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COMPARATIVE ZOOLOGY,
AT HARVARD COLLEGE, OAlIBRIDfiE, MASS.
The gift of F\«-c^'>Wv ^'îiA.ojuvjaj.,
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No. \5^
MÉMOIRES COURONNES
MÉMOIRES DES SAVANTS ÉTRANGERS,
PniLlES PAU
L ACADEMIE ROYALE
UES SCIENCES. DES LETTRES ET DES BEAUX- ARTS DE liEEUIQUE.
MÉMOIRES COURONNÉS
ET
MÉMOIRES DES SA\ ANTS ÉTRANGERS,
PUBLIES PAIt
L'ACADÉMIE l\OYALE
DES SCIENCES, DES LETTRES ET DES BEAUX-ARTS DE BELGIQUE.
TOME XXXII. — 1864-1865.
RRUXELLES,
M. HAYEZ, IMPRIMEUR DE L'ACADÉMIE ROYALE.
iYA
1865.
TABLE
DES MÉMOIRES CONTENUS DANS LE TOME XXXII.
CLASSE DES SCIENCES.
MEMOIRES COlIHOiV.'yES.
Hi'cIktcIk's sur la composition chimique des aciers, par M. H. Caron.
MÉMOIRES DES SAVANTS ÉTRANGERS.
Mi'iiioire en réponse à la question suivante : Trouver les Uijiu's de coiirhiirt- du lieu des
ixilnls iloiit lu somme des distances à deux droites rpii se coupent est consliiDle, par M. Eugène
Calalaii.
Mcuioirc sur un chronographc électro balisli((ue, par M. P. Le liouicnijé.
lU'clierchi's sin- la capillarité, par M. lîède.
CLASSE DES LETTRES.
MElloniE COURONNE.
Uisloire des colonies belges (pii sélablirent eu Alleuiague, pendant le .\II"" cl le XllI"' siècle.
par M. E. de Borcligrave.
CLASSE DES BEAUX -ARTS.
MEMOniES COURONNES.
Ecole tlauianile de peinluie. — Caractères constitutifs de son originalité , pai' M. VVicrlz.
Mf'rnoirc sui- les caraclèii-s coustilulifs de l'Ecole flauiandc de peinture, par M. Edgar IJaes.
RECHERCHES
SL'K LA
COMPOSITION CHIMIQUE DES ACIERS.
MÉMOIRE COURONNÉ
PAR l'académie royale DE BELGIQUE, LE )5 DÉCEMBRE 1864,
EN RÉPONSE A LA QUESTION SUIVANTE :
Les reclierches effectuées, ilans ces dernières années, sur la composition chimique des
aciers ont fait naître des doutes qu'il importe d'éclaircir; l'Académie demande qu'on
établisse, par des expériences précises, qîiels sont les éléments essentiels qui entrent
dans la constitution de l'acier, et qu'on détermine les causes qui impriment aux di/fé-
rents aciers produits par l'industrie leurs propriétés caractéristiques.
M. H. CARON,
■CAPITAI^E d'aRTI LLEHIF. , A PARIS.
Tome XXXII.
RECHERCHES
SUR LA
COMPOSITION CHIMIQUE DES ACIERS.
Gitius eniergit veritas ex errore qu»ni ex
(■«iifusidiie. (B.)
Avant d'aborder la (|iiestion posée par l'Académie, il est indispensable de
rappeler soinmairenienl les recherches à propos desquelles des doutes ont
pu rester dans Tespril de quelques savants sur la composition chimique des
aciers.
La cémentation du fer est une des méthodes le plus en usage et nous
dirons même, la meilleure méthode employée pour obtenir l'acier de qualité
supérieure. Cette opération consiste à chauffer au rouge dans des caisses
convenablement fermées des barres de fer entourées de charbon de bois con-
cassé. Qnekpiefois on ajoute au charbon des cendres de bois, du sel marin,
des matières animales, etc., etc. (nous en verrons plus tard les effets); mais
généralement, par économie, le charbon de bois est employé seul.
On ne comprend pas bien comment une réaction peut se produire entre
le charbon et le fer; puisqu'ils ne deviennent ni volatils, ni liquides aux
tenq)ératures employées dans la cémentation. Il a fallu admettre nécessaire-
ment qu'il existait en même temps un ou plusieurs autres corps susceptibles
de se combiner avec le carbone et de le transporter à l'état gazeux jusqu'au
4 RECHERCHES
métal immobile et fixe. Quels sonl ces corps? L'oxygène et Tazole donl se
compose en grande partie Talmosphère des caisses de cémentation furent
les premiers éléments sur lesquels se porta raltention des métallurgistes.
MM. Leplay et Laurent * essayèrent de prouver que Toxyde de carbone
était le corps volatil aciérant , et que la transformation du fer en acier ne
pouvait être due à la petite quantité d'bydrogène carboné ou de cyanogène
se formant dans ces circonstances. (Ces savants produisaient l'oxyde de
carbone au moyen du charbon ordinaire et de Tair.) Malheureusement pour
celte théorie, il fut bien constaté (ju'en faisant passer sur du fer porté au
rouge, un courant d'oxyde de carbone pur provenant de la décomposition
de Tacide oxalique par l'acide sulfurique, on n'obtenait aucune cémentation.
L'hypothèse de MM. Leplay et Laurent n'était donc plus admissible. Quehpie
temps après, M. Saunderson ^ démontra que la présence de l'azote était abso-
lument nécessaire dans la cémentation industrielle; ce savant métallurgiste
parvint aussi à cémenter le fer en faisant passer sur ce métal chaulïé au
rouge, un courant de gaz de l'éclairage mélangé de gaz ammoniac. Tous
ces faits , tous ces travaux , ne donnaient pas l'explication de la cémentation ,
il restait seulement accpiis à la science que l'azote était indispensable.
Enfin en 1860, M. le capitaine Caron " présenta à l'Académie des sciences
de Paris une série d'expériences (pii tendaient à prouver que le corps acié-
rant dont on soupçonnait l'existence devait être un cyanure alcalin formé
en présence du charbon par l'azote qui compose l'atmosphère des caisses de
cémentation et par l'alcali que les charbons de bois contiennent toujours en
(luantilé notable.
Pour le prouver, il sulïisait de faire voir (pie le charbon sans alcali et sans
azote ou sans l'un de ces deux corps ne donnait jamais de cémentation.
Un morceau de fer entouré de charbon privé d'alcali par le lessivage et
la calcination , fut chauffé au rouge dans un courant d'azote; il n'y eut pas
de cémentation.
Un morceau de fer entouré de charbon ordinaire non lessivé et non cal-
' Annules de cliiink et phijst<iuv , 'î"" série, t837, l. I-XV, j). 405.
- Bery- tinil HuHenmannischv Zeiluncj , n" il, 1859.
'" Comptes rendus de l'Anidémie des seienccs de Paris, l. Ll, p. 'jOi-, I8G0.
SUR LA COMPOSITION CHIMIQUE DES ACIERS. 5
ciné, fui chauffé au rouge dans un courant de gaz hydrogène bien privé
d'azole; il n'y eut pas de cénienlalion.
D'un autre côté, du charbon privé d alcali, et qui n'avait pu produire de
cémentation sous l'influence de l'azote, devint un cément très-actif après (pi'il
eut été imbibé d'une dissolution alcaline.
Du charbon de bois non lessivé et non calciné, mais qui n'avait pu cé-
menter du fer en l'absence de l'azote, devint aussi un cément actif sous lïn-
fluence de ce gaz '.
Il était donc démontré que la cémentation, telle qu'elle se pratique dans
Tindustrie , nécessitait non-seulement la présence du charbon et de l'azole ,
mais encore celle d'un alcali. Or, le charbon, l'azote et un alcali mis en
présence au rouge, forment toujours un cyanure quand l'alcali se trouve être
de la potasse , de la soude, de la lithine, de la baryte ou de la strontiane; on
pouvait donc penser que la cémentation se faisait par les cyanures , corps
volatils au rouge, et indécomposables à celte température par la chaleur
seule. Comme confirmation de celle hypothèse on reconnut que la chaux,
qui dans les mêmes circonstances ne donne pas de cyanure, ne produit non
plus aucune cémenlalion.
Si l'on examine ce qui se passe dans les opérations industrielles, on aura
encore, s'il est besoin, une confirmation de la justesse de l'hypothèse pré-
cédente. En effet, le charbon qui a servi une fois à la cémentation n'est
plus actif, et doit être rejeté ou mélangé par économie avec une grande
quantité de charbon neuf. Ce n'est cependant ni l'azote, ni le carbone qui
manquent après la première opération, c'est l'alcali qui a été entraîné par
les gaz; sans alcali il n'y a plus de cyanure possible, et sans cyanure il ny
a plus de cémentation.
Pourquoi l'industrie a-t-elle reconnu l'utilité d'ajouter au chail)on de bois,
des cendres, du sel, des matières animales etc.? C'est parce que ces diffé-
rents corps contiennent sans exception des alcalis qui activent la cémentation
en permettant la production dune plus grande quantité de cyanure.
' Crci n'est jamais rigoureusement exact; il y a toujours assimilation de earbone, mais la
cémentation est si faible ([uon peut, jusiju'ii preuve du eoutrnire, l'allrihuer à la présence, dif-
ficile à constater, d'une quantité extrêmement minime de ces deux corps.
6 RECHERCHES
Pourquoi enfin racicration avec les céments potassiques, sodiques et sur-
tout barytiques est-elle plus lente et exige-t-elle une plus haute température
qu'avec les céments ammoniacaux? C'est parce que les cyanures de potas-
sium, de sodium et de baryum, exigent pour se former, pour se volatiliser et
pour cémenter plus de temps et plus de chaleur que les cyanures ammonia-
caux.
Aucune objection n'a été faite jusqu'ici ' à cette théorie, qui permettait
d'expliquer tous les faits connus; mais M. Fremy^, qui ignorait sans doute
alors les travaux remarquables de Marchand " ainsi que ceux de Schaffliautl *
voulut aller plus loin : ce savant émit l'opinion que non-seulement l'azote
était indispensable à la cémentation, mais que ce corps était aciérant; autre-
ment dit, que l'acier n'était pas seulement un carbure de fer, mais bien un
azoto-carbure de fer.
Pour appuyer cette hypothèse il eût fallu faire voir par des expériences
précises, suivies d'analyses, que le fer en passant à l'état d'acier, c'est-à-dire en
se carburant, prenait en même temps de l'azote et que par suite, la différence
constatée entre les propriétés du fer et celles de l'acier pouvait tout aussi bien
provenir de l'absorption de l'azote que de l'assimilation du charbon. Aucune
preuve sérieuse ne fut apportée à l'appui de cette théorie émise autrefois et
abandonnée depuis par Schaffhautl; bien loin de là, les .travaux antérieurs
de Mac-Intosch démontraient déjà la possibilité de cémenter le fer avec
l'hydrogène carboné sans azote. MM. Bonis, Boussingault, etc., trouvèrent
depuis que tous les fers, fontes et aciers contenaient bien il est vrai de l'azote
en très-petite quantité, mais que la fonte en contenait plus que le fer et le fer
plus que l'acier. Plus-tard M. Rammelsberg^ fit voir que les fontes lamelleuses
les plus propres à produire l'acier ne contenaient pas d'azote ou en conte-
naient beaucoup moins que toutes les autres fontes.
En présence de ces faits bien constatés, il paraîtra peut-être superflu d'ap-
porter d'autres preuves; néanmoins les expériences citées plus haut, n'ayant
' Août 1864.
^ Comptes rendus , t. LI, p. 567.
^ ./. fur practische clieniie , t. LXXVl , p. 237.
* Ihid., t. XLIX, p. 35t.
^ Académie des sciences de Berlin, 14"' année, 18 décembre 1862.
Azole .
. . 0,0001 1
Id. . .
. . 0,00010
Id. . .
. . 0,00030
SLR LA COMPOSITION CHLMIQLE DES ACIERS. 7
jamais porlé que sur des inélaux d'origines différentes ou tout au moins incon-
nues, il ne nous a pas paru suffisamment démontré que le fer, en devenant
acier, ne prenait pas d'azote; nous avons voulu faire à ce sujet une expérience
directe qui ne pût laisser aucun donte dans l'esprit des métallurgistes.
Une barre de fer de Russie a été coupée en trois morceaux ; le premier
a été conservé tel quel, le second a été chauffé dans un cément potassicpie,
le troisième dans un cément ammoniacal.
De ces trois morceaux préalablement nettoyés et limés à la surface , on a
pris quelques copeaux enlevés à la machine à raboter; voici ce qu'ils conte-
naient d'azote > dosé par le procédé de M. Boussingault :
N° I. Fer russe sans préparation
N" "i. Id. avec ccnicnt potassique . . .
iV» 3. Id. id. ammoniacal . .
Les n"* 5 et 3 ont été fondus et coulés; après les avoir forgés et nettoyés
à la surface, on a pris quelques copeaux qui ont été analysés :
N" 2. Fondu Vzote .... 0,00010
JV" 5. id Id 0,000H
On voit par ces nombres que le fer cémenté à la potasse ne contient pas
plus d'azote que le même fer non cémenté, mais que le fer cémenté à l'am-
moniaque a absorbé une certaine quantité d'azote (comme le ferait, du reste,
le fer simplement chauffé dans l'ammoniatiue). On remarque en outre que les
deux aciers (à la potasse et à l'ammoniaque) contiennent après la fusion la
même quantité d'azote à très-peu près, et que cette quantité est égale à celle
que contenait le fer d'où ils provenaient.
La cémentation qui transforme le fer en acier n'augmente donc pas la
quantité d'azote contenue dans le fer; ce n'est pas l'azote alors qui constitue la
différence qui existe entre le fer et l'acier, c'est le carbone; et si tous les aciers,
comme le fer et la fonte, contiennent toujours de petites quantités d'azote,
tout porte à croire qu'il faut considérer ce corps comme une impureté, aussi
' Ces nombres, ainsi que les suivants, sont des moyennes de plusieurs analyses.
8 RECHERCHES
bien que le silicium , le soufre et le phosphore qu'on y renconlre égalemenl
et souvent même en plus grande quantité.
Avant de terminer celle partie de noire travail , laissons un instant de côté
ce que nous croyons avoir démontré, et n'examinons la question (|u'à son point
de vue pratique et industriel. Nous n'avons jamais pu trouver dans le com-
merce une fonte , un fer ou un acier sans azote, et tous nos eiïorts pour ex-
pulser complètement ce corps ont été infructueux ; admettons donc ce qu'en
désespoir de cause soutiennent nos conlradicleurs sans l'avoir démontré: que
l'acier sans azote ne peut exister, et que s'il était possible d'obtenir un acier
complètement exempt d'azote, ce métal n'aurait pas les qualités que nous
lui connaissons. A quoi cela nous mènera-t-il industriellement parlant? Quel
besoin avons-nous de nous préoccuper de ce corps, puisque malgré tous nos
elTorts nous ne pouvons éviter sa présence? Puisque les fontes et les fers fran-
çais contiennent toujours plus d'azote que les fers de Suède et de Styrie ou que
les fontes à acier de l'Allemagne, ce n'est pas à l'absence de ce corps qu'il
faut attribuer (comme l'a dit M. Fremy), l'impuissance dans laquelle nous
sommes de produire de bons aciers avec les fontes françaises '.
Et d'ailleurs la présence de ce corps est-elle un mystère pour nous, après
les expériences de Marchand ? la plupart des minerais de fer contiennent du
titane, les argiles sans exception en renferment également (Berlhier —
H. Deville). Rien de plus naturel alors que d'attribuer à l'azoto-carbure do
titane la présence ordinaire de la faible quantité d'azote que l'on trouve dans
les fontes et les fers. Cette hypothèse deviendra peut être une certitude,
si l'on réfléchit que l'azoto-carbure de titane se produit facilement avec le
titane, le charbon et l'azote de l'air, et qu'à une haute température, c'est un
des corps les plus stables que l'on connaisse, puisqu'il se forme naturellement
dans les hauts fourneaux (Wôhler); de plus, l'azoto-carbure de titane, comme
l'azoture de fer, produit de l'ammoniaque lorsqu'on le chauffe au rouge dans
un courant d'hydrogène. Le fer, au contraire, est complètement insensible à
l'action de l'azote, et l'azoture ou l'azoto-carbure de fer ne peut être préparé
(ju'au moyen de l'ammoniaque. Si l'on est parvenu à azoter fortement le fer
' Les fonles belges et anglaises sont dans le même cas.
SUR LA COMPOSITION CHIMIQUE DES ACIERS. 9
par ce procédé et qu'on le porte ensuite à une température élevée, l'azole
disparaît; il n'en reste plus que des traces comme dans les fers ordinaires.
Acceptons donc l'azote dans les aciers comme nous sommes forcés d'accepter
le silicium, le soufre el le phosphore dont malheureusement nous ne pouvons
nous défaire entièrement ; mais n'oublions pas toutefois, que jusqu'ici le
carbone est le seul corps utile à introduire dans le fer pour obtenir l'acier;
efl'orçons-nous en même temps d'en chasser tous les autres dont il reste tou-
jours assez, sinon trop, et dont nous allons constater la funeste influence.
INFLUENCE DES CORPS QUE L ON RENCONTRE DANS L ACIER.
Les corps que l'on rencontre le plus souvent dans l'acier sont le silicium ,
le soufre, le phosphore cl l'arsenic, l'étain, le zinc, le cuivre, etc., etc., le
manganèse, le tungstène, le titane, etc., etc. Nous examinerons successive-
ment l'inlluence de ces corps sur les qualités de l'acier en comparant leui's
alliages aux carbures de fer que nous connaissons.
Le carbone, le silicium et le bore sont classés en chimie dans une section
particulière, et ont entre eux beaucoup d'analogie sous certains rapports, per-
sonne ne le conteste; cependant les savants qui, d'après cette analogie, ont
cru pouvoir admettre (|uc la combinaison de ces corps avec le fer devait
donner des produits analogues aux carbures, ces savants, disons-nous, se
sont trompés complètement, une simple expérience aurait sulli pour les désa-
buser; nous allons le démontrer.
Carbone. — Quelle que soit la température el le temps de chauffe employés,
le fer ne s'allie jamais à })lus de cinq ou six pour cent de carbone, et sou-
vent même, après le refroidissement du métal, une grande partie du carbone
qui s'était dissoute d'abord se sépare ensuite et se retrouve à l'étal de graphite
disséminé dans la masse. Les carbures de fer durcissent toujoui's par la trempe
et le recuit peut dans certains cas leur faire acquérir de nouvelles propriétés.
Silicmm-bore. — Le fer se comporte tout autrement avec le silicium et
le bore; ces métalloïdes donnent des alliages plus fusibles et plus durs que le
fer; ils sont souvent malléables si la proportion n'en est pas trop considérable
Tome XXXII. 2
10 RECHERCHES
(Berzélius a analysé un fer qui était Irès-malléable et donnait dix-neuf pour
cent de silice après avoir été dissous dans l'acide chlorli} drique). Mais quelle
que soit la rapidité ou la lenteur du refroidissement de l'alliage porté au
rouge, le silicium ou le bore reste toujours combiné au fer. La trempe et le
recuit n'ont aucune influence sur la dureté du métal; ces corps ont en outre
une propriété particulière qu'il est intéressant de faire connaître. Lorsqu'on
ajoute à un carbure de fer en fusion du silicium ou du bore, ou mieux encore
un alliage de fer riche en silicium ou en bore, le charbon du carbure de fer
est déplacé en grande partie, et si le refroidissement du métal n'est pas trop
brusque, le peu de charbon (pii s'y trouve encore est presque entièrement à
l'état de graphite. Nous verrons plus lard l'influence de cette singulière pro-
priété sur la qualité des aciers contenant du silicium.
Azole. — L'azote ne modifie en rien les aciers, les fers ou les fontes, et
c'est bien à tort qu'on a cru pouvoir comparer ses effets à ceux du soufre et
du phosphore ; une barre de fer ou d'acier chauflee longtemps dans ce gaz
n'en absorbe pas la plus petite trace, mais le métal s'aigrit par la chaleur et
devient extrêmement fragile; le même eftet est produit par l'hydrogène pur
ou la chaleur seule dans le vide. Dans tous les cas, un martelage conve-
nable fait à chaud , rend toujours au fer et à l'acier leurs qualités primitives.
Soufre, phosphore, arsenic. — Ces trois corps secombinent en toutes pro-
portions avec le fer; ils donnent des alliages durs et cassants, mais dont la
dureté n'a pas d'analogie avec celle de l'acier. La trempe et le recuit n'ont
aucune influence sur la dureté de ces alliages. De même que le silicium et le
bore, le soufre et le phosphore chassent de la fonte une partie du carbone
qu'elle contient, le soufre donne des fontes blanches ou le peu de carbone qui
reste semble combiné, le phosphore au contraire produit souvent des fontes
grises.
Étain, zinc, Aluminium. — Les corps susceptibles de s'allier au fer,
mais non au carbone, ont tous la propriété d'expulser de l'acier et des fontes
une grande partie du carbone qui s'y trouve à l'état de combinaison. De
plus, ces métaux modifient sensiblement les caractères des carbures en les
rendant cassants, inforgeables , etc.; mais aucun d'eux ne peut donner au
fer, en l'absence du carbone , les propriétés qui caractérisent les aciers.
SUR LA COMPOSITION CHIMIQUE DES ACIERS. H
Manganèse, tungstène. — Nous arrivons maintenant à une classe de corps
dont le manganèse fait partie et nous servira de type. Ces corps peuvent
s'allier au fer en même temps qu'au carbone, et par suile leur introduction
dans la fonte n'exclut pas celle de ce métalloïde. Le manganèse par lui-même
ne possède aucune propriété aciérante; on rencontre, comme l'a remarqué
Karsten, de très-bons fers qui contiennent beaucoup plus de manganèse
que certains aciers de bonne qualité. Il est donc bien clair qu'un alliage uni-
quement composé de fer et de manganèse ne saurait jouir des propriétés de
l'acier; mais ce métal ne pouvant guère être obtenu qu'à l'état de carbure,
on peut, en alliant du fer à une proportion convenable de manganèse car-
buré, produire des aciers dont les qualités sont vraiment remarquables et
mériteraient d'être étudiées plus attentivement qu'on ne l'a fait jusqu'ici. Le
manganèse possède en outre d'autres propriétés sur lesquelles nous désirons
attirer l'attention. Si l'on ajoute à une fonte grise en fusion une certaine quan-
tité de manganèse, on obtient toujours une fonte blanche; autrement dit, le
manganèse, à cause de son affinité pour le carbone, empêche ce dernier de se
séparer du fer pendant le refroidissement de l'alliage; de plus, si la fonte
contient du soufre ou du silicium et que l'atmosphère soit un peu oxydante,
on est certain d'obtenir après l'opération une fonte non-seulement blanche,
mais encore débarrassée de la plus grande partie de son soufre et de son sili-
cium, lorsque, bien entendu, la proportion de manganèse est sulTisanle.
Ainsi donc, en mettant de côté les qualités que le manganèse peut faire acquérir
à l'acier ou à la fonte, lorsqu'il s'y trouve allié, on voit qu'il a la propriété fort
intéressante d'entraîner, en se scorifiant, la plus grande partie du soufre et
du silicium qui souillent trop souvent ce carbure ^
Maintenant que nous avons passé en revue les diflférenfs corps que l'on
rencontre ordinairement dans l'acier, et que nous connaissons leur influence
sur les carbures de fer en général, il nous sera beaucoup plus facile de faire
comprendre la véritable différence qui existe, chimiquement parlant, entre
les aciers de bonne et de mauvaise qualité.
* Il n'en est pas de même pour le phosphore; une fonte phosphoreuse ne peut être purilii-o
par l'addition du manganèse.
12 RECHERCHES
DEFINITION DE L ACIER.
Dans ces dernières années on a bien malheureusement et surtout bien inu-
tilement compliqué la question de Facier; à la place des anciennes traditions
un peu obscures peut-être, à la place des définitions incomplètes, il est vrai,
mais consacrées par le temps, on s'est attaché à mettre des mots plus
sonores et de nouvelles théories plus hypothétiques encore que les premières.
Malheureusement ces mots nouveaux, ces théories brillantes ont , suivant
nous, un défaut capital, c'est de ne rien expliquer de ce que nous ignorions
et de nous laisser, après nous avoir éblouis, dans une obscurité plus complète
encore que l'ancienne.
Autrefois, l'acier était pour tout le monde un métal composé essentielle-
ment de fer et de charbon, durcissant par la trempe et susceptible d'acquérir
par un recuit convenable des propriétés qui ne permettaient pas de le con-
fondre avec aucun autre métal , même le fer et la fonte. Aujourd'hui, d'après
une autre opinion, tout alliage est un acier; les siliciures, les sulfures, les
azotures, les phosphores, les sulfocarbures , sulfophosphures, etc., etc., sont
tons des aciers : fout composé de fer et de quelque chose (métal ou métal-
loïde) est un acier '.
Qu'on nous permette de ne pas suivre cette voie et de rester fidèle aux prin-
cipes et aux expressions que Berzélius, Karsten , Berthier et tant d'autres émi-
nents métallurgistes nous ont rendus familiers. L'acier, pour nous, sera toujours
ce qu'il était autrefois, un métal durcissant par la trempe et auquel un recuit
convenable donne de l'élasticité et de la souplesse sans en diminuer très-sen-
siblement la dureté. Nous ne l'ignorons pas, cette définition laisse peut-être à
désirer; certains aciers peu connus autrefois, et employés actuellement dans
l'industrie et l'artillerie sous le nom d'aciers doux, durcissent à peine par la
trempe; le recuit agit aussi moins énergiquement sur eux, mais ces effets
existent cependant et sont en rapport avec la carburation du métal. Ce que
nous dirons des uns pourra donc, jusqu'à un certain point, être encore appli-
cable aux autres.
' « Un acier est la première modincation que le fer peut éprouver lorsqu'il se eombiiic seii-
ï lemenl à quelques milliènies d'un corps simple. » (Fremy).
SUR LA COMPOSITION CHIMIQUE DES ACIERS. 15
CONSTITUTION DE L ACIER.
Examen des différentes variétés d'acier.
Pour bien comprendre la constiUition de l'acier et s'expliquer les causes qui
influent sur ses qualités, il est indispensable de connaître d'abord l'influence
des difl"érents agents qu'on emploie ordinairement pour travailler ce métal.
Ces agents sont la chaleur, le martelage, la trempe et le recuit.
Les ellets produits sont faciles à constater, si l'on prend pour point de
départ le métal après (|u'il a subi la trempe, et qu'on l'analyse successivement
après chacune des opérations suivantes :
d" L'acier est porté rapidement au rouge et trempé dans l'eau froide;
2" L'acier trempé est porté rapidement au rouge; on le laisse refroidir
lentement;
3" L'acier trempé est maintenu au rouge pendant très-longtemps ; on le
laisse refroidir dans les mêmes conditions que précédemment.
Ces trois opérations difl"érentes donnent chacune à l'acier des propriétés
particulières, et la constitution du métal est également modifiée. Il suflit pour
s'en assurer de le dissoudre dans un acide fort et concentré, l'acide chlorhy-
drique par exemple.
L'acier trempé (n^' 1) est dissout intégralement sans résidu charbonneux;
L'acier trempé recuit peu de temps (n" 2) est dissous plus facilement par
l'acide, mais laisse un résidu charbonneux notable, qui finit cependant par
disparaître à l'aide de la chaleur;
L'acier trempé recuit longtemps (n" 3) est encore plus facile à dissoudre
que le précédent, mais il laisse un résidu de charbon insoluble même à chaud
dans l'acide employé '.
On voit d'après ces réactions que dans l'acier trempé le carbone est iiiti-
' Lorsqu'on dissout un carbure de fer non graphiteux dans l'acide clilorliydriijuc , une
partie du rarbone s'échappe à l'état de carbure d'hydrogène, et une autre reste dissoute dans
la liqueur où il est facile de la retrouver. On n'a pu jusqu'ici déterminer à quel état se trouve
ce carbone soluble dans l'acide. Peut-être se forme-t-il un sel organique de fer annlogue à
l'oxalate ou au croconate.
14 RECHERCHES
memeni combiné au fer, el que la dissolution de l'un s'opère en même temps
que celle do Tautre.
Dans Tacier recuit (n" 2) la combinaison est déjà moins intime; le corps le
plus atta(|uable est dissous d'abord , mais le carbone n'a pas été complètement
modifié, et finit également par disparaître sous une action plus puissante.
Dans l'acier longtemps recuit (n" 3), la combinaison n'existe plus; le fer
est séparé du carbone, el ce dernier reprend un des caractères qu'il possède
lorsqu'il est libre, l'insolubilité dans les acides.
Prenons maintenant les deux espèces d'acier recuit (n"' 2 et 3) , portons-
les rapidement au rouge , trempons-les de la même façon el voyons ce qui
arrive.
L'acier recuit peu de temps (n° 2) , est devenu dur sous l'influence de la
trempe, son charbon est combiné de nouveau et complètement avec le fer :
l'acide dissout le métal sans résidu.
L'acier qui a été recuit longtemps (n° 3) ne se comporte pas de même ,
la trempe modifie à peine sa dureté; le carbone ne s'est pas combiné avec
le fer , la dissolution dans l'acide le démontre. Le métal est devenu aigre
et cristallin; au lieu d'être une combinaison de fer et de carbone, ce n'est
plus qu'un mélange intime de ces deux corps.
Poursuivons notre examen en opérant sur celte dernière espèce d'acier
qu'un recuit trop prolongé a rendu incapal)le de durcir par la trempe. Nous
portons rapidement le métal au rouge cerise, et nous le martelons vivement
jusqu'à ce qu'il soit assez refroidi pour ne pouvoir enflammer un copeau de
bois sec. Une partie de cet acier est enterrée dans le frasier et aban-
donnée à un refroidissement lent; l'autre, portée de nouveau à un rouge
convenable est trempée dans l'eau froide , voici ce qu'on remarque alors :
Ce métal, qu'on ne pouvait plus appeler acier, a repris presque toutes ses
propriétés primitives , la trempe l'a durci et l'acide le dissout à peu près inté-
gralement. Ce qu'avait défait la chaleur par une action prolongée, le mar-
telage suivi de la trempe l'a refait presque complètement.
Puisque la trempe seule n'avait pu régénérer la combinaison du fer et du
carbone, nous pourrions dès à présent conclure que l'action du marteau suffît
pour produire ce phénomène. Mais pour plus de sûreté, nous examinerons la
SUR LA COMPOSITION CHIMIQUE DES ACIERS. 15
partie non trempée de notre acier, qui a été abandonnée à un refroidissement
lent après le martelage.
Les caractères que présente le métal sont ceux de Tacier faiblement
recuit; même dureté, même élasticité. Quant aux propriétés chimiques, on
constate que le charbon qui, avant le martelage, était insoluble dans les
acides, s'y dissout maintenant presqu'intégralement à l'aide de la chaleur. Ce
mauvais acier , qui n'était plus qu'un mélange de fer et de carbone , est donc
devenu, sous l'influence du martelage, une combinaison de ces deux corps ,
ou bien, le martelage a ramené le carbone à un état tel que sa combinaison
avec le fer peut être opérée par la trempe. Cent là l'étal dans lequel le car-
bone doit toujours se trouver dans un bon acier avant la trempe.
Nous ferons remarquer néanmoins qu'en parlant de l'effet du martelage
sur l'acier détérioré par la chaleur, nous n'avons jamais dit que, sous
l'influence de cette action physique , le métal pût reprendre exactement toutes
les propriétés qu'il possédait auparavant. En effet, il n'en est pas ainsi; le
martelage et la trempe produisent sans doute un effet considérable , mais par
ces opérations réunies, il est bien rarement possible de rendre à un acier
détérioré toute sa bonté et toutes ses qualités antérieures.
Nous ajouterons en outre que , pour reproduire à volonté ces faits dont la
constation est bien facile , il est absolument nécessaire d'opérer sur des aciers
de qualité supérieure , car la présence du soufre , du phosphore et du silicium
en quantité notable , amène dans les réactions et les propriétés dont nous
venons de parler des pertubations qu'il sera facile de comprendre bientôt'.
Lorsqu'on soumet l'acier à une température trop élevée, il perd également
ses qualités, on dit, en termes d'atelier, qu'il est brûlé. Il peut se présenter
deux cas : l'acier exposé à l'oxydation de l'air à haute température a perdu
une partie de son carbone qui s'est échappé à l'état de gaz; ou bien, si
l'oxydation n'a pas été considérable , le fer et le charbon se sont simplement
séparés, et l'effet produit ressemble à fort peu près à celui dont nous avons
parlé à propos de l'acier recuit trop longtemps.
' Il ne faut pas non plus s'en rapporter à une seule expérience pour arriver à une juste
appréciation des résultats obtenus; nous avons reconnu souvent que plusieurs analyses étaient
indispensables.
16 RECHERCHES
Dans le premier cas, le martelage ou la trempe sont complètement im-
puissants à régénérer Tacier.
Dans le second cas, qui se présente le plus souvent, un martelage conve-
nable rend à Tacier ses propriétés, mais il est à remarquer qu'une chaleur
trop élevée produit toujours un peu d'oxydation, c'est-à-dire une perte de
carbone; c'est pour cette raison que jamais l'acier brûlé ne reprend ses qua-
lités premières à moins qu'on n'en sacrifie la partie qui a été exposée à
l'oxydation.
Plusieurs trempes faibles (sans martelage) peuvent aussi reproduire la
combinaison du carbone et du fer dans l'acier détérioré, mais ce moyen tout
expérimental de régénérer l'acier, ne saurait être employé habituellement,
parce que bien peu d'aciers résistent à quatre ou cinq trempes successives ;
la plupart du temps, il se manifeste des criques ou des pailles qui mettent le
métal hors de service.
De tous ces faits on peut conclure que parmi les agents employés dans
le travail de l'acier , les uns , la chaleur trop élevée ou trop longtemps pro-
longée , tendent à produire la séparation du fer et du charbon ; les autres, le
martelage et la trempe, peuvent jusqu'à un certain point reformer la combi-
naison détruite ou tout au moins ramener le carbone à un état tel , qu'il puisse
se combiner avec le fer sous l'influence d'une trempe bien faite.
Rappelons-nous maintenant les effets produits sur les carbures de fer par
les différents corps que nous avons considérés comme étrangers, et qui souil-
lent presque toujours les aciers.
Le silicium, le phosphore, etc., ont la propriété de chasser une partie
du carbone lorsqu'on les introduit dans les carbures de fer, et le peu qu'ils
y laissent a beaucoup de tendance à se séparer à l'état gra|)hiteux. On recon-
naît très-facilement cette propriété en essayant de cémenter des fers forte-
ment siliceux , sulfureux ou phosphoreux ; quelque soin , quelque temps qu'on
V mette, la cémentation pénètre peu; le charbon, à mesure qu'il se présente,
semble être repoussé par ces métalloïdes; on le voit à la contexture du métal ,
lorsqu'on casse les barres après la cémentation, et l'analyse le constate éga-
lement.
Puisque ces corps étrangers ont sur le carbone une action répulsive qui
SUR LA COMPOSITION CHIMIQUE DES ACIERS. 17
tend à l'empêcher de se combiner au fer, il semble naturel qu'un acier
souillé par l'un des deux devienne mauvais après plusieurs diaudes. Pour
bien le faire comprendre, nous allons choisir un exemple qui expliquera ce
qui se passe le plus ordinairement avec les aciers de mauvaise qualité.
Supposons un acier siliceux qui ait été fondu au creuset avec les précau-
tions ordinaires. A la température de fusion de cet acier, le carbone est dis-
sous par le fer en même temps que le silicium. On coule l'acier dans une
lingotière en fonte où le métal se refroidit assez vile pour que l'élimination
du carbone par le silicium n'ait pas le temps de se produire; le lingot est
porté au rouge et rapidement martelé au moyen d'un martinet très-lourd dont
les chocs répétés empêchent aussi, comme nous l'avons fait voir, la sépara-
tion du carbone et du fer; on laisse ensuite refroidir après un léger recuit à
peu près inoffensif. C'est dans cet état que sont généralement livrés au com-
merce les aciers de cette espèce; lorsqu'on les essaye, on ne peut apercevoir
encore les défauts qu'ils auront plus lard; leur carbone n'étant pas séparé de
la combinaison, ils peuvent supporter la trempe et le recuit sans trop d'in-
convénients; mais vient-on à chaulïer plusieurs fois cet acier, la chaleur
finit par séparer le carbone qui ne peut plus se recombiner à cause de la
présence du silicium , et cet acier qui dans les premiers moments durcissait
par la trempe comme un acier de bonne qualité, ne subit plus riniluence de
cette opération. Il est devenu un véritable mélange de carbone et de siliciure
de fer que souvent un martelage énergique est incapable d'améliorer.
Nous avons pris pour exemple un acier contenant du silicium , parce que
c'est le cas le plus fré(|uenl qui se présente, et que, d'ailleurs, le soufre et le
phosphore ne se trouvent que bien rarement dans les aciers en quantité assez
notable pour exercer une action sensible sur le carbone combiné. En dehors
de la propriété commune avec le silicium de provoquer' l'expulsion du car-
bone, ces métalloïdes ont en outre des elïets qui leur sont propres : ils ren-
dent les aciers cassants soit à froid soit à chaud , et sous ce rapport deviennent
tellement nuisibles que les métallurgistes pensent d'abord et avant tout à s'en
débarrasser.
En regard de cet exemple, examinons maintenant un acier de bonne qualité.
Pour qu'un acier soil bon, il ne suffît pas qu'il supporte la trempe, même
Tome XXXII. 5
18 RECHERCHES
l)lusi(!urs fois répélée , sans devenir mauvais ; il l'aul encore que le mêlai puisse
servir indistinclement à la fabricalion de tous les objets pour lesquels on
emploie généralement Pacier. Un rasoir peut être très-bien poli, couper admi-
rablement la barbe, et cependant n'être pas en bon acier'. La meilleure
preuve que nous puissions en donner, c'est que l'on trouve dans le commerce
de bons rasoirs qui sont en fonte de fer.
Un bon acier, tel que nous le comprenons, doit pouvoir servir à faire un
rasoir aussi bien (pi'une enclume, un marteau comme un buiin , un arbre de
couche ou une aiguille , un sabre ou un ressort de montre. Un métal médiocre
pourra bien être très-suffisant pour faire une enclume sans cependant donner
de bons ressorts; mais, ce que nous appelons acier de qualité supérieure,
devra pouvoir servir indistinctement à n'importe quelle fabricalion, à n'im-
porle quel usage.
Ceci bien entendu , si nous recherchons la composition des aciers les plus
estimés du commerce, nous trouvons sans exception qu'ils sont les plus purs;
ils ne contiennent jamais que des traces de silicium, de soufre ou de phos-
phore, et presque toujours de petites quantités de manganèse provenant des
minerais dont ils sont originaires. (On constate facilement la présence de ce
métal en attaquant l'acier par de l'azotate de potasse, mais il est difficile de le
doser.)
Ces aciers ne contenant pour ainsi dire aucun corps étranger, il est facile
de comprendre, d'après ce que nous avons vu plus haut, pourquoi la cha-
leur a sur eux une action bien moins sensible que sur les aciers plus impurs,
et détruit plus difficilement la combinaison qui doit exister entre le fer elle
carbone. De plus, le manganèse qu'on y trouve presque toujours empêche
par sa présence que cette séparation ne se produise, et contre-balance ainsi en
partie les efTets destructeurs de la chaleur. C'est pour cette raison que, dans
toutes les aciéries, on ajoute à la charge des creusets une certaine quantité
d'oxyde de manganèse mélangé de charbon. On a remarqué ([u'en agissant
ainsi, on améliorait toujours l'acier; malheureusement l'oxyde manganèse
' M. Froniy {Cours de l'École polytechnique , et Chimie de Pelouze et Fremy) cite (à tort,
suivant nous) comme type de première qualité d'aciers, un métal à rasoirs qui contient des
quantités considérables de soulrc, de silicium , d'antimoine, etc., etc.
SUR LA COMPOSITION CHIMIQUE DES ACIERS. 19
est difficilement réduclihle, surtout dans une almosphéie un peu oxydante
comme celle des fourneaux , de sorte que la quantité de métal réduit est très-
faible, et la plupart du temps insuffisante pour entraîner les impuretés de
l'acier et le rendre par cela même moins sensible à Faction de la chaleur.
Si , d'un autre côté, on cherche dans l'industrie les matières premières qui,
jusqu'ici, ont donné les meilleurs aciers, on trouve que ce sont les fers de
Suéde pour les aciers de cémentation, ou les fontes d'Allemagne pour les
aciers d'affinage. Le fer de Suède provient de minerais d'une pureté excep-
tionnelle, qui donnent un métal contenant seulement des traces insignifiantes
de silicium et de soufre. (Le phosphore qu'on y trouve en quanlilé très-
peliie, comme dans tous les bons aciers, provient du combustible végétal.)
Les fontes d'Allemagne contiennent plusieurs millièmes de silicium; mais,
comme elles renferment en même temps des quantités considérables de man-
ganèse, ce métal disparaît pendant l'affinage en entraînant avec lui la presque
totaiilé du silicium de ces fontes.
En un mol, si l'on a alTaire à un minerai très-pur, on obtient de bons
fers très-purs eux-mêmes et par suite très-propres à la cémentation; si le
minerai comme ceux du pays de Siegen, par exemple, contient de la silice,
du soufre et du manganèse, le résultat définitif est encore un métal très-pur,
parce que le manganèse s'y trouve en assez grande quantité pour débar-
rasser l'acier des impuretés du minerai. Si, au contraire, on cherche à
obtenir des fontes à aciers avec des minerais silicieux ou sulfureux, qui ne
contiennent pas de manganèse en quantité suffisante, on arrive infailliblement
à obtenir un métal où le silicium et le soufre jouent le rôle que nous leur
avons reconnu plus haut, et donnent, suivant les proportions dans lesquelles
ils se trouvent, toutes ces variétés de mauvais aciers que l'on renconire dans
le commerce.
20 RECHERCHES
RÉSUMÉ.
Maintenanl que nous avons passé sucessivement en revue les questions
posées par IWcailémie, nous croyons utile de résumer notre travail.
Les doutes qui pouvaient s'élever encore sur la conslitulion de l'acier,
doutes provenant de la présence de Tazole constatée dans les aciers et consi-
dérée, d'après les uns, comme indispensable, d'après les autres, comme acci-
dentelle, nous les avons écartés. Nous avons pu conclure d'après des expé-
riences précises que le fer en se transformant en acier n'absorbait pas d'azote,
et que ce gaz ne devait être considéré dans la cémentation industrielle (|uc
comme le véhicule du carbone tout aussi bien (|ue l'alcali dont on ne retrouve
pas de trace dans le métal après la cémentation '.
Nous avons expliqué ensuite la présence presque constante de l'azote dans
les fontes, fers et aciers, en l'attribuante l'azoture de titane. Le titane, en effet,
se rencontre toujours, soit dans les minerais, soit dans les fondants, soit enfin
dans les vases où sont produits ces métaux, et son affinité pour l'azote est telle,
qu'il a été impossible jus(ju'ici d'obtenir du titane exempt d'azoture ou d'azoto-
carbure de titane.
Après avoir restitué à l'acier son ancienne et véritable définition, nous
avons abordé la partie délicate de notre travail, la constitution de l'acier.
Nous avons fait voir que l'acier essentiellement composé de carbone et de
fer devait ses qualités ou ses défauts à deux causes différentes liées entre elles:
1° A l'état du carbone dans le métal;
2" A la nature du ou des corps étrangers qui le souillent.
Toutes les fois qu'un acier est bon, son carbone peut, sous l'influence de
la trempe, se combiner avec le fer et donner un métal dur et cassant que le
recuit rend souple et élastique.
' Une barre de 0"',0I environ d'épaisseur, ayant été coniplélcmcnt transioimée en acier an
moyen d'un cément baryiique, on a dissous le métal dans l'acide chloihydrique après en avoir
parfaitement nctloyé,la surface; la dissolution examinée au spcctroscope ne contenait pas de
traces de baryum.
SUR LA COMPOSITIOrS CHIMIQUE DES ACIERS. 2i
Lorsqu'un acier devient mauvais après quelques cl)audes, cesl (|ue son
carbone a été i)rùlé ou s'est séparé du fer; la trempe ne peut alors régénérer
la combinaison du fer et du carbone. Celle séparation est due à la présence
de corps étrangers, et notamment du silicium, qui empêche la combinaison
des deux corps. Ils donnent en outre au métal des propriétés ou des défauts
différents suivant la nature et la quantité d'impuretés qui s'y trouvent.
Le cadre qui nous a été assigné nous a forcé à supprimer bien des détails
et bien des expériences qui auraient eu leur utilité pour la fabrication de
l'acier; mais nous avons cru devoir nous y renfermer afin de rendre plus
nettes et plus précises nos réponses aux questions posées par l'Académie.
Nous nous proposons de revenir plus lard sur ce sujet si intéressant, et de com-
pléter autant que possible cette étude rapide sur l'acier.
FIN.
MÉMOIRE
EN RÉPONSE A LA QUESTION SUIVANTE :
TROUVER LES LIGJiES DE COURBURE DU LIEU DES POINTS DONT LA SOMME DES DISTANCES
A DEUX DROITES QUI SE COUPENT EST CONSTANTE;
M. Eugène CATALAN.
Tome \XXII.
MEMOIRE
EN RÉPONSE A LA QUESTION SUIVANTE :
TROUVE!! LES LIGNES DE COURBURE DU LIEU DES POINTS DONT LA SOMME DES DISTANCES
A DEUX DROITES QUI SE COUPENT EST CONSTANTE.
Trop ou trop i>eii
Le cas où les droites sont perpendiculaires est assez simple : il a été
résolu indirectement par M. Serret (*). Au contraire, si Tangle formé par
les deux droites est quelconque, la détermination des lignes de courbure de
la surlace dont il s^agit paraît excessivement difficile, sinon impossible, dans
l'état actuel de l'Analyse. Pour celte double raison, je me serais abstenu de
prendre part au concours ouvert par l'Académie, si mes tenlatives, infruc-
tueuses quant à la partie essentielle de la question proposée, ne m'avaient
conduit néanmoins à quelques résultais nouveaux, soit sur la théorie des
lignes de courbure, soit sur l'intégration des équations du |)remier ordre.
Ce sont ces résultats que je soumets à l'examen de l'Académie.
(•) Journal de LioKville, t. XIF, p. 247.
RECHERCHE
Sur l'é(/iuilion Py^-t- 0^ = 11.
1. Supposons, pour plus de siniplicilé, que P, Q, R so'mM les dérivées
partielles d'une fonction F {x, y, z); savoir :
d¥ (/F dv
p = — . Q== — , R = —
dx ' dij dz
D'après cette hypothèse (*), Tinlégration de Iwpiation
Pp + Qry=R (I)
dans laquelle;.», 7 désignent, à Tordinaire, les dérivées partielles ^5 '^^
d'une fonction inconnue z, équivaut à la solution de ce prohlème :
Déterminer toutes les surfaces 2 qui coupent orlliogonalenient les sur-
faces S représentées par l'équation
¥(x,y,z) = c, (2)
c étant une constante arbitraire.
En effet, les cosinus des angles formés, avec trois axes rectangulaires,
par les normales aux surfaces données et aux surfaces inconnues sont, res-
pectivement , proportionnels aux quantités :
P. Q, R,
i', </,— 1;
(*) Elle n'est pas toujours admissible; caria condition d'intégrabilité de léquation
Vdx -+- Q(/;/ -4- Rd: = o
est , comme l'on sait,
/dK_^X /dP_^\ /dQ_-£\ ^
\dy dz \dz dx j {dx dy j
DES LIGNES DE COURBURE. 5
donc rc(iuation (1) exprime (iircn un point quelconque de la courbe d'inler-
seclion, ces deux droites sont perpendiculaires entre elles.
2. Pour trouver toutes ces surfaces orlliogonales , ou pour intégrer ré(|ua-
tion (1) il faut, d'après la méthode coimue : 1° poser les équations simul-
tanées
dx dy dz
T" "^ ~Q "" "r ' ■ ■
2" intégrer ces équations; 3" en supposant que
l\x,y,z) = x, (4)
. I\[x,j,z) = ?., (y)
en soient les intégrales, prendre
f(x,y,z) = 'i U\{x,y,z)], (6)
y étant une fonction arbitraire : toutes les surfaces 2 sont représentées par
Téquation ((5).
3. Nous ferons observer, en passant, que les équations (4) el (5) repré-
sentent deux familles de ces surfaces : celles qui répondent à
/(a;, ly, z) = consliinte,
et à
l\{x, y, :) = constante.
On arrive à la même conclusion en dilTérentiant les équations (4), (5) et en
ayant égard aux relations (3). En effet, on trouve ainsi
dx dy dz dx dy dz
4. Remarciuons encore que Tensemble des équations (4.), (3), pour des
valeurs données de a, (3, représente nue courbe normale, à toutes les sur-
faces (2). Quand on établit une équation de condition, a = a, (/3) , entre les
paramètres « et /3 , le lieu de toutes ces courbes est Tune des surfaces ortho-
6 RECHERCHE
gonales i. Conséquemmenl, chacune des sur faces 1 a ses génératrices orl/tn-
gonales aux surfaces S.
II.
Des lignes de courbure.
5. L'équation
<lx -+- nriz du -+- qdz
~- - , ' (7)
dj) dq
que l'on peut d'ailleurs écrire ainsi :
d[x + /);:) (/(]/ -\- rjz]
dp dq
(8)
a élé mise sous bien des formes. J'ignore si l'on a fait attention à la Irans-
formation suivante :
Si l'on remplace dz par pdx -\- qdy, on a d'abord
(t -1- jf)dx -1- pqdy ( I -+- q''')dij -4- pqdx
dp dq
ou
dx dy
(1 4- q-)dp—pqdq (I -*- p')dq — pqdp
OU
dx dij
( 1 -+- /J* -(- 7^ j (//) — p(pdp -+- qdq) ^ ( t ■+- ]f -t- q- )dq — q[ pdp -v- qdq ]
OU encore
dx dy
d l d L
l/'l ^ f + q^ V\ ^ p^ + 7"
Soient X, p, v les angles formés par la normale avec les axes; nous aurons,
au lieu de cette équation ,
dx dy
d .cas A. (/.nos a
DES LIGNES DE COURBURE.
Donc, à cause de la symélrie,
dx r/i/ dz
d.cosy </.cos p (Z.cosj'
(9)
Telle est la Iransformée à laquelle nous voulions parvenir. Pour Pélablir
directement, il suffit d'écrire ainsi les équations de la normale :
X — X = ?cos/, y — Y = /coS|a, z — Z ■= l cos ■/ [') . . . . (10)
En exprimant que les deux normales infiniment voisines se rencontrent,
on oblienl :
[Ix = cos ) .(// -t- td. {cos a), dij = cos [idl -t- Id. {cos ft), dz = cos vdl -+- Id . (cos v) ; (11)
puis
cos '/ .dx ■+- cos f;! . dy -+- cos v.dz^ di.
Le premier membre est nul; donc dl=o. Ainsi, /es deux normales infini-
ment voisines ont même longueur. Ce résultat, évident à priori, montre que
les relations (H) peuvent être remplacées par
''^ '''J '^^ =/ (12)
(i.cosA d.cosfj. (/.cos
6. Les équations (9) ou (11) démontrent immédiatement le théorème dé
Joachimstal. En effet, si la ligne de courbure est plane, on a
A(/x -4- Bdy ■+- Cdz = o;
d'où
A(L cos ) -t- Bd . cos ^ -t- Crf . cos V ^ 0 ;
c'est-à-dire
A cos ) -t- B cos u. -+- C cos V = constante ;
etc.
(■) / rcpri'sentc la distance comprise entre le point {x, y, z) et le point (X, Y, Z) où se
coupent les deux normales infiniment voisines.
RECHERCHE
HI.
Sijsièmes orlhogommx.
7. Pour cliorchor les lignes de courbure d'une surface dont réqualion est
F(;r, /y, z] = o, (15)
on peut, au lieu d'inlégrer les é(|uations (7) ou les équations (9), opérer
comme il suit.
En considérant l'équation (13) comme un cas particulier de
F(;r, .V, .-) = c (2)
formons d'abord l'équation
f{x,y,z)=f[f,(oc,y,z)], (6)
qui représente toutes les surfaces 2, normales aux surfaces données S. Attri-
buons ensuite à la fonction cp deux formes particulières, ^ein : si les surfaces
correspondantes, 2, et 2.,, sont orthogonales, elles détermineront, sur les
surfaces S, les lignes de courbure de celles-ci. La condition A'orlliof/onalile
est
dx ilx ■ I \dx ilx " I "*" \dy dij * / \dy dy'^ j'^ \dz dz ''' A \dz dz"" 1 °'
ou
ilx 1 \ (ly
df d/] df df, df dfr
d.
Ix dx dij dij dz dz J
[m-m-m]''-' -
Dans cette équation :
V='P' [f,{x, y,z)] = f (S), 7r'=,r' [f,{x, y, z)] = t'(P).
DES LIGNES DE COURBURE. 9
Eu cliaciue point des lignes de courbure déterminées par la surface 1, ,
on. a
fV,!J,-)-HP), ■ • • (l"') /;(x,//, -) = ;5 (l(i)
Si donc, entre les équations (14-), (15) et (16), on élimine deux des trois
variables x , y,z, Téquation résultante devra être idenlique. En exprimant
les conditions nécessaires pour que la troisième variable disparaisse ainsi
en même temps que les deux autres, on obtiendra deux équations différen-
tielles entre if, ?: et /3.
8. Remarque. Si l'on ne peut disposer des fonctions <]>, t., de manière à
éliminer x, y, z entre les équations (14), (15) et (46), on conclura, de
cette impossibilité, que les surfaces 2,, 2., n'existent pas, ou que les sur-
faces S n'appartiennent pas à un système orthogonal. D'après une remarque
de M. Serret (*), ce cas d'exception devra se présenter fréquemment.
9. Comme application de la méthode précédente, prenons d'abord les
paraboloïdes représentés par
xy
(17)
Les équations (3) sont, dans ce cas,
dx dij zdz
y X xy
Celles-ci ont pour intégrales :
x^ -t- j* = X, y^ + z° = S;
en sorte que les surfaces 2, normales aux paraboloïdes donnés, sont com-
prises dans l'équation
Les équations (14), (15), (16) deviennent
x' + z^ — z\<i,' + n) -t- [f + z") ■p'n' =0, x- -+-:'- = i ((3) , y' -t- 2' = p.
(*) Journal de LiouviUe, t. XII , [>. 242.
Tome XXXIL 2
10 RECHERCHE
L'éliminalion de x et de y conduit à
Pour que cette équation soit identique, on doit avoir
d'où Ton conclut
c'est-à-dire
d'il dp
et enfin
i/7=const. ± J/^ (IS)
10. De ces deux intégrales, Tune appartient aux surfaces l] et l'autre
aux surfaces 2^; car si nous avions considéré les lignes de courbure déter-
minées par les surfaces 1^, nous aurions trouvé
l/^=ronst. d= V/p (I!))
Les surfaces qui composent, avec les paraboloïdes donnés, un système
orthogonal, sont donc représentées par
V'x--^- z' +■ »/i/- + x- = a, (20)
VlâT7-—V]f^^^ = b, (21)
a et h étant des constantes arbitraires. Par une voie bien dilïérente,
M. Serret est arrivé au même résultat (*).
11. Pour deuxième exemple, je choisirai les surfaces dont l'équation est
)/V — xh^ = c (22)
Je trouve, successivement :
dx dy dz
z^x z'ij ijj'' — x^)z
(*) Journal de Liouville , t. XII, p. 247.
DES LIGNES DE COURBURE. H
1,2 »2
x^ + y-— z' = r^{xy); (23)
4(x- -4- y- ■+■ z^) — -ixyi'P' -h tt') ■+- (x^ -+- y^)^-!^' = o;
4(2^^ + ■^) - 4S(./ + 7.') + [z' -t- ^) /tt' = o;
8 -t- '/tt' = y, 4i — 4|5(//' -H 77') -+- '^'fn' = 0;
' Vf/;5 d^.1 ^ '
Posons '^ = //5 : il vient, au lieu de la dernière équation,
doù
dS — 3< ± Vt- + 32 ,
-L= dt (25
Afin de rendre le second membre rationnel , posons encore
|/(« + 52 = « + 40;
nous aurons :
2(2-^/) . 2(2 + 6^) ,^ 2(2 + 0 4(6^-i) (e^-4)
f = , dt = r do, « -t- 49 = — , e — 4 = ;
0 r 9 6^
puis
(/p (2 -f- e-)(/6 5(2 — 6') =F (2 -+- e') _
y 46 ■ (9-— 1) (e'-'— 4) '
c'est-à-dire, en séparant les deux racines :
dR 2 -+- 6' . de, ' 2 H- 6* ,
-'-= de, — = do (26)
p 9(9^—4) ' p 29(6-— i) ^ '
Les intégrales sont :
VaO 69
P = ^' r^ = r> (27)
{0^—i.y (6^ — iy
a el /v étant des constanles arbitraires.
12 RECHERCHE
On a donc un système orthogonal en combinant les surfaces (22), soil
avec les surfaces représentées par
x>j = r , = — - — , ^■^»;
(r/_4)^ ='y '
soit avec celles qui sont représentées par
'>^ x^-^-f-^' 2(2-6')
x)/ = zr, = () (ia)
12. Considérons enfin les plans P représentés par Téquation
x = — cij-^]{ V\ -+- c- (ÔO)
En opérant comme au paragraphe I , on trouve d'abord
dx dy dz
c"est-à-dire
^=c, . = P (31)
dx
L'élimination de c conduit à
( xdx + ydy f=K-[ dx^ + dif).
Remplaçant les coordonnées rectangulaires par des coordonnées polaires, u et
w, on trouve aisément, pour intégrale de la dernière équation,
n \
« + arc cos -^/w- — R- = a (**) (32)
i( R
(*) Par un changemcnl de coordonnées, on peut mcltre l'équation (:2i2) sous la forme
ou, ce qui est équivalent, sous celle-ci :
la- + 1»/ 4- 2l3 = le.
Celte équation (22) est donc, aussi bien que celle du n° 8, comprise dans la classe dont
M. Serret s'est occupé.
(**) Celte intégrale répond à
Vu^ - R= ^
du = H du.
Rw
DES LIGNES DE COLRBIJIIE. 13
Les surfaces orthogonales aux plans donnés sont donc représentées pai-
» -H arc cos l/w^— R^ = 9(:) (33)
« 14
On trouve ensuite :
df Vis\na-\- V^ii' — ll-eosM df R cos a — Vu^ — Résina df
'iho ^ R« ' ^h ~ ^"' ' ''"
dx dy dz
en sorte que Téqualion (14) devient
1
R^ • '
Les deux fonctions tz', ^p' étant liées par une seule équation , l'une d'elles
peut être prise arbitrairement. Par suite, aux plans (30) correspondent
deux séries de familles de surfaces orthogonales. Les unes ont pour é(|iiîilioii
« + arccos ^ [^ u'' — R' = p {z) , (35)
M R
et les autres :
co -f- arc cos \/u' — R^ = — — /-t^; (^<i)
la fonction <|/ (c;) étant arbitraire.
13. Ces surfaces peuvent être définies d'une manière bien simple. Il est
d'abord évident qu'elles admettent, pour sections horizontales (parallèles au
plan des xy), des développantes de cercle, toutes égales entre elles. D'un
autre côté, pour déterminer les courbes suivant lesquelles ces diverses sur-
faces coupent le cylindre auquel sont tangents tous les plans donnés, suppo-
sons M = K : les deux dernières équations deviennent, respectivement :
R.= ,(.), R„ = _iy^ (57)
Celles-ci appartiennent à deux courbes orthogonales. D'ailleurs, quand on
14 RECHERCHE
remplace' ^piz) par <p{z)-\-a, la seconde lorniule ne change pas. Consé-
<iueninient :
Soit A une courbe tracée arbitrairement sur un cylindre de rayon R , et
soient A', A", A'", ... les positions qu'occxiperait k, si cette courbe , se trans-
porlanl parallèlement à elle-même, engendrait la surface du cylindre. Soient
ensuite B une trajectoire orthogonale des courbes \, A', A", ... et B', B", B'", ...
les positions occupées par B , lorsque cette courbe se transporte parallèlement
à elle-même , de manière à engendrer la surface du cylindre: les lignes
B', B", ... sont aussi des trajectoires orthogonales de A, A', A", ... Si une
développante du cercle de rayon R se meut perpendiculairement à Vaxe du
cylindre, de sorte que son sommet décrive, d'abord une quelconque des courbes
de la première série, ensuite une quelconque des courbes de la seconde série;
les deux surfaces 2, , 23 , ainsi engendrées , sont orthogonales , et sont coupées
orthogonalement par les plans tangents au cylindre.
14. Remarques. I. ToiUes les surfaces, appartenant à la même série, sont
égales entre elles. On les obtient toutes en attribuant à Tune cfelles un mou-
vement hélicoïdal (*).
11. Si les courbes A sont des hélices, les courbes B sont aussi des hélices.
Dans ce cas, les surfaces 2, sont des hélicoïdes développables , tous égaux
entre eux ; et il en est de même pour les surfaces 2..
13. Chacune des surfaces 2, coupe toutes les surfaces 2^ suivant des géné-
ratrices, c'est-à-dire suivant des développantes de cercle. Ces développantes ,
toutes égales entre elles, constituent donc, soit pour les surfaces 2,, soit pour
les surfaces 22, un premier système de lignes de courbure.
Les lignes de courbure du second système sont les intersections des plans P
avec les surfaces 2, ou 2,. Pour une même série de surfaces, ces lignes de
coui'bure sont encore égales entre elles. En supposant c = tg y, on trouve
aisément :
Si
(*) Cesl-à-dire un mouvement composé d'une translation, parallèle à l'axe du cylindre, et
d'une rotation autour de cet axe.
DES LlGxNES DE COURBURE. 1d
ces é(iiialions se réduisent à
X z y, z
y = hfl, y = 1-^ ( 5'J)
'^ R R ' R R
l.i's lignes de courbure des hélicoïdes développubles sont donc les tmujenfes
aux hélices directrices'; ce qui est exact (*).
IV.
Surfaces parallèles.
10. Définition. Par un point M, pris sur une surface S, on élève une nor-
male iMM', ayant une longueur donnée /. Le lieu des points .M' est une sur-
face S' qui peut être dite parallèle à S.
17. liemarque. A chaque point M correspondent deux points M'; en sorte
(|ue la surface parallèle à une surface donnée S est toujours composée de deux
nappes. Pour plus de simplicité, je n'en considérerai qu'une : la surface S,
et la surface parallèle S', constituent alors une couche ayant partout la même
épaisseur.
18. Théorème. Si une surface S' est parallèle à la surface S, réciproque-
ment celle-ci est parallèle à '^' .
Soient x, y, z les coordonnées du point M, et x' , y' , z' les coordonnées
du point M'. Soient, en outre, l, [j., v les angles formés, avec les trois axes
rectangulaires, par la droite M'M , normale en M à la surface donnée S.
Par définition :
x' = x -I- / cos ) , y = y -^ I tos i«, z' = z -i- I COS V.
Donc
dx' = dx H- W. (cos >), f/j/' = dy -t- Id. (cos /x) , dz = dz -f- /(/. (ros •/).
De plus :
dx cos X -y- dij cos ;y. + dz cos v ^= o ;
(') Les rcsiiliats très-simples auxquels nous venons de parvenir subsislcnt, à quelques modi-
fications près, quand le cylindre de révolution est remplacé par un cylindre à base quci(oiii|uc.
16 RECHERCHE
donc
dx' cos >. + dij' tos fi -t- (/;:' cos :- = o;
elc.
19. Remarque. Ce théorème, presque évident, et sans doute très-connu,
justifie la dénomination de mr faces parallèles , que nous employons pour
caractériser les surfaces S, S'.
20. Théorème. Les surfaces parallèles à une surface développable sont
développahles.
Le plan tangent en un point M de la surface développable S est tangent tout
le long de la génératrice G qui passe en ce point. Si donc Texlrémité 31 de la
normale M'31 décrit la droite G, l'autre extrémité M' décrira une droite G',
parallèle à G. D'après le premier théorème, le plan tangent en M', à la sur-
face S', lieu des droites G', est tangent tout le long de G'. Donc la surface S'
est développable.
21. Théorème. Des surfaces parallèles S, S', S", ... appartiennent tou-
jours à un système orthogonal.
(considérons, sur la surface S, une ligne de courbure C,. Soit 2, la surface
développable, lieu des normales à S, menées aux différents points de C,.
La surface 2, est orthogonale par rapport à toutes les surfaces S', S", ... pa-
rallèles à S (18). La même conclusion subsiste pour la surface 2.,, lieu des
normales à S, menées par tous les points d'une ligne de courbure Ca, nor-
male à C,. Mais, évidemment, les surfaces 2,, 2^ sont oi'thogonales l'une à
l'autre, tout le long de leur génératrice commune. Donc les surfaces paral-
lèles S, S', S", ..., les surfaces développahles 2,, 2/, 2,", ... et les surfaces
cléveloppables 2^, 2^', 2o", ... forment un système orthogonal.
22. Théorème. Il existe une infinité de systèmes ortltogonaux composés
de surfaces développahles parallèles, d'autres surfaces développahles paral-
lèles , et de plans.
Si la surface S est développable, l'une des lignes C, , C^ est droite : suppo-
sons que ce soit C,. Alors la surface 2, est plane. D'ailleurs, les courbes
Cj, C./, Cl", ... trajectoires orthogonales des génératrices reclilignes de S,
sont parallèles , c'est-à-dire que C.,, CJ, par exemple, interceptent, sur ces
DES LIGiNES DE COURBURE. 17
généralrices, des segments égaux (*). Donc les surfaces développables le,, 2^'
sont parallèles. C'est ce qu'il fallait démontrer.
23. Le cas où les surfaces S sont développables paraît être l'un des plus
simples et des plus intéressants. On y peut joindre celui des surfaces-canaux ,
dont nous parlerons tout à l'heure, et celui des surfaces de révolution : si les
méridiens sont des courbes parallèles, les surfaces 2, sont des cônes de révo-
lution, et les surfaces 2^ sont les plans méridiens.
Notons encore le cas particulier où les surfaces S sont des héliçoïdes déve-
loppables, égaux entre eux, obtenus en faisant glisser l'un d'eux le long du
cylindre directeur. Les surfaces 2, sont alors des héliçoïdes développables, et
les surfaces 2., sont des plans tangents au cylindre directeur (11, 14).
24. Lorsque la surface S sera donnée par son équation
f'(x,V,^) = o, (40)
il faudra, pour trouver l'équation des surfaces parallèles à S, éliminer x, y, z
entre (40) et les relations
x' = X -V- l COS A, y' =?/-(- / COS f*, z' = z ■*- I COS V . . . . (41)
Presque toujours, cette élimination sera fort pénible et l'équation résul-
tante sera beaucoup plus compliquée que celle d'où l'on est parti. Par exemple,
dans le cas très-particulier où la surface S serait le cylindre elliptique i-epi'é-
senté par
«y -4 /Ar«= «'6% (42)
on trouve que les cylindres parallèles à S ont pour équation
-4- 4a'ôT(j'^ + xf — a'—h^—l^f+ i{ay -i- U'x- - uH^— IrP — aV,^f
-f- i8a%H'{x' ^ if — é — b^—P) («*.)/*-+- hV — a'P — bH' - a^b^) — Tia'bH' = o.
(*) Cette propriété est évidente si ron considère le développement de la surface S. Les co;irbes
Cj, Cg', Cg" ... deviennent les développantes de la ligne suivant laquelle se transforme l'arête de
rebroussement de S.
Tome XXXII. 3
18
RFXHERCHE
Surfaces-canaux.
25. Depuis Mongc, on appelle sur face-canal l'enveloppe S crime sphère
de rayon donné : la ligne L parcoui'ue par le centre de la sphère est Vaxe du
canal. Dans chacune de ses positions, la sphère touche le canal suivant une
circonférence de grand cercle, dont le plan est normal à L. Celte circonfé-
rence C, caractérisliqiie de la surface S, est en même temps l'une de ses
lignes de courbure (*).
D'après cela, si l'on remplace la sphère de rayon R par une sphère de
rayon R', la nouvelle enveloppe S' sera parallèle à S : en
effet, deux rayons OM, OM', de même direction, sont
normaux aux deux surfaces , l'un en M , l'autre en 31', et
leui- dilïérence 3131' est constante.
26. Soient donc S, S', S", ... des canaux parallèles. Les
plans normaux à l'axe commun L déterminent, dans cha-
cune de ces surfaces, seslig^ies de courbure circulaires,
et ils coupent orthogonaloment tous'les canaux (**) : ces plans sont donc les
surfaces que nous avons désignées par 2,.
Pour trouver les surfaces 2,, observons que les rayons 031 , 0'3r, 0"31", ...
menés aux différents [)oints d'une ligne de courbure, appar-
tiennent à une surface dévcloppable, et qu'ils sont normaux
à l'axe L. Conséqucmment : Les surfaces I., qui, avec les ca-
naux S et les plansl^, composent le système orthof/oncd cher-
ché, sont des surfaces développablcs , ayant pour directrice
l'axe commun L, et dont les génératrices sont normales à L.
27. Supposons que l'axe soit une ligne plane ÂA'A"..., auquel
cas les surfaces S peuvent porter le nom de tores. Soif RB'R",..
(') Monge, Applirnlion de l' Analyse à lu Gédiiiclrie, pp. ÔG, ^58
('*) Ceci est d'arcord avec le théorème de Joaeliimstal (G).
DES LlOrSES DE COCRBLRE.
19
la développée de L. Considérons le cylindre qui aurait pour directrice celle
/B développée, el dont les génératrices seraient perpendicu-
laires au plan de Taxe. Il est facile de reconnaître que, si
une droite glisse tangenliellement au cylindre, en s'ap-
puyant sur Taxe, el en faisant, avec le plan de celte
courbe, un angle constant G, la surface ainsi engendrée
sera développable, et auia, pour arête de rebroussement,
une certaine hélice, située sur le cylindre. En faisant va-
rier Tangle 0, on obtient donc toutes les surfaces l.^ qui,
avec les surfaces données S et les plans AB, A'B', A"A", ..., normaux à
Taxe L, composent le système orthogonal.
28. lîenuar/ue. Pour une même valeur de e, et le plan de L étant sup-
posé horizontal, les génératrices rectilignes sont évidemment les lignes de
plus grande pente de la surface 2.,. Par conséquent, ces surfaces 2. ne diffè-
rent pas des surfaces à pente constante, dont M. Saint -Venant s'est occupé,
au moins dans le cas ovi la directrice L est une ellipse. D'après ce qui précède,
les surfaces S sont alors des tores elliptiques , dont il serait fort difficile d'écrire
l'équation (24) : néanmoins, nous connaissons les lignes de courbure de ces
surfaces.
29. Lorsque l'axe L est une courbe quelconque, la détermination des sur-
faces Sa exige que l'on résolve ce problème :
Trouver l'équation des surfaces développables engendrées par les normales
à une courbe L.
Soient
X-x = a(Z-3:), Y — y = b(Z — z) (U)
les équations de la normale au point [x, y, z) de L. Les inconnues a, b doi-
vent satisfaire à la relation
adx -A- hihj ^ (h = 0 ('«•S)
Pour rendre les calculs plus symétriques, je suppose
dx = ds sin y sin y, dy ^ ds cos y sin y, dz = ds cos y : . . . (M)
y est l'angle que fait, avec l'axe des z, la tangente à L; 9 est l'angle formé par
20 RECHERCHE
la projcclion de cette tangente, sur le plan des xy, avec Taxe des y; etc. En
ayant égard à la condition (45) , je trouve
sin 0 ('ot y , tos 0 cot r
cos (0 -H y) cos ( ^ -t- y)
B étant une inconnue auxiliaire.
Deux normales consécutives doivent se rencontrer; donc
adz — dx bdz — dy
da dl)
OU
siii e cosV — sin y cos,{0 -h .,,) sin^y , cos e cos^y -»- cos f cos(e -4- •,) sin' y
ou encore
cos^y(cos e f/a -1- sin 0 db) + cos(o -+- y) sin^y(cos ^d« — sin -fdb) = o . . (48)
Les valeurs (4.7) donnent
. Il col y
cos Ma ■+■ sHi oub = </ e ,
cot y
cos tjdu — sin fdb = cot 7' + sin (0 -4- t^)d.
cos (9 -t- ï)
Par suite, l'équation (48) devient, après quelques réductions,
cos y sin-(0 -f- y) .
ne — sin (0 + -.) dy -t- sin y cos y« » = o ,
sin ycos(0 -+- 5,) ' cos (0 -+ ^)
OU en (in
cos 9-(/e -- sin(4 H- 5-) cos(4 -4- y) sin yf/y-+ siii'(0 -f- y) sin"ycosyr/^ = 0 . . (49)
Dans cette équation, 9 est en général une fonction de y, donnée par les
équations de Taxe L; donc, en intégrant cette même équation, et en élimi-
nant ensuite 6 et y entre l'équation intégrale et les relations (44) et (47) , on
obtiendra, sous forme finie, l'équation des surfaces l., : la constante arbi-
traire, introduite par l'intégralion, particularisera chacune d'elles.
DES LIGNES DE COURBURE. 2i
30. Supposons que l'axe L soit l'hélice représentée par
x=^cosz, y^siaz (50)
Alors
t: sin 6 COS 9
y = --, t, := — z, a = ; ;, 6 = ; .... (5i)
4 '^ cos(«— :) cos(9 — z) ^ '
En même temps, l'équation (49) devient
2(/9 — sin'(a — :) dz = o,
illa
(lz =
2 —
en posant
ou
d~ = - ç, ' . , ; (52)
2 — sin^'a
0 = z -i- u (53)
Pour intégrer la formule (52), il suffît de prendre
tga= t (54)
On obtient, en effet,
-2(lt
puis
dz= -
2 H- «'
s=k-V'-2siTctg~; (55)
1/2
0
'I , par conséquent,
S= k -t- arc tyt — y ^2 arc tg^ (56)
^/2
Une génératrice quelconque de la surface développahle formée par les
normales à riiélice donnée, et répondant à une valeur arbitraire de le, est
alors représentée par les équations
A COS : = (Z — 2) , \ — sin z = ; : (^ — ~},
COS (« — s) COS (9 — z)
jointes aux formules (S3) et (36).
31. Les considérations géométriques suppléent avec avantage aux calculs
22
RECHERCHE
précédents. Eu effet : 1" Chacune des surfaces développables formées par les
normales à la courbe L a pour arête de rebroussemenl une développée de L;
2° le lieu de ces développées est la surface appelée , pur Monye , surface des
pôles de h; 3° chacune de ces développées est une ligne yéodésique , c'est-à-
dire qu'elle se trausl'orme en ligne droite par le développement de la surface
des pôles (*).
D'après cela, soient AB, A'B', A"B", ... les axes des cercles osculateurs à
la courbe donnée L, aux points M, M', M",....
Par le point M, menons arbitrairement la nor-
male MC, qui coupe AB en C; traçons, sur
la surface des axes (ou des pôles), la ligne
géodésique CC'C",... tantjente à MC : les
droites 3IC, M'C, M"C", ... seront autant de
génératrices de la surface dévcloppable cher-
chée l.j.
32. Remarques. \. L'intersection NN'N" ...
de la surface 2., par la surface S qui a L pour
axe, est également une développante de la ligne géodésique CC'C" ...
H. Ces résultats généraux, sur lesquels nous pourrons peut-être revenir
dans une autre occasion, sont d'accord avec ceux que nous avons indiqués
ci-dessus (27).
VI.
Question proposée par l'Académie.
33. Équation du lieu. Si les droites données sont rectangulaires, on peut
les prendre pour axes des x et des ?/; et alors l'équation du lieu est
«;
|/X' -H r* -4- l/j,* + ;
OU, après la disparition des radicaux,
'Hi^z' = (x* — iff - 2a' (x» + ir) -+- a*, . . .
(*) Monge, Appticatioii de l'Analyse dv ht Géométrie, pp. 392 et suivantes.
(57)
(58)
DES LIGNES DE COURBURE. 23
ou encore
Aa^z^ = (a -t X H- !/) (a -1- a: — ^) (n — x -\- y) {a - x — ij) . . . (oitj
Si les droites font entre elles un angle quelconque '2e, je prendrai, pour axe
des X el des y, les bissectrices de cet angle et de l'angle supplémentaire; et
alors la surface sera représentée, soit par l'équation
l/(x sin 6 — »/ cos 6'f -1- z- -^- \/{x sin e -4- »/ cos 6°- -^ z^=-lb , . . . ((jO)
soit par celle-ci :
b-z- = (¥ — x'ûn^i)){li' — ifi:Qi-i>), ■ (Cl)
qui devient, dans le cas de l'angle droit,
Wz- =^ [x^ — W) if — W) (6i>)
34. Discussion. Elle a été faite , pour le cas où les droites sont rectangu-
laires, par 31. Dupain [Nouvelles Annales de mathémaliques , tome XX,
|). 57). Le cas général donnerait lieu à une discussion toute semblable, à
laquelle nous ne croyons pas devoir nous arrêter. Nous ferons observer, seule-
ment, que sur les surfaces dont il s'agit, il existe des zones, indéfinies, dont
tous les points satisfont à cette condition, que la différence des dislances de
chacun d'eux aux côtés de l'angle, soit constante.
35. Lignes de courbure de la surface (57). On a vu, dans le para-
graphe m, que les surfaces représentées par
xy
Vx- -4- z^ -+- l/y' -+- z- = n , l/x- -^r z^ — \/y- ■^- z- = b, -y- = r ,
constituent un système orthogonal. La première surface étant celle dont nous
nous occupons, il en résulte que ses lignes de courbure sont connues.
A cette solution indirecte , donnée d'abord par M. Serret, nous pouvons
joindre plusieurs solutions directes.
36. En premier lieu, tirons, de l'équalion (62), les valeurs de p = ;f. ,
7 =-^ , et substituons-les dans l'équalion
d{X -h-pz) ^ '%_^/£) _ _ g.
dp (hj
24 RECHERCHE
Nous aurons successivement :
d. [(/ + 2//) a:] (/ [(a:- -h 26'')»/]
^ r(.V^-2y).r-| ^^r(x'-2^'^)y-j
Cette équation , développée , devient
[(»/■- -4- 26-)f/x -I- 2x»/(/y] [;-(x^— 26^)rf.y + Ixijzhlx — (x' — %'')yzdz]
= [(x^ -4- 26^)^1/ + 2x!/rf^] [z^(?/^ — 26^) ^/x -v 2x«/îV/y — (»/- - %^)xzdz]
A cause de la formule (62) , qui donne
(y"— %'')xdx -4- (x' — 2fe^)yrfy
le second facteur du premier membre peut être remplacé par
_L (x* _ 26-) [xy (y- — %') dx — 2 (x^ ^ 26*) h'dy ].
46^
L'équation (63) équivaut donc à
(x'— 26-) [{y' -+- 26^)e/x -h 2x?/(/»/] [x«/(/ — 26''')^/x — 26^(x' — 26>/îy]
= (^2 _ 26^) [(ic^ ^_ 26-) (?î/ + 2x)/(?x] [x.y(x' — 26') ^/(/ — %Hf ~ 26') (/x]
(C4)
(65;
(6f.)
Par suite, si l'on met celle-ci sous la forme
Arfx' -(- Brfxf/y + C(/»/'=o, (67)
on a :
\
A = XV (X*— 26') (/ -f- 26*) (!/' — 26') h- 46'x.y((/- — 26')',
B = 2 (x' - 26') [x'y'(î/' — 26') — 6' (x' — 26' ) (y' + 26')] ,
^ — 2(»/'— 26') [x't/'(x' — 26')— 6'(y' -26')(x'-f-26')], '
_ C == x»/()/' — 26') (x' -4- 26') (x'— 26') -+- 46'xi/(x'— 26');
DES LIGNES DE COURBURE. 23
ou , après quelques réduclions :
A = xy{f — 26') (xy -+- 26^x* -*- Wif — 126*),
— B = 26- (x' — /) (xy -i- 26V -+- 26y — 126*),
— C = xy(x' — 26-) (x-j/- -)- 26^x' -i- 26'-^' — 126').
Après la suppression du fadeur commun, l'équation (67) devient donc
xy iy' — 26') dx' — 26' (x' — y-) dxdy — xy (x' — 26') df=o. . . . (69)
Or,
f>'{x' - ff + xy{x' — 26') (/ — 26') = [6=(x' + 2/') — xY]';
donc
dx _ 6'(x' — if) d= [6'(x' -f- y') — x'y']
dy ~ xy if — 26')
c'est-à-dire
^==_^ (70) !!^_y(^^^zm (71)
dy y' ^ ^ dy xy-26') ^ ^
L'intégrale de la première formule est
xy = c^; ("2)
et celle de la seconde :
= S (7.3)
x' — 26' ^
37. Remarques. \. Les hyperboles représentées par ces deux équations
ne diffèrent pas de celles que l'on obtient en éliminant z, soit entre les équa-
tions
l/'x' H- z' -+- Vy" + z' = a, Vx"- -h s' — J/.»/ -+- 2' = 6 ,
soit entre les équations
^/a:' -4- s' -4- V/w' -+- -^ = « , — = c.
II, Le résultat de celte élimination est
.y'— 2x(/Y/i +^-^-^'="'; (^''•
Tome XXXII. ^
26 RECHERCHE
équalion à laquelle on satisfait, quel que soit c, en posant
if -\- x^ = d\ xy = 6 ;
d'où résulte :
X ^ 0, Il ^ ± a , (75)
et
ij = 0, X = ± 0 (76)
A ces systèmes de valeurs correspond z = o. Par conséquent, loules les
lignes de courbure appartenant à l'un des deux systèmes passent par les quatre
points où la surface est rencontrée par les droites données. Ces points , très-
remarquables, peuvent être appelés ombilics principaux.
ni. L'équation (67) devient identique si Ton suppose
xhf + 2if)V -t- 2iy —\W = o (77)
11 y a donc lieu de croire que celle-ci appartient à une ligne ombilicale. Pour
vérifier s'il en est ainsi, je reprends les formules
Elles donnent :
_ jj-— -lU" _ xxj _ x^— -2b^
'" ~ ~ 2(x'^ 26-)z ' ^ ^ 46^ ' '^~ '2{if — <i.¥)z ' ' " ' '^^^
puis
,, xY + 26V - 86* , xy -h 26y - 86' xy
'"^"= 46>--26-)-' '^''= 46^^-26-) ' ^''' = W ' ^''^
Ces valeurs, substituées dans les relations
i -\- p^ pq i + q^
r s t
les réduisent à
xy -+- 26V — 86* _ xy -+- -2by — 86'
wy— 26-) ~ ~ W{x^^-^W)
DES LIGNES DE COURBURE. 27
c'est-à-dire à Véqualion unique
a;y + 26V-4- 26-1/-— l'26'=o (77)
La surface admet donc une ligne ombilicale, ou plutôt une ligne de cour-
hures sphéri(fues (Leroy, Analyse appliquée, p. 333).
IV. Si l'on élimine a?-/ entre les équations (62) et (77), on trouve
j:^ + y^ + ;^ = 46* (78)
Par conséquent, la ligne ombilicale est située sur une sphère qui a pour
centre le sommet de l'angle donné, et pour rayon, la constante 26. Cette sphère
passe par les ombilics principaux.
38. Cas général. Première méthode. L'équation (61), traitée comme
l'équation (62), donne d'abord :
(if cos'e — 6')x sin'e ^ _ (a:^ sin- a — 6')^ cos- o
f = - 57^ ■ ^- W^^—-- ■ ■ <"'
(v'sin'6 + 6^)x cos'« (a;' cos' « -+- b')y sin'e
^■ + P^-- ^ . y + t^ = ^. • • • • (*^*''
Ces valeurs, substituées dans l'équation (7), conduisent à
sin' éd. [(x' cos' 6 ■+- b'')ij] _
cos'
Bd.
w
siiro -i-
6')x]
■ 2
e.d.
U'f
cos' 6 —
b-)x'
z
r(xWe_-6^-|
cos'^.rf.
ou, en développant, à
,:os*e [((/-sin'e + b^lx -^- 2xijsm'od;j] [;:'(x'siiro - b')dy + -Ixyz'sinHdx - y [xhin'e -b')zdz] | ^^^^
:sin* e [(x'cos'o + b')dy -t- '2xycosHdx] [z^y^cosH — 6')(/x-t- 2x)/z'cos'9(/i/ — x(»/'cos'9 — 6')jfk] \
On a
bhdz = (/ cos'o — b-)xdx sin' 0 -t- (x' sin' 6 — b')ydy cos' 0 ;
de sorte que le dernier facteur du premier membre, dans l'équation {Si) ,
peut être remplacé par la (pianlilé
(x' sin' 0 — 6')' (;(/' cos' 0 — 6') dy -+- 2x»/ (x' sin' 0 — 6') (y' cos' e — 6') sin' êdx
— (x' sin' fj — 6') (//-cos'fj— <>')x(/rfx sin'o — (x'sin'o — 6-)',i/rf»/ cos'o,
28 RECHERCHE
laquelle peut être mise sous la forme
(x- siir 0 — b^) [xy (y- cos"^ d — 6*) sin'^ 6dx — b- [x- sin' fl — b-) dy].
L'équation (81) devient donc
cos'é{x^smH — b^) [(y''smH+b-)dx + ^xysm^edy] [xy{y' cos-" 6 — b^) sin'ddx- b^{xhinH-byi y] \
= sin'«(/cos-fl-6=) [{x-cos^e-i-b-)dy-^2xycos'edx] [xy{x^smH—b-)cos^f)dy — b%y^eos'<j — byx] \ ''"^'^
Si l'on écrit ainsi cette dernière :
^dx^ -i- Bdx dy h- Cdy^=^o, (85)
on trouve :
A = xy {tf cos^ 9 — 6') sin' 0 cos' h [{y- sin^ e + b^) {x^ sin' 9 — b^) cos^ 0 +26' (y^ cos's — b') sin' o], \
B = 6- [y^cos^e-by{x^sm^B + 6'-) sin*e — (x-sin'9— 6'f (.y'cos-0H-6=) cos*e], ( (84)
— C = xy[x^sm^ ô— 6-) sin'9 eos'a [(a;^cos''6+6^) [tfcosU — b^) sin^e + %'-{x"sm-e—b'-) cos'!)] )
Ces expressions sont si compliquées, que l'intégration de l'équation (83)
parait fort difficile.
39. Remanjue. Lorsque sin 6 = cos 5 = ^, les formules (84) se ré-
duisent à celles que nous avons trouvées plus haut (36).
40. Deuxiè?ne méthode. Dans l'équation
bh- = {x^ sin^ 9 — b^) {y- cos'- e — b^) , (d)
je suppose
x' sin- 9 - 6* = 6X , y^ eos' ô — b^ = bY; (8o)
c'est-à-dire
a; sin 9 = V b{b h- X), y cos 9 =^ y'h(b -+- Y).
Il résulte, de cette transformation :
z = I/XY ;
(8(i)
puis
Y X sin^ 6 sin 9 . /Y^ ~ X y cos"' o cos 9 . /X
.-.p.= l-j:^ ^/^^, ^ ^ ^^^/.+xcos-9^^-_
•^t-sing 1/6. cos 8
DES LIGNES DE COURBURE. '211
Au moyen des dernières valeurs, Téqualion (7) devient
cos^ Bd. [(b + Y sin^ o)y^b -4- X] _ sin'orf.[(6+X coiU)Vb-\-\]
Or:
(«7}
1
d.[(b + Y sin-ô) Vb -+- X] = \{b -+- Y sin'6)dX + 2 sin'ei(6 -+- X)]rfY,
2 V/(; + X
, , /X (6 + Y) YdX — 6Xc/Y
''•\/-(6 + Y)= -^ '
V y' 2Yl/XYi6+Y
donc Pé(iuation (87) équivaut à
Xcos'6 [(6 H- Y siii-6)dX -4- 2 sin'ô [b + X)(A'] [(6 + YjYrfX — 6X(/Y]
= Y sin- ()[(b + X vos'>))d\ h- 2 cos'fl (6 + Y)rfX] [(6 + X)X(yY — b\d\]
m)
Celle-ci a la forme
AdX:' -4 BrfXrfY -t- Cc/Y' = 0 , (S!))
en supposant :
A= Xcos'â (6-i-Ysin-e) ^6-t-YjY-<-26'sin^e cos-e(6+ Y)Y',
B=Xcos'9[2sin^o(6-4-X) (6-kY)Y— 6X(6h- Ysin^ e)]
— Ysin^6[2cos'o(6-HX) (6 + Y)X — 6Y(6+Xcos'û)],
— C=Y sin^ 9 (6+Xcos'9) (6 + X)X+26''sin-ûcos-« (6 + X)X-;
ou
A = (6 + Y) Y cos' ij [ X (6 -t- Y sin' 6) -+- 26Y sin' 0 ] , \
B = 6 [ Y- sin' ô (()-+- X nos' e) — X' cos' ô (6 + Y sin'' e) ] , | . . . (;»0)
— C =(6 + X)Xsin'ô[Y(fc + Xcos'9)-»- 2feXcos'e]. J
Ces valeurs, plus simples que celles du n" 38, ne permettent |)as, néan-
moins, d'espérer que Téqualion (89) soit intégrable.
41. Troisième mélhode. Pour essayer de déterminer les surfaces ortho-
gonales à la surface donnée, je prends Téquation de celle-ci sous la forme
V{x sin 6 — y cos 6)' -t- z^ H- V{x sin 0 -t- ij cos Df -\- z' = o; . • • (!H)
30 . RECHERCHE
el , pour abrégei-, je pose :
x sin 9 — y cose = x', ij sin o -♦- y cos 6 ^ y' ; (92)
puis
«
da x' , du y' ,„,,
dx Vx" + z^ ^y V}r-^z^
H résulte, de ces valeurs :
p^^ = (P'^ Q')sia5, Q = ^ = ^0'_P')t.os6; .... (94)
dx dy
puis, pour la surface cherchée :
p = -^ = (p' + q') sin 0, ry = -1 = (r/' — ;/) cos ô; .... (93)
dx dy
en supposant
dz dz
L'équation
Pl, + Qq = R (1)
est donc, dans le cas actuel,
(P' H- Q') (p' + q') sin- 0 H- (P' — Q') ( p' — q') pos^ 9 = R ,
OU
(P'_'q'cos*o)p' H- (Q'— P'cos^5)7'= R (96)
On doit (2) intégrer le système
dx' dy ^dz
P' _ Q' COS'' 6 Q' — P' cos- 0 R
A cet effet, soient
x' = uz, y' = XJZ; . (98)
d'où
v=-A=, Q'=—^=, R = — =^-^-=^; • • (9!»)
DES LIGNES DE COURBURE. 51
les équations (97) deviendront
Rzdu = (P' — Q' cos'^o — l\u)dz,
Rzrfu = (Q' — P' ros'e — Rr)rfz;
c'est-à-dire
Hzdii = — {v r'os* 0 ■+- u) — ^^::^ , Rrrfv = — (m cos' o -i- v) — ■^^^z:::^. ■ ('"")
On conclut, de ces deux-ci,
du V cos' 6
dv u cos"^ n -^ V y/ \ ^ ^i
OU , en supposant
cos^o=?: (101)
{gu -+- Im) \/\ -+- d' f/« = ((jv -t- /(») J/'I -*- u- dv (10i2)
42. L'intégration de cette écpiation (102) paraît d'abord assez pénible :
pour y parvenir, j'ai dû avoir recours au procédé suivant.
.Mettant g et /* en facteurs communs, j'écris ainsi l'équation :
g [u V\ -\- v^du — vV\ -+- u- dv) ■+■ h {v l/l h- v'' du — u\/\ + m' dv) = o.
Celle-ci écpiivaut à
/ udt( vdv \ , I du dv \ ,,„-\
g + huv :=: ] =o. . (lO.i)
Maintenant, soient a, /3 deux nouvelles variables, telles que :
tidu vdv
= da. ,
du dv d(i
il en résulte, au lieu de l'équation (103) :
(IO/<.)
nrfa -)-/»«« — = 0 [W.i]
(3
•^2 RECHERCHE
On satisfait aux équations différentielles (104) en prenant
^ _ 1/ 1 -4- M- - 1 V } (106)
On conclut aisément, de ces valeurs,
liv = - - ;
de sorte que l'équation (lOo) devient
Celle-ci a pour intégrale
|3 - d V' ,
108)
^(3 -+- 2
/.'' étant la constante arbitraire.
La question incidente que nous nous étions proposée peut être regardée
comme résolue; car les équations (106) donnent n et v en fonction de «et
de /S, ou seulement en fonction de /3 et de la constante /.-. Ces valeurs, substi-
tuées dans Tune ou dans l'autre des équations (100), permettront d'intégrer
celle-ci. Le résultat a la forme
/. ^/F(p,/v)(fô, (109)
k' étant la constante arbitraire.
4.3. D'après la méthode indiquée au paragraphe I, les surfaces orthogo-
nales à la surface donnée seront représentées par
la fonction y étant arbitraire, et les constantes A', k étant remplacées par
leurs valeurs en x, y, z, au moyen des équations (92) et suivantes. Il est
facile do comprendre que ce calcul est purement inextricable. A plus forte
DKS LIGNf:S l)K COURliUUE. 33
raison sera-l-il impossible de Iroiiver les formes -p, v., de la Ibnclion r^, qui
correspondent à un système orthogonal (s'il en existe un). Celte troisième
méthode ne peut donc, pas plus que les deux premières, nous conduire an
but (*).
ii. Remarques. I. Les surfaces (jui oui pour équations :
\/.r"--^-z' +■ V/|/'--f-c' = n, \^x-^ + z-~\/;f- ^ z^ = h , . . . (110)
sont orthogonales.
En etTet :
du lia , . , (la z z \ '
P = — =(P'-i-Q-)sinO, Q = — = (Q'-P')rosO, R =-- = P' _ -f- Q'^;
(Ix llll llz X' II' I
■' •' . (III)
dh db (II) z z '
P,= — =(P' — Q')sinâ, Q,= --- = -(Q'-HP>ns5, R,= =P'__Q'_;
dx dij dz X ij
donc
|.p, ^ QQ, + RH, = P'^ (^1 -*- -,^. j - Q'^ ^ 1 + — J = o.
II. La courbe d'intersection de ces deux surfaces, évidemment située sur
les cylindres de révolution qui ont pour axes les droites données, et pour
rayons « -f ^ 6t a — I), est située aussi sur rellipsoïde représenté par
x^ sin^ 0 -4- if cos- 6 -f- j- = a- -t- b'^.
\\\. Lorsque les rayons varient de manière que la somme de leurs carrés
soit constante, cet ellipsoïde est invariable.
IV. Si ± 6 = a, les équations (110) se décomposent eu
jf = 0, z ^= n, .r' = ± a,
OU en
x'= 0, z = 0, y' = ± a.
(*) Il en est de même de plusieurs autres transformations, que j'ai essayées en vain. Je signa-
lerai eelle qui eonsiste à prendre p et q pour variables, au lieu dex et y : elle conduit souvent
à un résultat simple.
TOMF. XXXII. J>
34 hkchrkciif: dks lignes de courbure.
« C'est donc par des pointes que les qiialre nappes infinies louchenl les
surfaces fermées. » (Dupa in. Nouvelles Annales de Mathé^naliques, tome XX,
p. 63.)
45. Les surfaces (110) étant orthogonales, on peut chercher si elles peu-
vent être coupées orlhogonalement par une troisième surface. Pour (pril en
soit ainsi, on doit avoir, en même temps :
P/'-+-Q'/ = R, P,/v -+- Q,7 = R,;
c'est-à-dire, à cause des valeurs (111) :
(P' + Q')^j sin 0 -H (Q' — P')7 fos o = V —, -^ q —^ ,
X II
■ (P' — Q')/Jsin 6 — (Q' -+- P')f/ «os 9 = P' — — Q'^i
OU encore :
px' sin 0 — (jx' cos 0 = z, pij' siu o h- (pf cos o = r ;
OU enfln, en ayant égard aux relations (92) :
pij + f]X = o, . . . (112) z = px sin' e -i- qi/ cos' 0 . . . (Ilâj
L'équation (112) a pour intégrale
Au moyen de celte valeur, l'équation (113) devient
,{x^-y')
9='(a:'— r)
= 2 (x* sur 6 — }f cos- 6)
Cette dernière relation exige que sin^ 9 = cos-5 =^, donc : 5/ les deux
droites données sont obliques , les surfaces représentées par les équa-
tions (110) }i appartiennent pas à un si/slème orllioyonal.
FIN.
MEMOIRE
SUR UN
chronoctRaphe électro-balistique ,
M. p. LE BOULENGÉ,
LIEUTENANT D ARTILLGRIE.
(Mémoire présenté à l'Académie royale, le 5 décembre 1863)
Tome XXXII.
INTRODUCTION.
La rupture d'un courant voltaïque peut produire divers effets mécaniques
qui se manifestent presque instantanément en un point quelconque du circuit.
Ces effets sont de nature à permettre leur emploi comme agents remplis-
sant, dans un appareil chronométrique, différentes fonctions, telles que la mise
en mouvement, Tarrèt, ou Penregistrement graphique.
Le problème de l'électro-balistique consiste à faire rompre successivement
par un projectile, dans sa trajectoire, deux ou plusieurs courants mis en
relation avec un appareil chronométrique, et à pouvoir déduire des elïets
produits par ces ruptures successives l'intervalle de temps qui les a séparées.
Au moyen de ce temps, connaissant la distance entre les deux points où
s'opère la disjonction, on calcule aisément la vitesse moyenne avec laquelle
le projectile a franchi cet espace.
C'est depuis une vingtaine d'années que l'artillerie s'est préoccupée de la
détermination de la vitesse des projectiles au moyen de l'électricité. Les
propriétés si diverses de ce fluide et la grande variété des chronomètres
avec lesquels on peut les combiner, ouvrent aux recherches un vaste cham|)
d'investigation.
Le problème a déjà reçu diverses solutions , ayant chacune leur mérite
particulier; l'une d'elles, entre autres, mise en usage par la plupart des
4 INTRODUCTION.
puissances, l'orme un véritable type dont notre artillerie s'enorgueillit à juste
titre. Les principes développés dans cette solution fournissent un guide tel-
lement sûr dans l'élude de la question, que l'on ne peut s'en occuper sans
rendre hommage à son auteur : la méthode sur laquelle elle est basée pré-
sente de tels avantages qu'il serait presque téméraire de vouloir s'en écarter.
Aussi, je dois reconnaître, avant d'entrer en matière, que le chronographe
qui fait l'objet de ce mémoire, bien que différant, dans ses parties consti-
tutives et dans la disposition des circuits, de tous ceux décrits jusqu'ici, ne
doit être considéré cependant que comme une nouvelle application de la
méthode remarquable sur laquelle est basé le pendule électro-balistique du
major N'avez.
Le cadre de ce mémoire ne me permet pas d'entrer dans une étude com-
parative des appareils connus jusqu'à présent , ni d'établir aucun parallèle
quant aux dispositions adoptées et aux résultats obtenus. Je me bornerai à
dire, à ce sujet, que le but de mes recherches et de mes essais a constam-
ment tendu à simplifier les organes de l'appareil et à faciliter son ma-
niement.
La simplicité est loin d'exclure une grande exactitude : moins on compli-
quera l'appareil, plus on diminuera ses causes d'erreurs accidentelles, les
précautions à prendre dans son maniement et la nécessité d'une habileté
spéciale chez l'opérateur.
MÉMOIRE
SUR UN
CHRONOGRAPHE ÉLECTRO-RALISTIOUE.
CHAPITRE I-.
DESCRIPTION DU CHRONOGUAPHE.
Cet appareil, destiné à mesurer avec une grande exactitude un temps très-
court, notamment celui du trajet d'un projectile entre deux points rapprochés
de sa trajectoire, comprend quatre parties distinctes dont la réunion forme
un seul instrument [Planche /", figures 1 e< 2) :
1° Le chronomèlre, maintenu au repos par un électro-aimant;
2" La détente, destinée à marquer un trait sur le chronomètre en mou-
vement ;
3° Le poids, maintenu également par lui électro-aimant et servant à l'aire
agir la détente ;
i" Le disjoncteur, qui a pour but de rompre en même temps les deux
courants qui activent les électro-aimants du chronomètre et du poids.
Le chronomèlre a est une baguette cylindrique d'acier; sa chute, libre
et sans frottement, sert à mesurer le temps, d'après la hauteur de chute.
6 SUR UN CHRONOGRAPHE
A sa surface se trouvent deux cartouches récepteurs b et b'; ce sont des tubes
minces de papier enroulé et collé, qui peuvent s'enlever et se remplacer
facilement. Ils occupent chacun, sur le cylindre, une position repérée, leur
partie inférieure reposant respectivement sur une embase r c et c'c' ménagée
à cet elTet. Ces cartouches reçoivent le Irait imprimé par la détente. Pour
alléger le chronomètre et assurer la verticalité de sa chute, on y a ménagé
un creux longitudinal fermé à la partie inférieure par un bouchon d'acier
lilelé (I qui sert de lest et forme en même temps l'embase du cartouche
inférieur.
La défente se compose d'un grand ressort e, dont la branche mobile [)orte,
à sa partie inférieure, un biseau aigu d'acier trempé /. Ce ressort est main-
tenu au bandé par un levier à griffe y,, dont la queue, sollicitée de bas
en haut par un petit ressort li , reçoit le choc du poids. Toutes les parties
de la détente sont d'acier.
Le poids i, d'acier, a une forme cylindro-conique à pointe arrondie; il
est creux et muni à sa partie inférieure d'un bouchon fdelé qui sert de lest.
Le disjoncteur est une simple lametle d'acier/ qui ferme les circuits du
chronomètre et du poids par son contact avec une pièce métallique / que
j'appellerai la presse à vis du disjoncteur. En appuyant sur le bouton B qui
se trouve à l'extrémité libre de la lamette, le contact cesse et les circuits sont
rompus. Pour faire comprendre la manière d'agir de ce disjoncteur , il est
nécessaire d'entrer dans quelques détails sur l'établissement des courants; j'y
reviendrai plus tard; admettons, pour le moment, qu'il les rompe exactement
en même temps.
Montage.
Les deux bobines /, /' et le disjoncteur sont fixés sur uu montant de bois
dur et sec dans les positions relatives représentées sur les figures 1 et 2. Une
plaque de fer qui garnit la base du montant porte la détente.
L'instrument se cale au moyen d'écrous, sur trois broches verticales qui
font partie d'une semelle de fer , fixée par des vis à bois sur la table où
l'on opère. Pour établir la verticalité, on se sert d'un fil à plomb.
ÉLECTRO-BALISTIQUE.
Fonctionnement de l'appareil.
Le circuit du chronomètre et celui du poids passent chacun sur un cadre-
cible disposé sur le trajet du projectile dont on veut déterminer la vitesse.
La distance E entre les deux cadres est telle que le projectile emploie
environ 0",1 à la franchir.
Le chronomètre et le poids étant suspendus à leurs électro-aimants , et la
détente au bandé, appuyons sur le disjoncteur : les circuits sont rompus
simultanément, l'attraction magnétique des électro-aimants cesse, le chro-
nomètre et le poids cèdent à l'action de la pesanteur. Le montage de l'ap-
pareil est tel , que le poids , dans sa chute , fait agir la délente au moment
où le cartouche inférieur du chronomètre passe devant le couteau; celui-ci,
par le jeu de la détente, y imprime un trait net et permanent.
Remettons l'appareil en station, et soit II la distance des deux plans hori-
zontaux qui contiennent le trait et le couteau ; H représentera la hauteur
dont est tombé le chronomètre depuis l'origine du mouvement jusqu'à
l'instant où il a été frappé par le couteau. La formule T = |/y donnera le
temps correspondant. Répétons plusieurs fois cette expérience et supposons
que nous trouvions toujours la même hauteur de chute, par conséquent le
même temps; ce qui revient à dire : que le courant du chronomètre et celui
du poids étant rompus simultanément, le chronomètre marche pendant un
temps constant T. Ceci posé, si, au lieu de faire simultanément la rup-
ture des courants par le disjoncteur, elle se fait successivement par le pro-
jectile traversant les cadres-cibles, la chute de la règle précédera celle du
poids, et le trait se marquera sur le cartouche supérieur. Soit H' cette se-
conde hauteur de chute et T' le temps correspondant; T'— T sera exacte-
ment le temps qui a séparé les deux ruptures successives des courants;
c'est-à-dire le temps qu'a employé le projectile à franchir l'espace qui sépare
les deux cadres-cibles. .^^ sera la vitesse dont il était animé au point-
milieu de cet intervalle.
Dans tout ce qui précède , j'ai supposé :
1° Que le disjoncteur rompait exactement en même temps les deux
courants ;
s SUR DN CHRONOGRAPHE
2" Que Tappareil marquait, dans ce cas, une hauteur de chute constante.
Je vais successivement développer les moyens que j'ai employés pour
arriver à réaliser ces deux conditions.
Principe du disjoncleur.
Le disjoncleur est basé sur une disposition de deux piles, telle que les
courants, quoique parfaitement indépendants, aient une partie commune
dans leurs circuits; dès lors, il suffît de disjoindre cette partie commune
pour interrompre à la fois le passage du fluide voltaupie dans les deux
circuits.
Soient deux piles d'un nombre égal d'éléments de Bunzen, trois pour
fixer les idées. Prenons sur chacune de ces piles un circuit ab cd e et
a' b' & d' e'. [Fig. 3.) Partant des pôles-zinc a et a' , passant sur les cadres
bc et b' c', de là aux bobines d et d' du chronographe, puis aux pôles-char-
bon e et e'. Si nous réunissons mélalliquement les deux pôles de même nom
e et e', nous ne changeons en rien la marche des courants. Cette réunion
étant faite, nous pouvons, au lieu de faire arriver directement le fil de sortie
de la bobine d' à son pôle e', lui faire rejoindre le premier circuit en f; la
partie d' e' sera remplacée par d' fee'. Par celte disposition, nous avons
deux courants parfaitement isolés et sans influence Pun sur l'autre pour les
parties des circuits abcdf et a' b' c' d' f renfermant les cadres et les
bobines, mais réunis en un fil commun dans la partie f e. Il existe en outre
deux circuits secondaires a g d h e et a' g' d' h' e' fournis par les mêmes
piles et dont le but sera expliqué plus loin. 11 suffît donc de rompre le fil
(•ommun /" pour faire cesser à la fois l'action des deux courants princi-
paux. Il ne reste alors que les deux circuits secondaires, plus un dévelop-
pement de fils ab c d f d' c' b' a' réunissant les pôles-zinc de deux piles
dont les pôles-charbon sont également réunis. Dans cet état, il ne peut plus
y avoir de courant que dans les deux circuits secondaires [a, g , d, h, e et
a', g', d', h', V').
Le disjoncteur décrit plus haut sert simplement à rompre la partie com-
mune des circuits principaux; à cet effet, le fil commun aboutit à la lamette,
ELECTRO-BALISTIQUE. 9
puis repart de la presse à vis pour retourner au pôle e. Le contact de la
laniette avec la presse à vis donne passage aux fluides.
Réglementai ion des courants.
L'influence du magnétisme remanant, dans les électro-aimants, après la
rupture du circuit, rend leur emploi très-diflîcile et très-délicat dans un
appareil où de très-petites difi'érences de temps doivent être accusées exac-
tement; et, si Ton considère que, jusqu'à présent, on ne connaît pas, de pile
dont l'action soit constante, même pendant un temps très-court, on conçoit
qu'il est nécessaire, pour obtenir des résultats constants, de régler l'action
des courants sur les électro-aimants.
Pour arriver à ce but, un second fd, d'une section moindre, est enroulé
surcbaque bobine et se partage avec le premier le fluide de la pile : ce sont
les circuits secondaires dont il est parlé plus haut. Dans ces circuits, la
marche du courant est inverse, de façon que si, d'un côté, les enroulements
du fd principal donnent à l'électro-aimant un pôle inférieur positif, d'un autre
côté, les enroulements secondaires tendent à lui donner un pôle négatif. Si
l'on vient à rompre le circuit principal seulement, toute la force de la pile
se porte sur le circuit inverse pour renverser brusquement les pôles de l'ai-
mant. De manière qu'il s'établit une sorte d'écpiilibre dans l'action de la pile :
si la tension augmente, le circuit direct développera, dans l'électro-aimant,
un magnétisme plus puissant et capable de maintenir plus longtemps le
contact après la rupture du courant; mais aussi la force du circuit inverse
augmentera dans la môme proportion pour détruire ce magnétisme.
Afin de simplifier l'installation, sans altérer la marche des courants, les
circuits inverses parlent, comme les circuits directs, des pôles-zinc de chaque
pile et sont réunis comme eux en un fil commun au sortir des bobines;
toutefois ce fil se rend à la presse à vis du disjoncteur et non à la lametle,
et de là ils achèvent leur parcours par le fil fe. Par cette disposition, le
disjoncteur ne peut pas rompre les circuits inverses.
J'ai dit que le chronomètre et le poids sont d'acier au lieu d'être de fer
Tome XXXII. 2
10 SUR UN CHROiNOGRAPHE
doux ; il en résulte qu'ils présentent , au point de contact avec leur électro-
aimant , un pôle permanent de même nom que celui (jue tend à donner à
cetélectro-aimant le circuit inverse; aussitôt donc que l'action de ce dernier
circuit devient prédominante , les contacts doivent tomber. Le remplacement
du fer doux par l'acier est de la plus grande importance pour la régularité
de la marche de l'appareil.
Lecture des traits.
La lecture exacte de la hauteur de chute correspondant à un Irait se fait
sans difficulté : la distance des deux embases du chronomètre en station au
couteau de la détente est mesurée très-exactement une fois pour toutes; il
suflit donc de mesurer la dislance du trait au bord inféi'ieur du cartouche,
ce qui se fait au moyen d'un compas à coulisse donnant les dixièmes de
millimètre. Le trait, ou plus exactement la coche [figure 4) produite, dans
le cartouche récepteur, par le couteau de la détente, présente à sa partie
inférieure un plan ab normal à l'axe du cartouche. Sa distance au plan cd
peut donc aisément se mesurer avec toute Texaclitude désirable, au moyen
d'un compas à coulisse ou d'un instrument analogue facile à imaginer.
CHAPITRE IL
EXAMEN THÉORIQUE ET PRATIQUE DES DIFFÉRENTES DISPOSITIONS ADOPTÉES
DANS LE CHRONOGRAPHE. MANIEMENT DE l'aPPAREIL.
Du chronomètre.
La connaissance du temps se déduit de la chute libre et sans frottement
d'une baguette d'acier. Abstraction faite de la mise en œuvre de ce chro-
nomètre, il présente sur tous les autres les avantages suivants :
1" Il est le plus simple.
ÉLECTRO-BALISTIQUE. H
2" Depuis Tinslant où il se met en mouvement jusqu'à celui où Tenre-
gistroment se fait, aucune cause d'erreur, si ce n'est la résistance de l'air, ne
peut intervenir, puisque sa chute se fait librement et sans frottement. Comme
il n'oppose à l'air qu'une faible surface en comparaison de son poids, la
résistance de ce fluide est sans influence appréciable, d'autant plus que la
chute n'atteint jamais une grande vitesse.
3° Le temps correspondant se déduit de la hauteur de chute par une
formule exacte, simple et des plus faciles à calculer; à tel point qu'une table
spéciale pour faciliter les calculs est à peine utile. L'application de cette
formule ne nécessite aucune donnée préalable observée au chronomètre à
secondes.
C'est là un Irès-grand avantage, car ce genre d'observation est fort délicat
et peut entraîner à une erreur constante assez notable.
4° Si l'on opère à des températures qui s'écartent notablement de la
moyenne, on peut très-facilement tenir compte de l'influence de la dilata-
tion. Toutefois, dans les circonstances ordinaires où l'on opère, la tempéra-
ture est sans influence sensible.
5° Enfin, certaines causes d'erreurs peuvent être rendues aussi petites
qu'on le veut : ce sont celles qui n'affectent pas le temps, mais seulement
la longueur; teUes sont les erreurs de lecture. En effet, l'erreur de lecture
ne pouvant pas dépasser 0"™,'! et la vitesse de chute croissant comme le
carré des temps , il suflit de donner à l'appareil des dimensions telles que ce
dixième de millimètre représente un temps négligeable; ainsi, avec le der-
nier appareil que j'ai expérimenté, qui diffère peu de celui que représente
la planche, la hauteur de la disjonction est d'environ 0'",50. A cette hauteur,
un dixième de millimètre vaut en temps 0",0000319. La hauteur donnée
par le canon est d'environ 0™,880, le dixième de millimètre correspond
alors à 0",000024.1. Une telle erreur n'altère la vitesse calculée que de
0'",1 18 dans le premier cas et de 0'",089 dans le second, en supposant cette
vitesse de STO". Le temps se traduit donc par une longueur aussi grande
qu'on le désire, et le degré d'approximation n'est limité que par la conve-
nance des dimensions à donner à un appareil de ce genre.
12 SUR UÎN CHROrsOGRAPHE
Du mode d'enregislrement et de la lecture.
Le mode d'enregistrement sur le chronomètre ne permet pas la lecture
immédiate; cette lecture nécessitant remploi d'un instrument, il semble qu'il
V a là un inconvénient pour la marche rapide des opérations; mais il est
toutefois plus apparent que réel : les traits étant permanents sur les cartou-
ches , il est inutile de mesurer leur hauteur séance tenante. Si l'on est pressé
par le temps, il suffit de les numéroter : on peut, plus tard, les mesurer avec
toute l'exactitude désirable. J'ai trouvé un grand avantage dans celte conser-
vation graphique des résultats fournis par l'appareil : leur simple inspection
donne déjà une idée assez exacte du degré de régularité des vitesses , et l'on
a la faculté de vérifier quand on le veut les données du calcul. Le ressort
(le la délente n'est pas une cause d'erreur, si le temps de son débandemenl,
(jui est compris dans celui de la disjonction, ne varie pas d'une expérience
à l'autre. On ne prévoit pas de causes de variations accidentelles dans ce
temps; et, en tout cas, en admettant même qu'elles se produisent, la régula-
lité des disjonctions prouve suffisamment que ces variations sont assez petites
pour n'avoir pas d'influence sensible sur les résultats.
Du disjoncteur.
La manière de rompre simullanémenl les deux courants du chronographe
étant basée, non sur l'action d'un mécanisme, mais sur une combinaison
des circuits, ce disjoncteur présente les avantages suivants :
4" Son action est certaine, sans qu'il soit nécessaire de le régler en au-
cune façon; car, en rompant la partie commune du circuit, il y a nécessaire-
ment simultanéité dans la disjonction des deux courants.
2" 11 est simple dans sa disposition et dans son emploi et n'est sujet à
aucun dérangement accidentel.
3" il est à remarquer que lorsqu'il se trouve dans un circuit une solution
formée par contact, elle donne généralemenl lieu à des variations dans l'in-
tensité du courant, selon la résistance plus ou moins grande que présente ce
ÉLECTRO-BALISTIQUE. 13
contact au passage du fluide. Le disjoncteur du chronographe se trouve dans
ce cas, mais, son contact donnant passage aux deux courants à la fois, ils
augmentent ou diminuent en même temps; ils conservent la même force
relative, condition sufTisanle pour que les résultats n'en soient pas influencés.
Installalion et maniement de l'appareil.
Les cadres-cibles et les conducteurs destinés à les mettre en relation avec
l'appareil étant établis, on fait communiquer l'un des fds venant du pre-
mier cadre avec le pôle-zinc d'une des deux piles, réunies par leurs pôles-
charbon ; le second fd est mis en commiuiication avec la presse à vis de la
bobine du chronomètre. La même opération se fait, pour les fds du second
cadre, avec la seconde pile et la bobine du poids. Cela fait, on établit un fil
allant de la presse à vis du disjoncteur à l'un des pôles-charbon , el les cir-
cuits directs sont installés.
Pour établir les circuits inverses, il suffît de mettre en communication,
respectivement par un fd conducteur, les mêmes pôles-zinc avec les presses ù
vis des enroulements inverses : les circuits sont achevés par le fil commun.
Il y a donc en tout cinq fils qui aboutissent à l'appareil et qu'il est très-
facile d'établir.
Je ferai remarquer ici qu'il est nécessaire que les courants aient toujours
le même sens, pour ne pas renverser les pôles permanents du chronomètre
et du poids : c'est pourquoi j'ai adopté comme type la disposition que je
viens de décrire. Après l'établissement des circuits, il est bon, avant d'opé-
rer, de s'assurer du sens des courants et de leur intensité. Le sens se recon-
naît immédiatement au moyen d'une petite boussole que l'on présente suc-
cessivement aux deux électro-aimants : le disjoncteur étant fermé, le même
pôle doit être attiré, tandis que c'est le pôle contraire qui sera attiré par les
deux électro-aimants, si l'on ouvre le disjoncteur.
Quant à l'intensité des courants, elle doit être énergi(iue et maintenir forte-
ment le chronomètre et le poids; l'intensité des courants inverses doit être
suffisante pour maintenir, quand ils agissent seuls, un petit cylindre d'épreuve
de fer doux. Si ces courants sont trop forts et neutralisent par trop l'action
14 SUR UN CHRONOGRAPHE
(les courants directs, il siiflil d'interposer dans leur partie commune une
bobine de résistance ou une certaine longueur de fil mince de cuivre ou de
platine.
Il n'est nullement nécessaire que celte résistance des circuits inverses soit
exactement déterminée; pour un appareil fonctionnant toujours dans des
circonstances analogues , c'est-à-dire avec un développement de fils conduc-
teurs peu variables, cette résistance peut être, une fois pour toiUes, placée
;■) demeure sur l'instrument même.
J'ai dit qu'il fallait des courants énergiques; la pratique m'a démontré
que cette condition, loin de nuire à la régularité, lui est, au contraire, très-
favorable.
(-elle grande intensité des courants est éminemment favorable au manie-
ment de l'appareil ; car elle procure l'avantage d'éviter toute difficulté et tout
tâtonnement dans la manière de suspendre les contacts à leurs électro-
aimants. Dans les circonstances ordinaires du tir, il suffit d'avoir deux piles
de trois ou quatre éléments chacune pour que ces conditions soient rem-
plies.
f. 'appareil étant calé, comme il a été dit au cha|)itre premier, on peut
conniiencer à opérer.
Voici la marche à suivre :
l/opérateur, ayant placé sur le chronomètre les deux cartouches en s"as-
surant qu'ils reposent sur leurs embases, met la délente au bandé, puis
suspend le chronomètre et le poids à leurs électro-aimants, et en arrête, s'il
y a lieu, les oscillations. Cela fait, il prend une disjonction en appuyant
le doigt sur le bouton du disjoncteur; le chronomètre et le poids tombent,
le couteau frappe le cartouche inférieur et y imprime un trait; l'opérateur
insci'il un numéro au crayon au-dessus de ce trait pour le distinguer des sui-
vants; il prend encore une ou deux disjonctions, en ayant soin de tourner
chaijue fois le cartouche ou le chronomètre d'une petite quantité, pour que les
irails viennent se pjacer successivemeiit à côté l'un de l'autre et ne se con-
fondent pas. A l'inspection des trois premiers traits l'opérateur peut s'assurer
si la disjonction ne varie pas ou si elle reste dans les limites de quelques
dixièmes de millimètre; il met alors l'appareil en station pour le feu comme
ÉLECTRO-BALISTIQUE. 15
pour la disjonclion, sauf qu'il s'assure de la position du cartouche supérieur
sur son embase. La rupture des circuits ayant lieu successivement par le pro-
jectile, le trait se marque sur le cartouche supérieur, et reçoit le n° 1. Le
tir continue de la même façon; mais il est à remarquer que, pour les coups
suivants, il suffit généralement de prendre une seule disjonction, si elle ne
diffère pas sensiblement de celle du coup précédent. II est toujours néces-
saire d'en prendre au moins une; car la réparation des cadres peut amener
des différences dans la résistance des circuits et faire légèrement varier la
disjonction. Les nombreux essais que j'ai faits de cet appareil prouvent que,
si l'on ne fait pas varier les circuits, les disjonctions sont toujours d'une
régularité remarquable. J'ai parfois obtenu des séries de cinquante disjonc-
lions successives dont l'écart de la plus grande à la plus petite ne dépassait
pas un millimètre, c'est-à-dire 0",00032. On peut admettre, en général,
(|u'en prenant pour la mesure du temps la dernière disjonction, on ne com-
mettra pas sur ce temps une erreur plus grande que 0",00016. Que, dans le
cas où la hauteur des disjonctions flotterait un peu, on ne sera pas exposé,
dans les circonstances les plus défavorables, à commettre une erreur plus
grande que 0",00032 en prenant pour valeur de la disjonction la moyenne
des trois dernières.
En supposant le projectile animé d'une vitesse de 530"' et les cadres es-
pacés de 35'", l'erreur en temps entraînerait, dans le premier cas, à une
erreur de O-^jSG sur la vitesse , et, dans le second, à une erreur de l'",12.
La marche régulière du chronographe n'exige aucune précaution, ni
réglementation autre que celle dont il a été parlé ; son maniement ne de-
mande donc ni adresse, ni aptitude spéciale : tout opérateur peut le manier
sans apprentissage préalable et sans être exposé à rencontrer des difficultés
qui exigent une expérience particulière.
Cette facilité de maniement , jointe à la constance des disjonctions , per-
mettrait de résoudre aisément, par son emploi, le problèm ede la détermi-
nation des vitesses d'un projectile en dilTérenls points de sa trajectoire, en
se servant de plusieurs appareils ayant chacun son opérateur. IH n'y aurait
aucune difficulté à les avoir tous à la fois en station pour le tir.
Cet appareil est très-peu coûteux ; je ne pourrais , pour le moment , en
16 SUR UN CHRONOGRAPHE
(lélerniiner le prix de revienl exaclcmont : il dépend du fini que l'on veut
obtenir dans sa construction. Celui que j'ai expérimenté coûte à peine cin-
quante francs.
CHAPITRE 111.
EXPÉRIENCES DE TIR FAITES AVEC LE CHRONOGRAPHE.
Pendant mon séjour au polygone de Brasschaet, il m'a été permis, pour
expérimenter mon appareil, d'utiliser divers tirs, notamment ceux qui
avaient pour but la détermination des vitesses par le pendule. Je ferai toute-
fois remarquer que j'ai dû m'imposer la condition de ne jamais entraver le tir
en aucune façon; l'appareil devait donc toujours être en station au moment
du feu, et se trouvait, par conséquent, dans des condition^ encore plus dé-
favorables que celles dont j'ai parié pour la détermination successive des
vitesses d'un même projectile.
Les résultats, renfermés dans les tableaux n"' 1 , 2 el 3 ont été pris au
moyen d'un appareil dont le chronomètre était une règle de bois divisée en
millimètres et munie, à la partie supérieure, d'une armature de fer doux.
Le poids était également de fer doux. Les circuits inverses n'étaient pas encore
établis; on réglait l'action des courants, en diminuant, comme dans le pen-
dule, la force des électro-aimants.
On remarquera que, dans ces tableaux, la hauteur de chute, correspon-
dant à la disjonction simultanée, est supérieure à celle obtenue par le tir.
Cette particularité tient à ce que, dans ce premier appareil, les bobines étant
placées à la même hauteur, la disjonction se marquait à la partie supérieure
de la règle. Pour les expériences de tir, on faisait communiquer le circuit du
poids avec le premier cadre et celui du chronomètre avec le second. Pour
avoir le temps du passage du projectile entre les cadres, on retranchait du
temps de la disjonction le temps correspondant au tir.
l'our les expériences avec la carabine à lige [tableau n o), j'ai employé,
ÉLECTRO-BALISTIQUE. 17
pour garnir les cadres des bandelettes découpées dans des feuilles minces
d'étain ; de cette manière la balle éprouve très-peu de résistance et ne dévie
pas, comme cela arrive quand on emploie du fil de cuivre même excessi-
vement fin.
Je dois la plupart des résultats consignés dans ces tableaux à Tobligeance
de différents officiers de l'arme, qui ont bien voulu manier le chronographe
pendant ces diverses expériences.
La vitesse d'un projectile se déduit sans difficulté par le calcul des
données de l'appareil. Une table des temps correspondant aux hauteurs de
chute croissant de millimètre en millimètre, a été établie pour faciliter les
calculs. Elle s'étend de 0 à 1000 millimètres et donne la valeur du temps
avec six décimales. Les différences entre deux temps successifs y sont éga-
lement données.
L'instrument fournit la hauteur de chute en millimètres et dixièmes de
millimètre. Le temps correspondant aux unités se trouve dans la table en
regard de ce nombre; il suffit d'y ajouter le temps correspondant à la partie
décimale, temps qui s'obtient en multipliant la différence tabulaire par cette
fraction.
Ayant calculé le temps qui correspond au tir, on en retranche celui de la
disjonction, et la différence donne le temps du passage du projectile entre les
deux cadres. Divisant cet espace par le temps, on obtient la vitesse moyenne
du projectile dans ce parcours.
Prenons pour exemple le premier coup du tableau n" o ci-après.
L'espacement des cadres était de vingt-huit mètres.
m ru.
Le chronographe donne : Hauteur correspondant au tir .... 854,7
— — à la disjonction . y01,7
On trouve dans la table 8Ô4 0",il2r)30
Différence 0",000247 qui, multipliée par 0,7, donne 0",O0OI75
Temps totai 0",4t2503
On trouve de même pour 50i,7 0", 519814
Différence 0",09'2089
28.000
Vitesse = = SOI^jOO.
0,092080 '
Tome XXXII.
18
SUR UN CHRONOGRAPHE
TABLEAU des résultats obtenus, an moijen du chronographe électro-balistique ,
■ dans divers tirs exécutés au polijgone de Brasschaet.
POIDS.
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OISSERVATtONS.
Tableau iv° 1.- — F(7esse.s' t/e la pièce rayée de 24, ii° IS, prises à son tir de réglage,
le 20 juillet ISOJ.
l
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2.61
mm.
430.0
mm.
175.1
299"'44
2
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175.1
296.79
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298.64
4
o
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430.0
175.0
299.29
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2.37
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449.3
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173.8
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170 3
297.78
296.11
501 .55
(?i
->*
8
2.34
z:
449.3
175.5
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9
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I7G.1
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10
2.40
449.3
170.7
300.91
Baronietre 760«"n.
Tliermonièlre ââ"-".
Distance du i**"" cadre à !a bouche
10"!, 12.
Espacement des cadres 54"'. 12.
Tableau n° -2. — Vitesses de la pièce rayée de 24, n" 30, prises « son tir
de réglage, le 25 juillet 1865.
1
1.69
447.6
173.6
501.25
i
1
2
1.80
447.0
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304.83
3
1.78
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176.0
300.91
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4
2.00
>
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-i-18.0
448 7
176.9
174,8
175.7
303.66
299.75
500.44
1^
O
8
1.73
K
448.7
176.4
301 .59
9
1.84
448.7
176.7
501.85
10
2.10
148.5
179.3
305.07
Di>-1. *hi ler cadre à la bouche 10™.
InterNaile «les cadres SO^».
ÉLECTRO-BALISTIQUE.
19
HAUTEUR
de
chute
corrt^sponilant a la dis-
JUDCIÎOQ.
k
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'M
OBSEnVATIOyS.
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1
Z "=•
Tableau n" 3
— V
itesses de la car
al)ine à tige, prises le 19 juillet IS63.
1
mm.
448 5
202 '.°Ô
ZOUSl
Disl.du 1" cadre à 1.1 bouche U^.IIO.
2
4-i8.0
205.5
307 . 29
Intervalle des cadres oO".
5
448.0
204.2
303.37
4
3
447.9
4.16.5
203.8
198.1
.303.37
297 . 79
O
o
•ÎJ
c;
6
447.0
202.3
305.67
7
447.0
201.7
302.74
8
447.2
205.0
504.33
Tableau ^° 4. — 7Ï;
électi
0 -balistique d'
m canon d'acier raijé de 4 , avec différentes 1
poudres, cssayh's j
)ar M
Melsens, examinateur permanent à l'Ecole militaire , les 2, ||
3, à', 7 septembre
et le 2
6 octobre 1863.
1
o
2
ds
m.
687
198.9
433.4
369,8
Dist. du l^r cadre à la bouche 10"'.
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3
c
o
2.45
1.80
2.20
680
664
679
197.7
197.6
197.7
4.34.2
4.33.4
434.6
367.0
567.8
366.6
Ci
Gl
(M
Espacement des cadres 38™, jus-
qu'au 4G^ coup inclus.
Teni[)S orageux.
ii
1
1.75
663
Feu par erreur.
6
3
2.25
680
196.9 431.9
368.3
7
30
2.85
689
1 97 . 7
-i33 . 7
363.2
8
ï
2..i3
680
193.4
466.6
549.2
Couj) considéré comme anormal.
0
10
5 -
2.40
2.83
080
696
190.8
193.4
i30.8
432.2
.369.3
363.3
CD
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U
12
2.50
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680
637
193.4
195.5
n
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Le trait n'a pas ëté marqué, l'iii-
strumeut s'élant ilécalé.
20
SUR UN CHRONOGRAPHE
HALTELR
de
cbule
correspondant a la dis-
jonctioii.
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Le trait n'a pas été marqué, l'in-
strument s'étant décalé.
22
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Temps sec, vent assez fort.
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196.7
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686
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443.8
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63
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22
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raison de ces pièces.
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298.4
NOTES.
VÉRIFICATION EXPÉRIMENTALE DU CHRONOGRAPHE.
Afin de ne laisser aucun don le sur !a valeur absolue des résultats fournis par le chro-
nograplie dans la mesure de la vitesse d'un projectile, j'ai cherché à vérilier expérimen-
talement les indications qu'il donne pour la mesure du temps. A cet effet, j'ai contrôlé :
1" Le temps que marque l'appareil lors de la disjonction simultanée;
2» Celui qu'il marque lors de la disjonction successive.
Contrôle du disjoncteur.
J'ai interposé dans les deux circuits le disjoncteur du pendule électro-balistique de
M. le major Navez, convenablement réglé. Les deux courants passaient dans les ûls dis-
posés sur un même cadre-cible , de façon à être rompus en même temps par le projectile.
Ces deux modes de disjonction simultanée ayant toujours donné les mêmes hauteurs
de chute que le disjoncteur du chronographe, j'en ai conclu que la vérilication expéri-
mentale de ce dernier était suffisamment établie.
Contrôle du temps marqué lors de la disjonction successive.
Cette seconde partie de la vérilication a été plus longue et plus difficile. Elle a exigé
l'emploi d'un nouvel appareil que j'appellerai contrôleur. Son but est de rompre, comme
le projectile, successivement les deux courants, mais en mettant entre les deux ruptures
un temps exactement connu. Si l'appareil marque le même temps, la vérification en
sera faite.
Description du contrôleur. (PI. IL)
Cet instrument se compose d'un cylindre de fer doux suspendu à un électro-aimant
double qu'active une pile spéciale. Les deux barreaux dé l'électro-aimant sont con-
TOME XXXll. ^
26 SUR UN CHRONOGRAPHE
tournés à leur partie inférieure; les deux pôles, ainsi rapprochés, fournissent chacun un
point de contact au cylindre suspendu. Les deux barreaux isolés sont interposés dans le
circuit du chronographe. Si l'on rompt le circuit spécial du contrôleur, rallraction ma-
gnétique cesse et le cylindre tombe. A l'instant précis où commence sa chute, le circuit
du chronomètre sera rompu.
Le cylindre, en tombant, vient frapper la queue d'un levier, dont la partie antérieure,
par son contact avec une broche de laiton, ferme le circuit du poids. Au moment où le
choc a lieu, le circuit du poids est donc également rompu.
Si l'on connaît exactement la distance de la base du cylindre suspendu à la queue du
levier, on en déduit le temps exact qui doit séparer les deux ruptures des circuits, temps
que doit marquer le chronographe, s'il ne renferme pas de cause d'erreur.
En faisant un grand nombre d'expériences, où l'action du projectile était remplacée
par celle du cylindre tombant de 47"'°' ,9, le chronographe a donné des temps peu varia-
bles et dont la moyenne est de 0",099020. D'après la hauteur de chute du contrôleur, le
temps qui sépare les deux ruptures des courants est de 0",09881G. Il y aurait donc une
différence de 0" ,000204 en trop dans le temps marqué au chronographe.
Cette différence, comme j'ai pu le constater par des expériences ultérieures, provient
de ce que le levier du contrôleur, offrant une certaine masse, son inertie ne peut pas être
\aincue instantanément par la force vive qui anime le cylindre au moment du choc. Le
temps 0" ,000204 représente donc l'intervalle qui s'écoule entre l'instant où le levier est
touché et c'elui où il se soulève d'une quantité suffisante pour rompre le courant.
Si cette proposition est exacte, il faut que, en diminuant la force vive du cylindre, le
temps nécessaire pour vaincre l'inertie du levier augmente. C'est, en effet, ce qui arrive.
J'ai fait une série d'expériences avec le même contrôleur, muni de cylindres de plus en
plus longs, de manière à diminuer toujours la hauteur de chute : la différence entre le
temps de la chute et celui marqué au chronographe a loujours été en augmentant d'une
façon très-sensible.
Si l'on rend la hauteur de chute nulle, autant que possible, en interposant une lamette
de bois entre la base du cylindre le plus long et la queue du levier ', on transforme le
contrôleur en un véritable disjoncteur mécanique; l'inertie du levier se fait toutefois
encore sentir. Disposé de cette façon, le contrôleur fait marquer au chronographe un
temps plus grand, en moyenne de 0" ,004019, que celui de la disjonction. Comme der-
nière preuve que ce temps, 0",0040I9, est bien celui qu'il faut, dans ce cas, pour sou-
lever le levier, j'ai interverti les courants dans le contrôleur, c'est-à-dire que j'ai
interposé l'électro-aimant double dans le circuit du poids, et le levier avec son appui
dans celui du chronomètre. Il faut, dans ce cas, si l'hypothèse est juste, que le chrono-
graphe marque en moins le même temps qu'il marquait en plus. J'ai, en effet, obtenu en
moyenne un temps plus petit de 0", 004002 que celui de la disjonction. La moyenne des
' L'inlpiposilion d'une matière isolante entre le cylindre et le levier est nécessaire ; sans cette précaution,
Il point de contact entre ces deux pièces fournirait un point commun dans les circuits des deux courants.
ÉLECTRO-BALISTIQUE. 'i7
temps, obtenue, d'un côté en plus, ne diffère de celle obtenue de l'autre en moins que
de 0" ,000017. On peut donc les regarder comme égales, mais de signe contraire.
En résumé, je crois pouvoir conclure des expériences de contrôle auxquelles le chro-
nographe a été soumis, que, sauf la légère erreur possible sur la disjonction , 0 ",00052
au maximum, il marque bien exactement le temps qui sépare les deux ruptures des
circuits.
II.
SUR LE MODE d'eNREGISTREMENT.
Dans le premier appareil que j'ai expérimenté (note III), l'enregistrement se faisait
par l'arrêt du chronomètre au moyen d'un frein. Outre la complication du mécanisme ,
cette disposition avait l'inconvénient de dégrader promptement le chronomètre au point
d'action du frein. C'est pourquoi j'ai recherclié le moyen de faire marquer un trait ou un
point sur le chronomètre en mouvement au lieu de l'arrêter.
La réalisation de ce mode d'enregistrement a présenté des difficultés pratiques assez
sérieuses pour nécessiter de nombreux essais. J'entrerai, à ce sujet, dans quelques dé-
tails, alin de justifier la disposition que j'ai définitivement adoptée.
Dans le principe, la forme du chronomètre a toujours été prismatique : sur l'une des
faces était collée ou fixée, pour recevoir l'enregistrement, soit une bande de papier, de
carton ou de parchemin , soit une lamette d'ivoire, de plomb ou d'alliage. L'essai d'un
système analogue à celui du compteur à pointage de Breguet, consistant à faire projeter
un point d'encre grasse sur une lamelle d'ivoire, a présenté les inconvénients suivants :
l" Le temps de la projection varie d'une façon très-appréciable à l'appareil, selon la
fluidité de l'encre et la quantité projetée;
2° Le point est rarement net; à cause du mouvement de descente, il s'allonge ou forme
tache.
Ces observations m'ont conduit à essayer ensuite l'action directe d'un couteau d'acier,
destiné à produire soit un trait d'encre ou de plombagine, soit une empreinte en creux.
Aucun de ces moyens n'a complètement réussi : quelle que soit la matière employée pour
recevoir l'empreinte, il s'y produisait généralement, à cause du mouvement de descente,
un arrachement ou plusieurs traits.
L'adoption d'un chronomètre cylindrique et d'un récepteur en forme de tube pouvant
glisser à léger frottement sur le cylindre, a paré à tous ces inconvénients. Ce tube léger,
n'étant plus solidaire avec le chronomètre, est arrêté un instant sous l'action du couteau,
tandis que la masse du chronomètre continue sa descente. L'impression se fait donc sur
un corps fi.xe et par conséquent avec toute la netteté désirable. Cette disposition pro-
cure, en outre, l'avantage de pouvoir obtenir plusieurs traits sur le même cartouche, en
présentant chaque fois au couteau une nouvelle génératrice.
28 SUR UN CHRONOGRAPHE
Des tubes minces, coulés en alliage de ploaib et d'élain, remplaceront peut-être
avantageusement dans la pratique les cartouches de papier enroulé, dont j'ai fait usage
jusqu'à présent.
Ilf.
SUR l'emploi des bobines électro-dynamiques.
Une bobine électro-dynamique, c'est-à-dire une bobine creuse formée par les enrou-
lements d'un fd de cuivre couvert, où l'on fait passer un courant, a la propriété d'attirer,
suivant son axe, un cylindre de fer doux. Si l'on dispose la bobine verticalement, l'effet
d'un courant suffisamment fort tiendra le cylindre suspendu; il ne tombera que si l'on
interrompt le courant. On admet généralement en principe que, dans ce cas, le cylindre
commencera sa chute exactement au moment de la rupture du circuit. Par l'emploi de
telles bobines, on éviterait donc les inconvénients du magnétisme rémanent qui existent
avec les électro-aimants, et l'on s'affranchirait des irrégularités amenées par les fluctua-
tions dans l'intensité de la pile.
Guidé par ce principe, j'ai employé des bobines électro-dynamiques dans le premier
appareil que j'ai fait construire. Sans entrer dans les détails de sa description, je dirai
seulement que la mesure du temps reposait sur les mêmes principes que dans le chrono-
graphe que j'ai décrit et s'y faisait d'une manière analogue.
Les expériences diverses que j'ai faites avec cet instrument m'ont prouvé, d'une façon
certaine, que, comme pour les électro-aimants, la chute d'un corps, maintenu par une
bobine électro-dynamique, est plus ou moins rapide, suivant l'intensité du courant qui
activait la bobine. Il paraît cependant, au premier abord, très-naturel d'admettre qu'un
cylindre de fer doux, maintenu directement par la présence d'un courant dans les spires
d'un fil isolé, doit cédera l'action de la pesanteur, à l'instant même où la cause qui le
maintenait, c'est-à-dire le courant, vient à cesser. Mais, d'un autre côté, par suite de la
rupture du courant, il se produit dans la bobine un extra-courant; en second lieu, le
cylindre de fer, qui se trouvait à l'état magnétique, se désaimante durant les premiers
instants de sa chute dans la bobine et produit, dans celle-ci, un courant d'induction.
Ces deux nouveaux courants ne peuvent-ils pas réagir sur le cylindre pour retarder sa
chute? Leur action, dans ce cas, sera d'autant plus sensible que le courant primitif aura
été plus intense.
IV.
SLR l'emploi de l'étincelle d'indlction.
L'effet mécanique de l'étincelle d'induction au travers du papier, fournit un moyen
d'enregistrement très-précis de l'instant exact où se fait la rupture du circuit inducteur.
ÉLECTRO-BALISTIQUE. 29
J'ai également applique cette propriété à un chronograplie basé sur la chute libre des corps.
En voici la description sommaire : Une règle métallique plate et divisée porte une
échancrure longitudinale sur laquelle est appliquée une bande de papier; la règle est
suspendue à un électro-aimant dont le circuit passe devant la bouche à feu. Le pro-
jectile, rompant ce circuit, la règle tombe; durant toute la chute , la bande de papier se
meut entre deux pointes établies sur le pied de l'appareil et auxquelles aboutissent les
extrémités du circuit inducteur. Le projectile arrive à un premier cadre-cible, alors que
la règle est déjà animée d'une certaine vitesse de chute. La rupture du circuit inducteur,
(]ui passe sur les lils du cadre, donne naissance au courant d'induction qui, par sa ten-
sion, franchit la solution laissée entre les deux pointes. Le passage de ce courant instan-
tané produit une étincelle capable de percer la bande de papier et d'y laisser une trace
très-nette. A cause de la rapidité de ce phénomène, le mouvement de la règle ne peut
en être troublé.
La rupture d'un second cadre par le projectile est marquée par une seconde trace
d'étincelle. Si l'on mesure la distance de ces deux traces à l'origine, c'est-à-dire au point
où passerait l'étincelle, la règle éUint suspendue, on obtient deux hauteurs de chute
H et H' correspondant à ses temps T et T'.
T etT' représentent respectivement le temps qui s'est écoulé depuis l'instant où la
règle s'est mise'en mouvement jusqu'à celui où le projectile a atteint le premier, puis
le second cadre. T'— T sera donc exactement le temps du passage du projectile entre les
deux cadres. En disposant plusieurs cadres les uns à la suite des autres, on peut, au
moyen d'un même appareil, obtenir la vitesse d'un projectile en plusieurs points rap-
prochés de sa trajectoire.
Il est à remarquer que l'étincelle jaillissant entre deux pointes, son trajet est déter-
miné et doit être beaucoup moins sujet aux déviations que dans le cas d'une étincelle
jaillissant entre une pointe et une surface. Je n'entrerai pas ici dans plus de détails sur
l'étude de cet appareil, ni sur les moyens que j'ai employés pour éviter l'emploi de plu-
sieurs bobines de Rhumkorff. Je continue à m'en occuper, et je crois pouvoir dire que la
difficulté pratique que l'on rencontre dans la production de l'étincelle, lorsque le circuit
inducteur est un peu long, rend seule son maniement diflicile; quant à l'exactitude des
résultats, je pense qu'on pourrait presque la regarder comme mathématique.
Pour restreindre le développement du circuit inducteur, on peut, il est vrai, éviter de
le faire presser sur les cadres, en produisant sa rupture, par suite de celle d'un courant
secondaire qui, lui, passe sur les cadres et tient, par une combinaison d'électro-aimants
le circuit inducteur fermé. Mais, dans ce cas, à cause de la non-instantanéité de désai-
mantation, de l'inertie et de l'adhérence des pièces en contact, il est bien difficile d'ad-
mettre la concordance exacte de l'instant de la production de l'étincelle avec celui du
()assage du projectile dans le cadre-cible.
Polygone de Brasschaet, le 25 novembre 1863.
30
SUR UN CHROtSOGRAPHE
TABLE
DES TEMPS CORRESPONDANTS AUX HAUTEURS DE CHUTE, DEPUIS 1""" JUSQUE lOOO"!™.
(Valeur de 3 = g-jSlOô.)
HAUTEUR
TEMPS
^
BACTBUR
TKUPS
BAUTEOa
TEMPS
de
COBBESPOaDABTS.
DIFFÉRENCES.
Je
COBRESPOSDAHTS.
DIFFÉRENCES.
de
COBBESPD^lDà^TS.
DIFFÉRENCES.
chute.
chute.
1
0",0 142779
0",0059140
30
0",0782030
0",00 12926
59
0",109670
0",000926
2
0201919
45380
51
0794936
12721
60
110390
918
ô
0247299
38258
52
0807677
12322
61
111514
910
4
0283537
53703
33
0820199
12535
62
112424
903
5
0519262
30472
34
0852334
12153
65
115527
896
6
0549734
28022
53
0844689
11972
64
114225
889
7
0377736
26083
36
0836671
11816
65
113112
882
8
0405859
24496
37
0868487
11659
06
115994
873
0
0428335
25170
38
0880146
11503
67
116869
869
10
0451305
21958
39
0891631
11360
68
117738
863
11
0473343
21056
40
0903011
11217
69
118601
856
12
0494399
20196
41
0914228
11083
70
119473
850
15
0514793
19453
42
0925311
10950
71
120307
845
14
0534228
18750
4ô
0936261
10824
72
121152
838
15
0532978
18136
44
0947085
10702
73
121990
833
16
0371114
17578
43
0937787
10384
74
122825
826
17
0588692
17066
46
0908571
10469
73
125649
82g
18
0605738
47
0978840
70
124471
16599
10358
817
19
0622337
16168
48
0989198
10231
77
125288
811
20
0658323
15768
49
0999449
10250
78
126278
805
21
0634293
15398
30
1009590
10050
79
126904
801
22
0669691
15031
51
1019040
09950
80
127703
796
23
0684742
14727
52
1029390
09850
81
128301
790
24
0699469
14424
55
103944
976
82
129291
786
25
0713893
14137
54
104920
967
83
130087
782
26
0728030
13860
55
103887
939
84
130839
776
27
0741899
15614
56
106846
949
85
131655
772
28
0733515
15373
57
107795
942
86
152407
768
29
0768886
13144
58
108757
933
87
153175
763
ÉLECTRO-BALISTIQUE.
31
HiOTEDR
TEIIP8
HICTEUR
TEMPS
HACTEDB
teups
de
COnttESPONDinTS.
DIFFÉRENCES.
de
CORRESPOnDiNTS.
DIFFÉRENCES.
de
CORBESPOSDAUTS.
DIFFÉRENCES.
chute.
1
Chute.
chute.
«8
0",1339ô8
0",000759
124
0",1 38991
0'',000040
100
0",1 80002
0 ",000303
8>J
134C97
733
123
159631
038
101
181165
502
!)0
135452
750
126
160296
034
102
181727
560
91
1ÔG202
740
127
160903
632
163
182287
558
92
136948
743
128
161333
030
164
182840
336
93
137691
129
162105
165
183402
738
027
534
94
138429
734
130
102792
0:23
106
1 83957
354
9'i
139163
731
131
103417
022
167
184311
331
9f)
139894
727
132
104039
621
108
185062
550
97
140021
723
lôô
164600
018
109
183612
548
98
141344
719
134
1 65278
616
170
180100
547
99
142003
715
133
105894
613
171
180707
345
100
142778
713
136
100307
611
172
187252
344
101
143491
708
137
167118
609
173
187796
542
102
144199
138
167727
174
188338
705
000
540
103
144904
702
139
168334
004
173
188878
539
104
145606
090
140
168938
602
176
189417
538
105
1 46303
694
141
169340
600
177
189955
330
106
146999
692
142
170140
598
178
190491
■533
107
147091
088
143
170738
396
179
191024
553
108
148579
C86
144
171354
594
180
191557
532
109
149063
082
143
171928
391
181
192089
330
110
149747
679
140
172519
390
182
192619
528
111
130426
077
147
173109
588
183
195147
527
112
151103
148
173697
184
193674
073
385
525
113
131776
670
149
174282
585
185
194199
525
114
152446
667
150
174867
382
186
194724
525
115
133113
004
151
173449
580
187
195247
325
IIG
133777
661
152
170029
578
188
195768
520
117
1344Ô8
659
153
176607
370
180
196288
519
118
153097
656
154
177183
574
190
196807
517
119
155753
032
135
177737
373
191
197324
513
120
156406
630
156
1703.50
571
192
197839
515
121
157056
157
178901
193
198354
048
508
513
122
137704
045
138
179469
568
194
■ 198807
512
123
138349
139
180057
193
199379
642
563
310
32
SUR UN CHKONOGRAPHE
HAUTeUB
TEUPS
HAtTEL'B
TEUPS
BiUTEUa
TEHP8
de
COBRESPOPOAHTS.
DIFFÉRENCES
de
coaaEsponiiAnTS.
DIFFÉRENCES.
de
coanEsposD\aTS.
DIFFÉRENCES.
chute.
cbnte.
cbute.
196
0",1 09889
232
0",217474
208
0",23ô758
197
200599
0",00Oj10
253
217942
0",000468
269
234174
0",000450
198
200907
508
234
218409
469
270
234699
455
199
201414
507
235
218875
466
271
233043
454
200
201919
505
504
230
117341
466
464
272
235476
455
433
201
20342Ô
237
219805
273
235909
202
202926
505
238
220208
463
274
236340
4?1
205
203123
202
259
220750
462
275
256771
431
904
203938
300
240
221192
462
276
257201
430
205
204428
500
241
221052
460
277
257631
4-30
200
204926
49«
242
222111
459
278
238059
428
207
203422
496
245
222569
458
279
238487
328
208
203918
496
244
223027
458
280
238914
427
209
206412
494
243
225484
457
281
239340
426
210
211
20690G
207398
494
492
491
246
247
223939
224594
455
453
454
282
283
239766
240191
426
425
424
212
207889
248
224848
284
240615
479
453
423
215
2!)737S
249
225301
285
24)038
214
208867
489
488
230
225735
452
451
286
241460
422
422
213'
206353
251
226204
287
241882
486
450
421
216
20984]
252
220634
288
242303
217
210320
485
253
227102
449
289
242723
420
218
210810
484
254
227552
449
290
243143
420
219
211293
483
482
253
227999
447
447
291
243562
419
4I8
2'20
'211773
480
256
228446
445
292
243980
417
221
212255
257
22S891
295
244597
222
212735
480
258
259336
443
294
244814
417
223
213214
479
239
329780
444
293
243220
416
224
213691
477
260
230223
443
296
243645
413
225
214168
477
261
230665
443
297
246060
415
226
214642
475
262
251107
441
298
240474
414
227
215117
474
263
231558
441
299
246887
413
228
215501
474
472
264
231988
440
459
300
247299
412
412
229
216063
265
202427
SOI
247711
230
216534
471
266
233863
438
302
248122
411
231
217005
471
469
267
233302
457
436
303
248335
411
410
ÉLECTRO-BALISTIQUE.
33
B&UTEUR
TEMPS
amxEUH
TEMPS
HiUTEUa
TEMPS
d^
coaRE£Po:iDA;iTs.
DIFF£RE^'CE$
de
ConRESPO?lDAIITS.
DIFFÉRENCES.
de
COBBESPOSOAUTS.
DIFFÉRENCES.
cbute.
chute.
chace.
Ô04
0',248943
0" ,000409
340
1
0",2632-0
0",000587
376
0",270838
0",000508
305
249352
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411
289437
552
Tome XXXII.
34
SUR m CHROWOGRAPHE
HACTEDB
TEMPS
HÀUTBUa
TEMPS
HADTEUB
TEMPS
de
C0ttRESPUKDAA~T3.
DIFFÉRENCES.
àe
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DIFFÉREXCES.
de
CORIIESPO>D4IITS.
DIFFÉRENCES.
chute.
chute.
chute.
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519
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313
ÉLECTRO-BALISTIQUE.
35
BAUTEUE
TEHPS
UITEtlB
TEMPS
BAUTEta
TEUPS
de
CORRESPO^OASTS.
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de
CQBflESPOîlDlBTS.
DIFFÉRENCES.
de
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293
027
357317
283
36
SUR UN CHRONOGRAPHE
HAUTEta
TKUPS
HAUTEUR
TKMPS
•
HAtTEDR
TEMPS
■lii
CORRESPONDADTS.
DirFÉRENCES.
de
CORRESPONDABTS
DIFrKUEXCES.
de
C0RRESP0SDABT9
DIFFERENCES.
cbute.
Chute.
chute.
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263
ÉLECTRO-BALISTIQUE.
57
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252
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252
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257
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251
843
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240 j
38
SUR UN CHRONOGRAPHE
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1
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431182
257
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236
251
ÉLECTRO-BALISTIQUE.
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227
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DIFFERENCES.
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Contrôleur.
Uj-aad. tùc ûi-i.,^
du^ c/f^"-"'"
CvUftl^i spr.:taZ
PI. 2.
-/? J.C' ^ouUjiaè'. c/cs
///If. Sàiioruui^if yhotvy .
RECHERCHES
SUR
LA CAPILLARITÉ,
M. E. BEDE,
PROFESSEUR EXTRAORDINAIRE A l'UNIVERSITÉ DE LIEGE.
iMcnioire présenté à l'AcaiicmLe , le 5 juillet 1862.)
Tome XXXII.
RECHERCHES
LA CAPILLARITÉ.
I.
f:QUILlBRE D'UNE GOUTTE ENTRE DEUX PLANS INCLINÉS
L'UN SUR L'AUTRE.
Si entre deux plans ayant un bord horizontal et commun, et faisant entre
eux un très-petit angle, on introduit une goutte d'huile d'orange ou d'alcool,
ou de tout autre liquide s'étendant facilement sur le verre, cette goutte tend
aussitôt à se diriger vers le sommet de l'angle , et si aucune force ne s'y op-
pose, elle s'y précipite d'un mouvement accéléré. On peut l'en empêcher en
soulevant les deux plans jusqu'à ce que le poids de la goutte donne une com-
posante capable de faire équilibre à la force qui la sollicite vers le haut des
plans.
En imaginant un plan qui partage en deux parties égales l'angle dièdre
des deux plans, et appelant v l'angle de ce plan intermédiaire avec un plan
horizontal, on doit, d'après Laplace et Poisson, avoir :
Sin V = —
'■2a^ sin.î
4 RECHERCHRS
formule dans laquelle a- est le produit constant de réiévation du li(iuide
considéré entre deux plans parallèles mouillés, par Técart de ces deux
plans.
i est l'angle du plan intermédiaire avec chacun des deux plans ou la moitié
de l'angle de ceux-ci ;
a est la distance du centre de la goutte à la ligne d'intersection des deux
plans.
Laplace et Poisson arrivent à cette formule en partant de la même équa-
tion d'équilibre et par des méthodes différentes. L'analyse de Laplace sup-
pose seulement que l'épaisseur de la goutte est toujours fort petite par
rapport à sa largeur, tandis que celle de Poisson exige, outre cette condi-
tion , que la largeur de la goutte soit très-petite par rapport à la ligne con-
stante a.
Celte formule est importante à vérifier, parce qu'elle lie deux phénomènes
différents et qu'elle permet de calculer les données correspondantes de l'un
d'eux, avant que l'expérience nous ait rien appris sur ces derniers. C'est
ainsi que nous pourrons calculer les angles v correspondants à un angle /
donné et à des valeurs différentes de a pour un liquide donné, en connais-
sant seulement l'élévation de ce liquide entre deux plans parallèles ou dans
un tube.
Laplace établit l'exactitude de sa formule à l'aide d'une expérience de
Haûy sur l'élévation de l'huile d'orange dans un tube, et des expériences
faites par Haucksbée sur l'équilibre d'une goutte d'huile d'orange entre deux
glaces *. On doit s'étonner que Laplace ne fasse pas mention de deux autres
observations du même physicien faites sur l'alcool **, d'autant plus qu'il cite
ailleurs des expériences précises faites par Gay-Lussac sur l'élévation de l'al-
cool dans les tubes capillaires, ce qui lui offrait un point de départ. Je crois
intéressant de reproduire ici ces expériences d'Haucksbée, et j'y joins les
valeurs calculées au moyen de la formule de Laplace ***, en partant de la
valeur «= 6""",0825, qui, d'après Gay-Lussac, est la moitié de l'élévation de
" Ménmuiue célesle, t. IV, pp. 449-455. — Pliil. Traiis., l. XXVII , niiml). 534.
" PInl. Trans., t. XXVIII, numb. 557.
*" Mécanique céleste, t. IV, p. j'2b.
SUR LA CAPILLARITE. 5
l'alcool de densité = 0,8196 dans un tube de 1""" de diamètre, et par con-
séquent la hauteur à laquelle ce liquide s'élèverait entre deux glaces parallèles
écartées de 1""". J'emploie ce chiffre au lieu de celui cpie j'ai trouvé et (|ui
en diffère très-peu, parce que c'est celui que Laplace aurait pu employer,
s'il avait voulu appliquer ces expériences à la vérification de sa formule. En
retranchant^ des valeurs de v trouvées par Ilaucksbée, il eût obtenu alors
les résultats suivants que je présente en deux tables tout à fait semblables à
celle de Laplace.
/ = 18'
Distances
Valeurs
observées
Valeurs
calculées
Diirérence
de la valeur calculée !i
la \alpur oliservée
on pouces.
(le ('.
lie c.
en parlies aliquoles de
celle dernière valeur.
i«"\
0" -jG'
O' IS'
1-2
10 '!,
0 40'
U ~2Z
li2
14 •,
0 i'jO
0 29
1/2.1
1-2 ',
1 11
0 40
1/2,3
lu '/.
1 il
0 30
1/3.2
'J '/.
1 rA
1 9
1/4.1
« ".
1 51
1 20
1/4.4
7 '/,
2 21
1 30
114.3
(i ' .,
ô II
2 27
1/4.3
5 ■;,
4 10
3 10
1/4.3
i 'U
5 SI
3 0
117.8
i
7 14
6 28
1(9.4
•J "j
« .-|
7 22
1/7.4
■^ '/.
'J 10
8 27
1111. 4
5 'U
10 21
9 49
1/19.4
Ô
12 ôl
11 ôô
1/13
2=/.
14 31
13 47
1/14
2 ■/,
18 41
10 43
1/9.7
2 V.
2.Ï 10
20 31
1/9.0
0
^=i^=.
29 31
20 40
1/9.7
RECHERCHES
/ = 10'
Dislaoces
Valeurs
observées
do r.
Valeurs
calculées
(le V.
Do — Uf
r„.
IH 'U
i-ar,'
O'ùô'
1/1.6
10 •/,
1 45
0 41
1/1. G
M '1,
2 5
0 53
1/1.7
12 ■',
2 35
1 11
1/1.8
10 ■/,
ô 5
1 41
1/2.2
'J'/.
ô 23
2 3
1i2.5
« '/.
ô 55
2 34
1/2.9
7 ''.
3 0
3 18
13
0 ';,
7 33
4 24
1/2.4
r. V.
10 .43
6 9
1/2.3
4'/.
13 35
9 13
1/3
4
17 35
11 42
1/2.9
Le premier tableau seul olîre à peine un commenccmeni de vérification à
partir de l'angle de 5%5r; quant au second, il établit un désaccord parfait
entre la théorie el l'expérience. Il ne resterait donc à la formule de Laplace
d'autre vérification que les expériences sur l'huile d'orange reproduites dans
la Mécanique céleste; mais Poisson montre, en invoquant des expériences
précises de Gay-Lussac, que l'élévation de l'huile d'orange donnée par Haiiy
est environ deux fois trop faible, et que, par suite, les valeurs de v calculées
par Laplace sont deux fois trop petites. En partant du résultat obtenu par
Gay-Lussac, savoir une élévation de 10'"'",4. dans un tube de 1""",296 de
diamètre, Poisson obtient, en effet, des valeurs de v plus que doubles de
celles que fournil l'expérience. H attribue cette différence à ce que les gouttes
observées par Haucksbée et dont ce physicien a négligé de donner le dia-
mètre, ne remplissaient pas la double condition d'avoir une largeur très-
petite j)ar rapport à la ligne a. et une épaisseur très-petite par rapport à cette
largeur.
Ouoi qu'il en soit, il est certain que les expériences de Haucksbée sont loin
de fournir un point d'appui à la théorie. Elles conduisent seulement à ce
SUR LA CAPILLARITE. 7
résultat, dont parle Newton, dans son Optique, que réiévation des deux pians
doit être en raison inverse du carré de la dislance a. Par cela même, elles
perdent beaucoup de leur importance, car cette relation, approximative seu-
lement, peut n'être que le premier terme d'une bonne formule d'interpola-
tion, caractère qui lui ôterail sa liaison avec un autre pbênomène.
Mais je dois faire remarquer que le désaccord entre la formule de La-
place et les expériences d'Haucksbée se présente d'une manière peu naturelle.
En effet les expériences sur l'huile d'orange donnent des valeurs deux fois
trop faibles, et les secondes expériences faites sur l'alcool donnent des valeurs
deux fois trop fortes, tandis que les premières ne donnent pas de trop grandes
divergences. Cette variation de l'erreur fait douter de sa réalité. On lui trouve
d'ailleurs une cause extrêmement probable, savoir la mesure de l'angle / des
deux plans. On se demande comment Haucksbée pouvait, au moyen de son
(juadrant, déterminer un angle de 10'; il est vrai que, dans son expé-
rience sur l'huile d'orange , il indique la dislance ^ë de pouce environ des
extrémités des deux plans, et que celle dislance peut faire connaître exacte-
ment l'angle i. Mais il ne dit pas comment il mesurait celle petite longueur.
On peut admettre comme possible dans ces mesures une erreur du simple
au double, d'autant plus que Haucksbée parait attacher peu d'imporlance à
la mesure de cet angle i.
De nouvelles expériences étaient absolument nécessaires pour que l'on eût
une notion certaine sur la valeur de la formule donnée par Laplace. Je les
ai faites sur l'huile d'orange, l'alcool absolu, l'essence de térébenthine et
l'acide acétique pur. Je me suis servi de l'appareil employé dans les cours
pour la démonstration des lois du plan incliné, et qui consiste, on le sait, en
une glace bien dressée que l'on peut soulever à l'aide d'une vis. Quatre vis
calantes supportent le tout et permettent de maintenir constamment la ligne
d'intersection des deux plans parfaitement horizontale. Sur l'arête du plan
sont tracés plusieurs traits fins dont on mesure exactement la distance. Lors-
(jue le plan est incliné, on détermine son inclinaison en mesurant au cathétor
mètre la hauteur des différents traits; on a ainsi plusieurs mesures différentes
d'une même quantité qui se vérifient mutuellement. Avec un bon cathéto-
métre donnant les 20"""' de millimètre, les erreurs ne dépassent jamais i'.
8 RECHERCHES
Haucksbéc, en mesurant les angles à Taide d'un quadrant, mesurait dif-
ficilement des quarts de degré. Sur cette première glace constituant le plan
incliné, j'en place une seconde à l'un des bords de laquelle je colle à l'albu-
mine une bande mince de glace d'Allemagne , dont l'épaisseur a été mesurée
au sphéromètre avec le plus grand soin. H faut que celte bande ait son arête
tournée vers le plan bien droite et rigoureusement parallèle à l'arête opposée
de la glace. La distance de ces deux arêtes ayant été mesurée avec précision ,
en divisant par sa valeur celle que l'on a trouvée pour l'épaisseur de la bande,
on a la tangente Irigonométrique de l'angle /, qui sera sensiblement égale au
sinus. Dans mes expériences, ce rapport ou celte tangente était
1"""", 1170
2r>4'"°',00 '
ce qui donne i = 4 6', 25".
Les distances du centre de la goutte à l'arête de contact se mesurent au
moyen d'une lunette glissant sur une règle de fer divisée et entraînant avec
elle un vernier au --^ d*? millimètre. On amène l'un des fils du réticule en
coïncidence avec l'arêle , puis en contact avec les bords opposés de la goutte.
La différence des deux distances parcourues donne le diamètre de la goutte,
et leur moyenne est la distance n du centre à l'arête.
Après avoir nettoyé avec le plus grand soin les deux plans à l'aide d'un
linge trempé dans le liquide à observer, on fera tomber sur le plan inférieur
(|uelques gouttes de liquide assez près de la ligne de contact des deux plans,
pour (|ue, en abaissant le plan supérieur, il se forme des gouttes séparées. On
soulèvera le plan jusqu'à ce que l'une de ces gouttes soit en équilibre. Après
avoir placé la règle portant la lunette sur la direction de la goutte et bien
perpendiculairement à l'arête de contact, on devra encore soulever le plan et
manœuvrer les vis calantes pour réparer la flexion produite par le poids de
la règle. L'équilibre étant alors bien établi, on observera librement les diffé-
rentes données du phénomène.
C'est ainsi que j'ai obtenu les résultats suivants : v indique les valeurs
observées de v, c'est-à-dire l'inclinaison donnée par le cathétomètre, dimi-
nuée de y = 8'd3" : V{ sont les valeurs calculées d'après la formule de La-
SUR LA CAPILLARITÉ.
place, en m'appuyant sur les données de mes expériences concernant Télé-
vation entre les lames parallèles * et qui sont :
Pour l'huile d'orange . . .
— ralcool absolu ....
— l'essence de térébenthine
— l'acide acétique . . .
«2 = 3,827
*2 = 3,823
a2 = 6,128
«2 = 5,223
J'ai choisi ces nombres comme se rapportant aux écarts les plus voisins
des épaisseurs que les gouttes possèdent dans les expériences suivantes et
qui son! 1™™,H7 X ^.
Huile d'oraiHje.
1= 10' 23"
T = 13;i
a
2r
V
''t
v,-v
V
139.2
0.0
4» 2' 14"
3° 36' 12"
— 0.1075
117.5
7.0
5 1 27'
5 3 37
-f- 0.0072
107.6
7.2
6 39 1
6 2 16
— 0.0921
99.4
10.8
7 11 22
7 4 47
— 0.0151
89.2
7.7
8 56 50
4 48 14
-1-0.0221
78.8
12.4
10 25 19
11 18 14
— 0.0847
Alcool absolu.
! = 16' 25"
Ces expériences seront incessamment publiées.
Tome XXXIL
T = 15;5
a
2r
V
l'i
r, — (•
V
201.20
201.00
170.50
173.15
166.60
163.70
130.43
82.65
81.80
6.4
8.0
9.0
8.9
7.8
7.9
9.1
Il.l
11.2
1„41'17"
1 33 37
1 59 22
2 0 26
2 36 37
2 21 47
3 34 17
8 35 7
8 39 26
1»Ô8'18"
1 58 30
2 7 45
2 9 44
2 23 24
2 24 37
3 54 0
9 45' 18
9 .37 36
— 0.029
-4- 0.027
-f- 0.070
-+- 0.077
— 0.084
-1- 0.022
— O.OOI
-(- 0.094
-t- 0.109
10
RECHERCHES
Essence de térébenlhine.
i — 10' 23'
T = 10;i
a
2;-
1
V . î-,
i!, - f
V
181.30
0 0
2''21' 41"
2" 14' 0"
— 0.034
130.05
0.9
2 31 31
2 32 34
-+- 0.006
120.83
11.3
4 33 56
3 2 34
-t- 0 097
82.30
14.0
0 34 24
10 55 30
-t- 0.103
i = 16" 23"
Acide acétique.
T = 0:2
a
2c
V
»'i
t-, - V
V
180.00
170.00
132.20
97.23
00.30
0.0
0.4
0.3
2.4
0 0
l»4-3'20"
2 7 33 .
0 7 40
5 18 8
12 34 31
l''48'43"
2 8 30
6 38 38
3 33 23
17 30 50
-+- 0.031
-+ 0.008
-+- 0.083
-f- 0.087
-+- 0.330
On voit que, sauf la divergence tout à fait anormale présentée par la der-
nière valeur de l'acide acétique, les différences entre la théorie et l'observa-
tion sont petites et irrégulières. On peut donc admettre que la formule de
Laplace est exacte, au moins dans les limites de nos observations, c'est-à-
dire pour des angles compris entre 1" et 10". Je n'ai pas cherché à étendre
ces limites, parce qu'au delà la formule cesse par elle-même d'être applicable.
En outre, pour des angles supérieuis à 10", l'équilibre devient très-instable et
par cela seul difficile à bien observer. Pour de très-petits angles, au con-
traire, il s'établit trop facilement : la moindre impureté le détermine. Ce sont
ces impuretés, à peu près inévitables, qui produisent, je crois, les petites dif-
férences des expériences précédentes.
Cette vérification de la formule de Laplace, après les contradictions des
expériences de Haucksbée, est vraiment inattendue. Elle nous montre que,
SUR LA CAPILLARITE. H
dans les calculs de Laplace, sur les expériences de Haiiy et de Haucksbée,
il s'est produit le singulier phénomène, assez fréquent dans les sciences phy-
siques, d'une exactitude résultant de deux erreurs.
Je dois faire observer que la vérification a lieu tout à fait en dehors des
conditions imposées par Poisson : l'épaisseur a bien été toujours assez petite
par rapport à la largeur, mais jamais celle-ci ne l'a été par rapport à la con-
stante a; loin de là, elle a constamment dépassé cette ligne. Ainsi pour l'huile
d'orange, le diamètre a atteint cinq fois la valeur de a sans que la formule
ait cessé d'être exacte. Nous pouvons donc être convaincus de l'inutilité de
celte condition, qui d'ailleurs ôterait à la formule toute sa valeur en restrei-
gnant son application à des cas à peu prés inabordables à l'expérience.
Poisson conseille de faire l'expérience avec l'eau : c'est à peine si le phé-
nomène peut être produit avec ce liquide. On n'arrive à donner quelque mo-
bilité aux gouttes qu'en employant, pour les former et pour laver les plans, de
l'eau fortement acidulée. Alors ce n'est plus de l'eau, mais un liquide hétéro-
gène sur lequel il est dilTicile d'avoir des données précises.
J'ai cru utile d'observer le phénomène avec des gouttes de mercure. D'après
la théorie, ces gouttes devraient s'éloigner de la ligne de contact des deux
plans, lorsque le plan inférieur est horizontal. Il n'en est nullement ainsi :
toutes les gouttes, quel que soit leur diamètre, restent parfaitement immo-
biles. Du reste celte immobilité peut être due au frottement, de sorte que la
théorie qui ne fait pas entrer celte force dans l'étude du phénomène doit se
trouver en défaut. Quoi qu'il en soit, on peut établir ici l'observation suivante,
qui ne me paraît pas sans intérêt : Si l'on place entre les deux plans, à une
même dislance de leur ligne de contact, différentes gouttes de mercure, et
qu'on soulève les deux plans de manière à abaisser leur bord commun , les
gouttes se mettent en mouvement avec une inégale vitesse et s'arrêtent à des
distances différentes du sommet de l'angle des deux plans. Elles se succèdent
pendant le mouvement et dans l'équilibre, suivant l'ordre de leurs diamètres,
les gouttes les plus larges marchant en avant et s'arrêlant le plus près de la
ligne d'intersection des plans.
Je me contenterai de rapporter, dans le tableau suivant, les résultats de ces
observations sans en tirer actuellement aucune conclusion. Les angles v ex-
12
RECHERCHES
primenl, comme précédemment, les inclinaisons sur le plan horizontal du
])lan bissecteur de Tangle dièdre des deux plans de verre. Chaque colonne
renferme les rayons et distances des gouttes correspondant à ces angles.
L'angle i est toujours 46'2S". La distance commune aux cinq gouttes d'où
elles sont parties est «„ = 210'"'". La température a varié de 4 0° à 13".
Jrs
GOUTTES.
1
13» 18'
n
13° 14'
111
17" 39'
IV
20° r
V
20° 46'
VI
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VU
11" 28'
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1
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1
2
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4
5
1.0
2.5
2.8
4.1
9.5
1S1.8
101. .3
125.2
98.8
07.8
1.3
2.3
2.1
4.2
9.8
200.3
201.0
197.Ô
99.9
07.9
1.5
2.0
2.0
5.3
10. G
210.0
210.0
151.0
70.4
53.8
2.2
2.0
3.1
5.5
11.0
88.3
90.7
75.0
00.8
48.3
1.5
2.0
3.0
5.3
10. fl
210.0
210.0
85. G
70.7
33.8
1.5
2.0
2.7
5.2
10.9
210.0
210.0
131.7
71.5
52.0
1.3
2.0
2.4
3. G
9.3
210.0
210.0
202.5
133.8
79.0
SUR LA CAPILLARITE. 13
II.
ÉQUILIBRE D'UNE BULLE D'AIR SOUS UN PLAN HORIZONTAL
DANS UNE MASSE LIQUIDE.
OBSERV.VTIONS SUR DE GR.\NDES BULLES D AIR EN ÉQUILIBRE SOUS UNE GL.\CE
HORIZONTALE PLONGÉE DANS UN LIQUIDE.
M. Gauss indique ces observations comme très-projjres à mesurer la
cohésion des liquides qui mouillent le verre, de même que robseivation
des grandes gouttes de mercure peut servir à mesurer la cohésion de ce
liquide.
En mesurant la hauteur des gouttes de mercure sur un plan couvert
d'eau , j'avais par hasard observé un remarquable phénomène qui m'avait
paru d'abord plus convenable encore pour ce genre de recherches que celui
de l'équilibre des bulles d'air.
Lorsqu'on verse avec quelque précaution de l'eau sur une surface plane
de mercure, on voit cette eau former une large goutte, dont la surface laté-
rale semble couper à angle droit la surface du mercure. La mesure des hau-
teurs de semblables gouttes devrait présenter le même intérêt que celle des
hauteurs des gouttes de mercure. Malheureusement je n'ai pu obtenir aucune
constance dans les résultats. C'est ainsi que j'ai vu les hauteurs mesurées
varier depuis 3,9 jusqu'à 2,65. D'ailleurs, l'évaporation est, dans ce phéno-
mène, une source assez importante d'erreurs, surtout avec d'autres liquides,
tels que l'alcool, qui donne également lieu au même phénomène. Je ne
me suis donc pas attaché à la mesure de ce phénomène, mais j'ai cru
bon de le mentionner, parce (pie, comme simple fait, il me parait digne
d'intérêt.
14 RECHERCHES
Pour délerminer la hauteur des grandes bulles d'air formées sous une
surface horizontale plongée dans un liquide, j'employais une cuvette à parois
planes de verre poli; sur queUpies fragmcnis de glace formant support,
je plaçais au fond de cette cuvette une glace épaisse, et, après avoir versé
du liquide dans la cuvette, je soufflais sous la glace quelques bulles d'air au
moyen d'un lube recourbé. Ces Indles servaient d'abord à établir l'horizon-
lalité parfaite de la glace, au moyen de vis calantes supportant la cuvette.
On comprend que, sans cette horizontalité parfaite, l'équilibre est impos-
sible ; il n'y a donc pas à craindre d'erreur de ce côté. Après avoir ensuite
soufllé de nouvelles bulles à un diamètre voulu, je mesurais au cathéto-
métre la hauteur de la bulle.
Théoriquement, la hauteur d'une large bulle d'air, formée sous un plan
plongé dans un liquide, est \/"2r, en désignant toujours par et- la constante
(/«-j-|^)>' des expériences sur les tubes capillaires, ou, si l'on veut, cette
hauteur doit être égale à celle du liquide contre un plan vertical, multipliée
par V^. En effet, l'équation d'équilibre, d'après la théorie des actions
capillaires, est ici, comme il est facile de le reconnaître, exactement la même
que celle de l'équilibre d'une goutte de mercure, savoir :
H, R' étant les rayons de courbure en un point dont l'ordonnée est z , et
h étant la hauteur de. la bulle d'air ou celle de la goutte de mercure. Donc
la valeur de h pour les grandes bulles d'air doit être la même que celle que
l'on a calculée pour les larges gouttes de mercure. De plus, l'angle ûqui entre
dans cette dernière étant nul ici, la formule qui donne h, réduite à son pre-
mier terme , est , comme nous l'avons dit :
h = a y/~¥.
Jai donc déterminé chaque fois la valeur de a simplement, en mesurant
la hauteur de la courbe liquide formée contre les parois de la cuvette. l\ m'a
paru préférable de prendre pour « cette valeur observée, plutôt que celle que
SUR LA CAPILLARITE. IS
Ton peut déduire d'observations différentes, parce que de cette façon nous
avons à comparer des quantités obtenues par l'expérience avec le même
degré d'ai)proxiniation.
Je me suis assuré d'abord que la hauteur des bulles était indépendante
de la hauteur du liquide dans la cuvette. Il suffît, après avoir visé la sur-
face de la bulle , de verser successivement du liquide dans la cuvette. On
voit que la hauteur de la bulle ne varie pas.
Mais avec l'eau, j'ai reconnu le même fait qu'avec les gouttes de mercure,
c'est-à-dire que la bulle d'air formée sous l'eau prend d'abord une hauteur
maxima, puis sa hauteur diminue jusqu'à une certaine valeur minima, qui
ne varie plus. Ainsi j'ai trouvé pour la hauteur d'une bulle d'air de 28"'"'
de diamètre formée sous l'eau :
mm
Immédiatement après sa formation . 5.80
Après 2" 3-25
Id. ô^30' 5.00
Id. 47\Ô0' 4.90
La hauteur est ensuite restée la même.
Avec une autre bulle de 33""" de diamètre, j'ai trouvé :
mm
Immédiateniciil 3.70
Après G", 30' 3.55
Id. 2" 3.40
Id. 3M5' S.30
Id. 2I\18' 305
Je n'ai pas observé ces variations avec d'autres liquides, si ce n'est avec
l'ammoniaque.
Voici les résultats obtenus avec cinq liquides : eau, ammoniaque, alcool,
éther et benzine :
16
RECHERCHES
Eu II.
DBamétres
naaCenr
Oauleur
des bulles.
m axiiu a.
m i n i m a.
ca Iculée.
mm.
42
5.75
4.95
5.55
33
3.70
5.05
»
28
5.80
4.90
..
15
5.60
n
«
10
5.15
■>
"
Ammoniaque.
30
4.95 1 4.50
Alcool.
Hauteurs constanles.
4.35
57
5.60
»
3.65
44
3.60
..
0
31
3.60
0
«
25
3. GO
»
..
20
3.60
..
..
17
3.60
..
n
10
3.53
"
■>
Éther.
70
3.35
«
5.25
30
3.45
"
r.
23
5.40
»
0
9
3.25
1)
•
Benzine.
44
3.85
»
5.65
18
5.85
°
"
Nous concluons de ces résultats :
I" Que les hauteurs des grandes bulles d'air en équilibre sous un plan
horizontal au milieu d'une masse liquide, sont indépendantes des diamètres
de ces bulles pour toutes les valeurs de ces diamètres supérieures à une cer-
taine limite , qui paraîtrait être celle à partir do laquelle les hauteurs des
SUH LA CAPILLARITE 17
iii('iiis(iU('s dans des lubcs dcN icmiciil iiulcpoiulaiilcs des diiiiiièircs de ces
luhcs cl ('gales à rélcvalion des li(|uidcs coniro une paroi verticale;
2" Que ces liaïUenrs des huiles sont approxinialivenienl égalés au produit
de rélévalioii capillaire du li(piide dans lequel elles sont formées par la racine
carrée de 2.
On peut admettre cette prescpie égalité comme satisfaisante, parce que les
formules théoricpics qui la font prévoir ne sont elles-mêmes que des expres-
sions plus ou moins approchées de la loi physicpie, ou plutôt des premiers
termes de cette loi.
Nous remarquerons que, relali\ement à leau, la hauteur calculée n'est
égale ni à la hauteur maxima ni à la hauteur iiiinima de la huile, mais hien
à la moyenne 5,37 de ces hauteurs.
>S'©MiS—
ToMR XXXIL
HISTOIRE
DES
COLONIES BELGES
QUI S'ÉTABLIRENT EN ALLEMAGNE, PENDANT
LE XII-"' ET LE XIIl"'^ SIÈCLE;
EMILE DE BORCHGRÂVE ,
DOCTEUR EN DROIT, SECRÉTAIRE DE LA LÉGATION DE S. M. LE ROI DES BELGES
i'RLS LA COUR DES PAYS-BAS, ETC.
( Mémoire couronné par l'Académie, le 9 mai 186*. )
Cfande operœ preUum , patriœ describere fantot
[SCRIVERIL'S.)
Tome XXXII.
AVANT-PROPOS
ri I
Pour éviter loulc équivoque, je crois devoir, dès le principe, expliquer
et, au besoin, justifier l'expression Belges, inscrite en tète de ce travail et
qui s'y rencontre à chaque instant.
On aurait mauvaise grâce, quand il s'agit de notre passé liislori(|ue, de
vouloir réduire nos provinces à la portion de territoire, désormais bien petite,
qui a conquis enfin son indépendance sous le sceptre du roi Léopold. Nous
ne devons pas oublier que la Belgique actuelle a vécu moralement et politi-
quement d'une même vie avec l'Allemagne rhénane, la Néerlande et une
partie considérable de la France du Nord. Entre ces centres actifs, auxquels
se rallient nécessairement les provinces adjacentes , existait autrefois une
véritable nationalité religieuse, politique et commerciale, et se perpétue
une solidarité historicpie dont les traditions survivent à toutes les combinai-
sons de la diplomatie.
Partant de là et eu égard au sujet que j'ai à traiter, je n'emploie pas
le mot Belges dans le sens restreint qu'on lui donne aujourd'hui et qui sert à
désigner seulement les habitants du royaume sorti de la révolution de 1830;
je le prends dans l'acception plus étendue qu'il avait autrefois, et j'entends
par là les peuples qui habitaient le littoral de la mer du Nord , depuis Gra-
' Par cxi-eplion à l'article 23 de son Règlement général, et considérant que ce ménioin-
couronné n'a pas eu de concurrent, l'Académie a cru pouvoir accéder à la demande de lautenr
de revoir son travail avant l'impression.
IV AVANT-PROPOS.
vélines jusqu'à rexlrémilé de la Frise. Le territoire qu'ils occupaient com-
prenait donc, outre les royaumes actuels de Belgique et de Hollande, la
Flandre française, l'Artois, le Cambrésis et la Gueidre prussienne, riches
provinces que convoitait l'ambition de quelques conquérants absolutistes et
qui furent sacrifiées grâce à la lâcheté, à l'inertie ou à l'incapacité de nos
souverains. La réunion de ces États formait, sous Charles-Quint, une monar-
chie compacte et homogène, qu'il transmit à son fils et que celui-ci ne sut
pas conserver dans son intégrité. On l'appelait aussi Pays-Bas. Cette déno-
mination, considérée au point de vue géographique et appliquée à la nature
des contrées qu'elle embrasse, est d'une exactitude incontestable. Je m'en
servirai plus d'une fois; j'aime mieux néanmoins le nom primordial, comme
ayant une signification historique plus ancienne.
Je dois ajouter que ce nom a varié si souvent que j'ai besoin de justifier
ma préférence. Il n'y a qu'un peu plus d'un quart de siècle que les deux
mots Belgique et Pays-Bas ont reçu, ce semble, leur consécration défi-
nitive, restreints qu'ils sont chacun à la fraction du tout auquel ils s'ap-
pliquaient autrefois simultanément, bien que l'un et l'autre fussent aussi
attribués tour à tour aux provinces du Nord et à celles du .Midi. Ainsi, lorsque
les premières s'affranchirent pour toujours du joug de l'Espagne (1579),
elles prirent le nom de Belgique-Unie [Betghim foederaliim) , tandis que les
autres continuaient à être appelées Pays-Bas espagnols; ainsi encore l'im-
portante colonie que les Hollandais fondèrent dans l'Amérique septentrionale,
sur la Délaware, reçut le nom de Nouvelle-Belgique , et elle le conserva jus-
qu'en 1667, époque à laquelle la paix de Bréda la céda aux Anglais. Voilà
déjà deux précédents historiques qui autorisent ma doctrine. Il en est d'au-
tres non moins concluants. Des écrivains qui font autorité donnaient le titre
de Diplomata Belgica, Elogia Belgica S Chrouicon Belgicum, à des ou-
' Rien de plus explicite pour mon sujet que cette note de Mirœus : Galliae BeUjirue,
iypus , in exlcroruin yraliam. — Gallia Belgica, sive Germania inferior provinciis tiodie (nain
AVANT-PROPOS. v
vrages dans lesquels ils ne traitaient pas seulement de la Belgique actuelle,
mais bien aussi de la Hollande, de la Frise et de quelques provinces alle-
mandes : Monumenta ad Germaniam vicinasque provincias spectauliu. Vllis-
loria Belgii foederati et le Chronicon Bclgicum de Jean de Leide en sont
d'autres preuves.
Ainsi donc, dans tout le cours de ce travail, Belgique sera synonyme de
Pays-Bas et Belges de Néerlandais , ces quatre termes pris sensu latissimo
et au point de vue de notre histoire du moyen âge.
Si, pour appuyer cette opinion , j'avais besoin d'autres arguments que
ceux que je viens de produire, je dirais qu'en Allemagne on emploie con-
stamment les deux expressions l'une pour l'autre et qu'au siècle dernier la
confusion était des plus communes. C'est ainsi que le premier écrivain à qui
revient l'honneur d'avoir posé la question (Eelking) intitula son travail :
Dissertatio de Belgis in Germaniam advenis, et il ne laissa pas que de s'oc-
cuper avec plus de détail des Hollandais que des Flamands. Les historiens
qui, après lui, reprirent son œuvre en sous-ordre, appelèrent Néerlandais
ceux qu'il avait nommés Belges, et ils parlèrent exactement des mêmes peu-
ples que leur devancier.
D'ailleurs, dans les sources du douzième et du treizième siècle, les Fla-
mands sont souvent désignés sous le nom de Jlolhmdi el les Hollandais sous
celui de Flandrenses. On ne peut donc traiter des uns sans parler des autres.
Ensuite, on confondait souvent les deux peuples dans une même dénomi-
nation; il en résulte que, lorsque l'on trouve une mention des Hollandais, il
y faut nécessairement comprendre les Flamands, et réciproquement. Au sur-
plus, les émigrations des colons des deux provinces eurent lieu à la même
de antiquis terrninis dissercrc non est liujus instiluli) scptcnidecim conlinetur; sunt in his, ni
loquunlur : Z)Mca«MS /F, Brabantiae, Liniburgi, Lueeburgi, Geidriae; Comilatus VU, Flan-
driae, Arlesiae, llannoniae, Ilollandiae, Zclandiae, Namurci, Zulfaniae; Marchionalus S. Ira-
jjerii; Dominia V, Frisiae, Machliniae, L'ilraiecti, Transisaianac ditionis, Groningae. » {Elogia
Belgica, sive illustrium Belgii scriploriim , studio Auberti Mir^ei ; Antw., 1609.)
VI AVANT-PROPOS.
époque, presque toujours dans les mêmes contrées et souvent sous des con-
ditions semblables. Enfin, Flamands et Hollandais parlaient la même langue,
nommée par les uns et les autres langue Ihioise [dietscli); ils avaient entre
eux de fréquents rapports de commerce et d'intérêt de tous genres ; maintes
fois ils partagèrent les mêmes dangers en tentant la même fortune; de sorte
qu'en dernière analyse, les colonies fondées par les Belges ou Néerlandais
du Nord , aussi bien que par ceux du Midi , doivent être considérées comme
ayant la même origine.
Tel est aussi l'avis des écrivains allemands. « Il ne faut pas, dit Kliigel ',
entendre par Flamands les habitants de la Flandre seulement, quoique la
Flandre s'étendît autrefois plus loin qu'aujourd'hui; mais dans ce terme, il
faut comprendre tous les Belges quelconques, ou habitants de la Germanie
inférieure, principalement tous ceux qui se servent de l'idiome germanique;
par conséquent, les expressions qui aujourd'hui, comme autrefois, ont cours à
l'étranger : Flamindtsch, Fldinisdi, ne signifient pas seulement ce qui ap-
partient à la Flandre , mais bien au territoire belyique tout entier, de même
qu'en Turquie on appelle Franc tout ce qui vient de l'Europe occidentale. »
Le docteur Schumacher - est encore plus explicite : « Je dois le faire
remarquer tout d'abord, dit-il : quand les chartes parlent de Hollandais,
nous ne pouvons pas nous attacher servilement aux expressions qu'elles em-
ploient, Hollandi, Hollandienses , et autres, quelles qu'elles puissent être.
Eelking se méprit complètement lorsqu'il distingua entre Hollandais et Fla-
mands. Les Pays-Bas étaient alors divisés en comtés distincts. Mais celte
circonstance n'enlevait pas à leurs habitants l'homogénéité de race, comme
Warnkônig l'a démontré, aux douzième, treizième et quatorzième siècles.
Les Flamands cessaient tout aussi peu d'être Flamands que les Saxons d'être
Saxons, lors même qu'ils relevaient de comtes différents. Sans doute, les
' cl ". Voy. sur ces auteurs [Introduction , | III.
AVANT-PROPOS. vu
appellations étaient plus nombreuses pour désigner les Flamands que les
Saxons ou les Franks, parce qu'ils ne formaient pas une branche unique,
parce qu'aucun souverain ne les avait réunis sous le même sceptre depuis
le partage de la Lotharingie.... Leur langue s'appelait universellement le
flamand : les savants des Pays-Bas sont d'accord sur ce point. Les mots Fla-
miagus, Flandrensis ont donc une signification très-étendue; ils n'indi-
quent pas seulement l'ancien comté de Flandre, mais on peut prouver que
les habitants de la Gueldre, du duché de Clèves, du Brabant et des pro-
vinces maritimes sont également compris sous ce nom. Dans les sources, les
dénominations de Holler et de Flandrensis apparaissent souvent comme tout
à fait identiques ; néanmoins la dernière avait la plus grande extension. Dans
le Nord, c'est l'expression Holler qui prédomine, tandis que plus on des-
cend vers le Sud, et plus souvent on rencontre le mot Flandrensis. En Thu-
ringe, on confond les deux noms l'un dans l'autre; au milieu d'une colonie
fondée par les Hollandi, se trouve le village de Flemmingen, etc. Aussi tous
les historiens les plus récents sont d'avis qu'entre Hollandais et Flamands il
n'y a pas à distinguer. »
Je termine par l'appréciation claire et précise du Hollandais Dousa * :
« Par suite, dit-il, d'un usage traditionnel, joint à une manière de parler
très-répandue, même chez les peuples étrangers, on désigne aujourd'hui
(seizième siècle) pêle-mêle, sous le nom générique de Flamands, tous les
Belges en masse, quoique ceux-ci aient, chacun chez soi, des dénominations
propres et qu'ils soient distincts et séparés au point de vue de la nationa-
lité. »
Enfin, la Frise elle-même était parfois prise jadis pour tout le territoire
* « Sollemni apud cxtcros etiaranura populos loquendi ritu ac formula, qui Belçjafi universos,
tamelsi propriis domi appcllationibus cl quideni nationatim dislinulos ac discriminatos, com-
muni laiiien Flandrormn nomine promiscue hodie indigilare consueverunt. » {Batavias Hol-
landiaeque Annales, p. 244.)
VIII
AVANT-PROPOS.
dont elle n'est qu'une partie. Les historiens du onzième siècle connaissaient,
sous le nom de Frise, tout le littoral des Pays-Bas.
On le voit, les expressions par lesquelles on qualifiait nos compatriotes
à rétranger sont nombreuses. Pour faciliter Tintelligence des textes et mettre
le lecteur à même de saisir plus aisément l'ensemble et Timportance du
mouvement d'émigration, il fallait trouver un terme généricpie (|ui em-
brassât sans effort les divers rameaux de la grande famille germano-belge.
J'ai fait choix de celui qui résume à la fois notre passé celtique, germanique
et romain, qui, malgré d'âpres contestations, a traversé intact le moyen âge,
qui a pris, dans les temps modernes, une extension nouvelle et qui est arrivé
enfin , dans notre siècle , à reprendre sur la carte de l'Europe la place que
l'histoire lui assignait et que des luttes séculaires pour la liberté et l'indé-
pendance lui méritaient si bien.
HISTOIRE
DES COLONIES BELGES
QUI S'ÉTABLIRENT EN ALLEMAGNE, PENDANT
LE XII™' ET LE XIIP' SIÈCLE.
IINTRODUCTION.
§1-
Émigrations des germains en général, et des belges en particulier (con-
quêtes, PÈLERINAGES, CROISADES, VOYAGES, EXPÉDITIONS GUERRIERES) , FAITES
PRESQUE TOUTES AVEC ESPRIT DE RETOUR.
Quelque profondes que soient les investigations de la science moderne,
elle n'est pas encore parvenue à arracher au monde oriental le secret des migra-
tions des |)euples qui, sortis de son sein, vinrent successivement peupler le
continent que nous habitons, et qui reçurent de là le nom d'Indo-Européens.
Toutefois, si le principe de ces ébranlements de nations demeure impéné-
trable à la critique, d'éminenis écrivains ont depuis longtemps signalé, dans
des aperçus lumineux, les effets qui en résultèrent pour Thumanité. Je n'ai
pas à m'occuper de cette matière, (pii relève du domaine de la philosophie de
Tome XXXII. 2
9 HISTOIRE
riiisloire; mais ce qu'il importe de rappeler, c'est que les Germains, un des
peuples confédérés qui jouèrent le plus grand rôle dans le bouleversement de
Tempire romain, ne s'arrêtèrent pas définitivement, lorsqu'ils eurent compiis
des demeures fixes dans la majeure partie de l'Europe : des causes particu-
lières qui nous échappent, jointes à une certaine mobilité incpiiète dans le
caractère, les poussèrent brusciuement, hors de leurs assises primitives, sur
des territoires qui jusqu'alors étaient restés pour eux inexplorés. L'objectif que
poursuivent les Allemands de nos jours dans la sphère de l'abstraction, c'est-
à-dire l'inconnu, les Germains, leurs ancêtres, le cherchaient dans le monde
matériel et sensible. On pourrait à peine citer deux ou trois pays qui ne trem-
blèrent point sous le bruit de leurs pas. Les Gaules furent le premier théâtre
de leurs exploits. Les Franks y firent des conquêtes si importantes que le
royaume dont ils jetèrent les bases leur emprunta son nom. Les Burgondes
à l'Est, et les Westgoths au Sud, y fondèrent des Étals auxquels leur puis-
sance assura une longue durée. Les Westgoths, augmentés d'une armée de
Vandales, passèrent en Espagne, et ces derniers poussèrent même jusciu'en
Afrique. En Italie s'établirent les Marcomans et les Hérules, puis les Lango-
bards, et plus tard les Franks, sous Pépin. Si du Midi nous portons nos
regards vers le Nord , nous voyons d'abord les Angles, les Saxons et les Jutes
descendre en Angleterre et y prendre la place des autochtones, tandis que
les Danois y allèrent bientôt après disputer le terrain aux nouveaux posses-
seurs. Les vaisseaux danois cinglèrent jusqu'en Amérique ' et ils abor-
dèrent le nouveau continent six siècles avant Colomb. Les Northmanns se
fixèrent dans la province gauloise à laquelle ils donnèrent leur nom; quel-
ques-uns de leurs descendants parurent en conquérants dans la basse Italie,
d'autres allèrent subjuguer le royaume saxon d'Angleterre. Enfin, en Alle-
magne même, on vit des peuples de race germanique, qui en étaient jadis
sortis, y retourner en masse et s'y fixer pour toujours. Il suflira de citer les
Franks Ripuaircs, qtii s'établirent au Y" siècle, dans la seconde Germanie,
dans les provinces du Danube et dans la IS'orique, les Frisons, dans TAIIe-
magne centrale, etc. "'.
' C. Rjifii, Mémoires de l'Acad. de Copenhague.
- Gaiiiip, Die (jermani.srhen Ansiedlinujen iind Landtlieilungeii. Brcslau, iii-8". 184i.
DES COLONIES BELGES. 3
A envisager ces faits dans leur ensemble, on serait tenté de dire qne
l'émigration est un des caractères historiques des Germains, surtout si, des-
cendant du général au particulier, Ton considère l'un ou l'autre peuple dans le
développement successif de sa civilisation. Les Belges nous en offrent le plus
curieux exemple.
En effet, leur patrie, prise dans le sens large que j'ai indiqué plus haut ,
est peut-être de toutes les contrées de l'Europe celle qui , depuis les premiers
âges, fut le plus souvent témoin d'expatriations nombreuses et importantes.
C'est à dessein que je me sers de ce terme générique lïexpaln'ations , les
déplacements de nos ancêtres ayant été déterminés, à toute époque, par les
causes les plus variées, souvent même les plus opposées. Cette proposition se
relie d'une manière assez directe à la matière que je dois développer plus
loin, pour qu'il puisse être utile de l'effleurer ici d'une manière rapide et en
ne m'altachant qu'aux faits principaux.
A défaut de renseignements positifs, — car les origines de notre histoire
sont, comme celles de tous les peuples, enveloppées de ténèbres, — la
fable nous apprend qu'à une époque fort reculée, les Belges fondèrent des
établissements considérables dans le sud et le sud-ouest de la côte de la
Grande-Bretagne qui est en regard du continent : bientôt les Fir-BoUjs , une
de leurs plus puissantes tribus, passèrent en Irlande sous la conduite de Lar-
tbon. Des traditions , évidemment exagérées , ont placé cet événement
au XII" siècle avant notre ère *; mais, quelle qu'en soit l'époque, le souvenir
de la migration se conserva si pieusement parmi les habitants d'Erin,
qu'Ossian la chanta dans un de ses poèmes "". Dans la partie de la Bretagne
appelée plus lard Brifaniw-Belgium, une des principales villes des Belges
porta, longtemps encore après César, le nom de Venla Belgaruin (Win-
chester). Plus tard eurent lieu les expéditions de Bellovèse, et un grand
nombre d'auteurs pensent que les Belges n'y furent pas étrangers. Ce qui est
plus certain, c'est que des peuples gallo-germaniques, à la tête desquels étaient
' Thomas Moore, History of Iretand, I,chap. VI.
* La guerre de Temora , chaiil 7. — On m- peut douter ijuc les Fir-Uulgs, ou hoiitme.-^
belges, n'aient pénétré en Irlande, par exemple, ees Meiiapii dont parle l'toléniée. (Henri Martin.
lier ne. nationale : 1862, 42' livraison , pp. TiO el V>\.)
4 HISTOIRE
Korllnvi'vs et Belgius, — chef qui probablement empruntait son nom de la
tribu (|u'il commandait, — traversèrent l'Europe d'un bout à l'autre, se
jetèrent avec impétuosité sur la Macédoine, et inspirèrent à Alexandre le
Grand ce sentiment d'angoisse que Charlemagne éprouva, dit-on, quelque
mille ans plus tard, lorsque les Normands firent leurs premières apparitions
sur nos côtes. Aussi bien, les débiles successeurs du héros macédonien eurent
peine à se défendre contre les attaques des Belges. Ptolémée la Foudre marcha
contre eux à la tète d'une forte armée; mais les Belges la culbutèrent et le
roi lui-même périt dans le combat. Il fallut les séductions amollissantes du
climat asiatique et la valeur des guerriers de Sosthène pour arrêter le cours de
leurs victoires. Il parait toutefois qu'ils eurent part à toutes les guerres que
les Galates (Gaulois germanisés) firent aux peuples méridionaux. Pline, on
s'en souvient, place dans la Pannonie des peuples qu'il appelle BeUjUes, et
l'on trouve, parmi les Galates, une tribu appelée Ambiani , nom que César
donne à une branche de la grande famille belge.
Ces Belges étaient encore barbares. La civilisation n'avait point encore
poussé racine parmi eux ; aussi n'étaienl-ils retenus dans leurs foyers par
aucun de ces liens qui attachent les peuples modernes à leur sol natal. Ce
(pii les animait, c'était l'esprit de conf/uéle, mais de la conquête sauvage et
brutale; ils obéissaient non au désir de soumettre des nations pour régner
sur un plus grand nombre d'hommes — l'ambition des Alexandre , des
César, des Napoléon, — mais à cet instinct destructeur des peuples à l'état
d'enfance, qui ne comprennent pas la gloire sans le gain d'une bataille san-
glante et n'aperçoivent pas de but plus élevé à atteindre que le pillage sans
limites et sans mesure. Tel fut aussi le caractère de l'entreprise fougueuse et
désordonnée des Cimbres et des Teutons, auxquels, s'il faut en croire plu-
sieurs écrivains, les Belges , après les avoir d'abord combattus, finirent par
envoyer des renforts.
On ne saurait signaler aucune émigration proprement dite pendant la
période romaine. Néanmoins, je ne puis passer sous silence l'expédition que
le Ménapien Carausius, celte grande figure méconnue, fit en Angleterre avec
le concours de ses compatriotes, qui le proclamèrent empereur. Je rappellerai
aussi que les Belges furent enrôlés en masse dans les armées romaines <>!
DES COLONIES BELGES 5
qu'ils se distinguèrent dans foules les entreprises des maîtres du inonde : le
gain de la bataille de Pliarsale fut dû en grande partie à leur valeur.
Ils jouèrent le même rôle pendant Tépoque franke, rôle secondaire, mais
glorieux. Des auteurs respectables ont cru qu'ils prirent part à la conciuéte de
la Bretagne sous Hengist et Ilorsa (455-477); mais si vraisemblable que
soit cette opinion — \)u\^(\yni \c liltus saxonicim s'étendait jusqu'à Boulogne,
— on ne saurait Télayer de preuves autbenti(pies.
Cependant le cbrislianisme avait gagné peu à peu le Nord à la doctrine
de l'Évangile, et, dès lors, si les peuples s'arrachèrent encore à leurs foyers,
ce fut tout d'abord un motif de relUjlon qui les porta à visiter les pays étran-
gers. Les pèlerinages au tombeau du Sauveur et à d'autres lieux vénérables
devinrent, dès le sixième et le septième siècle, d'un usage fréquent. Le be-
soin de retremper la piété aux sources primitives de la foi; l'espoir d'ache-
ter le ciel par les fatigues et les dangers d'une route alors si difïicile, et, plus
encore que tout cela, la curiosité de pénétrer dans ces contrées où les sou-
venirs des premiers mystères de la religion étaient demeurés si entiers,
enflammèrentde bonne heure quelques cœurs fervents du désir d'entreprendre
le voyage de la Terre-Sainte. Les Belges, sincèrement attachés à leurs
croyances , ne déployèrent pas moins'de zèle que les autres peuples chrétiens.
La Palestine fut, à toutes les époques, leur but de prédilection; mais elle
ne le fut pas exclusivement. A la prière du moine Arnold , des milliers de
Belges volèrent, en 1 147, au secours de leurs frères chrétiens d'Espagne,
menacés dans leur existence par les Maures, et qui, grâce à cet appoint
aussi puissant qu'énergique, purent continuer la lutte avec des chances
égales '. C'est encore vers le même temps {|u'un grand nombre de Belges,
appelés par Henri le Lion et d'autres princes allemands, marchèrent , dit-on ,
contre les Slaves du Nord et contribuèrent pour leur part à la défaite de ces
barbares encore païens. A ces pèlerins, guerriers ou autres , nous pouvons
rattacher \q% pénitents et les missionnaires que des motifs semblables déter-
minaient à s'expatrier ".
Lorsque les croisades, à la tête desquelles on vit presque toujours des
' Edward Lcgiay, Hisloire des comtes de l'iandre , I, .ILil.
"' Baron de S'-Genois, Voyageurs belges, 1, 13, 16, sqq.
6 HISTOIRE
princes et guerriers belges, eurent établi des communications plus intimes eniro
rOrient et TOccident, et que les peuples, habitués jusqu'alors à restreindre
leurs relations dans un cercle étroit, eurent compris Tavantage qu'ils pou-
vaient retirer d'un trafic lointain, Vintérél du commerce, ou, si l'on aime
mieux, Y amour du gain devinrent une nouvelle cause d'expatriation. Sans
doute , les Belges ont de bonne heure hanté les mers et fréquenté les parages
lointains; les rapports des Flamands, Frisons et Hollandais avec l'Angleterre,
rÉcosse, la Scandinavie, les villes des bords de la Baltique, etc., étaient des
plus fréquents, et leurs vaisseaux cinglèrent souvent dans la Méditerranée.
Mais ce n'est guère que du temps des croisades qu'on voit des navires mar-
(;hands de Bruges, de Damme et d'Anvers naviguer vers l'Afrique et l'Asie,
descendre dans les ports de la Palestine et trafiquer le long du littoral égyp-
tien. Il y eut cependant quelques hardis corsaires qui sortirent de l'Escaut
occidental , dès la fin du onzième siècle , pour aller écumer la mer en vue
des côtes d'Afrique et de Syrie, et je n'ai pas besoin de rappeler à ce propos
lalégende des Pirates verts '. Ce n'est pas tout. A l'instar des autres peuples
maritimes de l'Europe, on voit les Belges se jeter dans des entreprises com-
merciales gigantesques, fonder des factoreries sur les rivages les plus inhos-
pitaliers, et apporter aux peuples sauvages qu'ils vont soumettre les bien-
faits de la civilisation et du christianisme, en échange d'étoiles précieuses,
d'épices rares, de métaux, de pierreries et de mille autres trésors inconnus à
l'Europe.
Il va de soi que l'extension de jour en jour plus grande du commerce
devait développer largement le goût des voyages. Aussi la vieille Europe ne
rêve-t-elle plus que colonies, comptoirs, expéditions maritimes, et, est-il
besoin de le dire? les Belges figurent au premier rang dans cette galerie
d'explorateurs et de marchands voyageurs. On sait, pour ne citer qu'un
exemple, que c'est Jacques Van den Berghe, gentilhomme brugeois, qui fil
connaître les lies Flamandes, plus lard nommées .4 çores. Je n'ai pas le temps
d'insister sur ce point, dont des travaux spéciaux ont, d'ailleurs, révélé sulfi-
samment l'attrait.
' !)(> Saint-Génois, Voyageurs belges, I, 15, 16, sqq.
DES COLONIES BELGES. 7
CependanI, Ton aurait tort de croire que le commerce fût le seul stimu-
la lU des voyageurs. Si la découverte de ces innombrables pays qui, depuis
quatre siècles, ont lripi('' pour nous l'étendue de l'univers, est due quelque-
fois au hasard, je me hâte de le dire, on en a été bien plus souvent rede-
vable à la persévérante énergie de ces hommes hardis et ( nireprenants dont
Colomb est le type le plus illustre. L'amour du merveilleux , le besoin de cher-
cher de nouvelles émolions , le désir d'apprendre, de pénétrer dans des secrets
dont une sorte d'instinct et de prescience acquise par l'étude faisait pressentir
l'existence, poussèrent, dès les premiers temps, les hommes de cette trempe à
afl'ronter les dangers des plus lointains voyages. Les noms de Rubruquis ,
(iuillebert de Lannoy,Josse de Ghistelles, et, parmi les missionnaires, de
Hennepin, de Ferdinand Verbiest, de Cleynaerts, etc., sont trop connus chez
nous |)our que j'en doive faire une plus ample mention. J'en dirai autant des
ambassadeurs ou diplomates Auger de Busbec(| , Adornes , Scepperus et de
tant d'autres ' dont l'énuméralion m'entraînerait au delà des bornes que j'ai
dû m'imposer.
Pour terminer ce que je viens de dire des voyageurs, je citerai encore les
guerriers belges , qui semblent s'être chargés de perpétuer à travers les âges
l'éloge que César décerna à la bravoure de leurs ancêtres. Tels sont ceux qui
accompagnèrent Guillaume le Bâtard à la conquête de l'Angleterre, ceux qui
suivirent Jean l'Aveugle en Bohême , le duc de Bourgogne en Servie, Charles-
Quint en Afrique, Don Juan d'Autriche à Lépante, Tilly en Allemagne, etc.
Tous ces noms illustres appartiennent à l'histoire militaire de la Belgiipie.
Deux brillants faits d'armes de notre histoire, qui sont moins connus que les
autres, doivent pour cela même recevoir une mention toute spéciale. En
123i, l'évèché de Brème fut désolé par des héréticiues connus sous le nom
de slcdliKjs. Comme ces novateurs se rendaient coupables des derniers excès
envers ceux qui refusaient d'adopter leurs doctrines , le pape Grégoire IX
prêcha contre eux une croisade. Le fdsduduc de Brabant (Henri I) qui suc-
céda plus tard à son père sous le nom de Henri II, en fut le chef; Florent IV,
comte de Hollande, et Thierry, comte de Clèves, l'accompagnèrent ; l'élite de la
' Voy. ]joiir toute cette partie lexccllcnt ouvrage de M. de S'-dcnois.
8 HISTOIRE
noblesse flamande, hainuyère et brabançonne servit sous ses ordres. Au
bout de trois ans, les stedintjs firent leur soumission à PÉglise et la paix fut
rétablie. Un siècle plus tard, en 1330, les cbevaliers teutoniques firent la
guerre aux Livoniens et aux Lithuaniens. Plusieurs princes belges prirent
part à cette expédition, et les historiens s'accordent à reconnaître que ce
lurent le comte Jean de Naniur et le comte Jean de Luxembourg qui contri-
buèrent le plus à la victoire des chevaliers.
Ainsi, pour résumer les points principaux que j'ai énumérés : esprit de con-
(juète, sentiment religieux, nécessités commerciales, désir de voyager, soit
pour propager les vérités de la foi, soit pour découvrir des régions incon-
nues, ou bien encore pour remplir des missions diplomatiques, ou pour se
faire un nom sur les champs de bataille; voilà, en deux mots, les causes
qui amenèrent les expatriations momentanées de nos ancêtres.
§IL
Émigrations ayant un caractère i)E perpétuité, faites sans esprit de retour.
— Colonies néerlandaises en Allemagne, au douzième et au treizième
siècle.
Jusqu'à ce moment Ton n'a pas encore pu constater que des émigrations
belges, à part deux ou trois exceptions, aient eu lieu d'une manière défini-
tive, en d'autres termes, qu'elles aient été faites sans esprit de retour. Ce
n'est pas, toutefois, que l'on ne trouve dans nos annales maints exemples du
contraire. Il y a, en effet, bon nombre de colonies, fondées par des Néer-
landais, qui subsistèrent pendant des siècles et qui eurent, dès le principe,
ce caractère de perpétuité que nous cherchons vainement ailleurs.
La première que j'ai à signaler à ce point de vue, et sur laquelle je dois
ni'élendre quelque peu, parce que je la crois peu connue, arriva en Alle-
magne dans la première moitié du sixième siècle. En 528 , eut lieu le par-
tage de la Thuringe entre les Saxons et les Franks. Le territoire qui échut
DES COLONIES BELGES. 9
aux premiers correspond enlièrcriient au cercle qui forma plus lard révèclié
d'Halberstadt. Le moine Meginhard, qui vivait à Fulde au IX" siècle, allesle
que les Saxons, dont le nombre était considérablement affaibli par les guerres,
ne purent pas suffire à peupler tout le pays qui leur était échu. C'est pour
ce motif qu'ils en cédèrent quelques parties situées à l'Est, à des colons étran-
gers, sous la seule condition d'un tribut \ Les noms des cantons orientaux
[Ostyaiie) de la Thuringe, dévolus aux Saxons, confirment le récit du chro-
niqueur, puisqu'ils sont empruntés aux peuples qui avaient fourni les colons.
Ainsi l'on trouve les Hessois dans le Hasseaijau ; les Thuringiens, dans le
Nordlhurinyau ; et deux peuples néerlandais, à savoir les Frisons dans VUn-
leryau Friesenfeld, et une tribu belge dans le Gau de l'Âltmark Bdyesheim -.
Le cloître de S'-Ludger à Helmstadt, possédait en 932 de grands biens
dans ce dernier canton. Le cloître lui-même était dédié à l'apôtre des Frisons
et relevait de l'abbaye de Verden-sur-la-Ruhr, qui avait été fondée par
Ludger et dont les plus riches domaines étaient situés dans les Pays-Bas.
Saint Ludger (74.3-809), d'après les litanies rimées qui complètent sa biogra-
phie, fut aussi l'apôtre de la Thuringe septentrionale. Il est donc permis, ce
semble, de conjecturer qu'il trouva parmi la population belge de ces contrées
les premiers éléments de conversion. N'oublions pas de faire remanjuer que
parmi les propriétés de l'abbaye d'Helmstadt figuraient les villages de La»ieu
et de Thisele , dont les noms sont perdus aujourd'hui. Lamen, dont il est
encore fait mention en 1238, rappelle le village de Lamain [Lamen, en
Hamand), dans l'arrondissement de Tournay ; tandis que Thisele (The Isele),
<|ui n'est plus cité à la même époque, mais dont le nom paraît être remplacé
par le moderne Insel, dans l'Allmark, fait songera la ville de Lille (Tlsle,
insula en latin , Ryssel en fiamand) ^.
Les émigrations qui suivirent ne sont pas moins dignes d'attention, el la
petite colonie dont saint Adelard fut le fondateur peut, à tous égards, être con-
* « Qui eam (tcrram) sorte dividenlcs, cum luiilti ex eis in bello cecidissenl, et pro raritate
» eorum tota ab eis occupari non potuit, partem iilius, eam maxime, que respicil orientem,
» eolonis tradebant, singulis pro sua sorte sub Iributo exercendam. Cetera vcro loca ipsi posse-
» derunt.... » Meginliard, cilé par Adam de Brème, dans Lindcnhrog , p. SJ.
2 L. de Ledebur, Nordlhûringen und die Hermuiidurer oder Thûrincjer, p. 10.
' Idem, VorlriUje zur Geschichte der Mark Brandenburg. Berlin, d8S4, p. 3f).
Tome XXXI L 3
10 HISTOIRE
sidérée comme une des plus importantes. Lorsque ce Belge illustre, proche
parent des Carolingiens ^ quitta la Flandre, sa patrie, pour aller prendre
la direction de Fabbaye de Corvey (ou nouvelle Corbie, fondée en 822), il
emmena un certain nombre de laboureurs et d'ouvriers originaires, comme
lui, du village d'Huysse, aux environs d'Audenarde, et les établit tout autour
du couvent. Ces hommes industrieux aidèrent les moines à défricher les terres
incultes et « c'est à ce titre que la Nouvelle Corbie peut être considérée comme
premier type des colonies flamandes qui se multiplièrent pendant le moyen
âge dans le nord de l'Allemagne ^ »
Des historiens allemands croient que des colons belges accompagnèrent
pareillement Amalhar (811), archevêque de Trêves, lorsque Charlemagne
l'eut nommé au siège épiscopal de Hambourg. Ils allèguent que ce prélat était
belge ^; mais aucun document ne confirme cette assertion. Elle aurait plus
de poids, appliquée à saint Ansker (801-86S). Né dans la Flandre occidentale,
saint Ansker devint primai de toutes les contrées septentrionales (Holstein ,
.lutland, Danemark, Suède, Norwége, Islande, Groenland, Vinland : Amé-
rique?....) et fut le premier archevêque de Hambourg, où le nomma Louis le
Pieux, en SS-i. Ce prince fit don à Ansker de l'abbaye de Tuiholt (Tliou-
rout) où le saint avait été élevé, el donna la juridiction du cloitre à l'église
de Hambourg. Les biographes de saint Ansker nous apprennent qu'il faisait de
fréquents voyages à Turholt « Saepe monasferium... Turlwlt visitans », et
(pi'il en ramenait de nouveaux compagnons pour la métropole. Rien ne s'op-
pose à croire qu'il ait, à l'exemple de saint Adelard, dont il était le disciple,
soigné aussi pour le bien-être matériel de ses ouailles, en fixant dans une
contrée sauvage et inculte des hommes actifs et exercés au travail agricole.
Deux siècles plus tard, une colonie sur laquelle nous avons des renseigne-
ments authentiques, alla s'établir en Hongrie dans des circonstances qui
méritent d'être rapportées. Sous l'administration de Wazon, vingt-troisième
' Il avait pour père le eoiiile Bernard , (ils de Charles-Martel et frère du roi Pépin. Il était ]nif
conséquent cousin germain de Charlemagne. Né àlluysse, vers 734, saint Adelard mourut à
Corbie en 827.
- De Ram, Heviic <alliuli(jue , I85G, p. 74.
' Melcinoris Goldasti MemoranJa letera Holsatica ; apud Wesphalen, I, 885.
DES COLONIES BELGES. Il
évêque de Liège, une famine liorrible désola les provinces belgiques, frap-
pées de slérililé pendant Irois années conséciUives. « Les habitants au déses-
poir, dit un historien, et poussés par la faim, ne connaissaient plus les droits
de riiumanité. On déterrait les morts, on allait à la chasse des vivants, on
égorgeait les voyageurs pour servir d'aliments exécrables à ceux qui n'avaient
pas encore succombé sous le terrible tléau '. » Les évêques de Liège et de
Cambray, l'abbé de Gembloux et plusieurs seigneurs puissants furent, au
témoignage de tous les historiens, les bienfaiteurs du pays par les abon-
dantes distributions de bétail et de blé qu'ils ne cessèrent de faire pendant
toute la durée de ce malheur [)ublic. Toutefois, soit que leurs largesses fussent
encore insuffisantes, soit que les habitants ne se crussent plus désormais en
sûreté dans leurs foyers ou qu'ils craignissent le retour de semblables calamités,
les chroniqueurs nous apprennent qu'un grand nombre de Liégeois et de
paysans de la principauté préférèrent l'exil à une existence problématique, et
se réfugièrent en Hongrie, dans le diocèse d'Agrie (Erlau). Pour quel motif
choisirent-ils ce pays, si éloigné de leur patrie plutôt que tout autre? Les
chroniqueurs l'expliquent en racontant qu'un quart de siècle auparavant, des
Hongrois, pressés eux aussi par une disette affreuse, avaient abandonné leur
terre natale et étaient venus demander à l'évèque de Liège un asile et du pain.
L'évèque Uéginhard les avait accueillis paternellement et fixés dans son diocèse
(1029). Les Liégeois, et avec eux bon nombre de Hongrois, conservèrent
le souvenir de ce bienfait et comptèrent sur une justfe réciprocité de la part
du roi de Hongrie. Leur attente ne fut point trompée. Le roi leur assigna un
vaste territoire situé au cœur de son royaume , et leur laissa l'usage de leur
langue et autres habitudes du sol natal (1055) ^.
Un siècle plus tard, d'autres Belges, et principalement des Flamands, allèrent,
à l'exemple de leurs compatriotes, s'établir dans les districts des monlagnes
de la Hongrie, surtout dans la province de Zips et dans le comitat de Honlli.
On ne saurait préciser les causes de leur émigration; cependant, à en croire
quelques sources, ils auraient été appelés parle roi Geysa II (1141-1161).
Quelques-uns d'entre eux se fixèrent aussi en Transylvanie, aux environs de
' lîurct de Longcliamps, Fastes universels, IV, p. 520.
' Chronique de Jean de Stavelot, yuhWée par M. Borgnct; I8GI , p. î)8(i.
12 HISTOIRE
Zihin (Ilerniannsladl) eA de Michcisberg. Une charlc de Bêla III (1189) el
une autre de 11 99 font mention des FUmdrenses UUrasylvani. Ces derniers,
tout comme ceux de Hongrie, reçurent de grands privilèges '.
Vers la même époque, nous trouvons des colons belges à l'autre exlré-
niilé de l'Europe. Dès la fin du premier millénaire, ils commencèrent leurs
émigrations dans la Grande-Bretagne , émigrations frécpienles et qui se suc-
cédèrent, par intervalles, pendant plusieurs siècles. L'histoire de leurs éta-
blissements est encore à faire : il en existe à peine quelques jalons; mais le
jour où un historien patient se donnera la peine de recueillir et de coordon-
ner les matériaux nombreux qui sont disséminés sur le sol anglais, il pourra
élever à la gloire de sa patrie un monument grandiose. Tel n'est pas mon
objet; je dois me borner à faire ressortir en peu de lignes l'immense intérêt
qu'offrent nos colonies en Angleterre, soit qu'on les considère isolément, soit
qu'on les étudie dans leur ensemble. Je ne puis pas non plus m'étendre sur
des faits dont un grand nombre sont connus; mais il ne sera pas superflu,
ce me semble, d'en signaler en passant la portée philosophique.
Sans doute, des désastres intérieurs ou l'appât de la fortune ont été, à
loute époque, l'occasion accidentelle d'expatriations de la part de nos ancêtres;
mais, en se dirigeant de préférence vers l'Angleterre, ils ne suivaient pas un
caprice du hasard, ils obéissaient à un mobilç secret, je dirai presque à un
sentiment instinctif de nationalité. N'est-ce pas l'Angleterre qui fut dans tous
les temps l'alliée fidèle des Pays-Bas dans leurs luttes généreuses contre
l'esprit de conquête et d'usurpation des rois de France? Et ce sentiment de
confraternité ne trouvait-il pas sa source dans l'origine primitive des deux
peuples?
La nature elle-même semblait favoriser leurs rapports. Quand les navires
belges, après quehpies heures de traversée, découvraient les côtes blanches
d'Albion, ils entraient dans la Tamise, qui sépare les provinces de Kent el
d'Essex, deux des principaux comtés d'Angleterre. A droite, le rivage
d'Essex est déclive et même assez plal, assez semblable aux rivages des
embouchures de l'Escaut. A gauche, se dresse la côte de Kent avec ses
< Sc'lilozer, Krilkchv Summliiiigcii ziir Gesrliichte Siebenhûrgens ; 1795, pp. 209 et 210.
DES COLOÎNIES BELGES. 13
rochers abruptes et élevés. Leshabilanls d'Essex semblent regarder, de l'autre
côté de la mer, des populations dont l'origine est aussi la leur : ce sont les
Néerlandais (Flamands, Zélandais, Hollandais, etc.) qui, dans leur propre
langue, s'appellent souvent Nederduilschen. Or, ils proviennent aussi de la
grande souche leutoni(|ue, ces Saxons établis à l'Est de la Tamise ( East-
Sax, Essex); et, lorsqu'ils quittèrent les côtes aux embouchures de la
31euse et de l'Escaut pour passer en Angleterre , ces côtes s'appelaient encore
« le rivage saxon [iiltus Saxonicum). » H fut donc une époipie où Teutons des
Pa\s-Bas et Teutons d'Angleterre peuplaient les rivages d'une même famille
saxonne, séparés seulement par un mince bras de mer. D'un côté, l'Escaut
et la Meuse, de l'autre, la Tamise et la Stoure tendaient leurs faciles entrées
aux visites réciproques de frères restés amis. Les premières affinités de lan-
gage et de mœurs se conservèrent par des communications presque non inter-
rompues, et établirent, dans la suite des siècles, ces relations amicales qu'on
ne parvint jamais à troubler profondément. Celte configuration géographique
et ces souvenirs de l'histoire sont, à mes yeux, la vraie cause de nos liaisons
avec l'Angleterre à toutes les époques où les Belges se sont réellenjenl appar-
tenus.
Les habitants de Kent, au contraire, — je parle toujours au point de vue
du passé, — observent, du haut de leurs rochers blancs, les brunes falaises
de la côte gauloise qui commencent entre Calais et Boulogne. Des deux parts,
abords dangereux, langues d'origine différentes : germanique d'une part,
romane de l'autre. Difficulté naturelle de se joindre, difficulté de se com-
prendre. Voilà, simplifiée, du reste, par une opposition perpétuelle entre la
politique française et les intérêts anglais, Texplicalion des luttes séculaires de
deux grandes nations dont la rivalité a tant occupé notre monde moderne.
Aussi, quelle différence, encore aujourd'hui, entre l'aspect des côtes
d'Angleterre! « La côte de Kent ressemble à un ennemi sur la défensive.
Douvres et Deale, en face du littoral français, Bamsgate et 31argate, à ren-
trée du neuve, épient, sentinelles bien armées, tout ce qui peut se mouvoir
devant elles. Puis, à l'intérieur du lleuve, Sheerness abrite la première
grand'garde maritime qui accourrait à toutes voiles au moindre signal
d'alarme. La côte d'Essex, au contraire, — unie comme celle des polders de
14 HISTOIRE
la Flandre, — n'offre pas plus de défense arlificielle que de défense natu-
rel le '. »
Les faits répondent aux inductions de la critique. Depuis le temps de
(ku'ausius jusqu'à la bataille de Waterloo, les événements intermédiaires des
règnes d'Edouard III, d'Elisabeth, de Guillaume III et de la reine Anne, et
même ceux de notre révolution brabançonne , témoignent suflisamment des
rap|)orts naturels des Belges et des Anglais. Ne faut-il pas là aussi chercher
le secret des émigrations nombreuses que firent nos compatriotes sur le sol
delà Grande-Bretagne, et dont il convient maintenant de dire quelques
mots?
La première de quelque importance que signalent les historiens anglais
eut lieu pendant le règne de Guillaume le Roux, fds de Guillaume le con-
(juérant. Les provinces septentrionales du royaume, qui avoisincnt le comté
de Galles et l'Ecosse, étaient moins peuplées que les cantons du Sud, et elles
avaient été dévastées pendant les guerres des Écossais et des Gallois. Guil-
laume le Roux ( 1087-1 100), qui avait épousé une princesse de Flandre, y
attira , après avoir rebâti Carlisle, des colons anglais du Sud et des Flamands
qui , au bout de peu de temps, changèrent complètement l'aspect du pays.
Henri 1 Beauclerc, successeur de Guillaume le Roux, continua l'oeuvre com-
mencée par son frère. Avant que la guerre n'éclatât entre son frère Robert,
duc de Normandie, et lui, il engagea, par de séduisantes promesses, un grand
nombre de Flamands (1103) à aller s'établir au cœur du comté de Pem-
broek , dans le double but de défendre les frontières de son royaume contre
les Gallois, qui conservaient encore leur indépendance , et de mettre en cul-
ture la plus grande partie du comté qui était restée en friche ^. En 1111,
de violentes inondations survenues dans les Pays-Bas forcèrent beaucoup de
familles flamandes à chercher une autre patrie. Les relations qui existaient
entre la Flandre et l'Angleterre les déterminèrent à se réfugier dans ce der-
nier pays. Henri leur assigna des endroits dévastés du comté d'York; mais
bientôt, sur des plaintes portées contre eux, il les transplanta aux environs
du comté de Galles, dans les comtés de Ross et de Pembroek, où ils se réu-
I I^. Jottrand, Londres im point de vue belge. Bruxelles, 1832, p. 14.
- Sprengel, Geschkhle von Englund, 1, p. 352 sqq.
DES COLOINIES BELGES. 15
nirent à leurs anciens compatriotes. Du temps de Rapin de Thoiras ', leurs
descendants se distinguaient encore par la langue, le costume, etc., des
indigènes anglais, et une route qu'ils construisirent à leur usage a conservé
jusqu'aujourd'hui le nom de Flemingsway ^.
A partir de cette époque, les émigrations des Belges en Angleterre sont
aussi fréquentes que leurs rapports avec les insulaires britanniques sont
intimes. Ils fondèrent des colonies nombreuses sur divers points de la Grande-
Bretagne pendant les règnes de Henri II, d'Edouard 1'', d'Edouard III , plus
tard d'Elisabeth, etc.; ces colonies sont trop connues pour que j'aie besoin
d'insister davantage. Un établissement que les Flamands formèrent en Ecosse,
en 1430, est généralement passé sous silence par les historiens; je rappel-
lerai donc brièvement dans quelles circonstances il eut lieu. Au milieu des
guerres désastreuses qui avaient sévi en Ecosse pendant un espace de cent
cinquante ans, les campagnes s'étaient appauvries et les villes ruinées. Les
habitants ne connaissaient plus d'autre métier que celui des armes. Jacques 1'',
instruit par les malheurs et souhaitant ardemment de rétablir la prospérité
publique, attira, par la proposition de magnifiques privilèges, un grand
nombre d'artisans de tous genres de la Flandre. Comme la noblesse, fidèle
à ses anciennes traditions, continuait à habiter les campagnes, Jacques
assigna aux Flaniands les villes qui étaient devenues presque désertes. Grâce
à l'arrivée de ces immigrants, leâ villes se repeuplèrent, et l'on vit bientôt une
foule de gens oisifs et inoccupés, gagnés par l'exemple des étrangers, s'adon-
ner au travail et concourir au progrès de l'industrie intérieure et à l'extension
du commerce étranger^.
Rien n'est plus intéressant que de suivre le développement de ces colonies
à travers les vicissitudes polili(|ues des États, et malgré le voisinage d'habi-
tants généralement hostiles. Il n'est pas moins curieux de remarquer que l'on
ne trouve aucune trace d'émigration néerlandaise dans quehiue pays que ce
soit de race latine. Pour expliquer ce fait , on peut alléguer sans doute que
les contrées où prédominait l'élément roman n'ont jamais éprouvé le besoin
• Sprcngel, 1. 11, pp. itC), 97.
- Idem, ihitl.
5 Buchanan, A}inules rerum Scol., 1. X, p. 325. Utreclit, 1697.
16 HISTOIRE
iiii|)érieux de se retremper à une source étrangère; mais il ne faut pas perdre
de vue non plus qu'il a existé de tout temps entre les peuples latins et les na-
tions d'origine teutonique une anlipalliie secrète (jui, pour être peu pro-
noncée à la surface, n'en est pas moins réelle au fond. En revanche, nous
trouvons des Belges jusque dans la presqu'île allemande (|ui avoisine la
Scandinavie, et même dans une île Scandinave proprement dite. C'est la
petite île d'Amack, située vis-à-vis de Copenhague. En 1 5 1 G , Christian II,
ayant épousé Isabelle, sœur de Charles-Quint, fit venir, pour complaire à sa
jeune femme, un certain nombre de paysans flamands et hollandais, qu'il
établit à l'extrémité de l'île. Ces colons, d'un genre particulier, — ils avaient
à s'occuper uniquement de la culture maraîchère — transformèrent bientôt
Amack en un « jardin potager » , nom que lui donnent encore aujourd'hui les
habitants de Copenhague. Les Néerlandais conservèrent pieusement le cos-
tume et la langue de leurs ancêtres, et maintenant encore, ils se distinguent
en partie du reste des habitants. Leur population actuelle est d'environ
5,000 âmes \
Les Belges firent des tentatives de colonisation jusqu'en Améri(|ue. La
découverte du Yucatan ayant été connue en Espagne, en 1517, l'amiral de
Flandre, marquis d'Arschol, demanda la concession de cette .vaste contrée.
Il voulait y envoyer des colons flamands, en se chargeant des frais de leur
premier établissement, moyennant une redevance de leur part. Charles-Quint
accorda la concession demandée , et quatre ou cinq navires montés par des
Belges étaient déjà arrivés à San-Lucar, n'attendant plus que l'ordre de mettre
à la voile, lorsque l'opposition décidée des Castillans lit échouer ce projet^.
Un autre Belge, Érasme Schetz de Grobbendonck, d'Anvers, parvint à
acquérir d'importantes plantations au Brésil, et il fit avec le Portugal et sa
patrie un commerce étendu : il y expédiait principalement du sucre, du bois
' Malte-Brun , Géographie ; Gusl. lîarba , 1 SfiO , tome 1". Danemark , p. 6.
- Voici les termes de la requête de l'amiral : « Suplico a su Magestad que le hiziese mcrccd
de aquella tierra , o isla grande que se avisava que se avia deseubierto , que ya dezian Yucalau ,
jiorque se queria disponer en gastar de su hazienda, para ir, o embiar a poblarla de gente
flamenca, y que de ladiessen en feu do , reconociendo siemprea Su Alleza comosii vassallo...^
Herrera, decada II , lib. II , p. 295. Cf. Van Bruyssel , Hisl. du commerce el de la marine en Bel- '
giqve , II, p. 269.
DES COLONIES BEf>GFS. \1
et du coton. Il avait pour fai-lciir à Lisbonne un de ses compatriotes, Jean van
Huist, tandis que Pierre Kossel était son représentant à Saint-Vincent '.
Revenons à l'Europe. Les Belges se répandirent aussi sur toute l'étendue du
territoire germanicpie et je pourrais à peine citer l'un ou l'autre Etat i]ui n'ait
pas reçu d'eux quelque renfort de population ou quelque germe de progrès.
Cette remarque s'applique principalement aux colonies du douzième et du
treizième siècle, les plus considérables de toutes celles qu'ont jamais fondées
les Belges , plus considérables même que celles que nous avons signalées en
Angleterre. Car, si importantes qu'aient été ces dernières, elles eurent moins
d'intluence sur l'ensemble de la civilisation de ce royaume que nos colonies
en Allemagne; d'abord, parce que les circonstances dans lesquelles se trou-
vait la Grande-Bretagne, à chacune des immigrations de nos ancêtres,
étaient, somme toute, moins critiques que la situation déplorable créée en
Allemagne par une longue guerre d'extermination; ensuite, parce que les
Belges n'obtinrent jamais en Angleterre, malgré les grands privilèges qu'on
leur accorda , un faisceau de droits aussi étendus que ceux qui leur furent
dévolus en Allemagne; enfin, parce que, tout en conservant encore pour
l'archéologue des vestiges remarquables, elles n'offrent pas à l'historien ces
débris Vivants et palpables qui se retrouvent en foule sur le sol germanique.
Les colonies belges en Allemagne : tel est l'intéressant mais difficile sujet
dont je vais maintenant aborder l'examen.
IIL
Énoncé de la question. — Sources de la matière : peu ou point dans les
pays-bas; presque toutes en Allemagne.
Un essaim nombreux de peuples nés sur le sol néerlandais ^— Flamands,
Wallons, Brabançons, Zélandais, Hollandais et Frisons, auxquels se joi-
gnirent une poignée de Westphaliens — allèrent s'établir en Germanie dans
' Vaiulcr Aa, Voyagien. Cf. Van Bruvssel , loc. cit., p. 321.
Tome XXXIL ' 4
18 HISTOIRE
le courant du douzièmo el du treizième siècle, et y jetèrent des racines dont la
trace se retrouve encore aujourd'hui. C'est ce qu'attestent et les récits de
plusieurs chroniqueurs contemporains, témoins oculaires de ces migrations
de nos ancêtres, ainsi que des monuments d'une authenticité irrécusable,
tels que chartes, diplômes, actes publics et privés. C'est ce que prouvent
aussi des droits et privilèges locaux qui portent encore le nom de ceux qui
les importèrent ou à qui ils furent concédés; c'est ce qui résulte, enfin, des
traditions populaires encore vivaces comme il y a six siècles : source parfois
obscure et incertaine, mais à laquelle l'historien ne doit pas dédaigner de
recourir, cptand il y puise avec discernement. Voilà autant d'éléments de
preuves qui forment le fondement d'une proposition dont j'essaierai tout à
l'heure de développer successivement toutes les parties.
il faut avouer pourtant qu'un doute pourrait se présenter à l'esprit, si l'on
voulait tenir compte du silence de nos anciens chroniqueurs. Soit ([ue le sou-
venir des émigrations de leurs ancêtres ne soit point arrivé jusqu'à eux, soit
qu'ils n'y aient accordé qu'une attention fugitive, toujours est-il qu'ils n'ont
pasjugé à propos d'en parler dans leurs écrits, et de les rappeler à la mémoire
de la postérité. C'est ainsi que Oudegherst, Despars, Duclercq, .Mélis Stoke,
la Groole Chronijke van Vlaenderen, V Excellente Chronyke , la Chronique
d'Efjmond, etc., n'en font pas la moindre mention. Quanta Meyer, Sueyro *
et Divanis^, ils ont connaissance d'une colonie fondée, vers il GO, dans le
Mecklenbourg; mais ils se bornent à reproduire presque textuellement la
version de l'un ou l'autre annaliste allemand , sans que cette indication les
ait poussés à rechercher dans leur propre pays si le peuple n'en conservait
pas quelque souvenir. Lu tel silence , tout étrange qu'il parait au premier
abord, n'est cependant pas inexplicable : il tient à la nature même de la
situation des Pays-Bas, à l'époque où commencèrent les émigrations. J'entre-
rai plus loin à cet égard dans quelques détails qui permettront de saisir la
portée de la lacune que je viens de signaler.
C'est à la docte Allemagne que revient l'honneur d'avoir dégagé le fait de
nos émigrations de l'incertitude où nos historiens l'avaient laissée. Jean Eel-
• Annales Flandrenses , I, p. 180'". Anvers, 1G24..
2 Divœi reriim Brabant. Edit. Miraei, pp. 33, 97. — Voy. plus loin , div. II, fhap. VI.
DES COLOi^IES BELGES. i9
king, baron du Saint-Empire et syndic de la ville de Brème, s'occupa le
l)remier, d'une manière expresse, d'un sujet si fécond en enseignements '.
Son travail est une dissertation inaugurale, et, malgré toute son imperfec-
tion, il y faut signaler des qualités incontestables. On y trouve du soin dans
les recherches, de l'exaclilude dans les détails, de la loyauté dans les juge-
ments. Malheureusement, Tœuvre est incomplète, et, dans plus d'un endroit,
elle manque de précision et de netteté. D'ailleurs, esprit sèchement analy-
fi(|ue, Eelking ne perçoit point la synthèse des choses; les qualités lumineuses
du crili(|ue lui font défaut. Néanmoins, il a eu le mérite déposer le premier
jalon d'une question du plus haut intérêt, de réunir une foule de documents
épars et de montrer à ses successeurs le chemin à suivre pour arriver à un
résultat complet.
Après lui, trois écrivains ont traité exprofesso le même sujet. Le premier,
J.-G. Hoche, d'abord chapelain du collège ihéologique de Halle, et plus lard
pasteur du village de Bodinghausen, travailla sur le plan d'Eelking et repro-
duisit en partie ses données -; mais, comprenant les imperfections de l'œuvre
de son devancier, il combla les lacunes que ce dernier avait laissées , et com-
pléta dans une certaine mesure ses investigations. Il a de plus sur Eelking
l'avantage d'avoir vu par lui-même les traces de plusieurs colonies que le
syndic de Brème connaissait à peine de nom. ■
Avant de parler des deux autres écrivains dont je viens de faire mention,
je dois citer un discours sur le droit de succession des Belges en Allemagne ^,
prononcé, en 1792, devant l'Académie de Wittenberg, par le recteur, doc-
teur Kliigel; discours dans lequel le savant jurisconsulte a recherché avec un
soin consciencieux les origines de ce droit en Allemagne, et les causes pour
lesquelles il y fut introduit. Ce travail fort intéressant, et qui renferme plu-
sieurs indications que j'ai vainement cherchées ailleurs, semble avoir été
ignoré de tous les auteurs qui se sont occupés depuis lors de la matière.
' Dissertatio historico-juridicu inaiiijuruU:i de Belgis scculo AU in Germuniam advenis
variisque institutis atque juribus ex eorum adventu ortis. GôUingue, 1770.
- Historische Untersiichmigen iiber die Niedeiiandischen Kolonien in Niederdeutsddand
besonders der Hollunder und Flàmingei', etc. Halle, 17'J1.
^ De viduo successore in immobilia ab uxore relicta ex iure Flamingico. Wittenberg, 1792.
20 HISTOIRE
En 1793, le docteur Sclilozer, professeur à runiversilé de GôUingue,
consacra une cinquantaine de pages à l'examen des colonies néerlandaises qui
se lixèrent en Allemagne, en les mettant en rapport avec les émigrations
germaniques qui eurent lieu en Transylvanie '. Le travail de Schlozer n'est
qu'un précis substantiel; mais, quoiqu'il ait beaucoup moins d'étendue que les
livres d'Iielking et de Hoche, il l'emporte par la clarté d'exposition et par
l'ordre qu'il suit dans les détails, non moins que par le coup d'œil philoso-
phique et par les vues d'ensemble qui avaient échappé à ses deux prédé-
cesseurs. Il eut aussi le bonheur de puiser à quelques sources nouvelles.
Enfln,en 18i5, paiiit un ouvrage qui sembla vouloir épuiser la matière
et ne plus rien laisser à désirer -. L'auteur, Auguste de Wersebe, conseiller
d'Etat à Hanovre, etc., s'était donné pour mission de traiter à fond la ques-
tion de nos colonies, et il se flattait qu'après lui personne ne trouverait plus
à glaner dans ce champ si vaste. Il faut reconnaître qu'il avait de l'érudition
et que son œuvre témoigne d'études étendues et d'une application sérieuse,
3Iais, cet hommage rendu ,à la mémoire d'un écrivain laborieux, je serais
fort tenté de lui appliquer l'adage de l'École : Qui prouve trop ne prouve rien.
En efl"et, l'auteur a pris à tâche de démontrer que les colonies néerlandaises
ont été fort peu nombreuses, et qu'elles n'ont exercé aucune, ou du moiiis
presque aucune influence sur la civilisation de l'Allemagne. Tel est le défaut
dominant de son système. Il a écrit avec l'idée préconçue que nos colonies
ont eu pour fondateurs une poignée de misérables aventuriers, chassés de leur
pays par la misère, et incapables, par conséquent, d'être autre chose en
Allemagne que des ouvriers salariés par les princes ou les prélats. S'il ren-
contre une colonie dont les chroniqueurs contemporains ne font pas mention,
ou bien, sans sortir du Hanovre, il nie formellement qu'elle existe, ou bien,
recourant à une explication ridiculement fataliste, il attribue au hasard seul
[zùfaU, zàfalUy) tel ou tel nom local qui rappelle évidemment une origine
néerlandaise. A ces deux défauts principaux, vient s'en joindre un troisième :
la longueur énorme de l'ouvrage. En recherchant à perte de vue les généalo-
gies des princes, évéques ou abbés qu'il rencontre sur sa route, ou en se
• Krilisihe Saininliingen zitr Ge.scliiclite (1er Deutsihen in SicbenbUrgen. Gtillingen, 1793.
^ Ucbcr die .YiedcrUindischen Colonien, etc. Haiinovcr, 18 15-1 G.
DES COLONIES BELGES. 21
livrant à des réfutations hors de saison et mal appliquées contre Eelking,
de Hoche, ou d'autres auteurs, Wersebe est parvenu, dansses deux volumes
in-octavo, à atteindre le nombre de près de onze cents payes!... On pourrait
facilement réduire à deux cents les pages consacrées directement à la colo-
nisation. Les vices du système de Wersebe ont déjà été à plusieurs reprises
signalés en Allemagne; de sorte que ses jugements sont à peu près unani-
mement considérés aujourd'hui comme nuls et de nulle valeur. Il convient,
au surplus, d'ajouter que les cartulaires et autres documents récemment pu-
bliés en Allemagne lui infligent à chaque instant les démentis les plus catégo-
riques.
Parmi les écrivains contemporains, MM. Droysen ' cl Langelhal - ont,
sans entrer dans les détails, apprécié l'ensemble de la colonisation néerlan-
daise avec beaucoup de sagacité, et relevé avec franchise les passages où la
partialité de Wersebe se montre le plus à découvert. MM. de Ledebur '\ Mi-
chelsen '' et Adier ^ se sont prononcés dans le même sens quant à ce dernier
point; mais, au lieu d'envisager la question à un point de vue général, ils
ont abordé l'une ou l'autre matière spéciale, et écrit sous cet aspect des mo-
nographies fort remarquables.
Je ne puis terminer ce court aperçu des travaux allemands sans signaler
d'une manière tout à fait particulière un ouvrage, actuellement sous presse,
d'un savant de Drême. .M. le docteur Schumacher, — qui a eu l'obligeance
de me donner communication de son manuscrit, — comprenant l'insuifisance
de tout ce qui a été écrit jus(|u'à ce jour sur la colonisation néerlandaise dans
le duché de Brème, a remanié le sujet de fond en comble et lui a donné, il
faut le dire, un aspect tout nouveau. Son livre comprend deux parties assez
distinctes, dont l'une est consacrée presque tout entière aux colonies belges
dans l'Allemagne en général. Ce n'est qu'un aperçu sommaire; mais les vues
d'ensemble s'y rencontrent à côté d'une foule de détails saillants. La seconde
partie, à laquelle la première sert en quelque sorte d'introduction, se rapporte
' Geschichie dtr Preu.ssischen Polilik, I. Berlin, ISari.
* Geschkhte <ler Teuisrheti Landwirlschaft , I. Jena, 1847.
5 Vortrdge zùr Geschichte der Mark Brandvnburg. Berlin, tSiii.
* Rechtsdenkinale aus Tluiringen. ieivà , iSti'S.
'^ Die \iedeilandischen Culonien in der Mark lirandenburg. Berlin, 1801. — 19 pages.
±2 HISTOIRE
excliisivemenl au droil iK'erlandais à Brème, ci cesl là qu'il faudra désormais
aller puiser tous les renseignements sur la matière '.
En IJelgi(iue, la question a péniblement langui. Jusciu'à la fin du siècle
dernier, nos historiens semblèrent complètement ignorer que des émigrations
eurent lieu chez nous à Tépoque où les libertés communales commençaient à
poindre. En 1778, rAcadémic impériale et royale des sciences et belles-
letlres de Bruxelles mil au concours la question des expéditions et émi-
grations des Belges depuis les temps anciens. Parmi les lauréats, le marquis
du Chasteler et l'abbé de Mersseman se bornèrent à indiquer la dissertation
d'Eelking; M. Méan en donna une courte analyse, et M. Verhoeven signala
simplement Témigralion de 1160, d'après 31eyer et quelques autres chroni-
queurs. Parmi nos historiens actuels, 31. De Smet est le seul, à ma connais-
sance, qui lasse une courte mention d'Eelking dans son Histoire de Belyifjue -.
Un seul travail national ne se traîne pas servilement dans l'ornière d'Eelking
et de Wersebe : c'est une notice solide et substantielle lue par M. le professeur
Arendl à l'Académie royale, et dans laquelle on rencontre des vues neuves et
des aperçus intéressants ~\
D'après ce qui précède, il est aisé déjuger que si l'on veut faire avancer
la question de quelques pas, il ne suffit plus de réunir, de coordonner et de
discuter les matériaux compulsés par les auteurs allemands qui ont écrit sur
les colonies néerlandaises, mais (|u'il faut se résoudre à faire des recherches
sur les lieux mêmes où elles se sont établies, ainsi que dans les archives et
autres collections des contrées où elles ont longtemps subsisté. Il est aussi
indispensable d'étudier, parmi les débris de leurs populations et dans leur
histoire locale, les traces que la colonisation y a laissées. Tel est, selon moi,
le seul moyen d'arriver à une connaissance plus parfaite, plus vraie et plus
approfondie de ces établissements. J'ai essayé ce genre de recherches et j'ai
' Voici le jugement du D' Scliumachcr sur Wersebe : « On ne saurait considérer son ouvrage
» comme satisfaisant; les erreurs de fait en sont les moindres défauts; les questions qui nous
» semblent capitales n'y sont pas même effleurées. Il manque à ce travail l'interprétation fé-
I condede la matière historique, et la cohésion intelligente des détails : c'est une compilation
» de recherches microscopiques, n
2 I. ISO, édit. de 18m
3 Bulletins de V Académie , XXII, 1855.
DES COLONIES BELGES.
20
élé assez heureux pour découvrir une foule de faits et de documents que per-
sonne n'avait signalés jusqu'à ce jour. ^
Il faut aussi se reporter à l'origine des émigrations, examiner la voie
suivie par les princes pour se mettre en rapport avec les étrangers, décrire
le mode de formation des colonies, etc. Pour traiter ces divers points, tous
les historiens, qu'ils soient helges ou allemands, qu'ils aient approfondi ou
simplement effleuré la question, n'ont pu citer que llelmold, annaliste con-
temporain et témoin oculaire, dont le récit est généralement assez laconique,
mais que la science moderne n'a pas encore trouvé en défaut sous le i-apport
de la véracité '.
Qu'était-ce donc que llelmold? Quelle autorité faut-il lui accorder aujour-
d'hui? Quel degré de créance mérite son témoignage?
Helmold, dit Chateaubriand, est la source principale de l'histoire des peuples
de l'Allemagne au moyen âge, et surtout de celle des Slaves'". C'était un
prêtre de Buzow, village situé près du lac de Plœn, dans le Holslein \ Il
vécut pendant la plus grande partie de la période qui nous intéresse spécia-
lement, celle du douzième siècle, et fut l'ami intime de Gérold, premier
évêquede Liibeck. Il ne se contenta pas de la vie tranquille et spéculative du
cloître; mais, animé de l'esprit de l'Évangile, il travailla avec ardeur à la con-
version des Slaves. De là ses rapports fréquents avec les peuples de cette
nation, et surtout les Wagres; de là aussi sa compétence pour décider les
questions que la critique méticuleuse de l'histoire pourrait révoquer en doute*.
' ChroHtcon SlavontiH , in Lcibnizii Scriptoribiis reruin Bruusvicensium , t. 1.
* Études historiques. Préface.
5 Morcri, Dictionnaire historique, elc, V, 570. Paris, J770.
* Cari Hegel, Geschichte der 3Iecklenburgschen Lundsttinde. Rostock, 185(1, dit : « \)er
V Priestcr Helmold, welchcr dièse Dinge als nahestchender Zeuge ausfuhrlich uiid glaub-
» wiirdig berichtet »
Un émiiient historien confirme en ces termes le jugement que je porte moi-même sur
Helmold : « Dièses Zeugniss ist wohl giiltig zu nennen, weil Helmold nieht nur Zeitgenosse,
» sondcrn im Lande Wagricn Pfarrer, also sogar Aiigenzeuge war (LAiVCETiiAL, II, tlO). » Et
l)lus loin : k Dcnnoeh ist Helmold gcrade in Wagricn niclit allein Zeitgenosse, sondern sogar
» Augcnzeuge aller Begebenheiten gewesen, schildert die auch mit einer, fiir einen Geistliclien
» damaliger Zeit, gewiss sellenen Unpartheiliclikeit gegen sie Slaven, bekundet eine gcnaue
» Sacli-und Lokalkenntniss und zeichnct uns die Granze mit Bcstimmtlieit vor, \vo tcutsche
. Colonien endigten und Slavische begannen {loc. cit., 129). r. Ce passage est dirigé contre
Wersebe qui fait à chaque instant à Helmold le reproche d'exagération et de légèreté.
24 HISTOIRE
(Tesl à la prière de son ami Gérolil qu'il entreprit d'écrire la chronique des
Slaves, laquelle débute par la conversion des Saxons au christianisme, sous
Charlemagne, et finit à l'année 1170. Pour ce qui concerne les Slaves,
llelmold ne raconte que ce qu'il a vu et entendu : il a par conséquent la
double autorité que l'on accorde au témoin oculaire et à l'acteur même d'un
l'ail. Nous insistons à dessein sur ce point, parce que, faute d'en avoir tenu
compte, plusieurs écrivains ont raisonné contrairement aux alïlrmations de
llelmold et se sont égarés par là dans un dédale d'erreurs.
Quant à son récit en lui-même, Helmold a de la bonne foi, de la naïveté,
et une manière de dire les choses sans parti pris. Si d'un côté il est animé
du zèle, de l'ardeur d'un apôtre chrétien, il professe, d'autre part, des prin-
cipes de tolérance qui sont l'apanage d'un esprit supérieur ou d'un c(eur
naturellement bon. S'il flétrit énergiquement le naturel féroce, la cruauté
froide et calculée, les sacrifices humains des peuplades païennes qu'il tâche
de ramener à des sentiments plus doux, il s'élève avec non moins de force
contre les représailles sanglantes des princes chrétiens, qui oublièrent plus
d'une fois, dans leur colère, les lois de la religion et les droits de l'huma-
nité. Il ne craint pas même de placer dans la bouche des vaincus les griefs
qu'ils avaient à faire valoir contre leurs oppresseurs '. Que, si l'on m'objecte
(|ue ces discours ne sont que le pendant des fameuses harangues que nous
trouvons dans les auteurs de Rome ou d'Athènes, je répondrai (|u'ils ont un
accent de vérité auquel l'on ne peut pas se méprendre, et que, d'ailleurs,
' En voici un exemple entre plusieurs : » Lorsque Gcroltl, évèque de Lubeck, exhorta un
grand nombre de Wendes à abandonner le paganisme pour reconnaître la vraie religion, Pri-
bislav, prince slave, lui répondit : « Vos paroles, vénérable pontife, sont les paroles de Dieu ,
» et s'accordent avec ce qui convient pour notre salut; mais comment pourrions-nous entrer
» dans cette voie au milieu des maux de tout genre qui nous entourent? Les princes, sous la
« domination desquels nous vivons, nous accablent d'exactions et d'impôts, nous tiennent dans
» un si dur esclavage et nous traitent avec tant de sévérité que nous préférerions mille morts à
» une pareille existence : comment trouverions-nous le loisir pour observer cette religion nou-
» velle, pour bâtir des églises et nous préparer à recevoir le baptême, nous qui sommes conti-
» nuellcment sur le point de devoir nous soustraire, par la fuite , aux tyrannies qui s'exercent
» contre nous? S'il plaisait iiu comte, notre seigneur, ainsi qu'à vous, noble prélat, de nous
» accorder les mêmes privilèges pour la culture , et les mêmes droits que ceux dont jouissent les
» Saxons à l'égard de leurs fermes et de leurs revenus, nous nous ferions volontiers chrétiens,
» nous bâtirions des églises cl i)a} crions les dîmes. » [Cliron. slav., lib. I, ch. 83, n"' 8 et 9.)
DES COLOiMES BELGES. - 23
abstraclion faite de la forme que le chroniqueur peut leur avoir donnée , ils
sont d'une vraisemblance si parfaite et d'une couleur locale si habilement
dessinée que Phislorien peut, sans danger de se tromper, les tenir pour réels.
C'est dans la chronique de Helmold et dans quelques autres écrits posté-
rieurs ou presque contemporains qu'il faut chercher la cause première de la
colonisation néerlandaise. Ce point exige quelques développements.
§IV.
Situation de la basse Allemagne. — Slaves et germains. — Antipathies
DE races. — Guerres d'extermination. — Dépeuplement. — Appel fait
PAR les prélats et LES PRINCES AUX PEUPLES DES PAYS-BAS.
Les belles prairies et les campagnes fertiles qui s'étendent le long du Weser
et de l'Elbe jusqu'à la Baltique et la mer du Nord ont à peine six siècles
d'existence. Les côtes qui les entourent étaient autrefois si basses qu'il suffisait
de la moindre brise pour faire déborder l'Océan, qui inondait à chaque fois
plusieurs lieues de territoire. De là ces nombreux, ces interminables marais
dent les écrits du douzième et du treizième siècle font à chaque instant
mention. Les rares habitants qui se résignaient à bâtir une chélive cabane
sur ce sol inhospitalier étaient encore à demi sauvages. Ils ignoraient l'art de
faire des conquêtes sans verser le sang humain, c'est-à-dire de se garantir
par des digues contre les envahissements de la mer, et de dessécher les maré-
cages qui rendaient le pays insalubre. Pour comble de malheur, ce peuple,
déjà si misérable, fut décimé par deux ennemis puissants : à l'Est, par les
Slaves, à l'Ouest et au Sud par les Franks. Les premiers massacraient tous
ceux dont ils pouvaient se rendre maîtres ; les seconds , plus humains , se con-
tentaient de leur ravir l'indépendance avec la liberté, et, à chaque velléité de
révolte, de les envoyer par milliers en exil :
Karolus,divino munere victor,
Caesis innumeris, reliquos exinde fugavit.
(PoETA Saxo).
Tome XXX IL S
26 HISTOIRE
Les Normands conlinuèrenl l'œuvre de destruction et choisirent sans cesse
la basse Saxe pour théâtre de leurs guerres avec les Germains. Ce pays,
(pi'on appelait le dernier de la chrélienté, fut en même temps le dernier
à recevoir sa part des bienfaits de la civilisation. Aussi, en 1158, Tempe-
reur Frédéric I le considérait-il comme uniquement propre à pouvoir servir
à ses sujets de lieu de refuge et d'abri pendant les incursions des Wendes K
Mais jamais la situation que je viens d'esquisser, et qui resta la même
depuis le huitième jusqu'au douzième siècle, ne fut aussi précaire que durant
les guerres d'extermination auxquelles se livrèrent les princes allemands et
les rois slaves. Il existait entre les uns et les autres un antagonisme séculaire,
Iraditionnel, dont le temps, loin de le calmer, n'avait fait qu'accroître la vio-
lence. Les premiers se souvenaient toujours d'avoir été dépossédés, par des
vainqueurs d'une autre race que la leur, des provinces septentrionales de leur
patrie, provinces auxquelles les conquérants avaient donné leur nom : Slavia.
Les seconds, dont le caractère dislinctif semble être une soif immodérée d'ab-
sorber tous les peuples au profit de leur propre nationalité, se trouvaient trop
à l'étroit dans le domaine immense qu'ils avaient enlevé aux Germains.
De là des collisions sanglantes qui durèrent pendant des siècles.
Depuis qu'ils avaient paru en Europe, les Slaves (les Sarmates des anciens)
s'étaient étendus depuis la mer Baltique jusqu'à l'Oural , et depuis la mer Gla-
ciale jus([u'au lAIonténégro. Les Vénèdes ou Wendes se fixèrent dans tout le
pays qui est compris entre l'Elbe, la Baltique et l'Oder. Les Obotrites allèrent
occuper le Mecklenbourg. A l'Ouest de ceux-ci et jusqu'à l'embouchure de l'Elbe
s'établirent les Polabes; au Nord , dans le Ilolstein et dans les îles de la Pomc-
ranie, les Wagriens et les Rugiens; à l'Est et au Sud, dans la Poméranie et
dans la Marche, les Wilzes; au Midi de ceux-ci, et au delà du Ilavel, les
Sorbes ou Sorabes; dans la Lusace, les Lulizes, etc.
Les Germains se préoccupèrent assez peu, dans le principe, de ces immi-
grations, ou ils n'en profitèrent que pour se mieux battre les uns les autres.
Non cependant qu'ils voulussent laisser les Slaves s'étendre à leurs dépens.
' « ... Ut trans Alhim se et sua ab iiicursu paganoruni securius in his locis occultare queant.
Schutze, Geschichte voit Uamhurg, 11,93.
DES COLOrSIES BELGES. 27
Cliaileniagne, Henri l'Oiseleur, Louis le Germanique el les Oilions leur
prouvèrent ce (|u'il en coulait pour oser s'allaquer aux nobles descendants
d'Herniann. Leurs successeurs eurent bientôt d'aulres motifs de mécontente-
ment. Les Slaves avaient toujours montré Tatlacbement le plus tenace pour
leur religion sanguinaire. Un moine de Corvey, saint Vitus, tâcha de les con-
vertir au temps de Louis le Débonnaire : les Slaves rimmolèrcnt à leurs idoles.
Othon I, après avoir vaincu un grand nombre de leurs tribus, établit chez
eux le christianisme et détruisit une de leurs principales divinités, Radegast :
les Slaves ravagèrent le Brandebourg, la Saxe et la Misnie, et tuèrent plus
de trente mille chrétiens. Vaincus de nouveau, ils se laissèrent évangéliser
en apparence; mais, à peine libres, ils massacrèrent tous leurs prêtres et brû-
lèrent toutes les églises nouvellement bâties. Quelques années après, Gotts-
chalk, un de leurs meilleurs rois, fit de nouveaux efforts pour les ramener
à la religion chrétienne à laquelle lui-même s'était converti : ses sujets se ré-
voltent, le tuent, massacrent les missionnaires et égorgent tous ceux qui font
profession d'un culte autre que le leur. La fureur païenne va jusqu'à détruire
Hambourg, où Louis le Pieux avait établi le siège épiscopal du grand apôtre
du Nord , saint Ansker. Alors les Wendes se donnèrent pour roi le Puigien
Kruko, païen aussi fanatique que féroce.
Kruko forma une confédération de tous les peuples slaves, organisa leurs
forces sur un pied formidable, el ne songea à rien moins qu'à entreprendre
la conquête de la Germanie tout entière. Pour démontrer à ses adversaires
qu'aucune transaction n'élait possible, il ordonna un massacre général de tous
les chrétiens qui vivaient dans ses Élats ou habitaient à proximité. Un long
cri d'horreur retentit d'un bout de l'Allemagne à l'autre ; mais l'élite de la
nalion était en Palestine et il fallait différer la vengeance. Bientôt Kruko fut
assassiné (1105) et son meurtrier, Henri, fils de Gottschalk, évita des luttes
irritantes; il s'appliqua seulement à donner à ses sujets le goût de Tagricul-
ture. Après sa mort (1125), et sous le règne de son neveu Kanul, duc de
Sleswig, qui était chrétien, il y eut un ébranlement général dans tout le pays,
depuis la Balli^iue jusciu'à l'Elbe et de l'Elbe à l'Oder. Le calme ne revint que
lorsque les Wendes se virent replacés sous l'autorité d'un prince païen , et ce
prince fut, pour les Obotrites, Niklot,et pour les Wagriens et les Polabes,
28 HISTOIRE
Pribislav. L'un ot Taulrc claienl descendanls de GoUschalk. Mklol pril sa
résidence à Swérin et, pour se rendre agréable à son peuple, il déclara la
guerre aux Danois el aux Saxons et voua à la mort tous les chrétiens '.
Celle attitude hostile en même temps que ces cruautés révoltantes exaspé-
rèrent les princes allemands. Henri le Lion, duc de Bavière et de Saxe, dont
les sujets avaient eu particulièrement à se plaindre des Wendes, résolut d'en
finir avec leur résistance cl leurs fureurs. « Comme ces peuples, dit Heeren -,
» étaient ce que l'on appelait alors païens, la guerre contre eux fut aussi
» réputée une croisade. » La croisade, en effet, fut prêchée à la diète de
l'rancforl-sur-le-iMain, par saint Bernard, le célèbre abbé de Clairvaux, et
plus de cent cin(|uante mille hommes — troupe énorme pour l'époque, — se
mirent aux ordres de Henri le Lion, Avec leurs secours, ce prince soumit la
nation la plus puissante des Slaves, les Obotriles, pendant que son cousin
germain, x\lbert l'Ours, premier margrave de Brandebourg, réduisait les
Wilzes et les Sorabes.
Au bout d'un quart de siècle, les Slaves furent refoulés à l'est de la Ger-
manie ; mais des représailles horribles souillèrent malheureusement le
triomphe des vainqueurs. Ainsi, le mélange des races fut défendu sous les
peines les plus sévères. Si un Allemand rencontrait un Slave et que celui-ci ne
se garât pas convenablement, il était permis à l'Allemand de le pendre sans
délai au premier arbre venu. Le disciple qui se présentait chez un mailrc
avait à justifier, avant d'être admis, qu'il n'appartenait pas à une famille
wende. Il était interdit à tous les Slaves d'habiter dans les villes un quartier
autre que celui où on les avait parqués, el aux Allemands de les admettre à
faire partie d'un métier ou corporation. Si le Slave voulait acheter de la viande
d'un boucher allemand, il se voyait impitoyablement refuser la marchandise,
et, enfin, jamais Allemand ne se serait soumis à un jugement auquel un Wende
aurait pris part ^.
Telles furent les mesures que l'on prit contre les débris des peuples slaves.
Mais la majeure partie était exterminée. Lorsque les guerres eurent pris fin,
' cil. S(houl)el, Lff. Slaves du nonl de l'Allemtujne, p. 41.
- Essai sur l' in fluence des croisades, jip. 264, sqq.
' Uroysen, I, pp. 53, sqq.
DES COLONIES BELGES. '29
les princes germains s'apert^'urcnl qu'ils régnaient sur des contrées à peu près
désertes. En effet , les croisades contre les Turcs avaient transporté en Orient
la lleur de la population qui y avait trouvé son tombeau , et les princes alle-
mands venaient eux-mêmes de perdre, dans leurs démêlés avec les Wendes,
le reste de leurs meilleurs guerriers. Un vide immense régnait dans toute
T/Mlemagne septenli-ionale, éprouvée par tant de malheurs successifs. Plus
d'industries florissantes dans les villes, et, dans les campagnes, plus de bras
robustes pour cultiver le peu de terre arable qui s'y trouvait; parlant, plus de
dîmes pour les églises, plus de revenus pour les princes : tel fut le triste spec-
tacle qui s'offrit à Henri le Lion et à Albert l'Ours lorsque, las de combattre
et déjà blanchis sous le harnais, ils regardèrent autour d'eux. Il fallut songer
alors à peupler des solitudes, à renouveler des populations décimées. Déjà,
en IIOG, un prélat de Hrême avait concédé des terres à des colons néerlan-
dais, pour dessécher les marais qui couvraient une grande partie de son
diocèse. Faire un semblable appel à des habitants de pays étrangers et les
décider, par la perspective d'une condition meilleure que celle dont ils jouis-
saient tlans leur propre patrie, à venir s'établir dans leurs Etals, leur parut
le moyen le plus facile et le plus sur de sauver leurs territoires d'une ruine
con)plèle.
Ce moyen fut mis à exécution et il réussit. « Alors, dit lleeren ' , et
durant tout le douzième siècle, se présenta dans les provinces dépeuplées un
phénomène remarquable. Ce fut l'arrivée de bandes de paysans qui émi-
graienl des Pays-Bas, des embouchures de l'Escaut, de la Meuse, du Rhin ,
pour fonder des colonies dans la basse Allemagne. » Un autre écrivain dit de
son côté : « La Belgique, tout aussi bien que l'ancienne Scandinavie, peut
être nommée à celte époque vagina gentium, puisqu'elle n'a pas seulement
pourvu bon nombre de pays déserts de bourgeois et de guerriers , mais qu'elle
y a envoyé des gens laborieux et chrétiens, qui ont développé l'agriculture
à la campagne et l'industrie dans les villes ^ »
Mais pourquoi les princes allemands s'adressèrent-ils spécialement à des
colons de la Saxe inférieure, et de préférence aux Belges?
' Essai sur l influence des croisades , p. 2G.T.
s Beckmann, //islurie des Fiirsienlhu7ns Anhalt, l, 12.
30 HISTOIRE
Je ne sais si je m'abuse; mais il me semble que Tidée première qui les
inspira fut due aux relations qui avaient existé depuis rétablissement du
christianisme dans le Nord, entre les Pays-Bas et les eontrées dévastées. Ces
relations provenaient d'une cause double et réciproque aux deux pays.
Vers 793, Charlemagne, ayant défait les Saxons, voulut leur ôter le moyen
de secouer désormais le joug frank. Dans ce but' il en transplanta un grand
nombre dans les Pays-Bas, et confia à Liderik, forestier des Flandres, le
soin de veiller sur eux '. Les Saxons, cependant, n'étaient pas réduits à Tim-
puissance. Des révoltes, plus terribles que les premières, éclatèrent de nou-
veau, et Cbarlemagne ne trouva d'autre expédient, pour se mettre à l'abri de
leurs attaques, que d'en arracher dix mille à leurs foyers (Holstein et Nord-
Albingie) et de les établir avec leurs femmes et leurs enfants sur le territoire
de la Flandre et du Brabant "-. Rien de plus populaire dans la Germanie, pen-
dant le moyen âge, que le souvenir de cet événement; aucun chroniqueur
allemand n'a négligé d'en faire mention: Ilelmold, Adam de Brème et Albert
Krantz ^ disent expressément que les colons belges retournèrent au pays de
' c( Vicli a Carolo rege Saxones traducti sunt iiiagno numéro in Belgicam, miiUique ex iis
Lyd'erico Flandrici littoris custodi attribuli, ut per illum in fide olTlcioque Francoruin coutine-
rentur... » Meycr, ad an. 7!)5.
« Karolusin Saxoniam pergens Saxones obtinuit et tertium liomincni in Franciam educens
eollocavit. « Chronique d' H ildesheim , ap. Ducliesne, III, p. 508.
* ■< Saxonas Trans-.\lbinos quos alii Holsatos, alii Nordalbingos vocilant, Carokis prœiiis
multis fatigalos ad poslremuni omnes perdomuit, multosquc in Galliam traduxit, ex quibus
Flandricœ, Brabantiacque haud parum accessit increraenti... Lydericus Saxonas novos colonos
sacrorum rudes in verae religionis viani induxit, gravi constituta pacna, si quis dici Doniinici
non servasset ferlas... » Meycr, ad an. 804. — Cf. Lambert d'Asschaffenbourg, ad 803.
Chronique de saint Gall, ad 80o. Annales Francorum, Annales Fuldenses, Annales Melenses,
ad 80'k
La Clirotiique de suinl Denis s'exprime ainsi : « Lan 804, quant la saison nouvelle fu revenu,
et il fist tans convenable pour ostoier, li Emperercs assambla ses os pour ostoier en Saisoigne : en
la terre entra à grant force , tous les Saines , qui demeurent de là le llun d'Albe , fist passer par
deçà en, France, et famés et enfans; leur païs donna à une autre manière de gent qui sont
apelc Abrodite. De celle gent sont né et extraict, si comme l'en dit, li Brebançon et li Flamene,
et ont encore celle meismes langue. » Histoire des Gaules, V, p. 252 '.
" « ... Redicrunt /ilii in terram palrtim suoruni, aul non longe indc distantcm. Nain habet
lidelis historia Karolum magnum ex Saxonibus Transalbinis liominum deeem millia in Galbas,
lioc est ultra Renum, transtulisse in Brabantiam Flandriamque, quac tune cultures desydcrare
videbanlur. iEtate autcm ista, quam nunc attingimus, revocati eorum /ilii Wandaliara implc-
verunl. » Alberti Krantzii Hammaburcjensis Saxonia, 1. VI, c. d'J.
DES COLONIES BELGES. 31
leurs ancêtres, et ils semblent même insinuer que ce fut là la cause prin-
cipale pour laquelle on les appela.
Faudrait-il donc rattacher à ce déplacement de nos compatriotes une en-
tente politi(|ue entre les souverains? Les ducs allemands entamèrent-ils des
négociations à ce sujet avec les comtes des Pays-Bas? Aucune source ne s'ex-
prime à cet égard. On en est donc réduit aux conjectures; mais j'exposerai plus
loin les motifs qui me font pencher pour laflirmative lorsque je dirai que ce fu-
rent des officiers intimes des princes, des prélats et des vassaux souverains qui
furent chargés, par les deux plus grands colonisateurs de rAllemagne, Henri
le Lion et Albert l'Ours, de venir recruter des colons dans nos provinces.
D'ailleurs, un mouvement de refour eut lieu presque immédiatement des
Pays-Bas vers les mêmes contrées d'où sortaient les Saxons.
On croit que Charlemagne lui-même fit passer des Belges sur les rives de
l'Elbe. La Chronique de Minden, rédigée d'après des documents très-anciens,
perdus aujourd'hui, dit à ce sujet : « Afin que le territoire d'au delà du VVeser
» ne demeurât pas désert et inculte, l'empereur y envoya une population
» nouvelle tirée de la Francie, de l'EIflarie, de la Hasbanie et de l'Ardenne '. »
N'oublions pas que plusieurs Belges occupèrent des premiers le siège ar-
chiépiscopal de Brême-IIambourg. J'ai déjà nommé Amalhar, saint Ansker
et saint Bcmbert. La Belgique continua d'être pour l'Allemagne une pépinière
' W'icdoniann, Gesdiiclite des Herzoglhuiiis Bremen, p. 10. Stade, 1804.
Par pcs mots « au delà du Weser » le chroniqueur entend le pays de Brème, ainsi que cela
résulte du contexte.
L'Elfarie {Elflioia ou Elflia) faisait partie del'Ardenne. (Voy. Citron. Gotlw., II, p. .'585) et
confinait au Pagus Dedensis. Elle comprenait le territoire renfermé entre la Sure et l'Ourte,
jusqu'à l'extrémité du pays de Luxembourg et même au delà. (Voy. Desroches, Mémoire sur
les litnifes des Pai/s-Bas, du VII' au L\° siècle, p. 2C. Bruxelles, 1770).
La Hasbanie était au nord du comté de Lomme et son nom s'est conservé dans celui de la
llesbaije moderne. Elle était bornée à l'ouest par l'ancien Brabant, à l'est parle Maasgau et le
pays de Liège, et au nord par le Demer, qui la séparait de la Toxandrie (voy. Desroches,
ibid., [). 31).
L'Ardenne, à cette époque, avait au sud le pays de Voivre ctd'Arlon, au nord le pays de
Liège, à l'ouest le Condroz et à l'est le Duché Mosellanique et le Pagus Bedeiisis {ibid., p. 2."i).
Le Pugtis Bedensis était au nord du Duché Mosellanique, comprenait les environs de Bidbourg
et s'étendait jusqu'à l'extrémité orientale du duché de Luxembourg {ibid., p. 24). Enfin, le
Duché Mosellanique renfermait une grande partie de la Lorraine, et s'étendait aussi dans le
Luxembourg, le long de la Moselle, du moins jusqu'au-dessus de Wasserbillich {ibid., p. 22).
32 HISTOIRE
(l'apolrcs el de missionnaires, el Ton vil à toute époque des Néerlandais v
ceindre la mitre des évè(|ues el des abbés : en 1254-, un Brabançon, Jean de
Diesl, fut nommé évéque de Lubeck par le pape Innocent IV '. Au surplus,
il ne faut pas se dissimuler qu'à celte époque l'échange des rapports entre na-
tions aussi bien qu'entre princes se faisait généralement par rintermédiaire
du clergé; ambassadeuis, médiateurs et tous négociateurs quelconques ap-
partenaient le plus souvent ou à des ordres religieux, ou à la chapelle du
prince ou au chapitre de Tune ou l'autre église. On pourra s'en convaincre,
en voyant dans la suite de ce travail le rôle que jouèrent les ecclésiastiques
dans l'œuvre de la colonisation; de sorte que, même abstraction faite de la
première cause indiquée plus haut, ils durent exercer une influence directe et
immédiate sur la détermination des Henri de Saxe et des Albert de Brande-
bourg.
Celle raison, tirée des relations politiques et religieuses des deux pays, me
parait péremploire. Il en est d'autres qui viennent s'y ajouter, el qui en dé-
coulent tout en la corroborant. Ainsi les princes durent évidemment tenir
compte de la communauté d'origine et de langage qui reliait les Néerlandais
au reste de leurs sujets. Ainsi encore ils cherchaient à introduire chez eux
une population dont la confession religieuse, alors le lien le plus puissant
entre les nations, était la même que la leur. Ils pensaient, et non sans mo-
tifs, que des sujets chrétiens formeraient un rempart assuré contre les révoltes
des Slaves et que, dans les contestations (|ui pourraient s'élever entre eux et
leurs peuples, les Belges, connus pour leur attachement à leurs princes, reste-
raient inébranlablement fidèles à la cause de leurs nouveaux suzerains. La
renommée ou les rapports des missionnaires leur avaient appris que les re-
lations des Pays-Bas avec les peuples du Midi y avaient produit une civilisation
avancée, avec laquelle leurs Élals, lors même qu'ils n'auraient pas été épuisés
par les guerres, ne pouvaient entrer en concurrence. Ils n'ignoraient pas que,
« trouvant dans ces contrées nouvelles un sol et un cliraal analogues à ceux
' VVersebe, 1 , 333. Il avait élé d'abord diapelain du roi des Romains, Guillaume de Hollande.
Il semble avoir attiré un grand nombre de ses compatriotes pour le défriebement des terres
incultes de son diocèse. On ne saurait dire s'il appartenait à la noble maison de Diest. M. de
ReilTenberg ne le mentionne point dans la généalogie de cette famille.
DES COLONIES BELGES. 33
» (le leur patrie, ils s'y habilueraient facilenioni surtout dans les lieux bas,
» le long des fleuves et près de la mer '. » Ils savaient enfin que Fart des
endiguernenls, Fagricullure, le commerce, l'industrie, les arts et les métiers
étaient chez les Néerlandais dans un état de haute prospérité, et ils ne dou-
taient point que les colons ne les fissent bientôt, dans leur nouvelle patrie,
fleurir au même degré.
Ces mômes motifs existaient dans les pays qui n'avaient pas été reconquis
sur les Slaves, mais qui étaient dépeuplés par des guerres non moins cruelles :
tel était le sort de la Thuringe. Cette belle contrée fui ravagée pendant plus
de cinquante ans, à l'époque des querelles sanglantes d'Henri IV avec les
princes allemands. Une fois la fureur des combats ralentie, ce furent surtout
les évèques et autres prélats, demeurés étrangers à la politique, qui eurent à
cœur de fermer les plaies du pays, et nous les verrons, à l'exemple des ducs,
s'adresser aux Néerlandais poui- venir réparer les désastres (|ui acca-
blaient leurs Etats.
Causes qui amenéreist les émigrations des belges.
Si ce que je viens de dire, sur les raisons qui ont engagé les [)rinces étran-
gers à appeler dans leurs États des colons belges, est à l'abri de toute con-
testation, il n'est pas aussi facile, au premier aspect, de déterminer, quant à
ces Belges, les causes qui les ont pu pousser à quitter un pays regardé gé-
néralement alors comme la terre promise de l'Europe. La nature et le senti-
ment de l'homme, son amour pour le ciel qui l'a vu naître, les affections de
toutes sortes (|ui l'entourent, font qu'il ne quitte généralement qu'avec d'a-
mers regrets et malgré lui le sol de sa patrie, principalement quand les
bienfaits de la civilisation lui assurent dans ses foyers une existence paisible
sinon agréable.
Pour pouvoir apprécier ces causes, qui sont tantôt physiques, ou morales,
ou politiques, tantôt l'un et l'autre, il faut avant tout se rendre compte de
* Heeren, p. 265.
Tome XXXII. 6
34 HISTOIRE
l'esprit général de Tépocjne el jeter un coup (fnMI sur la siiiialion des Pays-
Bas au commencement du douzième siècle, siècle qu'inaugina la fin de la
première croisade.
Ce grand fait social, d'où jaillirent des conséquences si importantes pour
la civilisation européenne, me semble avoir également influé sur les émigra-
tions des peuples des Pays-Bas. Quelques mots d'explication feront aisément
comprendre ma pensée.
La prédication d'Urbain II produisit dans toute l'Europe un profond
ébranlement. Le pontife ne s'était pas adressé uniquement aux grands de la
terre, il avait fait appel à la multitude tout entière. Le peuple, las du des-
potisme des féodaux et impatient de secouer le joug du servage, se leva en
masse, et son enthousiasme fut si puissant que les seigneurs ne purent l'ar-
rêter. Le discours d'Urbain H à Clermont créait entre tous les fidèles un
système d'égalité chrétienne, favorable à l'émancipation du pauvre. Tous les
croisés devaient suivre le même drapeau; la confusion tumultueuse des clercs,
des barons et des manants s'avançant sur une même route, au milieu des
mêmes périls, favorisait une sorte de fraternité égalitaire, et l'expédition
devint ainsi un mouvement qui parfait des entrailles du peuple. Faut-il rap-
peler que la croisade démocratique, conduite par Gauthier sans Avoir el
Pierre l'Ermite, précéda la croisade féodale?
Ce pèlerinage lointain, spontané, unanime, apportait aux mœurs populaires
une modification sensible. L'horizon commence à s'étendre un peu au delà
des habitudes du clocher. Avant la croisade, le siècle est marqué d'un carac-
tère sombre et sédentaire; chacun cherche à se défendre dans sa terre, dans
son donjon, dans son église; les guerres privées détruisent tout. Résister est
la somme de force que peut donner la société; elle n'en a pas d'autre. La gé-
nération est couverte comme d'un crêpe funèbre; la vie se passe entre la
souffrance et le tombeau ; elle ne va pas au delà de l'hymne pieuse au sé-
pulcre. Au retour de la croisade , il y a une sorte de réaction contre l'existence
locale; la vie du clocher ne suffit plus; on veut d'autres éléments d'activité.
L'idée de voir d'autres pays, de jouir d'un autre climat, s'empare de tout
le monde. Une tendance universelle domine les masses, celles de Gaule el
d'Italie comme celles de Germanie et des Pays-Bas : on éprouve le désir de
DES COLONIES BELGES. 3S
respirer sous un plus vasle horizon et de secouer celte vie de forteresse,
ce linceul de pierre et de fer qui jusque-là avait enseveli rexistence.
Or, ce besoin de changements tout matériels se fait sentir aussi dans les
changements de Tordre moral que réclament les peuples. La servitude était
encore le caractère général; serfs, manants et vilains appartenaient pour la
plupart aux princes, prélats et seigneurs fonciers; ils cultivaient la terre et
arrosaient la campagne de leurs sueurs. Mais la croisade a fait naître des as-
pirations de liberté qui bientôt vont se traduire en fait. Les plébéiens, que
Ton a forcés de rester dans leurs foyers, ont conçu déjà des idées plus
hautes et plus généreuses d'un avenir indépendant, d'une destinée meilleure.
Ceux qui ont combattu dans la Terre-Sainte et qui revoient leur pairie, —
hélas! c'est le petit nombre, — ont revêtu en quelque sorte une nature nou-
velle. S'ils ont eu des malheurs et de longs soucis, s'ils ont éprouvé tous les
accidents d'un voyage lointain , leurs âmes se sont habituées aux dangers et
retrempées dans les combats. (îeux qui avaient bravé le cimeterre des Turcs
pouvaient-ils encore courber la tête sous le fouet du majordome? Après la
grande expédition pour le Christ , il ne devait plus y avoir de servage; tous,
égaux et libres, les croisés du peuple, au retour du pèlerinage, ressemblaient
à ces vieux soldats qui, après de rudes campagnes, conservent toute l'énergie
des batailles. Ils indiquent aux serfs des champs, aux manants des villes, les
moyens de secouer le joug, de se servir des forces de leurs corps et des
armes des braves, et tous ils réclament à grands cris leur affranchissement.
Partout la résistance fut vive et la répression violente.
Quittons maintenant le champ des généralités et appliquons ce qui précède
aux Pays-Bas en particulier.
La situation que je viens d'esquisser rapidement fut la même chez nous
qu'ailleurs; mais nulle part elle ne produisit ses effets avec autant d'intensité
que dans nos provinces. Déjà, dès avant le départ des croisés, il y avait eu des
révoltes confuses du peuple qui signalaient une certaine tendance vers un peu
de liberté désordonnée. Les chroniques révèlent une grande fermentation
dans les esprits. On commence déjà à prononcer le mot de commune, pour la
défense mutuelle. Les serfs et les manants éprouvent je ne sais quelle fièvre
d'indépendance; on dirait qu'ils se préparent à briser leurs chaînes pour im-
3G HISTOIRE
nioler le châtelain ou seigneur qui les lienl en servage. Tantôt ce sont les
métiers d'une ville, tantôt les pauvres laboureurs de la campagne, tantôt les
habitants d'un bourg ou bien les serfs cachés dans le manoir, qui prennent
les armes, ici pour s'exempter d'un impôt vexatoire, là pour s'affranchir d'une
corvée trop dure. Quelques-unes de ces révoltes furent réprimées; d'autres
réussirent, et elles furent la source de ces Keures qui devinrent comme la
sauvegarde et le palladium des libertés publiques.
Après la croisade, je le répète, les prétentions du peuple s'accrurent et il
eut à soutenir des conflits sanglants avec les féodaux. Mais il se vit soutenu
efficacement par les princes dont les barons battaient incessamment le pou-
voir en brèche. Les règnes de llobeit le Frison, de Robert 11 de Jérusalem,
de Baudouin à la Hache, de Charles le Bon, de Thierry et de Philippe d'Al-
sace* en sont de mémorables exemples. Ce qui favorisait le mouvement, c'était
la pénurie extrême à laquelle se trouvaient réduits les seigneurs. La croisade
aussi bien que les guerres intestines les avaient ruinés, et les vassaux, acca-
blés à leur tour par l'effet des expéditions militaires, abandonnaient les ex-
ploitations, laissaient les champs en friche, et désertaient vers d'autres
seigneuries, si la crainte d'être repris ne les retenait à la glèbe.
Ainsi, l'agitation même produite dans tous les esprits par la guerre sainte;
le désir de sortir de l'ornière habituelle, désir accru sans cesse par les discours
des pèlerins; l'impatience des masses de s'affranchir du servage; l'opposition
violente qu'y firent les seigneurs, tout concourait à développer chez les Néer-
landais l'idée d'une émigration quelconque, aussitôt (pie se présenterait une
occasion favorable de l'exécuter.
Plusieurs circonstances de nature diverse favorisèrent ces dispositions. La
fin du onzième siècle fut marquée par d'effrayants prodiges. Des tours que le
vent renverse et qui se redressent miraculeusement d'elles-mêmes; des fon-
taines d'où s'écoule du sang au lieu d'eau; des dragons de feu qui volent
au milieu des airs et lancent de leur gueule entr'ouverte des torrents de
flammes; des maladies horribles, telles que Vignis ardens, qui enlèvent les
familles les mieux constituées ' : c'étaient là autant de prodiges qu'enfantait
sans doute l'imagination populaire, mais qui n'en avaient pas moins pour effet
' Oudeglierst, Annales de Flandre, 1, 225. — Cf. Le Glay, Hist. des comtes de Flandre , I", 2 1 7.
DES COLONIES BELGES. 37
de frapper les esprits d'une terreur invincible et de leur faire présager le plus
sombre avenir.
Les événements justifièrent bientôt ces appréhensions.
A répoque dont je tâche de reproduire les traits saillants, la Belgique avait
une population énorme, et, par cela même, trop nombreuse pour le territoire
resserré dans lequel elle devait la circonscrire. Tous les chroniqueurs néer-
landais sont d'accord sur ce point et les écrivains étrangers parlent dans le
même sens. La Flandre néanmoins tenait le premier rang. Meyer seul rap-
porte que certaines parties de cette province étaient pour lors abandonnées;
mais l'on n'en saurait rien conclure contre le sentiment général; car il fau-
drait examiner si ce fait ne doit pas être rapproché des émigrations avec
lesquelles il coïncide '. Suger (f H52), dans son panégyrique de Louis le
Gros, appelle la Flandre vciUlè populosam (ch. 21), et, parlant d'une époque
antérieure, Lambert d'Aschaffenbourg dit : multitudme... prwgravari vide-
^ato- (1070 ). Venaient ensuite le Brabant, la Hollande, le Hainaul, la
Zélande, la Frise, etc. A l'issue d'une croisade meurtrière et au milieu de
guerres continuelles, l'on a peine à comprendre un tel développement de po-
pulation. Il est vrai qu'en admettant à la rigueur que la première expédition
en Terre-Sainte ainsi que les suivantes aient diminué successivement, pen-
dant près de deux siècles, le chiffre des habitants des provinces néerlan-
daises, les suites de cette dépopulalion durent être peu importantes, puisque
le vide, s'il exista, fut infiniment plus considérable dans les pays voisins que
chez nous. Mais il est inutile de recourir à une telle explication : le témoi-
gnage formel des contemporains suffit pour lever tous les doutes qui se
pourraient présenter à l'esprit. En veut-on une preuve? Malgré les émigra-
tions, auxquelles on peut joindre, si l'on veut, les causes de dépeuplement
déjà énumérées, il y avait tant de monde dans les États soumis à Thierry
d'Alsace, — à ce que raconte un chroniqueur hispano-belge, — que, pour
réunir une foule de gens disséminés et favoriser le commerce, ce prince bâtit
une ville au hameau de S»-Willibrord, ville qui s'appela d'abord Port-Nou-
veau, et ensuite Gravelines ^.
< Le Glay, /oc. Cit., pp. 559, 560.
5 Sueyro, Annales de Flandre. Anvers, 1624, I, p. 180' : . ... Sin que se hachasse de ver
38 HISTOIRE
Or, celle exubérance, ce surcroîl de population devint à la longue dans les
Pays-Bas un obstacle à Taisance intérieure et à la vitalité générale. Malgré la
fertilité de ses campagnes et Tactivité de ses habitants, la Belgique avait peine
à suffire, à celte époque, aux besoins de cette population immense. Au reste,
une, grande partie du pays était couverte d'épaisses forêts, et une science
toute nouvelle, Téconomie rurale, n'avait pas encore révélé l'utilité du déro-
dage sur une grande échelle. Les historiens nous apprennent que pour nourrir
toutes les provinces, il fallait les blés de la Baltique et de Nowgorod. Un tel
état de choses pouvait n'offrir que des inconvénients de peu d'importance
pendant les bonnes années, c'est-à-dire quand les récoltes étaient générale-
ment réussies; mais que de calamités, le jour où la nature rebelle refuserait
de féconder le germe confié au sein de la terre! Alors s'offrait aux Belges
épouvantés un fléau terrible : la faim.
D'affreuses famines mar(|uèrent la fin du onzième siècle ' , et le retour de
semblables calamités ne fut malheureusement que trop fréquent pendant le
douzième. Parmi les plus désastreuses, il convient de citer celle qui ravagea
les Pays-Bas en 1125-26, et à la suite de laquelle Charles le Bon, pour
avoir voulu soulager la misère publique, fut assassiné par d'obscurs et avides
accapareurs. Les chroniqueurs l'ont encore mention de disettes qui désolèrent
la Belgique en 1129, 1133, 1135, 1141, 1U5, 1U6, 1151 , et ils sont
unanimes dans le récit des horreurs que causa la célèbre famine de sept ans
(1163-1170) annoncée, selon Oudegherst, par des prodiges extraordinaires.
Ces malheurs continuèrent à être fréquents, témoin les crises alimentaires
que nous trouvons signalées aux années 1179, 1183, 1196, - etc.
A ce fléau s'en ajoutaient plusieurs autres non moins redoutables el qui,
iiinguna faltadegenle en la provincia,a que por la fama de sus principes y por la comodidad
de! coraercio, concurria de todas partes en lanto niimeru, que para recogcr la, fundoTlicodorico
una nueva villa en la aldea de S. Willibordo, que se llamo primero cl Puerto nuevo, y despucs
Gravelinglies. »
' Despars, Chronyke van Vlaeiideren, 1 , 234 : « Up dezen zelven tijt (109G), regneirde in
Vlaendeien die aldermeeste famine daer lûen doen ter tijt of wiste te sprekene, zo dater vele
schamelc licden van honghere ende van gebreecke storven endc verghenghen. »
- L. Torfs, Fastes des calamités survenues dans les Pays-Bas. Tournai -Paris, 1859-61,
t. I, 267, sqq.
DES COLONIES BELGES. 39
à chaque instant, faisaient trembler les habitants pour leur existence. C'étaient
d'abord des inondations presque continuelles de l'Océan, de l'Escaut, de la
Meuse et du Rhin. Le sol de la Belgique maritime, si bas et si humide que
les observateurs les plus attentifs doutaient qu'il appartint à la terre ferme,
était l'objet de perpétuelles irruptions de la mer. Cette situation, qui n'avait
jamais cessé d'être critique, devint si intolérable pour les habitants de ces
parages, qu'un grand nombre de Flamands se résolurent à émigrer, ainsi que
je l'ai dit [page 14] et allèrent fonder, tout au commencement du douzième
siècle, une colonie importante en Angleterre. Les immenses travaux d'endi-
guement, dans lesquels les Néerlandais excellaient, semblent n'avoir apporté
aucune amélioration sensible à cet état de choses. On ne peut s'empêcher de
plaindre le sort de nos ancêtres en lisant, dans les écrits du temps, le récit des
désastres atmosphériques qui bouleversèrent leur pays à cette époque. Des
pluies diluviennes inondaient les campagnes *; de violents orages détrui-
saient les moissons ^; des tremblements de terre renversaient les églises du
Seigneur comme les cabanes du pauvre % et des ouragans tumultueux ba-
layaient le tout avec fracas *. Puis la mer rompait ses digues, refoulait au
loin les villages avec leurs habitants ^, et ne se retirait qu'après avoir causé
* Despars, ad an. 1093 : « Binnen den zelven jaere, zo reyndet eontiiiiiflick van dun
XV"" daglie van oclober tôt in die maent van april daer naer volgiiende , twekkc taiisi- was van
cène afgriselicke pestilencie, die men corts daer naer zo zacli regnicren , dat zij menich diiyzcnt
persoon tlijf eoslede. » I, 2-29 , etc.
2 Despars, ad an. 1101 et 115C : « Anno XI" XXXVI maectet zulk ecn afgrijselick fel
tempeest van donderen, van blixemen, van vvayene ende van reynene, dat niet en sclieen of
die weereit en zoude vergaen licbben... » V. aussi ad an. 1141, 11.43, 1 149, etc.
5 Despars, ad an. 1116 : « Omirent dezen zelven tijt, ghebuerde in Vlaenderen cen'atgii-
selick grooteeerlbcvinghc, daer vcel huyzen ende torren ouune viclen. » I, 239.
* Années 1105, 1109, 1123, 1135, etc.
3 Despars, ad an. 1100 : <c Binnen den zelven jaere, zo liepcn die dijken van de vlaemsclier
zee te veel steden inné, zo dater alommc veel iands bedarf ende groote schadc gheschiede. >■
I, 241.
Andréas Wydts, Chronyke van Vlaenderen, ad an. 1 100 : « In bel zclvc jacr beeft de zcc
op den 13 november ecn groot deel van Vlaenderen overwatert, waer door zeer groote scbacde
is veroorzaekt, zoo acn landen als aen de huyzen, de welke outrent de zeekusten gelegen
waercn. »
Despars, ad an. 1130 : « Die zee verhief liaer verre bovcn aile dij(^ken, zo dat Vlaenderen,
Hollant, Zeelant, Vrieslant, groode schade leden, ende daer versmoorden allomme omtallicke
40 HISTOIRE
crirréparables désastres. Les inondations qui survinrent en 1100, liOl,
1H);J, 1109, 1112, 1115, 1120, 1123, 1124, 1129, 1134, 1135,
1136, 1156, 1164, 1170, 1173, 1174, 1180, etc., changèrent com-
plètement la face du littoral \ engloutirent des bourgs entiers ^et réduisirent
des milliers de Flamands, de Hollandais et de Frisons au dénûment le plus
complet. Ces malheureux, refoulés vers le centre du pays, étaient accueillis
de mauvais œil par une population que les croisades et les guerres civiles
avaient à peine entamée et qui se sentait encore trop nombreuse pour le terri-
toire exigu qu'elle occupait. Il fallait donc chercher un asile ailleurs et ce
n'était pas chose facile :
« Incerti (luù fala ferant , ubi sistere delur ».
(ViRC, Enéide, L. (Il, v. 7.)
Les objets fétides dont se nourrissaient les malheureux habitants pendant
les famines, non moins que les miasmes malsains et corrupteurs qui s'exha-
laient des terres inondées et des champs putréfiés par le séjour des eaux,
veel mensclien ende beesten; die muercn van de stede van St-Omaers wierden LX voeten
varre plat neder ter eerden ghevelt. » I, p. 322.
' M. Ernest van Bruyssel, Histoire du commerce et de la marine en Belgique , I, p. 143, dit:
« Le littoral belge dut perdre une partie assez considérable de sa population, après les désastres
maritimes que nous avons rapportés; car nous retrouvons des Flamands vers la même époque
dans plusieurs parties de l'Allemagne, etc. !■
2 Tels que Lombardzyde, qui fut remplacé i)ar la ville de Nictiport, bâtie un peu plus loin;
Terstreepe, Saftingen, Bruges, Damme, souffrirent horriblement. ïorfs, I, 264, sqq.
Du temps piteux dans lequel décéda
Louis le Gros , la mer tant excéda
En ses bords, qu'au pas d'Angleterre
Elle engloutit grand' part de ferme terre
Et maints gros bourgs en Flandre ruina.
(René Macé.)
« Anno H 55, motus magnus factusestin mari... Sequenti verô nocte omnia circuniquacumque
pessumdedit, ut très eomitatus, id est Walecras, et Wales et Brcbant cum hominc et pécore
penitus exterminaret. d Chron. belg., Pistorii, in Scriptor. rerum Germaniue, III, 160.
vEgidius de Roya, in Swertii, Scriptor. Belg., II, 27 : <■ Anno Domini 1136, mare terminos
snos egressum partem Flandriae cum habitanlibus suis submersit. »
In Leibniz., Script, rer. Brunsivic, I, 313 : « Inundatio in Ilollandia infinitam niultitudinem
populorum submersit. «
DES COLONIES BELGES. 41
occasionnèrent, toujours à la même époque, des pestes cruelles et meur-
trières qu'il importe de ne point passer sous silence. Celle de 1092-93 causa
de grands ravages '. En 1105, re|)arut le mal des ardents qui fit de nou-
veau un nombre immense de victimes des deux sexes ^ Les églises,
remplies de malades, qui y allaient implorer du ciel leur guérison, offraient
un spectacle d'horreur et de désolation. Les uns, en proie au feu brûlant qui
les dévorait, poussaient des hurlements affreux; d'autres, dont les chairs
étaient consumées jusqu'aux genoux et même jusqu'aux hanches, laissaient
voir les os décharnés du pied et de la jambe; ceux-ci gisaient ça el là sem-
blables à des troncs brûlés '. D'autres endémies succédèrent aux premières,
et la lèpre, que de malheureux croisés avaient rapportée d'Orient, commença
vers le même temps à infecter nos provinces. L'absence de soins , ou plutôt
le manque de remèdes efficaces, propageait ces maladies sans nom (|ui déci-
maient des milliers d'habitants. C'est ainsi qu'une mortalité pestilentielle, qui
s'attaquait à la fois aux hommes et aux animaux, régna de 1114 à 1122,
à la suite de pluies excessives, jointes à une grande famine \ et mainte fois
encore, pendant le même siècle, les annalistes eurent à retracer le souvenir
de contagions pestilentielles dont le récit ne laisse pas que de nous épouvanter
encore aujourd'hui ^
Comme s'il n'eût pas suffi de tous ces fléaux enfantés par la nature, les
Pays-Bas étaient en même temps le théâtre de luttes dynastiques et de guerres
civiles. Celles-ci avaient pris un caractère particulièrement âpre el violent.
Le grand conflit entre la puissance féodale et l'organisation des communes
n'était pas encore vidé, et les deux partis intéressés déployaient, aussi bien
])our la défense que pour l'attaque, une invincible énergie. Des vassaux
rebelles, des seigneurs ruinés, des féodaux avides en profitaient pour extor-
' Ferreoli Locrii, Chronicon Belgicum. Atrebati , 16 10, p. 228.
- Panckoucke, Abrégé chronologique de l'Imtoire de Flandre. Dunquerkc, 1702, p. 74.
5 « Ignaria sive ignis ardens per quem alii instar carbonum nigrescentes , alii exustis vis-
pcribus tabescentcs, quidam iticmbris imitilati cruciabanlur et interibant. » Locrius. — Le Glay,
I, 217, 218.
* Saint Lisiard, évêque de Soissons, dans la Vie de saint Arnoul.
'= Les années H23, 1128, 1 129, H82, 1!!)2 furent les plus désastreuses. Voy. Torfs, I, 24,
25 , 26.
Tome XXXII 7
42 HISTOIRE
quer de l'argenl aux uns, pour déirousser les autres. « Tout le pays esl plein
de meurtres; les habitants, accoutumés au sang, estiment honteux de passer
un jour sans en répandre; on s'égorge pour le moindre sujet... Les compo-
sitions pour les meurtres, dans le seul canton de Bruges, rapportaient dix
mille marcs d'argent par an... La Flandre, composée de gens durs et peu dis-
ciplinables ', voit régner la violence, l'injustice, et tous les ordres de l'État
exposés aux plus affreux pillages; les seigneurs et les gentilshommes bâtissent
des châteaux , d'où ils font des courses sur les grands chemins et les rivières
d'alentour; ils rançonnent tous les passants, et ces petits tyrans sont d'autant
plus formidables qu'ils étaient souvent unis entre eux par les liens du sang,
plus encore par ceux de l'intérêt '". »
Baudouin VII, à peine monté sur le trône, s'appliqua, on le sait, à purgei-
ses États d'un nombre infini de voleurs et d'assassins que l'absence de son
père, Robert de Jérusalem, et sa trop grande douceur après son retour, y
avaient introduits. Toutefois les chroniqueurs rapportent que les désordres
reprirent de temps en temps avec une égale intensité, et ils nous ont laissé un
triste tableau de la situation morale de celte époque ^ Charles le Bon suc-
comba à la tâche , et ce ne fut qu'après de longs et pénibles tiraillements que
la dynastie d'Alsace parvint à assurer le repos aux citoyens.
Les guerres entre princes couvrirent aussi la Belgique de ruines et de sang.
Je viens de citer la lutte meurtrière qui déchira la Flandre lorsque s'ouvrit la
succession de Charles le Bon; des dissensions affreuses régnèrent vers le même
temps dans la plupart des autres provinces des Pays-Bas. Guerre entre la
Flandre et la Hollande, entre la Hollande et la Frise, entre la Gueldre et la
Hollande, entre la Hollande et le Brabant, entre le Brabant, le Louvanais et
la Flandre : tel est le cercle fatal que le narrateur doit parcourir, s'il veut
esquisser un aperçu de l'état de la Belgique pendant la première moitié du
douzième siècle.
< Cela était vrai surtout pour les habitants du littoral , ces farouches descendants des Saxons,
dont M. Kervyn de Lettenliove, dans son Histoire de Flandre, nous a le premier dépeint les
iiKiHirs incultes, sinon barbares.
- Panckoucke, lor. cit., pp. 37, 07.
5 « ... tcrrac noslrae, pace sublata, quictc turbata , deleta honestate, extincta omni fcrc
Iclicilate mortalium, gucrrarum, laborum, turpitudinuin, et totius infellcitatis cœpil exor-
dium. . Gualtcri, Vita Cnroli Boni, op. Rolland, die 2 niarlii, n° 3, p. 163, sqq.
DES COLOiMES BELGES. 43
L'histoire de la Flandre est trop connue poui- (|iie je m'y arrête; mais il ne
sera pas inutile de dire quelques mots des autres provinces. Partout une sol-
datesque effrénée semait la misère et la désolation et mettait l'agriculture en
souffrance. Les paysans surtout pâtirent de ces excès; mais plus d'une fois
ils en saisirent le prétexte pour essayer de s'affranchir des trop lourdes
charges qui pesaient sur eux. Dans la lutte qui s'éleva, en 1132, entre
Thierry, comte de Hollande, et Florent, comte de Frise, les laboureurs se
virent tellement poussés à bout que, dans l'espoir d'être délivrés des exac-
tions des Hollandais, ils conçurent le projet de déserter les drapeaux de
Thierry, de faire cause commune avec Florent et de ne former désormais
avec les Frisons (ju'un seul et même peuple. Hs envoyèrent à cet effet des dé-
légués à Florent; mais, sur ces entrefaites, le comte de Hollande triompha,
la paix se rétablit, et les rebelles n'en furent point exclus ".
Il en était de même dans le Brabant. Quatre irruptions successives, dont la
dernière (1133) fut la plus violente et qui toutes avaient pour auteur le
comte de Louvain, détruisirent des églises, des villages, des moulins à blé,
au grand détriment des cultivateurs ; les flammes consumaient ce (|ue la hache
avait abattu '-. Des faits semblables se produisaient à Ulrechl, quoique dans
d'autres circonstances. En IISO, mourut l'archevêque Harbert, et, à l'occa-
sion de la nomination de son successeur, s'éleva, tant parmi le clergé qu'entre
les laïques, un dissentiment profond ^ Les uns voulaient pour Pasteur Fré-
' Kluil , Hislorla crilka comitatus Hollandiae el Zeelamliae. Mcdioburgi , 1 777 , II , pp. 75 ,
sqq : « Interea plurimi de coraitatu, et maxime Rustici, qui se nimis opprimi dolebant, spe
libertatis (*) inanileraccensi, consilium inierunt ut Theodoricum comitem desererent, et Flo-
rentid adliaererent, et cum Fresonibus sub uno duce uiius popuhis fièrent : missis ergo legatis
fidelitatcm suara promiserunt ... Comcs , ut voluit, triumpbavit ... Pax intégra, omnibus ex
utraque parte qui diseordiae participes fuerant in eadem pacis pactione inclusis. »
- Luc d'Achery, Spicileg., II, 706 : « Pedites et milites per omnia nostra (in Brabantia )
circumjacenlia se diffuderunt, villas nostras, Ecclesias, Molendinu, et quaecunque occurrebant
combustioni et perditioni tradentes... Vastatio ista fuit quarta, quam infra viginti sex annos
fccil Lovaniensis Dominus. »
5 Kluit, loc. cit., pp. 95, sqq : « De eligendo episcopo grandis discordia tam inter clericos
quam inter laicos facta est,aliis Fredericum filium Adolfi, coraitis de Ilovele, aliis Hermannum
(*) Kluit dit en note ; . Vulgohoc.at satis inepte explicant, pereamlibertatemquademocratiam sibi pararenl;
quum nihil aliud annualur quam liberlatema tributis sive exaclionibus, quas peiletentim pluies a luslicis exi-
gebaiil comite.s. » En effet, Melis Sloke dit ( Il , v 201 ) ;
« Si stondea te swaren tribute. -
U HISTOIRE
44
(léric, fils du comlc de Hovel; les autres, le prévôt de l'église de S'-Géréon
de Cologne, Hermann. Les avoués de Téglise d'Utrecht, Henri, comte de
Gueidre, Thierry, comte de Hollande, et Thierry, comte de Clèves, s'efforcèrent
de tout leur pouvoir d'introniser Hermann. Mais le parti populaire, composé
des vassaux inférieurs, des habitants d'Ulrecht et de Deventer, de tous
les paysans et des artisans, quels qu'ils fussent, travailla avec non moins
d'énergie à faire triompher l'homme qu'ils aimaient, Frédéric de Hovel : pour
lui, ils n'hésitèrent point à sacrifier leurs fortunes et à exposer leur vie.
Une partie de la noblesse profila de cette situation pour courir sus à l'autre,
et le comte de Hollande, de son côté, plaça Hermann, à main armée, sur le
siège archiépiscopal. A la fin, lorsque la lassitude se fut emparée des partis,
les deux compétiteurs allèrent avec leurs partisans soumettre l'affaire au ju-
gement du prince-évéque de Liège. Cet arbitrage fui défavorable à Frédéric,
et Hermann reçut l'investiture. C'était un prélat aux mœurs douces et simples :
là où il aurait fallu déployer de l'énergie, il ne sut montrer qu'une incroyable
faiblesse; les meurtres devinrent d'une fréquence inusitée; on commettait les
assassinats jusque sous les yeux de l'archevêque, et lui ne traduisait point les
criminels en justice, et ne savait pas réduire par la force ces turbulents es-
prits d'Ulrechl, que des princes sévères avaient seuls pu maintenir dans le
devoir.
La situation n'était pas meilleure dans la Flandre, le Brabant et le Louva-
nais. Une nouvelle guerre avait éclaté entre le comte de Louvain et le duc de
Brabant appuyé par le comte de Flandre. La contagion du mal se communi-
quait de l'un à l'autre pays. Les chroniqueurs nous ont conservé, relativement
I^racpositum S. Gcrconis de Colonia eligcntihus. Comités siquideni, ecclesiae liomines, Gel-
reiisis Ileiiricus, Hollaudeiisis Tlicodoricus , Cievensis Tlieodoricus Hermannum iiivcstiri in-
stantissiine laboraveruiU. Omnes auteni ininisteriales et cives Traiectensis civitatis et Daventriae
et omnes agricidtotrti et cujusque ofiicii liomines Frederico devotissime faverunt, adeo ut
reriini siiarum dispendium, immo vitae periculum pro eo subire non dubitaverint. Sed pars
noi)ilium, iitsolet, alteram depressit, et comes hollandensis bellica manu Hermannum in epi-
scopum introduxit. Deindc ulerque cpiscopus cum suis fautoribus Leodium ad cardinalis judi-
ciiira ])ervenit. Cujus judicio Fredcricus rcprobatus, tlcrmannus investitus est. In cujus
teinporii)us, quia lenis et nimium simplicis animi crat, caedes mutuae civium et homicidia,
etiani in praesentia ejus, fiebant, née judicia faccre, née Traicctenscs qui non nisi duris unquam
conslringi [)oterant vcl possunt pruclatis, coereerc potuit. •
DES COLONIES BELGES. • 45
à la désolation qui en fut la suite, un détail des plus curieux. « Les paysans,
dit l'un d'eux, spoliés de leurs biens, s'exilèrent misérablement de leur pa-
trie; la terre demeura sans culture et désert le territoire qu'ils avaient occupé.
Pendant vingt ans, on ne vit qu'incendies, homicides, vols, rapines, misères
de tout genre '. »
Tel est l'aspect général des Pays-Bas à l'époque où se manifeste dans toute
sa force le mouvement d'émigration. Des catastrophes, comme celles que j'ai
rappelées plus haut, ont été considérées à toute époque, et même de nos jours,
comme des fléaux du ciel. .^lais, si l'on se reporte au douzième siècle, — siècle
beaucoup moins esprit fort que le nôtre — , si l'on se représente un pavs sur-
chargé d'habitants, en proie pendant une longue série d'années aux horreurs
de la famine, ou menacés de périr par les flots destructeurs de l'Océan, ou
victimes de contagions meurtrières, ou bien encore livrés à toutes les péripé-
ties de luttes sanglantes, on se demandera s'il en fallait davantage à nos an-
cêtres pour être épouvantés comme ils l'avaient été aux approches de l'an mil ,
et pour vouloir fuir une terre que le bras de la vengeance divine semblait
frapper sans merci.
Ces arguments me paraissent assez décisifs pour que je puisse me dispenser
d'en alléguer d'autres. Cependant, l'on pourra m'objecter que la date des émi-
grations n'a pas toujours coïncidé avec l'époque des événements qui , selon
moi , y donnèrent lieu. On verra plus loin jusqu'à quel point cette observation
est fondée; mais, fût-elle absolument vraie, je ne serais pas embarrassé d'y
répondre.
Et d'abord, l'on ne saurait argumenter de l'un ou l'autre fait isolé. J'ad-
mettrai, si l'on veut, qu'une catastrophe, si terrible qu'on la suppose, ne
suffit point pour ébranler la force morale d'un peuple; tant qu'il lui reste des
éléments d'activité, la nation conserve l'espoir de meilleurs jours. Mais il est
certain qu'un ensemble de calamités publiques, dont tout le monde mesure
' Uom Bouquet, ex Auctario Afjlighemensi, XIII, p. 277, ad an. Il 59 : « Bellum gravissiiaum
orluin erat.... inter ducem Lovanii... unde magnum malum processit, et quasi quoddam conta-
giuni tciTam utriusquc invasit. Agricolue enim bonis suis spoliati, niiseri et extiles de finibus
suis sunl eyressi, terra déserta liabitationibus inculta remansit; erat eernere miseriam , incen-
dia, bomicidia, rerum omnium depraedationes violenter fieri fera par annos viginti... »
46 HISTOIRE
les conséquences, et dont personne ne prévoit la fin, aboutissent nécessaire-
ment à abattre jusqu'à la prostration l'esprit du peuple le plus vigoureusement
trempé. Or, tel fut le cas, je ne dis pas pour tous les Belges en masse,
mais pour un certain nombre d'habitants, plus cruellement éprouvés que les
autres, et auxquels l'Allemagne servit tout à la fois de refuge et de seconde
patrie.
Ensuite, il est dans la nature des choses que l'influence produite par des
faits d'une gravité incontestable ne peut pas toujours se manifester à l'instant
même qui les voit naître. Au douzième siècle, cette influence a dû opérer ses
effets lentement, de manière à laisser aux émigrants le temps d'une réflexion
d'autant plus nécessaire qu'il s'agissait de changer une position précaire et
triste, il est vrai, sous plusieurs rapports, mais contre une destinée qui
pouvait être plus misérable encore. Or, le Belge a toujours préféré ce qui est
certain à ce qui ne l'est pas, et une sage et prévoyante lenteur a été toujours
le cachet distindif de son caractère.
Que, si l'on s'obstine à ne voir dans les raisons développées plus haut que
des causes occasionnelles , qui ont pu tout au plus concourir au mouvement
des émigrations sans le provoquer directement, je dirai que la cause délermi-
nante réside, en dernière analyse, dans les avantages immenses que trou-
vaient les Belges à l'étranger, c'est-à-dire dans les privilèges exorbitants
pour l'époque que leur accordaient les princes et les prélats allemands. Cela
résultait de l'état de civilisation comparativement avancé de nos provinces, de
la perfection relative où se trouvaient à celte époque l'agriculture, et surtout
certaines branches du" travail agricole dans la Flandre ',
En dépit des obstacles de toute nature que j'ai signalés et qui semblaient
devoir entraver la marche régulièrement progressive des Pays-Bas, il y avait
dans nos provinces tant de germes de fécondité, une sève de vie si abondante,
qu'elles se trouvaient placées, avec les villes italiennes, à la tête de la civili-
sation européenne.
Les lointaines expéditions d'Orient, les guerres fréquentes avec les princes
voisins, les dissensions intestines n'avaient pu empêcher la Belgique, je dois
' M. Arendt, Bulletin de l'Académie royale de Belgique, XXII, pp. (iOO, sqq.
DES COLONIES BELGES. 47
le répéter encore, de prendre, à Tépociue qui m'occupe, un remarquable
accroissement de force et de prospérité. Elle le devait surtout à la fertilité du
sol, à Tesprit industrieux de ses habitants, enfin à sa position géographique
qui en faisait dès lors le centre des relations commerciales entre le midi et le
nord de l'Europe.
« Le commerce des marchands flamands en Autriche, dit un écrivain alle-
mand, est déjà célèbre au douzième siècle. La mesure de Thourout sert de
base à la plupart des transactions de l'Occident. Les guerres entre la Flandre
et la Hollande sont les premières guerres commerciales du moyen âge. L'in-
dustrie des foulons, des tisserands, des drapiers, des tanneurs, des teintu-
riers, etc., se porte à l'étranger et dans toutes les directions. Bref, il règne
dans les Pays-Bas un esprit d'entreprise, une ardeur d'expansion, dont l'Italie
pouvait seule à cette époque olTrir un autre exemple. L'Allemagne sommeil-
lait encore '. »
D'autre part, les événements qui suivirent l'assassinat de Charles le Bon
révèlent déjà l'importance politique des villes flamandes. Les échevins agissent
de concert avec les barons pour punir les meurtriers, pour élire le nouveau
comte, pour le déposer, et rendre ensuite hommage à un seigneur légitime.
L'organisation municipale et la puissance de la bourgeoisie se montrent alors
pour la première fois dans notre histoire d'une manière incontestable. Certes,
ce n'est pas un problème facile à résoudre que de savoir comment les villes
belges et celles de la Flandre surtout s'élevèrent ainsi au rang de corps po-
litiques pour ainsi dire indépendants, et cela au bout d'un laps de temps peu
considérable. Si la cause de la transformation reste obscure, le fait n'en est
pas moins acquis.
La comparaison de deux époques, séparées par un intervalle d'un siècle,
nous donnera une idée de la situation de la Flandre au point de vue des ri-
chesses matérielles. Gervais, archevêque de Beims, donne des détails pleins
d'intérêt sur l'état florissant des pays gouvernés par Baudouin le Pieux : « Que
dirai-je, dit-il, de l'aiïluence des richesses que le Seigneur a voulu t'atlri-
buer par droit héréditaire à un si haut degré qu'il est peu d'hommes qui
' Scliumacher , ibid.
48 HISTOIRE
puissent Têtre comparés à cet égard? Que dirai-je des efforts persévérants
par lesquels tu as si habilement fécondé un sol cpii , jusqu'alors inculte , sur-
passe aujourd'hui les terres les plus fertiles? Docile aux vœux des laboureurs,
il leur prodigue les fruits et les moissons, et les prés se couvrent de nombreux
Iroupeaux... Qu'ajoulerai-je sur tes autres trésors, sur tes joyaux et tes vêle-
ments précieux ? Tout ce que le soleil voit naître, dans quelque région ou
sur (pielcpie mer que ce soit , t'est aussilôt offert, ô prince Baudouin ! et puisse-
t-il pendant longtemps en être ainsi, puisqu'il n'est personne plus digne que
loi de posséder ces biens '. »
Un peu plus de cent ans plus tard, malgré les désastres que l'on connaît,
le tableau est encore plus brillanl. « La Flandre abonde en productions va-
riées et en toutes sortes de biens... Ses champs l'enrichissent de grains, ses
navires de marchandises, ses troupeaux de lait, son gros bétail de beurre,
l'Océan de poissons '\ »
La situation n'était pas moins favorable en Hollande, en Frise et dans le
Brabant. Les Pays-Bas, on le voit, avaient triomphé de tous les obstacles que
la nature ou les hommes leur avaient suscités, grâce à l'activité énergique,
au caractère ingénieux et entreprenant du peuple belge que César appelait
déjà gemift summœ sokrtkv. Quant à ceux que des circonstances particulières
plaçaient en dehors des sûretés ou des avantages communs, ils aimaient
mieux s'expatrier que de mener une existence chélive et misérable dans
leur pays; ils pratiquaient la maxime: ubi bene, ibi patrla.
Aussi la dernière émigration remarquable dont les chroniqueurs font men-
tion, date-l-elle, selon toutes les vraisemblances, de 1 160 '\ Les traditions
' Ivcrvyn de Lcttenliovc, HiM de Flandre , I, 12S.
- Ihid., p. 25(i. — L'nntour du livre de Propriefatilms rcrum , dit : « Ilncc provincia . quam-
vis siUi tcrrae parvula , nuiltis tanien bonis singuiarii)us est referla. Est eiiiiu terra pascuis
iiberrima, arraeiUis et pcxiuiibus plena, nobilissiiuis oppidis et portibus maris inelita, ainnibus
famosis, seilifet Scalde, Leia, undique irrigua et perfusa. Gens ejus... in omnium mcrciuni
divitiis locuples .... arte et ingenio in opère lanifico praeciara, cnjus industria inagnac parti
orhis subvenitur. Hane pretiosam lanam, quam sibi Anglia communieat, in pannos nobiles
siibtili arlificio transrautans, per mare et terrain mullis regionibus administrât... »
5 Meyeri, Annales, « HGO... Idem referl Hcnricum Leoncni poslquam Vuandalos et Obo-
Iritos subegisset, terrani omnem Obolritorum suis divisisse dueibus, ex quibus Henricus Sca-
DES COLONIES BELGES. 49
allemandes rapportent que les colonies, que Ton vit s'établir postérieurement
dans Tune ou l'autre contrée , se composaient des descendants des premiers
émigrants. Il est de toute probabilité que les princes des Pays-Bas eurent
connaissance des émigrations successives de leurs sujets, et qu'ils auront
jugé utile de les retenir dans leurs foyers par la concession des mêmes fa-
veurs qu'on leur accordait ailleurs. Il me paraît tout aussi certain qu'ils en-
treprirent la colonisation des terres improductives, désertes ou abandonnées
de leurs États. J'en trouve un exemple bien remarquable dans la fondation
du village de Woeslen (dans la Flandre occidentale, près d'Elverdingben),
situé, comme l'indique son nom, au milieu d'une solitude, et aujourd'bui
encore entouré de bois.
Cette fondation, due simultanément à Thierry et à Philippe d'Alsace, est
faite sur le même pied que celles d'Allemagne ; transportez la scène dans l'un
ou l'autre État germanique, vous diriez d'un Albert l'Ours ou d'un Henri le
Lion. Nos princes agirent-ils sous l'impression de l'exemple donné par les
deux illustres ducs? Suivirent-ils l'impulsion spontanée de leur propre génie?
Je ne sais; mais ce qu'il est permis de faire ressortir, c'est la coïncidence
synchronique et l'analogie matérielle.
Rappelons quelques dates. En 1159, des paysans émigrent de la Flandre
et du Brabanl '; el, en 1160, a lieu la colonisation du Mecklenbourg, due
précisément aux habitants de ces provinces. Or, c'est en 1161 que Thierry et
Philippe d'Alsace fondent Woeslen. Ces trois événements se suivent de si près
et s'expliquent si bien l'un par l'autre, qu'on est fort tenté de dire que le premier
a donné l'idée du second, et que le troisième est la conséipience de celui-ci.
tensis Magnopolin sorlilus, gentis metropolin , Bernoncni ibi consliUiit episcopuni, coque ex
Flandriu non exiguam cultorum vocavit multitudinem. »
Weslplialen, I, -2M> : « 1160... Megapoli Henricum de Scacis, ex Moriuis accituin sufTecit,
locaque Ilcrulorum reliqua commilitonibus pro virtiile eujusquc dislribuit. »
Wydts, Chronyke van Vluendcren : « IIGO. In hel volgende jaer lieeft Henricus Léo,
hertog van Saxcn, Iict goddeloos volk der VVandaelen , bel wclk cen bcrfvvandt scbeen te zyn
van de ehristene religie , uyt zyne hecrsehappye vcrdreven, waer door by veele onbewoondc
plaelsen en onbeoeffende landen betiielt, om wellce te vervullen, sendt hy Henricus en Adul-
pbus, grave van Elsatien naer Ncderlandt, om volck en ackermans op te ligten, de vvetke de
verlaetene plaetsen in Saxen souden bewoonen ende beoeffeneu. > l*ag. 199°.
* Voy. note i, pag. 43.
Tome XXXII. 8
50 HISTOIRE
Qu'on juge, d'ailleurs, par la substance de la charle octroyée à ce propos,
de la similitude de rétablissement formé par le comte de Flandre avec ceux
d'Allemagne '.
Le comte Thierry, de concert avec son fils Philippe, donne le territoire
désert de Reninghe à cultiver à des paysans. Comme il n'y a aucune église
dans ce lieu, les princes se chargent d'en bâtir une et pourvoient eux-mêmes
à l'entretien du curé. Il y aura ainsi une nouvelle paroisse à laquelle appar-
tiendront tous ceux qui viendront immédiatement y demeurer, et ceux qui
voudront s'y aller établir postérieurement. S'il en est qui dépendent d'un
seigneur, les princes leur procureront l'aulorisalion nécessaire pour faire
partie de la colonie. Ils accordent liberté absolue et perpétuelle à tous ceux
(|ui viendront y habiter dans le moment ou plus tard. Le comte et son fils dé-
clarent en outre que tous ceux qui répondront à leur appel ne seront point
soumis aux lois, coutumes ou tribunal de la commune de Furnes; qu'ils seront
affranchis à perpétuité de toutes corvées, pétitions, tailles ou autres exactions
(|uelconques, auxquelles le reste de leurs sujets sont soinnis. Le seul service
dont ils ne seront point exempts est celui qui concerne la défense du pays; ils
pourront de ce chef être appelés sous les armes. Ils ne pourront être traduits
en justice par personne, si ce n'est devant les princes, ou devant le représen-
tant des princes à Ypres. Quant à la redevance, elle consiste en deniers,
(pi'ils payeront à la Saint- Jean, en avoine et en volaille qu'ils fourniront
entre la fête de saint Bavon et la Purification de la sainte Vierge. S'ils ne se
sont pas acquittés de cette obligation au terme convenu, ils pourront y être
contraints par les agents des princes; toutefois, ces agents ne pourront
exercer aucune violence, afin qu'il ne soit pas porté atteinte à la liberté des
colons.
On le voit : les conditions qu'obtinrent les Belges en Allemagne ne furent
pas plus favorables que celles que les princes d'Alsace accordèrent aux colons
nationaux. Dès lors, abstraction faite des calamités qui pouvaient leur rendre
le séjour des Pays-Bas odieux, il n'y avait plus de motif pour chercher à
l'étranger des faveurs et la fortune. Aussi ne saurait-on prouver par des
' Voy. mes Docume.nix j ii" I.
DES COLONIES BELGES. 51
sources que les Belges se sont encore, passé celte époque, expatriés en
masse.
Il reste toujours à éclaircir un dernier point. A ([uoi altrii)uei' le silence
que nos annalistes et chroniqueurs ont gardé sur les émigrations de leurs com-
patriotes? Des raisons plausibles, je n'en trouve pas. Eelking attribue «cette
négligente omission des annales à la barbarie et à l'ignorance des temps où
vivaient ceux qui les écrivaient, et à la préférence qu'ils donnaient à la ré-
daction de ces récits fantastiques et absurdes qui, à notre époque, n'amusent
plus l'habitant le plus simple de nos campagnes. » Que les chroniqueurs
.lient parfois raconté comme importantes des choses tout à fait secondaires,
et négligé de mettre en saillie des points d'un haut intérêt, je le veux bien;
mais là n'est pas , selon moi , la cause unique de leur silence : je crois pou-
voir Texplitiuer autrement.
A l'époque des émigrations, les Pays-Bas, je l'ai dit plus haut, avaient une
population tellement forte qu'une partie était presque à chargea l'autre: est-
il étonnant, dès lors, que quelques milliers d'hommes et de femmes aient pu
quitter un pays « surchargé d'habitants » sans attirer sur eux l'altention de la
multitude? La Belgique avait assez d'hommes exercés à l'agriculture, au
commerce et à l'industrie, pour que le départ de quelques-uns de ses enfants,
si laborieux qu'ils fussent, pût passer inaperçu. Rien d'ailleurs de plus naturel
et de plus ordinaire que de voir nos compatriotes recevoir un témoignage
plus éclatant des historiens étrangers que de nos propres annalistes.
Ceux-ci, habitués au spectacle d'ordre et de travail qu'offre toujours un
peuple civilisé, en étaient moins vivement frappés, tandis que les nations
chez lesquelles les Belges importèrent les arts de la paix qu'ils avaient per-
fectionnés, en durent mieux apprécier les merveilleux effets. En outre, à
l'époque dont il s'agit, les mille et un moyens de communication qu'ont
enfantés les siècles n'existaient pas encore; la presse, cette renommée aux
cent bouches, était inconnue. N'en pouvons-nous pas conclure, au moins
conjecturalement, qu'il a été difficile, pour ne pas dire impossible, au petit
nombre d'écrivains qui s'occupaient à relater les faits qui se passaient autour
d'eux, de connaître un événement d'une importance majeure par les effets
32 HISTOIRE DES COLONIES BELGES.
([iril engendra, mais (jui, dans le principe, dut paraître sans eonsé-
quence?
Après avoir exposé les causes qui amenèrent les émigralions, je dois
niainlenanl entrer au c(eur du sujet, et faire l'historique des colonies
mêmes.
PREMIÈRE PARTIE.
HISTOIRE DES COLONIES BELGES QUI S'ÉTABLIRENT
EN ALLEMAGNE.
PREMIÈRE DIVISION.
COLONIES FONDÉES PAR DES PRÉLATS.
CHAPITRE ^^
BRÈME.
Charlemagne, par un diplôme signé à Spire le 14 juillet 787, avait érigé
l'évêché de Brème en faveur de saint Willehad, et, en 834, Louis le Pieux,
son fils et successeur, y réunit Tévêché de Hambourg. La juridiction des
évêques de Brême-IIambourg, conformément au rescrit impérial, s'étendit
dès lors sur toute rAllemagne du nord juscpi'au pôle arclique; mais la vaste
étendue de ce territoire rapportait à peine de quoi sufïire aux besoins de leur
mission. Le pays, au milieu duquel était située leur résidence, était couvert
de déserts et de marais qui étaient peu propres à enrichir leur église \ Le
' Les environs de Brème étaient fort marécageux. Un diplôme de l'empereur Henri IV ,
27 juin 10G2,en fournil la preuve : « Forestum ctiam cum banno regali per totum paguni
Wimodi cura insulis, Bremensi scilicet et Wechter dictis, nec non cum paludibus Linebroch,
Asebroch, Aidenbroch, Iluchtingebrocli, Brinscimibrocb , Weigeribrocti... tradimus atque do-
navimus. » Ehnick, Brcmisches Vrkiindenbuch. Bremcii, 1863, 1 , 22. — La terminaison
U HISTOIRE
pelit iioiiihre de fidèles, qu'ils avaient sous leur juridiclion, élaienl d'un na-
Itu'el paresseux, et la loi du servage, qui les allachait falalenienl à la glèbe,
les excitait peu à chercher dans un travail opiniâtre le moyen d'améliorer leur
condition matérielle. Enfin, des guerres extérieures et des querelles intestines
ne permirent pas aux prélats, pendant longlem|)s, de songer à la colonisation
de leur diocèse. Durant le règne de Libizo et de quelques-uns de ses succes-
seurs, l'évêché fut en quelque sorte dépeuplé par les invasions meurtrières
des pirates Norihmanns; Liemar et Adalbert se virent sans cesse mêlés aux
guerres des empereurs franconiens et des princes saxons, ils vécurent au
milieu d'agitations conlinuelles et furent presque constamment absents de leur
diocèse'. Humberl, qui occupa le siège métropolitain après eux, administra
le diocèse pendant quatre ans à peine, de sorte qu'il n'eut que le temps de
fermer les plaies intérieures qui s'étaient faites avant son avènement. Il était
réservé à Frédéric I (1 l(>4.-4i23) de jouir des bienfaits de la paix, et d'en
profiter pour faire avancer la civilisation dans ses États.
Il conclut, en H06, avec des Néerlandais, un pacte en vertu duquel il
leur cédait un canton marécageux, inhabité et inutile à ses autres sujets, tout
en leur accordant, en outre, des droits et privilèges qui feront l'objet d'une
élude spéciale dans la seconde partie de ce travail. En retour, les Néerlandais
étaient tenus à certaines obligations que j'examineiai au même endroit ".
I. « Ce fait, dit un historien, qui introduisit des changements remarqua-
hroch est la inèine que notre liroeck (pdius). Un prélat, Uiiwan, archevêque de Brèrue, emploie
re\[)rcssioii jdttoresque de paludkolue pour désigner les habitants de ces parages : « Onines
ritiis paganos, quorum adhue superstitio viguit in hac rcgionc, praecepit fiinditus amoveri ,
ita ut ex lueis qnos nostri puiudicolae stulta IVequcntabant reverentia faeeret ccclesias j)er
dioeesin renovari. » Ehnuk, ih., n" XVII, a. lOIÔ-lOil).
I Le diocèse de Brème semide avoir envoyé et perdu hon nombre de ses habitants à la pre-
mière croisade, s'il en faut juger par ce passage d'un diplôme de l'empereur Henri V, relatif
à la ville de Brème, et daté de Mayenee, du limai II II : n Ceterum jjropter obsequiorum
promptitudinem multasque deificas virlutes, viriles actus et non modicos labores et expensas,
quos el quas cives Bremenscs per mare suis navihus et per terram fecei'unt in jiassagio ultra
marc ad Terram Sanctam, quando civitas Jherosolomilana tempère preclare recordationis
Heinrici genitoris nostri ab illustribus dueibus Godfrido et Boldewino capta fuerat et retenta,
ubi non modicus popiilus urinatus de rivitute et dyocesi Bremetisi dicitur interfuisse... «
Ehmck, ibid., p. 50, n" XXVIII.
- Vov. la charte de fondation dans mes Documents , etc., n° II.
DES COLONIES BELGES. Sa-
bles dans les mœurs, dans le régime alimentaire, non moins que dans le
commerce et dans l'industrie, mérite la plus sérieuse attention... L'évêque ju-
geait sagement qu'en peuplant son pays, il se procurerait à lui-même un
accroissement de puissance et de considération... Le dépeuplement énorme
que les pays saxons avaient subi pendant les guerres de Charlemagne, à
chaque invasion des Slaves, après la mort du prince Gotlschalk et dans les
luttes incessantes des Wendes et des Danois, l'ut une des principales causes
politiques qui poussèrent les prélats de [Brème-] Hambourg à introduire des
colons néerlandais. Ajoutons à cela que les habitants de Tévêché de Brème
et du Holstein ignoraient complètement Fart de dessécher leurs plaines maré-
cageuses, et de les protéger contre de nouvelles inondations à Taide de digues
et de remparts de tout genre, art pour lequel les Néerlandais avaient de
grandes aptitudes et qu'ils pratiquaient depuis longtemps avec une rare intel-
ligence... Le succès couronna dignement ces efforts \ »
L'auteur allemand apprécie avec sagacité les causes de la colonisation et
les effets qui en découlèrent; mais il se borne à les constater pour les pays
dont il raconte l'histoire; il n'examine point les motifs qui ont chassé les
Belges de leur patrie ou qui les ont déterminés à la quitter de plein gré. Il
serait intéressant de remplir cette lacune, de définir le caractère de cette
première émigration du douzième siècle et d'expliquer les circonstances qui
s'y rattachent; mais les sources manquent, et il est fort à craindre qu'elles
ne manquent toujours.
La chronique publiée par Kluyl -, que Ton regarde généralement connue
une des plus complètes et des plus précises, ne fait aucune mention , aux an-
nées H05, 1106, d'événements ou de faits publics que l'on pourrait rap-
procher de l'émigration. La seule circonstance (|u'il serait peut-être possible
de considérer comme ayant produit une situation propre à favoriser une émi-
gration, est l'assassinat de Conrad, évêque d'Utrecht. Mais ce meurtre eut
lieu dès 1099. On ne peut guère présumer que l'on a expulsé les meurtriers
six ou sept ans plus tard ; que ceux-ci étaient assez nombreux pour former
toute une colonie; enfin, qu'il s'est trouvé un évêque, assez oublieux de ses
' diristiani, Geseliichte von Schlesirig-Holslein, II, 42Ô, sqq. Kiel, I77o.
■^ Histuria critica coniitatits Hollandiae et Zeelandiae. Medioburgi, 1777.
56 HISTOIRE
devoirs, pour accueillir une bande de meurtriers, pour leur donner Thospi-
laliié dans ses Etais, pour leur y accorder des privilèges dont la base était
des plus libérales, et qui devinrent comme le type et la norme de tous les
droits que les princes concédèrent plus tard aux émigrants belges. Il faut
donc lâcher de découvrir une autre cause, et cette cause, je crois qu'il la faut
chercher dans les maux sans nombre qui désolèrent les Pays-Bas à la fin du
onzième et au commencement du douzième siècle '. Cette cause-là du moins
ressort des textes avec une unanimité qui ne laisse pas de prise au doute, et
(>lle amène à conclure que la première émigration, qui signale le douzième
siècle, fut une entreprise privée, conçue et exécutée en dehors de toute préoc-
cupation politique.
Tel est en effet le caractère que présente la charte de fondation de H 06.
Il ne résulte pas du diplôme de Frédéric que l'émigration des colons se
fil à la sollicitation de ce prélat, mais bien que les Néerlandais se rendirent
spontanément à Brème, soit qu'on leur eût fait entrevoir que le rétablissement
de la paix leur y donnerait un accès facile, soit qu'ils eussent appris, d'une
manière ou d'une autre, que l'archevêque manquait de travailleurs pour réa-
liser les projets d'économie rurale qu'il avait conçus.
La charte ne s'explique sur aucun de ces points; mais ce qu'elle dit expres-
sément, c'est que les Néerlandais allèrent trouver l'archevêque [maiestatem
iiostram convenerunl) , et le supplièrent [obnixe royatiles) de leur accorder
des terres pour les mettre en culture [quafemis lerrmn... eis ad excolendum
concederemiis) , terres qui avaient une physionomie semblable à celles de leur
pro{)re pays [paludosam) et dont la concession ne ferait aucun tort aux au-
tres habitants {incultam... nostris indigenis super fluam).
L'analyse de cette phrase prouve, ce me semble, à l'évidence, que les émi-
grants formaient une troupe d'entrepreneurs agricoles et autres que l'appàl
de la fortune attirait dans une contrée privée encore des bienfaits dont la ci-
vilisation avait déjà doté leur patrie. Ce qui donne une force singulière à
cette opinion, ce sont les termes mêmes qu'emploie l'archevêque {pactionem...
nuhiscwii ]>epigerunl). Il s'agit ici non d'un octroi accordé bénévolement,
' Voy. hilrodiirtion, § V.
DES COLONIES BELGES. 57
(l'une concession graluile, mais bien d'un vérilable contrat synallagmatique.
L'archevêque traite avec les Néerlandais presque d'égal à égal, ce qui atténue
quelque peu la hauteur de cette phrase : obnixe rogantes, phrase toute de
chancellerie et qu'il faut bien se garder de prendre au pied de la lettre.
Ce qui prouve encore qu'il s'agit d'une véritable entreprise gouvernemen-
tale, c'est que l'archevêque ne traite qu'après avoir pris l'avis de son conseil
ou chapitre {noslroriim uti consilio fidelium) et qu'il s'est décidé à le faire
parce qu'on a jugé que la proposition des étrangers procurerait de grands
avantages au diocèse {perpciidenles rem iiobis noslrisr/ue siiccessorilms pro-
futnruhi).
Enfin, une dernière phrase ne laisse plus aucun doute sur le sens de la co-
lonisation. L'archevêque cite les noms des personnages [virorum) qui ont
traité avec lui [ad hanc pactionem faciendam convenerunt) et auxquels il a
fait la concession demandée, tant d'après les lois en vigueur que d'après les
clauses mêmes de la convention [secunditm secidileges et praefatam conven-
tionem concedimus).
Six Hollandais sont nommés par l'archevêque. Le premier est un prêtre,
à qui Frédéric confie la direction spirituelle de la nouvelle colonie; les cinq
autres sont apparemment les laïques les plus considérables d'entre les émi-
grants et, partant, les chefs entrepreneurs. C'est une dernière preuve que l'ar-
chevêque entend se lier envers eux comme eux-mêmes s'engagent envers lui.
II. La charte donne aux étrangers le nom de Hollandais, et il a longtemps
été dilTicile de déterminer, d'une manière plus précise, la province des Pays-
Bas à laquelle ils appartenaient. Un passage du diplôme porte que les émi-
grants reconnaîtront l'archevêque pour leur souverain, tant au temporel
qu'au spirituel, conformément aux lois et coutumes de l'église d'Utrecht, ce
qui prouve qu'ils appartenaient à ce diocèse. Seulement l'évêché d'Utrecht
était très-vaste ; il s'étendait jusque dans la Flandre : les quatre Métiers rele-
vaient de sa juridiction. Il restait donc à savoir à quelle partie du diocèse ils
appartenaient. Le commencement de la charte dit : cis Rhenuin comma-
nctUes, ce qui semble exclure toutes les provinces situées, par rapport à
Brème, au delà de ce fleuve. Il faudrait donc admettre , au premier abord,
que les émigrants étaient originaires des provinces septentrionales du royaume
Tome XXXII. 9
H8 HISTOIRE
des Pays-Bas actuel. Ajoutez à cela que les noms des Hollandais, mentionnés
par l'archevêque, n'apportent aucun éclaircissement à la question. Celui de
l'ecclésiastique, Henri, et celui d'un des chefs entrepreneurs, étaient aussi
frécpients dans la Flandre que dans la Hollande, l'Utrecht, la Gueldre, etc.
Les quatre autres, Helikin, Hiko, Fardolt, Referic sont plutôt frisons. De
sorte qu'en ihèse générale, on peut déjà admettre que les différentes pro-
vinces que je viens d'énumérer avaient fourni leur contingent à l'entreprise
de l'archevêque Frédéric.
Ce ne sont là, en véiité, que des données assez vagues; néanmoins, les
anciens documents de tous genres que nous a légués le passé , et dont la pu-
hlication a déjà jeté de si vives lumières sur l'histoire du moyen âge, me
permettent, ce me semhle, d'aller plus loin que ne l'ont fait mes devan-
ciers. En parcourant les chartes et autres sources du pays de Brème, j'ai
trouvé (pielques noms propres qui attestent à l'évidence leur provenance helge,
soit qu'ils énoncent simplement la nationalité, ou qu'ils désignent la localité,
ville ou village, dont les personnages en question sont originaires. Il faut, sans
doute, se défier d'analogies trompeuses et éviter des rapprochements forcés;
mais il est impossible de ne pas être frappé des quelques coïncidences sui-
vantes : '
Flandres. Buren, Herraannus de Buren, a° 1235 '.
Dam me, Dctmar von Damm ^.
Namme, Baidrawiniis de Hamme, ISIS ', Heinricus de Ilamme, 1258 *.
Heyne, auj. Eyne'^, Simon et Henricus de Heyne, 1233.
Sfeenvoorde (arrondissement de Hazebrouck) , Lambcrlus de Stcenvorde *'.
Walle, Engclbertus de Walle', 1205; Tliidericus de Walie, 1203, 1218, 1222,
1226 8.
' Ehmck, Bremisches Urkimdenbuch , p. 207.
* Wiedemann, p. 190.
' Lambecii, Orï^mt's Ilamburgenses , p. 112.
* Id., p. 97».
" Un des plus anciens villages de la Flandre orientale, près d'Audenarde, cité dans une
charte de Louis le Pieux, de 8iO. La seigneurie dllcyne, était déjà célèbre à la fin du on-
zième siècle, et elle fut, comme Boulers, Cysoing et Pamèle, une des quatre Séries de Flandre.
^ Sartorius uad Lappenberg, Geschiclite der lia usa , p. 587.
" Ehmcii, p. 118.
s M, pp. m, 153, 146, 103.
DES COLOrSIES BELGES. 59
BnAHANT. Bode . . Conrad von Rode ' .
Hollande Elerus Hollandcre, 1233 *.
Frise Ilcinricus Friso, Todo Friso, 1233 ^
Liège. Hooy (Huy). IlcinriRus de Hoien, a° 1217, villa Hoya *.
Des analogies non moins remarquables résultent de la comparaison des
noms de plusieurs localités du duché de Brème et des Pays-Bas.
Flandres. Hofstade (près Courtray ) , Hostede ^.
Seedorp (auj. Zuiddorp , près Gand), Sedorpc •>.
Voorde (près d'Alost). ugger Vôrde , a" 1225 '.
Harelbeke ou Harlebeice, villa AIrebekesa *.
Staden (près Roulers), Stadcn , a» 1199 {monasterium beatc Marie apud). Diffé-
rent de la ville de Stade ^.
Harimjhen (près Furnes), Harengen '".
Wackeii (près Courtray), Wachenthorp, a" 1200 ".
Steenbeke (arrondissement d'Hazcbrouck), Sleenbeke *^.
Devers (près d'Audenarde), Beversate, Beversledt ''.
Beveren '
„ , Bevern •''.
Anvers. Beveren )
Hollande. Hecklingen (près Scbiedara), Heckling, dans le Stedingerland '«.
.4/jeWo)«, Apelderen, 1139 ".
Delft, Delve '«.
' Ehrack, p. 1S7.
2 Id., p. 207.
s Id., p. 207.
* Id., pp. 129,194.
^ Id., p. 34.
« Id., p. 79.
' Id., p. i59.
« Id., p. 93.
9 Id., p. 97.
•0 /(/., p. 101.
»' Id., p. 103.
'- Wersebe, I, p. 371.
*' Ehmck, ib., passim.
•4 II y a trois villages de ce nom dans la Flandre occidentale, un près de Furnes , un près de
Roulers, et un autre près de Courtray, un dans la Flandre orientale, arrondissement de Saml-
Nicolas, près d'Anvers.
'S Wiedemann, p. 170.
"' Die Volkssagen des Sledingerhmdes , p. 210.
" Ehmck, p. 33.
'S Id., p. 126. . /
60 HISTOIRE
HoLLA>DE. Oldenbrock (S. de Kainpen), Oldenbrok dans le Stedingerland '.
OvERYssEL. .VieHÔcofA: (0. Deventer), Neuenbrok, dans le Stedingerland ^.
LiMBounc. Horst (N.-O. Ilasselt) Horst-im-Moor, Stedingerland '.
DiiENTHE. Groll, Grolland, dans le Stedingerland *.
Frise. Friesenliorn, Misselwardcn , Schollwarden, Hammelwai-den, etc.-'.
On pourra peul-éire objecter que les rapprochemenis qui précèdenl
manquent d'une base positive, ou que le basard seul les a produits. M. Schu-
niacber, toutefois, est d'avis que les noms des localités similaires à ceux des
Pays-Bas, que Ton trouve en Allemagne, ont une origine incontestablement
belge. « De même, dit-il, que les colons anglais et français, qui allèrent s'éta-
blir dans l'Amérique du nord, y fondèrent un New- For/.-, une Nouvelle-
Orléans , donnant ainsi à des villes nouvelles des noms de villes de leur
jjalrie , de même les Néerlandais transportèrent également les noms de la
métropole dans leurs nouvelles résidences... Ces témoignages sont frappants,
car, à cet époque, on n'avait pas encore la manie d'appeler des nouvelles
localités d'après des noms tout à fait étrangers, comme Mempbis, etc. »
D'ailleurs, à supposer même que cet argument vienne à faillir, on ne
manque pas d'autres preuves pour affirmer que le nom de Hollandi,
employé dans la cbarle de l'archevêque Frédéric, était purement énonciatif,
et qu'il n'excluait point les habitants des autres provinces des Pays-Bas.
Ainsi les expressions flamsk arve [vlaamsche erve), flilmsk land [vlaamsch
land) , flimisk regt [vlaamsch recht) étaient de temps immémorial aussi usi-
tées dans le pays de Brème , que les expressions correspondantes holler arve,
holkrland , hollerrerjl ^. Ainsi encore pour les marchandises et les mesures,
les deux dénominations //«msA- elhoUer ou holling étaient employées comme
identiques "^ .
Ces arguments réunis me semblent assez décisifs pour pouvoir conclure,
malgré les mots cis Rheniim commanentes , que la colonisation de 1106 eut
' Die Volkssagen des Sledingerlandes , p. 210.
2 Id., p. 2i0.
^ Id., p. 210.
* Id., p. 210.
" rd., p. 210.
•^ Versùch eines hremisch- niedersàchsischen Wôrterbùchs, etc. Bremen, 1707, t. 1, p. 40^.
' D' Sciiumacher, loc. cil.
DES COLONIES BELGES. «1
lieu avec le concours des habitants aussi bien d'au delà (par rapport à Brème)
qu'en deçà du Bhin.
in. Les auteurs ne s'accordent point sur la question de savoir où étaient si-
tuées les terres basses et marécageuses dont parle la charte de rarchevèque
f>édéric, et ils ont émis à cet égard les opinions les plus diverses.
Westphalen est d'avis que rarchevèque a eu en vue tous les terrains ma-
récageux situés alors dans le diocèse de Brème-Hambourg, par le motif que
le territoire actuel, nommé IloUerland , n'est pas assez considérable pour
avoir pu faire l'objet d'une colonisation établie sur des bases aussi larges '.
Eelking soutient, au contraire, qu'au douzième siècle la juridiction épisco-
pale de Brème comprenait tant de terrains incultes et marécageux, que plu-
sieurs milliers de colons auraient à peine sulïi pour les défricher, ce que le
contrat ne semble pas faire supposer. Ensuite, le HoUerland n'est pas, d'après
Eelking, circonscrit dans des limites aussi restreintes que le croit Westphalen,
puisque aujourd'hui encore cette partie du ressort de Brème comprend trois
bourgs et cinq villages. La dénomination même du terrain cédé milite irré-
futablement en faveur de son opinion "-.
Wersebe se range à cet avis, tout en le modifiant un peu. Selon lui, les
terres concédées se trouvaient à proximité de Brème, dans les marécages qui
étaient situés à l'est de la ville, et il envisage le village de Uorn comme ayant
formé le centre de la colonie hollandaise. Il fonde son opinion sur ce qu'il
était naturel que l'archevêque Frédéric commençât par faire coloniser les
terres qui étaient à proximité de sa résidence , c'est-à-dire par rendre arables
celles qui forment le IloUerland proprement dit, situées sur la rive droite du
Weser, pour s'occuper ensuite de la colonisation de Seehausen, Holle et
Brinkum, que l'on trouve sur la rive gauche du même fleuve. Wersebe fait
observer que le HoUerland est précisément situé dans ces marais , et qu'à
raison de sa situation à proximité de la ville, il n'était pas difficile de le dé-
barrasser de ses eaux, puisque, par suite de celte situation exceptionnelle, les
colons avaient à leur disposition les moyens nécessaires et les engins les
l)lus propres à mener à bonne fin leur entreprise ^.
' Monum. inéd., IV, p. 190.
5 De Belgis, 10.
s I, 23.
62 HISTOIRE
Langelhal, au conlraire, prétend que l'archevêque accorda aux Hollandais
toute la partie marécageuse de ses possessions sur la rive gauche de la vallée
de l'Elhe, depuis Buxtehede jusqu'aux frontières septentrionales du bailliage
de Reder, c'est-à-dire à peu près tout le canton de Stade \
Il me paraît plus simple et plus rationnel d'admettre avec Eelking et
Wersebe que la colonie occupa le territoire encore connu aujourd'hui sous
le nom de Holledand , nom qui indique indubitablement l'origine de l'éta-
blissement fondé par Frédéric '^.
IV. Ce n'est pas à dire toutefois que les émigrants se soient bornés à colo-
niser les seuls environs de Brème. Une grande digue, aux environs de Stade,
est envisagée comme ayant été construite par eux. Avant que cette digue
n'existât, dit Wersebe, la contrée de Stade était trop marécageuse et tro[)
sujette aux inondations pour que l'on pût la cultiver convenablement, d'où
il faut conclure que ce sont les Hollandais qui ont établi celte digue et qui,
les premiers, ont rendu arables les terres situées près de cette ville : le marais
hollandais [HoUerbrhch), près de Buxtede, est encore envisagé aujourd'hui
comme un vestige de leur colonie '".
Des documents écrits confirment la tradition. En 1149, l'archevêque
Hartwich vendit à un nommé Jean et à son collègue Simon , du pays de Stade,
un marais appartenant à l'église de Brème , pour qu'ils le possédassent selon
le droit hollandais * qui y était en vigueur. Une autre charte donne à de nou-
veaux colons la même juridiction que celle dont jouissent les Hollandais
disséminés autour de Stade *. C'est là une preuve évidente, dit Langethal,
qu'avant celte époque une colonie s'était déjà établie à Stade, colonie dont la
charte de fondation est perdue ®.
H ne sera pas sans intérêt d'entrer maintenant dans quelques détails.
Une tradition locale veut que VAlleland [Oltland), non loin de Brème,
' De lichjis, II, 82.
- Ehmck, Bremisches Urkundenbuch , p. 29, note 1.
"■ Wersebe, I.
' « Paludem duobus viris jure Hollandieo possidendam concessi. » Lindenbrog [Script.
Gervi., p. 181 ).
'■ « Concessi justitiam qualera Hollandensis populus circa Stadium habere consiicvii. » Lin-
denbrog, p. 180.
•> Gescjiichte der teutschen Landwirthschaft , t. II, p. 78 , note 1, in fine.
DES COLONIES BELGES. 63
vienne de OUand [HoUaitd). Suivant une autre version, ce territoire a reçu
ce nom parce qu'il a été le premier endigué et haliité par les colons. Trois
ruisseaux, dont le courant est parallèle [Schivlnge, Lilhe et Este), le divisent
en premier, deuxième cl troisième mille. Le premier et fe second renferment
jusqu'à {[uatre paroisses; le troisième en a deux : Eslebrugglie. et Neuenfelde.
L'élément frison de la population primitive fut absorbé d'une manière éton-
nante par l'immigration des colons hollandais, ou « pour parler plus exac-
tement, dit un écrivain brémois, des colons Flamands. Car cette belle race
d'hommes qui nous donna l'organisation communale, ce costume traditionnel,
cette manière de bâtir les maisons, aux couleurs bariolées, avec le cygne en
paille sur le pignon, tout cela révèle irrécusablement une origine llamande '. »
Le village de Neuland, aussi près de Brème, fut, selon toute apparence,
peuplé également par les Néerlandais, puisque, abstraction faite de sa proxi-
mité avec VAlleland, la porte de la ville qui mène à Neuland, et qui fut ap-
pelée dans la suite MarschtJtor, porta primitivement le nom de HoUdndertlior ,
( Valva IfoUandrorum). On en peut conclure que des Belges habitaient dans
le voisinage, d'autant plus qu'en 1392 la digue qui protège le village était
encore appelée Holnerschen Damm '^
La localité de Twielenfeth était nommée au treizième siècle die Hollers-
trasse. Le presbytère de Hollern s'élève à un endroit qui s'appelle encore de
nos jours Achterdik. Peut-être est-ce à ce même endroit qu'exislail jadis VAll-
Idnderdik ; toujours est-il que la HoUerstrasse [Hollenderslrate) est le point de
départ de la colonisation à laquelle on doit l'extension de VAlleland vers le
' Kôster, p. 7. — Wicdcmann dit dans le même sens : « Le mode de bâtisse (dans l'AIte-
land), les noms et marques caractéristiques des fermes, depuis le cygne juché sur le pignon
jusqu'au perroquet qui figure dans les bannières des gildes des arbalétriers (schûtzengilden) ,
tout révèle la Flandre ( I , p. i 1 ). »
Nous avons remarqué souvent dans les anciens villages des Flandres, au haut du toit des
maisons de paysans, des oiseaux en paille ou en bois, figurant te cygne ou un autre oiseau
quelconque. Quant au perroquet, il n'est guère de village llamand qui n'ait au moins une au-
berge portant dans son enseigne un oiseau de ce nom. Le pcrro([uet est très-souvent aussi brodé
dans les bannières de nos gildes d'archers flamands. Un octroi du roi Philippe II à la confrérie
de saint Sébastien, à La Ha}'e, porte, art. VII : « Sullcn voorls de voornoemde busschutters ,
soo wannecr sylieden den Papeguij schietcn, etc. » (Alkemade, 1 , 474). Ces analogies, qu'il
serait facile de multiplier, confirment les données des écrivains de Brème.
'^ Wiedemann, p. 220.
64 HISTOIRE
Nord, dans la direction à peu près de Sandhorcn et de Wolirden K Une partie
du village de Hollern s'appelle Speerort, nom que porte à Hambourg une
rue bien connue "'.
Le pays des Stedingiens {Stedingerland) avait une population fort peu ho-
mogène au temps de rarchevèque Frédéric; il reçut aussi sa part des colons
belges. C'est à ces derniers que le village de Hollern, près de Stade, que
Hiibke, le Hollerfleich dans le pays de Kelulingen, quelques fractions de
territoire prés de Osterbolz et de Ritterhude, près de Rrobergen, dans
le bailliage de Himmelspforlen, et la paroisse de Rruch dans i'Osterstade ,
doivent leur culture. On a sur le fait même des indications exactes ; mais Ton
ne saurait préciser l'époque où il eut lieu. Il en est de même pour Horsl,
Rucklau, (ladenberge, Oppeln et Ooderquartz ^
V. Quoi qu'il en soit, les établissements des Hollandais se développèrent
rapidement et leur culture produisit de si heureux résultats que leurs terres
furent bientôt jugées supérieures à toutes les autres. C'est sans doute à cette
circonstance qu'il faut attribuer la mention fréquente qui en fut faite dans les
chartes. Il ne sera pas sans intérêt de j)asser brièvement en revue quelques-
uns des principaux diplômes qui s'y rapportent.
En 4148, Adalbéron, archevêque de Rrême, accorda aux colons le droit
de défricher les marais situés au nord des villages de Santau, Strabelingshusen,
Ochimude et Hasbergen \
Par diplôme donné à Francfort-sur-le-Main , le IG mars HS8, l'empereur
Frédéric I confirma la culture des marais situés près de Brème, etc., et prit sous
sa protection les colons que l'archevêque Hartwich avait désignés à cet effets
Mais les faveurs accordées à des étrangers froissèrent, parait-il, la suscep-
' Wiedemann, p. 220.
2 Speeren (ail. Sperr) signifie angle, coin. Des explications recueillies de la bouche du
peuple constatent que speerort veut dire le barrage d'un cours d'eau, à l'endroit où il est en-
dii^ué. Un tel cours d'eau, lorsqu'il est arrêté, s'appelle en plattdeutsch dov (ail. taub, néerl.
doof). Wiedemann, ib., 172.
5 Hodenberg, Cop. stad., 24.
* Origin giielf., I, p. S'il.
s Bremisches Urkundenbuch, n" 46, p. 30 : » ... Utilitati ... Brcmcnsis ccclcsiae omni dili-
genlia providere cupientcs... paludes juxta Brcmam sitas... quae prius absque cultura erant,
inhabitari et coli concessimus infra hos termines a Weie et Dreie... »
DES COLONIES BELGES. 65
lihililé des habitants originaires, s'il faut en juger par les réclamations qu'ils
tirent valoir auprès de l'archevêque, à propos de l'absorption de leurs terres
dont, selon eux, les Hollandais les menaçaient. Hartwich délivra à ce sujet une
charte pour fixer les limites des prairies de ses diocésains, qui touchaient aux
terres hollandaises K
Le pape Alexandre lil, par une bulle du 29 mai 1 179, prit sous sa pro-
leclion les chapitres de saint Etienne et de saint Willehad, et confirma la pos-
session de leurs biens. On y voit que l'archevêque Adalbéron leur avait fait
don de deux manses hollandaises cl d'une demie '^
Nous trouvons en outre que, par un diplôme du 18 janvier 1181 , l'arche-
vêque Siegfried confirma la donation d'une manse hollandaise, située vis-à-
vis de Hamelake et Elingwerk, à un cloître situé à Osterholk ', et, la
même année, ce prélat vendit (?) à la ville de Brème, du consentement de son
chapitre, le Ilollerland *.
Par une charte qui n'a pas de date , mais qui semble avoir été délivrée
entre 1181 et 1183, l'archevêque Siegfried permet à son ministériel, Frédé-
ric de Machtenstede, de vendre, selon le droit hollandais, le marais situé
entre Brinkum, Machtenstede et Ilunckingen \
Une charte, qui prouve à l'évidence que la colonisation continuait à pro-
duire de remarquables effets, est celle par latiuelle le même archevêque ac-
corde (l 1 84) au chapitre de la cathédrale de Brème deux manses hollandaises
et une demie, situées dans le Neàenland , en compensation des prairies et des
pêcheries que les chanoines avaient perdues par suite du dessèchement des
marais ^.
' Werscbe, I, p. 45 : « Multis circa civilalem paludibus iu culturam rcdactis, pascua pe-
oorum suorum timentes posse coarctari, unanimiter ad nos convenerunt... »
2 Bremisches Urktnidenbuch, p. GO : « ... Ex doiio prcdicti Alberonis Bremensis arcliiepis-
copi duos maiisos liollandicnses et dimidium cura tola décima de Ilcmme... »
' Priitjcns, Diplom. Siimmlung des lier zogth. Bretnens, p. 10.
* Wersebe, II, p. 5b, note 19 : - Anne H81 , verkoffte bischop Sifridus dat Hollerland dcr
sladtBremen, mit wiilen des Dohm capittels. »
s ... « Ut paludcm intcr Bnnckum, et Magtenstide et Huckinge positam... vcnderet quibus-
dam emptoribus suis et suis liaeredibus jure holiandrico possidendam... sive velint banc partem
paludis quaesuis raansis evenirc polest, jure bollandrico vcndere, sive suis usibus reservare... »
Bremisches Urkundenhuch, n° 60, p. 07.
« Bremisches Urkundenbuch , n° 61 , p. 68 : . Noverint ergo tara praesentis quain futuri
Tome XXXII. ^^
66 HISTOIRE
Le premier mai 1 187, Hartwich II fonde, à l'exemple des prébendes in-
stituées i)our douze pauvres par saint Ansker, le chapitre dit d'Ansker pour
douze chanoines, et leur accorde à ce titre plusieurs revenus importants. Il y
parle du village de Home, dont le nom seul indique l'origine, ainsi que des
terres qui Tentourent \
L'année suivante, le Souverain-Pontife, Clément III, prit sous sa protec-
tion spéciale le chapitre (de l'église) de S*-Ansker, que venait de fonder
Hartwich II , et confirma les dons que le chapitre avait reçus de ce dernier ^
La bulle était donnée à Latran, le 22 juin 1158.
Une charte, de 1 197, de Rodolphe, archevêque de Rrème, fait également
mention de marais qui confinaient aux Hollandais '% preuve que ceux-ci
n'avaient pas eu à coloniser tous les marécages du diocèse, comme le croyait
Westphalen.
Enfin, une source de 1201 parle très-explicitement d'un territoire maré-
cageux situé entre Brinkemark, Ledis et Husermark d'une part, et entre
BrinkelilAvendige jusqu'à la War, d'autre part *, qui est cédé aux acheteurs
on entrepreneurs, selon le droit hollandais, par l'archevêque Hartwich IL
Il résulte de là que ce n'étaient pas seulement les établissements des Hol-
landais qui couvraient le duché de Brème, mais que leur droit était déjà en
teiiiporis fidulcs, quo ego dilectis fratribus meis, Brcraensis ecclesiae canonicis, in nova terra
duos raansos et dimidium liollandrensem in recompensationem pro paseuis et pratis et pisca-
tioniinis... quas ante paludis siccationcm ibidem habuerant, dedi... » — « Ut autem coloni
eorum, qui eosdem mansos incoUierint liberius ipsorum vacare valeant obsequio, orancs lam
judicumjiiridictiones quam operum praeslationes eis remisi... »
• nremisches Urkumlenbuch , n" 66, p. 73 : « Insuper adfratrum pracbendasaugnicntandas
rontradimus eis (canonicis) ecelcsiam Ilorne cum episcopali banno... Damas eis etiam très
quadrantes hollandrenses, unum in Géra, alterum in Vora. tertium in Leda, cura advocatia,
decimis et dccimationibus, in eadem parotliia sitos. »
2 Loc. cit., n° 72, p. 82 : « Ecclesiam cum l)anno de Ilôrne; ... très quadrantes hollandienses
quos liabet ex dono vencrabilis fratris nostri Hartwici Bremensis archiepiscopi... >-
5 « Item omnem tcrram et solitudinem juxta Eschedcn versus orientera de villa Buxtcliudc,
usque ad Ilollandros, contulimus. »
* Vogt, Monum. ined.Bremeits., I, p. 9 : « Paludcm a loco qui dicitur Brinkercraarlv, usque
ad locuin qui dicitur Lcdens llusercmark... sub Gronlande adjaccntem , cultoribus Ilcinrico et
Herraanno, jure liolluiidrio. Décima vero i)redictc paludis tota et intégra, excepta décima
decimi niansi, cura suo regimine, nobis ... libéra esse débet. Possessori décime incole ipsius
terre dabuul undecimum manipulum pro décima. »
DES COLONIES BELGES. 67
quelque sorte devenu la règle ordinaire des ventes et des achats; ce seul fait
en dit plus que tous les arguments en faveur de l'importance de la colonie
fondée en 1106.
CHAPITRE II.
HOLSTEIN.
Les Wendes ne s'établirent jamais dans le Holslein occidental, de sorte
que les souverains ne durent point songer à repeupler le pays devenu désert
par rexterniination ou par l'exil des tribus slaves. Mais ici, comme dans le
duché de Brème, il y avait manque d'habitants par suite des marais qui cou-
vraient la plus grande partie du territoire et qui rendaient ce séjour diflicile,
sinon impossible. Aussi trouvons-nous des établissements de Néerlandais dans
les terrains bas que les historiens nous dépeignent comme ayant été autrefois
submergés et qui sont convertis aujourd'hui en prairies fertiles.
Saint Vicelin, fondateur du célèbre cloître de Neumiinster, fut, selon les
apparences les mieux fondées, celui qui eut le mérite d'appeler des Belges
pour cultiver les terres de son abbaye. C'est à lui et à ses successeurs que le
Ilolstein est en grande partie redevable de la transformation qu'il subit au
douzième siècle '.
Le conseiller de Cronhelm, dans une dissertation préliminaire sur les
Documents inédits de Jean SIeimann, a prétendu que, dès 1 120, l'archevêque
Frédéric donna un canton marécageux aux Hollandais (la Bishorsler Marscli)
pour le coloniser. Il est à regretter que cet auteur n'ait point jugé à propos
de publier les documents sur lesquels il fondait son assertion, ce qui a fait
rejeter le fait par Wersebe, sans que du reste ce dernier fasse autre chose
qu'opposer à l'affirmation de SIeimann une dénégation catégorique 2. Mais
' Wersebe, I, 217.
2 Ih., 286.
GS HISTOIRE
ce qui semble confirmer Topinion de Cronhelm, c'est que Yiceliii séjourna
pendant sa jeunesse à Brème, auprès de Frédéric I, et qu'il était en grand
crédit auprès de rarchevèque '. Ne peut-on pas supposer avec quelque appa-
rence de vérité que, ayant pu apprécier autour de Brème rutililé de la colo-
nisation néerlandaise , il conçut dès lors le projet d'établir pareillement des
colons dans le pays que l'on confierait à sa sollicitude? Et n'est- il pas
probable qu'il se mil dès lors aussi en rapport avec des Belges, pour les
introduire dans le Holstein au premier moment opportun?
Quoi qu'il en soit de cette opinion, que partagent tous les auteurs à l'ex-
ception de Wersebe, Yicelin exerça suitoul son apostolat pendant l'adminis-
tration des archevêques Adalbéron el Ilartwich I. Ces deux prélats, qui
donnèrent une si vive impulsion aux colonies établies dans le diocèse de
Brème-Hambourg , ne semblent avoir eu avec Vicelin d'autres rapports que
ceux qui découlaient naturellement de leur juridiction temporelle, comme
princes, el de leur autorité ecclésiastique, comme chefs spirituels. En celle
dernière qualité, ils lui conférèrent de nombreux privilèges relatifs à l'objet
de sa mission; quant à la première, ils donnèrent leur sanction aux actes de
gestion posés par Vicelin. Ils ne prirent donc qu'une part indirecte à l'entre-
prise de ce dernier.
Nous allons voir que trois districts furent cultivés par les Belges; dans
tous les trois, le cloilre de Neumùnster avait d'importantes propriétés. La
Wagrie, ou partie inférieure du Holstein, et tout le pays slave jusqu'à la
Pêne, appartenaient aussi au cercle qu'évangélisait Vicelin; mais son activité
de missionnaire pouvait difficilement s'étendre jusque-là , parce que ce'pays
était au pouvoir des païens. Il s'arrêta donc sur les confins de la Slavie , à
VVippendorf, où il fonda un couvent qui prit le nom de Nouveau-Monas-
tère {Neu-Mimster). Il obtint aussi de l'empereur Lolhaire I une église à
proximité du château de Segeberg, que ce prince venait de bâtir, et un
nombre considérable de terres. C'est ainsi que la limite des biens de l'abbaye
de Neumvinster fut reculée jusqu'au pays des Ditmarsches et des Storma-
riens, limite dont les colonies hollandaises de la Wilster, de la Slor el de la
Helmshorn étaient les points extrêmes.
' Helmold, lib. I, cap. C4, n" 2.
DES COLOiNIES BELGES. 69
§ I. — Cercle de la Wilster.
Pour décrire la topographie exacte des terres occupées par les Néerlan-
dais dans ce district, il faut se léférer à plusieurs diplômes de donations, etc.
Le premier émane d'Adalbéron , et date du 27 août 1139. Par celle
charte, l'archevêque donne à Vicelin et au couvent de Neumùnster les
dîmes des terres situées sur les bords de la Wilster, depuis le lac de Sladen
jusqu'à la rivière de Waldburgoù , ainsi que les dîmes à provenir des terres
sises sur la rive méridionale de la Stor, à partir de la rivière Lutesoù jusqu'au
mont Bredenberch. Il ajoute cette clause importante que les religieux perce-
vront la dîme, sur les récoltes et le bétail, de tout ce qu'ils pourront cultiver
dans les bois ou les marais , soit par eux-mêmes , soit par leurs colons ^ etc.
Le 10 juillet 1141 , Adalbéron donna à Vicelin toutes les dîmes du can-
ton de Ilolslein el confirma, de plus, celles qu'il lui avait déjà accordées
en 11392.
En 1148, eut lieu une guerre de Henri le Lion contre les Ditmarsches,
pour venger la mort du comte Adolphe 11. A l'occasion de la victoire qu'il
remporta sur eux , le prince donna à Neumùnster un diplôme qui a des rap-
ports avec ceux que j'ai déjà énumérés. Après avoir rappelé les bienfaits de
sa famille , il donne sa haute approbation à des donations faites par le comte
Adolphe et les Ilolsatiens au cloître prédit \ Celte donation portait sur deux
' Westphalen, Monuni. ined., II, p tô, ii° 4 : « ... Qiiapropter sanctae conversationis fialri
sancto Vioelino et fratribus cjus, qui serviunt in monasterio novo, lias décimas scilicet juxta
Wilsiram fluviura scilicet a lacu qui dicitur Sladen usque ad fluviuni qui vocatur Waldburgen,
née non et alias Décimas in Auslrali plaga fluminis Slure, videlicet a iluvio Lutesoù, usque ad
montcm Bredenberch, Divinani promcreri cupicntes retribulionem , omnino dando concedi-
nius... Praelerea de omnibus quae in sylvis sive paludibus per se vel per colonos suos usque-
quaque idem fratres elaboraverint, tam in frugibus quara in aniraalibus, ipsi decimationes
aceipiant... »
2 Loc. cit., p. 14, n" 0 : « Addimus aulcm et liis décimas juxta Wilstram fluvium, scilicet a
lacu qui dicitur Sladen usque ad fluvium qui vocatur Waltburgoù, ncc non et illas quac sunt
in Australi plaga fluminis Sturac... •
3 Loc. cit., pp. 19, 20, n° 10 : » ... Quapropter paludem quae est juxta Wilsterani inter
Sladen et Walebnrgou , et alteram quae est juxta Sturiam inter Lutesoù et Aldenoù, a comité
Adnlpho et omnibus Holsatis eidem Ecclesiae collatas, adprobamus, et in usus fratrum eiusdem
prcdicti novi monasterii cedendas in perpetuum auctoritate nostra decernimus. .
70 HISTOIRE
marais situés, l'un à proximité de la Wilsler, entre Sladen et Waleburgoù,
et l'autre sur les rives de la Slor, entre Lutesoù et Âldenoù. Ces localités
sont aujourd'hui désignées sous les noms de Wilster-Aiie et de Walburgis-
Aî'ie. La petite ville de Wilster formait le centre de la colonie.
Les colons, qui desséchèrent et rendirent arables les marais dont font men-
tion les chartes, étaient des Hollandais '. Cela résulte, d'abord, quant aux der-
nières possessions énumérées, d'une source du 10 janvier 1221 , donnée par
le régent du Holstein, Albert d'Orlamiinde. Le gouverneur donne à Neumiinster
la dime de tous les revenus de ses biens situés dans la partie du Holstein
appelée Velus Terra, qui est comprise entre les possessions des Saxons et
des Hollandais -. Wesiphalen % Eelking * et Wersebe * font remarquer que
cette Velus Terra est la contrée basse et marécageuse qui s'étend au nord de
la Wilsler-Aùe. Mais il résulte de là que les Hollandais n'habitaient pas la
Velus Terra. Leurs établissements se trouvaient sur la nouvelle rive de la
Wilsler, qui touche du côté du sud à l'ancienne rive et qui est seulement
séparée de cette dernière par la Wilster-Aùe.
Ce qui confirme encore l'exactitude de cette description, c'est l'ordonnance
de Christian I, roi de Danemarck. Par cette ordonnance, rendue en 1470,
le roi abolit le droit hollandais dans le district de la Wilsler et de \aKremper-
Marsch , district qui correspond exactement à la topographie des établis-
sements hollandais ".
Au surplus, une charte de 117/1-, de Baudouin, archevêque de Brème,
constatait (pie son vassal Hildemard accordait à Neumiinster la dîme de la
terre de Damfliet, tant des récoltes que du bétail, ainsi que le denier à payer
à titre de redevance \ Or, c'est en cela précisément que consistaient les
' Wersebe, I, 244.
^ Westphalen, loc. cit., p. 21), n" 9 : « ... Dcciiuaiu omnium proventuum nostrorum, lam in
jiidiriis quam in redilibus in Holsatia, quae velus terra dicitur inter Saxones et Ilollandres,
solo molendino quod vocatur Osov, excepte, ejusdem Ecclesiae fratribus... contulimus... »
5 Tom. lY, Praef., p. t9t , nol. -n.
4 Pag. 18.
'' Wersebe, I, 24 i.
'^ /(/., p. 25i. Voy. Seconde partie , chap. Il , sert. II , g I".
' Westphalen, loc. cil., p. 23, n" li : « Quidam liomo nostcr Hildewardus omnem dcciraam,
quae lacui quae Damfliet dicitur, in parte occidentali adjacct, tam in frugibus quam in animali-
DES COLONIES BELGES. 71
charges à presler par les Hollandais de Brème. Cet argiimenl, il est vrai, ne
concerne que la nouvelle rive de la Wilster; mais Wersebe s'empresse de
déclarer qu'il faut aussi tenir pour une colonie hollandaise les établissements
formés entre la Wulburcjis-Aùe et le lac de Sladen K
Quelques noms, que Ton rencontre dans ce district et qui désignent des
situations locales, me semblent accuser indubitablement une origine néer-
landaise. Tels sont beke (ruisseau); Monliek, Knmmenchjk et Dain/Jiet, etc.,
que l'on écrirait aujourd'hui Moerdijk , Krommemlyk et Damvlied.
§ H. — Cercle de la Stôr.
Dans les deux chartes citées plus haut -, l'archevêque Âdalbéron confirme
à Vicelin et à son monastère les dîmes des terres situées sur la rive méri-
dionale de la Stor, depuis la rivière Lutesoù jusqu'au Bredenberg. Le pri-
vilège de Henri le Lion parle également de deux marais, l'un dans la
WHsler-Aùe, et l'autre, dont il va être question ici, entre Lutesoù et Al-
denoù. La situation s'explique d'elle-même. Le Bredenberg doit se trouver
à proximité de la paroisse de Breitenberg ou du château de Bretenburg, ap-
partenant aux comtes de Hantzau; ces deux endroits sont situés sur la rive
méridionale de la Stôr. Il suit de là que la rivière Lutesoù doit élre la mo-
derne Lulzbeck, qui se jette dans la Stor à l'est de Breitenberg, tandis que
l'Aldenoù, dont la charte de Henri le Lion fait aussi mention, ne peut être
<|u'un des cours d'eau qui forment leur jonction avec la Stôr à l'est du même
village '.
Ce n'est pas seulement la topographie qui nous permet de conclure que
ce district fut cultivé par les Hollandais; cela résulte à l'évidence d'une charte
bus, sedet nunimura census pro rcmedio animae suae nobis rcsignavit, ut eanderu cuni co-
dera iiuiiinio census fratribus in Novo monasterio Deo militantibus conferreraus. Huic ilaquc
devotionc bénigne annuentcs et prefalae Ecclesiae decimaiu praenoniinalam, item et numnuini
census conferentes.... » ^
< Wersebe, 1,252.
* Voy. notes 1 et 2, page C9.
'Wersebe, I, 236, 2b7.
72 HISTOIRE
de {'MO ^, ou pliilot d'une leKre de vente dont je parlerai dans la seconde
partie de ce travail, et dans laquelle il est question du ban hollandais. Il est
évident que le ban ou tribunal hollandais, qui se rencontre ici, doit trouver
sa source dans une colonie hollandaise qui existait dans cette contrée. Il est
tout aussi clair que ce district est le même que celui auquel se réfèrent les
sources citées. La proximité de Itzehoe, Heiligensteden et Munsterdorf nous
désigne à peu près la situation du ban hollandais ; partant , le village de
Cronsmoor, où siégeait le tribunal , devait être situé au midi de Breitenburg,
c'est-à-dire tout près du Bredenberg et de la rivière Lutesoù. A Cronsmoor
(Cranzmoor), se trouvait le siège du tribunal où le bien fut solennellement
cédé; le bien lui-même était situé près de la Stôr, et cette expression , « Lul-
teringe , cadre trop bien avec les noms de Luiesaùe ou Lutzbeck, pour que
l'on puisse douter que le bien fût sis précisément là où Vicelin avait reçu
les dîmes de la culture in palurlc. Il est probable que les Hollandais avaient
peu à peu étendu leurs établissements jusque dans les marais de Cronsmoor.
Celte localité figure, depuis le treizième jusqu'au quinzième siècle, comme une
dépendance du cloître de Reinfeld, en Wagrie, qui avait également reçu un
bien à Lutteringe, et qui céda l'un et l'autre (1437, H39) au couvent de
Bordesholm; mais il est plus que probable (pie Yicelin a été le fondateur des
colonies que nous trouvons sur ce territoire, et dont les terres ont pu, grâce
à un échange assez commun à cette époque, être adjugées au cloître de
Reinfeld -.
§1 III. — Cercle de Elmshorn.
La charte d'Adalbéron, du 10 juillet 1141, octroyait au cloître de Neu-
mùnster, outre toutes les dîmes du canton de Holstéin, celles des terres situées
près de la Ciester, de chaque côté de la rivière, depuis le village d'Elmshorn
jusqu'au lac de Wicfleth (Wykflied). La Ciester passait près d'Elmshorm ;
elle est appelée aujourd'hui Krokau ; mais son nom ancien semble s'être
maintenu dans le nom d'un village voisin, Seester, Seestermùhe ^.
' Westplialen , II , 1 41 , et mes Documents et pièces justificatives , i\° III.
2 Wersebe, I, 261.
3 /rf., 1,262-3.
DES COLONIES BELGES. 73
Un autre diplôme, du 2S juillet 1144, du même archevêque, désigne les
terres où la dime devait être prélevée, comme des marais, paludes , et leur
assigne les mêmes limites que la charte précédente '. Un troisième diplôme,
de 1146, fait don au couvent de Neumiinster d\in autre district maréca-
geux, situé à côté du premier et aboutissant au lac de Wicfleth. Cette source
est très-intéressante, en ce qu'elle désigne ces terrains comme étant le centre
d'une colonie nouvellement ("tahlie, et décrit minutieusement les bornes qui
devront l'enserrer -.
La plaine située vers Bishorst était déjà fort peuplée, au témoignage de
rarchevèque , ce qui semblerait prouver (ju'une colonie s'y était établie de-
puis longtemps. Tel est aussi l'avis de Thisiorien du Holslein. « En effet,
dit-il , il faut au moins de vingt à vingt-cinq ans pour qu'un district d'une
telle étendue puisse être convenablement cultivé. Or, — et l'historien sou-
ligne ces mots, — nulle part il n'est fait mention d'autres colonies que de
celles des Néerlandais qui auraient immigré dans le Holstein. Il est donc
permis de supposer que la population de la Bishorsler Marsch se composait
d'une partie des Hollandais appelés par Frédéric \ » La conclusion n'est pas
rigoureuse; mais les prémisses sont exactes et elles nous ramènent vers
112U, époque à laquelle plusieurs auteurs croient que la colonisation com-
mença dans le Holstein. Quant au nom même, aujourd'hui encore on trouve
un hameau appelé Bishorst, dans la vallée de Haseldorf.
Les colons que Vicelin établit dans ce district marécageux, près du lac de
Wictleth , étaient des Hollandais. On peut le conjecturer tout d'abord par
analogie. L'hypothèse gagne en force lorsque l'on considère que le cloître
percevait la dîme non-seulement des fruits de la terre, mais aussi du bétail, ce
qui est essentiellement propre aux Hollandais. Enfin, la probabilité se change
' Westplialen, II, p. 17.
2 /(/., II, pp. 18, 19, n" 'J : « Fratribus in iiovo luonasterio... providere cupiens, paludcm,
quac est versus Bisliorst , et jani non raro incolilnr liabitalore , distincte descrilii jussi, et deci-
niationes tam frugum quam animaliuin quac inde provcniunt, in usus fralruni dcputavi... In
ovicnfali igilur piaga palus supradicta terniinum habet marctiam Holsatorum, in Australi mar-
cbam Uomersflct, in boreali autcm lacum Wicflet, in occidentali vero fossara tendentem usque
ad niareliam Romersflet... »
3 Christiani, Geschichte von Schleswig-Holstein , II,423,sqq., 1775.
Tome XXXIL ^1
71 HISTOIRE
en évidence à la leclure dune charte d'Adalbéron , charte qui, à la vérité,
ne porte point de date, mais qui doit avoir été octroyée vers 1140 '. L'ar-
chevêque approuve un échange conchi entre ViceUn, au nom de ral)baye de
Neumunster, et Hartmann , prévôt du cloître de Ramelsloh. En vertu de cet
échange, le couvent de Ramelsloh cède les dimes de Rishorst, Katemersflete,
Wulberesen , etc., el reçoit, comme contre-valeur, de Vicelin, douze par-
celles de terre hollandaises bien cultivées et la moitié d'une manse hollan-
daise qui n est pas encore mise en culture. Ce fait établit péremptoirement
que là aussi une colonie hollandaise s'était fixée à une époque antérieure.
CHAPITRE HI.
THURINGE.
Dans celte partie de TAUemagne , on rencontre , pour désigner les colons
néerlandais, tantôt le mot de Hollandais, tantôt celui de Flamands. Des au-
teurs en ont conclu, et Wersebe est du nombre, que ce sont là deux noms
différents pour désigner un seul et même peuple, et que partout où l'on
trouve écrit Flamands, il faut lire Hollandais.
Cette explication est inexacte, en ce qu'elle est incomplète. L'hypothèse
contraire serait tout aussi vraie. Nous verrons plus loin que des deux termes
sont appli<iués indifféremment aux Hollandais ou aux Flamands; de sorte
que le docteur Langethal a dit avec raison : « que les Néerlandais de la Thu-
rin"-e ont été en partie Flamands, en partie Hollandais... L'établissement
entier des Néerlandais s'appelait die Fldmische colonie, et pourtant l'on décou-
' Weslphalen, II, pp. 22, 23, n° 12 : « Notuin sil filiis noslris, tam praesenlibus quaiii
futuris, qiiodHartmaniuis, Roraeslensis Ecclesiae Praepositus, et Vicelinus Praepositus Novi
nioiiasterii in Ilolsatia cum suis fratribus concambium quoddain fcceriiit, videlicet praepositus
li. (Hartniannus) et Ira très ej us dcciinatioiiem super Bisiiorst, Katmersdete , VVulbereseu ae
super oinnem marcliam earumdeni villarum, sibi pcrtinentem, Praeposito V. (Vicelino) et fra-
tribus cjus niancipavcruut, pro qua ipsi XII agros iiollaiidenses benc eultos, et diniidium man-
suiu hollandeusem nec duiii cukuin rtceperuul... •
DES COLOiMES BELGES. 75
vre ça et là des fermes hollandaises, HoMnclische Hùfen, qui ont dû êlre
cultivées par des Hollandais, puisque, à l'instar de ceux de Brème, ils avaient
à payer pour dinie la onzième gerbe. Il nous parait donc probable que les
deux noms. Hollandais et Flamands, désignaient dans la Thuringe les Néer-
landais en général; que la colonie de la Goldene Aiie se composait en partie
de Flamands, en partie de Hollandais, et que les deux peuples envoyèrent
encore d'autres colonies dans d'autres parties de la Thuringe ^ »
§ I. — Goldene Aùe.
« On peut dire à juste litre que c'est le génie flamand qui créa la Goldene
Ane! » s'écrie Schlôzer, en terminant l'aperçu qu'il consacre à nos compa-
triotes de cette partie de la Thuringe '-.
La Plaine d'Or, qui reçut ce nom grâce à l'exubérante fertilité de son
territoire, est située entre les villes de Sangerhausen, Franckenhausen, Nord-
hausen, et les bailliages de Heringen et de Kelbra. Elle appartient en commun
aux princes de Schwarzbourg-Budolstadt et aux comtes de Stolberg.
Tous les historiens s'accordent à reconnaître que les Flamands y ont fondé
des établissements considérables ; mais ils difl"èrent d'opinion sur l'époque de
leur arrivée et sur la cause qui les y amena.
Les uns pensent que les Flamands furent attirés dans la Goldene Ai4e par
l'espoir de nombreux avantages, en récompense des services qu'ils rendraient
à l'agriculture; mais ils ne croient pas que c'est aux évêques de Misnie que
la Thuringe est redevable de cette idée si féconde en résultats heureux; ils
|)encheiit plutôt pour la cour de Mayence ^ D'autres prétendent que les
Flamands y furent établis par Henri le Lion, après qu'il eut dévasté la ville
de Nordhausen et tout le territoire environnant '. D'autres, enfin, attribuent
la colonisation néerlandaise à la fois au couvent des Cislersiens de Walkenried
et à l'archevêché de Mayence. Pour appuyer cette opinion , ils rapportent
' Geschichle der Tvulschen Landivirtschaft , II, 162.
- Geschichle der Deulschen in Siebenhiirgen , p. 41(3.
■' Sctilôzcr, p. 416.
'* Eelkina;. p. 22.
76 HISTOIRE
(|iie les Fldmische Uindereien payaieiil leurs redevances en partie à l'arche-
vêché de Mayence et en partie à l'abbé de Walkenried '.
Celte dernière hypothèse, qui est la plus plausible, est conforme aux faits
historiques. Pour le prouver, remontons à l'origine du couvent et examinons
les rapports de Walkenried avec la Belgique.
L'abbaye de Walkenried tire son nom du village de Walkenried, situé
sur la lisière méridionale du Harz. Au commencement du douzième siècle,
Volkmar, comte de Klellenbcrg, qui le tenait en fief, s'étant retiré au cloitre
de Huisbourg, sa femme, la comtesse Adélaïde, — issue vraisemblablement
des comtes de Lohra, — conçut le projet de bâtir un monastère sur le terri-
toire du village de Walkenried, qu'elle conservait comme douaire, et de lui
léguer le reste de ses biens. Elle s'assura d'abord du consentement de l'empe-
reur Lolhaire III et du pape Innocent III, et se rendit ensuite à Cologne
pour y visiter les tombeaux des saints Martyrs. Ayant fait part de son projet
à l'archevêque, celui-ci lui indiqua le cloitre AWUfeid ou Alfktmp [Vet^is
Campus) comme pouvant l'aider à atteindre le but qu'elle poursuivait. Allen-
kamp fut le premier couvent de Cistersiens bàli sur le sol germanique, et il
l'avait été récemment "'. Adélaïde obtint du supérieur un certain nombre de
moines et un abbé pour les diriger, et retourna à Walkenried. L'abbaye fut
consacrée solennellement à Dieu, à la sainte Vierge et à saint Martin, l'an
1127 ^, comme le prouve ce distique :
Aiino milleno rentiini septemquc vîgeno
Wiilikrietli cxtruilur, Cliristus ubi colilur.
Henri, le premier abbé de Walkenried, était Néerlandais de naissance, et
il fut à la tète de l'abbaye pendant cinquante ans. C'est là un premier molif
qui l'a fait nommer le fondateur des colonies flamandes et hollandaises dans
la Goldene Aùe \ Il y en a un autre non moins sérieux. Altenkamp ne fut
bâti (|uc lorsque la maison-mère de Citeaux avait déjà de nombreux rejetons
' Michelsen, Rechtsdenicmale ans Tliiiringeii, 1833, p. 141.
- Près de Meurs, sur les confins des Pays-Bas.
^ Kkslorni, Chronicon Walkenrcd. , p. 10. — Leukfcld, Aniiqnil. Wclkenred , 1,27.
* .Michilsen, /oc. Cit., p. 141.
DES COLONIES BELGES. 77
dans les Pays-Bays, surtout dans la Flandre et dans l'Artois ' ; ce monastère
ne fut donc qu'une succursale plus éloignée de Citeaux, et il fut également
peuplé par des religieux belges. Cette fdiation lui permettait de recourir à ses
sœurs ainées dans les circonstances importantes, telles que celles où il s'agis-
sait de fonder un nouveau cloître. On peut admettre avec raison que les
moines d'Altenkamp, constamment en rapport avec ceux de Belgique, se
seront adressés à ces derniers pour en obtenir des colons, afin de rendre pro-
ductives les terres marécageuses qui avaient été affectées à l'entretien de
Walkenried. Ce n'était pas là seulement une spéculation d'économie domes-
tique, c'était un devoir imposé par la règle du fondateur de Citeaux. La
célèbre abbaye était elle-même située au milieu de marais cl de forêts que
les moines passaient leur temps à fertiliser et à déroder; ils avaient pour mis-
sion de poursuivre la même lâche dans toute l'Europe. Dès lors, rien de plus
vraisemblable que l'hypothèse d'une entente qui existait entre Walkenried et
Altenkamp, d'une pari, cl, de l'autre, entre Altenkamp et les cloîtres des
Pays-Bas.
Un des premiers actes de l'abbé Henri fut d'acquérir à vil prix un vaste
terrain [careclum) marécageux, lequel , à raison de sa nature, était d'un mince
rapport pour ses possesseurs : en peu de temps h grosse Ried '^ fut fei'lilisé et
donna des revenus considérables '\
Ce furent les colons néerlandais qui produisirent celle amélioration. Un
grand nombre de FUlmische Làndereien existaient dans la vallée del'llelme,
où le sol ne fut dans le principe qu'un humide marécage. La simple inspec-
tion des lieux prouve encore d'une manière évidente que les colons ont dû, à
l'aide de canaux de dérivation, convertir ces terres basses en prairies et en
' En H23, sainl Etienne, abbé de Citeaux, (il le tour des abbayes de ces deux provinces,
et reçut partout, disent les biographes , des témoignages de vénération. Voy. sa vie, par les
lîollandistes.
' La terminaison riet (roseau) est souvent employée dans le nord de la Thuringe, el elle indi-
que une contrée marécageuse où croissent le jonc etlalaîche (riedgrus). Les eller ou erle (vcrnes,
aulnes) croissent ordinairement aussi dans les terrains humides, d'où est venu leur nom. De la
eller, et par contraction erl-kunig , le roi des Aulnes, génie malfaisant, célèbre dans la féerie
allemande, et sur lequel Goethe a composé une de ses plus jolies ballades.
5 Urkunden des Stifls Walkenried. Vorwort, p. ix.
7S HISTOIRE
cliainps labourables, cl aujourd'hui Ton peut encore voir les hautes digues et
les aqueducs qu'ils construisirent à cet elTet '.
La dénomination de ces terres, telles que Vorrielh, Langerieth, EUer^, etc.,
en caractérise et la position et la destination naturelles. L'abbaye possédait
dans le voisinage, non loin de lleringen, une grande métairie [Vorwerk),\e
Jiicihof, dont le nom est emprunté sans doute à la situation '\ Tout près de
là, l'abbé Henri acquit, en 11 44-, de l'archevêché de Mayence, quelques
endroits marécageux dans le but de les dégager de leurs eaux et de les ferti-
liser *. D'après un document de 1155, les moines de Walkenried acquirent
|)ar échange, encore dans les mêmes parages, un marais situé à Heringen :
« Paludem quandam in Heringen virgultis et arbustis obsitam, quae ad Ful-
» densem ecclesiam spectabat^ » En 11 88, eurent lieu de nouvelles acqui-
sitions de terrains de même nature, et cette circonstance détermina proba-
blement l'arrivée de nouvelles troupes de Néerlandais ''.
Cet aperçu suffit pour indiquer dans quelle portion de la Goldene Aiic
s'assirent les Belges. Toutefois, on trouve leurs possessions les plus impor-
tantes dans trois localités différentes, à Heringen, à Gorsbach et à Berga.
Il est étrange que les sources n'en fassent pas mention avant la fin du dou-
zième siècle. Sans doute un bon nombre sont perdues; mais celles qui restent
ne nous apprennent pas davantage l'époque à laquelle arrivèrent les colons, et
dans quelles circonstances ils furent appelés. Peu de chartes parlent des Hol-
landais; je citerai spécialement celles de 1190 ^ et de 1208 ^
Quant aux Flamands, j'en mentionnerai quatre, les seules qui aient été
sauvées de l'oubli "; elles portent les dates de 1266, 1282, 1291, 1312.
' Micliclsen, loc. cit., p. 142.
' Voy. p. 77, not. 2.
'■ r.eukfeld,I, 592, siiq.
' Ekstorm, p. 49, sqq.
*" Midielseii, p. 142.
^ Langellial, II, 156.
' Vrhinden des Stifis Walkenried, I, p. 52. Urk., 51 : « Notum sit igittir tani pracsenti
quain futurac aetati quod liomines paludem, quac est inter Ovekerani el Bodain inbabitantcs
lial)(!l)tmt in singulis mansis XIII agros hollondeuses. »
'^ Ibid., p. 37 : « ... Nobilis vir Burchardus, cornes de Mannesfelt, oclo mansos qui liollan-
denaea raansi juxta vulgareni consuetudinein appellantur... •
' Voy. mes Documents, n" IV, V, VI, VII.
DES COLOiMES BELGES.
79
Faudrait-il conclure de là que l'arrivée des Néerlandais précéda seulement
d'un petit nombre d'années l'époque à laquelle les sources les mentionnent?
Assurément non. Le couvent de la Ilimmelsp/orle, dont je parlerai dans le
g 8 de ce chapitre, fut fondé plusieurs années après Walkenried, et reçut des
moines de ce dernier couvent. Or, déjà en 1152, une charte mentionne
expressément les Flamands et les Hollandais comme habitant les terres du
nouveau couvent; preuve qu'ils étaient établis avant cette époque dans la
Goldene Aùe.
Ce qui me paraît plus remarquable que les chartes mêmes, c'est un certain
nombre de noms de témoins qui rappellent évidemment une origine belge. Si
l'on ne voulait y voir qu'une coïncidence fortuite, il faudrait admettre , qu'on
me permette la comparaison, l'hypothèse des atomes crochus. Sans vouloir
pousser le rapprochement trop loin , je ne suis pas éloigné de conclure de la
présence de ces noms néerlandais dans la Thuringe au point de départ ou au
lieu d'origine de nos émigrants. Voici, au surplus, le résultat du travail
auquel je me suis livré à ce point de vue tout spécial :
Anvers . . Beveren . . Fredericus de Beveren, famulus, 1504 {Urkiindenb., II, 31); Frede
ricus de Bevere, 12IG (I, 84).
Aniois. . . Arras . . . Albertus de Arraz, 12C8 (I, 253); Albertus do Harraz, miles (I,l>33);
Alberlus de Arraz (I, 257).
FuNDREs . Ga7id. . . . Tliidcricus de Gandia, clericus, et Henricus de Gandia, presbyter,
1331 (11,200).
Hammc . . Villa Hamme.
Lembeke (près Gand). Henricus de Lenibeke, servus, 12fi4 (I, 242); Conradus de
Leynbeke, miles, 1254 (I, 214). — Villa Lembeke.
Wacken (près Courlray). Bertoldus de Wakene, 1313 (II, 88).
Diependuele (près Bruges). Villa Dependale.
Bruges. . . Fridcricus de Brugge, miles, 1253 (I, 207).
Henricus van der Weyde, famulus, 1327 (II, 154).
Lille .... Joaniies et Henricus do Insula.
Frise Jobannes dictus Friso , miles, 1314(11, 91); Fridericus Friso, miles,
1321 (II, 126); Henricus Friso, miles, 1282 (I, 310).
GnoNiNGUE Ilcrraan von Gruningen (Micliciscn, p. 40).
Liège . . . Herstal. . . Bertoldus de Ilarstal, miles, 1308 (II, S4).
LiMBOURC . Stockem . . Lippoldus de Stockem , 1298 (I, 375).
Dalltem . . Baldewinus deDalem, 1206(1, 110); Engclberlus et Rudolfus fratres,
de Dalem, 1238 (I, 138); Villii Dalliem, plus tard Talheim , en
Thuringe.
80 HISTOIRE
Veltliem . . Bertramus de Veltem, 1226 (I, HO).
Utkeciit. . Dorestadt {\Vyk-bi/-Duerstede). Vf ernheviis de Borslad, 1261(1,254).
Molhuysen. Sifridus de Molchusen, 1261 (I, 234).
Chacun de ces noms, pris isolément, ne fournirait pas peut-être d'argu-
ments solides; considérés tous ensemble, ils forment un faisceau de pré-
somptions graves, précises et concordantes, qui sont tout en faveur de ma
thèse et pour lesquelles il sera difficile, cerne semble, d'adminislrer la preuve
contraire.
% 11. — Erfiirl.
Pendant la seconde moitié du moyen âge , la Thuringe fut , au rapport de
tous les historiens , le centre de Tagricullure en Allemagne. Cette belle contrée
dut cet avantage non pas uniquement à la fertilité de son territoire , mais
surtout à l'intelligente direction de ses habitants. D'un sol bas et humide,
que les grandes pluies changeaient souvent en marais bourbeux, les Thurin-
giens, grâce à un système d'écoulement ou d'irrigation employé à propos,
firent un terrain dont la qualité devint bientôt sans égale, et qui fut propre à
tous les genres de culture.
S'il faut en croire une saga ou ancienne tradition locale, tradition qui vil
encore chez le peuple et que l'on peut étayer de raisonnements sérieux , on
serait en grande partie redevable de cette transformation à l'arrivée dans la
Thuringe de colons flamands, frisons et hollandais, et la ville d'Erfurt aurait
été leur principal établissement '.
Les Néerlandais avaient une spécialité que les historiens sont bien aises de
leur reconnaître : ils excellaient, à Erfurt surtout, dans la culture maraîchère
ou des jardins. Ils l'entreprenaient sur une grande échelle et livraient aux
habitants le produit de leur travail. C'est ainsi qu'ils furent à Amack, ainsi
que je l'ai déjà dit, les premiers fournisseurs du marché de légumes de Co-
penhague ■-.
Il est à regretter que l'histoire d'Erfurt ne nous fournisse pas des rensei-
* Micliclsen, Der Mainzer Hof zu Erfurt, p. 3. lena, 1833.
' Id., p. 6.
DES COLONIES BELGES. SI
gneinents plus explicites sur celle intéressante période. D'ailleurs, les sources
nationales nous font également défaut. Helmold et, après lui , Albert de Stade
sont les seuls qui fassent mention de la colonie de nos compatriotes à Erfurt :
comme cause de leur dépari de la Flandre, ils indiquent une grande inonda-
tion (probablement celle de 1129), et celte opinion ne nous paraît pas dénuée
de vraisemblance '. Michelsen croit en outre qu'un sentiment de réciprocité
ne fut pas étranger à cette émigration :il prétend, mais sans preuves, qu'une
colonie semblable à la nôtre se rendit, au douzième siècle, en Belgique pour
y dessécher également des marais et autres terrains bas, et cela aux mêmes
conditions que nos compatriotes en Allemagne. Il résulterait de là, tou-
jours d'après 31ichelsen, que l'exemple de ces sortes de colonisations, qui
obtinrent un si grand succès, réagit aussi bien dans les pays voisins que dans
les Pays-Bas eux-mêmes '.
Quoi qu'il en soit, nous sommes forcé de refaire l'histoire de celte époque
d'après des contrats et autres documents de même nature; encore ces sources
sont-elles peu nombreuses et éparses çà et là. Elles se ressemblent toutes,
et, si une différence (pielconque les sépare, ce n'est que sur des points acces-
soires et par suite des coutumes locales. Toutefois, ces sources nous ap-
prennent expressément, comme je l'ai déjà dit, que les colons flamands et
hollandais ont fait faire d'immenses progrès, dans la Thuringe, non-seule-
ment à l'agriculture en général , mais aussi à la culture maraîchère, et que,
sous ce dernier rapport, ils se signalèrent surtout à Erfurt '.
Comme dans la Goldene Aùe, où ils jouèrent un si grand rôle, les Fla-
mands furent appelés à Erfurt et dans le territoire avoisinant en partie par
l'archevêque de Mayence, et en partie par des prélats et autres seigneurs
ecclésiastiques dépendants de lui. Les sources nous apprennent que ce fut à
peu près vers la même époque, à laquelle ils s'établirent dans la Plaine d'Or,
qu'ils se fixèrent dans les possessions sur lesquelles l'archevêché de Mayence
avait un droit de suzeraineté. C'est alors que ces seigneurs ecclésiastiques
entreprirent à Erfurt un nouveau système de culture maraîchère et de jar-
' Michelsen, Der Mainzer Hofzii Erfurt , pp. 6,7, note.
' Id., p. 7.
'' Id., pp. d , 8.
Tome XXXII. 12
82 HISTOIRE
(linagc, dans un bu( de spéculation économique , sous la proleclion de la
cour de .Mayence ^
Un diplôme du mois de juillet i 133, et émané de l'archevêque Adalbert,
constate avec quelle activité les ecclésiastiques de la paroisse de Saint-Séverin
s'occupèrent de la création de nouveaux jardins, dans la vallée située entre
la Géra ^, et les localités de Chrislache et de Ilorlache. Ils reçurent en récom-
pense de grands privilèges, et, entre autres, leurs biens furent libres de
toute redevance^. Je démontrerai, dans la deuxième partie, que c'est grâce
aux Flamands qu'ils obtinrent ces avantages et que ceux-ci y participèrent
largement.
§ III. — Cercle de Naumbourg.
Des colonies belges non moins importantes que celles qui se fixèrent dans
la Goldene Aùe s'établirent, vers la même époque, dans le diocèse de Naum-
bourg-sur-la-Saal , cercle important de la Thuringe saxonne. Nous les trou-
vons principalement dans les environs de l'abbaye de Schidpforte.
Le siège de cette abbaye avait été placé par sou fondateur à Sclimollen,
dans le canton de Pleissen; mais le voisinage des Wendcs inquiétant les reli-
gieux , Udon I , évêque de Naumboui'g , transporta leur résidence à proximité
de la ville, dans un terrain humide et désert, sur la lisière d'une foret. Il
remplaça les Bénédictins par des Cisterciens, et demanda l'approbation de ce
changement au pape et à l'Empereur. Innocent II le sanctionna en 1 137, et
Conrad II en 4140. Walkenried , que dirigeait l'abbé Henri, fournit des
religieux au nouveau couvent ^.
' Michelsen, Der Mainzer lluf zu Erfurt, pp. 3, 5.
- « II y avîiil un couvent d'Augustins j)rès de la Géra... Ces religieux cultivèrent la contrée .
jetèrent un j)ontsur la Géra, et l'on voit encore un moulin bâti par eux. Des gens qu'ils amenè-
rent fondèrent tout près de ta ville un village nommé Schilderoda. • ( Nuchrichl von der stadt
Erffvrl in Thûringeti , Franefurt, I7I3, pp. li, IC).
Ces (fens amenés par les Augustins étaient-ils Belges"? 11 est permis de le croire, d'autant plus
que Sclielderode est un ancien village flamand situe entre Gavrc et Audenarde, etqu'ily existait
autrefois une abbaye.
'' Voy. plus loin, Sec. Part., chap. Il, sect. III , g II.
* Ekstorm. Chronlc. \Valkenred, p. 46 : e Henricus abbas et fratres Walkcuredcnses a Do-
DES COLONIES BELGES. S3
La nouvelle abbaye prit le nom de Porta Cœli {Hiinmelspforte). Â Pépoque
de la Réformation , rélecteur Auguste de Saxe la sécularisa et la transforma
en collège protestant (154.3). Elle s'appela depuis lors Scindpforle.
La date de la sanction papale est importante en ce qu'elle me paraît pré-
ciser l'époque à laquelle les Belges immigrèrent dans le Naumbourg. Les
sources qui font mention des Néerlandais ne manquent pas; mais elles ne
contiennent rien de décisif sur l'objet en question. Ce qui ressort à l'évidence
des chartes publiées, c'est que les colons se composaient de Hollandais et de
Flamands, et qu'on les confondait souvent en un seul et même peuple.
Ce sont ces deux points que je vais essayer de mettre en lumière autant
que possible.
L La première mention qui soit faite, dans les chartes, des Néerlandais est
de 1140. Udon I , évêque de Naumbourg, définit les limites des biens de
l'abbaye de Porta; et, après en avoir fixé la longueur, en étend la largeur
depuis le couvent iisf/ue ad terminos llollandcnsium ^
Lepsius avance gratuitement ^ qu'il était déjà question, avant cette époque,
d'une colonia Hollandensium : aucune source, que je sache, ne confirme
cette assertion.
Une charte de Wichmann, successeur d'Udon I, donnée en 1132, offre
un immense intérêt. Elle débute ainsi : Cuidmn populo de terra, quae
HoUand nominatur, a pracdecessore meo Udone in eundem episcopo coa-
dimato... ^.
En llo3, une autre charte de Wichmann confirme toutes les donations
faites par Udon à l'abbaye de Porta, et rappelle qu'elles s'étendent us(/ue
ad aggeres qui sunt secus novaiia Hollandensium \ L'évêque ajoute plu-
mino benedicuntur, et Dominum Albertura abbatem ex se eligentes eiim rcligioso exercilu ad
Portam aedificandam prope urbeni Numburcl<. »
. ' Pertuchii Ctironicon Purtense , p. 25.
ï Gesclitchte der Bischôfe des Hochstifts IVaiimburg, I, 268, note 2; Naunib., 184C.
Je dois toutefois ajouter que, dès 1130, un Florentins de Holland signe, comme témoin ,
1111 diplôme octroyé à l'église de Magdebourg par l'empereur Lotliaire III, et donné à Goslar.
( Mencken, Script, rer. Germanie, III, p. 1 110, Dipl, X.) Ce détail confirme jusqu'à un cer-
tain point l'opinion de Lepsius.
'' Voy. mes Documents, etc., n° VlII.
• Citronicon Portense, p. 28.
84 HISTOIRE
sioiii's biens aux possessions du couvent, et, entre autres, umim niansuui
/lollandcHsem in Tribune '.
En H68, Udon II, second successeur de Wichman ^, confirme ù son
(our les donations successives dont Tabbaye avait été Pobjet , cl Ton voit, par
la charte qu'il donna à celte occasion, que les limites de Porta n'allaient pas
encore plus loin que usque ad agros et novalia Ilollandium. ''.
Faisons remarquer tout d'abord la progression constante des termes. Le
diplôme de 1140 parle uniquement de « confins des Hollandais. » Celui de
1 132 est un véritable diplôme de colonisation, sur lequel je reviendrai dans
la seconde partie. Celui de 1153 nous donne une idée de l'élal dans le(piel
se trouvaient les terres qu'on avait départies aux colons; des digues sont
construites et les marais qui existaient sont desséchés et prêts à être mis en
culture : situation qu'exprime fort bien le mot novalia. Enfin , la charte de
1168 constate que les Hollandais ont des champs régulièrement cultivés, à
côté d'autres qui le seront bientôt.
C'est là, en quelque sorte, l'histoire des effets produits par la colonisation
néerlandaise. Il est maintenant facile de déterminer, à peu de chose prés,
l'époque de l'arrivée des colons.
L'abbaye de Himmclspforte esl construite vers 1137, et, en 1140, on
fait pour la première fois mention des Néerlandais. On peut déjà en inférer
(|u"ils furent établis dans le Naumbourg entre ces deux dates. Mais si l'on con-
sidère que l'abbaye était située, comme tous les cloîtres des Cisterciens, au
milieu de marais et de bois; que les Belges avaient été appelés à Walkenried
pour dessécher les terrains humides et les donner à l'agriculture; que peul-
étre le premier abbé de Porta, Albert, venait, ainsi que Henri, le premier
abbé de Walkenried, du cloître d'Altenkamp, sur les frontières des Pays-Bas;
si l'on ajoute à tout cela que l'intérêt bien entendu de l'abbaye exigeait la
présence des colons à l'époque où elle se constituait, et non quand, organisée
siu- des bases solides, les grands travaux d'endiguage et de dessèchement \
' Chroiiicon Porteuse , p. 28.
' VVicliniann fut nomme en H 34 à l'arehevêclié de Magdeljourg. Il eut pour succcsseirr
K.illiolfl(H:i4-H6l.)
" Chrunic Port., p 31.
DES COLOiMES BELGES. 83
élaienl achevés, il est permis de conclure que rélablissemenl des Belges dans
le Naumbourg coïncida, selon toutes les probabilités, avec la fondation même
de la célèbre abbaye. Je préfère donc, jusqu'à preuve contraire, la date
de 1137.
IF. J'ai dit plus haut ' que souvent les Hollandais et les Flamands étaient
confondus, tant était parfaite l'identité de leur langue et de leurs mœurs. C'est
ici que le principe reçoit toute son application.
Le nom de Hollandais est le seul qui ait été prononcé dans les chartes que
j'ai citées; à partir de 1 1G8, il disparaît complètement et fait place à celui de
Flamands. On n'est pas autorisé à en conclure, comme l'a fait Wersebe ^, que
c'est un caprice du hasard qui a interverti ces noms de peuples ; il faut cher-
cher une explication plus rationnelle.
Othon IV, se trouvant à Terni, en Italie, confirma, le 27 décembre 1-209,
d'une manière générale, à l'église de Naumbourg la possession de tous les
biens dont il lui avait été fait don, et notamment d'une métairie qua' diriiur
Flemminycn. Peu de temps après, la mélairie prit le nom de village.
Il faut admettre que ce furent des Flamands qui donnèrent leur nom à ce
village, parce que, dans la Goldene Aiie, il y avait pareillement des Flamands
et des Hollandais, et que ce furent les mêmes peuples qui colonisèrent le
Naumbourg. On ne saurait rien conclure des mots : cuidam populo de terra ,
f/iiœ Ilolland nominalur... ; car l'on ne saurait déterminer, dans l'espèce,
si le mot Holland est appliqué à la mère-pairie des colons, ou bien s'il est
donné au territoire qu'ils occupaient dans le Naumbourg. Il est évident que le
nom de Flamands ne pouvait être doimé aux Hollandais que là où les deux
peuples étaient réunis ; sans cela, la confusion n'aurait aucune raison d'être •
elle serait inexplicable. Ce qui ne laisse aucun doute sur la valeur de cet argu-
menl, c'est un passage curieux d'une charte de Wichmann (i Io2) qui porte :
llollandini qui et Flumingi nuneupantur '\ Le contraire avait également
lieu; dans plus d'un endroit où il n'est fait nienlion que des Flamands, nous
voyons tout aussi bien apparaître des Hollandais.
' Préface, p. v.
' Die niederlandischen Colunii-ii, de. 11, 93.".
'' Voy. mes Documents , n° I.\.
86 HISTOIRE
Hoche ' a prétendu que les Flamands bâlirent le village qu'ils appelèrenl
Flem/ngen-. Mais j'écarte cette opinion, parce qu'elle n'est pas justifiée, et
surtout parce qu'elle est inexacte.
En effet, le mot Flemingen s'applique à un. village nommé originairement
Tribune \ Ce dernier « figure dans les sources jusqu'en 1213, puis il dis-
parut peu à peu... De toutes les possessions du cloître (de Naumbourg), Flem-
mingen était la plus rapprochée. Le village était situé immédiatement au delà
de la vallée boisée qui commence au couvent. La plaine s'étend à l'est jusqu'à
la rue qui traverse Naumbourg, près du bois de hêtres, et qui est appelée,
dans les anciens écrits, la Buchsiraze \ » Or, nous avons vu par la charte
de Wichmann, de 1153, que l'archevêque donna au couvent ummi mansiim
hoUumlensem in Tribune, ce qui prouve que les Flamands ne furent pas seuls
à peupler ce village, et que, s'ils finirent par lui laisser leur nom , leur tribu
était probablement la plus considérable.
Ce qui me porte d'autant plus à admettre cette opinion, c'est que Jean,
évêque de Cambrai, signa plusieurs fois comme témoin des chartes données à
Mayence et concernant la Thuringe; qu'un Ludolphus de Camberrik figura
parmi les témoins laïques qui assistaient à la confection du diplôme d'Udon I,
en 1140, et qu'il est fait mention deux ou trois fois d'une villa Kemerich
(1152, 1153), qu'on ne sait plus où retrouver aujourd'hui \ La Flandre
était assez proche du Cambrésis, et la présence répétée d'un évêque de Cam-
brai à Mayence prouve sulïîsamment que des relations existaient entre les
deux pays, pour que l'hypothèse de Flamands dans le Naumbourg puisse être
acceptée comme une réalité.
' Ueher die niederlandischen Kolonien, etc., p. 47.
Il ajoute qu'une famille noble tirait son nom de ce village. J'ai trouvé {Thvringia sacra,
p. 7.37) qu'un Alberltis de Flemingen figura, en 1217, à un synode à Naumbourg; peut-être
esl-ee le même personnage que Alherlus de Tribune dont fait mention une charte de 120o.
Voy. mes Documents, n° IX''".
"■ Li'psius, pp. 62, G4. — Voy. mes Documents, n° IX'"\
" Lepsius, p. 208, noies 2 et 6.
Wcrsebc donne sur l'existence de Kemerich une opinion qui n'est pas digne d'un auteur
sérieux : « Der Namen des Dorfs Kemerich, von welchem ich nicht weiss , ob es noch existirc
und wo es cigentlicli bclcgen gcwesen sey , kommt dalicr meiner Mcinung nach hier gar nicht
in Betracht, sondcrn findet sich hloss ziifiillig in der nahe der obgedachten Colonie und des
wijrklich Niedcrlandisclicn Orts Flemin!;cn. » II. !)o2.
DES COLONIES BELGES. 87
Quoi qirilen soit, Conrad, cinquième abbé de Himmelspforie , donna, en
1250, des champs à bail à des colons flamands : rusikis flemingeusibus.
Élaient-ce de nouveaux immigrants? Rien ne le prouve; les sources ne par-
lent point d'une colonisation ultérieure entreprise par des étrangers. Il faul
donc supposer que c'étaient des habitants du village de Flemmingen '.
En 1277, Albert, landgrave de Thuringe, confirma les immunités de
Tabbaye, en ce qui concernait le droit d'avouerie qu'il exerçait sur le village
de Flemmhujen , comme dépendance de la Himmelspforie-.
Enfin, en 1304, Conrad de Flemmingen, frère convers de l'abbaye, et
ses neveux, Pierre et Conrad, donnèrent au couvent une grande ferme située
à Flemmingen, ainsi que le quart d'une manse, etc. J'y reviendrai dans la
deuxième partie ^.
A partir de cette époque, le village ne figure plus dans les sources de
manière à nous intéresser. Il existe encore aujourd'hui.
Aux environs de Naumbourg , on trouve aussi un Neu-Flemmingen, fondé
sans doute par des habitants du premier *.
CHAPITRE IV.
MISNIE.
Lors même que nous ne saurions point, par le récit d'Helmold, que des
colons flamands allèrent s'établir dans ce pays, d'autres témoignages con-
temporains ne nous laisseraient aucun doute à cet égard.
Le Chronicon Montis-Sereni rapporte, à l'année 1136, que, « Conrad
» [margrave de Misnie] fit venir des colons de la Flandre et les dissémina
» dans ses Etats ^. »
' Voy. mes Documenls , n° X, liu. A.
' Ibid., litt. D.
' Ibid., litt. C.
'• Dur [géographie von Deulschlaiid , 11, 70. Erfurt, 1789.
" Voy. Hoclic, pag. 43.
88 HISTOIRE
Un aulre historien s'exprime en ces termes : « Ce prince est connu sous le
» nom de Grand , et il mérite ce titre moins peut-être à cause de ses triomphes
» militaires que pour les bienfaits dont il dota la Misnie : grâce aux colons
" llamands qu'il y introduisit , ses États furent cultivés avec soin et prirent
» dès lors un aspect tout nouveau '. »
Dix-huit ans plus tard, une nouvelle émigration de Flamands eut lieu
dans la Misnie. Nous trouvons des Flamands, en 1154, dans la ville de
.Meissen '", tandis qu'un acte authentique de la même année nous donne des
détails fort curieux sur les conditions qui furent faites à nos compatriotes dans
une autre localité, et sur lesquelles nous reviendrons dans la seconde partie
de ce travail. Cet acte émane de Gerung, évoque de Misnie, en 1154, et il
fut confirmé, en 15 14, par Jean, évêque du même diocèse. Celte confirmation
solennelle, donnée trois siècles et demi plus tard, fait naître la conjecture (|ue
les descendants des Flamands existaient encore à celte époque dans le mar-
quisat de Misnie ^. Quoi qu'il en soit, le fond du document roule sur la ces-
sion que Gerung fail aux Flamands du village de Coryn ou Kûren, près de
VVurzen. Le début porte ce qui suit : Eyo, ob (vlernam mci memoriam ,
.sirenuos viros ex Flandrensi provlncia adventantes, in qiwdam loco iiicullo et
pêne Jiabilantibus vacuo collocavi.
Ce texte prouve d'abord que ce ne fut pas l'évêque Gerung qui attira les
Flamands par des promesses quelconques; ils sont allés dans son pays n'im-
porte par quel hasard adventantes. Il en résulte ensuite que Gerung, pour
ne les avoir pas appelés , ne fut cependant pas fâché de les rencontrer pour
repeupler son évêché inculte et désert. Nous pouvons enfin déduire de l'ex-
pression strenuos viros que parmi les nouveaux arrivants, il y avait des
hommes nobles, dont les biens, dit Scblôzer fort s|)irituellement, avaient peut-
être été submergés par l'Océan comme mainte fortune de marquis fut plus
lard engloutie dans le gouffre de la révolution française *.
Quelques écrivains ont avancé que la cause d'expatriation de ces Flamands
' Heiiiricli, Siichsische Geschichle, I, 506
' Fabricius, Annalcn (1er stadt Meissen, ad. an. 1 1.'i4.
"' V'oy. mes Donimenls , clc, n" XF.
'■ Gescliirhte (1er Deutscheii in Siehenbiirgen , etc., ji. 412.
DES COLONIES BELGES. S9
ne (ut autre que la peine crexil prononcée contre eux par révêquedl'trechl ,
et fondée sur le motif que ces slremii viri n'auraient été que des conspira-
teurs, des fauteurs de troubles et de désordres. Eelking ' et Schlozer '- com-
battent cette opinion parce qu'elle ne leur paraît sucuncment fondée. Je par-
tage cet avis, tout en me basant sur une autre raison. En effet, la majeure
partie de la Flandre relevait à cette époque de Tévêché de Tournai; les
Flamands n'auraient donc pu être expulsés pour cause de rébellion contre
l'évêque d'Utrecbt. Quant à la partie qui obéissait à la juridiction spirituelle
de ce dernier % on n'a aucune raison de supposer qu'ils appartenaient à cette
partie plutôt qu'à l'autre.
D'autres encore ont prétendu que ces Flamands exilés étaient ceux qui
avaient pris part à la conspiration contre Cbarles le Bon, et qui, ayant été
proscrits, allèrent s'établir en Allemagne*. Mais Cbarles périt en H27. Or,
est-il admissible que ses assassins ou leurs complices aient mis vingt-sept
ans à arriver en Misnie (1134-)?...
Enfin , une troisième opinion attribue la colonisation flamande à Albert
l'Ours, mais elle ne me satisfait pas davantage. Abstraction faite des textes
cités plus baut et qui décident la question , on peut faire valoir un argument
qui semble concluant. Conrad le Grand régnait sur la Misnie et la Lusace
réunies, en même temps qu'Albert sur le Brandebourg. A sa mort, de ses
deux fils, l'un, Otbon , lui succéda dans la Misnie; l'autre, Didier, dans la
Lusace ^ Peut-on prétendre raisonnablement qu'Albert l'Ours ait pu envoyer
* Dissertât io de Belgis, etc., pag. 72, noie 6.
« PMg. 412.
5 Meyeri, Annules, I , p- 7 : « Willibrordus ... faclus est Episcopus Trajectcnsium , ciii scdi
etiam nunc ex Flandriis parent Birflclani, Huislani, Axellani, Ilasnenscsque, pcr Willihiordum
olim sanctae inaugurati ,rcligioni. Vix pulo tune intcrccssissc mare inter Flandres cl Frisios
inleriorcs, qui Uinc Ilollandi elZclandi. »
^ Revueile Bruxelles, 1839, II, p. 49. VVarnkœnig {Hist. de Flandre, édit. française, I,
p. 217), dit que la Chronique des comtes mentionne des émigrations de Flamands la même
année du meurtre de Charles le Bon. Mais ce renseignement est trop vague pour faire autorité.
On sait que les assassins du comte de Flandre, qui parvinrent à s'échapper, se réfugièrent
d'abord en Angleterre et en Irlande, et que, chassés de ces pays à cause des brigandages qu'ils
y exerçaient, ils allèrent finir leur misérable existence en Scandinavie.
'^ Sehôttgen, ilj., 102, 103. — Sagittar, Geschichle von Lausitz, p. 2SC.
Tome XXXIL 15
90 HISTOIRE
des colons étrangers sur les terres de ses voisins pour leur y accorder des
droits et des privilèges spéciaux? C'est peu vraisemblable el ce n'est nulle-
ment prouvé.
*
CHAPITRE V.
ANHALT.
Le pays d'Anhalt n"a pas toujours eu les limites dans lesquelles il est com-
pris aujourd'hui. Il suivit la fortune de ses seigneurs. Ceux-ci descendent
d'une des plus anciennes familles de l'Europe. Son chef est Bérenger, comte
de Ballenstedt et d'Ascanie (786). La famille d'Anhalt fut reçue, en 1218,
parmi les maisons princières. Ses premiers domaines s'augmentèrent, en
1031 , d'un territoire inmiense, situé entre TElbe et la Saal; plus tard, d'une
partie de la seigneurie de Billung, etc. Pour éviter toute confusion, je con-
sidérerai la principauté d'Anhalt au point de vue de son étendue actuelle,
depuis le jour où les quatre duchés primitifs se sont successivement fondus
en un seul par la mort du dernier duc de Bernbourg.
« Il est de toute probabilité, dit Langelbal ', que tout le pays d'Anhalt
fut peuplé par des colonies néerlandaises. « Eelking, Hoche et Schlozer
avaient déjà émis le même avis. Wersebe seul fut d'un sentiment contraire.
Il a consacré quarante-huit pages "^ à prouver que de prétendues analogies
de noms et d'accent avec le nom de certaines villes et la langue des Pays-
Bas n'existent que dans l'imagination de quelques écrivains, chez qui l'igno-
rance le dispute à la légèreté. On est peu tenté de le suivre à travers les
méandres de cette interminable divagation. Tâchons d'exposer impartiale-
ment l'étal de la question, et laissons à Wersebe le plaisir de nier l'évidence.
Albert l'Ours était à la tète du pays d'Anhalt, au douzième siècle, et, bien
(ju'on ne le voie point coloniser la principauté par lui-même, il est évident
qu'il favorisa directement ceux qui imitèrent l'exemple qu'il donna dans les
' Teutsrhe Landunrfhscliaft , etc., foni. II, p. 14d.
' De 698 à 74G.
DES COLONIES BELGES. M
autres provinces de ses États. C'est Arnold, abbé de Ballensledt, qui, sous
la protection du margrave, donna l'impulsion à la colonisation de l'Anhall.
I. Il vendit, en 1159, à des Flamands, et à leur demande ', deux petits
villages qui appartenaient à l'abbaye et étaient situés au delà de la Mulde :
Nauzedele et Niniifz. L'abbé leur céda en même temps un bois nommé Drog-
bul , qui s'étend jusqu'au cours d'eau le Loben. Les Flamands acquirent ces
villages, auparavant slaves, pour les posséder selon leur droit propre, et de
grands privilèges leur furent accordés ".
Nimilz et Nauzedele sont inconnus aujourd'bui. M. de Ledebur conjecture
qu'il faut chercher le premier dans le village actuel de Kembery [Cambrai),
(jui répond à la topographie indiquée dans la charte de l'abbé de Ballenstedl.
Quant au second, il propose de lire Neusiedel [neue Ansiedelung)'". Mais il
m'est difïîcile d'admettre celte interprétation, d'abord parce que le diplôme
dit expressément que Nauzedele appartenait aux Slaves, comme du reste le
nom le démontre, et puis ensuite par le motif que les Flamands ou autres
colons, quels qu'ils fussent, n'ont pas pu donner de dénomination au village
avant de le posséder. Je serais plus disposé à croire que Nauzedele est devenu
le Keiiierick actuel, qui se retrouve dans les mêmes parages '.
Huit ans après, en 1 167, Albert l'Ours, avoué de l'abbaye de Ballenstedt,
fit mention des Flamands et du droit flamand dans un contrat de cession
ayant trait au village de Pozelewe et de quelques autres terres ''. On a cru
que le bourg dePascbleben, près de Crethen, correspond à la terre dont parle
le diplôme d'Albert l'Ours; mais l'indication, qu'il est situé au delà de la Milde,
fait songer au village de Busdorf, (|ui se trouve entre Remberg et Nimilz *".
Les deux sources de 1159 et 1167 prouvent, la première, l'existence
d'une colonie flamande fondée près de Ballenstedt; la seconde, le projet ou
tout au moins le désir d'en établir une à Pozelewe ". Bien que le margrave
' Voy. mes Documents , n" XII.
■^ Voy. seconde partie, thap. II, sect. V.
^ Vortruye zùi- Geschichle Jer Murh Brandenlmrg , p. 40.
* Loc. cit., p. 40.
s (1 Si aiitcm ea ad Fiamingonini jura translulerit, décima predicte Ecclesie pertiiicbil. »
i' Ledebur, Vorlrlige, p. 41.
' Wersebe, II, p. 757.
92 histoire:
ligure dans l'une et l'autre comme suzerain et avoué hérédilaire de l'abbaye,
je crois que le mérite de la colonisation revient presque tout entier à l'abbé
de Ballonstedl. En effet, Arnold, dans le premier des deux documents, parle
tant en son nom personnel ego minisler, qu'au nom de ses confrères /"m/res
noslri ; et, dans le second, c'est encore son abbaye qui doit bénéficier de la
colonisation; si les cessionnaires meurent sans héritiers, leurs biens passent
à rabba}e.
(le qui confirme celle opinion, c'est que le diplôme date de 1159,
époque à lafiuelle Albert l'Ours établissait aussi des colonies dans la Marche-
Ancienne et dans les aulres provinces conquises sur les Slaves. De celle cir-
constance aussi bien que de celle autre que l'abbé accorde aux Flamands les
mêmes droits que ceux octroyés par le margrave aux colons du Brandebourg,
naît la conséquence que l'abbé de Ballenstedt a voulu profiler de l'exemple de
son souverain et que celui-ci a même pu envoyer vers lui une partie des colons
néerlandais qu'il avait appelés. La signature d'Albert l'Ours, delà princesse
Sophie, son épouse, de ses cinq fils et de son gendre Thiclbold, duc de
Bohème, rend celle hypothèse des plus probables; elle ajoute d'ailleurs à
l'importance de renlre[)iise de l'abbé de Ballenstedt.
H. La plus grande partie du territoire d'Anhalt était couverte de marais,
de sorte qu'elle se prêtait on ne peut mieux au dessèchement et à la culture,
comme l'entendaient les colons de la Flandre '. Il est donc tout naturel que
nous trouvions ces derniers sur d'aulres points qu'à Ballensledl.
Les historiens nous ont conservé deux chartes de l'abbé de Nienbourg,
par lesquelles il substitue des colons chrétiens aux Slaves idolâtres *. Il ne
désigne pas formellement les premiers comme Belges; mais, d'après Lange-
ihal, « il est éminemment probable que ce furent des Flamands que l'abbé
» établit dans la châlellenic de Clulze (auj. Kleulzsch), et il est certain que
» la chàlellenie de Sleine, près de Dessau , fut colonisée par ce même
» peuple '. »
' Wirscbc, II,7Gr).
* « Rcmolis(]iu' antiquis infidclium Slavorum coloiiis, novos inibi christianc fidei rultorcs
collocavit. » — « Rcmotis Slavorum anliqiiorum colonis. » Beckinann, c. 4.
2 Teulsche Landwirthschaft , II, 146.
DES COLONIES BELGES. 93
Wersehe paraît celte fois tout disposé à conclure dans !e même sens. « Les
» sources, dit-il, ne s'expliquent pas sur la nationalité des colons que Ton
» fil venir pour remplacer les Slaves; elles disent seulement qu'ils étaient des
» serviteurs fidèles de la religion chrétienne; reste donc à savoir s'ils élai<'nt
» Néerlandais ou de race germani(pie en général. Il est permis tout d'ahoid
» d'admettre la première hypothèse et de supposer que ce fait , si remarquable
» d'ailleurs, n'a pas paru assez important au rédacteur du diplôme pour en
» faire une mention spéciale, ainsi qu'en avaient agi ceux qui avaient écrit
» les chartes de Ballensledt; d'autant plus que nous ne trouvons générale-
» ment que plus tard des exemples de colons allemands, et que ceux-ci ne
» s'entendaient encore guère mieux que les Slaves à la culture du sol. La
» colonisation par des Flamands était, au contraire , d'un usage fréquent , et
» la situation des localités de Stene et de Kleutsch était tout à fait propre à
» rétablissement d'une colonie flamande : il n'est donc pas improbable pour
» moi que les colons dont parle l'abbé de Nienbourg vinssent des Pays-Bas.
» Toutefois, ce n'est là qu'une conjecture '. »
Langethal et Wersebe ont oublié de faire valoir en faveur de cette opinion
des arguments qui ne sont pas sans valeur, à savoir que l'entreprise de Tabbe
de Nienbourg coïncida, pour le temps et pour les circonstances, avec celle de
l'abbé de Ballenstedt; que la première comme la seconde fut conclue sous les
auspices et en la présence de l'avoué, Albert l'Ours; enfin, (pfelles eurent
lieu dans le même pays et à peu de dislance l'une de l'autre.
m. Nous avons déjà pu constater à plusieurs reprises que, malgré de
certaines obscurités dans les chroniques ou autres documents, les endroits
qui portent le nom de Fluming , Fiemniiiujen, etc., dérivent sans nul doute
d'établissements fondés jadis par des Flamands, quelles que soient, d'ailleurs,
les circonstances au milieu desquelles ces faits se sont produits. Celle re-
marque générale reçoit encore une application spéciale pour le pays d'An-
halt.
Un canton de la principauté qui s'étend aux environs de Zerbst porte le
nom de Fluming. Les auteurs allemands s'accordent tous, sauf Wersebe,
' Wersebe, II, pp. 841 , 84'i.
94 HISTOIRE
comme je l'ai dit, à reconnailre que ce nom provient des Flamands qui le
colonisèrent au douzième siècle, et ils assurent que les hai)ilanls des villages
échelonnés le long de la route (actuelle) de Dessau à Wœrlilz ont la même
origine. Je suis tout disposé à admettre celte opinion, car les prairies qui
s'étendent à perte de vue autour de Vockerode s'appellent encore aujourd'hui
die FUimische Wiesen. Je leur ai trouvé le même aspect qu'à celles de l'Es-
caut; seulement j'ai remarqué qu'il y croît çà et là quelques arbres ou ar-
bustes qui ne défigurent point les nôtres. Les eaux de la IMukIe les couvrent
complètement pendant l'hiver. C'est pour se mettre à l'abri des inondations ,
disent les traditions locales, que les Flamands construisirent une digue de
plusieurs lieues d'étendue, digue qui existe encore aujourd'hui et sur laquelle
est construite la route de Dessau à Wœrlitz. Le village de Vockerode et les
aulres situés dans les environs ont une couleur flamande à laquelle on ne
saurait se méprendre; on dirait des villages d'entre Audenarde et Tournai. Ils
ont la même construction dans l'ensemble, la même disposition dans les
détails, le même caractère général.
A Dessau, dans tout l'Anhalt, et même partout où se fixèrent les Belges,
rien déplus commun, de plus proverbial que les expressions : ein flamischer
Kerl, ilas ist fldmisch ou zk flumisch. La première, qui s'applique tant aux
animaux qu'aux hommes, est employée lorsqu'on veut désigner un gaillard
grand, fort, vigoureux, en un mot une espèce de géant ou d'hercule. Peut-
être cette expression est-elle destinée à perpétuer le souvenir de l'étonnement
dont furent saisis les peuples étrangers, lorsqu'ils virent apparaître ces Fla-
mands, bâtis en colosses, tels que les dépeignent nos chroniqueurs. Plusieurs
de nos princes, au moyen âge, avaient une taille démesurée : Charles le Bon
avait plus de neuf pieds de haut.
La seconde, das isi flamisch, zù fldmiscli, est en usage pour peindre d'un
trait une masse trop grande ou trop lourde pour la taille ou la force d"un
homme, ou bien pour marquer un objet dont la mesure est disproportionnée;
par exemple, un fruit d'une grosseur extraordinaire, un plat de viande
énorme, etc. Cette expression, qui est la conséquence fidèle et naïve de la
première, nous prouve ce que devaient avoir de puissance corporelle ces
Flamands dont les descendants dégénérés, semblables aux puliani ou fils
DES COLOtNIES BELGES. 9S
des croisés de la Terre-Sainle, perdirent peu à peu loule vie propre, tout
caractère individuel, et finirent par sVHeindre si bien dans d'obscures
alliances, que leur nom seul a survécu dans la mémoire du peuple. En re-
cueillant ces détails de la bouche des habitants de Dessau , je me rappelai
involontairement ce terrible Baudouin à la Hache qui, aimant à rendre la
justice lui-même, parce qu'il était plus expéditif que ses officiers, enferma
un jour dix chevaliers voleurs dans la salle d'armes du château de Wynen-
dale et, au dire d'un chroniqueur, les pendit tous l'un après l'autre aux
solives de la salle, sans se servir du bras gauche, et sans que cette difficile
opération l'eût fatigué.
CHAPITBE VI.
MAGDEBOURG.
Albert l'Ours fut vivement secondé dans sa croisade contre les Slaves par
Wichmann , archevêque de iMagdebourg. Ce prélat , que l'histoire nous repré-
sente comme une des plus grandes figures du douzième siècle, était monté
depuis quelques années sur le siège archiépiscopal de Magdebourg, après
avoir été évêque de Naund)0urg pendant quatre ans. « Sa longue adminis-
tration (de 4154 à 1192) fut pour le vaste diocèse confié à ses soins une ère
de grandeur et de prospérité '. » 11 travailla, entre autres, sans relâche, à la
colonisation de ses provinces.
A l'époque où Albert l'Ours attirait dans la Marche-Ancienne des colons
de divers pays, Wichmann peupla une partie de ses possessions transalbines
de Flamands et autres étrangers, et l'on peut dater la colonisation de l'autre
partie du temps où le margrave soumit la Marche-lVIoyenne et le pays des
Stodérans. 11 est certain , dans tous les cas, que des colonies belges se fixèrent
dans l'archevêché de Magdebourg entre les années cinquante et soixante du
douzième siècle ^.
' Lcpsius, Gescinchte lier BIsschôfe von Naumburg , i, p. 51.
2 Langethal, II, 142.
96 HISTOIRE
Aussi rencoulre-l-on encore dans le territoire séculier de rarchevéché plu-
sieurs districts qui portent le nom de Flaming, et que Wersebc lui-même
considère comme ayant une origine flamande '. Deux de ces districts doivent
principalement fixer notre attention.
I. Le premier, dont la ville de Crôkow semble être le centre, est le plus
grand. La ville de Crokow, située vis-à-vis de 3Iagdebourg, fut babitée par les
Hollandais ou Flamands, et possédée d'après leur propre droit, droit que
confirmèrent des lettres de rarchevêque ^ C'est donc, à proprement parler,
le territoire situé autour de Crokow qui porte encore, après tant de siècles,
le nom de Flaming.
Comme la colonisation flamande sur la rive droite de l'Elbe fut importante
à tous les points de vue, cette rive reçut le nom de Fliunische Seite. 3Iérian,
dans sa Topographie, nous apprend que les villes de Sandau, Jérichow, Lau-
burg, Mockeren, Gentbin, en faisaient partie. Bien que de là ne suive pas que
toutes ces villes ont pris naissance lors de l'arrivée des Belges, il faut toute-
fois que la colonie ait pris un développement considérable, puisque sans cela
le Flamische Seite n'aurait pas pu s'étendre si loin ^.
Vn autre document important, qui est une preuve manifeste de l'établisse-
ment des Belges dans ces parages, est la réponse à divers points de droit
qu'avaient soumis au banc des échcvins de Magdebourg les autorités de la
ville de Culm, dans la Prusse occidentale *. Les écbevins délivrèrent, à ce
sujet (1539), un diplôme aussi curieux que décisif, et sur lequel je revien-
drai dans la seconde partie.
Le commencement de ce diplôme désigne clairement et la situation et l'im-
portance du Flaming : an ei/nem Ort Landes, nalie bey Magdehurg gelegen
iiber der Elben. L'expression Ort Landes revient deux fois; elle ne peut
s'appliquer qu'au territoire de Crôkow et de ses environs. Cela s'accorde par-
faitement avec les renseignements donnés plus baul sur la colonie flamande
fondée par Wichmann.
' Wersebc, II, 657.
- Thnrsniidt, Antiqiiit. Plocensps. Lipsiœ , 1723 : > Circa idem leinpus villa Craeko, unie
Maf^dcbiirguin sila, ab Hollandis vel Flamingis est oecupata, jurcqiie ipsoruiii posscssa, lile-
risqucarchiepiscopi confinnala, teste antique dironico Saxon, ad. A. 1167. »
5 Langctbal,II, 106.
* Voy. Division II, cliap. XI.
DES COLONIES BELGES. 97
II. Un autre territoire, situé dans rarchevêché de Magdebourg et à deux
milles de la ville du même nom, au delà de l'Elbe, porte également le nom
de Fldming ; il se compose de neuf villages : Ladeburg, Leitsch, Kalilscli ,
Breitsch, Ziepell, Zedemidi, Biihnc, Nedelilz et Corit. Tous ces villages, dii
Beckmann ', ont conservé un accent particulier qui se retrouve dans le lan-
gage des habitants de Zerbst-Anhalt.
Wersebe conteste l'existence de ce Fliiminfj ; mais Langethal l'admet sans
réserve, et il ajoute : L'assertion de Beckmann est d'autant plus fondée que
des colonies flamandes se sont évidemment établies de l'autre côté de
l'Elbe \
On peut en dire autant du territoire d'Halberstadt, voisin de Magdebourg.
Voici ce que rapporte à ce sujet la tradition :
« Les habitants des environs d'Halberstadt , et même les gens de la cam-
pagne, aiment beaucoup le jeu des échecs. Quelques communautés des envi-
rons doivent, dit-on, certains de leurs privilèges ou immunités à la supériorité
que leurs habitants ont depuis longtemps montrée et conservée dans ce jeu,
uniquement fondé sur la sagacité ou la pénétration de l'esprit, et le seul peut-
être auquel le hasard ni l'adresse n'ont aucune part. L'origine de ces privi-
lèges est aussi douteuse qu'ancienne... J'ai ouï dire par des Magdebourgeois
et des gens des environs d'Halberstadt que c'était une tradition chez eux que
ces privilèges venaient des anciens Belges qui s'y sont établis au douzième
siècle '. »
CHAPITRE VIL
BASSE LUSACE.
La Lusace est si proche de la Misnie, de la Saxe-Électorale, etc., qu'il
n'v a guère lieu de s'étonner si l'on y trouve des traces de colonisation néer-
< Anhaltisrlie Geschiclilc, I, 22.
'2 Teiilsche Lamhiirtlisrliuft, U, \AA.
3 Méan, Mémoire sur les émigrations des anciens Belges, pp. 49, 30 en note; 1778.
Tome XXXIL ^ 14
98 HISTOIRE
landaise. Un diplôme de 1200 ', émané de Conrad, marquis de Lusace, pré-
cise les bornes du couvent de Do])rilugk, après délimilation préalable par des
arpenteurs désignés à cet effet. Le margrave ajoute aux possessions du cou-
vent huit fermes flamandes, au delà de la rivière de Primznitz -.
Le couvent de Dobrilugk était situé près d'un bras de l'Elsler-Noir, au
milieu d'une contrée basse et humide, d'où la Lusace a peut-être pris son
nom; car luslta, en slave, signifie marais, palus. Cette circonstance permet
de supposer que les Flamands y auront élé d'une grande utilité ''. Si l'on
ajoute à cela que les moines de Dobrilugk étaient de l'ordre de Citeaux,
comme ceux de Walkenried et de la If immelsp forte, on pourra conjecturer
sans invraisemblance qu'ils y ont amené des Flamands, dont ils avaient pu
apprécier ailleurs le caractère industrieux et les qualités agronomiques.
Eelking * et Hoche * n'hésitent pas à trancher la question dans ce sens.
Wersebe est d'un avis contraire. Sans doute, les Cisterciens étaient, à son
avis", fort portés à fonder de pareils établissements; mais il ne lui parait
nullement prouvé qu'une soi-disant colonie flamande ait réellement existé
dans la Lusace; car il n'en a trouvé nulle trace dans les documents posté-
rieurs de Dobrilugk, et n'a jamais appris que les traditions locales en aient
gardé le souvenir \
L'insulTisance des textes a longtemps empêché les auteurs de résoudre la
question dans un sens absolu. Sans doute, il fallail tenir compte des mots
cités plus haut : oclu mansos flandrenses , huit fermes flamandes. Cette
expression pouvait signifier ou que les Flamands furent les créateurs de ces
fermes, ou que ces fermes étaient occupées par des Flamands, à l'époque de
la confection du diplôme , ou qu'elles furent bâties sur le modèle des fermes
' Ludewig, Reliq. manuscr., I, 20y-207.
- « Traiis l'ipaiu vero ejusdeni fluniinis Prim/.nitz oclo mansos Flandrenses \[)sh tciiiiinis
adjecimiis. . Une vieille traduction allemande rend ainsi ce passage : « Wir haljn ouch jenr-
halb der Primznitz den egcnanten grenitzin tziigigebn aclite flcmisclie liuven. »
' Sehlôzer, p. 415.
* Disscriatio, etc., pag. 7t.
'■> Uebi:r die niederlàmUschen Kolonien, etc., pag. 4fi.
" Die niederlandischen Colonien, ete ,11, 981.
' Wersebe, 11, p. 982.
DES COLONIES BELGES 99
flaïuandes, etc.; mais, quelque inlerprélation que Ton donnât au texte, on
ne pouvait méconnaître qu'il avait une signification à laquelle les P'ianiands
n'étaient pas étrangers.
Aujourd'hui , l'on peut affirmer avec certitude que des colons belges furent
établis dans les domaines de Dobrilugk par les moines qui s'y établirent, et
leur spécialité y fui, au témoignage du cartulaire de l'abbaye, l'élève des
abeilles '.
CHAPITRE VIII.
SILÉSIE.
La Silésie, qui était demeurée slave jusqu'au douzième siècle, se germa-
nisa peu à peu, grâce à l'introduction de colons étrangers. Un grand nombre
de documents subsistent encore qui attestent ce fait. Malheureusement, une
foule de sources précieuses se perdirent pendant le ravage de la Silésie par
les Tarlares, en 1241, ainsi que nous le trouvons constaté dans quelques
chartes qui furent renouvelées postérieurement; d'autres subirent le même
sort par suite de la négligence ou de l'inertie de ceux qui les détenaient :
de sorte que l'on peut affirmer que les immigrations furent beaucoup plus
nombreuses qu'on ne peut aujourd'hui, preuves en main, le démontrer. Ces
immigrations ont dû avoir lieu dès le commencement du douzième siècle;
les sources qui s'y rapportent directement sont fort peu nombreuses et ne
satisfont point le critique, pour peu qu'il soit difficile; mais il y a quantité
de chartes qui en font mention indirectement, et celles-là suffisent pour nous
faire connaître quels furent les colons qui changèrent la face de la Silésie.
Ces colons se composaient de Thuringlens, de Saxons, de Franconiens, de
Bavarois, d'Autrichiens, de Souabes", et aussi de Flamands et de Wallons.
C'est de ces derniers que nous avons exclusivement à nous occuper.
' Il V fst il cliaque instant question de flamingische Bienenhùfen. Cf. Weisse, Muséum fur
sciilifiisclie Gescinchte , III, 1 , 224.
2 On trouve dans les chartes : un Conradiis Thuringus {\'2HS), un Guntlierus Thiiriiifjus
100 HISTOIRE
§ I. — Basse Silésie.
I. De même que les Cisterciens d'Altenkamp fontlèrenl le cloître de Wal-
kenried, en Thuringe, et le couvent de la II immelsp forte , près de Naum-
l)Ourg-sur-la-Saal , de même ceux de la H immelsp forte érigèrent Dobrilugk ,
dans la basse Lusace, et Leubus, en Silésie. Nous trouvons la première trace
d'une émigration authentique de colons allemands en Silésie dans la charte
de fondation du monastère de Leubus, qui porte la date de 1 17S. Dans cette
charte, le duc Boleslas I libère à jamais du droit polonais les Cisterciens qui;
à sa demande, avaient fondé Leubus, et leur garantit à perpétuité la jouis-
sance du droit allemand. Il est probable que ce furent ces religieux qui ame-
nèrent avec eux ou qui appelèrent plus tard les colons flamands '.
Un fait incontestable, c'est que la mesure flamande était autrefois répandue
dans une grande partie de la Silésie. D'après les chartes publiées par
Tzschoppe et Stenzel, elle était en usage dans quinze villages situés dans des
territoires différents; et, ce qui plus est, plusieurs villes, parmi lesquelles
Neisse, Otimachau et Krcnzbourg, jouissaient du droit flamand propre-
ment dit.
Wersebe a prétendu que de la présence de fermes flamandes [fliimische
hùfen) et de droits flamands [fldmische redite), l'on ne peut pas conclure
nécessairement à l'existence de colonies flamandes. Mais il serait étrange que
les moines de Leubus, qui furent les principaux colonisateurs de la contrée,
eussent pu oublier les Flamands. Us tiraient leur origine d'un couvent fondé
par des religieux néerlandais et, lors de l'érection de la succursale, ils re-
çurent les droits de ces derniers; ils savaient, en outre, par leur maison-
mère de quelle utilité avait été la colonie flamande pour l'amélioration des
terres et l'accroissement des revenus : il est donc d'une haute vraisemblance
^1319); — un Dietrich der Sachse ; — une charte de \ I8G parie de Albert de Duveiiheiin et de
ses Fnmconiens ; — d'autres mentionnent un Conradus Bavarus (1263), un Albertus Bavarii
(■1311), une Curia Bavari; — un Hermunnus Australis; — un l'Iricli der Scituuhe, etc. Voy.
Tzsclioppc, p. i'ti.
* Tzsclioppe , pp. 117, 118.
DES COLONIES BELGES. 101
qu'ils auront songé à introduire en Silésie des compatriotes aussi actifs qu'in-
telligents '.
D'où vient donc le silence à cet égard des chartes de la Silésie? Le motif
pour lequel ces documents ne font aucune mention de l'immigration des Fla-
mands est bien le même que celui pour lequel on y trouve passés sous silence
les Tliuringiens, les Saxons, les Franconiens, les Souabes, etc. Les Fla-
mands étaient, contrairement aux Slaves, de race teutoniquc, de même que
les Bavarois et les autres colons. Or, là où l'on voulait les opposer à des
peuples de nationalité différente, on les désignait d'une manière spéciale, et
i?! ce n'est pas le cas ".
Un fait matériel lèvera les derniers doutes. Il existe, dans le cercle de
Neumarkt-Canth , })rès de Lenbus , un village , Fldmischdorf, dont le nom
ancien élâil Flamingi villa^ . Ce nom témoigne, me semble-t-il, en faveur
d'une colonie flamande fondée anciennement. Il y avait dans les environs du
village de belles tourbières, et il est probable que les Belges, qui connais-
saient la meilleure manière d'extraire la tourbe, n'auront pas manqué de les
exploiter \
Un autre fait tout aussi curieux, c'est que dans une charte (du 12 juillet
1282), relative à la ville de Bautzen, figure comme témoin un Fleutingus ,
qualifié de civis. Je ne pense pas que l'on puisse contester l'origine flamande
de ce personnage *.
D'ailleurs, en examinant attentivement le Recueil des documents de
Tzschoppe, on y trouve deux ou trois autres noms, évidemment de prove-
nance belge. C'est d'abord un Baudouin, nom que l'on sait être essentielle-
ment flamand : Dalum per manus Baldwini noiarii curie nostre. Il aurait
' Langethal, II, p. 181.
'- Ihid., p. 182.
^ On le trouve nommé la première fois en 1289.
* Sclilôzer, p. 416.
^ Tzsctioppe, p. 397, L'rkumie, 7i. — Le même ou un iiulrc Vleminyas figure lomnie
témoin dans uneeliartedu 24 août 1282, également relative à la ville de Bautzen. Voy. Gercken,
Cod. (lipl. Bruml., VIII, 638, cité par Tzschoppe, p. 399, qui rectifie plusieurs fautes du
copiste.
102 HISTOIRE
donc é(é secrétaire, en 1278, de Henri IV, duc de Silésie-Breslau '. Il ne
liguie t|irune seule fois dans le recueil.
On y trouve aussi un nom patronymique, porté par une famille gantoise
(|ui joua un rôle considérable dans les affaires publiques de la cité d'Arte-
velde. C'est la famille Rym. Tmniuo Ryni figure deux fois dans le Urkun-
(Ivnbach ^ de Tzschoppe. La seconde, il est qualifié dans une charte donnée
à Glogau , le 1" août 1293, par Henri III, duc de Silésie-Glogau, de sum-
iiius udvacatus lerrœ noslrw. La première fois, son nom est écrit Tluiimito
Rhini. Mais, pour (piiconcpie connaît rincerlilude de Torlhographe de celte
époque, il est évidemment le même. Le diplôme est délivré par le même du* ,
a (Jlogau, le 30 novembre 1292. Le litre de dominus précède le nom de
Hym, et celui-ci est cité le premier parmi les témoins '.
Les Rym, seigneurs de Bellem, existaient déjà à celte époque, et même
antérieurement. On peut dire, jusqu'à preuve contraire, qu'un membre de
leur famille fit partie de la colonie belge qui s'établit en Silésie au douzième
siècle. Car aucune source ne prouve formellement que les Flainands se sont
fixés dans ce pays , avant ce temps.
II. Tandis que Leubus devait son origine aux Cisterciens de Naumbourg-
sur-la-Saal , des Augustins venus de l'abbaye d'Arrovaise * jetaient les fon-
demenls du célèbre cloître de Breslau, qui occupe une place si importante
dans l'histoire religieuse de la Silésie. Ils eurent bientôt des succursales en
divers endroits; mais les principales furent Kamenz et Naumbourg-sur-le-
Bober. Nous croyons, avec les historiens allemands, que ce furent ces moines
(pii introduisirent des Wallons en Silésie. On aurait peine, sans cela, à s'ex-
pliquer la présence de ces derniers dans une contrée si éloignée de leur
pairie; à moins que l'on ne veuille admettre qu'ils y furent amenés par
.lacques, archidiacre de Liège et vicaire apostoli(|ue, le(|uel fui envové en
' Tzschoppe, p. 392, l'i-k , G!).
•^ Pag. 423, Urk., 93.
■' Il)!(l., p. 517, Urk., 88.
'■ Près(l(> liapaumc, m .\i-toi.s, cl non loin de la Flandir et du Uninaiil Kllc fut foniU-c p;
Ik'ldcinaiT, naliCdc- Tournai, en 1090.
DES COLOiMES BELGES. ^03
Silésie (124.8), par le souverain ponlife, comme médiateur entre le duc
Boleslav II et levê(|ue Thomas de Brcslau '.
Il y aurait quelque intérêt à rechercher ce qu'il faut entendre ici par Wal-
lons. Étaient-ils Belges ou appartenaient-ils au nord de la France actuelle?
Langelhal conjecture que c'étaient des Brahançons; mais il faut avouer que
les documents publiés jusqu'à ce jour ne jettent aucune lumière sur la ques-
tion. Hulmann dit - « que les expressions GaUus et Wakh avaient au moyen
âge la même signification, et qu'il faut entendre par là les pays de Liège et
de Brabant où le nicdlon était parlé. Un même individu est tantôt appelé
ffithms, tantôt Wakh. »
Quoi qu'il en soit, une charte de fondation du couvent de Leubus, laquelle
subit des interpolations au treizième siècle % expose les privilèges qui furent
accordés non-seulement aux Polonais et aux Allemands, mais même aux
Wallons. Toutefois, je ne trouve aucune mention dans les sources d'une
mensura (jalUcalis , de mensi gallimles, de jus gaUicale; ce qui permet de
supposer que l'importance des Wallons dans la Silésie fut moins considé-
rable que celle des Flamands. Peut-être même étaient-ils assimilés à ces
derniers.
Ils apparaissent , d'ailleurs, fréquemment dans les sources de la Silésie. Le
cartulaire du couvent des Augustins, à Breslau, contient le nom d'un Simoii
Gallicus , rendu dans les traductions allemandes par Wahle , Wallon.
Lorsqu'en 1279, le duc Henri IV autorisa la fondation du village de Sackrau
(S.-O. 3 milles d'Oels), la concession fut transmise Jr>//rt/ou" GaUko. Dans une
charte de 1300, on trouve -.Petrus, filkis llanconis Gallici «/>;(> W'alcli. . .
{Wallone) ". En 1311 , apparaît un Wernherus GalUcus.
Les Wallons semblent avoir habité principalement le bourg de Wiirben.
Le Chronkon Princ. Polon. (ap. Sommersbeug, 1, 150) dit : Cum veiiisset
[Wladiskius, duc de Liegnitz) ad lerram Bregonsem, in viltis Jaiickaiv atfjiie
' Tzschoppc, j). 37.
2 Slàdtetoesen in Deulschland , I, 23G.
3 La charte authentique de 1!7') ne mentionne que les Allemands; les copies altérées por
tent : « Sive Poloni sint, sive Thcotonici vel Gallici. » Tzschoppe, p. 142 , note G.
'' Tzschoppe, p. 301 , note 1 .
104 HISTOIRE
Wirbin, nhi moraiifur Gullici... Dans une charte relative à ce village, ap-
paraît comme maire Nicolas Gallicus. C'était probablement le chef des émi-
grants wallons ou Penlrepreneur dé la colonie. Enfin, le carlulaire du cou-
vent de Saint- Vincent, à Breslau, rapporte que l'église de Wiirben fut appelée
jadis la wallonne [(jatlimUs).
Le village de Gross-Kreidel (O.-S.-O. 1 mille 74 de Wohlau) fut aussi
habité par des Wallons, à en croire le cartulaire du couvent des Augustins
de Breslau, qui le mentionne comme ayant été également désigné sous le
•nom de wallon [gallicum) \
Deux frères wallons occupèrent des emplois distingués dans la basse
Silésie. ils figurent dans les chartes pendant une période de trente ans, puis
ils disparaissent. Voici les titres que l'on trouve accolés à leur qualité de
témoins :
En 1261 : Everhardo etSymone fratre ^.
En 1268 : Symonc Gcdlico, burgraicio Stinaviensi {^leindu)-'.
En 1270 : Symonr Gallico , Castellano in Welun *.
En 1271 : Symon prepositus ^ .
En 1274 : Cornes Ebirhardus , Cornes Simon ^.
En 1277 : Symone palatino noslro, Eberarcio fratre siio, Callicis'.
En 1278 : Symone Gallico Palalino ^.
En 1290 : Ebirhardus et Simon frutres ^.
A considérer ce nom d'Évérard, d'une couleur toute germanicpio, on serait
tenté, au premier aspect , d'assigner aux deux frères une origine plutôt belge
que française; mais il faut se rappeler que la conquête de la Gaule par les
Franks introduisit sur le territoire soumis une foule de noms tudesquos qui
• Tzochopj)C, p. 142.
2 Id., p. 364, Urivimde, 57.
= hl., [). 370, Urk., 02.
^ hl , p. 382, Uric., 03.
•• /(/., p. 383, Ui-Ic, G4.
« Jd., p. 388, Uric, 66.
7 Jd., p. 390, f/r/f., C7.
>* /(/,, p. 391, Urk., 09.
'■' Id., p. 405, Urk., 80.
DES COLONIES BELGES. 105
y oblinrenl bientôt droit de cité et qui s'y sont maintenus. Cet argument
n'éclaircil donc point la question.
§ IL — Hautc-Silésie.
Nous trouvons des traces de colonisation flamande dans la haute comme
dans la basse Silésie ; mais on n'en peut malheureusement donner que deux
preuves.
En 1286 , les ducs d'OppeIn et de Ratibor statuèrent que tous les villages
de leurs États, qui avaient été fondés d'après le droit flamand, devaient, en
cas de doute, se régler uniquement sur le droit en vigueur à Ratibor '.
En 1309 , Boleslav, duc d'OppeIn , vendit à deux providi viri un village
comjjosé de vingt-cinq manses flamandes. Comme cette désignation est for-
melle , il est évident que des Flamands ont dû, longtemps avant cette époque,
peupler la contrée % soit qu'ils y aient immigré par le nord, soit qu'ils y
aient été envoyés par les moines de Leubus.
' \oy. Documents , etc., n» XVI. Les eliartes XIH, XIV et XV se i-apportenl ,iii droit
flamand en Silcsie.
-^ Hoclie , p. 40.
Tome XXXII. ' L5
DEUXIÈME DIVISION.
COLONIES FONDÉES PAR DES PRINCES SÉCULIERS.
CHAPITRE I".
WAGRIE.
Celte contrée, appelée aujourd'hui Waierland, est bornée au N. parla Bal-
ti((ue; à PO. par le Holstein proprement dit et par la Stormarie; au S. E. par
la Baltique et par le Mecklcnibourg. Elle formait autrefois la pointe exirème
du pays des Wendes; elle comprend actuellement la partie orientale du duché
de Holstein, environ quarante lieues carrées.
La Wagrie était gouvernée dans la première moitié du douzième siècle par
Adolphe H, comte de Schauenbourg, qui avait pour suzerain Henri le
Superbe. En 1138, ce dernier et Albert l'Ours se disputèrent la succession
du duché de Saxe, et, la fortune ayant trahi un moment les drapeaux de
Henri, Adolphe de Holstein, qui lui était resté fidèle, fut chassé de son comté.
Ce fut un partisan d'Albert l'Ours, Henri de Badewide, qui le remplaça.
Rien n'est plus propre à encourager les ennemis d'un Élat que les dissen-
sions intérieures ou la guerre civile. Le prince des Obotrifes, Pribislav, qui
jusqu'alors avait montré des disposilions assez pacifiques, jugea le moment
opportun pour affranchir son pays de la domination tudesque. H rassembla
une forte armée et déclara résolument la guerre au nouveau comte. Mais mal
lui en prit : Henri de Badewide le fit bientôt repentir de sa témérité, il entra
dans les terres de Pribislav, et, mettant lout à feu et à sang, dévasta le pays
depuis la Schwaal jusiju'à la Baltique et la Trave. En 11 39, Henri le Superbe
reprit l'avantage sur Albert l'Ours et réintégra Adolphe de Schauenbourg
dans son comté.
HISTOIRE DES COLONIES BELGES. 107
Mais celle malheureuse conlrée n'élail plus qu'une affreuse solitude. Les
Slaves, qui avaienl échappé au fer du vain(|ueur, s'élaienl expatriés par crainte
d'une dure servitude ou de Iribuls onéreux. Adolphe régnait sur un désert.
C'était un homme aux vues larges et aux grandes conceptions. Pour ré-
parer, au moins en partie, les désastres qui affligeaient la Wagrie,il songea
à y établir des colons, à l'instar de ce qu'il avait vu pratiquer à Brème et
dans le Holstein. -
Pour atteindre ce but, il envoya des commissaires dans plusieurs pays, et
notamment en Belgique, et les chargea de représenter aux étrangers qu'ils
trouveraient dans ses Étals des terres abondantes pour leur entretien et pour
celui de leurs familles '.
Plusieurs auteurs racontent que le comte de Holstein vint lui-même dans
les Pays-Bas; d'autres passent son nom sous silence; mais tous s'accordent à
dire que Henri de Scalhen , son ami , emmena un grand nombre de Néerlan-
dais qui avaient répondu à son appel ^
11 résulte à l'évidence du récit de Helmold que la cause qui engagea les
Belges à quitter leur patrie fut la cherté ou , si l'on aime mieux, le manque
de prairies et de terres arables, pascuorum et agrorum salilium penuria.
Aussi les niincii ont-ils soin de faire miroiter devant leurs yeux une per-
' Helmold, lib. 1, tap. 57 : « Quia autem Icrra déserta erat, misit nuncios in omnes re-
gioncs, Flnndiiam el Iloliandiam, Trajcctum, Wcstpliaiiara, Frisiani, ut quicunque agrorum
penuria arctarcntur, venirent cuiii familiis suis accepluri lerram optimam, Icrram spaciosani,
uberem fruclibus, redundanlem pisce et carne et commoda[ni] pascuorum gratia... »
Mcyeri, Annales, M60 : « Hcnricus Léo, Saxoniae dux, Vandalos gentem adliur elTera-
lam, sibique juxta ac chrislianae pietati inimieam , postquam suis expulisset sedibus, Henricum
Scatensem et Adulphum Holsatiae eoniitem, trans Rlienum in Belfiimm misit, qui non parvani
colonorum muUiludinem ex Brabantis, Flandrisque et Hollandis in Vandaliam et Wagriam tra-
duxerunt, reversique sunt tune parlim Flandri in casdcm fcre oras ex quibus olim maiores
eorum sunt profeeli... Ego de liac demigratione niliil apud nostratcs lego. »
2 Alberli Krantz, Hammubiirgensis , Saxonia, lib. VI, cap. 19, Coloniœ, IS20 : « Adol-
phus qui i)er haec ipsa tempora regebat Holsatiam, in Wagriam cultoribus vacuatani, et Mar-
chiones Brandenburgenses, deletis par arma cultoribus, magna ex parte desertos agros
Hollaudinis, Traicctensibus, Pbrisiis, Brabantiuis, Flandriisque impicvcrunt... »
Annales Herulorum ae Vamlalorum, ap. Westplialen, I, 241 : « ... Quam [terram] vasta-
tam,Adolphusinstauravit pulsisque Vandalis, Morinos, Batavos, Matliacos, Frisios induxit... »
Helmold, lor. cit. : « Ad banc vocem surrcxit innumera multitude de variis nationibus,
assunitisque familiis cum facultatibus, vencrunt in terram VVagircnsium ad comitem Adolfum
possessuri terram, quam eis pollicitus fuerat. »
108 HISTOIRE
speclive brillante; de vasles possessions les attendent, icnam spaciumin ; le
sol y est de la meilleure qualité, terram oplimam ; ils y trouveront les inènies
produits que dans leur patrie, et y pourront vivre de la même manière
îiberem frucfibus, redundantem pisce et came; enfin, ils y trouveront de
gras pâturages pour leurs troupeaux : commoda[m\ pasciionun yralia.
Helmold raconte ensuite de quelle manière les terres furent réparties aux
divers colons. Les Holsatiens obtinrent l'endroit le moins exposé aux attaques
de Tennemi, situé à l'ouest de Segeberg et de la Trave; ils eurent, do plus,
le Zwentinefeld el le territoire qui s'étend entre le ruisseau de Sualen jus-
qu'à Agrimesou et au lac de Pion. Les Westphaliens allèrent habiter le district
de Dargun; les Hollandais occupèrent Eutin et les environs; les Frisons colo-
nisèrent le canton de Siissel. Enfin les Slaves, restés fidèles à Adolphe, reçu-
rent en récompense Aldenburg, Liitkenburg et le reste de la plaine maritime,
sous l'obligation d'une simple redevance '.
Cette énumération est précise; toutefois, Helmold omet de parler des ha-
bitants venus de la Flandre et du territoire d'Utrecht. Faut-il en conclure
que les Flamands ne se sont pas rendus à l'appel du comte de Holslein?
Assurément non ; Helmold lui-même déclare qu' « une foule immense accou-
rut des divers pays » qu'il vient de citer, el il mentionne les Hollandais comme
ayant obtenu le territoire d'Eutin. Il est probable qu'il faut comprendre les
Flamands parmi ces derniers. Le village de Flemiyslorf, au nord d'Eutin ,
qui existe encore aujourd'hui, témoigne en faveur de cette hypothèse '^
En outre, Helmold rapporte un peu plus loin que Nikiot, prince des Obo-
trites, poussé par la haine, propter odium advenarifm, fit, sur le terri-
toire des nouveaux colons, une invasion inattendue. Le chroniqueur ajoute
' lIc'liiKikl, lue. cit.; « Et prius quideni Uolzalonscs accL'pcrunI scdes in locis tutissimis ad
Occidoiilali m [jlagam Sigi'bcrg circa (lumen Trabcnam ; canipcslria quoqiie Zuenlinct'cld et
qiiicqiiid a rivo Sualen usquc Agrimesou et lacum Phinensem exienditur. Dargiincnseni pagnni
VVestfali, Utincnsem Hollandi, Susie Fresi incohierunt; porro Plunensis adhuc desortus eral.
Aldenburg vero et Lutilenburg et caetcras terras mari conliguas dédit Slavis incolendas, fac-
tique sunt ei tributarii. »
* Les Néerlandais du bailliage d'Eutin eurent à payer annuellement au eomte, pour cbaqiie
luanse, 27 deniers à titre de cens. Cette redevance s'appelait UoUendersral ou HoUendergre-
vescat ou simplement (jrevescul ( Voy. VVerscbe, l , 344, 569, et Iloclie, p. 75). Les Flamands de
la Goldeiii' .Mic payaient à Walkcnried une redevance analogue, nommée Biscopscat. (Voy.
Sciilozer, p. 436).
DES COLOiMES BELGES. 109
que Mklol dévasta les élablissemenls des Hollandais, des Weslphaliens, des
Frisons et « des autres peuples étrangers, » et que les colonies holsaliennes
et stormariennes échappèrent seules aux ravages des ennemis. On peut encore
induire logiquement de ce passage qu'llelmold entend par « autres peuples
étrangers » les Flamands et les Ulrechtois.
D'ailleurs, les sources de l'époque postérieure confirment ces inductions.
Dans plus d'un endroit du Ilolstein , les Flamands ont laissé des traces. Kiel
semble avoir été le centre de la nouvelle colonie. « Celle ville venait à peine
d'èlre fondée, lorsqu'elle fut détruite de fond en comble par les Wendes, au
commeiicement du douzième siècle. Cependant Adolphe 11 , comte de Hol-
stein, ne larda pas à la relever entre 1139 et llG-i, et elle eut sa pari des
colons néerlandais et autres que le prince appela dans ses Etals '. »
Un fait curieux à noter, « c'est que les béguines ou béyJiines et les béykards,
(pii furent fondés dans les Pays-Bas au onzième siècle, eurent de fréquents
rapports avec la ville de Riel, pour y pratiquer les œuvres de miséricorde.
Toutefois, l'on ne trouve pas qu'ils y aient eu une maison propremeni
dite ^ »
Le Kicler Sladlbuch fait mention, presque à cha(|ue page, de la rue des
Flamands , /j/«;m Flemiggorum, Fleiiiigorum ou Flemmigorum , aujourd'hui
encore Ftdiiiische Gasse. Nous y rencontrons deux fois la Plalea Flamiggi';
mais je ne saurais dire si elle est distincte de l'autre : huit maisons, situées
dans la Plalea Flamiggorum , obtinrent, en 1445, le droit de pouvoir dé-
biter de la bière, droit qui n'existait pas auparavant dans la ville '.
Le même livre mentionne des habitants dont le nom de famille était Fla-
mingus, traduit par Flaminger, entre autres un Hynricus Flamingus'^ et un
Bervelde, nom d'un village de la Flandre orientale. J'y ai rencontré aussi
Nicolaus de Geni , à l'année 1271 **; un Johannes de Flcinighule \ un Hin-
rirus, filius Johatmis de Fleinighute , et un Johannes sutor de Fleinighule.
' J.-F. Liielit, Ihis Kivltr Studhuch. Kid, 1842, in-4°, xxxiii-70 pages.
- IhiiL, p. XV.
5 Ibid., pp. 45 , 50.
* Ibid., p. XIX.
s Ibid., pag. 21.
•^ Ibid., pag. 25.
'' Ibid., pag. 38.
110 HISTOIRE
Ces personnages portaient le nom d'un hameau voisin de Kiel , «pii est appelé
aujourd'hui Flemhude.
Quant à l'importance des colonies néerlandaises, on peut s'en faire une
idée approximative en se référant à un passage de Ilelmold. Le chroniqueur,
parlant de la colonie frisonne , évalue à quatre cents le nombre des familles
qui la composaient '. Si l'on pose le même chiffre, dit Langethal"', pour les
Flamands, les Westphaliens et les Hollandais, on peut estimer que quelque
huit mille Néerlandais émigrèrenl en VVagrie, Ilelmold ajoute que les Slaves,
ayant fait une irruption sur le territoire de Siissel , il n'y avait dans le fort
que cent Frisons; les autres étaient retournés dans leurs foyers pour cher-
cher leur bétail et autres biens domestiques ^.
CHAPITRE II.
BRANDEBOURG.
Tandis que Henri le Lion triomphait des Obotrites , Albert l'Ours, le
célèbre margrave de Rrandebourg et le cousin-germain, par sa mère, du duc
de Saxe, achevait, après de pénibles efforts, la soumission de la Marche
dont la faveur impériale l'avait investi. Jaczon, le dernier duc des Wendes,
fut forcé de chercher un asile en Poméranie; mais il laissa à son ennemi
vainqueur un pays dévasté et désert comme le reste de la Slavie. Pour re-
peupler ce vaste territoire et remplacer par des habitants civilisés une popu-
lation à demi-sauvage, Albert recourut au moyen, si utilement mis en œuvre
a cette époque, la colonisation. Il envoya, dit Ilelmold, des commissaires à
Utrecht et sur les bords du Rhin, ainsi que chez les peuples qui habitent le
long de l'Océan et qui souffraient pour lors des violences de la mer, à savoir
' Chroti. Slav., lib. I, cap. G4 : « Slavi novissiine venerunt ad pagiim Susle, vastaturi Frcso-
luiai coloniani , quae illic crat, quorum luimcrus ad quadringeiilos et co ainjilius viros suppu-
latus fuerat. »
2 Teutsclie Landivirthschaft, etc., II, pp. 106-107.
■> Chron. Slav., lib. I, c. 04 : « Ad\enaiitii)us autcm Slavis, \i\ ccntum viri Frcsonuin re-
perli sunt in munitiuncula, ceteris pâtriam reversis, propter ordinandum peculium ibi relietum. «
DES COLOINIES BELGES. 1 1 1
les Hollandais, les Zélandais, les Flamands. Ces peuples se rendirent à son
appel el il les fil habiter dans les villes et les châteaux des Slaves '.
' ChruN. Slav., lib. I, cap. 88 : » ... Misit Trajcctum et, ad loca Rheno conligua , iiistipi-r atl
cos qui Iiabitanl juxta Oeeanum et patiebanlur vim maris, videlieet Ilollandos, Seiandos,
Flandres, et adduxit ex eis |)opulum magnum nimis, et liabitarceos fecit in urbil)US(t oppidis
Slavorum. »
Albert. Stad., ad. an. 1163 : « Albertus Marcliio, Slavis cxpulsis, terram suam oicupavit
Ilollcris, Selandris et Flaraingis. »
Chron. Slav., ap. Lindcnbrog, p. 200 : » ... Vocavit de Reno accolas de HoUandia, Zelandia,
Flandria. »
Annales Ilerulorum, ap. VVestphalen, I, 247 : » Qui supcrfuere Bryzani ac Todaeraiii ab
Alberto Slarcomanno, cognomento Urso, a rege indefensi, avulsi, ab Herulis primum in Mar-
comanni jura eesserunt, a qua re Marcomanni novi in memoriam, pulsis inde Vandalis, ac
superinduclis Morinis, Mattiaticis, Mcnapiis, Bethasiis, Batavis, Usipclibus, Tcucteris, Angri-
variis, Cbaucis. »
Meyeri, Annales, ad. an. il 60 : « Quin etiam Urson Marcbio Brandenburgensis ex llol-
landis, Zelandris, Flandris Coloniam ca tempestate deduxit in easdcni fere Vuandaloruni
terras. » — Les dates de 1 160 sont inexactes, ainsi que je le démontrerai plus loin.
Le pasteur Enlzelt {Chronicon der Alte-Mark, Magdeburg, 1579) est de tous le plus expli-
cite : « Da liebt, dit-il , A Ibertus Ursus novos colonos vom Rliein , aus Flandern , Ilolland , Scelanil ,
Gellcrn, Westphalen, Sachscn, Fricsiand, ein gros Volk, aus BeUjico Flamhujos und Pleu-
nieuser und-besatzte die Lander wieder, wekbc auch Sollcn die VVeinberge bcy Franckfordt
(am Oder) erstlich angclcgt haben. Da ist der zelienden Auffbracbl in dcn Kircben. Also besalzt
Albertus auch die Alte-Mark vornebmlicb unib Saitzwedel mit Gellcrn und Hollender daber
die Nalimen bleiben, Bersemerland Marscmerland , aucb sein viel niedcriendischc Riliis lu rein
Kommen, und sehr viel vom .\del wie icb finde, als Kirchbergen, Ilarlbcken, Storbcken,
Scboubeken, Bortz, Briska , Dobritz, Schwerlingern, Schwanebeken, Wuntersteden, Herzle-
ven, Bernstede, Brunckaro Remslcde, Bellingen , Gribergcn, Hessclgcrgen, Ellcrzellcn , und
die edien Hernn von Kalendorff, Lochen, und derer viel raehr. Zu der zeil woltcn etlicbe duss
die Schulenburgen seien ins Land kommen, aber das ist unrecbt, denn man findet Schullen-
burgen in Brieffen lange Zuvor, als droben vcrmeldet dasz sic zur zeit Caroli Magni lierein
kommen sind (pp. 115, 113). » Il est curieux de voir le chroniqueur employer le nom de
Plenmeuser, pour désigner une tribu belge, tandis que ce nom ne figure qu'une seule fois
dans César et qu'il fut porté i)ar une peuplade dont on fut longtemps sans pouvoir fixer le
territoire. Hensehenius (Cf. Raepsaet, III, n" 6, p. 26) place les Plejimosii dans le Brabant.
Mais cette opinion est erronée. Clients des Nerviens et voisins des Morius, ks Pleumosiens
occupaient, suivant les apparences les mieux fondées, le territoire situé entre Furnes, Ilond-
schote, Dixraude etYprcs, territoire naturellement humide et couvert de mares immenses
pendant l'hiver. Le nom primitif de la ville de Hondschote est Pleumosia, ce qui est un argu-
ment en faveur de la seconde opinion. Les géographes ont donné du nom de Pleumosii une
explication empruntée à la nature du terrain qu'ils accupaient; mais qui a le tort d'être trop re-
cherchée. Ce mot viendrait de bi (by, apud^ près), leu [luy, luide, segne) et mosen {coenosa loca,
bourbiers, eaux stagnantes). P/eM m os«ï serait donc une contraction de Bileumosii. (Voy. Cm-
H2 HISTOIRE
(lo toxle est concis, mais néanmoins assez décisif pour qu'il soit inutile de le
connnenler. Helmold révèle clairement quel molif puissant poussait les Beiges
à répondre avec empressement à Tappel d'Mherl, paliehanlur vim maris, peu
importe qu'il s'agisse ici d'inondations récentes ou de la crainte de catastrophes
prochaines. Des calamités de ce genre, et qui reviennent fréquemment, suf-
fisent pour étouffer dans le cœur de l'homme le sentiment de la patrie, et expli-
(|uenl la facilité avec laquelle il renonce au sol de ses ancêtres pour se trans-
porter avec sa famille dans une terre étrangère.
Il s'agit maintenant d'examiner à quelle époque les Néerlandais immigrè-
rent dans le Brandebourg , quels furent les commissaires chargés par Albert
l'Ours de recruter les colons, et enfin quels furent les territoires où ils se
fixèrent en masse.
Les deux premiers points sont si intimement liés qu'on ne peut traiter de
l'un sans toucher à l'autre, et l'on ne saurait les éclaircir sans présenter en
même temps un aperçu de la situation des Etats d'Albert l'Ours.
I. On avait généralement cru jusqu'à ce jour que la colonisation néerlan-
daise avait commencé après la soumission du Brandebourg tout entier, c'est-
à-dire après 1157; mais un double fait contredit cette opinion : le. style des
monuments qui furent construits par les premiers colons et qui ont survécu
aux ravages du temps ', et aussi les documents tant contemporains que pos-
térieurs que de patients érudits ont soustraits à la poussière des siècles.
En effet, si l'on considère d'un côté que la conquête de Havelberg et de
Priegnitz eut lieu en 1137; si l'on réfléchit, de l'autre, que la prise de
Brandebourg arriva en 114.2; si l'on se rappelle enfin (pie le plus ancien
document sur la colonisation , c'est-à-dire la lettre de protection que l'empe-
reur Conrad ill donna en faveur de l'évèque de Havelberg, date de 1150,
on obtient un intervalle de sept ans (114-3-1 150) pendant lequel la coloni-
sation aurait pu commencer.
ijiiius. in Comment, florat. Anlverp., 1578, Ép. dédie; — ^[iirclianl. Flanilrino Coiitmciil.,
liliri IV. Antvcrp., riOG , p. 7; — • Saiidir., Fland. illiisl., I, ji. 4; — Cusiis, Jdcrboekrii dcr
studt Brugge, ilGS, I, p. 6). Quoi qu'il en soit, il est rcinaïuiiiable de retrouver an cd'iii de
rAI!eiiii\s;iie un nom de peuple presque ignon'' en Belgique.
' \ny. i)liis loin, Troisihne pttrlic , section 111.
DES COLONIES BELGES. H 3
Or, l'année 1 1 43 atlire tont d'abord l'atlenlion , parce qu'elle fut le lernie
des longues dissensions de Henri le Lion et d'Albert l'Ours; que la mort du
prince slave Piibislav de Brandebourg fil adjoindre, comme partie intégrante
de l'Empire, la Marcbe de Brandebourg aux États d'Albert, et que par là
les diflicultés de la situation politique extérieure se trouvaient aplanies.
Toutefois, à l'intérieur, l'aspect restait sombre.
La cathédrale de Havelberg gisait à moitié détruite depuis H36 ; celle de
Brandebourg n'existait plus qu'en souvenir. Les deux évêques étaient absents
depuis des années et accompagnaient la cour de l'Empereur. Il n'y avait pas
de chapitre pour représenter le clergé supérieur ou pour combler les vides du
bas clergé; aucun monastère, sauf le petit cloître de Leitzkau, ne répandait
le bien-être avec les soins spirituels dans toute l'étendue du diocèse '. Les
guerres désastreuses avec les Slaves et les émigrations des vaincus avaient,
je l'ai dit, dépeuplé le pays, tandis qu'une partie des Wendes, exaltés jus-
qu'au fanatisme et abrités dans des retraites inaccessibles, menaçaient à
chaque instant de recommencer la lutte un moment assoupie. On a donc
quelque peine à croire, au premier aspect, qu'Albert l'Ours ait pu songer
sérieusement à cette époque (lUS) à civiliser les nouvelles contrées qui lui
étaient soumises, alors que les circonstances ne semblaient lui imposer encore
que des devoirs militaires.
Tel fut cependant le cas. Dès le mois de septembre 4443, nous trouvons
Albert l'Ours occupé avec Henri le Lion à fixer les droits de la colonie néer-
landaise établie, l'année d'avant, à Santou, près de Brème, par l'archevêque
Adalbert -. A partir de ce moment, le prince ne perdit pas de vue le déve-
loppement de celte colonie, et il avait déjà pu juger à l'autre extrémité de
ses États (à Porta ,4137-11 40) , de quelle utilité il serait pour lui et pour son
peuple d'introduire pareillement des colons belges dans ses domaines.
Néanmoins, la vie aventureuse et agitée d'Albert ne permettrait pas d'indi-
quer avec un certain degré de précision l'origine et l'époque de la colonisa-
tion du Brandebourg, si, en prenant pour point de départ la fondation du
' Fr. Adler, Die Niederlândischen Kolonkn in der Mark Brandenhurg (de 20 pages), p. t5,
186t.
2 Raunier, Reg., 4026; — Wersebe, I, "J7.
Tome XXXII *6
{\i HISTOIRE
cloîlrede Jérichow, eloii fnisanl iinaperçu rapide des personnes (jui onl euopéré
à son éreclion , un rayon de lumière ne venait toul-à-coup dissiper les ténèbres
dans iescpielles les chronitpieurs avaient laissé cette intéressante question.
Le 13 mars 1144, Rodolphe, comte de Stade, l'ut tué dans une expédition
contre les Dilmarsches '. En lui s'éteignit l'antique et illustre maison comtale
de ce nom : son frère Hartwich, le seul survivant de la famille, avait
embrassé l'état ecclésiastique et était chanoine à Magdebourg. Hartwich ,
d'accord avec sa mère Richarde, résolut d'affecler une grande partie des
biens allodiaux que possédait sa maison au delà de l'Elbe, près de Jérichow,
à la fondation d'un cloître pour le repos de l'àme du défunt comte. Il se con-
certa, à la Noël de l'année 1144, avec l'empereur Conrad HI, à Magdebourg,
pour achever les négociations entamées à ce sujet avec le margrave et l'évéque
de Havelberg.
Voilà le point décisif pour fixer l'époque de la colonisation.
H. Personne, à l'exception des fondateurs, ne se préoccupa si vivement
de l'érection du cloître de Jérichow que l'évéque de Havelberg, Anselme,
dont la sagacité politique n'était égalée que par la piété religieuse et qui était
un disciple favori du grand et rigide Norbert -. Anselme fit dépendre le
nouveau couvent de Prémontrés, dont les moines sortaient de la maison-
mère de Noire-Dame, à Magdebourg^ de l'église paroissiale de Jérichow,
et, grâce à ses efforts, il réussit à organiser dans son diocèse, dès la première
année, le nouvel établissement monastique sur des bases durables.
Anselme demeura, jusque vers le milieu de l'année 1145, tour à tour à
Havelberg et à Jérichow, occupé par des affaires diocésaines et par les soins
que réclamaient encore le cloître nouvellement fondé. Mais, au mois de sep-
tembre, il se rendit à Corvey, en compagnie d'Albert l'Ours qui avait suivi
l'empereur Conrad en Saxe et en Westphalie, probablement pour délibérer,
par suite de la fondation du couvent de Jérichow, sur la question de coloniser
le pays, question qui de nouveau avait fait des progrès. Enfin , il alla séjourner
pendant plusieurs mois sur les bords du Rhin inférieur et à Utrecht '.
1 Voy. plus haut , p. (J9. D'autres placent ce fait à l'année td48.
2 Uiedel, Aussalz ïiber Anselii, v. Huvdhmj in v. Ledebui-'s, .V. Archiv., VIII, 97, sqq.
5 Riedel, loc. cil., 250 sqq. — Raumcr, Rcg., 1077-85.— « H est curieux, dit Sdiumachei-,
que l'on U-aduise toujours TrujecUim par Utreclit, tandis que ce peut tout aussi bien être
DES COLONIES BELGES. H5
Ce dernier ilélail est de la plus haute importance. Il s'adapte merveilleuse-
nienl au texte de Helmold : Misit Trajectum et ad loca Rheno contigna, il
le complète et l'explique. Si, outre cela, on veut bien considérer la position
éminente qu'occupait Anselme et le crédit légitime dont il jouissait auprès
du margrave ; si l'on veut tenir compte de son expérience des affaires et du
tact exquis qu'il déploya dans toutes ses négociations; si, enfin, l'on veut
admelire que son propre diocèse avait tout intérêt à être colonisé, on ne
pourra plus douter que l'évêque d'Havelberg n'ait été un des commissaires
chargés par Albert l'Ours de recruter des colons parmi les populations au
milieu desquelles il allait séjourner.
Au récit de cette mission, on est naturellement amené à se demander s'il
existait pour lors, entre le Brandebourg et les Pays-Bas, d'autres relations
que celles que faisait naître entre tous les États de la chrétienté le lien com-
mun de la religion. Il serait difficile de répondre à cette question d'une ma-
nière catégorique. Un seul fait pourrait servir d'argument affirmatif : c'est
le mariage du fils et successeur d'Albert l'Ours, Othon I, avec une princesse
de Hollande, Ada ou Adélaïde, fille de Florent III, et sœur de Guillaume I.
Mais cet événement n'a pu avoir lieu qu'après 1170 '; donc à une époque
Maesiricht; l'un , résidence supcrieurc, lautre, résidence inférieure des Romains ; le premier,
connu dans le langage officiel, par l'apposition ad Rlieniim ;]e second, par celle adMosum. » Je
crois toutefois que dans le passage d Helmold, cité plus haut, le contexte doit faire décider en
faveur d'Utrecht.
' Othon I", marquis de Brandebourg, succéda à son père, Albert l'Ours, eu M70. Sa pre-
mière femme fut une princesse polonaise, fille de Bolcslav, duc de Pologne, nommée Judith,
qui mourut après H70. Oïlion I" épousa alors , en secondes noces, Ada de Hollande. H la laissa
veuve en 1184, et la princesse, selon toutes les probabdités, retourna dans son pays. Deux
documents lui attribuent le rang et le titre de marquise de Brandebourg.
L'un est une charte publiée par Gercken {Cod. dipl. Brandenb., VII, 386 sqq), et iwrtaut
pour titre : « Willielmus I, cornes Hollandiae, ronfmmtt Ahhaiiae Rtjnshurg donalionem
terrae m Poel, quam fecit ejiis soror Ada, Marchtonissa Brandvnbiirgica, a" 1205. »
L'autre est la lettre de fondation du cloître d'Arendsec, dans l'Altmark, de l'année 1184;
lettre dans laquelle le marquis Othon I"- s'exprime ainsi : « ... Quod ego Otto Brandenburgensis
Marcbio, annuentibus meis hercdibus Otlone, Heinrico, Adelberto meis, et uxore mea Adel-
heide... » (Lenz., Brandenb. Urkimd., 1, 2). Pour qui, dit Gercken {loc. cit.) a lu un peu
attentivement des cartulaires ou ouvrages généalogiques, Ada, Adèle et Adélaïde, ne sont qu'un
même nom, nom qui apparaît fréquemment dans les généalogies de Hollande, de Clèves, etc.,
et qui se rapporte toujours à la même personne.
lie HISTOIRE
où les colonies belges avaient déjà, comme nous le verrons bienlôl, pris dans
le Brandebourg leur plein développement. Il reste donc à savoir si ce ma-
riage fut dû à des rapports établis de longue date entre la famille de Hollande
et celle d'Ascanie, ou bien s'il fut seulement la conséquence des relations
créées par le séjour même de révêcjue de Ilavelberg dans les Pays-Bas. Cesl
là un de ces points d'bisloire dont l'absence de documents rend la solution
fort douteuse.
Deux autres prêtres éminents, qui s'intéressaient tout aussi vivement à la
prospérité du cloître de Jérichow, me paraissent avoir secondé Anselme dans
sa mission et concouru avec lui à l'introduction des colons néerlandais.
L'un est Hartwich , frère du comte de Stade. Il était allé à Brème , en
1 H4, comme prévôt de la cathédrale. Là, il apprit à connaître les colonies
les plus rapprochées, celles qui existaient depuis 1106 comme celles qui
avaient été fondées en 1142, et à apprécier leur salutaire influence sur
l'économie rurale. Ses relations d'amitié avec Albert l'Ours permettent de
conjecturer qu'il ne fut pas étranger à l'œuvre du margrave : lorsqu"élevé à
la dignité archiépiscopale de Brème, il organisa, en 1149, une colonie néer-
landaise près de Stade, ce fut Albert l'Ours qui , lors de la concession à faire
aux colons, lui prêta à son tour son concours le plus actif '.
L'autre personnage est Evermode , d'abord prévôt de la maison-mère de
Notre-Dame de 3Iagdebourg, plus lard évèque de Batzebourg. Né dans les
Pays-Bas, à Cambrai, il n'aura pas manqué de mettre à la disposition d'Al-
bert rOurs et d'Anselme de Havelberg la connaissance qu'il avait de la Bel-
gique, et ses relations d'enfance et de famille.
En réunissant ces faits, la présomj)lion qu'Anselme de Havelberg, fort de
sa position personnelle et s'aidanl des ramifications qu'il avait directement
ou indirectement dans les Pays-Bas, avait déjà rempli, à la fin de l'automne
1145, le projet d'Albert l'Ours relatif à la colonisation, cette présomption
s'élève à un degré de vraisemblance qui approche de la certitude.
III. On ne peut pas prouver directement que déjà, dans le courant de
l'année 1146, les premiers colons se sont rendus dans la Marche; mais il
' Raumer, Reg., 1 144.
DES COLOiNlES BELGES. 117
est permis de présumer, en se l'ondanl par analogie sur certaines délimita-
lions de terres qui eurent lieu à celte époque, que des caravanes de colons
isolés, uniquement composées d'hommes, ont foulé vers le même temps le
sol slave '.
Il faut sans doute rattacher à cette première immigration de colons belges
le retour d'Anselme à Magdehourg, et la donation qu'il fit au cloitre de Jeri-
chow du château de Marienburg et des dimes du territoire de Klielz et de
Schollene; en sorte que la contrée située en face d'Arneburg, et protégée
par le fort de Marienburg, doit être envisagée comme l'endroit le plus ancien
de la Marche dans lequel les colons se sont établis ^. Cette contrée offrait
d'ailleurs des difficultés si grandes pour la mise en culture, que le zèle
énergique du cultivateur néerlandais en pouvait seul venir à bout. A l'ouest,
un espace de terrain, ayant à peu près deux lieues de longueur, de Rabelitz
à Klitz, était exposé à des inondations fréquentes de l'Elbe, et, du côté de
l'est, s'étendait un marais inaccessible, nommé actuellement le Triihon , (pii
ne pouvait être cultivé qu'à la suite d'un dessèchement ingénieux.
En automne 1 146 , Anselme se rendit , avec Albert l'Ours, à Spire et puis
à Francfort-sur-le-.Main, où eut lieu la prédication de saint Bernard. C'est
alors qu'eut lieu la croisade contre les Slaves, croisade qui manqua son plein
effet par les divisions des princes allemands, mais qui eut néanmoins pour
résultat d'amener les ennemis effrayés à respecter pendant dix ans les limites
extrêmes de l'empire allemand , Brandebourg et Ilavelberg.
Ces dix années de paix contribuèrent au développement de la prospérité
du pays, et l'on ne peut douter que des hommes de la trempe d'Albert l'Ours
et d'Anselme de Havelberg n'en aient profité pour le bien de l'État et de
l'Église '. Comme on les voit pendant plusieurs années séjourner dans la
Marche, à part de courts intervalles, on peut admettre à bon droit que leur
activité s'exerça principalement lors de la grande immigration des Néerlan-
dais, immigration qui se fit lentement, mais sans interruption.
Les moines du couvent de Jérichow ayant exprimé le vœu que leur rési-
' Acllcr,p. 15.
- Ibid., p. 16.
5 Ibid., p. 17.
118 HISTOIRE
deiice pût èlie Iransférée dans un endroit plus convenable el plus sur, An-
selme eut rocca§ion de mettre à profit les connaissances et Tindustrie des
colons. L'emplacement de la nouvelle résidence n'a pas été clairement dé-
signé par les chroniqueurs; mais ils font comprendre que les religieux dési-
raient un changement à cause des inondations de TEIbe, qui, n'étant pas
encore endigué, menaçait à chaque instant leur existence, et aussi à cause
de l'exiguilé de la chapelle du cloître, à la place de la(|uelle ils espéraient
pouvoir rebâtir une église à l'aide de dons pieux.
Anselme consentit au transfert de la résidence, et l'église fut bâtie promp-
lemenl, grâce à la coopération de deux hommes nobles de Jerichow, qui, en
leur qualité de vassaux de l'archevêque de Magdebourg et à sa demande,
firent don d'un espace de terrain faisant partie de leurs domaines. Leur
libéralité alla si loin que le margrave, Othon I, pour les dédommager de
leurs dépenses, leur conféra, en 1172, la dignité d'avoués perpétuels du
cloître. L'église fut bâtie par les Néerlandais, comme son style le démontre
encore aujourd'hui '.
IV. Dès \ 150, l'empereur Conrad III donna une charte des plus remar-
quables en faveur de l'évêque de Ilavelberg. Par cette charte, il autorise
Anselme à peupler de colons, n'importe à quelle nationalité ils appartien-
nent, les villes el villages devenus déserts par les invasions des Slaves, ainsi
que d'autres qui n'avaient conservé qu'un petit nombre d'habitants ^. On ne
saurait nier la coïncidence frappante de ce diplôme avec le fait de l'émigra-
tion de nos colons.
A partir de ce moment, les Néerlandais se répandirent dans les diverses
provinces soumises au sceptre d'Albert l'Ours ^. D'après le témoignage même
de Helmold, le chroniqueur leur donne le nom générique de Hollandais; ils
' Adler, p. 18.
- Ledebur, Vortràge , p. 40.
• llclmold, lib. I,c. 88 : « Et ronfortatus est velicmenter ad iiitroilum advenaruni cpisco-
patus Brandeburgensis iiec non Ilavclbergensis, eo qiiod multiplicarenlur Ecclesiae et decima-
rum suceresseret ingens possessio.Sed et australe littus Albiae ijtso tempore incolere coeperiint
Hnllandicnses advenae, ab urbe Saleveldele omncm terrani palustrem atque campestrem ,
terrain quae dicitur Balsenierlandc et Marscinerlande, civitates et oppida raulta valde usque ad
saltuni Bojeiuicum possederunt Hollandri. »
DES COLONIES BELGES. Ilî>
occupèi'oul la rive méridionale do rElhc, pouplèrciil le Balsanierlaïul el Iv
.Marscinorlaïul, et se fixèrent sur tout le territoire marécageux qui s'étend
depuis la ville de Salzwedel jusqu'au saltus Boiemims. Quelques auteurs, et
parmi eux Wersebe,ont contesté Texaclilude de celte narration; mais nous
verrons plus loin qu'elle est d'une précision rigoureuse.
Les Flamands s'établirent principalement dans rAIlniark. Ils y fondèrent
la ville de Siendal el peuplèrent tout le territoire environnant '. On les voit
aussi se fixer dans la ville de Brandebourg 2. Les Hollandais occupèrent le
district marécageux de la Wische, où ils fondèrent la ville de Seehausen.
Deux diplômes, de 1160 et 1170, constatent ce fait ^ non moins que des
noms de famille qui apparaissent plus tard : un Mans IloUamler, babitant
Munlenacke", abandonna, en 1S05, à l'église paroissiale de Werben , un
l)oisseau de froment; un Arnold Hollender fui nommé, en 1S12, senior de
l'église Saint-Nicolas à Beuster; un Jean d'Ulrecht el ses fils figurent, en
1307, comme témoins dans un acte concernant les vassaux nobles de Pulliz,
dans la Wische ^.
Comme preuve que les Flamands se fixèrent dans YAltmarl; ,]e citerai
d'abord un Henricus Fleniingus, miles, cHé dans une charte datée de Bis-
mark, en 1209 % et aussi un Frédéric de Kemerich , qui parait dans deux
diplômes de 1225 ^
Ce dernier devait habiter le village de Kemerich, où, d'après une souice
de 1208, le cloître d'Arendsee possédait unemanse de terrain. Ce village était
' Eccard, Corpiix lii.st. med aevi, II, p. 697 : « Eo tempore Slendaliii url)s loiidila esl r(
terra vicina a Flamingis est inliabitata. •
Caspar Abel, Sam)idiiii;i elliclier noch nichl iji'.dnikten allen Cronicken, p. 130: « ... Do
kemcii de Flemingk, den gaffhe de sliddc, de buweden de slad Steiidel, dar liadde oek airede
den naineii, unde was cyii lioldcn bleck , unde de Flemingk makedeii daruLb eyiie slad, iindc
is de Ho\ ed slad in der Ilolden mark... »
■"- Kùsler, Coll. opiisc. Iii.st. Mardi, illiistr., II, 44 : « Urbs (Brandeburg) el vicina irdiabilala
ae culta esl a Teutonibus... el landcni a Flamingis , quorum posteri, elc. »
5 Gcrcken, Cod. dipL, V, 7± — Kiedel, Cod. dipl. linuuL, I llobt., II Bd., p. 441.
* Cf. noire Monleiuuken , dans le Limbourg.
■• Riedel, /oc. cit., VI Bd., jip. 47, 386, 290.
'' Ledebur, \eu. Atlg. Arcli,, III, l'.)3.
^ Gcreken, Frucj. Mardi., I, 09; III, 74.
120 HISTOIRE
piobablement silué prés de rAland \ mais on n'en relrouve plus la trace
aujourd'hui. Il n'est pas douteux qu'il ne tire son nom de Kaineryk ou Cam-
brai, des Pays-Bas, el qu'il n'en soit redevable à une colonie belge, de même
que deux autres localités le témoignent encore, Kemerich, dans l'Anhall,
et Rcmberg, prés de Willonberg. J'ai déjà expliqué la fdiation de la pre-
mière (voy. Div. I, chap. V). Quant à la seconde, Gaspard Peucer disait
déjà , dans la seconde moitié du seizième siècle, qu'elle empruntait son nom
de la ville de Cambrai el qu'elle avait été fondée par les Flamands appelés
par Albert l'Ours. Wersebe - nie toute similitude de nom et d'origine; mais
une connaissance plus approfondie des cartulaires lui aurait permis de véri-
fier que, jusqu'au quinzième siècle, toutes les sources appellent la ville de
Kemberg : Kemeric, Kemrigh , Cbemerig, el que le prévôt de Kemberg s'ap-
pelait Cameracensis prepositus ^, tout comme celui de Cambrai en Belgique;
d'autant plus que quelques chartes, que l'on avait faussement appliquées
jusqu'ici au territoire de Dessau, concernent évidemment les établissements
néerlandais formés autour de Kemberg ^
11 est étrange que les sources aient conservé si peu de traces des colons
néerlandais; celles qui se rapportent au territoire compris entre l'Elbe et
l'Oder n'en font pas la moindre mention, el il en est de même de celles qui
concernent l'évêché de Havelberg. Dans les diplômes relatifs au Brandebourg,
il en est un où il est parlé (1460) du Flemiage bure dienst dans le cercle de
Lôvvenberg^; un autre contient le nom du village moderne de Flemsdorf,
dans rUkermark, qui était appelé Flemichstorp en 1459^, et, un siècle aupa-
ravant (1354), Vlemischdorph ". On trouve pareillement, en 1282, un
Waller Flamingus ^ mentionné comme civis de Brandebourg; c'est proba-
' l,cnz, Bramhtih. Urk., p. 19 : « Mansuni uniim in villa quac dicitur Ivamerick et duos
inansos et dimidium quadrantcm super riviim qui dicitur Aland. »
- Die niederlandischen Colonien, etc., II, 754, sqq.
'' Cf. entre autres Sclitittgcn et Kreysig, Dipl., III, 401, 402, 411, 4IÔ, il(i, 417, 419,
4!à5,454, 460, 483.
* Ledebur, Voitruge, etc., p. 40.
^ Gercken, Fracj. Mnrch., VI, 42.
" Gercken, Drandenb. Stiftshist., p. 29.
■ ' Wolilbriick, Lebiis , I, 361. — Riedcl., loc. cit , II, 351.
** Riedel, Die Mark Drundenlnirg , 1,42.
DES COLONIES BELGES. 121
bleiiieiil le même (|ui est appelé, en 1269 , Walterus Flammiycr '. On poul
ranger parmi ces descendants des Flamands un Baldeldnus [^Q\An\m\%?) de
Bruffis -, ainsi qu'un Burchardus de Slenvorde^, et les sources font aussi
mention d'émigrants frisons ^ On découvre, en 1401, un Koppe (Jacob)
van der Specke, à Wendermark, et, en 1433, un llenning Hollander à
Ferchlibbe ^.
Enfin, je trouve encore comme témoin un personnage dont le nom rap-
pelle immédiatement une seigneurie célèbre du Limbourg :
En llo2, Wernerus de Velthem^.
En 1160, Wernerus, cornes de Vellem '.
Ces deux noms, Velthem et Muntenacke, cité plus haut, rendent plus
que probable Thypothèse d'une émigration d'habitants du Limbourg dans
l'Altmark.
CHAPITRE III.
BAILLIAGE DE JUTERBOCK.
Ce bailliage faisait anciennement partie du duché de Saxe et s'étendait
entre l'Elbe et le marquisat de Brandebourg, depuis les frontières de la prin-
cipauté d'Anhalt jusqu'à la ville de Dahme. C'est de tous les pays où s'éla-
' Riedel, Nov. cod. dipL, 1 hplh., VIII, 1G9.
^ Gevcken,B randenb.Stiftshist., pp. iSC^i'SS.Baiiisle Cod. dip[om.Brandenb.,dumén\cau.leuv,
apparaît à maintes l'eprises un « Thilo de Bruges. » Une charte de 1534 (t. V, p. 9o) de Louis,
marquis de Brandebourg, l'appelle : « Der bescheiden mann, Tyle i-an Bnigge, unscr liever
getruwer Riehter und Munzmeister zu Berlyn. » Dans cette charte» la particule qui précède le
nom des autres personnages est invariablement von. Un autre diplôme dit : « Thiloni de Brug-
yheii , monelario in Berlin et suo filio Thiloni , nec non Thiloni de Kampen , » autre non néer-
landais {ibid, p. 527 ). Thilo de Bruges devint, en 155C, avoué de Spandau [Und., p. 552).
^ Gercken, Cod. dipl. Brand., I, p. 18, an. 1197. Steenvoorde est un village de la Flandre
française. Voy. plus haut, p. 58.
'* Ledebur, Vortrdge , p. 43.
s Gercken , loc. cit., pp. 486 , 488.
* Gercken, Cod. ib., I, p. 9.
' Ibid., p. H.
Tome XXXII. 17
122 HISTOIRE
blirent les Belges celui (|iii renferme les vesliges les plus intéressants des
colonies fondées par Albert l'Ours; c'est le seul où Ton trouve des Flamands
qui ont, à peu de chose près, conservé intact l'idiome de leurs ancêtres.
I. Julerbock ', la célèbre ville des Wendes et leur dernier boulevard dans
la Saxe, devint la conquête d'Albert vers le milieu du douzième siècle (1 14-7),
et il est probable que dès lors elle reçut sa part des colons néerlandais dis-
séminés par le margrave dans la plupart de ses Étals. On ne saurait toutefois
fixer avec une certitude complète la date de la colonisation du cercle de
Jiiterbock. Torquatus, qui vivait au seizième siècle, dit que l'archevêque de
Magdebourg, Wichmann, fit venir des paysans- qu'il soumit au cens, et
(|ue c'est d'eux que le Flaming, qui entoure Julerbock, a pris son nom. Il
mentionne ce détail à l'année H67; mais plusieurs motifs, sur lesquels je
reviendrai plus loin , m'engagent à remonter au moins de quinze ans plus
haut. Je me contenterai, pour le moment, d'en alléguer deux.
Une ancienne chronique de Julerbock reporte la colonisation de cette ville
à 4163, et son auteur en attribue le mérite à Albert l'Ours "; mais j'ai déjà
démontré plus haut* que la colonisation commença vers 1146, et tous les
historiens allemands reconnaissent qu'après 1160 tous les pays soumis à
Albert l'Ours étaient colonisés. Je ne vois pas pourquoi la ville de Julerbock,
qui tondia au pouvoir d'Albert l'Ours dès 1147, aurait attendu vingt ans
à recevoir des colons.
' Les Slaves admellaicm un dualisme divin. Ils avaient un dieu bon et un dieu mauvais. Le
premier s'ajipelait Jùtcrbocli ; le second Czerncboth. Jiiterboclv avait un temple fameux dans la
ville qui portait son nom et lui était dédiée. Voy. Gebhardi, Geschkhle der Wendeii , im SI
Bande der Hall, allgemeine Welthistorie , p. 242.
- « ... Illic collooando ?'ws?«cos, quos censuarios Eeclesiae feeit. »
' Cron., ap. Eckliard, in Script, rer. .Julrcboc. « Accedit quod anno llGô Ursus evocavit
Hollandes, Selandos, Flandrosque et in terris Siavorum vacuis coUocavit eoque et propter pa-
triam urbam (Jiiterbock) ubi tractus aliquis a Flamingis hodieque retinet nomen, eujus etiam
Wicmannus in litteris suis meminit. Hclmoldus de eo agit, etc... »
Entzelt, Chronicon der Al.tc Mark, p. 113 : « Also satzt Alberlus umb Wittenberg, Hol-
lender und Fiandcrern, daher noch der Nabmen Pleumeuserland blieben ist. Item viel Ge-
berdc und Xalimcn der Stetlein, Chaiiieraciim , Cliemberg, Xiewegeii, Nymeken, lirïige,
BriJcke, etc. » Le nom de Pleumeuserland , dont j'ai parlé plus liaut, pages M I et 1 12, n'est
plus connu aujourdliui dans le bailliage de Jijterbock.
'* Voy. ebap. II, pp. 112 et suiv.
DES COLONIES BELGES. 123
Enoulre, une charte de Wichmann, du 29 avril 1174, dont malheu-
reusement je n'ai pu me procurer le texte original en entier, me fournil une
autre preuve.* Wichmann accorde aux bourgeois de Jiiterbock le droit de
McKjdebom'o , ainsi qu'il en avait la coutume pour toutes les autres villes qui
ressortissaient à sa juridiction , les affranchit du serment avec vare ' et les
exempte de tous droits de douane. Il entre ensuite dans quelques détails sui'
la situation de la ville à celte époque et la dépeint sous le jour le plus favo-
rable. Plus loin, l'archevêque déclare qu'il prend aussi à cœur les intérêts
« de ceux qui ont immigré dans le pays ou y viendront immigrer » que ses
intérêts personnels ^ C'est pourquoi il accorde le droit de pacage, tant aux
habitants actuels de la ville qu'à ceux qui viendront l'habiter, sur toutes
les prairies qui s'étendent depuis Jiiterbock jusqu'à la montagne voisine de
Zinna", d'une pari, et jusqu'au « ponl des Flamands, » de l'autre*.
Cette charte prouve d'abord (lue les Flamands avaient déjà étendu leurs
' Voy. seconde partie, di.II, Droits spéciaux, sect. III, § I, n° II.
' Werscbe, en faisant l'analyse de la charte, passe discrètement ce passage sous silence,
parce qu'il est contraire à sa théorie. En voici une traduction allemande ; « Und weil nùnmehr
l'mtcr Golfes Gnade di'irch ùnscre Bemiihungen es daliin gekommen ist , dass in dcr Provinz
Jiiterbuck, wo sonst Heidcnthùra geiibt ward ùnd dcn Christcn osterc Verfolgùng wideri'ùlir,
jetztdie chrislliehe Religion blùht, das Christenthùm kraflig geschiitzt ist und ùnserem Gott
an dcn mcisten Ortcn gebiihrende Vcrelirung geschicht, so wùnsclien wir aùs wciterer Licbc
zùr Christenhcit, Schùtz und Wohlfahrt derer, welche in dicse Provinz eiiifim-andcrl »\nd
ùnd noch einwandern werden, eben so sehr zù befôrdern, als ùnsern eigencn IN'iit/.cn. » Heffler,
ChruHik der sladl Jiiterbock, p. ()7. Jiiterbock, 1851.
3 Parmi les colons néerlandais, il y avait très-probablement des moines venus, comme ceux
de Walkenried, de Himmelspforte et de Dobrilugk, de la célèbre maison d'Altenkamp. Tou-
jours est-il que les Cisterciens fondèrent, vers M 70, un cloitreà Zinna, du consentement et sous
la protection de l'archevêque Wichmann , qui, on s'en souvient, avait été le promoteur d'autres
établissements de ce genre. Ce détail rend plus certaine l'hypothèse que le cloître de Zinna fut
fondé par des Belges. (Hcffter, p. GG).
* Wersebe, II, 647, G48 : « Unde, cum civitas Juterbuck exordium et caput istius proviu-
ciae existât, merito et ex pio favore nostro quicquid eis qui habitant in ea, etad inbabitandum
in ea ad nos confugiunt, honoris et utilitatis conferre poterimus, libenter confcremus. Quam-
obremneipsi, quac eis nunc concessimus, aliquatenus possint in([uictari, pascua, quibus frui
debeant, in hoc nostro privilcgio distinguimus, et volumus ut de villa {Vorslad) Juterbuck
trans ulteriorem raontem versus Zinne, et ultra pontem Flammingerorum, pascua eorum pro-
cédant, et ultra occidentalem [Flammingerorum] pontem cum urbanis de Juterbuck pascua
habe[a]nt communia. »
124 HISTOIRE
élablissenicnls à une ceilaine dislance de la ville, centre de leur colonie, ce
(jui , on le conçoit , n'avait pas pu se faire dès le moment d'arrivée. Au sur-
plus, la situation si florissante dont se réjouit rarchevêque n'avait pu naître
au bout de trois ou quatre ans, puisque auparavant la ville était slave, et
qu'elle avait été complètement dévastée pendant la guerre. En outre, les
commencements d'une colonie, si protégée qu'on la suppose, sont longs
et difficiles : il faut du temps pour acclimater les émigrants, et il n'y a
que la sécurité qui puisse engendrer la prospérité. C'est donc bien avant
H 67 ou 1163 qu'il faut placer la date d'arrivée de la colonie belge à
Jùterbock.
Une invasion des Lutizes et des Poméraniens ne mit pas fin à l'œuvre des
Néerlandais, s'il faut s'en rapporter à lui aulre diplôme de Wicbmann (1 185),
dans lequel il parle des « manses flamandes '. »
Quoi qu'il en soit, les Néerlandais avaient déjà, longtemps avant celte
époque, construit, d'après le désir de Wicbmann, une grande digue qui
partait de Jiiterbock pour aboutir d'abord à Nutritz et Dennewilz, et , plus
loin, à Scbweinilz et Wittenberg. Au point d'intersection de la ville, ils bâ-
tirent une église, un presbytère, un fort pour l'avoué et ses soldats, et des
maisons. Cet aggloméré forma le faubourg de Jiiterbock , faubourg auquel
ils donnèrent le nom de Damme, peut-être en souvenir de la ville de Dannne,
leur patrie '\
Les historiens ne nous ont conservé que peu ou point de renseignements
sur la position qu'occupaient les Flamands à Jùterbock. Un détail, cependant,
qui me parait d'un immense intérêt au point de vue de l'histoire générale de
nos colons, a été heureusement soustrait à l'oubli : les Flamands battaient
monnaie à Jiiterbock. En 1 1 82 , Wicbmann leur céda un bâtiment destiné
aux affaires de leur monnayage, et ils frappèrent des pièces d'argent qui
))orlèrent cet exergue :
' «1 ... Insupei-, in lerra nosUa que Jiiterbock dicitur ccnlum mansos eontiguos ad mcn-
suram Flandrensium mansorum et qui ad ferendum frumcntum sinl fertiles in idem concam-
biuiu addimus, et ad hec colenda et instauranda in neniorc nostro Zlrckowe de paseuis et
silvis Ij mansos adjecimus. »
- Heffter, Chronik der siadt Jtiterbock, p. 58. Peut-être aussi ce faubourg doit-il tout uni-
ment son nom à la digue [dam] construite par les Belges.
DES COLOiMES BELGES. 12d
MOiNET,\ NOVA FlAMINGORVM JvTREBOC '.
Pas une de ces pièces ne subsiste encore aujourd'hui.
II. Grand Flàming.
Ce territoire , qui comprend plusieurs lieues d'étendue , touche à ki ville
même de Jiiterbock , s'étend au nord de Witlenberg , depuis les villages de
Gross- et Klein-Murzehns , jusqu'à la ville de Dahme, et forme un plateau
qui sépare l'Elbe du Havel.
Une partie de ce territoire appartenait jadis au bailliage de Wiltenberg;
une autre, au comté de Beizig; une troisième, aux seigneuries de Zahna et
Seyda^; une quatrième, à la seigneurie de Dahme; la plus grande partie
relevait de l'évéché de Jiiterbock.
Wittcnberg lui-même fut fondé par les émigrants belges, (^elte ville appai-
lenait jadis au diocèse de Brandebourg, comme le témoignent des actes
concernant l'Université, lors de sa fondation, et d'autres documents, et elle
remonte au temps d'Albert l'Ours. Son nom même , dit Rliigel , que nous
traduisons dans notre langue {in noslra flamingica) par montagne blanche,
permet d'atlllrmer de la manière la plus positive qu'une colonie flamande
{foloniam Flaniingorum) a été amenée dans celte contrée "'.
On en peut dire autant de la ville de Luckenwalde. Les moines de Zinna
y bâtirent une chapelle à côté du temple wende. Il règne là une foule d'an-
ciens usages que la tradition a conservés religieusement. Là aussi l'accent du
peuple se rapproche considérablement du langage des babilanls du Flàming.
« Comme les Flamands, dit un écrivain, peuplèrent tout le territoire envi-
ronnant , je suis d'avis que c'est encore à eux que l'on doit les commence-
ments de Luch-im-Walde. Cette ville ne fait pas , à proprement parler, partie
du Hohe-Flumhuj ; mais elle y confine, et elle a eu de tout temps des rela-
tions de commerce et d'intérêts avec la capitale du Flàming , Jiiterbock *. »
' Jt/trchocensitim. — Voy. Heffter, loc. cil., \>. 107.
2 « In Saxonia superiori, sive in Electoratus Saxonici territorio, op])kluiii est ad ladices
montis Ftemming , vulgo Seyden.... Witleberga tribus inilliarilius distans. » (Mencken, III,
p. I97f.O.
' Kliigel, p. lâ.
* Prettssische Kreuzzeitung. Beilage, zu n" 90, 17 april 1864.
J26 HISTOIRE
Tout ce (lislricl, déserl à répocjue où les Néerlandais s'y élablirent, lui
colonisé par les Flamands. On le divise en Hohe-Fliuning et Nieder-FlamiiKj.
Ni les Germains ni les Slaves n'avaient jamais pu habiter le premier, parce
qu'on y manquait totalement d'eau : les Flamands, puisotiers expérimentés,
creusèrent des sources profondes qu'ils maçonnèrent, et qui servirent à ali-
menter de petits ruisseaux qui fertilisèrent un sol naturellement aride '. Quant
au second , dont le nom indique la position , ils le desséchèrent au moyen de
canaux de dérivation , dont on aperçoit encore les dernières traces.
Tous les bourgs ou villages du Fldminy ne furent cependant pas originai-
rement fondés par les Belges ; mais ils étaient délaissés. C'est ainsi que les
villes de Zahna et de Seyda eurent des bourgeois flamands et des manses
tlamandes; il en fut de même de Rohrbeck, près de Rutenitz ; de Beiersdorf,
près de Korbitz ; de Wildau , de Wentdorf (autrefois Wendendorp) , etc.
Les villages de Stoizenhain (Sloltcnhagen), de Kaltenhausen et de See-
hausen , tous trois dans le N ieder-FWming , furent fondés par les Néerlandais.
La tradition considère comme essentiellement flamands ceux de Heins-
dorf (autrefois Hinriksdorp) ; Markendorf (Marggravendorp) ; Woltersdorf
(Wollersdorp); Grafendorf (Grevendorp).
D'autres localités portent des noms empruntés à des villes ou villages des
Pays-Bas. Telles sont les villes de Kemberg ou Kemerkh , de Briick, près
de Willenberg; de iV/>w<p('A- ", de Ge»7/<//«, de Gente, de Graifenhaùic/ieii ,
d'Aken, de Liebemverda , iVEuper ou Eyper, etc., que l'on retrouve dans
les noms néerlandais de Kameryk (Cambrai), Brugge (Bruges), Nimwegen
' IlcH'lcr, lue. cit., pp. 47, 41).
- Sueyro, Annales de Flaïules , Anvers, 1624 : « Colonias al septentrion, porque haviendo
Henriquc Léon duque de Saxonia, expelido à los Vandales, gente obslinata y fiera, embio à
riandes a Adulfo condc de Holsacia, y viniendo de alli à poco Vrson marques de Brandem-
l)urgli, llcvaron desta provincia a los que problaron. Aquellas tierras, donde en los contornos
de Witcmbergh, se ven aun los nombres de Cambray, Brugas y otras villas, que testifican su
origcn, Lolviendo desta manera los Flamëeos, despues de algunas bueltas del siglo, à la Pa-
tria, de qua havian salido sus mayores en tienipo de Liderico el primero. » I, p. 180''.
Bertius, De Germunia. Amsterdam, 1652 : « Hic [Ursus Marebio] accitis è Gerniania infe-
riorc ae pracsertim ex l^landria , Hollandia , Frisia , Westphaliaque , tolonis , regionem deser-
lam bellisque Vandalicis ad soliludinem pêne rcdaelam excoli fecit; estque haec caussa cur
cirea Witenibcrgam nomina sint Cameraci, Neomagi, Brugarum, alibi vero aliarum urbiuni
origineni suani testantiuni. »
DES COLONIES BELGES. 127
(Nimègue), Gcnl (Gaïul), Gravenliago (La Haye), Aakcn (Aix-la-Cliapelle) ,
Loeuwarden (Leuwarde) , Yporn (Ypres), etc.
Tels sont aussi les villages de Miifjeln, que les Flamands prononceul Me-
cheln ou Mer/eln ; de Wdsike (sud-ouest de Beizig) ; de Welsikendorf {\wès
JiUerbock); de Lichterfelde (près Zinna), el de Tun ou l'autre Werbiy (?) que
la tradition du Flaniing fait dériver de Mcchelen ' (Malines), Velsique (sud-
est de Gand), Lichtervelde (près Thourout) , et Werwicc].
Heffler rallache /?o//>Vvec7. à /Joosp6ee/.-, village de la Flandre occidentale;
mais , quoi qu'il en soit de cette fdiation , qui me parait assez douteuse , This-
loire locale conserve à Uohrheck le détail suivant. Lorsqu'après la réforma-
tion de Lulher, on construisit un nouveau maitre-autel dans ranlique église,
on trouva sous Tautel primitif une tombe dans laquelle reposait le corps d'un
homme enveloppé d'un suaire en drap vert. Le corps tomba en poussière
au contact de l'air. Un couteau de chasse, au manche de nacre, se trou-
vait à côté de l'homme. C'était un chasseur flamand, l'entrepreneur de la
colonie de Rohrbeck ''.
La tradition de Jiiterbock et des environs ne doute nullement que plu-
sieurs familles du Flaming ne soient issues des Pays-Bas, comme les de
Hake, de Haag (La Haye); les de Lowen, de Loven ou Lcuven (Louvain) ;
• Il y a aussi un Mechelen, village dans le Limbourg, arrondissement de Tongres.
2 Pag. 48. Ce village eut originairement deux écoutctes, probablement, dit Heffter (p. lOI)
parce que deux tribus Ilamandcs différentes s'y étaient établies.
"> Heffler, p. 50. — A côté de l'histoire, voici la légende.
Ilinrik (Henri, — c'était le nom du Nemrod flamand, el il le laissa au village de Ilinriksdori)
(Heinsdorf), — rencontra dans une de ses chasses le seigneur wende de Rulenil/. , qui s'étail
depuis peu de temps converti à la foi chrétienne. Il avait une fille belle comme le jour. Hinrik
s'en éprit. Comme il cherchait toutes les occasions de découvrir son amonr à la jeune slave, il
eut le bonheur de la sauver, au péril de ses propres jours, des atteintes d'un sanglier qu'elle
poursuivait avec son père. Comme gage de reconnaissance, elle lui donna, en rougissant, un
superbe couteau de chasse, à la lame d'argent, au manche de nacre, que Hinrik conserva
comme un trésor précieux. Bientôt après, il se hasarda à demander la main de la jeune lille
au seigneur de Rutenitz. L'ingrat wende refusa avec hauteur. Mais la jeune fille, qui conservait
le souvenir du danger dont Hinrik l'avait sauvée, paya son amour d'une tendre affection. Un
jour qu'ils causaient furtivement ensemble, une flèche, que le seigneur de Rutenitz avait dé-
cochée à l'adresse du chasseur, alla frapper la jeune Slave au cœur. Elle tomba .=ans pousser un
cri. Hinrik , désespéré, refusa de prendre femme parmi les filles de sa nation, et mourut céli-
bataire. Seulement il exprima en mourant le vœu d'être enterré avec le couteau de chasse qu'il
avait conservé comme une relique.
128 HISTOIRE
les d'Anùiit , dArnliein , etc. Un Uenrl d'Eijper ( Vpres) vendil, en 1221,
au cloiti-e de Zinna, le village de Wolnisdorf '.
Ce qui me parait offrir une origine belge plus authentique, ce sont les
noms de famille Flemminy, BrahaiU, iMecluia ', etc., qui foisonnent dans le
Fldming et à Jiiterbock. En 1395, Ilans Holland était conseiller [ralhmann)
à Jiilerbock "; en 1431 , deux prêtres de cette ville s'appelaient Jacob Ptil-
man [Poelman), aujourd'hui Pfultlniann , et Johann IloUand'', et, il y a
quelques années, figurait encore parmi les praticiens de Jiiterbock, le doc-
teur Flenuninfj.
Les colons belges étaient personnellement libres. Ils avaient tout au plus,
en échange des privilèges qu'on leur octrojait, à prester quelques services
relativement au desséchenjent des marais et à la construction des villages.
Dans la suite, les baillis et les seigneurs terriens parvinrent à assujettir insen-
siblement leurs descendants à des corvées. Ainsi , ce qu'on avait demandé à
leurs ancêtres dans le principe, en leur faisant des promesses et en les allé-
chant par des faveurs, on l'imposa plus tard comme une obligation à leur
postérité, en invoquant contre celle-ci le long usage passé à l'état de prescrip-
tion. Enfin, on eut recours à des ordonnances émanées des commissaires du
gouvernement.
Cet état de choses prit naissance à l'issue de la guerre des Paysans , qui
prit fin vers 1535, et soumit comme tout naturellement la classe entière des
paysans au régime des corvées.
Ainsi l'on réglementa, en 1S66, les corvées manuelles, à prester par les
habitants des faubourgs de Jiiterbock, sur les terres dépendantes des châ-
teaux, et l'on exigea de chaque possesseur de manse deux charriages par an,
chacun de quatre jours complets; mais le trajet ne pouvait pas excéder cinq
milles par jour.
En 1579, on assujettit les habitants des campagnes aux corvées suivantes :
' Heffter,47.
- Un Clirisliun von Meclielen vi^ait en 1781. (Voy. Winckclmann , fftsl. de l art chez les
anciens, II, 147. Paris, 1793.
■' IlelTlcr, p. 175.
'• Iliid., p. 160.
DES COLONIES BELGES. 129
service de la garde de nuit, transporl de l'eau et du bois, coupe du bois,
pêches dans les étangs des châteaux. Ils devaient, en outre, accompagner le
seigneur à la chasse des lièvres, cueillir le houblon, sarcler le lin, charrier
le bois de construction , conduire les chevaux de récoutéte, et conduire le
cheval de l'écoutèle à la destination des emj)loyés du bailliage, parmi les-
quels le bailli était tout naturellement compris. Enfin, on exigea aussi des
cinq villages les plus rapprochés le dévasement des étangs des châteaux, le
transport des céréales à une distance de huit milles, le service forcé des en-
fants moyennant un salaire insignifiant, et une foule de petits déplacements,
tels que charriages de farine, de semences, de carottes, de bière, etc.
On le voit, les paysans furent châtiés durement de la guerre qu'ils avaient
livrée aux classes supérieures. Celles-ci firent prévaloir le principe que, dans
les desseins de la Providence , il y a trois castes dans la société : celle qui se
charge de la défense [WehrstamI) , celle qui s'occupe de la doctrine [Le/ir-
stand) et celle qui est obligée de nourrir les deux autres [Ncihrsland) ; c'est-
à-dire la noblesse, le clergé et les paysans. Ces derniers devaient donc fournir
la nourriture des deux premiers , en échange de la défense qui leur est ac-
cordée et de la doctrine qui leur est enseignée.
Cependant , cet étal de choses reçut (pielques tempéraments à la fin du
dix -septième siècle. En 4 690, on substitua aux corvées personnelles des
prestations en nature, et celles-ci, à leur tour, finirent par être remplacées,
dans ces derniers temps, par des charges pécuniaires ou des redevances à
payer au domaine ^
III. Après avoir parlé des Flamands d'autrefois, il me reste à dire quel-
ques mots de ceux d'aujourd'hui -.
L'habitant du Flilmvuj mène une vie à part, indépendante, qui le dis-
lingue des Allemands qui l'entourent. Ferme en ses propos, il est sérieux et
' ncfïicr, pp. loô, \m.
- Personne n'était plus à même que le D' Heffter de traiter cet intéressant sujet. Con-
seiller de justice à Jiiterbocli, pendant quarante ans, il eut le loisir d'étudier le passé de Jiiter-
bock et des environs. Sa Chronique accuse sans doute une vaste érudition ; mais conçoit-on qu'il
n'ait consacré que cinq pages (4(5-50) aux Flamands? En quinze lignes, il dit tout ce qu'il sait
des habitants actuels du Flàming. Mes propres renseignements complètent ce qu'il v a d'insuf-
fisant dans son livre.
ToMF XXXII. 18
130 HISTOIRE
|)acifK|ue. Il joinl à une grande vigueur corporelle une activité d'esprit (pii
ne s arrête jamais. Religieux par instinct, il a les mœurs austères : le foyer
de la famille lui tient lieu de toute autre distraction. 11 est sobre dans la
satisfaction de ses besoins, tels que la nourriture et la boisson. Il est très-
attaché à son passé et répugne à toute idée d'innovation. On l'accuse de par-
cimonie, voire même d'avarice; je ne sais jusqu'à quel point ce reproche est
fondé; mais l'accueil que j'ai reçu chez les Flamands m'a donné la plus haute
idée de leur hospitalité; peut-être ma qualité de Flamand contribuait-elle
quelque peu à cet excès de générosité.
L'altération la plus sensible qu'aient éprouvée leurs vieux usages concerne
le costume : celui des hommes n"a plus rien qui les différencie du reste des
Allemands qui vivent autour du Fldiiiiiuj. En 1G93, mourut le juge Dinn-
chen, à Neumarkt,el il fut le dernier qui portât un chapeau pointu à bords
retroussés, coiffure qui existait dans le Flaming depuis près de six cents ans^
Ce chapeau avait toute l'apparence de ceux de nos anciens paysans flamands
et hollandais.
Voilà bien une preuve que la mode ne change pas toujours par le fait des
femmes, ainsi qu'on le croit communément. Les Flamandes du cercle de
Jiilerbock, à la différence de leurs maris, ont conservé leur costume tradi-
tionnel. Ce n'est pas pourtant qu'il soit fort élégant : une jacquette de coton-
laine, un jupon court de couleur, bariolé et généralement rayé, des sabots
ou souliers ferrés, des bas de laine en hiver, voilà tout leur accoutrement.
Aucune ne va nu-têle; toutes, enfants, fdles, vieilles femmes, portent je ne
sais quel bonnet étrange, dont les longs revers plissés se dressent en arrière
comme des ailes d'ange ou de Mercure.
C'est ainsi que je les ai vues, la botte sur le dos et le bâton à la main,
se rendre au marché de Juterbock,le mercredi seulement, quoique Jiiler-
bock soit leur principal débouché. On me raconta dans la ville, et j'en ai été
témoin, (|ue les Flamands ne parlent que lorsque leurs afiaires l'exigent ,
(|ue, pour le reste, il est impossible de lier avec eux conversation. Les habi-
tants de Jiiterbock ont, du reste, grand'peine à les comprendre, tandis que
je causais sans difficulté avec eux.
' Hefficr, p. 50.
DES COLOINIES BELGES. 131
Leur langue est un flamand corrompu ; au nord du Flnminy se parle le
bas-saxon, et, au sud, un mélange de nieder- et de hoclidcalsch '.
Les habitants du Fldming, ou , comme on les appelle partout aux alen-
tours, les Flamands, die Flamhujer, forment, si je puis m'exprimer ainsi,
une société à part. Rien de plus tenace, de plus invétéré chez eux que l'esprit
de caste; rien de plus aristocratique qu'un Flamand d'entre Jiiterbock et
Wittenberg.
Les Flamands se divisent eux-mêmes en trois classes, désignées par trois
dénominations dont l'origine remonte sans doute à la fondation des colonies.
La première comprend les Oeconomen - ou paysans riches, dont l'exploitai ion
est presque assez considérable pour former ce qu'on appelle en Allemagne
un petit Ritlerfjut. La plupart habitent Hohrbeck et les environs; ils ne cul-
tivent en général que du lin, et leur fortune est telle (juc bon nombre d'entre
eux donnent jusqu'à IS mille thalers de dot ^ à leurs filles qui se marient.
La seconde catégorie se compose de Baueni, ou paysans proprement dits.
Ils sont plus nombreux que \Qi Oeconomen, ont, comme ceux-ci, quelque
bien à eux, et prennent le reste à bail. Ils cultivent les céréales, pommes de
terre, etc. Ils sont généralement loin d'être aussi riches que les Oeconomen.
Viennent enfin les Kossalen '' ou petits métayers. Ils doivent tout prendre
' Hcffter: « In seinemWesen liait der Flaïuiiiger lest: niliigcn Einst, kriiftigen Fleiss, kircli-
litlicn und rechtlichen Sinn, Hausliclikcit und gute Zuclit, grosse Sparsamkeit, Massigkeit in
allen Vcrgniigungen, namentlich in Trinken, Voiliebe fiir ailes Hcrkommen, mil Widerwillcii
gegen Neuerungen. Seine Volkssprache isl das iViederlandische Deiitsch , wogegen nôrdiieh
von ihm niedersachshche Mundart Iierscht uiid siidwarts eiiie niiscliung ans Imch- und niedcr-
deiilsrli. »
- Littéralement : agronomes. Je crois que cette expression correspond à ce (|ue nous appelons
vulgairement en Flandre : een boeren-heer.
^ En monnaie belge S6,2oO francs.
* Ce mot est très-ancien. Il dérive de C((.'>o ou casuta, petite habitation qui était affectée au,\
colons non libres, et à laquelle il n'était ordinaircinenl joint qu'une étendue de terrain fort
restreinte. Quand la terre et la maison qu'on leur donnait avaient l'importance dune ferme,
on les appelait »ia«s(o?iwaru, mansuarii, mansarii ; plus tard hûhner, nianser , etc. Le moi
rasai i continua cependant à prédominer. Les casdli , et par corruption cossati, étaient |)rivés
d'une (jualité indispensable pour être rcchtschajfener Baiier. ( Voy. G.-L. v. Maurer, Gcsiliicliti;
der Fronliijfe, der Buuernhôfe iind der Hofverfassung in Deutscldatid. Erlangen, 18(iî>, 1,
p. 28.) En Belgique, nous avions également les kossaeten. Il est curieux de l'etrouver dans le
Fliiming ce dernier vestige des moîurs agricoles du inoven âge.
132 HISTOIRE
à fei-nie el ironi , en règle , aucun bien propre. C'esl parmi eux que se recru-
lenl les ouvriers agriculteurs et autres artisans.
Entre les deux premières classes, il se fait de temps en temps des alliances.
Ainsi, une (ille de Bauer, riche el jolie, peut aspirer à devenir la femme
d'un (ils iVOeconom, et réciproquement. Mais le Bauer, tout aussi bien que
VOeconom, refusera inexorablement à son fds Tautorisalion nécessaire pour
épouser une fille de Kossate. Si le fds persiste dans sa résolution , tant que
vivent les parents, il ne lui reste d'autre ressource (|ue de s'expatrier du Flà-
)iiihg et d'aller vivre en concubinage ailleurs. Si , après la mort des parents,
il retourne au village natal avec la femme (le rang inférieur (|u"il a épousée,
il est déchu de sa condition première et ne compte plus que parmi les Kos-
salen. Le cas ne s'est présenté qu'une fois dans ce siècle (en IS-iT).
Quant à l'hypothèse contraire, — qu'un fils de KossaU' épouse une fille de
Bauer ou à'Oeconom, — la pensée n'en est encore jamais venue à l'esprit du
Kossate le plus huppé.
J'ai dit que les habitants de Jiitorbock, de Wittenberg, etc., traitent les
Flamands de gens parcimonieux et avares. Peut-être ce reproche s'explique-
l-il jusqu'à un certain point par l'usage suivant. Quand des contestations —
et elles sont rares — s'élèvent entre des co-villageois, ils ne défèrent pas im-
médiatement l'affaire au tribunal voisin; cela coûterait trop cher, et les bons
Flamands évitent les frais autant que possible. Ils s'adressent à trois arbitres,
(|uelquefois à cinq, pris parmi les plus respectables de la commune à laquelle
ils appartiennent, et la bonne foi qui règne chez eux leur fait, en général,
accepter d'avance la décision, quelle qu'elle puisse être. Cette décision est
gratuite, tandis qu'une procédure ordinaire entraînerait là, comme partout,
des frais considérables.
J'aurai achevé de dépeindre les Flamands en disant que, quoiqu'ils soient
luthériens depuis la réformation — circonstance que la proximité de Witten-
berg explique facilement — ils ont conservé, plus (jue partout ailleurs, plu-
sieurs coutumes catholiques, telles que le culte de la sainte Vierge et des
saints, etc., coutumes qui sont défigurées sans doute par l'ignorance elle
temps, mais dont il n'est pas difficile de reconnaître la trace en vivant au
milieu d'eux.
DES COLONIES BELGES. 133
Voilà, considéré dans son ensemble, Taspecl qu'offre aujourdliui la popu-
lalion du Flihnimj. Si, au bout de sept siècles, elle est demeurée si pure de
tout alliage étranger, on peut, ce me semble, affirmer que la civilisation ne
parviendra pas de si tôt à la façonner sur le patron uniforme du reste des
Européens.
CHAPITRE IV.
lîAlLLIAGE UE BllïERFELD '.
I. Bilterfeld et le territoire qui l'environne appartinrent d'abord aux comtes
de Brehna, puis au comte d'Anbalt, de la maison d'Ascanie. Ils firent partie
de la haute Saxe jusqu'en 1813 , époque à laquelle ils furent incorporés à la
Prusse.
Au milieu du douzième siècle , la plus grande partie de la contrée était
encore au pouvoir des Wendes. Il y avait, tout près de la ville actuelle, un
château [Y AUe-Schloss), dont les fossés demeurent visibles et dans lequel un
prince wende s'était retranché. Le village, nommé aujourd'hui /!//</(»•/, était
également habité par les Slaves.
C'est à celte épocfue qu'immigrèrent dans ces parages un certain nombre
de colons flamands qui s'étaient établis dans les états d'Albert l'Ours, et,
entre autres, dans le Grand-FUiming , entre Juterbock et Wittenberg, ainsi
qu'auprès de Kcmherg et de Grafenhaincheii. Ils bâtirent l'ancienne ville de
Bitterfeld, à côté de la Mulde, où aujourd'hui encore un carré de terre porte
le nom iVAltesladl. La tradition de Bitterfeld place ces événements à l'année
1153. Les chroniques locales sont unanimes à relater que des inondations
violentes avaient chassé les Beiges de leur patrie. Elles ajoutent que leur
nombre s'élevait à plusieurs milliers d'individus. Ici, comme partout ailleurs,
le souvenir des colonies saxonnes transplantées dans les Pays-Bas vit dans
toute sa vigueur. « Outre l'invitation qu'ils avaient reçue d'Albert l'Ours
' Voir mes Documents, n" XVII et XVIII.
134 HISTOIRE
d'Ascanic, dit une chronique, c'est à bon droit qu'ils vinrent s'établir dans
nos parages, puisque leurs ancêtres avaient émigré dans les Pays-Bas, après
l'an 800 , lorsque Charlemagne eut soumis la Germanie , et qu'ils se refusè-
rent à embrasser le chrislianismc. »
II. Voici ce que rapporte la Iradilion sur l'arrivée des Belges dans le
cercle de Bilterleld.
Lorsque les Flamands, que le marquis Albert avait appelés dans ses États,
virent accroître leur nombre, et qu'ils eui-ent déjà donné leurs soins à l'agri-
culture, ils s'aperçurent avec un certain découragement que le terrain sablon-
neux qu'ils avaient défriché ne donnait pas un rendement digne de leurs
sueurs, et ils demandèrent à pouvoir cultiver des campagnes plus fertiles et
(|ui pussent récompenser plus amplement leurs efforts. Le margrave leur
permit de se porter ailleurs, s'ils le désiraient. Alors ils dépêchèrent un cer-
tain nombre d'entre eux en différentes directions. Ces éclaireurs découvri-
rent un terrain avantageux et y restèrent. Ils se bâtirent des habitations, e(
l'aggloméré qui se forma peu à peu reçut le nom de Belerveld [Besser Feld),
nom emprunté à la nature du terrain où les colons s'étaient arrêtés.
Cependant, Albert l'Ours et les grands vassaux continuaient leurs guerres
contre les Wendes. Ils s'efforçaient de plus en plus de les amener à em-
brasser la religion chrétienne, ou à parlii- pour l'exil, ou à se voir tailler en
pièces. L'œuvre des princes réussit si bien, qu'au bout d'un certain temps les
Wendes ne conservèrent plus qu'un petit nombi-e de postes isolés les uns des
autres. C'est ainsi qu'à Niemegk ( village à trois quarts de lieue de Bitlerleld),
habitaient déjà des chrétiens, lorsque les Wendes étaient encore disséminés
aux environs. Un prince de celte nation s'était, ainsi que je l'ai déjà dit,
retranché dans VAUeSchloss, dont les fossés sont encore visibles aujourd'hui.
.Malgré les nombreuses attaques qu'il avait à subir, malgré la perte de ses
idoles et la destruction de ses remparts, il continuai! à se défendre avec la
rage du désespoir et ne voulait entendre parler d'aucune capitulation. Ce fu-
rent les Flamands qui, après plusieurs combats sanglants, emportèrent le
fort d'assaut, dispersèrent une partie de la garnison el passèrent le reste au
fil de l'épée.
LWUe Scidoss fut donné ( probablement par Alberl l'Ours ) à un cheva-
DES COLONIES BELGES. 155
lier saxon qui s'était bravement ballu contre les Wentles, et qui prit le toni-
niandemenl de la nouvelle garnison tout entière composée de Flamands. En
récompense de ses services, il recul un bloc de terre d'une contenance de
vingt-cinq charrues [Hùfen), et de là provient le nom des Rillershiifeit ac-
tuelles. Quant aux « soldats chrétiens » , dit la chroni(iue, « c'esl-à-dire les
Flamands » , on leur donna, comme prix de leur valeur, trente charrues,
composées de champs, prairies et bois.
111. Les vicissitudes que subit la ville de Bitterfeld, et la destruction des
archives qui en furent la conséquence, ne permettent pas de rechercher
(juclle fut l'importance du rôle joué par les Flamands. Les chroniques nous
apprennent que leur nom paraît dans des sources de 1181, et qu'il figure sur
plusieurs monuments de l'époque. Elles ajoutent qu'ils eurent le droit de
i)attre monnaie, en llo9, ce qui ne parait pas extraordinaire puisqu'ils
avaient la même prérogative à Jiiterbock.
La ville brûla une première fois en 4473; les habitants la reconstruisirent
à un demi-mille plus loin et l'appelèrent B(tlcrf<dd (champ amer), par allu-
sion au désastre qu'ils avaient éprouvé. Un autre incendie détruisit la ville
pendant la guerre de trente ans et de nouveau les archives devinrent la proie
des tlammes, de sorte qu'il sera toujours fort diflicile d'écrire une histoire
complète de Bitterfeld.
Les villages voisins furent également occupés par les Flamands, tels «pio
Puch ' et Muldcnstein. Le premier est remarquable par son vieux château
dont la terrasse rappelle celles de Meudon et de Saint-Cloud : les Flemmiiuf y
sont en grand nombre de temps immémorial. Le second conserve les restes
du château qui ai)partenait autrefois à la famille de Bora, et la petite cha-
pelle— servant aujourd'hui de temple,— où Luther vit pour la première l'ois
Catherine. Le custos, (|ui me rappelait ces souvenirs, et me montrait le fau-
teuil où la future fetiime de Luther venait s'asseoir pour entendre la messe,
ainsi (juc le vieux tilleul sous le(|uel prêcha le réformateur, s'appelait, coïnci-
I J ai reçu à Puch la plus charmante hospitalité chez Son Excellence monsieur de VVietcrs-
heiin, ancien ambassadeur tic Saxe à Madrid et ministre d'Élat. Le savant vieillard, bien connu
en Allemagne par une remarquable Hisloin; des mi(jr((tioiis des peuples, en quatre volumes,
m'a donné des renseignements fort intéressants et que j'ai largement mis à profit.
136 HISTOIRE
»
dence bizarre, Heiiii'ich P'Iemming. A Billerfeld même, ce nom de famille
s'est éteint il y a quatorze ans (1850).
Le nom du village de Niemegk , par analogie avec celui de la ville de Nie-
megk, pourrait faire croire qu'il doit, à l'instar de cette dernière, son origine
aux Néerlandais. Toutefois l'analogie n'est qu'apparente. Le village de Nie-
megk est d'origine wende. Dans le Clironicon Montis Sereni, il est appelé
Numec ou Numic, et existait bien avant l'arrivée des Flamands. Car, en l'an
1089 , le comte Tbimo de Wettin y fonda un cloître, et, en 1136, l'arcbe-
vêque (lonrad de Magdebourg, à la prière de Conrad le Grand, margrave de
Misnie, l'éleva au rang d'abbaye. Tout cela précédait la colonisation néer-
landaise. Cependant le village prit insensiblement le nom de la ville de
Niemegk, par l'arrivée des Flamands qui l'appelèrent ainsi '.
IV. Un dernier reste, un seul débris demeure debout de la colonie fla-
mande fondée à Bilterfeld. C'est la Société des propriétaires fonciers, dite
Flàmiys-Societal. Les membres de cette société, appelés Flàmische Herreii ,
possèdent en commun, à l'étal d'indivision, les trente cbarrues qui furent
jadis données aux Flamands , en récompense de leur valeur. A quelle époque
cette société a-t-elle pris, comme telle, naissance? Aucun document ne le dit
expressément. On peut donc conjecturer (pie le besoin l'aura fait naître. .l'y
reviendrai tout à l'beure.
La Société a un président, un assesseur, un greffier et un forestier, tous
élus librement par le cboix des membres. Ceux-ci se réunissent tous les ans,
le second dimancbe de la Pentecôte, en assemblée générale, à l'effet de
procéder au renouvellement du conseil. Au président élu incombe l'obliga-
tion, d'après la coutume traditionnelle, de donner un banquet monstre,
appelé le Flàmische Schmaus. Tous les membres, leurs femmes et leurs en-
fants y prennent part. Au dessert, circule une immense coupe de cristal, (jiii
contient un peu plus de trois bouteilles de vin. Autrefois, quand un nouveau
membre était admis dans la Société, il devait, sous peine de déshonneur, vider
la coupe d'un trait; puis on la remplissait, et les autres sociétaires buvaient
à tour de rôle à la bienvenue du récipiendaire. Cet usage fut aboli, il y a
* Renseignements de JI. Koriicr, pasteur à Mcniegk.
DES COLONIES BELGES. 137
f|uel(|ue vingl-cinq ans , les eslomacs des Flamands actuels n'élanl pas aussi
complaisants, parait-il, que ceux de leurs pères. 3Iais la tradition desGildes
se perpétue : la coupe fait encore le tour de la table, et tous les membres
boivent une gorgée de vin, pour rappeler le principe de l'association et con-
sacrer une fois de plus la confraternité des alïiliés. Le banquet se lermine
|)ar une danse patriarcale, où tous les âges sont confondus.
Le sceau de la société porte des armes à enciuerre : un pré de sinople au
cerf de gueules, avec cette inscription : Wapcn eiiior lohl. Sncicliii dcr
FU'hniings-Hiiffner , nlhier zu Biltcrfekl.
Le pré figure les prairies et les cbamps appartenant à la société, le cerf,
le Flainiijsholz: Les mêmes armes ont été empreintes dans la coupe par inus-
tion, ainsi que ces mois : Bêcher einer lobUchea Societàt der Flemkjer, in
BiUerfeld, 1S87.
Les propriétés de la société se composent de prairies situées le long de la
IMulde, de parcelles de terre sur le territoire de Bitterfeld et dans un village
voisin, enfin du Fldmigsholz, bois remarquablement beau, que les Flamands
ont transformé en une cbarmante promenade, et où le corps des fanfares de
Bitterfeld va exécuter des morceaux de musiiiue les dimanches d'été.
IV. Ces propriétés étaient, jusqu'au siècle dernier, demeurées exemples
de toutes contributions. Mais le zèle tracassier du fisc fit abolir un privilège
qui trouvait sa source dans des services rendus et que les siècles avaient con-
sacré. Il s'engagea à ce propos une correspondance entre l'administration
royale électorale des accises générales de la Saxe et la société, correspon-
dance qui m'a paru assez curieuse pour que j'en reproduise ici en substance
les traits saillants '.
Par dépèche du 4 mai \ 726 , le commissaire royal Duben posa à la société
les questions suivantes :
1" Quels furent les premiers possesseurs des terres flamandes?
2 ■ Quand et comment ces terres sont-elles devenues la propriété des habi-
tants de Bitterfeld?
3" A quelle juridiction ces biens ressortissent-ils?
' Voy- mes Documents , n'^XlX, XX et XXI.
Tome XXXII «9
138 HISTOIRE
4» En (|U()i consiste, de fait, la naliire de la propriété desdiles terres?
o' Pour (|uel motif les unes sont-elles distinguées des autres, puisque la
moitié de la charrue de Teubnerisch fait partie du territoire de Doberniz ,
tandis que d'autres terres font partie d'autres localités?
6" De quelles charges ces biens sont-ils grevés, et où ces charges se per-
çoivent-elles?
Le commissaire royal terminait sa dépèche en invitant les sociétaires à lui
fournir, dans la quinzaine, une réponse détaillée et catégorique, et se mon-
trait disposé à tous les accommodements.
Ces questions, par suite de la perte des anciennes archives, ne laissaient
pas que d'être embarrassantes. Quant à se fier à la politesse des agents du
fisc, les Flamands n'y auront sans doute pas songé, et ils ont eu raison.
Hépondirent-ils? Jugèrent-ils plus prudent de garder le silence? Parvinrent-
ils, à l'aide de hautes influences, à assoupir ou à traîner l'affaire en longueur?
On ne saurait le dire; tant y a-t-il que quatre ans se passèrent avant (|ue les
limiers fiscaux revinssent à la charge.
Par dépêche du 22 août 1730, le même Diiben notifia à la société des
Flamands qu'une copie de son écrit , daté de Dresde, le 3 mai, même année,
lui avait été transmise, et que l'emiuête qu'il avait ordonnée aurait lieu le
29 août, à l'expiration du terme fixé. Il ajoutait (jue, faute par la riaiiiif/s-
Socieldl de fournir les renseignements demandés plus haut, elle encouirait
une amende de 20 thalers, payable dans les vingt-quatre heures, et qu'elle
pourrait même au besoin être frappée d'une peine plus forte.
La politesse s'est déjà changée en menaces. Il ne paraît toutefois pas que
le sieur Diiben ait atteint immédiatement son but, témoin celte lettre des
Flamands, datée du 18 octobre ]1',W , dont il résuite qu"un nouveau délai
avait été accordé à la société. Celle-ci nomma un commissaire, à <pii elle
confia de pleins pouvoirs, et le délégué répondit ce qui suit aux (piestions
posées plus haut :
1" Quels furent jadis les possesseurs des terres flamandes?
Il résulte de la liste des témoins entendus (liste qui était annexée ' à la
' Ces (li)cumcnls n'offrant pas une importance directe, je les ai supprimés.
DES COLONIES BELGES. \59
pièce principale), (|ue, passé un grand nonii)re d'années, à Tépoquc où Chris-
tophe Poyda, pasleur de Roilzsch, était président de la société des Flamands,
il était dépositaire de Tarmoire de la société [Fleniinyer Lade), armoire dans
la(pielle étaient serrées toutes leurs plus anciennes archives. A cette même
époque brûla la cure, ainsi que Farmoire : tous les titres et documents que
celle-ci renfermait devinrent la proie des flammes, et, |)ar suite de ce mal-
heur, la société des Flamands perdit un grand nombre de privilèges et de
chartes de liberté. Elle se trouve, par conséquent , dans l'impossibilité absolue
de produire les documents demandés. Toutefois, pour satisfaire autant (|ue
possible aux injonctions de l'administration royale, elle a fait lous les elïorts
imaginables pour obtenir des anciens propriétaires quelques renseignements
utiles. Il résulte de la copie ' de la pièce (aussi annexée) que les propriétaires
ont envoyée au fondé de pouvoirs de la société, que les plus anciens titres
des possesseurs de Flamigs-Hhfen ne remontent pas au delà de 4 587. La
société est prête à produire en original, à ladite commission, l'ancien Hemiys-
Buch où ce renseignement a été puisé.
"1" Quand et comment lesdites terres sont-elles devenues la propriété des
habitants de Bitterfeld?
La société n'est pas en état de fournir à cet égard la moindre donnée;
mais il conste de la pièce n" 2, que les terres flamandes datent, comme ap-
partenant à la Flumiys-Societdl , non-seulement de 4587, mais de 4 54-9,
comme l'atteste l'extrait produit sub littera C -, et conséquemment de temps
immémorial.
8° A quelle juridiction ressortissent ces biens?
Il est incontestable qu'ils sont soumis à la juridiction du bailliage électoral
de la Saxe.
4" En quoi consiste, de l'ail , la nature de la propriété de ces terres?
Il résulte de ce qui précède que les champs et les terres apparliennenl
depuis à la société des Flamands; que celle-ci est à l'abri de toute attaque;
()ue parlant son droit de propriétaire demeure tout entier. El puisque tous
les documents et litres antérieurs à 4549 ont été brûlés; (|ue, d'autre pari,
' Ces documents n'offrant pas une inipoitiunc directe, je les ni siippiimés.
s Ibid.
140 HISTOIRE
la sociélo pciil iiivo(|U('r on sa faveur la possession el la piescriplion inmie-
nioiiales, lanl à raison de la qualité qu'à raison de la quanlilé des terres,
elle prie Tadminislralion des accises de laisser les choses dans le statu quo,
rchus sic slaiilibus, et conséquemment de renoncer à toute investigation ulté-
rieure.
Cette réponse contient quelques détails histori(jues intéressants; mais elle
ne pouvait être prise en considération très-sérieuse par le fisc, d'autant plus
(|ue la question principale « de quelles charges les biens sont-ils grevés et
où sont-elles acquittées? » n'avait pas même été eflleurée par le commissaire
de la société. Le dénoùmenl se comprend donc sans peine. Le fisc a le bras
long; il ne lâche pas aisément la proie sur laquelle il a jeté son dévolu : les
Flamands restèrent propriétaires de leurs terres, mais ils furent soumis aux
contributions, tout comme les autres Allemands.
Cela ne changea rien à leur organisation intérieure et à la nature, du droit
(|u'ils avaient sur les terres. Celles-ci continuèrent à être cultivées par eux,
et l'excédant de ce qu'il leur faut pour leur consommation particulière est
vendu aux enchères publiques. Les prairies donnent un revenu annuel de
2000 thalers el le bois un revenu de 1500; quant aux champs, le rende-
ment varie d'année en année, et il est impossible d'en fixer le chiffre, cha(iue
j)ropriétaire vendant isolément et à des époques différentes.
La Société conserve son ancien Gcsezbuch ', dont les dispositions ont été
en quelque sorte réunies par la tradition, et auquel tous les Flamands sont
tenus de se conformer. La rédaction du code actuel date de 4 776. Il en exis-
tait un autre qui était en vigueur depuis 1587 '■; mais, au siècle dernier, les
besoins du temps l'avaient rendu insuffisant. J'en parlerai dans la seconde
partie.
Quelques années encore, el la Flmntys-Socielal aura disparu comme tant
d'autres vestiges des colonies belges. Le partage des terres [dk' Séparai ion),
imposé parles inspecteurs du cadastre, fera sortir les propriétaires d'indivi-
sion, leur attribuera à chacun une contenance conforme à leurs titres, el
' Voy. mrs Documents, n° XXII,
2 Ici, n» XXIII.
DES COLONIES BELGES. 141
rendra parlanl inutile toute association ultérieure '. Ainsi tout disparait peu à
peu; le temps efface chaque jour quelque trace du passé, et n'amoncelle que
des ruines autour de nous.
Ipsa etiam veniens consumet saxa vetustiis,
Et nulkmi est, quod non Icniporc ccdat, opus.
(Gaulus.)
CHAPITRE V.
SAXE ÉLECTORALE.
Le chevalier de Ludewig nous a conservé deux diplômes de la collection
des documents du cloître de GoUes-Gnade , situé dans le cercle de la Saaie
[im Saalkreis)'-. Ces diplômes attestent que le cloître acheta de Frédéric,
comte de Brena, lils de Conrad le Grand, soixante fermes, selon la mesure
tlamande [LX mansos ad mensurain flandricam), situées le long des rives de
TEIster {super Alslemm sitos). Il s'agit ici évidemment non de VElsfer blanc,
dans le cercle de Leipzig, jusqu'où ne s'étendait pas la juridiction de Févètiue
de Misnie, qui avait été présent au contrat, et prétendait, comme tel, à la
dîme de ces fermes; mais hien de VEtsier noir, qui se jette, au milieu de la
Saxe électorale, dans TElhe.
Eelking ' n'hésile |)as à dire que la mesure des terres flamandes [Hkfea-
muas) fut introduite dans la Saxe électorale, comme en Misnie, par les Fla-
mands qui s'y établirent. Quant à la cause ou à l'époque de leur immigration,
il est muet.
1
Je ne puis lerrainer ce chapitre sans remercier les habitants lie Biitcrfdd du concours
ohligeanl qu'ils ont bien vouUi me donner. SL de Leipziger, Landralh, M. Frischbier, bouri;-
mcslre, MM. le IK Atcnstiidt, Erwin Atenstadt, Rathmann, Millier, Danicke, Martin, etc., ont
mis gracieusement à ma disposition les archives de la ville et de la Société, et m'ont rendu le
séjour de Bitterfeld aussi agréable que possible.
- Relig. jVanvsc, t. Il, p. 543, scqq., n° 32, p. S(j5, n» 40.
5 De Belgis, p. 71.
H2 HISTOIRE
Hoche ' |)artage son avis et le développe en ces termes : « Ici, de même
(piV'n Misnie , la mesure flamande [das flamisclie maus) était en usage pour
la vente comme pour l'échange. J'en conclus qu'un nombre considérable de
Flamands ont dû nécessairement [nolliwendig] se fixer dans ce pays; car les
habitants primitifs n'étaient pas si possédés du démon de la nouveauté, quïls
dussent introduire eux-mêmes une mesure nouvelle. Il est connu que l'in-
troduction de nouvelles monnaies et mesures occasionne parfois des trou-
bles. Les Flamands conservèrent leur mesure |)ropre, et c'est ainsi qu'elle
s'insinua peu à peu parmi les habitants. »
VVersebe commence par contester formellement cette conclusion : » A mon
sens, dit-il, on ne peut, en général, nullement affirmer ce fail'^. » Mais, après
avoir consacré vingt pages à disserter sur divers sujets, il adopte une autre
()|)inion , et il dit que la situation lopographique de celte contrée était très-
|)ropre à l'établissement de Néerlandais. « Je ne doute nullement, continue-
t-il, que la mesure flamande {das flâmische Hùfenmaas).... n'indique ici
l'existence d'une colonie flamande'. » A part la contradiction, l'aveu est pré-
cieux.
Les deux contrats , qui datent à peu près de la même époque *, ont dû
être passés entre les années 1173 et 1180, bien qu'aucune date n'y soit
mentionnée.
En efïet, le premier relate cette circonstance : Post cekbralas exe(/uias
comilis Conradi. Or, Conrad le Grand mourut en 1 157; mais les documents
qui nous occupent ne semblent rappeler la passation du contrat que comme
un fait accompli depuis longtemps ''. Peut-être le payement du prix d'achat
et l'organisation de la colonie flamande durèrent-ils si longtemps que ce n'est
guère qu'après vingt ans que tout revint à son état normal ''.
- Pag. 93Ô. « Dies Laszt sicli al)er ineiiicr .Mciiii'iiig nacli im allgenicinen niclit tieliampten. »
■'• Ibid. : 0 Ich zweiflc dalicr gar niclit daran. lasz das flarnisclie Hùfenmaas liier... das Da-
sevri eitUT flainisclieii colmiie adqeùte. »
• Ihidciii , |]. 'Jy'J.
• lbi(h-m, pp. 9a'J, 9C(), 901.
'' Ihiilem , \). 961.
DES COLONIES BELGES. 143
CHAPITRE VI.
MECKLEMBOURG.
Vaincu dans la Wagrie ', et réduit désormais à ses seules forces^ Niclot,
le vaillant prince des Obotriles , ne perdit pas courage. Ennemi mortel des
chrétiens, il déclara résolument la guerre aux Danois el aux Saxons-, (j'était
jeter le gant à son illustre adversaire, le duc de Saxe, el Henri le Lion le
releva sur-le-champ. Environ cent cinquante mille hommes marchèrent
contre les Slaves '. La lutte dura douze ans avec des chances diverses, el,
enfin, Niclot, désespérant de pouvoir la continuer plus longtemps, se relira
dans son fort de Wurle, sur le Warnow, au nord du pays , après avoir biùlé
ses autres châteaux dont Schwerin (Zuérin), jardin de plaisance , et JMikilin-
burg étaient les principaux. Quelque temps après, il trouva la mort dans
une escarmouche devanl son fort de Wurle.
Henri le Lion, resté mailre du terrain, partagea toute la contrée en plu-
sieurs districts, dont il confia le gouvernement à des préfets [Prwfecti).
Ceux-ci avaient pour mission spéciale d'attirer, dans le territoire confié à
leurs soins, des colons pour remplacer les habitants qui avaient péri dans ces
guerres cruelles auxquelles la défaite des Slaves metlait fin. Henri deScatheii
fut mis par le duc à la tète du district de Mecklembourg.
Il se rendit en Flandre, et en ramena un grand nombre de colons qu'il
dissémina sur tout le territoire de Mecklembourg *.
' Voy. plus haut, div. n,ehap. I", p. IO(î.
^ Cil. Scliôbel, ie.s Slaves du nord de V AUemaçjne , p. 42.
5 II n'est pas impossible que des Belges aient pris part à celle expëdiiion. Quel([ues écri-
vains avancent le fait, mais sans le prouver. Voy. Edward Lcgiay, Histoire des comtes de
Flandre , I , pp. 5ô6 et 330.
* o l'orro mikilinburg dédit Henrico cuidani nobili de Scaihcn qui etiam Flandria udduxit
luultitudinem populorum, eleollocavit eos in Mikilinburg et in omnibus terminis ejus. « —
Helmold, liv. I, chap. 37, n° 1 1. — Avons-nous besoin de faire remarquer que cette expres-
sion de Flandria adduxit, confirme, au moins quant à Henri de Scathen , le récit de Meycr
sur la mission en Flandre que Henri le Lion confia à ce gentilliomme ? Quant à Mecklem-
144 HISTOIRE
Cela se passait vers J 16U.
Les Flamands — , auxquels il faut joindre les Hollandais et les Weslplia-
liens, bien que Helmold ne les menlionne pas expressément —arrivèrent en
niasse; mais ils ne demeurèrent pas longtemps paisibles possesseurs de leurs
nouveaux domaines. En 116/j., Pribislav, fils de .\iklot , voulant à toul prix
recouvrer les États de ses ancêtres, recommença les hostilités. Henri de Sca-
Ihen élail |)arli pour une expédilion, laissant le château de Mecklemhourg peu
forlilié'. Le premier assaut fut dirigé contre la colonie flamande le IG fé-
vrier. Prihislav promit la vie sauve aux hommes qui y étaient enfermés,
ainsi que la faculté de se retirer avec leurs familles et leur fortune, s'ils se
, rendaient à merci; mais il les menaça en revanche, s'ils refusaient, de les
faire tous passer au fil de Pépée '. Soit que celte proposition leur parût
insultante, soit qu'ils ne se fiassent pas à la parole du prince slave, les
Flamands répondirent par une grêle de traits qui blessèrent plusieurs les
assiégeants. Mais comme les Slaves étaient supérieurs en nombre et qu'ils
avaient, en outre, sur leurs adversaires l'avantage d'un exercice fréquent, ils
emportèrent le Burg et exécutèrent fidèlement leur menace. Ils tuèrent
jusqu'au dernier des défenseurs de la place , ne laissèrent pas échapper un
seul colon, et emmenèrent en captivité les femmes et les enfants. Enfin, pour
couronner l'œuvre, ils mirent le feu aux quatre coins de .Mecklemhourg^.
Ainsi, d'après la chronique d'Helmold , la colonie flamande n'aurait e\i
que quatre ans d'existence !,..
I)0urg, les deux mots Mikilin (grand) et Ixirg (fort, ville) se trouvent dans le plus ancien
monument des langues teutoniques, dans la bible méso-gothique d'Ulphilas. « Mh (swaran) bi
Jairusaul}mai, unie baurg.s ist Ûm Mikiliiis thiudanis. » Ne jurez par Jérusalem, car elle est
la ville du grand Roi. Év. selon saint Jlatliieu, chap. V, vs. 33. Mikiliic existe encore dans
l'anglais sous la forme de Miellé. L'analogue se rencontre dans la plupart des autres dialectes
germaniques, et le flamand l'a gardé jusqu'au quinzième siècle; Mekel, Michel : ne serait-ce
pas létyraologie de Mecbelen , Michelin (Malines), grand bourg"?
' Helmold, II, 2, n° 3 : « Henrieus autcm de Scaten, praefectus castri, tune forte defuit, et
populus qui erat in Castro fuit sine principe. »
•^ Wersebe, I, p. 424.
^ « Ad haec vero Flamingi jacula dirigere et vulnera inlligere coeperunt. Slavorum ergo
exercitus viris et armis pntentior, vehemcnti turba irrupit munitionem, et occiderunt omne
masculinum in ea , non reliquerunt de populo advenarum \el unum : uxores et parvulos
eorum duxerunl. »
DES COLONIES BELGES. 145
De Mecklenibourg, Pribislav se dirigea sur Ilowe, où commandait Guu-
zelin de Hagen, et il prit ses dispositions pour détruire cette forteresse
comme l'autre '. Comme il y avait des Slaves dans la place, Pribislav leur
tint un discours dans lequel il rappelait tous les griefs des vainqueurs. Il re-
proche surtout au duc d'avoir peuplé son pays de Flamands, de Hollandais,
de Saxons et de Wesiphalicns '. Cette phrase ne donnerait-elle pas à enten-
dre qu'il y avait des Belfjes parmi les défenseurs d'IIowe?
Wersebe, qui semble avoir pris à lâche d'amoindrir partout le rôle des
Néerlandais, se prononce énergiquement pour la négative. Mais le seul argu-
ment qu'il apporte à l'appui de son opinion est que la majorité de la garni-
son d'IIowe se composait de Slaves. Pour que l'argument fût décisif, il aurait
dû ajouter de quels éléments se composait la minorité.
Il est impossible, dit Eelking ', que les débris de la colonie qui écha|)pè-
rent au massacre ne fussent pas assez considérables pour pouvoir laisser
des traces ()ui pussent témoigner à la postérité de leur existence. Mais cette
remarque est inutile, puisque le texte d'Helmold prouve que (ouïe h colonie
fut exterminée : Non reliqucrunt vel unuin.
Le même auteur croit que d'autres colonies belges allèrent, à une époque
postérieure, s'établir dans les mêmes parages. Je n'ai trouvé aucun fait qui
vint confirmer cette hypothèse.
' Wersebc. n" 4 : <i Posf liaec, converterunt faciem suani ad caslruin IIowc, ut destruerent
illiid. »
^ Ibid., 1 , 11° G « .... Collocavit in omnibus lerniinis ejus advenas scilieet Flumingos et Nul-
landos, SitxoiifS et Wesipliulos , atque nationes diversas. »
^ De Bel gis, p. 78.
* Ilnd., p. 79.
ÏOME XXXII. 20
146 HISTOIRE
CHAPITRE VII.
LAUENBOURG.
Le duché de Lauenbourg, ancien territoire des PolaJjes, (|ui se trouve
dans une vallée sur la rive droite de TElbe, confine à Test au Mecklembourg,
à l'ouest au duché de Brème, au midi, au duché de Lunebourg et au nord
au Holstein. L'ancien évèché de Ratzebourg, compris dans le Lauenbourg,
formait aussi une enclave dans la partie occidentale du 31ecklembourg et
s'étendait sur les terres de Waningen et de Japel.
Après la conquête du pays des Polabes, Henri le Lion mit à la tète de la
nouvelle province le célèbre Guncelin de Ilagen, brave guerrier et ami par-
ticulier du prince. Conformément aux instructions (pi'il reçut du duc de
Saxe, Guncelin donna une vive impulsion à l'œuvre de la colonisation inté-
rieure. Déjà, beaucoup d'étrangers s'étaient établis dans le Lauenbourg.
Henri, comte de Ratzebourg, ne fit sans doute que répondre aux désirs du
gouverneur en introduisant dans le territoire des Polabes une mnliitude de
colons de la Westpbalie et des Pays-Bas, pour lesquels on fit la délimitation
des champs au moyen du cordeau '.
En peu de temps, le nombre des colons devint si considérable qu'ils bâti-
rent une foule d'églises, et que les dîmes devinrent très-importantes "-.
Il est probable que les colons ne servirent pas uniquement à repeupler
le pays, mais qu'ils remplirent dans le Lauenbourg la même tâche (|ue nous
leur avons déjà vu exécuter dans d'autres contrées, à savoir le dessèche-
ment des marais et autres terres inondées par l'Elbe, qui traverse le duché,
ou par d'autres rivières. La ville de Lauenbourg, bâtie par Henri le Lion ,
en 1157, était située dans une vallée si basse, qu'au siècle dernier une partie
de ses maisons étaient encore élevées sur des terrasses reposant sur pilotis.
* Helmold, lib. I, cap. 91 : » Ilonricus, comcs de Raceburg, quae est in terra Polalioruin,
adduxit nmltiludinem populorum de Westphalia ut incolerent tcrram Polaborum, et divisit eis
Icrram funiculo distributionis. »
- Helmold, loc. cit. : « Et aedificaverunt ecclesia?, et subministraverunt décimas fructuiim
suorum in cullum domus Dci. »
DES COLONIES BELGES. 147
Ilelmold, dans le lexle que j'ai cilé, ne parle que des Wesiphaliens; mais
celle dénominalion ne doil pas êlre enlendue dans un sens reslrictif^ mais
bien énoncialif : Wersebe lui-même est de cel avis '.
Un passage de Weslphalen fournit un premier molil" d'adopler celle opi-
nion. Dans le registre des biens de révèché de lîatzebourg , il est dil :
« dans loul le Sadelband (bailliages de Lauenbourg el de Scbwarzenbeck)
règne la mauvaise coutume de donner quatre mesures de seigle au lieu de
payer la dime. » Or, la mèm.^, coutume exislail chez les colons du Brande-
bourg et derAllmark.
Un autre argument s'ajoute au précédent el le confirme. Des noms île
localités, quand ils apparaissent comme étrangers à un pays, permettent de
conclure que les habitants qui les ont donnés étaient issus ou originaires des
pays où ces noms existent comme indigènes. Ainsi, par exemple, dit Lange-
iha I , la villede Brunswick , que l'on rencontre dans l'Amérique du Nord,
donne le droit d'affirmer qu'une colonie d'habitants de Brunswick, en Allema-
gne , alla s'y établir -. Or, tout près de Batzebourg, se trouve un petit vil-
lage qui porte le nom iVUtrec/if , et, à proximité de l'Elbe, l'on rencontre
plusieurs noms de hameaux qui se terminent en horn, désinence reconnue
pour êlre purement hollandaise.
Enfin, l'on découvre les traces d'une colonie hollandaise qui s'établit vers
la même époque près d'ArtIembourg, près de Lauenbourg, dont cette ville
est séparée par l'Elbe. Il en est fait mention dans une charte de Henri le
Lion, de H 64. Par ce diplôme, le prince confirme les biens du chapitre de
la cathédrale de Lubeck , el parle expressément de « trois fermes hollan-
daises » situées près du château d'Ertelembourg '. Conrad , évèque de Lu-
beck, rappelle aussi l'existence de ces fermes, dans sa charte de la même
année (Il 64), avec la mention spéciale qu'elles étaient situées dans un bas-
fond *. Cet endroit ne nous est ultérieurement connu que par un bac ou pon-
ton, servant à traverser l'Elbe, à proximité duquel se trouvaient des terrains
' 1 , 409.
■! I-angethal, II, IIS.. •
"• Wcrscbe, I, 409.
'» Idem , [). 410.
148 HISTOIRE
marécageux que la tradition cite comme ayant été colonisés par des Hollan-
dais.
CHAPITRE VIII.
POMÉRÂNIE.
Cette province échut, vers la fin du douzième siècle, à Jaromar, duc de
Riigen , qui se convertit au christianisme. L'histoire le dépeint conmie un
prince aux vues élevées qui rompit franchement en visière avec les préjugés
de sa race et ne craignit pas de se montrer Padmirateur et Timitateur de la
civilisation germanique. Il hàlit la ville de Stralsund (1 187) et la peupla de
Saxons '. Il fonda le célèhre monastère d'Eldena, ainsi qu'une succursale
d'Altenkamp, qui prit le nom de Neiienicamp (1200). Il autorisa, le premier,
à introduire dans les terres du couvent des étrangers de quelque pays qu'ils
fussent. Danois et autres. Quant au second, son influence ne fut pas
stérile. La plupart des religieux de Neuenkamp furent des religieux
venus de Lubeck, de Hambourg, de la Weslphalie et des Pays-Bas. Ils en
appelèrent d'autres, en même temps que des colons, principalement des
Bas-Saxons et des Néerlandais ". A partir de cette époque, la province se
couvre de villes et de villages, parmi lesquels divers noms d'origine belge
attirent notre attention. Je citerai le bourg de Hollanl , près dcDanzigdans
la Pomerclle; le Fricshaff, ou havre des Frisons; les villages de Wxdfsha-
geu , Grcfenliagen ', etc.
* Kramcr, Pommersche Kirchetigeschichte , F, 5t ; II, 10.
' Iloclic, p. ù'i.
^ Comparez GrefeDhainchcn (Grefenliagen ), près de Wittenberg. Droysen (I, 6j) admet
que tous les Iluyeudôrfer, c'est-à-dire tous les villages qui ont la désinence liugen, sont d'ori-
gine néerlandaise.
DES COLONIES BELGES. 149
CHAIMTUE IX.
UKERMARK '.
Des ailleurs ont pensé que tles colons belges ne s'élablirenl jamais dans
IT'kennark. Tel est l'avis de Schlôzer^ Cependant, l'on rencontre dans cette
province, entre Angerniiinde et Sclnvedt, une localité appelée aujourd'hui
Fk'Dtingsdorf el Fleinsdurf {en I3S4. Vleinmlulurp , en 1439 Flemklis-
tofp), dont le nom indique une origine flamande \ On y trouve, en outre,
un cercle ou canton nommé le Flcmminyisclw Kreis \ Wersebe ne croit pas,
bien que ce cercle ne soit pas d\me bien grande étendue, qu'il ait été peuplé
par des Flamands, ^'éanmoins, il ne lui paraît pas improbable que quelques
établissements de Flamands ont eu lieu le long des rives marécageuses de
PHofl", et que, par suite de relations purement locales, ils aient pu donner
leur nom au cercle entier. Autant lui paraissent peu fondées les conjectures
que Ton bâtit sur les analogies de nom, entre des villes néerlandaises et
certains endroits d'Allemagne, autant il lui semble permis de croire à Tim-
portance du nom générique de Flamands '.
Je hasarderai ici ([uelques réflexions. Comment Wersebe n'a-t-il pas com-
pris que ce langage contredit vingt autres passages de son livre, où il dit
formellement que le nom d'un peuple étranger, — flamand, par exemple,
appliqué à telle ou telle localité , ne peut être d'aucune consécpience, quant
à l'origine de cet endroit?
Pourquoi Wersebe dit-il oui pour un simple village [Fkmingsdorf], tandis
(pi'il dit non pour tout un cercle [Flonmingische Kreis) ?
Comment, d'ailleurs, se mel-il d'accord avec lui-même, quand il avance
— el je suis de son avis — que les princes poméraniens, auxquels obéissait
«
' L'L'kermaik était bornée au S. par la Mitlelniark rt an N. par le Mciklcniboiirg el la
Poméranie.
* Loc. cit., pag. 416.
^ Wolilbriick, Geschichtc von Lebuf! , 1,560.
4 Wersebe, II, 619.
5 Ibid.
150 HISTOIIU:
alors l'Ukeniiark , élaiciil tout aussi peu empressés iradnieltre ou d'introduire
dans leurs États des étrangers odieux à leurs sujets ' ? Les Slaves n'ont-ils
pas du tout tenter pour empêcher des noms barbares de prendre racine chez
eux ?
Wersebe, il est vrai, ajoute : « Il est possible que les Flamands aient 'été
attirés dans le Flcmminyische Kreis par Tévèque de Camin, Siegfried, qui
gouvernait à cette époque (1188-1202) et que l'on regarde généralement
comme d'origine teutonique. On peut admettre aussi ([u'à Fleminysdorf, dans
l'Ukermark, le seigneur de l'endroit a trouvé la contrée propre à être cul-
tivée par des Flamands, et qu'il en a fait venir de la Wlsche, dans le Bran-
debourg '. »
Cette opinion, qui est fort raisonnable, contredit malheureusement celle
que l'auteur a exprimée un peu plus haut. D'ailleurs, Wersebe ne reste pas
longtemps de son propre avis. Il se hâte d'ajouter : « Toutefois, il est encore
possible (jue l'origne des noms de ce village et de ce cercle dérive uni-
quement de la culture que l'on y faisait sur le pied flamand {noch flan-
rlrischen Fiisse) et des conditions en usage dans les colonies flamandes,
(juand même les habitants de ces endroits n'auraient jamais été Flamands
d'origine °. »
31ais Wersebe vient de dire, il y a un instant, que les princes slaves,
aussi bien que leurs sujets, mettaient tous leurs soins à éviter l'introduction
de mots qui ne fussent pas de leur langue et dont se servaient leurs ennemis.
Irait-il jusqu'à admettre que ce seraient les Allemands qui auraient donné à
leurs colonies dans les pays wendes des noms flamands, en souvenir de leurs
relations avec des étrangers? D'autre part, si un autour belge s'avisait de
trouver que le nom des villages de Sweveghcm ou de Swevezeele, par
exemple, — en supposant que notre histoire nationale ne nous fournisse pas
des indications authentiques sur leur oi'igine, — dérive du mode de culture-
ou dos conventions agraires en usage chez les Suèves, quelle explosion de
rires n'accueillerait pas , en Allemagne, sa découverte !...
< Wersebe, p. 620.
- Ihid., 1). «20.
■- Ibid.
DES COLOiNlES BELGES. loi
Mais écoulons jusqu'au bout l'argunienlation de Weisebe : « Je déuioii-
irerai plus loin, dil-il, par des exemples, qu'à une époque postérieure Ion
passait avec les paysans des contrais [hmunds, fia inisclœ contraclen ; et,
comme il n'est pas clairement démontré à quelle épocpic remonte ici cette
dénomination, elle a pu ne prendre naissance qu'au treizième nu (pialor-
zième siècle, comme c'est peut-être le cas '. »
Cela est évident. L'effet ne précède point la cause. La Poméranie, partant
rUkermark, n'est devenue allemande qu'au treizième siècle-; l'expression
de Flamands n"a donc pu y exister plus lot. Ensuite , il est encore incontes-
table que le Flumische Redit, en usage d'abord chez les Flamands seuls,
fut parfois étendu dans la suite, mais par exception et fort rarement, à d'au-
tres que des colons. Mais les lieux auxquels s'appliqua celte extension de
droits reçurent-ils pour cela le nom de Flemmingsdorf, de Flemmiuf/isrite
Kreis9 Assurément non; Wersebe est sur ce point complélement de mon
avis, et je le démontrerai [)Ius loin, en me servant de ses propres arguments.
Pourquoi donc serait-ce ici le cas, et non pas ailleurs?
lime reste à relever une dernière contradiction de Wersebe. Il existe,
dans rrkermark, une ancienne famille noble qui porte aujourd'hui le litre
de comte, la famille Flemmlng '\ « Comme les ancêtres de celte maison, dit
notre auteur, écrivirent dans le principe leur nom tout court sans la parti-
cule, et que partant ce nom n'est pas emprunté à une terre, mais indique une
qualité personnelle, je n'hésite pas à lui assigner une origine llamande . »
Cela est clair et cela est exact. Mais comment ce nom s'est-il tout à coup
transporté en Poméranie? Écoulez l'explication : « J'oserai bien aussi eu
attribuer l'origine à cette circonstance que les premiers biens de la famille
Flemming, étaient situés dans le Flemmiiujische Kreis, d'où elle prit le nom,
et qu'elle continua à être désignée ainsi dans la suite, soit qu'elle ait;>«r/«-
cipé à l'élablissemcnt des colonies flamandes dans cet endroit , soit qu'un de
ses membres y ait rempli la fonction de Voigt *. »
' Wersebe, p. 620.
^ Schlôzer, p. 416.
^ Wersebe, pp. 581 , 6:20, sqq.
* IbiiL, p. 621.
J52 HISTOIRE
Werscbe a dit — il i oublie apparemment — une page plus haut, qu'il lui
est impossible d'admettre qu'une colonie flamande se soit jamais établie dans
cette contrée.
3Iais passons : « Je ne puis, continue- 1 -il, donner ce fait que comme
une conjecture, parce que la situation des biens héréditaires de la famille
Flemming ne m'est pas bien connue. Le plus important de ces biens semble
avoir été Bôckh, prés de Stetlin ; mais cette famille en possédait beaucoup
d'autres; or, comme une de ses branches s'appelait la ligne de Swirzen et
qu'un village de ce nom existait dans le Ftemmingische Kreis, il ne me pa-
rait pas invraisemblable qu'elle soit descendue de là '. » L'auteur, on le voit,
tient peu à ses opinions. Il vient de nous en donner deux qui sont l'anti-
thèse l'une de l'autre ; en voici une troisième qui contredira les deux pre-
mières : « Que s'il n'en est pas ainsi, on peut présumer ^ne\QT^vQm\eYch(ii
poméranien de cette famille, sans être en rapport aucun avec les colonies
néerlandaises [il y en avait donc?) soit venu par hasard {zitfdUi g) de Flandre
en Poméranie, ait été appelé en conséquence le Flamand [par (jui?) et ait
acquis là des biens, soit par mariage, soit par toute autre voie ^. »
Sans doute, le hasard joue un grand rôle dans les affaires d'ici-bas; mais
{[{.{un Flamand, sans être en rapport avec personne, arrive par hasard en
Poméranie, c'est-à-dire aille vivre dans un pays inconnu et au milieu d'en-
nemis, qu'il y soit parvenu à la fortune et à la noblesse, cette hypothèse est
possible, mais elle ne m'en semble pas moins risquée. Il aurait été, ce me
seml)le, beaucoup plus simple, — mais peut-être moins savant, — de dire
qu'un certain nombre de Flamands se détachèrent par hasard, zufoUig
— puisciue hasard il y a, — du gros de la colonie et s'établirent dans le
Kreis, qui depuis lors conserva leur nom. Il est vrai que Wersebe pourrait
me répondre, et avec raison , que cette conjecture est trop peu profonde, et
par conséquent indigne de lui.
Voici enfin la qualriènie opinion de l'auteur, dont la première partie me
parait la plus sensée : « Préfére-l-on admettre que le chef de la famille Flem-
ming a été un des colons appelés par Albert l'Ours ou arrivés plus lard, on
devra toujours supposer qu'un de ses descendants a reçu la noblesse, et ac-
' VVerspbo, p. G22.
2 Ibid.
DES COLONIES BELGES. 155
quis son premier bien en Poméranie, car, parmi les immigrants, il n\v avait
guère de gentilshommes \ »
Mais ponrf|uoi ce chef [Slmnmimler) n'aurait-il pas pu être noble d'ori-
gine? On ne voit nulle part que les colons fussent exclusivement des paysans;
Wersebe doit, pour les besoins de sa cause , insinuer que c'était un ramassis
de gens sans aveu. Mais j'opposerai à son assertion , dépourvue de toutes
preuves, le sentiment d'un historien contemporain, qui a examiné la ques-
tion à un point de vue beaucoup plus impartial. « Ces colons, dit-il, n'étaient
nullement un tas d'aventuriers; mais il y avait parmi eux des prêtres, des
moines, des chevaliers ^... »
Ce qui précède sulïît pour démontrer jusqu'à quel point l'esprit de sys-
tème et les préventions ont aveuglé Wersebe, et combien l'on doit se défier
de ses jugements.
Wohlbriick admet sans hésitation que VUkermark fut peuplée par les
Néerlandais, et il fait observer avec beaucoup de raison que, si l'on ne peut
pas prouver ce fait par des sources certaines , c'est qu'une grande partie des
anciennes chartes ont péri ou disparu : « La raison fondamentale, dit-il, pour
laquelle il faut admettre que les colons, placés dans les diverses parlies de la
Marche de Brandebourg, après l'expulsion des Wendes, étaient surtout les
descendants des Hollandais et des Flamands, qui avaient émigré en Alle-
magne cent ans auparavant, c'est que ces colons jouirent, à l'époque qui
suivit leur établissement, des mêmes droits et des mêmes privilèges qui furent
accordés aux émigrants en Allemagne '\ »
' Wersebe, II, (i22.
- Cari Hegel, Geschichlc der Jlevktenlmrgisclten LundsUuidc. Hostoek, 18110, p. 23 ; « Die
iiciieii Ansiedlei- «nreii keiiieswegs eiu Ilaul'eii hloszer Abetiteùrii'... soiidern sie kameii aïs
Geisllielie ùnd Aliinche, RiUcr, Biirgerunil Ackerbauer lierein... »
5 Geschichte von Lehus, I, 560, sqq.
Tome XXXIL 21
134 HISTOIRE
CHAPITRE X.
AUTRICHE.
Les Belges, après avoir passé les limites de la Silésie et de la Tluiringe,
poussèrenl encore plus avant et conlinuèrent leur itinéraire jusque sur le
territoire du duché dWutriche '. Une des particularités les non moins cu-
rieuses iiuolïre riiistoire de la ville de Vienne, tant au point de vue de Tex-
lension du commerce allemand , que de Fimportance qu'acquirent partout
nos compatriotes, est In lettre de franchise que le duc Léopold le Glorieux
accorda aux Flamands en 1208 -. Par cette lettre, le duc octroie aux Fla-
mands tous les droits dont jouissaient ses autres sujets, et leur concède en
même temps des privilèges remarquahles ^
Hormayer * conjecture que le nom de Flamand était un nom appellalil",
porté par tous les étrangers que le duc Léopold avait attirés dans ses États,
que parlant cette dénomination est équivalente à Haiisgenossen {hospiles)
par opposition à Ursprungliche Biïrger [cives). Celte hypothèse, qui se res-
sent des Ihéories de Wersebe, est comliattue par tous les auteurs.
il n'y a, en effet, aucune raison pour admettre que l'expression Flamands,
qui a originairement une signification particulière, est prise ici dans un sens
arénéral •'.
' La Transylvanie semble avoir élé leur «Icrnièrc élapc. Voy. mon Iiitroduclioii .
2 Vov. mes Donniieiils et iiii'ces jiistificatii-es, n" 24.
'' Voy. seconde partie, section X.
'• Geschichte von Wien,\,\^f. 90, 01 ; 11, 107 Wien, 1804.
s Voy., entre autres, Tzsclioppe iind Slcnzel. Vrkiuuhnhuch . p. 141.
1). II.
DES COLONIES BELGES. loo
CIL\PITRE XL
PAYS DE CULM.
Les chevaliers teiitoniqiies, eiilraînés par l'exemple des princes alle-
mands el cherchant à peupler les embouchures de la Vislule d'habilanls non
slaves, V élablirenl des colons flamands et hollandais '. Ces colons avaient
pour principal objet la culture du sol. Leurs derniers descendants existent
encore cà et là sous la dénomination de Gburij [Baàeni) ; ils parlent une sorte
de dialecte allemand qui a conservé, à ce que Ton assure, des traces de son
origine néerlandaise. Les riches commerçants de Danzig et de Thorn imijè-
rent le précédent des chevaliers leutoniques '".
Ces derniers introduisirent également des Belges dans le duché de Prusse,
qu'ils gouvernaient alors. D'autres Néerlandais s'y rendirent plus tard, les-
quels virent que leurs compatriotes y avaient fait fortune. Grâce à des dispo-
sitions naturellement bienveillantes, non moins qu'à un grand esprit de sagesse
politique, — imitant en cela les tribus germaniques qui, après la concjuèle
de l'Italie et de la Gaule, avaient toléré que les provinces soumises se gou-
vernassent d'après leurs projires droits, — les grands maîtres de l'Ordre ac-
cordèrent toujours aux Belges la faculté de conserver, dans leur patrie d'adop-
tion, les anciennes coutumes qui les régissaient dans la mère-pairie. Des
privilèges de ce genre furent étendus à des provinces entières, et de là
' Il y a, aux environs de Cuirri, un dislrict nommé HoUerlund.
* Renseignements de M. Kasimir Jarocliowsivi , assesseur à Posen, et auteur estimé d'une
Histoire de Pologne, récemment publiée. La mesure flamande, menstira flamingiadis , ét.nit
en usage dans tous les pays soumis à l'Ordre. En 1440, les États de Prusse se plaignirent au
grand maître de ce que ses chevaliers altéraient leurs privilèges liéréditaires flamands, et
entre autres, de ce qu'ils avaient raccourci l'aune flamande, c'est- à-dire que « là où l'on
mesurait autrefois quatre charrues de terre, on en mesurait cinq. » (Wersebe, II, 679,
Lunig, Spicil. eccles., I, II, p. 14).
1S6 HISTOIRE
ces llandft'Men connues sous le nom de FUimische Redit el autres sem-
blables '.
Le grand mailre Hermann de Salza el le Landmeisler Hermann de Balk
publièrent, le 28 décembre 1233, la célèbre charte, dite Privilcgimii cul-
mense, par laquelle, outre le droit de xMagdebourg , le droit flamand était
aussi établi dans leurs États. Faut-il rapporter à cette date (4233) l'arrivée
des Flamands dans le pays de Culm? On ne sait; mais la mention (|ue font
les chevaliers de leur droit traditionnel est une preuve de plus en faveur de
l'existence de leurs colonies -.
Au seizième siècle, une démarche des chevaliers permet de conclure (|up
les descendants des Néerlandais avaient conservé toute leur vitalité. Soit
qu'il y eût contestation sur le droit flamand, soit toute autre cause, toujours
est-il que les chevaliers teutoniques demandèrent aux échevins de Magdebourg
une réponse catégorique sur plusieurs questions qu'ils leur soumettaicni. J'ai
parlé plus haut de ce Rcscrit '% si intéressant pour l'histoire du droit flamand
en Allemagne; mais on manque totalement de plus amples détails sur cette
matière.
CHAPITRE XII.
CERCLE DE LEBUS *.
Dans un acte passé, en 1262, el dans lequel Wilbrand, archevêque de
Magdebourg, donne l'assurance à l'évéque de Lebus que le chapitre de ce
dernier pourra continuer à percevoir les impôts ordinaires sur les douanes,
les monnaies, etc., il est statué que ce même chapitre « payera annuellement,
' Kliigcl, pp. i et 3.
2 Anthanis, inSiipplem. (i<l Wohneri, Observai., p. 118.
3 Voy. p. 9(i.
* Dans l'ancienne haute Saxe, avec un évèclié suffragant de Gncsne (dans lo Palatinatde
Calish, en Pologne), qui fut sécularisé, en 1530. par la maison de Brandebourg. La ville est à
deux lieues de Francfort-sur-lOder.
DES COLONIES BELGES. Id7
à la place de dime, au premier un demi ferlo ' d'argenl pour cliacjue feiine
/lamande. »
Il esl évidcnl (pie la menlion de ces fermes flamandes n'a pas ici Irail uni-
(picment à la mesure employée par les Flamands '-. L'expression même le
démontre clairement. Ce qui confirme celle opinion, c'est que l'archevêque
parle précisément de colons qui jouiront, pendant un certain nombre d'an-
nées, de terres Jibres de toute redevance, parce qu'ils défiiclient un terrain
inculte ''.
Werselic doute néanmoins que ces colons aient élé réellement des Fla-
mands; il croit plutôt que ce furent des Allemands qui employèrent la mesure
flamande. Voilà, sans doute, une contradiction, mais voici la preuve singu-
lière dont il étaieson doute : « Des colons de Franconie, dit-il *, se fixèrent à
la même époque dans le Brandebourg et dans la Silésie, témoin ce fiag-
n)enl d'une charte dans laquelle il esl parlé de : « (piingenlos mansos Frun-
conia- mensurit'. » El Wersebe est convaincu que ces mots indicpient une co.
lonic franconienne ''. On est fondé à lui demander pour(|uoi celle autre
phrase : « ... de unoquoque manso flaminyo » ne désigne pas tout aussi
bien une colonie flamande? Les expressions mêmes (ju'il invoipie concluent
contre lui : « de iHcinso /lamiiiyo , — mansos Franconiae inensHnv. »
Enfin, Wersebe allègue à l'appui de son opinion un troisième argument
qui n'est pas plus sérieux que les deux autres. « Les Flamands, dit-il, se
fixèrent de préférence dans les contrées basses et marécageuses, tandis que
les Franconiens se sont spécialement occupés du dérodage des forêts » . Qu'est-
ce à dire? Faut-il entendre par là que le territoire de l'évêché de l^ebus était
couvert de bois, et que, dans une telle hypothèse, les Flamands n'ont pu y
avoir des établissements? La question demeure sans réponse. Wersebe ne
' Le fcrio variait suivant les pays. Eu Silésie, il valait I:* gros; à Brème, 2 gros, 8 livres, etc.
Kn allemand verding ou lierduiig. — Sa valeur la plus commune était */4 île marc.
•■! Wersebe, II, .512.
^ «... Quamdiu durabit gracia libertalis, quam liabehunt illi ipii recipicnl si- siib nobis. et
terram incultam perducent ad fructum. »
' II, lilâ.
'■> Ibid., !)i3, en noie.
'• Ihid., b\i.
ISS HISTOIRE DES COLONIES BELGES.
s'explique pas davantage. 11 a raison quant aux P'ranconiens de Silésie : in
nemore, — propter Sylvosa, disent les chartes. Mais, pour ce qui est des
Flamands, il raisonne complètement à faux, puisque rarchevêque de Magde-
bourg dit expressément que Texemption des redevances ne peut profiter
qu'aux colons qui sont venus défricher les terres incultes.
DEUXIEME PARTIE.
DROITS ET PRIVILÈGES IMPORTES OU OBTENUS
PAR LES BELGES EN ALLEMAGNE.
PRELIMINAIRES.
Avant d'exposer les droits des Belges à l'étranger, je dois indiquer le fait
d'où ces droits dérivèrent : onine jus ex faclooritur. Ce fait, c'est l'établisse-
ment matériel des colons dans leurs nouvelles demeures.
§ I. — Installation des Belges dans les endroits qu'ils avaient
à coloniser.
I. Conformément au but pour lequel on les appelait, les colons émigrés
se fixaient dans des endroits antérieurement habités, ou bien dans des lieux
complètement déserts. Dans la première hypothèse, ils ne faisaient (|u'entrer
aux lieu et place des premiers occupants. Tel est le cas, par exemple, poui- la
Misnie, où l'évêque Gerung vendit aux Flamands le village de Koryn, jusque-
là habité par les Slaves; tel est encore le cas pour la principauté d'Anhalt,
où l'abbé de Ballenstadt leur vendit deux villages égalemenl enlevés aux
Slaves : duas viUulas... Iiaclenusa Slavis possessas.
Ces sortes de colonies étaient les plus simples et les moins dispendieuses;
160 HISTOIRE
ce|)endaiit, nous le verrons tout à l'heure, les Belges en é(aient récompensés
par de nombreux privilèges.
Il éjail plus dillicik' et plus coùleux de coloniser un terriloire conipléte-
menl inculle el inhîibilé. C'est pourtant ce qui arriva le plus fréquenunenl. La
plupart des chartes, (jue j'examinerai plus loin, disent que les Flamands
s'établissaient //* loco (juodain incullo ac deserlo, ou bien dans un pa\s
humide et marécageux Inimida ac palusfria.
II. Comment alors se faisait l'établissement matériel de ces colons?
Il pouvait avoir lieu de trois manières, suivant que c'était le souverain du
paNS, ou un prince ecclésiastique, ou un simple seigneur foncier qui fondait
la colonie.
Les souverains s'adressaient généralement à des colons étrangers, et, de
préférence, à des genlilshommes ', (|ui, accompagnés de leurs vassaux, al-
laient habiter et cultiver un terriloire dont on convenait. De là ces expressions
strenui viri, geslrenge flerren dont on les qualifie. Ces chefs colons (Bauer-
meister), — car ces gentilshommes n'étaient pas aulrc chose, — recevaient
de nombreux privilèges, privilèges qui existent encore pour la plupart au-
jourd'hui et pai' lescpiels on leur accordait certaines quole-parls dans les re-
devances i'oncières, dans les revenus des moulins à bâtir, et dans les parcelles
de terre ajoutées aux villes et villages : tout le reste revenait de droit au sou-
verain. Les villes elles-mêmes obtenaient communément quelques centaines
de nianses de terrain , des exemptions de douane et d'impôts, — sauf celui
du hareng, — le droit de pêche, etc. '".
Les prélats, évêques ou abbés, ne concouraient pas moins vivement que
les princes à la colonisation des terres qui dépendaient de leur juridiction.
En échange des privilèges qui leur étaient concédés à cet effet, ils parta-
geaient avec le souverain les bénéfices à provenir de l'érection des nouveaux
villages; car ils s'occupaient peu des villes ^.Quoiqu'ils doivent être consi-
dérés comme les véritables fondateurs de ces villages, puisque c'est grâce à
leur initiative qu'on les vit s'élever, ils n'en furent pas cependant les organi-
' Werscbe, II, 629, note.
2 Luc. cit.
' Ibid., p. C29.
DES COLOiSIES BELGES. IGI
saleiirs direcls et immédials. Ils s'adressaient généralement ^i des enliepre-
neins spéciaux et qui relevaient d'eux. Ces derniers s'engageaient, moyen-
nant de certains avantages déterminés, à établir des colons dans tel ou tel
endroit , à rebâtir une localité détruite , à en édifier une nouvelle , etc.
Enfin, la fondation d'un village é[a\l parfois aussi l'œuvre d'une entreprise
privée. Je ne dis' pas toujours, comme Droysen ', puisque, comme on vient
de te voir, les princes et les prélats se plaisaient à recourir à ce moyen pra-
tique de civiliser leurs États. Mais le seigneur foncier {Grundherr) avait tou-
jours besoin de l'autorisation du suzerain [Landesherr) ou de l'évêque '.
Quand il avait obtenu la concession ou le privilège nécessaire, il formait un
tiailé avec un ou plusieurs entrepreneurs auxquels il transmettait un cer-
tain nombre de fermes ordinairement limité, quelquefois indéterminé, et les
entrepreneurs s'engageaient à y introduire des habitants ^.
III. Mais qu'étaient-ce que ces chefs colons, ces entrepreneurs!'
Comme le nom l'indique, les premiers [Bauermeisler) étaient pris parmi les
colons étrangers que les faveurs des souverains attiraient dans d'autres pa}s.
Tels sont les six Hollandais qui traitèrent avec l'archevêque de Brème. Les
seconds [Unternehmer] étaient des indigènes , nobles ou riches bourgeois d'une
ville, qui se faisaient fort d'amener des habitants quelconques sur le terri-
toire dont ils obtenaient la concession. Tels me reviennent Henri de Scalhen,
et Adolphe de Schauenbourg, comte de Holstein, pour leMecklembourg, et
le comte de Ratzebourg, pour le Lauenbourg.
Les Unternehmer s'occupaient généralement de la restauration des villes,
où ils avaient pour mission spéciale d'introduire les mœurs des autres cités
allemandes, et de germaniser ainsi de plus en plus la contrée; les Bauer-
meisler , au contraire, avaient pour but unique de se fixer à la canq)agne et
d'y travailler avec zèle à l'amélioration de l'agriculture. Enfin, les Bauermeister
restaient d'ordinaire à la tête du village qu'ils avaient fondé, tandis (|ue les
Unternehmer cédaient le plus souvent leurs privilèges aux nouveaux liabi-
tanis, lesquels rentraient parla dans le droit commun *.
' Gesihichie lier jjreussischeH Poliiili , \. p. G'2.
^ T/.scliojjpe iind Stcnzul, p. 145.
■' Ihld., p. 14î).
* WtTscbc, II, pp. 000,637.
Tome XXXII. 22
162 HISTOIRE
Toiilefois, l'on remar(jue aussi entre eux quelques ressemblances. Les colons
belges aussi bien que les bourgeois nationaux étaient appelés à cause de
leurs qualités industrieuses, — qualités qui manquaient à la population pri-
mitive, — les uns pour tel motif, les autres pour tel autre. Les Bauermeisler
aussi bien que les Unternehmer se perdent dans les ombres de l'histoire, dès
qu'ils ont rempli la tàcbe qui leur incombait : on ne sait ni ce qu'ils devin-
rent, ni ce qui en arriva des privilèges qui leur avaient été octroyés. Nulle
part on ne trouve les noms de famille des fondateurs des villes et des villages
parmi les patriciens ou conseillers de l'endroit, si ce n'est dans les chartes
mêmes de fondation, sans lesquelles ces noms seraient totalement inconnus.
En outre, et c'est peut-être là ce qui explique l'étrangeté de ce fait, les colons
aussi bien que les bourgeois des villes rachetaient le plus souvent, pour se
les approprier, les privilèges des entrepreneurs ou des chefs-colons, de sorte
(|u'ils pouvaient alors doter leur nouvelle résidence des institutions commu-
nales déjà en usage dans leur patrie '.
IV. Passons maintenant des généralités aux détails.
Tout n'était pas fini quand les Bauermeister ou Unternehmer avaient ob-
tenu la cession d'un terrain. Il fallait alors tracer les limites de la nouvelle
colonie et assigner à chacun une juste part. Ces limites étaient fort soigneu-
sement marquées. Dans certains pays, les princes eux-mêmes ne dédaignaient
pas de faire solennellement le tour du territoire concédé, et ils étaient
accompagnés d'une suite nombreuse de chevaliers auxquels se joignaient
souvent les habitants des localités les plus proches. Ils faisaient la délimita-
tion avec une précision extrême, en indiquant les bornes par des corniers
[Mahlsleine), ou par des mottes de terre [Erdhaùfen] nommées Kopilzen,
ou bien en donnant au futur village des « frontières naturelles, » comme de
vieux arbres ou des cours d'eau.
Lorsque ces préliminaires, — qui avaient pour but d'empêcher les nou-
veaux habitants d'empiéter sur le territoire du suzerain ou du seigneur, —
étaient réglés, les Bauermeisler ou Unternehmer devaient partager le village
en un certain nombre de manses qui variaient d'après l'étendue du terrain
' Wersebe, II, 637.
DES COLONIES BELGES. 465
qu'ils avaient ol)lenu : il y avait des villages de quarante, cinquante, de
soixante manses, tantôt plus, tantôt moins ^ Ils avaient ensuite l'obligation
d'assigner à chaque colon la mesure dont il avait besoin pour lui et pour sa
famille, et, enfin, de déterminer les choses communes, telles que les pâtu-
rages, les viviers, et la part pour laquelle chacun en pouvait jouir.
Chaque colon achetait l'espace de terrain qu'il pouvait cultiver. Il l'achetait
plus ou moins cher, suivant que le terrain était en friche ou non, les champs
faciles ou difficiles à labourer, le nombre des années libres [Freijahren) plus
ou moins grand '^. Les colons ne payaient pas une somme une fois donnée,
mais, comme on le verra plus loin, ils acquéraient la propriété libre et trans-
missible, moyennant une redevance annuelle, qu'ils acquittaient soit en na-
ture soit en argent.
On entendait par années libres, celles à l'expiration desquelles les colons
n'avaient à payer ni dîmes, ni redevances ^. Le nombre de ces années va-
riait le plus souvent. Pour les fermes déjà cultivées {mansi paraii, culti),
l'exemption était de un à quatre ans; quelquefois aussi, il n'y avait pas
d'exemption. Pour des champs incultes ou en friche {ayri incitlli), ou pour
des hois h déroder [silva , silvestres , non extirpali), l'exemption était de
trois à seize ans. Parfois, sans distinction de la nature du terrain , elle était de
un, trois ou six ans *.
Les charges aussi bien que les droits des colons étaient consignés dans un
contrat en règle ; malheureusement peu d'actes de ce genre nous sont par- ^
venus.
Les colons payaient, en général, chaque année, comme redevance, un
ferlo, et rarement un demi-marc d'argent. Ils payaient davantage lorsque la
dime était plus faible que d'ordinaire, et moins, à raison de la stérilité du
sol ^.
V. La maison du colon, avec les écuries, étables et autres dépendances
' Droysen, 1,62.
■^ Ihiil. , C5.
' Tzschoppe, etc., p. 155.
4 Ihid, p. 455.
s Ibiâ., p. 1 55.
164 HISTOIRE
rusliques, le tout entouré d'une haie ou d'une autre clôture quelconque, s'ap-
|)elail hof (cour), expression qui existe encore en Flandre (liof, hofslede; en
allem. fwf, et en anglais homestead, ciirlilagé).
Cette cour avec les champs et terres lahourahles, ainsi f|u'avec les bois
adjacents, formait une manse (ail. hhfe; ancien ail. hhve ; flam. hoeve, au-
jourd'hui encore pachlhoeve). La manse n'était pas partout d'une égale étendue.
Elle variait, peut-on dire, de pays à pays. Suivant Cantu ', elle avait ordi-
nairement la valeur de douze arpents. Mais il y en avait aussi de six, trente,
soixante arpents. En somme, la manse comprenait un terrain suffisant pour
pourvoir à la subsistance du colon et de sa famille '\
D'après Dreger ', une manse flamande équivalait à deux manses allemandes
et à quatre manses slaves.
La réunion d'un certain nombre de manses ou fermes foimait une villa ,
d'où dérive le mot moderne de village. Au milieu de la villa était un pâtu-
rage commun où chacun pouvait mener paître son bétail. Toutefois, cela ne
s'appliquait qu'aux colons qui avaient moins de trois manses; car, suivant le
Spéculum saxonicum, collection de coutumes féodales, en vigueur dans la
plus grande partie de l'Allemagne, le colon, propriétaire de trois manses,
pouvait avoir un pâturage séparé. Les autres payaient un droit au seigneur
(peut-être aussi au SchullheissP) pour avoir la jouissance du pâturage
commun \
Donc, pour résumer : cour , manse, villa, voilà les éléments dont se for-
mèrent avec les progrès de la population, les villages et les villes *.
Un auteur allemand contemporain nous a tracé un tableau pittoresque des
fermes flamandes et hollandaises dans le pays de Brème :
« Les fermes et les métairies ont une physionomie tout à fait néerlandaise
' Histoire uiiiverseUe, IV, 573, note 2. Bruxelles, t84a.
- Westphalen, II, C7t , note 123 : « Est enim maiisus ager cuin sua domo vel miinsionc,
ijui maneuti et habitanti alendo sudicit. Acccdit cl liovam, quae nobis dicitur ecn liove Landes;
nam liove et Ho/f est turia vel domus cura suo agro; undc fecerunt Latini mansuin et inan-
scUum, si agcr suiïiciens non esset additus eo loco, ubi qiiis coleret et manercl. »
^ Pag. 310, ap. Scblôzcr, 434.
'* tlalluni, Europe au moyen âge , V, ;)2. Bruxelles , 1840.
s Id., p. 52.
DES COLONIES BELGES. 16d
qui se révèle par une propreté excessive , rehaussée par une variété de cou-
leurs qui n'exclut pas une certaine élégance. Le corps de logis, dont se com-
pose la ferme proprement dite, est ombragé par des chênes vigoureux et situé
autant que possible au milieu de l'exploitation. L'un des pignons est couronné
par deux lêtes de chevaux, à la manière saxonne; l'autre porte le nid de la
cigogne, oiseau considéré comme l'hôte chéri de l'été. De la cour, entourée
des dépendances et au milieu de laquelle git le fumier, on entre par une
grande porte à deux battants dans l'aire de la grange qui forme corps avec
les étables. Au fond de la pièce principale de l'habitation, (Ïambe dans l'âlre
un grand feu au-dessus duquel se balance la chaudière suspendue au mur
par un croc. La cloison, qui sépare cette pièce et les autres chambres, est
garnie de plats reluisants, d'assiettes et d'autres ustensiles de ménage. Les
cheminées et les toits à tuiles passent pour une chose rare ; on laisse la fumée
de la tourbe se chercher elle-même l'issue qui lui plail , tandis que l'on con-
sidère le toit de chaume comme donnant plus de chaleur en hiver et comme
n'étant pas sans procurer quelque fraîcheur en été. Le tilleul servait de lieu
de réunion à la commune, et les assemblées des anciens et des juges de can-
tons entiers se tenaient en plein air '. »
On a déjà vu la part que prirent les colons à la formation des villes et des
villages. C'est en récompense de leur coopération qu'ils reçurent des droits et
des privilèges qu'il convient maintenant de définir.
§ II. — ■ Droit hollandais. — Droit flamand. — Observations générales.
1. Les historiens qui se sont occupés de la question, sur laquelle j'essaie
à mon tour de jeter quelque lumière, sont fort partagés sur l'importance qu'il
faut assigner aux colonies belges au point de vue des institutions civiles, po-
litiques et juridi(iues qui prirent naissance en Allemagne à l'époque où elles
eurent lieu.
Les uns, s'exagéranl singulièrement le nombre de nos compatriotes, sont
allés jusqu'à dire qu'ils changèrent complètement la face de la Germanie, ei
' Kôster , ibiil-, p. 1:2.
166 HISTOIRE
que, sans leur arrivée, les princes les plus éminents n'auraient pu aboutir à
aucun résultat sérieux. D'autres, soutenant la thèse radicalement opposée,
ont pris à lâche de démontrer que le rôle des cmigrants néerlandais n'exerça
aucune influence efficace sur les destinées de l'Allemagne; que partant le
prétendu effet, qu'on veut bien en faire découler, l'ut nul et de nulle consé-
(juence.
Je me hâte de le dire : aucune de ces deux opinions n'est exacte. La pre-
mière exagère un fait réel ; la seconde nie l'évidence. Je ne veux pour les
Belges
Ni cet excès d'honneur, ni cette indignitt-.
Dans la partie historique de ce travail, j'ai raconté les faits dans toute leur
simplicité. Cet exposé a suffi pour démontrer que les Belges furent ce que les
princes étaient raisonnablement en droit d'attendre d'eux. Leur rôle ne fut ni
excessif, comme le voudrait Eélking, ni infime, comme le prétend Wersebe.
Dans quelques cas tout à fait exceptionnels, on les trouve chargés de la dé-
lénse de l'une ou l'autre place forte ; mais tel ne fut pas le but pour lequel
on les appela. Ce but, c'était la colonisation, et dans cette entreprise, ils
réussirent au delà de toute attente. Voilà la vraie cause des faveurs dont on
les combla.
IL C'est de ces faveurs que je dois m'occuper dans cette seconde partie.
Mais avant d'en aborder l'examen , je dois faire observer qu'aucun des peu-
ples qui colonisèrent n'obtinrent des avantages aussi considérables que les
Belges. Sans doute , il n'y a (jue l'appât d'un avenir prospère qui puisse
décidei- un grand nombre d'habitants à quitter une terre civilisée , pour émi-
grer dans des contrées à demi sauvages. Mais, entre une certaine somme de
droits auxquels ces hommes pouvaient légitimement prétendre et les privi-
lèges immenses qu'on leur accorda, il y a une différence dont la significa-
tion ne saurait échapper aux esprits les moins clairvoyants ou les plus pré-
venus. En justifiant cette proposition plus loin, j'aurai prouvé que l'opinion
de Wersebe et de ses partisans est contraire à la fois au témoignage de l'his-
toire et à la vérité des faits.
Quant aux écrivains qu'un enthousiasme un peu irréfléchi a portés à exa-
DES COLONIES BELGES. 167
gérer si démesurémenl le rôle des Belges, je leur répondrai que si l'action de
nos compalriotes eût été aussi grande qu'ils se sont plu à le croire, les Néer-
landais auraient dû nécessairement imposer leurs lois et leurs idées à l'Alle-
magne tout entière. Or, il saute aux yeux de tout le monde que tel ne fut pas
le cas.
Les Flamands eurent le Fldmische Rechl , et les Hollandais le HoUmhe
Recht; ces deux expressions seront définies plus loin. Mais, si important que
fût le faisceau de droits compris dans chacune de ces dénominations , il ne
devint pas la règle commune de toute l'Allemagne. Ce n'est que dans quel-
ques cas particuliers qu'on étendit le Fldmische ou le llolUsche Recht à d'au-
tres qu'à des Néerlandais. Il importe donc, si l'on veut rester impartial, de
garder un juste milieu équitable, et d'accorder à nos compatriotes tout l'hon-
neur qui leur revient, mais rien de plus.
IIL Le Droit VLXMk^u [jus /lamingicum, flamengale, flnmmitujicale ,
jura Flammingorim , Flammingerorum , Fldmische Rechl), semble avoir
été, dans le nord-est de l'Allemagne, le droit commun des colons, de même
que le Droit Hollandais [jus hollandicum, hollandricum , HoUandense,
Hollerum, IJollense, IloUicum, Hallicim , jus Hollicorum , llollerisch
Recht, Hollische Rechl, Hollsche Rechl) le fut dans le nord-ouest, c'est-à-
dire à Brème et dans les contrées situées à l'embouchure de l'Elbe.
Delà les expressions locare flamingicQJure, dedimus Jus Flamiggorum ,
iransferre ad jura Flamingorum, jus municipale fJemingicum; locare jure
hollandico, cedere jure hollico , vendere jure hollandensi, also in Hollan-
deres Recht isl, etc.
Ces deux droits, hollandais et tlamand, élaienl-ils écrits?
Quant au premier, Wersebe croit que, dans le territoire de Brème où les
colons s'établirent d'abord, il n'est resté aucune trace de leurs principes juri-
diques, opinion dont je démontrerai plus loin l'inexactitude. Il ajoute que ce
droit, ne contenant rien de particulier, a pu se confondre facilement avec le
droit du pays; ce qui est tout aussi peu fondé ^ Enfin, il est d'avis que les co-
lons ont conservé les droits qu'ils ont importés de leur patrie , mais que, dans
la suite, ces droits sont tombés en désuétude ou ont été abolis par des con-
ventions expresses ^.
I Wersebe, I, 396. •
■■' Id., II, I0G4.
168 HISTOIRE
Hoclie soulienl, d'autre part, que les colons emportèrent avec eux leur
code [Geselzbuch] , ou qu'ils se le procurèrent dans Tune ou l'autre ville
voisine, comme Lubeck, Scinverin '. C'est raisonner en dehors de la ques-
tion, à moins qu'il ne faille entendre par là que les Hollandais furent soumis
au droit de Lubeck, ce qui est manifestement contraire à la pensée de l'au-
teur.
Langelbal fait observer qu'une distinction doit être établie entre le droit
hollandais proprement dit el les lois hollandaises -, d'après lesquelles les
tribunaux devaient rendre justice : ces derniers étaient aussi désignés sous
le nom de droit hollandais. Or, comme les juges étaient nommés parmi les
colons, el qu'ils ne connaissaient d'autres droits el d'autres usages que ceux
de leur pairie , il semble évident que leurs décisions devaient s'étayer sur
les lois el usages qui y étaient en vigueur^.
Aucun de ces auteurs ne tranche la question. Comme il n'y a , d'ailleurs,
aucun texte que l'on puisse invoquer, je crois qu'il faut répondre négative-
ment el considérer le Jus liollandicwn , à son origine en Allemagne, comme
un droit coulumier.
Quant au droit flamand, il faut distinguer.
Dans certaines parties de l'Allemagne, il existait seulement comme cou-
tume {consuetudo) ou usage [observant ta).
En revanche, il n'y a aucun doute qu'il n'ait existé en Silésie à l'état de
droit écrit. Une charte précieuse en donne la certitude complète. Henri,
évêque de Breslau, abolit le droit de Magdebourg (le 20 février 1310),
accordé deux ans auparavant à la ville de Nysse el le remplace par le droit
flamand. L'évêque dit en termes exprès que ce droit est clairement expliqué
el défini dans des livres «l traités composés jusqu'à cette époque, « idem
jus flamiiKjicum , in libris el script is inde confectis, plane el lucide inve-
nilur expressum » et il veut qu'il soit appliqué dans tous ses articles, clauses
el dispositions quelconques «... in suis judiciis hoc flamingicum jus lenere
in omnibus ejusjuris urticuUs, dausulis el punclis. »
' Ilochc, p. 32.
- Gesrliichle lier teutsclieii Landwirthschaft , II, p. 91 , noie "2.
î Ecllving, H7, 118.
DES COLONIES BELGES. 169
On so demande tout d'abord si l'évêquc parle en général , ou s'il a sim-
plement en vue la Silésie. On en est réduit aux conjectures.
IV. Quoi qu'il en soit, les expressions droit flamand, droit hollandais,
doivent être envisagées sous un double aspect.
Elles comprennent :
I. L'ensemble des droits (géîvéralx) que les Flamands et les Hollandais
importèrent de leur patrie et qu'ils ont conservés dans les divers pays où ils
s'établirent.
IL Les droits et privilèges (spéciaux) qu'obtinrent nos colons sur la foi
des traités [pacta, pacliones) et autres conventions verbales ou écrites, et
qui avaient trait principalement aux terres qu'ils avaient à défricher.
Le droit flamand et le droit hollandais garantissaient donc à nos compa-
triotes les droits que je nommerai indigènes [Heimaisrcchie) et (pii consis-
taient dans :
a. Le droit de liberté.
b. Le droit de propriété.
c. Le droit d'avoir une juridiction propre,
d. Le droit de succession :
i" Transmission ou adhéritance;
2° Hérédité.
r. Le droit de conserver les mesures en usage dans leur patrie.
Ces matières feront l'objet du chapitre I".
Dans le chapitre II, j'examinerai les droits et privilèges spéciaux. Il est
à regretter que l'on ne puisse pas entrer dans le détail de ces droits et privi-
lèges pour tous les pays où l'on trouve des traces de colonisation néerlandaise.
Les sources font souvent défaut. J'attribue celte absence de documents
d'un côté à la perte des traités et pactes originaux qui intervinrent entre les
souverains et les colons; de l'autre, à cette circonstance que les conventions
étaient souvent purement verbales. Aucun écrit n'ayant été rédigé, les anna-
listes de l'époque postérieure et, à plus forte raison, les écrivains de ce siècle
n'ont pu essayer l'examen des clauses qu'elles renfermaient, ni discuter le
degré d'avantage qui en résultait pour nos compatriotes.
Tome XXXII. . ^ 25
no HISTOIRE
CHAPITRE I".
DROITS GÉNÉRAUX.
SECTION I.
DROIT DE LIBERTÉ.
Dès la fin du onzième siècle, les Relges avaient obtenu des lettres d'alïran-
chissement ou Keuren [cliorœ), (|ui lurent comme le principe et le germe
des communes qui commencèrent à poindre à cette époque. Il er) fut de
même pendant toute la durée du douzième siècle. Thierry et Philippe d'Al-
sace marchèrent, comme leurs prédécesseurs, dans une voie libérale, el se
distinguèrent par les octrois nombreux qu'ils firent aux villes de la Flandre,
telles que Nieuport, Gand, Rruges, Audenarde, Grammont, etc.
Peut-être les émigrations des Belges furent-elles en partie cause de cette
générosité : « L'état d'abandon, dit Raepsaet ' dans lequel se trouvait le plat
pays, n'excita pas moins vivement l'attention de ces princes. Il s'agissait d'ar-
rêter l'émigration des colons el de repeupler les parties déjà désertes; les
mêmes appàls qui attiraient sans cesse les paysans belges dans le nord de
l'Allemagne furent jugés bien propres pour les retenir dans leur patrie. »
Quoi qu'il en soit, les Néerlandais obtinrent dans tous les pays les condi-
tions les plus favorables; mais celle qu'ils stipulèrent partout la première
fut la liberté. La liberté, qui semblait née sur leur sol, et y avait déjà reçu
de si prodigieux développements, suivit ses enfants dans ces contrées, féodales
par excellence, où ils allèrent s'établir, el planta son drapeau dans les nou-
velles villes qui s'élevèrent sous ses auspices.
Ce qui le prouve à l'évidence, c'est que les souverains, prélats ou sei-
gneurs, en attirant des Relges, faisaient avec eux des conventions synallag-
matiques. Or, en traitant avec eux , dit fort judicieusement Heeren , ils recon-
' OEuvres complètes, V; 311.
DES COLONIES BELGES. 171
naissaient par cela même leur indépendance; car loul contrat suppose liberté
chez le contractant '.
On est donc fondé à dire que partout où allèrent les Belges, ils jouirent
d'une liberté pleine et entière. Cette liberté portait, d'abord, sur leurs per-
sonnes : point de servage, point de services corporels; rien qui rappelât des
gens taillables et corvéables à merci.
On ne pouvait exiger d'eux d'autres services que ceux que tout homme
libre doit prester : services dans l'armée [Heerbann] , garde de la iianlieue
{Burghann) et autres services du même genre. Cela s'appelait flfimisrlwr
Burdcenst.
Tous les auteurs sont d'accord sur ce point '.
' Elle se rapportait, ensuite, à leurs biens qu'ils possédaient als frète Leutc ,
disent tous les historiens. Or, ajoute Hoche % celui qui a la faculté de pos-
séder librement son bien et de le transmettre à ses héritiers, n'est certaine-
ment pas un serf.
Cette double liberté appartenait aux deux sexes.
Un acte de partage de 1 141 , signé entre Adalbert , archevêque de Brème,
et la mère-tutrice du duc de Saxe, porte, article 4 : « Si quis ad nos liber
intraverit, et se, sicutest, liberum professus fuerit, libertate sua, si velil,
utatur '. »
Je n'ai pas besoin d'insister sur ce point, dont la preuve résulte surabon-
danniient de ce que j'ai dit plus haut des relations des Néerlandais avec les
chefs des États qui les appelèrent.
SECTION II.
DROIT DE PROPRIÉTÉ.
I
I. A côté des biens des souverains, des prélats, des abbayes et des sei-
gneurs, il y avait, en Belgique, des terres libres, librement possédées par
' Essai sur l'influence des croisades , 205.
■^ Voy., entre autres, v.Maurer. {Geschichte der Fronhofe , der Bauerhbfe , etc., II, pp. 72-75.)
Erlangen, 1862.
3 Pag. 81.
* Sclilôzer, p. 400. — Langetlial , II, 87.
172 HISTOIRE
des particuliers, el qui relevaient directement de la justice du comte ou autre
suzerain. Les auteurs sont partagés sur le point de savoir si le maître de pa-
reilles terres était tenu de payer un certain cens in recognilionem direcli do-
minii. Les uns se prononcent en faveur de la liberté absolue du fonds; les
autres pensent que cette liberté ne se justifiait point par une possession con-
stante et qu'elle ne pouvait être prouvée que par litre authentique.
Je n'ai pas à m'occuper ici de ces systèmes; je ne dois qu'examiner quelle
était la nature du droit de propriété accordé aux colons belges en Alle-
magne.
Disons-le tout d'abord : le droit de propriété qu'obtinrent nos colons, sans
être un dominium pleniun, dans le sens que l'on attache généralement à ce
mot, en avait tous les attributs.
Je dis « sans être un dominium plénum. » En elTet, le droit accordé aux
colons renfermait dès le principe le germe d'une entrave qui mettait ob-
stacle à ce que la propriété fût absolue comme aujourd'hui. Otte entrave,
c'était la redevance [cens us , Zins) que le colon était astreint de payer à qui
de droit, ainsi que nous le verrons tout à l'heure.
Je dis encore « avait tous les attributs de la propriété. » Car, sauf la res-
triction que je viens d'établir, le colon, qui avait obtenu une concession de
terres, jouissait de tous les droits d'un propriétaire incommutable.
C'est dans ce sens qu'Eelking dit : « Qui fundos suos aliis colendos Iradunt,
plerumque horum fundorum dominium retinent, nec iilud in cultores trans-
ferendi animum habent '. «
Droysen, se plaçant au même point de vue, ajoute que les colons n'avaient
pas la vérilalde propriété [Uchte Eigenfhinn), el que dans les Marches ce
droit n'appartenait à personne "'.
En somme, il résulte d'une foule de documents que le droit de propriété
des colons tenait parfois de l'emphytéose, tandis que, d'autres fois, il avait
plutôt le caractère d'un fief. Il convient de l'examiner successivement sous
ces deux rapports.
II. Hoche me semble avoir le premier posé nettement le principe : « Les
' De Uelgis, etc., pages 133, 134, 180, 183.
* Preusaisrhe Pulilik , elc, I, 64.
DES COLONIES BELGES. 173
biens flamands el hollandais, dil-il, peuvent être placés dans la catégorie des
biens emphytéotiques avec lesquels ils ont une immense ressemblance '. »
Voici quels étaient les droits du colon, devenu propriétaire dans le sens
indiqué :
A. Il jouissait du fonds, de la manière la plus étendue. Il pouvait y fai«e
tous les changements qu'il jugeait nécessaires et concéder des servitudes.
B. Il cultivait le fonds à sa guise, et disposait des fruits de la culture
comme il Tentendail.
c. Il pouvait couper les bois 3 dessécher les marais; défricher les bruyères;
extraire les matières bitumineuses et la tourbe.
D. Il pouvait affermer et vendre ses biens; en disposer entre-vifs ou à
cause de mort; à litre gratuit ou onéreux.
E. Il transmettait tous ses droits à ses héritiers.
xNulle part, je n'ai trouvé que le colon n'avait pas le droit de détériorer le
fonds, ce qui me fait pencher pour l'affirmative; nulle part non plus, je n'ai
remarqué ni un droit de retour [RuckfaU), ni un droit de préférence [Vor-
kmf), ni le droit de Ilandlohn {laudemhm) -; tous droits que pouvait exercer
le propriétaire vis-à-vis de l'emphytéole proprement dit.
La seule charge qui pesait sur le colon était la redevance foncière : elle
était généralement fixée dans le contrat de cession passé entre le fondateur
de la colonie, — prince, évêque, abbé ou seigneur, — et l'entrepreneur
[Unternehmer) ou chef colon [Baucrmeisler] '.
On le voit, sauf celte redevance, nos colons, s'ils ne jouissaient pas d'un
dominium plenissimiim , avaient néanmoins des droits plus étendus qu'un
emphytéote ordinaire; c'étaient, à peu de chose près, des propriétaires dans
le sens strict du mol; plus encore que les emphytéotes, ils avaient wuju!
dominio proximum.
III. On ne trouve point dans les sources, qui concernent la matière, les
expressions d'emphytéose ou de propriété; le terme (|ui s'y rencontre à chaque
instant est celui de possession.
' Vorrede.
2 Sclil6zer,42ô.
3 Droyseii, I, 63.
S
174 HISTOIRE
Ca' mo( a plus d'une acccplion. En droit, il signilîe la détenlion corporelle
d'une chose avec l'inlenlion de l'avoir pour soi {Besifz) '.
Dans le langage usuel, on l'emploie souvent dans le sens de bien, terre,
domaine (Besilzthùin) -. Dans quel sens les chartes prennent-elles le mot en
question? Il est impossible de donner à cet égard une réponse absolue; je
crois que les sources entendent le mol possession tantôt dans le premier sens,
tantôt dans l'autre.
Tâchons d'éclaircir la (|uestion par (|uclques exemples.
D'après Michelsen , « les colons, indépendamment des droits (|u'ils avaient
importés de leur patrie {fleimatsreclilc, mores), jouissaient d'un droit de pos-
session expressément stipulé et originairement convenu, notamment en ce qui
concernait la transmission et l'acquisition des terres, le régime de ces biens
pendant la communauté, et les prétentions que l'on pouvait faire valoir en
cas d'hérédité '\ »
Michelsen qualifie ce droit des Flamands de « possession héréditaire et
aliénable des terres, (1er erhliche und der frète verausserlic/ie Besilz (1er
Gruiidslriche '*. »
Enfin, il ajoute que la possession d'un bien llamand pouvait rendre quel-
(|u'un Flaiiumd, c'est-à-dire le rendre participant des droits (lamands^.
Il va sans dire que dans ces divers cas le mol possession est pris dans le
sens que lui attribue le droit romain. Il en est encore de même dans le di-
plôme de VVichmann (1152), évêque de Nanmbourg, qui porte : « Si quis
eorum sine haerede morialur, possessio ejus intégra sine disiractionc per
curriculum anni et diei (enealur ''. »
Mais l'interprétation change dans le passage suivant du même diplôme :
« Si alicujus eorum possessio venalis exponitur, compatriote suo tantum, et
non extero emere liceat '. »
' « Possessio est coi'|)ori> dcteiitio ciim aiiiino sibi habeiiili. » Iiislil.
- C'est ainsi que Ion dit, par exemple : un tel a de grandes possessions dans cette pro-
vince.— Ce prince a recouvre les anciennes possessionsde ses ancêtres. Voy. Dicl. de l'Acculéiine.
^ Reclilsdenkmnle , p. t4G.
'' Ibid., p. 144.
s Ibid.,\). 14(1.
fi Ibid., p. 144.
' Ibid., p. 145. Michelsen trad. ainsi: « Wenn flamisclie Landereien verl^aufilicli wiirdcn.etc. »
DES COLONIES BELGES. ITfi
La charle de Gerung prend égaleineiil Texpression possessio dans sa doul)le
acception. Quand révêque dit : « ... in slai)ileni aelernamf|ue et heredilaiiani
possessionem tam ipsis (|uam onini eoruni posleritati villam... tradidi.... »
il me semble évideni qu'il faut entendre par là le mot possessio dans le sens
des InsI tîntes .
Mais dans celte autre phrase : « Praefatis enim J'Iandrensibus in memo-
riam et signum enipta^ possessionis... » le sens, au premier abord , parait
douteux. Toutefois, le conicxto prouve qu'ici le prélat désigne le bien hérédi-
taire {Besilzihnm) dont les Flamands viennent de se rendre acquéreurs et (pie
partant la possessio dont il parle ne doit pas se traduire comme dans la
phrase pi'écitée.
Quoi qu'il en soit , en supposant même que mon interprétation ne soit pas
exacte, ces exemples font voir que les Belges jouissaient de droits beaucoup
plus étendus que les possesseurs ordinaires, et que, sauf la redevance qu'ils
avaient à payer annuellement, ils étaient considérés comme de véritables
propriétaires.
IV. A en juger par d'autres documents, il semblerait que les terres, (pie
les colons néerlandais avaient à fertiliser, appartenaient aux souverains et
*ux prélats quoad doininiuin directum , et aux co\ons r/uoad doniiniuiti ulile,
de telle sorte que ces derniers détenaient alors ces biens à titre de fief [zinii
Lehii), mais sous les conditions les plus avantageuses '.
Ce qui est certain, c'est que les margraves, par exemple, donnaient par-
fois en fief la dîme tantôt d'une ferme isolée , tantôt d'un grand nombre de
fermes réunies; tantôt ils ajoutaient la dîme à la redevance foncière. D'où il
résultait que quebpiefois, mais rarement, le tenancier à titre de fief élaii
propriétaire du village entier^.
Il en était ainsi pour les Hollandais de Brème comme pour les Flamands
de la Thuringe ou du Brandebourg. On leur concédait un droit sur les terres
marécageuses qu'ils devaient défricher, droit qui avait la plus grande ana-
logie avec l'emphytéose. Hoche ajoute qu'ils possédaient aussi leurs biens en
fief, (ds Leitiie ^. Enfin , ils obtenaient la concession des terres tantôt gia-
' \ (ly. Iloclie, [>. "Jl , n" G.
^ Droysen, I, (JG.
- llnclie, 1). 7i, 11" 5.
176 HISTOIRE
luilcnienl, laiilôt par aclial , lantol par un acte sponlané de générosilé [dé-
vot ione) ^
Terminons en disant que celte concession avait lieu le plus souvent sous
la forme d'une propriété utile. C'est en conséquence de ce principe qu'ils
payaient annuellement un denier par manse, non à titre de propriétaires ori-
ginaires, mais parce qu'ils détenaient ces biens de l'évêque ou de l'église -.
SECTION III.
DISIIIT D'AVOIR UNE PROPRE JURIDICTION.
A l'époque de l'émigration de nos colons, les atti-ibulions, droits et privi-
lèges du pouvoir administratif et du pouvoir judiciaire n'étaient pas aussi
clairemenl dessinés qu'ils le sont de nos jours.
Dans les provinces belgiques, chaque ville était administrée par un collège
de fonctionnaires, appelé le Mmjislrat , la Justice civile, ou la Loi. La com-
position de ces collèges était loin d'être uniforme. Le titre, le nombre et les
attributions des membres qui le composaient variaient suivant la localité. On
peut néanmoins les ramener à trois éléments principaux qu'on retrouve
presque partout : les bourgmestres, les échevins et les conseillers ou jurés.
Les boui'gmestres étaient les présidents et les chefs des magistratures
locales. Les échevins repiésentaient les familles patriciennes ou la haute bour-
geoisie. Les conseillers représentaient plus spécialement l'élément plébéien.
Mais cela n'était pas absolu ; et, dans certaines villes, les échevins, ainsi que
les conseillers, élaient moitié patriciens, moitié plébéiens.
Celte organisation se maintint dans nos communes jusqu'à la fin du dix-
huitième siècle.
Le droit de désigner les membres des magistratures locales était exercé par
le représentant du suzerain, qui fut, à la fin du moyen âge, le gouverneur
général au nom de l'Empereur. Les échevinages, substitués par Charlemagne
aux maels ou plaids locaux, étaient choisis par le comte, qui lui-même était
le délégué du prince.
' Hoche, 73, n° 5.
^- Lanselhal, 11,88.
DES COLONIES BELGES. 177
Ce mode de nomination subsista également dans nos provinces jusqu'à la
fin du siècle dernier '.
On verra plus loin les points de contact qu'offrait cette organisation avec
le régime sous lequel vécurent nos colons en Allemagne. Mais, qu'on veuille
bien le remarquer, nos compatriotes émigrés jouirent dans leur nouvelle pa-
irie d'un système beaucoup plus large et qui les isolait beaucoup plus de-
leurs souverains qu'en Belgique. Ainsi que le dit fort exactement Michelsen,
« les colons flamands formaient une confédération indépendante, par
laquelle l'organisation municipale et judiciaire, qui leur était personnelle, se
maintint et se développa d'après le droit coulumier en vigueur chez eux ^ »
Il n'y a évidemment que l'aveuglement du parti pris qui puisse faire traiter
de manants des gens qui, en stipulant de pareilles conditions, devançaient leur
siècle et donnaient au monde l'exemple d'un régime inconnu jusque-là, et dont
le sdf-(jovernment , serait-on lente de dire, n'est qu'une copie perfectionnée.
Il sera donc d'un haut intérêt d'examiner avec toute la précision possible,
et en tenant compte des sources, quelle était l'organisation administrative et
judiciaire (pii régissait les Belges en Allemagne. Il ne sera pas moins intéres-
sant de faire ressortir de temps en temps, (piand la matière le permettra, l'une
ou l'autre analogie entre le droit flamand ou hollandais dans les pays ger-
niani(|ues, et les institutions similaires ([ui existaient à la même époque chez
nous el qui furent comme la source et le modèle des premiers. 11 est malheu-
reusement impossible de présenter l'ensemble complet des deux systèmes.
Toutefois, l'on trouverait dans une pareille étude de nombreuses occasions
d'éclaircir des points obscurs, de fixer des opinions douteuses, de compléter
des lacunes dans nos connaissances du droit belge pendant une des périodes
les plus intéressantes de son développement '.
' Aujourdhui, l'organisation communale et provinciale, c'esl-h-dirc le pouvoir admiiiistratiT.
est réglée, cliez nous, en vertu de l'art. 108 de la Constitution, par les lois des 30 mars et
30 avril 183().
Le pouvoir judiciaire, qui en est complètement distinct, ainsi qu'il résulte de l'art. i)"2 de la
luème Constitution , est régi par la loi du 24 août 1790 et le décret organique du 30 mars 1808,
<ontenant l'organisation des tribunaux cl l'administration de la justice.
' Rerhlsdenkmale,p»g. t4G.
' Arcndt. HuUetin de V Académie, XXII, p. 613.
Tome XXXII. 24
178 HISTOIRE
§ I. — Pouvoir administratif.
I. Le Bauermeister qui avail amené des colons devenait ordinairement le
maire de la nouvelle colonie. On rappelait scultetus, Sc/ml: , Srlmliheiss ,
Bunnestere.
Le même fonctionnaire existait chez nous. Il comptait parmi les olliciers
que le prince établissait dans les métiers [Ambachten], el était nommé scliout ,
schouleet. La juridiction formait le schouleetendom. Dans une charte de 1241 ,
l'oflicier-chef du métier d'Assenede est appelé schoutéla de Assenede; celui
des villages de Weslende et de Slype, faisant partie du KamerUnck-Ambacht,
est nommé scultetus de Oudenbury '.
Quand le maire devait être remplacé, c'étaient les Flamands et Hollandais
eux-mêmes qui le choisissaient parmi les hommes de leur nation, de même
que les deux échevins {Schoffen, scabini), élus également parmi eux et par eux.
Le renouvellement de ces représentants de la commune avait lieu tous les ans '-.
Plus lard, dans la Goldene Aiœ, lors de la collation de ces trois places, le
conseil de la ville de Heringen, ainsi que les bailliages de Heringen et de
Relbra prirent une certaine part à ces élections ^. Et depuis lors , les chefs*
de la commune n'ont plus été qualifiés dans les actes que du titre de députés
llamands [Verordnelen Fldminger). Il y avait dans la même contrée un maire
pour tout le bailliage, qui, en sortant de fonctions, devenait chef-Flamand,
Oberfldminçier *.
IL En vertu des services qu'il était appelé à rendre à la commune % le
SchuUheiss recevait ordinairement une ou plusieurs fermes libres, en vertu du
droit nommé vulgairement Setliniic^.
Langelbal pense que, suivant toutes les probabilités, ce droit fut intro-
duit en Allemagne par les colons flamands et hollandais, et qu'il fut imité par
' Raci)saet,lV,427.
- Hoche, p. 88. — Micliclsi'ii, p. 143. — Sclilôzer, p. -Iti^.
^ Miclielseii, p|). 143, 169.
» Ihid.
!i « Pro cxpensis suis el laboriljus in fundalioiic et reginiinc loei, • discnl les eiiartes.
« De là l'expression de SvUingshiifen, Freihufen, Zehnfreilittfen{WeTsehe, II, lOOi), lOlô).
DES COLOrSfES BELGES. i79
les Allemands qui, en général, prenaient les Néerlandais pour modèles '.
Celle conjecture me parail d'aulanl plus admissible que nous trouvons en
Flandre un pareil privilège, sous la dénomination de PoinUiigen ende Set-
fingen.
On lil dans la Coutume de Gand , Rubrique 1, article 10 : « de poorters
ende poorteressen woonacblig binncn de limilen van der stede ende schepen-
dom... zyn ook vry van Poinctingen ende Seltingen, als conlribuerende in de
laslen ende assysen der zelver slede. »
La plupart des coutumes, telles que celles du Franc de Bruges, deCourtray,
de Furnes, de Bergbes-Saint-Winocq, etc., sanctionnent le même privilège.
De même qu'en Flandre, le droit de Sellinke, en Allemagne, libérait la
propriété de certaines charges. Dans un privilège que Henri le Lion accorda
(1167) à l'évêque de Ratzebourg, et qui avait principalement pour but de
fixer les limites de révêché, il est dit : « Hoc ecclesiae ad libertatem adito...
duo tantum mansi qui Sellinke vocantur liberi semper erunt et absque gra-
vamine -. »
Quand |)lus lard, en 1206, l'évêque de Ratzebourg, dans la charte de
fondation du cloître de Rhena, accorda audit cloître la dîme sur cinq vil-
'lages, à l'exception du droit Bisetlinge , « excepto jure quod Bisettinge di-
cilur, » il ne faut, ditWersebe ' comprendre dans cette qualification que le
Sellinge dont il est fait mention plus haut , en vertu duquel deux fermes
étaient, dans chaque village, affranchies de toutes charges.
lII. Un autre privilège du Sclmllheiss consistait dans le droit de faire
paître ses moutons dans les endroits de la commune non cultivés : auf Stoppe!
und Bruche oder Dorfflar zà treiben ''.
Ce droit me semble offrir une grande analogie avec le droit de parcours
ou de vaine pâture, qui fut en vigueur chez nous pendant tout le moyen âge
et qui a été réglé plus tard par les lois du 24 juin et 6 octobre 1791 , et
parle décret du 23 thermidor an IV.
' Langetlial, II, dS5.
2 Werscbc, II, p. 1006, note 135.
■-• Ibid., p. 1009, note 157.
* Droysen, I, 63.
iSO HISTOIRE
La même chose était rendue chez nous par le mot brake, jachère, ter-
rain vide et incuhe. Ce terme est employé comme tel dans les Coutumes et
Usages de la mairie de Crombrugghe, enclavée dans les paroisses d.e Merel-
beke, Dickelvenne, Bosschem, du mois d'avril 126/p, article S : >< ... li tiers
bonier de le terre prebendale doit esire vuide et nient coiturei : chou est à
savoir brake '. »
IV. Lorsque le seigneur, — prince, évêque, abbé, etc., — réclamait un
secours extraordinaire, le maire devait en faire la proposition aux paysans
et les engager à donner dans le plus bref délai la somme demandée ^. A cette
fin , le seigneur lui adressait sa demande, Bede {peli(io), qui avait pour
objet ce secours.
Celte contribution extraordinaire, Bede , était généralement en usage dans
nos Flandres. Dans un compromis de 1275, signé entre Tabbé de Saint-Bavon
et le chevalier Basse de Gavre, il est dit article 9 : « Statuons en outre que
le sire de Gavre pourra lever une contribution {Bede) de trois livres sur les
gens du comté, mais rien de plus ^. »
L'usage de la Bede se maintint chez nous jusqu'au siècle dernier, l'ne or-
donnance de Marie-Thérèse, du 1 2 août 1 749 , intitulée : Naer der règlement
raeckende Beden, Subsidienende andere publiquen Lasten van dit Landt *,
réglemente l'assiette et la perception de cette taxe extraordinaire.
V. Dans la Goldene-Aùe, le maire et les deux échevins devaient être en
même temps, à Heringen, Kdmmer-Burger , pour que de cette façon l'im-
portance de la possession territoriale flamande fût nettement établie '".
Ils avaient aussi la gestion des finances. On verra plus loin que le maire
offrait à la femme du Kirdtyânger un Dreier , pris dans la caisse commu-
nale, mais dont, du reste, compte devait être rendu.
' Ditiicx, Mémoires sin- la ville de Gand , Su|)plémeiU, p. l'i.
- Droysen, I, ii'i, i)~>.
'' Dierifx, Supplément , p. Ifi : « Voert zcgglie wi dat de hccrc van Gaverc jacriiicx zcttcn
iiiarli eene bede van iij p' up die van den gravcscticep, ende nemmcer. »
* Bnissel , Gcorgius Fricx , 1 749.
* Miclielscn , p. 143.
DES COLONIES BELGES. 181
§ H. — Pouvoir judiciaire.
\. Les colons hollandais et flamands avaient ï Untcrgerichtsbarkeil , en
verlu de laquelle ils pouvaient décider eux-mêmes les contestations qui sur-
gissaient relativement à leurs biens.
Leurs tribunaux siégeaient trois fois par an. Les formalités ou procédures,
qui y étaient usitées, ne sont relatées nulle part. La citation était faite, en gé-
néral, par le messager [Bote, Bedell), qui était assermenté par le tribunal.
Toutefois, dans la Goldeiie-Aùe, c'étaient les maires flamands qui faisaient
les convocations pour ces assemblées solennelles '.
Aucun document n'indique quelle peine encouraient les défaillants fla-
mands; tandis que, d'après la jus liollandicum, quand l'assigné faisait défaut,
ou quittait l'audience sans permission, il élail condamné à une amende de
huit deniers '\
Les colons flamands pouvaient toujours s'expurger soUs serment sans
vare ', tandis que les Hollandais juraient lanlôt avec, tantôt sans vare K
Les plaideurs , hollandais ou flamands , devaient payer les frais et
dépens '.
IL Les colons choisissaient eux-mêmes leurs juges. Chez les Flamands,
c'était le maire; chez les Hollandais, un juge spécial.
C'est au Voigl qu'était principalement dévolue la juridiction supérieure
[Ohergericht), c'est-à-dire contenlieuse; le maire n'avait que la juridiction
inférieure [Niedergericht); encore ne l'exerçait-il que par exception et con-
jointement avec les échevins.
Les juges choisis par les Flamands ne connaissaient que des contestations
qui concernaient ces derniers, ou qui surgissaient relativement à leurs biens '^.
Une charte d'Othon, duc de Liinebourg, de 1296 , porte : « Accolis terrae
' Jliclu'lscii, p. 143.
■^ Eellviiig,p. 101.
^ Ce terme sera expliqué plus loin.
' Hoche, p. 70.
s Hoclie , p. 89.
B Ibid.
182 HISTOIRE
novae ni jjiopiio arhilrio judictni eliganl, causas eoruni, quae ingriiorunt,
judicantem , » — « et idem jiidex ab incolis cligotur '. »
Les indigènes, qui Jiahilaienl le pays où le droit hollandais fui en vigueur,
avaient-ils aussi le droit d'élire leurs propres juges?
Je crois qu'il faut répondre négativement. Le diplôme de rarchevêque de
lirême, Hartwich II, dit formellemenl : « In placitis secularibus eum , (|uem
sibi [illis] praefecimus, audiant. » Et il résulte d'une charte de l'empereur
Frédéric que l'archevêque nomma comme juge un certain Bonno -.
Dans quel(|ues localités, les juges portaient aussi le nom iVAmpimann ou
Amlmanv , nom qui existait également en Flandre (Amman) ''.
III. Quand, dans la Goldene Aùe, une erreur existait relativement aux
biens flamands, les Anciens (Flamands) de Heringen, Gorsbach et Berga se
réunissaient dans une petite prairie, située près de l'Aùnuible, et prononçaient
sur les différends une sentence, laquelle, sous peine de nullité, devait être
ap|)rouvée par le Dkasierium ,' ou banc des échevins '*.
Cette sentence était respectée dans les cours de justice supérieure ''.
On l'appelait Flâmischer Sprùch , c'est-à-dire qu'en ce qui concernait les
Flamands, on tenait note qu'antérieurement on avait toujours jugé de même
dans des cas identiques.
L'assemblée des Anciens (flamands) était désignée sous le nom de Atte
Dingstatte^. Elle avait lieu en plein air, sub dio.
Je crois être dans le vrai en disant que cet usage fut introduit dans la
Ctoldene Aùe par les colons flamands. En Flandre, les seigneurs rendaient
la justice dans le voorliof, ou cour du château, assis sous un arbre, appelé
sr/iouwbooin , arbre d'abri , arbre d'ombre '.
De là vient la dénomination de Groeiw Vierschmre, tribunal vert, parce
(|u'il se tenait sous le feuillage des arbres ou en rase campagne. Il consistait
' Sctilôzer, j3. 425.
^ Hoche, p. 70
"' liaepsael, IV , n" 247.
'* Langellial, II, 164.
^ Schlôzer, 43fi.
'' Michelsen, p. 145.
7 Raepsaet, V, p. 220.
DES COLONIES BELGES. 183
en trois bancs maçonnés, dont l'entrée se tonnait |)ai' un barreau ou un
câble, aussitôt que le seigneur, ou le bailli, son représentant, ouvrait la
séance.
Quand les comtes de Flandre rendaient eux-mêmes la justice au château
de Winendale, ils étaient assis sous un arbre touffu (|ui les garantissait de
l'ardeur du soleil ou des intempéries de l'air.
IV. Mizislav et Premislav, ducs d'Oppoln et de Ratibor, statuèrent que,
dans tous les villages situés dans leur juridiction et régis d'après le droit
flamand, si, parmi les citoyens, il y avait doute sur leurs droits, les con-
testations seraient vidées simultanément sans appel par cinq voigts et cinq
maires, qui seraient chaque année désignés par les ducs '.
D'après le droit hollandais, l'appel n'était pas jugé par les Hollandais qui
avaient prononcé en premier ressort; mais il était, en général, déféré à l'ar-
chevêque. Cet appel n'était pas onéreux , malgré les frais et dépens que ce
recours traînait à sa suite. Qu'on lise, pour 's'en convaincre, la charte de
Frédéric, archevêque de Hambourg et Brème : « Majorum placita sive judicia
» rerum si ipsi inler sedcfinire nequeunt, adepiscopi audientiam referrent...
» eo tenore ut de placiti quaestu duas partes haheant, tertiam vero episcopo
» praebeant ^. »
SECTION IV.
DROIT DE SUCCESSION.
Eelking, Hoche, Schlôzer et Wersebe s'accordent à dire qu'en ce qui
concerne le droit de succession (transmission ou adhéritance, Erbfolgrechi ,
hérédité, Erbrechi), le droit flamand concorde en principe avec le droit hol-
landais. Donc tout ce que je dirai de l'un s'applique à l'autre, à moins d'une
réserve expresse.
« Contrairement aux usages de l'époque, dit Eelking^, on leur accorda
le droit héréditaire. »
' Voy. mes Dociimenis , 11° XVI.
2 Idem, n° U.
5 ,1 Contra niorem tune lempoiis, in his Gcrmaniac partibus usîtatum, jus Iiaeredilaiiuni
[illis] indultum fuit. » Pag. 193, note 6.
184 HISTOIRE
Que conclure de ce passage? Que ce droit de transmissibililé, ijuTeIking
(|ualifie de peculiare, (jucique importé par les colons néerlandais, découlait
piincipalenienl des pactes et conventions qui intervenaient entre les colons,
d'une part, el les seigneurs et évêques, leurs nouveaux suzerains, d'autre
part.
Conlra morem (une lemporis , c'est-à-dire ([u'à cette époque, où le
servage existait partout, où les terres appartenaient exclusivement à des gens
])rivilégiés, nos colons eurent soin de stipulei' formellement, en termes exprés,
qu'ils pourraient, de la manière la plus étendue, disposer des terres, marais
et bruyères qu'ils défricheraient et rendraient arables, comme s'ils en étaient
les maîtres , sauf le payement de la redevance.
Ils se réservaient donc le droit de succession, pris dans son acception la
plus large, c'est-à-dire celui de disposer de leurs biens de la manière la plus
absolue pendant leur vie, comme aussi celui de les délaisser après leur décès
à leurs héritiers '.
§ I. — Droit de transmission ou d'adliéritance.
D'après le droit tlamand , tous les biens que les époux apportaient en com-
mun, ou acquéraient dans la suite, étaient communs, et pouvaient, sans
distinction, être vendus, échangés, etc., même hypothéqués au profit des
créanciers -.
Ce droit découlait de la communauté des biens entre époux, régime qui
était en usage dans le droit coutumier de la Belgique el qui , jusqu'à ce jour,
y est encore observé comme droit commun. On sait que l'origine de nos cou-
tumes est fort ancienne : « Tous les peuples, a dit Merlin, avant d'avoir des
lois écrites, ont eu des usages et coutumes qui leur tenaient lieu de lois'. »
Or, en Belgique, ces coutumes, quoique non écrites, avaient force de loi
' Eelking (}ualific ce droit de Irès-ancien : » Faedcrati Belgii ruricolas etiaui antiquissimis
leniporibus praedia sua non solum ad haeredes transmittere potuisse, sed illa etiam plerum-
qiic » etc. Pag. Ilîl.
'- Hoolie, p. 84, n« 2.
Répert. de Jtirisprudenre, Voy. Coutume, VI, 497. Bruxelles, 1828.
s
DES COLOrSIES BELGES. 18a
el étaient scrupuleusenieiil observées; mais on pouvait les contredire. C'est
(;iiaries V qui, par son édit du G octobre 1531, ordonna la rédaction olïi-
cielle de ce droit latent.
La coutume de Gand, publiée en cbambre des éclievins de la heure, le
1'"' février 1563, contient le principe du régime de la communauté des
biens, qui déjà existait coutumièrement en Belgique au douzième et au trei-
zième siècle.
L'article 3 de la rubrique xx est conçu conuiie suit : « Le mari el la femme
deviennent communs par le mariage, el l'un entre pour moitié dans les droits
de l'autre, quant aux meubles, biens, maisons... el pareillement quant aux
conquêts d'immeubles, faits pendant le mariage'. »
L'article 7 de la rubrique xxv porte : « Los fonds de terre... conquesiés
pendant le mariage à l'aide des deniers communs , sont partageables entre le
survivant el les héritiers de l'autre , chacun pour moitié ". »
Il en était de même dans les autres provinces.
Delael enseigne qu'en Gueldre existait la communauté de tous les biens
{communio omnium bonorum), successions, legs, donations, cl de tous les
acquêts, n'importe à quel titre; seulement que la dot restait intacte'". Il en
dit autant pour la province de Groningue '.
Grotius pose les mêmes principes pour le comté de Hollande : « Batavis,
dit-il , in hune dieni pro lege servata bonorum inter conjuges communio '". »
Il ajoute que les Bataves vivaient sous ce régime depuis l'époque de Tacite,
et qu'ils y ont constamment persévéré.
Enfin, Vinnius est plus explicite encore : « Moribus, dit-il, fere totius
Belgicae, Frisiam excipe, bonorum omnium communio el universalis societas
inter conjuges ipso jure consliluifur ^•. »
' Voici le texte : « Man ende wyf worden met den liuwelick geraeen , cndc gerecht elk in
de liclft van ciliandcrs mcubelc, gocdingen, liuysingen... ende insgelycks in 't conquest immen-
liele, gcdiircnde liet luiwelick gcdacn. »
- Gronden van erfven ... binncn huwelick met gemeene pcnningen geconquesteerd... z) n
declbaer tusschcn den langst Icvenden, ende 's oveileden hoirs, iiaif ende lialf. »
3 In Repuld. Belqii confucderati , tit. de Gddriu, cap. VIII.
'* H. tit. de Groninga el Umlandia.
'■' De Antiquit. reipubl. Datavicae , cap. II.
^ Comment, ud Instit. Jiist. ad princ. tit. de societ. in comment., n° 3.
Tome XXXII. 2S
186 HISTOIRE
Pour en revenir à l'Ailemagne, Henri le Lion donna un terrain marécageux
à Frédéric de Machtenslede, « ut venderel quibusiihet emptorihus paludem
sibi et haeredibus suis possidendam '. »
Dans le diplôme déjà cité de Tévèque Wichmann, de H52, il est dit :
« Data est eis libéra potestas intra episcopalum emendi et vendendi sine
omni génère exactionis aul telonei : si alicujus eorum possessio venalis ex-
ponitur, compatriote suo tanlum, et non exiero emere licebit ". .»
Hoche prétend que, d'après une charte de Westvvin H, ce droit de pou-
voir vendre ses biens était nppe\é Deuische Rechl , jus lenlonicum, droit (|ui
était en opposition formelle avec le droit slave''. Ce même droit était, d'après
le même écrivain , en vigueur dans toutes les provinces où les colons s'éta-
blirent, et \ejus hoUandiciim le consacrait également *.
Finalement , les chartes de 1149, 1171, 1 20 1 , rapportées par Schlozer "",
sanctionnent le même droit :
« Ut suo eodem jure liceat relin(|uere successori. »
« Ul venderet quibuslibel emploribus, sibi et suis haeredibus..., possi-
dendum. »
« Jure... libère emere et suis haeredibus perpeluo possidendam libère
vendere aut relinquere. »
§1 II. — Droit d'hérédité.
J'ai dit plus haut que les Fhmiands et les Hollandais avaient le droit de
transmettre leurs biens à leurs héiiliers : ajoutons ici que ce droit était illi-
mité ''.
Cependant les sources n'indiquent que sommairement, quant à certains
cercles où les colons se sont établis, quelques règles concernant les divers
ordres de succession. H faut donc se borner à signaler les principes généraux
* Hoclic, p. 71 , noie 3.
- Micliclscn, p. 144.
5 Hocho, p. 81. — Weslphaleii, I, 1473, litt. A.
* Hoclic, p. 91.
■' Pp. 400 cl 401.
'• Sclilôzer, p. 423.
DES COLONIES BELGES. ^87
qui furent suivis en celle malière, el qui, comme le dil Hoche ', élaient ap-
pliqués dans toute la basse Allemagne, à Texception de la Frise.
Cet ancien droit héréditaire flamand, que les colons conservèrent généra-
lement dans leur nouvelle pairie, consiste principalement en ce que, lors du
décès d'un des époux, le survivant prend l'une moitié des biens, tandis que
la moitié restante passe aux enfants, et, à leur défaut, aux parents les plus
proches -.
Examinons maintenant les divers ordres de succession.
A. Basse Allemagne en général.
L Si l'un des époux meurt, l'une moitié des biens appartient aux enfants,
ou, à leur défaut, aux plus proches parents du défunt; l'autre moitié appar-
tient à l'époux survivant.
H. Quand le mariage est dissous, et qu'un des enfants meurt, l'hérilage ne
passe pas aux parents, mais aux frères et sœurs survivants ".
B. Wagrie.
Les Flamands y pouvaient disposer de leurs biens comme ils l'entendaient.
De même pour les Hollandais. D'après le droit en vigueur dans ce pays :
I. Si un héritier meurt, sa part héréditaire passera à ses frères et, si ceux-ci
sont décédés, l'héritage passe à la mère.
H. Si quel(|uiin meurt, laissant deux héritiers, et que sa veuve veuille
ultérieurement se remarier, elle devra préalablement partager l'héritage.
IH. Quand une femme meurt, laissant un héritier, et que le mari, en se sépa-
rant de cet héritier, convole en secondes noces et procrée des enfants, l'en-
fant qui n'a pas eu sa part héréditaire, aura, après le décès de son père,
l'héritage maternel, c'esl-à-dire la part que le père aura prise de l'avoir de sa
première femme '*.
' Pag. 84, noie 2.
' Michelscn, p. 150.
' Hoche, pp. 84, 83.
1 Ibid.
1S8 HISTOIRE
C. GOLDENE AOE.
Le dioil d'hérédilé y existe encore lel que l'y introduisirent les Fla-
mands.
Il y était aussi garanti autrefois pour le cas où les biens étaient ouverts au
profit d'absents ou d'inconnus. Ces biens étaient alors considérés comme biens
propres. Mais si pendant Tan et jour, il ne se présentait pas d'béritier, les
deux tiers des biens étaient dévolus à Tévéque, le tiers restant appartenait à
'église '.
Dans les trois villes de Heringen, Gôrsbach et Berga, il y avait des terres
flamandes soumises à ce droit.hérédilaire, et en vertu duquel :
1. Si un époux meurt, laissant des enfants, le survivant, quand il veut
convoler en secondes noces, doit partager en deux parts tous les biens fla-
mands qu'il possède. L'une moitié lui appartient; l'autre moitié, qui écheoil
aux enfants, se partage entre eux par portions égales, lesquelles sont adjugées
au lot de cbacun d'eux. Seulement, les père et mère, tant qu'ils doivent entre-
tenir les enfants, conservent l'usufruit de cette moitié -.
IL Les biens du père qui étaient flottants [ivahend) se partageaient, par
portions égales, entre les enfants, sans distinction de sexe ^.
III. L'époux survivant n'héritait pas une part d'enfant, mais la moitié des
biens.
IV. La part qui échéait aux enfants se partageait entre eux par portions
égales *.
V. Quand, après la dissolution du mariage, l'époux survivant veut se re-
marier, il doit préalablement partager avec les enfants du premier lit les
biens flamands, acquis pendant le premier mariage, de telle façon que les
enfants, quel que soit du reste leur nombre, prennent la moitié.
VI. Quand deux personnes libres se marient et que, pendant leur mariage,
il leur revient par héritage des biens flamands, n'importe la masse ou quo-
* Miclielsen, p. 14G.
- Sclilozcr, 1». '(35.
' Langctlial,!!, 163.
4 Ibid., II, I6C.
DES COLONIES BELGES. isy
lilé; (|u'cnsuite Tun dos époux décède el que le survivant veuille se remarier,
celui-ci est obligé de partager tous ces biens flamands, par portions égales,
avec ses enfants, quel qu'en soit le nombre. Il doit aussi partager lune moitié
des biens par la voie du sort, afin que les biens flamands qui appartiennent
à chaque enfant puissent lui être attribués K
D. Anhalt.
lleineccius ^ allègue que la communauté des biens entre époux fut en vi-
gueur dans cette principauté depuis les plus anciens temps. Zeppcrus, dans
son commentaire (tit. 43), rapporte la même chose dans l'édition ancienne
de 1372. Mais dans la nouvelle édition qui en parut en 1666, ce passage
fut complètement supprimé comme inutile, comme ne contenant que des cou-
tumes surannées et qui, depuis près d'une centaine d'années, étaient consi-
dérées comme contraires au droit local.
E. Magdebourg.
Le droit héréditaire flamand y était également en vigueur : {ad hmedila-
tem flamminfjicalem), disent les textes. Il y consacrait avant tout le régime
de la communauté entre époux.
Ce régime apparaît dans une charte où il est dit : « alhier wo in flemischin
gule^ wenn eyn weib kombt an ires mannes bette, so hal sy dy heifl'ie in sien
gui ane aile offgabe, erst noch siene tode domite zu tun und zu lassen '. »
Cet état de choses est encore plus clairement défini dans le fameux rescrit
que leséchevins de Magdebourg rendirent, en 1339, relativement au district
du Fleming, situé dans le cercle de Magdebourg, au delà de l'Elbe et d'où
résultent les points suivants * :
I. Quand, dans le Fleming, une personne mariée meurt, laissant après elle
' Langelhal, II, 160.
î Jiir. Gerin. Elem., iib. I , lit. XII, § 278.
5 Michclscn, p. 150.
* Voy. mes Documents, n" XXV.
BO HISTOIRE
des héritiers et des biens, le survivant prend Tune moitié de tous leS biens;
les enfants, l'autre moitié.
II. A défaut d'héritiers, tous les biens du prémourant passent pour moitié
à l'époux survivant; la moitié restante appartient à ses héritiers les plus pro-
ches, et ce , de plein droit, d'après la coutume flamande.
F. Pays de Cclm.
D'après le privileyimn culmense, le survivant des époux, sans prendre
égard soit à la quotité des apports, soit à la condition des époux, et quel que
soit le nombre des enfants, prend la moitié, en pleine possession, des biens,
d'après le droit héréditaire flamand.
G. SlLÉSIE.
Schlozer ',qui fait allusion à une source indiquée par Hoche, se rapportant
aux Flamischc G/V/er, affirme qu'à l'époque où il écrivait, le droit d'hérédité,
d'après le Jus flaininf/iciwi, qui avait été autrefois en vigueur dans la Silésie,
y était depuis longtemps tombé en désuétude. Il omet, au surplus, de dire en
quoi il avait consisté.
H. Mecklembourg.
Dans cette contrée existait le Jusdevolutionis [Absterf redit, Abivalzumjs-
rechi) en vertu duquel, après le décès de l'un des époux, la propriété des
biens du survivant passe immédiatement aux enfants issus du mariage, de
manière qu'il lui reste seulement sur ces biens, sa vie durant, la jouissance,
laquelle, à sa mort, se réunit à la nue-propriété que ses enfants avaient
déjà "-.
' Pag. 435. — Hoche, p. 87.
^ Le droit de dévolution, en vertu duquel l'iiéritage |)a,ssait aux enfants du premier lit,
même quand c'étaient des filles, de préférence à des fils, existait en Belgique dans quelques
localités de la Flandre et du Brabant. C'est par une interprétation judaïque de ce droit que
Louis XIV, avide de conquêtes, réclama nos provinces et en usurpa une bonne partie.
DES COLONIES BELGES. 19i
« *
SECTION V.
DKOIT DE CONSERVER LES MESURES EN USAGE DANS LEUR PATRIE.
D'après la charte de H 06, la mesure hollandaise de Brème, appliquée
aux manses, contenait sept cent vingt verges en longueur et trente seule-
ment en largeur.
La contenance de la verge n'est indiquée nulle pari.
Quant à la mesure flamande, elle n'est pas plus connue, bien ([u'il en soit
lait à chaque instant mention dans les sources {/Idnnsche-Muas, mensura
Flaminyorum, flamminyicalis , etc.).
En H8S , Wichmann, archevêque de 31agdebourg, vendit cent manses de
terre situées près de Jiiterbock, d'après la mesure llamande « centum
mansos contiguos ad mensuram Flandrensium mansorum, etc. »
En 1282, le châtelain de Scrapelowe fit don au couvent de Walkenried
de quatre fermes selon la mesure flamande : « dat proprielalem i man-
sorum Flandrensis mensurae. »
On se souvient ((ue le Privileyiam Culmense désigne nominativement la
mensura fkun m ingicalis.
En Silésie, cette mesure avait également prévalu sur les autres. D'après
le recueil de documents publié par Zscboppe et Stenzel, elle était en usage
dans quinze villages situés dans des territoires différents.
Il était encore question d'une aune flamande [fldmische Elle), dont on ne
peut rien dire de certain, sinon qu'elle paraît avoir varié de localité à
localité.
Comme la mesure flamande se rencontre dans tous les pays où les Fla-
mands s'établirent, on peut en inférer que l'emploi de cette mesure consti-
tuait pour eux un droit personnel en général. S'il est exact que la manse fla-
mande équivalait à deux manses allemandes et à quatre manses slaves, ainsi
que je l'ai dit plus haut, il faut admettre aussi que la mesure flamande valait
le double de la mesure allemande, et le quadruple de la mesure slave. Le
propriétaire flamand ou selon le droit flamand était donc le plus favorisé.
Nulle part il n'est question de mesure frisonne ou wesiphalienne.
m HISTOIKK
CHAPITRE II.
DROITS SPÉCIAUX.
SECTION I.
BRÈME.
Nous avons vu plus haut * que, par sa charte tlo 1106 -, Tarchevêquc
Frédéric conclut avec les colons hollandais un pacte important. En Irailanl
avec eux, il reconnaissait implicilement, mais solennellomenl, leur qualité
d'hommes libres. Il est probable que les contractants étaient les chefs-colons.
Les clauses de la charte renferment plusieurs dérogations aux coutumes de
l'époque, ainsi que le relevé des privilèges qu'ils obtinrent et des obligations
insignifiantes qu'ils eurent à presler le démontrera.
A. Droits et privilèges.
I. L'archevêque concède aux Hollandais , pour eux et pour leurs descen-
dants [quibus.., et ipsorum haereclibuspost ipsos), la propriété d'un vaste ter-
ritoire , dont la contenance exacte n'est pas limitée.
II. Toutefois, pour qu'il ne puisse s'élever aucune conteslalion dans la
suite sur l'étendue des terres concédées, l'archevêque fixe la superficie de la
manse à sept cent vingt verges royales en longueur et à trente en largeur, }
compris les ruisseaux (|ui coulent à travers les mêmes fonds.
Etait-ce là une mesure hollandaise proprement dite? Est-ce une mesure
établie spontanément par l'archevêque ? La question ne comporte aucune ré-
ponse, ni dans un sens, ni dans l'autre. Frédéric dit viryas royales, pro-
' Voy. première partie, p. S4.
- Voy. mes Docnmenls , n° II.
Il y avait anciennement, dans le duclié de Brème, plusieurs droits coutuiuicis et locaux en
vigueur qui, au XV"^ siècle, furent rédigés par écrit, d'après la tradition orale. Tels étaient
la W^rstvr Willkiilir; le Statut du pays de Kehdingen, le Rechtsbiich (1er Aitliimler , etc.
(Kôster, p. 19). C'est ce dernier qui régissait les descendants des colons belges.
DES COLONIES BELGES. 193
bablement parce qu'elles étaient plus grandes que les verges ordinaires. Le
piedde roi, en France, était pareillement compté pour plus long que les autres.
Chaque manse hollandaise comptait donc 21,600 verges carrées. Lan-
gethal évalue cette contenance à 22S journaux prussiens.
III. L'évèque leur accorde une propre juridiction. Les Hollandais peuvent
donc nommer leurs juges et porter devant leur tribunal toutes les contesta-
tions qui pourraient s'élever : « ut omnes rerum dissensiones inler se defini-
rentur. «
Or, comme ces juges étaient nommés parmi eux, et qu'ils ne devaient
connaître d'autres usages que ceux de leur patrie, il me semble évident que
leurs décisions devaient s'étayer sur h jurisprudence qui y était en usage.
IV. Les Hollandais obéiront, en matière spirituelle, à l'archevêque, mais
conformément aux coutumes établies par le synode d'Utrecht.
J'ai déjà dit, dans la partie historique, que cette clause donne à entendre
que les colons appartenaient au diocèse d'Utrecht. Ils l'ont sans doute fait
insérer dans la crainte que la juridiction de l'archevêque de Brème n'empiétât
sur leurs droits et ne les soumit à d'autres lois que les leurs.
V. L'appel des causes, que les Hollandais ne parviendront pas à terminer
entre eux, sera déféré à l'archevêque. Mais au lieu de se rendre, eux, au
palais archiépiscopal, c'est lui qui ira passer au milieu d'eux le temps néces-
saire pour rendre les arrêts. Ils l'entretiendront à leurs frais, en ce sens que,
des frais du procès, ils garderont deux tiers, tandis que l'autre sera la part
de l'archevêque.
VI. Ils pourront construire des églises où ils le voudront ubi eis con-
gruum videretur , et autant qu'ils le jugeront convenable ecdesias... coiisii-
hii concessimus.
Comme le territoire que Frédéric avait concédé aux Hollandais était inha-
bité, il va de soi qu'il ne s'y trouvait aucune église avant leur arrivée. Il y
avait donc un juste motif pour que l'archevêque ', à qui, d'après les lois ca-
noniques des conciles, appartenait seul le droit de construire des églises^,
^ Henri Linck , Disserl. du droit des temples, C. 2 , n° 2.
^ Voy. le quatrième canon du concile de Chalcëdoine, caus. 18, quest. 2; can. 10, no\. (i7.
— Van Espen, Dcjure.ecclesiastico universo, t. I, p. 2.
Tome XXXH 26
iU HISTOIRE
el qui élail lui-même le fondateur de la colonie , établit une exception en fa-
veur des colons étrangers.
I.a charte ne dit pas aux frais de qui ces églises étaient construites; mais il
est raisonnable d'admettre, en se fondant sur les termes mêmes de Farchevêque,
(|ue ce furent les émigranis eux-mêmes, à qui elles étaient destinées, qui en
supportèrent les frais. Les revenus ecclésiastiques, qui d'ordinaire payaient
ces dépenses, n'existaient pas encore '.
Quant aux donations faites à ces mêmes églises, elles furent elTectuées à
part égale pai- l'archevêque et par les colons. Le premier leur assigne à cet
effet la dime qui lui revenait sur les fruits, el les autres une manse. Entin,
c'est un prêtre hollandais qui est installé conmie chef de ces églises, pour sa
vie tout entière : « Heinricus sacerdos, cui praefatas ecclesias in vita sua con-
cessimus. » L'archevêque, par conséquent, se réserve le choix de son suc-
cesseui'.
VIL Les termes de la charte « quibus... concedimus, et ipsorum haere-
(iibus post ipsos » prouvent que l'archevêque accorda aux Hollandais , en
même temps que la propriété, le droit héréditaire qui en est la conséquence
directe et naturelle.
Le droit d'hériter des immeubles constituait, à cette époque, une déroga-
tion-aux coutumes établies; la majeure partie des biens-fonds .était affermée,
et ceux qui détenaient ces biens n'avaient qu'un droit temporaire, non trans-
missible à leurs héritiers. Ce qui explique le privilège, c'est que les terres
concédées aux Hollandais étaient complètement désertes el incultes quand elles
furent données à cultiver. Il fallait donc un long et pénible travail pour les
rendre fertiles : si les colons n'avaient pas été établis dans leurs fermes avec
la certitude de pouvoir les laisser un jour à leurs enfants, la crainte que des
étrangers ne vinssent |)rofiter de leurs peines et recueillir les fruits de leurs
travaux n'aurait-elle pas arrêté l'essor de leur aclivitè?
' Henri Liiicit , diap. Il, ri* 7.
DES COLOr^IES BELGES. 19»
B. Charges.
1. La première était le cens ou redevance. Les Hollandais avaient à payer
chaque année, pour chaque manse, un denier.
Avant de dire quehjues mots de la nature de la redevance, il faut expli-
quer ce que Ton doit entendre ici par denier.
Le denier des Allemands , que souvent les anciens désignaient simplement
par le mot monnaie, a conservé son nom du denier romain. Mais sa valeur
ne paraît pas avoir été la même. Tous les deniers germains n'étaient ni de la
même valeur, ni du même métal ; il y en avait en cuivre , en argent, cl foit
peu en or. La dénomination du denier, sans spécification de métal, indiquai!
qu'il s'agissait du denier en argent, qui était le plus en usage \ Il ne peul
donc y avoir aucun doute sur la nature du denier que payaient les colons
hollandais pour leurs fermes : c'était le denier d'argent, dont la valeur a sou-
vent varié, suivant les pays et les temps.
D'après Eelking, « il existe des monnaies d'argent du duché de Brome,
d'une petite dimension, qui furent hallues au douzième siècle ou au siècle pré-
cédent, et que l'on compte parmi les deniers. Leur valeur, comparée à notre
monnaie, é(|uivaut à dix-huit deniers [pfennhHjen], ce qui me lait croire que
le i)rix de la redevance, que les colons des fermes hollandaises payaient an-
nuellement, égalait dix-huit deniers de notre monnaie pour chaque ferme '\ »
La redevance, dans l'espèce, était due à l'archevêque. Quant à savoir dans
()uelle catégorie il la faut ranger, je crois qu'elle appartient au cens dit réservé.
Tel est, en effet, le caractère delà prestation qu'avaient à fournir ceux qui pos-
sédaient celte sorte de propriété sut generis dont j'ai parlé plus haut. Ainsi
les Hollandais avaient le droit d'user et de jouir de leurs fermes, comme hon
leur semhlait; ils pouvaient cultiver les terres comme ils le jugeaient conve-
nable, et en changer la face et la forme à volonté; ils transmettaient leurs
exploitations à leurs héritiers, les aliénaient quand ils le voulaient, et usaient
le plus librement possible des effets du dominiuni %Uile dans l'acception la
' Cliristopli. Hirsch, Miïnlzarchiv, préface, 1, | 10.
' De Belgis, p. 174.
J96 HISTOIRE
plus large du mot. Ils ne payaient donc qu'un cens tiès-faible en reconnais-
sance de la propriété directe.
L'époque fixée pour le payement de cette prestation est le jour de la fêle
de 8'-Martin. Il en était de même dans les Pays-Bas. En général, les cens
s'ac(piiltaient les jours de fête, parce qu'alors les propriétaires chômaient \
et les agriculteurs ou les colons préféraient ne payer (|u'à la S'-Marlin,
parce qu'alors la récolle était faite et les grains battus.
II. Une autre charge que devaient prester les colons était la dinie, payable
annuellement tant en fruits qu'en bétail.
« Les Hollandais se sont engagés, dit la charte, à payer les dîmes décré-
tées par nous, c'est-à-dire que, parmi les fruits de la terre, ils donneront la
onzième gerbe, le dixième des agneaux, des porcs, des chèvres, des oies,
comme aussi la dixième mesure du miel et la dixième botte de lin; jusqu'à
la fête de S*-Martin, ils auront la faculté de racheter un poulain pour un
denier et un veau pour une obole. »
On peut distinguer dans cette énumération la dime proprement dite, qui
comprend les agneaux, porcs, chèvres et oies; la petite dîme [schnialze/ui/)
concernant le miel et le lin, et enfin la dîme novate : ce nom était donné à
toutes les dîmes dues pour des champs récemment mis en culture.
Dans le diplôme d'IIarlwig I, au lieu de la onzième gerbe des fruits, on
lil : « le onzième (as, nommé parles Hollandais vhnmen. » C'est qu'en effet
l'usage de ne donner que la onzième partie des fruits ou des gerbes est émi-
nemment hollandais ■, et ce furent les Hollandais qui introduisirent le mot
vimmen dans le pays de Brème. Par la suite, cette expression a perdu sa
' Selcliow, In Elem. Jiir. ^Per»»., § 459, n"-!, |). -431.
^ a. Grotius, liikjjdhuj loi de IwlUmdsche ncchlsgcleerillieyd , I). 40, p. 125.
« Partout, (lit Wicdciiinnii {loc. cit., I 127), où l'on trouve qu'une commune pavait iiu sei-
gneur la onzième gerbe, on peut aflirmer qu'elle a une origine néerlandaise. »
Depuis les temps les plus reculés, les terres soumises, dans le diocèse de Brème, à la dinie
proprement dite , étaient apj)clées Teelland. On n'est pas d'aceord sur l'origine de cette expres-
sion. Ceux-ci la considèrent comme signifiant getlieiltes Land, explication que d'autres rejet-
tent, parce que, dans le dialecte de l'Ost-Frise, le mot s'écrit DcelUmd. Ceux-là dérivent le
mot de TefjciKiland {Zehnlland), parce que legeiid, en frison, signifierf«x. (Wiedemann, II, 4.5).
Adhitc sub judice lis est.
DES COLONIES BELGES. 197
signilk'tUioii première; ainsi, on lil dans une charte : « le quatrième las,
nommé vulgairement y«/»me '. »
Dans les diplômes d'flartwig II et de Siegfried II , il est dit qu'on devra
payer pour un veau un demi-denier, ce qui nous apprend que la valeur d'une
obole est la même (juc celle d'un demi-denier.
La convention de Frédéric I avec les Hollandais est la seule où il soit lait
mention du lin; c'est là une particularité digne d'être signalée.
III. En retour de la faveur tiu'accordait rarchevêque aux colons de pou-
voir jouir de leur propre juridiction, ils devaient lui payer une redevance
annuelle, à savoir deux marcs pour chaque cent manses.
Pour pouvoir apprécier rimportancc de ce cens, il faut lâcher de calculer
approximativement l'étendue des cent manses.
Une manse, ai-je dit plus haut, faisait 21,600 verges carrées, contenance
que l'on évalue à 225 journaux {moryen) prussiens actuels. Or, 22,222 jour-
naux prussiens forment un mille carré. Cent manses font donc plus iVun mille
carré. Le mille prussien équivaut à plus d'un kilomètre et demi (7532 mè-
tres) ; par conséquent un kilomètre et demi carré de notre superficie rap-
portait par an à l'archevêque deux marcs.
Cette clause est intéressante en ce qu'elle est une preuve de la vaste éten-
due de territoire que donna l'archevêque de Brème aux Hollandais.
IV. Quand le prélat se rend au milieu d'eux, pour juger, au degré d'appel,
les contestations qu'ils n'ont pu terminer eux-mêmes, ils doivent l'entretenir
à leurs frais et lui faire toucher un tiers du montant du litige.
V. Les paroissiens hollandais doivent, pour chaque église nouvelle qu'ils
bâtissent, s'engager à donner à cette église une manse pour l'usage du des-
servant.
.l'ai parlé de ces deux charges, en traitant des droils et privilèges simi-
laires, dont elles ne sont que la conséquence.
Une lettre de vente, passée au quinzième siècle, entre des Hollandais, n'est
pas sans intérêt. Je la fais suivre ici pour finir cette section "\ La traduction
est littérale :
« Je, Henri Vighe, autrement nommé le Hollandais, reconnais et ceriifie
1 Puffendorf, Observ., II, n" t.
- Voir mes Documents, n° XXVI.
198 HISTOIRE
puhlicjuemtMil par ce coiilral pour moi et pour mes liériliers légitimes, que
feu Herman de Wersebe et Herman son fils, ainsi que Jean de Wersebe, fils
de Carsten, m'ont vendu jadis, à moi et à mes bériliers, moyennant 60 marcs
de Brème, le bien déciit ci-après, situé à Uthlede, notamment : une |)arcelle
de terre avec ponton, située dans le village et dans la plaine, tant sur les ter-
rains sablonneux que dans les bas-fonds, avec tous les droits et accessoires
résultant des deux lettres patentes dont Tune a été scellée par Herman de Wer-
sebe, Herman son fils, el Jean, fils de Carsten; l'autre par Henri de Wer-
sebe, écuyers; lesquels biens el titres prémentionnés, moi, attendu que je
suis un véritable Hollandais, j'ai actuellement vendus el vends par suite de
ce conlralel à litre de vente réelle, perpétuelle el héréditaire, et ce par suite
et en verlu du présent contrat, aux honorables citoyens Martin OIdgers el
Beineken Sanders, architectes de l'église Sainl-31ichel, située hors de Brème,
el à leurs successeurs, pour une certaine somme d'argent qui m'a été payée
par eux à ma pleine satisfaction, de telle sorte que je leur abandonne les biens
et litres en pleine propriété, possession et garantie, ainsi qu'on abandonne
légalement les biens vendus.
» Et je, Henri Vighe, el mes héritiers déclarons vouloir garantir aux
architectes, leurs successeurs, les biens prémenlionnés, ainsi que les présen-
tes lellres patentes avec tous les droits et accessoires légaux , et prester ga-
rantie quand el aussi souvent que besoin sera, el quand de ce nous sommes
requis, sans aucune contradiction de noire part, etc.
» En foi de quoi, je, Henri Vighe, prénommé, ai, tant pour moi que pour
mes héritiers, nés et à naître, préalablement appendu mon sceau aulhenticpie
à ce contrat, avec déclaration que la vente prédite, faite à titre perpétuel, a eu
lieu de notre plein gré et consentement , et telle qu'elle est décrite ci-dessus.
» El ainsi nous, Frédéric, nommé le Hollandais, frère de Henri; ainsi que
Henri, nommé le Hollandais, père de Henri, et Jean le Hollandais, fils de Fré-
déric, écuyers, avons, pour qu'une plus grande foi soit due à l'acte, tant
pour nous que pour nos héritiers, appendu notre sceau authentique à ce
contrat.
» Donné après la naissance de Dieu [du Sauveur) Fan J4-77, le soir de
la fêle de Cosme el de Damien, martyrs [26 septembre). »
DES COLONIES BELGES. 199
SECTION II.
HOLSTEIN.
§1. — Cercle de la W ils ter.
Il est impossible (rétablir d'une manière précise en quoi consistait, à pro-
prement parler, le droit bollandais dans ce pays. Je n'ai pas trouvé de sources
qui lissent mention des divers points dont il se composait. Je me bornerai
donc à dire quelques mots d'une coutume qui y avait force de loi et qui a
été en vigueur jusque dans ces derniers temps.
Je veux parler du mariage morganatique dont quelques écrivains attribuent
l'introduction aux colons hollandais ', et qui avait surtout lieu en cas de
secondes noces, lorsque des enfants avaient été procréés pendant le premier
mariage.
A quoi faut-il attribuer le fondement, la cause de l'apparition de ce fait tout
à fait particulier, j'allais dire anormal?
Il trouve, je crois, sa source dans le partage de connnunauté strictement
légal, lequel, dans beaucoup de cas, devait recevoir son application pour
garantir à la seconde femme et à ses enfants un droit héréditaire spécial.
Or, par son contrat de mariage, il lui était fait, à la femme, une position
par suite de laquelle elle et ses enfants n'entraient ni dans la condition, ni
dans la succession d'une femme aNant tous les droits que lui conférait le
droit hollandais {7iacli kollisclien Land-ùnd Marschrecht).
Ce'mariage avait donc tout à fait le caractère d'un mariage morganatiqu*' -.
I J.-C.-K. DreycT, Densu ijcnuinojurk anglo-saxoiiir.i. KicI, 1747, p. i8 : « Forli' et irli-
quiis morum Batavorura adscribenda sunt matrimonia non ita pridem in Mnrsin Steinbiirgensi
ad inorganatioam ab incolis tiim lonlracta, si ex uxore i)racdffuncta uxisteient liberi. »
* E.-A. Slryclv, Dissertai, de Mulrimonio ex ralione Sdiliis, c. II, n" "JO, arg. Il, f. 26, g l(i ;
« Filii nati ex ea uxore, cum qua malrimonium tali conditione contractuin est, ne filii ex ea
nati pati-i ab intestato succédant, nec in feuduni succcdunt. Nam quamvis ratione inippol)etiii-
talis coiidilio,ex usu tainen adniitlitur. "
Arg. II , f. 29 : « Quidam liabens filium ex nobiii eonjuge, posl moricni ejus non yalens ton-
200 HISTOIRE
Il V a peu (rannées, les magislrals civils le prononcaienl encore, et les
juges en appliquaient les conséquences '.
Quant au droit hollandais lui-même, il n'y a pas de doute qu'il n'ait été en
vigueur dans le Holstein depuis Timmigration des colons jusque dans la se-
conde moitié du quinzième siècle.
Deux documents nous rappellent son abolition.
Le premier est une lettre d'Adolphe, duc de Schleswig et comte de Hol-
stein, à l'évêque de Liibeck et datée de 1438. On peut joindre à cette charte
tous les autres actes du comte Adolphe, de la même année. Dans la lettre
précitée ^, le comte abroge le droit hollandais dans deux villes situées dans
le district d'Eutin et ordonne que leurs habitants soient dorénavant régis par
le droit du Holstein.
Le second est un édit de Christian I , roi de Danemark, de l'année 14.70 ,
qui sanctionne l'abolition du même droit dans les districts de Wilsler et de
Kremper, pour y introduire également le droit du Holstein ^.
Le l'ait de cette abrogation fait naître différentes difficultés, dont je me
bornerai à mentionner les principales. Il n'est pas facile de s'expliquer tout
d'abord pour quels motifs le comte Adolphe supprima le droit hollandais,
linere, aJiaiu minus nobilem duxit; qui nolens... existere in peccato eani desponsavit ea lege, ut
nec ipsa, nec filii cius amplius liabeant de bonis patris, quani dixeril tempore sponsaliorum,
verbi gratiam decem libras, vel quantum voluerit dare, quando eam desponsavit, quod Medio-
lanenses dicunt accipere uxorem ad morganaticam , alibi lege salica... »
' Renseignements communiqués à Fauteur par M. Micbelscn.
- « Bekennen unde betiigen openbare -dat \vy- den iinvaneren der twier dorper... in dem
kerspel totulhin gelegen, dat se môgenhebben holstensch recbt,unde niclitmehi' dorven soe-
ken hollensch recht, so se went an desze tyd plicbtig hebben gewesen tôt docnde. jedoch
schorsen se verpliohtet wezen dat godingh foe soekende, lyk anderen inwancrcn unses landes
in deme hollenscherechte worde wyset werden, dat gedingh te soekende... » Lunig, Reichsar-
chif. p. 459.
5 « Don witlick dat wiina rade iinser leven getruwenzede desser iinserlande, unde umme des
gemenen besten, unde desser unser lande bestand willen unde twistinge, un willen, sware kost,
aizo dc-i hol.sschen redits, haUen upp unse undersaten in der Kremper, unde ^Vilster Marscb uw
beth lier to gcvallen is , bier namals tovormidende affgesctten hebben unde selten aff iegen-
wordigen in der Kremper unde Wilster Marsch aile unde islikc scbepen unde sehulten, unde
willen unde bcden jegenwordicb hier namals m} nés redites sunder aliène liolsten redites to
brukendc, Rcnotende efîe entgeldende, etc. Corps des cotistilutions des régions holsatiennes,
II, scct. II. n" 3. p. S7 et sqq.
DES COLONIES BELGES. 201
comme si celle faveur lui avait élé demandée par les liabilants du pays, alors
que, pour différenles raisons, on peulaflirmer que la populalion hollandaise
du bailliage d'Eutin ne devait abandonner qu'à son grand regret les lois de
sa patrie et les anciens usages qu'elle avait conservés jusque-là, et qui avaient
à ses yeux le prestige de la tradition et la force de l'autorilé.
D'ailleurs, le sens des termes dont se sert le comte de Holstein n'est nul-
lement clair; on peut les interpréter de différenles manières. Ils peuvent se
rapporter à la justice hollandaise, rendue sur le terriloire d'Eulin, selon les
mœurs hollandaises, ou au mode de faire droit, ou encore signifier la néces-
sité, imposée aux habitants, de recourir à la justice et aux tribunaux hollan-
dais. Cette difficulté, il est difficile de la résoudre, à moins de soutenir que
la condition des Hollandais, appelés dans celte contrée par Adolphe, n'élaii
pas aussi heureuse que celle dont jouissaient leurs compatriotes établis dans
les terrains marécageux de la Stormarie, et que, pour ce motif, bien qu'ils
fussent régis par des lois plus douces que celles qui étaient appliquées aux
Slaves, ces Hollandais aimèrent mieux vivre désormais sous le droit holsa-
lien que sous le droit hollandais, qui était le leur. Toutefois, cette hypothèse
ne lève pas le doute et n'éclaircit pas la question de fait.
Une autre difficulté , renfermée dans les termes de la lettre du comte
Adolphe, est plus facile à résoudre. On ne trouve nulle part dans le droit
holsalien qu'il y fût d'usage de recourir d'un premier tribunal à une cour
supérieure pour en appeler de la sentence rendue par le juge. On ne voit pas
non plus que celle coutume ait existé chez les habitants des campagnes du
Holstein; il est donc probable que le comte a eu en vue les lois et tribunaux
hollandais existant sur le terriloire d'Eutin.
Quant à l'édit du roi Christian , quelques mots d'explication sont égale-
ment nécessaires.
Pourquoi ce prince ordonna-t-il de rédiger et de concentrer dans un seul
code les diverses lois en usage dans le Holstein? Parce que les habitants,
principalement ceux de la Wilster et de la Kremper Marach, s'étaient mis en
désobéissance et puis en révolte contre Christian , prenant parti pour le
comte Gérard de Holstein et défendant sa cause contre le roi lui-même. (West-
PHALEN, I, p. liSO.) Christian commença par imposer à ses sujets rebelles une
Tome XXXII. "27
202 HISTOIRK
contribution pécuniaire, cl, celle mesure n'obtenant pas les effets qu'il en
attendait, il finil par leur enlever leur droit coutumier, c'est-à-dire le droit
hollandais (Cronhelm, /oc. cit.,]). 73).
Au surplus, ce que j'ai dit plus haut, — lorsque j'ai cherché à établir que
les Hollandais des Marches avaient obtenu des droits et des privilèges bien
plus étendus que ceux qui furent accordés plus tard aux émigrants conduits
dans la Wagrie par le comte Adolphe de Schauenbourg, — confirme la vrai-
semblance de cette assertion. Une disposition, insérée dans la confirmation
des privilèges donnée par le même roi, en 1460, y paraît néanmoins contraire :
« Heftdarwoll. in dem lande iho Ilolstein und Slosmarn lioUisch, edder
ander rechl, de dar vvill afl'sellen, so wy darlho geeschel werden, willen wy
solskers affleggen , und giinnen ehrne holslenrecht. »
Mais la contradiction n'existe que dans les mots. Dans cet acte, le roi a
voulu abolir cette diversité de droits, qui, bien qu'utile et profitable aux habi-
tants en particulier, n'en était pas moins nuisible au bien-être général; et,
afin de ne pas paraître ordonner quelque chose de contraire aux anciennes
mœurs et coutumes, il persuade à ses sujets qu'il introduit ce changement de
législation uniquement dans leur intérêt.
L'édit de 1470 démontre clairement que tel a été, dès le principe, son
dessein. Les événements ayant prouvé que les habitants des Marches ne con-
sentaient pas volontiers à renoncer à leur droit, il s'est empressé, à la pre-
mière occasion favorable — une révolte, — d'en abolir conqilélement
l'usage, et il a ordomié qu'à l'avenir le droit holsatien seul y serait en vigueur.
Enfin , les résultats produits par l'abolition renforcent les arguments qui
précèdent. En effet, les habitants des Marches, qui jusqu'alors avaient élu
eux-mêmes leurs propres juges, furent obligés, dans la suite, de porter leurs
causes devant le bailli royal de Steinbourg, et il va de soi qu'ils préféraient
faire juger leurs causes par des juges choisis par eux et parmi eux.
§ II. — Cercle de la Slor.
Pour donner une idée des coutumes usitées en matière de vente, dans le
Holiàndcr Bann, je ne puis mieux faire que de traduire aussi littéralement
DES COLOINIES BELGES. 203
que possible la lettre de vente signée entre le cédant et les acheteurs '.
« Moi, Jean de Campe, reconnais par les présentes lettres et en rends témoi-
gnage à tous ceux qui les présentes voient et entendent, que moi , — d'ac-
cord avec Henri Seveken (que Dieu lui soit miséricordieux!), de l'agréation
et consentement d'Ulric Seveken , et de l'agréation de sa femme, dame Cathe-
rine, parce que c'était son bien, — ai vendu à seigneur Jean de Nycii-
kercken et à Jean de Biittle, bourgeois à Ytsehoe, le bien à Lulteringhe,
moyennant cent marcs de monnaie, sans indication de contenance, dans telle
situation qu'il s'est trouvé du temps du seigneur Henri d'York, et, plus
tard, du temps d'Henri, pour en être usé par lui sans aucun trouble (|uel-
conque.
» C'est ce que nous, prédits, faisions chacun pour moitié, cela étant con-
forme au Ban et à la loi, et nous invitions et priions, le jour de la Saint-Jean,
à la Noël, les échevins et écoutètes de Cronsmoor, à se rendre sur le bien en
question au Ban duquel ledit bien ressortissait de droit, de même que des
voisins du village de Hilghenstede, ainsi que les échevins, écoutètes et autres
voisins de la même seigneurie.
» Nous engagions et priions aussi de se rendre sur ledit bien des ecclésias-
tiques, des nobles, des bourgeois et voisins de Munslerdorpe, et, d'après une
reconnaissance faite par prud'hommes, nous prenions [ledit bien] devant les
mêmes échevins et écoutètes, de l'avis et de l'autorité de la juridiction com-
pétente, chacun pour moitié, de laquelle moitié, moi, Jean de Campe, Henri
Seveken , Ulric Seveken, et sa femme dame Catherine, avec leurs assistants,
transmettions avec nos assistants ce même bien , situé à Lulteringhe , aux
deux prédits seigneurs Jean et Nicolas et à leurs assistants, d'intention et de
fait, et tel que ce bien ressortissait de droit au Ban hollandais,
» Nous reconnaissons aussi par ces lettres que nous leur avons vendu ledit
bien, dans telle position qu'il se trouve, avec les digues telles qu'elles se
comportent en longueur et en largeur , avec berge et talus , depuis la Store
jusqu'au lit du fleuve (litt. séparation sous les flots).
» Nous reconnaissons aussi de plus devant les échevins et écoutètes et at-
' Voy. le texte plattdeulsch dans mes Documenis, i\° III.
904 HISTOIRE
lésions raainlenant par ces lellres que les seigneurs Jean el Nicolas nous oui
soldé ce bien à noire pleine salisfaclion, inlégralemenl, depuis le premier
jusqu'au dernier denier. Nous reconnaissons aussi que nous les garanlissons
conire toute éviction ou tout Irouble quelconque, pendant ini an el jour,
comme cela est conforme au droit Iwllandais.
n En témoignage de ce qui précède, moi , Jean de Campe el Henri Seveken,
Ulric Seveken et Delleff Scveke avons appendu notre sceau à celle lettre.
» Les témoins qui y assistaient (urenl [suivent les noms)... les bourgeois ,
échevins et écoutètes de Cronsmoor et de.Munsterdorpe, el d'autres voisins
qui ont des terres dans les mêmes villages, ainsi que d'autres bourgeois que
l'on peut citer, s'il était besoin.
» Ces lettres ont été données après la naissance de Dieu [du Sauveur)
dans l'an mil, l'an trois cent, l'an quarante, dans le jour saint quand Dieu
montait au ciel (14 mai 1340). »
SECTION III.
THURINGE.
1 \. — Goldene Aùe.
Les Flamands avaient dans celle contrée plusieurs droits imporlanls. iMais
ceux que conférait le Kirchgang étaient, sans contredit, les principaux. Au
Kirchyiuuj se rattacbenl des cérémonies curieuses dont l'exposé formerait
une page intéressante de l'histoire des mœurs et coutumes de nos compa-
triotes en Allemagne. Cette matière élait naturellement du domaine de la
troisième partie de mon travail. Toutefois, il nous parut que le sujet pouvait
difïicilemenl être scindé, et, pour ne pas tomber dans des redites, nous avons
préféré donner ici l'ensemble do la doctrine qui s'y rattache.
DES COLONIES BELGES. 9os
I. — KIllCUGANG.
En lèle du droit flamand Iradilionnel, en vigueur dans la Goldene Aùe, et
qui s'y est mainlenu jusqu'à nos jours, figure le Kircliyany flamand propre-
ment dit ^
Qu'est-ce que cet usage purement local? Quelle en est la signification juri-
dico-historique? Quelle base faut-il lui assigner? Voilà toutes ([uestions (|ue
ni les historiens ni les jurisconsultes n'ont parfaitement résolues.
On avait d'abord pensé que la véritable portée du Kircltfjany n'avait trait
qu'à une formalité permanente qui devait être observée lors de l'acquisition
des biens, qu'il n'avait pour objet qu'une cérémonie nécessaire qui accom-
pagnait l'investiture [Belelinung) dans ces mêmes biens -.
Mais cette opinion est en opposition avec le caractère légal des propriétés
flamandes, lesquelles, dans la Goldene Aùe du moins, étaient libres de fiefs
et affranchies de toute redevance de cette matière [Lehngeld), bien que, sui-
vant Hoche, les fiefs devant être reçus dans l'église, la cérémonie du Kitc/i-
(jany eût pour objet la perception de celte redevance '\
Hollaùs, dans son Glossar. German. med. œvi, p. 1086, envisage le Kiicli-
(jang, « sicut solemnis ad templum processio nuplialis, id est argumenluni
initi legitimi matrimonii *. »
Quoi qu'il en soit, une source remarquable du Kirchgang se trouve encore en
Thuringe, dans les anciens statuts d'Orlamund, du quatorzième siècle, dont
les articles 8 et 9 nous donnent une solution claire, et pour ainsi dire la clef,
quant à la portée juridique, du Kirchgang, en ce qui concerne les biens des
époux °.
« 8. Item unsir stadt giwonheit ist auch, wan sich czwei mit einandir in
unsir stadt vorelichin, nemlich eyn knecht [jeune homme) und eyne junc-
frawe und die dirne wirt ingefurt zeu kirchen und zeu strassen, wasz sie guds
' Michelsen, p. 14G.
- Idem, p. 147.
5 Hoche, p. 100.
'* Miclieiscn, p. 154, note \.
^ Idem, p. ISô.
9()ti HISTOIRE
zeusanien breiigen, (las sal ir bedc siii. Obir welcbe dénie andern abegebet
odir slirbel ane erbin von todes wegen , so sal das gut des andern sien die
wile iszlebilund sin witlewenslul nicbl verrucken. »
« 9. Scbickel sicb isz abbir, dasz sicb eyn wilewer und witewin in nnsir
s(adl fugen, und sicli mil einander vorelicben, und mit einander gehcn zeu
kircben und zeu slrassen, wasz sie guds zeusamen brcngin von beiden leilen,
das sal eyns also wol sien als des anderen. Ober welcb deme andirn abegebel
lot todes wegin, so sal das andere sulcbis guds gebrucbin zeu synes libes
noloiiït, die wyle es lebet und sin welewinslel nicbl vorruckel. »
l.a célébration du Kirchgang a donc une double portée : 1" solennisation
du mariage entre ceux qui possèdent des biens flamands; 2" investiture dans
ces biens, laquelle les rendait Iransmissibles.
En effet, à ce droit flamand se raltacbent en partie le droit du pays [hei-
mats-rechl, Mores), en partie le droit de possession originairement établi [Vr-
kumUieh Besigtzrechl , Lex) , droit positif et localisé en tant qu'il concernait
la transmission et l'acquisition des terres pendant le mariage, et après sa dis-
solution '.
Wersebe '^ ajoute que celte cérémonie n'est qu'un symbole de la libre
transmission et adhéritance des biens. Elle tenait lieu d'après lui "• de trans-
mission légale de la propriété, servait de preuve de celle transmission, et garan-
tissait aux colons flamands la" pleine communauté.
Entrons maintenant dans les détails.
A. OatcmE du kirchgang.
On ne trouve nulle part la moindre trace de ce droit flamand écrit pro-
prement dit. C'était une coutume : consiietudo, observant ta , disenl les textes *.
Tandis que dans la copie d'un Kirchanysbrief, délivré à Heringen, il est
dit que ce droit était un Jus simjulare consuetudinarium '% Hocbe soutient
' Miclielseii , p. I4().
2 Die niederlaiidisihen Colonien, etc., t. Il, p. 870.
3 Idem, p. 871 , note 24.
'' Idem, p. 1-j8.
!> \oy.mef, Documents, n° XXVIII, 1.
DES COLONIES BELGES. 207
qu'il repose sur des pactes [pacla], el il en donne pour motifs qu'il varie de
localité à localité '.
Il était principalement en vigueur dans trois endroits de la Goldene Aùe,
notamment dans la ville de Heringen, el dans les villages de Gôrsbach et
Berga , où il s'est conservé jus(|u'à nos jours.
Le Kirchyanç) qui, du reste, devait toujours être annoncé chez le scliul-
Iheisz, conmie chef des Flamands [als Obcr/îàmÙKjer) , avait lieu dans Tin-
térêt de la commune flamande'". Les formes en étaient fort strictes : Il était
constaté par une lettre sohnneWe [Kirchgangbrief), qui relatait les formalités
requises et établissait ainsi une corrélation entre l'époux et ses biens.
L'autorité communale pouvait, dans certains cas, refuser la célébration du
Kirchgang '\
B. Espèces de kirchgang.
H y en avait deux: le plein {gaiizer) et le demi [liatber).
Le Kirchfjang est plein quand un colon possède des terres ou des prairies
situées dans deux districts différents, c'est-à-dire sous la juridiction de deux
maires. Dans ce cas, la cérémonie a lieu simultanément pour toutes les terres.
Le demi-Kirchyang a lieu quand les propriétés des colons flamands ne
sont situées que clans un district.
Quand il est plein, il est suivi de deux repas et d'un sou|)er.
Pour le demi, on ne sei't qu'un repas el un souper.
Toutefois, à Berga *, le colon donne, pendant deux jours de suite, trois
repas, c'est-à-dire deux le premier jour et un le troisième. Indépendam-
ment de cette dépense, le Flamand doit encore payer rfoMse groschen, dont
(juatrc reviennent aux deux maires ; les huit autres passent aux employés de
Kelbra pour l'apposition du sceau du bailliage {ahfdruckung des Ambf.s-
Siegels ^.)
' Hoche, p. 97.
^ Miclielscn, p. 147.
s Idem, p. 194.
* Idem, p. 161, III.
5 Idem, p. 1C2.
208 HISTOIRE
C. Personnel.
Quand le propriétaire de terres tlamandcs , habitant Ileringen , Gôrshacii
et Berga s'est marié, il est obligé de faire avec sa femme, un jour de se-
maine, où il y a service divin et où Ton prêche, un Kinhgany spécial, sous
peine de voir, après son décès, le tiers de ses propriétés dévolu à la seigneurie '.
En quoi consiste ce Kirclujmuj?
Le mari conduit sa femme à Péglise , à travers les rues. Tous les invités de
la noce doivent également se rendre à l'église, et, sous peine d'un lot de vin
{Sdiljciien, en i\am. stoop), assister au moins au cantique Veni, creutov sjjiriiits.
Outre les époux et les invités, le cortège se compose du maire et de trois
tlamands désignés par le conseil •*.
Après le service divin, on chantait un cantique sacré, pendant lequel le
cortège se mettait en marche.
En tête, marchait le maire; il était suivi des trois députés flamands et des
époux qui se dirigeaient vers l'autel. Ces derniers y déposaient une modeste
ofl'rande [kleine Opfer), qui revenait, comme une marque de courtoisie, à
celui qui avait prêché. Puis tout le monde quittait l'église.
Arrivés à la porte, le maire et les trois députés flamands félicitent les
époux, chacun retourne chez soi, et l'on délibère de côté et d'autre sur les
farces {Spasschen) que l'on va faire à table. On règle aussi les pénalités qui
frapperont les manquants ^. A Heringen, quand le cortège est sorti de l'église,
les Flamands s'arrêtent devant la porte, et serrent la main au maire et aux
députés *.
C'était le lendemain du mariage que le Kirchgany avait lieu, et le curé
devait faire sonner pour sept heures, sous peine d'un lot de vin *.
' Wersebe, t. II , |)j). 8(14, 8G0.
- Miclielsen, t. I, p. 159.
5 Hoche, p. 101.
'' Michclsen, p. 174.
'■' Hoolie, p. 101.
DES COLONIES BELGES. 209
D. Costumes.
Dans Téglise, comme au repas, et notamment à la lecture, ainsi que lors
de la remise du certificat, tous ceux qui y assistent doivent être vêtus de man-
teaux noirs. Si le colon llamand est un homme de condition, il lui est permis
de porter Tépée, au lieu du manteau ; sa femme peut avoir une robe bariolée.
La raison en est qu'il y avait dans la colonie des familles nobles '..
lAliclielsen se demande si l'usage de s'affubler de manteaux noirs ne vient
pas de la Flandre, et il penche pour l'affirmative.
Nous n'oserions le prétendre. Toutefois, que l'on nous permette de rappe-
ler une cérémonie en usage dans certaines villes des Pays-Bas, et qui offre
(juelque analogie avec la coutume dont il s'agit.
Le conseiller pensionnaire de Hollande, Van de Spiegel, donne un extrait
d'un manuscrit des coutumes de la ville de Briel, dans laquelle la cérémonie
relative à la légitimation des bâtards est décrétée en ces termes : « So wan-
neer vader ende moeder mil elkander vergaederen in wettachtigen hylic, en
sy die bastaerden met haer neemt, als sy Irouwt, onder haer fally {faillie,
manlel) en onder dat hoek, dat sy dan daer na getrouwt syn, et amiltunt
maculam geniliine. »
Baepsaet, qui rapporte ce passage -, ajoute : « Il n'est plus d'usage de cou-
vrir les mariés d'un manteau; mais le célébrant leur met sur la tête l'étole,
et peut-être que cette étole a remplacé l'ancien manteau ; car Jouîmes Sari-
hrrensis, en parlant de manteau, dit qu'on couvre les époux d'un manteau de
l'autel, ou d'un autre institué par l'Église : Pallio velenlur allaris , mit alto
m ecclesia constitiito.
On appelait cette légitimation par mariage subséquent : Onder de hnic
wettigen, et les bâtards ainsi légitimés: Maidel Idnderen.
' Hoflie , p. 51 .
- OEuvres complètes, tome V, pp. 4i , 42.
Tome XXXIL 28
210 HISTOIRE
E. Repas.
Iiiiniédialemenl après le Kirclu/ang, c\ au son de la cloche de 10 heures,
la lable devait être couverte chez \c KircfKjavfjer, et l'on devait servir des pou-
lets bouillis.
Si un convive arrive trop tard, il encourt une certaine peine que les autres
convives assemblés lui infligent. S'il n'arrive pas du tout , il doit donner un
souper vers les trois heures '.
Quel(|ues personnes pouvaient et devaient arriver après les autres.
C'étaient les trois ecclésiaslicpies, le maire [Sc/ndiheisz), les trois députés
llamands, et les trois collègues du maire.
Avant de se mettre à table, le maire devait réciter la prière, et puis atten-
dre un peu avant de laisser commencer le service ^ Personne ne pouvait
avoir la tète couverte, ni jurer sous peine d'une amende de mesure de paysan
[Bmiermaasses) {(/nid?) ou de neuf cannettes de bière.
Après le repas, le curé se levait. Alors, les époux vêtus de leurs nian-
leaux noirs, devaient se présenter devant la table, et écoutaient la lecture
qui leur était faite publiquement du certificat constatant le Kirchganrj. Le
nouveau marié, c'est-à-dire h Kirchgdinjer, y élail qualifié de seigneur fla-
mand (Herr Flamingeu.)
A Heringen, le repas se composait de deux oies, de deux sortes de viande
et de poisson, de deux rôtis et de deux pâtisseries. On servait aussi du vin à
volonté '.
Le soir, d'après la saison, on servait un souper à cinq ou à six heures.
Celui qui jure, ou tient des propos indécenis, ou tourne en dérision les
saintes Écritures, paie, comme amende, une mesure de vin [Maus).
Ce repas, dit Hoche *, avait lieu à l'instar des anciens banquets des Gildes
[nach Art der alten Gddt'iischmausé). Et en ertel, au moyen âge, les frères
' IIocIr', p. lo4.
- Micheiscii, p. 170. '
■ Idem, p. 174.
* Idem, p. 102.
DES COLONIES BELGES. ^iH
el amis se réunissaient l'un jour à réglise, l'autre jour à un banquet, où la
prière et le chant ne faisaient pas défaul '.
Que si un nouveau colon, qui n'a jamais assisté à un repas de ce genre,
y prend part, on lui adresse un grand com|)liment de bienvenue, accompa-
gné de force rasades de bière ^. Il doit , lui nouveau venu , vider le cruchon
en deux ou trois gorgées, à la santé du droit flamand [auf des Flamischen
Rechis Gesundheil), après quoi, le chef flamand [Oljcr/Imniiu/cr), c'est-à-dire
le ScInUllieisz vide un verre à la santé des Flamands présents.
Si le nouveau colon ne sait pas vider le cruchon du WiUkomtn, il paie
une amende de cinq gros , six pf., amende qui était dépensée avec les autres \
Remarquons que si un Flamand possède des terres ou des prairies dans
la plaine, c'est-à-dire dans ou avant le Horn, la réunion a lieu chez le maire
qui reçoit chez lui tous les Flamands invités *, probablement aux frais du
KirchgaïKjer.
Pour un demi-Kirchgamj , les frais s'élevaient à douze florins; ils se mon-
taient de vingt-quatre à vingt-huit florins, quand le Kirclu/aïuj était enlier.
A Gôrsbach, on peut racheter le repas moyeimanl un thaler et un gâteau -^
Dans ce cas, le curé perçoit sur ce thaler trois gros, le chapelain également
trois gros, les deux administrateurs [Vorsteher), et le maire aussi trois gros;
de plus chacun avait sa portion de gâteau.
Le maire offre à la femme du Kirchganijer un morceau de gâteau , sur le-
quel était déposé un Dreier " pris dans la caisse communale. Il lui offre ses
félicitations avec cette demande : « Avez-vous aussi été fiancée?» Si la femme
ril , elle doit, à titre de peine, donner une ou deux cruches de vin '.
A Berga, le rachat du repas ne pouvait avoir lieu que par ceux qui n'y ha-
bitaient pas, et cela moyennant deux thalers.
Quant à Heringen, nous ne savons ce qui en était.
• Wilda, Dos Gildenwesen im Mittelalter. Halle, 1851 , p. 45.
- Michelspii, p. 170.
"' IilciH , p. 171.
* Idem, p. 160.
^ Idem, p. 161.
'• Monnaie équivalant à '/* J'' gi'os.
7 Hoche, p. d04.
212 HISTOIRE
Enfin , on devait terminer la soirée en jouant aux cartes. C'était un jeu
particulier dans lequel les dreyen, vieren et fiuifen (c'est-à-dire un trois, un
qualre et un cinq de trèfles) faisaient presque tous les frais. Ce jeu s'appelait
dfia p/imische Spiel.
La mise était de cinq gros, six pfennigs '. Le jeu fini, VOherfliimiuger
remet les caries à l'hôte, chez qui tous les Flamands se trouvent rassemhlés,
pour que celui-ci les enlève, parce que l'année suivante les mêmes cartes ne
peuvent plus servir.
Alors l'hôte se relire, le président lève la séance, et chacun s'en retourne
chez soi.
F. Résultats produits par le kirchgang.
l" La femme était reconnue comme ayant été fiancée flamande [fln-
niisclie Braiil), et, comme symbole de cette reconnaissance, on lui oITraitun
dreier, ainsi que nous venons de le voir. Elle entrait dans le droit matrimo-
nial et héréditaire iVépouse flamande, droit qui ne pouvait lui être ravi ni
modifié par une disposition de dernière volonté.
"2" Un mariage défectueux pouvait, dans certains cas, devenir valable
par suite du Kirchgang '^. Cela avait lieu quand, par exemple, des Flamands
épousaient des filles non nubiles [immdnnbare).
3° Le Kirchgdnger devenait cultivateur flamand [fldmischcr Bafter) et
participait, en cettequalilé, à tous les droits qui compétaient à sa corpora-
tion '\
(l. Peines qu'entraînait l'inobservation du kirchgang et autres
DISPOSITIONS.
Quand deux personnes, t!n se mariant, possèdent des [erres, flamandes ,
elles sont obligées, après la célébration du mariage, de solenniser ces biens
par le Kirchgang , d'après l'ancien usage flamand.
' .Alidiclsen, p. 171 .
- hlem , p. l5-_>.
"' Lrtiigetlml. 1. Il , p. Iiiy,
DES COLOlMES BELGES. ^215
I. S'il arrive (|uo ces personnes ne remplissent pas celte lornialilë et se
trouvent parlant dans rimpossibilité de la prouver par un cerlitîcat spécial ,
dans ce cas, quels que soient le nombre et la qualité de leurs biens, le troi-
sième sillon [die drilte Fnrclie) en est dévolu à la haute seigneurie. Â la mort
de l'un des époux, ce sillon doit èlre racheté par Fépoux survivant, (pie ce
soit le mari ou la femme, moyennant une somme d'argent à arbitrer par les
représentants (Ftro^(/^if/e») flamands.
II. Quand deux personnes, qui possèdent des biens /laniauds, se marient
et procréent des enfants, si, après que les biens ont été solennisés par le
lunlujuiKj , Tune d'elles meurt, et que le survivant veuille convoler en
secondes noces, il est obligé d'abandonner aux enfanis du premier lit la
moitié des biens et terres flamandes avant le jour où ces secondes noces
doivent se célébrer.
III. Quand deux personnes, possédant des biens flamands, se marient, ne
procréent pas d'enfants de ce mariage, et meurent ensuite toutes les deux,
sans héritiers, dans ce cas, leurs biens flamands retournent de nouveau à la
contrée {an dcr On) d'où ils sont provenus. Cependant, si Tun des époux
survit et mainlienl intact son étal de viduilé, alors cet époux doit laisser
suivre et abandonner, sans conlesle, la moitié de la terre flamande aux
héritiers les plus proches dont elle est provenue et ce de la même manière
que si ces époux avaient eu des enfants.
IV. Si des personnes libres , garçons ou filles, veufs ou veuves, possèdent
des biens flamands, elles ne sont pas obligées de les solenniser par le lurch-
(jang, avant leur mariage : mais elles sont cependant tenues de les prendre
en fief [zu Lehn zu nehmen) ' du Schullheisz, et de les faire transcrire sous
leur nom. Faute par elles de remplir cette formalité, si ces personnes meu-
renl, le troisième sillon de ces biens est instantanément dévolu à la haute
seigneurie; les deux tiers restants passent aux amis [Freunden) les plus i)ro-
ches du défunt.
V. Les biens flamands situés dans le cercle de Berga ressortfssent tou-
jours à la juridiction du Schullheisz qui les a donnés à fief, mais sont soumis
' C'est là une exception cl une anomalie dont nous ne sommes pas parvenu à nous rendit
compte.
-214 HISTOIRE
à la (aille de ranimaiiie de Ivelbra. Bien que les chevaliers el autres seigneurs
aienl prétendu des cens de toute espèce sur de pareils biens flamands , ils
n'ont cependant pas le droit d'exercer le moindre fief sur ces biens.
VI. Les personnes libres, filles ou garçons, majeurs ou mineurs , ne peu-
vent d'aucune façon vendre ou aliéner la moindre parcelle de leurs biens
flamands qu'elles ont hérités ou ac(|uis, avant qu'elles les aient reçus à fief du
Srhulllieisz et qu'elles les aient fait transcrire sous leur nom. Celui qui agit
contrairement à cette disposition, ou qui achète une pareille parcelle, doit se
résignera payer itérativement la troisième part à la haute seigneurie.
VII. Que si un des époux aliène une parcelle de ses biens, flamands,
avant que ceux-ci aient été solennisés par le Kivchgung , il encourra les
peines édictées sous le n" VI '.
H. Certificat di; kircugang.
il était délivré, à Heringen, par le curé , le chantre et le sacristain ; à Gors-
bach, par les mêmes personnes, et également par le maire, assisté de quatre
employés de la commune ; à Berga, |)ar le bailli de Schwarlzbourg et de
Slolberg, qui résidait à Kelbra.
Après la lecture du certificat, faite au repas (voir plus haut p. 210), le curé
revêt le certificat de sa signature, et le remet au maire qui, à son tour, le
délivre au Kircliganger. Celui-ci le remercie et lui donne , ainsi qu'aux deux
autres ecclésiastiques, à volonté, un présent, qui ne peut valoir qu'un Kop-
sliich '.
On s'assied de nouveau, et les invités doivent encore, |)endant un ceilain
tem|)s, s'amuser soit au son de la musique, soit en tenant une conversation
gaie {Lustiger Gespruc/i).
L'honoraire à payer à ceux qui délivraient le certificat était de huit gros;
le maire en avait quatre.
Dans deux localités (Kelbra et Berga), les employés de l'église recevaient
' Miclielsen, pp. I(i5, IG'i, 105.
- Ifiem , p. 160. — Voy. clans mes Documents , les formules des certificats. n° XXVIII.
DES COLOiMES BELGES. 215
un cadeau ad libilum [WiUkiihrlkher Geschenk) i\\\\ devail élre parlaiié
entre eux.
Si quelqu'un, en annonranl le Kinlujauy, sollicile la délivrance du cerli-
fical à Tépoque, où, par suite de maladie, un des conjoints garde le lit, et
ne peut parlant assister à la cérémonie, on n'accueille pas sa demande tant
que ce conjoint n'est pas rétabli.
S'il meurt , — d'après le droit commun , la peine est encouj-ue.
Si l'un des époux meurt et que le survivant veuille se remarier, il doit
faire un nouveau Kinhyang, et obtenir un nouveau cerli/kat, el, dans ce
cas, la moitié des biens appartient parfois au seigneur ".
Mais une fois les époux en possession d'un certificat , il leur est loisible
d'acquérir autant de biens qu'ils voudront, sans devoir obtenir un second
eerlifieal , et cela tant pendant le mariage que pendant le veuvage subsé-
quent ■.
Quant à la teneur du certificat, il y était généralement mentionné, en
termes exprès, que tel Flamand avait, conjointement avec sa femme, so-
lennisé, tel jour, par le Kinhyang, ses terres flamandes, à l'église el en tra-
versant les rues ^.
/. AbOL1TIO> Ul KlRCHGAiNG.
C'est probablement au cbiffre élevé des frais qu'il faut attribuer l'abolition
en masse du Kinhgang. Déjà, en 4727, l'amtmann de Heringen avait pro-
clamé dans un édil que « les propriétaires des terres flamandes aimaient
mieux négliger volontairement, pour ce motif, le Kirchgang , et préféraient,
au décès de l'un des époux, abandonner généreusement le troisième champ,
sauf taxe qui serait équitable et qui pourrait être acquittée en argent; (pie
l'on ne pouvait donc pas nier qu'il existât des abus *. »
Il paraît toutefois que les autorités ne prirent point de mesures pour faire
cesser ces abus, ou que leurs mesures n'aboutirent point, car les paysans
' Sflilôzer, p. 456.
2 Micliclscn, p. 162.
^ Idem, p. tSS.
* Idem , )). \ .ïCi.
2i(i HISTOIRE ^
conlinuèrciil de se phiindio des charges énormes qui étaient la suite de ces
icpas dispendieux, dans lesquels on se battait et se portait parfois des bles-
sures graves '.
(les griefs dénoncés à la chambre [Kammer) pour obtenir remise de la
peine (lamande [FUmische Strafe) eurent pour résultat de provociuer, dans
la même année 1727, une enquête tant sur le réyime du lurc/iyaiiy que sur
son origine et sur Viisage qui l'avaient maintenu jusqu'alors".
Mais cette enquête n'aboutit pas davantage. Différentes ordonnances, pro-
mulguées dans le dix-septième et le dix-huitième siècle, prescrivaient de veiller
strictement à ce que ce droit famand fût observé le mieux possible, et à ce
(]ue rien de ce qui concernait son exécution ne fût soustrait à la connaissance
de la chambre seigneuriale. C'est ce qui fut fait.
En effet, en 1735, malgré de nouvelles tentatives pour abolir le Kirch-
f/ang , on n'abrogea pas la coutume, mais à l'aide de contrôles eflicaces, on
inscrivit dans les comptes du bailliage [Amtsrechnungen] des rubriques sé-
parées, dans lesquelles on émargeait tout ce qui se rapportait à la solennité
en question.
Or, ces documents prouvent (jue NN ayant négligé le Flumischer Kin/i-
gang , le tiers de leurs biens, s'ils sont Flamands , sera dévolu à la chambre
seigneuriale, et cela en vertu du droit flamand.
Plus lard, il fut constaté qu'à cause des frais énormes que coûtaient les
repas, beaucoup de colons négligeaient, de temps à autre, la solennité, de
sorte que, si l'un des époux mourait inopinément, celte peine si sensible et
si injuste de la perle du tiers de ses biens atteignait souvent un colon ([ui
ne possédait qu'un modeste patrimoine '\
Alors l'autorité [Bchorden) proposa de maintenir la cérémonie de l'église,
mais d'abolir les repas coûteux. Le Kirchgunger payerait à chaque personne,
(|ui, légalement, avait droit d'assister au banquet, douze gros; à la chambre
seigneuriale, d'après la diversité des cas, de six à douze thalers * Ces pro-
positions n'eurent aucune suite.
' Miolielsca, p. In(i.
- Idem, p. IS*).
' Idem , p. 1 jfi.
'• Idi-m , p. 17().
DES COLONIES BELGES. 217
Cet élal de choses, quoique petit à petit un peu mitigé, se maintint jus-
ques vers le milieu du siècle actuel. Il n'y a guère que ([uinze ans que l'abu-
lilion du Kirclifjamj a été décrétée par suite du récent rachat des droits
fonciers et seigneuriaux.
La loi prussienne du 2 mars ISSOY'onlient cette disposition laconique :
« L'impôt actuel, connu sous la dénomination de Flamischer liirchgang , est
aholi sans indemnité '. »
Il —SERMENT SANS VARE.
Ce privilège, qui compélait aux Flamands dans plusieurs contrées, leur
était garanti d'une manière tout à fait expresse dans la Goldene Aùe. C'est
pour(|uoi nous en traitons ici.
Il consistait dans le droit de prêter serment sans y ajouter la restriction
qu'y apportait la clause connue sous le nom de vare [ohne BeschrdnkuiKj
durc/i die vare -). Cela résulte du diplôme deWichmann, évèque de Naum-
hourg, de l'année 1152, où il est dit en termes formels : « Si quis eorum
juramento expurgare voluerit, nulla occasione impediatur, nullis verborum
insidiis capiatur. » Le serment, pur et simple, était donc décisoire.
Le mot vare {far, vara) d'origine tudesque, signifie malice, super-
cherie, fraude ^ et, comme conséquence, la peine attachée à ce genre de
iromperie. De là, le serment avec ou sans vare.
' Preiixskhe Geselzsammlùnçf , 1850, p. 80.
- Micliflsen, p. 143.
^ On a encore donné au mot vare, mais en le prenant dans d'autres acceptions, des signili-
cations étrangères à celle que nous lui attribuons. Schcid [Orifj. Giielf., t. 111, p. 748) le prend
dans le sens de garantie [Geimhr), comme se rapportant h la prestation d'une caution, rela-
tivement à l'affranchissement d'une arrestation coi-porelle, pour rexcm])tion de laquelle on
lournissail un caulionnenienl en argent : « ... de eo non oportel ponere fidejussorem qui
dicitur vare. » Ce mot a le même sens dans le § 13 d'une charte sans date, par laquelle les
échevins de Magdehourg confient au duc Henri la décision de leurs droits : « Item, quicunique
ab altero pulsatus fucrit, in quacumque causa, et acte satisfactioncni, securitatem, quae in
vulgari ware dicitur, pro amicis illius postulaverit, merito obtincbil. » Wcisse (Sarlisisrlie
Geschichtc, t. i, p. 294) prend ce terme dans le sens d'un cadeau que les Voigts exigeaient
quelquefois. Rolh (Programm ûher das Stadische Privileghim ad anmim 1209, chap. Il,
Il \-\T)) soutient que par vare il faut entendre le droit de confiscation d'un chariot bris(' ou
Tome XXXIL 29
218 HISTOIRE
Quelques exemples. Henri le Lion dil : « Juramenlnm ante judieem saecu-
lareni facient sine calumnia veiborum , quod leulonice dicilur vare. »
Bôhmer cite une source de 1199, par laquelle Tarchevêque Hartwich II
promit, à la demande d'Adolphe III , comte de Holstein, an cloître de Zeveu :
« ut nnllus deinceps advocalus nec Sliquis vicem advocali gerens, in aliquo
judicio, vel placilo publico velprivalo, insidiari debeat... ea dislractione
qnae leulonice vare vocatur '. »
Dans les diplômes de Hart>\ich et de Siegfried, de Brème, il est dil :
« Juramenlum ante judicem saecularem sine insidiis verborum, quae vulgo
dicitur vare, facient. ».
Comme la loyauté et la bonne foi faisaient souvent défaut, et que, lors de
la prestation du serment, on avait recours à toutes sortes de subterfuges, les
juges intègres avaient à cœur d'empêcher le parjure et l'astuce par l'adjonc-
lion de la vare.
La règle générale était que tout le monde était tenu de jurer ad ou cain
vare. Il y avait aussi, néanmoins, des exceptions. Ainsi celui qui n'avait
pas l'usage de la raison en était dispensé. « Si quis defeclum palitur in
(juinque sensibus suis , non tenctur jurare sub poena quae dicitur vare. » Les
étrangers n'y étaient pas tenus non plus : « Si quis non loquilur noslra
lingua non tenelur jurare ad vare -. »
A Hildesheim, un citoyen s'expurgeait sous serment vis-à-vis d'un étranger
(hospes) sans vare. Par contre, l'étranger jurait avec rare vis-à-vis d'un
citoyen (Biirger), et ce sub excommunicatione regalL
(le choses ensloulies par les flots, droit que, pour ce molil', on appelait ordiiiairemciU Grtiiid-
rithr Redit. Parfois aussi, certains auteurs prennent le mot vare dans le sens d'une peine qui
doit être appliquée en matière de fausse monnaie. — De vitra, far, viendrait fahi, cest-à-dire
tromperie, et de là felonia , et peut-être le jjroverbe allemand : « lemaiulcn aùf den fuleii
Pferde ertrappen ('). »
Spellmann fait dériver le mot felonia de l'ancien mot saxon fee , argent (sliin'iidiiim , hene-
/ichtm vassali, — feudiim) et du mot Ion, jirix, preliitm ; de telle sorte que felonia serait le
crime pour lequel on encourait la perle du lief. Rien de moins certain que cette étymologie ('*).
' Observai, juris canon., p. î259.
2 Scheid, Ilildesh. Rechte, t. IV, p. 242, § 39 , ad ann. 124'J.
(*) Hoche, p. 79.
(♦*) Glossarium arcliaeologicum , ^. 2\i.
DES COLO^JIES BELGES. 2i9
L'archevêque Hildcbald, dans le privilège qu'il accorda, en 1259, aux lia-
liitanls de Stade, les en exempta expressément : « Nulium juricapium, quod
vulgo vare dicitur, coram advocato, vel aliquo quodam judice sustinebuni '. »
La vare ou insidiae verborum s'appli(iuait autant aux juges qu'aux parties
litigantes. Nous en trouvons la preuve dans un privilège spécial que l'em-
pereur Frédéric II donna, en 1219, à la ville de Goslar, concernant l'admini-
stration de la justice : « Praecipimus ut omne jus ahsque captione quae
vare dicitur, observetur, qnod advocatus judicare débet sine captione, quae
vare vulgariter nominalur '-. »
Ce qui nous confirme davantage dans cette manière de voir, ce sont les
expressions mêmes du diplôme de 1132 rapporté ci-dessus : « Si quis jura-
mento... nullis verborum insidiis capiatur. »
Or, on ne pouvait être captus que par le juge, qui, parait-il, avait seul,
à cette époque, faculté de déférer le serment, car personne n'est censé se
dresser des embûches à soi-même.
Quand on avait juré avecmre, les juges, souvent avides de lucre, cher-
chaient, par toutes sortes de chicanes, l'occasion de punir celui qui avait
prêté le serment sous cette forme ^ Le plus simple soupçon d'une tromperie
ou d'une supercherie n'échappait pas au magistrat.
Il y a plus. Quand le plaignant ou l'inculpé ne comparaissaient pas à l'au-
dience, manquaient la formule du serment, ou omettaient quelque chose
dans le rituel {im Rilmle) , ils encouraient la peine de la vare , et celte peine
était immanquable \
C'est dans ce sens qu'une annexe au privilège accordé au cloître de Ma-
rienzell , en 1 147 , porte : « De singulis mansis duo maltra frumenti et unum
anserum advocatus singulis annis recipial, ea conditione ut in legitimis pla-
cilis suis homines sub observatione quàdam vulgo dicta vare astare et res-
pondere non cogat. In majoribus vero excessibus homines deprehensi sub
observatione respondeant ^. »
' Wei-sebc, t. 1, p. 167.
â Hoche, pp. 77 et 78.
' Idem.
4 Idem.
» VVersebe. I. I. p. 170, noie 4.5. — Ludewig, /?p/(V/. manuscr., t. 1, p. ti.
220 HISTOIRE
En 11 74, rarclievèque WichiDann accorda aux habitanls de Jiitcrhock le
droit qui régissait la ville de Magdebourg, et statua : « Jus praedicluni lis in
hoc mitigavinius , ut de distribulione (districlione?) quam vulgari uarc ap-
pellaiit, absolute seiuper permaneanl K »
Le mot est employé dans le même sens dans un diplôme par lequel le
même archevêque accorda, en 1188, aux habitants de Magdebourg , un grand
mombre de règlements concernant leurs droits. I^c paragraphe premier porte :
« Il districtio que vara appellatur, solis juramentis, que pro rébus obti-
nendis vel abdicandis fieri debent exceptis, perpetualiter posiposita sit ". ->
L'empereur Othon IV s'exprime ainsi qu'il suit dans un acte de 1209
pour la ville de Stade : « Concedimus ilaque ipsis et indulgemus ut Burgenses
et opfimi cives coram advocato vel aliquo quovis judice, juricapium, quod
vulgo vare dicitur, in judicio omnino non suslineant '. »
Des dispositions semblables se rencontrent dans un diplôme que l'empe-
reur Frédéric II donna à la ville de Goslar * et dans une autre charte de
1230 \
Beckmann '' rapporte que, dans une charte de Henri d'Anhalt pour la ville
de Nienbourg, de l'an 1239, ce prince, traitant avec cette ville, s'exprime
ainsi : « Convenimus etiam in hoc ut illud quod in judicio vare non sumatur,
sed quod varschilling dicitur, detur. »
Partout l'abolition partielle ou intégrale de la rare fut considérée comme
une faveur spéciale \
Il est hors de doute qu'au moyen âge la prestation du serment avait lieu
d'une manière fort solennelle et était entourée de nombreuses formalités.
Ainsi, celui qui ne prétait pas le serment dans la forme prescrite, qui
levait un doigt au lieu de deux, qui balbutiait, qui ne prononçait pas claire-
ment les mots surannés et hors d'usage [allé und umjebraUchUche Worte), etc.,
' Tzsctioppc, etc., p. 2G7, n° 2.
5 Idem , pp. 266-207.
' Idem, p. 267. — VVersebe, t. I, p. 167, note 42.
* lleineccius, Antiquit. Goslar , p. 219.
^ Tzsclioppe, etc., p. 267, n" 2.
'• Anhallisclte Chronik , t. V, p. 72.
7 Monse, Versùch ûber den allesten Municipalrechie , etc., ad ann. 1787, i. I , p. 1 12.
DES COLONIES BELGES.. 221
f'ncoiirail une peine '. Mais, ciiose élrange, aucune source ne nous apprend
en quoi cette peine consistait, ni quelle peine frappait le parjure.
Les détails qui précèdent montrent sulïisamment ce que c'était que la vare.
On le conçoit, la prestation du serment en justice, s'il fallait y joindre une
clause de défiance, devait répugner à des hommes libres qui ne prétendaient
pas que leur sincérité fût mise en doute et que l'on suspectât leur loyautf".
Voilà pourquoi les colons flamands se réservèrent formellement le droit de
jurer sans vare, c'est-à-dire de prêter le serment purement et simplement.
Terminons par une analogie des plus remarquables. Au douzième siècle,
le serment sans vare était également en usage en Belgique.
Il résulte d'un diplôme que l'empereur Frédéric I accorda, en 11";},
aux Flamands, à la requête de leur comte Philippe d'Alsace, que, en même
temps qu'il leur permettait de naviguer librement sur le Bhin , il institua en
leur faveur deux foires annuelles dans la ville d'Aix-la-Chapelle, et deux
dans celle de Duisbourg -.
Ce diplôme statue que : « Quicunque mercalores, sive Fiandrenses, sive
alii, bona sua cuiquam crediderunt, coram judice et scabinis haec faciant, (|ui
testimonium rei creditae perhibeant; et mercator ita faciens, per testimo-
nium judiciset scabinorum non habuerit, ille a quo bona requirenlur, sacra-
mento sine mm se expurget quod bonorum debitornon exslilerit... »
Et plus loin : « Nemo mercatorem de Flandria duello provocabit, et si
quid in eum habet dicere, juramentum iilius absque vara recipial. »
Nous trouvons la même disposition exprimée d'une manière ditïérente
dans un diplôme de 1197, au sujet d'une convention conclue entre les né-
gociants de Gand et les bourgeois de Cologne. Il y est dit, à ce propos :
« ... Quod si testes non habuerit, ille qui impetitur, simplici juramento, sola
manu , sine interceplione (piod bevanc est [reslricliaii meiifale), et absque
dilatione, praeslito, se purgabit, et liber erit ^. »
A partir de celte époque, nous n'avons plus rencontré le mol vare ni dans
les sources belges, ni dans les auteurs qui se sont occupés spécialement de
' Tzsehoppc, p. 267, note 2.
^ Ap. Diericx, Mémoires sur la ville de Gand, t. I , p. MO.
' Idem, Mémoires siir la ville de Gand, 1. 1, p. 121.
222 • . HISTOIRE
nialières juridiques, ni même dans la Collection des Coutumes an\i\ne\\es nous
iiMtis sommes déjà référé plus d'une fois. Il est cependant probable que, si le
mot se perdit, la cbose qu'il servait à désigner se mainlint.
%\\.-Erfurf.
La spécialité des Belges à Erfurt fut la culture maraîchère et des jardins.
On leur accorda des terres basses qu'ils rendirent propres à la production, et
(pi'iis possédèrent en toute propriété, sauf une redevance annuelle pour re-
connaitre que le bien leur avait été accordé libre de toute entrave. C'est ce
(|u'on appelait des /^re/^/^s^rt/er. Plus tard, les mêmes concessions furent
faites à d'autres qu'aux colons néerlandais, et l'inslilulion, spéciale d'abord,
reçut ainsi une application générale. C'était le Freizinsrecht.
On avait jusqu'à ce jour fait remonter cette institution au temps d'Adal-
bert I, sans que, pour justifier cette assertion, on eût fourni le moindre
argument. M. Michelsen est le premier qui l'ait prouvée d'une manière irré-
futable '.
Les Freizinsyûter étaient donc des terres flamandes {flamische Lnnde-
reyen) '. « Leur organisation toute spéciale dans le droit privé d'ErfurI ,
organisation que caractérisaient et les francs-alleux et le payement des
canons, est la même que celle qui a donné naissance aux Flnmischen lande-
reien de la Goldene Ane, par le motif que le droit de possession (|ui s'y
rattache a eu aussi avec le temps des destinations analogues, puisqu'il fut
étendu à d'autres qu'à des colons "\ »
Le système, qui sert de fondement aux rapports juridiques de ces francs-
alleux , n'est autre que celui des terres des colons néerlandais , tel qu'il se
manifeste au douzième siècle dans toutes les parties de la Thuringe où les
Belges s'établirent, et tel qu'il y fut introduit en vertu des concessions
accordées aux colons néerlandais par les seigneurs ecclésiastiques.
La langue même, ou la terminologie employée pour caractériser l'inslilu-
I Rvclistilenkitmle ans Tluniiigeii , 1865, pp. 291 sq(|. — Voy. I" partie, pp. 80-82.
- Michelsen, Der Maùizer Ilof zii Erfnrt.
"' Idem, Rpchtsdenkmule , etc.
DES COLOINIES BELGES. 223
lion, dénote une origine étrangère, c'esl-à-dire belge : dal fry ou vri [Li-
ber ceiisus).
C'est que chez nous, en elïet, la chose même existait. L'expression libe-
ratis census figure dans un diplôme de 42GO, signé par un certain seigneur
deSertrut, chevalier « in nostrà, hominum elscabinorum praesenlia. » (le
diplôme concçi-ne l'abandon et la transmission du droit à la dime fait par le
chevalier à l'abbaye de Parc : « abatisso et conventui Dominarum de Parco
Cysteriensis ordinis Leodiensis dyocesis '. » Le mot abamion est rendu par
gucrpivit -, e/feslucavil ''\ penilus renunliavil.
Quant à l'autre expression, elle est employée comme suit : « Xos igilur
ob remedium anime nostre et antecessorum nostrorum eandem partem de-
cime memoralis abbatisse et conventui conlulimus jure heredilario imperpe-
luum possidcndam. Ita quod ex parte earundcm nobis singulis annis sede-
cim Denarii Leodiensis monete in die Beali Stephani Liberalis census solvi
debebunl. Nec aliud ab eisdem occasione ipsius décime requirere vel petere
potorimus.... nec nostri succcssores. »
11 résulte de ce texte qu'en Belgique nous trouvons le nom et l'existence
ih\ cens libre , tel que nous le rencontrons dans les inslitulions d'ErfurI , d'où
la conséquence qu'en comparant cette source belge avec les monumenis (pii
existent à Erfurt, tout doute disparait.
L Le premier document dont j'ai à parler sous ce lapport est le Bibrabuch,
composé, en 1332, par Ilermann de Bibra, archevêque de Mayence et provi-
seur d'Erfurt. Il y est dit : « Item nolandum est quod , in crastino Beati
Martini Sculletus... cum noiario AUoclii... vel quicunque alii i\uos provisor
Allo(lii...a^\ hoc depulaverit... debent recipere libenua censum secundum
lieyislra Allodii... et post nieridiem octave diei sessionis... colligentes cen~
suDilibcrum in dictis ecclesiis... et tune quilibet negligens, quotquol f(^;/s;t.<(
liberos dare neglexerit, in lot talenla Denariorum Erfodenlium noiario
Allodii super gratiam existit pêne nomine obligatus. »
' L'original se trouve au Musée d'antiquités de Nurenberg.
2 « Guerpivit , flandricè opdraegen. Werpire est idem quod barbarice dicitur transportuin
faccie seu quilarc. » Mirœus, Diplom. Delg., p. 142. Binix., 1628.
"' Vient de festucu, Urin de paille. Dans la Iradilion symbolique des immeubles, ou enten-
dait par ce mot : briser ta paille , ou la jeter, ce qui indiquait que le vendeur abdiquait ton!
droit de propriétaire. » Diericx, Gentsch charterboecfcje , pp. t05, t4I.
-2-24 HISTOIRE
Il résulte des lerincs inénies de celle charte que les biens libres d'ErfurI
étaient qualifiés A'ullodia, et que la redevance que les tenanciers payaient
de ce chef était appelée liber census. En parcourant Thisloire de la Ueigicpie
au moyen âge , j'acquiers la conviction que les Freigiifer d'Erfurt offrent
une grande analogie, pour né pas dire une quasi-identité avec les biens con-
nus, à la même époque, chez nous, sous le nom de liions aUodiaux ou de
francs- alleux.
Déjà, dès le douzième siècle, il existait, en Flandre notamment, deux
sortes de propriétés, le domaine direct et le domaine utile. Le premier con-
sistait principalement dans un droit honorifique; l'autre, dans la jouissance
du lunds. Ainsi, si quelqu'un disposait de sa censé à litre de fief, son vassal
en avait le domaine utile , mais il en conservait le domaine direct en obli-
geant le vassal à lui rendre les services spécifiés dans l'acte d'inféodalion.
Ainsi encore, lorsque quelqu'un baillait son fonds à cens, le censitaire on
avait la jouissance; mais il fallait (pi'il reconnût ce domaine direct en payant
tous les ans une redevance dans laquelle on considérait plus l'honneur ipie
l'émolument.
En conséquence , on appelait bien a//o(/m/ celui qui ne reconnaissait point
de seigneur direct, et le tenancier en conservait la pleine propriété aussi
longtemps qu'il en pouvait matériellement jouir. Il y avait aussi d'ordinaire,
dans le district cédé ou vendu , des fonds dont le souverain ou seigneur
n'avait pas seulement aliéné le domaine utile, mais au§si le domaine ilirecl.
Pour ceux à qui le cédant avait transmis ces deux domaines, ces fonds étaient
des « biens libres, des terres allodiales, Freiyiiter, atlodia. »
II. Nature du droit des possesseurs. — Les possesseurs avaient un droit
de propriété héréditaire; ils étaient libres de tout service et affranchis de
toute prestation en nature; mais ils étaient obligés de conserver et d'amender
les biens allodiaux, qui, du reste, étaient aliénables, que ce fussent des mai-
sons, des jardins ou des cham|)S.
Seulement, ils avaient à payer, à la Saint-Martin, une redevance pécu-
niaire fixe, sous peine d'une amende spéciale, et avec menace d'une procé-
dinc sommaire, tendant à l'exécution du débiteur. Cette procédure était
clairement tracée dans le Bibrabùcli.
DES COLONIES BELGES. 22S
C'est l'ensemble de ces rapports, rimnieuble qui en formait l'objet ainsi
que le canon qui devait être payé, qui étaient désignés, d'après l'usage ordi-
naire, par ces mots : dal fry.
En Flandre, les bourgeois, qui possédaient de pareilles terres, les tenaient
aussi en pleine propriété; mais la plupart les divisèrent en petites portions,
pour les donner à cens. Les censitaires de ces portions étaient appelés en
français hosles (hôtes), en flamand kieten, en latin de moyen âge, luli,
laeli, lussi, tandis que le fonds d'un particulier, ainsi divisé, et donné à
cens s'appelait een taetsc/iap , regez ou rejel : Le mot luclen ou plutôt Uicl
[lassHs, lassi, dérivant du verbe laeten , ail. lassen, laisser) signifie ici
un individu qu'on laissait demeurer sur le fonds d'un tiers, moyennant de
payer à celui-ci une redevance.
IIL Registres. — Pour connaître la contenance, la valeur et les posses-
sions des Freigiiter, on tint des registres que l'on appela Freibucher , et dans
lesquels étaient consignés les cens libres. Ceux-ci étaient perçus par moitié
dans l'église Saint-Séverin, — qui la première avait donné des jardins à
cultiver aux Hollandais et aux Flamands, — par le maire de Briihl; et pour
moitié dans Téglise des négociants, par l'inspecteur archiépiscopal du Marché,
plus tard par le maire de la ville.
Chacune de ces deux églises avait son Freibuch séparé, dont l'un était
intitulé: Liber sancli Severini ; Vd^nivQ , Liber menaloriwt.
Le plus ancien Freibuch de Saint-Séverin, qui date de 1321, est divisé
en quatre rubriques. La première grande rubrique, intitulée Liber cénsus,
concerne en général les payements faits à la Saint-Martin de cette année,
dans l'église Saint-Séverin.
La seconde ne contient (jue douze Ite»/, et comprend les nouveaux biens
libres (^neùen Freigiiter) lescpiels jusqu'alors avaient été en partie propres
[eigen), en partie ^e/s(Lehne), en partie biens censiers-hérédilaires-ordinaires
[gew(J/irilic/ten Erbzinsgut).
Quant aux deux rubritiues suivantes, elles sont plus petites et ne renfer-
ment que des particularités. L'annotation minulieuse qui est faite dans les re-
gistres prouve que ces Freigiller étaient fondés sin- ini droit paient, certain,
irréfragable.
Tome XXXIL 30
226 HISTOIRE
En Flandre, après que le souverain avait cédé ou vendu quelque district,
les échevins portaient sur un registre le dénombrement des maisons ou ter-
rains assujettis au cens. Voilà Porigine du livre terrier, dit : le terrier des
cens de la ville , den reyisler der slede-ceynsen.
Quant aux particuliers, ils faisaient inscrire sur un registre le dénombre-
ment des portions qu'ils avaient accusées.
Ces différents registres formaient les petits terriers, dits en tlamand ceyns
boekshens ou heerlyke rente boekskens.
Chez nous, les francs-alleux , ou terres et maisons qui ne reconnaissaient
pas de seigneur direct, étaient appelés vry huis, vnj erve , et les échevins
les portaient sur un terrier dit le terrier des alleux {den register van vry
huys vry o've).
IV. Payement du canon. — Le Freizins, tel qu'il existait à Erfurt, pou-
vait, lors de son exigibilité, s'acquitter moyennant un gage d'argent, valeur
qui représentait le rendement prématuré d'une terre déjà épuisée [eine weiter
vorgeruckte Geldivirtlischaft), par opposition à la prestation en nature d'au-
trefois (vorzeiligen Naturalwirlhschaft) , de sorte que l'on peut admettre que
ce mode de libération si économique et si utile, dit Michelsen, existait, au
douzième siècle, en Thuringe comme dans les Pays-Bas.
Deux chartes se rapportent à celte question, et elles émanent chacune de
Henri Raspon, landgrave de Thuringe et comte palatin de Saxe.
Par la première , donnée à Eisenach, au mois de septembre 1338, le land-
grave avertit les colons ou censitaires [colonos, Zinsleàte) de la cathédrale
d'Erfurt, qu'à cause de la dépréciation qu'il y a sur la monnaie, ils devront
solder régulièrement leur cens en monnaie ancienne d'une valeur non suscep-
tible de diminution, puisque l'église pouvait éprouver un préjudice considé-
rable, ce que lui, comme avoué de l'église, ne peut ni ne veut tolérer.
Daiis la seconde charte de 1339, le même landgrave informe les colons
de la cathédrale que. l'on s'est plaint d'eux, de ce que leur monnaie ne
contenait pas la valeur intrinsèque voulue, et que par un rescril des juges
nommés par le Saint-Siège, il avait obtenu que les redevances fussent payées
sur le pied de la valeur de l'ancienne monnaie, et fussent encaissées par des
receveurs ecclésiastiques.
DES COLONIES BELGES. "227
Toutefois, les chanoines avaient déclaré qu'ils se contenteraient des deniers
ayant cours pour lors , c'est-à-dire que trente scheUingen équivaudraient à
un marc de fin, et que, si Targent devenait plus rare, on leur donnerait
pour sept scheUingen, en une fois, un ferlo (quart de marc) d'argent.
Du reste, cette redevance consistait toujours dans une taxe minime, pro-
portionnée à l'importance du bien. Elle devait être ac(|uiltée dans les huit
premiers jours après la Saint-3Iartin, c'est-à-dire depuis le premier jour ou-
vrier, après cette fête, juscprà celui de Sainte-Elisabeth.
C'est pour ce motif que cette semaine fut appelée à Erfurt, die Freiwuclie.
La formule usuelle trouvée dans les ireibikher quant à la libération de
ceux qui avaient pajé la redevance, était celle-ci : « N... dédit liberum
censum de uno agro I denar. »
V. Oii la redevance devait être payée. — Elle devait être payée dans
l'église Saint-Séverin et dans celle des Négociants, à gauche du chœur,
près de l'autel de la sainte Vierge [beij imser lieber Frawen Allhar).
Là siégeaient, pendant huit jours, à l'exception du dimanche, Tavant-
midi, à commencer depuis la pointe du jour [so es lag isl, chez nous : zoo
lietdagis), devant leurs comptoirs, les receveurs respectifs, lesquels étaient
entourés d'une foule de citoyens, qtii se tenaient là, derrière l'autel, en qua-
lité de témoins [per lestimonium civiimi circainsedenlium).
Cette assemblée, tenue solennellement, dessine d'une manière tranchée le
caractère ecclésiastique des Freigiiter. La redevance était déposée au pied de
l'autel.
En Flandre, la maison ou la chambre, où le cens devait être payé, était
appelée \e manoir seigneurial: en flamand : liet fiof, het ho f van den Land
heere , curia in alodio.
L'invitation pour con)paraitre devant cette cour ou manoii' était formulée
par ces mots : le commene 't zynen (ihcdinge ten ophove ende len
aphove.
Ces cariae in alodio existaient, à cette époque, en Belgique, dans les
baronnies de Sottegliem et d'Ophasselt , et dans la principauté de Steehhuyse,
en Flandre, et généralement dans toutes les terres connues sous l'indication
vulgaire de « ne relever (|ue de Dieu et du Soleil {leenen gehouden van God
228 HISTOIRE
endr Zoanc), » pour signifier qu'elles ne reconnaissaient aucun seigneur su-
zerain '.
Les francs-alleux ne sont pas seulement appelés fiefs [leenen) par le vul-
gaire; mais les Libri feudorum les nomment aussi cdodis infeudala. Les
franchises connues, en Flandre, sous le nom de vryheden, n'étaient autre
chose, au fond, que les francs-alleux. Toutefois, on rencontrait, en Bel-
gique, beaucoup de ces anciennes franchises, transformées plus tard en fiefs
d'honneur, feuda honorata.
VL Repas. — Pendant toute la durée de la session, on distribuait tous
les malins, au coup de sept heures, les jours gras, deux soupes, des poulets
bouillis, deux oies rôties, du vin et du pain, aux fonctionnaires suivants:
dans l'église Saint-Séverin : au voigt, au sergent, aux échevins, au gref-
fier, aux trois serviteurs de justice, au premier et au second marguillier;
dans l'église des Négociants, prenaient part au repas : le maire, le grefiier,
et le premier et le second marguillier. — On ne dit pas aux frais de qui se
donnait ce repas. Je suppose qu'il était à la charge de ceux qui profitaient de
la rentrée des redevances.
VIL Procédure en cas de non- payement. Peines, etc.
A. FOUMALITÉS PRÉLIMINAIRES.
Quand la session dans les deux églises est terminée, on examine dans la
cour archiépiscopale de Mayence les Freibucher , pour vérifier si tous les cen-
sitaires ont payé. Les noms de ceux qui sont en défaut sont inscrits sur un
rôle sépare.
Alors, avant de se mettre à table [ehr man issel), le Kilchenmeisler et sqn
grefiier [sein Schreiber) envoient le messager avec l'oflicier supérieur de jus-
tice, chacun à cheval, devant les maisons des possesseurs qui n'ont pas ac-
quitté le canon [die den freyen Zynsse nit geben haben).
Là, les fonctionnaires envoyés frappent trois fois, avec un marteau, sur la
porte de chaque maison. Si quelqu'un s'y trouve, ils lui remettent un billel,
< Racpsaet, t. IV, p. 259, n" 190.
DES COLOiMES BELGES. ^229
en disant « qu'il est averti qu'il est en défaut de payer le canon spécifié dans
ce billet. »
Si personne ne se trouve au logis, ils glissent le billet sous la porte, en
prenant les plus proches voisins pour témoins qu'ils ont frappé. C'était, comme
on voit, une véritable mise en demeure.
Celui donc qui, dans le délai prescrit, n'avait pas payé, encourait la peine
légale, c'est-à-dire qu'il était frappé. Immédiatement après commençait la
procédure.
B. Remise des billets et du marteal. »
La procédure du frappement [die Proccdur des Klopfes) était entamée par
l'avoué et le premier sergent de justice, lesquels, à jour fixe, au son de dix
heures, se trouvaient, à cheval, dans la cour de Mayence.
Là, le receveur censier leur remettait les billets séparés, indiquant les
noms et la redevance de ceux qui étaient en défaut de payer, ainsi que le
marteau pour frapper, marteau qui portait les armes de Mayence.
C. Affiche.
De la cour de l'évéque, ils chevauchaient vers l'hôtel de ville ou Ralhhaus,
sur les murailles extérieures et au bas de la tour duquel le sergent attachait
les billets avec de la cire. Cette formalité remplie, l'avoué frappait avec un
marteau sur chaque billet, en s'écriant : « Au nom de sa Grâce l'électeur
N..., attendu que N... a négligé de payer les deniers libres [freipfennige)
qui sont dus, si est-il que pour la première fois il est frappé. »
D. Amende.
Celui qui avait été frappé ^e. la sorte devait payer à l'avoué et au sergent
une amende considérable, à titre de punition.
Le montant de cette peine, ou tout au moins un gage en argent, devait être
acquitté le lendemain , avant les dix heures.
230 HISTOIRE
Si le débiteur ne s'était pas li])éré, il était, comme le jour précédent,
frappé une seconde fois. L'amende de ce chef était doublée , et le même
avertissement était donné le troisième jour pour la troisième fois.
Après ce troisième coup de marteau, si une année s'était écoulée, sans
que l'amende eût été payée, le procureur du bailliage [Ambstpromminr)
entamait la procédure devant le tribunal civil de l'archevêque.
E. Procédure.
Elle était connue sous le nom de Fronizalions- ou Gewàhrprocess, qui ten-
dait à pouvoir saisir publiquement, après ajournement préalable, les biens
du débiteur {occiipare bona, occupatio sive arrestatio que Vrone appellaiar),
et, à cet elïet, le maire et le Kikhenmeisler remettaient au sergent un ex-
trait du Freibncli , indiquant les biens dont le cens n'avait pas été payé.
Celte saisie, frone, était déjà connue en Flandre sous le nom de Fredum.
Cela résulte d'une charte, datée de Gand, en 1156, par laquelle Thierry
d'Alsace défend au magistrat de cette ville de se porter ni dans les églises ,
ni dans les champs qui appartiennent au monastère de Saint-Pierre, soit pour
y tenir des plaids, soit pour exiger quelque composition ou tribut, enlever
des fidejusseurs, etc. : « Nullus quo(|ue judex publicus... in ecclesiasaut loca
aut agros memorati coenobii, ad causas audiendas, vel freda aut IribtUa exi-
genda, vel fidejussores tollendos... ingredi valeat '. »
F. ExÉCUTIO> DU JUGEMENT.
La procédure instruite d'après le mode et suivant les formalités usitées à
cette époque, le jugement est prononcé.
Le sergent se rend, le jeudi suivant, au pied de la tour située au marché
au poisson. Là, il annonce en peu de mots comment il a saisi les biens et otTre
d'en rédiger acte. Puis, il invite les greffiers de justice, de Sa Grâce et du
Conseil à faire dans leurs registres la mention suivante : « Ego N. froiuwi N
etN. bona... pro versessen frey und buess uff N... lag anno. »
' Cartulaire de l'abbaye de Saint-Pierre , aux archives de la Flandre orientale.
DES COLONIES BELGES. 231
Après celte formalité, le sergent entre dans l'hôtel de ville et requiert le
greffier de lui remettre un certificat qui lui est délivré sur parchemin. Le
sergent remet celte pièce au Kiichemneister de l'archevêque, qui l'insère au
Freihuch à côté des item relativement auxquels la procédure de la frone a
été achevée.
En Flandre, nous trouvons une disposition similaire.
Il résulte d'une charte de 1284., contenant un concordai entre le prélat de
Saint-Pierre, à Gand, et ses vassaux de la terre nommée Laland (art. ni)
que, « si lesdits vassaux ne paient pas les prédits six escalins et six deniers
de chaque bonnier aux termes et jours prédits, et que, pour ce motif nous
voulons faire saisir le bien, chaque vassal qui a été saisi et qui n'a pas soldé,
doit payer une amende de six deniers au profit des échevins et de ceux qui
ont fait avec eux la saisie '. »
Quand le débiteur, à Erfurt, ne pouvait pas se justifier par des motifs
plausibles, le bien était déchu (yerfallen) Qivviyé de la seigneurie quant à
cet impôt.
Toutefois, quand les bourgeois d'Erfurt et tous autres avaient négligé de
payer, ils pouvaient, avant que le sergent fût monté à cheval, ou même après
sa première et seconde chevauchée, s'adresser au Kiichemneister , et payer
entre ses mains l'amende au moyen d'un gage d'argent. Cette consignation
avait pour etïet d'empêcher le sergent de frapper leszt man alsdan den
Freyboten nit klopfen.
Un lempéramenl fut admis plus tard: quand le propriétaire-débiteur était
pauvre ou ostensiblement dénué de ressources, il lui était accordé un an et
un jour , pour retraire le bien saisi, moyennant un juste prix.
G. MUTATIOINS.
A chaque changement qui s'opérait dans la personne des possesseui-s des
Freygiiter, le nouveau possesseur devait être inscrit au fief, ce qui avait lieu
' Voy. Carliilaire intitulé : Carta de Latant, in parochia Bealae Virginis, etc., ;inno
MCCLXXXIIII, reposant aux archives de la Flandre orientale.
232 HISTOIRE
pendaiil la Freiimclie et toujours l'après-midi, parce que le malin était réservé
à la perception des redevances.
Quand un changement avait lieu , il fallait indiquer exactement la situa-
tion et la contenance des terres; car les anciens livres laissaient beaucoup à
désirer sous ce rapport. 11 en résultait qu'à la longue, Pimpôt se perçut d'une
manière fort irrégulière , et que le payement fut souvent refusé par les héri-
tiers d'un possesseur, par le motif que le bien qu'il détenait ne pouvait pas
être indiqué avec certitude.
VIII. Observations générales. — Les écus libres {Freipfennige) consis-
taient anciennement dans des monnaies d'argent frappées expressément à cet
effet, et nommées Bracleales. Sur l'avers étaient gravés les trois premiers
articles de l'antique organisation des canons prémentionnés.
Au dix-septième siècle, probalilement pendant l'époque de la guerre de
trente ans , quand le conseil d'Erfurt réglementa la perception de la redevance,
il admit la monnaie ordinaire, de manière que l'on compta pour un écn {sil-
hernen Freipfennifjen) d'argent 4 V^ écus de monnaie courante.
Chose digne de remarque et (|ui prouve combien l'organisation des Frei-
zinsffiiler avait jeté de profondes racines : quand on renouvela le mode de la
perception de celle redevance, on maintint, comme anciennement, au litre II,
la semaine du payement (Zrt/*k'ocA(') : au titre III, l'ancienne procédure du
Irappement {Kiopfintg) ; au litre IV, après le frappement de trois fois, la pro-
cédure connue sous le nom de Fronizations-process.
Celle organisation, ainsi modifiée par l'assemblée des députés terriens, et
(jui porte la date du 13 avril 1708, fut en même temps publiée par la presse.
1\. Abolition. — Par une ordonnance, publiée à Erfurt, le 16 septem-
bre 1809 , la peine du frappement [die Slrafe (1er hlopfinuj) fut abolie pour
l'avenir, en tant que, pendant la semaine libre, les canons n'avaient pas été
ac(|uittés; mais non la peine pécuniaire encourue en cas de non-payement.
On statua aussi que désormais on délivrerait des quittances du payement des
redevances, afin qu'aucun doute ne put plus s'élever relativemenl aux paye-
ments qui avaient eu lieu.
Une dernière observation avant de finir. La masse, ou si l'on veut, la cor-
poration des propriétaires allodiaux d'Erfurt ne forma jamais, comme les co-
DES COLONIES BELGES. 233
Ions belges de la Goldene Aùc une associalion compacle, ayant une organisa-
lion adminislralive et judiciaire indépendante, organisation qui eut la forme
accentuée d'un droit coutumier resté propre à ces derniers. A quoi attribuer
cette anomalie? Uniquement à l'esprit des habitants de la ville d'ErfurI, qui
s'opposait aux conséquences d'un système féodal aussi prononcé.
I III. — Cercle de Naumbuury.
\>"icbmann, évéque de Naumbourg, donna des privilèges importants, par
sa charte de 1152 ', aux Néerlandais qui étaient fixés dans le diocèse. On
voit par le commencement de ce diplôme qiie ce fut Tévèque Udon, prédé-
cesseur de Wichmann, qui les établit ou les rassembla dans le Naumbourg:
« Cuidam populo de terra, quae llolland nominatur, a praedecessore meo
Udone in eundem episcopo coadunato... » Ces mois : de terra quae HoUand
nominatur, doivent évidemment s'appliquer au lieu d'origine, à la patrie des
émigrants, et non à un territoire du Naumbourg, auquel ils auraient donné
le même nom; car aucune source ne fait mention d'un endroit quelconque
qui se serait, dans le Naumbourg, appelle Holland. Ce mot est d'ailleurs
énonciatif et comprend la Flandre, ainsi (jue je l'ai dit dans la première
Partie.
Quant à la question de savoir pour quelle cause Udon ne s'occupa point
de la colonisation des Belges — si toutefois la charte de fondation n'en est
pas perdue, — on ne saurait la résoudre.
Quoi qu'il en soit, voici une courte analyse du diplôme, qui permettra
de juger de l'importance de l'établissement des Néerlandais dans le Naum-
bourg.
A. Droits et privilèges.
I. Ils jouiront d'une liberté pleine et entière : liberlale fruantur.'
II. Ils sont propriétaires des biens qui leur ont été concédés. Donc, liberté
de vendre, de céder.
' Voy. mes Documents, n" VIII.
Tome XXXII. 31
254 HISTOIRE
L'évê(|iio, pour moiitror que c'est là un privilège, dans toute la rigueur
(lu mol, ajoute qu'ils ne pourront transmettre les biens qu'à des compatriotes
cl lion à des étrangers. C'est les ériger en véritable corporation.
III. Ils peuvent élire eux-mêmes leur maire , et personne ne pourra s'oppo-
ser aux actes qu'il po.sera. — Donc, juridiction administrative indépendante.
IV. Ils prêteront le serment, sans devoir employer la formule restrictive
en usage. — J'ai dil plus baut en quoi consislail le privilège de l'exemption
de la Varc.
V. Le droit d'bérédilé leur est solennellement garanti : toutes personnes,
libres ou serves, pourvu qu'elles soient de nationalité belge, peuvent leur
succéder.
Si l'un d'eux meurt, sans béritier apparent, la saisine demeurera intacte
pendant un an et un jour, afin que, si dans l'intervalle un béritier légitime se
présente, il prenne sans conteste la place du premier. — Que si personne ne
réclame la succession, deux tiers reviendront de droit à l'évoque, le troi-
sième sera destiné au service de l'église.
VI. Le maire décidera les contestations en premier ressort. L'appel sera
jugé parl'évêque. A celte fin, il tiendra trois fois par an des plaids avec eux,
pour prononcer sur les délits. Ceux qui se seraient trouvés condamnés injus-
tement parle maire obliendronlde l'évéque trois solidi en compensation.
VII. Sans avoir le Markl-Recht , les colons peuvent trafiquer, faire des
acbats et des ventes, sans être soumis à aucun impôt, ou à aucun droit de
douane.
C'est là une analogie remarquable avec les Flamands de Misnie, ainsi
(jue nous allons le voir tout à l'beure.
VIII. Pour le règlement des aflaires ecclésiasli(|ues intérieures, ils tien-
dront eux-mêmes un synode que leur prévôt présidera.
Autre analogie avec les colons de Brème.
B. Chauges.
Elles sont très-insignifiantes et se réduisent à deux points.
I. Ils payeront, à Wicbmann, buit solidi de redevance, à savoir : ([uali-e
DES COLOÎSIES BELGES. :23o
à la fêle de S'-Jacques, et quatre à la fête de S'-Marliii, aloi's qu'ils iiV-ii
payaient ([ue trois au prédécesseur de Wiclimann.
Cette clause prouve, ce. me semble, contrairement à l'opinion commune,
que la colonie néerlandaise fut organisée par Udon, et que la charte, (pril
octroya à cette occasion , se perdit dans la suite.
Quant à la majoration du cens, dont parle Wichmanu, elle s'e.xpli(|uo aisc-
nionl par la concession des privilèges exceptionnels qu'il vient de leur accorder.
il. Comme dime, ils payeront (ce qu'ils ont eux-mêmes offert) à l'église
de Sainl-Pierre, chaque année un denier pour chaque manse, et « à l'évê-
que la quinzième partie (au lieu de la dixième) de tout ce qu'ils récolteront,
en temps opportun. »
Je n'ai, nulle part, dans une colonie belge, trouvé d'exemple d'une dime
plus faible.
SECTION IV.
MISNIE.
Gerung, évêque de Misnie, vendit aux Flamands, sirenui viri ^ qui
s'établirent dans ses Étals, la possession perpétuelle et héréditaire du village
de Coryn (Kiihren ou Kiiren) -.
De là des droits et privilèges en faveur des Flamands, et des charges à
prester par eux.
A. Droits et privilèges.
I. L'évêque, en souvenir de son contrat et en signe de la vente de la pos-
session, donne aux acheteurs quatre talents, outre le village précité avec dix-
I Celle expression : strenui viri, est tout à ('«it remai-quablc. lloelic (|). M) en conclut que
les émigi-ants étaient des gentilshommes. Wersehe , au contraire, prétend (p. 993) que ce
n'étaient que des paysans libres. Je crois être dans le vrai en prenant un moyen terme. Il est
probable qu'à la tète des colons se trouvaient quelques hommes nobles qui, pour un motif ou
un autre, avaient quitté leur patrie, suivis d'une partie de leurs vassaux. Lévèque, traitani
avec eux, leur a donné naturellement la qualification ipii leur revenait. Schlôzer, qui reproduit
le diplôme (p. 412), est aussi de cet avis. Mais ((uc, parmi les Flamands, il y ait eu beaucoup
de paysans, c'est ce que prouvent à l'évidence les coiulilioiis de leur établissement.
- Vo^. mes Documents , etc., n" XI.
-256 HISTOIRE
liiiil niaiises donl ils pourronl retenir tout le profit possible, et (jui eoiisisleiit
en champs cullivés et en friche, en plaines et en forêts, en |)rairies et en
pâturages, en viviers et en moulins, en chasses et en pêches.
Ces (piatre talents que donne révêcpie aux Fianiaiuls sont-ils purement une
formalité symbolique, ou bien une avance de fonds destinés à pourvoir aux
frais de premier établissement des colons? La phrase est trop obscure pour
(|ue nous puissions en tirer rien de concluant.
11. Les Flamands seront, dans tout le diocèse, affranchis des droits de
douane, à moins que ceux-ci n'aient été alTermés à des négociants publics.
Il devait naturellement entrer dans les vues des colons de jouir de la libre
exportation de leurs produits; mais qui se serait attendu à trouver chez eux
des idées de libre échange? Quant à Fexception établie en faveur des droits
qui auraient été affermés à des négociants, elle est difficile à conq)rendre. La
clause (pii en fait mention , se demande Wersebe ' , aurait-elle été ajoutée
dans une copie du diplôme faite postérieurement; c'est-à-dire à une époque
où le village de Kùhren s'était agrandi, et où son commerce avait pris de l'ex-
tension? Mais cette hypothèse de Wersebe, en la supposant fondée, n'explique
ni la signification ni la portée d'une telle mesure. 11 faudrait admettre, en
outre, et rien n'autorise une pareille conjecture, que la clause restrictive
pour les colons est destinée à favoriser des négociants indigènes, à cause
des services rendus par eux au commerce du pays, ce que la charte ne
dit pas.
m. Les Flamands pourronl entre eux vendre du pain, de la bierre et de
la viande; cependant, ils n'auront point dans leur village de marché public.
Celte clause est tout à fait inusitée. Sans doute, les colons devaient tenir à
avoir parmi eux des boulangers, des bouchers, des débitants de boisson;
mais des privilèges de ce genre n'étaient généralement accordés (pi'aux habi-
tants des villes et de certaines localités qui faisaient le commerce de denrées
alimentaires *. Aussi l'évêque a-t-il soin de distinguer les Flamands des habi-
lanls de ces derniers endroits, puisqu'il ne leur concède pas un marché
' Die niederlàndischen Colonien, etc., (. H, 7^3.
Wersehc, t. II, p. 7'Ja.
DES COLOiMES BELGES. ^257
spécial. El loulefois, il faut aussi avouer que le privilège en question, de niêiiie
que le précédent, avait moins d'importance à une époque où Ton ne connais-
sait encore ni les banlieues ni les droits d'accise.
IV. Les Flamands sont à Tabri pour toujours de toutes prétentions ulté-
rieures de Tévèque, du voigt (o(/iwa//), de Pécoutète ou maire [villici) et de
tous autres gens.
Celte clause est exorbilante. Ce n'est pas seulement des corvées (|ue les
Flamands sont libres : ils n'auront jamais à craindre qu'on exige d'eux des
preslalions de quelque genre que ce soit, en nature ou en argent.
V. Si les Flamands prouvent (|ue l'un ou l'autre viole vis-à-vis d'eux les
présents statuts — confirmés par le témoignage de dix-sepl personnes et
revêtus du sceau épiscopal — ils pourront le faire condamner au bannisse-
ment.
B. Charges.
I. 1° Des dix-luiil manses qui sont concédées aux Flamands, l'une revient
de droit à l'église; deux autres appartiendront, libres de cbarges, au maire
ou écoulèle.
îNous avons vu plus liaut (pp. 178, 179) que le Schullheisz obtenait ces
deux fermes libres en vertu du droit dit Setdnke.
2" Les quinze manses restantes payeront annuellement une redevance de
trente sols.
Il en résulte que la redevance pour une ferme était de deux sols. Etaient-ce
des solidi d'o>', àaryent , ou de cuivre?
3" Les Flamands rachèteront l'impôt dit Zip, moyennant trente de-
niers.
Mais, avant d'aller plus loin, qu'est-ce que le Zip9 Comme cette expression
a été l'objet d'immenses controverses, je ne puis me dispenser de m'y arrêter
un instant.
Le mol est susceptible de plusieurs interprétations. En latin, cippus si-
gnifie prison. Cicéron l'emploie dans le sens de chaîne, et César dans celui
de palpoinlu. On désigne encore par là un obélisque placé dans les carrefours
958 HISTOIKE
pour rappeler le souvenir d'un événement. Perse (Sal. I, v. 37) le prend dans
Facceplion de rénoluphe , pierre tumnlaire :
.... i\unc non cinis, illc poëUic
l'clixl lion levior cippus iiiinc inipriniil ossa.
Chez les Grecs, zojmç désigne également une prison pour les esclaves.
En Allemagne, au moyen âge, cippus, cepus, signifie aussi un filet de
chasseur '. Mais il est pris surtout dans le sens de prison. En 1367 , Gérard,
évêque de Hildesheim, ayant fait prisonnier Tévêque d'Halberstadt, Penlerma
dans une prison nommée cippus -.
Dans les prisons d'Allemagne, il y avait un instrument de torture appelé
également cippus , et le geôlier s'appelait cipiocus. N'y a-t-il pas là une ana-
logie évidente avec le mot cipier, employé en Flandre, pour désigner le
même fonctionnaire, et mentionné dans l'article 3 de la rubrique XI de la
Coutume de Gand '.
Le cippus, instrument de supplice qui servait à paralyser les membres,
était employé pour torturer les chrétiens \
Enfin, dans les habitations des maires-censiers, en Poméranie, on voit en-
core un pareil instrument dans lequel les mains et les pieds étaient empri-
sonnés ^.
Serait-ce donc de cippus que le mot zip lire son origine ? Je ne le pense
pas.
Sans doute, il est incontestable que les Flamands, hommes libres par ex-
cellence, auraient mieux aimé payer une somme d'argent que de se soumettre
' Perardus, Charla Suvarici de Verziaco comit. Cabilon , p. 90 : « Si quis honio cippum
ileteuderet iii nemore, et bcstiam ceperit. »
- Lindenbrog., Script, rer. Germ. sept., p. 208.
"• « De gevangenc van rrinic... worden gelevcrt den cipier in 'i Chaslclelsvangenisse der vor-
seyde stede. » '
' (t Et suias ilerum ci|)[)oi'um vincula clauduiit
Ciuraque cura rigidis iieclebaiit turgida ligiiis. »
« Tune irati milites mittunt eum in cippum... ita ut tertio puncto ejus tibias coarctarent. »
^ Hoche, p. !);j in fine.
DES COLONIKS BELGES. 259
à l'ignominie de la prison ou d'un supplice quelconque, mais peut-on atl-
meltre, d'autre part, que l'évêque eût voulu consenti,r à une dérogation si for-
melle aux lois de son pays, au profit d'une poignée d'étrangers qui auraient
pu dès lors commettre les plus grands crimes, moyennant une faible amende
et sans avoir à craindre un châtiment infamant? Cette hypothèse me parait
inadmissible.
Il faut chercher une autre étymologie au mot zip. Ne la trouverions-nous
pas dans le mot slave zcpisck (racine se/> ou osep, blé; polonais cixeyo;
bohème syp), qui signifie une redevance de blé (en allemand Zinskorut^)
Comme des tribus slaves habitaient les contrées où nous trouvons le mol en
usage , il est tout naturel d'en chercher l'origine dans leur langue.
L'histoire confirme ces inductions philologiques. Dans une transaction inter-
venue entre Hedwige, abbesse de Sainte-JJarie, el l'abbé du cloître de Huch
(1282), il fut convenu que ce dernier lui donnerait très modios Irilici et
avenae cpiae vocatur zipcorn.
Dans un diplôme de Didier, marquis de Landsberg, découvert au com-
mencement du dix-huitième siècle, Frédéric , évéque de Warsebourg, obtint,
moyennant 300 marcs d'argent, le zip dans une certaine localité. « Aimona
quae zip vulgariter appel latur. »
Le môme droit fut importé en Poméranie '. Nous'apprenons aussi par une
matrice cadastrale [Calasler] de Pegau, près de Leipzig, qu'un paysan de-
vait donner ^/ide mesure de froipenl à litre de ziepzins'^.
Ces exemples sulTisenl pour démontrer que le mol zip n'a , dans la charte
de Gerung, d'autre signification que celle d'une redevance en nature, c'est-
à-dire en blé, dont les Flamands purent se libérer au moyen d'une faible
somme d'argent : et c'était là, sans aucun doute, un grand privilège.
En effet, pour se racheter, les Flamands ne payaient que deux deniers
par ferme. Ce chiffre est des plus minimes. Il ne peut se comparer qu'avec
les deux marcs pour cent fermes que les Belges payèrent à l'évêque de Brème,
pour avoir la basse juridiction.
' Dreger, Codex diplom. Poni., p. 12.
2 llofhc,}). 96.
240 HISTOIRE
H. Les Flamands donneront la (lime de tous leurs revenus, excepte celle
des abeilles et du lin.
Cette expression omnium rerum siiarum, comme dit le diplôme, est si gé-
nérale, qu'elle semble, au premier abord, renfermer la dîme dite Schmal-
Zelwte , et cela d'autant plus que les abeilles, qui appartenaient ;i cette
dernière, furent nominativement exceptées. Cependant, ce n'est là qu'une con-
jecture.
ll[. Ils payeront enfin les frais de séjour du Voigt trois fois l'an, pendant
\iiii plaids qu'il tiendra parmi eux. Les deux tiers de ces frais retourneront à
l'évéque, le tiers restant passera à Técoutéle.
Comme nous l'avons vu plus haut , les colons avaient une baute justice
{Oberyerichi) à la tète de laquelle était le Voiyl , et une basse justice [Nie-
(lergerichl , Uniergericld) que présidait parfois le Schultheisz.
Comme, dans le cas actuel, l'évoque et le Voigt se confondent dans la
même personne, c'est évidemment du SchuUlieisz qu'il s'agit.
L'évéque prend les deux tiers des frais, et rien de plus naturel, puisque
c'est à lui. qu'appartient la haute juridiction. Mais que le Scullelus flamand
profilât de l'autre tiers, au détriment du Voigt, c'est-à-dire de l'évéque,
c'est là un privilège évident, dont, d'ailleurs, on trouve des exemples dans
les colonies brémoises. '
Nous avons vu que le Schultheisz, comme tel, n'avait pas une jiu-idiction
proprement dite. Son rôle se bornait à maintenir la discipline dans le village,
et ainsi il arrivait parfois qu'il eût à exercer une sorte de juridiction dans
les affaires de peu d'importance. Il devait aussi, assister le Voigt et, en son
absence, le remplacer. C'est encore ici le cas. Voilà pourquoi l'évéque parle
du Schultheisz dans les termes que l'on sait, et l'investit en quelque sorte de
l'importance d'un Voigt ordinaire pour les jours où il aura à rendre la
justice.
DES COLONIES BELGES. 241
SECTION V.
ANHALT.
Los condilions sons lesquelles Tabbé de Ballensladl ' vendit anx Fla-
mands les deux villages de Nauzedele et Nimilz ont beaucoup d'analogie
avec celles que Gerung, évêque de Misnie, accorda aux Flamands qui s'éta-
blirent dans ses États. (Voy. p. 233.) On en pourra juger par Papercu que
nous allons en donner ci-après.
Après avoir énoncé le fait qui donne lieu au contrat, Pabbé fait d'abord
quelques dispositions générales relativement à la nouvelle colonie; puis, pas-
sant à un autre ordre d'idées, il énumère sommairement les droits qu'il
concède aux acheteurs, puis les charges qu'il leur impose. Nous allons tâcher
de le suivre dans cet énoncé.
A. Dispositions généuales.
1. « Les deux villages seront désormais réunis en un seul, et divisés en
vingt-quatre manses. — Deux manses libres sont données en fief aux chefs
de la colonie. »
C'est là un privilège qui est commun à ces derniers avec le Unternehmer
d'autres endroits. J'en ai dit les motifs dans les préliminaires de cette deuxième
partie.
2. « Une manse est donnée, avec tous les avantages qui y sont attachés,
à l'église. Cette manse sera libre de toute juridiction de l'abbé et du Voigt. »
En général, les colonisateurs, princes ou évoques, lâchaient d'affecter
une église à chaque colonie. Mais souvent ces colonies n'étaient pas assez
considérables pour pouvoir former une paroisse spéciale. On devrait en dire
autant pour le cas actuel ; mais il est probable que l'abbé de Ballenslàdt aura
eu eo vue d'enlever aux Slaves un bon nombre do villages voisins, et d'y
placer des Flamands et autres colons.
• Voy. mes Docnments , n" XII.
Tome XXXIL 32
24-2 HISTOIRE
B. Droits des Flamands.
« Les Flamands posséderont leurs deux villages jure suo; ils n'obéiroiil
à |)ersonne, si ce n'esl au margrave (Alberl l'Ours) ou à son hérilier, el
c'est sous son autorité qu'un plaid général sera tenu pour eux trois fois l'an.
Enfin, les Flamands jouiront des mêmes droits que ceux qui furent accordés
aux Flamands qui se fixèrent dans les États propres du margrave. »
Pai' ces clauses, l'alibé exempte les Flamands de toute juridiction infé-
rieure. Ce qui nous confirme dans notre opinion, c'est cette autre disposition
par la(iuelle l'abbé affranchit la manse donnée à l'église de toutes prétentions
de sa part et de toute juridiction d'un Voigt. Le margrave Alberl était Voif/l
noble du couvent de Ballenstadt, el avait, comme tel, la juridiction sur ses
biens : la basse justice était sans doute exercée par un Voigl de noblesse infé-
rieure qui partageait les bénéfices des procès avec le couvent. C'était la cou-
tume ordinaire. Les Flamands furent soustraits à l'empire de ce Voiyl infé-
rieur, puisqu'ils étaient soumis immédiatement au Voigt noble , c'est-à-dire
au margrave '.
Dès lors, il me semble qu'ils ont dû exercer eux-mêmes la jundicliun
inférieure, représentée ici par leur maire. Quand nous supposerions que le
margrave eût pu leur imposer un Voigt, il n'en est pas moins vrai qu'ils
auraient toujours eu un tribunal séparé de la juridiction inférieure ordinaire
des autres biens du couvent, tribunal dans lequel la sentence devait être
prononcée d'après le droit de leur pays, et par des échevins pris au milieu
d'eux. Tel fut, sans aucun doute, le régime sous lequel vivaient les Flamands
(|ui habitaient les États du margrave, el celle organisation nous parait avoir
dû être étendue aux Flamands de Ballenstadt '-.
C. Charges.
L Dime. — «■ Les Flamands payeront annuellement à l'abbé la dime entière
de tout ce qu'ils récolteront. »
' Werscbo,!!, p. 9!)1.
•2 /(/., 11, p. 991.
DES COLONIES BELGES. 243
Faul-il eiilendre par là la seule récolle des blés, et exclure les peliles
dîmes {Sclimahehnten)? L'expression est encore plus générale que celle dont
se servit l'évêque de Misnie, et elle est trop vague, pour que nous hasar-
dions une interprétation dans un sens ou dans Taulrc.
II. Redevances. — « Ils payeront annuellement de ce chef deux mesures de
seigle et deux mesures de froment, ainsi que deux sols de leur monnaie, à
la fête de S'-Martin. »
Cette imposition a évidemment trait à chaque ferme, comme nous Pavons
déjà vu pour la Misnie. Il est fort difTicilede décider quelle quantité de blé les
Flamands avaient à livrer, d'après nos mesures modernes. L'expression
latine modius se traduit généralement par boisseau; mais l'on connaît peu la
contenance exacte de celte mesure à l'époque dont nous nous occupons.
Quoi qu'il en soit, la redevance en question, à côté de la dîme, nous
paraît fort onéreuse. On serait tenté de croire, au premier abord, que la
raison de cette charge repose sur les dispositions conciliantes des Flamands,
qui se seraient laissé imposer des conditions plus dures que les Hollandais
de Brème qui ne payaient pas autant; mais ce n'est pas là le cas. Nous
trouvons des Hollandais établis dans la Goldene Aùe qui payaient vingt-
huit sols pour sept fermes, soit par ferme (piatre sols, à la différence des
Hollandais de Brème qui ne devaient qu'un sol pour la même superficie
de terrain '. Cette raison n'en est donc pas une.
Je pense en avoir trouvé une meilleure. Nous avons vu un peu plus haut que
les Flamands relevaient directement, sans aucun intermédiaire, du suzerain,
Albert l'Ours. L'abbé se dépouille, quant à eux, de toute juridiction. C'est là
une concession énorme, et dont nous ne trouvons nulle pari d'exemple. Sans
doute, les Flamands tenaient avant tout à leur indépendance; mais n'est-il
pas probable qu'en abdiquant toute influence sur eux, l'abbé se sera réservé
au moins une compensation pécuniaire, utile, d'ailleurs, pour les plans de
colonisation qu'il mûrissait?
Que si celte raison n'était pas jugée suffisante, nous chercherions la cause
de cette lourde redevance dans cette circonstance que les terres de la haute
' Wersebe,!!, p. 9!)G.
244 HISTOIRE
Saxe et de la priiicipaulé trAnhall étaieiU plus fertiles el plus propres à la cul-
ture que les terres de Brème, par exemple, qui n'étaient le plus souvent (jue
<les marais bourbeux, eloù, parlant, les colons devaient être moins imposés '.
SECTION VF.
SILÉSIE.
I. Les expressions [îamische Rechi , famische Hùfen, se rencontrent fré-
(|uomment dans les sources de la Silésie. Nous avons vu comment ces déno-
minations ont pu se glisser dans une contrée si éloignée de la Flandre, c'est-
à-dire comment elles y furent importées parles émigrants flamands. Nous en
dirons autant de la mesure flamande qui se rencontre en Silésie à chaque
instant. Tel est aussi l'avis des savants éditeurs du Recueil de documents de
la Silésie ".
Le droit flamand y dévint en quehpie sorte la norme générale, à tel point
(|u"au bout d'un certain temps fldmische Redit et deulsche Recht y furent
synonymes ^.
Quatre villes furent fondées d'après le fldmische Recht , soit que les Fla-
mands aient directement participé à l'érection de ces villes, soit que les fon-
dateurs aient pris leur droit traditionnel pour base dans l'établissement de
ces nouvelles cités. Ces villes sont Neisse, Kreuzbourg (1274-), Oltmacbau el
Ratibor \
La ville de Neisse recul \e fldmische Recht bien avant 1233, puisque
à celle époque l'on y trouve déjà un Voigt. En 1308, on changea cel étal de
choses pour lui octroyer le droil de iMagdebourg. Mais, au bout de deux ans,
en 1310, Henri, évèque de Breslau, révoqua ce dernier droit, l'expérience
ayant démontré qu'il était plutôt nuisible qu'avantageux , el y rétablit le droit
flamand, d'après lequel la ville avait été fondée ^.
• Wersebe, H. p. 'J!t(i.
- Tzsclioppc cl Stenzcl, pp. 107. 141.
"^ /(L, p. 101.
* ht., p. 104.
^ Id., ]). 'J'J.
DES COLOiMES BELGES. 245
II. Les villages qui fureiil fondés d'après le droit flamand sont plus nom-
breux.
Paul, cvèque de Posen, convinl en 1328, avec le cloilre de Trebnilz,
par rapporta la dlme du village de Chociule, près Olobock, qu'il recevrait
annuellement de chaque ferme flamande trois boisseaux de krossnich '.
Le même évèque statua aussi, la même année, que chaque ferme flamande,
à Kutschiau (près Miihlbock, 0. à un nulle de celle ville; S. à 7i mille de
Schwiebus), payerait deux boisseaux de seigle et un boisseau d'avoine'.
Thomas, évèque de Breslau, convint avec le cloître précité (jue, de chaque
ferme flamande à Ganlko>v (Monchdorf, 80. 2 '/s milles de Liegnilz), ainsi
qu'à Wrozna (inconnu), il recevrait cinq scot (?) au lieu de dime '.
Le village de Zwant (auj. Bischdorf, ONO. '/i mille de Neumarkt) avait,
en 1256, septante-deux fermes flamandes.
Celui de Slizow (auj. Schleisse, S. un mille de Warlenberg) en avait
quarante-deux, en 12G0.
Lorsqu'en 1261, Uulno (auj. Randen, NO. un mille de Freistadt) fut
fondé selon le droit flamand, le Schulz obtint deux fermes flamandes libres.
En 1265, le duc Henri désigna un district près Zirkwitz (0. "/i mille
de Trebnilz), comme conte'nant onze fermes flamandes.
En 1270, on Ht mention, à Stregoman (Striegelmiihle, ONO. trois milles
de Schweidnilz) de trois fermes flamandes.
En 1274, la ville de Kreuzbourg reçut de Henri IV, duc de Silésie-
Breslau, le droit flamand *.
En 1288, Wolaw fut fondé selon le droit allemand et suh mensura hta-
miiigorum.
En 1289, Prsediavice (Prisselwitz, SSO. 3 milles de Breslau) conq)taii
vingt-quatre fermes flamandes.
En. 1292, Kallenbrunn (ONO. 1 mille "'/i de Schvveidnitz) en comptait
cinquante.
' Tzschoppe et Stenzel , p. 141.
2 Id., p. tK6. .
5 Id., p. 141.
* Voy. mes Documents , n° XV.
246
HISTOIRE
En 1309, Faikowitz (N. cinq milles d'OppcIn ) avait vingt-cinq fermes
flamandes.
En 1309, Damnu'atsch (N. cinq milles d'OppeIn , E. confinant à Falko-
wilz) avait également vingt-cinq fermes flamandes.
En 13'I0, Glumpiglau (ONO. V- "l'Il^ tle Neisse) renfermait dix-linit
fermes flamandes.
Enfin, en 1319, F'rauendorf (ENE. ^ji mille d'OppeIn) renfermait vingt
et une fermes flamandes '.
il est évident que Pérection de villages d'après le droit germanique, fla-
mand ou autre, eut lieu en Silésie, de très-bonne heure; car, plus tard, les
conditions y furent beaucoup moins favorables que dans le principe ^.
m. Voici un petit tableau synoptique qui servira à expliquer pour quelques
villages rimporlance des fermes flamandes ' :
ANnÉe
REDETAWCB
Dîne
delà
NOmS DES VILLAGES. -SITUATION.
pour
pour
FONDATION.
CHAQUE FERME.
CH.\QUE FERME.
l'im.
•
1 ferto.
4 boisseaux de froment,
4de seigle, 4 d'avoine.
12o-.
Zedlitz (OSO. 1 mille de Steinau). Fermes flamandes.
id.
id.
1239.
PocEL (SSO. 15/4 mill. de Wohlau). Fermes
droit flamand.
selon le
id.
2 boisseaux de fromenl ,
5deseigIe,5d'avoine.
1260.
Slizow. Fermes flamandes ....
id.
2 boisseaux de froment ,
4 de seigle, 6 d'avoine.
1261.
Rauden. Fermes flamandes
1288.
WOLAW (Alt-Wolaw, NNO. 5'smill. de Wohlau!
flamandes.
Fermes
4 boisseaux de froment ,
4 de seigle , 4 d'avoine.
1 ferlo.
1309.
Falkowitz. Fermes flamandes
2 urnes de miel ou 1 ferto.
'la ferto.
1309.
1310.
1319.
Dammratsch. Fermes flamandes ....
id.
3 ferto.
8 boisseaux de seigle et
id.
3 ferto.
1 ferlo.
Glumpiglau. Fermes flamandes
Fhauendorf. Fermes flamandes ....
4 d'avoine.
* Tzschoppc et Stenzel , pp. 14t , 142.
^ Id. , p. l S6.
^ Id., pp. 158-161.
DES COLONIES BELGES. 247
En comparant le cens el la dîme des villages en Silésie, villages qui ont
de petites fermes ou flamandes, de grandes fermes ou franconiennes, nous
arrivons à la conclusion qu'en général , bien que cela ne soit pas toujours in-
diqué par les sources, on mettait sur la même ligne les grandes fermes et les
fermes franconiennes , les petites fermes et les fermes flamandes, avec cette
réserve toutefois que ces dernières étaient plus considérables que les fermes
slaves, polonaises, et que les HakenJnifen, ou fermes dont les terres étaieni la-
bourées au moyen d'un croc, au lieu de charrue.
Les fermes franconiennes devaient. Tune parmi l'autre, fournira titre decens
et de dime un demi-marc el six, souvent même douze boisseaux de blé. Par là ,
nous trouvons la solution de la ditïérence qui existait entre le droit flamand
elle droit franconien. En elïet, nous voyons que la fondation d'un village,
par des fermes franconiennes (/jer»mM50s/'ra»co/uc'Os), ou d'après le droit
franconien, ou bien par des fermes flamandes ou d'après le droit flamand, se
rapporte à la contenance des fermes el au caractère foncier de la perception du
cens et de la dime.
Un exemple servira à éclaircir ce qui précède. Le village de Zediilz fui
fondé en 1237. Il est dit clairement dans l'acte de fondation ' que le Schulz
organiserait le village d'après le droit allemand; les fermes situées dans les
campagnes ou dans les bruyères {campeslria el rubos) d'après le droit tla^
mand; les chênaies el autres bois [clambroviam et sUvestria) d'après le droit
franconien. Les fermes flamandes y devaient payer un ferto et douze bois-
seaux de blé; les franconiennes demi-marc el douze boisseaux.
En somme, en comparant les charges, là où elles sont explicitement défi-
nies, on arrive à ce résultat, que la redevance el la dime comprennent en
général la valeur de trois fertos par ferme franconienne el de deux ferlos par
ferme flamande; de sorte que la proportion des fermes franconiennes el des
fermes flamandes était comme trois est à deux -.
IV. J'ai dit plus haut qu'au bout d'un certain nombre d'années on ne trouve
l)lus en Silésie aucune dilTérence essentielle entre les villages régis par le droit
' Voy. mes Docvments , n° XIII.
- Tzsclioppe, p. 16ô.
248 HISTOIRE
allemand , ol ceux où le droit flamand ou le droit franconien étaient en
usage.
Cette proposition exige quelques développements. D'après les sources, il n'y
a que le seul village de Pogel, près de Wohlau , que l'on sache avoir été fondé
expressément d'après le droit flamand ' et, cependant, à en croire certains
documents, il devrait son origine au droit allemand, d'après lequel furent
fondés tous les villages situés autour de Neumarkt. Ces villages ont servi de
tvpe à l'érection de la plupart de ceux auxquels on fut dans l'habitude d'oc-
trover le droit allemand ; et cela est si vrai, que les documents qui concernent
Pogel ne contiennent rien qui diflere essentiellement de ce droit.
Toutefois, il faut bien qu'un grand nombre de villages aient été fondés
d'après le droit flamand, puisque, comme nous l'avons vu , les ducs d'OppeIn
et de Ralibor statuèrent formellement, par leur diplôme du 7 mai 1286 ^, que
tous les villages, érigés dans leurs Étals d'après le droit flamand, ressorli-
i-aient, en cas de contestation, à la juridiction de Ratibor.
Malgré cela, nous trouvons, toujours d'après les sources, que les villages
situés autour de Ratibor furent dotés originairement du droit allemand.
A quoi donc attribuer cette anomalie ?
Si on voulait l'expliquer en mettant sur le compte d'une destruction pos-
térieure l'absence d'autres documents, je répondrais qu'il est étrange que
l'on doive déplorer justement la perte de toutes les sources qui fourniraient
des renseignements catégoriques sur les villages fondés d'après le droit
flamand. Toutefois, cet argument n'est pas absolu. Il est évident que des
sources précieuses furent détruites ou égarées; témoin, par exemple, les
Traités du droit flamand qui existaient encore en Silésie, au commencement
du quatorzième siècle, et auxquels se réfère l'évèque Henri de Rreslau, dans
la charte qu'il octroya à la ville de Neisse en 1310. Le passage est curieux
et mérite d'être encore cité '.
« Jus m\m\c\\id\Q flemingicnm... damus et concedimus, statuentes... et
volentes quod eodem jure fleminyico ipsa civitas nosira Nyza de cetero uti
' Voy. mes Doniments, n° XIV.
- Voy. Documents et pièces jtistificatives , n" XVI.
^ /(/., n» XVII.
DES COLONIES BELGES. 249
debeal el oïlinino in suis jiuliciis hoc flemingicum pis lenere in omnibus
ipsius juris arliculis, clausulis el punclis. prout idem jus flemiiif/icmi in
siriplis el Ubris iude confectis plane et lucide invenilur cxpressum... »
Il n'est donc pas impossible que des chartes de fondalion aient également
disparu. Mais il est plus probable que les deux droits — flamand el alle-
mand^ ont fini par concorder, de manière à être confondus Tun avec l'autre;
d'autant que les dénominations particulières disparurent pou à peu , et que
bientôt Ton ne trouva plus que les expressions : grandes et petites fermes ,
fermes allemandes : inansi ilieutouici.
Cette conjecture approche de la certitude, lorsqu'on jette les yeux sur le
privilège de Henri III, duc de Silésie, du 12 mars 1252, privilège par
lequel ce prince autorisa Thomas I , évêque de Breslau , à ériger un marché
d'après le droit allemand , et à donner en location Zirkwilz , Neisse et
Wansen :
« Nos... concessimus sibi et pcr ipsum Ecclesie Wratislaviensi , quod pos-
set locare idem forum jure theutonico cum terra ibidem adjacenti, sul)
eodem jure quod habet in Nysa vel in alio foro Venzow '. »
Or Neisse, on le sait, avait été originairement doté du droit flamand.
Une semblable concession du droit flamand résulte encore d'une manière
plus péremptoire de l'histoire d'Ottmachau. Par un diplôme du 24 novem-
bre 1347^ émané de Precislav, évêque de Breslau, cette ville reçut le droit
allemand, comme postérieurement et par diplôme du 21 novembre 1348, le
même prélat lui octroya le droit flamand.
« Ex nunc id opidum , prout fossatorum circumferencialium continebi-
tur ambitu, collocandum in jus iheutonicum duximus ac eciam (ransmutan-
dum, volenles ac decernonles ul opidum hujusmodi hoc jure theutonico
perpetuis in anlea temporibus perfrualur '. »
« Quod novam planlacionem opidi nostri Olhmuchoviensis... pro utililate
ecclesie nostre Wratislaviensis de jure Polonico in jus theutonicum flameuf/i-
cum duximus transmulandum '. »
' Tzsrlidjipe, Urkumlc XXXWUl, [>.'5'-2o.
"- Id., Urkunde ClWll, p. 358.
= /(/., Urkunde CLXIIl, p. 3C4.
Tome XXXII. 55
2o0 HISTOIRE
Il y a plus : Par un privilège du 1 7 janvier 1369, le même évèque octroya
à la même cité le droit allemand, .dont les citoyens se serviraient, de même
que les habitants de la ville de Neisse avaient, dans leur cité, usé du droit
flamand.
« Praediclum opidum Otimuchau pridem localum et possessum , ut prae-
miditur, jure polonico, prout sepium et fossatorum antiquorum circumfe-
renlialium continetur ambitu (in) jus theulonicum transmutandum et locan-
dum decrevimus et locamus. Volumus... quod Opidum Ottmucbau hoc jure
theutonico... temporibus perpetuis perfruatur '. »
Il en est de même du droit franconien, à telle enseigne (pie, dans les
sources, h jus iheulonicain est parfois synonyme de ce droit. Toutefois , les
expi'essions « d'après le droit flamand, d'après le droit allemand, d'après le
droit franconien, » doivent encore avoir eu parfois dans la suite une signifi-
cation spéciale qui nous échappe aujourd'hui; car, sans cela, ou ne les aurait
pas employées dans ce sens -.
Cette observation résulte du parallèle même que j'ai établi plus haut entre
le cens et la dîme des villages qui possédaient des fermes flamandes et d'au-
tres villages qui avaient des fermes franconiennes. 11 existait une différence
sensible entre ces diverses redevances.
Cela résulte aussi d'un autre point, à savoir (pie les villages fondés d'après
le droit flamand jouissaient de tous les avantages découlant du droit allemand
proprement dit, et que partant ce dernier régime finit par leur être généra-
lement concédé; seulement, les biens furent adjugés aux colons d'après la
mesure flamande, laquelle servait ainsi de base pour calculer la quotité, le
(/uantum du cens et de la dime.
Nous avons déjà vu ce qui en était pour le village de Zedlitz. C'est ce (|ui
arriva aussi pour le village de Berawa , qui fut peuplé d'après le droit alle-
mand et dont les fermes furent louées d'après le droit franconien ''\
Au droit flamand se rattachaient et l'étendue des fermes, et le chiffre par-
ticulier du cens et de la dîme, et les formalités spéciales lors de l'acquisi-
' Tzschoppe, Vrkumk f:LXXXIII, p. 390.
2 LangellKil, II, 189.
5 Tzschoppe, Urkunde CIX, p. 483.
DES COLOMES BELGES. 2o4
tionde la propriété, le droit héréditaire ', etc. Il résulte évidemment de Ten-
semble des diverses matières réglementées parledroit flamand, qu'il concordait
en substance avec le droit allemand. D'ailleurs, les villages, quoique régis par
des droits différents, n'en étaient pas moins habités par des paysans libres,
qui possédaient des biens libres, mais soumis à un cens; qui avaient un Sc/nd-
theisz pris au milieu d'eux; qui étaient jugés d'après leur propre droit, pou-
vaient interjeter appel devant leur Seigneur, et qui n'étaient astreints ni à
des corvées , ni à des services personnels '.
Résumons-nous. C'est grâce à l'établissement de nos colons que les fermes
des villages de la Silésie prirent pour type les fermes flamandes. C'est encore
grâce à eux qu'un ensemble de droits [fUmische Rechl) plus favorables que
ceux qui y étaient en usage, devinrent comme la source d'un droit nouveau
{deutsche Rechl — jus theutonicum) , (jui finit par être le droit commun.
iMais il est dans la nature des choses que ce qui est général absorbe peu à
peu ce qui est spécial. Au bout d'un certain temps, ledroit allemand s'identifia
tellement avec le droit flamand que la confusion fil oublier ce dernier. Le
jus finitiemjicum conserva toute sa signification juridique; mais l'expression
même [flmnische Redit) (jui le caractérisait et servait à le désigner, se perdit
à la longue. Si on la retrouve encore de loin en loin, ce n'est que dans des
cas particuliers et pour être opposée au droit franconien ou au droit allemand,
pris alors dans son acception spéciale première.
SECTION VII.
BRANDEBOIRH.
Quelques années après la fondation de Stendal , par les Flamands , ces
derniers obtinrent d'importants privilèges d'Albert l'Ours, ce qui résulte
d'un diplôme dont nous allons faire ici une courte analyse '\
" Confoniii'-nient au droit l]('mliUnre llamaïui , i-n viirueur dans la Silésie , la femme ol)tenait,
à la mort de son mari, la moitié de ses biens, ohnc Aufijubi',, dit Tzselioppe (p. 105).
2 Langethal, II, 190.
'' Voy. le texte dans les Doniiiieitts , n" XXVII.
252 HISTOIRE
A. Droits et privilèges.
Le mai'iïrave donne pour Voigt à la ville de Stendal, un nommé Ollion. Il
accorde aux liabilanis un marché public , ainsi que rexeniption pour cinq ans
de tous droits de douane : clause uniquement applicable aux étrangers que les
intérêts du commerce appelleront à Stendal. Ceux de Stendal même sont alTran-
chis à perpétuité des droits de douane dans les villes du margraviat , alors exis-
tantes, spécialement désignées dans le document, et qui sont : Brandebourg,
Havelberg, Werben, Arnebourg, Tangermunde, Osterburg et Salzwedel.
Les habitants de Stendal seront en outre régis par le droit de IMagdebourg;
ils auront la faculté, après un premier jugement , d'en appeler au banc des
échevins de Magdcbourg même, sous la juridiction de laquelle ville ils se
trouvent déjà. Enfin , ils posséderont le susdit marché librement et à titre
héréditaire, de l'acon à pouvoir le vendre et à en disposer selon leur bon
vouloir.
B. Charges.
Les sujets de Stendal payeront annuellement, pour leur marché, une
somme de quatre deniers {nummos). Ils supporteront les frais des procès,
dont deux parts reviendront au Margrave, la troisième au Voigl, ou à ses
héritiers. Les étrangers, qui iront dans la suite habiter Stendal, jouiront des
mêmes avantages et contribueront aux frais dans la même proportion.
Il est incontestable (pie le bien-être de Stendal fut dû aux colons llamands,
c'est Wersebe qui le dit '. Bucholz - assigne pour date au diplôme [)récité
Tannée 1143; et cette date, nous l'avons vu plus haut, n'est probablement
pas antérieure à l'arrivée des premiers Flamands. Mais Wersebe prétend que
le raisonnement de Bucholz n'est rien moins que fondé.
D'abord , dit-il, il est historiquement prouvé qu'avant l'arrivée des colons,
Stendal n'était (pi'un hameau inconnu ^, indigne de recevoir des privilèges
comme ceux dont il est question dans le diplôme.
< Wersebe, 11, p. 477.
- Bnindciilitirfi. Gescliichte, 1, 41G. Anliang, n° 15.
'' Langeihiil (11, p. 152) est du même avis; mais sa conclusion est différenle de celle île
Wersebe.
DES COLONIES BELGES. 2S3
En second lieu, Albert TOurs, au commencement de Tacte, prend le
litre de marquis de Brandebourg, Brandeburyensis w(rt>-cA/o, et, un peu plus
loin, il compte le château ou ville de Brandeiiourg au nombre de ses Etals:
in urbibus dilionis mew... Braitdenburg. Or, il ne fil la conquête de Brande-
bourg qu'en 1457. Peut-on supposer qu'Albert ait pris un titre qui ne lui
appartenait pas encore, ou, pour aller plus loin, peut-on admettre que les
Flamands se soient fixés dans un pays qui appartenait presque en totalité à
des peuples slaves? Ces deux hypothèses sont également inadmissibles '. Ce
raisonnement ne laisse pas que d'être spécieux; mais il est historiquement
faux, ainsi que l'affirme Wersebe, que la prise de Brandel)0urg n'eut lieu
(lu'en 1157. Cet événement arriva dès 1142, et j'ai exposé plus haut les
motifs qui permelteni de conclure, avec une certitude presque entière, que
les premiers immigrants belges, appelés par Albert l'Ours, se fixèrent dans la
Marche entre 1143 et 1 150 '. On peut donc admettre que le diplôme date
des premières années du règne d'Albert, alors qu'il était déjà maître de la
majeure partie du pays.
Un passage de ce diplôme a donné lieu à des difficultés. « Les Flamands,
dit Wersebe "', devaient être soumis au Voit/I , et nous croyons qu'ils auront
accepté avec peine de telles conditions. Sans doute, le propriétaire de colo-
nies néerlandaises se réservait le plus souvent [meisteiUlœils) le droit de leur
donner un Voigl pour juge; mais les Flamands avaient généralement leur
juridiction propre qui les gouvernait d'après le droit de leur patrie, ce qui ne
me fait pas douter que les Voiyls ne fussent aussi, le plus souvent, pris parmi
eux. »
Si nous sommes heureux, d'une pari, de nous rencontrer avec Wersebe,
pour ce qui regarde l'indépendance de nos compatriotes, il nous est impos-
sible, de l'autre, de nous rallier à son doute. Dépasser le but, c'est manquer
la chose. Le raisonnement de 31. de Wersebe repose sur une confusion
dont il nous sera facile de démêler les réseaux. Nous avons vu plus haut
que les Flamands avaient m\Q juridiction propre, et nous avons dit en quoi
' VVcrscbc, II, pp. 477, 478.
2 \oy. Division 11, chap. Il, p. 112.
^ Wersebe, p. 478.
2S4 HISTOIRE
elle consistait. Or, quel changement le diplôme d'Albert introduit-il à cet état
de choses? Aucun. Les Flamands conservent le droit de nommer le Sc/ud-
theisz, qui était pris parmi eux, mais non pas toujours le Voigf, témoin
révè(|ue de Misnie. Le ScJndtheisz, n'ayant pas, dans l'espèce, à rendre
la justice, ne retire pas non plus sa part d'honoraires attachés à celte fonction.
Dès lors, nous ne voyons pas comment les Flamands auraient eu à se plaindre
de la mesure d'Albert l'Ours, et Tobservalion de M. de Wersebe tombe à
faux.
SECTION VIII.
CERCLE DE BITTERFELD.
.l'ai dit, dans la première Partie, que le dernier privilège que les Fla-
mands eussent conservé jusque vers le milieu du siècle dernier, était l'exemp-
tion d'impôts. Ils avaient eu autrefois, comme les autres colons^, une juridiction
administrative et judiciaire indépendante ; mais ce droit leur fut enlevé il y a
près de deux cents ans. Ce qui a survécu de leur colonie, après les vicis-
situdes et les transformations de sept siècles, est la Flemigs Societael, qui offre
encore, sous plusieurs rapports, le caractère des anciennes giides germani-
(]ues. Cette société, dont j'ai raconté ailleurs l'organisation actuelle, possède
des archives qui n'ont jamais été examinées. Grâce à la bienveillance des
Flamands de Bitterfeld, j'ai été assez heureux de pouvoir les dépouiller. J'y
ai trouvé, à côté d'une foule de comptes et de notes sans importance, deux
Codes obligatoires pour tous les sociétaires; le premier date de 1387, le se-
cond de 1776. Comme ces Codes n'ont jamais été publiés, et qu'ils renfer-
ment des dispositions qui ne sont pas sans importance pour la connaissance
du régime de la propriété du sol, dans les anciennes colonies flamandes, je
crois qu'il sera plus intéressant et plus utile d'en publier ici la traduction com-
plète que d'en offrir une analyse, si exacte qu'elle pourrait être.
Le premier de ces deux Codes ' rédigé en 1587, par Hermann Barthold ,
bourgmestre de Bitterfeld et président de la Société , porte l'intitulé suivant :
' Voy. mes Docnments, ii" XXIll.
DES COLONIES BELGES. 255
« Le (|uc les Flamands auront à régler entre eux et comment ils se con-
duiront a été décidé autrefois d'après les indications des registres. »
L Et d'abord, ils auront à juger les injures réciproques, lorsqu'un mend)re
aura fait des emprises dans le bois ou sur le champ de son voisin , et qu'il
n'obéit point aux injonctions de la société; lorsque, mis en demeure, il se
retire et enlève à un autre ce qui lui appartient.
IL Personne ne pourra prétexter cause d'ignorance, pour, n'importe en
quelle matière, recourir à une autre autorité, sous peine de vingt gros.
On en trouve un exemple, en 1349, au temps où vivaient Maurice Poyda
et Thomas Zanderz, jadis seigneurs llamands.
III. En régie générale, personne ne vendra son bois si ce n'est à un Fla-
mand. Que s'il transporte ailleurs son bois, dans le but de pouvoir par là tra-
duire des étrangers devant d'autres tribunaux, il encourra une peine de trois
gros.
IV. Si quelqu'un veut faire couper le bois (|ui croit sur son champ, il invi-
tera à cet eflet ses deux voisins, et martèlera ou marquera le tout, sous
peine de la dite amende.
V. Si quelqu'un fait avec sa charrue des emprises sur le fond du voisin,
celui-ci devra d'abord porter plainte contre lui devant les seigneia-s flamands.
Que si les parties ne peuvent pas s'arranger, le plaignant pourra alors seule-
ment traduire son adversaire devant une autre autorité, sous peine de trente
gros.
VI. Lorsqu'un nouveau propriétaire entre dans la Société des Flamands,
il se présentera aux seigneurs, avec obligation de se faire inscrire dans la ma-
tricule ou registre des Flamands, sous peine de vingt gros.
VIL Quand les Flamands sont assemblés, et que quelquim, sans un
motif sullisant, leur cherche chicane, élève des querelles, ou leur lance des
mots infamants, il devra comme peine donner un quart de tonne de bière.
VIII. Les prairies libres seront tous les ans attribuées à leurs anciens pos-
sesseurs; celui qui refusera, perdra sa prairie.
IX. Tous les trois ans, au plus tard, on vérifiera de nouveau les limites;
celui qui, volontairement, fera défaut à cette opération encourra une amende
de vingt gros.
256 HISTOIRE
X. A coté de la mention faite dans l'ancien livre, on a aussi indiqué dans
les nouveaux le nom de ceux qui, à l'époque actuelle, ont beaucoup négocié,
vendu ou échangé, afin que l'indication ne laissât rien à désirer, et pour
qu'on pût la reconnaître et trouver d'une manière plus exacte.
Le second Code est beaucoup plus long, plus explicite et plus complel. Les
droits de la société, les attributions du conseil qui la dirige, et les devoirs des
membres y sont nettement définis, il ne contient rien d'ailleurs (pii ne fut en
usage depuis des siècles '.
CODE
DINE HONORABLE SOCIÉTÉ DES FLAMANDS,
Conteiianl non-seulement les ordonnances et règlements originaux.
tels qu'ils ont été décrits en 1887, par le bien méritant bourgmestre
et Président des Flamands, Hermann Barthold, et tels qu'ils ont
été continués dans l'ancien livre terrier des Flamands, mais
encore les lois portées après lui, avec la signature des
membres collectifs, actuels et futurs de la Société,
réuni, corrigé d'après les besoins de l'époque i
actuelle, et rédigé dans l'ordre suivant.
M. Jean-Christophe Rackelmann,
Diacre tlaiis celle viUe .
Présenté le 30 juin mo.
Comme aucune société constituée ne saurait exister sans de bonnes lois,
et sans leur stricte observance, l'honorable société des Flamands d'ici a, dans
son assemblée tenue à la Pentecôte de l'année 1770, décidé que non-seule-
ment les anciennes ordonnances et règlements, tels qu'ils ont été réunis par
le l)ien méritant bourgmestre et président de la société des Flamands , Her-
mann Barthold, en IS87 , seraient renouvelés et amendés d'après les besoins
' Voy. mes Documents , n" XXli.
DES COLOrSIES BELGES. 2o7
de Tépoquc acUielle, mais encore que les actes constatés postérieurement par
les procès-verbaux et les comptes annuels, ainsi que ceux qui existent actuel-
lement, seraient collectionnés et classés dans l'ordre suivant.
CHAPITRE 1.
DES MEMBRES DE LA SOCIÉTÉ EN GÉNÉRAL.
I. Les possesseurs collectifs des charrues flamandes formeront, à l'avenir,
d'après la coutume qui existe ici depuis plusieurs siècles, une société dont ils
seront considérés comme membres.
II. Celui qui a acheté, hérité ou acquis par mariage une Flemigs-Hufe ,
soit en tout, soit en partie, se rendra chez le président actuel , inscrira
son nom dans le Code , déclarera sa volonté de se conformer aux statuts, et
payera, une fois pour toutes, pour son affiliation, à la caisse commune,
4- Reichsthaler.
III. Pour lors , il se fera indiquer les biens communs, consistant en bois
et en prairies, et qui appartiennent à la catégorie des charrues ordinaires.
Cependant, comme ces biens ne sont pas labourés, et que, à cause des avulsions
occasionnées par la Mulde et des travaux hydrauliques (jui par là y ont été
nécessités, quelques-uns n'ont pu être exploités et partant sont restés réunis ,
il se fera conduire parle garde-bois sur les terrains bas de Fridersdorff, les-
quels, par la rupture violente des digues de la Mulde, rupture qui eut lieu
en 1473, ont été abrités contre les eaux, et il se fera renseigner sur leurs
limites et leurs bornes.
D'après l'usage, il oflVira au garde-bois un pourboire à volonté.
IV. Celui qui a l'intention de vendre sa ferme la présentera d'abord à \\\\\
ou à l'autre membre de la société, et, s'ils ne peuvent pas tomber d'accord,
il fera connaître l'acquéreur étranger, qui offre le plus grand prix, au prési-
dent , afin (pie celui-ci ne soit pas forcé d'accepter pour acheteur une personne
désagréable à la société, dont la réputation a souffert quelque atteinte, et
sur le choix de laquelle on pourrait lui faire des reproches.
Tome XXXII. 54
2oS HISTOIRE
V. Chaque membre aura pour le moins une demi-charrue, el si, lors du.
partage par suite de succession, les parents ne peuvent pas s'accorder et se
la partager, un seul d'entre eux sera admis à rassemblée où il obtiendra, pour
son droit dans la communauté, la part dont il devra se contenter.
VI. Personne ne pourra s'approprier, de son chef, en tant que de la Com-
munauté, soit du bois, de l'herbe, des fruits sauvages, ou autres choses sem-
blables : il devra attendre avec patience l'époque à laquelle ces derniers se
cueillent, sous peine de 20 gros.
VII. Lors du transport du produit annuel du bois, personne n'enlèvera
soi-disant par erreur le lot de son voisin, soilque ce lot soit déjà exposé en
vente, soit que le bois reste en place, sous peine de verser douze gros dans
la caisse, et de replacer le bois à l'endroit même où il a été détourné.
VIII. Conformément aux usages usités quant aux forêts, les nouvelles
plantations seront ménagées. On n'y pouira pogit mener les brebis, ni les y
laisser brouter, ni faucher. Quant aux autres plantations, il sera permis
exclusivement aux cultivateurs flamands, à leurs domestiques flamands el à
leurs femmes de peine d'y mener et d'y laisser brouter les brebis, mais ni la
nuit, ni pendant le service divin, sous peine de douze gros.
IX. De même, dans les bas-fonds et marais des propriétés privées, on
n'admettra, hormis les ouvrières AesFlemigs-hùfen et dQsRillerhàfen, aucune
femme d'ouvrier, aucune étrangère ou autres qui ne possèdent ~|)as un champ
et surtout qui n'appartiennent pas à la commune; mais si elles y vont, on les
arrêtera.
X. Personne ne pourra , sous peine de dix gros , nuire à son voisin , faire ,
sans le consentement de celui-ci, une emprise sur les limites de son champ
pour en augmenter le sien, afin que l'égalité soit maintenue entre les terres
(jue l'on a autrefois partagées d'une manière égale.
XI. Celui qui voudra faire abattre du bois, sur sa propriété privée, devra,
si la moindre contestation pouvait s'élever, avertir son voisin et le garde-bois
et faire marteler par celui-ci les arbres qui se trouvent sur sa parcelle, afin
que plus tard aucune réclamation ne puisse avoir lieu.
XII. Celui qui, ne se conformant pas à cette disposition, est attaqué par son
voisin, ne pourra pas enlever le bois avant qu'il ne se soit entendu à l'amiable
DES COLOrSIES BELGES. 259
avec lui, sous peine de seize gros à verser dans la caisse, el moyennant dédom-
magemenl au voisin.
XIII. Que si eux-mêmes ne parviennent pas à tomber d'accord, la parlic
lésée sollicitera du président une visite de lieux, suivie d'un jugement;
l'autre partie se soumettra à cette décision équitable, payera les frais et indem-
nisera son adversaire.
XIV. Personne ne se refusera à acquitter l'amende (|ui lui a été é(|uila-
blement infligée, ni ne permettra que, pour l'avenir, elle soit déduite de son
bénéfice.
XV. Celui qui, dans les assemblées publiques, aura soit à proposer quelque
chose, soit à se plaindre , le fera avec circonspection, sans cris ni acrimonie,
sans railleries ni injures, sans jurons ni blaspbèmes, sous peine de douze gros.
XVI. Quand, à tour de rôle, des charriages sont exigés, personne n'en
sera exempt, ni ne pourra rester chez soi; dans le cas contraire, il devra
payer au garde-bois les charriages que celui-ci a ordonnés; toutefois, le pré-
sident, usant d'équité, ne les exigera pas quand ceux qui doivent atteler ont
nécessairement à s'occuper sur leurs champs.
XVII. Quant aux inspections et payements, le président, accompagné de
son assesseur et du greffier des Flamands, expédiera en premier lieu les Fla-
mands récemment arrivés, afin qu'ils connaissent nos biens communs dispo-
nibles de nos charrues, ainsi que nos droits et obligations, et qu'après cela
ils suivent la série des terres qui leur ont été signalées.
XVIII. Quand une assemblée est annoncée par le garde-bois, personne
ne peut y faire défaut sans une excuse plausible, surtout quand la déli-
bération a pour objet des affaires importantes qui concernent la communauté,
sous peine de huit gros.
XIX. Chacun aura son IIu/fiier-Buch particulier, en tète duquel les pré-
sentes lois seront inscrites.
XX. Et, comme tous les membres ne possèdent pas un pareil livre, il
sera donné lecture de ces lois dans l'assemblée annuelle de la Pentecôte,
afin que personne ne puisse s'excuser pour cause d'ignorance.
XXI. Pareillement, on ne commencera ni à boire ni à trinquer avant que
les comptes n'aient été approuvés, justifiés et signés, et que les autres affaires
nécessaires qui concernent la communauté, n'aient été discutées et décidées.
260 HISTOIRE
CHAPITRE II.
DU PRÉSIDENT ANNUEL.
I. Quand le piésidcnl en fonclion a remis son compte annuel, il est
remplacé par celui qui , Tannée précédente , a été élu comme assesseur à la
pluralité des voix. Que s'il meurt avant cette époque, la société sera con-
voquée en corps, et délibérera si le compte doit être continué par les héri-
tiers du défunt, ou s'il faut, séance tenante, en choisir un autre à celte fin.
II. Le nouveau président se fera remettre par son devancier la petite
armoire contenant les pièces inventoriées, les clefs des deux autres armoires
des archives du conseil qui se trouvent à Féglise, ainsi que le monlani des
espèces sonnantes et autres ressources.
III. Il exécutera fidèlement ce qui lui aura été indiqué par la société dans
ra.ssemblée de la Pentecôte, indiquera et mettra en délibération commune
ce (jui peut être nécessaire ou utile, et ne proposera rien d'important ni de
grave pour lui-même sans l'appui de son assesseur, et sans que toute la
société ait été réunie.
IV. 11 fixera toute son attention sur les terres situées près de la Mulde,
sur les marais, digues, fossés, chemins et limites, et fera examiner le tout,
afin que le dommage puisse être réparé à temps et à peu de frais.
V. Notamment, une fois par an, accompagné de son assesseur ou bien
l'un d'eux, en présence du garde-bois, il visitera les bas-fonds de Frieders-
dorff et les travaux hydrauliques qui y ont été construits, examinera les
bornes et pieds corniers, puisque les anciens qui formaient pour la caisse une
charge si lourde sont supprimés et n'y sont plus nécessaires, par le motif
que nous en possédons le plan très-exact, fait par Schaumann.
VI. Quand il sera nécessaire de cultiver et d'amender les terres, il enga-
gera les ouvriers, et prendra soin que le tout soit fait avec diligence.
VII. Il aura le maniement des espèces qui sont ducs à la caisse , les fera
rentrer en temps utile, en aura soin, et en fera , dans l'inlérêl commun, la
meilhnire application possible, pour qu'en cas de réclamation, il soit tou-
jours à urême de rendre compte tant en recettes qu'en dépenses.
DES COLOÎSIES BELGES. 261
VIII. Il n^ndiquera pas d'autres arbres à abattre que ceux qui se Irouvenl
dans Tordre prescrit, pour qu'on puisse toujours s'en tenir aux dix-buil dont
il a été convenu dès le principe : de plus, il tiendra la main à ce que les
éniondeurs fassent des lots bien fournis et, autant que possible, d'une con-
tenance égale; qu'ils n'abattent que les chênes qui se meurent, qui sont
placés trop près l'un de l'autre, dont on ne peut faire aucun usage, et qu'au-
cun chêne propre aux consiruclions ne soit vendu sans le consentement de
la société.
IX. 11 fera planter, aux endroits vides, toutes sortes de bois de raspe, qui
convient au terrain.
X. Il louera, d'après l'usage observé ici, et autant que possible pour un
terme de six ans, au plus olTrant et à des personnes solvables, les prairies
communes, aussi bien les petites que les grandes. Toutefois, si les prix de
location en étaient trop bas, il en délibérera avec loule la société dans l'as-
semblée qui se tient à la Pentecôte, et si, là, il tombe d'accord avec les
preneurs, il fera parvenir à ceux-ci le contrat par l'intermédiaire du greffier
des Flamands.
XI. Il doit, en cas de location, de vente de bois, de bâtisse, au cas qu'un
procès ait lieu, et autres circonstances semblables, consulter d'abord sou
assesseur de même que le greffier des Flamands, et, en cas de besoin, la
société réunie en corps.
XII. Il ne s'attribuera personnellement rien de ce qui appartient à la com-
munauté, en fait de bois, herbages ou fruits sauvages, pas même les dé-
combres des bâtisses; mais il les offrira en vente au plus offrant, n'en fera
lui-même aucun commerce furtif et ne le permettra pas aux autres.
XIII. Au cas qu'il soit invité dans les bois ou dans les prairies, soit pour
faire une visite de lieux , soit pour décider.une contestation , accompagné de
l'assesseur, du garde-bois, et, en cas de besoin, du greffier des Flamands,
sur les lieux contentieux, il examinera le tout minutieusement, écoutera avec
patience les griefs de chacun , mûrira bien leurs dires , fera mesurer et ar-
penter le tout, et prononcera, sans acception de personnes, un jugement
impartial, afin que la partie lésée ne soit pas forcée de demander justice à
l'autorité ordinaire.
262 HISTOIRE
XIV. Il assistera aux loteries ordinaires, afin qu'en général elles ne de-
viennent pas une charge pour la caisse; à reffel de quoi l'honoraire du pré-
sident a été, dans les derniers lemps, à cause des grands travaux qui ont
été exécutés le long de la Mulde, augmenté de 4 reichsihalers, pour Tiii-
demniser de ses peines et de ses courses.
XV. Il doit lâcher d'éviter avec soin tout ce (jui serait de nature à causer
un préjudice à la société, diligenler fidèlenienl tout ce qui peut tendre à son
bonheur, à sa prospérité, au maintien du bon ordre, et faire tous ses efforts
pour que les présentes lois soient strictement observées.
XVI. Il apprêtera et clôturera son compte quinze jours avant la Pente-
côte, afin que, par l'intermédiaire du garde-bois, il puisse être présenté à
chaque membre de la société, vérifié et contrôlé.
CHAPITRE III.
Dt L'ASSESSEUR.
I. Ce fonctionnaire est aussi élu annuellement, à la pluralité des voix,
dans l'assemblée générale qui se lient à la Pentecôte, après que le compte a
été rendu.
Si deux candidats obtiennent chacun un nombre égal de voix, et qu'aucun
d'eux ne veuille se désister volontairement de sa nomination, on tire au sort.
Personne ne votera pour lui-même, ni ne cherchera, avant la séance, à
subtiliser les voix des autres membres, sous peine d'une amende de trente gros
et de l'annulation de l'élection.
II. Il se fera, surtout s'il a été choisi pour la première fois, indiquer et
désigner striclement nos biens communs composés de bois et de prairies , de
même que leurs séparations et limites.
ni. Il surveillera, conjointement avec le président , ou seul, en cas d'em-
pêchement de celui-ci , les ouvriers et gens de peine, et leur fera part de la
conduite (|ue dorénavant il tiendra vis-à-vis d'eux.
IV. Il diligentera la rentrée de ce que, pendant l'année de son exercice,
DRS COLOIVIES BEL(.ES. 263
le président n'a pas pu récupérer. Il prévoira pour Tavenir el contrôlera ce
que, dans Tinlérêt général, les membres ont le plus besoin d'amender et de
cultiver à temps.
V. Cesl alors seulement cpi'il touchera de la caisse les 4 Heichsthaler des-
tinés uniquement aux assesseurs diligents.
CHAPITRE IV.
DU GREFFIER DES FLAMANDS.
I. Les lonclions de grelïler ou de teneur de livres seront toujours dé\o-
lues à un jurisconsulte de la société.
En cette qualité, il rédigera les procès-verbaux, y aclera ce qui est néces-
saire, aidera de ses conseils ceux qui sont sur le -point d'avoir des diflicullés
ou des procès, recherchera dans l'armoire les anciens documents et défendra
les droits des membres.
II. Il besognera le tirage' au sort des bois, ainsi que la spécification qui
annuellement doit être remise aux accises générales.
■ III. Il préparera, scellera el insérera au registre des procès-verbaux les
baux , tant ceux qui concernent les bas-fonds de Fricdersdorff, les pi'airies
de Boulier el de Rodlenkopff, que les autres petites prairies de la commu-
nauté, et recevra des preneurs, savoir : pour un bail de la première caté-
gorie, 2 Reichsthaler, el |)Our ceux de la seconde classe, une somme pro-
portionnée à leur importance.
IV. Il accompagnera (le président el l'assesseur) lors de l'inspection et du
tirage au sort ordinaire des bois; el, en cas de difficulté, il aidera à juger le
diflerend avec impartialité.
V. Quand la société est réunie, il lui fera aussi Rapport, notamment lors
de la remise des comptes annuels qu'il doit besogner, el vérifiera avec zèle
s'ils sont exacts quant à leur calcul. Il émettra sur eux son jugement, fera
valoir ses souvenirs avec ses observations, el proposera ce qui, pour l'année
suivante, doit être besogné.
VI. Il reçoit annuellement pour cette besogne un lot de fagots de chêne;
264 HISTOIRE
ou, à leur défaut, un bon schock de branchages, ou bien 2 Reiclislhaler ,
8 gros, à prendre dans la caisse.
CHAPITRE V.
nu GARDE-BOIS.
I. Il est choisi et agréé par la société à la pluralité des voix.
II. Il ne doit pas être lui-même déjà membre de la société; mais il possé-
dera , pour exercer ses fonctions , les connaissances nécessaires et les qualités
morales requises.
III. Il surveillera et mettra à exécution fidèlement, avec probité et avec une
conscience irréprochable, pour le bien-être de la société, tout ce qui est con-
tenu dans Vlnslruction arrêtée en 1773. Au cas contraire, il devra souffrir
(pie son service cesse en tout temps.
IV. Il se contentera de ce qui lui aura été indiqué et alloué pour son
salaire. De plus, il ne s'attribuera ni n'utilisera, en général, de son propre
chef, rien, ni des fruits sauvages, ni des herbages, ni des branches aballues
parle vent, ni d'autres bois, sans l'agrément et le consentement du président.
V. Il ne se choisira ni ne confectionnera pour lui-même le lot qui lui
revient comme Fôrster; mais tirera un des numéros qui lui auront été pré-
sentés par le président lors du tirage au sort, numéros dans lesquels les
dO schocks qui lui sont alloués sont comptés, afin qu'il fasse d'autant plus
attention que les lots, si c'est possible, soient égaux.
VI. Il prendra grand soin des pièces inventoriées dont il aura accepté le
dépôt , afin qu'elles puissent être remises plus tard à son successeur.
VII. Il n'omettra ni n'excusera personne à qui des charriages auront été
imposés : à cet efïet, il tiendra lui-même un livret qu'il produira quand il en
sera requis et au moyen duquel il pourra se justifier.
VIII. Il conduira chaque Flamand nouvellement entré dans la société sur et
dans les bas-fonds de Friedersdorff , et les lui indiquera jusqu'à leurs limites
respectives , moyennant un pourboire à volonté.
DES COLONIES BELGES. 26S
IX. Il signalera imniédialemenl au président tout dégât commis et qui exige
des soins, afin qu'il y soit pourvu à temps.
Comme ces lois, justes et équitables, ont été adoptées pour le biea-étre
permanent de la société, nous avons la confiance que les possesseurs des
Fleiiiùjs-Hùfen réunis, soit actuels soit futurs, s'y soumetironi de bon gré,
et ne s'exposeront pas à des pénalités.
Que si l'un ou l'autre d'entre eux y agissait contrairement une ou plu-
sieurs fois, sciemment, avec préméditation et bravade, il encourra la peine
qui lui aura été inlligée par le président; — s'il refuse de s'y soumettre, on
lui retiendra les bénéfices pécuniaires qu'il pouvait espérer; ces bénéfices
passeront en compte dans la caisse.
Pour le surplus, ces lois conventionnelles, jadis élaborées, qui ont été ob-
servées jusqu'à ce jour et qui sont actuellement renouvelées, pourront, quand
les besoins du temps l'exigeront, être amendées, amplifiées ou restreintes,
après que préalablement elles auront été soumises à la haute approbation
seigneuriale du pays, à laquelle il en sera référé à cette fin.
Toutefois , les membres réunis, en y souscrivant volonlairement, déclarent
qu'ils les observeront fidèlement, de bonne foi et irrévocablement. — Ainsi
fait à Bitterfeld , le 30 juin 1776. — {Saivenl -53 signatures.)
SECTION IX.
SAXE ÉLECTORALE.
Les Flamands y obtinrent un droit d'une nature tout à fait particulière et
qui leur lut furmellemenl reconnu : le droit de faire llotler du bois [Hoh zù
flossen) dans la rivière de l'Elster; de le rartger en tas le long de l'eau,
{am Ufer aiifzàslupeln) et de le laisser là lié ensemble {zusammen zù
binden ). Ce droit semble se rapporter à un commerce dû bois, facile à exer-
cer, grâce aux forêts qui étaient situées à proximité de la colonie et qui
existent encore aujourd'hui. Ce commerce avait lieu sans doute avec Magde-
bourg, dont les environs, riches en produits agricoles, manquaient totale-
ToME XXXII. 55
266 HISTOIRE DES COLOiMES BELGES.
ment de bois. Au surplus, il est probable qu'il fut importé par les colons,
llainantls et hollandais, qui s'y adonnaient dans leur pairie '.
SECTION X.
AUTRICHE.
Le privilège que le duc Léopold le Glorieux accorda aux Flamands se
résume dans les points qui suivent'-.
I. Ils jouiront et useront, quant à leur négoce, à Vienne , du droit d'avoir
un marché public, et dans tout le pays, de toutes les libertés et de tous les
privilèges qui ont été accordés antérieurement aux autres sujets du duc.
Le duc les appelle buryenses, Purger, ce qui donne à entendre que les Fla-
mands étaient déjà depuis quelque temps établis dans ses États. L'expression :
in officio suo fait supposer qu'ils appartenaient à ces habiles drapiers (|ui, à
celle époque, portaient l'industrie de leur pays aux quatre coins de l'Europe.
IL Léopold les exempte de la juridiction viennoise, à telle enseigne que
si des diflicullés surgissent entre eux, ils ne seront pas tenus de se présenter
devant le juge ordinaire, mais pourront exposer leurs griefs direclemeni à
la chambre monétaire du duc, devant laquelle ils seront aussi responsables
de leurs propres actions.
m. Personne ne pourra se livrer au même commerce qu'eux, à moins
qu'il n'ait été reçu dans leur corporation, et que, quant à la juridiction, il
ne se soumette aux mêmes droits, pénalités et charges qu'eux.
Ces numéros II et III confirment l'hypothèse énoncée plus haut que ces
Flamands èlaieni des gens de métiers. Les drapiers et les foulons couvraient
alors loute la surface de l'Allemagne ''. Mais il n'en est pas moins curieux
de voir une de ces turbulentes et industrieuses corporations de Gand ou
d'Ypres se transporter aux fimiles méridionales de l'Allemagne et y rece-
voir d'un souverain étranger des privilèges que leurs propres suzerains ne
leur accordaient pas» toujours sans opposition.
' Werscl.e, 11, !)7."}.
- Voy. mes Documents, n" XXIV.
^ lliillmaim, Dm Slàdtewesen in Deutschlaïul, im Mittelaller.
TROISIEME PARTIE.
DE L INFLUENCE DES COLONIES SUR LA CIVILISATION
DE L ALLEMAGNE.
PRÉLIMINAIRES.
Malgré le récit assez détaillé que j'ai fait des établissements formés par les
Belges en Allemagne, et l'exposé des avantages qu'ils y obtinrent, cette troi-
sième Partie n'est ni une superfétation oiseuse, ni la répétition sous une
autre forme de ce que j'ai déjà fait connaître ailleurs. Bien des points de-
meurés obscurs doivent encore être mis en lumière; plus d'une question,
resiée sans réponse, attend une solution; bien des détails, enfin, négligés
dans le corps du travail, parce qu'ils n'auraient pu y être que des digres-
sions sans intérêt, attendent ici leur place naturelle et obligée.
Voilà une première raison (|ui seule serait décisive. Il en est une autre
que j'estime tout aussi péremploire. Des historiens de mérite, mais guidés
par un patriotisme mal placé, à mon sens, ont contesté que les colons
belges aient exercé une influence quelconque , en quelque matière que ce
soit, sur la marche de la civilisation en Allemagne. C'est ici le moment de
donner un démenti à leurs assertions quelcpie peu intéressées.
Le débat roule presque tout entier sur celte question -ci: Lorsque les
princes chrétiens de la Germanie firent un appel aux peuples étrangers, les
populations qu'ils avaient à combattre se composaient-elle de Wendes ou de
268 HISTOIRE
Wendo-Gcrmains? Posée en ces termes, la question se résout (relle-niénie.
Tous les (émoignages de Thisloirc, de (|uel(|ue côlé qu'ils én)anenl, sont
unanimes à déclarer qu'au douzième siècle les Slaves étaient maîtres de tout
le nord de rAllemagnc [Slavia) et qu'ils avaient depuis longtemps exterminé
la population germanique primitive. Ce point est trop connu pour que j'aie
besoin de le prouver |)ar des arguments cent fois répétés el cpie l'on n'a pas
renversés jusqu'ici.
31ais là ne s'arrêtent pas les eirorls de ceux qui prétendent nier Tinfluence
civilisatrice de ces peuples étrangers, qui, tous ensemble, changèrent la
face des contrées conquises. Je ne m'arrêterai pas à combattre les opinions
surannées de Wersebe. Sa dialectique est trop faible et sa partialité trop
évidente pour qu'il faille perdre du temps à le réfuter. Je voudrais essayer
de répondre quelques mots à un écrivain qui jouit en Allemagne d'une répu-
tation bien acquise el qui, sous plusieurs rapports, se trouve en opposition
complète avec les idées généralement reçues.
Je n'aborderai ici ce sujet qu'à un point de vue général , me réservant de
l'approfondir plus loin pour certaines matières spéciales.
On sait qu'une partie des Wendes, moins hostiles ou moins persévérants
que les autres tribus de leur race, se soumirent aux princes chrétiens, reçu-
rent d'eux des faveurs et vécurent dès lors avec les Allemands en bonne
intelligence. Les ducs n'y avaient mis qu'une condition : l'adoption par les
vaincus des lois et des mœurs des vainqueurs.
Ce fait si simple et établi par l'iiistoire, le professeur Fabricius le révoque
en doute. iMais je n'ai qu'à rappeler la première Partie de ce travail pour
convaincre du contraire tout esprit impartial.
Cependant Fabricius insiste. Quand même ce que nous avons avancé
serait vrai, « les princes wendes, dit-il , n'auraient jamais pu se résoudre
à laisser supplanter leurs sujets par des colons germaniques '. » M est facile
de se convaincre que si les princes wendes laissèrent pénétrer des colons
étrangers dans leurs Étals, ils n'obéirent évidemment (pi'aux injonctions
impérieuses de la nécessité. Ils n'avaient pas la liberté du choix. Voulaienl-
• Dus l'vuliere Sldvctillniiii der zii Deutscliland gehon'(j(ii Ostseeliinder, in dcn Meckl. Jalirb.,
VI, p. 2.
DES COLOMES BELGES. ^iG9
ils se mainlenir dans leurs possessions, et conserver une ombre trindëpeii-
dance ou de souveraineté, ils devaient tolérer chez eux, pour ne pas dire
appeler à leur secours cette population germanique qui, exercée à lagri-
cullure et initiée depuis longtemps au mouvement de l'activité humaine,
pouvait réparer de longs désastres et laisser reposer la population slave,
trop fail)lo, trop indolente ou trop ahatlue pour suffire à sa propre exis-
tence '.
« Les Wendes, continue Fabricius, n'auraient pas supporté patiemment
la présence de colons étrangers ^ » Mais ne les ont-ils pas repoussés, ces
colons, avec une énergie et une ténacité invincibles? Ce n'est que lorsque
leurs forces furent épuisées par des combats incessants qu'ils durent renoncer
à empêcher désormais des étrangers de s'introduire au sein de leurs foyers.
D'ailleurs, on a pu juger, dans la partie historique, de la vigueur de leurs
efforts et de la durée de leur résistance.
« Il est difficile d'admettre , dit encore le savant historien , que des colons
étrangers aient pu, dans un si court espace de temps, acquérir la prédo-
minance sur des peuples aussi nombreux que les Wendes.". » La réponse est
aisée. L'espace de temps pendant lequel ces événements se passèrent ne fut
pas aussi court que le pense Fabricius. Pour ne parler que de la Poméranie,
les Wendes s'y maintinrent jusqu'à la fin du treizième siècle, et aujourd'hui
encore on les retrouve dans la Poméranie orientale. Dans l'île de Riigen, leur
dernier boulevard, la langue wende ne se perdit qu'au commencement du
quinzième siècle. Au surplus, le récit d'Helmold, plus que tous les arguments
que je pourrais faire valoir, prouve avec quelle rapidité la transformation
s'opéra.
Enfin, le professeur Fabricius hasarde une dernière objection : « Les pays
saxons, dit-il, n'avaient pas eux-mêmes une population si nombreuse (pi'ils
pussent envoyer ailleurs une si grande quantité de colons *. » Mais personne
n'a jamais prétendu que ces colons soient partis par centaines de mille à la fois
' Kosegarlcn, Codex Diplom. Pom. passiiii.
- Fabricius, toc. cit., p. 2.
3 Idem , p. t i.
* Jdetn.
270 HISTOIRE
En supposant seulement qu'à chacune de leurs émigrations, — et nous sa-
vons combien elles ont été nombreuses, — une ville et quelques villages
aient été fondés, cela aurait sulïî, la population se triplant, pour changer peu
à peu la face de tout le pays. Aussi bien ne remarquons-nous pas déjà , au
douzième siècle, que la plupart des villes de la Slavie avaient pris les allures
du reste des cités germaniques? C'est un point sur lequel je reviendrai tout
à l'heure.
Il fallut, du côté des vainqueurs, des efforts énergiques et persévérants
pour aboutir à un résultat favorable. Ce qui amena le succès, ce furent le zèle
évangélique des prêtres chrétiens, l'amour de la gloire et l'esprit de conquête
des princes, et tout autant le génie entreprenant et industrieux de la bour-
geoisie naissante des villes. La croix, l'épée, l'or achevèrent, en peu de temps,
l'entreprise immense des Henri le Lion et des Albert l'Ours. Missionnaires et
chevaliers, bourgeois et marchands, paysans et colons partent en masse des
différentes parties de la Germanie, se rendent dans des contrées inhospita-
lières, à peine arrachées au règne de la barbarie, et s'y montrent comme les
pionniers du progrès, comme l'avant-garde de la civilisation européenne.
Un dernier mot pour préciser la question. La vraie importance de la co-
lonisation néerlandaise consiste dans la révolution qu'elle produisit, en Alle-
magne, dans la culture du sol , en rendant productifs et fertiles de vastes
territoires; elle prépara ainsi, au sein des populations germaniques, les élé-
ments d'un développement de civilisation , qui mit ces populations à même
de jouer dans l'histoire de l'Allemagne le rôle si grand et si influent que nous
leur voyons prendre pendant l'époque qui suit ceHe de la colonisation. 11 est
hors de doute que cette dernière a dû agir aussi sur les institutions, sur l'or-
gam'sation sociale, mais dans une mesure moindre; elle a contribué à régler,
sur des bases nouvelles, plus larges à la fois et plus libérales, la condition
des individus et le régime de la propriété foncière; mais on méconnaîtrait les
faits et l'on sortirait de la vérité si l'on voulait revendiquer, pour les colons
belges, une action directe et transformatrice sur les institutions politiques de
l'Allemagne '.
' Arendt, Biillet. de l'Acail., 1863.
DES COLONIES BELGES. 271
Tels sont les principaux aspects que présente le sujet, aspects qu'il faut
faire ressortir maintenant.
SECTION l.
FONDATION DE VILLES ET DE VILLAGES.
L Mali^ré rextrème infériorité où elles se trouvaient vis-à-vis des popula-
tions de souche teutonne, les tribus slaves de la côte méridionale de la Bal-
tique avaient atteint, au douzième siècle, un plus haut degré de culture
matérielle et morale que leurs voisins prussiens et letto-finnois, et elles
comptaient quelques villes considérées par elles comme des centres de splen-
deur. Les Obotriles, la tribu la plus avancée, et les Poméraniens avaient déjà
des villes avant même que le Christianisme les eût soumis à son empire.
Toutefois, il ne faut pas se dissimuler que ces soi-disant villes, telles (pie
Schwerin, Mecklembourg, Malchow, Giitzkow, Tribsee, et Gdanzk (Danzig),
Usedom et autres, n'étaient (pie des châteaux dépendant de l'un ou l'autre
seigneur et entourés de quelques chétives bourgades. D'autres, sans doute,
avaient un caractère plus tranché, comme Stellin, Demmin, Wolgast,
Wollin; mais là, non plus qu'ailleurs, nous ne trouvons cet esprit de liberté
civile et de vitalité politique que nous rencontrons, à la même époque, chez
(|uelques autres nations de l'Europe. De sorte que l'on peut dire, en der-
nière analyse, que l'Allemagne du nord ne comptait qu'une seule ville de
(pielque importance et qui méritât ce nom : c'était Lubeck. Or, Lubeck ap-
partenait depuis nombre d'années aux Allemands.
Un peu plus d'un demi-siècle plus lard, ce même territoire, — et il \ faut
ajouter toute la partie NE. de l'Allemagne, ^ — était couvert d'un vaste réseau
de villes à l'allure et aux mœurs germaniques, et qui se montraient comme
les points de repère de la civilisation au milieu des peuples encore à demi-
barbares parmi lesquels elles s'élevaient.
A qui fut dû cet important résultat?
Aux colons étrangers, répondent sans hésiter tous les historiens allemands.
IL Les Belges ne demeurèrent pas étrangers au mouvement de fon-
272 HISTOIRE
dation des villes, bien que tel ne fût pas le but pour lequel on les avait ap-
pelés : « Les bourgeois de soucbe teutonique vinrent de près et de loin...
et parmi eux ne firent pas défaut les étrangers du Brabant et de la
Flandre '. »
Les villes nouvelles obtenaient, en général, les droits de certaines autres
villes, probablonienl de celles par les habitants desquelles elles étaient fon-
dées. En vertu de ces droits, les bourgeois participaient aux franchises et
privilèges des villes-mères. C'est ainsi (|ue la ville de Friediand obtint le Slen-
daUsche - Recht , c'est-à-dire rensenible des droits accordés à la ville de
Stendal, qui fut repeuplée par les Flamands, ainsi que je Tai dit dans la
première Partie.
Slendal lui-même prit une extension si rapide que huit habitants de la
ville de ce nom entreprirent, vers 1231 , la reconstruction de Prenslow :
cujus civilatis promotionem , dit une source, viris providis et discrelis,
Wallero, qui in ea praefecdis eril, Jordano et fnilri suo, WilUckino cum
Esijcho, Henrico cum Helya et Pauto de Stendal, quia nobis hune locuin
recepenmt , comitusimus , in hune modum , etc. -.
On s'accorde généralement à reconnaître que ces huit personnages por-
taient tous le nom de Stendal ^ ; mais , d'après la construction de la phrase ,
et en examinant la manière dont les entrepreneurs sont groupés , je suis plu-
tôt porté à croire que les trois derniers seuls étaient qualifiés de cette façon.
Quoi qu'il en soit, l'expression providi etdiscreti viri fait supposeï-, et non sans
apparence de vérité, que c'étaient de riches bourgeois de Stendal; car les
gentilshommes étaient généralement désignés par l'expression de sirenui viri *;
mais d'autre part, il n'est pas certain que Stendal eût déjà, à cette époque,
des bourgeois assez riches pour pouvoir entreprendre une œuvre aussi consi-
dérable (|ue celle de la reconstruction d'une ville. On pourrait donc admettre,
ce semble , que les personnages (|ui figurent dans la charte appartenaient à une
' Otlo Fock, RiitjenscJi-PoimnerSvlie Genchichlen, II, 151.
- ("iruiidniann, Ulcermàrk. Adels-Hislorie, p. 7.
"> Biuliholz, /oc. iit., II, p. 200.
■■• Wnsebe , qui fait ici cet aveu , est d'un avis contraire pour les Stremii viri de Misnie : il csl
vrai (pic là il s'agissait de Flamands.
DES COLONIES BELGES. 273
famille noble qui avait des biens à Prenslow, près de Stendal *. On rencontre
encore, vers le même temps, dans une charte de fondation du cloître de
Chorin , dans l'Ukermark , un Henriciis de Sleyndale , (|ui paraît être le même
que le Henricus cité plus haut ; et je crois que c'est le même personnage que
\eHenricus Flemingus qui figure dans plusieurs sources contemporaines, et
dont j'ai parlé plus haut.
Si je voulais énumérer toutes les villes que fondèrent les Belges, ou qu'ils
furent appelés à repeupler, il me faudrait refaire la première Partie. Je me bor-
nerai à citer Eutin, Jiiterbock, Seehusen, Kemberg ou Kemeric, Niemeck,
Gent, Mechein, etc. Il y a encore aujourd'hui en Allemagne une quarantaine
de bourgs ou villages qui portent les noms de Flemming, Flemingen, Alt-
Flemingen, Neu-Flemingen , Flemingsdorf, Flemsdorf, etc.
SECTION II.
RELIGION.
1. Le second résultat de la victoire des princes chrétiens sur les Slaves et de
Tintroduclion des colons étrangers dans leurs Etats fut la chute du paga-
nisme forcé dans ses derniers retranchements, et, par une conséquence
directe et nécessaire, la conversion des Wendes au Christianisme. — Sans
doute, il est impossible de prétendre que le culte des idoles ait été extirpé
tout d'un coup, que les mœurs et les pensées des Wendes aient changé
comme par enchantement; mais les fondements de la transformation étaient
jetés, et les progrès n'en furent troublés (pi'à de rares intervalles par des
réactions de l'ancien esprit païen. Les princes slaves semblaient comprendre
que le temps de l'idolâtrie était [lassé, et ils adoptèrent les premiers, comme
pour prêcher d'exemple aux peuples qui leur restaient soumis, les doctrines
que les missionnaires chrétiens leur faisaient connaître. Ils imitèrent aussi avec
empressement les princes chrétiens dans l'érection de nombreux monastères et
dans les riches donations que ces princes faisaient en même temps aux abbayes.
Voici comment un écrivain protestant a apprécié le rôle des monastères
dans l'œuvre de la colonisation : « les cloîtres, au milieu d'une population
* Wersebe, p. 478.
Tome XXXII. 36
274 HISTOIRE
sauvage el à demi-païenne, n'étaienl pas encore, à celle époque, ce qu'ils
devinrenl plus tard, des asiles dignorance el de l'ainéanlise; cVHaient, en
réalilé, les pépinières de la civilisation. Les habitants des cloîtres faisaient
alors autre chose que manger et boire, chanter et prier; ils n'étainl pas seu-
lement, à côlé des prêtres séculiers, les prolecteurs et les soutiens de toute
culture inlellecluelle un peu élevée; mais ils nous apparaissent en outre
comme les moteurs el les champions du progrès matériel dans le domaine de
Tagriculture el de Tindustrie. Partout où la générosité des princes leur faisait
don de terres déjà habitées et cultivées, les améliorations qu'ils y introdui-
saient augmentaient aussitôt les revenus; et combien de contrées désertes et
incultes n'onl-ils pas rendues à la civilisation! Souvent, quand Tactivilé
privée demeurait impuissante, ils attiraient de loin des colons étrangers :
ceux-ci, que la perspective d'être exempts de toutes charges, en leur qualité
de sujets du cloître, faisait accourir en masse, apportaient, avec de grandes
aptitudes au travail, des mœurs plus douces et plus polies. L'exemple donné
par les cloîtres fut imité dans la suite par les princes et les gentilshommes
dans l'intérêt de leurs propriétés, et de celle manière le Christianisme opéra
une Iranformation dans le sens civilisateur le plus large '. »
IL II fallait, en effet, des étrangers, mais d'origine germanique, pour
aider au succès de l'œuvre. Ce n'était pas du milieu des W endes païens qu'on
pouvait prendre des prêtres chrétiens pour convertir les idolâtres. On les
appelait du Danemark, de la basse Saxe, de la Weslphalie, et les cloîtres
renommés des Pays-Bas fournissaient un contingent considérable.
Quelques-uns de ces ecclésiastiques, les plus marquants, devenaient les
chapelains des princes, fonction qu'ils cumulaient souvent avec celles de
secrétaire el de conseiller privé, parce que seuls ils savaient écrire et avaient
une connaissance suffisante de la langue latine, alors indispensable -.
Ce nouveau clergé travailla, de son côté, à l'œuvre de la colonisation. Là
où il y avait des colons germaniques, ils prélevaient, selon l'usage de leur
nouvelle patrie, la dîme ecclésiastique, dîme qui était plus abondante et plus
fructueuse que la soi-disant Biscopunilza, l'impôt religieux des Wendes,
' UUo I'o(_-k, I,!»2.
"- [d., 11,44.
DES COLONIES BELGES. 275
sur la modicité et la mesquinerie duquel on élevait partout des plaintes '.
III. Les cloilres, ai-je dit, furent à la tête du mouvement d'émigration,
delà résulte à l'évidence de ce que j'ai dit dans la première Partie. Les Cis-
terciens, si nombreux dans les provinces belgiques, se rendirent en foule en
Allemagne'. Il sufllra de rappeler les fondations de Walkenried, de Porta,
en Tliuringe; de Leubus, en Silésie; d'Eldena, en Poméranie, etc. Le cou-
vent d'Altenkamp, situé sur les frontières des Pays-Bas, donna son nom à
une succursale célèbre, iVeuenkamp, aux environs de la ville moderne de
Franzbourg. Les moines amenaient des paysans, vassaux de leurs abbayes,
et en appelaient d'autres quand ils étaient parvenus à destination. Ces nou-
veaux habitants n'étaient pas seulement d'habiles agriculteurs; ils formaient
les premiers éléments d'une population chrétienne qui devait en peu de temps
modifier l'aspect du territoire qu'on lui avait assigné.
Ce qui prouve l'influence qu'exercèrent les Belges dans le domaine de la
Religion, en Allemagne, c'est que Helmold, calcirlant le nombre des nou-
veaux habitants, d'après l'importance des dimes, dit, après avoir rappelé
les immigrations des Flamands et autres : « Ils construisirent des églises et
affectèrent les dimes de leurs fruits au culte de la maison de Dieu. L'œuvre
du Seigneur jeta dès lors de profondes racines, etc. '. »
II s'exprime ainsi sur leur influence dans le lAIecklembourg : « Les dimes
augmentèrent dans les pays slaves, parce que des hommes de race teuto-
nique, quittant leur patrie, vinrent cultiver nos terres... ^*. »
De même dans le Brandebourg : « L'évêché de Brandebourg et celui de
Havelberg furent encouragés et stimulés à introduire des étrangers, parce
que les églises se multipliaient et que la perception des dîmes prenait de grands
' Olto Fock, II, 44.
■'■ » On ne saurait refuser au clergé, et spécialement aux Cisterciens et aux Auguslins, le
mérite d'avoir conlribné immensément, et toujours avec une perspicacité remarc(ual)le, à la
culture du pays, et par là au développement de la richesse foncière. » Tzschoppe et Stenzel ,
p. 138.
■•■ Cluonkon Slavoriim, 1. I, c. 9 : « Aedificaverunt ecclcsias et subministraverunt décimas
irucluum suorum ad cultum domus Dei. Et plantatum est opus Dei. »
* Id., 1. I, c. 87, n" 4 : « Et auctae sunt deeimationcs in terra Slavorum , co quod confluè-
rent de terris suis homines teutonici ad colendani terram. »
276 HISTOIRE
(lévoloppemenls... Dos bords de l'Océan vinrent une multilude de peuples
puissants... Ils bâtirent des cités et des églises, et acquirent (rimmenses
richesses '. »
Je n'ai pas besoin de faire remarquer que cette i)hrase se rapporte aux
Flamands et Hollandais introduits dans les États du margrave par Anselme
de Havelberg et Évermode de Cambra\ .
Lorsque les évêques de 3Iisnie et de Naumbourg, les abbés de Ballen-
stàdtet de Walkenried, etc., accordèrent aux Belges ces magnifiques condi-
tions que j'ai énumérées, ils poursuivaient évidemment un double but :
celui d'avoir des colons industrieux dont l'activité pût introduire l'aisance
dans leurs possessions , et surtout celui de trouver des sujets dont les croyances
religieuses seraient à la fois un exemple pour les Slaves convertis et un rem-
part contre les relaps et les opiniâtres.
Les princes et souverains favorisaient les cloîtres et les dotaient riche-
ment , nous l'avons vu; mais ils exigeaient en revanche que ceux-ci se missent
à la tête de la colonisation; souvent même ils en faisaient une condition
expresse. Cela ressort clairement de plusieurs diplômes d'Albert l'Ours.
C'est grâce à ces efforts combines , dit encore Helmold , que tous les pays
slaves du Nord furent transformés en une colonie de Saxons, que l'on fonda
des villes, que l'on bâtit des forteresses, que les églises se multiplièrent, et
qu'avec elles augmenta le nombre des serviteurs du Christ -.
SECTION ni.
ÉGLISES.
Par sa charte de 1106, l'évêque de Brème avait accordé aux colons
belges, en termes fort nets, le droit de bâtir des églises, sans en limiter le
nombre et sans fixer l'endroit où elles devaient être placées. Il leur laissait à
' Chronicon Slaiorum , I. 1, c. 88 : « Et confortatus est vehcmentcr ad introituni adveiiai-um
cpiscopatus Brandcnburgensis, nec non Havelbergensis, eo quod multiplicarentur ecclesiae et
decimai'um succresseret ingens possessio... Vcnerunt de finibus Occani populi fortes ac innume-
rabiles... et aedificaverunt ecclesias, et increverunt divitiis super omnein aestimationeni. »
5 Helmold, 1. I, c. 87.
DES COLONIES BELGES. 277
cet égard loiUc liberté. Aucune source, se rapportant à d'autres pavs, ne
s'exprime d'une manière formelle sur le même sujet; mais il est évident (jue
les Néerlandais obtinrent partout le même droit, puisque Helmold dit à plu-
sieurs reprises que par l'arrivée des colons les églises se multiplièrent, luulii-
plicabantur ecclesiae, — acdificaverunt ecdesias.
Beaucoup d'églises, bâties par les Belges, ont été détruites ou rebâties
petit à petit ; un grand nombre néanmoins sont encore debout et attestent
fidèlement leur origine; de sorte que, suivant l'expression d'un écrivain
allemand, là où la langue humaine est muette, les pierres ont souvent leur
langage '.
L Parmi les plus anciennes églises du pays de Brème, celles de HuUein
et de Zeven se distinguent par la solidité de leur construction et la simplicité
de leur style; celles de Oederquart, Sitlensen et Hollemlorf, au contraire,
par leur pyramide élancée, que l'on voit à une grande distance.
Les églises de YAlleland ont une physionomie tout à fait particulière; leurs
tours sont couvertes de bardeaux et peintes en rouge avec des bandes vertes.
Celles du pays de Wiirslen ont un aspect plus riant. Ainsi (pi'en Flandre,
elles ont un toit en ardoises grises, autour desquelles court une bande
blanche.
Mais partout ce sont les autels qui révèlent le plus haut degré du zèle re-
ligieux, comme étant les endroits de la prière et la place des sacrements.
Dans le pays de Wùrsten , ces derniers reposent le plus souvent dans le sanc-
tuaire, avant-corps bas et voùlé, séparé du vaisseau proprement dit.
Dans plusieurs églises d'une construction plus récente, l'autel, contraire-
ment aux usages ecclésiastiques, n'est pas dirigé vers l'orient, mais bien vers
le sud, comme à Bremervorde et à Brockel , ou tout à fait du côté de l'occi-
dent, comme à Beversledt. Le dos de l'autel des églises de Oerel, Saint-
Jurgen et Beverstedt est orné de figurines sculptées, dont les sujets sont
tirés de l'Écriture sainte -.
Enfin, dans toute la basse Saxe, comme dans le reste des Pays-Bas, le
' Fr. Adler, Die Niederlàndischen Kolonien in der Mark Brandenbiiri) , p. 18.
2 Kôster, ibid., p. 74.
278 HISTOIRE
coq est l'ornemenl obligé qui couronne la tour des églises. Emblème de la vi-
gilance, le coq rappelle la chute et la pénitence de saint Pierre, et sa vue est
pour les fidèles un avertissement pieux; le! est le motif qui fit choisir, dans
les premiers temps du Christianisme , le roi des gallinacés pour aller régner
sans rival au sommet des tours '.
II. En recherchant dans les plus anciennes constructions d'églises, qui
existent encore dans le Brandel)ourg principalement , le mode de bâtir jus-
qu'au douzième siècle, on trouve qu'elles ont été élevées, en général , d'après
un style rude et abrupt, et que la pierre des champs formait la base des
matériaux employés.
Vers le milieu du douzième siècle , apparaît subitement et sans transition
une manière nouvelle. On se servit alors de la brique cuite, et ce mode de
bâtisse prédomina peu à peu , si bien qu'au milieu du treizième siècle l'an-
cien système des mœllons se trouva complètement écarté.
Si l'on examine de plus près ces constructions en briques, on s'aperçoit
qu'elles existent justement dans les localités qui sont connues comme ayant
été le siège de colons néerlandais, soit par le récit des chroniqueurs, soit
par la tradition "".
Telles sont, sur la rive gauche de l'Elbe, le cloître de Diesdorf, près de
Salzwedel, béni en 1161 ; les églises de Grossvoyster et deSchoneberg, si-
tuées dans la Wische, où les Hollandais eurent leurs principaux établisse-
ments, et bâties à une époque qu'on ne saurait fixer avec certitude, mais
qui fut indubitablement le milieu du douzième siècle; Téglise de Saint-Martin,
près d'Osterberg, déplacée dans un autre endroit en 1170; le fronton occi-
dental de l'église du couvent de Werbe, rebâti après 1160; enfin l'église
paroissiale de Saint-Jacques à Seehausen — autre établissement hollan-
dais— ; elle fut déjà rebâtie après 1151 et il n'en existe plus de (races
aujourd'hui; mais le souvenir en est encore gravé dans la mémoire des
vieillards.
Sur la rive droite de l'Elbe, apparaît tout d'abord l'église imposante et ma-
jestueuse du cloître de Jérichow, bâtie de 1 149 à 1159, un des monuments
' Kôster, [>. 187.
2 Adicr, ]). fi.
DES COLONIES BELGES. i79
les plus anciens, si pas le plus ancien des conslruclions belges. Viennent
ensuite Téglise paroissiale de Wulkow, bàlie entre H 60 et 14 72, les églises
des villes de Jérichow et de Sandow, celles de Klictz, Fischbeck, Hoben-
Gohren, Schniilsdorf, Meldow, Groz-Mangeldoii', Redekin, Bergzau, toutes
bâties d'après des plans uniformes et avec des formes arlisti(|ues.
En supposant même que l'on ne veuille pas admettre ({ue tous ces monu-
ments ont directement les Néerlandais pour auteurs, on ne peut cependant
pas se refuser à croire (|u'ils y aient coopéré d'une manière ou d'une autre.
Si une certaine obscurité entoure maints endroits colonisés par les Belges,
c'est que les sources originales sont pour la plupart perdues. Mais lorsque
l'on attribue, et à bon droit, à l'activité des colons néerlandais les plus an-
ciennes constructions du pays de Jérichow, telles que le cloître de Jérichow,
Wulkow, Melkow, Sandow, toutes bâties entre 1 U9 et H 70, et qu'on les
compare avec les églises de Werben, Seehausen, Osterburg, Schoenberg,
Boyster et Diesdorf, on admire l'essor prodigieux que prit le pays dans un
espace d'à peu près vingt ans, essor qu'Helmold a cherché à dépeindre en si-
gnalant l'accroissement énorme que prit la perception des dîmes : « eo quod
succresseret ingens decimai-um possessio. »
On peut encore trouver la confirmation d'établissements néerlandais
autour de Jérichow, dans cette circonstance que des Hollandais de Brème
occupèrent, en 114.2, un endroit nommé Sanloù, à l'époque où fut bâtie la
|)remière église de Seehausen. Le nom de ces deux endroits se retrouve -dans
le Brandebourg : Sandow sur la rive droite de l'Elbe, et Seehausen sur la rive
gauche, dans la Wische. Comme, d'après les chroniqueurs, Seehausen est une
ancienne colonie hollandaise, on peut admettre une semblable origine pour
Sandow, d'autant plus (|ue les deux localités, tant de la Marche (pie de l'évèché
de Brème, écrivaient autrefois leurs noms d'une manière identique, et que
la ville actuelle de Sandow (jadis Sanloù) possède une église bâtie en briques
et dont le style a une étroite affinité avec celles qui existent dans le pays de
Jérichow.
III. Wersebe a fait avec beaucoup d'aigreur à Helmold le reproche d'exa-
gération, relativement surtout au passage où le chroniqueur dit que les Hol-
landais s'étendirent jus(prà la forél de Bohème : « civitates et oppida multa
valde usquc ad saltum Bojemicum possederunl Hollandri. «
280 HISTOIRE
Mais Texamen des conslmclions de tout le territoire désigné par Helniold
vient aux secours des affirmations du chroniqueur , car la plus ancienne bâtisse
en briques y coïncide précisément avec une colonie hollandaise.
En avançant vers le sud, on rencontre Brandebourg, où l'église Sainl-M-
colas de Luckeberg, village qui n'existe plus, se trouve encore dans un étal
de conservation parfaite, vis-à-vis de l'ancienne ville, et offre un monument
des plus remarquables bâti en briques.
Comme cette église est déjà mentionnée en 1172 et qu'elle correspond
tout à fait dans ses plus anciennes parties avec les constructions dont j'ai
parlé plus haut, on peut d'autant plus la considérer comme l'église parois-
siale d'une colonie néerlandaise qu'il est établi authentiquement qu'un village
« allemand » remplaça le village slave de Parduin, à deux pas de là.
A quelques lieues plus loin, apparaît Jiilerbogk, la ville qu'occupèrent tes
Flamands. L'église de Damme, ou faubourg de cette ville, fut, comme je l'ai
dit dans la première Partie, bàlie par eux \ vers 1160, mais seulement
achevée vers 1174, époque à laquelle Siegfried, évéque de Brandebourg,
conféra au prévôt de l'église l'archidiaconal du pays.
Elle fut bâtie, comme celle des Pays-Bas, de briques cuites et ornée de
fenêtres étroites à plein cintre. Survinrent deux irruptions des Lutizes et
des Poméraniens; mais l'église fut immédiatement restaurée. A la seconde
fois, la bâtisse primitive en briques fut considérablement renforcée, et les
murs de devant construits en blocs de granit taillés, pour qu'ils pussent sup-
porter le poids de la tour et des cloches que l'on y voulait suspendre. Ces
travaux, qui forment le côté occidental et qui sont encore visibles, accusent
la manière de bâtir de celte époque. Quant à ce qui subsiste de l'église pri-
mitive, — c'est-à-dire le vaisseau principal, sans la nef transversale, qui y
fut jointe plus tard, et sans le chœur -, — cela suffît pour prouver qu'on y
employa la même construction que pour celles de Jérichow et de Brandebourg,
et que partant elle appartient à la même époque.
Il est permis de supposer qu'anciennement il y avait beaucoup d'églises
de ce genre, qui ont été détruites en 1179, dans l'invasion des Slaves et
qui plus tard ont été rebâties avec des blocs de granit.
' Voy. p. 124.
2 Heffter, p. 71.
DES COLONIES BELGES. 281
Dans le Flâming de Jiileibock, les Flamands employèrent une triple
manière de bâtir. Ils avaient apporté de leur patrie Tart de construire en
briques. Les plus anciennes églises qu'ils construisirent dans le Flamiiiy
lurent bâties avec des briques cuites sur les lieux mêmes et jointes ensemble
au moyen d'un solide mortier.
Bientôt cependant, vers 4170, ils commencèrent à couper, à fendre ou à
scier des blocs de granit que Ton trouve en assez grande (luanlité dans leur
territoire, et à leur donner une forme carrée à peu près régulière; puis, au
moyen de ces matériaux , ils formèrent d'abord des cintres pour les portes
et les fenêtres , et plus tard ils s'en servirent pour construire des murailles
entières.
Enfin, vers M 90, ils remarquèrent que, grâce à leur solide mortier, ils
pouvaient aussi construire de fortes murailles avec des pierres des champs non
équarries, et dès lors ils adoptèrent généralement ce mode de construction,
tout en le confondant souvent avec les deux premiers.
C'est ainsi que s'élevèrent, dans le Flaming , les églises des villages. Toutes
avaient des fenêtres étroites , en forme de créneaux, pour qu'en cas de guerre
elles pussent servir de lieu de refuge et de place de défense; plus tard elles
eurent des porches cintrés et des toits en bois plats. Au vaisseau oblong,
était adossé , du côté de l'Orient , et relié au moyen d'une immense arcade
voûtée, le chœur plus étroit, mais carré, ayant son entrée particulière.
Autour du chœur régnait un hémicycle peu considérable et qui était réservé
à l'autel.
Quelques-unes des églises, que j'ai visitées, ont conservé cet aspect an-
tique. La plupart sont modernisées.
Dans le principe, la cloche était suspendue entre deux sommiers de bois
juxtaposés sur le toit; plus tard, on ajouta comme complément, du côté
gauche du toit, une tour carrée. Une seule église eut une tour dès son ori-
gine : c'est celle de Langenlipsdorf.
Les archéologues avancent, — avec une unanimité assez rare — que toutes
les églises, telles que je viens de \à dépeindre , sont l'ouvrage des Belges '.
' Cf. Ellmiillcr, Annalcn der Stadt Jiiterbocli Kitd dvieii l'mgebung. — Hefftcr, 49.
Tome XXXIl. 37
282 HISTOIRE
IV. Les villages tle Pozeleve el de jNimitz , dans TAiihalt , ayant élé dé-
truits à une époque postérieure à celle de la colonisation, on manque de ren-
seignements sur les églises qui ont dû y exister. 11 en est de même pour
celle de Kûlnen, en Misnle,et pour celles de Wôrlilz et de Pratau, bâties
entre 1160 et 1170, mais qui ont élé renouvelées sans avoir rien conservé
de leur construction primitive.
En revanche, Téglise d'Axien, près deTorgau, correspond dans son en-
semble comme dans ses détails aux églises en briques cuites de la Marche
(le Brandebourg, et comme eJle date de la même époque, elle doit sans
aucun doute son origine à une colonie néerlandaise.
Il faut regretter aussi vivement la perte du cloître d'Altencelle , prés de
Rossen, en Misnie, parce que sa fondation primitive (1162), d'accord avec
la ti'adition que son église était bâtie en briques, fait présumer qu'ici aussi
on peut mettre en avant une iniluence néerlandaise '. Cette présonqjtion
gagne beaucoup en probabilité, puisque Altencelle était une succursale de la
Himinelspforte, où déjà, en 1140, et ainsi plus tôt que dans la iMarche,
les Belges s'étaient établis.
Si maintenant l'on jette un regard rétrospectif sur celte série d'églises (|ui
s'étendent depuis Salzwedel jusqu'en Misnie, el qui presque toutes ont élé
fondées entre 1130 et 1170, on acquiert la conviction que le récit d'Hel-
mold atteint un haut degré de vérité, el que les Néerlandais ont habité jus-
(|u'aux frontières de la forêt de Bohême , surtout si Ton prend en considé-
ration combien de documents originaux, qui conslatent ce fait, ont dû être
perdus , et combien d'églises bâties à celte époque ont été détruites.
Revenons maintenant à l'église de Jérichow. Elle fut commencée, au plus
lard^ en 11 4-9, et achevée, en 1 159, dans ses parties principales sans les tours.
C'est à celle dernière date que le pape Adrien IV prit le cloître sous sa pro-
tection et le confirma dans tous ses droits et dans tous ses biens. Considérée
en elle-même, l'église est l'édifice le plus ancien el le plus imposant, bàli en
briques, qui se trouve dans la Marche de Brandebourg.
Construite d'après le plan antique d'une basilique à colonnades, el ornée
' Adlor, loi:, cit. , p. 1 1 .
DES COLQiMES BELGES. 285
de peu de formes archilectoniques sévères, — répondant on lout point à lidéo
austère de saint Norbert, le maître d'Anselme deHavelberg, — cette église est
le modèle le plus complet du maniement technicpje de la brique dans toute
l'étendue de pays qui s'étend de la pointe extrême du Jiilland jusqu'aux Car-
patbes, et depuis les emboucburês du Weser jusqu'à la Diina. Jamais el
nulle part, on ne prépara et l'on n'employa avec autant de soin qu'à Jérichow
le matériel des briques et du mortier. Aussi l'église de Jérichow fut-elle
prise pour type dans la construction des églises que Ton éleva postérieure-
ment '.
Toutefois ces églises, quoique offrant encore des qualités de style remar-
quables, sont loin d'être aussi distinguées que celle de Jérichow même. (>
fait s'explique par la circonstance que les fondateurs du célèbre cloître avaient
des ressources énormes à leur disposition , el qu'ils avaient su s'entourer de
tous les hommes les plus capables de mener à bonne fin leur entreprise.
V. La preuve que ces anciennes églises en briques, dont je viens de parler,
ont été bâties de 1149 à 1170 par les Néerlandais, se trouve, d'une part,
dans les documents originaux et chronologiques cités dans la première partie,
et, de l'autre, dans la conformité des églises des colonies avec les monu-
ments du moyen âge qui existent encore en Hollande, en Zélande, en Flan-
dre, etc. .Malheureusement une grande partie des anciennes constructions
des Pays-Bas ont disparu par suite du développement que prit chez nous le
style gothique. Mais les églises qui ont été conservées intactes offrent des
preuves irrécusables de l'analogie que je viens de signaler.
Il faut citer tout d'abord les églises Saint-Nicolas et Saint-Pierre, à
Utrecht, et Saint-Sauveur, à Bruges, qui présentent les mêmes arcades
rondes du style roman que possèdent Jérichow , Diesdorf , etc. , tandis que
Saint-Pierre et Saint-Jean, à Utrecht, offrent, avec ces derniers édifices, une
similitude très-grande, quant aux fenêtres, portail et cintres.
Autre fait caractéristique : les petits moules des briques des églises bâties
en style roman en Hollande et sur le Rhin inférieur, surtout à Nimègue,
Utrecht, Delft, etc., coirespondent exactement à ceux des monuments éla-
' Adicr, li)C. rit , p. 17.
284 HISTOIRE
blis dans los Marches; fait dont des spécialistes se sont convaincus par nu
mesurage comparalif.
Il résulte de là que la manière do bâtir en briques fut transportée des
Pays-Bas dans la Marche de Brandebourg par les colons belges, et qu'il faut
rejeter toute opinion tendant à soutenir qu'une influence lombarde ou ita-
lienne se serait glissée dans cette contrée \
SECTION IV.
LANGUE.
I. Que les émigrants belges aient imposé leur langue à toutes les contrées
où ils se sont établis, c'est là un paradoxe grossier et que je me garderai bien
d'avancer. Mais je n'admettrai pas davantage que l'influence de leurs colonies
fût nulle sur la langue germanique. Il s'agit donc de faire ici la part de la
vérité et de l'exagération , de quelque côté que celle-ci puisse se trouver, et
de montrer la question sous son vrai jour.
Il est acquis à l'histoire qu'au douzième siècle, les populations d'origine
teutonique étaient, depuis longtemps, extirpées complètement, par les con-
quérants slaves, de leurs assises primitives : ce fait est trop universellement
connu pour que j'aie besoin d'y insister". Dès lors, il est faux de prétendre
que leur langue aurait pu se conserver, quoique à l'état de léthargie, et qu'elle
n'aurait eu besoin que du souffle des étrangers pour refleurir dans toute sa
vigueur première.
Un argument assez spécieux, que l'on allègue pour soutenir cette opinion,
est celui-ci. Si la langue slave avait été universellement parlée, bien (|u'avec
des nuances diverses, dans les différentes provinces habitées par les Slaves,
elle n'aurait pu être étouffée par l'arrivée intermittente des Flamands,
Saxons, etc. '.
' Voy. V. Quast, Zitr Characterisiik des àlteren Ziegelbaues in der Mark Brandenbin-g ,
1850, p. 233.
* Otto Focli, I, pp. 114, 11.5.
5 Fabricius, loc. cit., p. 32.
DES COLOÎSIES BELGES. 283
Mais cel aigunient a-t-il toute la force qu'il semble renfermer à première
vue? Je ne le pense pas. Les langues indigènes disparaissent petit à petit
quand un peuple étranger s'implante au cœur du pays conquis, et y intro-
duit , avec son génie particulier, les institutions et les lois qui lui sont pro-
pres. De nombreux exemples attestent ce fait. Qu'est devenue, par exemple,
la langue des Brilles ? N'a-l-elle pas été anéantie par la conquête des Saxons
sous Hengst et Horsa? Et l'anglo-saxon lui-même n'a-t-il pas été profondé-
ment modifié par l'invasion normande? Qui connaît encore, autrement que
par l'bisloire, l'idiome prussique primitif? Au surplus, la question de savoir
si, au milieu de pareils événements, une langue se maintient ou se perd,
cette (|uestion dépend tout à la fois et du nombre des émigranis, et de la
force morale de la race indigène, et d'une foule d'autres circonstances ana-
logues.
IL Cela posé et admis, les Néerlandais ont-ils contribué à germaniser les
pays slaves et, en cas d'affîrmative , dans quelle mesure leur action a-l-elle
opéré ses effets? C'est ce qu'il faut examiner.
Au premier point, je réponds sans hésiter : Oui. Il suffira , pour le prouver,
de rappeler quelques souvenirs philologiques.
Primitivement, les Jules, les Angles, les Saxons, les Chauques,les Frisons
et les Belges paraissent n'avoir formé qu'une seule nation répandue par peu-
plades dans diverses contrées et parlant longtemps une langue unique, ou
tout au moins des dialectes très-légèrement différenciés d'une même langue.
Lorsque les chroni(|ueurs ecclésiastiques racontent que les missionnaires
anglais, comme saint Willibrord et autres, se faisaient entendre de nos ancê-
tres, sans l'entremise d'interprètes, les uns accusent ces auteurs d'erreur,
voire de mensonge, les autres, parlant d'un principe opposé, croient de
bonne foi que le miracle des langues se renouvela en faveur de ces nouveaux
apôtres.
Il ne faut ni dénier un fait évident , ni recourir à une explication surna-
turelle pour trouver la solution de cette prétendue énigme. La grande affi-
nité qui existe encore aujourd'hui entre les divers rameaux du Nederduitsch ,
devait, aux septième et huitième siècles, approcher de l'identité.
Au douzième siècle, ces dialectes, ou, si l'on aime mieux, ces langues,'
286 HISTOIRE
avaient déjà subi toutes les altérations inévitables qui résultent du temps, des
mœurs propres du pays, du contact des habitants avec des peuples étran-
gers, souvent de race diverse, etc. Cependant, tout en s'éloignant plus ou
moins les unes des autres, elles se rapprochaient encore suffisamment du
type commun, pour que Ton pût, — qu'on me permette la comparaison, —
les considérer comme des frèies utérins de différents pères.
Qu'arriva-t-il pendant la période de la colonisation? De tous ces peu-
ples, émigrés en Allemagne, chacun conserva son idiome natal, le transmit
à ses descendants et le perpétua, à peu de chose près, dans la contrée où il
s'était établi. Il fallut le travail des siècles, ce travail lent et insensible, mais
qui n'en détruit pas moins tout ce qu'il touche, pour opérer la fusion, d'où
est sorti le Platdeuisrli moderne, avec les nombreux rameaux qui le com-
posent.
III. Voyons si les faits de l'histoire confirment les inductions de la science.
La plupart des colons qui se fixèrent en Poméranie furent des Westpha-
liens, et, en effet, le dialecte plafcleufsch de la Poméranie se rapproche
encore visiblement aujourd'hui — je l'ai remarqué moi-même, — de l'idiome
de la Westphalie, et plutôt de celui-ci que de tout autre.
Dans la Marche de Brandebourg, les Saxons furent en majorité, et leur
langage y prédomina, avec les réserves établies plus haut, sur les autres
dialectes.
Quelle part, maintenant, devons-nous faire aux Belges, proprement dits,
puisque c'est d'eux que nous avons spécialement à nous occuper? Dirai-je,avec
Eelking, que c'est leur langue qui remplaça exclusivement celle des Slaves?
ou, tout au contraire, admellrai-je, avec Wersebe, qu'ils furent les seuls à ne
laisser aucune trace de leur passage? Évidemment non. Les Belges, — et
par eux, j'entends les Flamands, les Hollandais, les Zélandais, etc., — con-
servèrent leur dialecte dietsch, partout où ils s'établirent. C'est un point qui
est attesté par tous les historiens.
iMalheureusement, ce bel idiome a manqué à l'étranger de la culture litté-
raire qui assure aux langues une durée perpétuelle, tout en leur conservant,
à peu de chose près, leur cachet primordial , et il a été envahi de tous côtés
par le Hochdeutsch. Aussi bien des personnes, à qui ferait défaut l'usage
DES COLOiMES BELGES. 287
tréquent du (laniaud acliiel el la lecture de quelques-uns de nos anciens
auteurs, auraient de la peine à reconnaître, à première vue, dans l'un ou
l'autre dialecte allemand moderne cette même langue qui fut jadis en vigueur
chez nous. Il ne faut point cependant des efforts bien grands ou mie attention
bien soutenue pour découvrir , dans certains fragments que je vais reproduire
ici , les traces de notre Dietsch d'autrefois. Il suffit de cette habitude de tous les
jours qui donne au linguiste cette sûreté de coup d'œil qui fait reconnaître
comme d'instinct au géologue les couches successives qui ont formé notre
globe, alors que les mêmes phénomènes échappent à des regards qui n'y sont
point accoutumés.
Mais avant de parler de Tune ou l'autre pièce étrangère , je ne puis passer
sous silence une chanson brabançonne d'une haute ancienneté el dans laquelle
tous les auteurs croient retrouver un souvenir de nos émigranls du douzième
siècle. La voici :
Naer Oostlaiid willun wy rytleii,
Naer Oostland willen wy mêc ,
Al over die groene heideri ,
Frisch over die heiden ,
Daer isser en betere stêe.
Als wy binnen 't Oostland konieii
Al ondcr dat hooge liuis fyn :
Daer worden wy binnen gelaten.
Frisch over die heiden,
Zy heeten ons willekom zyn.
Ja , willekom moeten wy wezen,
Zeer willekom uioeten wy zyri :
Daer ziillcn wy, avond en morgen ,
l'riscli over de heiden ,
Noch drinken dcn koeleii wyn.
Wy drinken den wyn er met schalen
'En "l hier ook zoo veel ons belieft :
Daer is het zo vrolyck to Icven
Frisch over de heiden ,
Daer woanter myn zoete lief.
La chanson contient encore neuf strophes, qui se rattachent moins encore
288 HISTOIRE
que les autres, au sujet en question. M. Willems a recueilli celte chanson '
dans le Brabaiit, aux environs de Diest, en l'enlendanl chanter à des pay-
sans, vers la Saint-Jean. Bien peu la disent en entier; mais tous déclarent
qu'ils vont à VOuslland , sans pouvoir définir où ce pays est situé. Il est cer-
tain, d'après M. Willems, que ce mélancolique chant d'amour est connu de
temps immémorial dans la Campine brabançonne et « dès lors il n'y a pas
de doute qu'il ne remonte à l'époque où des milliers de Flamands et de Bra-
bançons émigrèrent dans les pays de l'Est, c'est-à-dire vers le nord de l'Alle-
magne, et y fondèrent des colonies agricoles. »
Le savant écrivain rattache ce souvenir à la circonstance qu'un Brabançon,
Jean de Diest, alla occuper, comme je l'ai dit -, le siège épiscopal de Lu-
beck, et y attira un grand nombre de ses compatriotes; et voilà aussi pour-
(pioi, selon lui, la chanson s'est conservée à Diesl, tandis qu'on ne la retrouve
nulle part ailleurs. Quant au mot Oostland (variante Oosteiiand) , il signifie
le pays des bords de la Baltique, dont les habitants étaient nommés Oosler-
li)if/en. La maison des Hanséates, à Anvers, s'appelait, pour ce motif, Oosler-
linyhuis.
IV. Quoi (|u'il en soit de cette opinion, avançons graduellement. En ad-
mettant que l'on puisse attribuer aux émigrauls du douzième siècle ou à leurs
descendants une ballade qu'on ne rencontre que fort défigurée en Allemagne,
ne pourrait-on pas, avec plus d'avantage, si l'on trouve dans deux pays diffé-
rents des chansons, adages ou proverbes qui expriment les mêmes pensées,
rendues par des expressions presque semblables, conclure à l'identité d'ori-
gine des uns et des autres? En d'autres termes, si des poésies populaires,
empreintes d'un cachet de naïveté toute primitive, se découvrent dans deux
' Onde vlaemsclic lieileren, p. 5o, sqq. En voici la traduction littérale : « Vers VOoslland
nous voulons chevaucher, ] Vers l'Ooslland nous voulons aller ensemble, | A travers les vertes
hruyères, ] Fraichemeni au delà des brujères; | Là se trouve un meilleur gile.
j Quand nous entrons dans l'Oostland, [ Sous la haute maison gentiment, | Là on nous laisse
entrer, j Fraîchement au delà des bruyères, | Ils nous disent que nous sommes les bien-venus.
» Oui, bien-\cnus nous devons être, | Très-bien-vcnus nous devons être. | Là, soir et
matin , | Fraîchement au delà des bruyères, | Nous boirons encore le vin fin.
» Nous y buvons le vin avec des coupes, | Et la bière aussi tant qu'il nous plail; | Là on vit
si jnycusemeni, | Frnichement au delà des bruyères : | C'est là qu'Jiabite ma douce amie. <■
'^ Voy. plus haut, p. 3;2.
DES COLONIES BELGES. 289
contrées situées loin Tune de l'autre, séparées par la confession religieuse,
qui n'ont pas le même passé historique, mais dont la langue est originairement
la même, pourrait-on soutenir qu'elles ont pris naissance en même temps et
dans la même langue dans les deux pays, ou peut-on affirmer, avec toute
raison, qu'un des deux pays les a reçus de l'autre? Et la présomption n'esl-
elle pas toute en faveur du pays qui a envoyé un renfort d'habitants au
second? Cela ne fait pas de doute. Tel est le cas tout d'abord pour une petite
pièce à laquelle on ne sait quel nom donner et qui existe, avec de légères
variantes, dans le Holstein et dans le Brabant.
Voici le texte holsleinois :
Boumbambeiei",
De liât de mag kcen eier.
Wat niag se dànn?
Spek in de pan.
Ei! wo (hue) lekker is ouiise niadani ' !
Le mot moderne madam, qui semble s'y être glissé comme un intrus, fait
seul tache à la fin de ce petit conte. Celui-ci existe chez nous tout à fait
identique, et, dans le Brabant, dans la forme suivante :
Bunibam baijere,
De kôster en mag gcen aijerc :
Wa mag en dan?
Spek in de pan.
Es da' geen Ickkere nian '■'?
« Tous nos Flamands, dit Lebrocquy, ont été bercés au bruit de ce(i(>
chanson de nourrice. La plupart d'entre eux ne seront pas médiocrement sur-
pris de la retrouver à l'une des extrémités de l'Allemagne, au fond du Hol-
stein. D'où provient son existence simultanée dans deux pays si éloignés l'un
de l'autre? Certes, ce n'est point par la voie littéraire qu'elle a pu se répandre
' Firiiienich, Germaniens Vôlkerstimmen , \" Holstein. Traduction : « Boumbanibcir, | La
cliatte n'aime pas les œufs. | Quaime-l-elle donc? | Du lard dans la casserole. | Eh! qu'elle est
friande , notre madame ! «
- Ibiti, \" Brabant. Au lieu de chatte, il s'agit ici du clerc d'église.
Tome XXXH. 38
290 HISTOIRE
ainsi : la pauvre chansonnette n'a sans doute jamais été recueillie dans un
livre. Il serait déraisonnable de la supposer contemporaine des premiers émi-
grés germains qui se sont fixés en Belgique; mais il est permis de croire,
selon nous, qu'elle aura été importée dans le Holstein au douzième siècle par
nos colons flamands '. »
V. Mais les réflexions énoncées plus haut s'appliquent avec bien plus de
fondement à un chant de berceau ou une prière du soir d'enfant, qui se trouve
presque complètement semblable dans le pays de Brème et en Belgi(|ue. « Dans
le Brémois, dit Koster', la langue des habitants est, comme chez la popu-
lation du Holstein, pure, douce, harmonieuse. Ils en font le plus grand cas;
aussi n'y a-t-il pas lieu de craindre que le vieux dialecte saxon populaire
(die altsassische Volkesprache) vienne à y perdre son empire qui remonte à
plus de dix siècles. » C'est probablement à ce culte des descendants de nos
colons pour le langage de leurs ancêtres que nous devons la conservation de
ce petit morceau :
Des abends, wenn ik to bedde ga
Veerleiii engcl mit my ga'n ;
Twee to mynen liij'len
Twee to mynen fôten,
Twee to myner rcchlen sict,
Twee to myner linkcn siet,
Twee, de my decken,
Twee, de my wecken,
Twee, de my dcn recliten weg wies't
In dat liimmlischc Paradies.
Parodies, Paradies is upslaten,
De Himmel is apen.
Wal seh' ick dort liangen ?
Slôttcr un tangen.
Ua slap ick so sot
Acliter leben Herrgolt syn fôt.
Un wenn de biltre Dot kummt
Un will my bosluten ,
So kummt de lebe Jcsu
De dcn Himmel upslut! Amen ^
' Analogies linguisliques. Du flamand dans ses rapports avec les autres idiomes d'origine
leutonique, p. 118.
- Loc. cit., p. 133.
5 . Le soir quand je vais au lit, | Quatorze petits anges m'accompagnent. [ Deux à mon
DES COLONIES BELGES. 294
« Celle antique [uralle) prière d'enfaiils, dil Kosler, recueillie par lU. le pas-
teur Wiedeniann , vil encore aujourd'hui, du moins partiellement, dans la
bouche du peu|)le. Elle plaira à quiconque a conservé le goût de la piété simple
et de la naïveté enfantine. Sept couples d anges se tiennent près du lit de l'en-
fant; et, sous leur protection, il ne craint point Penfer et ses tortures, mais
dort tranquille, couché derrière le trône de Dieu. La pensée même de la mort
devient moins amère, puisque Jésus doit ouvrir les portes du paradis. »
La même prière existe dans toutes les provinces flamandes de la Belgique.
Je la reproduis d'abord dans le dialecte populaire des environs de Bruges :
'Sen acvcns als ik slacpcn gaen
Daer volgcn min zeslien engeltjes nacr,
Twe aan min hoofdende,
Twe aan min voelende,
Twe aan min rechter zide ,
Twe aan min's linkcr zide,
Twe die min dekken,
Twe die min wekken ,
Twe die min leren
Dcn weg des Heren ,
Twe die min wizen
Naer d'hcmeissche Paradizen.
'T hemels Paradis staet oopen ;
D'EU' is gesloolen
Met izers en banden;
'K vouwe biede min' handen
Met Jcsus in min mond,
Met Jésus in min bcrte-grond '.
Les six derniers vers de cette pièce ont un certain air de famille, quant aux
chevet, | Deux à mes pieds, | Deux à mon côté droit, | Deux à mon côté gauche, | Deux qui
me couvrent, | Deux qui me veillent, ] Deux qui me montrent le droit chemin | Du céleste
Paradis. — Le Paradis, le Paradis est déserré, [ Le Ciel est ouvert. | Que vois-je pendre dans
le lointain (iispecl de l'enfer)? \ Des serrures et des tenailles. | Je dors si doucement, | Der-
rière les pieds du doux seigneur Dieu; | Et quand vient la mort amère | Qui veut m'enlacer, |
Alors vient le doux Jésus | Qui ouvre le Ciel. Amen. »
• Traduction des six derniers vers : « Le céleste Paradis demeure ouvert; | L'enfer est
fermé | Avec des fers et des liens (chaînes); | Je joins mes deux mains | Avec Jésus dans ma
bouche , I Avec Jésus an fond de mon cœur. »
292 HISTOIRE
pensées qui y sonl exprimées, avec les dix vers qui terminent la prière bré-
moise. iMalgré cette analogie apparente, je soupçonne fort (jue l'une et Pautre
finale sont d'une rédaction postérieure au reste. D'abord , il est certain que
riniagination est étonnée, j'allais dire choquée, de voir succéder, aux calmes
et riantes images que fait naître la pensée des anges, le tableau inopiné de
l'enfer. Ces sombres visions ne sont pas de l'enfance , elles appartiennent à
l'âge qui ressent déjà le bouillonnement des passions. La mère qui, dans un
pieux transport d'amour, a trouvé ces bouts-rimés, si pauvres d'art, mais si
gracieux dans leur conception naïve, n'a pas pu songer aux tourments des ré-
prouvés. Quand on regarde l'innocence, on sourit au ciel, on oublie l'enfer.
Imaginez qu'un peintre s'empare de ce sujet; il obtiendra une miniature
d'une physionomie charmante; qu'il reproduise dans le fond l'idée d'un feu
dévorant et de tenailles ardentes, l'effet sera totalement manqué. La pensée
finale de Jésus consolateur ne suffit pas à atténuer cette impression fâcheuse.
Le D" Koster, à qui j'emprunte la version de Brème, confirme indirecte-
ment ma conjecture. Il avoue qu'elle a été recueillie par pièces et morceaux
{s(tickiveise) de la bouche du peuple. N'est-il pas d'une haute probabilité que
l'on aura réuni deux pièces différentes, dont la seconde, appliquée à la pre-
mière, ne semble qu'une cheville?
J'en dis autant pour la version de Bruges. Deux vers se sonl perdus dans
le texte brémois, ceux qui devraient former le neuvième et le dixième.
Le texte, dans les Pays-Bas, est demeuré complet. Qu'on en juge par cette
version que je reproduis dans le langage populaire de Gand :
T's aeves aes ik slaepe gae
Der volge my zeslien cngclkes nae,
Twee an myn hoofdendc,
Twee an myn voetende,
Twce an myn rechte zye,
Twee an rayn"slinlie zye,
Twee die niy decke,
Twee die my wetkc ,
Twee die my leere
De weg des Heere,
Twee die my wyze
Naer 't Ilemels Paradvze.
DES COLOÎSIES BELGES. 295
Voici la pièce, telle qu'elle a été publiée par M. Firinenich, dans le dia-
lecle vulgaire anversois :
'S ovonds as ik slopen go,
Volgcn me seslien cngeltjcs no ,
Twec oon mein rechter seide,
Tvvee oon mcin linker seide,
Twee oon mcin hoofd-einde,
Twee oon mein vut-einde,
Twee die me dekken,
Twee die me w ekken ,
Twee die me lecren
Den w cg des Heeren,
Twee die me wesen
Noor 't hemelssehe Paradeisc '.
Enfin, la voici, égalemenl d'après le D' Firnienicli, dans le dialecte po-
pulaire du Brabant.
s ovends as ik slopen goo
Volgen me sestien engelkcs noo ,
Tweë oon mon rechter seide,
Tweë oon nien linker seide,
Tweë oon mcn hoofdende,
Tweë oon raen voelendc,
Tweë die me dekken ,
Tweë die me wekken ,
Tweë die me Icëren
Den weg des Heëren ,
Tweë die me waisen
Nor "t hcmelssc Paradaise -.
YI. Mais revenons à l'Alieniagne. 11 faudrait un séjour de |)lusieurs années
sur les lieux mêmes où nos colons s'élablirenl, et peut-être en vain, pour
retrouver des vestiges de l'ancienne littérature populaire thioise. Mais dans
plusieurs contrées, on s'aperçoit aisément que l'accent des habitants a conservé
un reflet du langage des émigrants belges. C'est ainsi qu'aujourd'hui encore
certaines parties de la principauté d'Anhalt Zerhst et du territoire de Dessau
' GiTmaniciis Vôlkerstimmcn, 111 , ')' Lieferùtig.
2 Jhi'l., III. p. (ici.
294
HISTOIRE
offrent des ressemblances frappantes avec l'accent usité dans l'ancien duché
de Magdebourg et dans un coin de la Wisnie, pays qui, on le sait, ont élé
occupés par nos compatriotes.
Que dire des contrées situées plus avant vers le nord? La seule où l'an-
cien idiome des Pays-Bas se soit maintenu presque sans mélange est le
FUiming de Jiiterbock, ainsi que je l'ai dit plus haut.
Kliigel, constatant ce fait, cite plusieurs mots qui en prouvent l'exacliludo;
mais il faut vivement regretter qu'il n'ait pas poussé ses observations plus
loin, sous prétexte qu'il ne prétendait pas faire un dictionnaire flamand.
Voici ces quelques mots qui peuvent servir de point de comparaison pour les
autres :
FLAMAND DE JL'TERBOCK.
FLAMAND DES PAYS-
BAS.
FRANÇAIS.
budden,
buiten.
dehors (foris).
loopen ,
daalen,
loopen ,
daalen,
courir,
décliner.
hoeftvieli ,
loof,
loot ,
lioofdvee,
lof,
lot,
bétail.
louange.
sort.
gaan ,
gaan ,
aller.
man,
man ,
homme (vir).
suupen,
dut,
zuipen ,
dat.
boire beaucoup,
ceci, cela.
huus ,
huis ,
maison.
h'
pârd ,
pare (contraction poui
maad,
mit.
' pdrde)
peerd ou paard ,
peerdeti ou paarden ,
maagd ,
uit.
auprès.
cheval.
chevaux.
vierge, jeune fille,
dehors, hors (ex).
Là s'arrête la liste des mots de Klùgel : Nolo, dit-il, lexicon scribere
saxonico-flamingicum. Il ajoute, cependant, que les préfixes allemands aô
et ein se prononcent «/'et in, exactement comme dans les Pays-Bas. Il donne
enfin un exemple de phrase : Ju hebben de pitre budden geluden, litté-
ralement : vous avez laissé les chevaux dehors, c'est-à-dire : vous avez fait
sortir les chevaux.
DES COLONIES BELGES.
295
Plusieurs de ces mois cités plus haut sont identiques; les autres s'éloi-
gnent si peu de notre tlaniand actuel qu'il n'est personne qui ne puisse les
ranger dans tel ou tel de ses dialectes.
VIL Ce qui mérite de fixer davantage l'attention, c'est une traduction popu-
laire du Stabat , recueillie chez les habitants mêmes du bailliage de Jiiter-
bock. Pour mieux faire ressortir jusqu'à quel point le langage des habitants
du Flâming se rapproche de celui de nos Flandres, je joins au texte une
traduction interlinéaire tlamande, et une traduction littérale française:
Jiïterb.
By
et
kriiz
met
schreijcnde ougen
Flam.
By
het
kruis
met
schreijende oogen
Franc.
Près de
la
croix
avec
de pleurants yeux
Stuiid
die
muder
dicp
béwoagen,
Stond
de
niocder
diep
bewogen ,
Était debout
la
mère
profondément
émue,
Doa
de
soan
dorclinaëlt
hing.
Daer
de
zoon
doornagcld
hing.
Pendant que
le
fils
transpercé de clous
pendait.
Un
in
or
verzuchend
liarze
En
in
licur (liaar
) verbryzeid
herte
Et
dans
son
haletant (brisé)
cœur
Umgedreyt
van
wci
un
smiirte
Omgedraeyd
van
wee
eu
smerte
Bouleversé
de
tristesse
et
douleur
Een
dôrchborend
schlagswart
ging-
Een
doorboorend
slagzweerd
ging-
Un
transperçant
espadon (poignard)
allait.
Wic
bedrii
ckt,
wie
nedcrgeslagen
Hoe
bedru
ekt,
hoe
nedergeslagen
Combien
affligée ,
combien
abattue
Mut
die
segensrike
klagen
Moet
die
zegeryke
klagen
Doit
cette
riche de bénédictions
1 gémir
Om
Gods
eenig
kind ârn
soen.
Om
Gods
eenig
kind haren
zoon.
A cause
de Dieu l'unique
enfant son
fils.
296
HISTOIRE
Ach ;
wie
Street lie, ach!
wie
schreit sic
Acii 1
hoe
streed hy, ach!
hoe
schreid zy
Ah:
comme
Iutta(-t-)il,.ili!
comme
plcure(-t-)elle
r ruiurikst
Ivilld
an 't kriiz
tu
seen.
'T roeinrvksi
kiiirl
aiMi t kriiis
te
zien.
l.c plus elorii'ux
enfant
à la croix
de
voir.
Il esl presque superllu de faire ressortir la similitude des deux textes. Siu-
soixante-deux mots, dont se compose le morceau, cinq seulement sont hovh-
deulscli : die (article), verzuchend, schlag, wie, sie. Si l'on prenait un passage
pUiiideuisch quelconque, comme la différence serait plus sensible, comme les
mots intrus seraient plus nombreux! L'expression segensrike esl un composé
digne de la plus belle époque de la langue thioise. El qui pourrait n'être pas
frappé de cette tournure si populaire, si usitée chez nous : ont Gods eenig
Jcind dm soen? Il serait trop long de rechercher ici de quel dialecte des Pays-
Bas se rapproche le plus ce fragment de la langue des Flamands de Jiilerbock.
Je ne puis mieux terminer qu'en citant trois anecdotes empruntées à un
judicieux historien et qui méritent de trouver place ici.
Un M. Van den Broecke, intendant du prince de Ligne, raconta qu'en
revenant, en 1786, de la Pologne, et s'arrètant dans un hameau pour
abreuver ses chevaux,' il trouva les habitants dansant et jouant, qui parlaient
assez correctement le flamand, suivant l'accent de Courtrai. Leur ayant
adressé la parole en flamand, ils comprirent de même; quand il leur dit
qu'ils parlaient flamand, ils répondirent qu'ils ne connaissaient pas ce pays,
mais qu'ils parlaient la langue de leur village. Il leur demanda s'ils ne savaient
pas, par ouï-dire, de quel pays leurs ancêtres étaient venus. « Xous n'avons
jamais entendu dire, répondirent-ils, qu'ils fussent venus d'ailleurs. »
Le chevalier de Coninck raconta également qu'étant préfet de Hambourg,
et parcourant sa préfecture pour opérer la conscription, plus il avançait vers
le nord, mieux il comprenait les habitants et moins ses employés allemands
les comprenaient.
Enfin, une compagnie de chasseurs poméraniens fut en garnison à Âude-
narde, en 1815 : il n'y avait entre l'idiome du colonel , M. de Zastro, et celui
de ses troupes d'autre différence avec le nôtre qu'un peu de rudesse dans la
prononciation, et par-ci par-là un mot allemand.
DES COLONIES BELGES. 297
Au milieu de cette diffusion de la langue ihioise, que devinrent les
Slaves? Les uns périreni; les autres adoptèrent la langue des vainqueiu's.
L'usage de ridionie germanique prévalut si vite et si bien parmi eux «prau
commencement du quinzième siècle, en 44.04-, mourut dans File de Riigen,
la dernière femme wende qui comprit encore la langue de ses pères. Tout
le reste était (jermanisé. ^
SECTIOiN V.
ENDIGL'EMENTS ET DESSÈCHEMENTS.
Le but principal des Néerlandais en s'expalriant était de coloniser les
pays où on les appelait, c'est-à-dire de donner à l'agriculture des terrains
bas, humides et déserts, et d'en tirer tout le profit possible.
Nous avons donc à examiner à l'aide de quels procédés techniques les
Belges sont parvenus à construire des digues et à dessécher les marais.
Ces immenses travaux , pratiqués par eux sur une grande échelle dans
la plupart des contrées où ils ont fondé des colonies, devaient être terminés
avant qu'ils pussent songer à se livrer aux occupations agricoles proprement
dites.
Pour faire apprécier, de la manière la plus complète, le rôle que les endi-
guemenls et les défrichements ont joué en Allemagne, et parlant l'influence
salutaire qu'ils ont exercée sur l'agriculture, je diviserai cette section en
quatre chapitres.
Dans le premier et le deuxième, je passerai en revue les coutumes usitées
dans les Pays-Bas, et surtout en Flandre, sur cette matière, et je citerai
(]uel(pies documents pour prouver que l'art des endiguements et du dessè-
chement des marais y était déjà connu et appliqué à l'époque de rémigra-
lion de nos compatriotes.
Dans le troisième, j'examinerai d'une manière plus spéciale ce qui était
propre à la Zélande , à la Hollande et à la Frise : formation du sol, cause
de nombreux cataclysmes; inondations qui l'ont bouleversé; art perfectionné
des habitants dans la construction des digues.
Tome AXXIL 39
298 HISTOIRE
Enfin, dons le (|uatrième, j'intliqiiorai quelques contrées ou subsistent
encore les derniers vestiges des digues construites par nos colons.
CHAPITRE I-.
COUTUiMES USITÉES DANS LES PAYS-BAS ET SURTOUT EN FLANDRE
SUR LE DICAGE.
Les digues ' sont destinées à mettre une partie de territoire à Tabri des
hautes marées de la mer et des inondations des fleuves.
a. Il existe sur les endiguements une source fort curieuse, ayant pour
titre : « Usaiges, cousiumes, stils, drois, privilèges, franchises et libertéz
observez uséez et entretenus tant en la chambre du conseil de Flandre
qu'ailleurs dudit pays, ensemble ung extraict des antiquitéz de Flandres avecq
les querelles de diverses choses compilez et accumulez hors du rapiaire de
M'' Jacques deBIazere, premier conseiller et vice-président ûc l'Empereur
noire seigneur en sa chambre de conseil de Gand, du 24 décembre 1327
à 1334 ". »
11 résulte de ce docimient ce qui suit :
I. Ceux qui voudront endiguer leurs terres couvertes par les eaux ' doi-
vent obtenir à cet eflet un octroi du prince.
II. Sur le lieu des travaux devra se trouver un meenlenaere [praefecius
operi), préposé des travaux*.
' En néerl. dijk ou dyck; ail. Dekii. Comjj. avec le grec TÛxoi, mur, rempail.
2 Voy. mes Documenta, etc., n° XXIX. — MS. de la Bibl. de Bourgogne, n" 6054, 603.),
6056.
^ C'est-à-dire waze, mot d'origine tcutonique et signifiant Ijoue (slyk), ou terre boueuse
avant que l'cndiguemcnt n'ait été fait. Wusda a le même sens. D'après M. Kervyn de Lettcnliove
{/{ist. de Flandre, 1, i)7) il signifie prairie; d'après Inibert des Mottelettes(Geo(/ro/)/((oPft(/o(i/«i
rctiistae Germaniae regionum. Lovanii, t820,p. 39) : « Waes , wasda, wasio significai lociini
(lemissum, madefaclum, palustre. » Delà l'origine du pays de Waes.
'* L'expression de meenter se trouve dans un traité signé, en 1286, entre les trcntt-neul de
Gand, d'une part, et le seigneur de Bornlieni, agissant tant pour lui que pour rcux du poldre de
Sainte-Catberine, et ceux d'Oostkerke, d'autre part (colTre de fer, layette C , n" IX, archives
de la ville de Gand)
DES COLOiMES BELGES. 299
III. Le meenlenaere choisira les newjers, c'est-à-dire les ouvriers qui,
moyennanl un salaire lixe el convenu d'avance, se chargenl de construire
les digues.
IV. Cette construction s'opérera sur une étendue de 100 ou de 50 me-
sures à la fois, quelquefois sur une plus grande superficie.
V. Parmi les ouvriers, il y en avait aussi que l'on nommait leyyhers
(metteurs) '. C'étaient à proprement parler ceux dont le travail consistait à
entourer la waze ou terre d'élévation , et qui prenaient l'engagement d'eu-
diguer tout ce qu'ils pourraient.
VI. Ceux-ci doivent se porter solidairement caution qu'ils rempliront bien
leur tâche et qu'ils parachèveront l'ouvrage.
VIL II sera fait une péréquation, taille ou taxation [eveninghe) c'est-à-
dire que trois, quatre ou cinq mesures de terres calamiteuses seront impo-
sées contre une mesure fertile. Cette péréquation a pour but d'établir une
contribution pour couvrir les frais d'endiguemenl , contribution qui s'appe-
lait au moyen âge et (|ui s'appelle encore aujourd'hui (lijclq/esc/iot.
Quant à. la péréquation [eveninghe) , nous en trouvons l'application et la
mise en pratique dans un décret du 26 juillet 1399 de Philippe le Hardi,
comte de Flandre, touchant la réparation des digues de Ossenesse, décret
qui statue formellement que la digue nommée Hinxdych : « sera tenue et
réparée à toujours selon la coutume du pays, » devant, continue le décret,
« contribuer le poire appelé le Grotevoghel et le poire ap[)elé Cleenevoghel
IX mesures de terre, chascune mesure de terre cincq soulz parisis de notre
' L'expression hyghers, inleggers, avait parfois une autre signification. Elle s'appliquait à
une charge lionorifique qui était cessible. Cela résulte des deux sources suivantes. Par un acte
du 22 juin tâfll , Gheraert Leeuwaerde, abbé de Saint-Pierre à Gand, vend et cède cette charge
à un nommé Pierre Heyens, en ces termes : « Aile tregt dat wy en onze kerckc mitsgaders
aiidere legghers van de dicugien hebben, of hebben moglien, in t' leggherschap van der pro-
chie en ambachte van Yscndyke... omnie le doen bcdikene ende verwarren jcghens de zee. »
(Cart. de l'abbaye de Saint-Pierre à Gand, n° IX.) — Par un autre acte du ô mai 1395, le même
Gheeraert, considérant que dans l'Ambacht d'Oostburg les digues commencent à se rompre
(breken) et à faire défaut [faelgirenen), charge : « toi acbt legghers die de voorseyde dicken
zullen doen repareren ende vermaccken, ende vandaen ouden gehaesdich in goed en zekeren
staete jeghens de zee, wel ende suffisantclyk als het zoude wezen. » (Cart. même abbaye,
n°X.)
500 HISTOIRE
moiinoye dcFlandirs : ileni S"-Paiurels poire contenant ix mesures aulant '. »
Vnr un appoinlenieiH de Jac(|ucs de Bourgogne, du 2o mars 14.10, cntro
les adhérités des poidres de Beoostenreede , d'une pari , elceux du mélier dAr-
donl)urg, d'autre pari, au sujet de la contribution nécessaire pour bouclier
la l'upture de la dic(/ue entre Slependamme et Coxijde, il fut statué : « que
cliaque mesure de terre gisante en la waleringue de Beoostenreede payera
vingt sols parisis, ceux de la Beoostenreede payeront de chaque mesure neuf
sols de notre monnaie de Flandre "'. »
En ce qui concerne l'expression dyckgescliol , l'ordonnance du 13 juil-
let 1612, concernant l'administration du poldre Saint-Hubert, dit que le dyck-
yrave et les jurés fixeront cette contribution conmie il conviendra « dych-
(/rfwe ende gezworenen scliieten sulken geschot over aile de ghemeten... als
zylieden bevinden sullen te behooren. »
Ce (jesdiol devait être acquitté par le baender , c'est-à-dire par le culti-
vateur ou le laboureur qui jouissait de la protection de la digue ^.
H résulte d'une ordonnance de Philippe, archiduc d'Autriche, du 30 sep-
tembre li79, que, pour pouvoir dicquer, il fallait « faire de profondes
gueules de dicques qu'on appelle creeckers en faisant sur les schorres de
grandes mottes qu'on appelle stcllen , pour y mettre des brebis ou autre bé-
tail... en faisant hausser les terres basses, au susdit schorre ou rejet. »
0. Passons maintenant à la réglementation de la construction des digues,
laquelle, depuis les temps les plus reculés, a fait, dans les Pays-Bas, l'objet
de la sollicitude des divers souverains qui les ont gouvernés.
Par deux ordonnances du 15 avril 1586 et 12 août 1588, un dyckgrtwe
général ou surintendant des dicages fut institué pour le Brabanl et la Flandre,
ordonnances dans lesquelles ses attributions, droits et devoirs sont déter-
minés ^. Il formait, avec quelques autres magistrats, un collège dont les
fonctions peuvent se définir ainsi qu'il suit. :
1. Ledyckgrave était chargé de fournir les plans, dessins, profils, estima-
' Extrait d'un ancien rartulaire reposant aux arcliives de la Flandre orientale.
2 Ptacact hocckvan Vluemtereit , III, I'" deci , nib. V, p. 431.
5 Ihid., m, p. 470.
* Ibid., III, pp. 438,459.
DES COLOÎNIES BELGES. 501
lions, conditions pour l'exéciUion des ouvrages, tels que moulins, machines,
canaux, fossés , écluses, chemins; il devait surveiller aussi la conslruclion des
travaux '.
II. Les gezworene ou Heiineraden. Ils étaient au nombre de cinq et nom-
maient avec le ihjchyraef les fonctionnaires subalternes, qui prêtaient entre
leurs mains serment de bien et fidèlement s'acquitter de leurs fonctions'.
III. Le penninckmeesler qui ne pouvait faire aucun payement sans l'auto-
risa lion du di)ch(jruef et des jurés '.
IV. Le (jreffier ou dcrc du dkage; ses fonctions consistaient à enregistrer
les ordonnances du collège '.
V. Les arpenteurs jwés {yezworene landmelers) , qui étaient chargés du
mesurage des terres, d'eti dresser les cartes [carte maken) , de faire un rap-
port exact sur leurs opérations, d'émettre leur avis sur ce qu'ils ont vu et
entendu d'après la visite faite par eux sur les lieux ''.
VI. Les rentmeeslers ou receveurs du dicage tant généraux que particu-
liers. Ils devaient remettre de trois en trois mois entre les mains du collège,
un état fidèle de leurs recettes et des payements qui avaient été faits ''.
VIL Les auditeurs des comptes [de auditeurs van de rekeninyen). Après
qu'ils avaient approuvé le compte des rentmeeslers , on décrétait les travaux
d'endiguement \
VIII. Les sehutlers, dont les fonctions consistaient à notifier aux inté-
ressés que le collège était assemblé. Le cercle dans lequel ils exerçaient
leurs fonctions s'appelait scutterie ou praterie^.
IX. Les wateryraveti ou iiioermeesters. Ces employés étaient chargés de
l'administration des nioeres, et des terrains vagues et bruyères [wasiinx ,
llam. woestynen, grec ï/sjj/ao^, comme le prouve le village de Saint-Jean-in-Eremo,
' Ordonnance du 13 juillet 101:2, Pluccael van Vtaenderen , III, p. 475.
2 Ordonn. du 12 août 1388, ibid., p. 439.
3 Ibid., ail. VI, p. 440.
'' Jbid., arl. VI, in fine , p. 440.
^ Ordonnance du 2 mars 1576, ibid., p. 457.
'■ Ordonn. du 12 août 1588, ibid., p. 440.
" Ordonn. du 2 mars 1570, ibid., p. 468.
* Ordonn. du 13 juillet 1612, ibid., p. 475.
302 HISTOIRE
dans l'aiToiidisseinenl d'Eecloo) , et de tout ce qui concernait l'an hxdro-
technique.
Il résulte d'une charte de Marguerite de Constantinople, datée du jour des
Cendres, en février 4278, que Euslache de Gand, moine de Cambron, est
désigné par cette qualification : « Margarelha... religioso viro Euslachio de
Gandavo, monacho de Camberone, ad wastinas el niorun) Flandriae depu-
tato... saluteni '. »
Tous ces fonctionnaires étaient assermentés, devaient fournir caution, et
se trouvaient sous les ordres el la surveillance immédiate du surintendant
du dicage.
Aucun des documents auxquels Je me suis référé, quelque importants qu'ils
soient , ne parle des procédés techniques qui étaient en usage pour la con-
struction des digues. J'examinerai ce point dans le chapitre III.
CHAPITRE II.
DESSÈCHEMENTS.
Tout ce qui concerne le régime des eaux était déjà connu et prati(|ué dans
les Pays-Bas aux onzième, douzième el treizième siècles. Il ne sera donc pas
sans intérêt de jeter un rapide coup d'œil sur toutes les matières qui se rat-
tachent à ce régime et qui n'ont été réglementées que plus tard. Je dirai quel-
ques mots des polders, des brocchen, moeren ou meeren (marais) et des
waterinyiies.
§ I. — Polders.
Les polders' sont des terres d'alluvion entourées de digues et (|ui, après
leur dessèchement, sont susceptibles de culture, ou bien ce sont des terres
endiguées formées sur d'anciens marécages, (|ue les premiers habitants en-
' Extrait du cartul.Tire de Tabbayc des niiiies.
••' Le mol polder vient de poel (marais) et aerde (terre), par contraction el euplionie polder.
DES COLOiMES BELGES. 305
tourèrenl crenclos, de faibles digues, et qu'ils munirent de grossières écluses.
Il y a deux sortes de polders : ceux de première ligne sont ceux dont les
digues û'avanl sont baignées par la mer.
Les polders nlurieurs sont ceux qui sont séparés de la mer par d'autres
polders.
Parfois, les polders sont désignés sous le nom de terrae novae, novaliu,
pour les distinguer des terres cultivées depuis un temps plus reculé, qu'(»n
désigne par le nom de terra velus.
C'est ainsi qu'une charte de donation accordée, en 1087, par le comte
Robert, à l'abbaye de Tronchiennes, donna à ce monastère les dimes de
Ruysselede, tant sur les terres nouvelles que sur les anciennes [et bodiuiu
Russlensis parochiae novae et veterts terrae) *.
C'est ainsi encore que dans un concordat conclu entre le monastère de
S'-Pierre , à Gand , d'une part, et celui de S'-Bavon et le curé de S*-Sauveur ,
d'auti-e part, relativement au droit de patronat et des dimes à percevoir à
lladevelde et à Mentocht, au mois de juin 1221 , il est dit, n' 4 : « qu'il sera
permis à l'église de S'-Piorre de bâtir sur leur fonds une église à laquelle
a|)partiendronl tous ceux qui habitent et habiteront par la suite dans la pré-
dile novale '-. »
La plus ancienne charte où l'on rencontre le mol polder est de l'année 1218.
L'empereur Henri, de Constantinople, donna par ce diplôme, à l'abbaye
de S'-Pierre, à Gand, une possession près de Walervliet, qu'il appelle HaOa
Kineo Polra et dont il délei-mine exactement les limites; mais si le nom ne se
découvre pas plus tôt, la chose est certainement plus ancienne, puisqu'une
charte du comte Philippe d'Alsace, de 1171, désigne les polders près d'Os-
lende, comme des /("rres nouvelles (expression déjà indiquée plus haut), (|ue
la mer a abandonnées.
Dans un diplôme de 1 150, on distingue déjà la terre de rejet [werpland)
de la terre de marais {moerland). En effet, parla charte de 1167, le même
' Annales de la société d'Émulation de la Flandre occidentale. Bruges, III, p. 195.
2 Cnrtulaire de l'abbaye de SaiiU-Picrre, n" 118: « Quod liceat Ecclesiae Sancti Pétri iii pre-
diclo loco sui fundi... constriHTe firlesiaiii ad quani omiies in dicta nova terni mancnics et
inatisiiri in posicruni... ]iciiinel)iint. »
304 HISTOIRE
comte rlo Flandre, Philippe d'Alsace, rendit « à ceux de S'-Bavon » , à Gand ,
la dîme de Roodenburg, Wulpen et Cassant tam de morlant quam de iccrp-
lant ' » . Il y avait donc déjà à cette époque une différence entre les lerres
marécageuses, puisque iverplanf s'appelait terre de rejet ou rejet de mer, et
que moerlant veut dire terre de marais.
Le plus grand des polders actuels de la Flandre hollandaise fut endigué
par Jean, fils du comte Gui de Flandre; il a une étendue de i,5()0 bonniers.
Le décret du 11 janvier 1811 , relatif aux polders, pour lesquels il créa
des districts nouveaux, ne traite que des endiguements des lais et relais de
la mer.
§ II. — Murais.
Dans les anciens documents, on appelle broecken, moeren, meiren, ou
meeren, poelen, etc., les terrains marécageux endigués et desséchés le long
des fleuves et rivières.
Les marais [paludes] des Ménapiens sont déjà mentionnés par César ■.
Plusieurs villages aux environs de Gand, etc., n'étaient originairement
que des marais. Tels sont, Mariakerke, Tronchiennes, etc. Les prairies de
cette dernière commune ont encore toute l'apparence de marais.
Ces derniers étaient aussi fort fréquents dans la Flandre française actuelle.
Lille fut bâtie au milieu d'un broeck. Les environs de la ville de S'-Omer
étaient des marécages insalubres, témoin les terminaisons de plusieurs
villages et villes, tels que Hagebroeck, Verrebroeck, Capellebroeck, etc.
Au sud de la ville de Furnes, il exista, jusques il y a près de deux siècles,
un grand marais, nommé la moere, et connu dans les anciens diplômes sous
le nom de Sibouden-see.
En 1227, intervint un arbitrage entre Hughes, chevalier [miles] de Lor-
raine, et Relfin, bailli de Furnes, pour le changement d'un chemin con-
duisant de Dunkerque à Furnes, et passant près du marais dit Siboudeiize '\
' nvv.sicWm'is, Jlel ilisirickt van Shiis in Vlaandeirn.'SUddcWmvg, ISI'.I. |>. I(».
« Rdl. Gallic, lib III, ii' 28; lib. VI, n» o.
"• « Viani sivc publiram slratam (|uae vergobal tic Uiiiikei-lva ultra uquam quae vocatur
Siboiinczc , et sic lendebal... » (Cart. des Dunes.)
DES COLONIES BELGES. 005
Le sol de ce moer, desséché en 1624 et années suivantes, par Wenceslas
(îoeberger , et qui se trouve à plus de sept pieds au-dessous du niveau des
terres environnantes, formait autrefois un lac salé, que Ton n'a pu dessécher
qu'en l'entourant de digues et au moyen de moulins à épuisement '.
Une charte de 1175, de Philippe d'Alsace, parle de deux moers, l'un
nommé simplement mour et l'autre zuulmoer : « concessi eciam prefale
ecclesie... ut in ea parle soliludinis mce que dicitur mour... domum con-
slruere... insuper et viam que dicitur cruccwcch... et abhinc viam que dici-
tur monecwcch usque ad Zuutmoor liberam concedo " ».
Par un diplôme du mois de février 1276, Marguerite de Conslantinopic,
vendit « par le maindant Eustacie, moine de Camberon, maître de Stoupe-
dis, à Simon le moine, deux bonniers de nosire moer de Zelzate... chascun
bonnier pour cent livres de la monoie de Flandre... encore à Jehan de Zeve-
cole, le clerc, un bonnier de nostre moer, gisant daleis Icsaulres deus devant
nommés, vers le Nort pour cent livres de ladite monoie... encore à Ernoul
des Sans, ke on disl Weghen, trois bonniers et demi de nostre moer...
encore à Sohier Goelhals, à VValier, à Henri et à Gérard frères, trois bon-
niers de nosire moer îx tout le Irelïons, et à Ernoul Spaldine, un bonnier...
liquel gisent tout desous le Waleryanl '. »
Un autre moer était situé près de Bruges, dans la paroisse de Meelkerke;
il était connu sous le nom de meckersche moer . Dans la vallée de la Durme,
on compte trente et un endigages, qui tous porlent le nom de broeck *.
Le marais nommé Bleenkaert, entre Woiunen et Merckhem, peut nous
donner une idée de l'aspect qu'offraient nos anciens marais. Vers le milieu de
l'été, ses eaux stagnantes se dessèchent en grande partie, tandis que pendant
la saison des pluies, eu automne et en hiver, elles forment de vastes lacs,
qui, dans leur fond, contiennent un dépôt de vase, mêlée de préaux, d'her-
bes, de parties ligneuses amenées par les filets d'eaux (pii alimentent ces
lacs. C'est là l'origine de la tourbe, telle qu'on la trouve dans le fond de tous
' Méinoin'n de l'Acad. royale de Bclyiqiie , 1827.
■^ Exlrah du Carluluire des Dunes.
' Carlidaire de Flandre, aux arcliives de Lille, p. 342.
' Mémorial admin. de la Fland. orient., t. XLVIII, p, 121.
Tome XXXII. 40
506 HISTOIRE
les marais, surtout de ceux qui se sont trouvés à proximité des jjois ou de
plantations quelconques.
Par une charte de 1167, Baudouin de Lille, comte de Flandre, fit au
monastère de Saint-Winoc, à Berghes, une donation dans laquelle furent com-
prises toutes les dîmes de Wormhout, d'Ypres, de Wurhem, etc., et celles
provenant des alentours de Synthe, y comprises les terres qui deviendraient
arables par réioignemcnt de la mer, et par le dessèchement des marais '.
En 1242, les Gantois cédèrent au comte de Flandre, Thomas, et à
Jeanne de Constanlinople la terre dite de Brouck, située à Textrémité du
l)ourg {De Burchsiniele) , vers la paroisse de Wondeighem, ayant une con-
tenance d'environ trois bonniers, et nommée le marais, en flamand brouck
ou brouck '.
En 1169, il existait, entre Watten et Bourbourg, un vaste marais de la
contenance de 758 hectares, il étendait au loin un limon inaccessible, et
était impraticable même pendant Tété. Philippe d'Alsace le transforma en
une terre fertile et labourable, résultat qui coûta beaucoup de fatigues et
d'argent : « Feci sumptibus meis cum impensa muiti sudoris'. »
Dans un concordai conclu entre l'abbé de saint Pierre, à Gand, et Thierry
de Lisa, du 9 août 1269, il est fait mention d'un marais sans fond [Bo-
(lenloose meer) en ces termes : « In loco vero dicto Bodenloze merre idem
Theodoricus nihil juris habet, nec in graminibus seu fructibus crcscentibus
in eodem *. »
La ville d'Ardres ayant dans son voisinage de vastes marais, le comte
d'Ardres en entreprit le dessèchement : « Sy trouva moien par subtilité et
force de faire retirer et sécher plusieurs cour d'eaulx fluans aulx marelz
dudict lieu d'Audruicq et le mettre à labeur » — « Sic ejusdem loci maris-
cum, multiplicibus Idrae capitibus amputatis, Herculina caiiiditate desic-
cavit^. » Le chroniqueur a malheureusement négligé d'ajouter à l'aide de
quels procédés le comte d'Ardres avait obtenu ce résultat.
' L. de Baecker, Hist. de l'agriiull. Ikimaink, p. 37. Lille, Danel, I8a8.
* Dicricx , Mémoires , 1 , 20o.
' Id. , Charlerhoek , p. 42.
'' /(/., p. 47.
B Lambcil dWrdres, Chronique de Guines el Ardres, édit. Godedefroi-Ménilglaise, ]». 168.
DES COLONIES BELGES. 507
§ IH. — Wateringues.
Le sonl des associations ayanl pour ojjjel principal récoulement des eaux
des terres basses. Pour atteindre ce ijut, en faisant passer les eaux à travers
les propriétés limitrophes, les propriétaires s'entendirent entre eux : voilà
l'origine de ces associations.
L'expression ivaterhige est aussi synonyme de ivafergang ou tcalerlael '.
Quelques wateringues appartenaient aux comtes de Flandre. Ils les entre-
tenaient à leurs dépens et en percevaient le revenu.
En 4183, Philippe d'Alsace déclara libres du droit de wateringue les
terres de l'abbaye des Dunes, à Bruges, situées au Métier de Furnes. Il
accorda en même temps à cette maison la garde des écluses du même Mé-
tier, ainsi que les revenus qui y étaient attachés, à condition qu'elle entre-
tiendrait les digues et les écluses en tant que les réparations à faire pour-
raient être exécutées durant l'espace d'un jour ^.
Au mois d'avril 1269, survint un jugement de Margnerite de Constan-
tinople pour aplanir les dillicullés survenues dans l'administration de la
wateringue du Métier de Furnes.
Il y est dit : « Re li abes de l'Église des Dunes, ou cil ki sera en son lin,
i doit mettre un preudomme seufTisant en bone foi , ki gardera le cleif don
très wis del escluse devant dite et quant il li metera, cil cui il metera fera
sairement seur sains en la présense des watergraves. »
C'est, dit un écrivain, à cette admirable institution que le pays doit la
conquête sur les eaux de plus de quarante mille hectares de terres fertiles '.
Une ordonnance d'Albert et d'Isabelle, du 13 juillet 1612, réglementa
cette institution pour les Flandres *.
De tout ce qui précède, l'on peut conclure qu'à l'époque des émigrations
de nos colons, des dispositions réglementaires étaient déjà en vigueur el
appliquées dans les Pays-Bas pour tout ce qui concerne le réffhne des eau.r.
' Oiericx, Charterhoek, pp. 5, 15, 16.
■^ Mirœus, Oper. diplomut., III, ]). 61.
'' L. de Cousseniaker, Statisti(/i(e archéol. du dép. du .\urd. Lille , 1862, p. 53.
' Placcaet boekvan Ylaendvrtn , 111,475.
508 HISTOIRE
CHAPITRE III
COUTUMES USITEES SPÉCIALEMENT EN HOLLANDE, EN ZELANDE
ET EN FRISE.
Dans ces provinces que César appelait Insula Batavonmi , les eaux cou-
laient pour ainsi dire sur la tête des habitants, et leur sol fut perpétuellement
le théâtre d'une lutte entre la terre et les tlots. C'est, dit Douza ', « insula
cujus humile adeoac palustre solum cum flexus autoinni tum crebris pluvia-
lihus imbribus superfusus amnis in faciem stagni oppleverat. »
Les terminaisons suivantes, que Ton rencontre depuis la Frise jusqu'à Gra-
velines, prouvent que depuis les temps les plus reculés un nond)re considé-
rable de localités des Pays-Ras doivent leur étymologieà des mots qui ne sont
usités que dans une contrée aquatique.
Ainsi de vliet (coulant d'eau) viennent :
Santvliet, Rierviiet, iNieuwvliel, Hoogeviiet, Watervliet, Regelingsvliet,
Reingensvliet, Goedviiet, etc.
De nesse (syn. de schorré) " viennent :
Ossenesse, Hontenesse, Gusternesse, Heedenesse, Bornesse, Lamper-
nesse , etc.
De broeck (marais) :
Verrebroeck, Willebroeck, Ruysbroeck, Reverenbroeck . Berbroeck, Has-
sebroeck , Hagebroeck , Bierbroeck , etc.
De ée [waler , eau) '' :
Grevelingée, Honlêe, Werlingèe, etc.
' Bataviae HolUmdiaeque annales. Antv., 1(501 , lib. VI , p. ^37.
- Cette terminaison est synonyme de schorre et signifie terre basse, couverte par les eaux.
« Lage onder het water bedekte landen. » Voy. Wagenaar, Beschryving van Amsterdam, I,
ôi , 258. — Het dictrir.t van Sltiis in Vlaandercn , par Dresselliuis , 7, note in fine.
'' Dresseilnii.s, p. 7.
DES COLONIES BELGES. 309
De beek (ruisseau , filel d'eau) :
Loinbeek-Sainle-Calherine, Strombeek, Diepeiibeek, Neerglabbeek, Op-
glabl)eek, Speelbeek, Molenbeek-St-Jean, etc.
De dyk (digue) :
Stoppeldyk, Heinsdyk, VVulfsdyk, Schoondyk, Moerdyk, Waterdyk, Kal-
tendyk, Eliewondsdyk, Everdyk, Ilaegendyk, etc., ainsi que Mordick et
Noordick.
De dam (barrage, digue) viennent :
Ablassendam, Langdam, Amsleldam, Appingdam, Saandani, Oudeudani,
Swamnierdam, Merinekendani, etc.
De sluis (écluse) :
La ville de Sluis, Ellevaetsluis, Maasiandssiuis , etc.
De duin (dune) :
Wenduin, Abdye-ter-Duinen, Loosduin, etc.
Demiiide ou mude (bouche, embouchure) :
Arnemuide, Dixinude, etc.
Les provinces du nord de l'Allemagne, situées à proximité de la mer Bal-
tique, de TEIbe, du Weser et d'autres grands lleuves, offraient, avant leur
dessèchement et leur mise en culture, une grande ressemblance avec notre
[)ays maritime, qui, à l'époque où nos colons s'expatrièrent, était déjà en
grande partie endigué et desséché.
Toutefois, pour éclaircir la question il ne sera pas inutile de constater les
causes qui amenèrent cette situation , avant de parler des remèdes qui le
firent cesser.
§ L — Inondations.
Elles bouleversèrent fréquemment le sol des Pays-Bas, je l'ai dit dans la
première Partie. Douza ' dit à ce propos : « Ex quo factuni , ut regiones non
' Loc. cit., p. 261.
510 HISTOIRE
paucae exubérante mari a contineiiti suo revulsae, ac coecis arenanim piilvi-
nis cooperlae, forniidinem hodie faciant naviganlibus; aliae giirgitihus haiistae
oln'iilaeqiie penitus in fundnm abierunt; nonnuilas etiani ex arvis el pasciiis
in vadorumslerilitatemrecipi'ocanlispelagi aestus commulaveril : quae lainen
postea, vicissitiidin(? quadam reium, paiilalim limo qiieni mare infusum in-
veliit veluti teclorio quodam snperinducto, verlicem denuo exlra vorlices
(quod dicilur) exserere, novaque suceedaneae terrae accretione aiiclae, Cho-
inanliiae fidem primum , niox aiixiliares etiam colonorum manus implorare
instituerunt. »
De nombreux territoires furent arrachés du continent par les inondations
impétueuses de la mer, et couverts sous d'obscurs monceaux de sable; ils
sont un objet de terreur pour les navigateurs; d'autres, entraînés dans des
gouffres béants, s'engloutirent complètement dans les abîmes; maints pâturages
furent rendus stériles par le flux et le reflux de la mer. Mais bientôt un chan-
gement s'opéra. Le limon que la mer avait traîné à sa suite, ayant superposé
une couche sur les bas-fonds , la superficie qui existait auprès des gouffres
commença à se montrer, et le sol ayant pris une nouvelle consistance par les
terres qui le remplacèrent, ils [les Hollandais] eurent recours à la Choinarchie
(c'est-à-dire à l'art des endiguements) et employèrent à ce travail les bras des
colons.
Quant aux endiguements, le règlement le plus ancien, je crois, qui en
parle, est la collection des Lois franques {Francorum leges '), promulgées
par Charlemagne. La rubrique du chapitre IV est intitulée : De aggeribus
juxla Ligerim faciendis. Des digues à construire le long de la Loire, ou,
comme on dit aujourd'hui, la levée delà Loire.
Ce document constate que même dans cette partie de l'empire carolingien,
tout ce qui concerne les endiguages était l'objet de la sollicitude du gouverne-
ment.
C'est à cette source que les anciens comtes de Hollande ont puisé tout ce
qui est relatif à la construction de ces sortes de travaux.
Cornélius Battus, ami d'Erasme, a laissé, dans sa Cosmograpliie , un traité
' Piililii'cs |);ir Jean Ilerold. Bàlc , Hi-iiricus Pétri, l'iST.
DES COLOINIES BELGES. 3H
dans lequel il yllirme qu'il a trouvé clans tranciens mémoires sur la Zélande,
(|u'aulrefois les Danois et les Goths (?) lurent forcés par une fatale nécessité
[falaii tandem necessilufe conipuUos fuisse) de ceindre par des digues d'une
grande hixiûeur {immensœ molis aggeribus), comme par un rempart qui les
défendit contre les tlols de la mer et des rivières, plusieurs iles de la Zélande,
parmi lesquelles il cite Walcheren, Borselen, Noordbeveland, Zuidbeveland,
Duveland, etc. -
Quoi qu'il en soit, les Hollandais, plus encore peut-être que les Flamands,
ac(|uirent une grande expérience dans l'art des endiguements. Un exemple le
prouvera. A la suite de la guerre qui sévit pendant plusieurs années entic
Philippe d'Alsace et le comte Florent de Hollande, celui-ci, ayant été vaincu,
signa (1 167) un traité de paix, dont une des principales conditions fut « que
le comte Florent fournirait uiille ouvriers instruits dans l'art de construire
les digues, afin qu'ils exécutassent tous les travaux nécessaires pour préser-
ver la ville de Bruges et son territoire des invasions de la mer. Dès que le
comte de Hollande fut retourné dans ses Etats, il s'empressa d'envoyer plus
de mille ouvriers de Hollande et de Zélande. Ceux-ci construisirent des
maisons et d'autres édifices sur une digue qu'on nommait Honisdamme, puis
ils établirent également des digues jusqu'à Lammensviiet et Rodenbourg... »
Telle fut l'origine de ce port célèbre de Danime, qui devait occuper une si
grande place, au douzième siècle, dans l'épopée du chapelain de Piiilippe-
Auguste ' :
Speciosus erat Dam nomine viens
Lcnifluis jucuiidus a(iuis atqiie iiIjitc glcl)ac,
Pi'oximilale maris, portuquc, situquo superbus.
Thierry d'Alsace avait déjà comminé la peine suivante contre ceux qui
rompraient les digues de la mer : « Quicunque rZ/ntm maris ruperit, dextram
amittet "^. ->
' Kcrvyn de Lellcnhove, Hist. de, Flandr., I, 232. — Les Hollandais reçurent à cette occa-
sion le nom de Dkdolphes. Ce mot vient de die dolf {du verbe delven), qui creuse, fait des tra-
vaux de terrassement. Il est parlé à cette occasion d'un Marens Diedolplms (Diedolf), c'est-à-diie
iMarc le pionnier, le Icrr.nssier.
- Kervyn de Lettenhove, loc. cit., I, p. 2I'(.
512 HISTOIRE
En 1 183 , 1 199 , et 1260 , la mer ayant forcé les barrières qu'on avait
élevées contre ses fureurs, se répandit jusqu'à Ilulst et Axel '.
Dans la lettre par laquelle le comte Fernand exempta, en 1228, ceux
d'Aardenhourg des droits de douane à payer à la ville de Damme, il est fait
mention A' enfermement i^inslmluuj) ou de clôture par une digue [tocdain-
ming) '.
En 1185, Gilbert de Nivelles donna aux Templiers des terrains situés
entre Oosiburg et Ysendyke, et en 1223, ces terrains sont qualifiés de « terres
situées au delà des digues, biiitendycks '\ »
Une ordonnance de 1 163 enjoignit de faire disparaître le barrage du Rhin,
près de Zwammerdam, afin de ne point interrompre le cours du fleuve,
preuve évidente que Tembouchure de Katwyk existait alors.
§11. — Aride construire des digues.
Aucun peuple ne s'entendait mieux que les Néerlandais et surtout que les
Hollandais dans l'art de construire des digues : « Quarum parlem, dit Douza,
utique non minimam in publicorum operum custodià, aggerumque potis-
simum incolumitale consistere, nulli hominum generi quam Hollandis no-
tius *. »
Tous leurs travaux tendaient à ce que leurs moyens de défense , opposés
soit aux flots de la mer, soit à la crue des fleuves, fussent entretenus con-
stamment en bon état , et une foule de documents attestent qu'ils avaient ,
depuis les temps les plus reculés , acquis une grande expérience quant à la
construction, la conduite et la surveillance de ce genre de travaux.
Examinons donc quels étaient les procédés employés par les Hollandais.
Dès le principe , ils érigèrent des tertres d'une hauteur prodigieuse [lumu-
los altissimos), ou des éminences construites à la main {trilnmulia strucla ma-
nibus) \)0\.\r se tenir en garde contre les plus hautes marées {ad expérimenta
' Kluil, /oc. tit., 1, 143-148.
'- Ihid., p. 130.
' Ibid., pp. 154-155.
* Duuza, Hollandiae Butaviaeque annales, pp. 262, 272.
DES COLOIVIES BELGES. 3J3
atlissiint acslus) ou, comme disaient les Hollandais qui avaient toujours l'œil
ouvert : op île proeve van den springvloet.
lisse faisaient aider de bandes d'esclaves, afin que, si le flux de la mei-
s'élevait extraordinairement au-dessus du rivage, ils pussent se réfugier en
tout temps avec leurs familles et leurs troupeaux dans un endroit sec et assuré.
Ils y séjournaient en attendant que les tempêtes eussent cessé et leur permis-
sent, si c'était possible, de retourner dans leurs foyers ^
Ces premiers travaux, immenses, ardus, d'un travail j)resque cyclopléeii,
bien que paifois interrompus et suspendus par les débordements des flots
marins, furent néanmoins élevés à une telle hauteur que les habitants finirent
par se croire à l'abri d'inondations ultérieures.
Mais tous leurs efforts échouèrent contre les assauts de l'élément destruc-
teur.
C'est dans ces circonstances que l'autorité entreprit de construire des tra-
vaux par districts hydrauliques, lesquels étaient plus ou moins étendus,
d'après les besoins de la défense, en y affectant des sommes considérables,
auxquelles, de leur côté, contribuèrent les habitants qui jouissaient d'une
grande fortune.
Voyons d'abord à quels fonctionnaires était confiée la construction des
digues, ensuite quelles étaient leurs attributions, et enfin quel était le mode
de construction employé par eux, ainsi que les matériaux dont ils se ser-
vaient.
§ III. — Foiicfioiniftires.
I. ]uescltoinar(/aes (expression de Douza) : Leurs fonctions correspondent
à celles des dijckgruven , dont les attributions ont été déterminées plus haul.
IL L(}?, (irbitri [f\ne[)onzd, nomme septeminrieiqxiinqueiHri, parce qu'ils
étaient tantôt au nombre de sept, tantôt de cinq); ils avaient le contrôle
perpétuel et suprême des travaux exécutés.
111. F^es heimraden, cantonniers.— Le mot heim désigne ici une espèce
' Douza, HoUautJiae Butavlaeque Annales, pp. 2()2, 272'.
Tome XXXII. 41
314 HISTOIRE
de terrain sur le revêlement duquel s'élendail leur haute surveillance : « pênes
quos suprema aggerum muniendorum praefectura '. »
IV. I.es pomaerarii, c'est-à-dire ceux qui surveillaient les travaux de
l'un et de l'autre côté de la digue.
V. Les moermeesler , chargés de visiter les digues, d'en constater l'étal,
ainsi que les réparations et castainges à y faire.
VI. Les schouter , surveillants dont les attrihutions consistaient à vérifier
s'il y avait des trous dans les digues, c'est-à-dire à vaquer à leur resloupe-
nient [loke le scoitwene), ou des transpirai ions [wuterlaet).
VII. Les vyvermeesler , chargés de la construction des étangs d'écoule-
ment, et qui se trouvaient sous les ordres des membres du' conseil, die ralhs
compane.
Tous ces fonctionnaires relevaient directement de l'autorité publique.
Pour mettre les habitants à l'abri de tout péril, ils devaient, moyennant
un prix déterminé, faire construire annuellement, par des ouvriers salariés,
des travaux quelconques de nécessité, et ils avaient l'obligation de les entre-
tenir en bon état. Ils devaient fixer la hauteur et l'épaisseur des digues, et
garantir leur solidité. Ils avaient aussi à tracer, dans les endroits convena-
bles, les canaux, les fossés et les aqueducs.
§ IV. — Mode de construction.
Pendant l'été, quand la mer était calme, les entrepreneurs lançaient des
barques (jui prenaient à bord, au moyen de harpons, les arbres coupés
dans les bois voisins. Au moyen de ces arbres, liés solidement ensemble, ils
tressaient des réseaux épais destinés à former la base de la digue; les inter-
stices du talus inférieur étaient bouchés par une bourre d'algues -, que la
mer jette en grande quantité sur le rivage.
Ils garantissaient par une plantation luxuriante de glaïeuls et de joncs
' Douza, toc. cit., p. 271 , noie \.
"• Hei'he aqualiquc, dont la feuille ap[)rophe de celle du cliiendent, cl qui, dans ((uelques
cs])èces, a de très-longs cheveux. En nécrl. ivier, mol qui a donné son nom à l'ile de Wieriiigui,
qui, en i205, faisait encore partie de la terre ferme. En 1251, elle en était complètement
séparée.
DES COLOMES BELGES. 515
pointus [hcbuplanlinge) les cndroils vides, comme par des lacets, à relVel
d'arrêter ces légers nuages de sable dont la pluie fine, agitée et poussée par
le vent, menace constamment les crêtes : en un mot, ils devaient faire en
sorte que TÉlat n'éprouvai aucun préjudice de leur négligence.
Ils garnissaient les dunes d'une espèce de jonc ou de roseau, connue
sous le nom de arundo arenosa. Les Hollandais le transplantaient après l'avoir
coupé à un demi-pied au-dessus de la racine, et le plaçaient dans les dunes,
afin (pie le vent n'emportât pas le. sable et qu'il y pût croître des berbes.
C'est par ces matériaux solides et impénétrables, étroitemeni boucbés, que
les habitants de ces contrées sentirent l'impérieuse nécessité de défendre et
de garantir leurs propriétés contre les fureurs de l'océan en courroux, c'est-
à-dire par des digues (|ui pussent soutenir les assauts des flots marins el
dont le revêtement offrit la solidité el la dureté des masses cyclopéennes d'un
rocher.
On ne pouvait donc imaginer rien de plus fort ni de plus solide que ces
digues, lesquelles, parleur adossement, arrêtaient el lenaienl en respect la
rage vorace de la mer du Nord K
§ V. — Ustensiles.
On se servait de boyaux {liklmles), de boues (%o/ie.s), de bêches [palae],
de truelles {mira), de marres de vigneron (marrae), de claies ou grilles
d'osier {craies), de paniers {eoffînos) , de corbeilles {corbes) qu'on porte sur
le dos ifiiossuariae , 1er dosse dragen), de charrettes {pehimla) et de cha-
riots [plauslra) '.
De ce qui précède , il résulte que les dispositions relatives au dicage et
les procédés techniques par lesquels les Néerlandais construisirent leurs
digues ne furent pas inconnus aux colons qui s'expatrièrent pendant le
douzième et le treizième siècle, et que ces moyens de défense contre la
fureur de l'océan et le débordement des grands fleuves du nord de l'Alle-
' Douza . /l«H«/e.s, passira.
'^ lliid. , passiiii.
316 HISTOIRE
magne ont servi de guide à YUnternehmer qui fut à la tête des colonies.
Cette opinion est aussi celle de M. Schayes : « Le génie et le caractère
des Belges et des Hollandais, dit-il, n'ont pas exercé une moindre influence
sur le progrès de Fagricullure. Constamment exposés au débordement des
fleuves et de l'océan , toujours en lutte avec un sol ingrat que les rayons
du soleil vivifiaient rarement, ils furent de bonne beure dans la nécessité
de combattre, par l'industrie, les obstacles que la nature leur suscitait. Élever
des digues, construire des canaux, pour assécher des terres humides,
hausser les terrains bas..., établir des irrlgalions , telles furent les occupa-
tions constantes des habitants. Aussi, les colons qui, par suite des inonda-
tions, s'établirent dans le Holslein , le Schleswig, en Saxe, dans le pays de
lAIecklembourg, en Tburinge, etc., exercèrent-ils l'influence la plus salutaire
sur l'agriculture de ces pays '. »
C'est ce qu'un éminent poëte hollandais a exprimé de la manière la plus
heureuse dans les vers suivants :
0 grond, in vroeger eeuw in sciiuimend nat bedolven!
0 grond, door 't voorgeslaclit gewoL'kerd uit de golven,
Gy dondcit ons in t oor met onweerslaanbre kracht :
Bemind uw vaderland , aanbidt uw voorgeslaclit :
Hun brein dat tôt uw nvil lierl d'aardbol had omvademt
Scbiep 't land dat gy bewoont, den luchtstrooni dien gy adenil '^.
(( 0 sol, enfoui dans les siècles antérieurs sous une plage couverte
d'écume! 0 sol , conquis par nos aïeux sur les flots, vous faites retentir à nos
oreilles, avec une force irrésistible, ces mots puissants : Aimez votre patrie,
vénérez vos ancêtres; leur génie qui, pour votre utilité, embrassa 'l'univers
entier, créa la terre que vous habitez et vous légua l'air que vous respirez. «
' Les Pays-Bas avant et pendanl la période romaine, III, 179.
- Helmcrs, De Hollandsche natie, p. l'J.
DES COLOiMES BELGES. 317
CHAPITRE IV.
PAYS OU LES BELGES ÉTABLIRENT DES DIGUES.
« C'est aux colons néerlandais, dit Hoche, que la Germanie inférieure
est redevable de sa culture. Ils étaient actifs et laborieux, et habitués à em-
prisonner les eaux par des digues {geivohnt das Wasser in Dâmme einzu-
schUessen '). »
Leur expérience en cette matière y était renommée. « C'est pour ce motif,
dit un autre écrivain, qu'on employa de préférence des Néerlandais pour la
culture des terrains bas et marécageux de la Germanie inférieure, puisqu'ils
savaient les manier avec le plus d'art, en faisant écouler les eaux par un grand
nombre de canaux, brûlaient la laîche et les autres mauvaises herbes, el
convertissaient les marais en terres arables "'. »
Jetons un coup d'oeil sur quelques contrées où , d'après les sources , les
Belges ont construit des digues.
§ I". — Brème.
La première digue du Weser fut construite vers 1020; mais l'endigue-
ment de la Weser-Mursch , près de Brème, doit être attribué aux Hollan-
dais qui s'y établirent au commencement du douzième siècle; ceux qui se
fixèrent près de Wurslen coniribuèrent'à l'endiguenient de cette contrée''.
Celle-ci éprouvait de fréquentes inondations du Weser, et elle fut conquise
en partie sur les eaux , dit Koster *, grâce à l'activité énergique des colons
néerlandais. Il existe dans ce pays, de temps immémorial, une invocation
chantée en chœur par les descendants des anciens colons lors des réunions
I Pngesol, 52.
- Hannoverisclies Mafjaziii , 1801 , pp. G9â-G94.
^ Pratjc, Nachricliten vo)i deni lande Wursten, IV, pp. 568-370.
'» Loc. cit. , p. 200.
318 HISTOIRE
concernant les endiguements. La Iradilion nous Ta conservée, en altérant
le texte primitif. La voici dans sa forme aciuelle :
TKINKSPRL'CH '.
Gotl bcw;ilirc uiisf land
Vôr krieg, water, pest uncl lirnntl
Newsl den diimmen uiid dcii dicken,
Scliliisi'ii, towass - und dcrgliclicn!
Und en ehrlich Wuster blood
Sy beschiitzt mit IialV und good!
« Le territoire, compris aujourd'hui sous le nom de Uollcrlund , I/ollaii-
(Iria n'a pas été totalement entourjé de digues [aggeribus ciHctwn ) par ces
premiers colons; mais probablement au moyen d'une élévation [chomale),
qualifiée par les habitants du nom d'achterdick , ils se sont mis à couvert des
eaux dans cette fertile contrée ^. »
Le achterdyk ( Ilinterdeich) , ou digue postérieure, est une levée de terre
pour arrêter les eaux qui parviendraient à rompre la première digue. Ce qui
prouve les travaux des Hollandais, c'est la mention qui est faite dans les
chartes ii'agueducs, de jurés (j'umli) , de ce qu'il sera établi une watteringe
là où ils le jugeront convenable, et de ce que les magistrats ad hoc sont
qualifiés de schworenen [jurati, geztvorene).
Là, dit Renner, il. existe des vestiges de la culture des Balaves par
lesquels il est constaté aujourd'hui que des digues ont été construites dans
ce vaste territoire spatiosum HoUa^ndriae *.
<i Ici aussi, dit Wersebe, la culture et le défrichement d'un district
' " Dieu défende notre pays de la guerre, de l'eau , de la peste et de Tineetidie , à laide des
jetées et des digues, écluses, alluvions et autres moyens semblables! Que la race généreuse de
Wursten soit protégée avec son avoir et son bien ! »
* « Torcass (ail. Zinnichs , néerl. loetras) est la terre extérieure, dil Kôsler (ibid.). située en
deçà de la digue de la mer, dont lalluvion fut mise en culture au moyen de travaux bydrauli-
ques. Celle immense et ricbe contrée est une alluvion (towass) de ce genre, semblable au.\
polders des Pays-Bas et de l'Ost-Frise. i.
' Heineckeii, Tentuminajuris açjyeralis reipubl. Bremensis, cap. I. p. 7. Gôtt., 1774.
'* Chron., I, 525.
DES COLONIES BELGES. 519
marécageux par une digue postérieure témoigne (prune colonie hollandaise
s'y est établie '. »
Dans le territoire de Brème, il existait un Gericht nommé Dekhgnifen-
schafl , (pii exista jusqu'en 1509 '^. C'est bien là le Dyckfjraefsdiap qui
existait chez nous. A cet ancien tribunal spécial à Brème, a survécu cet
axiome : Kc'm Deich ohne Land , Kein Land ohne Deic/t. C'est sur ce dicton
que reposait le droit tout entier du dicage.
Un autre adage populaire y était en vigueur :
Wer nich kann dikeri,
De mot wiken '.
Il est curieux de remarcjuer que le même adage existe dans les polders de
la Flandre et de la Zélande :
Die niel en kan dykeii,
Die moc wyken.
« Que celui qui ne sait pas endiguer se retire! »
Enfin, dans le même pays, les habitants appellent dyckslool (de dyck,
digue, et sloot, excavation), le fossé qui a été creusé anciennement en face
de la digue près du ruisseau le Wumma.
§ n. — Holslein.
De même qu'à Brème, il y avait dans le Holstein un tribunal des digues
nommé /,e(///<r/ /(CM (c'est-à-dire /trt(>/(/«"«^, tribunal des tertres*).
Les digues y furent appelées primitivement hojen ou kajen , tertres , élé-
vations. C'est de là que les terres endiguées dans le Holstein par les Belges
portent encore aujourd'hui le nom de kooge , et, dans les anciennes ordon-
' Chron.l, p. 180.
^ Hcinecken, /oc. «7., p. bl.
■'■ Kôster, p. 5G.
'' Wersebe, I, p. 21 , note ôO.
520 HISTOIRE
nancesde ce pays concernant les endiguemenls (Deic/iordnùngen) , on appelle
h)f/pii les districts chargés de Penlrelien des digues.
Dans le district de Kedinghen, il y avait un endroit où une digue portait
le n(im de digue hollandaise, hollerdeich, preuve évidente que les Néerlan-
dais ravaienl consiruite '.
Christian! rapporte que les hahitanls du Holstein sont experts dans Tari
de cultiver les MarschUimler et de les garantir contre les inondations par
des réservoirs et des jetées [dâmive), mais il reconnaît qu'en général ils
a|)prirent des colons néerlandais qui s'y établirent la culture et l'endigue-
ment ( Die Benrbeitung unci die Eindeicimng ) -.
Les Hollandais construisirent une grande digue, près du lac de Sladen,
digue dont l'entretien était imposé au cloître de Wilrichtmoor. Cette digue
s'étendait depuis i?/oo>' jusqu'à SIeuze (écluse) : « a Moor usque ad aqueduc-
luni (|uae slnsa vulgariter vocatur '\ »
Une preuve évidente que d'autres digues existaient dans la même contrée,
c'est que quelques personnages empruntèrent leur nom à des localités dont la
terminaison était r//f7, , tels que Volbrecht de Crummendike [krovimendych),
Balduin de Moordick (Moerdyk), etc.
Lorsque, dans la Rremper et la Wilster-Marsch , le droit hollandais fut
aboli, les dispositions de ce droit concernant les endiguements furent main-
tenues. On n'en connaît malheureusement pas la teneur '*.
§ IH. — TImringe,
En 1133 et 1168, les évêques de Naumbourg, Wichmann et Udon H,
dans des lettres qui confirment une donation faite aux Hollandais par
Udon I"' , s'expriment ainsi : « Latiludine vero ab ipso coenobio uscpie ad
aggeres qui sunt circa novalia Hollandensium.... »
D'autres chartes emploient les mêmes expressions. Nous savons que le
' Wersebe, I, p. 181.
- Gi'xcliichte lier fferzogtliûmer Svhleswig iind Holstein , II, 40j.
^ Wersebe, I,2iï(j, note 13.
* Ihùl.,], p. 379.
DES COLONIES BELGES. 521
couvent de la Hhnmehpforle élail situé au milieu de marais, et Wersebe
lui-même reconnaît que les Flollandais et les Flamands y rendirent de grands
services à l'art des endiguements '.
A Erflirl, il y eut, depuis rétablissement des Belges, une intendance des
eaux qui offre quelque analogie avec ce qui existait chez nous.
Ce Wassernmbi se composait :
1° D'un intendant suprême [Obergebielsherr) ;
2" D'un intendant inférieur [Uniergebielslierr);
3" D'un surveillant en chef;
i" D'un surveillant subalterne;
5" D'un inspecteur;
6° D'un indicateur de travaux [Anewi/scr);
7" De serviteurs '^.
Insensiblement les Allemands apprirent l'art de débarrasser les marais de
leurs eaux , art dans lequel les Néerlandais avaient été leurs maîtres. C'est
probablement ainsi que l'abbaye de Walkenried put former ses impor-
tantes fermes au milieu des marais de Riethof, Vorrietb , Heringen, Kalden-
husen , etc.
^l\.^ A)ihalL
Prés de la forêt de Drogbul , il y avait autrefois un canton très-élendu et
inaccessible, couvert qu'il était de marais. Il semblait devoir rester toujours
dans cet étal, mais les Flamands le desséchèrent au moyen de canaux
d'écoulement et le cultivèrent ".
.Fai déjà parlé, dans la première Partie, de la grande digue, de plusieurs
lieiies d'étendue, qu'ils construisirent de Dessau à Worlilz, digue qui existe
encore aujourd'hui et sur laquelle est construite la route actuelle qui relie la
capitale de l'Anhalt au chef-lieu du bailliage '.
' WorsoiK', Il , p. 933.
2 iVIiehelsen, pp. 104-105.
~' Beckmann, ap. Wersebe, II, p. 7G5.
^ Renseignement de M. Medicus, bourgmestre à Dessau. Voy. p. 94.
Tome XXXII. 42
522 HISTOIRE
§ V. — Maydebourg.
il existait dans ce duché une forêt prés de Scarliiowe. Les colons qui Tha-
bitaient furent exemptés par All)ert II de Brandebourg, en vertu de son
diplôme de 1208, de payer des impôts en récompense de la digue de terre,
nommée vulgairement die, qu'ils avaient construite pour contenir Timpé-
tuosilé de l'eau. Ces colons étaient des Flamands '.
§ VI. — Brandebourg.
Après qu'Albert l'Ours, dit Helmold, eut soumis les Slaves, leurs terres
qui avaient été occupées par ces païens que la guerre avaient décimés, et qui
bordent la rive méridionale de l'Elbe, ml australe Albiœ iillus, ainsi
que leurs plaines, leurs marais, leurs bourgs et leurs villes depuis Salzwedel
jusqu'à la forêt de Bohême, furent occupés et habités par des colons hollan-
dais [et flamands] et un grand nombre de colonies de cette nation s'établi-
rent dans cette contrée, novasfjue complures inibi colonial a noslratibus
deductas comperior -.
Les nouveaux colons cultivaient un pays qui était exposé aux inondations
quotidiennes du fleuve, contre lesquelles ils n'étaient défendus daucun
côté, ni par un rempart de dunes {sabidelorwii) , ni par des digues de terre,
vel terreorum aggerum miinimentis defensi proteclùjue.
Helmold ajoute que leur habileté et leur énergie élevèrent des digues :
« quorum efïicaci opéra atque industrie aggeres quondam ad Albim positos
constructosque fuisse. »
Les paroles du chroniqueur s'appliquent spécialement au district nommé
autrefois Marscinerkind, qui longe l'Elbe, depuis Seehusen jusqu'à Werben ,
en s'étendant au delà vers Arnebourg et Tangermunde, et qui s'appelle au-
jourd'hui la Wisclie.
' Wersebe ,11,719, note //( fine , etc.
2 Helmold, I,cjp. 89.
DES COLONIES BELGES 523
Cette contrée est entourée de dignes qui avaient déjà été établies dn tenips
des Othons, mais qui, ayant été postérieurement démolies par les Slaves,
furent de nouveau rétablies par les Hollandais '.
Les habitants, c'est-à-dire les colons, jouissaient d'une juridiction appelée
Dcichgen'chf, dans laquelle fut postérieurement en vigueur le règlement sur
les dignes [Deichordnhny) du margrave Jean , de 1436 "'.
Gercken, en parlant des colons qui s'établiront dans ces parages, s'ex-
prime ainsi : « Dans la 3Iitlelmark, le Priegniz et la Nouvelle-Marche, habi-
taient encore des Wendes, plus loin des Allemands et les colons ^. »
Les Wendes laissèrent sans culture les terres fortes et grasses, comme il
s'en trouve dans la Wische de YAltmark. Ce district a été cuhivé, au dou-
zième siècle, par les colons néerlandais, lesquels, à cette époque, avaient
déjà construit les digues de l'Elbe *.
Corner, s'appuyant sur Helmold, dit « qu'Albert de Brandebourg, qui avait
fait venir des colons des Pays-Bas, les avait fixés dans le pays de Salzwedel ,
qui s'étend jusqu'à la forêt de Bohême. » La plus grande partie de VAlmark
fut colonisée par les Hollandais... Ils se fixèrent à Seehusen. Ce furent eux
qui resserrèrent, par des digues, le cours incertain de l'Elbe : « et paludosos
terminos Hollandi incoluerunt, et vagos decursus Albii tluvii ayyeribus, proul
in suis consueti erant terris, arctaverunl. »
Au nord, jusqu'à l'autre côté de Seehusen, et au sud jusqu'à Arneburg et
Tangermunde , il existait encore un espace considérable réservé à de sembla-
bles travaux. Albert l'Ours fit endiguer et cultiver cet espace de terrain après
que l'évêque de Havelborg lui eut donné l'exemple de l'endiguement et de
la mise en culture d'un petit canton \
Corner dit encore" que, vers 1151 , les Hollandais fondèrent la ville de
Seehusen , que l'on rencontre encore dans cette Marche ; qu'ils habitaient les
confins composés de prés et de terrains marécageux , et qu'ils entourèrent
' Wersebe, II, 4G7.
^ Gercken, Corf. dipl. Brand., VU, 294.
'" Jùnker, in Frmjm. Mardi., \, 183, 184.
' Wersebe, II, 472, note 53.
•^ Idem, S22.
« Ap. Eccard, II. 007.
324 HISTOIRE
bionlôt (le digues les rives de l'Elbe, eonime ils avaient coulume de le faire
dans leur pays : « Albis(|ue ripam mox aggeruni niunimentis, prout in suis
consueverant terris, adornasse et reeoluisse. » Ce passage renchérit sur le pre-
mier. Ici les Hollandais ne se contentent plus de régler le cours de l'Elbe,
ils endiguent tout un territoire. Une partie de ces digues existe encore.
SECTION VI.
AGRICULTURE.
Les guerres contre les Slaves non moins que celles qu'avait amenées la
querelle des investitures avaient, pendant une période de près de cinquante
ans, enrayé tellement le mouvement agricole dans les divers pays de l'Alle-
magne qu'il en résulta une dépréciation énorme dans la valeur du sol, la-
quelle entraîna à son lour, comme conséquence, l'appauvrissement des grands
et la misère du peuple. Princes et prélats avaient été trop ardents à la lutte,
pour pouvoir accorder quelque soin à cette branche du travail humain, que
tous les penseurs du moyen âge jusqu'au dix-huilième siècle, y compris les
physiocrates, regardent comme la source la plus féconde de la richesse des
nations.
Mais, quand le calme revint dans ces contrées désolées, quand aux ardeurs
brûlantes de la révolte et de l'anarchie succéda le repos vivifiant de la paix,
l'agriculture fut-elle remise en honneur, ou, tout au moins, put-on s'en occu-
per de manière à faire rendre à la terre les trésors (|ue la nature a si géné-
reusement déposés dans son sein? Je ne le pense pas.
Les Slaves, indépendamment de l'état de dépendance et de subordination
où ils étaient tombés, avaient le tempérament trop mou, le caractère trop
apathique, une fois qu'il ne s'agissait plus de se battre, pour pouvoir entre-
prendre un travail suivi. Ils aimaient les résultats faciles; ils préféraient se
contenter du peu qu'ils pouvaient acquérir par des efforts insignifiants que de
chercher, par un labeur opiniâtre, à améliorer leur condition matérielle et à
augmenter le bien-être de leur existence. Toutefois leurs princes, il faut
l'avouer, curent des vues plus hautes et ils imitèrent leurs alliés, naguère
DES COLONIES BELGES. 325
leurs vainqueurs, dans lœuvre nationale de la restauration agronomique.
Les princes allemands, en appelant des colons étrangers, surtout des
Flamands et des Hollandais, avaient pour but principal de faire fructifier les
terres de leurs domaines, afin que les fruits à en provenir pussent, en partie
du moins, sufTire aux besoins de la population.
Nos compatriotes répondirent admirablement à ce but. Nulle pari Tagri-
culture n'avait atteint comme chez eux le degré de perfection auquel elle était
parvenue en Belgique. On appelait la Flandre le marché de l'Europe. Les
éléments déchaînés purent contrarier leur travail, entraver l'essor de leur
activité, leur ravir le fruit de leurs efforts : ils ne leur enlevèrent point leurs
aptitudes pratiques et une expérience longuement acquise. El voilà ce qui leur
valut tant d'avantages à l'étranger.
Il importe donc de rechercher brièvement quel était, à l'époque de l'expa-
triation de nos colons, l'état de l'agriculture en Belgique, quel mode de cul-
ture y était en usage, comment et à l'aide de ([uels procédés ils sont parvenus
à obtenir dans leur nouvelle patrie ces résultats magnifiques auxquels tous
les chroniqueurs et tous les historiens se sont plu à rendre un légitime hom-
mage.
Plusieurs documents , chartes et autres sources historiques nous fournissent
d'intéressants détails à cet égard.
»"
§ 1. — Éial de l'agriculture eu Belgique aux douzième
et treizième siècles.
Deux dates, prises au début et à la fin de la période qui nous occupe ,
nous donneront le terme moyen de ce qu'était alors l'agriculture.
La chronique de Wallen, écrite vers 1088, s'exprime ainsi : « Il y a un
pays, nommé la .Ménapie, située entre la Lys et la Flandre maritime, planté
de bois, fertile en pâturages, et si abondant en légumes et en fruits de toute
espèce qu'il produit le superflu, et qu'il semble dire à l'agriculteur que, s'il
veut négliger le travail, il produira encore malgré lui '. »
' Clironic. Watlinensis monastcrii in Thés. Anecd., l!,8-20. (Original à Bruges.)
526 HISTOIRK
D'autre part, la description que nous a laissée Guillaume le Breton de la
; Flandre, quMl visita au treizième siècle, est un tableau contemporain de ce
qu'était alors notre sol sous le rapport de l'agriculture. « Ce pays, dit-il, est
couvei-t d'un grand nombre de petites rivières agréables et poissonneuses,
de beaucoup de fleuves et de fossés qui obstruent tellement les routes que
l'accès en est rendu diflicile aux ennemis qui veulent faire irruption... Ses
champs l'enrichissent de grains... ses troupeaux de lait, son gros bétail de
beurre, sa terre la plus aride est réchauffée par le jonc marin dont on la
couvre, après l'avoir haché quand il est sec '. »
Toutefois, avant de traiter de l'agriculture proprement dite, je pense
* qu'il ne sera pas sans intérêt de m'occuper un instant de la question de savoir
sur quelle base on calculait, aux douzième et treizième siècles, la valeur du
sol dans les Pays-Bas.
A cette époque , on évaluait la valeur et l'étendue des terres d'après la
quantité de grain qu'il fallait pour les ensemencer.
Ainsi, une forêt avait une valeur plus ou moins grande, suivant la quan-
tité de porcs qu'on y pouvait nourrii- de glands.
Un pré, un marais, étaient évalués d'après le nombre de brebis ou de
vaches qu'on pouvait y faire paître, ou d'après la quantité de foin <|u'on y
recueillait ordinairement.
En effet, pour ne citer que quelques exemples, il résulte d'un ancien livre
de cens de l'abbaye de S'-Pierre, à Gand, de 1281 , faisant suite à un diplôme
octroyé par l'empereur Louis, le iv des nones de juin, indiction VIII, ce
qui suit : « Et hoc est ((uod vobis ad stipendia vestra segregandum censuimus
de terra videlicet arabili ad modios scmentis viginti quinque... et in alio loco
ad modios duodecim... et m\i{\\\vuccuriciaiiic{ pratum unum... etalium pra-
tum juxia mare(|uod potest alere berbices centum viginti... et juxta monas-
terium mansos servientes quinque... nec non in sylva... in qua saginari pos-
sunt porci tempore glandis, plus minus numéro quinquaginla... de pratorum
ad fenum segandum caradas I, mariscas ubi potest segare fenum caradas V » .
A celte épotpie, les propriétés n'étaient désignées que par le nom des
' (niilluiniie le Breton. Bruges, 1841.
DES COLONIES BELGES. 527
paroisses ou des localités où elles étaient situées, sans autre indication,
tellement il est vrai que la bonne foi de nos pères correspondait à la simpli-
cité de leurs mœurs.
La mesure des terres était Vaere [acctira) dont retendue équivalait à un
arpent et demi. Les fermes étaient encore de chétives cabanes habitées par
quelques serfs {mancipia), (pii cultivaient quelques acres au profit de leurs
maîtres.
§ II. — Mode de culture pratiqué dans les Pays-Bas.
Quels étaient les traits saillants de ce mode de culture?
Une charte du mois d'avril 1264, relatant les anciennes coutumes et les
usages traditionnels de la mairie du Crombrugghe, enclavée dans les paroisses
de Dickelvenne et de Meerelbeke, nous fournit en grande partie sur ce mode
des données intéressantes '.
Cette charte est intitulée : Chi sont li usage et les costumes de le maijerie
de Crombrugghe , à savoir :
L Pailles. — « Li glui (flan), strooi , lai. stramen, fr. pailles) et li estrain
de le court ne doit on mie vendre, mais on le doit mettre en commun
profit. »
IL Semailles. — « Des costumes à semer sera il en tel... manière... en
sèment doivent-ils semence de soelle (fl. geerste, fr. millet) pour semer
un bonier de terre... chou est à savoir quatre haelster -; et la semenche
d'aveyne pour semer un autre bonnier de terre ... chou est à savoir quatre
haelster. »
Un bail accordé par Pabbé de Saint-Pierre à Gand, en grande chambre,
le 19 novembre 1595, à un habitant de Resseghem, relativement à une
ferme et terres , situées à Barst, dans la Campine , nous apprend les particula-
rités suivantes sur l'aménagement des terres à cette époque. Il y est stipulé
entre autres :
' Diericx, Ctiarterboek , pp. 74, 1^.
■^ C'était une mesure usitée à cette époque; en lat. Iiahterhim.
528 HISTOIRE
a. Que les terres semées de blé d'hiver [winter coerne) devront rester
avec le même blé en jachère enfumée [gemesle braecke) - 4- sillons ( iiij voren
gewonnen).
b. Qu'il sera semé dans les chaumes de blé [coorens(oppeln) d'autres
semailles et de l'avoine (evene) - 3 sillons - {iij voren geivonnen).
c. Que la troisième semaille restera en jachère [braecke] '.
m. Jachère. — « Le tiers bonier de le terre doit être vuide et nient
collurei : chou est à savoir brake {en lat. brachelarium).
IV. Prairies. — « De six boniers de prez arable sera il ensi : que le
moytiers de ces six boniers doivent eslre colturei par trois ans ensuivans
continûment par les hostes..., l'autre moytiers doit on laisier gésir sans col-
tiver pour paslure as besles... et en tel manière doit on les six boniers de
préz devant dis de trois ans en trois ans changier en paslure et en terre
arable. »
C'est-à-dire que , suivant l'ancien ordre établi pour ce qu'on appelait la
grande culture, un tiers était semé en grains d'hiver, c'est-à-dire de fro-
ment, de seigle, de méteil , d'orge d'hiver, de colza, etc.; un tiers en grains
d'été, c'est-à-dire d'avoine, de sariazin, de fèverolles, etc.; un tiers restait
en jachère. On établit ici un ordre différent par lapporl à des prés arables.
V. Arbres. — « Des arbores et du bois croissans un bruet ^ gisant
près de le court : liquel bruet contient en tour deux boniers pou plus pou
moins, doit... user pour faire les socs^ entour les cultures, et ez aullres
nécessitez... »
VI. Pailles et engrais. — « Après nous ordenons ke li lerrages* aussi
bien de biefs comme de l'aveine, doit estre amené en la granger de le
court, et que 11 estrains, les pailles, le foin et les remaindres^ de toutes
les autres choses qui seront ame^é dedens la grange doit... despendre au
communs profis... et de tous les estrainiers (ilam. mesthoopen, fr. fuiiiiers)
' Carliil. dp l'iililmije (le Saiiil-I'icrre , n" \).
- De ^>we, bruyère, petite bruyère.
"' En flam. cingcls , lat. littora, dont on entoure les terres eultivées.
' Ce qui, suivant les usages locaux, ou d'après inie convention particulière, revient au
seigneur dans les fruits de ses terres cultivées par d'autres,
s Qund remanH , ce qui reste, ilal uverblyfL
DES COLOISIES BELGES. 529
et les fiens (excréments d'animaux) qui y seront, fait de chou doivent li
hostes fumer (engraisser) les terres... »
Il résulte d'un contrat, conclu le jour de la vigile de Saint-Jean-Bapiiste
de Tan ISl/*, entre l'abbé deSaint-Bavon, à Gand, et le seigneur de Rodé,
que l'on engraissait la terre avec de la marne {marlare) et (ju'on la slercoruii ,
c'est-à-dire qu'on y mettait du fumier '.
Vil. AniiHiiHX. — « ... Après ... doit avoir pour le pasture des bestes ...
mais que les bestes aient leur plaine sustenanche ... et la terre soit culturée
à tamps et à eure... »
VIII. Fléaux. — « Les flaels (fléaux à battre le blé) sera il en lel
manière que ... doit avoir deux fléals en la grange. »
IX. Productions. — Meyer, après avoir fait un brillant éloge de la culture
flamande au moyen âge, ajoute que les fruits que son sol produisait consis-
taient en orge, avoine, fèves, pois, lin, chanvre, houblon, panis, navets, etc.
Aux douzième et treizième siècles, on payai! la dlme de ces sortes de fruits,
ce qui prouve que déjà on les cultivait.
Dès le milieu du onzième siècle, la vigne était cultivée chez nous, s'il faut
en juger par le fragment suivant d'une lettre -de Gervais, archevêque de
Reims, adressée à Baudouin le Pieux : « Uaconlerai-je que tes peuples le
doivent le don du vin qui leur élait inconnu? Aiin que rien ne manquât aux
habitants de tes provinces, tu parvins à apprendre aux agriculteurs à cultiver
la vigne, de sorte qu'après avoir longtemps ignoré ce qu'était le vin, il.^
président aujourd'hui aux travaux des vendanges. »
X. Instramenls aratoires. — Les attelages que l'on employait étaient
l'araire, la binette, la charrue avec ou sans chariot, avec une ou plusieurs
oreilles, avec un ou plusieurs socs, le sarcloir, le butoir à cheval, le scarili-
cateur et le triturateur, la herse, etc., el^ parmi les instruments manuels, la
bêche , le louchet , la pioche, la houe, le crochet, etc.
XL Corvées. — Les censitaires étaient chargés de certaines corvées qui
frappaient leurs exploitations agricoles. Parmi ces corvées figurait la vetteme
ou obligation de charrier le fumier sur les terres accensées; il y avait d'autres
< Diericx, Charterboel: , n° ô5.
- Kerv)n de Lcttenhove, I, t2"i, noie 3.
Tome XXXII. ^5
s
330 HISTOIRE
petites corvées non déterminées, et que Ton désignait par le nom de serviiia
ronsucta. Toutefois, les charges étaient proportionnées d'après l'usage ou
le profit annuel (pie les fermiers liraient des terres '.
% III. — Des résulluts agricoles obtenus pur les colons belges en Allemagne.
Ce qui précède prouve que la culture avait pris chez nous, dés le onzième
siècle, un essor et une extension extraordinaires. Nos colons introduisirent en
Allemagne les connaissances agricoles qui leur étaient familières, et, au bout
de quelques années d'un travail opiniâtre, les endiguements et les défriche-
ments préalablement opérés, ils parvinrent à faire de ces contrées basses et
marécageuses des terres qui , sous aucun rapport , ne l'ont dû céder à celles de
la mère-patrie.
Tel est le résultat que conslalent les historiens allemands.
« A quoi attribuer, — se demande Michelsen — , le silence que tiennent à
cet égard les chroniqueurs belges? C'est que les expatriations successives des
Ik'Iges, au douzième siècle, ne furent pas pour les Pays-Bas un événement
aussi important que pour les contrées d'Allemagne dans lesquelles leurs immi-
grations eurent lieu et où les colons défrichaient les terrains marécageux,
rendaient produclives des landes stériles, fondaient çà et là, comme il convient
à des hommes libres, des communes indépendantes et de vastes paroisses,
entreprenaient d'immenses endiguements et faisaient faire des progrès énor-
mes à la culture du sol et à l'économie rurale '\ »
Wersebe lui-même reconnaît dans maint endroit de son livre que les
colons belges rendirent de grands services à l'agriculture. Il le fait toujours
sèchement et comme par contrainte ; mais son aveu n'en a cpie plus de valeur.
Hoche s'exprime ainsi : « Si l'on considère le dessèchement et la fertilisa-
tion des terres comme le fondement de l'agriculture, il faut avouer que la
basse Allemagne doit en grande partie ce résultat aux colons étrangers, et
principalement aux Flamands et aux Hollandais ^. »
' lîiericx , Chorlerboek, p. x.
"^ Der Mainzer Hof zù Erfurt, p. 7.
' Pages \ , 31 , sqq.
DES COLOMES BELGES. 551
Langellial apprécie de la même manière, mais en y consacrant plus de
développement, Tanivre de nos colons. « Des paysans, dit-il, qui vivaient en
hommes libres, furent plus utiles au pays et à leurs nouveaux suzerains (jue
ne le furent dans d'autres contrées les serfs courbés sous les impôts féodaux.
Les colonies de Flamands, de Hollandais, etc., étaient comme les oasis de la
liberté. Elles donnaient à rAllemagne un exemple sans précédent. Mais c'est
grâce à la liberté qu'elles développaient l'agriculture, cette source d'un bien-
être matériel immense, qu'elles procuraient aux seigneurs et aux églises des
revenus considérables, et qu'elles furent le principe de nombreuses imitations
dans le domaine de l'agronomie. »
Cependant, tout en constatant les résultats de l'œuvre des colons , les au-
teurs allemands ne nous ont point décrit les procédés qu'ils employaient.
Wiedcmann est le seul qui nous donne le détail laconique suivant : « Les co-
lons de l'AIteland (près de Brème) délimitèrent, au moyen du cordeau, la su-
perficie de leurs terres, qu'ils divisèrent en soles; et l'égalité de contenance
de leurs premières fermes, égalité dont on trouve la preuve dans les docu-
ments ecclésiastiques, révèle un mode de division tout à fait nouveau de la
propriété '. »
D'après ce passage , il semble que nos colons ont été les premiers dans
le pays de Brème à opérer l'assolement, ou partage par saisons, dont parle
l'article Ml^t du code Napoléon. C'est donc un nouveau mode de culture,
inconnu aux Slaves tout autant qu'aux habitants du Brémois, une particula-
rité agraire digne d'être signalée.
Lors même que l'on voudrait restreindre l'étendue et l'importance des co-
lonies, les résultats utiles qu'elles ont produits doivent être considérés comme
un événement pour l'histoire de la civilisation des pays où elles ont été fon-
dées ; ceux-là même qui les déprécient le plus ne peuvent nier l'existence
des faits. Or, c'est à l'époque de leur arrivée que commença le dessèchement
des prairies, des marais et d'autres terrains humides i\m régnaient en si
grande quantité dans la basse Saxe, en Thuringe, et ailleurs. Ces lieux bas
et malsains furent transformés en des plaines riantes, utiles à la production
et par là même à la population qui croissait de jour en jour.
' Wicdeinann, I, p. 1 1.
552 HISTOIRE DES COLOiSIES BELGES.
Enfin , les colons rendirent le service le plus signalé à la classe des agri-
culteurs en favorisant la liberté individuelle. Leur influence fut d'autant plus
efficace qu'ils furent aidés par un courant de circonstances qui toutes contri-
buèrent au but qu'ils poursuivaient '.
(Comment donc se fait-il que les documents contemporains nous fournissent
si peu de renseignements sur les pbases de cette transformation? Le motif en
est simple. La métamorphose fut complète sans doute; mais elle se fit sans
bruil. Les colons criaient peu, faisaient peu d'ostentation; mais leur œuvre
n'en marchait que mieux. Le résultat est patent, il saute aux yeux, témoin
le cachet germani(|ue que tous les pays conquis avaient déjà pris dans le cou-
rant du quatorzième siècle ^.
J'ai déjà fait remarquer mainte fois que les Belges s'établirent le plus sou-
vent dans des contrées humides et marécageuses. Toutefois, ce principe n'est
pas absolu. Nous les voyons aussi se fixer dans les districts élevés et sablon-
neux du Brandebourg, et il n'y a pas lieu de s'en étonner, puisque dans leur
pays ils cultivaient aussi bien les vallées que les collines ".
Les Flamands eurent cela de commun avec les VVestphaliens. Ce ne fui pas
seulement dans le Brandebourg, mais même dans certaines parties de la Thu-
ringe et dans toute l'Allemagne du nord que ces deux peuples choisirent sou-
vent le versant des montagnes, taudis que les Hollandais et les Priions
recherchaient de préférence les vallées et les côtes de la mer. Le Jlohe
Flemming, près de Jiiterbock, et les villages de Flemmingen, en Thuringe,
le Fkmiiiffsdorf dans la Wagrie, etc., sont évidemment d'origine flamande,
tandis que les terres de l'intérieur du lîalsamerland, des pays de Ratze-
bourg, de Schwerin, etc., ont été cultivées par les colons de la Westphalie
et du Brabant *.
' Larigetlial, 11,92.
- Ollo FooIvjII, 47.
■• Il)i(l., II, 49.
' Laiij'fllial, II, 165.
FIN.
DOCUMENTS ET PIÈCES JUSTIFICATIVES.
Colonisation du village de Woesten, par Thiernj et Philippe d'Alsace.
(10 août 1161.)
Ego Tlicodoricus Dei gratia Flaïuircnsis cornes et Pliilippns iina filius meus soliuidineni
Reningenseni vielui noslro spccialiler députâmes sub annuali eensu agricolis excolendam
donavinius. Quoniam igilur de noslro existit dominicalu et ad nullam ab aelerno spectans
parochiam in ea eeclesiam fundari lacicnles subsidibus nosiris propiium providebimus
sacerdotem. Itaquc ad nullam aliam perlinebuiit |)arochiam. Quicunquc in ea maiiere
voluerint, si alio obligati icncntur dominio, liccnliam ad nos veniendi eis impetrare cura-
bimus. Notum sit igilur lam fuluris quam praesenlibus, quoniam non soium iis qui ad
praesens manenl, sed el omnibus qui poslmodum in ea mansuri fuerint, liane in perpe-
luam eonccdimus el donavimus liberlalem, qtiod legibus sive justitiis, scu etiani causis
communiae Furnensis, quae vulgo chora dicitur, nullalenus subjacebunt, sed ab omnibus
servitiis, pelilionibus, lalliis, sive quibuslibel aliis exaelionibus, quibus alii incolae terrae
nostrae obligali lenenlur, liberi et absoluli perpcluo babeanlur, nisi forle pro comnumi
lerrae defcnsionc in exercilum evocenlur : de nulla usquam qucrela ab aliquo hominum
in causa ducenlur, nisi in noslra praesenlia, vel ejus qui Ipris minislerium viclualium
nostrorum lenueril : lemjjoribus constitutis censuni noslrum Ipris peisolvent, videiicel in
nalivilate S. Joannis denarios, inler feslum sancli Bavonis el Purificalionis Ikatac Mariac
avenam el gallinas. Si auiem praedictis temporibus non persolverinl, a minislris praedantur
tamen absque uUa culpabili emcndalione, ne libertas eorum frangaliir. Quod ul ralum el
inconvulsum maneal, pracscnlis paginae atlestalione el sigillorum noslrorum aucloritaie
roboravimus, praesenlibus bis, Desidcrio praeposilo el cancellario, Rogero de Naimnic
dapifero, Euslachio camerario, Rassone cubiculario, Micbaele constabulario, Balduim.
334 HISTOIRE DES COLOISIES BELGES.
castellano, Gulielmo de Pashendale, Galtero Savella, Ilenrico de Morslede, Galtero de
Fourmcselles, Hugoiie de Menighen, Baldiiino de Cominis, Balduino de Meehlinia ,
Drogone de Elverdingliem, et aliis quaniplurimis. Actum anno Doniiiiicae Incarna-
tionis H6I. Ipris, in die sancti Laurentii.
(Sanderi, Flandria illuslrala . III, 1-26.)
II.
Frédéric, cvèque de Brème et de Uambourrj, accorde des prhilèyes aux Uollandais qui
s'établissent dans son diocèse.
(1106.)
In noniine sanctac et individuae Trinitatis, Fridericus Dei gratia Ilammabiirgensis
ecclesiae antistes, universis fidelibus in Christo praesentibus et fuliu'is perpoluam bene-
dictioneni. Pactionem quandam, quam quidam cis Rheniirn conimancntes, qui dicuntur
Hoilandi, nobiscum pepigerunt, omnibus notam volumus haberi. Piaefati igitur viri
Majeslatem nostram convencrunt, obiiixe rogantes, quatcnus terram in Episcopatu noslro
sitam, baclenus incultam paludosamque, nostris indigenis superfluam, cis ad excolendum
concederemus. Nos itaque nostrorum usi consilium fidelium, perpcndentes rem nobis
nostrisque successoribus profuturam, non abnuendae petilionieorumassensum tribuimus.
Hujus autem petitionis talis fiebat paeiio, ut de prefatae terrae singuiis niansis, singuios
dcnarios, singuiis annis nobis darent. Mansi vero mensione ne discoidia in postcrum in
populo haberetur, quae mansio in longitudine septingentas et viginti, in lalitudine
vero XXX babet régales virgas, eum rivulis terram interfluentibus, quos eis simili modo
concedemus, hic inscribi necessarium duxinms. Condixcrunt deni([ue sccundum decre-
tum nostrum decimam se daturos, ita videlicet, ut de frugibus terrae XI manipulum, de
agnis X, de porcis similiter, de anseribus similiter, nec non decimam mensuram mciiis,
et de lino simili modo darent. PuUum equinum usque ad festivitatem sancti Martini solo
dcnario, vituUnu obulo redinicrent. Ad synodalcm justiliam et institutionem Trajectensis
Ecclesiae nobis se per omnia obtemperaturos promiserunt. Judicia et placita secularis
legis ne ab extraneis praejudicium patcrentur, ipsi ut omnes rerum dissensiones inter se
definircntm-. De singuiis centum mansis II mareas singuiis annis se persolvere asseruc-
runt. Majorum placita sive judicia rerum si ipsi inter se definire nequirent, ad Episcopi
nudientiam referrent, cumque secum ad causam definiendam ducentes, inibi quam diu
nioraretur, de suo ipsimct procurarent : eo tenore , ut de placitati quaestu duas partes
habercnl, tcrtiam vero Episcopo praeberont. Ecclesias in pracfata terra ubi eis congruum
viderelur, constitui concessimus. Quibus ecclesiis decimam decimarunl nostrarum paro-
chiarum ecclesiarumearundem distincte in usus sacerdotis inibi Deo servituri praebuimus.
DOCUMENTS ET PIÈCES JUSTIFICATIVES. 53S
Parochiani vero nihilominus singularum ccclesiàrum suis ecclesiis mansuai unuin m
dotem ad i)racdictos usus sacerdolis se daturos confirmant. Nomina viiorum qui nos ad
hanc paclioncm faeiendam confirmandamque convenciant liaec sunl : lleinricus saceidos,
cui praefatas ecclcsias in vila sua concessimus ; caeterique iaïci Helikinus , .\riioldus , Iliko ,
Fardoll, Refcric, quibus jani saepedictam lerram, secundum secuii leges et praefatani
L'onvenlionem conccdimus , et ipsorum haeredibus post ipsos. Hujus conventionis adstipu-
lalio fiebat anno Dominicae Incarnationis MCVI, indiclione VI, irgnanle domino Hein-
rico IV. Rom. Imp. Aug. Ad cujus paginae dccreUmi coniirmandum cum adslipulafione
nostra, noslri impressionc sigilli hic annecli nobis compiacuit. Si quis ista contradixi-rii ,
analhema sil.
Hujus paginae confirmalioni ego Wernherus praepositus interfui et subscripsi. Ego
Marquardus praepositus. Ego Hasoco praepositus. Ego IIujo praepositus. Ego Adaibero. Ego
Thuio interfui et subscripsi. Ego Gerungus advocatus interfui et recognovi. Ego Herieus
interlui. Ego Tbidericus. Ego Wilio interfui. Ego Erpo interfui et recognovi. Ego Adei-
bertus. Ego Ermbertus. Ego Reynwardus. Ego Ecelinus.
(Ehmck, Bremisclie.r Uriiundeiibucli , I'" Lieferung,
n°27,p. 28.)
III.
Lettre de vente entre Jean de Campe et Jean de Nieukerke.
(1340.)
Icii Johan van Campe, bekennc des in desseme gcgenwardegen Brève, unde do des ene
betûgingbe alien dcn genen, de ene horet und set, dat ick mit Hinreke Seveken, Gott si
eme gnedig, van vulborde und willen Heijdenrikcs Seveken, un dmit vulbord sines Wyves
vor Katherincn, des it ère was, vorkofft hebbe lier Johanni van der Nycnkercken unde
Clausen vandeme Bïctle, deme Borgere to Ytzeho, dat gut tho der Lûtterinyhe, vor ium-
dert Marck Penninghe, sonder Mathe, in soicker Laghe, aise it gy geiegen hefft, by Heren
Hinrikes tiden van dem Yorke,und darna bi Heydenrikes tbiden, tiio brukende sonder
yeneger leye Hindernisse. Desdede wy vornômeden in bcydent balven, also in dem Banne
en Recht was, und loden (invilare) und beden in Siinte Johannes Dage iho Wynachten
uppc dat beschedcne Gut Scbepcn und Schulten van dem Cronesmore, dar dat Gut in deme
Banne lyl, und Buere, ut deme Dorpe van Uilcjhenstede Scbepen und Scullhen und andere
Bure in dersiilven Herschop. Wy loden och up dat Gut und beden Papen, Goder Hand
Lûde , Borgere unde Buren van Monsterdorpe und na wyzer Lûde anwysinge nemen wy
vor densulvcn Sehepen und vor den Schulten mil ordelen im mit Banne Vormiinde in
336 HISÏOIRK DES COLOINiES BELGES.
beydciii halvcn, af enen lialf ich Johan van kanipe, Hinrick Seveken , Heydeiirick Seveke,
iirid siii Husvrowe vor Katherine mil eroi Vormùnde , und Iclhcn ini iip mit usen Vor-
iniinden dal suive gui, llio der Lùtleringhc, den vorbcnômcden iwen lier .Johanne Clavese
und eren Vorniùndcn mil wiilen und mit ja dal suive gut, aise in dénie Hullandersclien
Banne en Hcchi is. A\'i bekennen ocli yme des, in desseme Brève, dat wy ym dat Gut ver-
kofft liebbcl mit alsolcker Laghe, als il gclegen hefft nu't Dike, mit Dycklaghe, de Lenghe ,
de Brede, ibam und AVylde, van der Store, bitl in de Scbede under der \\'ellcn. Wi
bekenden och , do des vor den Schepen und vor den Schulten und bekennei nu in des-
seme Brève dat se us dat (>ut, Her Johan und Clawes na unseme \\'illen vorgulden heb-
bet, den erslen Penningli und den lesten altomale. W'i bekcnnel ym ocb , des , dat wy se
waren schôlen von allerleye Ansprake, vor allerieye Ilindernisse yar und doch, also en
Hollanderes Recht is. To ener Betûgiiinge deser Rede, hebbe we Jobann van Kampe und
Hcynderick Seveke, Uelric Seveke und Delleff Seveke hcnget use iiigesegbcl tho dessein
Brève. De Tiige de byr ovcr weren, dat sint lier Johann van der Sàderow, und Her ^^ oi-
ter van Siinte, Sixtes de Prestere, Gert UiJken, Batte Schuletiborch, Clawes van den Bûtle,
bassen Broder, Liitteke Dose, Eggliertvan der ScA K/eH//orc/i, de knapen. Jobanrfcr l'ihe,
Jiuckenhageii, Johann Ditmersche, de Bôryere, Schepen und Sehullen van Cronesmore und
Hilgenstede, und andere bedorve Burë van den sulven Dorpen und van Mûnsterdorpe
und andere Bôrgere de me nômen môchte, ifft des not were. Desse Brev de is gegeven
na der Bon Godes im diisendeslen Varc und dreyhunderstcn Yare, in dem verihegesten
'^ are, in deme iiilghen Daghe, aise Got to Hemmelc vor.
(Wcstplialen, Munuinenta , 11, 14-J.)
IV.
Rorehard , ronile de Mansfeld , fait don d'une ferme flamande au couvent de
iValkenried.
^l266.)
Borehardus conies de iMansvelde conventui de Walkenrede conferl 1 mansum flamin-
gicum inter ecclesiam Rytii el Rythof silum, quem eidem Henricus de Wizense et cognati
ejus Henricus, Berloldus et Fridericus de Wessungen pro 29 marcis îVortliuscnsis pon-
deris vendiderunt.
Aet. 1266 et dat. in Lininthe, 3 non. sept.
Testes : Henricus Girburch, Lampertus de Heringen et ejus filius Berloldus, Jobannes
notarius, Conradus Saxo, ete,
(Urkimdenbudi des Stiflu Walkenried, 1 , llnn. .jS! , p. 249. )
DOCUMENTS ET PIÈCES JUSTIFICATIVES. 557
Borchard, châtelain de Scrapelowe , fait don nu coutenl de Walkenried de
quatre fermes flamandes.
(16 août 1282.)
Borchardiis , burcgravius in Scrapelowe, ciim conscnsu patruelis sui Borchardi, comitis
de Mannesfell , conventiii de Walkenride in quodam restauro dat proprietateni 4 niansorum
Flandrensis viensurae in Carecto jtixta Kelbera, quos ipse et progénitures sui ab imperio
hactenus habuerant.
A° 1282, in crastino assumlionis beatae Mariae Virginis.
Testes : nol)ilis vir Wallcrus de Torstad , Volcmarus de Goslaria , milites ; Conradus de
Piscina, — Jobannes sen. de Gatersleibin, Tbeodoricus de Niendorp dictus Meyer,
Ulricus de Revcninge , etc.
( Urkundi v. ff'alkenried , I , Vrk. il^ , p. 508. )
VI.
Henri de Sangershausen et Frédéric de Berga vendent an couvent de Walkenried la
ferme dite Vlemincesgit.
(14 septembre 1291.)
Henricus de Sangerhusen et Fr[idericus] de Berge, fralres, i mansum terrae arabilis
in longa palude situm, 672 fertones annuatim solventcm, vulgariter Vlemingesgut nun-
cupatuni,quenia tratribus de Siindersbusen titiilo feiidali tenuerunt, ecclcsiae Walkenre-
densi pro 16 marcis vendunt.
Conemundus, P'ridericus et Albertus, l'ratres de Sondershusen, omne jus proprielatis
quod sibi in nianso praedictocompetebat, ecclesiae Walkenredensi dant.
A° 1291, 18 kal. oct.
Testes : Al[bertus] plebanus de Sundershusen et Fr[idencus] de Dalein,etc.
(Ibidem, Urk.. 532, p. 339.)
Tome XXXII. 44
338 HISTOIRE DES COLONIES BELGES.
VIL
L'abbé de Walkenried cède l'usufruit de deux champs flamands.
{i" mai 1312.)
' iccognoscit quod abbas monasterii Walkenriet usumfructum de 2 agris Fla-
micis in campis villae Haringen H. Carpentario, v.illano ibidem, et Juttae, uxori ejiisdem,
quanidiii vixeriiU, prn 13 '/s marcis Northucensis argent! ita vcndidit, ut singulis annis
fertonem cum dimidio et C denarios monasterio solvant.
A° 1512, kal. maji.
Testes : Conradus et Kristianus Averi, fratres, Th. sculieius.
( Ibidem, 1 1, (/r/c 732, p. 83.)
VIII.
Wichmann, évéque de Nciumbourg, accorde des privilèges aux colons belges
établis dans son diocèse.
(H52.)
Cuidam populo de terra quae Holland nominatur, a praedeccssore meo l'done in cun-
dem episcopo coadunato —hoc privilegium contuli, in quo, ut omnibus exponerem qua
lege adstricti tencanUir et qua libertale fruantur , — data est ois ~ libéra potestas inira epis-
copalum emendi et vendendi sine omni génère exactionis et telonei. Si alicujus corum
possessio venalis exponitur, compatriotae suo tantum et non extero eniere licebit. Causa
correetionis ter in anno cum eis coUoquium babeat quiseunque fuerit episcopus, in quo,
si quiseorum aliquo excessu injuste cxorbitaverit, III solidis composilionem inveniat. Scul-
tetum (jueni sibi praefecerint sine contradictione habeant, in cujus coUoquiis VI den. com-
posilionem faciant. Si quis eorum juramento expurgare volucrit, nuUa occasione impediatur,
nuUis verborum insidiis capiatur. Praepositus — synodum suam cum eis celebret. Stalutum
est: Ubi antecessori meo III solid. persolvcrunt, milii VIII pcrsolvant, IV in feslo beati
Jacobi, totidem in festo S. Martini, appositis ibidem IV sexagenariis ulriusque messis con-
grue tempore persolvendis, quod ipsi spontanea voluntate obtuïerunt in cathedra Beati
Pétri de quolibet manso solidum unum singulis annis fratribus ad usuni ecclesiae majoris
' La parlie supérieure du diplôme est déchirée.
DOCUMEÎNTS ET PIÈCES JUSTIFICATIVES. 339
persolvant. Quicunque successores eorum fuerint , cadem bona obtinuerint, sive liberi, sive
servi , sub quacunque lege et moribus vivant , idem observent et faciant. Si quis eorum
sine iiercdc moriatur, possessio ejus intégra sine distractione pcr ciirriculnm anni et diei
tenealur, ut si legitimus lieres intérim advenerit, sine contradictione locum prioris possi-
deat. Sin autem — episcopus duas partes — tertiam vero ad usum eeclesiae relinquat.
(Rôssier, Sladtrechte von Brllnn. Prag., 1833, S. Cil )
IX.
Wichmann , éoéqiie de Naumbourrj , cède à son vrjllse le revenu du marché de la ville, et , de
plus, une redevance de trente solidi pour l'entretien des toitures de la cathédrale.
(11 b2.)
Innomine Sanciae et Individuac Trinitatis. Quoniam, ut ait Apostoius, nos sumus in quos
devenerant fines secutorum , et jam instante hora undecima totus mundus vergit in ves-
perum, idcirco ego Wichmannus, Dei niiserationc Nuenburgensis eeclesiae episcopus,
notum Cacio Cin-isli fidclibus universis, non soluni presentibus, scd etiam futuris, qualiter
saluti animae mcae providerini, magis ad utiiitatem et decorem domus Dei inler operarios
summi patrisfamilias pondus diei et aestus portare, quam extra vineam ociosus et inutilis
stare. Mei crgo salubris recordatio fratrumque meorum débita dilectio, magistri etiam
Wilhelmi fraterna peticio, ad qucm Fori Nuenburrjensis tlwloneare spcctat beneficium,
tanlum in me ammonendo prevaiucrunt, quod ipsius idem theloneum super altare apos-
tolorum Pétri et Pauli cum omni utilitale et integritate fratribus meis libère contraditi, quia
vero consideravi quod hacc tem|)oralia bénéficia rcspoctu divinorum nibil esse videnlur,
ampliare et ad majus augmenlum perducere disposui, (piod in tabernaeulo Dei sponte
offerre volui. Ea propter ad tecturam eeclesiae reparandani, singulis annis XXX soiidos
absque omni contradictione contuli, quorum mediam paricm Hollandini, qui et Flamingi
nuncupantur, in cathedra Pétri apostoli persolvant, reliquam vero partem in duobus ter-
minis divisam, videlicet in festo sanctae Walburgis et beati Martini sclavi mei censuales
presentabunt Praeterea, ut ecclesiastica libertas de die in diem adaucta ampliori muni-
mine roborarctur, placuitmihi huic privilegio etiam hoc inserere, utcanonici ejusdem loci
et eorum nuncii quacumquc die vcl lempore causa emptionis vel venditionis aut alicujus
commercii ad nyense Forum venerint, ab omni génère exactionis et ab omni theloneo sem-
per sint liberi, ejusdemquc auctoritatc privilegii libère fruantur, sicut et présentes ita et
ipsorum posteri. — Facta est autem haec traditio anno ab incarnatione Domini M. C. LU,
indictione XV, Papa Eugénie Eeclesiae universali présidente, régnante Friderico Roma-
norum rege 1°. Cujus traditionis lestes sunt Bertholdus praepositiis, Titericus dccanus et
540 HISTOIRE DES COLONIES BELGES.
omnes Nucnbiirgensis ecclesiae fratres; de laicis, Reinhardus de Bobeluz (Pnbles), He-
thenricus de Welha, L'Iricus de Mutizcc, Albertus et Bernhardiis de Grobezec (Grôbitz) ,
Henricus de Aldenburcli, Seberlus de Robin et alii qiiani plures.
(Heschichle der Bisschtife des Hochslifs Nuumliurg ,
C.-P. Lppsius — Naumburg, 1846, p 252.)
IX'".
Berthold II, évéque de Naumbotirg, atlribue par échange , à l'abbaye de Porta,
le village de Flemmingen (Tribune^.
(1205.)
In nomine Sancieet Individue Trinitatis. Berloldiis diviiia fa vente clenientia nuwenburgen-
sis episcopus, etc. Unde nos ex privilegiisa predecessoribus nostris portensi ecclcsie collalis
intellexinius quod ecclesia nostra veliit hereditario ad nos jure transierit, ut tam nos quani
omnes hujus sedis successores, de consensu capituli nostri concanibium illud quod ab
antiquo inter nostram et portensem ecclesiam super bonis de Zmolne factum est, congruo
supplenicnto eideni portensi ecclesie de possessionibus episcopatus onuiibus niodis,quibus
possinius, recompenscmus. Cujus rci ut nos aliquam exequeremur portionem, villani
quae dicitur Tribun, que per manus piuriuni laycorum feodali jure a nostra fuit ecclesia
eiongata, et de qua fratres porteuses quani plura sustincrunt gravamina, cum consensu
fratrum nostrorum, Nuwenburgensium canonicorum, prenominate portensi ecclesie sub
tjlulo et reslitutione concambii,cum omnibus attinentiis suis, contradimus, Alberto milite
de Tribun eandem villani in manus Bertoldi de Bobeluz, de Bartoldo in manus marchionis
Theodorici, et marchione in manus nostras cumomni jure quod in ea liabuerunt resignan-
tibus, nobisque et ante et post reditum nostrum a curia romana super altare Béate Marie
in Porta in perpetuam proprietatem libcram et absolutam oflercntibus, T^Hrarfo decano cl
VoUiuino custode nuwenburgensis ecclesie prescnlibus et annuentibus,quosDoniinus Papa
coadjutores nobis et coopcratores in administrationc et procuratione episcopatus suis
litteris dclegavit. Termini autem prefale ville designati sunt ab adiacente silva Portensium
usque ad viam ([ue dicitur Buchstraze, et item aconfinio agrorum de Seobkowe usque ad
agros claustri de Sancto-Mauricio. Notandum sane quod pretaxati fratres de porta , ut de
nianibus laycorum, qui, ut diximus, eandem villam in beneficio a nobis habeant, absolutc
illam rcdimcrent, pecuniam circa estimationem septingentarum marcarum, bine inde
dederunt et insuper CC" carralas vini, colonis tamen inibi remaneniihus, quos ipsi fra-
tres, si voluerint, a possessionibus illis quas hereditario jure Francorum possident,com-
petenli reslitutione sine eoactione possunt excludere. In recompensationeni vcro hujus
DOCUMEi>JTS ET PIÈCES JUSTIFICATIVES. 544
concarubii jam dicli fralres ecclesie nostre resliiueiunt possessiôncs in Sleinbach, posses-
siones in Sl^ckheitn, possessiones in Damernick eum attincntiis suis, quas ipsi (|uicto jure
et jusio (ytulo diu possedcrant, quasque item prcdictus marchio misncnsis a uohif., A Ibcr-
ttis a niarchione jure beneficii susceperunt. Ut igilur liujus concanibii contiaelus sialiilis
in perpeiinun et ineonvulsus permaneat, presenteni paginam exinde conseriptam sigilli
nostri iinpressione et ydoneoruni testiuni subscriptione roboravinuis. Testes auleni il
sunt . Silïridus abbas de Pigawia, Albertus abbas de Puzow, Otto prepositus niajoris
ecclesie in iNuwenburg, Hugo prepositus de Sancto-iManricio in Nuwenburg, Conradus
decanus, Volquinus custos, Ludewiciis de Salcke, Gerlaous de Iliidrungen, Hubicio Seo-
lasticus,et ceteri canonici iNuwenburgenses, Arnoldus prepositus niajoris ecclesie in Cise,
Wallberus decanus, Alexander scolastieus et cctcri canonici Cizenses; layci : Tbeodorieus
burggravius de Kyrchberg, Gerbardus burggravius de Liznic, Albertus de Droize, Erkin-
boldus de Grizlau, Reinhardus de Bobeluz, Ileidenricus de Weta, Ilermanus advocatus
de Salcke, lleinricus de xVllenburlir, Heinricus de Gerinstete, Fridericus de Polenz, Heiri-
ricus de Caniburg, Guntherus de Bunow et frater ejus Rudolfus, Heinricus marscalcus et
frater ejus Cunradus camerarius, Heinricus de Slathebaeb, Irinifridus de Cidscon, Ber-
tboldus, Albus de Aldenburg et alii quatn plures tani clericl quani layci.
Acta sunt bec anno ab incarnationc Domini iM° CC° V, indictione VHI.
(I.epsius, Gescliiclile der Bis.schufe des tluclislifls Xumn-
burg. 1,266, 7, 8.)
Exiraits de la Chronique de l'ul)haijo de I'i»ia , rvliiliieinciil anx Flainatids.
FFic Conradus ' de conscnsu Capituli triulidil nislicis Flcminijensibus agros excolcndos
pro certis rcdilibus, boc pncto, ut si eos agros lideliier exeolere et censuni debiluni aiinis
singulis ante festuni S. Aiidrae persolvere studuerint, nec ipsi, nec ipsorum uxores ab
iisdem bonis uUo modo amoverentur. Sin vcro Portenseni ceclesiani defraudare voluerint,
uipoie si l'uerint lusores, pcrcussores, nemorum succisores, ex bonis illis pcllerentur.
Diiluni anno Domini l^oO.
[Chronicon l'orlense. l'd. Perlucliius; Lipsiac, IG12,
p. lOS.)
' Ciiiquit'iiie ahbé.
342 HISTOIRE DES COLONIES BELGES.
B.
All)crtus ' liberam relinqiiit ciiriam et villam Fleminrjen abbatis clconventus Portensium
ab omni cxactione jiulicum suoriim et gravamine, sicut antea eam conventiis qiiiefe et
libère |)ossedit, ila ut milbis judiciim suoriim aliquam causam, etiam sanguinis, exami-
nandam suscipial, sed lotum judieium cum omni jure eujuslibet causae judiciuni, eliam
sanguinis, fratribus Porlensibus boiia volunlate libère concedit, et liabent litcrac datae in
Porta, a° 1277, VI kl. aprilis, testibus Sigefrido de llopfgarten, Ilcinricode Colemas, Ilai-
nemanno de Haine, Henrico de Scbonbcrgk, Frederico de Schônbergk, militibus, et Mar-
quardo subnotario, et aliis fide dignis.
{Chronkon Portense , édil. Pertucliius, p. 56.)
De consilio et permissu hujus Thcodorici ^ fraler Conradus de Fleminfjen, conversus
cum filiis fratris sui, Pelro et Conrado,devotionis ardore salubriler adigente in salulem et
remcdiuin animaruni omnium progenitoium obtulerunt libéra donalione ad pedes Divinac
Majcstaiis de IVuctu coninumis patrimonii villam in Fleinincjen et quartam pariem mansi,
et statuernnt ut quicunque rusticus illam villam et agros colendos acciperet, daret annis sin-
gulis in die Andreae duos solidos numburgensium denariorum pastori in ea villa, hac lege ,
ut idem pastor eo precio singulis mensibus missam pro defunctis parenlibus et pro reme-
dio animarum ista offerentiuni devotius celebrarct. Deinde ut in soleimibus gloriosae Vir-
ginis Mariae ante mensam suam cibaret pauperem, cui etiam denariorum erogaret. Quod si
facere reeusaret pastor, voluerunt illi fratres ut duorum solidoruni porliones careret, dan-
dorum janitori portensi in solamen pauperum. Continuerunt etiam illi Flemingenses , ut
colonus qui acciperet illam villam cum agris daret janitori in Porta ti'es solidos denario-
rum eum septeni sexagcnis ovorum, unde possent peregrini et pauperes recreari. Item
voluerunl iidam ut colonus islc propria manu ante fores ecclesiac Fleminrjetisis in vigilia
beati /Egidii disiribiierct 40 panes et totidem ova pauperibus. Quod si rusticus non faceret,
villam illam auferri voluerunt, anno Domini 1504.
{Ibiil., pp. 12-2, 123.)
' Landgrave Oc l'huringe.
- Huilii'iiic abhe.
DOCLMEiNTS ET PIECES JUSTIFICATIVES. 345
XI.
Jean, évéque de Misnie, con/irme ta vente faite par Geriiwj , évéque de Mimiie,
aux Flamands, du village de Korijn.
(22 octobre loi 4.)
Johanncs, Dei gratia Sanclae Ingeiiuae ecclesiae Misnensis episcopus, ad iiilurani rei
memoriam. Volentes ea qiiae per praedecessores nostros pie ac provide acta sunt, appro-
bare, iiteias per reverendissinuini in Christo patrein dominum Gcningum feiieis recor-
dationis quondam decimum seplimum episcopum Misnensem, praedecessorem nosiiuni ,
ineolis villae nostraeet ecclesiae noslraeCoryn, dislrictiis Worcznensis, traditas , praesen-
tibus confirmamus et approbamus, qiiarum lenor de vcrbo sequilur et csMaiis :
« In nominc Sanctae et Individuae Trinitatis. Gerungus , Dei gratia Sanctae Misnensis
ecclesiae episcopus, omnibus nomen Domini invocantibus , lam futuris quam pracseutibns.
Cum ununi sit nccessarium cum .Alaria in contcmplativae vitae dulccdinc intimae (piietis
bonam, ymo optiniam partcni eligere, plerumque tamen coginiur cum Maria in activae
vitae amaritudine solliciti esse et turbari erga plurima. Non etenim tabernaculum foederis
et archa testamenli Domini tanto fulgore niterent, si non ea saga cilicina et pelles arietnm
rubricatae ctjacintinae a turbine et a pluvia protégèrent. Unde ecclesiae Dei non sokun in
his quae spirilualia et aetcrna sunt, a bono doctore vigilanter est prospicienduni, sed
etiam in his quae carnalia et teniporalia sunt, dominico gregi a provido paslore sollerier
est succurrendum. Ea propter notum esse volumus et nostri et poslerorum temporuni
lidelibus , qualiter ego ob aeternam mei memoriam strenuos viros ex Flandrcnsi provincia
adventantes in quodam loco inculte et pêne habilaloribus vacuo collocaverim , et in sta-
bilem aeternamque et haereditariam posscssioncm tam ipsis quam omni corum posterilali
villam eandem quae Coryn dicitur, cum subscripto jure iradiderim. Praelatis etenim
Flandrensibus in memoriam et signum emptae posscssionis quatuor lalenla et eandem
villam, cum oclo et decem, cum omni utilitate quae nunc inest, vcl inesse poteril in
Cuturum, mansis, tam in cultis agris quam in incultis, tam in campis quam in silvis,
in pratis et pascuis, in aquis et molendinis , in venalionibus et piscationibus tradidi. Ex
quibus videlicet mansis unum ecclesiae, cum omni décima ejusdem mansi concessi ; duos
autem eorundcm incolarum magistro, qucm scultetum appellani, absque décima permisi.
Reliqui mansi , numéro quindecim , singulis annis iriginta solidos , et pro justitia , quae
Zip vocatur, triginta nummos persolvunt. Omnium rerum suarum decimam, praetcr
apum et Uni, praefati homines dani, et ter in anno advocalo in placilis, quae cum ipsis et
apud ipsos cum paueis habiturus est , sumptus administrant. Duae partes , quae in placitis
advocati vel sculteti accesserint, cpiscopo, tertia sculleto datur. Tbeolonio in locis nostris
sint liberi , nisi qui fuerint publicis ncgotiatoribus mancipati. Panes et cerevisiam et
carnes inter seipsos licite vendant, non tamen in villa sua publico mercatu insistant. Cete-
544 HISTOIRE DES COLONIES BELGES.
niiii al) omni e\nt'lionc cpiscopi, advocali, villici, scu lioniinuni rcliquonmi libcros eos
rcddiiniis. Et ne foitc haec jura ipsis slatula in poslcriini \iolenlur, banno nostro prohi-
Ix'iiius, et haec lestibus advoeatis sigillo nostio iii-niamus. Ilercbordiis, praepositus in
Worczin, Johannes, Nicolaus, Heinricus Altenb. canonici, Sifridus advoeatus, Henrieus
de Plisna. Ministeriales Alueficus, Henrieus, Petrus , Henrieus, Jobannes, OEdelrieus,
Conradus, Adaibcrtus Flans, Adalberlus Stanga, ^^'altberus. Aelum anno Domini niiile-
sinio centesimo quinquagesinio (juarto, indietione tcrtia, decinio kaiendas decend)ris,
pontificalus domini Gcrungi, anno primo, felieiler. Amen. »
Datum Worczen, die dominico, vigesima sccunda mensis octobris, anno de Nativilate
Domini millesimo quingentesimo decimo quarto, pontificalus vcro noslri anno vicesimo
septimo.
(SchiJtlgen , Gescliichte Conrads des Gros.sen, pp. 322-32;i. )
XII.
L'abbc de Ballenstàdl vend deux villages iceudes aux Flamands.
(1159.)
In nomine SS. et Individue Trinitalis. Notuni sit omnibus lam presentis quam futuri
evi fideb'bus qualiter ego Arnoldus indignus hujus Bailensladensis cenol)ii minister et
fratres nostri pari consensu bona ecclesie nostre meiiorare atque augmentare cupientcs.
duas villulas noslras trans Mildam sitas, Nauzedele videlicet et Ximiz , bactcnus a Sclavis
possessas, Flamiggis petentibus jure suo possidendas vendidimus. Quas villas in unum
redactas, in viginli iiij mansos particnles, duobus cum onuii utilitalc eis qui Burmcstere
voeanlur, inbeneficiatis, unà cum sui juris quantilale ecclesie contulimus, quam liberam
ab omni infensione nosira et advocati auctoritate statuimus , ceteris in census nostros re-
dactis, h. pacte : Annuatina ad integrum suo possidenti décima de omnibus cultis solvalur,
adjuneto annuali censu, scilicet duobus modiis siliginis et duobus tritici et duobus sue
mont'te solidis, in testo sancti Martini. Super eosdem vero incolas nullum dominari dis-
cernimus, prêter solum Marcbionem seu ejus heredem, cujus auctoritate générale piaci-
tum ter in anno lîeri volumus. Quia vcro respeetu divine remunerationis bce bona a
Marebione suorumquc avorum largilate Eeclesia nosira suscepit secundum jura Flaniig-
goriivi , qui in eisdcm partibus ipsius subjecti sunl dicioni, et noslris vivcndum cense-
mus : Silva cui nomen Urogbul, eliam ipsorum sit, adjuneto usque in médium lluvio,
cujus nomen Loben est. Quicquid ergo prediorum termino conclusimus de cultis seu
ineultis, si quis temeraria presumplione demere aut minuere teniptavcrit, analhematis
vinculo se inbannitum sciât, nisi digna salisfaclione penileat. Hec emptio acte pactio facta
est anno Dominice Incarnationis M.C.L. nono sub Fritherico Imperatore, anno ordina-
DOCUMENTS ET PIÈCES JUSTIFICATIVES. Un
cionis noslrc secundo, sub testimonio Marchionis Adalberti, atque nobilissime conjiigis
cjus Sophie, nec non filiorum ipsorum, scilicet Ouonis, Adalberti, Theoderici, Her-
manni, Bernhardi, Thictboidi quoquc ducis Bobcniie, ccterorumquc nobiliiim, videlicet
Huieiiardi de Vaikenslen, Waileri de Arncstedc, Baderici de Jabcicnza, Eikeberti de
Gansevorlbe, ministerialiumque Marchionis , videlicet Heinrici \\'idigonis et dieti Widi-
gonis, Fritberici, Berengeri et Everardi de Nienburch. Hanc dcscriptionem nosiro et
advocati nostri sigillo firmavimus.
(Beckmann, Hisloria des FUrstenthums Anhall, I, p. 154. )
XIII.
Conrad II , duc de Silésie, donne le village de Zedlitz au maire Berlhold pour le fonder
d'après le droit leutonique.
(23 novembre 1257.)
In nomine Domini amen. Noverint universi, tani présentes quani fiituri, presenleni lil-
terani inspecturi, quod nos, Conradus, Dei gratia dux Slesie, dedimus Bertoldo, Seolteto
nostro, villam nostram, Sedliz nominatam, locare teutonico jure, pro eujus locatione ci
dedimus hercditario jure scptimum mansum suisque suceessoribus cum molendino et
taberna libère possidendum, itaque volentes quod eanipeslria et rubos \occl /lamingicu
jure, Dambrovam vcro et silvestria, jure franconico, dantes libertatem in niansis fla-
mingicis, a festo sancti Martini proximo venturo, quinquc annis, ex tune nobis solvet
annualim quivis mansus fertoncm argenli et très modios de annona; mansis autem Fran-
eonicis damus a festo supradiclo decem annis libertatem, quibus expiratis solvet nobis
quivis mansus dimidiam marcam argenli annuatim et annonam ut supra, videlicet mo-
dium tritici , niodium siliginis et modium de avena. Si vcro capcllam construxerint villam
inhabitanles , duos mansos conferimus ad candcm. In cujus rei mcmoriam presentem
litteram nostri sigilli munimine duxinius roborandam , ut bec nostra donatio futuris rétro
temporibus pcrscveret inconcussa. Acta sunt bec in Glogov , in die sancti démentis , anno
Domini millesimo CCLVII, bis presentibus, comité Petro eastellano de Sandovel, comité
Budivoio castellano slinaviensi, comité Bronizlao subdapifero, domino Nieolao notario,
Zajenchone et aliis quamplurimis ydoneis. Datum per manum Henrici.
(Tzschoppe et Stenzel, Vrkundenbuch , p. 336.)
Tome XXXII. i^
346 HISTOIRE DES COLOiMES BELGES.
XIV.
Conrad, duc de Silésie , donne au maire Henri le village de Poget pour le fonder
d'après le droit flamand.
(9 février 1239.)
In nomine Domini amen, ^^os Conrailus, Dei gracia dux SIesie, nolum esse volumus
universis, tani presenlibus quam futuris, presentem inspccturis litterani, llenrico, seul-
leto nostro, dédisse villam nostram Pogalov , /îmc flamingico ad locandam, eodein quo
ville nostre circa Stiiiaviam et circa Novemforumsunl locale. Pro cujuslocacioneei damus
hereditario jure et suis posteris possidendum lercium diniidiuni mansuin et tercium
denarium de judiciis cuni taberna libéra, adjicientes eidem II. piscaturani cum parvo rete,
infra suos terminos, super Odrani, et ibidem molendinum construendi, si potcrit, facul-
tatem. Ad hoc autem ut ipsa villa melius proficiat in locacione et cultura, damus ei, a
festo sancli Martini proximo venturo, tribus annis libertatem, ex tune solvet pro quolibet
manso annuatim fertonem argenti et maldratam annone triplicis grani, videlicet duas
mensuras trilici, quinqiie siliginis, et quinque de avena. Si vero dicta annona cesserit
pro décima, volumus ut dcponatur in villa, ita quod cam in propria vectura, sine labore
nostrorum viilanorum, deducat cui cedet. Ex relatu vero prefati II. sculteii, qui diciani
villam singulis terminis cum Frederico, advocato de Slinav, mensuravit et limitavit, ce-
dent nobis XX et dimidius mansus censuales, et unus mansus, qui per inundacionem
aque submergitur, sit liber pro communi ulilitate viilanorum. Insuper concessimus quod
scultetus et villani de villa, tantum in sua navi, pro suis necessitatibus, per Odram'se et
non alios traducant. Super quo presentem litteram nostro sigillo fecimus sigillari, ut hec
nostra donacio futuris rétro temporibus perseveret inconcussa. Acta sunt hec in Glogov,
in octava Purificacionis, anno Domini iMCCLnono, hiis presentibus (|uorum nomina
subsecuntur : cornes Brodizlaus et comes Theodoricus frater suus, cornes Ciiebardus,
cornes Petrus, comes Budivoyus, Zayenchek, Andréas claviger, Hinco scultetus de Gola ,
et quam pluribus.
(Tzschoppeet Stenzel, Orkundenbuch , p. 558.)
DOCUMENTS ET PIÈCES JUSTIFICATIVES. 547
XV.
Henri IV, dttc de Silésie-Breslau, fixe les droits de l'avoué de Kreùzburg, et accorde
à la ville le droit flamand.
(5 mars 1274.)
In nominc Domini amen. Cum varii reruin cventus et inopinali contra piopositum
multoiies soient accidere, icicireo que geruntur, in tanla eertitudine gerenda sunt, ne de
ipsorum gestione possit in posterum dubitari. Nos, Henricus , Dei gracia dux Slesie et
doniinus Wratislaviensis , tcnore presencium publiée profitemnr et contestari vohimus
universis, lam presentibus quam futuris (quodj de consilio baronnm nostronim dedimus
fideli nostro advocato Adolfo et suis posteris, tercium denarium de judieio, sextann
cuiiam de civitateCruceburg et sextum mansum de illis quinquaginta mansis, qui civitali
sunt assignati causa iocatignis et sui servilii , jure iiercditario libère possidendum. Dedi-
mus ipsi Adolfo magnos mansos, videlicet Franconicos, tam civilati quam etiam eulto-
ribus agrorum j!(s flamicum. Ipsi etiam cultores agrorum solvent nobis fertonem argenti
et sex mensuras in festo bcali Martini , duas irilici , duas siliginis et duas avene. Item
dedimus nostro fideli prenominalo molendina conslruere quotquot potuerit super ipsum
fluvium qui Stobrava nuncupatur et in civitate Cruceburgk macella carnium et sutorum
et pistorum, sibi et suis hercdibus libère possidendum et in usiis placidos eoiivertendum,
seu etiam sfubani balnearem eum omni fructu qui potest evenire et accrescerc. Dedimus
etiam ipsi advocato quidquid superfluitalis luerit a silva usque ad plancas ex ulraque pane
civilatis , piscaluram in fossatis libère in suos usus convertendam. Hoc de nostro dominio
sibi conccdiinus et donamus. Dedinms etiam fideli nostro advocato prenominato silvam,
que supra Stobravam sita est, a niolendino de villa Cruciferorum usque in Sezepil et in
Bogalanta quidquid utilitatis ab ea percipere potuerit, videlicet in liumulo, in pascuis, in
feris, in venatione, in piscinis et aliis utililalibus, quocunque nomine censcantur, vena-
tionem quoque per totum districtum civitatis Cruceburg, prout utilius venari potuerit. Ad
lioc bona voluntas nostra offeratur ita, ut silva non precidatur et a nullo impediatur.
Dedimus etiam in subsidium ipsi civitali Cruceburg pro pascuis quadraginla virgas et
quelibet virga XVI ulnas olttiiiebit. Insuper etiam (|uid(iuid inter mctas illorum de Banka
et Bogdensowitz iisdem ad silvam (|ue supra Slobravam sita est, ipsi cives pro suis usibus
reservabunt. Omni impedimento quod acumine bumano possit excogitari astutie preler-
misso,seu frivola occasione remota, presentem paginam nostri sigilli munimineduximus
roborandam. IIujus rei testes sunt dominus Petrus notarius, comcs Thinio de Wisen-
burg, comes Ebirliardus, comes Simon, comes Nankerus , comcs Nicolaus Rufus cas-
tellanus de Landisbergk et alii quam plurimi fide digni. Datum Wraiislavie . per manum
Arnoldi magisiri de Sancla Maria Magdalena , anno Domini MCCLXXIV. V nonas marlii.
(Tzsolioppe et Sloiizel, Urktindenbuch , p. 388 )
548 HISTOIRE DES COLOiMES BELGES.
XVI.
Miecislav et Przemislav , ducs d'Oppeln-Itatibor, établissent à Ratibor une cour supérieure
pour toutes les localités de leurs pays dotées du droit flamand, etc.
(7 mai 1-286.)
In noiiiine Domini amon. Ut illis omnibus a quibus perpeluis diidum pracconiis obse-
quia recepimus, mcmoranda indesincntia scnipcr premia ropcndamus, hoc dignum et
justuni fore penitus arbiframur, decct enim, ut ubi syncere devotionis cxliibitio non
palitur defcctu , nequaquam digne retributionis dextera rcstringatur. Nos igilur, JMesco
et Premisiaus, Dei gratia duces Opolienses, domini de Ratibor, considerata fidelilatc
civiuni nostrorum de Ratibor, quos dignes ducimus muilis gratiarum actionibus pro eo,
quod omni terrore semoto nobis, prout dccuit, aslitcrunt viriliter in cunctis nostris opor-
tunilalibus fempore procclloso, eis pro posse nostro libare voiunnis, quae piaceant toto
nostri tcmporis intervalle, ipsorum proniolioni per onincs modes quos possumus, inten-
dendo cunctis terrae nostrae inhabitatoribus ipsos dccrevimus praeferendos , ita videlicet ,
quod omnes et singuii qui in nostro dominio y»re vlemingico sunt locati, cuni de suo
jure ipsos contingent dubitare , nusquam extra terrani nostram nequc cliam in lerra illiid
se quaerant informari, praeter in Ratibor, nominata supcrius civilate, non obstante, si
privilégia civitatuni aliquarum seii villaruni contrarium hujus nostrae ordinationis viden-
tiu' continere. Sed nec ipsa civitas Ratibor pro aliquo jure suimet vel aliorum ad aiiqua
loca extranea débet ex nunc laborare, sed omnes causas quae apud ipsos enicrserint, vel
per a lies, ut consuetudinis est, fuerint devoiutae ad ipsos, Dei timorem Iiabendo prae
coulis, secundum quod eorum fidelitateni concedet , dcfmire debent , omni appcUalione,
tam ad nos quam ad alia loca facienda procul mola. Si auteni ipsos cives in ali(|uo jure
conlingerit dubitare, tinic ad se vocent quinque advocatos et scidtetos, quos eis singulis
annis, secundum quod nobis visum fuerit, jungere volumus et, habilo illorum consilio,
unaiiiinitcr illud definiant, appellatione rcmota, de quo habetur tune tractus, et qualiter-
cunquo determinaverint, volumus quod in nostro dominio, quantum ad jus deininrjicuni ,
pro jure irrevocabili pcrenniter habeatur. Et ut onuiia prachabita nec non eorum singula
robur obtineant perpetuae firmitatis, praesentem paginam super ipsis conscribi praeee-
pimus et sigillorum nostrorum appensione praecepimus roborari. Dalae Ratibor , per manus
domini Arnoldi summi notarii, in vigilia beati Stanislai, anno Domini millesimo ducen-
tcsinio octuagesimo sexto, testibus qui aderant, infra scriptis , videlicet, Francisco pala-
tine, Michaikonc judice curiae, Stoygneo castellano de Ratibor, Venceslao fratre ejus,
Petro de Slawikow, Jascone, Corniza , Pribiziao fratre ejus, Michaele cognominato Siro-
kezlovo et aliis multis.
(Tzschoppe et Stenzel , Vrkwulenbuch , p. -lOô.i
DOCUMENTS ET PIÈCES JUSTIFICATIVES. 549
XVII.
L'évêque Henri de Brcslau abolit le droit de Marjdebourrj , accordé antérieurement à la
ville de Neisse , et renouvelle en sa faveur le droit flamand dont elle jouissait primiti-
vement.
(20 février 1310 )
In nomine Domini amen. Potestatis humane prelatio, evenluum fiiturorum ignara,
pleninique nonnulla sollerter onlinat et concedit, que tani propria qiiani subditoruni iilili-
tate suadente postnioduni consultiiis rcvocat in meliusve commutât. Ea proptcr nos, Hen-
ricus, Dci gratia episeopus Wralizlaviensis, notum esse volumus universis pracsenlem
paginam inspecturis, quod consultacione sollicita pcrpcndentcs, jus municipale Meyde-
burgensc , quod olim civitati nostrc Nyzcnsi et ejus incolis et civibus nostris et ecclesie
nostre fidelibus ordinavimus et concessimus , tam nobis et nostre Wralislaviensi ecclesie,
quam ipsi civitati et ejus incolis nullam prorsus utilitatem aut commodum, sed potius
incommodum multiplex, ut experientia docuit, attulisset, nos, qui in subditoruni iios-
trorum quiète quiescimus et fovcmur in pace, dilectorum nobis in Cbristo fratrum cano-
nicornm nostrorum wratislavensiuni nec non et predictorum noslrorum et ecclesie nostre
fidelium, advocati, consulum et civium Nyzensium ac aliorum nostrorum hominum
communicato consilio, prcdictum Mcydeburgense jus, ad ipsorum civium nostrorum
instanciam, tenore presentium revocantes penitus et cassantes, jus municipale flcmin-
cjicum dicte civitati nostre Nyzc et ejus incolis, quod ex antiquo et a primeva locatione
ipsius civitalis babilum est ibidem , danuis et concedimus , statucntes modis omnibus et
voientes cpiod eodcm jure fîemiufjico ipsa civitas noslra Nyza de cctcro iiti dcbeal et
omnino in suis judiciis hoc fîemingiciini jtis tcnere in omnibus ipsius juris arliculis,
clausulis et punctis, proiit idem jus /Icmingicnm, in scriplis et lihris indc confectis, plane
et lucide invcnitur expressutn ; ad\mcmes quod quotiescunque et quandocunque in aliis
civitaiibus nostris scu opidis aut villis Tcutonicalibus, vcl in aliqua earum, ubicunque et
in quibuscunque ducatibus silis , iii (piibus jurisdictio ad nos spectat, apud laycos in
judicio, in quacunque causa suborla fuerit quostio, sic quod dubitctur qualilcr in causa
hujusmodi scntentia sit ferenda, scmpcr ad civitatom nostram Nyzeusem pro jure sivc
sententia, que vulgariter Urteyl dicitur, per bomines loci illius, in quo dubitationcm
hujusmodi suboriri contigcril, recurratur Actum et datum Nyze, decimo calend.
marcii, anno Domini MCCC decimo, prescntibus dominis .lohanne decano nosiro
Wralislaviensi, Grabisio preposilo Lubucensi,Nycolao de Baniz , Legnicensi, et magislro
Arnoldo Glogoviensi , archydiaconis , magislro Meynardo , Petro de Waltdorf et Henrico
de Jescotel , canonicis nostris Wratizlaviensibus, Johanne advocalo nostro Nyzensi ,
Ilermanno de Crepindorf, Gotzone et Zuchtendorf, militibus et lidelibus nostris, et
magislro Jeanne de Brùnna nosiro notario et aliis multis.
(Tzsclioppp el Stenzel, Urktinilenbuch. p. -485.)
350 ' HISTOIRE DES COLOISIES BELGES.
xvir-.
L'eber den Lrsprung einer loblichen SocieUtet (Ut Flemmiger in Bitterfvld.
Du misère Fclil-Fliiren in Flâmigs- uikI Ritter-HùlTen , in Scheiilings- tirui Hoff-Accker
\onieiulilicli abgetlieiltwerden, so liabe icli besoiiders naeh dcr Benennung und Lrsprung
der er^len fleissig geforschet, nirgend abej- etwas sicliercs auftinden konnen. Es bieibl
aiso noch immer bey der Mulhmassung, dass zum Ende des 12. Jahrhiinderts zur Zeit
des Herzogs in Saelisen, Alberti i'rsi, einige Coionislen ans Flandcrn, die Flàmùiger
genanni, so wiebey WiUenberg jenscil der Elbe, also auch in liiesiger Gegend, sieh nie-
dergelassen, unsere 50 Flemigs-IIuffcn an sith gebracht und aufgebauet haben, welches
aucli der Nahme des l)enacbbarten Dorfes Niemeck wahrsclieiniieh niacht.
' Nacii sichern Nachrichten , ist die Sladt Bittcrfeid von denen ans den iNiederlanden
ausgewanderten Einwobnern um das Jabr Hoô erbaiiel wordcn, und konimt deren
Namen in Urkunden des Jahres H81 , so wie auf Donkmaleren vor. Die Fliiniiger baben
solche erbauet, und seibst Régalien ausgeûbet, als Z. E. Mûnze geschlagen , anno Ho9.
Die Dorfer AliUdbek und Nieniegk sind auch flâniiselien L rsprungs , einige Gegenden um
Wittenberg — hauptsâchlich der Hohe-FlemmiiKj — , ini Anhaltischen und der Mark
Brandenburg. Die Lrsachc jener Sitzvcranderung sind liiuilige Ueberschwenuiiungen ge-
wesen. Die Anzahl der Ausgewanderten niusz viele lOOU bclragen baben, da neben diesen
Besitzergreifungen, die der Crone Portugall gehorigen 9 Azoriselien oder Flàmigs-In-
stiln ini Atlantischen Ozean von selbigen besetz worden sind. — Doch , sic hatlen zur Bc-
siiznehmung der erslgedachten Ghegenden , neben der Einladung des Grafen Albrechl
des Baren von Ascanien (Anhalt) - — , zu Vertreibung und Lnterjocbung der Sorben-
Weiiden — ,darumein Recht,\veil ihre Forfahren, glcich nacli dem Jahre 800, da Karel
der Grosse Teutscbland bebersclile, und sie sich der Annehmung der christlichen Reli-
gion vvidersetzten , in die Niederlande ausgewandert warcn.
Wie jedoeh die Flamiger auf die Azoriscben Insuln, welcbe anno 1419 entdeckl
worden, und zwiscben 140 bis 160 Meilen von der Porlugesischen Kùste enlfernt sint ,
isi niir unbekannt.
( Copié d'après roi'iginal : Gesetzbuch der Flemigs-Societaet
in Bilterfeld, MS. in-4 , par M. J. C. Backelman, 1776,
pp. 20-2, 205.)
' Ce passaa;e, quoique précédant dans le MS celui que je viens de copier, est écrit postérieurement et d'une
main autre que celle du diacre Rackelmann.
DOCUMENTS ET PIÈCES JUSTIFICATIVES. 551
xvm.
Extraits de la chronique de Bitterfeld , relativement aux Flamands.
... Das Dorf Niemegk ist ohnc Zweifel von ilincn (den Sorben-Wcndcn) erbaut worden ,
denn obsclion einc NachriclU sagt dass dassclbe von den Flanderern oder Fldminr/ern
erbaiiet wurde, so lasst sich diesc Nachricht sebr leicht dndurcli wiederlogcn : die Flâ-
miger kamcn crst im 12 Jalirbundert hierher, es kommt aber schon M5G eine Abtei ini
Dorfe Nicmcgk vor, welclic die Eltern des JMarkgrafen Conrad gesliflel liatlcn. Die Ein-
kùnfle dieser Abtei welclie sebr scbwacb waren , wurden spiitcr dcm KIoster ans dem
Petersberge einerleibt, foiglicb bat Niemegk schon geslanden ebe rf/e Fldmi<jer bierficr
kamcn
Zu Ende des 12 Jabrbuiiderls verlrieb Albreciit, ein Graf von Ascanicn, die AWnden
grôsstcntlicils. Um nun dem rolicn Zusland der biesigen Gegend eine bessere und niitzii-
chere Verfassung zù gcben, zog er eine Menge Colonislcn ans den Niederlanden, welcbe
dort durch ein grosse Ueberscbwcmmimg sebr gebtlen batlen, namentiich ans Flan-
dern, bierber. Dièse Flandrcr oder Flàininger versianden sicb vorziigbcb giit auf den
Ackerbau, und so dacbte man sicb in der Folgezeit unter dem Worte Flâmincjer einon
vorziiglicben OEconomcn '. Nun wurde diesen Ftdminrjern ein grosses Stiick Land ziu'
Urbarmacliung eingcraumt, und dics sind die beiden Flàmimje, der Einc in der Gegend
von Witlcnbcrg, der Andere in der Gegend von Prelzsch, welcher sicli weit erstreckt; beide
habcn von diesen Flàminrjcrn ibren Namen. Aïs sich nun dièse Flàmiwjer mehrten, auch
in der OEconomie kiuger wurden, saben sie wobl ein das der grosstciHhcils sandigc
Boden , den sie i)ebauten , nicbt den Segen gab den sic von ibrer Arbeit hofTen konnten,
so wûnschten sie sicb besser Fcld um bessern Lohn fiir iiu'c Alûbe crndtcn zù kônnen. Es
wurde ibncn auch Erlaubniss crlheilt sich andcrswo anzubaucn; deslialb scbikten sie
Kundscbafler aus, die den Boden in unserer Gegend fiir besser l'anden, und sicb hier
niederUcbcn, und so wurden denn dièse die Erbauer der ersten oder alten Sladt Beterveld,
denn als sie hier besser Feld, als dasjenige war was sie auf dem F lâm i ng hesessen batlen,
fanden, so nannten sie auch die Sladt die sie baulen Besscrfeld, oder, nach ibrer piallen
Spracbc, GetotcW. Dies geschab ohngefabr zu Ende des 12 Jahriiunderts
Was nun von dieser Zeit an in dieser Sladt bis 1475, wo sie wcggebrannt ist, vorfiel,
ist nicbt anzugei)en; dièse ÏNacbricbten sind vormuliicb bei der Piiindcrung im 30 jabri-
gen Kriege verloren gcgangen. Bilterfcid had crst zùr Graffsciiaft Brcbna gebort, und ist
dann Anhahiscb geworden, bat aiso zù Ascanicn gebort. Das Haus Anbalt oder Ascanicn
gebort zù den aUcsten Fùrstcnbauscrn , und Icitet scinen Ursprung von Bercngar, welcher
um das Jabr 78G als Graf von Ascanicn oder Ballcnsladt Icbte ber. Dicsc Famille wurde
1218indenFurstenstanderhoben. Da nunder Wiltenbergcr Kreis oder dochein Theil dcs-
' Agronome.
55-2 HISTOIRE DES COLONIES BELGES.
sclbcn zum Ascanischen Erblande gchôrte, so gchôrlc Bittcrfeld ebenfals dazù. Die chrisl-
liclieii Ilcrrcn becifcrton sicb nun iminer mehr tlie 'W'eiulen cntweder ziir christlichen Reli-
gion zu zwingcn, zu vcrjagen odcr niederzùbaiicn; das gelaiig ibaen aucb mit der Zeil so
dass sie bin und wicdcr nur einzebi Postcn bebaupteten. So wohnten in Niemegk schon eine
gei-aunie Zeit Chrislen, als sieh in der Ntihe imnier nocli ^^'endcn befanden. Ans dem alten
Scbloss, bci Bittcrfeld, liielt sieh cin Wendischcr Fiirst aiif, weleher sich allen blutigen
Gegenwchr, wcggefubrter Abgolter, ùnd zerstortcr Haine, lange gebaltcn und von seiner
feindischen Weise durchaus nichl ablassen woilte. Endlich haben es die Flâmiiiger nach
vielen blutigen Auflrilten, mit Sturm ersliegen, und die Besatzung theils vertrieben , theils
niedergesabelt
Wahrend dieser Fcbden, halten die Wenden iln- Dorf, so hinterden Biencngarten gele-
gen, und was heute noch das alte Dorf genannt wird , mit drcifachen Wallen tungebcn ùiîd
slark besiitzt, so dass es viel Stûrme und Blut gekostet liât elie sie daraus vertrieben werden
konnten, wobei das Dorf verbrannt wurde. In der Folgezeit wurden die hier ausgegra-
benen Todtenkopfe in die Akademische Biebliothek nach ^\'iltenberg gcsand. Nîm wurde
das aile Scbloss einem sich hier aufhaltcnden sàehsiscbcn Ritter zur Bcschiitzung iiberge-
ben, weleher die aus Flâmingern bestehende Besatzung befehligte. Dafur erhielt der
Riltcr ein Stûck Land von 25 Hufen zur Benutzung, daniil ihm einigerDank war.wovon
die heutigen Rittershufen ihren Namen haben. So bekamcn auch die christlichen Vor-
fechler, die FlauiniHjer, ein Stûck Land van 50 Hufen, in Aeker, Wiesen, und Wald,
zùni Lobne; dies sind die heutige /'7««»'(/«/(»/e;i...
(D'après l'original manuscrit, communiqué par M. Aug. Daniclie,
fii» 5, 5, 0,7 et 8.)
XIX.
Première notification faite aux Flamands par le receveur des impôts.
Demnach man bey der Kônigl. und Kurfûrstl. Sachs. General-Accise zu wissen nôlhig
bat, was es eigentlich mit denen in Bittcrfeld befindlichen so gcnannten Fkmminrjshufcn
vor Bescbaflenheit babe , wcr selbige vorhero besessen, wie und wenn solchc zur Stadt
gekommen, unter was vor Jurisdiction sic gehôrcii, warum dièse, wie man erfahren,
unterscbicden , also dass die Teubnerische halbe Hufe nach Dôberniz, andere, anders
wohin gehôren, was vor onera darauff haiïten, wohin die Sieucrn dercn entrichtet werden,
dies werden Commissio7ts wegen die respectiven Ilerren Besizer Sothaner Felder bier-
durch beschieden , mir binncn vierzchen Tagen hierauf grundliche und zuverliissige Nach-
richt zuertheilcn. Der ich sonst zu allen Gefâlligkeiten bereit bin. Sig. Dûben, den
4 May 1726.
Kônigl. Pobl. und Churfùrstl. Sachs, allergnadigst verordnetes Accis-Commissariat , Jo-
hann Goltfried Benemann.
DOCUMENTS ET PIECES JUSTIFICATIVES. 353
XX.
Seconde notification faite avx Flamands par le receveur des impôts.
Der Fleminger Societaet zu Bitferfeldt ist bercits bekandt, was de dato Dresden, den
b May A. C. ratione des Weiclibilds des sogenandten Flemmings allergnadigst anbe-
folilcn worden , gestalt denn bcy meincr neulichen Anwescnhcit in Bitterfeldt von Sothaner
allergnadigsten Rescripte Abschrifft ertheiiet habe. Wann nun zu der allergnadigst anbe-
fohlnen Untersuchung der nechst kommende Neim und zicanzigste hnjus anberaumet
worden; als wird oITt gedachtc Flemmincjische Societaet bcy zwanzig Thaler Straffc be-
deutet, aile vcrhandenc Nachrichtungen, wer dièse Grund-Stûcken vorhcr besessen? wie
und wenn seiche zur Stadt gekommen? unier was vor Jurisdiction sic gehôren? und was
es vor cigcntlicbe Beschafïenhcit habe, zu ediren, oder gewiirttig zu seyn, dass dièse
Straffe Tages darauf eingebracht, und mit crhôheter Straffe verfahren werde. Vornach sich
zu achten. Sig. Dûben , den 22 Aug. 1730. (Signé Beneman.)
( Ces deux pièces d'après l'original reposant aux archives des
Flamands à Bitterfeld , cahier P, pp. 27 et 32. )
XXI.
Réponse des Flamands.
(P. P.)
Insonders Hochgeehrtester Kammer Accis und Commissarie Causae.
Dass Ew. Hochwohledclgeborcn gûtist geriihen wollen, aufunsir schuldiges Ansuchen :
in Sachen die allergnaedigst angeordnete Untersuchung dercr Fleminger Grnndstiicken
und was dem anhacnig betreffendc uns annoch cinige Frist zù Beibringung dcrer verlang-
ten Nachriclitungcn zu verstatten , erkenncn wir mit allem gezichmenden Danke an. Nun
haben unser Hochgeehrtester Ilerr Commissarius vi Commissionis der Flemingischen
Societaet beij zwanzig Thaler Straffe bcdcutet :
1° Aile vorhandene Nachrichtungen : wer dièse Grundstûcke vorher besessen?
Tome XXXII. 46
354 HISTOIRE DES COLONIES BELGES.
2" Wie und wann solche ziir Sladt gekommcn ?
5! Uiiler was vor Jurisdiction sic gcliocrcn?
Il," Und was es eigentlich vor BescliadI'enheit damit habe? zu ediren oder gewaerlig zu
sein, dass dièse Slraffe Tages daraiil' eingebraciit und mil erhoehler Straffe verfahren
werde.
Was mm ad 1° die vcriangten Nachriciuimgen : wer dièse Grundslùcke vorlier beses-
sen? beirifft, so wird beijgebender Zeugcn-Rotulus sub A' des mehreren besagen, was
Gestalt vor langen Jahren ^ als der ehemalige Pfarrer zù Roitzsch, Jiï Christoph Poyda,
Vorsteher von der Fleiniiujsclien Socielaet gewescn, imd hergebraoiiler Masscn dcrcr Fle-
mifjer Lade bei sich gcbabt, zùr sclbigcn Zeit aber die Pfarr-\\'olmimg daselbstganz und
gar abgebrannt mit hin aueh gedachte Lade sammt alten Nachrichtungen nnd Documenlen
in Feuer aufgegangeii , wodurch mehrerwâhntc Flemigsclie Socielaet leider uni viele Pri-
vilégia und Freiheilen rjekoinen '. Bcij so gestalletcn Umstaenden nun ist es wohi sciiiech-
terdings einc pure Onmoeglichkeit, dass wir die sonsl allcrdings vorliandcnen NachricbUm-
gen ediren koennen, jedoch haben wir zù aller untertbaenigster Folge des allergnaedigsi
ergangcnen Befehls so viel uns nur immcr moeglich gewesen aile jMuhc angewcndel von
denen vorigen und alten Besitzern einige Nachrichtungen ausfùndig zù machcn, und wird
beijgehende Abschrift, sub B., die aeltesten Besiizer derer Fleminger Grundstiicken ,
von 1S87, angeben. Wii- seynd auch willig und parât dasjcnige aile Flemirjs-Budi , woraus
wir dièse Nachricbt haben, beij der allergnaedigst angeordneten Commission originaliier
zù produciren.
Quoad 2° aber , seynd wir gar nichl im Stande die gcringste Nachricbt zù crthcilen , zù
welchcr Zeit die FleDiinger-Grùndslûcken zùr Sladt Bitterfeid gekonmien, ancrwogcgcn
vielerwchnte Fleiningische Socielaet, besage des Documents sub B, nicht nm- allerbe-
reits 1S87, sondern auch wie der Extract sub C, erweissiich machet schon 1349 bestan-
den und demnach beij so undenklichen Jahren lier , besondcrs wie cingangs an und ausge-
fûhret, da aile Documente und Nachrichtungen verbrandt, kcine Nachricbt von uns zu
verlangen scijn wird, ja wir lebcn aucli des untertbaenigen zuversichtiichen Vcrtrauens :
es werde das Hochpreissliche Accis-Collcgium, rébus sic slantibus , und da wir possessio-
nem el pracscriplionem immemorialeni , sowohi rationc quantilatis cl qualilatis dcrcr
Fleminger Grundslûckrn vor uns haben , mit ferner Lntersuchung oder sonst einigen
Ansprùchen zù verschoncn gniidigst geruhen.
Quoad 3°, hingegcn so ist unieugbar dass dem hiesigen fûrstlichen Ambt die Jurisdic-
tion ùber derer Flenùnger-Grmidslikkcn zuslehe.
Endiich (]uoad 4°, so wird ex antea deduclis : was es eigentlich mit derer Fleminger-
Gnmdslikken vor BcschalTcnheit habe, sich Sonnenklahr am Tage lieget mit der gewissen
IIofTnungder Commissarischen Verordnung cine Gcniige geleistet und so viel aùsgcfùhret
zù haben, ilass wir von denen iiber ganz undenklichen Jahren her zur Fleminger Socielaet
' J'ai supprime les annexes, comme offranl peu d'inléièl.
- Anno lôliS Dom; Rogale. Vide M. Hermann, li<ielscher's. Bruntbr., 1746.
^ Les mots soulignés le sont également dans le texte.
DOCUMENTS ET PIECES JUSTIFICATIVES. 3S5
gehoerigcn Feldern und Grundstùcken, so nachhcro auf uns gekommcn fcrnerhin und
weiter kcineswcgs responsabel zu sein, die wir mit aller Hochachtung beharren.
Eîier Hochedclgebohren , miscres insonders Hochr/eelirleslen Heri'ti Caminer und Acci.i-
und Commissarii Cuusae, gehorsame die Fleminger Societaet.
Bitierfeld, den 18 October des Jahres 1750.
(D'après l'original MS., reposant aux archives des Flamands,
vol. P., p. .53.)
XXII.
GHESEZ-BUCH
Einer lôblichen Societàt der Flemmiger in Billerfcld.
Welches nicht nur ihre uralte Vertrâge und Ordnùngcn wie sie anno 1387 dureh den
wohivcrdicntcn Burgemeistcr und Flcmigs-Vorslehcr Hermanniis Bartlioldus niedcrge-
.scliriebei), und dem alten Flemigs-Huffvn-Buche vorgesetzl worden sind, sondern auchdie
naehhero dazu gckommen Gheseze,nebst Unterschrift sanimtlicher, ieziger und kûnftiger
Societats-Verwandten, in sich bail, zusamnicn getragen naeh den UmsUinden ieziger
Zeit verbesserl, und in folgende Ordnùng gebracht
IM. JoBANN-CDRisTapn RACKEtiM AlVN ,
Diacono allhier
Uebergeben den 30 junij 1776.
Da keine geschlossene Ghesellschafft ohne gute Ghcseze, und deren redliche Beobach-
tung, lange bestehen kann, so bat eine lôblicbc Socielat der Flemniigcr allbier bey ihrer
Pfingst-Zusammenkunft anno 177G gcnicinscbalTUieh bcschlossen, dass nicht nùr ihre
nralte Ordnungen und Vcrtràgc, wclche dureh den verdicnstvollen Bùrgemeisler und
Flcmmigs-Vorsteher Hermannus Barlholdus ini Jahr 1387, zusammcngeschrieben, und
dem alten Flemmigs-Huffcn-Buche vorgesezet worden sind, erneucrt, und nach den Um-
standen der ieziger Zeit verbessert, sondern auch die nachher gekommcne aus dem Pro-
tocol und Jahr-Rechnungen, und iibrigen vorhandenen Aclen zusammcn getragen, und
in folgende Ordnung gebracht werden solten.
3d6 histoire des COLONIES BELGES.
DAS ERSTE CAl'lTEL.
Von den Socletilts-Verwandten lus gemein.
1. Sàmmtliche Besizer dcr Flemmigshuffen sollen, nach der bisher seit ellichen Jahr-
hunderlen gcwescnen Ghewohnheit, auch aufs Kûnftige, einc Societiit ausinachen, und
dafiir angeschen wcrdcn.
2. Wer cinc Flemmingshuffe, halb odcr ganz, crkaufft, ererbcl oder erheyrathet hat,
soll sich bey dem icdesmahligen Vorstchcr anmelden , scinen Nahmen in das Ghcsezbuch
einschreiben , und damil seine Wiiligkcit, sich nach ihren gemachten Vertragen zu
achlcn, zu eriicnnen gel)en , und fur die Einlassung, ein fur alhnabi, vier Rsth. zur
gemeinschafftiichen Cassa crlegen.
3. Er soll sich alsdenn diejenige Commun-Gulcr an Holz und Wiescn, die zwar zùm
ordentiichen HulTenschlag gchôren , aber weil sic, als Prival-Slucke, nieht ùnter den Pflug
getrieben, und wcgen Mulden-Abreisscns , und daher nothwendig'gewordenen "W'asser-
baue einzeln nicht genulsl werden kônne, zusammen geschlagcn worden sind, bekannt
inacheh , und vornehmlicii von dem Fôrsler auf die Friedcrsdoriïer Wcrder , wciche (hirch
den anno 1473 erfoigten gewalisamen Durchbrùchder Mulde hiniibcr verschet worden
sind, fuhrcn, und deren Grenzen und Mahisteine zeigen lassen, wofur er diesem, nach
Gewohnheit, ein beiiebiges Geschenke darreichct.
k. Wer seine Huffe zu vcrkaufîen willens ist, soll sie zuersl einem oder dem andern
Mitgiied der Socieliit anbielen, und wcnn sie nicht eins wcrdcn kônnen , den mehr bie-
lenden Kàuffer ausser der Societat dem Vorsteher anzeigen, damit derselbe keine ihr
unangenchme, levis notae macula laborirende, und einen Vorwurff machende Person
aufgedrungen werde.
a. Es soll einer wenigstens eine halbe Huffe haben , und wenn ia Geschwister bey der
Erblheilung nicht eins werden kônnlen, und sich in einc halbe Iluffe theilen wolltcn , soll
doch nur einer bey der Zusammenkunft zugelassen werden, und an denCommun-Rechten
Antheil haben konnen , wcshalb sie sich zu vergleichen haben.
6. Es soll sich keiner elwas , das zur Commun gehort , es sey Holz , Graserey , wild
Obst und dergleichen, eigenmachtig anmassen, und die Zeit, bis letzteresaufgethan wird,
in Geduld aufwarten , bey Siraffe 20 Gr.
7. Bey Abfùhr der Ilolz-ausbeute, soll sich keiner durchaus nicht an das Nachbars
seinem Loos, oder an den zum Vcrkauffgcselzten Malter und Schock oder noch stehend-
gebliebenem Holzc vergreiffen, bey Straffe 12Gr. zùr Cassa, und Ersaz des entwendeten
Holzcs.
8. Die iùngen Verhauichte sollen Forstmassig geschonet, und darinnen weder mit
dem Viehe gehûlet, noch gegraset und geschnitten werden ; auch in den andern \er-
hauichlen keinen andern, als Flemmigs-Huffnern , und deren Knechten und Magden zù
hiiten und zu grascn erlaubt seyn, icdoch weder des Nachts , noch unter wahrendem
ôffentlichen Gottes-Dienste, bey 12 Gr. Siraffe.
DOCUMENTS ET PIÈCES JUSTIFICATIVES. 537
9. Auch in den Grunden ùnd Bruchen der Privat-Stûcke , soUen àusser den Flenimigs-
und Rittcr-Huffner-Magden keine andere , keinc angenommene Taglôhner-Weiber, koine
Frqmde, die dergicichen, oder gar kein Feid ijcsizen, aiii allerwenigsten aiiswertige, ge-
duldet, sondern gepfandet werden.
10. Keiner soll von den Rainen, dcm iNaciibar zu'schadcn, und ohne dessen Wissen
und Einwiliigung, etwas abpfliigen, um sein Stiick dadurch zù vcrgrôsseren , damit die
vormahls gleich-getlieilte Sliiekc in Gleichheil crlialten werden , bey Straffe 10 Gr.
1 1 . Wer auf seinen Privat-StSckcn Hoiz scbiagen lassen will , sol! es , wo es nùr einiges
massen streilig werden kônntc, seinen JVachbar und deni Forster nieidcn, und durcb diesen
sein Stiick ricbtig abschaimen lassen, damit nachbero kein Zank daiiiber entslehe.
12. Wer dièses unterlassen, inid von seinem Nachbar in Ansprueh genomnien wiid,
soll das Holz nicbt eher abfahren,bis er sicb mit diesem gullich vergliclien liât, bey
Straffe IG gr., zur Cassa, mul Vergiitung an den Nachbar.
15. Kônnen sie sich selber nicbt mit einandcr giitlich vergleicben , soll sich der belei-
digte Theil von dem Vorsteher eine Besichtigung und Entscbeidung erbitten , der Andere
aber sicb dem reçhtmassigen Aussprucbe unterwerffen , die Unkoslen erlegen , und innom
gnugibun.
14. Es soll sicb keiner wcigern , die verursacbte oder ihni recbmassig dictirle Straffe
willig ZU erlegen , oder sich gefallen lassen dass sie ihm kûnftig an seiner Geld-ausbeute
abgezogen werde.
15. Wer bey den offentlichen Zusammenkûnften etwas vûrzutragen oder zu klagen
bat, soll es mit aller Bescheidenbeit , ohne Gcscbrey ùnd Bitterkeit, obne Scbimpffen
und Schmâhe, obne Fluehe und Liistern thun , bey Straffe 12 Gr.
16. Wenn Bau-fùbren nacb der Reilie angesagt werden, soll keiner versehonel werden,
oder zurûck bleiben , widerigen falls soll er die von dem Forster anderwerts besorgle
Fùhren bczahlen ; doch soll der Vorsteher so billig seyn , und sie nichl fordern , wenn die
Anspiinnner notbwcndig aùf dem Felde zu thun baben.
17. Zu den Besiebtignngen und Ausiiisungen soll der Vorsteher nebsl seinem Beysilzer
und dem Flemmigs-Scbrciber, zuersl die ncu-dazu gekommenc Flemmiger mit beslcllen,
damit sie unserer von den Huffen ausgesetzen Commun-Giiter, und unsercr Rechte und
Pdichlen kundig werden, ausserdem aber der Reibe nacb den Loberstûcken nacb geben.
18. Wenn eine Zusammenkunft durch den Forster angesagt wird , soll keiner ohne
zulanglicbe Entsehuldigung Zuriiek bleiben, bcsonders wenn uber wichtige Conimun-
Angelenbeiten geralhschlaget werden soll, beij straffe 8 Gr.
19. Es soll ieder sein eignes Flemmigs-Huffen-Buch haben , vor welebem dièse Geseize
eingeschrieben steben.
20. ' Und da dièses nicbt aile baben, so sollen bey der iiihrliehen Pfmgst-Zusammen-
kunl'l dièse Geseize vorgelesen werden, damit sich keiner mit der Unwissenbeit entscbul-
digen durffe.
' Les §§ 20 et 21 oui été ajoutés postérieurement.
358 HISTOIRE DES COLOiMES BELGES.
'21. Es soll aucli iiicht cher zu irincken gcforderl nnd gcreichet werdcn, bis die Rech-
nung durciigegangen, iuslilicirei und untcrschricben , und andcrer nôtliigeii Commun-
Sachen vciabiedet und entschieden vvorden sind.
DAS ZWEITE CAI'IÏEL.
Von dem lithrllchen Vorsteher.
1. Weiin der bisherige Vorstcher seine Jahr-Rechnung abgeleget hal, foiget auf ilin
derjenige, der in dem vorigen Jalir als Beysizer durch die meislen Stimmen ervyehlet
worden isl. Solte iencr abcr vor der Zeit mit Tode abgehen, so soll die Societaet zusammen
gerniïen , und berathschiagct werden , ob die Rechnung von des verstorbenen Erben fort-
gesleiiet, oder aber einsAveil ein anderer dazu crweidl werden soll.
2. Der neue Vorsteher soll sicli von seinem Vorfahrer die kleine Lade nebst den dazu
gehôrigen Inventarien-Stûcken, wie auch die Schlùssel zu den beyden andcren in
E. Raths-Arclùv an der Kirche niedergesetzten Laden, wie auch den Bestand an baareni
Gelde und andern Vorrathcn ûbergeben und anvveiscn lassen.
5. Er soll , was ihm von der ganzen Societaet bey der Pfmgst-Zusammenkunft aufgege-
ben wird, treulich besorgen, oder was noihig und niitzlieh sein môchle, selber in Vor-
sclilog und zur gemeinschaffllichen Ucberlegung vorbringen, und fiir sieh allein niehts
vvichtiges und bedenkliches vornehmen, sondern dabey seinen Beysizer zu Hûlffe neb-
men, oder die ganze Societaet zusammen kommen lassen.
4. Er soll nach den iMulden-Bauen , Briickcn , Danimen , Graben , Wegen und Grenzen
fleissig sehen, und nachsehen lassen, damit das schadhaffte in Zeilen mit noch geringen
Kosten gebesscrt werden kônne.
3. Besonders soll er nebst seinem Beysizer, oder doch einer von beyden, iâhrlich ein-
mahl mit dem Forster die Friedersdorffer-Werder, und dasige Wasser-baue besichtigen^
und nach den Malen- und Grenzen-Steinen at'hen, da die Vormahlige fur die Cassa so
beschwerliche Grenzziige aufgehoben worden, und nun, da wirden sehr accuraten Scfiu-
mannisschen-Riss davon haben, nicht mehr nôlhig sind.
(). Wenn was zù baucn und besseren nôlhig ist, soll er die Arbeils-Leute bedingen,
und nachsehen dass ailes fleissig und tiichlig gemacht werde.
7. Die zùr Cassa gehôrige Ghelder einnehmen, in Zeiten eintreiben, wohl verwahren,
und nur zum gemeinen Besten anwenden , und bey entstehenden Verdachte immer gewer-
lig seyn, dass ihm von Einnahme und Ausgabe RechenschalTt abgcfordert werde.
8. Keinen anderen, als den nach vorgeschriebener Ordnung folgenden Verhaùicht
anwcisen, damit es bny den einmahl festgesezten 18 V'erhaùichten bestàndig verbleibe,
imd die Holzhauer ernstlich dahiii anlialten, das sic tùchtige, und so viel moglich gleich
Schocke und Maltern machen, und keine andere, als abstcrbende, zu dicht an einander
stehende, und sonst undbrauchbare Eichen niederschlagen lassen, und ohne Einwilli-
gung der Sorietact keine Bau-Eichen in Mcnge verkauffen.
DOCUMEiNTS ET PIÈCES JUSTIFICATIVES. 359
9. An ledige Plàze allerley scliickliches iunges Holz anphlanzen lassen.
10. Die Commun-Wiesen, so wohi grosse als Idcine, nacli bishcriger Art, so viel môg-
lich aut' G Jahre, an nieislbielende uncl sichere Bczalilcr verpachlcn; wenn aber deren
Preisse allzulicfî lallen sollten, es mit der ganzen Societaet, vornehmiich bey der Pfingsl-
Zusaninienkunfft iiberlcgen , und wenn er mil den Pachlern einig worden, ihnen dmeh
den Flemmigs-Schreiber die Contracte ausfertigen lassen.
11. Bey forfallenden Verpaciitùngcn , Holz-Verkauff, Baucn, Processen, imd derglei-
chen zuerstseinen Beysizer, auch wohl den Flemmigs-Schreiber, niid wenns nôlhig seyn
sollte, die ganze versammelte Societaet zù Rallie ziehen.
12. Er soll sich von dem, was der Conmiun gehôrt, durchaus niclits, an Holz, Griise-
reyen, wildem Obste, auch nicht die Abgànge beym Baiien, eigenmâchlig anmassen ,
sondern dièse an die Meistbietendc verkauiïen, selber keinen Unterschleiff machen , nocli
andern gestatten.
15. Wenn er zu Besichlignng und Enlscheidung streitiger Sachen in den Gehôlzen uiul
auf den Wiesen aufgefordert wird, soll er sich nebstdem Beysizer und Forsler, auch wie
es nôlhig seyn sollte, dem Flemmigs-Schreiber, an den streitigen Ort begeben, ailes genau
in Augensehein nehmen,ieden mit seinen Ursachen geduldig anhôren, ailes wohl iiber-
legen, abschreiten und ausmessen lassen, und, keinen zu Lieb odcr Leid, einen nnpar-
theyischen Ausspruch thun, damil der beleidigle Theil nicht genôthigl werde, bey der
ordentlichen Obrigkeil Hiiile zù suchen.
14. Es soll bey dem gewôhnlichen Auslôsungen bleiben, solche aber nicht ûberbâuffet,
und der Cassa beschwerlich werden, in Betracht dass die Besoldimg des Vorstelicrs in
neuerlichen Zciten, wegen der vielen Mulden-Baîie, mit vier Rsth. fiir unbelohnte Miihe
und Wege erhôhet worden.
15. Ailes, was zum Nachtheil der Societaet gereichen kônnte, sorgfàltig abzuwenden
suchen, und was zu ihrem Beslem, Aufnehmen und Erhaltung giiter Ordnung nur immer
gereichen kan, treulich befôrdcrn, und daliin bedachl seyn, dass diesen Gesezeii unver-
bruchlich nachgelebet werde. '
16. Er soll seine Rechnung 14 Tage vor Plingslen schliessen und ferlig halten, dannt
sie durch den Fôrster einem ieden Societaets-Verwandten eingehàndiget, durchgesehen,
und beùrtheilt werden kônne.
DAS DRITTE CAPITEL.
Von dem Beysizer.
1. Dieser wird yàhrlich, bei der Pfingst-Zusammenkunfi , nach abgelegter Rechnung,
durch die meisten Stimmen erwehlet, und wenn ihrer zween gleiche Stimmen hiillen,
und keiner freywillig abgehen wolte, darum geloscl. Es soll aber kciner auf sich selbst
votiren , oder sich zuvor der andern Stimmen zu erschleichen suchen , bey 50 Gr. Straffc,
und die Wahl soll nichts gelten.
2. Er soll, besonders wenn er zum ersten Mahl verwehlt worden, sich unsere Com-
Ô60 HISTOIRE DES COLOtNlES BELGES.
inuii-Holzcr und W'icsen , in ilucn Abiheilungcn und Grenzen wohi bekannt machen und
anwcisen lasscn.
5. El- soll nebst dcm Vorsteher, oder wenn dieser Hindernisse liai, allein fleissig nach
dem Baù- unrl Arbcits-Leuten sehen , und im Vorauslernen, wie cr nachhero anordnen
soll.
4. Was der Vorsteher in scinem Jaiir nicht zwingen Ivônne, naehholcn; und sich im
voraus mercken und auserschen, was fur ihn , zum Commun-Bcsten in Zeilen zu besseren,
tmd zu bauen nôthig seyn môchte.
o. Alsdenn erst soll cr auch die fur die fleysigen Beysizer allein bestimmte 4 Rslh. aus
der Cassa erhalten.
DAS VIERTE CAPITEL.
Von dem Flemmigs-Schreiber.
\ . Es soll allemahl einer von den Rechlsgelehrten aus der Socieiaet ihr Schreiber oder
Regislrator seyn, der das Protocol fuhren, und die nôthigen Sachen einschreiben, bey
entstehendcn Streitigkeiten oder Proccssen ihr mit seinem Rathc dicnen, die altc Docu-
mente aus den Laden aufsuchen, und ihre Redite vcilheidigen konne.
2. Er soll die iàhrlielien Ilolz-Auslôsungen, und die an die General-Accise iahrlich zu
ùbergebende Spécification besorgen.
5. Die Pacht-Contracte so wohl ùber die Friedcrsdorffer Werder , die Bôttchcr-Weiden
und Toden-Kopfï, als auch ùber die kleinere Commun-AViesen fertigcn, besicgeln, dem
Protocol einverleiben , und fur iene 2 Rsth., fur dièse aber nach proportion von den Pàch-
teren erhalten.
4. Zu den Besichtigungcn bey cntstandenen Streitigkeiten fur die gewôhnliche Auslo-
sung mitgcnommen werden, und unparteyich richten helffen.
0. Er soll auch bey der versammteten Societaet den Vortrag haben, und besonders
bey Ablegung der Jahr-Rechnungcn, die er mit Fleiss durch zu gehen, und nachzusehen
hat, oh sic auch in Calctdo und sonst richtig ist, sein Urthcil ùber selbige fàllen, seine
Erinnerungen und Bcdenklichkeilen anzcigen , und was auf das kùnfftige Jahr zu
besorgen seyn môchte, in Vorschlag bringen.
6. Fur dièse Benùtzungen erhàlt er iahrlich 1 Rlaller eichene Schcidle, oder in deren
Ermangelung 6 gute Scliock-Reissbund , oder 2 Rsth., 8 Gr. aus der Cassa.
DAS FiJNFTE CAPITEL.
Tou dent FiirsUT.
1 . Diesor wird von der Societaet nach den meisten Stimmcn gcwchlt und angenommen,
2. Er soll nicht selber schon ein Societaets-Verwanndler seyn, aber doch die zu seinem
Dienstc iiôthige Kenninisse, gute natùrliche und sittliche Eigenschafflen haben.
OOCUMEINTS ET PIECES JUSTIFICATIVES. 5(H
3. Ailes, was in dcr A. 1773 aùsgestellten Instruction enthalten ist, trcti, redlich iind
mil unverlezlcn Gevvisscn, zum gcmcinem Bestc dcr Sociclael, licobachlcn iind crfullcn,
wiedrigen Falls aber sich die Aiifkùndigung seines Uiensles icderzcit gcfallen lassen.
4. Mit dem, was ihm dasselbst zu seiner Besoldung ausgesczct und angewiesen
werden, gern zufriéden scyn, und sich durchaus niclits, weder an wildcni Obste, noch
Gràsereycn, noch Windfàllcn und anderm Holze cigenniàchlig, ohne Verwissen, und
Einwiliigung des Vorstehers anniassen, und zu Nuz niachen.
5. Sich seine i)ejO!(«a«-Schock., nicht selber weblen und machen lassen, sondcrn aus
den, ihm von dem Vorstehcr bcy dcr Auslôsung vorgchalicnen IVumern cine herauszic-
ben, zu welchcr seine bestimmte 10 Scbock mit gczchlet wcrdcn, damit cr desto mchr
darauf Acbt babe, das die Schock so viol môglich cmandcr gleich gesezet werden.
6. Die in seine Verwabrung genonimcne Imcularim-Slùckc wobl in Acht nchmen,
damit sie scinem Nachfolger wicder idjcrgcben werden kônnc.
7. Bey den angcsaglcn Bau-Fuhren keinen ubergehen, noch verschonen, und sich ein
eigenes Biichel darûber halten, das er iedesmahl vorzcigen, und sich damil rechtlerligen
konne.
8. ledcn ncuen Flemmiger auf die Friedesdorffer A\'erder binubcr, fubren, ùnd ihm
seiche in ibrcn Grenzcn fiir das beliebige Trankgeld anweisen.
9. Eincn ieglichen Schadcn, dcr geschehen oder zîi besorgcn ist, aïs bald dem \'or-
stcber anzcigen, damit er in Zeilen gebcssert werde.
Da dièse Ghesezc gerecht und billig, und zum fortdauercnden Besten der Societaet
eingericblct sind, so baben wir das Zulrauen, dass sich siimtlicbe, iczigc und kuniîtige
Flcmniigs-HulTen-Besizcr, gern darnach ricblen, und es nicht zur BcstralTung kommcn
lassen werden. Solte aber einer oder der andere wissentlieh, mit Vorsaz und Troz, ein-
und mehrmahl dawieder handcln ; so soU ihm von dem V^orstcher die gesczte Strafle abge-
fordert, und wenn cr sich dessen wcigert, von seiner zu hoflcndcn Geld-Ausbeute abgc-
zogcn, und zur Cassa berechnet wcrdcn.
Uebrigens kônnen dièse vormabis errichtete, bisher bcobachtcle, und nun erncuele
Co;i(;eH^/o»ja/-Gbcsezc, nacbdem es Zciten und Umstiindc crfordcrcn môchcn, nach vor-
gàngig- zu sacbendcn hôchslcn Landes-herrliclien Approbation, gebcssert, vcrmehreri
oder vermindert werden.
Voriezo aber erklaren sich gesammte Mitglicdcr durch frcywillige Unterschrift , dic-
selbe treu, redlich und unvcrbrùcblich zu beobachlen. So geschehen, Bitterfeld , den
30 Juny 177G. (Suivent 53 signatures.')
(Copié d'après l'original ; Gesezbuclt der Flemigs-Socielaet
in Bitterfeld, pp. 1-2-i.)
Tome XXXII. 47
362 HISTOIRE DES COLONIES BELGES.
xxin.
IVas (Hp Flemiger niUer sicli :ù richlen uiid wie sie sidi vorhalten sollen, ist connais
nach Ausweisuiig der RvfjhtnUuren auch also rerliallen icordcn '.
(Ib87.)
§ I. — Anfacnglicli liabcn sie uiiier sich zu richlen gemcine Schelleswo]!, vvenii eincr
dein aiulorcii zu iiiilie hauot, plUigel iind iingehorsamblich were. Er erfordert aiisscn-
bloil)ci iitid deni Andercn das Seine wcgluiiicl.
§ II. — So soll auch in diesen und andercn Dingen keincr onvorwisscn vor anderer
Obrigkcit lauffen bcy poen zwanzig Groschen.
Das findet nian cin Exenipel aiiiio loiO bey Zeiten Moritz Poyda's l'ind Tliomas Zan-
ders gewcsenen Flemigs-IIci rcn.
§ III. — Es soll keincr in der Gcnicinc sein Ilolz vcrkaufTcn, er sei dann ein Flemiger.
In Belraelit, dass der sein Holz enlIVdn'ct, Frenibdcr darnmb in andere Gcricbte zù
belangen cder zu clagcn sich bcschwcrlicli fihfallen voile bey poen ô Groscbcn.
§ IV. — So auch einer sein Prival-Siùck will lassen abhauen, soll er seine beide
Nachbalirndarzufordern und ailes richtig abschalmen oder abzeichnen bey nechst gesester
poen.
§ V. — So auch eincr deni andercn wùrde abpflugcn, soll er erstlich bey dern Fleniigs-
Herrn geclagt werden; so er aber vor Jhnen mit nit koendte Vertrags wcrden moegen sic
alsdann vor anderer Obrigkcit klagen, bey Slraff 30 Groscbcn.
Ji \l. — So ein ncuer Flemiger einkocnibl, der soll sich bcy dcn Flcniigs-Hcrren
angcben und umb die Gebiibr in der Matricul oder Registcr der Flemiger sich einsehrci-
ben lassen bey poen 20 Groschen.
§ AU. — Wcnn die Flemiger bcisammcn , und wird Jcmand obne genugsahme .Jhnen
darzu gcgebcne Ubrsachc Iladcrn und Zwietrachl anricbtcn oder mil Schmchworten umb
sicli wcrfen , der soll ein Viertel Bicr zur StralT verfallen scyn.
§ VIII. — Die Loss-Wiesen sollen aile Jabr deren Inhaberen aùfs neue wiedcr zuge-
sagcl werden oder wer das vcrwehrl, soll seiner AMcse verlustigt werden.
!i IX. — Die Grenzen soll uls Laengstc aile drc\ Jahr uffdas ncue wiedcr besichiiget
werden, und wer darzu bescheiden und aussenbleibct bcy poen 20 Groschen.
S X. — Er ist auch allhicr nebsl dicsem allcn Buch vor denen neucn Bùchcrn der
Nahme neben gesctzet dieweillcn unter dieser Zcit cin Theils viel verhandcli, verkauiït
und verlauscht worden, umb bessercr Nacbrichtung willcn, damit Solche richtiger
erkennet und gefunden werden môge.
(D'après l'original MS,, vol. A, inil., Archices des Flamtiiids.)
' Kcril par HiM-man Dartlioldus, boucgmeslrc de BiUerfeld et président delà société.
DOCUMENTS ET PIÈCES JUSTIFICATIVES. 363
XXIV.
Léopold le Glorieux, duc d'Autriche , accorde des privilèges aux Flamands établis
dans ses États.
. (1208.)
In noinine sancie et Inclividue Trinitalis. Leopoklus Dei gralia diix Ausliiae, Styrie in
perpetuum. Labentc tenipore facliim quodlibet a mcmoria labitur, nisi vetustali scriplorum
perseverantia obvietur. Ne igilur antiquitas hanc noslram praesenlem concessioncm valcat
abolerc lam pracscnlibus qiiani futuris notum fieri volunuis, quod Biirgenses nosiros,
qui apud nos Flandrenses nuncupantur, taliter in civilatc noslra Wienna instituimiis, tit
ipsi in offîcio suo, jure fori nostri, in civitate, et in terra noslra, libertate et privilegioaiio-
runi nostrorum Burgensium omnimode gaudeant et ulantur. Praeterea ipsos ab ofTrcio
judicis nostri in Wienna ila cximimus, ut super quibuscunque querimoniis corani ipso
non rcspondeanl, sed corani camerario monctc noslre trabant in causas, spcciali exccp-
tione, de omnibus responsuri. Subjungimus insuper et confirmamus, ut in eoruni officio
negociari nulius présumai ncc audcal, nisi ab ipsis rcceptus in consortium eum cis, sub
eodem jure in omni pensione et stiora rcspondeal sicuti ipsi. Ut autcm a nobis bec taiis
nostra tradicio in postcrum scmpcr maneat inconvulsa, presenti cedule conscribi fecimiis,
et subscripto curie nostre tcstimonio, imprcssionc nostri sigilli in icnaccm niemoriam
roboramus. Testes Wichard Dapii'er, Rudolfus de Polendorf, Marquardus de Hintberch,
L'iricus Slruno, Itcmfridus lilius Marquardi de Ilanpercb , Ub-icus Stupso (de Traul-
mannsdorf), Ilenricus Dapifer de Prone , Henricus camerarius de Tribanswincbcl , Diei-
marus de Raielcnberge, Rodigcrus de Ilolen, Dielricus magisler monete, Golofiidus
camerarius, Marquardus judex, cives Wienncnses. Pilrolfus, Paitrainus IVater cjus, Liu-
boldus Dypincb, Henricus Scboucbo, Wiento, Ruedcgerus incisor, Heinricus socius
ejus, Aibero de Padislorf, Sifrid Scbutcwofel, Maliifridus monetarius, Albreebl cblclm-
rius, Ebcrhardus Tanewaschel, Grizo Chunradus maritus domine Sigulc, Ciiunradus
Suevus , Wido. Actum anno Incar....
(Hormayr, Wien , Il , Hefl ô, p. 19b. i
Traduction.
Von der Flàmmiger oder Farber Recbten.
In dem Namen der Heiligen und unlbailhaffligen Drivaltikait tun wir LewpoU von
Gotes Gnaden Herczog ze Osterreich und zeSteir zewissen ewiicleichcn. Daz mit hinfleiss-
under Zeit ein yegleich sach von denkniissentslciffet, man engcgen dcnn dem Aller mil
ainar werunden Schrifl. Und daz dar umb das aller nichl mug abgetun dièse gegenbftr-
364 HISTOIRE DES COLONIES BELGES.
tiçc unscr Verlcihiing, darunib wcllcn wir chiint sein den gcgonburrigen und den kiiiif-
tigen, daz wir, viiscr Purger die bcy vns gênant sint Flàinniirjor, also in vnser Siatze
Wienn ingesatzt haben, daz Sy in Ir anipl vnser iMarkt recht in der Stat, und ini Lande
von vnsrer freyung und besunder Recht, als ander vnser Purger ip aile Weis frewen und
niessen. Uber das freycn wir Sy also vor unsers Gericbis ampts ze Wienn, dnz sy iiber
dhain klag nicht aniburlen sullen vor [m, dann vor unsercr Miinss Kamrar sol man sew
beclagen, und sullcii vor Im, besundcrlich unib ail sah anlwurtlen. >\ir fiigen in auch
dariiber und bevestcn daz nyeman in Ir andjt arbaitt, nocli geliirr aiibailtcn, \\ann der
von In, in Ir Gescllscbafït niclit cmphangcn ist, und mit In under denselben Recht in
allen Gcding und stewr geb , als Syselber. Das aber von uns discsôlbe unsere Gabe hinnach
albcg beleibe unczebroehen, so haben wir gehaissen verschreiben, an diesen gegenbur-
tigcn Brief mit der Zeugnuss unsrcr Ilofseiift und besterkchen di(! in ein bchalilich Ge-
denknûss mit dcm Intrukch unsers Insigeis. Das sint die Geczeugen, ^\'e^ldlarl der
Truchsealz, Rudolf von Potendorf, Markhart von Ilinlperg, Vlrich der Sirewn, Irnfriid
ÎMarkbarts sun von Ilinlperg, Vlrich der Stiichs (von Traulmansdorf), Hainrich der
Truchselz von Prunne, Hainrich der kammerer von Tribeswinkel, Dietmar \on Raten-
bers, Riidiirer von Zolle. Dietrich der Mûnssmaistear. Golfrid der Kannear Markhart der
Richtear, das sint Burger von Wieenn, Pielrolf und Baltram sein Brader, Lcwpoll der
Pippink, Hainrich der Schawk (Srhcnk?), ^^'ieral, Riidiger der Ilantsneyder, und Hain-
lieh seinGescll, Alber von Pabistorf. Seyfried Schûlenwùrlïel , Mcahtlrid der Mûnsser,
Albrecbt der Klebear, Ebcrhart Taneweachsel, dar Graiff, Conrald der frawen Sigolen
Man,Kunrat der Swabe und Wida. Das ist geschehen, do von Crists gepurde warn er-
gangen Tauscnt zwayhundert lar vnd darnach in dem achten lar, in dem AindlelTten lar
Rtimer steur lar.
(///(./,. p. 10 1.)
XXV.
Rescril des éiliecins de Miujdebouig coiiccrnaiil le droit héréditaire flamand.
(1559.)
Sprechen wir Schôppen zu Magdehurg vor Recht, dasz an eincm Ort Landes, nahc
bey .Alagdeburg, gelegen ûber die Elben, im Fleminçi genannt , im tôdtlichen Absterben
der Eheieule mit den nachgelassenen Giitern und Erbc nach Ubunge, Gebrauch und
aller verwchter Gewohnheit desselben Ort Landes dermaszcn gchalten wird", nemlich
wenn in dem Flemiiirj eiiw cheliche Persohn Todcshalben abgangcn und verhliehen ist,
und sein ehelich Gemahl, \\ cil) und Mann, sambt Leibes-Erben und Gûlcrn bat nach
sicji geiassen , alsdcnn nimbt die Frau oder Mann so am Leben, die helffte aller gelasse-
ncn Giiler, und die Kinder die andere helITtc. An Mangel aber der Leibes-Erben, so hat
DOCUMEi^ïS ET PIECES JUSTIFICATIVES. 365
die verstoibene Persohn des Ehcsiandcs aile ihre Guter, die zu Erbe iind Erbreclilo
gehôren, aiit' sciiieii gelasseneii Eiiegalten die iielirte, und auch scinen neclisleii Erbneh-
nien die andere heliTte , nacli obbcnieldter Flemischer Gewolmlieil gebraclit, und gefallet
von Rechtswegen vcrsiegeli mit unserm Insiegel.
(Werscbe, Il , p 683 ^
XXVI
Henri Vighe, éciiyer, surnommé le Hollandais, vend des parcelles de terre, situées
à Vlhlede, aux architectes de l'église Saint-Michel, à Brème.
(l-i77.)
Fck Hinric Vighc andcrs geheteri de Holler, I)ek<'nne und lictiige opcnbar in dessen
Brève vor my unde myne recliten Erven so alze zeiige [Jermen van Wersebe unde Hemien
sin Sone und Johan van Wersebe Carstens Sone my unde mynen Erven vortydes hebben
verkofi vor soslig lîremer Mark desset nascrcvcn Gud to utiede belegen nomptiiken een
verdcndcellandes unde veer were gelegcn im deni Dorpc unde an dem Vclde upp der
Ghest unde an der Marsch myt aller Reehligheil unde tobehoringe nae vunhoide twyer
bôvet Brève. Des dcn cnen Herman van Wersebe Hermen sin Sone unde Joban Carstens Sone
unde den andcren Breff Hinric van Wersebe Knapen besegeld liebben welke Guder unde
Brève erbenand ick nu jegcuwardigen — so ik der een roelu Holder bin — hebbe verkoft
unde myt crafft desses Brèves verkope lo enem steden vasten ewigen Ervekope in unde
niyl erafft deses Brèves den bcscbcdcnen Ludcn Alaricn Oldgors unde Bcyneken Sanders,
Buwmeslers der Kei'cken Sunte Micbaciis vor Brenien belegen unde ereii ÎVakomelingen
vor ene bescheden summen Geides de my deger unde allowilien we! betald is unde late on
de Guder unde Brève in cren egendiim l)csittinge unde wcre so men erve Guder myt rechte
lalen sehal und ik Hinric \'igbe unde inyiie Erven willen unde Scbiillcn den erbnand Buwc-
mcsteren to Sunte Michaeie unde cren Nakomelingen Buwmesters der vorgenanden Guter
unde hovet Brève myt aller Rechticbeit unde tobehoringe Reehte warende wesen unde
warschiip von wann unde so vaken on des bederf is unde dat van uns esschct edder esseben
latct ane unsse weddersprake, etc. — Desto Tugc hebbe ik Hinrick Vicghe erbenant vor
my unde myne erven boren unde ungeboren myn rechte yngeseg, to voren to dessen Brève
gehangen unde wenth desse vorscreven ewige ervekop myt unsscm guden Willen unde
ganlzcr vulbord is gcscheen yn Malhe alze vorscreven steyt. So hebben \vy Frédéric de
Huiler des gcnand Hinrikes Broder ok m'ge (?) Hinric de Holler des genand Hinrikes
366 HISTOIRE DES COLONIES BELGES.
veddcre unde Johun de Hollcr Fredcrikes Sone Knapen vor uns nnde unsse Ervcn unsse
reohten ingcs, lo moicn Tiichenisse of lo dcssen Brève gehangen.
(ievcn na Godes Bord verteinhunder Yar dar nae in deni seven unde seventigeslen
y-Are am avcnde Cosme et Damiani niart.
( Archiv des Verein?, fur Geschiclite und AlterlhDmer rter llei-
zoythumer JJremen und Verden, voii K. C. H. Kraiise, Sladi',
1S6Ô, i, p. 80.)
XXVIL
Albert l'Ours, marrjrave de Brandebourq , accorde des privt'lér/es à la ville de Sfoidal
{fondée par les Flamands).
.Albcrtus, divina faventc clemcntia, Brandcburgcnsis IMarchio. ^'oIuln sit omnibus
Christi iideiibus tam pracscntibus quani futuris qualilcr ego Adeibcrtus Dei gralia !\Iar-
ehio in terra ditionis nicae quae dioitur Balsameriand forum reruni venalium inslitui in
propria villa mea quac appellatur Stcndale ; eum antea competens in terra iila forum non
esset ubi legem hanc merces suas illuc advenienlibus indulgcri piacuit, quatenus a die
instilutionis hujus exinde per quinquennium telonii jura nnnquam persoivore cogerenlur,
incolas vero memoralae villae in tn-bibus ditionis meae, Brandenbourg, Havelberg, Wer-
bene, Arneburg, Tanghermunde, OEstcrburg , Saltvvcdele, et cunctis locis attinentibus
ab omni telonei exactione in perpetuuni absoivimus. Insuper eisdem per omnia justitiam
Magdcburgensium civium concessimus , eujus si forte aiiquando apud eos exccutio non
valuerit, in Magdeburgensi civitate justitiam suam ipsos exequi oporlebit. Areas supra
nominatae villae haercditario et libcro eis jure concessimus quatenus vendendi et pro
arbitrio suo disponendi liberam habeant facultatem, eo tamen modo, ut censum earum
arearum, quatuor videlieet nummos annuatim exinde persolvant. Judicialis potestas prae-
Cecturae judicialis praefatae villae Siendale honiini mco Oitoni ex meo bcncficiato jure
nbvenit, ubi duac partes mihi, tertia vcro praefato Ottoni aut heredi ejus jure debetin-.
Forum vero, qui illo postmodum inliabilaturi advenicnt , cum incolis praeteriti temporis,
tam in- agris quam in pascuis et silvis caeterisque rébus aequa in portione esse decre-
vimus. Hujus rei testes sunt Otto Marcbio, Wernberus comes, Tlieodoricus de Than-
germunde, Sifridus de Arneburg, liominnmque et ministerialium meornm quamplures.
( ttiicliliolz , Ceschichte der Mari: Urandenburg. )
DOCUMENTS ET PIÈCES JUSTIFICATIVES. 567
xxvm.
Formules de cerli/tcnt du Kirchgamu.
I. — A. Heuingen.
EIn hocringtsclier Ktrcbgaiit;Nbrler.
Zu wissen :
Deninacli cin Singiilare ius consuetudinarium , das tlàmische Redit genannt, — vcr-
iiiôge dessen ein jeder Hauswirth, welcher in liiesigcm Feld und Flulir, iind zwar vor
dcni Ilorti , in dcin Horn, liintcr dcni Horn, wic aiicli im Brcitcniand und in Eller gelo-
gcnes Land inid Wiesen besizzct, und verehclifhl ist, um dicscs seines Ehestandes einon
Kirehgang zu hallen schuldig, wenn er anders niclit in gnâdigster Herrschafi Stral'e, die
sieh auf dcn dritten Theil solhancr Lànderei und Wiesen erstrecket, bekannterniassen ver-
fallen wil , — von undenkliclien Jahren hieselbst introducirt, und bis daher unausge-
selzt exereirt worden, und deni laut untengesezten Dalo aueh der N.N. (Name) mit dessen
Frau Eheliebslen, ein solch Jtts observirt, und uhrallen Gebraucb naeh, ibren sâmnitli-
cben (liiniingiselien Grundsiiicke, an obbenannten Orten, mit eineni so genannten ganzen
flàmingiseben Kirebgange, bei Gottlob, gesunden Tagen, zur Kireiie und Strassen ver-
kirchganget, und die gewôhniiebe Kircbgangspfliciil allciseits vôHig beobaclitet,und rea-
liter pràsliret baben : Als ist wobiermeldeten Herrn N. und dessen aucli gedacblen Frau
Elieliebslen dièses zur Bescbeinigung ailes dessen in Gegenwart eines lioeinvohierwïndigeii
Miiiislerii, als — {nun fohjen die Narnen der Geistlidien, Scimhen und flàniin/jer), wis-
sentlicli und wohlbedàchtig ausgeslellet worden. Allermassen die hernachsiehenden drei
Herrn Sebulcollegen diesen Acium, mittelst eigcnbàndigcr Untcrscbift, attestiren und
bezeugen. So gesebeben, Heeringen ani i\. Tage, Monals iN. war Monlag naeh N. Sams-
lage (Name des Soiiiislags) des Jabres N. naeh Jesu Cbristi Geburt.
N. Rector. — N. Cantor. — N. Aeditlis.
II. A. GÔRSBACH.
In Gorsbach nlrd er so einserichlet.
Wir N. Pasior, N. Diaconvs, N. Cantor, i\. Sebultbeisz, N. N. N. N. die vicr verord-
neten Vormùnder derGemeine Gorsbach, ibun hiermit kund, en bekennen, dass N. und
N. geborne N. seine ebelicbe Hausliau, rccbter und gewôhnliclicr Weisc, da sie obne
jemandes Hiilfe mil gesundem Leibe zur Kirclien und Strassen liaben gehen konnen, von
368 HISTOIRE DES COLOMES BELGES.
alli-ii ihrcii tlainisclicn Gùtern, die sie liabcn, und noch bekommen môgcn, gekircli-
gaiigci, iiml iillc KiiThgiingspflichten und Gobiihr gcgobcMi und abgeslattci, ihun derowegen
solchcn Kiieligang von Gottcs und des durchlauchiigsU'n Fûrslen und llcnni N. N. Fùr-
sten von Schwarzburg, und des hociigebornen Grafcn und Herrn iN. N. Grafen von Stoll-
berg und Rossia, unserer gnàdigsien und gnadigen Herrn wcgen, eonfimiiren und bcstà-
ligen, dass er Kraft-Macbt babcn soll. Gescbohen Gorsbacb, u. s. w.
(Unterschrift.)
III. — A. Berga.
Drr I.elinlirle( in Bcrgn wlrd von dcni %nilniann in Kciltrii
ausgcstelt, und iiclsst un :
Zu wissen :
Das vor niir, dem Ratb inid AnUmann, hcutc (Dalo) — albier crschienen N. Amts-
Schultlicisz und Obcrflàmer aus Berga, nebst dcni Canlore N. imgleicben N. dem \'or-
und N. dem Langcn-Riclhs Schultheisscn daselbst, und brachten gcziemcnd vor, wie N.
und sein Weib N. geborne N. aus N. fliimiscben Gebrauch nacb, iiber 8 Aecker und
Wiesen, im Vor-Riethc gelegen, bei ihnen gemuthet, baten demnacb, selber gewobnli-
cher Maassen einen Kirebgangsbrief iil)er erwàbntes Ortes Sliicke zu erdieilen. A\ ie nun
solch ihr Sueben dem Ilerkomnien gemiisz befunden worden, so bal man bierubei- kein
Bedenken getragen, sondern allfort unter des hocbfiirstiicben Amts Hand und Siegel
solchen ausgefertigt , so geschehen Kelbra, u. s. w.
Ambt Kelbia. N. N- AMTMA^^.
(Hoclie, Historische Uutersuchung Uher die Xiederlândischcn
Kolonien, etc., pp. 107-109.)
XXIX.
Vmi dycken ende dyckieclit '.
Costume van Waze le bedykene est talis, quod quorum sunt agri a mare occupati , si
fuerint qui vebnt eos aggerare, oblinent vciroy sive consensum principis, et tune moneni
alios qui habent agros inundatos ut inlra certum tempus veniant coniribuentes secum ,
aiiàs perdent suas terras. Hoc videlur contra rationem, maxime contra illos qui non lia-
' Par Jnoques de Blazere, premier présideul et vice-président du Conseil de Flandre, du 24 décembre 1327
DOCUMEÎNTS ET PIECES JUSTIFICATIVES. 369
bent pecuniam ad manum. Sed tanu'ii de jure potest sustineri , pcr L. Si, Cod. de jure
reipublieac , lib. XI.
Servalur in stylo aggcrandorum fundorum adversus marc dut daer es eeii meentenare qui
est prelccliLs opei'i, die rerzoïtcl zijn ne.mers, et sunt illi qui certo precio accepto et con-
vento cum illo meentenaere capiunt faciundos aggeres centuin vci L mensurarum vel alio
numéro. Tune sunt ccrti LEnr,nERS, et sunt iili quorum est waze sive terra que aggeril)us
cingitur. Et illi habenl ad hoc octroy a principe , et cuni illis admittiintur omnes qui prius
ibi terrant liabuerunt, si conférant denarios.
Estetiam consuetudo quod dum iMEENTENAUE conducil taies, ipsi nemers faciunt sibi cau-
tionem quod bene operabuntur et complebunt opus. Et illa caulio est plerumque quod
omnes nemeus sunt sibi inviccin bonjhers ckk voor al. El si ipse jieentenare non cepil cau-
tionem suffîcientem a nemers, iinputct sibi si fugiunt.
Esletiam moris facerc eoi eveiiinrjlie , hoc est, cuilibet nicnsiire terre subjecto periculo
imponitiM- certus numerus secundum bonitatem terre. Et tune ponunt sepe, 1res, 4 vel
quinque mensuras stériles contra unamfertilem, et secundum hoc fit eontributio ad agge-
rum sumptus.
Est eliam vnlgata consuetudo d(U de lecgiiers bedijekeii al dal zij hij oclroy veniiofjlwn
alsser nitment en comt binnen kerajheboden oni zyu lundi oft rechl. Et fundatur de jure
per Berther. verbo dunus (?..), verso XXXIJ".
(D'après l'original, reposant aux Arcliivcs du Consoil de
Flandre,X,H»42,fol.'i3.)
FIN DES DOCUMENTS ET DES PIÈCES JUSTIFICATIVES.
Tome XXXII.
TABLE DES MATIERES.
AVANT-PROPOS ,„
INTRODUCTION 1
1 I. Emigrations des Germains, en général, et des Belges, en particulier (conquêtes,
pèlerinages, croisades, voyages, expéditions guerrières), faites presque toutes
avec esprit de retour Ib.
2 II. Emigrations ayant un caractère de perpétuité , faites sans esprit de retour. Colonies
belges en Allemagne aux douzième et treizième siècles 8
§111. Enoncé de la question. Sources de la matière: peu ou point dans les Pays-Bas;
presque toutes en Allemagne 17
§ IV. Situation de la basse Allemagne. — Slaves et Germains. Antipathies de races. Guerre
d'extermination. Dépeuplement. — Appel fait par les prélats et les princes aux
peu|)les des Pays-Bas 2S
I V. Causes qui amenèrent les émigrations des Belges 33
PREMIÈRE PARTIE.
HISTOIRE DES COLONIES BELGES QUI S'ETABLIRENT EN ALLEMAGNE
AUX Xll"»' ET XIII""^ SIÈCLES.
DIVISION I.
Colonies fondées par des prélats.
CHAPITRE I. Brème (H06) 33
— II. Holstein (1120) 67
§ I. Cercle de la Wilster 69
§ II. Cercle de la Stôr 71
§ III. Cercle d'Elmshorn. 72
372 TABLE DES MATIERES.
Page-..
CFIAPITRE III. Thuringc 74
g I. Goldcne Aùc{ll-i7) 75
§ H. Erfurt (1153) 80
I m. Naumbours(llô7) 82
— IV. Misnic(113G) 87
— V. Anhalt(M59) 90-
— VI. MagiIcI)Ourg (llf)7) 95
— Vil. Basse-Lasace (avant liOOj ■ . . 97
— Vill. Silésie (treizième siècle) 99
g 1. Basse Silésie 100
§ II. Jlaiite Silésie lOS
DIVISION II.
Colonies fondées par des princes.
CHAPITRE I. Wagrie(ll4ô ou ll4'i) lOfi
— II. Branclei)ourg(M4()) 110
— III. Cercle de Jùterbock (M 30) 121
— IV. Cercle de Bitlerfcld (1153) 133
— V. Saxe-Éleclorale (llo7) 141
— VI. Mecklcnboiirg (MGO) 143
= _ VII. Laucnhourg (1160) 146
— VIII. Poméranic (après 1200) 148
— IX. Ukermarck (treizième siècle) 1 49
— X. Autriche (1208) 154
— XI. Pays de Culm (avant 1232) 155
— XII. Cercle de Lebus (avant 1262) 156
DEUXIEME PARTIE.
DROIT.S ET PRIVILÈGES IMPORTE.^ OU OBTENUS PAR LES BELGES EN ALLEMAGNE.
Préliminaires 159
g I. Installation des colons dans les endroits qui leur étaient assi-
gnés /fc-
g II. Droit flamand. Droit hollandais. Observations générales. . . 165
CHAPITRE I. Droits généraux 170
Sectio.\ I. Droit de liberté /6-
— II. Droit de propriété 171
TABLE DES iMAÏlÈRES. 375
Pages.
CHAPITRE I. Section 111. Droit de juridiction indépendante 170
§ I. Pouvoir administratif 178
§ II. Pouvoir judiciaire 181
— IV. Droit de succession 183
§ I. Droit de transmission ou d'adhéritance . . 184
§ II. Droit d'hérédité 180
V. Droit de conserver leurs propres mesures IIM
— H. Droits spéciaux l'JiJ
Section I. Brème /^•
— II. Holstein I'J9
g I. Cercle de la Wilster Ib.
% II. Cercle de la Stor ' 202
— III. Thuringe 204
g I. Goldene Aùc Ib.
1. Kirchyaiicj 205
II. Serment sans vahe 217
§ II. Erfurt 222
§ III. Cercle de Naumbourg 233
— IV. Misnie 253
— V. Anhalt 241
— VI. Silésie 244
— VII. Brandebourg 231
— VIII. Bittcrfeld , 234
— IX. Saxe électorale 263
— X. Autriche 2CC
TROISIEME PARTIE.
DE L'INFLUENCE DES COLONIES SUR LA CIVILISATION DE L'ALLEMAGNE.
Préliminaires 267
Section I. Fondation de villes et de villages 271
— II. Religion 273
— III. Églises. — Architecture. — Matériaux de construc-
tion 276
— IV. Langue. — Traditions 284
— V. Endiguements et dessèchements 297
CHAPITRE I. Coutumes usitées dans les Pays-Bas et surtout en Flandre sur le dicage. 298
— II. Dessèchements 502
§ I. Polders Ib.
374 TABLE DES MATIERES.
Page
g II. Marais 304
§ III. Walcringucs 507
CIIAPITHE III. Coutumes usitées spécialement en Hollande, en Zélande et en Frise. . j08
§ I. Inondations 309
g II. Art de construire les digues 312
§ III. Fonctionnaires 515
§ IV. Mode de construction 314
g V. Ustensiles 51.')
— IV. Pays où les Belges établirent des digues 517
§ I. Brème Ib.
% II. Ilolstein 5J9
§ m. Thuringe 520
% IV. Anhalt 521
§ V. Magdebourg 322
§ VI. Brandebourg Ib.
Section VI. Agriculture 524
g I. État de l'agriculture en Belgique aux dou-
zième et treizième siècles 52.*i
§ II. Mode de culture pratiqué dans les Pays-Bas. 527
§ III. Des résultats agricoles obtenus parles colons
belges en Allemagne 550
DOCUMENTS ET PIECES JUSTIFICATIVES.
1. Colonisation du village de Woesten par Thierry et Philippe d'Alsace (1161) . 553
il. Frédéric, archevêque de Brème, accorde des privilèges aux Belges qui s'établis-
sent dans son diocèse (llOti) 554
III. Lettre de vente entre Jean de Campe et Jean de Nieukerke (1540) 555
IV. Borchard, comte de Mansfeld, fait don d'une ferme flamande à l'abbaye de
VValkenricd (I2GC) 336
V. Borchard, de Scrapclowe, fait don de quatre fermes flamandes à la même
abbaye (1282) 557
VI. Henri de Sangersbausen et Frédéric de Berga vendent à la même abbaye la
. ferme dite Vlemingesgut (1291) Ib.
VU. L'abbé de Walkenried cède l'usufruit de deux champs flamands (1512). . . 358
VIII. Wichmann, évêque de Naumbourg, accorde des privilèges aux Belges établis
dans son diocèse (1152) Ib.
IX. L(^ même cède à son église le revenu du marché de la ville de Naumbourg
(1152) 359
l.\''". Berthold, évêque de Naumbourg, attribue, par échange, à l'abbaye de Porta,
le village de Flemmingen (1205) 540
-K. Extraits de la Chronique de Porta, relativement aux Belges du Naumbourg. 541
TABLE DES MATIERES. ÔT.'i
Pages.
XI. Jean, évèquc do Misnic, conlinnc la vente du village de Korvii, (iiile au.\ Fla-
niands par son pi'édéce.sseur Geruiig (1514) 545
XII. L'abbé de Ballensledl vend deux villages wendes aux Flaniauds (Ilo'J) . . 34i
XIII. Conrad II , duc de Silésic, fonde le village de Zedlilz d'après le droit teuto-
flamand (I2IJ7) 54;»
XIV. Le même fonde le village de Pogel d'après le droit flamand (1259) 54(i
XV. Othon IV, duc de Silésie-Breslau , accorde à la ville de Kreusbourg le droit fla-
mand (1274) ."47
XVI. Les ducs d'Oppeln et de Ratibor établissent une cour supérieure pour tous les
villages fondés dans leurs États d'après le droit flamand (1 280) 54X
XVII. Henri, évcquc de Breslau, restitue à la ville de Neisse le droit flamand (1510). 54!l
XVII"'. Sur l'origine de la Socit'ïe (/es F/a)»((Hrfs, à Bitterfeld 3;j(l
XVIII. Extiails de la Chronique de Billerf'eld , relativement aux Flamands de ce bail-
liage 551
XIX. Première notification faite aux Flamands de Bitterfeld par le receveur royal
des impôts (1726) 352
XX. .Seconde notification faite aux Flamands de Bitterfeld par le même receveur
(1750) 555
XXI. Réponse des Flamands (1730) Ib.
XXII. Nouveau code des Flamands de Bitterfeld (177f)) 555
XXIII. Ancien code des Flamands de Bitterfeld (1587) 5(i2
XXIV. Léopold le Glorieux, duc d'Autriche, accorde des privilèges aux Flamands de
SCS États (1208) 5(15
XXV. Rescrit des échcvins de Magdebourg concernant le droit héréditaire flamand
(1539) 5C4
XXVI. Henri Vighe, le Hollandais, vend des parcelles de terre aux architectes de
l'église Saint-Michel, à Brème (1477) 5(i5
XXVII. Albert l'Ours, marquis de Brandebourg, accorde des privilèges à la \ille fla-
mande de Stcndal (1 145?) 36()
XXVIII. Formules de certificat du Kirchgang 567
XXIX. Van dyrkeii ciiile ilijckreclit {i5-27) 368
Hy DE L.4 TABLE DES MATIERES.
ÉCOLE FLAMANDE
DE PEINTURE.
CARACTÈRES CONSTITUTIFS DE SON ORIGINALITÉ,
M. A. WIERTZ,
ARTISTE PEINTRE.
(Monioire couronné le 2i seplenilïre 1863.)
Palrii
Tome XXXII.
y
ÉCOLE FLAMANDE
DE PEINTURE.
CARACTÈRES CONSTITUTIFS DE SON ORIGINALITÉ.
« Déterminer et analyser, au triple point de vue de la composition, du
dessin et de la couleur, les caractères constitutifs de roriginalité de récole
llamande de peinture, en distinguant ce qui est essentiellement national de
ce qui est individuel. »
Cette question, posée par l'Académie, est une idée heureuse; voici poui-
quoi :
L'art aujourd'hui est entré dans une période de décadence; les honnes
traditions s'oublient, les grands maîtres sont incompris. En vain l'on cherche
des routes nouvelles, des principes nouveaux, on ne produit que de mal-
heureux résultats. A défaut de qualités solides, on vise à l'originalité, une
originalité, hélas! (|u'on ne saurait louer. L'extravagance, la fantaisie, le
caprice, les modes, tout cela semble remplacer le génie, l'étude et le lalenl.
On nie Phidias, on nie Raphaël, on nie Rubens, on nie tout ce que la raison
a de tout temps admiré , tout ce que les siècles ont constamment approuvé.
Le culte du beau est dans un désarroi complet.
Cet étal de choses a des conséquences funestes. L'Académie l'a senti el
elle s'en est émue. Elle a compris le danger que courent nos jeunes artistes;
4 ÉCOLE FLAMANDE DE PEINTURE.
on bonne mère, elle a jelé un cri de rappel, et ce cri, c'est la question
qu'elle vient de poser.
Parler de l'école flamande alors qu'on ne l'étudié plus, parler de conipo-
silion alors qu'on ne sait plus composer, parler de dessin alors qu'on ne sait
])lus dessiner, parler de couleur alors qu'on ne sait plus colorier, parler d'ori-
ginalité alors qu'on cherche l'originalité dans le faux, dans Tabsurde, parler
de tout cela , n'est - ce pas ébranler l'esprit des successeurs de nos grands
maîtres? N'est-ce pas leur dire : Revenez au giron de la grande école! Secouez
le joug des modes corruptrices! Abandonnez les principes erronés, les puéri-
lités ridicules! Revenez, revenez aux études sérieuses et viriles! Tâchez de
régénérer cette superbe école flamande, l'admiration des siècles, la gloire de
voire pairie !
Telles sont les raisons qui nous font dire :
La question posée par l'Académie est une idée heureuse.
Nous savons combien nous sommes téméraire en écrivant ces lignes , com-
bien la lâche que nous nous imposons ici est au-dessus de nos forces; mais
on nous pardonnera , nous l'espérons , en faveur de noire sincérité et de nos
convictions.
Sans autre préambule, nous entrons en matière; nous tâcherons d'être
clair, vrai et concis.
Nous divisons ce travail en trois parties : la première est consacrée à la
composition, la deuxième au dessin, la troisième à la couleur. Nous termi-
nerons par un chapitre concernant l'école flamande moderne.
L'ECOLE.
L'école flamande, c'est Técole de Rubens; c'est cette pléiade d'artistes qui
marcha sur ses traces. Avant eux, notre peinture a peu d'éclat, elle n'a pas
un caractère national bien décidé. Après eux, l'école flamande tombe dans
une dégénérescence fatale. L'époque glorieuse de notre peinture est donc celle
de Rubens et de sesdisci|)les, et cette époque, si féconde en grands peintres,
finit pour ainsi dire avec eux.
De notre temps, une dernière étincelle des vieux maîtres brillait encore :
celte étincelle, c'était Ilerreyns.
Si l'on étudie attentivement l'école flamande, si l'on cherche les bases sur
lesquelles s'appuient ses principes, on reconnaît tout d'abord quelle est son
origine :
L'Italie est sa mère.
Florence l'inspire dans le choix de la forme et ragencement des groupes.
Venise lui a|)prend les charmes de la couleur, les secrets du clair-obscur.
.Michel-Ange, Raphaël, Vinci, Corrége, Titien, Véronèse, sont tour à tour
interrogés par elle.
De tous les sucs recueillis en Italie, le fondateur de l'école composa son
miel. C'est à ce trésor de science que tout un peu|)le d'artistes vint puiser
à pleines mains.
Les grands peintres impiiment toujours dans leurs œuvres deux cachets :
lun, celui de leur originalité propre; l'autre, celui des maîtres qu'ils ont étu-
diés. C'est une loi éternelle.
fi ECOLE FLAMANDE DE PEINTURE.
Ainsi, lo chef de l'école flamande allie à Pari italien ses qualités indivi-
duelles, et cette association lui permet d'atteindre aux plus heureux résultats.
Le génie greffe sur le génie produit des fruits merveilleux.
L'originalité est ou n'est pas une (|ualilé louable : certains talents, cer-
taines écoles se caractérisent par une originalité hlàmable. Disons de suite
que l'école llaniande, elle, se distingue avantageusement par les qualités qui
lui sont propres. Son originalité est tout au profil de sa gloire.
PREMIERE PARTIE.
COMPOSITION.
Par composilion, il faut entendre l'assemblage des divers objets contenus
dans un tableau. Cet assemblage a des règles nombreuses, elles sont généra-
lement connues : nous ne citerons que celles (lui sont nécessaires à nos
observations.
Bien composer, c'est à la fois charmer les yeux et parler à Tâme.
La composition charme les yeux lorsqu'elle oITre :
Variété dans le choix des objets,
Grandeur dans la disposition des lignes.
Mouvement dans l'ensemble des masses ,
Perfection dans la forme des groupes ,
Harmonie dans le jet des lignes.
Disposition heureuse dans les eflets du clair-obscur,
Choix d'objets favorables aux charmes de la couleur.
Elle est expressive lorsqu'elle présente :
Une ligne synthétique, caractéristique du sujet,
Richesse d'idées caractéristiques ,
Unité, économie et concision ,
Choix convenable de caractères , de formes et d'accessoires.
Afin de faire comprendre clairement notre pensée sur la composilion ,
analysons un tableau de Rubens. Les œuvres de ce maître serviront souvent
dans le cours de ce travail : le caractère de l'école flamande est tout entier
dans son chef.
8 ECOLE FLAMANDE
Le moiivemenl des lignes, rarrangement des groupes, la variété des for-
mes, la disposition des masses, tout cela peut-il s'exprimer parle discours?
La plume peut -elle suivre le pinceau? La phrase peut- elle préciser les
ondoiements de la. ligne? Nous ne le pensons pas.
Qu'on nous permette donc de joindre le crayon à la plume.
Voilà Pesquisse au Irait de ce tableau du grand peintre flamand.
Nous indiquons par lettres alphabétiques les parties auxquelles nous
DE PEINTL'RE. 9
renvoyons le lecteur. Ainsi notre analyse sera plus facile et nos observations
plus intelligibles.
Dans la composition, Uubens recherche avant tout le pittoresque; Tidée
toujours est subordonnée à l'aspect , soumise à cet arrangement séduisant sans
lequel un tableau n'a point de charme.
En composant, la première ligne que trace le maitre, c'est la ligne synthé-
tique (A) : elle embrasse toute l'étendue de la scène ; par son mouvement, elle
exprime déjà le caractère du sujet. Dans le tableau des Amazones, cette ligne
est une déroule; dans celui de Constantin contre Maxence, elle est un choc;
dans la Chute des Réprouvés, un écroulement.
Dans le tableau qui nous occupe, la ligne synthétique représente une
marche.
La première ligne tracée (A) , Rubens dessine les grandes lignes secon-
daires (B) : elles forment des masses mouvementées que j'appellerai embryon-
naires.
Au milieu de ces lignes harmonieuses, on devine déjà des êtres animés,
de nombreux groupes d'hommes; on voit de l'agitation partout, partout de
la vie. Il y a là tumulte, empressement, elïort. Il y a là un effrayant mou-
vement de sinistre présage. Il se passe là quelque chose de grand , d'impo-
sant, de terrible.
Telles sont les impressions que produit ici le mouvement des masses
embryonnaires.
Voici maintenant la composition complétée :
Dans celte seconde partie de son travail , Rubens apporte la variélé dans le
choix des o^/e/s ; peuple, soldats, femmes, enfants, vieillards, chevaux,
étofles, cuirasses, ciel, arbres, plantes. Après cette opération, le grand
peintre cherche \vi perfection dans la forme des groupes : contrastes, ron-
deur, variété, harmonie, mouvement; tout ici est réuni. Les groupes s'éta-
lent lanlùt en pyramide, tantôt en grappes. Rubens applique la forme arron-
die aux sujets tranquilles, la forme élancée aux sujets mouvementés. Cette
Tome XXXII. 2
iO ÉCOLE FLAMANDE
dernière forme est adoplée ici; les deux figures (AA) en sont un exemple
frappant : elles caractérisent à elles seules la manière du maître : les jambes
(BB) sont, au point de vue de ragencement, un trait de génie : elles expri-
ment merveilleusement rcmpre^ssement de la marche el impriment à toute la
composition un entraînement haVmonique. Ces trois lignes parallèles sont un
coup de fouet donné au mouvement général.
Les clisposilions heureuses dans les effels du clair-obscur favorisent tout
à la fois le dessin, le mouvemepl, la couleur, l'expression et le relief. Ici, les
masses d'ombre et de lumière sont distribuées avec un art infini. Il y a variété,
contraste, opposition, balancement; Tobjet se détache tantôt en clair sur
ombre (C) , tantôt en ombre sur clair (D); de toute part, jeu continuel du
lununeux et de l'obscur; de toute part, moyens ingénieux d'obtenir des
reliefs, dos contrastes propres aux effets et des effets propres à la couleur.
Voyez celte masse lumineuse partir du pied de la figure d'avant-plan (A);
elle marche, marche, gagne le dos d'un larron (E), la croupe d'un cheval
(F), l'homme qui le monte (G), et se perd dans les clartés du ciel. Voyez
cette autre masse lumineuse commencer à droite, au pied de l'enfant (H),
s'étendre sur la ^ladeleine, sur le bras d'un bourreau (I), sur le soldat à
cheval , el s'évanouir dans les groupes supérieurs du tableau. Merveilleux
enchaînements dont Rubens seul connaît le secret !
Dans le choix favorable aux charmes de la couleur, le maître est inépui-
sable en ressources ingénieuses : ici, ciel, terre, figures, draperies, acces-
soires, tout concourt à la splendeur du coloris.
Les chairs de l'esclave qui pousse (A), celles des bourreaux, celles des lar-
rons, des enfants et de la Madeleine, sont dans des conditions de pittoresque
admirable. Au moyen de la masse d'ombre (K), le dos de l'esclave prend de
la vérité et de l'éclat;, au moyen du manteau sombre de la Vierge (L), la
Madeleine devient fraîche et brillante. Au moyen des tons sourds du terrain,
le groupe d'enfants resplendit de fraîcheur.
Passons à la richesse d'idées caraclérisliques.
Voici un chemin tortueux, exprimant la montée du Calvaire; des hommes
à cheval, exprimant une grande escorte; un homme sonnant la trompette,
DE PEINTURE. dl
expriiiianl un grand événcmcnl. Les enfants jouant au milieu de ce drame
navrant, sont une antithèse frappante. Le bourreau saisissant le Christ par
les cheveux, offre une scène de férocité, caractéristique.
Le choix du caractère des formes et des accessoires est parfait dans cette
admirable composition. L'esclave qui pousse affecte un saisissant cachet de
grandeur, ses formes herculéennes sont bien adaptées au sujet. Le dessin
en général a la puissance qui convient aux temps bibliques. Cette page est
homérique par le fond , elle devait Têlre par la forme. l*eu d'accessoires
caractérisent la scène. La corde dont s'est armé le bras d'un bourreau, la
pique dont le Christ est frappé sont d'une grande force d'expression, deux
accessoires bien choisis et bien placés.
L'unité, l'économie et la concision sont des qualités où excelle encore le
grand maître flamand. Les lignes harmonieusement jetées, les lumières
savamment concentrées, les repos heureusement distribués, les forces adroi-
tement placées, constituent une parfaite unité. Ici, les regards sont attirés
partout, mais l'œil est ramené sans cesse vers un point : la croix. Effet mer-
veilleux ! cette croix semble le lien qui unit toutes ces grappes d'hommes.
L'économie dans les objets accessoires et la concision dans l'agencement
des groupes produisent tout à la fois force , grandeur, clarté. Nous ne voyons
l)as ici un objet inutile; les groupes sont serrés et bien nourris; pas une
figure ne peut être ajoutée; pas un objet ne jteut être retranché; tout est
sagement mesuré; espaces occupés et espaces vides sont ce qu'ils doivent être,
rien ne peut être changé.
La ligne de Rubens ne se corrige point. C'est un vers de Corneille.
/
DEUXIEME PARTIE.
DESSIN.
Il est une beauté que n'apprécie point le vulgaire, c'est la beauté pitlo-
resque.
Généralement, l'on confond le beau pittoresque avec le beau sensuel. Cette
confusion a donné lieu à bien des appréciations fausses. On accuse de laideur,
par exemple, les formes pittoresques d'une tète de vieille; pourquoi? Parce que
ces formes n'éveillent point d'idées qui flattent les sens. C'est dans cet esprit
d'appréciation que l'on juge trop souvent le beau en peinture. Aussi, quelle
opinion se fait-on généralement du dessin? Les hommes peu versés dans les
secrets de l'art vous disent : le dessin, c'est la forme sveltc, élancée, polie,
arrondie; le dessin, ce sont des contours bien nets, des détails bien exacts,
bien finis. Cette définition de la foule a été funeste à la renommée de l'école
flamande : longtemps on n'a vu dans les œuvres de nos maîtres que des formes
lourdes, communes et incorrectes, des contours indécis et négligés. Ce pré-
jugé, comme tous les préjugés, est accepté sans réflexion et sans examen.
Il importe de combattre ici ces erreurs populaires.
On compare sans cesse le dessin de notre école à celui de l'école italienne ;
on voit dans celle-ci les qualités les plus parfaites, et dans celle-là les défauts
les plus grossiers. Nous en demandons pardon au préjugé, nous ne sommes
pas du tout de son avis. Nous avons des raisons pour cela; nous allons cher-
cher à les faire valoir.
Le dessin n'est précisément ni l'exact, ni le fini. Le dessin est plutôt l'en-
semble, le caractère, le mouvement, l'expression, l'ampleur, la variété, la
grâce, la vérité, la vie.
14
ECOLE FLAMANDE
-Nous trouvons toulcs ces choses dans le dessin italien , il est vrai ; mais
nous les retrouvons souvent i)lus complètes dans le dessin tlamantl. Il est tel
tableau de Jordaens, ce dessinateur si calomnié, (jui ne le cède point à cer-
taines pages de Michel-Ange. Ce que nous disons là doit sembler bien
hasardé; (|u'on nous permette d'expliquer notre pensée.
L'école italienne v. Thabitude d'accuser la forme par un contour sec, dé-
coupé; l'école flamande, par un contour moelleux, fondu. Ces deux manières
produisent sur les yeux peu exercés des effets opposés : le contour sec, dé-
coupé, emporte avec lui l'idée de justesse, de précision ; le contour moelleux,
fondu, semble au contraire de l'inexactitude, de l'invraisemblance. Que
Michel-Ange dessine la chose la plus impossible, on a foi dans ses contours :
ils sont accusés avec force, avec netteté. Mais que nos maîti-es flamands mon-
trent les choses les plus vraies, on ne les croit pas : ils n'aflirment point par
le contour sec et découpé. L'un est semlilable au menteur qui en impose par
un air consciencieux et vrai, les autres à l'homme véridique auquel manque
l'aplomb qui fait des dupes.
Ce que nous venons de dire n'attaque point les beautés réelles de l'école
italienne; si nous dévoilons ces petites ruses de métier, c'est qu'elles égarent
l'opinion sur le véritable caractère du dessin de notre école.
Ce que nous venons d'avancer, nous allons chercher aie prouver. Qu'on
nous permette encore la démonstration du crayon jointe à celle de la plume.
Et d'abord, commençons par justifier Jordaens; ce maître porte souvent
à lui seul le fardeau des reproches adressés à l'école.
Voici un fragment de dessin d'après le grand
peintre flamand ^ :
En voici un autre d'après Michel-Ange :
' Les dessins du manuscrit étaient au crayon, et les pein-
tures étaient à l'iiuile. La reproduction n'a pu être d'une exac-
titude rigoureuse, on le comprendra.
DE PEINTURE.
15
Dans le premier, le vulgaire ne trouve point ce qu'il appelle la forme
correcte.
Dans le second, il croit voir la forme exacte.
Dans le dessein de Jordaens, les détails sont rendus avecle moelleux des
chairs; dans le dessin de Michel-Ange, avec celte sécheresse, celle fermeté
qui trompe.
Plaçons un autre dessin de Jordaens à côté d\m dessin de Michel-Ange.
Le dessin du maître florentin présente de la grandeur el du style, des
muscles larges el bien attachés, l'élude de Tantique et le choix idéal; le
tout modelé avec force el précision. Mais remarquons ceci : la figure de
Jordaens a des qualités non moins estimables : le muscle n'esl pas sculpté,
mais on le sent sous la peau; la forme n'est point grecque, mais elle est
nature ; le modelé n'est poinl ferme, mais il peint la chair. (]elte figure n'a
point la beauté de la statue, mais elle a la beauté du modèle vivant.
Que l'on accuse l'école flamande d'incorrection, d'invraisemblance, soit;
mais pourquoi cette sévérité, si souvent réservée à elle seule?
Le jugement dernier de Michel-Ange fourmille d'impossibilités sans nom-
bre : la proportion, la perspective, le modelé, l'analomie même, y oITrenl
des négligences saillantes.
Horace Vernet disait un jour : Michel-Ange sait, quand il lui plait, placer
des muscles où il n'y en a pas.
16 ÉCOLE FLAMAINDE
Nous croyons que c'est un devoir de ne pas s'incliner devant le préjugé.
Qu'on nous permeUe donc de demander si la main de ce bras est propor-
tionnée?
Si derrière celle montagne ioinlaine la perspective permet des figures de
celle dimension?
Nous citons ces deux exemples, trouvés à la chapelle Sixlinc, parce qu'ils
frappent les plus simples inlelligences.
Nous croyons inutile d'en dire davantage sur ce sujet. On a sulïisamnient
compris ceci : que l'on pardonne à l'art italien ce que l'on ne pardonne pas
à l'art llamand.
La peinture n'exige point le vrai réel, le vrai-mesure, le vrai-compas;
la peinture exige le vrai qu'on peut appeler le vrai apparent.
L'école flamande se dislingue en cela. Son dessin n'a point la correction
du réel, mais il a la correction du vrai apparent. Au premier aspect, le
dessin italien l'emporte; mais le dessin flamand prend bientôt sa revanche:
ses écarts sont des combinaisons habiles; ses fautes de dessin, d'adroils
slralagèmes; ses négligences, de savants mensonges. L'école flamande sait
plier un contour intelligent en faveur, soit de l'expression, soil du carac-
tère, soil du mouvement, soit de la couleur ou de la vraisemblance. Ces
DK PEI^^Tl'RK
il
artifices, ces monsongos sont les vraies illusions de Tari, les véritables secrets
(lu dessin.
Ces deux figures, lune de Rubens, l'autre de Michel-Ange, viennent ici
à l'appui de nos assertions.
L'une et l'autre de ces figures n'ont point la justesse inatiiémati(|ue, la pré-,
cision photographique; chacune d'elles a ses incorrections intentionnelles,
ses recherches intelligentes.
Les deux maîtres sont dans l'art d'imiter d'habiles prestidigitateurs. Mais
on remarque dans ces figures des différences qu'il esl impoitant de signaler :
elles caractérisent tout à la fois et d'une manière bien nette l'individualité
de Rubens et de son école.
Si nous jetons un regard sur les dessins ci-dessus, il est facile de saisir
les similitudes et les divergences qui les distinguent : d'abord une analogie
frappante s'aperçoit dans la pose, le mouvement et le caractère. Mais voici
en quoi les différences sont sensibles : la pose de l^lichel-Ange est énergique
Tome XXXII. 5
18
ECOLE FLAMANDE
el variée; colle de Rubens plus variée encore et plus énergique. Le mou-
vement du maître florentin est bien senti, celui du maitre flamand est plus
grand et plus expressif. Le premier a des formes alhléli(iues à la manière
antique, le second des formes athlétiques trouvées dans la nature.
Remarquons dans le dessin de Rubens cette grande ligne d'ensemble
de la tète au pied, cette courbure de la colonne vertébrale, cette grande
flexion de la cuisse et de la jambe droite, cette ondulation constante des
lignes d'ensemble et des lignes de détails, celle variété soutenue dans tous
les contours , celte morbidesse dans les chairs et ces muscles palpitants
sous la peau. Puis, remarquons Tèpine dorsale s'effaçant là où la lumière
est appelée, ces parties d'ombres sacrifiées à la couleur, ces muscles lom-
baires se perdant dans les replis si vrais de la peau. Toutes ces choses
sont les traits caractéristiques du maître. Elles deviennent plus sensibles,
plus faciles à saisir à l'instant qu'on les cherche dans son antagoniste. Ici,
la ligne d'ensemble est moins étendue, la colonne vertébrale a moins de
mouvement, les cuisses et les jambes ont moins d'action, la souplesse des
chairs est moins sentie et l'on n'aperçoit nulle part des sacrifices en faveur
du clair-obscur, du relief ou de la couleur.
Les combinaisons de Michel-Ange tendent à obtenir d'autres résultats.
Nous n'avons pas ici à nous en occuper.
Voici maintenant un autre exemple caractéristique du dessin de Ru-
bens.
Ces formes (A) ne sont point la copie
fidèle d'un modèle vivant, elles ne sont
point celles que choisissaient les Grecs : ces
formes sont l'idéal du beau pittoresque dans
toute l'acception du mot.
A côté de ce dessin (A) , nous en plaçons
un second, puis un troisième. Le second
(R) rappelle les formes de Michel-Ange; le
troisième (C) celles de l'antique. Ce paral-
lèle nous fournira des démonstrations nou-
velles.
DE PEI?JTURE. 19
Nous avons pointillé sur le dessin flamand le contour antique; parce moyen,
nous déterminons le caractère du dessin flamand , nous le rendons sensible
aux yeux et en quelque sorte palpable. L'originalité peut ici se mesurer par
millimètres.
Le dessin de Michel-Ange (B) nous montre un terme moyen , un milieu
entre deux grandes époques de l'art : l'époque de Phidias et celle de Rubens.
Michel-Ange est la transition de la forme grecque à la forme flamande :
l'acheminement vers le mouvement, la morbidesse et la vie.
Pour terminer, caractérisons d'un trait l'école flamande.
Les cin(| lignes ci-dessous tracées représentent cin(| caractères de maîtres
différents :
La première rappelle la roideur de la renaissance, la naïveté un peu
gauche du Giotto;
La seconde, le dessin déjà moins guindé et plus nourri d'Albert Durer;
La troisième, se ressentant encore des deux premières, rappelle la beauté
et la grâce de Raphaël;
La quatrième, la force et l'ampleur de Michel-Ange;
La cincpiième, l'énergie, le mouvement, la variété, le |)ittoresque de
Rubens.
f
J
MICHEL-ANGE. RUBENS.
École flamande.
■ M fc^ —
TROISIÈME PARTIE.
COLLEUR.
Généralement, on accorde une bonne couleur à l'école flamande. Cesl
son côté caractéristique le mieux connu, c'est aussi le moins contesté.
Quelques erreurs cependant se mêlent aux appréciations vulgaires. Nous
avons vu que l'on compare sans cesse le dessin flamand au dessin italien.
De même la couleur flamande est souvent opposée à la couleur vénitienne.
L'école flamande, dit-on, a du brillant, mais les Vénitiens sont plus vrais,
plus harmonieux. Voilà ce que répète la foule. Nous avons dit pourquoi
il est bon de combattre les préjugés : ici encore nous les rencontrons , ici
encore nous chercherons à rétablir la vérité.
Qu'enlend-on par une bonne couleur?
Les uns s'imaginent qu'elle consiste dans l'imitation parfaite de la couleur
propre à chaque objet. Les autres la cherchent dans certains tons dominants
sur toute la surface d'une œuvre : il y a des admirateurs de tableaux roux, des
admirateurs de tableaux gris, des admirateurs de tableaux noirs, et indé-
pendamment de ces diverses opinions, il règne une opinion générale, une
opinion souveraine, qui dure un temps, passe et se renouvelle. Ces manières
de voir changent comme la pluie et le beau temps. Le vent de la mode
apporte à son gré les tons bruns, les tons gris ou les tons jaunes. Tout le
monde se conforme à ces variations. On dit de la couleur d'un tableau :
« C'est la mode » comme on dit : « C'est la mode » en parlant de la forme
d'un chapeau.
22 ECOLE FLAMAINDE
Nous ne nous laisserons point guider par celte autorité d'un jour : notre
travail est sérieux. Nous avons à invoquer les lois du beau éternel; ces lois
seules serviront de base à notre examen.
La couleur donc n'est pas une cbose de fantaisie; la composition et le
dessin ont des règles, la couleur a des règles aussi.
Une bonne couleur , c'est la réunion des qualités suivantes :
Vérité ,
Variété,
Lumière ,
Vigueur ,
Harmonie,
Opposition,
Richesse,
Éclat....
Les ressources du peintre sont très- restreintes; le blanc de sa palette, par
exemple, n'est que de l'ombie. Pour que le blanc devienne lumière, il faut
des o[)posilions. Plus il y a opposition, plus il y a lumière; plus il y a
lumière, plus il y a relief; plus il y a relief, plus il y a vérité.
Il résulte de ceci que la gamme des tons brillants est la plus propre aux
saillies, aux profondeurs, à la rondeur, à l'illusion , à la vérité.
La gamme des Ions sombres a moins de puissance; seulement, elle conduit
le peintre à une harmonie plus facile.
La gamme aux tons brillants va du blanc pur aux noirs les plus in-
tenses.
La gamme aux tons sombres va d'un blanc sale aux grands noirs.
Si cette gamme est comme un instrument à trois octaves, la première est
comme l'instrument à quatre octaves, plus puissante que l'autre.
Avec une gamme bien composée , l'artiste n'est pas encore coloriste ; s'il
a l'instrument, il lui faut encore l'art de s'en servir.
La distribution de l'ombre et de la lumière, le choix des tons convenables
à cette distribution, l'opposition des teintes chaudes aux teintes froides,
l'économie dans l'intensité des brillants, l'harmonie, etc.; tout cela doit être
DE PEINTURE. 23
connu du peintre coloriste. Une science qu'il ne peut ignorer surtout , c'est
la science du clair-obscur.
Le clair-obscur en elTet est presque à lui seul la couleur. Voyez une
estampe d'après Rubens , un de ces clairs-obscurs traduits par Bolswert : cette
estampe n'est pas une estampe, c'est un tableau complet; on y voit toutes
les ricbesses de la palette.
Si la plume a peine à décrire l'accident de la forme , quelle doit être son
impuissance à décrire la nuance des tons.
Nous avons à parler des couleurs, c'est avec des couleurs que nous devons
expliquer notre pensée.
Prenons des esquisses d'après Rubens et Titien.
Si nous recberchons les traits caractéristiques dans desimpies esquisses,
qu'on ne s'en étonne point. L'esquisse, — supposons-la suffisamment exacte,
— renferme les qualités constitutives de la couleur. En effet, la couleur est
bien plutôt dans l'ensemble que dans le détail. Les masses d'ombre et de
lumière, les oppositions, la variété, l'éclat, la vérité, l'barmonie, toutes ces
qualités ne sont-elles pas dans l'effet général? Au premier coup d'œil, on
juge la couleur d'un tableau; on la juge bonne ou mauvaise, avant l'examen
du détail. xUi milieu d'une vaste galerie, on saisit, on trouve aussitôt l'œuvre
la mieux coloriée. L'effet du premier coup d'œil , c'est l'effet de l'esquisse.
Le premier regard jeté sur ces esquisses nous dit qu'elles sont dans les
conditions de la bonne couleur. Toutes deux ont le brillant, le lumineux
qui attire. Toutes deux ont cette vigueur, cette force qui étonne, cette
vérité, cette liarmonie qui encbantent.
Les différences caractéristiques sont faciles à saisir.
DIFFERENCE DANS LE CLAIR-OBSCUR.
La lumière et les ombres du Titien offrent des masses découpées (A), peu
liées entre elles, nuisibles à l'barmonie. La lumière et l'ombre de Rubens
offrent des masses mieux liées, plus propres à former un bon ensemble. Le
1
24 ECOLE FLAMANDE
peinlic vénilicn dispose indifféreinmcnl ses clairs sur tous les objets (B).
Le peintre flamand dispose toujours ses clairs au profit du brillant des
chairs (A). Titien distribue, sur toute la surface, des forces de même valeur.
( A C C C). Rubens distribue les forces avec économie et gradue sans cesse
leur degré d'intensité (BBB). Le premier varie peu ses oppositions d'ombre
el de lumière, le second varie sans cesse le jeu du clair et de Tobscur.
DIFFERENCE DANS LE CHOIX DES TEINTES.
Dans Pœuvre de Titien, nous voyons la gamme des teintes sombres. Dans
celle de Rubens, la gamme des teintes brillantes. Titien semble rechercher
les teintes chaudes que donne parfois le crépuscule. Rubens semble imiter
hardiment Téclat que donne la lumière du jour. Les carnations du Titien sont
d'une teinte généralement brune, dorée, uniforme. Les carnations de Rubens
sont tantôt brûlantes (C), tantôt rosées, tantôt argentines. Le premier donne
aux ombres de ses chairs des teintes rousses, brunes ou noires (D D). Le
second des ombres légères, transparentes, aériennes (DD).
DIFFÉRENCE DANS l'iIARMONIE DES TEINTES.
Ici une grande analogie existe entre les deux maîtres. Le peintre flamand
s'est moins écarté du peintre vénitien. Rubens aussi bien que le Titien
sait où placer une draperie rouge (E E E), bleue (B), ou jaune (FF); il
sait, comme lui, accorder par des glacis, équilibrer par des rappels, lier
par des échos. L'harmonie de Rubens ne diffère de celle du Titien que par
l'éclat.
Placez un tableau de Titien au soleil, vous aurez l'harmonie de Rubens.
DIFFÉRENCE DANS LE CHOIX DU VRAI.
La nature se montre sous bien des aspects : elle se colore de rouge au
soleil couchant, elle prend des tons argentins au soleil du midi, elle devient
i/rni. ruur t XXX/f_
.tffin cour, t XXX if
DE PEIÎNTURE. 25
sombre et bleuâtre au clair de lune. Quelle que soit la couleur qu'elle
cnqjrunte à la lumière, elle est toujours vraie. Une vaste latitude est donc
laissée à l'imilalion; de là résulte un grand embarras pour le peintre; que
doit-il choisir?
Au point de vue de l'art, la nature a deux vérités : la vérité rare et la
vérité ordinaire.
Une vérité rare, c'est par exemple un ciel rayé par le feu des éclairs,
ce sont des chairs éclairées par la lueur des flammes. Une vérité ordinaire,
ce sont des objets hors de toute influence qui les dénature, hors de toute
condition qui en change la couleur propre.
Le coloris v}'ai rare et le coloris vrai ordinaire sont tous deux possibles,
("xcellents, puisque tous deux sont vrais. Mais ce qui est le vrai rare semble
en peinture moins vrai que ce qui est le vrai ordinaire. D'un côté, il y
a la vérité simple, de l'autre la vérité vraie.
Rubens a la vérité vraie.
Ce (jue nous venons de dire de l'harmonie et de la vérité combattra-t-il
sutfisammenl ce dire populaire : « Les Vénitiens sont plus vrais, plus har-
monieux ? »
Si nous n'avons pas réussi à nous faire comprendre , que l'on jette un
regard sur nos esquisses; la démonstration peut-être sera plus frappante :
peut-être pourra-t-on se convaincre que l'harmonie des teintes de Rubens
n'est pas moins parfaite que celle des teintes du Titien, et que la vérité y est
mieux choisie.
On objectera peut-être que nos esquisses sont des exceptions; que c'est
par l'ensemble des œuvres qu'il faut juger un maître. A cela nous répon-
dons que ces deux exemples représentent assez la manière de nos grands
coloristes et que, eussions- nous sous les yeux vingt autres tableaux, nous
n'aurions pas d'autres traits caractéristiques à signaler.
Tome XXXU.
26 ÉCOLE FLAMANDE .
El maintenant, quelques l'eniarques sur le clair-obscur.
Le clair-obscur, on le sait, fait partie intégrante du coloris.
Les deux dessins ci-joints résument, le premier, le clair-obscur du Titien,
le second, le clair-obscur llamand.
Supposons (|ue dans le tableau du Titien un maître flamand apporte des
cbangcments à sa manière , ajoute ce qu'il croit devoir y substituer selon ses
principes : jetant ici des ombres , là des lumières. Supposons enlin qu'il
transforme le clair-obscur vénitien en clair-obscur flamand. Cette trans-
formation donnera un résultat curieux, elle jettera un grand jour sur un
point important de l'originalité de l'école flamande.
Disons d'abord ce que le maître flamand admet, ce qu'il ne cbange
point.
L'opposition dés masses obscures (A A, premier dessin) aux masses de lu-
mières (BB), la lumière ménagée sur les chairs (CCC), les échos (DD).
Ce qu'il n'admet pas, le voici : les trois niasses obscures, divisées et diri-
gées parallèlement (EEE ); la ligne des apôtres, découpée en silhouette noire
sur le ciel clair (F F); les masses tranchées de la ligure de la Vierge
(G) et des figures du haut de la toile (H II); les chairs peu lumineuses de
la Vierge et celles de quelques apôtres; la lumière papillolée des anges dis-
persés dans le ciel; la masse vide et uniforme de l'espace (1); retendue vide
et uniforme du ciel à l'horizon ( K K ) , l'égalité de force dans toute l'étendue
du tableau; l'uniformité générale dans les chairs, les draperies et les acces-
soires.
Signaler ce que le peintre flamand désapprouve, c'est appeler les regards
sur les points tpi'il tiansformc :
Les trois masses d'ombres divisées et parallèles sont corrigées d'abord par
les deux moyens suivants : l'ne masse obscure (rocher, muraille ou tombeau),
(A, secoml -dessin) lie la ligne des apôtres à celle des anges. Une autre
masse (nuages ou figures) va de la ligne des anges à la troisième ligne (pii
couronne le tableau (H). Ces deux niasses posées comme trait d'iuiion amènent
deux autres changements importants. Premièrement, elles rompent la mono-
tonie de la masse vide du haut du ciel; secondement, elles coupent l'étendue
vide du ciel à l'horizon. Deux movens rendent aux chairs sombres de la
Mrm roiir I .O,»//.
p. -id *
Mrni rinw ( XX \ //.
p. z6 'f^
DE PEIÎSTURE. 27
Vierge une lumière resplendissante : Péclal du fond allénué par les nuages
déjà ajoutés, el la lumière vivemenl frappée en échos. Des clairs répandus
çà et là lient les chairs brillantes des anges el en font un seul tout. L'uni-
formité générale devient un ensemble varié par les oppositions, les rappels
et les réveillons. L'égalité de force est rompue par quehiucs points d'un brun
puissant, -faisant trombone dans celle harmonie pittoresque de lumière et
d'ombre (CGC).
Voilà le tableau italien devenu une œuvre flamande.
RESUME.
Après ce que nous venons de dire, nous croyons pouvoir nous résumer
ainsi :
Ce qui conslilue Toriginalilé de Técole flamande, c'est :
Au point de vue de la composition :
L'iiabilclé dans la variété, la grandeur, le mouvement, Pexpression,
l'harmonie, les lignes synthéliques, l'agencemenl.
Au point de vue du dessin :
Le choix de la forme pittoresque, de la forme grande, mais vraie, de
la forme qui se prête au mouvement, à l'expression, au coloiis.
Au point de vue de la couleur :
La supériorité sur toutes les écoles dans l'art de distribuer la lumière et
l'ombre, de porter haut l'éclat, la vigueur, la vérité, l'harmonie.
CAUACTEUE GENERAL DES ECOLES.
L'école florentine se dislingue par le dessin.
L'école vénitienne se distingue par la couleur.
L'école lombarde se dislingue par la grâce et le clair-obscur.
L'école hollandaise se distingue par la vérité et le fini.
L'école flamande, elle, se distingue par ce qu'il y a de plus important
dans l'art : Le beau pitloresque.
ÔO ÉCOLE FLAMANDE
INDIVIDUALITES DANS L ECOLE.
Quel(|uc'S indivicliialilés se dislingiu'iil dans l'école , nous citerons les
|)n'iicipales.
Van Dyck a (ouïes les qualités du chef de l'école, mais à un diapason
moins élevé. Sa composifion a du mouvement, de la vie; son dessin, de la
vérilé et de la grâce. L'originalité de ce maître se manifeste en ceci : gamme
de tons généralement sombre, grise |)arfois. Harmonie d'une incomparahh'
perfection. Emploi d'un certain brun auquel on a donné son nom. Clair-obscur
plein de mystère et de charme, modelé parfait.
JoRDAENS compose avec une fougue qui le place bien près de Hubens.
Son dessin a beaucoup de grandeur et de vérité. Comme Van Dyck, son
originalité est toute dans la couleur. Il se distingue par le choix des tons
brûlants, par les o|)positions violentes, par une gamme dans les teintes de
l'arc-en-ciel. Au milieu d'une galerie où Rubens même étale ses splendeurs,
•lordaens est un feu, un volcan, un soleil.
CiUAYER est simple, tempéré dans les diverses parties de l'art. Il se dis-
tingue j)ar une harmonie parfaite et une vérité qu'on ne se lasse pas d'admirer.
Tenieus semble n'ambitionner qu'une chose : égaler les plus grands maîtres
dans Fart d'exprimer le vrai. Son originalité est saillante dans le choix des
sujets, dans la manière de les composer et de les rendre.
DE PEINTURE. 51
ÉCOLE FLAMANDE MODERNE.
L'nil ('8l Mil édilico où clinciin appuile sa pierre. C'est une pyrainitle
aux i)ro|)orlions gigantesques; d'intelligents ouvriers l'ont élevée au point
où nous la voyons. Depuis Phidias jusqu'à Rubens, le monument a pro-
gressé. Jusque-là tout s'appuie sur un plan unique, régulier. Les grandes
assises sont taillées dans des conditions de solidité et de durée; elles s'en-
chainenl, se combinent, se soutiennent mutuellement. L'édifice de l'art est
l'œuvre des génies les plus renommés, il est le type immuable du I)eau ; nul
n'oserait le démolir.
Les générations qui se succèdent sont appelées à continuer l'œuvre, mais
(|uand des ouvriers nouveaux sont impuissants, quand le découragement
les saisit, étourdis, éperdus, ils s'écartent du plan primitif et cherchent à
en établir de nouveaux. Alors, il y a conl'usion parmi les travailleurs; l'édi-
fice de l'art cesse de s'élever, il s'arrête dans son achèvement , il devient
Rabel.
Ln spectacle navrant alors frappe le regard. A côté de l'édifice majes-
tueux, surgissent de petits édifices monstrueux. Ce sont les œuvres de nos
travailleurs découragés, enchaînés aux capiices des modes, livrés aux folies
de l'individualisme.
.-^2
ECOLE FLAMANDE
(lette situation s"a|)i)olle décadence.
/D£lAD£A/C£
'RUBENS.
RAPHAËL.
MICHEL-ANGF.;
PHIDIAS
D£CAZ)£'/\/Cr.
^^.
EDIFICE DE l'art.
Trois clioses principales amènent la décadence : la première, c'est l'inca-
pacité et le découragement; la seconde, lamour de la nouveauté; la troi-
sième, les caprices de la mode.
La nouveauté a tant d'attraits pour nous qu'un bonheur continu nous
fatigue, qu'un excellent mets souvent servi nous fatigue, que l'aspect
constant d'un beau ciel nous fatigue.
Quand Paris oublie Talma el admire un danseur de corde, c'est qu'il est
fatigué; quand il s'écrie : « A bas Racine! Vive le romantisme ! » c'est qu'il est
fatigué; quand il demande qu'on le délivre des Grecs et des Romains, c'est
qu'il est fatigué.
L'amour de la nouveauté est si grand parmi les hommes , qu'ils chan-
geraient, s'ils le pouvaient, la nuit en jour, le soleil en lanterne.
La mode, troisième cause de décadence est d'une inlluence immense : la
mode trompe les yeux, trompe l'esprit, trompe le bon sens. La mode nous
habitue au ridicule, à l'absurde, à l'impossible. C'est elle qui a inventé celle
belle définition : le beau, c'est le laid!
Notre époque, nous l'avons dit en commençant, est une époque de déca-
dence.
Ce mol décadence, à propos de nos peintres modernes, doit sonner mal
à certaines oreilles. Un des symptômes de la décadence, c'est d'être invisible
à ceux qui la subissent. Ainsi un brouillard répandu dans l'atmosphère ne
semble point exister là où se posent nos pieds.
Avant d'aller plus loin, acquittons-nous d'un devoir; au milieu des apos-
tasies qui nous environnent, il y a d'honorables exceptions.
Cela dit, continuons.
DE PEINTURE. 33
Après la glorieuse époque des grands niailres flamands, les nnitaleurs pul-
lulèrent : ils ne furent point imitateurs comme lUibens Pavait été du Titien,
comme celui-ci l'avait été de Giorgione; ils suivirent un bon principe sans
y ajouter leur originalité propre.
Ces copistes avaient du bon cependant, les nond}reuses toiles qu'ils ont
laissées ne sont point sans cbarme. C'est que le souffle de Rubens avait passé
par là, c'est qu'ils avaient puisé à une source féconde, à une école où tout
pinceau se trempe vigoureusement, prend des allures de grand maître, colore
chaudement, brosse bardiment et accomplit des œuvres de mérite, sinon des
œuvres de génie.
Pouniuoi parmi ces imitateurs ne s'esl-il point trouvé un grand peintre?
C'est qu'ils ont manqué de courage et de persistance, c'est qu'ils se sont
laissé subjuguer par la mode et l'amour de la nouveauté.
Le désir de voir du nouveau était grand à la fin du dix-septième siècle ;
il prit des proportions effrayantes à la fin du dix-huitième. Alors, nos peintres
flamands s'éloignèrent toujours davantage de la peinture mère.
Bientôt, ils l'oublièrent complètement, pour se livrer à l'étude des œuvres
de nos voisins. A cette époque, la réputation de David faisait grand bruit,
elle entrauia la plupart de nos artistes; la peinture de David était devenue
la peinture à la mode.
Les choses continuèrent ainsi jusqu'en 1830.
La révolution poliliiiue amena la révolution artisli(iue. L'amour de la
patrie éveilla l'amour de l'art. On avait combattu pour le bon droit, on
voulut combattre pour la bonne peinture. Ce fut un élan superbe : le fusil
donnait du cœur au pinceau.
Toutes les têtes alors s'enflammaient au mot de patrie. La patrie! chacun
voulait sacrifier sur son autel. Les uns offraient leurs bras, les autres leurs
capacités, leur fortune. Le peintre sentit qu'il devait aussi quelque chose
au pays. Tous les hommes de l'art n'eurent plus qu'une pensée : ressusciter
l'école flamande, relever ce glorieux fleuron national. On criait : Vive la
Belgique! on criait: Vive Rubens!
Il fallait voir alors cette jeunesse ardente! Il fallait la voir, dans nos
musées, s'attacher à nos vieux maîtres, les étudier, les analyser, les
Tome XXXII. S
54 ECOLE FLAMANDE
cxpliijuer! Il l'allail la voir empoigner des loiles immenses, répandre à
flols d'éclatantes couleurs , faire trembler nos grands hommes sur leur
piédestal! Singulière époque el heureux effet de Fenthousiasnie ! on maniait
le pinceau, on maniait la carabine; au feu des barricades s'allumait le
feu du génie. Toutes les palettes sentaient à la fois le bitume Rubénien el
la poudre à canon!
La bonne route était reprise enfin, la peinture nationale allait renaître et
de grands peintres nous étaient promis. Du courage et de la persistance
encore el la vieille école reprenait vie : encore un peu de temps et Ton
poursuivait l'édifice de l'art, on continuait Rubens!
Hélas! tout cet enthousiasme, tout cet élan, bientôt s'écroula : l'amour
de la nouveauté et la mode reprirent leur empire.
La renaissance de l'art flamand parut chose monstrueuse : c'était beau,
mais c'était usé, il fallait du nouveau.
A celte époque les Français étaient fatigués du romantisme; une mode
nouvelle éclata parmi eux. Celle mode, comme toujours, ne fit qu'un saut
de Paris à Bruxelles. C'est alors qu'apparut la peinture grise, la peinture qui
règne encore aujourd'hui.
Supposez qu'une personne étrangère à l'art s'avise de peindre : son
œuvre n'aura ni composition, ni dessin, ni couleur; les formes, s'il y en a,
seront plaies, découpées, impossibles; la couleur sera froide, blafarde
et grise, les tons seront tourmentés, barbouillés, salis; les plans, collés
et les objets sans relief. Il y aura ce que l'on remarque dans les peintures
d'enfants : la couleur vraie, la couleur locale; le ton juste de la culotte du
polichinelle, le ton juste du bleu de son habit. L'ensemble sera d'un gris
sale et rappellera les enseignes de village.
Tel est l'aspect de la peinture à la mode , importée.
La peinture grise a des admirateurs passionnés, on se prend d'amour
pour le ton local, le ton juste, les tons vrais el les tons gris; on sait comment
les enfants trouvent facilement toutes ces belles choses.
L'individualisme a des principes fort curieux; qu'on en juge par les maximes
suivantes :
L'élude des grands maîtres est pernicieuse;
DE PEINTURE. 35
Il laul cire soi, ne rien l'aire de ce (|iii a élc l'ail;
L'iiidividualilc est la qualilé qui l'ail le grand peinlre !
On conçoit quel débordement dut suivre de tels conseils, quelle lalilude
surtout ils laissèrent à l'ignorance et à la paresse! Chacun visant à Tindivi-
dualilé, il en est résulté des prétentions à la célébrité des plus risibles.
Notre école moderne n'est pas une école.
Où il y a école, il y a un principe accepté de tous; un principe auquel
tout le monde a foi et obéit. Où il y a école, il y a la force collective qui
fait les grandes choses. Où il y a école, chacun vise au même but, et ce
but est bientôt atteint.
Une école, c'est un gros de soldats s'élançant vers la brèche.
Loin de suivre la route parcouiue des gi-ands hommes , chacun de nos
peintres se blottit dans son petit coin, avec sa petite idée, son petit caprice
et sa petite originalité. Pourquoi chercherait-on à faire mieux? ce qu'on fait
ne ressemble point aux maîtres, est unique dans son genre, on n'a rien vu
de pareil. Pourquoi chercherait-on à faire mieux? ce qu'on fait est indi-
viduel! Pourquoi chercherait-on à faire mieux enfin? ce qu'on produit ne
rapporle-t-il pas de beaux bénéfices?
Et croirait-on qu'il y ait des admirateurs et des acheteurs de toutes ces
folies !
Oui , cela est ainsi. La corruption du goût est générale : il n'y a plus
de règles, plus de lois. C'est commode pour tout le monde. Tout le monde
ainsi juge sans être connaisseur. Tout le monde est artiste sans avoir étudié.
Les encouragements ne peuvent manquer. Chacun apprécie le beau selon
ses goûts , selon ses connaissances spéciales : des archéologues par exem|)le
vous disent : le beau dans l'art, c'est l'archéologie; des chroniqueurs : c'est
l'exactitude des faits et des dates; les antiquaires à leur tour : ce sont les
costumes, les armures, etc.
La mode a si bien troublé toutes les cervelles , que des hommes sérieux
ont ])Osé des questions telles que celles-ci :
Est-il bien vrai que la peinture moderne soit supérieure à l'ancienne?
Est-il vrai que la peinture n'ait pas besoin d'être enseignée?
36 ECOLE FLAMANDE
Est-il vrai que les académies ii'aienl pas besoin de professeurs?
Dans la confusion générale, les impuissants exploitent les esprits abusés;
sous prétexte d'orginaiilé, Tignorance se pavane — elle produit des mons-
truosités et dit : J'ai fait cela exprès.
Notre peinture moderne, on le conçoit, n'a pas de caractère national; on
peut dire même qu'elle n'a pas de caractère.
Dans les œuvres de nos maîtres, il y a de l'école française et de l'école
espagnole. Le style renaissance s'y fait aussi sentii'. Quant aux vieux lla-
mands , ils sont peu rappelés : il semble qu'on ait Uubens en horreur.
Les sujets sont prescpie toujours des sujets de genre. Nul ne s'élève à
ces grands agencements du nu qui font la gloire de Kubens et de Michel-
Ange. Le nu est soigneusement évité, parce que le nu est diflicile. Des cos-
tumes, des accessoires, des modèles faciles à poser, tels sont les éléments
recherchés de nos maîlies. Ils ne dépassent point les études élémentaires
académiques. Point d'élévation de pensée, point de style surtout. Les scènes
historiques sont traitées comme les scènes de taverne. Nous croyons avoir
des peintres d'histoire, erreur! Pour peindre l'histoire, il faut en avoir le
style; le sujet historique ne fait point le peintre d'histoire; l'épée ne fait
point le héros.
Il y a une prétention générale à atteindre le vrai. On dédaigne les sujets
où l'imagination crée. Peindre ce que l'on sent, ce que l'on voit, ce qui
pose , telle est la loi de nos artistes à la mode.
Selon eux, Rubens eut tort de peindre la descente de croix, Raphaël eut
tort de peindre des saints et des anges. Tout cela , faux prétextes : histoire
du renard et des raisins trop verts.
Tout est matériel dans les œuvres de nos peintres d'aujourd'hui. Ils
s'attachent à la vérité historique, à l'exactitude chronologique et archéo-
logique, au rendu des étoffes, des cuirasses, des hallebardes.
Toutes choses petites, communes, niaises, faciles.
Dessiner le poil des sourcils à l'Apollon du Bcivéder, voilà notre époque.
On a dit : Qui nous délivrera des Grecs et des Romains? On dira dans
peu : Qui nous délivrera du réalisme? Rien de fatigant comme une constante
DE PEirsTURE 57
réalité. On revicndi-a sans cesse aux œuvres diniaginalion. Los mensonges
irHomère seront toujours préférés aux vérités historiiines; les magnificences
fabuleuses de Piubens à toutes les friperies exactemenl copiées d'après le
mannequin.
Le peintre-machine passera, le peintre-cerveau restera : toujours Tespril
rem[)orle sur la matière.
Au point de vue de la composition, du dessin et de la couleur, examinons
maintenant nos maitres.
iXotre méthode de parallèle va nous servir encore.
Supposons à côté des toiles modernes, une œuvre de Uubens ou de
Van Dvck.
Au point de vue de la composition, que voyons-nous?
Dans nos vieux maîtres, Taspect imposant des lignes, la majesté, Tam-
pleur, ragencement, les beautés du nu.
Dans nos peintres modernes, un ensemble sans grandeur, la science des
lignes ignorée, le nu dissimulé, des assemblages d'écoliers, le sentiment
pittoresque peu développé.
Chez les premiers, le mouvement, l'unité, l'expression, la vie. Chez les
seconds, l'action sans vigueur, le sujet mal exprimé, le froid du modèle
partout, la roideur du mannequin partout, partout l'inexpérience et l'igno-
rance des principes éternels.
Là où il y a tendance à l'individualisme, la règle se perd, l'art i-ecom-
mence, Giolto renaît.
Au point de vue du dessin, que pouvons-nous dire de nos novateurs? Ils
ont pour principe de ne faire rien de ce qui fut fait, de tourner le dos aux
traditions. Nous ne pouvons donc mieux caractériser le dessin moderne que
par ces mots : Tout ce qui est contraire aux bonnes qualités des grands
maitres.
Au point de vue de la couleur, l'individualisme s'ingénie à trouver les
choses les plus extravagantes.
Ce n'est point ainsi que les grands peintres du passé cherchaient l'origi-
nalité : ce qu'ils faisaient pour y parvenir n'outrageait point la raison. Pour
38 FXOLE FLAMANDE
ne pas ressembler -au Titien, liubens ne salit point ses pinceaux, ne les plonge
point dans des tons impossibles. Ses teintes sont chaudes, pures, brillantes et
vraies. Pour ne point ressembler à Rubens, Van Dyck et Jordaens n'enfari-
nent point leur palette, n'imitent point la maladresse des enfants, n'oublient
point le clair-obscur, la perspective, le modelé....
En résumé, notre peinture moderne a tout ce qu'il faut pour plaire à la
foule ignorante. .Malheureusement, ce que l'on croit nouveau est vieux comme
la terre. Ce que l'on appelle innovation ressemble aux premiers essais de
l'art, rappelle ce que firent d'abord les Égyptiens, puis les Grecs, puis les
hommes de la Renaissance.
Chose singulière, l'art a son flux et son reflux.
Depuis nos peintres d'histoire jusqu'à nos peintres de cabarets, tous
travaillent pour la foule.
i\otre peinture moderne peut à bon droit porter ce titre : Peinture bour-
geoise.
Si l'on compare l'art moderne à l'art ancien, un sentiment de tristesse
profonde vous saisit : La belle école flamande devait-elle engendrer de pa-
reils enfants !
Quand on songe que toutes ces tètes désorientées sont pleines d'heureuses
dispositions, que, parmi ces victimes de l'erreur, il en est qui ont du talent,
du génie ; (jue tout cela se fourvoie et se perd ; que pour s'élever il ne fau-
drait à ces imaginations en déroute qu'un peu d'amour de la gloire, un peu
d'amour de la patrie , qu'une énergique volonté de renverser le démon de
la mode, de se réveiller comme en 1830, de se jeter dans les bras de nos
glorieux maîtres. Quand on ) songe , la pitié vous prend et un peu la honte
aussi.
Si notre voix était puissante nous dirions à nos artistes :
Ouvriers de l'édifice de l'art, plus de découragement, plus de mutinerie !
A l'œuvre! à l'œuvre! rentrez sous la discipline! plus d'isolement, plus d'in-
dividualité! l'individualilé, vous l'entendez mal; car, seuls, vous ne pouvez
DE PEINTURE.
59
lien. Voyez le grand édifice, regardez -vous à ses pieds : comme vous êtes
pelils, comme vous êtes ridicules! A l'œuvre! suivez les sublimes archi-
tectes. Écoutez, ils vous appellent, suivez leurs avis. C'est au sommet (pi'ils
sont , c'est là qu'est la perfectibilité , c'est là qu'est le progrès ! c'est au
sommet! Allons, à l'œuvre! là, vous serez forts; là, vous serez utiles, vous
serez grands; là, vos travaux seront bons, ils seront soutenus, ils seront
liés, liés à la masse solide, à l'édifice éternel. Montez donc, montez votre
pierre et voyez où il faut la poser.
Qui a posé le dernier degré ? C'est le grand maître flamand , c'est
Hubens, c'est lui qui s'est élevé jusqu'à la cime. C'est donc lui qu'il faut
suivre, c'est lui qu'il faut atteindre, c'est lui qu'il faut surpasser! c'est sur
sa pierre qu'il faut poser votre pierre, élever votre talent, couronner votre
individualité.
jO£CAD£NC£
HUBENS.
RAPHAËL.
MICHEL-ANGE.\
PHIDIAS.
D£CA/}£yVCje.
ED IFICE DE L ART.
FIN.
MÉMOIRE
SLR LES
CARACTÈRES CONSTITUTIFS
DE
L'ÉCOLE FLAMANDE DE PEINTURE,
l'An
M. Edgar BAES,
PEINTRE, A ANVERS.
( Mémoire couronne par la classe des Beaux-arts , le 24 septembre 11*63, J
Tome XXXII.
MÉMOIRE
SUR
LES CARACTÈRES CONSTITUTIFS
L'ÉCOLE FLAMANDE DE PEINTURE
EN RÉPONSE A LA QUESTION SUIVANTE :
Déterminer et analyser au triple point de vue de la composition, du dessin
et de la couleur, les caractères constitutifs de l'originalité de l'école
flamande de peinture, en distinguant ce qui est essentiellement natio-
nal de ce qui est individuel.
Rien n'est beau que le vrai
L'ÉCOLE FLAMANDE.
Avant d'aborder le secret des traditions dont la mise en pratique constitue
notre école, il serait bon de déterminer ce que nous entendons par Vécole
flamande de peinlure, où et quand elle commence, quels en furent les créa-
teurs, les aspirations, les progrès ou la décadence, et enfin les résultats jus-
(|u'à nos jours.
Pour nous, l'école flamande proprement dite prend naissance à Bruges,
à la période de transition entre les miniaturistes du moyen âge et la rénova-
tion produite par Jean Van Eyck et ses successeurs, véritables continuateurs
des pieux artistes de missels et de manuscrits.
Malgré l'ancienneté de cette origine, ce n'est pas par la grande peinture,
ce n'est pas par un coup d'éclat, par des éblouissements grandioses que nous
voyons inaugurer la gloire de notre école : c'est par un labeur souvent pé-
nible", par un soin minutieux, une étude de tous les instants, un sentiment
4 MEMOIRE
profond des beautés de la nature; c'est par un respect sincère et religieux
de Part.
Hemling, ce trait d'union du passé et de l'avenir, se présente d'abord à
nous, tendant la main aux Van Eyckpour tirer la peinture de l'obscurité où
elle végète depuis des siècles. Autour d'eux se groupent aussitôt tout un
cortège de peintres vrais, pleins de sentiment, admirables de patience et cbez
lesquels un travail persévérant et soutenu fait édore les plus grandes qua-
lités artistiques. Quentin 31etzys est la dernière et la plus sublime expression
de cette période.
A l'époque de la renaissance, celte inquiétude générale des esprits, cette
puissante attraction qui existe partout vers un nouvel ordre d'idées, ne peut
manquer de produire sur notre école une pression extraordinaire. Déjà les
procédés d'exécution ont gagné une facilité, une perfection incontestable.
La vue des nouveaux chefs-d'œuvre italiens, le dessin idéal de Raphaël, de
Léonard et de Michel-Ange entraînent exclusivement nos artistes à recher-
cher la beauté de la forme, la grâce de la ligne et le culte de l'art antique;
mais ceci, pour notre école, ne peut être considéré que comme une transition :
ces tâtonnements vers le beau, sous notre ciel du Nord, ne pouvaient pas
garder la direction et les tendances de l'Italie. Aussi voyons-nous déjà, à
l'époque d'Otto Vœnius, certains génies naturels, dédaigneux de cette sorte
de convention qu'ils comprennent diflîcilemenl, se frayer eux-mêmes une
voie du côté où leur nature les entraine.
De ce nombre est Adam Van Noort, organisation puissante, un peu sau-
vage, sans culture, mais coloriste plein d'énergie. En un mot, Van Noort est
à Rubens ce que fut le Pérugin à Raphaël.
Nous entrons dans la glorieuse époque où un seul homme, un seul nom,
éclipse à nos yeux éblouis une pléiade de célébrités et de nobles talents.
Ici les traditions du moyen âge semblent complètement anéanties : tout est
renouvelé. L'Italie et ses inspirations méridionales disparaissent devant l'ori-
ginalité flamande du chef de notre école. Le maniement du pinceau, jadis
un culte, une difficulté, est devenu un jeu : le dessin , grandiose, sûr et vrai,
dégagé de toute tendance conventionnelle, est l'esclave pour ainsi dire d'une
couleur éblouissante, inconcevable, où les plus grandes difficultés, les com-
SUR L ÉCOLE FLAMANDE DE PELMURE. S
binaisons les plus suaves s'entrelacent à nos yeux pour nous laisser (lotler
entre l'élonnement et radmiration.
Mais cet astre éclatant n'est pas seul : on dirait que, possesseur lui-même
de toutes les qualités, il a voulu les partager équitablement entre ses satel-
lites pour s'en former une nouvelle auréole. L'un a reçu la grâce et la no-
blesse, un autre la force de couleur et d'effet, un troisième l'babileté, la
finesse, le naturel, et le Maître, dans ses innombrables compositions, a
montré tantôt chacune de ces facultés, tantôt toutes réunies.
Rubens a fait faire à notre école un pas immense ; désormais ses succes-
seurs ne font que l'éludier, que suivre ses traces, sans essayer de changer
de route, ni de chercher au dehors la moindre inspiration. La grande pein-
ture, le genre, le paysage, tout, jusqu'à la fin du dix-huilième siècle, res-
sort du même principe invariable. Pourtant l'art national n'a point trouvé là
son apogée : il sent qu'il ne suffit plus pour lui d'étudier simplement la na-
ture ou les grands coloristes. Les disciples dégénérés des émules de Rubens
ont -fini par tomber uniquement dans la pratique, sans choix de sujet : le
souffle révolutionnaire, les idées nouvelles qui attirent l'esprit humain dans
les régions abstraites empêchent par cela même le développement de l'art.
L'art est vulgarisé, asservi à une mode d'un goût faux : c'est un métier, et
tandis que tout ce qui est intellectuel se jette à corps perdu dans les utopies
|)oliliques, dans des rêveries philosophi(|ues, la plus belle expression de
l'esprit humain est abandonnée presque à des manœuvres.
Ce besoin de régénération, qui fait frémir la société eitfopéenne, se fait
jour cependant en peinture comme en politique. Lassé de la convention des
peintures pastorales, des décorations Louis XV, on demande quelque chose
de plus vrai, de grandiose et de beau. La révolution amène le goût de l'an-
lique et avec lui, chez nous, l'influence française de David.
Van Rrée est le fondateur d'une nouvelle école : à ce litre recommandable
d'avoir relevé l'art belge d'une sorte d'oubli, il ajoute d'éminentes qualités de
dessinateur.
La couleur n'est point comprise dans ce moment; elle est oubliée ou con-
ventionnelle; mais la ligne, le dessin proprement dit, sort des langes et arrive
à un point qu'il n'a jamais atteint en Belgique. On voit poindre le désir de
« MEMOIRE
la pcinlure idéaliste, dont la réunion avec l'antique peinture des yeux doit
former la perfection dans l'art, but que l'on semble ne pouvoir atteindre que
par efforts, par soubresauts, pour ainsi dire, suivis chaque fois d'un moment
darrêt ou de recul.
Lens est encore un de ces peintres de transition qui ont suivi l'impulsion
de l'époque vers ranli(|ue et vers une idée fausse de la régénération du beau.
Habitués au style Louis XV, fatigués des airs de tète, des fadeurs des bergers
et bergères, ils ont cru trouver la dernière limite en revenant tout d'un coup
à l'antique pur, à l'idéal complet : et de fait, s'ils ont produit une réaction
salutaire, ni l'inspiration ni la nature ne présidaient à cette transformation,
et leurs principes systématiques ne firent que passer du genre pastoral dans
un style élevé, mais mal compris. Avouons cependant que ce changement
produisit une véritable renaissance, et, pour ne parler que de notre pays,
c'est à cette direction dévouée que nous devons plusieurs des illustrations
contemporaines de notre école.
Herreins fut comme l'avant-coureur du retour vers la couleur. Continué
dans sa lâche par Paelinck et quelques autres, il fil éclore enfin une con-
currence aux classiques. La couleur et la nature, sous le nom de romantisme,
furent l'étendard qu'arborèrent tous ceux qui ressentaient un désir ardent de
progrès. ^
Nous voici enfin arrivés à notre époque d'éclectisme, époque où le procédé
d'exécution a atteint des limites extraordinaires sinon infranchissables, et
où l'idée souvent est sacrifiée à la praticpie : l'industrie, les inventions nou-
velles, l'enseignement artistique, la propagation générale des lumières et des
chefs-d'œuvre, tout se réunit pour aider au développement de l'art, tout
sert à former des maîtres exercés, d'une habileté consommée. L'idée, il faut
le reconnaître, le sentiment manque dans cet assemblage de qualités; tantôt
on est à s'avouer impuissant devant les premières œuvres de l'art gothique,
tantôt devant les compositions grandioses de Rubens ou devant la céleste
inspiration des maîtres italiens; on se sent écrasé, on confesse que le génie a
disparu, si le talent est à son comble; mais le temps viendra, et c'est par le
moyen mécanique de l'industrie, c'est à l'aide du procédé que le feu sacré
se fera jour et parviendra librement à darder ses ravons sur la foule. Si celle
SUR L'ÉCOLE FLAMANDE DE PEI?sTURR. 7
époque n'est pas la nôtre, on peut la pressentir pour peu qu'on jelle un
regard approfondi en arrière et autour de soi. Notre siècle n'est plus celui
de la foi ni dans la religion ni dans l'art, mais nous avons la foi dans la
science et la vérité, qui s'étalent en compositions où le type est complet, exact,
où les recherches sont sûres, où plus rien ne fait défaut sinon l'inspiration.
Nous avons de nouveau l'époque du travail minutieux et persévérant en
tous points; il nous faut atteindre la période Rubens, la grande peinture, la
pratique au service d'un génie puissant : de grandes idées reproduites et
symbolisées par une exécution inimitable.
Nous conclurons donc qu'il n'y a pas solution de continuité entre le moyen
âge et l'école de Rubens, pas plus qu'entre celle-ci et la nôtre : elles peuvent
servir également de base à notre examen, en laissant cependant de côté
les époques sans caractère propre, c'est-à-dire la renaissance italienne et la
domination française.
Par une étude approfondie des tendances identiques de toute notre école
vers le même but, depuis Van Eyck jusqu'à nos jours, et par la comparaison
des œuvres nationales avec celles dont le rapport et l'aflhiité sont le plus
propres à induire en erreur, nous devons arriver sûrement à déterminer les
signes de l'originalité flamande.
♦
COMPARAISON ENTRE LES DIVERSES ÉCOLES.
Notre école a-t-elle un caractère d'individualité, et peut-on facilement la
séparer des autres écoles en tout temps P — Il est hors de doute que l'on
peut juger l'expression artistique d'un peuple d'après son caractère physique
et moral. Or la Relgique, la partie flamande surtout, a toujours formé sépa-
ration distincte, soit avec ses voisins, soit avec ses dominateurs; en effet,
on a toujours dit : le peuple flamand, les Flamands, distincts de toute autre
nationalité. De même l'art flamand est distinct de toute influence étrangère
et participe des caractères constitutifs du peuple et de l'esprit flamand.
On n'a pas assez étudié, selon nous, par rapport à l'art, ce que peuvent
produire le climat, la constitution individuelle, les événements physiques
8 MEMOIRE
clans lin peuple ou clans un homme : on y liouverait matière à réflexions et
à découvertes.
Ne voyons-nous pas en effet les trois grandes écoles coloristes, la Hol-
lande, la Flandre et Venise, croître sous un climat également humide, dans
un pays bas et entrecoupé d'eau, ciuoiciue plus chaud là-bas cjue chez nous?
Ne voyons -nous pas aussi dans d'autres écoles, au centre de pays méri-
dionaux et secs, tels que la France, le milieu de Tltalie, ou secs et froids
comme rAllemagne, une extrême perfection de dessin, de sentiment, une
profonde science de composition, et pas de couleur? Évidemment il y a des
exceptions, mais il y aurait lieu d'examiner si elles ne sont pas le résultat de
conditions particulières d'existence ou de tempérament.
Le Flamand est calme, patient, supportant c|uelc|uefois le joug jusc|u'à
l'extrême : calculateur, raisonnant juste, insouciant des choses abstraites
ou trop spéculatives, se bornant volontiers à son entourage et tâchant de
perfectionner son milieu de tous les jours : loyal et franc, observateur froid
et (|uelc|ue peu mociueur, attaché à ses institutions et à ce qu'il a pris l'ha-
bitude de vénérer, point remuant, mais aimant les cérémonies, le brillant
des fêtes, l'ornementation, le luxe et les couleurs vives et fraîches. Avec ce
caractère on trouve donc rarement des exemples de celte fougue dont Rubens
est peut-être chez nous le seul représentant. Lo Flamand est lourd, posé,
physiquement épais et fort, frais de couleur, gai mais tranquille.
Autant il y a de différence entre le peuple flamand et le peuple français,
autant il y a de dissemblance entre eux dans l'art.
L'art français est brillant sans profondeur, facile mais peu solide ; il vise
plus à l'effet qu'à l'étude et tombe souvent à l'examen approfondi. La cou-
leur n'est pas son fort; elle est quelquefois exagérée quand on veut la faire
dominer, terne et malpropre dans d'autres cas.
L'école allemande a un cachet gothic|ue tout particulier qui la sépare
complètement de celle des Flamands; elle a cependant avec celle-ci des
points de ressemblance : la réflexion, l'étude, la naïveté, les détails; mais
un excès de profondeur, une sorte de mysticisme couvre toujours d'un voile,
chez les Allemands, la nature et leurs idées.
Les Italiens sont reconnaissables à la vue : leur expression artistique dif-
SLR L'ÉCOLE FLAMANDE DE PEliNTURE. 9
fère de la nôtre comme leur pays, leurs mœurs el leur lypej la couleur
cependant est une qualité qui. est commune à Pllalie et à la Flandre, mais
quelle différence dans le procédé comme dans les tendances !
Sous la domination de la famille de Charles V, TEspagne pourrait venir
se mêler à nos peintres : en effet, les deux nationalités s'étaient pour ainsi dire
fondues; mais le tempérament naturel produisait néanmoins des manifesta-
tions dissemblables; car les effets piquants, vigoureux, l'aspect sombre des
idées et de la couleur, la chaleur et l'énergie des Ions, habituels aux uns,
ou bien leur mate finesse, forment contraste avec la fraîcheur flamande , la
lumière franche, large, brillante et les touches fines et relevées des autres.
Il existe cependant une école à côté de la nôtre qui, plus que toute autre,
a une évidente affinité avec nos procédés, nos idées, notre sentiment et notre
caractère, c'est celle de la Hollande, à laquelle nous réservons un chapitre
spécial. Examinons d'abord les rapports de l'art français avec l'art belge. Avant
la grande époque de Louis XIY, la France a peu de maîtres qu'elle puiss(!
placer en parallèle avec la nombreuse phalange déjà produite par la Belgique
depuis l'invention de la peinture à l'huile. Aussi convient-il de s'occuper de
cette époque surtout, pour nous rendre compte des inspirations de l'école,
dégagée alors de Tinfluence étrangère. Nous voyons paraître en première ligne
Lebrun, Mignard, Vouet, Lesueur, Poussin, Claude, el ensuite Largillière,
Coypel, Varin, Oudry, Jouvenet, Courlin, etc., assurément tous hommes
d'un talent remarquable el plusieurs d'un véritable génie. Que nous montre
cette réunion de peintres d'un même pays et d'un même siècle? D'abord, peu
de tendance vers la nature ou plutôt la naïveté; et toujours, un but principal:
l'effet, la grandeur et l'éblouissement du public; ce sont à peu près les qua-
lités de l'art décoratif. Aussi (fuelle partie de l'art a plus prospéré, produit
plus de chefs-d'œuvre encore admirables de nos jours, que la décoration dans
les palais de Louis XIV?
Lepautre, qui a exercé une grande inlluence sur ses contemporains comme
dessinateur, Lebrun, Pujel, Lemoine, n'étaient-ils pas de vrais décorateurs,
et n'onl-ils pas laissé des modèles du genre, qu'a renouvelés depuis Abel de
Pujol? Dans ce siècle, les Lenain seuls donnent l'idée la plus vraie possible
de la nature, et à ce titre, en France même, on les compare avec orgueil
Tome XXXI L 2
iO MEMOIRE
aux Flamands j mais, ii faut l'avouer, la décoration repose essenliellement sur
un système de convention, défaut qui saule aux yeux et auquel un esprit
inquiet, remuant, doué d'une rare facilité, dispose nalurellemenl les ar-
tistes français. Leur légèreté est aussi sensible dans leur peinture : éludiez
un tableau français et n'importe quel flamand qui s'en rapprocbe, vous
trouverez cbez le premier souvent le même effet sans aucun détail, sans
aucune étude; et cbez le second, un travail ardu, persévérant, soutenant
l'examen minutieux, enfin, une œuvre de longue baleine, lis ont l'iiabileté
de jouer sous jambe certaines diflicultés en attirant l'allention sur un autre
point qu'ils savent traiter; ils ont ce défaut de conscience qui n'est point
facile à acquérir et que le langage artistique n'a pu caractériser que par le
nom de chic. La grâce est aussi plus leur fait que le nôtre : cbez nous plus
de fond, cbez eux plus de forme. La couleur française a une certaine sécbe-
resse; ce moelleux de la carnation flamande lui manque, à cause du modelé
incessant qui tend à fondre tous les tons et leur fait perdre leur pureté : les
Français usent trop du procédé, des tours de force: ils voient l'art seul dans
l'art, et point la nature.
On voit, ver« le règne de Louis XV, à quel point le caractère français peut
devenir affecté, systématiquement esclave de la mode; où trouver en effet
l'ombre du nalurel dans les nombreux ouvrages de Bouclier, Watteau, Lan-
cret, Van Loo , etc., estimés cependant alors, ainsi qu'ils le sont aujourd'bui ,
comme ayant une véritable valeur artistique? Mais en eux tout est système,
tout est sacrifié à l'envie de plaire ou plutôt de réunir les tons les plus faux,
les dessins les plus impossibles, les attitudes et les sujets les plus invrai-
semblables; et tout cela semble, pour une époque du moins, la vraie école
française. Heureusement qu'en même temps on trouve, pour relever le goût,
Greuze, un peu plus naïf, Chardin, vraiment consciencieux, et qui porte
moins que tout autre les défauts de son siècle.
Enfin, avec l'empire, rénovation complète d'idées : la tendance en est-elle
changée? Non, car en suivant une impulsion plus grande à la recherche du
vrai beau, on est encore néanmoins tombé dans le système; en voulant faire
de l'antique, on a souvent touché à faux : le goût passager l'emporte presque
toujours. Il y a cependant une aflinité remarquable en fait de dessin, de
SUR L'ÉCOLE FLAMANDE DE PEINTURE. W
noblesse et (rentente de composition entre Girodet, David, Prudhon, Gérard,
Gros et quelques autres de la même époque, et c'est là un caractère national.
Les Français ont du rapport avec l'école romaine, sèche et dure, grise et
sans couleur, mais noble ou gracieuse de dessin et d'expression. Ils consi-
dèrent l'effet en peinture ainsi qu'en dessin comme un contraste entre lo
foncé et le clair, et dans la composilion, par conséquent, ne recherchent
que la ligne heureuse et la distribution de la lumière; la couleur est chez
eux généralement accessoire, car ils ont déjà assez d'occupation à diriger
et ménager les ombres portées, le clair et l'obscur, de manière à équilibrer
le rendu de leur sujet. L'ombre est noire, sans transparence, ce qui produit
souvent tache dans la masse claire, et, dans tous les cas, ternit la couleur
générale d'un tableau.
Nous n'avons pas parlé encore de l'Angleterre qui , sans avoir eu jusqu'ici
une place marquante dans la peinture, n'en a pas moins un grand nombre
d'œuvres d'art et quelques hommes de mérite à nous offrir. L'Angleterre n'a
pas d'école: chacun a suivi sa voie, et pourtant ses peintres ont tous un cachet
de nationalité très-facile à découvrir; c'est peut-être le peuple le plus original,
tant dans l'art que dans toute autre faculté humaine. Ils adorent la nature,
la suivent et l'imitent, mais c'est leur nature, la nature au point de vue
anglais, ce qui frappe au premier moment tout œil étranger.
La couleur est fraîche de ton, brillante, agréable, mais l'etret est fort rare;
il semble qu'ils procèdent par détail et que, tous les détails bien terminés,
on ne retrouve plus l'ensemble : il y a, il est vrai, des exemples contraires;
l'éclectique Joshua Reynolds, Hogarth, Martin, ont parfaitement connu la
valeur de l'effet; mais Benj. West, dans ses grandes compositions, Barry,
dans ses tableaux allégoriques, n'ont pu s'empêcher d'abonder en détails son-
vent inutiles ou nuisibles. Le dessin anglais est roide; la grâce voluptueuse,
la morbidezza des Italiens, l'énergique vivacité de la France, leur sont in-
connues. Cependant un sentiment sincère de la nature anime beaucoup de-
leurs productions, (|uand ils ne se laissent pas aller à un parti pris ou une mé-
thode; ils sont consciencieux, exacts, tant pour le dessin que pour la couleur;
leur défaut est de pousser trop loin cette qualité; l'amour des détails les em-
porte hors des masses; les points brillants, les petits reflets, les jeux de
12 MEMOIRE
lumière, marqués parloul el passant également sur tous les objets, ne laissent
plus de place pour le large effet d'une lumière franche et uniforme. Chez
nous, sans être concentré, comme dans les tableaux hollandais et espagtiols,
Peffet met l'objet principal en lumière ou dans Fombre, et l'on peut d'un coup
d'oeil se rendre compte des masses claires et foncées. Chez les Anglais, le
clair est partout, l'ombre aussi, il n'y a rien qui attire et tout est également
traité. Leurs tableaux ne sont pas des aspects, c'est un assemblage d'études
quelquefois superficielles, souvent approfondies. Ils sont cependant enclins
aussi à la convention , comme les Français , mais par un défaut contraire, leur
difficulté d'exécution, qui les engage à suivre une méthode. Pour la compo-
sition, s'élevant rarement à des idées hors du cercle des objets environnants,
ils ont cependant un profond moraliste, Hogarth, qui a su faire de l'allégorie
dans le réel et qui porte complètement l'empreinte du caractère anglais : on
remarque chez lui le goût des détails et l'étude dans la moindre signification
de chacun d'eux; une certaine roideur, peu de grâce et plutôt un penchant
vers l'étrangeté.
L'Italie nous présente trois écoles principales qui diffèrent totalement entre
elles et bien plus avec la nôtre. Les Romains sont pour ainsi dire nos anti-
podes. Leur école tout idéale, l'antique rajeuni, le culte du beau classique,
un dessin sévère et noble au service d'une inspiration élevée, ne peut en
aucune façon se rapporter à la simple nature, à l'aspect pittoresque trouvé
sans recherche, qui est le critérium de l'art flamand. De plus, on n'a jamais
cherché à mettre en avant un coloriste parmi le cortège d'artistes qui entourent
Raphaël et Michel-Ângc : la fresque est plutôt leur élément.
Les Lombards sont la transition entre Rome et Venise: tout en dessinant
plus noblement que celle-ci, plus moelleusement, ils ont des couleurs fondues,
légèrement touchées, des tons gris, fins et moins variés que chez les Vé-
nitiens; ils peuvent rivaliser avec ceux-ci pour la couleur, mais ils sont plus
sobres et savent surtout tirer parti du modelé el du clair-obscur. On ne trouve
pas chez nous celte simplicité de coloris, celle harmonie des grands tons gé-
néraux d'une composition. A côté d'un tableau flamand, un Corrége semble
presque une grisaille, tant l'effet est dans la lumière et tant chez nous le choix
des couleurs est varié.
SUR L'ÉCOLE FLAMANDE DE PEINTURE. i5
Mais tel n'est pas le cas, si rtous motions en parallèle un Ruhens et un
Véronèse, par exemple. Cette grande école vénitienne, qu'on dit avoir eu tant
d'influence sur le chef de notre école, a en effet une grande connexilé avec
toutes nos aptitudes : la nature est son but, son modèle; la couleur est son
moyen; son désir, la vérité.
Les Vénitiens font de la couleur dans le choix des tons de leur composi-
tion; ils étendent celle qualité aux plus petits Ions de leurs personnages. Tout
cela se rapporte également à la peinture flamande; mais ce que nous ne
pouvons représenter, c'est la chaleur de la carnation italienne, la mate linesse
ou la sombre énergie de cette couleur causée par le climat; ce que nous ne
possédons pas, c'est cette science de procéder par glacis, de produire des effets
d'une force extraordinaire, après coup, par comparaison, en couvrant d'un
voile transparent une partie ou trop claire ou trop faible ; la couleur des Véni-
tiens réside dans les tons gris rompus , dans le mélange extrême des nuances.
La nôtre est plus simple, plus franche, plus pure, depuis les grands tons
généraux jusqu'aux détails : les glacis sont très-rares; les couleurs les plus
variées sont franchement juxtaposées sans se heurter; mais dans les deux
écoles, une lumière large est prise pour base et, d'un bout à l'autre du
tableau, éclaire la composition entière sans effet concentré.
L'Ilalie a encore donné le jour à une autre école, celle de Bologne, qu'on
pourrait nommer la fusion des trois autres. En effet, les Carrache , comme
on sait, inculquaient à leurs élèves ce principe d'éclectisme qui fait res-
sembler l'un à un Parmesan avec un dessin plus vigoureux, l'autre à un
élève de Raphaël avec un sentiment de coloris plus développé; mais en tout
cas, il sérail difficile de confondre avec les reflets colorés, transparents, la
carnation blanche et claire de la Flandre, ces ombres noires et opaques, ces
clairs dorés et chauds de ton qui sont le caractéristique des œuvres que nous
examinons.
On dirait que les Espagnols sont aux Vénitiens ce que les Hollandais sont
aux Belges : moins de dessin, plus de nature, si l'on entend par là le côté
trivial, ou la nature prise au hasard; ce qu'on a, de nos jours, caractérisé
par le mot réalismo. Tout leur est bon , tout est sujet à études , mais ce ne
sont presque toujours que des études qu'ils produisent : en effet, on trouve à
a 31EM0IRE
peu prés aussi peu d'œuvres nobles et grandes, de pensée, en Espagne cpie
dans les Pays-Bas. En revanche, le portrait y est admirable. Leur couleur
est prestpie toujours sombre, comme le fond de leur caractère; leurs effets
forts et piquants; ils sont sobres de tons, travaillant surtout les contrastes
d'ombres et de clairs; et au lieu de commencer par la couleur, comme les
Flamands et les Vénitiens, ils terminent, quand leur effet est marqué, par
des rehauts, pour piquer laltenlion. Il y a cependant une différence à noter
entre les Hollandais et les Espagnols en fait de couleur : c'est que les premiers
semblent vouloir travailler la lumière et la mitiger par la demi -teinte et
l'ombre; les seconds, au contraire, travaillent les ombres pour frapper ensuite
par le brillant du clair.
■ On ne peut contester aux Allemands un sentiment vrai et sincère de Part
dans toutes leurs productions. Rien n'y est mis sans une intention, une idée
préalable et surtout une direction poétique qui frappe aussitôt par la géné-
ralité de tendance de toute l'école. Chez eux, les sujets grotesques ont quelque
chose de sérieux; l'histoire a toujours suivi une roule élevée, mais sans
toucher au premier aspect comme dans d'autres écoles, et cela à cause du
manque d'effet : ils idéalisent, ils ne peignent pas : c'est le côté moral et non
le pittoresque de la nature qui les inspire. Les peintures et les gravures d'Al-
bert Durer sont de vraies allégories, et empruntent presque toujours leur
charme à ce sentiment contenu dans le cœur de l'artiste.
L'école allemande a conservé le sentiment gothique jusque dans ses pro-
ductions de style antique; elle ne peut se défaire de cet aspect moyen âge
qui sort d'ailleurs du fond de ses idées. Elle unit la naïveté à ce sentiment
d'idéalisme; par cela même, elle devait s'attacher surtout à la ligne, ce moyen
simple, sans distraction, rapide et susceptible de tout caractère pour repré-
senter une idée. Sans cesse à la poursuite d'une signification , ses peintres
n'ont pas le temps de s'occuper d'un ton, d'un ensemble d'elïet, d'im rayon
de lumière, ou d'une masse mystérieuse d'ombre; mais en revanche, le moin-
dre détail, le pli le plus invisible apporte son tribut à la méditation du spec-
tateur réfléchi.
Holbein , cet honnne débauché , d'un caractère violent et désordonné , a
cependant ce cachet de l'Allemagne sur toutes ses œuvres. Le vieux Cranacli,
SUR L'ECOLE FLAMANDE DE PEIINTURE. ia
Burgkmair, Israël Van Meckenen, el laiil d'autres, no font que corroborer
notre opinion ; et de nos jours, Schnorr, dans ses compositions magistrales,
admirables de formes et de sentiment^ mais dépourvues d'effet; Kaulbach ,
Cornélius, dont la couleur el le clair-obscur sacrifiés ont fait dire que Pécole
allemande ne pouvait se livrer qu'à la fresque, prouvent à Tévidence que le
caractère germanique diffère essentiellement des écoles flamande et hollan-
daise.
En fait de couleur, rAllemagnc est comme la charge de la Flandre, par
rapport à la Hollande : celle-ci a Tharmonie des tons gris et sombres; elle
est sobre de couleurs; la Flandre a des nuances variées, mais harmoniques
el claires; l'Allemagne, des Ions heurtés, criards, durs et exagérés: la lour-
deur est un défaut commun à ces Irois pays.
De même, pour le dessin, la Hollande est triviale, la Flandre réaliste
(ne cherchant que le vrai), l'Allemagne idéaliste: Tune sans forme souvent,
la deuxième d'un style suivi quoique sans noblesse , la troisième d'une ligne
dure el tourmentée, exagérée, mais presque toujours noble. Toutes les trois
sont donc bien loin de la France, gracieuse et facile, mais sans profondeiu",
et encore plus de l'Italie, où le dessin est noble, pur, grandiose ou bien plein
d'une voluptueuse langueur.
Pour la composition, l'on pourrait établir le même parallèle : la Hollande
vise au clair-obscur et à l'effet; la Flandre, à l'aspecl rendu par le dessin el la
couleur; l'Allemagne, à la ligne et au sentiment, que vient plutôt contrarier
l'emploi de la couleur. La Hollande ne choisit pas ses sujets; elle prend le
premier aspect venu el rend un sujet simplement pour l'effet pittoresque.
La Belgique choisit son sujet el le rend comme un effet de la nature, comme
elle croit qu'il a dû se passer, et quelquefois comme il se passe en réalité;
l'Allemagne l'approfondit, l'idéalise, le transforme, l'étudié plus loin qu'il
ne le comporte souvent, el réussit à faire du grandiose el du beau, mais
dépassant souvent le but; sa profondeur devient quelquefois un mysticisme
inintelligible.
On voit que, s'il y a un rapport presque égal entre les Irois écoles, ce
n'est pas du côté de l'Allemagne qu'on pourrait hésiter, tant pour l'exécution
que pour les tendances. Mais il n'en est pas de même de nos voisins du Nord,
K) MEMOIRE
dont la tlilTéronce avec noire peinliue n'a été jusqu'ici que vaguemcnl défi-
nie. En constalanl les points de dissemblance, il nous sera facile de déduire
les caractères constilutil's de l'école flamande.
RAPPROCHEMENT DE L'ÉCOLE HOLLANDAISE ET DE
L'ECOLE FLAMANDE.
On pourrait quelquefois confondre les peintres hollandais avec les nôtres;
en efl'et, nous avons été compatriotes, régis par les mêmes lois, soumis aux
mêmes idées, et la Flandre a toujours eu, sinon de Fattraction, du moins
quelque affinité pour les Pays-Bas. Souvent on n'a pu établir conq)létomenl
l'origine belge ou néerlandaise de certain peintre, mais jamais on n'a man-
qué de dire cependant : il était flamand ou hollandais par son travail, son
talent; Hobbema, si longtemps inconnu, a toujours été associé à Ruysdael
el à Polter; Brauwer, flamand de naissance, est considéré comme hollan-
dais de travail et d'inspiration. Il faut convenir pourtant qu'il y a parfois
matière à doute ou erreur, si l'on excepte la grande peinture. Par exemple,
Vander Helsl a fait bien des portraits que l'école flamande pourrait reven-
diquer, du moins comme couleur el dessin, sinon comme sentiment de com-
position : il en a peint qui semblent identiques avec ceux de C. Devos. Ainsi,
Pourbus le Vieux tient, comme portraitiste, beaucoup de la Hollande, et
•lordaens, dont le dessin est plus hollandais que flamand, a quelques têtes,
de femme surtout, où sa couleur surpasse son dessin. P. Neefs, dans ses
architectures, est complètement hollandais. D. Rykacrt, tout autant. Van
IJyck même, le type de l'élégance du portrait, s'est montré quelquefois hol-
landais de couleur, surtout en peignant des enfants. Il y a beaucoup du
flamand dans les portraits de Moreelse et même dans quelques-uns de Roi.
Mais c'est surtout dans le paysage cl les sujets de genre que se révèle Taf-
finité : ne prendrait-on pas souvent Wynants, Wouwermans pour des Fla-
mands; et Teniers, Brauwer, ne semblent -ils pas souvent de la famille
des Ostade, des ,1. Siecn; Fyl, Weenicx el Snyders ne sont-ils pas un peu
parents, comme aussi Van Artois et Iluysmans, avec Pynacker, Moucheron,
SUR L'ÉCOLE FLAMANDE DE PEI?JTURE. 17
Koning, dans le paysage? Jordaens pcinl les animaux comme les Hollandais,
témoin certain tableau du musée de Lille, représentant des vaches. Mieris a
fréquemment imité le coloris fin des Flamands. Enfin, il est arrivé que des
critiques d'art, français et autres, ont confondu la Hollande et la Flandre
au point de dire indifféremment les Flamands, pour iMetsu, Terburg, etc.,
ou Técde hollandaise, pour Teniers, Breughel et leurs confrères.
Cependant la couleur hollandaise a quelque chose de terne, de sombre,
qui contraste avec l'éclat et le brillant des Flamands. Rapprochez Tun de
l'autre des portraits de Roi ou Rembrandt et de Van Dyck ; chez l'un vous
voyez un effet fort et profond, une lumière intense, qui vous attire et semble
au premier coup d'oeil plus forte que celle des Flamands; mais un second
examen vous fait découvrir que c'est l'effet obscur qui rejette toute l'attention
sur la clarté, ce qui n'arrive pas chez nous.
Nous prenons Van Dyck comme point de comparaison , parce qu'il pos-
sède plus que tout autre la sobriété des tons, leur finesse et la plupart des
facultés hollandaises.
Les Hollandais travaillent entièrement dans une gamme grise, et quand ils
mettent une touche pour finir, alors seulement ils emploient la couleur pure
comme clair brillant. Ils ont toujours moins d'éclat; le clair semble n'être
qu'une demi-teinte , tandis que chez nous le clair est de pure couleur et la
demi-teinte sert seulement de transition. Us arrivent à une grande force de
ton, mais plutôt par la profondeur que par la lumière : par cela même,
leur peinture s'adapte mieux à la représentation des sujets d'intérieur, tandis
que dans nos intérieurs on voit entrer la lumière et le plein jour.
Van Dyck, quelquefois moins vigoureux, avec un effet et un clair moins
vif que Rembrandt, a cependant des tons |)lus charnus, plus divers, tout en
s'harmonisant : on distingue en lui l'élève de Rubens, malgré la différence
de route qu'a suivie leur couleur.
De Crayer a le défaut hollandais d'être massif, un peu bois, et cependant
il montre parfois de fraîches carnations, ([ui imitent parfaitement la manière
de Rubens et dont les tons fins, bleuâtres à côté de tons clairs, sont tout à
fait difleremment composés : on voit surtout une grande diversité dans les
Ions vifs.
Tome XXXH. 3
18 MÉMOIRE
Van Tluilden, Hollandais de naissance, en a gardé le senlimenl el métne
la couleur.
Que semblerait èlre une peinture hollandaise, exécutée du premier coup,
sans rappel de couleur, sans relouche de clair et sans glacis? Une ébauche
[doods-liokur), une peinture fade, sans force, ou une demi-teinte perdue dans
un brouillard; tandis que Van Dyck même, tout en employant des tons gris,
attire Teffet partout, sans transition ni chocs, simplement par Tharmonie et
la clarté de la couleur.
Chez nous, le ton de rehaut est placé de suite comme clair et contraste
avec Tombre, la touche brillante en fait partie. Chez les Hollandais, il vieni
produire après coup un elTet calculé qui résulte de rha])ileté el de la science
des procédés. A eux le fini, le travail ardu, le soin, la minutie, à nous la
finesse, la légèreté de la brosse, la facilité, la largeur et plus de couleur
que de fini.
On pourrait caractériser la dilîérence en disant que la Hollande a le secret
des procédés el la Flandre celui du coloris. Tout en étant une des nations
les mieux douées pour le sentiment de la couleur, la Hollande ne peut riva-
liser avec l'effet large, le brillant et la diversité, je dirais prescjue la gaielé
des tons de l'école flamande. Cette diversité, il est vrai, empêche quelque-
fois le modelé, dissémine souvent l'effet.
Nous avons de commun avec les Vénitiens la science de l'harmonie des
contrastes de couleurs vives, qui manque à la Hollande. Certains tableaux
hollandais paraissent sombres partout, sauf un petit rappel rouge ou blanc
ouvert, piquant d'effet ; le reste se fond dans le ton général : tout est clair-
obscur, même dans les tableaux des italianisés K. Dujardin et Berchem. Ils
n'ont pas de franchise dans la couleur; mais ils ont une science profonde
dans le parti à tirer du moindre côlé de l'œuvre pittoresque.
Il suffit d'avoir vu peindre quelques Hollandais pour s'apercevoir qu'ils
font une autre divisioti que nous des parties d'une même figure. Los Fla-
mands voient le clair brillant, le ton local ou plutôt les couleurs locales,
les plans fuyants de demi-teinte, la Iransilion bleuâtre, l'ombre et le reflet.
Les Hollandais ont le ton local avec touche colorée ou claire et qui va sou-
vent, en tons gris, jusqu'à l'ombre, en restant composé de même que le
SUR L'ÉCOLE FLAiMAKDE DE PEl^TlJRE. 19
clair; ombre bitumineuse el peu de reflets. Leur efl"el est plus visible, plus
marqué; s'il y a moins de tons divers, ceux-ci sont plus rompus; l'absence
de cette transition bleuâtre, ou plutôt de contraste entre le clair el sa demi-
teinte, leur donne peu de tons cbarnus; ils imitent plutôt le bois, d'autant
l)lus que leur pâte est souvent lourde; ils travaillent beaucoup sur un fond
bitumineux. Comme ils peignent en clair sur un fond sombre, ils n'arrivent
qu'au ton de demi-teinte , car leurs clairs restent en rapport avec le ton pri-
mitif, tandis que nous faisons une distinction frappante entre le clair et
l'ombre.
Quelques Vénitiens ont peint aussi en demi-teinte, mais alors leur effet
n'est pas piquant : l'ombre se fond poétiquement avec le clair, comme chez
Giorgion, sans touches lumineuses, en restant dans les tons gris, mais avec
des nuances fortes et chaudes que ne peuvent atteindre que très-rarement
les Néerlandais, malgré la profondeur de leurs ombres. Un Flamand vous
[jrésentera souvent, à côté d'un ton clair jaune presque pur, une demi-teinte
franchement bleuâtre : chez nos voisins, il est presque impossible de trouver
de pareils exemples.
Mieris nous ofl"re des tons fins sans l'éclat, le brillant des clairs ni la
variété des couleurs. Tandis que Brauwer, quoique devenu hollandais, a
gardé ce goût de contraste, avec sa facilité de touche; son rival Jean Steen
est infiniment plus massif, plus lourd: il semble que sa brosse ne se détache
point de la pâte.
Teniers est plus noble que Van Oslade, moins caustique, moins chargé,
plus naturel et naïf; sa couleur s'arrondit moins, mais il est large d'effet, lu-
mineux. Ostade (Adrien), en revanche, est piquant d'effet et de formes,
plus sombre, accusé et sobre de couleurs; ombres bitumineuses.
Metsu a un modelé plus travaillé, possédant une meilleure entente de la
dégradation et de la force des Ions identiques; il est plus massif, plus rond
et s'occupe davantage du clair-obscur. Mais c'est surtout dans la peinture de
tleurs qu'on peut faire un examen de la couleur : car Zegers, Van Son, Van
Dael, Breughel, Lambrechts d'un côté, Rachel Ruysch, Van Huysum, De
Ileem , de l'autre; Van Spaendonck, qui forme le trait d'union des deux écoles,
peuvent facilement faire distinguer, au milieu des tons les plus frais, chez les
20 MEMOIRE
Hollaiulfiis , le fini , Iharinonie sobre des tons, TeiTel concentré , le demi-jour,
une lumière \9gue et poétique et peu de choix dans le dessin et le groupé ;
chez nous, au contraire, Tintention, le choix et la disposition, la lumière
large et vigoureuse, les tons vifs et variés, une certaine largeur de brosse
qui exclut un grand fini. La peinture de fieurs nous semble contraire au tem-
pérament hollandais, qui cherche TelTet concentré (ici nous ne parlons pas
de nature morte). Quand ils veulent employer la couleur en mosaïque, pour
ainsi dire, qu'exigent les fleurs, les Hollandais sont souvent heurtés, si l'ombre
ne leur vient pas en aide pour modeler, et les fleurs ont besoin de la pleine
lumière.
Les Flamands mettent la clarté partout, mais par là leurs tableaux de
fleurs sont souvent plats, n'empruntant leur charme (|u'à Tharmonie des
tons.
L'instinct de la nature guide notre dessin, et nous ne cherchons guère
autre chose que sa reproduction : les Hollandais cherchent ou acceptent le
trivial : il leur est diflicile de produire un dessin noble, correct, grandiose.
Ils peignent sans dessin, et nous en dessinant. Ils y gagnent quelquefois en
attrait et en finesse, surtout dans leurs petits tableaux; mais on ne peut nier
que le dessin de nos Teniers, Breughel, Vinckeboom, Van Meuwlandt, sans
être aussi caractéristicpie, ne porte avec lui un talent d'observation inimi-
table, un sentiment de la nature souvent délicat et s'élevant parfois jusqu'à
la noblesse, jusqu'à l'élégance, ce qu'on peut. rarement accorder à nos voi-
sins.
Une preuve à l'appui de notre opinion, c'est que, parmi les gothiques
c'est-à-dire depuis Van Eyck jusqu'à Van Orley, alors que la religion était
la même et qu'une communauté de mœurs, de tendances et de maîtres devait
en quehjue sorte passer un niveau sur l'expression artisliiiue, on dislingue
encore aisément les peintres hollandais des flamands, en suivant les carac-
tères que nous venons d'énoncer.
Ainsi, quand on compare un tableau de J. Mostaert avec d'autres, dus à
des Flamands du même style, on voit une tendance vers l'eff'et concentré qui
lui est commune avec J. Swarl, avec L. Van Noort, tandis que chez Vander
Goes, Gossart, Vander Weyden, l'eftet et l'équilibre restent toujours dans la
SUR L'ÉCOLE FLAMAISDE DE PEllNTURE. 21
couleur el non dans le clair-obscur; on peut reconnaître le peu de souci qu'ils
ont eu des effets de lumière, car presque tous leurs tableaux sont éclairés par
devant ou par une lumière uniforme. Ils nous présentent aussi généralement
cette diversité dans le choix des tons, même Vander Weyden, dans les quel-
ques tableaux où il a travaillé les tons gris fins.
Comme dessin, Hoemskerk, Moslaert, nous offrent une ligne moins dure el
qui semble plus fondue; le premier est complètement hollandais, sans avoir
pourtant l'effet de lumière ((pialitè que A. Grimmer semble avoir accaparée
parmi les gothiques). 11 est trivial, mou de contours, rond et modelé, gris
de tons. 31oslaert, lui, est lourd, tout est un peu bois chez lui; il a un
grand modelé, une grande harmonie, mais dans les tons gris el les couleurs
sombres : on Irouverait chez lui très -peu de couleurs éclatantes et encore
moins de lumières vives. A l'encontre, enfin, de tous nos peintres, les Hol-
landais nous présentent une unité de tons réveillée simplement par quelques
rehauts; aucune idée de reflet, mais souvent un véritable relief.
RÈGLES ET CARACTÈRES CONSTITUTIFS DE L'ART FLAMAND.
La peinture flamande exclut toute convention : par cela même on croirait
que roriginalilé doit être extrême et variée dans chaque artiste, et cepen-
dant il est des règles constantes, sûres, auxquelles, malgré eux et sans
en avoir été avertis, les peintres flamands ne font jamais défaut; ces règles
sont tirées, non-seulemenl de la nature en général, mais de Texamen attentif
de la nature sous le ciel flamand avec les idées flamandes. Essayons de les
exposer ici, telles que nos comparaisons multipliées les ont présentées à noire
jugement.
La patience est la première des vertus flamandes : de là, une sorte de
travail de mosaïque dans les trois branches que nous allons examiner. En
effet, les tons se juxtaposent l'un d'après l'autre, el nous oserions aflirmer
que chaque objet ou personnage d'une composition s'y met de même l'un
d'après l'autre, le tout s'enchaînant ainsi pour obéir à une sorte d'intuition
existant dans l'esprit du peintre.
22 MÉMOIRE
COMPOSlTIOiN.
Naïveté et pittoresque.
Un senliment vrai de la nalure a toujours été le premier caractère des
tableaux de notre école : chez les uns exagéré peut-être et tombant dans
le trivial, chez d'autres mitigé par l'éducation, les voyages ou une élude plus
appiofondie de l'une ou de l'autre école étrangère. Ce caractère est incon-
testable dans les peintres gothiques; avec quelque attention, on le retrouve
encore dans les maîtres de la renaissance, qui, malgré leur imitation de
l'Italie, s'attachèrent surtout au côté naïf et gracieux que présentait la pein-
ture de cette école. Où il existe encore sans contredit, c'est chez les peintres
de genre qui suivirent l'époque de Rubens. A ce nom, une objection sérieuse
se présente cependant : peut-on juger comme naïves les productions de Ru-
bens et des autres peintres d'histoire que forma son génie et qui suivirent
ses traces? — Oui, répondrons-nous: au centre de la grandeur déployée
dans ses magnifiques compositions par le roi des peintres, ainsi qu"au milieu
de l'aristocratique élégance de Van Dyck, on découvre toujours un sentiment
intime de la nature, soit qu'il se révèle par une Madeleine échevelée, implo-
rant les bourreaux du Christ qu'elle aime de toute la puissance de sa double
nature, soit qu'il se traduise par un ange en deuil versant des larmes sur
le corps détaché du Sauveur, soit enfin qu'il résulte d'un détail qui semble-
rait trivial dans tout autre et qui s'ennoblit au contraire par le sentiment
expressif.
Pittoresque au plus haut point, la composition llamande doit cette qualité
à sa couleur; la recherche de la couleur fait trouver l'efTet d'ensemble, dis-
paraître la convention; et quoi de plus artistique que la couleur dans les
procédés de l'art? Aussi la grandeur magistrale de la ligne, la recherche de
la forme , la noblesse , l'idéalisme enfin ne sont pas souvent du domaine de
nos peintres.
La partie de la peinture d'histoire commune avec la sculpture n'a jamais
intéressé des hommes que leur instinct naturel porte à admirer les nuances
SUR L'ÉCOLE FLAMANDE DE PEINTURE. 23
les plus délicates et riiarmonie des Ions éclatants qu'offrenl à leurs yeux la
nature humaine aussi bien que le paysage el le ciel. Cependant, la gran-
deur leur manque-t-elle absolument? Non certes, et sauf quelques maîtres
italiens, il n'y a pas d'exemples de compositions plus magistrales, plus frap-
pantes à la première vue que celles de quelques-uns de nos maîtres ; mais
c'est à la couleur seule, c'est à l'aspect qu'ils doivent cet avantage, qui ne
résulte point de l'ordonnance du tableau.
Largeur de la lumière.
Ici nous abordons un des principaux caractères de l'école : la distribution de
la lumière dans la composition. De quels exemples admirables ne pouvons-
nous pas nous élayer pour mettre en parallèle les chefs-d'œuvre flamands
avec ceux de l'Italie, de l'Espagne, de la Hollande, etc., où certains peintres
semblent avoir joué avec le soleil lui-même, pour produire l'effet qu'ils dé-
siraient! Mais dans le Midi comme en Hollande, sous des ciels opposés, les
effets ont été à peu près identiques : l'énergie du soleil de la Méditerranée
a produit, par ses contrastes d'ombre, des effets piquants, une force éton-
nante , que l'on retrouve avec surprise sous le climat brumeux et froid de la
Hollande: ici, par le moyen de l'ombre, là, par l'effet du soleil.
Rien de semblable chez nous. Une lumière large, étendue, brillante, géné-
rale, où la couleur fait plus pour les contrastes que le défaut de lumière;
un clair-obscur formé par le ton lui-même, tel qu'un Véronèse peut l'avoir
imaginé; un effet calme, trouvé sans recherche, tranquille comme un Ve-
lasquez, comme certains Tiliens ou Giorgions, mais sans celte sombre pro-
fondeur qu'acquiert chez eux le jour, privé de leur soleil éclatant. Chez
nous, la lumière joue, touche, eflleure tout : chaque objet a son clair, son
ombre, ses demi-teintes, ses reflets et ses points brillants, mais elle reste à
la surface.
Dans le Midi, elle semble entrer dans les objets, se perdre dans leur
profondeur : tout est mat. Ici, tout est luisant, poli, brillant. De là, une
différence d'effets de composition. Les Flamands semblent vouloir repro-
duire unr aspect qu'ils ont vu, sans songer à distribuer la lumière à tel ou
24 MEMOIRE
tel endroit , sans essayer d'équilibrer leur composition par une onihre jetée
avec motif ou par un effet surnaturel; la première lumière venue leur est
bonne; ils entament leur sujet, Téquilibre est parfait, l'effet est produit; ils
ne comptent que sur la couleur pour trouver au fur et à mesure ce qui leur
manque.
C'est ainsi que, dans le Coup de tance de Rubens, la lumière blancbe du
corps du Christ est ramenée, comme par enchantement, sur le premier plan
de la Vierge et de saint Jean par un manteau d'un rouge extraordinaire qui,
dans ce coin sombre, fait comme l'effet d'un rayon de soleil.
Diversité dans le choix des tons.
Le choix des tons révèle, dans son ensemble, le goût et les aptitudes de
notre nation; en effet, là où les autres arrivent à la variété par des essais,
des tâtonnements ou une sorte de science puisée dans l'étude, on voit chez
nous le peintre poser franchement ses tons sans arrière-pensée, sans pré-
occupation de procédé et, du premier coup, arriver à une puissance d'effet
ou une finesse poétique de nuances inimaginable, selon que l'exige l'équi-
libre des teintes ou leur dégradation vers le lointain. Par là on voit souvent
les arrière-plans offrir des parties plus éclatantes que d'autres sur le pre-
mier plan, et rester cependant parfaitement à leur place. Le Flamand trouve
naturellement sur sa palette les nuances dont la réunion produit un charme:
il évite par instinct des Ions criards ou faux, ou trop contrastants et, sans
fatiguer sa couleur, il la varie admirablement. Remarquez comme un rappel
de couleur se montre souvent d'un côté à l'autre de la toile; comme un con-
traste ménagé, quelquefois sans le savoir, vient reporter l'attention sur un
côté inobservé !
Les gothiques, Breughel, tous enfin, nous présentent ce choix varié de
couleurs vives que les Allemands exagèrent et dont le bon goût sait tirer un
si grand parti.
Il n'y a pas, comme dans d'autres écoles, une lumière concentrée qui cap-
tive l'attention : la lumière est la même au centre qu'aux deux bonis; elle
vient du même côté, largement et jamais par rayon; mais la vivacité de
SUR LECOLE FLAMANDE DE PEINTURE. 2o
la couleur au cenlrc , miligée insensihiemeiil vers les bords, fait quelquefois
l'oflice (le miroir concenlriquo.
Ampleur du sli/(c et des formes.
f^a niajeslé est souvent notre fait , la grâce rarement , la svelte élégance
jamais. La beauté llamande est une beauté forte, calme, énergique, sou-
riante et fraîche; mais aussi dépourvue de coquette alTéterie, de voluptueuse
délicatesse, de grâce maladive que de la révélation mystique, du sombre
ascétisme ou des passions altières.
La sinqilicité dans les vues et dans l'agencemenl d'une composition est
la première cause de l'ampleur du style : aussi, même chez les Gothiques,
nous trouvons une masse imposante, des groupes souvent serrés, des figures
nobles, amples, majestueuses, malgré leur apparente maigreur et l'étriqué
ou la roideur de leurs draperies; et c'est plutôt le disparate des tons qui
éparpille l'effet chez eux. Cette remarque s'applique surtout à Van Eyck, à
Hemliiig et à Vander Weyden.
Chez les Flamands plus modernes, celle ampleur existe plus dans le Ion et
la couleur que dans le dessin ou la réunion des groupes. La rondeur de ceux-ci
est chose très-apparente : jamais de dureté; l'une partie se ramène aux autres
en modelant la masse et en formant la grappe; la lumière court insensiblement
de manière que, même à travers l'ombre, le clair se rattache au clair.
Nous pourrions certes citer des exceptions, Boeyermans, par exemple;
mais, presque toujours, la masse est bien nourrie, les groupes sont serrés
et pleins; dans un groupe ou un plan tous les clairs sont réunis et toutes les
ombres aussi, de manière à sembler une masse solide et ronde; et quand il
y a une partie noire dans une gamme claire, elle est si vigoureuse qu'elle
ressort autant que le clair, et aide à continuer l'ensemble sans interruption ;
si, dans une masse, il y a un trou par lequel l'on voit le fond ou le ciel, ce
fond est si conforme au ton général, qu'on ne remar(|ue pas seulemeni la
dureté que paraît devoir produire toujours un vide.
Enfin, les ombres dans les parties claires participent du clair et vice versa,
de façon que le tout forme une masse épaisse , large et simple.
Tome XXXIL 4
26 MEMOIRE
Manque de slyle dans les draperies.
Le jet des draperies, toujours nalurel, quelquefois chiffonné, tounnenlé
comme dans Jordaens, d'autres fois grandiose, noble et majestueux, mais
lourd, comme chez Rubens, n'a rien d'étudié comme dans certaines écoles
et chez les Antiques. Jamais on n'a songé aux contrastes de plis, à l'arrange-
ment dans tel ou tel sens, au style, à la transparence, aux formes que re-
couvre l'étolTe. On dirait d'une draperie (juelconque, jetée sur un modèle et
copiée fidèlement avec tout ce que le hasard y a mis d'heureux ou d'impar-
fait. C'est le même mode d'action que chez les Vénitiens et les Espagnols :
résultat de l'étude simple de la nature particulière aux coloristes de tempé-
rament.
Cette remarque a plus d'intérêt chez les Gothiques; en effet, le style de
leurs draperies est souvent loué avec raison, et cependant, malgré le sentiment
et l'étude qu'ils ont mis en tout, on y reconnaît presque toujours la copie ser-
vile d'une étoffe à peine dépliée et dont le hasard forme les sinuosités.
Emploi des raceourcis.
Raphaël n'a presque jamais employé les raccourcis, qui, en effet, nuisent
à la beauté entendue selon le slyle classique, par leur énergie, leur fougue
et leur étrangeté, qui jurent avec le calme nécessaire au beau idéal.
L'école lombarde et quelques Vénitiens ont suivi le même principe; mais
l'Espagne, prenant la nature sur le fait, en a usé largement, et nos maîtres
n'ont jamais cherché à les éviter, même ceux dont le génie élégant semblait
devoir les rejeter. Quant à Rubens, c'est un de ses caractères, et l'on trou-
vera bien peu de ses tableaux, de ses personnages même, dirons-nous, (pii
n'olTrent quelque raccourci.
Équilibre des tons.
La lumière est partout, et l'œil, se fixant sur un endroit quelconque du
tableau, est ramené vers d'autres points, mais surtout vers ceux que la
couleur met en évidence.
SUR LÉCOLE FLAMA>iDE DE PEINTURE. 27
La composition ne peut donc pas avoir pour point de vue la ligne dans les
masses, comme celle des Allemands, ni l'elTet de lumière des Hollandais, ni
la distribution des ombres et leur équilibre comme chez les Français; mais
elle consiste imiquement pour nous, sous une même lumière, à équilibrer en
tous sens par le moyen de la couleur et de la force du ton les clairs et les
noirs, qu'ils proviennent de Tombre ou de la couleur même des objets.
Manque d'effet concentrk/ue , c'est-à-dire lumière égale au centre
et aux bords.
Par le motif qui précède, les Flamands ont pour la plupart négligé reffel
concentrique; ici nous ne parlons pas de Rubens et de son école; mais
d'autres ont exagéré le clair et l'ombre en force partout égale : c'est le carac-
tère principal du peintre de fleurs Zegers. Janssens, De Klerck, Jordaens
(|uel(|uefois, et tant d'autres, nous en ofl'rent l'exemple. De cette façon le
tout semble plat, sur un même plan, formant seulement une vraie mosaïque
pour la couleur; tandis que les Hollandais, (jui ne recherchent que l'effet et
la limiière, s'efforcent de miliger en même temps leurs ombres et toutes les
teintes sur les bords, pour ramener l'œil à l'effet piquant.
Le tableau flamand est bien rempli; on ne peut en ôter une partie sans
nuire à l'ensemble ou enlever un organe essentiel et qui parle; tandis que,
d'un hollandais, souvent on peut couper tout un bord à l'intérieur du cadre
sans gâter l'effet et sans que Ton s'aperçoive même de ce qui est perdu.
Chez Rubens, il faut l'avouer, l'effet concentrique est admirablement re-
produit par la couleur. En outre , les derniers plans se fondent avec les plus
forts pour former un tout ample et compact, de manière (]ue c'est moins une
dégradation de plans qu'un ensemble (|ue l'on aperçoit.
DESSIN.
L'idéal flamand n'existe que par l'ensemble, la puissance de l'eft'et, l'ébiouis-
sement de la couleur; la ligne régulière, méthodicpie, les proportions antiques
28 MEiMOIRE
ou les altitudes pleines cFun calme majestueux et idéal n'ont rien à y voir.
Devant Ruhens, TelTel vous terrasse, Ténergie vous étonne, la fougue cl la
vitalité sont inconcevables : examinez plus profondémeni , niellez à cùlé une
simple figure de Raphaël, vous trouverez mille laideurs, mille défauts dans
Rubens, vous direz (pie Raphaël seul a compris la beauté. Ceci est une opinion
arbitraire, soit; mais enfin cela prouve que ce n'est pas dans Tordre d'idées
général qu'il faut, chez nous, chercher le beau.
Conscience dans la forme.
Le parti pris de ne rien laisser à la fantaisie ou à des sentiments préconçus
de beauté ou de méthode, doit produire inévilablement une imitation naïve
autant (ju'il est permis à l'artiste, et de la conscience à reproduire les détails.
Il sérail facile ainsi de tomber dans le défaut des Allemands, la sécheresse
et la dureté des contours, si la première préoccupation des Flamands était,
comme chez nos voisins, le trait graphique, inimitable, à la vérité, pour
reproduire une idée; mais pour ceux qui cherchent à retracer un aspect,
un ensemble, on conçoit (jue celle crainte ne saurait être fondée.
Ligne produite par lu couleur ou le clair-obscur.
La ligne se produit d'elle-même chez nos peintres par la différence des cou-
leurs et des tons; elle n'existe pas réellement; ils ne conçoivent un olqel (pu^
sous le point de vue de sa surface et de son ensemble perceptible; ils ne l'exé-
cutent que par les différents plans de ses surfaces, en ayant toujours en vue ce
même ensemble qu'ils veulent reproduire; mais celte manière d'opérer, ce
travail patient de mosaïque, forme, il est vrai, une ligne un peu lourmenlée,
malgré toute ratlenlion et les vues générales que l'on peut y avoir employées.
La ligne est si peu estimée comme moyen expressif, qu'on pourrait en
faire la négation, s'il n'y avait des exemples de dessins faits par des maîtres
llamands, et où la ligne a assurément joué un rôle; sans examiner si une
iniluence étrangère y avait présidé, nous considérerons celle partie de Tari
comme elle doit être comprise dans noire pays.
SUR L'ÉCOLE FLAMA^DL DE PEIMIKE. 29
Forme un peu tourmentée.
LY'pocuio où, chez nous, la ligne Cul le plus cullivée, esl évidemment le
moyen âge : là tout élail étudié; le contour comme le moindre coup de pin-
ceau était le sujet de lal)orieuses recherches, de travaux patients et ardus;
et là, moins que jamais, vous trouverez un parti pris, un écart de la véri-
tahle nature; là, c'est la naïveté au plus haut degré, se rapprochant (piel-
(piefois du style allemand.
Cette exactitude minutieuse ne peut mancpier d'amener, à côté de grandes
(jualités, les défauts qui résultent de rexcès : la minutie, la sécheresse, le
tourmenté. Ceci a rapport aux maîtres gothicpics; mais nous avons dit plus
haut et nous répétons (pie, par une cause différente, la plupart de nos
maîtres nous offrent le même caractère. Quand nous disons le tourmenté, ce
n'est peut-être pas l'expression exacte ; ce serait plutôt imitation servile, ce qui
donne tantôt exagération de muscles ou de formes, ou trivialité, ou encore
multiplicité de détails, selon que le cas se présente à l'étude du peintre.
Défaut de noblesse on d'idéalisme.
Avant les voyages en Italie, nos peintres n'avaient pas la moindre notion
de l'antique ni de la heaulé idéale. L'étude de Raphaël et celle des statues
formèrent des individualités comme Coxcie, Oflo Van Veen, Van Orley,
Floris, (pii tinrent plus assurément de l'Italie que de leur patrie. Il en est
d'autres aussi méritants (pii n'avaient pas quitté la Flandre et dont le con-
traste avec eux est frappant : tels sont les Van Noort, Van Uden, Koeber-
ger, etc., qui avaient réellement conservé complètes les traditions llamandes ;
plus tard, Rubens, formé à ces deux écoles réunies, et inspiré plutôt par son
génie vers le grandiose, conserva si peu de l'élude des grands modèles ita-
liens, qu'on le dirait entraîné toujours vers une nature essentiellement lla-
mande, quoique dépassant la réalité de toutes les bornes humaines.
Le beau, pour nous, redisons-le, loin d'être dans la ligne, réside dans
l'ampleur, la largeur de la masse, la force, la puissance et non dans la grâce
de la forme ou la gravité simple du trait, ou l'agencement étudié du style.
30 MEMOIRE
Noire école est solidaire des colorisles en général; ce que l'on reproche au
Titien, à Murillo, Véronèse, Giorgion, Kibera, peut être imputé à charge aux
Flamands : ce que Ton a supposé un défaut de noblesse, un manque de
grandeur, de dessin , un réalisme qui ne s'élève pas plus haut (|ue le monde
ordinaire, tout en le représentant admirablement, telles sont les propriétés
communes à tous les colorisles.
Si Ton essayait de rapprocher de quelques maîtres français, par exemple,
un (lamand, môme soigneux de la forme, supposons Van Dyck, on serait
étonné de voir combien le dessin des premiers semble conventionnel, fait
d'idée, pour ainsi dire, alors que Taulre, aussi recherché qu'il peut l'être,
rappelle aussitôt la nature et semble la faire vivre devant nous.
COULKUR.
Tons posés du premier coup.
La franchise du ton participe de ce travail de mosaïipie (pii semble le |)ar-
lage de notre école, et quia sa raison d'être plutôt dans la couleur que dans
toute autre branche. On ne revient pas par procédé, par des glacis, des re-
touches, sur des tableaux préparés: du premier coup, le ton est posé, juste,
et rarement à changer; la couleur est posée en pâte en tons multipliés; si
l'on reprend à nouveau pour finir, on tire parti de ce qui est peint et ce n'est
plus, à proprement parler, qu'un poli qu'on donne à ce qu'on a fait.
Il serait difficile de concevoir autrement la couleur, avec l'hypothèse que
nous avons admise sur la manière, pour nos peintres, d'envisager et de rendre
une œuvre d'art. En effet, comment supposer (lu'après avoir étudié si profon-
dément chaque partie de son tableau, pour la mettre en rapport direct avec
celle déjà faite, il soit possible de travailler par surprise, pour ainsi dire, afin
de produire des effets dont souvent on ne peut se rendre compte à l'avance,
et (|ui réussissent plutôt à la manière de tours de force, que comme résultat
d'études consciencieuses et soignées ?
SIR LÉCOLE FLAMANDK DE PEINTURE. 51
Smplicilo , frairheur et pureté dos tous.
lue dos plus l)ellos (|ualilt'S de noire école, c'est iiiconleslablemenl celle
fraiclieiir de couleur qui, apanage de lemps inniiéniorial de la race flamande,
le plus parfait joyau de la beauté des femmes de noire pays, Test aussi de
noire peinture. Il est vrai que tout contribue à celte fraîcheur : riiumidilé
du climat, cause de la beauté de la verdure el des Ions vaporeux du malin;
Texquise propreté de tous les objets, des édifices; le coloris vivace des tliïures,
el puis encore, le sentiment naturel , le goùl du peuple pour ce qui est propre,
neuf, soigné el vif de couleur.
En outre, le procédé d'exécution, à lui seul, esl le plus apte à produire
des Ions simples el purs pour quiconque en a la moindre intention : il est
évident que si Ton dépose sur la toile un las de couleur sans retendre ou le
remuer, il sera plus propre que le même las, tourné et frotté sur une palette;
de plus, un ton composé de deux couleurs simplement mélangées el posées,
doit être plus frais el plus éclatant qu'un autre ton, formé de trois couleurs
ou j)lus, cl mélangées en conséquence. Ce principe est la source de ce coloris
pur el clair, (pii n'a d'égal dans aucune école, el qui esl la base fondamentale
de l'art flamand; l'élude de la palette, la minutie dans le choix des substances
colorantes, rallention dans les proportions du mélange, rien n'est négligé dans
ce but, indispensable à celui qui veut, du premier coup, frapper juste cl
bien.
Défaut de transparence.
Selon nous, celte manière de poser les Ions cause une certaine lourdeur
dans la couleur; il esl certes des exceptions, mais on ne peut nier (pi 'en
Flandre les peintres de marines, d'eaux, de ciels, de fleurs et de sujets
gracieux et légers, qui comportent toujours la transparence comme première
(|ualilé, ne soient bien plus rares que dans certaines autres écoles, telles que
Venise, la Hollande, l'Anglclerre et même quelquefois la France dans ses
sujets légers el chiffonnés, dans ses décorations d'appartements. La superposi-
tion savante de deux couleurs donne en effel une transparence que ne pouriail
atteindre un Ion, quel qu'il soit, posé à pleine couleur; l'aquarelle en esl un
32 MEMOIRE
exemple, et l'on remarquera que c"esl dans les pays que nous venons de
nommer que celle peinUire est le plus en usage et en vogue.
Variété dans les tons juxtaposés.
L'harmonie esl formée par l'union des conirasies, a dil Bernardin de Saint-
Pierre, et c'est, dirait-on , le principe de noire école ; en effet, peu ont poussé
plus loin le sentiment de l'harmonie des couleurs, et l'on peut remanpier (pie
les tons les plus dilTérenls, les contrastes qui seraient les plus cho(|uants sous
une main inhabile, concourent presque toujours à former ce tout harmonieux
qui provoque notre admiration. Ceci existe dans la composition comme dans
les tons dont est formée une simple figure. C'est là même un des |)oints de
caractère auxquels les étrangers (|ui étudient la manière flamande ont le plus
de peine à s'assimiler; ils trouvent réellement des obstacles souvent insur-
montables dans cette mosaïque , à la fois d'effet et de couleur, (jui ne forme
quune question de peu de temps pour un Flamand bien doué. Les couleurs
sont toujours vives, résultat de la simplicité du mélange, et cependant rien
ne se heurte, absolument comme dans un bouquet formant un ensemble
cbarmanl et où se réunissent les tons les plus riches et les plus vigoureux,
les couleurs les plus disparates et les plus édalanles.
Manque de modelé.
Les contrastes dans la couleur d'une même figure, les larges tons à côté
les uns des autres, ne favorisent pas autant le modelé que cette sorte de gri-
saille en peinture, que font quel(|ues écoles s'occupant surtout de clair-obscur.
Assurément il y a de la rondeur; la couleur habilement ménagée fait avancer
les clairs et les parties en relief, reculer les fonds, arrondir les contours, har-
moniser les Ions trop différents; mais il est évident que la différence même
dans la composition de ces tons, pour peu qu'ils ne soient pas mitigés de la
manière la plus parfaite, doit tôt ou tard se faire sentir et nuire au modelé
par des espèces de nuirbrures.
Celte observation est principalement sensible dans les anciens tableaux, où
SUR L'ECOLE FLAMANDE DE PEINTURE. 53
les influences alniosphériques ou chimi(|ues ont agi sur les nuances. On la
découvre clans Rubens, qui a voulu, semble-l-il, se jouer de la couleur en
accumulant à plaisir les teintes les plus diversement composées. Aussi, quoi-
que son inconcevable habileté sorte toujours victorieuse dans ses œuvres vues
à distance, on peut se convaincre, en examinant de près quelques peinlures
non retouchées, que certains tons sont pour ainsi dire heurtés.
Demi-teintes fines et bleuâtres.
Dans nos contrées, la lumière elïleure tous les objets; elle ne donne pas
en plein comme dans le Midi. Plus diffuse, elle diverge plus ou moins dans
tous les sens et jusque dans l'ombre, où elle produit le reflet. C'est ainsi que
se forment ces tons gris bleuâtre, d'une finesse extrême et dont la facture
est souvent complètement différente des teintes juxtaposées; en effet, la pa-
lette flamande a trois tons fondamentaux : un ton clair, pur, simplement
formé, un ton pour les transitions, les plans fuyants, composé de couleurs
transparentes et légères dans lequel l'outremer a joué et joue encore un
grand rôle, et enfin, un ton d'ombre, chaud, transparent, brun et coloré.
C'est théoriquement parlant que nous admettons ceci ; car la pratique ferait
naître encore une foule de conditions particulières et plus d'une nuance (|ui
n'est pas énoncée plus haut.
Contraste de l'ombre avec le clair.
L'harmonie ne résulte pas seulement des contrastes do couleurs, le clair-
obscur y a sa part par le contraste de la lumière et de l'ombre. Non-seule-
ment, dans notre école, ce sont deux tons difleremment posés, l'un en pâte,
l'autre en frottis ou en glacis, mais l'ombre est forte, vigoureuse, chaude,
autant (|ue le clair est vif, brillant et lumineux; elle n'est cependant ni noire
ni bitumineuse comme celle des peintres hollandais : le fond change comme
elle, selon le ton local général, et le changement de plan ou de gamme la
modifie presque toujours complètement.
Tome XXXIL .5
34 MEMOIRE
Bc/lels colorés et bien étudiés.
On ne peul conlester que les refiels, les mille chaloyemenls de la couleur
et (le la lumière dans l'ombre ne produisent un des principaux charmes du
pinceau de nos grands maîtres. Rubens, le premier, en a fait un emploi in-
fini, admirable, sans toutefois s'approcher de l'exagéralion qui fait disparaître
la masse au profil des détails. Chez nous, plus que partout ailleurs, on sait
tirer parti de ces jeux de lumière que favorise en outre une clarté large,
simple et répandue de toutes paris: la France, l'Allemagne, la Hollande même
n'olTrenl rien de semblable. Celle dernière école, par ses rayons piquanis,
ses elTets concentriques assombris vers le cadre, se prive elle-même de cette
ressource dont son instinct de coloriste aurait sans doute tiré bon parti. L'école
ilalienne semble ne les avoir jamais connus. D'ailleurs, dans le Midi, la force
de la lumière, agissant naturellement sur la force des ombres, finit par absor-
ber et l'effet et la couleur en ne laissant plus de place aux reflets. Aussi, en
Espagne, et même chez la plupart des Véniliens, voyons-nous une lumière
fortement colorée; mais si nous descendons vers l'ombre, il n'y a plus rien :
une niasse imposante, mystérieuse, indéfinissable; chez nous, on voit dans
l'ombre comme dans le clair, et les objets y ont leur forme el leur couleur.
Défaut (le relief.
L'examen de la photographie et du stéréoscope nous prouve que le relief
est une qualité plus sensible et plus facile à marquer dans un dessin ou un
clair-obscur que dans un tableau : c'est, croyons- nous, le seul motif pour
lequel les Hollandais, par exemple, ont plus souvent que nous réussi à le
produire: citons simplement Jean Steen, dont le relief est quelquefois inima-
ginable.
Le musée d'Anvers possède de ce peintie un tableau représentant un caba-
ret où les personnages, vus à quelque distance, semblent les uns ressortir,
les autres s'enfoncer dans la profondeur de la salle avec un relief étonnant;
nous pourrions comparer ce tableau, sans la moindre rélicence, à un petit
théâtre de marionnettes.
SUR L'ÉCOLE FLAMANDE DE PEINTURE. 55
H est vrai que nos peintres, imaginant une scène telle qu'elle se passe en
nature, avec couleur, formes, ombres et distances, peuvent perdre facilement
cette qualité de perspective aérienne, par le constant désir de juxtaposer
des teintes pures et harmoniques sur un plan.
Les touches claires viennent relever la masse , il est vrai : mais ce qui
produit le relief, ce n'est pas l'ombre par sa vigueur, ni la vivacité du clair,
ni la force du ton, c'est, plus que tout cela , le modelé extrême, et surtout la
fonte des contours dans le fond à l'aide de nuances aériennes, qui non-seule-
ment marijueiit le reflet de la couche d'air étendue derrière la figure, mais,
de plus, détachent la figure entière du fond. Or, en mettant d'un coup nos
tons presque sans repeindre, il est fort difficile d'obtenir ce résultat. Les
Hollandais et les autres écoles qui s'occupent du modelé ont, au contraire, cet
avantage.
Éclat et brillant dans les touches lumineuses.
Si déjà les ions locaux sont clairs el purs, il est facile à concevoir que le
point lumineux brillant sur ce ton local doit arriver à un degré excessif de
clarté, surtout parce qu'il est déjà plus marqué que dans la peinture des
autres écoles; c'est même un caractère de la couleur llamande, que les
touches claires et largement posées pour rehausser encore le clair. Elles
n'existent pas chez les Français; chez les Hollandais, elles servent plutôt à
rehausser el à donner un piquant aux tons gris du clair, et sont, pour ce
motif, presque toujours plus colorées que ce clair même.
Largeur de la peinture même dans le fini.
Presque impossible par un travail de mosaïque comme celui qui forme la
base de notre couleur, par des touches empâtées, le fini précieux et poli, tel
que Gérard Dow nous le présente, n'a jamais trouvé d'adeptes en Flandre,
sinon au moyen âge, alors que la peine et le travail, inhérents à une nou-
velle manière de peindre, entravaient autant que le défaut de connaissance.
Mais, hormis cette époque, les tableaux les plus finis, les mieux louches, le
36 MEMOIRE
sont toujours par coups de brosse visibles de près; par touches fines, spiri-
tuelles et légères mais faciles à distinguer; par tons posés avec leur forme et
en pale, loin d'être fondus, glacés ou noyés dans les teintes environnantes,
ou d'être pointillés, comme on en trouve des exemples.
Ce caractère est, selon nous, un de ceux qui assimilent le plus Adrien
Van Ostade à Teniers et à nos autres peintres de genre : c'est toujours le
principe de la grande peinture pour la largeur de la brosse, réduit juscpi'aux
plus minimes dimensions et dont Rubens a poussé à l'extrême le développe-
ment grandiose.
Nous avons encore deux observations à énoncer au sujet de la couleur;
nous ne savons si l'on pourrait les admettre au nombre de caractères dis-
linclifs ou généraux de la peinture flamande, car c'est l'étude du seul Rubens
qui nous les a suggérées, et nous sommes loin de |)rétendre que celte incar-
nation de l'école flamande n'ait pas eu ses caractères propres avec tous ceux
qu'il nous a transmis ; mais il se pourrait que les deux faits suivants prissent
leur source aulanl dans le sentiment nalional que dans la science prodigieuse
et les aptitudes extraordinaires d'un homme.
Il est l'cmarquable que Rubens avait une sagacité profonde dans la décou-
verte et l'emploi des contrastes de couleurs et de nuances. De nos jours , un
habile chimiste, M. Chevreul, a déduit de ses recherches faites dans l'inlérêl
de l'industrie une sorte de statistique de nuances; suivant lui :
Le vert-azur contraste avec le rouge ;
Le violet est complémentaire du jaune légèrement verdàlre;
Le bleu contraste avec l'orangé ;
L'indigo avec le jaune légèrement orangé.
Il a, de plus, établi la règle suivante :
L'(eil étant simultanément impressionné par deux couleurs (|ui se louchent,
il les voit le plus dissemblables possible.
Or, chose étonnante, on retrouve facilement l'usage de ces propriétés dans
les tableaux de Rubens, non-seulement dans l'étiuilibre des couleurs d'une
conq)osition, mais jusque dans une simple tète. Celle particularité est très-
SUR L'ÉCOLE FLAMANDE DE PEINTURE. 37
facile à étudier dans ce maître, à cause de la largeur de ses tons; en elïel,
prenons au hasard une de ses compositions, la Descente de croix, par exemple;
il y avait là un centre lumineux el clair qu'il fallait entourer d'une manière
égale par des Ions divers qui s'y relient. Nous voyons d'abord le manteau
rouge de saint Jean accompagné aussitôt de son complémentaire, le vert de
la robe de Marie -Madeleine : c'est comme la base de l'édifice; sur le côté,
le manteau bleu et le voile de la Vierge qui contrastent avec son propre ton
de chair et la robe jaune de Joseph d'Arimathie, placé au-dessus. En bas,
à gauche, les chevelures blondes des deux femmes, avec la robe violette
de Tune d'elles. Ensuite un autre contraste formé par la robe pourpre du
disciple de droite et le ton de sa carnation brune el vigoureuse. De même
que l'homme penché en avant et qui soutient le bras du Christ, à gauche, a
les chairs et la draperie complémentaires l'une de l'autre. Il est remanpiable,
de plus, que les Ions violets et gris abondent tout autour du centre lumineux,
(|ui est blanc pour la draperie, mais jaune plus ou moins nuancé pour le corps
du Christ. Ces contrastes n'empêchent pas les rappels de couleur. Car la bas-
sine de droite avec les tons jaunes et oranges d'en haut, le vieillard d'en haut,
à droite, avec la robe lilas d'une Marie, le bonnet rouge de Joseph avec la
robe de saint Jean, la robe bleue avec la robe violette de droite, prouvent
qu'on chercherait en vain un défaut dans l'équilibre de la couleur.
Mais prenons une simple figure, un portrait, par exemple. Nous voyons
bien souvent des demi-teintes fines, grises à distance et qui, vues de près,
sont tout à fait laqueuses ou jaunes, ou d'un autre ton qui change par la
juxtajiosilion d'un ton com|)lémentaire.
Comme règle ordinaire donc, on trouve toujours à côté d'un ton local clair
ou rouge, par exemple, une demi-teinte verdâtre ou une oml)re tirant sur le
vert : de même l'ombre générale contraste avec le ton clair général.
Prenez un cadavre , le corps du Christ , vous y trouverez deux Ions dans
le clair, soit l'un jaune un peu orangé, l'autre alors d'un gris bleuâtre
fin.
Enfin partout, à côté d'une draperie rouge, vous en verrez une bleu ver-
dâtre ou même une verte; à côté d'un bras de carnation rouge, vous trouverez
presque toujours une draperie ou un objet vert : ce (|ui nous fait présumer
58 MEMOIRE
que les tons clairs ou les couleurs les |)lus vives sont le point de départ pour
modifier les tons rompus.
Une autre observation non moins importante, c'est l'étude des gammes de
couleur; tous les objets et personnages d'un même plan participent de la même
gamme, et l'on peut retrouver en eux une intention identique de coloris.
De plus, la couleur propre de chacune de ces gammes contraste avec celle
d'iui autre plan; par exemple, une figure faisant partie d'une gamme rou-
geâtre devant ressortir sur un fond apparienanl à un autre plan, celui-ci est
verdâtre. On le conçoit, ce sont là toutes difficultés dans l'art ; toutes nuances
fugitives ou plutôt effets d'une profonde sagacité, (piand il faut, dans une
même partie de tableau, du premier coup, par réffexion autant que par
instinct, adapter et appliquer en même temps ces règles si nombreuses. Aussi
ne les avons-nous présentées ici que comme particularités propres surtout à
Rubens.
DU PAYSAGE.
Otte partie de l'art ne nous procurera pas de nouveaux caractères à étu-
dier; mais puisque le paysage a été défini un résumé de tous les autres genres
de peinture, il peut de même à lui seul contenir tous les caractères énoncés
pour l'histoire.
En efl"et, il suffit de voir queUpies paysages de notre école pour se con-
vaincre d'abord qu'il n'y a pas de parti pris, d'intention de composilion, de
groupé, ni même de feuille méthodique des arbres. Le paysage historique,
par exemple, n'a jamais eu de vogue chez nous; en revanche, on trouve,
comme en Hollande, phus d'une élude consciencieuse d'un site souvent mé-
diocre, d'un arbre rabougri ou du premier animal venu.
Toutes les remarques (jui ont rapporta la lumière naissent et proviennent
de l'examen de la nature en Flandre et, par conséquent, se retrouvent comme
dogmes dans le sujet que nous traitons.
SUR LÉCOLE FLAMANDE DE PEI.MLKE. 39
Le relief manque assez souvent , et comment le contraire pourrait-ii exister?
Dans les pays montagneux il est sensible, dans les plaines moins, et il ne Test
presque plus avec un horizon borné; or tel est le caractère de la plupart des
paysages flamands.
Otiant au choix des tons, au procédé, à la couleui-, il est hors de doute
(pie Kubens, un des plus grands paysagistes dont la Flandre s'honore, n^i
|)as agi autrement dans ses chasses et autres sujets que dans ses grands
tableaux, et qu'il a toujours eu en vue les mêmes principes qui guidaient
son pinceau et en lesquels se résumait pour lui la pratique de Fart.
La patience dïmilation se traduit chez Breughel , dont le feuille et la mi-
nutie des détails vont jusqu'à l'extrême; l'ampleur dans les masses, c'est par
Kubens encore et toujours, par Van Dyck, Jordaens, dans quelques fonds
de tableaux, Van Artois, etc.
Si nous abordons les paysagistes contemporains, nous pourrons facilement
nous convaincre de la coimexité de leurs tendances avec rancienne école
flamande et de ce que ces tendances ont de national. Dans le paysage |)lus
que dans les autres genres, le senliment naïf de la nature et de l'originalité
est resté chez les artistes : De Jonghe, Verboeckhoven , Ommeganck, etc.,
ne sont-ils pas aussi amoureux des détails et de la recherche dans la nature
et la couleur? Robbe, Jacob Jacobs, Verlat, De Rnyfl", etc., ne sont-ils i)as
les représentants de l'ampleur, de la masse, et tous n'ont-ils pas une lumièie
étendue, uniforme? N'est-il pas bien rare de trouver de ces efl'ets concen-
trés, de ces rayons lumineux, de ces fouillis dans l'ombre qui constituent le
charme de tant d'autres écoles étrangères? De nos jours, le paysage a ac-
(piis une importance qu'il n'a jamais atteinte auparavant dans notre pays :
on compte en effet peu de Flamands ipii aient fait du paysage pur et sinq)le.
C'étaient d'ordinaire des fonds de tableaux, et, sauf quelques exceptions,
aujourd'hui encore, les animaux forment le sujet principal de nos paysages:
c'est que l'œil, chez nous, ne se perd pas dans l'espace, du haut des cimes
d'un rocher ou du bord d'une falaise; il ne s'égare pas rêveur au milieu des
vapeurs poétiques de lacs ou de rivières immenses; l'horizon est borné, le
tableau est simple et modeste : rien de trop semble être en tout la devise de
notre nationalité.
40 MEMOIRE
Entiii , ou ne saurait Irouver, sinon on Angietorre, où le paysage est pour
ainsi dire dans les mœurs, une école dans ce genre qui présente plus d'éclat
et de fraîcheur dans la couleur que la noire.
CONCLUSION.
Qu'il nous soit permis de terminer par certaines observations de nature à
justifier en quelque sorte le plan de notre travail et son exécution.
Il est évident que plus d'une des remarques que nous avons émises, surtout
à propos de la couleur, sont sujettes à des interprétations fort diverses, selon
le sentiment, le caractère ou la nature de l'observateur. Il a toujours été jugé
impossible de donner des principes sûrs et fixes sur une matière variable
à l'infini, telle que la couleur, que chacun voit dillleremment, où les nuances
délicates semblent souvent changer à l'examen attentif et où l'illusion tra-
vaille autant que les propriétés de la nature. Cependant, en bien des points
nous croyons avoir touché juste, autant à cause d'une étude consciencieuse,
d'une observation de plusieurs années, que du point de vue tout national
auquel nous nous sommes placé dans notre appréciation.
En effet, on s'apercevra que nous n'avons pas fait usage de citations ou
(le jugements empruntés à des ouvrages déjà publiés, quoiqu'il en existe
assurément dont les auteurs sont ou bien des écrivains très-compétents en
fait d'art, ou bien de grands artistes. Mais il nous a paru que, pour juger
l'école flamande au véritable point de vue, il ne fallait ni s'inspirer du sen-
timent étranger, ni même chercher en dehors de notre pays des points de
comparaison et des sujets d'étude, mais émettre spontanément nos propres
convictions.
Malgré la quantité des chefs-d'œuvre de nos maîtres qui ont déserté la
Belgique, c'est encore chez nous qu'il faut venir pourvoir et juger les Fla-
mands.
Anvers possède des tableaux admirables de cette école, Bruxelles s'est
SUR LECOLE FLAMANDE DE PEINTURE. 4i
formé une oofleclion pleine trintérêl, el, si Ton y ajoute les musées des
autres villes, ainsi que quelques galeries particulières, on sera étonné du
nombre d'œuvres devaleur que Ton aura réunies et qui proviennent de noire
seule école.
C'est surtout, nous ne le contesterons pas, le Roi de nos peintres qui nous
a inspiré; mais s'il nous a suggéré la plus grande partie de nos observations,
si ses œuvres ont été pour nous un véritable rudiment, c'est qu'en Rubens
se résume l'école flamande ; c'est qu'il en est et la plus belle expression et le
plus infatigable ouvrier; c'est que tout ce qu'on trouve en Rubens existe en
germe dans le cœur de tout artiste véritablemenl flamand, et que vouloir
atteindre plus haut que lui, c'est vouloir l'impossible, car ce serait dépasser
la perfection humaine dans ses dernières limites.
Mais le rôle de la Flandre n'est pas fini dans l'histoire de l'art : selon
nous, au contraire, le progrès no peut qu'activer et nos tendances el notre
énergie.
Les moyens d'action sont changés, il est vrai : ce n'est plus l'inspiration
seule et un travail passionné qui produit les artistes. Notre siècle doitToir
l'industrie, la science tous les jours plus infaillible, donner la main à l'art
pour se frayer ensemble une route inconnue ; mais ce n'est pas là une raison
pour abandonner nos anciennes traditions; au contraire, là est l'inspiration,
le sanctuaire de l'art flamand, et c'est en nous étayant de nos divins modèles,
en marchant toujours unis et par conséquent forts, dans la roule de nos an-
cêtres, que nous verrons un jour noire école arriver au plus haut point de la
gloire el de la perfection artistique.
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Tome XXX 11.
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