représentent la vie littéraire et scientifique parvenue chez nous à
son plus haut point de splendeur. André Schott, qui avait fait lui-même des
études complètes à Louvain, énumérait, en 1581 , tous les hommes déjà
célèbres qui étaient sortis pleins de science de la même Université, comme
autrefois les héros grecs du cheval de Troie ^ :
Omitto praeslanlissima ingénia eorum, qui e Grudiis, ut olim ex equo Trojano
meri lieroës, doclissimi prodienmt : Lipsium, Carrionem, Canteros, Giselinum ,
Fruterium, Gifanium, Duzam, Torrentiiim, Levineiwn, Papiiim, Modium, ceteros :
qui rem liUerariam mirifice cxornant , et BeUjii dectis gnaviler tuentur, nec , ut
spero, intermori sincnt, quin potius atio migrantes Musas, tamquam e fuga, ohtorto
collo retralient.
' Dans une lettre d'Hopperus à Vigiiiis, datée de Malines, du 28 novembre 1557, quelques an-
nées avant l'époque indiquée par Juste Lipse, on voit qu'au nombre des améliorations qu'on pro-
jetait d'introduire à l'Université, il était question d'une chaire de langue française. C'est au moins
dans ce sens qu'on peut interpréter les mots Gallice docere. Hopperus émet l'avis d'ajouter aux
chaires d'hébreu , de grec el de latin , une leçon de français; mais les considérants dont il l'accom-
pagne font assez pressentir l'insuccès de sa proposition : Venit aliquando in mentem quid viderelur
si Iribus professoribiis lingiiaium quarlus qui Gcdlice doceret, adderetur. Est enim hiijus linguae
snmmus liodie usus, el retinerel ea res fartasse midtos quominus in Galliam proficiscerentur. Quam-
quam in altéra parte satis indignum videlur, linguam barbaram , et quac hosli propria sil , in tan-
tuin Iiabere lionorem. — Voy. Lettres inédites adressées à Yiylius, publiées par M^' de Ram, Bidl.
de la Comm. d'JIist., 2"'" série, t. II, n° 3, et V Annuaire de 1852, p. 292.
2 Écrivant le Lovanium (t. 1, p. 1 ) en 1G02, Juste Lipse se reporte à trente-sept années en ar-
rière, el désigne l'année 1565, qui était celle de son cours d'études. Voy. de Reiffenberg, Cinquième
Mémoire, pp. 9-10.
5 Lettre de Tolède à Chr. Plantin , citée plusieurs fois, pp. 102, 162, 211-12.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 541
Ceux que citait Schott en cet endroit étaient la plupart encore vivants,
et il attendait d'eux des œuvres nouvelles qui soutinssent et agrandissent
la première réputation de leur école littéraire. Plusieurs, il est vrai , sont
morts avant la fin du siècle, au milieu d'une carrière consacrée surtout
aux travaux de l'esprit; mais il est demeuré d'eux non-seulement des ou-
vrages remarquables, mais encore de beaux exemples, des vues fécondes
dont l'époque suivante n'a pas su profiler. Les uns avaient en partage à la
fois la science et le goût, les autres étaient des maîtres consommés dans
l'art d'écfire: leur talent paraît d'un prix d'autant plus grand, si on les
compare aux écrivains prétentieux qu'on admirait cinquante ans plus tard.
Quoique plusieurs de ces nobles esprits aient déjà trouvé des bistoriens,
nous ne sommes point dispensé de faire ici une revue des titres qu'ils ont
acquis comme littérateurs et critiques, après avoir été condisciples et amis
dans les collèges de Louvain.
Quels latinistes louerions-nous à un plus liant point que Laevinus Tor-
renlius, cet aimable prélat, commentateur d'Horace, poète lui-même, digne
ami de cet autre admirateur des classiques latins, Charles Langius, cha-
noine de Liège '? Parmi les hommes plus jeunes, on se partageait géné-
reusement les travaux de l'érudition latine et grecque; c'étaient Théodore
Pulmannus ou Poelman - et Victor Giselinus ^, qui corrigeaient et anno-
taient les textes latins imprimés sans relâche dans les ateliers de Chris-
tophe Plantin, à Anvers; c'étaient Jean Livineïus et Guillaume Canterus
qui se dévouaient à la correction des textes grecs, et préparaient l'édition
corrigée d'auteurs à peine publiés; ils avaient fourni à la Polyglotte royale
les variantes de la Bible grecque avec des observations tirées d'un manu-
scrit de la version des Septante, et ils devaient mettre au jour, d'après les
manuscrits, plusieurs monuments de la littérature grecque, sacrée et pro-
' Voy. la vie de ces deux personnages par M. Félix van Huist , dans la Revue de Liège, t. 1 et II.
^ Paquot a donné une notice littéraire sur le premier, et décrit ses éditions de poètes latins,
païens et chrétiens, tels que Juvénal, l^ucain, Claudien , Prudence, Juvencus, etc. (Mémoires, t. III,
pp. 417-419.)
^ Sur Victor Giselinus, ou Gislain, né près d'Ostende, en loiô, mort en 1391 , voir outre San-
derus {de Bruyeiisibus , etc., pp. 73-74), et Paquot {Mém., t. I, pp. 141-142), la Biographie des
hommes remarquables de la Flandre occident., 1. 1, pp. 120-1 '22.
342 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
fane '. C'était une alfaire d'étude et aussi de goût que cet examen de sources
peu connues, exigeant une critique vigilante, aussi bien pour choisir les
leçons en détail que pour prononcer sur l'authenticité des œuvres. Guil-
laume Canterus et son frère Théodore avaient fait leurs preuves ^ : l'édition
grecque et latine du Florileginm de Stobée, donnée par le premier ^, faisait
reconnaître en lui un helléniste des plus habiles, qui avait triomphé de
véritables difficultés. G. Canterus, qui est mort à la Heur de l'âge, est le
modèle de l'homme qui aime les letti-es d'un amour sincère, et qui se dé-
voue à leurs progrès avec autant d'intelligence que de désintéressement.
Cependant tous ces noms, qui rappellent la loyauté du caractère, la
finesse de l'esprit et le dévouement à la science, pâlissent devant ceux de
.luste Lipse el d'André Schott, si l'on considère la portée et la durée des
œuvres. II fut donné à l'un de ressusciter en quelque sorte l'antiquité latine
avec la grandeur que son siècle se plaisait à retrouver dans les monuments
des beaux-arts et dans ceux des lettres : il eut la puissance de fonder une
science historique, ingénieuse et vaste, sur cette investigation de l'histoii-e
romaine, dans laquelle il comprenait des études de philosophie, de mo-
rale el de politique; il eut aussi à un haut degré cette autre puissance de
communiquer de l'actualité et de la vie à la langue et à la littérature de
Rome, dont ses œuvres et celles des savants, ses émules, semblaient alors
une continuation légitime. Le second de ces hommes, André Schott, qui
survécut à Lipsius et à presque tous les membres de la même école, était
philologue el critique d'une autorité plus grande que sa renommée *: il
' Sur la carrière de Jean Lievens ou Livineïus de Termonde, mort en 1595, voy. de Reiffen-
berg, Cinquième Mémoire, pp. 10-15, et l'article biographique de M. van Hulst, qui comprend la
vie d'un autre philologue , André Papius ou de Paep, t. VI de la Revue de Liège.
^ Voy. sur les deux Ganter le Trajeclum eruditum de Gaspar Burmann (Utrecht, 1750), pp. 59
et suiv. et pp. 70 et suiv., et l'écrit de S. Peiri de scriptoribus Frisiae, dec. XII et XV.
^ Antv., 1579, folio. Voy. Fr. Schoell, Hist.de la liltér. grecque, t. Vil, p. 157. Déjà en 1566,
G. Ganter avait publié chez Oporinus, à Bâle, des fragments de Stobée sur les doctrines morales
des Pythagoriciens; il en communiqua la version latine à son maître G. Valerius, qui l'inséra dans
son traité de morale. (Ethicu, édit. de 15C8 et ann. suiv.)
■* Voy. au tome XXIIl des Mémoires de f Académie royale de Belgique, la Notice biographique el
titlèr aire sur André Schott, par M. le professeur Baguet (Bruxelles, 1848, pp. 49, in-4°), et au t. V de
la Rnnie de Liège (1 846) , l'article biographique de M. F. van Huist. André Schott n'est mort qu'en
DES TROIS-LArsGLES A LOUVAIN. 343
ouvrit d'une main diligente les trésors peu explorés dans le domaine des
œuvres antiques, et il partagea son activité entre les littératures grecque
et latine, comme l'avaient tenté Livineius et les deux Ganter : l'auteur des
Tnllianae quaestiones et des Observationes humanae, l'éditeur de Sénèque d'Au-
rélius Victor, faisait des prosélytes à l'étude des sources grecques, et atta-
chait son nom à une édition longtemps célèbre de la Dibliotlièque de Photius.
On trouve encore d'autres représentants de la même école philologique
et littéraire parmi les humanistes et les savants qui , pendant ou après
la période des guerres civiles, ont passé en d'autres pays, surtout en
Hollande et en Allemagne : quelques-uns des Belges qui ont brillé à
l'étranger dans les sciences et dans les lettres, en avaient puisé les notions
dans les leçons et les écrits des maîtres que nous avons fait connaître ', et
d'autres avaient concouru au même but en dirigeant le mouvement litté-
raire dans plusieurs de nos villes , Bruges , Gand , Anvers -. Incontesta-
blement la révolution religieuse, la division qu'elle mit dans les esprits
et la séparation qu'elle amena entre les provinces septentrionales et méri-
dionales du Belgiiim, privèrent la Belgique restée espagnole de la splen-
deur intellectuelle plus grande et plus complète que lui aurait assurée la
réunion de tous les talents éclos dans son sein : de fait, elle n'a recueilli
qu'une portion restreinte de cet héritage, qui avait été amassé par le la-
beur de ses enfants.
Le collège des Trois-Langues avait produit une foule d'humanistes
actifs et judicieux; il avait dirigé les études de grammaire et de philologie
anciennes, poursuivies et naturalisées dans le pays tout entier, pendant
cette époque du XVI""' siècle, où les contrées de l'Allemagne étaient agitées
16-29. — Une description détaillée des nombreuses publications littéraires et philologiques de cet
éminent humaniste a trouvé place dans la Bibliogr. des écriv. de la comp. de Jésus, par les PP. Al. et
Aiig. de Backer, t. I. Liège, Lardinois, 1853, pp. 710-27.
< On citerait L. Carrion, J. Douza, J. Drusius, M. Doxhornius et plusieurs des premiers profes-
seurs de Leyde. Voy. le Mémoire de M. V. Gaillard : de l'in/hience exercée par la Belgique sur les
Provinces-Unies, t. VI des Méin. couronnés, 2"» partie, 1855, in-8°, pp. 80 et suiv., pp. 203-215.
- De ce nombre sont Bonaventure Vulcanius ou de Sniet, François Raphelingius ou Raulen-
ghien, .lanus Lernulius, Âdolpliede Metkerke, Janus Gruterus, P. Berlius, Jean Molanus de Gand,
qui dirigea l'école de Drême.
Tome XXVIIl. 45
544 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
et bouleversées par les controverses de la R.éforme et par les scènes de
désordres qui les accompagnèrent. Que l'on prenne en considération les
circonstances qui ont arrêté longtemps alors le progrès des études dans
cette Allemagne, toujours si fière de son savoir, l'on appréciera d'autant
mieux la solidité des services que l'institution de Louvain rendit à l'édu-
cation et aux sciences dans la Belgique, la Hollande et les pays voisins.
Pendant que l'abandon des études littéraires, qui suivit le premier déve-
loppement du luthéranisme, arrachait à Érasme les plaintes les plus vives,
et que Jean Sturm, Bucer, Capiton, Mélanchthon et d'autres maîtres luthé-
riens se lamentaient sur la décadence de leurs écoles, sur la dépopulation
des Universités et sur la marche rétrograde de la science ', un foyer d'in-
struction, ouvert au centre de notre pays, répandait à l'intérieur de ses
provinces et au delà de ses frontières le goût des belles-lettres et les prin-
cipes de philologie nécessaires à une connaissance de plus en plus appro-
fondie des langues et des littératures anciennes.
C'est un glorieux souvenir pour la Belgique, ainsi que pour la prin-
cipale école qui l'a éclairée, que celui de cet âge de la Renaissance où
elle était, au nord de la France et de l'Italie, l'asile le plus paisible et le
plus fréquenté des études classiques. La critique historique manquerait
à la vérité, si elle ne rendait hommage à une si belle initiative et aux
fruits abondants qu'elle a produits : en reconnaissant la défaillance qui
se manifeste au siècle suivant dans la vie de nos écoles, et spécialement
dans notre culture littéraire, on ne peut contempler sans admiration cette
ère de prospérité, qui commença pendant la carrière d'Érasme, et qui ne
prit fin qu'avec celle de Juste Lipse et de ses plus dignes émules. La pro-
tection des archiducs et de leurs successeurs, assurée à quelques hommes
distingués, fut impuissante à susciter un mouvement comparable à celui
qui venait de finir : c'est à nos futurs historiens qu'il appartiendra de faire
saisir, toutefois sans système préconçu, à quel point les effets de la domi-
nation étrangère se firent sentir alors jusque dans l'inertie des esprits.
' Voir les témoignages formels des ériulils et savants de l'époque, recueillis dans l'ouvrage de
M. le \)' i. Doellinger sur la Réforme , traduction française, 1. 1 , pp. 442 et suiv., pp. 479 et suiv ,
p. 533.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 345
S'il est encore dans l'histoire littéraire de la même période un autre
argument qui fasse ressortir la gloire légitime du collège des Trois-Lan-
gues, nous le tirerions d'un simple parallèle avec la destinée d'un établis-
sement semblable ouvert à Paris peu d'années après sa fondation (1550),
le collège royal de France. Il ne s'agit pas de revendiquer pour le premier,
fondé avec des ressources privées, l'enseignement toujours plus vaste que
la munificence des rois a assuré au second; on sait que, dès le XVI"" siècle,
ils ont ajouté aux chaires de langues anciennes des leçons de mathéma-
tiques, de philosophie grecque et latine, et aussi de médecine et de bota-
nique *. Mais il est intéressant de reconnaître à quel degré prospéra dans
l'une et dans l'autre institution l'étude des langues savantes, qui était la
raison principale de leur érection. Or, il résulterait clairement des faits,
dont l'examen détaillé ne peut trouver place ici, que les trois leçons de
latin, de grec et d'hébreu, données dans l'école de Busleiden, ont produit
dans les Pays-Bas espagnols pendant le XYI""^ siècle, une rénovation des
études de grammaire et de philologie non moins générale, que celle que
les leçons des mêmes langues instituées au collège royal ont produite dans
le royaume de France : les travaux de la plupart des professeurs de Bus-
leiden n'ont pas eu moins de succès en Allemagne et en France même, que
ceux des lecteurs l'oyaux, chargés de cours semblables. L'une et l'autre
école ont subi les mêmes persécutions à leur berceau de la part du corps
universitaire auprès duquel elles étaient fondées ^. Mais le Collegium Tri-
lingue conquit bientôt l'appui de l'opinion, grâce à la fermeté de ses maî-
tres. Il fut soutenu par les sympathies d'une nombreuse jeunesse, s'il ne
recueillit point la faveur et les largesses des princes, qui, toutefois, ne
préservèrent pas le collège royal des hostilités réitérées de l'Université de
Paris. Quand vint la période des guerres civiles, les deux écoles ne purent
échapper à leurs conséquences, et suspendirent longtemps leurs leçons.
Les rois de France relevèrent plus tard le collège de François I", lui don-
• Voy. l'exposé de l'abbé Goujct sur l'établissement du collège royal et ses progrès, au tome I
de son Mémoire historique et littéraire sur le collège royal de France. Paris, 1758.
"^ Sur la fondation de François 1", voy. le Mémoire cilé de Goujet, t. I, 1" partie, pp. 135 et
suiv., 160 et suiv., et VHistoire de l'Université de Paris, par Crevier, livre X, t. V, pp. 237-246.
346 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE
nèrent asile dans un bâtiment somptueux, et le dotèrent de nouvelles
chaires pour les langues orientales, l'arabe et le syriaque, ainsi que pour
les sciences; les souverains des Pays-Bas ne feront rien de semblable pour
fournir à l'institution de Busleiden les éléments d'une prospérité toujours
croissante et de puissants moyens d'action.
La prospérité primitive du collège des Trois-Langues, les contempo-
rains en faisaient honneur à Érasme, nous aimons à le rappeler, en ter-
minant nos réflexions sur les brillantes destinées qui furent d'abord le
partage de cette institution. Cornélius Musius lui-même, poète et martyr de
la foi chrétienne, l'a reconnu dans de beaux vei's, que nous reproduisons
ici, comme conclusion de ce chapitre* :
Nescio quas nugas, el frivola segnis amabam :
Ingenium ut taceam
Quam fuit exiguum, quodque omnia tempore in illo ,
Barbarieque niera ,
El plusqumn Gothicis fuerant pknissima monslris :
Plena hodieque forent,
Si non praesidium studiorum magnus Erasmus ,
Talia monstra stilo
Confecisset ^, et insigni procul urbe fugasset :
Et nisi BusLiDius
Ille, ScHOLAM proprio qui condidit aère Trilinguem,
Perpetuaque stipe
Dotavit, Musas omnes Charilesque benignus ,
Praeside cum Clario,
Mercuriumque una, veluti ad sua lempla vocasset.
• Une partie de cette pièce a été publiée par Valère André dans les Exordia , p. 40 (Corn. Mu-
sius, Ode de temporum ftigacitate, qiia vitue suae curswn prosequilur). Il en a reproduit un plus
long passage dans l'édilion de 1G23 de la Bibl. Belgica, p. 216. Musius avait suivi les leçons de
Goclenius et de Rescius (Foppens, p. 214-15).
■^ Les conseils d'Érasme avaient porté bonheur à l'établissement, comme on a pu le voir dans
les aperçus de notre chapitre III, et ses efforts avaient été si grands qu'il les comptait lui-même
parmi ses prodigieux travaux. N'écrivait-il pas à Goclenius : « Decebal ut ego senex jam particeps
cssem vestrarum felicitatum, sed video meos labores plane fuisse Herculanos? » (Epist. I, p. 634.
ann. 1521.)
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIIS. 347
CHAPITRE XL
LES ÉTUDES LITTÉRAIRES ET PHILOLOGIQUES AU COLLÈGE DES
TROIS-LANGUES, PEiNDANT LE XVII" SIÈCLE.
Perile artein putumux, nui appareat, ijuùin ilesinul
art eue, si apparet. (Qcismiiii;.
FoQiler, c'est graod; maintenir, c>tt difficilr
Après la longue crise politique qui avait suspendu les travaux de la
plupart des institutions académiques de Louvain, le collège de Busleiden,
longtemps fermé, reprit enfin son ancienne organisation, grâce au bien-
veillant concours de quelques membres de l'Université, et surtout à l'ac-
tivité déployée par le président Adrien Baecx, qui en fit la réouverture ^
Mais l'appel adressé alors à des hommes estimables, et même à des écri-
vains d'une brillante réputation, et la vigilance des administrateurs de la
fondation, qui ne négligèrent aucun moyen d'action sur la jeunesse, ne
rendirent pas à ce collège sa première prospérité et son premier éclat.
La décadence visible dont il fut frappé au second siècle de son exis-
tence, malgré le maintien extérieur de ses règlements et de ses privilèges,
mérite d'être étudiée avec attention ; nous ferons en sorte, sans trop étendre
les limites de ce chapitre, d'en montrer les signes incontestables et d'en
assigner les causes.
Lenseignement des lettres ne se présente pas dans les mêmes conditions
que celui des sciences, sous le rapport de sa direction et de sa perpétuité :
la plupart des sciences qui étaient dans les attributions des Facultés uni-
versitaires, et qui avaient fleuri depuis cent ou deux cents ans, furent de
nouveau cultivées et enseignées à Louvain avec un égal succès ; l'on croi-
rait même que les progrès que chacune de ces sciences avait faits de date
récente, furent alors mis à profit par les maîtres qui en étaient chargés. Il
n'en fut pas de même pour l'étude des langues et des lettres : la tradition
* Voir un exposé de son administration (ann. I606-1G24), au chapitre IV.
348 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
des idées et des principes ne s'y fait pas d'un âge à un autre avec la même
fidélité et la même rigueur que dans le champ limité des sciences positives
la mobilité des opinions s'y fait sentir davantage, et les variations du goût,
tenant à l'influence d'un écrivain ou d'une école, ont quelquefois des con-
séquences désastreuses qui s'étendent à un siècle tout entier.
Le collège des Trois-Langues, qui était resté sur la limite des deux
siècles sous le patronage du nom de Juste Lipse, ne put échapper à de
telles vicissitudes dans son enseignement littéraire et philologique; il ne
rentra pas dans les voies où l'avaient engagé les exemples et les tendances
de ses premiers protecteurs et de ses maîtres les plus distingués. La cul-
ture des langues y fut poursuivie sous l'empire d'autres idées , dans un
but d'utilité pratique, ou bien encore de vanité et d'agrément; mais on
avait perdu le sentiment de la vérité et de la beauté littéraires, au point
de ne plus les chercher l'une et l'autre dans leurs principaux et constants
modèles : une nouvelle rhétorique et une nouvelle poétique furent alors
substituées aux notions et aux règles qu'on avait tirées des classiques
latins et grecs avec une merveilleuse entente.
La décadence n'était pas moins marquée du côté de la matière et des
pensées que du côté des règles du style et des principes esthétiques. La
méthode et les travaux des premiers maîtres avaient acheminé nos huma-
nistes et nos écrivains jusqu'au véritable centre de la critique et de l'érudi-
tion littéraires, l'antiquité classique, qui en était alors le champ de bataille;
ils avaient été, à l'époque qui venait de finir, les directeurs du mouve-
ment, les arbitres de l'opinion. Ceux qui ont occupé au XVI1°"= siècle les
chaires du collège de Busleiden ont rompu insensiblement avec les écoles
qui avaient accepté l'héritage de Juste Lipse et d'André Schott; ils n'ont
pas poursuivi de concert les recherches d'histoire et de philologie qui
devaient conduire si loin l'érudition classique dans les pays voisins, et,
se condamnant à un isolement volontaire, ils se sont complus dans l'admi-
ration d'un petit cercle d'auteurs anciens, ou dans la composition d'œuvres
nouvelles sans raison d'être, sans règles vraies, et partant, sans portée,
sans valeur durable. Il n'y eut qu'un fort petit nombre d'exceptions à cet
entraînement d'esprits honnêtes et laborieux dans des routes écartées et
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 349
malheureusement stériles ' : nous signalerons les vues plus profondes de
quelques hommes qui, toutefois, ne réussirent point à donner aux travaux
des autres une impulsion meilleure.
Nous jetterons d'abord un coup d'œil sur la direction qui fut imprimée
aux leçons de langues, puis sur l'application qui en fut faite; nous verrons
ensuite quelle espèce de vie littéraire se produisit au sein de l'école nou-
velle; enfin nous examinerons quels préjugés ou quels abus portèrent dom-
mage aux intérêts les plus vrais des lettres et même des sciences, dans la
sphère où l'action du collège de Busleiden pouvait s'étendre.
Le latin n'avait rien perdu au XYII"'" siècle de son ancien empire dans
les provinces belgiques : les idiomes nationaux du nord et du midi ne
pouvaient lui disputer d'aucune façon la prééminence d'honneur et même
de fait, qu'il avait aux yeux des hommes des classes élevées et des profes-
sions libérales. Non-seulement l'enseignement des humanités et celui des
sciences sans exception se faisait en latin; mais encore les écrits sérieux et
les livres scientifiques, les discours officiels et les compositions poétiques,
n'avaient point d'autre langue : s'il y eut alors quelques productions dans
l'une ou l'autre des langues vulgaires, elles n'avaient qu'un succès local
et ne s'adressaient pas au public lettré.
11 faut lire avec quelle verve un philosophe de ce siècle prenait chez
nous la défense du latin contre les prétentions de la langue belgique, qui
était sa langue maternelle : dans une de ses Quaestiones quodUOeticae 2, petits
discours prononcés à Louvain quand il professait encore, Arnold Geu-
lincx établit une altercation simulée entre les deux langues, et c'est pour
glorifier le latin comme langue universelle, comme langue de l'Église,
des écoles, de la science et des livres; c'est pour louer les Belges et les
Allemands d'en posséder une connaissance plus parfaite que les Italiens
eux-mêmes. Le philosophe anversois ose bien demander où est la langue
" Nous ne reprendrons pas dans les biographies esquissées précédemment lous les renseigne-
ments qui confirment les assenions énoncées en ce chapitre : quelques personnages seulement
seront mentionnés plus d'une fois comme représentant l'opinion de leur siècle.
2 Salurnulia seuquaesl. quodlib. Antverpiae, 1655, in-4°. — Ed. ait., Lugd. Bat., 1665, in-I2.
— Quaeslio XXIV... Utro praestantior Belgica, an lalina lingua? (édit. 1665, pp. 305-312).
550 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
belgiqiie, et il la cherche « sur ce coin de lerre » reléguée dans les réu-
nions dn peuple ^ Dans une autre discussion, Geulincx combat l'étude
des langues de diverses nations, et, après avoir stigmatisé les particula-
rités euphoniques des principaux idiomes connus, il revient à dire que
c'est bien assez du latin comme langue des hommes instruits, des esprits
cultivés qui n'ont que faire de tant de peines et d'efforts pour apprendre
des langues qui lui sont toutes inférieures. Que le peuple garde son jar-
gon ! les savants ont en partage la langue de Rome, qui rend toutes les
autres inutiles. Voici la fin de ce plaidoyer d'un latiniste habile - : Noti
mendicanda nobis a percgrinis linguis arlium pi-aecepta : lotus in Latiiim conccssit
scienlianan clioims , lolus illi lingnae credihir liodie doctrimie tlicsaiinis : sola Itaec
e magislri calliedi^a tonat , sola discipulorum calamos exercet , sola replet volumi-
nibus Musaea : Inijus commercio in unam Remp. coëunt , quotquot per Enropam
et idlra dispergunlnr docti : ciim liac ubi tantiim extra vilissimam plebem snmiis,
vbique in palria sumiis. Deniqiie in ipsis exterorum linguis, nescio quo conta gio ,
eorumdem vitia sunt : alia loquax, nlia salax, alia in supervacaneas caeremonias
pomposa, alia in serviles principiim adulationes projecta : candidus liis , o Belgae ,
quia colorem facile bibit, inqiiinalur aninnis.
A n'en point douter, le latin, qui avait conservé encore intacts ses
droits de langue littéraire et polie dans les Pays-Bas, était écrit avec pu-
reté, simplicité, élégance, par bien des hommes, comme le prouvent les
œuvres conservées du siècle où Geulincx l'élevait si haut; mais ces hommes
avaient pu se préserver par leurs propres éludes, ou par la lecture d'au-
teurs choisis, des défauts qui étaient autorisés par les latinistes les plus
vantés de leur époque. Sans considérer les exceptions, et sans avoir besoin
d'en indiquer toutes les causes, nous allons droit à la source du mal que
nous dénoncions tout à l'heure : on a écrit le latin avec prétention à la
finesse et même à l'éloquence, sans se soucier des anciens modèles, les
' At Belgira linyiia iibi est? In hoc Itrrae anyulo, in hac gleba : el ibidem non nisi verna et
famula , per culinas strepit et popelli tabervas : Aulam freqtientat Gallica, Academiam Latina,
mercalorum Basilicas Liisitana, inter elegantiorum sitbinde coetus Itala lascivit et Castellana.
Quam sonal iste caestus, o Belgica!
- Qiiaeslio XI. An laudabile diversarum gentimn idimnata perdiscendi sludium?
DES TROIS-LAiNGLES A LOUVAIN. 3S1
yeux toujours fixés sur quelques écrivains récents fort aimés du public.
La faute en retombe certainement sur les hommes qui ont été appelés
dès le commencement du siècle à cette leçon de langue latine, qui avait
procuré autrefois au collège de Busleiden tant de solide renommée. Le
premier d'entre eux, Érycius Puteanus, que l'on considérait comme un
autre Lipsius, n'imprima une direction ni assez ferme ni assez large aux
études latines : quoiqu'il eût visité Rome et l'Italie, il ne fit pas une
critique profonde des historiens romains qu'il expliquait souvent; il ne
chercha lui-même dans les anciens qu'un thème de considérations philo-
sophiques, morales et historiques, le plus souvent très-hasardées, et il
perdit de vue la valeur littéraire des œuvres. Il trouva beaucoup d'admi-
rateurs de ses productions, dans lesquelles il s'escrimait sur des ques-
tions oiseuses, et il entraîna ceux qui lui furent confiés à disserter et à
écrire de même. Puteanus était bon prince; mais son règne ne fut que
trop long, et la pédanterie qu'il professait de si bonne foi eut le temps
de s'implanter comme une de ces modes bizarres dont les années font
passer le ridicule. Discours, diatribes, dissertations, vers, tout était mar-
qué au même coin d'un art prétentieux, qui n'avait ni la grâce du naturel
ni les élans de l'enthousiasme. Celait un art qui se détruisait lui-même à
force d'affectation, et c'est ce genre d'affectation qui doit répugner à des
esprits non prévenus K L'emphase déparait toutes ces productions dont
les auteurs avaient peur d'être simples, et dont le sujet mal choisi, mes-
quin d'ordinaire, était rehaussé inutilement par le grandiose des mots :
L'un n'est pas trop fardé, mais sa muse est trop nue;
L'autre a peur de ramper, il se perd dans la nue.
Vernulaeus, qui succéda à Puteanus, avait à un plus haut degré le
sentiment du vrai qui est une des conditions du beau littéraire; mais il
n'eut pas le temps de soumettre la jeunesse du collège à l'épreuve d'une
* Tel est le sens d'un mot que Dorpius prenait, en 1515, comme devise de son discoursrfe Laudi-
bus disciplinarum (van Iscglieni, Biogr. de Th. Martens, p. 241. Cfr. ch. V, pp. 113-15) : Optima
est ars sine arle : et odiosa semper a/feetalio. C'est aussi celui de la sentence d'un critique ancien
inscrite en tête de ce chapitre.
Tome XXVIII. 46
3S2 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE
direction plus sage; il avait été obligé lui-même de se plier à toutes les
exigences de l'enseignement officiel de la rhétorique aux étudiants de la
Faculté des Arts, et comme littérateur et poète latin, il avait conservé de
l'indépendance et du goût tout en imitant dans ses tragédies le théâtre latin
de Sénèque. Les successeurs de Yernulaeus, B. Heimbachius, Christophe
van Langendonck, etc., firent quelques efforts pour exercer la jeunesse à
la composition, et pour l'intéresser à la lecture de quelques bons auteurs.
Mais, bien que la chaire de latin qu'ils remplissaient portât encore le
litre de chaire d'histoire, parce qu'ils expliquaient les historiens latins,
ils n'obtinrent aucun résultat important dans celte étude où Juste Lipse
avait brillé. Puteanus n'avait déjà plus l'intelligence de la civilisation
romaine et des enseignements que fournissent les monuments historiques
et littéraires; ceux qui vinrent après étaient dépourvus davantage encore
de ce sens historique, qui fait découvrir les réalités du monde ancien dans
leur vrai jour, et les beautés des œuvres anciennes à la lumière des idées
et des faits ^ Il ne faut pas s'étonner après cela que la lâche de critique
et d'éditeur n'ait été revendiquée par aucun des latinistes d'alors : nous
avons cherché en vain l'édition ou le commentaire d'un écrivain latin
de quelque importance auquel l'on pût attacher leur nom; il n'est pas
un texte de littérature ancienne, imprimé sous leurs auspices, que l'on
puisse opposer à l'activité des écoles philologiques qui avaient dépassé leur
aînée.
Les études grecques souffrirent plus encore que les études latines; elles
perdirent de tout point, et par rapport au nombre de ceux qui s'y adon-
nèrent, et au point de vue des résultats qu'on pouvait alors en attendre.
Les premiers professeurs de langue grecque ne furent point responsables
de l'indifférence avec laquelle le public universitaire traita bientôt cette
leçon : Pierre Stockmans possédait les qualités nécessaires pour la rele-
ver dans l'opinion, mais il n'enseigna que pendant environ dix ans; c'est
Pierre Castellanus, son prédécesseur, qui eut surtout le pouvoir d'exciter
l'intérêt des meilleurs esprits pour une élude qui présentait tant d'aspects
' Sur la direction des cours d'humanités en France dans la même période, voir le travail de
M. Ch. Lenorniant : De l'enseignement des langues anciennes. (Extr. du Correspondant, I844.)
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 3S3
différents. On a pu remarquer dans la biographie de ce savant helléniste
et médecin •, quelle érudition de bon aloi, puisée aux sources grecques,
il avait mise dans des écrits qui avaient trait à la civilisation et aux sciences
de l'antiquité. Bien mieux que Puteanus et qu'aucun autre, Castellanus
était capable de fonder une école de critique historique et littéraire qui se
fût tenue au niveau de celles de la France, de la Hollande et des autres
pays; mais il mourut jeune en 1652, et après lui non-seulement les lettres
grecques, mais encore toute érudition positive et utile, basée sur une phi-
lologie judicieuse, tombèrent en discrédit. Cette décadence fut sans retour,
et encore au dernier siècle, M. de Nélis jetait un regard de tristesse sur les
vicissitudes toujours plus fâcheuses qui atteignirent les lettres anciennes,
après l'époque de Castellanus et la retraite de P. Stockmans 2.
Il n'y eut jusqu'à la fin du XYIl"'" siècle aucune application sérieuse
des études sur la langue grecque, qui était réduite, sans doute, aux élé-
ments de la grammaire dans les leçons du Collegium Trilingue. Justice étant
rendue au zèle d'un professeur irlandais de naissance, Fr. Martin, qui
enseigna le grec de 1683 à 1722, on ne peut fermer les yeux sur les faits
qui attestent suffisamment la déchéance de cette étude, et l'incurie des
hommes qui auraient dû la soutenir. Non-seulement on ne voit paraître
alors aucun nouveau travail de grammaire, aucun texte d'un auteur clas-
sique, mais encore on voit les leçons de grec abandonnées par cette classe
d'étudiants en droit et en théologie qui les fréquentaient avec empresse-
ment autrefois^. Sans rendre ces leçons obligatoires, on aurait dû prendre
des mesures efficaces pour qu'elles profitassent comme par le passé aux
études de droit, de théologie et même de médecine. Cet abandon eut des
• Voy. plus haut, chap. VII, § 7, pp. 215-17.
* Prologue sur le Ludus de Castellanus, au tome I de ses Analectes, p. 98. — Si l'on réimprime
tant d'élucubrations sans valeur, et qu'on oublie des œuvres pleines de gr.^ce et d'élégance, de
Nélis l'attribue à la chute sans cesse plus grande des études littéraires: Verum mirari desino
quum non Gruccarum modo Utterarum... sed etiam Lalinarum eliam fatum , qtiale temporis Mo
inlervallo fuerit , mecum considéra. Castellanus noster, Erycius Puteanm, paucique alii.post Justi
Lipsii excessum, labanlibus humeras aliquamdiu supposuere : ah eorum morte jacuere penitus.
tanlutn non exstinctae.
s Dans la seconde moitié du XVI""' siècle, un grand nombre de gradués en droit avaient fait un
cours de grec pour accroître leurs connaissances historiques et littéraires.
354 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE
conséquences fort graves : nos jurisconsultes et nos magistrats n'acquirent
plus cette érudition littéraire, qui avait fait l'ornement du savoir de leurs
prédécesseurs. Les études théologiques ne furent plus sans cesse alimen-
tées par la tradition des Pères, recherchée naguère si avidement dans les
sources : on n'aperçoit aucun monument de la Patrologie grecque, qui ail
été publié ou traduit à Louvain dans ce laps de temps; il reste même dou-
teux qu'un certain nombre de théologiens fût en état ou eût l'habitude de
lire les Pères dans les belles éditions grecques, publiées surtout par les
Bénédictins.
La leçon de langue hébraïque fut continuée pendant la même période,
sans produire d'autre fruit que la transmission des premiers principes,
suffisant à quelques théologiens pour prendre connaissance des passages
invoqués dans des controverses célèbres. Il est bien vrai que cette leçon
se fit avec autant d'assiduité que les autres, et que les professeurs d'hé-
breu ou d'autres membres de l'Université défendirent plusieurs fois en
public des thèses qui avaient pour objet la nécessité d'une étude appro-
fondie des langues bibliques; mais en fait, il n'y eut point d'œuvre qui
servît de programme ou de base à des travaux de philologie sacrée ou à des
recherches d'exégèse proprement dites. Versé dans l'hébreu, J.-B. Gramaye
recueillit des données sur les langues et les alphabets du monde ancien;
mais le curieux Spécimen qu'il élabora au retour de ses voyages ' ne provo-
qua point de semblables efforts. Jean Sauter ne donna qu'avec de grandes
peines une introduction extraite du cours de grammaire qu'il avait rédigé
(1675). Puisque ce professeur dut travailler lui-même à l'exécution d'un
nouveau corps de caractères hébreux, on avait probablement laissé se perdre
ou se détruire dans le courant du siècle, la collection de caractères qui avait
servi dans ses premières années à l'impression de mots et de textes de la
langue sainte : appartenaient-elles en pleine propriété à un seul imprimeur,
ces lettres qui ont reproduit les mots hébreux cités (p. 16) dans le dis-
cours de V. André sur la langue hébraïque, imprimé en 161-4 par Ph. Dor-
' Voir notre Examen historique du tableau des langues et des alphabets de l'univers que J.-B. Gra-
maye a publié à Ath en 1622. Gand, 1834, in-S» (Extrait du Messager des sciences historiques .
ann. 1834, pp. 108 et 190).
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 35a
malius, et qui ont suffi à l'exécution assez difficile du miroir hébraïque
sorti, en IGlo, des presses de Gérard Rivius '?
On croirait difficilement que l'auteur de ce miroir, qui était un lexique
des radicaux de l'hébreu fort habilement construit, ait enseigné à Louvain,
à côté de la chaire d'hébreu du collège des Trois-Langues : Valère André
occupait alors cette chaire, et dans aucun livre historique relatif à l'Uni-
versité, il n'est question de l'étranger dont ledit lexique porte le nom
avec la qualité de professeur de langues orientales. Si Joseph Abudacnus
dit Barbatus, chrétien d'Egypte ^, a enseigné quelque part en Belgique,
c'est bien plutôt à Anvers, puisqu'il dédia ce premier travail aux magis-
trats de cette ville ; l'histoire antérieure de ce personnage n'est pas con-
nue, et il n'est rien de certain touchant la durée et l'emploi du séjour
qu'il a fait en Angleterre, après son passage en Belgique.
Que nous envisagions maintenant les moyens et les exercices mis en
usage par les professeurs de langues et de belles-lettres dans l'intention
de favoriser leur étude, nous apercevons des méprises tout à fait sem-
blables à celles que nous avons signalées dans l'enseignement et dans les
écrits donnés et pris pour modèles. Il y eut toujours quelque chose de
factice, ou du moins de fort mesquin dans la vie littéraire que l'on pré-
tendit exciter dans la jeunesse par des essais de composition oratoire et
poétique; le travail paraissait fort animé, et les têtes étaient pleines d'es-
pérances et de projets; mais tout ce mouvement devait aboutir à une litté-
rature fort banale de compliments ou de considérations morales.
Puteanus avait établi, dès l'an 1610, une espèce d'académie dans le
lieu de sa résidence, le château César, qui devenait dès lors pour cette
petite république la forteresse de Minerve, Arx Palladis. Il voulait sincè-
rement le bien, et pour aider les autres à y atteindre par la culture de
' Spéculum hebratcum, ou lexique des racines et de leurs principaux dérivés , vol. grand in-folio.
(Lovanii, in oflicina typograpliica Gerardi Rivii, 1615. Dern. signât., F. 2.) — Gerardus Rivius
(ou Gérard van Rivieren) demeurait à Louvain, à l'enseigne de Pégase, et il y a imprimé de l'an
1599 à l'an t634.
2 Voir, dans le Messager des sciences historiques de Behjique , ann. 1830, 1" liv. (pp. 248-59),
ma note sur le Lexique hébreu, publié à Louvain en 1613. Voir aussi l'arlicle Ht Aboudacnus (dont
le nom signifie l'ère de la Barbe), dans la Nouvelle biogr. imiv. de la maison Didot.
356 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
l'esprit, il avait ouvert une « lice de la saine intelligence », sa Palaeslra
bonae mentis, où la jeunesse dissertait, récitait, lisait, disputait sous sa
haute présidence. Le collège des Trois-Langues avait l'honneur de servir
tous les mois aux assemblées générales de la Palaeslra , tandis que les
réunions particulières avaient lieu chaque semaine dans la demeure de Pu-
teanus ^. Les gentilshommes recommandés à ce professeur étaient conviés
par lui à ces exercices, fort utiles sous plus d'un rapport, s'ils avaient été
mieux dirigés : la pensée de l'œuvre, et le dévouement de celui qui l'or-
ganisa sont également louables; mais là comme ailleurs manquèrent les
notions littéraires et historiques qui s'effaçaient de plus en plus dans la
nouvelle école. On se contenta de peu; les modèles assignés par le maître
étaient d'un choix malheureux, et la critique qu'il exerçait lui-même ne
rachetait pas des défauts cjue ses exemples n'autorisaient que trop. Les
amis de Puteanus le savaient ou le devinaient fort bien : Daniel Heinsius
n'osait lui dire en face que son académie était d'un intérêt trop local, mais
lui donnait le conseil de provoquer de plus vastes études qui eussent du
retentissement^. Les essais que (it Puteanus pour que des jeunes gens de la
noblesse terminassent leurs études littéraires dans le court espace de deux
ans, méritent quelque attention, au point de vue de la pédagogie ^; mais
les statuts qu'il publia, à cet effet, donnent lieu de penser qu'une étude si
précipitée des langues et de l'histoire nuii-ait à l'idée que la jeunesse doit
se faire de l'étendue de la science et de la nécessité du travail, et qu'elle
favoriserait en elle cette présomptueuse confiance dont il n'y a que trop
de traces dans les élucubrations latines de la même école. On ne peut non
plus s'empêcher d'observer que les premiers historiens que Puteanus vou-
lait mettre entre les mains de ses nobles élèves étaient Sulpice Sévère,
' Voii' l'analyse des lettres de Puteanus par de Reiffenberg, Notices et extraits, 4 829. t. I,
pp. 4C-47. — La Palaeslra avait admis, parmi ses membres, l'imprimeur I^hilippe Dormalius ou
van Uormael, pour bonorer en lui l'art typographique. (Ibid., p. 54.)
* Lettres de Leyde, IGll (Not. et exir., p. 47), où on lit, par exemple: Instituti lui praeslan-
tiam nisi Lovanitim agnoscit, ad posleritutem provocare potes.
' Designatio contubernii nobitium puerorum quo institulio titeraria biennio absolvatur, pièce
inédile, publiée en 1839 dansl'/l?»;. de l'univ. de Louv., pp. 272-277. —Voy. aussi l'article intitulé:
Puteanus et sa métiiode d'enseignement. Annuaire de 1852 , p. 319.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 357
Justin et Florus, à la suite desquels il plaçait modestement son histoire
des invasions des races germaines [Irrupliones barbarorum).
La jeunesse de l'époque faisait la prose et les vers à l'instar de ses
maîtres : on l'avait habituée à se passer de l'imitation des anciens, et au
moment où les littératures anglaise et française fixaient leurs règles et
leurs genres avec une profonde intelligence des secrets de l'art antique,
nos écrivains cherchaient leurs modèles dans les oeuvres latines de second
ordre, et même dans des compositions toutes modernes. Celte médiocrité
des auteurs que l'on copiait n'est-elle pas une raison suffisante de la valeur
non moins médiocre des travaux d'imitation?
On se ferait avec peine une idée des écarts dans lesquels la majorité des
littérateurs latins tomba sous l'empire de ces préjugés d'école, si on ne
lisait pas les produits de leur plume, qui ont échappé à l'indifférence des
générations suivantes et aux outrages du temps. La plupart des œuvres ora-
toires se réduisent à des discours pompeux, mais vides de choses; la décla-
mation remplace les faits et l'élément historique est absorbé par de préten-
dues considérations politiques; les vues et réflexions philosophiques ou
morales ne tiennent à aucun système. La poésie ne consiste guère qu'en
pièces de vers alambiqués; autour d'un nom se groupent les épithètes les
plus louangeuses; trop souvent les formules d'adulation banale sont épui-
sées jusqu'à la dernière, et il y a encore banalité dans ces chants d'apo-
théose, où le prince, le guerrier, le savant, le poète, est porté jusqu'aux
cieux, jusqu'aux astres. Les illusions de ces auteurs et de ces poètes
allaient aussi loin que la sincérité de leur confiance dans l'emploi des
ressources qu'on leur conseillait, des procédés dont ils faisaient tous les
jours l'application mécanique. Ils se promettaient les uns aux autres l'im-
mortalité, et Puteanus ne fut pas le seul à croire à la sienne^. On se
tromperait apparemment si on ne voyait que la réclame dans tout ce
pathos, où Apollon, Minerve, les Muses interviennent sans cesse, sous
tous les noms et avec toutes leurs qualités. Les nouveaux latinistes, si
honnêtes qu'il fussent, ne savaient plus louer sans cet appareil fort lourd
' Voir (de ReilTenberg, Cinquième Mémoire, p. 20) les éloges inqualifiables de J. Imperialis,
écrivain d'Italie, à ce personnage, que d'autres ont appelé « le plus grand des mortels », etc.
358 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
de comparaisons mythologiques, et ils s'ingéniaient à découvrii" des
expressions toujours plus énergiques et plus hautes de leur admiration,
qui n'était certes pas feinte et empruntée dans la sphèi^e où ils vivaient.
Cette aberi\ation du XYII""" siècle aurait-elle peut-être une sorte de justi-
fication dans les faiblesses d'une autre époque? Elle devrait être assez faci-
lement excusée dans la nôtre : la prose du journalisme n'est-elle pas coupa-
ble de bien plus grands excès que les tirades oratoires et poétiques de nos
aïeux? ne dispense-t-elle pas tous les jours sans mesure , sans vergogne, sans
pudeur, l'éloge et le blâme? ne décerne-t-elle pas les noms de docte, d'il-
lustre, d'éminent, aA'ec la même extravagance que nos versificateurs latins
distribuaient leurs épithètes tirées à pleines mains du vocabulaire de la poé-
tique latine et grecque? ne concourt-elle pas à la dépravation du langage,
à l'altération du sens des mots qui devient menteur au gré des passions?
Que l'on fasse ce retour sur les travers du temps présent, et l'on ne vou-
dra point parler avec colère des prétentions littéraires et du langage vani-
teux de l'école de Puteanus ou bien encore de l'école voisine de J. Scaliger.
Nous avons dénoncé jusqu'ici dans le second siècle littéraire de l'Uni-
versité de Louvain de fausses directions, de regrettables méprises, qui
ont arrêté le mouvement des sciences philologiques si rapide et si glo-
rieux dans le siècle antérieur; nous devons indiquer en finissant plusieurs
préjugés et plusieurs abus qui ont contribué à ce résultat dans l'organi-
sation universitaire, à laquelle la direction du collège des Trois-Langues
restait subordonnée.
En premier lieu , signalons le grave abus du cumul des charges; car il
exista au détriment du collège de Busleiden comme à celui de plusieurs
institutions de l'Université. Il n'y eut pour ainsi dire aucun professeur qui,
à partir du XVIl™" siècle, n'ait entrepris des études étrangères à son ensei-
gnement littéraire ou historique, et le plus souvent il en a considéré les
fonctions comme tout à fait accessoires, du moins comme secondaires
dans l'ordre de ses devoirs. Les chaires des Facultés de l'Université étant
mieux rétribuées que celles du collège des Trois-Langues, la plupart des
hommes n'acceptèrent celles-ci qu'avec la perspective de prendre des grades
soit en droit, soit en théologie, pour avoir part aux honoraires, aux pré-
DES TROIS-LANGLES A LOUVAIÎN. 559
bendes et aux bénéfices attachés aux chaires plus élevées. INous n'avons pas
besoin d'examiner si le souverain, les états, les corps constitués n'avaient
pas alors l'obligation d'assurer, dans l'intérêt des belles-lettres, une posi-
tion meilleure et plus indépendante à ceux qui les professaient : le fait
subsiste, et il donne en partie la clef de cette suspension des travaux utiles,
qui avaient été poursuivis sans relâche et presque toujours avec plus de
désintéressement dans le siècle précédent.
L'exemple de Valère André le prouve surabondamment : que pouvait-il
faire de sérieux et de durable pour les études hébraïques, quand il étu-
diait et enseignait le droit, quand il joignait à ses commentaires juridi-
ques des travaux d'histoire et de biographie? On réclama de son temps
contre le cumul de plusieurs charges : Valère André composa un mémoire
intitulé : Pro defensione mea, afin de conserver les siennes^; il allégua à
cet effet plusieurs exemples d'une possession semblable de deux chaires à
la fois, et il réussit. Au moins cet homme instruit et actif rendit-il des
services signalés à d'autres branches de la science; mais combien de gra-
dués en droit ou en théologie, qui possédèrent les chaires du collège de
Busleiden, furent-ils en état de satisfaire aux nécessités les plus urgentes
de l'enseignement littéraire!
En second lieu , une fraction considérable de l'Université oublia trop en
quel honneur on y avait naguère tenu l'étude des lettres classiques; l'in-
différence ou le dédain de quelques-uns pour les professeurs de langues et
de belles-lettres put devenir, en plus d'une circonstance, un motif de dé-
couragement, et même une source de sérieux obstacles pour ceux-ci.
L'exemple de Puteanus ne saurait servir, ce nous semble, en cet endroit,
d'argument décisif; cependant il montre quelles devaient être les disposi-
tions du plus grand nombre envers ses collègues, comme envers lui.
Les titres de Puteanus avaient excité autour de lui certaine jalousie^ :
conseiller du prince, Puteanus voulait prendre rang au-dessus de ses
collègues, les membres de la Faculté des Arts; de nombreux opposants
soutinrent que Puteanus n'appartenait plus ni à celle-ci , ni non plus à
' Paquot a vu la défense de ce professeur. (Fasti, MS., t. I, p. 517.)
^ Voir ses lettres de l'an. 1613. Notices et extr., ibid., pp. 50-51.
Tome X.XVllI. ^7
560 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
aucune autre; que ses auditeurs ne pouvaient avoir droit aux privilèges
de l'Université, et que les certificats qu'il délivrait à ses élèves ne pou-
vaient être reconnus.
Nous ne pouvons passer sous silence une troisième cause bien grave de
l'aflaiblissement des études littéraires : elle se fit sentir au collège de
Busleiden plus que partout ailleurs. Les esprits s'étaient trop vite habi-
tués à rester indifférents aux entreprises savantes, aux recherches criti-
ques qui faisaient avancer la science et les lettres chez d'autres nations;
de fait, les relations si suivies autrefois avec les écoles célèbres de l'Eu-
rope avaient toujours diminué, et enfin cessé presque entièrement. Est-il
besoin de prouver combien cet isolement fut préjudiciable à une institu-
tion qui ne pouvait rester étrangère à ce mouvement des esprits sans renier
son passé? Le mal devint d'autant plus grand que, vivant constamment
dans ce milieu où ils ne voyaient plus autre chose qu'eux-mêmes, les
hommes crurent de bonne foi qu'il n'y avait rien de mieux au delà.
Une quatrième circonstance que nous n'omettrons pas de citer dans la
revue des faits qui ont influé sur le sort des études académiques pendant
le XVli""= siècle, c'est l'ouverture d'un collège spécial pour les cours d'hu-
manités, celui dit de la Sainte-Trinité, Collegiicm sanclissiinae Triuiiatis, qui
eut lieu en 1657. Les fondations des anciens collèges de Gand (Gandense)
et de Vaulx (Vaidxianum) ', destinées à des cours préparatoires de gram-
maire, furent réunies au nouvel établissement, qui prit bientôt une grande
importance. Le collège des Trois-Langues conservait sa renommée et sa
destination; mais les classes d'humanités organisées dans le collège de la
Trinité suppléèrent à l'enseignement élémentaire des langues grecque et
latine, qui avait attiré autrefois une foule de jeunes étudiants autour des
chaires du collège de Busleiden. Cet enseignement d'une utilité pratique
se poursuivra avec zèle et avec fruit pendant le reste du siècle, et jusqu'à
la fin du XVIII"-.
' Valère André, Fasti ucuikni.ici , pp. 583-86.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN 361
CHAPITRE Xll.
DE L'ENSEIGNEMENT DU COLLÈGE DES TROIS-LANGUES
PENDANT LE XVIII' '" SIÈCLE.
'T^rèp 'Etrifisviâ'i'iV z:.'^5cr9«/.
Le proverbe grec disait : « Dormir plus longtemps qu'Épiménide. >>
en souvenir du sommeil de soixante-quinze ans que la fable prêtait à ce
personnage mystérieux. Le collège, dont nous avons fait l'histoire dans ce
XVI"'" siècle, qu'on appellerait volontiers son âge héroïque, était tombé
à la fin du XVII""^ siècle dans un état déplorable d'inertie et d'assoupisse-
ment : ce fut bien pis au XVlll'"^ alors qu'il dormit d'un long et profond
sommeil, interrompu par le décret de sa suppression.
Toutes les causes de décadence que nous signalons au chapitre précé-
dent, agirent d'une manière non moins désastreuse sur la destinée du
collège des Trois-Langues, pendant le troisième siècle de son existence,
que pendant le second ; les faits ne laissent point de doute sur les fautes
alors commises au préjudice de l'éducation littéraire et des sciences en
général. Les études furent conduites mollement; l'enseignement continua
à être donné suivant les procédés qui s'étaient accrédités dans l'école par
l'influence de Puteanus, de Ileimbachius et de leurs successeurs; il ne fut
point soutenu par les travaux personnels des maîtres qui renfermassent
le précepte et l'exemple. Quelques tentatives isolées, quelques efforts
honorables, mais sans portée, ne contredisent point celle appréciation
générale, fondée sur la réunion d'indices infaillibles.
11 n'y a aucune trace d'études dirigées avec suite dans l'une et l'autre
des branches de philologie qui relevaient de chacune des trois chaires de
Busleiden. La leçon de latin ne regagna d'aucune façon son ancienne
renommée , malgré la haute opinion qu'on se fit en ce temps de l'élo-
362 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
quence et du savoir de quelques professeurs, de G.-J. Kerkherdere par
exemple : on maintint l'usage d'expliquer dans cette leçon les historiens
latins; mais la méthode était sans doute vicieuse, puisqu'il n'est résulté de
ce genre d'explications aucun profit ni pour la critique littéraire, ni pour
la science de l'histoire. La grammaire latine ne fut non plus l'objet d'au-
cun travail de synthèse ou d'analyse, qui l'enrichît d'observations et de
particularités tirées de la lecture des classiques : du reste elle était, dans la
même période, enseignée utilement dans les cours d'humanités, au collège
de la Sainte-Trinité, et c'est là qu'elle fut résumée dans quelques livres élé-
mentaires, destinés aux seuls commençants K En 1768, la chaire de latin
fut supprimée par les administrateurs de la fondation du collège de Bus-
leiden , soit par des raisons d'économie, soit en considération de la mé-
diocre utilité qu'elle leur semblait présenter alors. Il n'est pas nécessaire
de prouver que ce fut au détriment des études littéraires, que les leçons
éloquentes de Goclenius, de Nannius et de Valerius avaient su populariser.
L'étude du grec ne fut pas plus prospère : après le long professorat
de Fr. Martin, on réclama, comme nous l'exposerons bientôt, la nomi-
nation d'un helléniste qui fût capable de la relever; mais cette motion
n'eut pas de suite, et nous ne remarquons aucun signe de quelque réac-
tion qui se sei'ait opérée au sujet de cette étude, déjà fort languissante
dans le siècle précédent. Nous ne rencontrons pas une œuvre digne de
quelque attention qui la concerne, si ce n'est cette grammaire concise
et claire de Leemput, qui parut à la fin du dernier siècle, et dont nous
avons dit les qualités ^. C'est en tout cas un fait personnel et fort tardif,
qui n'infirme pas le jugement défavorable que toutes les autres circon-
stances connues nous obligent à porter; on ne publie ni éditions, ni ver-
sions d'auteurs grecs, ni commentaires d'un genre quelconque, et on ne
s'inquiète pas suffisamment des travaux de l'époque relatifs à la publica-
tion, à la traduction ou à la critique des Pères grecs, ou des écrivains
ecclésiastiques de cette nation.
' Kerkherdere était encore professeur dans ce collège, quand il donna, en 1706, son abrégé
méthodique de grammaire latine, dont il a été question plus haut. Voir chap. VI, p. 190.
- Voir plus haut, chap. VII, pp. :22i-2o.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 565
Quant à l'hébreu, c'est justice que de relever les efforts d'un petit nombre
d'hommes pour en conserver la connaissance parmi les jeunes gens qui étu-
diaient la (héologie d'une manière approfondie. Van lloven avait d'excel-
lentes vues*; mais il ne forma pas d'école. D'autres encore, par exemple,
Henri de Bukenlop et J. J. Guyaux, professeurs d'Écriture sainte, recom-
mandèrent l'étude des langues ^5 mais ils n'eurent point d'action, et n'é-
branlèrent aucunement la paresse et les préjugés. Paquot, qui était natu-
rellement actif, mit à son tour la main à l'œuvre; mais les événements ont
paralysé son zèle. Heuschling fut empêché de même par les conséquences
d'une révolution et l'imminence d'une autre de rien entreprendre de solide.
L'impuissance où furent les meilleurs maîtres à réveiller le goût de
l'étude, même en invoquant les motifs les plus solennels, atteste assez
que les dispositions de la jeunesse ne valaient pas mieux que les opinions
des hommes influents et des fonctionnaires qui avaient l'obligation de
veiller sur le progrès de toutes les sciences. Tant d'abus étaient réunis à
la même époque, et conspiraient contre l'intérêt bien entendu des lettres,
qu'on ne peut pas être trop étonné de la stagnation intellectuelle au milieu
de laquelle s'éteignit le collège des Trois- Langues, création d'Érasme et
de Busleiden.
Le cumul des places était toléré en vertu d'arrangements administratifs
établissant en apparence un ordre parfait. Il n'est pour ainsi dire aucun
homme qui n'ait pris des charges diverses, se conciliant d'ordinaire fort
mal avec l'enseignement philologique, et avec les travaux approfondis qui
lui donnent quelque portée. Les nominations étaient faites le plus souvent
en l'absence de véritables garanties sur la capacité et sur les habitudes la-
borieuses des candidats; sans vocation déterminée, sans études prépara-
toires, sans aptitude bien prouvée, des élèves de différentes facultés, licen-
» Dans une ihèse qu'il présidait, le 18 décembre 1713, on discutait ce point : Recte ne sibi con-
sulanl theolorji illi, qui Ihnjuarmn sacrae Scripturae oriijinaHum studio sibi supersedendum exisli-
manl? Promutio in arlibus , lolio 76. (.MS. de Foppens.) Voir cliap. VIII, pp. 270-71.
2 Le t7 décembre 1720, Hagen présidait des tlièses sur ces questions: An thcologo ulilis sit
sacrarum Linguarum periliu? An Scriplura sacra luquatur uliquando ut nos elium dum loquimur
ex errore? (Promotio in artibus, folio 78.) Sur J. J. Guyaux, voir YOratio Je laudibus, etc..
pp. 140-45, et sur H. de Bukentop, les Mémoires de Paquot, t. I, pp. 661-63.
364 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
ciés es droits, licenciés ou docteurs en théologie, maîtres es arts, étaient
investis par les proviseurs des chaires du collège de Busleiden, et de tels
hommes prenaient dorénavant fort peu de souci de l'avancement des éludes.
Il arriva aussi fort souvent que des ecclésiastiques, pourvus d'un grade
théologique, ou revêtus d'une dignité ou d'une charge dans l'Église, ne
se sont point appliqués sérieusement à la branche d'étude qui leur avait été
confiée; ils n'ont exercé aucune influence ni sur leurs élèves, ni sur le pu-
blic ^. Il y avait ici de leur part une déplorable méprise; convaincus que
leur vocation les appelait ailleurs, ils n'auraient pas dû porter longtemps le
fardeau de l'enseignement et de la science, puisque toute liberté leur était
laissée de le déposer. On dirait même qu'il était du devoir de l'autorité de
les forcer d'opter entre la vie de leur choix et la carrière active du profes-
sorat. Si les vertus du presbytère et du cloître, partage des uns, sont des
puissances auxiliaires qui assurent la prospérité et la force des sociétés chré-
tiennes, à d'autres appartiennent les travaux de la pensée, qui fournissent
à leur tour des armes dans la lutte incessante delà vérité contre l'erreur.
Bien d'autres abus qui se manifestèrent dans le même temps n'ont pas
porté moins de préjudice aux études; nous voulons parler des fautes per-
sonnelles, imputables à ceux-là mêmes qui devaient être les défenseurs
des bonnes traditions de l'école et les promoteurs de ses progrès. 11 y eut
plus d'un exemple d'une triste animosilé contre des hommes qui se distin-
guaient par les qualités de leur esprit ou par la spécialité et l'originalité
de leurs travaux : Paquot ne fut pas le seul à en sentir les atteintes. Le
mauvais vouloir et la jalousie que l'on montrait à qui ne suivait pas les
sentiers ordinaires, à qui parlait d'améliorations et de réformes, devait
décourager bien des esprits capables, tout le fait croire, d'imprimer une
impulsion utile et vigoureuse à la science ou aux lettres.
Les revenus du collège de Busleiden ne s'étant pas accrus par des legs
ou des largesses, les honoraires affectés à chaque chaire ne paraissaient
plus suffisants à la plupart des gradués de diverses facultés, et ils justi-
fiaient ainsi la poursuite qu'ils faisaient d'autres charges académiques, ou
' Voir les trois chapitres de biographies, p;ir exemple, pp. 192, 2t9, 221-23, 269, 271 et 276.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 363
de fonctions étrangères à l'Université. Dans cet état de choses, personne
ne fixa son attention sur les besoins intellectuels du présent et de l'avenir;
ni le gouvernement, ni les hauts dignitaires de l'Église et de l'État ne son-
gèrent à donner un nouveau relief à l'enseignement d'un collège si célèbre;
aucune mesure, d'autre part, ne fut prise au sein de l'Université pour
suppléer à la modicité de la première fondation. L'indifférence pour le
culte des lettres était entrée profondément dans les esprits : leurs droits,
qu'on ne pouvait nier sans méconnaître les intérêts les plus précieux de
l'instruction publique, trouvaient de i*ares défenseurs. La voix de ceux-ci
n'était pas écoutée; auraient-ils réclamé plus hautement, on se serait con-
tenté de leur répondre : « Nous ne nous soucions pas de vos raisons ! »
comme autrefois l'Espagnol Jean de Vargas répondait aux représentations
des députés de l'Université invoquant les immunités et privilèges qu'elle
tenait des papes et des princes : Non curamus privilegios veslros!
N'oublions pas de consigner ici quelques incidents connus parmi tous
ceux qui ont marqué l'administration du collège, pour qu'on se fasse une
idée de toutes les difficultés contre lesquelles l'œuvre se heurtait à chaque
instant. Des conflits du même genre, toujours nuisibles aux intérêts de la
science, s'élevèrent sans doute bien des fois à propos de nominations, soit
en raison de l'aptitude douteuse des candidats, soit à cause des opinions
divergentes des proviseurs.
Un conflit d'une grande ressemblance avec celui qui avait eu lieu pour
la chaire de latin *, surgit à la fin du XVII""= siècle entre les proviseurs de
la fondation de Busleiden, au sujet de la chaire de grec. Il avait pour
objet l'appréciation difl'érente que l'on faisait du mérite de plusieurs con-
currents. Un des proviseurs du collège, le prieur de la Chartreuse de Lou-
vain, avait nommé, en 1681, Rutger van der Burgh professeur de grec :
opposition fut faite à cette nomination en faveur de François Martin, ir-
landais, qui finit par rester maître de la place : nous l'ésumerons les inci-
dents de cette aflaire en nous appuyant sur les notes inédites de Paquot -.
La difficulté naquit de ce qu'au moment où la chaire de grec devenait
' Voir plus haiU , chapitre V[, la Notice sur L Gautius et B. Désirant, pp. t88-9l.
^ Fa««t, MS., 1. 1, p. 31 1. — Voy. la Notice sur ces deux hoinines dans le chapitre VII, pp. 2-20-2 1.
566 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
vacante par la morl de Jean cl'llamere, il n'y avait point de pléban à
l'église de S'-Pierre, et qu'en .l'absence de ce dignitaire, un des provi-
seurs de la fondation, le choix du candidat était déféré aux deux autres
proviseurs, qui étaient alors François van Vianen, président des thèses,
dites sabbatims, et François Bodart, supérieur des Chartreux.
Le premier désirait la promotion d'un élève de son collège (le grand
collège des Théologiens), Rutger van der Burgh, d'Amersfort (dont le
nom est écrit Van der Borcht par Paquot), et il le désigna en vertu de
son autorité, le 20 janvier 1681. Le second proviseur protesta aussitôt,
et le 13 février suivant, il mit en avant François Martin, candidat qui était
recommandé par Jean O'Sullivan, président du collège irlandais, et mon-
seigneur Tanora, internonce apostolique.
L'affaire s'engagea aussitôt d'une manière sérieuse , et fut instruite
comme un véritable procès : il allais durer environ deux ans. Martin eut
pour soutien de ses droits Nicolas Dubois, licencié en droit et en théo-
logie, qui prit sa défense dans des pièces écrites et dans des discussions
orales. Le débat ayant été porté à la connaissance du conseil de Brabant,
le conseil désigna (probablement avant le 16 juillet 1685) Henri de Char-
neux, alors recteur de l'Université, pour prononcer une décision : celui-ci
établit un concours ou examen, et donna gain de cause au prieur des Char-
treux. En conséquence, le candidat que ce dernier avait présenté, et qui
avait été admis à professer provisoirement dès l'an 1681, François Martin,
fut reconnu, en 1685, seul possesseur de la chaire de grec.
Une seconde affaire, dont l'exposé ne saurait être mieux placé qu'en cet
endroit, est la réclamation faite hautement, en 1722, par un des provi-
seurs du collège de Busleiden, le pléban J.-B. Schoeps, de l'église de Saint-
Pierre, à propos de la collation de la chaire de grec devenue vacante par la
mort de ce même Martin, dont nous venons de raconter la nomination ^
Fr. Martin était mort le' 4 octobre 1722, et presque aussitôt après, le
premier d'entre les collateurs de l'établissement auquel il avait appar-
tenu, le pléban de S'-Pierre ci-dessus nommé, demandait au recteur et
' Nous donnerons une idée sommaire des causes et des incidcnls de ce débat, en nous servant
de pièces manuscrites, dont quelques-unes sont les originaux, et qui appartiennent à M^' de Ram.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 367
à l'Université de pourvoir à la chaire de langue grecque d'une manière
solennelle, à l'aide d'un concours public. H s'appuyait sur l'absence de
candidats d'une capacité bien reconnue; il invoquait des motifs tirés de
l'esprit même de l'institution, et rappelait le concours institué naguère,
lors de la nomination de Martin, pour mettre fin au dissentiment des pro-
viseurs. Le pléban Schoeps ne se contenta pas de s'adresser à l'Université
pour faire valoir son opinion; il exposa ses vues peu de temps après dans
une i-equête, et l'envoya au gouvernement de l'empereur et roi.
Au nom de Sa Majesté, deux apostilles furent mises à Bruxelles sur
cette requête ^ Dans l'une et dans l'autre, il est interdit aux proviseurs
et coliatcurs de procéder à la collation de la leçon de langue grecque ;
seulement, dans la première, en date du 5 octobre 1722, l'affaire était
renvoyée à l'avis du recteur et de l'Université de Louvain, « ouïs les trois
proviseurs et collateurs de la leçon » ; dans la seconde, en date du 5 no-
vembre 1722, on déclarait que, « quant k présent, il suffira de demander
l'avis du recteur magnifique. » C'est à ce dernier parti que se rapporte
une lettre du marquis de Prié, ministre plénipotentiaire pour le gouver-
nement des Pays-Bas, adressée le 5 novembre au recteur de Louvain.
Dès le mois d'octobre, les deux autres proviseurs du collège de Bus-
leiden avaient fait diligence de leur côté pour paralyser l'effet de la pro-
testation de Schoeps ; c'étaient alors le docteur Ilermann Damen ^ et le
frère Bruno Hermann, supérieur de la Chartreuse de Louvain. Ils s'étaient
adressés à plusieurs reprises au recteur pour se plaindre des procédés
inusités, et h leur avis illégaux, du pléban de S'-Pierre, et pour s'opposer
à ce que l'affaire fût déférée a l'Université, comme celui-ci le voulait. Ils
demandaient au recteur d'abord de réunir le collège des proviseurs dans
le délai de deux jours,, pour que l'affaire pût être entamée. Le 22 octo-
bre 1722, ils revinrent à la charge, et sollicitèrent du recteur la convo-
cation dudit collège des proviseurs pour le lendemain 25 octobre, a dix
» Une copie authentique en fut faite et communiquée, le 1 1 novembre 17^22, par E. Stalgoet.
notaire apostolique.
2 Promu docteur en 1691, II. Damen, deTongres, qui professait la théologie au Grand Collège,
avait succédé à M. Steyaerl dans la présidence des Sabbntines {Oratio de laudibus, etc., pp. l32-5i).
Tome XXVIIL ^8
368 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
heures du malin. Dans celte pièce, les deux signataires se portaient garants
de la capacité de plusieurs candidats qui se présentaient pour la leçon de
grec ^ Ils se fondaient sur le relus du pléban de convoquer le collège en
sa qualité de premier proviseur, et ils faisaient valoir le dommage que
causerait aux études la longue vacance de la chaire de grec au commence-
ment d'une année académique.
La convocation du collège ne se fil pas, malgré le désir de ces deux sol-
liciteurs , et l'affaire fut portée sans retard au siège du gouvernement,
comme le prouvent les deux apostilles donl nous avons parlé ci-dessus.
Tout en se réservant le droit d'intervenir plus tard, le cabinet de Bruxelles
remit l'instruction de toute cette affaire d'abord au recteur et à l'Univer-
sité, puis au recteur seul.
C'est alors que le pléban Schoeps fut prié deux fois par le recteur de
lui communiquer l'annexe à sa requête, présentée au Conseil d'État '-.
Une première fois, Schoeps répondit qu'il n'avait pas cette annexe, et
qu'on lui avait dit que la simple présentation de la requête suffirait; la
seconde fois, il répondit que l'annexe était restée au greffe du Conseil
d'État, mais qu'il avait retenu une copie de l'original, et que, s'il plaisait
à sa Magnificence, il fournirait des copies authentiques.
C'est d'après une copie de cette pièce justificative, signée par Jean
Baptisle Schoeps, et datée du 15 novembre 1722, que nous avons pu
prendre connaissance des vues qui dirigeaient ce dignitaire ecclésiastique
dans son opposition à ses deux collègues. La pièce a pour titre : Judicium
plebani Lovaniensis in causa coUalionis lectiotiis graecae; elle porte à la fin , près
de la signature de son auteur, les mots suivants, écrits de sa main : Rogans
rnagnificiim D. Hectorem qualenus lias rationes cum judicio suo ad sacram suam
Caesar. et Reg. Majestatem mittere dignetur.
La pièce latine dont nous parlons est un plaidoyer vigoureux en faveur
d'une juste sévérité dans la collation de la chaire de grec : elle est inté-
' Ad quam eliam plurcs se praesentant qui ad eamdem lectionem . ul infra scriptis constat , recte
doceiuluiu siiiit capaces.
^ Atlestalioi) du notaiie aposlolique Slalgoet, relative à ces déiiiarclies officielles, faites en date
du 51 oclobie et du 7 uovembie.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 369
ressanle en ce qu'elle montre chez son auteur une profonde intelligence
des besoins de l'enseignement supérieur et des hautes études en notre
pays ; elle établit un parallèle entre les destinées des lettres anciennes et
l'organisation des autres éludes, et elle le présente dans son ensemble
d'une manière si nette et si instructive, que nous ne balançons pas à don-
ner, dans les pièces justificatives ^ le texte de ce réquisitoire, rédigé d'un
bout à l'autre avec sens et modération. Une courte analyse nous servira à
montrer ici sous quel rapport l'intérêt du morceau nous semble très-grand.
J.-B. Schoeps énumère les garanties de savoir et de capacité exigées à
l'Université dans toutes les autres parties de l'enseignement, et soutient
qu'il n'existe rien de semblable relativement à l'enseignement de la langue
grecque. Cependant, la chaire spéciale, instituée à cet effet par Busleiden,
doit être maintenue à sa première hauteur, comme l'exigent les motifs les
plus graves, l'esprit de l'institution, la réputation de l'Université, le bien
de l'Église et de l'État.
L'importance des éludes grecques est de premier ordre dans une Univer-
sité; la connaissance approfondie de celte langue est le fondement d'une
érudition solide, la condition d'une culture féconde et profitable de toutes
les sciences; mais elle est entourée de graves difficultés. Non-seulement
elle exige une étude longue et sérieuse, mais encore elle suppose, pour
atteindre à toute son utilité, pour produire tous ses résultats, la connais-
sance de l'histoire et des antiquités : elle s'adresse à la fois au théologien,
à l'historien, au jurisconsulte, au publiciste. Ce n'est pas sans une grande
préparation que l'on parvient à interpréter avec fruit les auteurs dont
parle le testament de Busleiden, les auteurs chrétiens, surtout les Pères
de l'Église, les écrivains moralistes, les philosophes et les orateurs, sans
oublier le poëte par excellence, Homère.
Afin de parvenir à ce but dans l'institution de Busleiden, Schoeps pro-
pose d'établir des épreuves publiques, dirigées par des hommes instruits,
et obligatoires pour tous les candidats à la chaire de grec. S'il ne peut
s'appuyer sur des règlements antérieurs, il invoque, pour justifier ses vues,
les nécessités de l'époque.
* Appendice. Lettre K.
370 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE
La question imporlanle dans noire sujet n'est pas précisément de savoir
si Sclioeps a dépassé le droit de représentation que lui donnait son titre
de proviseur; le fait principal, c'est de constater qu'il a plaidé avec intel-
ligence en celte occasion la cause des bonnes et solides études. Différents
motifs ont pu s'opposer à l'institution du concours difficile dont il faisait
une rigoureuse obligation pour la collation des cbaires de belles -lettres;
mais il semble qu'en réalité, la réforme qu'il sollicitait a été sacrifiée à la
crainte de toute innovation. Quoi qu'il en soit, il lui reste l'honneur
d'avoir mis le doigt sur une des plaies de l'organisation de la Faculté des
Arts, sur l'absence de garanties scientifiques dans les candidats présentés.
Quand on voit, par les détails dans lesquels nous venons d'entrer, à
quel point les réclamations les mieux fondées sont restées sans efficacité,
on ne s'étonne plus que les éludes classiques aient décliné toujours davan-
tage au collège des Trois-Langues, et qu'elles aient baissé en même temps
dans la plupart des établissements d'instruction moyenne de la Belgique :
il est arrivé qu'il « n'était question de la langue grecque dans presque
aucun collège, et que dans ceux où l'on daignait encore s'en occuper, on
s'y bornait à la simple connaissance des éléments *. »
Il y eut, à n'en pas douter, relâchement dans la direction scientifique
du collège de Busleiden, comme il y eut insouciance dans la jeunesse qui
était appelée par le but de ses études à profiter de celte fondation. Dans
une des notes annexées au rapport fait sur l'état du collège 2, du temps de
la présidence de Henri Wouteis, vers 1783, sous le rectorat de van Leem-
poel , on lit : « Il serait à désirer que les professeurs chargés de donner les
leçons de la langue grecque et hébraïque, qui sont payés par ce collège,
fussent obligés de remplir exactement leur devoir, el que les étudiants
fussent également obligés de se rendre ausdites leçons. Il y a des Univer-
sités oîi ces deux leçons sont attachées aux chaires du Vieux et du Nouveau
Testament. Il résulte quelquefois de cette disposition que les professeurs
font très-peu de cas de ces langues, et n'eu parlent que pour autant qu'il
' J.-B. I.esbroussart, De l'éducation belgique. Bruxelles, 1783.
- Pièce citée au cliapitrc IV (pp. 108-1 1 1). Il s'agit de la noie 6 , qui suit des observations rela-
tives à la situation financière de l'établissement, et qui termine le rapport signé par van l.eempoel.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 371
est nécessaire pour l'explication du Testament; de sorte que les leçons des
langues se réduisent à rien, d'où il s'ensuit qu'on ne les cultive pas, et un
autre inconvénient qui n'est pas moindre, c'est qu'il ne se trouve à ces
leçons que des théologiens : or, ces langues, et spécialement le grec, sont
très-utiles à d'autres sciences qu'à la théologie. »
L'observation qui termine cette note a quelque portée, si l'on considère
l'application diverse qui devait être faite des langues savantes à l'Écriture,
aux sciences théologiques, à la connaissance des Pères, ainsi qu'aux
sciences profanes, comme J.-B. Schoeps l'avait si bien démontré en 1722.
L'étude du grec ou de l'hébreu n'était pas identifiée, par les statuts du
collège des Trois-Langues, avec celle des livres saints, comme il en fut
au Séminaire général, où, par exemple, l'enseignement de la langue- hé-
braïque fut confié à Henri Wouters avec le cours sur l'Ancien Testament;
mais il n'est que trop vrai que les leçons du collège n'étaient plus suivies
par un certain nombre d'étudiants de différente vocation, comme par le
passé. Toutefois, quand on voit plus tard les élèves réunis au Séminaire
général prolester contre l'obligation imposée par le règlement d'assister aux
leçons des langues hébraïque et grecque ', on ne pourrait attribuer leur
démarche uniquement à des habitudes de paresse : elle avait certainement
sa raison dans la défiance que leur inspiraient les tendances de leurs nou-
veaux maîtres, et dans la légèreté avec laquelle on avait traité récem-
ment l'herméneutique sacrée dans les Facultés théologiques de Bonn et
de Vienne.
Malheureusement aucune main habile et forte ne toucha aux abus qui
nuisaient le plus à l'organisation d'une école telle que le collège des Trois-
Langues, et il n'y eut point concert entre les pouvoirs dont l'intervention
eût agi le mieux sur l'opinion du corps enseignant et sur l'esprit des
élèves. Le gouvernement des Pays-Bas autrichiens, qui s'occupa souvent
de réformes dans le système de l'instruction publique, ne se montra pas
disposé à accorder aux études littéraires à Louvain un patronage généreux
et désintéressé. De son côté, l'Université de Louvain, toujours inquiète,
' La pièce a été publiée dans les Mémoires de Bapédius de Berg, tome II, p. M.
372 MEMOIRE SUR LE COLLEGE, etc.
el souvent non sans motifs, du moindre changement à ses statuts, ne prit
aucune mesure d'ordre intérieur pour relever l'enseignement littéraire,
une des nécessités de l'époque, pour reporter de ce côté ce qu'il y avait
peut-être de superflu dans ses ressources employées à l'entretien de ses
collèges et de ses Facultés.
Il est à regretter que l'Université n'ait pu donner un appui solide à
l'établissement de Busleiden , et le maintenir à quelque hauteur à côté de
ses institutions richement dotées : infailliblement, le collège des Trois-
Langues lui eût donné en retour autant de force et de relief qu'il avait
pu lui en prêter deux cents ans auparavant; en lui conservant la gloire
des lettres, il eût contribué à augmenter encore son influence et son
ascendant. Si les bonnes traditions d'autrefois étaient restées toutes en hon-
neur, évidemment la puissance nouvelle qu'elles auraient communiquée à
VAIma Mater aurait commandé le respect aux adversaires conjurés contre
elle à la fin du siècle passé, et à ceux des écrivains modernes qui se font
ses détracteurs par système. A la lumière de ces nouveaux succès litté-
raires, on eût mieux aperçu les incontestables services que l'Université
n'a cessé de rendre jusqu'à son dernier jour à beaucoup de branches im-
portantes de l'enseignement.
PIÈCES JUSTIFICATIVES.
A.
(Voir cliiip. 11. |i. 58.)
Essai d'une généalogie de la famille des Busleiden '.
i° Jean de Busleïden, chevalier, seigueur de Busleyden, vivait eu 1252, et épousa
Françoise de Brusfeld, fille de Warner, chevalier, sire de Brusfeld , de (jui il eut:
2° Pierre, écuyer, mort en lôGG, qui épousa Marguerite de Matborch, de qui il eut:
5° Pierre, chevalier, naort en 1412, qui épousa Odile de Dobbelstein, de qui il eut:
4° Henri, chevalier, mort en 1419, qui épousa Marguerite van Etteren, de qui il eut:
o" Gilles, seigneur de Ghiers et de Busleyden , lait chevalier par Philippe le Bon * et
chambellan de Charles le Hardi, il épousa Jeanne de Musset, de qui il eut :
G" Gilles % chevalier, seigneur de Busleyden, Ghiers et Ter-Herst, Rode et Sortelaer,
mort en 155G; il épousa Adrienne de Goudeval, vicomtesse de Grimberghe, fille de
Nicolas, chevalier, maître d'hôtel de l'archiduc Philippe, qui acheta, en 1512, le vicomte
de Grimberghe. Gilles eut de sa femme :
7° a. François, chevalier, seigneur de Herst;
b. iNicoLAS, chevalier, seigneur de Busleyden, Ghiers et Ter-Tammen , vicomte de
Grimberghe (son fils du nom de Gilles de Busleyden lut bourgmestre de Bruxelles. —
Nobil. des P.-B., 1. c, p. 116);
c. jÉRô.nE, gentilhomme de la maison du pape , à Rome ;
d. Guillaume *, écuyer, qui mourut, laissant seulement deux bâtards;
e. Anne, qui épousa Arnold d'Eynalten , chevalier, seigneur de Schoonhoven et
d'Heuxelen.
' Nous reproduisons, sans pouvoir la rutlilier, la première esquisse d'un lableau généalogique laissée par Paquot,
au tome I de ses Fasli acad. Lov., fol. 470. On remarquera qu'il adopte Busleyden.
' .4nobli par lettres de février 1471, il fut secrétaire et greffier de l'état noble de Luxembourg. Nobiliaire des
Pays-Bas , Louv , 17G0, part. I, p. 10.
' Les autres frères de Gilles étaient François, archevêque de Besançon, Jérôme, chanoine de Cambrai, de Sainte-
Gudule, etc., et prévôt d'Aire, et enfin Valérien.
* Guillaume Busleiden , qui, comme membre de la famille, avait droit de présentation aux chaires du collège, inter
vint, en 156U, en faveur de Petrus Pierius à Smenga, sollicitant la chaire d'hébreu. Voir ci-dessus, chap. VUI . p. 24><.
374 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE
L'historien du Luxembourg, le P. J. Berlholet, cite parmi les maisons nobles de ce
pays ' : Busieiden ou Bauschleiden près d'Arlon, mais de la prévôté de Bastogne, « qui
portait d'argent à la fasce de gueules, ayant en pointe une rose de même et, selon quel-
ques-uns, d'azur à une rose d'or à la fasce haussée de même. »
B.
(Voir chap. Il, p. 47. ^
Extraits du Testament de Jérôme Busieiden, relatifs à l'érection du collège des
Trois- Langues.
Foppens a reproduit celte pièce an tome IV de la Diplomatum Belgicorum nova col-
lectio, qu'il a publiée comme supplément aux Diplomala Belgica d'Aub. Miraeus ^. iVous
nous contenterons d'analyser les préliminaires du Testament de Jérôme Busieiden et les
dispositions qu'il a prises en faveur des pauvres, des églises auxquelles l'attachaient ses
titres, et de quelques membres de sa famille '. On verra que le promoteur des études
nouvelles n'avait pas désappris le langage de la foi chrétienne et mis en oubli les œuvres
traditionnelles de la charité.
Testamentum, vere pium, revercndi admodum D. Hieronymi Buslidii, preslnjleri, Praepo-
siti ecclesiae Aeriensis in Arthesia, nec non ecclesiae S. Rumoldi Mcchliniae Canonici; in
quo etiam exhibetiir institiita per illum fundaiio celebris collcgii Trilinguis, sive Busli-
diani, in academia Lovaniensi, anno 1517.
In nomine Sanctae et individuae Trinitatis, Patris et Filii et Spiritus Sancti, amen.
Ouoniam caduca et fragilis est vita humana, et cujuscumque vocationis hora incerla
adeo ut quo in loco, quo lempore ea nos exspectet nedum sciamus, verum id salis qui-
dem prospicere nequimus; ergo nos illam exspectare omni tempore, onini momento debe-
mus, memores verbi Apostoli, quia iila non lardât, et quae de terra sunt in terram rever-
tunlur Quare ut concedente Deo adhuc corpore sospes, et mente sanus, ad
meum , non alienum , arbitrium rem omnem mihi a Deo colialani proinde disponam,
trausitoria scilicet in aelerna, felici quodam commercio commutando, curavi iilud Isaïae
imilari, dispone Domui tiiae, quia moricris et non vives, etc.
« Ego IIiERONYMus BusLiDius Aricusis Praepositus, statui hoc Testamentum condere,
' //ist. ecclés. et civile du duché de Luxembourg , t. \l, p. 42.
- Tonnis IV, Bruxellis, ap. Petrum Foppens, 1748, in-folio, pp. 042-48 (capul CXXVIll).
" l/édileur n'a omis dans celle pièce que quelques délails concernant des affaires delà maison liusieiden.
DES TKOIS-LANGUES A LOCVAIN. 375
meo cirograplio subscriptuin, et sigillo muuitum; ciii ita vim esse volo , si id ipsum
toium.vel ejus parlem anle niortem non revocem. »
Après une prière Irès-humblc adressée au Dieu Créateur dans les termes de l'Ecriture ,
le testateur, qui est à la veille d'un long voyage, règle ce qui concerne sa sépulture s'il
vient à mourir , soit en deçà , soit au delà des Pyrénées :
« Deinde hoc vile cadaver meum, vitiis proh dolor! multis conlaminatum, quia ter-
reum est, staluo terrae reddendum; idque minori quo fieri poteril pompa, atque impensa
inhumandi, videlicet in clioro basilicae divi Rumoldi opidi Mechliniensis, ad latus dex-
trum sumnii altaris; et hoc, si in hac profectioue mea Hispanica clauserodiem extremam
in regno Franciae, aut citra Alpes.
» Item volo, ut ad parietem conliguum monumenti mei infigatur tabella illa depicla,
quae extat in oratorio domus meae, et liant duae alae ad praefatam tabellam in quarum
altéra depingalur repraesentalio mea, in altéra inscribatur epitaphium aliquod in mei
memoriam.
» Si vero in Hispania moriar, aut ultra Alpes, cu[iio inhumari in acde divi Bernardi
juxta Toletum, in sarcophago, in quo frater meus archiepiscopus Bisunlinus positusesl. »
Ensuite, Jérôme Busleiden établit à perpétuité une messe quotidienne de Requiem
dans l'église où il aura reçu la sépulture et ordonne, outre la célébration de nomhreux
sacriljces après sa mort, une distribution d'aumônes (veris pauperibus Chrisli) montant à
la somme de deux cents florins du Rhin.
Il fonde, de plus, un service anniversaire en l'église de Saiul-Rombaut à Malines avec
les mêmes libéralités, dont avait donné l'exemple Charles de Ronchicourt, conseiller
ecclésiastique en celte ville, mort le 15 juillet 1506. Puis viennent les autres églises d'où
Jérôme Busleiden tenait ses diverses dignités' : à l'église de Saint-Pierre, à Aire, il
lègue cent florins du Rhin, et il y fonde également un anniversaire^; à la fabrique de
chacune des églises de Sainte-Waudru à Mons et de Notre-Dame de Cambrai '% il lègue
vingt florins du Rhin , et de même aux églises de Sainte-Gudule à Bruxelles et de Saint-
Lambert à Liège; il en lègue cent à l'église paroissiale de Steenberg et le même nombre
au couvent des Carmes d'Arlon , fondé naguère par son père.
Dans les trois mois qui suivront sa mort, J. Busleiden entend qu'une somme de
trois cents florins soit distribuée aux pauvres par les mains d'Adrien Josel, chanoine
d'Anvers, à qui il a manifesté formellement cette intention.
Puis, Busleiden prend une disposition particulière au sujet de la maison qu'il liabi-
' Voy. plus haut chap II.
' Piévôt (le l'cglise d'Aire, qui possédait un morceau de la Vraie-Croix du Sauveur, Jérôme Busleiden fil don à
cette église d'une grande croix dorée, ornée des insignes de son frère François, autrefois archevêque de Besançon ;
il manifesta à ses anciens confrères du chapitre le désir exprès que la relique susdite fut enchâssée dans cette croix .
et qu'elle fût ainsi portée à la procession , comme on était accoutumé à le faire jadis. Testant, ibidem.
' Archidiacre de Cambrai , il légua en outre dix florins du Rhin à l'aumônerie de cette église.
To^iE XXVHI. 49
376 MEMOIRE SUR LE COLLÈGE
tait à Malines, et qui se composait d'achats successifs et de constructions nouvelles par
lui ordonnées. Il charge ses exécuteurs testamentaires de vendre cette maison au plus
haut prix possible, et de faire du produit de ce bien trois parts égales attribuée l'une à
son frère Égide ou Gilles, l'autre à son neveu François, fils de son frère Valérien, et
la troisième aux boursiers de la fondation ci-après désignée. C'est aussi à cette fonda-
tion que doivent être rapportées les maisons contiguës à sa propre demeure qu'il a pré-
cédemment décrite : il est donc exact de dire qu'à part la réserve qu'il faisait pour cette
maison de Malines et la valeur des legs et aumônes qu'il prenait soin d'énoncer, J. Bus-
leidea faisait passer la plus grande partie de sa fortune dans l'institution universitaire
qui porterait le nom de Collège des Trois-Langues. C'est un tel dessein bien mûri dans
son esprit, qu'il a exposé avec détail dans son testament dont le texte suit :
« De reliquis omnibus bonis meis, tam mobilibus quam iramobilibus institui volo et
stabiliri unum CoUegium, in Universitate Lovaniensi , in coliegio sancti Donatiani, si
ipse locus commode obtineri possit : vel alias in coliegio Atrebatensi.
» In quo erunt tredecim Bursae, eo modo, ordine et forma, ut infra patebit.
» Primo octo Bursae pro octo juvenibus, valoris viginti quinque florenorum Renen-
sium communium, qui propriorum parentum sacramento, ac insuper provisorum ipsius
coUegii infra nominalorum diligenti examine vere pauperes probati sint, quorum pa-
rentum facultates nullo modo suppetant, quibus honeste in studiis litterarum alerentur
ipsi juvenes; scilicel ipsos a parentibus annuos viginti quinque florenosRenenses com-
munes recipere non posse, sine status et conditionis ipsorum parentum nolabili detri-
mento.
» Item quod sint légitime matrimonio procreati; ita ut eorum duo sint Buslydii,
aetatis decem annorum, ad omne minus, quorum ingenium ac indoles et jam percepta
aliqua litteratura spem praebeant fuluiae probitalis.
» Praeterea duo Marviliani, duo Arelunenses, unus Ariensis, et unusSteenbergensis,
modo sint boni ingenii et competentis lilteralurae, cujus communiter mediocrem pri-
marium Lovanii esse decet, ac alias taies, ut inde notabilis in Ecclesia Dei fructus
sperari possit, et qui decimum tertium annum attigerunt.
)> Quos omnes, simul et alios duos juvenes, de quibus postea dicetur, volo juxta
statuta Universitatis visitare Lectiones Grammatices et Philosophiae, usque ad gradum
Magisterii, quem adipiscenlur si velinl; ad quem parentes necessariam impensam mi-
nistrabunt.
» Diebus vero dominicis et festis, loco lectionum quas in Collegiis Artium audirent
a praeceptoribus, in hoc meo coliegio principia et rudimenta prima capiant in Linguis
Graeca etHebraïca; simul accipientes aliquod linguae latinae, cujus principium habent,
additamenlum a Praeceptore Latino.
» Qui quidem Praeceptores , cum dictis diebus publiée non legant, ipsos juvenes
fideliter instruere tenebunlur.
» In eventum aulem, quo laies ex jam dictis locis non haberenlur eo modo qualificali.
DES ÏROIS-LANGUES A LOUVAIN. 377
ut supra; lune ex locis propinquioribus aliquos subslilui volo et surrogari, ejusdein
scilicet conditionis, idoneilatis et qualitalis. Loca vero propinquiora inlelligo, quae
ultra tria aut quatuor milliaria vulgaria a locis praenomiiialis respective non distant.
» Quod si plures ejusdem loci praerogativa aeque qualilicali concurrerint, prael'e-
rendus esset pauperior, modo non sit omnino liebetis ingenii, aul alias minus aptus ad
litleras, seu alias reprobandus.
» Très autem aliae Dursae pro tribus Praeceploribus, viris undecumque eruditis,
probatis raoribus et vilae iuculpatae statuentur; qui in dies legant et proliteantur publiée
in eodem coUegio, tam chrislianos quam morales, ac alios probatos auctores omnibus
eo adventanlibus, in tribus Linguis, Latina scilicet, Graeca et Hebraica, diversis horis,
pro sua et auditorii commodilate dislribueudis, sine aliquo stipendie ab adventantibus
exigendo , et non exacte acceptando.
» Salvo, quod in cubiculis suis particulares lectiones exercere poterunt; pro quibus
ab auditoribus stipe'ndium récipient, modo taies particularium leclionum commodum
et fructum leclionum publicarum non impediverint.
B Quod diligenter investigabunt et prospicient mei Provisores, et Praesidens; qui
eas pro publica et commuai utilitale prohibere poterunt.
» Si insuper aliqui Praelati aul nobiles lectiones publicas visitantes eis aliquid obtu-
lerinl , hoc ipsum honeste et cum gratiarum actione récipient.
» Volo tanien , hujusmodi dona et munera extraordinaria ipsis tribus Praeceptoribus
esse communia , et eis per aequales dividi portiones.
» Horum slipendium taie erit; videiicet duobus Praeceploribus Graeco et Hebraïco,
qui ex locis remotioribus accersentur, modo Lovanii aul alibi vicinis non reperianlur
aeque idonei et docti, cuilibet slipendium deslinabilur duodecim librarum Monetae
Flandricae, sallem per decennium. Ad quod majus slipendium slatuendum, me induxit
rei novilas, et ipsius principii dillicultas; quam ferlasse mulli vel apprime lillerati
rejicerent aut négligèrent; qui aliquantulum majori stipendie ducli , ad islud negolium
peragendum velieraenlius incilarenlur. Praecepleres eliam ipsos ex aliis Universilatibus
haud facile necparvo stipendie allicere valerent, qui eo faciiius advolabunt.
» Verum tertius praeceptor latinus, qui in lingua selum latina praefatos auctores pro-
lilebitur, lanlum sex libras ullra bursam seu meusae portionem recipiet; idque semper
sine aliqua diminuliene.
» Et pest decem annos praefatos, Graecus Praeceptor et Hebraicus récipient tantum
modo octo libras; attente quod lapsu temporis hujus decennii istarum linguarum traditio
levier et magis vulgata reddclur; per quod et praecepleres alii pro hoc stipendie facile
acquirenlur, ex his qui dictis artibus praefalo décennie durante incubuerint.
» Ipsi tamen antiqui Praecepleres semper pre bec stipendie, si velint, in suis lectio-
nibus permanebunt, modo fuerinl diligentes, nec in negolio torpeaul.
» Poteril nihilominus diclum majus slipendium, vel pre necessilale, vel magna uti-
lilate per meos provisores ad duos aut Ires aunes contiuuari, extra diclum decennium ;
modo id commode per facultates liceat.
578 MEMOIRE SUR LE COLLÈGE
i> Quorum triuni mensae porlio merilo instiluetur sex librarum similiuin. liabila
ratione dignilatis et excellentiae ipsorum Praeceptorura.
D Ex aliis aulem oclo libris nionetae Flandricae reslanlibus ex slipendio deceniiali,
aul adliuc extra duos aut 1res annos de tjuibus supra, Praeceptoribus Graeco et Hebrako
statuto, institui volo duas bursas similes bursis dictorum ipsorum juvenum , pro duobus
juvenibus quorum aller Mechliniensis, aller vero Lucemburgensis eril, e]ualifîeali ul supra.
» llem omnes bi juvenes obligabunlur singulis diebus inleresse Missae, et ibi pro
anima lundaloris et parenlum ejus légère vigilias mortuoru-m in sacello ipsius follegii ;
in quo perpétua missa t'undata est, quae est viginti llorenorum Pienensium, earaque ad
triginta florenos Renenses communes augeri volo; scilicet ex mea fundalione decem ilo-
renos Renenses communes superaddendo; sub bis lamen conditionibus et oneribus infra
dicendis.
» Scilicet ut imprimis ter aut quater in hebdomade legatur missa de deiiinctis; in
aliis vero duplicibus et triplicibus et aliis diebus hebdomadae legatur missa de lempore,
et addatur collecta pro fundatore def'unclo.
» El in fine missae leget presbyter celebrans, respondenlibus ipsis praeceptoribus, et
juvenibus Bursariis De profundis cum collecta , pro anima fundatoris et parenlum ejus.
» Item eliam in eodem sacello celebrari volo quater in anno anniversarium, videlicet
in quatuor lemporum primo die , in quo très missae celebrabunlur, quarum unam decan-
tabit ipse sacerdos, qui missas quotidianas célébrât in eodem loco.
» Duae vero aliae per duos aliossacerdotes ad boc par praesidentem invilatos celebra-
bunlur et legentur; una quidem anle missam canlatam, altéra post, et cantabil unus
eorum epistolam, aller vero evangelium, juvabuntque juvenes in cantando ipsam mis-
sam. Observabuntur insuper vigiliae die praecedenle, quibus omnes hi sacerdoles inte-
resse debebunl, cum praesidente, praeceptoribus et juvenibus; praefatique juvenes in eis
novem iectiones decantabunt, et in ipsa missa prosam Dies illa, (lies irae, etc. Et post
missam decantabuntur commeraorationes et preces illae anle ihrenum, Subvenite Sancii
Dei, etc., qui pro dei'unclis subnecli soient. Pro quibus omnibus ordino octo llorenos
annuos et perpetuos, per praesidentem ejusdem collegii in bunc modum distribuendos.
Primo : in quolibet anniversario erunt duae candelae cereae pro decem stuferis, et qui-
libet dictorum trium sacerdotum recipiet sex stul'eros, ipsique simul cum praeceptoribus
prandebunt.
» Duodecim autem stuferi rémanentes, pro aliquali portionis illius prandii augmenio,
et ipsorum trium praeceptorum vino sumentur; et in fine hujus prandii legelur per sacer-
dotem qui missam canlavit, respondente praesidente, aliis sacerdotibus, praeceptoribus
et juvenibus. Miserere, cum De profundis , et collecta.
» Decantabuntur praelerea in dies in eodem sacello per ipsos juvenes Bursarios laudes
Salve Résina, adstantibus praesidente et praeceptoribus; in quibus ipse sacerdos cele-
brans dictas missas quotidianas cantabil collectam, si fuerit praesidens ipsius collegii,
aut alius sacerdos de dicto collegio. Si vero fuerit exlraneus sacerdos assumendus pro
bujusmodi missis celebrandis, lune Bursarius senior eandem collectam decantabit, ne
talis sacerdos in dies ad laudes veniendo nimium gravetur.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 579
» Item tenipore prandii el coenae (juvenum dico) aliquis jiivenum quolibet die leget
in aliquo lalino auclore prol)ato, juxta ordinalioneni ipsorum praeceptorum , termmabi-
turqiie hiijusmodi leclio, cum praesidenti visum lueril oporlunuin.
» Item volo unum esse receptoium bonorum et reddituiim dicli collegii , cujiis slipen-
dium annuum crit vigiuti' llorenorum Reneusium communium; ejiisque erit singulis
annisstaluto aliquo die coram ipsis Provisoribus et in praesentia diclorum Praeceptorum
reddere ralioiies suas et computum; quibus parabitur prandium : pro quo lego supra
porlionem ipsorum praeceptorum, quae luuc eis erit communis, Iriginta stuferos : ad
quod ipsum prandium limito.
> Quo peracto, dabit praesidens cuilibet provisori decem sluloros; qui si hujusmodi
statuto dievacarenon possint, difl'eraturin aiium diem.int'ra tamen meiisem , sub poena
perditorum dictorum decem stulerorum.
» Nec volo, quod aliis committant vices suas, ni forte unus eorum; ita videlicet, quod
ad minus semper duo eorum |)ersonaliter intersint.
» Hoc muuus seu officium receptoris simul habebit ipse Praesidens collegii , qui cum
dicto stipendio pro praesidentia retinebit Bursam praesidentis anliquae fundationis, quae
est viginti Pienensium.
» Et in emolumentis ex commensalibus provenientibus cum tribus ipsis Praecepto-
ribus aequaliter parlicipabit.
» Insuper praedictam missam quotidianam in eodem coilegio celebrabit. si velit, et
ad hoc commode vacare poterit sine dispendio, aut citra incommodum ipsius collegii.
Si vero eandera celebrare recusaverit , aut id ex re collegii lacère non debeat, ordinabunt
mei provisores aliquem ex ipso codera coilegio sacerdotem, qui id muneris subeal; et si
nullus ibidem fuerit, tune aliquis sacerdos vicinus, vir bonae vitae, per ipsos ad istud
officium assumetur, dictamque summam triginta lîenensium recipiet. Item poterunt a
dictis praesidente et praeceploribus honesti aliqui commensales assurai, usquead nume-
rum octonarium, non ultra, in eadem mensa; et utililas hinc proveniens cedet, partira
in rem ipsius collegii et reparationem , partira vero in ulilitatem ipsius praesidentis et
praeceptorum, el hoc acquis portiouibus.
» Poterunt et juvenes aliqui in mensa ipsorum juvenum Bursariorum, usque ad nu-
raerura qualernariura, dummodo sint de familia et gente ipsius fundatoris, aut praesen-
tati et nominati, per eos ad quos praesentalio ipsorum Bursariorum speclabit, meos
scilicet successores, de quibus inlVa dicetur.
» Qui juvenes solvent irapensas suas juxta discretionera ipsorura provisorùra, habita
ratione teraporura et penuria victualiura, utilitasque inde proveniens applicabitur, ut
supra.
» Horura autem omniura jgvenura coraraensaliuraque sic assumptorum non bursa-
riorum quilibet supra impensas mensae singulis annis exsolvere tenebitur unam librara
grossorum, attenta doctrina speciali, quara ex ipsis praeceptoribus conlinuo accipient;
' Fiyinti quinque , in apographo.
380 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
cum quibus familiariter super dubiis loquenlur; tolaque summa hinc collecta ipsis
tribus praeceptoribus clistribuetur aequalibus portionibus.
» Item ipsi Bursarii juvenes per vices, seu aiternalim mensae ministrabunl, juxta
ordinationem praesidentis; slerneiilque lectos praesidentis, et ipsorum praeceptorum.
Unus autem praeceptorum semper mensae juvenum praeerit; quod onus eorum cuiiibet
per hebdomadas incumbet.
» Volo praeterea, omnes ipsos juvenes Bursarios cum assumentur ad bursam, Busli-
diis et Steenbergensibus dumtaxat exceptis, dare in manibus praesidentis unam libram
grossorum Flandriae, ex qua praesidens faciet emi unum bonum leclum; remanebitque
dictus lectus recedenle ipso a dicto collegio, pro communi utilitate in eadem domo. Ex
qua pecunia sic recepla, si temporis cursu aliquid accrescat, ex que leclos emi non sit
necesse, reservabilur pro reparatione domus et utensiiium.
» Ipsis autem Buslidiis et Steenbergensibus meis sumptibus a proprio ' lecti ementur;
quibus detritis lectis, qui ex aiiis discedentibus remanebunt ipsi utentur.
» Si vero aliquem Bursariorum niortem obire contingeret in eodem collegio, etiam
libri et vestes in rem collegii convertentur.
» Omnesque Bursarii juvenes, durante oclennio, fructibus dictarum Bursarum gau-
debunt, et non ultra; nisi aliquis dictorum Bursariorum adeo excelieret in sludiis
Jitlerarum, ut idoneus esset caeleris Bursariis minus eruditis ultra dictas lectiones
communes profiteri leclionem aliquam extraordinariam; tune juxta provisorum discre-
tionem ad biennium conlinuari possit.
» Semelque ad dictas bursas assumpti, ante dictum tempus octennii terminatum non
deslituentur, aut expellentur a dicto collegio, proplerea quia per bénéficia quae intérim
ipsi assecuti essent, ditiores, aut forte satis opulenti evasissent; sed tempus ipsis prae-
fixum, si velint, in eodem collegio perlicient.
B Verum ut praedicti omnes Bursarii juvenes curiosius intendant litterarum sludiis,
volo et ordino, quod nullum fructum ex suarum Bursarum cursu percipiant, quamdiu
es dicto collegio absentes fuerint, ultra continuum 50 dierum spatium, sine liceutia
Praesidentis oblenta; converlendis longioris absentiae l'ructibus, in reparationem domus
et utensiiium.
» Quod si quis ultra trium mensium tempus absens fuerit, poterit de ejus bursa veiuti
vacante pro alio disponi; nisi ipsius longioris absentiae (cilra tamen semestre, quam
nulle paclo concède) gratiam a Provisoribus, cum allegatione rationabilis causae obti-
uuerit.
» Vacante autem aliqua Bursa , tenebitur Praesidens dicli collegii infra quindecim
dies immédiate sequenles bujusmodi vacalionem intimare curatis Ecclesiarum, et prae-
fectis saecularibus dictorum septem locorum, impensis ipsius assumendi.
» Et tune in Ecclesia tribus dominicis diebus, dum ibidem major populi multitude
concurrerit, bujusmodi vacalionem publiée immédiate et sine fraude publicabunl; inqui-
rendo fideliter, si sit aliquis volens ad bujusmodi Bursam praesentari.
' Lcg o principio in apograplio.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 381
K Qui ubi repertus fuerit, qualificalus ut supra , coram Decano et capitule Ecclesiae
collegiatae Sancli Pétri Ariensis, si ex Aria aut loco viciniori, modo dicto , fuerit
oriundus.
» Si Mechliniensis, similiter coram Decano et capitulo Ecclesiae Sancti Rumoldi
ibidem.
» Si vero Steenbergensis, coram fratre meo Magistro Egidio Buslidio vel ejus succes-
soribus, et coram Francisco Buslidio mihi ex fratre nepote, aut ejus successoribus. et
Magistro Nicolao de Naves, vita ejus durante.
» Si talisassumendus Buslidius, Marvilianus, Arelunensisaut Lucemburgensis fuerit
(ad quos illorum Bursariorum praesentationem spectare volo) compareat infra decem
dierum spatium, petens a diclis aut eorum altero, modo dicto, ad talem Bursam prae-
senlari.
» Si vero postdiclos decem diesnulluscomparuerit, poterunt dicti successores et prae-
sentatores, facta in locis vicinioribus inquisitione, unum alium idoneum praesentare.
1) Quod si etiam es locis vicinioribus infra decem alios dies sequentes nullus compa-
ruerit, poterunt tune mei Provisores aliquem alium idoneum assumere ex aliquo dic-
torum septem locorum , vel loco ipsis viciniori, modo et ordine prius dicto; hoc ipso
videlicet servato, ut oriundus ex aliquo illorum septem locorum praeferatur nato in
loco viciniori.
» Quia autem puto nullos Busiidios nunc esse idoneos ad ipsas Bursas, volo in prin-
cipio erectionis hiijus mei collegii ipsas duas Bursas pro Busiidiis vacare per duos
annos, si nulli ex dicto pago ad eas apli et idonei inveniantur; sperans temporis biennii
cursu aliquos se ad eas reddituros idoneos.
» Quapropter volo per Praesidentem immédiate post dictam erectionem eis insi-
nuari; et fructus harum Bursarum pro tempore hujus vacationis applicabitur aedificiis
et reparationibus necessariis.
» Ex fructibus vero et utilitatibus, ad communem reparationem collegii modo dicto
vertendis, sumetur etiam stipendium ancillae aut ancillarum si plures habendae sint.
» Erit autem Praesidentis ollicium, collegium ipsum laudabilitcr gubernare, prae-
sertim juvenes quos pro viribus ad Litteras, et virtules hortari debebit , eorumque illicita
conventicula prohibebit.
» Clausurae nocturnae diligenter intendet; et in principio quadragesimae et in qua-
tuor principalibus anni festivitatibus eosdem ad confessionem et circa eam necessaria.
latino sermone brevi ac utili informabit, eorumque singulos errores emendabit.
» Quod si facere non possit, id ipsum Provisoribus intimabit; qui desuper juxta sibi
traditam potestatem sincère et immédiate providebunt, ad aliorum exemplum.
» Postremo hujus Fundationis piique inslituti Provisores staluo, curatum Sancti
Pelri Lovaniensis; Magistrum nostrum ordinarie seu communiler Praesidentem in dis-
putationibus collegii'; vel alioquin si taies disputationes non essent, Decanum ipsius
' Add. Theuloyorum in apogc.
382 MEMOIRE SLR LE COLLEGE
FacultatisTheologiae, el Pairem seu Priorem domus Carlhusicnsis Lovaniensis. Quibus
quidem Provisoribus dictas Bursas cum vacabunt conferendi, reddiluum collegii redemp-
tioneni recipiendi, novosque rursus emendi , ac alia quaccumque ipsius collegii boiia ap-
preiiendendi, vendeiidi, alienandi, ac alias proul de propriis bonis, pro collegii quidem ne-
cessitaieaut magna utililale, disponendi, Eursasipsaspro Bursaiiis démentis suspendendi
ac eliam aliis conferendi, singulis annis raliones et compuium de receplis et expositis
audiendi , emendandi , corrigendi , et approbandi ; dubia quaecumque et dilïicullates circa
hanc meam Fuudalionem émergentes interpretandi , et moderandi, novas Picgulas et
Slaluta (si expediens videbilur) concedendi, ac orania et singula faciendi, quae circa
iioc primuni inslilulum necessaria videbuntur, vel quoniodolibel oporluna, salva semper,
qiianto proximius fieri poteril, mea intentione plenariam iribuo auctoritalem.
» Super quibus omnibus conscieutiam iilorum el bonorem, simul et ipsorum prae-
sentaniium , pro ea parte quae ad eos speclat, onero; orando illos in visceribus Christi ,
ui taies se gérant in hoc uegolio quales ego illos fuluros opto et spero, ad laudem Dei
oplimi , ad augmenlum cultus divini, decorem universaiis Ecclesiae, et Religioiiis
christianae, quam bac pia instituiione et salutari fundalione, per universum orbem
magis magisque conlirmalam et propagalam iri cupio.
» Si vero aliquid de meis accrescat, praescriplis débile complelis, donc et lego eisdem
Hursariis meis, sic ul praemitlitur fundandis. Iliosque meos veros legitimos et indubi-
latos heredes in hujusmodi residuo bonorum meorum facio et institue.
B [ta tamen , uL in reparalione et aediûciis pars una ponalur, altéra in augmenlo
JJursarum, juxta meorum Provisorum discrelionem.
» Et ul omnia et singula praemissa debilae execulioni demandenlur, suumque quam
brevissime polerii sortiantur etfeclnm , omnibus melioribus modo, via, jure, causa, et
forma, quibus ellicacius possum, ordino, eligo el deputo, si fundalio dictorum aluni-
noruni liai in coilegio Alrebalensi Lovanii supradicti, Decanum Mechliniensem Magis-
irum Joannem Robbyns, una cum aliis infra nominandis. Si vero in collegio Sancii
Donaliani, in locum dicli Decani surrogari cupio Magislrum Joannem Slercke, de Meer-
heke, praedicli collegii Sancti Donaliani Reclorem, |iraeterea Magislrum Adrianum
José! canonicum Anlverpiensem, aut si ipse huic negotio vacare non possel, rogo qua-
tenus bominem probum el fidelem, qui juxta meum votum banc meam inslilulionem
ad tinem perducere possil pro se instituai; Nicolaum de Nispen el Barlholomaeum de
Wessem Execulores meos.
B Quibus Iribus, scilicel deeano, aut Meerbeke, Nispen et Adriano Josel, pro onere
executionis, cuilibel eorum lego quinquaginta llorenos aureos.
» Et diclo Barlholoniaeo de Wessem, summam ducentorum llorenorum aureorum;
medianie qua sumnia contenlus eril, nihil anipiius pelere, occasione siipendiorum suo-
rum, el praefati legali executionis per dictos omnes, acceplare hoc onus volentes,
absentes tamquam pracsentes, et quemiibel eorum in solidum (ita quod non sit melior
condiiio primilus occupanlis, necdelerior subsequenlis, sed quod unus eorum inceperil.
aller eorum id prosequi valeal, mediare pariter el lerminare.)
DES TROIS-LANGIES A LOUVAfîS. 383
B Quibus et eorum cuilibel in solidum do plenam et liberam poteslatem, auctoiilaieni
et mandalum, omnia et singiila, per me, ut praeferiur, desiderata, petita et ordinata
gerendi.faciendi, procuraodi et exequendi, omnia etsingula crédita mea, redditus, pro-
venlus, pensiones et pecuniares siimmas michi débitas, ab omnibus personis, et coram
quibuscumque judicibus, vigore hujusmodi leslamenti mei petendi, exigendi, ievandi,
et recipiendi , de receplis quoque et levatis quitlantiam , acceptiiationem, cedulas verbo
vel in scriptis dandi, et faciendi; unum quoqiie et plures subexecutores loco suo aut
eorum cujuslibel, cum simili aut limitata poteslate subslituendi , eosque cura expedire
videbilur revocandi; et gencraliter omnia et singuia faciendi, quae in praemissis aut
circa ea quaelibel necessaria videbunlur et oportuna.
» Et ut praenominati mei Execulores boc onus executionis libenlius acceptent, nolo
eos de hujusmodi executione aut aliquo praemissorum cuicumque vivenli reddere ratio-
nem; concedens eorum singulis, si quae in praemissis obscura vel ambigua occurrerint ,
liberam ea declarandi et interprelandi facultalem. •
» Et eliam numerum dictarum Bursarum mearum instiluendarum minuere vel augere,
juxta qualitatem et quantitatem facullatum mearum (piis legatis et debilis liquide omni-
bus persolutis) superextantium.
B Volens insuper et desidcrans, ut si hujusmodi leslamentaria dispositio forte jure
Testamenii non sit valida, propter alicujus personae praeterilionem , solemnilalum et
legum vigore requisitorum omissionem, quod id saltem jure codicillorum seu douationis
causa morlis, aut inter vivos, seu quomodolibet alias, ut ultimae defunctorum volun-
tates, praecipue juxla pontificii juris sancliones, valere possit et valeat, et pleni roboris
firmitalem oblineat. Cassans praelerea, annullans et irritans quodvis aliud Testamen-
tum, seu codicillos a me quomodolibet conditos; salvo mihi semper jure addendi, dimi-
nuendi, corrigendi, mutandi.
» Acla fuerunt baec in domo mea Mechliniae, per me dictitata et propria manu sub-
scripta die XXII mensisjunii anno a Nalivltate domini millesimo quingentesimo decimo
septimo.
» Sic scriptum. Haec est volunlas mea et dispositio testamenlaria , quam ego Hiero-
nymus tesialor in omnibus et singulis articulis suis post morlem meam per Executores
supra nominatos, ocius ac fieri poteril, commode exequuta iri fldeliter cupio; testamen-
laria bac subscriptione mea manu propria facta et sigilli mei appensione roborala.
» Actum in domo habitatioiiis meae Mechliniae die XXII junii anno millesimo quin-
gentesimo decimo septimo.
B Denuo sic subscriptum : ila est, ut supra; Buslidius Ariensis Praepositus Tesialor,
manu propria. De et super quibus omnibus praemissis ante dicti Executores, nomine-quo
supra execuiorio, petierunl a me Notario publico infra scriplo sibi fieri, conflci atque
tradi, unum vel plura publica instrumenta.
» Acta fuerunt haec Mechliniafi anle diclae Cameracensis dioecesis, in loco capilulari
dictae ecclesiae sancli Rumoldi , sub anno, indiclioiie, mense, die, et pontificatu prae-
scriptis, praesentibus ibidem honorabilibus et discretis viris Dominis Symone Roboscb.
Tome XXVIII. SO
384 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE
Joanne Joannis, Nicolao de Sluylere, Jeanne Hoeldere presbyleris, dictae ecclesiae
beneficialis, et Symone Reys, virgario, dictae Cameraceusis dioecesis, teslibus ad
praeraissa vocatis specialiter alque rogalis.
c.
(Voir chap. Il , p. H. )
Poésies latines de Thomas Morus en l'honneur de Jérôme Busleiden , au sujet de
ses vers, de sa demeure et de ses collections d'art '.
De NUMMIS ANTIQUIS APUD IIlERONYMUM BUSLIDIANUM SEIIVATIS.
Roma suis olim ducibus quam debuit, illi
Tara dobentomnes, Buslidianc, libi.
Roma suis ducibus servata est : ipse réservas
Romanos Roma pracmorientc duces.
Nam quae Caesareos anliqua nomismata vultus,
Aut referunt claros lumve priusve vires :
Haec tu saeclorum studio quaesila priorum
Congeris, et solas bas tibi ducis opes.
Cumque Iriumphaleis densus cinis occulat arcus,
Ipse triumplianlum nomen et ora tenes.
Nec jam Pyramides procerum monumenta suorum
Tam sunt, quam pyxis, Busiidiane, tua.
ÂD EUNDEM.
Ecquid adliuc placidam, mi Buslidianc, Camocriam
Tua coerces capsula?
In tenebras abdis cur dignam luce, quid illi?
Quid invides morlalibus?
Musae fania tuae toto debetur ab orbe,
Quid huic repellis gloriam?
' Il nous a paru qu'il n'y avait point de plus bel hommage à la mémoire du généreux Mécène, après les louanges
d'Érasme, que les vers, peu connus en notre pays, rlu grand et malheureux chancelier qui fui aussi son ami Ils font
partie du recueil des œuvres poétiques de Thomas Morus portant le titre d'Spigrammala et compris dans les
œuvres complètes de More, latines et anglaises, imprimées plusieurs fois. Nous les donnons ici d'après une curieuse
édition du XVI"" siècle qui comprend l'Utopie et d'autres traités latins du publiciste lettré : Thomae Jllori Anyliae
ornamenti eximii Lucubrationes , etc., Basileae, ap. Episcopium F., 1563 (in-8"), pp. 258-260. On les lit aussi
(fol. 30 et 31) dans une édition revue de ses œuvres latines, faite à Louvain, en 1563, in-folio , chez Jean Bogard,
et portant l'approbation du professeur de théologie, F.-J. Hentenius.
DES TROIS- LANGUES A LOUVAIN. 385
Gralus ab liac fructus toti debetur et orbi,
Quid unus obstas omnibus?
An tibi casta procul coetu cohibenda virili
Cohors videtur virginura?
Sunt hacc virginihus faleor metuenda, sed illis
Devirginari quae queunt.
Ede tuam intrepidus, pudor est inflexilis illi,
Née ille rudis, aut rusticus.
Ut tua non ipsi cessura est virgo Dianae,
Pudorc grata lacteo :
Sic tua non ipsi cessura est virgo Minervae,
Sensu, lepore, gratia.
Ad Bustidianum de aedibus magnifias Mecliliniae.
Culta modo fixis dum conteraplabar ocellis
Ornamenta luae, Buslidiane, domus,
Obslupui, quonam exoratis earminc fa lis
Tôt rursus veteres nactus es artifices?
Nam reor illustres vafris ambagibus aedes,
Non nisi daedaleas aedificasse manus.
Quod pictura est illie, pinxissc videtur Apelles ;
Quod sculptum, credas esse Myronis opus.
Plastica quum video, Lysippi suspicor artem :
Quum statuas, doctum cogito Praxitelem.
Disticha, quodque notant opus, at quae disticha vellct,
Si non coraposuit, composuisse Maro.
Organa lam varias raodulis imilantia voces,
Sola tamcn veteres, vel potuissc negem.
Ergo domus tota est, vel saecli nobile prisci,
Aut quod prisca novum saecula vincat, opus.
At domus haec nova nunc, tarde seroque senescat,
Tune videat dominum , nec tamen usque senem.
386 MEMOIRE SLR LE COLLEGE
D.
( Voir cliap. III , p. 83.)
Texte de la lettre écrite de Rome aux Réi). docteurs de la Faculté de théolorjie de Lou-
vain, par Albert Pighius, camérier secret du pape Clément VII, en date du i'2 juil-
let 1525 '.
Venerabiles ac Doclissimi Domini Preceptores mei observandissimi. S.
Pessime hic audit veneranda ac Sancta ilia Facuitas veslra, ob maiedicentiam quo-
riimdam inter vos seditiosorum , qui in suis ad popuium concionibus non cessant in-
sanis ciamoribus vexare Erasmum Roterodamum , virum certe quem nostra vidit etas
eloquentissimuni et eruditissimum , et lam apud Poiuificem ac Optimales omnes, quam
universos qui in literis nomen habent, magnae imprimis gratiae et auctoritalis, quibus
hoc unum agere ac moliri videntur, dum videiicet eum nunc ut lierelicuni , nunc ut
Lutheranum, et nescio quibus aliis nominibus traducunl apud popuium, ut qui uuper
pro nobis et catholica (ide ex professo se adversarium fecit Luthero, et quem Pontifex ,
prudenler intelligens quantum unus in alterutram partem momentum adferre potest ,
nulio non beneficii génère studet sibi demereri, hune a nobis aliènent, et pro uno
Luthero, quasi dissenlionum et scismatum nondum satis esset, exsuscitent pluriraos.
Commiserat Sua Sanclitas Revereudo Domino Theodorico Hezio^ hinc proficiscenli,
ut suo nomine amice ilios ac secreto moneret, quo poslhac discerent loqui modestius, et
quemadmodum decet Theologos, et Religionem professos, quales nominalim hac in re
accusati sunt. Sed eum intérim non cessarent assiduae querelae multorum, quorum,
eorumque maximae auctorilatis virorum , et non unius Erasmi solum, iileras mihi os-
tendil R"' D. Datarius, nisi forte ego iulervenissem féliciter, jam dalum esset Erasmo
apostolicum brève rigorosum admodum, adversus Lovanieuses Theologos detraclores
suos. Quo eum videbam honori facuitatis vestrae imprimis derogalum iri , resliti omnibus
viribus (nihil dubitans mox ut hinc exivisset evolaturum in universum orbem), et maxi-
mis laboribus vix impetravi ut retineretur. Tamen loco illius mihi injunclum est ad ves-
tram Universitateni scribere, ut omnino provideat ne plures islinc querelae afferantur.
Erasmo etiam jussus sum hac de re per iileras satisl'acere. Quare mei ofTicii esse pu-
tavi etiam ad V. P. scribere, et monere easdem ut ralionem habeant honoris sui, quem
' Cette pièce a été publiée pour la première fois par le Plat, dans le fascicule aDonyme très-rare qu'il a intitulé :
Recueil de quelques pièces pour servir à la continuation des Fastes académiques de l'Université de Louvain
(Lille, 1783, petit in-5", pp. -58-31), et elle a été léiraprimée par le baron de Reiffenberg d'après ce texte, dans la
première livraison du tome I des Notices et extraits des manuscrits de la bibliothèque de Bourgogne (Bruxelles,
1829, in-4', pp. 34-36), qui n'a pas eu de suite.
En reproduisant cette lettre à cause de son poids dans la question d'histoire que nous traitons au cbap. III, nous
en avons corrigé le texte latin et copié l'orthographe en quelques endroits , d'après l'original que nous avons sous les
jeux, et qui appartient à la collection d'autographes de W de Ram.
^ Th. Hezius avait été secrétaire d'.\drien VI. Érasme lui avait écrit en septembre 1324, en lui envoyant son traité
de Libéra arbitrio. {Epist , I, 809.)
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 587
hic sluduimus modis omnibus facere non vulgarem, et diiigenlissime semper promo-
vimus, cui per illam nonnullorum pervicaciam, maledicenliam et deiractiones, et per
aliorum assiduas contra vos querelas plmimiim derogatur.
Meo itaque judicio quam reclissime facietis, si eos qui iiis quereiis dare non cessant
occasionem, modestius loqui cogatis, et domino Erasmo per iiteras vestrasquam primum
satisfeceritis; ut inteiligat sibi poslhac ab illis niliil timendum fore, et Sanctissimi
Domini nostri pro se mandata apud vos profecisse aliquid. Quo vos non dilîerat excu-
sare, imo et suis literis commendare apud R""» D. Dalarium et reliques hic amicos, ne
paucorum culpa praeclarissimae Facuitati imputetur. Quod scio illum, si scripseritis,
pro sua humanitate facturum magnificentissime.
Ego intérim pro mea virili non cessabo honorem vestrum, quem et meum duco,
tueri ac defendere. _
Valete féliciter, et banc festinantissirae et neglectissime scriptam compositam (cptam)
aequi consulite; opprimebar enim multis simul occupationibus quum festinaret vereda-
rius, et plurima simul scribenda orant.
Ex palatio Apostolico Die xii° Julii 152o.
E. D. V. Alumnus devotissimus
Albertus Pighils, Câpen. S. D. N. Cubi-
cularius secretus.
Inscriptio eral : « Reverendis Plibus ac Doctissimis viris Decano et Facuitati Theo-
logiae insignis sludii Lovaniensis. »
E.
(Voirchap. IV, p. 99.)
Série des présidents du collège de Busleiden ou des Trois- Langues à Louvain.
\. JoANNES Stercke, sive Forlis.
Jean Stercke, appelé plus souvent dans les sources du temps du nom latin de Fortis,
était natif de Meerbeke {Mirbecanus) ; il avait le titre de licencié en théologie, et il était
directeur du collège de Saint-Donat en 1517, quand il fut mis par Busleiden au nombre
de ses mandataires. Nommé un peu plus lard président du collège des Trois-Langues, il
prit possession, le 18 octobre 1520, du bâtiment qui devait en être le siège. Il ne donna
sa démission qu'en 1526, pour rentrer dans la vie privée. Il mourut le 5 avril 1536, et fut
enterré, suivant son désir, dans l'église de Saint-Martin. On voyait sa sépulture à l'entrée
du chœur de celte église : elle portait une inscription fort élogieuse qui résumait sa car-
rière et témoignait de l'estime qu'on avait pour son savoir et son caractère dans la ville
588 MÉMOIRE SUR LE COLLÈGE
universitaire '. Nous la reproduisons ici à cause de sa rédaction élégante et simple :
Doclissimo thcologo, piissimo sacerdoti, pliilosopho , disciplina, moribus absohttis, jusliliae et privilegio-
rum Universitatis dcfcnsori inviclo , dcceplundiim pacificalori acquiss. D. Joak^i I'orti Mirbccano, collegii
Biislcdiani Pnicsidi, quo in dcspiciendo quac ad liempublicam perlincbant , nemo fuit sayacior, rursus nemo
in pcrpciendo constanlior , nemo ab omni ambilione rcmotior, ut qui uUro oblatas dignitales et ampliora sacer-
dotia, mcdiocritale contentus, singulari animimodeslia récusant, consiliisque, re et opcra in omnes perpétua
libcralissime nstts , incredibile sui desidcriuin , et mncrorcm inconiparabilem , tum civibus, lum toti Aca-
demiae reliquit.
JoANNES FORTIS MiRBECAMiS PROFESSIONE TIIEOLOCUS, SED .MLLILS FEUE DISCIPLINAE IGNARIS , VIR CELE-
BERRIMI OB CLARISS. VIRTl'TES NOMINIS, niC SIBI SEPULTURAM DELEGIT. MoRTUUS ANNO DoMINI MDXXXV.
V APRILIS '.
hivitus terrain qui deserit , coelum limct.
Jean Fortis avait été en relation avec Louis Vives, qu'il paraît avoir rencontré à Paris
dans le temps où ils y faisaient des éludes. C'est à Jean Fortis que Vives adressa la célèbre
invective In Pseudodialeclicos , qu'il publia à Louvain en 1519 : morceau curieux dirigé
contre la pernicieuse sophistique qu'il avait observée dans les écoles de Paris '.
2. NicoLAUs Warius Marvillanus ou Nicolas Warij de Manille.
(1320-29.)
Natif de Marville, localité du Luxembourg désignée dans le testament de Busieiden,
Nicolas Wary ou Warry fut appelé, en 1526, à la présidence du collegium Buslidianum;
l'épithèle de Marvillanus est le nom qui lui appartint surtout parmi les hommes lettrés
du temps. Distingué entre bien d'autres par Érasme, il eut une petite, mais fort belle
part dans ses suffrages, et c'est assez de cette lettre que nous avons citée plus haut*,
servant de dédicace à la version du traité de Saint-Jean Chrysoslôme in Babylam, pour
lui valoir une mention particulière dans l'histoire des études.
Nicolas Wary avait étudié la philosophie au Faucon, et obtenu la quatrième place au
concours de 1511. Il mourut jeune encore, le 2 octobre 1529, et fut enterré en l'église
de S'-Pierre près de l'autel de S'-Nicolas ^.
' Celle insciiplion latine a élé insérée dans le Théâtre sacré du Brabant (éd. de La Haje , 1 729, part. 1, p. 123)
et dans les Monumenta sepulchralia Brabanliae de Fr. Sweei tins , p. 225. — Elle a été recueillie aussi par Paquot
(Fasti acad., I, 478) comme digne de remarque.
' Comme Pâques tombait alors en cette année le 10 avril, il faut reporter à l'an 1530 ce que l'inscription flxe à
l'an L'ISS suivant l'ancien style (Bax, fol. 1411 ).
' Voy. le Mémoire sur la vie et les écrits de L. Fivès, par l'abbé Kamèche, pp. 16, 33, 59-40.
* Voy. cbapitre IV (pp. 99-101 ). — Érasme avait écrit naguère à Marvillanus, quand il était président d'une as-
sociation de jeunes littérateurs. (Praeses sodalitatis vestrae, comme il disait à Goclenius, en octobre 1517.) Epist.,
1,267.
' Valèrp André, Fasti , p. 277.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 589
3. JuDOCus ou JossE Vanden Hove.
(IS29-36.)
Vanden Hove avait été d'abord bedeau, bedellus, de la faculté de théologie '; il fut pré-
sident du collège des Trois-Langues après Marvillanus, et mourut le 10 seplennbre 1556.
Josse Vanden Hove avait fait, en 1311, un premier testament d'accord avec sa pre-
mière femme, Catherine Macs de Louvain (qui mourut en janvier 1312), dans la maison
d'Adrien d'Utrecht, doyen de S'-Pierre, située sous la paroisse de S'-Michel. H se maria en
secondes noces avec Marie Loenis dont il eut un fils du nom d'Antoine. Par un testament
du 12 août 1336 '\ il laissa à ce dernier l'usufruit du reste de ses biens, qui servirait,
après la mort de ce fils, à une fondation dans le collège du S'-Esprit ou des théologiens '.
4. Jacobus ou Jacques Edelheere.
Jacques Edelheere était fils de messire Jérôme Edelheere, secrétaire de la ville de
Louvain, fils de Jacques Edelheere et de Marie Peeiers. Maître es arts, et âgé seulement
de 23 ans, il fut élu président du collège des Trois-Langues *. H se promenait après le
repas dans son jardin, quand il mourut subitement, le 26 mai 1339, le second jour de
la fête de Pentecôte *.
H existait à S'-Pierre, devant l'autel de S'-Albert , un sarcophage en pierre bleue, por-
tant des inscriptions flamandes en lettres gothiques. Elles rappelaient les membres de la
famille Edelheere, qui étaient inhumés dans cette chapelle particulière, depuis Guillaume,
qui en était le fondateur (Willem Edelheere fondateur van desen clioore), jusqu'à Jacques,
Catherine, Jean et Guillaume, tous enfants de Jérôme ".
Mention du premier était faite en ces termes :
McESTEB Jacob Edle die lest
sterf'op den 26 dach maii a" 1559.
' Le bedeau devait avoir une connaissance familière du latin, et avoir été inscrit sur les rôles de l'Universilé. Voy.
Statuta Facultatis theologiae. (de Ram, De Inudibus , etc., oratio, annot., p. 97.)
' Détails extraits du recueil de Bax, f. 1412 : U$um fructum Residui suorum Bonorum reliquit praenominato
filio, volens post illius obitum ex hoc Residuo erigi fundalionem in collegio Theologorum.
' Val. André Fasti, 277-78 : qui sui memoriam reliquit in collegio S. Spiritus.
* L'abbé Bax à qui nous empruntons ces détails sur Jacques Edelheere et sa famille (f. 1413), fixe cette élection au
17 mai 15ô9. Le collège serait-il resté sans président, pendant les années 1337 et 1338? Voir suprà, p. 144, note ô.
' Val. André, qui écrit son nom Edclheer , le fait mourir en 1538 (vieux style). Fasti, 278.
' Jérôme, qui ne mourut qu'en 1335, avait fondé, en 1345, une bourse dans le collège de S'-Ives. — Voy. sur la
famille, Divaeus rerum Lovanien., p. 65. De cette famille descendait Jacques Edelheere, né à Louvain en 1.599, dont
la carrière politique appartient au XV!!"" siècle. Voy. Goethals, Bist. des lettres et des sciences en Belgique, t. III ,
1842, pp. 131-152.
390 MEMOIRE SDR LE COLLEGE
5. NicoLAus A Castro.
(1539-1544.)
La vie de ce personnage, que nos polygraphes n'ont pas retracée, appartient plus
encore à l'iiisloire de l'Eglise qu'à celle des lettres; cependant nous en reproduisons les
principaux traits ', ne fût-ce que pour montrer la force de l'action puisée dans la solidité
des éludes en un siècle de luttes et de calamités.
Nicolas à Castro était d'une famille patricienne de Louvain; il était fils de Nicolas à
Castro (dont le nom vulgaire était Verborch, Verburcli ou Verbruch) et de Catherine
Vanderstraelen. Un de ses frères du nom de Jean fut chanoine de Saint-Pierre à Louvain.
Nicolas appliqua aux éludes les facultés supérieures dont il était doué. Après avoir fait
avec éclat ses cours d'humanités et de philosophie, il atteignit le grade de licencié en
théologie; il prit part fort souvent, avec grand profit pour les autres comme avec hon-
neur pour lui-même, à des discussions ou disputes scolastiques dans la pédagogie du
Faucon ^, et même il y aurait enseigné la philosophie. Nommé président du collège de
Busleiden en 1559, il remplit cette charge pendant peu d'années (jusqu'en 1544). Peu
après il fut nommé chanoine de Sainte-Marie, selon d'autres de Saint-Jean, à Utrecht.
Plus tard, Nicolas à Castro fut délégué par Philippe II pour combattre les nouvelles
hérésies nées dans la Hollande^; ce prince le désigna pour le siège de Middelbourg,
quand cette église fut érigée en évêché, sufTragant de celui d'Ulrechl dont elle fut alors
détachée, et, quand le pape Pie IV eut confirmé sa nomination, il fut promu comme
premier évêque de Middelbourg en 1561 *.
Nicolas à Castro fut sacré à Malines, en même temps que Pierre Curlius ou de Corte,
évêque de Bruges, par le cardinal Granvelle, le 26 décembre 1561 ; il assista au synode
d'Utrecht, en 1565, et signa le 30 octobre de la même année, en qualité d'évêque de Mid-
delbourg. Son épiscopat dura douze années et fut signalé par des preuves de fermeté et
de grandeur d'âme. Nicolas joignit constamment la prudence au zèle, suivant le témoi-
gnage d'écrivains réformés^, et il tâcha de diminuer l'effet des mesures prises par le
duc d'Albe, par exemple, de l'impôt du dixième denier.
On rapporte que de grands troubles s'ètanl élevés à Middelbourg, en 1566, les magis-
trats invitèrent Nicolas à se dérober à la fureur du peuple égaré. L'évêque leur aurait
' Le recueil de Bax nous a fourni la plupart des détails biographiques dont nous faisons usage ici (ff. 1414-16). Il est
question de Nicolas à Castro dans VOpus chronographicum de Pierre Opmeer, imprimé à Anvers (en 1612, in-folio) ,
l)ar les soins de Laurent Bejerlinck, chanoine d'Anvers, [f/ist. de Eelgio, p. 53,)
^ Magistrales scolasticos actus.... frequens praestitit.
' Fr. Sonnii ad Figlium Zuicliemum epistolae (éd. de Ram, 1850), pp. 8, Ifi, 19, 77.
' Le diplôme cité par Heussen (Dioec. tViddelb., p. 12), porte le 12 mars 1360 : mais comme en celte année
Pâques tombait le 10 mars, et comme les bulles des papes dataient l'année suivant le vieux slvie, ou peut tenir à la
date de 1561 donnée par Suffridus Pelri.
' Boxiiornius, Zelandiac chronicon, p. 55 : p'ir cum primis doctus et sapiens , et qui, ducis Jlbani con-
silia, semper ut poteral, compressit. — Cfr. Considérations sur l'hist. de t'Univ. de louvain, pp. 20 et 71.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 39i
alors répondu avec force : « Aunoiicez-nioi, je vous prie, l'arrivée des assassins, afin
» que, révéla de mon costume épiscopal, je puisse être séparé de mon troupeau, et
» succomber pour mon troupeau comme évêque. »
Quelques années après, la ville de Middelbourg fut assiégée par les troupes du prince
d'Orange. Nicolas de Castro qui avait toujours désiré le martyre resta dans la place; avant
la fin du siège, il fut enlevé par une maladie subite et violente, âgé de 70 ans, le 16 mai
1575. Comme saint Augustin qui n'avait pas voulu abandonner Hippone cernée par les
Vandales, il mourut avant l'assaut et n'eut pas la douleur de voir sa ville épiscopale livrée
aux fureurs de l'ennemi *. Nicolas à Castro fut enterré dans sa cathédrale, mais son
tombeau resta sans épilapbe à cause des malheurs de l'époque.
On attribue à Gramaye deux vers en son honneur qui jouent sur son nom et sur sa
qualité d'ancien maître de philosophie au Faucon'; nous les donnons pour ce qu'ils
valent :
A Castro ad liiirgmn properal, Pracsulque Zelaiidis
Esl : per terrain aeqne ac pcr mare Falco volât,
G. JoANNES Reineri Weerthanus.
(1544-1559.)
Jean Reineri, dit Weerthanus (vulgo de Weerdl), était natif de la Gueldre. En 1518,
il avait été second d'entre cent cinquante-huit maîtres es arts, comme élève du Château,
et il fut ensuite professeur de philosophie ou régent dans cette pédagogie : peut-être y
remplit-il tour à tour l'une et l'autre de ces fondions'. En 1544, Jean Reineri devint
président du collège de Busleiden*, et obtint peu après le grade de licencié en théo-
logie. Le 1" mars 1544, il prit possession d'une prébende de chanoine de Saint-Donat
de Bruges, obtenue par voie de nomination académique. En 1558, il fut élu par le
souverain et le chapitre, doyen de l'église collégiale de Saint-Jean l'Évangéliste à
Bois-le-Duc, en remplacement de Gérard van Gameren , mort le 18 juillet de la même
année. Reineri, qui avait quitté Louvain en 1559, mourut le 14 octobre 1560.
7. Melchior van Ryckenroy.
(1B59-1570.)
Natif de Malines, Melchior Van Ryckenroy, bachelier en théologie, fut d'abord vice-
curé (vice-curatus) à Saint-Pierre, et puis chapelain (capellanus) de la même église. Pré-
' Voy. (le Ram, Orat. de Laudibus, etc., p. 44.
' Nicolas à Caslio avait fondé une bourse dans cette pédagogie.
= Notes de Bax, f. 1417. Ibid.,(. lOGO, 1080.
' Au temps de sa présidence se rapporte l'éloge que J. Vendeville faisait, en mai 1357, de l'assiduité exemplaire
des professeurs du Collegium trilingue dans leurs fonctions d'enseignement. Lettres inédites adressées à riglius ,
p 22. (Extr. des Eulletins de la Commission royale d'Itistoire, t. Il, 2™' série, n' 3.)
Tome XXVIII. SI
392 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
sidenl du collège des Trois-Langues avant la lia de l'année 1559, il reçut plus tard le
grade de licencié en théologie, et fut élu recteur de l'Université, le 28 février 1370 '. Il
avait été nommé curé à Grootsundert, bourg du territoire de Bréda; il mourut peu de
temps après, à une date non certaine, mais du moins avant la seconde moitié de
l'an 1578; en effet, son cousin, Augustin Hunnœus, docteur en théologie, dans son
testament fait le 3 septembre 1578, manifesta le désir d'être enterré près de Melchior,
sous la même pierre, avec une épilaphe gravée sur cuivre qui rappelât modestement leurs
titres à tous deux^.
8. JoANNES Verhaghen Riemenensis.
(1371-83.)
Jean Verhaghen était né à Rymenant, bourg situé près de la Dyle à uue lieue et demie
deMalines; il fut proclamé docteur es droits le 27 août 1570^, et déjà en 1572, il rem-
plaça J. Molinœus comme professeur royal des décrets {Professer Decrelorum regius); il
fut élu recteur quatre fois, dont deux fois à la demande de la Faculté de droit civil , et
il eut aussi les fonctions d'official à la cour souveraine de Malines *. Jean Verhaghen
avait été nommé en 1571 président du collège de Busleiden, et il conserva cette charge
jusqu'à sa mort, le 2 septembre 1585. Après lui, le collège resta sans président jusqu'aux
premières années du XVII"" siècle.
9. Adrianus Baecx a Barlandia.
(1606-1624.)
Adrien Baecx van Barlandl, naquit à Malines, le 9 août 1574*. Après avoir fait son
cours de philosophie au collège du Porc, il embrassa l'état ecclésiastique, et puis s'ap-
pliqua sérieusement au droit. Quand il fut devenu président du collège des Trois-Langues
le 4 février 1C06, il remplit cette charge avec beaucoup de sagesse et de bonheur, comme
on l'a vu au chapitre IV (pp. 103-107}; il poursuivit cependant ses études juridiques,
obtint en 1607 le grade de licencié, et fut proclamé docteur le 50 août 1616 ".
Adrien Baecx était aussi chanoine et grand chantre à Saint-Pierre depuis I6!l: il
eut en 1619 les honneurs du rectorat, et c'est par déférence pour sa personne autant
peut-être qu'en considération de son origine et de sa naissance qu'il reçut dès 1615 le
' /''asti Àcad-, pp. Ai , 278.
' Recueil de Bax, f. 1417.
' Doctores U. J. Fasti Acad., \i. 197. Vbi Epitaphium.
* fasti Acad., p. 45.
= Recueil de Bax, f. M\>^. - Suivanl Valère André, Fasli (p. 20G), le 3 des Kalendes d'am'il, c'esl-à-dire le 28
juillet 1374.
' Fasti , p. 206 ; le 31 aoûl 1014.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 593
titre de président du collège de Malines d'Arnold Trot'. Baecx résigna, en 1U24, toutes
ses charges et dignités, et quitta Louvain où il laissa la réputation d'un homme instruit
et d'un administrateur habile"-. Il se retira à Orschot (in Oorscholo) , dans la mairie de
Bois-le-Duc [Stjlvae Ducis majoralus), où il lut doyen et chanoine de l'église collégiale
de Saint-Pierre. On présume qu'il fut privé en 1G29 de son doyenné, quand les Hollan-
dais abolirent en cette contrée l'exercice public de la religion catholique.
1(J. Fridericis Havens.
(162G-1C47.)
Frédéric Havens de Louvain, était fils de Thierry (Theodoricus) Havens, receveur des
États ^. Il était licencié es droits, et il avait le rang de protonotaire apostolique, quand
il devint en 1G26 président des Trois-Langues , après la retraite de Baecx; le 7 août
162,5, il succéda au même dans ses fonctions de chanoine et de chantre en la collégiale
deS'-Pierre. En 1629 et en 1638 (août), Fr. Havens fut recteur de l'Université *; il
est mort le 4 novembre 1049, et non en 1648, comme le dit Paquot dans la courte
notice qu'il lui consacre ^.
On conservait au collège de Malines un discours manuscrit de Havens sur cette ques-
tion '' : Magni-ne aeslimanda sit pulchriludo in Principe?
1 1 . Philippus Bellenus.
(1648-1693.).
Philippus Bellens, de Louvain, était fils de François Bellens et de Marie Rogglie'.
Bachelier en théologie, il devint recteur ou curé de l'hospice civil à Louvain, où il
exerça ses fonctions de 1644 à 1674. Élu président du collège le lo mai 1648, il conserva
cette dignité jusqu'à sa mort, en l'année 1695; il fut enterré le 27 octobre en l'église
de S'-Jacques où il avait fait ériger un monument à ses aïeux et parents du nom de
Bellens avec une inscription latine rappelant son titre académique : Pracses collegii Bus-
lidiani Trilinguis^.
' Le CoUegium Mechliniense était iinu fondation du XV""= siècle, qui ne fut pas administrée régulièrement faute
de ressources pour rentrelien d'un collège. (Fasti , p. 329.)
- Voy. Paquot, Mémoires, t. III, pp. 233-54.
^ Recueil de Bax, f. 1419. — Jean Arnold Havens, capitaine, était l'oncle de Frédéric, et l'avocat Pierre François
Havens, son frère.
' Valére André, Fasti , pp. 47 et 48.
^ Mémoires sur l'histoire littér., t. III, p. 254. — L'abbé Bax fixe la première date d'après le Directorium de
S'-Pierre où Havens avait fondé un anniversaire.
"^ Paquot, Fasti y/cad. Lov., t. I, p. 47'J.
' Son aïeul , Jean Bellens, originaire de Rethy en Campine, avait été le troisième dans le concours de 1357; il était
licencié es droits, et il fut promu recteur de l'Université en février 1539. iVotes de Bax, f. 1419. — Paquot (ait mention
de Pli. Bellens, dans une note de ses mémoires , t. III , p. 234,
* L'inscription a été transcrite par l'abbé Bax , f. 1420.
594 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
12. LuDOvicus Franciscus Deens.
(1693-1725.)
Louis François Deens, de Louvain, naquit en 1650 d'une famille patricienne de celte
ville; il était fils de Jean Deens et d'Anne Cremers'. Après son cours de philosophie, il
devint bachelier en théologie et reçut la prêtrise. En 168(>, il fut nommé chanoine de
S'-Jacques à Louvain, et en 1G95, président du collège de Busieiden. Il avait rempli
cette dernière charge pendant trente-trois ans, quand il mourut des suites d'une longue
hydropisie, le 15 novembre 1723. L'épitapbe latine qui était placée sur son tombeau,
dans la chapelle de S'-Hubert à S'-Jacques, apprenait que Louis Fr. Deens réunissait à
ses autres litres ecclésiastiques et universitaires, celui de protonotaire apostolique. Le
legs qu'il aurait fait au collège ne figure point dans les relevés des finances de la fon-
dation ".
15. Leonardus Josephus Streithagen.
(1723-1752.)
Léonard Joseph Streithagen, de Louvain, était le frère d'Égide François Streit-
hagen, qui fut chancelier de Brabanl et qui mourut le o mars 17G9. Il fut élu le
15 novembre 1725 président du collège des Trois-Langues, où il resta jusqu'en 17.^2.
En celte dernière année, il obtint la présidence du collège de S'-Yves, après la mort de
Gaspar Magermans, et y ajouta en 1757 celle du collège de Savoye. Depuis l'an 1752,
Streithagen portait le titre de docteur es droits, et il eut ensuite le rang de professeur
ordinaire dans la faculté de droit '. Il mourut à l'âge d'environ 80 ans , le 25 mai 1777.
14. MaRTINUS CiELDOLPHUS VaiNDERBUECKEN.
(17.';2-1739.)
Martin Geldolphe Vanderbuecken , fils de Geldolphe Vanderbuecken et de Marie Thé-
rèse Bollens, issus tous deux de famille patricienne, naquit à Louvain le 25 novembre
1711. Vingt-troisième dans la promotion de 1751, il fit ses études théologiques au col-
lège du Pape et parvint très-vite au grade de bachelier. Après qu'il eut reçu les ordres
en 1757, il fut attaché à la paroisse de S'-Jacques à Louvain. En 1743, il passa à la cure
de Campenhoudt par voie de nomination acadèmiiiue; mais le IG avril 1750, il fut élu
par le magistrat de Louvain pléban de l'église collégiale de S'-Pierre, à la grande satis-
faction de tous les habitants. Enfin, en 1731, il obtint le 21 avril le grade de licencié
' lin fière de L.-F. Deens, du nom de Guillaume, était secrétaire de la ville de Loiiv.iin, et il s'était fait (|iieli)ue
réputation comme jurisconsulte et comme avocat de la ville; il mourut en 1720.
' Legnvit quaedam capitula Sancti Jacobi, item coUegio TrUingui. Recueil de Bax , f. 1421.
= Streithagen fut promu le 21 octobre 1732 avec Christ. Robert et Chrétien Bombaye. Voy. le Siippl. aux Fastes du
doctorat Aîns Y Annuaire de l' Vniv.de Louvain , années 184'i, pp. 149 150.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 395
en théologie, el fut admis le 28 mai suivant dans le conseil de la Faculté de théologie.
L'an 1752, Vanderbuecken fut nommé par le prince Charles de Lorraine gouverneur
des provinces belgiqucs, chanoine de première fondation en la collégiale de S'-Pierre.
Le 18 avril de la même année, il fut élu président par les proviseurs du collège de
Busleiden, et le 28 octobre, il fut admis au nombre des patriciens de la ville'. Il allait
succéder à J.-B. Cocquetle dans la présidence du collège de Houterlé, quand il fut
frappé d'une mort inopinée le 13 septembre 1759 , à l'âge de 48 ans. On faisait honneur
à M. G. Vanderbuecken , d'une certaine élégance de langage, d'une grande aptitude à
traiter les affaires difTiciles, de beaucoup de charité envers les pauvres et d'un grand
zèle pour rendre service au prochain.
13. Franciscus Jacques, d ictus Jacobi, Wavriensis.
(1739-1783.)
François Jacques, dit Jacobi, était né à Wavre le 13 octobre 1725; il fut élève de la
pédagogie du Château et obtint la seconde place dans la promotion de 1748^ Après avoir
étudié la théologie au collège du Pape, il devint prêtre, et fui nommé confesseur et
prédicateur français à Saint-Pierre.
François Scheppers étant venu à mourir le 1 1 août 1737 , Jacobi lui succéda dans sa
charge de censeur el visiteur apostolique et royal des livres dans les Pays-Bas (Lihronm
censor Recjius el Apostolicus); charge à laquelle élail attaché un canonicat de S'-Pierre
à Louvain. Le 9 mai 1758, il fut promu à la licence en théologie, et le 21 septembre
1759, il remplaça Vanderbuecken dans la présidence du collège des Trois-Langues. Il
v mourut le 1 1 novembre 1783 , âgé de 58 ans. On remarque le sens profond des termes
ainsi qu'un style ferme et correct, dans les formules de l'approbation que Jacobi donna
à plusieurs ouvrages publiés de son temps, par exemple à ceux de Paquot.
J6. Henricus Wouters.
(1783. sq.)
Henri Wouters, de Louvain, appartint à la pédagogie du Château, et fut le sixième
de la seconde ligne dans la promotion de 1770. Il fut ensuite élève au grand collège des
théologiens, obtint le 50 avril 177G, le grade de licencié, et au mois de juillet de la
même année, fut fait lecteur ou vice-président du petit collège des théologiens.
' Inter patridos hujus oppidi admittitur. — Bax, f. 1422.
Promotiones in ariibus. MSS. cité , fol. 33 , où sont énumérés tous les titres de Jacobi que nous détaillons dans la
notice. L'abbé Bax (fol. 1423) lui donne le prénom de Jean, et le dit 61s d'un Jean Jacques, licencié es droits, et
avocat à Wavre. Le prénom de François lui est donné dans le texte des approbations dont il a revêtu plusieurs livres à
titre de censeur.
596 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
En 1779, Woulers fui désigné par les proviseurs du Faucon, pour succéder en qualité
de régent à J.-B. Mondet, qui se retirait; mais il ne put prendre possession de celle
charge, en raison de l'opposition que fit le gouvernement d'alors à l'exercice du droit
des proviseurs.
Puis, le 15 novembre 1783, Woulers fut nommé président du collège de Busieiden
par les |)roviseurs de cet établissement, et probablement il conserva cette dignité jus-
qu'en 1786 ou 1787.
C'est en 178G, que Woulers accepta une charge de professeur dans le nouveau sémi-
naire général, et prit dans ses attributions le cours d'Écriture Sainte, s'étendant à l'An-
cien et au Nouveau Testament '.
En 1792, le 24 mai, Woulers fut nommé doyen du chapitre de Leuze. Dès 1794, il
quitta la Belgique lors de l'entrée des Français, et se retira en Allemagne. Il mourut,
dit-on, à Prague, en Bohème, vers 1820.
17. JOANNES JOSEPHL'S VaNDEN FLlSKEN.
(17U0-0".)
.lean Joseph Vandeu Elsken, né à Alsemberg Notre-Dame, après avoir été élève du
séminaire archiépiscopal de Malines, et du collège d'Arras à Louvain, reçut le baccalau-
réat en théologie, puis devint prêtre et confesseur en l'église du Béguinage à Louvain.
En 1788 ou 1789, à l'époque oij l'Université était bouleversée par les réformes du gou-
vernement autrichien , Vanden Elsken se retira à S'-Trond , et il passa pour avoir été vers
ce temps l'auteur ou l'éditeur des pamphlets publiés contre le séminaire général ^. Tombé
entre les mains des soldats autrichiens que le gouvernement avait envoyés à sa poursuite
au delà des limites de son territoire, il fut délivré de leurs mains par des paysans.
Quand l'Université fut reconstituée en 1790, Vanden Elsken fut nommé à la prési-
dence du Collegium Busiidianum , qu'il conserva jusqu'à la suppression de l'Université
en 1797. Il fut aussi protonotaire apostolique; mais il ne posséda qu'une seule année,
jusqu'au rétablissement de l'autorité impériale, le canonicat de première fondation à
S'-Pierre que les états du Brabant lui avaient conféré le 9 mars 1790 ^
Dans la suite, Jean Joseph Vanden Elsken devint curé de Humbeke dans le district
de Cappelle près du canal de Bruxelles, et il mourut dans cette localité le 1" avril 1803.
' Voy. Tli '.luste, Essai sur l'Iiist. dcl'instr. publ, p. 201. — Rapédius de Berg, Mémoires, t II, p. 53.
^ Sub nomine Ernesli et Sinceri Keuremenne.
' Celait la |)r('liende à laquelle élail annexée la charge de Censeur apostolique el royal des livres.
DES TROIS-LAiSGUES A LOUV AIN. 397
F.
( Voir tllu|). IV, |i. 111.)
Copie de l'arre'té en date du 13 avril 1821, relatif au rélablisseinenl et à la deslinatiuu des
fondations de l'ancien collège de Busleiden. (Extrait du registre des arrêtés du ministre
pour l'instruction publique, l'industrie nationale et les colonies, le lô avril 1821.)
1° Lecture ayant été faite de l'arrêté royal du 26 décembre 1818, qui ordonne le
rétablissement des fondations de bourses pour études, et attribue au ministre de l'instruc-
tion publique, de l'industrie nationale et des colonies, le droit de le prononcer;
2" Des statuts des fondations annexées à l'ancien collège de Busleiden, dit des Trois-
Langues à Louvain ;
5° D'un état de biens, rentes et revenus appartenant ci-devant à chacune des fondations;
4° D'un état des rentes qui y sont dues par des villes ou communes;
5° Du rapport de la Commission des bourses du 10 de ce mois.
Il a été résolu :
Art, 1". Les fondations de l'ancien collège de Busleiden sont rétablies, les revenus
qui en subsistent seront divisés en bourses de 100 à loO florins chacune qui devront
être conférées à des régnicoles des Pays-Bas;
Art. 2. Les études devront être faites dans un des établissements d'instruction pu-
blique du royaume qui sont reconnus par le gouvernement;
Art. ô. Il y aura, comme par le passé, trois proviseurs de ces fondations aux(iuels
appartiendra à l'avenir le droit de nommer l'administrateur-receveur desdites fondations,
de surveiller sa gestion et d'entendre annuellement ses comptes. Ces proviseurs seront
les curés de S'-Pierre, de S'-Gertrude et de S'-Michel à Louvain.
Le sieur Simons, ancien président du collège du Porc à Louvain, est nommé à cette
place d'administrateur-receveur. Il poursuivra immédiatement le recouvrement des biens
et rentes des fondations et de leurs revenus arriérés. Il proposera audit ministre, de con-
cert avec les proviseurs, le meilleur emploi au profit de ces fondations de ceux de tes
revenus dont il fera le recouvrement.
Il rendra chaque année compte de sa gestion aux proviseurs; ce compte leur sera
remis en double minute, dont l'un, après qu'ils l'auront approuvé, sera transmis par eux
à la députation des étals du Drabant méridional;
Art. 4. La collation des bourses appartiendra pour une moitié au chapitre de Malines,
et pour l'autre moitié au premier bourgmestre et au curé primaire d'Arlon ;
Art. 5. Les biens et renies desdites fondations seront régis conformément aux règles
et mode établis pour la régie des biens et rentes d'établissements publics;
Art. 6. Les frais d'administration et de recette réunis ne pourront s'élever au delà
deo p. % du revenu effectif de la fondation;
398 MÉMOIRE SUR LE COLLEGE
Art. 7. Cinq expéditions du présent arrêté, les statuts des fondations du collège de
Busleiden, l'état des biens, rentes et revenus anciens, et l'étal des rentes de ces fonda-
tions dues par des villes et communes seront adressés avec la lettre suivante à monsieur
le gouverneur du Drabant méridional pour être transcrits, conformément à l'art. 9 de
l'arrêté royal du 20 décembre 1818, dans le registre à ce destiné, tenu au greffe des états
de cette province et être ensuite transmis :
Une expédition, les statuts et états aux proviseurs et administrateur-receveur nommés;
Une expédition au chapitre de Malines;
Une expédition au premier bourgmestre et au curé primaire d'Arlon;
Une expédition à chacune des régences de Bruxelles et de Louvain , chargées, aux
termes de l'arrêté de S. M. du 4 mai 1819, de payer, à partir du 1" janvier 1819, les
renies dont ces villes sont débitrices envers ces fondations.
Art. 8. Invitation sera faite, par la lettre ci-après, à monsieur le gouverneur de la
province de Namur, d'informer la régence de Namur du rétablissement des fondations
du collège de Busleiden, pour qu'elle ail à prendre les mesures nécessaires à l'eflet de
payer également à partir du 1" janvier 1819, les rentes que celle ville y doit. Conforme
au registre.
Le secrétaire chargé de la 1" division,
L. G. VAN EWYCK.
G.
fVoirchsp. V, p. 119.)
Extraits du travail de Martin Dorpius composé pour servir à la représentation de /'Aulu-
LARiA DE Plaute AU COLLÈGE du Lis , le ô Septembre 1Ij08 '. Ad Lovanienses invitatiun-
cuLA ad spectandam Allulariam Plauti , completam a Dorpio; quae acta est in Liiio per
primarios discipulos Dorpii, tertio nonas septembres, anno millesimo quingentesitno
octavo.
Ut inlelligant polilioris litleraturae amasii, Lovanienses quoque nonnihil in lilteris
mussilare, cras, hora nona auleraeridiana, Musis propiciis, agetur in famigeralo gym-
nasio Lilii Aulularia : comoedia, per Jovem, una, quotquol sunl Plaulinae, omnium
bellissima, argutissima, salsissiraa. Eam Martinus Dorpius, qui et ipse praeest gregi illic
actuio, quum essel (ut noslis) imperfecta, ita complevil, et quidem versibus comicis, ul
aiiquol doctis (nam vulgus nihil moratur) laborem videalur neuliquam maie collocasse.
Cujus si quis forle curiosulus quoddam veluti degustamentum eupiat, is gymnasium Lilii
' Analectes de M. de Nélis, t. l. |>p. 72-73.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. 399
adeal, invenlurus illic Prologum Dorpiauum ia tolam Auhilariam, valvis allixum, atque
cum versibus ilidem comicis.
Quicunique philomusi csUs, quicumquc vel
Amatis Atticos sales , vel ipsius
Latiac nitorcni linguae, adostc, et quidquid est
Ncgotii, pou i te. Vobis acturus est
Plauli grex Lilianus Aululariam
Quac fabularum una est, quas Plautus scripserif ,
Joco, lepore, argutiis bellissima.
Qui nossc caelera volt, is adesto craslino.
Curabilur, Musis belle juvantibus,
Ne quempiam ventilasse poeniteat.
Prolocus Martini Dorpii in Aululariam Plauti.
SalQte multa vos pro more impartior,
Quicumque adestis, speclatores candidi :
Nigros siquidem (ni se abluerint) nihil moror.
Comocdiam actitabimus Aululariam ;
Quae fabularum una est, quas Plautus scripseril,
Joco, lepore, argutiis bellissima.
Sat se poeta, sat laudarit fabula,
ïali, herele, vino hederam inscitum est suspcnderc.
Caeterum haud fallit me : contorquctis capita.
Susurrantes, bacc impcrfecta 'st fabula.
Est, hercle, vcrum; qui nostro pracest gregi,
Is, scilicet", est Plautina factus simia.
A Plauto doctus ipso, quamvis mortuo,
Quod deerat, id pro virili, codera fere
Quoad potis est, peniculo appingere.
Porro id quantum fiet negotii, Veneris
Apelleae partem, inferiorem absolverc,
Hic démuni sentient, quicumquc harcnula
Fn eadem colluctantes desudaverint.
Nae illi pluteum ferlent, et ungues denique
Vivos arrodent, et caput scabent suum.
Plauti jocos, sales, venerem, plus, pcr Jovem,
Quam Atlicam, et illam Romanam elegantiam,
An conscquutus est, haud ausim asserere.
Nam quid foret jactantius, aut dementius?
Conatus oppido est (nara ingénue fatcbimur) .
Appendicem ex Plauti farina anncctere,
Quam Plautus ipsus in pistrino comico
Moluit : nam egit (ut probe nostis) trusatiles
Tome XXVIII. ko
400 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
Tantus poeta molas, coactus inopia.
Jam vero censuram haud ita deprecabimur
Vestram, modo aequi omncs, et sitis candidi :
Modo rcputet sccum quisque diutulc,
Num dura sit provincia, horaini penitus
Âdulescenti, a mutis docto, et duntaxat iis
Magistris; qui nullas Alpes transceiideril,
Nullas adierit Athcnas, linguae gratia
Ornandac; nato ad cxtremum ferme angulura
Totius orbis. Huic num est, quaeso, negotii
Res neuliquam minuti, Plautum exprimere?
Comicum scilicet tam varium, amplissimum :
Verborum et rerum majcstate principcm.
At erunt fortasse qui faciles fatcbuntur hoc;
Verum ob id, inquient, non coeptnm oportuit.
Humeri hoc onus tenolli si non sufferunt,
Cur suscipis? Ibi Critici responsum habenio sic.
Si tantisper doctissimus quisque abstineal,
Vel a scribendo, vcl edendo quippiam :
Dum nil ab amussi discrcpct, et puncla dum
Ferat oninia : dispeream, si scribat quispiam.
Ita comparatum, ut nil sit humanae rei
Absolutissimum, quin ungucs uspiam
Periliorum liians rcmoretur quippiam.
Postremo , si quis Momus crit moleslior,
Is noverit bifrontes Janos esse nos :
Quos nulla inipune ciconia pinsuerit
A tergo; et est nobis non rctunsus stilus,
Quo blacterantes istos insectabimur,
Quis nil placet nisi domi natum suae.
Verum enimvero malunius per gratias
(Nam dicendura est iterum) aequos et candidos,
Quin conniventes, si quando opu 'st, judices.
Sed heus vos, heus, practcricram penussime,
Quod dicluni oportet imprimis : videlicet.
Ne quis loquaculus esto : neu turbato quis :
Neu quid prorsus loquitor : nam qui jam nunc senex
Prodibit, is quemcunique forte audivcrit,
Furem illico vocitabit, inque jus rapiet :
Quod rapiunda super aula consuluerit.
Nondum tacctis, ultimus ille mussitat?
Decretuni, pol, jam promulgabo scenicum,
Quod cum grege sanxit impcrator histricus.
Quicnmque lingulax fuat, bue raptabitur;
Et cjus fiel lingua conmiunis gregi.
Abeo, tacete , quolquol estis, obsccro.
DES TROIS-LANGLIES A LOUVAIN. 40i
CoMPLEMENTUM Martini Dorpii in Aululariam Plauti.
Suivent ( pages 75-84 des .lna/ec<es) les scènes en vers écrites parle poëte du I.is,
pour servir de supplément à la pièce originale.
Enfin, nous donnerons place ici à quelques vers d'un docteur en droit, Judocus Del-
phus, adressés à la jeunesse pour louer les restitutions de Dorpius dans cette comédie '.
Judocus Delphus ulriusque juris doclor ad studiosam juventutem in laudem
complementi Aululariae.
Tu modo Plautini pubes studiosa Icporis ,
Cecropios Lalio quae legis orc sales,
Hue ades : en quondam Silvani perdita luco,
Nunc tandem misero est aula reperta seni.
Et quac manca fuit mullis jam fabula seclis,
Integra excelsum toUit in astra caput.
Nec novus est cupidas auctor qui lacscrit aures ;
Plautus ab infernis hue remeavit aquis.
H.
Des travaux littéraires d'Adrien Barland. (Appendice au chap. VI, § I; p. 142).
Nous n'avons réuni dans cette note bibliographique que les livres et opuscules de
Barland qui ont trait à l'élude des lettres et surtout des auteurs anciens : nous n'avons
pas reproduit la série des traités historiques de cet auteur ^, quoique Paquot leur ait
donné place à la suite de la notice dont nous faisons usage ici. (Fasti academici Lovan.,
I, p. 480) ; nous avons en quelques points complété celte dernière notice à l'aide de
détails empruntés à la description des travaux de Barland publiés chez Thierry Marlens
à Loiivain (Van Iseghem, Biographie de Th. Marlens, seconde partie) :
1° Dialogi LXIU ad profligandam e Scholis barbariem longe utilissimi. — Coloniae,
' Analectes de M. de Nélis, l. I, p. H8.
■ Ces traités ont été réunis en un seul volume publié par Bernard Gualtherus ou Waltlier ; Uistorica Hadriani
Barlaniii Rhetoris Lovaniensis nunc primum collecta simulquc édita. Coloniae, 1003, in-1-2". — Nous indique-
rons celles des pièces insérées dans ce volume assez rare, qui se rapportent à l'histoire littéraire.
402 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
ap. Euchar. Ceivicoruum, 1350, in-8°; Aniverpiae, 1532, in-8°; ib., ap. Mich. Hille-
nium , lo34, ib., 1559, 8°. — Paiisiis, ap. Christ. Wechelum, do33, in-8°;ib. ap. Mau-
ritium de Porta, 1542, 8"...
« Prima editio quae Lovanii anno 1524 (ex Epistola nuntupatoria ad Carolum de
Croy) prodiisse videtur, XLI continuerit... caeterum hi Dialogi ab Erasniiaaorum elo-
quentia et lepore prociil absunt. »
1! est constant que deux éditions des Dialogues format in-8°, parurent à Louvain en
mars et en août 1524, et que la seconde élait augmentée de treize dialogues : l'une et
l'autre portaient toutefois le même titre : Dialogi XLII (sic) per Hadrianum Barlandum
ad profligandam , etc. (Voy. la Bibliographie de l'ouvrage cité du P. van Iseghem , n" 194
et 195);
2" Epistola de ralione studii ad Guilielmum Zagaram [Vid. IJistorica, pp. 27G-82);
5° ImlHulio hominis christiani aphorismis digesta. Excusa est ad calcera Vitae honestae,
aut. Hermanno Schoten Hesso inscriplae. Antverp., lypis Ph. Latii, p. 2G, in-12°. —
Lugd., 1559, in-12°. (Voy. Historica, pp. 415-54) ;
4" Instilutio compendiosa arlis oraloriae et amplificandi ex Topicis ratio ;
5° Jocorum veterum ac recentiorum libri III. Antv., ap. Mich. Hilleniura, 1529, in-8°
et Coloniae, 1529, in-8''. — « Primi duo jocos variorum scriptorum seu scite dicta,
lertius aliquot Martialis Epigrammata complectitur. » — (Voy. Historica, pp. 551-412.)
Une première édition de 1524 a dû paraître à Louvain : Jocorum veterum ac recentium
duae centuriae cum scholiis Hadriani Barlandi, in-8°. (Van Iseghem, n° 198);
G° Scholia in Sekctas Plinii Secundi epistolas. — Scholia in Mcnandri canttina sive
dicta '. V. Joh. Clericus in suis Menandri reliquiis.
7° Argumenta et commentarius in Publii Tercntii Comoedias iti quibus et artificium
oslenditnr oratorium et mulli difjlcilcs poelae nodi explicantur , guos interprètes alii reli-
querunt -. — Lovanii, Rulger Rescius, 1550, in-4°. Francof., 1557, fol. Paris., 1552,
fol. (cum Terentio) ;
8° Enarrationes in VI libros priores Aeneidos Virgilianae, e vetusto codice (Douati)
desumplae, et additionibus auctae. Aulverpiae, Hillenius, 1529 et 1555, in-4°. —
Recusae in aliquot Edd. Virgilii cum nolis variorum.
9° In primam Ciccronis Catilinariam et Philippicam IX.
10° Iladr. Barlandi versuum ex Bucolicis Virgilii Provcrbialium collectanea. Ejusdem
de laudibus amoenissimi Lovanii. Ode hexamelro iambicoque dmietro alternans. .Martini
Dorpii iambicum dimetrum in laudem Barlandi. — Prostant (Lovanii) in aedibus Theo-
' Paquot donne ces deux recueils de glosses comme imprimés, mais il ne cite ni Heu, ni date. Le premier des
auteurs a été publié par Barland, en 1516 : C. Plinii Secundi Epistole (sic) familiares cum Barlandi Sclioliis ,
in-^", 82 feuillets (Van Iseghem, n" 100).
' Un des élèves de Barland, Augustin Reymarius, avait recueilli une partie de ces gloses dans les leçons mêmes
de cet humaniste, ou les avait extraites de ses cahiers; il en avait tiré lui-même d'autres des anciens grammairiens.
Barland en fit la recension, avant qu'on la publiât en un seul volume (1350). Reymarius, natif de Malines, mourut
fort jeune quand déjà il s'était distingué dans les lettres. On imprima un de ses dialogues, Ludus chartarxim , danf
nlusieurs éditions des Dialogues de Barland. Voj. Foppens, Bibl. Behj., 115.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIIN. 403
dorici Marliiii Aloslensis, pp. 30, iii-4% aniio 1514. — (La Bibliographie citée de
Th. Marions ne dit rien de ce volume);
ir Hadriani Barlandi De lileralis urbis liomae Principibus opusculuni. — Elisii
Calentii oppido quam élégantes Epislolae a Barlando recofjnitae el arguments auctae.
Menandri dicta eximia ah eodem Barlando adnolallonibus aucla. Ad communem studio-
rum utilitalem atque emolumenlum. — Proslaut parvo Lovanii in Bibliolheca Theod.
Martini Alostensis chalcographi (1515, in-4''). — (Voir la description de ce volume
dans Van Iseghem, n" 89). Le litre commence par les mots : Hoc in libello coniuienlur
(-3 i feuillets, in-4°);
12° In omnes Erasmi Adagiorum chiliades Epitome (Lov., 1308) '. — Colon., 1524,
in-12° ^. Paris., 1526, in-8. Basileae, 1328, in-8°. Il laul ajouter à ce dernier travail le
choix des lettres d'Érasme publié eu 1320 par les soins de Barland. (Van Iseghem, I. c.
n° 163.)
I.
{Voircbap. IX, p. 3iy.)
Lettre d'Arias Montanus à l'Université de Louvain pour lui demander, en 1368, sa coopé-
ration aux travaux de la Polyglotte d'Anvers.
« Benedictl's Arias MontaiNus llispalensis docl. Theol., Philippi Régis calholici aulae
familiaris et regius sacerdos atque in hanc Belgicam provinciam regia auclorilate et
Domine ad-eam rem legalus, ut excudendis Antverpiae quinquelinguibus Bibliis adsil ac
praesit, et ([uidquid ad ejus operis perfeclionem conferre posse inlellexerit diligenler
curet ut in legationis suae exemplis el mandalis diCusius conlinelur, huic insigni calho-
licae ac pientissimae Lovaniensi Academiae, quam semel jam inviseral el salutaverat,
chrislianam cum primis pacem omneraque commodilalem, amplitudinem et felicilatem
pubiice privaleque cupit el precaUir.
» Deinde vero hoc praeclarissimum opus, quod ad lolius Ecclesiae utilitalem institu-
tum inceplumque est, ut communem causam ab hac pientissima Academiasuscipi etiam
juvarique exoplat, cujus academiae ille et praesens in Hispania et absens per iiteras,
maxiniara ratiouem habendam esse censuil, atque haberi curavit , idque Régi noslro alias
hujus Academiae amanlissimo atque aiiis principibus et erudilis viris facile persuasif.
» Namque is in Complulensi Academia de hac eadem causa ex supremi Inquisitionis
SenaUis consullo et Régis mandalo libéra iegalione functus, solum de illa re sibi agen-
dum duxit ut de ipsius ulilitate consultaretur : quam cum maximam atque perpetuam
fore omnibus sententiis indicalum esset, de caeteris rébus omnibus, quaecumque ad
' Le P. van Iseghem décrit la seule édition de 1521 , 124 feuillets in-4° (n" 172). Mais un avis placé au dernier
feuillet suppose une réimpression : Tlieodoricus alostensis imprcssit ex Archetypo.
' Antverp., Midi Hillenius, 1320 el 1328. Voj. de Reiflenberg, IV"" Mémoire, p. 6, notes.
404 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
liujus operis commodilalem, splendorem atque amplitudinem pertinere possint, ad liunc
pienlissimura et doclissimum Lovaniensis Academiae senaium referre decrevil.
» Igiliir duo mine primum apiid liane amplissimam Acadeniiam jiidicanda et staluenda
Legalus relert. Alteruni illudest:
» Cum catholicus Rex nosler opiis hoc non modo opporlunis dictionariis inslrucluni,
sed omnibus partibus quaecumque ad usum commoditatemque studiosorum facere pos-
sunt, aucluni esse voluerit, videri mullis doctiset piis virisnon hujus regionis modo, sed
Hispanis, llalis el Galliseliam versioneni aliquam ex Ilebraeo ad vcrbum, ut dicitur, addi
oportere ut iis qui in illa lingua sese exercere voluerint hacetiam parte consulalur,sicut
graecis el chaldaeis versione etiam apposita consulitur; verum ciim iis columnis quaein
singuiis paginis imprinuinlur niliil addi possit, quod operis dignilatem et purilalem
non minuat, ea versio seorsum imprimenda caeterisque adjumentis addenda videlur.
» Ex liis vero versionibiis quae hactenus ad verbum extant illa maxime ac pluribus
doclis probatur quae a Sancte Pagnino édita est, tum quod Summoruni Pontificum pri-
vilegiis comprobata fueril, tum etiam quod ea ad liane rem utilitatis plurimum, suspi-
cionis et offensionis minimum habere putetur.
» Hujus aulem slatuendae rei consilium judiciunique omne ad praeclaram Lovanien-
sium Academiam ex calliolici Régis mandate Legatus déferre decrevit,quam in judicando
diligentissimam et inlegerrimam esse intellexit. Quaerit itaque an placeat ad studiosorum
utilitalem et operis ornamentum versionem aliquam ex hebraico ad verbum in fine addi,
et si id placuerit, quaenam ex iis omnibus quae eircumferri soient potissimum probelur
optari et declarari cupit. Deinde oral ut ea quae probata magisfuerit doclissimis ex hoc
senatu viris relegenda committatur, ut si quid vel correctione vel aunotalione indigere
deprehensum fuerit quod cum sancto et receplo dograate forsan pugnet, id opporluna
animadversione observetur.
» Alterum vero quod ab bac Academia curari exoptat illud est , ut chaldaicae Paraphra-
seos latina versio, quae in Complutensibus Bibliis praeterquam in Peniateucho desidera-
batur, quam isex Régis nostri mandato allatam suis locis additurus est, antequam praelo
mandelur, eruditis et piis viris per parles commissa relegatur et ex more ap|)robetur.
Nam quamquam in Hispania jam olim cardinalis Ximenius qui Complutensia Biblia
magnis sumptibus et mulla industria excusserat, Paraphrasim illam latine ad verbum
reddi curaverit atque jamjam excudendam morte praeventus reliquerit probatam, tamen
hujus Academiae in bac et in aliis rébus nomini et dignitati plurimum tribuendum esse
idem Legalus ex Régis nostri mandato statuit '. Oral igilur ut hos labores subire non
pigeât, quos Deo imprimis el Régi nostro gratissimos Ecclesiaeque utilissimos et Acade-
miae huic bonestissimos futures intelligit.
' Malgré la prudence que mirent les éditeurs dans la publication de? paraphrases chaldaïques, leur travail fut eu
liutte aux critiques les plus vives. François Lucas, dit lîrugensis, fort savant dans les langues bibliques qu'il avait
apprises à Louvain, défendit l'autorité des paraphrases et l'honneur des docteurs de l'université (/>(■ usii chaldaicae
Bibliorum Paraphraseos, sive Jpologia pro clialdaïco paraphrasic ,jiissu Theologorum Lovanicnskim scripUi
Aniv., Planlin, in-fol.) Voir Foppeus, p. 299, et Richard Simon, fjist. crit. du Fieux Testament , liv II, chap. XMll.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIiN. 405
» Ul autem omnia quae cum liac praeclara Academia de hujus operis causa et rébus
agenda exiiterinl commodissime etiani absens Legalus ipse expedire possit, doclissimos
atqiie optimos viros el Academiae ipsi cum piimis charissimos dorainum Doclorem
AuG. HuNAEUM el dominum Doclorem Cou. Gaudancm diligenliae suae vicarios dalos
publiée honoris causa appellat.
ï B. Arias Montanus. Talmid. ' »
J.
[Voir clia[i. X , p. 335.]
Notice sur Jean Isaac Levila et Etienne son fils , juifs allemands convertis , qui ont enseigne
l'hébreu à Louvain au XVI"" siècle'-.
Jean Isaac Levita (Levi), d'origine el de religion juive, élail Rabbin à Wetziar, et il
en remplissait les fondions, quand, sur le point d'expliquer le cbap. 55 d'Isaie, il re-
connut qu'il fallait entendre la prophétie qu'il contient de Jésus-Christ, et non d'un
autre. Il se relira à Marbourg et reçut le baptême sous les auspices de Philippe, prince
de Hesse, en 134G. Jean Draconiles publia à celle occasion un manifeste pour faire gloire
à l'église luthérienne d'un tel prosélyte.
L'année 1547 ayant été funeste au Landgrave son protecteur, Isaac fut appelé à Lou-
vain par Granvelle, pour y professer les lellres hébraïques el chaldaïques. Comme Isaac
n'avait encore qu'une connaissance fort faible du latin, il fut confié -d Adrien Amerolius
qui le lui enseigna el qui l'instruisit aussi dans la foi catholique ^ Ses leçons ne furent
pas de longue durée, et l'eu doit leur assigner pour limites les années 1547 à 1551.
Après le départ de Granvelle, il avait peine à subsister avec sa famille. Les magis-
trats de Cologne, Constantin Von Lyskirchen et Ilermann Suderman, jetèrent alors les
yeux sur lui pour lui confier l'enseignement de l'hébreu dans leur ville. Il alla occuper
cette chaire vers 1551, et la remplit avec honneur pendant 20 ans. Toujours fidèle à la
foi qu'il avait embrassée, il mourut, avant l'apostasie de son lils, et fut enterré dans
l'église de la S'^-Vierge, dite aux Indulgences [ad Indulgentias), en 1577.
Voici , toujours d'après Paquot , la liste de ses écrits * :
I. Rationes desertae Synagogue, Marpurgi, 1540 [aut circiter.).
' C'est la transcriplion du mol arabe signifiant disciple , dont Arias Montanus a fait suivre fort souient sa signature.
- Extraits traduits des Pasti MS. de Paquot, II, f. .5ô'J-340.
= C'est pendant le séjour de son mari à Louvain, que la femme d'Isaac se fit catliolique, après avoir opposé une
longue résistance aux efforts des théologiens de Louvain, R. Tapperus, Petrus Curtius, Judorus Tiletanus et J. Has-
selius, pour la convertir.
' Le D'Fûrst,danssa Bibiiotheca jttdaïca (1851, t. II, p. 94), a donné en allemand une courte nomenclature
des écrits de Levita, où ne figurent pas les quatre premiers ouvrages qui sont ici énumérés.
406 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
II. De Hebraeorum grammatica liber metliodo dilucida admodum ac facili a Jo. Isaac
LevUa germano concinnalus. Lov. ap. Mart. Rolarium , 1552 , in-8° (voir p. 335, note 2).
ni. De aslrologia Rabbi Mosis plii Maimon epislola elegans, et cum ehristiana religione
congruens, liebraea nunc primuin édita, et latine facla. Col., per J. Solerum, 1555, in-8°.
IV. Physica hebraea Rabbi Aben Tibbon, ul fertur, quae Spiritus gratiae inscribitur,
nunc primum édita et latine facta. J. Isaac authore. Col., excufl. J. Soter., 1555.
L'auteur dit avoir trouvé par un rare bonheur trois vieux manuscrits à Louvain; il en
publie un dans ce livre à la demande des professeurs de l'Université, et il le dédie à
.Adolphe deSchaumbourg, archevêque de Cologne. Ces détails sont tirés de sa Préface,
qui contient d'autres particularités curieuses.
V. Manuduclio ad verba clegantiae, pcrfectissima Itebraïca grammatica commodo admo-
dum ordincin treslibros dislincta;exoff. ïypo^r., Colon. J. Soteris, 1553, ia-A° [éd. altéra?) ;
éd. m, 1557, pp. 161 et 522. — Réimprimé sous cet autre titre :
Grammatica liebraea absolutissima in duos libros distincta,nec non in ordinem studiosis
commodiorem digesta , ac phiribus in locis locuplelata, éd. IV '. Antv. ex ofl'. Christ. Plant.,
1564, in-i", pp. 162; éd. V, Ibid., 1570, in-4% p. 25U. — Dans la préface de la IV""^ édi-
tion, Levila annonce qu'il s'était rendu à Anvers pour corriger l'édition du Lexique hébreu
de Sanctes Pagninus, qu'on réimprimait alors chez Plantin, et que, pendant son absence,
le magistrat de Cologne [Scnalus Coloniensis) lui avait conservé son traitement.
Il n'est point douteux que cette grammaire hébraïque qui a eu plusieurs éditions , sous
le nom d'Isaac Levita, n'ait été le fruit des leçons et des communications faites par André
(■ennepà cet étranger (Voir ci-dessus, pp. 246 et 535).
VI. Tabulae in gramm. hebr. auct. Nie. Clenardo a J. Is. Levita nunc recens correctae,
Col. ap. II. Birckmannum, 1555, in-8°. — Ed. IV cum titulo: Tabula etc., a J. Quinquar-
boreo Aurelianensi mendis qiiibus scatebat repurgata. Accessere J. Isaaci et Genebrardi ad
absolutiorem institutionem schotia; Paris, ap. Mart. Juvenem., 1564, in-4° et in-8°.
VII. Meditationes hebraïcae in artem grammaticam per integrum librum Ruth explicalae,
una cum aliarum rerum accessionibus tiujiis linguae tironibus cumprimis utilibus et neces-
.•iariis. Col., ex ofl'. J. Soteris, 1558, in-S", pp. 52 et 404.
VIII. Defensio veritatis hebraïcae contra Wilhelmum Lindanum Ruraemundensem epis-
copum, qui videlicet libro deopt. gen. interpretandi parum Irihuere hebraeo SS. Bibliorum
tpxlui videtur. Col. 1558. Rivet, d'après Moreri, remarque qu'lsaac a si bien répondu à
Lindanus, qu'il est inutile désormais d'écrire sur la même matière. Cfr. R. Simon, Hist.
rrit. du Vieux Testament, 1. III, chap. XVII.
Siephanuson Etienne, fils d'Isaac Levita, né à Welzlar en 1542, fut baptisé à l'âge de 4
ans avec son père (1546) ;il vint avec lui, en 1547, à Louvain, et le suivit , en 1551, à Co-
logne. Il étudia les lettres dans celle dernière ville; et, en 1557, il fut confié au D' Jean
Telgius, gymnasiarqueà Zwolle. De retour à Cologne, il suivit les cours de philosophie au
' Celte IV"" édilion esl décrite avec soin dans les Annales de l'imprimerie pinntinienne, par MM. de Backor ei
Riielens, pp ôS-ô9. Levita s\v nomme professer ptiblicu s.
DES TROIS-LAINGUES A LOUVAIN. 407
collegium Monlanum, et fut proclamé maître (magister). Bientôt après , voulant s'adonner
à la médecine, à l'exemple de ses ancêtres, il suivit à Louvain (avida aure) les leçons de
Biesius, de Bernartius, de Corn. Gemma, en se procurant les ressources nécessaires à sa
subsistance par des leçons privées d'hébreu. En laGô, il voyagea; l'année suivante, il se
rendit à Douai, où il fut élu professeur royal et ordinaire de langue hébraïque et chal-
daïque à l'Université de cette ville, par la protection de Max. de Berghes, archevêque de
Cambrai, de François Richardot,d'Arras, et de Joachim Hopperus, sénateur de Bruxelles.
Néanmoins, il ne renonça pas encore entièrement à la pratique de la médecine , mais fidèle
à ses convictions catholiques, il refusa de répondre à l'appel des Calvinistes français qui
cherchaient à l'attirer parmi eux.
Stephanus Levita abandonna tout à coup Douai, malgré les représentations de Richar-
dot, qui était alors un de ses auditeurs, quand le recteur et les doyens de l'académie de
Cologne, d'accord avec les magistrats de la ville, proviseurs de l'académie, lui eurent
déféré en son absence la prébende de S'°-Ursule. Stephanus, à peine arrivé à Cologne,
fut admis aux ordres sacrés en 1362, et presque immédiatement après, le recteur de
l'Université de Louvain, Cunerus Pelri, le choisit pour remplacer dans la chaire d'hébreu
au collège des Trois-Langues André Gennep qui venait de mourir; mais les magistrats de
Cologne s'opposèrent au départ de Levita.
On le voit plus tard devenir licencié en théologie, vicaire de l'église primaire de Saint-
Pierre, desservant de N.-D. aux Indulgences, charge où il fut maintenu, en présence
d'un puissant compétiteur, par l'évêque de Liège, Gérard de Groesbeck. Dans la paroisse
de N.-D., il annonçait fréquemment la parole divine aux catholiques et aux réformés ,
et il n'oubliait pas non plus ses anciens coreligionnaires. Du consentement d'Adolphe,
archevêque de Cologne, le légat du pape, François de Mendoza, donna à Etienne Levita
et à son père un pouvoir illimité de convertir par la parole, et même par la force (m et
adhibita) , les juifs appartenant aux trois diocèses des Électeurs.
Stephanus s'appliqua en vue de ses prédications à la lecture des livres des hérétiques,
mais bientôt, il ne se contenta plus de s'abstenir de les combattre; il se mit à les imiter.
Sous Gebhard Truchsès, protecteur des dissidents , il s'éleva contre l'usage des saintes
images, et sous Ernest de Bavière, il alla jusqu'à déclamer en public, le 12 octobre 1585,
contre le culte des images, tel que le pratiquent les catholiques. La ville entière fut en
émoi. Michel Brilmacher monte le même jour en chaire à 6 heures, pour le réfuter.
D'autres théologiens de Cologne s'empressent de combattre, dans des réunions publiques ,
tous les sophismes que Stephanus a empruntés aux iconoclastes. Le chef du clergé de
Sainte-Ursule, président du chapitre, le fait appeler devant lui. Stephanus, renfermé
dans sa demeure depuis quatre jours , refuse de comparaître, en prétextant sa mauvaise
santé. Les députés de l'archevêque vont en personne le solliciter à faire une démarche
qui lui obtiendra la levée de la suspense qu'il a encourue. Levita s'obstine dans ses refus ,
et ne tarde pas à obtenir du magistrat de Cologne, à la grande indignation des commis-
saires épiscopaux, la permission de continuer l'enseignement de la doctrine évangélique.
Le doyen de l'église métropolitaine renouvelle ses instances; elles restent longtemps
Tome XXVIII. S3
408 MÉMOIRE SLR LE COLLEGE
infructueuses. Enfin, le juif converti se présente, muni d'un sauf-conduit donné par le
chapitre; mais c'est pour se démettre de ses trois charges {tria sacerdotia) et pour décla-
rer qu'il va se faire l'apôtre des Calvinistes. En io86, Stephanus publia en allemand une
apologie de sa conduite, avec un récit des persécutions qu'il s'était attirées; il y déclarait
qu'il avait été entraîné par la force des argument.s de Sadelius contre la primauté de
l'Église romaine.
K.
( Voir chap. XII , p. 3fi9.)
Rapport dupléban de Louvain, J.-B. Sclweps , dans l'affaire de la nomination d'un pro-
fesseur de grec au collège des Trois-Langues, en date du 13 novembre 1722, et adresse
du même au recteur de l'Université louchant la même affaire.
JlDICItM PLEBAM LOVAMENSIS IN CAtSA COLLATIONIS lECTIOMIS GraECAE.
» Infra scriptus plebanus Lovaniensis qua provisor et collator Lectionis Graecae man-
dato Majestatis suae C. et R., interrogatus a Magnifico Domino Rectore, quid censeam de
modo conferendi Lectionem Graecam collegii Trilinguis Buslidiani , respondeo sub
correctione et judicio meliori salvo.
B Cum notorium sit quod in IV superioribus facultatibus hujus Universitatis nulla
Lectio aut professio conferatur, ne a Rege quidem, nisi habito prius advisamento seu
judicio illius Facultatis sive collegii professorum, ad quam Lectio pertinet.
» Cum Facultatis artium lectiones duae publicae, altéra Ethices, altéra Eloquentiae,
eodem modo conferantur.
B Atque ibidem professorum Philosophiae electiones per ultimum Regulamentum
Regium anni 1702, restriclae sint ad magistros qui promoli sint inter quinque primes
et aliisquibusdamconditionibus praediti.
» Cum ejusdem Facultatis Lectiones litterariae, quae jam traduntur in Gymnasio
SS. Trinitatis, conferantur a corpore ejusdem Facultatis, debeatque praemilti earum
publicatio, ut detur liber concursus omnibus.
» Lectiones vero Trilingues de quibus agitur, cum non sint incorporalae ulli ex quin-
que Facultatibus, cujus advisamentum ante earum collationem requiri possit.
» Nec habealur in Graecis sicut in aliis scienliis ulla promotio per loca aut gradus,
nisi forte in Gymnasiis Litter^riis , quod hic non suflicit.
B Neque provisores Buslidiani per se de Graecis cognoscere possint.
B Cum Doctor Martin ultimus Lectionis Graecae professer eam non obtinuerit uisi
praevio examine legitimo : et habitus fuerit concursus pro ejusdem substitutione, dum
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIIS. 409
dictus Doctor evocabatur ad prolessoratura Seminarii Mechliniensis, cui concursui praesi-
deruat Doclores Sleyaert et Heris (ul patet ex annexo sub A).
Hinc videiur res ipsa loqui , quod in praesente casu collationis Lectionis Graecae adhi-
beuda sit similis aliqua cautela et exploratio, qualem in omnibus hujusmodi provisioni-
bus ipsa aequitas dictavit esse praemittendam.
» Attento maxime quod aspirantes seu candidat! non sint omni exceptione majores,
aut per se célèbres.
» Videiur, inquam, vel instiluendos esse concursus, ut novi quidam aspirantes expe-
tunt, et qualis in collatione aliarum Bursarum, ad quas nullospeeiali tilulo quisquam
praeferendus veail, hic Lovanii non rare adliibetur, qualis item ex instituto principum
nostrorum adhiberi solebat in provisione Cathedrarum Universitatis Duacenae.
1 Vel, quod forte magis placeat, praemiltendum videtur Examen aliquod publicum
cui praeliciantur delecti viri, inlegri et intelligentes, qui de eruditione et Graecitale
concurrentium judicium ferant, quod Collatores sequantur.
» Raliones aulem et causae addi possunt sequentes :
a Quod alioquin provisores Buslidiani, si neglecto tali expérimente, prosiliant ad
eiectionem , exponant se manifesto periculo assumendi professorem contra menlem et
institutum Fundatoris, contra honorera et famam hujus Universitatis , atqueadeo conlra
ipsius Reipuhlicae et Ecclesiae commoda.
» Fundator fuit D. Hieronymus Busleiden Aegidii Equitis aurati fliius, J. U. Doctor,
Cameraci in Divae M. Virginis praepositus, et supremi senatus Belgici apud Mechli-
niensesconsiliarius, ac Libellorum supplicum Magister, vir doctus, facundus, qui variis
apud Poutilicem,Reges Legationibusfunctus, in ipsa Legatione qua a Carolo V Imp. in
Hispanias mittebatur, mortuusesl anno 1517.
r Hictam illuslris vir et de Repubiica tara bene meritus, cum videret suorum tem-
porum calamitates raaxima ex parte a seculi sui ignorantia et barbarie provenire, nihil
in salutem publicam se praeclarius praestare posse existimavit, quam si in celeberrima
Academia Lovaniensi a qua praecipuum adversus ista mala remedium atque praesidium
tune exspectabatur , et rêvera postea advenit ;
i> Si , iuquam , in hujus Academiae sinu institueret et fundaret trium celeberrimarum
Linguarum professiones publicas, sine quarum Linguarumadminiculoet lumine constat
reliquas scientias et doctrinas jacere incultas , débiles et informes.
» Quod ejusdem institutum sapientissimorum virorum encomiis ita statim depraedi-
catum est, itaque omnibus placuit, ut illius exemplum mox in Gallia Franciscus I, in
Anglia Richardus Wintonensis Episcopus et cardinalis Ximenes in Hispania aemuiati
sint , simile collegium Trilingue erigeudo.
;> Incredibile auteni dictu est quantum ex his Busiidianis Lectionibus Universilas
nostra splendoris et adjumenti, quantum Respublica et Ecclesia emolumenti acceperit.
» Et porro spes est fore ut accipere pergant, modo ad easdem professiones seu lec-
tiones assumantur taies viri , quales assurai voluit sapienlissiraus fundator Buslidius.
B Videlicet , viri , ut ait Fundator, undecumque eruditi, probatis moribus et vitae incul-
410 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
patae, qui in dies legant et profileantur in eodem coUegio tam Christianos quam morales,
ac alios probalos auctores ; omnibus eo adventantibus in tribus linguis , lalina scilicet , Graeca
et Ilebraïca, diversis horis pro sua et auditorum commodilale distribuendis, sine aliquu
stipendia ab adventantibus exigendo , et non exacte acceptando.
» Quoi si Fundalor pro qualibel Irium harum professionum , virum undecumque
eruditum jure merilo requisiverit, lalis profecto imprimis quaerendus est pro leclione
linguae Graecae, quae, ut intelligentes omnes asserunt, est longe copiosissiraa et diffi-
cillima.
» Maxime cum Graeci scriptores, sive Christiani ul v. g. Athanasius, Basilius, Gre-
gorius Nazianzenus, Eusebius, Theodoretus; sive morales , aliique auctores , ut v. g. Plu-
tarchus, Plato, Isocrates, Xenophon, Demosthenes, el poeta Homerus exponi rite non
possint, nisi ab eo, qui in sermone isto diu multumque esercitalus, profunda insuper
rerum antiquarum tum sacrarum tum profanarum peritia eruditus sit.
1) Et sane etiamsi in casu proposito talem virum leclioni Graecae vi ipsius fundationis
providere non tenerenlur collegii Trilinguis Provisores, ipse tamen Academiae noslrae
honor et boni publici ratio eosdem ad. hoc adducere deberet.
» Nisi enim studium Graecitalis in Universitate ttoreat, nulla in altioribus scientiis
solida el perfecta eruditio sperari potest.
i) Non invenientur theologi, ut olim nostri fuerunt, qui Bibliorum versiones latinas
et vernaculas curent, qui traditionum fontes adeant, et inde antiquilates eruant eccle-
siasticas in fîdei et praeceptorum evangelicorum defensionem, confirmationem, elucida-
tionem.
B Maximam partem antiquorum canonum, historiae et disciplinae ecclesiasticae non
scrutabuntur canonistae nostri, ut oporteret, in originibus.
» Neque politicorum et legislationum praeclariora monumenla , in eo sermone quo
primitus scripta sunt, legent juris publici et civilis antecessores.
» Neque medici aut philosophi auctores suos in fonte gustabunt.
» Dubiiari itaque non potest quin lectioni Graecae vacanti, de qua quaestio, provideri
debealdeprofessorelitterarumGraecarum peritissimoetmulta undiqueeruditioneornato.
B Hoc aulem qua ratione Provisores pro officio suo praestare, cerlaque via exequi
poterunt, nisi instituendo, facta publicatione, praefatum concursum aut examen publi-
cum? non enim idoneum et Graeca cathedra dignum professorem ab aliis semidoctis et
minus dignis compeiitoribus ullo alio certo criterio dignoscere ipsi queant.
» Neque sutficere potest, si, ut quidam vellent, eligatur vir aliquali Graecitatis tinc-
tura imbutus, modo talis existai, qui cerlam spem praebeal fore ut brevi sit perfeclus.
» Nam praelerquam quod hic conceplus nec justiliae dislribulivae, nec bono com-
muni sit consentaneus, ut pote animum praeripiens iis, qui lalibus quasi stimulis et
praemiis ad inexhaustos studii litterarii labores suscipiendos non rare excilanlur :
secunduni illud honos alit artes ; itemque, sint Moecenates;
» Quis spondere ausit, fore ut talis aliquis praecox Magister, qui a lirocinio suo
nondum ferlasse absolvendus foret, adepia semel lectionis collatione, impensurus sit
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN. Ui
omnem diligentiam et operam, quae requirilur maxiraa, ul perfeclus évadât? Sed deinus
etiam l'uturum, ut non parcal labori et studio, demus eum magno ingenio praeditum
esse, et in majoribus scientiis praecellere: an ex iis sequitur negotium ei successurum
quoad Graeca, quae spéciale quoddam ingenium exigunt? Maxime si hoc tentet in pro-
vectiore aetate altiorum honorum cupiditate forlassis incensus, et majorum negotiorum
curis distractus.
» Quin et ponamus, ut lapsu temporis progressus ex voto succédât, id qiiod paucis
taiibus equidem contingit, nonne liac condilione accidet, ut in cathedra Graeca sedeat:
qui viris exlraneis visendae Universitatis causa fortasse adventantibus, vel nostratibus
etiam doctoribus, aut discipulis provectioribus diilîcultatem aliquam moveulibus res-
pondere, sine insigni ipsius cathedrae totiusque Academiae dedecore, non valeat?
» Propterquas res idem infra scriptus, non improbando id quod in provisionibus lec-
tionum collegii Trilinguis, mutalis lorte circumstantiis, ante bac interdum actum luit,
concludo et censeo:
a Non abhorrendum esse a concursu quem quidam candidati expetunt, et muiti Aca-
demici laudarent, in quo quasi ex sponsione deberelur oblinenti palmam.
» Quia tamen ténor fundalionis supra allegatus praeter erudilionem completam et
Graecitatem non vulgarem , etiam exigit mores probatos et vitam inculpatam ;
» Auctor sim, ut in liis circumstantiis rogentur viri quidam delecti, satis in hoc eru-
dili et integri, ut examen publicum habeant aspiranlibus omnibus subeundum sub bis
nempe condilionibus :
B r Ut testimonium de unoquoqueexaminato reddatur in scriplis;
» 2° Et annotetur locus et ordo quem inler reliquos promerili sunt;
» 3° Ut de unoquoque edicant, an sit talis qualem fundatio exigit, nimirum, jam
nunc, undecumque eruditus et idoneus qui in dies légat et profilealur publiée.... tam Chris-
tianos quam morales ac alios probatos auctores omnibus adventantibus in lingua graeca;
» 4° Ut is, qui habeat hoc testimonium, praeferatur in electione illi qui non habet:
» o" Ut nemo tamen eligatur, nisi qui locum adeptus est inter très primos;
» 6° Ut hoc examen ante publicetur in vicinis etiam civitatibus, imo et in aJiis Uni-
versitatibus catholicis, si videbitur;
» 7° Ut omnes hae conditiones observentur sub poena nullitatis electionis aut suftra-
gii. — Rogans Magnificum D. Rectorem quatenus lias rationes cumjudicio suo ad sacrum
suam Caesar. et Reg. Majestatem mittere dignetur.
» Datum Lovanii 15 novembris 1722.
» J.-B. SCHOEPS.
Magnifico domino Rectori almaeque Universitati Lovaniensi.
■■> Exponit ea, qua par est, veneratione infra scriptus ad divum Petrum in bac civitate
plebanus et in ea qualitale primus provisor collegii trilinguis Busieidiani, quod perobitum
4i2 MEMOIRE SUR LE COLLEGE
docioris Marliu vacel iu praesenlia ejusdem collegii lectio Graeca, quodque secundiim vo-
lunialem lundatoris ad eam assumendus sil vir, ut ait, undecumque eruditus qui in dies
légal el protiteatur in dicto collegio tara Christianos, quam morales ac alios probatos auc-
tores omnibus 60 adventaniibus in liugua Graeca. Cumautem inter eosqui haclenus aspi-
rant nullus reperialur, dequo vel per famamautspecimina publica constarepossitproviso-
ribushujusliuguaeexpertibus, eumadprofessionemillamesseidoneura:existimatomnino
et conlendit Orator non esse in hoc casu procedendum ad eleclionem, nisi prius vel insti-
tuatur concursus publicus, vel saltem legilimuni aliquod examen , in quo concurrentes per
ijuasdam interprelationes et expositionesvariorum auctorum Graecorum se probent ser-
monis Graeci sic esse peritos, ut ejus professionem cum iionore fundationis et Universitatis
exercere possint. QuaeOraloris praetensio quam sit aequa et in hoc eventu necessaria vel
ex eo elucere polest, quod alioquin evidentissimum periculum sit aberrandi enormitera
laudatissima intentione et mente illustrissimi fundatoris et hujus Academiae benefactoris
maximi, qui adeo leclionesillas trilingues inslituit, ut per litterarumadminiculum,orna-
mentum el lumen, depulsa quae tune regnabat barbarie, omnibus hujus Studii generalis
Facullatibus debilus suussplendor, honos et perfectio redderetur, alque ut etiam contra
horum temporum haelerodoxos politiori lilteralura fucum facientes proPerre possel haec
Universilas , uli semper haclenus fecit, orihodoxae lidei defensores illustrissimes, omnibus
numeris absolûtes, adeo ut hic agalur non solum de lideli fundationis provisione, quod
ipsum per se grave est, sed de commodo etiam , honore el celebrilale Almae Mains, de
ipsius Ecclesiae, et Reipublicae praesidio el bono, quae raliones tanto magis probari
debeut venerabilibus Dominationibus veslris, quod omnino conformes sint inslilutis et
moribus hujus Academiae, a quibus ne quidem Rex ipse se eximere voluit, nimirum quod
nulla hic lectio publica couferri possil, nisi petilo prius el habilo super compelentium
capacilate illius Facullalis ad quam pertinel, testimonio et judicio. Accedit quod , ut me-
minisse possunt seniores Academici, pro hac eadem leciione Graeca similis probalio
adhibita fuerit, semel cum de ea cerlaret praefalus doctor Martin, et iterum cum idem
vocatus ad professoralum seminarii episcopalis Mechliniensis linguae Graecae profes-
sionem deseruisse videbatur. Cum igitur memoralae Oraloris pelitioni et ralionibus, ui
videlur, aequissimis, acquiescere haclenus noliul reliqui duo domini provisores collegii
irilinguis praefati, etiamsi in hoc specialiler pluries fuerint convocati, hinccogitur Orator
recurrere ad Magnificum dominum lotamque banc Almam Universilalem, enixe rogans
et supplicans ut in hac parle suflragari diguentur voto el pelitioni supplicanlis, nempe
ut, interposita auclorilate sua, omni meliori modo efficiant ut in casu proposito ad lin-
guae Graecae professionis collationem non procedatur nisi habilo prius per concursum
publicum, vel saltem per examen legitimum, ul supra dictum est, de aspirantium erudi-
lione et peritia, judicio.
B J.-B. SCHOEPS. »
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN.
413
INDEX LITTÉRAIRE
TABLE DES AUTEURS ET DES OUVRAGES ANCIENS E&PLIQUÉS, PUBLIÉS, TRADUITS OU ANNOTÉS, AINSI QUE DES OUVRAGES
DE GRAMMAIRE ET DE PHILOLOGIE QUI ONT UNE MENTION SPÉCULE DANS CE MÉMOIRE '.
A.
Aristophane. Édition grecque du Plutiis (1518);
épitre de Th. Jlartens sur la comédie grecque.
Page 302.
Aristote. Version latine de sa morale, publ. à
Louvain (li75). Page 20.
Athanase (S.). Traduction latine de ses œuvres par
Nannius (Bàle, 1556, in-fol.). Pages 154-155.
Athénagore. Son Ivaiié de Resurreclionc mnrtiiorum ,
trad. par Nannius. Page 1 3i.
— Son Apologia, trad. par Suff. Pétri. Page 358.
Augustin (S.). De Civilate Dci Hbri XXII , éd. de
Louvain (1488). Page 21.
— Travaux de L. Vives sur cet ouvrage. Pages 137
et 509.
B.
Basile le Grand (S.). Trois homélies, trad. par
Fr. Craneveldt (Louvain, R. Rescius, 1534).
Page 206.
— Trois homélies et trois épîtres, trad. par Nan-
nius. Page 154.
Biblia regia, ou Polyglotte royale d'Anvers .•
— Index biblinis , et Variae lectiones , par J. Harlc-
mius. Page 320.
— Variantes de la version des Septante, recueillies
par G. Ganter et Livineïus. Page 341.
— Révision do la version latine interlinéaire du
texte hébreu. Pages 319-320 et 404.
— Rév. de la nouv. version latine de la paraphrase
chaldaïque. Pages 320 et 404.
BoÈCE. Influence de ses écrits. Pages 11-12.
— De Consolatione philosophiae , éd. de Louvain
(1482 et 1487). Page 12.
' Nous avons indiqué de préférence dans cette table tes livres et les éditions dont on n'a pas relevé jusqu'ici l'importance
dans la plupart des ouvrages d'histoire littéraire et de bibliographie , et surtout ceux qui font le mieux juger de la direction
donnée aux travaux du collège des Trois-Langues. Il va de soi que nous n'avons pas compris dans celle table les écrits nom-
breux et connus de nos plus célèbres savants, dont l'énumération et la description ont trouve place dans des notices et des
collections justement estimées.
4i4
MEMOIRE SUR LE COLLEGE
Cktoti {Distiques dits de), imprimés pour les classes
par Érasme. Page 132.
Cbrvsostôme (S.Jean). Son traité in Babylam, Irad.
par Érasme. Pages 99 et 509.
— Trois homélies, trad. par Nannius. Page 15i.
CicÉRON. Ses traités publiés à Louvain au XV"» siè-
cle. Page 20.
— Ses Officia annotés par Goclenius. Pages 148
et 298-299.
— Observ. sur les Officia, par C. Valerius (éd. de
1568 et 1!)78). Page 158.
— Deux des Vcrrincs, ann. par Nannius. Page 1 53.
— Son discours Pro Arcliia expliqué par .1. Loe-
zius, et imprimé avec commentaire par le même
(1560). Pages U9 et 554.
D.
DÉMOSTHÈ^E. Disc. De immimitate adv. Leptinem,
trad. par Nannius (1542). Pages 154-156.
— Difficultés d'une traduction des discours de cet
EccLÉsiASTE. Livre de rEccIésiasle.
— Travail exégétique de R. Wackcfield. Page 235.
— Travail de R. Shirwood { Explanatio, etc.;
Antv. 1525). Pages 254-235.
— Paraphrase célèbre due à Campensis (1552).
Pag. 242-243. Sort de ce travail. Pag. 510-517.
Érasme (D.). Ses Adages lus dans les classes; édition
orateur, d'après Nannius. Pages 300-507.
- Lettres attribuées à Démosthène et à Eschine.
trad. par Nannius. Page 154.
£.
abrégée par Barland (1508 et 1521). Pages 142,
298 et 405.
— Ce même recueil augmenté avec l'aide de Go-
clenius. Page 147.
Évangiles. Éditions grecques du N. T. par Érasme.
Pages 70-71, 120.
Florus. Commentaire sur son histoire, composé
par Stadius pour ses leçons, et publié à Anvers
(1585). Page 168.
G.
Grammaire et langue grecques :
— Usage de la grammaire de Théodore Gaza, tra-
duite par Érasme (1518). Pages 209 et 550.
— Compendium Graecae grammalices, par Amero-
tius (Louvain, 1520, in-4°). Pages 208-209.
— Diclionarius Graecus, publié à Bàle en 1524,
par J. Ceratinus. Page 200.
— De sono literarum Graecarnm, par le même. (Co-
loniae, 1.^29). Page 200.
— Instiliitiones linguae Graecae, par N. Cleynarts
(Louvain, 1550). Pages 328-529, 354.
— Meditationes Graecanicac in artem grammati-
FoRTUNATiANUs (CoHSiillHS Cufitis). Édition de sa
Rhétorique corrigée par Nannius. Page 133.
cam, par le même (Louvain, 1531). Page 328.
— Libeltus de dialectis Graeconim., etc., par Amero-
tius (1534 et 1550). Page 209.
— Syntaxis linguae Graecae, par J. Varennius
(Louvain, 1532). Page 329.
— Traité du même de Acceiilibus Graecorum.
Pages 329-330.
— Abrégé de la syntaxe grecque, par G. Fabius
(1584). Pages 212 et 330.
— Orationes V de ntilitaie linguae Graecae, auct.
S. Pétri (Bàle, 1565). Page 558.
— Instiluliones linguae Graecae, par H. J. Leemput
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN.
415
(Louvain, 1782 et 1797). Pages 224-225.
Grammaire et langue latines.
— Trailés de J. Dcspautèrc sur la grammaire la-
tine. Pages 129-130.
— Abrégé de la grammaire de Dcspautèrc. P. 330.
— Restauratio liiiguae Lalinae, par G. Halewyn.
Page 330.
— Éléments de grammaire latine, par J. Gillet et
P. Procurator. Pages 530-531.
— lusliluliomim grammaticarum lihri IV, par
C. Valcrius (ISKi). Pages 161 et 331.
— Traités de rhétorique et de dialectique, par le
même. Pages 161-102.
— Traités de Vcrnulaeus sur l'art oratoire. P. 18i.
— Grammalica Latina in faciliorcin methodum re-
dacta, par Kerkherdere (Louv., 1706, 10-12°).
Page 19C.
Grammaire et langue hébraïques.
— Diclionarium Ilebralcum, publié par Th. Mar-
tens, à Louvain, vers 1520. Pages 513-314.
— Grammaire hébraïque de J. Campensis (Lou-
vain, juin 1528, in-4»). Pages 238-242.
— Tabula in grammatkaw llebraeam, par Nie.
Clcynarls (Louv., 1529, in-i"). Pages 314-31 .'i.
— De grammalica llebraea liber, par J. Isaac Le-
vila (Louv., 1552), et autres éditions du même
ouvrage à Anvers et à Cologne. Pages 533 et 400.
— Encomium linguae Hebraïcae, par V. André,
publié en 1014. Pages xv et 259.
— Analyse de ce discours. Pages 260-267.
— MS. d'une nouv. éd. de la grammaire de J. Cam-
pensis, préparée par V. André. Page 259.
— Spéculum Hebrakum, impr. à Louvain en 1615,
par Jos. Abudacnus. Page 555.
— Inlroductio brevis ad Uiiguam Hebraeam , par
J. Sauterus (Louv., 1075, in-12»). Page 268.
— Lcxicon hebraco-lalinum , manuscrit de Paquot.
Page 275.
Grammaire et langue syriaques.
— Grammaire et dictionnaire syriaques par A. Ma-
sius, au tome I" de VApparatus de la Polyglotte
d'Anvers. Pages 521 et 526.
— Elcm.enla linguae syriacae , et de Hilibiis bup-
tismi; etc. Publications syriaques faites en 1572,
par Guy Lefèvre de la Boderie, à la demande de
philologues de Louvain. Pages 326-327.
H.
Hippocrate, Aphorismes, éd. gr. par Rescius (1833).
Pages 204 et 304.
Histoire et antiquités (traités divers).
— Barland , opuscule sur quarante princes lettrés
de Rome. Pages 143 et 403.
— Puteanus, épître sur le luxe de la table. P. 174.
— P. Castcllanus, traité sur les fêtes des Grecs.
(Anvers, 1617). Page 210.
— Id. Vies des médecins illustres, anciens et
modernes (Anvers, 1018). Page 217.
Homère. Édition complète de l'Iliade et de l'Odys-
sée, par Th. Martens (1523). Page 302.
— Pocmcs homériques, publiés, en 1535, par Res-
cius ( 2 vol. in-4»). Page 304.
— Scntentiae Hnmericae, recueil de Boetius Epo
(Louvain, 1555). Page 554.
Horace. Ars poetica, objet d'un discours de Nan-
nius, page 150, et d'un commentaire par le
même, dans l'édition de Laev. Torrentius(1608).
Pages 155 et 258.
— Élude de ses poésies recommandée par Barland
et par Nannius. Pages 293 et 299.
Juvénal. Ses satires imprimées par Jean de West- phalie (1475). Page 20.
LiVE (Tite). Corrections sur le III"" livre de la
I" décade par Nannius, page 153. Morceaux
Tome XXVIII.
expliqués par le même dans son cours de latin.
Ibid.
u
U6
MEMOIRE SUR LE COLLEGE
— Le I" livre de ses ^nna/fs, expliqué par J. Lipsc — VHermntime , traduit par Goclcnius (1522).
en 157G. Page 167. Page iio.
LucAiN. Révision de ses poèmes par Goclenius. — Divers de ses dialogues traduits par Érasme.
Page H3. Page 305.
Li'ciEN. Ses traités publiés en grand nombre par Lucrèce. Observations crit. de C. Valerius dans
Th. Martens, à Louvain. Page 502. l'édition de Giphanius (1506). Page 158.
M.
Manti:a]vls (Daptisla), poëte latin moderne. P. 293.
Martial. Choix d'Épigrammes publié par Barland.
Pages 1 42 et 402.
Mklanges de philologie ancienne.
— Dialogi ad profligandam barharicm, par Bar-
land (1S24 et ann. suiv.). Pages 401-102.
— MisccHaiicoriim dccas unn, par Nannius (1544).
Page 153.
— Emendationum cl Misccllanenriim lihri XX, par
P. Leopardus (1S68). Page 330.
— Version des vies et mots célèbres des philoso-
phes grecs, par le même. Page 33C.
— Tullianac quacstiones d'André Schott. Page 343.
— Ludics Sipe convivium sahirnale . par Castel-
lanus (IC16). Page 215.
o.
OcELLLS LicANUs. Son traité de la Nature des
c/ioses, traduit par J.Boschius (1554). Page 157.
Orphée. Le poëme nrph\(\ue Sur les pierres , trad.
par H. Gamcrius. Page 359.
Ovide. Son poëme VJhis, commenté par Valère
André (1018). Page 258.
P.
Perse. Ses satires impr. à Louvain (1475). Page 20.
Phiielphe (Fr.). Lecture de ses écrits dans les
classes. Pages 137 et 293.
Photics. Edition célèbre de sa Bibliothèque, par
A. Schott. Page 343.
Pindare. Ses odes expliquées h Louvain par S. Pé-
tri. Pages 211 et 338.
Platon. Ses Lois publiées en grec par Rescius.
Pages 200 et 304.
— Dialogues impr. par Martens. Page 302.
Plaiite. Prologue et complément de .son Aulularia,
parDorpius (1508). Pages 118-120 et 598-401.
— Prologue de Barland pour la même pièce.
Page 120. — Jugements divers sur le théâtre de
ce poète. Pages 121 et 292.
Pline l'Ancien. Son Histoire universelle expl. par
Vives à Louvain (1522). Page 136.
Pline le Jeune. Scholies sur ses lettres, par Bar-
land. Page 402. — Donné comme modèle du style
épistolaire. Page 293.
Plutarque. Opuscules trad. par Erasme. Page 305.
— Vies de Caton et de Phocion, trad. par Nan-
nius (1540). Page 154.
— Divers traités trad. par SulT. Pétri. Page 338.
PoMPONlus Mêla, expliqué par Vives à Louvain.
Page 136.
Prudence. Poèmes choisis oiTerts à la jeunesse, en
1518, par Th. Martens. Pages 310-331.
— Recommandé par Vives avec les av.tres poêles
chrétiens. Page 311.
— Vanté comme classique par Barland. Page 293.
— Edition de ses poèmes d'après un MS. de Nan-
nius (Anvers, 1564). Pages 184 et 310.
Psaumes. Psalmorum paraphrastica iîilerpretatio ,
par J. Canipensis (1532 et an. suiv.). Pages 242-
243,310-317.
— Édit. des Commentaires de Simon de Muis, par
Paquot (1770). Page 275.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN.
417
S.
Salomon. Livre de lu Sagesse, scolics par Nannius
(lbS2). Pagelii2.
— Cantique des cantiques, paraphrasé par le mciiic.
(1534.). Ibid.
SozoMÈNB. Hist. ccelésiast.; les trois derniers livres
traduits jiar Sulfr. Pelri. Page 338.
Stobee (Jean). Florilegium, ou Ecloguc; édition gr.
et lat. par G. Ganter (1579). Page 542.
SviNEsiLs. Quelques lettres traduites par Nannius.
Page 154.
T.
TÉREiNCE. Commentaires sur ses comédies, par Bar-
land. Pages 295, 142 et 402.
— Opinions diverses sur la moralité de ses pièces.
Pages 74, 121,293-291.
TuEOCKiTE. Idylles. Édition grecque par Th. Mar-
tens (1518). Page 502.
TaÉopuiLE. Sa version grecque des Instilutcs, éd. de
Rescius (1536). Pages 205 et 304.
Virgile. Ane. édition des Bucoliques et des Géor-
rjiques, par Jean de Westphalie (1475). Page 20.
— Edit. de VÈniide (1476). Page 20.
— Ses Géorgiqucs expliquées par Vives (1522).
Page 136.
— Éludes de Barland sur les IV premiers livres de
r£Kcidc (1529), avec extraits d'un commentaire
attribué b Donatus. Page 402.
— Bucoliques et Gcorgiques commentées par Nan-
nius. Page 155.
— Son commentaire sur les Bucoliques, publié par
Th. Langius. Page 211.
— Remarques de Nannius sur le VI'"" livre de
V Enéide. Page 154.
Virgile lu de préférence dans les classes par Bar-
land, Goclenius, Nannius et Valerius. Pages 142,
155,158,295, 299.
X.
Xénophon. Ses traités publiés par Th. Martens en
grec. Page 502.
— La Cgropédie, VÉconomique et le Hiéro/t expli-
qués par Rescius. Page 207.
- Ses Memorabilia Sûcratis, édil. gPccque par Res-
cius (1529). Pages 207 et 30-4.
418
MEMOIRE SUR LE COLLEGE
ONOMASTICON
TABLE ALPHABÉTIQUE DES PROFESSEURS ET DES SAVANTS, DES PRÉSIDENTS ET AUTRES FONCTIONNAIRES,
AINSI QUE DES PERSONNAGES CÉLÈBRES, CITÉS DANS CE MÉMOIRE.
Abudacnls (Joseph), hcbraisant, éditeur d'un Spé-
culum Hcbraïcum (i61S). Page 355.
Adrianus (Matthieu), juif espagnol, prof, d'iiébreu
(1518). Pages 126, 228-251.
Adrien VI (Adrien Boyens, d'Utreeht), prof, de
théologie à Louvain; puis cardinal et pape. Ses
sentiments sur la culture des belles -lettres.
Pages 72, 74-75.
.^GRicoLA (Rodolphe), maître es arts à Louvain
(1465); influence de ses travaux littéraires sur
les écoles des Pays-Bas. Pages 15-14, 16, 124.
Alabdus (Adelardus), d'Amsterdam, humaniste et
poëte, en 1544. Son séjour et ses travau.x à Lou-
vain. Pages 154-155, 518.
— Ses vers à la mémoire de C. Goclenius, p. 144,
et de J. Campensis. P. 244.
Aleandro ou Aleander (Hieronimo), humaniste
italien, ami d'Erasme et protecteur de Campen-
sis. Paae 257.
Amand, de Zirickzéc, hébraisant. Page 518,
Amerotils ou Amerot (Adrianus), prof, de grec
(1545-1560). Pages 208-210, 500.
Ammonius ( Gaspard ) , hcbraisant du XV °"^ siècle.
Page 17.
Amyot (Jacques). Ses leçons de grammaire grecque
à Louvain. Page 534.
Andréas (Valcrius) vulgo Driessens, ou Valère
André, prof, d'hébreu (1612-1655). Sa vie et ses
travaux. Pages 250-258.
— Son histoire du collège des Trois-Laiigucs, et
son éloge de l'hébreu. Pages xv, 105 et 259-267.
Arias Montanus (Benedictus), éditeur de la Poly-
glotte d'Anvers. Son appel aux docteurs de l'Uni-
versité de Louvain. Pages 318-522.
Assonleville (Christ, d'), membre du conseil sou-
verain des Pays-Bas (1586). Sa lettre en faveur
de G. Huysmannus. Pages 164-165.
.\iDENAERT (Egide Fr.), prof, de grec. P. 221-222.
B.
Baecx (Adrien) van Baerlandt, président du col-
lège des Trois-Langues (1606-1624). Ses ser-
vices comme administrateur, pages 105-107.
— Sa vie. Pages 592-595.
Balduinus ou Bauduin (Fr.), jurisconsulte lettré.
Page 339.
Barbirrs (Pctrus), doyen de Tournai, ami d'É-
rasme. Pages 71, 229,
Barland (Adrien), prof, de latin (1518-1319); son
mérite dans l'enseignement des lettres à Lou-
vain. Pages 120-121, 131.
— Sa vie et son influence sur les études latines au
collège des Trois-Langues. Pages 140-143,
292-291.
DES TROIS-LANGCES A LOUVAIN.
419
Bix (Jean Lambert), anc. économe du collège du
S'-Esi)rit. Ses notices d'histoire littéraire. P. xvi
et 98.
Bellenus ou Bellens (Philippe), président (1648-
1693). Page 395.
Block (Jean) , premier professeur d'éloquence à la
faculté des Arts (I'i43-14-S3). Page 8.
Blosius ou de Blois (Louis) , abbé de Liessies ; in-
struit dans les trois langues. Page 518.
BoHBASivs (Paulus), prof, de grec à Bologne, cor-
respondant d'Érasme. Pages 201-202.
BoMBAYE (Chrétien), prof, de latin (1720-1741).
Pages 193-194.
BoNOMi (J. Fr.), littérateur et protecteur des sa-
vants, nonce apostolique en Belgique, mort en
1887. Son intervention en faveur de G. Huys-
raannus. Pages 16a-lC6.
BoRROMÉE (S. Charles), archevêque de Milan. Ecole
de son palais, où enseigna J. Huysmannus.
Page 164.
BoRROMÉE (Frédéric), cardinal. Ses fondations
scientifiques à Milan, à l'époque du séjour de
Putcanus. Page 173.
BoRSALUS ou VAN BoRSEEL (Jean), humaniste. Ses
services littéraires dans les collèges de Louvain.
Pages H 9, 130, 152.
— Désigné comme premier titulaire de la leçon de
latin (1818). Page 139.
BosciiiLs ou BosscHE (Jean), médecin et huma-
niste, prof, à Ingolstadt. Pages 187 et 558-539.
Bldé (Guill.), ami d'Erasme, restaurateur des éludes
grecques en France. Pages 137, 289 et 330.
BuECKEN (Martinus van deb), président (1752-
1789). Pages 394-398.
BiKENTOp (Henri de), frère récollct, prof. d'Écrit,
sainte, hébraïsant. Page 565.
BiRGii (Rulger van der ), prof, de grec. Pages 221.
268-266.
Busciiius (Hermann), humaniste de l'école de De-
venter. Son séjour à Louvain. Pages 14, 507-508.
BusLEiDEN ou BosLiDius (Jérôme), fondateur du
collège des Trois-Langucs , mort en 1517. Sa vie.
Pages 37 et suiv.
— Ses dispositions testamentaires. Pages 47-49.
— Extraits de son testament. Pages 374-584.
Blsleiden (Valérien), son frère. Pages 39 et 573.
— (François), fils do Valérien. Pages 39
et 576.
— (François), archevêque de Besançon,
mort en 1503. Pages 58-59 et 575.
— (.'Egidius, Gilles), chevalier, un des
premiers promoteurs du collège des
Trois-Langues. Page 58, 80, 52, 95,
207.
— (Guillaume), fils de Gilles, patron du
collège. Pages 248 et 375.
c.
Campensis (Joannes) ou Jean van den Campen, prof.
d'hébreu ( 1250-1551). Pages 255-258. — Ses
ouvrages. Pages 258-244, 514-518.
Canterus (Guill.), d'Utrecht, savant philologue,
élève de Valerius, mort en 1873. Pages 188,
507-508, 541-542.
Canterus (Théod.), èrudit et philologue. Page 542.
Carondelet, chancelier de Brabant. Pages 82-84.
Castellanus ou a Castello (Petrus), prof, de grec
(1609-1652). Pages 214-217.
— Son mérite d'écrivain et de critique. Pages 217
et 555.
Castro (Nicolas a) ou Verbruch, président (1559-
1544). Pages 590-591.
Cauchius (Jean) ou van Cuvck, d'Utrecht, lati-
niste, mort en 1866. Page 158.
Ceratinus (Jacobus) ou Jacques Teyng, de Horn,
helléniste, mort en 1830. Ses relations avec les
humanistes de Louvain. Pages 80, 131, 199-
200.
Clément VII , pape. Son avertissement aux théolo-
giens de Louvain, au sujet d'Érasme. Pages 85,
386-387.
Clenardiis ou Clevnaerts (Nicolas), linguiste. Ses
études et ses leçons à Louvain. Pages 52, 155,
328.
— Ses traités sur la langue grecque, p. 328-529,
et sur la langue hébraïque, pages 259, 514-315.
Corselius ou DE CouRSÈLE (Gérard), jurisconsulte,
prof, de grec (1591-1590). Pages 215 et 528.
420
MEMOIRE sua LE COLLEGE
Ckanbveldt (François de), magistrat, ami des
lettres et helléniste lui-même. Pages 206 et 356.
CRLgtius ou DE Crucque (Jacques), prof, à Bruges,
éditeur d'Horace. Page 357.
Clsios (Joannes) ou Jean de Costek, professeur à
Louvain, vers 1-498. Page 129.
CypERS (Jean-Baptiste), prof, de grce, en 1790,
Pages 225-22U.
D.
Damen (Hcrmann), Th. U., i)roviscur du collège
(1722). Page 567.
Deckers (Jean), prof, d'hchreu (1772-1782).
Page 276.
Deens (Louis François), président (1695-1725).
Page 594.
DELPnts (Judocus) , docteur en droit. Ses vers en
l'honneur de M. Dorpius. Pages 120 et 401.
Désirant (le Frère Bernard), historiographe royal,
prof, de latin au collège des Trois -Langues
(1689-1701). Pages 189, 190-191.
Despautère (Jean), de Ninove, grammairien , prof.
au collège du Lis. Pages 15, 129-150.
— Célébrité de ses traités de grammaire latine.
Pages 292, 329-550.
Dellin (Henri), de Merville, prof, d'éloquence
avant U90. Page 9.
Durât ou d'Aurat (Jean), prof, à Paris, un des
maîtres de G. Ganter. Page 307.
DoRMALiLs ou VAN DoRMAEL (Philippe), imprirneur.
Pages 554, 336.
DoRPics (Martin), théologien et humaniste, mort en
152S. Pages 22, 127 et 150.
— Ses vues générales sur la rénovation des études.
Pages 115-110.
— Ses études sur Plautc, et ses travaux pour la
restitution de r/l«/w?an'(t et pour la représenta-
tion d'autres pièces de Plante. Pages 117-121.
— Son prologue en vers pour la représentation de
VAulularia de Plante. Pages 598-100.
— Son prologue pour le Miles. Pages 119-120
(note).
— Ses prévisions sur le rôle de la philologie dans
l'e.xégèse biblique. Pages 69, 126-128.
E.
Edelheere (Jacques), président (1559). Page 589.
ELEM;s(Hieronymus),deBaelen. Ses leçons privées
de grec au XVl"» siècle. Page 550.
Elsken (Jean Jos. van de.n), président (1790-1797).
Page 596.
EoBANUs Htssts (Helius). Ses vers sur l'école de
Louvain (1518). Page 128.
Epo (Boetius). Ses leçons de grec en 1555, à Lou-
vain. Page 534.
Érasme (Didier) ou Dcsiderius Eras.mis, l'un des
promoteurs du mouvement de la Renaissance,
mort en 1556. Pages 56, 157 et 289.
— Appui qu'il donne aux projets de Jérôme Bus-
leidcn ; ses démarches en faveur du collège des
Trois-Langucs. Pages 36-57, 52-55, 60 et suiv.,
78-90, 99-100, 200-201.
— Influence de ses écrits sur la nouvelle littéra-
ture latine. Pages 154-142, 297-298.
— Ses vues sur l'étude du grec et sur celle de l'hé-
breu. Pages 125-128.
— Ses opinions sur l'utilité des langues pour la
science des saintes Écritures, pages 60-71, et sur
l'élude des classiques et des auteurs chrétiens.
Pages 57, 76-77, 508-512.
— Ses relations d'amitié avec les maîtres et les
savants de Louvain. Pages 86-90, 141, 146-147,
204-205, 229-250, 258.
— Réalisation de ses prévisions dans le premier
siècle du collège des Trois-Langucs. Pages 157,
227, 289, 295, 522-523, 545-546.
— Protection accordée à Érasme par les papes
Léon X, Adrien VI et Clément "VU. Pages 70, 72,
85, 586.
ÉvERAKD (Nicolas), membre du grand conseil de
iMalines, mort en 1552. Pages 36 et 151.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN.
421
F.
Fabius (Guil.), viilf/n Boonaerts, professeur de grec
(1578-1590). Pages 212, 350.
FABRicitJs(Godcfi'oid\ de Liège, professeur de litté-
rature sacrée, à Ingolstadt. Page ôô9.
FoRTis (Joanncs), ou Jean Sïercke, de Meerbeke,
dit Mirbecanus, premier président du collège.
Pages 49, 98-99, 382, 387-88.
G.
Gamerius (Hannardus), àW, Mosacns , professeur à
Ingolstadt, directeur à l'école de Tongres. P. 339.
Gattinara (Mcrcurin Arborio de), chancelier de
l'Empire, successeur de Sauvage (1518). P. 84.
GaUDANUS ou GOUDANLS. V. Reineri.
Gautiis (Léonard), professeur de latin (1089 et
suiv.). Pages 188-190.
Gennepius (Andréas) ou André Gennep, professeur
d'hébreu (1532-1568). Pages 245-247, 315, 335.
Georges d'Autriche, prévôt et chancelier de l'Uni-
versité, fondateur d'une bourse au collège des
Trois-Langues, mort en 1619. Pages 104, 160.
Geuli>cx (Arnold), défenseur du latin comme lan-
gue savante. Pages 349-350.
GiDBERTi's (Jean Matthieu), cvèque de Vérone,
secrétaire de Clément VII; son intervention offi-
cieuse en faveur du collège des Trois-Langues.
Page 84.
GiLLET (Jean), professeur à Mons, ses études sur la
grammaire latine. Page 330.
GiLs (Antoine vaiv), prof, de grec (1791-1797).
Page 226.
GisELiNus OU Gislain (Victor), latiniste du XVI""
siècle. Pages 167, 340-341.
Goclenius ou Goclen (Conrad), professeur de latin,
mort en 1539. Sa vie. Pages 143-149.
— De l'influence de son enseignement sur la philo-
logie latine. Pages 151 , 298-299, 332.
Goropius (Jean) Bccanus. Critique de son opinion
sur le flamand comme langue mère universelle,
par Valèrc André. Page 263.
GuAMAYE (J.-B.), professeur d'éloquence. Son Spé-
cimen Htterarwm et linguarum (1622). Page 354.
Gravius (Barthélémy), imprimeur, associé de Res-
cius. Pages 206, 304 et 327.
Gl'ilielmius (Joannes) ou Jean Giiilieimi, dit Har-
lemius, S. J., prof, d'hébreu en 1 568. Page 247-
248.
— Sa coopération aux travaux de la Polyglotte
d'Anvers. Pages 320-322.
GuvAix (J. J.), professeur d'Écriture sainte. P. 190
et 363.
Hagem (Gilbert-Joseph), professeur d'hébreu (1723-
1750). Pages 271-272.
Haiewym (Georges), dit Haloisls, latiniste et pro-
tecteur des lettres. Pages 36, 119 et 330.
Hamere (de) ou van Hameren (Jean), prof, de grec
1664-1680). Pages 219-220.
Harlem (Hugues de), prof, d'éloquence (1453-
1460). Pages 9.
Harlemius. Voir Guilielmius.
Hasseius (Leonardus), théologien et hébraïsant.
Page 318.
Havens (Frédéric), président (1624-1648). P. 393.
Hegil'S (Alex.), maître d'Érasme et de Goclenius et
d'autres humanisles célèbres, à Devcnter. P. 14.
Heimbaciiiis ou von Heysirach (Bernard), prof, de
latin (1649), et de grec (1054). Pages 184-185,
218, 352.
HERYs(Jean), professeur d'hébreu (1680-1704).
Pages 269-270.
Heuschling (Etienne), prof, d'hébreu (1790-1797).
Pages 278-288.
Hezius (Théod.), secrétaire d'Adrien VL Page 386.
422
MEMOIRE SUR LE COLLEGE
HiÉRONYJiiTES, OU frèrcs de la Vie commune. Leurs
écoles à Deventer et ailleurs. Pages 12-15.
HoppERLS (Joachim), conseiller d'Étal. Pages 525,
528, 340.
HovE (Judoeus van den), président, 1529-1536.
Pages 589.
HovEN (Guillaume van den), professeur d'hébreu
(1704-1723). Pages 270-271.
HoYLs (André), professeur de littérature grecque à
Douai. Page 251.
Hi'ET (D.), évoque d'Avranclies. Sa visite h Valère
André, à Louvain. Pages 287.
— Son jugement sur les traductions latines de
Nannius. Page 152.
Hl'nnaels ou HcENs (Augustin), de Malines, sup-
pléant de Th. Langius et de Gennep. Pages 102,
211-247.
— Associé aux travaux de la Poljglotti- royale.
Pages 319-320, 405.
HuvsMANNis ou HiYSMANs (Guillaume), prof, de
latin au collège des Trois-Langues (158C et sui-
vant). Pages 162-160.
Jacqies dit Jacofcî (.Jean), président (1759-1783).
Pages 592.
Jeneffe (Lambert de), de Huy, suppléant de Boiii-
baye au collège des Trois-Langues. Page 193.
Josel (Adrien), chanoine d'Anvers, mandataire de
Jérôme Busieiden. Pages 50, 575, 582.
Kerkherdere (Jean Gcr. ), historiographe royal,
suppléant de Bombaye (1722-1758) dans la
chaire de latin. Pages 194-197.
Laddersois (Jean Fr. de), prof, de latin (1705-
1720). Page 192.
Lange.ndo.nck (Chrétien van), prof, de latin (1064-
1669). Pages 186-187, 552.
Langius ou de Langue (Thcodoricus), prof, de grec
(1560-1578). Pages 98, 210-212.
Langils (Car.), ou Ch. de Langue, humaniste. Pa-
ges 210,341.
Lascaris (Constantin). Étude de sa grammaire grec-
que par nos hellénistes. Pages 209 et 330.
Lascaris (Jean), prié par Érasme de choisir un
Grec de naissance pour la chaire de Busieiden.
Pages 35, 200-201.
Latomls (Barthol.) ou Masson, latiniste, professeur
à Paris. Pages 88 et 537.
Latomis (Jacobus) ou J. Masson, théologien. Son
rôle dans la polémique sur l'élude des langues.
Pages 67, 70-71.
Leempit (Jean Hub. Jos.), prof, de grec (1772-
1787). Pages 223-225.
Lefèvre (Guy) de la Boderie. Ses sonnets en
l'honneur des philologues, éditeurs des Diblia
regia. Pages 321-522.
— Ses publications de textes syriaques h la de-
mande des savants de Louvain. Pages 326-527.
Leopardis (Paul), humaniste du XVI"* siècle.
Pages 151 et 336.
Levita (Elias), savant rabbin. Ses traités de gram-
maire hébraïque et leur usage au XVI' siècle.
Pages 31, 240-241.
Levita (Jean Isaac), juif converti, enseigne l'hébrcn
à Louvain. Pages 248 et 555.
— Sa vie et ses ouvrages. Pages 405-406.
Levita (Stephanus ou Etienne), fils. Ses études à
Louvain et à Cologne. Pages 553, 406-407.
Lindanls (Guil.), évêque de Ruremonde, hébraï-
sant et théologien, élève de Gennep. Pages 245,
518, 359.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN.
423
Lipsius (Justus) ou Juste Lipse, professeur hono-
raire de latin au collège des Trois -Langues.
Pages 166-170.
— Influence de ses écrits et de sa latinité sur les
études littéraires dans les Pays-Bas. P. 171-172,
032-333.
LiviNEius OU LiEVEXs (Jcan), savant helléniste.
Pages 5i0-341 , 343.
LoEzius (Jean). Ses leçons de latin à Louvain.
Pages li9 et 334.
LccAS (Franciscus, dit Bnigensis), ou Llcas de
Eriges, théologien et exégète. Pages 271 et 404.
M.
.Uac,\rils (Joarincs) ou l'Heureux, humaniste et
savant, lègue ses MSS. au collège des Trois-
Langues. Pages 336-337.
Macropedius (Georges) ou G. van Langhveldt ,
maître de Valerius. Page 1 56.
Martexs (Thierry), d'Alost, imprimeur habile et
savant. Son établissement à Louvain (1512-
1529). Pages 21-23.
— Services qu'il rend aux lettres anciennes; ses
éditions grecques. Pages 301-303, 310-311.
— Ses efforts en faveur de l'étude de l'hébreu.
Pages 313-314.
Martin (Franc.), Irlandais , prof, de grec (1683-
1722j. Pages 220-221, 563-366.
Marvilla.\us. Voy. Warrt.
Masius ou Maes (André), philologue et orientaliste.
Ses travaux sur la langue syriaque, publiés dans
la Polyglotte d'Anvers. Pages 321 , 326.
Massox (Barthél.). Voy. Latomcs (B.).
Masso.n (Jacques). Voy. Latomus (J.).
Mazière (Jean Benoît de), prof, d'hébreu (1782-
1786). Pages 277-278.
MiRBECANUS. Voy. FûRTIS.
MoxTANUs. Voy. Arias.
MoNTZUMA (Bucho de), Frison, suppl. de Gennep.
Page 247.
MoRus (Thomas), chancelier d'Angleterre. Son ami-
tié pour Jérôme Busleidcn. Pages 40-41.
— Ses vers sur les collections d'art et les poésies
de son ami. Pages 384-385.
— Son riche présent à Goclenius. Pages 146-146.
MiiNSTER (Sébastien), hébraisant d'Allemagne.
Page 31. Usage de ses traités par J. Campensis.
Pages 257, 240, 244.
Mlrmellius (Jean), de Ruremonde, philologue de
l'école de Deventer. Pages 14 et 310.
Musius (Cornélius), humaniste et poète, mort en
1672. Pages 181, 346.
».
Naevils ou de Neve (Jean), de Hondschote, huma-
niste, président du collège du Lis. Pages 130,
132-133,208.
Nanmus ou Naïv'mxck (Pctrus), professeur de latin,
(1539-1587). Pages 149-154.
— Mérites de ses traductions du grec en latin.
Pages 152, 155- 156, 327.
— Ses observations sur la difficulté de traduire
certains auteurs. Pages 305-207.
Nelis (de), évoque d'Anvers, éditeur d'Anatecles
inachevés sur l'histoire littéraire de Louvain.
Pages 113, 119,215,598.
— Ses vues sur les vicissitudes des études littéraires
en Belgique. Page 553.
Neseni's (Guillaume), humaniste allemand. Son
séjour à Louvain (1519). Page 135.
NispEN (Nicolas de), secrétaire de Robert de Croy,
mandataire de Busleidcn. Pages 50-51 , 382.
NoRMENTON (Jcan), prof, de grec. Page 219.
Paludanus (Jean) ou Desmarais, professeur d'élo-
quence, mort en 1626. Pages 130, 141.
Papiis (Andr.) ou Andtié de Paep , philologue.
Tome XXVIIf.
Pages 540, 342.
Paquot (Jean Noël), prof, d'hébreu (1735-1772).
Pages 272-276, 363.
55
424
MEMOIRE SUR LE COLLEGE
— Son édition manuscrite des Fasii academici
Lovanimscs. Pages xvi et 2S5.
Pétri (Suffridus), Frison, helléniste suppléant de
Tli. Langius. Page 211.
— Son appel à Erfurf ; ses travaux littéraires.
Pages 357-558.
PiGHiLS (Albertus), de Campen (ISiS). Page 256.
— Sa lettre aux théologiens de Louvain, au nom de
Clément VU (1525). Pages 85, 586.
Plantin (Christophe), imprimeur. Ses services en-
vers les lettres. P. 161-162, 50b, 321, 527, 341.
PonTÈs (Joachim), humaniste et poëtc. Page 353.
PuLMANNCs ou PoELMAN (Thcodore), latiniste du
XVI'"': siècle. Page Si!.
PuTEANus (Erycius) ou Henri de PtT, professeur
de latin au collège des Trois-Langucs (1607-
1646). Pages 172-180, 559.
— Son influence sur la culture des études classi-
ques. Pages 178-179, 551.
— Sa Palaestra bonae menlis. Pages 179, 355-338.
Q
QuAREUX (François Claude de), professeur de grec (1752-1741). Page 222.
R.
Kai'uelingiiis ou Kallenghie.v ( Fr. ), loué comme
orientaliste. Pages 521-322.
REiNEni (Corn.), surnommé Gaitdanus , D' en
théologie (1568), chargé par l'Université de la
révision de la Polyglotte d'Anvers. Pages 519-
320, 405.
Keineri (Jean), dit Wccrthanus, président. Pages
101, 591.
Rescius (Rutgerus), mlgo Ressen, prof, de grec
(151S-1545). Pages 202-206.
— Ses éditions grecques. Pages S07, 300, 501.
Reuchlim (Jean), dit aussi J. Capnion, savant alle-
mand. Ses travaux sur la langue hébraïque, et
leur influence sur l'étude de cette langue en Bel-
gique. Pages 50-52, 124, 256, 240.
Reymarius (Augustinus), humaniste, élève de Bar-
land. Pages 195 et 401 , notes.
Rivo (PetrusA) ou Pierre Vanderbeke, prof, d'élo-
quence (1460). Page 9.
RoBBiiNus ou RoBYNS, doycu de Malincs, désigné
dans le testament de Busleiden. Page 49.
— Erasme réclame son patronage pour le collège
des Trois-Langucs. Pages 44, 63, 204, 229.
RoBERTis (Cornélius), d'Anvers, hébraïsant. P. 248.
Ryckenroy (Melchior van), président (1559-1570).
Pages 591-592.
S.
Sauterl's ou Sauter (Jean) , prof, d'hébreu (1655-
1680). Pages 268-269, 555.
Sauvage (Jean), chancelier de Bourgogne. Ses rela-
tions avec Érasme et J. Busleiden. Page 45.
SceoEPS (J.-B.), pléban de S'-Pierrc (1713-42),
proviseur du collège des Trois-Langues (1722).
Il réclame un concours pour la collation de la
chaire de grec. Pages 566-570.
— Texte de sa requête. Pages 408-412.
ScHOTT (André), S. J., humaniste célèbre , mort en
1629, élève de C. Valerius, pages 158, 160, 162;
maître de V. André, pages 251 , 254; représen-
tant de la haute érudition classique, pages 540,
542-545.
ScnuTTEiAERE (Jean-Baptistc Viclor de), prof, de
latin (1669-1685). Page 187.
Shirvodus ou SniRvooD (Robertus), prof, d'hébreu
(1519). Pages 254-255, 518.
Smenga (Pctrus Pierius a), prof, d'hébreu (1569-
1577). Pages 248-250.
S.NEiLAERTS (Dominique), prof, de latin (1683-
1688). Pages 187-188.
Stadius (Jean), historien et savant. Ses leçons
d'histoire ancienne à Louvain. Page 168.
Steen (Hen. Jos. van den), prof, de latin après
Bombayc (1741-1768). Page 198.
Stercke. Voy. Fortis.
Straselics (Jean), prof, de grec h Paris. Page 533.
Streithagen (Léonard), président (1723-1752).
Pase 394.
DES TROIS-LANGUES A LOUVAIN.
425
STURMiisouSTiRM(Jean), son séjour el ses travaux à
Louvain, an. 1 524, el suiv. Pages 20G et ôS-i-ôôïi.
SucQUET (Antoine), chevalier et conseiller impé-
rial. Page iô.
SicQur.T (Jean), frère d'Antoine, homme de cour,
ami dos lettres. Pages 81-82, 322.
T.
Theige (Mathieu), Irlandais, professeur de grec
(164Ô-1CB2). Page 218.
TiTELMAN.yi's ou TiTEiMANS (François), franciscain,
philologue hébraïsant. Page 318.
ToBRE.«iTius(Laevinus), humaniste et poète, cvéque
d'Anvers. Pages Itiô et 541.
TusANi's ou ToissAiN (Jacqucs), professeur de grec
à Paris. Encourage par l'exemple des professeurs
de Buslcidcn. Paa;cs 88-90.
V.
Vaierils ou WoLTERs (ComcHus), prof, de latin
(1557-1578). Sa vie et ses travaux. P. 156-162.
— Sa longue influence sur les études littéraires en
Belgique. Pages 289, 324, 332.
Varenmus (Joanncs) ou Jean van der Varen de Ma-
lincsj helléniste, mort en 1536. P. 329-550, 333.~
Velshs ouWelseus (Justus), docteur en médecine,
suppléant de Nannius au collège des Trois-Lan-
gues (1542). Page 151.
VERHAcnEN (Jean), président (1571-1585). P. 392.
Vernllaeus ou Ver.mlz (Nicolas) , prof, de latin
(1646- 1649). Pages 180-184, 351-552.
ViGLiis ZuicHEMUs, président du conseil souverain
des Pays-Bas. Pages 325, 528, 540.
ViRiaus (Carolus) ou Charles Mevnigken ou Man-
NEKEN, fondateur du collège du Lis, mort en
1495. Ses Formtilae epistolarcs. Pages 9-10.
Vives (Louis), de Valence. Ses leçons de littérature
à Louvain (1519 à 1522). Pages 156-157.
— Influence de ses opinions. Pages 308, 311.
w.
Wackfeldus ou Wackfield (Robertus), prof, d'hé-
breu (1519). Pages 251-255, 518.
Warry (Nie.) de Marville, dit aussi Marvillamts, pré-
sident (1526-1529). Son administration. P. 99-
101, 388.
— Ses vues sur l'éducation. P. 509-510.
Wesselus (Joannes) ou Jean Wessel de Gronin-
gue, humaniste et hébraïsant. Pages 15, 16.
Wessem (Barthélémy de), chanoine de Malines,
mandataire de Busleiden. Page 582.
Westpiialie (Jean de) , imprimeur du W'^' siècle ,
à Louvain. Ses impressions d'auteurs anciens.
Pages 17, 19-21.
VVouTERS (Henri), président (1782); prof, de théo-
logie au séminaire général. Pages 108, 277, 570
et 595-590.
X.
XiMENES (le cardinal) de Cisncros. Ses fondations
scientifiques à Aleala , et publication de la pre-
mière Bible polyglotte sous ses auspices. Pages
52-34, 70, 523,404.
Zegers (J.-B.), de Louvain, prof, de grec (1741- Zoesius (Henri), Jurisc, prof, de grec (1606-1609).
1782). Pages 222-223. Pages 213-214.
ERRATA.
Page 3, noies 1 et 2. — Transposez les chiffres.
— 9, ligne 25 ; originaire de Gand. Zùei .• originaire de Casse!.
— 93, ligne 17 : n'approuve. Lisez : n'approuva.
— 141 , ligne 13 ; en février 1525 (vieux style). Lisez : 1326.
— 173, ligne 6 : XV!"" siècle. Lisez : XIV""' siècle.
— 199, ligne 13 : Jacques Teign. Lisez : Jacques Teyng.
— 205, note 4, ligne 2 ; dedecorat. Lisez : condecorat.
— 216, ligne 22 : en 1617. Lisez .- en 1618.
— 217, note 1 , ligne 2 ; 1617. Lisez : 1618.
— 220, lignes 8, 9 et 15 : Van den Burgh. Lisez .• Vander Burgh.
— 251 , ligne 23 : Andréas Haïus. Lisez : André Hoyus ou Van Hove.
— 322 (épigraphe) : acitndi. Lisez : facundi.
— 343, ligne 4 : de Sénèque d'Aurélius Victor. Lisez .■ de Sénèque cl d'Aurelius Victor
— .347 (épigraphe) ; Perite. Lisez : Perire.
— .332, ligne 3 : Christophe. Lisez : Chrétien.
— 360, ajoutez à la note : Academia Lovan., éd. ait , pages 76-77.
.■v'^
TABLE DES MATIÈRES.
Paees.
INTRODUCTION si-xviii
Chapitre 1". Coup d'œil sur l'étude des langues el des littératures anciennes dans les
écoles des Pays-Bas, avant l'érection du collège des Trois-Langues
(1400-1520). — Préliminaires 1-35
§ 1. L'Université de Louvain au XV""" siècle 6
§ II. L'Université de Louvain de 1500. 'i 1520 17
§ IH. Considérations sur la renaissance des lettres en Europe et sur
l'avènement des études hébraïques, en rapport avec l'histoire
de l'enseignement littéraire en Belgique 23
Chapitre II. De la fondation du collège des Trois-Langues à Louvain, par Jérôme
Busleiden 56-5j
— 111. De l'ouverture et des commencements du collège des Trois-Langues. . 54-91
— IV. De l'organisation intérieure et de l'administration du collège des Trois-
Langues 91-112
— V. Des trois langues savantes au XVl'"^ siècle, et de l'utilité de leur ensei-
gnement public 112-lo7
— VI. Les professeurs de langue latine 138-198
— VU. Les professeurs de langue grecque 199-226
— VIII. Les professeurs de langue hébraïque 227-288
— IX. Les études littéraires et philologiques au collège des Trois-Langues pen-
dant le XVI""' siècle 289-322
— X. Examen des résultats généraux de l'enseignement du collège des Trois-
Langues au XVl"" siècle 322-346
— XI. Les études littéraires et philologiques au collège des Trois-Langues
pendant le XVII™» siècle 346-360
— XII. De l'enseignement du collège des Trois-Langues pendant leXVIlI"" siècle. 361-372
PIÈCES JUSTIFICATIVES.
Lettre A. — Essai d'une généalogie de la famille des Busleiden (chap. Il, p. 38). • . . 373
Lettre B. — Extraits du testament de Jérôme Busleiden, relatifs à l'érection du collège des
Trois-Langues (chap. II, p. 47) 374
428 TABLE DES MATIERES.
Pa-îP?.
Lettre C. — Poésies lalines de Thomas Morus en l'honneur deJ. Busleiden, au sujel de ses
vers, de sa demeure et de ses coUeclions d'an (chap. Il, p. 41) .... ,384
Lkttrk D- — Texte de la lettre écrite de Rome aux révérends docteurs de la Faculté de théo-
logie de Louvain , par Alherl Pighiiis, eamérier secret dn pape Clément VII,
en date du 12 juillet I52o (chap. III, p. 85) 586
Lettre E. — Série des présidents du collège de Rusleiden ou des Trois-Langues à Louvain
(chap. IV, p. 99) 387
Lf.ttre F. — Copie de l'arrêté en date du 15 avril 18"2I, relatif au rétablissement et à la des-
tination des fondations de l'ancien collège de Busleiden. Extrait du registre
des arrêtés du ministre pour l'instruction publique, l'industrie nationale et
les colonies (chap. IV, p. d I ) ) 597
Lettre g. — Extraits du travail de Martin Dorpius, composé pour servir à la représentation
de VAtdularia de Plante au collège du Lis, le 5 septembre 1508 (diap. V,
!'• 119) .398
Lettre H. — Des travaux littéraires d'Adrien Barland (append. au chap. VI, § I, p. 142). . 401
Lettre 7. — Lettre d'Arias Montanus à l'Université de Louvain pour lui demander,
en 1568, sa coopération aux travaux delà Polyglotte d'Anvers (chap. IX,
P- 519) 405
Lettre /. — Notice sur Jean IsaacLevita et Etienne, son fils, juifs allemands convertis, qui
ont enseigné l'hébreu à Louvain au XVl""^ siècle (chap. X, p. 355). . . . 405
Lettre K. — P.apport du pléban de Louvain J.-B. Schoeps, dans l'affaire de la non)ination
d'un professeur de grec au collège des Trois-Langues, en date du d."> novem-
bre 1722, et adresse du môme au recteur de l'Université touchant la même
affaire(chap. XII, p. 569) 408
Index littéraire, ou table des auteurs el des ouvrages anciens expliqués, publiés, traduits ou
annotés, ainsi que des ouvrages de grammaire et de philologie, qui ont mérité une men-
tion spéciale dans ce mémoire 4)5
Onomasiicon, ou table alphabétique des professeurs el des savants, des présidents el autres
fonctionnaires, ainsi que des personnages célèbres, cités dans ce mémoire 418
Table générale du mémoire 427
FIN.
NOTICE
LE BARON DE ST4SSART,
PAR
M. Eugène VAN BEMMEL,
PROFESSEUR A l'uNIVERSITÉ LIBRE DE BRUXELLES.
(Mémoire couronné le 26 mai IMC. i
I) faut plus qu'on ne pense de force d'àme et de cnunge
d'esprit pour ne jamais Trancliir les bornes de la mode-
ration. (Pentées de Cirré. 2H.)
Tome XXVIII.
"h
Le 5 novembre 1851, le baron de Slassarl vint mettre à la disposition
de l'Académie « un capital de deux mille seize francs en rentes sur l'État
belge, pour fonder, au moyen des intérêts accumulés, un prix perpétuel,
qui, tous les six ans, à la suite d'un concours, ouvert deux années
d'avance, fût décerné, par la classe des lettres, à l'auteur d'une notice
sur un Belge célèbre '. »
Cette noble et généreuse initiative fut accueillie avec la plus vive grati-
tude, et, à la mort du baron de Stassart, arrivée le 10 octobre 1854,
l'Académie crut devoir ouvrir la série de ces concours par une notice sur
le baron de Stassart lui-même. C'était rendre un juste hommage à la
mémoire du donateur, et l'idée était, sans aucun doute, des plus heu-
reuses.
L'Académie ne s'en tint pas là cependant. Elle devait à la mémoire du
défunt « le même tribut de reconnaissance qu'elle s'est toujours plu à
payer aux hommes qui l'ont secondée avec le plus de succès dans ses
travaux. » \]n ouvrage produit par un concours serait arrivé d'ailleurs tar-
divement, et il importait que la manifestation de l'Académie fût prompte.
Le secrétaire perpétuel fut invité à préparer une notice sur le baron de
Stassart ^.
' Bulletin de l Académie, t. XVIII, 2"" partie, p. 420.
- Séance du 6 novembre 1854.
Cette notice, lue en séance publique de la classe des sciences, le 17 dé-
cembre 1854 , est une œuvre remarquable. Tout en ne prétendant y men-
tionner que les principaux faits, M. Quetelet présente ces faits dans leur
véritable enchaînement, et en donne une appréciation pleine de déli-
catesse. Les notes, extrêmement multipliées, les citations tirées des ma-
nuscrits légués par le baron de Stassart à l'Académie , les fragments de
mémoires, toutes les pièces qui foi'ment ïappendice de ce travail, sont
aussi des plus importantes , et offrent un secours immense à l'auteur d'un
travail plus développé.
« Si j'avais à considérer notre confrère comme homme d'État, dit
M. Quetelet *, je devrais faire passer sous vos yeux la plupart des grands
événements de notre histoire contemporaine. Tel n'est certainement pas
la tâche qui m'est imposée. La classe des lettres a plutôt désiré voir
retracer, ici, quelques souvenirs de la vie intime du défunt, sans renoncer
toutefois à entendre parler des services éminents qu'il a rendus à son
pays : elle a, de plus, réservé à un concours le soin d'apprécier ses mé-
rites, en l'étudiant avec plus de détail sous différents aspects. »
Je me suis conformé à ces intentions, j'ai surtout adopté la dernière
idée en composant ma Notice de trois grandes parties, dans lesquelles je
considère successivement la vie publique , la vie littéraire et la vie intime du
bai'on de Stassart.
La première partie montre le fonctionnaire et l'homme d'État, mêlé,
comme le dit M. Quetelet, à tous les grands événements de l'histoire con-
temporaine. La deuxième partie s'occupe de l'écrivain, du penseur, du
moraliste, de l'académicien et de l'orateur. La troisième, enfin, ne traite
que de l'homme , de son caractère, de ses sentiments, de ses habitudes et
de ses relations intimes.
* Notice, p. 5.
NOTICE
LE BARON DE STASSÂRT.
I.
VIE PUBLIQUE.
GoswiN-JosEPH-AuGUSTiN , BARON DE Stassakt , iiaquil à Maliiies le 2 sep-
tembre 1780. Sa famille, fort ancienne, puisqu'elle descend, selon liem-
ricourt, des premiers seigneurs de Neufchâteau, reçut de Charles-Quint,
molu proprio, confirmation de noblesse, et de Léopold II le litre de baron,
transmissible par ordre de primogéniture. Cette famille, qui s'était illus-
trée par les armes jusqu'à la fin du XVII™^ siècle, se distingua ensuite,
d'une façon plus remarquable encore, dans la magistrature belge *. Le
père de Goswin, Jacques- Joseph- Augustin de Stassart, était, lors de la
naissance de son fils, conseiller au grand conseil de Malines, et remplit
ces importantes fonctions jusqu'à l'époque de la réunion de la Belgique à
la France, en 1794.
Si je parle ici de cette noblesse de naissance, ce n'est point que le
' Voy. la notice de N.-J. Vander Heyden, extraite du Nobiliaire des Pays-Bas.
6 NOTICE
baron de Stassart y allachât quelque valeur ou s'en attribuât le moindre
mérite. Son esprit et ses sentiments étaient trop élevés, trop cultivés surtout
pour laisser place à de telles préoccupations, et l'orgueil, sous quelque
forme qu'il se présentât, lui inspirait d'ailleurs une horreur trop pro-
fonde. Mais les influences de race sont souvent fortes, particulièrement
dans le premier âge, et il est nécessaire de connaître l'origine du baron
de Stassart, pour comprendre certaines faces de son caractère. On aurait
peut-être peine à bien apprécier, sans cela, ce respect pour le souverain,
cette fidélité au monarque, qui se révèle dans toute sa vie, dans toutes
ses actions, dans ses opinions mêmes, et qui servait de devise à ses
armoiries : semper fîdelis.
C'est précisément par cette idée qu'il débute en écrivant les Souvenirs
que l'on a retrouvés, à sa mort, parmi les papiers légués à l'Académie,
et qui devaient évidemment faire partie du chapitre \" de ses Mémoires '.
« Des objets de deuil, dit-il, furent pour ainsi dire les premiers qui
frappèrent mes yeux. L'impératrice JMarie-Thérèse , après quarante années
d'un règne glorieux, mourut le 29 novembre de la même année (1780).
La douleur fut universelle; l'amour, en ce temps déjà si loin de nous,
ennoblissait encore la dépendance; le monarque était considéré comme
le père de la grande famille, et les peuples se montraient reconnaissants
des soins qu'on donnait au maintien de l'ordre, à l'accroissement de la
prospérité publique. »
Je ne puis trop insister, dès l'abord, sur ces tendances, en quelque
sorte traditionnelles, qui peuvent être un anachronisme, une anomalie
dans notre siècle, mais qui font apparaître sous un jour nouveau des
faits en apparence inexplicables dans la conduite et dans la constante
manière de voir du baron de Stassart.
Combien ne devons-nous pas regretter que les Mémoires dont je viens de
citer un fragment n'aient pu être achevés d'après le plan qui nous en a
été transmis ! Le simple sommaire du premier chapitre semble nous initier
déjà, par l'imagination, à cette vie intime de la première jeunesse, dont
' Voy. Y Appendice à la notice de M. Qiietelet.
SUR LE BARON DE STASSART. 7
l'influence est si décisive sur toute la carrière que l'homme parcourt dans
la suite. Voici ce sommaire :
« 1780-1802. — Mes pi^emières années; la Belgique telle qu'elle était
sous le gouvernement autrichien. Émigration à l'approche des armées
républicaines en 1794. Dusseldorf, la Westphalie, retour dans nos foyers.
Mes études au collège de Namur, ensuite chez moi; publication de mes
premiers ouvrages. Je vais chercher mon père à Francfort, après le IV bru-
maire. Mort de mon grand-père; séjour à la campagne. Je pars pour Paris. »
Le jeune de Stassart alla donc, en 1802, terminer ses études à l'uni-
versité de jurisprudence de Paris , où ses succès ne tardèrent pas à appeler
sur lui l'attention du gouvernement. Le 5 août 1804', il fut nommé, par
décret impérial, auditeur près le Conseil d'État, et, vers la fin de l'année
suivante, à l'âge de 25 ans à peine, il partait pour Inspruck comme inten-
dant du Tyrol et du Vorarlberg.
Une activité extraordinaire , jointe à une prudence et à une modération
fort rares dans l'extrême jeunesse, lui firent confier successivement plu-
sieurs missions aussi importantes que délicates. Partout son esprit conci-
liant et sa probité sévère lui attirèrent, dans les circonstances les plus
difficiles, la bienveillance de l'empereur et de ses ministres, autant que
l'amour et l'estime des populations vaincues. Intendant de l'armée et des
pays conquis à Varsovie , sous les ordres du comte Daru, en décembre
1806; intendant d'Elbing et de la vieille Prusse, en février 1807; peu de
temps après, intendant de la Prusse orientale jusqu'à Tilsitt; puis de la
Prusse occidentale à Marienwerder et à Marienbourg; puis, enfin, de la
moyenne Marche à Berlin, au mois de mai 1808, sa conduite ne se
démentit pas un seul instant.
A son départ d'Elbing, la régence de cette ville avait manifesté l'in-
tention de lui offrir un présent considérable : il déclara qu'il n'acceptait
que des lettres de bourgeoisie K A Kœnigsberg, oîi il avait obtenu qu'une
contribution de huit millions imposée à la ville fût supportée par toute
la province, des députés vinrent l'en remercier, et voulurent lui faire
1 Manuscrits cités par M. Quelelet, Notice, p. 12.
8 NOTICE
accepter dix mille ducals, en témoignage de reconnaissance : « Voudriez-
vous, 3Iessieurs, s'écria-t-il, me faire rougir d'un acte de justice? » A
Berlin, au contraire, il mit fin, avec une remarquable énergie et une
grande habileté, à la disette factice qui désolait cette capitale, et toutes
les mesures administratives qu'il prit durant ces diverses intendances
furent, en général, considérées comme excellentes ^
Nommé sous-préfet d'Orange, et, bientôt après, en 1810, préfet de
Vaucluse, le baron de Stassart se rendit l'idole de ses administrés par sa
douceur, sa bienveillance, son esprit de conciliation, autant que par son
zèle infatigable, par la protection éclairée qu'il accorda aux arts et aux
lettres, et par les améliorations de tout genre qu'il parvint à réaliser.
Assurément cette tâche était plus facile que toutes celles dont on l'avait
chargé jusqu'alors. La résidence était charmante aussi, sous le rapport
des sites pittoresques et des monuments de l'art, et la vive imagination
d'un jeune poète devait y trouver bien des éléments d'inspiration. C'est
encore à cette époque que le baron de Stassart conclut avec M"'' Caroline
du Mas de Peysac, un hymen qui mit le comble à ses vœux, et lui assura
une félicité douce et durable; en un mot, tout sembla se réunir pour
faire de ces deux années les plus belles de sa vie.
Mais les circonstances ne font pas tout l'homme, et c'est au caractère
même du baron de Stassart qu'il faut attribuer l'affection profonde que
lui vouèrent les habitants d'Orange et de Vaucluse; c'est à son dévoue-
ment, à la sagesse de ses mesures, à son influence toute personnelle, qu'ils
furent redevables de la prospérité dont ils jouirent ensuite pendant tant
d'années.
Une simple nomenclature des actes du baron de Stassart, pendant sa
préfecture, pourra donner une idée de l'étonnante activité dont il était
capable, lorsque ses fonctions lui donnaient le pouvoir de répandre les
bienfaits. Pour les améliorations matérielles ou administratives, on lui
dut la réorganisation des écoles primaires, l'amélioration des hospices et
des bureaux de bienfaisance, l'extinction delà mendicité, la propagation
' Voy. en général la notice placée en têle des OEuvres diverses.
SUR LE BARON DE STASSART. 9
de la vaccine, et les encouragements efficaces à la culture du coton et du
mûrier. Pour les lettres et les beaux-arts, on lui dut le monument, élevé
par ses soins et à ses frais, à la mémoire du vertueux évêque Dutillet, un
prix fondé pour l'éloge de Pétrarque à l'athénée de Vaucluse, l'érection
d'une société d'agriculture, de lettres et de beaux-arts, la fondation de la
bibliothèque publique d'Orange, à laquelle il fit le premier un don de
1186 ouvrages, la restauration de l'arc de triomphe d'Orange, le cours
qui conduit aux eaux de Vacqueyras et la charmante promenade à laquelle
l'acclamation publique a donné le nom de de Stassart. Enfin, il prodigua
des secours nombreux aux malheureux ruinés par la déastreuse inonda-
tion du Rhône, en 1810, concilia les catholiques et les protestants alors en
lutte ouverte dans tout le midi de la France, et ramena au devoir, par la
seule persuasion, de nombreux rassemblements de conscrits réfractaires
cantonnés dans les communes voisines du Mont- Venteux *.
Faut-il s'étonner, après tout cela, de l'enthousiasme que les popula-
tions de ces localités ressentirent pour leur jeune préfet? enthousiasme
qui subsista aussi vivace pendant plus de trente années, qui se transmit
même à la génération suivante, et dont le baron de Stassart recueillit
encore les témoignages en 1840, alors que, se rendant à Turin en qualité
de ministre plénipotentiaire du roi des Belges, il voulut revoir la contrée
oîi il avait été si heureux 2.
Faut-il s'étonner de voir cet enthousiasme se manifester de toutes les
façons, en 1810 et 1811, par des chants, des poésies, des fêtes en l'hon-
neur du préfet? Mais ce n'est pas dans les hommages officiels que j'irai
chercher la preuve de ses vertus et dé son mérite. Voici un fragment d'une
lettre écrite d'Orange, le 10 janvier 1810 ^, par M. Augier, le père du
charmant auteur de Gabrielle et de la Ciguë :
« Jusqu'à présent, Orange n'avait été renommée que par un
cirque et un arc de triomphe, restes majestueux de la magnificence
romaine. Maintenant, mon ami, elle possède un trésor infiniment plus
* Voy. ['Almanach de L'arrondissement d'Orange, pour 1810, 1 vol. in-8°.
- V'oy. ses touclianles paroles à ce sujet, OEuvres, p. 1039.
5 Insérée dans \ Almanach d'Orange.
Tome XXVIII. 2
10 ÎSOTICE
rare et plus précieux que ces antiques monuments. C'est un sous-préfet
qui joint aux talents les plus brillants les qualités les plus respectables.
Savant modeste, magistrat généreux, il a souvent donné des preuves d'un
désintéressement vraiment héroïque. Encore dans l'âge des passions, il
n'en a d'autres que celle de faire le bonheur de tous ceux qui l'envi-
ronnent. Accoutumé aux douceurs de la vie, il ne craint pas d'aller dans
l'humble cabane du pauvre, porter des consolations et des secours. Pro-
tecteur des lettres, qu'il cultive lui-même avec beaucoup de succès, il en-
courage les jeunes talents par des éloges ou par de ilatteuses récompenses;
il va chercher le savant dans l'obscurité de son cabinet, et préfère sa
société à celle des cercles les plus brillants. Sa politesse égale ses autres
qualités
» Je te laisse à penser combien un pareil homme doit être cher à tous
ses administrés. Il n'y a qu'une voix sur son compte, et l'on ne peut
parler de lui sans que le langage de la vérité ne ressemble à celui de la
flatterie.
» Un si beau sujet n'a pas manqué d'être célébré mille fois en vers
et en prose. Voici ma quote-part du tribut univei'sel que l'admiration a
arraché aux muses vauclusiennes :
c/2i dans un homme seul on peignait réunies
Houles les qualités de l'esprit et du cœur,
>-de rares talents, des vertus infinies,
c/5cience, aménité, bienfaisance, douceur;
c«i l'on disait qu'il est ami sûr et bon maître :
>ce portrait flatteur et point du tout flatté,
33endu sans coloris, mais avec vérité,
Hoi seul pourrais, Slassart, ne pas te reconnaître. »
Ces vers seraient sans doute désavoués aujourd'hui par le fils de l'auteur,
mais on conçoit que, si je les cite ici , ce n'est point pour la beauté de la
poésie.
Je me suis un peu étendu sur cette époque de la vie du baron de Slas-
sart, parce que lui-même se la rappelait avec bonheur, avec attendrisse-
ment, et que l'on peut y voir, sous son véritable jour, le caractère de
SUR LE BARON DE SÏASSART. 11
l'homme public dont j'ai entrepris d'esquisser l'éloge, il importe aussi de
ne point perdre de vue ce brillant épisode de sa carrière administrative,
pour juger avec impartialité la conduite et les actes du baron de Stassart
pendant sa résidence en Hollande.
Autant sa préfecture de Vaucluse avait été agréable et douce, le séjour
enchanteur et favorable à ses goûts, la population sympathique et bien-
veillante, autant sa préfecture des Bouches-de-la-Meuse lui offrit d'em-
barras, de difficultés, d'obstacles, presque insurmontables et sans cesse
renaissants, à toutes ses mesures, à toutes ses intentions même les plus
louables. C'est qu'il avait affaire à un peuple indépendant par nature et
par habitude, à un peuple où la démocratie avait eu le temps de pousser
de profondes et fortes racines, à un peuple hostile depuis des siècles au
joug de l'étranger, et impatient de révéler, à la première occasion favo-
rable, son indomptable instinct de patriotisme.
En vain le nouveau préfet essaya-t-il d'allier son aménité, sa modération
naturelle à la sévérité qu'exigeaient les circonstances; en vain mit-il en
œuvre ce zèle et ce dévouement, ces moyens de persuasion et cette magna-
nimité qui lui avaient si bien servi jusqu'alors : les Hollandais ne virent
jamais en lui qu'un principe, et un principe fatal à leur indépendance, à
leur prospérité.
On a reproché à l'administration du baron de Stassart, en Hollande,
de la dureté, de l'obstination, de la passion même : on n'a point fait la
part de la position spéciale dans laquelle il se trouvait, on ne s'est pas
souvenu surtout de ce respect du devoir, de cette fidélité au souverain
qu'il observa pendant toute sa vie, qu'il avait héritée de ses ancêtres,
et qui fait le fond de son caractère. Entraîné d'ailleurs par l'influence
magnétique du grand empereur, enivré de sa gloire, ébloui de son
prestige, saisi tout à la fois par le cœur et par l'imagination, le jeune
magistrat avait voué à son maître une admiration sincère, enthousiaste,
presque exclusive : il avait peine à concevoir, à cette époque du moins,
le sentiment tout populaire de la résistance chez des nationalités oppri-
mées.
Les discours prononcés à la Haye par le baron de Stassart, et dont
i2 NOTICE
M. Polain a fait hommage à l'Académie \ sont surtout curieux par cette
tendance qui s'y manifeste à chaque phrase, à chaque mot, pour ainsi
dire, et peuvent servir à expliquer une conduite, en apparence condam-
nable, ou du moins en dehors de toutes nos idées actuelles.
c< Soldats, — s'écrie le préfet des Bouches -de-la -Meuse, le lo août
1812, en s'adressant à la compagnie de réserve en garnison à la Haye,
— soldats, que ce jour, où l'airain, devenu l'interprète de notre amour
et de notre reconnaissance, proclame la fête de NAPOLÉON LE GRAND,
est cher à tous les peuples qui composent la nation française! Je l'ai choisi
ce jour mémorable, pour vous donner un témoignage éclatant de ma
confiance; je l'ai choisi pour vous remettre ce drapeau que vous saurez
défendre, s'il en est besoin, au prix même de votre sang. Vous allez voir
flotter, au milieu de vous, ces trois couleurs qui, depuis vingt ans, font
l'étonnement et l'admiration de l'Europe. Pialliés sous ces nobles enseignes,
puissiez-vous bientôt participer à la gloire de combattre et de vaincre les
ennemis de votre patrie! Que ne vous est-il permis de suivre nos aigles
victorieuses dans les champs de la Pologne et de la Russie! Mais le devoir
vous enchaîne ici »
De tels discours n'étaient pas de nature sans doute à lui attirer les
sympathies des Hollandais; mais le baron de Stassart, en prononçant ces
paroles, faisait ce qu'il pensait être son devoir, et jamais, à aucune époque
de sa longue carrière, il n'hésita un instant sur ce point, même au risque
de perdre sa popularité.
Quelques écrivains ont cherché à réhabiliter, à leur point de vue, le
préfet des Bouches-de-la-Meuse. M. le chevalier Pascal-Lacroix, entre
autres , a prétendu , dans sa Notice, que le baron de Stassart avait accordé
aux négociants hollandais des faveurs contraires au système continental.
Cette sorte d'excuse a été repoussée avec énergie par le baron de Stassart
lui-même, dans une note écrite sur un exemplaire de la Notice : « C'eût
été, ajoute-t-il, m'écarter de mes devoirs ^. »
Le devoir, en efi'et, voilà toute sa règle de conduite, voilà son excuse
' Notice (lo M. Qiietelet, p. 15, ;i la note.
'^ Idem., p. 16, à la note 1".
SUR LE BARON DE STASSART. d5
et sa justification, si tant est qu'il lui faille une justification ou une excuse.
Cependant, les difficultés se multipliaient de plus en plus, à mesure
qu'approchait le moment de la crise. Après avoir réussi à dompter plu-
sieurs émeutes, au commencement de l'année 1815, dans l'île d'Oud-
Beyerland, à la Haye et à Leyde, le baron de Stassart fut enfin contraint
de quitter son poste le 17 novembre, à la suite du prince Lebrun, gouver-
neur général, qui avait évacué Amsterdam dans la nuit du 15 au 16.
En 181 i, nous retrouvons un instant le baron de Stassart au siège de
Paris, faisant les fonctions d'officier supérieur d'ordonnance auprès du
roi Joseph. Il refuse la préfecture de l'Indre, que lui ofl'rait le prince
Lebrun, et, l'abdication de Fontainebleau ayant été prononcée, il se retire
en Allemagne chez quelques membres de sa famille. Les Cent-Jours le
ramènent en France, le 25 mars 1815, et le 16 avril l'empereur le charge
d'une mission de confiance à Vienne, avec des pleins pouvoirs pour négo-
cier le maintien du traité de Paris. N'ayant pu aller plus loin que Lintz,
il trouva cependant moyen d'expédier à l'empereur d'Autriche les pièces
dont il était porteur, en les accompagnant d'un rapport écrit à la hâte,
sur une table d'auberge, dans la petite ville de Velz. Voici le commence-
ment de ce rapport, remarquable à plus d'un titre ^
« A Sa Majesté Cempereur d'Autriche.
» Sire,
» J'ai trois maîtres que j'espère servir également bien..., l'honneur
d'abord, le prince qui a reçu mes premiers serments (l'empereur Napo-
léon), et Votre Majesté, qui daigna m'accorder sa clef de chambellan
comme un témoignage de bienveillance, pour la conduite que j'ai tenue,
en 1806, dans le Tyrol, où je remplissais les fonctions d'intendant, ainsi
qu'en mémoire des services rendus par mes ancêtres à l'auguste maison
d'Autriche, pendant plus de trois siècles. »
Le plénipotentiaire expliquait ensuite à l'empereur, d'une façon tout
' Vov aux Causeries tiiléraires, OEiivres, p. 1073. "
14 NOTICE
à la fois ferme et persuasive, la nécessité de maintenir la paix; il faisait
un tableau brillant de la force et de la grandeur de la France, et parlait
(le l'union formidable que la nouvelle constitution venait de cimenter
entre le souverain et le peuple. « Je ne dois pas vous laisser ignorer,
Sire, ajoutait-il énergiquement, que l'absence forcée de Sa Majesté l'im-
pératrice Marie-Louise, celle du prince impérial et le renvoi des courriers
français exaltent toutes les imaginations, toutes les têtes; » et il terminait
son rapport par celte parole pleine de dignité : « Je serais au désespoir
d'être obligé de remettre à Votre Majesté ma clef de chambellan. »
Cette négociation, comme on sait, resta sans issue. Le baron de Stas-
sart, à son retour à Paris, fut nommé maître des requêtes en service
extraordinaire, et avait même été désigné pour être commissaire général
de la Belgique, lorsque arriva le désastre de Waterloo.
Rentré alors dans la vie privée, retiré à son château de Corioule, le
baron de Stassart prit part au mouvement littéraire qui signale à cette
époque une véritable renaissance dans les provinces belgiques. Mais,
compris dès 1815, dans l'organisation du corps équestre de la province
de Namur, il fut élu, en 1818, membre des états provinciaux, et, en
1821, membre de la seconde chambre des états généraux, où plusieurs
élections successives le maintinrent jusqu'en 1850.
Nous entrons ici dans la période peut-être la plus importante de la vie
publique du baron de Stassart, celle qui est la plus digne d'exciter nos
sympathies, à nous Belges, et qui a fait du nom de Stassart un des plus
populaires dans notre pays.
Sans doute qu'il y avait dans cette opposition, dans cette résistance
ouverte au gouvernement hollandais, quelques souvenirs, quelques regrets
même du temps où la Belgique était réunie à la France. L'empereur
Napoléon paraissait au baron de Stassart un souverain plus légitime que
le roi Guillaume, et l'alliance avec la France plus avantageuse que la
réunion à la Hollande. Mais à cette époque, il importe de le remarquer,
ne se sentant lié aux Bourbons ni par devoir ni par reconnaissance, il
manifesta en toute occasion un sincère et véritable patriotisme.
Les discours qu'il prononça aux états généraux pendant neuf sessions
SUR LE BARON DE STASSART. i5
consécutives, eurent, la plupart, un immense retentissement, et l'on peut
dire que les idées les plus généreuses, les plus élevées s'y trouvent déve-
loppées avec la sagesse et la fermeté que j'ai déjà signalées plus d'une fois
dans la conduite de l'intendant et du préfet de l'empire.
Ces idées, presque toujours en opposition avec celles du gouverne-
ment, n'étaient cependant pas toujours celles d'un parti dont il eût accepté
le mot d'ordre et qui l'eût entraîné à quelque opinion exclusive.
« La province de Namur, dit-il*, m'avait élu membre de la seconde
chambre des états généraux, en 182L J'y défendis les intérêts de mon
pays avec le zèle et la conscience de l'homme d'honneur, mais sans
m'écarter toutefois des règles de la modération. Je combattis toutes les
doctrines exagérées, de quelque part qu'elles vinssent.... » — C'est l'un
des traits les plus saillants du caractère du baron de Stassart.
Ainsi, la liberté illimitée du commerce lui semble une chose utile et
juste, mais il ne l'admet qu'en principe, et exige pour l'application une
rigoureuse réciprocité -. Ainsi les droits de timbre et d'enregistrement lui
sont odieux, mais il se garde d'en demander la suppression complète, et
ne veut dans la perception de ces droits qu'une certaine mesure '. Ainsi il
s'oppose avec force à ce que l'on rende des privilèges quelconques à la
noblesse, mais il ne voit aucun inconvénient aux majorats « qui lui
donnent, dit-il , celte indépendance héréditaire, par laquelle elle est le
soutien d'une sage liberté*. » Ainsi encore il se prononce contre toute
centralisation absorbante, mais en considérant « comme souverainement
impolilique cette continuelle tendance à détacher du point central les
différentes parties du royaume, pour y créer des intérêts divergents, pour
les transformer en autant de petites républiques régies par des règlements
disparates et soumises à la plus incroyable bigarrure dans la perception
des impôts ■'. »
* Coup d'œil rétrospectif, en lête des Discours, OEuvres, p. ul-4.
"^ Sur le tarif des douanes. OEuvres, pp. 353 et 608.
■> OEuvres, pp. 363 et 368.
'' Discussion du nouveau Code civil. OliuvRES, p. 528.
'' Budget de 1824; OEuvres, p. 362.
l«i NOTICE
Mais, dans une foule de questions où la justice, riiuinanité, le bien-
ê trematériel ou la prospérité de la nation étaient enjeu, nous voyons le
haron de Stassart oublier cette naodération même qui semble le fond de
son caractère, et, s'abandonnant à ses généreux instincts, défendre avec
vivacité la cause la plus noble.
Il ne cesse de réclamer des lois qui favorisent l'industrie agricole et
qui la débarrassent des entraves que le pouvoir lui impose ^ Il demande
la liberté de la chasse pour chaque propriétaire, et obtient rabrogalioii
d'un arrêté qui affermait la chasse au profit des communes ^. Il veut que
les enfants trouvés soient à la charge de l'État ^. Dans la discussion du
nouveau code civil, il se prononce pour le testament olographe qui repré-
sente la liberté absolue en fait de testaments, et pour le maintien du
divorce, contrairement à certains scrupules religieux *. Il réclame la
liberté des langues et le rétablissement du jury ^. Quant aux impôts, il
admet l'impôt sur le vin, sur les boissons distillées à l'étranger 6, mais il
s'élève avec force contre les impôts si impopulaires prélevés sur le sel,
sur la bière, sur la moulure des grains et sur l'abatage '.
Parfois ces discours témoignent d'une éloquence peu commune, que
l'orateur puisait dans un sentiment naturel d'équité ou de noble indigna-
lion. C'est ainsi que ses paroles sur le trafic de la traite des nègres ^ ont été
citées comme modèle par M. Dupin , dans ses Notions élémentaires sur la
justice, le droit et les lois.
A mesure, surtout, que les circonstances devenaient plus critiques, à
mesure que le sentiment public se prononçait avec plus de force contre
les abus du régime hollandais, et que, par suite, la résistance des gou-
vernants devenait plus vexatoire, plus obstinée et plus tyrannique, les
discours du député de Namur prennent une chaleur extraordinaire, une
énergie entraînante; ce sont des satires, des pamphlets, des philippiques
' Discours aux étals généraux, passim.
■^ OEuvBES, p. SI7. I 5 M., pp. S62 et o7o. | * Id.. pp. 5-23 et 528.
'■ Id., pp. 553 et 536. i « Jd., pp. 540, 543 et 551.
■^ Id.. pp. 541, 542, 545, 549, 550, 556, 613, etc.
* Séance du 18 décembre 1824. OEuvres, p. 577.
SUR LE BARON DE STASSART. 17
tantôt piquantes, tantôt terribles. La discussion des budgets, les innom-
brables pétitions apportées chaque jour aux états généraux, les rapports
sur les projets de loi \ tout lui sert d'occasion ou de prétexte pour com-
battre un gouvernement désormais odieux au peuple belge.
Je ne puis résister au désir de citer ici l'exorde d'un admirable dis-
cours prononcé le 24 avril 1829, et dans lequel, d'une façon à la fois
adroite et ferme, ironique et vigoureuse, il résume les principaux griefs
pour le redressement desquels on ne cessait de pétitionner. Ce discours
était prononcé en faveur du projet de loi relatif à la presse ^.
« On ose imprimer que c'est une maladresse aux gouvernants de donner
l'exemple du mépris pour une charte qui seule constitue leurs droits et
leur sert de sauvegarde; on ose imprimer qu'il est temps de mettre en pra-
tique, avec toutes les conséquences qu'ils entraînent, les principes con-
sacrés par la loi fondamentale, et que la théorie ne suffit point; on ose
IMPRIMER que l'éducation constitutionnelle des Belges faisant chaque jour
d'immenses progrès , on ne parviendra plus à les mettre en état de guerre
intestine pour des opinions divergentes sur des matières abstraites et
délicates, qui tiennent à l'asile inviolable de la conscience, et qui ne
doivent pas, d'ailleurs, les empêcher de s'entendre quand il est question
de remplir un devoir patriotique; on ose imprimer que les états provinciaux
ne sont pas un rouage inutile dans notre édifice social, qu'ils ont des
attributions déterminées , qti'ils peuvent appuijer tes intérêts de leurs provinces
et de leurs administrés près du roi et des états généraux, et que le ministère,
pour peu qu'il se pique de prudence , se gardera bien de porter atteinte
désormais à leurs prérogatives; ON ose imprimer qu'il est non moins injuste
qu'impolitique de créer, en quelque sorte, dans un même État, deux par-
ties distinctes , d'avoir des cantons privilégiés , de favoriser telle ou telle
formule religieuse , et de faciliter à tel ou tel accent particulier l'accès aux
emplois, de manière que la désinence septentrionale prévale dans les noms
' Voy. surtout : Sur les changements proposés à la législation sur la presse, OEuvbes, p. 607.
Sur la loi relative aux délits séditieux, Id, p. 61 I . Sur les pétitions pour le redressement des griefs ,
pp. 620 et stiiv. Sur la liberté de la presse, pp. 629, 655, 654, 640, 646.
2 OEUVRES , p. 626.
Tome XXVIIl. 5
18 NOTICE
dont se compose la longue pancarte de nos généraux ; et qu'elle se repro-
duise dix -sept fois sur vingt et un dans la liste de nos agents diploma-
tiques, ou six fois sur sept au tableau de nos ministres, afin, sans doute,
que le midi n'ait pas trop à se plaindre des méridionaux, si la marche des
affaires n'est pas meilleure; on ose imprimer que la réunion de deux pays
sous le même sceptre, sans que l'un ait subi le joug militaire de l'autre,
exige une égalité parfaite dans la distribution des faveurs et des charges,
et que, si, dès le principe, on s'est écarté de cette règle, nonobstant les
obligations imposées par le traité de Londres, ce n'est pas un motif pour
s'obstiner à suivre une route dont le terme serait un affreux précipice:
ON OSE IMPRIMER qu'il faut laisser à chacun le libre usage de la langue qui
lui convient le mieux pour la stipulation de ses intérêts privés, et qu'une
politique sage, élevée, prévoyante, se serait empressée de rétablir ces
légions wallonnes où, sous la république des Provinces-Unies, le com-
mandement se faisait en français, mesure propre à doubler l'enthousiasme
du patriotisme, au jour du danger, par une noble et généreuse émulation
entre les habitants des diverses contrées ; on ose imprimer que le dogme
de l'infaillibilité ministérielle est tellement absurde, qu'il est difficile de
croire à la bonne foi de ses zélés sectateurs; on ajoute que les ministres
sont tenus pour responsables chez nous, parce qu'ainsi le veulent lout
à la fois notre régime représentatif, la saine raison, le respect et la sûreté
du trône; on ose imprimer que, si, dans ses écoles (qu'il fera bien de rendre
les sièges d'études solides, profondes et dirigées par des professeurs imbus
de nos souvenirs nationaux), le gouvernement éloigne avec soin tout ce
qui pourrait effaroucher une secte ou l'autre, il regardera néanmoins
comme un devoir de laisser toute liberté de doctrine et de méthode aux
établissements particuliers; on ose imprimer que moins la liberté de la
presse aura d'entraves, et moins ses abus deviendront redoutables; on ose
imprimer que la charge des impôts est accablante, que des économies sont
indispensables et qu'il ne serait pas impossible de retrancher six ou sept
millions du budget de nos dépenses ; enfin l'on ose imprimer l'apologie des
demandes en redressement de griefs , et même les considérer comme des
témoignages de confiance pour un prince qu'il suffira d'éclairer sur la
SUR LE BARON DE STASSART. 49
fausse direction donnée aux affaires par ses minisires, pour le voir ra-
mener tout à l'ordre légal. — C'est une horreur! C'est un scandale inouï !
La licence de la presse est à son comble!.... N'est-ce pas ainsi que rai-
sonnent certaines excellences?.... La liberté de la presse n'est à leurs yeux
que la liberté de dire ce qui flatte le pouvoir; la vérité les irrite; on ne
pardonne pas à nos jeunes publicistes cette espèce de fièvre du bien public
que leur reprochait un homme d'esprit de ma connaissance, tout en re-
grettant que ce ne fût pas une maladie plus contagieuse; nos hommes
d'État, furieux de ne pouvoir plus exploiter au profit de leur inepte des-
potisme une législation usée et flétrie, voudraient la rajeunir sous une
forme nouvelle. »
Tout fut inutile cependant. L'esprit public, si hautement manifesté par
la bouche des hommes les plus éminents de la nation, ne fut pas un
instant écouté du roi et des ministres qu'un aveugle entêtement précipi-
tait à leur ruine. En ce moment suprême, les luttes de partis vinrent à
cesser spontanément; on avait senti le besoin de se réunir contre l'en-
nemi commun. « De là, dit le baron de Slassart lui-même ^ cette union
formidable des catholiques et des libéraux. Elle fit éclater, en septembre
1850, une révolution qui , malgré tous les obstacles qu'elle eut à vaincre,
produisit l'indépendance de la Belgique. Ce qui venait de se passer à
Paris, au mois de juillet, avait précipité ce mouvement auquel la mala-
dresse et la tergiversation du gouvernement hollandais donnèrent bientôt
des proportions gigantesques. »
Le baron de Stassart, comme il arrive toujours dans ces moments de
crise et de passion, avait été plus loin qu'il ne l'avait voulu, plus loin
même qu'il ne le pensait. Il avait désiré des réformes, mais non une révo-
lution, et la révolution était déjà dans tous les esprits, elle était, en
quelque sorte, accomplie, qu'il rêvait encore des moyens de concilia-
tion ^. Aussi n'hésita-t-il pas à remplir la mission dont les notables de
Namur le chargèrent au commencement de septembre 1850, et qui con-
' Coup d'œil rélrosptctif, OEuvres, p. 514.
' Voiries deux lettres trouvées dans les papiers du défunt, et publiées par M. Queteîet, à la suite
de sa Notice.
20 INOTICE
sistail à porter à la Haye, conjointement avec MM. Zoude, Brabanl, de
Bruges de Branclion et le comte de Quarré, une adresse au roi des Pays-
Bas. Mais celte tentative, rendue vaine par l'obstination du monarque,
faillit même devenir fatale au baron de Stassart, en qui le peuple reconnut
l'ancien préfet des Bouches-de-la-Meuse. Le courage personnel ne lui
manqua pas en cette circonstance, et il ne craignit point de se désigner
lui-même à l'émeute pour éloigner le danger de la tête de ses collègues '.
Au retour de cette périlleuse mission, le baron de Stassart fut reçu par
les Namurois avec tous les témoignages du plus vif enthousiasme. Cette
popularité qu'il avait perdue en Hollande, pour avoir suivi ses devoirs
trop scrupuleusement, il la retrouvait heureusement chez ses compatriotes,
et précisément par les mêmes motifs.
Malgré tous les dangers qui l'avaient menacé et qu'il pouvait craindre
encore, le baron de Stassart ne laissa pas de retourner en Hollande,
quelques jours après, pour assister à l'ouverture des états généraux.
Mais le discours du trône était conçu de manière à ne plus lui permettre
le moindre espoir, et, sur le point d'être arrêté, même en Belgique, il fut
contraint de chercher un asile à Givet.
A peine la révolution de septembre eut-elle éclaté, que le baron de
Stassart fut appelé à la présidence du comité de l'intérieur. Cette révolu-
tion, qu'il avait, sinon prévue, au moins préparée, devait avoir toutes ses
sympathies ^; mais, ami de l'ordre et de la modération, il eut peine à se
faire au tumulte et à la confusion inséparable de toute commotion popu-
laire. 11 préféra le gouvernement de la province de Namur au poste impor-
tant qui lui avait été confié, et qu'il ne conserva que huit jours, du
l*^'" au 8 octobre. S'appliquant à faire renaître la sécurité, la confiance,
la prospérité dans sa province, calmant les haines, prévenant les réac-
tions, et donnant lui-même l'exemple d'un oubli complet des anciennes
animosités ^, il reprit peu à peu les habitudes de bienveillance, de zèle et
' Voir le rapport de la commission d'adresse, inséré le 8 septembre 1830 dans le Courrier de
la Samhre.
- Voir la' proclamation adressée aux habitants de Namur. OEuvnES, p. "80, à la note.
5 Voir les manuscrits cités par M. Queteict aux pages 50 et 31 de sa Notice.
SUR LE BARON DE STASSART. 21
de dévouement qu'il semblait avoir contractées dans sa préfecture de \ au-
cluse, et qui n'étaient que les tendances naturelles à son caractère. 11 s'y
trouva même si heureux, qu'il refusa un instant de quitter ses administrés
pour aller siéger au congrès national '. Son élection, faite à une immense
majorité, le força pour ainsi dire à accepter ces éminentes fonctions;
mais, dès le 12 février 1851, il donna sa démission de membre du congrès.
Pendant ces trois mois, les discussions les plus importantes qui furent
agitées au sein du congrès, et auxquelles le baron de Stassart prit une pari
active, eurent pour objet la forme du gouvernement ta plus convenable ù ht
Belgique et le choix du chef de l'État.
Le parti que le baron de Stassart avait à prendre dans la première de
ces discussions ne pouvait être douteux, eu égard à ses sentiments, à ses
influences de famille, aux préoccupations de toute sa vie. Le discours qu'il
prononça, le 19 novembre 1830 ^, est néanmoins un chef-d'œuvre de
modération et d'impaitialité pour les différents partis. Cherchant à mettre
d'accord l'instinct de liberté qui venait de se faire jour en Belgique d'une
manière si éclatante, et le besoin d'ordre, de gouvernement stable et régu-
lier, il se prononce pour la monarchie constitutionnelle représentative,
rigoureusement limitée, mais héréditaire.
« Des institutions vraiment libérales, dit-il en terminant, des institu-
tions presque républicaines, si l'on veut, mais sous un chef héréditaire
qui nous en garantit la durée, voilà ce qui doit nous servir de point de
ralliement et prouver à l'Europe que, si nous avons su conquérir notre
indépendance , nous saurons aussi la conserver. »
Lorsqu'il s'agit, au congrès, de choisir le chef de l'Etat, les vues du
baron de Stassart se portèrent naturellement vers un prince français qui,
tout en assurant la prospérité de Bruxelles, pût amener une quasi-réu-
nion à la France, Mais dès qu'il lui fut démontré que le roi Louis-Philippe
craindrait de ratifier une pareille élection, il proposa la candidature du
duc de Leuchtenberg, fds d'Eugène Beauharnais. On peut voir, par cette
proposition, combien étaient encore vivaces dans le cœur du baron de
' Lettre au Courrier de la Sambre, insérée en note à la page 652 des OEuvres diverses.
2 OEUVRES, p. 653.
22 NOTICE
Slassart, l'admiration et la reconnaissance qu'il avait ressenties pour la
famille de l'empereur. Il ne dissimulait point, du reste, que la combi-
naison en faveur du duc de Leuchtenberg n'était, dans sa pensée, qu'un
acheminement à la réunion intime de la Belgique avec la France *. Et qui
pourrait lui en faire un crime, alors que ce fut le duc de Nemours lui-
même, fils du roi des Français, qui, dans la séance du 5 février, obtint la
majorité des suffrages ^.
Le duc de Leuchtenberg, bien qu'à peine âgé de vingt ans, était doué
de toutes les qualités propres à gagner les cœurs, à gagner l'estime et la
confiance des hommes les plus austères.
Il avait lui-même et naturellement cette affabilité, cette modération et
cet esprit élevé qui distinguaient à un si haut degré le baron de Slassart.
La lettre écrite par le duc à M. de Bassano, le 12 janvier 1851 ^, est aussi
digne que touchante, et avait dû lui créer bien des partisans. 11 semble
impossible, à part toute autre considération, que le baron de Stassart
n'ait pas été entraîné vers ce jeune prince par une sympathie en quelque
sorte instinctive.
Élu sénateur par la province de Namur, dès l'organisation du sénat,
en 1851, le baron de Stassart fut appelé à l'honneur de la présidence
pendant sept années consécutives. Il lui appartenait, pour ainsi dire,
d'être à la tête de ce pouvoir modérateur par excellence, destiné à con-
tre-balancer, par sa prudence et sa sagesse, les tendances plus vives de
la première chambre.
Cette partie de sa carrière, peut-être moins brillante, ne laissa pas de
mettre en x^elief ses grandes qualités, et l'on a remarqué avec raison
qu'il ne manqua jamais, en aucune circonstance, de défendre les intérêts
des sciences, des lettres et des arts *. Plusieurs des questions que les
anciens états généraux avaient déjà débattues, lui fournirent aussi l'oc-
' Voy. la lettre du baron de Stassart au duc de Rassano. (Huyttens, t. II, \>. 400.)
- 97 voix sur 192 votants. Le duc de Leuchtenberg en obtint 74, et l'arcliiduc Charles d'Au-
triche 21.
* OEuvuEs, p. 6S8, en note.
■* Voir la Notice de M. Quetelel, p. 32, à la note.
SUR LE BARON DE STASSART. 23
casion de se révéler d'une manière éclatante. Je ne puis oublier de men-
tionner à ce propos ses discussions avec le ministre, M. le comte de
Theux, en 1859.
La position du baron de Stassart à l'égard du ministère venait de se
compliquer de difficultés toutes nouvelles. Grand maître de la maçon-
nerie nationale, il se trouvait, par l'encyclique épiscopale de 1837, et
pour ainsi dire malgré lui, hostile au clergé; gouverneur de la province
de Brabanl depuis le mois de septembre 1854, il contrecarrait, par ses
idées administratives, la marche que le ministère avait adoptée. Son in-
fluence officielle dut en souffrir, et la session de 1858 le vit éloigner de la
présidence du sénat; mais sa popularité n'en fit que grandir encore, et trois
arrondissements électoraux, Namur, Nivelles et Bruxelles, le réélurent à
la fois et à une immense majorité, en 1859. Le ministère, on le conçoit,
ne fit que s'en irriter davantage, et, le 17 juin, le baron de Stassart fut
révoqué de ses fonctions de gouverneur, précisément quelques jours après
qu'il avait été nommé, par une singulière inconséquence, officier de
l'ordre de Léopold.
On se rappelle l'émotion que produisit à Bruxelles une telle mesure,
prise dans de telles circonstances. L'administrateur actif et dévoué s'était
fait aimer et estimer de la population entière, et les témoignages de sym-
pathie de toutes les classes de la société changèrent sa disgrâce en un
véritable triomphe. Plus do trois mille personnes se rendirent proces-
sionnellement à l'hôlel du gouvernement, et il fallut toute la fermeté,
toute l'éloquence persuasive du baron de Stassart pour empêcher cette
démonstration de dégénérer en émeute. Les protestations, les brochures
se multiplièrent en peu de jours pour défendre une si noble cause, et
une médaille d'or fut décernée par souscription à l'ex -gouverneur du
Brabant. 11 en avait été de même en 1850, lorsque le gouvernement hol-
landais avait retiré à l'ancien préfet de l'empire la pension qui lui avait
été attribuée; et, sans vouloir tirer aucune induction de ce rapprochement
de dates, on peut y remarquer deux révélations analogues d'un caractère
noble mais indépendant, conciliant mais ferme.
De telles luttes ne pouvaient plus convenir, cependant, ni à l'âge ni
U NOTICE
aux goûts du baron de Stassart, et c'est à partir de cette époque que
nous le voyons peu à peu s'éloigner des affaires pour rentrer dans la vie
privée, au milieu du cercle d'amis, de littérateurs et d'artistes dont il
s'était attiré l'afTection. Une mission extraordinaire, en qualité de ministre
plénipotentiaire à Turin, en 1840, fut le dernier acte important de sa vie
politique.
En 1841, il donna sa démission de la grande maîtrise de la maçon-
nerie, poste qu'il n'avait accepté que par déférence pour le roi et par
dévouement au pays, afin d'éviter qu'on ne fît de cette institution un
moyen de correspondance avec le Grand Orient de la Haye, dirigé par
le prince Frédéric *.
En 1847, il cessa de faire partie du sénat. « J'avais accompli, dit-il^,
les huit années de mon second mandat de sénateur; les élections devaient
avoir lieu, cette année, pour le Brabant; je fis connaître aux électeurs qui
vinrent, de toutes parts, m'offrir d'appuyer ma candidature, qu'ayant
vendu quelques propriétés foncières, je cessais d'être éligible, aux termes
de la constitution. Je n'étais pas fâché de me replier sur moi-même, de
jouir de mon intérieur, de ne plus vivre que pour mes amis et pour mes
livres. »
Jj'année suivante, ayant établi son domicile dans un des faubourgs de
Bruxelles, il renonça volontairement au mandat de conseiller communal.
Enfin, la perte d'une épouse chérie, arrivée le 8 juillet 1849, le déter-
mina à quitter la vie publique d'une manière encore plus complète, et il
refusa même désormais de faire partie des jurys et des commissions qui ,
jusqu'alors, avaient tenu à honneur de le compter dans leur sein.
J'ai suivi l'homme public, sinon pas à pas, ce qui me paraissait im-
possible, du moins sans jamais le perdre de vue et en le considérant aux
plus importantes périodes de sa longue carrière. Je l'ai montré d'abord,
' Ce sont les expressions d'une notice hiographique, faite sans doute sous les yeux du baron
de Stassart, puisqu'elle se trouve en tête de ses œuvres.
- OEuvREs, p. 760, à la note.
SUR LE BARON DE SÏASSART. 2S
sous l'empire, intendant de l'armée et des pays conquis en Pologne et
dans le nord de l'Allemagne; puis sous-préfet d'Orange, préfet de Vau-
cluse, et préfet en Hollande; puis membre de la seconde chambre des
états généraux, membre du congrès national en 1830, et membre du sénat
jusqu'en 18 47.
En parcourant rapidement cet intervalle de quarante- trois années, je
n'ai prétendu peindre que le caractère le plus saillant, le plus facile à
saisir et à apprécier, de l'homme dont je fais ici l'éloge. Je n'ai point
parlé de sa vie littéraire, qui est l'une de ses gloires, je n'ai fait qu'ef-
fleurer sa vie intime, qui est son titre le plus légitime à notre admiration
et à nos sympathies. Il m'est arrivé de passer même légèrement sur cer-
tains détails qui me semblaient convenir davantage à l'appréciation du
talent d'écrivain ou de la conduite privée. C'est ainsi que je n'ai point cru
pouvoir juger encore à son véritable point de vue le rôle qu'il remplit dans
la politique, comme homme d'État; c'est ainsi que j'ai indiqué à peine
la place importante qu'il occupa dans la littérature de notre pays, et l'in-
fluence qu'il eut sur cette lettérature, d'abord personnellement, puis
comme membre de l'Académie de Belgique.
II.
VIE LITTÉRAIRE.
Voici en quels termes le baron de Stassart raconte, dans ses souvenirs ',
comment son esprit s'éveilla pour la première fois à la vie littéraire.
« J'étais avide de connaissances , et j'étais heureux lorsqu'on me per-
mettait d'assister à la lecture que mon père faisait, le soir, après le repas
de famille. Cette faveur m'était accordée, le dimanche, de plein droit;
' Insérés h la suite de la Notice de M. Quetelet.
Tome XXVIII. 4
26 NOTICE
j'attendais ce jour avec une véritable impatience, et quoique ma journée
se trouvât ainsi prolongée de quelques heures, il était bien rare que je
cédasse au sommeil. Les tragédies de Corneille, de Racine et de Voltaire
étaient les ouvrages- de prédilection du lecteur. Il arrivait souvent aussi,
pendant la journée, qu'en récompense de ma bonne conduite, ma mère
me lut quelque ouvrage nouveau. Je me souviendrai toute la vie de l'effet
que produisirent sur moi les Incas de Marmontel. Us m'inspirèrent pour
le fanatisme religieux une horreur qui ne s'est jamais démentie. Las Casas
était mon liéros. Le théâtre de M'"" de Genlis jouissait alors d'une grande
vogue; on me lut entre autres Agar dans le désert, l'Aveugle de Spa. Ces
pièces excitèrent au plus haut degré mon intérêt. Je ne voyais plus un
aveugle sans implorer du secours en sa faveur, et je ne pardonnais pas au
patriarche Abraham le renvoi d'Agar et d'Ismaël. Ma mère tirait parti de
ces lectures pour développer mes instincts moraux. Elle m'inspira surtout
de l'éloignement pour le mensonge et pour toute tendance à se prévaloir
d'une supériorité quelconque de position. »
S'il est permis de tirer quelque indice de ces premières impressions, de
ces vagues aspirations de l'enfance, on peut y reconnaître déjà le goût de
la littérature morale, de la littérature vraie, ayant une idée, un but, une
utilité. Les romans de Marmontel et de M™'' de Genlis sont loin de nous
sans doute, mais il faut ici tenir compte et de l'esprit de l'enfant et de
l'esprit de l'époque. Celui qui, à six ou sept ans, ressentait aussi profon-
dément l'intluence d'une lecture, devait chercher plus tard à produire lui-
même cette influence.
Grâce à ces dispositions naturelles, et aux conditions favorables où
l'avait placé sa naissance, le jeune de Stassart montra des talents précoces,
et, à peine âgé de Li ans , pendant un séjour de six mois que fit sa famille
dans la petite ville d'Iserlohn, en Westphalie, il traduisit d'un bout à
l'autre les Méditations religieuses d'Eckarlshausen.
Cet ouvrage ne vit cependant le jour que quelques années après, et con-
sidérablement retouché. Ce fut par des poésies de circonstance, des ma-
drigaux, des impromptu \ puis par des pièces insérées dans le Chansonnier
' OEUVRES, pp. 156, 176.
SUR LE BARON DE STASSART. 27
des Grâces *, et enfin par un recueil d'idylles en prose intitulé : Bagatelles
sentimentales (1799), que le baron de Stassart débuta dans la carrière.
Début modeste, de fort peu au-dessus du médiocre, mais dont l'auteur
aimait à se souvenir dans les dernières années de sa vie. 11 comprit même
les idylles dans son volume d'OEuvres diverses, mais en expliquant cette
sorte d'anachronisme par une courte et spirituelle préface. « Que voulez-
vous? dit-il à ses lecteurs, ce sont des péchés de jeunesse Notre siècle, je
dois en convenir, n'est rien moins que pastoral , mais la fin du XVIII""= siècle
ne l'était guère davantage. Cependant l'églogue obtenait encore un accueil
favorable du public : Gessner avait toujours la vogue, et les salles d'auberge
étaient encore tapissées des candides amours d'Estelle et de Némorin. »
Le séjour de Paris ne manqua pas d'exercer une grande influence sur
le développement de cet esprit impatient de succès. Au milieu même de
ses études de jurisprudence, il remporta le prix d'éloquence, en 1803,
aux exercices publics de l'université, pour un Discours de Régtdus au peuple
romain, et, l'année suivante, le prix de législation criminelle. Quelques
poésies légères composées à cette époque prouvent que le baron de Stassart
était poussé, en quelque sorte malgré lui, par le démon des vers. Ce ne
sont néanmoins que des chansons de circonstances, des épigrammes, des
couplets intercalés dans des comédies, et qui valurent à leur auteur ano-
nyme ses entrées au théâtre du Vaudeville. Tout cela formait un délasse-
ment, une distraction à des travaux plus sérieux, qui se révèlent par
quelques publications destinées à l'enseignement. Mais ces publications
ne sont que des essais timides, que l'auteur ose à peine avouer, et qu'il
n'a jamais considérés, dans la suite, que comme une préparation, une
espèce de gymnastique intellectuelle. Il faut citer à ce propos une Géogra-
phie élémentaire, sans nom d'auteur, qui ne laissa pas d'avoir deux éditions,
en 1804 et en 1806, une analyse de V Histoire de la Belgique de Dewez,
tirée seulement à vingt exemplaires , et une Description des communes de
l'arrondissement d'Orange, avec des notes statistiques, insérées, en 1810,
dans YAlmanacli d'Orange.
' OEUVRES, p. 156, note 2.
28 INOTICE
Les deux années passées à l'université de jurisprudence furent sans
doute les plus importantes pour le développement de celte jeune et belle
intelligence, et l'on conçoit que ce n'est point aux résultats immédiats
qu'il faut s'arrêter pour juger de cette influence secrète, intime, pour ainsi
dire latente. « 1803! s'écrie quelque part le baron de Stassart', année
heureuse, consacrée tout entière à l'étude, à la culture des lettres, à
l'amitié! »
Mais bientôt les préoccupations de la vie publique vinrent l'arracher à
la carrière littéraire, et ce ne fut qu'à de rares intervalles qu'il s'aban-
donna, dans la solitude du cabinet, à ses inspirations poétiques, à ses
tendances instinctives et irrésistibles. L'année 1808 vit éclore ainsi une
élégie, Le tombeau de la religieuse, qui s'éloigne entièrement de la manière
habituelle du jeune auteur, et ses premières fables, au nombre de cinq ou
six, qui révèlent, au contraire, son génie spécial, sa véritable originalité^.
« Lancé fort jeune, dit-il, dans la carrière des emplois, et résolu de
ne jamais sacrifier mes devoirs à mes goûts les plus chers, j'ai négligé
longtemps la culture des lettres : dans l'intervalle de 1805 à 1814, je
n'ai peut-être pas composé cinq cents vers. »
Il faut rappeler ici, parmi les influences qui furent sans doute les plus
directes sur les propensions littéraires du baron de Stassart, le séjour de
Vaucluse, où le souvenir de Pétrarque et des troubadours provençaux et
italiens, encore si vivant aujourd'hui, dut nécessairement exciter dans
son cœur un fécond et bienfaisant enthousiasme. Nous avons vu qu'il avait
fondé un prix pour l'éloge de Pétrarque à l'athénée de Vaucluse; il fit
également frapper une médaille à la mémoire du célèbre poëte, et favorisa
de tous ses moyens les travaux poétiques, historiques ou scientifiques
parmi les populations qui composaient sa préfecture.
Nous savons aussi qu'il tenait à honneur de faire partie des principales
sociétés établies dans le ressort de son administration, et qu'il y cherchait
une occasion de s'associer au mouvement des lettres et des arts. Beaucoup
' OEuvREs, p. 139, noie.
- Ce sonl les fables IV, VIII, XIV du 1'^ livre; III et XIV du 2"' livre, et la fable XX du i"
livre.
SUR LE BARON DE STASSART. 29
de ces sociétés lui témoignèrent spontanément leurs sympathies, soit en
l'inscrivant au nombre de leurs membres, soit même en le nommant leur
président. C'est ainsi que déjà, durant ses intendances militaires, il avait
été élu membre de la société d'agriculture d'inspruck, en Tyrol, et de
l'académie des belles-lettres et des arts de Varsovie. Dans le midi de la
France , sept sociétés s'empressèrent de réclamer son concours : ce furent
l'athénée de Vaucluse, le cercle littéraire de Lyon, la société des trouba-
dours de Marseille, l'académie d'Aix en Provence , la société italienne des
amis de Pétrarque, la société des sciences, lettres et arts d'Orange, et
l'académie de Lyon '.
Et mentionnons, à ce propos, que la Hollande même rendit justice,
sous ce rapport du moins, au baron de Slassart. Il fut inscrit, en 1812,
parmi les membres de la société littéraire de Leyde et de la société de
physique de Rotterdam, et ce fut un acte d'impartialité, un hommage dû
à un mérite reconnu, éprouvé, incontestable.
Je ne crois point devoir parler, dans la vie littéraire du baron de Slas-
sart, des discours prononcés en diverses circonstances, de 1804 à 1815,
ainsi que de ceux prononcés à l'athénée de Vaucluse. Ces discours, comme
l'avoue l'auteur lui-même ^, ont perdu toute actualité et n'intéressent plus
que médiocrement les lecteurs d'aujourd'hui ; mais on peut du moins y
suivre les principales phases d'une vie si pleine de vicissitudes, et y re-
marquer aussi que les opinions et les sentiments du baron de Stassart
sont restés inébranlables à toutes les époques. Il y a même une singulière
analogie entre ses discours officiels de cette période et ceux qu'il prononça
de 1850 à 18-45.
C'est au mois de juin 1814 que le baron de Stassart se montre pour
la première fois avec éclat sur la scène littéraire, par une œuvre dont le
titre est assurément fort étrange. Cette œuvre s'intitule : Pensées, maximes,
réflexions, observaiiom, cxlrailes des mémoires sur les mœurs de ce siècle, par
Circé, chienne célèbre, membre de plusieurs sociétés savantes. — Ou
comprendra l'intention de l'auteur par la première pensée de cet opuscule.
' Voir l'appendice à la Notice de M. Qiietelel.
° OEuvEEs , p. 763 , note.
30 NOTICE
« Le public, dit-il, est tellement rassasié de livres aujourd'hui, qu'à
moins d'imaginer un titre bizarre et qui pique la curiosité, il est bien
difficile de se faire lire. »
Il est à croire cependant que cette raison n'est pas la seule pour
laquelle cet ouvrage resta à peu près anonyme. En effet, depuis le com-
mencement de sa carrière politique, sous l'empire, le baron de Stassart
n'avait signé aucune œuvre de quelque importance, et il avoue lui-même
qu'une réputation d'écrivain lui eût été sans doute plus nuisible qu'utile.
On connaît l'aversion que professait l'empereur pour les idéologues, et,
bien que les Pensées de Circé ne pussent point être regardées comme de
l'idéologie, c'est-à-dire, comme de la philosophie pure, c'était du moins
une morale assez franche, assez hardie, assez frondeuse parfois.
Malgré cela, ou plutôt à cause de cela, le livre obtint un succès consi-
dérable, et le fait est digne de remarque eu égard aux événements poli-
tiques qui absorbaient alors l'attention générale. Les félicitations en prose
et en vers ne manquèrent point à l'auteur, et, parmi les épîtres les plus
spirituelles et les plus flatteuses qui lui furent adressées, il faut compter
celles de MM. Violet d'Épagny, Victor Augier, le baron de Trappe,
J.-II. Ilubin, Teste et le prince de Ligne. Les vers du prince de Ligne
sont peut-être les derniers qui soient sortis de la plume de ce charmant
écrivain, mort le 15 décendîre 1814.
Différents recueils s'empressèrent aussi d'emprunter aux Pensées de Circé
de nombreuses citations, et le nom de la fameuse levrette donna lieu sou-
vent à de plaisantes méprises. MM. Bescherelle, les auteurs de la Gram-
maire nationale, placèrent Circé sur la liste des moralistes, et cela, grâce à
l'ordre alphabétique, entre Cicéron et Clarac.
Le caractère général des Pensées de Circé est une observation juste,
fine, piquante, une grande expérience du monde, une douce indulgence
qui n'est ni de l'insouciance ni de la bonhomie; c'est de la satire, souvent
dirigée contre les personnes, mais sans aigreur et sans passion; ce sont
des vérités exprimées avec une verve railleuse bien qu'inoffensive; c'est,
en un mot, une bienveillante modération, dont l'auteur donne, à chaque
page, à chaque paragraphe, tout à la fois le précepte et l'exemple.
SUR LE BARON DE STASSART. 31
L'esprit qui domine dans ces Pensées ne rappelle ni les Caractères de
la Bruyère, ces peintures vives, souvent trop chatoyantes, aux contours
nets et bien accusés, ni surtout les Maximes de la Rochefoucauld, ces
aphorismes saisissants d'une âme chagrine et vindicative. C'est plutôt l'es-
prit de Vauvenargues , et Vauvenargues était, en effet, l'un des auteurs de
prédilection du baron de Stassart '. Il y a dans les Maximes du protégé de
Voltaire plus de concision, plus de tendance à l'aphorisme que dans les
Pensées de Circé, mais c'est la même simplicité de langage, la même finesse
d'aperçus, la même chaleur douce et persuasive.
Un travail intéressant qu'il y aurait à faire, à notre point de vue, sur
les Pensées de Circé, serait d'y chercher la véritable manière de voir du
baron de Stassart sur une foule de questions; car nulle part cette manière
de voir n'est exposée d'une façon plus nette, plus franche, plus explicite,
plus complète. Non-seulement on y trouve la pensée de l'auteur sous toutes
les faces, mais lui-même s'y peint d'une façon bien reconnaissable dans
certains types, dans certains personnages, et particulièrement dans Dtdis,
Dorante et Vérax ^.
11 importe aussi de remarquer la frappante analogie qui existe entre les
Pensées de Circé et les Fables qui parurent peu de temps après. Ce sont
les mêmes sentiments, les mêmes idées; seulement, les Fables sont des
réflexions morales précédées d'une historiette où les animaux jouent quel-
que rôle, en guise d'exemple ou d'application. Bien plus, lorsqu'on y
donne toute son attention, on s'aperçoit qu'il y a de la Fable aussi dans
les Pensées de Circé. N'est-ce pas, en effet, une chienne qui parle et qui
écrit? La fable n'est-elle pas la préface du livre, et la moralité, le livre
même, le livre tout entier?
On ne pourra donc point contester que le génie de la fable n'appartint
bien réellement au baron de Stassart, et que, s'ignorant encore lui-même
en 18L4, ou plutôt retardé dans son développement littéraire par les
affaires publiques auxquelles il se trouva mêlé, il ne fît, en écrivant les
' Voy. pensée 188.
2 Pensées, 1^1, 292 et 417.
32 ISOTICE
Pensées de Circé, que préluder au véritable apologue. Depuis 1808, en
effet, jusque pour ainsi dire à la veille de sa mort, la fable fut incontes-
tablement le genre qu'il cultiva avec le plus d'intérêt, le plus de bonbeur,
le plus de succès '.
Quant au mérite exclusivement littéraire des Pensées de Circé, on doit
avouer, tout d'abord, que cette forme, sans transition, sans liaison, sans
unité, était la plus ingrate et la plus monotone.
L'auteur semble s'en être aperçu, dès le commencement de son livre.
« Les pensées qu'on jette isolément sur le papier, dit-il, ont, en général,
un air d'apprêt qui gâte tout. Les pensées, au contraire, qu'on laisse
tomber de loin en loin dans un ouvrage, sont, pour ainsi dire, nées du
sujet; elles plaisent par ces grâces naturelles, par ce facile abandon et
cette aimable bonhomie qu'exclut nécessairement la prétention affichée de
régenter le lecteur -. » Un moyen se présentait au baron de Slassart d'ani-
mer son style et de stimuler la curiosité; c'était, comme il le dit, de
" tourner toutes ses pensées en saillies et toutes ses maximes en épigram-
mes ^, » mais ce moyen lui répugne; il préfère instruire, il préfère inté-
resser par sa morale même, par la vérité de ses observations, et, après
tout, dit-il en terminant, « quelle est la conversation sans bavardage et le
livre sans remplissage? Je n'en connais point *. »
Ce n'est pas à dire pourtant que beaucoup de ces pensées n'aient point
une allure essentiellement originale, une vivacité des plus piquantes.
Voyez, par exemple, la confusion qu'il s'efforce malicieusement d'établir
entre la modestie et l'amour-propre ^. Voyez aussi certaines de ses ré-
flexions sur la musique du jour ^.
Je ne puis m'empêcher de citer ici quelques-unes des pensées que je
considère comme les plus jolies sous le rapport de la forme, de l'expres-
sion. On verra que celles-là du moins ne le cèdent en rien aux plus spi-
rituelles observations de Vauvenargues ou de la Bruyère sur les hommes
et la société.
« — Enclume ou marteau : tel est le sort de la plupart des hommes!
' OEUVRES, p. X, note. | '^ Pensées, 111. | ^ Jd., 188. | * Pensée 500 et dernière. | ^ Pensées,
5, 28 et 474. \ ^ M, 29, 206 et 348.
SUR LE BARON DE STASSART. 33
Heureux, mille fois heureux, le sage qui possède le secret de n'être ni
l'un ni l'autre, et qui parvient à quitter ce monde sublunaire sans avoir
été ni froissant ni froissé ^ ! »
« — Il est des gens si pleins d'eux-mêmes, et qui trouvent tant de
charmes à s'appesantir sur le monosyllabe moi, qu'en le prononçant ils
ont le secret d'en faire deux syllabes -. »
« — Le ton de fatuité, l'air de suffisance et le babil sentencieux de ce
qu'on veut bien appeler, à Paris, gens de bonne compagnie, peuvent en
imposer un instant à l'homme modeste; mais bientôt le charme cesse, et
ces esprits si brillants, si sémillants, semblables aux machines de Vau-
canson, s'arrêtent tout court ou se répètent^. »
0 — Comme il y a d'aimables négligences qui servent de parure à l'es-
prit, il est aussi des faiblesses dont le cœur s'honore*. »
« — Les palais des princes et des grands ont beau changer de pro-
priétaires, les salons et les antichambres offrent toujours à l'œil du phi-
losophe observateur les mêmes personnages. Les courtisans ressemblent
aux chats, qui sont moins attachés au maître qu'à la maison ^. »
Ces citations peuvent aussi faire juger du style des Pensées. Ce style,
on le voit, est aisé, coulant, gracieux, pur et correct, mais d'une correc-
tion et d'une pureté qui n'excluent ni l'entrain ni la verve : c'est la langue
classique, ample, limpide et régulière, douée de cette admirable trans-
parence qui laisse, pour ainsi dire, apercevoir tout d'abord la pensée.
Les mots, en effet, ne frappent point par eux-mêmes, et les saillies sont
plutôt dans l'idée que dans l'expression.
Peut-être une telle langue, à force d'être pure, perd- elle un peu de
sa saveur; peut-être le goût actuel y désirerait-il plus de mots pittores-
ques, plus de métaphores; mais gardons-nous de méconnaître que la pureté
a aussi son charme spécial, que le style pailleté, brillante de certains
auteurs modernes s'éloigne considérablement du génie de la langue fran-
çaise, et, pour tout dire, que l'axiome de Buffon est encore toujours d'une
frappante application.
' Pensée 71. | 2 y^. gg. | 5 /,/. 122. | /. jd. 130. 1 = Id. 154.
Tome XXVIII.
34 NOTICE
« Quand on voit le style naturel, avait dit Pascal, on est tout étonné
et ravi; car on s'attendait de voir un auteur, et on trouve un homme. »
Or, c'est l'homme que nous retrouvons ici, l'homme au caractère
simple, à l'esprit un, aux opinions justes et modérées, et nous aimons
cet homme dans son livre, et nous aimons l'écrivain dans cet homme.
Les affaires publiques, comme je l'ai fait remarquer plus haut, avaient
seules empêché jusqu'alors le baron de Stassart de se livrer à ses goûts
de prédilection, à ses penchants littéraires. A peine la chute de Napoléon
fut-elle consommée, qu'il reprit avec ardeur l'étude des lettres, mais
d'abord sans but arrêté, sans plan préconçu, et en se mêlant plus ou
moins au mouvement général.
La Belgique entrait à cette époque dans une ère toute nouvelle pour
les sciences, les lettres et les arts. La paix d'abord avait favorisé ces ten-
dances, qui ne tardèrent pas à devenir plus actives parla restauration ou
la réorganisation des diverses sociétés littéraires, et par la présence sur
le sol belge d'un grand nombre de proscrits français ^
L'influence des exilés français, à toutes les époques, a été fort grande
sur les littératures voisines de la France, et si M. Savons a pu faire
récemment un ouvrage du plus haut intérêt sur la littérature française
à l'étranger, on pourrait, sans doute, compléter cette étude au point de
vue des étrangers eux-mêmes.
La Belgique surtout devait servir d'asile aux proscrits de toutes les
révolutions qui se sont successivement accomplies en France; et, par la
similitude du langage, au moins pour la capitale et certaines provinces,
elle devait en ressentir une influence plus ou moins salutaire. 1815 ,
1850, 1848 et 1852 nous en ont offert la preuve. Et n'est-ce pas actuel-
lement, depuis le 2 décembre 1851 , et par suite de l'impulsion due aux
réfugiés français, que les conférences, les lectures et les cours publics
se sont multipliés dans notre pays d'une façon si extraordinaire? Il y a
là un résultat bien appréciable, et que nous croyons pouvoir haute-
ment avouer, aujourd'hui surtout que la Belgique est assez forte pour ne
' M. Quelelet n fort bien caractérisé ces influences.
SUR LE BARON DE STASSART. 35
plus devoir se renfermer dans de mesquines considérations de vanité na-
tionale.
3Iais si celte influence étrangère est encore si remarquable, après
vingt-cinq années de paix et de progrès, combien elle était nécessaire à
une époque où tout était à refaire, à organiser, à créer!
Parmi les sociétés littéraires qui prirent la plus grande part à ce mou-
vement, il faut citer l'Académie de Bruxelles, que le nouveau gouverne-
ment venait de rétablir, la société littéraire de Bruxelles, dont le baron
de Stassart faisait partie depuis 1802, et la société d'émulation de Liège
oîi il entra en 1815.
Ce fut une union presque intime entre les membres de ces diverses
sociétés, et leurs relations avec les écrivains français réfugiés en Bel-
gique, qui donnèrent naissance aux recueils et aux journaux dans les-
quels se concentre presque toute la vie littéraire de cette époque. MM. de
Stassart, Ph. Lesbroussart, Quetelet, de Reiffenberg, Jouy, Cornelissen,
Comhaire, Hubin, Van Bemmel , Rouveroy, Vanden Zande, etc., etc.,
auxquels se joignirent plus tard MM. Raoul, Baron, Alvin, et beaucoup
d'autres, se signalèrent dès lors plus particulièrement dans Y Annuaire
poétique ^ recueil modeste, que l'on peut considérer comme le berceau de
notre littérature nationale contemporaine.
Le baron de Stassart, qui s'était senti depuis longtemps porté vers
l'apologue d'une manière irrésistible, et qui avait remporté les suffrages
de ses compatriotes pour quelques pièces de ce genre insérées dans
Y Annuaire poétique, résolut enfin, au mois de mars 1818, de publier
un recueil de Fables.
Dans la préface de ce recueil , faisant allusion à sa douce retraite de
Corioule : « J'ai joui, disait-il, cette année (1817), à la campagne, d'un
loisir que des travaux importants ne m'avaient pas permis de goûter
encore; j'ai succombé, comme tant d'autres, à la séduction; j'ai fait des
fables, et, sans m'en douter le moins du monde, à la fln de l'biver je
m'en suis vu cent vingt-neuf, en y comprenant le prologue et l'épilogue.
' L'Alimnnch ou Avnnairc poélique fut publié depuis 1801 par la sociiHé littéraire de Bruxelles,
et le baron de Slassarl y écrivit depuis 1802, mais le plus souvent sous le voile de l'anonyme.
36 NOTICE
Les fabulistes étrangers m'ont fourni, je crois, une cinquantaine de
sujets; le surplus m'appartient entièrement. »
Les cent vingt-neuf fables, successivement augmentées jusqu'au nombre
de deux cents environ, eurent neuf éditions, de 1818 à 1854; une traduc-
tion complète en anglais, par M. Kean, parut en 1852, et des traductions
partielles en furent faites à diverses époques en hollandais par Swan, en
allemand par Cattel, en suédois par Wahunck, en provençal par Ilvacinthe
Morel, en patois liégeois et namurois par MM. Dumarteau et Werolte K
C'est assez indiquer le succès immense, le succès vraiment européen
qu'elles ne cessèrent d'obtenir durant tant d'années.
Quand on parle de fables, on pense tout d'abord à la Fontaine qui
semble, par sa toute-puissante originalité, avoir absorbé en lui le genre
même. Le baron de Stassart prévit cette difficulté, et s'efforça de la lever
adroitement en disant dans son Prologue :
« Lorsque le rossignol commence,
» Par respect les oiseaux gardent tous le silence;
» C'est le vrai Phénix de nos bois;
» Mais on peut bien, en son absence,
)> Plaire un moment sans égaler sa voix. »
Il fit mieux : il eut l'esprit de ne jamais chercher à imiter le maître,
ou à le suivre de près ou de loin. Il s'abandonna à ses propres sentiments,
à ses propres inclinations, et, en donnant à ses fables le cachet de son
caractère, il rencontra une originalité nouvelle.
La Fontaine avait, on le sait, publié d'abord les six premiers livres de
ses fables; il publia ensuite les cinq suivants, et enfin le douzième, et
ces trois dates forment dans son recueil trois phases différentes parfaite-
ment saisissables. Le baron de Stassart eut peut-être le tort de mêler, dans
chaque livre, des fables de dates diverses : il serait sans doute facile de
reconnaître à certaines époques les préoccupations particulières de fau-
teur, et même des manières distinctes.
' Bibliographie académique, p. 91.
SUR LE BARON DE STASSART. 37
Il est évident, par exemple, que les premières fables, surtout celles
qui portent la date de 1808, sont d'une moralité moins piquante, moins
caustique, et n'ont rapport qu'à des lieux communs de morale, aux travers
et aux ridicules de l'individu dans la vie privée. La vie publique, la poli-
tique surtout "semblaient alors exclues de la littérature. 3Iais, à partir
de 1815, et à mesure que l'auteur se trouve mêlé aux agitations des
partis, aux luttes avec le pouvoir, ses fables deviennent peu à peu plus
vives, plus satiriques, plus empreintes d'actualité, et finissent par être le
reflet de ses opinions les plus chères.
Je vais tâcher de caractériser rapidement les fables du baron de Stas-
sart, en y considérant ainsi l'histoire de sa vie intellectuelle.
Parmi les fables qui appartiennent à ce que j'appelle sa première
manière, il en est sans doute de charmantes, malgré la moralité souvent
banale qui les accompagne. Mais c'est alors le récit même qui nous
charme, par ses allures comiques ou dramatiques, c'est le récit qui
absorbe l'attention. Il faut citer, dans ce genre, le Singe et la Montre ',
le Cheval belliqueux - et la jeune Fille, sa Mère et te Feu follet ^ Parfois
aussi le sentiment seul nous émeut et nous intéresse, comme dans les
fables de Florian. Ainsi l'Hirondelle et le Moineau"^, qui commence par ces
jolis vers :
« J'eslime beaucoup l'hirondelle.
B Elle a peu de talents, mais elle a des vertus;
» Bonne, jamais coquette, à ses amours fidèle,
» Elle sait aimer... rien de plus. »
Ainsi encore ces petits poèmes composés en l'honneur de l'amitié ^, ou
en haine de l'orgueil S; car l'orgueil, pour me servir d'une expression tri-
viale, semble surtout la bête noire du fabuliste, et il trouve pour l'attaquer
des accents pleins d'énergie.
S'il lui arrive, à ce moment de sa vie, de toucher à la politique, de
l'effleurer, pour mieux dire, c'est pour recommander la plus grande cir-
' Livre I, fable 4. | ^ |. 8. p I, 10. ^ •■ 3.
5 I, 16; V, 22; VH, 1. | « I, 15; IV, 2; V, 7.
38 NOTICE
conspeciion et pour prêcher l'accord entre le souverain et le peuple, en
donnant au premier le plus de prérogatives '.
La date de ces fables, remarquons-le bien, ne dépasse pas l'année 1816
ou l'année 1817.
Mais bientôt le style de l'auteur s'élève; sa pensée devient plus active
et plus forte; l'instinct de résistance à une oppression injuste s'est éveillé
dans son âme, et peu s'en faut même qu'entraîné par sa verve, il n'aille
jusqu'à blâmer la conduite de Napoléon. C'est ce que l'on peut remarquer
avec étonnement dans certaine moralité qui attaque assez franchement
a Maint héros couronné des lauriers de la guerre,
« Maint redresseur de torts, qui , le glaive à la main ,
» On le sait, ravagent la terre
i> Pour le bonheur du genre humain '-. »
Le roi des Pays-Bas a naturellement la plus grande part des traits lancés
contre une royauté impopulaire, contre une administration tyrannique et
vexatoire. Ce sujet a inspiré au baron de Stassart ses plus jolies fables.
Le Roitelet ambitieux ^, le Conseil d'Étal du Lion *, le Trône de ISeige ^ et le Pin-
son roi ^ sont de véritables chefs-d'œuvre. On peut y joindre l'Enfant et le
Hanneton '', l'Aigle et le Corbeau ^, et te Léopard et CÊlcphant rois des animaux ^.
Ces allégories facilement transparentes, et d'autres allusions dissémi-
nées, n'étaient que l'écho des plaintes et des murmures du peuple. Le
baron de Stassait, qui savait si bien défendre à la tribune les droits des
provinces méridionales du royaume, s'était fait le généreux interprète de
ces droits jusque dans ses poésies.
A cette époque où Déranger sapait, au moyen de ses chansons, la restau-
ration en France, le baron de Stassart semble avoir choisi instinctivement
le même rôle en Belgique, et le fabuliste a, sous ce rapport, plus d'une
analogie avec le grand chansonnier ••^. En effet, les fables que je viens de
' Voy. I, 4; I, 9; IF, 8; V, 16.
^ Le Rat , la Belette, le Renard et le Loup, Vil, 3.
- IV, 9. I * IV, 23. 1 s V, 10. I 6 V, 20. | ■ V, 18. | « V, 19. | '■' VII, 6.
'" Il est à remarquer que tous les deux étaient nés en 1780.
SUR LE BARON DE STASSART. 39
citer sont plutôt de petites satires, d'ingénieux pamphlets, et l'auteur, en
s'éloignant ainsi de la nature même du genre, en devient d'autant plus
original, d'autant plus individuel dans toute la signiCcation de ce mot.
Comme le dit fort bien le baron de Stassart, « ce qui n'était qu'une fable
en 1818 est devenu de l'histoire en 1830 '. » Mais à peine la révolution
de septembre est-elle accomplie, que le caractère, les idées, les préoccu-
pations de l'homme reprennent le dessus. C'est désormais la modération
qu'il conseille, l'oubli des animosités, l'accord et la conciliation. En
18Ô2, il traduit en fable son vote en faveur de la monarchie, sans pour-
tant injurier la république 2. Plus tard, il déplore les chicanes que se
font les diverses nations entre elles ^, ou les divers partis au sein d'une
même nation '. Il attaque les hommes d'État sans talent qui se mêlent de
vouloir diriger les peuples ^, mais il attaque également les démolisseurs^
et les exagérations des progressistes ".
Après la révolution de 1848, c'est cette dernière tendance qui se
remarque presque exclusivement *. Et pouvait-il en être autrement? Pou-
vons-nous exiger d'un vieillard qu'il renonce pour ainsi dire aux idées de
toute sa vie pour se jeter dans le tourbillon des idées nouvelles? Sachons
gré, au contraire, au baron de Stassart de ne pas s'être élevé avec âpreté,
avec acrimonie contre la fougue révolutionnaire de 1848, autant que de
ne point s'être rallié complètement à la réaction de 1852 ; sachons-lui gré
de la modération, de la juste mesure qu'il sut conserver, à son âge et
dans une pareille crise sociale, à l'égard d'excès tout opposés.
Quelques fables de cette dernière époque rappellent aussi , et tout natu-
rellement, sa première manière simplement narrative, et, en ce genre, tes
deux petits Savoyards ^ méritent certainement d'être placés parmi les meil-
leures.
S'il fallait maintenant porter un jugement général sur tout ce recueil
' OEUVRES, p. 87, note 165, et p. 92, note 2-24.
î' VU, d5. I 5 Les bons Voisins, Vlll, 3. | * Le Conducteur el ses Chevaux, VIII, 3. | ^ VIII, 9
Il 19. 1 6 Vlll, 13. I ■> VIII, 23.
« l[, 21; III, 22; V, 21; VIII, 20; Vlll, 22, et les fables intercalées dans les Miscellanées , I, 2
et 6,0EuvKEs, p. 1043.
« IV, 22.
40 NOTICE
de fables, je dirais que c'est une guerre de détail, une guerre de partisans
faite à l'exagération en toutes choses, à l'injustice, à l'arbitraire, à l'orgueil,
à l'ambition; une guerre dans laquelle le provocateur reste calme et
n'abandonne jamais, au sein même de la lutte, l'esprit de tolérance dont
il s'est fait une loi suprême. Plus fin que malicieux et plus naïf que
railleur, il se borne à plaisanter des sottises et des fautes, en lançant, de
temps à autre, des coups d'épingle dans les ballons de l'aniour-propre,
et les questions, même les plus brûlantes, ainsi traitées sans fanatisme,
deviennent un sujet de méditations fécondes.
A ne considérer les fables du baron de Stassart qu'au point de vue
littéraire, nous devons remarquer d'abord le charme de la narration, qui
semble appartenir à une simple conversation amicale et familière, pleine
de négligence et d'abandon. On est à peu près d'accord pour attribuer à
la fable cette liberté d'allures et ces formes capricieuses où ne domine
absolument que le goût. Or, le goût était précisément l'une des plus remar-
quables qualités de notre fabuliste, et jamais ni le sujet, ni les person-
nages, ni le cadre, ni le style ne pèchent contre cette loi suprême.
Toutes les fables du baron de Stassart ont une longueur convenable
et appropriée au sujet même; toutes offrent des animaux en scène, c'est-
à-dire des êtres vivants et animés, comparables à nous sous beaucoup de
rapports, tandis que des êtres inanimés peuvent difficilement se concevoir
comme créatures parlantes ^; toutes enfin, ou presque toutes, présentent
une action, action qui, par elle-même, nous inspire une pensée morale,
avant que l'auteur nous ait donné ce qu'on nomme la moralité de la fable.
La plupart des observations que j'ai faites sur le style du baron de
Stassart, à propos des Pensées de Circé, s'appliquent également à ses Fables,
malgré la différence qui semble exister naturellement entre les vers et la
prose. C'est que cette différence est moins profonde qu'on ne le croirait;
et ceci ne veut pas dire que le vers du baron de Stassart soit entaché de
prosaïsme, mais bien que les mêmes caractères de correction et de pureté
se retrouvent de part et d'autre. Les licences poétiques sont aussi incon-
' Voiries observations à ce sujet dans ta préface de la sixième édilion , en note.
SUR LE BARON DE STASSART. 41
nues à l'auleur que le faste et l'apparat qui, aux yeux du XVIII'"'' siècle,
constituaient le langage des dieux.
L'harmonie seule, mais une harmonie toute particulière, propre sur-
tout aux vers libres, distingue le style poétique du baron de Stassart. Il
ne faut point y chercher cette phrase souple, mobile, pittoresque et pim-
pante qui caractérise à peu près toute la poésie légère de notre époque,
mais il faut y reconnaître un rhythme toujours conforme au sens, au sen-
timent, à l'expression du discours ou du récit.
Et c'est à dessein que je me sers du mot rhythme, auquel on donne
d'ordinaire une signiflcation de régularité et de symétrie. Il est évident
que la langue française, dépourvue d'accentuation syllabique, doit cher-
cher dans l'accentuation oratoire , c'est-à-dire dans le sens même de la
phrase , des ressources spéciales et une harmonie toute nouvelle. Or, le
baron de Stassart comprenait admirablement cette harmonie, et avait,
sous ce rapport, suivi d'instinct la voie ouverte par la Fontaine.
Il est beaucoup d'écrivains, de grands poètes même, qui affectent
encore de ne pas comprendre l'harmonie des vers libres. M. de Lamartine,
entre autres, n'a pas craint, dans la préface des Dernières confidences, de
blâmer ouvertement la Fontaine, et de tourner en ridicule « cette poésie
composée de lignes d'inégales longueurs. » C'est méconnaître complète-
ment l'esprit de la langue française, c'est même proscrire toute poésie
en cette langue. M. de Lamartine peut -il s'imaginer que ces diverses
mesures de vers soient purement arbitraires; peut-il s'imaginer que les
vers alexandrins eux-mêmes n'empruntent pas à une loi naturelle, néces-
saire, leur période de douze syllabes, si monotone aux yeux du vulgaire?
En terminant cette appréciation des Fables, \q dois citer les notes expli-
catives, placées à la suite du recueil, et qui renferment une foule de détails
instructifs ou curieux : c'est une preuve du soin et de la conscience que
mettait le baron de Stassart à la composition de toutes ses œuvres; c'était
aussi un moyen d'instruire et d'éclairer les jeunes intelligences auxquelles
l'auteur savait que l'on présente souvent des fables pour première étude.
Je me suis étendu un peu longuement sur les Pensées et sur les Fables,
qui sont réellement les deux titres les plus importants de l'écrivain à notre
Tome XXVIII. 6
42 ÎNOTICE
admiration. Je passerai rapidement en revue ses autres œuvres, extrê-
mement nombreuses, mais dont le véritable mérite n'est point exclusive-
ment littéraire.
Il faut que je m'arrête néanmoins quelques instants encore sur les
Méditations religieuses d'Eckartshausen, qui parurent en 1825 pour la pre-
mière fois avec le nom du traducteur, et sous le titre de : Dieu est l'amour
le plus pur. Celte traduction fut bientôt dans toutes les mains, et le succès
qu'elle obtint ne tarda pas à effaroucher certaines âmes trop scrupuleuses
ou trop craintives. Les Méditations, en effet , présentaient la religion sous
l'aspect le plus aimable, le plus consolant, avec une sorte d'élan el de
tendresse; mais ce n'était guère que le triomphe du sentiment religieux,
sans acception de cultes ni de croyances. On reprocha au traducteur des
expressions trop poétiques, trop profanes, trop vagues; on lui reprocha
d'avoir tutoyé Dieu; et l'on finit par obtenir la proscription du livre.
C'est par cet ouvrage que se manifeste le talent de l'écrivain de la façon
la plus brillante, la plus éclatante. Il y a, dans cette simple traduction,
iion-seulement une admirable pureté de style, mais de la grâce et de la
force, de la couleur et de la lumière. La douce chaleur de ce style nous
pénètre, et sa suave harmonie nous fait rêver, indépendamment des idées
exprimées. Il faut lire les chapitres intitulés : Sur le sentiment de notre exis-
tence. Sur la destinée de l'homme, et quelques autres, pour comprendre cette
influence bienfaisante de la parole considérée en elle-même.
J'ai cité un grand nombre des discours officiels du baron de Stassart,
prononcés aux états généraux, au congrès national, au sénat et dans di-
verses circonstances. J'en ai donné l'analyse et l'appréciation, à propos
de la vie publique de l'auteur, et je ne crois point devoir y revenir
ici. Je ne puis m'empêcher, cependant, de faire remarquer dans ces dis-
cours des qualités littéiaires assez rares en général, et dont toutes les
œuvres du baron de Stassart portent l'empreinte. Combien cette pureté de
diction, cette régularité de composition méritent nos éloges, dans une
branche de la littérature oîi domine d'ordinaire, avec tous ses défauts el
fort peu de ses qualités, le caractère de l'improvisation!
Le 12 octobre 1853, l'Académie appela le baron de Stassart à venir
SUR LE BARON DE STASSART. 4ô
siéger parmi ses membres, et cette date indique encore une phase nouvelle
dans la carrière de l'écrivain. Les occupations de l'Académie étaient pré-
cisément celles qui convenaient le mieux à sa nature et à ses habitudes;
il avait peu de propension aux travaux de longue haleine; il lui fallait un
public pour écouter la lecture de ses divers opuscules, il lui fallait un
recueil pour les insérer, et c'est précisément ce qu'il rencontrait à l'Aca-
démie. Ses rapports, ses notes et ses discours ont été cités souvent comme
dignes d'attention. Plusieurs de ces pièces ont même donné lieu à des
polémiques assez acerbes dans des journaux et des revues, polémiques
auxquelles l'auteur s'empressait de prendre part avec convenance et
dignité.
Les rapports du baron de Stassart étaient généralement empreints d'une
bienveillance éclairée, d'une sage indulgence qui, loin de provoquer chez
les jeunes écrivains une vanité ridicule ou une activité stérile, les excitait
à mieux faire et encourageait leurs eiïorts. Le plus complet et le plus
remarquable de ces rapports est le rapport sur le concours ouvert par
l'Académie pour la meilleure pièce de vers français consacrée à la mémoire de
la reine (8 mai 1851). Quelques Notes aussi sont du plus haut intérêt pour
l'histoire de la littérature : ce sont celles relatives à l'évéque Philippe Cos-
peau , aux descendants de Corneille et au poëte Lainez. Enfin, parmi les
Discours académiques, je ne puis manquer de citer les cinq discours spécia-
lement consacrés à l'histoire de la Belgique, et qui s'enchaînent de ma-
nière à présenter les principaux faits et les personnages les plus saillants
de nos annales. Le discours du 15 décembre 1811, notamment, renferme
une idée des plus heureuses, en traçant d'une façon sommaire un itinéraire
historique de la Belgiqiie ^
Le baron de Stassart ne tarda pas à s'attacher de plus en plus à l'Aca-
démie, après avoir consenti à occuper la présidence alternativement avec
M. le baron de Gerlachc. Par une coïncidence remarquable, ces deux
hommes qui s'étaient rencontrés à Paris en 1802, sur les bancs de l'uni-
versité de jurisprudence, qui avaient été un instant ensemble vice-prési-
' OEuvEES, p. 279.
44 NOTICE
dents du congrès national, et qui avaient été élus ensuite, l'un président
de la chambre des représentants, l'autre président du sénat, se trouvèrent
partager aussi la présidence de l'Académie.
A mesure surtout que le baron de Stassart s'éloigna des affaires publi-
ques, il s'occupa davantage de ses travaux à l'Académie, qui devinrent ses
plus douces distractions, ses délassements les plus chers. Ce n'était ni la
gloire, ni même une satisfaction d'amour-propre qui le poussaient à mul-
tiplier ses publications, c'était une sorte d'habitude qu'il s'était créée dès
la jeunesse et dont son intelligence, toujours active, ne pouvait plus se
passer.
Le même penchant l'avait porté à accepter une certaine part dans la
rédaction d'une foule de recueils périodiques. Il fut un des principaux
collaborateurs de la Biographie universelle des frères Michaud , de la Revue
encyclopédique de France, de la fievtie belge, du Trésor national, du Bibliophile
belge, du Bibliophile de Paris et de la Bévue du nord de la France publiée par
M. Arthur Dinaux. Il avait écrit également dans VAnnuaire nécrologique de
M. Mahul, dans la Thémis, dans le Mémorial européen, dans le Journal de
f Empire, dans le Journal de la Belgique, dans VAnnuaire de la Société philo-
lechnique, etc., etc.
Des critiques littéraires insérées dans les journaux, des pièces et des
discours de circonstance, des opuscules composés dans sa jeunesse et
qu'il revoyait avec attention, des publications d'autographes importants,
des réponses à des opinions hasardées par différents écrivains, des recti-
fications d'erreurs historiques, occupèrent également les loisirs que s'était
faits le baron de Stassart, et ne tardèrent pas à prendre place dans son
volume d'OEitvres diverses.
11 avait aussi, depuis de longues années, la pensée d'écrire des Mémoires,
et l'on conçoit de prime abord de quel intérêt eût été un pareil ouvrage,
embrassant toute la période comprise entre la révolution de 89 en France
et la restauration bonapartiste de 1852. L'entreprise était gigantesque,
et de nature à effrayer un écrivain qui n'avait jamais, au temps même de
sa plus grande virilité, conçu le plan d'un ouvrage de longue haleine. La
lecture de plusieurs mémoires contemporains acheva de le dégoûter, et
SUR LE BARON DE STASSART. 45
l'abus que l'on faisait de ce genre lui lit craindre de tomber dans la manie
générale. Nous n'avons de cet ouvrage qu'une sorte d'avant-projet, de table
des matières, et un fragment destiné sans doute à former le commence-
ment du premier chapitre.
Pendant les dernières années de sa vie, seul au milieu de ses livres et
de ses collections, il prit une sorte de plaisir d'enfant à augmenter le
nombre de ses précieux autographes, à cataloguer son immense biblio-
thèque, à compléter sa collection de fabulistes, à rassembler même des
tableaux, des médailles et des œuvres d'art, tout en s'occupant avec le
plus grand soin de l'impression de ses OEuvres.
Cette impression dura près de trois ans, du 2 septembre 1851 au mois
de juin 1854. Le volume portait, en guise de préface, ces paroles tou-
chantes :
« J'ai sous mes yeux mon acte de naissance; je ne puis me faire illu-
sion : je suis né le 2 septembre 1780. C'est aujourd'hui ma soixante-dou-
zième année.... il est plus que temps de dresser mon bilan littéraire. Le
public connaît déjà la plupart des pièces qui le composent. Puisse son
indulgence, qui m'a souvent encouragé, ne pas se démentir à la vue de
ce bagage trop volumineux peut-être! »
Ce que le baron de Stassart appelait son « bilan littéraire, » forme
réellement une petite bibliothèque. C'est un volume grand in-8% de 1092
pages à deux colonnes, renfermant non-seulement toutes les œuvres que
j'ai citées dans le cours de cette appréciation, mais un nombre prodigieux
de pièces détachées, d'excellentes notices biographiques, de critiques
littéraires et de miscellanées , qui forment une partie spéciale infiniment
plus considérable que la première.
Mêlé à toutes les affaires de son temps, depuis le commencement de
ce siècle; appelé, par ses diverses fonctions, à la discussion de tous les
intérêts intellectuels; en rapport avec tous les hommes qui ont eu quelque
influence sur les idées de notre époque, le baron de Stassart était, par
ces circonstances, à même de nous fournir mille données, mille détails
précieux sur l'histoire contemporaine. De plus , doué d'un patient esprit
d'investigation joint à une rigoureuse impartialité , d'une mémoire ex-
i6 NOTICE
traord inaire au secours de laquelle il pouvait appeler conslanimenl de
riches collections de livres, de manuscrits et d'autographes : nul n'avait
aussi plus de ressources pour faire les immenses travaux que renferme
cette seconde' partie de ses œuvres. Combien la simple indication de celle
foule d'études détachées serait utile à nos littérateurs, à nos historiens,
à nos critiques, à tous ceux qui veulent mettre de la conscience et de
l'exactitude dans leurs recherches, quelles qu'elles soient !
Le bien que le baron de Stassarl avait fait, pendant sa longue carrière,
à la littérature et aux littérateurs, il voulut le continuer même après sa
mort. L'Académie, qu'il avait fini par considérer comme sa famille d'a-
doption, eul la plus grande partie de sa riche collection de livres et
d'autographes , toute sa correspondance privée , tous ses papiers intimes.
Il fonda en outre un prix en faveur de la meilleure notice sur un Belge
célèbre, et un autre prix, plus important, destiné à encourager l'étude de
l'histoire nationale. Une somme de 10,000 francs fut léguée à l'Institut
de France pour fonder un prix à décerner, tous les six ans, alternative-
ment pour l'éloge d'un moraliste et pour une question de morale. Enûn,
le jeune officier qui, pendant l'année, sortirait premier de l'école mili-
taire, devait recevoir un précieux autographe de Bayard , ainsi qu'une
somme de 5,000 francs pour son équipement.
En présence de ces legs, dont je n'indique ici que les principaux, ne
peut-on pas dire que la vie littéraire du baron de Stassarl continue encore?
SIR LE BAROiS DE STASSART 47
III.
VIE INTIME.
Lorsqu'on jelte les yeux sur l'un des nombreux portraits du baron de
Slassarl, et particulièrement sur la lithographie de M. Baugniet, sur la
belle médaille de M. Léopold Wiener, ou sur le buste qu'achève en ce
moment même M. Eugène Simonis, ce n'est point la régularité des traits,
la noblesse de l'ensemble, la pureté des détails qui frappent tout d'abord:
c'est la bonté, c'est la bienveillance, c'est une douce sérénité, une félicité
franche et souriante qui vient de la conscience et qui se répand sur le
visage en calmes rayonnements.
Mais les artistes n'ont jamais pu rendre l'expression essentiellement
mobile de cette physionomie, expression qui devenait tantôt (ine et mali-
cieuse, tantôt affable et pleine de bonhomie, tantôt vive et animée. Les
sentiments et les pensées du baron de Stassart, c'est-à-dire toute son âme
se manifestait à chaque instant, non-seulement sur ses traits, mais dans
toute son altitude, dans ses gestes, dans sa personne entière. Ces divers
aspects de sa vie intime, facilement appréciables, ne présentaient cepen-
dant ni contrastes, ni disparates; car l'égalité d'humeur et la charmante
indulgence qui formaient l'unité réelle de ce caractère, se révélaient aussi
( onstamment par un sourire aimable, sans affectation ni banalité.
On se sentait attiré malgré soi, instinctivement et irrésistiblement, vers
cet homme, en remarquant l'urbanité, le bon goût, le tact exquis de son
langage et de ses manières; on l'estimait à la première vue, on l'aimait
sans le connaître, sans savoir encore qu'il était l'une des gloires les plus
pures et les plus respectables de notre temps et de notre pays.
Ceux qui, n'ayant point approché le baron de Stassart, n'ont pas éprouvé
non plus son influence toute personnelle, jugeraient difficilement un carac-
tère aussi en dehors du commun des hommes , aussi vraiment rare à toutes
48 NOTICE
les époques et particulièrement à la nôtre. Lorsqu'on se rappelle avec
quelle indulgence éclairée ce vieillard accueillait et encourageait les jeunes
gens qui se destinaient à la carrière des lettres , lui dont les idées arrêtées
depuis longtemps paraissaient devoir être d'autant plus obstinées et exclu-
sives , on ne peut s'empêcher de ressentir pour l'homme même, indé-
pendamment de sa vie et de son talent, non-seulement une vive admira-
tion, mais un véritable et sincère enthousiasme.
Et cependant, on regrette de devoir s'en souvenir aujourd'hui, combien
le baron de Stassart n'a-t-il pas été attaqué durant sa longue et laborieuse
carrière, combien n'a-t-il pas été en butte aux fureurs des partis, aux
rancunes de la plus étroite et de la plus mesquine jalousie. Peut-être est-ce
le sort inévitable de tous les hommes supérieurs qui savent se mettre au-
dessus des considérations d'actualité, et ne se guider que par les idées de
l'honneur, du bien, du juste, du vrai. Peut-être aussi y avait-il, dans le
caractère même du baron de Stassart, un côté vulnérable, une propension
peu sympathique à la foule, un trait distinctif que l'on n'est que trop
porté à confondre avec la faiblesse, et dont les envieux ne manquaient pas
de tirer parti. Je veux parler de la modération presque systématique que
j'ai eu si souvent l'occasion de signaler, tant dans la vie publique que
dans la vie littéraire de l'homme dont je fais ici l'éloge.
La modération, en effet, telle est la vertu, suivant les uns, tel est le
défaut, suivant les autres, qui domine toute l'existence, tous les actes,
toutes les opinions du baron de Stassart. Et, remarquons-le bien, ce n'est
pas seulement par inclination naturelle, c'est de parti pris, de propos
délibéré, après réflexion et méditation, qu'il s'efforce de faire prévaloir ce
principe. En politique, au sein même de la lutte la plus vive, au sein de
la révolution, il rêve la conciliation des partis; il hait les tyrans, mais il
craint la liberté illimitée. Les extrêmes en tous genres lui répugnent; il les
attaque l'un après l'autre, et souvent à la fois, n'ayant alors pour partisans
que certaines gens médiocres, incapables de l'appuyer ou de le soutenir, et
pour récompense que sa conscience d'homme de cœur et d'homme de bien.
Pense-t-on que la modération, ainsi entendue, ainsi pratiquée, soit
une qualité bien commune? Pense-t-on qu'il faille beaucoup plus de force
SLR LE BARON DE STASSART. 49
et de courage pour se jeter dans un parti, et s'abandonner ensuite, aveu-
glément, à toutes les exagérations de ce parti, que pour s'arrêter sur la
pente et cliercher même à arrêter les autres?
Le baron de Stassart se rendait parfaitement compte lui-même des
dangers de cette situation, et, comme c'était surtout de propos délibéré
qu'il l'avait prise, il en avait pesé mûrement toutes les conséquences.
« Ce que les partis extrêmes pardonnent le moins, dit-il, c'est la mo-
dération, qu'ils considèrent comme la critique permanente de leurs actes.
Ainsi de toutes les vertus, la modération est, je crois, celle dont la pra-
tique exige le plus de courage ^ »
Il est vrai que, se faisant illusion sur les hommes de son époque, il se
flattait toujours de finir par les ramener au moyen de la persuasion.
« Laissons, dit-il encore, les hommes des partis extrêmes injurier les
partisans d'une sage modération, laissons-les invoquer contre eux la loi
d'Athènes..,. Il faudra bien qu'on en revienne au juste milieu, base uni-
que de toute vérité pratique ^. »
Cette opinion se reproduit sans cesse dans les Fables, dans les Pensées
de Circé et en maint endroit de ses autres ouvrages. Ce n'est pas pour la
politique seulement qu'il l'invoque, c'est aussi pour toute la conduite de
l'homme dans la vie privée,
« La modération plus que toute autre vertu sert de garantie au bon-
heur ^. »
Mais, là encore, il est le premier à reconnaître que la mise en prati-
que de cette maxime est malaisée. « Il faut plus qu'on ne pense de force
d'âme et de courage d'esprit pour ne jamais franchir les bornes de la
modération *. »
Sans doute que la haine de l'orgueil, si vivace chez le baron de Stas-
sart, provenait de ce penchant invincible, allié à un sentiment de justice
et de convenance. Sans doute aussi que l'indulgence, qui le caractérisait
à un si haut point, avait la même source, tout en étant la conséquence
d'une bonté naturelle et irréfléchie. Mais il est évident que cette indul-
' Pensées de Circé, 493. ] - Pensée 480. | ' Id. 470. | '• fd. 2t I.
Tome XXVIH.
50 NOTICE
gence et cette haine de l'orgueil, développées de cette façon, devaient
finir par appuyer à leur tour la modération elle-même.
On voit maintenant que cette tendance remarquable du caractère du
baron de Stassart était tout autre chose qu'un impuissant éclectisme,
qu'un timide juste milieu, qu'un adroit équilibre, comme on l'en a sou-
vent accusé. Député, homme d'État ou écrivain, loin de redouter les
exagérations, il les combattait en face et à outrance; loin de pactiser avec
les extrêmes, il leur avait voué une haine vigoureuse; loin de se placer
entre les systèmes, il s'élevait au-dessus, et les dominait de toute la hau-
teur de ses vues nobles et généreuses.
Certainement, et je suis le premier à en convenir, un tel rôle exigeait une
ardeur constante et soutenue, qui parfois fit défaut au baron de Stassart,
surtout dans les dix dernières années de sa vie. Comme l'a fort bien fait
remarquer M. Quetelet, à propos de certains actes de cette période ' : « 11
put reconnaître alors que le rôle le plus difficile à remplir, c'est de n'en
point avoir, et de se trouver, sans le mot d'ordre, entre deux partis qui en
sont aux mains : les chances d'être frappé sont doubles. Il n'existe, en
pareil cas, que deux manières de se préserver : c'est de s'effacer par une
nullité complète, ou d'exercer sur tous un puissant ascendant. Or, cet
ascendant, le baron de Stassart l'avait perdu, et, d'une autre part, il n'était
point un homme que l'on pût considérer comme étant de médiocre impor-
tance. »
Il serait impossible de caractériser avec plus de justesse la position spé-
ciale à laquelle le baron de Stassart devait aboutir, par son système de
modération, vers la fin de sa carrière. Mais il faut bien se garder d'en
accuser la tendance elle-même, malgré toutes les inimitiés, toutes les ani-
mosités qu'elle suscita constamment et dans des camps diamétralement
opposés.
Ce qu'on ne peut perdre de vue, c'est que le baron de Stassart eut
toujours « le courage de la modération », comme il le dit lui-même, et
qu'il ne recula jamais sur ce point, ni devant la disgrâce, ni devant l'im-
' Notice, p. 33, note 2.
SUR LE BARON DE STASSART. M
popularité. Les conséquences de cette conduite furent souvent pour lui
des plus cruelles; mais il en prenait son parti avec le calme du sage, avec
la sérénité d'âme que donne à l'honnête homme la conscience du devoir
accompli. Il allait jusqu'à en plaisanter en présence de ses amis, sans
aigreur, sans dépit, avec cette finesse et cette douceur qui lui étaient
particulières. Ses Fables, ses Pensées de Circé, ses Ëpigrammes , ses Petits
dialogues épiyrammaliques et moraux, devenaient aussi les confidents de ses
impressions, de ses observations, de ses souvenirs.
Ne s'est-il pas, évidemment, dépeint lui-même sous le nom de Uulis,
dans la pensée suivante ^ ?
« Dulis ne réussit pas dans le Midi, parce qu'il y passe pour un esprit
apathique et lier qui ne sait pas courtiser les grands et faire à propos
une démarche importante; dans le Nord, il ne réussit pas davantage,
parce qu'on l'y regarde comme un intrigant, attendu qu'il n'évite pas de
plaire à des hommes très-aimables, à la vérité, et très-dignes de l'estime
publique, mais qui sont assez malheureux pour avoir du crédit à la cour.
Que manque-t-il donc à Dulis pour se concilier les esprits? — De savoir
prendre successivement les mœurs et les usages des divers pays qu'il
habite. Il est certains cas où le mezzo termine, si vanté des sages, n'est bon
à rien. »
N'est-ce pas lui encore que l'on doit reconnaître dans cet autre por-
trait 2?
« Vérax respecte l'ordre public; on ne le voit pas déclamant sans cesse
contre les sommités sociales. Aussi les frondeurs de profession le consi-
dèrent-ils comme un courtisan, tandis qu'à la cour on le traite de déma-
gogue, parce qu'il ne craint pas d'y faire entendre le langage de la vérité,
parce qu'il n'hésite jamais à blâmer les mesures défavorables aux intérêts
du peuple. »
C'est à ces confidences littéraires que se bornait toute la vengeance du
baron de Stassart. Jamais il n'eut l'idée de se poser en âme incomprise
ou méconnue, en victime ou en martyr. Et pourtant à combien d'attaques
' Pensée -2'27.
"2 Pensée 417.
S2 NOTICE
et de persécutions ne fut-il pas exposé ! Tout autre que lui, sans aucun
doute, se fût dégoûté d'un système qui ne lui attirait que des ennemis;
tout autre se serait renfermé dans son dépit, dans son orgueil, dans son
mépris du monde et de la société. Lui, tout au contraire, n'en devint que
plus indulgent, plus bienveillant, plus affable. Et n'est-ce pas là une preuve
convaincante de la véritable force d'àme, de la véritable supériorité?
« Quand on considère, dit -il encore, l'ingratitude et les injustices
auxquelles l'bomme en place est plus exposé que personne, on doit lui
savoir quelque gré de n'être ni dur ni égoïste à quarante ans '. »
Or, cet égoïsme et cette dureté, le baron de Stassart n'en laissait pas
encore observer le moindre synq^tôme, dans ses opinions ou dans sa con-
duite, à 73 ans, c'est-à-dire à son plus grand âge.
Bien plus, il encourageait chez les jeunes gens, avec une bonté sans
égale, des instincts qui, en apparence du moins, semblaient s'opposer
aux préoccupations de toute sa vie. 11 aimait leur hardiesse, leur témé-
rité même, sachant bien que ces penchants ne se modifient que trop avec
le temps, et persuadé que la liberté seule conduit aux plus nobles et aux
plus éclatantes vertus. Écoulez plutôt ce piquant petit dialogue qui n'est
que le reflet de ses conversations intimes.
« N. Théophile, qui passe pour votre élève, est un jeune homme très-
dangereux par son exaltation. Si le mot excentricilé n'existait pas, on l'au-
rait créé pour lui. Les abus du pouvoir, les injustices de l'opinion l'irritent
et le révoltent : il se fait dans toutes les occasions le défenseur de l'op-
primé. Je le répète, c'est un frondeur dangereux. Que ne le ramenez-vous
dans une voie meilleure ? Il semble vraiment dévoré de la fièvre du bien
public.
« X. Ne craignez rien.... cette fièvre là n'est pas contagieuse 2. »
L'homme qui écrivait ces charmantes paroles n'aurait-il pas dit aussi
avec le grand chansonnier auquel il ressemble par plus d'un côté :
« .... Il est peu de jeunes gens qui ne sachent l'intérêt que tous m'inspi-
rent. Combien de fois me suis-je entendu reprocher des applaudissements
' Pensée 58.
2 Petits dialogues épigrammatiques et moraux. OEuvres , p. 217.
SUR LE BARON DE STASSART. 53
donnés à leurs plus audacieuses innovations ! Pouvais-je ne pas applaudir,
niênie en blâmant un peu * ? »
C'est cerlaineaient là l'un des traits les plus sympathiques du ca-
ractère du baron de Stassart, et, nolons-le bien, c'était la modération
même qui produisait cette indulgence, et qui allait, sinon jusqu'à encou-
rager, du moins jusqu'à permettre une certaine exagération de senti-
ments.
Il est donc plus qu'absurde de considérer la modération comme une
qualité toute passive, connue synonyme d'impuissance ou de timidité. La
vie intime du baron de Stassart nous présente mille exemples, mille
preuves du contraire.
Et d'abord, cet homme si modéré, cet esprit si conciliant, cet ennemi
déclaré de tout excès, de toute violence, était loin de posséder le calme,
la quiétude, la placidité d'âme qui semble inséparable d'une telle manière
de voir. La vivacité, l'impatience même, et parfois l'obstination se révé-
laient chez lui de la façon la plus singulière, la plus inattendue. Mais,
hàtons-nous de le dire, à la louange du baron de Stassart, ces défauts,
en tant que défauts , ne prenaient jamais leur source que dans un sen-
timent d'honneur, de justice, de générosité, violemment froissé ou com-
battu.
« Ces accès d'impatience, dit M. Quetelet, se manifestaient par une
vive rougeur, un certain embarras d'expression et un mouvement nerveux
dans toute sa personne^. » Parfois même ils lui inspiraient quelque saillie,
quelque épigramme piquante, mais où la colère et la brutalité n'avaient
jamais la moindre part. C'était au côté ridicule qu'il s'attaquait de préfé-
rence, et le principe seul, ou plus souvent encore l'expression, excitait
cette verve satirique.
Du reste, l'explication de cette apparente anomalie se trouve tout entière
dans un passage des Souvenirs laissés par le baron de Stassart à l'Académie.
« Mon enfance, dit l'auteur, fut entourée de témoignages d'affection.
Aussi, plus tard, lorsque je fus au collège, je cédais volontiers aux moyens
' Déranger, préface des chansons nouvelles et dernières.
- Notice, p. 41 .
M NOTICE
de douceur, mais je savais me roidir avec une obstination sans égale contre
tout ce qui ressemblait le moins du monde à la violence. »
Ce qui n'était qu'un instinct chez l'enfant devint chez l'homme un trait
caractéristique; mais le bien seul était l'objet de cette vivacité, que la
bonté naturelle et le sentiment des convenances empêchèrent toujours de
dégénérer en personnalités blessantes.
L'impatience et l'obstination même ne forment donc nullement, à ce
point de vue, un défaut, une dissonance dans l'esprit du baron de Stassart.
Rien, au contraire, ne prouve mieux la parfaite unité, l'admirable har-
monie de son caractère, et, si je ne craignais de tomber dans le paradoxe,
je soutiendrais que la modération, dans le sens élevé que lui attribue
l'homme de cœur, provoque l'activité et entraîne par moments à la lutte.
Qu'on lise, par exemple, la lettre que le baron de Stassart écrivit,
le 6 juin 1847, aux journaux qui avaient attaqué son discours académique.
On y verra, non point un courage tout passif, mais une énergie extraor-
dinaire, bien rare dans une cause et dans un ordre d'idées que l'on consi-
dère comme le domaine de la médiocrité.
Voici un passage remarquable de cette réponse, que je tiens à placer ici
sous les yeux des lecteurs ' :
« .... Je n'ai jamais hésité le moins du monde à mettre au grand jour
mes opinions : c'est une habitude de toute ma vie. J'ai dit la vérité (ou
du moins ce que je croyais être la vérité) aux ministres de l'empereur,
à l'empereur lui-même ; je l'ai dite aux ministres du roi Guillaume ; je l'ai
dite à tous les hommes d'État ou prétendus hommes d'État qui, chez
nous, se sont succédé au pouvoir depuis 1850. Je ne l'ai pas épargnée non
plus aux tribuns populaires, et je la dirai partout où j'aurai mission
pour prendre la parole. C'est le plus sûr moyen de déplaire aux deux
camps ennemis; je l'ai plus d'une fois éprouvé dans ma longue carrière;
mais le temps de la justice arrive tôt ou tard, et, suivant un de ces vieux
adages qu'un vieillard aime tant à se rappeler : La raison finit lonjonrs pot-
avoir raison. »
' OEcvRES, p. 328.
SUR LE BAROÎS DE STASSART. 55
Plaise à Dieu que ce temps soit enfin arrivé, et que ma faible appré-
ciation contribue à faire voir, dans tout son jour, l'un de nos grands
hommes contemporains les plus dignes de toutes nos sympathies !
Je n'ai considéré jusqu'à présent que les principaux traits du caractère
du baron de Stassart, en signalant l'ensemble et l'unité qui s'y révèlent,
malgré d'apparentes contradictions.
C'est là toute la vie intime que j'ai à dépeindre, car, sauf quelques mo-
difications presque inappréciables, dues à l'âge et aux circonstances, cette
existence se présente la même à toutes les époques et dans tous les pays.
Les personnes qui ont connu le baron de Stassart à un moment quel-
conque de sa carrière, l'ont connu tout entier; et, tel qu'il se manifesta
d'abord à Inspruck, à Varsovie, à Elbing , à Koenigsberg et à Berlin, tel
il fut à Orange, à la Haye , à Namur et à Bruxelles, jusqu'au dernier jour
de sa vie.
Et, qu'on ne s'y trompe pas, ce n'était point là de l'immobilité, ce
n'était point là de l'apathie, c'était de la constance. Si son attachement à
l'empereur, si sa prédilection pour la France, si son respect du devoir, si
sa haine de l'orgueil et de l'exagération, si ses instincts nobles et géné-
reux ne se démentirent pas un instant, en un mot, si ses sentiments
restèrent les mêmes, ses idées n'en prirent pas moins un nouveau cours,
ou pour mieux dire une forme nouvelle.
Or, lorsque l'on considère les événements si nombreux et si variés que
le baron de Stassart eut à traverser, on ne peut que lui faire un mérite
d'avoir su conserver, au sein de ces événements, une ligne invariable de
conduite, d'avoir su résister à des impulsions contradictoires, tout en
acceptant le progrès pour but essentiel et pour loi suprême.
Il me reste à examiner quelques détails de cette vie intime, si féconde
en enseignements de tout genre, quelques opinions, quelques propensions
secrètes de cet esprit à la fois si constant et si vif.
J'ai répété à diverses reprises, dans le cours de cet Éloge, que le baron
de Stassart avait le génie de la fable. Tous ceux qui ont connu l'homme
peuvent s'en convaincre en se rappelant les deux faces principales de son
intelligence, les deux talents qui le distinguaient le plus dans ses rela-
o6 NOTICE
lions de société, et qui conslitiient précisément l'esprit de l'apologue. Le
baron de Stassart possédait au plus haut degré l'art de conter avec finesse
et bonhomie, et l'on pourrait former un recueil charmant des spirituelles
anecdotes dont sa conversation était semée. Il possédait ensuite le don ,
plus rare encore, de faire saisir la portée et, en quelque sorte, la mora-
lité de ces anecdotes. Ses réflexions et ses appréciations avaient surtout un
côté pratique, qu'il rendait d'autant plus saillant par une forme piquante,
par un persifflage de bon goût et de bon ton. 11 ne dissimulait nullement
ses sympathies et ses antipathies, mais toujours il les rattachait à quelque
principe supérieur qui les faisait comprendre et souvent même adopter
par ses auditeurs.
Dans ces conversations ou plutôt dans ces causeries , son visage s'épa-
nouissait et rayonnait d'une douce satisfaction intérieure; il semblait
heureux d'être écouté et de faire partager à ceux qui l'entouraient ses
sentiments et ses pensées. Combien de fois on a dû regretter depuis qu'il
n'ait point écrit les Mémoires qui auraient été le reflet de ces confidences
familières. Que reste-t-il aujourd'hui de tant de charme, de tant d'esprit,
de tant d'expansion? Quelques traits épars dans ses OEuvres diverses, ou
religieusement conservés dans le souvenir de ses nombreux amis.
C'était l'amitié qui avait, à toutes les époques, procuré le plus de joie
et de contentement au baron de Stassart, qui l'avait promptement consolé
de ses disgrâces et de la haine de ses adversaires. ïl importe de remar-
quer ici que tous ceux qui furent ses amis lui restèrent constamment aussi
attachés, aussi fidèles, et que, sur ce point du moins, les déceptions ne
vinrent jamais attiédir ses affections ou réprimer ses généreux élans. Il
savait aussi reconnaître cette amitié par mille soins, mille complaisances,
par un dévouement infatigable et sans bornes. Les démarches qu'il n'eût
sans doute point faites pour lui-même, il les multipliait pour ses amis au
risque de se rendre importun et d'essuyer des refus blessants de la part
de personnes qui ne se piquaient ni de bienveillance, ni de politesse.
Comme homme du monde, le baron de Stassart avait conservé les tra-
ditions de l'ancienne aristocratie, mais en y ajoutant plus d'affabilité,
plus d'aménité, plus de cordialité surtout. L'arrogance et la prétention
SUR LE BARON DE STASSART. 57
étaient également bannies de ses manières et de son langage. 11 savait
écouter sans montrer d'ennui, et témoignait en toute occasion la plus
grande délicatesse pour les opinions qui n'étaient point les siennes. La
tolérance était aussi l'une de ses vertus dominantes; il professait un véri-
table respect pour toute idée énoncée avec modération et avec fran-
chise '.
Bon pour tout le monde, pour les étrangers comme pour sa famille,
pour ses inférieurs, pour ses domestiques, il se faisait estimer et chérir
de tous ceux qui l'approchaient. Et comment eût-il pu en être autrement
d'un homme qui semblait semer le bonheur autour de lui? Pour tout dire
en un mot, on peut affirmer que ses ennemis ne se recrutèrent jamais que
parmi les personnes qui ne le connaissaient point, ou qui, du moins,
n'avaient pas eu avec lui de relations intimes.
Une vie aussi active devait pour ainsi dire se répandre au dehors.
L'orgueil seul sait se renfermer en lui-même et ne vivre que pour lui. Le
baron de Stassart vivait en grande partie dans les autres, et ce que l'on
a interprété si faussement en y voyant un indice de vanité puérile, n'était
qu'un penchant irrésistible à l'expansion et le besoin d'être aimé.
N'ayant jamais eu d'enfants, il avait concentré toutes ses affections de
famille sur une épouse bien aimée, qui était réellement digne de cet amour,
et qui éprouvait pour le baron de Stassart une tendresse mêlée d'une
sorte de vénération. Il s'était créé également une société d'amis dévoués,
presque tous jeunes gens, qui professaient la plus vive admiration pour ses
sentiments et son caractère. Mais là ne se bornait pas encore le cercle de
ses affections : lui-même nous l'apprend dans cette pensée ingénieuse, écrite
sous forme de dialogue :
« N. On ne vous voit jamais dans le monde vous vivez dans un
isolement complet.
» X. Que voulez-vous je tiens à la bonne société; je vis au milieu
de mes livres ^. »
' M. Qiiptelet, dans son discours, prononcé sur la tombe de M. de Stassart, a parfaitement
apprécié l'induence de ces qualités sur les relations intimes des académiciens.
- Pelils dialogues. OEuvres, p. 218.
Tome XXVIIL 8
58 NOTICE
Bien dos années aupaiavanl il avait déjà dit :
« Le philosophe, le sage, qui dédaigne de défendre contre l'intrigue
une position qu'il n'avait pas ambitionnée, passe pour un niais aux yeux
de bien des gens, mais il s'en console dans sa bibliothèque avec les morts,
avec ses vrais amis •. »
En effet, le baron de Stassart semblait avoir choisi un certain nombre
de ces morts pour en faire sa société intime. Il relisait leur histoire ou
leurs œuvres, il les citait avec complaisance, et s'enthousiasmait souvent,
au souvenir de leurs pensées ou de leurs actions, avec une ardeur toute
juvénile. On comprend qu'il devait y avoir quelques rapports secrets entre
le caractère de ces grands hommes et celui du baron de Stassart lui-même,
et l'on pourrait presque deviner déjà les noms de ceux qui furent l'objet
de celte prédilection.
Parmi les héros qui se sont illustrés dans l'histoire, ce n'étaient point
les plus célèbres, ceux dont la renommée est la plus éclatante, qui avaient
le privilège d'exciter ses sympathies, mais plutôt ceux qui, par leurs sen-
timents chevaleresques et leur grandeur d'âme, pouvaient être considérés
comme hommes d'honneur avant d'être admirés comme guerriers.
C'était Bayard d'abord, le plus grand de tous à ses yeux, Bayard, en
faveur duquel il rompit une lance, à l'âge de 72 ans, contre un des
rédacteurs de L'Indépendance -, et dont il légua un précieux autographe à
l'élève qui sortirait premier de l'école militaire. C'était ensuite le Prince
Noir, dont il admirait la noble conduite à l'égard du roi Jean ; puis Catinal,
dont les vertus privées égalaient le courage ; le chevalier d'Assas , Tu-
renne, Gustave-Adolphe. Cet engouement bien naturel pour les sentiments
généreux et chevaleresques l'avait même porté un instant vers le prince
d'Orange (plus tard Guillaume II) ^. Un respect héréditaire pour le souve-
rain lui faisait aimer Marie -Thérèse et le prince Charles de Lorraine **:
la reconnaissance et l'admiration l'avaient enchaîné à Napoléon, et Vol-
' Pensées de Circé, 462.
* OEuvBES, p. 1056. Voy. aussi : note 61 des Fables.
' OEUVRES, p. 165, note 2, et Fables, note 119.
•* OEUVRES, Promenade à Tervueren, p. 211.
SUR LE BAROIN DE STASSART. 59
taire lui avait appris à estimer sinon à aimer Henri IV et Frédéric II '.
Mais gardons-nous de croire que la gloire militaire ait eu jamais le
pouvoir d'éblouir le baron de Stassart. Dans ces derniers bommes, même
dans Napoléon, Henri IV et Frédéric H, ce n'était que l'homme d'Etat
et le pacificateur qui avaient droit à son estime 2.
Je viens de citer le nom de Voltaire, et c'est Voltaire, en effet, qui
semble avoir été le premier maître, le guide et le modèle du baron de
Stassart. En vain blâme-t-il son scepticisme^, il imite Voltaire, pour ainsi
dire, sans le savoir, dans ses Épîtres, dans ses Lettres en prose et en vers,
dans ses Êpkjrammes et ses Inscriptions; et il n'y a pas jusqu'aux Fables qui
n'aient, de temps à autre, une tendance légèrement voltairienne.
Après Voltaire, venaient la Fontaine et Béranger *, ces deux esprits
si essentiellement français. Parmi les poètes de l'antiquité, il préférait
Horace, l'auteur de la fameuse maxime Est modus in rébus, et le chantre
de Vaitrea mediocrilas ^. Parmi les compositeurs, ce ne pouvait être que
Grétry ^.
Walter Scott avait excité l'enthousiasme du baron de Stassart au point
de lui faire passer plusieurs jours et plusieurs nuits consécutives à la
lecture d'Ivanlioé, de V Antiquaire et de Quentin Durward : enthousiasme qu'il
faillit payer cher, et qui eut pour résultai une grave et longue maladie. Ce
n'était cependant point dans les littératures étrangères que le baron de
Stassart allait ordinairement chercher ses amis, et le choix qu'il fit parmi
les auteurs français ne tomba pas toujours non plus sur les plus illustres
écrivains. Ce choix est même assez curieux, et semblerait peut-être incom-
préhensible, si nous ne connaissions déjà l'homme.
La Curne de Sainte-Palaye, le charmant auteur des Mémoires sur l'an-
cienne clievalerie; le moraliste Vauvenargues ; l'abbé Blanchet, auteur des
Apologues et contes moraux; Gresset, à cause de son Vert-Vert, « l'une des
' Pensées, 6. Fables, note 147.
- Voy. la n^ponse au général Langermann. OEuvnrs, p. 317.
'' Petisées, 380.
* Voy. la dédicace du livre VIII des Fables.
= Voy. les JmUalions d'Horace. OEivkes, p. 1-46.
6 Pensées, 29 et 206.
60 NOTICE
productions les plus piquantes de la gaieté française ^; » l'abbé Barthé-
lémy, l'auteur d' Anacliarsis , pour ses Mémoires; CoUin d'IIarleville, pour
son Oplintisle et ses Châteaux en Espagne; Menriechet, l'ancien lecteur de
Louis XVIII, et auteur d'un Cours d'histoire lilléraire trop peu connu;
Charles de Bernard, pour son roman intitulé : L'homme sérieux ^, et quel-
ques autres, étaient les amis avec lesquels, disait-il, il aimait le mieux à
s'entretenir.
Il ne faut point s'imaginer cependant que là se bornaient ses prédilec-
tions ; mais à quoi bon parler des grands auteurs, que tout le monde a
lus, compris, goûtés, admirés? Les noms que je viens de citer étaient, au
contraire, de ceux qu'il importe de faire connaître. Mais, d'ailleurs, à
part toute autre considération, n'étaient-ce pas ces auteurs qui, par leur
esprit et leur caractère , se rapprochaient le plus du baron de Stassart?
Sans orgueil et sans affectation, le baron de Stassart s'empressait de
rendre justice à toutes les gloires, et ne permettait pas même qu'on osât, en
sa présence , par une manie trop commune de notre temps, chercher à les
rabaisser. Parmi les gloires littéraires, il y en avait naturellement qui lui
étaient plus sympathiques les unes que les autres. Outre Voltaire, la Fon-
taine et Béranger, que j'ai cités plus haut, il admirait particulièrement Mon-
tesquieu, à cause de ses idées d'équilibre constitutionnel; il aimait Racine,
l'homme de goût par excellence, l'harmonieux auteur d'Athalie ^, et il raf-
folait de madame de Sévigné, en souvenir de laquelle il entreprit, peu de
mois avant sa mort, une sorte de pèlerinage au château des Rochers *.
On conçoit qu'une semblable société, aussi aimable, aussi spirituelle,
aussi bien choisie , ait fini par repeupler un peu la solitude qui s'était faite,
autour du pauvre vieillard, après la mort de sa femme chérie. Mais il fal-
lait en outre, on doit en convenir, une activité intellectuelle prodigeuse
pour remplir de longues et monotones journées passées tout entières au
milieu de ses livres et de ses collections.
' Fables, note 251.
^ Petits dialogues épigrammatiques et moraux, p. 216.
■' Voy. Pensées, 593, et Fables, note lOi.
■' Près de Vilré , en Bretagne.
SUR LE BARON DE STASSART. 61
Le baron de Stassart, en effet, n'avait abandonné aucune des habitudes
d'une vie sobre, austère et toute consacrée au travail, et cette vie passera
sans doute pour une sorte de phénomène à notre époque.
Levé tous les jours, été comme hiver, dès quatre ou cinq heures du
matin, il ne se couchait que vers minuit ou une heure, et, dans ce long
intervalle, il ne faisait que deux repas, l'un à 7 heures du matin, l'autre
à 5 heures. Il s'était lui-même interdit le vin depuis sa jeunesse, et sa
sobriété était des plus extraordinaires.
Vivant, de cette façon, presque doublement, le baron de Stassart avait
atteint sa soixante-quatorzième année sans infirmités apparentes, et ses
amis avaient l'espoir de le conserver encore pendant bien des années, lors-
que plusieurs petites maladies successives vinrent ébranler cette santé
robuste et nécessiter un changement de régime qui lui fut peut-être
funeste.
Le 10 octobre 1854, se répandit tout à coup la triste nouvelle de la
mort subite et imprévue du baron de Stassart. Une légère attaque de cho-
léra s'était, disait-on, manifestée l'avant-veille, et le souvenir, peut-être,
de son épouse morte de la même maladie cinq années auparavant, avait
rendu impuissants les secours de l'art.
Ainsi s'éteignait une vie qui avait été mêlée, pendant plus de cinquante
ans, à toutes les grandeurs, à toutes les vicissitudes de notre temps, et
qui, au milieu de tant d'événements divers, avait conservé une admirable
et constante unité. Cette vie, le baron de Stassart nous l'a léguée presque
tout entière dans ses OEuvres diverses, dont l'impression venait à peine
d'être achevée; et nous pouvons y constater, pour ainsi dire à chaque
page, les éminentes qualités qui distinguaient l'homme public, l'écrivain,
l'homme privé; nous pouvons y retrouver une longue et laborieuse exis-
tence, toujours active, toujours utile, toujours digne d'admiration, de
sympathie et de respect.
FIN