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Full text of "Mʹemoires couronnʹes et mʹemoires des savants etrangers, publiʹes par l'Acadʹemie royale des sciences, des lettres et des beaux-arts"

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OP 


COMPARATIVE    ZOOLOGY, 


AT  HARVARD  COLLEGE,  OAlIBRIDfiE,  MASS. 


The  gift  of   F\«-c^'>Wv   ^'îiA.ojuvjaj., 


.  \5^^ 


No.  \5^ 


MÉMOIRES  COURONNES 


MÉMOIRES  DES  SAVANTS  ÉTRANGERS, 


PniLlES    PAU 


L ACADEMIE  ROYALE 

UES    SCIENCES.     DES    LETTRES     ET     DES     BEAUX- ARTS     DE     liEEUIQUE. 


MÉMOIRES  COURONNÉS 


ET 


MÉMOIRES  DES  SA\  ANTS  ÉTRANGERS, 


PUBLIES    PAIt 


L'ACADÉMIE  l\OYALE 


DES  SCIENCES,   DES  LETTRES  ET  DES  BEAUX-ARTS  DE  BELGIQUE. 


TOME  XXXII.  — 1864-1865. 


RRUXELLES, 


M.    HAYEZ,    IMPRIMEUR    DE    L'ACADÉMIE    ROYALE. 


iYA 


1865. 


TABLE 

DES  MÉMOIRES  CONTENUS  DANS  LE  TOME  XXXII. 


CLASSE  DES  SCIENCES. 


MEMOIRES    COlIHOiV.'yES. 


Hi'cIktcIk's  sur  la  composition  chimique  des  aciers,  par  M.  H.  Caron. 

MÉMOIRES    DES    SAVANTS    ÉTRANGERS. 

Mi'iiioire  en  réponse  à  la  question  suivante  :  Trouver  les  Uijiu's  de  coiirhiirt-  du  lieu  des 
ixilnls  iloiit  lu  somme  des  distances  à  deux  droites  rpii  se  coupent  est  consliiDle,  par  M.  Eugène 
Calalaii. 

Mcuioirc  sur  un  chronographc  électro  balisli((ue,  par  M.  P.  Le  liouicnijé. 

lU'clierchi's  sin-  la  capillarité,  par  M.  lîède. 

CLASSE  DES  LETTRES. 


MElloniE    COURONNE. 

Uisloire  des  colonies  belges  (pii  sélablirent  eu  Alleuiague,  pendant  le  .\II""  cl  le  XllI"'   siècle. 
par  M.  E.  de  Borcligrave. 

CLASSE  DES  BEAUX -ARTS. 


MEMOniES    COURONNES. 

Ecole  tlauianile  de  peinluie.  —  Caractères  constitutifs  de  son  originalité ,  pai'  M.  VVicrlz. 
Mf'rnoirc  sui-  les  caraclèii-s  coustilulifs  de  l'Ecole  flauiandc  de  peinture,  par  M.  Edgar  IJaes. 


RECHERCHES 


SL'K    LA 


COMPOSITION  CHIMIQUE  DES  ACIERS. 


MÉMOIRE  COURONNÉ 

PAR  l'académie    royale   DE   BELGIQUE,   LE   )5  DÉCEMBRE   1864, 
EN   RÉPONSE  A   LA  QUESTION   SUIVANTE  : 

Les  reclierches  effectuées,  ilans  ces  dernières  années,  sur  la  composition  chimique  des 
aciers  ont  fait  naître  des  doutes  qu'il  importe  d'éclaircir;  l'Académie  demande  qu'on 
établisse,  par  des  expériences  précises,  qîiels  sont  les  éléments  essentiels  qui  entrent 
dans  la  constitution  de  l'acier,  et  qu'on  détermine  les  causes  qui  impriment  aux  di/fé- 
rents  aciers  produits  par  l'industrie  leurs  propriétés  caractéristiques. 


M.  H.  CARON, 

■CAPITAI^E    d'aRTI  LLEHIF. ,    A    PARIS. 


Tome  XXXII. 


RECHERCHES 


SUR    LA 


COMPOSITION  CHIMIQUE  DES  ACIERS. 


Gitius  eniergit  veritas  ex  errore  qu»ni  ex 

(■«iifusidiie.  (B.) 


Avant  d'aborder  la  (|iiestion  posée  par  l'Académie,  il  est  indispensable  de 
rappeler  soinmairenienl  les  recherches  à  propos  desquelles  des  doutes  ont 
pu  rester  dans  Tespril  de  quelques  savants  sur  la  composition  chimique  des 
aciers. 

La  cémentation  du  fer  est  une  des  méthodes  le  plus  en  usage  et  nous 
dirons  même,  la  meilleure  méthode  employée  pour  obtenir  l'acier  de  qualité 
supérieure.  Cette  opération  consiste  à  chauffer  au  rouge  dans  des  caisses 
convenablement  fermées  des  barres  de  fer  entourées  de  charbon  de  bois  con- 
cassé. Qnekpiefois  on  ajoute  au  charbon  des  cendres  de  bois,  du  sel  marin, 
des  matières  animales,  etc.,  etc.  (nous  en  verrons  plus  tard  les  effets);  mais 
généralement,  par  économie,  le  charbon  de  bois  est  employé  seul. 

On  ne  comprend  pas  bien  comment  une  réaction  peut  se  produire  entre 
le  charbon  et  le  fer;  puisqu'ils  ne  deviennent  ni  volatils,  ni  liquides  aux 
tenq)ératures  employées  dans  la  cémentation.  Il  a  fallu  admettre  nécessaire- 
ment qu'il  existait  en  même  temps  un  ou  plusieurs  autres  corps  susceptibles 
de  se  combiner  avec  le  carbone  et  de  le  transporter  à  l'état  gazeux  jusqu'au 


4  RECHERCHES 

métal  immobile  et  fixe.  Quels  sonl  ces  corps?  L'oxygène  et  Tazole  donl  se 
compose  en  grande  partie  Talmosphère  des  caisses  de  cémentation  furent 
les  premiers  éléments  sur  lesquels  se  porta  raltention  des  métallurgistes. 

MM.  Leplay  et  Laurent  *  essayèrent  de  prouver  que  Toxyde  de  carbone 
était  le  corps  volatil  aciérant ,  et  que  la  transformation  du  fer  en  acier  ne 
pouvait  être  due  à  la  petite  quantité  d'bydrogène  carboné  ou  de  cyanogène 
se  formant  dans  ces  circonstances.  (Ces  savants  produisaient  l'oxyde  de 
carbone  au  moyen  du  charbon  ordinaire  et  de  Tair.)  Malheureusement  pour 
celte  théorie,  il  fut  bien  constaté  (ju'en  faisant  passer  sur  du  fer  porté  au 
rouge,  un  courant  d'oxyde  de  carbone  pur  provenant  de  la  décomposition 
de  Tacide  oxalique  par  l'acide  sulfurique,  on  n'obtenait  aucune  cémentation. 
L'hypothèse  de  MM.  Leplay  et  Laurent  n'était  donc  plus  admissible.  Quehpie 
temps  après,  M.  Saunderson  ^  démontra  que  la  présence  de  l'azote  était  abso- 
lument nécessaire  dans  la  cémentation  industrielle;  ce  savant  métallurgiste 
parvint  aussi  à  cémenter  le  fer  en  faisant  passer  sur  ce  métal  chaulïé  au 
rouge,  un  courant  de  gaz  de  l'éclairage  mélangé  de  gaz  ammoniac.  Tous 
ces  faits ,  tous  ces  travaux ,  ne  donnaient  pas  l'explication  de  la  cémentation  , 
il  restait  seulement  accpiis  à  la  science  que  l'azote  était  indispensable. 

Enfin  en  1860,  M.  le  capitaine  Caron  "  présenta  à  l'Académie  des  sciences 
de  Paris  une  série  d'expériences  (pii  tendaient  à  prouver  que  le  corps  acié- 
rant dont  on  soupçonnait  l'existence  devait  être  un  cyanure  alcalin  formé 
en  présence  du  charbon  par  l'azote  qui  compose  l'atmosphère  des  caisses  de 
cémentation  et  par  l'alcali  que  les  charbons  de  bois  contiennent  toujours  en 
(luantilé  notable. 

Pour  le  prouver,  il  sulïisait  de  faire  voir  (pie  le  charbon  sans  alcali  et  sans 
azote  ou  sans  l'un  de  ces  deux  corps  ne  donnait  jamais  de  cémentation. 

Un  morceau  de  fer  entouré  de  charbon  privé  d'alcali  par  le  lessivage  et 
la  calcination  ,  fut  chauffé  au  rouge  dans  un  courant  d'azote;  il  n'y  eut  pas 
de  cémentation. 

Un  morceau  de  fer  entouré  de  charbon  ordinaire  non  lessivé  et  non  cal- 

'   Annules  de  cliiink  et  phijst<iuv ,  'î""  série,  t837,  l.  I-XV,  j).  405. 

-  Bery-  tinil  HuHenmannischv  Zeiluncj ,  n"  il,  1859. 

'"  Comptes  rendus  de  l'Anidémie  des  seienccs  de  Paris,  l.  Ll,  p.  'jOi-,  I8G0. 


SUR  LA  COMPOSITION  CHIMIQUE  DES  ACIERS.  5 

ciné,  fui  chauffé  au  rouge  dans  un  courant  de  gaz  hydrogène  bien  privé 
d'azole;  il  n'y  eut  pas  de  cénienlalion. 

D'un  autre  côté,  du  charbon  privé  d  alcali,  et  qui  n'avait  pu  produire  de 
cémentation  sous  l'influence  de  l'azote,  devint  un  cément  très-actif  après  (pi'il 
eut  été  imbibé  d'une  dissolution  alcaline. 

Du  charbon  de  bois  non  lessivé  et  non  calciné,  mais  qui  n'avait  pu  cé- 
menter du  fer  en  l'absence  de  l'azote,  devint  aussi  un  cément  actif  sous  lïn- 
fluence  de  ce  gaz  '. 

Il  était  donc  démontré  que  la  cémentation,  telle  qu'elle  se  pratique  dans 
Tindustrie ,  nécessitait  non-seulement  la  présence  du  charbon  et  de  l'azole , 
mais  encore  celle  d'un  alcali.  Or,  le  charbon,  l'azote  et  un  alcali  mis  en 
présence  au  rouge,  forment  toujours  un  cyanure  quand  l'alcali  se  trouve  être 
de  la  potasse ,  de  la  soude,  de  la  lithine,  de  la  baryte  ou  de  la  strontiane;  on 
pouvait  donc  penser  que  la  cémentation  se  faisait  par  les  cyanures  ,  corps 
volatils  au  rouge,  et  indécomposables  à  celte  température  par  la  chaleur 
seule.  Comme  confirmation  de  celle  hypothèse  on  reconnut  que  la  chaux, 
qui  dans  les  mêmes  circonstances  ne  donne  pas  de  cyanure,  ne  produit  non 
plus  aucune  cémenlalion. 

Si  l'on  examine  ce  qui  se  passe  dans  les  opérations  industrielles,  on  aura 
encore,  s'il  est  besoin,  une  confirmation  de  la  justesse  de  l'hypothèse  pré- 
cédente. En  effet,  le  charbon  qui  a  servi  une  fois  à  la  cémentation  n'est 
plus  actif,  et  doit  être  rejeté  ou  mélangé  par  économie  avec  une  grande 
quantité  de  charbon  neuf.  Ce  n'est  cependant  ni  l'azote,  ni  le  carbone  qui 
manquent  après  la  première  opération,  c'est  l'alcali  qui  a  été  entraîné  par 
les  gaz;  sans  alcali  il  n'y  a  plus  de  cyanure  possible,  et  sans  cyanure  il  ny 
a  plus  de  cémentation. 

Pourquoi  l'industrie  a-t-elle  reconnu  l'utilité  d'ajouter  au  chail)on  de  bois, 
des  cendres,  du  sel,  des  matières  animales  etc.?  C'est  parce  que  ces  diffé- 
rents corps  contiennent  sans  exception  des  alcalis  qui  activent  la  cémentation 
en  permettant  la  production  dune  plus  grande  quantité  de  cyanure. 

'  Crci  n'est  jamais  rigoureusement  exact;  il  y  a  toujours  assimilation  de  earbone,  mais  la 
cémentation  est  si  faible  ([uon  peut,  jusiju'ii  preuve  du  eoutrnire,  l'allrihuer  à  la  présence,  dif- 
ficile à  constater,  d'une  quantité  extrêmement  minime  de  ces  deux  corps. 


6  RECHERCHES 

Pourquoi  enfin  racicration  avec  les  céments  potassiques,  sodiques  et  sur- 
tout barytiques  est-elle  plus  lente  et  exige-t-elle  une  plus  haute  température 
qu'avec  les  céments  ammoniacaux?  C'est  parce  que  les  cyanures  de  potas- 
sium, de  sodium  et  de  baryum,  exigent  pour  se  former,  pour  se  volatiliser  et 
pour  cémenter  plus  de  temps  et  plus  de  chaleur  que  les  cyanures  ammonia- 
caux. 

Aucune  objection  n'a  été  faite  jusqu'ici  '  à  cette  théorie,  qui  permettait 
d'expliquer  tous  les  faits  connus;  mais  M.  Fremy^,  qui  ignorait  sans  doute 
alors  les  travaux  remarquables  de  Marchand  "  ainsi  que  ceux  de  Schaffliautl  * 
voulut  aller  plus  loin  :  ce  savant  émit  l'opinion  que  non-seulement  l'azote 
était  indispensable  à  la  cémentation,  mais  que  ce  corps  était  aciérant;  autre- 
ment dit,  que  l'acier  n'était  pas  seulement  un  carbure  de  fer,  mais  bien  un 
azoto-carbure  de  fer. 

Pour  appuyer  cette  hypothèse  il  eût  fallu  faire  voir  par  des  expériences 
précises,  suivies  d'analyses,  que  le  fer  en  passant  à  l'état  d'acier,  c'est-à-dire  en 
se  carburant,  prenait  en  même  temps  de  l'azote  et  que  par  suite,  la  différence 
constatée  entre  les  propriétés  du  fer  et  celles  de  l'acier  pouvait  tout  aussi  bien 
provenir  de  l'absorption  de  l'azote  que  de  l'assimilation  du  charbon.  Aucune 
preuve  sérieuse  ne  fut  apportée  à  l'appui  de  cette  théorie  émise  autrefois  et 
abandonnée  depuis  par  Schaffhautl;  bien  loin  de  là,  les  .travaux  antérieurs 
de  Mac-Intosch  démontraient  déjà  la  possibilité  de  cémenter  le  fer  avec 
l'hydrogène  carboné  sans  azote.  MM.  Bonis,  Boussingault,  etc.,  trouvèrent 
depuis  que  tous  les  fers,  fontes  et  aciers  contenaient  bien  il  est  vrai  de  l'azote 
en  très-petite  quantité,  mais  que  la  fonte  en  contenait  plus  que  le  fer  et  le  fer 
plus  que  l'acier.  Plus-tard  M.  Rammelsberg^  fit  voir  que  les  fontes  lamelleuses 
les  plus  propres  à  produire  l'acier  ne  contenaient  pas  d'azote  ou  en  conte- 
naient beaucoup  moins  que  toutes  les  autres  fontes. 

En  présence  de  ces  faits  bien  constatés,  il  paraîtra  peut-être  superflu  d'ap- 
porter d'autres  preuves;  néanmoins  les  expériences  citées  plus  haut,  n'ayant 

'   Août  1864. 

^  Comptes  rendus ,  t.  LI,  p.  567. 

^  ./.  fur  practische  clieniie ,  t.  LXXVl ,  p.  237. 

*  Ihid.,  t.  XLIX,  p.  35t. 

^  Académie  des  sciences  de  Berlin,  14"'  année,  18  décembre  1862. 


Azole  . 

.  .  0,0001 1 

Id.   .  . 

.  .  0,00010 

Id.   .  . 

.  .  0,00030 

SLR  LA  COMPOSITION  CHLMIQLE  DES  ACIERS.  7 

jamais  porlé  que  sur  des  inélaux  d'origines  différentes  ou  tout  au  moins  incon- 
nues, il  ne  nous  a  pas  paru  suffisamment  démontré  que  le  fer,  en  devenant 
acier,  ne  prenait  pas  d'azote;  nous  avons  voulu  faire  à  ce  sujet  une  expérience 
directe  qui  ne  pût  laisser  aucun  donte  dans  l'esprit  des  métallurgistes. 

Une  barre  de  fer  de  Russie  a  été  coupée  en  trois  morceaux  ;  le  premier 
a  été  conservé  tel  quel,  le  second  a  été  chauffé  dans  un  cément  potassicpie, 
le  troisième  dans  un  cément  ammoniacal. 

De  ces  trois  morceaux  préalablement  nettoyés  et  limés  à  la  surface ,  on  a 
pris  quelques  copeaux  enlevés  à  la  machine  à  raboter;  voici  ce  qu'ils  conte- 
naient d'azote >  dosé  par  le  procédé  de  M.  Boussingault  : 

N°  I.  Fer  russe  sans  préparation 

N"  "i.        Id.        avec  ccnicnt  potassique  .     .     . 
iV»  3.        Id.  id.  ammoniacal     .     . 

Les  n"*  5  et  3  ont  été  fondus  et  coulés;  après  les  avoir  forgés  et  nettoyés 
à  la  surface,  on  a  pris  quelques  copeaux  qui  ont  été  analysés  : 

N"  2.  Fondu Vzote     ....     0,00010 

JV"  5.       id Id 0,000H 

On  voit  par  ces  nombres  que  le  fer  cémenté  à  la  potasse  ne  contient  pas 
plus  d'azote  que  le  même  fer  non  cémenté,  mais  que  le  fer  cémenté  à  l'am- 
moniaque a  absorbé  une  certaine  quantité  d'azote  (comme  le  ferait,  du  reste, 
le  fer  simplement  chauffé  dans  l'ammoniatiue).  On  remarque  en  outre  que  les 
deux  aciers  (à  la  potasse  et  à  l'ammoniaque)  contiennent  après  la  fusion  la 
même  quantité  d'azote  à  très-peu  près,  et  que  cette  quantité  est  égale  à  celle 
que  contenait  le  fer  d'où  ils  provenaient. 

La  cémentation  qui  transforme  le  fer  en  acier  n'augmente  donc  pas  la 
quantité  d'azote  contenue  dans  le  fer;  ce  n'est  pas  l'azote  alors  qui  constitue  la 
différence  qui  existe  entre  le  fer  et  l'acier,  c'est  le  carbone;  et  si  tous  les  aciers, 
comme  le  fer  et  la  fonte,  contiennent  toujours  de  petites  quantités  d'azote, 
tout  porte  à  croire  qu'il  faut  considérer  ce  corps  comme  une  impureté,  aussi 

'  Ces  nombres,  ainsi  que  les  suivants,  sont  des  moyennes  de  plusieurs  analyses. 


8  RECHERCHES 

bien  que  le  silicium ,  le  soufre  et  le  phosphore  qu'on  y  renconlre  égalemenl 
et  souvent  même  en  plus  grande  quantité. 

Avant  de  terminer  celle  partie  de  noire  travail ,  laissons  un  instant  de  côté 
ce  que  nous  croyons  avoir  démontré,  et  n'examinons  la  question  (|u'à  son  point 
de  vue  pratique  et  industriel.  Nous  n'avons  jamais  pu  trouver  dans  le  com- 
merce une  fonte ,  un  fer  ou  un  acier  sans  azote,  et  tous  nos  eiïorts  pour  ex- 
pulser complètement  ce  corps  ont  été  infructueux  ;  admettons  donc  ce  qu'en 
désespoir  de  cause  soutiennent  nos  conlradicleurs  sans  l'avoir  démontré:  que 
l'acier  sans  azote  ne  peut  exister,  et  que  s'il  était  possible  d'obtenir  un  acier 
complètement  exempt  d'azote,  ce  métal  n'aurait  pas  les  qualités  que  nous 
lui  connaissons.  A  quoi  cela  nous  mènera-t-il  industriellement  parlant?  Quel 
besoin  avons-nous  de  nous  préoccuper  de  ce  corps,  puisque  malgré  tous  nos 
elTorts  nous  ne  pouvons  éviter  sa  présence?  Puisque  les  fontes  et  les  fers  fran- 
çais contiennent  toujours  plus  d'azote  que  les  fers  de  Suède  et  de  Styrie  ou  que 
les  fontes  à  acier  de  l'Allemagne,  ce  n'est  pas  à  l'absence  de  ce  corps  qu'il 
faut  attribuer  (comme  l'a  dit  M.  Fremy),  l'impuissance  dans  laquelle  nous 
sommes  de  produire  de  bons  aciers  avec  les  fontes  françaises  '. 

Et  d'ailleurs  la  présence  de  ce  corps  est-elle  un  mystère  pour  nous,  après 
les  expériences  de  Marchand  ?  la  plupart  des  minerais  de  fer  contiennent  du 
titane,  les  argiles  sans  exception  en  renferment  également  (Berlhier  — 
H.  Deville).  Rien  de  plus  naturel  alors  que  d'attribuer  à  l'azoto-carbure  do 
titane  la  présence  ordinaire  de  la  faible  quantité  d'azote  que  l'on  trouve  dans 
les  fontes  et  les  fers.  Cette  hypothèse  deviendra  peut  être  une  certitude, 
si  l'on  réfléchit  que  l'azoto-carbure  de  titane  se  produit  facilement  avec  le 
titane,  le  charbon  et  l'azote  de  l'air,  et  qu'à  une  haute  température,  c'est  un 
des  corps  les  plus  stables  que  l'on  connaisse,  puisqu'il  se  forme  naturellement 
dans  les  hauts  fourneaux  (Wôhler);  de  plus,  l'azoto-carbure  de  titane,  comme 
l'azoture  de  fer,  produit  de  l'ammoniaque  lorsqu'on  le  chauffe  au  rouge  dans 
un  courant  d'hydrogène.  Le  fer,  au  contraire,  est  complètement  insensible  à 
l'action  de  l'azote,  et  l'azoture  ou  l'azoto-carbure  de  fer  ne  peut  être  préparé 
(ju'au  moyen  de  l'ammoniaque.  Si  l'on  est  parvenu  à  azoter  fortement  le  fer 

'   Les  fonles  belges  et  anglaises  sont  dans  le  même  cas. 


SUR  LA  COMPOSITION  CHIMIQUE  DES  ACIERS.  9 

par  ce  procédé  et  qu'on  le  porte  ensuite  à  une  température  élevée,  l'azole 
disparaît;  il  n'en  reste  plus  que  des  traces  comme  dans  les  fers  ordinaires. 
Acceptons  donc  l'azote  dans  les  aciers  comme  nous  sommes  forcés  d'accepter 
le  silicium,  le  soufre  el  le  phosphore  dont  malheureusement  nous  ne  pouvons 
nous  défaire  entièrement  ;  mais  n'oublions  pas  toutefois,  que  jusqu'ici  le 
carbone  est  le  seul  corps  utile  à  introduire  dans  le  fer  pour  obtenir  l'acier; 
efl'orçons-nous  en  même  temps  d'en  chasser  tous  les  autres  dont  il  reste  tou- 
jours assez,  sinon  trop,  et  dont  nous  allons  constater  la  funeste  influence. 


INFLUENCE  DES  CORPS  QUE  L  ON  RENCONTRE  DANS  L  ACIER. 

Les  corps  que  l'on  rencontre  le  plus  souvent  dans  l'acier  sont  le  silicium , 
le  soufre,  le  phosphore  cl  l'arsenic,  l'étain,  le  zinc,  le  cuivre,  etc.,  etc.,  le 
manganèse,  le  tungstène,  le  titane,  etc.,  etc.  Nous  examinerons  successive- 
ment l'inlluence  de  ces  corps  sur  les  qualités  de  l'acier  en  comparant  leui's 
alliages  aux  carbures  de  fer  que  nous  connaissons. 

Le  carbone,  le  silicium  et  le  bore  sont  classés  en  chimie  dans  une  section 
particulière,  et  ont  entre  eux  beaucoup  d'analogie  sous  certains  rapports,  per- 
sonne ne  le  conteste;  cependant  les  savants  qui,  d'après  cette  analogie,  ont 
cru  pouvoir  admettre  (|uc  la  combinaison  de  ces  corps  avec  le  fer  devait 
donner  des  produits  analogues  aux  carbures,  ces  savants,  disons-nous,  se 
sont  trompés  complètement,  une  simple  expérience  aurait  sulli  pour  les  désa- 
buser; nous  allons  le  démontrer. 

Carbone. — Quelle  que  soit  la  température  el  le  temps  de  chauffe  employés, 
le  fer  ne  s'allie  jamais  à  })lus  de  cinq  ou  six  pour  cent  de  carbone,  et  sou- 
vent même,  après  le  refroidissement  du  métal,  une  grande  partie  du  carbone 
qui  s'était  dissoute  d'abord  se  sépare  ensuite  et  se  retrouve  à  l'étal  de  graphite 
disséminé  dans  la  masse.  Les  carbures  de  fer  durcissent  toujoui's  par  la  trempe 
et  le  recuit  peut  dans  certains  cas  leur  faire  acquérir  de  nouvelles  propriétés. 

Silicmm-bore.  —  Le  fer  se  comporte  tout  autrement  avec  le  silicium  et 
le  bore;  ces  métalloïdes  donnent  des  alliages  plus  fusibles  et  plus  durs  que  le 
fer;  ils  sont  souvent  malléables  si  la  proportion  n'en  est  pas  trop  considérable 
Tome  XXXII.  2 


10  RECHERCHES 

(Berzélius  a  analysé  un  fer  qui  était  Irès-malléable  et  donnait  dix-neuf  pour 
cent  de  silice  après  avoir  été  dissous  dans  l'acide  chlorli}  drique).  Mais  quelle 
que  soit  la  rapidité  ou  la  lenteur  du  refroidissement  de  l'alliage  porté  au 
rouge,  le  silicium  ou  le  bore  reste  toujours  combiné  au  fer.  La  trempe  et  le 
recuit  n'ont  aucune  influence  sur  la  dureté  du  métal;  ces  corps  ont  en  outre 
une  propriété  particulière  qu'il  est  intéressant  de  faire  connaître.  Lorsqu'on 
ajoute  à  un  carbure  de  fer  en  fusion  du  silicium  ou  du  bore,  ou  mieux  encore 
un  alliage  de  fer  riche  en  silicium  ou  en  bore,  le  charbon  du  carbure  de  fer 
est  déplacé  en  grande  partie,  et  si  le  refroidissement  du  métal  n'est  pas  trop 
brusque,  le  peu  de  charbon  (pii  s'y  trouve  encore  est  presque  entièrement  à 
l'état  de  graphite.  Nous  verrons  plus  lard  l'influence  de  cette  singulière  pro- 
priété sur  la  qualité  des  aciers  contenant  du  silicium. 

Azole.  —  L'azote  ne  modifie  en  rien  les  aciers,  les  fers  ou  les  fontes,  et 
c'est  bien  à  tort  qu'on  a  cru  pouvoir  comparer  ses  effets  à  ceux  du  soufre  et 
du  phosphore  ;  une  barre  de  fer  ou  d'acier  chauflee  longtemps  dans  ce  gaz 
n'en  absorbe  pas  la  plus  petite  trace,  mais  le  métal  s'aigrit  par  la  chaleur  et 
devient  extrêmement  fragile;  le  même  eftet  est  produit  par  l'hydrogène  pur 
ou  la  chaleur  seule  dans  le  vide.  Dans  tous  les  cas,  un  martelage  conve- 
nable fait  à  chaud ,  rend  toujours  au  fer  et  à  l'acier  leurs  qualités  primitives. 

Soufre,  phosphore,  arsenic.  —  Ces  trois  corps  secombinent  en  toutes  pro- 
portions avec  le  fer;  ils  donnent  des  alliages  durs  et  cassants,  mais  dont  la 
dureté  n'a  pas  d'analogie  avec  celle  de  l'acier.  La  trempe  et  le  recuit  n'ont 
aucune  influence  sur  la  dureté  de  ces  alliages.  De  même  que  le  silicium  et  le 
bore,  le  soufre  et  le  phosphore  chassent  de  la  fonte  une  partie  du  carbone 
qu'elle  contient,  le  soufre  donne  des  fontes  blanches  ou  le  peu  de  carbone  qui 
reste  semble  combiné,  le  phosphore  au  contraire  produit  souvent  des  fontes 
grises. 

Étain,  zinc,  Aluminium.  —  Les  corps  susceptibles  de  s'allier  au  fer, 
mais  non  au  carbone,  ont  tous  la  propriété  d'expulser  de  l'acier  et  des  fontes 
une  grande  partie  du  carbone  qui  s'y  trouve  à  l'état  de  combinaison.  De 
plus,  ces  métaux  modifient  sensiblement  les  caractères  des  carbures  en  les 
rendant  cassants,  inforgeables ,  etc.;  mais  aucun  d'eux  ne  peut  donner  au 
fer,  en  l'absence  du  carbone ,  les  propriétés  qui  caractérisent  les  aciers. 


SUR  LA  COMPOSITION  CHIMIQUE  DES  ACIERS.  H 

Manganèse,  tungstène.  —  Nous  arrivons  maintenant  à  une  classe  de  corps 
dont  le  manganèse  fait  partie  et  nous  servira  de  type.  Ces  corps  peuvent 
s'allier  au  fer  en  même  temps  qu'au  carbone,  et  par  suile  leur  introduction 
dans  la  fonte  n'exclut  pas  celle  de  ce  métalloïde.  Le  manganèse  par  lui-même 
ne  possède  aucune  propriété  aciérante;  on  rencontre,  comme  l'a  remarqué 
Karsten,  de  très-bons  fers  qui  contiennent  beaucoup  plus  de  manganèse 
que  certains  aciers  de  bonne  qualité.  Il  est  donc  bien  clair  qu'un  alliage  uni- 
quement composé  de  fer  et  de  manganèse  ne  saurait  jouir  des  propriétés  de 
l'acier;  mais  ce  métal  ne  pouvant  guère  être  obtenu  qu'à  l'état  de  carbure, 
on  peut,  en  alliant  du  fer  à  une  proportion  convenable  de  manganèse  car- 
buré, produire  des  aciers  dont  les  qualités  sont  vraiment  remarquables  et 
mériteraient  d'être  étudiées  plus  attentivement  qu'on  ne  l'a  fait  jusqu'ici.  Le 
manganèse  possède  en  outre  d'autres  propriétés  sur  lesquelles  nous  désirons 
attirer  l'attention.  Si  l'on  ajoute  à  une  fonte  grise  en  fusion  une  certaine  quan- 
tité de  manganèse,  on  obtient  toujours  une  fonte  blanche;  autrement  dit,  le 
manganèse,  à  cause  de  son  affinité  pour  le  carbone,  empêche  ce  dernier  de  se 
séparer  du  fer  pendant  le  refroidissement  de  l'alliage;  de  plus,  si  la  fonte 
contient  du  soufre  ou  du  silicium  et  que  l'atmosphère  soit  un  peu  oxydante, 
on  est  certain  d'obtenir  après  l'opération  une  fonte  non-seulement  blanche, 
mais  encore  débarrassée  de  la  plus  grande  partie  de  son  soufre  et  de  son  sili- 
cium, lorsque,  bien  entendu,  la  proportion  de  manganèse  est  sulTisanle. 
Ainsi  donc,  en  mettant  de  côté  les  qualités  que  le  manganèse  peut  faire  acquérir 
à  l'acier  ou  à  la  fonte,  lorsqu'il  s'y  trouve  allié,  on  voit  qu'il  a  la  propriété  fort 
intéressante  d'entraîner,  en  se  scorifiant,  la  plus  grande  partie  du  soufre  et 
du  silicium  qui  souillent  trop  souvent  ce  carbure  ^ 

Maintenant  que  nous  avons  passé  en  revue  les  diflférenfs  corps  que  l'on 
rencontre  ordinairement  dans  l'acier,  et  que  nous  connaissons  leur  influence 
sur  les  carbures  de  fer  en  général,  il  nous  sera  beaucoup  plus  facile  de  faire 
comprendre  la  véritable  différence  qui  existe,  chimiquement  parlant,  entre 
les  aciers  de  bonne  et  de  mauvaise  qualité. 

*  Il  n'en  est  pas  de  même  pour  le  phosphore;  une  fonte  phosphoreuse  ne  peut  être  purilii-o 
par  l'addition  du  manganèse. 


12  RECHERCHES 


DEFINITION  DE  L  ACIER. 


Dans  ces  dernières  années  on  a  bien  malheureusement  et  surtout  bien  inu- 
tilement compliqué  la  question  de  Facier;  à  la  place  des  anciennes  traditions 
un  peu  obscures  peut-être,  à  la  place  des  définitions  incomplètes,  il  est  vrai, 
mais  consacrées  par  le  temps,  on  s'est  attaché  à  mettre  des  mots  plus 
sonores  et  de  nouvelles  théories  plus  hypothétiques  encore  que  les  premières. 
Malheureusement  ces  mots  nouveaux,  ces  théories  brillantes  ont ,  suivant 
nous,  un  défaut  capital,  c'est  de  ne  rien  expliquer  de  ce  que  nous  ignorions 
et  de  nous  laisser,  après  nous  avoir  éblouis,  dans  une  obscurité  plus  complète 
encore  que  l'ancienne. 

Autrefois,  l'acier  était  pour  tout  le  monde  un  métal  composé  essentielle- 
ment de  fer  et  de  charbon,  durcissant  par  la  trempe  et  susceptible  d'acquérir 
par  un  recuit  convenable  des  propriétés  qui  ne  permettaient  pas  de  le  con- 
fondre avec  aucun  autre  métal ,  même  le  fer  et  la  fonte.  Aujourd'hui,  d'après 
une  autre  opinion,  tout  alliage  est  un  acier;  les  siliciures,  les  sulfures,  les 
azotures,  les  phosphores,  les  sulfocarbures ,  sulfophosphures,  etc.,  etc.,  sont 
tons  des  aciers  :  fout  composé  de  fer  et  de  quelque  chose  (métal  ou  métal- 
loïde) est  un  acier  '. 

Qu'on  nous  permette  de  ne  pas  suivre  cette  voie  et  de  rester  fidèle  aux  prin- 
cipes et  aux  expressions  que  Berzélius,  Karsten ,  Berthier  et  tant  d'autres  émi- 
nents  métallurgistes  nous  ont  rendus  familiers.  L'acier,  pour  nous,  sera  toujours 
ce  qu'il  était  autrefois,  un  métal  durcissant  par  la  trempe  et  auquel  un  recuit 
convenable  donne  de  l'élasticité  et  de  la  souplesse  sans  en  diminuer  très-sen- 
siblement la  dureté.  Nous  ne  l'ignorons  pas,  cette  définition  laisse  peut-être  à 
désirer;  certains  aciers  peu  connus  autrefois,  et  employés  actuellement  dans 
l'industrie  et  l'artillerie  sous  le  nom  d'aciers  doux,  durcissent  à  peine  par  la 
trempe;  le  recuit  agit  aussi  moins  énergiquement  sur  eux,  mais  ces  effets 
existent  cependant  et  sont  en  rapport  avec  la  carburation  du  métal.  Ce  que 
nous  dirons  des  uns  pourra  donc,  jusqu'à  un  certain  point,  être  encore  appli- 
cable aux  autres. 

'    «  Un  acier  est  la  première  modincation  que  le  fer  peut  éprouver  lorsqu'il  se  eombiiic  seii- 
ï  lemenl  à  quelques  milliènies  d'un  corps  simple.  »  (Fremy). 


SUR  LA  COMPOSITION  CHIMIQUE  DES  ACIERS.  15 


CONSTITUTION  DE  L  ACIER. 


Examen  des  différentes  variétés  d'acier. 

Pour  bien  comprendre  la  constiUition  de  l'acier  et  s'expliquer  les  causes  qui 
influent  sur  ses  qualités,  il  est  indispensable  de  connaître  d'abord  l'influence 
des  difl"érents  agents  qu'on  emploie  ordinairement  pour  travailler  ce  métal. 

Ces  agents  sont  la  chaleur,  le  martelage,  la  trempe  et  le  recuit. 

Les  ellets  produits  sont  faciles  à  constater,  si  l'on  prend  pour  point  de 
départ  le  métal  après  (|u'il  a  subi  la  trempe,  et  qu'on  l'analyse  successivement 
après  chacune  des  opérations  suivantes  : 

d"  L'acier  est  porté  rapidement  au  rouge  et  trempé  dans  l'eau  froide; 

2"  L'acier  trempé  est  porté  rapidement  au  rouge;  on  le  laisse  refroidir 
lentement; 

3"  L'acier  trempé  est  maintenu  au  rouge  pendant  très-longtemps  ;  on  le 
laisse  refroidir  dans  les  mêmes  conditions  que  précédemment. 

Ces  trois  opérations  difl"érentes  donnent  chacune  à  l'acier  des  propriétés 
particulières,  et  la  constitution  du  métal  est  également  modifiée.  Il  suflit  pour 
s'en  assurer  de  le  dissoudre  dans  un  acide  fort  et  concentré,  l'acide  chlorhy- 
drique  par  exemple. 

L'acier  trempé  (n^'  1)  est  dissout  intégralement  sans  résidu  charbonneux; 

L'acier  trempé  recuit  peu  de  temps  (n"  2)  est  dissous  plus  facilement  par 
l'acide,  mais  laisse  un  résidu  charbonneux  notable,  qui  finit  cependant  par 
disparaître  à  l'aide  de  la  chaleur; 

L'acier  trempé  recuit  longtemps  (n"  3)  est  encore  plus  facile  à  dissoudre 
que  le  précédent,  mais  il  laisse  un  résidu  de  charbon  insoluble  même  à  chaud 
dans  l'acide  employé  '. 

On  voit  d'après  ces  réactions  que  dans  l'acier  trempé  le  carbone  est  iiiti- 

'  Lorsqu'on  dissout  un  carbure  de  fer  non  graphiteux  dans  l'acide  clilorliydriijuc ,  une 
partie  du  rarbone  s'échappe  à  l'état  de  carbure  d'hydrogène,  et  une  autre  reste  dissoute  dans 
la  liqueur  où  il  est  facile  de  la  retrouver.  On  n'a  pu  jusqu'ici  déterminer  à  quel  état  se  trouve 
ce  carbone  soluble  dans  l'acide.  Peut-être  se  forme-t-il  un  sel  organique  de  fer  annlogue  à 
l'oxalate  ou  au  croconate. 


14  RECHERCHES 

memeni  combiné  au  fer,  el  que  la  dissolution  de  l'un  s'opère  en  même  temps 
que  celle  do  Tautre. 

Dans  Tacier  recuit  (n"  2)  la  combinaison  est  déjà  moins  intime;  le  corps  le 
plus  atta(|uable  est  dissous  d'abord ,  mais  le  carbone  n'a  pas  été  complètement 
modifié,  et  finit  également  par  disparaître  sous  une  action  plus  puissante. 

Dans  l'acier  longtemps  recuit  (n"  3),  la  combinaison  n'existe  plus;  le  fer 
est  séparé  du  carbone,  el  ce  dernier  reprend  un  des  caractères  qu'il  possède 
lorsqu'il  est  libre,  l'insolubilité  dans  les  acides. 

Prenons  maintenant  les  deux  espèces  d'acier  recuit  (n"'  2  et  3) ,  portons- 
les  rapidement  au  rouge ,  trempons-les  de  la  même  façon  el  voyons  ce  qui 
arrive. 

L'acier  recuit  peu  de  temps  (n°  2) ,  est  devenu  dur  sous  l'influence  de  la 
trempe,  son  charbon  est  combiné  de  nouveau  et  complètement  avec  le  fer  : 
l'acide  dissout  le  métal  sans  résidu. 

L'acier  qui  a  été  recuit  longtemps  (n°  3)  ne  se  comporte  pas  de  même , 
la  trempe  modifie  à  peine  sa  dureté;  le  carbone  ne  s'est  pas  combiné  avec 
le  fer ,  la  dissolution  dans  l'acide  le  démontre.  Le  métal  est  devenu  aigre 
et  cristallin;  au  lieu  d'être  une  combinaison  de  fer  et  de  carbone,  ce  n'est 
plus  qu'un  mélange  intime  de  ces  deux  corps. 

Poursuivons  notre  examen  en  opérant  sur  celte  dernière  espèce  d'acier 
qu'un  recuit  trop  prolongé  a  rendu  incapal)le  de  durcir  par  la  trempe.  Nous 
portons  rapidement  le  métal  au  rouge  cerise,  et  nous  le  martelons  vivement 
jusqu'à  ce  qu'il  soit  assez  refroidi  pour  ne  pouvoir  enflammer  un  copeau  de 
bois  sec.  Une  partie  de  cet  acier  est  enterrée  dans  le  frasier  et  aban- 
donnée à  un  refroidissement  lent;  l'autre,  portée  de  nouveau  à  un  rouge 
convenable  est  trempée  dans  l'eau  froide ,  voici  ce  qu'on  remarque  alors  : 

Ce  métal,  qu'on  ne  pouvait  plus  appeler  acier,  a  repris  presque  toutes  ses 
propriétés  primitives ,  la  trempe  l'a  durci  et  l'acide  le  dissout  à  peu  près  inté- 
gralement. Ce  qu'avait  défait  la  chaleur  par  une  action  prolongée,  le  mar- 
telage suivi  de  la  trempe  l'a  refait  presque  complètement. 

Puisque  la  trempe  seule  n'avait  pu  régénérer  la  combinaison  du  fer  et  du 
carbone,  nous  pourrions  dès  à  présent  conclure  que  l'action  du  marteau  suffît 
pour  produire  ce  phénomène.  Mais  pour  plus  de  sûreté,  nous  examinerons  la 


SUR  LA  COMPOSITION  CHIMIQUE  DES  ACIERS.  15 

partie  non  trempée  de  notre  acier,  qui  a  été  abandonnée  à  un  refroidissement 
lent  après  le  martelage. 

Les  caractères  que  présente  le  métal  sont  ceux  de  Tacier  faiblement 
recuit;  même  dureté,  même  élasticité.  Quant  aux  propriétés  chimiques,  on 
constate  que  le  charbon  qui,  avant  le  martelage,  était  insoluble  dans  les 
acides,  s'y  dissout  maintenant  presqu'intégralement  à  l'aide  de  la  chaleur.  Ce 
mauvais  acier ,  qui  n'était  plus  qu'un  mélange  de  fer  et  de  carbone ,  est  donc 
devenu,  sous  l'influence  du  martelage,  une  combinaison  de  ces  deux  corps , 
ou  bien,  le  martelage  a  ramené  le  carbone  à  un  état  tel  que  sa  combinaison 
avec  le  fer  peut  être  opérée  par  la  trempe.  Cent  là  l'étal  dans  lequel  le  car- 
bone doit  toujours  se  trouver  dans  un  bon  acier  avant  la  trempe. 

Nous  ferons  remarquer  néanmoins  qu'en  parlant  de  l'effet  du  martelage 
sur  l'acier  détérioré  par  la  chaleur,  nous  n'avons  jamais  dit  que,  sous 
l'influence  de  cette  action  physique ,  le  métal  pût  reprendre  exactement  toutes 
les  propriétés  qu'il  possédait  auparavant.  En  effet,  il  n'en  est  pas  ainsi;  le 
martelage  et  la  trempe  produisent  sans  doute  un  effet  considérable ,  mais  par 
ces  opérations  réunies,  il  est  bien  rarement  possible  de  rendre  à  un  acier 
détérioré  toute  sa  bonté  et  toutes  ses  qualités  antérieures. 

Nous  ajouterons  en  outre  que  ,  pour  reproduire  à  volonté  ces  faits  dont  la 
constation  est  bien  facile ,  il  est  absolument  nécessaire  d'opérer  sur  des  aciers 
de  qualité  supérieure ,  car  la  présence  du  soufre ,  du  phosphore  et  du  silicium 
en  quantité  notable ,  amène  dans  les  réactions  et  les  propriétés  dont  nous 
venons  de  parler  des  pertubations  qu'il  sera  facile  de  comprendre  bientôt'. 

Lorsqu'on  soumet  l'acier  à  une  température  trop  élevée,  il  perd  également 
ses  qualités,  on  dit,  en  termes  d'atelier,  qu'il  est  brûlé.  Il  peut  se  présenter 
deux  cas  :  l'acier  exposé  à  l'oxydation  de  l'air  à  haute  température  a  perdu 
une  partie  de  son  carbone  qui  s'est  échappé  à  l'état  de  gaz;  ou  bien,  si 
l'oxydation  n'a  pas  été  considérable ,  le  fer  et  le  charbon  se  sont  simplement 
séparés,  et  l'effet  produit  ressemble  à  fort  peu  près  à  celui  dont  nous  avons 
parlé  à  propos  de  l'acier  recuit  trop  longtemps. 

'  Il  ne  faut  pas  non  plus  s'en  rapporter  à  une  seule  expérience  pour  arriver  à  une  juste 
appréciation  des  résultats  obtenus;  nous  avons  reconnu  souvent  que  plusieurs  analyses  étaient 
indispensables. 


16  RECHERCHES 

Dans  le  premier  cas,  le  martelage  ou  la  trempe  sont  complètement  im- 
puissants à  régénérer  Tacier. 

Dans  le  second  cas,  qui  se  présente  le  plus  souvent,  un  martelage  conve- 
nable rend  à  Tacier  ses  propriétés,  mais  il  est  à  remarquer  qu'une  chaleur 
trop  élevée  produit  toujours  un  peu  d'oxydation,  c'est-à-dire  une  perte  de 
carbone;  c'est  pour  cette  raison  que  jamais  l'acier  brûlé  ne  reprend  ses  qua- 
lités premières  à  moins  qu'on  n'en  sacrifie  la  partie  qui  a  été  exposée  à 

l'oxydation. 

Plusieurs  trempes  faibles  (sans  martelage)  peuvent  aussi  reproduire  la 
combinaison  du  carbone  et  du  fer  dans  l'acier  détérioré,  mais  ce  moyen  tout 
expérimental  de  régénérer  l'acier,  ne  saurait  être  employé  habituellement, 
parce  que  bien  peu  d'aciers  résistent  à  quatre  ou  cinq  trempes  successives  ; 
la  plupart  du  temps,  il  se  manifeste  des  criques  ou  des  pailles  qui  mettent  le 
métal  hors  de  service. 

De  tous  ces  faits  on  peut  conclure  que  parmi  les  agents  employés  dans 
le  travail  de  l'acier ,  les  uns ,  la  chaleur  trop  élevée  ou  trop  longtemps  pro- 
longée ,  tendent  à  produire  la  séparation  du  fer  et  du  charbon  ;  les  autres,  le 
martelage  et  la  trempe,  peuvent  jusqu'à  un  certain  point  reformer  la  combi- 
naison détruite  ou  tout  au  moins  ramener  le  carbone  à  un  état  tel ,  qu'il  puisse 
se  combiner  avec  le  fer  sous  l'influence  d'une  trempe  bien  faite. 

Rappelons-nous  maintenant  les  effets  produits  sur  les  carbures  de  fer  par 
les  différents  corps  que  nous  avons  considérés  comme  étrangers,  et  qui  souil- 
lent presque  toujours  les  aciers. 

Le  silicium,  le  phosphore,  etc.,  ont  la  propriété  de  chasser  une  partie 
du  carbone  lorsqu'on  les  introduit  dans  les  carbures  de  fer,  et  le  peu  qu'ils 
y  laissent  a  beaucoup  de  tendance  à  se  séparer  à  l'état  gra|)hiteux.  On  recon- 
naît très-facilement  cette  propriété  en  essayant  de  cémenter  des  fers  forte- 
ment siliceux ,  sulfureux  ou  phosphoreux  ;  quelque  soin ,  quelque  temps  qu'on 
V  mette,  la  cémentation  pénètre  peu;  le  charbon,  à  mesure  qu'il  se  présente, 
semble  être  repoussé  par  ces  métalloïdes;  on  le  voit  à  la  contexture  du  métal , 
lorsqu'on  casse  les  barres  après  la  cémentation,  et  l'analyse  le  constate  éga- 
lement. 

Puisque  ces  corps  étrangers  ont  sur  le  carbone  une  action  répulsive  qui 


SUR  LA  COMPOSITION  CHIMIQUE  DES  ACIERS.  17 

tend  à  l'empêcher  de  se  combiner  au  fer,  il  semble  naturel  qu'un  acier 
souillé  par  l'un  des  deux  devienne  mauvais  après  plusieurs  diaudes.  Pour 
bien  le  faire  comprendre,  nous  allons  choisir  un  exemple  qui  expliquera  ce 
qui  se  passe  le  plus  ordinairement  avec  les  aciers  de  mauvaise  qualité. 

Supposons  un  acier  siliceux  qui  ait  été  fondu  au  creuset  avec  les  précau- 
tions ordinaires.  A  la  température  de  fusion  de  cet  acier,  le  carbone  est  dis- 
sous par  le  fer  en  même  temps  que  le  silicium.  On  coule  l'acier  dans  une 
lingotière  en  fonte  où  le  métal  se  refroidit  assez  vile  pour  que  l'élimination 
du  carbone  par  le  silicium  n'ait  pas  le  temps  de  se  produire;  le  lingot  est 
porté  au  rouge  et  rapidement  martelé  au  moyen  d'un  martinet  très-lourd  dont 
les  chocs  répétés  empêchent  aussi,  comme  nous  l'avons  fait  voir,  la  sépara- 
tion du  carbone  et  du  fer;  on  laisse  ensuite  refroidir  après  un  léger  recuit  à 
peu  près  inoffensif.  C'est  dans  cet  état  que  sont  généralement  livrés  au  com- 
merce les  aciers  de  cette  espèce;  lorsqu'on  les  essaye,  on  ne  peut  apercevoir 
encore  les  défauts  qu'ils  auront  plus  lard;  leur  carbone  n'étant  pas  séparé  de 
la  combinaison,  ils  peuvent  supporter  la  trempe  et  le  recuit  sans  trop  d'in- 
convénients; mais  vient-on  à  chaulïer  plusieurs  fois  cet  acier,  la  chaleur 
finit  par  séparer  le  carbone  qui  ne  peut  plus  se  recombiner  à  cause  de  la 
présence  du  silicium ,  et  cet  acier  qui  dans  les  premiers  moments  durcissait 
par  la  trempe  comme  un  acier  de  bonne  qualité,  ne  subit  plus  riniluence  de 
cette  opération.  Il  est  devenu  un  véritable  mélange  de  carbone  et  de  siliciure 
de  fer  que  souvent  un  martelage  énergique  est  incapable  d'améliorer. 

Nous  avons  pris  pour  exemple  un  acier  contenant  du  silicium ,  parce  que 
c'est  le  cas  le  plus  fré(|uenl  qui  se  présente,  et  que,  d'ailleurs,  le  soufre  et  le 
phosphore  ne  se  trouvent  que  bien  rarement  dans  les  aciers  en  quantité  assez 
notable  pour  exercer  une  action  sensible  sur  le  carbone  combiné.  En  dehors 
de  la  propriété  commune  avec  le  silicium  de  provoquer'  l'expulsion  du  car- 
bone, ces  métalloïdes  ont  en  outre  des  elïets  qui  leur  sont  propres  :  ils  ren- 
dent les  aciers  cassants  soit  à  froid  soit  à  chaud ,  et  sous  ce  rapport  deviennent 
tellement  nuisibles  que  les  métallurgistes  pensent  d'abord  et  avant  tout  à  s'en 
débarrasser. 

En  regard  de  cet  exemple,  examinons  maintenant  un  acier  de  bonne  qualité. 
Pour  qu'un  acier  soil  bon,  il  ne  suffît  pas  qu'il  supporte  la  trempe,  même 
Tome  XXXII.  5 


18  RECHERCHES 

l)lusi(!urs  fois  répélée ,  sans  devenir  mauvais  ;  il  l'aul  encore  que  le  mêlai  puisse 
servir  indistinclement  à  la  fabricalion  de  tous  les  objets  pour  lesquels  on 
emploie  généralement  Pacier.  Un  rasoir  peut  être  très-bien  poli,  couper  admi- 
rablement la  barbe,  et  cependant  n'être  pas  en  bon  acier'.  La  meilleure 
preuve  que  nous  puissions  en  donner,  c'est  que  l'on  trouve  dans  le  commerce 
de  bons  rasoirs  qui  sont  en  fonte  de  fer. 

Un  bon  acier,  tel  que  nous  le  comprenons,  doit  pouvoir  servir  à  faire  un 
rasoir  aussi  bien  (pi'une  enclume,  un  marteau  comme  un  buiin  ,  un  arbre  de 
couche  ou  une  aiguille  ,  un  sabre  ou  un  ressort  de  montre.  Un  métal  médiocre 
pourra  bien  être  très-suffisant  pour  faire  une  enclume  sans  cependant  donner 
de  bons  ressorts;  mais,  ce  que  nous  appelons  acier  de  qualité  supérieure, 
devra  pouvoir  servir  indistinctement  à  n'importe  quelle  fabricalion,  à  n'im- 
porle  quel  usage. 

Ceci  bien  entendu ,  si  nous  recherchons  la  composition  des  aciers  les  plus 
estimés  du  commerce,  nous  trouvons  sans  exception  qu'ils  sont  les  plus  purs; 
ils  ne  contiennent  jamais  que  des  traces  de  silicium,  de  soufre  ou  de  phos- 
phore, et  presque  toujours  de  petites  quantités  de  manganèse  provenant  des 
minerais  dont  ils  sont  originaires.  (On  constate  facilement  la  présence  de  ce 
métal  en  attaquant  l'acier  par  de  l'azotate  de  potasse,  mais  il  est  difficile  de  le 
doser.) 

Ces  aciers  ne  contenant  pour  ainsi  dire  aucun  corps  étranger,  il  est  facile 
de  comprendre,  d'après  ce  que  nous  avons  vu  plus  haut,  pourquoi  la  cha- 
leur a  sur  eux  une  action  bien  moins  sensible  que  sur  les  aciers  plus  impurs, 
et  détruit  plus  difficilement  la  combinaison  qui  doit  exister  entre  le  fer  elle 
carbone.  De  plus,  le  manganèse  qu'on  y  trouve  presque  toujours  empêche 
par  sa  présence  que  cette  séparation  ne  se  produise,  et  contre-balance  ainsi  en 
partie  les  efTets  destructeurs  de  la  chaleur.  C'est  pour  cette  raison  que,  dans 
toutes  les  aciéries,  on  ajoute  à  la  charge  des  creusets  une  certaine  quantité 
d'oxyde  de  manganèse  mélangé  de  charbon.  On  a  remarqué  ([u'en  agissant 
ainsi,  on  améliorait  toujours  l'acier;  malheureusement  l'oxyde  manganèse 

'  M.  Froniy  {Cours  de  l'École  polytechnique ,  et  Chimie  de  Pelouze  et  Fremy)  cite  (à  tort, 
suivant  nous)  comme  type  de  première  qualité  d'aciers,  un  métal  à  rasoirs  qui  contient  des 
quantités  considérables  de  soulrc,  de  silicium  ,  d'antimoine,  etc.,  etc. 


SUR  LA  COMPOSITION  CHIMIQUE  DES  ACIERS.  19 

est  difficilement  réduclihle,  surtout  dans  une  almosphéie  un  peu  oxydante 
comme  celle  des  fourneaux  ,  de  sorte  que  la  quantité  de  métal  réduit  est  très- 
faible,  et  la  plupart  du  temps  insuffisante  pour  entraîner  les  impuretés  de 
l'acier  et  le  rendre  par  cela  même  moins  sensible  à  Faction  de  la  chaleur. 

Si ,  d'un  autre  côté,  on  cherche  dans  l'industrie  les  matières  premières  qui, 
jusqu'ici,  ont  donné  les  meilleurs  aciers,  on  trouve  que  ce  sont  les  fers  de 
Suéde  pour  les  aciers  de  cémentation,  ou  les  fontes  d'Allemagne  pour  les 
aciers  d'affinage.  Le  fer  de  Suède  provient  de  minerais  d'une  pureté  excep- 
tionnelle, qui  donnent  un  métal  contenant  seulement  des  traces  insignifiantes 
de  silicium  et  de  soufre.  (Le  phosphore  qu'on  y  trouve  en  quanlilé  très- 
peliie,  comme  dans  tous  les  bons  aciers,  provient  du  combustible  végétal.) 
Les  fontes  d'Allemagne  contiennent  plusieurs  millièmes  de  silicium;  mais, 
comme  elles  renferment  en  même  temps  des  quantités  considérables  de  man- 
ganèse, ce  métal  disparaît  pendant  l'affinage  en  entraînant  avec  lui  la  presque 
totaiilé  du  silicium  de  ces  fontes. 

En  un  mol,  si  l'on  a  alTaire  à  un  minerai  très-pur,  on  obtient  de  bons 
fers  très-purs  eux-mêmes  et  par  suite  très-propres  à  la  cémentation;  si  le 
minerai  comme  ceux  du  pays  de  Siegen,  par  exemple,  contient  de  la  silice, 
du  soufre  et  du  manganèse,  le  résultat  définitif  est  encore  un  métal  très-pur, 
parce  que  le  manganèse  s'y  trouve  en  assez  grande  quantité  pour  débar- 
rasser l'acier  des  impuretés  du  minerai.  Si,  au  contraire,  on  cherche  à 
obtenir  des  fontes  à  aciers  avec  des  minerais  silicieux  ou  sulfureux,  qui  ne 
contiennent  pas  de  manganèse  en  quantité  suffisante,  on  arrive  infailliblement 
à  obtenir  un  métal  où  le  silicium  et  le  soufre  jouent  le  rôle  que  nous  leur 
avons  reconnu  plus  haut,  et  donnent,  suivant  les  proportions  dans  lesquelles 
ils  se  trouvent,  toutes  ces  variétés  de  mauvais  aciers  que  l'on  renconire  dans 
le  commerce. 


20  RECHERCHES 


RÉSUMÉ. 


Maintenanl  que  nous  avons  passé  sucessivement  en  revue  les  questions 
posées  par  IWcailémie,  nous  croyons  utile  de  résumer  notre  travail. 

Les  doutes  qui  pouvaient  s'élever  encore  sur  la  conslitulion  de  l'acier, 
doutes  provenant  de  la  présence  de  Tazole  constatée  dans  les  aciers  et  consi- 
dérée, d'après  les  uns,  comme  indispensable,  d'après  les  autres,  comme  acci- 
dentelle, nous  les  avons  écartés.  Nous  avons  pu  conclure  d'après  des  expé- 
riences précises  que  le  fer  en  se  transformant  en  acier  n'absorbait  pas  d'azote, 
et  que  ce  gaz  ne  devait  être  considéré  dans  la  cémentation  industrielle  (|uc 
comme  le  véhicule  du  carbone  tout  aussi  bien  (|ue  l'alcali  dont  on  ne  retrouve 
pas  de  trace  dans  le  métal  après  la  cémentation  '. 

Nous  avons  expliqué  ensuite  la  présence  presque  constante  de  l'azote  dans 
les  fontes,  fers  et  aciers,  en  l'attribuante  l'azoture  de  titane.  Le  titane,  en  effet, 
se  rencontre  toujours,  soit  dans  les  minerais,  soit  dans  les  fondants,  soit  enfin 
dans  les  vases  où  sont  produits  ces  métaux,  et  son  affinité  pour  l'azote  est  telle, 
qu'il  a  été  impossible  jus(ju'ici  d'obtenir  du  titane  exempt  d'azoture  ou  d'azoto- 
carbure  de  titane. 

Après  avoir  restitué  à  l'acier  son  ancienne  et  véritable  définition,  nous 
avons  abordé  la  partie  délicate  de  notre  travail,  la  constitution  de  l'acier. 

Nous  avons  fait  voir  que  l'acier  essentiellement  composé  de  carbone  et  de 
fer  devait  ses  qualités  ou  ses  défauts  à  deux  causes  différentes  liées  entre  elles: 

1°  A  l'état  du  carbone  dans  le  métal; 

2"  A  la  nature  du  ou  des  corps  étrangers  qui  le  souillent. 

Toutes  les  fois  qu'un  acier  est  bon,  son  carbone  peut,  sous  l'influence  de 
la  trempe,  se  combiner  avec  le  fer  et  donner  un  métal  dur  et  cassant  que  le 
recuit  rend  souple  et  élastique. 

'  Une  barre  de  0"',0I  environ  d'épaisseur,  ayant  été  coniplélcmcnt  transioimée  en  acier  an 
moyen  d'un  cément  baryiique,  on  a  dissous  le  métal  dans  l'acide  chloihydrique  après  en  avoir 
parfaitement  nctloyé,la  surface;  la  dissolution  examinée  au  spcctroscope  ne  contenait  pas  de 
traces  de  baryum. 


SUR  LA  COMPOSITIOrS  CHIMIQUE  DES  ACIERS.  2i 

Lorsqu'un  acier  devient  mauvais  après  quelques  cl)audes,  cesl  (|ue  son 
carbone  a  été  i)rùlé  ou  s'est  séparé  du  fer;  la  trempe  ne  peut  alors  régénérer 
la  combinaison  du  fer  et  du  carbone.  Celle  séparation  est  due  à  la  présence 
de  corps  étrangers,  et  notamment  du  silicium,  qui  empêche  la  combinaison 
des  deux  corps.  Ils  donnent  en  outre  au  métal  des  propriétés  ou  des  défauts 
différents  suivant  la  nature  et  la  quantité  d'impuretés  qui  s'y  trouvent. 

Le  cadre  qui  nous  a  été  assigné  nous  a  forcé  à  supprimer  bien  des  détails 
et  bien  des  expériences  qui  auraient  eu  leur  utilité  pour  la  fabrication  de 
l'acier;  mais  nous  avons  cru  devoir  nous  y  renfermer  afin  de  rendre  plus 
nettes  et  plus  précises  nos  réponses  aux  questions  posées  par  l'Académie. 
Nous  nous  proposons  de  revenir  plus  lard  sur  ce  sujet  si  intéressant,  et  de  com- 
pléter autant  que  possible  cette  étude  rapide  sur  l'acier. 


FIN. 


MÉMOIRE 

EN  RÉPONSE  A  LA  QUESTION  SUIVANTE  : 

TROUVER  LES  LIGJiES  DE  COURBURE  DU  LIEU  DES  POINTS  DONT  LA   SOMME  DES  DISTANCES 
A  DEUX  DROITES  QUI  SE  COUPENT  EST  CONSTANTE; 


M.  Eugène  CATALAN. 


Tome  \XXII. 


MEMOIRE 


EN  RÉPONSE  A  LA  QUESTION  SUIVANTE  : 

TROUVE!!    LES    LIGNES    DE    COURBURE    DU    LIEU    DES    POINTS    DONT    LA    SOMME    DES    DISTANCES 
A    DEUX    DROITES    QUI    SE    COUPENT    EST    CONSTANTE. 


Trop  ou   trop  i>eii 


Le  cas  où  les  droites  sont  perpendiculaires  est  assez  simple  :  il  a  été 
résolu  indirectement  par  M.  Serret  (*).  Au  contraire,  si  Tangle  formé  par 
les  deux  droites  est  quelconque,  la  détermination  des  lignes  de  courbure  de 
la  surlace  dont  il  s^agit  paraît  excessivement  difficile,  sinon  impossible,  dans 
l'état  actuel  de  l'Analyse.  Pour  celte  double  raison,  je  me  serais  abstenu  de 
prendre  part  au  concours  ouvert  par  l'Académie,  si  mes  tenlatives,  infruc- 
tueuses quant  à  la  partie  essentielle  de  la  question  proposée,  ne  m'avaient 
conduit  néanmoins  à  quelques  résultais  nouveaux,  soit  sur  la  théorie  des 
lignes  de  courbure,  soit  sur  l'intégration  des  équations  du  |)remier  ordre. 
Ce  sont  ces  résultats  que  je  soumets  à  l'examen  de  l'Académie. 

(•)  Journal  de  LioKville,  t.  XIF,  p.  247. 


RECHERCHE 


Sur  l'é(/iuilion  Py^-t- 0^  =  11. 


1.  Supposons,  pour  plus  de  siniplicilé,  que  P,  Q,  R  so'mM  les  dérivées 
partielles  d'une  fonction  F  {x,  y,  z);  savoir  : 

d¥  (/F  dv 

p  =  — .    Q==  — ,    R  =  — 

dx  '  dij  dz 

D'après  cette  hypothèse  (*),  Tinlégration  de  Iwpiation 

Pp  +  Qry=R (I) 

dans  laquelle;.»,  7  désignent,  à  Tordinaire,  les  dérivées  partielles  ^5  '^^ 
d'une  fonction  inconnue  z,  équivaut  à  la  solution  de  ce  prohlème  : 

Déterminer  toutes  les  surfaces  2  qui  coupent  orlliogonalenient  les  sur- 
faces S  représentées  par  l'équation 

¥(x,y,z)  =  c, (2) 

c  étant  une  constante  arbitraire. 

En  effet,  les  cosinus  des  angles  formés,  avec  trois  axes  rectangulaires, 
par  les  normales  aux  surfaces  données  et  aux  surfaces  inconnues  sont,  res- 
pectivement ,  proportionnels  aux  quantités  : 

P.    Q,    R, 

i',    </,— 1; 

(*)  Elle  n'est  pas  toujours  admissible;  caria  condition  d'intégrabilité  de  léquation 

Vdx  -+-  Q(/;/  -4-  Rd:  =  o 
est ,  comme  l'on  sait, 

/dK_^X  /dP_^\  /dQ_-£\        ^ 

\dy        dz  \dz        dx  j  {dx        dy  j 


DES  LIGNES  DE  COURBURE.  5 

donc  rc(iuation  (1)  exprime  (iircn  un  point  quelconque  de  la  courbe  d'inler- 
seclion,  ces  deux  droites  sont  perpendiculaires  entre  elles. 

2.  Pour  trouver  toutes  ces  surfaces  orlliogonales ,  ou  pour  intégrer  ré(|ua- 
tion  (1)  il  faut,  d'après  la  méthode  coimue  :  1°  poser  les  équations  simul- 
tanées 

dx       dy        dz 

T"  "^  ~Q  ""  "r  '    ■    ■ 

2"  intégrer  ces  équations;  3"  en  supposant  que 

l\x,y,z)  =  x, (4) 

.      I\[x,j,z)  =  ?., (y) 

en  soient  les  intégrales,  prendre 

f(x,y,z)  =  'i  U\{x,y,z)], (6) 

y  étant  une  fonction  arbitraire  :  toutes  les  surfaces  2  sont  représentées  par 
Téquation  ((5). 

3.  Nous  ferons  observer,  en  passant,  que  les  équations  (4)  el  (5)  repré- 
sentent deux  familles  de  ces  surfaces  :  celles  qui  répondent  à 

/(a;,  ly,  z)  =  consliinte, 

et  à 

l\{x,  y,  :)  =  constante. 

On  arrive  à  la  même  conclusion  en  dilTérentiant  les  équations  (4),  (5)  et  en 
ayant  égard  aux  relations  (3).  En  effet,  on  trouve  ainsi 

dx  dy  dz  dx  dy  dz 

4.  Remarciuons  encore  que  Tensemble  des  équations  (4.),  (3),  pour  des 
valeurs  données  de  a,  (3,  représente  nue  courbe  normale,  à  toutes  les  sur- 
faces (2).  Quand  on  établit  une  équation  de  condition,  a  =  a,  (/3) ,  entre  les 
paramètres  «  et  /3 ,  le  lieu  de  toutes  ces  courbes  est  Tune  des  surfaces  ortho- 


6  RECHERCHE 

gonales  i.  Conséquemmenl,  chacune  des  sur  faces  1  a  ses  génératrices  orl/tn- 
gonales  aux  surfaces  S. 

II. 

Des  lignes  de  courbure. 

5.   L'équation 

<lx  -+-  nriz         du  -+-  qdz 

~-  -         ,  ' (7) 

dj)  dq 

que  l'on  peut  d'ailleurs  écrire  ainsi  : 

d[x  +  /);:)         (/(]/  -\-  rjz] 


dp  dq 


(8) 


a  élé  mise  sous  bien  des  formes.  J'ignore  si  l'on  a  fait  attention  à  la  Irans- 
formation  suivante  : 

Si  l'on  remplace  dz  par  pdx  -\-  qdy,  on  a  d'abord 

(t  -1-  jf)dx  -1-  pqdy        (  I  -+-  q''')dij  -4-  pqdx 
dp  dq 

ou 

dx  dy 


(1   4-  q-)dp—pqdq         (I  -*-  p')dq  —  pqdp 
OU 

dx  dij 


(  1  -+-  /J*  -(-  7^ j (//)  —  p(pdp  -+-  qdq)       ^ ( t  ■+-  ]f  -t-  q- )dq  —  q[ pdp  -v-  qdq ] 

OU  encore 

dx  dy 


d l d L 


l/'l   ^  f  +  q^  V\  ^  p^  +  7" 

Soient  X,  p,  v  les  angles  formés  par  la  normale  avec  les  axes;  nous  aurons, 
au  lieu  de  cette  équation  , 

dx  dy 

d  .cas  A.         (/.nos  a 


DES  LIGNES  DE  COURBURE. 

Donc,  à  cause  de  la  symélrie, 

dx  r/i/  dz 


d.cosy         </.cos  p        (Z.cosj' 


(9) 


Telle  est  la  Iransformée  à  laquelle  nous  voulions  parvenir.  Pour  Pélablir 
directement,  il  suffit  d'écrire  ainsi  les  équations  de  la  normale  : 

X  —  X  =  ?cos/,     y  —  Y  =  /coS|a,     z  —  Z  ■=  l  cos  ■/    [')     .     .     .     .  (10) 

En  exprimant  que  les  deux  normales  infiniment  voisines  se  rencontrent, 
on  oblienl  : 

[Ix  =  cos  )  .(//  -t-  td.  {cos  a),     dij  =  cos  [idl  -t-  Id. {cos  ft),     dz  =  cos  vdl  -+-  Id  .  (cos  v)  ;  (11) 

puis 

cos  '/  .dx  ■+-  cos  f;! . dy  -+-  cos  v.dz^  di. 

Le  premier  membre  est  nul;  donc  dl=o.  Ainsi,  /es  deux  normales  infini- 
ment voisines  ont  même  longueur.  Ce  résultat,  évident  à  priori,  montre  que 
les  relations  (H)  peuvent  être  remplacées  par 

''^  '''J  '^^      =/ (12) 


(i.cosA        d.cosfj.        (/.cos 

6.  Les  équations  (9)  ou  (11)  démontrent  immédiatement  le  théorème  dé 
Joachimstal.  En  effet,  si  la  ligne  de  courbure  est  plane,  on  a 

A(/x  -4-  Bdy  ■+-  Cdz  =  o; 

d'où 

A(L  cos  )  -t-  Bd .  cos  ^  -t-  Crf .  cos  V  ^  0  ; 

c'est-à-dire 

A  cos  )  -t-  B  cos  u.  -+-  C  cos  V  =  constante  ; 

etc. 

(■)  /  rcpri'sentc  la  distance  comprise  entre  le  point  {x,  y,  z)  et  le  point  (X,  Y,  Z)  où   se 
coupent  les  deux  normales  infiniment  voisines. 


RECHERCHE 

HI. 

Sijsièmes  orlhogommx. 


7.  Pour  cliorchor  les  lignes  de  courbure  d'une  surface  dont  réqualion  est 

F(;r, /y,  z]  =  o, (15) 

on  peut,  au  lieu  d'inlégrer  les  é(|uations  (7)  ou  les  équations  (9),  opérer 
comme  il  suit. 

En  considérant  l'équation  (13)  comme  un  cas  particulier  de 

F(;r,  .V,  .-)  =  c (2) 

formons  d'abord  l'équation 

f{x,y,z)=f[f,(oc,y,z)], (6) 

qui  représente  toutes  les  surfaces  2,  normales  aux  surfaces  données  S.  Attri- 
buons ensuite  à  la  fonction  cp  deux  formes  particulières,  ^ein  :  si  les  surfaces 
correspondantes,  2,  et  2.,,  sont  orthogonales,  elles  détermineront,  sur  les 
surfaces  S,  les  lignes  de  courbure  de  celles-ci.  La  condition  A'orlliof/onalile 
est 

dx      ilx  ■  I  \dx       ilx  "  I  "*"  \dy      dij  *  /  \dy      dy'^  j'^  \dz       dz  '''  A  \dz      dz""  1       °' 


ou 


ilx  1         \  (ly 


df  d/]     df  df,     df  dfr 

d. 


Ix  dx        dij  dij        dz  dz  J 

[m-m-m]''-' - 


Dans  cette  équation  : 

V='P'  [f,{x,  y,z)]  =  f  (S),      7r'=,r'  [f,{x,  y,  z)]  =  t'(P). 


DES  LIGNES  DE  COURBURE.  9 

Eu  cliaciue  point  des  lignes  de  courbure  déterminées  par  la  surface  1, , 
on.  a 

fV,!J,-)-HP),    ■    •    •    (l"')        /;(x,//, -)  =  ;5 (l(i) 

Si  donc,  entre  les  équations  (14-),  (15)  et  (16),  on  élimine  deux  des  trois 
variables  x ,  y,z,  Téquation  résultante  devra  être  idenlique.  En  exprimant 
les  conditions  nécessaires  pour  que  la  troisième  variable  disparaisse  ainsi 
en  même  temps  que  les  deux  autres,  on  obtiendra  deux  équations  différen- 
tielles entre  if,  ?:  et  /3. 

8.  Remarque.  Si  l'on  ne  peut  disposer  des  fonctions  <]>,  t.,  de  manière  à 
éliminer  x,  y,  z  entre  les  équations  (14),  (15)  et  (46),  on  conclura,  de 
cette  impossibilité,  que  les  surfaces  2,,  2.,  n'existent  pas,  ou  que  les  sur- 
faces S  n'appartiennent  pas  à  un  système  orthogonal.  D'après  une  remarque 
de  M.  Serret  (*),  ce  cas  d'exception  devra  se  présenter  fréquemment. 

9.  Comme  application  de  la  méthode  précédente,  prenons  d'abord  les 
paraboloïdes  représentés  par 

xy 


(17) 


Les  équations  (3)  sont,  dans  ce  cas, 

dx        dij  zdz 

y  X  xy 

Celles-ci  ont  pour  intégrales  : 

x^  -t-  j*  =  X,     y^  +  z°  =  S; 

en  sorte  que  les  surfaces  2,  normales  aux  paraboloïdes  donnés,  sont  com- 
prises dans  l'équation 

Les  équations  (14),  (15),  (16)  deviennent 

x'  +  z^  —  z\<i,'  +  n)  -t-  [f  +  z")  ■p'n'  =0,     x-  -+-:'-  =  i  ((3) ,     y'  -t-  2'  =  p. 
(*)  Journal  de  LiouviUe,  t.  XII ,  [>.  242. 

Tome  XXXIL  2 


10  RECHERCHE 

L'éliminalion  de  x  et  de  y  conduit  à 

Pour  que  cette  équation  soit  identique,  on  doit  avoir 

d'où  Ton  conclut 
c'est-à-dire 

d'il  dp 

et  enfin 

i/7=const.  ±  J/^ (IS) 

10.  De  ces  deux  intégrales,  Tune  appartient  aux  surfaces  l]  et  l'autre 
aux  surfaces  2^;  car  si  nous  avions  considéré  les  lignes  de  courbure  déter- 
minées par  les  surfaces  1^,  nous  aurions  trouvé 

l/^=ronst.  d=  V/p (I!)) 

Les  surfaces  qui  composent,  avec  les  paraboloïdes  donnés,  un  système 
orthogonal,  sont  donc  représentées  par 

V'x--^-  z'  +■  »/i/-  +  x-  =  a, (20) 

VlâT7-—V]f^^^  =  b, (21) 

a  et   h  étant   des  constantes   arbitraires.   Par  une  voie  bien   dilïérente, 
M.  Serret  est  arrivé  au  même  résultat  (*). 

11.  Pour  deuxième  exemple,  je  choisirai  les  surfaces  dont  l'équation  est 

)/V  —  xh^  =  c (22) 

Je  trouve,  successivement  : 

dx        dy  dz 

z^x        z'ij         ijj''  —  x^)z 

(*)  Journal  de  Liouville ,  t.  XII,  p.  247. 


DES  LIGNES  DE  COURBURE.  H 


1,2  »2 


x^  +  y-— z' =  r^{xy); (23) 

4(x-  -4-  y-  ■+■  z^)  —  -ixyi'P'  -h  tt')  ■+-  (x^  -+-  y^)^-!^'  =  o; 
4(2^^  +  ■^)  -  4S(./  +  7.')  +  [z'  -t-  ^)  /tt'  =  o; 
8  -t-  '/tt'  =  y,      4i  —  4|5(//'  -H  77')  -+-  '^'fn'  =  0; 

'   Vf/;5  d^.1  ^    ' 


Posons  '^  =  //5  :  il  vient,  au  lieu  de  la  dernière  équation, 
doù  

dS        —  3<  ±  Vt-  +  32   , 

-L= dt (25 

Afin  de  rendre  le  second  membre  rationnel ,  posons  encore 

|/(«  +  52  =  «  +  40; 

nous  aurons  : 

2(2-^/)     .             2(2  +  6^)  ,^                    2(2  +  0                    4(6^-i)  (e^-4) 
f  = ,  dt  = r do,  «  -t-  49  = —  ,  e  —  4  = ; 

0  r  9  6^ 

puis 

(/p       (2  -f-  e-)(/6     5(2  —  6')  =F  (2  -+-  e')  _ 
y        46  ■  (9-—  1)  (e'-'—  4)     ' 

c'est-à-dire,  en  séparant  les  deux  racines  : 

dR  2  -+-  6'     .         de,      '         2  H-  6*      , 

-'-= de,      —  = do (26) 

p  9(9^—4)        '         p  29(6-—  i)  ^      ' 

Les  intégrales  sont  : 

VaO                        69 
P  = ^'     r^  = r> (27) 

{0^—i.y  (6^  —  iy 

a  el  /v  étant  des  constanles  arbitraires. 


12  RECHERCHE 

On  a  donc  un  système  orthogonal  en  combinant  les  surfaces  (22),  soil 
avec  les  surfaces  représentées  par 

x>j  = r ,    =  — - —  , ^■^»; 

(r/_4)^  ='y  ' 

soit  avec  celles  qui  sont  représentées  par 

'>^              x^-^-f-^'        2(2-6') 
x)/ = zr, = () (ia) 

12.  Considérons  enfin  les  plans  P  représentés  par  Téquation 

x  =  —  cij-^]{  V\  -+-  c- (ÔO) 

En  opérant  comme  au  paragraphe  I ,  on  trouve  d'abord 

dx        dy       dz 

c"est-à-dire 

^=c,     .  =  P (31) 

dx 

L'élimination  de  c  conduit  à 

(  xdx  +  ydy  f=K-[  dx^  +  dif). 

Remplaçant  les  coordonnées  rectangulaires  par  des  coordonnées  polaires,  u  et 
w,  on  trouve  aisément,  pour  intégrale  de  la  dernière  équation, 

n       \     

«  +  arc  cos -^/w- —  R- =  a  (**) (32) 

i(        R 

(*)  Par  un  changemcnl  de  coordonnées,  on  peut  mcltre  l'équation  (:2i2)  sous  la  forme 

ou,  ce  qui  est  équivalent,  sous  celle-ci  : 

la-  +  1»/  4-  2l3  =  le. 

Celte  équation  (22)  est  donc,  aussi  bien  que  celle  du  n°  8,  comprise  dans  la  classe  dont 

M.  Serret  s'est  occupé. 

(**)  Celte  intégrale  répond  à 

Vu^  -  R=  ^ 

du  =  H du. 

Rw 


DES  LIGNES  DE  COLRBIJIIE.  13 

Les  surfaces  orthogonales  aux  plans  donnés  sont  donc  représentées  pai- 


» -H  arc  cos l/w^— R^  =  9(:) (33) 

«  14 


On  trouve  ensuite  : 


df  Vis\na-\- V^ii'  —  ll-eosM       df        R  cos  a — Vu^  —  Résina       df 

'iho  ^  R«  '      ^h  ~  ^"'  '      ''" 

dx  dy  dz 

en  sorte  que  Téqualion  (14)  devient 

1 

R^  •  ' 

Les  deux  fonctions  tz',  ^p'  étant  liées  par  une  seule  équation ,  l'une  d'elles 
peut  être  prise  arbitrairement.  Par  suite,  aux  plans  (30)  correspondent 
deux  séries  de  familles  de  surfaces  orthogonales.  Les  unes  ont  pour  é(|iiîilioii 

«  +  arccos ^  [^ u'' —  R' =  p  {z) , (35) 

M  R 

et  les  autres  : 

co  -f-  arc  cos \/u'  —  R^  =  —  —  /-t^; (^<i) 

la  fonction  <|/  (c;)  étant  arbitraire. 

13.  Ces  surfaces  peuvent  être  définies  d'une  manière  bien  simple.  Il  est 
d'abord  évident  qu'elles  admettent,  pour  sections  horizontales  (parallèles  au 
plan  des  xy),  des  développantes  de  cercle,  toutes  égales  entre  elles.  D'un 
autre  côté,  pour  déterminer  les  courbes  suivant  lesquelles  ces  diverses  sur- 
faces coupent  le  cylindre  auquel  sont  tangents  tous  les  plans  donnés,  suppo- 
sons M  =  K  :  les  deux  dernières  équations  deviennent,  respectivement  : 

R.=  ,(.),     R„  =  _iy^ (57) 

Celles-ci  appartiennent  à  deux  courbes  orthogonales.  D'ailleurs,  quand  on 


14  RECHERCHE 

remplace'  ^piz)  par  <p{z)-\-a,  la  seconde  lorniule  ne  change  pas.  Consé- 
<iueninient  : 

Soit  A  une  courbe  tracée  arbitrairement  sur  un  cylindre  de  rayon  R ,  et 
soient  A',  A",  A'",  ...  les  positions  qu'occxiperait  k,  si  cette  courbe ,  se  trans- 
porlanl parallèlement  à  elle-même,  engendrait  la  surface  du  cylindre.  Soient 
ensuite  B  une  trajectoire  orthogonale  des  courbes \,  A',  A", ...  et  B',  B",  B'", ... 
les  positions  occupées  par  B ,  lorsque  cette  courbe  se  transporte  parallèlement 
à  elle-même ,  de  manière  à  engendrer  la  surface  du  cylindre:  les  lignes 
B',  B",  ...  sont  aussi  des  trajectoires  orthogonales  de  A,  A',  A",  ...  Si  une 
développante  du  cercle  de  rayon  R  se  meut  perpendiculairement  à  Vaxe  du 
cylindre,  de  sorte  que  son  sommet  décrive,  d'abord  une  quelconque  des  courbes 
de  la  première  série,  ensuite  une  quelconque  des  courbes  de  la  seconde  série; 
les  deux  surfaces  2, ,  23 ,  ainsi  engendrées ,  sont  orthogonales ,  et  sont  coupées 
orthogonalement  par  les  plans  tangents  au  cylindre. 

14.  Remarques.  I.  ToiUes  les  surfaces,  appartenant  à  la  même  série,  sont 
égales  entre  elles.  On  les  obtient  toutes  en  attribuant  à  Tune  cfelles  un  mou- 
vement hélicoïdal  (*). 

11.  Si  les  courbes  A  sont  des  hélices,  les  courbes  B  sont  aussi  des  hélices. 
Dans  ce  cas,  les  surfaces  2,  sont  des  hélicoïdes  développables ,  tous  égaux 
entre  eux  ;  et  il  en  est  de  même  pour  les  surfaces  2.. 

13.  Chacune  des  surfaces  2,  coupe  toutes  les  surfaces  2^  suivant  des  géné- 
ratrices, c'est-à-dire  suivant  des  développantes  de  cercle.  Ces  développantes , 
toutes  égales  entre  elles,  constituent  donc,  soit  pour  les  surfaces  2,,  soit  pour 
les  surfaces  22,  un  premier  système  de  lignes  de  courbure. 

Les  lignes  de  courbure  du  second  système  sont  les  intersections  des  plans  P 
avec  les  surfaces  2,  ou  2,.  Pour  une  même  série  de  surfaces,  ces  lignes  de 
coui'bure  sont  encore  égales  entre  elles.  En  supposant  c  =  tg  y,  on  trouve 
aisément  : 

Si 

(*)  Cesl-à-dire  un  mouvement  composé  d'une  translation,  parallèle  à  l'axe  du  cylindre,  et 
d'une  rotation  autour  de  cet  axe. 


DES  LlGxNES  DE  COURBURE.  1d 

ces  é(iiialions  se  réduisent  à 

X         z  y,  z 

y = hfl,     y = 1-^ (  5'J) 

'^        R        R  '  R  R 

l.i's  lignes  de  courbure  des  hélicoïdes  développubles  sont  donc  les  tmujenfes 
aux  hélices  directrices';  ce  qui  est  exact  (*). 

IV. 

Surfaces  parallèles. 


10.  Définition.  Par  un  point  M,  pris  sur  une  surface  S,  on  élève  une  nor- 
male iMM',  ayant  une  longueur  donnée  /.  Le  lieu  des  points  .M'  est  une  sur- 
face S'  qui  peut  être  dite  parallèle  à  S. 

17.  liemarque.  A  chaque  point  M  correspondent  deux  points  M';  en  sorte 
(|ue  la  surface  parallèle  à  une  surface  donnée  S  est  toujours  composée  de  deux 
nappes.  Pour  plus  de  simplicité,  je  n'en  considérerai  qu'une  :  la  surface  S, 
et  la  surface  parallèle  S',  constituent  alors  une  couche  ayant  partout  la  même 
épaisseur. 

18.  Théorème.  Si  une  surface  S'  est  parallèle  à  la  surface  S,  réciproque- 
ment celle-ci  est  parallèle  à '^' . 

Soient  x,  y,  z  les  coordonnées  du  point  M,  et  x' ,  y' ,  z'  les  coordonnées 
du  point  M'.  Soient,  en  outre,  l,  [j.,  v  les  angles  formés,  avec  les  trois  axes 
rectangulaires,  par  la  droite  M'M ,  normale  en  M  à  la  surface  donnée  S. 

Par  définition  : 

x'  =  x  -I-  /  cos  ) ,     y  =  y  -^  I  tos  i«,      z'  =  z  -i-  I  COS  V. 

Donc 

dx'  =  dx  H-  W.  (cos  >),     f/j/'  =  dy  -t-  Id.  (cos  /x) ,     dz   =  dz  -f-  /(/.  (ros  •/). 

De  plus  : 

dx  cos  X  -y-  dij  cos  ;y.  +  dz  cos  v  ^=  o  ; 

(')  Les  rcsiiliats  très-simples  auxquels  nous  venons  de  parvenir  subsislcnt,  à  quelques  modi- 
fications près,  quand  le  cylindre  de  révolution  est  remplacé  par  un  cylindre  à  base  quci(oiii|uc. 


16  RECHERCHE 

donc 

dx'  cos  >.  +  dij'  tos  fi  -t-  (/;:'  cos  :-  =  o; 

elc. 

19.  Remarque.  Ce  théorème,  presque  évident,  et  sans  doute  très-connu, 
justifie  la  dénomination  de  mr faces  parallèles ,  que  nous  employons  pour 
caractériser  les  surfaces  S,  S'. 

20.  Théorème.  Les  surfaces  parallèles  à  une  surface  développable  sont 
développahles. 

Le  plan  tangent  en  un  point  M  de  la  surface  développable  S  est  tangent  tout 
le  long  de  la  génératrice  G  qui  passe  en  ce  point.  Si  donc  Texlrémité  31  de  la 
normale  M'31  décrit  la  droite  G,  l'autre  extrémité  M'  décrira  une  droite  G', 
parallèle  à  G.  D'après  le  premier  théorème,  le  plan  tangent  en  M',  à  la  sur- 
face S',  lieu  des  droites  G',  est  tangent  tout  le  long  de  G'.  Donc  la  surface  S' 
est  développable. 

21.  Théorème.  Des  surfaces  parallèles  S,  S',  S",  ...  appartiennent  tou- 
jours à  un  système  orthogonal. 

(considérons,  sur  la  surface  S,  une  ligne  de  courbure  C,.  Soit  2,  la  surface 
développable,  lieu  des  normales  à  S,  menées  aux  différents  points  de  C,. 
La  surface  2,  est  orthogonale  par  rapport  à  toutes  les  surfaces  S',  S",  ...  pa- 
rallèles à  S  (18).  La  même  conclusion  subsiste  pour  la  surface  2.,,  lieu  des 
normales  à  S,  menées  par  tous  les  points  d'une  ligne  de  courbure  Ca,  nor- 
male à  C,.  Mais,  évidemment,  les  surfaces  2,,  2^  sont  oi'thogonales  l'une  à 
l'autre,  tout  le  long  de  leur  génératrice  commune.  Donc  les  surfaces  paral- 
lèles S,  S',  S",  ...,  les  surfaces  développahles  2,,  2/,  2,",  ...  et  les  surfaces 
cléveloppables  2^,  2^',  2o",  ...  forment  un  système  orthogonal. 

22.  Théorème.  Il  existe  une  infinité  de  systèmes  ortltogonaux  composés 
de  surfaces  développahles  parallèles,  d'autres  surfaces  développahles  paral- 
lèles ,  et  de  plans. 

Si  la  surface  S  est  développable,  l'une  des  lignes  C, ,  C^  est  droite  :  suppo- 
sons que  ce  soit  C,.  Alors  la  surface  2,  est  plane.  D'ailleurs,  les  courbes 
Cj,  C./,  Cl",  ...  trajectoires  orthogonales  des  génératrices  reclilignes  de  S, 
sont  parallèles ,  c'est-à-dire  que  C.,,  CJ,  par  exemple,  interceptent,  sur  ces 


DES  LIGiNES  DE  COURBURE.  17 

généralrices,  des  segments  égaux  (*).  Donc  les  surfaces  développables  le,,  2^' 
sont  parallèles.  C'est  ce  qu'il  fallait  démontrer. 

23.  Le  cas  où  les  surfaces  S  sont  développables  paraît  être  l'un  des  plus 
simples  et  des  plus  intéressants.  On  y  peut  joindre  celui  des  surfaces-canaux , 
dont  nous  parlerons  tout  à  l'heure,  et  celui  des  surfaces  de  révolution  :  si  les 
méridiens  sont  des  courbes  parallèles,  les  surfaces  2,  sont  des  cônes  de  révo- 
lution, et  les  surfaces  2^  sont  les  plans  méridiens. 

Notons  encore  le  cas  particulier  où  les  surfaces  S  sont  des  héliçoïdes  déve- 
loppables, égaux  entre  eux,  obtenus  en  faisant  glisser  l'un  d'eux  le  long  du 
cylindre  directeur.  Les  surfaces  2,  sont  alors  des  héliçoïdes  développables,  et 
les  surfaces  2.,  sont  des  plans  tangents  au  cylindre  directeur  (11,  14). 

24.  Lorsque  la  surface  S  sera  donnée  par  son  équation 

f'(x,V,^)  =  o, (40) 

il  faudra,  pour  trouver  l'équation  des  surfaces  parallèles  à  S,  éliminer  x,  y,  z 
entre  (40)  et  les  relations 

x'  =  X  -V-  l  COS  A,      y' =?/-(-  /  COS  f*,      z' =  z  ■*-  I  COS  V       .      .      .       .       (41) 

Presque  toujours,  cette  élimination  sera  fort  pénible  et  l'équation  résul- 
tante sera  beaucoup  plus  compliquée  que  celle  d'où  l'on  est  parti.  Par  exemple, 
dans  le  cas  très-particulier  où  la  surface  S  serait  le  cylindre  elliptique  i-epi'é- 
senté  par 

«y  -4    /Ar«=  «'6% (42) 

on  trouve  que  les  cylindres  parallèles  à  S  ont  pour  équation 

-4-    4a'ôT(j'^  +  xf  —  a'—h^—l^f+  i{ay  -i-  U'x-  -  uH^—  IrP  —  aV,^f 

-f-  i8a%H'{x'  ^  if  —  é  —  b^—P)  («*.)/*-+-  hV  —  a'P  —  bH'  -  a^b^)  —  Tia'bH'  =  o. 

(*)  Cette  propriété  est  évidente  si  ron  considère  le  développement  de  la  surface  S.  Les  co;irbes 
Cj,  Cg',  Cg"  ...  deviennent  les  développantes  de  la  ligne  suivant  laquelle  se  transforme  l'arête  de 
rebroussement  de  S. 

Tome  XXXII.  3 


18 


RFXHERCHE 


Surfaces-canaux. 


25.  Depuis  Mongc,  on  appelle  sur  face-canal  l'enveloppe  S  crime  sphère 
de  rayon  donné  :  la  ligne  L  parcoui'ue  par  le  centre  de  la  sphère  est  Vaxe  du 
canal.  Dans  chacune  de  ses  positions,  la  sphère  touche  le  canal  suivant  une 
circonférence  de  grand  cercle,  dont  le  plan  est  normal  à  L.  Celte  circonfé- 
rence C,  caractérisliqiie  de  la  surface  S,  est  en  même  temps  l'une  de  ses 
lignes  de  courbure  (*). 

D'après  cela,  si  l'on  remplace  la  sphère  de  rayon  R  par  une  sphère  de 
rayon  R',  la  nouvelle  enveloppe  S'  sera  parallèle  à  S  :  en 
effet,  deux  rayons  OM,  OM',  de  même  direction,  sont 
normaux  aux  deux  surfaces ,  l'un  en  M ,  l'autre  en  31',  et 
leui-  dilïérence  3131'  est  constante. 

26.  Soient  donc  S,  S',  S", ...  des  canaux  parallèles.  Les 
plans  normaux  à  l'axe  commun  L  déterminent,  dans  cha- 
cune de  ces  surfaces,  seslig^ies  de  courbure  circulaires, 
et  ils  coupent  orthogonaloment  tous'les  canaux  (**)  :  ces  plans  sont  donc  les 
surfaces  que  nous  avons  désignées  par  2,. 

Pour  trouver  les  surfaces  2,,  observons  que  les  rayons  031 , 0'3r,  0"31", ... 
menés  aux  différents  [)oints  d'une  ligne  de  courbure,  appar- 
tiennent à  une  surface  dévcloppable,  et  qu'ils  sont  normaux 
à  l'axe  L.  Conséqucmment  :  Les  surfaces  I.,  qui,  avec  les  ca- 
naux S  et  les  plansl^,  composent  le  système  orthof/oncd  cher- 
ché, sont  des  surfaces  développablcs ,  ayant  pour  directrice 
l'axe  commun  L,  et  dont  les  génératrices  sont  normales  à  L. 
27.  Supposons  que  l'axe  soit  une  ligne  plane  ÂA'A"...,  auquel 
cas  les  surfaces  S  peuvent  porter  le  nom  de  tores.  Soif  RB'R",.. 


(')   Monge,  Applirnlion  de  l' Analyse  à  lu  Gédiiiclrie,  pp.  ÔG,  ^58 
('*)  Ceci  est  d'arcord  avec  le  théorème  de  Joaeliimstal  (G). 


DES  LlOrSES  DE  COCRBLRE. 


19 


la  développée  de  L.  Considérons  le  cylindre  qui  aurait  pour  directrice  celle 
/B  développée,  el  dont  les  génératrices  seraient  perpendicu- 
laires au  plan  de  Taxe.  Il  est  facile  de  reconnaître  que,  si 
une  droite  glisse  tangenliellement  au  cylindre,  en  s'ap- 
puyant  sur  Taxe,  el  en  faisant,  avec  le  plan  de  celte 
courbe,  un  angle  constant  G,  la  surface  ainsi  engendrée 
sera  développable,  et  auia,  pour  arête  de  rebroussement, 
une  certaine  hélice,  située  sur  le  cylindre.  En  faisant  va- 
rier Tangle  0,  on  obtient  donc  toutes  les  surfaces  l.^  qui, 

avec  les  surfaces  données  S  et  les  plans  AB,  A'B',  A"A",  ...,  normaux  à 

Taxe  L,  composent  le  système  orthogonal. 

28.  lîenuar/ue.  Pour  une  même  valeur  de  e,  et  le  plan  de  L  étant  sup- 
posé horizontal,  les  génératrices  rectilignes  sont  évidemment  les  lignes  de 
plus  grande  pente  de  la  surface  2.,.  Par  conséquent,  ces  surfaces  2.  ne  diffè- 
rent pas  des  surfaces  à  pente  constante,  dont  M.  Saint -Venant  s'est  occupé, 
au  moins  dans  le  cas  ovi  la  directrice  L  est  une  ellipse.  D'après  ce  qui  précède, 
les  surfaces  S  sont  alors  des  tores  elliptiques ,  dont  il  serait  fort  difficile  d'écrire 
l'équation  (24)  :  néanmoins,  nous  connaissons  les  lignes  de  courbure  de  ces 
surfaces. 

29.  Lorsque  l'axe  L  est  une  courbe  quelconque,  la  détermination  des  sur- 
faces Sa  exige  que  l'on  résolve  ce  problème  : 

Trouver  l'équation  des  surfaces  développables  engendrées  par  les  normales 
à  une  courbe  L. 
Soient 

X-x  =  a(Z-3:),     Y  —  y  =  b(Z  —  z) (U) 

les  équations  de  la  normale  au  point  [x,  y,  z)  de  L.  Les  inconnues  a,  b  doi- 
vent satisfaire  à  la  relation 

adx  -A-  hihj  ^  (h  =  0 ('«•S) 

Pour  rendre  les  calculs  plus  symétriques,  je  suppose 

dx  =  ds  sin  y  sin  y,     dy  ^  ds  cos  y  sin  y,     dz  =  ds  cos  y    :     .     .     .     (M) 

y  est  l'angle  que  fait,  avec  l'axe  des  z,  la  tangente  à  L;  9  est  l'angle  formé  par 


20  RECHERCHE 

la  projcclion  de  cette  tangente,  sur  le  plan  des  xy,  avec  Taxe  des  y;  etc.  En 
ayant  égard  à  la  condition  (45) ,  je  trouve 

sin  0  ('ot  y      ,  tos  0  cot  r 

cos  (0  -H  y)  cos  (  ^  -t-  y) 

B  étant  une  inconnue  auxiliaire. 

Deux  normales  consécutives  doivent  se  rencontrer;  donc 

adz  —  dx        bdz  —  dy 
da  dl) 

OU 

siii  e  cosV  —  sin  y  cos,{0  -h  .,,)  sin^y    ,  cos  e  cos^y  -»-  cos  f  cos(e  -4-  •,)  sin' y 

ou  encore 

cos^y(cos  e  f/a  -1-  sin  0  db)  +  cos(o  -+-  y)  sin^y(cos  ^d«  —  sin  -fdb)  =  o     .     .     (48) 

Les  valeurs  (4.7)  donnent 


.  Il  col  y 

cos  Ma  ■+■  sHi  oub  = </ e , 


cot  y 
cos  tjdu  —  sin  fdb  =  cot  7'  +  sin  (0  -4-  t^)d. 


cos  (9  -t-  ï) 

Par  suite,  l'équation  (48)  devient,  après  quelques  réductions, 

cos  y  sin-(0  -f-  y)    . 

ne  —  sin  (0  +  -.)  dy  -t- sin  y  cos  y« »  =  o , 


sin  ycos(0  -+-  5,)  '  cos  (0  -+  ^) 

OU  en  (in 

cos  9-(/e  --  sin(4  H-  5-)  cos(4  -4-  y)  sin  yf/y-+   siii'(0  -f-  y)  sin"ycosyr/^  =  0    .     .     (49) 

Dans  cette  équation,  9  est  en  général  une  fonction  de  y,  donnée  par  les 
équations  de  Taxe  L;  donc,  en  intégrant  cette  même  équation,  et  en  élimi- 
nant ensuite  6  et  y  entre  l'équation  intégrale  et  les  relations  (44)  et  (47) ,  on 
obtiendra,  sous  forme  finie,  l'équation  des  surfaces  l.,  :  la  constante  arbi- 
traire, introduite  par  l'intégralion,  particularisera  chacune  d'elles. 


DES  LIGNES  DE  COURBURE.  2i 

30.  Supposons  que  l'axe  L  soit  l'hélice  représentée  par 

x=^cosz,    y^siaz (50) 

Alors 

t:  sin  6  COS  9 

y  =  --,      t,  :=  —  z,       a  = ; ;,       6  = ; ....      (5i) 

4       '^  cos(«— :)  cos(9  — z)  ^     ' 

En  même  temps,  l'équation  (49)  devient 

2(/9  —  sin'(a  —  :)  dz  =  o, 

illa 
(lz  = 

2  — 

en  posant 


ou 


d~  =  -  ç,    '    .  ,  ; (52) 

2  —  sin^'a 


0  =  z  -i-  u (53) 

Pour  intégrer  la  formule  (52),  il  suffît  de  prendre 

tga=  t (54) 

On  obtient,  en  effet, 

-2(lt 


puis 


dz=  - 

2  H-  «' 


s=k-V'-2siTctg~; (55) 

1/2 


0 


'I ,  par  conséquent, 


S=  k  -t-  arc  tyt  — y ^2  arc  tg^ (56) 

^/2 

Une  génératrice  quelconque  de  la  surface  développahle  formée  par  les 
normales  à  riiélice  donnée,  et  répondant  à  une  valeur  arbitraire  de  le,  est 
alors  représentée  par  les  équations 

A  COS  :  = (Z  —  2) ,      \   —  sin  z  = ; :  (^  —  ~}, 

COS  («  —  s)  COS  (9  —  z) 

jointes  aux  formules  (S3)  et  (36). 

31.   Les  considérations  géométriques  suppléent  avec  avantage  aux  calculs 


22 


RECHERCHE 


précédents.  Eu  effet  :  1"  Chacune  des  surfaces  développables  formées  par  les 
normales  à  la  courbe  L  a  pour  arête  de  rebroussemenl  une  développée  de  L; 
2°  le  lieu  de  ces  développées  est  la  surface  appelée ,  pur  Monye ,  surface  des 
pôles  de  h;  3°  chacune  de  ces  développées  est  une  ligne yéodésique ,  c'est-à- 
dire  qu'elle  se  trausl'orme  en  ligne  droite  par  le  développement  de  la  surface 
des  pôles  (*). 

D'après  cela,  soient  AB,  A'B',  A"B",  ...  les  axes  des  cercles  osculateurs  à 

la  courbe  donnée  L,  aux  points  M,  M',  M",.... 
Par  le  point  M,  menons  arbitrairement  la  nor- 
male MC,  qui  coupe  AB  en  C;  traçons,  sur 
la  surface  des  axes  (ou  des  pôles),  la  ligne 
géodésique  CC'C",...  tantjente  à  MC  :  les 
droites  3IC,  M'C,  M"C",  ...  seront  autant  de 
génératrices  de  la  surface  dévcloppable  cher- 
chée l.j. 

32.  Remarques.  \.  L'intersection  NN'N"  ... 
de  la  surface  2.,  par  la  surface  S  qui  a  L  pour 
axe,  est  également  une  développante  de  la  ligne  géodésique  CC'C"  ... 

H.  Ces  résultats  généraux,  sur  lesquels  nous  pourrons  peut-être  revenir 
dans  une  autre  occasion,  sont  d'accord  avec  ceux  que  nous  avons  indiqués 
ci-dessus  (27). 

VI. 

Question  proposée  par  l'Académie. 


33.  Équation  du  lieu.  Si  les  droites  données  sont  rectangulaires,  on  peut 
les  prendre  pour  axes  des  x  et  des  ?/;  et  alors  l'équation  du  lieu  est 


«; 


|/X'    -H    r*    -4-    l/j,*   +  ; 

OU,  après  la  disparition  des  radicaux, 

'Hi^z'  =  (x*  —  iff  -  2a'  (x»  +  ir)  -+-  a*,    .     .     . 
(*)  Monge,  Appticatioii  de  l'Analyse  dv  ht  Géométrie,  pp.  392  et  suivantes. 


(57) 


(58) 


DES  LIGNES  DE  COURBURE.  23 

ou  encore 

Aa^z^  =  (a  -t   X  H-  !/)  (a  -1-  a:  —  ^)  (n  —  x  -\-  y)  {a  -  x  —  ij)     .     .     .     (oitj 

Si  les  droites  font  entre  elles  un  angle  quelconque  '2e,  je  prendrai,  pour  axe 
des  X  el  des  y,  les  bissectrices  de  cet  angle  et  de  l'angle  supplémentaire;  et 
alors  la  surface  sera  représentée,  soit  par  l'équation 


l/(x sin  6  —  »/  cos  6'f  -1-  z-  -^-  \/{x  sin  e  -4-  »/  cos  6°-  -^  z^=-lb ,     .     .     .     ((jO) 

soit  par  celle-ci  : 

b-z-  =  (¥  —  x'ûn^i)){li'  —  ifi:Qi-i>), ■     (Cl) 

qui  devient,  dans  le  cas  de  l'angle  droit, 

Wz- =^  [x^  —  W)  if  —  W) (6i>) 

34.  Discussion.  Elle  a  été  faite  ,  pour  le  cas  où  les  droites  sont  rectangu- 
laires, par  31.  Dupain  [Nouvelles  Annales  de  mathémaliques ,  tome  XX, 
|).  57).  Le  cas  général  donnerait  lieu  à  une  discussion  toute  semblable,  à 
laquelle  nous  ne  croyons  pas  devoir  nous  arrêter.  Nous  ferons  observer,  seule- 
ment, que  sur  les  surfaces  dont  il  s'agit,  il  existe  des  zones,  indéfinies,  dont 
tous  les  points  satisfont  à  cette  condition,  que  la  différence  des  dislances  de 
chacun  d'eux  aux  côtés  de  l'angle,  soit  constante. 

35.  Lignes  de  courbure  de  la  surface  (57).  On  a  vu,  dans  le  para- 
graphe m,  que  les  surfaces  représentées  par 

xy 


Vx-  -4-  z^  -+-   l/y'  -+-  z-  =  n  ,      l/x-  -^r  z^  —  \/y-  ■^-  z-  =  b,      -y-  =  r  , 

constituent  un  système  orthogonal.  La  première  surface  étant  celle  dont  nous 
nous  occupons,  il  en  résulte  que  ses  lignes  de  courbure  sont  connues. 

A  cette  solution  indirecte ,  donnée  d'abord  par  M.  Serret,  nous  pouvons 
joindre  plusieurs  solutions  directes. 

36.  En  premier  lieu,  tirons,  de  l'équalion  (62),  les  valeurs  de  p  =  ;f. , 


7  =-^  ,  et  substituons-les  dans  l'équalion 


d{X    -h-pz)    ^    '%_^/£)  _         _  g. 

dp  (hj 


24  RECHERCHE 

Nous  aurons  successivement  : 


d.  [(/  +   2//) a:]        (/  [(a:-  -h  26'')»/] 


^   r(.V^-2y).r-|         ^^r(x'-2^'^)y-j 

Cette  équation ,  développée ,  devient 

[(»/■-  -4-  26-)f/x  -I-  2x»/(/y]  [;-(x^—  26^)rf.y  +  Ixijzhlx  —  (x' —  %'')yzdz] 
=  [(x^  -4-  26^)^1/  +  2x!/rf^]  [z^(?/^  —  26^) ^/x  -v  2x«/îV/y  —  (»/-  -  %^)xzdz] 

A  cause  de  la  formule  (62) ,  qui  donne 

(y"—  %'')xdx  -4-  (x'  —  2fe^)yrfy 

le  second  facteur  du  premier  membre  peut  être  remplacé  par 

_L  (x*  _  26-)  [xy  (y-  —  %')  dx  —  2  (x^  ^  26*)  h'dy  ]. 
46^ 

L'équation  (63)  équivaut  donc  à 

(x'—  26-)  [{y'  -+-  26^)e/x  -h  2x?/(/»/]  [x«/(/ —  26''')^/x  —  26^(x' —  26>/îy] 
=  (^2  _  26^)  [(ic^  ^_  26-) (?î/  +  2x)/(?x]  [x.y(x'  —  26') ^/(/  —  %Hf  ~  26') (/x] 


(C4) 


(65; 


(6f.) 


Par  suite,  si  l'on  met  celle-ci  sous  la  forme 

Arfx' -(-  Brfxf/y  +  C(/»/'=o, (67) 

on  a  : 

\ 

A  =  XV  (X*—  26')  (/  -f-  26*)  (!/'  —  26')  h-  46'x.y((/-  —  26')', 
B  =  2  (x'  -  26')  [x'y'(î/'  —  26')  —  6'  (x'  —  26'  )  (y'  +  26')]    , 
^      —  2(»/'— 26')  [x't/'(x'  — 26')— 6'(y' -26')(x'-f-26')],  ' 
_  C  ==  x»/()/'  — 26')  (x'  -4-  26')  (x'—  26')  -+-  46'xi/(x'—  26'); 


DES  LIGNES  DE  COURBURE.  23 

ou ,  après  quelques  réduclions  : 

A  =  xy{f  —  26')  (xy  -+-  26^x*  -*-  Wif  —  126*), 

—  B  =  26- (x'  —    /)  (xy  -i-  26V  -+-  26y  —  126*), 

—  C  =  xy(x'  —  26-)  (x-j/-  -)-  26^x'  -i-  26'-^'  —  126'). 

Après  la  suppression  du  fadeur  commun,  l'équation  (67)  devient  donc 

xy  iy'  —  26')  dx'  —  26'  (x'  —  y-)  dxdy  —  xy  (x'  —  26')  df=o.     .     .     .     (69) 

Or, 

f>'{x'  -  ff  +  xy{x'  —  26')  (/  —  26')  =  [6=(x'  +  2/')  —  xY]'; 

donc 

dx  _  6'(x'  —  if)  d=  [6'(x'  -f-  y')  —  x'y'] 
dy  ~  xy  if  —  26') 

c'est-à-dire 

^==_^  (70)      !!^_y(^^^zm (71) 

dy  y'  ^    ^        dy      xy-26')  ^    ^ 

L'intégrale  de  la  première  formule  est 

xy  =  c^; ("2) 

et  celle  de  la  seconde  : 

=  S (7.3) 

x'  — 26'       ^ 

37.  Remarques.  \.  Les  hyperboles  représentées  par  ces  deux  équations 
ne  diffèrent  pas  de  celles  que  l'on  obtient  en  éliminant  z,  soit  entre  les  équa- 
tions 

l/'x'  H-  z'  -+-  Vy"  +  z'  =  a,     Vx"-  -h  s'  —  J/.»/  -+-  2'  =  6 , 


soit  entre  les  équations 


^/a:'  -4-  s'  -4-  V/w'  -+-  -^  =  « ,      —  =  c. 


II,  Le  résultat  de  celte  élimination  est 


.y'— 2x(/Y/i  +^-^-^'="'; (^''• 

Tome  XXXII.  ^ 


26  RECHERCHE 

équalion  à  laquelle  on  satisfait,  quel  que  soit  c,  en  posant 

if  -\-  x^  =  d\     xy  =  6  ; 

d'où  résulte  : 

X  ^  0,     Il  ^  ±  a  , (75) 

et 

ij  =  0,     X  =  ±  0 (76) 

A  ces  systèmes  de  valeurs  correspond  z  =  o.  Par  conséquent,  loules  les 
lignes  de  courbure  appartenant  à  l'un  des  deux  systèmes  passent  par  les  quatre 
points  où  la  surface  est  rencontrée  par  les  droites  données.  Ces  points ,  très- 
remarquables,  peuvent  être  appelés  ombilics  principaux. 

ni.  L'équation  (67)  devient  identique  si  Ton  suppose 

xhf  +  2if)V  -t-  2iy  —\W  =  o (77) 

11  y  a  donc  lieu  de  croire  que  celle-ci  appartient  à  une  ligne  ombilicale.  Pour 
vérifier  s'il  en  est  ainsi,  je  reprends  les  formules 

Elles  donnent  : 

_  jj-—  -lU"  _    xxj  _  x^—  -2b^ 

'"  ~  ~  2(x'^  26-)z  '     ^  ^  46^  '     '^~  '2{if  —  <i.¥)z  '       '     "     '     '^^^ 

puis 

,,       xY  +  26V  -  86*  ,       xy  -h  26y  -  86'  xy 

'"^"=       46>--26-)-'     '^''=       46^^-26-)       '     ^'''  =  W    '     ^''^ 

Ces  valeurs,  substituées  dans  les  relations 

i  -\-  p^       pq        i  +  q^ 
r  s  t 

les  réduisent  à 

xy  -+-  26V  —  86*  _       xy  -+-  -2by  —  86' 

wy—  26-)    ~    ~        W{x^^-^W) 


DES  LIGNES  DE  COURBURE.  27 

c'est-à-dire  à  Véqualion  unique 

a;y  +  26V-4- 26-1/-—  l'26'=o (77) 

La  surface  admet  donc  une  ligne  ombilicale,  ou  plutôt  une  ligne  de  cour- 
hures  sphéri(fues  (Leroy,  Analyse  appliquée,  p.  333). 

IV.  Si  l'on  élimine  a?-/  entre  les  équations  (62)  et  (77),  on  trouve 

j:^  +  y^  +  ;^  =  46* (78) 

Par  conséquent,  la  ligne  ombilicale  est  située  sur  une  sphère  qui  a  pour 
centre  le  sommet  de  l'angle  donné,  et  pour  rayon,  la  constante  26.  Cette  sphère 
passe  par  les  ombilics  principaux. 

38.  Cas  général.  Première  méthode.  L'équation  (61),  traitée  comme 
l'équation  (62),  donne  d'abord  : 


(if  cos'e  —  6')x  sin'e  ^  _  (a:^  sin-  a  —  6')^  cos-  o 


f  =  - 57^ ■  ^- W^^—--   ■   ■    <"' 


(v'sin'6  +  6^)x  cos'«  (a;'  cos'  «  -+-  b')y  sin'e 

^■  +  P^-- ^ .   y  +  t^  = ^. •   •   •    •   (*^*'' 

Ces  valeurs,  substituées  dans  l'équation  (7),  conduisent  à 

sin'  éd.  [(x'  cos' 6  ■+-  b'')ij]  _ 


cos' 

Bd. 

w 

siiro  -i- 

6')x] 

■     2 

e.d. 

U'f 

cos'  6  — 

b-)x' 

z 

r(xWe_-6^-| 
cos'^.rf.    


ou,  en  développant,  à 

,:os*e  [((/-sin'e  +  b^lx  -^-  2xijsm'od;j]  [;:'(x'siiro  -  b')dy  +  -Ixyz'sinHdx  -  y  [xhin'e -b')zdz]  |    ^^^^ 
:sin*  e  [(x'cos'o  +  b')dy  -t-  '2xycosHdx]  [z^y^cosH  —  6')(/x-t-  2x)/z'cos'9(/i/  —  x(»/'cos'9  — 6')jfk]  \ 

On  a 

bhdz  =  (/  cos'o  —  b-)xdx  sin'  0  -t-  (x'  sin'  6  —  b')ydy  cos'  0  ; 

de  sorte  que  le  dernier  facteur  du  premier  membre,  dans  l'équation  {Si) , 
peut  être  remplacé  par  la  (pianlilé 

(x'  sin'  0  —  6')'  (;(/'  cos'  0  —  6')  dy  -+-  2x»/  (x'  sin'  0  —  6')  (y'  cos'  e  —  6')  sin'  êdx 
—  (x' sin' fj  —  6')  (//-cos'fj— <>')x(/rfx  sin'o  —  (x'sin'o  —  6-)',i/rf»/ cos'o, 


28  RECHERCHE 

laquelle  peut  être  mise  sous  la  forme 

(x-  siir  0  —  b^)  [xy  (y-  cos"^  d  —  6*)  sin'^  6dx  —  b-  [x-  sin'  fl  —  b-)  dy]. 

L'équation  (81)  devient  donc 

cos'é{x^smH  —  b^)  [(y''smH+b-)dx  +  ^xysm^edy]  [xy{y' cos-" 6  — b^)  sin'ddx- b^{xhinH-byi y]  \ 
=  sin'«(/cos-fl-6=)  [{x-cos^e-i-b-)dy-^2xycos'edx]  [xy{x^smH—b-)cos^f)dy  —  b%y^eos'<j  —  byx]  \  ''"^'^ 

Si  l'on  écrit  ainsi  cette  dernière  : 

^dx^  -i-  Bdx  dy  h-  Cdy^=^o, (85) 

on  trouve  : 

A  =  xy  {tf  cos^  9  —  6')  sin'  0  cos' h  [{y-  sin^ e  +  b^)  {x^ sin' 9  —  b^)  cos^  0  +26' (y^  cos's  —  b')  sin' o],  \ 
B  =  6-  [y^cos^e-by{x^sm^B  +  6'-)  sin*e  — (x-sin'9— 6'f  (.y'cos-0H-6=)  cos*e],  (  (84) 

—  C  =  xy[x^sm^  ô— 6-)  sin'9  eos'a  [(a;^cos''6+6^)  [tfcosU  —  b^)  sin^e  +  %'-{x"sm-e—b'-)  cos'!)]  ) 

Ces  expressions  sont  si  compliquées,  que  l'intégration  de  l'équation  (83) 
parait  fort  difficile. 

39.  Remanjue.  Lorsque  sin  6  =  cos  5  =  ^,  les  formules  (84)  se  ré- 
duisent à  celles  que  nous  avons  trouvées  plus  haut  (36). 

40.  Deuxiè?ne  méthode.  Dans  l'équation 

bh- =  {x^  sin^  9  —  b^)  {y- cos'- e  —  b^) , (d) 

je  suppose 

x'  sin-  9  -  6*  =  6X ,     y^  eos'  ô  —  b^  =  bY; (8o) 

c'est-à-dire 


a;  sin  9  =  V b{b  h-  X),     y  cos  9  =^  y'h(b  -+-  Y). 

Il  résulte,  de  cette  transformation  : 

z  =  I/XY  ; 


(8(i) 


puis 

Y  X  sin^  6       sin  9  .   /Y^  ~  X  y  cos"'  o       cos  9  .    /X 

.-.p.=  l-j:^  ^/^^,  ^  ^  ^^^/.+xcos-9^^-_ 

•^t-sing  1/6.  cos  8 


DES  LIGNES  DE  COURBURE.  '211 

Au  moyen  des  dernières  valeurs,  Téqualion  (7)  devient 


cos^  Bd.  [(b  +  Y  sin^  o)y^b  -4-  X]  _  sin'orf.[(6+X  coiU)Vb-\-\] 

Or: 


(«7} 


1 


d.[(b  +  Y  sin-ô)  Vb  -+-  X]  = \{b  -+-  Y  sin'6)dX  +  2  sin'ei(6  -+-  X)]rfY, 

2  V/(;  +  X 


,  ,    /X  (6  +  Y)  YdX  —  6Xc/Y 

''•\/-(6  +  Y)=  -^ ' 

V    y'  2Yl/XYi6+Y 


donc  Pé(iuation  (87)  équivaut  à 

Xcos'6  [(6  H-  Y  siii-6)dX  -4-  2  sin'ô  [b  +  X)(A']  [(6  +  YjYrfX  —  6X(/Y] 
=  Y  sin-  ()[(b  +  X  vos'>))d\  h-  2  cos'fl  (6  +  Y)rfX]  [(6  +  X)X(yY  —  b\d\] 


m) 


Celle-ci  a  la  forme 

AdX:'  -4    BrfXrfY  -t-  Cc/Y'  =  0 ,       (S!)) 

en  supposant  : 

A=  Xcos'â  (6-i-Ysin-e)  ^6-t-YjY-<-26'sin^e  cos-e(6+ Y)Y', 
B=Xcos'9[2sin^o(6-4-X)  (6-kY)Y— 6X(6h- Ysin^  e)] 

—  Ysin^6[2cos'o(6-HX)  (6  + Y)X  — 6Y(6+Xcos'û)], 

—  C=Y  sin^  9  (6+Xcos'9)  (6  +  X)X+26''sin-ûcos-«  (6  +  X)X-; 

ou 

A  =  (6  +  Y)  Y  cos'  ij  [ X  (6  -t-  Y  sin'  6)  -+-  26Y  sin'  0  ] ,  \ 

B  =  6  [  Y-  sin'  ô  (()-+-  X  nos'  e)  —  X'  cos'  ô  (6  +  Y  sin''  e)  ] ,  |     .     .     .     (;»0) 
—  C  =(6  +  X)Xsin'ô[Y(fc  + Xcos'9)-»- 2feXcos'e].  J 

Ces  valeurs,  plus  simples  que  celles  du  n"  38,  ne  permettent  |)as,  néan- 
moins, d'espérer  que  Téqualion  (89)  soit  intégrable. 

41.  Troisième  mélhode.  Pour  essayer  de  déterminer  les  surfaces  ortho- 
gonales à  la  surface  donnée,  je  prends  Téquation  de  celle-ci  sous  la  forme 


V{x  sin  6  —  y  cos  6)'  -t-  z^  H-  V{x  sin  0  -t-  ij  cos  Df  -\-  z'  =  o;     .     •      •     (!H) 


30  .  RECHERCHE 

el ,  pour  abrégei-,  je  pose  : 

x  sin  9  —  y  cose  =  x',     ij  sin  o  -♦-  y  cos  6  ^  y'  ; (92) 

puis 

« 

da  x'  ,       du  y'  ,„,, 

dx     Vx"  +  z^         ^y     V}r-^z^ 

H  résulte,  de  ces  valeurs  : 

p^^  =  (P'^  Q')sia5,     Q  =  ^  =  ^0'_P')t.os6;      ....     (94) 
dx  dy 

puis,  pour  la  surface  cherchée  : 

p  =  -^  =  (p'  +  q')  sin  0,     ry  =  -1  =  (r/'  —  ;/)  cos  ô;       ....     (93) 
dx  dy 


en  supposant 


dz  dz 


L'équation 

Pl,  +  Qq  =  R (1) 

est  donc,  dans  le  cas  actuel, 

(P'  H-  Q')  (p'  +  q')  sin-  0  H-  (P'  —  Q')  (  p'  —  q')  pos^  9  =  R  , 

OU 

(P'_'q'cos*o)p' H-  (Q'—  P'cos^5)7'=  R (96) 

On  doit  (2)  intégrer  le  système 

dx' dy ^dz  

P'  _  Q'  COS''  6       Q'  —  P'  cos-  0        R 

A  cet  effet,  soient 

x'  =  uz,     y'  =  XJZ;      . (98) 

d'où 

v=-A=,   Q'=—^=,    R  =  — =^-^-=^;    •    •    (9!») 


DES  LIGNES  DE  COURBURE.  51 

les  équations  (97)  deviendront 

Rzdu  =  (P'  —  Q'  cos'^o  —  l\u)dz, 
Rzrfu  =  (Q'  —  P' ros'e  —  Rr)rfz; 

c'est-à-dire 

Hzdii  =  —  {v  r'os*  0  ■+-  u)  — ^^::^  ,     Rrrfv  =  —  (m  cos'  o  -i-  v)  — ■^^^z:::^.     ■     ('"") 

On  conclut,  de  ces  deux-ci, 

du       V  cos'  6 


dv        u  cos"^  n  -^  V  y/  \   ^  ^i 

OU ,  en  supposant 


cos^o=?: (101) 


{gu  -+-  Im)  \/\  -+-  d'  f/«  =  ((jv  -t-  /(»)  J/'I  -*-  u-  dv (10i2) 

42.  L'intégration  de  cette  écpiation  (102)  paraît  d'abord  assez  pénible  : 
pour  y  parvenir,  j'ai  dû  avoir  recours  au  procédé  suivant. 
.Mettant  g  et  /*  en  facteurs  communs,  j'écris  ainsi  l'équation  : 


g  [u  V\  -\-  v^du  —  vV\  -+-  u-  dv)  ■+■  h  {v  l/l  h-  v''  du  —  u\/\  +  m'  dv)  =  o. 

Celle-ci  écpiivaut  à 

/      udt(                vdv      \        ,       I         du  dv         \  ,,„-\ 

g +  huv     :=: ]  =o.     .     (lO.i) 

Maintenant,  soient  a,  /3  deux  nouvelles  variables,  telles  que  : 

tidu  vdv 


=  da. , 

du  dv  d(i 


il  en  résulte,  au  lieu  de  l'équation  (103)  : 


(IO/<.) 


nrfa  -)-/»««  —  =  0 [W.i] 

(3 


•^2  RECHERCHE 

On  satisfait  aux  équations  différentielles  (104)  en  prenant 


^  _  1/  1  -4-  M-  -  1  V  } (106) 


On  conclut  aisément,  de  ces  valeurs, 

liv  =  -         -  ; 


de  sorte  que  l'équation  (lOo)  devient 


Celle-ci  a  pour  intégrale 


|3  -  d  V'        , 


108) 


^(3  -+-  2 

/.''  étant  la  constante  arbitraire. 

La  question  incidente  que  nous  nous  étions  proposée  peut  être  regardée 
comme  résolue;  car  les  équations  (106)  donnent  n  et  v  en  fonction  de  «et 
de  /S,  ou  seulement  en  fonction  de  /3  et  de  la  constante  /.-.  Ces  valeurs,  substi- 
tuées dans  Tune  ou  dans  l'autre  des  équations  (100),  permettront  d'intégrer 
celle-ci.  Le  résultat  a  la  forme 

/.  ^/F(p,/v)(fô, (109) 

k'  étant  la  constante  arbitraire. 

4.3.  D'après  la  méthode  indiquée  au  paragraphe  I,  les  surfaces  orthogo- 
nales à  la  surface  donnée  seront  représentées  par 

la  fonction  y  étant  arbitraire,  et  les  constantes  A',  k  étant  remplacées  par 
leurs  valeurs  en  x,  y,  z,  au  moyen  des  équations  (92)  et  suivantes.  Il  est 
facile  do  comprendre  que  ce  calcul  est  purement  inextricable.  A  plus  forte 


DKS  LIGNf:S  l)K  COURliUUE.  33 

raison  sera-l-il  impossible  de  Iroiiver  les  formes  -p,  v.,  de  la  Ibnclion  r^,  qui 
correspondent  à  un  système  orthogonal  (s'il  en  existe  un).  Celte  troisième 
méthode  ne  peut  donc,  pas  plus  que  les  deux  premières,  nous  conduire  an 
but  (*). 

ii.  Remarques.  I.   Les  surfaces  (jui  oui  pour  équations  : 

\/.r"--^-z'  +■  V/|/'--f-c'  =  n,     \^x-^  +  z-~\/;f-  ^  z^  =  h ,     .     .     .     (110) 

sont  orthogonales. 
En  etTet  : 

du  lia  ,    .  ,  (la  z  z       \  ' 

P  =  —  =(P'-i-Q-)sinO,     Q  =  — =       (Q'-P')rosO,     R  =-- =  P' _  -f-  Q'^; 

(Ix  llll  llz  X'  II'       I 

■'  •'    .    (III) 

dh  db  (II)  z  z      ' 

P,=  — =(P'  — Q')sinâ,     Q,=  ---  =  -(Q'-HP>ns5,     R,=       =P'__Q'_; 
dx  dij  dz  X  ij 

donc 


|.p,  ^  QQ,    +   RH,  =  P'^  (^1    -*-  -,^.  j  -  Q'^  ^  1    +  —  J  =  o. 

II.  La  courbe  d'intersection  de  ces  deux  surfaces,  évidemment  située  sur 
les  cylindres  de  révolution  qui  ont  pour  axes  les  droites  données,  et  pour 
rayons  «  -f  ^  6t  a  —  I),  est  située  aussi  sur  rellipsoïde  représenté  par 

x^  sin^  0  -4-  if  cos-  6  -f-  j-  =  a-  -t-  b'^. 

\\\.  Lorsque  les  rayons  varient  de  manière  que  la  somme  de  leurs  carrés 
soit  constante,  cet  ellipsoïde  est  invariable. 

IV.  Si  ±  6  =  a,  les  équations  (110)  se  décomposent  eu 

jf  =  0,     z  ^=  n,     .r'  =  ±  a, 

OU  en 

x'=  0,     z  =  0,     y'  =  ±  a. 

(*)  Il  en  est  de  même  de  plusieurs  autres  transformations,  que  j'ai  essayées  en  vain.  Je  signa- 
lerai eelle  qui  eonsiste  à  prendre  p  et  q  pour  variables,  au  lieu  dex  et  y  :  elle  conduit  souvent 
à  un  résultat  simple. 

TOMF.    XXXII.  J> 


34  hkchrkciif:  dks  lignes  de  courbure. 

«  C'est  donc  par  des  pointes  que  les  qiialre  nappes  infinies  louchenl  les 
surfaces  fermées.  »  (Dupa in.  Nouvelles  Annales  de  Mathé^naliques,  tome  XX, 
p.  63.) 

45.  Les  surfaces  (110)  étant  orthogonales,  on  peut  chercher  si  elles  peu- 
vent être  coupées  orlhogonalement  par  une  troisième  surface.  Pour  (pril  en 
soit  ainsi,  on  doit  avoir,  en  même  temps  : 

P/'-+-Q'/  =  R,    P,/v -+- Q,7  =  R,; 
c'est-à-dire,  à  cause  des  valeurs  (111)  : 

(P'  +  Q')^j  sin  0  -H  (Q'  —  P')7  fos  o  =  V —, -^  q  —^ , 

X  II 

■     (P' —  Q')/Jsin  6  — (Q' -+-  P')f/ «os  9  =  P'  — —  Q'^i 

OU  encore  : 

px'  sin  0  —  (jx'  cos  0  =  z,     pij'  siu  o  h-  (pf  cos  o  =  r  ; 

OU  enfln,  en  ayant  égard  aux  relations  (92)  : 

pij  +  f]X  =  o,     .     .     .     (112)       z  =  px  sin' e  -i-  qi/ cos' 0     .     .     .     (Ilâj 

L'équation  (112)  a  pour  intégrale 

Au  moyen  de  celte  valeur,  l'équation  (113)  devient 

,{x^-y') 


9='(a:'— r) 


=  2  (x*  sur  6  —  }f  cos-  6) 


Cette  dernière  relation  exige  que  sin^  9  =  cos-5  =^,  donc  :  5/  les  deux 
droites  données  sont  obliques ,  les  surfaces  représentées  par  les  équa- 
tions (110)  }i  appartiennent  pas  à  un  si/slème  orllioyonal. 


FIN. 


MEMOIRE 


SUR    UN 


chronoctRaphe  électro-balistique  , 


M.  p.  LE  BOULENGÉ, 


LIEUTENANT  D  ARTILLGRIE. 


(Mémoire  présenté  à  l'Académie  royale,  le  5  décembre   1863) 


Tome  XXXII. 


INTRODUCTION. 


La  rupture  d'un  courant  voltaïque  peut  produire  divers  effets  mécaniques 
qui  se  manifestent  presque  instantanément  en  un  point  quelconque  du  circuit. 

Ces  effets  sont  de  nature  à  permettre  leur  emploi  comme  agents  remplis- 
sant, dans  un  appareil  chronométrique,  différentes  fonctions,  telles  que  la  mise 
en  mouvement,  Tarrèt,  ou  Penregistrement  graphique. 

Le  problème  de  l'électro-balistique  consiste  à  faire  rompre  successivement 
par  un  projectile,  dans  sa  trajectoire,  deux  ou  plusieurs  courants  mis  en 
relation  avec  un  appareil  chronométrique,  et  à  pouvoir  déduire  des  elïets 
produits  par  ces  ruptures  successives  l'intervalle  de  temps  qui  les  a  séparées. 
Au  moyen  de  ce  temps,  connaissant  la  distance  entre  les  deux  points  où 
s'opère  la  disjonction,  on  calcule  aisément  la  vitesse  moyenne  avec  laquelle 
le  projectile  a  franchi  cet  espace. 

C'est  depuis  une  vingtaine  d'années  que  l'artillerie  s'est  préoccupée  de  la 
détermination  de  la  vitesse  des  projectiles  au  moyen  de  l'électricité.  Les 
propriétés  si  diverses  de  ce  fluide  et  la  grande  variété  des  chronomètres 
avec  lesquels  on  peut  les  combiner,  ouvrent  aux  recherches  un  vaste  cham|) 


d'investigation. 


Le  problème  a  déjà  reçu  diverses  solutions ,  ayant  chacune  leur  mérite 
particulier;  l'une  d'elles,  entre  autres,  mise  en  usage  par  la  plupart  des 


4  INTRODUCTION. 

puissances,  l'orme  un  véritable  type  dont  notre  artillerie  s'enorgueillit  à  juste 
titre.  Les  principes  développés  dans  cette  solution  fournissent  un  guide  tel- 
lement sûr  dans  l'élude  de  la  question,  que  l'on  ne  peut  s'en  occuper  sans 
rendre  hommage  à  son  auteur  :  la  méthode  sur  laquelle  elle  est  basée  pré- 
sente de  tels  avantages  qu'il  serait  presque  téméraire  de  vouloir  s'en  écarter. 
Aussi,  je  dois  reconnaître,  avant  d'entrer  en  matière,  que  le  chronographe 
qui  fait  l'objet  de  ce  mémoire,  bien  que  différant,  dans  ses  parties  consti- 
tutives et  dans  la  disposition  des  circuits,  de  tous  ceux  décrits  jusqu'ici,  ne 
doit  être  considéré  cependant  que  comme  une  nouvelle  application  de  la 
méthode  remarquable  sur  laquelle  est  basé  le  pendule  électro-balistique  du 
major  N'avez. 

Le  cadre  de  ce  mémoire  ne  me  permet  pas  d'entrer  dans  une  étude  com- 
parative des  appareils  connus  jusqu'à  présent ,  ni  d'établir  aucun  parallèle 
quant  aux  dispositions  adoptées  et  aux  résultats  obtenus.  Je  me  bornerai  à 
dire,  à  ce  sujet,  que  le  but  de  mes  recherches  et  de  mes  essais  a  constam- 
ment tendu  à  simplifier  les  organes  de  l'appareil  et  à  faciliter  son  ma- 
niement. 

La  simplicité  est  loin  d'exclure  une  grande  exactitude  :  moins  on  compli- 
quera l'appareil,  plus  on  diminuera  ses  causes  d'erreurs  accidentelles,  les 
précautions  à  prendre  dans  son  maniement  et  la  nécessité  d'une  habileté 
spéciale  chez  l'opérateur. 


MÉMOIRE 


SUR    UN 


CHRONOGRAPHE  ÉLECTRO-RALISTIOUE. 


CHAPITRE  I-. 


DESCRIPTION  DU  CHRONOGUAPHE. 


Cet  appareil,  destiné  à  mesurer  avec  une  grande  exactitude  un  temps  très- 
court,  notamment  celui  du  trajet  d'un  projectile  entre  deux  points  rapprochés 
de  sa  trajectoire,  comprend  quatre  parties  distinctes  dont  la  réunion  forme 
un  seul  instrument  [Planche  /",  figures  1  e<  2)  : 

1°  Le  chronomèlre,  maintenu  au  repos  par  un  électro-aimant; 

2"  La  détente,  destinée  à  marquer  un  trait  sur  le  chronomètre  en  mou- 
vement ; 

3°  Le  poids,  maintenu  également  par  lui  électro-aimant  et  servant  à  l'aire 
agir  la  détente  ; 

i"  Le  disjoncteur,  qui  a  pour  but  de  rompre  en  même  temps  les  deux 
courants  qui  activent  les  électro-aimants  du  chronomètre  et  du  poids. 

Le  chronomèlre  a  est  une  baguette  cylindrique  d'acier;  sa  chute,  libre 
et  sans  frottement,  sert  à  mesurer  le  temps,  d'après  la  hauteur  de  chute. 


6  SUR  UN  CHRONOGRAPHE 

A  sa  surface  se  trouvent  deux  cartouches  récepteurs  b  et  b';  ce  sont  des  tubes 
minces  de  papier  enroulé  et  collé,  qui  peuvent  s'enlever  et  se  remplacer 
facilement.  Ils  occupent  chacun,  sur  le  cylindre,  une  position  repérée,  leur 
partie  inférieure  reposant  respectivement  sur  une  embase  r  c  et  c'c'  ménagée 
à  cet  elTet.  Ces  cartouches  reçoivent  le  Irait  imprimé  par  la  détente.  Pour 
alléger  le  chronomètre  et  assurer  la  verticalité  de  sa  chute,  on  y  a  ménagé 
un  creux  longitudinal  fermé  à  la  partie  inférieure  par  un  bouchon  d'acier 
lilelé  (I  qui  sert  de  lest  et  forme  en  même  temps  l'embase  du  cartouche 
inférieur. 

La  défente  se  compose  d'un  grand  ressort  e,  dont  la  branche  mobile  [)orte, 
à  sa  partie  inférieure,  un  biseau  aigu  d'acier  trempé  /.  Ce  ressort  est  main- 
tenu au  bandé  par  un  levier  à  griffe  y,,  dont  la  queue,  sollicitée  de  bas 
en  haut  par  un  petit  ressort  li ,  reçoit  le  choc  du  poids.  Toutes  les  parties 
de  la  détente  sont  d'acier. 

Le  poids  i,  d'acier,  a  une  forme  cylindro-conique  à  pointe  arrondie;  il 
est  creux  et  muni  à  sa  partie  inférieure  d'un  bouchon  fdelé  qui  sert  de  lest. 

Le  disjoncteur  est  une  simple  lametle  d'acier/  qui  ferme  les  circuits  du 
chronomètre  et  du  poids  par  son  contact  avec  une  pièce  métallique  /  que 
j'appellerai  la  presse  à  vis  du  disjoncteur.  En  appuyant  sur  le  bouton  B  qui 
se  trouve  à  l'extrémité  libre  de  la  lamette,  le  contact  cesse  et  les  circuits  sont 
rompus.  Pour  faire  comprendre  la  manière  d'agir  de  ce  disjoncteur ,  il  est 
nécessaire  d'entrer  dans  quelques  détails  sur  l'établissement  des  courants;  j'y 
reviendrai  plus  tard;  admettons,  pour  le  moment,  qu'il  les  rompe  exactement 
en  même  temps. 

Montage. 

Les  deux  bobines  /,  /'  et  le  disjoncteur  sont  fixés  sur  uu  montant  de  bois 
dur  et  sec  dans  les  positions  relatives  représentées  sur  les  figures  1  et  2.  Une 
plaque  de  fer  qui  garnit  la  base  du  montant  porte  la  détente. 

L'instrument  se  cale  au  moyen  d'écrous,  sur  trois  broches  verticales  qui 
font  partie  d'une  semelle  de  fer ,  fixée  par  des  vis  à  bois  sur  la  table  où 
l'on  opère.  Pour  établir  la  verticalité,  on  se  sert  d'un  fil  à  plomb. 


ÉLECTRO-BALISTIQUE. 


Fonctionnement  de  l'appareil. 


Le  circuit  du  chronomètre  et  celui  du  poids  passent  chacun  sur  un  cadre- 
cible  disposé  sur  le  trajet  du  projectile  dont  on  veut  déterminer  la  vitesse. 

La  distance  E  entre  les  deux  cadres  est  telle  que  le  projectile  emploie 
environ  0",1  à  la  franchir. 

Le  chronomètre  et  le  poids  étant  suspendus  à  leurs  électro-aimants ,  et  la 
détente  au  bandé,  appuyons  sur  le  disjoncteur  :  les  circuits  sont  rompus 
simultanément,  l'attraction  magnétique  des  électro-aimants  cesse,  le  chro- 
nomètre et  le  poids  cèdent  à  l'action  de  la  pesanteur.  Le  montage  de  l'ap- 
pareil est  tel ,  que  le  poids ,  dans  sa  chute ,  fait  agir  la  délente  au  moment 
où  le  cartouche  inférieur  du  chronomètre  passe  devant  le  couteau;  celui-ci, 
par  le  jeu  de  la  détente,  y  imprime  un  trait  net  et  permanent. 

Remettons  l'appareil  en  station,  et  soit  II  la  distance  des  deux  plans  hori- 
zontaux qui  contiennent  le  trait  et  le  couteau  ;  H  représentera  la  hauteur 
dont  est  tombé  le  chronomètre  depuis  l'origine  du  mouvement  jusqu'à 
l'instant  où  il  a  été  frappé  par  le  couteau.  La  formule  T  =  |/y  donnera  le 
temps  correspondant.  Répétons  plusieurs  fois  cette  expérience  et  supposons 
que  nous  trouvions  toujours  la  même  hauteur  de  chute,  par  conséquent  le 
même  temps;  ce  qui  revient  à  dire  :  que  le  courant  du  chronomètre  et  celui 
du  poids  étant  rompus  simultanément,  le  chronomètre  marche  pendant  un 
temps  constant  T.  Ceci  posé,  si,  au  lieu  de  faire  simultanément  la  rup- 
ture des  courants  par  le  disjoncteur,  elle  se  fait  successivement  par  le  pro- 
jectile traversant  les  cadres-cibles,  la  chute  de  la  règle  précédera  celle  du 
poids,  et  le  trait  se  marquera  sur  le  cartouche  supérieur.  Soit  H'  cette  se- 
conde hauteur  de  chute  et  T'  le  temps  correspondant;  T'— T  sera  exacte- 
ment le  temps  qui  a  séparé  les  deux  ruptures  successives  des  courants; 
c'est-à-dire  le  temps  qu'a  employé  le  projectile  à  franchir  l'espace  qui  sépare 
les  deux  cadres-cibles.  .^^  sera  la  vitesse  dont  il  était  animé  au  point- 
milieu  de  cet  intervalle. 

Dans  tout  ce  qui  précède ,  j'ai  supposé  : 

1°  Que   le  disjoncteur  rompait  exactement  en  même  temps  les  deux 
courants  ; 


s  SUR  DN  CHRONOGRAPHE 

2"  Que  Tappareil  marquait,  dans  ce  cas,  une  hauteur  de  chute  constante. 
Je  vais  successivement  développer  les  moyens  que  j'ai  employés  pour 
arriver  à  réaliser  ces  deux  conditions. 

Principe  du  disjoncleur. 

Le  disjoncleur  est  basé  sur  une  disposition  de  deux  piles,  telle  que  les 
courants,  quoique  parfaitement  indépendants,  aient  une  partie  commune 
dans  leurs  circuits;  dès  lors,  il  suffît  de  disjoindre  cette  partie  commune 
pour  interrompre  à  la  fois  le  passage  du  fluide  voltaupie  dans  les  deux 
circuits. 

Soient  deux  piles  d'un  nombre  égal  d'éléments  de  Bunzen,  trois  pour 
fixer  les  idées.  Prenons  sur  chacune  de  ces  piles  un  circuit  ab  cd  e  et 
a'  b'  &  d'  e'.  [Fig.  3.)  Partant  des  pôles-zinc  a  et  a' ,  passant  sur  les  cadres 
bc  et  b'  c',  de  là  aux  bobines  d  et  d'  du  chronographe,  puis  aux  pôles-char- 
bon e  et  e'.  Si  nous  réunissons  mélalliquement  les  deux  pôles  de  même  nom 
e  et  e',  nous  ne  changeons  en  rien  la  marche  des  courants.  Cette  réunion 
étant  faite,  nous  pouvons,  au  lieu  de  faire  arriver  directement  le  fil  de  sortie 
de  la  bobine  d'  à  son  pôle  e',  lui  faire  rejoindre  le  premier  circuit  en  f;  la 
partie  d'  e'  sera  remplacée  par  d'  fee'.  Par  celte  disposition,  nous  avons 
deux  courants  parfaitement  isolés  et  sans  influence  Pun  sur  l'autre  pour  les 
parties  des  circuits  abcdf  et  a'  b'  c'  d'  f  renfermant  les  cadres  et  les 
bobines,  mais  réunis  en  un  fil  commun  dans  la  partie  f  e.  Il  existe  en  outre 
deux  circuits  secondaires  a  g  d  h  e  et  a'  g'  d'  h'  e'  fournis  par  les  mêmes 
piles  et  dont  le  but  sera  expliqué  plus  loin.  11  suffît  donc  de  rompre  le  fil 
(•ommun  /"  pour  faire  cesser  à  la  fois  l'action  des  deux  courants  princi- 
paux. Il  ne  reste  alors  que  les  deux  circuits  secondaires,  plus  un  dévelop- 
pement de  fils  ab  c  d  f  d'  c' b'  a'  réunissant  les  pôles-zinc  de  deux  piles 
dont  les  pôles-charbon  sont  également  réunis.  Dans  cet  état,  il  ne  peut  plus 
y  avoir  de  courant  que  dans  les  deux  circuits  secondaires  [a,  g ,  d,  h,  e  et 
a',  g',  d',  h',  V'). 

Le  disjoncteur  décrit  plus  haut  sert  simplement  à  rompre  la  partie  com- 
mune des  circuits  principaux;  à  cet  effet,  le  fil  commun  aboutit  à  la  lamette, 


ELECTRO-BALISTIQUE.  9 

puis  repart  de  la  presse  à  vis  pour  retourner  au  pôle  e.  Le  contact  de  la 
laniette  avec  la  presse  à  vis  donne  passage  aux  fluides. 


Réglementai  ion  des  courants. 

L'influence  du  magnétisme  remanant,  dans  les  électro-aimants,  après  la 
rupture  du  circuit,  rend  leur  emploi  très-diflîcile  et  très-délicat  dans  un 
appareil  où  de  très-petites  difi'érences  de  temps  doivent  être  accusées  exac- 
tement; et,  si  Ton  considère  que,  jusqu'à  présent,  on  ne  connaît  pas, de  pile 
dont  l'action  soit  constante,  même  pendant  un  temps  très-court,  on  conçoit 
qu'il  est  nécessaire,  pour  obtenir  des  résultats  constants,  de  régler  l'action 
des  courants  sur  les  électro-aimants. 

Pour  arriver  à  ce  but,  un  second  fd,  d'une  section  moindre,  est  enroulé 
surcbaque  bobine  et  se  partage  avec  le  premier  le  fluide  de  la  pile  :  ce  sont 
les  circuits  secondaires  dont  il  est  parlé  plus  haut.  Dans  ces  circuits,  la 
marche  du  courant  est  inverse,  de  façon  que  si,  d'un  côté,  les  enroulements 
du  fd  principal  donnent  à  l'électro-aimant  un  pôle  inférieur  positif,  d'un  autre 
côté,  les  enroulements  secondaires  tendent  à  lui  donner  un  pôle  négatif.  Si 
l'on  vient  à  rompre  le  circuit  principal  seulement,  toute  la  force  de  la  pile 
se  porte  sur  le  circuit  inverse  pour  renverser  brusquement  les  pôles  de  l'ai- 
mant. De  manière  qu'il  s'établit  une  sorte  d'écpiilibre  dans  l'action  de  la  pile  : 
si  la  tension  augmente,  le  circuit  direct  développera,  dans  l'électro-aimant, 
un  magnétisme  plus  puissant  et  capable  de  maintenir  plus  longtemps  le 
contact  après  la  rupture  du  courant;  mais  aussi  la  force  du  circuit  inverse 
augmentera  dans  la  môme  proportion  pour  détruire  ce  magnétisme. 

Afin  de  simplifier  l'installation,  sans  altérer  la  marche  des  courants,  les 
circuits  inverses  parlent,  comme  les  circuits  directs,  des  pôles-zinc  de  chaque 
pile  et  sont  réunis  comme  eux  en  un  fil  commun  au  sortir  des  bobines; 
toutefois  ce  fil  se  rend  à  la  presse  à  vis  du  disjoncteur  et  non  à  la  lametle, 
et  de  là  ils  achèvent  leur  parcours  par  le  fil  fe.  Par  cette  disposition,  le 
disjoncteur  ne  peut  pas  rompre  les  circuits  inverses. 

J'ai  dit  que  le  chronomètre  et  le  poids  sont  d'acier  au  lieu  d'être  de  fer 
Tome  XXXII.  2 


10  SUR  UN  CHROiNOGRAPHE 

doux  ;  il  en  résulte  qu'ils  présentent ,  au  point  de  contact  avec  leur  électro- 
aimant  ,  un  pôle  permanent  de  même  nom  que  celui  (jue  tend  à  donner  à 
cetélectro-aimant  le  circuit  inverse;  aussitôt  donc  que  l'action  de  ce  dernier 
circuit  devient  prédominante ,  les  contacts  doivent  tomber.  Le  remplacement 
du  fer  doux  par  l'acier  est  de  la  plus  grande  importance  pour  la  régularité 
de  la  marche  de  l'appareil. 

Lecture  des  traits. 

La  lecture  exacte  de  la  hauteur  de  chute  correspondant  à  un  Irait  se  fait 
sans  difficulté  :  la  distance  des  deux  embases  du  chronomètre  en  station  au 
couteau  de  la  détente  est  mesurée  très-exactement  une  fois  pour  toutes;  il 
suflit  donc  de  mesurer  la  dislance  du  trait  au  bord  inféi'ieur  du  cartouche, 
ce  qui  se  fait  au  moyen  d'un  compas  à  coulisse  donnant  les  dixièmes  de 
millimètre.  Le  trait,  ou  plus  exactement  la  coche  [figure  4)  produite,  dans 
le  cartouche  récepteur,  par  le  couteau  de  la  détente,  présente  à  sa  partie 
inférieure  un  plan  ab  normal  à  l'axe  du  cartouche.  Sa  distance  au  plan  cd 
peut  donc  aisément  se  mesurer  avec  toute  Texaclitude  désirable,  au  moyen 
d'un  compas  à  coulisse  ou  d'un  instrument  analogue  facile  à  imaginer. 

CHAPITRE  IL 

EXAMEN  THÉORIQUE  ET  PRATIQUE  DES  DIFFÉRENTES  DISPOSITIONS  ADOPTÉES 
DANS  LE  CHRONOGRAPHE.  MANIEMENT  DE  l'aPPAREIL. 


Du  chronomètre. 

La  connaissance  du  temps  se  déduit  de  la  chute  libre  et  sans  frottement 
d'une  baguette  d'acier.  Abstraction  faite  de  la  mise  en  œuvre  de  ce  chro- 
nomètre, il  présente  sur  tous  les  autres  les  avantages  suivants  : 

1"  Il  est  le  plus  simple. 


ÉLECTRO-BALISTIQUE.  H 

2"  Depuis  Tinslant  où  il  se  met  en  mouvement  jusqu'à  celui  où  Tenre- 
gistroment  se  fait,  aucune  cause  d'erreur,  si  ce  n'est  la  résistance  de  l'air,  ne 
peut  intervenir,  puisque  sa  chute  se  fait  librement  et  sans  frottement.  Comme 
il  n'oppose  à  l'air  qu'une  faible  surface  en  comparaison  de  son  poids,  la 
résistance  de  ce  fluide  est  sans  influence  appréciable,  d'autant  plus  que  la 
chute  n'atteint  jamais  une  grande  vitesse. 

3°  Le  temps  correspondant  se  déduit  de  la  hauteur  de  chute  par  une 
formule  exacte,  simple  et  des  plus  faciles  à  calculer;  à  tel  point  qu'une  table 
spéciale  pour  faciliter  les  calculs  est  à  peine  utile.  L'application  de  cette 
formule  ne  nécessite  aucune  donnée  préalable  observée  au  chronomètre  à 
secondes. 

C'est  là  un  Irès-grand  avantage,  car  ce  genre  d'observation  est  fort  délicat 
et  peut  entraîner  à  une  erreur  constante  assez  notable. 

4°  Si  l'on  opère  à  des  températures  qui  s'écartent  notablement  de  la 
moyenne,  on  peut  très-facilement  tenir  compte  de  l'influence  de  la  dilata- 
tion. Toutefois,  dans  les  circonstances  ordinaires  où  l'on  opère,  la  tempéra- 
ture est  sans  influence  sensible. 

5°  Enfin,  certaines  causes  d'erreurs  peuvent  être  rendues  aussi  petites 
qu'on  le  veut  :  ce  sont  celles  qui  n'affectent  pas  le  temps,  mais  seulement 
la  longueur;  teUes  sont  les  erreurs  de  lecture.  En  effet,  l'erreur  de  lecture 
ne  pouvant  pas  dépasser  0"™,'!  et  la  vitesse  de  chute  croissant  comme  le 
carré  des  temps ,  il  suflit  de  donner  à  l'appareil  des  dimensions  telles  que  ce 
dixième  de  millimètre  représente  un  temps  négligeable;  ainsi,  avec  le  der- 
nier appareil  que  j'ai  expérimenté,  qui  diffère  peu  de  celui  que  représente 
la  planche,  la  hauteur  de  la  disjonction  est  d'environ  0'",50.  A  cette  hauteur, 
un  dixième  de  millimètre  vaut  en  temps  0",0000319.  La  hauteur  donnée 
par  le  canon  est  d'environ  0™,880,  le  dixième  de  millimètre  correspond 
alors  à  0",000024.1.  Une  telle  erreur  n'altère  la  vitesse  calculée  que  de 
0'",1 18  dans  le  premier  cas  et  de  0'",089  dans  le  second,  en  supposant  cette 
vitesse  de  STO".  Le  temps  se  traduit  donc  par  une  longueur  aussi  grande 
qu'on  le  désire,  et  le  degré  d'approximation  n'est  limité  que  par  la  conve- 
nance des  dimensions  à  donner  à  un  appareil  de  ce  genre. 


12  SUR  UÎN  CHROrsOGRAPHE 

Du  mode  d'enregislrement  et  de  la  lecture. 

Le  mode  d'enregistrement  sur  le  chronomètre  ne  permet  pas  la  lecture 
immédiate;  cette  lecture  nécessitant  remploi  d'un  instrument,  il  semble  qu'il 
V  a  là  un  inconvénient  pour  la  marche  rapide  des  opérations;  mais  il  est 
toutefois  plus  apparent  que  réel  :  les  traits  étant  permanents  sur  les  cartou- 
ches ,  il  est  inutile  de  mesurer  leur  hauteur  séance  tenante.  Si  l'on  est  pressé 
par  le  temps,  il  suffit  de  les  numéroter  :  on  peut,  plus  tard,  les  mesurer  avec 
toute  l'exactitude  désirable.  J'ai  trouvé  un  grand  avantage  dans  celte  conser- 
vation graphique  des  résultats  fournis  par  l'appareil  :  leur  simple  inspection 
donne  déjà  une  idée  assez  exacte  du  degré  de  régularité  des  vitesses ,  et  l'on 
a  la  faculté  de  vérifier  quand  on  le  veut  les  données  du  calcul.  Le  ressort 
(le  la  délente  n'est  pas  une  cause  d'erreur,  si  le  temps  de  son  débandemenl, 
(jui  est  compris  dans  celui  de  la  disjonction,  ne  varie  pas  d'une  expérience 
à  l'autre.  On  ne  prévoit  pas  de  causes  de  variations  accidentelles  dans  ce 
temps;  et,  en  tout  cas,  en  admettant  même  qu'elles  se  produisent,  la  régula- 
lité  des  disjonctions  prouve  suffisamment  que  ces  variations  sont  assez  petites 
pour  n'avoir  pas  d'influence  sensible  sur  les  résultats. 

Du  disjoncteur. 

La  manière  de  rompre  simullanémenl  les  deux  courants  du  chronographe 
étant  basée,  non  sur  l'action  d'un  mécanisme,  mais  sur  une  combinaison 
des  circuits,  ce  disjoncteur  présente  les  avantages  suivants  : 

4"  Son  action  est  certaine,  sans  qu'il  soit  nécessaire  de  le  régler  en  au- 
cune façon;  car,  en  rompant  la  partie  commune  du  circuit,  il  y  a  nécessaire- 
ment simultanéité  dans  la  disjonction  des  deux  courants. 

2"  11  est  simple  dans  sa  disposition  et  dans  son  emploi  et  n'est  sujet  à 
aucun  dérangement  accidentel. 

3"  il  est  à  remarquer  que  lorsqu'il  se  trouve  dans  un  circuit  une  solution 
formée  par  contact,  elle  donne  généralemenl  lieu  à  des  variations  dans  l'in- 
tensité du  courant,  selon  la  résistance  plus  ou  moins  grande  que  présente  ce 


ÉLECTRO-BALISTIQUE.  13 

contact  au  passage  du  fluide.  Le  disjoncteur  du  chronographe  se  trouve  dans 
ce  cas,  mais,  son  contact  donnant  passage  aux  deux  courants  à  la  fois,  ils 
augmentent  ou  diminuent  en  même  temps;  ils  conservent  la  même  force 
relative,  condition  sufTisanle  pour  que  les  résultats  n'en  soient  pas  influencés. 

Installalion  et  maniement  de  l'appareil. 

Les  cadres-cibles  et  les  conducteurs  destinés  à  les  mettre  en  relation  avec 
l'appareil  étant  établis,  on  fait  communiquer  l'un  des  fds  venant  du  pre- 
mier cadre  avec  le  pôle-zinc  d'une  des  deux  piles,  réunies  par  leurs  pôles- 
charbon  ;  le  second  fd  est  mis  en  commiuiication  avec  la  presse  à  vis  de  la 
bobine  du  chronomètre.  La  même  opération  se  fait,  pour  les  fds  du  second 
cadre,  avec  la  seconde  pile  et  la  bobine  du  poids.  Cela  fait,  on  établit  un  fil 
allant  de  la  presse  à  vis  du  disjoncteur  à  l'un  des  pôles-charbon ,  el  les  cir- 
cuits directs  sont  installés. 

Pour  établir  les  circuits  inverses,  il  suffît  de  mettre  en  communication, 
respectivement  par  un  fd  conducteur,  les  mêmes  pôles-zinc  avec  les  presses  ù 
vis  des  enroulements  inverses  :  les  circuits  sont  achevés  par  le  fil  commun. 

Il  y  a  donc  en  tout  cinq  fils  qui  aboutissent  à  l'appareil  et  qu'il  est  très- 
facile  d'établir. 

Je  ferai  remarquer  ici  qu'il  est  nécessaire  que  les  courants  aient  toujours 
le  même  sens,  pour  ne  pas  renverser  les  pôles  permanents  du  chronomètre 
et  du  poids  :  c'est  pourquoi  j'ai  adopté  comme  type  la  disposition  que  je 
viens  de  décrire.  Après  l'établissement  des  circuits,  il  est  bon,  avant  d'opé- 
rer, de  s'assurer  du  sens  des  courants  et  de  leur  intensité.  Le  sens  se  recon- 
naît immédiatement  au  moyen  d'une  petite  boussole  que  l'on  présente  suc- 
cessivement aux  deux  électro-aimants  :  le  disjoncteur  étant  fermé,  le  même 
pôle  doit  être  attiré,  tandis  que  c'est  le  pôle  contraire  qui  sera  attiré  par  les 
deux  électro-aimants,  si  l'on  ouvre  le  disjoncteur. 

Quant  à  l'intensité  des  courants,  elle  doit  être  énergi(iue  et  maintenir  forte- 
ment le  chronomètre  et  le  poids;  l'intensité  des  courants  inverses  doit  être 
suffisante  pour  maintenir,  quand  ils  agissent  seuls,  un  petit  cylindre  d'épreuve 
de  fer  doux.  Si  ces  courants  sont  trop  forts  et  neutralisent  par  trop  l'action 


14  SUR  UN  CHRONOGRAPHE 

(les  courants  directs,  il  siiflil  d'interposer  dans  leur  partie  commune  une 
bobine  de  résistance  ou  une  certaine  longueur  de  fil  mince  de  cuivre  ou  de 
platine. 

Il  n'est  nullement  nécessaire  que  celte  résistance  des  circuits  inverses  soit 
exactement  déterminée;  pour  un  appareil  fonctionnant  toujours  dans  des 
circonstances  analogues ,  c'est-à-dire  avec  un  développement  de  fils  conduc- 
teurs peu  variables,  cette  résistance  peut  être,  une  fois  pour  toiUes,  placée 
;■)  demeure  sur  l'instrument  même. 

J'ai  dit  qu'il  fallait  des  courants  énergiques;  la  pratique  m'a  démontré 
que  cette  condition,  loin  de  nuire  à  la  régularité,  lui  est,  au  contraire,  très- 
favorable. 

(-elle  grande  intensité  des  courants  est  éminemment  favorable  au  manie- 
ment de  l'appareil  ;  car  elle  procure  l'avantage  d'éviter  toute  difficulté  et  tout 
tâtonnement  dans  la  manière  de  suspendre  les  contacts  à  leurs  électro- 
aimants. Dans  les  circonstances  ordinaires  du  tir,  il  suffit  d'avoir  deux  piles 
de  trois  ou  quatre  éléments  chacune  pour  que  ces  conditions  soient  rem- 
plies. 

f. 'appareil  étant  calé,  comme  il  a  été  dit  au  cha|)itre  premier,  on  peut 
conniiencer  à  opérer. 

Voici  la  marche  à  suivre  : 

l/opérateur,  ayant  placé  sur  le  chronomètre  les  deux  cartouches  en  s"as- 
surant  qu'ils  reposent  sur  leurs  embases,  met  la  délente  au  bandé,  puis 
suspend  le  chronomètre  et  le  poids  à  leurs  électro-aimants,  et  en  arrête,  s'il 
y  a  lieu,  les  oscillations.  Cela  fait,  il  prend  une  disjonction  en  appuyant 
le  doigt  sur  le  bouton  du  disjoncteur;  le  chronomètre  et  le  poids  tombent, 
le  couteau  frappe  le  cartouche  inférieur  et  y  imprime  un  trait;  l'opérateur 
insci'il  un  numéro  au  crayon  au-dessus  de  ce  trait  pour  le  distinguer  des  sui- 
vants; il  prend  encore  une  ou  deux  disjonctions,  en  ayant  soin  de  tourner 
chaijue  fois  le  cartouche  ou  le  chronomètre  d'une  petite  quantité,  pour  que  les 
irails  viennent  se  pjacer  successivemeiit  à  côté  l'un  de  l'autre  et  ne  se  con- 
fondent pas.  A  l'inspection  des  trois  premiers  traits  l'opérateur  peut  s'assurer 
si  la  disjonction  ne  varie  pas  ou  si  elle  reste  dans  les  limites  de  quelques 
dixièmes  de  millimètre;  il  met  alors  l'appareil  en  station  pour  le  feu  comme 


ÉLECTRO-BALISTIQUE.  15 

pour  la  disjonclion,  sauf  qu'il  s'assure  de  la  position  du  cartouche  supérieur 
sur  son  embase.  La  rupture  des  circuits  ayant  lieu  successivement  par  le  pro- 
jectile, le  trait  se  marque  sur  le  cartouche  supérieur,  et  reçoit  le  n°  1.  Le 
tir  continue  de  la  même  façon;  mais  il  est  à  remarquer  que,  pour  les  coups 
suivants,  il  suffit  généralement  de  prendre  une  seule  disjonction,  si  elle  ne 
diffère  pas  sensiblement  de  celle  du  coup  précédent.  II  est  toujours  néces- 
saire d'en  prendre  au  moins  une;  car  la  réparation  des  cadres  peut  amener 
des  différences  dans  la  résistance  des  circuits  et  faire  légèrement  varier  la 
disjonction.  Les  nombreux  essais  que  j'ai  faits  de  cet  appareil  prouvent  que, 
si  l'on  ne  fait  pas  varier  les  circuits,  les  disjonctions  sont  toujours  d'une 
régularité  remarquable.  J'ai  parfois  obtenu  des  séries  de  cinquante  disjonc- 
lions  successives  dont  l'écart  de  la  plus  grande  à  la  plus  petite  ne  dépassait 
pas  un  millimètre,  c'est-à-dire  0",00032.  On  peut  admettre,  en  général, 
(|u'en  prenant  pour  la  mesure  du  temps  la  dernière  disjonction,  on  ne  com- 
mettra pas  sur  ce  temps  une  erreur  plus  grande  que  0",00016.  Que,  dans  le 
cas  où  la  hauteur  des  disjonctions  flotterait  un  peu,  on  ne  sera  pas  exposé, 
dans  les  circonstances  les  plus  défavorables,  à  commettre  une  erreur  plus 
grande  que  0",00032  en  prenant  pour  valeur  de  la  disjonction  la  moyenne 
des  trois  dernières. 

En  supposant  le  projectile  animé  d'une  vitesse  de  530"'  et  les  cadres  es- 
pacés de  35'",  l'erreur  en  temps  entraînerait,  dans  le  premier  cas,  à  une 
erreur  de  O-^jSG  sur  la  vitesse ,  et,  dans  le  second,  à  une  erreur  de  l'",12. 

La  marche  régulière  du  chronographe  n'exige  aucune  précaution,  ni 
réglementation  autre  que  celle  dont  il  a  été  parlé  ;  son  maniement  ne  de- 
mande donc  ni  adresse,  ni  aptitude  spéciale  :  tout  opérateur  peut  le  manier 
sans  apprentissage  préalable  et  sans  être  exposé  à  rencontrer  des  difficultés 
qui  exigent  une  expérience  particulière. 

Cette  facilité  de  maniement ,  jointe  à  la  constance  des  disjonctions ,  per- 
mettrait de  résoudre  aisément,  par  son  emploi,  le  problèm  ede  la  détermi- 
nation des  vitesses  d'un  projectile  en  dilTérenls  points  de  sa  trajectoire,  en 
se  servant  de  plusieurs  appareils  ayant  chacun  son  opérateur.  IH  n'y  aurait 
aucune  difficulté  à  les  avoir  tous  à  la  fois  en  station  pour  le  tir. 

Cet  appareil  est  très-peu  coûteux  ;  je  ne  pourrais ,  pour  le  moment ,  en 


16  SUR  UN  CHRONOGRAPHE 

(lélerniiner  le  prix  de  revienl  exaclcmont  :  il  dépend  du  fini  que  l'on  veut 
obtenir  dans  sa  construction.  Celui  que  j'ai  expérimenté  coûte  à  peine  cin- 
quante francs. 

CHAPITRE  111. 

EXPÉRIENCES  DE  TIR  FAITES  AVEC  LE  CHRONOGRAPHE. 


Pendant  mon  séjour  au  polygone  de  Brasschaet,  il  m'a  été  permis,  pour 
expérimenter  mon  appareil,  d'utiliser  divers  tirs,  notamment  ceux  qui 
avaient  pour  but  la  détermination  des  vitesses  par  le  pendule.  Je  ferai  toute- 
fois remarquer  que  j'ai  dû  m'imposer  la  condition  de  ne  jamais  entraver  le  tir 
en  aucune  façon;  l'appareil  devait  donc  toujours  être  en  station  au  moment 
du  feu,  et  se  trouvait,  par  conséquent,  dans  des  condition^  encore  plus  dé- 
favorables que  celles  dont  j'ai  parié  pour  la  détermination  successive  des 
vitesses  d'un  même  projectile. 

Les  résultats,  renfermés  dans  les  tableaux  n"'  1 ,  2  el  3  ont  été  pris  au 
moyen  d'un  appareil  dont  le  chronomètre  était  une  règle  de  bois  divisée  en 
millimètres  et  munie,  à  la  partie  supérieure,  d'une  armature  de  fer  doux. 
Le  poids  était  également  de  fer  doux.  Les  circuits  inverses  n'étaient  pas  encore 
établis;  on  réglait  l'action  des  courants,  en  diminuant,  comme  dans  le  pen- 
dule, la  force  des  électro-aimants. 

On  remarquera  que,  dans  ces  tableaux,  la  hauteur  de  chute,  correspon- 
dant à  la  disjonction  simultanée,  est  supérieure  à  celle  obtenue  par  le  tir. 
Cette  particularité  tient  à  ce  que,  dans  ce  premier  appareil,  les  bobines  étant 
placées  à  la  même  hauteur,  la  disjonction  se  marquait  à  la  partie  supérieure 
de  la  règle.  Pour  les  expériences  de  tir,  on  faisait  communiquer  le  circuit  du 
poids  avec  le  premier  cadre  et  celui  du  chronomètre  avec  le  second.  Pour 
avoir  le  temps  du  passage  du  projectile  entre  les  cadres,  on  retranchait  du 
temps  de  la  disjonction  le  temps  correspondant  au  tir. 

l'our  les  expériences  avec  la  carabine  à  lige  [tableau n  o),  j'ai  employé, 


ÉLECTRO-BALISTIQUE.  17 

pour  garnir  les  cadres  des  bandelettes  découpées  dans  des  feuilles  minces 
d'étain  ;  de  cette  manière  la  balle  éprouve  très-peu  de  résistance  et  ne  dévie 
pas,  comme  cela  arrive  quand  on  emploie  du  fil  de  cuivre  même  excessi- 
vement fin. 

Je  dois  la  plupart  des  résultats  consignés  dans  ces  tableaux  à  Tobligeance 
de  différents  officiers  de  l'arme,  qui  ont  bien  voulu  manier  le  chronographe 
pendant  ces  diverses  expériences. 

La  vitesse  d'un  projectile  se  déduit  sans  difficulté  par  le  calcul  des 
données  de  l'appareil.  Une  table  des  temps  correspondant  aux  hauteurs  de 
chute  croissant  de  millimètre  en  millimètre,  a  été  établie  pour  faciliter  les 
calculs.  Elle  s'étend  de  0  à  1000  millimètres  et  donne  la  valeur  du  temps 
avec  six  décimales.  Les  différences  entre  deux  temps  successifs  y  sont  éga- 
lement données. 

L'instrument  fournit  la  hauteur  de  chute  en  millimètres  et  dixièmes  de 
millimètre.  Le  temps  correspondant  aux  unités  se  trouve  dans  la  table  en 
regard  de  ce  nombre;  il  suffit  d'y  ajouter  le  temps  correspondant  à  la  partie 
décimale,  temps  qui  s'obtient  en  multipliant  la  différence  tabulaire  par  cette 
fraction. 

Ayant  calculé  le  temps  qui  correspond  au  tir,  on  en  retranche  celui  de  la 
disjonction,  et  la  différence  donne  le  temps  du  passage  du  projectile  entre  les 
deux  cadres.  Divisant  cet  espace  par  le  temps,  on  obtient  la  vitesse  moyenne 
du  projectile  dans  ce  parcours. 

Prenons  pour  exemple  le  premier  coup  du  tableau  n"  o  ci-après. 

L'espacement  des  cadres  était  de  vingt-huit  mètres. 


m  ru. 


Le  chronographe  donne  :  Hauteur  correspondant  au  tir     ....  854,7 

—                                     —                        à  la  disjonction     .  y01,7 

On  trouve  dans  la  table  8Ô4 0",il2r)30 

Différence  0",000247  qui,  multipliée  par  0,7,  donne 0",O0OI75 

Temps  totai 0",4t2503 

On  trouve  de  même  pour  50i,7 0", 519814 

Différence 0",09'2089 

28.000 

Vitesse  =  =  SOI^jOO. 

0,092080  ' 


Tome  XXXII. 


18 


SUR  UN  CHRONOGRAPHE 


TABLEAU  des  résultats  obtenus,  an  moijen  du  chronographe  électro-balistique , 
■    dans  divers  tirs  exécutés  au  polijgone  de  Brasschaet. 


POIDS. 

à 

3 

% 

w 

•V 

"S* 

0) 

s 

V 

o 

m 

- 

c 

HALTELIt 

cliuto 

corresponilanl  H  la  dis- 
jonction. 


1 

s 

^ 

^   £ 

S 

3 

="  = 

c 
£ 

c 
o 

a 

M 

1 

ïj 

S 

S 

b 

'' 

> 

•^ 

■^ 

OISSERVATtONS. 


Tableau  iv°  1.- —  F(7esse.s'  t/e  la  pièce  rayée  de  24,  ii°  IS,  prises  à  son  tir  de  réglage, 

le  20  juillet  ISOJ. 


l 

m 

2.61 

mm. 

430.0 

mm. 

175.1 

299"'44 

2 

1.90 

449.8 

175.1 

296.79 

3 

2.18 

c3 

449.5 

174.1 

298.64 

4 

o 

2.10 

430.0 

175.0 

299.29 

5 
6 

7 

l'a 

G-1 

1^ 

ce 

2.22 
1.72 
2.37 

■s 
■s 

Cl. 

449.8 
449.3 
449.5 

173.8 

172.7 
170  3 

297.78 
296.11 
501 .55 

(?i 

->* 

8 

2.34 

z: 

449.3 

175.5 

500.52 

9 

2.38 

430.0 

I7G.1 

300.86 

10 

2.40 

449.3 

170.7 

300.91 

Baronietre  760«"n. 

Tliermonièlre  ââ"-". 

Distance  du  i**""  cadre  à   !a  bouche 
10"!,  12. 

Espacement  des  cadres  54"'.  12. 


Tableau  n°  -2. —  Vitesses  de  la  pièce  rayée  de  24,  n"  30,  prises  «  son  tir 
de  réglage,  le  25  juillet  1865. 


1 

1.69 

447.6 

173.6 

501.25 

i 

1 

2 

1.80 

447.0 

177.7 

304.83 

3 

1.78 

« 

4-48.6 

176.0 

300.91 

, 

4 

2.00 

> 

447.6 

177.8 

305.31 

5 
6 

7 

o 

lO 

(M 

O 

1- 

i 

1.80 
1.60 
1.68 

.a 
o 

— 
■o 

ffi 

448.0 
-i-18.0 
448  7 

176.9 
174,8 
175.7 

303.66 
299.75 
500.44 

1^ 

O 

8 

1.73 

K 

448.7 

176.4 

301 .59 

9 

1.84 

448.7 

176.7 

501.85 

10 

2.10 

148.5 

179.3 

305.07 

Di>-1.  *hi  ler  cadre  à  la  bouche  10™. 
InterNaile  «les  cadres  SO^». 


ÉLECTRO-BALISTIQUE. 


19 


HAUTEUR 

de 
chute 

corrt^sponilant  a  la  dis- 

JUDCIÎOQ. 

k 

■ 

s 

a 

POIDS. 

c- 
1 

i 

41       U 

"^       -H 

1, 

C 

E 

c 
1 

E 

J 

1 

'M 

OBSEnVATIOyS. 

y 

c 
a 

3 
1 

Z  "=• 

Tableau  n"  3 

—  V 

itesses  de  la  car 

al)ine  à  tige,  prises  le  19  juillet  IS63. 

1 

mm. 

448  5 

202 '.°Ô 

ZOUSl 

Disl.du  1"  cadre  à  1.1  bouche  U^.IIO. 

2 

4-i8.0 

205.5 

307 . 29 

Intervalle  des  cadres  oO". 

5 

448.0 

204.2 

303.37 

4 
3 

447.9 
4.16.5 

203.8 
198.1 

.303.37 
297 . 79 

O 

o 

•ÎJ 

c; 

6 

447.0 

202.3 

305.67 

7 

447.0 

201.7 

302.74 

8 

447.2 

205.0 

504.33 

Tableau  ^°  4.  —  7Ï; 

électi 

0 -balistique  d' 

m  canon  d'acier  raijé  de  4 ,  avec  différentes   1 

poudres,  cssayh's  j 

)ar  M 

Melsens,  examinateur  permanent  à  l'Ecole  militaire ,  les  2,  || 

3,  à',  7  septembre 

et  le  2 

6  octobre  1863. 

1 

o 

2 

ds 

m. 

687 

198.9 

433.4 

369,8 

Dist.  du  l^r  cadre  à  la  bouche  10"'. 

0 
3 

c 
o 

2.45 
1.80 
2.20 

680 
664 
679 

197.7 
197.6 
197.7 

4.34.2 
4.33.4 
434.6 

367.0 
567.8 
366.6 

Ci 

Gl 

(M 

Espacement  des  cadres  38™,  jus- 
qu'au 4G^  coup  inclus. 

Teni[)S  orageux. 

ii 

1 

1.75 

663 

Feu  par  erreur. 

6 

3 

2.25 

680 

196.9      431.9 

368.3 

7 

30 

2.85 

689 

1 97 . 7 

-i33 . 7 

363.2 

8 

ï 

2..i3 

680 

193.4 

466.6 

549.2 

Couj)  considéré  comme  anormal. 

0 
10 

5  - 

2.40 

2.83 

080 
696 

190.8 
193.4 

i30.8 
432.2 

.369.3 
363.3 

CD 

ce 

l'a 

U 
12 

2.50 
2.35 

680 
637 

193.4 
195.5 

n 

• 

Le  trait  n'a  pas  ëté  marqué,  l'iii- 
strumeut  s'élant  ilécalé. 

20 


SUR  UN  CHRONOGRAPHE 


HALTELR 

de 
cbule 

correspondant  a  la  dis- 
jonctioii. 

ç 

o 

o 
5 

3 

POIDS. 

È 

1 

C 

3 

Cl. 

■=  1 

1 

C 

c: 

> 

9 

a 

9 

3 

E 
■g 

a 

OBSEnVATIOSS. 

c 

à 

i 

3 

^  t 

15 

<y 

KHO 

m. 

665 

mm. 

197.2 

45"r2 

569°  9 

li 

2.55 

680 

198  5 

452.9 

570.0 

15 

16 

"3  S 

1^- 

2.65 

2.20 

685 

080 

197.2 
197.7 

453.3 

452 . 7 

566.9 
568.8 

G-1 

O 

o 

-* 

17 

.  o 

1.75 

662 

196.1 

430.7 

568.5 

IS 

Z 

1.50 

652 

193.7 

452  6 

563.5 

19 

-20 
21 

1.8U 
1.85 
1.03 

663 
664 
634 

197.8 
197.6 
197.8 

460.0 

560  3 

o 

;: 

Le  trait  n'a  pas  été  marqué,  l'in- 
strument s'étant  décalé. 

22 

2.1a 

671 

196.4 

-i32.6 

366.6 

23 

S 

2.53 

678 

197.0 

452.0 

.368.4 

24 
25 

4 

5 

o 

5jo 

"52 

1.70 

2.50 

658 
679 

196.4 
197.1 

434.0 
432.2 

364.9 
568.3 

GO 

O 

:.0 

•-0 
10 

26 

1 

2.00 

667 

196.8 

434.7 

564.9 

27 

o 

2.53 

680 

197.0 

• 

452.3 

567.8 

28 

2.30 

679 

197.0      457.4 

562.0 

29 

Oi  "S 

2.23 

679 

196.9      459.2 

339.8 

30 
31 

If? 

.   30 

TO    — 

5  o 

2.13 

2.10 

679 
673 

196.5 
196.8 

455.9 
456.6 

362.9 
362.  G 

-* 

O 

s 

lO 

52 

1    ^'^ 

2.03 

667 

196.4 

457.0 

561.4 

33 

■*"3 

z 

1.70 

663 

196.3 

458.3 

359.9 

51 

o 

1.90 

667 

196.8 

451.4 

568.7 

Temps  sec,  vent  assez  fort. 

05 

«*  — 

2.40 

685 

197.2 

451.4 

569.4 

56 
57 

£  00 

2.53 
2.10 

685 
681 

196.7 
197.1 

450.5 
450.4 

369.6 
370.5 

5 

o 

58 

O    - 

a.  o 

2  -15 

685 

197.6 

452.0 

569.3 

39 

A. 

2.13 

68â 

197.6 

451.0 

570.6 

ÉLECTRO-BALISTIQUE. 


21 


■■""—■ 

HAITEUR 

= 

POIDS. 

^ 

cbute 

corresponJiint  à  la  dis- 

' 1 

3 

_^ 

jonction. 

=   S 

G 

5 

OnSEHVATlONS. 

u 

5 

g  ^ 

a 

3 

-S 

1 

a 

= 

c 

1 

=  1 

3    Z= 
1 

g 
S 

S 
H 

■5 
E 

^ 

a 

- 

- 

~ 

y. 

- 

'' 

"* 

~ 

a 

ni. 

m. 

mm. 

mm. 

m. 

40 

^  Cl 

2.50 

679 

197.4 

433  4 

367.3 

■il 

^£ 

-2.50 

G80 

197.6 

436.3 

364.7 

•42 

2.53 

679 

197.1 

433.8 

566.2 

fi 

O 

-13 

0±' 

2.30 

681 

196.0 

433.1 

565.8 

lO 

^^ 

U 

le 

2.40 

683 

196. b 

436.4 

562.3 

43 

là 

2.20 

681 

197.2 

434.9 

363  3 

40 

2.12 

672 

197.2 

1, 

Espacement  des  cadres  33"". 73,  de- 
puis le  47*  coup  jusqu'au  57*=  in- 

47 

t-  — 

1.90 

665 

197.2 

.127.0 

356.7 

1                                  r  j       T 

dus. 

48 

O 

5'^ 

1.83 

664 

197.6 

428  6 

555.9 

C5 

1^ 

CO 

49 

^ 

o 

""   G- 

1.33 

633 

197.6 

427.8 

556.3 

in 

1-5 

-^ 

-* 

30 

l.g 

2.63 

639 

197.4 

■128.7 

555  4 

31 

1.30 

632 

197.9 

.426.9 

558.2 

32 

o 

00 

1.70 

661 

197.1 

433 . 7 

548.1 

33 

0.60 

620 

197.4 

436.3 

545.2 

54 

âo 

•Ç-" 

1.43 

645 

197,3 

436.2 

543.8 

O 

^ 

s-y 

33 

ê: 

1.10 

654 

196.8 

456.7 

545.0 

'■ 

"^ 

36 

1 

1.23 

657 

197.1 

•434.8 

346.7 

37 

1.23 

636 

197,6 

436.0 

346.2 

3H 

i 

2.90 

708 

197.5 

433.1 

373.1 

Espacement  des  cadres  36",  depuis 

59 

£ 

2.70 

694 

198.1 

•437.7 

368.1 

o 

o 

o 

o 

le  58»  coup  jusqu'au  106' inclus. 

CO 

5 

o 

3.00 

702 

198.0 

453.6 

570.8 

61 

2.10 

682 

198.1 

444.0 

360.0 

Pluie  assez  forte. 

62 

2.73 

686 

198.1 

443.8 

538.2 

Les  vitesses  du  63<=  au  81'  coup  ont 
elé  prises  au  chronographe  seu- 

63 

1.80 

669 

198.0 

443.1 

558.8 

in 

lo 

t^ 

lement  ,  fe  dijoncteur  du  pendule 

64 

"5* 

1.80 

666 

198.5 

444.8 

360.1 

00 

- 

-* 

ayant  été  endommagé,  ces   19 
coups  ont  été  tirés  en  1  heure  et 

63 

I 

2.00 

684 

197.9 

4.43.2 

338.5 

10  minutes. 

66 

Z 

2.00 

675 

197.9 

447.8 

335.4 

22 


SUR  UN  CHRONOGRAPHE 


HAUTEUR 

^ 

POIDS. 

de 
cbutc 

"      t 

3 

correspondant  ù  la  dis- 

■ë   .^ 

1 

û 

" 

jonction. 

3      S 

c 

0B5E/ÎV4r/0iV5. 

■a 

T' 

c- 

s 
c 

o 

^ 

S     "^ 
3     — 

c 

5 

3 

S 

1 

3 

3 

j: 

i 

3 
3 

■j; 

3 

«      es 

S 

s 

5 

K 

Û 

Q 

" 

- 

- 

■/i 

- 

> 

'>■ 

■^ 

;2 

tll 

m. 

mm. 

m  ni. 

^^ 

G7 

_.2 

0.70 

620 

198-4 

460.9 

541°!  5 

La  différence  que  l'on   remarque 

GS 

II 

0.90 

634 

197.7 

460.9 

340.5 

dans  les   disjonclions   pour   les 
coups  de  ti7  à  81  tient  à  ce  que. 

G!) 

-U   c; 

0.63 

621 

198.1 

462.1 

559.7 

S. 

fîï 

O 
O 

comme  expérience  on  a,  après 
trois  coups  d'une  série,  changé 

70 

J    « 

1.30 

653 

193.4 

453.4 

544.7 

lÔ 

■" 

JC 

le  sens  des  courants  dans  la  bo- 

71 

=  5 

o  = 

Sm    O 

1.00 

G36 

194.8 

435.4 

541.7 

bine  du  poids. 

7i> 

U 

1.13 

655 

195.0 

456.0 

341 .2 

73 

1  g 

1.29 

605 

193.4 

441.3 

338.7 

74 

1.30 

663 

194.9 

442.1 

556.8 

75 
76 

O 

1? 

0-  r 

1.30 
1.70 

658 
667 

194.5 
197.7 

443.9 
447.7 

534.7 
333.2 

1^ 

Ci 
1-5 

1,0 

77 

1  -g 

2.30 

689 

197.6 

448.4 

354.2 

78 

ri 

I..jO 

637 

197.8 

448.4 

534 . 3 

1-^ 

79 

00 

2.10 

689 

195.2 

435.5 

368.4 

80 

-^3 

2.40 

663 

194.7 

435.0 

567.8 

1^ 

00 

lO 

O 

o 

81 

2.30 

679 

193.3 

iô2.3 

369.8 

s? 

G-1 

82 

1.83 

664 

302.0 

„ 

Expériences  du  2G  octobre. 

83 

S 

2.12 

G81 

302.6 

Chronog.  à  plus  grandes  dimen**"*. 

84 

ce 

2.40 

68) 

303.1 

880.1 

367.8 

Espacement  des  cadres  38"'. 

85 

2.70 

68-2 

301.6 

883  2 

365.5 

G-» 

A 

CD 

30 

'^ 

Beau  temps. 

86 

■^ 

1.93 

667 

502.9 

880.4 

367.3 

lO 

87 

cS 

2.03 

679 

301.1 

885.0 

363.1 

88 

2  13 

089 

301.1 

881.0 

364.4 

8!.t 

cy 

2.33 

682 

501.2 

883.7 

362.6 

90 

t^ 

O 

3 

2.63 

679 

302.6 

874.1 

575.2 

Considéré  comme  anormale. 

91 

g5 

lO 

2.14 

679 

502.1 

883.8 

563.5 

X 

O 

t^ 

lO' 

î>2 

3 

2.53 

683 

302.3 

880.8 

366.5 

lO 

93 

O 

2.77 

689 

.■i02.9 

881.5 

360,4 

ÉLECTRO-BALISTIQUE. 


25 


HAUTEUR 

Je 
chute 

correspondant  a  la  dis- 
jonction. 

S 

1 
s 

"S 

ç 

POIDS. 

3 

— 
= 

5 
5 

a. 

3        S 

C 

! 

1 

c 

3 

B 
a 
= 
fa 

OBSERVA'nOJiS. 

a 

•4. 
C 

=;  Y 

9i 

1^ 

GO 

ni. 

2.49 

081 

ooT'l 

mm. 

877.3 

567.8 

95 

2.40 

681 

302.4 

879.0 

507.9 

96 
97 
98 

a. 
■a 

2.o0 
2.14 
2.30 

682 

681 
680 

301.0 
302.8 
501.1 

879.2 
881.2 
881.9 

366.1 
366.5 
504.0 

o 

99 

o 

2. 30 

683 

502.0 

877.2 

369.0 

100 

1-^ 

.Ï.IO 

710 

301.0 

874.3 

370.4 

101 

'3 

2.52 

679 

501.7 

1) 

„ 

1 

102 
105 
104 

o 
o 

3 
O 

ta 

a 
< 

1  90 
1.84 
1  31 

663 
681 
641 

301.7 
301.3 
301.0 

892.9 
89-5.2 
897.2 

333.7 
335.2 
331.6 

si 

1 
■*  ■ 

10b 

-a 

3 
o 
A. 

1.13 

636 

302.8 

900.0 

331.3 

106 

3C 

Ô.IO 

708 

301.8 

872.4 

372.9 

Pour  ce  coup  un   a  mis  un  ciilut 
entre  la  charge  et  le  projectile. 

Tableau  r 

("  3.  - 

—  Tir  électro-balistique  avec  les 

canons  rayés  de  12  en  fonte, 

transj 

formés  n°  3  et  3o,  pour  la  campa 

raison  de  ces  pièces. 

Séance  du  S4  septembre  tHOa. 

—  Pièce  n»  a. 

1 

501.7 

834.7 

301.0 

Dist.  du  1"  cadre  à  la  bouche  10'". 

2 

501.6 

832.2 

302.9 

Espacement  des  cadres  28"^ 

5 

502.7 

833.1 

304.2 

4 
5 
6 

o 

o 
•^ 

o 

.  302.0 
.302.0 
.301.0 

8.35.3 
853.4 
853.5 

301.7 
302.1 
502.5 

o 

fi 

7 

302.3 

8.33.7 

303.3 

8 

300.0 

853.6 

301.2 

u 


SUR  UN  CHRONOGRAPHE,  etc. 


HAUTEUR 

z 

de 

l              i 

POIDS. 

3 

chote 

correspondant  ii  la  dis- 

~  1 

o. 

jonclion. 

s 

^^^-^-^ 

3 

.2 

1 1 

c 

3 

OHSEHVATIOXS. 

1 

Ù 

M 

o 

c 

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i 

3    — 

c 

B 

1 

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1 

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1 

" 

El. 

.    1 

'" 

■^ 

U 

•w 

Pièce  »<>  35. 

mm. 

1 

bUoT'O 

83T6 

302.1 

IC 

t 

i 

500.9 

" 

» 

00 

§ 

o 

ô 

301.1 

854.  D 

301.6 

(îl 

»i 

50 

- 

4 

1 

o 

r^ 

501.3 

842.5 

293.8 

Séance  du  S9  septembre  flS63.  - 

-  Pièce  s"  S. 

j*  ' 

» 

1 

--. 

491.0 

823.8 

299.7 

çl 

00 

^ 

j 

490.7 

823.0 

298.75 

00 

03 

o 

(N 

3 

489.1 

823.2 

296.8 

lïl 

Pièce  k°  3£. 

1 

489.8 

818-7 

302.6 

2 

487.1 

818.4 

500.0 

âg 

o 

O 

3 

490.7 

827.5 

296.4 

i 

o 

i 

490.8 

827.0 

297.0 

©1 

5 

490.7 

825.1 

298.4 

NOTES. 


VÉRIFICATION  EXPÉRIMENTALE  DU  CHRONOGRAPHE. 


Afin  de  ne  laisser  aucun  don  le  sur  !a  valeur  absolue  des  résultats  fournis  par  le  chro- 
nograplie  dans  la  mesure  de  la  vitesse  d'un  projectile,  j'ai  cherché  à  vérilier  expérimen- 
talement les  indications  qu'il  donne  pour  la  mesure  du  temps.  A  cet  effet,  j'ai  contrôlé  : 

1"  Le  temps  que  marque  l'appareil  lors  de  la  disjonction  simultanée; 

2»  Celui  qu'il  marque  lors  de  la  disjonction  successive. 

Contrôle  du  disjoncteur. 

J'ai  interposé  dans  les  deux  circuits  le  disjoncteur  du  pendule  électro-balistique  de 
M.  le  major  Navez,  convenablement  réglé.  Les  deux  courants  passaient  dans  les  ûls  dis- 
posés sur  un  même  cadre-cible ,  de  façon  à  être  rompus  en  même  temps  par  le  projectile. 
Ces  deux  modes  de  disjonction  simultanée  ayant  toujours  donné  les  mêmes  hauteurs 
de  chute  que  le  disjoncteur  du  chronographe,  j'en  ai  conclu  que  la  vérilication  expéri- 
mentale de  ce  dernier  était  suffisamment  établie. 

Contrôle  du  temps  marqué  lors  de  la  disjonction  successive. 

Cette  seconde  partie  de  la  vérilication  a  été  plus  longue  et  plus  difficile.  Elle  a  exigé 
l'emploi  d'un  nouvel  appareil  que  j'appellerai  contrôleur.  Son  but  est  de  rompre,  comme 
le  projectile,  successivement  les  deux  courants,  mais  en  mettant  entre  les  deux  ruptures 
un  temps  exactement  connu.  Si  l'appareil  marque  le  même  temps,  la  vérification  en 
sera  faite. 

Description  du  contrôleur.  (PI.  IL) 

Cet  instrument  se  compose  d'un  cylindre  de  fer  doux  suspendu  à  un  électro-aimant 
double  qu'active  une  pile  spéciale.  Les  deux  barreaux  dé  l'électro-aimant  sont  con- 

TOME    XXXll.  ^ 


26  SUR  UN  CHRONOGRAPHE 

tournés  à  leur  partie  inférieure;  les  deux  pôles,  ainsi  rapprochés,  fournissent  chacun  un 
point  de  contact  au  cylindre  suspendu.  Les  deux  barreaux  isolés  sont  interposés  dans  le 
circuit  du  chronographe.  Si  l'on  rompt  le  circuit  spécial  du  contrôleur,  rallraction  ma- 
gnétique cesse  et  le  cylindre  tombe.  A  l'instant  précis  où  commence  sa  chute,  le  circuit 
du  chronomètre  sera  rompu. 

Le  cylindre,  en  tombant,  vient  frapper  la  queue  d'un  levier,  dont  la  partie  antérieure, 
par  son  contact  avec  une  broche  de  laiton,  ferme  le  circuit  du  poids.  Au  moment  où  le 
choc  a  lieu,  le  circuit  du  poids  est  donc  également  rompu. 

Si  l'on  connaît  exactement  la  distance  de  la  base  du  cylindre  suspendu  à  la  queue  du 
levier,  on  en  déduit  le  temps  exact  qui  doit  séparer  les  deux  ruptures  des  circuits,  temps 
que  doit  marquer  le  chronographe,  s'il  ne  renferme  pas  de  cause  d'erreur. 

En  faisant  un  grand  nombre  d'expériences,  où  l'action  du  projectile  était  remplacée 
par  celle  du  cylindre  tombant  de  47"'°' ,9,  le  chronographe  a  donné  des  temps  peu  varia- 
bles et  dont  la  moyenne  est  de  0",099020.  D'après  la  hauteur  de  chute  du  contrôleur,  le 
temps  qui  sépare  les  deux  ruptures  des  courants  est  de  0",09881G.  Il  y  aurait  donc  une 
différence  de  0" ,000204  en  trop  dans  le  temps  marqué  au  chronographe. 

Cette  différence,  comme  j'ai  pu  le  constater  par  des  expériences  ultérieures,  provient 
de  ce  que  le  levier  du  contrôleur,  offrant  une  certaine  masse,  son  inertie  ne  peut  pas  être 
\aincue  instantanément  par  la  force  vive  qui  anime  le  cylindre  au  moment  du  choc.  Le 
temps  0" ,000204  représente  donc  l'intervalle  qui  s'écoule  entre  l'instant  où  le  levier  est 
touché  et  c'elui  où  il  se  soulève  d'une  quantité  suffisante  pour  rompre  le  courant. 

Si  cette  proposition  est  exacte,  il  faut  que,  en  diminuant  la  force  vive  du  cylindre,  le 
temps  nécessaire  pour  vaincre  l'inertie  du  levier  augmente.  C'est,  en  effet,  ce  qui  arrive. 
J'ai  fait  une  série  d'expériences  avec  le  même  contrôleur,  muni  de  cylindres  de  plus  en 
plus  longs,  de  manière  à  diminuer  toujours  la  hauteur  de  chute  :  la  différence  entre  le 
temps  de  la  chute  et  celui  marqué  au  chronographe  a  loujours  été  en  augmentant  d'une 
façon  très-sensible. 

Si  l'on  rend  la  hauteur  de  chute  nulle,  autant  que  possible,  en  interposant  une  lamette 
de  bois  entre  la  base  du  cylindre  le  plus  long  et  la  queue  du  levier  ',  on  transforme  le 
contrôleur  en  un  véritable  disjoncteur  mécanique;  l'inertie  du  levier  se  fait  toutefois 
encore  sentir.  Disposé  de  cette  façon,  le  contrôleur  fait  marquer  au  chronographe  un 
temps  plus  grand,  en  moyenne  de  0" ,004019,  que  celui  de  la  disjonction.  Comme  der- 
nière preuve  que  ce  temps,  0",0040I9,  est  bien  celui  qu'il  faut,  dans  ce  cas, pour  sou- 
lever le  levier,  j'ai  interverti  les  courants  dans  le  contrôleur,  c'est-à-dire  que  j'ai 
interposé  l'électro-aimant  double  dans  le  circuit  du  poids,  et  le  levier  avec  son  appui 
dans  celui  du  chronomètre.  Il  faut,  dans  ce  cas,  si  l'hypothèse  est  juste,  que  le  chrono- 
graphe marque  en  moins  le  même  temps  qu'il  marquait  en  plus.  J'ai,  en  effet,  obtenu  en 
moyenne  un  temps  plus  petit  de  0", 004002  que  celui  de  la  disjonction.  La  moyenne  des 


'  L'inlpiposilion  d'une  matière  isolante  entre  le  cylindre  et  le  levier  est  nécessaire  ;  sans  cette  précaution, 
Il  point  de  contact  entre  ces  deux  pièces  fournirait  un  point  commun  dans  les  circuits  des  deux  courants. 


ÉLECTRO-BALISTIQUE.  'i7 

temps,  obtenue,  d'un  côté  en  plus,  ne  diffère  de  celle  obtenue  de  l'autre  en  moins  que 
de 0" ,000017.  On  peut  donc  les  regarder  comme  égales,  mais  de  signe  contraire. 

En  résumé,  je  crois  pouvoir  conclure  des  expériences  de  contrôle  auxquelles  le  chro- 
nographe  a  été  soumis,  que,  sauf  la  légère  erreur  possible  sur  la  disjonction ,  0 ",00052 
au  maximum,  il  marque  bien  exactement  le  temps  qui  sépare  les  deux  ruptures  des 
circuits. 

II. 

SUR  LE  MODE  d'eNREGISTREMENT. 


Dans  le  premier  appareil  que  j'ai  expérimenté  (note  III),  l'enregistrement  se  faisait 
par  l'arrêt  du  chronomètre  au  moyen  d'un  frein.  Outre  la  complication  du  mécanisme , 
cette  disposition  avait  l'inconvénient  de  dégrader  promptement  le  chronomètre  au  point 
d'action  du  frein.  C'est  pourquoi  j'ai  recherclié  le  moyen  de  faire  marquer  un  trait  ou  un 
point  sur  le  chronomètre  en  mouvement  au  lieu  de  l'arrêter. 

La  réalisation  de  ce  mode  d'enregistrement  a  présenté  des  difficultés  pratiques  assez 
sérieuses  pour  nécessiter  de  nombreux  essais.  J'entrerai,  à  ce  sujet,  dans  quelques  dé- 
tails, alin  de  justifier  la  disposition  que  j'ai  définitivement  adoptée. 

Dans  le  principe,  la  forme  du  chronomètre  a  toujours  été  prismatique  :  sur  l'une  des 
faces  était  collée  ou  fixée,  pour  recevoir  l'enregistrement,  soit  une  bande  de  papier,  de 
carton  ou  de  parchemin ,  soit  une  lamette  d'ivoire,  de  plomb  ou  d'alliage.  L'essai  d'un 
système  analogue  à  celui  du  compteur  à  pointage  de  Breguet,  consistant  à  faire  projeter 
un  point  d'encre  grasse  sur  une  lamelle  d'ivoire,  a  présenté  les  inconvénients  suivants  : 

l"  Le  temps  de  la  projection  varie  d'une  façon  très-appréciable  à  l'appareil,  selon  la 
fluidité  de  l'encre  et  la  quantité  projetée; 

2°  Le  point  est  rarement  net;  à  cause  du  mouvement  de  descente,  il  s'allonge  ou  forme 

tache. 

Ces  observations  m'ont  conduit  à  essayer  ensuite  l'action  directe  d'un  couteau  d'acier, 
destiné  à  produire  soit  un  trait  d'encre  ou  de  plombagine,  soit  une  empreinte  en  creux. 
Aucun  de  ces  moyens  n'a  complètement  réussi  :  quelle  que  soit  la  matière  employée  pour 
recevoir  l'empreinte,  il  s'y  produisait  généralement,  à  cause  du  mouvement  de  descente, 
un  arrachement  ou  plusieurs  traits. 

L'adoption  d'un  chronomètre  cylindrique  et  d'un  récepteur  en  forme  de  tube  pouvant 
glisser  à  léger  frottement  sur  le  cylindre,  a  paré  à  tous  ces  inconvénients.  Ce  tube  léger, 
n'étant  plus  solidaire  avec  le  chronomètre,  est  arrêté  un  instant  sous  l'action  du  couteau, 
tandis  que  la  masse  du  chronomètre  continue  sa  descente.  L'impression  se  fait  donc  sur 
un  corps  fi.xe  et  par  conséquent  avec  toute  la  netteté  désirable.  Cette  disposition  pro- 
cure, en  outre,  l'avantage  de  pouvoir  obtenir  plusieurs  traits  sur  le  même  cartouche,  en 
présentant  chaque  fois  au  couteau  une  nouvelle  génératrice. 


28  SUR  UN  CHRONOGRAPHE 

Des  tubes  minces,  coulés  en  alliage  de  ploaib  et  d'élain,  remplaceront  peut-être 
avantageusement  dans  la  pratique  les  cartouches  de  papier  enroulé,  dont  j'ai  fait  usage 
jusqu'à  présent. 

Ilf. 

SUR  l'emploi  des  bobines  électro-dynamiques. 


Une  bobine  électro-dynamique,  c'est-à-dire  une  bobine  creuse  formée  par  les  enrou- 
lements d'un  fd  de  cuivre  couvert,  où  l'on  fait  passer  un  courant,  a  la  propriété  d'attirer, 
suivant  son  axe,  un  cylindre  de  fer  doux.  Si  l'on  dispose  la  bobine  verticalement,  l'effet 
d'un  courant  suffisamment  fort  tiendra  le  cylindre  suspendu;  il  ne  tombera  que  si  l'on 
interrompt  le  courant.  On  admet  généralement  en  principe  que,  dans  ce  cas,  le  cylindre 
commencera  sa  chute  exactement  au  moment  de  la  rupture  du  circuit.  Par  l'emploi  de 
telles  bobines,  on  éviterait  donc  les  inconvénients  du  magnétisme  rémanent  qui  existent 
avec  les  électro-aimants,  et  l'on  s'affranchirait  des  irrégularités  amenées  par  les  fluctua- 
tions dans  l'intensité  de  la  pile. 

Guidé  par  ce  principe,  j'ai  employé  des  bobines  électro-dynamiques  dans  le  premier 
appareil  que  j'ai  fait  construire.  Sans  entrer  dans  les  détails  de  sa  description,  je  dirai 
seulement  que  la  mesure  du  temps  reposait  sur  les  mêmes  principes  que  dans  le  chrono- 
graphe  que  j'ai  décrit  et  s'y  faisait  d'une  manière  analogue. 

Les  expériences  diverses  que  j'ai  faites  avec  cet  instrument  m'ont  prouvé,  d'une  façon 
certaine,  que,  comme  pour  les  électro-aimants,  la  chute  d'un  corps,  maintenu  par  une 
bobine  électro-dynamique,  est  plus  ou  moins  rapide,  suivant  l'intensité  du  courant  qui 
activait  la  bobine.  Il  paraît  cependant,  au  premier  abord,  très-naturel  d'admettre  qu'un 
cylindre  de  fer  doux,  maintenu  directement  par  la  présence  d'un  courant  dans  les  spires 
d'un  fil  isolé,  doit  cédera  l'action  de  la  pesanteur,  à  l'instant  même  où  la  cause  qui  le 
maintenait,  c'est-à-dire  le  courant,  vient  à  cesser.  Mais,  d'un  autre  côté,  par  suite  de  la 
rupture  du  courant,  il  se  produit  dans  la  bobine  un  extra-courant;  en  second  lieu,  le 
cylindre  de  fer,  qui  se  trouvait  à  l'état  magnétique,  se  désaimante  durant  les  premiers 
instants  de  sa  chute  dans  la  bobine  et  produit,  dans  celle-ci,  un  courant  d'induction. 
Ces  deux  nouveaux  courants  ne  peuvent-ils  pas  réagir  sur  le  cylindre  pour  retarder  sa 
chute?  Leur  action,  dans  ce  cas,  sera  d'autant  plus  sensible  que  le  courant  primitif  aura 
été  plus  intense. 

IV. 

SLR  l'emploi  de  l'étincelle  d'indlction. 


L'effet  mécanique  de  l'étincelle  d'induction  au  travers  du  papier,  fournit  un  moyen 
d'enregistrement  très-précis  de  l'instant  exact  où  se  fait  la  rupture  du  circuit  inducteur. 


ÉLECTRO-BALISTIQUE.  29 

J'ai  également  applique  cette  propriété  à  un  chronograplie  basé  sur  la  chute  libre  des  corps. 

En  voici  la  description  sommaire  :  Une  règle  métallique  plate  et  divisée  porte  une 
échancrure  longitudinale  sur  laquelle  est  appliquée  une  bande  de  papier;  la  règle  est 
suspendue  à  un  électro-aimant  dont  le  circuit  passe  devant  la  bouche  à  feu.  Le  pro- 
jectile, rompant  ce  circuit,  la  règle  tombe;  durant  toute  la  chute ,  la  bande  de  papier  se 
meut  entre  deux  pointes  établies  sur  le  pied  de  l'appareil  et  auxquelles  aboutissent  les 
extrémités  du  circuit  inducteur.  Le  projectile  arrive  à  un  premier  cadre-cible,  alors  que 
la  règle  est  déjà  animée  d'une  certaine  vitesse  de  chute.  La  rupture  du  circuit  inducteur, 
(]ui  passe  sur  les  lils  du  cadre,  donne  naissance  au  courant  d'induction  qui,  par  sa  ten- 
sion, franchit  la  solution  laissée  entre  les  deux  pointes.  Le  passage  de  ce  courant  instan- 
tané produit  une  étincelle  capable  de  percer  la  bande  de  papier  et  d'y  laisser  une  trace 
très-nette.  A  cause  de  la  rapidité  de  ce  phénomène,  le  mouvement  de  la  règle  ne  peut 
en  être  troublé. 

La  rupture  d'un  second  cadre  par  le  projectile  est  marquée  par  une  seconde  trace 
d'étincelle.  Si  l'on  mesure  la  distance  de  ces  deux  traces  à  l'origine,  c'est-à-dire  au  point 
où  passerait  l'étincelle,  la  règle  éUint  suspendue,  on  obtient  deux  hauteurs  de  chute 
H  et  H'  correspondant  à  ses  temps  T  et  T'. 

T  etT'  représentent  respectivement  le  temps  qui  s'est  écoulé  depuis  l'instant  où  la 
règle  s'est  mise'en  mouvement  jusqu'à  celui  où  le  projectile  a  atteint  le  premier,  puis 
le  second  cadre.  T'— T  sera  donc  exactement  le  temps  du  passage  du  projectile  entre  les 
deux  cadres.  En  disposant  plusieurs  cadres  les  uns  à  la  suite  des  autres,  on  peut,  au 
moyen  d'un  même  appareil,  obtenir  la  vitesse  d'un  projectile  en  plusieurs  points  rap- 
prochés de  sa  trajectoire. 

Il  est  à  remarquer  que  l'étincelle  jaillissant  entre  deux  pointes,  son  trajet  est  déter- 
miné et  doit  être  beaucoup  moins  sujet  aux  déviations  que  dans  le  cas  d'une  étincelle 
jaillissant  entre  une  pointe  et  une  surface.  Je  n'entrerai  pas  ici  dans  plus  de  détails  sur 
l'étude  de  cet  appareil,  ni  sur  les  moyens  que  j'ai  employés  pour  éviter  l'emploi  de  plu- 
sieurs bobines  de  Rhumkorff.  Je  continue  à  m'en  occuper,  et  je  crois  pouvoir  dire  que  la 
difficulté  pratique  que  l'on  rencontre  dans  la  production  de  l'étincelle,  lorsque  le  circuit 
inducteur  est  un  peu  long,  rend  seule  son  maniement  diflicile;  quant  à  l'exactitude  des 
résultats,  je  pense  qu'on  pourrait  presque  la  regarder  comme  mathématique. 

Pour  restreindre  le  développement  du  circuit  inducteur,  on  peut,  il  est  vrai,  éviter  de 
le  faire  presser  sur  les  cadres,  en  produisant  sa  rupture,  par  suite  de  celle  d'un  courant 
secondaire  qui,  lui,  passe  sur  les  cadres  et  tient,  par  une  combinaison  d'électro-aimants 
le  circuit  inducteur  fermé.  Mais,  dans  ce  cas,  à  cause  de  la  non-instantanéité  de  désai- 
mantation, de  l'inertie  et  de  l'adhérence  des  pièces  en  contact,  il  est  bien  difficile  d'ad- 
mettre la  concordance  exacte  de  l'instant  de  la  production  de  l'étincelle  avec  celui  du 
()assage  du  projectile  dans  le  cadre-cible. 

Polygone  de  Brasschaet,  le  25  novembre  1863. 


30 


SUR  UN  CHROtSOGRAPHE 


TABLE 

DES  TEMPS  CORRESPONDANTS  AUX  HAUTEURS  DE  CHUTE,  DEPUIS   1"""  JUSQUE  lOOO"!™. 

(Valeur  de  3  =  g-jSlOô.) 


HAUTEUR 

TEMPS 

^ 

BACTBUR 

TKUPS 

BAUTEOa 

TEMPS 

de 

COBBESPOaDABTS. 

DIFFÉRENCES. 

Je 

COBRESPOSDAHTS. 

DIFFÉRENCES. 

de 

COBBESPD^lDà^TS. 

DIFFÉRENCES. 

chute. 

chute. 

1 

0",0 142779 

0",0059140 

30 

0",0782030 

0",00 12926 

59 

0",109670 

0",000926 

2 

0201919 

45380 

51 

0794936 

12721 

60 

110390 

918 

ô 

0247299 

38258 

52 

0807677 

12322 

61 

111514 

910 

4 

0283537 

53703 

33 

0820199 

12535 

62 

112424 

903 

5 

0519262 

30472 

34 

0852334 

12153 

65 

115527 

896 

6 

0549734 

28022 

53 

0844689 

11972 

64 

114225 

889 

7 

0377736 

26083 

36 

0836671 

11816 

65 

113112 

882 

8 

0405859 

24496 

37 

0868487 

11659 

06 

115994 

873 

0 

0428335 

25170 

38 

0880146 

11503 

67 

116869 

869 

10 

0451305 

21958 

39 

0891631 

11360 

68 

117738 

863 

11 

0473343 

21056 

40 

0903011 

11217 

69 

118601 

856 

12 

0494399 

20196 

41 

0914228 

11083 

70 

119473 

850 

15 

0514793 

19453 

42 

0925311 

10950 

71 

120307 

845 

14 

0534228 

18750 

4ô 

0936261 

10824 

72 

121152 

838 

15 

0532978 

18136 

44 

0947085 

10702 

73 

121990 

833 

16 

0371114 

17578 

43 

0937787 

10384 

74 

122825 

826 

17 

0588692 

17066 

46 

0908571 

10469 

73 

125649 

82g 

18 

0605738 

47 

0978840 

70 

124471 

16599 

10358 

817 

19 

0622337 

16168 

48 

0989198 

10231 

77 

125288 

811 

20 

0658323 

15768 

49 

0999449 

10250 

78 

126278 

805 

21 

0634293 

15398 

30 

1009590 

10050 

79 

126904 

801 

22 

0669691 

15031 

51 

1019040 

09950 

80 

127703 

796 

23 

0684742 

14727 

52 

1029390 

09850 

81 

128301 

790 

24 

0699469 

14424 

55 

103944 

976 

82 

129291 

786 

25 

0713893 

14137 

54 

104920 

967 

83 

130087 

782 

26 

0728030 

13860 

55 

103887 

939 

84 

130839 

776 

27 

0741899 

15614 

56 

106846 

949 

85 

131655 

772 

28 

0733515 

15373 

57 

107795 

942 

86 

152407 

768 

29 

0768886 

13144 

58 

108757 

933 

87 

153175 

763 

ÉLECTRO-BALISTIQUE. 


31 


HiOTEDR 

TEIIP8 

HICTEUR 

TEMPS 

HACTEDB 

teups 

de 

COnttESPONDinTS. 

DIFFÉRENCES. 

de 

CORRESPOnDiNTS. 

DIFFÉRENCES. 

de 

CORBESPOSDAUTS. 

DIFFÉRENCES. 

chute. 

1 

Chute. 

chute. 

«8 

0",1339ô8 

0",000759 

124 

0",1 38991 

0'',000040 

100 

0",1 80002 

0  ",000303 

8>J 

134C97 

733 

123 

159631 

038 

101 

181165 

502 

!)0 

135452 

750 

126 

160296 

034 

102 

181727 

560 

91 

1ÔG202 

740 

127 

160903 

632 

163 

182287 

558 

92 

136948 

743 

128 

161333 

030 

164 

182840 

336 

93 

137691 

129 

162105 

165 

183402 

738 

027 

534 

94 

138429 

734 

130 

102792 

0:23 

106 

1 83957 

354 

9'i 

139163 

731 

131 

103417 

022 

167 

184311 

331 

9f) 

139894 

727 

132 

104039 

621 

108 

185062 

550 

97 

140021 

723 

lôô 

164600 

018 

109 

183612 

548 

98 

141344 

719 

134 

1 65278 

616 

170 

180100 

547 

99 

142003 

715 

133 

105894 

613 

171 

180707 

345 

100 

142778 

713 

136 

100307 

611 

172 

187252 

344 

101 

143491 

708 

137 

167118 

609 

173 

187796 

542 

102 

144199 

138 

167727 

174 

188338 

705 

000 

540 

103 

144904 

702 

139 

168334 

004 

173 

188878 

539 

104 

145606 

090 

140 

168938 

602 

176 

189417 

538 

105 

1 46303 

694 

141 

169340 

600 

177 

189955 

330 

106 

146999 

692 

142 

170140 

598 

178 

190491 

■533 

107 

147091 

088 

143 

170738 

396 

179 

191024 

553 

108 

148579 

C86 

144 

171354 

594 

180 

191557 

532 

109 

149063 

082 

143 

171928 

391 

181 

192089 

330 

110 

149747 

679 

140 

172519 

390 

182 

192619 

528 

111 

130426 

077 

147 

173109 

588 

183 

195147 

527 

112 

151103 

148 

173697 

184 

193674 

073 

385 

525 

113 

131776 

670 

149 

174282 

585 

185 

194199 

525 

114 

152446 

667 

150 

174867 

382 

186 

194724 

525 

115 

133113 

004 

151 

173449 

580 

187 

195247 

325 

IIG 

133777 

661 

152 

170029 

578 

188 

195768 

520 

117 

1344Ô8 

659 

153 

176607 

370 

180 

196288 

519 

118 

153097 

656 

154 

177183 

574 

190 

196807 

517 

119 

155753 

032 

135 

177737 

373 

191 

197324 

513 

120 

156406 

630 

156 

1703.50 

571 

192 

197839 

515 

121 

157056 

157 

178901 

193 

198354 

048 

508 

513 

122 

137704 

045 

138 

179469 

568 

194 

■  198807 

512 

123 

138349 

139 

180057 

193 

199379 

642 

563 

310 

32 


SUR  UN  CHKONOGRAPHE 


HAUTeUB 

TEUPS 

HAtTEL'B 

TEUPS 

BiUTEUa 

TEHP8 

de 

COBRESPOPOAHTS. 

DIFFÉRENCES 

de 

coaaEsponiiAnTS. 

DIFFÉRENCES. 

de 

coanEsposD\aTS. 

DIFFÉRENCES. 

chute. 

cbnte. 

cbute. 

196 

0",1 09889 

232 

0",217474 

208 

0",23ô758 

197 

200599 

0",00Oj10 

253 

217942 

0",000468 

269 

234174 

0",000450 

198 

200907 

508 

234 

218409 

469 

270 

234699 

455 

199 

201414 

507 

235 

218875 

466 

271 

233043 

454 

200 

201919 

505 
504 

230 

117341 

466 
464 

272 

235476 

455 
433 

201 

20342Ô 

237 

219805 

273 

235909 

202 

202926 

505 

238 

220208 

463 

274 

236340 

4?1 

205 

203123 

202 

259 

220750 

462 

275 

256771 

431 

904 

203938 

300 

240 

221192 

462 

276 

257201 

430 

205 

204428 

500 

241 

221052 

460 

277 

257631 

4-30 

200 

204926 

49« 

242 

222111 

459 

278 

238059 

428 

207 

203422 

496 

245 

222569 

458 

279 

238487 

328 

208 

203918 

496 

244 

223027 

458 

280 

238914 

427 

209 

206412 

494 

243 

225484 

457 

281 

239340 

426 

210 
211 

20690G 
207398 

494 
492 
491 

246 
247 

223939 
224594 

455 
453 

454 

282 
283 

239766 
240191 

426 
425 
424 

212 

207889 

248 

224848 

284 

240615 

479 

453 

423 

215 

2!)737S 

249 

225301 

285 

24)038 

214 

208867 

489 
488 

230 

225735 

452 
451 

286 

241460 

422 

422 

213' 

206353 

251 

226204 

287 

241882 

486 

450 

421 

216 

20984] 

252 

220634 

288 

242303 

217 

210320 

485 

253 

227102 

449 

289 

242723 

420 

218 

210810 

484 

254 

227552 

449 

290 

243143 

420 

219 

211293 

483 
482 

253 

227999 

447 
447 

291 

243562 

419 
4I8 

2'20 

'211773 

480 

256 

228446 

445 

292 

243980 

417 

221 

212255 

257 

22S891 

295 

244597 

222 

212735 

480 

258 

259336 

443 

294 

244814 

417 

223 

213214 

479 

239 

329780 

444 

293 

243220 

416 

224 

213691 

477 

260 

230223 

443 

296 

243645 

413 

225 

214168 

477 

261 

230665 

443 

297 

246060 

415 

226 

214642 

475 

262 

251107 

441 

298 

240474 

414 

227 

215117 

474 

263 

231558 

441 

299 

246887 

413 

228 

215501 

474 
472 

264 

231988 

440 
459 

300 

247299 

412 
412 

229 

216063 

265 

202427 

SOI 

247711 

230 

216534 

471 

266 

233863 

438 

302 

248122 

411 

231 

217005 

471 
469 

267 

233302 

457 
436 

303 

248335 

411 
410 

ÉLECTRO-BALISTIQUE. 


33 


B&UTEUR 

TEMPS 

amxEUH 

TEMPS 

HiUTEUa 

TEMPS 

d^ 

coaRE£Po:iDA;iTs. 

DIFF£RE^'CE$ 

de 

ConRESPO?lDAIITS. 

DIFFÉRENCES. 

de 

COBBESPOSOAUTS. 

DIFFÉRENCES. 

cbute. 

chute. 

chace. 

Ô04 

0',248943 

0"  ,000409 

340 

1 

0",2632-0 

0",000587 

376 

0",270838 

0",000508 

305 

249352 

408 

341 

263057 

587 

377 

277220 

307 

306 

2497C0 

408 

342 

264044 

585 

378 

277593 

307 

507 

250108 

407 

343 

204429 

585 

379 

277960 

367 

308 

250575 

407 

344 

204814 

585 

380 

278327 

366 

309 

250982 

343 

203194 

581 

278695 

* 

405 

384 

565 

310 

951387 

403 

346 

203583 

584 

382 

279058 

505 

31 1 

251792 

405 

347 

263907 

385 

585 

279423 

365 

312 

252197 

404 

348 

200350 

382 

384 

279788 

364 

313 

252C01 

403 

349 

200752 

382 

383 

280152 

565 

51'i 

253004 

403 

350 

207114 

581 

386 

280313 

363 

315 

253407 

401 

351 

267495 

381 

387 

280878 

303 

310 

253808 

401 

332 

207870 

380 

588 

281241 

362 

317 

254209 

401 

355 

208230 

380 

589 

281603 

362 

318 

254070 

400 

334 

208030 

579 

590 

281963 

501 

319 

255010 

3U9 

355 

269015 

579 

391 

282326 

361 

320 

255409 

399 

550 

209394 

578 

592 

282687 

500 

321 

255808 

399 

357 

209772 

577 

395 

283047 

300 

3-32 

230207 

397 

358 

270149 

577 

594 

283407 

500 

323 

256004 

359 

270320 

595 

285707 

397 

377 

359 

324 

257001 

397 

500 

270903 

370 

596 

284120 

558 

325 

257598 

395 

301 

271279 

370 

397 

284484 

358 

33G 

257793 

393 

302 

271035 

375 

598 

284842 

358 

327 

258188 

395 

303 

272030 

374 

599 

285200 

557 

328 

258585 

394 

504 

272404 

574 

400 

283557 

557 

329 

238977 

393 

505 

272778 

573 

401 

285914 

•  330 

350 

259370 

393 

566 

273151 

375 

402 

280270 

550 

331 

239703 

392 

367 

275524 

573 

403 

280026 

553 

332 

200155 

391 

368 

273897 

372 

404 

286981 

553 

353 

260346 

39! 

369 

274209 

571 

405 

287336 

553 

334 

200937 

391 

570 

274040 

571 

406 

287091 

534 

335 

201328 

389 

371 

275011 

570 

407 

288045 

334 

33e 

201717 

389 

372 

273581 

570 

408 

288599 

333 

337 

262106 

575 

273751 

409 

288752 

389 

309 

333 

338 

202495 

388 

574 

270120 

569 

410 

289105 

552 

339 

202883 

387 

375 

270489 

369 

411 

289437 

552 

Tome  XXXII. 


34 


SUR  m  CHROWOGRAPHE 


HACTEDB 

TEMPS 

HÀUTBUa 

TEMPS 

HADTEUB 

TEMPS 

de 

C0ttRESPUKDAA~T3. 

DIFFÉRENCES. 

àe 

COHHESPONDAHTS, 

DIFFÉREXCES. 

de 

CORIIESPO>D4IITS. 

DIFFÉRENCES. 

chute. 

chute. 

chute. 

412 

0",289809 

0",000332 

448 

0",302203 

0",000337 

484 

0",314115 

0",000524 

413 

290161 

531 

449 

302342 

357 

483 

214457 

524 

414 

290512 

330 

430 

302879 

356 

486 

514701 

524 

415 

290862 

330 

451 

505213 

336 

487 

515083 

323 

410 

291212 

330 

452 

303551 

556 

488 

313408 

325 

417 

291562 

349 

453 

305887 

555 

489 

315751 

323 

418 

291911 

454 

504222 

490 

310054 

4I'J 

292260 

349 
349 

455 

304357 

535 
534 

491 

310376 

522 
322 

420 

292609 

348 

456 

504891 

334 

492 

316698 

322 

421 

292957 

348 

457 

303223 

334 

493 

317020 

521 

422 

293305 

347 

458 

303339 

1 

534 

494 

3 1 754 1 

521 

423 

295652 

347 

459 

503893 

333 

495 

317602 

321 

424 

293909 

347 

460 

300220 

553 

496 

317985 

320 

423 

294546 

346 

461 

306559 

532 

497 

318303 

320 

426 

294692 

345 

462 

306891 

352 

498 

318023 

320 

427 

293037 

•543 

463 

307223 

332 

499 

518943 

319 

428 

295382 

345 

464 

507555 

351 

300 

319262 

519 

429 

293727 

345 

463 

307886 

331 

501 

319581 

319 

430 

296072 

344 

466 

508217 

330 

502 

319900 

319 

431 

296416 

344 

467 

508547 

330 

303 

320219 

318 

432 

296760 

345 

468 

308877 

330 

504 

320337 

318 

433 

297103 

543 

469 

309207 

330 

505 

320855 

317 

434 

297446 

342 

470 

509337 

529 

506 

321173 

317 

433 

297788 

542 

471 

30986G 

529 

507 

321489 

317 

436 

298130 

542 

472 

310195 

338 

308 

321806 

517 

437 

298472 

341 

473 

510525 

328 

509 

322125 

510 

438 

298815 

341 

474 

310851 

328 

510 

522439 

516 

459 

299134 

341 

473 

311179 

327 

311 

922735 

510 

440 

299493 

540 

476 

511506 

327 

512 

323071 

315 

441 

299833 

340 

477 

311853 

327 

513 

323586 

315 

442 

300175 

339 

478 

5I2I60 

326 

514 

323701 

513 

443 

300514 

339 

479 

5124«6 

3-26 

515 

324016 

313 

444 

300833 

539 

480 

312812 

526 

516 

524351 

514 

445 

301192 

538 

481 

313158 

523 

517 

324045 

.514 

446 

301530 

338 

482 

515405 

525 

518 

324939 

313 

447 

1 

301868 

337 

483 

313788 

525 

519 

525272 

313 

ÉLECTRO-BALISTIQUE. 


35 


BAUTEUE 

TEHPS 

UITEtlB 

TEMPS 

BAUTEta 

TEUPS 

de 

CORRESPO^OASTS. 

DIFFÉRENCES. 

de 

CQBflESPOîlDlBTS. 

DIFFÉRENCES. 

de 

COHBESPOilDASTS. 

DIFFÉRENCES. 

cbale. 

chDte. 

- 

chute. 

520 

0",323585 

0'000,313 

336 

0",ÔÔ6667 

0",000303 

392 

0",547393 

0",000,295 

521 

325898 

313 

537 

536970 

302 

595 

347088 

295 

522 

326211 

312 

558 

537272 

302 

594 

347981 

293 

523 

326523 

312 

559 

337374 

.302 

595 

348274 

293 

324 

326835 

312 

560 

337876 

302 

596 

348567 

292 

525 

327147 

311 

501 

338178 

501 

397 

348839 

292 

526 

327458 

562 

338479 

398 

349151 

527 

327769 

311 

503 

558780 

301 

399 

349443 

292 

528 

328079 

311 

364 

339081 

301 

600 

5497.55 

292 

529 

328390 

311 

565 

339381 

■300 

601 

530026 

291 

3Ô0 

328701 

311 

560 

339081 

300 

602 

330317 

291 

331 

Ô29011 

310 

507 

339981 

300 

603 

330608 

291 

532 

329321 

510 

368 

340280 

300 

604 

350899 

291 

533 

329629 

509 
309 

369 

340581 

300 

299 

605 

331189 

290 
290 

534 

339938 

309 

570 

340880 

299 

006 

331479 

290 

535 

3Ô0247 

309 

57) 

341179 

298 

607 

551709 

290 

536 

ÔÔ0556 

572 

341477 

608 

332039 

537 

350864 

308 
308 

573 

341775 

298 
298 

609 

552348 

289 

289 

538 

331 172 

ô07 

574 

342073 

298 

610 

352637 

289 

539 

531479 

307 

375 

342371 

298 

611 

352926 

289 

340 

331786 

507 

370 

342669 

297 

612 

533215 

288 

541 

332093 

307 

577 

342966 

297 

613 

35-3303 

288 

542 

352400 

307 

578 

345263 

297 

614 

333791 

288 

543 

3-2707 

307 

579 

343500 

297 

015 

354079 

288 

544 

355014 

306 

580 

343837 

296 

616 

334367 

288 

545 

333320 

306 

581 

344133 

296 

617 

334653 

287 

346 

353626 

303 

382 

344449 

296 

618 

334942 

287 

547 

333931 

305 

585 

344743 

293 

619 

335229 

287 

548 

334236 

305 

584 

345040 

293 

620 

355516 

287 

349 

334541 

304 

383 

345335 

295 

621 

333803 

280 

530 

334845 

304 

586 

543630 

295 

622 

336089 

286 

351 

353149 

304 

587 

345923 

295 

623 

356373 

286 

552 

333433 

304 

388 

340220 

294 

624 

350661 

286 

333 

335757 

304 

389 

346314 

294 

623 

356947 

283 

554 

-36061 

303 

390 

346808 

294 

626 

557232 

285 

353 

336364 

303 

591 

347102 

293 

027 

357317 

283 

36 


SUR  UN  CHRONOGRAPHE 


HAUTEta 

TKUPS 

HAUTEUR 

TKMPS 

• 

HAtTEDR 

TEMPS 

■lii 

CORRESPONDADTS. 

DirFÉRENCES. 

de 

CORRESPONDABTS 

DIFrKUEXCES. 

de 

C0RRESP0SDABT9 

DIFFERENCES. 

cbute. 

Chute. 

chute. 

028 

0",357802 

0",000283 

004 

0",3079I5 

O'',000277 

700 

0",577736 

0',000270 

f.29 

358087 

665 

308192 

1 

701 

378026 

285 

277   i 

270 

fiôO 

558372 

284 

660 

308409  1 

276   ! 

702 

378290 

270 

051 

338030 

067 

368743 

703 

578566 

284 

276 

269 

652 

338940 

608 

309021 

704 

378835 

035 

339224 

284 
283 

609 

309297 

276 

270 

703 

379104 

-209 
269 

634 

339307 

670 

309373 

706 

579373 

283 

276 

269 

055 

359790 

071 

309849 

707 

37U64) 

285 

276 

268 

030 

500075 

672 

370123 

708 

379909 

057 

500550 

283 

073 

370400 

275 

709 

380177 

268 

058 

500039 

283 
285 

074 

370673 

275 
275 

710 

380445 

268 
268 

63'J 

360922 

673 

370930 

711 

380713 

640 

361205 

285 
282 

076 

371225 

275 
274 

712 

380981 

268 
267 

641 

361487 

677 

371499 

713 

381248 

04-.' 

301709 

282 
282 

678 

371773 

274 

274 

714 

581313 

267 

207 

643 

30203! 

281 

679 

372047 

274 

713 

381782 

207 

644 

302532 

281 

680 

372321 

274 

716 

382049 

267 

643 

302015 

281 

681 

372593 

273 

717 

382316 

267 

646 

302894 

682 

372808 

718 

382383 

281 

273 

207 

647 

565173 

280 

683 

373141 

275 

719 

582849 

266 

648 

563433 

684 

375414 

720 

383115 

280 

275 

266 

649 

363735 

083 

373687 

721 

383381 

280 

273 

206 

650 

364013 

280 

680 

373900 

273 

722 

385647 

266 

631 

364295 

280 

687 

374235 

272 

723 

385915 

265 

652 

304575 

280 

088 

374303 

272 

724 

584178 

263 

653 

564833 

279 

689 

374777 

272 

725 

584445 

265 

654 

365134 

279 

090 

373049 

272 

726 

484708 

263 

635 

363413 

091 

373521 

727 

384973 

656 

365692 

279 

278 

692 

373392 

271 
271 

728 

585238 

265 
264 

037 

365970 

278 

693 

375803 

271 

729 

383502 

264 

038 

360248 

278 

694 

376154 

271 

730 

385706 

204 

059 

506326 

278 

695 

376403 

271 

731 

386050 

264 

660 

300804 

278 

696 

370676 

270 

732 

386294 

264 

001 

307082 

278 

697 

376946 

270 

733 

386538 

264 

662 

367300 

278 

698 

377216 

270 

734 

586822 

263 

063 

307C38 

277 

699 

377486 

270 

735 

587083 

263 

ÉLECTRO-BALISTIQUE. 


57 


aiUTEUE 

TEUPS 

HAUTEtI 

TEMPS 

HiUTBUE 

TEHPM 

lie 
chute. 

CÛBHESPONDABTS. 

DIFFÉRENCES 

de 
chute. 

(.OnBÎSPOÎIDASTS 

DIFFÉRENCES. 

lie 
chute. 

CoARESpo^lOAnTS. 

DIFFÉRENCES. 

730 

0",387348 

772 

0"  ,536708 

808 

0",403853 

737 

38701 1 

0",000263 

773 

396965 

0",000257 

809 

400104 

0",000251 

738 

387874 

263 

774 

397222 

257 

810 

40635.5 

231 

739 

388157 

203 

775 

597479 

257 

811 

400600 

231 

740 

388400 

263 

776 

397735 

256 

812 

4008.>)6 

251 

741 

388662 

262 

777 

397991 

256 

813 

407106 

250 

742 

388924 

262 

778 

598-247 

256 

814 

407556 

250 

743 

ÔS9186 

262 

779 

398503 

256 

815 

407006 

230 

744 

389448 

262 

780 

398739 

256 

816 

407836 

250 

745 

389710 

262 

781 

399014 

253 

817 

408106 

250 

740 

389972 

262 

782 

399269 

253 

818 

408336 

250 

747 

390233 

261 

785 

599524 

235 

819 

408600 

250 

748 

390494 

261 

784 

399779 

255 

820 

408833 

249 

749 

390755 

261 

785 

400034 

255 

821 

409104 

249 

750 

391015 

260 

780 

400289 

255 

822 

409555 

249 

751 

391275 

260 

787 

400344 

253 

823 

409602 

Î49 

752 

391535 

260 

788 

400798 

254 

824 

40985) 

249 

753 

391795 

260 

789 

401052 

254 

823 

410100 

249 

754 

392055 

260 

790 

401306 

254 

826 

410340 

249 

755 

392315 

260 

791 

401300 

254 

827 

410597 

248 

756 

392S75 

260 
260 

792 

401814 

254 
254 

828 

410845 

248 

248 

757 

392835 

260 

793 

402068 

234 

829 

411093 

248 

758 

593095 

259 

794 

402322 

253 

830 

411-341 

759 

593354 

795 

402575 

831 

411589 

248 

259 

253 

247 

760 

393613 

259 

796 

402828 

253 

832 

411836 

247 

761 

393872 

797 

403081 

833 

412083 

259 

253 

247 

"02 

394151 

259 

798 

405554 

252 

834 

412330 

247 

763 

594390 

258 

799 

403586 

252 

833 

412377 

24" 

764 

594648 

258 

800 

405838 

252 

836 

412824 

247 

765 

394906 

258 

801 

404090 

252 

837 

413071 

247 

766 

395164 

•258 

802 

404342 

252 

838 

413318 

247 

767 

395422 

258 

803 

404394 

252 

839 

413365 

246 

768 

395680 

257 

804 

404840 

252 

840 

413811 

246 

709 

395937 

257 

805 

405098 

252 

841 

414037 

246 

770 

396194 

257 

806 

403350 

252 

842 

414303 

246 

771 

396431 

257 

807 

405602 

251 

843 

414349 

240   j 

38 


SUR  UN  CHRONOGRAPHE 


u  AIT  F.  un 

TeMl>M 

1 

HAUTEUR 

TESIPS 

BAUTEL-n 

TEMPS 

,i..- 

connFsplllDA^TS. 

DIFFERENCES 

de 

lOnnESPOSDASTS. 

DIFFÉRENCES. 

de 

CORnESPO>DA:>TS. 

DIFFÉRE.NCES. 

chute. 

cbDte. 

chufe. 

i 

844 

0",4147'J5 

0",000240 

880 

0",423549 

0",00024l 

910 

0",4521-2G 

0",000250 

«4.1 

415041 

240 

881 

425790 

241 

917 

45-2502 

230 

840 

415287 

882 

424031 

918 

452398 

847 

415553 

245 

883 

424271 

240 

919 

452833 

233 

848 

415777 

243 

884 

424511 

240 

920 

433008 

233 

8i'J 

416022 

243 

883 

424731 

240 

921 

433503 

253 

830 

410207 

243 

886 

424991 

240 

922 

433338 

253 

831 

416312 

243 

887 

425231 

240 

925 

435773 

235 

8S2 

416757 

245 

888 

4-25471 

240 

924 

454008 

235 

835 

417001 

244 

889 

423710 

259 

923 

454245 

233 

834 

417243 

244 
244 

890 

425949 

259 
-^39 

920 

434478 

235 
255 

833 

4174S9 

891 

4-26188 

— *jj/ 

9-27 

454713 

830 

417733 

244 

892 

4-20,27 

239 

928 

434948 

25. T 

837 

417077 

244 

893 

4-26006 

239 

929 

433182 

234 

858 

4182-21 

244 

894 

426905 

239 

930 

455416 

234 

830 

418405 

244 

893 

427134 

239 

931 

435630 

254 

800 

418709 

244 
243 

890 

427583 

239 

932 

433884 

254 

861 

418952 

897 

4-27621 

238 

935 

430118 

254 

86-2 

419195 

243 

898 

4-27839 

238 

934 

450332 

234 

865 

419438 

243 

899 

428097 

238 

935 

436585 

255 

864 

419681 

243 

900 

428333 

258 

936 

430818 

233 

863 

419924 

243 

901 

4-28373 

258 

937 

436031 

233 

800 

420167 

243 

902 

428811 

258 

938 

437284 

233 

807 

420410 

243 
242 

903 

429049 

-258 

939 

437317 

233 

235 

808 

420632 

904 

420286 

237 

940 

457730 

800 

420894 

242 

905 

4295-23 

257 

941 

437983 

255 

870 
871 

421156 
421378 

242 
242 

900 
907 

4-29700 
4-29997 

237 
237 

942 
943 

4.38210  • 
438449 

253 
233 

872 
873 
874 

421020 
421802 
422103 

242 
242 
241 
241 

908 
909 
910 

450254 
450471 
450708 

237 
237 
237 
237 

944 
945 
946 

438681 
458913 
439143 

252 
232 
232 
232 

875 

422344 

911 

450945 

947 

439577 

870 

422385 

241 

912 

431182 

257 

948 

459009 

232 

877 

423820 

241 

913 

451418 

236 

949 

459841 

232 

878 

425067 

241 
241 

914 

431054 

236 

930 

440075 

232 

879 

425308 

915 

451890 

236 

931 

440503 

232 

341 

236 

251 

ÉLECTRO-BALISTIQUE. 


39 


952 
955 
954 
955 
956 
937 
958 
959 
960 
961 
962 
963 
964 
965 
966 
967 
968 


OnnESPOKDANTS. 


0",4.i0336 
440767 
440998 
441229 
441460 
441691 
441922 
442153 
442Ô8Ô 
442613 
44284Ô 
443073 
443303 
443533 
443763 
443993 
444323 


DIFFERENCES. 


O",000231 
231 
231 
231 
231 
231 
231 
230 
230 
230 
230 
230 
230 
230 
230 
230 
229 


HAUTECH 

de 
cbate. 


TEMPS 

t 
COaBESmsDAflTS. 


DIFFERENCES. 


969 
970 

971 
972 
973 
974 
073 
976 
977 
978 
979 
980 
981 
982 
983 
984 


0",444432 
444681 
444910 
445139 
445368 
443397 
443826 
446055 
446283 
44651 1 
446739 
446967 
447193 
447423 
447651 
447879 


"000,229 
229 
929 
229 
229 
229 
229 
228 
228 
228 
228 
228 
228 
228 
228 
227 


FIN. 


COHIIESPO!<DA]<T£. 


983 
986 
987 
988 
989 
990 
991 
992 
993 
994 
995 
996 
997 
998 
999 
1000 


0",448106 
448333 
348560 
448787 
449014 
449241 
449468 
449693 
449922 
430149 
430373 
430601 
430827 
431033 
431279 
431305 


DIFFERENCES. 


l",000227 

227 
227 
227 
227 
227 
227 
227 
227 
226 
226 
296 
226 
226 
226 


AiXldâitiie-    Tvoale-  de^  -Bdût^ue  . 


J/iv/ifWtv  e/^j-  satHuUs  cùu»t/a\v ,  /.  -,K.^SZ\'J[ ■ 


(Mu'oiioo'raplu'    cK^clro  -  bahsliquc 


Prou'dui/i    /iiù-nil^  . 


JCié^'ilho/i  . 


<^t>afi€  <LiJt^'  /^  ^uvMiiiuù-e  . 


M 


■■/ 


i-y 


A 


tu/  tlur>:é  f/u  tJi/'tr/u'fii^ÙY 


Uixmi  i/n'iv-jc  f/ii  i///\"M'i/^Y 


ti/'Ctul  t/iy-ix/  c/a.  fitfi,/s. 


ûrauJ  uu/c/Md  i/u.  pift*:/s  ■ 


S  Coadit£'l£Ui'  C0HUIUUI  fées 
cireuii-f  Uuvtis  fl  i/it'rv-jrfj- 


^ 


.-^         .  ^, 


B 


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V 


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o  m\ 


w 


''O  M  o^ 


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.^--  ■^'  .,      .^:' 


Cl'U/i/t:    A  B 


f  1,1  IJmUc,i,j^    ,à-ss 


^tiip.  Sunt'riaa.  àj  7èt/ocii . 


jiikuù^iic   /•i.'uu/e    d.-  JJl•/^^u/u4.•  - 


^fâiwirt-s-  f^'-s  ,i,if/ii/Us  êù'tw^f/s.    /.  A\XXII . 


Contrôleur. 


Uj-aad.  tùc  ûi-i.,^ 


du^  c/f^"-"'" 


CvUftl^i    spr.:taZ 


PI.  2. 


-/?  J.C' ^ouUjiaè'.   c/cs 


///If.  Sàiioruui^if  yhotvy . 


RECHERCHES 


SUR 


LA  CAPILLARITÉ, 


M.   E.    BEDE, 

PROFESSEUR   EXTRAORDINAIRE    A    l'UNIVERSITÉ    DE    LIEGE. 


iMcnioire  présenté  à  l'AcaiicmLe ,  le  5  juillet  1862.) 


Tome  XXXII. 


RECHERCHES 


LA   CAPILLARITÉ. 


I. 

f:QUILlBRE  D'UNE  GOUTTE  ENTRE  DEUX  PLANS  INCLINÉS 
L'UN  SUR  L'AUTRE. 


Si  entre  deux  plans  ayant  un  bord  horizontal  et  commun,  et  faisant  entre 
eux  un  très-petit  angle,  on  introduit  une  goutte  d'huile  d'orange  ou  d'alcool, 
ou  de  tout  autre  liquide  s'étendant  facilement  sur  le  verre,  cette  goutte  tend 
aussitôt  à  se  diriger  vers  le  sommet  de  l'angle ,  et  si  aucune  force  ne  s'y  op- 
pose, elle  s'y  précipite  d'un  mouvement  accéléré.  On  peut  l'en  empêcher  en 
soulevant  les  deux  plans  jusqu'à  ce  que  le  poids  de  la  goutte  donne  une  com- 
posante capable  de  faire  équilibre  à  la  force  qui  la  sollicite  vers  le  haut  des 
plans. 

En  imaginant  un  plan  qui  partage  en  deux  parties  égales  l'angle  dièdre 
des  deux  plans,  et  appelant  v  l'angle  de  ce  plan  intermédiaire  avec  un  plan 
horizontal,  on  doit,  d'après  Laplace  et  Poisson,  avoir  : 


Sin  V  =  — 

'■2a^  sin.î 


4  RECHERCHRS 

formule  dans  laquelle  a-  est  le  produit  constant  de  réiévation  du  li(iuide 
considéré  entre  deux  plans  parallèles  mouillés,  par  Técart  de  ces  deux 
plans. 

i  est  l'angle  du  plan  intermédiaire  avec  chacun  des  deux  plans  ou  la  moitié 
de  l'angle  de  ceux-ci  ; 

a  est  la  distance  du  centre  de  la  goutte  à  la  ligne  d'intersection  des  deux 
plans. 

Laplace  et  Poisson  arrivent  à  cette  formule  en  partant  de  la  même  équa- 
tion d'équilibre  et  par  des  méthodes  différentes.  L'analyse  de  Laplace  sup- 
pose seulement  que  l'épaisseur  de  la  goutte  est  toujours  fort  petite  par 
rapport  à  sa  largeur,  tandis  que  celle  de  Poisson  exige,  outre  cette  condi- 
tion ,  que  la  largeur  de  la  goutte  soit  très-petite  par  rapport  à  la  ligne  con- 
stante a. 

Celte  formule  est  importante  à  vérifier,  parce  qu'elle  lie  deux  phénomènes 
différents  et  qu'elle  permet  de  calculer  les  données  correspondantes  de  l'un 
d'eux,  avant  que  l'expérience  nous  ait  rien  appris  sur  ces  derniers.  C'est 
ainsi  que  nous  pourrons  calculer  les  angles  v  correspondants  à  un  angle  / 
donné  et  à  des  valeurs  différentes  de  a  pour  un  liquide  donné,  en  connais- 
sant seulement  l'élévation  de  ce  liquide  entre  deux  plans  parallèles  ou  dans 
un  tube. 

Laplace  établit  l'exactitude  de  sa  formule  à  l'aide  d'une  expérience  de 
Haûy  sur  l'élévation  de  l'huile  d'orange  dans  un  tube,  et  des  expériences 
faites  par  Haucksbée  sur  l'équilibre  d'une  goutte  d'huile  d'orange  entre  deux 
glaces  *.  On  doit  s'étonner  que  Laplace  ne  fasse  pas  mention  de  deux  autres 
observations  du  même  physicien  faites  sur  l'alcool  **,  d'autant  plus  qu'il  cite 
ailleurs  des  expériences  précises  faites  par  Gay-Lussac  sur  l'élévation  de  l'al- 
cool dans  les  tubes  capillaires,  ce  qui  lui  offrait  un  point  de  départ.  Je  crois 
intéressant  de  reproduire  ici  ces  expériences  d'Haucksbée,  et  j'y  joins  les 
valeurs  calculées  au  moyen  de  la  formule  de  Laplace  ***,  en  partant  de  la 
valeur  «=  6""",0825,  qui,  d'après  Gay-Lussac,  est  la  moitié  de  l'élévation  de 

"  Ménmuiue  célesle,  t.  IV,  pp.  449-455.  —  Pliil.  Traiis.,  l.  XXVII ,  niiml).  534. 
"  PInl.  Trans.,  t.  XXVIII,  numb.  557. 
*"  Mécanique  céleste,  t.  IV,  p.  j'2b. 


SUR  LA  CAPILLARITE.  5 

l'alcool  de  densité  =  0,8196  dans  un  tube  de  1"""  de  diamètre,  et  par  con- 
séquent la  hauteur  à  laquelle  ce  liquide  s'élèverait  entre  deux  glaces  parallèles 
écartées  de  1""".  J'emploie  ce  chiffre  au  lieu  de  celui  cpie  j'ai  trouvé  et  (|ui 
en  diffère  très-peu,  parce  que  c'est  celui  que  Laplace  aurait  pu  employer, 
s'il  avait  voulu  appliquer  ces  expériences  à  la  vérification  de  sa  formule.  En 
retranchant^  des  valeurs  de  v  trouvées  par  Ilaucksbée,  il  eût  obtenu  alors 
les  résultats  suivants  que  je  présente  en  deux  tables  tout  à  fait  semblables  à 
celle  de  Laplace. 

/  =  18' 


Distances 

Valeurs 

observées 

Valeurs 

calculées 

Diirérence 

de  la  valeur  calculée  !i 
la  \alpur  oliservée 

on  pouces. 

(le  ('. 

lie  c. 

en  parlies  aliquoles  de 
celle  dernière  valeur. 

i«"\ 

0"  -jG' 

O'  IS' 

1-2 

10  '!, 

0  40' 

U  ~2Z 

li2 

14  •, 

0  i'jO 

0  29 

1/2.1 

1-2   ', 

1    11 

0  40 

1/2,3 

lu  '/. 

1  il 

0  30 

1/3.2 

'J   '/. 

1  rA 

1      9 

1/4.1 

«   ". 

1   51 

1   20 

1/4.4 

7  '/, 

2  21 

1   30 

114.3 

(i  ' ., 

ô   II 

2  27 

1/4.3 

5  ■;, 

4  10 

3   10 

1/4.3 

i  'U 

5  SI 

3     0 

117.8 

i 

7  14 

6  28 

1(9.4 

•J  "j 

«  .-| 

7  22 

1/7.4 

■^  '/. 

'J  10 

8  27 

1111. 4 

5  'U 

10  21 

9  49 

1/19.4 

Ô 

12  ôl 

11  ôô 

1/13 

2=/. 

14  31 

13  47 

1/14 

2  ■/, 

18  41 

10  43 

1/9.7 

2  V. 

2.Ï  10 

20  31 

1/9.0 

0 

^=i^=. 

29  31 

20  40 

1/9.7 

RECHERCHES 


/  =  10' 


Dislaoces 

Valeurs 

observées 

do  r. 

Valeurs 

calculées 
(le  V. 

Do  —   Uf 

r„. 

IH  'U 

i-ar,' 

O'ùô' 

1/1.6 

10  •/, 

1  45 

0  41 

1/1. G 

M   '1, 

2     5 

0  53 

1/1.7 

12  ■', 

2  35 

1    11 

1/1.8 

10  ■/, 

ô     5 

1   41 

1/2.2 

'J'/. 

ô  23 

2     3 

1i2.5 

«  '/. 

ô  55 

2  34 

1/2.9 

7   ''. 

3     0 

3   18 

13 

0  ';, 

7  33 

4  24 

1/2.4 

r.  V. 

10  .43 

6     9 

1/2.3 

4'/. 

13  35 

9   13 

1/3 

4 

17  35 

11   42 

1/2.9 

Le  premier  tableau  seul  olîre  à  peine  un  commenccmeni  de  vérification  à 
partir  de  l'angle  de  5%5r;  quant  au  second,  il  établit  un  désaccord  parfait 
entre  la  théorie  el  l'expérience.  Il  ne  resterait  donc  à  la  formule  de  Laplace 
d'autre  vérification  que  les  expériences  sur  l'huile  d'orange  reproduites  dans 
la  Mécanique  céleste;  mais  Poisson  montre,  en  invoquant  des  expériences 
précises  de  Gay-Lussac,  que  l'élévation  de  l'huile  d'orange  donnée  par  Haiiy 
est  environ  deux  fois  trop  faible,  et  que,  par  suite,  les  valeurs  de  v  calculées 
par  Laplace  sont  deux  fois  trop  petites.  En  partant  du  résultat  obtenu  par 
Gay-Lussac,  savoir  une  élévation  de  10'"'",4.  dans  un  tube  de  1""",296  de 
diamètre,  Poisson  obtient,  en  effet,  des  valeurs  de  v  plus  que  doubles  de 
celles  que  fournil  l'expérience.  H  attribue  cette  différence  à  ce  que  les  gouttes 
observées  par  Haucksbée  et  dont  ce  physicien  a  négligé  de  donner  le  dia- 
mètre, ne  remplissaient  pas  la  double  condition  d'avoir  une  largeur  très- 
petite  j)ar  rapport  à  la  ligne  a.  et  une  épaisseur  très-petite  par  rapport  à  cette 
largeur. 

Ouoi  qu'il  en  soit,  il  est  certain  que  les  expériences  de  Haucksbée  sont  loin 
de  fournir  un  point  d'appui  à  la  théorie.  Elles  conduisent  seulement  à  ce 


SUR  LA  CAPILLARITE.  7 

résultat,  dont  parle  Newton,  dans  son  Optique,  que  réiévation  des  deux  pians 
doit  être  en  raison  inverse  du  carré  de  la  dislance  a.  Par  cela  même,  elles 
perdent  beaucoup  de  leur  importance,  car  cette  relation,  approximative  seu- 
lement, peut  n'être  que  le  premier  terme  d'une  bonne  formule  d'interpola- 
tion, caractère  qui  lui  ôterail  sa  liaison  avec  un  autre  pbênomène. 

Mais  je  dois  faire  remarquer  que  le  désaccord  entre  la  formule  de  La- 
place  et  les  expériences  d'Haucksbée  se  présente  d'une  manière  peu  naturelle. 
En  effet  les  expériences  sur  l'huile  d'orange  donnent  des  valeurs  deux  fois 
trop  faibles,  et  les  secondes  expériences  faites  sur  l'alcool  donnent  des  valeurs 
deux  fois  trop  fortes,  tandis  que  les  premières  ne  donnent  pas  de  trop  grandes 
divergences.  Cette  variation  de  l'erreur  fait  douter  de  sa  réalité.  On  lui  trouve 
d'ailleurs  une  cause  extrêmement  probable,  savoir  la  mesure  de  l'angle  /  des 
deux  plans.  On  se  demande  comment  Haucksbée  pouvait,  au  moyen  de  son 
(juadrant,  déterminer  un  angle  de  10';  il  est  vrai  que,  dans  son  expé- 
rience sur  l'huile  d'orange ,  il  indique  la  dislance  ^ë  de  pouce  environ  des 
extrémités  des  deux  plans,  et  que  celle  dislance  peut  faire  connaître  exacte- 
ment l'angle  i.  Mais  il  ne  dit  pas  comment  il  mesurait  celle  petite  longueur. 
On  peut  admettre  comme  possible  dans  ces  mesures  une  erreur  du  simple 
au  double,  d'autant  plus  que  Haucksbée  parait  attacher  peu  d'imporlance  à 
la  mesure  de  cet  angle  i. 

De  nouvelles  expériences  étaient  absolument  nécessaires  pour  que  l'on  eût 
une  notion  certaine  sur  la  valeur  de  la  formule  donnée  par  Laplace.  Je  les 
ai  faites  sur  l'huile  d'orange,  l'alcool  absolu,  l'essence  de  térébenthine  et 
l'acide  acétique  pur.  Je  me  suis  servi  de  l'appareil  employé  dans  les  cours 
pour  la  démonstration  des  lois  du  plan  incliné,  et  qui  consiste,  on  le  sait,  en 
une  glace  bien  dressée  que  l'on  peut  soulever  à  l'aide  d'une  vis.  Quatre  vis 
calantes  supportent  le  tout  et  permettent  de  maintenir  constamment  la  ligne 
d'intersection  des  deux  plans  parfaitement  horizontale.  Sur  l'arête  du  plan 
sont  tracés  plusieurs  traits  fins  dont  on  mesure  exactement  la  distance.  Lors- 
(jue  le  plan  est  incliné,  on  détermine  son  inclinaison  en  mesurant  au  cathétor 
mètre  la  hauteur  des  différents  traits;  on  a  ainsi  plusieurs  mesures  différentes 
d'une  même  quantité  qui  se  vérifient  mutuellement.  Avec  un  bon  cathéto- 
métre  donnant  les  20"""'  de  millimètre,  les  erreurs  ne  dépassent  jamais  i'. 


8  RECHERCHES 

Haucksbéc,  en  mesurant  les  angles  à  Taide  d'un  quadrant,  mesurait  dif- 
ficilement des  quarts  de  degré.  Sur  cette  première  glace  constituant  le  plan 
incliné,  j'en  place  une  seconde  à  l'un  des  bords  de  laquelle  je  colle  à  l'albu- 
mine une  bande  mince  de  glace  d'Allemagne ,  dont  l'épaisseur  a  été  mesurée 
au  sphéromètre  avec  le  plus  grand  soin.  H  faut  que  celte  bande  ait  son  arête 
tournée  vers  le  plan  bien  droite  et  rigoureusement  parallèle  à  l'arête  opposée 
de  la  glace.  La  distance  de  ces  deux  arêtes  ayant  été  mesurée  avec  précision , 
en  divisant  par  sa  valeur  celle  que  l'on  a  trouvée  pour  l'épaisseur  de  la  bande, 
on  a  la  tangente  Irigonométrique  de  l'angle  /,  qui  sera  sensiblement  égale  au 
sinus.  Dans  mes  expériences,  ce  rapport  ou  celte  tangente  était 

1"""",  1170 


2r>4'"°',00  ' 


ce  qui  donne  i  =  4  6', 25". 

Les  distances  du  centre  de  la  goutte  à  l'arête  de  contact  se  mesurent  au 
moyen  d'une  lunette  glissant  sur  une  règle  de  fer  divisée  et  entraînant  avec 
elle  un  vernier  au  --^  d*?  millimètre.  On  amène  l'un  des  fils  du  réticule  en 
coïncidence  avec  l'arêle ,  puis  en  contact  avec  les  bords  opposés  de  la  goutte. 
La  différence  des  deux  distances  parcourues  donne  le  diamètre  de  la  goutte, 
et  leur  moyenne  est  la  distance  n  du  centre  à  l'arête. 

Après  avoir  nettoyé  avec  le  plus  grand  soin  les  deux  plans  à  l'aide  d'un 
linge  trempé  dans  le  liquide  à  observer,  on  fera  tomber  sur  le  plan  inférieur 
(|uelques  gouttes  de  liquide  assez  près  de  la  ligne  de  contact  des  deux  plans, 
pour  (|ue,  en  abaissant  le  plan  supérieur,  il  se  forme  des  gouttes  séparées.  On 
soulèvera  le  plan  jusqu'à  ce  que  l'une  de  ces  gouttes  soit  en  équilibre.  Après 
avoir  placé  la  règle  portant  la  lunette  sur  la  direction  de  la  goutte  et  bien 
perpendiculairement  à  l'arête  de  contact,  on  devra  encore  soulever  le  plan  et 
manœuvrer  les  vis  calantes  pour  réparer  la  flexion  produite  par  le  poids  de 
la  règle.  L'équilibre  étant  alors  bien  établi,  on  observera  librement  les  diffé- 
rentes données  du  phénomène. 

C'est  ainsi  que  j'ai  obtenu  les  résultats  suivants  :  v  indique  les  valeurs 
observées  de  v,  c'est-à-dire  l'inclinaison  donnée  par  le  cathétomètre,  dimi- 
nuée de  y  =  8'd3"  :  V{  sont  les  valeurs  calculées  d'après  la  formule  de  La- 


SUR  LA  CAPILLARITÉ. 


place,  en  m'appuyant  sur  les  données  de  mes  expériences  concernant  Télé- 
vation  entre  les  lames  parallèles  *  et  qui  sont  : 


Pour  l'huile  d'orange     .     .     . 

—  ralcool  absolu  .... 

—  l'essence  de  térébenthine 

—  l'acide  acétique      .     .     . 


«2  =  3,827 
*2  =  3,823 
a2  =  6,128 
«2  =  5,223 


J'ai  choisi  ces  nombres  comme  se  rapportant  aux  écarts  les  plus  voisins 
des  épaisseurs  que  les  gouttes  possèdent  dans  les  expériences  suivantes  et 
qui  son!  1™™,H7  X  ^. 

Huile  d'oraiHje. 


1=   10' 23" 

T  =  13;i 

a 

2r 

V 

''t 

v,-v 

V 

139.2 

0.0 

4»  2' 14" 

3°  36' 12" 

—  0.1075 

117.5 

7.0 

5  1  27' 

5  3  37 

-f- 0.0072 

107.6 

7.2 

6  39  1 

6  2  16 

—  0.0921 

99.4 

10.8 

7  11  22 

7  4  47 

—  0.0151 

89.2 

7.7 

8  56  50 

4  48  14 

-1-0.0221 

78.8 

12.4 

10  25  19 

11  18  14 

—  0.0847 

Alcool  absolu. 


!  =  16'  25" 


Ces  expériences  seront  incessamment  publiées. 
Tome  XXXIL 


T  =  15;5 


a 

2r 

V 

l'i 

r,  —  (• 

V 

201.20 
201.00 
170.50 
173.15 
166.60 
163.70 
130.43 
82.65 
81.80 

6.4 
8.0 
9.0 
8.9 
7.8 
7.9 
9.1 
Il.l 
11.2 

1„41'17" 
1  33  37 

1  59  22 

2  0  26 
2  36  37 

2  21  47 

3  34  17 
8  35  7 
8  39  26 

1»Ô8'18" 

1  58  30 

2  7  45 
2  9  44 
2  23  24 

2  24  37 

3  54  0 
9  45'  18 
9  .37  36 

—  0.029 
-4-  0.027 
-f-  0.070 
-+-  0.077 

—  0.084 
-1-  0.022 

—  O.OOI 
-(-  0.094 
-t-  0.109 

10 


RECHERCHES 


Essence  de  térébenlhine. 


i  —   10'  23' 

T  =  10;i 

a 

2;- 

1 
V                          .   î-, 

i!,  -  f 

V 

181.30 

0  0 

2''21'  41" 

2"  14'  0" 

—  0.034 

130.05 

0.9 

2  31  31 

2  32  34 

-+-  0.006 

120.83 

11.3 

4  33  56 

3  2  34 

-t-  0  097 

82.30 

14.0 

0  34  24 

10  55  30 

-t-  0.103 

i  =  16"  23" 


Acide  acétique. 


T  =  0:2 


a 

2c 

V 

»'i 

t-,  -  V 

V 

180.00 

170.00 

132.20 

97.23 

00.30 

0.0 
0.4 
0.3 
2.4 
0  0 

l»4-3'20" 
2  7  33   . 
0  7  40 
5  18  8 
12  34  31 

l''48'43" 

2  8  30 
6  38  38 

3  33  23 
17  30  50 

-+-  0.031 
-+  0.008 
-+-  0.083 
-f-  0.087 
-+-  0.330 

On  voit  que,  sauf  la  divergence  tout  à  fait  anormale  présentée  par  la  der- 
nière valeur  de  l'acide  acétique,  les  différences  entre  la  théorie  et  l'observa- 
tion sont  petites  et  irrégulières.  On  peut  donc  admettre  que  la  formule  de 
Laplace  est  exacte,  au  moins  dans  les  limites  de  nos  observations,  c'est-à- 
dire  pour  des  angles  compris  entre  1"  et  10".  Je  n'ai  pas  cherché  à  étendre 
ces  limites,  parce  qu'au  delà  la  formule  cesse  par  elle-même  d'être  applicable. 
En  outre,  pour  des  angles  supérieuis  à  10",  l'équilibre  devient  très-instable  et 
par  cela  seul  difficile  à  bien  observer.  Pour  de  très-petits  angles,  au  con- 
traire, il  s'établit  trop  facilement  :  la  moindre  impureté  le  détermine.  Ce  sont 
ces  impuretés,  à  peu  près  inévitables,  qui  produisent,  je  crois, les  petites  dif- 
férences des  expériences  précédentes. 

Cette  vérification  de  la  formule  de  Laplace,  après  les  contradictions  des 
expériences  de  Haucksbée,  est  vraiment  inattendue.  Elle  nous  montre  que, 


SUR  LA  CAPILLARITE.  H 

dans  les  calculs  de  Laplace,  sur  les  expériences  de  Haiiy  et  de  Haucksbée, 
il  s'est  produit  le  singulier  phénomène,  assez  fréquent  dans  les  sciences  phy- 
siques, d'une  exactitude  résultant  de  deux  erreurs. 

Je  dois  faire  observer  que  la  vérification  a  lieu  tout  à  fait  en  dehors  des 
conditions  imposées  par  Poisson  :  l'épaisseur  a  bien  été  toujours  assez  petite 
par  rapport  à  la  largeur,  mais  jamais  celle-ci  ne  l'a  été  par  rapport  à  la  con- 
stante a;  loin  de  là,  elle  a  constamment  dépassé  cette  ligne.  Ainsi  pour  l'huile 
d'orange,  le  diamètre  a  atteint  cinq  fois  la  valeur  de  a  sans  que  la  formule 
ait  cessé  d'être  exacte.  Nous  pouvons  donc  être  convaincus  de  l'inutilité  de 
celte  condition,  qui  d'ailleurs  ôterait  à  la  formule  toute  sa  valeur  en  restrei- 
gnant son  application  à  des  cas  à  peu  prés  inabordables  à  l'expérience. 

Poisson  conseille  de  faire  l'expérience  avec  l'eau  :  c'est  à  peine  si  le  phé- 
nomène peut  être  produit  avec  ce  liquide.  On  n'arrive  à  donner  quelque  mo- 
bilité aux  gouttes  qu'en  employant,  pour  les  former  et  pour  laver  les  plans,  de 
l'eau  fortement  acidulée.  Alors  ce  n'est  plus  de  l'eau,  mais  un  liquide  hétéro- 
gène sur  lequel  il  est  dilTicile  d'avoir  des  données  précises. 

J'ai  cru  utile  d'observer  le  phénomène  avec  des  gouttes  de  mercure.  D'après 
la  théorie,  ces  gouttes  devraient  s'éloigner  de  la  ligne  de  contact  des  deux 
plans,  lorsque  le  plan  inférieur  est  horizontal.  Il  n'en  est  nullement  ainsi  : 
toutes  les  gouttes,  quel  que  soit  leur  diamètre,  restent  parfaitement  immo- 
biles. Du  reste  celte  immobilité  peut  être  due  au  frottement,  de  sorte  que  la 
théorie  qui  ne  fait  pas  entrer  celte  force  dans  l'étude  du  phénomène  doit  se 
trouver  en  défaut.  Quoi  qu'il  en  soit,  on  peut  établir  ici  l'observation  suivante, 
qui  ne  me  paraît  pas  sans  intérêt  :  Si  l'on  place  entre  les  deux  plans,  à  une 
même  dislance  de  leur  ligne  de  contact,  différentes  gouttes  de  mercure,  et 
qu'on  soulève  les  deux  plans  de  manière  à  abaisser  leur  bord  commun ,  les 
gouttes  se  mettent  en  mouvement  avec  une  inégale  vitesse  et  s'arrêtent  à  des 
distances  différentes  du  sommet  de  l'angle  des  deux  plans.  Elles  se  succèdent 
pendant  le  mouvement  et  dans  l'équilibre,  suivant  l'ordre  de  leurs  diamètres, 
les  gouttes  les  plus  larges  marchant  en  avant  et  s'arrêlant  le  plus  près  de  la 
ligne  d'intersection  des  plans. 

Je  me  contenterai  de  rapporter,  dans  le  tableau  suivant,  les  résultats  de  ces 
observations  sans  en  tirer  actuellement  aucune  conclusion.  Les  angles  v  ex- 


12 


RECHERCHES 


primenl,  comme  précédemment,  les  inclinaisons  sur  le  plan  horizontal  du 
])lan  bissecteur  de  Tangle  dièdre  des  deux  plans  de  verre.  Chaque  colonne 
renferme  les  rayons  et  distances  des  gouttes  correspondant  à  ces  angles. 
L'angle  i  est  toujours  46'2S".  La  distance  commune  aux  cinq  gouttes  d'où 
elles  sont  parties  est  «„  =  210'"'".  La  température  a  varié  de  4  0°  à  13". 


Jrs 
GOUTTES. 

1 

13»  18' 

n 

13°  14' 

111 

17"  39' 

IV 

20°  r 

V 

20°  46' 

VI 

21°  29' 

VU 

11"  28' 

r 

a 

r 

a 

)■ 

a 

»■ 

a 

r 

« 

r 

a 

r 

1 
a 

1 

2 

ô 

4 
5 

1.0 
2.5 
2.8 
4.1 
9.5 

1S1.8 

101. .3 

125.2 

98.8 

07.8 

1.3 
2.3 
2.1 
4.2 

9.8 

200.3 

201.0 

197.Ô 

99.9 

07.9 

1.5 
2.0 
2.0 
5.3 
10. G 

210.0 

210.0 

151.0 

70.4 

53.8 

2.2 
2.0 
3.1 
5.5 
11.0 

88.3 
90.7 
75.0 
00.8 
48.3 

1.5 
2.0 
3.0 
5.3 
10.  fl 

210.0 

210.0 

85.  G 

70.7 

33.8 

1.5 
2.0 
2.7 
5.2 
10.9 

210.0 

210.0 

131.7 

71.5 

52.0 

1.3 
2.0 
2.4 
3.  G 
9.3 

210.0 
210.0 
202.5 
133.8 
79.0 

SUR  LA  CAPILLARITE.  13 


II. 


ÉQUILIBRE  D'UNE  BULLE  D'AIR  SOUS  UN  PLAN  HORIZONTAL 
DANS  UNE  MASSE  LIQUIDE. 


OBSERV.VTIONS   SUR    DE    GR.\NDES    BULLES  D  AIR   EN    ÉQUILIBRE    SOUS   UNE  GL.\CE 
HORIZONTALE   PLONGÉE    DANS    UN    LIQUIDE. 


M.  Gauss  indique  ces  observations  comme  très-projjres  à  mesurer  la 
cohésion  des  liquides  qui  mouillent  le  verre,  de  même  que  robseivation 
des  grandes  gouttes  de  mercure  peut  servir  à  mesurer  la  cohésion  de  ce 
liquide. 

En  mesurant  la  hauteur  des  gouttes  de  mercure  sur  un  plan  couvert 
d'eau ,  j'avais  par  hasard  observé  un  remarquable  phénomène  qui  m'avait 
paru  d'abord  plus  convenable  encore  pour  ce  genre  de  recherches  que  celui 
de  l'équilibre  des  bulles  d'air. 

Lorsqu'on  verse  avec  quelque  précaution  de  l'eau  sur  une  surface  plane 
de  mercure,  on  voit  cette  eau  former  une  large  goutte,  dont  la  surface  laté- 
rale semble  couper  à  angle  droit  la  surface  du  mercure.  La  mesure  des  hau- 
teurs de  semblables  gouttes  devrait  présenter  le  même  intérêt  que  celle  des 
hauteurs  des  gouttes  de  mercure.  Malheureusement  je  n'ai  pu  obtenir  aucune 
constance  dans  les  résultats.  C'est  ainsi  que  j'ai  vu  les  hauteurs  mesurées 
varier  depuis  3,9  jusqu'à  2,65.  D'ailleurs,  l'évaporation  est,  dans  ce  phéno- 
mène, une  source  assez  importante  d'erreurs,  surtout  avec  d'autres  liquides, 
tels  que  l'alcool,  qui  donne  également  lieu  au  même  phénomène.  Je  ne 
me  suis  donc  pas  attaché  à  la  mesure  de  ce  phénomène,  mais  j'ai  cru 
bon  de  le  mentionner,  parce  (pie,  comme  simple  fait,  il  me  parait  digne 
d'intérêt. 


14  RECHERCHES 

Pour  délerminer  la  hauteur  des  grandes  bulles  d'air  formées  sous  une 
surface  horizontale  plongée  dans  un  liquide,  j'employais  une  cuvette  à  parois 
planes  de  verre  poli;  sur  queUpies  fragmcnis  de  glace  formant  support, 
je  plaçais  au  fond  de  cette  cuvette  une  glace  épaisse,  et,  après  avoir  versé 
du  liquide  dans  la  cuvette,  je  soufflais  sous  la  glace  quelques  bulles  d'air  au 
moyen  d'un  lube  recourbé.  Ces  Indles  servaient  d'abord  à  établir  l'horizon- 
lalité  parfaite  de  la  glace,  au  moyen  de  vis  calantes  supportant  la  cuvette. 
On  comprend  que,  sans  cette  horizontalité  parfaite,  l'équilibre  est  impos- 
sible ;  il  n'y  a  donc  pas  à  craindre  d'erreur  de  ce  côté.  Après  avoir  ensuite 
soufllé  de  nouvelles  bulles  à  un  diamètre  voulu,  je  mesurais  au  cathéto- 
métre  la  hauteur  de  la  bulle. 

Théoriquement,  la  hauteur  d'une  large  bulle  d'air,  formée  sous  un  plan 
plongé  dans  un  liquide,  est  \/"2r,  en  désignant  toujours  par  et-  la  constante 
(/«-j-|^)>'  des  expériences  sur  les  tubes  capillaires,  ou,  si  l'on  veut,  cette 
hauteur  doit  être  égale  à  celle  du  liquide  contre  un  plan  vertical,  multipliée 
par  V^.  En  effet,  l'équation  d'équilibre,  d'après  la  théorie  des  actions 
capillaires,  est  ici,  comme  il  est  facile  de  le  reconnaître,  exactement  la  même 
que  celle  de  l'équilibre  d'une  goutte  de  mercure,  savoir  : 

H,  R'  étant  les  rayons  de  courbure  en  un  point  dont  l'ordonnée  est  z ,  et 
h  étant  la  hauteur  de. la  bulle  d'air  ou  celle  de  la  goutte  de  mercure.  Donc 
la  valeur  de  h  pour  les  grandes  bulles  d'air  doit  être  la  même  que  celle  que 
l'on  a  calculée  pour  les  larges  gouttes  de  mercure.  De  plus,  l'angle  ûqui  entre 
dans  cette  dernière  étant  nul  ici,  la  formule  qui  donne  h,  réduite  à  son  pre- 
mier terme ,  est ,  comme  nous  l'avons  dit  : 

h  =  a  y/~¥. 

Jai  donc  déterminé  chaque  fois  la  valeur  de  a  simplement,  en  mesurant 
la  hauteur  de  la  courbe  liquide  formée  contre  les  parois  de  la  cuvette.  l\  m'a 
paru  préférable  de  prendre  pour  «  cette  valeur  observée,  plutôt  que  celle  que 


SUR  LA  CAPILLARITE.  IS 

Ton  peut  déduire  d'observations  différentes,  parce  que  de  cette  façon  nous 
avons  à  comparer  des  quantités  obtenues  par  l'expérience  avec  le  même 
degré  d'ai)proxiniation. 

Je  me  suis  assuré  d'abord  que  la  hauteur  des  bulles  était  indépendante 
de  la  hauteur  du  liquide  dans  la  cuvette.  Il  suffît,  après  avoir  visé  la  sur- 
face de  la  bulle ,  de  verser  successivement  du  liquide  dans  la  cuvette.  On 
voit  que  la  hauteur  de  la  bulle  ne  varie  pas. 

Mais  avec  l'eau,  j'ai  reconnu  le  même  fait  qu'avec  les  gouttes  de  mercure, 
c'est-à-dire  que  la  bulle  d'air  formée  sous  l'eau  prend  d'abord  une  hauteur 
maxima,  puis  sa  hauteur  diminue  jusqu'à  une  certaine  valeur  minima,  qui 
ne  varie  plus.  Ainsi  j'ai  trouvé  pour  la  hauteur  d'une  bulle  d'air  de  28"'"' 
de  diamètre  formée  sous  l'eau  : 

mm 

Immédiatement  après  sa  formation  .  5.80 

Après  2" 3-25 

Id.    ô^30' 5.00 

Id.  47\Ô0' 4.90 

La  hauteur  est  ensuite  restée  la  même. 

Avec  une  autre  bulle  de  33"""  de  diamètre,  j'ai  trouvé  : 


mm 


Immédiateniciil 3.70 

Après  G",  30' 3.55 

Id.    2" 3.40 

Id.    3M5' S.30 

Id.  2I\18' 305 

Je  n'ai  pas  observé  ces  variations  avec  d'autres  liquides,  si  ce  n'est  avec 
l'ammoniaque. 

Voici  les  résultats  obtenus  avec  cinq  liquides  :  eau,  ammoniaque,  alcool, 

éther  et  benzine  : 


16 


RECHERCHES 


Eu  II. 


DBamétres 

naaCenr 

Oauleur 

des  bulles. 

m  axiiu  a. 

m  i  n  i  m  a. 

ca  Iculée. 

mm. 

42 

5.75 

4.95 

5.55 

33 

3.70 

5.05 

» 

28 

5.80 

4.90 

.. 

15 

5.60 

n 

« 

10 

5.15 

■> 

" 

Ammoniaque. 

30 

4.95           1           4.50 
Alcool. 

Hauteurs  constanles. 

4.35 

57 

5.60 

» 

3.65 

44 

3.60 

.. 

0 

31 

3.60 

0 

« 

25 

3. GO 

» 

.. 

20 

3.60 

.. 

.. 

17 

3.60 

.. 

n 

10 

3.53 

" 

■> 

Éther. 

70 

3.35 

« 

5.25 

30 

3.45 

" 

r. 

23 

5.40 

» 

0 

9 

3.25 

1) 

• 

Benzine. 

44 

3.85 

» 

5.65 

18 

5.85 

° 

" 

Nous  concluons  de  ces  résultats  : 

I"  Que  les  hauteurs  des  grandes  bulles  d'air  en  équilibre  sous  un  plan 
horizontal  au  milieu  d'une  masse  liquide,  sont  indépendantes  des  diamètres 
de  ces  bulles  pour  toutes  les  valeurs  de  ces  diamètres  supérieures  à  une  cer- 
taine limite ,  qui  paraîtrait  être  celle  à  partir  do  laquelle  les  hauteurs  des 


SUH  LA  CAPILLARITE  17 

iii('iiis(iU('s  dans  des  lubcs  dcN  icmiciil  iiulcpoiulaiilcs  des  diiiiiièircs  de  ces 
luhcs  cl  ('gales  à  rélcvalion  des  li(|uidcs  coniro  une  paroi  verticale; 

2"  Que  ces  liaïUenrs  des  huiles  sont  approxinialivenienl  égalés  au  produit 
de  rélévalioii  capillaire  du  li(piide  dans  lequel  elles  sont  formées  par  la  racine 
carrée  de  2. 

On  peut  admettre  cette  prescpie  égalité  comme  satisfaisante,  parce  que  les 
formules  théoricpics  qui  la  font  prévoir  ne  sont  elles-mêmes  que  des  expres- 
sions plus  ou  moins  approchées  de  la  loi  physicpie,  ou  plutôt  des  premiers 
termes  de  cette  loi. 

Nous  remarquerons  que,  relali\ement  à  leau,  la  hauteur  calculée  n'est 
égale  ni  à  la  hauteur  maxima  ni  à  la  hauteur  iiiinima  de  la  huile,  mais  hien 
à  la  moyenne  5,37  de  ces  hauteurs. 


>S'©MiS— 


ToMR  XXXIL 


HISTOIRE 


DES 


COLONIES  BELGES 


QUI  S'ÉTABLIRENT  EN  ALLEMAGNE,  PENDANT 
LE  XII-"'  ET  LE  XIIl"'^  SIÈCLE; 


EMILE  DE  BORCHGRÂVE , 

DOCTEUR    EN    DROIT,    SECRÉTAIRE    DE    LA    LÉGATION    DE    S.    M.    LE    ROI    DES    BELGES 
i'RLS  LA  COUR  DES  PAYS-BAS,  ETC. 


(  Mémoire  couronné  par  l'Académie,  le  9  mai  186*.  ) 


Cfande  operœ  preUum  ,  patriœ  describere  fantot 

[SCRIVERIL'S.) 


Tome  XXXII. 


AVANT-PROPOS 


ri  I 


Pour  éviter  loulc  équivoque,  je  crois  devoir,  dès  le  principe,  expliquer 
et,  au  besoin,  justifier  l'expression  Belges,  inscrite  en  tète  de  ce  travail  et 
qui  s'y  rencontre  à  chaque  instant. 

On  aurait  mauvaise  grâce,  quand  il  s'agit  de  notre  passé  liislori(|ue,  de 
vouloir  réduire  nos  provinces  à  la  portion  de  territoire,  désormais  bien  petite, 
qui  a  conquis  enfin  son  indépendance  sous  le  sceptre  du  roi  Léopold.  Nous 
ne  devons  pas  oublier  que  la  Belgique  actuelle  a  vécu  moralement  et  politi- 
quement d'une  même  vie  avec  l'Allemagne  rhénane,  la  Néerlande  et  une 
partie  considérable  de  la  France  du  Nord.  Entre  ces  centres  actifs,  auxquels 
se  rallient  nécessairement  les  provinces  adjacentes ,  existait  autrefois  une 
véritable  nationalité  religieuse,  politique  et  commerciale,  et  se  perpétue 
une  solidarité  historicpie  dont  les  traditions  survivent  à  toutes  les  combinai- 
sons de  la  diplomatie. 

Partant  de  là  et  eu  égard  au  sujet  que  j'ai  à  traiter,  je  n'emploie  pas 
le  mot  Belges  dans  le  sens  restreint  qu'on  lui  donne  aujourd'hui  et  qui  sert  à 
désigner  seulement  les  habitants  du  royaume  sorti  de  la  révolution  de  1830; 
je  le  prends  dans  l'acception  plus  étendue  qu'il  avait  autrefois,  et  j'entends 
par  là  les  peuples  qui  habitaient  le  littoral  de  la  mer  du  Nord ,  depuis  Gra- 

'  Par  cxi-eplion  à  l'article  23  de  son  Règlement  général,  et  considérant  que  ce  ménioin- 
couronné  n'a  pas  eu  de  concurrent,  l'Académie  a  cru  pouvoir  accéder  à  la  demande  de  lautenr 
de  revoir  son  travail  avant  l'impression. 


IV  AVANT-PROPOS. 

vélines  jusqu'à  rexlrémilé  de  la  Frise.  Le  territoire  qu'ils  occupaient  com- 
prenait donc,  outre  les  royaumes  actuels  de  Belgique  et  de  Hollande,  la 
Flandre  française,  l'Artois,  le  Cambrésis  et  la  Gueidre  prussienne,  riches 
provinces  que  convoitait  l'ambition  de  quelques  conquérants  absolutistes  et 
qui  furent  sacrifiées  grâce  à  la  lâcheté,  à  l'inertie  ou  à  l'incapacité  de  nos 
souverains.  La  réunion  de  ces  États  formait,  sous  Charles-Quint,  une  monar- 
chie compacte  et  homogène,  qu'il  transmit  à  son  fils  et  que  celui-ci  ne  sut 
pas  conserver  dans  son  intégrité.  On  l'appelait  aussi  Pays-Bas.  Cette  déno- 
mination, considérée  au  point  de  vue  géographique  et  appliquée  à  la  nature 
des  contrées  qu'elle  embrasse,  est  d'une  exactitude  incontestable.  Je  m'en 
servirai  plus  d'une  fois;  j'aime  mieux  néanmoins  le  nom  primordial,  comme 
ayant  une  signification  historique  plus  ancienne. 

Je  dois  ajouter  que  ce  nom  a  varié  si  souvent  que  j'ai  besoin  de  justifier 
ma  préférence.  Il  n'y  a  qu'un  peu  plus  d'un  quart  de  siècle  que  les  deux 
mots  Belgique  et  Pays-Bas  ont  reçu,  ce  semble,  leur  consécration  défi- 
nitive, restreints  qu'ils  sont  chacun  à  la  fraction  du  tout  auquel  ils  s'ap- 
pliquaient autrefois  simultanément,  bien  que  l'un  et  l'autre  fussent  aussi 
attribués  tour  à  tour  aux  provinces  du  Nord  et  à  celles  du  .Midi.  Ainsi,  lorsque 
les  premières  s'affranchirent  pour  toujours  du  joug  de  l'Espagne  (1579), 
elles  prirent  le  nom  de  Belgique-Unie  [Betghim  foederaliim) ,  tandis  que  les 
autres  continuaient  à  être  appelées  Pays-Bas  espagnols;  ainsi  encore  l'im- 
portante colonie  que  les  Hollandais  fondèrent  dans  l'Amérique  septentrionale, 
sur  la  Délaware,  reçut  le  nom  de  Nouvelle-Belgique ,  et  elle  le  conserva  jus- 
qu'en 1667,  époque  à  laquelle  la  paix  de  Bréda  la  céda  aux  Anglais.  Voilà 
déjà  deux  précédents  historiques  qui  autorisent  ma  doctrine.  Il  en  est  d'au- 
tres non  moins  concluants.  Des  écrivains  qui  font  autorité  donnaient  le  titre 
de  Diplomata  Belgica,  Elogia  Belgica  S  Chrouicon  Belgicum,  à  des  ou- 

'  Rien  de  plus  explicite  pour  mon  sujet  que  cette  note  de  Mirœus  :  Galliae  BeUjirue, 
iypus ,  in  exlcroruin  yraliam.  —  Gallia  Belgica,  sive  Germania  inferior  provinciis  tiodie  (nain 


AVANT-PROPOS.  v 

vrages  dans  lesquels  ils  ne  traitaient  pas  seulement  de  la  Belgique  actuelle, 
mais  bien  aussi  de  la  Hollande,  de  la  Frise  et  de  quelques  provinces  alle- 
mandes :  Monumenta  ad  Germaniam  vicinasque provincias  spectauliu.  Vllis- 
loria  Belgii  foederati  et  le  Chronicon  Bclgicum  de  Jean  de  Leide  en  sont 
d'autres  preuves. 

Ainsi  donc,  dans  tout  le  cours  de  ce  travail,  Belgique  sera  synonyme  de 
Pays-Bas  et  Belges  de  Néerlandais ,  ces  quatre  termes  pris  sensu  latissimo 
et  au  point  de  vue  de  notre  histoire  du  moyen  âge. 

Si,  pour  appuyer  cette  opinion ,  j'avais  besoin  d'autres  arguments  que 
ceux  que  je  viens  de  produire,  je  dirais  qu'en  Allemagne  on  emploie  con- 
stamment les  deux  expressions  l'une  pour  l'autre  et  qu'au  siècle  dernier  la 
confusion  était  des  plus  communes.  C'est  ainsi  que  le  premier  écrivain  à  qui 
revient  l'honneur  d'avoir  posé  la  question  (Eelking)  intitula  son  travail  : 
Dissertatio  de  Belgis  in  Germaniam  advenis,  et  il  ne  laissa  pas  que  de  s'oc- 
cuper avec  plus  de  détail  des  Hollandais  que  des  Flamands.  Les  historiens 
qui,  après  lui,  reprirent  son  œuvre  en  sous-ordre,  appelèrent  Néerlandais 
ceux  qu'il  avait  nommés  Belges,  et  ils  parlèrent  exactement  des  mêmes  peu- 
ples que  leur  devancier. 

D'ailleurs,  dans  les  sources  du  douzième  et  du  treizième  siècle,  les  Fla- 
mands sont  souvent  désignés  sous  le  nom  de  Jlolhmdi  el  les  Hollandais  sous 
celui  de  Flandrenses.  On  ne  peut  donc  traiter  des  uns  sans  parler  des  autres. 
Ensuite,  on  confondait  souvent  les  deux  peuples  dans  une  même  dénomi- 
nation; il  en  résulte  que,  lorsque  l'on  trouve  une  mention  des  Hollandais,  il 
y  faut  nécessairement  comprendre  les  Flamands,  et  réciproquement.  Au  sur- 
plus, les  émigrations  des  colons  des  deux  provinces  eurent  lieu  à  la  même 

de  antiquis  terrninis  dissercrc  non  est  liujus  instiluli)  scptcnidecim  conlinetur;  sunt  in  his,  ni 
loquunlur  :  Z)Mca«MS /F,  Brabantiae,  Liniburgi,  Lueeburgi,  Geidriae;  Comilatus  VU,  Flan- 
driae,  Arlesiae,  llannoniae,  Ilollandiae,  Zclandiae,  Namurci,  Zulfaniae;  Marchionalus  S.  Ira- 
jjerii;  Dominia  V,  Frisiae,  Machliniae,  L'ilraiecti,  Transisaianac  ditionis,  Groningae.  »  {Elogia 
Belgica,  sive  illustrium  Belgii  scriploriim ,  studio  Auberti  Mir^ei  ;  Antw.,  1609.) 


VI  AVANT-PROPOS. 

époque,  presque  toujours  dans  les  mêmes  contrées  et  souvent  sous  des  con- 
ditions semblables.  Enfin,  Flamands  et  Hollandais  parlaient  la  même  langue, 
nommée  par  les  uns  et  les  autres  langue  Ihioise  [dietscli);  ils  avaient  entre 
eux  de  fréquents  rapports  de  commerce  et  d'intérêt  de  tous  genres  ;  maintes 
fois  ils  partagèrent  les  mêmes  dangers  en  tentant  la  même  fortune;  de  sorte 
qu'en  dernière  analyse,  les  colonies  fondées  par  les  Belges  ou  Néerlandais 
du  Nord  ,  aussi  bien  que  par  ceux  du  Midi ,  doivent  être  considérées  comme 
ayant  la  même  origine. 

Tel  est  aussi  l'avis  des  écrivains  allemands.  «  Il  ne  faut  pas,  dit  Kliigel  ', 
entendre  par  Flamands  les  habitants  de  la  Flandre  seulement,  quoique  la 
Flandre  s'étendît  autrefois  plus  loin  qu'aujourd'hui;  mais  dans  ce  terme,  il 
faut  comprendre  tous  les  Belges  quelconques,  ou  habitants  de  la  Germanie 
inférieure,  principalement  tous  ceux  qui  se  servent  de  l'idiome  germanique; 
par  conséquent,  les  expressions  qui  aujourd'hui,  comme  autrefois,  ont  cours  à 
l'étranger  :  Flamindtsch,  Fldinisdi,  ne  signifient  pas  seulement  ce  qui  ap- 
partient à  la  Flandre ,  mais  bien  au  territoire  belyique  tout  entier,  de  même 
qu'en  Turquie  on  appelle  Franc  tout  ce  qui  vient  de  l'Europe  occidentale.  » 

Le  docteur  Schumacher  -  est  encore  plus  explicite  :  «  Je  dois  le  faire 
remarquer  tout  d'abord,  dit-il  :  quand  les  chartes  parlent  de  Hollandais, 
nous  ne  pouvons  pas  nous  attacher  servilement  aux  expressions  qu'elles  em- 
ploient, Hollandi,  Hollandienses ,  et  autres,  quelles  qu'elles  puissent  être. 
Eelking  se  méprit  complètement  lorsqu'il  distingua  entre  Hollandais  et  Fla- 
mands. Les  Pays-Bas  étaient  alors  divisés  en  comtés  distincts.  Mais  celte 
circonstance  n'enlevait  pas  à  leurs  habitants  l'homogénéité  de  race,  comme 
Warnkônig  l'a  démontré,  aux  douzième,  treizième  et  quatorzième  siècles. 
Les  Flamands  cessaient  tout  aussi  peu  d'être  Flamands  que  les  Saxons  d'être 
Saxons,  lors  même  qu'ils  relevaient  de  comtes  différents.  Sans  doute,  les 

'  cl  ".  Voy.  sur  ces  auteurs  [Introduction ,  |  III. 


AVANT-PROPOS.  vu 

appellations  étaient  plus  nombreuses  pour  désigner  les  Flamands  que  les 
Saxons  ou  les  Franks,  parce  qu'ils  ne  formaient  pas  une  branche  unique, 
parce  qu'aucun  souverain  ne  les  avait  réunis  sous  le  même  sceptre  depuis 
le  partage  de  la  Lotharingie....  Leur  langue  s'appelait  universellement  le 
flamand  :  les  savants  des  Pays-Bas  sont  d'accord  sur  ce  point.  Les  mots  Fla- 
miagus,  Flandrensis  ont  donc  une  signification  très-étendue;  ils  n'indi- 
quent pas  seulement  l'ancien  comté  de  Flandre,  mais  on  peut  prouver  que 
les  habitants  de  la  Gueldre,  du  duché  de  Clèves,  du  Brabant  et  des  pro- 
vinces maritimes  sont  également  compris  sous  ce  nom.  Dans  les  sources,  les 
dénominations  de  Holler  et  de  Flandrensis  apparaissent  souvent  comme  tout 
à  fait  identiques  ;  néanmoins  la  dernière  avait  la  plus  grande  extension.  Dans 
le  Nord,  c'est  l'expression  Holler  qui  prédomine,  tandis  que  plus  on  des- 
cend vers  le  Sud,  et  plus  souvent  on  rencontre  le  mot  Flandrensis.  En  Thu- 
ringe,  on  confond  les  deux  noms  l'un  dans  l'autre;  au  milieu  d'une  colonie 
fondée  par  les  Hollandi,  se  trouve  le  village  de  Flemmingen,  etc.  Aussi  tous 
les  historiens  les  plus  récents  sont  d'avis  qu'entre  Hollandais  et  Flamands  il 
n'y  a  pas  à  distinguer.  » 

Je  termine  par  l'appréciation  claire  et  précise  du  Hollandais  Dousa  *  : 
«  Par  suite,  dit-il,  d'un  usage  traditionnel,  joint  à  une  manière  de  parler 
très-répandue,  même  chez  les  peuples  étrangers,  on  désigne  aujourd'hui 
(seizième  siècle)  pêle-mêle,  sous  le  nom  générique  de  Flamands,  tous  les 
Belges  en  masse,  quoique  ceux-ci  aient,  chacun  chez  soi,  des  dénominations 
propres  et  qu'ils  soient  distincts  et  séparés  au  point  de  vue  de  la  nationa- 
lité. » 

Enfin,  la  Frise  elle-même  était  parfois  prise  jadis  pour  tout  le  territoire 


*  «  Sollemni  apud  cxtcros  etiaranura  populos  loquendi  ritu  ac  formula,  qui  Belçjafi  universos, 
tamelsi  propriis  domi  appcllationibus  cl  quideni  nationatim  dislinulos  ac  discriminatos,  com- 
muni  laiiien  Flandrormn  nomine  promiscue  hodie  indigilare  consueverunt.  »  {Batavias  Hol- 
landiaeque  Annales,  p.  244.) 


VIII 


AVANT-PROPOS. 


dont  elle  n'est  qu'une  partie.  Les  historiens  du  onzième  siècle  connaissaient, 
sous  le  nom  de  Frise,  tout  le  littoral  des  Pays-Bas. 

On  le  voit,  les  expressions  par  lesquelles  on  qualifiait  nos  compatriotes 
à  rétranger  sont  nombreuses.  Pour  faciliter  Tintelligence  des  textes  et  mettre 
le  lecteur  à  même  de  saisir  plus  aisément  l'ensemble  et  Timportance  du 
mouvement  d'émigration,  il  fallait  trouver  un  terme  généricpie  (|ui  em- 
brassât sans  effort  les  divers  rameaux  de  la  grande  famille  germano-belge. 
J'ai  fait  choix  de  celui  qui  résume  à  la  fois  notre  passé  celtique,  germanique 
et  romain,  qui,  malgré  d'âpres  contestations,  a  traversé  intact  le  moyen  âge, 
qui  a  pris,  dans  les  temps  modernes,  une  extension  nouvelle  et  qui  est  arrivé 
enfin ,  dans  notre  siècle ,  à  reprendre  sur  la  carte  de  l'Europe  la  place  que 
l'histoire  lui  assignait  et  que  des  luttes  séculaires  pour  la  liberté  et  l'indé- 
pendance lui  méritaient  si  bien. 


HISTOIRE 

DES  COLONIES  BELGES 


QUI  S'ÉTABLIRENT  EN  ALLEMAGNE,  PENDANT 
LE  XII™'  ET  LE  XIIP'  SIÈCLE. 


IINTRODUCTION. 


§1- 


Émigrations  des  germains  en  général,  et  des  belges  en  particulier  (con- 
quêtes, PÈLERINAGES,  CROISADES,  VOYAGES,  EXPÉDITIONS  GUERRIERES) ,  FAITES 
PRESQUE  TOUTES  AVEC  ESPRIT  DE  RETOUR. 

Quelque  profondes  que  soient  les  investigations  de  la  science  moderne, 
elle  n'est  pas  encore  parvenue  à  arracher  au  monde  oriental  le  secret  des  migra- 
tions des  |)euples  qui,  sortis  de  son  sein,  vinrent  successivement  peupler  le 
continent  que  nous  habitons,  et  qui  reçurent  de  là  le  nom  d'Indo-Européens. 
Toutefois,  si  le  principe  de  ces  ébranlements  de  nations  demeure  impéné- 
trable à  la  critique,  d'éminenis  écrivains  ont  depuis  longtemps  signalé,  dans 
des  aperçus  lumineux,  les  effets  qui  en  résultèrent  pour  Thumanité.  Je  n'ai 
pas  à  m'occuper  de  cette  matière,  (pii  relève  du  domaine  de  la  philosophie  de 
Tome  XXXII.  2 


9  HISTOIRE 

riiisloire;  mais  ce  qu'il  importe  de  rappeler,  c'est  que  les  Germains,  un  des 
peuples  confédérés  qui  jouèrent  le  plus  grand  rôle  dans  le  bouleversement  de 
Tempire  romain,  ne  s'arrêtèrent  pas  définitivement,  lorsqu'ils  eurent  compiis 
des  demeures  fixes  dans  la  majeure  partie  de  l'Europe  :  des  causes  particu- 
lières qui  nous  échappent,  jointes  à  une  certaine  mobilité  incpiiète  dans  le 
caractère,  les  poussèrent  brusciuement,  hors  de  leurs  assises  primitives,  sur 
des  territoires  qui  jusqu'alors  étaient  restés  pour  eux  inexplorés.  L'objectif  que 
poursuivent  les  Allemands  de  nos  jours  dans  la  sphère  de  l'abstraction,  c'est- 
à-dire  l'inconnu,  les  Germains,  leurs  ancêtres,  le  cherchaient  dans  le  monde 
matériel  et  sensible.  On  pourrait  à  peine  citer  deux  ou  trois  pays  qui  ne  trem- 
blèrent point  sous  le  bruit  de  leurs  pas.  Les  Gaules  furent  le  premier  théâtre 
de  leurs  exploits.  Les  Franks  y  firent  des  conquêtes  si  importantes  que  le 
royaume  dont  ils  jetèrent  les  bases  leur  emprunta  son  nom.  Les  Burgondes 
à  l'Est,  et  les  Westgoths  au  Sud,  y  fondèrent  des  Étals  auxquels  leur  puis- 
sance assura  une  longue  durée.  Les  Westgoths,  augmentés  d'une  armée  de 
Vandales,  passèrent  en  Espagne,  et  ces  derniers  poussèrent  même  jusciu'en 
Afrique.  En  Italie  s'établirent  les  Marcomans  et  les  Hérules,  puis  les  Lango- 
bards,  et  plus  tard  les  Franks,  sous  Pépin.  Si  du  Midi  nous  portons  nos 
regards  vers  le  Nord ,  nous  voyons  d'abord  les  Angles,  les  Saxons  et  les  Jutes 
descendre  en  Angleterre  et  y  prendre  la  place  des  autochtones,  tandis  que 
les  Danois  y  allèrent  bientôt  après  disputer  le  terrain  aux  nouveaux  posses- 
seurs. Les  vaisseaux  danois  cinglèrent  jusqu'en  Amérique  '  et  ils  abor- 
dèrent le  nouveau  continent  six  siècles  avant  Colomb.  Les  Northmanns  se 
fixèrent  dans  la  province  gauloise  à  laquelle  ils  donnèrent  leur  nom;  quel- 
ques-uns de  leurs  descendants  parurent  en  conquérants  dans  la  basse  Italie, 
d'autres  allèrent  subjuguer  le  royaume  saxon  d'Angleterre.  Enfin,  en  Alle- 
magne même,  on  vit  des  peuples  de  race  germanique,  qui  en  étaient  jadis 
sortis,  y  retourner  en  masse  et  s'y  fixer  pour  toujours.  Il  suflira  de  citer  les 
Franks  Ripuaircs,  qtii  s'établirent  au  Y"  siècle,  dans  la  seconde  Germanie, 
dans  les  provinces  du  Danube  et  dans  la  IS'orique,  les  Frisons,  dans  TAIIe- 
magne  centrale,  etc.  "'. 

'  C.  Rjifii,  Mémoires  de  l'Acad.  de  Copenhague. 

-  Gaiiiip,  Die  (jermani.srhen  Ansiedlinujen  iind  Landtlieilungeii.  Brcslau,  iii-8".  184i. 


DES  COLONIES  BELGES.  3 

A  envisager  ces  faits  dans  leur  ensemble,  on  serait  tenté  de  dire  qne 
l'émigration  est  un  des  caractères  historiques  des  Germains,  surtout  si,  des- 
cendant du  général  au  particulier,  Ton  considère  l'un  ou  l'autre  peuple  dans  le 
développement  successif  de  sa  civilisation.  Les  Belges  nous  en  offrent  le  plus 
curieux  exemple. 

En  effet,  leur  patrie,  prise  dans  le  sens  large  que  j'ai  indiqué  plus  haut , 
est  peut-être  de  toutes  les  contrées  de  l'Europe  celle  qui ,  depuis  les  premiers 
âges,  fut  le  plus  souvent  témoin  d'expatriations  nombreuses  et  importantes. 
C'est  à  dessein  que  je  me  sers  de  ce  terme  générique  lïexpaln'ations ,  les 
déplacements  de  nos  ancêtres  ayant  été  déterminés,  à  toute  époque,  par  les 
causes  les  plus  variées,  souvent  même  les  plus  opposées.  Cette  proposition  se 
relie  d'une  manière  assez  directe  à  la  matière  que  je  dois  développer  plus 
loin,  pour  qu'il  puisse  être  utile  de  l'effleurer  ici  d'une  manière  rapide  et  en 
ne  m'altachant  qu'aux  faits  principaux. 

A  défaut  de  renseignements  positifs,  —  car  les  origines  de  notre  histoire 
sont,  comme  celles  de  tous  les  peuples,  enveloppées  de  ténèbres,  —  la 
fable  nous  apprend  qu'à  une  époque  fort  reculée,  les  Belges  fondèrent  des 
établissements  considérables  dans  le  sud  et  le  sud-ouest  de  la  côte  de  la 
Grande-Bretagne  qui  est  en  regard  du  continent  :  bientôt  les  Fir-BoUjs ,  une 
de  leurs  plus  puissantes  tribus,  passèrent  en  Irlande  sous  la  conduite  de  Lar- 
tbon.  Des  traditions ,  évidemment  exagérées ,  ont  placé  cet  événement 
au  XII"  siècle  avant  notre  ère  *;  mais,  quelle  qu'en  soit  l'époque,  le  souvenir 
de  la  migration  se  conserva  si  pieusement  parmi  les  habitants  d'Erin, 
qu'Ossian  la  chanta  dans  un  de  ses  poèmes  "".  Dans  la  partie  de  la  Bretagne 
appelée  plus  lard  Brifaniw-Belgium,  une  des  principales  villes  des  Belges 
porta,  longtemps  encore  après  César,  le  nom  de  Venla  Belgaruin  (Win- 
chester). Plus  tard  eurent  lieu  les  expéditions  de  Bellovèse,  et  un  grand 
nombre  d'auteurs  pensent  que  les  Belges  n'y  furent  pas  étrangers.  Ce  qui  est 
plus  certain,  c'est  que  des  peuples  gallo-germaniques,  à  la  tête  desquels  étaient 

'  Thomas  Moore,  History  of  Iretand,  I,chap.  VI. 

*  La  guerre  de  Temora ,  chaiil  7.  —  On  m-  peut  douter  ijuc  les  Fir-Uulgs,  ou  hoiitme.-^ 
belges,  n'aient  pénétré  en  Irlande,  par  exemple,  ees  Meiiapii  dont  parle  l'toléniée.  (Henri  Martin. 
lier  ne.  nationale  :  1862,  42' livraison  ,  pp.  TiO  el  V>\.) 


4  HISTOIRE 

Korllnvi'vs  et  Belgius,  —  chef  qui  probablement  empruntait  son  nom  de  la 
tribu  (|u'il  commandait,  —  traversèrent  l'Europe  d'un  bout  à  l'autre,  se 
jetèrent  avec  impétuosité  sur  la  Macédoine,  et  inspirèrent  à  Alexandre  le 
Grand  ce  sentiment  d'angoisse  que  Charlemagne  éprouva,  dit-on,  quelque 
mille  ans  plus  tard,  lorsque  les  Normands  firent  leurs  premières  apparitions 
sur  nos  côtes.  Aussi  bien,  les  débiles  successeurs  du  héros  macédonien  eurent 
peine  à  se  défendre  contre  les  attaques  des  Belges.  Ptolémée  la  Foudre  marcha 
contre  eux  à  la  tète  d'une  forte  armée;  mais  les  Belges  la  culbutèrent  et  le 
roi  lui-même  périt  dans  le  combat.  Il  fallut  les  séductions  amollissantes  du 
climat  asiatique  et  la  valeur  des  guerriers  de  Sosthène  pour  arrêter  le  cours  de 
leurs  victoires.  Il  parait  toutefois  qu'ils  eurent  part  à  toutes  les  guerres  que 
les  Galates  (Gaulois  germanisés)  firent  aux  peuples  méridionaux.  Pline,  on 
s'en  souvient,  place  dans  la  Pannonie  des  peuples  qu'il  appelle  BeUjUes,  et 
l'on  trouve,  parmi  les  Galates,  une  tribu  appelée  Ambiani ,  nom  que  César 
donne  à  une  branche  de  la  grande  famille  belge. 

Ces  Belges  étaient  encore  barbares.  La  civilisation  n'avait  point  encore 
poussé  racine  parmi  eux  ;  aussi  n'étaienl-ils  retenus  dans  leurs  foyers  par 
aucun  de  ces  liens  qui  attachent  les  peuples  modernes  à  leur  sol  natal.  Ce 
(pii  les  animait,  c'était  l'esprit  de  conf/uéle,  mais  de  la  conquête  sauvage  et 
brutale;  ils  obéissaient  non  au  désir  de  soumettre  des  nations  pour  régner 
sur  un  plus  grand  nombre  d'hommes  —  l'ambition  des  Alexandre ,  des 
César,  des  Napoléon,  —  mais  à  cet  instinct  destructeur  des  peuples  à  l'état 
d'enfance,  qui  ne  comprennent  pas  la  gloire  sans  le  gain  d'une  bataille  san- 
glante et  n'aperçoivent  pas  de  but  plus  élevé  à  atteindre  que  le  pillage  sans 
limites  et  sans  mesure.  Tel  fut  aussi  le  caractère  de  l'entreprise  fougueuse  et 
désordonnée  des  Cimbres  et  des  Teutons,  auxquels,  s'il  faut  en  croire  plu- 
sieurs écrivains,  les  Belges  ,  après  les  avoir  d'abord  combattus,  finirent  par 
envoyer  des  renforts. 

On  ne  saurait  signaler  aucune  émigration  proprement  dite  pendant  la 
période  romaine.  Néanmoins,  je  ne  puis  passer  sous  silence  l'expédition  que 
le  Ménapien  Carausius,  celte  grande  figure  méconnue,  fit  en  Angleterre  avec 
le  concours  de  ses  compatriotes,  qui  le  proclamèrent  empereur.  Je  rappellerai 
aussi  que  les  Belges  furent  enrôlés  en  masse  dans  les  armées  romaines  <>! 


DES  COLONIES  BELGES  5 

qu'ils  se  distinguèrent  dans  foules  les  entreprises  des  maîtres  du  inonde  :  le 
gain  de  la  bataille  de  Pliarsale  fut  dû  en  grande  partie  à  leur  valeur. 

Ils  jouèrent  le  même  rôle  pendant  Tépoque  franke,  rôle  secondaire,  mais 
glorieux.  Des  auteurs  respectables  ont  cru  qu'ils  prirent  part  à  la  conciuéte  de 
la  Bretagne  sous  Hengist  et  Ilorsa  (455-477);  mais  si  vraisemblable  que 
soit  cette  opinion  —  \)u\^(\yni  \c  liltus  saxonicim  s'étendait  jusqu'à  Boulogne, 
—  on  ne  saurait  Télayer  de  preuves  autbenti(pies. 

Cependant  le  cbrislianisme  avait  gagné  peu  à  peu  le  Nord  à  la  doctrine 
de  l'Évangile,  et,  dès  lors,  si  les  peuples  s'arrachèrent  encore  à  leurs  foyers, 
ce  fut  tout  d'abord  un  motif  de  relUjlon  qui  les  porta  à  visiter  les  pays  étran- 
gers. Les  pèlerinages  au  tombeau  du  Sauveur  et  à  d'autres  lieux  vénérables 
devinrent,  dès  le  sixième  et  le  septième  siècle,  d'un  usage  fréquent.  Le  be- 
soin de  retremper  la  piété  aux  sources  primitives  de  la  foi;  l'espoir  d'ache- 
ter le  ciel  par  les  fatigues  et  les  dangers  d'une  route  alors  si  difïicile,  et,  plus 
encore  que  tout  cela,  la  curiosité  de  pénétrer  dans  ces  contrées  où  les  sou- 
venirs des  premiers  mystères  de  la  religion  étaient  demeurés  si  entiers, 
enflammèrentde  bonne  heure  quelques  cœurs  fervents  du  désir  d'entreprendre 
le  voyage  de  la  Terre-Sainte.  Les  Belges,  sincèrement  attachés  à  leurs 
croyances ,  ne  déployèrent  pas  moins'de  zèle  que  les  autres  peuples  chrétiens. 
La  Palestine  fut,  à  toutes  les  époques,  leur  but  de  prédilection;  mais  elle 
ne  le  fut  pas  exclusivement.  A  la  prière  du  moine  Arnold ,  des  milliers  de 
Belges  volèrent,  en  1 147,  au  secours  de  leurs  frères  chrétiens  d'Espagne, 
menacés  dans  leur  existence  par  les  Maures,  et  qui,  grâce  à  cet  appoint 
aussi  puissant  qu'énergique,  purent  continuer  la  lutte  avec  des  chances 
égales  '.  C'est  encore  vers  le  même  temps  {|u'un  grand  nombre  de  Belges, 
appelés  par  Henri  le  Lion  et  d'autres  princes  allemands,  marchèrent ,  dit-on  , 
contre  les  Slaves  du  Nord  et  contribuèrent  pour  leur  part  à  la  défaite  de  ces 
barbares  encore  païens.  A  ces  pèlerins,  guerriers  ou  autres ,  nous  pouvons 
rattacher  \q%  pénitents  et  les  missionnaires  que  des  motifs  semblables  déter- 
minaient à  s'expatrier  ". 

Lorsque  les  croisades,  à  la  tête  desquelles  on  vit  presque  toujours  des 

'   Edward  Lcgiay,  Hisloire  des  comtes  de  l'iandre ,  I,  .ILil. 
"'  Baron  de  S'-Genois,  Voyageurs  belges,  1,  13, 16,  sqq. 


6  HISTOIRE 

princes  et  guerriers  belges,  eurent  établi  des  communications  plus  intimes  eniro 
rOrient  et  TOccident,  et  que  les  peuples,  habitués  jusqu'alors  à  restreindre 
leurs  relations  dans  un  cercle  étroit,  eurent  compris  Tavantage  qu'ils  pou- 
vaient retirer  d'un  trafic  lointain,  Vintérél  du  commerce,  ou,  si  l'on  aime 
mieux,  Y  amour  du  gain  devinrent  une  nouvelle  cause  d'expatriation.  Sans 
doute ,  les  Belges  ont  de  bonne  heure  hanté  les  mers  et  fréquenté  les  parages 
lointains;  les  rapports  des  Flamands,  Frisons  et  Hollandais  avec  l'Angleterre, 
rÉcosse,  la  Scandinavie,  les  villes  des  bords  de  la  Baltique,  etc.,  étaient  des 
plus  fréquents,  et  leurs  vaisseaux  cinglèrent  souvent  dans  la  Méditerranée. 
Mais  ce  n'est  guère  que  du  temps  des  croisades  qu'on  voit  des  navires  mar- 
(;hands  de  Bruges,  de  Damme  et  d'Anvers  naviguer  vers  l'Afrique  et  l'Asie, 
descendre  dans  les  ports  de  la  Palestine  et  trafiquer  le  long  du  littoral  égyp- 
tien. Il  y  eut  cependant  quelques  hardis  corsaires  qui  sortirent  de  l'Escaut 
occidental ,  dès  la  fin  du  onzième  siècle ,  pour  aller  écumer  la  mer  en  vue 
des  côtes  d'Afrique  et  de  Syrie,  et  je  n'ai  pas  besoin  de  rappeler  à  ce  propos 
lalégende  des  Pirates  verts  '.  Ce  n'est  pas  tout.  A  l'instar  des  autres  peuples 
maritimes  de  l'Europe,  on  voit  les  Belges  se  jeter  dans  des  entreprises  com- 
merciales gigantesques,  fonder  des  factoreries  sur  les  rivages  les  plus  inhos- 
pitaliers, et  apporter  aux  peuples  sauvages  qu'ils  vont  soumettre  les  bien- 
faits de  la  civilisation  et  du  christianisme,  en  échange  d'étoiles  précieuses, 
d'épices  rares,  de  métaux,  de  pierreries  et  de  mille  autres  trésors  inconnus  à 
l'Europe. 

Il  va  de  soi  que  l'extension  de  jour  en  jour  plus  grande  du  commerce 
devait  développer  largement  le  goût  des  voyages.  Aussi  la  vieille  Europe  ne 
rêve-t-elle  plus  que  colonies,  comptoirs,  expéditions  maritimes,  et,  est-il 
besoin  de  le  dire?  les  Belges  figurent  au  premier  rang  dans  cette  galerie 
d'explorateurs  et  de  marchands  voyageurs.  On  sait,  pour  ne  citer  qu'un 
exemple,  que  c'est  Jacques  Van  den  Berghe,  gentilhomme  brugeois,  qui  fil 
connaître  les  lies  Flamandes,  plus  lard  nommées  .4 çores.  Je  n'ai  pas  le  temps 
d'insister  sur  ce  point,  dont  des  travaux  spéciaux  ont,  d'ailleurs,  révélé  sulfi- 
samment  l'attrait. 

'   !)(>  Saint-Génois,  Voyageurs  belges,  I,  15,  16,  sqq. 


DES  COLONIES  BELGES.  7 

CependanI,  Ton  aurait  tort  de  croire  que  le  commerce  fût  le  seul  stimu- 
la lU  des  voyageurs.  Si  la  découverte  de  ces  innombrables  pays  qui,  depuis 
quatre  siècles,  ont  lripi(''  pour  nous  l'étendue  de  l'univers,  est  due  quelque- 
fois au  hasard,  je  me  hâte  de  le  dire,  on  en  a  été  bien  plus  souvent  rede- 
vable à  la  persévérante  énergie  de  ces  hommes  hardis  et  (  nireprenants  dont 
Colomb  est  le  type  le  plus  illustre.  L'amour  du  merveilleux  ,  le  besoin  de  cher- 
cher de  nouvelles  émolions ,  le  désir  d'apprendre,  de  pénétrer  dans  des  secrets 
dont  une  sorte  d'instinct  et  de  prescience  acquise  par  l'étude  faisait  pressentir 
l'existence,  poussèrent,  dès  les  premiers  temps,  les  hommes  de  cette  trempe  à 
afl'ronter  les  dangers  des  plus  lointains  voyages.  Les  noms  de  Rubruquis , 
(iuillebert  de  Lannoy,Josse  de  Ghistelles,  et,  parmi  les  missionnaires,  de 
Hennepin,  de  Ferdinand  Verbiest,  de  Cleynaerts,  etc.,  sont  trop  connus  chez 
nous  |)our  que  j'en  doive  faire  une  plus  ample  mention.  J'en  dirai  autant  des 
ambassadeurs  ou  diplomates  Auger  de  Busbec(| ,  Adornes ,  Scepperus  et  de 
tant  d'autres  '  dont  l'énuméralion  m'entraînerait  au  delà  des  bornes  que  j'ai 
dû  m'imposer. 

Pour  terminer  ce  que  je  viens  de  dire  des  voyageurs,  je  citerai  encore  les 
guerriers  belges ,  qui  semblent  s'être  chargés  de  perpétuer  à  travers  les  âges 
l'éloge  que  César  décerna  à  la  bravoure  de  leurs  ancêtres.  Tels  sont  ceux  qui 
accompagnèrent  Guillaume  le  Bâtard  à  la  conquête  de  l'Angleterre,  ceux  qui 
suivirent  Jean  l'Aveugle  en  Bohême ,  le  duc  de  Bourgogne  en  Servie,  Charles- 
Quint  en  Afrique,  Don  Juan  d'Autriche  à  Lépante,  Tilly  en  Allemagne,  etc. 
Tous  ces  noms  illustres  appartiennent  à  l'histoire  militaire  de  la  Belgiipie. 
Deux  brillants  faits  d'armes  de  notre  histoire,  qui  sont  moins  connus  que  les 
autres,  doivent  pour  cela  même  recevoir  une  mention  toute  spéciale.  En 
123i,  l'évèché  de  Brème  fut  désolé  par  des  héréticiues  connus  sous  le  nom 
de  slcdliKjs.  Comme  ces  novateurs  se  rendaient  coupables  des  derniers  excès 
envers  ceux  qui  refusaient  d'adopter  leurs  doctrines ,  le  pape  Grégoire  IX 
prêcha  contre  eux  une  croisade.  Le  fdsduduc  de  Brabant  (Henri  I)  qui  suc- 
céda plus  tard  à  son  père  sous  le  nom  de  Henri  II,  en  fut  le  chef;  Florent  IV, 
comte  de  Hollande,  et  Thierry,  comte  de  Clèves,  l'accompagnèrent  ;  l'élite  de  la 

'   Voy.  ]joiir  toute  cette  partie  lexccllcnt  ouvrage  de  M.  de  S'-dcnois. 


8  HISTOIRE 

noblesse  flamande,  hainuyère  et  brabançonne  servit  sous  ses  ordres.  Au 
bout  de  trois  ans,  les  stedintjs  firent  leur  soumission  à  PÉglise  et  la  paix  fut 
rétablie.  Un  siècle  plus  tard,  en  1330,  les  cbevaliers  teutoniques  firent  la 
guerre  aux  Livoniens  et  aux  Lithuaniens.  Plusieurs  princes  belges  prirent 
part  à  cette  expédition,  et  les  historiens  s'accordent  à  reconnaître  que  ce 
lurent  le  comte  Jean  de  Naniur  et  le  comte  Jean  de  Luxembourg  qui  contri- 
buèrent le  plus  à  la  victoire  des  chevaliers. 

Ainsi,  pour  résumer  les  points  principaux  que  j'ai  énumérés  :  esprit  de  con- 
(juète,  sentiment  religieux,  nécessités  commerciales,  désir  de  voyager,  soit 
pour  propager  les  vérités  de  la  foi,  soit  pour  découvrir  des  régions  incon- 
nues, ou  bien  encore  pour  remplir  des  missions  diplomatiques,  ou  pour  se 
faire  un  nom  sur  les  champs  de  bataille;  voilà,  en  deux  mots,  les  causes 
qui  amenèrent  les  expatriations  momentanées  de  nos  ancêtres. 


§IL 


Émigrations  ayant  un  caractère i)E  perpétuité,  faites  sans  esprit  de  retour. 
—  Colonies  néerlandaises  en  Allemagne,  au  douzième  et  au  treizième 
siècle. 

Jusqu'à  ce  moment  Ton  n'a  pas  encore  pu  constater  que  des  émigrations 
belges,  à  part  deux  ou  trois  exceptions,  aient  eu  lieu  d'une  manière  défini- 
tive, en  d'autres  termes,  qu'elles  aient  été  faites  sans  esprit  de  retour.  Ce 
n'est  pas,  toutefois,  que  l'on  ne  trouve  dans  nos  annales  maints  exemples  du 
contraire.  Il  y  a,  en  effet,  bon  nombre  de  colonies,  fondées  par  des  Néer- 
landais, qui  subsistèrent  pendant  des  siècles  et  qui  eurent,  dès  le  principe, 
ce  caractère  de  perpétuité  que  nous  cherchons  vainement  ailleurs. 

La  première  que  j'ai  à  signaler  à  ce  point  de  vue,  et  sur  laquelle  je  dois 
ni'élendre  quelque  peu,  parce  que  je  la  crois  peu  connue,  arriva  en  Alle- 
magne dans  la  première  moitié  du  sixième  siècle.  En  528 ,  eut  lieu  le  par- 
tage de  la  Thuringe  entre  les  Saxons  et  les  Franks.  Le  territoire  qui  échut 


DES  COLONIES  BELGES.  9 

aux  premiers  correspond  enlièrcriient  au  cercle  qui  forma  plus  lard  révèclié 
d'Halberstadt.  Le  moine  Meginhard,  qui  vivait  à  Fulde  au  IX"  siècle,  allesle 
que  les  Saxons,  dont  le  nombre  était  considérablement  affaibli  par  les  guerres, 
ne  purent  pas  suffire  à  peupler  tout  le  pays  qui  leur  était  échu.  C'est  pour 
ce  motif  qu'ils  en  cédèrent  quelques  parties  situées  à  l'Est,  à  des  colons  étran- 
gers, sous  la  seule  condition  d'un  tribut  \  Les  noms  des  cantons  orientaux 
[Ostyaiie)  de  la  Thuringe,  dévolus  aux  Saxons,  confirment  le  récit  du  chro- 
niqueur, puisqu'ils  sont  empruntés  aux  peuples  qui  avaient  fourni  les  colons. 
Ainsi  l'on  trouve  les  Hessois  dans  le  Hasseaijau ;  les  Thuringiens,  dans  le 
Nordlhurinyau  ;  et  deux  peuples  néerlandais,  à  savoir  les  Frisons  dans  VUn- 
leryau  Friesenfeld,  et  une  tribu  belge  dans  le  Gau  de  l'Âltmark  Bdyesheim  -. 

Le  cloître  de  S'-Ludger  à  Helmstadt,  possédait  en  932  de  grands  biens 
dans  ce  dernier  canton.  Le  cloître  lui-même  était  dédié  à  l'apôtre  des  Frisons 
et  relevait  de  l'abbaye  de  Verden-sur-la-Ruhr,  qui  avait  été  fondée  par 
Ludger  et  dont  les  plus  riches  domaines  étaient  situés  dans  les  Pays-Bas. 
Saint  Ludger  (74.3-809),  d'après  les  litanies  rimées  qui  complètent  sa  biogra- 
phie, fut  aussi  l'apôtre  de  la  Thuringe  septentrionale.  Il  est  donc  permis,  ce 
semble,  de  conjecturer  qu'il  trouva  parmi  la  population  belge  de  ces  contrées 
les  premiers  éléments  de  conversion.  N'oublions  pas  de  faire  remanjuer  que 
parmi  les  propriétés  de  l'abbaye  d'Helmstadt  figuraient  les  villages  de  La»ieu 
et  de  Thisele ,  dont  les  noms  sont  perdus  aujourd'hui.  Lamen,  dont  il  est 
encore  fait  mention  en  1238,  rappelle  le  village  de  Lamain  [Lamen,  en 
Hamand),  dans  l'arrondissement  de  Tournay  ;  tandis  que  Thisele  (The  Isele), 
<|ui  n'est  plus  cité  à  la  même  époque,  mais  dont  le  nom  paraît  être  remplacé 
par  le  moderne  Insel,  dans  l'Allmark,  fait  songera  la  ville  de  Lille  (Tlsle, 
insula  en  latin ,  Ryssel  en  fiamand)  ^. 

Les  émigrations  qui  suivirent  ne  sont  pas  moins  dignes  d'attention,  el  la 
petite  colonie  dont  saint  Adelard  fut  le  fondateur  peut,  à  tous  égards,  être  con- 

*  «  Qui  eam  (tcrram)  sorte  dividenlcs,  cum  luiilti  ex  eis  in  bello  cecidissenl,  et  pro  raritate 
»  eorum  tota  ab  eis  occupari  non  potuit,  partem  iilius,  eam  maxime,  que  respicil  orientem, 
»  eolonis  tradebant,  singulis  pro  sua  sorte  sub  Iributo  exercendam.  Cetera  vcro  loca  ipsi  posse- 
»   derunt....  »  Meginliard,  cilé  par  Adam  de  Brème,  dans  Lindcnhrog ,  p.  SJ. 

2  L.  de  Ledebur,  Nordlhûringen  und  die  Hermuiidurer  oder  Thûrincjer,  p.  10. 

'  Idem,         VorlriUje  zur  Geschichte  der  Mark  Brandenburg.  Berlin,  d8S4,  p.  3f). 

Tome  XXXI  L  3 


10  HISTOIRE 

sidérée  comme  une  des  plus  importantes.  Lorsque  ce  Belge  illustre,  proche 
parent  des  Carolingiens  ^  quitta  la  Flandre,  sa  patrie,  pour  aller  prendre 
la  direction  de  Fabbaye  de  Corvey  (ou  nouvelle  Corbie,  fondée  en  822),  il 
emmena  un  certain  nombre  de  laboureurs  et  d'ouvriers  originaires,  comme 
lui,  du  village  d'Huysse,  aux  environs  d'Audenarde,  et  les  établit  tout  autour 
du  couvent.  Ces  hommes  industrieux  aidèrent  les  moines  à  défricher  les  terres 
incultes  et  «  c'est  à  ce  titre  que  la  Nouvelle  Corbie  peut  être  considérée  comme 
premier  type  des  colonies  flamandes  qui  se  multiplièrent  pendant  le  moyen 
âge  dans  le  nord  de  l'Allemagne  ^  » 

Des  historiens  allemands  croient  que  des  colons  belges  accompagnèrent 
pareillement  Amalhar  (811),  archevêque  de  Trêves,  lorsque  Charlemagne 
l'eut  nommé  au  siège  épiscopal  de  Hambourg.  Ils  allèguent  que  ce  prélat  était 
belge  ^;  mais  aucun  document  ne  confirme  cette  assertion.  Elle  aurait  plus 
de  poids,  appliquée  à  saint  Ansker  (801-86S).  Né  dans  la  Flandre  occidentale, 
saint  Ansker  devint  primai  de  toutes  les  contrées  septentrionales  (Holstein , 
.lutland,  Danemark,  Suède,  Norwége,  Islande,  Groenland,  Vinland  :  Amé- 
rique?....) et  fut  le  premier  archevêque  de  Hambourg,  où  le  nomma  Louis  le 
Pieux,  en  SS-i.  Ce  prince  fit  don  à  Ansker  de  l'abbaye  de  Tuiholt  (Tliou- 
rout)  où  le  saint  avait  été  élevé,  el  donna  la  juridiction  du  cloitre  à  l'église 
de  Hambourg.  Les  biographes  de  saint  Ansker  nous  apprennent  qu'il  faisait  de 
fréquents  voyages  à  Turholt  «  Saepe  monasferium...  Turlwlt  visitans  »,  et 
(pi'il  en  ramenait  de  nouveaux  compagnons  pour  la  métropole.  Rien  ne  s'op- 
pose à  croire  qu'il  ait,  à  l'exemple  de  saint  Adelard,  dont  il  était  le  disciple, 
soigné  aussi  pour  le  bien-être  matériel  de  ses  ouailles,  en  fixant  dans  une 
contrée  sauvage  et  inculte  des  hommes  actifs  et  exercés  au  travail  agricole. 

Deux  siècles  plus  tard,  une  colonie  sur  laquelle  nous  avons  des  renseigne- 
ments authentiques,  alla  s'établir  en  Hongrie  dans  des  circonstances  qui 
méritent  d'être  rapportées.  Sous  l'administration  de  Wazon,  vingt-troisième 


'  Il  avait  pour  père  le  eoiiile  Bernard ,  (ils  de  Charles-Martel  et  frère  du  roi  Pépin.  Il  était  ]nif 
conséquent  cousin  germain  de  Charlemagne.  Né  àlluysse,  vers  734,  saint  Adelard  mourut  à 
Corbie  en  827. 

-  De  Ram,  Heviic  <alliuli(jue ,  I85G,  p.  74. 

'  Melcinoris  Goldasti  MemoranJa  letera  Holsatica  ;  apud  Wesphalen,  I,  885. 


DES  COLONIES  BELGES.  Il 

évêque  de  Liège,  une  famine  liorrible  désola  les  provinces  belgiques,  frap- 
pées de  slérililé  pendant  Irois  années  conséciUives.  «  Les  habitants  au  déses- 
poir, dit  un  historien,  et  poussés  par  la  faim,  ne  connaissaient  plus  les  droits 
de  riiumanité.  On  déterrait  les  morts,  on  allait  à  la  chasse  des  vivants,  on 
égorgeait  les  voyageurs  pour  servir  d'aliments  exécrables  à  ceux  qui  n'avaient 
pas  encore  succombé  sous  le  terrible  tléau  '.  »  Les  évêques  de  Liège  et  de 
Cambray,  l'abbé  de  Gembloux  et  plusieurs  seigneurs  puissants  furent,  au 
témoignage  de  tous  les  historiens,  les  bienfaiteurs  du  pays  par  les  abon- 
dantes distributions  de  bétail  et  de  blé  qu'ils  ne  cessèrent  de  faire  pendant 
toute  la  durée  de  ce  malheur  [)ublic.  Toutefois,  soit  que  leurs  largesses  fussent 
encore  insuffisantes,  soit  que  les  habitants  ne  se  crussent  plus  désormais  en 
sûreté  dans  leurs  foyers  ou  qu'ils  craignissent  le  retour  de  semblables  calamités, 
les  chroniqueurs  nous  apprennent  qu'un  grand  nombre  de  Liégeois  et  de 
paysans  de  la  principauté  préférèrent  l'exil  à  une  existence  problématique,  et 
se  réfugièrent  en  Hongrie,  dans  le  diocèse  d'Agrie  (Erlau).  Pour  quel  motif 
choisirent-ils  ce  pays,  si  éloigné  de  leur  patrie  plutôt  que  tout  autre?  Les 
chroniqueurs  l'expliquent  en  racontant  qu'un  quart  de  siècle  auparavant,  des 
Hongrois,  pressés  eux  aussi  par  une  disette  affreuse,  avaient  abandonné  leur 
terre  natale  et  étaient  venus  demander  à  l'évèque  de  Liège  un  asile  et  du  pain. 
L'évèque  Uéginhard  les  avait  accueillis  paternellement  et  fixés  dans  son  diocèse 
(1029).  Les  Liégeois,  et  avec  eux  bon  nombre  de  Hongrois,  conservèrent 
le  souvenir  de  ce  bienfait  et  comptèrent  sur  une  justfe  réciprocité  de  la  part 
du  roi  de  Hongrie.  Leur  attente  ne  fut  point  trompée.  Le  roi  leur  assigna  un 
vaste  territoire  situé  au  cœur  de  son  royaume ,  et  leur  laissa  l'usage  de  leur 
langue  et  autres  habitudes  du  sol  natal  (1055)  ^. 

Un  siècle  plus  tard,  d'autres  Belges,  et  principalement  des  Flamands,  allèrent, 
à  l'exemple  de  leurs  compatriotes,  s'établir  dans  les  districts  des  monlagnes 
de  la  Hongrie,  surtout  dans  la  province  de  Zips  et  dans  le  comitat  de  Honlli. 
On  ne  saurait  préciser  les  causes  de  leur  émigration;  cependant,  à  en  croire 
quelques  sources,  ils  auraient  été  appelés  parle  roi  Geysa  II  (1141-1161). 
Quelques-uns  d'entre  eux  se  fixèrent  aussi  en  Transylvanie,  aux  environs  de 

'  lîurct  de  Longcliamps,  Fastes  universels,  IV,  p.  520. 

'  Chronique  de  Jean  de  Stavelot,  yuhWée  par  M.  Borgnct;  I8GI  ,  p.  î)8(i. 


12  HISTOIRE 

Zihin  (Ilerniannsladl)  eA  de  Michcisberg.  Une  charlc  de  Bêla  III  (1189)  el 
une  autre  de  11 99  font  mention  des  FUmdrenses  UUrasylvani.  Ces  derniers, 
tout  comme  ceux  de  Hongrie,  reçurent  de  grands  privilèges  '. 

Vers  la  même  époque,  nous  trouvons  des  colons  belges  à  l'autre  exlré- 
niilé  de  l'Europe.  Dès  la  fin  du  premier  millénaire,  ils  commencèrent  leurs 
émigrations  dans  la  Grande-Bretagne ,  émigrations  frécpienles  et  qui  se  suc- 
cédèrent, par  intervalles,  pendant  plusieurs  siècles.  L'histoire  de  leurs  éta- 
blissements est  encore  à  faire  :  il  en  existe  à  peine  quelques  jalons;  mais  le 
jour  où  un  historien  patient  se  donnera  la  peine  de  recueillir  et  de  coordon- 
ner les  matériaux  nombreux  qui  sont  disséminés  sur  le  sol  anglais,  il  pourra 
élever  à  la  gloire  de  sa  patrie  un  monument  grandiose.  Tel  n'est  pas  mon 
objet;  je  dois  me  borner  à  faire  ressortir  en  peu  de  lignes  l'immense  intérêt 
qu'offrent  nos  colonies  en  Angleterre,  soit  qu'on  les  considère  isolément,  soit 
qu'on  les  étudie  dans  leur  ensemble.  Je  ne  puis  pas  non  plus  m'étendre  sur 
des  faits  dont  un  grand  nombre  sont  connus;  mais  il  ne  sera  pas  superflu, 
ce  me  semble,  d'en  signaler  en  passant  la  portée  philosophique. 

Sans  doute,  des  désastres  intérieurs  ou  l'appât  de  la  fortune  ont  été,  à 
loute époque,  l'occasion  accidentelle  d'expatriations  de  la  part  de  nos  ancêtres; 
mais,  en  se  dirigeant  de  préférence  vers  l'Angleterre,  ils  ne  suivaient  pas  un 
caprice  du  hasard,  ils  obéissaient  à  un  mobilç  secret,  je  dirai  presque  à  un 
sentiment  instinctif  de  nationalité.  N'est-ce  pas  l'Angleterre  qui  fut  dans  tous 
les  temps  l'alliée  fidèle  des  Pays-Bas  dans  leurs  luttes  généreuses  contre 
l'esprit  de  conquête  et  d'usurpation  des  rois  de  France?  Et  ce  sentiment  de 
confraternité  ne  trouvait-il  pas  sa  source  dans  l'origine  primitive  des  deux 
peuples? 

La  nature  elle-même  semblait  favoriser  leurs  rapports.  Quand  les  navires 
belges, après  quehpies  heures  de  traversée,  découvraient  les  côtes  blanches 
d'Albion,  ils  entraient  dans  la  Tamise,  qui  sépare  les  provinces  de  Kent  el 
d'Essex,  deux  des  principaux  comtés  d'Angleterre.  A  droite,  le  rivage 
d'Essex  est  déclive  et  même  assez  plal,  assez  semblable  aux  rivages  des 
embouchures  de  l'Escaut.  A  gauche,  se  dresse  la   côte  de  Kent  avec  ses 

<  Sc'lilozer,  Krilkchv  Summliiiigcii  ziir  Gesrliichte  Siebenhûrgens  ;  1795,  pp.  209  et  210. 


DES  COLOÎNIES  BELGES.  13 

rochers  abruptes  et  élevés.  Leshabilanls  d'Essex  semblent  regarder,  de  l'autre 
côté  de  la  mer,  des  populations  dont  l'origine  est  aussi  la  leur  :  ce  sont  les 
Néerlandais  (Flamands,  Zélandais,  Hollandais,  etc.)  qui,  dans  leur  propre 
langue,  s'appellent  souvent  Nederduilschen.  Or,  ils  proviennent  aussi  de  la 
grande  souche  leutoni(|ue,  ces  Saxons  établis  à  l'Est  de  la  Tamise  (  East- 
Sax,  Essex);  et,  lorsqu'ils  quittèrent  les  côtes  aux  embouchures  de  la 
31euse  et  de  l'Escaut  pour  passer  en  Angleterre ,  ces  côtes  s'appelaient  encore 
«  le  rivage  saxon  [iiltus  Saxonicum).  »  H  fut  donc  une  époipie  où  Teutons  des 
Pa\s-Bas  et  Teutons  d'Angleterre  peuplaient  les  rivages  d'une  même  famille 
saxonne,  séparés  seulement  par  un  mince  bras  de  mer.  D'un  côté,  l'Escaut 
et  la  Meuse,  de  l'autre,  la  Tamise  et  la  Stoure  tendaient  leurs  faciles  entrées 
aux  visites  réciproques  de  frères  restés  amis.  Les  premières  affinités  de  lan- 
gage et  de  mœurs  se  conservèrent  par  des  communications  presque  non  inter- 
rompues, et  établirent,  dans  la  suite  des  siècles,  ces  relations  amicales  qu'on 
ne  parvint  jamais  à  troubler  profondément.  Celte  configuration  géographique 
et  ces  souvenirs  de  l'histoire  sont,  à  mes  yeux,  la  vraie  cause  de  nos  liaisons 
avec  l'Angleterre  à  toutes  les  époques  où  les  Belges  se  sont  réellenjenl  appar- 
tenus. 

Les  habitants  de  Kent,  au  contraire,  — je  parle  toujours  au  point  de  vue 
du  passé,  —  observent,  du  haut  de  leurs  rochers  blancs,  les  brunes  falaises 
de  la  côte  gauloise  qui  commencent  entre  Calais  et  Boulogne.  Des  deux  parts, 
abords  dangereux,  langues  d'origine  différentes  :  germanique  d'une  part, 
romane  de  l'autre.  Difficulté  naturelle  de  se  joindre,  difficulté  de  se  com- 
prendre. Voilà,  simplifiée,  du  reste,  par  une  opposition  perpétuelle  entre  la 
politique  française  et  les  intérêts  anglais,  Texplicalion  des  luttes  séculaires  de 
deux  grandes  nations  dont  la  rivalité  a  tant  occupé  notre  monde  moderne. 

Aussi,  quelle  différence,  encore  aujourd'hui,  entre  l'aspect  des  côtes 
d'Angleterre!  «  La  côte  de  Kent  ressemble  à  un  ennemi  sur  la  défensive. 
Douvres  et  Deale,  en  face  du  littoral  français,  Bamsgate  et  31argate,  à  ren- 
trée du  neuve,  épient,  sentinelles  bien  armées,  tout  ce  qui  peut  se  mouvoir 
devant  elles.  Puis,  à  l'intérieur  du  lleuve,  Sheerness  abrite  la  première 
grand'garde  maritime  qui  accourrait  à  toutes  voiles  au  moindre  signal 
d'alarme.  La  côte  d'Essex,  au  contraire,  —  unie  comme  celle  des  polders  de 


14  HISTOIRE 

la  Flandre,  —  n'offre  pas  plus  de  défense  arlificielle  que  de  défense  natu- 
rel le  '.  » 

Les  faits  répondent  aux  inductions  de  la  critique.  Depuis  le  temps  de 
(ku'ausius  jusqu'à  la  bataille  de  Waterloo,  les  événements  intermédiaires  des 
règnes  d'Edouard  III,  d'Elisabeth,  de  Guillaume  III  et  de  la  reine  Anne,  et 
même  ceux  de  notre  révolution  brabançonne ,  témoignent  suflisamment  des 
rap|)orts  naturels  des  Belges  et  des  Anglais.  Ne  faut-il  pas  là  aussi  chercher 
le  secret  des  émigrations  nombreuses  que  firent  nos  compatriotes  sur  le  sol 
delà  Grande-Bretagne,  et  dont  il  convient  maintenant  de  dire  quelques 
mots? 

La  première  de  quelque  importance  que  signalent  les  historiens  anglais 
eut  lieu  pendant  le  règne  de  Guillaume  le  Roux,  fds  de  Guillaume  le  con- 
(juérant.  Les  provinces  septentrionales  du  royaume,  qui  avoisincnt  le  comté 
de  Galles  et  l'Ecosse,  étaient  moins  peuplées  que  les  cantons  du  Sud,  et  elles 
avaient  été  dévastées  pendant  les  guerres  des  Écossais  et  des  Gallois.  Guil- 
laume le  Roux  (  1087-1 100),  qui  avait  épousé  une  princesse  de  Flandre,  y 
attira ,  après  avoir  rebâti  Carlisle,  des  colons  anglais  du  Sud  et  des  Flamands 
qui ,  au  bout  de  peu  de  temps,  changèrent  complètement  l'aspect  du  pays. 
Henri  1  Beauclerc,  successeur  de  Guillaume  le  Roux,  continua  l'oeuvre  com- 
mencée par  son  frère.  Avant  que  la  guerre  n'éclatât  entre  son  frère  Robert, 
duc  de  Normandie,  et  lui,  il  engagea,  par  de  séduisantes  promesses,  un  grand 
nombre  de  Flamands  (1103)  à  aller  s'établir  au  cœur  du  comté  de  Pem- 
broek ,  dans  le  double  but  de  défendre  les  frontières  de  son  royaume  contre 
les  Gallois,  qui  conservaient  encore  leur  indépendance ,  et  de  mettre  en  cul- 
ture la  plus  grande  partie  du  comté  qui  était  restée  en  friche  ^.  En  1111, 
de  violentes  inondations  survenues  dans  les  Pays-Bas  forcèrent  beaucoup  de 
familles  flamandes  à  chercher  une  autre  patrie.  Les  relations  qui  existaient 
entre  la  Flandre  et  l'Angleterre  les  déterminèrent  à  se  réfugier  dans  ce  der- 
nier pays.  Henri  leur  assigna  des  endroits  dévastés  du  comté  d'York;  mais 
bientôt,  sur  des  plaintes  portées  contre  eux,  il  les  transplanta  aux  environs 
du  comté  de  Galles,  dans  les  comtés  de  Ross  et  de  Pembroek,  où  ils  se  réu- 

I   I^.  Jottrand,  Londres  im  point  de  vue  belge.  Bruxelles,  1832,  p.  14. 
-  Sprengel,  Geschkhle  von  Englund,  1,  p.  352  sqq. 


DES  COLOINIES  BELGES.  15 

nirent  à  leurs  anciens  compatriotes.  Du  temps  de  Rapin  de  Thoiras  ',  leurs 
descendants  se  distinguaient  encore  par  la  langue,  le  costume,  etc.,  des 
indigènes  anglais,  et  une  route  qu'ils  construisirent  à  leur  usage  a  conservé 
jusqu'aujourd'hui  le  nom  de  Flemingsway  ^. 

A  partir  de  cette  époque,  les  émigrations  des  Belges  en  Angleterre  sont 
aussi  fréquentes  que  leurs  rapports  avec  les  insulaires  britanniques  sont 
intimes.  Ils  fondèrent  des  colonies  nombreuses  sur  divers  points  de  la  Grande- 
Bretagne  pendant  les  règnes  de  Henri  II,  d'Edouard  1'',  d'Edouard  III ,  plus 
tard  d'Elisabeth,  etc.;  ces  colonies  sont  trop  connues  pour  que  j'aie  besoin 
d'insister  davantage.  Un  établissement  que  les  Flamands  formèrent  en  Ecosse, 
en  1430,  est  généralement  passé  sous  silence  par  les  historiens;  je  rappel- 
lerai donc  brièvement  dans  quelles  circonstances  il  eut  lieu.  Au  milieu  des 
guerres  désastreuses  qui  avaient  sévi  en  Ecosse  pendant  un  espace  de  cent 
cinquante  ans,  les  campagnes  s'étaient  appauvries  et  les  villes  ruinées.  Les 
habitants  ne  connaissaient  plus  d'autre  métier  que  celui  des  armes.  Jacques  1'', 
instruit  par  les  malheurs  et  souhaitant  ardemment  de  rétablir  la  prospérité 
publique,  attira,  par  la  proposition  de  magnifiques  privilèges,  un  grand 
nombre  d'artisans  de  tous  genres  de  la  Flandre.  Comme  la  noblesse,  fidèle 
à  ses  anciennes  traditions,  continuait  à  habiter  les  campagnes,  Jacques 
assigna  aux  Flaniands  les  villes  qui  étaient  devenues  presque  désertes.  Grâce 
à  l'arrivée  de  ces  immigrants,  leâ  villes  se  repeuplèrent,  et  l'on  vit  bientôt  une 
foule  de  gens  oisifs  et  inoccupés,  gagnés  par  l'exemple  des  étrangers,  s'adon- 
ner au  travail  et  concourir  au  progrès  de  l'industrie  intérieure  et  à  l'extension 
du  commerce  étranger^. 

Rien  n'est  plus  intéressant  que  de  suivre  le  développement  de  ces  colonies 
à  travers  les  vicissitudes  polili(|ues  des  États,  et  malgré  le  voisinage  d'habi- 
tants généralement  hostiles.  Il  n'est  pas  moins  curieux  de  remarquer  que  l'on 
ne  trouve  aucune  trace  d'émigration  néerlandaise  dans  quehiue  pays  que  ce 
soit  de  race  latine.  Pour  expliquer  ce  fait ,  on  peut  alléguer  sans  doute  que 
les  contrées  où  prédominait  l'élément  roman  n'ont  jamais  éprouvé  le  besoin 

•   Sprcngel,  1. 11,  pp.  itC),  97. 

-  Idem,  ihitl. 

5  Buchanan,  A}inules  rerum  Scol.,  1.  X,  p.  325.  Utreclit,  1697. 


16  HISTOIRE 

iiii|)érieux  de  se  retremper  à  une  source  étrangère;  mais  il  ne  faut  pas  perdre 
de  vue  non  plus  qu'il  a  existé  de  tout  temps  entre  les  peuples  latins  et  les  na- 
tions d'origine  teutonique  une  anlipalliie  secrète  (jui,  pour  être  peu  pro- 
noncée à  la  surface,  n'en  est  pas  moins  réelle  au  fond.  En  revanche,  nous 
trouvons  des  Belges  jusque  dans  la  presqu'île  allemande  (|ui  avoisine  la 
Scandinavie,  et  même  dans  une  île  Scandinave  proprement  dite.  C'est  la 
petite  île  d'Amack,  située  vis-à-vis  de  Copenhague.  En  1 5 1 G ,  Christian  II, 
ayant  épousé  Isabelle,  sœur  de  Charles-Quint,  fit  venir,  pour  complaire  à  sa 
jeune  femme,  un  certain  nombre  de  paysans  flamands  et  hollandais,  qu'il 
établit  à  l'extrémité  de  l'île.  Ces  colons,  d'un  genre  particulier,  —  ils  avaient 
à  s'occuper  uniquement  de  la  culture  maraîchère  —  transformèrent  bientôt 
Amack  en  un  «  jardin  potager  » ,  nom  que  lui  donnent  encore  aujourd'hui  les 
habitants  de  Copenhague.  Les  Néerlandais  conservèrent  pieusement  le  cos- 
tume et  la  langue  de  leurs  ancêtres,  et  maintenant  encore,  ils  se  distinguent 
en  partie  du  reste  des  habitants.  Leur  population  actuelle  est  d'environ 
5,000  âmes  \ 

Les  Belges  firent  des  tentatives  de  colonisation  jusqu'en  Améri(|ue.  La 
découverte  du  Yucatan  ayant  été  connue  en  Espagne,  en  1517,  l'amiral  de 
Flandre,  marquis  d'Arschol,  demanda  la  concession  de  cette  .vaste  contrée. 
Il  voulait  y  envoyer  des  colons  flamands,  en  se  chargeant  des  frais  de  leur 
premier  établissement,  moyennant  une  redevance  de  leur  part.  Charles-Quint 
accorda  la  concession  demandée ,  et  quatre  ou  cinq  navires  montés  par  des 
Belges  étaient  déjà  arrivés  à  San-Lucar,  n'attendant  plus  que  l'ordre  de  mettre 
à  la  voile,  lorsque  l'opposition  décidée  des  Castillans  lit  échouer  ce  projet^. 

Un  autre  Belge,  Érasme  Schetz  de  Grobbendonck,  d'Anvers,  parvint  à 
acquérir  d'importantes  plantations  au  Brésil,  et  il  fit  avec  le  Portugal  et  sa 
patrie  un  commerce  étendu  :  il  y  expédiait  principalement  du  sucre,  du  bois 

'  Malte-Brun ,  Géographie  ;  Gusl.  lîarba ,  1  SfiO ,  tome  1".  Danemark ,  p.  6. 

-  Voici  les  termes  de  la  requête  de  l'amiral  :  «  Suplico  a  su  Magestad  que  le  hiziese  mcrccd 
de  aquella  tierra  ,  o  isla  grande  que  se  avisava  que  se  avia  deseubierto  ,  que  ya  dezian  Yucalau  , 
jiorque  se  queria  disponer  en  gastar  de  su  hazienda,  para  ir,  o  embiar  a  poblarla  de  gente 
flamenca,  y  que  de  ladiessen  en  feu  do ,  reconociendo  siemprea  Su  Alleza  comosii  vassallo...^ 
Herrera,  decada  II ,  lib.  II ,  p.  295.  Cf.  Van  Bruyssel ,  Hisl.  du  commerce  el  de  la  marine  en  Bel-  ' 
giqve ,  II,  p.  269. 


DES  COLONIES  BEf>GFS.  \1 

et  du  coton.  Il  avait  pour  fai-lciir  à  Lisbonne  un  de  ses  compatriotes,  Jean  van 
Huist,  tandis  que  Pierre  Kossel  était  son  représentant  à  Saint-Vincent  '. 

Revenons  à  l'Europe.  Les  Belges  se  répandirent  aussi  sur  toute  l'étendue  du 
territoire  germanicpie  et  je  pourrais  à  peine  citer  l'un  ou  l'autre  Etat  i]ui  n'ait 
pas  reçu  d'eux  quelque  renfort  de  population  ou  quelque  germe  de  progrès. 
Cette  remarque  s'applique  principalement  aux  colonies  du  douzième  et  du 
treizième  siècle,  les  plus  considérables  de  toutes  celles  qu'ont  jamais  fondées 
les  Belges ,  plus  considérables  même  que  celles  que  nous  avons  signalées  en 
Angleterre.  Car,  si  importantes  qu'aient  été  ces  dernières,  elles  eurent  moins 
d'intluence  sur  l'ensemble  de  la  civilisation  de  ce  royaume  que  nos  colonies 
en  Allemagne;  d'abord,  parce  que  les  circonstances  dans  lesquelles  se  trou- 
vait la  Grande-Bretagne,  à  chacune  des  immigrations  de  nos  ancêtres, 
étaient,  somme  toute,  moins  critiques  que  la  situation  déplorable  créée  en 
Allemagne  par  une  longue  guerre  d'extermination;  ensuite,  parce  que  les 
Belges  n'obtinrent  jamais  en  Angleterre,  malgré  les  grands  privilèges  qu'on 
leur  accorda ,  un  faisceau  de  droits  aussi  étendus  que  ceux  qui  leur  furent 
dévolus  en  Allemagne;  enfin,  parce  que,  tout  en  conservant  encore  pour 
l'archéologue  des  vestiges  remarquables,  elles  n'offrent  pas  à  l'historien  ces 
débris  Vivants  et  palpables  qui  se  retrouvent  en  foule  sur  le  sol  germanique. 

Les  colonies  belges  en  Allemagne  :  tel  est  l'intéressant  mais  difficile  sujet 
dont  je  vais  maintenant  aborder  l'examen. 


IIL 


Énoncé  de  la  question.  —  Sources  de  la  matière  :  peu  ou  point  dans  les 
pays-bas;  presque  toutes  en  Allemagne. 

Un  essaim  nombreux  de  peuples  nés  sur  le  sol  néerlandais  ^—  Flamands, 
Wallons,  Brabançons,  Zélandais,  Hollandais  et  Frisons,  auxquels  se  joi- 
gnirent une  poignée  de  Westphaliens  —  allèrent  s'établir  en  Germanie  dans 

'   Vaiulcr  Aa,  Voyagien.  Cf.  Van  Bruvssel ,  loc.  cit.,  p.  321. 

Tome  XXXIL  '  4 


18  HISTOIRE 

le  courant  du  douzièmo  el  du  treizième  siècle,  et  y  jetèrent  des  racines  dont  la 
trace  se  retrouve  encore  aujourd'hui.  C'est  ce  qu'attestent  et  les  récits  de 
plusieurs  chroniqueurs  contemporains,  témoins  oculaires  de  ces  migrations 
de  nos  ancêtres,  ainsi  que  des  monuments  d'une  authenticité  irrécusable, 
tels  que  chartes,  diplômes,  actes  publics  et  privés.  C'est  ce  que  prouvent 
aussi  des  droits  et  privilèges  locaux  qui  portent  encore  le  nom  de  ceux  qui 
les  importèrent  ou  à  qui  ils  furent  concédés;  c'est  ce  qui  résulte,  enfin,  des 
traditions  populaires  encore  vivaces  comme  il  y  a  six  siècles  :  source  parfois 
obscure  et  incertaine,  mais  à  laquelle  l'historien  ne  doit  pas  dédaigner  de 
recourir,  cptand  il  y  puise  avec  discernement.  Voilà  autant  d'éléments  de 
preuves  qui  forment  le  fondement  d'une  proposition  dont  j'essaierai  tout  à 
l'heure  de  développer  successivement  toutes  les  parties. 

il  faut  avouer  pourtant  qu'un  doute  pourrait  se  présenter  à  l'esprit,  si  l'on 
voulait  tenir  compte  du  silence  de  nos  anciens  chroniqueurs.  Soit  ([ue  le  sou- 
venir des  émigrations  de  leurs  ancêtres  ne  soit  point  arrivé  jusqu'à  eux,  soit 
qu'ils  n'y  aient  accordé  qu'une  attention  fugitive,  toujours  est-il  qu'ils  n'ont 
pasjugé  à  propos  d'en  parler  dans  leurs  écrits,  et  de  les  rappeler  à  la  mémoire 
de  la  postérité.  C'est  ainsi  que  Oudegherst,  Despars,  Duclercq,  .Mélis  Stoke, 
la  Groole  Chronijke  van  Vlaenderen,  V Excellente  Chronyke ,  la  Chronique 
d'Efjmond,  etc.,  n'en  font  pas  la  moindre  mention.  Quanta  Meyer,  Sueyro  * 
et  Divanis^,  ils  ont  connaissance  d'une  colonie  fondée,  vers  il  GO,  dans  le 
Mecklenbourg;  mais  ils  se  bornent  à  reproduire  presque  textuellement  la 
version  de  l'un  ou  l'autre  annaliste  allemand ,  sans  que  cette  indication  les 
ait  poussés  à  rechercher  dans  leur  propre  pays  si  le  peuple  n'en  conservait 
pas  quelque  souvenir.  Lu  tel  silence ,  tout  étrange  qu'il  parait  au  premier 
abord,  n'est  cependant  pas  inexplicable  :  il  tient  à  la  nature  même  de  la 
situation  des  Pays-Bas,  à  l'époque  où  commencèrent  les  émigrations.  J'entre- 
rai plus  loin  à  cet  égard  dans  quelques  détails  qui  permettront  de  saisir  la 
portée  de  la  lacune  que  je  viens  de  signaler. 

C'est  à  la  docte  Allemagne  que  revient  l'honneur  d'avoir  dégagé  le  fait  de 
nos  émigrations  de  l'incertitude  où  nos  historiens  l'avaient  laissée.  Jean  Eel- 

•   Annales  Flandrenses ,  I,  p.  180'".  Anvers,  1G24.. 

2  Divœi  reriim  Brabant.  Edit.  Miraei,  pp.  33,  97.  —  Voy.  plus  loin  ,  div.  II,  fhap.  VI. 


DES  COLOi^IES   BELGES.  i9 

king,  baron  du  Saint-Empire  et  syndic  de  la  ville  de  Brème,  s'occupa  le 
l)remier,  d'une  manière  expresse,  d'un  sujet  si  fécond  en  enseignements  '. 
Son  travail  est  une  dissertation  inaugurale,  et,  malgré  toute  son  imperfec- 
tion, il  y  faut  signaler  des  qualités  incontestables.  On  y  trouve  du  soin  dans 
les  recherches,  de  l'exaclilude  dans  les  détails,  de  la  loyauté  dans  les  juge- 
ments. Malheureusement,  Tœuvre  est  incomplète,  et,  dans  plus  d'un  endroit, 
elle  manque  de  précision  et  de  netteté.  D'ailleurs,  esprit  sèchement  analy- 
fi(|ue,  Eelking  ne  perçoit  point  la  synthèse  des  choses;  les  qualités  lumineuses 
du  crili(|ue  lui  font  défaut.  Néanmoins,  il  a  eu  le  mérite  déposer  le  premier 
jalon  d'une  question  du  plus  haut  intérêt,  de  réunir  une  foule  de  documents 
épars  et  de  montrer  à  ses  successeurs  le  chemin  à  suivre  pour  arriver  à  un 
résultat  complet. 

Après  lui,  trois  écrivains  ont  traité  exprofesso  le  même  sujet.  Le  premier, 
J.-G.  Hoche,  d'abord  chapelain  du  collège  ihéologique  de  Halle,  et  plus  lard 
pasteur  du  village  de  Bodinghausen,  travailla  sur  le  plan  d'Eelking  et  repro- 
duisit en  partie  ses  données  -;  mais,  comprenant  les  imperfections  de  l'œuvre 
de  son  devancier,  il  combla  les  lacunes  que  ce  dernier  avait  laissées ,  et  com- 
pléta dans  une  certaine  mesure  ses  investigations.  Il  a  de  plus  sur  Eelking 
l'avantage  d'avoir  vu  par  lui-même  les  traces  de  plusieurs  colonies  que  le 
syndic  de  Brème  connaissait  à  peine  de  nom.    ■ 

Avant  de  parler  des  deux  autres  écrivains  dont  je  viens  de  faire  mention, 
je  dois  citer  un  discours  sur  le  droit  de  succession  des  Belges  en  Allemagne  ^, 
prononcé,  en  1792,  devant  l'Académie  de  Wittenberg,  par  le  recteur,  doc- 
teur Kliigel;  discours  dans  lequel  le  savant  jurisconsulte  a  recherché  avec  un 
soin  consciencieux  les  origines  de  ce  droit  en  Allemagne,  et  les  causes  pour 
lesquelles  il  y  fut  introduit.  Ce  travail  fort  intéressant,  et  qui  renferme  plu- 
sieurs indications  que  j'ai  vainement  cherchées  ailleurs,  semble  avoir  été 
ignoré  de  tous  les  auteurs  qui  se  sont  occupés  depuis  lors  de  la  matière. 

'  Dissertatio  historico-juridicu  inaiiijuruU:i  de  Belgis  scculo  AU  in  Germuniam  advenis 
variisque  institutis  atque  juribus  ex  eorum  adventu  ortis.  GôUingue,  1770. 

-  Historische  Untersiichmigen  iiber  die  Niedeiiandischen  Kolonien  in  Niederdeutsddand 
besonders  der  Hollunder  und  Flàmingei',  etc.  Halle,  17'J1. 

^  De  viduo  successore  in  immobilia  ab  uxore  relicta  ex  iure  Flamingico.  Wittenberg,  1792. 


20  HISTOIRE 

En  1793,  le  docteur  Sclilozer,  professeur  à  runiversilé  de  GôUingue, 
consacra  une  cinquantaine  de  pages  à  l'examen  des  colonies  néerlandaises  qui 
se  lixèrent  en  Allemagne,  en  les  mettant  en  rapport  avec  les  émigrations 
germaniques  qui  eurent  lieu  en  Transylvanie  '.  Le  travail  de  Schlozer  n'est 
qu'un  précis  substantiel;  mais,  quoiqu'il  ait  beaucoup  moins  d'étendue  que  les 
livres  d'Iielking  et  de  Hoche,  il  l'emporte  par  la  clarté  d'exposition  et  par 
l'ordre  qu'il  suit  dans  les  détails,  non  moins  que  par  le  coup  d'œil  philoso- 
phique et  par  les  vues  d'ensemble  qui  avaient  échappé  à  ses  deux  prédé- 
cesseurs. Il  eut  aussi  le  bonheur  de  puiser  à  quelques  sources  nouvelles. 

Enfln,en  18i5,  paiiit  un  ouvrage  qui  sembla  vouloir  épuiser  la  matière 
et  ne  plus  rien  laisser  à  désirer  -.  L'auteur,  Auguste  de  Wersebe,  conseiller 
d'Etat  à  Hanovre,  etc.,  s'était  donné  pour  mission  de  traiter  à  fond  la  ques- 
tion de  nos  colonies,  et  il  se  flattait  qu'après  lui  personne  ne  trouverait  plus 
à  glaner  dans  ce  champ  si  vaste.  Il  faut  reconnaître  qu'il  avait  de  l'érudition 
et  que  son  œuvre  témoigne  d'études  étendues  et  d'une  application  sérieuse, 
3Iais,  cet  hommage  rendu  ,à  la  mémoire  d'un  écrivain  laborieux,  je  serais 
fort  tenté  de  lui  appliquer  l'adage  de  l'École  :  Qui  prouve  trop  ne  prouve  rien. 
En  efl"et,  l'auteur  a  pris  à  tâche  de  démontrer  que  les  colonies  néerlandaises 
ont  été  fort  peu  nombreuses,  et  qu'elles  n'ont  exercé  aucune,  ou  du  moiiis 
presque  aucune  influence  sur  la  civilisation  de  l'Allemagne.  Tel  est  le  défaut 
dominant  de  son  système.  Il  a  écrit  avec  l'idée  préconçue  que  nos  colonies 
ont  eu  pour  fondateurs  une  poignée  de  misérables  aventuriers,  chassés  de  leur 
pays  par  la  misère,  et  incapables,  par  conséquent,  d'être  autre  chose  en 
Allemagne  que  des  ouvriers  salariés  par  les  princes  ou  les  prélats.  S'il  ren- 
contre une  colonie  dont  les  chroniqueurs  contemporains  ne  font  pas  mention, 
ou  bien,  sans  sortir  du  Hanovre,  il  nie  formellement  qu'elle  existe,  ou  bien, 
recourant  à  une  explication  ridiculement  fataliste,  il  attribue  au  hasard  seul 
[zùfaU,  zàfalUy)  tel  ou  tel  nom  local  qui  rappelle  évidemment  une  origine 
néerlandaise.  A  ces  deux  défauts  principaux,  vient  s'en  joindre  un  troisième  : 
la  longueur  énorme  de  l'ouvrage.  En  recherchant  à  perte  de  vue  les  généalo- 
gies des  princes,  évéques  ou  abbés  qu'il   rencontre  sur  sa  route,  ou  en  se 

•   Krilisihe  Saininliingen  zitr  Ge.scliiclite  (1er  Deutsihen  in  SicbenbUrgen.  Gtillingen,  1793. 
^   Ucbcr  die  .YiedcrUindischen  Colonien,  etc.  Haiinovcr,  18 15-1  G. 


DES  COLONIES  BELGES.  21 

livrant  à  des  réfutations  hors  de  saison  et  mal  appliquées  contre  Eelking, 
de  Hoche,  ou  d'autres  auteurs,  Wersebe  est  parvenu,  dansses  deux  volumes 
in-octavo,  à  atteindre  le  nombre  de  près  de  onze  cents  payes!...  On  pourrait 
facilement  réduire  à  deux  cents  les  pages  consacrées  directement  à  la  colo- 
nisation. Les  vices  du  système  de  Wersebe  ont  déjà  été  à  plusieurs  reprises 
signalés  en  Allemagne;  de  sorte  que  ses  jugements  sont  à  peu  près  unani- 
mement considérés  aujourd'hui  comme  nuls  et  de  nulle  valeur.  Il  convient, 
au  surplus,  d'ajouter  que  les  cartulaires  et  autres  documents  récemment  pu- 
bliés en  Allemagne  lui  infligent  à  chaque  instant  les  démentis  les  plus  catégo- 
riques. 

Parmi  les  écrivains  contemporains,  MM.  Droysen  '  cl  Langelhal  -  ont, 
sans  entrer  dans  les  détails,  apprécié  l'ensemble  de  la  colonisation  néerlan- 
daise avec  beaucoup  de  sagacité,  et  relevé  avec  franchise  les  passages  où  la 
partialité  de  Wersebe  se  montre  le  plus  à  découvert.  MM.  de  Ledebur  '\  Mi- 
chelsen  ''  et  Adier  ^  se  sont  prononcés  dans  le  même  sens  quant  à  ce  dernier 
point;  mais,  au  lieu  d'envisager  la  question  à  un  point  de  vue  général,  ils 
ont  abordé  l'une  ou  l'autre  matière  spéciale,  et  écrit  sous  cet  aspect  des  mo- 
nographies fort  remarquables. 

Je  ne  puis  terminer  ce  court  aperçu  des  travaux  allemands  sans  signaler 
d'une  manière  tout  à  fait  particulière  un  ouvrage,  actuellement  sous  presse, 
d'un  savant  de  Drême.  .M.  le  docteur  Schumacher,  —  qui  a  eu  l'obligeance 
de  me  donner  communication  de  son  manuscrit,  —  comprenant  l'insuifisance 
de  tout  ce  qui  a  été  écrit  jus(|u'à  ce  jour  sur  la  colonisation  néerlandaise  dans 
le  duché  de  Brème,  a  remanié  le  sujet  de  fond  en  comble  et  lui  a  donné,  il 
faut  le  dire,  un  aspect  tout  nouveau.  Son  livre  comprend  deux  parties  assez 
distinctes,  dont  l'une  est  consacrée  presque  tout  entière  aux  colonies  belges 
dans  l'Allemagne  en  général.  Ce  n'est  qu'un  aperçu  sommaire;  mais  les  vues 
d'ensemble  s'y  rencontrent  à  côté  d'une  foule  de  détails  saillants.  La  seconde 
partie,  à  laquelle  la  première  sert  en  quelque  sorte  d'introduction,  se  rapporte 

'   Geschichie  dtr  Preu.ssischen  Polilik,  I.  Berlin,  ISari. 

*  Geschkhte  <ler  Teuisrheti  Landwirlschaft ,  I.  Jena,  1847. 

5   Vortrdge  zùr  Geschichte  der  Mark  Brandvnburg.  Berlin,  tSiii. 

*  Rechtsdenkinale  aus  Tluiringen.  ieivà ,  iSti'S. 

'^  Die  \iedeilandischen  Culonien  in  der  Mark  lirandenburg.  Berlin,  1801.  —  19  pages. 


±2  HISTOIRE 

excliisivemenl  au  droil  iK'erlandais  à  Brème,  ci  cesl  là  qu'il  faudra  désormais 
aller  puiser  tous  les  renseignements  sur  la  matière  '. 

En  IJelgi(iue,  la  question  a  péniblement  langui.  Jusciu'à  la  fin  du  siècle 
dernier,  nos  historiens  semblèrent  complètement  ignorer  que  des  émigrations 
eurent  lieu  chez  nous  à  Tépoque  où  les  libertés  communales  commençaient  à 
poindre.  En  1778,  rAcadémic  impériale  et  royale  des  sciences  et  belles- 
letlres  de  Bruxelles  mil  au  concours  la  question  des  expéditions  et  émi- 
grations des  Belges  depuis  les  temps  anciens.  Parmi  les  lauréats,  le  marquis 
du  Chasteler  et  l'abbé  de  Mersseman  se  bornèrent  à  indiquer  la  dissertation 
d'Eelking;  M.  Méan  en  donna  une  courte  analyse,  et  M.  Verhoeven  signala 
simplement  Témigralion  de  1160,  d'après  31eyer  et  quelques  autres  chroni- 
queurs. Parmi  nos  historiens  actuels,  31.  De  Smet  est  le  seul,  à  ma  connais- 
sance, qui  lasse  une  courte  mention  d'Eelking  dans  son  Histoire  de  Belyifjue  -. 
Un  seul  travail  national  ne  se  traîne  pas  servilement  dans  l'ornière  d'Eelking 
et  de  Wersebe  :  c'est  une  notice  solide  et  substantielle  lue  par  M.  le  professeur 
Arendl  à  l'Académie  royale,  et  dans  laquelle  on  rencontre  des  vues  neuves  et 
des  aperçus  intéressants  ~\ 

D'après  ce  qui  précède,  il  est  aisé  déjuger  que  si  l'on  veut  faire  avancer 
la  question  de  quelques  pas,  il  ne  suffit  plus  de  réunir,  de  coordonner  et  de 
discuter  les  matériaux  compulsés  par  les  auteurs  allemands  qui  ont  écrit  sur 
les  colonies  néerlandaises,  mais  (|u'il  faut  se  résoudre  à  faire  des  recherches 
sur  les  lieux  mêmes  où  elles  se  sont  établies,  ainsi  que  dans  les  archives  et 
autres  collections  des  contrées  où  elles  ont  longtemps  subsisté.  Il  est  aussi 
indispensable  d'étudier,  parmi  les  débris  de  leurs  populations  et  dans  leur 
histoire  locale,  les  traces  que  la  colonisation  y  a  laissées.  Tel  est,  selon  moi, 
le  seul  moyen  d'arriver  à  une  connaissance  plus  parfaite,  plus  vraie  et  plus 
approfondie  de  ces  établissements.  J'ai  essayé  ce  genre  de  recherches  et  j'ai 

'  Voici  le  jugement  du  D'  Scliumachcr  sur  Wersebe  :  «  On  ne  saurait  considérer  son  ouvrage 
»  comme  satisfaisant;  les  erreurs  de  fait  en  sont  les  moindres  défauts;  les  questions  qui  nous 
»  semblent  capitales  n'y  sont  pas  même  effleurées.  Il  manque  à  ce  travail  l'interprétation  fé- 
I  condede  la  matière  historique,  et  la  cohésion  intelligente  des  détails  :  c'est  une  compilation 
»   de  recherches  microscopiques,  n 

2  I.  ISO,  édit.  de  18m 

3  Bulletins  de  V Académie ,  XXII,  1855. 


DES  COLONIES  BELGES. 


20 


élé  assez  heureux  pour  découvrir  une  foule  de  faits  et  de  documents  que  per- 
sonne n'avait  signalés  jusqu'à  ce  jour.  ^ 

Il  faut  aussi  se  reporter  à  l'origine  des  émigrations,  examiner  la  voie 
suivie  par  les  princes  pour  se  mettre  en  rapport  avec  les  étrangers,  décrire 
le  mode  de  formation  des  colonies,  etc.  Pour  traiter  ces  divers  points,  tous 
les  historiens,  qu'ils  soient  helges  ou  allemands,  qu'ils  aient  approfondi  ou 
simplement  effleuré  la  question,  n'ont  pu  citer  que  llelmold,  annaliste  con- 
temporain et  témoin  oculaire,  dont  le  récit  est  généralement  assez  laconique, 
mais  que  la  science  moderne  n'a  pas  encore  trouvé  en  défaut  sous  le  i-apport 
de  la  véracité  '. 

Qu'était-ce  donc  que  llelmold?  Quelle  autorité  faut-il  lui  accorder  aujour- 
d'hui? Quel  degré  de  créance  mérite  son  témoignage? 

Helmold,  dit  Chateaubriand,  est  la  source  principale  de  l'histoire  des  peuples 
de  l'Allemagne  au  moyen  âge,  et  surtout  de  celle  des  Slaves'".  C'était  un 
prêtre  de  Buzow,  village  situé  près  du  lac  de  Plœn,  dans  le  Holslein  \  Il 
vécut  pendant  la  plus  grande  partie  de  la  période  qui  nous  intéresse  spécia- 
lement, celle  du  douzième  siècle,  et  fut  l'ami  intime  de  Gérold,  premier 
évêquede  Liibeck.  Il  ne  se  contenta  pas  de  la  vie  tranquille  et  spéculative  du 
cloître;  mais,  animé  de  l'esprit  de  l'Évangile,  il  travailla  avec  ardeur  à  la  con- 
version des  Slaves.  De  là  ses  rapports  fréquents  avec  les  peuples  de  cette 
nation,  et  surtout  les  Wagres;  de  là  aussi  sa  compétence  pour  décider  les 
questions  que  la  critique  méticuleuse  de  l'histoire  pourrait  révoquer  en  doute*. 

'  ChroHtcon  SlavontiH ,  in  Lcibnizii  Scriptoribiis  reruin  Bruusvicensium ,  t.  1. 

*  Études  historiques.  Préface. 

5  Morcri,  Dictionnaire  historique,  elc,  V,  570.  Paris,  J770. 

*  Cari  Hegel,  Geschichte  der  3Iecklenburgschen  Lundsttinde.  Rostock,  185(1,  dit  :  «  \)er 
V  Priestcr  Helmold,  welchcr  dièse  Dinge  als  nahestchender  Zeuge  ausfuhrlich  uiid  glaub- 
»   wiirdig  berichtet » 

Un  émiiient  historien  confirme  en  ces  termes  le  jugement  que  je  porte  moi-même  sur 
Helmold  :  «  Dièses  Zeugniss  ist  wohl  giiltig  zu  nennen,  weil  Helmold  nieht  nur  Zeitgenosse, 
»  sondcrn  im  Lande  Wagricn  Pfarrer,  also  sogar  Aiigenzeuge  war  (LAiVCETiiAL,  II,  tlO).  »  Et 
l)lus  loin  :  k  Dcnnoeh  ist  Helmold  gcrade  in  Wagricn  niclit  allein  Zeitgenosse,  sondern  sogar 
»  Augcnzeuge  aller  Begebenheiten  gewesen,  schildert  die  auch  mit  einer,  fiir  einen  Geistliclien 
»  damaliger  Zeit,  gewiss  sellenen  Unpartheiliclikeit  gegen  sie  Slaven,  bekundet  eine  gcnaue 
»  Sacli-und  Lokalkenntniss  und  zeichnct  uns  die  Granze  mit  Bcstimmtlieit  vor,  \vo  tcutsche 
.  Colonien  endigten  und  Slavische  begannen  {loc.  cit.,  129).  r.  Ce  passage  est  dirigé  contre 
Wersebe  qui  fait  à  chaque  instant  à  Helmold  le  reproche  d'exagération  et  de  légèreté. 


24  HISTOIRE 

(Tesl  à  la  prière  de  son  ami  Gérolil  qu'il  entreprit  d'écrire  la  chronique  des 
Slaves,  laquelle  débute  par  la  conversion  des  Saxons  au  christianisme,  sous 
Charlemagne,  et  finit  à  l'année  1170.  Pour  ce  qui  concerne  les  Slaves, 
llelmold  ne  raconte  que  ce  qu'il  a  vu  et  entendu  :  il  a  par  conséquent  la 
double  autorité  que  l'on  accorde  au  témoin  oculaire  et  à  l'acteur  même  d'un 
l'ail.  Nous  insistons  à  dessein  sur  ce  point,  parce  que,  faute  d'en  avoir  tenu 
compte,  plusieurs  écrivains  ont  raisonné  contrairement  aux  alïlrmations  de 
llelmold  et  se  sont  égarés  par  là  dans  un  dédale  d'erreurs. 

Quant  à  son  récit  en  lui-même,  Helmold  a  de  la  bonne  foi,  de  la  naïveté, 
et  une  manière  de  dire  les  choses  sans  parti  pris.  Si  d'un  côté  il  est  animé 
du  zèle,  de  l'ardeur  d'un  apôtre  chrétien,  il  professe,  d'autre  part,  des  prin- 
cipes de  tolérance  qui  sont  l'apanage  d'un  esprit  supérieur  ou  d'un  c(eur 
naturellement  bon.  S'il  flétrit  énergiquement  le  naturel  féroce,  la  cruauté 
froide  et  calculée,  les  sacrifices  humains  des  peuplades  païennes  qu'il  tâche 
de  ramener  à  des  sentiments  plus  doux,  il  s'élève  avec  non  moins  de  force 
contre  les  représailles  sanglantes  des  princes  chrétiens,  qui  oublièrent  plus 
d'une  fois,  dans  leur  colère,  les  lois  de  la  religion  et  les  droits  de  l'huma- 
nité. Il  ne  craint  pas  même  de  placer  dans  la  bouche  des  vaincus  les  griefs 
qu'ils  avaient  à  faire  valoir  contre  leurs  oppresseurs  '.  Que,  si  l'on  m'objecte 
(|ue  ces  discours  ne  sont  que  le  pendant  des  fameuses  harangues  que  nous 
trouvons  dans  les  auteurs  de  Rome  ou  d'Athènes,  je  répondrai  (|u'ils  ont  un 
accent  de  vérité  auquel  l'on  ne  peut  pas  se  méprendre,  et  que,  d'ailleurs, 

'  En  voici  un  exemple  entre  plusieurs  :  »  Lorsque  Gcroltl,  évèque  de  Lubeck,  exhorta  un 
grand  nombre  de  Wendes  à  abandonner  le  paganisme  pour  reconnaître  la  vraie  religion,  Pri- 
bislav,  prince  slave,  lui  répondit  :  «  Vos  paroles,  vénérable  pontife,  sont  les  paroles  de  Dieu  , 
»  et  s'accordent  avec  ce  qui  convient  pour  notre  salut;  mais  comment  pourrions-nous  entrer 
»  dans  cette  voie  au  milieu  des  maux  de  tout  genre  qui  nous  entourent?  Les  princes,  sous  la 
«  domination  desquels  nous  vivons,  nous  accablent  d'exactions  et  d'impôts,  nous  tiennent  dans 
»  un  si  dur  esclavage  et  nous  traitent  avec  tant  de  sévérité  que  nous  préférerions  mille  morts  à 
»  une  pareille  existence  :  comment  trouverions-nous  le  loisir  pour  observer  cette  religion  nou- 
»  velle,  pour  bâtir  des  églises  et  nous  préparer  à  recevoir  le  baptême,  nous  qui  sommes  conti- 
»  nuellcment  sur  le  point  de  devoir  nous  soustraire,  par  la  fuite  ,  aux  tyrannies  qui  s'exercent 
»  contre  nous?  S'il  plaisait  iiu  comte,  notre  seigneur,  ainsi  qu'à  vous,  noble  prélat,  de  nous 
»  accorder  les  mêmes  privilèges  pour  la  culture ,  et  les  mêmes  droits  que  ceux  dont  jouissent  les 
»  Saxons  à  l'égard  de  leurs  fermes  et  de  leurs  revenus,  nous  nous  ferions  volontiers  chrétiens, 
»   nous  bâtirions  des  églises  cl  i)a}  crions  les  dîmes.  »  [Cliron.  slav.,  lib.  I,  ch.  83,  n"'  8  et  9.) 


DES  COLOiMES  BELGES.  -  23 

abstraclion  faite  de  la  forme  que  le  chroniqueur  peut  leur  avoir  donnée  ,  ils 
sont  d'une  vraisemblance  si  parfaite  et  d'une  couleur  locale  si  habilement 
dessinée  que  Phislorien  peut,  sans  danger  de  se  tromper,  les  tenir  pour  réels. 
C'est  dans  la  chronique  de  Helmold  et  dans  quelques  autres  écrits  posté- 
rieurs ou  presque  contemporains  qu'il  faut  chercher  la  cause  première  de  la 
colonisation  néerlandaise.  Ce  point  exige  quelques  développements. 


§IV. 

Situation  de  la  basse  Allemagne.  —  Slaves  et  germains.  —  Antipathies 
DE  races.  —  Guerres  d'extermination.  —  Dépeuplement.  —  Appel  fait 

PAR  les  prélats  et  LES  PRINCES  AUX  PEUPLES  DES  PAYS-BAS. 

Les  belles  prairies  et  les  campagnes  fertiles  qui  s'étendent  le  long  du  Weser 
et  de  l'Elbe  jusqu'à  la  Baltique  et  la  mer  du  Nord  ont  à  peine  six  siècles 
d'existence.  Les  côtes  qui  les  entourent  étaient  autrefois  si  basses  qu'il  suffisait 
de  la  moindre  brise  pour  faire  déborder  l'Océan,  qui  inondait  à  chaque  fois 
plusieurs  lieues  de  territoire.  De  là  ces  nombreux,  ces  interminables  marais 
dent  les  écrits  du  douzième  et  du  treizième  siècle  font  à  chaque  instant 
mention.  Les  rares  habitants  qui  se  résignaient  à  bâtir  une  chélive  cabane 
sur  ce  sol  inhospitalier  étaient  encore  à  demi  sauvages.  Ils  ignoraient  l'art  de 
faire  des  conquêtes  sans  verser  le  sang  humain,  c'est-à-dire  de  se  garantir 
par  des  digues  contre  les  envahissements  de  la  mer,  et  de  dessécher  les  maré- 
cages qui  rendaient  le  pays  insalubre.  Pour  comble  de  malheur,  ce  peuple, 
déjà  si  misérable,  fut  décimé  par  deux  ennemis  puissants  :  à  l'Est,  par  les 
Slaves,  à  l'Ouest  et  au  Sud  par  les  Franks.  Les  premiers  massacraient  tous 
ceux  dont  ils  pouvaient  se  rendre  maîtres  ;  les  seconds ,  plus  humains ,  se  con- 
tentaient de  leur  ravir  l'indépendance  avec  la  liberté,  et,  à  chaque  velléité  de 
révolte,  de  les  envoyer  par  milliers  en  exil  : 

Karolus,divino  munere  victor, 

Caesis  innumeris,  reliquos  exinde  fugavit. 

(PoETA  Saxo). 

Tome  XXX IL  S 


26  HISTOIRE 

Les  Normands  conlinuèrenl  l'œuvre  de  destruction  et  choisirent  sans  cesse 
la  basse  Saxe  pour  théâtre  de  leurs  guerres  avec  les  Germains.  Ce  pays, 
(pi'on  appelait  le  dernier  de  la  chrélienté,  fut  en  même  temps  le  dernier 
à  recevoir  sa  part  des  bienfaits  de  la  civilisation.  Aussi,  en  1158,  Tempe- 
reur  Frédéric  I  le  considérait-il  comme  uniquement  propre  à  pouvoir  servir 
à  ses  sujets  de  lieu  de  refuge  et  d'abri  pendant  les  incursions  des  Wendes  K 

Mais  jamais  la  situation  que  je  viens  d'esquisser,  et  qui  resta  la  même 
depuis  le  huitième  jusqu'au  douzième  siècle,  ne  fut  aussi  précaire  que  durant 
les  guerres  d'extermination  auxquelles  se  livrèrent  les  princes  allemands  et 
les  rois  slaves.  Il  existait  entre  les  uns  et  les  autres  un  antagonisme  séculaire, 
Iraditionnel,  dont  le  temps,  loin  de  le  calmer,  n'avait  fait  qu'accroître  la  vio- 
lence. Les  premiers  se  souvenaient  toujours  d'avoir  été  dépossédés,  par  des 
vainqueurs  d'une  autre  race  que  la  leur,  des  provinces  septentrionales  de  leur 
patrie,  provinces  auxquelles  les  conquérants  avaient  donné  leur  nom  :  Slavia. 
Les  seconds,  dont  le  caractère  dislinctif  semble  être  une  soif  immodérée  d'ab- 
sorber tous  les  peuples  au  profit  de  leur  propre  nationalité,  se  trouvaient  trop 
à  l'étroit  dans  le  domaine  immense  qu'ils  avaient  enlevé  aux  Germains. 
De  là  des  collisions  sanglantes  qui  durèrent  pendant  des  siècles. 

Depuis  qu'ils  avaient  paru  en  Europe,  les  Slaves  (les  Sarmates  des  anciens) 
s'étaient  étendus  depuis  la  mer  Baltique  jusqu'à  l'Oural ,  et  depuis  la  mer  Gla- 
ciale jus([u'au  lAIonténégro.  Les  Vénèdes  ou  Wendes  se  fixèrent  dans  tout  le 
pays  qui  est  compris  entre  l'Elbe,  la  Baltique  et  l'Oder.  Les  Obotrites  allèrent 
occuper  le  Mecklenbourg.  A  l'Ouest  de  ceux-ci  et  jusqu'à  l'embouchure  de  l'Elbe 
s'établirent  les  Polabes;  au  Nord ,  dans  le  Ilolstein  et  dans  les  îles  de  la  Pomc- 
ranie,  les  Wagriens  et  les  Rugiens;  à  l'Est  et  au  Sud,  dans  la  Poméranie  et 
dans  la  Marche,  les  Wilzes;  au  Midi  de  ceux-ci,  et  au  delà  du  Ilavel,  les 
Sorbes  ou  Sorabes;  dans  la  Lusace,  les  Lulizes,  etc. 

Les  Germains  se  préoccupèrent  assez  peu,  dans  le  principe,  de  ces  immi- 
grations, ou  ils  n'en  profitèrent  que  pour  se  mieux  battre  les  uns  les  autres. 
Non  cependant  qu'ils  voulussent  laisser  les  Slaves  s'étendre  à  leurs  dépens. 


'  «  ...  Ut  trans  Alhim  se  et  sua  ab  iiicursu  paganoruni  securius  in  his  locis  occultare  queant. 
Schutze,  Geschichte  voit  Uamhurg,  11,93. 


DES  COLOrSIES  BELGES.  27 

Cliaileniagne,  Henri  l'Oiseleur,  Louis  le  Germanique  el  les  Oilions  leur 
prouvèrent  ce  (|u'il  en  coulait  pour  oser  s'allaquer  aux  nobles  descendants 
d'Herniann.  Leurs  successeurs  eurent  bientôt  d'aulres  motifs  de  mécontente- 
ment. Les  Slaves  avaient  toujours  montré  Tatlacbement  le  plus  tenace  pour 
leur  religion  sanguinaire.  Un  moine  de  Corvey,  saint  Vitus,  tâcha  de  les  con- 
vertir au  temps  de  Louis  le  Débonnaire  :  les  Slaves  rimmolèrcnt  à  leurs  idoles. 
Othon  I,  après  avoir  vaincu  un  grand  nombre  de  leurs  tribus,  établit  chez 
eux  le  christianisme  et  détruisit  une  de  leurs  principales  divinités,  Radegast  : 
les  Slaves  ravagèrent  le  Brandebourg,  la  Saxe  et  la  Misnie,  et  tuèrent  plus 
de  trente  mille  chrétiens.  Vaincus  de  nouveau,  ils  se  laissèrent  évangéliser 
en  apparence;  mais,  à  peine  libres,  ils  massacrèrent  tous  leurs  prêtres  et  brû- 
lèrent toutes  les  églises  nouvellement  bâties.  Quelques  années  après,  Gotts- 
chalk,  un  de  leurs  meilleurs  rois,  fit  de  nouveaux  efforts  pour  les  ramener 
à  la  religion  chrétienne  à  laquelle  lui-même  s'était  converti  :  ses  sujets  se  ré- 
voltent, le  tuent,  massacrent  les  missionnaires  et  égorgent  tous  ceux  qui  font 
profession  d'un  culte  autre  que  le  leur.  La  fureur  païenne  va  jusqu'à  détruire 
Hambourg,  où  Louis  le  Pieux  avait  établi  le  siège  épiscopal  du  grand  apôtre 
du  Nord ,  saint  Ansker.  Alors  les  Wendes  se  donnèrent  pour  roi  le  Puigien 
Kruko,  païen  aussi  fanatique  que  féroce. 

Kruko  forma  une  confédération  de  tous  les  peuples  slaves,  organisa  leurs 
forces  sur  un  pied  formidable,  el  ne  songea  à  rien  moins  qu'à  entreprendre 
la  conquête  de  la  Germanie  tout  entière.  Pour  démontrer  à  ses  adversaires 
qu'aucune  transaction  n'élait  possible,  il  ordonna  un  massacre  général  de  tous 
les  chrétiens  qui  vivaient  dans  ses  Élats  ou  habitaient  à  proximité.  Un  long 
cri  d'horreur  retentit  d'un  bout  de  l'Allemagne  à  l'autre  ;  mais  l'élite  de  la 
nalion  était  en  Palestine  et  il  fallait  différer  la  vengeance.  Bientôt  Kruko  fut 
assassiné  (1105)  et  son  meurtrier,  Henri,  fils  de  Gottschalk,  évita  des  luttes 
irritantes;  il  s'appliqua  seulement  à  donner  à  ses  sujets  le  goût  de  Tagricul- 
ture.  Après  sa  mort  (1125),  et  sous  le  règne  de  son  neveu  Kanul,  duc  de 
Sleswig,  qui  était  chrétien,  il  y  eut  un  ébranlement  général  dans  tout  le  pays, 
depuis  la  Balli^iue  jusciu'à  l'Elbe  et  de  l'Elbe  à  l'Oder.  Le  calme  ne  revint  que 
lorsque  les  Wendes  se  virent  replacés  sous  l'autorité  d'un  prince  païen ,  et  ce 
prince  fut,  pour  les  Obotrites,  Niklot,et  pour  les  Wagriens  et  les  Polabes, 


28  HISTOIRE 

Pribislav.  L'un  ot  Taulrc  claienl  descendanls  de  GoUschalk.  Mklol  pril  sa 
résidence  à  Swérin  et,  pour  se  rendre  agréable  à  son  peuple,  il  déclara  la 
guerre  aux  Danois  el  aux  Saxons  et  voua  à  la  mort  tous  les  chrétiens  '. 

Celle  attitude  hostile  en  même  temps  que  ces  cruautés  révoltantes  exaspé- 
rèrent les  princes  allemands.  Henri  le  Lion,  duc  de  Bavière  et  de  Saxe,  dont 
les  sujets  avaient  eu  particulièrement  à  se  plaindre  des  Wendes,  résolut  d'en 
finir  avec  leur  résistance  cl  leurs  fureurs.  «  Comme  ces  peuples,  dit  Heeren  -, 
»  étaient  ce  que  l'on  appelait  alors  païens,  la  guerre  contre  eux  fut  aussi 
»  réputée  une  croisade.  »  La  croisade,  en  effet,  fut  prêchée  à  la  diète  de 
l'rancforl-sur-le-iMain,  par  saint  Bernard,  le  célèbre  abbé  de  Clairvaux,  et 
plus  de  cent  cin(|uante  mille  hommes  —  troupe  énorme  pour  l'époque,  —  se 
mirent  aux  ordres  de  Henri  le  Lion,  Avec  leurs  secours,  ce  prince  soumit  la 
nation  la  plus  puissante  des  Slaves,  les  Obotriles,  pendant  que  son  cousin 
germain,  x\lbert  l'Ours,  premier  margrave  de  Brandebourg,  réduisait  les 
Wilzes  et  les  Sorabes. 

Au  bout  d'un  quart  de  siècle,  les  Slaves  furent  refoulés  à  l'est  de  la  Ger- 
manie ;  mais  des  représailles  horribles  souillèrent  malheureusement  le 
triomphe  des  vainqueurs.  Ainsi,  le  mélange  des  races  fut  défendu  sous  les 
peines  les  plus  sévères.  Si  un  Allemand  rencontrait  un  Slave  et  que  celui-ci  ne 
se  garât  pas  convenablement,  il  était  permis  à  l'Allemand  de  le  pendre  sans 
délai  au  premier  arbre  venu.  Le  disciple  qui  se  présentait  chez  un  mailrc 
avait  à  justifier,  avant  d'être  admis,  qu'il  n'appartenait  pas  à  une  famille 
wende.  Il  était  interdit  à  tous  les  Slaves  d'habiter  dans  les  villes  un  quartier 
autre  que  celui  où  on  les  avait  parqués,  el  aux  Allemands  de  les  admettre  à 
faire  partie  d'un  métier  ou  corporation.  Si  le  Slave  voulait  acheter  de  la  viande 
d'un  boucher  allemand,  il  se  voyait  impitoyablement  refuser  la  marchandise, 
et,  enfin,  jamais  Allemand  ne  se  serait  soumis  à  un  jugement  auquel  un  Wende 
aurait  pris  part  ^. 

Telles  furent  les  mesures  que  l'on  prit  contre  les  débris  des  peuples  slaves. 
Mais  la  majeure  partie  était  exterminée.  Lorsque  les  guerres  eurent  pris  fin, 

'  cil.  S(houl)el,  Lff.  Slaves  du  nonl  de  l'Allemtujne,  p.  41. 
-  Essai  sur  l' in fluence  des  croisades,  jip.  264,  sqq. 
'  Uroysen,  I,  pp.  53,  sqq. 


DES  COLONIES  BELGES.  '29 

les  princes  germains  s'apert^'urcnl  qu'ils  régnaient  sur  des  contrées  à  peu  près 
désertes.  En  effet ,  les  croisades  contre  les  Turcs  avaient  transporté  en  Orient 
la  lleur  de  la  population  qui  y  avait  trouvé  son  tombeau ,  et  les  princes  alle- 
mands venaient  eux-mêmes  de  perdre,  dans  leurs  démêlés  avec  les  Wendes, 
le  reste  de  leurs  meilleurs  guerriers.  Un  vide  immense  régnait  dans  toute 
T/Mlemagne  septenli-ionale,  éprouvée  par  tant  de  malheurs  successifs.  Plus 
d'industries  florissantes  dans  les  villes,  et,  dans  les  campagnes,  plus  de  bras 
robustes  pour  cultiver  le  peu  de  terre  arable  qui  s'y  trouvait;  parlant,  plus  de 
dîmes  pour  les  églises,  plus  de  revenus  pour  les  princes  :  tel  fut  le  triste  spec- 
tacle qui  s'offrit  à  Henri  le  Lion  et  à  Albert  l'Ours  lorsque,  las  de  combattre 
et  déjà  blanchis  sous  le  harnais,  ils  regardèrent  autour  d'eux.  Il  fallut  songer 
alors  à  peupler  des  solitudes,  à  renouveler  des  populations  décimées.  Déjà, 
en  IIOG,  un  prélat  de  Hrême  avait  concédé  des  terres  à  des  colons  néerlan- 
dais, pour  dessécher  les  marais  qui  couvraient  une  grande  partie  de  son 
diocèse.  Faire  un  semblable  appel  à  des  habitants  de  pays  étrangers  et  les 
décider,  par  la  perspective  d'une  condition  meilleure  que  celle  dont  ils  jouis- 
saient tlans  leur  propre  patrie,  à  venir  s'établir  dans  leurs  Etals,  leur  parut 
le  moyen  le  plus  facile  et  le  plus  sur  de  sauver  leurs  territoires  d'une  ruine 
con)plèle. 

Ce  moyen  fut  mis  à  exécution  et  il  réussit.  «  Alors,  dit  lleeren  ' ,  et 
durant  tout  le  douzième  siècle,  se  présenta  dans  les  provinces  dépeuplées  un 
phénomène  remarquable.  Ce  fut  l'arrivée  de  bandes  de  paysans  qui  émi- 
graienl  des  Pays-Bas,  des  embouchures  de  l'Escaut,  de  la  Meuse,  du  Rhin  , 
pour  fonder  des  colonies  dans  la  basse  Allemagne.  »  Un  autre  écrivain  dit  de 
son  côté  :  «  La  Belgique,  tout  aussi  bien  que  l'ancienne  Scandinavie,  peut 
être  nommée  à  celte  époque  vagina  gentium,  puisqu'elle  n'a  pas  seulement 
pourvu  bon  nombre  de  pays  déserts  de  bourgeois  et  de  guerriers ,  mais  qu'elle 
y  a  envoyé  des  gens  laborieux  et  chrétiens,  qui  ont  développé  l'agriculture 
à  la  campagne  et  l'industrie  dans  les  villes  ^  » 

Mais  pourquoi  les  princes  allemands  s'adressèrent-ils  spécialement  à  des 
colons  de  la  Saxe  inférieure,  et  de  préférence  aux  Belges? 

'  Essai  sur  l  influence  des  croisades ,  p.  2G.T. 

s  Beckmann,  //islurie  des  Fiirsienlhu7ns  Anhalt,  l,  12. 


30  HISTOIRE 

Je  ne  sais  si  je  m'abuse;  mais  il  me  semble  que  Tidée  première  qui  les 
inspira  fut  due  aux  relations  qui  avaient  existé  depuis  rétablissement  du 
christianisme  dans  le  Nord,  entre  les  Pays-Bas  et  les  eontrées  dévastées.  Ces 
relations  provenaient  d'une  cause  double  et  réciproque  aux  deux  pays. 

Vers  793,  Charlemagne,  ayant  défait  les  Saxons,  voulut  leur  ôter  le  moyen 
de  secouer  désormais  le  joug  frank.  Dans  ce  but'  il  en  transplanta  un  grand 
nombre  dans  les  Pays-Bas,  et  confia  à  Liderik,  forestier  des  Flandres,  le 
soin  de  veiller  sur  eux  '.  Les  Saxons,  cependant,  n'étaient  pas  réduits  à  Tim- 
puissance.  Des  révoltes,  plus  terribles  que  les  premières,  éclatèrent  de  nou- 
veau, et  Cbarlemagne  ne  trouva  d'autre  expédient,  pour  se  mettre  à  l'abri  de 
leurs  attaques,  que  d'en  arracher  dix  mille  à  leurs  foyers  (Holstein  et  Nord- 
Albingie)  et  de  les  établir  avec  leurs  femmes  et  leurs  enfants  sur  le  territoire 
de  la  Flandre  et  du  Brabant  "-.  Rien  de  plus  populaire  dans  la  Germanie,  pen- 
dant le  moyen  âge,  que  le  souvenir  de  cet  événement;  aucun  chroniqueur 
allemand  n'a  négligé  d'en  faire  mention:  Ilelmold,  Adam  de  Brème  et  Albert 
Krantz  ^  disent  expressément  que  les  colons  belges  retournèrent  au  pays  de 

'  c(  Vicli  a  Carolo  rege  Saxones  traducti  sunt  iiiagno  numéro  in  Belgicam,  miiUique  ex  iis 
Lyd'erico  Flandrici  littoris  custodi  attribuli,  ut  per  illum  in  fide  olTlcioque  Francoruin  coutine- 
rentur...  »  Meycr,  ad  an.  7!)5. 

«  Karolusin  Saxoniam  pergens  Saxones  obtinuit  et  tertium  liomincni  in  Franciam  educens 
eollocavit.  «  Chronique  d' H ildesheim ,  ap.  Ducliesne,  III,  p.  508. 

*  ■<  Saxonas  Trans-.\lbinos  quos  alii  Holsatos,  alii  Nordalbingos  vocilant,  Carokis  prœiiis 
multis  fatigalos  ad  poslremuni  omnes  perdomuit,  multosquc  in  Galliam  traduxit,  ex  quibus 
Flandricœ,  Brabantiacque  haud  parum  accessit  increraenti...  Lydericus  Saxonas  novos  colonos 
sacrorum  rudes  in  verae  religionis  viani  induxit,  gravi  constituta  pacna,  si  quis  dici  Doniinici 
non  servasset  ferlas...  »  Meycr,  ad  an.  804.  —  Cf.  Lambert  d'Asschaffenbourg,  ad  803. 
Chronique  de  saint  Gall,  ad  80o.  Annales  Francorum,  Annales  Fuldenses,  Annales  Melenses, 
ad  80'k 

La  Clirotiique  de  suinl  Denis  s'exprime  ainsi  :  «  Lan  804,  quant  la  saison  nouvelle  fu  revenu, 
et  il  fist  tans  convenable  pour  ostoier,  li  Emperercs  assambla  ses  os  pour  ostoier  en  Saisoigne  :  en 
la  terre  entra  à  grant  force ,  tous  les  Saines ,  qui  demeurent  de  là  le  llun  d'Albe ,  fist  passer  par 
deçà  en,  France,  et  famés  et  enfans;  leur  païs  donna  à  une  autre  manière  de  gent  qui  sont 
apelc  Abrodite.  De  celle  gent  sont  né  et  extraict,  si  comme  l'en  dit,  li  Brebançon  et  li  Flamene, 
et  ont  encore  celle  meismes  langue.  »  Histoire  des  Gaules,  V,  p.  252  '. 

"  «  ...  Redicrunt  /ilii  in  terram  palrtim  suoruni,  aul  non  longe  indc  distantcm.  Nain  habet 
lidelis  historia  Karolum  magnum  ex  Saxonibus  Transalbinis  liominum  deeem  millia  in  Galbas, 
lioc  est  ultra  Renum,  transtulisse  in  Brabantiam  Flandriamque,  quac  tune  cultures  desydcrare 
videbanlur.  iEtate  autcm  ista,  quam  nunc  attingimus,  revocati  eorum  /ilii  Wandaliara  implc- 
verunl.  »  Alberti  Krantzii Hammaburcjensis  Saxonia,  1.  VI,  c.  d'J. 


DES  COLONIES  BELGES.  31 

leurs  ancêtres,  et  ils  semblent  même  insinuer  que  ce  fut  là  la  cause  prin- 
cipale pour  laquelle  on  les  appela. 

Faudrait-il  donc  rattacher  à  ce  déplacement  de  nos  compatriotes  une  en- 
tente politi(|ue  entre  les  souverains?  Les  ducs  allemands  entamèrent-ils  des 
négociations  à  ce  sujet  avec  les  comtes  des  Pays-Bas?  Aucune  source  ne  s'ex- 
prime à  cet  égard.  On  en  est  donc  réduit  aux  conjectures;  mais  j'exposerai  plus 
loin  les  motifs  qui  me  font  pencher  pour  laflirmative  lorsque  je  dirai  que  ce  fu- 
rent des  officiers  intimes  des  princes,  des  prélats  et  des  vassaux  souverains  qui 
furent  chargés,  par  les  deux  plus  grands  colonisateurs  de  rAllemagne,  Henri 
le  Lion  et  Albert  l'Ours,  de  venir  recruter  des  colons  dans  nos  provinces. 

D'ailleurs,  un  mouvement  de  refour  eut  lieu  presque  immédiatement  des 
Pays-Bas  vers  les  mêmes  contrées  d'où  sortaient  les  Saxons. 

On  croit  que  Charlemagne  lui-même  fit  passer  des  Belges  sur  les  rives  de 
l'Elbe.  La  Chronique  de  Minden,  rédigée  d'après  des  documents  très-anciens, 
perdus  aujourd'hui,  dit  à  ce  sujet  :  «  Afin  que  le  territoire  d'au  delà  du  VVeser 
»  ne  demeurât  pas  désert  et  inculte,  l'empereur  y  envoya  une  population 
»   nouvelle  tirée  de  la  Francie,  de  l'EIflarie,  de  la  Hasbanie  et  de  l'Ardenne  '.  » 

N'oublions  pas  que  plusieurs  Belges  occupèrent  des  premiers  le  siège  ar- 
chiépiscopal de  Brême-IIambourg.  J'ai  déjà  nommé  Amalhar,  saint  Ansker 
et  saint  Bcmbert.  La  Belgique  continua  d'être  pour  l'Allemagne  une  pépinière 

'  W'icdoniann,  Gesdiiclite  des  Herzoglhuiiis  Bremen,  p.  10.  Stade,  1804. 

Par  pcs  mots  «  au  delà  du  Weser  »  le  chroniqueur  entend  le  pays  de  Brème,  ainsi  que  cela 
résulte  du  contexte. 

L'Elfarie  {Elflioia  ou  Elflia)  faisait  partie  del'Ardenne.  (Voy.  Citron.  Gotlw.,  II,  p.  .'585)  et 
confinait  au  Pagus  Dedensis.  Elle  comprenait  le  territoire  renfermé  entre  la  Sure  et  l'Ourte, 
jusqu'à  l'extrémité  du  pays  de  Luxembourg  et  même  au  delà.  (Voy.  Desroches,  Mémoire  sur 
les  litnifes  des  Pai/s-Bas,  du  VII'  au  L\°  siècle,  p.  2C.  Bruxelles,  1770). 

La  Hasbanie  était  au  nord  du  comté  de  Lomme  et  son  nom  s'est  conservé  dans  celui  de  la 
llesbaije  moderne.  Elle  était  bornée  à  l'ouest  par  l'ancien  Brabant,  à  l'est  parle  Maasgau  et  le 
pays  de  Liège,  et  au  nord  par  le  Demer,  qui  la  séparait  de  la  Toxandrie  (voy.  Desroches, 
ibid.,  [).  31). 

L'Ardenne,  à  cette  époque,  avait  au  sud  le  pays  de  Voivre  ctd'Arlon,  au  nord  le  pays  de 
Liège,  à  l'ouest  le  Condroz  et  à  l'est  le  Duché  Mosellanique  et  le  Pagus  Bedeiisis  {ibid.,  p.  2."i). 
Le  Pugtis  Bedensis  était  au  nord  du  Duché  Mosellanique,  comprenait  les  environs  de  Bidbourg 
et  s'étendait  jusqu'à  l'extrémité  orientale  du  duché  de  Luxembourg  {ibid.,  p.  24).  Enfin,  le 
Duché  Mosellanique  renfermait  une  grande  partie  de  la  Lorraine,  et  s'étendait  aussi  dans  le 
Luxembourg,  le  long  de  la  Moselle,  du  moins  jusqu'au-dessus  de  Wasserbillich  {ibid.,  p.  22). 


32  HISTOIRE 

(l'apolrcs  el  de  missionnaires,  el  Ton  vil  à  toute  époque  des  Néerlandais  v 
ceindre  la  mitre  des  évè(|ues  el  des  abbés  :  en  1254-,  un  Brabançon,  Jean  de 
Diesl,  fut  nommé  évéque  de  Lubeck  par  le  pape  Innocent  IV  '.  Au  surplus, 
il  ne  faut  pas  se  dissimuler  qu'à  celte  époque  l'échange  des  rapports  entre  na- 
tions aussi  bien  qu'entre  princes  se  faisait  généralement  par  rintermédiaire 
du  clergé;  ambassadeuis,  médiateurs  et  tous  négociateurs  quelconques  ap- 
partenaient le  plus  souvent  ou  à  des  ordres  religieux,  ou  à  la  chapelle  du 
prince  ou  au  chapitre  de  Tune  ou  l'autre  église.  On  pourra  s'en  convaincre, 
en  voyant  dans  la  suite  de  ce  travail  le  rôle  que  jouèrent  les  ecclésiastiques 
dans  l'œuvre  de  la  colonisation;  de  sorte  que,  même  abstraction  faite  de  la 
première  cause  indiquée  plus  haut,  ils  durent  exercer  une  influence  directe  et 
immédiate  sur  la  détermination  des  Henri  de  Saxe  et  des  Albert  de  Brande- 
bourg. 

Celle  raison,  tirée  des  relations  politiques  et  religieuses  des  deux  pays,  me 
parait  péremploire.  Il  en  est  d'autres  qui  viennent  s'y  ajouter,  el  qui  en  dé- 
coulent tout  en  la  corroborant.  Ainsi  les  princes  durent  évidemment  tenir 
compte  de  la  communauté  d'origine  et  de  langage  qui  reliait  les  Néerlandais 
au  reste  de  leurs  sujets.  Ainsi  encore  ils  cherchaient  à  introduire  chez  eux 
une  population  dont  la  confession  religieuse,  alors  le  lien  le  plus  puissant 
entre  les  nations,  était  la  même  que  la  leur.  Ils  pensaient,  et  non  sans  mo- 
tifs, que  des  sujets  chrétiens  formeraient  un  rempart  assuré  contre  les  révoltes 
des  Slaves  et  que,  dans  les  contestations  (|ui  pourraient  s'élever  entre  eux  et 
leurs  peuples,  les  Belges,  connus  pour  leur  attachement  à  leurs  princes,  reste- 
raient inébranlablement  fidèles  à  la  cause  de  leurs  nouveaux  suzerains.  La 
renommée  ou  les  rapports  des  missionnaires  leur  avaient  appris  que  les  re- 
lations des  Pays-Bas  avec  les  peuples  du  Midi  y  avaient  produit  une  civilisation 
avancée,  avec  laquelle  leurs  Élals,  lors  même  qu'ils  n'auraient  pas  été  épuisés 
par  les  guerres,  ne  pouvaient  entrer  en  concurrence.  Ils  n'ignoraient  pas  que, 
«  trouvant  dans  ces  contrées  nouvelles  un  sol  et  un  cliraal  analogues  à  ceux 

'  VVersebe,  1 ,  333.  Il  avait  élé  d'abord  diapelain  du  roi  des  Romains,  Guillaume  de  Hollande. 
Il  semble  avoir  attiré  un  grand  nombre  de  ses  compatriotes  pour  le  défriebement  des  terres 
incultes  de  son  diocèse.  On  ne  saurait  dire  s'il  appartenait  à  la  noble  maison  de  Diest.  M.  de 
ReilTenberg  ne  le  mentionne  point  dans  la  généalogie  de  cette  famille. 


DES  COLONIES  BELGES.  33 

»  (le  leur  patrie,  ils  s'y  habilueraient  facilenioni  surtout  dans  les  lieux  bas, 
»  le  long  des  fleuves  et  près  de  la  mer  '.  »  Ils  savaient  enfin  que  Fart  des 
endiguernenls,  Fagricullure,  le  commerce,  l'industrie,  les  arts  et  les  métiers 
étaient  chez  les  Néerlandais  dans  un  état  de  haute  prospérité,  et  ils  ne  dou- 
taient point  que  les  colons  ne  les  fissent  bientôt,  dans  leur  nouvelle  patrie, 
fleurir  au  même  degré. 

Ces  mômes  motifs  existaient  dans  les  pays  qui  n'avaient  pas  été  reconquis 
sur  les  Slaves,  mais  qui  étaient  dépeuplés  par  des  guerres  non  moins  cruelles  : 
tel  était  le  sort  de  la  Thuringe.  Cette  belle  contrée  fui  ravagée  pendant  plus 
de  cinquante  ans,  à  l'époque  des  querelles  sanglantes  d'Henri  IV  avec  les 
princes  allemands.  Une  fois  la  fureur  des  combats  ralentie,  ce  furent  surtout 
les  évèques  et  autres  prélats,  demeurés  étrangers  à  la  politique,  qui  eurent  à 
cœur  de  fermer  les  plaies  du  pays,  et  nous  les  verrons,  à  l'exemple  des  ducs, 
s'adresser  aux  Néerlandais  poui-  venir  réparer  les  désastres  (|ui  acca- 
blaient leurs  Etats. 

Causes  qui  amenéreist  les  émigrations  des  belges. 

Si  ce  que  je  viens  de  dire,  sur  les  raisons  qui  ont  engagé  les  [)rinces  étran- 
gers à  appeler  dans  leurs  États  des  colons  belges,  est  à  l'abri  de  toute  con- 
testation, il  n'est  pas  aussi  facile,  au  premier  aspect,  de  déterminer,  quant  à 
ces  Belges,  les  causes  qui  les  ont  pu  pousser  à  quitter  un  pays  regardé  gé- 
néralement alors  comme  la  terre  promise  de  l'Europe.  La  nature  et  le  senti- 
ment de  l'homme,  son  amour  pour  le  ciel  qui  l'a  vu  naître,  les  affections  de 
toutes  sortes  (|ui  l'entourent,  font  qu'il  ne  quitte  généralement  qu'avec  d'a- 
mers regrets  et  malgré  lui  le  sol  de  sa  patrie,  principalement  quand  les 
bienfaits  de  la  civilisation  lui  assurent  dans  ses  foyers  une  existence  paisible 
sinon  agréable. 

Pour  pouvoir  apprécier  ces  causes,  qui  sont  tantôt  physiques,  ou  morales, 
ou  politiques,  tantôt  l'un  et  l'autre,  il  faut  avant  tout  se  rendre  compte  de 

*  Heeren,  p.  265. 

Tome  XXXII.  6 


34  HISTOIRE 

l'esprit  général  de  Tépocjne  el  jeter  un  coup  (fnMI  sur  la  siiiialion  des  Pays- 
Bas  au  commencement  du  douzième  siècle,  siècle  qu'inaugina  la  fin  de  la 
première  croisade. 

Ce  grand  fait  social,  d'où  jaillirent  des  conséquences  si  importantes  pour 
la  civilisation  européenne,  me  semble  avoir  également  influé  sur  les  émigra- 
tions des  peuples  des  Pays-Bas.  Quelques  mots  d'explication  feront  aisément 
comprendre  ma  pensée. 

La  prédication  d'Urbain  II  produisit  dans  toute  l'Europe  un  profond 
ébranlement.  Le  pontife  ne  s'était  pas  adressé  uniquement  aux  grands  de  la 
terre,  il  avait  fait  appel  à  la  multitude  tout  entière.  Le  peuple,  las  du  des- 
potisme des  féodaux  et  impatient  de  secouer  le  joug  du  servage,  se  leva  en 
masse,  et  son  enthousiasme  fut  si  puissant  que  les  seigneurs  ne  purent  l'ar- 
rêter. Le  discours  d'Urbain  H  à  Clermont  créait  entre  tous  les  fidèles  un 
système  d'égalité  chrétienne,  favorable  à  l'émancipation  du  pauvre.  Tous  les 
croisés  devaient  suivre  le  même  drapeau;  la  confusion  tumultueuse  des  clercs, 
des  barons  et  des  manants  s'avançant  sur  une  même  route,  au  milieu  des 
mêmes  périls,  favorisait  une  sorte  de  fraternité  égalitaire,  et  l'expédition 
devint  ainsi  un  mouvement  qui  parfait  des  entrailles  du  peuple.  Faut-il  rap- 
peler que  la  croisade  démocratique,  conduite  par  Gauthier  sans  Avoir  el 
Pierre  l'Ermite,  précéda  la  croisade  féodale? 

Ce  pèlerinage  lointain,  spontané,  unanime,  apportait  aux  mœurs  populaires 
une  modification  sensible.  L'horizon  commence  à  s'étendre  un  peu  au  delà 
des  habitudes  du  clocher.  Avant  la  croisade,  le  siècle  est  marqué  d'un  carac- 
tère sombre  et  sédentaire;  chacun  cherche  à  se  défendre  dans  sa  terre,  dans 
son  donjon,  dans  son  église;  les  guerres  privées  détruisent  tout.  Résister  est 
la  somme  de  force  que  peut  donner  la  société;  elle  n'en  a  pas  d'autre.  La  gé- 
nération est  couverte  comme  d'un  crêpe  funèbre;  la  vie  se  passe  entre  la 
souffrance  et  le  tombeau  ;  elle  ne  va  pas  au  delà  de  l'hymne  pieuse  au  sé- 
pulcre. Au  retour  de  la  croisade ,  il  y  a  une  sorte  de  réaction  contre  l'existence 
locale;  la  vie  du  clocher  ne  suffit  plus;  on  veut  d'autres  éléments  d'activité. 
L'idée  de  voir  d'autres  pays,  de  jouir  d'un  autre  climat,  s'empare  de  tout 
le  monde.  Une  tendance  universelle  domine  les  masses,  celles  de  Gaule  el 
d'Italie  comme  celles  de  Germanie  et  des  Pays-Bas  :  on  éprouve  le  désir  de 


DES  COLONIES  BELGES.  3S 

respirer  sous  un  plus  vasle  horizon  et  de  secouer  celte  vie  de  forteresse, 
ce  linceul  de  pierre  et  de  fer  qui  jusque-là  avait  enseveli  rexistence. 

Or,  ce  besoin  de  changements  tout  matériels  se  fait  sentir  aussi  dans  les 
changements  de  Tordre  moral  que  réclament  les  peuples.  La  servitude  était 
encore  le  caractère  général;  serfs,  manants  et  vilains  appartenaient  pour  la 
plupart  aux  princes,  prélats  et  seigneurs  fonciers;  ils  cultivaient  la  terre  et 
arrosaient  la  campagne  de  leurs  sueurs.  Mais  la  croisade  a  fait  naître  des  as- 
pirations de  liberté  qui  bientôt  vont  se  traduire  en  fait.  Les  plébéiens,  que 
Ton  a  forcés  de  rester  dans  leurs  foyers,  ont  conçu  déjà  des  idées  plus 
hautes  et  plus  généreuses  d'un  avenir  indépendant,  d'une  destinée  meilleure. 
Ceux  qui  ont  combattu  dans  la  Terre-Sainte  et  qui  revoient  leur  pairie,  — 
hélas!  c'est  le  petit  nombre,  —  ont  revêtu  en  quelque  sorte  une  nature  nou- 
velle. S'ils  ont  eu  des  malheurs  et  de  longs  soucis,  s'ils  ont  éprouvé  tous  les 
accidents  d'un  voyage  lointain ,  leurs  âmes  se  sont  habituées  aux  dangers  et 
retrempées  dans  les  combats.  (îeux  qui  avaient  bravé  le  cimeterre  des  Turcs 
pouvaient-ils  encore  courber  la  tête  sous  le  fouet  du  majordome?  Après  la 
grande  expédition  pour  le  Christ ,  il  ne  devait  plus  y  avoir  de  servage;  tous, 
égaux  et  libres,  les  croisés  du  peuple,  au  retour  du  pèlerinage,  ressemblaient 
à  ces  vieux  soldats  qui,  après  de  rudes  campagnes,  conservent  toute  l'énergie 
des  batailles.  Ils  indiquent  aux  serfs  des  champs,  aux  manants  des  villes,  les 
moyens  de  secouer  le  joug,  de  se  servir  des  forces  de  leurs  corps  et  des 
armes  des  braves,  et  tous  ils  réclament  à  grands  cris  leur  affranchissement. 

Partout  la  résistance  fut  vive  et  la  répression  violente. 

Quittons  maintenant  le  champ  des  généralités  et  appliquons  ce  qui  précède 
aux  Pays-Bas  en  particulier. 

La  situation  que  je  viens  d'esquisser  rapidement  fut  la  même  chez  nous 
qu'ailleurs;  mais  nulle  part  elle  ne  produisit  ses  effets  avec  autant  d'intensité 
que  dans  nos  provinces.  Déjà,  dès  avant  le  départ  des  croisés,  il  y  avait  eu  des 
révoltes  confuses  du  peuple  qui  signalaient  une  certaine  tendance  vers  un  peu 
de  liberté  désordonnée.  Les  chroniques  révèlent  une  grande  fermentation 
dans  les  esprits.  On  commence  déjà  à  prononcer  le  mot  de  commune,  pour  la 
défense  mutuelle.  Les  serfs  et  les  manants  éprouvent  je  ne  sais  quelle  fièvre 
d'indépendance;  on  dirait  qu'ils  se  préparent  à  briser  leurs  chaînes  pour  im- 


3G  HISTOIRE 

nioler  le  châtelain  ou  seigneur  qui  les  lienl  en  servage.  Tantôt  ce  sont  les 
métiers  d'une  ville,  tantôt  les  pauvres  laboureurs  de  la  campagne,  tantôt  les 
habitants  d'un  bourg  ou  bien  les  serfs  cachés  dans  le  manoir,  qui  prennent 
les  armes,  ici  pour  s'exempter  d'un  impôt  vexatoire,  là  pour  s'affranchir  d'une 
corvée  trop  dure.  Quelques-unes  de  ces  révoltes  furent  réprimées;  d'autres 
réussirent,  et  elles  furent  la  source  de  ces  Keures  qui  devinrent  comme  la 
sauvegarde  et  le  palladium  des  libertés  publiques. 

Après  la  croisade,  je  le  répète,  les  prétentions  du  peuple  s'accrurent  et  il 
eut  à  soutenir  des  conflits  sanglants  avec  les  féodaux.  Mais  il  se  vit  soutenu 
efficacement  par  les  princes  dont  les  barons  battaient  incessamment  le  pou- 
voir en  brèche.  Les  règnes  de  llobeit  le  Frison,  de  Robert  11  de  Jérusalem, 
de  Baudouin  à  la  Hache,  de  Charles  le  Bon,  de  Thierry  et  de  Philippe  d'Al- 
sace* en  sont  de  mémorables  exemples.  Ce  qui  favorisait  le  mouvement,  c'était 
la  pénurie  extrême  à  laquelle  se  trouvaient  réduits  les  seigneurs.  La  croisade 
aussi  bien  que  les  guerres  intestines  les  avaient  ruinés,  et  les  vassaux,  acca- 
blés à  leur  tour  par  l'effet  des  expéditions  militaires,  abandonnaient  les  ex- 
ploitations, laissaient  les  champs  en  friche,  et  désertaient  vers  d'autres 
seigneuries,  si  la  crainte  d'être  repris  ne  les  retenait  à  la  glèbe. 

Ainsi,  l'agitation  même  produite  dans  tous  les  esprits  par  la  guerre  sainte; 
le  désir  de  sortir  de  l'ornière  habituelle,  désir  accru  sans  cesse  par  les  discours 
des  pèlerins;  l'impatience  des  masses  de  s'affranchir  du  servage;  l'opposition 
violente  qu'y  firent  les  seigneurs,  tout  concourait  à  développer  chez  les  Néer- 
landais l'idée  d'une  émigration  quelconque,  aussitôt  (pie  se  présenterait  une 
occasion  favorable  de  l'exécuter. 

Plusieurs  circonstances  de  nature  diverse  favorisèrent  ces  dispositions.  La 
fin  du  onzième  siècle  fut  marquée  par  d'effrayants  prodiges.  Des  tours  que  le 
vent  renverse  et  qui  se  redressent  miraculeusement  d'elles-mêmes;  des  fon- 
taines d'où  s'écoule  du  sang  au  lieu  d'eau;  des  dragons  de  feu  qui  volent 
au  milieu  des  airs  et  lancent  de  leur  gueule  entr'ouverte  des  torrents  de 
flammes;  des  maladies  horribles,  telles  que  Vignis  ardens,  qui  enlèvent  les 
familles  les  mieux  constituées  '  :  c'étaient  là  autant  de  prodiges  qu'enfantait 
sans  doute  l'imagination  populaire,  mais  qui  n'en  avaient  pas  moins  pour  effet 

'  Oudeglierst,  Annales  de  Flandre,  1, 225.  —  Cf.  Le  Glay,  Hist.  des  comtes  de  Flandre ,  I",  2 1 7. 


DES  COLONIES  BELGES.  37 

de  frapper  les  esprits  d'une  terreur  invincible  et  de  leur  faire  présager  le  plus 

sombre  avenir. 

Les  événements  justifièrent  bientôt  ces  appréhensions. 
A  répoque  dont  je  tâche  de  reproduire  les  traits  saillants,  la  Belgique  avait 
une  population  énorme,  et,  par  cela  même,  trop  nombreuse  pour  le  territoire 
resserré  dans  lequel  elle  devait  la  circonscrire.  Tous  les  chroniqueurs  néer- 
landais sont  d'accord  sur  ce  point  et  les  écrivains  étrangers  parlent  dans  le 
même  sens.  La  Flandre  néanmoins  tenait  le  premier  rang.  Meyer  seul  rap- 
porte que  certaines  parties  de  cette  province  étaient  pour  lors  abandonnées; 
mais  l'on  n'en  saurait  rien  conclure  contre  le  sentiment  général;  car  il  fau- 
drait examiner  si  ce  fait  ne  doit  pas  être  rapproché  des  émigrations  avec 
lesquelles  il  coïncide  '.  Suger  (f  H52),  dans  son  panégyrique  de  Louis  le 
Gros,  appelle  la  Flandre  vciUlè populosam  (ch.  21),  et,  parlant  d'une  époque 
antérieure,  Lambert  d'Aschaffenbourg  dit  :  multitudme...  prwgravari  vide- 
^ato- (1070 ).  Venaient  ensuite  le  Brabant,  la  Hollande,  le  Hainaul,  la 
Zélande,  la  Frise,  etc.  A  l'issue  d'une  croisade  meurtrière  et  au  milieu  de 
guerres  continuelles,  l'on  a  peine  à  comprendre  un  tel  développement  de  po- 
pulation. Il  est  vrai  qu'en  admettant  à  la  rigueur  que  la  première  expédition 
en  Terre-Sainte  ainsi  que  les  suivantes  aient  diminué  successivement,  pen- 
dant près  de  deux  siècles,  le  chiffre  des  habitants  des  provinces  néerlan- 
daises, les  suites  de  cette  dépopulalion  durent  être  peu  importantes,  puisque 
le  vide,  s'il  exista,  fut  infiniment  plus  considérable  dans  les  pays  voisins  que 
chez  nous.  Mais  il  est  inutile  de  recourir  à  une  telle  explication  :  le  témoi- 
gnage formel  des  contemporains  suffit  pour  lever  tous  les  doutes  qui  se 
pourraient  présenter  à  l'esprit.  En  veut-on  une  preuve?  Malgré  les  émigra- 
tions, auxquelles  on  peut  joindre,  si  l'on  veut,  les  causes  de  dépeuplement 
déjà  énumérées,  il  y  avait  tant  de  monde  dans  les  États  soumis  à  Thierry 
d'Alsace,  —  à  ce  que  raconte  un  chroniqueur  hispano-belge,  —  que,  pour 
réunir  une  foule  de  gens  disséminés  et  favoriser  le  commerce,  ce  prince  bâtit 
une  ville  au  hameau  de  S»-Willibrord,  ville  qui  s'appela  d'abord  Port-Nou- 
veau, et  ensuite  Gravelines  ^. 

<  Le  Glay, /oc.  Cit.,  pp.  559,  560. 

5  Sueyro,  Annales  de  Flandre.  Anvers,  1624,  I,  p.  180'  :  .  ...  Sin  que  se  hachasse  de  ver 


38  HISTOIRE 

Or,  celle  exubérance,  ce  surcroîl  de  population  devint  à  la  longue  dans  les 
Pays-Bas  un  obstacle  à  Taisance  intérieure  et  à  la  vitalité  générale.  Malgré  la 
fertilité  de  ses  campagnes  et  Tactivité  de  ses  habitants,  la  Belgique  avait  peine 
à  suffire,  à  celte  époque,  aux  besoins  de  cette  population  immense.  Au  reste, 
une,  grande  partie  du  pays  était  couverte  d'épaisses  forêts,  et  une  science 
toute  nouvelle,  Téconomie  rurale,  n'avait  pas  encore  révélé  l'utilité  du  déro- 
dage sur  une  grande  échelle.  Les  historiens  nous  apprennent  que  pour  nourrir 
toutes  les  provinces,  il  fallait  les  blés  de  la  Baltique  et  de  Nowgorod.  Un  tel 
état  de  choses  pouvait  n'offrir  que  des  inconvénients  de  peu  d'importance 
pendant  les  bonnes  années,  c'est-à-dire  quand  les  récoltes  étaient  générale- 
ment réussies;  mais  que  de  calamités,  le  jour  où  la  nature  rebelle  refuserait 
de  féconder  le  germe  confié  au  sein  de  la  terre!  Alors  s'offrait  aux  Belges 
épouvantés  un  fléau  terrible  :  la  faim. 

D'affreuses  famines  mar(|uèrent  la  fin  du  onzième  siècle  ' ,  et  le  retour  de 
semblables  calamités  ne  fut  malheureusement  que  trop  fréquent  pendant  le 
douzième.  Parmi  les  plus  désastreuses,  il  convient  de  citer  celle  qui  ravagea 
les  Pays-Bas  en  1125-26,  et  à  la  suite  de  laquelle  Charles  le  Bon,  pour 
avoir  voulu  soulager  la  misère  publique,  fut  assassiné  par  d'obscurs  et  avides 
accapareurs.  Les  chroniqueurs  l'ont  encore  mention  de  disettes  qui  désolèrent 
la  Belgique  en  1129,  1133,  1135,  1141,  1U5,  1U6,  1151 ,  et  ils  sont 
unanimes  dans  le  récit  des  horreurs  que  causa  la  célèbre  famine  de  sept  ans 
(1163-1170)  annoncée,  selon  Oudegherst,  par  des  prodiges  extraordinaires. 
Ces  malheurs  continuèrent  à  être  fréquents,  témoin  les  crises  alimentaires 
que  nous  trouvons  signalées  aux  années  1179,  1183,  1196,  -  etc. 

A  ce  fléau  s'en  ajoutaient  plusieurs  autres  non  moins  redoutables  el  qui, 

iiinguna  faltadegenle  en  la  provincia,a  que  por  la  fama  de  sus  principes  y  por  la  comodidad 
de!  coraercio,  concurria  de  todas  partes  en  lanto  niimeru,  que  para  recogcr  la,  fundoTlicodorico 
una  nueva  villa  en  la  aldea  de  S.  Willibordo,  que  se  llamo  primero  cl  Puerto  nuevo,  y  despucs 
Gravelinglies.  » 

'  Despars,  Chronyke  van  Vlaeiideren,  1 ,  234  :  «  Up  dezen  zelven  tijt  (109G),  regneirde  in 
Vlaendeien  die  aldermeeste  famine  daer  lûen  doen  ter  tijt  of  wiste  te  sprekene,  zo  dater  vele 
schamelc  licden  van  honghere  ende  van  gebreecke  storven  endc  verghenghen.  » 

-  L.  Torfs,  Fastes  des  calamités  survenues  dans  les  Pays-Bas.  Tournai -Paris,  1859-61, 
t.  I,  267,  sqq. 


DES  COLONIES  BELGES.  39 

à  chaque  instant,  faisaient  trembler  les  habitants  pour  leur  existence.  C'étaient 
d'abord  des  inondations  presque  continuelles  de  l'Océan,  de  l'Escaut,  de  la 
Meuse  et  du  Rhin.  Le  sol  de  la  Belgique  maritime,  si  bas  et  si  humide  que 
les  observateurs  les  plus  attentifs  doutaient  qu'il  appartint  à  la  terre  ferme, 
était  l'objet  de  perpétuelles  irruptions  de  la  mer.  Cette  situation,  qui  n'avait 
jamais  cessé  d'être  critique,  devint  si  intolérable  pour  les  habitants  de  ces 
parages,  qu'un  grand  nombre  de  Flamands  se  résolurent  à  émigrer,  ainsi  que 
je  l'ai  dit  [page  14]  et  allèrent  fonder,  tout  au  commencement  du  douzième 
siècle,  une  colonie  importante  en  Angleterre.  Les  immenses  travaux  d'endi- 
guement,  dans  lesquels  les  Néerlandais  excellaient,  semblent  n'avoir  apporté 
aucune  amélioration  sensible  à  cet  état  de  choses.  On  ne  peut  s'empêcher  de 
plaindre  le  sort  de  nos  ancêtres  en  lisant,  dans  les  écrits  du  temps,  le  récit  des 
désastres  atmosphériques  qui  bouleversèrent  leur  pays  à  cette  époque.  Des 
pluies  diluviennes  inondaient  les  campagnes  *;  de  violents  orages  détrui- 
saient les  moissons  ^;  des  tremblements  de  terre  renversaient  les  églises  du 
Seigneur  comme  les  cabanes  du  pauvre  %  et  des  ouragans  tumultueux  ba- 
layaient le  tout  avec  fracas  *.  Puis  la  mer  rompait  ses  digues,  refoulait  au 
loin  les  villages  avec  leurs  habitants  ^,  et  ne  se  retirait  qu'après  avoir  causé 

*  Despars,  ad  an.  1093  :  «  Binnen  den  zelven  jaere,  zo  reyndet  eontiiiiiflick  van  dun 
XV""  daglie  van  oclober  tôt  in  die  maent  van  april  daer  naer  volgiiende ,  twekkc  taiisi-  was  van 
cène  afgriselicke  pestilencie,  die  men  corts  daer  naer  zo  zacli  regnicren  ,  dat  zij  menich  diiyzcnt 
persoon  tlijf  eoslede.  »  I,  2-29 ,  etc. 

2  Despars,  ad  an.  1101  et  115C  :  «  Anno  XI"  XXXVI  maectet  zulk  ecn  afgrijselick  fel 
tempeest  van  donderen,  van  blixemen,  van  vvayene  ende  van  reynene,  dat  niet  en  sclieen  of 
die  weereit  en  zoude  vergaen  licbben...  »  V.  aussi  ad  an.  1141,  11.43,  1 149,  etc. 

5  Despars,  ad  an.  1116  :  «  Omirent  dezen  zelven  tijt,  ghebuerde  in  Vlaenderen  cen'atgii- 
selick  grooteeerlbcvinghc,  daer  vcel  huyzen  ende  torren  ouune  viclen.  »  I,  239. 

*  Années  1105,  1109,  1123,  1135,  etc. 

3  Despars,  ad  an.  1100  :  <c  Binnen  den  zelven  jaere,  zo  liepcn  die  dijken  van  de  vlaemsclier 
zee  te  veel  steden  inné,  zo  dater  alommc  veel  iands  bedarf  ende  groote  schadc  gheschiede.  >■ 

I,  241. 

Andréas  Wydts,  Chronyke  van  Vlaenderen,  ad  an.  1 100  :  «  In  bel  zclvc  jacr  beeft  de  zcc 
op  den  13  november  ecn  groot  deel  van  Vlaenderen  overwatert,  waer  door  zeer  groote  scbacde 
is  veroorzaekt,  zoo  acn  landen  als  aen  de  huyzen,  de  welke  outrent  de  zeekusten  gelegen 


waercn.  » 


Despars,  ad  an.  1130  :  «  Die  zee  verhief  liaer  verre  bovcn  aile  dij(^ken,  zo  dat  Vlaenderen, 
Hollant,  Zeelant,  Vrieslant,  groode  schade  leden,  ende  daer  versmoorden  allomme  omtallicke 


40  HISTOIRE 

crirréparables  désastres.  Les  inondations  qui  survinrent  en  1100,  liOl, 
1H);J,  1109,  1112,  1115,  1120,  1123,  1124,  1129,  1134,  1135, 
1136,  1156,  1164,  1170,  1173,  1174,  1180,  etc.,  changèrent  com- 
plètement la  face  du  littoral  \  engloutirent  des  bourgs  entiers  ^et  réduisirent 
des  milliers  de  Flamands,  de  Hollandais  et  de  Frisons  au  dénûment  le  plus 
complet.  Ces  malheureux,  refoulés  vers  le  centre  du  pays,  étaient  accueillis 
de  mauvais  œil  par  une  population  que  les  croisades  et  les  guerres  civiles 
avaient  à  peine  entamée  et  qui  se  sentait  encore  trop  nombreuse  pour  le  terri- 
toire exigu  qu'elle  occupait.  Il  fallait  donc  chercher  un  asile  ailleurs  et  ce 
n'était  pas  chose  facile  : 


«  Incerti  (luù  fala  ferant ,  ubi  sistere  delur  ». 
(ViRC,  Enéide,  L.  (Il,  v.  7.) 


Les  objets  fétides  dont  se  nourrissaient  les  malheureux  habitants  pendant 
les  famines,  non  moins  que  les  miasmes  malsains  et  corrupteurs  qui  s'exha- 
laient des  terres  inondées  et  des  champs  putréfiés  par  le  séjour  des  eaux, 

veel  mensclien  ende  beesten;  die  muercn  van  de  stede  van  St-Omaers  wierden  LX  voeten 
varre  plat  neder  ter  eerden  ghevelt.  »  I,  p.  322. 

'  M.  Ernest  van  Bruyssel,  Histoire  du  commerce  et  de  la  marine  en  Belgique ,  I,  p.  143,  dit: 
«  Le  littoral  belge  dut  perdre  une  partie  assez  considérable  de  sa  population,  après  les  désastres 
maritimes  que  nous  avons  rapportés;  car  nous  retrouvons  des  Flamands  vers  la  même  époque 
dans  plusieurs  parties  de  l'Allemagne,  etc.  !■ 

2  Tels  que  Lombardzyde,  qui  fut  remplacé  i)ar  la  ville  de  Nictiport,  bâtie  un  peu  plus  loin; 
Terstreepe,  Saftingen,  Bruges,  Damme,  souffrirent  horriblement.  ïorfs,  I,  264,  sqq. 

Du  temps  piteux  dans  lequel  décéda 
Louis  le  Gros ,  la  mer  tant  excéda 
En  ses  bords,  qu'au  pas  d'Angleterre 
Elle  engloutit  grand'  part  de  ferme  terre 
Et  maints  gros  bourgs  en  Flandre  ruina. 
(René  Macé.) 

«  Anno  H  55,  motus  magnus  factusestin  mari...  Sequenti  verô  nocte  omnia  circuniquacumque 
pessumdedit,  ut  très  eomitatus,  id  est  Walecras,  et  Wales  et  Brcbant  cum  hominc  et  pécore 
penitus  exterminaret.  d  Chron.  belg.,  Pistorii,  in  Scriptor.  rerum  Germaniue,  III,  160. 

vEgidius  de  Roya,  in  Swertii,  Scriptor.  Belg.,  II,  27  :  <■  Anno  Domini  1136,  mare  terminos 
snos  egressum  partem  Flandriae  cum  habitanlibus  suis  submersit.  » 

In  Leibniz.,  Script,  rer.  Brunsivic,  I,  313  :  «  Inundatio  in  Ilollandia  infinitam  niultitudinem 
populorum  submersit.  « 


DES  COLONIES  BELGES.  41 

occasionnèrent,  toujours  à  la  même  époque,  des  pestes  cruelles  et  meur- 
trières qu'il  importe  de  ne  point  passer  sous  silence.  Celle  de  1092-93  causa 
de  grands  ravages  '.  En  1105,  re|)arut  le  mal  des  ardents  qui  fit  de  nou- 
veau un  nombre  immense  de  victimes  des  deux  sexes  ^  Les  églises, 
remplies  de  malades,  qui  y  allaient  implorer  du  ciel  leur  guérison,  offraient 
un  spectacle  d'horreur  et  de  désolation.  Les  uns,  en  proie  au  feu  brûlant  qui 
les  dévorait,  poussaient  des  hurlements  affreux;  d'autres,  dont  les  chairs 
étaient  consumées  jusqu'aux  genoux  et  même  jusqu'aux  hanches,  laissaient 
voir  les  os  décharnés  du  pied  et  de  la  jambe;  ceux-ci  gisaient  ça  el  là  sem- 
blables à  des  troncs  brûlés  '.  D'autres  endémies  succédèrent  aux  premières, 
et  la  lèpre,  que  de  malheureux  croisés  avaient  rapportée  d'Orient,  commença 
vers  le  même  temps  à  infecter  nos  provinces.  L'absence  de  soins ,  ou  plutôt 
le  manque  de  remèdes  efficaces,  propageait  ces  maladies  sans  nom  (|ui  déci- 
maient des  milliers  d'habitants.  C'est  ainsi  qu'une  mortalité  pestilentielle,  qui 
s'attaquait  à  la  fois  aux  hommes  et  aux  animaux,  régna  de  1114  à  1122, 
à  la  suite  de  pluies  excessives,  jointes  à  une  grande  famine  \  et  mainte  fois 
encore,  pendant  le  même  siècle,  les  annalistes  eurent  à  retracer  le  souvenir 
de  contagions  pestilentielles  dont  le  récit  ne  laisse  pas  que  de  nous  épouvanter 
encore  aujourd'hui  ^ 

Comme  s'il  n'eût  pas  suffi  de  tous  ces  fléaux  enfantés  par  la  nature,  les 
Pays-Bas  étaient  en  même  temps  le  théâtre  de  luttes  dynastiques  et  de  guerres 
civiles.  Celles-ci  avaient  pris  un  caractère  particulièrement  âpre  el  violent. 
Le  grand  conflit  entre  la  puissance  féodale  et  l'organisation  des  communes 
n'était  pas  encore  vidé,  et  les  deux  partis  intéressés  déployaient,  aussi  bien 
])our  la  défense  que  pour  l'attaque,  une  invincible  énergie.  Des  vassaux 
rebelles,  des  seigneurs  ruinés,  des  féodaux  avides  en  profitaient  pour  extor- 

'  Ferreoli  Locrii,  Chronicon  Belgicum.  Atrebati ,  16 10,  p.  228. 

-  Panckoucke,  Abrégé  chronologique  de  l'Imtoire  de  Flandre.  Dunquerkc,  1702,  p.  74. 

5  «  Ignaria  sive  ignis  ardens  per  quem  alii  instar  carbonum  nigrescentes ,  alii  exustis  vis- 
pcribus  tabescentcs,  quidam  iticmbris  imitilati  cruciabanlur  et  interibant.  »  Locrius.  —  Le  Glay, 
I,  217,  218. 

*  Saint  Lisiard,  évêque  de  Soissons,  dans  la  Vie  de  saint  Arnoul. 

'=  Les  années  H23,  1128,  1 129,  H82,  1!!)2  furent  les  plus  désastreuses.  Voy.  Torfs,  I,  24, 
25 ,  26. 

Tome  XXXII  7 


42  HISTOIRE 

quer  de  l'argenl  aux  uns,  pour  déirousser  les  autres.  «  Tout  le  pays  esl  plein 
de  meurtres;  les  habitants,  accoutumés  au  sang,  estiment  honteux  de  passer 
un  jour  sans  en  répandre;  on  s'égorge  pour  le  moindre  sujet...  Les  compo- 
sitions pour  les  meurtres,  dans  le  seul  canton  de  Bruges,  rapportaient  dix 
mille  marcs  d'argent  par  an...  La  Flandre,  composée  de  gens  durs  et  peu  dis- 
ciplinables  ',  voit  régner  la  violence,  l'injustice,  et  tous  les  ordres  de  l'État 
exposés  aux  plus  affreux  pillages;  les  seigneurs  et  les  gentilshommes  bâtissent 
des  châteaux ,  d'où  ils  font  des  courses  sur  les  grands  chemins  et  les  rivières 
d'alentour;  ils  rançonnent  tous  les  passants,  et  ces  petits  tyrans  sont  d'autant 
plus  formidables  qu'ils  étaient  souvent  unis  entre  eux  par  les  liens  du  sang, 
plus  encore  par  ceux  de  l'intérêt  '".  » 

Baudouin  VII,  à  peine  monté  sur  le  trône,  s'appliqua,  on  le  sait,  à  purgei- 
ses  États  d'un  nombre  infini  de  voleurs  et  d'assassins  que  l'absence  de  son 
père,  Robert  de  Jérusalem,  et  sa  trop  grande  douceur  après  son  retour,  y 
avaient  introduits.  Toutefois  les  chroniqueurs  rapportent  que  les  désordres 
reprirent  de  temps  en  temps  avec  une  égale  intensité,  et  ils  nous  ont  laissé  un 
triste  tableau  de  la  situation  morale  de  celte  époque  ^  Charles  le  Bon  suc- 
comba à  la  tâche ,  et  ce  ne  fut  qu'après  de  longs  et  pénibles  tiraillements  que 
la  dynastie  d'Alsace  parvint  à  assurer  le  repos  aux  citoyens. 

Les  guerres  entre  princes  couvrirent  aussi  la  Belgique  de  ruines  et  de  sang. 
Je  viens  de  citer  la  lutte  meurtrière  qui  déchira  la  Flandre  lorsque  s'ouvrit  la 
succession  de  Charles  le  Bon;  des  dissensions  affreuses  régnèrent  vers  le  même 
temps  dans  la  plupart  des  autres  provinces  des  Pays-Bas.  Guerre  entre  la 
Flandre  et  la  Hollande,  entre  la  Hollande  et  la  Frise,  entre  la  Gueldre  et  la 
Hollande,  entre  la  Hollande  et  le  Brabant,  entre  le  Brabant,  le  Louvanais  et 
la  Flandre  :  tel  est  le  cercle  fatal  que  le  narrateur  doit  parcourir,  s'il  veut 
esquisser  un  aperçu  de  l'état  de  la  Belgique  pendant  la  première  moitié  du 
douzième  siècle. 

<  Cela  était  vrai  surtout  pour  les  habitants  du  littoral ,  ces  farouches  descendants  des  Saxons, 
dont  M.  Kervyn  de  Lettenliove,  dans  son  Histoire  de  Flandre,  nous  a  le  premier  dépeint  les 
iiKiHirs  incultes,  sinon  barbares. 

-  Panckoucke,  lor.  cit.,   pp.  37,  07. 

5  «  ...  tcrrac  noslrae,  pace  sublata,  quictc  turbata ,  deleta  honestate,  extincta  omni  fcrc 
Iclicilate  mortalium,  gucrrarum,  laborum,  turpitudinuin,  et  totius  infellcitatis  cœpil  exor- 
dium.  .  Gualtcri,  Vita  Cnroli  Boni,  op.  Rolland,  die  2  niarlii,  n°  3,  p.  163,  sqq. 


DES  COLOiMES  BELGES.  43 

L'histoire  de  la  Flandre  est  trop  connue  poui-  (|iie  je  m'y  arrête;  mais  il  ne 
sera  pas  inutile  de  dire  quelques  mots  des  autres  provinces.  Partout  une  sol- 
datesque effrénée  semait  la  misère  et  la  désolation  et  mettait  l'agriculture  en 
souffrance.  Les  paysans  surtout  pâtirent  de  ces  excès;  mais  plus  d'une  fois 
ils  en  saisirent  le  prétexte  pour  essayer  de  s'affranchir  des  trop  lourdes 
charges  qui  pesaient  sur  eux.  Dans  la  lutte  qui  s'éleva,  en    1132,  entre 
Thierry,  comte  de  Hollande,  et  Florent,  comte  de  Frise,  les  laboureurs  se 
virent  tellement  poussés  à  bout  que,  dans  l'espoir  d'être  délivrés  des  exac- 
tions des  Hollandais,  ils  conçurent  le  projet  de  déserter  les  drapeaux  de 
Thierry,  de  faire  cause  commune  avec  Florent  et  de  ne  former  désormais 
avec  les  Frisons  (ju'un  seul  et  même  peuple.  Hs  envoyèrent  à  cet  effet  des  dé- 
légués à  Florent;  mais,  sur  ces  entrefaites,  le  comte  de  Hollande  triompha, 
la  paix  se  rétablit,  et  les  rebelles  n'en  furent  point  exclus  ". 

Il  en  était  de  même  dans  le  Brabant.  Quatre  irruptions  successives,  dont  la 
dernière  (1133)  fut  la  plus  violente  et  qui  toutes  avaient  pour  auteur  le 
comte  de  Louvain,  détruisirent  des  églises,  des  villages,  des  moulins  à  blé, 
au  grand  détriment  des  cultivateurs  ;  les  flammes  consumaient  ce  (|ue  la  hache 
avait  abattu  '-.  Des  faits  semblables  se  produisaient  à  Ulrechl,  quoique  dans 
d'autres  circonstances.  En  IISO,  mourut  l'archevêque  Harbert,  et,  à  l'occa- 
sion de  la  nomination  de  son  successeur,  s'éleva,  tant  parmi  le  clergé  qu'entre 
les  laïques,  un  dissentiment  profond  ^  Les  uns  voulaient  pour  Pasteur  Fré- 

'  Kluil ,  Hislorla  crilka  comitatus  Hollandiae  el  Zeelamliae.  Mcdioburgi ,  1 777  ,  II ,  pp.  75 , 
sqq  :  «  Interea  plurimi  de  coraitatu,  et  maxime  Rustici,  qui  se  nimis  opprimi  dolebant,  spe 
libertatis  (*)  inanileraccensi,  consilium  inierunt  ut  Theodoricum  comitem  desererent,  et  Flo- 
rentid  adliaererent,  et  cum  Fresonibus  sub  uno  duce  uiius  popuhis  fièrent  :  missis  ergo  legatis 
fidelitatcm  suara  promiserunt  ...  Comcs ,  ut  voluit,  triumpbavit  ...  Pax  intégra,  omnibus  ex 
utraque  parte  qui  diseordiae  participes  fuerant  in  eadem  pacis  pactione  inclusis.  » 

-  Luc  d'Achery,  Spicileg.,  II,  706  :  «  Pedites  et  milites  per  omnia  nostra  (in  Brabantia  ) 
circumjacenlia  se  diffuderunt,  villas  nostras,  Ecclesias,  Molendinu,  et  quaecunque  occurrebant 
combustioni  et  perditioni  tradentes...  Vastatio  ista  fuit  quarta,  quam  infra  viginti  sex  annos 
fccil  Lovaniensis  Dominus.  » 

5  Kluit,  loc.  cit.,  pp.  95,  sqq  :  «  De  eligendo  episcopo  grandis  discordia  tam  inter  clericos 
quam  inter  laicos  facta  est,aliis  Fredericum  filium  Adolfi,  coraitis  de  Ilovele,  aliis  Hermannum 

(*)  Kluit  dit  en  note  ;  .  Vulgohoc.at  satis  inepte  explicant,  pereamlibertatemquademocratiam  sibi  pararenl; 
quum  nihil  aliud  annualur  quam  liberlatema  tributis  sive  exaclionibus,  quas  peiletentim  pluies  a  luslicis  exi- 
gebaiil  comite.s.  »  En  effet,  Melis  Sloke  dit  (  Il ,  v  201  )  ; 

«  Si  stondea  te  swaren  tribute.  - 


U  HISTOIRE 


44 


(léric,  fils  du  comlc  de  Hovel;  les  autres,  le  prévôt  de  l'église  de  S'-Géréon 
de  Cologne,  Hermann.  Les  avoués  de  Téglise  d'Utrecht,  Henri,  comte  de 
Gueidre,  Thierry,  comte  de  Hollande,  et  Thierry,  comte  de  Clèves,  s'efforcèrent 
de  tout  leur  pouvoir  d'introniser  Hermann.  Mais  le  parti  populaire,  composé 
des  vassaux  inférieurs,  des  habitants  d'Ulrecht  et  de  Deventer,  de  tous 
les  paysans  et  des  artisans,  quels  qu'ils  fussent,  travailla  avec  non  moins 
d'énergie  à  faire  triompher  l'homme  qu'ils  aimaient,  Frédéric  de  Hovel  :  pour 
lui,  ils  n'hésitèrent  point  à  sacrifier  leurs  fortunes  et  à  exposer  leur  vie. 
Une  partie  de  la  noblesse  profila  de  cette  situation  pour  courir  sus  à  l'autre, 
et  le  comte  de  Hollande,  de  son  côté,  plaça  Hermann,  à  main  armée,  sur  le 
siège  archiépiscopal.  A  la  fin,  lorsque  la  lassitude  se  fut  emparée  des  partis, 
les  deux  compétiteurs  allèrent  avec  leurs  partisans  soumettre  l'affaire  au  ju- 
gement du  prince-évéque  de  Liège.  Cet  arbitrage  fui  défavorable  à  Frédéric, 
et  Hermann  reçut  l'investiture.  C'était  un  prélat  aux  mœurs  douces  et  simples  : 
là  où  il  aurait  fallu  déployer  de  l'énergie,  il  ne  sut  montrer  qu'une  incroyable 
faiblesse;  les  meurtres  devinrent  d'une  fréquence  inusitée;  on  commettait  les 
assassinats  jusque  sous  les  yeux  de  l'archevêque,  et  lui  ne  traduisait  point  les 
criminels  en  justice,  et  ne  savait  pas  réduire  par  la  force  ces  turbulents  es- 
prits d'Ulrechl,  que  des  princes  sévères  avaient  seuls  pu  maintenir  dans  le 
devoir. 

La  situation  n'était  pas  meilleure  dans  la  Flandre,  le  Brabant  et  le  Louva- 
nais.  Une  nouvelle  guerre  avait  éclaté  entre  le  comte  de  Louvain  et  le  duc  de 
Brabant  appuyé  par  le  comte  de  Flandre.  La  contagion  du  mal  se  communi- 
quait de  l'un  à  l'autre  pays.  Les  chroniqueurs  nous  ont  conservé,  relativement 

I^racpositum  S.  Gcrconis  de  Colonia  eligcntihus.  Comités  siquideni,  ecclesiae  liomines,  Gel- 
reiisis  Ileiiricus,  Hollaudeiisis  Tlicodoricus ,  Cievensis  Tlieodoricus  Hermannum  iiivcstiri  in- 
stantissiine  laboraveruiU.  Omnes  auteni  ininisteriales  et  cives  Traiectensis  civitatis  et  Daventriae 
et  omnes  agricidtotrti  et  cujusque  ofiicii  liomines  Frederico  devotissime  faverunt,  adeo  ut 
reriini  siiarum  dispendium,  immo  vitae  periculum  pro  eo  subire  non  dubitaverint.  Sed  pars 
noi)ilium,  iitsolet,  alteram  depressit,  et  comes  hollandensis  bellica  manu  Hermannum  in  epi- 
scopum  introduxit.  Deindc  ulerque  cpiscopus  cum  suis  fautoribus  Leodium  ad  cardinalis  judi- 
ciiira  ])ervenit.  Cujus  judicio  Fredcricus  rcprobatus,  tlcrmannus  investitus  est.  In  cujus 
teinporii)us,  quia  lenis  et  nimium  simplicis  animi  crat,  caedes  mutuae  civium  et  homicidia, 
etiani  in  praesentia  ejus,  fiebant,  née  judicia  faccre,  née  Traicctenscs  qui  non  nisi  duris  unquam 
conslringi  [)oterant  vcl  possunt  pruclatis,  coereerc  potuit.  • 


DES  COLONIES  BELGES.  •    45 

à  la  désolation  qui  en  fut  la  suite,  un  détail  des  plus  curieux.  «  Les  paysans, 
dit  l'un  d'eux,  spoliés  de  leurs  biens,  s'exilèrent  misérablement  de  leur  pa- 
trie; la  terre  demeura  sans  culture  et  désert  le  territoire  qu'ils  avaient  occupé. 
Pendant  vingt  ans,  on  ne  vit  qu'incendies,  homicides,  vols,  rapines,  misères 
de  tout  genre  '.  » 

Tel  est  l'aspect  général  des  Pays-Bas  à  l'époque  où  se  manifeste  dans  toute 
sa  force  le  mouvement  d'émigration.  Des  catastrophes,  comme  celles  que  j'ai 
rappelées  plus  haut,  ont  été  considérées  à  toute  époque,  et  même  de  nos  jours, 
comme  des  fléaux  du  ciel.  .^lais,  si  l'on  se  reporte  au  douzième  siècle,  —  siècle 
beaucoup  moins  esprit  fort  que  le  nôtre  — ,  si  l'on  se  représente  un  pavs  sur- 
chargé d'habitants,  en  proie  pendant  une  longue  série  d'années  aux  horreurs 
de  la  famine,  ou  menacés  de  périr  par  les  flots  destructeurs  de  l'Océan,  ou 
victimes  de  contagions  meurtrières,  ou  bien  encore  livrés  à  toutes  les  péripé- 
ties de  luttes  sanglantes,  on  se  demandera  s'il  en  fallait  davantage  à  nos  an- 
cêtres pour  être  épouvantés  comme  ils  l'avaient  été  aux  approches  de  l'an  mil , 
et  pour  vouloir  fuir  une  terre  que  le  bras  de  la  vengeance  divine  semblait 
frapper  sans  merci. 

Ces  arguments  me  paraissent  assez  décisifs  pour  que  je  puisse  me  dispenser 
d'en  alléguer  d'autres.  Cependant,  l'on  pourra  m'objecter  que  la  date  des  émi- 
grations n'a  pas  toujours  coïncidé  avec  l'époque  des  événements  qui ,  selon 
moi ,  y  donnèrent  lieu.  On  verra  plus  loin  jusqu'à  quel  point  cette  observation 
est  fondée;  mais,  fût-elle  absolument  vraie,  je  ne  serais  pas  embarrassé  d'y 
répondre. 

Et  d'abord,  l'on  ne  saurait  argumenter  de  l'un  ou  l'autre  fait  isolé.  J'ad- 
mettrai, si  l'on  veut,  qu'une  catastrophe,  si  terrible  qu'on  la  suppose,  ne 
suffit  point  pour  ébranler  la  force  morale  d'un  peuple;  tant  qu'il  lui  reste  des 
éléments  d'activité,  la  nation  conserve  l'espoir  de  meilleurs  jours.  Mais  il  est 
certain  qu'un  ensemble  de  calamités  publiques,  dont  tout  le  monde  mesure 


'  Uom  Bouquet,  ex  Auctario  Afjlighemensi,  XIII,  p.  277,  ad  an.  Il  59  :  «  Bellum  gravissiiaum 
orluin  erat....  inter  ducem  Lovanii...  unde  magnum  malum  processit,  et  quasi  quoddam  conta- 
giuni  tciTam  utriusquc  invasit.  Agricolue  enim  bonis  suis  spoliati,  niiseri  et  extiles  de  finibus 
suis  sunl  eyressi,  terra  déserta  liabitationibus  inculta  remansit;  erat  eernere  miseriam ,  incen- 
dia, bomicidia,  rerum  omnium  depraedationes  violenter  fieri  fera  par  annos  viginti...  » 


46  HISTOIRE 

les  conséquences,  et  dont  personne  ne  prévoit  la  fin,  aboutissent  nécessaire- 
ment à  abattre  jusqu'à  la  prostration  l'esprit  du  peuple  le  plus  vigoureusement 
trempé.  Or,  tel  fut  le  cas,  je  ne  dis  pas  pour  tous  les  Belges  en  masse, 
mais  pour  un  certain  nombre  d'habitants,  plus  cruellement  éprouvés  que  les 
autres,  et  auxquels  l'Allemagne  servit  tout  à  la  fois  de  refuge  et  de  seconde 
patrie. 

Ensuite,  il  est  dans  la  nature  des  choses  que  l'influence  produite  par  des 
faits  d'une  gravité  incontestable  ne  peut  pas  toujours  se  manifester  à  l'instant 
même  qui  les  voit  naître.  Au  douzième  siècle,  cette  influence  a  dû  opérer  ses 
effets  lentement,  de  manière  à  laisser  aux  émigrants  le  temps  d'une  réflexion 
d'autant  plus  nécessaire  qu'il  s'agissait  de  changer  une  position  précaire  et 
triste,  il  est  vrai,  sous  plusieurs  rapports,  mais  contre  une  destinée  qui 
pouvait  être  plus  misérable  encore.  Or,  le  Belge  a  toujours  préféré  ce  qui  est 
certain  à  ce  qui  ne  l'est  pas,  et  une  sage  et  prévoyante  lenteur  a  été  toujours 
le  cachet  distindif  de  son  caractère. 

Que,  si  l'on  s'obstine  à  ne  voir  dans  les  raisons  développées  plus  haut  que 
des  causes  occasionnelles ,  qui  ont  pu  tout  au  plus  concourir  au  mouvement 
des  émigrations  sans  le  provoquer  directement,  je  dirai  que  la  cause  délermi- 
nante  réside,  en  dernière  analyse,  dans  les  avantages  immenses  que  trou- 
vaient les  Belges  à  l'étranger,  c'est-à-dire  dans  les  privilèges  exorbitants 
pour  l'époque  que  leur  accordaient  les  princes  et  les  prélats  allemands.  Cela 
résultait  de  l'état  de  civilisation  comparativement  avancé  de  nos  provinces,  de 
la  perfection  relative  où  se  trouvaient  à  celte  époque  l'agriculture,  et  surtout 
certaines  branches  du" travail  agricole  dans  la  Flandre  ', 

En  dépit  des  obstacles  de  toute  nature  que  j'ai  signalés  et  qui  semblaient 
devoir  entraver  la  marche  régulièrement  progressive  des  Pays-Bas,  il  y  avait 
dans  nos  provinces  tant  de  germes  de  fécondité,  une  sève  de  vie  si  abondante, 
qu'elles  se  trouvaient  placées,  avec  les  villes  italiennes,  à  la  tête  de  la  civili- 
sation européenne. 

Les  lointaines  expéditions  d'Orient,  les  guerres  fréquentes  avec  les  princes 
voisins,  les  dissensions  intestines  n'avaient  pu  empêcher  la  Belgique,  je  dois 

'  M.  Arendt,  Bulletin  de  l'Académie  royale  de  Belgique,  XXII,  pp.  (iOO,  sqq. 


DES  COLONIES  BELGES.  47 

le  répéter  encore,  de  prendre,  à  Tépociue  qui  m'occupe,  un  remarquable 
accroissement  de  force  et  de  prospérité.  Elle  le  devait  surtout  à  la  fertilité  du 
sol,  à  Tesprit  industrieux  de  ses  habitants,  enfin  à  sa  position  géographique 
qui  en  faisait  dès  lors  le  centre  des  relations  commerciales  entre  le  midi  et  le 
nord  de  l'Europe. 

«  Le  commerce  des  marchands  flamands  en  Autriche,  dit  un  écrivain  alle- 
mand, est  déjà  célèbre  au  douzième  siècle.  La  mesure  de  Thourout  sert  de 
base  à  la  plupart  des  transactions  de  l'Occident.  Les  guerres  entre  la  Flandre 
et  la  Hollande  sont  les  premières  guerres  commerciales  du  moyen  âge.  L'in- 
dustrie des  foulons,  des  tisserands,  des  drapiers,  des  tanneurs,  des  teintu- 
riers, etc.,  se  porte  à  l'étranger  et  dans  toutes  les  directions.  Bref,  il  règne 
dans  les  Pays-Bas  un  esprit  d'entreprise,  une  ardeur  d'expansion,  dont  l'Italie 
pouvait  seule  à  cette  époque  olTrir  un  autre  exemple.  L'Allemagne  sommeil- 
lait encore  '.  » 

D'autre  part,  les  événements  qui  suivirent  l'assassinat  de  Charles  le  Bon 
révèlent  déjà  l'importance  politique  des  villes  flamandes.  Les  échevins  agissent 
de  concert  avec  les  barons  pour  punir  les  meurtriers,  pour  élire  le  nouveau 
comte,  pour  le  déposer,  et  rendre  ensuite  hommage  à  un  seigneur  légitime. 
L'organisation  municipale  et  la  puissance  de  la  bourgeoisie  se  montrent  alors 
pour  la  première  fois  dans  notre  histoire  d'une  manière  incontestable.  Certes, 
ce  n'est  pas  un  problème  facile  à  résoudre  que  de  savoir  comment  les  villes 
belges  et  celles  de  la  Flandre  surtout  s'élevèrent  ainsi  au  rang  de  corps  po- 
litiques pour  ainsi  dire  indépendants,  et  cela  au  bout  d'un  laps  de  temps  peu 
considérable.  Si  la  cause  de  la  transformation  reste  obscure,  le  fait  n'en  est 
pas  moins  acquis. 

La  comparaison  de  deux  époques,  séparées  par  un  intervalle  d'un  siècle, 
nous  donnera  une  idée  de  la  situation  de  la  Flandre  au  point  de  vue  des  ri- 
chesses matérielles.  Gervais,  archevêque  de  Beims,  donne  des  détails  pleins 
d'intérêt  sur  l'état  florissant  des  pays  gouvernés  par  Baudouin  le  Pieux  :  «  Que 
dirai-je,  dit-il,  de  l'aiïluence  des  richesses  que  le  Seigneur  a  voulu  t'atlri- 
buer  par  droit  héréditaire  à  un  si  haut  degré  qu'il  est  peu  d'hommes  qui 

'  Scliumacher ,  ibid. 


48  HISTOIRE 

puissent  Têtre  comparés  à  cet  égard?  Que  dirai-je  des  efforts  persévérants 
par  lesquels  tu  as  si  habilement  fécondé  un  sol  cpii ,  jusqu'alors  inculte ,  sur- 
passe aujourd'hui  les  terres  les  plus  fertiles?  Docile  aux  vœux  des  laboureurs, 
il  leur  prodigue  les  fruits  et  les  moissons,  et  les  prés  se  couvrent  de  nombreux 
Iroupeaux...  Qu'ajoulerai-je  sur  tes  autres  trésors,  sur  tes  joyaux  et  tes  vêle- 
ments précieux  ?  Tout  ce  que  le  soleil  voit  naître,  dans  quelque  région  ou 
sur  (pielcpie  mer  que  ce  soit ,  t'est  aussilôt  offert,  ô  prince  Baudouin  !  et  puisse- 
t-il  pendant  longtemps  en  être  ainsi,  puisqu'il  n'est  personne  plus  digne  que 
loi  de  posséder  ces  biens  '.  » 

Un  peu  plus  de  cent  ans  plus  tard,  malgré  les  désastres  que  l'on  connaît, 
le  tableau  est  encore  plus  brillanl.  «  La  Flandre  abonde  en  productions  va- 
riées et  en  toutes  sortes  de  biens...  Ses  champs  l'enrichissent  de  grains,  ses 
navires  de  marchandises,  ses  troupeaux  de  lait,  son  gros  bétail  de  beurre, 
l'Océan  de  poissons  '\  » 

La  situation  n'était  pas  moins  favorable  en  Hollande,  en  Frise  et  dans  le 
Brabant.  Les  Pays-Bas,  on  le  voit,  avaient  triomphé  de  tous  les  obstacles  que 
la  nature  ou  les  hommes  leur  avaient  suscités,  grâce  à  l'activité  énergique, 
au  caractère  ingénieux  et  entreprenant  du  peuple  belge  que  César  appelait 
déjà  gemift  summœ  sokrtkv.  Quant  à  ceux  que  des  circonstances  particulières 
plaçaient  en  dehors  des  sûretés  ou  des  avantages  communs,  ils  aimaient 
mieux  s'expatrier  que  de  mener  une  existence  chélive  et  misérable  dans 
leur  pays;  ils  pratiquaient  la  maxime:  ubi  bene,  ibi patrla. 

Aussi  la  dernière  émigration  remarquable  dont  les  chroniqueurs  font  men- 
tion, date-l-elle,  selon  toutes  les  vraisemblances,  de  1 160  '\  Les  traditions 

'   Ivcrvyn  de  Lcttenliovc,  HiM  de  Flandre ,  I,  12S. 

-  Ihid.,  p.  25(i.  —  L'nntour  du  livre  de  Propriefatilms  rcrum ,  dit  :  «  Ilncc  provincia .  quam- 
vis  siUi  tcrrae  parvula ,  nuiltis  tanien  bonis  singuiarii)us  est  referla.  Est  eiiiiu  terra  pascuis 
iiberrima,  arraeiUis  et  pcxiuiibus  plena,  nobilissiiuis  oppidis  et  portibus  maris  inelita,  ainnibus 
famosis,  seilifet  Scalde,  Leia,  undique  irrigua  et  perfusa.  Gens  ejus...  in  omnium  mcrciuni 
divitiis  locuples  ....  arte  et  ingenio  in  opère  lanifico  praeciara,  cnjus  industria  inagnac  parti 
orhis  subvenitur.  Hane  pretiosam  lanam,  quam  sibi  Anglia  communieat,  in  pannos  nobiles 
siibtili  arlificio  transrautans,  per  mare  et  terrain  mullis  regionibus  administrât...  » 

5  Meyeri,  Annales,  «  HGO...  Idem  referl  Hcnricum  Leoncni  poslquam  Vuandalos  et  Obo- 
Iritos  subegisset,  terrani  omnem  Obolritorum  suis  divisisse  dueibus,  ex  quibus  Henricus  Sca- 


DES  COLONIES  BELGES.  49 

allemandes  rapportent  que  les  colonies,  que  Ton  vit  s'établir  postérieurement 
dans  Tune  ou  l'autre  contrée ,  se  composaient  des  descendants  des  premiers 
émigrants.  Il  est  de  toute  probabilité  que  les  princes  des  Pays-Bas  eurent 
connaissance  des  émigrations  successives  de  leurs  sujets,  et  qu'ils  auront 
jugé  utile  de  les  retenir  dans  leurs  foyers  par  la  concession  des  mêmes  fa- 
veurs qu'on  leur  accordait  ailleurs.  Il  me  paraît  tout  aussi  certain  qu'ils  en- 
treprirent la  colonisation  des  terres  improductives,  désertes  ou  abandonnées 
de  leurs  États.  J'en  trouve  un  exemple  bien  remarquable  dans  la  fondation 
du  village  de  Woeslen  (dans  la  Flandre  occidentale,  près  d'Elverdingben), 
situé,  comme  l'indique  son  nom,  au  milieu  d'une  solitude,  et  aujourd'bui 
encore  entouré  de  bois. 

Cette  fondation,  due  simultanément  à  Thierry  et  à  Philippe  d'Alsace,  est 
faite  sur  le  même  pied  que  celles  d'Allemagne  ;  transportez  la  scène  dans  l'un 
ou  l'autre  État  germanique,  vous  diriez  d'un  Albert  l'Ours  ou  d'un  Henri  le 
Lion.  Nos  princes  agirent-ils  sous  l'impression  de  l'exemple  donné  par  les 
deux  illustres  ducs?  Suivirent-ils  l'impulsion  spontanée  de  leur  propre  génie? 
Je  ne  sais;  mais  ce  qu'il  est  permis  de  faire  ressortir,  c'est  la  coïncidence 
synchronique  et  l'analogie  matérielle. 

Rappelons  quelques  dates.  En  1159,  des  paysans  émigrent  de  la  Flandre 
et  du  Brabanl  ';  el,  en  1160,  a  lieu  la  colonisation  du  Mecklenbourg,  due 
précisément  aux  habitants  de  ces  provinces.  Or,  c'est  en  1161  que  Thierry  et 
Philippe  d'Alsace  fondent  Woeslen.  Ces  trois  événements  se  suivent  de  si  près 
et  s'expliquent  si  bien  l'un  par  l'autre,  qu'on  est  fort  tenté  de  dire  que  le  premier 
a  donné  l'idée  du  second,  et  que  le  troisième  est  la  conséipience  de  celui-ci. 

tensis  Magnopolin  sorlilus,  gentis  metropolin ,  Bernoncni  ibi  consliUiit  episcopuni,  coque  ex 
Flandriu  non  exiguam  cultorum  vocavit  multitudinem.  » 

Weslplialen,  I,  -2M>  :  «  1160...  Megapoli  Henricum  de  Scacis,  ex  Moriuis  accituin  sufTecit, 
locaque  Ilcrulorum  reliqua  commilitonibus  pro  virtiile  eujusquc  dislribuit.  » 

Wydts,  Chronyke  van  Vluendcren  :  «  IIGO.  In  hel  volgende  jaer  lieeft  Henricus  Léo, 
hertog  van  Saxcn,  Iict  goddeloos  volk  der  VVandaelen ,  bel  wclk  cen  bcrfvvandt  scbeen  te  zyn 
van  de  ehristene  religie  ,  uyt  zyne  hecrsehappye  vcrdreven,  waer  door  by  veele  onbewoondc 
plaelsen  en  onbeoeffende  landen  betiielt,  om  wellce  te  vervullen,  sendt  hy  Henricus  en  Adul- 
pbus,  grave  van  Elsatien  naer  Ncderlandt,  om  volck  en  ackermans  op  te  ligten,  de  vvetke  de 
verlaetene  plaetsen  in  Saxen  souden  bewoonen  ende  beoeffeneu.  >  l*ag.  199°. 

*  Voy.  note  i,  pag.  43. 

Tome  XXXII.  8 


50  HISTOIRE 

Qu'on  juge,  d'ailleurs,  par  la  substance  de  la  charle  octroyée  à  ce  propos, 
de  la  similitude  de  rétablissement  formé  par  le  comte  de  Flandre  avec  ceux 
d'Allemagne  '. 

Le  comte  Thierry,  de  concert  avec  son  fils  Philippe,  donne  le  territoire 
désert  de  Reninghe  à  cultiver  à  des  paysans.  Comme  il  n'y  a  aucune  église 
dans  ce  lieu,  les  princes  se  chargent  d'en  bâtir  une  et  pourvoient  eux-mêmes 
à  l'entretien  du  curé.  Il  y  aura  ainsi  une  nouvelle  paroisse  à  laquelle  appar- 
tiendront tous  ceux  qui  viendront  immédiatement  y  demeurer,  et  ceux  qui 
voudront  s'y  aller  établir  postérieurement.  S'il  en  est  qui  dépendent  d'un 
seigneur,  les  princes  leur  procureront  l'aulorisalion  nécessaire  pour  faire 
partie  de  la  colonie.  Ils  accordent  liberté  absolue  et  perpétuelle  à  tous  ceux 
(|ui  viendront  y  habiter  dans  le  moment  ou  plus  tard.  Le  comte  et  son  fils  dé- 
clarent en  outre  que  tous  ceux  qui  répondront  à  leur  appel  ne  seront  point 
soumis  aux  lois,  coutumes  ou  tribunal  de  la  commune  de  Furnes;  qu'ils  seront 
affranchis  à  perpétuité  de  toutes  corvées,  pétitions,  tailles  ou  autres  exactions 
(|uelconques,  auxquelles  le  reste  de  leurs  sujets  sont  soinnis.  Le  seul  service 
dont  ils  ne  seront  point  exempts  est  celui  qui  concerne  la  défense  du  pays;  ils 
pourront  de  ce  chef  être  appelés  sous  les  armes.  Ils  ne  pourront  être  traduits 
en  justice  par  personne,  si  ce  n'est  devant  les  princes,  ou  devant  le  représen- 
tant des  princes  à  Ypres.  Quant  à  la  redevance,  elle  consiste  en  deniers, 
(pi'ils  payeront  à  la  Saint- Jean,  en  avoine  et  en  volaille  qu'ils  fourniront 
entre  la  fête  de  saint  Bavon  et  la  Purification  de  la  sainte  Vierge.  S'ils  ne  se 
sont  pas  acquittés  de  cette  obligation  au  terme  convenu,  ils  pourront  y  être 
contraints  par  les  agents  des  princes;  toutefois,  ces  agents  ne  pourront 
exercer  aucune  violence,  afin  qu'il  ne  soit  pas  porté  atteinte  à  la  liberté  des 
colons. 

On  le  voit  :  les  conditions  qu'obtinrent  les  Belges  en  Allemagne  ne  furent 
pas  plus  favorables  que  celles  que  les  princes  d'Alsace  accordèrent  aux  colons 
nationaux.  Dès  lors,  abstraction  faite  des  calamités  qui  pouvaient  leur  rendre 
le  séjour  des  Pays-Bas  odieux,  il  n'y  avait  plus  de  motif  pour  chercher  à 
l'étranger  des  faveurs  et  la  fortune.  Aussi  ne  saurait-on  prouver  par  des 

'  Voy.  mes  Docume.nix j  ii"  I. 


DES  COLONIES  BELGES.  51 

sources  que  les  Belges   se  sont  encore,  passé  celte  époque,  expatriés  en 
masse. 

Il  reste  toujours  à  éclaircir  un  dernier  point.  A  ([uoi  altrii)uei'  le  silence 
que  nos  annalistes  et  chroniqueurs  ont  gardé  sur  les  émigrations  de  leurs  com- 
patriotes? Des  raisons  plausibles,  je  n'en  trouve  pas.  Eelking  attribue  «cette 
négligente  omission  des  annales  à  la  barbarie  et  à  l'ignorance  des  temps  où 
vivaient  ceux  qui  les  écrivaient,  et  à  la  préférence  qu'ils  donnaient  à  la  ré- 
daction de  ces  récits  fantastiques  et  absurdes  qui,  à  notre  époque,  n'amusent 
plus  l'habitant  le  plus  simple  de  nos  campagnes.  »  Que  les  chroniqueurs 
.lient  parfois  raconté  comme  importantes  des  choses  tout  à  fait  secondaires, 
et  négligé  de  mettre  en  saillie  des  points  d'un  haut  intérêt,  je  le  veux  bien; 
mais  là  n'est  pas ,  selon  moi ,  la  cause  unique  de  leur  silence  :  je  crois  pou- 
voir Texplitiuer  autrement. 

A  l'époque  des  émigrations,  les  Pays-Bas,  je  l'ai  dit  plus  haut,  avaient  une 
population  tellement  forte  qu'une  partie  était  presque  à  chargea  l'autre:  est- 
il  étonnant,  dès  lors,  que  quelques  milliers  d'hommes  et  de  femmes  aient  pu 
quitter  un  pays  «  surchargé  d'habitants  »  sans  attirer  sur  eux  l'altention  de  la 
multitude?  La  Belgique  avait  assez  d'hommes  exercés  à  l'agriculture,  au 
commerce  et  à  l'industrie,  pour  que  le  départ  de  quelques-uns  de  ses  enfants, 
si  laborieux  qu'ils  fussent,  pût  passer  inaperçu.  Rien  d'ailleurs  de  plus  naturel 
et  de  plus  ordinaire  que  de  voir  nos  compatriotes  recevoir  un  témoignage 
plus  éclatant  des  historiens  étrangers  que  de  nos  propres  annalistes. 

Ceux-ci,  habitués  au  spectacle  d'ordre  et  de  travail  qu'offre  toujours  un 
peuple  civilisé,  en  étaient  moins  vivement  frappés,  tandis  que  les  nations 
chez  lesquelles  les  Belges  importèrent  les  arts  de  la  paix  qu'ils  avaient  per- 
fectionnés, en  durent  mieux  apprécier  les  merveilleux  effets.  En  outre,  à 
l'époque  dont  il  s'agit,  les  mille  et  un  moyens  de  communication  qu'ont 
enfantés  les  siècles  n'existaient  pas  encore;  la  presse,  cette  renommée  aux 
cent  bouches,  était  inconnue.  N'en  pouvons-nous  pas  conclure,  au  moins 
conjecturalement,  qu'il  a  été  difficile,  pour  ne  pas  dire  impossible,  au  petit 
nombre  d'écrivains  qui  s'occupaient  à  relater  les  faits  qui  se  passaient  autour 
d'eux,  de  connaître  un  événement  d'une  importance  majeure  par  les  effets 


32  HISTOIRE  DES  COLONIES  BELGES. 

([iril   engendra,   mais  (jui,  dans  le    principe,  dut   paraître   sans    eonsé- 
quence? 

Après  avoir  exposé  les  causes  qui  amenèrent  les  émigralions,  je  dois 
niainlenanl  entrer  au  c(eur  du  sujet,  et  faire  l'historique  des  colonies 
mêmes. 


PREMIÈRE  PARTIE. 

HISTOIRE  DES  COLONIES  BELGES  QUI   S'ÉTABLIRENT 
EN  ALLEMAGNE. 


PREMIÈRE  DIVISION. 

COLONIES  FONDÉES  PAR  DES  PRÉLATS. 
CHAPITRE  ^^ 

BRÈME. 


Charlemagne,  par  un  diplôme  signé  à  Spire  le  14  juillet  787,  avait  érigé 
l'évêché  de  Brème  en  faveur  de  saint  Willehad,  et,  en  834,  Louis  le  Pieux, 
son  fils  et  successeur,  y  réunit  Tévêché  de  Hambourg.  La  juridiction  des 
évêques  de  Brême-IIambourg,  conformément  au  rescrit  impérial,  s'étendit 
dès  lors  sur  toute  rAllemagne  du  nord  juscpi'au  pôle  arclique;  mais  la  vaste 
étendue  de  ce  territoire  rapportait  à  peine  de  quoi  sufïire  aux  besoins  de  leur 
mission.  Le  pays,  au  milieu  duquel  était  située  leur  résidence,  était  couvert 
de  déserts  et  de  marais  qui  étaient  peu  propres  à  enrichir  leur  église  \  Le 

'  Les  environs  de  Brème  étaient  fort  marécageux.  Un  diplôme  de  l'empereur  Henri  IV , 
27  juin  10G2,en  fournil  la  preuve  :  «  Forestum  ctiam  cum  banno  regali  per  totum  paguni 
Wimodi  cura  insulis,  Bremensi  scilicet  et  Wechter  dictis,  nec  non  cum  paludibus  Linebroch, 
Asebroch,  Aidenbroch,  Iluchtingebrocli,  Brinscimibrocb ,  Weigeribrocti...  tradimus  atque  do- 
navimus.  »   Ehnick,  Brcmisches    Vrkiindenbuch.   Bremcii,   1863,  1 ,  22.  —  La  terminaison 


U  HISTOIRE 

pelit  iioiiihre  de  fidèles,  qu'ils  avaient  sous  leur  juridiclion,  élaienl  d'un  na- 
Itu'el  paresseux,  et  la  loi  du  servage,  qui  les  allachait  falalenienl  à  la  glèbe, 
les  excitait  peu  à  chercher  dans  un  travail  opiniâtre  le  moyen  d'améliorer  leur 
condition  matérielle.  Enfin,  des  guerres  extérieures  et  des  querelles  intestines 
ne  permirent  pas  aux  prélats,  pendant  longlem|)s,  de  songer  à  la  colonisation 
de  leur  diocèse.  Durant  le  règne  de  Libizo  et  de  quelques-uns  de  ses  succes- 
seurs, l'évêché  fut  en  quelque  sorte  dépeuplé  par  les  invasions  meurtrières 
des  pirates  Norihmanns;  Liemar  et  Adalbert  se  virent  sans  cesse  mêlés  aux 
guerres  des  empereurs  franconiens  et  des  princes  saxons,  ils  vécurent  au 
milieu  d'agitations  conlinuelles  et  furent  presque  constamment  absents  de  leur 
diocèse'.  Humberl,  qui  occupa  le  siège  métropolitain  après  eux,  administra 
le  diocèse  pendant  quatre  ans  à  peine,  de  sorte  qu'il  n'eut  que  le  temps  de 
fermer  les  plaies  intérieures  qui  s'étaient  faites  avant  son  avènement.  Il  était 
réservé  à  Frédéric  I  (1  l(>4.-4i23)  de  jouir  des  bienfaits  de  la  paix,  et  d'en 
profiter  pour  faire  avancer  la  civilisation  dans  ses  États. 

Il  conclut,  en  H06,  avec  des  Néerlandais,  un  pacte  en  vertu  duquel  il 
leur  cédait  un  canton  marécageux,  inhabité  et  inutile  à  ses  autres  sujets,  tout 
en  leur  accordant,  en  outre,  des  droits  et  privilèges  qui  feront  l'objet  d'une 
élude  spéciale  dans  la  seconde  partie  de  ce  travail.  En  retour,  les  Néerlandais 
étaient  tenus  à  certaines  obligations  que  j'examineiai  au  même  endroit  ". 

I.  «  Ce  fait,  dit  un  historien,  qui  introduisit  des  changements  remarqua- 

hroch  est  la  inèine  que  notre  liroeck  (pdius).  Un  prélat,  Uiiwan,  archevêque  de  Brèrue, emploie 
re\[)rcssioii  jdttoresque  de  paludkolue  pour  désigner  les  habitants  de  ces  parages  :  «  Onines 
ritiis  paganos,  quorum  adhue  superstitio  viguit  in  hac  rcgionc,  praecepit  fiinditus  amoveri , 
ita  ut  ex  lueis  qnos  nostri  puiudicolae  stulta  IVequcntabant  reverentia  faeeret  ccclesias  j)er 
dioeesin  renovari.   »   Ehnuk,  ih.,  n"  XVII,  a.  lOIÔ-lOil). 

I  Le  diocèse  de  Brème  semide  avoir  envoyé  et  perdu  hon  nombre  de  ses  habitants  à  la  pre- 
mière croisade,  s'il  en  faut  juger  par  ce  passage  d'un  diplôme  de  l'empereur  Henri  V,  relatif 
à  la  ville  de  Brème,  et  daté  de  Mayenee,  du  limai  II  II  :  n  Ceterum  jjropter  obsequiorum 
promptitudinem  multasque  deificas  virlutes,  viriles  actus  et  non  modicos  labores  et  expensas, 
quos  el  quas  cives  Bremenscs  per  mare  suis  navihus  et  per  terram  fecei'unt  in  jiassagio  ultra 
marc  ad  Terram  Sanctam,  quando  civitas  Jherosolomilana  tempère  preclare  recordationis 
Heinrici  genitoris  nostri  ab  illustribus  dueibus  Godfrido  et  Boldewino  capta  fuerat  et  retenta, 
ubi  non  modicus  popiilus  urinatus  de  rivitute  et  dyocesi  Bremetisi  dicitur  interfuisse...  « 
Ehmck,  ibid.,  p.  50,  n"  XXVIII. 

-  Vov.  la  charte  de  fondation  dans  mes  Documents ,  etc.,  n°  II. 


DES  COLONIES  BELGES.  Sa- 

bles dans  les  mœurs,  dans  le  régime  alimentaire,  non  moins  que  dans  le 
commerce  et  dans  l'industrie,  mérite  la  plus  sérieuse  attention...  L'évêque  ju- 
geait sagement  qu'en  peuplant  son  pays,  il  se  procurerait  à  lui-même  un 
accroissement  de  puissance  et  de  considération...  Le  dépeuplement  énorme 
que  les  pays  saxons  avaient  subi  pendant  les  guerres  de  Charlemagne,  à 
chaque  invasion  des  Slaves,  après  la  mort  du  prince  Gotlschalk  et  dans  les 
luttes  incessantes  des  Wendes  et  des  Danois,  l'ut  une  des  principales  causes 
politiques  qui  poussèrent  les  prélats  de  [Brème-]  Hambourg  à  introduire  des 
colons  néerlandais.  Ajoutons  à  cela  que  les  habitants  de  Tévêché  de  Brème 
et  du  Holstein  ignoraient  complètement  Fart  de  dessécher  leurs  plaines  maré- 
cageuses, et  de  les  protéger  contre  de  nouvelles  inondations  à  Taide  de  digues 
et  de  remparts  de  tout  genre,  art  pour  lequel  les  Néerlandais  avaient  de 
grandes  aptitudes  et  qu'ils  pratiquaient  depuis  longtemps  avec  une  rare  intel- 
ligence... Le  succès  couronna  dignement  ces  efforts  \  » 

L'auteur  allemand  apprécie  avec  sagacité  les  causes  de  la  colonisation  et 
les  effets  qui  en  découlèrent;  mais  il  se  borne  à  les  constater  pour  les  pays 
dont  il  raconte  l'histoire;  il  n'examine  point  les  motifs  qui  ont  chassé  les 
Belges  de  leur  patrie  ou  qui  les  ont  déterminés  à  la  quitter  de  plein  gré.  Il 
serait  intéressant  de  remplir  cette  lacune,  de  définir  le  caractère  de  cette 
première  émigration  du  douzième  siècle  et  d'expliquer  les  circonstances  qui 
s'y  rattachent;  mais  les  sources  manquent,  et  il  est  fort  à  craindre  qu'elles 
ne  manquent  toujours. 

La  chronique  publiée  par  Kluyl  -,  que  Ton  regarde  généralement  connue 
une  des  plus  complètes  et  des  plus  précises,  ne  fait  aucune  mention ,  aux  an- 
nées H05,  1106,  d'événements  ou  de  faits  publics  que  l'on  pourrait  rap- 
procher de  l'émigration.  La  seule  circonstance  (|u'il  serait  peut-être  possible 
de  considérer  comme  ayant  produit  une  situation  propre  à  favoriser  une  émi- 
gration, est  l'assassinat  de  Conrad,  évêque  d'Utrecht.  Mais  ce  meurtre  eut 
lieu  dès  1099.  On  ne  peut  guère  présumer  que  l'on  a  expulsé  les  meurtriers 
six  ou  sept  ans  plus  tard  ;  que  ceux-ci  étaient  assez  nombreux  pour  former 
toute  une  colonie;  enfin,  qu'il  s'est  trouvé  un  évêque,  assez  oublieux  de  ses 

'   diristiani,  Geseliichte  von  Schlesirig-Holslein,  II,  42Ô,  sqq.  Kiel,  I77o. 
■^  Histuria  critica  coniitatits  Hollandiae  et  Zeelandiae.  Medioburgi,  1777. 


56  HISTOIRE 

devoirs,  pour  accueillir  une  bande  de  meurtriers,  pour  leur  donner  Thospi- 
laliié  dans  ses  Etais,  pour  leur  y  accorder  des  privilèges  dont  la  base  était 
des  plus  libérales,  et  qui  devinrent  comme  le  type  et  la  norme  de  tous  les 
droits  que  les  princes  concédèrent  plus  tard  aux  émigrants  belges.  Il  faut 
donc  lâcher  de  découvrir  une  autre  cause,  et  cette  cause,  je  crois  qu'il  la  faut 
chercher  dans  les  maux  sans  nombre  qui  désolèrent  les  Pays-Bas  à  la  fin  du 
onzième  et  au  commencement  du  douzième  siècle  '.  Cette  cause-là  du  moins 
ressort  des  textes  avec  une  unanimité  qui  ne  laisse  pas  de  prise  au  doute,  et 
(>lle  amène  à  conclure  que  la  première  émigration,  qui  signale  le  douzième 
siècle,  fut  une  entreprise  privée,  conçue  et  exécutée  en  dehors  de  toute  préoc- 
cupation politique. 

Tel  est  en  effet  le  caractère  que  présente  la  charte  de  fondation  de  H 06. 

Il  ne  résulte  pas  du  diplôme  de  Frédéric  que  l'émigration  des  colons  se 
fil  à  la  sollicitation  de  ce  prélat,  mais  bien  que  les  Néerlandais  se  rendirent 
spontanément  à  Brème,  soit  qu'on  leur  eût  fait  entrevoir  que  le  rétablissement 
de  la  paix  leur  y  donnerait  un  accès  facile,  soit  qu'ils  eussent  appris,  d'une 
manière  ou  d'une  autre,  que  l'archevêque  manquait  de  travailleurs  pour  réa- 
liser les  projets  d'économie  rurale  qu'il  avait  conçus. 

La  charte  ne  s'explique  sur  aucun  de  ces  points;  mais  ce  qu'elle  dit  expres- 
sément, c'est  que  les  Néerlandais  allèrent  trouver  l'archevêque  [maiestatem 
iiostram  convenerunl) ,  et  le  supplièrent  [obnixe  royatiles)  de  leur  accorder 
des  terres  pour  les  mettre  en  culture  [quafemis  lerrmn...  eis  ad  excolendum 
concederemiis) ,  terres  qui  avaient  une  physionomie  semblable  à  celles  de  leur 
pro{)re  pays  [paludosam)  et  dont  la  concession  ne  ferait  aucun  tort  aux  au- 
tres habitants  {incultam...  nostris  indigenis  super fluam). 

L'analyse  de  cette  phrase  prouve,  ce  me  semble,  à  l'évidence,  que  les  émi- 
grants formaient  une  troupe  d'entrepreneurs  agricoles  et  autres  que  l'appàl 
de  la  fortune  attirait  dans  une  contrée  privée  encore  des  bienfaits  dont  la  ci- 
vilisation avait  déjà  doté  leur  patrie.  Ce  qui  donne  une  force  singulière  à 
cette  opinion,  ce  sont  les  termes  mêmes  qu'emploie  l'archevêque  {pactionem... 
nuhiscwii  ]>epigerunl).  Il  s'agit  ici  non  d'un  octroi  accordé  bénévolement, 

'   Voy.  hilrodiirtion,  §  V. 


DES  COLONIES  BELGES.  57 

(l'une  concession  graluile,  mais  bien  d'un  vérilable  contrat  synallagmatique. 
L'archevêque  traite  avec  les  Néerlandais  presque  d'égal  à  égal,  ce  qui  atténue 
quelque  peu  la  hauteur  de  cette  phrase  :  obnixe  rogantes,  phrase  toute  de 
chancellerie  et  qu'il  faut  bien  se  garder  de  prendre  au  pied  de  la  lettre. 

Ce  qui  prouve  encore  qu'il  s'agit  d'une  véritable  entreprise  gouvernemen- 
tale, c'est  que  l'archevêque  ne  traite  qu'après  avoir  pris  l'avis  de  son  conseil 
ou  chapitre  {noslroriim  uti  consilio  fidelium)  et  qu'il  s'est  décidé  à  le  faire 
parce  qu'on  a  jugé  que  la  proposition  des  étrangers  procurerait  de  grands 
avantages  au  diocèse  {perpciidenles  rem  iiobis  noslrisr/ue  siiccessorilms  pro- 
futnruhi). 

Enfin,  une  dernière  phrase  ne  laisse  plus  aucun  doute  sur  le  sens  de  la  co- 
lonisation. L'archevêque  cite  les  noms  des  personnages  [virorum)  qui  ont 
traité  avec  lui  [ad  hanc  pactionem  faciendam  convenerunt)  et  auxquels  il  a 
fait  la  concession  demandée,  tant  d'après  les  lois  en  vigueur  que  d'après  les 
clauses  mêmes  de  la  convention  [secunditm  secidileges  et praefatam  conven- 
tionem  concedimus). 

Six  Hollandais  sont  nommés  par  l'archevêque.  Le  premier  est  un  prêtre, 
à  qui  Frédéric  confie  la  direction  spirituelle  de  la  nouvelle  colonie;  les  cinq 
autres  sont  apparemment  les  laïques  les  plus  considérables  d'entre  les  émi- 
grants  et,  partant,  les  chefs  entrepreneurs.  C'est  une  dernière  preuve  que  l'ar- 
chevêque entend  se  lier  envers  eux  comme  eux-mêmes  s'engagent  envers  lui. 

II.  La  charte  donne  aux  étrangers  le  nom  de  Hollandais,  et  il  a  longtemps 
été  dilTicile  de  déterminer,  d'une  manière  plus  précise,  la  province  des  Pays- 
Bas  à  laquelle  ils  appartenaient.  Un  passage  du  diplôme  porte  que  les  émi- 
grants  reconnaîtront  l'archevêque  pour  leur  souverain,  tant  au  temporel 
qu'au  spirituel,  conformément  aux  lois  et  coutumes  de  l'église  d'Utrecht,  ce 
qui  prouve  qu'ils  appartenaient  à  ce  diocèse.  Seulement  l'évêché  d'Utrecht 
était  très-vaste  ;  il  s'étendait  jusque  dans  la  Flandre  :  les  quatre  Métiers  rele- 
vaient de  sa  juridiction.  Il  restait  donc  à  savoir  à  quelle  partie  du  diocèse  ils 
appartenaient.  Le  commencement  de  la  charte  dit  :  cis  Rhenuin  comma- 
nctUes,  ce  qui  semble  exclure  toutes  les  provinces  situées,  par  rapport  à 
Brème,  au  delà  de  ce  fleuve.  Il  faudrait  donc  admettre ,  au  premier  abord, 
que  les  émigrants  étaient  originaires  des  provinces  septentrionales  du  royaume 
Tome  XXXII.  9 


H8  HISTOIRE 

des  Pays-Bas  actuel.  Ajoutez  à  cela  que  les  noms  des  Hollandais,  mentionnés 
par  l'archevêque,  n'apportent  aucun  éclaircissement  à  la  question.  Celui  de 
l'ecclésiastique,  Henri,  et  celui  d'un  des  chefs  entrepreneurs,  étaient  aussi 
frécpients  dans  la  Flandre  que  dans  la  Hollande,  l'Utrecht,  la  Gueldre,  etc. 
Les  quatre  autres,  Helikin,  Hiko,  Fardolt,  Referic  sont  plutôt  frisons.  De 
sorte  qu'en  ihèse  générale,  on  peut  déjà  admettre  que  les  différentes  pro- 
vinces que  je  viens  d'énumérer  avaient  fourni  leur  contingent  à  l'entreprise 
de  l'archevêque  Frédéric. 

Ce  ne  sont  là,  en  véiité,  que  des  données  assez  vagues;  néanmoins,  les 
anciens  documents  de  tous  genres  que  nous  a  légués  le  passé ,  et  dont  la  pu- 
hlication  a  déjà  jeté  de  si  vives  lumières  sur  l'histoire  du  moyen  âge,  me 
permettent,  ce  me  semhle,  d'aller  plus  loin  que  ne  l'ont  fait  mes  devan- 
ciers. En  parcourant  les  chartes  et  autres  sources  du  pays  de  Brème,  j'ai 
trouvé  (pielques  noms  propres  qui  attestent  à  l'évidence  leur  provenance  helge, 
soit  qu'ils  énoncent  simplement  la  nationalité,  ou  qu'ils  désignent  la  localité, 
ville  ou  village,  dont  les  personnages  en  question  sont  originaires.  Il  faut,  sans 
doute,  se  défier  d'analogies  trompeuses  et  éviter  des  rapprochements  forcés; 
mais  il  est  impossible  de  ne  pas  être  frappé  des  quelques  coïncidences  sui- 
vantes :  ' 

Flandres.  Buren,  Herraannus  de  Buren,  a°  1235  '. 
Dam  me,  Dctmar  von  Damm  ^. 

Namme,  Baidrawiniis  de  Hamme,  ISIS  ',  Heinricus  de  Ilamme,  1258  *. 
Heyne,  auj.  Eyne'^,  Simon  et  Henricus  de  Heyne,  1233. 
Sfeenvoorde  (arrondissement  de  Hazebrouck) ,  Lambcrlus  de  Stcenvorde  *'. 
Walle,   Engclbertus  de  Walle',  1205;  Tliidericus  de  Walie,  1203,  1218,  1222, 
1226  8. 

'  Ehmck,  Bremisches  Urkimdenbuch ,  p.  207. 

*  Wiedemann,  p.  190. 

'  Lambecii,  Orï^mt's  Ilamburgenses  ,  p.  112. 

*  Id.,  p.  97». 

"  Un  des  plus  anciens  villages  de  la  Flandre  orientale,  près  d'Audenarde,  cité  dans  une 
charte  de  Louis  le  Pieux,  de  8iO.  La  seigneurie  dllcyne,  était  déjà  célèbre  à  la  fin  du  on- 
zième siècle,  et  elle  fut,  comme  Boulers,  Cysoing  et  Pamèle,  une  des  quatre  Séries  de  Flandre. 

^  Sartorius  uad  Lappenberg,  Geschiclite  der  lia  usa ,  p.  587. 

"  Ehmcii,  p.  118. 

s  M,  pp.  m,  153,  146,  103. 


DES  COLOrSIES  BELGES.  59 

BnAHANT.    Bode  .  .  Conrad  von  Rode  ' . 

Hollande Elerus  Hollandcre,  1233  *. 

Frise Ilcinricus  Friso,  Todo  Friso,  1233  ^ 

Liège.   Hooy  (Huy).  IlcinriRus  de  Hoien,  a°  1217,  villa  Hoya  *. 

Des  analogies  non  moins  remarquables  résultent  de  la  comparaison  des 
noms  de  plusieurs  localités  du  duché  de  Brème  et  des  Pays-Bas. 

Flandres.  Hofstade  (près  Courtray  ) ,  Hostede  ^. 

Seedorp  (auj.  Zuiddorp ,  près  Gand),  Sedorpc  •>. 
Voorde  (près  d'Alost).  ugger  Vôrde ,  a"  1225  '. 
Harelbeke  ou  Harlebeice,  villa  AIrebekesa  *. 

Staden  (près  Roulers),  Stadcn  ,  a»  1199  {monasterium  beatc  Marie  apud).  Diffé- 
rent de  la  ville  de  Stade  ^. 
Harimjhen  (près  Furnes),  Harengen  '". 
Wackeii  (près  Courtray),  Wachenthorp,  a"  1200  ". 
Steenbeke  (arrondissement  d'Hazcbrouck),  Sleenbeke  *^. 
Devers  (près  d'Audenarde),  Beversate,  Beversledt  ''. 
Beveren  ' 


„  ,  Bevern  •''. 

Anvers.       Beveren     ) 

Hollande.   Hecklingen  (près  Scbiedara),  Heckling,  dans  le  Stedingerland  '«. 
.4/jeWo)«,  Apelderen,  1139  ". 
Delft,  Delve  '«. 

'  Ehrack,  p.  1S7. 

2  Id.,  p.  207. 

s  Id.,  p.  207. 

*  Id.,  pp.  129,194. 

^  Id.,  p.  34. 

«  Id.,  p.  79. 

'  Id.,  p.  i59. 

«  Id.,  p.  93. 

9  Id.,  p.  97. 

•0  /(/.,  p.  101. 

»'  Id.,  p.  103. 

'-  Wersebe,  I,  p.  371. 

*'  Ehmck,  ib.,  passim. 

•4  II  y  a  trois  villages  de  ce  nom  dans  la  Flandre  occidentale,  un  près  de  Furnes  ,  un  près  de 
Roulers,  et  un  autre  près  de  Courtray,  un  dans  la  Flandre  orientale,  arrondissement  de  Saml- 
Nicolas,  près  d'Anvers. 

'S  Wiedemann,  p.  170. 

"'  Die  Volkssagen  des  Sledingerhmdes ,  p.  210. 

"  Ehmck,  p.  33. 

'S  Id.,  p.  126.  .  / 


60  HISTOIRE 

HoLLA>DE.  Oldenbrock  (S.  de  Kainpen),  Oldenbrok  dans  le  Stedingerland  '. 
OvERYssEL.  .VieHÔcofA:  (0.  Deventer),  Neuenbrok,  dans  le  Stedingerland  ^. 
LiMBounc.   Horst  (N.-O.  Ilasselt)  Horst-im-Moor,  Stedingerland  '. 
DiiENTHE.    Groll,  Grolland,  dans  le  Stedingerland  *. 
Frise.         Friesenliorn,  Misselwardcn ,  Schollwarden,  Hammelwai-den,  etc.-'. 

On  pourra  peul-éire  objecter  que  les  rapprochemenis  qui  précèdenl 
manquent  d'une  base  positive,  ou  que  le  basard  seul  les  a  produits.  M.  Schu- 
niacber,  toutefois,  est  d'avis  que  les  noms  des  localités  similaires  à  ceux  des 
Pays-Bas,  que  Ton  trouve  en  Allemagne,  ont  une  origine  incontestablement 
belge.  «  De  même,  dit-il,  que  les  colons  anglais  et  français,  qui  allèrent  s'éta- 
blir dans  l'Amérique  du  nord,  y  fondèrent  un  New- For/.-,  une  Nouvelle- 
Orléans ,  donnant  ainsi  à  des  villes  nouvelles  des  noms  de  villes  de  leur 
jjalrie ,  de  même  les  Néerlandais  transportèrent  également  les  noms  de  la 
métropole  dans  leurs  nouvelles  résidences...  Ces  témoignages  sont  frappants, 
car,  à  cet  époque,  on  n'avait  pas  encore  la  manie  d'appeler  des  nouvelles 
localités  d'après  des  noms  tout  à  fait  étrangers,  comme  Mempbis,  etc.  » 

D'ailleurs,  à  supposer  même  que  cet  argument  vienne  à  faillir,  on  ne 
manque  pas  d'autres  preuves  pour  affirmer  que  le  nom  de  Hollandi, 
employé  dans  la  cbarle  de  l'archevêque  Frédéric,  était  purement  énonciatif, 
et  qu'il  n'excluait  point  les  habitants  des  autres  provinces  des  Pays-Bas. 

Ainsi  les  expressions  flamsk  arve  [vlaamsche  erve),  flilmsk  land  [vlaamsch 
land) ,  flimisk  regt  [vlaamsch  recht)  étaient  de  temps  immémorial  aussi  usi- 
tées dans  le  pays  de  Brème ,  que  les  expressions  correspondantes  holler  arve, 
holkrland ,  hollerrerjl  ^.  Ainsi  encore  pour  les  marchandises  et  les  mesures, 
les  deux  dénominations //«msA-  elhoUer  ou  holling  étaient  employées  comme 
identiques  "^ . 

Ces  arguments  réunis  me  semblent  assez  décisifs  pour  pouvoir  conclure, 
malgré  les  mots  cis  Rheniim  commanentes ,  que  la  colonisation  de  1106  eut 

'  Die  Volkssagen  des  Sledingerlandes ,  p.  210. 
2  Id.,  p.  2i0. 
^  Id.,  p.  210. 
*  Id.,  p.  210. 
"  rd.,  p.  210. 

•^   Versùch  eines  hremisch-  niedersàchsischen  Wôrterbùchs,  etc.  Bremen,  1707,  t.  1,  p.  40^. 
'  D'  Sciiumacher,  loc.  cil. 


DES  COLONIES  BELGES.  «1 

lieu  avec  le  concours  des  habitants  aussi  bien  d'au  delà  (par  rapport  à  Brème) 
qu'en  deçà  du  Bhin. 

in.  Les  auteurs  ne  s'accordent  point  sur  la  question  de  savoir  où  étaient  si- 
tuées les  terres  basses  et  marécageuses  dont  parle  la  charte  de  rarchevèque 
f>édéric,  et  ils  ont  émis  à  cet  égard  les  opinions  les  plus  diverses. 

Westphalen  est  d'avis  que  rarchevèque  a  eu  en  vue  tous  les  terrains  ma- 
récageux situés  alors  dans  le  diocèse  de  Brème-Hambourg,  par  le  motif  que 
le  territoire  actuel,  nommé  IloUerland ,  n'est  pas  assez  considérable  pour 
avoir  pu  faire  l'objet  d'une  colonisation  établie  sur  des  bases  aussi  larges  '. 

Eelking  soutient,  au  contraire,  qu'au  douzième  siècle  la  juridiction  épisco- 
pale  de  Brème  comprenait  tant  de  terrains  incultes  et  marécageux,  que  plu- 
sieurs milliers  de  colons  auraient  à  peine  sulïi  pour  les  défricher,  ce  que  le 
contrat  ne  semble  pas  faire  supposer.  Ensuite,  le  HoUerland  n'est  pas,  d'après 
Eelking,  circonscrit  dans  des  limites  aussi  restreintes  que  le  croit  Westphalen, 
puisque  aujourd'hui  encore  cette  partie  du  ressort  de  Brème  comprend  trois 
bourgs  et  cinq  villages.  La  dénomination  même  du  terrain  cédé  milite  irré- 
futablement en  faveur  de  son  opinion  "-. 

Wersebe  se  range  à  cet  avis,  tout  en  le  modifiant  un  peu.  Selon  lui,  les 
terres  concédées  se  trouvaient  à  proximité  de  Brème,  dans  les  marécages  qui 
étaient  situés  à  l'est  de  la  ville,  et  il  envisage  le  village  de  Uorn  comme  ayant 
formé  le  centre  de  la  colonie  hollandaise.  Il  fonde  son  opinion  sur  ce  qu'il 
était  naturel  que  l'archevêque  Frédéric  commençât  par  faire  coloniser  les 
terres  qui  étaient  à  proximité  de  sa  résidence ,  c'est-à-dire  par  rendre  arables 
celles  qui  forment  le  IloUerland  proprement  dit,  situées  sur  la  rive  droite  du 
Weser,  pour  s'occuper  ensuite  de  la  colonisation  de  Seehausen,  Holle  et 
Brinkum,  que  l'on  trouve  sur  la  rive  gauche  du  même  fleuve.  Wersebe  fait 
observer  que  le  HoUerland  est  précisément  situé  dans  ces  marais ,  et  qu'à 
raison  de  sa  situation  à  proximité  de  la  ville,  il  n'était  pas  difficile  de  le  dé- 
barrasser de  ses  eaux,  puisque,  par  suite  de  celte  situation  exceptionnelle,  les 
colons  avaient  à  leur  disposition  les  moyens  nécessaires  et  les  engins  les 
l)lus  propres  à  mener  à  bonne  fin  leur  entreprise  ^. 

'   Monum.  inéd.,  IV,  p.  190. 
5  De  Belgis,  10. 
s  I,  23. 


62  HISTOIRE 

Langelhal,  au  conlraire,  prétend  que  l'archevêque  accorda  aux  Hollandais 
toute  la  partie  marécageuse  de  ses  possessions  sur  la  rive  gauche  de  la  vallée 
de  l'Elhe,  depuis  Buxtehede  jusqu'aux  frontières  septentrionales  du  bailliage 
de  Reder,  c'est-à-dire  à  peu  près  tout  le  canton  de  Stade  \ 

Il  me  paraît  plus  simple  et  plus  rationnel  d'admettre  avec  Eelking  et 
Wersebe  que  la  colonie  occupa  le  territoire  encore  connu  aujourd'hui  sous 
le  nom  de  Holledand ,  nom  qui  indique  indubitablement  l'origine  de  l'éta- 
blissement fondé  par  Frédéric  '^. 

IV.  Ce  n'est  pas  à  dire  toutefois  que  les  émigrants  se  soient  bornés  à  colo- 
niser les  seuls  environs  de  Brème.  Une  grande  digue,  aux  environs  de  Stade, 
est  envisagée  comme  ayant  été  construite  par  eux.  Avant  que  cette  digue 
n'existât,  dit  Wersebe,  la  contrée  de  Stade  était  trop  marécageuse  et  tro[) 
sujette  aux  inondations  pour  que  l'on  pût  la  cultiver  convenablement,  d'où 
il  faut  conclure  que  ce  sont  les  Hollandais  qui  ont  établi  celte  digue  et  qui, 
les  premiers,  ont  rendu  arables  les  terres  situées  près  de  cette  ville  :  le  marais 
hollandais  [HoUerbrhch),  près  de  Buxtede,  est  encore  envisagé  aujourd'hui 
comme  un  vestige  de  leur  colonie  '". 

Des  documents  écrits  confirment  la  tradition.  En  1149,  l'archevêque 
Hartwich  vendit  à  un  nommé  Jean  et  à  son  collègue  Simon ,  du  pays  de  Stade, 
un  marais  appartenant  à  l'église  de  Brème ,  pour  qu'ils  le  possédassent  selon 
le  droit  hollandais  *  qui  y  était  en  vigueur.  Une  autre  charte  donne  à  de  nou- 
veaux colons  la  même  juridiction  que  celle  dont  jouissent  les  Hollandais 
disséminés  autour  de  Stade  *.  C'est  là  une  preuve  évidente,  dit  Langethal, 
qu'avant  celte  époque  une  colonie  s'était  déjà  établie  à  Stade,  colonie  dont  la 
charte  de  fondation  est  perdue  ®. 

H  ne  sera  pas  sans  intérêt  d'entrer  maintenant  dans  quelques  détails. 

Une  tradition  locale  veut  que  VAlleland  [Oltland),  non  loin  de  Brème, 

'  De  lichjis,  II,  82. 

-  Ehmck,  Bremisches  Urkundenbuch ,  p.  29,  note  1. 

"■  Wersebe,  I. 

'  «  Paludem  duobus  viris  jure  Hollandieo  possidendam  concessi.  »  Lindenbrog  [Script. 
Gervi.,  p.  181  ). 

'■  «  Concessi  justitiam  qualera  Hollandensis  populus  circa  Stadium  habere  consiicvii.  »  Lin- 
denbrog, p.  180. 

•>  Gescjiichte  der  teutschen  Landwirthschaft ,  t.  II,  p.  78 ,  note  1,  in  fine. 


DES  COLONIES  BELGES.  63 

vienne  de  OUand  [HoUaitd).  Suivant  une  autre  version,  ce  territoire  a  reçu 
ce  nom  parce  qu'il  a  été  le  premier  endigué  et  haliité  par  les  colons.  Trois 
ruisseaux,  dont  le  courant  est  parallèle  [Schivlnge,  Lilhe  et  Este),  le  divisent 
en  premier,  deuxième  cl  troisième  mille.  Le  premier  et  fe  second  renferment 
jusqu'à  {[uatre  paroisses;  le  troisième  en  a  deux  :  Eslebrugglie.  et  Neuenfelde. 
L'élément  frison  de  la  population  primitive  fut  absorbé  d'une  manière  éton- 
nante par  l'immigration  des  colons  hollandais,  ou  «  pour  parler  plus  exac- 
tement, dit  un  écrivain  brémois,  des  colons  Flamands.  Car  cette  belle  race 
d'hommes  qui  nous  donna  l'organisation  communale,  ce  costume  traditionnel, 
cette  manière  de  bâtir  les  maisons,  aux  couleurs  bariolées,  avec  le  cygne  en 
paille  sur  le  pignon,  tout  cela  révèle  irrécusablement  une  origine  llamande  '.  » 

Le  village  de  Neuland,  aussi  près  de  Brème,  fut,  selon  toute  apparence, 
peuplé  également  par  les  Néerlandais,  puisque,  abstraction  faite  de  sa  proxi- 
mité avec  VAlleland,  la  porte  de  la  ville  qui  mène  à  Neuland,  et  qui  fut  ap- 
pelée dans  la  suite  MarschtJtor,  porta  primitivement  le  nom  de  HoUdndertlior , 
(  Valva  IfoUandrorum).  On  en  peut  conclure  que  des  Belges  habitaient  dans 
le  voisinage,  d'autant  plus  qu'en  1392  la  digue  qui  protège  le  village  était 
encore  appelée  Holnerschen  Damm  '^ 

La  localité  de  Twielenfeth  était  nommée  au  treizième  siècle  die  Hollers- 
trasse.  Le  presbytère  de  Hollern  s'élève  à  un  endroit  qui  s'appelle  encore  de 
nos  jours  Achterdik.  Peut-être  est-ce  à  ce  même  endroit  qu'exislail  jadis  VAll- 
Idnderdik ;  toujours  est-il  que  la  HoUerstrasse  [Hollenderslrate)  est  le  point  de 
départ  de  la  colonisation  à  laquelle  on  doit  l'extension  de  VAlleland  vers  le 

'  Kôster,  p.  7.  —  Wicdcmann  dit  dans  le  même  sens  :  «  Le  mode  de  bâtisse  (dans  l'AIte- 
land),  les  noms  et  marques  caractéristiques  des  fermes,  depuis  le  cygne  juché  sur  le  pignon 
jusqu'au  perroquet  qui  figure  dans  les  bannières  des  gildes  des  arbalétriers  (schûtzengilden) , 
tout  révèle  la  Flandre  (  I ,  p.  i  1  ).  » 

Nous  avons  remarqué  souvent  dans  les  anciens  villages  des  Flandres,  au  haut  du  toit  des 
maisons  de  paysans,  des  oiseaux  en  paille  ou  en  bois,  figurant  te  cygne  ou  un  autre  oiseau 
quelconque.  Quant  au  perroquet,  il  n'est  guère  de  village  llamand  qui  n'ait  au  moins  une  au- 
berge portant  dans  son  enseigne  un  oiseau  de  ce  nom.  Le  pcrro([uet  est  très-souvent  aussi  brodé 
dans  les  bannières  de  nos  gildes  d'archers  flamands.  Un  octroi  du  roi  Philippe  II  à  la  confrérie 
de  saint  Sébastien,  à  La  Ha}'e,  porte,  art.  VII  :  «  Sullcn  voorls  de  voornoemde  busschutters , 
soo  wannecr  sylieden  den  Papeguij  schietcn,  etc.  »  (Alkemade,  1 ,  474).  Ces  analogies,  qu'il 
serait  facile  de  multiplier,  confirment  les  données  des  écrivains  de  Brème. 

'^  Wiedemann,  p.  220. 


64  HISTOIRE 

Nord,  dans  la  direction  à  peu  près  de  Sandhorcn  et  de  Wolirden  K  Une  partie 
du  village  de  Hollern  s'appelle  Speerort,  nom  que  porte  à  Hambourg  une 
rue  bien  connue  "'. 

Le  pays  des  Stedingiens  {Stedingerland)  avait  une  population  fort  peu  ho- 
mogène au  temps  de  rarchevèque  Frédéric;  il  reçut  aussi  sa  part  des  colons 
belges.  C'est  à  ces  derniers  que  le  village  de  Hollern,  près  de  Stade,  que 
Hiibke,  le  Hollerfleich  dans  le  pays  de  Kelulingen,  quelques  fractions  de 
territoire  prés  de  Osterbolz  et  de  Ritterhude,  près  de  Rrobergen,  dans 
le  bailliage  de  Himmelspforlen,  et  la  paroisse  de  Rruch  dans  i'Osterstade , 
doivent  leur  culture.  On  a  sur  le  fait  même  des  indications  exactes  ;  mais  Ton 
ne  saurait  préciser  l'époque  où  il  eut  lieu.  Il  en  est  de  même  pour  Horsl, 
Rucklau,  (ladenberge,  Oppeln  et  Ooderquartz  ^ 

V.  Quoi  qu'il  en  soit,  les  établissements  des  Hollandais  se  développèrent 
rapidement  et  leur  culture  produisit  de  si  heureux  résultats  que  leurs  terres 
furent  bientôt  jugées  supérieures  à  toutes  les  autres.  C'est  sans  doute  à  cette 
circonstance  qu'il  faut  attribuer  la  mention  fréquente  qui  en  fut  faite  dans  les 
chartes.  Il  ne  sera  pas  sans  intérêt  de  j)asser  brièvement  en  revue  quelques- 
uns  des  principaux  diplômes  qui  s'y  rapportent. 

En  4148,  Adalbéron,  archevêque  de  Rrême,  accorda  aux  colons  le  droit 
de  défricher  les  marais  situés  au  nord  des  villages  de  Santau,  Strabelingshusen, 
Ochimude  et  Hasbergen  \ 

Par  diplôme  donné  à  Francfort-sur-le-Main ,  le  IG  mars  HS8,  l'empereur 
Frédéric  I  confirma  la  culture  des  marais  situés  près  de  Brème,  etc.,  et  prit  sous 
sa  protection  les  colons  que  l'archevêque  Hartwich  avait  désignés  à  cet  effets 

Mais  les  faveurs  accordées  à  des  étrangers  froissèrent,  parait-il,  la  suscep- 

'  Wiedemann,  p.  220. 

2  Speeren  (ail.  Sperr)  signifie  angle,  coin.  Des  explications  recueillies  de  la  bouche  du 
peuple  constatent  que  speerort  veut  dire  le  barrage  d'un  cours  d'eau,  à  l'endroit  où  il  est  en- 
dii^ué.  Un  tel  cours  d'eau,  lorsqu'il  est  arrêté,  s'appelle  en  plattdeutsch  dov  (ail.  taub,  néerl. 
doof).  Wiedemann,  ib.,  172. 

5  Hodenberg,  Cop.  stad.,  24. 

*  Origin  giielf.,  I,  p.  S'il. 

s  Bremisches  Urkundenbuch,  n"  46,  p.  30  :  »  ...  Utilitati  ...  Brcmcnsis  ccclcsiae  omni  dili- 
genlia  providere  cupientcs...  paludes  juxta  Brcmam  sitas...  quae  prius  absque  cultura  erant, 
inhabitari  et  coli  concessimus  infra  hos  termines  a  Weie  et  Dreie...  » 


DES  COLONIES  BELGES.  65 

lihililé  des  habitants  originaires,  s'il  faut  en  juger  par  les  réclamations  qu'ils 
tirent  valoir  auprès  de  l'archevêque,  à  propos  de  l'absorption  de  leurs  terres 
dont,  selon  eux,  les  Hollandais  les  menaçaient.  Hartwich  délivra  à  ce  sujet  une 
charte  pour  fixer  les  limites  des  prairies  de  ses  diocésains,  qui  touchaient  aux 
terres  hollandaises  K 

Le  pape  Alexandre  lil,  par  une  bulle  du  29  mai  1 179,  prit  sous  sa  pro- 
leclion  les  chapitres  de  saint  Etienne  et  de  saint  Willehad,  et  confirma  la  pos- 
session de  leurs  biens.  On  y  voit  que  l'archevêque  Adalbéron  leur  avait  fait 
don  de  deux  manses  hollandaises  cl  d'une  demie  '^ 

Nous  trouvons  en  outre  que,  par  un  diplôme  du  18  janvier  1181 ,  l'arche- 
vêque Siegfried  confirma  la  donation  d'une  manse  hollandaise,  située  vis-à- 
vis  de  Hamelake  et  Elingwerk,  à  un  cloître  situé  à  Osterholk  ',  et,  la 
même  année,  ce  prélat  vendit  (?)  à  la  ville  de  Brème,  du  consentement  de  son 
chapitre,  le  Ilollerland  *. 

Par  une  charte  qui  n'a  pas  de  date ,  mais  qui  semble  avoir  été  délivrée 
entre  1181  et  1183,  l'archevêque  Siegfried  permet  à  son  ministériel,  Frédé- 
ric de  Machtenstede,  de  vendre,  selon  le  droit  hollandais,  le  marais  situé 
entre  Brinkum,  Machtenstede  et  Ilunckingen  \ 

Une  charte,  qui  prouve  à  l'évidence  que  la  colonisation  continuait  à  pro- 
duire de  remarquables  effets,  est  celle  par  latiuelle  le  même  archevêque  ac- 
corde (l  1 84)  au  chapitre  de  la  cathédrale  de  Brème  deux  manses  hollandaises 
et  une  demie,  situées  dans  le  Neàenland ,  en  compensation  des  prairies  et  des 
pêcheries  que  les  chanoines  avaient  perdues  par  suite  du  dessèchement  des 
marais  ^. 

'  Werscbe,  I,  p.  45  :  «  Multis  circa  civilalem  paludibus  iu  culturam  rcdactis,  pascua  pe- 
oorum  suorum  timentes  posse  coarctari,  unanimiter  ad  nos  convenerunt...  » 

2  Bremisches  Urktnidenbuch,  p.  GO  :  «  ...  Ex  doiio  prcdicti  Alberonis  Bremensis  arcliiepis- 
copi  duos  maiisos  liollandicnses  et  dimidium  cura  tola  décima  de  Ilcmme...  » 

'  Priitjcns,  Diplom.  Siimmlung  des  lier zogth.  Bretnens,  p.  10. 

*  Wersebe,  II,  p.  5b,  note  19  :  -  Anne  H81 ,  verkoffte  bischop  Sifridus  dat  Hollerland  dcr 
sladtBremen,  mit  wiilen  des  Dohm  capittels.  » 

s  ...  «  Ut  paludcm  intcr  Bnnckum,  et  Magtenstide  et  Huckinge  positam...  vcnderet  quibus- 
dam  emptoribus  suis  et  suis  liaeredibus  jure  holiandrico  possidendam...  sive  velint  banc  partem 
paludis  quaesuis  raansis  evenirc  polest,  jure  bollandrico  vcndere,  sive  suis  usibus  reservare...  » 
Bremisches  Urkundenhuch,  n°  60,  p.  07. 

«  Bremisches  Urkundenbuch ,  n°  61 ,  p.  68  :   .  Noverint  ergo  tara  praesentis  quain  futuri 

Tome  XXXII.  ^^ 


66  HISTOIRE 

Le  premier  mai  1 187,  Hartwich  II  fonde,  à  l'exemple  des  prébendes  in- 
stituées i)our  douze  pauvres  par  saint  Ansker,  le  chapitre  dit  d'Ansker  pour 
douze  chanoines,  et  leur  accorde  à  ce  titre  plusieurs  revenus  importants.  Il  y 
parle  du  village  de  Home,  dont  le  nom  seul  indique  l'origine,  ainsi  que  des 
terres  qui  Tentourent  \ 

L'année  suivante,  le  Souverain-Pontife,  Clément  III,  prit  sous  sa  protec- 
tion spéciale  le  chapitre  (de  l'église)  de  S*-Ansker,  que  venait  de  fonder 
Hartwich  II ,  et  confirma  les  dons  que  le  chapitre  avait  reçus  de  ce  dernier  ^ 
La  bulle  était  donnée  à  Latran,  le  22  juin  1158. 

Une  charte,  de  1 197,  de  Rodolphe,  archevêque  de  Rrème,  fait  également 
mention  de  marais  qui  confinaient  aux  Hollandais  '%  preuve  que  ceux-ci 
n'avaient  pas  eu  à  coloniser  tous  les  marécages  du  diocèse,  comme  le  croyait 
Westphalen. 

Enfin,  une  source  de  1201  parle  très-explicitement  d'un  territoire  maré- 
cageux situé  entre  Brinkemark,  Ledis  et  Husermark  d'une  part,  et  entre 
BrinkelilAvendige  jusqu'à  la  War,  d'autre  part  *,  qui  est  cédé  aux  acheteurs 
on  entrepreneurs,  selon  le  droit  hollandais,  par  l'archevêque  Hartwich  IL 

Il  résulte  de  là  que  ce  n'étaient  pas  seulement  les  établissements  des  Hol- 
landais qui  couvraient  le  duché  de  Brème,  mais  que  leur  droit  était  déjà  en 

teiiiporis  fidulcs,  quo  ego  dilectis  fratribus  meis,  Brcraensis  ecclesiae  canonicis,  in  nova  terra 
duos  raansos  et  dimidium  liollandrensem  in  recompensationem  pro  paseuis  et  pratis  et  pisca- 
tioniinis...  quas  ante  paludis  siccationcm  ibidem  habuerant,  dedi...  »  —  «  Ut  autem  coloni 
eorum,  qui  eosdem  mansos  incoUierint  liberius  ipsorum  vacare  valeant  obsequio,  orancs  lam 
judicumjiiridictiones  quam  operum  praeslationes  eis  remisi...  » 

•  nremisches  Urkumlenbuch ,  n"  66,  p.  73  :  «  Insuper  adfratrum  pracbendasaugnicntandas 
rontradimus  eis  (canonicis)  ecelcsiam  Ilorne  cum  episcopali  banno...  Damas  eis  etiam  très 
quadrantes  hollandrenses,  unum  in  Géra,  alterum  in  Vora.  tertium  in  Leda,  cura  advocatia, 
decimis  et  dccimationibus,  in  eadem  parotliia  sitos.  » 

2  Loc.  cit.,  n°  72,  p.  82  :  «  Ecclesiam  cum  l)anno  de  Ilôrne;  ...  très  quadrantes  hollandienses 
quos  liabet  ex  dono  vencrabilis  fratris  nostri  Hartwici  Bremensis  archiepiscopi...  >- 

5  «  Item  omnem  tcrram  et  solitudinem  juxta  Eschedcn  versus  orientera  de  villa  Buxtcliudc, 
usque  ad  Ilollandros,  contulimus.   » 

*  Vogt,  Monum.  ined.Bremeits.,  I,  p.  9  :  «  Paludcm  a  loco  qui  dicitur  Brinkercraarlv,  usque 
ad  locuin  qui  dicitur  Lcdens  llusercmark...  sub  Gronlande  adjaccntem  ,  cultoribus  Ilcinrico  et 
Herraanno,  jure  liolluiidrio.  Décima  vero  i)redictc  paludis  tota  et  intégra,  excepta  décima 
decimi  niansi,  cura  suo  regimine,  nobis  ...  libéra  esse  débet.  Possessori  décime  incole  ipsius 
terre  dabuul  undecimum  manipulum  pro  décima.  » 


DES  COLONIES  BELGES.  67 

quelque  sorte  devenu  la  règle  ordinaire  des  ventes  et  des  achats;  ce  seul  fait 
en  dit  plus  que  tous  les  arguments  en  faveur  de  l'importance  de  la  colonie 
fondée  en  1106. 


CHAPITRE  II. 


HOLSTEIN. 


Les  Wendes  ne  s'établirent  jamais  dans  le  Holslein  occidental,  de  sorte 
que  les  souverains  ne  durent  point  songer  à  repeupler  le  pays  devenu  désert 
par  rexterniination  ou  par  l'exil  des  tribus  slaves.  Mais  ici,  comme  dans  le 
duché  de  Brème,  il  y  avait  manque  d'habitants  par  suite  des  marais  qui  cou- 
vraient la  plus  grande  partie  du  territoire  et  qui  rendaient  ce  séjour  diflicile, 
sinon  impossible.  Aussi  trouvons-nous  des  établissements  de  Néerlandais  dans 
les  terrains  bas  que  les  historiens  nous  dépeignent  comme  ayant  été  autrefois 
submergés  et  qui  sont  convertis  aujourd'hui  en  prairies  fertiles. 

Saint  Vicelin,  fondateur  du  célèbre  cloître  de  Neumiinster,  fut,  selon  les 
apparences  les  mieux  fondées,  celui  qui  eut  le  mérite  d'appeler  des  Belges 
pour  cultiver  les  terres  de  son  abbaye.  C'est  à  lui  et  à  ses  successeurs  que  le 
Ilolstein  est  en  grande  partie  redevable  de  la  transformation  qu'il  subit  au 
douzième  siècle  '. 

Le  conseiller  de  Cronhelm,  dans  une  dissertation  préliminaire  sur  les 
Documents  inédits  de  Jean  SIeimann,  a  prétendu  que,  dès  1 120,  l'archevêque 
Frédéric  donna  un  canton  marécageux  aux  Hollandais  (la  Bishorsler  Marscli) 
pour  le  coloniser.  Il  est  à  regretter  que  cet  auteur  n'ait  point  jugé  à  propos 
de  publier  les  documents  sur  lesquels  il  fondait  son  assertion,  ce  qui  a  fait 
rejeter  le  fait  par  Wersebe,  sans  que  du  reste  ce  dernier  fasse  autre  chose 
qu'opposer  à  l'affirmation  de  SIeimann  une  dénégation  catégorique  2.  Mais 

'   Wersebe,  I,  217. 
2  Ih.,  286. 


GS  HISTOIRE 

ce  qui  semble  confirmer  Topinion  de  Cronhelm,  c'est  que  Yiceliii  séjourna 
pendant  sa  jeunesse  à  Brème,  auprès  de  Frédéric  I,  et  qu'il  était  en  grand 
crédit  auprès  de  rarchevèque  '.  Ne  peut-on  pas  supposer  avec  quelque  appa- 
rence de  vérité  que,  ayant  pu  apprécier  autour  de  Brème  rutililé  de  la  colo- 
nisation néerlandaise ,  il  conçut  dès  lors  le  projet  d'établir  pareillement  des 
colons  dans  le  pays  que  l'on  confierait  à  sa  sollicitude?  Et  n'est- il  pas 
probable  qu'il  se  mil  dès  lors  aussi  en  rapport  avec  des  Belges,  pour  les 
introduire  dans  le  Holstein  au  premier  moment  opportun? 

Quoi  qu'il  en  soit  de  cette  opinion,  que  partagent  tous  les  auteurs  à  l'ex- 
ception de  Wersebe,  Yicelin  exerça  suitoul  son  apostolat  pendant  l'adminis- 
tration des  archevêques  Adalbéron  el  Ilartwich  I.  Ces  deux  prélats,  qui 
donnèrent  une  si  vive  impulsion  aux  colonies  établies  dans  le  diocèse  de 
Brème-Hambourg ,  ne  semblent  avoir  eu  avec  Vicelin  d'autres  rapports  que 
ceux  qui  découlaient  naturellement  de  leur  juridiction  temporelle,  comme 
princes,  el  de  leur  autorité  ecclésiastique,  comme  chefs  spirituels.  En  celle 
dernière  qualité,  ils  lui  conférèrent  de  nombreux  privilèges  relatifs  à  l'objet 
de  sa  mission;  quant  à  la  première,  ils  donnèrent  leur  sanction  aux  actes  de 
gestion  posés  par  Vicelin.  Ils  ne  prirent  donc  qu'une  part  indirecte  à  l'entre- 
prise de  ce  dernier. 

Nous  allons  voir  que  trois  districts  furent  cultivés  par  les  Belges;  dans 
tous  les  trois,  le  cloilre  de  Neumùnster  avait  d'importantes  propriétés.  La 
Wagrie,  ou  partie  inférieure  du  Holstein,  et  tout  le  pays  slave  jusqu'à  la 
Pêne,  appartenaient  aussi  au  cercle  qu'évangélisait  Vicelin;  mais  son  activité 
de  missionnaire  pouvait  difficilement  s'étendre  jusque-là ,  parce  que  ce'pays 
était  au  pouvoir  des  païens.  Il  s'arrêta  donc  sur  les  confins  de  la  Slavie ,  à 
VVippendorf,  où  il  fonda  un  couvent  qui  prit  le  nom  de  Nouveau-Monas- 
tère {Neu-Mimster).  Il  obtint  aussi  de  l'empereur  Lolhaire  I  une  église  à 
proximité  du  château  de  Segeberg,  que  ce  prince  venait  de  bâtir,  et  un 
nombre  considérable  de  terres.  C'est  ainsi  que  la  limite  des  biens  de  l'abbaye 
de  Neumvinster  fut  reculée  jusqu'au  pays  des  Ditmarsches  et  des  Storma- 
riens,  limite  dont  les  colonies  hollandaises  de  la  Wilster,  de  la  Slor  el  de  la 
Helmshorn  étaient  les  points  extrêmes. 

'  Helmold,  lib.  I,  cap.  C4,  n"  2. 


DES  COLOiNIES  BELGES.  69 


§  I.  —  Cercle  de  la  Wilster. 

Pour  décrire  la  topographie  exacte  des  terres  occupées  par  les  Néerlan- 
dais dans  ce  district,  il  faut  se  léférer  à  plusieurs  diplômes  de  donations,  etc. 

Le  premier  émane  d'Adalbéron ,  et  date  du  27  août  1139.  Par  celle 
charte,  l'archevêque  donne  à  Vicelin  et  au  couvent  de  Neumùnster  les 
dîmes  des  terres  situées  sur  les  bords  de  la  Wilster,  depuis  le  lac  de  Sladen 
jusqu'à  la  rivière  de  Waldburgoù ,  ainsi  que  les  dîmes  à  provenir  des  terres 
sises  sur  la  rive  méridionale  de  la  Stor,  à  partir  de  la  rivière  Lutesoù  jusqu'au 
mont  Bredenberch.  Il  ajoute  cette  clause  importante  que  les  religieux  perce- 
vront la  dîme,  sur  les  récoltes  et  le  bétail,  de  tout  ce  qu'ils  pourront  cultiver 
dans  les  bois  ou  les  marais ,  soit  par  eux-mêmes ,  soit  par  leurs  colons  ^  etc. 

Le  10  juillet  1141 ,  Adalbéron  donna  à  Vicelin  toutes  les  dîmes  du  can- 
ton de  Ilolslein  el  confirma,  de  plus,  celles  qu'il  lui  avait  déjà  accordées 
en  11392. 

En  1148,  eut  lieu  une  guerre  de  Henri  le  Lion  contre  les  Ditmarsches, 
pour  venger  la  mort  du  comte  Adolphe  11.  A  l'occasion  de  la  victoire  qu'il 
remporta  sur  eux ,  le  prince  donna  à  Neumùnster  un  diplôme  qui  a  des  rap- 
ports avec  ceux  que  j'ai  déjà  énumérés.  Après  avoir  rappelé  les  bienfaits  de 
sa  famille ,  il  donne  sa  haute  approbation  à  des  donations  faites  par  le  comte 
Adolphe  et  les  Ilolsatiens  au  cloître  prédit  \  Celte  donation  portait  sur  deux 

'  Westphalen,  Monuni.  ined.,  II,  p  tô,  ii°  4  :  «  ...  Qiiapropter  sanctae  conversationis  fialri 
sancto  Vioelino  et  fratribus  cjus,  qui  serviunt  in  monasterio  novo,  lias  décimas  scilicet  juxta 
Wilsiram  fluviura  scilicet  a  lacu  qui  dicitur  Sladen  usque  ad  fluviuni  qui  vocatur  Waldburgen, 
née  non  et  alias  Décimas  in  Auslrali  plaga  fluminis  Slure,  videlicet  a  iluvio  Lutesoù,  usque  ad 
montcm  Bredenberch,  Divinani  promcreri  cupicntes  retribulionem ,  omnino  dando  concedi- 
nius...  Praelerea  de  omnibus  quae  in  sylvis  sive  paludibus  per  se  vel  per  colonos  suos  usque- 
quaque  idem  fratres  elaboraverint,  tam  in  frugibus  quara  in  aniraalibus,  ipsi  decimationes 
aceipiant...  » 

2  Loc.  cit.,  p.  14,  n"  0  :  «  Addimus  aulcm  et  liis  décimas  juxta  Wilstram  fluvium,  scilicet  a 
lacu  qui  dicitur  Sladen  usque  ad  fluvium  qui  vocatur  Waltburgoù,  ncc  non  et  illas  quac  sunt 
in  Australi  plaga  fluminis  Sturac...  • 

3  Loc.  cit.,  pp.  19,  20,  n°  10  :  »  ...  Quapropter  paludem  quae  est  juxta  Wilsterani  inter 
Sladen  et  Walebnrgou ,  et  alteram  quae  est  juxta  Sturiam  inter  Lutesoù  et  Aldenoù,  a  comité 
Adnlpho  et  omnibus  Holsatis  eidem  Ecclesiae  collatas,  adprobamus,  et  in  usus  fratrum  eiusdem 
prcdicti  novi  monasterii  cedendas  in  perpetuum  auctoritate  nostra  decernimus.  . 


70  HISTOIRE 

marais  situés,  l'un  à  proximité  de  la  Wilsler,  entre  Sladen  et  Waleburgoù, 
et  l'autre  sur  les  rives  de  la  Slor,  entre  Lutesoù  et  Âldenoù.  Ces  localités 
sont  aujourd'hui  désignées  sous  les  noms  de  Wilster-Aiie  et  de  Walburgis- 
Aî'ie.  La  petite  ville  de  Wilster  formait  le  centre  de  la  colonie. 

Les  colons,  qui  desséchèrent  et  rendirent  arables  les  marais  dont  font  men- 
tion les  chartes,  étaient  des  Hollandais  '.  Cela  résulte,  d'abord,  quant  aux  der- 
nières possessions  énumérées,  d'une  source  du  10  janvier  1221 ,  donnée  par 
le  régent  du  Holstein,  Albert  d'Orlamiinde.  Le  gouverneur  donne  à  Neumiinster 
la  dime  de  tous  les  revenus  de  ses  biens  situés  dans  la  partie  du  Holstein 
appelée  Velus  Terra,  qui  est  comprise  entre  les  possessions  des  Saxons  et 
des  Hollandais  -.  Wesiphalen  %  Eelking  *  et  Wersebe  *  font  remarquer  que 
cette  Velus  Terra  est  la  contrée  basse  et  marécageuse  qui  s'étend  au  nord  de 
la  Wilsler-Aùe.  Mais  il  résulte  de  là  que  les  Hollandais  n'habitaient  pas  la 
Velus  Terra.  Leurs  établissements  se  trouvaient  sur  la  nouvelle  rive  de  la 
Wilsler,  qui  touche  du  côté  du  sud  à  l'ancienne  rive  et  qui  est  seulement 
séparée  de  cette  dernière  par  la  Wilster-Aùe. 

Ce  qui  confirme  encore  l'exactitude  de  cette  description,  c'est  l'ordonnance 
de  Christian  I,  roi  de  Danemarck.  Par  cette  ordonnance,  rendue  en  1470, 
le  roi  abolit  le  droit  hollandais  dans  le  district  de  la  Wilsler  et  de  \aKremper- 
Marsch ,  district  qui  correspond  exactement  à  la  topographie  des  établis- 
sements hollandais  ". 

Au  surplus,  une  charte  de  117/1-,  de  Baudouin,  archevêque  de  Brème, 
constatait  (pie  son  vassal  Hildemard  accordait  à  Neumiinster  la  dîme  de  la 
terre  de  Damfliet,  tant  des  récoltes  que  du  bétail,  ainsi  que  le  denier  à  payer 
à  titre  de  redevance  \  Or,  c'est  en  cela  précisément  que  consistaient  les 

'  Wersebe,  I,  244. 

^  Westphalen,  loc.  cit.,  p.  21),  n"  9  :  «  ...  Dcciiuaiu  omnium  proventuum  nostrorum,  lam  in 
jiidiriis  quam  in  redilibus  in  Holsatia,  quae  velus  terra  dicitur  inter  Saxones  et  Ilollandres, 
solo  molendino  quod  vocatur  Osov,  excepte,  ejusdem  Ecclesiae  fratribus...  contulimus...  » 

5  Tom.  lY,  Praef.,  p.  t9t ,  nol.  -n. 

4  Pag.  18. 

''  Wersebe,  I,  24 i. 

'^  /(/.,  p.  25i.  Voy.  Seconde  partie ,  chap.  Il ,  sert.  II ,  g  I". 

'  Westphalen,  loc.  cil.,  p.  23,  n"  li  :  «  Quidam  liomo  nostcr  Hildewardus  omnem  dcciraam, 
quae  lacui  quae  Damfliet  dicitur,  in  parte  occidentali  adjacct,  tam  in  frugibus  quam  in  animali- 


DES  COLONIES  BELGES.  71 

charges  à  presler  par  les  Hollandais  de  Brème.  Cet  argiimenl,  il  est  vrai,  ne 
concerne  que  la  nouvelle  rive  de  la  Wilster;  mais  Wersebe  s'empresse  de 
déclarer  qu'il  faut  aussi  tenir  pour  une  colonie  hollandaise  les  établissements 
formés  entre  la  Wulburcjis-Aùe  et  le  lac  de  Sladen  K 

Quelques  noms,  que  Ton  rencontre  dans  ce  district  et  qui  désignent  des 
situations  locales,  me  semblent  accuser  indubitablement  une  origine  néer- 
landaise. Tels  sont  beke  (ruisseau);  Monliek,  Knmmenchjk  et  Dain/Jiet,  etc., 
que  l'on  écrirait  aujourd'hui  Moerdijk ,  Krommemlyk  et  Damvlied. 

§  H.  —  Cercle  de  la  Stôr. 

Dans  les  deux  chartes  citées  plus  haut  -,  l'archevêque  Âdalbéron  confirme 
à  Vicelin  et  à  son  monastère  les  dîmes  des  terres  situées  sur  la  rive  méri- 
dionale de  la  Stor,  depuis  la  rivière  Lutesoù  jusqu'au  Bredenberg.  Le  pri- 
vilège de  Henri  le  Lion  parle  également  de  deux  marais,  l'un  dans  la 
WHsler-Aùe,  et  l'autre,  dont  il  va  être  question  ici,  entre  Lutesoù  et  Al- 
denoù.  La  situation  s'explique  d'elle-même.  Le  Bredenberg  doit  se  trouver 
à  proximité  de  la  paroisse  de  Breitenberg  ou  du  château  de  Bretenburg,  ap- 
partenant aux  comtes  de  Hantzau;  ces  deux  endroits  sont  situés  sur  la  rive 
méridionale  de  la  Stôr.  Il  suit  de  là  que  la  rivière  Lutesoù  doit  élre  la  mo- 
derne Lulzbeck,  qui  se  jette  dans  la  Stor  à  l'est  de  Breitenberg,  tandis  que 
l'Aldenoù,  dont  la  charte  de  Henri  le  Lion  fait  aussi  mention,  ne  peut  être 
<|u'un  des  cours  d'eau  qui  forment  leur  jonction  avec  la  Stôr  à  l'est  du  même 

village  '. 

Ce  n'est  pas  seulement  la  topographie  qui  nous  permet  de  conclure  que 
ce  district  fut  cultivé  par  les  Hollandais;  cela  résulte  à  l'évidence  d'une  charte 

bus,  sedet  nunimura  census  pro  rcmedio  animae  suae  nobis  rcsignavit,  ut  eanderu  cuni  co- 
dera iiuiiinio  census  fratribus  in  Novo  monasterio  Deo  militantibus  conferreraus.  Huic  ilaquc 
devotionc  bénigne  annuentcs  et  prefalae  Ecclesiae  decimaiu  praenoniinalam,  item  et  numnuini 
census  conferentes....  »  ^ 

<  Wersebe,  1,252. 

*  Voy.  notes  1  et  2,  page  C9. 

'Wersebe,  I,  236,  2b7. 


72  HISTOIRE 

de  {'MO  ^,  ou  pliilot  d'une  leKre  de  vente  dont  je  parlerai  dans  la  seconde 
partie  de  ce  travail,  et  dans  laquelle  il  est  question  du  ban  hollandais.  Il  est 
évident  que  le  ban  ou  tribunal  hollandais,  qui  se  rencontre  ici,  doit  trouver 
sa  source  dans  une  colonie  hollandaise  qui  existait  dans  cette  contrée.  Il  est 
tout  aussi  clair  que  ce  district  est  le  même  que  celui  auquel  se  réfèrent  les 
sources  citées.  La  proximité  de  Itzehoe,  Heiligensteden  et  Munsterdorf  nous 
désigne  à  peu  près  la  situation  du  ban  hollandais  ;  partant ,  le  village  de 
Cronsmoor,  où  siégeait  le  tribunal ,  devait  être  situé  au  midi  de  Breitenburg, 
c'est-à-dire  tout  près  du  Bredenberg  et  de  la  rivière  Lutesoù.  A  Cronsmoor 
(Cranzmoor),  se  trouvait  le  siège  du  tribunal  où  le  bien  fut  solennellement 
cédé;  le  bien  lui-même  était  situé  près  de  la  Stôr,  et  cette  expression ,  «  Lul- 
teringe ,  cadre  trop  bien  avec  les  noms  de  Luiesaùe  ou  Lutzbeck,  pour  que 
l'on  puisse  douter  que  le  bien  fût  sis  précisément  là  où  Vicelin  avait  reçu 
les  dîmes  de  la  culture  in  palurlc.  Il  est  probable  que  les  Hollandais  avaient 
peu  à  peu  étendu  leurs  établissements  jusque  dans  les  marais  de  Cronsmoor. 
Celte  localité  figure,  depuis  le  treizième  jusqu'au  quinzième  siècle,  comme  une 
dépendance  du  cloître  de  Reinfeld,  en  Wagrie,  qui  avait  également  reçu  un 
bien  à  Lutteringe,  et  qui  céda  l'un  et  l'autre  (1437,  H39)  au  couvent  de 
Bordesholm;  mais  il  est  plus  que  probable  (pie  Yicelin  a  été  le  fondateur  des 
colonies  que  nous  trouvons  sur  ce  territoire,  et  dont  les  terres  ont  pu,  grâce 
à  un  échange  assez  commun  à  cette  époque,  être  adjugées  au  cloître  de 
Reinfeld  -. 

§1  III.  —  Cercle  de  Elmshorn. 

La  charte  d'Adalbéron,  du  10  juillet  1141,  octroyait  au  cloître  de  Neu- 
mùnster,  outre  toutes  les  dîmes  du  canton  de  Holstéin,  celles  des  terres  situées 
près  de  la  Ciester,  de  chaque  côté  de  la  rivière,  depuis  le  village  d'Elmshorn 
jusqu'au  lac  de  Wicfleth  (Wykflied).  La  Ciester  passait  près  d'Elmshorm  ; 
elle  est  appelée  aujourd'hui  Krokau  ;  mais  son  nom  ancien  semble  s'être 
maintenu  dans  le  nom  d'un  village  voisin,  Seester,  Seestermùhe ^. 

'  Westplialen ,  II ,  1 41 ,  et  mes  Documents  et  pièces  justificatives ,  i\°  III. 

2  Wersebe,  I,  261. 

3  /rf.,  1,262-3. 


DES  COLONIES  BELGES.  73 

Un  autre  diplôme,  du  2S  juillet  1144,  du  même  archevêque,  désigne  les 
terres  où  la  dime  devait  être  prélevée,  comme  des  marais,  paludes ,  et  leur 
assigne  les  mêmes  limites  que  la  charte  précédente  '.  Un  troisième  diplôme, 
de  1146,  fait  don  au  couvent  de  Neumiinster  d\in  autre  district  maréca- 
geux, situé  à  côté  du  premier  et  aboutissant  au  lac  de  Wicfleth.  Cette  source 
est  très-intéressante,  en  ce  qu'elle  désigne  ces  terrains  comme  étant  le  centre 
d'une  colonie  nouvellement  ("tahlie,  et  décrit  minutieusement  les  bornes  qui 
devront  l'enserrer  -. 

La  plaine  située  vers  Bishorst  était  déjà  fort  peuplée,  au  témoignage  de 
rarchevèque ,  ce  qui  semblerait  prouver  (ju'une  colonie  s'y  était  établie  de- 
puis longtemps.  Tel  est  aussi  l'avis  de  Thisiorien  du  Holslein.  «  En  effet, 
dit-il ,  il  faut  au  moins  de  vingt  à  vingt-cinq  ans  pour  qu'un  district  d'une 
telle  étendue  puisse  être  convenablement  cultivé.  Or,  —  et  l'historien  sou- 
ligne ces  mots,  —  nulle  part  il  n'est  fait  mention  d'autres  colonies  que  de 
celles  des  Néerlandais  qui  auraient  immigré  dans  le  Holstein.  Il  est  donc 
permis  de  supposer  que  la  population  de  la  Bishorsler  Marsch  se  composait 
d'une  partie  des  Hollandais  appelés  par  Frédéric  \  »  La  conclusion  n'est  pas 
rigoureuse;  mais  les  prémisses  sont  exactes  et  elles  nous  ramènent  vers 
112U,  époque  à  laquelle  plusieurs  auteurs  croient  que  la  colonisation  com- 
mença dans  le  Holstein.  Quant  au  nom  même,  aujourd'hui  encore  on  trouve 
un  hameau  appelé  Bishorst,  dans  la  vallée  de  Haseldorf. 

Les  colons  que  Vicelin  établit  dans  ce  district  marécageux,  près  du  lac  de 
Wictleth ,  étaient  des  Hollandais.  On  peut  le  conjecturer  tout  d'abord  par 
analogie.  L'hypothèse  gagne  en  force  lorsque  l'on  considère  que  le  cloître 
percevait  la  dîme  non-seulement  des  fruits  de  la  terre,  mais  aussi  du  bétail,  ce 
qui  est  essentiellement  propre  aux  Hollandais.  Enfin,  la  probabilité  se  change 

'  Westplialen,  II,  p.  17. 

2  /(/.,  II,  pp.  18,  19,  n"  'J  :  «  Fratribus  in  iiovo  luonasterio...  providere  cupiens,  paludcm, 
quac  est  versus  Bisliorst ,  et  jani  non  raro  incolilnr  liabitalore  ,  distincte  descrilii  jussi,  et  deci- 
niationes  tam  frugum  quam  animaliuin  quac  inde  provcniunt,  in  usus  fralruni  dcputavi...  In 
ovicnfali  igilur  piaga  palus  supradicta  terniinum  habet  marctiam  Holsatorum,  in  Australi  mar- 
cbam  Uomersflct,  in  boreali  autcm  lacum  Wicflet,  in  occidentali  vero  fossara  tendentem  usque 
ad  niareliam  Romersflet...  » 

3  Christiani,  Geschichte  von  Schleswig-Holstein ,  II,423,sqq.,  1775. 

Tome  XXXIL  ^1 


71  HISTOIRE 

en  évidence  à  la  leclure  dune  charte  d'Adalbéron ,  charte  qui,  à  la  vérité, 
ne  porte  point  de  date,  mais  qui  doit  avoir  été  octroyée  vers  1140  '.  L'ar- 
chevêque approuve  un  échange  conchi  entre  ViceUn,  au  nom  de  ral)baye  de 
Neumunster,  et  Hartmann ,  prévôt  du  cloître  de  Ramelsloh.  En  vertu  de  cet 
échange,  le  couvent  de  Ramelsloh  cède  les  dimes  de  Rishorst,  Katemersflete, 
Wulberesen ,  etc.,  el  reçoit,  comme  contre-valeur,  de  Vicelin,  douze  par- 
celles de  terre  hollandaises  bien  cultivées  et  la  moitié  d'une  manse  hollan- 
daise qui  n  est  pas  encore  mise  en  culture.  Ce  fait  établit  péremptoirement 
que  là  aussi  une  colonie  hollandaise  s'était  fixée  à  une  époque  antérieure. 


CHAPITRE  HI. 

THURINGE. 


Dans  celte  partie  de  TAUemagne ,  on  rencontre ,  pour  désigner  les  colons 
néerlandais,  tantôt  le  mot  de  Hollandais,  tantôt  celui  de  Flamands.  Des  au- 
teurs en  ont  conclu,  et  Wersebe  est  du  nombre,  que  ce  sont  là  deux  noms 
différents  pour  désigner  un  seul  et  même  peuple,  et  que  partout  où  l'on 
trouve  écrit  Flamands,  il  faut  lire  Hollandais. 

Cette  explication  est  inexacte,  en  ce  qu'elle  est  incomplète.  L'hypothèse 
contraire  serait  tout  aussi  vraie.  Nous  verrons  plus  loin  que  des  deux  termes 
sont  appli<iués  indifféremment  aux  Hollandais  ou  aux  Flamands;  de  sorte 
que  le  docteur  Langethal  a  dit  avec  raison  :  «  que  les  Néerlandais  de  la  Thu- 
rin"-e  ont  été  en  partie  Flamands,  en  partie  Hollandais...  L'établissement 
entier  des  Néerlandais  s'appelait  die  Fldmische  colonie,  et  pourtant  l'on  décou- 

'  Weslphalen,  II,  pp.  22,  23,  n°  12  :  «  Notuin  sil  filiis  noslris,  tam  praesenlibus  quaiii 
futuris,  qiiodHartmaniuis,  Roraeslensis  Ecclesiae  Praepositus,  et  Vicelinus  Praepositus  Novi 
nioiiasterii  in  Ilolsatia  cum  suis  fratribus  concambium  quoddain  fcceriiit,  videlicet  praepositus 
li.  (Hartniannus)  et  Ira  très  ej  us  dcciinatioiiem  super  Bisiiorst,  Katmersdete  ,  VVulbereseu  ae 
super  oinnem  marcliam  earumdeni  villarum,  sibi  pcrtinentem,  Praeposito  V.  (Vicelino)  et  fra- 
tribus cjus  niancipavcruut,  pro  qua  ipsi  XII  agros  iiollaiidenses  benc  eultos,  et  diniidium  man- 
suiu  hollandeusem  nec  duiii  cukuin  rtceperuul...  • 


DES  COLOiMES  BELGES.  75 

vre  ça  et  là  des  fermes  hollandaises,  HoMnclische  Hùfen,  qui  ont  dû  êlre 
cultivées  par  des  Hollandais,  puisque,  à  l'instar  de  ceux  de  Brème,  ils  avaient 
à  payer  pour  dinie  la  onzième  gerbe.  Il  nous  parait  donc  probable  que  les 
deux  noms.  Hollandais  et  Flamands,  désignaient  dans  la  Thuringe  les  Néer- 
landais en  général;  que  la  colonie  de  la  Goldene  Aiie  se  composait  en  partie 
de  Flamands,  en  partie  de  Hollandais,  et  que  les  deux  peuples  envoyèrent 
encore  d'autres  colonies  dans  d'autres  parties  de  la  Thuringe  ^  » 

§  I.  —  Goldene  Aùe. 

«  On  peut  dire  à  juste  litre  que  c'est  le  génie  flamand  qui  créa  la  Goldene 
Ane!  »  s'écrie  Schlôzer,  en  terminant  l'aperçu  qu'il  consacre  à  nos  compa- 
triotes de  cette  partie  de  la  Thuringe  '-. 

La  Plaine  d'Or,  qui  reçut  ce  nom  grâce  à  l'exubérante  fertilité  de  son 
territoire,  est  située  entre  les  villes  de  Sangerhausen,  Franckenhausen,  Nord- 
hausen,  et  les  bailliages  de  Heringen  et  de  Kelbra.  Elle  appartient  en  commun 
aux  princes  de  Schwarzbourg-Budolstadt  et  aux  comtes  de  Stolberg. 

Tous  les  historiens  s'accordent  à  reconnaître  que  les  Flamands  y  ont  fondé 
des  établissements  considérables  ;  mais  ils  difl"èrent  d'opinion  sur  l'époque  de 
leur  arrivée  et  sur  la  cause  qui  les  y  amena. 

Les  uns  pensent  que  les  Flamands  furent  attirés  dans  la  Goldene  Ai4e  par 
l'espoir  de  nombreux  avantages,  en  récompense  des  services  qu'ils  rendraient 
à  l'agriculture;  mais  ils  ne  croient  pas  que  c'est  aux  évêques  de  Misnie  que 
la  Thuringe  est  redevable  de  cette  idée  si  féconde  en  résultats  heureux;  ils 
|)encheiit  plutôt  pour  la  cour  de  Mayence  ^  D'autres  prétendent  que  les 
Flamands  y  furent  établis  par  Henri  le  Lion,  après  qu'il  eut  dévasté  la  ville 
de  Nordhausen  et  tout  le  territoire  environnant  '.  D'autres,  enfin,  attribuent 
la  colonisation  néerlandaise  à  la  fois  au  couvent  des  Cislersiens  de  Walkenried 
et  à  l'archevêché  de  Mayence.  Pour  appuyer  cette  opinion ,  ils  rapportent 

'  Geschichle  der  Tvulschen  Landivirtschaft ,  II,  162. 

-  Geschichle  der  Deulschen  in  Siebenhiirgen ,  p.  41(3. 

■'  Sctilôzcr,  p.  416. 

'*  Eelkina;.  p.  22. 


76  HISTOIRE 

(|iie  les  Fldmische  Uindereien  payaieiil  leurs  redevances  en  partie  à  l'arche- 
vêché de  Mayence  et  en  partie  à  l'abbé  de  Walkenried  '. 

Celte  dernière  hypothèse,  qui  est  la  plus  plausible,  est  conforme  aux  faits 
historiques.  Pour  le  prouver,  remontons  à  l'origine  du  couvent  et  examinons 
les  rapports  de  Walkenried  avec  la  Belgique. 

L'abbaye  de  Walkenried  tire  son  nom  du  village  de  Walkenried,  situé 
sur  la  lisière  méridionale  du  Harz.  Au  commencement  du  douzième  siècle, 
Volkmar,  comte  de  Klellenbcrg,  qui  le  tenait  en  fief,  s'étant  retiré  au  cloitre 
de  Huisbourg,  sa  femme,  la  comtesse  Adélaïde,  —  issue  vraisemblablement 
des  comtes  de  Lohra,  —  conçut  le  projet  de  bâtir  un  monastère  sur  le  terri- 
toire du  village  de  Walkenried,  qu'elle  conservait  comme  douaire,  et  de  lui 
léguer  le  reste  de  ses  biens.  Elle  s'assura  d'abord  du  consentement  de  l'empe- 
reur Lolhaire  III  et  du  pape  Innocent  III,  et  se  rendit  ensuite  à  Cologne 
pour  y  visiter  les  tombeaux  des  saints  Martyrs.  Ayant  fait  part  de  son  projet 
à  l'archevêque,  celui-ci  lui  indiqua  le  cloitre  AWUfeid  ou  Alfktmp  [Vet^is 
Campus)  comme  pouvant  l'aider  à  atteindre  le  but  qu'elle  poursuivait.  Allen- 
kamp  fut  le  premier  couvent  de  Cistersiens  bàli  sur  le  sol  germanique,  et  il 
l'avait  été  récemment  "'.  Adélaïde  obtint  du  supérieur  un  certain  nombre  de 
moines  et  un  abbé  pour  les  diriger,  et  retourna  à  Walkenried.  L'abbaye  fut 
consacrée  solennellement  à  Dieu,  à  la  sainte  Vierge  et  à  saint  Martin,  l'an 
1127  ^,  comme  le  prouve  ce  distique  : 

Aiino  milleno  rentiini  septemquc  vîgeno 
Wiilikrietli  cxtruilur,  Cliristus  ubi  colilur. 

Henri,  le  premier  abbé  de  Walkenried,  était  Néerlandais  de  naissance,  et 
il  fut  à  la  tète  de  l'abbaye  pendant  cinquante  ans.  C'est  là  un  premier  molif 
qui  l'a  fait  nommer  le  fondateur  des  colonies  flamandes  et  hollandaises  dans 
la  Goldene  Aùe  \  Il  y  en  a  un  autre  non  moins  sérieux.  Altenkamp  ne  fut 
bâti  (|uc  lorsque  la  maison-mère  de  Citeaux  avait  déjà  de  nombreux  rejetons 

'  Michelsen,  Rechtsdenicmale  ans  Tliiiringeii,  1833,  p.  141. 

-  Près  de  Meurs,  sur  les  confins  des  Pays-Bas. 

^  Kkslorni,  Chronicon  Walkenrcd. ,  p.  10.  —  Leukfcld,  Aniiqnil.  Wclkenred ,  1,27. 

*  .Michilsen, /oc.  Cit.,  p.  141. 


DES  COLONIES  BELGES.  77 

dans  les  Pays-Bays,  surtout  dans  la  Flandre  et  dans  l'Artois  '  ;  ce  monastère 
ne  fut  donc  qu'une  succursale  plus  éloignée  de  Citeaux,  et  il  fut  également 
peuplé  par  des  religieux  belges.  Cette  fdiation  lui  permettait  de  recourir  à  ses 
sœurs  ainées  dans  les  circonstances  importantes,  telles  que  celles  où  il  s'agis- 
sait de  fonder  un  nouveau  cloître.  On  peut  admettre  avec  raison  que  les 
moines  d'Altenkamp,  constamment  en  rapport  avec  ceux  de  Belgique,  se 
seront  adressés  à  ces  derniers  pour  en  obtenir  des  colons,  afin  de  rendre  pro- 
ductives les  terres  marécageuses  qui  avaient  été  affectées  à  l'entretien  de 
Walkenried.  Ce  n'était  pas  là  seulement  une  spéculation  d'économie  domes- 
tique, c'était  un  devoir  imposé  par  la  règle  du  fondateur  de  Citeaux.  La 
célèbre  abbaye  était  elle-même  située  au  milieu  de  marais  cl  de  forêts  que 
les  moines  passaient  leur  temps  à  fertiliser  et  à  déroder;  ils  avaient  pour  mis- 
sion de  poursuivre  la  même  lâche  dans  toute  l'Europe.  Dès  lors,  rien  de  plus 
vraisemblable  que  l'hypothèse  d'une  entente  qui  existait  entre  Walkenried  et 
Altenkamp,  d'une  pari,  cl,  de  l'autre,  entre  Altenkamp  et  les  cloîtres  des 
Pays-Bas. 

Un  des  premiers  actes  de  l'abbé  Henri  fut  d'acquérir  à  vil  prix  un  vaste 
terrain  [careclum)  marécageux,  lequel ,  à  raison  de  sa  nature,  était  d'un  mince 
rapport  pour  ses  possesseurs  :  en  peu  de  temps  h  grosse  Ried  '^  fut  fei'lilisé  et 
donna  des  revenus  considérables  '\ 

Ce  furent  les  colons  néerlandais  qui  produisirent  celle  amélioration.  Un 
grand  nombre  de  FUlmische  Làndereien  existaient  dans  la  vallée  del'llelme, 
où  le  sol  ne  fut  dans  le  principe  qu'un  humide  marécage.  La  simple  inspec- 
tion des  lieux  prouve  encore  d'une  manière  évidente  que  les  colons  ont  dû,  à 
l'aide  de  canaux  de  dérivation,  convertir  ces  terres  basses  en  prairies  et  en 

'  En  H23,  sainl  Etienne,  abbé  de  Citeaux,  (il  le  tour  des  abbayes  de  ces  deux  provinces, 
et  reçut  partout,  disent  les  biographes ,  des  témoignages  de  vénération.  Voy.  sa  vie,  par  les 
lîollandistes. 

'  La  terminaison  riet  (roseau)  est  souvent  employée  dans  le  nord  de  la  Thuringe,  el  elle  indi- 
que une  contrée  marécageuse  où  croissent  le  jonc  etlalaîche  (riedgrus).  Les  eller  ou  erle  (vcrnes, 
aulnes)  croissent  ordinairement  aussi  dans  les  terrains  humides,  d'où  est  venu  leur  nom.  De  la 
eller,  et  par  contraction  erl-kunig ,  le  roi  des  Aulnes,  génie  malfaisant,  célèbre  dans  la  féerie 
allemande,  et  sur  lequel  Goethe  a  composé  une  de  ses  plus  jolies  ballades. 

5  Urkunden  des  Stifls  Walkenried.  Vorwort,  p.  ix. 


7S  HISTOIRE 

cliainps  labourables,  cl  aujourd'hui  Ton  peut  encore  voir  les  hautes  digues  et 
les  aqueducs  qu'ils  construisirent  à  cet  elTet  '. 

La  dénomination  de  ces  terres,  telles  que  Vorrielh,  Langerieth,  EUer^,  etc., 
en  caractérise  et  la  position  et  la  destination  naturelles.  L'abbaye  possédait 
dans  le  voisinage,  non  loin  de  lleringen,  une  grande  métairie  [Vorwerk),\e 
Jiicihof,  dont  le  nom  est  emprunté  sans  doute  à  la  situation  '\  Tout  près  de 
là,  l'abbé  Henri  acquit,  en  11 44-,  de  l'archevêché  de  Mayence,  quelques 
endroits  marécageux  dans  le  but  de  les  dégager  de  leurs  eaux  et  de  les  ferti- 
liser *.  D'après  un  document  de  1155,  les  moines  de  Walkenried  acquirent 
|)ar  échange,  encore  dans  les  mêmes  parages,  un  marais  situé  à  Heringen  : 
«  Paludem  quandam  in  Heringen  virgultis  et  arbustis  obsitam,  quae  ad  Ful- 
»  densem  ecclesiam  spectabat^  »  En  11 88,  eurent  lieu  de  nouvelles  acqui- 
sitions de  terrains  de  même  nature,  et  cette  circonstance  détermina  proba- 
blement l'arrivée  de  nouvelles  troupes  de  Néerlandais  ''. 

Cet  aperçu  suffit  pour  indiquer  dans  quelle  portion  de  la  Goldene  Aiic 
s'assirent  les  Belges.  Toutefois,  on  trouve  leurs  possessions  les  plus  impor- 
tantes dans  trois  localités  différentes,  à  Heringen,  à  Gorsbach  et  à  Berga. 

Il  est  étrange  que  les  sources  n'en  fassent  pas  mention  avant  la  fin  du  dou- 
zième siècle.  Sans  doute  un  bon  nombre  sont  perdues;  mais  celles  qui  restent 
ne  nous  apprennent  pas  davantage  l'époque  à  laquelle  arrivèrent  les  colons,  et 
dans  quelles  circonstances  ils  furent  appelés.  Peu  de  chartes  parlent  des  Hol- 
landais; je  citerai  spécialement  celles  de  1190  ^  et  de  1208  ^ 

Quant  aux  Flamands,  j'en  mentionnerai  quatre,  les  seules  qui  aient  été 
sauvées  de  l'oubli  ";  elles  portent  les  dates  de  1266,  1282,  1291,  1312. 

'  Micliclsen,  loc.  cit.,  p.  142. 

'  Voy.  p.  77,  not.  2. 

'■  r.eukfeld,I,  592,  siiq. 

'  Ekstorm,  p.  49,  sqq. 

*"  Midielseii,  p.  142. 

^  Langellial,  II,  156. 

'  Vrhinden  des  Stifis  Walkenried,  I,  p.  52.  Urk.,  51  :  «  Notum  sit  igittir  tani  pracsenti 
quain  futurac  aetati  quod  liomines  paludem,  quac  est  inter  Ovekerani  el  Bodain  inbabitantcs 
lial)(!l)tmt  in  singulis  mansis  XIII  agros  hollondeuses.  » 

'^  Ibid.,  p.  37  :  «  ...  Nobilis  vir  Burchardus,  cornes  de  Mannesfelt,  oclo  mansos  qui  liollan- 
denaea  raansi  juxta  vulgareni  consuetudinein  appellantur...  • 

'  Voy.  mes  Documents,  n"  IV,  V,  VI,  VII. 


DES  COLOiMES  BELGES. 


79 


Faudrait-il  conclure  de  là  que  l'arrivée  des  Néerlandais  précéda  seulement 
d'un  petit  nombre  d'années  l'époque  à  laquelle  les  sources  les  mentionnent? 
Assurément  non.  Le  couvent  de  la  Ilimmelsp/orle,  dont  je  parlerai  dans  le 
g  8  de  ce  chapitre,  fut  fondé  plusieurs  années  après  Walkenried,  et  reçut  des 
moines  de  ce  dernier  couvent.  Or,  déjà  en  1152,  une  charte  mentionne 
expressément  les  Flamands  et  les  Hollandais  comme  habitant  les  terres  du 
nouveau  couvent;  preuve  qu'ils  étaient  établis  avant  cette  époque  dans  la 
Goldene  Aùe. 

Ce  qui  me  paraît  plus  remarquable  que  les  chartes  mêmes,  c'est  un  certain 
nombre  de  noms  de  témoins  qui  rappellent  évidemment  une  origine  belge.  Si 
l'on  ne  voulait  y  voir  qu'une  coïncidence  fortuite,  il  faudrait  admettre ,  qu'on 
me  permette  la  comparaison,  l'hypothèse  des  atomes  crochus.  Sans  vouloir 
pousser  le  rapprochement  trop  loin  ,  je  ne  suis  pas  éloigné  de  conclure  de  la 
présence  de  ces  noms  néerlandais  dans  la  Thuringe  au  point  de  départ  ou  au 
lieu  d'origine  de  nos  émigrants.  Voici,  au  surplus,  le  résultat  du  travail 
auquel  je  me  suis  livré  à  ce  point  de  vue  tout  spécial  : 

Anvers  .  .  Beveren  .  .  Fredericus  de  Beveren,  famulus,   1504  {Urkiindenb.,  II,  31);  Frede 

ricus  de  Bevere,  12IG  (I,  84). 
Aniois.  .  .  Arras  .  .  .  Albertus  de  Arraz,  12C8  (I,  253);  Albertus  do  Harraz,  miles  (I,l>33); 

Alberlus  de  Arraz  (I,  257). 
FuNDREs  .  Ga7id.  .  .  .  Tliidcricus  de  Gandia,   clericus,  et  Henricus  de  Gandia,  presbyter, 
1331  (11,200). 
Hammc   .  .  Villa  Hamme. 
Lembeke  (près  Gand).  Henricus  de  Lenibeke,  servus,  12fi4  (I,  242);  Conradus  de 

Leynbeke,  miles,  1254  (I,  214).  —  Villa  Lembeke. 
Wacken  (près  Courlray).  Bertoldus  de  Wakene,  1313  (II,  88). 
Diependuele  (près  Bruges).  Villa  Dependale. 
Bruges.  .  .  Fridcricus  de  Brugge,  miles,  1253  (I,  207). 

Henricus  van  der  Weyde,  famulus,  1327  (II,  154). 

Lille  ....  Joaniies  et  Henricus  do  Insula. 

Frise Jobannes  dictus  Friso ,  miles,  1314(11,  91);  Fridericus  Friso,  miles, 

1321  (II,  126);  Henricus  Friso,  miles,  1282  (I,  310). 

GnoNiNGUE Ilcrraan  von  Gruningen  (Micliciscn,  p.  40). 

Liège   .  .  .  Herstal.  .  .  Bertoldus  de  Ilarstal,  miles,  1308  (II,  S4). 
LiMBOURC  .  Stockem  .  .  Lippoldus  de  Stockem  ,  1298  (I,  375). 

Dalltem  .  .  Baldewinus  deDalem,  1206(1,  110);  Engclberlus  et  Rudolfus  fratres, 
de  Dalem,  1238  (I,  138);  Villii  Dalliem,  plus  tard  Talheim  ,  en 
Thuringe. 


80  HISTOIRE 

Veltliem  .  .  Bertramus  de  Veltem,  1226  (I,  HO). 
Utkeciit.  .  Dorestadt  {\Vyk-bi/-Duerstede).  Vf ernheviis  de  Borslad,  1261(1,254). 
Molhuysen.  Sifridus  de  Molchusen,  1261  (I,  234). 

Chacun  de  ces  noms,  pris  isolément,  ne  fournirait  pas  peut-être  d'argu- 
ments solides;  considérés  tous  ensemble,  ils  forment  un  faisceau  de  pré- 
somptions graves,  précises  et  concordantes,  qui  sont  tout  en  faveur  de  ma 
thèse  et  pour  lesquelles  il  sera  difficile,  cerne  semble,  d'adminislrer  la  preuve 
contraire. 

%  11.  —  Erfiirl. 

Pendant  la  seconde  moitié  du  moyen  âge ,  la  Thuringe  fut ,  au  rapport  de 
tous  les  historiens ,  le  centre  de  Tagricullure  en  Allemagne.  Cette  belle  contrée 
dut  cet  avantage  non  pas  uniquement  à  la  fertilité  de  son  territoire ,  mais 
surtout  à  l'intelligente  direction  de  ses  habitants.  D'un  sol  bas  et  humide, 
que  les  grandes  pluies  changeaient  souvent  en  marais  bourbeux,  les  Thurin- 
giens,  grâce  à  un  système  d'écoulement  ou  d'irrigation  employé  à  propos, 
firent  un  terrain  dont  la  qualité  devint  bientôt  sans  égale,  et  qui  fut  propre  à 
tous  les  genres  de  culture. 

S'il  faut  en  croire  une  saga  ou  ancienne  tradition  locale,  tradition  qui  vil 
encore  chez  le  peuple  et  que  l'on  peut  étayer  de  raisonnements  sérieux ,  on 
serait  en  grande  partie  redevable  de  cette  transformation  à  l'arrivée  dans  la 
Thuringe  de  colons  flamands,  frisons  et  hollandais,  et  la  ville  d'Erfurt  aurait 
été  leur  principal  établissement  '. 

Les  Néerlandais  avaient  une  spécialité  que  les  historiens  sont  bien  aises  de 
leur  reconnaître  :  ils  excellaient,  à  Erfurt surtout,  dans  la  culture  maraîchère 
ou  des  jardins.  Ils  l'entreprenaient  sur  une  grande  échelle  et  livraient  aux 
habitants  le  produit  de  leur  travail.  C'est  ainsi  qu'ils  furent  à  Amack,  ainsi 
que  je  l'ai  déjà  dit,  les  premiers  fournisseurs  du  marché  de  légumes  de  Co- 
penhague ■-. 

Il  est  à  regretter  que  l'histoire  d'Erfurt  ne  nous  fournisse  pas  des  rensei- 

*  Micliclsen,  Der  Mainzer Hof  zu  Erfurt,  p.  3.  lena,  1833. 
'  Id.,  p.  6. 


DES  COLONIES  BELGES.  SI 

gneinents  plus  explicites  sur  celle  intéressante  période.  D'ailleurs,  les  sources 
nationales  nous  font  également  défaut.  Helmold  et,  après  lui ,  Albert  de  Stade 
sont  les  seuls  qui  fassent  mention  de  la  colonie  de  nos  compatriotes  à  Erfurt  : 
comme  cause  de  leur  dépari  de  la  Flandre,  ils  indiquent  une  grande  inonda- 
tion (probablement  celle  de  1129),  et  celte  opinion  ne  nous  paraît  pas  dénuée 
de  vraisemblance  '.  Michelsen  croit  en  outre  qu'un  sentiment  de  réciprocité 
ne  fut  pas  étranger  à  cette  émigration  :il  prétend,  mais  sans  preuves,  qu'une 
colonie  semblable  à  la  nôtre  se  rendit,  au  douzième  siècle,  en  Belgique  pour 
y  dessécher  également  des  marais  et  autres  terrains  bas,  et  cela  aux  mêmes 
conditions  que  nos  compatriotes  en  Allemagne.  Il  résulterait  de  là,  tou- 
jours d'après  31ichelsen,  que  l'exemple  de  ces  sortes  de  colonisations,  qui 
obtinrent  un  si  grand  succès,  réagit  aussi  bien  dans  les  pays  voisins  que  dans 
les  Pays-Bas  eux-mêmes  '. 

Quoi  qu'il  en  soit,  nous  sommes  forcé  de  refaire  l'histoire  de  celte  époque 
d'après  des  contrats  et  autres  documents  de  même  nature;  encore  ces  sources 
sont-elles  peu  nombreuses  et  éparses  çà  et  là.  Elles  se  ressemblent  toutes, 
et,  si  une  différence  (pielconque  les  sépare,  ce  n'est  que  sur  des  points  acces- 
soires et  par  suite  des  coutumes  locales.  Toutefois,  ces  sources  nous  ap- 
prennent expressément,  comme  je  l'ai  déjà  dit,  que  les  colons  flamands  et 
hollandais  ont  fait  faire  d'immenses  progrès,  dans  la  Thuringe,  non-seule- 
ment à  l'agriculture  en  général ,  mais  aussi  à  la  culture  maraîchère,  et  que, 
sous  ce  dernier  rapport,  ils  se  signalèrent  surtout  à  Erfurt  '. 

Comme  dans  la  Goldene  Aùe,  où  ils  jouèrent  un  si  grand  rôle,  les  Fla- 
mands furent  appelés  à  Erfurt  et  dans  le  territoire  avoisinant  en  partie  par 
l'archevêque  de  Mayence,  et  en  partie  par  des  prélats  et  autres  seigneurs 
ecclésiastiques  dépendants  de  lui.  Les  sources  nous  apprennent  que  ce  fut  à 
peu  près  vers  la  même  époque,  à  laquelle  ils  s'établirent  dans  la  Plaine  d'Or, 
qu'ils  se  fixèrent  dans  les  possessions  sur  lesquelles  l'archevêché  de  Mayence 
avait  un  droit  de  suzeraineté.  C'est  alors  que  ces  seigneurs  ecclésiastiques 
entreprirent  à  Erfurt  un  nouveau  système  de  culture  maraîchère  et  de  jar- 

'  Michelsen,  Der  Mainzer  Hofzii  Erfurt  ,  pp.  6,7,  note. 

'  Id.,  p.  7. 

''  Id.,  pp.  d ,  8. 

Tome  XXXII.  12 


82  HISTOIRE 

(linagc,  dans  un  bu(   de  spéculation  économique ,  sous  la  proleclion  de  la 
cour  de  .Mayence  ^ 

Un  diplôme  du  mois  de  juillet  i  133,  et  émané  de  l'archevêque  Adalbert, 
constate  avec  quelle  activité  les  ecclésiastiques  de  la  paroisse  de  Saint-Séverin 
s'occupèrent  de  la  création  de  nouveaux  jardins,  dans  la  vallée  située  entre 
la  Géra  ^,  et  les  localités  de  Chrislache  et  de  Ilorlache.  Ils  reçurent  en  récom- 
pense de  grands  privilèges,  et,  entre  autres,  leurs  biens  furent  libres  de 
toute  redevance^.  Je  démontrerai,  dans  la  deuxième  partie,  que  c'est  grâce 
aux  Flamands  qu'ils  obtinrent  ces  avantages  et  que  ceux-ci  y  participèrent 
largement. 

§  III.  —  Cercle  de  Naumbourg. 

Des  colonies  belges  non  moins  importantes  que  celles  qui  se  fixèrent  dans 
la  Goldene  Aùe  s'établirent,  vers  la  même  époque,  dans  le  diocèse  de  Naum- 
bourg-sur-la-Saal ,  cercle  important  de  la  Thuringe  saxonne.  Nous  les  trou- 
vons principalement  dans  les  environs  de  l'abbaye  de  Schidpforte. 

Le  siège  de  cette  abbaye  avait  été  placé  par  sou  fondateur  à  Sclimollen, 
dans  le  canton  de  Pleissen;  mais  le  voisinage  des  Wendcs  inquiétant  les  reli- 
gieux ,  Udon  I ,  évêque  de  Naumboui'g ,  transporta  leur  résidence  à  proximité 
de  la  ville,  dans  un  terrain  humide  et  désert,  sur  la  lisière  d'une  foret.  Il 
remplaça  les  Bénédictins  par  des  Cisterciens,  et  demanda  l'approbation  de  ce 
changement  au  pape  et  à  l'Empereur.  Innocent  II  le  sanctionna  en  1 137,  et 
Conrad  II  en  4140.  Walkenried ,  que  dirigeait  l'abbé  Henri,  fournit  des 
religieux  au  nouveau  couvent  ^. 

'  Michelsen,  Der  Mainzer  lluf  zu  Erfurt,  pp.  3,  5. 

-  «  II  y  avîiil  un  couvent  d'Augustins  j)rès  de  la  Géra...  Ces  religieux  cultivèrent  la  contrée . 
jetèrent  un  j)ontsur  la  Géra,  et  l'on  voit  encore  un  moulin  bâti  par  eux.  Des  gens  qu'ils  amenè- 
rent fondèrent  tout  près  de  ta  ville  un  village  nommé  Schilderoda.  •  (  Nuchrichl  von  der  stadt 
Erffvrl  in  Thûringeti ,  Franefurt,  I7I3,  pp.  li,  IC). 

Ces  (fens  amenés  par  les  Augustins  étaient-ils  Belges"?  11  est  permis  de  le  croire,  d'autant  plus 
que  Sclielderode  est  un  ancien  village  flamand  situe  entre  Gavrc  et  Audenarde,  etqu'ily  existait 
autrefois  une  abbaye. 

''  Voy.  plus  loin,  Sec.  Part.,  chap.  Il,  sect.  III ,  g  II. 

*  Ekstorm.  Chronlc.  \Valkenred,  p.  46  :  e  Henricus  abbas  et  fratres  Walkcuredcnses  a  Do- 


DES  COLONIES  BELGES.  S3 

La  nouvelle  abbaye  prit  le  nom  de  Porta  Cœli {Hiinmelspforte).  Â  Pépoque 
de  la  Réformation ,  rélecteur  Auguste  de  Saxe  la  sécularisa  et  la  transforma 
en  collège  protestant  (154.3).  Elle  s'appela  depuis  lors  Scindpforle. 

La  date  de  la  sanction  papale  est  importante  en  ce  qu'elle  me  paraît  pré- 
ciser l'époque  à  laquelle  les  Belges  immigrèrent  dans  le  Naumbourg.  Les 
sources  qui  font  mention  des  Néerlandais  ne  manquent  pas;  mais  elles  ne 
contiennent  rien  de  décisif  sur  l'objet  en  question.  Ce  qui  ressort  à  l'évidence 
des  chartes  publiées,  c'est  que  les  colons  se  composaient  de  Hollandais  et  de 
Flamands,  et  qu'on  les  confondait  souvent  en  un  seul  et  même  peuple. 

Ce  sont  ces  deux  points  que  je  vais  essayer  de  mettre  en  lumière  autant 
que  possible. 

L  La  première  mention  qui  soit  faite,  dans  les  chartes,  des  Néerlandais  est 
de  1140.  Udon  I ,  évêque  de  Naumbourg,  définit  les  limites  des  biens  de 
l'abbaye  de  Porta;  et,  après  en  avoir  fixé  la  longueur,  en  étend  la  largeur 
depuis  le  couvent  iisf/ue  ad  terminos  llollandcnsium  ^ 

Lepsius  avance  gratuitement  ^  qu'il  était  déjà  question,  avant  cette  époque, 
d'une  colonia  Hollandensium  :  aucune  source,  que  je  sache,  ne  confirme 
cette  assertion. 

Une  charte  de  Wichmann,  successeur  d'Udon  I,  donnée  en  1132,  offre 
un  immense  intérêt.  Elle  débute  ainsi  :  Cuidmn  populo  de  terra,  quae 
HoUand  nominatur,  a  pracdecessore  meo  Udone  in  eundem  episcopo  coa- 
dimato...  ^. 

En  llo3,  une  autre  charte  de  Wichmann  confirme  toutes  les  donations 
faites  par  Udon  à  l'abbaye  de  Porta,  et  rappelle  qu'elles  s'étendent  us(/ue 
ad  aggeres  qui  sunt  secus  novaiia  Hollandensium  \   L'évêque  ajoute  plu- 

mino  benedicuntur,  et  Dominum  Albertura  abbatem  ex  se  eligentes  eiim  rcligioso  exercilu  ad 
Portam  aedificandam  prope  urbeni  Numburcl<.  » 
.    '   Pertuchii  Ctironicon  Purtense  ,  p.  25. 

ï  Gesclitchte  der  Bischôfe  des  Hochstifts  IVaiimburg,  I,  268,  note  2;  Naunib.,  184C. 

Je  dois  toutefois  ajouter  que,  dès  1130,  un  Florentins  de  Holland  signe,  comme  témoin  , 
1111  diplôme  octroyé  à  l'église  de  Magdebourg  par  l'empereur  Lotliaire  III,  et  donné  à  Goslar. 
(  Mencken,  Script,  rer.  Germanie,  III,  p.  1 110,  Dipl,  X.)  Ce  détail  confirme  jusqu'à  un  cer- 
tain point  l'opinion  de  Lepsius. 

''  Voy.  mes  Documents,  etc.,  n°  VlII. 

•   Citronicon  Portense,  p.  28. 


84  HISTOIRE 

sioiii's  biens  aux  possessions  du  couvent,   et,  entre  autres,  umim  niansuui 
/lollandcHsem  in  Tribune  '. 

En  H68,  Udon  II,  second  successeur  de  Wichman  ^,  confirme  ù  son 
(our  les  donations  successives  dont  Tabbaye  avait  été  Pobjet ,  cl  Ton  voit,  par 
la  charte  qu'il  donna  à  celte  occasion,  que  les  limites  de  Porta  n'allaient  pas 
encore  plus  loin  que  usque  ad  agros  et  novalia  Ilollandium.  ''. 

Faisons  remarquer  tout  d'abord  la  progression  constante  des  termes.  Le 
diplôme  de  1140  parle  uniquement  de  «  confins  des  Hollandais.  »  Celui  de 
1 132  est  un  véritable  diplôme  de  colonisation,  sur  lequel  je  reviendrai  dans 
la  seconde  partie.  Celui  de  1153  nous  donne  une  idée  de  l'élal  dans  le(piel 
se  trouvaient  les  terres  qu'on  avait  départies  aux  colons;  des  digues  sont 
construites  et  les  marais  qui  existaient  sont  desséchés  et  prêts  à  être  mis  en 
culture  :  situation  qu'exprime  fort  bien  le  mot  novalia.  Enfin ,  la  charte  de 
1168  constate  que  les  Hollandais  ont  des  champs  régulièrement  cultivés,  à 
côté  d'autres  qui  le  seront  bientôt. 

C'est  là,  en  quelque  sorte,  l'histoire  des  effets  produits  par  la  colonisation 
néerlandaise.  Il  est  maintenant  facile  de  déterminer,  à  peu  de  chose  prés, 
l'époque  de  l'arrivée  des  colons. 

L'abbaye  de  Himmclspforte  esl  construite  vers  1137,  et,  en  1140,  on 
fait  pour  la  première  fois  mention  des  Néerlandais.  On  peut  déjà  en  inférer 
(|u"ils  furent  établis  dans  le  Naumbourg  entre  ces  deux  dates.  Mais  si  l'on  con- 
sidère que  l'abbaye  était  située,  comme  tous  les  cloîtres  des  Cisterciens,  au 
milieu  de  marais  et  de  bois;  que  les  Belges  avaient  été  appelés  à  Walkenried 
pour  dessécher  les  terrains  humides  et  les  donner  à  l'agriculture;  que  peul- 
étre  le  premier  abbé  de  Porta,  Albert,  venait,  ainsi  que  Henri,  le  premier 
abbé  de  Walkenried,  du  cloître  d'Altenkamp,  sur  les  frontières  des  Pays-Bas; 
si  l'on  ajoute  à  tout  cela  que  l'intérêt  bien  entendu  de  l'abbaye  exigeait  la 
présence  des  colons  à  l'époque  où  elle  se  constituait,  et  non  quand,  organisée 
siu-  des  bases  solides,  les  grands  travaux  d'endiguage  et  de  dessèchement  \ 

'  Chroiiicon  Porteuse  ,  p.  28. 

'  VVicliniann   fut  nomme  en  H  34  à  l'arehevêclié  de  Magdeljourg.  Il  eut   pour  succcsseirr 
K.illiolfl(H:i4-H6l.) 
"  Chrunic  Port.,  p  31. 


DES  COLOiMES  BELGES.  83 

élaienl  achevés,  il  est  permis  de  conclure  que  rélablissemenl  des  Belges  dans 
le  Naumbourg  coïncida,  selon  toutes  les  probabilités,  avec  la  fondation  même 
de  la  célèbre  abbaye.  Je  préfère  donc,  jusqu'à  preuve  contraire,  la  date 
de  1137. 

IF.  J'ai  dit  plus  haut  '  que  souvent  les  Hollandais  et  les  Flamands  étaient 
confondus,  tant  était  parfaite  l'identité  de  leur  langue  et  de  leurs  mœurs.  C'est 
ici  que  le  principe  reçoit  toute  son  application. 

Le  nom  de  Hollandais  est  le  seul  qui  ait  été  prononcé  dans  les  chartes  que 
j'ai  citées;  à  partir  de  1 1G8,  il  disparaît  complètement  et  fait  place  à  celui  de 
Flamands.  On  n'est  pas  autorisé  à  en  conclure,  comme  l'a  fait  Wersebe  ^,  que 
c'est  un  caprice  du  hasard  qui  a  interverti  ces  noms  de  peuples  ;  il  faut  cher- 
cher une  explication  plus  rationnelle. 

Othon  IV,  se  trouvant  à  Terni,  en  Italie,  confirma,  le  27  décembre  1-209, 
d'une  manière  générale,  à  l'église  de  Naumbourg  la  possession  de  tous  les 
biens  dont  il  lui  avait  été  fait  don,  et  notamment  d'une  métairie  qua'  diriiur 
Flemminycn.  Peu  de  temps  après,  la  mélairie  prit  le  nom  de  village. 

Il  faut  admettre  que  ce  furent  des  Flamands  qui  donnèrent  leur  nom  à  ce 
village,  parce  que,  dans  la  Goldene  Aiie,  il  y  avait  pareillement  des  Flamands 
et  des  Hollandais,  et  que  ce  furent  les  mêmes  peuples  qui  colonisèrent  le 
Naumbourg.  On  ne  saurait  rien  conclure  des  mots  :  cuidam  populo  de  terra , 
f/iiœ  Ilolland  nominalur...  ;  car  l'on  ne  saurait  déterminer,  dans  l'espèce, 
si  le  mot  Holland  est  appliqué  à  la  mère-pairie  des  colons,  ou  bien  s'il  est 
donné  au  territoire  qu'ils  occupaient  dans  le  Naumbourg.  Il  est  évident  que  le 
nom  de  Flamands  ne  pouvait  être  doimé  aux  Hollandais  que  là  où  les  deux 
peuples  étaient  réunis  ;  sans  cela,  la  confusion  n'aurait  aucune  raison  d'être  • 
elle  serait  inexplicable.  Ce  qui  ne  laisse  aucun  doute  sur  la  valeur  de  cet  argu- 
menl,  c'est  un  passage  curieux  d'une  charte  de  Wichmann  (i  Io2)  qui  porte  : 
llollandini  qui  et  Flumingi  nuneupantur '\  Le  contraire  avait  également 
lieu;  dans  plus  d'un  endroit  où  il  n'est  fait  nienlion  que  des  Flamands,  nous 
voyons  tout  aussi  bien  apparaître  des  Hollandais. 

'   Préface,  p.  v. 

'  Die  niederlandischen  Colunii-ii,  de.  11,  93.". 

''  Voy.  mes  Documents ,  n°  I.\. 


86  HISTOIRE 

Hoche  '  a  prétendu  que  les  Flamands  bâlirent  le  village  qu'ils  appelèrenl 
Flem/ngen-.  Mais  j'écarte  cette  opinion,  parce  qu'elle  n'est  pas  justifiée,  et 
surtout  parce  qu'elle  est  inexacte. 

En  effet,  le  mot  Flemingen  s'applique  à  un.  village  nommé  originairement 
Tribune  \  Ce  dernier  «  figure  dans  les  sources  jusqu'en  1213,  puis  il  dis- 
parut peu  à  peu...  De  toutes  les  possessions  du  cloître  (de  Naumbourg),  Flem- 
mingen  était  la  plus  rapprochée.  Le  village  était  situé  immédiatement  au  delà 
de  la  vallée  boisée  qui  commence  au  couvent.  La  plaine  s'étend  à  l'est  jusqu'à 
la  rue  qui  traverse  Naumbourg,  près  du  bois  de  hêtres,  et  qui  est  appelée, 
dans  les  anciens  écrits,  la  Buchsiraze  \  »  Or,  nous  avons  vu  par  la  charte 
de  Wichmann,  de  1153,  que  l'archevêque  donna  au  couvent  ummi  mansiim 
hoUumlensem  in  Tribune,  ce  qui  prouve  que  les  Flamands  ne  furent  pas  seuls 
à  peupler  ce  village,  et  que,  s'ils  finirent  par  lui  laisser  leur  nom ,  leur  tribu 
était  probablement  la  plus  considérable. 

Ce  qui  me  porte  d'autant  plus  à  admettre  cette  opinion,  c'est  que  Jean, 
évêque  de  Cambrai,  signa  plusieurs  fois  comme  témoin  des  chartes  données  à 
Mayence  et  concernant  la  Thuringe;  qu'un  Ludolphus  de  Camberrik  figura 
parmi  les  témoins  laïques  qui  assistaient  à  la  confection  du  diplôme  d'Udon  I, 
en  1140,  et  qu'il  est  fait  mention  deux  ou  trois  fois  d'une  villa  Kemerich 
(1152,  1153),  qu'on  ne  sait  plus  où  retrouver  aujourd'hui  \  La  Flandre 
était  assez  proche  du  Cambrésis,  et  la  présence  répétée  d'un  évêque  de  Cam- 
brai à  Mayence  prouve  sulïîsamment  que  des  relations  existaient  entre  les 
deux  pays,  pour  que  l'hypothèse  de  Flamands  dans  le  Naumbourg  puisse  être 
acceptée  comme  une  réalité. 

'  Ueher  die  niederlandischen  Kolonien,  etc.,  p.  47. 
Il  ajoute  qu'une  famille  noble  tirait  son  nom  de  ce  village.  J'ai  trouvé  {Thvringia  sacra, 
p.  7.37)  qu'un  Alberltis  de  Flemingen  figura,  en  1217,  à  un  synode  à  Naumbourg;  peut-être 
esl-ee  le  même  personnage  que  Alherlus  de  Tribune  dont  fait  mention  une  charte  de  120o. 
Voy.  mes  Documents,  n°  IX''". 

"■  Li'psius,  pp.  62,  G4.  —  Voy.  mes  Documents,  n°  IX'"\ 

"  Lepsius,  p.  208,  noies  2  et  6. 
Wcrsebc  donne  sur  l'existence  de  Kemerich  une  opinion  qui  n'est  pas  digne  d'un  auteur 
sérieux  :  «  Der  Namen  des  Dorfs  Kemerich,  von  welchem  ich  nicht  weiss ,  ob  es  noch  existirc 
und  wo  es  cigentlicli  bclcgen  gcwesen  sey ,  kommt  dalicr  meiner  Mcinung  nach  hier  gar  nicht 
in  Betracht,  sondcrn  findet  sich  hloss  ziifiillig  in  der  nahe  der  obgedachten  Colonie  und  des 
wijrklich  Niedcrlandisclicn  Orts  Flemin!;cn.  »  II.  !)o2. 


DES  COLONIES  BELGES.  87 

Quoi  qirilen  soit,  Conrad,  cinquième  abbé  de  Himmelspforie ,  donna,  en 
1250,  des  champs  à  bail  à  des  colons  flamands  :  rusikis  flemingeusibus. 
Élaient-ce  de  nouveaux  immigrants?  Rien  ne  le  prouve;  les  sources  ne  par- 
lent point  d'une  colonisation  ultérieure  entreprise  par  des  étrangers.  Il  faul 
donc  supposer  que  c'étaient  des  habitants  du  village  de  Flemmingen  '. 

En  1277,  Albert,  landgrave  de  Thuringe,  confirma  les  immunités  de 
Tabbaye,  en  ce  qui  concernait  le  droit  d'avouerie  qu'il  exerçait  sur  le  village 
de  Flemmhujen ,  comme  dépendance  de  la  Himmelspforie-. 

Enfin,  en  1304,  Conrad  de  Flemmingen,  frère  convers  de  l'abbaye,  et 
ses  neveux,  Pierre  et  Conrad,  donnèrent  au  couvent  une  grande  ferme  située 
à  Flemmingen,  ainsi  que  le  quart  d'une  manse,  etc.  J'y  reviendrai  dans  la 
deuxième  partie  ^. 

A  partir  de  cette  époque,  le  village  ne  figure  plus  dans  les  sources  de 
manière  à  nous  intéresser.  Il  existe  encore  aujourd'hui. 

Aux  environs  de  Naumbourg ,  on  trouve  aussi  un  Neu-Flemmingen,  fondé 
sans  doute  par  des  habitants  du  premier  *. 

CHAPITRE  IV. 


MISNIE. 


Lors  même  que  nous  ne  saurions  point,  par  le  récit  d'Helmold,  que  des 
colons  flamands  allèrent  s'établir  dans  ce  pays,  d'autres  témoignages  con- 
temporains ne  nous  laisseraient  aucun  doute  à  cet  égard. 

Le  Chronicon  Montis-Sereni  rapporte,  à  l'année  1136,  que,  «  Conrad 
»  [margrave  de  Misnie]  fit  venir  des  colons  de  la  Flandre  et  les  dissémina 
»    dans  ses  Etats  ^.  » 

'  Voy.  mes  Documenls ,  n°  X,  liu.  A. 

'  Ibid.,  litt.  D. 

'  Ibid.,  litt.  C. 

'•  Dur  [géographie  von  Deulschlaiid ,  11,  70.  Erfurt,  1789. 

"  Voy.  Hoclic,  pag.  43. 


88  HISTOIRE 

Un  aulre  historien  s'exprime  en  ces  termes  :  «  Ce  prince  est  connu  sous  le 
»  nom  de  Grand ,  et  il  mérite  ce  titre  moins  peut-être  à  cause  de  ses  triomphes 
»  militaires  que  pour  les  bienfaits  dont  il  dota  la  Misnie  :  grâce  aux  colons 
"  llamands  qu'il  y  introduisit ,  ses  États  furent  cultivés  avec  soin  et  prirent 
»    dès  lors  un  aspect  tout  nouveau  '.  » 

Dix-huit  ans  plus  tard,  une  nouvelle  émigration  de  Flamands  eut  lieu 
dans  la  Misnie.  Nous  trouvons  des  Flamands,  en  1154,  dans  la  ville  de 
.Meissen  '",  tandis  qu'un  acte  authentique  de  la  même  année  nous  donne  des 
détails  fort  curieux  sur  les  conditions  qui  furent  faites  à  nos  compatriotes  dans 
une  autre  localité,  et  sur  lesquelles  nous  reviendrons  dans  la  seconde  partie 
de  ce  travail.  Cet  acte  émane  de  Gerung,  évoque  de  Misnie,  en  1154,  et  il 
fut  confirmé,  en  15 14,  par  Jean,  évêque  du  même  diocèse.  Celte  confirmation 
solennelle,  donnée  trois  siècles  et  demi  plus  tard,  fait  naître  la  conjecture  (|ue 
les  descendants  des  Flamands  existaient  encore  à  celte  époque  dans  le  mar- 
quisat de  Misnie  ^.  Quoi  qu'il  en  soit,  le  fond  du  document  roule  sur  la  ces- 
sion que  Gerung  fail  aux  Flamands  du  village  de  Coryn  ou  Kûren,  près  de 
VVurzen.  Le  début  porte  ce  qui  suit  :  Eyo,  ob  (vlernam  mci  memoriam  , 
.sirenuos  viros  ex  Flandrensi provlncia  adventantes,  in  qiwdam  loco  iiicullo  et 
pêne  Jiabilantibus  vacuo  collocavi. 

Ce  texte  prouve  d'abord  que  ce  ne  fut  pas  l'évêque  Gerung  qui  attira  les 
Flamands  par  des  promesses  quelconques;  ils  sont  allés  dans  son  pays  n'im- 
porte par  quel  hasard  adventantes.  Il  en  résulte  ensuite  que  Gerung,  pour 
ne  les  avoir  pas  appelés ,  ne  fut  cependant  pas  fâché  de  les  rencontrer  pour 
repeupler  son  évêché  inculte  et  désert.  Nous  pouvons  enfin  déduire  de  l'ex- 
pression strenuos  viros  que  parmi  les  nouveaux  arrivants,  il  y  avait  des 
hommes  nobles,  dont  les  biens,  dit  Scblôzer  fort  s|)irituellement,  avaient  peut- 
être  été  submergés  par  l'Océan  comme  mainte  fortune  de  marquis  fut  plus 
lard  engloutie  dans  le  gouffre  de  la  révolution  française  *. 

Quelques  écrivains  ont  avancé  que  la  cause  d'expatriation  de  ces  Flamands 

'  Heiiiricli,  Siichsische  Geschichle,  I,  506 

'  Fabricius,  Annalcn  (1er  stadt  Meissen,  ad.  an.  1 1.'i4. 

"'  V'oy.  mes  Donimenls ,  clc,  n"  XF. 

'■  Gescliirhte  (1er  Deutscheii  in  Siehenbiirgen ,  etc.,  ji.  412. 


DES  COLONIES  BELGES.  S9 

ne  (ut  autre  que  la  peine  crexil  prononcée  contre  eux  par  révêquedl'trechl , 
et  fondée  sur  le  motif  que  ces  slremii  viri  n'auraient  été  que  des  conspira- 
teurs, des  fauteurs  de  troubles  et  de  désordres.  Eelking  '  et  Schlozer  '-  com- 
battent cette  opinion  parce  qu'elle  ne  leur  paraît  sucuncment  fondée.  Je  par- 
tage cet  avis,  tout  en  me  basant  sur  une  autre  raison.  En  effet,  la  majeure 
partie  de  la  Flandre  relevait  à  cette  époque  de  Tévêché  de  Tournai;  les 
Flamands  n'auraient  donc  pu  être  expulsés  pour  cause  de  rébellion  contre 
l'évêque  d'Utrecbt.  Quant  à  la  partie  qui  obéissait  à  la  juridiction  spirituelle 
de  ce  dernier  %  on  n'a  aucune  raison  de  supposer  qu'ils  appartenaient  à  cette 
partie  plutôt  qu'à  l'autre. 

D'autres  encore  ont  prétendu  que  ces  Flamands  exilés  étaient  ceux  qui 
avaient  pris  part  à  la  conspiration  contre  Cbarles  le  Bon,  et  qui,  ayant  été 
proscrits,  allèrent  s'établir  en  Allemagne*.  Mais  Cbarles  périt  en  H27.  Or, 
est-il  admissible  que  ses  assassins  ou  leurs  complices  aient  mis  vingt-sept 
ans  à  arriver  en  Misnie  (1134-)?... 

Enfin ,  une  troisième  opinion  attribue  la  colonisation  flamande  à  Albert 
l'Ours,  mais  elle  ne  me  satisfait  pas  davantage.  Abstraction  faite  des  textes 
cités  plus  baut  et  qui  décident  la  question ,  on  peut  faire  valoir  un  argument 
qui  semble  concluant.  Conrad  le  Grand  régnait  sur  la  Misnie  et  la  Lusace 
réunies,  en  même  temps  qu'Albert  sur  le  Brandebourg.  A  sa  mort,  de  ses 
deux  fils,  l'un,  Otbon ,  lui  succéda  dans  la  Misnie;  l'autre,  Didier,  dans  la 
Lusace  ^  Peut-on  prétendre  raisonnablement  qu'Albert  l'Ours  ait  pu  envoyer 

*   Dissertât io  de  Belgis,  etc.,  pag.  72,  noie  6. 

«  PMg.  412. 

5  Meyeri,  Annules,  I ,  p-  7  :  «  Willibrordus  ...  faclus  est  Episcopus  Trajectcnsium  ,  ciii  scdi 
etiam  nunc  ex  Flandriis  parent  Birflclani,  Huislani,  Axellani,  Ilasnenscsque,  pcr  Willihiordum 
olim  sanctae  inaugurati  ,rcligioni.  Vix  pulo  tune  intcrccssissc  mare  inter  Flandres  cl  Frisios 
inleriorcs,  qui  Uinc  Ilollandi  elZclandi.  » 

^  Revueile  Bruxelles,  1839,  II,  p.  49.  VVarnkœnig  {Hist.  de  Flandre,  édit.  française,  I, 
p.  217),  dit  que  la  Chronique  des  comtes  mentionne  des  émigrations  de  Flamands  la  même 
année  du  meurtre  de  Charles  le  Bon.  Mais  ce  renseignement  est  trop  vague  pour  faire  autorité. 
On  sait  que  les  assassins  du  comte  de  Flandre,  qui  parvinrent  à  s'échapper,  se  réfugièrent 
d'abord  en  Angleterre  et  en  Irlande,  et  que,  chassés  de  ces  pays  à  cause  des  brigandages  qu'ils 
y  exerçaient,  ils  allèrent  finir  leur  misérable  existence  en  Scandinavie. 

'^  Sehôttgen,  ilj.,  102,  103.  —  Sagittar,  Geschichle  von  Lausitz,  p.  2SC. 

Tome  XXXIL  15 


90  HISTOIRE 

des  colons  étrangers  sur  les  terres  de  ses  voisins  pour  leur  y  accorder  des 
droits  et  des  privilèges  spéciaux?  C'est  peu  vraisemblable  el  ce  n'est  nulle- 
ment prouvé. 

* 

CHAPITRE  V. 

ANHALT. 


Le  pays  d'Anhalt  n"a  pas  toujours  eu  les  limites  dans  lesquelles  il  est  com- 
pris aujourd'hui.  Il  suivit  la  fortune  de  ses  seigneurs.  Ceux-ci  descendent 
d'une  des  plus  anciennes  familles  de  l'Europe.  Son  chef  est  Bérenger,  comte 
de  Ballenstedt  et  d'Ascanie  (786).  La  famille  d'Anhalt  fut  reçue,  en  1218, 
parmi  les  maisons  princières.  Ses  premiers  domaines  s'augmentèrent,  en 
1031 ,  d'un  territoire  inmiense,  situé  entre  TElbe  et  la  Saal;  plus  tard,  d'une 
partie  de  la  seigneurie  de  Billung,  etc.  Pour  éviter  toute  confusion,  je  con- 
sidérerai la  principauté  d'Anhalt  au  point  de  vue  de  son  étendue  actuelle, 
depuis  le  jour  où  les  quatre  duchés  primitifs  se  sont  successivement  fondus 
en  un  seul  par  la  mort  du  dernier  duc  de  Bernbourg. 

«  Il  est  de  toute  probabilité,  dit  Langelbal  ',  que  tout  le  pays  d'Anhalt 
fut  peuplé  par  des  colonies  néerlandaises.  «  Eelking,  Hoche  et  Schlozer 
avaient  déjà  émis  le  même  avis.  Wersebe  seul  fut  d'un  sentiment  contraire. 
Il  a  consacré  quarante-huit  pages  "^  à  prouver  que  de  prétendues  analogies 
de  noms  et  d'accent  avec  le  nom  de  certaines  villes  et  la  langue  des  Pays- 
Bas  n'existent  que  dans  l'imagination  de  quelques  écrivains,  chez  qui  l'igno- 
rance le  dispute  à  la  légèreté.  On  est  peu  tenté  de  le  suivre  à  travers  les 
méandres  de  cette  interminable  divagation.  Tâchons  d'exposer  impartiale- 
ment l'étal  de  la  question,  et  laissons  à  Wersebe  le  plaisir  de  nier  l'évidence. 

Albert  l'Ours  était  à  la  tète  du  pays  d'Anhalt,  au  douzième  siècle,  et,  bien 
(ju'on  ne  le  voie  point  coloniser  la  principauté  par  lui-même,  il  est  évident 
qu'il  favorisa  directement  ceux  qui  imitèrent  l'exemple  qu'il  donna  dans  les 

'    Teutsrhe  Landunrfhscliaft ,  etc.,  foni.  II,  p.  14d. 
'  De  698  à  74G. 


DES  COLONIES  BELGES.  M 

autres  provinces  de  ses  États.  C'est  Arnold,  abbé  de  Ballensledt,  qui,  sous 
la  protection  du  margrave,  donna  l'impulsion  à  la  colonisation  de  l'Anhall. 

I.  Il  vendit,  en  1159,  à  des  Flamands,  et  à  leur  demande  ',  deux  petits 
villages  qui  appartenaient  à  l'abbaye  et  étaient  situés  au  delà  de  la  Mulde  : 
Nauzedele  et  Niniifz.  L'abbé  leur  céda  en  même  temps  un  bois  nommé  Drog- 
bul ,  qui  s'étend  jusqu'au  cours  d'eau  le  Loben.  Les  Flamands  acquirent  ces 
villages,  auparavant  slaves,  pour  les  posséder  selon  leur  droit  propre,  et  de 
grands  privilèges  leur  furent  accordés  ". 

Nimilz  et  Nauzedele  sont  inconnus  aujourd'bui.  M.  de  Ledebur  conjecture 
qu'il  faut  chercher  le  premier  dans  le  village  actuel  de  Kembery  [Cambrai), 
(jui  répond  à  la  topographie  indiquée  dans  la  charte  de  l'abbé  de  Ballenstedl. 
Quant  au  second,  il  propose  de  lire  Neusiedel  [neue  Ansiedelung)'".  Mais  il 
m'est  difïîcile  d'admettre  celte  interprétation,  d'abord  parce  que  le  diplôme 
dit  expressément  que  Nauzedele  appartenait  aux  Slaves,  comme  du  reste  le 
nom  le  démontre,  et  puis  ensuite  par  le  motif  que  les  Flamands  ou  autres 
colons,  quels  qu'ils  fussent,  n'ont  pas  pu  donner  de  dénomination  au  village 
avant  de  le  posséder.  Je  serais  plus  disposé  à  croire  que  Nauzedele  est  devenu 
le  Keiiierick  actuel,  qui  se  retrouve  dans  les  mêmes  parages  '. 

Huit  ans  après,  en  1 167,  Albert  l'Ours,  avoué  de  l'abbaye  de  Ballenstedt, 
fit  mention  des  Flamands  et  du  droit  flamand  dans  un  contrat  de  cession 
ayant  trait  au  village  de  Pozelewe  et  de  quelques  autres  terres  ''.  On  a  cru 
que  le  bourg  dePascbleben,  près  de  Crethen,  correspond  à  la  terre  dont  parle 
le  diplôme  d'Albert  l'Ours;  mais  l'indication,  qu'il  est  situé  au  delà  de  la  Milde, 
fait  songer  au  village  de  Busdorf,  (|ui  se  trouve  entre  Remberg  et  Nimilz  *". 

Les  deux  sources  de  1159  et  1167  prouvent,  la  première,  l'existence 
d'une  colonie  flamande  fondée  près  de  Ballenstedt;  la  seconde,  le  projet  ou 
tout  au  moins  le  désir  d'en  établir  une  à  Pozelewe  ".  Bien  que  le  margrave 

'  Voy.  mes  Documents ,  n"  XII. 

■^  Voy.  seconde  partie,  thap.  II,  sect.  V. 

^   Vortruye  zùi-  Geschichle  Jer  Murh  Brandenlmrg ,  p.  40. 

*  Loc.  cit.,  p.  40. 

s   (1  Si  aiitcm  ea  ad  Fiamingonini  jura  translulerit,  décima  predicte  Ecclesie  pertiiicbil.  » 

i'  Ledebur,  Vorlrlige,  p.  41. 

'  Wersebe,  II,  p.  757. 


92  histoire: 

ligure  dans  l'une  et  l'autre  comme  suzerain  et  avoué  hérédilaire  de  l'abbaye, 
je  crois  que  le  mérite  de  la  colonisation  revient  presque  tout  entier  à  l'abbé 
de  Ballonstedl.  En  effet,  Arnold,  dans  le  premier  des  deux  documents,  parle 
tant  en  son  nom  personnel  ego  minisler,  qu'au  nom  de  ses  confrères /"m/res 
noslri ;  et,  dans  le  second,  c'est  encore  son  abbaye  qui  doit  bénéficier  de  la 
colonisation;  si  les  cessionnaires  meurent  sans  héritiers,  leurs  biens  passent 
à  rabba}e. 

(le  qui  confirme  celle  opinion,  c'est  que  le  diplôme  date  de  1159, 
époque  à  lafiuelle  Albert  l'Ours  établissait  aussi  des  colonies  dans  la  Marche- 
Ancienne  et  dans  les  aulres  provinces  conquises  sur  les  Slaves.  De  celle  cir- 
constance aussi  bien  que  de  celle  autre  que  l'abbé  accorde  aux  Flamands  les 
mêmes  droits  que  ceux  octroyés  par  le  margrave  aux  colons  du  Brandebourg, 
naît  la  conséquence  que  l'abbé  de  Ballenstedt  a  voulu  profiler  de  l'exemple  de 
son  souverain  et  que  celui-ci  a  même  pu  envoyer  vers  lui  une  partie  des  colons 
néerlandais  qu'il  avait  appelés.  La  signature  d'Albert  l'Ours,  delà  princesse 
Sophie,  son  épouse,  de  ses  cinq  fils  et  de  son  gendre  Thiclbold,  duc  de 
Bohème,  rend  celle  hypothèse  des  plus  probables;  elle  ajoute  d'ailleurs  à 
l'importance  de  renlre[)iise  de  l'abbé  de  Ballenstedt. 

H.  La  plus  grande  partie  du  territoire  d'Anhalt  était  couverte  de  marais, 
de  sorte  qu'elle  se  prêtait  on  ne  peut  mieux  au  dessèchement  et  à  la  culture, 
comme  l'entendaient  les  colons  de  la  Flandre  '.  Il  est  donc  tout  naturel  que 
nous  trouvions  ces  derniers  sur  d'aulres  points  qu'à  Ballensledl. 

Les  historiens  nous  ont  conservé  deux  chartes  de  l'abbé  de  Nienbourg, 
par  lesquelles  il  substitue  des  colons  chrétiens  aux  Slaves  idolâtres  *.  Il  ne 
désigne  pas  formellement  les  premiers  comme  Belges;  mais,  d'après  Lange- 
ihal,  «  il  est  éminemment  probable  que  ce  furent  des  Flamands  que  l'abbé 
»  établit  dans  la  châlellenic  de  Clulze  (auj.  Kleulzsch),  et  il  est  certain  que 
»  la  chàlellenie  de  Sleine,  près  de  Dessau  ,  fut  colonisée  par  ce  même 
»    peuple  '.  » 

'   Wirscbc,  II,7Gr). 

*   «  Rcmolis(]iu'  antiquis  infidclium  Slavorum  coloiiis,  novos  inibi  christianc  fidei  rultorcs 
collocavit.  »  —  «  Rcmotis  Slavorum  anliqiiorum  colonis.  »  Beckinann,  c.  4. 
2  Teulsche  Landwirthschaft ,  II,  146. 


DES  COLONIES  BELGES.  93 

Wersehe  paraît  celte  fois  tout  disposé  à  conclure  dans  !e  même  sens.  «  Les 
»  sources,  dit-il,  ne  s'expliquent  pas  sur  la  nationalité  des  colons  que  Ton 
»  fil  venir  pour  remplacer  les  Slaves;  elles  disent  seulement  qu'ils  étaient  des 
»  serviteurs  fidèles  de  la  religion  chrétienne;  reste  donc  à  savoir  s'ils  élai<'nt 
»  Néerlandais  ou  de  race  germani(pie  en  général.  Il  est  permis  tout  d'ahoid 
»  d'admettre  la  première  hypothèse  et  de  supposer  que  ce  fait ,  si  remarquable 
»  d'ailleurs,  n'a  pas  paru  assez  important  au  rédacteur  du  diplôme  pour  en 
»  faire  une  mention  spéciale,  ainsi  qu'en  avaient  agi  ceux  qui  avaient  écrit 
»  les  chartes  de  Ballensledt;  d'autant  plus  que  nous  ne  trouvons  générale- 
»  ment  que  plus  tard  des  exemples  de  colons  allemands,  et  que  ceux-ci  ne 
»  s'entendaient  encore  guère  mieux  que  les  Slaves  à  la  culture  du  sol.  La 
»  colonisation  par  des  Flamands  était,  au  contraire  ,  d'un  usage  fréquent ,  et 
»  la  situation  des  localités  de  Stene  et  de  Kleutsch  était  tout  à  fait  propre  à 
»  rétablissement  d'une  colonie  flamande  :  il  n'est  donc  pas  improbable  pour 
»  moi  que  les  colons  dont  parle  l'abbé  de  Nienbourg  vinssent  des  Pays-Bas. 
»   Toutefois,  ce  n'est  là  qu'une  conjecture  '.  » 

Langethal  et  Wersebe  ont  oublié  de  faire  valoir  en  faveur  de  cette  opinion 
des  arguments  qui  ne  sont  pas  sans  valeur,  à  savoir  que  l'entreprise  de  Tabbe 
de  Nienbourg  coïncida,  pour  le  temps  et  pour  les  circonstances,  avec  celle  de 
l'abbé  de  Ballenstedt;  que  la  première  comme  la  seconde  fut  conclue  sous  les 
auspices  et  en  la  présence  de  l'avoué,  Albert  l'Ours;  enfin,  (pfelles  eurent 
lieu  dans  le  même  pays  et  à  peu  de  dislance  l'une  de  l'autre. 

m.  Nous  avons  déjà  pu  constater  à  plusieurs  reprises  que,  malgré  de 
certaines  obscurités  dans  les  chroniques  ou  autres  documents,  les  endroits 
qui  portent  le  nom  de  Fluming ,  Fiemniiiujen,  etc.,  dérivent  sans  nul  doute 
d'établissements  fondés  jadis  par  des  Flamands,  quelles  que  soient,  d'ailleurs, 
les  circonstances  au  milieu  desquelles  ces  faits  se  sont  produits.  Celle  re- 
marque générale  reçoit  encore  une  application  spéciale  pour  le  pays  d'An- 
halt. 

Un  canton  de  la  principauté  qui  s'étend  aux  environs  de  Zerbst  porte  le 
nom  de  Fluming.  Les  auteurs  allemands  s'accordent  tous,  sauf  Wersebe, 

'  Wersebe,  II,  pp.  841 ,  84'i. 


94  HISTOIRE 

comme  je  l'ai  dit,  à  reconnailre  que  ce  nom  provient  des  Flamands  qui  le 
colonisèrent  au  douzième  siècle,  et  ils  assurent  que  les  hai)ilanls  des  villages 
échelonnés  le  long  de  la  route  (actuelle)  de  Dessau  à  Wœrlilz  ont  la  même 
origine.  Je  suis  tout  disposé  à  admettre  celte  opinion,  car  les  prairies  qui 
s'étendent  à  perte  de  vue  autour  de  Vockerode  s'appellent  encore  aujourd'hui 
die  FUimische  Wiesen.  Je  leur  ai  trouvé  le  même  aspect  qu'à  celles  de  l'Es- 
caut; seulement  j'ai  remarqué  qu'il  y  croît  çà  et  là  quelques  arbres  ou  ar- 
bustes qui  ne  défigurent  point  les  nôtres.  Les  eaux  de  la  IMukIe  les  couvrent 
complètement  pendant  l'hiver.  C'est  pour  se  mettre  à  l'abri  des  inondations , 
disent  les  traditions  locales,  que  les  Flamands  construisirent  une  digue  de 
plusieurs  lieues  d'étendue,  digue  qui  existe  encore  aujourd'hui  et  sur  laquelle 
est  construite  la  route  de  Dessau  à  Wœrlitz.  Le  village  de  Vockerode  et  les 
aulres  situés  dans  les  environs  ont  une  couleur  flamande  à  laquelle  on  ne 
saurait  se  méprendre;  on  dirait  des  villages  d'entre  Audenarde  et  Tournai.  Ils 
ont  la  même  construction  dans  l'ensemble,  la  même  disposition  dans  les 
détails,  le  même  caractère  général. 

A  Dessau,  dans  tout  l'Anhalt,  et  même  partout  où  se  fixèrent  les  Belges, 
rien  déplus  commun,  de  plus  proverbial  que  les  expressions  : ein  flamischer 
Kerl,  ilas  ist  fldmisch  ou  zk  flumisch.  La  première,  qui  s'applique  tant  aux 
animaux  qu'aux  hommes,  est  employée  lorsqu'on  veut  désigner  un  gaillard 
grand,  fort,  vigoureux,  en  un  mot  une  espèce  de  géant  ou  d'hercule.  Peut- 
être  cette  expression  est-elle  destinée  à  perpétuer  le  souvenir  de  l'étonnement 
dont  furent  saisis  les  peuples  étrangers,  lorsqu'ils  virent  apparaître  ces  Fla- 
mands, bâtis  en  colosses,  tels  que  les  dépeignent  nos  chroniqueurs.  Plusieurs 
de  nos  princes,  au  moyen  âge,  avaient  une  taille  démesurée  :  Charles  le  Bon 
avait  plus  de  neuf  pieds  de  haut. 

La  seconde,  das  isi  flamisch,  zù  fldmiscli,  est  en  usage  pour  peindre  d'un 
trait  une  masse  trop  grande  ou  trop  lourde  pour  la  taille  ou  la  force  d"un 
homme,  ou  bien  pour  marquer  un  objet  dont  la  mesure  est  disproportionnée; 
par  exemple,  un  fruit  d'une  grosseur  extraordinaire,  un  plat  de  viande 
énorme,  etc.  Cette  expression,  qui  est  la  conséquence  fidèle  et  naïve  de  la 
première,  nous  prouve  ce  que  devaient  avoir  de  puissance  corporelle  ces 
Flamands  dont  les  descendants  dégénérés,  semblables  aux  puliani  ou  fils 


DES  COLOtNIES  BELGES.  9S 

des  croisés  de  la  Terre-Sainle,  perdirent  peu  à  peu  loule  vie  propre,  tout 
caractère  individuel,  et  finirent  par  sVHeindre  si  bien  dans  d'obscures 
alliances,  que  leur  nom  seul  a  survécu  dans  la  mémoire  du  peuple.  En  re- 
cueillant ces  détails  de  la  bouche  des  habitants  de  Dessau ,  je  me  rappelai 
involontairement  ce  terrible  Baudouin  à  la  Hache  qui,  aimant  à  rendre  la 
justice  lui-même,  parce  qu'il  était  plus  expéditif  que  ses  officiers,  enferma 
un  jour  dix  chevaliers  voleurs  dans  la  salle  d'armes  du  château  de  Wynen- 
dale  et,  au  dire  d'un  chroniqueur,  les  pendit  tous  l'un  après  l'autre  aux 
solives  de  la  salle,  sans  se  servir  du  bras  gauche,  et  sans  que  cette  difficile 
opération  l'eût  fatigué. 

CHAPITBE  VI. 

MAGDEBOURG. 


Albert  l'Ours  fut  vivement  secondé  dans  sa  croisade  contre  les  Slaves  par 
Wichmann ,  archevêque  de  iMagdebourg.  Ce  prélat ,  que  l'histoire  nous  repré- 
sente comme  une  des  plus  grandes  figures  du  douzième  siècle,  était  monté 
depuis  quelques  années  sur  le  siège  archiépiscopal  de  Magdebourg,  après 
avoir  été  évêque  de  Naund)0urg  pendant  quatre  ans.  «  Sa  longue  adminis- 
tration (de  4154  à  1192)  fut  pour  le  vaste  diocèse  confié  à  ses  soins  une  ère 
de  grandeur  et  de  prospérité  '.  »  11  travailla,  entre  autres,  sans  relâche,  à  la 
colonisation  de  ses  provinces. 

A  l'époque  où  Albert  l'Ours  attirait  dans  la  Marche-Ancienne  des  colons 
de  divers  pays,  Wichmann  peupla  une  partie  de  ses  possessions  transalbines 
de  Flamands  et  autres  étrangers,  et  l'on  peut  dater  la  colonisation  de  l'autre 
partie  du  temps  où  le  margrave  soumit  la  Marche-lVIoyenne  et  le  pays  des 
Stodérans.  11  est  certain ,  dans  tous  les  cas,  que  des  colonies  belges  se  fixèrent 
dans  l'archevêché  de  Magdebourg  entre  les  années  cinquante  et  soixante  du 
douzième  siècle  ^. 

'  Lcpsius,  Gescinchte  lier  BIsschôfe  von  Naumburg ,  i,  p.  51. 
2  Langethal,  II,  142. 


96  HISTOIRE 

Aussi  rencoulre-l-on  encore  dans  le  territoire  séculier  de  rarchevéché  plu- 
sieurs districts  qui  portent  le  nom  de  Flaming,  et  que  Wersebc  lui-même 
considère  comme  ayant  une  origine  flamande  '.  Deux  de  ces  districts  doivent 
principalement  fixer  notre  attention. 

I.  Le  premier,  dont  la  ville  de  Crôkow  semble  être  le  centre,  est  le  plus 
grand.  La  ville  de  Crokow,  située  vis-à-vis  de  3Iagdebourg,  fut  babitée  par  les 
Hollandais  ou  Flamands,  et  possédée  d'après  leur  propre  droit,  droit  que 
confirmèrent  des  lettres  de  rarchevêque  ^  C'est  donc,  à  proprement  parler, 
le  territoire  situé  autour  de  Crokow  qui  porte  encore,  après  tant  de  siècles, 
le  nom  de  Flaming. 

Comme  la  colonisation  flamande  sur  la  rive  droite  de  l'Elbe  fut  importante 
à  tous  les  points  de  vue,  cette  rive  reçut  le  nom  de  Fliunische  Seite.  3Iérian, 
dans  sa  Topographie,  nous  apprend  que  les  villes  de  Sandau,  Jérichow,  Lau- 
burg,  Mockeren,  Gentbin,  en  faisaient  partie.  Bien  que  de  là  ne  suive  pas  que 
toutes  ces  villes  ont  pris  naissance  lors  de  l'arrivée  des  Belges,  il  faut  toute- 
fois que  la  colonie  ait  pris  un  développement  considérable,  puisque  sans  cela 
le  Flamische  Seite  n'aurait  pas  pu  s'étendre  si  loin  ^. 

Vn  autre  document  important,  qui  est  une  preuve  manifeste  de  l'établisse- 
ment des  Belges  dans  ces  parages,  est  la  réponse  à  divers  points  de  droit 
qu'avaient  soumis  au  banc  des  échcvins  de  Magdebourg  les  autorités  de  la 
ville  de  Culm,  dans  la  Prusse  occidentale  *.  Les  écbevins  délivrèrent,  à  ce 
sujet  (1539),  un  diplôme  aussi  curieux  que  décisif,  et  sur  lequel  je  revien- 
drai dans  la  seconde  partie. 

Le  commencement  de  ce  diplôme  désigne  clairement  et  la  situation  et  l'im- 
portance du  Flaming  :  an  ei/nem  Ort  Landes,  nalie  bey  Magdehurg  gelegen 
iiber  der  Elben.  L'expression  Ort  Landes  revient  deux  fois;  elle  ne  peut 
s'appliquer  qu'au  territoire  de  Crôkow  et  de  ses  environs.  Cela  s'accorde  par- 
faitement avec  les  renseignements  donnés  plus  baul  sur  la  colonie  flamande 
fondée  par  Wichmann. 

'  Wersebc,  II,  657. 

-  Thnrsniidt,  Antiqiiit.  Plocensps.  Lipsiœ  ,  1723  :  >  Circa  idem  leinpus  villa  Craeko,  unie 
Maf^dcbiirguin  sila,  ab  Hollandis  vel  Flamingis  est  oecupata,  jurcqiie  ipsoruiii  posscssa,  lile- 
risqucarchiepiscopi  confinnala,  teste  antique  dironico  Saxon,  ad.  A.  1167.  » 

5  Langctbal,II,  106. 

*  Voy.  Division  II,  cliap.  XI. 


DES  COLONIES  BELGES.  97 

II.  Un  autre  territoire,  situé  dans  rarchevêché  de  Magdebourg  et  à  deux 
milles  de  la  ville  du  même  nom,  au  delà  de  l'Elbe,  porte  également  le  nom 
de  Fldming  ;  il  se  compose  de  neuf  villages  :  Ladeburg,  Leitsch,  Kalilscli , 
Breitsch,  Ziepell,  Zedemidi,  Biihnc,  Nedelilz  et  Corit.  Tous  ces  villages,  dii 
Beckmann  ',  ont  conservé  un  accent  particulier  qui  se  retrouve  dans  le  lan- 
gage des  habitants  de  Zerbst-Anhalt. 

Wersebe  conteste  l'existence  de  ce  Fliiminfj  ;  mais  Langethal  l'admet  sans 
réserve,  et  il  ajoute  :  L'assertion  de  Beckmann  est  d'autant  plus  fondée  que 
des  colonies  flamandes  se  sont  évidemment  établies  de  l'autre  côté  de 
l'Elbe  \ 

On  peut  en  dire  autant  du  territoire  d'Halberstadt,  voisin  de  Magdebourg. 
Voici  ce  que  rapporte  à  ce  sujet  la  tradition  : 

«  Les  habitants  des  environs  d'Halberstadt ,  et  même  les  gens  de  la  cam- 
pagne, aiment  beaucoup  le  jeu  des  échecs.  Quelques  communautés  des  envi- 
rons doivent,  dit-on,  certains  de  leurs  privilèges  ou  immunités  à  la  supériorité 
que  leurs  habitants  ont  depuis  longtemps  montrée  et  conservée  dans  ce  jeu, 
uniquement  fondé  sur  la  sagacité  ou  la  pénétration  de  l'esprit,  et  le  seul  peut- 
être  auquel  le  hasard  ni  l'adresse  n'ont  aucune  part.  L'origine  de  ces  privi- 
lèges est  aussi  douteuse  qu'ancienne...  J'ai  ouï  dire  par  des  Magdebourgeois 
et  des  gens  des  environs  d'Halberstadt  que  c'était  une  tradition  chez  eux  que 
ces  privilèges  venaient  des  anciens  Belges  qui  s'y  sont  établis  au  douzième 
siècle  '.  » 

CHAPITRE   VIL 

BASSE  LUSACE. 


La  Lusace  est  si  proche  de  la  Misnie,  de  la  Saxe-Électorale,  etc.,  qu'il 
n'v  a  guère  lieu  de  s'étonner  si  l'on  y  trouve  des  traces  de  colonisation  néer- 

<   Anhaltisrlie  Geschiclilc,  I,  22. 
'2  Teiilsche  Lamhiirtlisrliuft,  U,  \AA. 

3  Méan,  Mémoire  sur  les  émigrations  des  anciens  Belges,  pp.  49,  30  en  note;  1778. 
Tome  XXXIL  ^         14 


98  HISTOIRE 

landaise.  Un  diplôme  de  1200  ',  émané  de  Conrad,  marquis  de  Lusace,  pré- 
cise les  bornes  du  couvent  de  Do])rilugk,  après  délimilation  préalable  par  des 
arpenteurs  désignés  à  cet  effet.  Le  margrave  ajoute  aux  possessions  du  cou- 
vent huit  fermes  flamandes,  au  delà  de  la  rivière  de  Primznitz  -. 

Le  couvent  de  Dobrilugk  était  situé  près  d'un  bras  de  l'Elsler-Noir,  au 
milieu  d'une  contrée  basse  et  humide,  d'où  la  Lusace  a  peut-être  pris  son 
nom;  car  luslta,  en  slave,  signifie  marais,  palus.  Cette  circonstance  permet 
de  supposer  que  les  Flamands  y  auront  élé  d'une  grande  utilité  ''.  Si  l'on 
ajoute  à  cela  que  les  moines  de  Dobrilugk  étaient  de  l'ordre  de  Citeaux, 
comme  ceux  de  Walkenried  et  de  la  If immelsp forte,  on  pourra  conjecturer 
sans  invraisemblance  qu'ils  y  ont  amené  des  Flamands,  dont  ils  avaient  pu 
apprécier  ailleurs  le  caractère  industrieux  et  les  qualités  agronomiques. 

Eelking  *  et  Hoche  *  n'hésitent  pas  à  trancher  la  question  dans  ce  sens. 
Wersebe  est  d'un  avis  contraire.  Sans  doute,  les  Cisterciens  étaient,  à  son 
avis",  fort  portés  à  fonder  de  pareils  établissements;  mais  il  ne  lui  parait 
nullement  prouvé  qu'une  soi-disant  colonie  flamande  ait  réellement  existé 
dans  la  Lusace;  car  il  n'en  a  trouvé  nulle  trace  dans  les  documents  posté- 
rieurs de  Dobrilugk,  et  n'a  jamais  appris  que  les  traditions  locales  en  aient 
gardé  le  souvenir  \ 

L'insulTisance  des  textes  a  longtemps  empêché  les  auteurs  de  résoudre  la 
question  dans  un  sens  absolu.  Sans  doute,  il  fallail  tenir  compte  des  mots 
cités  plus  haut  :  oclu  mansos  flandrenses ,  huit  fermes  flamandes.  Cette 
expression  pouvait  signifier  ou  que  les  Flamands  furent  les  créateurs  de  ces 
fermes,  ou  que  ces  fermes  étaient  occupées  par  des  Flamands,  à  l'époque  de 
la  confection  du  diplôme ,  ou  qu'elles  furent  bâties  sur  le  modèle  des  fermes 


'  Ludewig,  Reliq.  manuscr.,  I,  20y-207. 

-  «  Traiis  l'ipaiu  vero  ejusdeni  fluniinis  Prim/.nitz  oclo  mansos  Flandrenses  \[)sh  tciiiiinis 
adjecimiis.  .  Une  vieille  traduction  allemande  rend  ainsi  ce  passage  :  «  Wir  haljn  ouch  jenr- 
halb  der  Primznitz  den  egcnanten  grenitzin  tziigigebn  aclite  flcmisclie  liuven.  » 

'  Sehlôzer,  p.  415. 

*  Disscriatio,  etc.,  pag.  7t. 

'■>   Uebi:r  die  niederlàmUschen  Kolonien,  etc.,  pag.  4fi. 

"  Die  niederlandischen  Colonien,  ete  ,11,  981. 

'  Wersebe,  11,  p.  982. 


DES  COLONIES  BELGES  99 

flaïuandes,  etc.;  mais,  quelque  inlerprélation  que  Ton  donnât  au  texte,  on 
ne  pouvait  méconnaître  qu'il  avait  une  signification  à  laquelle  les  P'ianiands 
n'étaient  pas  étrangers. 

Aujourd'hui ,  l'on  peut  affirmer  avec  certitude  que  des  colons  belges  furent 
établis  dans  les  domaines  de  Dobrilugk  par  les  moines  qui  s'y  établirent,  et 
leur  spécialité  y  fui,  au  témoignage  du  cartulaire  de  l'abbaye,  l'élève  des 
abeilles  '. 

CHAPITRE  VIII. 

SILÉSIE. 


La  Silésie,  qui  était  demeurée  slave  jusqu'au  douzième  siècle,  se  germa- 
nisa peu  à  peu,  grâce  à  l'introduction  de  colons  étrangers.  Un  grand  nombre 
de  documents  subsistent  encore  qui  attestent  ce  fait.  Malheureusement,  une 
foule  de  sources  précieuses  se  perdirent  pendant  le  ravage  de  la  Silésie  par 
les  Tarlares,  en  1241,  ainsi  que  nous  le  trouvons  constaté  dans  quelques 
chartes  qui  furent  renouvelées  postérieurement;  d'autres  subirent  le  même 
sort  par  suite  de  la  négligence  ou  de  l'inertie  de  ceux  qui  les  détenaient  : 
de  sorte  que  l'on  peut  affirmer  que  les  immigrations  furent  beaucoup  plus 
nombreuses  qu'on  ne  peut  aujourd'hui,  preuves  en  main,  le  démontrer.  Ces 
immigrations  ont  dû  avoir  lieu  dès  le  commencement  du  douzième  siècle; 
les  sources  qui  s'y  rapportent  directement  sont  fort  peu  nombreuses  et  ne 
satisfont  point  le  critique,  pour  peu  qu'il  soit  difficile;  mais  il  y  a  quantité 
de  chartes  qui  en  font  mention  indirectement,  et  celles-là  suffisent  pour  nous 
faire  connaître  quels  furent  les  colons  qui  changèrent  la  face  de  la  Silésie. 
Ces  colons  se  composaient  de  Thuringlens,  de  Saxons,  de  Franconiens,  de 
Bavarois,  d'Autrichiens,  de  Souabes",  et  aussi  de  Flamands  et  de  Wallons. 
C'est  de  ces  derniers  que  nous  avons  exclusivement  à  nous  occuper. 

'   Il  V  fst  il  cliaque  instant  question  de  flamingische  Bienenhùfen.  Cf.  Weisse,  Muséum  fur 
sciilifiisclie  Gescinchte ,  III,  1 ,  224. 
2  On  trouve  dans  les  chartes  :  un  Conradiis  Thuringus  {\'2HS),  un  Guntlierus  Thiiriiifjus 


100  HISTOIRE 


§  I.  —  Basse  Silésie. 

I.  De  même  que  les  Cisterciens  d'Altenkamp  fontlèrenl  le  cloître  de  Wal- 
kenried,  en  Thuringe,  et  le  couvent  de  la  II immelsp forte ,  près  de  Naum- 
l)Ourg-sur-la-Saal ,  de  même  ceux  de  la  H  immelsp  forte  érigèrent  Dobrilugk , 
dans  la  basse  Lusace,  et  Leubus,  en  Silésie.  Nous  trouvons  la  première  trace 
d'une  émigration  authentique  de  colons  allemands  en  Silésie  dans  la  charte 
de  fondation  du  monastère  de  Leubus,  qui  porte  la  date  de  1 17S.  Dans  cette 
charte,  le  duc  Boleslas  I  libère  à  jamais  du  droit  polonais  les  Cisterciens  qui; 
à  sa  demande,  avaient  fondé  Leubus,  et  leur  garantit  à  perpétuité  la  jouis- 
sance du  droit  allemand.  Il  est  probable  que  ce  furent  ces  religieux  qui  ame- 
nèrent avec  eux  ou  qui  appelèrent  plus  tard  les  colons  flamands  '. 

Un  fait  incontestable,  c'est  que  la  mesure  flamande  était  autrefois  répandue 
dans  une  grande  partie  de  la  Silésie.  D'après  les  chartes  publiées  par 
Tzschoppe  et  Stenzel,  elle  était  en  usage  dans  quinze  villages  situés  dans  des 
territoires  différents;  et,  ce  qui  plus  est,  plusieurs  villes,  parmi  lesquelles 
Neisse,  Otimachau  et  Krcnzbourg,  jouissaient  du  droit  flamand  propre- 
ment dit. 

Wersebe  a  prétendu  que  de  la  présence  de  fermes  flamandes  [fliimische 
hùfen)  et  de  droits  flamands  [fldmische  redite),  l'on  ne  peut  pas  conclure 
nécessairement  à  l'existence  de  colonies  flamandes.  Mais  il  serait  étrange  que 
les  moines  de  Leubus,  qui  furent  les  principaux  colonisateurs  de  la  contrée, 
eussent  pu  oublier  les  Flamands.  Us  tiraient  leur  origine  d'un  couvent  fondé 
par  des  religieux  néerlandais  et,  lors  de  l'érection  de  la  succursale,  ils  re- 
çurent les  droits  de  ces  derniers;  ils  savaient,  en  outre,  par  leur  maison- 
mère  de  quelle  utilité  avait  été  la  colonie  flamande  pour  l'amélioration  des 
terres  et  l'accroissement  des  revenus  :  il  est  donc  d'une  haute  vraisemblance 


^1319);  —  un  Dietrich  der  Sachse  ;  —  une  charte  de  \  I8G  parie  de  Albert  de  Duveiiheiin  et  de 
ses  Fnmconiens  ;  —  d'autres  mentionnent  un  Conradus  Bavarus  (1263),  un  Albertus  Bavarii 
(■1311),  une  Curia  Bavari; —  un  Hermunnus  Australis;  —  un  l'Iricli  der  Scituuhe,  etc.  Voy. 
Tzsclioppc,  p.  i'ti. 

*  Tzsclioppe  ,  pp.  117,  118. 


DES  COLONIES  BELGES.  101 

qu'ils  auront  songé  à  introduire  en  Silésie  des  compatriotes  aussi  actifs  qu'in- 
telligents '. 

D'où  vient  donc  le  silence  à  cet  égard  des  chartes  de  la  Silésie?  Le  motif 
pour  lequel  ces  documents  ne  font  aucune  mention  de  l'immigration  des  Fla- 
mands est  bien  le  même  que  celui  pour  lequel  on  y  trouve  passés  sous  silence 
les  Tliuringiens,  les  Saxons,  les  Franconiens,  les  Souabes,  etc.  Les  Fla- 
mands étaient,  contrairement  aux  Slaves,  de  race  teutoniquc,  de  même  que 
les  Bavarois  et  les  autres  colons.  Or,  là  où  l'on  voulait  les  opposer  à  des 
peuples  de  nationalité  différente,  on  les  désignait  d'une  manière  spéciale,  et 
i?!  ce  n'est  pas  le  cas  ". 

Un  fait  matériel  lèvera  les  derniers  doutes.  Il  existe,  dans  le  cercle  de 
Neumarkt-Canth ,  })rès  de  Lenbus ,  un  village ,  Fldmischdorf,  dont  le  nom 
ancien  élâil  Flamingi  villa^ .  Ce  nom  témoigne,  me  semble-t-il,  en  faveur 
d'une  colonie  flamande  fondée  anciennement.  Il  y  avait  dans  les  environs  du 
village  de  belles  tourbières,  et  il  est  probable  que  les  Belges,  qui  connais- 
saient la  meilleure  manière  d'extraire  la  tourbe,  n'auront  pas  manqué  de  les 
exploiter  \ 

Un  autre  fait  tout  aussi  curieux,  c'est  que  dans  une  charte  (du  12  juillet 
1282),  relative  à  la  ville  de  Bautzen,  figure  comme  témoin  un  Fleutingus , 
qualifié  de  civis.  Je  ne  pense  pas  que  l'on  puisse  contester  l'origine  flamande 
de  ce  personnage  *. 

D'ailleurs,  en  examinant  attentivement  le  Recueil  des  documents  de 
Tzschoppe,  on  y  trouve  deux  ou  trois  autres  noms,  évidemment  de  prove- 
nance belge.  C'est  d'abord  un  Baudouin,  nom  que  l'on  sait  être  essentielle- 
ment flamand  :  Dalum  per  manus  Baldwini  noiarii  curie  nostre.  Il  aurait 


'   Langethal,  II,  p.  181. 

'-  Ihid.,  p.  182. 

^  On  le  trouve  nommé  la  première  fois  en  1289. 

*  Sclilôzer,  p.  416. 

^  Tzsctioppe,  p.  397,  L'rkumie,  7i. —  Le  même  ou  un  iiulrc  Vleminyas  figure  lomnie 
témoin  dans  uneeliartedu  24  août  1282,  également  relative  à  la  ville  de  Bautzen.  Voy.  Gercken, 
Cod.  (lipl.  Bruml.,  VIII,  638,  cité  par  Tzschoppe,  p.  399,  qui  rectifie  plusieurs  fautes  du 
copiste. 


102  HISTOIRE 

donc  é(é  secrétaire,  en  1278,  de  Henri  IV,  duc  de  Silésie-Breslau  '.  Il  ne 
liguie  t|irune  seule  fois  dans  le  recueil. 

On  y  trouve  aussi  un  nom  patronymique,  porté  par  une  famille  gantoise 
(|ui  joua  un  rôle  considérable  dans  les  affaires  publiques  de  la  cité  d'Arte- 
velde.  C'est  la  famille  Rym.  Tmniuo  Ryni  figure  deux  fois  dans  le  Urkun- 
(Ivnbach  ^  de  Tzschoppe.  La  seconde,  il  est  qualifié  dans  une  charte  donnée 
à  Glogau  ,  le  1"  août  1293,  par  Henri  III,  duc  de  Silésie-Glogau,  de  sum- 
iiius  udvacatus  lerrœ  noslrw.  La  première  fois,  son  nom  est  écrit  Tluiimito 
Rhini.  Mais,  pour  (piiconcpie  connaît  rincerlilude  de  Torlhographe  de  celte 
époque,  il  est  évidemment  le  même.  Le  diplôme  est  délivré  par  le  même  du* , 
a  (Jlogau,  le  30  novembre  1292.  Le  litre  de  dominus  précède  le  nom  de 
Hym,  et  celui-ci  est  cité  le  premier  parmi  les  témoins  '. 

Les  Rym,  seigneurs  de  Bellem,  existaient  déjà  à  celte  époque,  et  même 
antérieurement.  On  peut  dire,  jusqu'à  preuve  contraire,  qu'un  membre  de 
leur  famille  fit  partie  de  la  colonie  belge  qui  s'établit  en  Silésie  au  douzième 
siècle.  Car  aucune  source  ne  prouve  formellement  que  les  Flainands  se  sont 
fixés  dans  ce  pays ,  avant  ce  temps. 

II.  Tandis  que  Leubus  devait  son  origine  aux  Cisterciens  de  Naumbourg- 
sur-la-Saal ,  des  Augustins  venus  de  l'abbaye  d'Arrovaise  *  jetaient  les  fon- 
demenls  du  célèbre  cloître  de  Breslau,  qui  occupe  une  place  si  importante 
dans  l'histoire  religieuse  de  la  Silésie.  Ils  eurent  bientôt  des  succursales  en 
divers  endroits;  mais  les  principales  furent  Kamenz  et  Naumbourg-sur-le- 
Bober.  Nous  croyons,  avec  les  historiens  allemands,  que  ce  furent  ces  moines 
(pii  introduisirent  des  Wallons  en  Silésie.  On  aurait  peine,  sans  cela,  à  s'ex- 
pliquer la  présence  de  ces  derniers  dans  une  contrée  si  éloignée  de  leur 
pairie;  à  moins  que  l'on  ne  veuille  admettre  qu'ils  y  furent  amenés  par 
.lacques,  archidiacre  de  Liège  et  vicaire  apostoli(|ue,  le(|uel  fui  envové  en 


'   Tzschoppe,  p.  392,  l'i-k  ,  G!). 
•^  Pag.  423,  Urk.,  93. 
■'  Il)!(l.,  p.  517,  Urk.,  88. 

'■   Près(l(>  liapaumc,  m  .\i-toi.s,  cl  non  loin  de  la  Flandir  et  du  Uninaiil    Kllc  fut  foniU-c  p; 
Ik'ldcinaiT,  naliCdc-  Tournai,  en  1090. 


DES  COLOiMES  BELGES.  ^03 

Silésie  (124.8),  par  le  souverain  ponlife,  comme  médiateur  entre  le  duc 
Boleslav  II  et  levê(|ue  Thomas  de  Brcslau  '. 

Il  y  aurait  quelque  intérêt  à  rechercher  ce  qu'il  faut  entendre  ici  par  Wal- 
lons. Étaient-ils  Belges  ou  appartenaient-ils  au  nord  de  la  France  actuelle? 
Langelhal  conjecture  que  c'étaient  des  Brahançons;  mais  il  faut  avouer  que 
les  documents  publiés  jusqu'à  ce  jour  ne  jettent  aucune  lumière  sur  la  ques- 
tion. Hulmann  dit  -  «  que  les  expressions  GaUus  et  Wakh  avaient  au  moyen 
âge  la  même  signification,  et  qu'il  faut  entendre  par  là  les  pays  de  Liège  et 
de  Brabant  où  le  nicdlon  était  parlé.  Un  même  individu  est  tantôt  appelé 
ffithms,  tantôt  Wakh.  » 

Quoi  qu'il  en  soit,  une  charte  de  fondation  du  couvent  de  Leubus,  laquelle 
subit  des  interpolations  au  treizième  siècle  %  expose  les  privilèges  qui  furent 
accordés  non-seulement  aux  Polonais  et  aux  Allemands,  mais  même  aux 
Wallons.  Toutefois,  je  ne  trouve  aucune  mention  dans  les  sources  d'une 
mensura  (jalUcalis ,  de  mensi  gallimles,  de  jus  gaUicale;  ce  qui  permet  de 
supposer  que  l'importance  des  Wallons  dans  la  Silésie  fut  moins  considé- 
rable que  celle  des  Flamands.  Peut-être  même  étaient-ils  assimilés  à  ces 
derniers. 

Ils  apparaissent ,  d'ailleurs,  fréquemment  dans  les  sources  de  la  Silésie.  Le 
cartulaire  du  couvent  des  Augustins,  à  Breslau,  contient  le  nom  d'un  Simoii 
Gallicus ,  rendu  dans  les  traductions  allemandes  par  Wahle ,  Wallon. 
Lorsqu'en  1279,  le  duc  Henri  IV  autorisa  la  fondation  du  village  de  Sackrau 
(S.-O.  3  milles  d'Oels),  la  concession  fut  transmise  Jr>//rt/ou"  GaUko.  Dans  une 
charte  de  1300,  on  trouve  -.Petrus,  filkis  llanconis  Gallici  «/>;(>  W'alcli.  .  . 
{Wallone)  ".  En  1311 ,  apparaît  un  Wernherus  GalUcus. 

Les  Wallons  semblent  avoir  habité  principalement  le  bourg  de  Wiirben. 
Le  Chronkon  Princ.  Polon.  (ap.  Sommersbeug,  1,  150)  dit  :  Cum  veiiisset 
[Wladiskius,  duc  de  Liegnitz)  ad  lerram  Bregonsem,  in  viltis  Jaiickaiv  atfjiie 


'  Tzschoppc,  j).  37. 

2  Slàdtetoesen  in  Deulschland ,  I,  23G. 

3  La  charte  authentique  de  1!7')  ne  mentionne  que  les  Allemands;  les  copies  altérées  por 
tent  :  «  Sive  Poloni  sint,  sive  Thcotonici  vel  Gallici.  »  Tzschoppe,  p.  142 ,  note  G. 

''  Tzschoppe,  p.  301 ,  note  1 . 


104  HISTOIRE 

Wirbin,  nhi  moraiifur  Gullici...  Dans  une  charte  relative  à  ce  village,  ap- 
paraît comme  maire  Nicolas  Gallicus.  C'était  probablement  le  chef  des  émi- 
grants  wallons  ou  Penlrepreneur  dé  la  colonie.  Enfin,  le  carlulaire  du  cou- 
vent de  Saint- Vincent,  à  Breslau,  rapporte  que  l'église  de  Wiirben  fut  appelée 
jadis  la  wallonne  [(jatlimUs). 

Le  village  de  Gross-Kreidel  (O.-S.-O.  1  mille  74  de  Wohlau)  fut  aussi 
habité  par  des  Wallons,  à  en  croire  le  cartulaire  du  couvent  des  Augustins 
de  Breslau,  qui  le  mentionne  comme  ayant  été  également  désigné  sous  le 
•nom  de  wallon  [gallicum)  \ 

Deux  frères  wallons  occupèrent  des  emplois  distingués  dans  la  basse 
Silésie.  ils  figurent  dans  les  chartes  pendant  une  période  de  trente  ans,  puis 
ils  disparaissent.  Voici  les  titres  que  l'on  trouve  accolés  à  leur  qualité  de 
témoins  : 

En  1261  :  Everhardo  etSymone  fratre  ^. 

En  1268  :  Symonc  Gcdlico,  burgraicio  Stinaviensi  {^leindu)-'. 

En  1270  :  Symonr  Gallico ,  Castellano  in  Welun  *. 

En  1271  :  Symon  prepositus  ^ . 

En  1274  :  Cornes  Ebirhardus ,  Cornes  Simon  ^. 

En  1277  :  Symone palatino  noslro,  Eberarcio  fratre  siio,  Callicis'. 

En  1278  :  Symone  Gallico  Palalino  ^. 

En  1290  :  Ebirhardus  et  Simon  frutres  ^. 

A  considérer  ce  nom  d'Évérard,  d'une  couleur  toute  germanicpio,  on  serait 
tenté,  au  premier  aspect ,  d'assigner  aux  deux  frères  une  origine  plutôt  belge 
que  française;  mais  il  faut  se  rappeler  que  la  conquête  de  la  Gaule  par  les 
Franks  introduisit  sur  le  territoire  soumis  une  foule  de  noms  tudesquos  qui 


•  Tzochopj)C,  p.  142. 
2  Id.,  p.  364,  Urivimde,  57. 
=  hl.,  [).  370,  Urk.,  02. 
^  hl ,  p.  382,  Uric.,  03. 
••  /(/.,  p.  383,  Ui-Ic,  G4. 
«  Jd.,  p.  388,  Uric,  66. 
7  Jd.,  p.  390,  f/r/f.,  C7. 
>*  /(/,,  p.  391,  Urk.,  09. 
'■'  Id.,  p.  405,  Urk.,  80. 


DES  COLONIES  BELGES.  105 

y  oblinrenl  bientôt  droit  de  cité  et  qui  s'y  sont  maintenus.  Cet  argument 
n'éclaircil  donc  point  la  question. 


§  IL  —  Hautc-Silésie. 

Nous  trouvons  des  traces  de  colonisation  flamande  dans  la  haute  comme 
dans  la  basse  Silésie  ;  mais  on  n'en  peut  malheureusement  donner  que  deux 
preuves. 

En  1286 ,  les  ducs  d'OppeIn  et  de  Ratibor  statuèrent  que  tous  les  villages 
de  leurs  États,  qui  avaient  été  fondés  d'après  le  droit  flamand,  devaient,  en 
cas  de  doute,  se  régler  uniquement  sur  le  droit  en  vigueur  à  Ratibor  '. 

En  1309  ,  Boleslav,  duc  d'OppeIn ,  vendit  à  deux  providi  viri  un  village 
comjjosé  de  vingt-cinq  manses  flamandes.  Comme  cette  désignation  est  for- 
melle ,  il  est  évident  que  des  Flamands  ont  dû,  longtemps  avant  cette  époque, 
peupler  la  contrée  %  soit  qu'ils  y  aient  immigré  par  le  nord,  soit  qu'ils  y 
aient  été  envoyés  par  les  moines  de  Leubus. 

'  \oy.  Documents ,  etc.,   n»  XVI.  Les   eliartes   XIH,   XIV  et  XV   se  i-apportenl  ,iii   droit 
flamand  en  Silcsie. 
-^  Hoclie ,  p.  40. 


Tome  XXXII.  '  L5 


DEUXIÈME  DIVISION. 

COLONIES  FONDÉES  PAR  DES  PRINCES  SÉCULIERS. 


CHAPITRE  I". 

WAGRIE. 


Celte  contrée,  appelée  aujourd'hui  Waierland,  est  bornée  au  N.  parla  Bal- 
ti((ue;  à  PO.  par  le  Holstein  proprement  dit  et  par  la  Stormarie;  au  S.  E.  par 
la  Baltique  et  par  le  Mecklcnibourg.  Elle  formait  autrefois  la  pointe  exirème 
du  pays  des  Wendes;  elle  comprend  actuellement  la  partie  orientale  du  duché 
de  Holstein,  environ  quarante  lieues  carrées. 

La  Wagrie  était  gouvernée  dans  la  première  moitié  du  douzième  siècle  par 
Adolphe  H,  comte  de  Schauenbourg,  qui  avait  pour  suzerain  Henri  le 
Superbe.  En  1138,  ce  dernier  et  Albert  l'Ours  se  disputèrent  la  succession 
du  duché  de  Saxe,  et,  la  fortune  ayant  trahi  un  moment  les  drapeaux  de 
Henri,  Adolphe  de  Holstein,  qui  lui  était  resté  fidèle,  fut  chassé  de  son  comté. 
Ce  fut  un  partisan  d'Albert  l'Ours,  Henri  de  Badewide,  qui  le  remplaça. 

Rien  n'est  plus  propre  à  encourager  les  ennemis  d'un  Élat  que  les  dissen- 
sions intérieures  ou  la  guerre  civile.  Le  prince  des  Obotrifes,  Pribislav,  qui 
jusqu'alors  avait  montré  des  disposilions  assez  pacifiques,  jugea  le  moment 
opportun  pour  affranchir  son  pays  de  la  domination  tudesque.  H  rassembla 
une  forte  armée  et  déclara  résolument  la  guerre  au  nouveau  comte.  Mais  mal 
lui  en  prit  :  Henri  de  Badewide  le  fit  bientôt  repentir  de  sa  témérité,  il  entra 
dans  les  terres  de  Pribislav,  et,  mettant  lout  à  feu  et  à  sang,  dévasta  le  pays 
depuis  la  Schwaal  jusiju'à  la  Baltique  et  la  Trave.  En  11 39,  Henri  le  Superbe 
reprit  l'avantage  sur  Albert  l'Ours  et  réintégra  Adolphe  de  Schauenbourg 
dans  son  comté. 


HISTOIRE  DES  COLONIES  BELGES.  107 

Mais  celle  malheureuse  conlrée  n'élail  plus  qu'une  affreuse  solitude.  Les 
Slaves,  qui  avaienl échappé  au  fer  du  vain(|ueur,  s'élaienl  expatriés  par  crainte 
d'une  dure  servitude  ou  de  Iribuls  onéreux.  Adolphe  régnait  sur  un  désert. 

C'était  un  homme  aux  vues  larges  et  aux  grandes  conceptions.  Pour  ré- 
parer, au  moins  en  partie,  les  désastres  qui  affligeaient  la  Wagrie,il  songea 
à  y  établir  des  colons,  à  l'instar  de  ce  qu'il  avait  vu  pratiquer  à  Brème  et 
dans  le  Holstein.  - 

Pour  atteindre  ce  but,  il  envoya  des  commissaires  dans  plusieurs  pays,  et 
notamment  en  Belgique,  et  les  chargea  de  représenter  aux  étrangers  qu'ils 
trouveraient  dans  ses  Étals  des  terres  abondantes  pour  leur  entretien  et  pour 
celui  de  leurs  familles '. 

Plusieurs  auteurs  racontent  que  le  comte  de  Holstein  vint  lui-même  dans 
les  Pays-Bas;  d'autres  passent  son  nom  sous  silence;  mais  tous  s'accordent  à 
dire  que  Henri  de  Scalhen ,  son  ami ,  emmena  un  grand  nombre  de  Néerlan- 
dais qui  avaient  répondu  à  son  appel  ^ 

11  résulte  à  l'évidence  du  récit  de  Helmold  que  la  cause  qui  engagea  les 
Belges  à  quitter  leur  patrie  fut  la  cherté  ou  ,  si  l'on  aime  mieux,  le  manque 
de  prairies  et  de  terres  arables,  pascuorum  et  agrorum  salilium  penuria. 
Aussi  les  niincii  ont-ils  soin  de  faire  miroiter  devant  leurs  yeux  une  per- 

'  Helmold,  lib.  1,  tap.  57  :  «  Quia  autem  Icrra  déserta  erat,  misit  nuncios  in  omnes  re- 
gioncs,  Flnndiiam  el  Iloliandiam,  Trajcctum,  Wcstpliaiiara,  Frisiani,  ut  quicunque  agrorum 
penuria  arctarcntur,  venirent  cuiii  familiis  suis  accepluri  lerram  optimam,  Icrram  spaciosani, 
uberem  fruclibus,  redundanlem  pisce  et  carne  et  commoda[ni]  pascuorum  gratia...  » 

Mcyeri,  Annales,  M60  :  «  Hcnricus  Léo,  Saxoniae  dux,  Vandalos  gentem  adliur  elTera- 
lam,  sibique  juxta  ac  chrislianae  pietati  inimieam  ,  postquam  suis  expulisset  sedibus,  Henricum 
Scatensem  et  Adulphum  Holsatiae  eoniitem,  trans  Rlienum  in  Belfiimm  misit,  qui  non  parvani 
colonorum  muUiludinem  ex  Brabantis,  Flandrisque  et  Hollandis  in  Vandaliam  et  Wagriam  tra- 
duxerunt,  reversique  sunt  tune  parlim  Flandri  in  casdcm  fcre  oras  ex  quibus  olim  maiores 
eorum  sunt  profeeli...  Ego  de  liac  demigratione  niliil  apud  nostratcs  lego.  » 

2  Alberli  Krantz,  Hammubiirgensis ,  Saxonia,  lib.  VI,  cap.  19,  Coloniœ,  IS20  :  «  Adol- 
phus  qui  i)er  haec  ipsa  tempora  regebat  Holsatiam,  in  Wagriam  cultoribus  vacuatani,  et  Mar- 
chiones  Brandenburgenses,  deletis  par  arma  cultoribus,  magna  ex  parte  desertos  agros 
Hollaudinis,  Traicctensibus,  Pbrisiis,  Brabantiuis,  Flandriisque  impicvcrunt...  » 

Annales  Herulorum  ae  Vamlalorum,  ap.  Westplialen,  I,  241  :  «  ...  Quam  [terram]  vasta- 
tam,Adolphusinstauravit  pulsisque  Vandalis,  Morinos,  Batavos,  Matliacos,  Frisios  induxit...  » 

Helmold,  lor.  cit.  :  «  Ad  banc  vocem  surrcxit  innumera  multitude  de  variis  nationibus, 
assunitisque  familiis  cum  facultatibus,  vencrunt  in  terram  VVagircnsium  ad  comitem  Adolfum 
possessuri  terram,  quam  eis  pollicitus  fuerat.  » 


108  HISTOIRE 

speclive  brillante;  de  vasles  possessions  les  attendent,  icnam  spaciumin ;  le 
sol  y  est  de  la  meilleure  qualité,  terram  oplimam  ;  ils  y  trouveront  les  inènies 
produits  que  dans  leur  patrie,  et  y  pourront  vivre  de  la  même  manière 
îiberem  frucfibus,  redundantem  pisce  et  came;  enfin,  ils  y  trouveront  de 
gras  pâturages  pour  leurs  troupeaux  :  commoda[m\  pasciionun  yralia. 

Helmold  raconte  ensuite  de  quelle  manière  les  terres  furent  réparties  aux 
divers  colons.  Les  Holsatiens  obtinrent  l'endroit  le  moins  exposé  aux  attaques 
de  Tennemi,  situé  à  l'ouest  de  Segeberg  et  de  la  Trave;  ils  eurent,  do  plus, 
le  Zwentinefeld  el  le  territoire  qui  s'étend  entre  le  ruisseau  de  Sualen  jus- 
qu'à Agrimesou  et  au  lac  de  Pion.  Les  Westphaliens  allèrent  habiter  le  district 
de  Dargun;  les  Hollandais  occupèrent  Eutin  et  les  environs;  les  Frisons  colo- 
nisèrent le  canton  de  Siissel.  Enfin  les  Slaves,  restés  fidèles  à  Adolphe,  reçu- 
rent en  récompense  Aldenburg,  Liitkenburg  et  le  reste  de  la  plaine  maritime, 
sous  l'obligation  d'une  simple  redevance  '. 

Cette  énumération  est  précise;  toutefois,  Helmold  omet  de  parler  des  ha- 
bitants venus  de  la  Flandre  et  du  territoire  d'Utrecht.  Faut-il  en  conclure 
que  les  Flamands  ne  se  sont  pas  rendus  à  l'appel  du  comte  de  Holslein? 
Assurément  non  ;  Helmold  lui-même  déclare  qu'  «  une  foule  immense  accou- 
rut des  divers  pays  »  qu'il  vient  de  citer,  el  il  mentionne  les  Hollandais  comme 
ayant  obtenu  le  territoire  d'Eutin.  Il  est  probable  qu'il  faut  comprendre  les 
Flamands  parmi  ces  derniers.  Le  village  de  Flemiyslorf,  au  nord  d'Eutin , 
qui  existe  encore  aujourd'hui,  témoigne  en  faveur  de  cette  hypothèse '^ 

En  outre,  Helmold  rapporte  un  peu  plus  loin  que  Nikiot,  prince  des  Obo- 
trites,  poussé  par  la  haine,  propter  odium  advenarifm,  fit,  sur  le  terri- 
toire des  nouveaux  colons,  une  invasion  inattendue.  Le  chroniqueur  ajoute 

'  lIc'liiKikl,  lue.  cit.;  «  Et  prius  quideni  Uolzalonscs  accL'pcrunI  scdes  in  locis  tutissimis  ad 
Occidoiilali m  [jlagam  Sigi'bcrg  circa  (lumen  Trabcnam  ;  canipcslria  quoqiie  Zuenlinct'cld  et 
qiiicqiiid  a  rivo  Sualen  usquc  Agrimesou  et  lacum  Phinensem  exienditur.  Dargiincnseni  pagnni 
VVestfali,  Utincnsem  Hollandi,  Susie  Fresi  incohierunt;  porro  Plunensis  adhuc  desortus  eral. 
Aldenburg  vero  et  Lutilenburg  et  caetcras  terras  mari  conliguas  dédit  Slavis  incolendas,  fac- 
tique  sunt  ei  tributarii.  » 

*  Les  Néerlandais  du  bailliage  d'Eutin  eurent  à  payer  annuellement  au  eomte,  pour  cbaqiie 
luanse,  27  deniers  à  titre  de  cens.  Cette  redevance  s'appelait  UoUendersral  ou  HoUendergre- 
vescat  ou  simplement  (jrevescul  (  Voy.  VVerscbe,  l ,  344,  569,  et  Iloclie,  p.  75).  Les  Flamands  de 
la  Goldeiii'  .Mic  payaient  à  Walkcnried  une  redevance  analogue,  nommée  Biscopscat.  (Voy. 
Sciilozer,  p.  436). 


DES  COLOiMES  BELGES.  109 

que  Mklol  dévasta  les  élablissemenls  des  Hollandais,  des  Weslphaliens,  des 
Frisons  et  «  des  autres  peuples  étrangers,  »  et  que  les  colonies  holsaliennes 
et  stormariennes  échappèrent  seules  aux  ravages  des  ennemis.  On  peut  encore 
induire  logiquement  de  ce  passage  qu'llelmold  entend  par  «  autres  peuples 
étrangers  »  les  Flamands  et  les  Ulrechtois. 

D'ailleurs,  les  sources  de  l'époque  postérieure  confirment  ces  inductions. 
Dans  plus  d'un  endroit  du  Ilolstein ,  les  Flamands  ont  laissé  des  traces.  Kiel 
semble  avoir  été  le  centre  de  la  nouvelle  colonie.  «  Celle  ville  venait  à  peine 
d'èlre  fondée,  lorsqu'elle  fut  détruite  de  fond  en  comble  par  les  Wendes,  au 
commeiicement  du  douzième  siècle.  Cependant  Adolphe  11 ,  comte  de  Hol- 
stein,  ne  larda  pas  à  la  relever  entre  1139  et  llG-i,  et  elle  eut  sa  pari  des 
colons  néerlandais  et  autres  que  le  prince  appela  dans  ses  Etals  '.  » 

Un  fait  curieux  à  noter,  «  c'est  que  les  béguines  ou  béyJiines  et  les  béykards, 
(pii  furent  fondés  dans  les  Pays-Bas  au  onzième  siècle,  eurent  de  fréquents 
rapports  avec  la  ville  de  Riel,  pour  y  pratiquer  les  œuvres  de  miséricorde. 
Toutefois,  l'on  ne  trouve  pas  qu'ils  y  aient  eu  une  maison  propremeni 
dite  ^  » 

Le  Kicler  Sladlbuch  fait  mention,  presque  à  cha(|ue  page,  de  la  rue  des 
Flamands , /j/«;m  Flemiggorum,  Fleiiiigorum  ou  Flemmigorum ,  aujourd'hui 
encore  Ftdiiiische  Gasse.  Nous  y  rencontrons  deux  fois  la  Plalea  Flamiggi'; 
mais  je  ne  saurais  dire  si  elle  est  distincte  de  l'autre  :  huit  maisons,  situées 
dans  la  Plalea  Flamiggorum ,  obtinrent,  en  1445,  le  droit  de  pouvoir  dé- 
biter de  la  bière,  droit  qui  n'existait  pas  auparavant  dans  la  ville '. 

Le  même  livre  mentionne  des  habitants  dont  le  nom  de  famille  était  Fla- 
mingus,  traduit  par  Flaminger,  entre  autres  un  Hynricus  Flamingus'^  et  un 
Bervelde,  nom  d'un  village  de  la  Flandre  orientale.  J'y  ai  rencontré  aussi 
Nicolaus  de  Geni ,  à  l'année  1271  **;  un  Johannes  de  Flcinighule  \  un  Hin- 
rirus,  filius  Johatmis  de  Fleinighute  ,  et  un  Johannes  sutor  de  Fleinighule. 

'  J.-F.  Liielit,  Ihis  Kivltr  Studhuch.  Kid,  1842,  in-4°,  xxxiii-70  pages. 

-  IhiiL,  p.  XV. 

5  Ibid.,  pp.  45 ,  50. 

*  Ibid.,  p.  XIX. 

s  Ibid.,  pag.  21. 

•^  Ibid.,  pag.  25. 

''  Ibid.,  pag.  38. 


110  HISTOIRE 

Ces  personnages  portaient  le  nom  d'un  hameau  voisin  de  Kiel ,  «pii  est  appelé 
aujourd'hui  Flemhude. 

Quant  à  l'importance  des  colonies  néerlandaises,  on  peut  s'en  faire  une 
idée  approximative  en  se  référant  à  un  passage  de  Ilelmold.  Le  chroniqueur, 
parlant  de  la  colonie  frisonne ,  évalue  à  quatre  cents  le  nombre  des  familles 
qui  la  composaient  '.  Si  l'on  pose  le  même  chiffre,  dit  Langethal"',  pour  les 
Flamands,  les  Westphaliens  et  les  Hollandais,  on  peut  estimer  que  quelque 
huit  mille  Néerlandais  émigrèrenl  en  VVagrie,  Ilelmold  ajoute  que  les  Slaves, 
ayant  fait  une  irruption  sur  le  territoire  de  Siissel ,  il  n'y  avait  dans  le  fort 
que  cent  Frisons;  les  autres  étaient  retournés  dans  leurs  foyers  pour  cher- 
cher leur  bétail  et  autres  biens  domestiques  ^. 

CHAPITRE   II. 

BRANDEBOURG. 


Tandis  que  Henri  le  Lion  triomphait  des  Obotrites ,  Albert  l'Ours,  le 
célèbre  margrave  de  Rrandebourg  et  le  cousin-germain,  par  sa  mère,  du  duc 
de  Saxe,  achevait,  après  de  pénibles  efforts,  la  soumission  de  la  Marche 
dont  la  faveur  impériale  l'avait  investi.  Jaczon,  le  dernier  duc  des  Wendes, 
fut  forcé  de  chercher  un  asile  en  Poméranie;  mais  il  laissa  à  son  ennemi 
vainqueur  un  pays  dévasté  et  désert  comme  le  reste  de  la  Slavie.  Pour  re- 
peupler ce  vaste  territoire  et  remplacer  par  des  habitants  civilisés  une  popu- 
lation à  demi-sauvage,  Albert  recourut  au  moyen,  si  utilement  mis  en  œuvre 
a  cette  époque,  la  colonisation.  Il  envoya,  dit  Ilelmold,  des  commissaires  à 
Utrecht  et  sur  les  bords  du  Rhin,  ainsi  que  chez  les  peuples  qui  habitent  le 
long  de  l'Océan  et  qui  souffraient  pour  lors  des  violences  de  la  mer,  à  savoir 

'  Chroti.  Slav.,  lib.  I,  cap.  G4  :  «  Slavi  novissiine  venerunt  ad  pagiim  Susle,  vastaturi  Frcso- 
luiai  coloniani ,  quae  illic  crat,  quorum  luimcrus  ad  quadringeiilos  et  co  ainjilius  viros  suppu- 
latus  fuerat.  » 

2  Teutsclie  Landivirthschaft,  etc.,  II,  pp.  106-107. 

■>  Chron.  Slav.,  lib.  I,  c.  04  :  «  Ad\enaiitii)us  autcm  Slavis,  \i\  ccntum  viri  Frcsonuin  re- 
perli  sunt  in  munitiuncula,  ceteris  pâtriam  reversis,  propter  ordinandum  peculium  ibi  relietum.  « 


DES  COLOINIES  BELGES.  1 1 1 

les  Hollandais,  les  Zélandais,  les  Flamands.  Ces  peuples  se  rendirent  à  son 
appel  el  il  les  fil  habiter  dans  les  villes  et  les  châteaux  des  Slaves  '. 

'  ChruN.  Slav.,  lib.  I,  cap.  88  :  »  ...  Misit  Trajcctum  et,  ad  loca  Rheno  conligua ,  iiistipi-r  atl 
cos  qui  Iiabitanl  juxta  Oeeanum  et  patiebanlur  vim  maris,  videlieet  Ilollandos,  Seiandos, 
Flandres,  et  adduxit  ex  eis  |)opulum  magnum  nimis,  et  liabitarceos  fecit  in  urbil)US(t  oppidis 
Slavorum.  » 

Albert.  Stad.,  ad.  an.  1163  :  «  Albertus  Marcliio,  Slavis  cxpulsis,  terram  suam  oicupavit 
Ilollcris,  Selandris  et  Flaraingis.  » 

Chron.  Slav.,  ap.  Lindcnbrog,  p.  200  :  »  ...  Vocavit  de  Reno  accolas  de  HoUandia,  Zelandia, 
Flandria.  » 

Annales  Ilerulorum,  ap.  VVestphalen,  I,  247  :  »  Qui  supcrfuere  Bryzani  ac  Todaeraiii  ab 
Alberto  Slarcomanno,  cognomento  Urso,  a  rege  indefensi,  avulsi,  ab  Herulis  primum  in  Mar- 
comanni  jura  eesserunt,  a  qua  re  Marcomanni  novi  in  memoriam,  pulsis  inde  Vandalis,  ac 
superinduclis  Morinis,  Mattiaticis,  Mcnapiis,  Bethasiis,  Batavis,  Usipclibus,  Tcucteris,  Angri- 
variis,  Cbaucis.  » 

Meyeri,  Annales,  ad.  an.  il 60  :  «  Quin  etiam  Urson  Marcbio  Brandenburgensis  ex  llol- 
landis,  Zelandris,  Flandris  Coloniam  ca  tempestate  deduxit  in  easdcni  fere  Vuandaloruni 
terras.  »  —  Les  dates  de  1 160  sont  inexactes,  ainsi  que  je  le  démontrerai  plus  loin. 

Le  pasteur  Enlzelt  {Chronicon  der  Alte-Mark,  Magdeburg,  1579)  est  de  tous  le  plus  expli- 
cite :  «  Da  liebt,  dit-il ,  A  Ibertus  Ursus  novos  colonos  vom  Rliein ,  aus  Flandern ,  Ilolland ,  Scelanil , 
Gellcrn,  Westphalen,  Sachscn,  Fricsiand,  ein  gros  Volk,  aus  BeUjico  Flamhujos  und  Pleu- 
nieuser  und-besatzte  die  Lander  wieder,  wekbc  auch  Sollcn  die  VVeinberge  bcy  Franckfordt 
(am  Oder)  erstlich  angclcgt  haben.  Da  ist  der  zelienden  Auffbracbl  in  dcn  Kircben.  Also  besalzt 
Albertus  auch  die  Alte-Mark  vornebmlicb  unib  Saitzwedel  mit  Gellcrn  und  Hollender  daber 
die  Nalimen  bleiben,  Bersemerland  Marscmerland ,  aucb  sein  viel  niedcriendischc  Riliis  lu  rein 
Kommen,  und  sehr  viel  vom  .\del  wie  icb  finde,  als  Kirchbergen,  Ilarlbcken,  Storbcken, 
Scboubeken,  Bortz,  Briska ,  Dobritz,  Schwerlingern,  Schwanebeken,  Wuntersteden,  Herzle- 
ven,  Bernstede,  Brunckaro  Remslcde,  Bellingen  ,  Gribergcn,  Hessclgcrgen,  Ellcrzellcn ,  und 
die  edien  Hernn  von  Kalendorff,  Lochen,  und  derer  viel  raehr.  Zu  der  zeil  woltcn  etlicbe  duss 
die  Schulenburgen  seien  ins  Land  kommen,  aber  das  ist  unrecbt,  denn  man  findet  Schullen- 
burgen  in  Brieffen  lange  Zuvor,  als  droben  vcrmeldet  dasz  sic  zur  zeit  Caroli  Magni  lierein 
kommen  sind  (pp.  115,  113).  »  Il  est  curieux  de  voir  le  chroniqueur  employer  le  nom  de 
Plenmeuser,  pour  désigner  une  tribu  belge,  tandis  que  ce  nom  ne  figure  qu'une  seule  fois 
dans  César  et  qu'il  fut  porté  i)ar  une  peuplade  dont  on  fut  longtemps  sans  pouvoir  fixer  le 
territoire.  Hensehenius  (Cf.  Raepsaet,  III,  n"  6,  p.  26)  place  les  Plejimosii  dans  le  Brabant. 
Mais  cette  opinion  est  erronée.  Clients  des  Nerviens  et  voisins  des  Morius,  ks  Pleumosiens 
occupaient,  suivant  les  apparences  les  mieux  fondées,  le  territoire  situé  entre  Furnes,  Ilond- 
schote,  Dixraude  etYprcs,  territoire  naturellement  humide  et  couvert  de  mares  immenses 
pendant  l'hiver.  Le  nom  primitif  de  la  ville  de  Hondschote  est  Pleumosia,  ce  qui  est  un  argu- 
ment en  faveur  de  la  seconde  opinion.  Les  géographes  ont  donné  du  nom  de  Pleumosii  une 
explication  empruntée  à  la  nature  du  terrain  qu'ils  accupaient;  mais  qui  a  le  tort  d'être  trop  re- 
cherchée. Ce  mot  viendrait  de  bi  (by,  apud^  près),  leu  [luy,  luide,  segne)  et  mosen  {coenosa  loca, 
bourbiers,  eaux  stagnantes).  P/eM m os«ï  serait  donc  une  contraction  de  Bileumosii.  (Voy.  Cm- 


H2  HISTOIRE 

(lo  toxle  est  concis,  mais  néanmoins  assez  décisif  pour  qu'il  soit  inutile  de  le 
connnenler.  Helmold  révèle  clairement  quel  molif  puissant  poussait  les  Beiges 
à  répondre  avec  empressement  à  Tappel  d'Mherl, paliehanlur  vim  maris,  peu 
importe  qu'il  s'agisse  ici  d'inondations  récentes  ou  de  la  crainte  de  catastrophes 
prochaines.  Des  calamités  de  ce  genre,  et  qui  reviennent  fréquemment,  suf- 
fisent pour  étouffer  dans  le  cœur  de  l'homme  le  sentiment  de  la  patrie,  et  expli- 
(|uenl  la  facilité  avec  laquelle  il  renonce  au  sol  de  ses  ancêtres  pour  se  trans- 
porter avec  sa  famille  dans  une  terre  étrangère. 

Il  s'agit  maintenant  d'examiner  à  quelle  époque  les  Néerlandais  immigrè- 
rent dans  le  Brandebourg ,  quels  furent  les  commissaires  chargés  par  Albert 
l'Ours  de  recruter  les  colons,  et  enfin  quels  furent  les  territoires  où  ils  se 
fixèrent  en  masse. 

Les  deux  premiers  points  sont  si  intimement  liés  qu'on  ne  peut  traiter  de 
l'un  sans  toucher  à  l'autre,  et  l'on  ne  saurait  les  éclaircir  sans  présenter  en 
même  temps  un  aperçu  de  la  situation  des  Etats  d'Albert  l'Ours. 

I.  On  avait  généralement  cru  jusqu'à  ce  jour  que  la  colonisation  néerlan- 
daise avait  commencé  après  la  soumission  du  Brandebourg  tout  entier,  c'est- 
à-dire  après  1157;  mais  un  double  fait  contredit  cette  opinion  :  le.  style  des 
monuments  qui  furent  construits  par  les  premiers  colons  et  qui  ont  survécu 
aux  ravages  du  temps  ',  et  aussi  les  documents  tant  contemporains  que  pos- 
térieurs que  de  patients  érudits  ont  soustraits  à  la  poussière  des  siècles. 

En  effet,  si  l'on  considère  d'un  côté  que  la  conquête  de  Havelberg  et  de 
Priegnitz  eut  lieu  en  1137;  si  l'on  réfléchit,  de  l'autre,  que  la  prise  de 
Brandebourg  arriva  en  114.2;  si  l'on  se  rappelle  enfin  (pie  le  plus  ancien 
document  sur  la  colonisation  ,  c'est-à-dire  la  lettre  de  protection  que  l'empe- 
reur Conrad  ill  donna  en  faveur  de  l'évèque  de  Havelberg,  date  de  1150, 
on  obtient  un  intervalle  de  sept  ans  (114-3-1 150)  pendant  lequel  la  coloni- 
sation aurait  pu  commencer. 


ijiiius.  in  Comment,  florat.  Anlverp.,  1578,  Ép.  dédie;  —  ^[iirclianl.   Flanilrino  Coiitmciil., 
liliri  IV.  Antvcrp.,  riOG ,   p.  7;  — •  Saiidir.,  Fland.  illiisl.,  I,  ji.  4;  —  Cusiis,  Jdcrboekrii  dcr 
studt  Brugge, ilGS,  I,  p.  6).  Quoi  qu'il  en  soit,  il  est  rcinaïuiiiable  de  retrouver  an  cd'iii  de 
rAI!eiiii\s;iie  un  nom  de  peuple  presque  ignon''  en  Belgique. 
'   \ny.  i)liis  loin,  Troisihne  pttrlic ,  section  111. 


DES  COLONIES  BELGES.  H  3 

Or,  l'année  1 1  43  atlire  tont  d'abord  l'atlenlion ,  parce  qu'elle  fut  le  lernie 
des  longues  dissensions  de  Henri  le  Lion  et  d'Albert  l'Ours;  que  la  mort  du 
prince  slave  Piibislav  de  Brandebourg  fil  adjoindre,  comme  partie  intégrante 
de  l'Empire,  la  Marcbe  de  Brandebourg  aux  États  d'Albert,  et  que  par  là 
les  diflicultés  de  la  situation  politique  extérieure  se  trouvaient  aplanies. 

Toutefois,  à  l'intérieur,  l'aspect  restait  sombre. 

La  cathédrale  de  Havelberg  gisait  à  moitié  détruite  depuis  H36  ;  celle  de 
Brandebourg  n'existait  plus  qu'en  souvenir.  Les  deux  évêques  étaient  absents 
depuis  des  années  et  accompagnaient  la  cour  de  l'Empereur.  Il  n'y  avait  pas 
de  chapitre  pour  représenter  le  clergé  supérieur  ou  pour  combler  les  vides  du 
bas  clergé;  aucun  monastère,  sauf  le  petit  cloître  de  Leitzkau,  ne  répandait 
le  bien-être  avec  les  soins  spirituels  dans  toute  l'étendue  du  diocèse  '.  Les 
guerres  désastreuses  avec  les  Slaves  et  les  émigrations  des  vaincus  avaient, 
je  l'ai  dit,  dépeuplé  le  pays,  tandis  qu'une  partie  des  Wendes,  exaltés  jus- 
qu'au fanatisme  et  abrités  dans  des  retraites  inaccessibles,  menaçaient  à 
chaque  instant  de  recommencer  la  lutte  un  moment  assoupie.  On  a  donc 
quelque  peine  à  croire,  au  premier  aspect,  qu'Albert  l'Ours  ait  pu  songer 
sérieusement  à  cette  époque  (lUS)  à  civiliser  les  nouvelles  contrées  qui  lui 
étaient  soumises,  alors  que  les  circonstances  ne  semblaient  lui  imposer  encore 
que  des  devoirs  militaires. 

Tel  fut  cependant  le  cas.  Dès  le  mois  de  septembre  4443,  nous  trouvons 
Albert  l'Ours  occupé  avec  Henri  le  Lion  à  fixer  les  droits  de  la  colonie  néer- 
landaise établie,  l'année  d'avant,  à  Santou,  près  de  Brème,  par  l'archevêque 
Adalbert  -.  A  partir  de  ce  moment,  le  prince  ne  perdit  pas  de  vue  le  déve- 
loppement de  celte  colonie,  et  il  avait  déjà  pu  juger  à  l'autre  extrémité  de 
ses  États  (à  Porta  ,4137-11 40) ,  de  quelle  utilité  il  serait  pour  lui  et  pour  son 
peuple  d'introduire  pareillement  des  colons  belges  dans  ses  domaines. 

Néanmoins,  la  vie  aventureuse  et  agitée  d'Albert  ne  permettrait  pas  d'indi- 
quer avec  un  certain  degré  de  précision  l'origine  et  l'époque  de  la  colonisa- 
tion du  Brandebourg,  si,  en  prenant  pour  point  de  départ  la  fondation  du 

'  Fr.  Adler,  Die  Niederlândischen  Kolonkn  in  der  Mark  Brandenhurg  (de  20  pages),  p.  t5, 
186t. 

2  Raunier,  Reg.,  4026;  —  Wersebe,  I,  "J7. 

Tome  XXXII  *6 


{\i  HISTOIRE 

cloîlrede  Jérichow,  eloii  fnisanl  iinaperçu  rapide  des  personnes (jui  onl  euopéré 
à  son  éreclion ,  un  rayon  de  lumière  ne  venait  toul-à-coup  dissiper  les  ténèbres 
dans  iescpielles  les  chronitpieurs  avaient  laissé  cette  intéressante  question. 

Le  13  mars  1144,  Rodolphe,  comte  de  Stade,  l'ut  tué  dans  une  expédition 
contre  les  Dilmarsches  '.  En  lui  s'éteignit  l'antique  et  illustre  maison  comtale 
de  ce  nom  :  son  frère  Hartwich,  le  seul  survivant  de  la  famille,  avait 
embrassé  l'état  ecclésiastique  et  était  chanoine  à  Magdebourg.  Hartwich , 
d'accord  avec  sa  mère  Richarde,  résolut  d'affecler  une  grande  partie  des 
biens  allodiaux  que  possédait  sa  maison  au  delà  de  l'Elbe,  près  de  Jérichow, 
à  la  fondation  d'un  cloître  pour  le  repos  de  l'àme  du  défunt  comte.  Il  se  con- 
certa, à  la  Noël  de  l'année  1144,  avec  l'empereur  Conrad  HI,  à  Magdebourg, 
pour  achever  les  négociations  entamées  à  ce  sujet  avec  le  margrave  et  l'évéque 
de  Havelberg. 

Voilà  le  point  décisif  pour  fixer  l'époque  de  la  colonisation. 

H.  Personne,  à  l'exception  des  fondateurs,  ne  se  préoccupa  si  vivement 
de  l'érection  du  cloître  de  Jérichow  que  l'évéque  de  Havelberg,  Anselme, 
dont  la  sagacité  politique  n'était  égalée  que  par  la  piété  religieuse  et  qui  était 
un  disciple  favori  du  grand  et  rigide  Norbert  -.  Anselme  fit  dépendre  le 
nouveau  couvent  de  Prémontrés,  dont  les  moines  sortaient  de  la  maison- 
mère  de  Noire-Dame,  à  Magdebourg^  de  l'église  paroissiale  de  Jérichow, 
et,  grâce  à  ses  efforts,  il  réussit  à  organiser  dans  son  diocèse,  dès  la  première 
année,  le  nouvel  établissement  monastique  sur  des  bases  durables. 

Anselme  demeura,  jusque  vers  le  milieu  de  l'année  1145,  tour  à  tour  à 
Havelberg  et  à  Jérichow,  occupé  par  des  affaires  diocésaines  et  par  les  soins 
que  réclamaient  encore  le  cloître  nouvellement  fondé.  Mais,  au  mois  de  sep- 
tembre, il  se  rendit  à  Corvey,  en  compagnie  d'Albert  l'Ours  qui  avait  suivi 
l'empereur  Conrad  en  Saxe  et  en  Westphalie,  probablement  pour  délibérer, 
par  suite  de  la  fondation  du  couvent  de  Jérichow,  sur  la  question  de  coloniser 
le  pays,  question  qui  de  nouveau  avait  fait  des  progrès.  Enfin ,  il  alla  séjourner 
pendant  plusieurs  mois  sur  les  bords  du  Rhin  inférieur  et  à  Utrecht  '. 

1  Voy.  plus  haut  ,  p.  (J9.  D'autres  placent  ce  fait  à  l'année  td48. 

2  Uiedel,  Aussalz  ïiber  Anselii,  v.  Huvdhmj  in  v.  Ledebui-'s,  .V.  Archiv.,  VIII,  97,  sqq. 

5  Riedel,  loc.  cil.,  250  sqq.  —  Raumcr,  Rcg.,  1077-85.—  «  H  est  curieux,  dit  Sdiumachei-, 
que  l'on   U-aduise  toujours  TrujecUim  par  Utreclit,  tandis  que  ce  peut  tout  aussi  bien  être 


DES  COLONIES  BELGES.  H5 

Ce  dernier  ilélail  est  de  la  plus  haute  importance.  Il  s'adapte  merveilleuse- 
nienl  au  texte  de  Helmold  :  Misit  Trajectum  et  ad  loca  Rheno  contigna,  il 
le  complète  et  l'explique.  Si,  outre  cela,  on  veut  bien  considérer  la  position 
éminente  qu'occupait  Anselme  et  le  crédit  légitime  dont  il  jouissait  auprès 
du  margrave  ;  si  l'on  veut  tenir  compte  de  son  expérience  des  affaires  et  du 
tact  exquis  qu'il  déploya  dans  toutes  ses  négociations;  si,  enfin,  l'on  veut 
admelire  que  son  propre  diocèse  avait  tout  intérêt  à  être  colonisé,  on  ne 
pourra  plus  douter  que  l'évêque  d'Havelberg  n'ait  été  un  des  commissaires 
chargés  par  Albert  l'Ours  de  recruter  des  colons  parmi  les  populations  au 
milieu  desquelles  il  allait  séjourner. 

Au  récit  de  cette  mission,  on  est  naturellement  amené  à  se  demander  s'il 
existait  pour  lors,  entre  le  Brandebourg  et  les  Pays-Bas,  d'autres  relations 
que  celles  que  faisait  naître  entre  tous  les  États  de  la  chrétienté  le  lien  com- 
mun de  la  religion.  Il  serait  difficile  de  répondre  à  cette  question  d'une  ma- 
nière catégorique.  Un  seul  fait  pourrait  servir  d'argument  affirmatif  :  c'est 
le  mariage  du  fils  et  successeur  d'Albert  l'Ours,  Othon  I,  avec  une  princesse 
de  Hollande,  Ada  ou  Adélaïde,  fille  de  Florent  III,  et  sœur  de  Guillaume  I. 
Mais  cet  événement  n'a  pu  avoir  lieu  qu'après  1170  ';  donc  à  une  époque 

Maesiricht;  l'un  ,  résidence  supcrieurc,  lautre,  résidence  inférieure  des  Romains  ;  le  premier, 
connu  dans  le  langage  officiel,  par  l'apposition  ad  Rlieniim  ;]e  second,  par  celle  adMosum.  »  Je 
crois  toutefois  que  dans  le  passage  d  Helmold,  cité  plus  haut,  le  contexte  doit  faire  décider  en 
faveur  d'Utrecht. 

'  Othon  I",  marquis  de  Brandebourg,  succéda  à  son  père,  Albert  l'Ours,  eu  M70.  Sa  pre- 
mière femme  fut  une  princesse  polonaise,  fille  de  Bolcslav,  duc  de  Pologne,  nommée  Judith, 
qui  mourut  après  H70.  Oïlion  I"  épousa  alors ,  en  secondes  noces,  Ada  de  Hollande.  H  la  laissa 
veuve  en  1184,  et  la  princesse,  selon  toutes  les  probabdités,  retourna  dans  son  pays.  Deux 
documents  lui  attribuent  le  rang  et  le  titre  de  marquise  de  Brandebourg. 

L'un  est  une  charte  publiée  par  Gercken  {Cod.  dipl.  Brandenb.,  VII,  386  sqq),  et  iwrtaut 
pour  titre  :  «  Willielmus  I,  cornes  Hollandiae,  ronfmmtt  Ahhaiiae  Rtjnshurg  donalionem 
terrae  m  Poel,  quam  fecit  ejiis  soror  Ada,  Marchtonissa  Brandvnbiirgica,  a"  1205.  » 

L'autre  est  la  lettre  de  fondation  du  cloître  d'Arendsec,  dans  l'Altmark,  de  l'année  1184; 
lettre  dans  laquelle  le  marquis  Othon  I"-  s'exprime  ainsi  :  « ...  Quod  ego  Otto  Brandenburgensis 
Marcbio,  annuentibus  meis  hercdibus  Otlone,  Heinrico,  Adelberto  meis,  et  uxore  mea  Adel- 
heide...  »  (Lenz.,  Brandenb.  Urkimd.,  1,  2).  Pour  qui,  dit  Gercken  {loc.  cit.)  a  lu  un  peu 
attentivement  des  cartulaires  ou  ouvrages  généalogiques,  Ada,  Adèle  et  Adélaïde,  ne  sont  qu'un 
même  nom,  nom  qui  apparaît  fréquemment  dans  les  généalogies  de  Hollande,  de  Clèves,  etc., 
et  qui  se  rapporte  toujours  à  la  même  personne. 


lie  HISTOIRE 

où  les  colonies  belges  avaient  déjà,  comme  nous  le  verrons  bienlôl,  pris  dans 
le  Brandebourg  leur  plein  développement.  Il  reste  donc  à  savoir  si  ce  ma- 
riage fut  dû  à  des  rapports  établis  de  longue  date  entre  la  famille  de  Hollande 
et  celle  d'Ascanie,  ou  bien  s'il  fut  seulement  la  conséquence  des  relations 
créées  par  le  séjour  même  de  révêcjue  de  Ilavelberg  dans  les  Pays-Bas.  Cesl 
là  un  de  ces  points  d'bisloire  dont  l'absence  de  documents  rend  la  solution 
fort  douteuse. 

Deux  autres  prêtres  éminents,  qui  s'intéressaient  tout  aussi  vivement  à  la 
prospérité  du  cloître  de  Jérichow,  me  paraissent  avoir  secondé  Anselme  dans 
sa  mission  et  concouru  avec  lui  à  l'introduction  des  colons  néerlandais. 

L'un  est  Hartwich ,  frère  du  comte  de  Stade.  Il  était  allé  à  Brème ,  en 
1 H4,  comme  prévôt  de  la  cathédrale.  Là,  il  apprit  à  connaître  les  colonies 
les  plus  rapprochées,  celles  qui  existaient  depuis  1106  comme  celles  qui 
avaient  été  fondées  en  1142,  et  à  apprécier  leur  salutaire  influence  sur 
l'économie  rurale.  Ses  relations  d'amitié  avec  Albert  l'Ours  permettent  de 
conjecturer  qu'il  ne  fut  pas  étranger  à  l'œuvre  du  margrave  :  lorsqu"élevé  à 
la  dignité  archiépiscopale  de  Brème,  il  organisa,  en  1149,  une  colonie  néer- 
landaise près  de  Stade,  ce  fut  Albert  l'Ours  qui ,  lors  de  la  concession  à  faire 
aux  colons,  lui  prêta  à  son  tour  son  concours  le  plus  actif  '. 

L'autre  personnage  est  Evermode ,  d'abord  prévôt  de  la  maison-mère  de 
Notre-Dame  de  3Iagdebourg,  plus  lard  évèque  de  Batzebourg.  Né  dans  les 
Pays-Bas,  à  Cambrai,  il  n'aura  pas  manqué  de  mettre  à  la  disposition  d'Al- 
bert rOurs  et  d'Anselme  de  Havelberg  la  connaissance  qu'il  avait  de  la  Bel- 
gique, et  ses  relations  d'enfance  et  de  famille. 

En  réunissant  ces  faits,  la  présomj)lion  qu'Anselme  de  Havelberg,  fort  de 
sa  position  personnelle  et  s'aidanl  des  ramifications  qu'il  avait  directement 
ou  indirectement  dans  les  Pays-Bas,  avait  déjà  rempli,  à  la  fin  de  l'automne 
1145,  le  projet  d'Albert  l'Ours  relatif  à  la  colonisation,  cette  présomption 
s'élève  à  un  degré  de  vraisemblance  qui  approche  de  la  certitude. 

III.  On  ne  peut  pas  prouver  directement  que  déjà,  dans  le  courant  de 
l'année  1146,  les  premiers  colons  se  sont  rendus  dans  la  Marche;  mais  il 

'  Raumer,  Reg.,  1 144. 


DES  COLOiNlES  BELGES.  117 

est  permis  de  présumer,  en  se  l'ondanl  par  analogie  sur  certaines  délimita- 
lions  de  terres  qui  eurent  lieu  à  celte  époque,  que  des  caravanes  de  colons 
isolés,  uniquement  composées  d'hommes,  ont  foulé  vers  le  même  temps  le 
sol  slave  '. 

Il  faut  sans  doute  rattacher  à  cette  première  immigration  de  colons  belges 
le  retour  d'Anselme  à  Magdehourg,  et  la  donation  qu'il  fit  au  cloitre  de  Jeri- 
chow  du  château  de  Marienburg  et  des  dimes  du  territoire  de  Klielz  et  de 
Schollene;  en  sorte  que  la  contrée  située  en  face  d'Arneburg,  et  protégée 
par  le  fort  de  Marienburg,  doit  être  envisagée  comme  l'endroit  le  plus  ancien 
de  la  Marche  dans  lequel  les  colons  se  sont  établis  ^.  Cette  contrée  offrait 
d'ailleurs  des  difficultés  si  grandes  pour  la  mise  en  culture,  que  le  zèle 
énergique  du  cultivateur  néerlandais  en  pouvait  seul  venir  à  bout.  A  l'ouest, 
un  espace  de  terrain,  ayant  à  peu  près  deux  lieues  de  longueur,  de  Rabelitz 
à  Klitz,  était  exposé  à  des  inondations  fréquentes  de  l'Elbe,  et,  du  côté  de 
l'est,  s'étendait  un  marais  inaccessible,  nommé  actuellement  le  Triihon  ,  (pii 
ne  pouvait  être  cultivé  qu'à  la  suite  d'un  dessèchement  ingénieux. 

En  automne  1 146 ,  Anselme  se  rendit ,  avec  Albert  l'Ours,  à  Spire  et  puis 
à  Francfort-sur-le-.Main,  où  eut  lieu  la  prédication  de  saint  Bernard.  C'est 
alors  qu'eut  lieu  la  croisade  contre  les  Slaves,  croisade  qui  manqua  son  plein 
effet  par  les  divisions  des  princes  allemands,  mais  qui  eut  néanmoins  pour 
résultat  d'amener  les  ennemis  effrayés  à  respecter  pendant  dix  ans  les  limites 
extrêmes  de  l'empire  allemand  ,  Brandebourg  et  Ilavelberg. 

Ces  dix  années  de  paix  contribuèrent  au  développement  de  la  prospérité 
du  pays,  et  l'on  ne  peut  douter  que  des  hommes  de  la  trempe  d'Albert  l'Ours 
et  d'Anselme  de  Havelberg  n'en  aient  profité  pour  le  bien  de  l'État  et  de 
l'Église  '.  Comme  on  les  voit  pendant  plusieurs  années  séjourner  dans  la 
Marche,  à  part  de  courts  intervalles,  on  peut  admettre  à  bon  droit  que  leur 
activité  s'exerça  principalement  lors  de  la  grande  immigration  des  Néerlan- 
dais, immigration  qui  se  fit  lentement,  mais  sans  interruption. 

Les  moines  du  couvent  de  Jérichow  ayant  exprimé  le  vœu  que  leur  rési- 

'  Acllcr,p.  15. 
-  Ibid.,  p.  16. 
5  Ibid.,  p.  17. 


118  HISTOIRE 

deiice  pût  èlie  Iransférée  dans  un  endroit  plus  convenable  el  plus  sur,  An- 
selme eut  rocca§ion  de  mettre  à  profit  les  connaissances  et  Tindustrie  des 
colons.  L'emplacement  de  la  nouvelle  résidence  n'a  pas  été  clairement  dé- 
signé par  les  chroniqueurs;  mais  ils  font  comprendre  que  les  religieux  dési- 
raient un  changement  à  cause  des  inondations  de  TEIbe,  qui,  n'étant  pas 
encore  endigué,  menaçait  à  chaque  instant  leur  existence,  et  aussi  à  cause 
de  l'exiguilé  de  la  chapelle  du  cloître,  à  la  place  de  la(|uelle  ils  espéraient 
pouvoir  rebâtir  une  église  à  l'aide  de  dons  pieux. 

Anselme  consentit  au  transfert  de  la  résidence,  et  l'église  fut  bâtie  promp- 
lemenl,  grâce  à  la  coopération  de  deux  hommes  nobles  de  Jerichow,  qui,  en 
leur  qualité  de  vassaux  de  l'archevêque  de  Magdebourg  et  à  sa  demande, 
firent  don  d'un  espace  de  terrain  faisant  partie  de  leurs  domaines.  Leur 
libéralité  alla  si  loin  que  le  margrave,  Othon  I,  pour  les  dédommager  de 
leurs  dépenses,  leur  conféra,  en  1172,  la  dignité  d'avoués  perpétuels  du 
cloître.  L'église  fut  bâtie  par  les  Néerlandais,  comme  son  style  le  démontre 
encore  aujourd'hui  '. 

IV.  Dès  \  150,  l'empereur  Conrad  III  donna  une  charte  des  plus  remar- 
quables en  faveur  de  l'évêque  de  Ilavelberg.  Par  cette  charte,  il  autorise 
Anselme  à  peupler  de  colons,  n'importe  à  quelle  nationalité  ils  appartien- 
nent, les  villes  el  villages  devenus  déserts  par  les  invasions  des  Slaves,  ainsi 
que  d'autres  qui  n'avaient  conservé  qu'un  petit  nombre  d'habitants  ^.  On  ne 
saurait  nier  la  coïncidence  frappante  de  ce  diplôme  avec  le  fait  de  l'émigra- 
tion de  nos  colons. 

A  partir  de  ce  moment,  les  Néerlandais  se  répandirent  dans  les  diverses 
provinces  soumises  au  sceptre  d'Albert  l'Ours  ^.  D'après  le  témoignage  même 
de  Helmold,  le  chroniqueur  leur  donne  le  nom  générique  de  Hollandais;  ils 

'   Adler,  p.  18. 

-  Ledebur,  Vortràge ,  p.  40. 

•  llclmold,  lib.  I,c.  88  :  «  Et  ronfortatus  est  velicmenter  ad  iiitroilum  advenaruni  cpisco- 
patus  Brandeburgensis  iiec  non  Ilavclbergensis,  eo  qiiod  multiplicarenlur  Ecclesiae  et  decima- 
rum  suceresseret  ingens  possessio.Sed  et  australe  littus  Albiae  ijtso  tempore  incolere  coeperiint 
Hnllandicnses  advenae,  ab  urbe  Saleveldele  omncm  terrani  palustrem  atque  campestrem , 
terrain  quae  dicitur  Balsenierlandc  et  Marscinerlande,  civitates  et  oppida  raulta  valde  usque  ad 
saltuni  Bojeiuicum  possederunt  Hollandri.  » 


DES  COLONIES  BELGES.  Ilî> 

occupèi'oul  la  rive  méridionale  do  rElhc,  pouplèrciil  le  Balsanierlaïul  el  Iv 
.Marscinorlaïul,  et  se  fixèrent  sur  tout  le  territoire  marécageux  qui  s'étend 
depuis  la  ville  de  Salzwedel  jusqu'au  saltus  Boiemims.  Quelques  auteurs,  et 
parmi  eux  Wersebe,ont  contesté  Texaclilude  de  celte  narration;  mais  nous 
verrons  plus  loin  qu'elle  est  d'une  précision  rigoureuse. 

Les  Flamands  s'établirent  principalement  dans  rAIlniark.  Ils  y  fondèrent 
la  ville  de  Siendal  el  peuplèrent  tout  le  territoire  environnant  '.  On  les  voit 
aussi  se  fixer  dans  la  ville  de  Brandebourg  2.  Les  Hollandais  occupèrent  le 
district  marécageux  de  la  Wische,  où  ils  fondèrent  la  ville  de  Seehausen. 
Deux  diplômes,  de  1160  et  1170,  constatent  ce  fait  ^  non  moins  que  des 
noms  de  famille  qui  apparaissent  plus  tard  :  un  Mans  IloUamler,  babitant 
Munlenacke",  abandonna,  en  1S05,  à  l'église  paroissiale  de  Werben ,  un 
l)oisseau  de  froment;  un  Arnold  Hollender  fui  nommé,  en  1S12,  senior  de 
l'église  Saint-Nicolas  à  Beuster;  un  Jean  d'Ulrecht  el  ses  fils  figurent,  en 
1307,  comme  témoins  dans  un  acte  concernant  les  vassaux  nobles  de  Pulliz, 
dans  la  Wische  ^. 

Comme  preuve  que  les  Flamands  se  fixèrent  dans  YAltmarl; ,]e  citerai 
d'abord  un  Henricus  Fleniingus,  miles,  cHé  dans  une  charte  datée  de  Bis- 
mark, en  1209  %  et  aussi  un  Frédéric  de  Kemerich ,  qui  parait  dans  deux 
diplômes  de  1225  ^ 

Ce  dernier  devait  habiter  le  village  de  Kemerich,  où,  d'après  une  souice 
de  1208,  le  cloître  d'Arendsee  possédait  unemanse  de  terrain.  Ce  village  était 

'  Eccard,  Corpiix  lii.st.  med  aevi,  II,  p.  697  :  «  Eo  tempore  Slendaliii  url)s  loiidila  esl  r( 
terra  vicina  a  Flamingis  est  inliabitata.  • 

Caspar  Abel,  Sam)idiiii;i  elliclier  noch  nichl  iji'.dnikten  allen  Cronicken,  p.  130:  «  ...  Do 
kemcii  de  Flemingk,  den  gaffhe  de  sliddc,  de  buweden  de  slad  Steiidel,  dar  liadde  oek  airede 
den  naineii,  unde  was  cyii  lioldcn  bleck  ,  unde  de  Flemingk  makedeii  daruLb  eyiie  slad,  iindc 
is  de  Ho\  ed  slad  in  der  Ilolden  mark...  » 

■"-  Kùsler,  Coll.  opiisc.  Iii.st.  Mardi,  illiistr.,  II,  44  :  «  Urbs  (Brandeburg)  el  vicina  irdiabilala 
ae  culta  esl  a  Teutonibus...  el  landcni  a  Flamingis  ,  quorum  posteri,  elc.  » 

5  Gcrcken,  Cod.  dipL,  V,  7±  —  Kiedel,  Cod.  dipl.  linuuL,  I  llobt.,  II  Bd.,  p.  441. 

*  Cf.  noire  Monleiuuken ,  dans  le  Limbourg. 

■•  Riedel,  /oc.  cit.,  VI  Bd.,  jip.  47,  386,  290. 

''  Ledebur,  \eu.  Atlg.  Arcli,,  III,  l'.)3. 

^  Gcreken,  Frucj.  Mardi.,  I,  09;  III,  74. 


120  HISTOIRE 

piobablement  silué  prés  de  rAland  \  mais  on  n'en  relrouve  plus  la  trace 
aujourd'hui.  Il  n'est  pas  douteux  qu'il  ne  tire  son  nom  de  Kaineryk  ou  Cam- 
brai, des  Pays-Bas,  el  qu'il  n'en  soit  redevable  à  une  colonie  belge,  de  même 
que  deux  autres  localités  le  témoignent  encore,  Kemerich,  dans  l'Anhall, 
et  Rcmberg,  prés  de  Willonberg.  J'ai  déjà  expliqué  la  fdiation  de  la  pre- 
mière (voy.  Div.  I,  chap.  V).  Quant  à  la  seconde,  Gaspard  Peucer  disait 
déjà  ,  dans  la  seconde  moitié  du  seizième  siècle,  qu'elle  empruntait  son  nom 
de  la  ville  de  Cambrai  el  qu'elle  avait  été  fondée  par  les  Flamands  appelés 
par  Albert  l'Ours.  Wersebe  -  nie  toute  similitude  de  nom  et  d'origine;  mais 
une  connaissance  plus  approfondie  des  cartulaires  lui  aurait  permis  de  véri- 
fier que,  jusqu'au  quinzième  siècle,  toutes  les  sources  appellent  la  ville  de 
Kemberg  :  Kemeric,  Kemrigh ,  Cbemerig,  el  que  le  prévôt  de  Kemberg  s'ap- 
pelait Cameracensis prepositus  ^,  tout  comme  celui  de  Cambrai  en  Belgique; 
d'autant  plus  que  quelques  chartes,  que  l'on  avait  faussement  appliquées 
jusqu'ici  au  territoire  de  Dessau,  concernent  évidemment  les  établissements 
néerlandais  formés  autour  de  Kemberg  ^ 

11  est  étrange  que  les  sources  aient  conservé  si  peu  de  traces  des  colons 
néerlandais;  celles  qui  se  rapportent  au  territoire  compris  entre  l'Elbe  et 
l'Oder  n'en  font  pas  la  moindre  mention,  el  il  en  est  de  même  de  celles  qui 
concernent  l'évêché  de  Havelberg.  Dans  les  diplômes  relatifs  au  Brandebourg, 
il  en  est  un  où  il  est  parlé  (1460)  du  Flemiage  bure  dienst  dans  le  cercle  de 
Lôvvenberg^;  un  autre  contient  le  nom  du  village  moderne  de  Flemsdorf, 
dans  rUkermark,  qui  était  appelé  Flemichstorp  en  1459^,  et,  un  siècle  aupa- 
ravant (1354),  Vlemischdorph  ".  On  trouve  pareillement,  en  1282,  un 
Waller  Flamingus  ^  mentionné  comme  civis  de  Brandebourg;  c'est  proba- 

'   l,cnz,  Bramhtih.  Urk.,  p.  19  :    «  Mansuni  uniim  in  villa  quac  dicitur  Ivamerick  et  duos 
inansos  et  dimidium  quadrantcm  super  riviim  qui  dicitur  Aland.  » 

-  Die  niederlandischen  Colonien,  etc.,  II,  754,  sqq. 

''  Cf.  entre  autres  Sclitittgcn  et  Kreysig,  Dipl.,   III,  401,  402,  411,  4IÔ,   il(i,  417,  419, 
4!à5,454,  460,  483. 

*  Ledebur,  Voitruge,  etc.,  p.  40. 

^  Gercken,  Fracj.  Mnrch.,  VI,  42. 

"  Gercken,  Drandenb.  Stiftshist.,  p.  29. 
■      '  Wolilbriick,  Lebiis ,  I,  361.  —  Riedcl.,  loc.  cit  ,  II,  351. 

**  Riedel,  Die  Mark  Drundenlnirg ,  1,42. 


DES  COLONIES  BELGES.  121 

bleiiieiil  le  même  (|ui  est  appelé,  en  1269  ,  Walterus  Flammiycr  '.  On  poul 
ranger  parmi  ces  descendants  des  Flamands  un  Baldeldnus  [^Q\An\m\%?)  de 
Bruffis  -,  ainsi  qu'un  Burchardus  de  Slenvorde^,  et  les  sources  font  aussi 
mention  d'émigrants  frisons  ^  On  découvre,  en  1401,  un  Koppe  (Jacob) 
van  der  Specke,  à  Wendermark,  et,  en  1433,  un  llenning  Hollander  à 
Ferchlibbe  ^. 

Enfin,  je  trouve  encore  comme  témoin  un  personnage  dont  le  nom  rap- 
pelle immédiatement  une  seigneurie  célèbre  du  Limbourg  : 

En  llo2,  Wernerus  de  Velthem^. 

En  1160,  Wernerus,  cornes  de  Vellem  '. 

Ces  deux  noms,  Velthem  et  Muntenacke,  cité  plus  haut,  rendent  plus 
que  probable  Thypothèse  d'une  émigration  d'habitants  du  Limbourg  dans 
l'Altmark. 

CHAPITRE  III. 

BAILLIAGE  DE  JUTERBOCK. 


Ce  bailliage  faisait  anciennement  partie  du  duché  de  Saxe  et  s'étendait 
entre  l'Elbe  et  le  marquisat  de  Brandebourg,  depuis  les  frontières  de  la  prin- 
cipauté d'Anhalt  jusqu'à  la  ville  de  Dahme.  C'est  de  tous  les  pays  où  s'éla- 

'  Riedel,  Nov.  cod.  dipL,  1  hplh.,  VIII,  1G9. 

^  Gevcken,B randenb.Stiftshist., pp. iSC^i'SS.Baiiisle Cod. dip[om.Brandenb.,dumén\cau.leuv, 
apparaît  à  maintes  l'eprises  un  «  Thilo  de  Bruges.  »  Une  charte  de  1534  (t.  V,  p.  9o)  de  Louis, 
marquis  de  Brandebourg,  l'appelle  :  «  Der  bescheiden  mann,  Tyle  i-an  Bnigge,  unscr  liever 
getruwer  Riehter  und  Munzmeister  zu  Berlyn.  »  Dans  cette  charte»  la  particule  qui  précède  le 
nom  des  autres  personnages  est  invariablement  von.  Un  autre  diplôme  dit  :  «  Thiloni  de  Brug- 
yheii ,  monelario  in  Berlin  et  suo  filio  Thiloni ,  nec  non  Thiloni  de  Kampen  ,  »  autre  non  néer- 
landais {ibid,  p.  527  ).  Thilo  de  Bruges  devint,  en  155C,  avoué  de  Spandau  [Und.,  p.  552). 

^  Gercken,  Cod.  dipl.  Brand.,  I,  p.  18,  an.  1197.  Steenvoorde  est  un  village  de  la  Flandre 
française.  Voy.  plus  haut,  p.  58. 

'*  Ledebur,  Vortrdge ,  p.  43. 

s  Gercken ,  loc.  cit.,  pp.  486 ,  488. 

*  Gercken,  Cod.  ib.,  I,  p.  9. 

'  Ibid.,  p.  H. 

Tome  XXXII.  17 


122  HISTOIRE 

blirent  les  Belges  celui  (|iii  renferme  les  vesliges  les  plus  intéressants  des 
colonies  fondées  par  Albert  l'Ours;  c'est  le  seul  où  Ton  trouve  des  Flamands 
qui  ont,  à  peu  de  chose  près,  conservé  intact  l'idiome  de  leurs  ancêtres. 

I.  Julerbock  ',  la  célèbre  ville  des  Wendes  et  leur  dernier  boulevard  dans 
la  Saxe,  devint  la  conquête  d'Albert  vers  le  milieu  du  douzième  siècle  (1 14-7), 
et  il  est  probable  que  dès  lors  elle  reçut  sa  part  des  colons  néerlandais  dis- 
séminés par  le  margrave  dans  la  plupart  de  ses  Étals.  On  ne  saurait  toutefois 
fixer  avec  une  certitude  complète  la  date  de  la  colonisation  du  cercle  de 
Jiiterbock.  Torquatus,  qui  vivait  au  seizième  siècle,  dit  que  l'archevêque  de 
Magdebourg,  Wichmann,  fit  venir  des  paysans-  qu'il  soumit  au  cens,  et 
(|ue  c'est  d'eux  que  le  Flaming,  qui  entoure  Julerbock,  a  pris  son  nom.  Il 
mentionne  ce  détail  à  l'année  H67;  mais  plusieurs  motifs,  sur  lesquels  je 
reviendrai  plus  loin ,  m'engagent  à  remonter  au  moins  de  quinze  ans  plus 
haut.  Je  me  contenterai,  pour  le  moment,  d'en  alléguer  deux. 

Une  ancienne  chronique  de  Julerbock  reporte  la  colonisation  de  cette  ville 
à  4163,  et  son  auteur  en  attribue  le  mérite  à  Albert  l'Ours  ";  mais  j'ai  déjà 
démontré  plus  haut*  que  la  colonisation  commença  vers  1146,  et  tous  les 
historiens  allemands  reconnaissent  qu'après  1160  tous  les  pays  soumis  à 
Albert  l'Ours  étaient  colonisés.  Je  ne  vois  pas  pourquoi  la  ville  de  Julerbock, 
qui  tondia  au  pouvoir  d'Albert  l'Ours  dès  1147,  aurait  attendu  vingt  ans 
à  recevoir  des  colons. 

'  Les  Slaves  admellaicm  un  dualisme  divin.  Ils  avaient  un  dieu  bon  et  un  dieu  mauvais.  Le 
premier  s'ajipelait  Jùtcrbocli  ;  le  second  Czerncboth.  Jiiterboclv  avait  un  temple  fameux  dans  la 
ville  qui  portait  son  nom  et  lui  était  dédiée.  Voy.  Gebhardi,  Geschkhle  der  Wendeii ,  im  SI 
Bande  der  Hall,  allgemeine  Welthistorie ,  p.  242. 

-   «  ...  Illic  collooando  ?'ws?«cos,  quos  censuarios  Eeclesiae  feeit.  » 

'  Cron.,  ap.  Eckliard,  in  Script,  rer.  .Julrcboc.  «  Accedit  quod  anno  llGô  Ursus  evocavit 
Hollandes,  Selandos,  Flandrosque  et  in  terris  Siavorum  vacuis  coUocavit  eoque  et  propter  pa- 
triam  urbam  (Jiiterbock)  ubi  tractus  aliquis  a  Flamingis  hodieque  retinet  nomen,  eujus  etiam 
Wicmannus  in  litteris  suis  meminit.  Hclmoldus  de  eo  agit,  etc...  » 

Entzelt,  Chronicon  der  Al.tc  Mark,  p.  113  :  «  Also  satzt  Alberlus  umb  Wittenberg,  Hol- 
lender  und  Fiandcrern,  daher  noch  der  Nabmen  Pleumeuserland  blieben  ist.  Item  viel  Ge- 
berdc  und  Xalimcn  der  Stetlein,  Chaiiieraciim ,  Cliemberg,  Xiewegeii,  Nymeken,  lirïige, 
BriJcke,  etc.  »  Le  nom  de  Pleumeuserland ,  dont  j'ai  parlé  plus  liaut,  pages  M  I  et  1 12,  n'est 
plus  connu  aujourdliui  dans  le  bailliage  de  Jijterbock. 

'*  Voy.  ebap.  II,  pp.  112  et  suiv. 


DES  COLONIES  BELGES.  123 

Enoulre,  une  charte  de  Wichmann,  du  29  avril  1174,  dont  malheu- 
reusement je  n'ai  pu  me  procurer  le  texte  original  en  entier,  me  fournil  une 
autre  preuve.*  Wichmann  accorde  aux  bourgeois  de  Jiiterbock  le  droit  de 
McKjdebom'o ,  ainsi  qu'il  en  avait  la  coutume  pour  toutes  les  autres  villes  qui 
ressortissaient  à  sa  juridiction ,  les  affranchit  du  serment  avec  vare  '  et  les 
exempte  de  tous  droits  de  douane.  Il  entre  ensuite  dans  quelques  détails  sui' 
la  situation  de  la  ville  à  celte  époque  et  la  dépeint  sous  le  jour  le  plus  favo- 
rable. Plus  loin,  l'archevêque  déclare  qu'il  prend  aussi  à  cœur  les  intérêts 
«  de  ceux  qui  ont  immigré  dans  le  pays  ou  y  viendront  immigrer  »  que  ses 
intérêts  personnels  ^  C'est  pourquoi  il  accorde  le  droit  de  pacage,  tant  aux 
habitants  actuels  de  la  ville  qu'à  ceux  qui  viendront  l'habiter,  sur  toutes 
les  prairies  qui  s'étendent  depuis  Jiiterbock  jusqu'à  la  montagne  voisine  de 
Zinna",  d'une  pari,  et  jusqu'au  «  ponl  des  Flamands,  »  de  l'autre*. 

Cette  charte  prouve  d'abord  (lue  les  Flamands  avaient  déjà  étendu  leurs 

'   Voy.  seconde  partie,  di.II,  Droits  spéciaux,  sect.  III,  §  I,  n°  II. 

'  Werscbe,  en  faisant  l'analyse  de  la  charte,  passe  discrètement  ce  passage  sous  silence, 
parce  qu'il  est  contraire  à  sa  théorie.  En  voici  une  traduction  allemande  ;  «  Und  weil  nùnmehr 
l'mtcr  Golfes  Gnade  di'irch  ùnscre  Bemiihungen  es  daliin  gekommen  ist ,  dass  in  dcr  Provinz 
Jiiterbuck,  wo  sonst  Heidcnthùra  geiibt  ward  ùnd  dcn  Christcn  osterc  Verfolgùng  wideri'ùlir, 
jetztdie  chrislliehe  Religion  blùht,  das  Christenthùm  kraflig  geschiitzt  ist  und  ùnserem  Gott 
an  dcn  mcisten  Ortcn  gebiihrende  Vcrelirung  geschicht,  so  wùnsclien  wir  aùs  wciterer  Licbc 
zùr  Christenhcit,  Schùtz  und  Wohlfahrt  derer,  welche  in  dicse  Provinz  eiiifim-andcrl  »\nd 
ùnd  noch  einwandern werden,  eben  so  sehr  zù  befôrdern,  als  ùnsern  eigencn  IN'iit/.cn.  »  Heffler, 
ChruHik  der  sladl  Jiiterbock,  p.  ()7.  Jiiterbock,  1851. 

3  Parmi  les  colons  néerlandais,  il  y  avait  très-probablement  des  moines  venus,  comme  ceux 
de  Walkenried,  de  Himmelspforte  et  de  Dobrilugk,  de  la  célèbre  maison  d'Altenkamp.  Tou- 
jours est-il  que  les  Cisterciens  fondèrent,  vers  M 70,  un  cloitreà  Zinna,  du  consentement  et  sous 
la  protection  de  l'archevêque  Wichmann  ,  qui,  on  s'en  souvient,  avait  été  le  promoteur  d'autres 
établissements  de  ce  genre.  Ce  détail  rend  plus  certaine  l'hypothèse  que  le  cloître  de  Zinna  fut 
fondé  par  des  Belges.  (Hcffter,  p.  GG). 

*  Wersebe,  II,  647,  G48  :  «  Unde,  cum  civitas  Juterbuck  exordium  et  caput  istius  proviu- 
ciae  existât,  merito  et  ex  pio  favore  nostro  quicquid  eis  qui  habitant  in  ea,  etad  inbabitandum 
in  ea  ad  nos  confugiunt,  honoris  et  utilitatis  conferre  poterimus,  libenter  confcremus.  Quam- 
obremneipsi,  quac  eis  nunc  concessimus,  aliquatenus  possint  in([uictari,  pascua,  quibus  frui 
debeant,  in  hoc  nostro  privilcgio  distinguimus,  et  volumus  ut  de  villa  {Vorslad)  Juterbuck 
trans  ulteriorem  raontem  versus  Zinne,  et  ultra  pontem  Flammingerorum,  pascua  eorum  pro- 
cédant, et  ultra  occidentalem  [Flammingerorum]  pontem  cum  urbanis  de  Juterbuck  pascua 
habe[a]nt  communia.  » 


124  HISTOIRE 

élablissenicnls  à  une  ceilaine  dislance  de  la  ville,  centre  de  leur  colonie,  ce 
(jui ,  on  le  conçoit ,  n'avait  pas  pu  se  faire  dès  le  moment  d'arrivée.  Au  sur- 
plus, la  situation  si  florissante  dont  se  réjouit  rarchevêque  n'avait  pu  naître 
au  bout  de  trois  ou  quatre  ans,  puisque  auparavant  la  ville  était  slave,  et 
qu'elle  avait  été  complètement  dévastée  pendant  la  guerre.  En  outre,  les 
commencements  d'une  colonie,  si  protégée  qu'on  la  suppose,  sont  longs 
et  difficiles  :  il  faut  du  temps  pour  acclimater  les  émigrants,  et  il  n'y  a 
que  la  sécurité  qui  puisse  engendrer  la  prospérité.  C'est  donc  bien  avant 
H  67  ou  1163  qu'il  faut  placer  la  date  d'arrivée  de  la  colonie  belge  à 
Jùterbock. 

Une  invasion  des  Lutizes  et  des  Poméraniens  ne  mit  pas  fin  à  l'œuvre  des 
Néerlandais,  s'il  faut  s'en  rapporter  à  lui  aulre  diplôme  de  Wicbmann  (1 185), 
dans  lequel  il  parle  des  «  manses  flamandes  '.  » 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  Néerlandais  avaient  déjà,  longtemps  avant  celte 
époque,  construit,  d'après  le  désir  de  Wicbmann,  une  grande  digue  qui 
partait  de  Jiiterbock  pour  aboutir  d'abord  à  Nutritz  et  Dennewilz,  et ,  plus 
loin,  à  Scbweinilz  et  Wittenberg.  Au  point  d'intersection  de  la  ville,  ils  bâ- 
tirent une  église,  un  presbytère,  un  fort  pour  l'avoué  et  ses  soldats,  et  des 
maisons.  Cet  aggloméré  forma  le  faubourg  de  Jiiterbock ,  faubourg  auquel 
ils  donnèrent  le  nom  de  Damme,  peut-être  en  souvenir  de  la  ville  de  Dannne, 
leur  patrie  '\ 

Les  historiens  ne  nous  ont  conservé  que  peu  ou  point  de  renseignements 
sur  la  position  qu'occupaient  les  Flamands  à  Jùterbock.  Un  détail,  cependant, 
qui  me  parait  d'un  immense  intérêt  au  point  de  vue  de  l'histoire  générale  de 
nos  colons,  a  été  heureusement  soustrait  à  l'oubli  :  les  Flamands  battaient 
monnaie  à  Jiiterbock.  En  1 1 82 ,  Wicbmann  leur  céda  un  bâtiment  destiné 
aux  affaires  de  leur  monnayage,  et  ils  frappèrent  des  pièces  d'argent  qui 
))orlèrent  cet  exergue  : 

'  «1  ...  Insupei-,  in  lerra  nosUa  que  Jiiterbock  dicitur  ccnlum  mansos  eontiguos  ad  mcn- 
suram  Flandrensium  mansorum  et  qui  ad  ferendum  frumcntum  sinl  fertiles  in  idem  concam- 
biuiu  addimus,  et  ad  hec  colenda  et  instauranda  in  neniorc  nostro  Zlrckowe  de  paseuis  et 
silvis  Ij  mansos  adjecimus.  » 

-  Heffter,  Chronik  der  siadt  Jtiterbock,  p.  58.  Peut-être  aussi  ce  faubourg  doit-il  tout  uni- 
ment son  nom  à  la  digue  [dam]  construite  par  les  Belges. 


DES  COLOiMES  BELGES.  12d 

MOiNET,\  NOVA  FlAMINGORVM  JvTREBOC  '. 

Pas  une  de  ces  pièces  ne  subsiste  encore  aujourd'hui. 

II.  Grand  Flàming. 

Ce  territoire ,  qui  comprend  plusieurs  lieues  d'étendue ,  touche  à  ki  ville 
même  de  Jiiterbock ,  s'étend  au  nord  de  Witlenberg ,  depuis  les  villages  de 
Gross-  et  Klein-Murzehns ,  jusqu'à  la  ville  de  Dahme,  et  forme  un  plateau 
qui  sépare  l'Elbe  du  Havel. 

Une  partie  de  ce  territoire  appartenait  jadis  au  bailliage  de  Wiltenberg; 
une  autre,  au  comté  de  Beizig;  une  troisième,  aux  seigneuries  de  Zahna  et 
Seyda^;  une  quatrième,  à  la  seigneurie  de  Dahme;  la  plus  grande  partie 
relevait  de  l'évéché  de  Jiiterbock. 

Wittcnberg  lui-même  fut  fondé  par  les  émigrants  belges,  (^elte  ville  appai- 
lenait  jadis  au  diocèse  de  Brandebourg,  comme  le  témoignent  des  actes 
concernant  l'Université,  lors  de  sa  fondation,  et  d'autres  documents,  et  elle 
remonte  au  temps  d'Albert  l'Ours.  Son  nom  même ,  dit  Rliigel ,  que  nous 
traduisons  dans  notre  langue  {in  noslra  flamingica)  par  montagne  blanche, 
permet  d'atlllrmer  de  la  manière  la  plus  positive  qu'une  colonie  flamande 
{foloniam  Flaniingorum)  a  été  amenée  dans  celte  contrée  "'. 

On  en  peut  dire  autant  de  la  ville  de  Luckenwalde.  Les  moines  de  Zinna 
y  bâtirent  une  chapelle  à  côté  du  temple  wende.  Il  règne  là  une  foule  d'an- 
ciens usages  que  la  tradition  a  conservés  religieusement.  Là  aussi  l'accent  du 
peuple  se  rapproche  considérablement  du  langage  des  babilanls  du  Flàming. 
«  Comme  les  Flamands,  dit  un  écrivain,  peuplèrent  tout  le  territoire  envi- 
ronnant ,  je  suis  d'avis  que  c'est  encore  à  eux  que  l'on  doit  les  commence- 
ments de  Luch-im-Walde.  Cette  ville  ne  fait  pas ,  à  proprement  parler,  partie 
du  Hohe-Flumhuj  ;  mais  elle  y  confine,  et  elle  a  eu  de  tout  temps  des  rela- 
tions de  commerce  et  d'intérêts  avec  la  capitale  du  Flàming ,  Jiiterbock  *.  » 

'  Jt/trchocensitim.  —  Voy.  Heffter,  loc.  cil.,  \>.  107. 

2  «  In  Saxonia  superiori,  sive  in  Electoratus  Saxonici  territorio,  op])kluiii  est  ad  ladices 
montis  Ftemming ,  vulgo  Seyden....  Witleberga  tribus  inilliarilius  distans.  »  (Mencken,  III, 
p.  I97f.O. 

'  Kliigel,  p.  lâ. 

*  Prettssische  Kreuzzeitung.  Beilage,  zu  n"  90,  17  april  1864. 


J26  HISTOIRE 

Tout  ce  (lislricl,  déserl  à  répocjue  où  les  Néerlandais  s'y  élablirent,  lui 
colonisé  par  les  Flamands.  On  le  divise  en  Hohe-Fliuning  et  Nieder-FlamiiKj. 
Ni  les  Germains  ni  les  Slaves  n'avaient  jamais  pu  habiter  le  premier,  parce 
qu'on  y  manquait  totalement  d'eau  :  les  Flamands,  puisotiers  expérimentés, 
creusèrent  des  sources  profondes  qu'ils  maçonnèrent,  et  qui  servirent  à  ali- 
menter de  petits  ruisseaux  qui  fertilisèrent  un  sol  naturellement  aride  '.  Quant 
au  second ,  dont  le  nom  indique  la  position ,  ils  le  desséchèrent  au  moyen  de 
canaux  de  dérivation ,  dont  on  aperçoit  encore  les  dernières  traces. 

Tous  les  bourgs  ou  villages  du  Fldminy  ne  furent  cependant  pas  originai- 
rement fondés  par  les  Belges  ;  mais  ils  étaient  délaissés.  C'est  ainsi  que  les 
villes  de  Zahna  et  de  Seyda  eurent  des  bourgeois  flamands  et  des  manses 
tlamandes;  il  en  fut  de  même  de  Rohrbeck,  près  de  Rutenitz  ;  de  Beiersdorf, 
près  de  Korbitz  ;  de  Wildau ,  de  Wentdorf  (autrefois  Wendendorp) ,  etc. 

Les  villages  de  Stoizenhain  (Sloltcnhagen),  de  Kaltenhausen  et  de  See- 
hausen ,  tous  trois  dans  le  N ieder-FWming ,  furent  fondés  par  les  Néerlandais. 

La  tradition  considère  comme  essentiellement  flamands  ceux  de  Heins- 
dorf  (autrefois  Hinriksdorp)  ;  Markendorf  (Marggravendorp)  ;  Woltersdorf 
(Wollersdorp);  Grafendorf  (Grevendorp). 

D'autres  localités  portent  des  noms  empruntés  à  des  villes  ou  villages  des 
Pays-Bas.  Telles  sont  les  villes  de  Kemberg  ou  Kemerkh ,  de  Briick,  près 
de  Willenberg;  de  iV/>w<p('A- ",  de  Ge»7/<//«,  de  Gente,  de  Graifenhaùic/ieii , 
d'Aken,  de  Liebemverda ,  iVEuper  ou  Eyper,  etc.,  que  l'on  retrouve  dans 
les  noms  néerlandais  de  Kameryk  (Cambrai),  Brugge  (Bruges),  Nimwegen 

'   IlcH'lcr,  lue.  cit.,  pp.  47,  41). 

-  Sueyro,  Annales  de  Flaïules ,  Anvers,  1624  :  «  Colonias  al  septentrion,  porque  haviendo 
Henriquc  Léon  duque  de  Saxonia,  expelido  à  los  Vandales,  gente  obslinata  y  fiera,  embio  à 
riandes  a  Adulfo  condc  de  Holsacia,  y  viniendo  de  alli  à  poco  Vrson  marques  de  Brandem- 
l)urgli,  llcvaron  desta  provincia  a  los  que  problaron.  Aquellas  tierras,  donde  en  los  contornos 
de  Witcmbergh,  se  ven  aun  los  nombres  de  Cambray,  Brugas  y  otras  villas,  que  testifican  su 
origcn,  Lolviendo  desta  manera  los  Flamëeos,  despues  de  algunas  bueltas  del  siglo,  à  la  Pa- 
tria,  de  qua  havian  salido  sus  mayores  en  tienipo  de  Liderico  el  primero.  »  I,  p.  180''. 

Bertius,  De  Germunia.  Amsterdam,  1652  :  «  Hic  [Ursus  Marebio]  accitis  è  Gerniania  infe- 
riorc  ae  pracsertim  ex  l^landria  ,  Hollandia  ,  Frisia  ,  Westphaliaque  ,  tolonis  ,  regionem  deser- 
lam  bellisque  Vandalicis  ad  soliludinem  pêne  rcdaelam  excoli  fecit;  estque  haec  caussa  cur 
cirea  Witenibcrgam  nomina  sint  Cameraci,  Neomagi,  Brugarum,  alibi  vero  aliarum  urbiuni 
origineni  suani  testantiuni.  » 


DES  COLONIES  BELGES.  127 

(Nimègue),  Gcnl  (Gaïul),  Gravenliago  (La  Haye),  Aakcn  (Aix-la-Cliapelle) , 
Loeuwarden  (Leuwarde) ,  Yporn  (Ypres),  etc. 

Tels  sont  aussi  les  villages  de  Miifjeln,  que  les  Flamands  prononceul  Me- 
cheln  ou  Mer/eln  ;  de  Wdsike  (sud-ouest  de  Beizig)  ;  de  Welsikendorf  {\wès 
JiUerbock);  de  Lichterfelde  (près  Zinna),  el  de  Tun  ou  l'autre  Werbiy  (?)  que 
la  tradition  du  Flaniing  fait  dériver  de  Mcchelen  '  (Malines),  Velsique  (sud- 
est  de  Gand),  Lichtervelde  (près  Thourout) ,  et  Werwicc]. 

Heffler  rallache /?o//>Vvec7.  à  /Joosp6ee/.-,  village  de  la  Flandre  occidentale; 
mais  ,  quoi  qu'il  en  soit  de  cette  fdiation  ,  qui  me  parait  assez  douteuse ,  This- 
loire  locale  conserve  à  Uohrheck  le  détail  suivant.  Lorsqu'après  la  réforma- 
tion de  Lulher,  on  construisit  un  nouveau  maitre-autel  dans  ranlique  église, 
on  trouva  sous  Tautel  primitif  une  tombe  dans  laquelle  reposait  le  corps  d'un 
homme  enveloppé  d'un  suaire  en  drap  vert.  Le  corps  tomba  en  poussière 
au  contact  de  l'air.  Un  couteau  de  chasse,  au  manche  de  nacre,  se  trou- 
vait à  côté  de  l'homme.  C'était  un  chasseur  flamand,  l'entrepreneur  de  la 
colonie  de  Rohrbeck  ''. 

La  tradition  de  Jiiterbock  et  des  environs  ne  doute  nullement  que  plu- 
sieurs familles  du  Flaming  ne  soient  issues  des  Pays-Bas,  comme  les  de 
Hake,  de  Haag  (La  Haye);  les  de  Lowen,  de  Loven  ou  Lcuven  (Louvain)  ; 

•   Il  y  a  aussi  un  Mechelen,  village  dans  le  Limbourg,  arrondissement  de  Tongres. 

2  Pag.  48.  Ce  village  eut  originairement  deux  écoutctes,  probablement,  dit  Heffter  (p.  lOI) 
parce  que  deux  tribus  Ilamandcs  différentes  s'y  étaient  établies. 

">  Heffler,  p.  50.  —  A  côté  de  l'histoire,  voici  la  légende. 

Ilinrik  (Henri,  —  c'était  le  nom  du  Nemrod  flamand,  el  il  le  laissa  au  village  de  Ilinriksdori) 
(Heinsdorf),  —  rencontra  dans  une  de  ses  chasses  le  seigneur  wende  de  Rulenil/. ,  qui  s'étail 
depuis  peu  de  temps  converti  à  la  foi  chrétienne.  Il  avait  une  fille  belle  comme  le  jour.  Hinrik 
s'en  éprit.  Comme  il  cherchait  toutes  les  occasions  de  découvrir  son  amonr  à  la  jeune  slave,  il 
eut  le  bonheur  de  la  sauver,  au  péril  de  ses  propres  jours,  des  atteintes  d'un  sanglier  qu'elle 
poursuivait  avec  son  père.  Comme  gage  de  reconnaissance,  elle  lui  donna,  en  rougissant,  un 
superbe  couteau  de  chasse,  à  la  lame  d'argent,  au  manche  de  nacre,  que  Hinrik  conserva 
comme  un  trésor  précieux.  Bientôt  après,  il  se  hasarda  à  demander  la  main  de  la  jeune  lille 
au  seigneur  de  Rutenitz.  L'ingrat  wende  refusa  avec  hauteur.  Mais  la  jeune  fille,  qui  conservait 
le  souvenir  du  danger  dont  Hinrik  l'avait  sauvée,  paya  son  amour  d'une  tendre  affection.  Un 
jour  qu'ils  causaient  furtivement  ensemble,  une  flèche,  que  le  seigneur  de  Rutenitz  avait  dé- 
cochée à  l'adresse  du  chasseur,  alla  frapper  la  jeune  Slave  au  cœur.  Elle  tomba  .=ans  pousser  un 
cri.  Hinrik ,  désespéré,  refusa  de  prendre  femme  parmi  les  filles  de  sa  nation,  et  mourut  céli- 
bataire. Seulement  il  exprima  en  mourant  le  vœu  d'être  enterré  avec  le  couteau  de  chasse  qu'il 
avait  conservé  comme  une  relique. 


128  HISTOIRE 

les  d'Anùiit ,  dArnliein ,  etc.  Un  Uenrl  d'Eijper  (  Vpres)  vendil,  en  1221, 
au  cloiti-e  de  Zinna,  le  village  de  Wolnisdorf '. 

Ce  qui  me  parait  offrir  une  origine  belge  plus  authentique,  ce  sont  les 
noms  de  famille  Flemminy,  BrahaiU,  iMecluia  ',  etc.,  qui  foisonnent  dans  le 
Fldming  et  à  Jiiterbock.  En  1395,  Ilans  Holland  était  conseiller  [ralhmann) 
à  Jiilerbock  ";  en  1431 ,  deux  prêtres  de  cette  ville  s'appelaient  Jacob  Ptil- 
man  [Poelman),  aujourd'hui  Pfultlniann ,  et  Johann  IloUand'',  et,  il  y  a 
quelques  années,  figurait  encore  parmi  les  praticiens  de  Jiiterbock,  le  doc- 
teur Flenuninfj. 

Les  colons  belges  étaient  personnellement  libres.  Ils  avaient  tout  au  plus, 
en  échange  des  privilèges  qu'on  leur  octrojait,  à  prester  quelques  services 
relativement  au  desséchenjent  des  marais  et  à  la  construction  des  villages. 
Dans  la  suite,  les  baillis  et  les  seigneurs  terriens  parvinrent  à  assujettir  insen- 
siblement leurs  descendants  à  des  corvées.  Ainsi ,  ce  qu'on  avait  demandé  à 
leurs  ancêtres  dans  le  principe,  en  leur  faisant  des  promesses  et  en  les  allé- 
chant par  des  faveurs,  on  l'imposa  plus  tard  comme  une  obligation  à  leur 
postérité,  en  invoquant  contre  celle-ci  le  long  usage  passé  à  l'état  de  prescrip- 
tion. Enfin,  on  eut  recours  à  des  ordonnances  émanées  des  commissaires  du 
gouvernement. 

Cet  état  de  choses  prit  naissance  à  l'issue  de  la  guerre  des  Paysans ,  qui 
prit  fin  vers  1535,  et  soumit  comme  tout  naturellement  la  classe  entière  des 
paysans  au  régime  des  corvées. 

Ainsi  l'on  réglementa,  en  1S66,  les  corvées  manuelles,  à  prester  par  les 
habitants  des  faubourgs  de  Jiiterbock,  sur  les  terres  dépendantes  des  châ- 
teaux, et  l'on  exigea  de  chaque  possesseur  de  manse  deux  charriages  par  an, 
chacun  de  quatre  jours  complets;  mais  le  trajet  ne  pouvait  pas  excéder  cinq 
milles  par  jour. 

En  1579,  on  assujettit  les  habitants  des  campagnes  aux  corvées  suivantes  : 

'   Heffter,47. 

-  Un  Clirisliun  von  Meclielen  vi^ait  en  1781.  (Voy.  Winckclmann ,  fftsl.  de  l  art  chez  les 
anciens,  II,  147.  Paris,  1793. 
■'  IlelTlcr,  p.  175. 
'•  Iliid.,  p.  160. 


DES  COLONIES  BELGES.  129 

service  de  la  garde  de  nuit,  transporl  de  l'eau  et  du  bois,  coupe  du  bois, 
pêches  dans  les  étangs  des  châteaux.  Ils  devaient,  en  outre,  accompagner  le 
seigneur  à  la  chasse  des  lièvres,  cueillir  le  houblon,  sarcler  le  lin,  charrier 
le  bois  de  construction ,  conduire  les  chevaux  de  récoutéte,  et  conduire  le 
cheval  de  l'écoutèle  à  la  destination  des  emj)loyés  du  bailliage,  parmi  les- 
quels le  bailli  était  tout  naturellement  compris.  Enfin,  on  exigea  aussi  des 
cinq  villages  les  plus  rapprochés  le  dévasement  des  étangs  des  châteaux,  le 
transport  des  céréales  à  une  distance  de  huit  milles,  le  service  forcé  des  en- 
fants moyennant  un  salaire  insignifiant,  et  une  foule  de  petits  déplacements, 
tels  que  charriages  de  farine,  de  semences,  de  carottes,  de  bière,  etc. 

On  le  voit,  les  paysans  furent  châtiés  durement  de  la  guerre  qu'ils  avaient 
livrée  aux  classes  supérieures.  Celles-ci  firent  prévaloir  le  principe  que,  dans 
les  desseins  de  la  Providence ,  il  y  a  trois  castes  dans  la  société  :  celle  qui  se 
charge  de  la  défense  [WehrstamI) ,  celle  qui  s'occupe  de  la  doctrine  [Le/ir- 
stand)  et  celle  qui  est  obligée  de  nourrir  les  deux  autres  [Ncihrsland)  ;  c'est- 
à-dire  la  noblesse,  le  clergé  et  les  paysans.  Ces  derniers  devaient  donc  fournir 
la  nourriture  des  deux  premiers ,  en  échange  de  la  défense  qui  leur  est  ac- 
cordée et  de  la  doctrine  qui  leur  est  enseignée. 

Cependant ,  cet  étal  de  choses  reçut  (pielques  tempéraments  à  la  fin  du 
dix -septième  siècle.  En  4  690,  on  substitua  aux  corvées  personnelles  des 
prestations  en  nature,  et  celles-ci, à  leur  tour,  finirent  par  être  remplacées, 
dans  ces  derniers  temps,  par  des  charges  pécuniaires  ou  des  redevances  à 
payer  au  domaine  ^ 

III.  Après  avoir  parlé  des  Flamands  d'autrefois,  il  me  reste  à  dire  quel- 
ques mots  de  ceux  d'aujourd'hui  -. 

L'habitant  du  Flilmvuj  mène  une  vie  à  part,  indépendante,  qui  le  dis- 
lingue des  Allemands  qui  l'entourent.  Ferme  en  ses  propos,  il  est  sérieux  et 

'  ncfïicr,  pp.  loô,  \m. 

-  Personne  n'était  plus  à  même  que  le  D'  Heffter  de  traiter  cet  intéressant  sujet.  Con- 
seiller de  justice  à  Jiiterbocli,  pendant  quarante  ans,  il  eut  le  loisir  d'étudier  le  passé  de  Jiiter- 
bock  et  des  environs.  Sa  Chronique  accuse  sans  doute  une  vaste  érudition  ;  mais  conçoit-on  qu'il 
n'ait  consacré  que  cinq  pages  (4(5-50)  aux  Flamands?  En  quinze  lignes,  il  dit  tout  ce  qu'il  sait 
des  habitants  actuels  du  Flàming.  Mes  propres  renseignements  complètent  ce  qu'il  v  a  d'insuf- 
fisant dans  son  livre. 

ToMF  XXXII.  18 


130  HISTOIRE 

|)acifK|ue.  Il  joinl  à  une  grande  vigueur  corporelle  une  activité  d'esprit  (pii 
ne  s  arrête  jamais.  Religieux  par  instinct,  il  a  les  mœurs  austères  :  le  foyer 
de  la  famille  lui  tient  lieu  de  toute  autre  distraction.  11  est  sobre  dans  la 
satisfaction  de  ses  besoins,  tels  que  la  nourriture  et  la  boisson.  Il  est  très- 
attaché  à  son  passé  et  répugne  à  toute  idée  d'innovation.  On  l'accuse  de  par- 
cimonie, voire  même  d'avarice;  je  ne  sais  jusqu'à  quel  point  ce  reproche  est 
fondé;  mais  l'accueil  que  j'ai  reçu  chez  les  Flamands  m'a  donné  la  plus  haute 
idée  de  leur  hospitalité;  peut-être  ma  qualité  de  Flamand  contribuait-elle 
quelque  peu  à  cet  excès  de  générosité. 

L'altération  la  plus  sensible  qu'aient  éprouvée  leurs  vieux  usages  concerne 
le  costume  :  celui  des  hommes  n"a  plus  rien  qui  les  différencie  du  reste  des 
Allemands  qui  vivent  autour  du  Fldiiiiiuj.  En  1G93,  mourut  le  juge  Dinn- 
chen,  à  Neumarkt,el  il  fut  le  dernier  qui  portât  un  chapeau  pointu  à  bords 
retroussés,  coiffure  qui  existait  dans  le  Flaming  depuis  près  de  six  cents  ans^ 
Ce  chapeau  avait  toute  l'apparence  de  ceux  de  nos  anciens  paysans  flamands 
et  hollandais. 

Voilà  bien  une  preuve  que  la  mode  ne  change  pas  toujours  par  le  fait  des 
femmes,  ainsi  qu'on  le  croit  communément.  Les  Flamandes  du  cercle  de 
Jiilerbock,  à  la  différence  de  leurs  maris,  ont  conservé  leur  costume  tradi- 
tionnel. Ce  n'est  pas  pourtant  qu'il  soit  fort  élégant  :  une  jacquette  de  coton- 
laine,  un  jupon  court  de  couleur,  bariolé  et  généralement  rayé,  des  sabots 
ou  souliers  ferrés,  des  bas  de  laine  en  hiver,  voilà  tout  leur  accoutrement. 
Aucune  ne  va  nu-têle;  toutes,  enfants,  fdles,  vieilles  femmes,  portent  je  ne 
sais  quel  bonnet  étrange,  dont  les  longs  revers  plissés  se  dressent  en  arrière 
comme  des  ailes  d'ange  ou  de  Mercure. 

C'est  ainsi  que  je  les  ai  vues,  la  botte  sur  le  dos  et  le  bâton  à  la  main, 
se  rendre  au  marché  de  Juterbock,le  mercredi  seulement,  quoique  Jiiler- 
bock soit  leur  principal  débouché.  On  me  raconta  dans  la  ville,  et  j'en  ai  été 
témoin,  (|ue  les  Flamands  ne  parlent  que  lorsque  leurs  afiaires  l'exigent , 
(|ue,  pour  le  reste,  il  est  impossible  de  lier  avec  eux  conversation.  Les  habi- 
tants de  Jiiterbock  ont,  du  reste,  grand'peine  à  les  comprendre,  tandis  que 
je  causais  sans  difficulté  avec  eux. 

'  Hefficr,  p.  50. 


DES  COLOINIES  BELGES.  131 

Leur  langue  est  un  flamand  corrompu  ;  au  nord  du  Flnminy  se  parle  le 
bas-saxon,  et,  au  sud,  un  mélange  de  nieder-  et  de  hoclidcalsch  '. 

Les  habitants  du  Fldming,  ou ,  comme  on  les  appelle  partout  aux  alen- 
tours, les  Flamands,  die  Flamhujer,  forment,  si  je  puis  m'exprimer  ainsi, 
une  société  à  part.  Rien  de  plus  tenace,  de  plus  invétéré  chez  eux  que  l'esprit 
de  caste;  rien  de  plus  aristocratique  qu'un  Flamand  d'entre  Jiiterbock  et 
Wittenberg. 

Les  Flamands  se  divisent  eux-mêmes  en  trois  classes,  désignées  par  trois 
dénominations  dont  l'origine  remonte  sans  doute  à  la  fondation  des  colonies. 
La  première  comprend  les  Oeconomen  -  ou  paysans  riches,  dont  l'exploitai  ion 
est  presque  assez  considérable  pour  former  ce  qu'on  appelle  en  Allemagne 
un  petit  Ritlerfjut.  La  plupart  habitent  Hohrbeck  et  les  environs;  ils  ne  cul- 
tivent en  général  que  du  lin,  et  leur  fortune  est  telle  (juc  bon  nombre  d'entre 
eux  donnent  jusqu'à  IS  mille  thalers  de  dot  ^  à  leurs  filles  qui  se  marient. 

La  seconde  catégorie  se  compose  de  Baueni,  ou  paysans  proprement  dits. 
Ils  sont  plus  nombreux  que  \Qi  Oeconomen,  ont,  comme  ceux-ci,  quelque 
bien  à  eux,  et  prennent  le  reste  à  bail.  Ils  cultivent  les  céréales,  pommes  de 
terre,  etc.  Ils  sont  généralement  loin  d'être  aussi  riches  que  les  Oeconomen. 

Viennent  enfin  les  Kossalen  ''  ou  petits  métayers.  Ils  doivent  tout  prendre 

'  Hcffter:  «  In  seinemWesen  liait  der Flaïuiiiger  lest:  niliigcn  Einst,  kriiftigen  Fleiss,  kircli- 
litlicn  und  rechtlichen  Sinn,  Hausliclikcit  und  gute  Zuclit,  grosse  Sparsamkeit,  Massigkeit  in 
allen  Vcrgniigungen,  namentlich  in  Trinken,  Voiliebe  fiir  ailes  Hcrkommen,  mil  Widerwillcii 
gegen  Neuerungen.  Seine  Volkssprache  isl  das  iViederlandische  Deiitsch ,  wogegen  nôrdiieh 
von  ihm  niedersachshche  Mundart  Iierscht  uiid  siidwarts  eiiie  niiscliung  ans  Imch-  und  niedcr- 
deiilsrli.  » 

-  Littéralement  :  agronomes.  Je  crois  que  cette  expression  correspond  à  ce  (|ue  nous  appelons 
vulgairement  en  Flandre  :  een  boeren-heer. 

^  En  monnaie  belge  S6,2oO  francs. 

*  Ce  mot  est  très-ancien.  Il  dérive  de  C((.'>o  ou  casuta,  petite  habitation  qui  était  affectée  au,\ 
colons  non  libres,  et  à  laquelle  il  n'était  ordinaircinenl  joint  qu'une  étendue  de  terrain  fort 
restreinte.  Quand  la  terre  et  la  maison  qu'on  leur  donnait  avaient  l'importance  dune  ferme, 
on  les  appelait  »ia«s(o?iwaru,  mansuarii,  mansarii ;  plus  tard  hûhner,  nianser ,  etc.  Le  moi 
rasai i  continua  cependant  à  prédominer.  Les  casdli ,  et  par  corruption  cossati,  étaient  |)rivés 
d'une  (jualité  indispensable  pour  être  rcchtschajfener  Baiier.  (  Voy.  G.-L.  v.  Maurer,  Gcsiliicliti; 
der  Fronliijfe,  der  Buuernhôfe  iind  der  Hofverfassung  in  Deutscldatid.  Erlangen,  18(iî>,  1, 
p.  28.)  En  Belgique,  nous  avions  également  les  kossaeten.  Il  est  curieux  de  l'etrouver  dans  le 
Fliiming  ce  dernier  vestige  des  moîurs  agricoles  du  inoven  âge. 


132  HISTOIRE 

à  fei-nie  el  ironi ,  en  règle ,  aucun  bien  propre.  C'esl  parmi  eux  que  se  recru- 
lenl  les  ouvriers  agriculteurs  et  autres  artisans. 

Entre  les  deux  premières  classes,  il  se  fait  de  temps  en  temps  des  alliances. 
Ainsi,  une  (ille  de  Bauer,  riche  el  jolie,  peut  aspirer  à  devenir  la  femme 
d'un  (ils  iVOeconom,  et  réciproquement.  Mais  le  Bauer,  tout  aussi  bien  que 
VOeconom,  refusera  inexorablement  à  son  fds  Tautorisalion  nécessaire  pour 
épouser  une  fille  de  Kossate.  Si  le  fds  persiste  dans  sa  résolution ,  tant  que 
vivent  les  parents,  il  ne  lui  reste  d'autre  ressource  (|ue  de  s'expatrier  du  Flà- 
)iiihg  et  d'aller  vivre  en  concubinage  ailleurs.  Si ,  après  la  mort  des  parents, 
il  retourne  au  village  natal  avec  la  femme  (le  rang  inférieur  (|u"il  a  épousée, 
il  est  déchu  de  sa  condition  première  et  ne  compte  plus  que  parmi  les  Kos- 
salen.  Le  cas  ne  s'est  présenté  qu'une  fois  dans  ce  siècle  (en  IS-iT). 

Quant  à  l'hypothèse  contraire, —  qu'un  fils  de  KossaU'  épouse  une  fille  de 
Bauer  ou  à'Oeconom, —  la  pensée  n'en  est  encore  jamais  venue  à  l'esprit  du 
Kossate  le  plus  huppé. 

J'ai  dit  que  les  habitants  de  Jiitorbock,  de  Wittenberg,  etc.,  traitent  les 
Flamands  de  gens  parcimonieux  et  avares.  Peut-être  ce  reproche  s'explique- 
l-il  jusqu'à  un  certain  point  par  l'usage  suivant.  Quand  des  contestations  — 
et  elles  sont  rares —  s'élèvent  entre  des  co-villageois,  ils  ne  défèrent  pas  im- 
médiatement l'affaire  au  tribunal  voisin;  cela  coûterait  trop  cher,  et  les  bons 
Flamands  évitent  les  frais  autant  que  possible.  Ils  s'adressent  à  trois  arbitres, 
(|uelquefois  à  cinq,  pris  parmi  les  plus  respectables  de  la  commune  à  laquelle 
ils  appartiennent,  et  la  bonne  foi  qui  règne  chez  eux  leur  fait,  en  général, 
accepter  d'avance  la  décision,  quelle  qu'elle  puisse  être.  Cette  décision  est 
gratuite,  tandis  qu'une  procédure  ordinaire  entraînerait  là,  comme  partout, 
des  frais  considérables. 

J'aurai  achevé  de  dépeindre  les  Flamands  en  disant  que,  quoiqu'ils  soient 
luthériens  depuis  la  réformation  —  circonstance  que  la  proximité  de  Witten- 
berg explique  facilement  —  ils  ont  conservé,  plus  (jue  partout  ailleurs,  plu- 
sieurs coutumes  catholiques,  telles  que  le  culte  de  la  sainte  Vierge  et  des 
saints,  etc.,  coutumes  qui  sont  défigurées  sans  doute  par  l'ignorance  elle 
temps,  mais  dont  il  n'est  pas  difficile  de  reconnaître  la  trace  en  vivant  au 
milieu  d'eux. 


DES  COLONIES  BELGES.  133 

Voilà,  considéré  dans  son  ensemble,  Taspecl  qu'offre  aujourdliui  la  popu- 
lalion  du  Flihnimj.  Si,  au  bout  de  sept  siècles,  elle  est  demeurée  si  pure  de 
tout  alliage  étranger,  on  peut,  ce  me  semble,  affirmer  que  la  civilisation  ne 
parviendra  pas  de  si  tôt  à  la  façonner  sur  le  patron  uniforme  du  reste  des 
Européens. 

CHAPITRE  IV. 

lîAlLLIAGE  UE  BllïERFELD  '. 


I.  Bilterfeld  et  le  territoire  qui  l'environne  appartinrent  d'abord  aux  comtes 
de  Brehna,  puis  au  comte  d'Anbalt,  de  la  maison  d'Ascanie.  Ils  firent  partie 
de  la  haute  Saxe  jusqu'en  1813 ,  époque  à  laquelle  ils  furent  incorporés  à  la 

Prusse. 

Au  milieu  du  douzième  siècle ,  la  plus  grande  partie  de  la  contrée  était 
encore  au  pouvoir  des  Wendes.  Il  y  avait,  tout  près  de  la  ville  actuelle,  un 
château  [Y AUe-Schloss),  dont  les  fossés  demeurent  visibles  et  dans  lequel  un 
prince  wende  s'était  retranché.  Le  village,  nommé  aujourd'hui /!//</(»•/,  était 
également  habité  par  les  Slaves. 

C'est  à  celte  épocfue  qu'immigrèrent  dans  ces  parages  un  certain  nombre 
de  colons  flamands  qui  s'étaient  établis  dans  les  états  d'Albert  l'Ours,  et, 
entre  autres,  dans  le  Grand-FUiming ,  entre  Juterbock  et  Wittenberg,  ainsi 
qu'auprès  de  Kcmherg  et  de  Grafenhaincheii.  Ils  bâtirent  l'ancienne  ville  de 
Bitterfeld,  à  côté  de  la  Mulde,  où  aujourd'hui  encore  un  carré  de  terre  porte 
le  nom  iVAltesladl.  La  tradition  de  Bitterfeld  place  ces  événements  à  l'année 
1153.  Les  chroniques  locales  sont  unanimes  à  relater  que  des  inondations 
violentes  avaient  chassé  les  Beiges  de  leur  patrie.  Elles  ajoutent  que  leur 
nombre  s'élevait  à  plusieurs  milliers  d'individus.  Ici, comme  partout  ailleurs, 
le  souvenir  des  colonies  saxonnes  transplantées  dans  les  Pays-Bas  vit  dans 
toute  sa  vigueur.    «  Outre  l'invitation  qu'ils  avaient  reçue  d'Albert  l'Ours 


'  Voir  mes  Documents,  n"  XVII  et  XVIII. 


134  HISTOIRE 

d'Ascanic,  dit  une  chronique,  c'est  à  bon  droit  qu'ils  vinrent  s'établir  dans 
nos  parages,  puisque  leurs  ancêtres  avaient  émigré  dans  les  Pays-Bas,  après 
l'an  800 ,  lorsque  Charlemagne  eut  soumis  la  Germanie ,  et  qu'ils  se  refusè- 
rent à  embrasser  le  chrislianismc.  » 

II.  Voici  ce  que  rapporte  la  Iradilion  sur  l'arrivée  des  Belges  dans  le 
cercle  de  Bilterleld. 

Lorsque  les  Flamands,  que  le  marquis  Albert  avait  appelés  dans  ses  États, 
virent  accroître  leur  nombre,  et  qu'ils  eui-ent  déjà  donné  leurs  soins  à  l'agri- 
culture, ils  s'aperçurent  avec  un  certain  découragement  que  le  terrain  sablon- 
neux qu'ils  avaient  défriché  ne  donnait  pas  un  rendement  digne  de  leurs 
sueurs,  et  ils  demandèrent  à  pouvoir  cultiver  des  campagnes  plus  fertiles  et 
(|ui  pussent  récompenser  plus  amplement  leurs  efforts.  Le  margrave  leur 
permit  de  se  porter  ailleurs,  s'ils  le  désiraient.  Alors  ils  dépêchèrent  un  cer- 
tain nombre  d'entre  eux  en  différentes  directions.  Ces  éclaireurs  découvri- 
rent un  terrain  avantageux  et  y  restèrent.  Ils  se  bâtirent  des  habitations,  e( 
l'aggloméré  qui  se  forma  peu  à  peu  reçut  le  nom  de  Belerveld  [Besser  Feld), 
nom  emprunté  à  la  nature  du  terrain  où  les  colons  s'étaient  arrêtés. 

Cependant,  Albert  l'Ours  et  les  grands  vassaux  continuaient  leurs  guerres 
contre  les  Wendes.  Ils  s'efforçaient  de  plus  en  plus  de  les  amener  à  em- 
brasser la  religion  chrétienne,  ou  à  parlii-  pour  l'exil,  ou  à  se  voir  tailler  en 
pièces.  L'œuvre  des  princes  réussit  si  bien,  qu'au  bout  d'un  certain  temps  les 
Wendes  ne  conservèrent  plus  qu'un  petit  nombi-e  de  postes  isolés  les  uns  des 
autres.  C'est  ainsi  qu'à  Niemegk  (  village  à  trois  quarts  de  lieue  de  Bitlerleld), 
habitaient  déjà  des  chrétiens,  lorsque  les  Wendes  étaient  encore  disséminés 
aux  environs.  Un  prince  de  celte  nation  s'était,  ainsi  que  je  l'ai  déjà  dit, 
retranché  dans  VAUeSchloss,  dont  les  fossés  sont  encore  visibles  aujourd'hui. 
.Malgré  les  nombreuses  attaques  qu'il  avait  à  subir,  malgré  la  perte  de  ses 
idoles  et  la  destruction  de  ses  remparts,  il  continuai!  à  se  défendre  avec  la 
rage  du  désespoir  et  ne  voulait  entendre  parler  d'aucune  capitulation.  Ce  fu- 
rent les  Flamands  qui,  après  plusieurs  combats  sanglants,  emportèrent  le 
fort  d'assaut,  dispersèrent  une  partie  de  la  garnison  el  passèrent  le  reste  au 
fil  de  l'épée. 

LWUe  Scidoss  fut  donné  (  probablement  par  Alberl   l'Ours  )  à  un  cheva- 


DES  COLONIES  BELGES.  155 

lier  saxon  qui  s'était  bravement  ballu  contre  les  Wentles,  et  qui  prit  le  toni- 
niandemenl  de  la  nouvelle  garnison  tout  entière  composée  de  Flamands.  En 
récompense  de  ses  services,  il  recul  un  bloc  de  terre  d'une  contenance  de 
vingt-cinq  charrues  [Hùfen),  et  de  là  provient  le  nom  des  Rillershiifeit  ac- 
tuelles. Quant  aux  «  soldats  chrétiens  »  ,  dit  la  chroni(iue,  «  c'esl-à-dire  les 
Flamands  »  ,  on  leur  donna,  comme  prix  de  leur  valeur,  trente  charrues, 
composées  de  champs,  prairies  et  bois. 

111.  Les  vicissitudes  que  subit  la  ville  de  Bitterfeld,  et  la  destruction  des 
archives  qui  en  furent  la  conséquence,  ne  permettent  pas  de  rechercher 
(juclle  fut  l'importance  du  rôle  joué  par  les  Flamands.  Les  chroniques  nous 
apprennent  que  leur  nom  paraît  dans  des  sources  de  1181,  et  qu'il  figure  sur 
plusieurs  monuments  de  l'époque.  Elles  ajoutent  qu'ils  eurent  le  droit  de 
i)attre  monnaie,  en  llo9,  ce  qui  ne  parait  pas  extraordinaire  puisqu'ils 
avaient  la  même  prérogative  à  Jiiterbock. 

La  ville  brûla  une  première  fois  en  4473;  les  habitants  la  reconstruisirent 
à  un  demi-mille  plus  loin  et  l'appelèrent  B(tlcrf<dd  (champ  amer),  par  allu- 
sion au  désastre  qu'ils  avaient  éprouvé.  Un  autre  incendie  détruisit  la  ville 
pendant  la  guerre  de  trente  ans  et  de  nouveau  les  archives  devinrent  la  proie 
des  tlammes,  de  sorte  qu'il  sera  toujours  fort  diflicile  d'écrire  une  histoire 
complète  de  Bitterfeld. 

Les  villages  voisins  furent  également  occupés  par  les  Flamands,  tels  «pio 
Puch  '  et  Muldcnstein.  Le  premier  est  remarquable  par  son  vieux  château 
dont  la  terrasse  rappelle  celles  de  Meudon  et  de  Saint-Cloud  :  les  Flemmiiuf  y 
sont  en  grand  nombre  de  temps  immémorial.  Le  second  conserve  les  restes 
du  château  qui  ai)partenait  autrefois  à  la  famille  de  Bora,  et  la  petite  cha- 
pelle—  servant  aujourd'hui  de  temple,—  où  Luther  vit  pour  la  première  l'ois 
Catherine.  Le  custos,  (|ui  me  rappelait  ces  souvenirs,  et  me  montrait  le  fau- 
teuil où  la  future  fetiime  de  Luther  venait  s'asseoir  pour  entendre  la  messe, 
ainsi  (juc  le  vieux  tilleul  sous  le(|uel  prêcha  le  réformateur,  s'appelait,  coïnci- 

I  J  ai  reçu  à  Puch  la  plus  charmante  hospitalité  chez  Son  Excellence  monsieur  de  VVietcrs- 
heiin,  ancien  ambassadeur  tic  Saxe  à  Madrid  et  ministre  d'Élat.  Le  savant  vieillard,  bien  connu 
en  Allemagne  par  une  remarquable  Hisloin;  des  mi(jr((tioiis  des  peuples,  en  quatre  volumes, 
m'a  donné  des  renseignements  fort  intéressants  et  que  j'ai  largement  mis  à  profit. 


136  HISTOIRE 

» 

dence  bizarre,  Heiiii'ich  P'Iemming.  A  Billerfeld  même,  ce  nom  de  famille 
s'est  éteint  il  y  a  quatorze  ans  (1850). 

Le  nom  du  village  de  Niemegk ,  par  analogie  avec  celui  de  la  ville  de  Nie- 
megk,  pourrait  faire  croire  qu'il  doit,  à  l'instar  de  cette  dernière,  son  origine 
aux  Néerlandais.  Toutefois  l'analogie  n'est  qu'apparente.  Le  village  de  Nie- 
megk est  d'origine  wende.  Dans  le  Clironicon  Montis  Sereni,  il  est  appelé 
Numec  ou  Numic,  et  existait  bien  avant  l'arrivée  des  Flamands.  Car,  en  l'an 
1089 ,  le  comte  Tbimo  de  Wettin  y  fonda  un  cloître,  et,  en  1136,  l'arcbe- 
vêque  (lonrad  de  Magdebourg,  à  la  prière  de  Conrad  le  Grand,  margrave  de 
Misnie,  l'éleva  au  rang  d'abbaye.  Tout  cela  précédait  la  colonisation  néer- 
landaise. Cependant  le  village  prit  insensiblement  le  nom  de  la  ville  de 
Niemegk,  par  l'arrivée  des  Flamands  qui  l'appelèrent  ainsi  '. 

IV.  Un  dernier  reste,  un  seul  débris  demeure  debout  de  la  colonie  fla- 
mande fondée  à  Bilterfeld.  C'est  la  Société  des  propriétaires  fonciers,  dite 
Flàmiys-Societal.  Les  membres  de  cette  société,  appelés  Flàmische  Herreii , 
possèdent  en  commun,  à  l'étal  d'indivision,  les  trente  cbarrues  qui  furent 
jadis  données  aux  Flamands ,  en  récompense  de  leur  valeur.  A  quelle  époque 
cette  société  a-t-elle  pris,  comme  telle,  naissance?  Aucun  document  ne  le  dit 
expressément.  On  peut  donc  conjecturer  (pie  le  besoin  l'aura  fait  naître.  .l'y 
reviendrai  tout  à  l'beure. 

La  Société  a  un  président,  un  assesseur,  un  greffier  et  un  forestier,  tous 
élus  librement  par  le  cboix  des  membres.  Ceux-ci  se  réunissent  tous  les  ans, 
le  second  dimancbe  de  la  Pentecôte,  en  assemblée  générale,  à  l'effet  de 
procéder  au  renouvellement  du  conseil.  Au  président  élu  incombe  l'obliga- 
tion, d'après  la  coutume  traditionnelle,  de  donner  un  banquet  monstre, 
appelé  le  Flàmische  Schmaus.  Tous  les  membres,  leurs  femmes  et  leurs  en- 
fants y  prennent  part.  Au  dessert,  circule  une  immense  coupe  de  cristal,  (jiii 
contient  un  peu  plus  de  trois  bouteilles  de  vin.  Autrefois,  quand  un  nouveau 
membre  était  admis  dans  la  Société,  il  devait,  sous  peine  de  déshonneur,  vider 
la  coupe  d'un  trait;  puis  on  la  remplissait,  et  les  autres  sociétaires  buvaient 
à  tour  de  rôle  à  la  bienvenue  du  récipiendaire.  Cet  usage  fut  aboli,  il  y  a 

*   Renseignements  de  JI.  Koriicr,  pasteur  à  Mcniegk. 


DES  COLONIES  BELGES.  137 

f|uel(|ue  vingl-cinq  ans ,  les  eslomacs  des  Flamands  actuels  n'élanl  pas  aussi 
complaisants,  parait-il,  que  ceux  de  leurs  pères.  3Iais  la  tradition  desGildes 
se  perpétue  :  la  coupe  fait  encore  le  tour  de  la  table,  et  tous  les  membres 
boivent  une  gorgée  de  vin,  pour  rappeler  le  principe  de  l'association  et  con- 
sacrer une  fois  de  plus  la  confraternité  des  alïiliés.  Le  banquet  se  lermine 
|)ar  une  danse  patriarcale,  où  tous  les  âges  sont  confondus. 

Le  sceau  de  la  société  porte  des  armes  à  enciuerre  :  un  pré  de  sinople  au 
cerf  de  gueules,  avec  cette  inscription  :  Wapcn  eiiior  lohl.  Sncicliii  dcr 
FU'hniings-Hiiffner ,  nlhier  zu  Biltcrfekl. 

Le  pré  figure  les  prairies  et  les  cbamps  appartenant  à  la  société,  le  cerf, 
le  Flainiijsholz:  Les  mêmes  armes  ont  été  empreintes  dans  la  coupe  par  inus- 
tion,  ainsi  que  ces  mois  :  Bêcher  einer  lobUchea  Societàt  der  Flemkjer,  in 
BiUerfeld,  1S87. 

Les  propriétés  de  la  société  se  composent  de  prairies  situées  le  long  de  la 
IMulde,  de  parcelles  de  terre  sur  le  territoire  de  Bitterfeld  et  dans  un  village 
voisin,  enfin  du  Fldmigsholz,  bois  remarquablement  beau,  que  les  Flamands 
ont  transformé  en  une  cbarmante  promenade,  et  où  le  corps  des  fanfares  de 
Bitterfeld  va  exécuter  des  morceaux  de  musiiiue  les  dimanches  d'été. 

IV.  Ces  propriétés  étaient,  jusqu'au  siècle  dernier,  demeurées  exemples 
de  toutes  contributions.  Mais  le  zèle  tracassier  du  fisc  fit  abolir  un  privilège 
qui  trouvait  sa  source  dans  des  services  rendus  et  que  les  siècles  avaient  con- 
sacré. Il  s'engagea  à  ce  propos  une  correspondance  entre  l'administration 
royale  électorale  des  accises  générales  de  la  Saxe  et  la  société,  correspon- 
dance qui  m'a  paru  assez  curieuse  pour  que  j'en  reproduise  ici  en  substance 
les  traits  saillants  '. 

Par  dépèche  du  4  mai  \  726 ,  le  commissaire  royal  Duben  posa  à  la  société 
les  questions  suivantes  : 

1"  Quels  furent  les  premiers  possesseurs  des  terres  flamandes? 

2  ■  Quand  et  comment  ces  terres  sont-elles  devenues  la  propriété  des  habi- 
tants de  Bitterfeld? 

3"  A  quelle  juridiction  ces  biens  ressortissent-ils? 


'   Voy-  mes  Documents ,  n'^XlX,  XX  et  XXI. 

Tome  XXXII  «9 


138  HISTOIRE 

4»  En  (|U()i  consiste,  de  fait,  la  naliire  de  la  propriété  desdiles  terres? 

o'  Pour  (|uel  motif  les  unes  sont-elles  distinguées  des  autres,  puisque  la 
moitié  de  la  charrue  de  Teubnerisch  fait  partie  du  territoire  de  Doberniz , 
tandis  que  d'autres  terres  font  partie  d'autres  localités? 

6"  De  quelles  charges  ces  biens  sont-ils  grevés,  et  où  ces  charges  se  per- 
çoivent-elles? 

Le  commissaire  royal  terminait  sa  dépèche  en  invitant  les  sociétaires  à  lui 
fournir,  dans  la  quinzaine,  une  réponse  détaillée  et  catégorique,  et  se  mon- 
trait disposé  à  tous  les  accommodements. 

Ces  questions,  par  suite  de  la  perte  des  anciennes  archives,  ne  laissaient 
pas  que  d'être  embarrassantes.  Quant  à  se  fier  à  la  politesse  des  agents  du 
fisc,  les  Flamands  n'y  auront  sans  doute  pas  songé,  et  ils  ont  eu  raison. 
Hépondirent-ils?  Jugèrent-ils  plus  prudent  de  garder  le  silence?  Parvinrent- 
ils,  à  l'aide  de  hautes  influences,  à  assoupir  ou  à  traîner  l'affaire  en  longueur? 
On  ne  saurait  le  dire;  tant  y  a-t-il  que  quatre  ans  se  passèrent  avant  (|ue  les 
limiers  fiscaux  revinssent  à  la  charge. 

Par  dépêche  du  22  août  1730,  le  même  Diiben  notifia  à  la  société  des 
Flamands  qu'une  copie  de  son  écrit ,  daté  de  Dresde,  le  3  mai,  même  année, 
lui  avait  été  transmise,  et  que  l'emiuête  qu'il  avait  ordonnée  aurait  lieu  le 
29  août,  à  l'expiration  du  terme  fixé.  Il  ajoutait  (jue,  faute  par  la  riaiiiif/s- 
Socieldl  de  fournir  les  renseignements  demandés  plus  haut,  elle  encouirait 
une  amende  de  20  thalers,  payable  dans  les  vingt-quatre  heures,  et  qu'elle 
pourrait  même  au  besoin  être  frappée  d'une  peine  plus  forte. 

La  politesse  s'est  déjà  changée  en  menaces.  Il  ne  paraît  toutefois  pas  que 
le  sieur  Diiben  ait  atteint  immédiatement  son  but,  témoin  celte  lettre  des 
Flamands,  datée  du  18  octobre  ]1',W ,  dont  il  résuite  qu"un  nouveau  délai 
avait  été  accordé  à  la  société.  Celle-ci  nomma  un  commissaire,  à  <pii  elle 
confia  de  pleins  pouvoirs,  et  le  délégué  répondit  ce  qui  suit  aux  (piestions 
posées  plus  haut  : 

1"  Quels  furent  jadis  les  possesseurs  des  terres  flamandes? 

Il  résulte  de  la  liste  des  témoins  entendus  (liste  qui  était  annexée  '  à  la 

'  Ces  (li)cumcnls  n'offrant  pas  une  importance  directe,  je  les  ai  supprimés. 


DES  COLONIES  BELGES.  \59 

pièce  principale),  (|ue,  passé  un  grand  nonii)re  d'années,  à  Tépoquc  où  Chris- 
tophe Poyda,  pasleur  de  Roilzsch,  était  président  de  la  société  des  Flamands, 
il  était  dépositaire  de  Tarmoire  de  la  société  [Fleniinyer  Lade),  armoire  dans 
la(pielle  étaient  serrées  toutes  leurs  plus  anciennes  archives.  A  cette  même 
époque  brûla  la  cure,  ainsi  que  Farmoire  :  tous  les  titres  et  documents  que 
celle-ci  renfermait  devinrent  la  proie  des  flammes,  et,  |)ar  suite  de  ce  mal- 
heur, la  société  des  Flamands  perdit  un  grand  nombre  de  privilèges  et  de 
chartes  de  liberté.  Elle  se  trouve,  par  conséquent ,  dans  l'impossibilité  absolue 
de  produire  les  documents  demandés.  Toutefois,  pour  satisfaire  autant  (|ue 
possible  aux  injonctions  de  l'administration  royale,  elle  a  fait  lous  les  elïorts 
imaginables  pour  obtenir  des  anciens  propriétaires  quelques  renseignements 
utiles.  Il  résulte  de  la  copie  '  de  la  pièce  (aussi  annexée)  que  les  propriétaires 
ont  envoyée  au  fondé  de  pouvoirs  de  la  société,  que  les  plus  anciens  titres 
des  possesseurs  de  Flamigs-Hhfen  ne  remontent  pas  au  delà  de  4  587.  La 
société  est  prête  à  produire  en  original,  à  ladite  commission,  l'ancien  Hemiys- 
Buch  où  ce  renseignement  a  été  puisé. 

"1"  Quand  et  comment  lesdites  terres  sont-elles  devenues  la  propriété  des 
habitants  de  Bitterfeld? 

La  société  n'est  pas  en  état  de  fournir  à  cet  égard  la  moindre  donnée; 
mais  il  conste  de  la  pièce  n"  2,  que  les  terres  flamandes  datent,  comme  ap- 
partenant à  la  Flumiys-Societdl ,  non-seulement  de  4587,  mais  de  4  54-9, 
comme  l'atteste  l'extrait  produit  sub  littera  C  -,  et  conséquemment  de  temps 
immémorial. 

8°  A  quelle  juridiction  ressortissent  ces  biens? 

Il  est  incontestable  qu'ils  sont  soumis  à  la  juridiction  du  bailliage  électoral 
de  la  Saxe. 

4"  En  quoi  consiste,  de  l'ail ,  la  nature  de  la  propriété  de  ces  terres? 

Il  résulte  de  ce  qui  précède  que  les  champs  et  les  terres  apparliennenl 
depuis  à  la  société  des  Flamands;  que  celle-ci  est  à  l'abri  de  toute  attaque; 
()ue  parlant  son  droit  de  propriétaire  demeure  tout  entier.  El  puisque  tous 
les  documents  et  litres  antérieurs  à  4549  ont  été  brûlés;  (|ue,  d'autre  pari, 

'  Ces  documents  n'offrant  pas  une  inipoitiunc  directe,  je  les  ni  siippiimés. 
s  Ibid. 


140  HISTOIRE 

la  sociélo  pciil  iiivo(|U('r  on  sa  faveur  la  possession  el  la  piescriplion  inmie- 
nioiiales,  lanl  à  raison  de  la  qualité  qu'à  raison  de  la  quanlilé  des  terres, 
elle  prie  Tadminislralion  des  accises  de  laisser  les  choses  dans  le  statu  quo, 
rchus  sic  slaiilibus,  et  conséquemment  de  renoncer  à  toute  investigation  ulté- 
rieure. 

Cette  réponse  contient  quelques  détails  histori(jues  intéressants;  mais  elle 
ne  pouvait  être  prise  en  considération  très-sérieuse  par  le  fisc,  d'autant  plus 
(|ue  la  question  principale  «  de  quelles  charges  les  biens  sont-ils  grevés  et 
où  sont-elles  acquittées?  »  n'avait  pas  même  été  eflleurée  par  le  commissaire 
de  la  société.  Le  dénoùmenl  se  comprend  donc  sans  peine.  Le  fisc  a  le  bras 
long;  il  ne  lâche  pas  aisément  la  proie  sur  laquelle  il  a  jeté  son  dévolu  :  les 
Flamands  restèrent  propriétaires  de  leurs  terres,  mais  ils  furent  soumis  aux 
contributions,  tout  comme  les  autres  Allemands. 

Cela  ne  changea  rien  à  leur  organisation  intérieure  et  à  la  nature,  du  droit 
(|u'ils  avaient  sur  les  terres.  Celles-ci  continuèrent  à  être  cultivées  par  eux, 
et  l'excédant  de  ce  qu'il  leur  faut  pour  leur  consommation  particulière  est 
vendu  aux  enchères  publiques.  Les  prairies  donnent  un  revenu  annuel  de 
2000  thalers  el  le  bois  un  revenu  de  1500;  quant  aux  champs,  le  rende- 
ment varie  d'année  en  année,  et  il  est  impossible  d'en  fixer  le  chiffre,  cha(iue 
j)ropriétaire  vendant  isolément  et  à  des  époques  différentes. 

La  Société  conserve  son  ancien  Gcsezbuch  ',  dont  les  dispositions  ont  été 
en  quelque  sorte  réunies  par  la  tradition,  et  auquel  tous  les  Flamands  sont 
tenus  de  se  conformer.  La  rédaction  du  code  actuel  date  de  4  776.  Il  en  exis- 
tait un  autre  qui  était  en  vigueur  depuis  1587  '■;  mais,  au  siècle  dernier,  les 
besoins  du  temps  l'avaient  rendu  insuffisant.  J'en  parlerai  dans  la  seconde 
partie. 

Quelques  années  encore,  el  la  Flmntys-Socielal  aura  disparu  comme  tant 
d'autres  vestiges  des  colonies  belges.  Le  partage  des  terres  [dk'  Séparai  ion), 
imposé  parles  inspecteurs  du  cadastre,  fera  sortir  les  propriétaires  d'indivi- 
sion, leur  attribuera  à  chacun  une  contenance  conforme  à  leurs  titres,  el 


'  Voy.  mrs  Documents,  n°  XXII, 
2  Ici,  n»  XXIII. 


DES  COLONIES  BELGES.  141 

rendra  parlanl  inutile  toute  association  ultérieure  '.  Ainsi  tout  disparait  peu  à 
peu;  le  temps  efface  chaque  jour  quelque  trace  du  passé,  et  n'amoncelle  que 
des  ruines  autour  de  nous. 

Ipsa  etiam  veniens  consumet  saxa  vetustiis, 
Et  nulkmi  est,  quod  non  Icniporc  ccdat,  opus. 

(Gaulus.) 


CHAPITRE  V. 

SAXE    ÉLECTORALE. 


Le  chevalier  de  Ludewig  nous  a  conservé  deux  diplômes  de  la  collection 
des  documents  du  cloître  de  GoUes-Gnade ,  situé  dans  le  cercle  de  la  Saaie 
[im  Saalkreis)'-.  Ces  diplômes  attestent  que  le  cloître  acheta  de  Frédéric, 
comte  de  Brena,  lils  de  Conrad  le  Grand,  soixante  fermes,  selon  la  mesure 
tlamande  [LX  mansos  ad  mensurain  flandricam),  situées  le  long  des  rives  de 
TEIster  {super  Alslemm  sitos).  Il  s'agit  ici  évidemment  non  de  VElsfer  blanc, 
dans  le  cercle  de  Leipzig,  jusqu'où  ne  s'étendait  pas  la  juridiction  de  Févètiue 
de  Misnie,  qui  avait  été  présent  au  contrat,  et  prétendait,  comme  tel,  à  la 
dîme  de  ces  fermes;  mais  hien  de  VEtsier  noir,  qui  se  jette,  au  milieu  de  la 
Saxe  électorale,  dans  TElhe. 

Eelking  '  n'hésile  |)as  à  dire  que  la  mesure  des  terres  flamandes  [Hkfea- 
muas)  fut  introduite  dans  la  Saxe  électorale,  comme  en  Misnie,  par  les  Fla- 
mands qui  s'y  établirent.  Quant  à  la  cause  ou  à  l'époque  de  leur  immigration, 
il  est  muet. 


1 


Je  ne  puis  lerrainer  ce  chapitre  sans  remercier  les  habitants  lie  Biitcrfdd  du  concours 
ohligeanl  qu'ils  ont  bien  vouUi  me  donner.  SL  de  Leipziger,  Landralh,  M.  Frischbier,  bouri;- 
mcslre,  MM.  le  IK  Atcnstiidt,  Erwin  Atenstadt,  Rathmann,  Millier,  Danicke,  Martin,  etc.,  ont 
mis  gracieusement  à  ma  disposition  les  archives  de  la  ville  et  de  la  Société,  et  m'ont  rendu  le 
séjour  de  Bitterfeld  aussi  agréable  que  possible. 

-  Relig.  jVanvsc,  t.  Il,  p.  543,  scqq.,  n°  32,  p.  S(j5,  n»  40. 

5  De  Belgis,  p.  71. 


H2  HISTOIRE 

Hoche  '  |)artage  son  avis  et  le  développe  en  ces  termes  :  «  Ici,  de  même 
(piV'n  Misnie ,  la  mesure  flamande  [das  flamisclie  maus)  était  en  usage  pour 
la  vente  comme  pour  l'échange.  J'en  conclus  qu'un  nombre  considérable  de 
Flamands  ont  dû  nécessairement  [nolliwendig]  se  fixer  dans  ce  pays;  car  les 
habitants  primitifs  n'étaient  pas  si  possédés  du  démon  de  la  nouveauté,  quïls 
dussent  introduire  eux-mêmes  une  mesure  nouvelle.  Il  est  connu  que  l'in- 
troduction de  nouvelles  monnaies  et  mesures  occasionne  parfois  des  trou- 
bles. Les  Flamands  conservèrent  leur  mesure  |)ropre,  et  c'est  ainsi  qu'elle 
s'insinua  peu  à  peu  parmi  les  habitants.  » 

VVersebe  commence  par  contester  formellement  cette  conclusion  :  »  A  mon 
sens,  dit-il,  on  ne  peut,  en  général,  nullement  affirmer  ce  fail'^.  »  Mais,  après 
avoir  consacré  vingt  pages  à  disserter  sur  divers  sujets,  il  adopte  une  autre 
()|)inion ,  et  il  dit  que  la  situation  lopographique  de  celte  contrée  était  très- 
|)ropre  à  l'établissement  de  Néerlandais.  «  Je  ne  doute  nullement,  continue- 
t-il,  que  la  mesure  flamande  {das  flâmische  Hùfenmaas)....  n'indique  ici 
l'existence  d'une  colonie  flamande'.  »  A  part  la  contradiction,  l'aveu  est  pré- 
cieux. 

Les  deux  contrats ,  qui  datent  à  peu  près  de  la  même  époque  *,  ont  dû 
être  passés  entre  les  années  1173  et  1180,  bien  qu'aucune  date  n'y  soit 
mentionnée. 

En  efïet,  le  premier  relate  cette  circonstance  :  Post  cekbralas  exe(/uias 
comilis  Conradi.  Or,  Conrad  le  Grand  mourut  en  1 157;  mais  les  documents 
qui  nous  occupent  ne  semblent  rappeler  la  passation  du  contrat  que  comme 
un  fait  accompli  depuis  longtemps  ''.  Peut-être  le  payement  du  prix  d'achat 
et  l'organisation  de  la  colonie  flamande  durèrent-ils  si  longtemps  que  ce  n'est 
guère  qu'après  vingt  ans  que  tout  revint  à  son  état  normal  ''. 

-  Pag.  93Ô.  «  Dies  Laszt  sicli  al)er  ineiiicr  .Mciiii'iiig  nacli  im  allgenicinen  niclit  tieliampten.  » 
■'•  Ibid.  :  0  Ich  zweiflc  dalicr  gar  niclit  daran.  lasz  das  flarnisclie  Hùfenmaas  liier...  das  Da- 
sevri  eitUT  flainisclieii  colmiie  adqeùte.   » 

•  Ihidciii  ,  |].  'Jy'J. 

•  lbi(h-m,  pp.  9a'J,  9C(),  901. 
''  Ihiilem  ,  \).  961. 


DES  COLONIES  BELGES.  143 

CHAPITRE  VI. 

MECKLEMBOURG. 


Vaincu  dans  la  Wagrie  ',  et  réduit  désormais  à  ses  seules  forces^  Niclot, 
le  vaillant  prince  des  Obotriles ,  ne  perdit  pas  courage.  Ennemi  mortel  des 
chrétiens,  il  déclara  résolument  la  guerre  aux  Danois  el  aux  Saxons-,  (j'était 
jeter  le  gant  à  son  illustre  adversaire,  le  duc  de  Saxe,  el  Henri  le  Lion  le 
releva  sur-le-champ.  Environ  cent  cinquante  mille  hommes  marchèrent 
contre  les  Slaves  '.  La  lutte  dura  douze  ans  avec  des  chances  diverses,  el, 
enfin,  Niclot,  désespérant  de  pouvoir  la  continuer  plus  longtemps,  se  relira 
dans  son  fort  de  Wurle,  sur  le  Warnow,  au  nord  du  pays ,  après  avoir  biùlé 
ses  autres  châteaux  dont  Schwerin  (Zuérin),  jardin  de  plaisance ,  et  JMikilin- 
burg  étaient  les  principaux.  Quelque  temps  après,  il  trouva  la  mort  dans 
une  escarmouche  devanl  son  fort  de  Wurle. 

Henri  le  Lion,  resté  mailre  du  terrain,  partagea  toute  la  contrée  en  plu- 
sieurs districts,  dont  il  confia  le  gouvernement  à  des  préfets  [Prwfecti). 
Ceux-ci  avaient  pour  mission  spéciale  d'attirer,  dans  le  territoire  confié  à 
leurs  soins,  des  colons  pour  remplacer  les  habitants  qui  avaient  péri  dans  ces 
guerres  cruelles  auxquelles  la  défaite  des  Slaves  metlait  fin.  Henri  deScatheii 
fut  mis  par  le  duc  à  la  tète  du  district  de  Mecklembourg. 

Il  se  rendit  en  Flandre,  et  en  ramena  un  grand  nombre  de  colons  qu'il 
dissémina  sur  tout  le  territoire  de  Mecklembourg  *. 

'   Voy.  plus  haut,  div.  n,ehap.  I",  p.  IO(î. 

^  Cil.  Scliôbel,  ie.s  Slaves  du  nord  de  V AUemaçjne ,  p.  42. 

5  II  n'est  pas  impossible  que  des  Belges  aient  pris  part  à  celle  expëdiiion.  Quel([ues  écri- 
vains avancent  le  fait,  mais  sans  le  prouver.  Voy.  Edward  Lcgiay,  Histoire  des  comtes  de 
Flandre ,  I ,  pp.  5ô6  et  330. 

*  o  l'orro  mikilinburg  dédit  Henrico  cuidani  nobili  de  Scaihcn  qui  etiam  Flandria  udduxit 
luultitudinem  populorum,  eleollocavit  eos  in  Mikilinburg  et  in  omnibus  terminis  ejus.  «  — 
Helmold,  liv.  I,  chap.  37,  n°  1 1.  —  Avons-nous  besoin  de  faire  remarquer  que  cette  expres- 
sion de  Flandria  adduxit,  confirme,  au  moins  quant  à  Henri  de  Scathen  ,  le  récit  de  Meycr 
sur  la  mission  en  Flandre  que  Henri  le  Lion  confia  à  ce  gentilliomme  ?  Quant  à  Mecklem- 


144  HISTOIRE 

Cela  se  passait  vers  J  16U. 

Les  Flamands  — ,  auxquels  il  faut  joindre  les  Hollandais  et  les  Weslplia- 
liens,  bien  que  Helmold  ne  les  menlionne  pas  expressément  —arrivèrent  en 
niasse;  mais  ils  ne  demeurèrent  pas  longtemps  paisibles  possesseurs  de  leurs 
nouveaux  domaines.  En  116/j.,  Pribislav,  fils  de  .\iklot ,  voulant  à  toul  prix 
recouvrer  les  États  de  ses  ancêtres,  recommença  les  hostilités.  Henri  de  Sca- 
Ihen  élail  |)arli  pour  une  expédilion,  laissant  le  château  de  Mecklemhourg  peu 
forlilié'.  Le  premier  assaut  fut  dirigé  contre  la  colonie  flamande  le  IG  fé- 
vrier. Prihislav  promit  la  vie  sauve  aux  hommes  qui  y  étaient  enfermés, 
ainsi  que  la  faculté  de  se  retirer  avec  leurs  familles  et  leur  fortune,  s'ils  se 
, rendaient  à  merci;  mais  il  les  menaça  en  revanche,  s'ils  refusaient,  de  les 
faire  tous  passer  au  fil  de  Pépée  '.  Soit  que  celte  proposition  leur  parût 
insultante,  soit  qu'ils  ne  se  fiassent  pas  à  la  parole  du  prince  slave,  les 
Flamands  répondirent  par  une  grêle  de  traits  qui  blessèrent  plusieurs  les 
assiégeants.  Mais  comme  les  Slaves  étaient  supérieurs  en  nombre  et  qu'ils 
avaient,  en  outre,  sur  leurs  adversaires  l'avantage  d'un  exercice  fréquent,  ils 
emportèrent  le  Burg  et  exécutèrent  fidèlement  leur  menace.  Ils  tuèrent 
jusqu'au  dernier  des  défenseurs  de  la  place ,  ne  laissèrent  pas  échapper  un 
seul  colon,  et  emmenèrent  en  captivité  les  femmes  et  les  enfants.  Enfin,  pour 
couronner  l'œuvre,  ils  mirent  le  feu  aux  quatre  coins  de  .Mecklemhourg^. 

Ainsi,  d'après  la  chronique  d'Helmold  ,  la  colonie  flamande  n'aurait  e\i 
que  quatre  ans  d'existence  !,.. 

I)0urg,  les  deux  mots  Mikilin  (grand)  et  Ixirg  (fort,  ville)  se  trouvent  dans  le  plus  ancien 
monument  des  langues  teutoniques,  dans  la  bible  méso-gothique  d'Ulphilas.  «  Mh  (swaran)  bi 
Jairusaul}mai,  unie  baurg.s  ist  Ûm  Mikiliiis  thiudanis.  »  Ne  jurez  par  Jérusalem,  car  elle  est 
la  ville  du  grand  Roi.  Év.  selon  saint  Jlatliieu,  chap.  V,  vs.  33.  Mikiliic  existe  encore  dans 
l'anglais  sous  la  forme  de  Miellé.  L'analogue  se  rencontre  dans  la  plupart  des  autres  dialectes 
germaniques,  et  le  flamand  l'a  gardé  jusqu'au  quinzième  siècle;  Mekel,  Michel  :  ne  serait-ce 
pas  létyraologie  de  Mecbelen  ,  Michelin  (Malines),  grand  bourg"? 

'  Helmold,  II,  2,  n°  3  :  «  Henrieus  autcm  de  Scaten,  praefectus  castri,  tune  forte  defuit,  et 
populus  qui  erat  in  Castro  fuit  sine  principe.  » 

•^  Wersebe,  I,  p.  424. 

^  «  Ad  haec  vero  Flamingi  jacula  dirigere  et  vulnera  inlligere  coeperunt.  Slavorum  ergo 
exercitus  viris  et  armis  pntentior,  vehemcnti  turba  irrupit  munitionem,  et  occiderunt  omne 
masculinum  in  ea ,  non  reliquerunt  de  populo  advenarum  \el  unum  :  uxores  et  parvulos 
eorum  duxerunl.  » 


DES  COLONIES  BELGES.  145 

De  Mecklenibourg,  Pribislav  se  dirigea  sur  Ilowe,  où  commandait  Guu- 
zelin  de  Hagen,  et  il  prit  ses  dispositions  pour  détruire  cette  forteresse 
comme  l'autre  '.  Comme  il  y  avait  des  Slaves  dans  la  place,  Pribislav  leur 
tint  un  discours  dans  lequel  il  rappelait  tous  les  griefs  des  vainqueurs.  Il  re- 
proche surtout  au  duc  d'avoir  peuplé  son  pays  de  Flamands,  de  Hollandais, 
de  Saxons  et  de  Wesiphalicns  '.  Cette  phrase  ne  donnerait-elle  pas  à  enten- 
dre qu'il  y  avait  des  Belfjes  parmi  les  défenseurs  d'IIowe? 

Wersebe,  qui  semble  avoir  pris  à  lâche  d'amoindrir  partout  le  rôle  des 
Néerlandais,  se  prononce  énergiquement  pour  la  négative.  Mais  le  seul  argu- 
ment qu'il  apporte  à  l'appui  de  son  opinion  est  que  la  majorité  de  la  garni- 
son d'IIowe  se  composait  de  Slaves.  Pour  que  l'argument  fût  décisif,  il  aurait 
dû  ajouter  de  quels  éléments  se  composait  la  minorité. 

Il  est  impossible,  dit  Eelking  ',  que  les  débris  de  la  colonie  qui  écha|)pè- 
rent  au  massacre  ne  fussent  pas  assez  considérables  pour  pouvoir  laisser 
des  traces  ()ui  pussent  témoigner  à  la  postérité  de  leur  existence.  Mais  cette 
remarque  est  inutile,  puisque  le  texte  d'Helmold  prouve  que  (ouïe  h  colonie 
fut  exterminée  :  Non  reliqucrunt  vel  unuin. 

Le  même  auteur  croit  que  d'autres  colonies  belges  allèrent,  à  une  époque 
postérieure,  s'établir  dans  les  mêmes  parages.  Je  n'ai  trouvé  aucun  fait  qui 
vint  confirmer  cette  hypothèse. 

'  Wersebc.  n"  4  :  <i  Posf  liaec,  converterunt  faciem  suani  ad  caslruin  IIowc,  ut  destruerent 
illiid.  » 

^  Ibid.,  1 ,  11°  G  «  ....  Collocavit  in  omnibus  lerniinis  ejus  advenas  scilieet  Flumingos  et  Nul- 
landos,  SitxoiifS  et  Wesipliulos ,  atque  nationes  diversas.  » 

^  De  Bel  gis,  p.  78. 

*  Ilnd.,  p.  79. 


ÏOME    XXXII.  20 


146  HISTOIRE 

CHAPITRE  VII. 

LAUENBOURG. 


Le  duché  de  Lauenbourg,  ancien  territoire  des  PolaJjes,  (|ui  se  trouve 
dans  une  vallée  sur  la  rive  droite  de  TElbe,  confine  à  Test  au  Mecklembourg, 
à  l'ouest  au  duché  de  Brème,  au  midi,  au  duché  de  Lunebourg  et  au  nord 
au  Holstein.  L'ancien  évèché  de  Ratzebourg,  compris  dans  le  Lauenbourg, 
formait  aussi  une  enclave  dans  la  partie  occidentale  du  31ecklembourg  et 
s'étendait  sur  les  terres  de  Waningen  et  de  Japel. 

Après  la  conquête  du  pays  des  Polabes,  Henri  le  Lion  mit  à  la  tète  de  la 
nouvelle  province  le  célèbre  Guncelin  de  Ilagen,  brave  guerrier  et  ami  par- 
ticulier du  prince.  Conformément  aux  instructions  (pi'il  reçut  du  duc  de 
Saxe,  Guncelin  donna  une  vive  impulsion  à  l'œuvre  de  la  colonisation  inté- 
rieure. Déjà,  beaucoup  d'étrangers  s'étaient  établis  dans  le  Lauenbourg. 
Henri,  comte  de  Ratzebourg,  ne  fit  sans  doute  que  répondre  aux  désirs  du 
gouverneur  en  introduisant  dans  le  territoire  des  Polabes  une  mnliitude  de 
colons  de  la  Westpbalie  et  des  Pays-Bas,  pour  lesquels  on  fit  la  délimitation 
des  champs  au  moyen  du  cordeau  '. 

En  peu  de  temps,  le  nombre  des  colons  devint  si  considérable  qu'ils  bâti- 
rent une  foule  d'églises,  et  que  les  dîmes  devinrent  très-importantes  "-. 

Il  est  probable  que  les  colons  ne  servirent  pas  uniquement  à  repeupler 
le  pays,  mais  qu'ils  remplirent  dans  le  Lauenbourg  la  même  tâche  (|ue  nous 
leur  avons  déjà  vu  exécuter  dans  d'autres  contrées,  à  savoir  le  dessèche- 
ment des  marais  et  autres  terres  inondées  par  l'Elbe,  qui  traverse  le  duché, 
ou  par  d'autres  rivières.  La  ville  de  Lauenbourg,  bâtie  par  Henri  le  Lion , 
en  1157,  était  située  dans  une  vallée  si  basse,  qu'au  siècle  dernier  une  partie 
de  ses  maisons  étaient  encore  élevées  sur  des  terrasses  reposant  sur  pilotis. 

*  Helmold,  lib.  I,  cap.  91  :  »  Ilonricus,  comcs  de  Raceburg,  quae  est  in  terra  Polalioruin, 
adduxit  nmltiludinem  populorum  de  Westphalia  ut  incolerent  tcrram  Polaborum,  et  divisit  eis 
Icrram  funiculo  distributionis.  » 

-  Helmold,  loc.  cit.  :  «  Et  aedificaverunt  ecclesia?,  et  subministraverunt  décimas  fructuiim 
suorum  in  cullum  domus  Dci.  » 


DES  COLONIES  BELGES.  147 

Ilelmold,  dans  le  lexle  que  j'ai  cilé,  ne  parle  que  des  Wesiphaliens;  mais 
celle  dénominalion  ne  doil  pas  êlre  enlendue  dans  un  sens  reslrictif^  mais 
bien  énoncialif  :  Wersebe  lui-même  est  de  cel  avis  '. 

Un  passage  de  Weslphalen  fournit  un  premier  molil"  d'adopler  celle  opi- 
nion. Dans  le  registre  des  biens  de  révèché  de  lîatzebourg ,  il  est  dil  : 
«  dans  loul  le  Sadelband  (bailliages  de  Lauenbourg  el  de  Scbwarzenbeck) 
règne  la  mauvaise  coutume  de  donner  quatre  mesures  de  seigle  au  lieu  de 
payer  la  dime.  »  Or,  la  mèm.^,  coutume  exislail  chez  les  colons  du  Brande- 
bourg et  derAllmark. 

Un  autre  argument  s'ajoute  au  précédent  el  le  confirme.  Des  noms  île 
localités,  quand  ils  apparaissent  comme  étrangers  à  un  pays,  permettent  de 
conclure  que  les  habitants  qui  les  ont  donnés  étaient  issus  ou  originaires  des 
pays  où  ces  noms  existent  comme  indigènes.  Ainsi,  par  exemple,  dit  Lange- 
iha  I ,  la  villede  Brunswick ,  que  l'on  rencontre  dans  l'Amérique  du  Nord, 
donne  le  droit  d'affirmer  qu'une  colonie  d'habitants  de  Brunswick,  en  Allema- 
gne ,  alla  s'y  établir  -.  Or,  tout  près  de  Batzebourg,  se  trouve  un  petit  vil- 
lage qui  porte  le  nom  iVUtrec/if ,  et,  à  proximité  de  l'Elbe,  l'on  rencontre 
plusieurs  noms  de  hameaux  qui  se  terminent  en  horn,  désinence  reconnue 
pour  êlre  purement  hollandaise. 

Enfin,  l'on  découvre  les  traces  d'une  colonie  hollandaise  qui  s'établit  vers 
la  même  époque  près  d'ArtIembourg,  près  de  Lauenbourg,  dont  cette  ville 
est  séparée  par  l'Elbe.  Il  en  est  fait  mention  dans  une  charte  de  Henri  le 
Lion,  de  H 64.  Par  ce  diplôme,  le  prince  confirme  les  biens  du  chapitre  de 
la  cathédrale  de  Lubeck ,  el  parle  expressément  de  «  trois  fermes  hollan- 
daises »  situées  près  du  château  d'Ertelembourg  '.  Conrad ,  évèque  de  Lu- 
beck, rappelle  aussi  l'existence  de  ces  fermes,  dans  sa  charte  de  la  même 
année  (Il  64),  avec  la  mention  spéciale  qu'elles  étaient  situées  dans  un  bas- 
fond  *.  Cet  endroit  ne  nous  est  ultérieurement  connu  que  par  un  bac  ou  pon- 
ton, servant  à  traverser  l'Elbe,  à  proximité  duquel  se  trouvaient  des  terrains 

'  1 ,  409. 

■!  I-angethal,  II,  IIS..  • 

"•  Wcrscbe,  I,  409. 

'»  Idem  ,  [).  410. 


148  HISTOIRE 

marécageux  que  la  tradition  cite  comme  ayant  été  colonisés  par  des  Hollan- 
dais. 

CHAPITRE  VIII. 

POMÉRÂNIE. 


Cette  province  échut,  vers  la  fin  du  douzième  siècle,  à  Jaromar,  duc  de 
Riigen ,  qui  se  convertit  au  christianisme.  L'histoire  le  dépeint  conmie  un 
prince  aux  vues  élevées  qui  rompit  franchement  en  visière  avec  les  préjugés 
de  sa  race  et  ne  craignit  pas  de  se  montrer  Padmirateur  et  Timitateur  de  la 
civilisation  germanique.  Il  hàlit  la  ville  de  Stralsund  (1 187)  et  la  peupla  de 
Saxons  '.  Il  fonda  le  célèhre  monastère  d'Eldena,  ainsi  qu'une  succursale 
d'Altenkamp,  qui  prit  le  nom  de  Neiienicamp  (1200).  Il  autorisa,  le  premier, 
à  introduire  dans  les  terres  du  couvent  des  étrangers  de  quelque  pays  qu'ils 
fussent.  Danois  et  autres.  Quant  au  second,  son  influence  ne  fut  pas 
stérile.  La  plupart  des  religieux  de  Neuenkamp  furent  des  religieux 
venus  de  Lubeck,  de  Hambourg,  de  la  Weslphalie  et  des  Pays-Bas.  Ils  en 
appelèrent  d'autres,  en  même  temps  que  des  colons,  principalement  des 
Bas-Saxons  et  des  Néerlandais  ".  A  partir  de  cette  époque,  la  province  se 
couvre  de  villes  et  de  villages,  parmi  lesquels  divers  noms  d'origine  belge 
attirent  notre  attention.  Je  citerai  le  bourg  de  Hollanl ,  près  dcDanzigdans 
la  Pomerclle;  le  Fricshaff,  ou  havre  des  Frisons;  les  villages  de  Wxdfsha- 
geu ,  Grcfenliagen  ',  etc. 

*  Kramcr,  Pommersche  Kirchetigeschichte ,  F,  5t  ;  II,  10. 

'  Iloclic,  p.  ù'i. 

^  Comparez  GrefeDhainchcn  (Grefenliagen  ),  près  de  Wittenberg.  Droysen  (I,  6j)  admet 
que  tous  les  Iluyeudôrfer,  c'est-à-dire  tous  les  villages  qui  ont  la  désinence  liugen,  sont  d'ori- 
gine néerlandaise. 


DES  COLONIES  BELGES.  149 

CHAIMTUE  IX. 

UKERMARK  '. 


Des  ailleurs  ont  pensé  que  tles  colons  belges  ne  s'élablirenl  jamais  dans 
IT'kennark.  Tel  est  l'avis  de  Schlôzer^  Cependant,  l'on  rencontre  dans  cette 
province,  entre  Angerniiinde  et  Sclnvedt,  une  localité  appelée  aujourd'hui 
Fk'Dtingsdorf  el  Fleinsdurf  {en  I3S4.  Vleinmlulurp ,  en  1439  Flemklis- 
tofp),  dont  le  nom  indique  une  origine  flamande  \  On  y  trouve,  en  outre, 
un  cercle  ou  canton  nommé  le  Flcmminyisclw  Kreis  \  Wersebe  ne  croit  pas, 
bien  que  ce  cercle  ne  soit  pas  d\me  bien  grande  étendue,  qu'il  ait  été  peuplé 
par  des  Flamands,  ^'éanmoins,  il  ne  lui  paraît  pas  improbable  que  quelques 
établissements  de  Flamands  ont  eu  lieu  le  long  des  rives  marécageuses  de 
PHofl",  et  que,  par  suite  de  relations  purement  locales,  ils  aient  pu  donner 
leur  nom  au  cercle  entier.  Autant  lui  paraissent  peu  fondées  les  conjectures 
que  Ton  bâtit  sur  les  analogies  de  nom,  entre  des  villes  néerlandaises  et 
certains  endroits  d'Allemagne,  autant  il  lui  semble  permis  de  croire  à  Tim- 
portance  du  nom  générique  de  Flamands  '. 

Je  hasarderai  ici  ([uelques  réflexions.  Comment  Wersebe  n'a-t-il  pas  com- 
pris que  ce  langage  contredit  vingt  autres  passages  de  son  livre,  où  il  dit 
formellement  que  le  nom  d'un  peuple  étranger,  —  flamand,  par  exemple, 
appliqué  à  telle  ou  telle  localité ,  ne  peut  être  d'aucune  consécpience,  quant 
à  l'origine  de  cet  endroit? 

Pourquoi  Wersebe  dit-il  oui  pour  un  simple  village  [Fkmingsdorf],  tandis 
(pi'il  dit  non  pour  tout  un  cercle  [Flonmingische  Kreis)  ? 

Comment,  d'ailleurs,  se  mel-il  d'accord  avec  lui-même,  quand  il  avance 
—  el  je  suis  de  son  avis  —  que  les  princes  poméraniens,  auxquels  obéissait 

« 

'  L'L'kermaik  était  bornée  au  S.  par  la  Mitlelniark  rt  an  N.  par  le  Mciklcniboiirg  el  la 
Poméranie. 

*  Loc.  cit.,  pag.  416. 

^  Wolilbriick,  Geschichtc  von  Lebuf! ,  1,560. 

4  Wersebe,  II,  619. 

5  Ibid. 


150  HISTOIIU: 

alors  l'Ukeniiark ,  élaiciil  tout  aussi  peu  empressés  iradnieltre  ou  d'introduire 
dans  leurs  États  des  étrangers  odieux  à  leurs  sujets  '  ?  Les  Slaves  n'ont-ils 
pas  du  tout  tenter  pour  empêcher  des  noms  barbares  de  prendre  racine  chez 
eux  ? 

Wersebe,  il  est  vrai,  ajoute  :  «  Il  est  possible  que  les  Flamands  aient  'été 
attirés  dans  le  Flcmminyische  Kreis  par  Tévèque  de  Camin,  Siegfried,  qui 
gouvernait  à  cette  époque  (1188-1202)  et  que  l'on  regarde  généralement 
comme  d'origine  teutonique.  On  peut  admettre  aussi  ([u'à  Fleminysdorf,  dans 
l'Ukermark,  le  seigneur  de  l'endroit  a  trouvé  la  contrée  propre  à  être  cul- 
tivée par  des  Flamands,  et  qu'il  en  a  fait  venir  de  la  Wlsche,  dans  le  Bran- 
debourg '.  » 

Cette  opinion,  qui  est  fort  raisonnable,  contredit  malheureusement  celle 
que  l'auteur  a  exprimée  un  peu  plus  haut.  D'ailleurs,  Wersebe  ne  reste  pas 
longtemps  de  son  propre  avis.  Il  se  hâte  d'ajouter  :  «  Toutefois,  il  est  encore 
possible  (jue  l'origne  des  noms  de  ce  village  et  de  ce  cercle  dérive  uni- 
quement de  la  culture  que  l'on  y  faisait  sur  le  pied  flamand  {noch  flan- 
rlrischen  Fiisse)  et  des  conditions  en  usage  dans  les  colonies  flamandes, 
(juand  même  les  habitants  de  ces  endroits  n'auraient  jamais  été  Flamands 
d'origine  °.  » 

31ais  Wersebe  vient  de  dire,  il  y  a  un  instant,  que  les  princes  slaves, 
aussi  bien  que  leurs  sujets,  mettaient  tous  leurs  soins  à  éviter  l'introduction 
de  mots  qui  ne  fussent  pas  de  leur  langue  et  dont  se  servaient  leurs  ennemis. 
Irait-il  jusqu'à  admettre  que  ce  seraient  les  Allemands  qui  auraient  donné  à 
leurs  colonies  dans  les  pays  wendes  des  noms  flamands,  en  souvenir  de  leurs 
relations  avec  des  étrangers?  D'autre  part,  si  un  autour  belge  s'avisait  de 
trouver  que  le  nom  des  villages  de  Sweveghcm  ou  de  Swevezeele,  par 
exemple,  —  en  supposant  que  notre  histoire  nationale  ne  nous  fournisse  pas 
des  indications  authentiques  sur  leur  oi'igine,  —  dérive  du  mode  de  culture- 
ou  dos  conventions  agraires  en  usage  chez  les  Suèves,  quelle  explosion  de 
rires  n'accueillerait  pas ,  en  Allemagne,  sa  découverte  !... 

<  Wersebe,  p.  620. 
-  Ihid.,  1).  «20. 
■-  Ibid. 


DES  COLOiNlES  BELGES.  loi 

Mais  écoulons  jusqu'au  bout  l'argunienlation  de  Weisebe  :  «  Je  déuioii- 
irerai  plus  loin,  dil-il,  par  des  exemples,  qu'à  une  époque  postérieure  Ion 
passait  avec  les  paysans  des  contrais  [hmunds,  fia inisclœ  contraclen ;  et, 
comme  il  n'est  pas  clairement  démontré  à  quelle  épocpic  remonte  ici  cette 
dénomination,  elle  a  pu  ne  prendre  naissance  qu'au  treizième  nu  (pialor- 
zième  siècle,  comme  c'est  peut-être  le  cas  '.  » 

Cela  est  évident.  L'effet  ne  précède  point  la  cause.  La  Poméranie,  partant 
rUkermark,  n'est  devenue  allemande  qu'au  treizième  siècle-;  l'expression 
de  Flamands  n"a  donc  pu  y  exister  plus  lot.  Ensuite ,  il  est  encore  incontes- 
table que  le  Flumische  Redit,  en  usage  d'abord  chez  les  Flamands  seuls, 
fut  parfois  étendu  dans  la  suite,  mais  par  exception  et  fort  rarement,  à  d'au- 
tres que  des  colons.  Mais  les  lieux  auxquels  s'appliqua  celte  extension  de 
droits  reçurent-ils  pour  cela  le  nom  de  Flemmingsdorf,  de  Flemmiuf/isrite 
Kreis9  Assurément  non;  Wersebe  est  sur  ce  point  complélement  de  mon 
avis,  et  je  le  démontrerai  [)Ius  loin,  en  me  servant  de  ses  propres  arguments. 
Pourquoi  donc  serait-ce  ici  le  cas,  et  non  pas  ailleurs? 

lime  reste  à  relever  une  dernière  contradiction  de  Wersebe.  Il  existe, 
dans  rrkermark,  une  ancienne  famille  noble  qui  porte  aujourd'hui  le  litre 
de  comte,  la  famille  Flemmlng  '\  «  Comme  les  ancêtres  de  celte  maison,  dit 
notre  auteur,  écrivirent  dans  le  principe  leur  nom  tout  court  sans  la  parti- 
cule, et  que  partant  ce  nom  n'est  pas  emprunté  à  une  terre,  mais  indique  une 
qualité  personnelle,  je  n'hésite  pas  à  lui  assigner  une  origine  llamande  .  » 
Cela  est  clair  et  cela  est  exact.  Mais  comment  ce  nom  s'est-il  tout  à  coup 
transporté  en  Poméranie?  Écoulez  l'explication  :  «  J'oserai  bien  aussi  eu 
attribuer  l'origine  à  cette  circonstance  que  les  premiers  biens  de  la  famille 
Flemming,  étaient  situés  dans  le  Flemmiiujische  Kreis,  d'où  elle  prit  le  nom, 
et  qu'elle  continua  à  être  désignée  ainsi  dans  la  suite,  soit  qu'elle  ait;>«r/«- 
cipé  à  l'élablissemcnt  des  colonies  flamandes  dans  cet  endroit ,  soit  qu'un  de 
ses  membres  y  ait  rempli  la  fonction  de  Voigt  *.  » 

'  Wersebe,  p.  620. 

^  Schlôzer,  p.  416. 

^  Wersebe,  pp.  581 ,  6:20,  sqq. 

*  IbiiL,  p.  621. 


J52  HISTOIRE 

Werscbe  a  dit  —  il  i  oublie  apparemment  —  une  page  plus  haut,  qu'il  lui 
est  impossible  d'admettre  qu'une  colonie  flamande  se  soit  jamais  établie  dans 
cette  contrée. 

3Iais  passons  :  «  Je  ne  puis,  continue- 1 -il,  donner  ce  fait  que  comme 
une  conjecture,  parce  que  la  situation  des  biens  héréditaires  de  la  famille 
Flemming  ne  m'est  pas  bien  connue.  Le  plus  important  de  ces  biens  semble 
avoir  été  Bôckh,  prés  de  Stetlin  ;  mais  cette  famille  en  possédait  beaucoup 
d'autres;  or,  comme  une  de  ses  branches  s'appelait  la  ligne  de  Swirzen  et 
qu'un  village  de  ce  nom  existait  dans  le  Ftemmingische  Kreis,  il  ne  me  pa- 
rait pas  invraisemblable  qu'elle  soit  descendue  de  là  '.  »  L'auteur,  on  le  voit, 
tient  peu  à  ses  opinions.  Il  vient  de  nous  en  donner  deux  qui  sont  l'anti- 
thèse l'une  de  l'autre  ;  en  voici  une  troisième  qui  contredira  les  deux  pre- 
mières :  «  Que  s'il  n'en  est  pas  ainsi,  on  peut  présumer  ^ne\QT^vQm\eYch(ii 
poméranien  de  cette  famille,  sans  être  en  rapport  aucun  avec  les  colonies 
néerlandaises  [il y  en  avait  donc?)  soit  venu  par  hasard {zitfdUi g)  de  Flandre 
en  Poméranie,  ait  été  appelé  en  conséquence  le  Flamand  [par  (jui?)  et  ait 
acquis  là  des  biens,  soit  par  mariage,  soit  par  toute  autre  voie  ^.  » 

Sans  doute,  le  hasard  joue  un  grand  rôle  dans  les  affaires  d'ici-bas;  mais 
{[{.{un  Flamand,  sans  être  en  rapport  avec  personne,  arrive  par  hasard  en 
Poméranie,  c'est-à-dire  aille  vivre  dans  un  pays  inconnu  et  au  milieu  d'en- 
nemis, qu'il  y  soit  parvenu  à  la  fortune  et  à  la  noblesse,  cette  hypothèse  est 
possible,  mais  elle  ne  m'en  semble  pas  moins  risquée.  Il  aurait  été,  ce  me 
seml)le,  beaucoup  plus  simple,  —  mais  peut-être  moins  savant,  —  de  dire 
qu'un  certain  nombre  de  Flamands  se  détachèrent  par  hasard,  zufoUig 
—  puisciue  hasard  il  y  a,  —  du  gros  de  la  colonie  et  s'établirent  dans  le 
Kreis,  qui  depuis  lors  conserva  leur  nom.  Il  est  vrai  que  Wersebe  pourrait 
me  répondre,  et  avec  raison ,  que  cette  conjecture  est  trop  peu  profonde,  et 
par  conséquent  indigne  de  lui. 

Voici  enfin  la  qualriènie  opinion  de  l'auteur,  dont  la  première  partie  me 
parait  la  plus  sensée  :  «  Préfére-l-on  admettre  que  le  chef  de  la  famille  Flem- 
ming a  été  un  des  colons  appelés  par  Albert  l'Ours  ou  arrivés  plus  lard,  on 
devra  toujours  supposer  qu'un  de  ses  descendants  a  reçu  la  noblesse,  et  ac- 

'  VVerspbo,  p.  G22. 
2  Ibid. 


DES  COLONIES  BELGES.  155 

quis  son  premier  bien  en  Poméranie,  car,  parmi  les  immigrants,  il  n\v  avait 
guère  de  gentilshommes  \  » 

Mais  ponrf|uoi  ce  chef  [Slmnmimler)  n'aurait-il  pas  pu  être  noble  d'ori- 
gine? On  ne  voit  nulle  part  que  les  colons  fussent  exclusivement  des  paysans; 
Wersebe  doit,  pour  les  besoins  de  sa  cause ,  insinuer  que  c'était  un  ramassis 
de  gens  sans  aveu.  Mais  j'opposerai  à  son  assertion ,  dépourvue  de  toutes 
preuves,  le  sentiment  d'un  historien  contemporain,  qui  a  examiné  la  ques- 
tion à  un  point  de  vue  beaucoup  plus  impartial.  «  Ces  colons,  dit-il,  n'étaient 
nullement  un  tas  d'aventuriers;  mais  il  y  avait  parmi  eux  des  prêtres,  des 
moines,  des  chevaliers  ^...  » 

Ce  qui  précède  sulïît  pour  démontrer  jusqu'à  quel  point  l'esprit  de  sys- 
tème et  les  préventions  ont  aveuglé  Wersebe,  et  combien  l'on  doit  se  défier 
de  ses  jugements. 

Wohlbriick  admet  sans  hésitation  que  VUkermark  fut  peuplée  par  les 
Néerlandais,  et  il  fait  observer  avec  beaucoup  de  raison  que,  si  l'on  ne  peut 
pas  prouver  ce  fait  par  des  sources  certaines ,  c'est  qu'une  grande  partie  des 
anciennes  chartes  ont  péri  ou  disparu  :  «  La  raison  fondamentale,  dit-il,  pour 
laquelle  il  faut  admettre  que  les  colons,  placés  dans  les  diverses  parlies  de  la 
Marche  de  Brandebourg,  après  l'expulsion  des  Wendes,  étaient  surtout  les 
descendants  des  Hollandais  et  des  Flamands,  qui  avaient  émigré  en  Alle- 
magne cent  ans  auparavant,  c'est  que  ces  colons  jouirent,  à  l'époque  qui 
suivit  leur  établissement,  des  mêmes  droits  et  des  mêmes  privilèges  qui  furent 
accordés  aux  émigrants  en  Allemagne  '\  » 

'   Wersebe,  II,  (i22. 

-  Cari  Hegel,  Geschichlc  der  Jlevktenlmrgisclten  LundsUuidc.  Hostoek,  18110,  p.  23  ;  «  Die 
iiciieii  Ansiedlei-  «nreii  keiiieswegs  eiu  Ilaul'eii  hloszer  Abetiteùrii'...  soiidern  sie  kameii  aïs 
Geisllielie  ùnd  Aliinche,  RiUcr,  Biirgerunil  Ackerbauer  lierein...  » 

5  Geschichte  von  Lehus,  I,  560,  sqq. 


Tome  XXXIL  21 


134  HISTOIRE 


CHAPITRE  X. 

AUTRICHE. 


Les  Belges,  après  avoir  passé  les  limites  de  la  Silésie  et  de  la  Tluiringe, 
poussèrenl  encore  plus  avant  et  conlinuèrent  leur  itinéraire  jusque  sur  le 
territoire  du  duché  dWutriche  '.  Une  des  particularités  les  non  moins  cu- 
rieuses iiuolïre  riiistoire  de  la  ville  de  Vienne,  tant  au  point  de  vue  de  Tex- 
lension  du  commerce  allemand ,  que  de  Fimportance  qu'acquirent  partout 
nos  compatriotes,  est  In  lettre  de  franchise  que  le  duc  Léopold  le  Glorieux 
accorda  aux  Flamands  en  1208  -.  Par  cette  lettre,  le  duc  octroie  aux  Fla- 
mands tous  les  droits  dont  jouissaient  ses  autres  sujets,  et  leur  concède  en 
même  temps  des  privilèges  remarquahles  ^ 

Hormayer  *  conjecture  que  le  nom  de  Flamand  était  un  nom  appellalil", 
porté  par  tous  les  étrangers  que  le  duc  Léopold  avait  attirés  dans  ses  États, 
que  parlant  cette  dénomination  est  équivalente  à  Haiisgenossen  {hospiles) 
par  opposition  à  Ursprungliche  Biïrger  [cives).  Celte  hypothèse,  qui  se  res- 
sent des  Ihéories  de  Wersebe,  est  comliattue  par  tous  les  auteurs. 

il  n'y  a,  en  effet,  aucune  raison  pour  admettre  que  l'expression  Flamands, 
qui  a  originairement  une  signification  particulière,  est  prise  ici  dans  un  sens 
arénéral  •'. 


'   La  Transylvanie  semble  avoir  élé  leur  «Icrnièrc  élapc.  Voy.  mon  Iiitroduclioii . 

2  Vov.  mes  Donniieiils  et  iiii'ces  jiistificatii-es,  n"  24. 

''  Voy.  seconde  partie,  section  X. 

'•  Geschichte  von  Wien,\,\^f.  90,  01  ;  11,  107  Wien,  1804. 

s  Voy.,  entre  autres,  Tzsclioppe  iind  Slcnzel.  Vrkiuuhnhuch  .  p.  141. 


1).  II. 


DES  COLONIES  BELGES.  loo 


CIL\PITRE  XL 


PAYS  DE  CULM. 


Les  chevaliers  teiitoniqiies,  eiilraînés  par  l'exemple  des  princes  alle- 
mands el  cherchant  à  peupler  les  embouchures  de  la  Vislule  d'habilanls  non 
slaves,  V  élablirenl  des  colons  flamands  et  hollandais  '.  Ces  colons  avaient 
pour  principal  objet  la  culture  du  sol.  Leurs  derniers  descendants  existent 
encore  cà  et  là  sous  la  dénomination  de  Gburij  [Baàeni)  ;  ils  parlent  une  sorte 
de  dialecte  allemand  qui  a  conservé,  à  ce  que  Ton  assure,  des  traces  de  son 
origine  néerlandaise.  Les  riches  commerçants  de  Danzig  et  de  Thorn  imijè- 
rent  le  précédent  des  chevaliers  leutoniques  '". 

Ces  derniers  introduisirent  également  des  Belges  dans  le  duché  de  Prusse, 
qu'ils  gouvernaient  alors.  D'autres  Néerlandais  s'y  rendirent  plus  tard,  les- 
quels virent  que  leurs  compatriotes  y  avaient  fait  fortune.  Grâce  à  des  dispo- 
sitions naturellement  bienveillantes,  non  moins  qu'à  un  grand  esprit  de  sagesse 
politique,  —  imitant  en  cela  les  tribus  germaniques  qui,  après  la  concjuèle 
de  l'Italie  et  de  la  Gaule,  avaient  toléré  que  les  provinces  soumises  se  gou- 
vernassent d'après  leurs  projires  droits,  —  les  grands  maîtres  de  l'Ordre  ac- 
cordèrent toujours  aux  Belges  la  faculté  de  conserver,  dans  leur  patrie  d'adop- 
tion, les  anciennes  coutumes  qui  les  régissaient  dans  la  mère-pairie.  Des 
privilèges  de  ce  genre  furent  étendus  à  des  provinces  entières,  et  de  là 

'   Il  y  a,  aux  environs  de  Cuirri,  un  dislrict  nommé  HoUerlund. 

*  Renseignements  de  M.  Kasimir  Jarocliowsivi ,  assesseur  à  Posen,  et  auteur  estimé  d'une 
Histoire  de  Pologne,  récemment  publiée.  La  mesure  flamande,  menstira  flamingiadis ,  ét.nit 
en  usage  dans  tous  les  pays  soumis  à  l'Ordre.  En  1440,  les  États  de  Prusse  se  plaignirent  au 
grand  maître  de  ce  que  ses  chevaliers  altéraient  leurs  privilèges  liéréditaires  flamands,  et 
entre  autres,  de  ce  qu'ils  avaient  raccourci  l'aune  flamande,  c'est- à-dire  que   «  là  où  l'on 

mesurait  autrefois  quatre  charrues  de  terre,  on  en  mesurait  cinq.  »  (Wersebe,  II,  679, 

Lunig,  Spicil.  eccles.,  I,  II,  p.  14). 


1S6  HISTOIRE 

ces  llandft'Men  connues  sous  le  nom  de   FUimische  Redit  el  autres  sem- 
blables '. 

Le  grand  mailre  Hermann  de  Salza  el  le  Landmeisler  Hermann  de  Balk 
publièrent,  le  28  décembre  1233,  la  célèbre  charte,  dite  Privilcgimii  cul- 
mense,  par  laquelle,  outre  le  droit  de  xMagdebourg ,  le  droit  flamand  était 
aussi  établi  dans  leurs  États.  Faut-il  rapporter  à  cette  date  (4233)  l'arrivée 
des  Flamands  dans  le  pays  de  Culm?  On  ne  sait;  mais  la  mention  (|ue  font 
les  chevaliers  de  leur  droit  traditionnel  est  une  preuve  de  plus  en  faveur  de 
l'existence  de  leurs  colonies  -. 

Au  seizième  siècle,  une  démarche  des  chevaliers  permet  de  conclure  (|up 
les  descendants  des  Néerlandais  avaient  conservé  toute  leur  vitalité.  Soit 
qu'il  y  eût  contestation  sur  le  droit  flamand,  soit  toute  autre  cause,  toujours 
est-il  que  les  chevaliers  teutoniques  demandèrent  aux  échevins  de  Magdebourg 
une  réponse  catégorique  sur  plusieurs  questions  qu'ils  leur  soumettaicni.  J'ai 
parlé  plus  haut  de  ce  Rcscrit  '%  si  intéressant  pour  l'histoire  du  droit  flamand 
en  Allemagne;  mais  on  manque  totalement  de  plus  amples  détails  sur  cette 
matière. 

CHAPITRE  XII. 

CERCLE    DE    LEBUS  *. 


Dans  un  acte  passé,  en  1262,  el  dans  lequel  Wilbrand,  archevêque  de 
Magdebourg,  donne  l'assurance  à  l'évéque  de  Lebus  que  le  chapitre  de  ce 
dernier  pourra  continuer  à  percevoir  les  impôts  ordinaires  sur  les  douanes, 
les  monnaies,  etc.,  il  est  statué  que  ce  même  chapitre  «  payera  annuellement, 

'   Kliigcl,  pp.   i  et  3. 

2  Anthanis,  inSiipplem.  (i<l  Wohneri,  Observai.,  p.  118. 

3  Voy.  p.  9(i. 

*  Dans  l'ancienne  haute  Saxe,  avec  un  évèclié  suffragant  de  Gncsne  (dans  lo  Palatinatde 
Calish,  en  Pologne),  qui  fut  sécularisé,  en  1530.  par  la  maison  de  Brandebourg.  La  ville  est  à 
deux  lieues  de  Francfort-sur-lOder. 


DES  COLONIES  BELGES.  Id7 

à  la  place  de  dime,  au  premier  un  demi  ferlo  '  d'argenl  pour  cliacjue  feiine 
/lamande.  » 

Il  esl  évidcnl  (pie  la  menlion  de  ces  fermes  flamandes  n'a  pas  ici  Irail  uni- 
(picment  à  la  mesure  employée  par  les  Flamands  '-.  L'expression  même  le 
démontre  clairement.  Ce  qui  confirme  celle  opinion,  c'est  que  l'archevêque 
parle  précisément  de  colons  qui  jouiront,  pendant  un  certain  nombre  d'an- 
nées, de  terres  Jibres  de  toute  redevance,  parce  qu'ils  défiiclient  un  terrain 
inculte  ''. 

Werselic  doute  néanmoins  que  ces  colons  aient  élé  réellement  des  Fla- 
mands; il  croit  plutôt  que  ce  furent  des  Allemands  qui  employèrent  la  mesure 
flamande.  Voilà,  sans  doute,  une  contradiction,  mais  voici  la  preuve  singu- 
lière dont  il  étaieson  doute  :  «  Des  colons  de  Franconie,  dit-il  *,  se  fixèrent  à 
la  même  époque  dans  le  Brandebourg  et  dans  la  Silésie,  témoin  ce  fiag- 
n)enl  d'une  charte  dans  laquelle  il  esl  parlé  de  :  «  (piingenlos  mansos  Frun- 
conia-  mensurit'.  »  El  Wersebe  est  convaincu  que  ces  mots  indicpient  une  co. 
lonic  franconienne  ''.  On  est  fondé  à  lui  demander  pour(|uoi  celle  autre 
phrase  :  «  ...  de  unoquoque  manso  flaminyo  »  ne  désigne  pas  tout  aussi 
bien  une  colonie  flamande?  Les  expressions  mêmes  (ju'il  invoipie  concluent 
contre  lui  :  «  de  iHcinso /lamiiiyo ,  —  mansos  Franconiae  inensHnv.  » 

Enfin,  Wersebe  allègue  à  l'appui  de  son  opinion  un  troisième  argument 
qui  n'est  pas  plus  sérieux  que  les  deux  autres.  «  Les  Flamands,  dit-il,  se 
fixèrent  de  préférence  dans  les  contrées  basses  et  marécageuses,  tandis  que 
les  Franconiens  se  sont  spécialement  occupés  du  dérodage  des  forêts  » .  Qu'est- 
ce  à  dire?  Faut-il  entendre  par  là  que  le  territoire  de  l'évêché  de  l^ebus  était 
couvert  de  bois,  et  que,  dans  une  telle  hypothèse,  les  Flamands  n'ont  pu  y 
avoir  des  établissements?  La  question  demeure  sans  réponse.  Wersebe  ne 

'  Le  fcrio  variait  suivant  les  pays.  Eu  Silésie,  il  valait  I:*  gros;  à  Brème,  2  gros,  8  livres,  etc. 
Kn  allemand  verding  ou  lierduiig.  —  Sa  valeur  la  plus  commune  était  */4  île  marc. 

•■!  Wersebe,  II,  .512. 

^  «...  Quamdiu  durabit  gracia  libertalis,  quam  liabehunt  illi  ipii  recipicnl  si-  siib  nobis.  et 
terram  incultam  perducent  ad  fructum.  » 

'  II,  lilâ. 

'■>  Ibid.,  !)i3,  en  noie. 

'•  Ihid.,  b\i. 


ISS  HISTOIRE  DES  COLONIES  BELGES. 

s'explique  pas  davantage.  11  a  raison  quant  aux  P'ranconiens  de  Silésie  :  in 
nemore,  —  propter  Sylvosa,  disent  les  chartes.  Mais,  pour  ce  qui  est  des 
Flamands,  il  raisonne  complètement  à  faux,  puisque  rarchevêque  de  Magde- 
bourg  dit  expressément  que  Texemption  des  redevances  ne  peut  profiter 
qu'aux  colons  qui  sont  venus  défricher  les  terres  incultes. 


DEUXIEME  PARTIE. 


DROITS  ET  PRIVILÈGES  IMPORTES  OU  OBTENUS 
PAR  LES  BELGES  EN  ALLEMAGNE. 


PRELIMINAIRES. 

Avant  d'exposer  les  droits  des  Belges  à  l'étranger,  je  dois  indiquer  le  fait 
d'où  ces  droits  dérivèrent  :  onine  jus  ex  faclooritur.  Ce  fait,  c'est  l'établisse- 
ment matériel  des  colons  dans  leurs  nouvelles  demeures. 


§  I.  —  Installation  des  Belges  dans  les  endroits  qu'ils  avaient 

à  coloniser. 

I.  Conformément  au  but  pour  lequel  on  les  appelait,  les  colons  émigrés 
se  fixaient  dans  des  endroits  antérieurement  habités,  ou  bien  dans  des  lieux 
complètement  déserts.  Dans  la  première  hypothèse,  ils  ne  faisaient  (|u'entrer 
aux  lieu  et  place  des  premiers  occupants.  Tel  est  le  cas,  par  exemple,  poui-  la 
Misnie,  où  l'évêque  Gerung  vendit  aux  Flamands  le  village  de  Koryn,  jusque- 
là  habité  par  les  Slaves;  tel  est  encore  le  cas  pour  la  principauté  d'Anhalt, 
où  l'abbé  de  Ballenstadt  leur  vendit  deux  villages  égalemenl  enlevés  aux 
Slaves  :  duas  viUulas...  Iiaclenusa  Slavis  possessas. 

Ces  sortes  de  colonies  étaient  les  plus  simples  et  les  moins  dispendieuses; 


160  HISTOIRE 

ce|)endaiit,  nous  le  verrons  tout  à  l'heure,  les  Belges  en  é(aient  récompensés 
par  de  nombreux  privilèges. 

Il  éjail  plus  dillicik'  et  plus  coùleux  de  coloniser  un  terriloire  conipléte- 
menl  inculle  el  inhîibilé.  C'est  pourtant  ce  qui  arriva  le  plus  fréquenunenl.  La 
plupart  des  chartes,  (jue  j'examinerai  plus  loin,  disent  que  les  Flamands 
s'établissaient  //*  loco  (juodain  incullo  ac  deserlo,  ou  bien  dans  un  pa\s 
humide  et  marécageux  Inimida  ac  palusfria. 

II.  Comment  alors  se  faisait  l'établissement  matériel  de  ces  colons? 

Il  pouvait  avoir  lieu  de  trois  manières,  suivant  que  c'était  le  souverain  du 
paNS,  ou  un  prince  ecclésiastique,  ou  un  simple  seigneur  foncier  qui  fondait 
la  colonie. 

Les  souverains  s'adressaient  généralement  à  des  colons  étrangers,  et,  de 
préférence,  à  des  genlilshommes  ',  (|ui,  accompagnés  de  leurs  vassaux,  al- 
laient habiter  et  cultiver  un  terriloire  dont  on  convenait.  De  là  ces  expressions 
strenui  viri,  geslrenge  flerren  dont  on  les  qualifie.  Ces  chefs  colons  (Bauer- 
meister),  —  car  ces  gentilshommes  n'étaient  pas  aulrc  chose,  —  recevaient 
de  nombreux  privilèges,  privilèges  qui  existent  encore  pour  la  plupart  au- 
jourd'hui et  pai'  lescpiels  on  leur  accordait  certaines  quole-parls  dans  les  re- 
devances i'oncières,  dans  les  revenus  des  moulins  à  bâtir,  et  dans  les  parcelles 
de  terre  ajoutées  aux  villes  et  villages  :  tout  le  reste  revenait  de  droit  au  sou- 
verain. Les  villes  elles-mêmes  obtenaient  communément  quelques  centaines 
de  nianses  de  terrain ,  des  exemptions  de  douane  et  d'impôts,  —  sauf  celui 
du  hareng,  —  le  droit  de  pêche,  etc.  '". 

Les  prélats,  évêques  ou  abbés,  ne  concouraient  pas  moins  vivement  que 
les  princes  à  la  colonisation  des  terres  qui  dépendaient  de  leur  juridiction. 
En  échange  des  privilèges  qui  leur  étaient  concédés  à  cet  effet,  ils  parta- 
geaient avec  le  souverain  les  bénéfices  à  provenir  de  l'érection  des  nouveaux 
villages;  car  ils  s'occupaient  peu  des  villes  ^.Quoiqu'ils  doivent  être  consi- 
dérés comme  les  véritables  fondateurs  de  ces  villages,  puisque  c'est  grâce  à 
leur  initiative  qu'on  les  vit  s'élever,  ils  n'en  furent  pas  cependant  les  organi- 

'  Werscbe,  II,  629,  note. 

2  Luc.  cit. 

'  Ibid.,  p.  C29. 


DES  COLOiSIES  BELGES.  IGI 

saleiirs  direcls  et  immédials.  Ils  s'adressaient  généralement  ^i  des  enliepre- 
neins  spéciaux  et  qui  relevaient  d'eux.  Ces  derniers  s'engageaient,  moyen- 
nant de  certains  avantages  déterminés,  à  établir  des  colons  dans  tel  ou  tel 
endroit ,  à  rebâtir  une  localité  détruite ,  à  en  édifier  une  nouvelle ,  etc. 

Enfin,  la  fondation  d'un  village  é[a\l  parfois  aussi  l'œuvre  d'une  entreprise 
privée.  Je  ne  dis' pas  toujours,  comme  Droysen  ',  puisque,  comme  on  vient 
de  te  voir,  les  princes  et  les  prélats  se  plaisaient  à  recourir  à  ce  moyen  pra- 
tique de  civiliser  leurs  États.  Mais  le  seigneur  foncier  {Grundherr)  avait  tou- 
jours besoin  de  l'autorisation  du  suzerain  [Landesherr)  ou  de  l'évêque  '. 
Quand  il  avait  obtenu  la  concession  ou  le  privilège  nécessaire,  il  formait  un 
tiailé  avec  un  ou  plusieurs  entrepreneurs  auxquels  il  transmettait  un  cer- 
tain nombre  de  fermes  ordinairement  limité,  quelquefois  indéterminé,  et  les 
entrepreneurs  s'engageaient  à  y  introduire  des  habitants  ^. 

III.  Mais  qu'étaient-ce  que  ces  chefs  colons,  ces  entrepreneurs!' 

Comme  le  nom  l'indique,  les  premiers  [Bauermeisler)  étaient  pris  parmi  les 
colons  étrangers  que  les  faveurs  des  souverains  attiraient  dans  d'autres  pa}s. 
Tels  sont  les  six  Hollandais  qui  traitèrent  avec  l'archevêque  de  Brème.  Les 
seconds  [Unternehmer]  étaient  des  indigènes ,  nobles  ou  riches  bourgeois  d'une 
ville,  qui  se  faisaient  fort  d'amener  des  habitants  quelconques  sur  le  terri- 
toire dont  ils  obtenaient  la  concession.  Tels  me  reviennent  Henri  de  Scalhen, 
et  Adolphe  de  Schauenbourg,  comte  de  Holstein,  pour  leMecklembourg,  et 
le  comte  de  Ratzebourg,  pour  le  Lauenbourg. 

Les  Unternehmer  s'occupaient  généralement  de  la  restauration  des  villes, 
où  ils  avaient  pour  mission  spéciale  d'introduire  les  mœurs  des  autres  cités 
allemandes,  et  de  germaniser  ainsi  de  plus  en  plus  la  contrée;  les  Bauer- 
meisler ,  au  contraire,  avaient  pour  but  unique  de  se  fixer  à  la  canq)agne  et 
d'y  travailler  avec  zèle  à  l'amélioration  de  l'agriculture.  Enfin,  les  Bauermeister 
restaient  d'ordinaire  à  la  tête  du  village  qu'ils  avaient  fondé,  tandis  (|ue  les 
Unternehmer  cédaient  le  plus  souvent  leurs  privilèges  aux  nouveaux  liabi- 
tanis,  lesquels  rentraient  parla  dans  le  droit  commun  *. 

'  Gesihichie  lier  jjreussischeH  Poliiili ,  \.  p.  G'2. 

^  T/.scliojjpe  iind  Stcnzul,  p.  145. 

■'  Ihld.,  p.  14î). 

*  WtTscbc,  II,  pp.  000,637. 

Tome  XXXII.  22 


162  HISTOIRE 

Toiilefois,  l'on  remar(jue  aussi  entre  eux  quelques  ressemblances.  Les  colons 
belges  aussi  bien  que  les  bourgeois  nationaux  étaient  appelés  à  cause  de 
leurs  qualités  industrieuses,  —  qualités  qui  manquaient  à  la  population  pri- 
mitive, —  les  uns  pour  tel  motif,  les  autres  pour  tel  autre.  Les  Bauermeisler 
aussi  bien  que  les  Unternehmer  se  perdent  dans  les  ombres  de  l'histoire,  dès 
qu'ils  ont  rempli  la  tàcbe  qui  leur  incombait  :  on  ne  sait  ni  ce  qu'ils  devin- 
rent, ni  ce  qui  en  arriva  des  privilèges  qui  leur  avaient  été  octroyés.  Nulle 
part  on  ne  trouve  les  noms  de  famille  des  fondateurs  des  villes  et  des  villages 
parmi  les  patriciens  ou  conseillers  de  l'endroit,  si  ce  n'est  dans  les  chartes 
mêmes  de  fondation,  sans  lesquelles  ces  noms  seraient  totalement  inconnus. 
En  outre,  et  c'est  peut-être  là  ce  qui  explique  l'étrangeté  de  ce  fait,  les  colons 
aussi  bien  que  les  bourgeois  des  villes  rachetaient  le  plus  souvent,  pour  se 
les  approprier,  les  privilèges  des  entrepreneurs  ou  des  chefs-colons,  de  sorte 
(|u'ils  pouvaient  alors  doter  leur  nouvelle  résidence  des  institutions  commu- 
nales déjà  en  usage  dans  leur  patrie  '. 

IV.  Passons  maintenant  des  généralités  aux  détails. 

Tout  n'était  pas  fini  quand  les  Bauermeister  ou  Unternehmer  avaient  ob- 
tenu la  cession  d'un  terrain.  Il  fallait  alors  tracer  les  limites  de  la  nouvelle 
colonie  et  assigner  à  chacun  une  juste  part.  Ces  limites  étaient  fort  soigneu- 
sement marquées.  Dans  certains  pays,  les  princes  eux-mêmes  ne  dédaignaient 
pas  de  faire  solennellement  le  tour  du  territoire  concédé,  et  ils  étaient 
accompagnés  d'une  suite  nombreuse  de  chevaliers  auxquels  se  joignaient 
souvent  les  habitants  des  localités  les  plus  proches.  Ils  faisaient  la  délimita- 
tion avec  une  précision  extrême,  en  indiquant  les  bornes  par  des  corniers 
[Mahlsleine),  ou  par  des  mottes  de  terre  [Erdhaùfen]  nommées  Kopilzen, 
ou  bien  en  donnant  au  futur  village  des  «  frontières  naturelles,  »  comme  de 
vieux  arbres  ou  des  cours  d'eau. 

Lorsque  ces  préliminaires,  —  qui  avaient  pour  but  d'empêcher  les  nou- 
veaux habitants  d'empiéter  sur  le  territoire  du  suzerain  ou  du  seigneur,  — 
étaient  réglés,  les  Bauermeisler  ou  Unternehmer  devaient  partager  le  village 
en  un  certain  nombre  de  manses  qui  variaient  d'après  l'étendue  du  terrain 

'  Wersebe,  II,  637. 


DES  COLONIES  BELGES.  465 

qu'ils  avaient  ol)lenu  :  il  y  avait  des  villages  de  quarante,  cinquante,  de 
soixante  manses,  tantôt  plus,  tantôt  moins  ^  Ils  avaient  ensuite  l'obligation 
d'assigner  à  chaque  colon  la  mesure  dont  il  avait  besoin  pour  lui  et  pour  sa 
famille,  et,  enfin,  de  déterminer  les  choses  communes,  telles  que  les  pâtu- 
rages, les  viviers,  et  la  part  pour  laquelle  chacun  en  pouvait  jouir. 

Chaque  colon  achetait  l'espace  de  terrain  qu'il  pouvait  cultiver.  Il  l'achetait 
plus  ou  moins  cher,  suivant  que  le  terrain  était  en  friche  ou  non,  les  champs 
faciles  ou  difficiles  à  labourer,  le  nombre  des  années  libres  [Freijahren)  plus 
ou  moins  grand  '^.  Les  colons  ne  payaient  pas  une  somme  une  fois  donnée, 
mais,  comme  on  le  verra  plus  loin,  ils  acquéraient  la  propriété  libre  et  trans- 
missible,  moyennant  une  redevance  annuelle,  qu'ils  acquittaient  soit  en  na- 
ture soit  en  argent. 

On  entendait  par  années  libres,  celles  à  l'expiration  desquelles  les  colons 
n'avaient  à  payer  ni  dîmes,  ni  redevances  ^.  Le  nombre  de  ces  années  va- 
riait le  plus  souvent.  Pour  les  fermes  déjà  cultivées  {mansi  paraii,  culti), 
l'exemption  était  de  un  à  quatre  ans;  quelquefois  aussi,  il  n'y  avait  pas 
d'exemption.  Pour  des  champs  incultes  ou  en  friche  {ayri  incitlli),  ou  pour 
des  hois  h  déroder  [silva ,  silvestres ,  non  extirpali),  l'exemption  était  de 
trois  à  seize  ans.  Parfois,  sans  distinction  de  la  nature  du  terrain ,  elle  était  de 
un,  trois  ou  six  ans  *. 

Les  charges  aussi  bien  que  les  droits  des  colons  étaient  consignés  dans  un 
contrat  en  règle  ;  malheureusement  peu  d'actes  de  ce  genre  nous  sont  par-  ^ 
venus. 

Les  colons  payaient,  en  général,  chaque  année,  comme  redevance,  un 
ferlo,  et  rarement  un  demi-marc  d'argent.  Ils  payaient  davantage  lorsque  la 
dime  était  plus  faible  que  d'ordinaire,  et  moins,  à  raison  de  la  stérilité  du 
sol  ^. 

V.  La  maison  du  colon,  avec  les  écuries,  étables  et  autres  dépendances 


'  Droysen,  1,62. 

■^  Ihiil. ,  C5. 

'  Tzschoppe,  etc.,  p.  155. 

4  Ihid,  p.  455. 

s  Ibiâ.,  p.  1 55. 


164  HISTOIRE 

rusliques,  le  tout  entouré  d'une  haie  ou  d'une  autre  clôture  quelconque,  s'ap- 
|)elail  hof  (cour),  expression  qui  existe  encore  en  Flandre  (liof,  hofslede;  en 
allem.  fwf,  et  en  anglais  homestead,  ciirlilagé). 

Cette  cour  avec  les  champs  et  terres  lahourahles,  ainsi  f|u'avec  les  bois 
adjacents,  formait  une  manse  (ail.  hhfe;  ancien  ail.  hhve ;  flam.  hoeve,  au- 
jourd'hui encore pachlhoeve).  La  manse  n'était  pas  partout  d'une  égale  étendue. 
Elle  variait,  peut-on  dire,  de  pays  à  pays.  Suivant  Cantu  ',  elle  avait  ordi- 
nairement la  valeur  de  douze  arpents.  Mais  il  y  en  avait  aussi  de  six,  trente, 
soixante  arpents.  En  somme,  la  manse  comprenait  un  terrain  suffisant  pour 
pourvoir  à  la  subsistance  du  colon  et  de  sa  famille  '\ 

D'après  Dreger ',  une  manse  flamande  équivalait  à  deux  manses  allemandes 
et  à  quatre  manses  slaves. 

La  réunion  d'un  certain  nombre  de  manses  ou  fermes  foimait  une  villa , 
d'où  dérive  le  mot  moderne  de  village.  Au  milieu  de  la  villa  était  un  pâtu- 
rage commun  où  chacun  pouvait  mener  paître  son  bétail.  Toutefois,  cela  ne 
s'appliquait  qu'aux  colons  qui  avaient  moins  de  trois  manses;  car,  suivant  le 
Spéculum  saxonicum,  collection  de  coutumes  féodales,  en  vigueur  dans  la 
plus  grande  partie  de  l'Allemagne,  le  colon,  propriétaire  de  trois  manses, 
pouvait  avoir  un  pâturage  séparé.  Les  autres  payaient  un  droit  au  seigneur 
(peut-être  aussi  au  SchullheissP)  pour  avoir  la  jouissance  du  pâturage 
commun  \ 

Donc,  pour  résumer  :  cour ,  manse,  villa,  voilà  les  éléments  dont  se  for- 
mèrent avec  les  progrès  de  la  population,  les  villages  et  les  villes  *. 

Un  auteur  allemand  contemporain  nous  a  tracé  un  tableau  pittoresque  des 
fermes  flamandes  et  hollandaises  dans  le  pays  de  Brème  : 

«  Les  fermes  et  les  métairies  ont  une  physionomie  tout  à  fait  néerlandaise 

'  Histoire  uiiiverseUe,  IV,  573,  note  2.  Bruxelles,  t84a. 

-  Westphalen,  II,  C7t  ,  note  123  :  «  Est  enim  maiisus  ager  cuin  sua  domo  vel  miinsionc, 
ijui  maneuti  et  habitanti  alendo  sudicit.  Acccdit  cl  liovam,  quae  nobis  dicitur  ecn  liove  Landes; 
nam  liove  et  Ho/f  est  turia  vel  domus  cura  suo  agro;  undc  fecerunt  Latini  mansuin  et  inan- 
scUum,  si  agcr  suiïiciens  non  esset  additus  eo  loco,  ubi  qiiis  coleret  et  manercl.  » 

^  Pag.  310,  ap.  Scblôzcr,  434. 

'*  tlalluni,  Europe  au  moyen  âge ,  V,  ;)2.  Bruxelles  ,  1840. 

s  Id.,  p.  52. 


DES  COLONIES  BELGES.  16d 

qui  se  révèle  par  une  propreté  excessive ,  rehaussée  par  une  variété  de  cou- 
leurs qui  n'exclut  pas  une  certaine  élégance.  Le  corps  de  logis,  dont  se  com- 
pose la  ferme  proprement  dite,  est  ombragé  par  des  chênes  vigoureux  et  situé 
autant  que  possible  au  milieu  de  l'exploitation.  L'un  des  pignons  est  couronné 
par  deux  lêtes  de  chevaux,  à  la  manière  saxonne;  l'autre  porte  le  nid  de  la 
cigogne,  oiseau  considéré  comme  l'hôte  chéri  de  l'été.  De  la  cour,  entourée 
des  dépendances  et  au  milieu  de  laquelle  git  le  fumier,  on  entre  par  une 
grande  porte  à  deux  battants  dans  l'aire  de  la  grange  qui  forme  corps  avec 
les  étables.  Au  fond  de  la  pièce  principale  de  l'habitation,  (Ïambe  dans  l'âlre 
un  grand  feu  au-dessus  duquel  se  balance  la  chaudière  suspendue  au  mur 
par  un  croc.  La  cloison,  qui  sépare  cette  pièce  et  les  autres  chambres,  est 
garnie  de  plats  reluisants,  d'assiettes  et  d'autres  ustensiles  de  ménage.  Les 
cheminées  et  les  toits  à  tuiles  passent  pour  une  chose  rare  ;  on  laisse  la  fumée 
de  la  tourbe  se  chercher  elle-même  l'issue  qui  lui  plail ,  tandis  que  l'on  con- 
sidère le  toit  de  chaume  comme  donnant  plus  de  chaleur  en  hiver  et  comme 
n'étant  pas  sans  procurer  quelque  fraîcheur  en  été.  Le  tilleul  servait  de  lieu 
de  réunion  à  la  commune,  et  les  assemblées  des  anciens  et  des  juges  de  can- 
tons entiers  se  tenaient  en  plein  air  '.  » 

On  a  déjà  vu  la  part  que  prirent  les  colons  à  la  formation  des  villes  et  des 
villages.  C'est  en  récompense  de  leur  coopération  qu'ils  reçurent  des  droits  et 
des  privilèges  qu'il  convient  maintenant  de  définir. 

§  II.  — ■  Droit  hollandais.  —  Droit  flamand.  —  Observations  générales. 

1.  Les  historiens  qui  se  sont  occupés  de  la  question,  sur  laquelle  j'essaie 
à  mon  tour  de  jeter  quelque  lumière,  sont  fort  partagés  sur  l'importance  qu'il 
faut  assigner  aux  colonies  belges  au  point  de  vue  des  institutions  civiles,  po- 
litiques et  juridi(iues  qui  prirent  naissance  en  Allemagne  à  l'époque  où  elles 
eurent  lieu. 

Les  uns,  s'exagéranl  singulièrement  le  nombre  de  nos  compatriotes,  sont 
allés  jusqu'à  dire  qu'ils  changèrent  complètement  la  face  de  la  Germanie,  ei 

'  Kôster ,  ibiil-,  p.  1:2. 


166  HISTOIRE 

que,  sans  leur  arrivée,  les  princes  les  plus  éminents  n'auraient  pu  aboutir  à 
aucun  résultat  sérieux.  D'autres,  soutenant  la  thèse  radicalement  opposée, 
ont  pris  à  lâche  de  démontrer  que  le  rôle  des  cmigrants  néerlandais  n'exerça 
aucune  influence  efficace  sur  les  destinées  de  l'Allemagne;  que  partant  le 
prétendu  effet,  qu'on  veut  bien  en  faire  découler,  l'ut  nul  et  de  nulle  consé- 
(juence. 

Je  me  hâte  de  le  dire  :  aucune  de  ces  deux  opinions  n'est  exacte.  La  pre- 
mière exagère  un  fait  réel  ;  la  seconde  nie  l'évidence.  Je  ne  veux  pour  les 
Belges 

Ni  cet  excès  d'honneur,  ni  cette  indignitt-. 

Dans  la  partie  historique  de  ce  travail,  j'ai  raconté  les  faits  dans  toute  leur 
simplicité.  Cet  exposé  a  suffi  pour  démontrer  que  les  Belges  furent  ce  que  les 
princes  étaient  raisonnablement  en  droit  d'attendre  d'eux.  Leur  rôle  ne  fut  ni 
excessif,  comme  le  voudrait  Eélking,  ni  infime,  comme  le  prétend  Wersebe. 
Dans  quelques  cas  tout  à  fait  exceptionnels,  on  les  trouve  chargés  de  la  dé- 
lénse  de  l'une  ou  l'autre  place  forte  ;  mais  tel  ne  fut  pas  le  but  pour  lequel 
on  les  appela.  Ce  but,  c'était  la  colonisation,  et  dans  cette  entreprise,  ils 
réussirent  au  delà  de  toute  attente.  Voilà  la  vraie  cause  des  faveurs  dont  on 
les  combla. 

IL  C'est  de  ces  faveurs  que  je  dois  m'occuper  dans  cette  seconde  partie. 
Mais  avant  d'en  aborder  l'examen ,  je  dois  faire  observer  qu'aucun  des  peu- 
ples qui  colonisèrent  n'obtinrent  des  avantages  aussi  considérables  que  les 
Belges.  Sans  doute ,  il  n'y  a  (jue  l'appât  d'un  avenir  prospère  qui  puisse 
décidei-  un  grand  nombre  d'habitants  à  quitter  une  terre  civilisée ,  pour  émi- 
grer  dans  des  contrées  à  demi  sauvages.  Mais,  entre  une  certaine  somme  de 
droits  auxquels  ces  hommes  pouvaient  légitimement  prétendre  et  les  privi- 
lèges immenses  qu'on  leur  accorda,  il  y  a  une  différence  dont  la  significa- 
tion ne  saurait  échapper  aux  esprits  les  moins  clairvoyants  ou  les  plus  pré- 
venus. En  justifiant  cette  proposition  plus  loin,  j'aurai  prouvé  que  l'opinion 
de  Wersebe  et  de  ses  partisans  est  contraire  à  la  fois  au  témoignage  de  l'his- 
toire et  à  la  vérité  des  faits. 

Quant  aux  écrivains  qu'un  enthousiasme  un  peu   irréfléchi  a  portés  à  exa- 


DES  COLONIES  BELGES.  167 

gérer  si  démesurémenl  le  rôle  des  Belges,  je  leur  répondrai  que  si  l'action  de 
nos  compalriotes  eût  été  aussi  grande  qu'ils  se  sont  plu  à  le  croire,  les  Néer- 
landais auraient  dû  nécessairement  imposer  leurs  lois  et  leurs  idées  à  l'Alle- 
magne tout  entière.  Or,  il  saute  aux  yeux  de  tout  le  monde  que  tel  ne  fut  pas 
le  cas. 

Les  Flamands  eurent  le  Fldmische  Rechl ,  et  les  Hollandais  le  HoUmhe 
Recht;  ces  deux  expressions  seront  définies  plus  loin.  Mais,  si  important  que 
fût  le  faisceau  de  droits  compris  dans  chacune  de  ces  dénominations ,  il  ne 
devint  pas  la  règle  commune  de  toute  l'Allemagne.  Ce  n'est  que  dans  quel- 
ques cas  particuliers  qu'on  étendit  le  Fldmische  ou  le  llolUsche  Recht  à  d'au- 
tres qu'à  des  Néerlandais.  Il  importe  donc,  si  l'on  veut  rester  impartial,  de 
garder  un  juste  milieu  équitable,  et  d'accorder  à  nos  compatriotes  tout  l'hon- 
neur qui  leur  revient,  mais  rien  de  plus. 

IIL  Le  Droit  VLXMk^u  [jus  /lamingicum,  flamengale,  flnmmitujicale , 
jura  Flammingorim ,  Flammingerorum ,  Fldmische  Rechl),  semble  avoir 
été,  dans  le  nord-est  de  l'Allemagne,  le  droit  commun  des  colons,  de  même 
que  le  Droit  Hollandais  [jus  hollandicum,  hollandricum ,  HoUandense, 
Hollerum,  IJollense,  IloUicum,  Hallicim ,  jus  Hollicorum ,  llollerisch 
Recht,  Hollische  Rechl,  Hollsche  Rechl)  le  fut  dans  le  nord-ouest,  c'est-à- 
dire  à  Brème  et  dans  les  contrées  situées  à  l'embouchure  de  l'Elbe. 

Delà  les  expressions  locare  flamingicQJure,  dedimus  Jus  Flamiggorum  , 
iransferre  ad  jura  Flamingorum,  jus  municipale  fJemingicum;  locare  jure 
hollandico,  cedere  jure  hollico ,  vendere  jure  hollandensi,  also  in  Hollan- 
deres  Recht  isl,  etc. 

Ces  deux  droits,  hollandais  et  tlamand,  élaienl-ils  écrits? 

Quant  au  premier,  Wersebe  croit  que,  dans  le  territoire  de  Brème  où  les 
colons  s'établirent  d'abord,  il  n'est  resté  aucune  trace  de  leurs  principes  juri- 
diques, opinion  dont  je  démontrerai  plus  loin  l'inexactitude.  Il  ajoute  que  ce 
droit,  ne  contenant  rien  de  particulier,  a  pu  se  confondre  facilement  avec  le 
droit  du  pays;  ce  qui  est  tout  aussi  peu  fondé  ^  Enfin,  il  est  d'avis  que  les  co- 
lons ont  conservé  les  droits  qu'ils  ont  importés  de  leur  patrie ,  mais  que,  dans 
la  suite,  ces  droits  sont  tombés  en  désuétude  ou  ont  été  abolis  par  des  con- 
ventions expresses  ^. 

I   Wersebe,  I,  396.  • 

■■'  Id.,  II,  I0G4. 


168  HISTOIRE 

Hoclie  soulienl,  d'autre  part,  que  les  colons  emportèrent  avec  eux  leur 
code  [Geselzbuch] ,  ou  qu'ils  se  le  procurèrent  dans  Tune  ou  l'autre  ville 
voisine,  comme  Lubeck,  Scinverin  '.  C'est  raisonner  en  dehors  de  la  ques- 
tion, à  moins  qu'il  ne  faille  entendre  par  là  que  les  Hollandais  furent  soumis 
au  droit  de  Lubeck,  ce  qui  est  manifestement  contraire  à  la  pensée  de  l'au- 
teur. 

Langelbal  fait  observer  qu'une  distinction  doit  être  établie  entre  le  droit 
hollandais  proprement  dit  el  les  lois  hollandaises  -,  d'après  lesquelles  les 
tribunaux  devaient  rendre  justice  :  ces  derniers  étaient  aussi  désignés  sous 
le  nom  de  droit  hollandais.  Or,  comme  les  juges  étaient  nommés  parmi  les 
colons,  el  qu'ils  ne  connaissaient  d'autres  droits  el  d'autres  usages  que  ceux 
de  leur  pairie ,  il  semble  évident  que  leurs  décisions  devaient  s'étayer  sur 
les  lois  el  usages  qui  y  étaient  en  vigueur^. 

Aucun  de  ces  auteurs  ne  tranche  la  question.  Comme  il  n'y  a ,  d'ailleurs, 
aucun  texte  que  l'on  puisse  invoquer,  je  crois  qu'il  faut  répondre  négative- 
ment el  considérer  le  Jus  liollandicwn ,  à  son  origine  en  Allemagne,  comme 
un  droit  coulumier. 

Quant  au  droit  flamand,  il  faut  distinguer. 

Dans  certaines  parties  de  l'Allemagne,  il  existait  seulement  comme  cou- 
tume {consuetudo)  ou  usage  [observant ta). 

En  revanche,  il  n'y  a  aucun  doute  qu'il  n'ait  existé  en  Silésie  à  l'état  de 
droit  écrit.  Une  charte  précieuse  en  donne  la  certitude  complète.  Henri, 
évêque  de  Breslau,  abolit  le  droit  de  Magdebourg  (le  20  février  1310), 
accordé  deux  ans  auparavant  à  la  ville  de  Nysse  el  le  remplace  par  le  droit 
flamand.  L'évêque  dit  en  termes  exprès  que  ce  droit  est  clairement  expliqué 
el  défini  dans  des  livres  «l  traités  composés  jusqu'à  cette  époque,  «  idem 
jus  flamiiKjicum ,  in  libris  el  script is  inde  confectis,  plane  el  lucide  inve- 
nilur  expressum  »  et  il  veut  qu'il  soit  appliqué  dans  tous  ses  articles,  clauses 
el  dispositions  quelconques  «...  in  suis  judiciis  hoc  flamingicum  jus  lenere 
in  omnibus  ejusjuris  urticuUs,  dausulis  el  punclis.  » 


'   Ilochc,  p.  32. 

-  Gesrliichle  lier  teutsclieii  Landwirthschaft ,  II,  p.  91  ,  noie  "2. 

î  Ecllving,  H7,  118. 


DES  COLONIES  BELGES.  169 

On  so  demande  tout  d'abord  si  l'évêquc  parle  en  général ,  ou  s'il  a  sim- 
plement en  vue  la  Silésie.  On  en  est  réduit  aux  conjectures. 

IV.  Quoi  qu'il  en  soit,  les  expressions  droit  flamand,  droit  hollandais, 
doivent  être  envisagées  sous  un  double  aspect. 

Elles  comprennent  : 

I.  L'ensemble  des  droits  (géîvéralx)  que  les  Flamands  et  les  Hollandais 
importèrent  de  leur  patrie  et  qu'ils  ont  conservés  dans  les  divers  pays  où  ils 
s'établirent. 

IL  Les  droits  et  privilèges  (spéciaux)  qu'obtinrent  nos  colons  sur  la  foi 
des  traités  [pacta,  pacliones)  et  autres  conventions  verbales  ou  écrites,  et 
qui  avaient  trait  principalement  aux  terres  qu'ils  avaient  à  défricher. 

Le  droit  flamand  et  le  droit  hollandais  garantissaient  donc  à  nos  compa- 
triotes les  droits  que  je  nommerai  indigènes  [Heimaisrcchie)  et  (pii  consis- 
taient dans  : 

a.  Le  droit  de  liberté. 

b.  Le  droit  de  propriété. 

c.  Le  droit  d'avoir  une  juridiction  propre, 

d.  Le  droit  de  succession  : 

i"  Transmission  ou  adhéritance; 
2°  Hérédité. 

r.   Le  droit  de  conserver  les  mesures  en  usage  dans  leur  patrie. 

Ces  matières  feront  l'objet  du  chapitre  I". 

Dans  le  chapitre  II,  j'examinerai  les  droits  et  privilèges  spéciaux.  Il  est 
à  regretter  que  l'on  ne  puisse  pas  entrer  dans  le  détail  de  ces  droits  et  privi- 
lèges pour  tous  les  pays  où  l'on  trouve  des  traces  de  colonisation  néerlandaise. 

Les  sources  font  souvent  défaut.  J'attribue  celte  absence  de  documents 
d'un  côté  à  la  perte  des  traités  et  pactes  originaux  qui  intervinrent  entre  les 
souverains  et  les  colons;  de  l'autre,  à  cette  circonstance  que  les  conventions 
étaient  souvent  purement  verbales.  Aucun  écrit  n'ayant  été  rédigé,  les  anna- 
listes de  l'époque  postérieure  et,  à  plus  forte  raison,  les  écrivains  de  ce  siècle 
n'ont  pu  essayer  l'examen  des  clauses  qu'elles  renfermaient,  ni  discuter  le 
degré  d'avantage  qui  en  résultait  pour  nos  compatriotes. 

Tome  XXXII.  .  ^  25 


no  HISTOIRE 

CHAPITRE  I". 

DROITS    GÉNÉRAUX. 
SECTION  I. 

DROIT    DE    LIBERTÉ. 

Dès  la  fin  du  onzième  siècle,  les  Relges  avaient  obtenu  des  lettres  d'alïran- 
chissement  ou  Keuren  [cliorœ),  (|ui  lurent  comme  le  principe  et  le  germe 
des  communes  qui  commencèrent  à  poindre  à  cette  époque.  Il  er)  fut  de 
même  pendant  toute  la  durée  du  douzième  siècle. Thierry  et  Philippe  d'Al- 
sace marchèrent,  comme  leurs  prédécesseurs,  dans  une  voie  libérale,  el  se 
distinguèrent  par  les  octrois  nombreux  qu'ils  firent  aux  villes  de  la  Flandre, 
telles  que  Nieuport,  Gand,  Rruges,  Audenarde,  Grammont,  etc. 

Peut-être  les  émigrations  des  Belges  furent-elles  en  partie  cause  de  cette 
générosité  :  «  L'état  d'abandon,  dit  Raepsaet  '  dans  lequel  se  trouvait  le  plat 
pays,  n'excita  pas  moins  vivement  l'attention  de  ces  princes.  Il  s'agissait  d'ar- 
rêter l'émigration  des  colons  el  de  repeupler  les  parties  déjà  désertes;  les 
mêmes  appàls  qui  attiraient  sans  cesse  les  paysans  belges  dans  le  nord  de 
l'Allemagne  furent  jugés  bien  propres  pour  les  retenir  dans  leur  patrie.  » 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  Néerlandais  obtinrent  dans  tous  les  pays  les  condi- 
tions les  plus  favorables;  mais  celle  qu'ils  stipulèrent  partout  la  première 
fut  la  liberté.  La  liberté,  qui  semblait  née  sur  leur  sol,  et  y  avait  déjà  reçu 
de  si  prodigieux  développements,  suivit  ses  enfants  dans  ces  contrées,  féodales 
par  excellence,  où  ils  allèrent  s'établir,  el  planta  son  drapeau  dans  les  nou- 
velles villes  qui  s'élevèrent  sous  ses  auspices. 

Ce  qui  le  prouve  à  l'évidence,  c'est  que  les  souverains,  prélats  ou  sei- 
gneurs, en  attirant  des  Relges,  faisaient  avec  eux  des  conventions  synallag- 
matiques.  Or,  en  traitant  avec  eux ,  dit  fort  judicieusement  Heeren ,  ils  recon- 

'   OEuvres  complètes,  V;  311. 


DES  COLONIES  BELGES.  171 

naissaient  par  cela  même  leur  indépendance;  car  loul  contrat  suppose  liberté 
chez  le  contractant  '. 

On  est  donc  fondé  à  dire  que  partout  où  allèrent  les  Belges,  ils  jouirent 
d'une  liberté  pleine  et  entière.  Cette  liberté  portait,  d'abord,  sur  leurs  per- 
sonnes :  point  de  servage,  point  de  services  corporels;  rien  qui  rappelât  des 
gens  taillables  et  corvéables  à  merci. 

On  ne  pouvait  exiger  d'eux  d'autres  services  que  ceux  que  tout  homme 
libre  doit  prester  :  services  dans  l'armée  [Heerbann] ,  garde  de  la  iianlieue 
{Burghann)  et  autres  services  du  même  genre.  Cela  s'appelait  flfimisrlwr 
Burdcenst. 

Tous  les  auteurs  sont  d'accord  sur  ce  point  '. 
'  Elle  se  rapportait,  ensuite,  à  leurs  biens  qu'ils  possédaient  als  frète  Leutc , 
disent  tous  les  historiens.  Or,  ajoute  Hoche  %  celui  qui  a  la  faculté  de  pos- 
séder librement  son  bien  et  de  le  transmettre  à  ses  héritiers,  n'est  certaine- 
ment pas  un  serf. 

Cette  double  liberté  appartenait  aux  deux  sexes. 

Un  acte  de  partage  de  1 141 ,  signé  entre  Adalbert ,  archevêque  de  Brème, 
et  la  mère-tutrice  du  duc  de  Saxe,  porte,  article  4  :  «  Si  quis  ad  nos  liber 
intraverit,  et  se,  sicutest,  liberum  professus  fuerit,  libertate  sua,  si  velil, 
utatur  '.  » 

Je  n'ai  pas  besoin  d'insister  sur  ce  point,  dont  la  preuve  résulte  surabon- 
danniient  de  ce  que  j'ai  dit  plus  haut  des  relations  des  Néerlandais  avec  les 
chefs  des  États  qui  les  appelèrent. 

SECTION  II. 

DROIT  DE  PROPRIÉTÉ. 

I 

I.  A  côté  des  biens  des  souverains,  des  prélats,  des  abbayes  et  des  sei- 
gneurs, il  y  avait,  en  Belgique,  des  terres  libres,  librement  possédées  par 

'  Essai  sur  l'influence  des  croisades ,  205. 

■^  Voy.,  entre  autres,  v.Maurer.  {Geschichte  der  Fronhofe ,  der  Bauerhbfe ,  etc.,  II,  pp.  72-75.) 
Erlangen,  1862. 
3  Pag.  81. 
*  Sclilôzer,  p.  400.  —  Langetlial ,  II,  87. 


172  HISTOIRE 

des  particuliers,  el  qui  relevaient  directement  de  la  justice  du  comte  ou  autre 
suzerain.  Les  auteurs  sont  partagés  sur  le  point  de  savoir  si  le  maître  de  pa- 
reilles terres  était  tenu  de  payer  un  certain  cens  in  recognilionem  direcli  do- 
minii.  Les  uns  se  prononcent  en  faveur  de  la  liberté  absolue  du  fonds;  les 
autres  pensent  que  cette  liberté  ne  se  justifiait  point  par  une  possession  con- 
stante et  qu'elle  ne  pouvait  être  prouvée  que  par  litre  authentique. 

Je  n'ai  pas  à  m'occuper  ici  de  ces  systèmes;  je  ne  dois  qu'examiner  quelle 
était  la  nature  du  droit  de  propriété  accordé  aux  colons  belges  en  Alle- 
magne. 

Disons-le  tout  d'abord  :  le  droit  de  propriété  qu'obtinrent  nos  colons,  sans 
être  un  dominium  pleniun,  dans  le  sens  que  l'on  attache  généralement  à  ce 
mot,  en  avait  tous  les  attributs. 

Je  dis  «  sans  être  un  dominium  plénum.  »  En  elTet,  le  droit  accordé  aux 
colons  renfermait  dès  le  principe  le  germe  d'une  entrave  qui  mettait  ob- 
stacle à  ce  que  la  propriété  fût  absolue  comme  aujourd'hui.  Otte  entrave, 
c'était  la  redevance  [cens us ,  Zins)  que  le  colon  était  astreint  de  payer  à  qui 
de  droit,  ainsi  que  nous  le  verrons  tout  à  l'heure. 

Je  dis  encore  «  avait  tous  les  attributs  de  la  propriété.  »  Car,  sauf  la  res- 
triction que  je  viens  d'établir,  le  colon,  qui  avait  obtenu  une  concession  de 
terres,  jouissait  de  tous  les  droits  d'un  propriétaire  incommutable. 

C'est  dans  ce  sens  qu'Eelking  dit  :  «  Qui  fundos  suos  aliis  colendos  Iradunt, 
plerumque  horum  fundorum  dominium  retinent,  nec  iilud  in  cultores  trans- 
ferendi  animum  habent  '.  « 

Droysen,  se  plaçant  au  même  point  de  vue,  ajoute  que  les  colons  n'avaient 
pas  la  vérilalde  propriété  [Uchte  Eigenfhinn),  el  que  dans  les  Marches  ce 
droit  n'appartenait  à  personne  "'. 

En  somme,  il  résulte  d'une  foule  de  documents  que  le  droit  de  propriété 
des  colons  tenait  parfois  de  l'emphytéose,  tandis  que,  d'autres  fois,  il  avait 
plutôt  le  caractère  d'un  fief.  Il  convient  de  l'examiner  successivement  sous 
ces  deux  rapports. 

II.  Hoche  me  semble  avoir  le  premier  posé  nettement  le  principe  :  «  Les 

'  De  Uelgis,  etc.,  pages  133,  134,  180,  183. 
*  Preusaisrhe  Pulilik ,  elc,  I,  64. 


DES  COLONIES  BELGES.  173 

biens  flamands  el  hollandais,  dil-il,  peuvent  être  placés  dans  la  catégorie  des 
biens  emphytéotiques  avec  lesquels  ils  ont  une  immense  ressemblance  '.  » 

Voici  quels  étaient  les  droits  du  colon,  devenu  propriétaire  dans  le  sens 
indiqué  : 

A.  Il  jouissait  du  fonds,  de  la  manière  la  plus  étendue.  Il  pouvait  y  fai«e 
tous  les  changements  qu'il  jugeait  nécessaires  et  concéder  des  servitudes. 

B.  Il  cultivait  le  fonds  à  sa  guise,  et  disposait  des  fruits  de  la  culture 
comme  il  Tentendail. 

c.  Il  pouvait  couper  les  bois 3  dessécher  les  marais;  défricher  les  bruyères; 
extraire  les  matières  bitumineuses  et  la  tourbe. 

D.  Il  pouvait  affermer  et  vendre  ses  biens;  en  disposer  entre-vifs  ou  à 
cause  de  mort;  à  litre  gratuit  ou  onéreux. 

E.  Il  transmettait  tous  ses  droits  à  ses  héritiers. 

xNulle  part,  je  n'ai  trouvé  que  le  colon  n'avait  pas  le  droit  de  détériorer  le 
fonds,  ce  qui  me  fait  pencher  pour  l'affirmative;  nulle  part  non  plus,  je  n'ai 
remarqué  ni  un  droit  de  retour  [RuckfaU),  ni  un  droit  de  préférence  [Vor- 
kmf),  ni  le  droit  de  Ilandlohn  {laudemhm)  -;  tous  droits  que  pouvait  exercer 
le  propriétaire  vis-à-vis  de  l'emphytéole  proprement  dit. 

La  seule  charge  qui  pesait  sur  le  colon  était  la  redevance  foncière  :  elle 
était  généralement  fixée  dans  le  contrat  de  cession  passé  entre  le  fondateur 
de  la  colonie,  —  prince,  évêque,  abbé  ou  seigneur,  —  et  l'entrepreneur 
[Unternehmer)  ou  chef  colon  [Baucrmeisler]  '. 

On  le  voit,  sauf  celte  redevance,  nos  colons,  s'ils  ne  jouissaient  pas  d'un 
dominium  plenissimiim ,  avaient  néanmoins  des  droits  plus  étendus  qu'un 
emphytéote  ordinaire;  c'étaient,  à  peu  de  chose  près,  des  propriétaires  dans 
le  sens  strict  du  mol;  plus  encore  que  les  emphytéotes,  ils  avaient  wuju! 
dominio  proximum. 

III.  On  ne  trouve  point  dans  les  sources,  qui  concernent  la  matière,  les 
expressions  d'emphytéose  ou  de  propriété;  le  terme  (|ui  s'y  rencontre  à  chaque 
instant  est  celui  de  possession. 

'   Vorrede. 

2  Sclil6zer,42ô. 

3  Droyseii,  I,  63. 


S 


174  HISTOIRE 

Ca'  mo(  a  plus  d'une  acccplion.  En  droit,  il  signilîe  la  détenlion  corporelle 
d'une  chose  avec  l'inlenlion  de  l'avoir  pour  soi  {Besifz)  '. 

Dans  le  langage  usuel,  on  l'emploie  souvent  dans  le  sens  de  bien,  terre, 
domaine  (Besilzthùin)  -.  Dans  quel  sens  les  chartes  prennent-elles  le  mot  en 
question?  Il  est  impossible  de  donner  à  cet  égard  une  réponse  absolue;  je 
crois  que  les  sources  entendent  le  mol  possession  tantôt  dans  le  premier  sens, 
tantôt  dans  l'autre. 

Tâchons  d'éclaircir  la  (|uestion  par  (|uclques  exemples. 

D'après  Michelsen  ,  «  les  colons,  indépendamment  des  droits  (|u'ils  avaient 
importés  de  leur  patrie  {fleimatsreclilc,  mores),  jouissaient  d'un  droit  de  pos- 
session expressément  stipulé  et  originairement  convenu,  notamment  en  ce  qui 
concernait  la  transmission  et  l'acquisition  des  terres,  le  régime  de  ces  biens 
pendant  la  communauté,  et  les  prétentions  que  l'on  pouvait  faire  valoir  en 
cas  d'hérédité  '\  » 

Michelsen  qualifie  ce  droit  des  Flamands  de  «  possession  héréditaire  et 
aliénable  des  terres,  (1er  erhliche  und  der  frète  verausserlic/ie  Besilz  (1er 
Gruiidslriche  '*.  » 

Enfin,  il  ajoute  que  la  possession  d'un  bien  llamand  pouvait  rendre  quel- 
(|u'un  Flaiiumd,  c'est-à-dire  le  rendre  participant  des  droits  (lamands^. 

Il  va  sans  dire  que  dans  ces  divers  cas  le  mol  possession  est  pris  dans  le 
sens  que  lui  attribue  le  droit  romain.  Il  en  est  encore  de  même  dans  le  di- 
plôme de  VVichmann  (1152),  évêque  de  Nanmbourg,  qui  porte  :  «  Si  quis 
eorum  sine  haerede  morialur,  possessio  ejus  intégra  sine  disiractionc  per 
curriculum  anni  et  diei  (enealur  ''.  » 

Mais  l'interprétation  change  dans  le  passage  suivant  du  même  diplôme  : 
«  Si  alicujus  eorum  possessio  venalis  exponitur,  compatriote  suo  tantum,  et 
non  extero  emere  liceat  '.  » 

'    «  Possessio  est  coi'|)ori>  dcteiitio  ciim  aiiiino  sibi  habeiiili.  »  Iiislil. 

-  C'est  ainsi  que  Ion  dit,  par  exemple  :  un  tel  a  de  grandes  possessions  dans  cette  pro- 
vince.—  Ce  prince  a  recouvre  les  anciennes  possessionsde  ses  ancêtres.  Voy.  Dicl.  de  l'Acculéiine. 
^  Reclilsdenkmnle ,  p.  t4G. 
''  Ibid.,  p.  144. 
s  Ibid.,\).  14(1. 
fi  Ibid.,  p.  144. 
'  Ibid.,  p.  145.  Michelsen  trad.  ainsi:  «  Wenn  flamisclie  Landereien  verl^aufilicli  wiirdcn.etc.  » 


DES  COLONIES  BELGES.  ITfi 

La  charle  de  Gerung  prend  égaleineiil  Texpression  possessio  dans  sa  doul)le 
acception.  Quand  révêque  dit  :  «  ...  in  slai)ileni  aelernamf|ue  et  heredilaiiani 
possessionem  tam  ipsis  (|uam  onini  eoruni  posleritati  villam...  tradidi....  » 
il  me  semble  évideni  qu'il  faut  entendre  par  là  le  mot  possessio  dans  le  sens 
des  InsI tîntes . 

Mais  dans  celte  autre  phrase  :  «  Praefatis  enim  J'Iandrensibus  in  memo- 
riam  et  signum  enipta^  possessionis...  »  le  sens,  au  premier  abord ,  parait 
douteux.  Toutefois,  le  conicxto  prouve  qu'ici  le  prélat  désigne  le  bien  hérédi- 
taire {Besilzihnm)  dont  les  Flamands  viennent  de  se  rendre  acquéreurs  et  (pie 
partant  la  possessio  dont  il  parle  ne  doit  pas  se  traduire  comme  dans  la 
phrase  pi'écitée. 

Quoi  qu'il  en  soit ,  en  supposant  même  que  mon  interprétation  ne  soit  pas 
exacte,  ces  exemples  font  voir  que  les  Belges  jouissaient  de  droits  beaucoup 
plus  étendus  que  les  possesseurs  ordinaires,  et  que,  sauf  la  redevance  qu'ils 
avaient  à  payer  annuellement,  ils  étaient  considérés  comme  de  véritables 
propriétaires. 

IV.  A  en  juger  par  d'autres  documents,  il  semblerait  que  les  terres,  (pie 

les  colons  néerlandais  avaient  à  fertiliser,  appartenaient  aux  souverains  et 

*ux  prélats  quoad  doininiuin  directum ,  et  aux  co\ons  r/uoad  doniiniuiti  ulile, 

de  telle  sorte  que  ces  derniers  détenaient  alors  ces  biens  à  titre  de  fief  [zinii 

Lehii),  mais  sous  les  conditions  les  plus  avantageuses  '. 

Ce  qui  est  certain,  c'est  que  les  margraves,  par  exemple,  donnaient  par- 
fois en  fief  la  dîme  tantôt  d'une  ferme  isolée ,  tantôt  d'un  grand  nombre  de 
fermes  réunies;  tantôt  ils  ajoutaient  la  dîme  à  la  redevance  foncière.  D'où  il 
résultait  que  quebpiefois,  mais  rarement,  le  tenancier  à  titre  de  fief  élaii 
propriétaire  du  village  entier^. 

Il  en  était  ainsi  pour  les  Hollandais  de  Brème  comme  pour  les  Flamands 
de  la  Thuringe  ou  du  Brandebourg.  On  leur  concédait  un  droit  sur  les  terres 
marécageuses  qu'ils  devaient  défricher,  droit  qui  avait  la  plus  grande  ana- 
logie avec  l'emphytéose.  Hoche  ajoute  qu'ils  possédaient  aussi  leurs  biens  en 
fief,  (ds  Leitiie  ^.  Enfin ,  ils  obtenaient  la  concession  des   terres  tantôt  gia- 

'    \  (ly.  Iloclie,  [>.  "Jl  ,  n"  G. 
^  Droysen,  I,  (JG. 
-  llnclie,  1).  7i,  11"  5. 


176  HISTOIRE 

luilcnienl,  laiilôt  par  aclial ,  lantol  par  un  acte  sponlané  de  générosilé  [dé- 
vot ione)  ^ 

Terminons  en  disant  que  celte  concession  avait  lieu  le  plus  souvent  sous 
la  forme  d'une  propriété  utile.  C'est  en  conséquence  de  ce  principe  qu'ils 
payaient  annuellement  un  denier  par  manse,  non  à  titre  de  propriétaires  ori- 
ginaires, mais  parce  qu'ils  détenaient  ces  biens  de  l'évêque  ou  de  l'église  -. 

SECTION  III. 

DISIIIT  D'AVOIR  UNE  PROPRE  JURIDICTION. 

A  l'époque  de  l'émigration  de  nos  colons,  les  atti-ibulions,  droits  et  privi- 
lèges du  pouvoir  administratif  et  du  pouvoir  judiciaire  n'étaient  pas  aussi 
clairemenl  dessinés  qu'ils  le  sont  de  nos  jours. 

Dans  les  provinces  belgiques,  chaque  ville  était  administrée  par  un  collège 
de  fonctionnaires,  appelé  le  Mmjislrat ,  la  Justice  civile,  ou  la  Loi.  La  com- 
position de  ces  collèges  était  loin  d'être  uniforme.  Le  titre,  le  nombre  et  les 
attributions  des  membres  qui  le  composaient  variaient  suivant  la  localité.  On 
peut  néanmoins  les  ramener  à  trois  éléments  principaux  qu'on  retrouve 
presque  partout  :  les  bourgmestres,  les  échevins  et  les  conseillers  ou  jurés. 

Les  boui'gmestres  étaient  les  présidents  et  les  chefs  des  magistratures 
locales.  Les  échevins  repiésentaient  les  familles  patriciennes  ou  la  haute  bour- 
geoisie. Les  conseillers  représentaient  plus  spécialement  l'élément  plébéien. 
Mais  cela  n'était  pas  absolu  ;  et,  dans  certaines  villes,  les  échevins,  ainsi  que 
les  conseillers,  élaient  moitié  patriciens,  moitié  plébéiens. 

Celte  organisation  se  maintint  dans  nos  communes  jusqu'à  la  fin  du  dix- 
huitième  siècle. 

Le  droit  de  désigner  les  membres  des  magistratures  locales  était  exercé  par 
le  représentant  du  suzerain,  qui  fut,  à  la  fin  du  moyen  âge,  le  gouverneur 
général  au  nom  de  l'Empereur.  Les  échevinages,  substitués  par  Charlemagne 
aux  maels  ou  plaids  locaux,  étaient  choisis  par  le  comte,  qui  lui-même  était 
le  délégué  du  prince. 

'  Hoche,  73,  n°  5. 
^-  Lanselhal,  11,88. 


DES  COLONIES  BELGES.  177 

Ce  mode  de  nomination  subsista  également  dans  nos  provinces  jusqu'à  la 
fin  du  siècle  dernier  '. 

On  verra  plus  loin  les  points  de  contact  qu'offrait  cette  organisation  avec 
le  régime  sous  lequel  vécurent  nos  colons  en  Allemagne.  Mais,  qu'on  veuille 
bien  le  remarquer,  nos  compatriotes  émigrés  jouirent  dans  leur  nouvelle  pa- 
irie d'un  système  beaucoup  plus  large  et  qui  les  isolait  beaucoup  plus  de- 
leurs  souverains  qu'en  Belgique.  Ainsi  que  le  dit  fort  exactement  Michelsen, 
«  les  colons  flamands  formaient  une  confédération  indépendante,  par 
laquelle  l'organisation  municipale  et  judiciaire,  qui  leur  était  personnelle,  se 
maintint  et  se  développa  d'après  le  droit  coulumier  en  vigueur  chez  eux  ^  » 

Il  n'y  a  évidemment  que  l'aveuglement  du  parti  pris  qui  puisse  faire  traiter 
de  manants  des  gens  qui,  en  stipulant  de  pareilles  conditions,  devançaient  leur 
siècle  et  donnaient  au  monde  l'exemple  d'un  régime  inconnu  jusque-là,  et  dont 
le  sdf-(jovernment ,  serait-on  lente  de  dire,  n'est  qu'une  copie  perfectionnée. 

Il  sera  donc  d'un  haut  intérêt  d'examiner  avec  toute  la  précision  possible, 
et  en  tenant  compte  des  sources,  quelle  était  l'organisation  administrative  et 
judiciaire  (pii  régissait  les  Belges  en  Allemagne.  Il  ne  sera  pas  moins  intéres- 
sant de  faire  ressortir  de  temps  en  temps,  (piand  la  matière  le  permettra,  l'une 
ou  l'autre  analogie  entre  le  droit  flamand  ou  hollandais  dans  les  pays  ger- 
niani(|ues,  et  les  institutions  similaires  ([ui  existaient  à  la  même  époque  chez 
nous  el  qui  furent  comme  la  source  et  le  modèle  des  premiers.  11  est  malheu- 
reusement impossible  de  présenter  l'ensemble  complet  des  deux  systèmes. 
Toutefois,  l'on  trouverait  dans  une  pareille  étude  de  nombreuses  occasions 
d'éclaircir  des  points  obscurs,  de  fixer  des  opinions  douteuses,  de  compléter 
des  lacunes  dans  nos  connaissances  du  droit  belge  pendant  une  des  périodes 
les  plus  intéressantes  de  son  développement  '. 

'  Aujourdhui, l'organisation  communale  et  provinciale,  c'esl-h-dirc  le  pouvoir  admiiiistratiT. 
est  réglée,  cliez  nous,  en  vertu  de  l'art.  108  de  la  Constitution,  par  les  lois  des  30  mars  et 
30  avril  183(). 

Le  pouvoir  judiciaire,  qui  en  est  complètement  distinct,  ainsi  qu'il  résulte  de  l'art.  i)"2  de  la 
luème  Constitution  ,  est  régi  par  la  loi  du  24  août  1790  et  le  décret  organique  du  30  mars  1808, 
<ontenant  l'organisation  des  tribunaux  cl  l'administration  de  la  justice. 

'  Rerhlsdenkmale,p»g.  t4G. 

'  Arcndt.  HuUetin  de  V Académie,  XXII,  p.  613. 

Tome  XXXII.  24 


178  HISTOIRE 

§  I.  —  Pouvoir  administratif. 

I.  Le  Bauermeister  qui  avail  amené  des  colons  devenait  ordinairement  le 
maire  de  la  nouvelle  colonie.  On  rappelait  scultetus,  Sc/ml: ,  Srlmliheiss , 
Bunnestere. 

Le  même  fonctionnaire  existait  chez  nous.  Il  comptait  parmi  les  olliciers 
que  le  prince  établissait  dans  les  métiers  [Ambachten],  el  était  nommé  scliout , 
schouleet.  La  juridiction  formait  le  schouleetendom.  Dans  une  charte  de  1241 , 
l'oflicier-chef  du  métier  d'Assenede  est  appelé  schoutéla  de  Assenede;  celui 
des  villages  de  Weslende  et  de  Slype,  faisant  partie  du  KamerUnck-Ambacht, 
est  nommé  scultetus  de  Oudenbury  '. 

Quand  le  maire  devait  être  remplacé,  c'étaient  les  Flamands  et  Hollandais 
eux-mêmes  qui  le  choisissaient  parmi  les  hommes  de  leur  nation,  de  même 
que  les  deux  échevins  {Schoffen,  scabini),  élus  également  parmi  eux  et  par  eux. 
Le  renouvellement  de  ces  représentants  de  la  commune  avait  lieu  tous  les  ans  '-. 

Plus  lard,  dans  la  Goldene  Aiœ,  lors  de  la  collation  de  ces  trois  places,  le 
conseil  de  la  ville  de  Heringen,  ainsi  que  les  bailliages  de  Heringen  et  de 
Relbra  prirent  une  certaine  part  à  ces  élections  ^.  Et  depuis  lors ,  les  chefs* 
de  la  commune  n'ont  plus  été  qualifiés  dans  les  actes  que  du  titre  de  députés 
llamands  [Verordnelen  Fldminger).  Il  y  avait  dans  la  même  contrée  un  maire 
pour  tout  le  bailliage,  qui,  en  sortant  de  fonctions,  devenait  chef-Flamand, 
Oberfldminçier  *. 

IL  En  vertu  des  services  qu'il  était  appelé  à  rendre  à  la  commune  %  le 
SchuUheiss  recevait  ordinairement  une  ou  plusieurs  fermes  libres,  en  vertu  du 
droit  nommé  vulgairement  Setliniic^. 

Langelbal  pense  que,  suivant  toutes  les  probabilités,  ce  droit  fut  intro- 
duit en  Allemagne  par  les  colons  flamands  et  hollandais,  et  qu'il  fut  imité  par 

'  Raci)saet,lV,427. 

-  Hoche,  p.  88.  —  Micliclsi'ii,  p.  143.  —  Sclilôzer,  p.  -Iti^. 

^  Miclielseii,  p|).  143,  169. 

»  Ihid. 

!i   «  Pro  cxpensis  suis  el  laboriljus  in  fundalioiic  et  reginiinc  loei,  •   discnl  les  eiiartes. 

«  De  là  l'expression  de  SvUingshiifen,  Freihufen,  Zehnfreilittfen{WeTsehe,  II,  lOOi),  lOlô). 


DES  COLOrSfES  BELGES.  i79 

les  Allemands  qui,  en  général,  prenaient  les  Néerlandais  pour  modèles  '. 
Celle  conjecture  me  parail  d'aulanl  plus  admissible  que  nous  trouvons  en 
Flandre  un  pareil  privilège,  sous  la  dénomination  de  PoinUiigen  ende  Set- 
fingen. 

On  lil  dans  la  Coutume  de  Gand ,  Rubrique  1,  article  10  :  «  de  poorters 
ende  poorteressen  woonacblig  binncn  de  limilen  van  der  stede  ende  schepen- 
dom...  zyn  ook  vry  van  Poinctingen  ende  Seltingen,  als  conlribuerende  in  de 
laslen  ende  assysen  der  zelver  slede.  » 

La  plupart  des  coutumes,  telles  que  celles  du  Franc  de  Bruges,  deCourtray, 
de  Furnes,  de  Bergbes-Saint-Winocq,  etc.,  sanctionnent  le  même  privilège. 

De  même  qu'en  Flandre,  le  droit  de  Sellinke,  en  Allemagne,  libérait  la 
propriété  de  certaines  charges.  Dans  un  privilège  que  Henri  le  Lion  accorda 
(1167)  à  l'évêque  de  Ratzebourg,  et  qui  avait  principalement  pour  but  de 
fixer  les  limites  de  révêché,  il  est  dit  :  «  Hoc  ecclesiae  ad  libertatem  adito... 
duo  tantum  mansi  qui  Sellinke  vocantur  liberi  semper  erunt  et  absque  gra- 
vamine  -.  » 

Quand  |)lus  lard,  en  1206,  l'évêque  de  Ratzebourg,  dans  la  charte  de 
fondation  du  cloître  de  Rhena,  accorda  audit  cloître  la  dîme  sur  cinq  vil- 
'lages,  à  l'exception  du  droit  Bisetlinge ,  «  excepto  jure  quod  Bisettinge  di- 
cilur,  »  il  ne  faut,  ditWersebe  '  comprendre  dans  cette  qualification  que  le 
Sellinge  dont  il  est  fait  mention  plus  haut ,  en  vertu  duquel  deux  fermes 
étaient,  dans  chaque  village,  affranchies  de  toutes  charges. 

lII.  Un  autre  privilège  du  Sclmllheiss  consistait  dans  le  droit  de  faire 
paître  ses  moutons  dans  les  endroits  de  la  commune  non  cultivés  :  auf  Stoppe! 
und  Bruche  oder  Dorfflar  zà  treiben  ''. 

Ce  droit  me  semble  offrir  une  grande  analogie  avec  le  droit  de  parcours 
ou  de  vaine  pâture,  qui  fut  en  vigueur  chez  nous  pendant  tout  le  moyen  âge 
et  qui  a  été  réglé  plus  tard  par  les  lois  du  24  juin  et  6  octobre  1791 ,  et 
parle  décret  du  23  thermidor  an  IV. 

'  Langetlial,  II,  dS5. 

2  Werscbc,  II,  p.  1006,  note  135. 

■-•  Ibid.,  p.  1009,  note  157. 

*  Droysen,  I,  63. 


iSO  HISTOIRE 

La  même  chose  était  rendue  chez  nous  par  le  mot  brake,  jachère,  ter- 
rain vide  et  incuhe.  Ce  terme  est  employé  comme  tel  dans  les  Coutumes  et 
Usages  de  la  mairie  de  Crombrugghe,  enclavée  dans  les  paroisses  d.e  Merel- 
beke,  Dickelvenne,  Bosschem,  du  mois  d'avril  126/p,  article  S  :  ><  ...  li  tiers 
bonier  de  le  terre  prebendale  doit  esire  vuide  et  nient  coiturei  :  chou  est  à 
savoir  brake  '.  » 

IV.  Lorsque  le  seigneur,  —  prince,  évêque,  abbé,  etc.,  —  réclamait  un 
secours  extraordinaire,  le  maire  devait  en  faire  la  proposition  aux  paysans 
et  les  engager  à  donner  dans  le  plus  bref  délai  la  somme  demandée  ^.  A  cette 
fin ,  le  seigneur  lui  adressait  sa  demande,  Bede  {peli(io),  qui  avait  pour 
objet  ce  secours. 

Celte  contribution  extraordinaire,  Bede ,  était  généralement  en  usage  dans 
nos  Flandres.  Dans  un  compromis  de  1275,  signé  entre  Tabbé  de  Saint-Bavon 
et  le  chevalier  Basse  de  Gavre,  il  est  dit  article  9  :  «  Statuons  en  outre  que 
le  sire  de  Gavre  pourra  lever  une  contribution  {Bede)  de  trois  livres  sur  les 
gens  du  comté,  mais  rien  de  plus  ^.  » 

L'usage  de  la  Bede  se  maintint  chez  nous  jusqu'au  siècle  dernier,  l'ne  or- 
donnance de  Marie-Thérèse,  du  1 2  août  1  749  ,  intitulée  :  Naer  der  règlement 
raeckende  Beden,  Subsidienende  andere  publiquen  Lasten  van  dit  Landt  *, 
réglemente  l'assiette  et  la  perception  de  cette  taxe  extraordinaire. 

V.  Dans  la  Goldene-Aùe,  le  maire  et  les  deux  échevins  devaient  être  en 
même  temps,  à  Heringen,  Kdmmer-Burger ,  pour  que  de  cette  façon  l'im- 
portance de  la  possession  territoriale  flamande  fût  nettement  établie  '". 

Ils  avaient  aussi  la  gestion  des  finances.  On  verra  plus  loin  que  le  maire 
offrait  à  la  femme  du  Kirdtyânger  un  Dreier ,  pris  dans  la  caisse  commu- 
nale, mais  dont,  du  reste,  compte  devait  être  rendu. 

'   Ditiicx,  Mémoires  sin-  la  ville  de  Gand ,  Su|)plémeiU,  p.  l'i. 
-  Droysen,  I,  ii'i,  i)~>. 

''  Dierifx,  Supplément ,  p.  Ifi  :  «  Voert  zcgglie  wi  dat  de  hccrc  van  Gaverc  jacriiicx  zcttcn 
iiiarli  eene  bede  van  iij  p'  up  die  van  den  gravcscticep,  ende  nemmcer.  » 

*  Bnissel ,  Gcorgius  Fricx  ,  1 749. 

*  Miclielscn  ,  p.  143. 


DES  COLONIES  BELGES.  181 

§  H.  —  Pouvoir  judiciaire. 

\.  Les  colons  hollandais  et  flamands  avaient  ï Untcrgerichtsbarkeil ,  en 
verlu  de  laquelle  ils  pouvaient  décider  eux-mêmes  les  contestations  qui  sur- 
gissaient relativement  à  leurs  biens. 

Leurs  tribunaux  siégeaient  trois  fois  par  an.  Les  formalités  ou  procédures, 
qui  y  étaient  usitées,  ne  sont  relatées  nulle  part.  La  citation  était  faite,  en  gé- 
néral, par  le  messager  [Bote,  Bedell),  qui  était  assermenté  par  le  tribunal. 
Toutefois,  dans  la  Goldeiie-Aùe,  c'étaient  les  maires  flamands  qui  faisaient 
les  convocations  pour  ces  assemblées  solennelles  '. 

Aucun  document  n'indique  quelle  peine  encouraient  les  défaillants  fla- 
mands; tandis  que,  d'après  la  jus  liollandicum,  quand  l'assigné  faisait  défaut, 
ou  quittait  l'audience  sans  permission,  il  élail  condamné  à  une  amende  de 
huit  deniers  '\ 

Les  colons  flamands  pouvaient  toujours  s'expurger  soUs  serment  sans 
vare  ',  tandis  que  les  Hollandais  juraient  lanlôt  avec,  tantôt  sans  vare  K 

Les  plaideurs  ,  hollandais  ou  flamands ,  devaient  payer  les  frais  et 
dépens  '. 

IL  Les  colons  choisissaient  eux-mêmes  leurs  juges.  Chez  les  Flamands, 
c'était  le  maire;  chez  les  Hollandais,  un  juge  spécial. 

C'est  au  Voigl  qu'était  principalement  dévolue  la  juridiction  supérieure 
[Ohergericht),  c'est-à-dire  contenlieuse;  le  maire  n'avait  que  la  juridiction 
inférieure  [Niedergericht);  encore  ne  l'exerçait-il  que  par  exception  et  con- 
jointement avec  les  échevins. 

Les  juges  choisis  par  les  Flamands  ne  connaissaient  que  des  contestations 
qui  concernaient  ces  derniers,  ou  qui  surgissaient  relativement  à  leurs  biens  '^. 

Une  charte  d'Othon,  duc  de  Liinebourg,  de  1296  ,  porte  :  «  Accolis  terrae 

'   Jliclu'lscii,  p.  143. 

■^  Eellviiig,p.  101. 

^  Ce  terme  sera  expliqué  plus  loin. 

'  Hoche,  p.  70. 

s  Hoclie ,  p.  89. 

B  Ibid. 


182  HISTOIRE 

novae  ni  jjiopiio  arhilrio  judictni  eliganl,  causas  eoruni,  quae  ingriiorunt, 
judicantem ,  »  —  «  et  idem  jiidex  ab  incolis  cligotur  '.  » 

Les  indigènes,  qui  Jiahilaienl  le  pays  où  le  droit  hollandais  fui  en  vigueur, 
avaient-ils  aussi  le  droit  d'élire  leurs  propres  juges? 

Je  crois  qu'il  faut  répondre  négativement.  Le  diplôme  de  rarchevêque  de 
lirême,  Hartwich  II,  dit  formellemenl  :  «  In  placitis  secularibus  eum ,  (|uem 
sibi  [illis]  praefecimus,  audiant.  »  Et  il  résulte  d'une  charte  de  l'empereur 
Frédéric  que  l'archevêque  nomma  comme  juge  un  certain  Bonno  -. 

Dans  quel(|ues  localités,  les  juges  portaient  aussi  le  nom  iVAmpimann  ou 
Amlmanv ,  nom  qui  existait  également  en  Flandre  (Amman)  ''. 

III.  Quand,  dans  la  Goldene  Aùe,  une  erreur  existait  relativement  aux 
biens  flamands,  les  Anciens  (Flamands)  de  Heringen,  Gorsbach  et  Berga  se 
réunissaient  dans  une  petite  prairie,  située  près  de  l'Aùnuible,  et  prononçaient 
sur  les  différends  une  sentence,  laquelle,  sous  peine  de  nullité,  devait  être 
ap|)rouvée  par  le  Dkasierium ,'  ou  banc  des  échevins  '*. 

Cette  sentence  était  respectée  dans  les  cours  de  justice  supérieure  ''. 

On  l'appelait  Flâmischer  Sprùch ,  c'est-à-dire  qu'en  ce  qui  concernait  les 
Flamands,  on  tenait  note  qu'antérieurement  on  avait  toujours  jugé  de  même 
dans  des  cas  identiques. 

L'assemblée  des  Anciens  (flamands)  était  désignée  sous  le  nom  de  Atte 
Dingstatte^.  Elle  avait  lieu  en  plein  air,  sub  dio. 

Je  crois  être  dans  le  vrai  en  disant  que  cet  usage  fut  introduit  dans  la 
Ctoldene  Aùe  par  les  colons  flamands.  En  Flandre,  les  seigneurs  rendaient 
la  justice  dans  le  voorliof,  ou  cour  du  château,  assis  sous  un  arbre,  appelé 
sr/iouwbooin  ,  arbre  d'abri ,  arbre  d'ombre  '. 

De  là  vient  la  dénomination  de  Groeiw  Vierschmre,  tribunal  vert,  parce 
(|u'il  se  tenait  sous  le  feuillage  des  arbres  ou  en  rase  campagne.  Il  consistait 

'  Sctilôzer,  j3.  425. 

^  Hoche,  p.  70 

"'  liaepsael,  IV ,  n"  247. 

'*  Langellial,  II,  164. 

^  Schlôzer,  43fi. 

''  Michelsen,  p.  145. 

7  Raepsaet,  V,  p.  220. 


DES  COLONIES  BELGES.  183 

en  trois  bancs  maçonnés,  dont  l'entrée  se  tonnait  |)ai'  un  barreau  ou  un 
câble,  aussitôt  que  le  seigneur,  ou  le  bailli,  son  représentant,  ouvrait  la 
séance. 

Quand  les  comtes  de  Flandre  rendaient  eux-mêmes  la  justice  au  château 
de  Winendale,  ils  étaient  assis  sous  un  arbre  touffu  (|ui  les  garantissait  de 
l'ardeur  du  soleil  ou  des  intempéries  de  l'air. 

IV.  Mizislav  et  Premislav,  ducs  d'Oppoln  et  de  Ratibor,  statuèrent  que, 
dans  tous  les  villages  situés  dans  leur  juridiction  et  régis  d'après  le  droit 
flamand,  si,  parmi  les  citoyens,  il  y  avait  doute  sur  leurs  droits,  les  con- 
testations seraient  vidées  simultanément  sans  appel  par  cinq  voigts  et  cinq 
maires,  qui  seraient  chaque  année  désignés  par  les  ducs  '. 

D'après  le  droit  hollandais,  l'appel  n'était  pas  jugé  par  les  Hollandais  qui 
avaient  prononcé  en  premier  ressort;  mais  il  était,  en  général,  déféré  à  l'ar- 
chevêque.  Cet  appel  n'était  pas  onéreux ,  malgré  les  frais  et  dépens  que  ce 
recours  traînait  à  sa  suite.  Qu'on  lise,  pour 's'en  convaincre,  la  charte  de 
Frédéric,  archevêque  de  Hambourg  et  Brème  :  «  Majorum  placita  sive  judicia 
»  rerum  si  ipsi  inler  sedcfinire  nequeunt,  adepiscopi  audientiam  referrent... 
»  eo  tenore  ut  de  placiti  quaestu  duas  partes  haheant,  tertiam  vero  episcopo 
»   praebeant  ^.  » 

SECTION  IV. 

DROIT    DE   SUCCESSION. 

Eelking,  Hoche,  Schlôzer  et  Wersebe  s'accordent  à  dire  qu'en  ce  qui 
concerne  le  droit  de  succession  (transmission  ou  adhéritance,  Erbfolgrechi , 
hérédité,  Erbrechi),  le  droit  flamand  concorde  en  principe  avec  le  droit  hol- 
landais. Donc  tout  ce  que  je  dirai  de  l'un  s'applique  à  l'autre,  à  moins  d'une 
réserve  expresse. 

«  Contrairement  aux  usages  de  l'époque,  dit  Eelking^,  on  leur  accorda 
le  droit  héréditaire.  » 

'  Voy.  mes  Dociimenis ,  11°  XVI. 
2  Idem,  n°  U. 

5  ,1  Contra  niorem  tune  lempoiis,  in  his  Gcrmaniac  partibus  usîtatum,  jus  Iiaeredilaiiuni 
[illis]  indultum  fuit.  »  Pag.  193,  note  6. 


184  HISTOIRE 

Que  conclure  de  ce  passage?  Que  ce  droit  de  transmissibililé,  ijuTeIking 
(|ualifie  de  peculiare,  (jucique  importé  par  les  colons  néerlandais,  découlait 
piincipalenienl  des  pactes  et  conventions  qui  intervenaient  entre  les  colons, 
d'une  part,  el  les  seigneurs  et  évêques,  leurs  nouveaux  suzerains,  d'autre 
part. 

Conlra  morem  (une  lemporis ,  c'est-à-dire  ([u'à  cette  époque,  où  le 
servage  existait  partout,  où  les  terres  appartenaient  exclusivement  à  des  gens 
])rivilégiés,  nos  colons  eurent  soin  de  stipulei'  formellement,  en  termes  exprés, 
qu'ils  pourraient,  de  la  manière  la  plus  étendue,  disposer  des  terres,  marais 
et  bruyères  qu'ils  défricheraient  et  rendraient  arables,  comme  s'ils  en  étaient 
les  maîtres ,  sauf  le  payement  de  la  redevance. 

Ils  se  réservaient  donc  le  droit  de  succession,  pris  dans  son  acception  la 
plus  large,  c'est-à-dire  celui  de  disposer  de  leurs  biens  de  la  manière  la  plus 
absolue  pendant  leur  vie,  comme  aussi  celui  de  les  délaisser  après  leur  décès 
à  leurs  héritiers  '. 

§  I.  —  Droit  de  transmission  ou  d'adliéritance. 

D'après  le  droit  tlamand ,  tous  les  biens  que  les  époux  apportaient  en  com- 
mun, ou  acquéraient  dans  la  suite,  étaient  communs,  et  pouvaient,  sans 
distinction,  être  vendus,  échangés,  etc.,  même  hypothéqués  au  profit  des 
créanciers  -. 

Ce  droit  découlait  de  la  communauté  des  biens  entre  époux,  régime  qui 
était  en  usage  dans  le  droit  coutumier  de  la  Belgique  el  qui ,  jusqu'à  ce  jour, 
y  est  encore  observé  comme  droit  commun.  On  sait  que  l'origine  de  nos  cou- 
tumes est  fort  ancienne  :  «  Tous  les  peuples,  a  dit  Merlin,  avant  d'avoir  des 
lois  écrites,  ont  eu  des  usages  et  coutumes  qui  leur  tenaient  lieu  de  lois'.  » 

Or,  en  Belgique,  ces  coutumes,  quoique  non  écrites,  avaient  force  de  loi 

'  Eelking  (}ualific  ce  droit  de  Irès-ancien  :  »  Faedcrati  Belgii  ruricolas  etiaui  antiquissimis 
leniporibus  praedia  sua  non  solum  ad  haeredes  transmittere  potuisse,  sed  illa  etiam  plerum- 
qiic  »  etc.  Pag.  Ilîl. 

'-  Hoolie,  p.  84,  n«  2. 
Répert.  de  Jtirisprudenre,  Voy.  Coutume,  VI,  497.  Bruxelles,  1828. 


s 


DES  COLOrSIES  BELGES.  18a 

el  étaient  scrupuleusenieiil  observées;  mais  on  pouvait  les  contredire.  C'est 
(;iiaries  V  qui,  par  son  édit  du  G  octobre  1531,  ordonna  la  rédaction  olïi- 
cielle  de  ce  droit  latent. 

La  coutume  de  Gand,  publiée  en  cbambre  des  éclievins  de  la  heure,  le 
1'"'  février  1563,  contient  le  principe  du  régime  de  la  communauté  des 
biens,  qui  déjà  existait  coutumièrement  en  Belgique  au  douzième  et  au  trei- 
zième siècle. 

L'article  3  de  la  rubrique  xx  est  conçu  conuiie  suit  :  «  Le  mari  el  la  femme 
deviennent  communs  par  le  mariage,  el  l'un  entre  pour  moitié  dans  les  droits 
de  l'autre,  quant  aux  meubles,  biens,  maisons...  el  pareillement  quant  aux 
conquêts  d'immeubles,  faits  pendant  le  mariage'.  » 

L'article  7  de  la  rubrique  xxv  porte  :  «  Los  fonds  de  terre...  conquesiés 
pendant  le  mariage  à  l'aide  des  deniers  communs ,  sont  partageables  entre  le 
survivant  el  les  héritiers  de  l'autre ,  chacun  pour  moitié  ".  » 

Il  en  était  de  même  dans  les  autres  provinces. 

Delael  enseigne  qu'en  Gueldre  existait  la  communauté  de  tous  les  biens 
{communio  omnium  bonorum),  successions,  legs,  donations,  cl  de  tous  les 
acquêts,  n'importe  à  quel  titre;  seulement  que  la  dot  restait  intacte'".  Il  en 
dit  autant  pour  la  province  de  Groningue  '. 

Grotius  pose  les  mêmes  principes  pour  le  comté  de  Hollande  :  «  Batavis, 
dit-il ,  in  hune  dieni  pro  lege  servata  bonorum  inter  conjuges  communio  '".  » 
Il  ajoute  que  les  Bataves  vivaient  sous  ce  régime  depuis  l'époque  de  Tacite, 
et  qu'ils  y  ont  constamment  persévéré. 

Enfin,  Vinnius  est  plus  explicite  encore  :  «  Moribus,  dit-il,  fere  totius 
Belgicae,  Frisiam  excipe,  bonorum  omnium  communio  el  universalis  societas 
inter  conjuges  ipso  jure  consliluifur  ^•.  » 

'  Voici  le  texte  :  «  Man  ende  wyf  worden  met  den  liuwelick  geraeen ,  cndc  gerecht  elk  in 
de  liclft  van  ciliandcrs  mcubelc,  gocdingen,  liuysingen...  ende  insgelycks  in  't  conquest  immen- 
liele,  gcdiircnde  liet  luiwelick  gcdacn.  » 

-  Gronden  van  erfven  ...  binncn  huwelick  met  gemeene  pcnningen  geconquesteerd...  z)  n 
declbaer  tusschcn  den  langst  Icvenden,  ende  's  oveileden  hoirs,  iiaif  ende  lialf.  » 

3  In  Repuld.  Belqii  confucderati ,  tit.  de  Gddriu,  cap.  VIII. 

'*  H.  tit.  de  Groninga  el  Umlandia. 

'■'  De  Antiquit.  reipubl.  Datavicae ,  cap.  II. 

^  Comment,  ud  Instit.  Jiist.  ad princ.  tit.  de  societ.  in  comment.,  n°  3. 

Tome  XXXII.  2S 


186  HISTOIRE 

Pour  en  revenir  à  l'Ailemagne,  Henri  le  Lion  donna  un  terrain  marécageux 
à  Frédéric  de  Machtenslede,  «  ut  venderel  quibusiihet  emptorihus  paludem 
sibi  et  haeredibus  suis  possidendam  '.  » 

Dans  le  diplôme  déjà  cité  de  Tévèque  Wichmann,  de  H52,  il  est  dit  : 
«  Data  est  eis  libéra  potestas  intra  episcopalum  emendi  et  vendendi  sine 
omni  génère  exactionis  aul  telonei  :  si  alicujus  eorum  possessio  venalis  ex- 
ponitur,  compatriote  suo  tanlum,  et  non  exiero  emere  licebit  ". .» 

Hoche  prétend  que,  d'après  une  charte  de  Westvvin  H,  ce  droit  de  pou- 
voir vendre  ses  biens  était  nppe\é  Deuische  Rechl ,  jus  lenlonicum,  droit  (|ui 
était  en  opposition  formelle  avec  le  droit  slave''.  Ce  même  droit  était,  d'après 
le  même  écrivain ,  en  vigueur  dans  toutes  les  provinces  où  les  colons  s'éta- 
blirent, et  \ejus  hoUandiciim  le  consacrait  également  *. 

Finalement ,  les  chartes  de  1149,  1171,  1 20 1 ,  rapportées  par  Schlozer  "", 
sanctionnent  le  même  droit  : 

«  Ut  suo  eodem  jure  liceat  relin(|uere  successori.  » 

«  Ul  venderet  quibuslibel  emploribus,  sibi  et  suis  haeredibus...,  possi- 
dendum.  » 

«  Jure...  libère  emere  et  suis  haeredibus  perpeluo  possidendam  libère 
vendere  aut  relinquere.  » 

§1  II.  —  Droit  d'hérédité. 

J'ai  dit  plus  haut  que  les  Fhmiands  et  les  Hollandais  avaient  le  droit  de 
transmettre  leurs  biens  à  leurs  héiiliers  :  ajoutons  ici  que  ce  droit  était  illi- 
mité ''. 

Cependant  les  sources  n'indiquent  que  sommairement,  quant  à  certains 
cercles  où  les  colons  se  sont  établis,  quelques  règles  concernant  les  divers 
ordres  de  succession.  H  faut  donc  se  borner  à  signaler  les  principes  généraux 

*  Hoclic,  p.  71 ,  noie  3. 
-  Micliclscn,  p.  144. 

5  Hocho,  p.  81.  —  Weslphaleii,  I,  1473,  litt.  A. 

*  Hoclic,  p.  91. 

■'  Pp.  400  cl  401. 
'•  Sclilôzer,  p.  423. 


DES  COLONIES  BELGES.  ^87 

qui  furent  suivis  en  celle  malière,  el  qui,  comme  le  dil  Hoche  ',  élaient  ap- 
pliqués dans  toute  la  basse  Allemagne,  à  Texception  de  la  Frise. 

Cet  ancien  droit  héréditaire  flamand,  que  les  colons  conservèrent  généra- 
lement dans  leur  nouvelle  pairie,  consiste  principalement  en  ce  que,  lors  du 
décès  d'un  des  époux,  le  survivant  prend  l'une  moitié  des  biens,  tandis  que 
la  moitié  restante  passe  aux  enfants,  et,  à  leur  défaut,  aux  parents  les  plus 
proches  -. 

Examinons  maintenant  les  divers  ordres  de  succession. 

A.  Basse  Allemagne  en  général. 

L  Si  l'un  des  époux  meurt,  l'une  moitié  des  biens  appartient  aux  enfants, 
ou,  à  leur  défaut,  aux  plus  proches  parents  du  défunt;  l'autre  moitié  appar- 
tient à  l'époux  survivant. 

H.  Quand  le  mariage  est  dissous,  et  qu'un  des  enfants  meurt,  l'hérilage  ne 
passe  pas  aux  parents,  mais  aux  frères  et  sœurs  survivants  ". 

B.  Wagrie. 

Les  Flamands  y  pouvaient  disposer  de  leurs  biens  comme  ils  l'entendaient. 
De  même  pour  les  Hollandais.  D'après  le  droit  en  vigueur  dans  ce  pays  : 

I.  Si  un  héritier  meurt,  sa  part  héréditaire  passera  à  ses  frères  et,  si  ceux-ci 
sont  décédés,  l'héritage  passe  à  la  mère. 

H.  Si  quel(|uiin  meurt,  laissant  deux  héritiers,  et  que  sa  veuve  veuille 
ultérieurement  se  remarier,  elle  devra  préalablement  partager  l'héritage. 

IH.  Quand  une  femme  meurt,  laissant  un  héritier,  et  que  le  mari,  en  se  sépa- 
rant de  cet  héritier,  convole  en  secondes  noces  et  procrée  des  enfants,  l'en- 
fant qui  n'a  pas  eu  sa  part  héréditaire,  aura,  après  le  décès  de  son  père, 
l'héritage  maternel,  c'esl-à-dire  la  part  que  le  père  aura  prise  de  l'avoir  de  sa 
première  femme  '*. 

'  Pag.  84,  noie  2. 

'  Michelscn,  p.  150. 

'  Hoche,  pp.  84,  83. 

1  Ibid. 


1S8  HISTOIRE 


C.  GOLDENE  AOE. 


Le  dioil  d'hérédilé  y  existe  encore  lel  que  l'y  introduisirent  les  Fla- 
mands. 

Il  y  était  aussi  garanti  autrefois  pour  le  cas  où  les  biens  étaient  ouverts  au 
profit  d'absents  ou  d'inconnus.  Ces  biens  étaient  alors  considérés  comme  biens 
propres.  Mais  si  pendant  Tan  et  jour,  il  ne  se  présentait  pas  d'béritier,  les 
deux  tiers  des  biens  étaient  dévolus  à  Tévéque,  le  tiers  restant  appartenait  à 


'église  '. 


Dans  les  trois  villes  de  Heringen,  Gôrsbach  et  Berga,  il  y  avait  des  terres 
flamandes  soumises  à  ce  droit.hérédilaire,  et  en  vertu  duquel  : 

1.  Si  un  époux  meurt,  laissant  des  enfants,  le  survivant,  quand  il  veut 
convoler  en  secondes  noces,  doit  partager  en  deux  parts  tous  les  biens  fla- 
mands qu'il  possède.  L'une  moitié  lui  appartient;  l'autre  moitié,  qui  écheoil 
aux  enfants,  se  partage  entre  eux  par  portions  égales,  lesquelles  sont  adjugées 
au  lot  de  cbacun  d'eux.  Seulement,  les  père  et  mère,  tant  qu'ils  doivent  entre- 
tenir les  enfants,  conservent  l'usufruit  de  cette  moitié  -. 

IL  Les  biens  du  père  qui  étaient  flottants  [ivahend)  se  partageaient,  par 
portions  égales,  entre  les  enfants,  sans  distinction  de  sexe  ^. 

III.  L'époux  survivant  n'héritait  pas  une  part  d'enfant,  mais  la  moitié  des 
biens. 

IV.  La  part  qui  échéait  aux  enfants  se  partageait  entre  eux  par  portions 
égales  *. 

V.  Quand,  après  la  dissolution  du  mariage,  l'époux  survivant  veut  se  re- 
marier, il  doit  préalablement  partager  avec  les  enfants  du  premier  lit  les 
biens  flamands,  acquis  pendant  le  premier  mariage,  de  telle  façon  que  les 
enfants,  quel  que  soit  du  reste  leur  nombre,  prennent  la  moitié. 

VI.  Quand  deux  personnes  libres  se  marient  et  que,  pendant  leur  mariage, 
il  leur  revient  par  héritage  des  biens  flamands,  n'importe  la  masse  ou  quo- 

*  Miclielsen,  p.  14G. 

-  Sclilozcr,  1».  '(35. 

'  Langctlial,!!,  163. 

4  Ibid.,  II,  I6C. 


DES  COLONIES  BELGES.  isy 

lilé;  (|u'cnsuite  Tun  dos  époux  décède  el  que  le  survivant  veuille  se  remarier, 
celui-ci  est  obligé  de  partager  tous  ces  biens  flamands,  par  portions  égales, 
avec  ses  enfants,  quel  qu'en  soit  le  nombre.  Il  doit  aussi  partager  lune  moitié 
des  biens  par  la  voie  du  sort,  afin  que  les  biens  flamands  qui  appartiennent 
à  chaque  enfant  puissent  lui  être  attribués  K 

D.  Anhalt. 

lleineccius  ^  allègue  que  la  communauté  des  biens  entre  époux  fut  en  vi- 
gueur dans  cette  principauté  depuis  les  plus  anciens  temps.  Zeppcrus,  dans 
son  commentaire  (tit.  43),  rapporte  la  même  chose  dans  l'édition  ancienne 
de  1372.  Mais  dans  la  nouvelle  édition  qui  en  parut  en  1666,  ce  passage 
fut  complètement  supprimé  comme  inutile,  comme  ne  contenant  que  des  cou- 
tumes surannées  et  qui,  depuis  près  d'une  centaine  d'années,  étaient  consi- 
dérées comme  contraires  au  droit  local. 

E.  Magdebourg. 

Le  droit  héréditaire  flamand  y  était  également  en  vigueur  :  {ad  hmedila- 
tem  flamminfjicalem),  disent  les  textes.  Il  y  consacrait  avant  tout  le  régime 
de  la  communauté  entre  époux. 

Ce  régime  apparaît  dans  une  charte  où  il  est  dit  :  «  alhier  wo  in  flemischin 
gule^  wenn  eyn  weib  kombt  an  ires  mannes  bette,  so  hal  sy  dy  heifl'ie  in  sien 
gui  ane  aile  offgabe,  erst  noch  siene  tode  domite  zu  tun  und  zu  lassen  '.  » 

Cet  état  de  choses  est  encore  plus  clairement  défini  dans  le  fameux  rescrit 
que  leséchevins  de  Magdebourg  rendirent,  en  1339,  relativement  au  district 
du  Fleming,  situé  dans  le  cercle  de  Magdebourg,  au  delà  de  l'Elbe  et  d'où 
résultent  les  points  suivants  *  : 

I.  Quand,  dans  le  Fleming,  une  personne  mariée  meurt,  laissant  après  elle 


'   Langelhal,  II,  160. 


î  Jiir.  Gerin.  Elem.,  iib.  I ,  lit.  XII,  §  278. 

5  Michclscn,  p.  150. 

*  Voy.  mes  Documents,  n"  XXV. 


BO  HISTOIRE 

des  héritiers  et  des  biens,  le  survivant  prend  Tune  moitié  de  tous  leS  biens; 
les  enfants,  l'autre  moitié. 

II.  A  défaut  d'héritiers,  tous  les  biens  du  prémourant  passent  pour  moitié 
à  l'époux  survivant;  la  moitié  restante  appartient  à  ses  héritiers  les  plus  pro- 
ches, et  ce  ,  de  plein  droit,  d'après  la  coutume  flamande. 

F.  Pays  de  Cclm. 

D'après  le  privileyimn  culmense,  le  survivant  des  époux,  sans  prendre 
égard  soit  à  la  quotité  des  apports,  soit  à  la  condition  des  époux,  et  quel  que 
soit  le  nombre  des  enfants,  prend  la  moitié,  en  pleine  possession,  des  biens, 
d'après  le  droit  héréditaire  flamand. 

G.    SlLÉSIE. 

Schlozer  ',qui  fait  allusion  à  une  source  indiquée  par  Hoche,  se  rapportant 
aux  Flamischc  G/V/er,  affirme  qu'à  l'époque  où  il  écrivait,  le  droit  d'hérédité, 
d'après  le  Jus  flaininf/iciwi,  qui  avait  été  autrefois  en  vigueur  dans  la  Silésie, 
y  était  depuis  longtemps  tombé  en  désuétude.  Il  omet,  au  surplus,  de  dire  en 
quoi  il  avait  consisté. 

H.  Mecklembourg. 

Dans  cette  contrée  existait  le  Jusdevolutionis  [Absterf redit,  Abivalzumjs- 
rechi)  en  vertu  duquel,  après  le  décès  de  l'un  des  époux,  la  propriété  des 
biens  du  survivant  passe  immédiatement  aux  enfants  issus  du  mariage,  de 
manière  qu'il  lui  reste  seulement  sur  ces  biens,  sa  vie  durant,  la  jouissance, 
laquelle,  à  sa  mort,  se  réunit  à  la  nue-propriété  que  ses  enfants  avaient 
déjà  "-. 

'   Pag.  435.  —  Hoche,  p.  87. 

^  Le  droit  de  dévolution,  en  vertu  duquel  l'iiéritage  |)a,ssait  aux  enfants  du  premier  lit, 
même  quand  c'étaient  des  filles,  de  préférence  à  des  fils,  existait  en  Belgique  dans  quelques 
localités  de  la  Flandre  et  du  Brabant.  C'est  par  une  interprétation  judaïque  de  ce  droit  que 
Louis  XIV,  avide  de  conquêtes,  réclama  nos  provinces  et  en  usurpa  une  bonne  partie. 


DES  COLONIES  BELGES.  19i 

«  * 

SECTION   V. 

DKOIT  DE  CONSERVER  LES  MESURES  EN  USAGE  DANS  LEUR  PATRIE. 

D'après  la  charte  de  H 06,  la  mesure  hollandaise  de  Brème,  appliquée 
aux  manses,  contenait  sept  cent  vingt  verges  en  longueur  et  trente  seule- 
ment en  largeur. 

La  contenance  de  la  verge  n'est  indiquée  nulle  pari. 

Quant  à  la  mesure  flamande,  elle  n'est  pas  plus  connue,  bien  ([u'il  en  soit 
lait  à  chaque  instant  mention  dans  les  sources  {/Idnnsche-Muas,  mensura 
Flaminyorum,  flamminyicalis ,  etc.). 

En  H8S  ,  Wichmann,  archevêque  de  31agdebourg,  vendit  cent  manses  de 
terre  situées  près  de  Jiiterbock,  d'après  la  mesure  llamande  «  centum 
mansos  contiguos  ad  mensuram  Flandrensium  mansorum,  etc.  » 

En  1282,  le  châtelain  de  Scrapelowe  fit  don  au  couvent  de  Walkenried 
de  quatre  fermes  selon  la  mesure  flamande  :  «  dat  proprielalem  i  man- 
sorum Flandrensis  mensurae.  » 

On  se  souvient  ((ue  le  Privileyiam  Culmense  désigne  nominativement  la 
mensura  fkun m ingicalis. 

En  Silésie,  cette  mesure  avait  également  prévalu  sur  les  autres.  D'après 
le  recueil  de  documents  publié  par  Zscboppe  et  Stenzel,  elle  était  en  usage 
dans  quinze  villages  situés  dans  des  territoires  différents. 

Il  était  encore  question  d'une  aune  flamande  [fldmische  Elle),  dont  on  ne 
peut  rien  dire  de  certain,  sinon  qu'elle  paraît  avoir  varié  de  localité  à 
localité. 

Comme  la  mesure  flamande  se  rencontre  dans  tous  les  pays  où  les  Fla- 
mands s'établirent,  on  peut  en  inférer  que  l'emploi  de  cette  mesure  consti- 
tuait pour  eux  un  droit  personnel  en  général.  S'il  est  exact  que  la  manse  fla- 
mande équivalait  à  deux  manses  allemandes  et  à  quatre  manses  slaves,  ainsi 
que  je  l'ai  dit  plus  haut,  il  faut  admettre  aussi  que  la  mesure  flamande  valait 
le  double  de  la  mesure  allemande,  et  le  quadruple  de  la  mesure  slave.  Le 
propriétaire  flamand  ou  selon  le  droit  flamand  était  donc  le  plus  favorisé. 

Nulle  part  il  n'est  question  de  mesure  frisonne  ou  wesiphalienne. 


m  HISTOIKK 

CHAPITRE  II. 

DROITS   SPÉCIAUX. 
SECTION  I. 

BRÈME. 

Nous  avons  vu  plus  haut  *  que,  par  sa  charte  tlo  1106  -,  Tarchevêquc 
Frédéric  conclut  avec  les  colons  hollandais  un  pacte  important.  En  Irailanl 
avec  eux,  il  reconnaissait  implicilement,  mais  solennellomenl,  leur  qualité 
d'hommes  libres.  Il  est  probable  que  les  contractants  étaient  les  chefs-colons. 
Les  clauses  de  la  charte  renferment  plusieurs  dérogations  aux  coutumes  de 
l'époque,  ainsi  que  le  relevé  des  privilèges  qu'ils  obtinrent  et  des  obligations 
insignifiantes  qu'ils  eurent  à  presler  le  démontrera. 

A.  Droits  et  privilèges. 

I.  L'archevêque  concède  aux  Hollandais ,  pour  eux  et  pour  leurs  descen- 
dants [quibus..,  et  ipsorum  haereclibuspost  ipsos),  la  propriété  d'un  vaste  ter- 
ritoire ,  dont  la  contenance  exacte  n'est  pas  limitée. 

II.  Toutefois,  pour  qu'il  ne  puisse  s'élever  aucune  conteslalion  dans  la 
suite  sur  l'étendue  des  terres  concédées,  l'archevêque  fixe  la  superficie  de  la 
manse  à  sept  cent  vingt  verges  royales  en  longueur  et  à  trente  en  largeur, } 
compris  les  ruisseaux  (|ui  coulent  à  travers  les  mêmes  fonds. 

Etait-ce  là  une  mesure  hollandaise  proprement  dite?  Est-ce  une  mesure 
établie  spontanément  par  l'archevêque  ?  La  question  ne  comporte  aucune  ré- 
ponse, ni  dans  un  sens,  ni  dans  l'autre.  Frédéric  dit  viryas  royales,  pro- 

'   Voy.  première  partie,  p.  S4. 

-  Voy.  mes  Docnmenls ,  n°  II. 

Il  y  avait  anciennement,  dans  le  duclié  de  Brème,  plusieurs  droits  coutuiuicis  et  locaux  en 
vigueur  qui,  au  XV"^  siècle,  furent  rédigés  par  écrit,  d'après  la  tradition  orale.  Tels  étaient 
la  W^rstvr  Willkiilir;  le  Statut  du  pays  de  Kehdingen,  le  Rechtsbiich  (1er  Aitliimler ,  etc. 
(Kôster,  p.  19).  C'est  ce  dernier  qui  régissait  les  descendants  des  colons  belges. 


DES  COLONIES  BELGES.  193 

bablement  parce  qu'elles  étaient  plus  grandes  que  les  verges  ordinaires.  Le 
piedde  roi,  en  France,  était  pareillement  compté  pour  plus  long  que  les  autres. 
Chaque  manse  hollandaise  comptait  donc  21,600  verges  carrées.  Lan- 
gethal  évalue  cette  contenance  à  22S  journaux  prussiens. 

III.  L'évèque  leur  accorde  une  propre  juridiction.  Les  Hollandais  peuvent 
donc  nommer  leurs  juges  et  porter  devant  leur  tribunal  toutes  les  contesta- 
tions qui  pourraient  s'élever  :  «  ut  omnes  rerum  dissensiones  inler  se  defini- 
rentur.  « 

Or,  comme  ces  juges  étaient  nommés  parmi  eux,  et  qu'ils  ne  devaient 
connaître  d'autres  usages  que  ceux  de  leur  patrie,  il  me  semble  évident  que 
leurs  décisions  devaient  s'étayer  sur  h  jurisprudence  qui  y  était  en  usage. 

IV.  Les  Hollandais  obéiront,  en  matière  spirituelle,  à  l'archevêque,  mais 
conformément  aux  coutumes  établies  par  le  synode  d'Utrecht. 

J'ai  déjà  dit,  dans  la  partie  historique,  que  cette  clause  donne  à  entendre 
que  les  colons  appartenaient  au  diocèse  d'Utrecht.  Ils  l'ont  sans  doute  fait 
insérer  dans  la  crainte  que  la  juridiction  de  l'archevêque  de  Brème  n'empiétât 
sur  leurs  droits  et  ne  les  soumit  à  d'autres  lois  que  les  leurs. 

V.  L'appel  des  causes,  que  les  Hollandais  ne  parviendront  pas  à  terminer 
entre  eux,  sera  déféré  à  l'archevêque.  Mais  au  lieu  de  se  rendre,  eux,  au 
palais  archiépiscopal,  c'est  lui  qui  ira  passer  au  milieu  d'eux  le  temps  néces- 
saire pour  rendre  les  arrêts.  Ils  l'entretiendront  à  leurs  frais,  en  ce  sens  que, 
des  frais  du  procès,  ils  garderont  deux  tiers,  tandis  que  l'autre  sera  la  part 
de  l'archevêque. 

VI.  Ils  pourront  construire  des  églises  où  ils  le  voudront  ubi  eis  con- 
gruum  videretur ,  et  autant  qu'ils  le  jugeront  convenable  ecdesias...  coiisii- 
hii  concessimus. 

Comme  le  territoire  que  Frédéric  avait  concédé  aux  Hollandais  était  inha- 
bité, il  va  de  soi  qu'il  ne  s'y  trouvait  aucune  église  avant  leur  arrivée.  Il  y 
avait  donc  un  juste  motif  pour  que  l'archevêque  ',  à  qui,  d'après  les  lois  ca- 
noniques des  conciles,  appartenait  seul  le  droit  de  construire  des  églises^, 

^  Henri  Linck  ,  Disserl.  du  droit  des  temples,  C.  2 ,  n°  2. 

^  Voy.  le  quatrième  canon  du  concile  de  Chalcëdoine,  caus.  18,  quest.  2;  can.  10,  no\.  (i7. 
—  Van  Espen,  Dcjure.ecclesiastico  universo,  t.  I,  p.  2. 

Tome   XXXH  26 


iU  HISTOIRE 

el  qui  élail  lui-même  le  fondateur  de  la  colonie ,  établit  une  exception  en  fa- 
veur des  colons  étrangers. 

I.a  charte  ne  dit  pas  aux  frais  de  qui  ces  églises  étaient  construites;  mais  il 
est  raisonnable  d'admettre,  en  se  fondant  sur  les  termes  mêmes  de  Farchevêque, 
(|ue  ce  furent  les  émigranis  eux-mêmes,  à  qui  elles  étaient  destinées,  qui  en 
supportèrent  les  frais.  Les  revenus  ecclésiastiques,  qui  d'ordinaire  payaient 
ces  dépenses,  n'existaient  pas  encore  '. 

Quant  aux  donations  faites  à  ces  mêmes  églises,  elles  furent  elTectuées  à 
part  égale  pai-  l'archevêque  et  par  les  colons.  Le  premier  leur  assigne  à  cet 
effet  la  dime  qui  lui  revenait  sur  les  fruits,  el  les  autres  une  manse.  Entin, 
c'est  un  prêtre  hollandais  qui  est  installé  conmie  chef  de  ces  églises,  pour  sa 
vie  tout  entière  :  «  Heinricus  sacerdos,  cui  praefatas  ecclesias  in  vita  sua  con- 
cessimus.  »  L'archevêque,  par  conséquent,  se  réserve  le  choix  de  son  suc- 
cesseui'. 

VIL  Les  termes  de  la  charte  «  quibus...  concedimus,  et  ipsorum  haere- 
(iibus  post  ipsos  »  prouvent  que  l'archevêque  accorda  aux  Hollandais ,  en 
même  temps  que  la  propriété,  le  droit  héréditaire  qui  en  est  la  conséquence 
directe  et  naturelle. 

Le  droit  d'hériter  des  immeubles  constituait,  à  cette  époque,  une  déroga- 
tion-aux  coutumes  établies;  la  majeure  partie  des  biens-fonds  .était  affermée, 
et  ceux  qui  détenaient  ces  biens  n'avaient  qu'un  droit  temporaire,  non  trans- 
missible  à  leurs  héritiers.  Ce  qui  explique  le  privilège,  c'est  que  les  terres 
concédées  aux  Hollandais  étaient  complètement  désertes  el  incultes  quand  elles 
furent  données  à  cultiver.  Il  fallait  donc  un  long  et  pénible  travail  pour  les 
rendre  fertiles  :  si  les  colons  n'avaient  pas  été  établis  dans  leurs  fermes  avec 
la  certitude  de  pouvoir  les  laisser  un  jour  à  leurs  enfants,  la  crainte  que  des 
étrangers  ne  vinssent  |)rofiter  de  leurs  peines  et  recueillir  les  fruits  de  leurs 
travaux  n'aurait-elle  pas  arrêté  l'essor  de  leur  aclivitè? 

'   Henri  Liiicit ,  diap.  Il,  ri*  7. 


DES  COLOr^IES  BELGES.  19» 


B.  Charges. 


1.  La  première  était  le  cens  ou  redevance.  Les  Hollandais  avaient  à  payer 
chaque  année,  pour  chaque  manse,  un  denier. 

Avant  de  dire  quehjues  mots  de  la  nature  de  la  redevance,  il  faut  expli- 
quer ce  que  Ton  doit  entendre  ici  par  denier. 

Le  denier  des  Allemands ,  que  souvent  les  anciens  désignaient  simplement 
par  le  mot  monnaie,  a  conservé  son  nom  du  denier  romain.  Mais  sa  valeur 
ne  paraît  pas  avoir  été  la  même.  Tous  les  deniers  germains  n'étaient  ni  de  la 
même  valeur,  ni  du  même  métal  ;  il  y  en  avait  en  cuivre ,  en  argent,  cl  foit 
peu  en  or.  La  dénomination  du  denier,  sans  spécification  de  métal,  indiquai! 
qu'il  s'agissait  du  denier  en  argent,  qui  était  le  plus  en  usage  \  Il  ne  peul 
donc  y  avoir  aucun  doute  sur  la  nature  du  denier  que  payaient  les  colons 
hollandais  pour  leurs  fermes  :  c'était  le  denier  d'argent,  dont  la  valeur  a  sou- 
vent varié,  suivant  les  pays  et  les  temps. 

D'après  Eelking,  «  il  existe  des  monnaies  d'argent  du  duché  de  Brome, 
d'une  petite  dimension,  qui  furent  hallues  au  douzième  siècle  ou  au  siècle  pré- 
cédent, et  que  l'on  compte  parmi  les  deniers.  Leur  valeur,  comparée  à  notre 
monnaie,  é(|uivaut  à  dix-huit  deniers  [pfennhHjen],  ce  qui  me  lait  croire  que 
le  i)rix  de  la  redevance,  que  les  colons  des  fermes  hollandaises  payaient  an- 
nuellement, égalait  dix-huit  deniers  de  notre  monnaie  pour  chaque  ferme  '\  » 

La  redevance,  dans  l'espèce,  était  due  à  l'archevêque.  Quant  à  savoir  dans 
()uelle  catégorie  il  la  faut  ranger,  je  crois  qu'elle  appartient  au  cens  dit  réservé. 
Tel  est,  en  effet,  le  caractère  delà  prestation  qu'avaient  à  fournir  ceux  qui  pos- 
sédaient celte  sorte  de  propriété  sut  generis  dont  j'ai  parlé  plus  haut.  Ainsi 
les  Hollandais  avaient  le  droit  d'user  et  de  jouir  de  leurs  fermes,  comme  hon 
leur  semhlait;  ils  pouvaient  cultiver  les  terres  comme  ils  le  jugeaient  conve- 
nable, et  en  changer  la  face  et  la  forme  à  volonté;  ils  transmettaient  leurs 
exploitations  à  leurs  héritiers,  les  aliénaient  quand  ils  le  voulaient,  et  usaient 
le  plus  librement  possible  des  effets  du  dominiuni  %Uile  dans  l'acception  la 

'  Cliristopli.  Hirsch,  Miïnlzarchiv,  préface,  1,  |  10. 
'  De  Belgis,  p.  174. 


J96  HISTOIRE 

plus  large  du  mot.  Ils  ne  payaient  donc  qu'un  cens  tiès-faible  en  reconnais- 
sance de  la  propriété  directe. 

L'époque  fixée  pour  le  payement  de  cette  prestation  est  le  jour  de  la  fêle 
de  8'-Martin.  Il  en  était  de  même  dans  les  Pays-Bas.  En  général,  les  cens 
s'ac(piiltaient  les  jours  de  fête,  parce  qu'alors  les  propriétaires  chômaient  \ 
et  les  agriculteurs  ou  les  colons  préféraient  ne  payer  (|u'à  la  S'-Marlin, 
parce  qu'alors  la  récolle  était  faite  et  les  grains  battus. 

II.  Une  autre  charge  que  devaient  prester  les  colons  était  la  dinie,  payable 
annuellement  tant  en  fruits  qu'en  bétail. 

«  Les  Hollandais  se  sont  engagés,  dit  la  charte,  à  payer  les  dîmes  décré- 
tées par  nous,  c'est-à-dire  que,  parmi  les  fruits  de  la  terre,  ils  donneront  la 
onzième  gerbe,  le  dixième  des  agneaux,  des  porcs,  des  chèvres,  des  oies, 
comme  aussi  la  dixième  mesure  du  miel  et  la  dixième  botte  de  lin;  jusqu'à 
la  fête  de  S*-Martin,  ils  auront  la  faculté  de  racheter  un  poulain  pour  un 
denier  et  un  veau  pour  une  obole.  » 

On  peut  distinguer  dans  cette  énumération  la  dime  proprement  dite,  qui 
comprend  les  agneaux,  porcs,  chèvres  et  oies;  la  petite  dîme  [schnialze/ui/) 
concernant  le  miel  et  le  lin,  et  enfin  la  dîme  novate  :  ce  nom  était  donné  à 
toutes  les  dîmes  dues  pour  des  champs  récemment  mis  en  culture. 

Dans  le  diplôme  d'IIarlwig  I,  au  lieu  de  la  onzième  gerbe  des  fruits,  on 
lil  :  «  le  onzième  (as,  nommé  parles  Hollandais  vhnmen.  »  C'est  qu'en  effet 
l'usage  de  ne  donner  que  la  onzième  partie  des  fruits  ou  des  gerbes  est  émi- 
nemment hollandais  ■,  et  ce  furent  les  Hollandais  qui  introduisirent  le  mot 
vimmen  dans  le  pays  de  Brème.  Par  la  suite,  cette  expression  a  perdu  sa 


'  Selcliow,  In  Elem.  Jiir.  ^Per»».,  §  459,  n"-!,  |). -431. 

^  a.  Grotius,  liikjjdhuj  loi  de  IwlUmdsche  ncchlsgcleerillieyd ,  I).  40,  p.  125. 

«  Partout,  (lit  Wicdciiinnii  {loc.  cit.,  I  127),  où  l'on  trouve  qu'une  commune  pavait  iiu  sei- 
gneur la  onzième  gerbe,  on  peut  aflirmer  qu'elle  a  une  origine  néerlandaise.  » 

Depuis  les  temps  les  plus  reculés,  les  terres  soumises,  dans  le  diocèse  de  Brème,  à  la  dinie 
proprement  dite  ,  étaient  apj)clées  Teelland.  On  n'est  pas  d'aceord  sur  l'origine  de  cette  expres- 
sion. Ceux-ci  la  considèrent  comme  signifiant  getlieiltes  Land,  explication  que  d'autres  rejet- 
tent, parce  que,  dans  le  dialecte  de  l'Ost-Frise,  le  mot  s'écrit  DcelUmd.  Ceux-là  dérivent  le 
mot  de  TefjciKiland  {Zehnlland),  parce  que  legeiid,  en  frison,  signifierf«x.  (Wiedemann,  II,  4.5). 
Adhitc  sub  judice  lis  est. 


DES  COLONIES  BELGES.  197 

signilk'tUioii  première;  ainsi,  on  lil  dans  une  charte  :  «  le  quatrième  las, 
nommé  vulgairement  y«/»me  '.  » 

Dans  les  diplômes  d'flartwig  II  et  de  Siegfried  II ,  il  est  dit  qu'on  devra 
payer  pour  un  veau  un  demi-denier,  ce  qui  nous  apprend  que  la  valeur  d'une 
obole  est  la  même  (juc  celle  d'un  demi-denier. 

La  convention  de  Frédéric  I  avec  les  Hollandais  est  la  seule  où  il  soit  lait 
mention  du  lin;  c'est  là  une  particularité  digne  d'être  signalée. 

III.  En  retour  de  la  faveur  tiu'accordait  rarchevêque  aux  colons  de  pou- 
voir jouir  de  leur  propre  juridiction,  ils  devaient  lui  payer  une  redevance 
annuelle,  à  savoir  deux  marcs  pour  chaque  cent  manses. 

Pour  pouvoir  apprécier  rimportancc  de  ce  cens,  il  faut  lâcher  de  calculer 
approximativement  l'étendue  des  cent  manses. 

Une  manse,  ai-je  dit  plus  haut,  faisait  21,600  verges  carrées,  contenance 
que  l'on  évalue  à  225  journaux  {moryen)  prussiens  actuels.  Or,  22,222  jour- 
naux prussiens  forment  un  mille  carré.  Cent  manses  font  donc  plus  iVun  mille 
carré.  Le  mille  prussien  équivaut  à  plus  d'un  kilomètre  et  demi  (7532  mè- 
tres) ;  par  conséquent  un  kilomètre  et  demi  carré  de  notre  superficie  rap- 
portait par  an  à  l'archevêque  deux  marcs. 

Cette  clause  est  intéressante  en  ce  qu'elle  est  une  preuve  de  la  vaste  éten- 
due de  territoire  que  donna  l'archevêque  de  Brème  aux  Hollandais. 

IV.  Quand  le  prélat  se  rend  au  milieu  d'eux,  pour  juger,  au  degré  d'appel, 
les  contestations  qu'ils  n'ont  pu  terminer  eux-mêmes,  ils  doivent  l'entretenir 
à  leurs  frais  et  lui  faire  toucher  un  tiers  du  montant  du  litige. 

V.  Les  paroissiens  hollandais  doivent,  pour  chaque  église  nouvelle  qu'ils 
bâtissent,  s'engager  à  donner  à  cette  église  une  manse  pour  l'usage  du  des- 
servant. 

.l'ai  parlé  de  ces  deux  charges,  en  traitant  des  droils  et  privilèges  simi- 
laires, dont  elles  ne  sont  que  la  conséquence. 

Une  lettre  de  vente,  passée  au  quinzième  siècle,  entre  des  Hollandais,  n'est 
pas  sans  intérêt.  Je  la  fais  suivre  ici  pour  finir  cette  section  "\  La  traduction 
est  littérale  : 

«  Je,  Henri  Vighe,  autrement  nommé  le  Hollandais,  reconnais  et  ceriifie 

1   Puffendorf,  Observ.,  II,  n"  t. 
-  Voir  mes  Documents,  n°  XXVI. 


198  HISTOIRE 

puhlicjuemtMil  par  ce  coiilral  pour  moi  et  pour  mes  liériliers  légitimes,  que 
feu  Herman  de  Wersebe  et  Herman  son  fils,  ainsi  que  Jean  de  Wersebe,  fils 
de  Carsten,  m'ont  vendu  jadis,  à  moi  et  à  mes  bériliers,  moyennant  60  marcs 
de  Brème,  le  bien  déciit  ci-après,  situé  à  Uthlede,  notamment  :  une  |)arcelle 
de  terre  avec  ponton,  située  dans  le  village  et  dans  la  plaine,  tant  sur  les  ter- 
rains sablonneux  que  dans  les  bas-fonds,  avec  tous  les  droits  et  accessoires 
résultant  des  deux  lettres  patentes  dont  Tune  a  été  scellée  par  Herman  de  Wer- 
sebe, Herman  son  fils,  el  Jean,  fils  de  Carsten;  l'autre  par  Henri  de  Wer- 
sebe, écuyers;  lesquels  biens  el  titres  prémentionnés,  moi,  attendu  que  je 
suis  un  véritable  Hollandais,  j'ai  actuellement  vendus  el  vends  par  suite  de 
ce  conlralel  à  litre  de  vente  réelle,  perpétuelle  el  héréditaire,  et  ce  par  suite 
et  en  verlu  du  présent  contrat,  aux  honorables  citoyens  Martin  OIdgers  el 
Beineken  Sanders,  architectes  de  l'église  Sainl-31ichel,  située  hors  de  Brème, 
el  à  leurs  successeurs,  pour  une  certaine  somme  d'argent  qui  m'a  été  payée 
par  eux  à  ma  pleine  satisfaction,  de  telle  sorte  que  je  leur  abandonne  les  biens 
et  litres  en  pleine  propriété,  possession  et  garantie,  ainsi  qu'on  abandonne 
légalement  les  biens  vendus. 

»  Et  je,  Henri  Vighe,  el  mes  héritiers  déclarons  vouloir  garantir  aux 
architectes,  leurs  successeurs,  les  biens  prémenlionnés,  ainsi  que  les  présen- 
tes lellres  patentes  avec  tous  les  droits  et  accessoires  légaux ,  et  prester  ga- 
rantie quand  el  aussi  souvent  que  besoin  sera,  el  quand  de  ce  nous  sommes 
requis,  sans  aucune  contradiction  de  noire  part,  etc. 

»  En  foi  de  quoi,  je,  Henri  Vighe,  prénommé,  ai,  tant  pour  moi  que  pour 
mes  héritiers,  nés  et  à  naître,  préalablement  appendu  mon  sceau  aulhenticpie 
à  ce  contrat,  avec  déclaration  que  la  vente  prédite,  faite  à  titre  perpétuel,  a  eu 
lieu  de  notre  plein  gré  et  consentement ,  et  telle  qu'elle  est  décrite  ci-dessus. 

»  El  ainsi  nous,  Frédéric,  nommé  le  Hollandais,  frère  de  Henri;  ainsi  que 
Henri,  nommé  le  Hollandais,  père  de  Henri,  et  Jean  le  Hollandais,  fils  de  Fré- 
déric, écuyers,  avons,  pour  qu'une  plus  grande  foi  soit  due  à  l'acte,  tant 
pour  nous  que  pour  nos  héritiers,  appendu  notre  sceau  authentique  à  ce 
contrat. 

»  Donné  après  la  naissance  de  Dieu  [du  Sauveur)  Fan  J4-77,  le  soir  de 
la  fêle  de  Cosme  el  de  Damien,  martyrs  [26  septembre).  » 


DES  COLONIES  BELGES.  199 


SECTION  II. 


HOLSTEIN. 


§1.  —  Cercle  de  la  W  ils  ter. 

Il  est  impossible  (rétablir  d'une  manière  précise  en  quoi  consistait,  à  pro- 
prement parler,  le  droit  bollandais  dans  ce  pays.  Je  n'ai  pas  trouvé  de  sources 
qui  lissent  mention  des  divers  points  dont  il  se  composait.  Je  me  bornerai 
donc  à  dire  quelques  mots  d'une  coutume  qui  y  avait  force  de  loi  et  qui  a 
été  en  vigueur  jusque  dans  ces  derniers  temps. 

Je  veux  parler  du  mariage  morganatique  dont  quelques  écrivains  attribuent 
l'introduction  aux  colons  hollandais  ',  et  qui  avait  surtout  lieu  en  cas  de 
secondes  noces,  lorsque  des  enfants  avaient  été  procréés  pendant  le  premier 
mariage. 

A  quoi  faut-il  attribuer  le  fondement,  la  cause  de  l'apparition  de  ce  fait  tout 
à  fait  particulier,  j'allais  dire  anormal? 

Il  trouve,  je  crois,  sa  source  dans  le  partage  de  connnunauté  strictement 
légal,  lequel,  dans  beaucoup  de  cas,  devait  recevoir  son  application  pour 
garantir  à  la  seconde  femme  et  à  ses  enfants  un  droit  héréditaire  spécial. 

Or,  par  son  contrat  de  mariage,  il  lui  était  fait,  à  la  femme,  une  position 
par  suite  de  laquelle  elle  et  ses  enfants  n'entraient  ni  dans  la  condition,  ni 
dans  la  succession  d'une  femme  aNant  tous  les  droits  que  lui  conférait  le 
droit  hollandais  {7iacli  kollisclien  Land-ùnd  Marschrecht). 

Ce'mariage  avait  donc  tout  à  fait  le  caractère  d'un  mariage  morganatiqu*'  -. 

I  J.-C.-K.  DreycT,  Densu  ijcnuinojurk  anglo-saxoiiir.i.  KicI,  1747,  p.  i8  :  «  Forli'  et  irli- 
quiis  morum  Batavorura  adscribenda  sunt  matrimonia  non  ita  pridem  in  Mnrsin  Steinbiirgensi 
ad  inorganatioam  ab  incolis  tiim  lonlracta,  si  ex  uxore  i)racdffuncta  uxisteient liberi.  » 

*  E.-A.  Slryclv,  Dissertai,  de  Mulrimonio  ex  ralione  Sdiliis,  c.  II,  n"  "JO,  arg.  Il,  f.  26,  g  l(i  ; 
«  Filii  nati  ex  ea  uxore,  cum  qua  malrimonium  tali  conditione  contractuin  est,  ne  filii  ex  ea 
nati  pati-i  ab  intestato  succédant,  nec  in  feuduni  succcdunt.  Nam  quamvis  ratione  inippol)etiii- 
talis  coiidilio,ex  usu  tainen  adniitlitur.  " 

Arg.  II ,  f.  29  :  «  Quidam  liabens  filium  ex  nobiii  eonjuge,  posl  moricni  ejus  non  yalens  ton- 


200  HISTOIRE 

Il  V  a  peu  (rannées,  les  magislrals  civils  le  prononcaienl  encore,  et  les 
juges  en  appliquaient  les  conséquences  '. 

Quant  au  droit  hollandais  lui-même,  il  n'y  a  pas  de  doute  qu'il  n'ait  été  en 
vigueur  dans  le  Holstein  depuis  Timmigration  des  colons  jusque  dans  la  se- 
conde moitié  du  quinzième  siècle. 

Deux  documents  nous  rappellent  son  abolition. 

Le  premier  est  une  lettre  d'Adolphe,  duc  de  Schleswig  et  comte  de  Hol- 
stein, à  l'évêque  de  Liibeck  et  datée  de  1438.  On  peut  joindre  à  cette  charte 
tous  les  autres  actes  du  comte  Adolphe,  de  la  même  année.  Dans  la  lettre 
précitée  ^,  le  comte  abroge  le  droit  hollandais  dans  deux  villes  situées  dans 
le  district  d'Eutin  et  ordonne  que  leurs  habitants  soient  dorénavant  régis  par 
le  droit  du  Holstein. 

Le  second  est  un  édit  de  Christian  I ,  roi  de  Danemark,  de  l'année  14.70  , 
qui  sanctionne  l'abolition  du  même  droit  dans  les  districts  de  Wilsler  et  de 
Kremper,  pour  y  introduire  également  le  droit  du  Holstein  ^. 

Le  l'ait  de  cette  abrogation  fait  naître  différentes  difficultés,  dont  je  me 
bornerai  à  mentionner  les  principales.  Il  n'est  pas  facile  de  s'expliquer  tout 
d'abord  pour  quels  motifs  le  comte  Adolphe  supprima  le  droit  hollandais, 

linere,  aJiaiu  minus  nobilem  duxit;  qui  nolens...  existere  in  peccato  eani  desponsavit  ea  lege,  ut 
nec  ipsa,  nec  filii  cius  amplius  liabeant  de  bonis  patris,  quani  dixeril  tempore  sponsaliorum, 
verbi  gratiam  decem  libras,  vel  quantum  voluerit  dare,  quando  eam  desponsavit,  quod  Medio- 
lanenses  dicunt  accipere  uxorem  ad  morganaticam ,  alibi  lege  salica...  » 

'  Renseignements  communiqués  à  Fauteur  par  M.  Micbelscn. 

-  «  Bekennen  unde  betiigen  openbare  -dat  \vy-  den  iinvaneren  der  twier  dorper...  in  dem 
kerspel  totulhin  gelegen,  dat  se  môgenhebben  holstensch  recbt,unde  niclitmehi'  dorven  soe- 
ken  hollensch  recht,  so  se  went  an  desze  tyd  plicbtig  hebben  gewesen  tôt  docnde.  jedoch 
schorsen  se  verpliohtet  wezen  dat  godingh  foe  soekende,  lyk  anderen  inwancrcn  unses  landes 
in  deme  hollenscherechte  worde  wyset  werden,  dat  gedingh  te  soekende...  »  Lunig,  Reichsar- 
chif.  p.  459. 

5  «  Don  witlick  dat  wiina  rade  iinser  leven  getruwenzede  desser  iinserlande,  unde  umme  des 
gemenen  besten,  unde  desser  unser  lande  bestand  willen  unde  twistinge,  un  willen,  sware  kost, 
aizo  dc-i  hol.sschen  redits,  haUen  upp  unse  undersaten  in  der  Kremper,  unde  ^Vilster  Marscb  uw 
beth  lier  to  gcvallen  is ,  bier  namals  tovormidende  affgesctten  hebben  unde  selten  aff  iegen- 
wordigen  in  der  Kremper  unde  Wilster  Marsch  aile  unde  islikc  scbepen  unde  sehulten,  unde 
willen  unde  bcden  jegenwordicb  hier  namals  m}  nés  redites  sunder  aliène  liolsten  redites  to 
brukendc,  Rcnotende  efîe  entgeldende,  etc.  Corps  des  cotistilutions  des  régions  holsatiennes, 
II,  scct.  II.  n"  3.  p.  S7  et  sqq. 


DES  COLONIES  BELGES.  201 

comme  si  celle  faveur  lui  avait  élé  demandée  par  les  liabilants  du  pays,  alors 
que,  pour  différenles  raisons,  on  peulaflirmer  que  la  populalion  hollandaise 
du  bailliage  d'Eutin  ne  devait  abandonner  qu'à  son  grand  regret  les  lois  de 
sa  patrie  et  les  anciens  usages  qu'elle  avait  conservés  jusque-là,  et  qui  avaient 
à  ses  yeux  le  prestige  de  la  tradition  et  la  force  de  l'autorilé. 

D'ailleurs,  le  sens  des  termes  dont  se  sert  le  comte  de  Holstein  n'est  nul- 
lement clair;  on  peut  les  interpréter  de  différenles  manières.  Ils  peuvent  se 
rapporter  à  la  justice  hollandaise,  rendue  sur  le  terriloire  d'Eulin,  selon  les 
mœurs  hollandaises,  ou  au  mode  de  faire  droit,  ou  encore  signifier  la  néces- 
sité, imposée  aux  habitants,  de  recourir  à  la  justice  et  aux  tribunaux  hollan- 
dais. Cette  difficulté,  il  est  difficile  de  la  résoudre,  à  moins  de  soutenir  que 
la  condition  des  Hollandais,  appelés  dans  celte  contrée  par  Adolphe,  n'élaii 
pas  aussi  heureuse  que  celle  dont  jouissaient  leurs  compatriotes  établis  dans 
les  terrains  marécageux  de  la  Stormarie,  et  que,  pour  ce  motif,  bien  qu'ils 
fussent  régis  par  des  lois  plus  douces  que  celles  qui  étaient  appliquées  aux 
Slaves,  ces  Hollandais  aimèrent  mieux  vivre  désormais  sous  le  droit  holsa- 
lien  que  sous  le  droit  hollandais,  qui  était  le  leur.  Toutefois,  cette  hypothèse 
ne  lève  pas  le  doute  et  n'éclaircit  pas  la  question  de  fait. 

Une  autre  difficulté ,  renfermée  dans  les  termes  de  la  lettre  du  comte 
Adolphe,  est  plus  facile  à  résoudre.  On  ne  trouve  nulle  part  dans  le  droit 
holsalien  qu'il  y  fût  d'usage  de  recourir  d'un  premier  tribunal  à  une  cour 
supérieure  pour  en  appeler  de  la  sentence  rendue  par  le  juge.  On  ne  voit  pas 
non  plus  que  celle  coutume  ait  existé  chez  les  habitants  des  campagnes  du 
Holstein;  il  est  donc  probable  que  le  comte  a  eu  en  vue  les  lois  et  tribunaux 
hollandais  existant  sur  le  terriloire  d'Eutin. 

Quant  à  l'édit  du  roi  Christian ,  quelques  mots  d'explication  sont  égale- 
ment nécessaires. 

Pourquoi  ce  prince  ordonna-t-il  de  rédiger  et  de  concentrer  dans  un  seul 
code  les  diverses  lois  en  usage  dans  le  Holstein?  Parce  que  les  habitants, 
principalement  ceux  de  la  Wilster  et  de  la  Kremper  Marach,  s'étaient  mis  en 
désobéissance  et  puis  en  révolte  contre  Christian ,  prenant  parti  pour  le 
comte  Gérard  de  Holstein  et  défendant  sa  cause  contre  le  roi  lui-même.  (West- 
PHALEN,  I,  p.  liSO.)  Christian  commença  par  imposer  à  ses  sujets  rebelles  une 
Tome  XXXII.  "27 


202  HISTOIRK 

contribution  pécuniaire,  cl,  celle  mesure  n'obtenant  pas  les  effets  qu'il  en 
attendait,  il  finil  par  leur  enlever  leur  droit  coutumier,  c'est-à-dire  le  droit 
hollandais  (Cronhelm, /oc.  cit.,]).  73). 

Au  surplus,  ce  que  j'ai  dit  plus  haut,  —  lorsque  j'ai  cherché  à  établir  que 
les  Hollandais  des  Marches  avaient  obtenu  des  droits  et  des  privilèges  bien 
plus  étendus  que  ceux  qui  furent  accordés  plus  tard  aux  émigrants  conduits 
dans  la  Wagrie  par  le  comte  Adolphe  de  Schauenbourg,  — confirme  la  vrai- 
semblance de  cette  assertion.  Une  disposition,  insérée  dans  la  confirmation 
des  privilèges  donnée  par  le  même  roi,  en  1460,  y  paraît  néanmoins  contraire  : 

«  Heftdarwoll.  in  dem  lande  iho  Ilolstein  und  Slosmarn  lioUisch,  edder 
ander  rechl,  de  dar  vvill  afl'sellen,  so  wy  darlho  geeschel  werden,  willen  wy 
solskers  affleggen ,  und  giinnen  ehrne  holslenrecht.  » 

Mais  la  contradiction  n'existe  que  dans  les  mots.  Dans  cet  acte,  le  roi  a 
voulu  abolir  cette  diversité  de  droits,  qui,  bien  qu'utile  et  profitable  aux  habi- 
tants en  particulier,  n'en  était  pas  moins  nuisible  au  bien-être  général;  et, 
afin  de  ne  pas  paraître  ordonner  quelque  chose  de  contraire  aux  anciennes 
mœurs  et  coutumes,  il  persuade  à  ses  sujets  qu'il  introduit  ce  changement  de 
législation  uniquement  dans  leur  intérêt. 

L'édit  de  1470  démontre  clairement  que  tel  a  été,  dès  le  principe,  son 
dessein.  Les  événements  ayant  prouvé  que  les  habitants  des  Marches  ne  con- 
sentaient pas  volontiers  à  renoncer  à  leur  droit,  il  s'est  empressé,  à  la  pre- 
mière occasion  favorable  —  une  révolte,  —  d'en  abolir  conqilélement 
l'usage,  et  il  a  ordomié  qu'à  l'avenir  le  droit  holsatien  seul  y  serait  en  vigueur. 

Enfin ,  les  résultats  produits  par  l'abolition  renforcent  les  arguments  qui 
précèdent.  En  effet,  les  habitants  des  Marches,  qui  jusqu'alors  avaient  élu 
eux-mêmes  leurs  propres  juges,  furent  obligés,  dans  la  suite,  de  porter  leurs 
causes  devant  le  bailli  royal  de  Steinbourg,  et  il  va  de  soi  qu'ils  préféraient 
faire  juger  leurs  causes  par  des  juges  choisis  par  eux  et  parmi  eux. 

§  II.  —  Cercle  de  la  Slor. 

Pour  donner  une  idée  des  coutumes  usitées  en  matière  de  vente,  dans  le 
Holiàndcr  Bann,  je  ne  puis  mieux  faire  que  de  traduire  aussi  littéralement 


DES  COLOINIES  BELGES.  203 

que  possible  la  lettre  de  vente  signée  entre  le  cédant  et   les  acheteurs  '. 

«  Moi,  Jean  de  Campe,  reconnais  par  les  présentes  lettres  et  en  rends  témoi- 
gnage à  tous  ceux  qui  les  présentes  voient  et  entendent,  que  moi ,  —  d'ac- 
cord avec  Henri  Seveken  (que  Dieu  lui  soit  miséricordieux!),  de  l'agréation 
et  consentement  d'Ulric  Seveken ,  et  de  l'agréation  de  sa  femme,  dame  Cathe- 
rine, parce  que  c'était  son  bien,  —  ai  vendu  à  seigneur  Jean  de  Nycii- 
kercken  et  à  Jean  de  Biittle,  bourgeois  à  Ytsehoe,  le  bien  à  Lulteringhe, 
moyennant  cent  marcs  de  monnaie,  sans  indication  de  contenance,  dans  telle 
situation  qu'il  s'est  trouvé  du  temps  du  seigneur  Henri  d'York,  et,  plus 
tard,  du  temps  d'Henri,  pour  en  être  usé  par  lui  sans  aucun  trouble  (|uel- 
conque. 

»  C'est  ce  que  nous,  prédits,  faisions  chacun  pour  moitié,  cela  étant  con- 
forme au  Ban  et  à  la  loi,  et  nous  invitions  et  priions,  le  jour  de  la  Saint-Jean, 
à  la  Noël,  les  échevins  et  écoutètes  de  Cronsmoor,  à  se  rendre  sur  le  bien  en 
question  au  Ban  duquel  ledit  bien  ressortissait  de  droit,  de  même  que  des 
voisins  du  village  de  Hilghenstede,  ainsi  que  les  échevins,  écoutètes  et  autres 
voisins  de  la  même  seigneurie. 

»  Nous  engagions  et  priions  aussi  de  se  rendre  sur  ledit  bien  des  ecclésias- 
tiques, des  nobles,  des  bourgeois  et  voisins  de  Munslerdorpe,  et,  d'après  une 
reconnaissance  faite  par  prud'hommes,  nous  prenions  [ledit  bien]  devant  les 
mêmes  échevins  et  écoutètes,  de  l'avis  et  de  l'autorité  de  la  juridiction  com- 
pétente, chacun  pour  moitié,  de  laquelle  moitié,  moi,  Jean  de  Campe,  Henri 
Seveken ,  Ulric  Seveken,  et  sa  femme  dame  Catherine,  avec  leurs  assistants, 
transmettions  avec  nos  assistants  ce  même  bien ,  situé  à  Lulteringhe ,  aux 
deux  prédits  seigneurs  Jean  et  Nicolas  et  à  leurs  assistants,  d'intention  et  de 
fait,  et  tel  que  ce  bien  ressortissait  de  droit  au  Ban  hollandais, 

»  Nous  reconnaissons  aussi  par  ces  lettres  que  nous  leur  avons  vendu  ledit 
bien,  dans  telle  position  qu'il  se  trouve,  avec  les  digues  telles  qu'elles  se 
comportent  en  longueur  et  en  largeur ,  avec  berge  et  talus  ,  depuis  la  Store 
jusqu'au  lit  du  fleuve  (litt.  séparation  sous  les  flots). 

»  Nous  reconnaissons  aussi  de  plus  devant  les  échevins  et  écoutètes  et  at- 

'  Voy.  le  texte  plattdeulsch  dans  mes  Documenis,  i\°  III. 


904  HISTOIRE 

lésions  raainlenant  par  ces  lellres  que  les  seigneurs  Jean  el  Nicolas  nous  oui 
soldé  ce  bien  à  noire  pleine  salisfaclion,  inlégralemenl,  depuis  le  premier 
jusqu'au  dernier  denier.  Nous  reconnaissons  aussi  que  nous  les  garanlissons 
conire  toute  éviction  ou  tout  Irouble  quelconque,  pendant  ini  an  el  jour, 
comme  cela  est  conforme  au  droit  Iwllandais. 

n  En  témoignage  de  ce  qui  précède,  moi ,  Jean  de  Campe  el  Henri  Seveken, 
Ulric  Seveken  et  Delleff  Scveke  avons  appendu  notre  sceau  à  celle  lettre. 

»  Les  témoins  qui  y  assistaient  (urenl  [suivent  les  noms)...  les  bourgeois , 
échevins  et  écoutètes  de  Cronsmoor  et  de.Munsterdorpe,  el  d'autres  voisins 
qui  ont  des  terres  dans  les  mêmes  villages,  ainsi  que  d'autres  bourgeois  que 
l'on  peut  citer,  s'il  était  besoin. 

»  Ces  lettres  ont  été  données  après  la  naissance  de  Dieu  [du  Sauveur) 
dans  l'an  mil,  l'an  trois  cent,  l'an  quarante,  dans  le  jour  saint  quand  Dieu 
montait  au  ciel  (14  mai  1340).  » 


SECTION    III. 


THURINGE. 


1  \.  —  Goldene  Aùe. 

Les  Flamands  avaient  dans  celle  contrée  plusieurs  droits  imporlanls.  iMais 
ceux  que  conférait  le  Kirchgang  étaient,  sans  contredit,  les  principaux.  Au 
Kirchyiuuj  se  rattacbenl  des  cérémonies  curieuses  dont  l'exposé  formerait 
une  page  intéressante  de  l'histoire  des  mœurs  et  coutumes  de  nos  compa- 
triotes en  Allemagne.  Cette  matière  élait  naturellement  du  domaine  de  la 
troisième  partie  de  mon  travail.  Toutefois,  il  nous  parut  que  le  sujet  pouvait 
difïicilemenl  être  scindé,  et,  pour  ne  pas  tomber  dans  des  redites,  nous  avons 
préféré  donner  ici  l'ensemble  do  la  doctrine  qui  s'y  rattache. 


DES  COLONIES  BELGES.  9os 

I.  —  KIllCUGANG. 

En  lèle  du  droit  flamand  Iradilionnel,  en  vigueur  dans  la  Goldene  Aùe,  et 
qui  s'y  est  mainlenu  jusqu'à  nos  jours,  figure  le  Kircliyany  flamand  propre- 
ment dit  ^ 

Qu'est-ce  que  cet  usage  purement  local?  Quelle  en  est  la  signification  juri- 
dico-historique? Quelle  base  faut-il  lui  assigner?  Voilà  toutes  ([uestions  (|ue 
ni  les  historiens  ni  les  jurisconsultes  n'ont  parfaitement  résolues. 

On  avait  d'abord  pensé  que  la  véritable  portée  du  Kircltfjany  n'avait  trait 
qu'à  une  formalité  permanente  qui  devait  être  observée  lors  de  l'acquisition 
des  biens,  qu'il  n'avait  pour  objet  qu'une  cérémonie  nécessaire  qui  accom- 
pagnait l'investiture  [Belelinung)  dans  ces  mêmes  biens  -. 

Mais  cette  opinion  est  en  opposition  avec  le  caractère  légal  des  propriétés 
flamandes,  lesquelles,  dans  la  Goldene  Aùe  du  moins,  étaient  libres  de  fiefs 
et  affranchies  de  toute  redevance  de  cette  matière  [Lehngeld),  bien  que,  sui- 
vant Hoche,  les  fiefs  devant  être  reçus  dans  l'église,  la  cérémonie  du  Kitc/i- 
(jany  eût  pour  objet  la  perception  de  celte  redevance  '\ 

Hollaùs,  dans  son  Glossar.  German.  med.  œvi,  p.  1086, envisage  le  Kiicli- 
(jang,  «  sicut  solemnis  ad  templum  processio  nuplialis,  id  est  argumenluni 
initi  legitimi  matrimonii  *.  » 

Quoi  qu'il  en  soit,  une  source  remarquable  du  Kirchgang  se  trouve  encore  en 
Thuringe,  dans  les  anciens  statuts  d'Orlamund,  du  quatorzième  siècle,  dont 
les  articles  8  et  9  nous  donnent  une  solution  claire,  et  pour  ainsi  dire  la  clef, 
quant  à  la  portée  juridique,  du  Kirchgang,  en  ce  qui  concerne  les  biens  des 
époux  °. 

«  8.  Item  unsir  stadt  giwonheit  ist  auch,  wan  sich  czwei  mit  einandir  in 
unsir  stadt  vorelichin,  nemlich  eyn  knecht  [jeune  homme)  und  eyne  junc- 
frawe  und  die  dirne  wirt  ingefurt  zeu  kirchen  und  zeu  strassen,  wasz  sie  guds 

'  Michelsen,  p.  14G. 

-  Idem,  p.  147. 

5  Hoche,  p.  100. 

'*  Miclieiscn,  p.  154,  note  \. 

^  Idem,  p.  ISô. 


9()ti  HISTOIRE 

zeusanien  breiigen,  (las  sal  ir  bedc  siii.  Obir  welcbe  dénie  andern  abegebet 
odir  slirbel  ane  erbin  von  todes  wegen ,  so  sal  das  gut  des  andern  sien  die 
wile  iszlebilund  sin  witlewenslul  nicbl  verrucken.  » 

«  9.  Scbickel  sicb  isz  abbir,  dasz  sicb  eyn  wilewer  und  witewin  in  nnsir 
s(adl  fugen,  und  sicli  mil  einander  vorelicben,  und  mit  einander  gehcn  zeu 
kircben  und  zeu  slrassen,  wasz  sie  guds  zeusamen  brcngin  von  beiden  leilen, 
das  sal  eyns  also  wol  sien  als  des  anderen.  Ober  welcb  deme  andirn  abegebel 
lot  todes  wegin,  so  sal  das  andere  sulcbis  guds  gebrucbin  zeu  synes  libes 
noloiiït,  die  wyle  es  lebet  und  sin  welewinslel  nicbl  vorruckel.  » 

l.a  célébration  du  Kirchgang  a  donc  une  double  portée  :  1"  solennisation 
du  mariage  entre  ceux  qui  possèdent  des  biens  flamands;  2"  investiture  dans 
ces  biens,  laquelle  les  rendait  Iransmissibles. 

En  effet,  à  ce  droit  flamand  se  raltacbent  en  partie  le  droit  du  pays  [hei- 
mats-rechl,  Mores),  en  partie  le  droit  de  possession  originairement  établi  [Vr- 
kumUieh  Besigtzrechl ,  Lex) ,  droit  positif  et  localisé  en  tant  qu'il  concernait 
la  transmission  et  l'acquisition  des  terres  pendant  le  mariage,  et  après  sa  dis- 
solution '. 

Wersebe  '^  ajoute  que  celte  cérémonie  n'est  qu'un  symbole  de  la  libre 
transmission  et  adhéritance  des  biens.  Elle  tenait  lieu  d'après  lui  "•  de  trans- 
mission légale  de  la  propriété,  servait  de  preuve  de  celle  transmission,  et  garan- 
tissait aux  colons  flamands  la"  pleine  communauté. 

Entrons  maintenant  dans  les  détails. 

A.  OatcmE  du  kirchgang. 

On  ne  trouve  nulle  part  la  moindre  trace  de  ce  droit  flamand  écrit  pro- 
prement dit.  C'était  une  coutume  :  consiietudo,  observant  ta ,  disenl  les  textes  *. 

Tandis  que  dans  la  copie  d'un  Kirchanysbrief,  délivré  à  Heringen,  il  est 
dit  que  ce  droit  était  un  Jus  simjulare  consuetudinarium  '%  Hocbe  soutient 

'  Miclielseii ,  p.  I4(). 

2  Die  niederlaiidisihen  Colonien,  etc.,  t.  Il,  p.  870. 

3  Idem,  p.  871  ,  note  24. 
''  Idem,  p.  1-j8. 

!>  \oy.mef,  Documents,  n°  XXVIII,  1. 


DES  COLONIES  BELGES.  207 

qu'il  repose  sur  des  pactes  [pacla],  el  il  en  donne  pour  motifs  qu'il  varie  de 
localité  à  localité  '. 

Il  était  principalement  en  vigueur  dans  trois  endroits  de  la  Goldene  Aùe, 
notamment  dans  la  ville  de  Heringen,  el  dans  les  villages  de  Gôrsbach  et 
Berga ,  où  il  s'est  conservé  jus(|u'à  nos  jours. 

Le  Kirchyanç)  qui,  du  reste,  devait  toujours  être  annoncé  chez  le  scliul- 
Iheisz,  conmie  chef  des  Flamands  [als  Obcr/îàmÙKjer) ,  avait  lieu  dans  Tin- 
térêt  de  la  commune  flamande'".  Les  formes  en  étaient  fort  strictes  :  Il  était 
constaté  par  une  lettre  sohnneWe  [Kirchgangbrief),  qui  relatait  les  formalités 
requises  et  établissait  ainsi  une  corrélation  entre  l'époux  et  ses  biens. 

L'autorité  communale  pouvait,  dans  certains  cas,  refuser  la  célébration  du 
Kirchgang  '\ 

B.  Espèces  de  kirchgang. 

H  y  en  avait  deux:  le  plein  {gaiizer)  et  le  demi  [liatber). 

Le  Kirchfjang  est  plein  quand  un  colon  possède  des  terres  ou  des  prairies 
situées  dans  deux  districts  différents,  c'est-à-dire  sous  la  juridiction  de  deux 
maires.  Dans  ce  cas,  la  cérémonie  a  lieu  simultanément  pour  toutes  les  terres. 

Le  demi-Kirchyang  a  lieu  quand  les  propriétés  des  colons  flamands  ne 
sont  situées  que  clans  un  district. 

Quand  il  est  plein,  il  est  suivi  de  deux  repas  et  d'un  sou|)er. 

Pour  le  demi,  on  ne  sei't  qu'un  repas  el  un  souper. 

Toutefois,  à  Berga  *,  le  colon  donne,  pendant  deux  jours  de  suite,  trois 
repas,  c'est-à-dire  deux  le  premier  jour  et  un  le  troisième.  Indépendam- 
ment de  cette  dépense,  le  Flamand  doit  encore  payer  rfoMse  groschen,  dont 
(juatrc  reviennent  aux  deux  maires  ;  les  huit  autres  passent  aux  employés  de 
Kelbra  pour  l'apposition  du  sceau  du  bailliage  {ahfdruckung  des  Ambf.s- 
Siegels  ^.) 

'  Hoche,  p.  97. 
^  Miclielscn,  p.  147. 
s  Idem,  p.  194. 
*  Idem,  p.  161,  III. 
5  Idem,  p.  1C2. 


208  HISTOIRE 


C.  Personnel. 


Quand  le  propriétaire  de  terres  tlamandcs ,  habitant  Ileringen ,  Gôrshacii 
et  Berga  s'est  marié,  il  est  obligé  de  faire  avec  sa  femme,  un  jour  de  se- 
maine, où  il  y  a  service  divin  et  où  Ton  prêche,  un  Kinhgany  spécial,  sous 
peine  de  voir,  après  son  décès,  le  tiers  de  ses  propriétés  dévolu  à  la  seigneurie  '. 

En  quoi  consiste  ce  Kirclujmuj? 

Le  mari  conduit  sa  femme  à  Péglise ,  à  travers  les  rues.  Tous  les  invités  de 
la  noce  doivent  également  se  rendre  à  l'église,  et,  sous  peine  d'un  lot  de  vin 
{Sdiljciien,  en  i\am.  stoop),  assister  au  moins  au  cantique  Veni,  creutov  sjjiriiits. 

Outre  les  époux  et  les  invités,  le  cortège  se  compose  du  maire  et  de  trois 
tlamands  désignés  par  le  conseil  •*. 

Après  le  service  divin,  on  chantait  un  cantique  sacré,  pendant  lequel  le 
cortège  se  mettait  en  marche. 

En  tête,  marchait  le  maire;  il  était  suivi  des  trois  députés  flamands  et  des 
époux  qui  se  dirigeaient  vers  l'autel.  Ces  derniers  y  déposaient  une  modeste 
ofl'rande  [kleine  Opfer),  qui  revenait,  comme  une  marque  de  courtoisie,  à 
celui  qui  avait  prêché.  Puis  tout  le  monde  quittait  l'église. 

Arrivés  à  la  porte,  le  maire  et  les  trois  députés  flamands  félicitent  les 
époux,  chacun  retourne  chez  soi,  et  l'on  délibère  de  côté  et  d'autre  sur  les 
farces  {Spasschen)  que  l'on  va  faire  à  table.  On  règle  aussi  les  pénalités  qui 
frapperont  les  manquants  ^.  A  Heringen,  quand  le  cortège  est  sorti  de  l'église, 
les  Flamands  s'arrêtent  devant  la  porte,  et  serrent  la  main  au  maire  et  aux 
députés  *. 

C'était  le  lendemain  du  mariage  que  le  Kirchgany  avait  lieu,  et  le  curé 
devait  faire  sonner  pour  sept  heures,  sous  peine  d'un  lot  de  vin  *. 

'  Wersebe,  t.  II ,  |)j).  8(14,  8G0. 
-  Miclielsen,  t.  I,  p.  159. 
5  Hoche,  p.  101. 
''  Michclsen,  p.  174. 
'■'  Hoolie,  p.  101. 


DES  COLONIES  BELGES.  209 


D.  Costumes. 


Dans  Téglise,  comme  au  repas,  et  notamment  à  la  lecture,  ainsi  que  lors 
de  la  remise  du  certificat,  tous  ceux  qui  y  assistent  doivent  être  vêtus  de  man- 
teaux noirs.  Si  le  colon  llamand  est  un  homme  de  condition,  il  lui  est  permis 
de  porter  Tépée,  au  lieu  du  manteau  ;  sa  femme  peut  avoir  une  robe  bariolée. 
La  raison  en  est  qu'il  y  avait  dans  la  colonie  des  familles  nobles  '.. 

lAliclielsen  se  demande  si  l'usage  de  s'affubler  de  manteaux  noirs  ne  vient 
pas  de  la  Flandre,  et  il  penche  pour  l'affirmative. 

Nous  n'oserions  le  prétendre.  Toutefois,  que  l'on  nous  permette  de  rappe- 
ler une  cérémonie  en  usage  dans  certaines  villes  des  Pays-Bas,  et  qui  offre 
(juelque  analogie  avec  la  coutume  dont  il  s'agit. 

Le  conseiller  pensionnaire  de  Hollande,  Van  de  Spiegel,  donne  un  extrait 
d'un  manuscrit  des  coutumes  de  la  ville  de  Briel,  dans  laquelle  la  cérémonie 
relative  à  la  légitimation  des  bâtards  est  décrétée  en  ces  termes  :  «  So  wan- 
neer  vader  ende  moeder  mil  elkander  vergaederen  in  wettachtigen  hylic,  en 
sy  die  bastaerden  met  haer  neemt,  als  sy  Irouwt,  onder  haer  fally  {faillie, 
manlel)  en  onder  dat  hoek,  dat  sy  dan  daer  na  getrouwt  syn,  et  amiltunt 
maculam  geniliine.  » 

Baepsaet,  qui  rapporte  ce  passage  -,  ajoute  :  «  Il  n'est  plus  d'usage  de  cou- 
vrir les  mariés  d'un  manteau;  mais  le  célébrant  leur  met  sur  la  tête  l'étole, 
et  peut-être  que  cette  étole  a  remplacé  l'ancien  manteau  ;  car  Jouîmes  Sari- 
hrrensis,  en  parlant  de  manteau,  dit  qu'on  couvre  les  époux  d'un  manteau  de 
l'autel,  ou  d'un  autre  institué  par  l'Église  :  Pallio  velenlur  allaris ,  mit  alto 
m  ecclesia  constitiito. 

On  appelait  cette  légitimation  par  mariage  subséquent  :  Onder  de  hnic 
wettigen,  et  les  bâtards  ainsi  légitimés:  Maidel  Idnderen. 

'  Hoflie  ,  p.  51 . 

-  OEuvres  complètes,  tome  V,  pp.  4i ,  42. 


Tome  XXXIL  28 


210  HISTOIRE 


E.  Repas. 


Iiiiniédialemenl  après  le  Kirclu/ang,  c\  au  son  de  la  cloche  de  10  heures, 
la  lable  devait  être  couverte  chez  \c  KircfKjavfjer,  et  l'on  devait  servir  des  pou- 
lets bouillis. 

Si  un  convive  arrive  trop  tard,  il  encourt  une  certaine  peine  que  les  autres 
convives  assemblés  lui  infligent.  S'il  n'arrive  pas  du  tout ,  il  doit  donner  un 
souper  vers  les  trois  heures  '. 

Quel(|ues  personnes  pouvaient  et  devaient  arriver  après  les  autres. 

C'étaient  les  trois  ecclésiaslicpies,  le  maire  [Sc/ndiheisz),  les  trois  députés 
llamands,  et  les  trois  collègues  du  maire. 

Avant  de  se  mettre  à  table,  le  maire  devait  réciter  la  prière,  et  puis  atten- 
dre un  peu  avant  de  laisser  commencer  le  service  ^  Personne  ne  pouvait 
avoir  la  tète  couverte,  ni  jurer  sous  peine  d'une  amende  de  mesure  de  paysan 
[Bmiermaasses)  {(/nid?)  ou  de  neuf  cannettes  de  bière. 

Après  le  repas,  le  curé  se  levait.  Alors,  les  époux  vêtus  de  leurs  nian- 
leaux  noirs,  devaient  se  présenter  devant  la  table,  et  écoutaient  la  lecture 
qui  leur  était  faite  publiquement  du  certificat  constatant  le  Kirchganrj.  Le 
nouveau  marié,  c'est-à-dire  h  Kirchgdinjer,  y  élail  qualifié  de  seigneur  fla- 
mand (Herr  Flamingeu.) 

A  Heringen,  le  repas  se  composait  de  deux  oies,  de  deux  sortes  de  viande 
et  de  poisson,  de  deux  rôtis  et  de  deux  pâtisseries.  On  servait  aussi  du  vin  à 
volonté  '. 

Le  soir,  d'après  la  saison,  on  servait  un  souper  à  cinq  ou  à  six  heures. 
Celui  qui  jure,  ou  tient  des  propos  indécenis,  ou  tourne  en  dérision  les 
saintes  Écritures,  paie,  comme  amende,  une  mesure  de  vin  [Maus). 

Ce  repas,  dit  Hoche  *,  avait  lieu  à  l'instar  des  anciens  banquets  des  Gildes 
[nach  Art  der  alten  Gddt'iischmausé).  Et  en  ertel,  au  moyen  âge,  les  frères 

'  IIocIr',  p.  lo4. 

-  Micheiscii,  p.  170.  ' 

■   Idem,  p.  174. 

*  Idem,  p.  102. 


DES  COLONIES  BELGES.  ^iH 

el  amis  se  réunissaient  l'un  jour  à  réglise,  l'autre  jour  à  un  banquet,  où  la 
prière  et  le  chant  ne  faisaient  pas  défaul  '. 

Que  si  un  nouveau  colon,  qui  n'a  jamais  assisté  à  un  repas  de  ce  genre, 
y  prend  part,  on  lui  adresse  un  grand  com|)liment  de  bienvenue,  accompa- 
gné de  force  rasades  de  bière  ^.  Il  doit ,  lui  nouveau  venu ,  vider  le  cruchon 
en  deux  ou  trois  gorgées,  à  la  santé  du  droit  flamand  [auf  des  Flamischen 
Rechis  Gesundheil),  après  quoi,  le  chef  flamand  [Oljcr/Imniiu/cr),  c'est-à-dire 
le  ScInUllieisz  vide  un  verre  à  la  santé  des  Flamands  présents. 

Si  le  nouveau  colon  ne  sait  pas  vider  le  cruchon  du  WiUkomtn,  il  paie 
une  amende  de  cinq  gros ,  six  pf.,  amende  qui  était  dépensée  avec  les  autres  \ 

Remarquons  que  si  un  Flamand  possède  des  terres  ou  des  prairies  dans 
la  plaine,  c'est-à-dire  dans  ou  avant  le  Horn,  la  réunion  a  lieu  chez  le  maire 
qui  reçoit  chez  lui  tous  les  Flamands  invités  *,  probablement  aux  frais  du 
KirchgaïKjer. 

Pour  un  demi-Kirchgamj ,  les  frais  s'élevaient  à  douze  florins;  ils  se  mon- 
taient de  vingt-quatre  à  vingt-huit  florins,  quand  le  Kirclu/aïuj  était  enlier. 

A  Gôrsbach,  on  peut  racheter  le  repas  moyeimanl  un  thaler  et  un  gâteau  -^ 
Dans  ce  cas,  le  curé  perçoit  sur  ce  thaler  trois  gros,  le  chapelain  également 
trois  gros,  les  deux  administrateurs  [Vorsteher),  et  le  maire  aussi  trois  gros; 
de  plus  chacun  avait  sa  portion  de  gâteau. 

Le  maire  offre  à  la  femme  du  Kirchganijer  un  morceau  de  gâteau ,  sur  le- 
quel était  déposé  un  Dreier  "  pris  dans  la  caisse  communale.  Il  lui  offre  ses 
félicitations  avec  cette  demande  :  «  Avez-vous  aussi  été  fiancée?»  Si  la  femme 
ril ,  elle  doit,  à  titre  de  peine,  donner  une  ou  deux  cruches  de  vin  '. 

A  Berga,  le  rachat  du  repas  ne  pouvait  avoir  lieu  que  par  ceux  qui  n'y  ha- 
bitaient pas,  et  cela  moyennant  deux  thalers. 

Quant  à  Heringen,  nous  ne  savons  ce  qui  en  était. 

•  Wilda,  Dos  Gildenwesen  im  Mittelalter.  Halle,  1851 ,  p.  45. 
-  Michelspii,  p.  170. 

"'  IilciH ,  p.  171. 

*  Idem,  p.  160. 
^  Idem,  p.  161. 

'•  Monnaie  équivalant  à  '/*  J''  gi'os. 
7  Hoche,  p.  d04. 


212  HISTOIRE 

Enfin  ,  on  devait  terminer  la  soirée  en  jouant  aux  cartes.  C'était  un  jeu 
particulier  dans  lequel  les  dreyen,  vieren  et  fiuifen  (c'est-à-dire  un  trois,  un 
qualre  et  un  cinq  de  trèfles)  faisaient  presque  tous  les  frais.  Ce  jeu  s'appelait 
dfia  p/imische  Spiel. 

La  mise  était  de  cinq  gros,  six  pfennigs  '.  Le  jeu  fini,  VOherfliimiuger 
remet  les  caries  à  l'hôte,  chez  qui  tous  les  Flamands  se  trouvent  rassemhlés, 
pour  que  celui-ci  les  enlève,  parce  que  l'année  suivante  les  mêmes  cartes  ne 
peuvent  plus  servir. 

Alors  l'hôte  se  relire,  le  président  lève  la  séance,  et  chacun  s'en  retourne 
chez  soi. 

F.  Résultats  produits  par  le  kirchgang. 

l"  La  femme  était  reconnue  comme  ayant  été  fiancée  flamande  [fln- 
niisclie  Braiil),  et,  comme  symbole  de  cette  reconnaissance,  on  lui  oITraitun 
dreier,  ainsi  que  nous  venons  de  le  voir.  Elle  entrait  dans  le  droit  matrimo- 
nial et  héréditaire  iVépouse  flamande,  droit  qui  ne  pouvait  lui  être  ravi  ni 
modifié  par  une  disposition  de  dernière  volonté. 

"2"  Un  mariage  défectueux  pouvait,  dans  certains  cas,  devenir  valable 
par  suite  du  Kirchgang  '^.  Cela  avait  lieu  quand,  par  exemple,  des  Flamands 
épousaient  des  filles  non  nubiles  [immdnnbare). 

3°  Le  Kirchgdnger  devenait  cultivateur  flamand  [fldmischcr  Bafter)  et 
participait,  en  cettequalilé,  à  tous  les  droits  qui  compétaient  à  sa  corpora- 
tion '\ 

(l.  Peines  qu'entraînait  l'inobservation  du  kirchgang  et  autres 

DISPOSITIONS. 

Quand  deux  personnes,  t!n  se  mariant,  possèdent  des  [erres,  flamandes , 
elles  sont  obligées,  après  la  célébration  du  mariage,  de  solenniser  ces  biens 
par  le  Kirchgang ,  d'après  l'ancien  usage  flamand. 

'  .Alidiclsen,  p.  171 . 

-  hlem ,  p.  l5-_>. 

"'  Lrtiigetlml.  1.  Il ,  p.  Iiiy, 


DES  COLOlMES  BELGES.  ^215 

I.  S'il  arrive  (|uo  ces  personnes  ne  remplissent  pas  celte  lornialilë  et  se 
trouvent  parlant  dans  rimpossibilité  de  la  prouver  par  un  cerlitîcat  spécial , 
dans  ce  cas,  quels  que  soient  le  nombre  et  la  qualité  de  leurs  biens,  le  troi- 
sième sillon  [die  drilte  Fnrclie)  en  est  dévolu  à  la  haute  seigneurie.  Â  la  mort 
de  l'un  des  époux,  ce  sillon  doit  èlre  racheté  par  Fépoux  survivant,  (pie  ce 
soit  le  mari  ou  la  femme,  moyennant  une  somme  d'argent  à  arbitrer  par  les 
représentants  (Ftro^(/^if/e»)  flamands. 

II.  Quand  deux  personnes,  qui  possèdent  des  biens /laniauds,  se  marient 
et  procréent  des  enfants,  si,  après  que  les  biens  ont  été  solennisés  par  le 
lunlujuiKj ,  Tune  d'elles  meurt,  et  que  le  survivant  veuille  convoler  en 
secondes  noces,  il  est  obligé  d'abandonner  aux  enfanis  du  premier  lit  la 
moitié  des  biens  et  terres  flamandes  avant  le  jour  où  ces  secondes  noces 
doivent  se  célébrer. 

III.  Quand  deux  personnes,  possédant  des  biens  flamands,  se  marient,  ne 
procréent  pas  d'enfants  de  ce  mariage,  et  meurent  ensuite  toutes  les  deux, 
sans  héritiers,  dans  ce  cas,  leurs  biens  flamands  retournent  de  nouveau  à  la 
contrée  {an  dcr  On)  d'où  ils  sont  provenus.  Cependant,  si  Tun  des  époux 
survit  et  mainlienl  intact  son  étal  de  viduilé,  alors  cet  époux  doit  laisser 
suivre  et  abandonner,  sans  conlesle,  la  moitié  de  la  terre  flamande  aux 
héritiers  les  plus  proches  dont  elle  est  provenue  et  ce  de  la  même  manière 
que  si  ces  époux  avaient  eu  des  enfants. 

IV.  Si  des  personnes  libres ,  garçons  ou  filles,  veufs  ou  veuves,  possèdent 
des  biens  flamands,  elles  ne  sont  pas  obligées  de  les  solenniser  par  le  lurch- 
(jang,  avant  leur  mariage  :  mais  elles  sont  cependant  tenues  de  les  prendre 
en  fief  [zu  Lehn  zu  nehmen)  '  du  Schullheisz,  et  de  les  faire  transcrire  sous 
leur  nom.  Faute  par  elles  de  remplir  cette  formalité,  si  ces  personnes  meu- 
renl,  le  troisième  sillon  de  ces  biens  est  instantanément  dévolu  à  la  haute 
seigneurie;  les  deux  tiers  restants  passent  aux  amis  [Freunden)  les  plus  i)ro- 
ches  du  défunt. 

V.  Les  biens  flamands  situés  dans  le  cercle  de  Berga  ressortfssent  tou- 
jours à  la  juridiction  du  Schullheisz  qui  les  a  donnés  à  fief,  mais  sont  soumis 

'  C'est  là  une  exception  cl  une  anomalie  dont  nous  ne  sommes  pas  parvenu  à  nous  rendit 
compte. 


-214  HISTOIRE 

à  la  (aille  de  ranimaiiie  de  Ivelbra.  Bien  que  les  chevaliers  el  autres  seigneurs 
aienl  prétendu  des  cens  de  toute  espèce  sur  de  pareils  biens  flamands ,  ils 
n'ont  cependant  pas  le  droit  d'exercer  le  moindre  fief  sur  ces  biens. 

VI.  Les  personnes  libres,  filles  ou  garçons,  majeurs  ou  mineurs ,  ne  peu- 
vent d'aucune  façon  vendre  ou  aliéner  la  moindre  parcelle  de  leurs  biens 
flamands  qu'elles  ont  hérités  ou  ac(|uis,  avant  qu'elles  les  aient  reçus  à  fief  du 
Srhulllieisz  et  qu'elles  les  aient  fait  transcrire  sous  leur  nom.  Celui  qui  agit 
contrairement  à  cette  disposition,  ou  qui  achète  une  pareille  parcelle,  doit  se 
résignera  payer  itérativement  la  troisième  part  à  la  haute  seigneurie. 

VII.  Que  si  un  des  époux  aliène  une  parcelle  de  ses  biens,  flamands, 
avant  que  ceux-ci  aient  été  solennisés  par  le  Kivchgung ,  il  encourra  les 
peines  édictées  sous  le  n"  VI  '. 


H.  Certificat  di;  kircugang. 

il  était  délivré,  à  Heringen,  par  le  curé ,  le  chantre  et  le  sacristain  ;  à  Gors- 
bach,  par  les  mêmes  personnes,  et  également  par  le  maire,  assisté  de  quatre 
employés  de  la  commune  ;  à  Berga,  |)ar  le  bailli  de  Schwarlzbourg  et  de 
Slolberg,  qui  résidait  à  Kelbra. 

Après  la  lecture  du  certificat,  faite  au  repas  (voir  plus  haut  p.  210),  le  curé 
revêt  le  certificat  de  sa  signature,  et  le  remet  au  maire  qui,  à  son  tour,  le 
délivre  au  Kircliganger.  Celui-ci  le  remercie  et  lui  donne ,  ainsi  qu'aux  deux 
autres  ecclésiastiques,  à  volonté,  un  présent,  qui  ne  peut  valoir  qu'un  Kop- 
sliich  '. 

On  s'assied  de  nouveau,  et  les  invités  doivent  encore,  |)endant  un  ceilain 
tem|)s,  s'amuser  soit  au  son  de  la  musique,  soit  en  tenant  une  conversation 
gaie  {Lustiger  Gespruc/i). 

L'honoraire  à  payer  à  ceux  qui  délivraient  le  certificat  était  de  huit  gros; 
le  maire  en  avait  quatre. 

Dans  deux  localités  (Kelbra  et  Berga),  les  employés  de  l'église  recevaient 

'   Miclielsen,  pp.  I(i5,  IG'i,  105. 

-  Ifiem ,  p.  160.  —  Voy.  clans  mes  Documents ,  les  formules  des  certificats.  n°  XXVIII. 


DES  COLOiMES  BELGES.  215 

un  cadeau  ad  libilum  [WiUkiihrlkher  Geschenk)  i\\\\  devail  élre  parlaiié 
entre  eux. 

Si  quelqu'un,  en  annonranl  le  Kinlujauy,  sollicile  la  délivrance  du  cerli- 
fical  à  Tépoque,  où,  par  suite  de  maladie,  un  des  conjoints  garde  le  lit,  et 
ne  peut  parlant  assister  à  la  cérémonie,  on  n'accueille  pas  sa  demande  tant 
que  ce  conjoint  n'est  pas  rétabli. 

S'il  meurt ,  —  d'après  le  droit  commun ,  la  peine  est  encouj-ue. 

Si  l'un  des  époux  meurt  et  que  le  survivant  veuille  se  remarier,  il  doit 
faire  un  nouveau  Kinhyang,  et  obtenir  un  nouveau  cerli/kat,  el,  dans  ce 
cas,  la  moitié  des  biens  appartient  parfois  au  seigneur  ". 

Mais  une  fois  les  époux  en  possession  d'un  certificat ,  il  leur  est  loisible 
d'acquérir  autant  de  biens  qu'ils  voudront,  sans  devoir  obtenir  un  second 
eerlifieal ,  et  cela  tant  pendant  le  mariage  que  pendant  le  veuvage  subsé- 
quent ■. 

Quant  à  la  teneur  du  certificat,  il  y  était  généralement  mentionné,  en 
termes  exprès,  que  tel  Flamand  avait,  conjointement  avec  sa  femme,  so- 
lennisé,  tel  jour,  par  le  Kinhyang,  ses  terres  flamandes,  à  l'église  el  en  tra- 
versant les  rues  ^. 

/.    AbOL1TIO>    Ul     KlRCHGAiNG. 

C'est  probablement  au  cbiffre  élevé  des  frais  qu'il  faut  attribuer  l'abolition 
en  masse  du  Kinhgang.  Déjà,  en  4727,  l'amtmann  de  Heringen  avait  pro- 
clamé dans  un  édil  que  «  les  propriétaires  des  terres  flamandes  aimaient 
mieux  négliger  volontairement,  pour  ce  motif,  le  Kirchgang ,  et  préféraient, 
au  décès  de  l'un  des  époux,  abandonner  généreusement  le  troisième  champ, 
sauf  taxe  qui  serait  équitable  et  qui  pourrait  être  acquittée  en  argent;  (pie 
l'on  ne  pouvait  donc  pas  nier  qu'il  existât  des  abus  *.  » 

Il  paraît  toutefois  que  les  autorités  ne  prirent  point  de  mesures  pour  faire 
cesser  ces  abus,  ou  que  leurs  mesures  n'aboutirent  point,  car  les  paysans 

'  Sflilôzer,  p.  456. 
2  Micliclscn,  p.  162. 
^  Idem,  p.  tSS. 
*   Idem ,  )).  \  .ïCi. 


2i(i  HISTOIRE    ^ 

conlinuèrciil  de  se  phiindio  des  charges  énormes  qui  étaient  la  suite  de  ces 
icpas  dispendieux,  dans  lesquels  on  se  battait  et  se  portait  parfois  des  bles- 
sures graves  '. 

(les  griefs  dénoncés  à  la  chambre  [Kammer)  pour  obtenir  remise  de  la 
peine  (lamande  [FUmische  Strafe)  eurent  pour  résultat  de  provociuer,  dans 
la  même  année  1727,  une  enquête  tant  sur  le  réyime  du  lurc/iyaiiy  que  sur 
son  origine  et  sur  Viisage  qui  l'avaient  maintenu  jusqu'alors". 

Mais  cette  enquête  n'aboutit  pas  davantage.  Différentes  ordonnances,  pro- 
mulguées dans  le  dix-septième  et  le  dix-huitième  siècle,  prescrivaient  de  veiller 
strictement  à  ce  que  ce  droit  famand  fût  observé  le  mieux  possible,  et  à  ce 
(]ue  rien  de  ce  qui  concernait  son  exécution  ne  fût  soustrait  à  la  connaissance 
de  la  chambre  seigneuriale.  C'est  ce  qui  fut  fait. 

En  effet,  en  1735,  malgré  de  nouvelles  tentatives  pour  abolir  le  Kirch- 
f/ang ,  on  n'abrogea  pas  la  coutume,  mais  à  l'aide  de  contrôles  eflicaces,  on 
inscrivit  dans  les  comptes  du  bailliage  [Amtsrechnungen]  des  rubriques  sé- 
parées, dans  lesquelles  on  émargeait  tout  ce  qui  se  rapportait  à  la  solennité 
en  question. 

Or,  ces  documents  prouvent  (jue  NN  ayant  négligé  le  Flumischer  Kin/i- 
gang ,  le  tiers  de  leurs  biens,  s'ils  sont  Flamands ,  sera  dévolu  à  la  chambre 
seigneuriale,  et  cela  en  vertu  du  droit  flamand. 

Plus  lard,  il  fut  constaté  qu'à  cause  des  frais  énormes  que  coûtaient  les 
repas,  beaucoup  de  colons  négligeaient,  de  temps  à  autre,  la  solennité,  de 
sorte  que,  si  l'un  des  époux  mourait  inopinément,  celte  peine  si  sensible  et 
si  injuste  de  la  perle  du  tiers  de  ses  biens  atteignait  souvent  un  colon  ([ui 
ne  possédait  qu'un  modeste  patrimoine  '\ 

Alors  l'autorité  [Bchorden)  proposa  de  maintenir  la  cérémonie  de  l'église, 
mais  d'abolir  les  repas  coûteux.  Le  Kirchgunger  payerait  à  chaque  personne, 
(|ui,  légalement,  avait  droit  d'assister  au  banquet,  douze  gros;  à  la  chambre 
seigneuriale,  d'après  la  diversité  des  cas,  de  six  à  douze  thalers  *  Ces  pro- 
positions n'eurent  aucune  suite. 

'   Miolielsca,  p.  In(i. 
-  Idem,  p.  IS*). 
'  Idem  ,  p.  1  jfi. 
'•   Idi-m  ,  p.  17(). 


DES  COLONIES  BELGES.  217 

Cet  élal  de  choses,  quoique  petit  à  petit  un  peu  mitigé,  se  maintint  jus- 
ques  vers  le  milieu  du  siècle  actuel.  Il  n'y  a  guère  que  ([uinze  ans  que  l'abu- 
lilion  du  Kirclifjamj  a  été  décrétée  par  suite  du  récent  rachat  des  droits 
fonciers  et  seigneuriaux. 

La  loi  prussienne  du  2  mars  ISSOY'onlient  cette  disposition  laconique  : 
«  L'impôt  actuel,  connu  sous  la  dénomination  de  Flamischer  liirchgang ,  est 
aholi  sans  indemnité  '.  » 

Il  —SERMENT  SANS  VARE. 

Ce  privilège,  qui  compélait  aux  Flamands  dans  plusieurs  contrées,  leur 
était  garanti  d'une  manière  tout  à  fait  expresse  dans  la  Goldene  Aùe.  C'est 
pour(|uoi  nous  en  traitons  ici. 

Il  consistait  dans  le  droit  de  prêter  serment  sans  y  ajouter  la  restriction 
qu'y  apportait  la  clause  connue  sous  le  nom  de  vare  [ohne  BeschrdnkuiKj 
durc/i  die  vare  -).  Cela  résulte  du  diplôme  deWichmann,  évèque  de  Naum- 
hourg,  de  l'année  1152,  où  il  est  dit  en  termes  formels  :  «  Si  quis  eorum 
juramento  expurgare  voluerit,  nulla  occasione  impediatur,  nullis  verborum 
insidiis  capiatur.  »  Le  serment,  pur  et  simple,  était  donc  décisoire. 

Le  mot  vare  {far,  vara)  d'origine  tudesque,  signifie  malice,  super- 
cherie, fraude  ^  et,  comme  conséquence,  la  peine  attachée  à  ce  genre  de 
iromperie.  De  là,  le  serment  avec  ou  sans  vare. 

'  Preiixskhe  Geselzsammlùnçf ,  1850,  p.  80. 

-  Micliflsen,  p.  143. 

^  On  a  encore  donné  au  mot  vare,  mais  en  le  prenant  dans  d'autres  acceptions,  des  signili- 
cations  étrangères  à  celle  que  nous  lui  attribuons.  Schcid  [Orifj.  Giielf.,  t.  111,  p.  748)  le  prend 
dans  le  sens  de  garantie  [Geimhr),  comme  se  rapportant  h  la  prestation  d'une  caution,  rela- 
tivement à  l'affranchissement  d'une  arrestation  coi-porelle,  pour  rexcm])tion  de  laquelle  on 
lournissail  un  caulionnenienl  en  argent  :  «  ...  de  eo  non  oportel  ponere  fidejussorem  qui 
dicitur  vare.  »  Ce  mot  a  le  même  sens  dans  le  §  13  d'une  charte  sans  date,  par  laquelle  les 
échevins  de  Magdehourg  confient  au  duc  Henri  la  décision  de  leurs  droits  :  «  Item,  quicunique 
ab  altero  pulsatus  fucrit,  in  quacumque  causa,  et  acte  satisfactioncni,  securitatem,  quae  in 
vulgari  ware  dicitur,  pro  amicis  illius  postulaverit,  merito  obtincbil.  »  Wcisse  (Sarlisisrlie 
Geschichtc,  t.  i,  p.  294)  prend  ce  terme  dans  le  sens  d'un  cadeau  que  les  Voigts  exigeaient 
quelquefois.  Rolh  (Programm  ûher  das  Stadische  Privileghim  ad  anmim  1209,  chap.  Il, 
Il  \-\T))  soutient  que  par  vare  il  faut  entendre  le  droit  de  confiscation  d'un  chariot  bris('  ou 
Tome  XXXIL  29 


218  HISTOIRE 

Quelques  exemples.  Henri  le  Lion  dil  :  «  Juramenlnm  ante  judieem  saecu- 
lareni  facient  sine  calumnia  veiborum ,  quod  leulonice  dicilur  vare.  » 

Bôhmer  cite  une  source  de  1199,  par  laquelle  Tarchevêque  Hartwich  II 
promit,  à  la  demande  d'Adolphe  III ,  comte  de  Holstein,  an  cloître  de  Zeveu  : 
«  ut  nnllus  deinceps  advocalus  nec  Sliquis  vicem  advocali  gerens,  in  aliquo 
judicio,  vel  placilo  publico  velprivalo,  insidiari  debeat...  ea  dislractione 
qnae  leulonice  vare  vocatur  '.  » 

Dans  les  diplômes  de  Hart>\ich  et  de  Siegfried,  de  Brème,  il  est  dil  : 
«  Juramenlum  ante  judicem  saecularem  sine  insidiis  verborum,  quae  vulgo 
dicitur  vare,  facient.  ». 

Comme  la  loyauté  et  la  bonne  foi  faisaient  souvent  défaut,  et  que,  lors  de 
la  prestation  du  serment,  on  avait  recours  à  toutes  sortes  de  subterfuges,  les 
juges  intègres  avaient  à  cœur  d'empêcher  le  parjure  et  l'astuce  par  l'adjonc- 
lion  de  la  vare. 

La  règle  générale  était  que  tout  le  monde  était  tenu  de  jurer  ad  ou  cain 
vare.  Il  y  avait  aussi,  néanmoins,  des  exceptions.  Ainsi  celui  qui  n'avait 
pas  l'usage  de  la  raison  en  était  dispensé.  «  Si  quis  defeclum  palitur  in 
(juinque  sensibus  suis ,  non  tenctur  jurare  sub  poena  quae  dicitur  vare.  »  Les 
étrangers  n'y  étaient  pas  tenus  non  plus  :  «  Si  quis  non  loquilur  noslra 
lingua  non  tenelur  jurare  ad  vare  -.  » 

A  Hildesheim,  un  citoyen  s'expurgeait  sous  serment  vis-à-vis  d'un  étranger 
(hospes)  sans  vare.  Par  contre,  l'étranger  jurait  avec  rare  vis-à-vis  d'un 
citoyen  (Biirger),  et  ce  sub  excommunicatione  regalL 

(le  choses  ensloulies  par  les  flots,  droit  que,  pour  ce  molil',  on  appelait  ordiiiairemciU  Grtiiid- 
rithr  Redit.  Parfois  aussi,  certains  auteurs  prennent  le  mot  vare  dans  le  sens  d'une  peine  qui 
doit  être  appliquée  en  matière  de  fausse  monnaie.  —  De  vitra,  far,  viendrait  fahi,  cest-à-dire 
tromperie,  et  de  là  felonia ,  et  peut-être  le  jjroverbe  allemand  :  «  lemaiulcn  aùf  den  fuleii 
Pferde  ertrappen  (').  » 

Spellmann  fait  dériver  le  mot  felonia  de  l'ancien  mot  saxon  fee ,  argent  (sliin'iidiiim  ,  hene- 
/ichtm  vassali,  —  feudiim)  et  du  mot  Ion,  jirix,  preliitm ;  de  telle  sorte  que  felonia  serait  le 
crime  pour  lequel  on  encourait  la  perle  du  lief.  Rien  de  moins  certain  que  cette  étymologie  ('*). 

'  Observai,  juris  canon.,  p.  î259. 

2  Scheid,  Ilildesh.  Rechte,  t.  IV,  p.  242,  §  39 ,  ad  ann.  124'J. 

(*)   Hoche,  p.  79. 
(♦*)  Glossarium  arcliaeologicum ,  ^.  2\i. 


DES  COLO^JIES  BELGES.  2i9 

L'archevêque  Hildcbald,  dans  le  privilège  qu'il  accorda,  en  1259,  aux  lia- 
liitanls  de  Stade,  les  en  exempta  expressément  :  «  Nulium  juricapium,  quod 
vulgo  vare  dicitur,  coram  advocato,  vel  aliquo  quodam  judice  sustinebuni  '.  » 

La  vare  ou  insidiae  verborum  s'appli(iuait  autant  aux  juges  qu'aux  parties 
litigantes.  Nous  en  trouvons  la  preuve  dans  un  privilège  spécial  que  l'em- 
pereur Frédéric  II  donna,  en  1219,  à  la  ville  de  Goslar,  concernant  l'admini- 
stration de  la  justice  :  «  Praecipimus  ut  omne  jus  ahsque  captione  quae 
vare  dicitur,  observetur,  qnod  advocatus  judicare  débet  sine  captione,  quae 
vare  vulgariter  nominalur  '-.  » 

Ce  qui  nous  confirme  davantage  dans  cette  manière  de  voir,  ce  sont  les 
expressions  mêmes  du  diplôme  de  1132  rapporté  ci-dessus  :  «  Si  quis  jura- 
mento...  nullis  verborum  insidiis  capiatur.  » 

Or,  on  ne  pouvait  être  captus  que  par  le  juge,  qui,  parait-il,  avait  seul, 
à  cette  époque,  faculté  de  déférer  le  serment,  car  personne  n'est  censé  se 
dresser  des  embûches  à  soi-même. 

Quand  on  avait  juré  avecmre,  les  juges,  souvent  avides  de  lucre,  cher- 
chaient, par  toutes  sortes  de  chicanes,  l'occasion  de  punir  celui  qui  avait 
prêté  le  serment  sous  cette  forme  ^  Le  plus  simple  soupçon  d'une  tromperie 
ou  d'une  supercherie  n'échappait  pas  au  magistrat. 

Il  y  a  plus.  Quand  le  plaignant  ou  l'inculpé  ne  comparaissaient  pas  à  l'au- 
dience, manquaient  la  formule  du  serment,  ou  omettaient  quelque  chose 
dans  le  rituel  {im  Rilmle) ,  ils  encouraient  la  peine  de  la  vare ,  et  celte  peine 
était  immanquable  \ 

C'est  dans  ce  sens  qu'une  annexe  au  privilège  accordé  au  cloître  de  Ma- 
rienzell ,  en  1 147 ,  porte  :  «  De  singulis  mansis  duo  maltra  frumenti  et  unum 
anserum  advocatus  singulis  annis  recipial,  ea  conditione  ut  in  legitimis  pla- 
cilis  suis  homines  sub  observatione  quàdam  vulgo  dicta  vare  astare  et  res- 
pondere  non  cogat.  In  majoribus  vero  excessibus  homines  deprehensi  sub 
observatione  respondeant  ^.  » 

'  Wei-sebc,  t.  1,  p.  167. 

â  Hoche,  pp.  77  et  78. 

'  Idem. 

4  Idem. 

»  VVersebe.  I.  I.  p.  170,  noie  4.5.  —  Ludewig,  /?p/(V/.  manuscr.,  t.  1,  p.  ti. 


220  HISTOIRE 

En  11 74,  rarclievèque  WichiDann  accorda  aux  habitanls  de  Jiitcrhock  le 
droit  qui  régissait  la  ville  de  Magdebourg,  et  statua  :  «  Jus  praedicluni  lis  in 
hoc  mitigavinius ,  ut  de  distribulione  (districlione?)  quam  vulgari  uarc  ap- 
pellaiit,  absolute  seiuper  permaneanl  K  » 

Le  mot  est  employé  dans  le  même  sens  dans  un  diplôme  par  lequel  le 
même  archevêque  accorda,  en  1188,  aux  habitants  de  Magdebourg ,  un  grand 
mombre  de  règlements  concernant  leurs  droits.  I^c  paragraphe  premier  porte  : 
«  Il  districtio  que  vara  appellatur,  solis  juramentis,  que  pro  rébus  obti- 
nendis  vel  abdicandis  fieri  debent  exceptis,  perpetualiter  posiposita  sit  ".  -> 

L'empereur  Othon  IV  s'exprime  ainsi  qu'il  suit  dans  un  acte  de  1209 
pour  la  ville  de  Stade  :  «  Concedimus  ilaque  ipsis  et  indulgemus  ut  Burgenses 
et  opfimi  cives  coram  advocato  vel  aliquo  quovis  judice,  juricapium,  quod 
vulgo  vare  dicitur,  in  judicio  omnino  non  suslineant  '.  » 

Des  dispositions  semblables  se  rencontrent  dans  un  diplôme  que  l'empe- 
reur Frédéric  II  donna  à  la  ville  de  Goslar  *  et  dans  une  autre  charte  de 
1230  \ 

Beckmann  ''  rapporte  que,  dans  une  charte  de  Henri  d'Anhalt  pour  la  ville 
de  Nienbourg,  de  l'an  1239,  ce  prince,  traitant  avec  cette  ville,  s'exprime 
ainsi  :  «  Convenimus  etiam  in  hoc  ut  illud  quod  in  judicio  vare  non  sumatur, 
sed  quod  varschilling  dicitur,  detur.  » 

Partout  l'abolition  partielle  ou  intégrale  de  la  rare  fut  considérée  comme 
une  faveur  spéciale  \ 

Il  est  hors  de  doute  qu'au  moyen  âge  la  prestation  du  serment  avait  lieu 
d'une  manière  fort  solennelle  et  était  entourée  de  nombreuses  formalités. 

Ainsi,  celui  qui  ne  prétait  pas  le  serment  dans  la  forme  prescrite,  qui 
levait  un  doigt  au  lieu  de  deux,  qui  balbutiait,  qui  ne  prononçait  pas  claire- 
ment les  mots  surannés  et  hors  d'usage  [allé  und  umjebraUchUche  Worte),  etc., 

'  Tzsctioppc,  etc.,  p.  2G7,  n°  2. 

5  Idem ,  pp.  266-207. 

'  Idem,  p.  267.  —  VVersebe,  t.  I,  p.  167,  note  42. 

*  lleineccius,  Antiquit.  Goslar  ,  p.  219. 

^  Tzsclioppe,  etc.,  p.  267,  n"  2. 

'•  Anhallisclte  Chronik ,  t.  V,  p.  72. 

7  Monse,  Versùch  ûber  den  allesten  Municipalrechie ,  etc.,  ad  ann.  1787,  i.  I ,  p.  1 12. 


DES  COLONIES  BELGES..  221 

f'ncoiirail  une  peine  '.  Mais,  ciiose  élrange,  aucune  source  ne  nous  apprend 
en  quoi  cette  peine  consistait,  ni  quelle  peine  frappait  le  parjure. 

Les  détails  qui  précèdent  montrent  sulïisamment  ce  que  c'était  que  la  vare. 
On  le  conçoit,  la  prestation  du  serment  en  justice,  s'il  fallait  y  joindre  une 
clause  de  défiance,  devait  répugner  à  des  hommes  libres  qui  ne  prétendaient 
pas  que  leur  sincérité  fût  mise  en  doute  et  que  l'on  suspectât  leur  loyautf". 
Voilà  pourquoi  les  colons  flamands  se  réservèrent  formellement  le  droit  de 
jurer  sans  vare,  c'est-à-dire  de  prêter  le  serment  purement  et  simplement. 

Terminons  par  une  analogie  des  plus  remarquables.  Au  douzième  siècle, 
le  serment  sans  vare  était  également  en  usage  en  Belgique. 

Il  résulte  d'un  diplôme  que  l'empereur  Frédéric  I  accorda,  en  11";}, 
aux  Flamands,  à  la  requête  de  leur  comte  Philippe  d'Alsace,  que,  en  même 
temps  qu'il  leur  permettait  de  naviguer  librement  sur  le  Bhin ,  il  institua  en 
leur  faveur  deux  foires  annuelles  dans  la  ville  d'Aix-la-Chapelle,  et  deux 
dans  celle  de  Duisbourg  -. 

Ce  diplôme  statue  que  :  «  Quicunque  mercalores,  sive  Fiandrenses,  sive 
alii,  bona  sua  cuiquam  crediderunt,  coram  judice  et  scabinis  haec  faciant,  (|ui 
testimonium  rei  creditae  perhibeant;  et  mercator  ita  faciens,  per  testimo- 
nium  judiciset  scabinorum  non  habuerit,  ille  a  quo  bona  requirenlur,  sacra- 
mento  sine  mm  se  expurget  quod  bonorum  debitornon  exslilerit...  » 

Et  plus  loin  :  «  Nemo  mercatorem  de  Flandria  duello  provocabit,  et  si 
quid  in  eum  habet  dicere,  juramentum  iilius  absque  vara  recipial.  » 

Nous  trouvons  la  même  disposition  exprimée  d'une  manière  ditïérente 
dans  un  diplôme  de  1197,  au  sujet  d'une  convention  conclue  entre  les  né- 
gociants de  Gand  et  les  bourgeois  de  Cologne.  Il  y  est  dit,  à  ce  propos  : 
«  ...  Quod  si  testes  non  habuerit,  ille  qui  impetitur,  simplici  juramento,  sola 
manu ,  sine  interceplione  (piod  bevanc  est  [reslricliaii  meiifale),  et  absque 
dilatione,  praeslito,  se  purgabit,  et  liber  erit  ^.  » 

A  partir  de  celte  époque,  nous  n'avons  plus  rencontré  le  mol  vare  ni  dans 
les  sources  belges,  ni  dans  les  auteurs  qui  se  sont  occupés  spécialement  de 

'  Tzsehoppc,  p.  267,  note  2. 

^  Ap.  Diericx,  Mémoires  sur  la  ville  de  Gand,  t.  I ,  p.  MO. 

'  Idem,  Mémoires  siir  la  ville  de  Gand,  1. 1,  p.  121. 


222         •  .  HISTOIRE 

nialières  juridiques,  ni  même  dans  la  Collection  des  Coutumes  an\i\ne\\es  nous 
iiMtis  sommes  déjà  référé  plus  d'une  fois.  Il  est  cependant  probable  que,  si  le 
mot  se  perdit,  la  cbose  qu'il  servait  à  désigner  se  mainlint. 

%\\.-Erfurf. 

La  spécialité  des  Belges  à  Erfurt  fut  la  culture  maraîchère  et  des  jardins. 
On  leur  accorda  des  terres  basses  qu'ils  rendirent  propres  à  la  production,  et 
(pi'iis  possédèrent  en  toute  propriété,  sauf  une  redevance  annuelle  pour  re- 
connaitre  que  le  bien  leur  avait  été  accordé  libre  de  toute  entrave.  C'est  ce 
(|u'on  appelait  des /^re/^/^s^rt/er.  Plus  tard,  les  mêmes  concessions  furent 
faites  à  d'autres  qu'aux  colons  néerlandais,  et  l'inslilulion,  spéciale  d'abord, 
reçut  ainsi  une  application  générale.  C'était  le  Freizinsrecht. 

On  avait  jusqu'à  ce  jour  fait  remonter  cette  institution  au  temps  d'Adal- 
bert  I,  sans  que,  pour  justifier  cette  assertion,  on  eût  fourni  le  moindre 
argument.  M.  Michelsen  est  le  premier  qui  l'ait  prouvée  d'une  manière  irré- 
futable '. 

Les  Freizinsyûter  étaient  donc  des  terres  flamandes  {flamische  Lnnde- 
reyen)  '.  «  Leur  organisation  toute  spéciale  dans  le  droit  privé  d'ErfurI , 
organisation  que  caractérisaient  et  les  francs-alleux  et  le  payement  des 
canons,  est  la  même  que  celle  qui  a  donné  naissance  aux  Flnmischen  lande- 
reien  de  la  Goldene  Ane,  par  le  motif  que  le  droit  de  possession  (|ui  s'y 
rattache  a  eu  aussi  avec  le  temps  des  destinations  analogues,  puisqu'il  fut 
étendu  à  d'autres  qu'à  des  colons  "\  » 

Le  système,  qui  sert  de  fondement  aux  rapports  juridiques  de  ces  francs- 
alleux  ,  n'est  autre  que  celui  des  terres  des  colons  néerlandais ,  tel  qu'il  se 
manifeste  au  douzième  siècle  dans  toutes  les  parties  de  la  Thuringe  où  les 
Belges  s'établirent,  et  tel  qu'il  y  fut  introduit  en  vertu  des  concessions 
accordées  aux  colons  néerlandais  par  les  seigneurs  ecclésiastiques. 

La  langue  même,  ou  la  terminologie  employée  pour  caractériser  l'inslilu- 

I   Rvclistilenkitmle  ans  Tluniiigeii ,  1865,  pp.  291  sq(|.  —  Voy.  I"  partie,  pp.  80-82. 
-  Michelsen,  Der  Maùizer  Ilof  zii  Erfnrt. 
"'  Idem,  Rpchtsdenkmule ,  etc. 


DES  COLOINIES  BELGES.  223 

lion,  dénote  une  origine  étrangère,  c'esl-à-dire  belge  :  dal  fry  ou  vri  [Li- 
ber ceiisus). 

C'est  que  chez  nous,  en  elïet,  la  chose  même  existait.  L'expression  libe- 
ratis  census  figure  dans  un  diplôme  de  42GO,  signé  par  un  certain  seigneur 
deSertrut,  chevalier  «  in  nostrà,  hominum  elscabinorum  praesenlia.  »  (le 
diplôme  concçi-ne  l'abandon  et  la  transmission  du  droit  à  la  dime  fait  par  le 
chevalier  à  l'abbaye  de  Parc  :  «  abatisso  et  conventui  Dominarum  de  Parco 
Cysteriensis  ordinis  Leodiensis  dyocesis  '.  »  Le  mot  abamion  est  rendu  par 
gucrpivit  -,  e/feslucavil  ''\  penilus  renunliavil. 

Quant  à  l'autre  expression,  elle  est  employée  comme  suit  :  «  Xos  igilur 
ob  remedium  anime  nostre  et  antecessorum  nostrorum  eandem  partem  de- 
cime  memoralis  abbatisse  et  conventui  conlulimus  jure  heredilario  imperpe- 
luum  possidcndam.  Ita  quod  ex  parte  earundcm  nobis  singulis  annis  sede- 
cim  Denarii  Leodiensis  monete  in  die  Beali  Stephani  Liberalis  census  solvi 
debebunl.  Nec  aliud  ab  eisdem  occasione  ipsius  décime  requirere  vel  petere 
potorimus....  nec  nostri  succcssores.  » 

11  résulte  de  ce  texte  qu'en  Belgique  nous  trouvons  le  nom  et  l'existence 
ih\  cens  libre ,  tel  que  nous  le  rencontrons  dans  les  inslitulions  d'ErfurI ,  d'où 
la  conséquence  qu'en  comparant  cette  source  belge  avec  les  monumenis  (pii 
existent  à  Erfurt,  tout  doute  disparait. 

L  Le  premier  document  dont  j'ai  à  parler  sous  ce  lapport  est  le  Bibrabuch, 
composé,  en  1332,  par  Ilermann  de  Bibra,  archevêque  de  Mayence  et  provi- 
seur d'Erfurt.  Il  y  est  dit  :  «  Item  nolandum  est  quod ,  in  crastino  Beati 
Martini  Sculletus...  cum  noiario  AUoclii...  vel  quicunque  alii  i\uos provisor 
Allo(lii...a^\  hoc  depulaverit...  debent  recipere  libenua  censum  secundum 
lieyislra  Allodii...  et  post  nieridiem  octave  diei  sessionis...  colligentes  cen~ 
suDilibcrum  in  dictis  ecclesiis...  et  tune  quilibet  negligens,  quotquol  f(^;/s;t.<( 
liberos  dare  neglexerit,  in  lot  talenla  Denariorum  Erfodenlium  noiario 
Allodii  super  gratiam  existit  pêne  nomine  obligatus.  » 

'  L'original  se  trouve  au  Musée  d'antiquités  de  Nurenberg. 

2  «  Guerpivit ,  flandricè  opdraegen.  Werpire  est  idem  quod  barbarice  dicitur  transportuin 
faccie  seu  quilarc.  »  Mirœus,  Diplom.  Delg.,  p.  142.  Binix.,  1628. 

"'  Vient  de  festucu,  Urin  de  paille.  Dans  la  Iradilion  symbolique  des  immeubles,  ou  enten- 
dait par  ce  mot  :  briser  ta  paille ,  ou  la  jeter,  ce  qui  indiquait  que  le  vendeur  abdiquait  ton! 
droit  de  propriétaire.  »  Diericx,  Gentsch  charterboecfcje ,  pp.  t05,  t4I. 


-2-24  HISTOIRE 

Il  résulte  des  lerincs  inénies  de  celle  charte  que  les  biens  libres  d'ErfurI 
étaient  qualifiés  A'ullodia,  et  que  la  redevance  que  les  tenanciers  payaient 
de  ce  chef  était  appelée  liber  census.  En  parcourant  Thisloire  de  la  Ueigicpie 
au  moyen  âge ,  j'acquiers  la  conviction  que  les  Freigiifer  d'Erfurt  offrent 
une  grande  analogie,  pour  né  pas  dire  une  quasi-identité  avec  les  biens  con- 
nus, à  la  même  époque,  chez  nous,  sous  le  nom  de  liions  aUodiaux  ou  de 
francs- alleux. 

Déjà,  dès  le  douzième  siècle,  il  existait,  en  Flandre  notamment,  deux 
sortes  de  propriétés,  le  domaine  direct  et  le  domaine  utile.  Le  premier  con- 
sistait principalement  dans  un  droit  honorifique;  l'autre,  dans  la  jouissance 
du  lunds.  Ainsi,  si  quelqu'un  disposait  de  sa  censé  à  litre  de  fief,  son  vassal 
en  avait  le  domaine  utile ,  mais  il  en  conservait  le  domaine  direct  en  obli- 
geant le  vassal  à  lui  rendre  les  services  spécifiés  dans  l'acte  d'inféodalion. 
Ainsi  encore,  lorsque  quelqu'un  baillait  son  fonds  à  cens,  le  censitaire  on 
avait  la  jouissance;  mais  il  fallait  (pi'il  reconnût  ce  domaine  direct  en  payant 
tous  les  ans  une  redevance  dans  laquelle  on  considérait  plus  l'honneur  ipie 
l'émolument. 

En  conséquence ,  on  appelait  bien  a//o(/m/ celui  qui  ne  reconnaissait  point 
de  seigneur  direct,  et  le  tenancier  en  conservait  la  pleine  propriété  aussi 
longtemps  qu'il  en  pouvait  matériellement  jouir.  Il  y  avait  aussi  d'ordinaire, 
dans  le  district  cédé  ou  vendu ,  des  fonds  dont  le  souverain  ou  seigneur 
n'avait  pas  seulement  aliéné  le  domaine  utile,  mais  au§si  le  domaine  ilirecl. 
Pour  ceux  à  qui  le  cédant  avait  transmis  ces  deux  domaines,  ces  fonds  étaient 
des  «  biens  libres,  des  terres  allodiales,  Freiyiiter,  atlodia.  » 

II.  Nature  du  droit  des  possesseurs.  —  Les  possesseurs  avaient  un  droit 
de  propriété  héréditaire;  ils  étaient  libres  de  tout  service  et  affranchis  de 
toute  prestation  en  nature;  mais  ils  étaient  obligés  de  conserver  et  d'amender 
les  biens  allodiaux,  qui,  du  reste,  étaient  aliénables,  que  ce  fussent  des  mai- 
sons, des  jardins  ou  des  cham|)S. 

Seulement,  ils  avaient  à  payer,  à  la  Saint-Martin,  une  redevance  pécu- 
niaire fixe,  sous  peine  d'une  amende  spéciale,  et  avec  menace  d'une  procé- 
dinc  sommaire,  tendant  à  l'exécution  du  débiteur.  Cette  procédure  était 
clairement  tracée  dans  le  Bibrabùcli. 


DES  COLONIES  BELGES.  22S 

C'est  l'ensemble  de  ces  rapports,  rimnieuble  qui  en  formait  l'objet  ainsi 
que  le  canon  qui  devait  être  payé,  qui  étaient  désignés,  d'après  l'usage  ordi- 
naire, par  ces  mots  :  dal  fry. 

En  Flandre,  les  bourgeois,  qui  possédaient  de  pareilles  terres,  les  tenaient 
aussi  en  pleine  propriété;  mais  la  plupart  les  divisèrent  en  petites  portions, 
pour  les  donner  à  cens.  Les  censitaires  de  ces  portions  étaient  appelés  en 
français  hosles  (hôtes),  en  flamand  kieten,  en  latin  de  moyen  âge,  luli, 
laeli,  lussi,  tandis  que  le  fonds  d'un  particulier,  ainsi  divisé,  et  donné  à 
cens  s'appelait  een  taetsc/iap ,  regez  ou  rejel  :  Le  mot  luclen  ou  plutôt  Uicl 
[lassHs,  lassi,  dérivant  du  verbe  laeten ,  ail.  lassen,  laisser)  signifie  ici 
un  individu  qu'on  laissait  demeurer  sur  le  fonds  d'un  tiers,  moyennant  de 
payer  à  celui-ci  une  redevance. 

IIL  Registres.  —  Pour  connaître  la  contenance,  la  valeur  et  les  posses- 
sions des  Freigiiter,  on  tint  des  registres  que  l'on  appela  Freibucher ,  et  dans 
lesquels  étaient  consignés  les  cens  libres.  Ceux-ci  étaient  perçus  par  moitié 
dans  l'église  Saint-Séverin,  —  qui  la  première  avait  donné  des  jardins  à 
cultiver  aux  Hollandais  et  aux  Flamands,  —  par  le  maire  de  Briihl;  et  pour 
moitié  dans  Téglise  des  négociants,  par  l'inspecteur  archiépiscopal  du  Marché, 
plus  tard  par  le  maire  de  la  ville. 

Chacune  de  ces  deux  églises  avait  son  Freibuch  séparé,  dont  l'un  était 
intitulé:  Liber  sancli  Severini  ;  Vd^nivQ  ,  Liber  menaloriwt. 

Le  plus  ancien  Freibuch  de  Saint-Séverin,  qui  date  de  1321,  est  divisé 
en  quatre  rubriques.  La  première  grande  rubrique,  intitulée  Liber  cénsus, 
concerne  en  général  les  payements  faits  à  la  Saint-Martin  de  cette  année, 
dans  l'église  Saint-Séverin. 

La  seconde  ne  contient  (jue  douze  Ite»/,  et  comprend  les  nouveaux  biens 
libres  (^neùen  Freigiiter)  lescpiels  jusqu'alors  avaient  été  en  partie  propres 
[eigen),  en  partie ^e/s(Lehne),  en  partie  biens  censiers-hérédilaires-ordinaires 
[gew(J/irilic/ten  Erbzinsgut). 

Quant  aux  deux  rubritiues  suivantes,  elles  sont  plus  petites  et  ne  renfer- 
ment que  des  particularités.  L'annotation  minulieuse  qui  est  faite  dans  les  re- 
gistres prouve  que  ces  Freigiller  étaient  fondés  sin-  ini  droit  paient,  certain, 
irréfragable. 

Tome  XXXIL  30 


226  HISTOIRE 

En  Flandre,  après  que  le  souverain  avait  cédé  ou  vendu  quelque  district, 
les  échevins  portaient  sur  un  registre  le  dénombrement  des  maisons  ou  ter- 
rains assujettis  au  cens.  Voilà  Porigine  du  livre  terrier,  dit  :  le  terrier  des 
cens  de  la  ville ,  den  reyisler  der  slede-ceynsen. 

Quant  aux  particuliers,  ils  faisaient  inscrire  sur  un  registre  le  dénombre- 
ment des  portions  qu'ils  avaient  accusées. 

Ces  différents  registres  formaient  les  petits  terriers,  dits  en  tlamand  ceyns 
boekshens  ou  heerlyke  rente  boekskens. 

Chez  nous,  les  francs-alleux ,  ou  terres  et  maisons  qui  ne  reconnaissaient 
pas  de  seigneur  direct,  étaient  appelés  vry  huis,  vnj  erve ,  et  les  échevins 
les  portaient  sur  un  terrier  dit  le  terrier  des  alleux  {den  register  van  vry 
huys  vry  o've). 

IV.  Payement  du  canon.  —  Le  Freizins,  tel  qu'il  existait  à  Erfurt,  pou- 
vait, lors  de  son  exigibilité,  s'acquitter  moyennant  un  gage  d'argent,  valeur 
qui  représentait  le  rendement  prématuré  d'une  terre  déjà  épuisée  [eine  weiter 
vorgeruckte  Geldivirtlischaft),  par  opposition  à  la  prestation  en  nature  d'au- 
trefois (vorzeiligen  Naturalwirlhschaft) ,  de  sorte  que  l'on  peut  admettre  que 
ce  mode  de  libération  si  économique  et  si  utile,  dit  Michelsen,  existait,  au 
douzième  siècle,  en  Thuringe  comme  dans  les  Pays-Bas. 

Deux  chartes  se  rapportent  à  celte  question,  et  elles  émanent  chacune  de 
Henri  Raspon,  landgrave  de  Thuringe  et  comte  palatin  de  Saxe. 

Par  la  première ,  donnée  à  Eisenach,  au  mois  de  septembre  1338,  le  land- 
grave avertit  les  colons  ou  censitaires  [colonos,  Zinsleàte)  de  la  cathédrale 
d'Erfurt,  qu'à  cause  de  la  dépréciation  qu'il  y  a  sur  la  monnaie,  ils  devront 
solder  régulièrement  leur  cens  en  monnaie  ancienne  d'une  valeur  non  suscep- 
tible de  diminution,  puisque  l'église  pouvait  éprouver  un  préjudice  considé- 
rable, ce  que  lui,  comme  avoué  de  l'église,  ne  peut  ni  ne  veut  tolérer. 

Daiis  la  seconde  charte  de  1339,  le  même  landgrave  informe  les  colons 
de  la  cathédrale  que.  l'on  s'est  plaint  d'eux,  de  ce  que  leur  monnaie  ne 
contenait  pas  la  valeur  intrinsèque  voulue,  et  que  par  un  rescril  des  juges 
nommés  par  le  Saint-Siège,  il  avait  obtenu  que  les  redevances  fussent  payées 
sur  le  pied  de  la  valeur  de  l'ancienne  monnaie,  et  fussent  encaissées  par  des 
receveurs  ecclésiastiques. 


DES  COLONIES  BELGES.  "227 

Toutefois,  les  chanoines  avaient  déclaré  qu'ils  se  contenteraient  des  deniers 
ayant  cours  pour  lors ,  c'est-à-dire  que  trente  scheUingen  équivaudraient  à 
un  marc  de  fin,  et  que,  si  Targent  devenait  plus  rare,  on  leur  donnerait 
pour  sept  scheUingen,  en  une  fois,  un  ferlo  (quart  de  marc)  d'argent. 

Du  reste,  cette  redevance  consistait  toujours  dans  une  taxe  minime,  pro- 
portionnée à  l'importance  du  bien.  Elle  devait  être  ac(|uiltée  dans  les  huit 
premiers  jours  après  la  Saint-3Iartin,  c'est-à-dire  depuis  le  premier  jour  ou- 
vrier, après  cette  fête,  juscprà  celui  de  Sainte-Elisabeth. 

C'est  pour  ce  motif  que  cette  semaine  fut  appelée  à  Erfurt,  die  Freiwuclie. 

La  formule  usuelle  trouvée  dans  les  ireibikher  quant  à  la  libération  de 
ceux  qui  avaient  pajé  la  redevance,  était  celle-ci  :  «  N...  dédit  liberum 
censum  de  uno  agro  I  denar.  » 

V.  Oii  la  redevance  devait  être  payée.  —  Elle  devait  être  payée  dans 
l'église  Saint-Séverin  et  dans  celle  des  Négociants,  à  gauche  du  chœur, 
près  de  l'autel  de  la  sainte  Vierge  [beij  imser  lieber  Frawen  Allhar). 

Là  siégeaient,  pendant  huit  jours,  à  l'exception  du  dimanche,  Tavant- 
midi,  à  commencer  depuis  la  pointe  du  jour  [so  es  lag  isl,  chez  nous  :  zoo 
lietdagis),  devant  leurs  comptoirs,  les  receveurs  respectifs,  lesquels  étaient 
entourés  d'une  foule  de  citoyens,  qtii  se  tenaient  là,  derrière  l'autel,  en  qua- 
lité de  témoins  [per  lestimonium  civiimi  circainsedenlium). 

Cette  assemblée,  tenue  solennellement,  dessine  d'une  manière  tranchée  le 
caractère  ecclésiastique  des  Freigiiter.  La  redevance  était  déposée  au  pied  de 
l'autel. 

En  Flandre,  la  maison  ou  la  chambre,  où  le  cens  devait  être  payé,  était 
appelée  \e manoir  seigneurial:  en  flamand  :  liet  fiof,  het  ho f  van  den  Land 
heere ,  curia  in  alodio. 

L'invitation  pour  con)paraitre  devant  cette  cour  ou  manoii'  était  formulée 
par  ces  mots  :  le  commene  't  zynen  (ihcdinge  ten  ophove  ende  len 
aphove. 

Ces  cariae  in  alodio  existaient,  à  cette  époque,  en  Belgique,  dans  les 
baronnies  de  Sottegliem  et  d'Ophasselt ,  et  dans  la  principauté  de  Steehhuyse, 
en  Flandre,  et  généralement  dans  toutes  les  terres  connues  sous  l'indication 
vulgaire  de  «  ne  relever  (|ue  de  Dieu  et  du  Soleil  {leenen  gehouden  van  God 


228  HISTOIRE 

endr  Zoanc),  »  pour  signifier  qu'elles  ne  reconnaissaient  aucun  seigneur  su- 


zerain '. 


Les  francs-alleux  ne  sont  pas  seulement  appelés  fiefs  [leenen)  par  le  vul- 
gaire; mais  les  Libri  feudorum  les  nomment  aussi  cdodis  infeudala.  Les 
franchises  connues,  en  Flandre,  sous  le  nom  de  vryheden,  n'étaient  autre 
chose,  au  fond,  que  les  francs-alleux.  Toutefois,  on  rencontrait,  en  Bel- 
gique, beaucoup  de  ces  anciennes  franchises,  transformées  plus  tard  en  fiefs 
d'honneur,  feuda  honorata. 

VL  Repas.  —  Pendant  toute  la  durée  de  la  session,  on  distribuait  tous 
les  malins,  au  coup  de  sept  heures,  les  jours  gras,  deux  soupes,  des  poulets 
bouillis,  deux  oies  rôties,  du  vin  et  du  pain,  aux  fonctionnaires  suivants: 
dans  l'église  Saint-Séverin  :  au  voigt,  au  sergent,  aux  échevins,  au  gref- 
fier, aux  trois  serviteurs  de  justice,  au  premier  et  au  second  marguillier; 
dans  l'église  des  Négociants,  prenaient  part  au  repas  :  le  maire,  le  grefiier, 
et  le  premier  et  le  second  marguillier.  —  On  ne  dit  pas  aux  frais  de  qui  se 
donnait  ce  repas.  Je  suppose  qu'il  était  à  la  charge  de  ceux  qui  profitaient  de 
la  rentrée  des  redevances. 

VIL  Procédure  en  cas  de  non- payement.  Peines,  etc. 

A.    FOUMALITÉS    PRÉLIMINAIRES. 

Quand  la  session  dans  les  deux  églises  est  terminée,  on  examine  dans  la 
cour  archiépiscopale  de  Mayence  les  Freibucher ,  pour  vérifier  si  tous  les  cen- 
sitaires ont  payé.  Les  noms  de  ceux  qui  sont  en  défaut  sont  inscrits  sur  un 
rôle  sépare. 

Alors,  avant  de  se  mettre  à  table  [ehr  man  issel),  le  Kilchenmeisler  et  sqn 
grefiier  [sein  Schreiber)  envoient  le  messager  avec  l'oflicier  supérieur  de  jus- 
tice, chacun  à  cheval,  devant  les  maisons  des  possesseurs  qui  n'ont  pas  ac- 
quitté le  canon  [die  den  freyen  Zynsse  nit  geben  haben). 

Là,  les  fonctionnaires  envoyés  frappent  trois  fois,  avec  un  marteau,  sur  la 
porte  de  chaque  maison.  Si  quelqu'un  s'y  trouve,  ils  lui  remettent  un  billel, 

<  Racpsaet,  t.  IV,  p.  259,  n"  190. 


DES  COLOiMES  BELGES.  ^229 

en  disant  «  qu'il  est  averti  qu'il  est  en  défaut  de  payer  le  canon  spécifié  dans 
ce  billet.  » 

Si  personne  ne  se  trouve  au  logis,  ils  glissent  le  billet  sous  la  porte,  en 
prenant  les  plus  proches  voisins  pour  témoins  qu'ils  ont  frappé.  C'était,  comme 
on  voit,  une  véritable  mise  en  demeure. 

Celui  donc  qui,  dans  le  délai  prescrit,  n'avait  pas  payé,  encourait  la  peine 
légale,  c'est-à-dire  qu'il  était  frappé.  Immédiatement  après  commençait  la 
procédure. 

B.  Remise  des  billets  et  du  marteal.  » 

La  procédure  du  frappement  [die  Proccdur  des  Klopfes)  était  entamée  par 
l'avoué  et  le  premier  sergent  de  justice,  lesquels,  à  jour  fixe,  au  son  de  dix 
heures,  se  trouvaient,  à  cheval,  dans  la  cour  de  Mayence. 

Là,  le  receveur  censier  leur  remettait  les  billets  séparés,  indiquant  les 
noms  et  la  redevance  de  ceux  qui  étaient  en  défaut  de  payer,  ainsi  que  le 
marteau  pour  frapper,  marteau  qui  portait  les  armes  de  Mayence. 

C.  Affiche. 

De  la  cour  de  l'évéque,  ils  chevauchaient  vers  l'hôtel  de  ville  ou  Ralhhaus, 
sur  les  murailles  extérieures  et  au  bas  de  la  tour  duquel  le  sergent  attachait 
les  billets  avec  de  la  cire.  Cette  formalité  remplie,  l'avoué  frappait  avec  un 
marteau  sur  chaque  billet,  en  s'écriant  :  «  Au  nom  de  sa  Grâce  l'électeur 
N...,  attendu  que  N...  a  négligé  de  payer  les  deniers  libres  [freipfennige) 
qui  sont  dus,  si  est-il  que  pour  la  première  fois  il  est  frappé.  » 

D.  Amende. 

Celui  qui  avait  été  frappé  ^e.  la  sorte  devait  payer  à  l'avoué  et  au  sergent 
une  amende  considérable,  à  titre  de  punition. 

Le  montant  de  cette  peine,  ou  tout  au  moins  un  gage  en  argent,  devait  être 
acquitté  le  lendemain ,  avant  les  dix  heures. 


230  HISTOIRE 

Si  le  débiteur  ne  s'était  pas  li])éré,  il  était,  comme  le  jour  précédent, 
frappé  une  seconde  fois.  L'amende  de  ce  chef  était  doublée ,  et  le  même 
avertissement  était  donné  le  troisième  jour  pour  la  troisième  fois. 

Après  ce  troisième  coup  de  marteau,  si  une  année  s'était  écoulée,  sans 
que  l'amende  eût  été  payée,  le  procureur  du  bailliage  [Ambstpromminr) 
entamait  la  procédure  devant  le  tribunal  civil  de  l'archevêque. 


E.  Procédure. 

Elle  était  connue  sous  le  nom  de  Fronizalions-  ou  Gewàhrprocess,  qui  ten- 
dait à  pouvoir  saisir  publiquement,  après  ajournement  préalable,  les  biens 
du  débiteur  {occiipare  bona,  occupatio  sive  arrestatio  que  Vrone  appellaiar), 
et,  à  cet  elïet,  le  maire  et  le  Kikhenmeisler  remettaient  au  sergent  un  ex- 
trait du  Freibncli ,  indiquant  les  biens  dont  le  cens  n'avait  pas  été  payé. 

Celte  saisie,  frone,  était  déjà  connue  en  Flandre  sous  le  nom  de  Fredum. 
Cela  résulte  d'une  charte,  datée  de  Gand,  en  1156,  par  laquelle  Thierry 
d'Alsace  défend  au  magistrat  de  cette  ville  de  se  porter  ni  dans  les  églises , 
ni  dans  les  champs  qui  appartiennent  au  monastère  de  Saint-Pierre,  soit  pour 
y  tenir  des  plaids,  soit  pour  exiger  quelque  composition  ou  tribut,  enlever 
des  fidejusseurs,  etc.  :  «  Nullus  quo(|ue  judex  publicus...  in  ecclesiasaut  loca 
aut  agros  memorati  coenobii,  ad  causas  audiendas,  vel  freda  aut  IribtUa  exi- 
genda,  vel  fidejussores  tollendos...  ingredi  valeat  '.  » 

F.    ExÉCUTIO>    DU    JUGEMENT. 

La  procédure  instruite  d'après  le  mode  et  suivant  les  formalités  usitées  à 
cette  époque,  le  jugement  est  prononcé. 

Le  sergent  se  rend,  le  jeudi  suivant,  au  pied  de  la  tour  située  au  marché 
au  poisson.  Là,  il  annonce  en  peu  de  mots  comment  il  a  saisi  les  biens  et  otTre 
d'en  rédiger  acte.  Puis,  il  invite  les  greffiers  de  justice,  de  Sa  Grâce  et  du 
Conseil  à  faire  dans  leurs  registres  la  mention  suivante  :  «  Ego  N.  froiuwi  N 
etN.  bona...  pro  versessen  frey  und  buess  uff  N...  lag  anno.  » 

'  Cartulaire  de  l'abbaye  de  Saint-Pierre ,  aux  archives  de  la  Flandre  orientale. 


DES  COLONIES  BELGES.  231 

Après  celte  formalité,  le  sergent  entre  dans  l'hôtel  de  ville  et  requiert  le 
greffier  de  lui  remettre  un  certificat  qui  lui  est  délivré  sur  parchemin.  Le 
sergent  remet  celte  pièce  au  Kiichemneister  de  l'archevêque,  qui  l'insère  au 
Freihuch  à  côté  des  item  relativement  auxquels  la  procédure  de  la  frone  a 
été  achevée. 

En  Flandre,  nous  trouvons  une  disposition  similaire. 

Il  résulte  d'une  charte  de  1284.,  contenant  un  concordai  entre  le  prélat  de 
Saint-Pierre,  à  Gand,  et  ses  vassaux  de  la  terre  nommée  Laland  (art.  ni) 
que,  «  si  lesdits  vassaux  ne  paient  pas  les  prédits  six  escalins  et  six  deniers 
de  chaque  bonnier  aux  termes  et  jours  prédits,  et  que,  pour  ce  motif  nous 
voulons  faire  saisir  le  bien,  chaque  vassal  qui  a  été  saisi  et  qui  n'a  pas  soldé, 
doit  payer  une  amende  de  six  deniers  au  profit  des  échevins  et  de  ceux  qui 
ont  fait  avec  eux  la  saisie  '.  » 

Quand  le  débiteur,  à  Erfurt,  ne  pouvait  pas  se  justifier  par  des  motifs 
plausibles,  le  bien  était  déchu  (yerfallen)  Qivviyé  de  la  seigneurie  quant  à 

cet  impôt. 

Toutefois,  quand  les  bourgeois  d'Erfurt  et  tous  autres  avaient  négligé  de 
payer,  ils  pouvaient,  avant  que  le  sergent  fût  monté  à  cheval,  ou  même  après 
sa  première  et  seconde  chevauchée,  s'adresser  au  Kiichemneister ,  et  payer 
entre  ses  mains  l'amende  au  moyen  d'un  gage  d'argent.  Cette  consignation 
avait  pour  etïet  d'empêcher  le  sergent  de  frapper  leszt  man  alsdan  den 
Freyboten  nit  klopfen. 

Un  lempéramenl  fut  admis  plus  tard:  quand  le  propriétaire-débiteur  était 
pauvre  ou  ostensiblement  dénué  de  ressources,  il  lui  était  accordé  un  an  et 
un  jour ,  pour  retraire  le  bien  saisi,  moyennant  un  juste  prix. 

G.  MUTATIOINS. 

A  chaque  changement  qui  s'opérait  dans  la  personne  des  possesseui-s  des 
Freygiiter,  le  nouveau  possesseur  devait  être  inscrit  au  fief,  ce  qui  avait  lieu 

'  Voy.  Carliilaire  intitulé  :  Carta  de  Latant,  in  parochia  Bealae  Virginis,  etc.,  ;inno 
MCCLXXXIIII,  reposant  aux  archives  de  la  Flandre  orientale. 


232  HISTOIRE 

pendaiil  la  Freiimclie  et  toujours  l'après-midi,  parce  que  le  malin  était  réservé 
à  la  perception  des  redevances. 

Quand  un  changement  avait  lieu ,  il  fallait  indiquer  exactement  la  situa- 
tion et  la  contenance  des  terres;  car  les  anciens  livres  laissaient  beaucoup  à 
désirer  sous  ce  rapport.  11  en  résultait  qu'à  la  longue,  Pimpôt  se  perçut  d'une 
manière  fort  irrégulière ,  et  que  le  payement  fut  souvent  refusé  par  les  héri- 
tiers d'un  possesseur,  par  le  motif  que  le  bien  qu'il  détenait  ne  pouvait  pas 
être  indiqué  avec  certitude. 

VIII.  Observations  générales.  —  Les  écus  libres  {Freipfennige)  consis- 
taient anciennement  dans  des  monnaies  d'argent  frappées  expressément  à  cet 
effet,  et  nommées  Bracleales.  Sur  l'avers  étaient  gravés  les  trois  premiers 
articles  de  l'antique  organisation  des  canons  prémentionnés. 

Au  dix-septième  siècle,  probalilement  pendant  l'époque  de  la  guerre  de 
trente  ans ,  quand  le  conseil  d'Erfurt  réglementa  la  perception  de  la  redevance, 
il  admit  la  monnaie  ordinaire,  de  manière  que  l'on  compta  pour  un  écn  {sil- 
hernen  Freipfennifjen)  d'argent  4  V^  écus  de  monnaie  courante. 

Chose  digne  de  remarque  et  (|ui  prouve  combien  l'organisation  des  Frei- 
zinsffiiler  avait  jeté  de  profondes  racines  :  quand  on  renouvela  le  mode  de  la 
perception  de  celle  redevance,  on  maintint,  comme  anciennement,  au  litre  II, 
la  semaine  du  payement  (Zrt/*k'ocA(')  :  au  titre  III,  l'ancienne  procédure  du 
Irappement  {Kiopfintg) ;  au  litre  IV,  après  le  frappement  de  trois  fois,  la  pro- 
cédure connue  sous  le  nom  de  Fronizations-process. 

Celle  organisation,  ainsi  modifiée  par  l'assemblée  des  députés  terriens,  et 
(jui  porte  la  date  du  13  avril  1708,  fut  en  même  temps  publiée  par  la  presse. 
1\.  Abolition.  — Par  une  ordonnance,  publiée  à  Erfurt,  le  16  septem- 
bre 1809 ,  la  peine  du  frappement  [die  Slrafe  (1er  hlopfinuj)  fut  abolie  pour 
l'avenir,  en  tant  que,  pendant  la  semaine  libre,  les  canons  n'avaient  pas  été 
ac(|uittés;  mais  non  la  peine  pécuniaire  encourue  en  cas  de  non-payement. 
On  statua  aussi  que  désormais  on  délivrerait  des  quittances  du  payement  des 
redevances,  afin  qu'aucun  doute  ne  put  plus  s'élever  relativemenl  aux  paye- 
ments qui  avaient  eu  lieu. 

Une  dernière  observation  avant  de  finir.  La  masse,  ou  si  l'on  veut,  la  cor- 
poration des  propriétaires  allodiaux  d'Erfurt  ne  forma  jamais,  comme  les  co- 


DES  COLONIES  BELGES.  233 

Ions  belges  de  la  Goldene  Aùc  une  associalion  compacle,  ayant  une  organisa- 
lion  adminislralive  et  judiciaire  indépendante,  organisation  qui  eut  la  forme 
accentuée  d'un  droit  coutumier  resté  propre  à  ces  derniers.  A  quoi  attribuer 
cette  anomalie?  Uniquement  à  l'esprit  des  habitants  de  la  ville  d'ErfurI,  qui 
s'opposait  aux  conséquences  d'un  système  féodal  aussi  prononcé. 

I  III.  —  Cercle  de  Naumbuury. 

\>"icbmann,  évéque  de  Naumbourg,  donna  des  privilèges  importants,  par 
sa  charte  de  1152  ',  aux  Néerlandais  qui  étaient  fixés  dans  le  diocèse.  On 
voit  par  le  commencement  de  ce  diplôme  qiie  ce  fut  Tévèque  Udon,  prédé- 
cesseur de  Wichmann,  qui  les  établit  ou  les  rassembla  dans  le  Naumbourg: 
«  Cuidam  populo  de  terra,  quae  llolland  nominatur,  a  praedecessore  meo 
Udone  in  eundem  episcopo  coadunato...  »  Ces  mois  :  de  terra  quae  HoUand 
nominatur,  doivent  évidemment  s'appliquer  au  lieu  d'origine,  à  la  patrie  des 
émigrants,  et  non  à  un  territoire  du  Naumbourg,  auquel  ils  auraient  donné 
le  même  nom;  car  aucune  source  ne  fait  mention  d'un  endroit  quelconque 
qui  se  serait,  dans  le  Naumbourg,  appelle  Holland.  Ce  mot  est  d'ailleurs 
énonciatif  et  comprend  la  Flandre,  ainsi  (jue  je  l'ai  dit  dans  la  première 
Partie. 

Quant  à  la  question  de  savoir  pour  quelle  cause  Udon  ne  s'occupa  point 
de  la  colonisation  des  Belges  —  si  toutefois  la  charte  de  fondation  n'en  est 
pas  perdue,  —  on  ne  saurait  la  résoudre. 

Quoi  qu'il  en  soit,  voici  une  courte  analyse  du  diplôme,  qui  permettra 
de  juger  de  l'importance  de  l'établissement  des  Néerlandais  dans  le  Naum- 
bourg. 

A.  Droits  et  privilèges. 

I.  Ils  jouiront  d'une  liberté  pleine  et  entière  :  liberlale  fruantur.' 

II.  Ils  sont  propriétaires  des  biens  qui  leur  ont  été  concédés.  Donc,  liberté 
de  vendre,  de  céder. 

'  Voy.  mes  Documents,  n"  VIII. 

Tome  XXXII.  31 


254  HISTOIRE 

L'évê(|iio,  pour  moiitror  que  c'est  là  un  privilège,  dans  toute  la  rigueur 
(lu  mol,  ajoute  qu'ils  ne  pourront  transmettre  les  biens  qu'à  des  compatriotes 
cl  lion  à  des  étrangers.  C'est  les  ériger  en  véritable  corporation. 

III.  Ils  peuvent  élire  eux-mêmes  leur  maire ,  et  personne  ne  pourra  s'oppo- 
ser aux  actes  qu'il  po.sera. —  Donc,  juridiction  administrative  indépendante. 

IV.  Ils  prêteront  le  serment,  sans  devoir  employer  la  formule  restrictive 
en  usage.  —  J'ai  dil  plus  baut  en  quoi  consislail  le  privilège  de  l'exemption 
de  la  Varc. 

V.  Le  droit  d'bérédilé  leur  est  solennellement  garanti  :  toutes  personnes, 
libres  ou  serves,  pourvu  qu'elles  soient  de  nationalité  belge,  peuvent  leur 
succéder. 

Si  l'un  d'eux  meurt,  sans  béritier  apparent,  la  saisine  demeurera  intacte 
pendant  un  an  et  un  jour,  afin  que,  si  dans  l'intervalle  un  béritier  légitime  se 
présente,  il  prenne  sans  conteste  la  place  du  premier.  —  Que  si  personne  ne 
réclame  la  succession,  deux  tiers  reviendront  de  droit  à  l'évoque,  le  troi- 
sième sera  destiné  au  service  de  l'église. 

VI.  Le  maire  décidera  les  contestations  en  premier  ressort.  L'appel  sera 
jugé  parl'évêque.  A  celte  fin,  il  tiendra  trois  fois  par  an  des  plaids  avec  eux, 
pour  prononcer  sur  les  délits.  Ceux  qui  se  seraient  trouvés  condamnés  injus- 
tement parle  maire  obliendronlde  l'évéque  trois  solidi  en  compensation. 

VII.  Sans  avoir  le  Markl-Recht ,  les  colons  peuvent  trafiquer,  faire  des 
acbats  et  des  ventes,  sans  être  soumis  à  aucun  impôt,  ou  à  aucun  droit  de 
douane. 

C'est  là  une  analogie  remarquable  avec  les  Flamands  de  Misnie,  ainsi 
(jue  nous  allons  le  voir  tout  à  l'beure. 

VIII.  Pour  le  règlement  des  aflaires  ecclésiasli(|ues  intérieures,  ils  tien- 
dront eux-mêmes  un  synode  que  leur  prévôt  présidera. 

Autre  analogie  avec  les  colons  de  Brème. 

B.  Chauges. 

Elles  sont  très-insignifiantes  et  se  réduisent  à  deux  points. 

I.   Ils  payeront,  à  Wicbmann,  buit  solidi  de  redevance,  à  savoir  :  ([uali-e 


DES  COLOÎSIES  BELGES.  :23o 

à  la  fêle  de  S'-Jacques,  et  quatre  à  la  fête  de  S'-Marliii,  aloi's  qu'ils  iiV-ii 
payaient  ([ue  trois  au  prédécesseur  de  Wiclimann. 

Cette  clause  prouve,  ce. me  semble,  contrairement  à  l'opinion  commune, 
que  la  colonie  néerlandaise  fut  organisée  par  Udon,  et  que  la  charte,  (pril 
octroya  à  cette  occasion ,  se  perdit  dans  la  suite. 

Quant  à  la  majoration  du  cens,  dont  parle  Wichmanu,  elle  s'e.xpli(|uo  aisc- 
nionl  par  la  concession  des  privilèges  exceptionnels  qu'il  vient  de  leur  accorder. 

il.  Comme  dime,  ils  payeront  (ce  qu'ils  ont  eux-mêmes  offert)  à  l'église 
de  Sainl-Pierre,  chaque  année  un  denier  pour  chaque  manse,  et  «  à  l'évê- 
que  la  quinzième  partie  (au  lieu  de  la  dixième)  de  tout  ce  qu'ils  récolteront, 
en  temps  opportun.  » 

Je  n'ai,  nulle  part,  dans  une  colonie  belge,  trouvé  d'exemple  d'une  dime 

plus  faible. 


SECTION  IV. 

MISNIE. 


Gerung,  évêque  de  Misnie,  vendit  aux  Flamands,  sirenui  viri  ^  qui 
s'établirent  dans  ses  Étals,  la  possession  perpétuelle  et  héréditaire  du  village 
de  Coryn  (Kiihren  ou  Kiiren)  -. 

De  là  des  droits  et  privilèges  en  faveur  des  Flamands,  et  des  charges  à 
prester  par  eux. 

A.  Droits  et  privilèges. 

I.  L'évêque,  en  souvenir  de  son  contrat  et  en  signe  de  la  vente  de  la  pos- 
session, donne  aux  acheteurs  quatre  talents,  outre  le  village  précité  avec  dix- 

I  Celle  expression  :  strenui  viri,  est  tout  à  ('«it  remai-quablc.  lloelic  (|).  M)  en  conclut  que 
les  émigi-ants  étaient  des  gentilshommes.  Wersehe ,  au  contraire,  prétend  (p.  993)  que  ce 
n'étaient  que  des  paysans  libres.  Je  crois  être  dans  le  vrai  en  prenant  un  moyen  terme.  Il  est 
probable  qu'à  la  tète  des  colons  se  trouvaient  quelques  hommes  nobles  qui,  pour  un  motif  ou 
un  autre,  avaient  quitté  leur  patrie,  suivis  d'une  partie  de  leurs  vassaux.  Lévèque,  traitani 
avec  eux,  leur  a  donné  naturellement  la  qualification  ipii  leur  revenait.  Schlôzer,  qui  reproduit 
le  diplôme  (p.  412),  est  aussi  de  cet  avis.  Mais  ((uc,  parmi  les  Flamands,  il  y  ait  eu  beaucoup 
de  paysans,  c'est  ce  que  prouvent  à  l'évidence  les  coiulilioiis  de  leur  établissement. 

-  Vo^.  mes  Documents ,  etc.,  n"  XI. 


-256  HISTOIRE 

liiiil  niaiises  donl  ils  pourronl  retenir  tout  le  profit  possible,  et  (jui  eoiisisleiit 
en  champs  cullivés  et  en  friche,  en  plaines  et  en  forêts,  en  |)rairies  et  en 
pâturages,  en  viviers  et  en  moulins,  en  chasses  et  en  pêches. 

Ces  (piatre  talents  que  donne  révêcpie  aux  Fianiaiuls  sont-ils  purement  une 
formalité  symbolique,  ou  bien  une  avance  de  fonds  destinés  à  pourvoir  aux 
frais  de  premier  établissement  des  colons?  La  phrase  est  trop  obscure  pour 
(|ue  nous  puissions  en  tirer  rien  de  concluant. 

11.  Les  Flamands  seront,  dans  tout  le  diocèse,  affranchis  des  droits  de 
douane,  à  moins  que  ceux-ci  n'aient  été  alTermés  à  des  négociants  publics. 

Il  devait  naturellement  entrer  dans  les  vues  des  colons  de  jouir  de  la  libre 
exportation  de  leurs  produits;  mais  qui  se  serait  attendu  à  trouver  chez  eux 
des  idées  de  libre  échange?  Quant  à  Fexception  établie  en  faveur  des  droits 
qui  auraient  été  affermés  à  des  négociants,  elle  est  difficile  à  conq)rendre.  La 
clause  (pii  en  fait  mention ,  se  demande  Wersebe  ' ,  aurait-elle  été  ajoutée 
dans  une  copie  du  diplôme  faite  postérieurement;  c'est-à-dire  à  une  époque 
où  le  village  de  Kùhren  s'était  agrandi,  et  où  son  commerce  avait  pris  de  l'ex- 
tension? Mais  cette  hypothèse  de  Wersebe,  en  la  supposant  fondée,  n'explique 
ni  la  signification  ni  la  portée  d'une  telle  mesure.  11  faudrait  admettre,  en 
outre,  et  rien  n'autorise  une  pareille  conjecture,  que  la  clause  restrictive 
pour  les  colons  est  destinée  à  favoriser  des  négociants  indigènes,  à  cause 
des  services  rendus  par  eux  au  commerce  du  pays,  ce  que  la  charte  ne 
dit  pas. 

m.  Les  Flamands  pourronl  entre  eux  vendre  du  pain,  de  la  bierre  et  de 
la  viande;  cependant,  ils  n'auront  point  dans  leur  village  de  marché  public. 

Celte  clause  est  tout  à  fait  inusitée.  Sans  doute,  les  colons  devaient  tenir  à 
avoir  parmi  eux  des  boulangers,  des  bouchers,  des  débitants  de  boisson; 
mais  des  privilèges  de  ce  genre  n'étaient  généralement  accordés  (pi'aux  habi- 
tants des  villes  et  de  certaines  localités  qui  faisaient  le  commerce  de  denrées 
alimentaires  *.  Aussi  l'évêque  a-t-il  soin  de  distinguer  les  Flamands  des  habi- 
lanls  de  ces  derniers  endroits,  puisqu'il  ne  leur  concède  pas  un  marché 


'  Die  niederlàndischen  Colonien,  etc.,  (.  H,  7^3. 
Wersehc,  t.  II,  p.  7'Ja. 


DES  COLOiMES  BELGES.  ^257 

spécial.  El  loulefois,  il  faut  aussi  avouer  que  le  privilège  en  question,  de  niêiiie 
que  le  précédent,  avait  moins  d'importance  à  une  époque  où  Ton  ne  connais- 
sait encore  ni  les  banlieues  ni  les  droits  d'accise. 

IV.  Les  Flamands  sont  à  Tabri  pour  toujours  de  toutes  prétentions  ulté- 
rieures de  Tévèque,  du  voigt  (o(/iwa//),  de  Pécoutète  ou  maire  [villici)  et  de 
tous  autres  gens. 

Celte  clause  est  exorbilante.  Ce  n'est  pas  seulement  des  corvées  (|ue  les 
Flamands  sont  libres  :  ils  n'auront  jamais  à  craindre  qu'on  exige  d'eux  des 
preslalions  de  quelque  genre  que  ce  soit,  en  nature  ou  en  argent. 

V.  Si  les  Flamands  prouvent  (|ue  l'un  ou  l'autre  viole  vis-à-vis  d'eux  les 
présents  statuts  —  confirmés  par  le  témoignage  de  dix-sepl  personnes  et 
revêtus  du  sceau  épiscopal  —  ils  pourront  le  faire  condamner  au  bannisse- 
ment. 

B.  Charges. 

I.  1°  Des  dix-luiil  manses  qui  sont  concédées  aux  Flamands,  l'une  revient 
de  droit  à  l'église;  deux  autres  appartiendront,  libres  de  cbarges,  au  maire 
ou  écoulèle. 

îNous  avons  vu  plus  liaut  (pp.  178,  179)  que  le  Schullheisz  obtenait  ces 
deux  fermes  libres  en  vertu  du  droit  dit  Setdnke. 

2"  Les  quinze  manses  restantes  payeront  annuellement  une  redevance  de 
trente  sols. 

Il  en  résulte  que  la  redevance  pour  une  ferme  était  de  deux  sols.  Etaient-ce 
des  solidi  d'o>',  àaryent ,  ou  de  cuivre? 

3"  Les  Flamands  rachèteront  l'impôt  dit  Zip,  moyennant  trente  de- 
niers. 

Mais,  avant  d'aller  plus  loin,  qu'est-ce  que  le  Zip9  Comme  cette  expression 
a  été  l'objet  d'immenses  controverses,  je  ne  puis  me  dispenser  de  m'y  arrêter 
un  instant. 

Le  mol  est  susceptible  de  plusieurs  interprétations.  En  latin,  cippus  si- 
gnifie prison.  Cicéron  l'emploie  dans  le  sens  de  chaîne,  et  César  dans  celui 
de  palpoinlu.  On  désigne  encore  par  là  un  obélisque  placé  dans  les  carrefours 


958  HISTOIKE 

pour  rappeler  le  souvenir  d'un  événement.  Perse  (Sal.  I,  v.  37)  le  prend  dans 
Facceplion  de  rénoluphe ,  pierre  tumnlaire  : 

....  i\unc  non  cinis,  illc  poëUic 

l'clixl  lion  levior  cippus  iiiinc  inipriniil  ossa. 

Chez  les  Grecs,  zojmç  désigne  également  une  prison  pour  les  esclaves. 

En  Allemagne,  au  moyen  âge,  cippus,  cepus,  signifie  aussi  un  filet  de 
chasseur  '.  Mais  il  est  pris  surtout  dans  le  sens  de  prison.  En  1367 ,  Gérard, 
évêque  de  Hildesheim,  ayant  fait  prisonnier  Tévêque  d'Halberstadt,  Penlerma 
dans  une  prison  nommée  cippus  -. 

Dans  les  prisons  d'Allemagne,  il  y  avait  un  instrument  de  torture  appelé 
également  cippus ,  et  le  geôlier  s'appelait  cipiocus.  N'y  a-t-il  pas  là  une  ana- 
logie évidente  avec  le  mot  cipier,  employé  en  Flandre,  pour  désigner  le 
même  fonctionnaire,  et  mentionné  dans  l'article  3  de  la  rubrique  XI  de  la 
Coutume  de  Gand  '. 

Le  cippus,  instrument  de  supplice  qui  servait  à  paralyser  les  membres, 
était  employé  pour  torturer  les  chrétiens  \ 

Enfin,  dans  les  habitations  des  maires-censiers,  en  Poméranie,  on  voit  en- 
core un  pareil  instrument  dans  lequel  les  mains  et  les  pieds  étaient  empri- 
sonnés ^. 

Serait-ce  donc  de  cippus  que  le  mot  zip  lire  son  origine  ?  Je  ne  le  pense 
pas. 

Sans  doute,  il  est  incontestable  que  les  Flamands,  hommes  libres  par  ex- 
cellence, auraient  mieux  aimé  payer  une  somme  d'argent  que  de  se  soumettre 

'  Perardus,  Charla  Suvarici  de  Verziaco  comit.  Cabilon ,  p.  90  :  «  Si  quis  honio  cippum 
ileteuderet  iii  nemore,  et  bcstiam  ceperit.  » 

-  Lindenbrog.,  Script,  rer.  Germ.  sept.,  p.  208. 

"•  «  De  gevangenc  van  rrinic...  worden  gelevcrt  den  cipier  in  'i  Chaslclelsvangenisse  der  vor- 
seyde  stede.   »  ' 

'  (t  Et  suias  ilerum  ci|)[)oi'um  vincula  clauduiit 

Ciuraque  cura  rigidis  iieclebaiit  turgida  ligiiis.  » 

«  Tune  irati  milites  mittunt  eum  in  cippum...  ita  ut  tertio  puncto  ejus  tibias  coarctarent.  » 
^  Hoche,  p.  !);j  in  fine. 


DES  COLONIKS  BELGES.  259 

à  l'ignominie  de  la  prison  ou  d'un  supplice  quelconque,  mais  peut-on  atl- 
meltre,  d'autre  part,  que  l'évêque  eût  voulu  consenti,r  à  une  dérogation  si  for- 
melle aux  lois  de  son  pays,  au  profit  d'une  poignée  d'étrangers  qui  auraient 
pu  dès  lors  commettre  les  plus  grands  crimes,  moyennant  une  faible  amende 
et  sans  avoir  à  craindre  un  châtiment  infamant?  Cette  hypothèse  me  parait 
inadmissible. 

Il  faut  chercher  une  autre  étymologie  au  mot  zip.  Ne  la  trouverions-nous 
pas  dans  le  mot  slave  zcpisck  (racine  se/>  ou  osep,  blé;  polonais  cixeyo; 
bohème  syp),  qui  signifie  une  redevance  de  blé  (en  allemand  Zinskorut^) 
Comme  des  tribus  slaves  habitaient  les  contrées  où  nous  trouvons  le  mol  en 
usage ,  il  est  tout  naturel  d'en  chercher  l'origine  dans  leur  langue. 

L'histoire  confirme  ces  inductions  philologiques.  Dans  une  transaction  inter- 
venue entre  Hedwige,  abbesse  de  Sainte-JJarie,  el  l'abbé  du  cloître  de  Huch 
(1282),  il  fut  convenu  que  ce  dernier  lui  donnerait  très  modios  Irilici  et 
avenae  cpiae  vocatur  zipcorn. 

Dans  un  diplôme  de  Didier,  marquis  de  Landsberg,  découvert  au  com- 
mencement du  dix-huitième  siècle,  Frédéric ,  évéque  de  Warsebourg,  obtint, 
moyennant  300  marcs  d'argent,  le  zip  dans  une  certaine  localité.  «  Aimona 
quae  zip  vulgariter  appel latur.  » 

Le  môme  droit  fut  importé  en  Poméranie  '.  Nous'apprenons  aussi  par  une 
matrice  cadastrale  [Calasler]  de  Pegau,  près  de  Leipzig,  qu'un  paysan  de- 
vait donner  ^/ide  mesure  de  froipenl  à  litre  de  ziepzins'^. 

Ces  exemples  sulTisenl  pour  démontrer  que  le  mol  zip  n'a ,  dans  la  charte 
de  Gerung,  d'autre  signification  que  celle  d'une  redevance  en  nature,  c'est- 
à-dire  en  blé,  dont  les  Flamands  purent  se  libérer  au  moyen  d'une  faible 
somme  d'argent  :  et  c'était  là,  sans  aucun  doute,  un  grand  privilège. 

En  effet,  pour  se  racheter,  les  Flamands  ne  payaient  que  deux  deniers 
par  ferme.  Ce  chiffre  est  des  plus  minimes.  Il  ne  peut  se  comparer  qu'avec 
les  deux  marcs  pour  cent  fermes  que  les  Belges  payèrent  à  l'évêque  de  Brème, 
pour  avoir  la  basse  juridiction. 

'  Dreger,  Codex  diplom.  Poni.,  p.  12. 
2  llofhc,}).  96. 


240  HISTOIRE 

H.  Les  Flamands  donneront  la  (lime  de  tous  leurs  revenus,  excepte  celle 
des  abeilles  et  du  lin. 

Cette  expression  omnium  rerum  siiarum,  comme  dit  le  diplôme,  est  si  gé- 
nérale, qu'elle  semble,  au  premier  abord,  renfermer  la  dîme  dite  Schmal- 
Zelwte ,  et  cela  d'autant  plus  que  les  abeilles,  qui  appartenaient  ;i  cette 
dernière,  furent  nominativement  exceptées.  Cependant,  ce  n'est  là  qu'une  con- 
jecture. 

ll[.  Ils  payeront  enfin  les  frais  de  séjour  du  Voigt  trois  fois  l'an,  pendant 
\iiii plaids  qu'il  tiendra  parmi  eux.  Les  deux  tiers  de  ces  frais  retourneront  à 
l'évéque,  le  tiers  restant  passera  à  Técoutéle. 

Comme  nous  l'avons  vu  plus  haut ,  les  colons  avaient  une  baute  justice 
{Oberyerichi)  à  la  tète  de  laquelle  était  le  Voiyl ,  et  une  basse  justice  [Nie- 
(lergerichl ,  Uniergericld)  que  présidait  parfois  le  Schultheisz. 

Comme,  dans  le  cas  actuel,  l'évoque  et  le  Voigt  se  confondent  dans  la 
même  personne,  c'est  évidemment  du  SchuUlieisz  qu'il  s'agit. 

L'évéque  prend  les  deux  tiers  des  frais,  et  rien  de  plus  naturel,  puisque 
c'est  à  lui.  qu'appartient  la  haute  juridiction.  Mais  que  le  Scullelus  flamand 
profilât  de  l'autre  tiers,  au  détriment  du  Voigt,  c'est-à-dire  de  l'évéque, 
c'est  là  un  privilège  évident,  dont,  d'ailleurs,  on  trouve  des  exemples  dans 
les  colonies  brémoises.  ' 

Nous  avons  vu  que  le  Schultheisz,  comme  tel,  n'avait  pas  une  jiu-idiction 
proprement  dite.  Son  rôle  se  bornait  à  maintenir  la  discipline  dans  le  village, 
et  ainsi  il  arrivait  parfois  qu'il  eût  à  exercer  une  sorte  de  juridiction  dans 
les  affaires  de  peu  d'importance.  Il  devait  aussi,  assister  le  Voigt  et,  en  son 
absence,  le  remplacer.  C'est  encore  ici  le  cas.  Voilà  pourquoi  l'évéque  parle 
du  Schultheisz  dans  les  termes  que  l'on  sait,  et  l'investit  en  quelque  sorte  de 
l'importance  d'un  Voigt  ordinaire  pour  les  jours  où  il  aura  à  rendre  la 
justice. 


DES  COLONIES  BELGES.  241 


SECTION  V. 

ANHALT. 

Los  condilions  sons  lesquelles  Tabbé  de  Ballensladl  '  vendit  anx  Fla- 
mands les  deux  villages  de  Nauzedele  et  Nimilz  ont  beaucoup  d'analogie 
avec  celles  que  Gerung,  évêque  de  Misnie,  accorda  aux  Flamands  qui  s'éta- 
blirent dans  ses  États.  (Voy.  p.  233.)  On  en  pourra  juger  par  Papercu  que 
nous  allons  en  donner  ci-après. 

Après  avoir  énoncé  le  fait  qui  donne  lieu  au  contrat,  Pabbé  fait  d'abord 
quelques  dispositions  générales  relativement  à  la  nouvelle  colonie;  puis,  pas- 
sant à  un  autre  ordre  d'idées,  il  énumère  sommairement  les  droits  qu'il 
concède  aux  acheteurs,  puis  les  charges  qu'il  leur  impose.  Nous  allons  tâcher 
de  le  suivre  dans  cet  énoncé. 

A.  Dispositions  généuales. 

1.  «  Les  deux  villages  seront  désormais  réunis  en  un  seul,  et  divisés  en 
vingt-quatre  manses.  —  Deux  manses  libres  sont  données  en  fief  aux  chefs 
de  la  colonie.  » 

C'est  là  un  privilège  qui  est  commun  à  ces  derniers  avec  le  Unternehmer 
d'autres  endroits.  J'en  ai  dit  les  motifs  dans  les  préliminaires  de  cette  deuxième 
partie. 

2.  «  Une  manse  est  donnée,  avec  tous  les  avantages  qui  y  sont  attachés, 
à  l'église.  Cette  manse  sera  libre  de  toute  juridiction  de  l'abbé  et  du  Voigt.  » 

En  général,  les  colonisateurs,  princes  ou  évoques,  lâchaient  d'affecter 
une  église  à  chaque  colonie.  Mais  souvent  ces  colonies  n'étaient  pas  assez 
considérables  pour  pouvoir  former  une  paroisse  spéciale.  On  devrait  en  dire 
autant  pour  le  cas  actuel  ;  mais  il  est  probable  que  l'abbé  de  Ballenslàdt  aura 
eu  eo  vue  d'enlever  aux  Slaves  un  bon  nombre  do  villages  voisins,  et  d'y 
placer  des  Flamands  et  autres  colons. 

•  Voy.  mes  Docnments ,  n"  XII. 

Tome  XXXIL  32 


24-2  HISTOIRE 

B.  Droits  des  Flamands. 

«  Les  Flamands  posséderont  leurs  deux  villages  jure  suo;  ils  n'obéiroiil 
à  |)ersonne,  si  ce  n'esl  au  margrave  (Alberl  l'Ours)  ou  à  son  hérilier,  el 
c'est  sous  son  autorité  qu'un  plaid  général  sera  tenu  pour  eux  trois  fois  l'an. 
Enfin,  les  Flamands  jouiront  des  mêmes  droits  que  ceux  qui  furent  accordés 
aux  Flamands  qui  se  fixèrent  dans  les  États  propres  du  margrave.  » 

Pai'  ces  clauses,  l'alibé  exempte  les  Flamands  de  toute  juridiction  infé- 
rieure. Ce  qui  nous  confirme  dans  notre  opinion,  c'est  cette  autre  disposition 
par  la(iuelle  l'abbé  affranchit  la  manse  donnée  à  l'église  de  toutes  prétentions 
de  sa  part  et  de  toute  juridiction  d'un  Voigt.  Le  margrave  Alberl  était  Voif/l 
noble  du  couvent  de  Ballenstadt,  el  avait,  comme  tel,  la  juridiction  sur  ses 
biens  :  la  basse  justice  était  sans  doute  exercée  par  un  Voigl  de  noblesse  infé- 
rieure qui  partageait  les  bénéfices  des  procès  avec  le  couvent.  C'était  la  cou- 
tume ordinaire.  Les  Flamands  furent  soustraits  à  l'empire  de  ce  Voiyl  infé- 
rieur, puisqu'ils  étaient  soumis  immédiatement  au  Voigt  noble ,  c'est-à-dire 
au  margrave  '. 

Dès  lors,  il  me  semble  qu'ils  ont  dû  exercer  eux-mêmes  la  jundicliun 
inférieure,  représentée  ici  par  leur  maire.  Quand  nous  supposerions  que  le 
margrave  eût  pu  leur  imposer  un  Voigt,  il  n'en  est  pas  moins  vrai  qu'ils 
auraient  toujours  eu  un  tribunal  séparé  de  la  juridiction  inférieure  ordinaire 
des  autres  biens  du  couvent,  tribunal  dans  lequel  la  sentence  devait  être 
prononcée  d'après  le  droit  de  leur  pays,  et  par  des  échevins  pris  au  milieu 
d'eux.  Tel  fut,  sans  aucun  doute,  le  régime  sous  lequel  vivaient  les  Flamands 
(|ui  habitaient  les  États  du  margrave,  el  celle  organisation  nous  parait  avoir 
dû  être  étendue  aux  Flamands  de  Ballenstadt  '-. 

C.  Charges. 

L  Dime. —  «■  Les  Flamands  payeront  annuellement  à  l'abbé  la  dime  entière 
de  tout  ce  qu'ils  récolteront.  » 

'  Werscbo,!!,  p.  9!)1. 
•2  /(/.,  11,  p.  991. 


DES  COLONIES  BELGES.  243 

Faul-il  eiilendre  par  là  la  seule  récolle  des  blés,  et  exclure  les  peliles 
dîmes  {Sclimahehnten)?  L'expression  est  encore  plus  générale  que  celle  dont 
se  servit  l'évêque  de  Misnie,  et  elle  est  trop  vague,  pour  que  nous  hasar- 
dions une  interprétation  dans  un  sens  ou  dans  Taulrc. 

II.  Redevances. —  «  Ils  payeront  annuellement  de  ce  chef  deux  mesures  de 
seigle  et  deux  mesures  de  froment,  ainsi  que  deux  sols  de  leur  monnaie,  à 
la  fête  de  S'-Martin.  » 

Cette  imposition  a  évidemment  trait  à  chaque  ferme,  comme  nous  Pavons 
déjà  vu  pour  la  Misnie.  Il  est  fort  difTicilede  décider  quelle  quantité  de  blé  les 
Flamands  avaient  à  livrer,  d'après  nos  mesures  modernes.  L'expression 
latine  modius  se  traduit  généralement  par  boisseau;  mais  l'on  connaît  peu  la 
contenance  exacte  de  celte  mesure  à  l'époque  dont  nous  nous  occupons. 

Quoi  qu'il  en  soit,  la  redevance  en  question,  à  côté  de  la  dîme,  nous 
paraît  fort  onéreuse.  On  serait  tenté  de  croire,  au  premier  abord,  que  la 
raison  de  cette  charge  repose  sur  les  dispositions  conciliantes  des  Flamands, 
qui  se  seraient  laissé  imposer  des  conditions  plus  dures  que  les  Hollandais 
de  Brème  qui  ne  payaient  pas  autant;  mais  ce  n'est  pas  là  le  cas.  Nous 
trouvons  des  Hollandais  établis  dans  la  Goldene  Aùe  qui  payaient  vingt- 
huit  sols  pour  sept  fermes,  soit  par  ferme  (piatre  sols,  à  la  différence  des 
Hollandais  de  Brème  qui  ne  devaient  qu'un  sol  pour  la  même  superficie 
de  terrain  '.  Cette  raison  n'en  est  donc  pas  une. 

Je  pense  en  avoir  trouvé  une  meilleure.  Nous  avons  vu  un  peu  plus  haut  que 
les  Flamands  relevaient  directement,  sans  aucun  intermédiaire,  du  suzerain, 
Albert  l'Ours.  L'abbé  se  dépouille,  quant  à  eux,  de  toute  juridiction.  C'est  là 
une  concession  énorme,  et  dont  nous  ne  trouvons  nulle  pari  d'exemple.  Sans 
doute,  les  Flamands  tenaient  avant  tout  à  leur  indépendance;  mais  n'est-il 
pas  probable  qu'en  abdiquant  toute  influence  sur  eux,  l'abbé  se  sera  réservé 
au  moins  une  compensation  pécuniaire,  utile,  d'ailleurs,  pour  les  plans  de 
colonisation  qu'il  mûrissait? 

Que  si  celte  raison  n'était  pas  jugée  suffisante,  nous  chercherions  la  cause 
de  cette  lourde  redevance  dans  cette  circonstance  que  les  terres  de  la  haute 

'  Wersebe,!!,  p.  9!)G. 


244  HISTOIRE 

Saxe  et  de  la  priiicipaulé  trAnhall  étaieiU  plus  fertiles  el  plus  propres  à  la  cul- 
ture que  les  terres  de  Brème,  par  exemple,  qui  n'étaient  le  plus  souvent  (jue 
<les  marais  bourbeux,  eloù,  parlant,  les  colons  devaient  être  moins  imposés  '. 


SECTION  VF. 

SILÉSIE. 

I.  Les  expressions  [îamische  Rechi ,  famische  Hùfen,  se  rencontrent  fré- 
(|uomment  dans  les  sources  de  la  Silésie.  Nous  avons  vu  comment  ces  déno- 
minations ont  pu  se  glisser  dans  une  contrée  si  éloignée  de  la  Flandre,  c'est- 
à-dire  comment  elles  y  furent  importées  parles  émigrants  flamands.  Nous  en 
dirons  autant  de  la  mesure  flamande  qui  se  rencontre  en  Silésie  à  chaque 
instant.  Tel  est  aussi  l'avis  des  savants  éditeurs  du  Recueil  de  documents  de 
la  Silésie  ". 

Le  droit  flamand  y  dévint  en  quehpie  sorte  la  norme  générale,  à  tel  point 
(|u"au  bout  d'un  certain  temps  fldmische  Redit  et  deulsche  Recht  y  furent 
synonymes  ^. 

Quatre  villes  furent  fondées  d'après  le  fldmische  Recht ,  soit  que  les  Fla- 
mands aient  directement  participé  à  l'érection  de  ces  villes,  soit  que  les  fon- 
dateurs aient  pris  leur  droit  traditionnel  pour  base  dans  l'établissement  de 
ces  nouvelles  cités.  Ces  villes  sont  Neisse,  Kreuzbourg  (1274-),  Oltmacbau  el 
Ratibor  \ 

La  ville  de  Neisse  recul  \e  fldmische  Recht  bien  avant  1233,  puisque 
à  celle  époque  l'on  y  trouve  déjà  un  Voigt.  En  1308,  on  changea  cel  étal  de 
choses  pour  lui  octroyer  le  droil  de  iMagdebourg.  Mais,  au  bout  de  deux  ans, 
en  1310,  Henri,  évèque  de  Breslau,  révoqua  ce  dernier  droit,  l'expérience 
ayant  démontré  qu'il  était  plutôt  nuisible  qu'avantageux  ,  el  y  rétablit  le  droit 
flamand,  d'après  lequel  la  ville  avait  été  fondée  ^. 

•  Wersebe,  H.  p.  'J!t(i. 

-  Tzsclioppc  cl  Stenzcl,  pp.  107.  141. 
"^  /(L,  p.  101. 

*  ht.,  p.  104. 
^  Id.,  ]).  'J'J. 


DES  COLOiMES  BELGES.  245 

II.  Les  villages  qui  fureiil  fondés  d'après  le  droit  flamand  sont  plus  nom- 
breux. 

Paul,  cvèque  de  Posen,  convinl  en  1328,  avec  le  cloilre  de  Trebnilz, 
par  rapporta  la  dlme  du  village  de  Chociule,  près  Olobock,  qu'il  recevrait 
annuellement  de  chaque  ferme  flamande  trois  boisseaux  de  krossnich  '. 

Le  même  évèque  statua  aussi,  la  même  année,  que  chaque  ferme  flamande, 
à  Kutschiau  (près  Miihlbock,  0.  à  un  nulle  de  celle  ville;  S.  à  7i  mille  de 
Schwiebus),  payerait  deux  boisseaux  de  seigle  et  un  boisseau  d'avoine'. 

Thomas,  évèque  de  Breslau,  convint  avec  le  cloître  précité  (jue,  de  chaque 
ferme  flamande  à  Ganlko>v  (Monchdorf,  80.  2  '/s  milles  de  Liegnilz),  ainsi 
qu'à  Wrozna  (inconnu),  il  recevrait  cinq  scot  (?)  au  lieu  de  dime  '. 

Le  village  de  Zwant  (auj.  Bischdorf,  ONO.  '/i  mille  de  Neumarkt)  avait, 
en  1256,  septante-deux  fermes  flamandes. 

Celui  de  Slizow  (auj.  Schleisse,  S.  un  mille  de  Warlenberg)  en  avait 
quarante-deux,  en  12G0. 

Lorsqu'en  1261,  Uulno  (auj.  Randen,  NO.  un  mille  de  Freistadt)  fut 
fondé  selon  le  droit  flamand,  le  Schulz  obtint  deux  fermes  flamandes  libres. 

En  1265,  le  duc  Henri  désigna  un  district  près  Zirkwitz  (0.  "/i  mille 
de  Trebnilz),  comme  conte'nant  onze  fermes  flamandes. 

En  1270,  on  Ht  mention,  à  Stregoman  (Striegelmiihle,  ONO.  trois  milles 
de  Schweidnilz)  de  trois  fermes  flamandes. 

En  1274,  la  ville  de  Kreuzbourg  reçut  de  Henri  IV,  duc  de  Silésie- 
Breslau,  le  droit  flamand  *. 

En  1288,  Wolaw  fut  fondé  selon  le  droit  allemand  et  suh  mensura  hta- 
miiigorum. 

En  1289,  Prsediavice  (Prisselwitz,  SSO.  3  milles  de  Breslau)  conq)taii 
vingt-quatre  fermes  flamandes. 

En.  1292,  Kallenbrunn  (ONO.  1  mille  "'/i  de  Schvveidnitz)  en  comptait 

cinquante. 

'  Tzschoppe  et  Stenzel ,  p.  141. 

2  Id.,  p.  tK6.     . 

5  Id.,  p.  141. 

*  Voy.  mes  Documents ,  n°  XV. 


246 


HISTOIRE 


En  1309,  Faikowitz  (N.  cinq  milles  d'OppcIn  )  avait  vingt-cinq  fermes 
flamandes. 

En  1309,  Damnu'atsch  (N.  cinq  milles  d'OppeIn ,  E.  confinant  à  Falko- 
wilz)  avait  également  vingt-cinq  fermes  flamandes. 

En  13'I0,  Glumpiglau  (ONO.  V-  "l'Il^  tle  Neisse)  renfermait  dix-linit 
fermes  flamandes. 

Enfin,  en  1319,  F'rauendorf  (ENE.  ^ji  mille  d'OppeIn)  renfermait  vingt 
et  une  fermes  flamandes  '. 

il  est  évident  que  Pérection  de  villages  d'après  le  droit  germanique,  fla- 
mand ou  autre,  eut  lieu  en  Silésie,  de  très-bonne  heure;  car,  plus  tard,  les 
conditions  y  furent  beaucoup  moins  favorables  que  dans  le  principe  ^. 

m.  Voici  un  petit  tableau  synoptique  qui  servira  à  expliquer  pour  quelques 
villages  rimporlance  des  fermes  flamandes  '  : 


ANnÉe 

REDETAWCB 

Dîne 

delà 

NOmS  DES  VILLAGES. -SITUATION. 

pour 

pour 

FONDATION. 

CHAQUE    FERME. 

CH.\QUE  FERME. 

l'im. 

• 

1  ferto. 

4  boisseaux  de  froment, 
4de  seigle,  4  d'avoine. 

12o-. 

Zedlitz  (OSO.  1  mille  de  Steinau).  Fermes  flamandes. 

id. 

id. 

1239. 

PocEL  (SSO.  15/4  mill.  de  Wohlau).  Fermes 
droit  flamand. 

selon  le 

id. 

2  boisseaux  de  fromenl , 
5deseigIe,5d'avoine. 

1260. 

Slizow.  Fermes  flamandes    .... 

id. 

2  boisseaux  de  froment , 
4  de  seigle, 6  d'avoine. 

1261. 

Rauden.  Fermes  flamandes 

1288. 

WOLAW  (Alt-Wolaw,  NNO.  5'smill.  de  Wohlau! 
flamandes. 

Fermes 

4  boisseaux  de  froment , 
4  de  seigle ,  4  d'avoine. 

1  ferlo. 

1309. 

Falkowitz.  Fermes  flamandes 

2  urnes  de  miel  ou  1  ferto. 

'la  ferto. 

1309. 
1310. 
1319. 

Dammratsch.  Fermes  flamandes    .... 

id. 

3  ferto. 

8  boisseaux  de  seigle  et 

id. 
3  ferto. 
1  ferlo. 

Glumpiglau.  Fermes  flamandes 

Fhauendorf.  Fermes  flamandes     .... 

4  d'avoine. 

*  Tzschoppc  et  Stenzel ,  pp.  14t ,  142. 

^  Id. ,  p.  l  S6. 

^  Id.,  pp.  158-161. 


DES  COLONIES  BELGES.  247 

En  comparant  le  cens  el  la  dîme  des  villages  en  Silésie,  villages  qui  ont 
de  petites  fermes  ou  flamandes,  de  grandes  fermes  ou  franconiennes,  nous 
arrivons  à  la  conclusion  qu'en  général ,  bien  que  cela  ne  soit  pas  toujours  in- 
diqué par  les  sources,  on  mettait  sur  la  même  ligne  les  grandes  fermes  et  les 
fermes  franconiennes ,  les  petites  fermes  et  les  fermes  flamandes,  avec  cette 
réserve  toutefois  que  ces  dernières  étaient  plus  considérables  que  les  fermes 
slaves,  polonaises,  et  que  les  HakenJnifen,  ou  fermes  dont  les  terres  étaieni  la- 
bourées au  moyen  d'un  croc,  au  lieu  de  charrue. 

Les  fermes  franconiennes  devaient.  Tune  parmi  l'autre,  fournira  titre  decens 
et  de  dime  un  demi-marc  el  six,  souvent  même  douze  boisseaux  de  blé.  Par  là , 
nous  trouvons  la  solution  de  la  ditïérence  qui  existait  entre  le  droit  flamand 
elle  droit  franconien.  En  elïet,  nous  voyons  que  la  fondation  d'un  village, 
par  des  fermes  franconiennes  (/jer»mM50s/'ra»co/uc'Os),  ou  d'après  le  droit 
franconien,  ou  bien  par  des  fermes  flamandes  ou  d'après  le  droit  flamand,  se 
rapporte  à  la  contenance  des  fermes  el  au  caractère  foncier  de  la  perception  du 
cens  et  de  la  dime. 

Un  exemple  servira  à  éclaircir  ce  qui  précède.  Le  village  de  Zediilz  fui 
fondé  en  1237.  Il  est  dit  clairement  dans  l'acte  de  fondation  '  que  le  Schulz 
organiserait  le  village  d'après  le  droit  allemand;  les  fermes  situées  dans  les 
campagnes  ou  dans  les  bruyères  {campeslria  el  rubos)  d'après  le  droit  tla^ 
mand;  les  chênaies  el  autres  bois  [clambroviam  et  sUvestria)  d'après  le  droit 
franconien.  Les  fermes  flamandes  y  devaient  payer  un  ferto  et  douze  bois- 
seaux de  blé;  les  franconiennes  demi-marc  el  douze  boisseaux. 

En  somme,  en  comparant  les  charges,  là  où  elles  sont  explicitement  défi- 
nies, on  arrive  à  ce  résultat,  que  la  redevance  el  la  dime  comprennent  en 
général  la  valeur  de  trois  fertos  par  ferme  franconienne  el  de  deux  ferlos  par 
ferme  flamande;  de  sorte  que  la  proportion  des  fermes  franconiennes  el  des 
fermes  flamandes  était  comme  trois  est  à  deux  -. 

IV.  J'ai  dit  plus  haut  qu'au  bout  d'un  certain  nombre  d'années  on  ne  trouve 
l)lus  en  Silésie  aucune  dilTérence  essentielle  entre  les  villages  régis  par  le  droit 


'   Voy.  mes  Docvments ,  n°  XIII. 
-  Tzsclioppe,  p.  16ô. 


248  HISTOIRE 

allemand  ,  ol  ceux  où  le  droit  flamand  ou   le  droit  franconien  étaient  en 

usage. 

Cette  proposition  exige  quelques  développements.  D'après  les  sources,  il  n'y 
a  que  le  seul  village  de  Pogel,  près  de  Wohlau  ,  que  l'on  sache  avoir  été  fondé 
expressément  d'après  le  droit  flamand  '  et,  cependant,  à  en  croire  certains 
documents,  il  devrait  son  origine  au  droit  allemand,  d'après  lequel  furent 
fondés  tous  les  villages  situés  autour  de  Neumarkt.  Ces  villages  ont  servi  de 
tvpe  à  l'érection  de  la  plupart  de  ceux  auxquels  on  fut  dans  l'habitude  d'oc- 
trover  le  droit  allemand  ;  et  cela  est  si  vrai,  que  les  documents  qui  concernent 
Pogel  ne  contiennent  rien  qui  diflere  essentiellement  de  ce  droit. 

Toutefois,  il  faut  bien  qu'un  grand  nombre  de  villages  aient  été  fondés 
d'après  le  droit  flamand,  puisque,  comme  nous  l'avons  vu  ,  les  ducs  d'OppeIn 
et  de  Ralibor  statuèrent  formellement,  par  leur  diplôme  du  7  mai  1286  ^,  que 
tous  les  villages,  érigés  dans  leurs  Étals  d'après  le  droit  flamand,  ressorli- 
i-aient,  en  cas  de  contestation,  à  la  juridiction  de  Ratibor. 

Malgré  cela,  nous  trouvons,  toujours  d'après  les  sources,  que  les  villages 
situés  autour  de  Ratibor  furent  dotés  originairement  du  droit  allemand. 

A  quoi  donc  attribuer  cette  anomalie  ? 

Si  on  voulait  l'expliquer  en  mettant  sur  le  compte  d'une  destruction  pos- 
térieure l'absence  d'autres  documents,  je  répondrais  qu'il  est  étrange  que 
l'on  doive  déplorer  justement  la  perte  de  toutes  les  sources  qui  fourniraient 
des  renseignements  catégoriques  sur  les  villages  fondés  d'après  le  droit 
flamand.  Toutefois,  cet  argument  n'est  pas  absolu.  Il  est  évident  que  des 
sources  précieuses  furent  détruites  ou  égarées;  témoin,  par  exemple,  les 
Traités  du  droit  flamand  qui  existaient  encore  en  Silésie,  au  commencement 
du  quatorzième  siècle,  et  auxquels  se  réfère  l'évèque  Henri  de  Rreslau,  dans 
la  charte  qu'il  octroya  à  la  ville  de  Neisse  en  1310.  Le  passage  est  curieux 
et  mérite  d'être  encore  cité  '. 

«  Jus  m\m\c\\id\Q  flemingicnm...  damus  et  concedimus,  statuentes...  et 
volentes  quod  eodem  jure  fleminyico  ipsa  civitas  nosira  Nyza  de  cetero  uti 

'  Voy.  mes  Doniments,  n°  XIV. 

-  Voy.  Documents  et  pièces  jtistificatives ,  n"  XVI. 

^  /(/.,  n»  XVII. 


DES  COLONIES  BELGES.  249 

debeal  el  oïlinino  in  suis  jiuliciis  hoc  flemingicum  pis  lenere  in  omnibus 
ipsius  juris  arliculis,  clausulis  el  punclis.  prout  idem  jus  flemiiif/icmi  in 
siriplis  el  Ubris  iude  confectis  plane  et  lucide  invenilur  cxpressum...  » 

Il  n'est  donc  pas  impossible  que  des  chartes  de  fondalion  aient  également 
disparu.  Mais  il  est  plus  probable  que  les  deux  droits  —  flamand  el  alle- 
mand^ ont  fini  par  concorder,  de  manière  à  être  confondus  Tun  avec  l'autre; 
d'autant  que  les  dénominations  particulières  disparurent  pou  à  peu ,  et  que 
bientôt  Ton  ne  trouva  plus  que  les  expressions  :  grandes  et  petites  fermes , 
fermes  allemandes  :  inansi  ilieutouici. 

Cette  conjecture  approche  de  la  certitude,  lorsqu'on  jette  les  yeux  sur  le 
privilège  de  Henri  III,  duc  de  Silésie,  du  12  mars  1252,  privilège  par 
lequel  ce  prince  autorisa  Thomas  I ,  évêque  de  Breslau  ,  à  ériger  un  marché 
d'après  le  droit  allemand ,  et  à  donner  en  location  Zirkwilz ,  Neisse  et 
Wansen  : 

«  Nos...  concessimus  sibi  et  pcr  ipsum  Ecclesie  Wratislaviensi ,  quod  pos- 
set  locare  idem  forum  jure  theutonico  cum  terra  ibidem  adjacenti,  sul) 
eodem  jure  quod  habet  in  Nysa  vel  in  alio  foro  Venzow  '.  » 

Or  Neisse,  on  le  sait,  avait  été  originairement  doté  du  droit  flamand. 

Une  semblable  concession  du  droit  flamand  résulte  encore  d'une  manière 
plus  péremptoire  de  l'histoire  d'Ottmachau.  Par  un  diplôme  du  24  novem- 
bre 1347^  émané  de  Precislav,  évêque  de  Breslau,  cette  ville  reçut  le  droit 
allemand,  comme  postérieurement  et  par  diplôme  du  21  novembre  1348,  le 
même  prélat  lui  octroya  le  droit  flamand. 

«  Ex  nunc  id  opidum ,  prout  fossatorum  circumferencialium  continebi- 
tur  ambitu,  collocandum  in  jus  iheutonicum  duximus  ac  eciam  (ransmutan- 
dum,  volenles  ac  decernonles  ul  opidum  hujusmodi  hoc  jure  theutonico 
perpetuis  in  anlea  temporibus  perfrualur '.  » 

«  Quod  novam  planlacionem  opidi  nostri  Olhmuchoviensis...  pro  utililate 
ecclesie  nostre  Wratislaviensis  de  jure  Polonico  in  jus  theutonicum  flameuf/i- 
cum  duximus  transmulandum  '.  » 

'  Tzsrlidjipe,  Urkumlc  XXXWUl,  [>.'5'-2o. 
"-  Id.,  Urkunde  ClWll,  p.  358. 
=  /(/.,  Urkunde  CLXIIl,  p.  3C4. 

Tome  XXXII.  55 


2o0  HISTOIRE 

Il  y  a  plus  :  Par  un  privilège  du  1 7  janvier  1369,  le  même  évèque  octroya 
à  la  même  cité  le  droit  allemand, .dont  les  citoyens  se  serviraient,  de  même 
que  les  habitants  de  la  ville  de  Neisse  avaient,  dans  leur  cité,  usé  du  droit 
flamand. 

«  Praediclum  opidum  Otimuchau  pridem  localum  et  possessum  ,  ut  prae- 
miditur,  jure  polonico,  prout  sepium  et  fossatorum  antiquorum  circumfe- 
renlialium  continetur  ambitu  (in)  jus  theulonicum  transmutandum  et  locan- 
dum  decrevimus  et  locamus.  Volumus...  quod  Opidum  Ottmucbau  hoc  jure 
theutonico...  temporibus  perpetuis  perfruatur  '.  » 

Il  en  est  de  même  du  droit  franconien,  à  telle  enseigne  (pie,  dans  les 
sources,  h  jus  iheulonicain  est  parfois  synonyme  de  ce  droit.  Toutefois ,  les 
expi'essions  «  d'après  le  droit  flamand,  d'après  le  droit  allemand,  d'après  le 
droit  franconien,  »  doivent  encore  avoir  eu  parfois  dans  la  suite  une  signifi- 
cation spéciale  qui  nous  échappe  aujourd'hui;  car,  sans  cela,  ou  ne  les  aurait 
pas  employées  dans  ce  sens  -. 

Cette  observation  résulte  du  parallèle  même  que  j'ai  établi  plus  haut  entre 
le  cens  et  la  dîme  des  villages  qui  possédaient  des  fermes  flamandes  et  d'au- 
tres villages  qui  avaient  des  fermes  franconiennes.  11  existait  une  différence 
sensible  entre  ces  diverses  redevances. 

Cela  résulte  aussi  d'un  autre  point,  à  savoir  (pie  les  villages  fondés  d'après 
le  droit  flamand  jouissaient  de  tous  les  avantages  découlant  du  droit  allemand 
proprement  dit,  et  que  partant  ce  dernier  régime  finit  par  leur  être  généra- 
lement concédé;  seulement,  les  biens  furent  adjugés  aux  colons  d'après  la 
mesure  flamande,  laquelle  servait  ainsi  de  base  pour  calculer  la  quotité,  le 
(/uantum  du  cens  et  de  la  dime. 

Nous  avons  déjà  vu  ce  qui  en  était  pour  le  village  de  Zedlitz.  C'est  ce  (|ui 
arriva  aussi  pour  le  village  de  Berawa ,  qui  fut  peuplé  d'après  le  droit  alle- 
mand et  dont  les  fermes  furent  louées  d'après  le  droit  franconien  ''\ 

Au  droit  flamand  se  rattachaient  et  l'étendue  des  fermes,  et  le  chiffre  par- 
ticulier du  cens  et  de  la  dîme,  et  les  formalités  spéciales  lors  de  l'acquisi- 

'  Tzschoppe,  Vrkumk  f:LXXXIII,  p.  390. 

2  LangellKil,  II,  189. 

5  Tzschoppe,  Urkunde  CIX,  p.  483. 


DES  COLOMES  BELGES.  2o4 

tionde  la  propriété,  le  droit  héréditaire  ',  etc.  Il  résulte  évidemment  de  Ten- 
semble  des  diverses  matières  réglementées  parledroit  flamand, qu'il  concordait 
en  substance  avec  le  droit  allemand.  D'ailleurs,  les  villages,  quoique  régis  par 
des  droits  différents,  n'en  étaient  pas  moins  habités  par  des  paysans  libres, 
qui  possédaient  des  biens  libres,  mais  soumis  à  un  cens;  qui  avaient  un  Sc/nd- 
theisz  pris  au  milieu  d'eux;  qui  étaient  jugés  d'après  leur  propre  droit,  pou- 
vaient interjeter  appel  devant  leur  Seigneur,  et  qui  n'étaient  astreints  ni  à 
des  corvées ,  ni  à  des  services  personnels  '. 

Résumons-nous.  C'est  grâce  à  l'établissement  de  nos  colons  que  les  fermes 
des  villages  de  la  Silésie  prirent  pour  type  les  fermes  flamandes.  C'est  encore 
grâce  à  eux  qu'un  ensemble  de  droits  [fUmische  Rechl)  plus  favorables  que 
ceux  qui  y  étaient  en  usage,  devinrent  comme  la  source  d'un  droit  nouveau 
{deutsche  Rechl  — jus  theutonicum) ,  (jui  finit  par  être  le  droit  commun. 
iMais  il  est  dans  la  nature  des  choses  que  ce  qui  est  général  absorbe  peu  à 
peu  ce  qui  est  spécial.  Au  bout  d'un  certain  temps,  ledroit  allemand  s'identifia 
tellement  avec  le  droit  flamand  que  la  confusion  fil  oublier  ce  dernier.  Le 
jus  finitiemjicum  conserva  toute  sa  signification  juridique;  mais  l'expression 
même  [flmnische  Redit)  (jui  le  caractérisait  et  servait  à  le  désigner,  se  perdit 
à  la  longue.  Si  on  la  retrouve  encore  de  loin  en  loin,  ce  n'est  que  dans  des 
cas  particuliers  et  pour  être  opposée  au  droit  franconien  ou  au  droit  allemand, 
pris  alors  dans  son  acception  spéciale  première. 

SECTION  VII. 

BRANDEBOIRH. 

Quelques  années  après  la  fondation  de  Stendal ,  par  les  Flamands ,  ces 
derniers  obtinrent  d'importants  privilèges  d'Albert  l'Ours,  ce  qui  résulte 
d'un  diplôme  dont  nous  allons  faire  ici  une  courte  analyse  '\ 

"   Confoniii'-nient  au  droit  l]('mliUnre  llamaïui ,  i-n  viirueur  dans  la  Silésie  ,  la  femme  ol)tenait, 
à  la  mort  de  son  mari,  la  moitié  de  ses  biens,  ohnc  Aufijubi',,  dit  Tzselioppe  (p.  105). 
2  Langethal,  II,  190. 
''  Voy.  le  texte  dans  les  Doniiiieitts ,  n"  XXVII. 


252  HISTOIRE 


A.  Droits  et  privilèges. 


Le  mai'iïrave  donne  pour  Voigt  à  la  ville  de  Stendal,  un  nommé  Ollion.  Il 
accorde  aux  liabilanis  un  marché  public ,  ainsi  que  rexeniption  pour  cinq  ans 
de  tous  droits  de  douane  :  clause  uniquement  applicable  aux  étrangers  que  les 
intérêts  du  commerce  appelleront  à  Stendal.  Ceux  de  Stendal  même  sont  alTran- 
chis  à  perpétuité  des  droits  de  douane  dans  les  villes  du  margraviat ,  alors  exis- 
tantes, spécialement  désignées  dans  le  document,  et  qui  sont  :  Brandebourg, 
Havelberg,  Werben,  Arnebourg,  Tangermunde,  Osterburg  et  Salzwedel. 
Les  habitants  de  Stendal  seront  en  outre  régis  par  le  droit  de  IMagdebourg; 
ils  auront  la  faculté,  après  un  premier  jugement ,  d'en  appeler  au  banc  des 
échevins  de  Magdcbourg  même,  sous  la  juridiction  de  laquelle  ville  ils  se 
trouvent  déjà.  Enfin ,  ils  posséderont  le  susdit  marché  librement  et  à  titre 
héréditaire,  de  l'acon  à  pouvoir  le  vendre  et  à  en  disposer  selon  leur  bon 
vouloir. 

B.  Charges. 

Les  sujets  de  Stendal  payeront  annuellement,  pour  leur  marché,  une 
somme  de  quatre  deniers  {nummos).  Ils  supporteront  les  frais  des  procès, 
dont  deux  parts  reviendront  au  Margrave,  la  troisième  au  Voigl,  ou  à  ses 
héritiers.  Les  étrangers,  qui  iront  dans  la  suite  habiter  Stendal,  jouiront  des 
mêmes  avantages  et  contribueront  aux  frais  dans  la  même  proportion. 

Il  est  incontestable  (pie  le  bien-être  de  Stendal  fut  dû  aux  colons  llamands, 
c'est  Wersebe  qui  le  dit  '.  Bucholz  -  assigne  pour  date  au  diplôme  [)récité 
Tannée  1143;  et  cette  date,  nous  l'avons  vu  plus  haut,  n'est  probablement 
pas  antérieure  à  l'arrivée  des  premiers  Flamands.  Mais  Wersebe  prétend  que 
le  raisonnement  de  Bucholz  n'est  rien  moins  que  fondé. 

D'abord  ,  dit-il,  il  est  historiquement  prouvé  qu'avant  l'arrivée  des  colons, 
Stendal  n'était  (pi'un  hameau  inconnu  ^,  indigne  de  recevoir  des  privilèges 
comme  ceux  dont  il  est  question  dans  le  diplôme. 

<  Wersebe,  11,  p.  477. 

-  Bnindciilitirfi.  Gescliichte,  1,  41G.  Anliang,  n°  15. 

''  Langeihiil  (11,  p.  152)  est  du  même  avis;  mais  sa  conclusion  est  différenle  de  celle  île 
Wersebe. 


DES  COLONIES  BELGES.  2S3 

En  second  lieu,  Albert  TOurs,  au  commencement  de  Tacte,  prend  le 
litre  de  marquis  de  Brandebourg,  Brandeburyensis  w(rt>-cA/o,  et,  un  peu  plus 
loin,  il  compte  le  château  ou  ville  de  Brandeiiourg  au  nombre  de  ses  Etals: 
in  urbibus  dilionis  mew...  Braitdenburg.  Or,  il  ne  fil  la  conquête  de  Brande- 
bourg qu'en  1457.  Peut-on  supposer  qu'Albert  ait  pris  un  titre  qui  ne  lui 
appartenait  pas  encore,  ou,  pour  aller  plus  loin,  peut-on  admettre  que  les 
Flamands  se  soient  fixés  dans  un  pays  qui  appartenait  presque  en  totalité  à 
des  peuples  slaves?  Ces  deux  hypothèses  sont  également  inadmissibles  '.  Ce 
raisonnement  ne  laisse  pas  que  d'être  spécieux;  mais  il  est  historiquement 
faux,  ainsi  que  l'affirme  Wersebe,  que  la  prise  de  Brandel)0urg  n'eut  lieu 
(lu'en  1157.  Cet  événement  arriva  dès  1142,  et  j'ai  exposé  plus  haut  les 
motifs  qui  permelteni  de  conclure,  avec  une  certitude  presque  entière,  que 
les  premiers  immigrants  belges,  appelés  par  Albert  l'Ours,  se  fixèrent  dans  la 
Marche  entre  1143  et  1 150  '.  On  peut  donc  admettre  que  le  diplôme  date 
des  premières  années  du  règne  d'Albert,  alors  qu'il  était  déjà  maître  de  la 
majeure  partie  du  pays. 

Un  passage  de  ce  diplôme  a  donné  lieu  à  des  difficultés.  «  Les  Flamands, 
dit  Wersebe  "',  devaient  être  soumis  au  Voit/I ,  et  nous  croyons  qu'ils  auront 
accepté  avec  peine  de  telles  conditions.  Sans  doute,  le  propriétaire  de  colo- 
nies néerlandaises  se  réservait  le  plus  souvent  [meisteiUlœils)  le  droit  de  leur 
donner  un  Voigl  pour  juge;  mais  les  Flamands  avaient  généralement  leur 
juridiction  propre  qui  les  gouvernait  d'après  le  droit  de  leur  patrie,  ce  qui  ne 
me  fait  pas  douter  que  les  Voiyls  ne  fussent  aussi,  le  plus  souvent,  pris  parmi 
eux.  » 

Si  nous  sommes  heureux,  d'une  pari,  de  nous  rencontrer  avec  Wersebe, 
pour  ce  qui  regarde  l'indépendance  de  nos  compatriotes,  il  nous  est  impos- 
sible, de  l'autre,  de  nous  rallier  à  son  doute.  Dépasser  le  but,  c'est  manquer 
la  chose.  Le  raisonnement  de  31.  de  Wersebe  repose  sur  une  confusion 
dont  il  nous  sera  facile  de  démêler  les  réseaux.  Nous  avons  vu  plus  haut 
que  les  Flamands  avaient  m\Q  juridiction  propre,  et  nous  avons  dit  en  quoi 

'  VVcrscbc,  II,  pp.  477,  478. 

2  \oy.  Division  11,  chap.  Il,  p.  112. 

^  Wersebe,  p.  478. 


2S4  HISTOIRE 

elle  consistait.  Or,  quel  changement  le  diplôme  d'Albert  introduit-il  à  cet  état 
de  choses?  Aucun.  Les  Flamands  conservent  le  droit  de  nommer  le  Sc/ud- 
theisz,  qui  était  pris  parmi  eux,  mais  non  pas  toujours  le  Voigf,  témoin 
révè(|ue  de  Misnie.  Le  ScJndtheisz,  n'ayant  pas,  dans  l'espèce,  à  rendre 
la  justice,  ne  retire  pas  non  plus  sa  part  d'honoraires  attachés  à  celte  fonction. 
Dès  lors,  nous  ne  voyons  pas  comment  les  Flamands  auraient  eu  à  se  plaindre 
de  la  mesure  d'Albert  l'Ours,  et  Tobservalion  de  M.  de  Wersebe  tombe  à 
faux. 

SECTION   VIII. 

CERCLE    DE    BITTERFELD. 

.l'ai  dit,  dans  la  première  Partie,  que  le  dernier  privilège  que  les  Fla- 
mands eussent  conservé  jusque  vers  le  milieu  du  siècle  dernier,  était  l'exemp- 
tion d'impôts.  Ils  avaient  eu  autrefois,  comme  les  autres  colons^,  une  juridiction 
administrative  et  judiciaire  indépendante  ;  mais  ce  droit  leur  fut  enlevé  il  y  a 
près  de  deux  cents  ans.  Ce  qui  a  survécu  de  leur  colonie,  après  les  vicis- 
situdes et  les  transformations  de  sept  siècles,  est  la  Flemigs  Societael,  qui  offre 
encore,  sous  plusieurs  rapports,  le  caractère  des  anciennes  giides  germani- 
(]ues.  Cette  société,  dont  j'ai  raconté  ailleurs  l'organisation  actuelle,  possède 
des  archives  qui  n'ont  jamais  été  examinées.  Grâce  à  la  bienveillance  des 
Flamands  de  Bitterfeld,  j'ai  été  assez  heureux  de  pouvoir  les  dépouiller.  J'y 
ai  trouvé,  à  côté  d'une  foule  de  comptes  et  de  notes  sans  importance,  deux 
Codes  obligatoires  pour  tous  les  sociétaires;  le  premier  date  de  1387,  le  se- 
cond de  1776.  Comme  ces  Codes  n'ont  jamais  été  publiés,  et  qu'ils  renfer- 
ment des  dispositions  qui  ne  sont  pas  sans  importance  pour  la  connaissance 
du  régime  de  la  propriété  du  sol,  dans  les  anciennes  colonies  flamandes,  je 
crois  qu'il  sera  plus  intéressant  et  plus  utile  d'en  publier  ici  la  traduction  com- 
plète que  d'en  offrir  une  analyse,  si  exacte  qu'elle  pourrait  être. 

Le  premier  de  ces  deux  Codes  '  rédigé  en  1587,  par  Hermann  Barthold  , 
bourgmestre  de  Bitterfeld  et  président  de  la  Société ,  porte  l'intitulé  suivant  : 

'   Voy.  mes  Docnments,  ii"  XXIll. 


DES  COLONIES  BELGES.  255 

«  Le  (|uc  les  Flamands  auront  à  régler  entre  eux  et  comment  ils  se  con- 
duiront a  été  décidé  autrefois  d'après  les  indications  des  registres.  » 

L  Et  d'abord,  ils  auront  à  juger  les  injures  réciproques,  lorsqu'un  mend)re 
aura  fait  des  emprises  dans  le  bois  ou  sur  le  champ  de  son  voisin ,  et  qu'il 
n'obéit  point  aux  injonctions  de  la  société;  lorsque,  mis  en  demeure,  il  se 
retire  et  enlève  à  un  autre  ce  qui  lui  appartient. 

IL  Personne  ne  pourra  prétexter  cause  d'ignorance,  pour,  n'importe  en 
quelle  matière,  recourir  à  une  autre  autorité,  sous  peine  de  vingt  gros. 

On  en  trouve  un  exemple,  en  1349,  au  temps  où  vivaient  Maurice  Poyda 
et  Thomas  Zanderz,  jadis  seigneurs  llamands. 

III.  En  régie  générale,  personne  ne  vendra  son  bois  si  ce  n'est  à  un  Fla- 
mand. Que  s'il  transporte  ailleurs  son  bois,  dans  le  but  de  pouvoir  par  là  tra- 
duire des  étrangers  devant  d'autres  tribunaux,  il  encourra  une  peine  de  trois 
gros. 

IV.  Si  quelqu'un  veut  faire  couper  le  bois  (|ui  croit  sur  son  champ,  il  invi- 
tera à  cet  eflet  ses  deux  voisins,  et  martèlera  ou  marquera  le  tout,  sous 
peine  de  la  dite  amende. 

V.  Si  quelqu'un  fait  avec  sa  charrue  des  emprises  sur  le  fond  du  voisin, 
celui-ci  devra  d'abord  porter  plainte  contre  lui  devant  les  seigneia-s  flamands. 
Que  si  les  parties  ne  peuvent  pas  s'arranger,  le  plaignant  pourra  alors  seule- 
ment traduire  son  adversaire  devant  une  autre  autorité,  sous  peine  de  trente 
gros. 

VI.  Lorsqu'un  nouveau  propriétaire  entre  dans  la  Société  des  Flamands, 
il  se  présentera  aux  seigneurs,  avec  obligation  de  se  faire  inscrire  dans  la  ma- 
tricule ou  registre  des  Flamands,  sous  peine  de  vingt  gros. 

VIL  Quand  les  Flamands  sont  assemblés,  et  que  quelquim,  sans  un 
motif  sullisant,  leur  cherche  chicane,  élève  des  querelles,  ou  leur  lance  des 
mots  infamants,  il  devra  comme  peine  donner  un  quart  de  tonne  de  bière. 

VIII.  Les  prairies  libres  seront  tous  les  ans  attribuées  à  leurs  anciens  pos- 
sesseurs; celui  qui  refusera,  perdra  sa  prairie. 

IX.  Tous  les  trois  ans,  au  plus  tard,  on  vérifiera  de  nouveau  les  limites; 
celui  qui,  volontairement,  fera  défaut  à  cette  opération  encourra  une  amende 
de  vingt  gros. 


256  HISTOIRE 

X.  A  coté  de  la  mention  faite  dans  l'ancien  livre,  on  a  aussi  indiqué  dans 
les  nouveaux  le  nom  de  ceux  qui,  à  l'époque  actuelle,  ont  beaucoup  négocié, 
vendu  ou  échangé,  afin  que  l'indication  ne  laissât  rien  à  désirer,  et  pour 
qu'on  pût  la  reconnaître  et  trouver  d'une  manière  plus  exacte. 

Le  second  Code  est  beaucoup  plus  long,  plus  explicite  et  plus  complel.  Les 
droits  de  la  société,  les  attributions  du  conseil  qui  la  dirige,  et  les  devoirs  des 
membres  y  sont  nettement  définis,  il  ne  contient  rien  d'ailleurs  (pii  ne  fut  en 
usage  depuis  des  siècles  '. 

CODE 

DINE  HONORABLE  SOCIÉTÉ  DES  FLAMANDS, 

Conteiianl   non-seulement  les   ordonnances  et  règlements  originaux. 

tels  qu'ils  ont  été  décrits  en  1887,  par  le  bien  méritant  bourgmestre 

et  Président  des  Flamands,  Hermann  Barthold,  et  tels  qu'ils  ont 

été  continués  dans  l'ancien  livre  terrier  des  Flamands,  mais 

encore  les  lois  portées  après  lui,  avec  la  signature  des 

membres  collectifs,  actuels  et  futurs  de  la  Société, 

réuni,  corrigé  d'après  les  besoins  de  l'époque  i 

actuelle,  et  rédigé  dans  l'ordre  suivant. 


M.  Jean-Christophe  Rackelmann, 


Diacre  tlaiis  celle  viUe  . 


Présenté  le  30  juin   mo. 


Comme  aucune  société  constituée  ne  saurait  exister  sans  de  bonnes  lois, 
et  sans  leur  stricte  observance,  l'honorable  société  des  Flamands  d'ici  a,  dans 
son  assemblée  tenue  à  la  Pentecôte  de  l'année  1770,  décidé  que  non-seule- 
ment les  anciennes  ordonnances  et  règlements,  tels  qu'ils  ont  été  réunis  par 
le  l)ien  méritant  bourgmestre  et  président  de  la  société  des  Flamands ,  Her- 
mann Barthold,  en  IS87  ,  seraient  renouvelés  et  amendés  d'après  les  besoins 

'  Voy.  mes  Documents ,  n"  XXli. 


DES  COLOrSIES  BELGES.  2o7 

de  Tépoquc  acUielle,  mais  encore  que  les  actes  constatés  postérieurement  par 
les  procès-verbaux  et  les  comptes  annuels,  ainsi  que  ceux  qui  existent  actuel- 
lement, seraient  collectionnés  et  classés  dans  l'ordre  suivant. 


CHAPITRE  1. 

DES  MEMBRES  DE  LA  SOCIÉTÉ  EN  GÉNÉRAL. 

I.  Les  possesseurs  collectifs  des  charrues  flamandes  formeront,  à  l'avenir, 
d'après  la  coutume  qui  existe  ici  depuis  plusieurs  siècles,  une  société  dont  ils 
seront  considérés  comme  membres. 

II.  Celui  qui  a  acheté,  hérité  ou  acquis  par  mariage  une  Flemigs-Hufe , 
soit  en  tout,  soit  en  partie,  se  rendra  chez  le  président  actuel ,  inscrira 
son  nom  dans  le  Code ,  déclarera  sa  volonté  de  se  conformer  aux  statuts,  et 
payera,  une  fois  pour  toutes,  pour  son  affiliation,  à  la  caisse  commune, 
4-  Reichsthaler. 

III.  Pour  lors  ,  il  se  fera  indiquer  les  biens  communs,  consistant  en  bois 
et  en  prairies,  et  qui  appartiennent  à  la  catégorie  des  charrues  ordinaires. 
Cependant,  comme  ces  biens  ne  sont  pas  labourés,  et  que,  à  cause  des  avulsions 
occasionnées  par  la  Mulde  et  des  travaux  hydrauliques  (jui  par  là  y  ont  été 
nécessités,  quelques-uns  n'ont  pu  être  exploités  et  partant  sont  restés  réunis , 
il  se  fera  conduire  parle  garde-bois  sur  les  terrains  bas  de  Fridersdorff,  les- 
quels, par  la  rupture  violente  des  digues  de  la  Mulde,  rupture  qui  eut  lieu 
en  1473,  ont  été  abrités  contre  les  eaux,  et  il  se  fera  renseigner  sur  leurs 
limites  et  leurs  bornes. 

D'après  l'usage,  il  oflVira  au  garde-bois  un  pourboire  à  volonté. 

IV.  Celui  qui  a  l'intention  de  vendre  sa  ferme  la  présentera  d'abord  à  \\\\\ 
ou  à  l'autre  membre  de  la  société,  et,  s'ils  ne  peuvent  pas  tomber  d'accord, 
il  fera  connaître  l'acquéreur  étranger,  qui  offre  le  plus  grand  prix,  au  prési- 
dent ,  afin  (pie  celui-ci  ne  soit  pas  forcé  d'accepter  pour  acheteur  une  personne 
désagréable  à  la  société,  dont  la  réputation  a  souffert  quelque  atteinte,  et 
sur  le  choix  de  laquelle  on  pourrait  lui  faire  des  reproches. 

Tome  XXXII.  54 


2oS  HISTOIRE 

V.  Chaque  membre  aura  pour  le  moins  une  demi-charrue,  el  si,  lors  du. 
partage  par  suite  de  succession,  les  parents  ne  peuvent  pas  s'accorder  et  se 
la  partager,  un  seul  d'entre  eux  sera  admis  à  rassemblée  où  il  obtiendra,  pour 
son  droit  dans  la  communauté,  la  part  dont  il  devra  se  contenter. 

VI.  Personne  ne  pourra  s'approprier,  de  son  chef,  en  tant  que  de  la  Com- 
munauté, soit  du  bois, de  l'herbe,  des  fruits  sauvages,  ou  autres  choses  sem- 
blables :  il  devra  attendre  avec  patience  l'époque  à  laquelle  ces  derniers  se 
cueillent, sous  peine  de  20  gros. 

VII.  Lors  du  transport  du  produit  annuel  du  bois,  personne  n'enlèvera 
soi-disant  par  erreur  le  lot  de  son  voisin,  soilque  ce  lot  soit  déjà  exposé  en 
vente,  soit  que  le  bois  reste  en  place,  sous  peine  de  verser  douze  gros  dans 
la  caisse,  et  de  replacer  le  bois  à  l'endroit  même  où  il  a  été  détourné. 

VIII.  Conformément  aux  usages  usités  quant  aux  forêts,  les  nouvelles 
plantations  seront  ménagées.  On  n'y  pouira  pogit  mener  les  brebis,  ni  les  y 
laisser  brouter,  ni  faucher.  Quant  aux  autres  plantations,  il  sera  permis 
exclusivement  aux  cultivateurs  flamands,  à  leurs  domestiques  flamands  el  à 
leurs  femmes  de  peine  d'y  mener  et  d'y  laisser  brouter  les  brebis,  mais  ni  la 
nuit,  ni  pendant  le  service  divin,  sous  peine  de  douze  gros. 

IX.  De  même,  dans  les  bas-fonds  et  marais  des  propriétés  privées,  on 
n'admettra,  hormis  les  ouvrières  AesFlemigs-hùfen  et  dQsRillerhàfen,  aucune 
femme  d'ouvrier,  aucune  étrangère  ou  autres  qui  ne  possèdent  ~|)as  un  champ 
et  surtout  qui  n'appartiennent  pas  à  la  commune;  mais  si  elles  y  vont,  on  les 
arrêtera. 

X.  Personne  ne  pourra ,  sous  peine  de  dix  gros ,  nuire  à  son  voisin ,  faire , 
sans  le  consentement  de  celui-ci,  une  emprise  sur  les  limites  de  son  champ 
pour  en  augmenter  le  sien,  afin  que  l'égalité  soit  maintenue  entre  les  terres 
(jue  l'on  a  autrefois  partagées  d'une  manière  égale. 

XI.  Celui  qui  voudra  faire  abattre  du  bois,  sur  sa  propriété  privée,  devra, 
si  la  moindre  contestation  pouvait  s'élever,  avertir  son  voisin  et  le  garde-bois 
et  faire  marteler  par  celui-ci  les  arbres  qui  se  trouvent  sur  sa  parcelle,  afin 
que  plus  tard  aucune  réclamation  ne  puisse  avoir  lieu. 

XII.  Celui  qui,  ne  se  conformant  pas  à  cette  disposition,  est  attaqué  par  son 
voisin,  ne  pourra  pas  enlever  le  bois  avant  qu'il  ne  se  soit  entendu  à  l'amiable 


DES  COLOrSIES  BELGES.  259 

avec  lui,  sous  peine  de  seize  gros  à  verser  dans  la  caisse,  el  moyennant  dédom- 
magemenl  au  voisin. 

XIII.  Que  si  eux-mêmes  ne  parviennent  pas  à  tomber  d'accord,  la  parlic 
lésée  sollicitera  du  président  une  visite  de  lieux,  suivie  d'un  jugement; 
l'autre  partie  se  soumettra  à  cette  décision  équitable,  payera  les  frais  et  indem- 
nisera son  adversaire. 

XIV.  Personne  ne  se  refusera  à  acquitter  l'amende  (|ui  lui  a  été  é(|uila- 
blement  infligée,  ni  ne  permettra  que,  pour  l'avenir,  elle  soit  déduite  de  son 
bénéfice. 

XV.  Celui  qui,  dans  les  assemblées  publiques,  aura  soit  à  proposer  quelque 
chose,  soit  à  se  plaindre ,  le  fera  avec  circonspection,  sans  cris  ni  acrimonie, 
sans  railleries  ni  injures,  sans  jurons  ni  blaspbèmes,  sous  peine  de  douze  gros. 

XVI.  Quand,  à  tour  de  rôle,  des  charriages  sont  exigés,  personne  n'en 
sera  exempt,  ni  ne  pourra  rester  chez  soi;  dans  le  cas  contraire,  il  devra 
payer  au  garde-bois  les  charriages  que  celui-ci  a  ordonnés;  toutefois,  le  pré- 
sident, usant  d'équité,  ne  les  exigera  pas  quand  ceux  qui  doivent  atteler  ont 
nécessairement  à  s'occuper  sur  leurs  champs. 

XVII.  Quant  aux  inspections  et  payements,  le  président,  accompagné  de 
son  assesseur  et  du  greffier  des  Flamands,  expédiera  en  premier  lieu  les  Fla- 
mands récemment  arrivés,  afin  qu'ils  connaissent  nos  biens  communs  dispo- 
nibles de  nos  charrues,  ainsi  que  nos  droits  et  obligations,  et  qu'après  cela 
ils  suivent  la  série  des  terres  qui  leur  ont  été  signalées. 

XVIII.  Quand  une  assemblée  est  annoncée  par  le  garde-bois,  personne 
ne  peut  y  faire  défaut  sans  une  excuse  plausible,  surtout  quand  la  déli- 
bération a  pour  objet  des  affaires  importantes  qui  concernent  la  communauté, 
sous  peine  de  huit  gros. 

XIX.  Chacun  aura  son  IIu/fiier-Buch  particulier,  en  tète  duquel  les  pré- 
sentes lois  seront  inscrites. 

XX.  Et,  comme  tous  les  membres  ne  possèdent  pas  un  pareil  livre,  il 
sera  donné  lecture  de  ces  lois  dans  l'assemblée  annuelle  de  la  Pentecôte, 
afin  que  personne  ne  puisse  s'excuser  pour  cause  d'ignorance. 

XXI.  Pareillement,  on  ne  commencera  ni  à  boire  ni  à  trinquer  avant  que 
les  comptes  n'aient  été  approuvés,  justifiés  et  signés,  et  que  les  autres  affaires 
nécessaires  qui  concernent  la  communauté,  n'aient  été  discutées  et  décidées. 


260  HISTOIRE 

CHAPITRE  II. 

DU  PRÉSIDENT  ANNUEL. 


I.  Quand  le  piésidcnl  en  fonclion  a  remis  son  compte  annuel,  il  est 
remplacé  par  celui  qui ,  Tannée  précédente ,  a  été  élu  comme  assesseur  à  la 
pluralité  des  voix.  Que  s'il  meurt  avant  cette  époque,  la  société  sera  con- 
voquée en  corps,  et  délibérera  si  le  compte  doit  être  continué  par  les  héri- 
tiers du  défunt,  ou  s'il  faut,  séance  tenante,  en  choisir  un  autre  à  celte  fin. 

II.  Le  nouveau  président  se  fera  remettre  par  son  devancier  la  petite 
armoire  contenant  les  pièces  inventoriées,  les  clefs  des  deux  autres  armoires 
des  archives  du  conseil  qui  se  trouvent  à  Féglise,  ainsi  que  le  monlani  des 
espèces  sonnantes  et  autres  ressources. 

III.  Il  exécutera  fidèlement  ce  qui  lui  aura  été  indiqué  par  la  société  dans 
ra.ssemblée  de  la  Pentecôte,  indiquera  et  mettra  en  délibération  commune 
ce  (jui  peut  être  nécessaire  ou  utile,  et  ne  proposera  rien  d'important  ni  de 
grave  pour  lui-même  sans  l'appui  de  son  assesseur,  et  sans  que  toute  la 
société  ait  été  réunie. 

IV.  11  fixera  toute  son  attention  sur  les  terres  situées  près  de  la  Mulde, 
sur  les  marais,  digues,  fossés,  chemins  et  limites,  et  fera  examiner  le  tout, 
afin  que  le  dommage  puisse  être  réparé  à  temps  et  à  peu  de  frais. 

V.  Notamment,  une  fois  par  an,  accompagné  de  son  assesseur  ou  bien 
l'un  d'eux,  en  présence  du  garde-bois,  il  visitera  les  bas-fonds  de  Frieders- 
dorff  et  les  travaux  hydrauliques  qui  y  ont  été  construits,  examinera  les 
bornes  et  pieds  corniers,  puisque  les  anciens  qui  formaient  pour  la  caisse  une 
charge  si  lourde  sont  supprimés  et  n'y  sont  plus  nécessaires,  par  le  motif 
que  nous  en  possédons  le  plan  très-exact,  fait  par  Schaumann. 

VI.  Quand  il  sera  nécessaire  de  cultiver  et  d'amender  les  terres,  il  enga- 
gera les  ouvriers,  et  prendra  soin  que  le  tout  soit  fait  avec  diligence. 

VII.  Il  aura  le  maniement  des  espèces  qui  sont  ducs  à  la  caisse ,  les  fera 
rentrer  en  temps  utile,  en  aura  soin,  et  en  fera  ,  dans  l'inlérêl  commun,  la 
meilhnire  application  possible,  pour  qu'en  cas  de  réclamation,  il  soit  tou- 
jours à  urême  de  rendre  compte  tant  en  recettes  qu'en  dépenses. 


DES  COLOÎSIES  BELGES.  261 

VIII.  Il  n^ndiquera  pas  d'autres  arbres  à  abattre  que  ceux  qui  se  Irouvenl 
dans  Tordre  prescrit,  pour  qu'on  puisse  toujours  s'en  tenir  aux  dix-buil  dont 
il  a  été  convenu  dès  le  principe  :  de  plus,  il  tiendra  la  main  à  ce  que  les 
éniondeurs  fassent  des  lots  bien  fournis  et,  autant  que  possible,  d'une  con- 
tenance égale;  qu'ils  n'abattent  que  les  chênes  qui  se  meurent,  qui  sont 
placés  trop  près  l'un  de  l'autre,  dont  on  ne  peut  faire  aucun  usage,  et  qu'au- 
cun chêne  propre  aux  consiruclions  ne  soit  vendu  sans  le  consentement  de 
la  société. 

IX.  11  fera  planter,  aux  endroits  vides,  toutes  sortes  de  bois  de  raspe,  qui 

convient  au  terrain. 

X.  Il  louera,  d'après  l'usage  observé  ici,  et  autant  que  possible  pour  un 
terme  de  six  ans,  au  plus  olTrant  et  à  des  personnes  solvables,  les  prairies 
communes,  aussi  bien  les  petites  que  les  grandes.  Toutefois,  si  les  prix  de 
location  en  étaient  trop  bas,  il  en  délibérera  avec  loule  la  société  dans  l'as- 
semblée qui  se  tient  à  la  Pentecôte,  et  si,  là,  il  tombe  d'accord  avec  les 
preneurs,  il  fera  parvenir  à  ceux-ci  le  contrat  par  l'intermédiaire  du  greffier 
des  Flamands. 

XI.  Il  doit,  en  cas  de  location,  de  vente  de  bois,  de  bâtisse,  au  cas  qu'un 
procès  ait  lieu,  et  autres  circonstances  semblables,  consulter  d'abord  sou 
assesseur  de  même  que  le  greffier  des  Flamands,  et,  en  cas  de  besoin,  la 
société  réunie  en  corps. 

XII.  Il  ne  s'attribuera  personnellement  rien  de  ce  qui  appartient  à  la  com- 
munauté, en  fait  de  bois,  herbages  ou  fruits  sauvages,  pas  même  les  dé- 
combres des  bâtisses;  mais  il  les  offrira  en  vente  au  plus  offrant,  n'en  fera 
lui-même  aucun  commerce  furtif  et  ne  le  permettra  pas  aux  autres. 

XIII.  Au  cas  qu'il  soit  invité  dans  les  bois  ou  dans  les  prairies,  soit  pour 
faire  une  visite  de  lieux ,  soit  pour  décider.une  contestation ,  accompagné  de 
l'assesseur,  du  garde-bois,  et,  en  cas  de  besoin,  du  greffier  des  Flamands, 
sur  les  lieux  contentieux,  il  examinera  le  tout  minutieusement,  écoutera  avec 
patience  les  griefs  de  chacun ,  mûrira  bien  leurs  dires ,  fera  mesurer  et  ar- 
penter le  tout,  et  prononcera,  sans  acception  de  personnes,  un  jugement 
impartial,  afin  que  la  partie  lésée  ne  soit  pas  forcée  de  demander  justice  à 
l'autorité  ordinaire. 


262  HISTOIRE 

XIV.  Il  assistera  aux  loteries  ordinaires,  afin  qu'en  général  elles  ne  de- 
viennent pas  une  charge  pour  la  caisse;  à  reffel  de  quoi  l'honoraire  du  pré- 
sident a  été,  dans  les  derniers  lemps,  à  cause  des  grands  travaux  qui  ont 
été  exécutés  le  long  de  la  Mulde,  augmenté  de  4  reichsihalers,  pour  Tiii- 
demniser  de  ses  peines  et  de  ses  courses. 

XV.  Il  doit  lâcher  d'éviter  avec  soin  tout  ce  (jui  serait  de  nature  à  causer 
un  préjudice  à  la  société,  diligenler  fidèlenienl  tout  ce  qui  peut  tendre  à  son 
bonheur,  à  sa  prospérité,  au  maintien  du  bon  ordre,  et  faire  tous  ses  efforts 
pour  que  les  présentes  lois  soient  strictement  observées. 

XVI.  Il  apprêtera  et  clôturera  son  compte  quinze  jours  avant  la  Pente- 
côte, afin  que,  par  l'intermédiaire  du  garde-bois,  il  puisse  être  présenté  à 
chaque  membre  de  la  société,  vérifié  et  contrôlé. 


CHAPITRE   III. 

Dt  L'ASSESSEUR. 


I.  Ce  fonctionnaire  est  aussi  élu  annuellement,  à  la  pluralité  des  voix, 
dans  l'assemblée  générale  qui  se  lient  à  la  Pentecôte,  après  que  le  compte  a 
été  rendu. 

Si  deux  candidats  obtiennent  chacun  un  nombre  égal  de  voix,  et  qu'aucun 
d'eux  ne  veuille  se  désister  volontairement  de  sa  nomination,  on  tire  au  sort. 

Personne  ne  votera  pour  lui-même,  ni  ne  cherchera,  avant  la  séance,  à 
subtiliser  les  voix  des  autres  membres,  sous  peine  d'une  amende  de  trente  gros 
et  de  l'annulation  de  l'élection. 

II.  Il  se  fera,  surtout  s'il  a  été  choisi  pour  la  première  fois,  indiquer  et 
désigner  striclement  nos  biens  communs  composés  de  bois  et  de  prairies ,  de 
même  que  leurs  séparations  et  limites. 

ni.  Il  surveillera,  conjointement  avec  le  président ,  ou  seul,  en  cas  d'em- 
pêchement de  celui-ci ,  les  ouvriers  et  gens  de  peine,  et  leur  fera  part  de  la 
conduite  (|ue  dorénavant  il  tiendra  vis-à-vis  d'eux. 

IV.  Il  diligentera  la  rentrée  de  ce  que,  pendant  l'année  de  son  exercice, 


DRS  COLOIVIES  BEL(.ES.  263 

le  président  n'a  pas  pu  récupérer.  Il  prévoira  pour  Tavenir  el  contrôlera  ce 
que,  dans  Tinlérêt  général,  les  membres  ont  le  plus  besoin  d'amender  et  de 
cultiver  à  temps. 

V.  Cesl  alors  seulement  cpi'il  touchera  de  la  caisse  les  4  Heichsthaler  des- 
tinés uniquement  aux  assesseurs  diligents. 

CHAPITRE  IV. 

DU  GREFFIER  DES  FLAMANDS. 


I.  Les  lonclions  de  grelïler  ou  de  teneur  de  livres  seront  toujours  dé\o- 
lues  à  un  jurisconsulte  de  la  société. 

En  cette  qualité,  il  rédigera  les  procès-verbaux,  y  aclera  ce  qui  est  néces- 
saire, aidera  de  ses  conseils  ceux  qui  sont  sur  le -point  d'avoir  des  diflicullés 
ou  des  procès,  recherchera  dans  l'armoire  les  anciens  documents  et  défendra 
les  droits  des  membres. 

II.  Il  besognera  le  tirage'  au  sort  des  bois,  ainsi  que  la  spécification  qui 
annuellement  doit  être  remise  aux  accises  générales. 

■  III.  Il  préparera,  scellera  el  insérera  au  registre  des  procès-verbaux  les 
baux ,  tant  ceux  qui  concernent  les  bas-fonds  de  Fricdersdorff,  les  pi'airies 
de  Boulier  el  de  Rodlenkopff,  que  les  autres  petites  prairies  de  la  commu- 
nauté, et  recevra  des  preneurs,  savoir  :  pour  un  bail  de  la  première  caté- 
gorie, 2  Reichsthaler,  el  |)Our  ceux  de  la  seconde  classe,  une  somme  pro- 
portionnée  à  leur  importance. 

IV.  Il  accompagnera  (le  président  el  l'assesseur)  lors  de  l'inspection  et  du 
tirage  au  sort  ordinaire  des  bois;  el,  en  cas  de  difficulté,  il  aidera  à  juger  le 
diflerend  avec  impartialité. 

V.  Quand  la  société  est  réunie,  il  lui  fera  aussi  Rapport,  notamment  lors 
de  la  remise  des  comptes  annuels  qu'il  doit  besogner,  el  vérifiera  avec  zèle 
s'ils  sont  exacts  quant  à  leur  calcul.  Il  émettra  sur  eux  son  jugement,  fera 
valoir  ses  souvenirs  avec  ses  observations,  el  proposera  ce  qui,  pour  l'année 
suivante,  doit  être  besogné. 

VI.  Il  reçoit  annuellement  pour  cette  besogne  un  lot  de  fagots  de  chêne; 


264  HISTOIRE 

ou,  à  leur  défaut,  un  bon  schock  de  branchages,  ou  bien  2  Reiclislhaler , 
8  gros,  à  prendre  dans  la  caisse. 

CHAPITRE  V. 

nu    GARDE-BOIS. 


I.  Il  est  choisi  et  agréé  par  la  société  à  la  pluralité  des  voix. 

II.  Il  ne  doit  pas  être  lui-même  déjà  membre  de  la  société;  mais  il  possé- 
dera ,  pour  exercer  ses  fonctions ,  les  connaissances  nécessaires  et  les  qualités 
morales  requises. 

III.  Il  surveillera  et  mettra  à  exécution  fidèlement,  avec  probité  et  avec  une 
conscience  irréprochable,  pour  le  bien-être  de  la  société,  tout  ce  qui  est  con- 
tenu dans  Vlnslruction  arrêtée  en  1773.  Au  cas  contraire,  il  devra  souffrir 
(pie  son  service  cesse  en  tout  temps. 

IV.  Il  se  contentera  de  ce  qui  lui  aura  été  indiqué  et  alloué  pour  son 
salaire.  De  plus,  il  ne  s'attribuera  ni  n'utilisera,  en  général,  de  son  propre 
chef,  rien,  ni  des  fruits  sauvages,  ni  des  herbages,  ni  des  branches  aballues 
parle  vent,  ni  d'autres  bois,  sans  l'agrément  et  le  consentement  du  président. 

V.  Il  ne  se  choisira  ni  ne  confectionnera  pour  lui-même  le  lot  qui  lui 
revient  comme  Fôrster;  mais  tirera  un  des  numéros  qui  lui  auront  été  pré- 
sentés par  le  président  lors  du  tirage  au  sort,  numéros  dans  lesquels  les 
dO  schocks  qui  lui  sont  alloués  sont  comptés,  afin  qu'il  fasse  d'autant  plus 
attention  que  les  lots,  si  c'est  possible,  soient  égaux. 

VI.  Il  prendra  grand  soin  des  pièces  inventoriées  dont  il  aura  accepté  le 
dépôt ,  afin  qu'elles  puissent  être  remises  plus  tard  à  son  successeur. 

VII.  Il  n'omettra  ni  n'excusera  personne  à  qui  des  charriages  auront  été 
imposés  :  à  cet  efïet,  il  tiendra  lui-même  un  livret  qu'il  produira  quand  il  en 
sera  requis  et  au  moyen  duquel  il  pourra  se  justifier. 

VIII.  Il  conduira  chaque  Flamand  nouvellement  entré  dans  la  société  sur  et 
dans  les  bas-fonds  de  Friedersdorff ,  et  les  lui  indiquera  jusqu'à  leurs  limites 
respectives ,  moyennant  un  pourboire  à  volonté. 


DES  COLONIES  BELGES.  26S 

IX.  Il  signalera  imniédialemenl  au  président  tout  dégât  commis  et  qui  exige 
des  soins,  afin  qu'il  y  soit  pourvu  à  temps. 

Comme  ces  lois,  justes  et  équitables,  ont  été  adoptées  pour  le  biea-étre 
permanent  de  la  société,  nous  avons  la  confiance  que  les  possesseurs  des 
Fleiiiùjs-Hùfen  réunis,  soit  actuels  soit  futurs,  s'y  soumetironi  de  bon  gré, 
et  ne  s'exposeront  pas  à  des  pénalités. 

Que  si  l'un  ou  l'autre  d'entre  eux  y  agissait  contrairement  une  ou  plu- 
sieurs fois,  sciemment,  avec  préméditation  et  bravade,  il  encourra  la  peine 
qui  lui  aura  été  inlligée  par  le  président;  —  s'il  refuse  de  s'y  soumettre,  on 
lui  retiendra  les  bénéfices  pécuniaires  qu'il  pouvait  espérer;  ces  bénéfices 
passeront  en  compte  dans  la  caisse. 

Pour  le  surplus,  ces  lois  conventionnelles,  jadis  élaborées,  qui  ont  été  ob- 
servées jusqu'à  ce  jour  et  qui  sont  actuellement  renouvelées,  pourront,  quand 
les  besoins  du  temps  l'exigeront,  être  amendées,  amplifiées  ou  restreintes, 
après  que  préalablement  elles  auront  été  soumises  à  la  haute  approbation 
seigneuriale  du  pays,  à  laquelle  il  en  sera  référé  à  cette  fin. 

Toutefois ,  les  membres  réunis,  en  y  souscrivant  volonlairement,  déclarent 
qu'ils  les  observeront  fidèlement,  de  bonne  foi  et  irrévocablement.  —  Ainsi 
fait  à  Bitterfeld  ,  le  30  juin  1776.  — {Saivenl  -53  signatures.) 

SECTION  IX. 

SAXE   ÉLECTORALE. 

Les  Flamands  y  obtinrent  un  droit  d'une  nature  tout  à  fait  particulière  et 
qui  leur  lut  furmellemenl  reconnu  :  le  droit  de  faire  llotler  du  bois  [Hoh  zù 
flossen)  dans  la  rivière  de  l'Elster;  de  le  rartger  en  tas  le  long  de  l'eau, 
{am  Ufer  aiifzàslupeln)  et  de  le  laisser  là  lié  ensemble  {zusammen  zù 
binden  ).  Ce  droit  semble  se  rapporter  à  un  commerce  dû  bois,  facile  à  exer- 
cer, grâce  aux  forêts  qui  étaient  situées  à  proximité  de  la  colonie  et  qui 
existent  encore  aujourd'hui.  Ce  commerce  avait  lieu  sans  doute  avec  Magde- 
bourg,  dont  les  environs,  riches  en  produits  agricoles,  manquaient  totale- 
ToME  XXXII.  55 


266  HISTOIRE  DES  COLOiMES  BELGES. 

ment  de  bois.  Au  surplus,  il  est  probable  qu'il  fut  importé  par  les  colons, 
llainantls  et  hollandais,  qui  s'y  adonnaient  dans  leur  pairie  '. 

SECTION  X. 

AUTRICHE. 

Le  privilège  que  le  duc  Léopold  le  Glorieux  accorda  aux  Flamands  se 
résume  dans  les  points  qui  suivent'-. 

I.  Ils  jouiront  et  useront,  quant  à  leur  négoce,  à  Vienne ,  du  droit  d'avoir 
un  marché  public,  et  dans  tout  le  pays,  de  toutes  les  libertés  et  de  tous  les 
privilèges  qui  ont  été  accordés  antérieurement  aux  autres  sujets  du  duc. 

Le  duc  les  appelle  buryenses,  Purger,  ce  qui  donne  à  entendre  que  les  Fla- 
mands étaient  déjà  depuis  quelque  temps  établis  dans  ses  États.  L'expression  : 
in  officio  suo  fait  supposer  qu'ils  appartenaient  à  ces  habiles  drapiers  (|ui,  à 
celle  époque,  portaient  l'industrie  de  leur  pays  aux  quatre  coins  de  l'Europe. 

IL  Léopold  les  exempte  de  la  juridiction  viennoise,  à  telle  enseigne  que 
si  des  diflicullés  surgissent  entre  eux,  ils  ne  seront  pas  tenus  de  se  présenter 
devant  le  juge  ordinaire,  mais  pourront  exposer  leurs  griefs  direclemeni  à 
la  chambre  monétaire  du  duc,  devant  laquelle  ils  seront  aussi  responsables 
de  leurs  propres  actions. 

m.  Personne  ne  pourra  se  livrer  au  même  commerce  qu'eux,  à  moins 
qu'il  n'ait  été  reçu  dans  leur  corporation,  et  que,  quant  à  la  juridiction,  il 
ne  se  soumette  aux  mêmes  droits,  pénalités  et  charges  qu'eux. 

Ces  numéros  II  et  III  confirment  l'hypothèse  énoncée  plus  haut  que  ces 
Flamands  èlaieni  des  gens  de  métiers.  Les  drapiers  et  les  foulons  couvraient 
alors  loute  la  surface  de  l'Allemagne  ''.  Mais  il  n'en  est  pas  moins  curieux 
de  voir  une  de  ces  turbulentes  et  industrieuses  corporations  de  Gand  ou 
d'Ypres  se  transporter  aux  fimiles  méridionales  de  l'Allemagne  et  y  rece- 
voir d'un  souverain  étranger  des  privilèges  que  leurs  propres  suzerains  ne 
leur  accordaient  pas»  toujours  sans  opposition. 

'  Werscl.e,  11,  !)7."}. 

-  Voy.  mes  Documents,  n"  XXIV. 

^  lliillmaim,  Dm  Slàdtewesen  in  Deutschlaïul,  im  Mittelaller. 


TROISIEME  PARTIE. 


DE  L  INFLUENCE  DES  COLONIES  SUR  LA  CIVILISATION 
DE  L  ALLEMAGNE. 


PRÉLIMINAIRES. 

Malgré  le  récit  assez  détaillé  que  j'ai  fait  des  établissements  formés  par  les 
Belges  en  Allemagne,  et  l'exposé  des  avantages  qu'ils  y  obtinrent,  cette  troi- 
sième Partie  n'est  ni  une  superfétation  oiseuse,  ni  la  répétition  sous  une 
autre  forme  de  ce  que  j'ai  déjà  fait  connaître  ailleurs.  Bien  des  points  de- 
meurés obscurs  doivent  encore  être  mis  en  lumière;  plus  d'une  question, 
resiée  sans  réponse,  attend  une  solution;  bien  des  détails,  enfin,  négligés 
dans  le  corps  du  travail,  parce  qu'ils  n'auraient  pu  y  être  que  des  digres- 
sions sans  intérêt,  attendent  ici  leur  place  naturelle  et  obligée. 

Voilà  une  première  raison  (|ui  seule  serait  décisive.  Il  en  est  une  autre 
que  j'estime  tout  aussi  péremploire.  Des  historiens  de  mérite,  mais  guidés 
par  un  patriotisme  mal  placé,  à  mon  sens,  ont  contesté  que  les  colons 
belges  aient  exercé  une  influence  quelconque ,  en  quelque  matière  que  ce 
soit,  sur  la  marche  de  la  civilisation  en  Allemagne.  C'est  ici  le  moment  de 
donner  un  démenti  à  leurs  assertions  quelcpie  peu  intéressées. 

Le  débat  roule  presque  tout  entier  sur  celte  question -ci:  Lorsque  les 
princes  chrétiens  de  la  Germanie  firent  un  appel  aux  peuples  étrangers,  les 
populations  qu'ils  avaient  à  combattre  se  composaient-elle  de  Wendes  ou  de 


268  HISTOIRE 

Wendo-Gcrmains?  Posée  en  ces  termes,  la  question  se  résout  (relle-niénie. 
Tous  les  (émoignages  de  Thisloirc,  de  (|uel(|ue  côlé  qu'ils  én)anenl,  sont 
unanimes  à  déclarer  qu'au  douzième  siècle  les  Slaves  étaient  maîtres  de  tout 
le  nord  de  rAllemagnc  [Slavia)  et  qu'ils  avaient  depuis  longtemps  exterminé 
la  population  germanique  primitive.  Ce  point  est  trop  connu  pour  que  j'aie 
besoin  de  le  prouver  |)ar  des  arguments  cent  fois  répétés  el  cpie  l'on  n'a  pas 
renversés  jusqu'ici. 

31ais  là  ne  s'arrêtent  pas  les  eirorls  de  ceux  qui  prétendent  nier  Tinfluence 
civilisatrice  de  ces  peuples  étrangers,  qui,  tous  ensemble,  changèrent  la 
face  des  contrées  conquises.  Je  ne  m'arrêterai  pas  à  combattre  les  opinions 
surannées  de  Wersebe.  Sa  dialectique  est  trop  faible  et  sa  partialité  trop 
évidente  pour  qu'il  faille  perdre  du  temps  à  le  réfuter.  Je  voudrais  essayer 
de  répondre  quelques  mots  à  un  écrivain  qui  jouit  en  Allemagne  d'une  répu- 
tation bien  acquise  el  qui,  sous  plusieurs  rapports,  se  trouve  en  opposition 
complète  avec  les  idées  généralement  reçues. 

Je  n'aborderai  ici  ce  sujet  qu'à  un  point  de  vue  général ,  me  réservant  de 
l'approfondir  plus  loin  pour  certaines  matières  spéciales. 

On  sait  qu'une  partie  des  Wendes,  moins  hostiles  ou  moins  persévérants 
que  les  autres  tribus  de  leur  race,  se  soumirent  aux  princes  chrétiens,  reçu- 
rent d'eux  des  faveurs  et  vécurent  dès  lors  avec  les  Allemands  en  bonne 
intelligence.  Les  ducs  n'y  avaient  mis  qu'une  condition  :  l'adoption  par  les 
vaincus  des  lois  et  des  mœurs  des  vainqueurs. 

Ce  fait  si  simple  et  établi  par  l'iiistoire,  le  professeur  Fabricius  le  révoque 
en  doute.  iMais  je  n'ai  qu'à  rappeler  la  première  Partie  de  ce  travail  pour 
convaincre  du  contraire  tout  esprit  impartial. 

Cependant  Fabricius  insiste.  Quand  même  ce  que  nous  avons  avancé 
serait  vrai,  «  les  princes  wendes,  dit-il ,  n'auraient  jamais  pu  se  résoudre 
à  laisser  supplanter  leurs  sujets  par  des  colons  germaniques  '.  »  M  est  facile 
de  se  convaincre  que  si  les  princes  wendes  laissèrent  pénétrer  des  colons 
étrangers  dans  leurs  Étals,  ils  n'obéirent  évidemment  (pi'aux  injonctions 
impérieuses  de  la  nécessité.  Ils  n'avaient  pas  la  liberté  du  choix.  Voulaienl- 

•  Dus  l'vuliere  Sldvctillniiii  der  zii  Deutscliland  gehon'(j(ii  Ostseeliinder,  in  dcn  Meckl.  Jalirb., 
VI,  p.  2. 


DES  COLOMES  BELGES.  ^iG9 

ils  se  mainlenir  dans  leurs  possessions,  et  conserver  une  ombre  trindëpeii- 
dance  ou  de  souveraineté,  ils  devaient  tolérer  chez  eux,  pour  ne  pas  dire 
appeler  à  leur  secours  cette  population  germanique  qui,  exercée  à  lagri- 
cullure  et  initiée  depuis  longtemps  au  mouvement  de  l'activité  humaine, 
pouvait  réparer  de  longs  désastres  et  laisser  reposer  la  population  slave, 
trop  fail)lo,  trop  indolente  ou  trop  ahatlue  pour  suffire  à  sa  propre  exis- 
tence '. 

«  Les  Wendes,  continue  Fabricius,  n'auraient  pas  supporté  patiemment 
la  présence  de  colons  étrangers ^  »  Mais  ne  les  ont-ils  pas  repoussés,  ces 
colons,  avec  une  énergie  et  une  ténacité  invincibles?  Ce  n'est  que  lorsque 
leurs  forces  furent  épuisées  par  des  combats  incessants  qu'ils  durent  renoncer 
à  empêcher  désormais  des  étrangers  de  s'introduire  au  sein  de  leurs  foyers. 
D'ailleurs,  on  a  pu  juger,  dans  la  partie  historique,  de  la  vigueur  de  leurs 
efforts  et  de  la  durée  de  leur  résistance. 

«  Il  est  difficile  d'admettre ,  dit  encore  le  savant  historien ,  que  des  colons 
étrangers  aient  pu,  dans  un  si  court  espace  de  temps,  acquérir  la  prédo- 
minance sur  des  peuples  aussi  nombreux  que  les  Wendes.".  »  La  réponse  est 
aisée.  L'espace  de  temps  pendant  lequel  ces  événements  se  passèrent  ne  fut 
pas  aussi  court  que  le  pense  Fabricius.  Pour  ne  parler  que  de  la  Poméranie, 
les  Wendes  s'y  maintinrent  jusqu'à  la  fin  du  treizième  siècle,  et  aujourd'hui 
encore  on  les  retrouve  dans  la  Poméranie  orientale.  Dans  l'île  de  Riigen,  leur 
dernier  boulevard,  la  langue  wende  ne  se  perdit  qu'au  commencement  du 
quinzième  siècle.  Au  surplus,  le  récit  d'Helmold,  plus  que  tous  les  arguments 
que  je  pourrais  faire  valoir,  prouve  avec  quelle  rapidité  la  transformation 
s'opéra. 

Enfin,  le  professeur  Fabricius  hasarde  une  dernière  objection  :  «  Les  pays 
saxons,  dit-il,  n'avaient  pas  eux-mêmes  une  population  si  nombreuse  (pi'ils 
pussent  envoyer  ailleurs  une  si  grande  quantité  de  colons  *.  »  Mais  personne 
n'a  jamais  prétendu  que  ces  colons  soient  partis  par  centaines  de  mille  à  la  fois 

'  Kosegarlcn,  Codex  Diplom.  Pom.  passiiii. 

-  Fabricius,  toc.  cit.,  p.  2. 

3  Idem  ,  p.  t  i. 

*  Jdetn. 


270  HISTOIRE 

En  supposant  seulement  qu'à  chacune  de  leurs  émigrations,  —  et  nous  sa- 
vons combien  elles  ont  été  nombreuses,  —  une  ville  et  quelques  villages 
aient  été  fondés,  cela  aurait  sulïî,  la  population  se  triplant,  pour  changer  peu 
à  peu  la  face  de  tout  le  pays.  Aussi  bien  ne  remarquons-nous  pas  déjà ,  au 
douzième  siècle,  que  la  plupart  des  villes  de  la  Slavie  avaient  pris  les  allures 
du  reste  des  cités  germaniques?  C'est  un  point  sur  lequel  je  reviendrai  tout 
à  l'heure. 

Il  fallut,  du  côté  des  vainqueurs,  des  efforts  énergiques  et  persévérants 
pour  aboutir  à  un  résultat  favorable.  Ce  qui  amena  le  succès,  ce  furent  le  zèle 
évangélique  des  prêtres  chrétiens,  l'amour  de  la  gloire  et  l'esprit  de  conquête 
des  princes,  et  tout  autant  le  génie  entreprenant  et  industrieux  de  la  bour- 
geoisie naissante  des  villes.  La  croix,  l'épée,  l'or  achevèrent,  en  peu  de  temps, 
l'entreprise  immense  des  Henri  le  Lion  et  des  Albert  l'Ours.  Missionnaires  et 
chevaliers,  bourgeois  et  marchands,  paysans  et  colons  partent  en  masse  des 
différentes  parties  de  la  Germanie,  se  rendent  dans  des  contrées  inhospita- 
lières, à  peine  arrachées  au  règne  de  la  barbarie,  et  s'y  montrent  comme  les 
pionniers  du  progrès,  comme  l'avant-garde  de  la  civilisation  européenne. 

Un  dernier  mot  pour  préciser  la  question.  La  vraie  importance  de  la  co- 
lonisation néerlandaise  consiste  dans  la  révolution  qu'elle  produisit,  en  Alle- 
magne, dans  la  culture  du  sol ,  en  rendant  productifs  et  fertiles  de  vastes 
territoires;  elle  prépara  ainsi,  au  sein  des  populations  germaniques,  les  élé- 
ments d'un  développement  de  civilisation ,  qui  mit  ces  populations  à  même 
de  jouer  dans  l'histoire  de  l'Allemagne  le  rôle  si  grand  et  si  influent  que  nous 
leur  voyons  prendre  pendant  l'époque  qui  suit  ceHe  de  la  colonisation.  11  est 
hors  de  doute  que  cette  dernière  a  dû  agir  aussi  sur  les  institutions,  sur  l'or- 
gam'sation  sociale,  mais  dans  une  mesure  moindre;  elle  a  contribué  à  régler, 
sur  des  bases  nouvelles,  plus  larges  à  la  fois  et  plus  libérales,  la  condition 
des  individus  et  le  régime  de  la  propriété  foncière;  mais  on  méconnaîtrait  les 
faits  et  l'on  sortirait  de  la  vérité  si  l'on  voulait  revendiquer,  pour  les  colons 
belges,  une  action  directe  et  transformatrice  sur  les  institutions  politiques  de 
l'Allemagne  '. 

'  Arendt,  Biillet.  de  l'Acail.,  1863. 


DES  COLONIES  BELGES.  271 

Tels  sont  les  principaux  aspects  que  présente  le  sujet,  aspects  qu'il  faut 
faire  ressortir  maintenant. 


SECTION  l. 

FONDATION  DE  VILLES  ET  DE  VILLAGES. 

L  Mali^ré  rextrème  infériorité  où  elles  se  trouvaient  vis-à-vis  des  popula- 
tions de  souche  teutonne,  les  tribus  slaves  de  la  côte  méridionale  de  la  Bal- 
tique avaient  atteint,  au  douzième  siècle,  un  plus  haut  degré  de  culture 
matérielle  et  morale  que  leurs  voisins  prussiens  et  letto-finnois,  et  elles 
comptaient  quelques  villes  considérées  par  elles  comme  des  centres  de  splen- 
deur. Les  Obotriles,  la  tribu  la  plus  avancée,  et  les  Poméraniens  avaient  déjà 
des  villes  avant  même  que  le  Christianisme  les  eût  soumis  à  son  empire. 

Toutefois,  il  ne  faut  pas  se  dissimuler  que  ces  soi-disant  villes,  telles  (pie 
Schwerin,  Mecklembourg,  Malchow,  Giitzkow,  Tribsee,  et  Gdanzk  (Danzig), 
Usedom  et  autres,  n'étaient  (pie  des  châteaux  dépendant  de  l'un  ou  l'autre 
seigneur  et  entourés  de  quelques  chétives  bourgades.  D'autres,  sans  doute, 
avaient  un  caractère  plus  tranché,  comme  Stellin,  Demmin,  Wolgast, 
Wollin;  mais  là,  non  plus  qu'ailleurs,  nous  ne  trouvons  cet  esprit  de  liberté 
civile  et  de  vitalité  politique  que  nous  rencontrons,  à  la  même  époque,  chez 
(|uelques  autres  nations  de  l'Europe.  De  sorte  que  l'on  peut  dire,  en  der- 
nière analyse,  que  l'Allemagne  du  nord  ne  comptait  qu'une  seule  ville  de 
(pielque  importance  et  qui  méritât  ce  nom  :  c'était  Lubeck.  Or,  Lubeck  ap- 
partenait depuis  nombre  d'années  aux  Allemands. 

Un  peu  plus  d'un  demi-siècle  plus  lard,  ce  même  territoire,  —  et  il  \  faut 
ajouter  toute  la  partie  NE.  de  l'Allemagne,  ^ — était  couvert  d'un  vaste  réseau 
de  villes  à  l'allure  et  aux  mœurs  germaniques,  et  qui  se  montraient  comme 
les  points  de  repère  de  la  civilisation  au  milieu  des  peuples  encore  à  demi- 
barbares  parmi  lesquels  elles  s'élevaient. 

A  qui  fut  dû  cet  important  résultat? 

Aux  colons  étrangers,  répondent  sans  hésiter  tous  les  historiens  allemands. 

IL   Les  Belges  ne  demeurèrent  pas   étrangers  au  mouvement  de  fon- 


272  HISTOIRE 

dation  des  villes,  bien  que  tel  ne  fût  pas  le  but  pour  lequel  on  les  avait  ap- 
pelés :  «  Les  bourgeois  de  soucbe  teutonique  vinrent  de  près  et  de  loin... 
et   parmi   eux   ne  firent  pas   défaut    les   étrangers   du   Brabant   et  de  la 

Flandre  '.  » 

Les  villes  nouvelles  obtenaient,  en  général,  les  droits  de  certaines  autres 
villes,  probablonienl  de  celles  par  les  habitants  desquelles  elles  étaient  fon- 
dées. En  vertu  de  ces  droits,  les  bourgeois  participaient  aux  franchises  et 
privilèges  des  villes-mères.  C'est  ainsi  (|ue  la  ville  de  Friediand  obtint  le  Slen- 
daUsche  -  Recht ,  c'est-à-dire  rensenible  des  droits  accordés  à  la  ville  de 
Stendal,  qui  fut  repeuplée  par  les  Flamands,  ainsi  que  je  Tai  dit  dans  la 
première  Partie. 

Slendal  lui-même  prit  une  extension  si  rapide  que  huit  habitants  de  la 
ville  de  ce  nom  entreprirent,  vers  1231  ,  la  reconstruction  de  Prenslow  : 
cujus  civilatis  promotionem ,  dit  une  source,  viris  providis  et  discrelis, 
Wallero,  qui  in  ea  praefecdis  eril,  Jordano  et  fnilri  suo,  WilUckino  cum 
Esijcho,  Henrico  cum  Helya  et  Pauto  de  Stendal,  quia  nobis  hune  locuin 
recepenmt ,  comitusimus ,  in  hune  modum ,  etc.  -. 

On  s'accorde  généralement  à  reconnaître  que  ces  huit  personnages  por- 
taient tous  le  nom  de  Stendal  ^  ;  mais ,  d'après  la  construction  de  la  phrase , 
et  en  examinant  la  manière  dont  les  entrepreneurs  sont  groupés ,  je  suis  plu- 
tôt porté  à  croire  que  les  trois  derniers  seuls  étaient  qualifiés  de  cette  façon. 
Quoi  qu'il  en  soit,  l'expression  providi  etdiscreti  viri  fait  supposeï-,  et  non  sans 
apparence  de  vérité,  que  c'étaient  de  riches  bourgeois  de  Stendal;  car  les 
gentilshommes  étaient  généralement  désignés  par  l'expression  de  sirenui  viri  *; 
mais  d'autre  part,  il  n'est  pas  certain  que  Stendal  eût  déjà,  à  cette  époque, 
des  bourgeois  assez  riches  pour  pouvoir  entreprendre  une  œuvre  aussi  consi- 
dérable (|ue  celle  de  la  reconstruction  d'une  ville.  On  pourrait  donc  admettre, 
ce  semble ,  que  les  personnages  (|ui  figurent  dans  la  charte  appartenaient  à  une 

'  Otlo  Fock,  RiitjenscJi-PoimnerSvlie  Genchichlen,  II,  151. 
-  ("iruiidniann,  Ulcermàrk.  Adels-Hislorie,  p.  7. 
">  Biuliholz,  /oc.  iit.,  II,  p.  200. 

■■•  Wnsebe ,  qui  fait  ici  cet  aveu ,  est  d'un  avis  contraire  pour  les  Stremii  viri  de  Misnie  :  il  csl 
vrai  (pic  là  il  s'agissait  de  Flamands. 


DES  COLONIES  BELGES.  273 

famille  noble  qui  avait  des  biens  à  Prenslow,  près  de  Stendal  *.  On  rencontre 
encore,  vers  le  même  temps,  dans  une  charte  de  fondation  du  cloître  de 
Chorin ,  dans  l'Ukermark ,  un  Henriciis  de  Sleyndale ,  (|ui  paraît  être  le  même 
que  le  Henricus  cité  plus  haut  ;  et  je  crois  que  c'est  le  même  personnage  que 
\eHenricus  Flemingus  qui  figure  dans  plusieurs  sources  contemporaines,  et 
dont  j'ai  parlé  plus  haut. 

Si  je  voulais  énumérer  toutes  les  villes  que  fondèrent  les  Belges,  ou  qu'ils 
furent  appelés  à  repeupler,  il  me  faudrait  refaire  la  première  Partie.  Je  me  bor- 
nerai à  citer  Eutin,  Jiiterbock,  Seehusen,  Kemberg  ou  Kemeric,  Niemeck, 
Gent,  Mechein,  etc.  Il  y  a  encore  aujourd'hui  en  Allemagne  une  quarantaine 
de  bourgs  ou  villages  qui  portent  les  noms  de  Flemming,  Flemingen,  Alt- 
Flemingen,  Neu-Flemingen ,  Flemingsdorf,  Flemsdorf,  etc. 

SECTION  II. 

RELIGION. 

1.  Le  second  résultat  de  la  victoire  des  princes  chrétiens  sur  les  Slaves  et  de 
Tintroduclion  des  colons  étrangers  dans  leurs  Etats  fut  la  chute  du  paga- 
nisme forcé  dans  ses  derniers  retranchements,  et,  par  une  conséquence 
directe  et  nécessaire,  la  conversion  des  Wendes  au  Christianisme.  —  Sans 
doute,  il  est  impossible  de  prétendre  que  le  culte  des  idoles  ait  été  extirpé 
tout  d'un  coup,  que  les  mœurs  et  les  pensées  des  Wendes  aient  changé 
comme  par  enchantement;  mais  les  fondements  de  la  transformation  étaient 
jetés,  et  les  progrès  n'en  furent  troublés  (pi'à  de  rares  intervalles  par  des 
réactions  de  l'ancien  esprit  païen.  Les  princes  slaves  semblaient  comprendre 
que  le  temps  de  l'idolâtrie  était  [lassé,  et  ils  adoptèrent  les  premiers,  comme 
pour  prêcher  d'exemple  aux  peuples  qui  leur  restaient  soumis,  les  doctrines 
que  les  missionnaires  chrétiens  leur  faisaient  connaître.  Ils  imitèrent  aussi  avec 
empressement  les  princes  chrétiens  dans  l'érection  de  nombreux  monastères  et 
dans  les  riches  donations  que  ces  princes  faisaient  en  même  temps  aux  abbayes. 

Voici  comment  un  écrivain  protestant  a  apprécié  le  rôle  des  monastères 
dans  l'œuvre  de  la  colonisation  :   «  les  cloîtres,  au  milieu  d'une  population 

*  Wersebe,  p.  478. 

Tome  XXXII.  36 


274  HISTOIRE 

sauvage  el  à  demi-païenne,  n'étaienl  pas  encore,  à  celle  époque,  ce  qu'ils 
devinrenl  plus  tard,  des  asiles  dignorance  el  de  l'ainéanlise;  cVHaient,  en 
réalilé,  les  pépinières  de  la  civilisation.  Les  habitants  des  cloîtres  faisaient 
alors  autre  chose  que  manger  et  boire,  chanter  et  prier;  ils  n'étainl  pas  seu- 
lement, à  côlé  des  prêtres  séculiers,  les  prolecteurs  et  les  soutiens  de  toute 
culture  inlellecluelle  un  peu  élevée;  mais  ils  nous  apparaissent  en  outre 
comme  les  moteurs  el  les  champions  du  progrès  matériel  dans  le  domaine  de 
Tagriculture  el  de  Tindustrie.  Partout  où  la  générosité  des  princes  leur  faisait 
don  de  terres  déjà  habitées  et  cultivées,  les  améliorations  qu'ils  y  introdui- 
saient augmentaient  aussitôt  les  revenus;  et  combien  de  contrées  désertes  et 
incultes  n'onl-ils  pas  rendues  à  la  civilisation!  Souvent,  quand  Tactivilé 
privée  demeurait  impuissante,  ils  attiraient  de  loin  des  colons  étrangers  : 
ceux-ci,  que  la  perspective  d'être  exempts  de  toutes  charges,  en  leur  qualité 
de  sujets  du  cloître,  faisait  accourir  en  masse,  apportaient,  avec  de  grandes 
aptitudes  au  travail,  des  mœurs  plus  douces  et  plus  polies.  L'exemple  donné 
par  les  cloîtres  fut  imité  dans  la  suite  par  les  princes  et  les  gentilshommes 
dans  l'intérêt  de  leurs  propriétés,  et  de  celle  manière  le  Christianisme  opéra 
une  Iranformation  dans  le  sens  civilisateur  le  plus  large  '.  » 

IL  II  fallait,  en  effet,  des  étrangers,  mais  d'origine  germanique,  pour 
aider  au  succès  de  l'œuvre.  Ce  n'était  pas  du  milieu  des  W endes  païens  qu'on 
pouvait  prendre  des  prêtres  chrétiens  pour  convertir  les  idolâtres.  On  les 
appelait  du  Danemark,  de  la  basse  Saxe,  de  la  Weslphalie,  et  les  cloîtres 
renommés  des  Pays-Bas  fournissaient  un  contingent  considérable. 

Quelques-uns  de  ces  ecclésiastiques,  les  plus  marquants,  devenaient  les 
chapelains  des  princes,  fonction  qu'ils  cumulaient  souvent  avec  celles  de 
secrétaire  el  de  conseiller  privé,  parce  que  seuls  ils  savaient  écrire  et  avaient 
une  connaissance  suffisante  de  la  langue  latine,  alors  indispensable  -. 

Ce  nouveau  clergé  travailla,  de  son  côté,  à  l'œuvre  de  la  colonisation.  Là 
où  il  y  avait  des  colons  germaniques,  ils  prélevaient,  selon  l'usage  de  leur 
nouvelle  patrie,  la  dîme  ecclésiastique,  dîme  qui  était  plus  abondante  et  plus 
fructueuse  que  la  soi-disant  Biscopunilza,   l'impôt  religieux  des  Wendes, 

'   UUo  I'o(_-k,  I,!»2. 
"-  [d.,  11,44. 


DES  COLONIES  BELGES.  275 

sur  la  modicité  et  la  mesquinerie  duquel  on  élevait  partout  des  plaintes  '. 

III.  Les  cloilres,  ai-je  dit,  furent  à  la  tête  du  mouvement  d'émigration, 
delà  résulte  à  l'évidence  de  ce  que  j'ai  dit  dans  la  première  Partie.  Les  Cis- 
terciens, si  nombreux  dans  les  provinces  belgiques,  se  rendirent  en  foule  en 
Allemagne'.  Il  sufllra  de  rappeler  les  fondations  de  Walkenried,  de  Porta, 
en  Tliuringe;  de  Leubus,  en  Silésie;  d'Eldena,  en  Poméranie,  etc.  Le  cou- 
vent d'Altenkamp,  situé  sur  les  frontières  des  Pays-Bas,  donna  son  nom  à 
une  succursale  célèbre,  iVeuenkamp,  aux  environs  de  la  ville  moderne  de 
Franzbourg.  Les  moines  amenaient  des  paysans,  vassaux  de  leurs  abbayes, 
et  en  appelaient  d'autres  quand  ils  étaient  parvenus  à  destination.  Ces  nou- 
veaux habitants  n'étaient  pas  seulement  d'habiles  agriculteurs;  ils  formaient 
les  premiers  éléments  d'une  population  chrétienne  qui  devait  en  peu  de  temps 
modifier  l'aspect  du  territoire  qu'on  lui  avait  assigné. 

Ce  qui  prouve  l'influence  qu'exercèrent  les  Belges  dans  le  domaine  de  la 
Religion,  en  Allemagne,  c'est  que  Helmold,  calcirlant  le  nombre  des  nou- 
veaux habitants,  d'après  l'importance  des  dimes,  dit,  après  avoir  rappelé 
les  immigrations  des  Flamands  et  autres  :  «  Ils  construisirent  des  églises  et 
affectèrent  les  dimes  de  leurs  fruits  au  culte  de  la  maison  de  Dieu.  L'œuvre 
du  Seigneur  jeta  dès  lors  de  profondes  racines,  etc.  '.  » 

II  s'exprime  ainsi  sur  leur  influence  dans  le  lAIecklembourg  :  «  Les  dimes 
augmentèrent  dans  les  pays  slaves,  parce  que  des  hommes  de  race  teuto- 
nique,  quittant  leur  patrie,  vinrent  cultiver  nos  terres...  ^*.  » 

De  même  dans  le  Brandebourg  :  «  L'évêché  de  Brandebourg  et  celui  de 
Havelberg  furent  encouragés  et  stimulés  à  introduire  des  étrangers,  parce 
que  les  églises  se  multipliaient  et  que  la  perception  des  dîmes  prenait  de  grands 

'   Olto  Fock,  II,  44. 

■'■  »  On  ne  saurait  refuser  au  clergé,  et  spécialement  aux  Cisterciens  et  aux  Auguslins,  le 
mérite  d'avoir  conlribné  immensément,  et  toujours  avec  une  perspicacité  remarc(ual)le,  à  la 
culture  du  pays,  et  par  là  au  développement  de  la  richesse  foncière.  »  Tzschoppe  et  Stenzel , 
p.  138. 

■•■  Cluonkon  Slavoriim,  1.  I,  c.  9  :  «  Aedificaverunt  ecclcsias  et  subministraverunt  décimas 
irucluum  suorum  ad  cultum  domus  Dei.  Et  plantatum  est  opus  Dei.  » 

*  Id.,  1.  I,  c.  87,  n"  4  :  «  Et  auctae  sunt  deeimationcs  in  terra  Slavorum ,  co  quod  confluè- 
rent de  terris  suis  homines  teutonici  ad  colendani  terram.  » 


276  HISTOIRE 

(lévoloppemenls...  Dos  bords  de  l'Océan  vinrent  une  multilude  de  peuples 
puissants...  Ils  bâtirent  des  cités  et  des  églises,  et  acquirent  (rimmenses 
richesses  '.  » 

Je  n'ai  pas  besoin  de  faire  remarquer  que  cette  i)hrase  se  rapporte  aux 
Flamands  et  Hollandais  introduits  dans  les  États  du  margrave  par  Anselme 
de  Havelberg  et  Évermode  de  Cambra\ . 

Lorsque  les  évêques  de  3Iisnie  et  de  Naumbourg,  les  abbés  de  Ballen- 
stàdtet  de  Walkenried,  etc.,  accordèrent  aux  Belges  ces  magnifiques  condi- 
tions que  j'ai  énumérées,  ils  poursuivaient  évidemment  un  double  but  : 
celui  d'avoir  des  colons  industrieux  dont  l'activité  pût  introduire  l'aisance 
dans  leurs  possessions ,  et  surtout  celui  de  trouver  des  sujets  dont  les  croyances 
religieuses  seraient  à  la  fois  un  exemple  pour  les  Slaves  convertis  et  un  rem- 
part contre  les  relaps  et  les  opiniâtres. 

Les  princes  et  souverains  favorisaient  les  cloîtres  et  les  dotaient  riche- 
ment ,  nous  l'avons  vu;  mais  ils  exigeaient  en  revanche  que  ceux-ci  se  missent 
à  la  tête  de  la  colonisation;  souvent  même  ils  en  faisaient  une  condition 
expresse.  Cela  ressort  clairement  de  plusieurs  diplômes  d'Albert  l'Ours. 

C'est  grâce  à  ces  efforts  combines ,  dit  encore  Helmold ,  que  tous  les  pays 
slaves  du  Nord  furent  transformés  en  une  colonie  de  Saxons,  que  l'on  fonda 
des  villes,  que  l'on  bâtit  des  forteresses,  que  les  églises  se  multiplièrent,  et 
qu'avec  elles  augmenta  le  nombre  des  serviteurs  du  Christ  -. 

SECTION  ni. 

ÉGLISES. 

Par  sa  charte  de  1106,  l'évêque  de  Brème  avait  accordé  aux  colons 
belges,  en  termes  fort  nets,  le  droit  de  bâtir  des  églises,  sans  en  limiter  le 
nombre  et  sans  fixer  l'endroit  où  elles  devaient  être  placées.  Il  leur  laissait  à 

'  Chronicon  Slaiorum  ,  I.  1,  c.  88  :  «  Et  confortatus  est  vehcmentcr  ad  introituni  adveiiai-um 
cpiscopatus  Brandcnburgensis,  nec  non  Havelbergensis,  eo  quod  multiplicarentur  ecclesiae  et 
decimai'um  succresseret  ingens  possessio...  Vcnerunt  de  finibus  Occani  populi  fortes  ac  innume- 
rabiles...  et  aedificaverunt  ecclesias,  et  increverunt  divitiis  super  omnein  aestimationeni.  » 

5  Helmold,  1.  I,  c.  87. 


DES  COLONIES  BELGES.  277 

cet  égard  loiUc  liberté.  Aucune  source,  se  rapportant  à  d'autres  pavs,  ne 
s'exprime  d'une  manière  formelle  sur  le  même  sujet;  mais  il  est  évident  (jue 
les  Néerlandais  obtinrent  partout  le  même  droit,  puisque  Helmold  dit  à  plu- 
sieurs reprises  que  par  l'arrivée  des  colons  les  églises  se  multiplièrent,  luulii- 
plicabantur  ecclesiae,  —  acdificaverunt  ecdesias. 

Beaucoup  d'églises,  bâties  par  les  Belges,  ont  été  détruites  ou  rebâties 
petit  à  petit  ;  un  grand  nombre  néanmoins  sont  encore  debout  et  attestent 
fidèlement  leur  origine;  de  sorte  que,  suivant  l'expression  d'un  écrivain 
allemand,  là  où  la  langue  humaine  est  muette,  les  pierres  ont  souvent  leur 
langage  '. 

L  Parmi  les  plus  anciennes  églises  du  pays  de  Brème,  celles  de  HuUein 
et  de  Zeven  se  distinguent  par  la  solidité  de  leur  construction  et  la  simplicité 
de  leur  style;  celles  de  Oederquart,  Sitlensen  et  Hollemlorf,  au  contraire, 
par  leur  pyramide  élancée,  que  l'on  voit  à  une  grande  distance. 

Les  églises  de  YAlleland  ont  une  physionomie  tout  à  fait  particulière;  leurs 
tours  sont  couvertes  de  bardeaux  et  peintes  en  rouge  avec  des  bandes  vertes. 

Celles  du  pays  de  Wiirslen  ont  un  aspect  plus  riant.  Ainsi  (pi'en  Flandre, 
elles  ont  un  toit  en  ardoises  grises,  autour  desquelles  court  une  bande 
blanche. 

Mais  partout  ce  sont  les  autels  qui  révèlent  le  plus  haut  degré  du  zèle  re- 
ligieux, comme  étant  les  endroits  de  la  prière  et  la  place  des  sacrements. 
Dans  le  pays  de  Wùrsten ,  ces  derniers  reposent  le  plus  souvent  dans  le  sanc- 
tuaire, avant-corps  bas  et  voùlé,  séparé  du  vaisseau  proprement  dit. 

Dans  plusieurs  églises  d'une  construction  plus  récente,  l'autel,  contraire- 
ment aux  usages  ecclésiastiques,  n'est  pas  dirigé  vers  l'orient,  mais  bien  vers 
le  sud,  comme  à  Bremervorde  et  à  Brockel ,  ou  tout  à  fait  du  côté  de  l'occi- 
dent, comme  à  Beversledt.  Le  dos  de  l'autel  des  églises  de  Oerel,  Saint- 
Jurgen  et  Beverstedt  est  orné  de  figurines  sculptées,  dont  les  sujets  sont 
tirés  de  l'Écriture  sainte  -. 

Enfin,  dans  toute  la  basse  Saxe,  comme  dans  le  reste  des  Pays-Bas,  le 


'  Fr.  Adler,  Die  Niederlàndischen  Kolonien  in  der  Mark  Brandenbiiri) ,  p.  18. 
2  Kôster,  ibid.,  p.  74. 


278  HISTOIRE 

coq  est  l'ornemenl  obligé  qui  couronne  la  tour  des  églises.  Emblème  de  la  vi- 
gilance, le  coq  rappelle  la  chute  et  la  pénitence  de  saint  Pierre,  et  sa  vue  est 
pour  les  fidèles  un  avertissement  pieux;  le!  est  le  motif  qui  fit  choisir,  dans 
les  premiers  temps  du  Christianisme ,  le  roi  des  gallinacés  pour  aller  régner 
sans  rival  au  sommet  des  tours  '. 

II.  En  recherchant  dans  les  plus  anciennes  constructions  d'églises,  qui 
existent  encore  dans  le  Brandel)ourg  principalement ,  le  mode  de  bâtir  jus- 
qu'au douzième  siècle,  on  trouve  qu'elles  ont  été  élevées,  en  général ,  d'après 
un  style  rude  et  abrupt,  et  que  la  pierre  des  champs  formait  la  base  des 
matériaux  employés. 

Vers  le  milieu  du  douzième  siècle ,  apparaît  subitement  et  sans  transition 
une  manière  nouvelle.  On  se  servit  alors  de  la  brique  cuite,  et  ce  mode  de 
bâtisse  prédomina  peu  à  peu ,  si  bien  qu'au  milieu  du  treizième  siècle  l'an- 
cien système  des  mœllons  se  trouva  complètement  écarté. 

Si  l'on  examine  de  plus  près  ces  constructions  en  briques,  on  s'aperçoit 
qu'elles  existent  justement  dans  les  localités  qui  sont  connues  comme  ayant 
été  le  siège  de  colons  néerlandais,  soit  par  le  récit  des  chroniqueurs,  soit 
par  la  tradition  "". 

Telles  sont,  sur  la  rive  gauche  de  l'Elbe,  le  cloître  de  Diesdorf,  près  de 
Salzwedel,  béni  en  1161  ;  les  églises  de  Grossvoyster  et  deSchoneberg,  si- 
tuées dans  la  Wische,  où  les  Hollandais  eurent  leurs  principaux  établisse- 
ments, et  bâties  à  une  époque  qu'on  ne  saurait  fixer  avec  certitude,  mais 
qui  fut  indubitablement  le  milieu  du  douzième  siècle;  Téglise  de  Saint-Martin, 
près  d'Osterberg,  déplacée  dans  un  autre  endroit  en  1170;  le  fronton  occi- 
dental de  l'église  du  couvent  de  Werbe,  rebâti  après  1160;  enfin  l'église 
paroissiale  de  Saint-Jacques  à  Seehausen  —  autre  établissement  hollan- 
dais—  ;  elle  fut  déjà  rebâtie  après  1151  et  il  n'en  existe  plus  de  (races 
aujourd'hui;  mais  le  souvenir  en  est  encore  gravé  dans  la  mémoire  des 
vieillards. 

Sur  la  rive  droite  de  l'Elbe,  apparaît  tout  d'abord  l'église  imposante  et  ma- 
jestueuse du  cloître  de  Jérichow,  bâtie  de  1 149  à  1159,  un  des  monuments 

'   Kôster,  [>.  187. 
2  Adicr,  ]).  fi. 


DES  COLONIES  BELGES.  i79 

les  plus  anciens,  si  pas  le  plus  ancien  des  conslruclions  belges.  Viennent 
ensuite  Téglise  paroissiale  de  Wulkow,  bàlie  entre  H 60  et  14  72,  les  églises 
des  villes  de  Jérichow  et  de  Sandow,  celles  de  Klictz,  Fischbeck,  Hoben- 
Gohren,  Schniilsdorf,  Meldow,  Groz-Mangeldoii',  Redekin,  Bergzau,  toutes 
bâties  d'après  des  plans  uniformes  et  avec  des  formes  arlisti(|ues. 

En  supposant  même  que  l'on  ne  veuille  pas  admettre  ({ue  tous  ces  monu- 
ments ont  directement  les  Néerlandais  pour  auteurs,  on  ne  peut  cependant 
pas  se  refuser  à  croire  (|u'ils  y  aient  coopéré  d'une  manière  ou  d'une  autre. 
Si  une  certaine  obscurité  entoure  maints  endroits  colonisés  par  les  Belges, 
c'est  que  les  sources  originales  sont  pour  la  plupart  perdues.  Mais  lorsque 
l'on  attribue,  et  à  bon  droit,  à  l'activité  des  colons  néerlandais  les  plus  an- 
ciennes constructions  du  pays  de  Jérichow,  telles  que  le  cloître  de  Jérichow, 
Wulkow,  Melkow,  Sandow,  toutes  bâties  entre  1  U9  et  H 70,  et  qu'on  les 
compare  avec  les  églises  de  Werben,  Seehausen,  Osterburg,  Schoenberg, 
Boyster  et  Diesdorf,  on  admire  l'essor  prodigieux  que  prit  le  pays  dans  un 
espace  d'à  peu  près  vingt  ans,  essor  qu'Helmold  a  cherché  à  dépeindre  en  si- 
gnalant l'accroissement  énorme  que  prit  la  perception  des  dîmes  :  «  eo  quod 
succresseret  ingens  decimai-um  possessio.  » 

On  peut  encore  trouver  la  confirmation  d'établissements  néerlandais 
autour  de  Jérichow,  dans  cette  circonstance  que  des  Hollandais  de  Brème 
occupèrent,  en  114.2,  un  endroit  nommé  Sanloù,  à  l'époque  où  fut  bâtie  la 
|)remière  église  de  Seehausen.  Le  nom  de  ces  deux  endroits  se  retrouve -dans 
le  Brandebourg  :  Sandow  sur  la  rive  droite  de  l'Elbe,  et  Seehausen  sur  la  rive 
gauche,  dans  la  Wische.  Comme,  d'après  les  chroniqueurs,  Seehausen  est  une 
ancienne  colonie  hollandaise,  on  peut  admettre  une  semblable  origine  pour 
Sandow,  d'autant  plus  (|ue  les  deux  localités,  tant  de  la  Marche  (pie  de  l'évèché 
de  Brème,  écrivaient  autrefois  leurs  noms  d'une  manière  identique,  et  que 
la  ville  actuelle  de  Sandow  (jadis  Sanloù)  possède  une  église  bâtie  en  briques 
et  dont  le  style  a  une  étroite  affinité  avec  celles  qui  existent  dans  le  pays  de 
Jérichow. 

III.  Wersebe  a  fait  avec  beaucoup  d'aigreur  à  Helmold  le  reproche  d'exa- 
gération, relativement  surtout  au  passage  où  le  chroniqueur  dit  que  les  Hol- 
landais s'étendirent  jus(prà  la  forél  de  Bohème  :  «  civitates  et  oppida  multa 
valde  usquc  ad  saltum  Bojemicum  possederunl  Hollandri.  « 


280  HISTOIRE 

Mais  Texamen  des  conslmclions  de  tout  le  territoire  désigné  par  Helniold 
vient  aux  secours  des  affirmations  du  chroniqueur ,  car  la  plus  ancienne  bâtisse 
en  briques  y  coïncide  précisément  avec  une  colonie  hollandaise. 

En  avançant  vers  le  sud,  on  rencontre  Brandebourg,  où  l'église  Sainl-M- 
colas  de  Luckeberg,  village  qui  n'existe  plus,  se  trouve  encore  dans  un  étal 
de  conservation  parfaite,  vis-à-vis  de  l'ancienne  ville,  et  offre  un  monument 
des  plus  remarquables  bâti  en  briques. 

Comme  cette  église  est  déjà  mentionnée  en  1172  et  qu'elle  correspond 
tout  à  fait  dans  ses  plus  anciennes  parties  avec  les  constructions  dont  j'ai 
parlé  plus  haut,  on  peut  d'autant  plus  la  considérer  comme  l'église  parois- 
siale d'une  colonie  néerlandaise  qu'il  est  établi  authentiquement  qu'un  village 
«  allemand  »  remplaça  le  village  slave  de  Parduin,  à  deux  pas  de  là. 

A  quelques  lieues  plus  loin,  apparaît  Jiilerbogk,  la  ville  qu'occupèrent  tes 
Flamands.  L'église  de  Damme,  ou  faubourg  de  cette  ville,  fut,  comme  je  l'ai 
dit  dans  la  première  Partie,  bàlie  par  eux  \  vers  1160,  mais  seulement 
achevée  vers  1174,  époque  à  laquelle  Siegfried,  évéque  de  Brandebourg, 
conféra  au  prévôt  de  l'église  l'archidiaconal  du  pays. 

Elle  fut  bâtie,  comme  celle  des  Pays-Bas,  de  briques  cuites  et  ornée  de 
fenêtres  étroites  à  plein  cintre.  Survinrent  deux  irruptions  des  Lutizes  et 
des  Poméraniens;  mais  l'église  fut  immédiatement  restaurée.  A  la  seconde 
fois,  la  bâtisse  primitive  en  briques  fut  considérablement  renforcée,  et  les 
murs  de  devant  construits  en  blocs  de  granit  taillés,  pour  qu'ils  pussent  sup- 
porter le  poids  de  la  tour  et  des  cloches  que  l'on  y  voulait  suspendre.  Ces 
travaux,  qui  forment  le  côté  occidental  et  qui  sont  encore  visibles,  accusent 
la  manière  de  bâtir  de  celte  époque.  Quant  à  ce  qui  subsiste  de  l'église  pri- 
mitive, —  c'est-à-dire  le  vaisseau  principal,  sans  la  nef  transversale,  qui  y 
fut  jointe  plus  tard,  et  sans  le  chœur  -,  —  cela  suffît  pour  prouver  qu'on  y 
employa  la  même  construction  que  pour  celles  de  Jérichow  et  de  Brandebourg, 
et  que  partant  elle  appartient  à  la  même  époque. 

Il  est  permis  de  supposer  qu'anciennement  il  y  avait  beaucoup  d'églises 
de  ce  genre,  qui  ont  été  détruites  en  1179,  dans  l'invasion  des  Slaves  et 
qui  plus  tard  ont  été  rebâties  avec  des  blocs  de  granit. 

'  Voy.  p.  124. 
2  Heffter,  p.  71. 


DES  COLONIES  BELGES.  281 

Dans  le  Flâming  de  Jiileibock,  les  Flamands  employèrent  une  triple 
manière  de  bâtir.  Ils  avaient  apporté  de  leur  patrie  Tart  de  construire  en 
briques.  Les  plus  anciennes  églises  qu'ils  construisirent  dans  le  Flamiiiy 
lurent  bâties  avec  des  briques  cuites  sur  les  lieux  mêmes  et  jointes  ensemble 
au  moyen  d'un  solide  mortier. 

Bientôt  cependant,  vers  4170,  ils  commencèrent  à  couper,  à  fendre  ou  à 
scier  des  blocs  de  granit  que  Ton  trouve  en  assez  grande  (luanlité  dans  leur 
territoire,  et  à  leur  donner  une  forme  carrée  à  peu  près  régulière;  puis,  au 
moyen  de  ces  matériaux ,  ils  formèrent  d'abord  des  cintres  pour  les  portes 
et  les  fenêtres ,  et  plus  tard  ils  s'en  servirent  pour  construire  des  murailles 
entières. 

Enfin,  vers  M  90,  ils  remarquèrent  que,  grâce  à  leur  solide  mortier,  ils 
pouvaient  aussi  construire  de  fortes  murailles  avec  des  pierres  des  champs  non 
équarries,  et  dès  lors  ils  adoptèrent  généralement  ce  mode  de  construction, 
tout  en  le  confondant  souvent  avec  les  deux  premiers. 

C'est  ainsi  que  s'élevèrent,  dans  le  Flaming ,  les  églises  des  villages.  Toutes 
avaient  des  fenêtres  étroites ,  en  forme  de  créneaux,  pour  qu'en  cas  de  guerre 
elles  pussent  servir  de  lieu  de  refuge  et  de  place  de  défense;  plus  tard  elles 
eurent  des  porches  cintrés  et  des  toits  en  bois  plats.  Au  vaisseau  oblong, 
était  adossé ,  du  côté  de  l'Orient ,  et  relié  au  moyen  d'une  immense  arcade 
voûtée,  le  chœur  plus  étroit,  mais  carré,  ayant  son  entrée  particulière. 
Autour  du  chœur  régnait  un  hémicycle  peu  considérable  et  qui  était  réservé 
à  l'autel. 

Quelques-unes  des  églises,  que  j'ai  visitées,  ont  conservé  cet  aspect  an- 
tique. La  plupart  sont  modernisées. 

Dans  le  principe,  la  cloche  était  suspendue  entre  deux  sommiers  de  bois 
juxtaposés  sur  le  toit;  plus  tard,  on  ajouta  comme  complément,  du  côté 
gauche  du  toit,  une  tour  carrée.  Une  seule  église  eut  une  tour  dès  son  ori- 
gine :  c'est  celle  de  Langenlipsdorf. 

Les  archéologues  avancent,  —  avec  une  unanimité  assez  rare —  que  toutes 
les  églises,  telles  que  je  viens  de  \à  dépeindre  ,  sont  l'ouvrage  des  Belges  '. 

'   Cf.  Ellmiillcr,  Annalcn  der  Stadt  Jiiterbocli  Kitd  dvieii  l'mgebung.  —  Hefftcr,  49. 
Tome  XXXIl.  37 


282  HISTOIRE 

IV.  Les  villages  tle  Pozeleve  el  de  jNimitz ,  dans  TAiihalt ,  ayant  élé  dé- 
truits à  une  époque  postérieure  à  celle  de  la  colonisation,  on  manque  de  ren- 
seignements sur  les  églises  qui  ont  dû  y  exister.  11  en  est  de  même  pour 
celle  de  Kûlnen,  en  Misnle,et  pour  celles  de  Wôrlilz  et  de  Pratau,  bâties 
entre  1160  et  1170,  mais  qui  ont  élé  renouvelées  sans  avoir  rien  conservé 
de  leur  construction  primitive. 

En  revanche,  Téglise  d'Axien,  près  deTorgau,  correspond  dans  son  en- 
semble comme  dans  ses  détails  aux  églises  en  briques  cuites  de  la  Marche 
(le  Brandebourg,  et  comme  eJle  date  de  la  même  époque,  elle  doit  sans 
aucun  doute  son  origine  à  une  colonie  néerlandaise. 

Il  faut  regretter  aussi  vivement  la  perte  du  cloître  d'Altencelle ,  prés  de 
Rossen,  en  Misnie,  parce  que  sa  fondation  primitive  (1162),  d'accord  avec 
la  ti'adition  que  son  église  était  bâtie  en  briques,  fait  présumer  qu'ici  aussi 
on  peut  mettre  en  avant  une  iniluence  néerlandaise  '.  Cette  présonqjtion 
gagne  beaucoup  en  probabilité,  puisque  Altencelle  était  une  succursale  de  la 
Himinelspforte,  où  déjà,  en  1140,  et  ainsi  plus  tôt  que  dans  la  iMarche, 
les  Belges  s'étaient  établis. 

Si  maintenant  l'on  jette  un  regard  rétrospectif  sur  celte  série  d'églises  (|ui 
s'étendent  depuis  Salzwedel  jusqu'en  Misnie,  el  qui  presque  toutes  ont  élé 
fondées  entre  1130  et  1170,  on  acquiert  la  conviction  que  le  récit  d'Hel- 
mold  atteint  un  haut  degré  de  vérité,  el  que  les  Néerlandais  ont  habité  jus- 
(|u'aux  frontières  de  la  forêt  de  Bohême ,  surtout  si  Ton  prend  en  considé- 
ration combien  de  documents  originaux,  qui  conslatent  ce  fait,  ont  dû  être 
perdus ,  et  combien  d'églises  bâties  à  celte  époque  ont  été  détruites. 

Revenons  maintenant  à  l'église  de  Jérichow.  Elle  fut  commencée,  au  plus 
lard^  en  11 4-9,  et  achevée,  en  1 159,  dans  ses  parties  principales  sans  les  tours. 
C'est  à  celle  dernière  date  que  le  pape  Adrien  IV  prit  le  cloître  sous  sa  pro- 
tection et  le  confirma  dans  tous  ses  droits  et  dans  tous  ses  biens.  Considérée 
en  elle-même,  l'église  est  l'édifice  le  plus  ancien  el  le  plus  imposant,  bàli  en 
briques,  qui  se  trouve  dans  la  Marche  de  Brandebourg. 

Construite  d'après  le  plan  antique  d'une  basilique  à  colonnades,  el  ornée 

'  Adlor,  loi:,  cit. ,  p.  1 1 . 


DES  COLQiMES  BELGES.  285 

de  peu  de  formes  archilectoniques  sévères,  —  répondant  on  lout  point  à  lidéo 
austère  de  saint  Norbert,  le  maître  d'Anselme  deHavelberg,  —  cette  église  est 
le  modèle  le  plus  complet  du  maniement  technicpje  de  la  brique  dans  toute 
l'étendue  de  pays  qui  s'étend  de  la  pointe  extrême  du  Jiilland  jusqu'aux  Car- 
patbes,  et  depuis  les  emboucburês  du  Weser  jusqu'à  la  Diina.  Jamais  el 
nulle  part,  on  ne  prépara  et  l'on  n'employa  avec  autant  de  soin  qu'à  Jérichow 
le  matériel  des  briques  et  du  mortier.  Aussi  l'église  de  Jérichow  fut-elle 
prise  pour  type  dans  la  construction  des  églises  que  Ton  éleva  postérieure- 
ment '. 

Toutefois  ces  églises,  quoique  offrant  encore  des  qualités  de  style  remar- 
quables, sont  loin  d'être  aussi  distinguées  que  celle  de  Jérichow  même.  (> 
fait  s'explique  par  la  circonstance  que  les  fondateurs  du  célèbre  cloître  avaient 
des  ressources  énormes  à  leur  disposition  ,  el  qu'ils  avaient  su  s'entourer  de 
tous  les  hommes  les  plus  capables  de  mener  à  bonne  fin  leur  entreprise. 

V.  La  preuve  que  ces  anciennes  églises  en  briques,  dont  je  viens  de  parler, 
ont  été  bâties  de  1149  à  1170  par  les  Néerlandais,  se  trouve,  d'une  part, 
dans  les  documents  originaux  et  chronologiques  cités  dans  la  première  partie, 
et,  de  l'autre,  dans  la  conformité  des  églises  des  colonies  avec  les  monu- 
ments du  moyen  âge  qui  existent  encore  en  Hollande,  en  Zélande,  en  Flan- 
dre, etc.  .Malheureusement  une  grande  partie  des  anciennes  constructions 
des  Pays-Bas  ont  disparu  par  suite  du  développement  que  prit  chez  nous  le 
style  gothique.  Mais  les  églises  qui  ont  été  conservées  intactes  offrent  des 
preuves  irrécusables  de  l'analogie  que  je  viens  de  signaler. 

Il  faut  citer  tout  d'abord  les  églises  Saint-Nicolas  et  Saint-Pierre,  à 
Utrecht,  et  Saint-Sauveur,  à  Bruges,  qui  présentent  les  mêmes  arcades 
rondes  du  style  roman  que  possèdent  Jérichow ,  Diesdorf ,  etc. ,  tandis  que 
Saint-Pierre  et  Saint-Jean,  à  Utrecht,  offrent,  avec  ces  derniers  édifices,  une 
similitude  très-grande,  quant  aux  fenêtres,  portail  et  cintres. 

Autre  fait  caractéristique  :  les  petits  moules  des  briques  des  églises  bâties 
en  style  roman  en  Hollande  et  sur  le  Rhin  inférieur,  surtout  à  Nimègue, 
Utrecht,  Delft,  etc.,  coirespondent  exactement  à  ceux  des  monuments  éla- 

'    Adicr,  li)C.  rit ,  p.  17. 


284  HISTOIRE 

blis  dans  los  Marches;  fait  dont  des  spécialistes  se  sont  convaincus  par  nu 
mesurage  comparalif. 

Il  résulte  de  là  que  la  manière  do  bâtir  en  briques  fut  transportée  des 
Pays-Bas  dans  la  Marche  de  Brandebourg  par  les  colons  belges,  et  qu'il  faut 
rejeter  toute  opinion  tendant  à  soutenir  qu'une  influence  lombarde  ou  ita- 
lienne se  serait  glissée  dans  cette  contrée  \ 

SECTION  IV. 

LANGUE. 

I.  Que  les  émigrants  belges  aient  imposé  leur  langue  à  toutes  les  contrées 
où  ils  se  sont  établis,  c'est  là  un  paradoxe  grossier  et  que  je  me  garderai  bien 
d'avancer.  Mais  je  n'admettrai  pas  davantage  que  l'influence  de  leurs  colonies 
fût  nulle  sur  la  langue  germanique.  Il  s'agit  donc  de  faire  ici  la  part  de  la 
vérité  et  de  l'exagération ,  de  quelque  côté  que  celle-ci  puisse  se  trouver,  et 
de  montrer  la  question  sous  son  vrai  jour. 

Il  est  acquis  à  l'histoire  qu'au  douzième  siècle,  les  populations  d'origine 
teutonique  étaient,  depuis  longtemps,  extirpées  complètement,  par  les  con- 
quérants slaves,  de  leurs  assises  primitives  :  ce  fait  est  trop  universellement 
connu  pour  que  j'aie  besoin  d'y  insister".  Dès  lors,  il  est  faux  de  prétendre 
que  leur  langue  aurait  pu  se  conserver,  quoique  à  l'état  de  léthargie,  et  qu'elle 
n'aurait  eu  besoin  que  du  souffle  des  étrangers  pour  refleurir  dans  toute  sa 
vigueur  première. 

Un  argument  assez  spécieux,  que  l'on  allègue  pour  soutenir  cette  opinion, 
est  celui-ci.  Si  la  langue  slave  avait  été  universellement  parlée,  bien  (|u'avec 
des  nuances  diverses,  dans  les  différentes  provinces  habitées  par  les  Slaves, 
elle  n'aurait  pu  être  étouffée  par  l'arrivée  intermittente  des  Flamands, 
Saxons,  etc.  '. 

'  Voy.  V.  Quast,  Zitr  Characterisiik  des  àlteren  Ziegelbaues  in  der  Mark  Brandenbin-g , 
1850,  p.  233. 
*  Otto  Focli,  I,  pp.  114,  11.5. 
5  Fabricius,  loc.  cit.,  p.  32. 


DES  COLOÎSIES  BELGES.  283 

Mais  cel  aigunient  a-t-il  toute  la  force  qu'il  semble  renfermer  à  première 
vue?  Je  ne  le  pense  pas.  Les  langues  indigènes  disparaissent  petit  à  petit 
quand  un  peuple  étranger  s'implante  au  cœur  du  pays  conquis,  et  y  intro- 
duit ,  avec  son  génie  particulier,  les  institutions  et  les  lois  qui  lui  sont  pro- 
pres. De  nombreux  exemples  attestent  ce  fait.  Qu'est  devenue,  par  exemple, 
la  langue  des  Brilles  ?  N'a-l-elle  pas  été  anéantie  par  la  conquête  des  Saxons 
sous  Hengst  et  Horsa?  Et  l'anglo-saxon  lui-même  n'a-t-il  pas  été  profondé- 
ment modifié  par  l'invasion  normande?  Qui  connaît  encore,  autrement  que 
par  l'bisloire,  l'idiome  prussique  primitif?  Au  surplus,  la  question  de  savoir 
si,  au  milieu  de  pareils  événements,  une  langue  se  maintient  ou  se  perd, 
cette  (|uestion  dépend  tout  à  la  fois  et  du  nombre  des  émigranis,  et  de  la 
force  morale  de  la  race  indigène,  et  d'une  foule  d'autres  circonstances  ana- 
logues. 

IL  Cela  posé  et  admis,  les  Néerlandais  ont-ils  contribué  à  germaniser  les 
pays  slaves  et,  en  cas  d'affîrmative ,  dans  quelle  mesure  leur  action  a-l-elle 
opéré  ses  effets?  C'est  ce  qu'il  faut  examiner. 

Au  premier  point,  je  réponds  sans  hésiter  :  Oui.  Il  suffira  ,  pour  le  prouver, 
de  rappeler  quelques  souvenirs  philologiques. 

Primitivement,  les  Jules,  les  Angles,  les  Saxons,  les  Chauques,les  Frisons 
et  les  Belges  paraissent  n'avoir  formé  qu'une  seule  nation  répandue  par  peu- 
plades dans  diverses  contrées  et  parlant  longtemps  une  langue  unique,  ou 
tout  au  moins  des  dialectes  très-légèrement  différenciés  d'une  même  langue. 
Lorsque  les  chroni(|ueurs  ecclésiastiques  racontent  que  les  missionnaires 
anglais,  comme  saint  Willibrord  et  autres,  se  faisaient  entendre  de  nos  ancê- 
tres, sans  l'entremise  d'interprètes,  les  uns  accusent  ces  auteurs  d'erreur, 
voire  de  mensonge,  les  autres,  parlant  d'un  principe  opposé,  croient  de 
bonne  foi  que  le  miracle  des  langues  se  renouvela  en  faveur  de  ces  nouveaux 
apôtres. 

Il  ne  faut  ni  dénier  un  fait  évident ,  ni  recourir  à  une  explication  surna- 
turelle pour  trouver  la  solution  de  cette  prétendue  énigme.  La  grande  affi- 
nité qui  existe  encore  aujourd'hui  entre  les  divers  rameaux  du  Nederduitsch , 
devait,  aux  septième  et  huitième  siècles,  approcher  de  l'identité. 

Au  douzième  siècle,  ces  dialectes,  ou,  si  l'on  aime  mieux,  ces  langues,' 


286  HISTOIRE 

avaient  déjà  subi  toutes  les  altérations  inévitables  qui  résultent  du  temps,  des 
mœurs  propres  du  pays,  du  contact  des  habitants  avec  des  peuples  étran- 
gers, souvent  de  race  diverse,  etc.  Cependant,  tout  en  s'éloignant  plus  ou 
moins  les  unes  des  autres,  elles  se  rapprochaient  encore  suffisamment  du 
type  commun,  pour  que  Ton  pût,  —  qu'on  me  permette  la  comparaison, — 
les  considérer  comme  des  frèies  utérins  de  différents  pères. 

Qu'arriva-t-il  pendant  la  période  de  la  colonisation?  De  tous  ces  peu- 
ples, émigrés  en  Allemagne,  chacun  conserva  son  idiome  natal,  le  transmit 
à  ses  descendants  et  le  perpétua,  à  peu  de  chose  près,  dans  la  contrée  où  il 
s'était  établi.  Il  fallut  le  travail  des  siècles,  ce  travail  lent  et  insensible,  mais 
qui  n'en  détruit  pas  moins  tout  ce  qu'il  touche,  pour  opérer  la  fusion,  d'où 
est  sorti  le  Platdeuisrli  moderne,  avec  les  nombreux  rameaux  qui  le  com- 
posent. 

III.  Voyons  si  les  faits  de  l'histoire  confirment  les  inductions  de  la  science. 

La  plupart  des  colons  qui  se  fixèrent  en  Poméranie  furent  des  Westpha- 
liens,  et,  en  effet,  le  dialecte  plafcleufsch  de  la  Poméranie  se  rapproche 
encore  visiblement  aujourd'hui  —  je  l'ai  remarqué  moi-même,  —  de  l'idiome 
de  la  Westphalie,  et  plutôt  de  celui-ci  que  de  tout  autre. 

Dans  la  Marche  de  Brandebourg,  les  Saxons  furent  en  majorité,  et  leur 
langage  y  prédomina,  avec  les  réserves  établies  plus  haut,  sur  les  autres 
dialectes. 

Quelle  part,  maintenant,  devons-nous  faire  aux  Belges,  proprement  dits, 
puisque  c'est  d'eux  que  nous  avons  spécialement  à  nous  occuper?  Dirai-je,avec 
Eelking,  que  c'est  leur  langue  qui  remplaça  exclusivement  celle  des  Slaves? 
ou,  tout  au  contraire,  admellrai-je,  avec  Wersebe,  qu'ils  furent  les  seuls  à  ne 
laisser  aucune  trace  de  leur  passage?  Évidemment  non.  Les  Belges,  —  et 
par  eux,  j'entends  les  Flamands,  les  Hollandais,  les  Zélandais,  etc.,  —  con- 
servèrent leur  dialecte  dietsch,  partout  où  ils  s'établirent.  C'est  un  point  qui 
est  attesté  par  tous  les  historiens. 

iMalheureusement,  ce  bel  idiome  a  manqué  à  l'étranger  de  la  culture  litté- 
raire qui  assure  aux  langues  une  durée  perpétuelle,  tout  en  leur  conservant, 
à  peu  de  chose  près,  leur  cachet  primordial ,  et  il  a  été  envahi  de  tous  côtés 
par  le  Hochdeutsch.  Aussi  bien  des   personnes,  à  qui  ferait  défaut  l'usage 


DES  COLOiMES  BELGES.  287 

tréquent  du  (laniaud  acliiel  el  la  lecture  de  quelques-uns  de  nos  anciens 
auteurs,  auraient  de  la  peine  à  reconnaître,  à  première  vue,  dans  l'un  ou 
l'autre  dialecte  allemand  moderne  cette  même  langue  qui  fut  jadis  en  vigueur 
chez  nous.  Il  ne  faut  point  cependant  des  efforts  bien  grands  ou  mie  attention 
bien  soutenue  pour  découvrir ,  dans  certains  fragments  que  je  vais  reproduire 
ici ,  les  traces  de  notre  Dietsch  d'autrefois.  Il  suffit  de  cette  habitude  de  tous  les 
jours  qui  donne  au  linguiste  cette  sûreté  de  coup  d'œil  qui  fait  reconnaître 
comme  d'instinct  au  géologue  les  couches  successives  qui  ont  formé  notre 
globe,  alors  que  les  mêmes  phénomènes  échappent  à  des  regards  qui  n'y  sont 
point  accoutumés. 

Mais  avant  de  parler  de  Tune  ou  l'autre  pièce  étrangère ,  je  ne  puis  passer 
sous  silence  une  chanson  brabançonne  d'une  haute  ancienneté  el  dans  laquelle 
tous  les  auteurs  croient  retrouver  un  souvenir  de  nos  émigranls  du  douzième 
siècle.  La  voici  : 

Naer  Oostlaiid  willun  wy  rytleii, 
Naer  Oostland  willen  wy  mêc , 
Al  over  die  groene  heideri , 

Frisch  over  die  heiden , 
Daer  isser  en  betere  stêe. 

Als  wy  binnen  't  Oostland  konieii 
Al  ondcr  dat  hooge  liuis  fyn  : 
Daer  worden  wy  binnen  gelaten. 

Frisch  over  die  heiden, 
Zy  heeten  ons  willekom  zyn. 

Ja  ,  willekom  moeten  wy  wezen, 
Zeer  willekom  uioeten  wy  zyri  : 
Daer  ziillcn  wy,  avond  en  morgen , 

l'riscli  over  de  heiden  , 
Noch  drinken  dcn  koeleii  wyn. 

Wy  drinken  den  wyn  er  met  schalen 
'En  "l  hier  ook  zoo  veel  ons  belieft  : 
Daer  is  het  zo  vrolyck  to  Icven 

Frisch  over  de  heiden , 
Daer  woanter  myn  zoete  lief. 

La  chanson  contient  encore  neuf  strophes,  qui  se  rattachent  moins  encore 


288  HISTOIRE 

que  les  autres,  au  sujet  en  question.  M.  Willems  a  recueilli  celte  chanson  ' 
dans  le  Brabaiit,  aux  environs  de  Diest,  en  l'enlendanl  chanter  à  des  pay- 
sans, vers  la  Saint-Jean.  Bien  peu  la  disent  en  entier;  mais  tous  déclarent 
qu'ils  vont  à  VOuslland ,  sans  pouvoir  définir  où  ce  pays  est  situé.  Il  est  cer- 
tain, d'après  M.  Willems,  que  ce  mélancolique  chant  d'amour  est  connu  de 
temps  immémorial  dans  la  Campine  brabançonne  et  «  dès  lors  il  n'y  a  pas 
de  doute  qu'il  ne  remonte  à  l'époque  où  des  milliers  de  Flamands  et  de  Bra- 
bançons émigrèrent  dans  les  pays  de  l'Est,  c'est-à-dire  vers  le  nord  de  l'Alle- 
magne, et  y  fondèrent  des  colonies  agricoles.  » 

Le  savant  écrivain  rattache  ce  souvenir  à  la  circonstance  qu'un  Brabançon, 
Jean  de  Diest,  alla  occuper,  comme  je  l'ai  dit  -,  le  siège  épiscopal  de  Lu- 
beck,  et  y  attira  un  grand  nombre  de  ses  compatriotes;  et  voilà  aussi  pour- 
(pioi,  selon  lui,  la  chanson  s'est  conservée  à  Diesl,  tandis  qu'on  ne  la  retrouve 
nulle  part  ailleurs.  Quant  au  mot  Oostland  (variante  Oosteiiand) ,  il  signifie 
le  pays  des  bords  de  la  Baltique,  dont  les  habitants  étaient  nommés  Oosler- 
li)if/en.  La  maison  des  Hanséates,  à  Anvers,  s'appelait,  pour  ce  motif,  Oosler- 
linyhuis. 

IV.  Quoi  (|u'il  en  soit  de  cette  opinion,  avançons  graduellement.  En  ad- 
mettant que  l'on  puisse  attribuer  aux  émigrauls  du  douzième  siècle  ou  à  leurs 
descendants  une  ballade  qu'on  ne  rencontre  que  fort  défigurée  en  Allemagne, 
ne  pourrait-on  pas,  avec  plus  d'avantage,  si  l'on  trouve  dans  deux  pays  diffé- 
rents des  chansons,  adages  ou  proverbes  qui  expriment  les  mêmes  pensées, 
rendues  par  des  expressions  presque  semblables,  conclure  à  l'identité  d'ori- 
gine des  uns  et  des  autres?  En  d'autres  termes,  si  des  poésies  populaires, 
empreintes  d'un  cachet  de  naïveté  toute  primitive,  se  découvrent  dans  deux 

'  Onde  vlaemsclic  lieileren,  p.  5o,  sqq.  En  voici  la  traduction  littérale  :  «  Vers  VOoslland 
nous  voulons  chevaucher,  ]  Vers  l'Ooslland  nous  voulons  aller  ensemble,  |  A  travers  les  vertes 
hruyères,  ]  Fraichemeni  au  delà  des  brujères;  |  Là  se  trouve  un  meilleur  gile. 

j  Quand  nous  entrons  dans  l'Oostland,  [  Sous  la  haute  maison  gentiment,  |  Là  on  nous  laisse 
entrer,  j  Fraîchement  au  delà  des  bruyères,  |  Ils  nous  disent  que  nous  sommes  les  bien-venus. 

»  Oui,  bien-\cnus  nous  devons  être,  |  Très-bien-vcnus  nous  devons  être.  |  Là,  soir  et 
matin  ,  |  Fraîchement  au  delà  des  bruyères,  |  Nous  boirons  encore  le  vin  fin. 

»  Nous  y  buvons  le  vin  avec  des  coupes,  |  Et  la  bière  aussi  tant  qu'il  nous  plail;  |  Là  on  vit 
si  jnycusemeni,  |  Frnichement  au  delà  des  bruyères  :  |  C'est  là  qu'Jiabite  ma  douce  amie.  <■ 

'^  Voy.  plus  haut,  p.  3;2. 


DES  COLONIES  BELGES.  289 

contrées  situées  loin  Tune  de  l'autre,  séparées  par  la  confession  religieuse, 
qui  n'ont  pas  le  même  passé  historique,  mais  dont  la  langue  est  originairement 
la  même,  pourrait-on  soutenir  qu'elles  ont  pris  naissance  en  même  temps  et 
dans  la  même  langue  dans  les  deux  pays,  ou  peut-on  affirmer,  avec  toute 
raison,  qu'un  des  deux  pays  les  a  reçus  de  l'autre?  Et  la  présomption  n'esl- 
elle  pas  toute  en  faveur  du  pays  qui  a  envoyé  un  renfort  d'habitants  au 
second?  Cela  ne  fait  pas  de  doute.  Tel  est  le  cas  tout  d'abord  pour  une  petite 
pièce  à  laquelle  on  ne  sait  quel  nom  donner  et  qui  existe,  avec  de  légères 
variantes,  dans  le  Holstein  et  dans  le  Brabant. 
Voici  le  texte  holsleinois  : 


Boumbambeiei", 
De  liât  de  mag  kcen  eier. 
Wat  niag  se  dànn? 

Spek  in  de  pan. 
Ei!  wo  (hue)  lekker  is  ouiise  niadani  '  ! 

Le  mot  moderne  madam,  qui  semble  s'y  être  glissé  comme  un  intrus,  fait 
seul  tache  à  la  fin  de  ce  petit  conte.  Celui-ci  existe  chez  nous  tout  à  fait 
identique,  et,  dans  le  Brabant,  dans  la  forme  suivante  : 

Bunibam  baijere, 
De  kôster  en  mag  gcen  aijerc  : 
Wa  mag  en  dan? 

Spek  in  de  pan. 
Es  da'  geen  Ickkere  nian  '■'? 

«  Tous  nos  Flamands,  dit  Lebrocquy,  ont  été  bercés  au  bruit  de  ce(i(> 
chanson  de  nourrice.  La  plupart  d'entre  eux  ne  seront  pas  médiocrement  sur- 
pris de  la  retrouver  à  l'une  des  extrémités  de  l'Allemagne,  au  fond  du  Hol- 
stein. D'où  provient  son  existence  simultanée  dans  deux  pays  si  éloignés  l'un 
de  l'autre?  Certes,  ce  n'est  point  par  la  voie  littéraire  qu'elle  a  pu  se  répandre 

'  Firiiienich,  Germaniens  Vôlkerstimmen  ,  \"  Holstein.  Traduction  :  «  Boumbanibcir,  |  La 
cliatte  n'aime  pas  les  œufs.  |  Quaime-l-elle  donc?  |  Du  lard  dans  la  casserole.  |  Eh!  qu'elle  est 
friande ,  notre  madame  !  « 

-  Ibiti,  \"  Brabant.  Au  lieu  de  chatte,  il  s'agit  ici  du  clerc  d'église. 

Tome  XXXH.  38 


290  HISTOIRE 

ainsi  :  la  pauvre  chansonnette  n'a  sans  doute  jamais  été  recueillie  dans  un 
livre.  Il  serait  déraisonnable  de  la  supposer  contemporaine  des  premiers  émi- 
grés germains  qui  se  sont  fixés  en  Belgique;  mais  il  est  permis  de  croire, 
selon  nous,  qu'elle  aura  été  importée  dans  le  Holstein  au  douzième  siècle  par 
nos  colons  flamands  '.  » 

V.  Mais  les  réflexions  énoncées  plus  haut  s'appliquent  avec  bien  plus  de 
fondement  à  un  chant  de  berceau  ou  une  prière  du  soir  d'enfant,  qui  se  trouve 
presque  complètement  semblable  dans  le  pays  de  Brème  et  en  Belgi(|ue.  «  Dans 
le  Brémois,  dit  Koster',  la  langue  des  habitants  est,  comme  chez  la  popu- 
lation du  Holstein,  pure,  douce,  harmonieuse.  Ils  en  font  le  plus  grand  cas; 
aussi  n'y  a-t-il  pas  lieu  de  craindre  que  le  vieux  dialecte  saxon  populaire 
(die  altsassische  Volkesprache)  vienne  à  y  perdre  son  empire  qui  remonte  à 
plus  de  dix  siècles.  »  C'est  probablement  à  ce  culte  des  descendants  de  nos 
colons  pour  le  langage  de  leurs  ancêtres  que  nous  devons  la  conservation  de 
ce  petit  morceau  : 

Des  abends,  wenn  ik  to  bedde  ga 

Veerleiii  engcl  mit  my  ga'n  ; 

Twee  to  mynen  liij'len 

Twee  to  mynen  fôten, 

Twee  to  myner  rcchlen  sict, 

Twee  to  myner  linkcn  siet, 

Twee,  de  my  decken, 

Twee,  de  my  wecken, 

Twee,  de  my  dcn  recliten  weg  wies't 

In  dat  liimmlischc  Paradies. 

Parodies,  Paradies  is  upslaten, 

De  Himmel  is  apen. 
Wal  seh'  ick  dort  liangen  ? 

Slôttcr  un  tangen. 
Ua  slap  ick  so  sot 
Acliter  leben  Herrgolt  syn  fôt. 
Un  wenn  de  biltre  Dot  kummt 

Un  will  my  bosluten , 
So  kummt  de  lebe  Jcsu 
De  dcn  Himmel  upslut!  Amen  ^ 

'  Analogies  linguisliques.  Du  flamand  dans  ses  rapports  avec  les  autres  idiomes  d'origine 
leutonique,  p.  118. 
-  Loc.  cit.,  p.  133. 
5   .  Le  soir  quand  je  vais  au  lit,  |  Quatorze  petits  anges  m'accompagnent.  [   Deux  à  mon 


DES  COLONIES  BELGES.  294 

«  Celle  antique  [uralle)  prière  d'enfaiils,  dil  Kosler,  recueillie  par  lU.  le  pas- 
teur Wiedeniann ,  vil  encore  aujourd'hui,  du  moins  partiellement,  dans  la 
bouche  du  peu|)le.  Elle  plaira  à  quiconque  a  conservé  le  goût  de  la  piété  simple 
et  de  la  naïveté  enfantine.  Sept  couples  d  anges  se  tiennent  près  du  lit  de  l'en- 
fant; et,  sous  leur  protection,  il  ne  craint  point  Penfer  et  ses  tortures,  mais 
dort  tranquille,  couché  derrière  le  trône  de  Dieu.  La  pensée  même  de  la  mort 
devient  moins  amère,  puisque  Jésus  doit  ouvrir  les  portes  du  paradis.  » 

La  même  prière  existe  dans  toutes  les  provinces  flamandes  de  la  Belgique. 
Je  la  reproduis  d'abord  dans  le  dialecte  populaire  des  environs  de  Bruges  : 

'Sen  acvcns  als  ik  slacpcn  gaen 

Daer  volgcn  min  zeslien  engeltjes  nacr, 

Twe  aan  min  hoofdende, 

Twe  aan  min  voelende, 

Twe  aan  min  rechter  zide , 

Twe  aan  min's  linkcr  zide, 

Twe  die  min  dekken, 

Twe  die  min  wekken , 

Twe  die  min  leren 

Dcn  weg  des  Heren , 

Twe  die  min  wizen 

Naer  d'hcmeissche  Paradizen. 

'T  hemels  Paradis  staet  oopen  ; 

D'EU'  is  gesloolen 

Met  izers  en  banden; 

'K  vouwe  biede  min'  handen 

Met  Jcsus  in  min  mond, 

Met  Jésus  in  min  bcrte-grond  '. 

Les  six  derniers  vers  de  cette  pièce  ont  un  certain  air  de  famille,  quant  aux 

chevet,  |  Deux  à  mes  pieds,  |  Deux  à  mon  côté  droit,  |  Deux  à  mon  côté  gauche,  |  Deux  qui 
me  couvrent,  |  Deux  qui  me  veillent,  ]  Deux  qui  me  montrent  le  droit  chemin  |  Du  céleste 
Paradis.  —  Le  Paradis,  le  Paradis  est  déserré,  [  Le  Ciel  est  ouvert.  |  Que  vois-je  pendre  dans 
le  lointain  (iispecl  de  l'enfer)?  \  Des  serrures  et  des  tenailles.  |  Je  dors  si  doucement,  |  Der- 
rière les  pieds  du  doux  seigneur  Dieu;  |  Et  quand  vient  la  mort  amère  |  Qui  veut  m'enlacer,  | 
Alors  vient  le  doux  Jésus  |  Qui  ouvre  le  Ciel.  Amen.  » 

•  Traduction  des  six  derniers  vers  :  «  Le  céleste  Paradis  demeure  ouvert;  |  L'enfer  est 
fermé  |  Avec  des  fers  et  des  liens  (chaînes);  |  Je  joins  mes  deux  mains  |  Avec  Jésus  dans  ma 
bouche ,  I  Avec  Jésus  an  fond  de  mon  cœur.  » 


292  HISTOIRE 

pensées  qui  y  sonl  exprimées,  avec  les  dix  vers  qui  terminent  la  prière  bré- 
moise.  iMalgré  cette  analogie  apparente,  je  soupçonne  fort  (jue  l'une  et  Pautre 
finale  sont  d'une  rédaction  postérieure  au  reste.  D'abord ,  il  est  certain  que 
riniagination  est  étonnée,  j'allais  dire  choquée,  de  voir  succéder,  aux  calmes 
et  riantes  images  que  fait  naître  la  pensée  des  anges,  le  tableau  inopiné  de 
l'enfer.  Ces  sombres  visions  ne  sont  pas  de  l'enfance ,  elles  appartiennent  à 
l'âge  qui  ressent  déjà  le  bouillonnement  des  passions.  La  mère  qui,  dans  un 
pieux  transport  d'amour,  a  trouvé  ces  bouts-rimés,  si  pauvres  d'art,  mais  si 
gracieux  dans  leur  conception  naïve,  n'a  pas  pu  songer  aux  tourments  des  ré- 
prouvés. Quand  on  regarde  l'innocence,  on  sourit  au  ciel,  on  oublie  l'enfer. 
Imaginez  qu'un  peintre  s'empare  de  ce  sujet;  il  obtiendra  une  miniature 
d'une  physionomie  charmante;  qu'il  reproduise  dans  le  fond  l'idée  d'un  feu 
dévorant  et  de  tenailles  ardentes,  l'effet  sera  totalement  manqué.  La  pensée 
finale  de  Jésus  consolateur  ne  suffit  pas  à  atténuer  cette  impression  fâcheuse. 

Le  D"  Koster,  à  qui  j'emprunte  la  version  de  Brème,  confirme  indirecte- 
ment ma  conjecture.  Il  avoue  qu'elle  a  été  recueillie  par  pièces  et  morceaux 
{s(tickiveise)  de  la  bouche  du  peuple.  N'est-il  pas  d'une  haute  probabilité  que 
l'on  aura  réuni  deux  pièces  différentes,  dont  la  seconde,  appliquée  à  la  pre- 
mière, ne  semble  qu'une  cheville? 

J'en  dis  autant  pour  la  version  de  Bruges.  Deux  vers  se  sonl  perdus  dans 
le  texte  brémois,  ceux  qui  devraient  former  le  neuvième  et  le  dixième. 

Le  texte,  dans  les  Pays-Bas,  est  demeuré  complet.  Qu'on  en  juge  par  cette 
version  que  je  reproduis  dans  le  langage  populaire  de  Gand  : 

T's  aeves  aes  ik  slaepe  gae 

Der  volge  my  zeslien  cngclkes  nae, 

Twee  an  myn  hoofdendc, 

Twee  an  myn  voetende, 

Twce  an  myn  rechte  zye, 

Twee  an  rayn"slinlie  zye, 

Twee  die  niy  decke, 

Twee  die  my  wetkc , 

Twee  die  my  leere 

De  weg  des  Heere, 

Twee  die  my  wyze 

Naer  't  Ilemels  Paradvze. 


DES  COLOÎSIES  BELGES.  295 

Voici  la  pièce,  telle  qu'elle  a  été  publiée  par  M.  Firinenich,  dans  le  dia- 
lecle  vulgaire  anversois  : 

'S  ovonds  as  ik  slopen  go, 
Volgcn  me  seslien  cngeltjcs  no , 
Twec  oon  mein  rechter  seide, 
Tvvee  oon  mcin  linker  seide, 
Twee  oon  mcin  hoofd-einde, 
Twee  oon  mein  vut-einde, 
Twee  die  me  dekken, 
Twee  die  me  w  ekken  , 
Twee  die  me  lecren 
Den  w  cg  des  Heeren, 
Twee  die  me  wesen 
Noor  't  hemelssehe  Paradeisc  '. 

Enfin,  la  voici,  égalemenl  d'après  le  D'  Firnienicli,  dans  le  dialecte  po- 
pulaire du  Brabant. 

s  ovends  as  ik  slopen  goo 
Volgen  me  sestien  engelkcs  noo , 
Tweë  oon  mon  rechter  seide, 
Tweë  oon  nien  linker  seide, 
Tweë  oon  mcn  hoofdende, 
Tweë  oon  raen  voelendc, 
Tweë  die  me  dekken  , 
Tweë  die  me  wekken  , 
Tweë  die  me  Icëren 
Den  weg  des  Heëren  , 
Tweë  die  me  waisen 
Nor  "t  hcmelssc  Paradaise  -. 

YI.  Mais  revenons  à  l'Alieniagne.  11  faudrait  un  séjour  de  |)lusieurs  années 
sur  les  lieux  mêmes  où  nos  colons  s'élablirenl,  et  peut-être  en  vain,  pour 
retrouver  des  vestiges  de  l'ancienne  littérature  populaire  thioise.  Mais  dans 
plusieurs  contrées,  on  s'aperçoit  aisément  que  l'accent  des  habitants  a  conservé 
un  reflet  du  langage  des  émigrants  belges.  C'est  ainsi  qu'aujourd'hui  encore 
certaines  parties  de  la  principauté  d'Anhalt  Zerhst  et  du  territoire  de  Dessau 

'    GiTmaniciis  Vôlkerstimmcn,  111 , ')'  Lieferùtig. 
2  Jhi'l.,  III.  p.  (ici. 


294 


HISTOIRE 


offrent  des  ressemblances  frappantes  avec  l'accent  usité  dans  l'ancien  duché 
de  Magdebourg  et  dans  un  coin  de  la  Wisnie,  pays  qui,  on  le  sait,  ont  élé 
occupés  par  nos  compatriotes. 

Que  dire  des  contrées  situées  plus  avant  vers  le  nord?  La  seule  où  l'an- 
cien idiome  des  Pays-Bas  se  soit  maintenu  presque  sans  mélange  est  le 
FUiming  de  Jiiterbock,  ainsi  que  je  l'ai  dit  plus  haut. 

Kliigel,  constatant  ce  fait,  cite  plusieurs  mots  qui  en  prouvent  l'exacliludo; 
mais  il  faut  vivement  regretter  qu'il  n'ait  pas  poussé  ses  observations  plus 
loin,  sous  prétexte  qu'il  ne  prétendait  pas  faire  un  dictionnaire  flamand. 
Voici  ces  quelques  mots  qui  peuvent  servir  de  point  de  comparaison  pour  les 
autres  : 


FLAMAND  DE  JL'TERBOCK. 

FLAMAND   DES  PAYS- 

BAS. 

FRANÇAIS. 

budden, 

buiten. 

dehors  (foris). 

loopen , 
daalen, 

loopen , 
daalen, 

courir, 
décliner. 

hoeftvieli , 
loof, 
loot , 

lioofdvee, 

lof, 

lot, 

bétail. 

louange. 

sort. 

gaan , 

gaan , 

aller. 

man, 

man , 

homme  (vir). 

suupen, 
dut, 

zuipen , 
dat. 

boire  beaucoup, 
ceci,  cela. 

huus , 

huis , 

maison. 

h' 
pârd , 

pare  (contraction  poui 

maad, 

mit. 

'  pdrde) 

peerd  ou  paard , 
peerdeti  ou  paarden , 
maagd , 
uit. 

auprès. 

cheval. 

chevaux. 

vierge,  jeune  fille, 

dehors,  hors  (ex). 

Là  s'arrête  la  liste  des  mots  de  Klùgel  :  Nolo,  dit-il,  lexicon  scribere 
saxonico-flamingicum.  Il  ajoute,  cependant,  que  les  préfixes  allemands  aô 
et  ein  se  prononcent  «/'et  in,  exactement  comme  dans  les  Pays-Bas.  Il  donne 
enfin  un  exemple  de  phrase  :  Ju  hebben  de  pitre  budden  geluden,  litté- 
ralement :  vous  avez  laissé  les  chevaux  dehors,  c'est-à-dire  :  vous  avez  fait 
sortir  les  chevaux. 


DES  COLONIES  BELGES. 


295 


Plusieurs  de  ces  mois  cités  plus  haut  sont  identiques;  les  autres  s'éloi- 
gnent si  peu  de  notre  tlaniand  actuel  qu'il  n'est  personne  qui  ne  puisse  les 
ranger  dans  tel  ou  tel  de  ses  dialectes. 

VIL  Ce  qui  mérite  de  fixer  davantage  l'attention,  c'est  une  traduction  popu- 
laire du  Stabat ,  recueillie  chez  les  habitants  mêmes  du  bailliage  de  Jiiter- 
bock.  Pour  mieux  faire  ressortir  jusqu'à  quel  point  le  langage  des  habitants 
du  Flâming  se  rapproche  de  celui  de  nos  Flandres,  je  joins  au  texte  une 
traduction  interlinéaire  tlamande,  et  une  traduction  littérale  française: 


Jiïterb. 

By 

et 

kriiz 

met 

schreijcnde  ougen 

Flam. 

By 

het 

kruis 

met 

schreijende  oogen 

Franc. 

Près  de 

la 

croix 

avec 

de  pleurants  yeux 

Stuiid 

die 

muder 

dicp 

béwoagen, 

Stond 

de 

niocder 

diep 

bewogen , 

Était  debout 

la 

mère 

profondément 

émue, 

Doa 

de 

soan 

dorclinaëlt 

hing. 

Daer 

de 

zoon 

doornagcld 

hing. 

Pendant  que 

le 

fils 

transpercé  de  clous 

pendait. 

Un 

in 

or 

verzuchend 

liarze 

En 

in 

licur  (liaar 

)  verbryzeid 

herte 

Et 

dans 

son 

haletant  (brisé) 

cœur 

Umgedreyt 

van 

wci 

un 

smiirte 

Omgedraeyd 

van 

wee 

eu 

smerte 

Bouleversé 

de 

tristesse 

et 

douleur 

Een 

dôrchborend 

schlagswart 

ging- 

Een 

doorboorend 

slagzweerd 

ging- 

Un 

transperçant 

espadon  (poignard) 

allait. 

Wic 

bedrii 

ckt, 

wie 

nedcrgeslagen 

Hoe 

bedru 

ekt, 

hoe 

nedergeslagen 

Combien 

affligée , 

combien 

abattue 

Mut 

die 

segensrike 

klagen 

Moet 

die 

zegeryke 

klagen 

Doit 

cette 

riche  de  bénédictions 

1  gémir 

Om 

Gods 

eenig 

kind           ârn 

soen. 

Om 

Gods 

eenig 

kind            haren 

zoon. 

A  cause 

de  Dieu    l'unique 

enfant         son 

fils. 

296 


HISTOIRE 

Ach  ; 

wie 

Street  lie,  ach! 

wie 

schreit  sic 

Acii  1 

hoe 

streed  hy,  ach! 

hoe 

schreid  zy 

Ah: 

comme 

Iutta(-t-)il,.ili! 

comme 

plcure(-t-)elle 

r  ruiurikst 

Ivilld 

an    't           kriiz 

tu 

seen. 

'T  roeinrvksi 

kiiirl 

aiMi  t           kriiis 

te 

zien. 

l.c  plus  elorii'ux 

enfant 

à  la             croix 

de 

voir. 

Il  esl  presque  superllu  de  faire  ressortir  la  similitude  des  deux  textes.  Siu- 
soixante-deux  mots,  dont  se  compose  le  morceau,  cinq  seulement  sont  hovh- 
deulscli  :  die  (article),  verzuchend,  schlag,  wie,  sie.  Si  l'on  prenait  un  passage 
pUiiideuisch  quelconque,  comme  la  différence  serait  plus  sensible,  comme  les 
mots  intrus  seraient  plus  nombreux!  L'expression  segensrike  esl  un  composé 
digne  de  la  plus  belle  époque  de  la  langue  thioise.  El  qui  pourrait  n'être  pas 
frappé  de  cette  tournure  si  populaire,  si  usitée  chez  nous  :  ont  Gods  eenig 
Jcind  dm  soen?  Il  serait  trop  long  de  rechercher  ici  de  quel  dialecte  des  Pays- 
Bas  se  rapproche  le  plus  ce  fragment  de  la  langue  des  Flamands  de  Jiilerbock. 

Je  ne  puis  mieux  terminer  qu'en  citant  trois  anecdotes  empruntées  à  un 
judicieux  historien  et  qui  méritent  de  trouver  place  ici. 

Un  M.  Van  den  Broecke,  intendant  du  prince  de  Ligne,  raconta  qu'en 
revenant,  en  1786,  de  la  Pologne,  et  s'arrètant  dans  un  hameau  pour 
abreuver  ses  chevaux,'  il  trouva  les  habitants  dansant  et  jouant,  qui  parlaient 
assez  correctement  le  flamand,  suivant  l'accent  de  Courtrai.  Leur  ayant 
adressé  la  parole  en  flamand,  ils  comprirent  de  même;  quand  il  leur  dit 
qu'ils  parlaient  flamand,  ils  répondirent  qu'ils  ne  connaissaient  pas  ce  pays, 
mais  qu'ils  parlaient  la  langue  de  leur  village.  Il  leur  demanda  s'ils  ne  savaient 
pas,  par  ouï-dire,  de  quel  pays  leurs  ancêtres  étaient  venus.  «  Xous  n'avons 
jamais  entendu  dire,  répondirent-ils,  qu'ils  fussent  venus  d'ailleurs.  » 

Le  chevalier  de  Coninck  raconta  également  qu'étant  préfet  de  Hambourg, 
et  parcourant  sa  préfecture  pour  opérer  la  conscription,  plus  il  avançait  vers 
le  nord,  mieux  il  comprenait  les  habitants  et  moins  ses  employés  allemands 
les  comprenaient. 

Enfin,  une  compagnie  de  chasseurs  poméraniens  fut  en  garnison  à  Âude- 
narde,  en  1815  :  il  n'y  avait  entre  l'idiome  du  colonel ,  M.  de  Zastro,  et  celui 
de  ses  troupes  d'autre  différence  avec  le  nôtre  qu'un  peu  de  rudesse  dans  la 
prononciation,  et  par-ci  par-là  un  mot  allemand. 


DES  COLONIES  BELGES.  297 

Au  milieu  de  cette  diffusion  de  la  langue  ihioise,  que  devinrent  les 
Slaves?  Les  uns  périreni;  les  autres  adoptèrent  la  langue  des  vainqueiu's. 
L'usage  de  ridionie  germanique  prévalut  si  vite  et  si  bien  parmi  eux  «prau 
commencement  du  quinzième  siècle,  en  44.04-,  mourut  dans  File  de  Riigen, 
la  dernière  femme  wende  qui  comprit  encore  la  langue  de  ses  pères.  Tout 
le  reste  était  (jermanisé.         ^ 

SECTIOiN   V. 

ENDIGL'EMENTS  ET  DESSÈCHEMENTS. 

Le  but  principal  des  Néerlandais  en  s'expalriant  était  de  coloniser  les 
pays  où  on  les  appelait,  c'est-à-dire  de  donner  à  l'agriculture  des  terrains 
bas,  humides  et  déserts,  et  d'en  tirer  tout  le  profit  possible. 

Nous  avons  donc  à  examiner  à  l'aide  de  quels  procédés  techniques  les 
Belges  sont  parvenus  à  construire  des  digues  et  à  dessécher  les  marais. 

Ces  immenses  travaux ,  pratiqués  par  eux  sur  une  grande  échelle  dans 
la  plupart  des  contrées  où  ils  ont  fondé  des  colonies,  devaient  être  terminés 
avant  qu'ils  pussent  songer  à  se  livrer  aux  occupations  agricoles  proprement 
dites. 

Pour  faire  apprécier,  de  la  manière  la  plus  complète,  le  rôle  que  les  endi- 
guemenls  et  les  défrichements  ont  joué  en  Allemagne,  et  parlant  l'influence 
salutaire  qu'ils  ont  exercée  sur  l'agriculture,  je  diviserai  cette  section  en 
quatre  chapitres. 

Dans  le  premier  et  le  deuxième,  je  passerai  en  revue  les  coutumes  usitées 
dans  les  Pays-Bas,  et  surtout  en  Flandre,  sur  cette  matière,  et  je  citerai 
(]uel(pies  documents  pour  prouver  que  l'art  des  endiguements  et  du  dessè- 
chement des  marais  y  était  déjà  connu  et  appliqué  à  l'époque  de  rémigra- 
lion  de  nos  compatriotes. 

Dans  le  troisième,  j'examinerai  d'une  manière  plus  spéciale  ce  qui  était 
propre  à  la  Zélande ,  à  la  Hollande  et  à  la  Frise  :  formation  du  sol,  cause 
de  nombreux  cataclysmes;  inondations  qui  l'ont  bouleversé;  art  perfectionné 
des  habitants  dans  la  construction  des  digues. 

Tome  AXXIL  39 


298  HISTOIRE 

Enfin,  dons  le  (|uatrième,  j'intliqiiorai  quelques  contrées  ou  subsistent 
encore  les  derniers  vestiges  des  digues  construites  par  nos  colons. 

CHAPITRE  I-. 

COUTUiMES  USITÉES  DANS  LES  PAYS-BAS  ET  SURTOUT  EN  FLANDRE 

SUR   LE  DICAGE. 


Les  digues  '  sont  destinées  à  mettre  une  partie  de  territoire  à  Tabri  des 
hautes  marées  de  la  mer  et  des  inondations  des  fleuves. 

a.  Il  existe  sur  les  endiguements  une  source  fort  curieuse,  ayant  pour 
titre  :  «  Usaiges,  cousiumes,  stils,  drois,  privilèges,  franchises  et  libertéz 
observez  uséez  et  entretenus  tant  en  la  chambre  du  conseil  de  Flandre 
qu'ailleurs  dudit  pays,  ensemble  ung  extraict  des  antiquitéz  de  Flandres  avecq 
les  querelles  de  diverses  choses  compilez  et  accumulez  hors  du  rapiaire  de 
M''  Jacques  deBIazere,  premier  conseiller  et  vice-président  ûc  l'Empereur 
noire  seigneur  en  sa  chambre  de  conseil  de  Gand,  du  24  décembre  1327 
à  1334  ".  » 

11  résulte  de  ce  docimient  ce  qui  suit  : 

I.  Ceux  qui  voudront  endiguer  leurs  terres  couvertes  par  les  eaux  '  doi- 
vent obtenir  à  cet  eflet  un  octroi  du  prince. 

II.  Sur  le  lieu  des  travaux  devra  se  trouver  un  meenlenaere  [praefecius 
operi),  préposé  des  travaux*. 

'  En  néerl.  dijk  ou  dyck;  ail.  Dekii.  Comjj.  avec  le  grec  TÛxoi,  mur,  rempail. 

2  Voy.  mes  Documenta,  etc.,  n°  XXIX.  —  MS.  de  la  Bibl.  de  Bourgogne,  n"  6054,  603.), 
6056. 

^  C'est-à-dire  waze,  mot  d'origine  tcutonique  et  signifiant  Ijoue  (slyk),  ou  terre  boueuse 
avant  que  l'cndiguemcnt  n'ait  été  fait.  Wusda  a  le  même  sens.  D'après  M.  Kervyn  de  Lettcnliove 
{/{ist.  de  Flandre,  1,  i)7)  il  signifie  prairie;  d'après  Inibert  des  Mottelettes(Geo(/ro/)/((oPft(/o(i/«i 
rctiistae  Germaniae  regionum.  Lovanii,  t820,p.  39)  :  «  Waes ,  wasda,  wasio significai  lociini 
(lemissum,  madefaclum,  palustre.  »  Delà  l'origine  du  pays  de  Waes. 

'*  L'expression  de  meenter  se  trouve  dans  un  traité  signé,  en  1286,  entre  les  trcntt-neul  de 
Gand,  d'une  part,  et  le  seigneur  de  Bornlieni,  agissant  tant  pour  lui  que  pour  rcux  du  poldre  de 
Sainte-Catberine,  et  ceux  d'Oostkerke,  d'autre  part  (colTre  de  fer,  layette  C ,  n"  IX,  archives 
de  la  ville  de  Gand) 


DES  COLOiMES  BELGES.  299 

III.  Le  meenlenaere  choisira  les  newjers,  c'est-à-dire  les  ouvriers  qui, 
moyennanl  un  salaire  lixe  el  convenu  d'avance,  se  chargenl  de  construire 
les  digues. 

IV.  Cette  construction  s'opérera  sur  une  étendue  de  100  ou  de  50  me- 
sures à  la  fois,  quelquefois  sur  une  plus  grande  superficie. 

V.  Parmi  les  ouvriers,  il  y  en  avait  aussi  que  l'on  nommait  leyyhers 
(metteurs)  '.  C'étaient  à  proprement  parler  ceux  dont  le  travail  consistait  à 
entourer  la  waze  ou  terre  d'élévation ,  et  qui  prenaient  l'engagement  d'eu- 
diguer  tout  ce  qu'ils  pourraient. 

VI.  Ceux-ci  doivent  se  porter  solidairement  caution  qu'ils  rempliront  bien 
leur  tâche  et  qu'ils  parachèveront  l'ouvrage. 

VIL  II  sera  fait  une  péréquation,  taille  ou  taxation  [eveninghe)  c'est-à- 
dire  que  trois,  quatre  ou  cinq  mesures  de  terres  calamiteuses  seront  impo- 
sées contre  une  mesure  fertile.  Cette  péréquation  a  pour  but  d'établir  une 
contribution  pour  couvrir  les  frais  d'endiguemenl ,  contribution  qui  s'appe- 
lait au  moyen  âge  et  (|ui  s'appelle  encore  aujourd'hui  (lijclq/esc/iot. 

Quant  à. la  péréquation  [eveninghe) ,  nous  en  trouvons  l'application  et  la 
mise  en  pratique  dans  un  décret  du  26  juillet  1399  de  Philippe  le  Hardi, 
comte  de  Flandre,  touchant  la  réparation  des  digues  de  Ossenesse,  décret 
qui  statue  formellement  que  la  digue  nommée  Hinxdych  :  «  sera  tenue  et 
réparée  à  toujours  selon  la  coutume  du  pays,  »  devant,  continue  le  décret, 
«  contribuer  le  poire  appelé  le  Grotevoghel  et  le  poire  ap[)elé  Cleenevoghel 
IX  mesures  de  terre,  chascune  mesure  de  terre  cincq  soulz  parisis  de  notre 

'  L'expression  hyghers,  inleggers,  avait  parfois  une  autre  signification.  Elle  s'appliquait  à 
une  charge  lionorifique  qui  était  cessible.  Cela  résulte  des  deux  sources  suivantes.  Par  un  acte 
du  22  juin  tâfll ,  Gheraert  Leeuwaerde,  abbé  de  Saint-Pierre  à  Gand,  vend  et  cède  cette  charge 
à  un  nommé  Pierre  Heyens,  en  ces  termes  :  «  Aile  tregt  dat  wy  en  onze  kerckc  mitsgaders 
aiidere  legghers  van  de  dicugien  hebben,  of  hebben  moglien,  in  t' leggherschap  van  der  pro- 
chie  en  ambachte  van  Yscndyke...  omnie  le  doen  bcdikene  ende  verwarren  jcghens  de  zee.  » 
(Cart.  de  l'abbaye  de  Saint-Pierre  à  Gand,  n°  IX.) —  Par  un  autre  acte  du  ô  mai  1395,  le  même 
Gheeraert,  considérant  que  dans  l'Ambacht  d'Oostburg  les  digues  commencent  à  se  rompre 
(breken)  et  à  faire  défaut  [faelgirenen),  charge  :  «  toi  acbt  legghers  die  de  voorseyde  dicken 
zullen  doen  repareren  ende  vermaccken,  ende  vandaen  ouden  gehaesdich  in  goed  en  zekeren 
staete  jeghens  de  zee,  wel  ende  suffisantclyk  als  het  zoude  wezen.  »  (Cart.  même  abbaye, 
n°X.) 


500  HISTOIRE 

moiinoye  dcFlandirs  :  ileni  S"-Paiurels  poire  contenant  ix  mesures  aulant  '.  » 

Vnr  un  appoinlenieiH  de  Jac(|ucs  de  Bourgogne,  du  2o  mars  14.10,  cntro 
les  adhérités  des  poidres  de  Beoostenreede ,  d'une  pari ,  elceux  du  mélier  dAr- 
donl)urg,  d'autre  pari,  au  sujet  de  la  contribution  nécessaire  pour  bouclier 
la  l'upture  de  la  dic(/ue  entre  Slependamme  et  Coxijde,  il  fut  statué  :  «  que 
cliaque  mesure  de  terre  gisante  en  la  waleringue  de  Beoostenreede  payera 
vingt  sols  parisis,  ceux  de  la  Beoostenreede  payeront  de  chaque  mesure  neuf 
sols  de  notre  monnaie  de  Flandre  "'.  » 

En  ce  qui  concerne  l'expression  dyckgescliol ,  l'ordonnance  du  13  juil- 
let 1612,  concernant  l'administration  du  poldre  Saint-Hubert,  dit  que  le  dyck- 
yrave  et  les  jurés  fixeront  cette  contribution  conmie  il  conviendra  «  dych- 
(/rfwe ende gezworenen  scliieten  sulken  geschot  over  aile  de  ghemeten...  als 
zylieden  bevinden  sullen  te  behooren.  » 

Ce  (jesdiol  devait  être  acquitté  par  le  baender ,  c'est-à-dire  par  le  culti- 
vateur ou  le  laboureur  qui  jouissait  de  la  protection  de  la  digue  ^. 

H  résulte  d'une  ordonnance  de  Philippe,  archiduc  d'Autriche,  du  30  sep- 
tembre li79,  que,  pour  pouvoir  dicquer,  il  fallait  «  faire  de  profondes 
gueules  de  dicques  qu'on  appelle  creeckers  en  faisant  sur  les  schorres  de 
grandes  mottes  qu'on  appelle  stcllen ,  pour  y  mettre  des  brebis  ou  autre  bé- 
tail... en  faisant  hausser  les  terres  basses,  au  susdit  schorre  ou  rejet.  » 

0.  Passons  maintenant  à  la  réglementation  de  la  construction  des  digues, 
laquelle,  depuis  les  temps  les  plus  reculés,  a  fait,  dans  les  Pays-Bas,  l'objet 
de  la  sollicitude  des  divers  souverains  qui  les  ont  gouvernés. 

Par  deux  ordonnances  du  15  avril  1586  et  12  août  1588,  un  dyckgrtwe 
général  ou  surintendant  des  dicages  fut  institué  pour  le  Brabanl  et  la  Flandre, 
ordonnances  dans  lesquelles  ses  attributions,  droits  et  devoirs  sont  déter- 
minés ^.  Il  formait,  avec  quelques  autres  magistrats,  un  collège  dont  les 
fonctions  peuvent  se  définir  ainsi  qu'il  suit.  : 

1.  Ledyckgrave  était  chargé  de  fournir  les  plans,  dessins,  profils,  estima- 

'  Extrait  d'un  ancien  rartulaire  reposant  aux  arcliives  de  la  Flandre  orientale. 

2  Ptacact  hocckvan  Vluemtereit ,  III,  I'"  deci ,  nib.  V,  p. 431. 

5  Ihid.,  m,  p.  470. 

*  Ibid.,  III,  pp.  438,459. 


DES  COLOÎNIES  BELGES.  501 

lions,  conditions  pour  l'exéciUion  des  ouvrages,  tels  que  moulins,  machines, 
canaux,  fossés ,  écluses,  chemins;  il  devait  surveiller  aussi  la  conslruclion  des 
travaux  '. 

II.  Les  gezworene  ou  Heiineraden.  Ils  étaient  au  nombre  de  cinq  et  nom- 
maient avec  le  ihjchyraef  les  fonctionnaires  subalternes,  qui  prêtaient  entre 
leurs  mains  serment  de  bien  et  fidèlement  s'acquitter  de  leurs  fonctions'. 

III.  Le  penninckmeesler  qui  ne  pouvait  faire  aucun  payement  sans  l'auto- 
risa lion  du  di)ch(jruef  et  des  jurés  '. 

IV.  Le  (jreffier  ou  dcrc  du  dkage;  ses  fonctions  consistaient  à  enregistrer 
les  ordonnances  du  collège  '. 

V.  Les  arpenteurs  jwés  {yezworene  landmelers) ,  qui  étaient  chargés  du 
mesurage  des  terres,  d'eti  dresser  les  cartes  [carte  maken) ,  de  faire  un  rap- 
port exact  sur  leurs  opérations,  d'émettre  leur  avis  sur  ce  qu'ils  ont  vu  et 
entendu  d'après  la  visite  faite  par  eux  sur  les  lieux  ''. 

VI.  Les  rentmeeslers  ou  receveurs  du  dicage  tant  généraux  que  particu- 
liers. Ils  devaient  remettre  de  trois  en  trois  mois  entre  les  mains  du  collège, 
un  état  fidèle  de  leurs  recettes  et  des  payements  qui  avaient  été  faits  ''. 

VIL  Les  auditeurs  des  comptes  [de  auditeurs  van  de  rekeninyen).  Après 
qu'ils  avaient  approuvé  le  compte  des  rentmeeslers ,  on  décrétait  les  travaux 
d'endiguement  \ 

VIII.  Les  sehutlers,  dont  les  fonctions  consistaient  à  notifier  aux  inté- 
ressés que  le  collège  était  assemblé.  Le  cercle  dans  lequel  ils  exerçaient 
leurs  fonctions  s'appelait  scutterie  ou  praterie^. 

IX.  Les  wateryraveti  ou  iiioermeesters.  Ces  employés  étaient  chargés  de 
l'administration  des  nioeres,  et  des  terrains  vagues  et  bruyères  [wasiinx , 
llam.  woestynen,  grec  ï/sjj/ao^,  comme  le  prouve  le  village  de  Saint-Jean-in-Eremo, 

'   Ordonnance  du  13  juillet  101:2,  Pluccael  van  Vtaenderen ,  III,  p.  475. 

2  Ordonn.  du  12  août  1388,  ibid.,  p.  439. 

3  Ibid.,  ail.  VI,  p.  440. 

''  Jbid.,  arl.  VI,  in  fine ,  p.  440. 
^  Ordonnance  du  2  mars  1576,  ibid.,  p.  457. 
'■  Ordonn.  du  12  août  1588,  ibid.,  p.  440. 
"  Ordonn.  du  2  mars  1570,  ibid.,  p.  468. 
*  Ordonn.  du  13  juillet  1612,  ibid.,  p.  475. 


302  HISTOIRE 

dans  l'aiToiidisseinenl  d'Eecloo) ,  et  de  tout  ce  qui  concernait  l'an  hxdro- 

technique. 

Il  résulte  d'une  charte  de  Marguerite  de  Constantinople,  datée  du  jour  des 
Cendres,  en  février  4278,  que  Euslache  de  Gand,  moine  de  Cambron,  est 
désigné  par  cette  qualification  :  «  Margarelha...  religioso  viro  Euslachio  de 
Gandavo,  monacho  de  Camberone,  ad  wastinas  el  niorun)  Flandriae  depu- 

tato...  saluteni  '.  » 

Tous  ces  fonctionnaires  étaient  assermentés,  devaient  fournir  caution,  et 
se  trouvaient  sous  les  ordres  el  la  surveillance  immédiate  du  surintendant 

du  dicage. 

Aucun  des  documents  auxquels  Je  me  suis  référé,  quelque  importants  qu'ils 
soient ,  ne  parle  des  procédés  techniques  qui  étaient  en  usage  pour  la  con- 
struction des  digues.  J'examinerai  ce  point  dans  le  chapitre  III. 


CHAPITRE  II. 

DESSÈCHEMENTS. 


Tout  ce  qui  concerne  le  régime  des  eaux  était  déjà  connu  et  prati(|ué  dans 
les  Pays-Bas  aux  onzième,  douzième  el  treizième  siècles.  Il  ne  sera  donc  pas 
sans  intérêt  de  jeter  un  rapide  coup  d'œil  sur  toutes  les  matières  qui  se  rat- 
tachent à  ce  régime  et  qui  n'ont  été  réglementées  que  plus  tard.  Je  dirai  quel- 
ques mots  des  polders,  des  brocchen,  moeren  ou  meeren  (marais)  et  des 
waterinyiies. 

§  I.  —  Polders. 

Les  polders'  sont  des  terres  d'alluvion  entourées  de  digues  et  (|ui,  après 
leur  dessèchement,  sont  susceptibles  de  culture,  ou  bien  ce  sont  des  terres 
endiguées  formées  sur  d'anciens  marécages,  (|ue  les  premiers  habitants  en- 

'   Extrait  du  cartul.Tire  de  Tabbayc  des  niiiies. 

••'  Le  mol  polder  vient  de  poel  (marais)  et  aerde  (terre),  par  contraction  el  euplionie  polder. 


DES  COLOiMES  BELGES.  305 

tourèrenl  crenclos,  de  faibles  digues,  et  qu'ils  munirent  de  grossières  écluses. 

Il  y  a  deux  sortes  de  polders  :  ceux  de  première  ligne  sont  ceux  dont  les 
digues  û'avanl  sont  baignées  par  la  mer. 

Les  polders  nlurieurs  sont  ceux  qui  sont  séparés  de  la  mer  par  d'autres 
polders. 

Parfois,  les  polders  sont  désignés  sous  le  nom  de  terrae  novae,  novaliu, 
pour  les  distinguer  des  terres  cultivées  depuis  un  temps  plus  reculé,  qu'(»n 
désigne  par  le  nom  de  terra  velus. 

C'est  ainsi  qu'une  charte  de  donation  accordée,  en  1087,  par  le  comte 
Robert,  à  l'abbaye  de  Tronchiennes,  donna  à  ce  monastère  les  dimes  de 
Ruysselede,  tant  sur  les  terres  nouvelles  que  sur  les  anciennes  [et  bodiuiu 
Russlensis  parochiae  novae  et  veterts  terrae)  *. 

C'est  ainsi  encore  que  dans  un  concordat  conclu  entre  le  monastère  de 
S'-Pierre ,  à  Gand ,  d'une  part,  et  celui  de  S'-Bavon  et  le  curé  de  S*-Sauveur , 
d'auti-e  part,  relativement  au  droit  de  patronat  et  des  dimes  à  percevoir  à 
lladevelde  et  à  Mentocht,  au  mois  de  juin  1221 ,  il  est  dit,  n'  4  :  «  qu'il  sera 
permis  à  l'église  de  S'-Piorre  de  bâtir  sur  leur  fonds  une  église  à  laquelle 
a|)partiendronl  tous  ceux  qui  habitent  et  habiteront  par  la  suite  dans  la  pré- 
dile  novale  '-.  » 

La  plus  ancienne  charte  où  l'on  rencontre  le  mol  polder  est  de  l'année  1218. 

L'empereur  Henri,  de  Constantinople,  donna  par  ce  diplôme,  à  l'abbaye 
de  S'-Pierre,  à  Gand,  une  possession  près  de  Walervliet,  qu'il  appelle  HaOa 
Kineo  Polra  et  dont  il  délei-mine  exactement  les  limites;  mais  si  le  nom  ne  se 
découvre  pas  plus  tôt,  la  chose  est  certainement  plus  ancienne,  puisqu'une 
charte  du  comte  Philippe  d'Alsace,  de  1171,  désigne  les  polders  près  d'Os- 
lende,  comme  des /("rres  nouvelles  (expression  déjà  indiquée  plus  haut),  (|ue 
la  mer  a  abandonnées. 

Dans  un  diplôme  de  1 150,  on  distingue  déjà  la  terre  de  rejet  [werpland) 
de  la  terre  de  marais  {moerland).  En  effet,  parla  charte  de  1167,  le  même 

'  Annales  de  la  société  d'Émulation  de  la  Flandre  occidentale.  Bruges,  III,  p.  195. 

2  Cnrtulaire  de  l'abbaye  de  SaiiU-Picrre,  n"  118:  «  Quod  liceat  Ecclesiae  Sancti  Pétri  iii  pre- 
diclo  loco  sui  fundi...  constriHTe  firlesiaiii  ad  quani  omiies  in  dicta  nova  terni  mancnics  et 
inatisiiri  in  posicruni...  ]iciiinel)iint.  » 


304  HISTOIRE 

comte  rlo  Flandre,  Philippe  d'Alsace,  rendit  «  à  ceux  de  S'-Bavon  »  ,  à  Gand  , 
la  dîme  de  Roodenburg,  Wulpen  et  Cassant  tam  de  morlant  quam  de  iccrp- 
lant  '  » .  Il  y  avait  donc  déjà  à  cette  époque  une  différence  entre  les  lerres 
marécageuses,  puisque  iverplanf  s'appelait  terre  de  rejet  ou  rejet  de  mer,  et 
que  moerlant  veut  dire  terre  de  marais. 

Le  plus  grand  des  polders  actuels  de  la  Flandre  hollandaise  fut  endigué 
par  Jean,  fils  du  comte  Gui  de  Flandre;  il  a  une  étendue  de  i,5()0  bonniers. 

Le  décret  du  11  janvier  1811 ,  relatif  aux  polders,  pour  lesquels  il  créa 
des  districts  nouveaux,  ne  traite  que  des  endiguements  des  lais  et  relais  de 
la  mer. 

§  II.  —  Murais. 

Dans  les  anciens  documents,  on  appelle  broecken,  moeren,  meiren,  ou 
meeren,  poelen,  etc.,  les  terrains  marécageux  endigués  et  desséchés  le  long 
des  fleuves  et  rivières. 

Les  marais  [paludes]  des  Ménapiens  sont  déjà  mentionnés  par  César  ■. 

Plusieurs  villages  aux  environs  de  Gand,  etc.,  n'étaient  originairement 
que  des  marais.  Tels  sont,  Mariakerke,  Tronchiennes,  etc.  Les  prairies  de 
cette  dernière  commune  ont  encore  toute  l'apparence  de  marais. 

Ces  derniers  étaient  aussi  fort  fréquents  dans  la  Flandre  française  actuelle. 
Lille  fut  bâtie  au  milieu  d'un  broeck.  Les  environs  de  la  ville  de  S'-Omer 
étaient  des  marécages  insalubres,  témoin  les  terminaisons  de  plusieurs 
villages  et  villes,  tels  que  Hagebroeck,  Verrebroeck,  Capellebroeck,  etc. 

Au  sud  de  la  ville  de  Furnes,  il  exista,  jusques  il  y  a  près  de  deux  siècles, 
un  grand  marais,  nommé  la  moere,  et  connu  dans  les  anciens  diplômes  sous 
le  nom  de  Sibouden-see. 

En  1227,  intervint  un  arbitrage  entre  Hughes,  chevalier  [miles]  de  Lor- 
raine, et  Relfin,  bailli  de  Furnes,  pour  le  changement  d'un  chemin  con- 
duisant de  Dunkerque  à  Furnes,  et  passant  près  du  marais  dit  Siboudeiize  '\ 

'   nvv.sicWm'is,  Jlel  ilisirickt  van  Shiis  in  Vlaandeirn.'SUddcWmvg,  ISI'.I.  |>.  I(». 
«  Rdl.  Gallic,  lib  III,  ii'  28;  lib.  VI,  n»  o. 

"•  «  Viani  sivc  publiram  slratam  (|uae  vergobal  tic  Uiiiikei-lva  ultra  uquam  quae  vocatur 
Siboiinczc ,  et  sic  lendebal...  »  (Cart.  des  Dunes.) 


DES  COLONIES  BELGES.  005 

Le  sol  de  ce  moer,  desséché  en  1624  et  années  suivantes,  par  Wenceslas 
(îoeberger ,  et  qui  se  trouve  à  plus  de  sept  pieds  au-dessous  du  niveau  des 
terres  environnantes,  formait  autrefois  un  lac  salé,  que  Ton  n'a  pu  dessécher 
qu'en  l'entourant  de  digues  et  au  moyen  de  moulins  à  épuisement  '. 

Une  charte  de  1175,  de  Philippe  d'Alsace,  parle  de  deux  moers,  l'un 
nommé  simplement  mour  et  l'autre  zuulmoer  :  «  concessi  eciam  prefale 
ecclesie...  ut  in  ea  parle  soliludinis  mce  que  dicitur  mour...  domum  con- 
slruere...  insuper  et  viam  que  dicitur  cruccwcch...  et  abhinc  viam  que  dici- 
tur monecwcch  usque  ad  Zuutmoor  liberam  concedo  "  ». 

Par  un  diplôme  du  mois  de  février  1276,  Marguerite  de  Conslantinopic, 
vendit  «  par  le  maindant  Eustacie,  moine  de  Camberon,  maître  de  Stoupe- 
dis,  à  Simon  le  moine,  deux  bonniers  de  nosire  moer  de  Zelzate...  chascun 
bonnier  pour  cent  livres  de  la  monoie  de  Flandre...  encore  à  Jehan  de  Zeve- 
cole,  le  clerc,  un  bonnier  de  nostre  moer,  gisant  daleis  Icsaulres  deus  devant 
nommés,  vers  le  Nort  pour  cent  livres  de  ladite  monoie...  encore  à  Ernoul 
des  Sans,  ke  on  disl  Weghen,  trois  bonniers  et  demi  de  nostre  moer... 
encore  à  Sohier  Goelhals,  à  VValier,  à  Henri  et  à  Gérard  frères,  trois  bon- 
niers de  nosire  moer  îx  tout  le  Irelïons,  et  à  Ernoul  Spaldine,  un  bonnier... 
liquel  gisent  tout  desous  le  Waleryanl  '.  » 

Un  autre  moer  était  situé  près  de  Bruges,  dans  la  paroisse  de  Meelkerke; 
il  était  connu  sous  le  nom  de  meckersche  moer .  Dans  la  vallée  de  la  Durme, 
on  compte  trente  et  un  endigages,  qui  tous  porlent  le  nom  de  broeck  *. 

Le  marais  nommé  Bleenkaert,  entre  Woiunen  et  Merckhem,  peut  nous 
donner  une  idée  de  l'aspect  qu'offraient  nos  anciens  marais.  Vers  le  milieu  de 
l'été,  ses  eaux  stagnantes  se  dessèchent  en  grande  partie,  tandis  que  pendant 
la  saison  des  pluies,  eu  automne  et  en  hiver,  elles  forment  de  vastes  lacs, 
qui,  dans  leur  fond,  contiennent  un  dépôt  de  vase,  mêlée  de  préaux,  d'her- 
bes, de  parties  ligneuses  amenées  par  les  filets  d'eaux  (pii  alimentent  ces 
lacs.  C'est  là  l'origine  de  la  tourbe,  telle  qu'on  la  trouve  dans  le  fond  de  tous 

'   Méinoin'n  de  l'Acad.  royale  de  Bclyiqiie ,  1827. 

■^  Exlrah  du  Carluluire  des  Dunes. 

'  Carlidaire  de  Flandre,  aux  arcliives  de  Lille,  p.  342. 

'  Mémorial  admin.  de  la  Fland.  orient.,  t.  XLVIII,  p,  121. 

Tome  XXXII.  40 


506  HISTOIRE 

les  marais,  surtout  de  ceux  qui  se  sont  trouvés  à  proximité  des  jjois  ou  de 
plantations  quelconques. 

Par  une  charte  de  1167,  Baudouin  de  Lille,  comte  de  Flandre,  fit  au 
monastère  de  Saint-Winoc,  à  Berghes,  une  donation  dans  laquelle  furent  com- 
prises toutes  les  dîmes  de  Wormhout,  d'Ypres,  de  Wurhem,  etc.,  et  celles 
provenant  des  alentours  de  Synthe,  y  comprises  les  terres  qui  deviendraient 
arables  par  réioignemcnt  de  la  mer,  et  par  le  dessèchement  des  marais  '. 

En  1242,  les  Gantois  cédèrent  au  comte  de  Flandre,  Thomas,  et  à 
Jeanne  de  Constanlinople  la  terre  dite  de  Brouck,  située  à  Textrémité  du 
l)ourg  {De  Burchsiniele) ,  vers  la  paroisse  de  Wondeighem,  ayant  une  con- 
tenance d'environ  trois  bonniers,  et  nommée  le  marais,  en  flamand  brouck 
ou  brouck  '. 

En  1169,  il  existait,  entre  Watten  et  Bourbourg,  un  vaste  marais  de  la 
contenance  de  758  hectares,  il  étendait  au  loin  un  limon  inaccessible,  et 
était  impraticable  même  pendant  Tété.  Philippe  d'Alsace  le  transforma  en 
une  terre  fertile  et  labourable,  résultat  qui  coûta  beaucoup  de  fatigues  et 
d'argent  :  «  Feci  sumptibus  meis  cum  impensa  muiti  sudoris'.  » 

Dans  un  concordai  conclu  entre  l'abbé  de  saint  Pierre,  à  Gand,  et  Thierry 
de  Lisa,  du  9  août  1269,  il  est  fait  mention  d'un  marais  sans  fond  [Bo- 
(lenloose  meer)  en  ces  termes  :  «  In  loco  vero  dicto  Bodenloze  merre  idem 
Theodoricus  nihil  juris  habet,  nec  in  graminibus  seu  fructibus  crcscentibus 
in  eodem  *.  » 

La  ville  d'Ardres  ayant  dans  son  voisinage  de  vastes  marais,  le  comte 
d'Ardres  en  entreprit  le  dessèchement  :  «  Sy  trouva  moien  par  subtilité  et 
force  de  faire  retirer  et  sécher  plusieurs  cour  d'eaulx  fluans  aulx  marelz 
dudict  lieu  d'Audruicq  et  le  mettre  à  labeur  »  —  «  Sic  ejusdem  loci  maris- 
cum,  multiplicibus  Idrae  capitibus  amputatis,  Herculina  caiiiditate  desic- 
cavit^.  »  Le  chroniqueur  a  malheureusement  négligé  d'ajouter  à  l'aide  de 
quels  procédés  le  comte  d'Ardres  avait  obtenu  ce  résultat. 

'  L.  de  Baecker,  Hist.  de  l'agriiull.  Ikimaink,  p.  37.  Lille,  Danel,  I8a8. 

*  Dicricx ,  Mémoires ,  1 ,  20o. 

'  Id. ,  Charlerhoek ,  p.  42. 

''  /(/.,  p.  47. 

B  Lambcil  dWrdres,  Chronique  de  Guines  el  Ardres,  édit.  Godedefroi-Ménilglaise,  ]».  168. 


DES  COLONIES  BELGES.  507 

§  IH.  —   Wateringues. 

Le  sonl  des  associations  ayanl  pour  ojjjel  principal  récoulement  des  eaux 
des  terres  basses.  Pour  atteindre  ce  ijut,  en  faisant  passer  les  eaux  à  travers 
les  propriétés  limitrophes,  les  propriétaires  s'entendirent  entre  eux  :  voilà 
l'origine  de  ces  associations. 

L'expression  ivaterhige  est  aussi  synonyme  de  ivafergang  ou  tcalerlael  '. 

Quelques  wateringues  appartenaient  aux  comtes  de  Flandre.  Ils  les  entre- 
tenaient à  leurs  dépens  et  en  percevaient  le  revenu. 

En  4183,  Philippe  d'Alsace  déclara  libres  du  droit  de  wateringue  les 
terres  de  l'abbaye  des  Dunes,  à  Bruges,  situées  au  Métier  de  Furnes.  Il 
accorda  en  même  temps  à  cette  maison  la  garde  des  écluses  du  même  Mé- 
tier, ainsi  que  les  revenus  qui  y  étaient  attachés,  à  condition  qu'elle  entre- 
tiendrait les  digues  et  les  écluses  en  tant  que  les  réparations  à  faire  pour- 
raient être  exécutées  durant  l'espace  d'un  jour  ^. 

Au  mois  d'avril  1269,  survint  un  jugement  de  Margnerite  de  Constan- 
tinople  pour  aplanir  les  dillicullés  survenues  dans  l'administration  de  la 
wateringue  du  Métier  de  Furnes. 

Il  y  est  dit  :  «  Re  li  abes  de  l'Église  des  Dunes,  ou  cil  ki  sera  en  son  lin, 
i  doit  mettre  un  preudomme  seufTisant  en  bone  foi ,  ki  gardera  le  cleif  don 
très  wis  del  escluse  devant  dite  et  quant  il  li  metera,  cil  cui  il  metera  fera 
sairement  seur  sains  en  la  présense  des  watergraves.  » 

C'est,  dit  un  écrivain,  à  cette  admirable  institution  que  le  pays  doit  la 
conquête  sur  les  eaux  de  plus  de  quarante  mille  hectares  de  terres  fertiles  '. 

Une  ordonnance  d'Albert  et  d'Isabelle,  du  13  juillet  1612,  réglementa 
cette  institution  pour  les  Flandres  *. 

De  tout  ce  qui  précède,  l'on  peut  conclure  qu'à  l'époque  des  émigrations 
de  nos  colons,  des  dispositions  réglementaires  étaient  déjà  en  vigueur  el 
appliquées  dans  les  Pays-Bas  pour  tout  ce  qui  concerne  le  réffhne  des  eau.r. 

'   Oiericx,  Charterhoek,  pp.  5,  15,  16. 

■^  Mirœus,  Oper.  diplomut.,  III,  ]).  61. 

''  L.  de  Cousseniaker,  Statisti(/i(e  archéol.  du  dép.  du  .\urd.  Lille  ,  1862,  p.  53. 

'  Placcaet  boekvan  Ylaendvrtn  ,  111,475. 


508  HISTOIRE 


CHAPITRE  III 


COUTUMES  USITEES  SPÉCIALEMENT  EN  HOLLANDE,  EN  ZELANDE 

ET  EN  FRISE. 


Dans  ces  provinces  que  César  appelait  Insula  Batavonmi ,  les  eaux  cou- 
laient pour  ainsi  dire  sur  la  tête  des  habitants,  et  leur  sol  fut  perpétuellement 
le  théâtre  d'une  lutte  entre  la  terre  et  les  tlots.  C'est,  dit  Douza  ',  «  insula 
cujus  humile  adeoac  palustre  solum  cum  flexus  autoinni  tum  crebris  pluvia- 
lihus  imbribus  superfusus  amnis  in  faciem  stagni  oppleverat.  » 

Les  terminaisons  suivantes,  que  Ton  rencontre  depuis  la  Frise  jusqu'à  Gra- 
velines,  prouvent  que  depuis  les  temps  les  plus  reculés  un  nond)re  considé- 
rable de  localités  des  Pays-Ras  doivent  leur  étymologieà  des  mots  qui  ne  sont 
usités  que  dans  une  contrée  aquatique. 

Ainsi  de  vliet  (coulant  d'eau)  viennent  : 

Santvliet,  Rierviiet,  iNieuwvliel,  Hoogeviiet,  Watervliet,  Regelingsvliet, 
Reingensvliet,  Goedviiet,  etc. 

De  nesse  (syn.  de  schorré)  "  viennent  : 

Ossenesse,  Hontenesse,  Gusternesse,  Heedenesse,  Bornesse,  Lamper- 
nesse ,  etc. 

De  broeck  (marais)  : 

Verrebroeck,  Willebroeck,  Ruysbroeck,  Reverenbroeck .  Berbroeck,  Has- 
sebroeck ,  Hagebroeck ,  Bierbroeck ,  etc. 

De  ée  [waler ,  eau)  ''  : 

Grevelingée,  Honlêe,  Werlingèe,  etc. 

'  Bataviae  HolUmdiaeque  annales.  Antv.,  1(501 ,  lib.  VI ,  p.  ^37. 

-  Cette  terminaison  est  synonyme  de  schorre  et  signifie  terre  basse,  couverte  par  les  eaux. 
«  Lage  onder  het  water  bedekte  landen.  »  Voy.  Wagenaar,  Beschryving  van  Amsterdam,  I, 
ôi ,  258.  —  Het  dictrir.t  van  Sltiis  in  Vlaandercn  ,  par  Dresselliuis ,  7,  note  in  fine. 

''  Dresseilnii.s,  p.  7. 


DES  COLONIES  BELGES.  309 

De  beek  (ruisseau ,  filel  d'eau)  : 

Loinbeek-Sainle-Calherine,  Strombeek,  Diepeiibeek,  Neerglabbeek,  Op- 
glabl)eek,  Speelbeek,  Molenbeek-St-Jean,  etc. 

De  dyk  (digue)  : 

Stoppeldyk,  Heinsdyk,  VVulfsdyk,  Schoondyk,  Moerdyk,  Waterdyk,  Kal- 
tendyk,  Eliewondsdyk,  Everdyk,  Ilaegendyk,  etc.,  ainsi  que  Mordick  et 
Noordick. 

De  dam  (barrage,  digue)  viennent  : 

Ablassendam,  Langdam,  Amsleldam,  Appingdam,  Saandani,  Oudeudani, 
Swamnierdam,  Merinekendani,  etc. 

De  sluis  (écluse)  : 

La  ville  de  Sluis,  Ellevaetsluis,  Maasiandssiuis ,  etc. 

De  duin  (dune)  : 

Wenduin,  Abdye-ter-Duinen,  Loosduin,  etc. 

Demiiide  ou  mude  (bouche,  embouchure)  : 
Arnemuide,  Dixinude,  etc. 

Les  provinces  du  nord  de  l'Allemagne,  situées  à  proximité  de  la  mer  Bal- 
tique, de  TEIbe,  du  Weser  et  d'autres  grands  lleuves,  offraient,  avant  leur 
dessèchement  et  leur  mise  en  culture,  une  grande  ressemblance  avec  notre 
[)ays  maritime,  qui,  à  l'époque  où  nos  colons  s'expatrièrent,  était  déjà  en 
grande  partie  endigué  et  desséché. 

Toutefois,  pour  éclaircir  la  question  il  ne  sera  pas  inutile  de  constater  les 
causes  qui  amenèrent  cette  situation ,  avant  de  parler  des  remèdes  qui  le 
firent  cesser. 

§  L  —  Inondations. 

Elles  bouleversèrent  fréquemment  le  sol  des  Pays-Bas,  je  l'ai  dit  dans  la 
première  Partie.  Douza  '  dit  à  ce  propos  :  «  Ex  quo  factuni ,  ut  regiones  non 

'   Loc.  cit.,  p.  261. 


510  HISTOIRE 

paucae  exubérante  mari  a  contineiiti  suo  revulsae,  ac  coecis  arenanim  piilvi- 
nis  cooperlae,  forniidinem  hodie  faciant  naviganlibus;  aliae  giirgitihus  haiistae 
oln'iilaeqiie  penitus  in  fundnm  abierunt;  nonnuilas  etiani  ex  arvis  el  pasciiis 
in  vadorumslerilitatemrecipi'ocanlispelagi  aestus  commulaveril  :  quae  lainen 
postea,  vicissitiidin(?  quadam  reium,  paiilalim  limo  qiieni  mare  infusum  in- 
veliit  veluti  teclorio  quodam  snperinducto,  verlicem  denuo  exlra  vorlices 
(quod  dicilur)  exserere,  novaque  suceedaneae  terrae  accretione  aiiclae,  Cho- 
inanliiae  fidem  primum ,  niox  aiixiliares  etiam  colonorum  manus  implorare 
instituerunt.  » 

De  nombreux  territoires  furent  arrachés  du  continent  par  les  inondations 
impétueuses  de  la  mer,  et  couverts  sous  d'obscurs  monceaux  de  sable;  ils 
sont  un  objet  de  terreur  pour  les  navigateurs;  d'autres,  entraînés  dans  des 
gouffres  béants,  s'engloutirent  complètement  dans  les  abîmes;  maints  pâturages 
furent  rendus  stériles  par  le  flux  et  le  reflux  de  la  mer.  Mais  bientôt  un  chan- 
gement s'opéra.  Le  limon  que  la  mer  avait  traîné  à  sa  suite,  ayant  superposé 
une  couche  sur  les  bas-fonds ,  la  superficie  qui  existait  auprès  des  gouffres 
commença  à  se  montrer,  et  le  sol  ayant  pris  une  nouvelle  consistance  par  les 
terres  qui  le  remplacèrent,  ils  [les  Hollandais]  eurent  recours  à  la  Choinarchie 
(c'est-à-dire  à  l'art  des  endiguements)  et  employèrent  à  ce  travail  les  bras  des 
colons. 

Quant  aux  endiguements,  le  règlement  le  plus  ancien,  je  crois,  qui  en 
parle,  est  la  collection  des  Lois  franques  {Francorum  leges  '),  promulgées 
par  Charlemagne.  La  rubrique  du  chapitre  IV  est  intitulée  :  De  aggeribus 
juxla  Ligerim  faciendis.  Des  digues  à  construire  le  long  de  la  Loire,  ou, 
comme  on  dit  aujourd'hui,  la  levée  delà  Loire. 

Ce  document  constate  que  même  dans  cette  partie  de  l'empire  carolingien, 
tout  ce  qui  concerne  les  endiguages  était  l'objet  de  la  sollicitude  du  gouverne- 
ment. 

C'est  à  cette  source  que  les  anciens  comtes  de  Hollande  ont  puisé  tout  ce 
qui  est  relatif  à  la  construction  de  ces  sortes  de  travaux. 

Cornélius  Battus,  ami  d'Erasme,  a  laissé,  dans  sa  Cosmograpliie ,  un  traité 

'   Piililii'cs  |);ir  Jean  Ilerold.  Bàlc  ,  Hi-iiricus  Pétri,  l'iST. 


DES  COLOINIES  BELGES.  3H 

dans  lequel  il  yllirme  qu'il  a  trouvé  clans  tranciens  mémoires  sur  la  Zélande, 
(|u'aulrefois  les  Danois  et  les  Goths  (?)  lurent  forcés  par  une  fatale  nécessité 
[falaii  tandem  necessilufe  conipuUos  fuisse)  de  ceindre  par  des  digues  d'une 
grande  hixiûeur  {immensœ  molis  aggeribus),  comme  par  un  rempart  qui  les 
défendit  contre  les  tlols  de  la  mer  et  des  rivières,  plusieurs  iles  de  la  Zélande, 
parmi  lesquelles  il  cite  Walcheren,  Borselen,  Noordbeveland,  Zuidbeveland, 
Duveland,  etc.     - 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  Hollandais,  plus  encore  peut-être  que  les  Flamands, 
ac(|uirent  une  grande  expérience  dans  l'art  des  endiguements.  Un  exemple  le 
prouvera.  A  la  suite  de  la  guerre  qui  sévit  pendant  plusieurs  années  entic 
Philippe  d'Alsace  et  le  comte  Florent  de  Hollande,  celui-ci,  ayant  été  vaincu, 
signa  (1 167)  un  traité  de  paix,  dont  une  des  principales  conditions  fut  «  que 
le  comte  Florent  fournirait  uiille  ouvriers  instruits  dans  l'art  de  construire 
les  digues,  afin  qu'ils  exécutassent  tous  les  travaux  nécessaires  pour  préser- 
ver la  ville  de  Bruges  et  son  territoire  des  invasions  de  la  mer.  Dès  que  le 
comte  de  Hollande  fut  retourné  dans  ses  Etats,  il  s'empressa  d'envoyer  plus 
de  mille  ouvriers  de  Hollande  et  de  Zélande.  Ceux-ci  construisirent  des 
maisons  et  d'autres  édifices  sur  une  digue  qu'on  nommait  Honisdamme,  puis 
ils  établirent  également  des  digues  jusqu'à  Lammensviiet  et  Rodenbourg...  » 
Telle  fut  l'origine  de  ce  port  célèbre  de  Danime,  qui  devait  occuper  une  si 
grande  place,  au  douzième  siècle,  dans  l'épopée  du  chapelain  de  Piiilippe- 
Auguste  '  : 

Speciosus  erat  Dam  nomine  viens 

Lcnifluis  jucuiidus  a(iuis  atqiie  iiIjitc  glcl)ac, 

Pi'oximilale  maris,  portuquc,  situquo  superbus. 

Thierry  d'Alsace  avait  déjà  comminé  la  peine  suivante  contre  ceux  qui 
rompraient  les  digues  de  la  mer  :  «  Quicunque  rZ/ntm  maris  ruperit,  dextram 
amittet  "^.  -> 

'  Kcrvyn  de  Lellcnhove,  Hist.  de,  Flandr.,  I,  232.  —  Les  Hollandais  reçurent  à  cette  occa- 
sion le  nom  de  Dkdolphes.  Ce  mot  vient  de  die  dolf  {du  verbe  delven),  qui  creuse,  fait  des  tra- 
vaux de  terrassement.  Il  est  parlé  à  cette  occasion  d'un  Marens  Diedolplms  (Diedolf),  c'est-à-diie 
iMarc  le  pionnier,  le  Icrr.nssier. 

-  Kervyn  de  Lettenhove,  loc.  cit.,  I,  p.  2I'(. 


512  HISTOIRE 

En  1 183  ,  1 199  ,  et  1260 ,  la  mer  ayant  forcé  les  barrières  qu'on  avait 
élevées  contre  ses  fureurs,  se  répandit  jusqu'à  Ilulst  et  Axel  '. 

Dans  la  lettre  par  laquelle  le  comte  Fernand  exempta,  en  1228,  ceux 
d'Aardenhourg  des  droits  de  douane  à  payer  à  la  ville  de  Damme,  il  est  fait 
mention  A' enfermement  i^inslmluuj)  ou  de  clôture  par  une  digue  [tocdain- 
ming)  '. 

En  1185,  Gilbert  de  Nivelles  donna  aux  Templiers  des  terrains  situés 
entre  Oosiburg  et  Ysendyke,  et  en  1223,  ces  terrains  sont  qualifiés  de  «  terres 
situées  au  delà  des  digues,  biiitendycks  '\  » 

Une  ordonnance  de  1 163  enjoignit  de  faire  disparaître  le  barrage  du  Rhin, 
près  de  Zwammerdam,  afin  de  ne  point  interrompre  le  cours  du  fleuve, 
preuve  évidente  que  Tembouchure  de  Katwyk  existait  alors. 

§11.  —  Aride  construire  des  digues. 

Aucun  peuple  ne  s'entendait  mieux  que  les  Néerlandais  et  surtout  que  les 
Hollandais  dans  l'art  de  construire  des  digues  :  «  Quarum  parlem,  dit  Douza, 
utique  non  minimam  in  publicorum  operum  custodià,  aggerumque  potis- 
simum  incolumitale  consistere,  nulli  hominum  generi  quam  Hollandis  no- 
tius  *.  » 

Tous  leurs  travaux  tendaient  à  ce  que  leurs  moyens  de  défense  ,  opposés 
soit  aux  flots  de  la  mer, soit  à  la  crue  des  fleuves,  fussent  entretenus  con- 
stamment en  bon  état ,  et  une  foule  de  documents  attestent  qu'ils  avaient , 
depuis  les  temps  les  plus  reculés ,  acquis  une  grande  expérience  quant  à  la 
construction,  la  conduite  et  la  surveillance  de  ce  genre  de  travaux. 

Examinons  donc  quels  étaient  les  procédés  employés  par  les  Hollandais. 

Dès  le  principe ,  ils  érigèrent  des  tertres  d'une  hauteur  prodigieuse  [lumu- 
los  altissimos),  ou  des  éminences  construites  à  la  main  {trilnmulia  strucla  ma- 
nibus)  \)0\.\r  se  tenir  en  garde  contre  les  plus  hautes  marées  {ad  expérimenta 

'  Kluil,  /oc.  tit.,  1,  143-148. 

'-  Ihid.,  p.  130. 

'  Ibid.,  pp.  154-155. 

*  Duuza,  Hollandiae  Butaviaeque  annales,  pp.  262,  272. 


DES  COLOIVIES  BELGES.  3J3 

atlissiint  acslus)  ou,  comme  disaient  les  Hollandais  qui  avaient  toujours  l'œil 
ouvert  :  op  île  proeve  van  den  springvloet. 

lisse  faisaient  aider  de  bandes  d'esclaves,  afin  que,  si  le  flux  de  la  mei- 
s'élevait  extraordinairement  au-dessus  du  rivage,  ils  pussent  se  réfugier  en 
tout  temps  avec  leurs  familles  et  leurs  troupeaux  dans  un  endroit  sec  et  assuré. 
Ils  y  séjournaient  en  attendant  que  les  tempêtes  eussent  cessé  et  leur  permis- 
sent, si  c'était  possible,  de  retourner  dans  leurs  foyers  ^ 

Ces  premiers  travaux,  immenses,  ardus,  d'un  travail  j)resque  cyclopléeii, 
bien  que  paifois  interrompus  et  suspendus  par  les  débordements  des  flots 
marins,  furent  néanmoins  élevés  à  une  telle  hauteur  que  les  habitants  finirent 
par  se  croire  à  l'abri  d'inondations  ultérieures. 

Mais  tous  leurs  efforts  échouèrent  contre  les  assauts  de  l'élément  destruc- 
teur. 

C'est  dans  ces  circonstances  que  l'autorité  entreprit  de  construire  des  tra- 
vaux par  districts  hydrauliques,  lesquels  étaient  plus  ou  moins  étendus, 
d'après  les  besoins  de  la  défense,  en  y  affectant  des  sommes  considérables, 
auxquelles,  de  leur  côté,  contribuèrent  les  habitants  qui  jouissaient  d'une 
grande  fortune. 

Voyons  d'abord  à  quels  fonctionnaires  était  confiée  la  construction  des 
digues,  ensuite  quelles  étaient  leurs  attributions,  et  enfin  quel  était  le  mode 
de  construction  employé  par  eux,  ainsi  que  les  matériaux  dont  ils  se  ser- 
vaient. 

§   III.  —  Foiicfioiniftires. 

I.  ]uescltoinar(/aes  (expression  de  Douza)  :  Leurs  fonctions  correspondent 
à  celles  des  dijckgruven ,  dont  les  attributions  ont  été  déterminées  plus  haul. 

IL  L(}?,  (irbitri  [f\ne[)onzd,  nomme  septeminrieiqxiinqueiHri,  parce  qu'ils 
étaient  tantôt  au  nombre  de  sept,  tantôt  de  cinq);  ils  avaient  le  contrôle 
perpétuel  et  suprême  des  travaux  exécutés. 

111.   F^es  heimraden,  cantonniers.—  Le  mot  heim  désigne  ici  une  espèce 

'   Douza,  HoUautJiae  Butavlaeque  Annales,  pp.  2()2,  272'. 

Tome  XXXII.  41 


314  HISTOIRE 

de  terrain  sur  le  revêlement  duquel  s'élendail  leur  haute  surveillance  :  «  pênes 
quos  suprema  aggerum  muniendorum  praefectura  '.  » 

IV.  I.es  pomaerarii,  c'est-à-dire  ceux  qui  surveillaient  les  travaux  de 
l'un  et  de  l'autre  côté  de  la  digue. 

V.  Les  moermeesler ,  chargés  de  visiter  les  digues,  d'en  constater  l'étal, 
ainsi  que  les  réparations  et  castainges  à  y  faire. 

VI.  Les  schouter ,  surveillants  dont  les  attrihutions  consistaient  à  vérifier 
s'il  y  avait  des  trous  dans  les  digues,  c'est-à-dire  à  vaquer  à  leur  resloupe- 
nient  [loke  le  scoitwene),  ou  des  transpirai  ions  [wuterlaet). 

VII.  Les  vyvermeesler ,  chargés  de  la  construction  des  étangs  d'écoule- 
ment, et  qui  se  trouvaient  sous  les  ordres  des  membres  du'  conseil,  die  ralhs 
compane. 

Tous  ces  fonctionnaires  relevaient  directement  de  l'autorité  publique. 

Pour  mettre  les  habitants  à  l'abri  de  tout  péril,  ils  devaient,  moyennant 
un  prix  déterminé,  faire  construire  annuellement,  par  des  ouvriers  salariés, 
des  travaux  quelconques  de  nécessité,  et  ils  avaient  l'obligation  de  les  entre- 
tenir en  bon  état.  Ils  devaient  fixer  la  hauteur  et  l'épaisseur  des  digues,  et 
garantir  leur  solidité.  Ils  avaient  aussi  à  tracer,  dans  les  endroits  convena- 
bles, les  canaux,  les  fossés  et  les  aqueducs. 

§  IV.  —  Mode  de  construction. 

Pendant  l'été,  quand  la  mer  était  calme,  les  entrepreneurs  lançaient  des 
barques  (jui  prenaient  à  bord,  au  moyen  de  harpons,  les  arbres  coupés 
dans  les  bois  voisins.  Au  moyen  de  ces  arbres,  liés  solidement  ensemble,  ils 
tressaient  des  réseaux  épais  destinés  à  former  la  base  de  la  digue;  les  inter- 
stices du  talus  inférieur  étaient  bouchés  par  une  bourre  d'algues  -,  que  la 
mer  jette  en  grande  quantité  sur  le  rivage. 

Ils  garantissaient  par  une  plantation  luxuriante  de  glaïeuls  et  de  joncs 

'   Douza,  toc.  cit.,  p.  271  ,  noie  \. 

"•  Hei'he  aqualiquc,  dont  la  feuille  ap[)rophe  de  celle  du  cliiendent,  cl  qui,  dans  ((uelques 
cs])èces,  a  de  très-longs  cheveux.  En  nécrl.  ivier,  mol  qui  a  donné  son  nom  à  l'ile  de  Wieriiigui, 
qui,  en  i205,  faisait  encore  partie  de  la  terre  ferme.  En  1251,  elle  en  était  complètement 
séparée. 


DES  COLOMES  BELGES.  515 

pointus  [hcbuplanlinge)  les  cndroils  vides,  comme  par  des  lacets,  à  relVel 
d'arrêter  ces  légers  nuages  de  sable  dont  la  pluie  fine,  agitée  et  poussée  par 
le  vent,  menace  constamment  les  crêtes  :  en  un  mot,  ils  devaient  faire  en 
sorte  que  TÉlat  n'éprouvai  aucun  préjudice  de  leur  négligence. 

Ils  garnissaient  les  dunes  d'une  espèce  de  jonc  ou  de  roseau,  connue 
sous  le  nom  de  arundo  arenosa.  Les  Hollandais  le  transplantaient  après  l'avoir 
coupé  à  un  demi-pied  au-dessus  de  la  racine,  et  le  plaçaient  dans  les  dunes, 
afin  (pie  le  vent  n'emportât  pas  le. sable  et  qu'il  y  pût  croître  des  berbes. 

C'est  par  ces  matériaux  solides  et  impénétrables,  étroitemeni  boucbés,  que 
les  habitants  de  ces  contrées  sentirent  l'impérieuse  nécessité  de  défendre  et 
de  garantir  leurs  propriétés  contre  les  fureurs  de  l'océan  en  courroux,  c'est- 
à-dire  par  des  digues  (|ui  pussent  soutenir  les  assauts  des  flots  marins  el 
dont  le  revêtement  offrit  la  solidité  el  la  dureté  des  masses  cyclopéennes  d'un 
rocher. 

On  ne  pouvait  donc  imaginer  rien  de  plus  fort  ni  de  plus  solide  que  ces 
digues,  lesquelles,  parleur  adossement,  arrêtaient  el  lenaienl  en  respect  la 
rage  vorace  de  la  mer  du  Nord  K 


§  V.   —   Ustensiles. 

On  se  servait  de  boyaux  {liklmles),  de  boues  (%o/ie.s),  de  bêches  [palae], 
de  truelles  {mira),  de  marres  de  vigneron  (marrae),  de  claies  ou  grilles 
d'osier  {craies),  de  paniers  {eoffînos) ,  de  corbeilles  {corbes)  qu'on  porte  sur 
le  dos  ifiiossuariae ,  1er  dosse  dragen),  de  charrettes  {pehimla)  et  de  cha- 
riots [plauslra)  '. 

De  ce  qui  précède ,  il  résulte  que  les  dispositions  relatives  au  dicage  et 
les  procédés  techniques  par  lesquels  les  Néerlandais  construisirent  leurs 
digues  ne  furent  pas  inconnus  aux  colons  qui  s'expatrièrent  pendant  le 
douzième  et  le  treizième  siècle,  et  que  ces  moyens  de  défense  contre  la 
fureur  de  l'océan  et  le  débordement  des  grands  fleuves  du  nord  de  l'Alle- 

'   Douza  . /l«H«/e.s,  passira. 
'^  lliid. ,  passiiii. 


316  HISTOIRE 

magne  ont  servi  de  guide  à  YUnternehmer  qui  fut  à   la  tête  des  colonies. 

Cette  opinion  est  aussi  celle  de  M.  Schayes  :  «  Le  génie  et  le  caractère 
des  Belges  et  des  Hollandais,  dit-il,  n'ont  pas  exercé  une  moindre  influence 
sur  le  progrès  de  Fagricullure.  Constamment  exposés  au  débordement  des 
fleuves  et  de  l'océan ,  toujours  en  lutte  avec  un  sol  ingrat  que  les  rayons 
du  soleil  vivifiaient  rarement,  ils  furent  de  bonne  beure  dans  la  nécessité 
de  combattre,  par  l'industrie,  les  obstacles  que  la  nature  leur  suscitait.  Élever 
des  digues,  construire  des  canaux,  pour  assécher  des  terres  humides, 
hausser  les  terrains  bas...,  établir  des  irrlgalions ,  telles  furent  les  occupa- 
tions constantes  des  habitants.  Aussi,  les  colons  qui,  par  suite  des  inonda- 
tions, s'établirent  dans  le  Holslein ,  le  Schleswig,  en  Saxe,  dans  le  pays  de 
lAIecklembourg,  en  Tburinge,  etc.,  exercèrent-ils  l'influence  la  plus  salutaire 
sur  l'agriculture  de  ces  pays  '.  » 

C'est  ce  qu'un  éminent  poëte  hollandais  a  exprimé  de  la  manière  la  plus 
heureuse  dans  les  vers  suivants  : 

0  grond,  in  vroeger  eeuw  in  sciiuimend  nat  bedolven! 

0  grond,  door  't  voorgeslaclit  gewoL'kerd  uit  de  golven, 

Gy  dondcit  ons  in   t  oor  met  onweerslaanbre  kracht  : 

Bemind  uw  vaderland ,  aanbidt  uw  voorgeslaclit  : 

Hun  brein  dat  tôt  uw  nvil  lierl  d'aardbol  had  omvademt 

Scbiep  't  land  dat  gy  bewoont,  den  luchtstrooni  dien  gy  adenil  '^. 

((  0  sol,  enfoui  dans  les  siècles  antérieurs  sous  une  plage  couverte 
d'écume!  0  sol ,  conquis  par  nos  aïeux  sur  les  flots,  vous  faites  retentir  à  nos 
oreilles,  avec  une  force  irrésistible,  ces  mots  puissants  :  Aimez  votre  patrie, 
vénérez  vos  ancêtres;  leur  génie  qui,  pour  votre  utilité,  embrassa 'l'univers 
entier,  créa  la  terre  que  vous  habitez  et  vous  légua  l'air  que  vous  respirez.  « 

'  Les  Pays-Bas  avant  et  pendanl  la  période  romaine,  III,  179. 
-  Helmcrs,  De  Hollandsche  natie,  p.  l'J. 


DES  COLOiMES  BELGES.  317 

CHAPITRE  IV. 

PAYS  OU  LES  BELGES  ÉTABLIRENT  DES  DIGUES. 


«  C'est  aux  colons  néerlandais,  dit  Hoche,  que  la  Germanie  inférieure 
est  redevable  de  sa  culture.  Ils  étaient  actifs  et  laborieux,  et  habitués  à  em- 
prisonner les  eaux  par  des  digues  {geivohnt  das  Wasser  in  Dâmme  einzu- 
schUessen  ').  » 

Leur  expérience  en  cette  matière  y  était  renommée.  «  C'est  pour  ce  motif, 
dit  un  autre  écrivain,  qu'on  employa  de  préférence  des  Néerlandais  pour  la 
culture  des  terrains  bas  et  marécageux  de  la  Germanie  inférieure,  puisqu'ils 
savaient  les  manier  avec  le  plus  d'art,  en  faisant  écouler  les  eaux  par  un  grand 
nombre  de  canaux,  brûlaient  la  laîche  et  les  autres  mauvaises  herbes,  el 
convertissaient  les  marais  en  terres  arables  "'.  » 

Jetons  un  coup  d'oeil  sur  quelques  contrées  où ,  d'après  les  sources ,  les 
Belges  ont  construit  des  digues. 

§  I".  —  Brème. 

La  première  digue  du  Weser  fut  construite  vers  1020;  mais  l'endigue- 
ment  de  la  Weser-Mursch ,  près  de  Brème,  doit  être  attribué  aux  Hollan- 
dais qui  s'y  établirent  au  commencement  du  douzième  siècle;  ceux  qui  se 
fixèrent  près  de  Wurslen  coniribuèrent'à  l'endiguenient  de  cette  contrée''. 
Celle-ci  éprouvait  de  fréquentes  inondations  du  Weser,  et  elle  fut  conquise 
en  partie  sur  les  eaux ,  dit  Koster  *,  grâce  à  l'activité  énergique  des  colons 
néerlandais.  Il  existe  dans  ce  pays,  de  temps  immémorial,  une  invocation 
chantée  en  chœur  par  les  descendants  des  anciens  colons  lors  des  réunions 

I   Pngesol,  52. 

-  Hannoverisclies  Mafjaziii ,  1801  ,  pp.  G9â-G94. 

^  Pratjc,  Nachricliten  vo)i  deni  lande  Wursten,  IV,  pp.  568-370. 

'»  Loc.  cit. ,  p.  200. 


318  HISTOIRE 

concernant  les  endiguements.  La  Iradilion  nous  Ta  conservée,  en  altérant 
le  texte  primitif.  La  voici  dans  sa  forme  aciuelle  : 

TKINKSPRL'CH  '. 

Gotl  bcw;ilirc  uiisf  land 

Vôr  krieg,  water,  pest  uncl  lirnntl 

Newsl  den  diimmen  uiid  dcii  dicken, 

Scliliisi'ii,  towass  -  und  dcrgliclicn! 

Und  en  ehrlich  Wuster  blood 

Sy  beschiitzt  mit  IialV  und  good! 

«  Le  territoire,  compris  aujourd'hui  sous  le  nom  de  Uollcrlund ,  I/ollaii- 
(Iria  n'a  pas  été  totalement  entourjé  de  digues  [aggeribus  ciHctwn  )  par  ces 
premiers  colons;  mais  probablement  au  moyen  d'une  élévation  [chomale), 
qualifiée  par  les  habitants  du  nom  d'achterdick ,  ils  se  sont  mis  à  couvert  des 
eaux  dans  cette  fertile  contrée  ^.  » 

Le  achterdyk  (  Ilinterdeich) ,  ou  digue  postérieure,  est  une  levée  de  terre 
pour  arrêter  les  eaux  qui  parviendraient  à  rompre  la  première  digue.  Ce  qui 
prouve  les  travaux  des  Hollandais,  c'est  la  mention  qui  est  faite  dans  les 
chartes  ii'agueducs,  de  jurés  (j'umli) ,  de  ce  qu'il  sera  établi  une  watteringe 
là  où  ils  le  jugeront  convenable,  et  de  ce  que  les  magistrats  ad  hoc  sont 
qualifiés  de  schworenen  [jurati,  geztvorene). 

Là,  dit  Renner,  il. existe  des  vestiges  de  la  culture  des  Balaves par 

lesquels  il  est  constaté  aujourd'hui  que  des  digues  ont  été  construites  dans 
ce  vaste  territoire  spatiosum  HoUa^ndriae  *. 

<i  Ici  aussi,  dit  Wersebe,  la  culture  et  le   défrichement  d'un   district 

'  "  Dieu  défende  notre  pays  de  la  guerre,  de  l'eau ,  de  la  peste  et  de  Tineetidie ,  à  laide  des 
jetées  et  des  digues,  écluses,  alluvions  et  autres  moyens  semblables!  Que  la  race  généreuse  de 
Wursten  soit  protégée  avec  son  avoir  et  son  bien  !  » 

*  «  Torcass  (ail.  Zinnichs  ,  néerl.  loetras)  est  la  terre  extérieure,  dil  Kôsler  (ibid.).  située  en 
deçà  de  la  digue  de  la  mer,  dont  lalluvion  fut  mise  en  culture  au  moyen  de  travaux  bydrauli- 
ques.  Celle  immense  et  ricbe  contrée  est  une  alluvion  (towass)  de  ce  genre,  semblable  au.\ 
polders  des  Pays-Bas  et  de  l'Ost-Frise.  i. 

'  Heineckeii,  Tentuminajuris  açjyeralis  reipubl.  Bremensis,  cap.  I.  p.  7.  Gôtt.,  1774. 

'*  Chron.,  I,  525. 


DES  COLONIES  BELGES.  519 

marécageux  par  une  digue  postérieure  témoigne  (prune  colonie  hollandaise 
s'y  est  établie  '.  » 

Dans  le  territoire  de  Brème,  il  existait  un  Gericht  nommé  Dekhgnifen- 
schafl ,  (pii  exista  jusqu'en  1509  '^.  C'est  bien  là  le  Dyckfjraefsdiap  qui 
existait  chez  nous.  A  cet  ancien  tribunal  spécial  à  Brème,  a  survécu  cet 
axiome  :  Kc'm  Deich  ohne  Land ,  Kein  Land  ohne  Deic/t.  C'est  sur  ce  dicton 
que  reposait  le  droit  tout  entier  du  dicage. 

Un  autre  adage  populaire  y  était  en  vigueur  : 

Wer  nich  kann  dikeri, 
De  mot  wiken  '. 

Il  est  curieux  de  remarcjuer  que  le  même  adage  existe  dans  les  polders  de 
la  Flandre  et  de  la  Zélande  : 

Die  niel  en  kan  dykeii, 
Die  moc  wyken. 

«  Que  celui  qui  ne  sait  pas  endiguer  se  retire!  » 

Enfin,  dans  le  même  pays,  les  habitants  appellent  dyckslool  (de  dyck, 
digue,  et  sloot,  excavation),  le  fossé  qui  a  été  creusé  anciennement  en  face 
de  la  digue  près  du  ruisseau  le  Wumma. 


§  n.  —   Holslein. 

De  même  qu'à  Brème,  il  y  avait  dans  le  Holstein  un  tribunal  des  digues 
nommé /,e(///<r/ /(CM  (c'est-à-dire /trt(>/(/«"«^,  tribunal  des  tertres*). 

Les  digues  y  furent  appelées  primitivement  hojen  ou  kajen ,  tertres ,  élé- 
vations. C'est  de  là  que  les  terres  endiguées  dans  le  Holstein  par  les  Belges 
portent  encore  aujourd'hui  le  nom  de  kooge ,  et,  dans  les  anciennes  ordon- 

'  Chron.l,  p.  180. 

^  Hcinecken, /oc.  «7.,  p.  bl. 

■'■  Kôster,  p.  5G. 

''  Wersebe,  I,  p.  21  ,  note  ôO. 


520  HISTOIRE 

nancesde  ce  pays  concernant  les  endiguemenls  (Deic/iordnùngen) ,  on  appelle 
h)f/pii  les  districts  chargés  de  Penlrelien  des  digues. 

Dans  le  district  de  Kedinghen,  il  y  avait  un  endroit  où  une  digue  portait 
le  n(im  de  digue  hollandaise,  hollerdeich,  preuve  évidente  que  les  Néerlan- 
dais ravaienl  consiruite  '. 

Christian!  rapporte  que  les  hahitanls  du  Holstein  sont  experts  dans  Tari 
de  cultiver  les  MarschUimler  et  de  les  garantir  contre  les  inondations  par 
des  réservoirs  et  des  jetées  [dâmive),  mais  il  reconnaît  qu'en  général  ils 
a|)prirent  des  colons  néerlandais  qui  s'y  établirent  la  culture  et  l'endigue- 
ment  (  Die  Benrbeitung  unci  die  Eindeicimng  )  -. 

Les  Hollandais  construisirent  une  grande  digue,  près  du  lac  de  Sladen, 
digue  dont  l'entretien  était  imposé  au  cloître  de  Wilrichtmoor.  Cette  digue 
s'étendait  depuis  i?/oo>' jusqu'à  SIeuze  (écluse)  :  «  a  Moor  usque  ad  aqueduc- 
luni  (|uae  slnsa  vulgariter  vocatur  '\  » 

Une  preuve  évidente  que  d'autres  digues  existaient  dans  la  même  contrée, 
c'est  que  quelques  personnages  empruntèrent  leur  nom  à  des  localités  dont  la 
terminaison  était  r//f7, ,  tels  que  Volbrecht  de  Crummendike  [krovimendych), 
Balduin  de  Moordick  (Moerdyk),  etc. 

Lorsque,  dans  la  Rremper  et  la  Wilster-Marsch ,  le  droit  hollandais  fut 
aboli,  les  dispositions  de  ce  droit  concernant  les  endiguements  furent  main- 
tenues. On  n'en  connaît  malheureusement  pas  la  teneur  '*. 

§  IH.  —   TImringe, 

En  1133  et  1168,  les  évêques  de  Naumbourg,  Wichmann  et  Udon  H, 
dans  des  lettres  qui  confirment  une  donation  faite  aux  Hollandais  par 
Udon  I"' ,  s'expriment  ainsi  :  «  Latiludine  vero  ab  ipso  coenobio  uscpie  ad 
aggeres  qui  sunt  circa  novalia  Hollandensium....  » 

D'autres  chartes  emploient  les  mêmes  expressions.  Nous  savons  que  le 

'  Wersebe,  I,  p.  181. 

-  Gi'xcliichte  lier  fferzogtliûmer  Svhleswig  iind  Holstein  ,  II,  40j. 

^  Wersebe,  I,2iï(j,  note  13. 

*  Ihùl.,],  p.  379. 


DES  COLONIES  BELGES.  521 

couvent  de  la  Hhnmehpforle  élail  situé  au  milieu  de  marais,  et  Wersebe 
lui-même  reconnaît  que  les  Flollandais  et  les  Flamands  y  rendirent  de  grands 
services  à  l'art  des  endiguements  '. 

A  Erflirl,  il  y  eut,  depuis  rétablissement  des  Belges,  une  intendance  des 
eaux  qui  offre  quelque  analogie  avec  ce  qui  existait  chez  nous. 

Ce  Wassernmbi  se  composait  : 

1°  D'un  intendant  suprême  [Obergebielsherr)  ; 

2"  D'un  intendant  inférieur  [Uniergebielslierr); 

3"  D'un  surveillant  en  chef; 

i"  D'un  surveillant  subalterne; 

5"  D'un  inspecteur; 

6°  D'un  indicateur  de  travaux  [Anewi/scr); 

7"  De  serviteurs  '^. 

Insensiblement  les  Allemands  apprirent  l'art  de  débarrasser  les  marais  de 
leurs  eaux ,  art  dans  lequel  les  Néerlandais  avaient  été  leurs  maîtres.  C'est 
probablement  ainsi  que  l'abbaye  de  Walkenried  put  former  ses  impor- 
tantes fermes  au  milieu  des  marais  de  Riethof,  Vorrietb  ,  Heringen,  Kalden- 
husen ,  etc. 

^l\.^  A)ihalL 

Prés  de  la  forêt  de  Drogbul ,  il  y  avait  autrefois  un  canton  très-élendu  et 
inaccessible,  couvert  qu'il  était  de  marais.  Il  semblait  devoir  rester  toujours 
dans  cet  étal,  mais  les  Flamands  le  desséchèrent  au  moyen  de  canaux 
d'écoulement  et  le  cultivèrent  ". 

.Fai  déjà  parlé,  dans  la  première  Partie,  de  la  grande  digue,  de  plusieurs 
lieiies  d'étendue,  qu'ils  construisirent  de  Dessau  à  Worlilz,  digue  qui  existe 
encore  aujourd'hui  et  sur  laquelle  est  construite  la  route  actuelle  qui  relie  la 
capitale  de  l'Anhalt  au  chef-lieu  du  bailliage  '. 

'  WorsoiK',  Il ,  p.  933. 

2  iVIiehelsen,  pp.  104-105. 

~'  Beckmann,  ap.  Wersebe,  II,  p.  7G5. 

^  Renseignement  de  M.  Medicus,  bourgmestre  à  Dessau.  Voy.  p.  94. 

Tome  XXXII.  42 


522  HISTOIRE 


§  V.  —  Maydebourg. 

il  existait  dans  ce  duché  une  forêt  prés  de  Scarliiowe.  Les  colons  qui  Tha- 
bitaient  furent  exemptés  par  All)ert  II  de  Brandebourg,  en  vertu  de  son 
diplôme  de  1208,  de  payer  des  impôts  en  récompense  de  la  digue  de  terre, 
nommée  vulgairement  die,  qu'ils  avaient  construite  pour  contenir  Timpé- 
tuosilé  de  l'eau.  Ces  colons  étaient  des  Flamands  '. 


§  VI.  —  Brandebourg. 

Après  qu'Albert  l'Ours,  dit  Helmold,  eut  soumis  les  Slaves,  leurs  terres 
qui  avaient  été  occupées  par  ces  païens  que  la  guerre  avaient  décimés,  et  qui 
bordent  la  rive  méridionale  de  l'Elbe,  ml  australe  Albiœ  iillus,  ainsi 
que  leurs  plaines,  leurs  marais,  leurs  bourgs  et  leurs  villes  depuis  Salzwedel 
jusqu'à  la  forêt  de  Bohême,  furent  occupés  et  habités  par  des  colons  hollan- 
dais [et  flamands]  et  un  grand  nombre  de  colonies  de  cette  nation  s'établi- 
rent dans  cette  contrée,  novasfjue  complures  inibi  colonial  a  noslratibus 
deductas  comperior  -. 

Les  nouveaux  colons  cultivaient  un  pays  qui  était  exposé  aux  inondations 
quotidiennes  du  fleuve,  contre  lesquelles  ils  n'étaient  défendus  daucun 
côté,  ni  par  un  rempart  de  dunes  {sabidelorwii) ,  ni  par  des  digues  de  terre, 
vel  terreorum  aggerum  miinimentis  defensi  proteclùjue. 

Helmold  ajoute  que  leur  habileté  et  leur  énergie  élevèrent  des  digues  : 
«  quorum  efïicaci  opéra  atque  industrie  aggeres  quondam  ad  Albim  positos 
constructosque  fuisse.  » 

Les  paroles  du  chroniqueur  s'appliquent  spécialement  au  district  nommé 
autrefois  Marscinerkind,  qui  longe  l'Elbe,  depuis  Seehusen  jusqu'à  Werben  , 
en  s'étendant  au  delà  vers  Arnebourg  et  Tangermunde,  et  qui  s'appelle  au- 
jourd'hui la  Wisclie. 

'  Wersebe  ,11,719,  note  //(  fine ,  etc. 
2  Helmold,  I,cjp.  89. 


DES  COLONIES  BELGES  523 

Cette  contrée  est  entourée  de  dignes  qui  avaient  déjà  été  établies  dn  tenips 
des  Othons,  mais  qui,  ayant  été  postérieurement  démolies  par  les  Slaves, 
furent  de  nouveau  rétablies  par  les  Hollandais  '. 

Les  habitants,  c'est-à-dire  les  colons,  jouissaient  d'une  juridiction  appelée 
Dcichgen'chf,  dans  laquelle  fut  postérieurement  en  vigueur  le  règlement  sur 
les  dignes  [Deichordnhny)  du  margrave  Jean ,  de  1436  "'. 

Gercken,  en  parlant  des  colons  qui  s'établiront  dans  ces  parages,  s'ex- 
prime ainsi  :  «  Dans  la  3Iitlelmark,  le  Priegniz  et  la  Nouvelle-Marche,  habi- 
taient encore  des  Wendes,  plus  loin  des  Allemands  et  les  colons  ^.  » 

Les  Wendes  laissèrent  sans  culture  les  terres  fortes  et  grasses,  comme  il 
s'en  trouve  dans  la  Wische  de  YAltmark.  Ce  district  a  été  cuhivé,  au  dou- 
zième siècle,  par  les  colons  néerlandais,  lesquels,  à  cette  époque,  avaient 
déjà  construit  les  digues  de  l'Elbe  *. 

Corner,  s'appuyant  sur  Helmold,  dit  «  qu'Albert  de  Brandebourg,  qui  avait 
fait  venir  des  colons  des  Pays-Bas,  les  avait  fixés  dans  le  pays  de  Salzwedel , 
qui  s'étend  jusqu'à  la  forêt  de  Bohême.  »  La  plus  grande  partie  de  VAlmark 
fut  colonisée  par  les  Hollandais...  Ils  se  fixèrent  à  Seehusen.  Ce  furent  eux 
qui  resserrèrent,  par  des  digues,  le  cours  incertain  de  l'Elbe  :  «  et  paludosos 
terminos  Hollandi  incoluerunt,  et  vagos  decursus  Albii  tluvii  ayyeribus,  proul 
in  suis  consueti  erant  terris,  arctaverunl.  » 

Au  nord,  jusqu'à  l'autre  côté  de  Seehusen,  et  au  sud  jusqu'à  Arneburg  et 
Tangermunde ,  il  existait  encore  un  espace  considérable  réservé  à  de  sembla- 
bles travaux.  Albert  l'Ours  fit  endiguer  et  cultiver  cet  espace  de  terrain  après 
que  l'évêque  de  Havelborg  lui  eut  donné  l'exemple  de  l'endiguement  et  de 
la  mise  en  culture  d'un  petit  canton  \ 

Corner  dit  encore"  que,  vers  1151  ,  les  Hollandais  fondèrent  la  ville  de 
Seehusen ,  que  l'on  rencontre  encore  dans  cette  Marche  ;  qu'ils  habitaient  les 
confins  composés  de  prés  et  de  terrains  marécageux ,  et  qu'ils  entourèrent 

'  Wersebe,  II,  4G7. 

^  Gercken,  Corf.  dipl.  Brand.,  VU,  294. 

'"  Jùnker,  in  Frmjm.  Mardi.,  \,  183,  184. 

'  Wersebe,  II,  472,  note  53. 

•^  Idem,  S22. 

«  Ap.  Eccard,  II.  007. 


324  HISTOIRE 

bionlôt  (le  digues  les  rives  de  l'Elbe,  eonime  ils  avaient  coulume  de  le  faire 
dans  leur  pays  :  «  Albis(|ue  ripam  mox  aggeruni  niunimentis,  prout  in  suis 
consueverant  terris,  adornasse  et  reeoluisse.  »  Ce  passage  renchérit  sur  le  pre- 
mier. Ici  les  Hollandais  ne  se  contentent  plus  de  régler  le  cours  de  l'Elbe, 
ils  endiguent  tout  un  territoire.  Une  partie  de  ces  digues  existe  encore. 

SECTION  VI. 

AGRICULTURE. 

Les  guerres  contre  les  Slaves  non  moins  que  celles  qu'avait  amenées  la 
querelle  des  investitures  avaient,  pendant  une  période  de  près  de  cinquante 
ans,  enrayé  tellement  le  mouvement  agricole  dans  les  divers  pays  de  l'Alle- 
magne qu'il  en  résulta  une  dépréciation  énorme  dans  la  valeur  du  sol,  la- 
quelle entraîna  à  son  lour,  comme  conséquence,  l'appauvrissement  des  grands 
et  la  misère  du  peuple.  Princes  et  prélats  avaient  été  trop  ardents  à  la  lutte, 
pour  pouvoir  accorder  quelque  soin  à  cette  branche  du  travail  humain,  que 
tous  les  penseurs  du  moyen  âge  jusqu'au  dix-huilième  siècle,  y  compris  les 
physiocrates,  regardent  comme  la  source  la  plus  féconde  de  la  richesse  des 
nations. 

Mais,  quand  le  calme  revint  dans  ces  contrées  désolées,  quand  aux  ardeurs 
brûlantes  de  la  révolte  et  de  l'anarchie  succéda  le  repos  vivifiant  de  la  paix, 
l'agriculture  fut-elle  remise  en  honneur,  ou,  tout  au  moins,  put-on  s'en  occu- 
per de  manière  à  faire  rendre  à  la  terre  les  trésors  (|ue  la  nature  a  si  géné- 
reusement déposés  dans  son  sein?  Je  ne  le  pense  pas. 

Les  Slaves,  indépendamment  de  l'état  de  dépendance  et  de  subordination 
où  ils  étaient  tombés,  avaient  le  tempérament  trop  mou,  le  caractère  trop 
apathique,  une  fois  qu'il  ne  s'agissait  plus  de  se  battre,  pour  pouvoir  entre- 
prendre un  travail  suivi.  Ils  aimaient  les  résultats  faciles;  ils  préféraient  se 
contenter  du  peu  qu'ils  pouvaient  acquérir  par  des  efforts  insignifiants  que  de 
chercher,  par  un  labeur  opiniâtre,  à  améliorer  leur  condition  matérielle  et  à 
augmenter  le  bien-être  de  leur  existence.  Toutefois  leurs  princes,  il  faut 
l'avouer,  curent  des  vues  plus  hautes  et  ils  imitèrent  leurs  alliés,  naguère 


DES  COLONIES  BELGES.  325 

leurs  vainqueurs,  dans  lœuvre  nationale  de  la  restauration  agronomique. 

Les  princes  allemands,  en  appelant  des  colons  étrangers,  surtout  des 
Flamands  et  des  Hollandais,  avaient  pour  but  principal  de  faire  fructifier  les 
terres  de  leurs  domaines,  afin  que  les  fruits  à  en  provenir  pussent,  en  partie 
du  moins,  sufTire  aux  besoins  de  la  population. 

Nos  compatriotes  répondirent  admirablement  à  ce  but.  Nulle  pari  Tagri- 
culture  n'avait  atteint  comme  chez  eux  le  degré  de  perfection  auquel  elle  était 
parvenue  en  Belgique.  On  appelait  la  Flandre  le  marché  de  l'Europe.  Les 
éléments  déchaînés  purent  contrarier  leur  travail,  entraver  l'essor  de  leur 
activité,  leur  ravir  le  fruit  de  leurs  efforts  :  ils  ne  leur  enlevèrent  point  leurs 
aptitudes  pratiques  et  une  expérience  longuement  acquise.  El  voilà  ce  qui  leur 
valut  tant  d'avantages  à  l'étranger. 

Il  importe  donc  de  rechercher  brièvement  quel  était,  à  l'époque  de  l'expa- 
triation de  nos  colons,  l'état  de  l'agriculture  en  Belgique,  quel  mode  de  cul- 
ture y  était  en  usage,  comment  et  à  l'aide  de  ([uels  procédés  ils  sont  parvenus 
à  obtenir  dans  leur  nouvelle  patrie  ces  résultats  magnifiques  auxquels  tous 
les  chroniqueurs  et  tous  les  historiens  se  sont  plu  à  rendre  un  légitime  hom- 
mage. 

Plusieurs  documents ,  chartes  et  autres  sources  historiques  nous  fournissent 

d'intéressants  détails  à  cet  égard. 
»" 

§  1.  —  Éial  de  l'agriculture  eu  Belgique  aux  douzième 
et  treizième  siècles. 

Deux  dates,  prises  au  début  et  à  la  fin  de  la  période  qui  nous  occupe , 
nous  donneront  le  terme  moyen  de  ce  qu'était  alors  l'agriculture. 

La  chronique  de  Wallen,  écrite  vers  1088,  s'exprime  ainsi  :  «  Il  y  a  un 
pays,  nommé  la  .Ménapie,  située  entre  la  Lys  et  la  Flandre  maritime,  planté 
de  bois,  fertile  en  pâturages,  et  si  abondant  en  légumes  et  en  fruits  de  toute 
espèce  qu'il  produit  le  superflu,  et  qu'il  semble  dire  à  l'agriculteur  que,  s'il 
veut  négliger  le  travail,  il  produira  encore  malgré  lui  '.  » 

'   Clironic.  Watlinensis  monastcrii  in  Thés.  Anecd.,  l!,8-20.  (Original  à  Bruges.) 


526  HISTOIRK 

D'autre  part,  la  description  que  nous  a  laissée  Guillaume  le  Breton  de  la 
;  Flandre,  quMl  visita  au  treizième  siècle,  est  un  tableau  contemporain  de  ce 
qu'était  alors  notre  sol  sous  le  rapport  de  l'agriculture.  «  Ce  pays,  dit-il,  est 
couvei-t  d'un  grand  nombre  de  petites  rivières  agréables  et  poissonneuses, 
de  beaucoup  de  fleuves  et  de  fossés  qui  obstruent  tellement  les  routes  que 
l'accès  en  est  rendu  diflicile  aux  ennemis  qui  veulent  faire  irruption...  Ses 
champs  l'enrichissent  de  grains...  ses  troupeaux  de  lait,  son  gros  bétail  de 
beurre,  sa  terre  la  plus  aride  est  réchauffée  par  le  jonc  marin  dont  on  la 
couvre,  après  l'avoir  haché  quand  il  est  sec  '.  » 

Toutefois,   avant  de  traiter  de  l'agriculture  proprement  dite,  je  pense 
*    qu'il  ne  sera  pas  sans  intérêt  de  m'occuper  un  instant  de  la  question  de  savoir 
sur  quelle  base  on  calculait,  aux  douzième  et  treizième  siècles,  la  valeur  du 
sol  dans  les  Pays-Bas. 

A  cette  époque ,  on  évaluait  la  valeur  et  l'étendue  des  terres  d'après  la 
quantité  de  grain  qu'il  fallait  pour  les  ensemencer. 

Ainsi,  une  forêt  avait  une  valeur  plus  ou  moins  grande,  suivant  la  quan- 
tité de  porcs  qu'on  y  pouvait  nourrii-  de  glands. 

Un  pré,  un  marais,  étaient  évalués  d'après  le  nombre  de  brebis  ou  de 
vaches  qu'on  pouvait  y  faire  paître,  ou  d'après  la  quantité  de  foin  <|u'on  y 
recueillait  ordinairement. 

En  effet,  pour  ne  citer  que  quelques  exemples,  il  résulte  d'un  ancien  livre 
de  cens  de  l'abbaye  de  S'-Pierre,  à  Gand,  de  1281 ,  faisant  suite  à  un  diplôme 
octroyé  par  l'empereur  Louis,  le  iv  des  nones  de  juin,  indiction  VIII,  ce 
qui  suit  :  «  Et  hoc  est  ((uod  vobis  ad  stipendia  vestra  segregandum  censuimus 
de  terra  videlicet  arabili  ad  modios  scmentis  viginti  quinque...  et  in  alio  loco 
ad  modios  duodecim...  et  m\i{\\\vuccuriciaiiic{  pratum  unum...  etalium  pra- 
tum  juxia  mare(|uod  potest  alere  berbices  centum  viginti...  et  juxta  monas- 
terium  mansos  servientes  quinque...  nec  non  in  sylva...  in  qua  saginari  pos- 
sunt  porci  tempore  glandis,  plus  minus  numéro  quinquaginla...  de  pratorum 
ad  fenum  segandum  caradas  I,  mariscas  ubi  potest  segare  fenum  caradas  V  » . 

A  celte  épotpie,  les  propriétés  n'étaient  désignées  que  par  le  nom  des 

'   (niilluiniie  le  Breton.  Bruges,  1841. 


DES  COLONIES  BELGES.  527 

paroisses  ou  des  localités  où  elles  étaient  situées,  sans  autre  indication, 
tellement  il  est  vrai  que  la  bonne  foi  de  nos  pères  correspondait  à  la  simpli- 
cité de  leurs  mœurs. 

La  mesure  des  terres  était  Vaere  [acctira)  dont  retendue  équivalait  à  un 
arpent  et  demi.  Les  fermes  étaient  encore  de  chétives  cabanes  habitées  par 
quelques  serfs  {mancipia),  (pii  cultivaient  quelques  acres  au  profit  de  leurs 
maîtres. 

§  II.  —  Mode  de  culture  pratiqué  dans  les  Pays-Bas. 

Quels  étaient  les  traits  saillants  de  ce  mode  de  culture? 

Une  charte  du  mois  d'avril  1264,  relatant  les  anciennes  coutumes  et  les 
usages  traditionnels  de  la  mairie  du  Crombrugghe,  enclavée  dans  les  paroisses 
de  Dickelvenne  et  de  Meerelbeke,  nous  fournit  en  grande  partie  sur  ce  mode 
des  données  intéressantes  '. 

Cette  charte  est  intitulée  :  Chi  sont  li  usage  et  les  costumes  de  le  maijerie 
de  Crombrugghe ,  à  savoir  : 

L  Pailles.  —  «  Li  glui  (flan),  strooi ,  lai.  stramen,  fr.  pailles)  et  li  estrain 
de  le  court  ne  doit  on  mie  vendre,  mais  on  le  doit  mettre  en  commun 
profit.  » 

IL  Semailles.  —  «  Des  costumes  à  semer  sera  il  en  tel...  manière...  en 
sèment  doivent-ils  semence  de  soelle  (fl.  geerste,  fr.  millet)  pour  semer 
un  bonier  de  terre...  chou  est  à  savoir  quatre  haelster  -;  et  la  semenche 
d'aveyne  pour  semer  un  autre  bonnier  de  terre  ...  chou  est  à  savoir  quatre 
haelster.  » 

Un  bail  accordé  par  Pabbé  de  Saint-Pierre  à  Gand,  en  grande  chambre, 
le  19  novembre  1595,  à  un  habitant  de  Resseghem,  relativement  à  une 
ferme  et  terres ,  situées  à  Barst,  dans  la  Campine ,  nous  apprend  les  particula- 
rités suivantes  sur  l'aménagement  des  terres  à  cette  époque.  Il  y  est  stipulé 
entre  autres  : 

'  Diericx,  Ctiarterboek ,  pp.  74,  1^. 

■^  C'était  une  mesure  usitée  à  cette  époque;  en  lat.  Iiahterhim. 


528  HISTOIRE 

a.  Que  les  terres  semées  de  blé  d'hiver  [winter  coerne)  devront  rester 
avec  le  même  blé  en  jachère  enfumée  [gemesle  braecke)  -  4-  sillons  (  iiij  voren 
gewonnen). 

b.  Qu'il  sera  semé  dans  les  chaumes  de  blé  [coorens(oppeln)  d'autres 
semailles  et  de  l'avoine  (evene)  -  3  sillons  -  {iij  voren  geivonnen). 

c.  Que  la  troisième  semaille  restera  en  jachère  [braecke]  '. 

m.  Jachère.  —  «  Le  tiers  bonier  de  le  terre  doit  être  vuide  et  nient 
collurei  :  chou  est  à  savoir  brake  {en  lat.  brachelarium). 

IV.  Prairies.  —  «  De  six  boniers  de  prez  arable  sera  il  ensi  :  que  le 
moytiers  de  ces  six  boniers  doivent  eslre  colturei  par  trois  ans  ensuivans 
continûment  par  les  hostes...,  l'autre  moytiers  doit  on  laisier  gésir  sans  col- 
tiver  pour  paslure  as  besles...  et  en  tel  manière  doit  on  les  six  boniers  de 
préz  devant  dis  de  trois  ans  en  trois  ans  changier  en  paslure  et  en  terre 
arable.  » 

C'est-à-dire  que ,  suivant  l'ancien  ordre  établi  pour  ce  qu'on  appelait  la 
grande  culture,  un  tiers  était  semé  en  grains  d'hiver,  c'est-à-dire  de  fro- 
ment, de  seigle,  de  méteil ,  d'orge  d'hiver,  de  colza,  etc.;  un  tiers  en  grains 
d'été,  c'est-à-dire  d'avoine,  de  sariazin,  de  fèverolles,  etc.;  un  tiers  restait 
en  jachère.  On  établit  ici  un  ordre  différent  par  lapporl  à  des  prés  arables. 

V.  Arbres.  —  «  Des  arbores  et  du  bois  croissans  un  bruet  ^  gisant 
près  de  le  court  :  liquel  bruet  contient  en  tour  deux  boniers  pou  plus  pou 
moins,  doit...  user  pour  faire  les  socs^  entour  les  cultures,  et  ez  aullres 
nécessitez...  » 

VI.  Pailles  et  engrais.  —  «  Après  nous  ordenons  ke  li  lerrages*  aussi 
bien  de  biefs  comme  de  l'aveine,  doit  estre  amené  en  la  granger  de  le 
court,  et  que  11  estrains,  les  pailles,  le  foin  et  les  remaindres^  de  toutes 
les  autres  choses  qui  seront  ame^é  dedens  la  grange  doit...  despendre  au 
communs  profis...  et  de  tous  les  estrainiers  (ilam.  mesthoopen,  fr.  fuiiiiers) 

'   Carliil.  dp  l'iililmije  (le  Saiiil-I'icrre  ,  n"  \). 
-  De  ^>we,  bruyère,  petite  bruyère. 

"'  En  flam.  cingcls ,  lat.  littora,  dont  on  entoure  les  terres  eultivées. 

'  Ce  qui,  suivant  les  usages  locaux,  ou  d'après  inie  convention  particulière,  revient  au 
seigneur  dans  les  fruits  de  ses  terres  cultivées  par  d'autres, 
s  Qund  remanH ,  ce  qui  reste,  ilal  uverblyfL 


DES  COLOISIES  BELGES.  529 

et  les  fiens  (excréments  d'animaux)  qui  y  seront,  fait  de  chou  doivent  li 
hostes  fumer  (engraisser)  les  terres...  » 

Il  résulte  d'un  contrat,  conclu  le  jour  de  la  vigile  de  Saint-Jean-Bapiiste 
de  Tan  ISl/*,  entre  l'abbé  deSaint-Bavon,  à  Gand,  et  le  seigneur  de  Rodé, 
que  l'on  engraissait  la  terre  avec  de  la  marne  {marlare)  et  (ju'on  la  slercoruii , 
c'est-à-dire  qu'on  y  mettait  du  fumier  '. 

Vil.  AniiHiiHX.  —  «  ...  Après  ...  doit  avoir  pour  le  pasture  des  bestes  ... 
mais  que  les  bestes  aient  leur  plaine  sustenanche  ...  et  la  terre  soit  culturée 
à  tamps  et  à  eure...  » 

VIII.  Fléaux.  —  «  Les  flaels  (fléaux  à  battre  le  blé)  sera  il  en  lel 
manière  que  ...  doit  avoir  deux  fléals  en  la  grange.  » 

IX.  Productions.  —  Meyer,  après  avoir  fait  un  brillant  éloge  de  la  culture 
flamande  au  moyen  âge,  ajoute  que  les  fruits  que  son  sol  produisait  consis- 
taient en  orge,  avoine,  fèves,  pois,  lin,  chanvre,  houblon,  panis,  navets,  etc. 

Aux  douzième  et  treizième  siècles,  on  payai!  la  dlme  de  ces  sortes  de  fruits, 
ce  qui  prouve  que  déjà  on  les  cultivait. 

Dès  le  milieu  du  onzième  siècle,  la  vigne  était  cultivée  chez  nous,  s'il  faut 
en  juger  par  le  fragment  suivant  d'une  lettre -de  Gervais,  archevêque  de 
Reims,  adressée  à  Baudouin  le  Pieux  :  «  Uaconlerai-je  que  tes  peuples  le 
doivent  le  don  du  vin  qui  leur  élait  inconnu?  Aiin  que  rien  ne  manquât  aux 
habitants  de  tes  provinces,  tu  parvins  à  apprendre  aux  agriculteurs  à  cultiver 
la  vigne,  de  sorte  qu'après  avoir  longtemps  ignoré  ce  qu'était  le  vin,  il.^ 
président  aujourd'hui  aux  travaux  des  vendanges.  » 

X.  Instramenls  aratoires.  —  Les  attelages  que  l'on  employait  étaient 
l'araire,  la  binette,  la  charrue  avec  ou  sans  chariot,  avec  une  ou  plusieurs 
oreilles,  avec  un  ou  plusieurs  socs,  le  sarcloir,  le  butoir  à  cheval,  le  scarili- 
cateur  et  le  triturateur,  la  herse,  etc.,  el^  parmi  les  instruments  manuels,  la 
bêche ,  le  louchet ,  la  pioche,  la  houe,  le  crochet,  etc. 

XL  Corvées.  —  Les  censitaires  étaient  chargés  de  certaines  corvées  qui 
frappaient  leurs  exploitations  agricoles.  Parmi  ces  corvées  figurait  la  vetteme 
ou  obligation  de  charrier  le  fumier  sur  les  terres  accensées;  il  y  avait  d'autres 

<   Diericx,  Charterboel: ,  n°  ô5. 

-  Kerv)n  de  Lcttenhove,  I,  t2"i,  noie  3. 

Tome  XXXII.  ^5 


s 


330  HISTOIRE 

petites  corvées  non  déterminées,  et  que  Ton  désignait  par  le  nom  de  serviiia 
ronsucta.  Toutefois,  les  charges  étaient  proportionnées  d'après  l'usage  ou 
le  profit  annuel  (pie  les  fermiers  liraient  des  terres  '. 

%  III.  —  Des  résulluts  agricoles  obtenus  pur  les  colons  belges  en  Allemagne. 

Ce  qui  précède  prouve  que  la  culture  avait  pris  chez  nous, dés  le  onzième 
siècle,  un  essor  et  une  extension  extraordinaires.  Nos  colons  introduisirent  en 
Allemagne  les  connaissances  agricoles  qui  leur  étaient  familières,  et,  au  bout 
de  quelques  années  d'un  travail  opiniâtre,  les  endiguements  et  les  défriche- 
ments préalablement  opérés,  ils  parvinrent  à  faire  de  ces  contrées  basses  et 
marécageuses  des  terres  qui ,  sous  aucun  rapport ,  ne  l'ont  dû  céder  à  celles  de 
la  mère-patrie. 

Tel  est  le  résultat  que  conslalent  les  historiens  allemands. 

«  A  quoi  attribuer,  —  se  demande  Michelsen  — ,  le  silence  que  tiennent  à 
cet  égard  les  chroniqueurs  belges?  C'est  que  les  expatriations  successives  des 
Ik'Iges,  au  douzième  siècle,  ne  furent  pas  pour  les  Pays-Bas  un  événement 
aussi  important  que  pour  les  contrées  d'Allemagne  dans  lesquelles  leurs  immi- 
grations eurent  lieu  et  où  les  colons  défrichaient  les  terrains  marécageux, 
rendaient  produclives  des  landes  stériles,  fondaient  çà  et  là,  comme  il  convient 
à  des  hommes  libres,  des  communes  indépendantes  et  de  vastes  paroisses, 
entreprenaient  d'immenses  endiguements  et  faisaient  faire  des  progrès  énor- 
mes à  la  culture  du  sol  et  à  l'économie  rurale  '\  » 

Wersebe  lui-même  reconnaît  dans  maint  endroit  de  son  livre  que  les 
colons  belges  rendirent  de  grands  services  à  l'agriculture.  Il  le  fait  toujours 
sèchement  et  comme  par  contrainte  ;  mais  son  aveu  n'en  a  cpie  plus  de  valeur. 

Hoche  s'exprime  ainsi  :  «  Si  l'on  considère  le  dessèchement  et  la  fertilisa- 
tion des  terres  comme  le  fondement  de  l'agriculture,  il  faut  avouer  que  la 
basse  Allemagne  doit  en  grande  partie  ce  résultat  aux  colons  étrangers,  et 
principalement  aux  Flamands  et  aux  Hollandais  ^.  » 

'   lîiericx  ,  Chorlerboek,  p.  x. 

"^  Der  Mainzer  Hof  zù  Erfurt,  p.  7. 

'  Pages  \  ,  31  ,  sqq. 


DES  COLOMES  BELGES.  551 

Langellial  apprécie  de  la  même  manière,  mais  en  y  consacrant  plus  de 
développement,  Tanivre  de  nos  colons.  «  Des  paysans,  dit-il,  qui  vivaient  en 
hommes  libres,  furent  plus  utiles  au  pays  et  à  leurs  nouveaux  suzerains  (jue 
ne  le  furent  dans  d'autres  contrées  les  serfs  courbés  sous  les  impôts  féodaux. 
Les  colonies  de  Flamands,  de  Hollandais,  etc.,  étaient  comme  les  oasis  de  la 
liberté.  Elles  donnaient  à  rAllemagne  un  exemple  sans  précédent.  Mais  c'est 
grâce  à  la  liberté  qu'elles  développaient  l'agriculture,  cette  source  d'un  bien- 
être  matériel  immense,  qu'elles  procuraient  aux  seigneurs  et  aux  églises  des 
revenus  considérables,  et  qu'elles  furent  le  principe  de  nombreuses  imitations 
dans  le  domaine  de  l'agronomie.  » 

Cependant,  tout  en  constatant  les  résultats  de  l'œuvre  des  colons ,  les  au- 
teurs allemands  ne  nous  ont  point  décrit  les  procédés  qu'ils  employaient. 
Wiedcmann  est  le  seul  qui  nous  donne  le  détail  laconique  suivant  :  «  Les  co- 
lons de  l'AIteland  (près  de  Brème)  délimitèrent,  au  moyen  du  cordeau,  la  su- 
perficie de  leurs  terres,  qu'ils  divisèrent  en  soles;  et  l'égalité  de  contenance 
de  leurs  premières  fermes,  égalité  dont  on  trouve  la  preuve  dans  les  docu- 
ments ecclésiastiques,  révèle  un  mode  de  division  tout  à  fait  nouveau  de  la 
propriété  '.  » 

D'après  ce  passage ,  il  semble  que  nos  colons  ont  été  les  premiers  dans 
le  pays  de  Brème  à  opérer  l'assolement,  ou  partage  par  saisons,  dont  parle 
l'article  Ml^t  du  code  Napoléon.  C'est  donc  un  nouveau  mode  de  culture, 
inconnu  aux  Slaves  tout  autant  qu'aux  habitants  du  Brémois,  une  particula- 
rité agraire  digne  d'être  signalée. 

Lors  même  que  l'on  voudrait  restreindre  l'étendue  et  l'importance  des  co- 
lonies, les  résultats  utiles  qu'elles  ont  produits  doivent  être  considérés  comme 
un  événement  pour  l'histoire  de  la  civilisation  des  pays  où  elles  ont  été  fon- 
dées ;  ceux-là  même  qui  les  déprécient  le  plus  ne  peuvent  nier  l'existence 
des  faits.  Or,  c'est  à  l'époque  de  leur  arrivée  que  commença  le  dessèchement 
des  prairies,  des  marais  et  d'autres  terrains  humides  i\m  régnaient  en  si 
grande  quantité  dans  la  basse  Saxe,  en  Thuringe,  et  ailleurs.  Ces  lieux  bas 
et  malsains  furent  transformés  en  des  plaines  riantes,  utiles  à  la  production 
et  par  là  même  à  la  population  qui  croissait  de  jour  en  jour. 

'   Wicdeinann,  I,  p.  1 1. 


552  HISTOIRE  DES  COLOiSIES  BELGES. 

Enfin ,  les  colons  rendirent  le  service  le  plus  signalé  à  la  classe  des  agri- 
culteurs en  favorisant  la  liberté  individuelle.  Leur  influence  fut  d'autant  plus 
efficace  qu'ils  furent  aidés  par  un  courant  de  circonstances  qui  toutes  contri- 
buèrent au  but  qu'ils  poursuivaient  '. 

(Comment  donc  se  fait-il  que  les  documents  contemporains  nous  fournissent 
si  peu  de  renseignements  sur  les  pbases  de  cette  transformation?  Le  motif  en 
est  simple.  La  métamorphose  fut  complète  sans  doute;  mais  elle  se  fit  sans 
bruil.  Les  colons  criaient  peu,  faisaient  peu  d'ostentation;  mais  leur  œuvre 
n'en  marchait  que  mieux.  Le  résultat  est  patent,  il  saute  aux  yeux,  témoin 
le  cachet  germani(|ue  que  tous  les  pays  conquis  avaient  déjà  pris  dans  le  cou- 
rant du  quatorzième  siècle  ^. 

J'ai  déjà  fait  remarquer  mainte  fois  que  les  Belges  s'établirent  le  plus  sou- 
vent dans  des  contrées  humides  et  marécageuses.  Toutefois,  ce  principe  n'est 
pas  absolu.  Nous  les  voyons  aussi  se  fixer  dans  les  districts  élevés  et  sablon- 
neux du  Brandebourg,  et  il  n'y  a  pas  lieu  de  s'en  étonner,  puisque  dans  leur 
pays  ils  cultivaient  aussi  bien  les  vallées  que  les  collines  ". 

Les  Flamands  eurent  cela  de  commun  avec  les  VVestphaliens.  Ce  ne  fui  pas 
seulement  dans  le  Brandebourg,  mais  même  dans  certaines  parties  de  la  Thu- 
ringe  et  dans  toute  l'Allemagne  du  nord  que  ces  deux  peuples  choisirent  sou- 
vent le  versant  des  montagnes,  taudis  que  les  Hollandais  et  les  Priions 
recherchaient  de  préférence  les  vallées  et  les  côtes  de  la  mer.  Le  Jlohe 
Flemming,  près  de  Jiiterbock,  et  les  villages  de  Flemmingen,  en  Thuringe, 
le  Fkmiiiffsdorf  dans  la  Wagrie,  etc.,  sont  évidemment  d'origine  flamande, 
tandis  que  les  terres  de  l'intérieur  du  lîalsamerland,  des  pays  de  Ratze- 
bourg,  de  Schwerin,  etc.,  ont  été  cultivées  par  les  colons  de  la  Westphalie 
et  du  Brabant  *. 

'  Larigetlial,  11,92. 

-  Ollo  FooIvjII,  47. 

■•  Il)i(l.,  II,  49. 

'  Laiij'fllial,  II,  165. 


FIN. 


DOCUMENTS  ET  PIÈCES  JUSTIFICATIVES. 


Colonisation  du  village  de  Woesten,  par  Thiernj  et  Philippe  d'Alsace. 

(10  août  1161.) 

Ego  Tlicodoricus  Dei  gratia  Flaïuircnsis  cornes  et  Pliilippns  iina  filius  meus  soliuidineni 
Reningenseni  vielui  noslro  spccialiler  députâmes  sub  annuali  eensu  agricolis  excolendam 
donavinius.  Quoniam  igilur  de  noslro  existit  dominicalu  et  ad  nullam  ab  aelerno  spectans 
parochiam  in  ea  eeclesiam  fundari  lacicnles  subsidibus  nosiris  propiium  providebimus 
sacerdotem.  Itaquc  ad  nullam  aliam  perlinebuiit  |)arochiam.  Quicunquc  in  ea  maiiere 
voluerint,  si  alio  obligati  icncntur  dominio,  liccnliam  ad  nos  veniendi  eis  impetrare  cura- 
bimus.  Notum  sit  igilur  lam  fuluris  quam  praesenlibus,  quoniam  non  soium  iis  qui  ad 
praesens  manenl,  sed  el  omnibus  qui  poslmodum  in  ea  mansuri  fuerint,  liane  in  perpe- 
luam  eonccdimus  el  donavimus  liberlalem,  qtiod  legibus  sive  justitiis,  scu  etiani  causis 
communiae  Furnensis,  quae  vulgo  chora  dicitur,  nullalenus  subjacebunt,  sed  ab  omnibus 
servitiis,  pelilionibus,  lalliis,  sive  quibuslibel  aliis  exaelionibus,  quibus  alii  incolae  terrae 
nostrae  obligali  lenenlur,  liberi  et  absoluli  perpcluo  babeanlur,  nisi  forle  pro  comnumi 
lerrae  defcnsionc  in  exercilum  evocenlur  :  de  nulla  usquam  qucrela  ab  aliquo  hominum 
in  causa  ducenlur,  nisi  in  noslra  praesenlia,  vel  ejus  qui  Ipris  minislerium  viclualium 
nostrorum  lenueril  :  lemjjoribus  constitutis  censuni  noslrum  Ipris  peisolvent,  videiicel  in 
nalivilate  S.  Joannis  denarios,  inler  feslum  sancli  Bavonis  el  Purificalionis  Ikatac  Mariac 
avenam  el  gallinas.  Si  auiem  praedictis  temporibus  non  persolverinl,  a  minislris  praedantur 
tamen  absque  uUa  culpabili  emcndalione,  ne  libertas  eorum  frangaliir.  Quod  ul  ralum  el 
inconvulsum  maneal,  pracscnlis  paginae  atlestalione  el  sigillorum  noslrorum  aucloritaie 
roboravimus,  praesenlibus  bis,  Desidcrio  praeposilo  el  cancellario,  Rogero  de  Naimnic 
dapifero,  Euslachio  camerario,  Rassone  cubiculario,  Micbaele  constabulario,  Balduim. 


334  HISTOIRE  DES  COLOISIES  BELGES. 

castellano,  Gulielmo  de  Pashendale,  Galtero  Savella,  Ilenrico  de  Morslede,  Galtero  de 
Fourmcselles,  Hugoiie  de  Menighen,  Baldiiino  de  Cominis,  Balduino  de  Meehlinia  , 
Drogone  de  Elverdingliem,  et  aliis  quaniplurimis.  Actum  anno  Doniiiiicae  Incarna- 
tionis  H6I.  Ipris,  in  die  sancti  Laurentii. 

(Sanderi,  Flandria  illuslrala  .  III,  1-26.) 


II. 

Frédéric,  cvèque  de  Brème  et  de  Uambourrj,  accorde  des  prhilèyes  aux  Uollandais  qui 

s'établissent  dans  son  diocèse. 

(1106.) 

In  noniine  sanctac  et  individuae  Trinitatis,  Fridericus  Dei  gratia  Ilammabiirgensis 
ecclesiae  antistes,  universis  fidelibus  in  Christo  praesentibus  et  fuliu'is  perpoluam  bene- 
dictioneni.  Pactionem  quandam,  quam  quidam  cis  Rheniirn  conimancntes,  qui  dicuntur 
Hoilandi,  nobiscum  pepigerunt,  omnibus  notam  volumus  haberi.  Piaefati  igitur  viri 
Majeslatem  nostram  convencrunt,  obiiixe  rogantes,  quatcnus  terram  in  Episcopatu  noslro 
sitam,  baclenus  incultam  paludosamque,  nostris  indigenis  superfluam,  cis  ad  excolendum 
concederemus.  Nos  itaque  nostrorum  usi  consilium  fidelium,  perpcndentes  rem  nobis 
nostrisque  successoribus  profuturam,  non  abnuendae  petilionieorumassensum  tribuimus. 
Hujus  autem  petitionis  talis  fiebat  paeiio,  ut  de  prefatae  terrae  singuiis  niansis,  singuios 
dcnarios,  singuiis  annis  nobis  darent.  Mansi  vero  mensione  ne  discoidia  in  postcrum  in 
populo  haberetur,  quae  mansio  in  longitudine  septingentas  et  viginti,  in  lalitudine 
vero  XXX  babet  régales  virgas,  eum  rivulis  terram  interfluentibus,  quos  eis  simili  modo 
concedemus,  hic  inscribi  necessarium  duxinms.  Condixcrunt  deni([ue  sccundum  decre- 
tum  nostrum  decimam  se  daturos,  ita  videlicet,  ut  de  frugibus  terrae  XI  manipulum,  de 
agnis  X,  de  porcis  similiter,  de  anseribus  similiter,  nec  non  decimam  mensuram  mciiis, 
et  de  lino  simili  modo  darent.  PuUum  equinum  usque  ad  festivitatem  sancti  Martini  solo 
dcnario,  vituUnu  obulo  redinicrent.  Ad  synodalcm  justiliam  et  institutionem  Trajectensis 
Ecclesiae  nobis  se  per  omnia  obtemperaturos  promiserunt.  Judicia  et  placita  secularis 
legis  ne  ab  extraneis  praejudicium  patcrentur,  ipsi  ut  omnes  rerum  dissensiones  inter  se 
definircntm-.  De  singuiis  centum  mansis  II  mareas  singuiis  annis  se  persolvere  asseruc- 
runt.  Majorum  placita  sive  judicia  rerum  si  ipsi  inter  se  definire  nequirent,  ad  Episcopi 
nudientiam  referrent,  cumque  secum  ad  causam  definiendam  ducentes,  inibi  quam  diu 
nioraretur,  de  suo  ipsimct  procurarent  :  eo  tenore ,  ut  de  placitati  quaestu  duas  partes 
habercnl,  tcrtiam  vero  Episcopo  praeberont.  Ecclesias  in  pracfata  terra  ubi  eis  congruum 
viderelur,  constitui  concessimus.  Quibus  ecclesiis  decimam  decimarunl  nostrarum  paro- 
chiarum  ecclesiarumearundem  distincte  in  usus  sacerdotis  inibi  Deo  servituri  praebuimus. 


DOCUMENTS  ET  PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  53S 

Parochiani  vero  nihilominus  singularum  ccclesiàrum  suis  ecclesiis  mansuai  unuin  m 
dotem  ad  i)racdictos  usus  sacerdolis  se  daturos  confirmant.  Nomina  viiorum  qui  nos  ad 
hanc  paclioncm  faeiendam  confirmandamque  convenciant  liaec  sunl  :  lleinricus  saceidos, 
cui  praefatas  ecclcsias  in  vila  sua  concessimus  ;  caeterique  iaïci  Helikinus ,  .\riioldus ,  Iliko , 
Fardoll,  Refcric,  quibus  jani  saepedictam  lerram,  secundum  secuii  leges  et  praefatani 
L'onvenlionem  conccdimus ,  et  ipsorum  haeredibus  post  ipsos.  Hujus  conventionis  adstipu- 
lalio  fiebat  anno  Dominicae  Incarnationis  MCVI,  indiclione  VI,  irgnanle  domino  Hein- 
rico  IV.  Rom.  Imp.  Aug.  Ad  cujus  paginae  dccreUmi  coniirmandum  cum  adslipulafione 
nostra,  noslri  impressionc  sigilli  hic  annecli  nobis  compiacuit.  Si  quis  ista  contradixi-rii , 
analhema  sil. 

Hujus  paginae  confirmalioni  ego  Wernherus  praepositus  interfui  et  subscripsi.  Ego 
Marquardus  praepositus.  Ego  Hasoco  praepositus.  Ego  IIujo  praepositus.  Ego  Adaibero.  Ego 
Thuio  interfui  et  subscripsi.  Ego  Gerungus  advocatus  interfui  et  recognovi.  Ego  Herieus 
interlui.  Ego  Tbidericus.  Ego  Wilio  interfui.  Ego  Erpo  interfui  et  recognovi.  Ego  Adei- 
bertus.  Ego  Ermbertus.  Ego  Reynwardus.  Ego  Ecelinus. 

(Ehmck,  Bremisclie.r  Uriiundeiibucli ,  I'"  Lieferung, 
n°27,p.  28.) 


III. 

Lettre  de  vente  entre  Jean  de  Campe  et  Jean  de  Nieukerke. 

(1340.) 

Icii  Johan  van  Campe,  bekennc  des  in  desseme  gcgenwardegen  Brève,  unde  do  des  ene 
betûgingbe  alien  dcn  genen,  de  ene  horet  und  set,  dat  ick  mit  Hinreke  Seveken,  Gott  si 
eme  gnedig,  van  vulborde  und  willen  Heijdenrikcs  Seveken,  un  dmit  vulbord  sines  Wyves 
vor  Katherincn,  des  it  ère  was,  vorkofft  hebbe  lier  Johanni  van  der  Nycnkercken  unde 
Clausen  vandeme  Bïctle,  deme  Borgere  to  Ytzeho,  dat  gut  tho  der  Lûtterinyhe,  vor  ium- 
dert  Marck  Penninghe,  sonder  Mathe,  in  soicker  Laghe,  aise  it  gy  geiegen  hefft,  by  Heren 
Hinrikes  tiden  van  dem  Yorke,und  darna  bi  Heydenrikes  tbiden,  tiio  brukende  sonder 
yeneger  leye  Hindernisse.  Desdede  wy  vornômeden  in  bcydent  balven,  also  in  dem  Banne 
en  Recht  was,  und  loden  (invilare)  und  beden  in  Siinte  Johannes  Dage  iho  Wynachten 
uppc  dat  beschedcne  Gut  Scbepcn  und  Schulten  van  dem  Cronesmore,  dar  dat  Gut  in  deme 
Banne  lyl,  und  Buere,  ut  deme  Dorpe  van  Uilcjhenstede  Scbepen  und  Scullhen  und  andere 
Bure  in  dersiilven  Herschop.  Wy  loden  och  up  dat  Gut  und  beden  Papen,  Goder  Hand 
Lûde ,  Borgere  unde  Buren  van  Monsterdorpe  und  na  wyzer  Lûde  anwysinge  nemen  wy 
vor  densulvcn  Sehepen  und  vor  den  Schulten  mil  ordelen  im  mit  Banne  Vormiinde  in 


336  HISÏOIRK  DES  COLOINiES  BELGES. 

beydciii  halvcn,  af  enen  lialf  ich  Johan  van  kanipe,  Hinrick  Seveken ,  Heydeiirick  Seveke, 
iirid  siii  Husvrowe  vor  Katherine  mil  eroi  Vormùnde ,  und  Iclhcn  ini  iip  mit  usen  Vor- 
iniinden  dal  suive  gui,  llio  der  Lùtleringhc,  den  vorbcnômcden  iwen  lier  .Johanne  Clavese 
und  eren  Vorniùndcn  mil  wiilen  und  mit  ja  dal  suive  gut,  aise  in  dénie  Hullandersclien 
Banne  en  Hcchi  is.  A\'i  bekennen  ocli  yme  des,  in  desseme  Brève,  dat  wy  ym  dat  Gut  ver- 
kofft  liebbcl  mit  alsolcker  Laghe,  als  il  gclegen  hefft  nu't  Dike,  mit  Dycklaghe,  de  Lenghe  , 
de  Brede,  ibam  und  AVylde,  van  der  Store,  bitl  in  de  Scbede  under  der  \\'ellcn.  Wi 
bekenden  och ,  do  des  vor  den  Schepen  und  vor  den  Schulten  und  bekennei  nu  in  des- 
seme Brève  dat  se  us  dat  (>ut,  Her  Johan  und  Clawes  na  unseme  \\'illen  vorgulden  heb- 
bet,  den  erslen  Penningli  und  den  lesten  altomale.  W'i  bekcnnel  ym  ocb ,  des ,  dat  wy  se 
waren  schôlen  von  allerleye  Ansprake,  vor  allerieye  Ilindernisse  yar  und  doch,  also  en 
Hollanderes  Recht  is.  To  ener  Betûgiiinge  deser  Rede,  hebbe  we  Jobann  van  Kampe  und 
Hcynderick  Seveke,  Uelric  Seveke  und  Delleff  Seveke  hcnget  use  iiigesegbcl  tho  dessein 
Brève.  De  Tiige  de  byr  ovcr  weren,  dat  sint  lier  Johann  van  der  Sàderow,  und  Her  ^^  oi- 
ter  van  Siinte,  Sixtes  de  Prestere,  Gert  UiJken,  Batte  Schuletiborch,  Clawes  van  den  Bûtle, 
bassen  Broder,  Liitteke  Dose,  Eggliertvan  der  ScA K/eH//orc/i,  de  knapen.  Jobanrfcr  l'ihe, 
Jiuckenhageii,  Johann  Ditmersche,  de  Bôryere,  Schepen  und  Sehullen  van  Cronesmore  und 
Hilgenstede,  und  andere  bedorve  Burë  van  den  sulven  Dorpen  und  van  Mûnsterdorpe 
und  andere  Bôrgere  de  me  nômen  môchte,  ifft  des  not  were.  Desse  Brev  de  is  gegeven 
na  der  Bon  Godes  im  diisendeslen  Varc  und  dreyhunderstcn  Yare,  in  dem  verihegesten 
'^  are,  in  deme  iiilghen  Daghe,  aise  Got  to  Hemmelc  vor. 

(Wcstplialen,  Munuinenta  ,  11,  14-J.) 


IV. 

Rorehard ,  ronile  de  Mansfeld ,  fait  don  d'une  ferme  flamande  au  couvent  de 

iValkenried. 

^l266.) 

Borehardus  conies  de  iMansvelde  conventui  de  Walkenrede  conferl  1  mansum  flamin- 
gicum  inter  ecclesiam  Rytii  el  Rythof  silum,  quem  eidem  Henricus  de  Wizense  et  cognati 
ejus  Henricus,  Berloldus  et  Fridericus  de  Wessungen  pro  29  marcis  îVortliuscnsis  pon- 
deris  vendiderunt. 

Aet.  1266  et  dat.  in  Lininthe,  3  non.  sept. 

Testes  :  Henricus  Girburch,  Lampertus  de  Heringen  et  ejus  filius  Berloldus,  Jobannes 
notarius,  Conradus  Saxo,  ete, 

(Urkimdenbudi  des  Stiflu  Walkenried,  1 ,  llnn.  .jS!  ,  p.  249.  ) 


DOCUMENTS  ET  PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  557 


Borchard,  châtelain  de  Scrapelowe ,  fait  don  nu  coutenl  de  Walkenried  de 
quatre  fermes  flamandes. 

(16  août  1282.) 

Borchardiis ,  burcgravius  in  Scrapelowe,  ciim  conscnsu  patruelis  sui  Borchardi,  comitis 
de  Mannesfell ,  conventiii  de  Walkenride  in  quodam  restauro  dat  proprietateni  4  niansorum 
Flandrensis  viensurae  in  Carecto  jtixta  Kelbera,  quos  ipse  et  progénitures  sui  ab  imperio 
hactenus  habuerant. 

A°  1282,  in  crastino  assumlionis  beatae  Mariae  Virginis. 

Testes  :  nol)ilis  vir  Wallcrus  de  Torstad ,  Volcmarus  de  Goslaria ,  milites  ;  Conradus  de 
Piscina,  —  Jobannes  sen.  de  Gatersleibin,  Tbeodoricus  de  Niendorp  dictus  Meyer, 
Ulricus  de  Revcninge ,  etc. 

(  Urkundi  v.  ff'alkenried ,  I ,  Vrk.  il^ ,  p.  508.  ) 


VI. 


Henri  de  Sangershausen  et  Frédéric  de  Berga  vendent  an  couvent  de  Walkenried  la 

ferme  dite  Vlemincesgit. 

(14  septembre  1291.) 

Henricus  de  Sangerhusen  et  Fr[idericus]  de  Berge,  fralres,  i  mansum  terrae  arabilis 
in  longa  palude  situm,  672  fertones  annuatim  solventcm,  vulgariter  Vlemingesgut  nun- 
cupatuni,quenia  tratribus  de  Siindersbusen  titiilo  feiidali  tenuerunt,  ecclcsiae  Walkenre- 
densi  pro  16  marcis  vendunt. 

Conemundus,  P'ridericus  et  Albertus,  l'ratres  de  Sondershusen,  omne  jus  proprielatis 
quod  sibi  in  nianso  praedictocompetebat,  ecclesiae  Walkenredensi  dant. 

A°  1291,  18  kal.  oct. 

Testes  :  Al[bertus]  plebanus  de  Sundershusen  et  Fr[idencus]  de  Dalein,etc. 

(Ibidem,  Urk..  532,  p.  339.) 


Tome  XXXII.  44 


338  HISTOIRE  DES  COLONIES  BELGES. 

VIL 

L'abbé  de  Walkenried  cède  l'usufruit  de  deux  champs  flamands. 

{i"  mai  1312.) 

'  iccognoscit  quod  abbas  monasterii  Walkenriet   usumfructum  de  2  agris  Fla- 

micis  in  campis  villae  Haringen  H.  Carpentario,  v.illano  ibidem,  et  Juttae,  uxori  ejiisdem, 
quanidiii  vixeriiU,  prn  13 '/s  marcis  Northucensis  argent!  ita  vcndidit,  ut  singulis  annis 
fertonem  cum  dimidio  et  C  denarios  monasterio  solvant. 

A°  1512,  kal.  maji. 

Testes  :  Conradus  et  Kristianus  Averi,  fratres,  Th.  sculieius. 

(  Ibidem,  1 1,  (/r/c  732,  p.  83.) 


VIII. 


Wichmann,  évéque  de  Nciumbourg,  accorde  des  privilèges  aux  colons  belges 
établis  dans  son  diocèse. 

(H52.) 

Cuidam  populo  de  terra  quae  Holland  nominatur,  a  praedeccssore  meo  l'done  in  cun- 
dem  episcopo  coadunato  —hoc  privilegium  contuli,  in  quo,  ut  omnibus  exponerem  qua 
lege  adstricti  tencanUir  et  qua  libertale  fruantur ,  —  data  est  ois  ~  libéra  potestas  inira  epis- 
copalum  emendi  et  vendendi  sine  omni  génère  exactionis  et  telonei.  Si  alicujus  corum 
possessio  venalis  exponitur,  compatriotae  suo  tantum  et  non  extero  eniere  licebit.  Causa 
correetionis  ter  in  anno  cum  eis  coUoquium  babeat  quiseunque  fuerit  episcopus,  in  quo, 
si  quiseorum  aliquo  excessu  injuste  cxorbitaverit,  III  solidis  composilionem  inveniat.  Scul- 
tetum  (jueni  sibi  praefecerint  sine  contradictione  habeant,  in  cujus  coUoquiis  VI  den.  com- 
posilionem faciant.  Si  quis  eorum  juramento  expurgare  volucrit,  nuUa  occasione  impediatur, 
nuUis  verborum  insidiis  capiatur.  Praepositus —  synodum  suam  cum  eis  celebret.  Stalutum 
est:  Ubi  antecessori  meo  III  solid.  persolvcrunt,  milii  VIII  pcrsolvant,  IV  in  feslo  beati 
Jacobi,  totidem  in  festo  S.  Martini,  appositis  ibidem  IV  sexagenariis  ulriusque  messis  con- 
grue tempore  persolvendis,  quod  ipsi  spontanea  voluntate  obtuïerunt  in  cathedra  Beati 
Pétri  de  quolibet  manso  solidum  unum  singulis  annis  fratribus  ad  usuni  ecclesiae  majoris 

'  La  parlie  supérieure  du  diplôme  est  déchirée. 


DOCUMEÎNTS  ET  PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  339 

persolvant.  Quicunque  successores  eorum  fuerint ,  cadem  bona  obtinuerint,  sive  liberi,  sive 
servi ,  sub  quacunque  lege  et  moribus  vivant ,  idem  observent  et  faciant.  Si  quis  eorum 
sine  iiercdc  moriatur,  possessio  ejus  intégra  sine  distractione  pcr  ciirriculnm  anni  et  diei 
tenealur,  ut  si  legitimus  lieres  intérim  advenerit,  sine  contradictione  locum  prioris  possi- 
deat.  Sin  autem  —  episcopus  duas  partes  —  tertiam  vero  ad  usum  eeclesiae  relinquat. 

(Rôssier,  Sladtrechte  von  Brllnn.  Prag.,  1833,  S.  Cil  ) 


IX. 


Wichmann ,  éoéqiie  de  Naumbourrj ,  cède  à  son  vrjllse  le  revenu  du  marché  de  la  ville,  et ,  de 
plus,  une  redevance  de  trente  solidi  pour  l'entretien  des  toitures  de  la  cathédrale. 

(11  b2.) 

Innomine  Sanciae  et  Individuac  Trinitatis.  Quoniam,  ut  ait  Apostoius,  nos  sumus  in  quos 
devenerant  fines  secutorum ,  et  jam  instante  hora  undecima  totus  mundus  vergit  in  ves- 
perum,  idcirco  ego  Wichmannus,  Dei  niiserationc  Nuenburgensis  eeclesiae  episcopus, 
notum  Cacio  Cin-isli  fidclibus  universis,  non  soluni  presentibus,  scd  etiam  futuris,  qualiter 
saluti  animae  mcae  providerini,  magis  ad  utiiitatem  et  decorem  domus  Dei  inler  operarios 
summi  patrisfamilias  pondus  diei  et  aestus  portare,  quam  extra  vineam  ociosus  et  inutilis 
stare.  Mei  crgo  salubris  recordatio  fratrumque  meorum  débita  dilectio,  magistri  etiam 
Wilhelmi  fraterna  peticio,  ad  qucm  Fori  Nuenburrjensis  tlwloneare  spcctat  beneficium, 
tanlum  in  me  ammonendo  prevaiucrunt,  quod  ipsius  idem  theloneum  super  altare  apos- 
tolorum  Pétri  et  Pauli  cum  omni  utilitale  et  integritate  fratribus  meis  libère  contraditi,  quia 
vero  consideravi  quod  hacc  tem|)oralia  bénéficia  rcspoctu  divinorum  nibil  esse  videnlur, 
ampliare  et  ad  majus  augmenlum  perducere  disposui,  (piod  in  tabernaeulo  Dei  sponte 
offerre  volui.  Ea  propter  ad  tecturam  eeclesiae  reparandani,  singulis  annis  XXX  soiidos 
absque  omni  contradictione  contuli,  quorum  mediam  paricm  Hollandini,  qui  et  Flamingi 
nuncupantur,  in  cathedra  Pétri  apostoli  persolvant,  reliquam  vero  partem  in  duobus  ter- 
minis  divisam,  videlicet  in  festo  sanctae  Walburgis  et  beati  Martini  sclavi  mei  censuales 
presentabunt  Praeterea,  ut  ecclesiastica  libertas  de  die  in  diem  adaucta  ampliori  muni- 
mine  roborarctur,  placuitmihi  huic  privilegio  etiam  hoc  inserere,  utcanonici  ejusdem  loci 
et  eorum  nuncii  quacumquc  die  vcl  lempore  causa  emptionis  vel  venditionis  aut  alicujus 
commercii  ad  nyense  Forum  venerint,  ab  omni  génère  exactionis  et  ab  omni  theloneo  sem- 
per  sint  liberi,  ejusdemquc  auctoritatc  privilegii  libère  fruantur,  sicut  et  présentes  ita  et 
ipsorum  posteri. —  Facta  est  autem  haec  traditio  anno  ab  incarnatione  Domini  M.  C.  LU, 
indictione  XV,  Papa  Eugénie  Eeclesiae  universali  présidente,  régnante  Friderico  Roma- 
norum  rege  1°.  Cujus  traditionis  lestes  sunt  Bertholdus  praepositiis,  Titericus  dccanus  et 


540  HISTOIRE  DES  COLONIES  BELGES. 

omnes  Nucnbiirgensis  ecclesiae  fratres;  de  laicis,  Reinhardus  de  Bobeluz  (Pnbles),  He- 
thenricus  de  Welha,  L'Iricus  de  Mutizcc,  Albertus  et  Bernhardiis  de  Grobezec  (Grôbitz) , 
Henricus  de  Aldenburcli,  Seberlus  de  Robin  et  alii  qiiani  plures. 

(Heschichle  der  Bisschtife  des  Hochslifs  Nuumliurg , 
C.-P.  Lppsius  —  Naumburg,  1846,  p  252.) 


IX'". 

Berthold  II,  évéque  de  Naumbotirg,  atlribue  par  échange ,  à  l'abbaye  de  Porta, 
le  village  de  Flemmingen  (Tribune^. 

(1205.) 

In  nomine  Sancieet  Individue  Trinitatis.  Berloldiis  diviiia  fa  vente  clenientia  nuwenburgen- 
sis  episcopus,  etc.  Unde  nos  ex  privilegiisa  predecessoribus  nostris  portensi  ecclcsie  collalis 
intellexinius  quod  ecclesia  nostra  veliit  hereditario  ad  nos  jure  transierit,  ut  tam  nos  quani 
omnes  hujus  sedis  successores,  de  consensu  capituli  nostri  concanibium  illud  quod  ab 
antiquo  inter  nostram  et  portensem  ecclesiam  super  bonis  de  Zmolne  factum  est,  congruo 
supplenicnto  eideni  portensi  ecclesie  de  possessionibus  episcopatus  onuiibus  niodis,quibus 
possinius,  recompenscmus.  Cujus  rci  ut  nos  aliquam  exequeremur  portionem,  villani 
quae  dicitur  Tribun,  que  per  manus  piuriuni  laycorum  feodali  jure  a  nostra  fuit  ecclesia 
eiongata,  et  de  qua  fratres  porteuses  quani  plura  sustincrunt  gravamina,  cum  consensu 
fratrum  nostrorum,  Nuwenburgensium  canonicorum,  prenominate  portensi  ecclesie  sub 
tjlulo  et  reslitutione  concambii,cum  omnibus  attinentiis  suis,  contradimus,  Alberto  milite 
de  Tribun  eandem  villani  in  manus  Bertoldi  de  Bobeluz,  de  Bartoldo  in  manus  marchionis 
Theodorici,  et  marchione  in  manus  nostras  cumomni  jure  quod  in  ea  liabuerunt  resignan- 
tibus,  nobisque  et  ante  et  post  reditum  nostrum  a  curia  romana  super  altare  Béate  Marie 
in  Porta  in  perpetuam  proprietatem  libcram  et  absolutam  oflercntibus,  T^Hrarfo  decano  cl 
VoUiuino  custode  nuwenburgensis  ecclesie  prescnlibus  et  annuentibus,quosDoniinus  Papa 
coadjutores  nobis  et  coopcratores  in  administrationc  et  procuratione  episcopatus  suis 
litteris  dclegavit.  Termini  autem  prefale  ville  designati  sunt  ab  adiacente  silva  Portensium 
usque  ad  viam  ([ue  dicitur  Buchstraze,  et  item  aconfinio  agrorum  de  Seobkowe  usque  ad 
agros  claustri  de  Sancto-Mauricio.  Notandum  sane  quod  pretaxati  fratres  de  porta ,  ut  de 
nianibus  laycorum,  qui,  ut  diximus,  eandem  villam  in  beneficio  a  nobis  habeant,  absolutc 
illam  rcdimcrent,  pecuniam  circa  estimationem  septingentarum  marcarum,  bine  inde 
dederunt  et  insuper  CC"  carralas  vini,  colonis  tamen  inibi  remaneniihus,  quos  ipsi  fra- 
tres, si  voluerint,  a  possessionibus  illis  quas  hereditario  jure  Francorum  possident,com- 
petenli  reslitutione  sine  eoactione  possunt  excludere.  In  recompensationeni  vcro  hujus 


DOCUMEi>JTS  ET  PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  544 

concarubii  jam  dicli  fralres  ecclesie  nostre  resliiueiunt  possessiôncs  in  Sleinbach,  posses- 
siones  in  Sl^ckheitn,  possessiones  in  Damernick  eum  attincntiis  suis,  quas  ipsi  (|uicto  jure 
et  jusio  (ytulo  diu  possedcrant,  quasque  item  prcdictus  marchio  misncnsis  a  uohif.,  A Ibcr- 
ttis  a  niarchione  jure  beneficii  susceperunt.  Ut  igilur  liujus  concanibii  contiaelus  sialiilis 
in  perpeiinun  et  ineonvulsus  permaneat,  presenteni  paginam  exinde  conseriptam  sigilli 
nostri  iinpressione  et  ydoneoruni  testiuni  subscriptione  roboravinuis.  Testes  auleni  il 
sunt .  Silïridus  abbas  de  Pigawia,  Albertus  abbas  de  Puzow,  Otto  prepositus  niajoris 
ecclesie  in  iNuwenburg,  Hugo  prepositus  de  Sancto-iManricio  in  Nuwenburg,  Conradus 
decanus,  Volquinus  custos,  Ludewiciis  de  Salcke,  Gerlaous  de  Iliidrungen,  Hubicio  Seo- 
lasticus,et  ceteri  canonici  iNuwenburgenses,  Arnoldus  prepositus  niajoris  ecclesie  in  Cise, 
Wallberus  decanus,  Alexander  scolastieus  et  cctcri  canonici  Cizenses;  layci  :  Tbeodorieus 
burggravius  de  Kyrchberg,  Gerbardus  burggravius  de  Liznic,  Albertus  de  Droize,  Erkin- 
boldus  de  Grizlau,  Reinhardus  de  Bobeluz,  Ileidenricus  de  Weta,  Ilermanus  advocatus 
de  Salcke,  lleinricus  de  xVllenburlir,  Heinricus  de  Gerinstete,  Fridericus  de  Polenz,  Heiri- 
ricus  de  Caniburg,  Guntherus  de  Bunow  et  frater  ejus  Rudolfus,  Heinricus  marscalcus  et 
frater  ejus  Cunradus  camerarius,  Heinricus  de  Slathebaeb,  Irinifridus  de  Cidscon,  Ber- 
tboldus,  Albus  de  Aldenburg  et  alii  quatn  plures  tani  clericl  quani  layci. 
Acta  sunt  bec  anno  ab  incarnationc  Domini  iM°  CC°  V,  indictione  VHI. 

(I.epsius,  Gescliiclile  der  Bis.schufe  des  tluclislifls  Xumn- 
burg.  1,266,  7,  8.) 


Exiraits  de  la  Chronique  de  l'ul)haijo  de  I'i»ia ,  rvliiliieinciil  anx  Flainatids. 


FFic  Conradus  '  de  conscnsu  Capituli  triulidil  nislicis  Flcminijensibus  agros  excolcndos 
pro  certis  rcdilibus,  boc  pncto,  ut  si  eos  agros  lideliier  exeolere  et  censuni  debiluni  aiinis 
singulis  ante  festuni  S.  Aiidrae  persolvere  studuerint,  nec  ipsi,  nec  ipsorum  uxores  ab 
iisdem  bonis  uUo  modo  amoverentur.  Sin  vcro  Portenseni  ceclesiani  defraudare  voluerint, 
uipoie  si  l'uerint  lusores,  pcrcussores,  nemorum  succisores,  ex  bonis  illis  pcllerentur. 
Diiluni  anno  Domini  l^oO. 

[Chronicon  l'orlense.  l'd.  Perlucliius;  Lipsiac,  IG12, 
p.  lOS.) 

'  Ciiiquit'iiie  ahbé. 


342  HISTOIRE  DES  COLONIES  BELGES. 

B. 

All)crtus  '  liberam  relinqiiit  ciiriam  et  villam  Fleminrjen  abbatis  clconventus  Portensium 
ab  omni  cxactione  jiulicum  suoriim  et  gravamine,  sicut  antea  eam  conventiis  qiiiefe  et 
libère  |)ossedit,  ila  ut  milbis  judiciim  suoriim  aliquam  causam,  etiam  sanguinis,  exami- 
nandam  suscipial,  sed  lotum  judieium  cum  omni  jure  eujuslibet  causae  judiciuni,  eliam 
sanguinis,  fratribus  Porlensibus  boiia  volunlate  libère  concedit,  et  liabent  litcrac  datae  in 
Porta,  a°  1277,  VI  kl.  aprilis,  testibus  Sigefrido  de  llopfgarten,  Ilcinricode  Colemas,  Ilai- 
nemanno  de  Haine,  Henrico  de  Scbonbcrgk,  Frederico  de  Schônbergk,  militibus,  et  Mar- 
quardo  subnotario,  et  aliis  fide  dignis. 

{Chronkon  Portense ,  édil.  Pertucliius,  p.  56.) 


De  consilio  et  permissu  hujus  Thcodorici  ^  fraler  Conradus  de  Fleminfjen,  conversus 
cum  filiis  fratris  sui,  Pelro  et  Conrado,devotionis  ardore  salubriler  adigente  in  salulem  et 
remcdiuin  animaruni  omnium  progenitoium  obtulerunt  libéra  donalione  ad  pedes  Divinac 
Majcstaiis  de  IVuctu  coninumis  patrimonii  villam  in  Fleinincjen  et  quartam  pariem  mansi, 
et  statuernnt  ut  quicunque  rusticus  illam  villam  et  agros  colendos  acciperet,  daret  annis  sin- 
gulis  in  die  Andreae  duos  solidos  numburgensium  denariorum  pastori  in  ea  villa,  hac  lege , 
ut  idem  pastor  eo  precio  singulis  mensibus  missam  pro  defunctis  parenlibus  et  pro  reme- 
dio  animarum  ista  offerentiuni  devotius  celebrarct.  Deinde  ut  in  soleimibus  gloriosae  Vir- 
ginis  Mariae  ante  mensam  suam  cibaret  pauperem,  cui  etiam  denariorum  erogaret.  Quod  si 
facere  reeusaret  pastor,  voluerunt  illi  fratres  ut  duorum  solidoruni  porliones  careret,  dan- 
dorum  janitori  portensi  in  solamen  pauperum.  Continuerunt  etiam  illi  Flemingenses ,  ut 
colonus  qui  acciperet  illam  villam  cum  agris  daret  janitori  in  Porta  ti'es  solidos  denario- 
rum eum  septeni  sexagcnis  ovorum,  unde  possent  peregrini  et  pauperes  recreari.  Item 
voluerunl  iidam  ut  colonus  islc  propria  manu  ante  fores  ecclesiac  Fleminrjetisis  in  vigilia 
beati  /Egidii  disiribiierct  40  panes  et  totidem  ova  pauperibus.  Quod  si  rusticus  non  faceret, 
villam  illam  auferri  voluerunt,  anno  Domini  1504. 


{Ibiil.,  pp.  12-2,  123.) 


'  Landgrave  Oc  l'huringe. 
-  Huilii'iiic  abhe. 


DOCLMEiNTS  ET  PIECES  JUSTIFICATIVES.  345 


XI. 

Jean,  évéque  de  Misnie,  con/irme  ta  vente  faite  par  Geriiwj  ,  évéque  de  Mimiie, 
aux  Flamands,  du  village  de  Korijn. 

(22  octobre  loi 4.) 

Johanncs,  Dei  gratia  Sanclae  Ingeiiuae  ecclesiae  Misnensis  episcopus,  ad  iiilurani  rei 
memoriam.  Volentes  ea  qiiae  per  praedecessores  nostros  pie  ac  provide  acta  sunt,  appro- 
bare,  iiteias  per  reverendissinuini  in  Christo  patrein  dominum  Gcningum  feiieis  recor- 
dationis  quondam  decimum  seplimum  episcopum  Misnensem,  praedecessorem  nosiiuni , 
ineolis  villae  nostraeet  ecclesiae  noslraeCoryn,  dislrictiis  Worcznensis,  traditas ,  praesen- 
tibus  confirmamus  et  approbamus,  qiiarum  lenor  de  vcrbo  sequilur  et  csMaiis  : 

«  In  nominc  Sanctae  et  Individuae  Trinitatis.  Gerungus ,  Dei  gratia  Sanctae  Misnensis 
ecclesiae  episcopus,  omnibus  nomen  Domini  invocantibus  ,  lam  futuris  quam  pracseutibns. 
Cum  ununi  sit  nccessarium  cum  .Alaria  in  contcmplativae  vitae  dulccdinc  intimae  (piietis 
bonam,  ymo  optiniam  partcni  eligere,  plerumque  tamen  coginiur  cum  Maria  in  activae 
vitae  amaritudine  solliciti  esse  et  turbari  erga  plurima.  Non  etenim  tabernaculum  foederis 
et  archa  testamenli Domini  tanto  fulgore  niterent,  si  non  ea  saga  cilicina  et  pelles  arietnm 
rubricatae  ctjacintinae  a  turbine  et  a  pluvia  protégèrent.  Unde  ecclesiae  Dei  non  sokun  in 
his  quae  spirilualia  et  aetcrna  sunt,  a  bono  doctore  vigilanter  est  prospicienduni,  sed 
etiam  in  his  quae  carnalia  et  teniporalia  sunt,  dominico  gregi  a  provido  paslore  sollerier 
est  succurrendum.  Ea  propter  notum  esse  volumus  et  nostri  et  poslerorum  temporuni 
lidelibus  ,  qualiter  ego  ob  aeternam  mei  memoriam  strenuos  viros  ex  Flandrcnsi  provincia 
adventantes  in  quodam  loco  inculte  et  pêne  habilaloribus  vacuo  collocaverim  ,  et  in  sta- 
bilem  aeternamque  et  haereditariam  posscssioncm  tam  ipsis  quam  omni  corum  posterilali 
villam  eandem  quae  Coryn  dicitur,  cum  subscripto  jure  iradiderim.  Praelatis  etenim 
Flandrensibus  in  memoriam  et  signum  emptae  posscssionis  quatuor  lalenla  et  eandem 
villam,  cum  oclo  et  decem,  cum  omni  utilitate  quae  nunc  inest,  vcl  inesse  poteril  in 
Cuturum,  mansis,  tam  in  cultis  agris  quam  in  incultis,  tam  in  campis  quam  in  silvis, 
in  pratis  et  pascuis,  in  aquis  et  molendinis ,  in  venalionibus  et  piscationibus  tradidi.  Ex 
quibus  videlicet  mansis  unum  ecclesiae,  cum  omni  décima  ejusdem  mansi  concessi  ;  duos 
autem  eorundcm  incolarum  magistro,  qucm  scultetum  appellani,  absque  décima  permisi. 
Reliqui  mansi ,  numéro  quindecim  ,  singulis  annis  iriginta  solidos ,  et  pro  justitia  ,  quae 
Zip  vocatur,  triginta  nummos  persolvunt.  Omnium  rerum  suarum  decimam,  praetcr 
apum  et  Uni,  praefati  homines  dani,  et  ter  in  anno  advocalo  in  placilis,  quae  cum  ipsis  et 
apud  ipsos  cum  paueis  habiturus  est ,  sumptus  administrant.  Duae  partes ,  quae  in  placitis 
advocati  vel  sculteti  accesserint,  cpiscopo,  tertia  sculleto  datur.  Tbeolonio  in  locis  nostris 
sint  liberi ,  nisi  qui  fuerint  publicis  ncgotiatoribus  mancipati.  Panes  et  cerevisiam  et 
carnes  inter  seipsos  licite  vendant,  non  tamen  in  villa  sua  publico  mercatu  insistant.  Cete- 


544  HISTOIRE  DES  COLONIES  BELGES. 

niiii  al)  omni  e\nt'lionc  cpiscopi,  advocali,  villici,  scu  lioniinuni  rcliquonmi  libcros  eos 
rcddiiniis.  Et  ne  foitc  haec  jura  ipsis  slatula  in  poslcriini  \iolenlur,  banno  nostro  prohi- 
Ix'iiius,  et  haec  lestibus  advoeatis  sigillo  nostio  iii-niamus.  Ilercbordiis,  praepositus  in 
Worczin,  Johannes,  Nicolaus,  Heinricus  Altenb.  canonici,  Sifridus  advoeatus,  Henrieus 
de  Plisna.  Ministeriales  Alueficus,  Henrieus,  Petrus  ,  Henrieus,  Jobannes,  OEdelrieus, 
Conradus,  Adaibcrtus  Flans,  Adalberlus  Stanga,  ^^'altberus.  Aelum  anno  Domini  niiile- 
sinio  centesimo  quinquagesinio  (juarto,  indietione  tcrtia,  decinio  kaiendas  decend)ris, 
pontificalus  domini  Gcrungi,  anno  primo,  felieiler.  Amen.  » 

Datum  Worczen,   die  dominico,  vigesima  sccunda  mensis  octobris,  anno  de  Nativilate 
Domini  millesimo  quingentesimo  decimo  quarto,  pontificalus  vcro  noslri  anno  vicesimo 

septimo. 

(SchiJtlgen  ,  Gescliichte  Conrads  des  Gros.sen,  pp.  322-32;i.  ) 


XII. 

L'abbc  de  Ballenstàdl  vend  deux  villages  iceudes  aux  Flamands. 

(1159.) 

In  nomine  SS.  et  Individue  Trinitalis.  Notuni  sit  omnibus  lam  presentis  quam  futuri 
evi  fideb'bus  qualiter  ego  Arnoldus  indignus  hujus  Bailensladensis  cenol)ii  minister  et 
fratres  nostri  pari  consensu  bona  ecclesie  nostre  meiiorare  atque  augmentare  cupientcs. 
duas  villulas  noslras  trans  Mildam  sitas,  Nauzedele  videlicet  et  Ximiz  ,  bactcnus  a  Sclavis 
possessas,  Flamiggis  petentibus  jure  suo  possidendas  vendidimus.  Quas  villas  in  unum 
redactas,  in  viginli  iiij  mansos  particnles,  duobus  cum  onuii  utilitalc  eis  qui  Burmcstere 
voeanlur,  inbeneficiatis,  unà  cum  sui  juris  quantilale  ecclesie  contulimus,  quam  liberam 
ab  omni  infensione  nosira  et  advocati  auctoritate  statuimus ,  ceteris  in  census  nostros  re- 
dactis,  h.  pacte  :  Annuatina  ad  integrum  suo  possidenti  décima  de  omnibus  cultis  solvalur, 
adjuneto  annuali  censu,  scilicet  duobus  modiis  siliginis  et  duobus  tritici  et  duobus  sue 
mont'te  solidis,  in  testo  sancti  Martini.  Super  eosdem  vero  incolas  nullum  dominari  dis- 
cernimus,  prêter  solum  Marcbionem  seu  ejus  heredem,  cujus  auctoritate  générale  piaci- 
tum  ter  in  anno  lîeri  volumus.  Quia  vcro  respeetu  divine  remunerationis  bce  bona  a 
Marebione  suorumquc  avorum  largilate  Eeclesia  nosira  suscepit  secundum  jura  Flaniig- 
goriivi ,  qui  in  eisdcm  partibus  ipsius  subjecti  sunl  dicioni,  et  noslris  vivcndum  cense- 
mus  :  Silva  cui  nomen  Urogbul,  eliam  ipsorum  sit,  adjuneto  usque  in  médium  lluvio, 
cujus  nomen  Loben  est.  Quicquid  ergo  prediorum  termino  conclusimus  de  cultis  seu 
ineultis,  si  quis  temeraria  presumplione  demere  aut  minuere  teniptavcrit,  analhematis 
vinculo  se  inbannitum  sciât,  nisi  digna  salisfaclione  penileat.  Hec  emptio  acte  pactio  facta 
est  anno  Dominice  Incarnationis  M.C.L.  nono  sub   Fritherico   Imperatore,  anno  ordina- 


DOCUMENTS  ET  PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  Un 

cionis  noslrc  secundo,  sub  testimonio  Marchionis  Adalberti,  atque  nobilissime  conjiigis 
cjus  Sophie,  nec  non  filiorum  ipsorum,  scilicet  Ouonis,  Adalberti,  Theoderici,  Her- 
manni,  Bernhardi,  Thictboidi  quoquc  ducis  Bobcniie,  ccterorumquc  nobiliiim,  videlicet 
Huieiiardi  de  Vaikenslen,  Waileri  de  Arncstedc,  Baderici  de  Jabcicnza,  Eikeberti  de 
Gansevorlbe,  ministerialiumque  Marchionis ,  videlicet  Heinrici  \\'idigonis  et  dieti  Widi- 
gonis,  Fritberici,  Berengeri  et  Everardi  de  Nienburch.  Hanc  dcscriptionem  nosiro  et 
advocati  nostri  sigillo  firmavimus. 

(Beckmann,  Hisloria  des  FUrstenthums  Anhall,  I,  p.  154. ) 


XIII. 


Conrad  II ,  duc  de  Silésie,  donne  le  village  de  Zedlitz  au  maire  Berlhold  pour  le  fonder 

d'après  le  droit  leutonique. 

(23  novembre  1257.) 

In  nomine  Domini  amen.  Noverint  universi,  tani  présentes  quani  fiituri,  presenleni  lil- 
terani  inspecturi,  quod  nos,  Conradus,  Dei  gratia  dux  Slesie,  dedimus  Bertoldo,  Seolteto 
nostro,  villam  nostram,  Sedliz  nominatam,  locare  teutonico  jure,  pro  eujus  locatione  ci 
dedimus  hercditario  jure  scptimum  mansum  suisque  suceessoribus  cum  molendino  et 
taberna  libère  possidendum,  itaque  volentes  quod  eanipeslria  et  rubos  \occl /lamingicu 
jure,  Dambrovam  vcro  et  silvestria,  jure  franconico,  dantes  libertatem  in  niansis  fla- 
mingicis,  a  festo  sancti  Martini  proximo  venturo,  quinquc  annis,  ex  tune  nobis  solvet 
annualim  quivis  mansus  fertoncm  argenli  et  très  modios  de  annona;  mansis  autem  Fran- 
eonicis  damus  a  festo  supradiclo  decem  annis  libertatem,  quibus  expiratis  solvet  nobis 
quivis  mansus  dimidiam  marcam  argenli  annuatim  et  annonam  ut  supra,  videlicet  mo- 
dium  tritici ,  niodium  siliginis  et  modium  de  avena.  Si  vcro  capcllam  construxerint  villam 
inhabitanles ,  duos  mansos  conferimus  ad  candcm.  In  cujus  rei  mcmoriam  presentem 
litteram  nostri  sigilli  munimine  duxinius  roborandam ,  ut  bec  nostra  donatio  futuris  rétro 
temporibus  pcrscveret  inconcussa.  Acta  sunt  bec  in  Glogov ,  in  die  sancti  démentis ,  anno 
Domini  millesimo  CCLVII,  bis  presentibus,  comité  Petro  eastellano  de  Sandovel,  comité 
Budivoio  castellano  slinaviensi,  comité  Bronizlao  subdapifero,  domino  Nieolao  notario, 
Zajenchone  et  aliis  quamplurimis  ydoneis.  Datum  per  manum  Henrici. 

(Tzschoppe  et  Stenzel,  Vrkundenbuch ,  p.  336.) 


Tome  XXXII.  i^ 


346  HISTOIRE  DES  COLOiMES  BELGES. 


XIV. 

Conrad,  duc  de  Silésie ,  donne  au  maire  Henri  le  village  de  Poget  pour  le  fonder 

d'après  le  droit  flamand. 

(9  février  1239.) 

In  nomine  Domini  amen,  ^^os  Conrailus,  Dei  gracia  dux  SIesie,  nolum  esse  volumus 
universis,  tani  presenlibus  quam  futuris,  presentem  inspccturis  litterani,  llenrico,  seul- 
leto  nostro,  dédisse  villam  nostram  Pogalov , /îmc  flamingico  ad  locandam,  eodein  quo 
ville  nostre  circa  Stiiiaviam  et  circa  Novemforumsunl  locale.  Pro  cujuslocacioneei  damus 
hereditario  jure  et  suis  posteris  possidendum  lercium  diniidiuni  mansuin  et  tercium 
denarium  de  judiciis  cuni  taberna  libéra,  adjicientes  eidem  II.  piscaturani  cum  parvo  rete, 
infra  suos  terminos,  super  Odrani,  et  ibidem  molendinum  construendi,  si  potcrit,  facul- 
tatem.  Ad  hoc  autem  ut  ipsa  villa  melius  proficiat  in  locacione  et  cultura,  damus  ei,  a 
festo  sancli  Martini  proximo  venturo,  tribus  annis  libertatem,  ex  tune  solvet  pro  quolibet 
manso  annuatim  fertonem  argenti  et  maldratam  annone  triplicis  grani,  videlicet  duas 
mensuras  trilici,  quinqiie  siliginis,  et  quinque  de  avena.  Si  vero  dicta  annona  cesserit 
pro  décima,  volumus  ut  dcponatur  in  villa,  ita  quod  cam  in  propria  vectura,  sine  labore 
nostrorum  viilanorum,  deducat  cui  cedet.  Ex  relatu  vero  prefati  II.  sculteii,  qui  diciani 
villam  singulis  terminis  cum  Frederico,  advocato  de  Slinav,  mensuravit  et  limitavit,  ce- 
dent  nobis  XX  et  dimidius  mansus  censuales,  et  unus  mansus,  qui  per  inundacionem 
aque  submergitur,  sit  liber  pro  communi  ulilitate  viilanorum.  Insuper  concessimus  quod 
scultetus  et  villani  de  villa,  tantum  in  sua  navi,  pro  suis  necessitatibus,  per  Odram'se  et 
non  alios  traducant.  Super  quo  presentem  litteram  nostro  sigillo  fecimus  sigillari,  ut  hec 
nostra  donacio  futuris  rétro  temporibus  perseveret  inconcussa.  Acta  sunt  hec  in  Glogov, 
in  octava  Purificacionis,  anno  Domini  iMCCLnono,  hiis  presentibus  (|uorum  nomina 
subsecuntur  :  cornes  Brodizlaus  et  comes  Theodoricus  frater  suus,  cornes  Ciiebardus, 
cornes  Petrus,  comes  Budivoyus,  Zayenchek,  Andréas  claviger,  Hinco  scultetus  de  Gola  , 
et  quam  pluribus. 

(Tzschoppeet  Stenzel,  Orkundenbuch ,  p.  558.) 


DOCUMENTS  ET  PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  547 


XV. 

Henri  IV,  dttc  de  Silésie-Breslau,  fixe  les  droits  de  l'avoué  de  Kreùzburg,  et  accorde 

à  la  ville  le  droit  flamand. 

(5  mars  1274.) 

In  nominc  Domini  amen.  Cum  varii  reruin  cventus  et  inopinali  contra  piopositum 
multoiies  soient  accidere,  icicireo  que  geruntur,  in  tanla  eertitudine  gerenda  sunt,  ne  de 
ipsorum  gestione  possit  in  posterum  dubitari.  Nos,  Henricus ,  Dei  gracia  dux  Slesie  et 
doniinus  Wratislaviensis ,  tcnore  presencium  publiée  profitemnr  et  contestari  vohimus 
universis,  lam  presentibus  quam  futuris  (quodj  de  consilio  baronnm  nostronim  dedimus 
fideli  nostro  advocato  Adolfo  et  suis  posteris,  tercium  denarium  de  judieio,  sextann 
cuiiam  de  civitateCruceburg  et  sextum  mansum  de  illis  quinquaginta  mansis,  qui  civitali 
sunt  assignati  causa  iocatignis  et  sui  servilii ,  jure  iiercditario  libère  possidendum.  Dedi- 
mus ipsi  Adolfo  magnos  mansos,  videlicet  Franconicos,  tam  civilati  quam  etiam  eulto- 
ribus  agrorum  j!(s  flamicum.  Ipsi  etiam  cultores  agrorum  solvent  nobis  fertonem  argenti 
et  sex  mensuras  in  festo  bcali  Martini ,  duas  irilici ,  duas  siliginis  et  duas  avene.  Item 
dedimus  nostro  fideli  prenominalo  molendina  conslruere  quotquot  potuerit  super  ipsum 
fluvium  qui  Stobrava  nuncupatur  et  in  civitate  Cruceburgk  macella  carnium  et  sutorum 
et  pistorum,  sibi  et  suis  hercdibus  libère  possidendum  et  in  usiis  placidos  eoiivertendum, 
seu  etiam  sfubani  balnearem  eum  omni  fructu  qui  potest  evenire  et  accrescerc.  Dedimus 
etiam  ipsi  advocato  quidquid  superfluitalis  luerit  a  silva  usque  ad  plancas  ex  ulraque  pane 
civilatis ,  piscaluram  in  fossatis  libère  in  suos  usus  convertendam.  Hoc  de  nostro  dominio 
sibi  conccdiinus  et  donamus.  Dedinms  etiam  fideli  nostro  advocato  prenominato  silvam, 
que  supra  Stobravam  sita  est,  a  niolendino  de  villa  Cruciferorum  usque  in  Sezepil  et  in 
Bogalanta  quidquid  utilitatis  ab  ea  percipere  potuerit,  videlicet  in  liumulo,  in  pascuis,  in 
feris,  in  venatione,  in  piscinis  et  aliis  utililalibus,  quocunque  nomine  censcantur,  vena- 
tionem  quoque  per  totum  districtum  civitatis  Cruceburg,  prout  utilius  venari  potuerit.  Ad 
lioc  bona  voluntas  nostra  offeratur  ita,  ut  silva  non  precidatur  et  a  nullo  impediatur. 
Dedimus  etiam  in  subsidium  ipsi  civitali  Cruceburg  pro  pascuis  quadraginla  virgas  et 
quelibet  virga  XVI  ulnas  olttiiiebit.  Insuper  etiam  (|uid(iuid  inter  mctas  illorum  de  Banka 
et  Bogdensowitz  iisdem  ad  silvam  (|ue  supra  Slobravam  sita  est,  ipsi  cives  pro  suis  usibus 
reservabunt.  Omni  impedimento  quod  acumine  bumano  possit  excogitari  astutie  preler- 
misso,seu  frivola  occasione  remota,  presentem  paginam  nostri  sigilli  munimineduximus 
roborandam.  IIujus  rei  testes  sunt  dominus  Petrus  notarius,  comcs  Thinio  de  Wisen- 
burg,  comes  Ebirliardus,  comes  Simon,  comes  Nankerus ,  comcs  Nicolaus  Rufus  cas- 
tellanus  de  Landisbergk  et  alii  quam  plurimi  fide  digni.  Datum  Wraiislavie .  per  manum 
Arnoldi  magisiri  de  Sancla  Maria  Magdalena  ,  anno  Domini  MCCLXXIV.  V  nonas  marlii. 

(Tzsolioppe  et  Sloiizel,  Urktindenbuch  ,  p.  388  ) 


548  HISTOIRE  DES  COLOiMES  BELGES. 


XVI. 

Miecislav  et  Przemislav ,  ducs  d'Oppeln-Itatibor,  établissent  à  Ratibor  une  cour  supérieure 
pour  toutes  les  localités  de  leurs  pays  dotées  du  droit  flamand,  etc. 

(7  mai  1-286.) 

In  noiiiine  Domini  amon.  Ut  illis  omnibus  a  quibus  perpeluis  diidum  pracconiis  obse- 
quia  recepimus,  mcmoranda  indesincntia  scnipcr  premia  ropcndamus,  hoc  dignum  et 
justuni  fore  penitus  arbiframur,  decct  enim,  ut  ubi  syncere  devotionis  cxliibitio  non 
palitur  defcctu ,  nequaquam  digne  retributionis  dextera  rcstringatur.  Nos  igilur,  JMesco 
et  Premisiaus,  Dei  gratia  duces  Opolienses,  domini  de  Ratibor,  considerata  fidelilatc 
civiuni  nostrorum  de  Ratibor,  quos  dignes  ducimus  muilis  gratiarum  actionibus  pro  eo, 
quod  omni  terrore  semoto  nobis,  prout  dccuit,  aslitcrunt  viriliter  in  cunctis  nostris  opor- 
tunilalibus  fempore  procclloso,  eis  pro  posse  nostro  libare  voiunnis,  quae  piaceant  toto 
nostri  tcmporis  intervalle,  ipsorum  proniolioni  per  onincs  modes  quos  possumus,  inten- 
dendo  cunctis  terrae  nostrae  inhabitatoribus  ipsos  dccrevimus  praeferendos ,  ita  videlicet , 
quod  omnes  et  singuii  qui  in  nostro  dominio  y»re  vlemingico  sunt  locati,  cuni  de  suo 
jure  ipsos  contingent  dubitare ,  nusquam  extra  terrani  nostram  nequc  cliam  in  lerra  illiid 
se  quaerant  informari,  praeter  in  Ratibor,  nominata  supcrius  civilate,  non  obstante,  si 
privilégia  civitatuni  aliquarum  seii  villaruni  contrarium  hujus  nostrae  ordinationis  viden- 
tiu'  continere.  Sed  nec  ipsa  civitas  Ratibor  pro  aliquo  jure  suimet  vel  aliorum  ad  aiiqua 
loca  extranea  débet  ex  nunc  laborare,  sed  omnes  causas  quae  apud  ipsos  enicrserint,  vel 
per  a  lies,  ut  consuetudinis  est,  fuerint  devoiutae  ad  ipsos,  Dei  timorem  Iiabendo  prae 
coulis,  secundum  quod  eorum  fidelitateni  concedet ,  dcfmire  debent ,  omni  appcUalione, 
tam  ad  nos  quam  ad  alia  loca  facienda  procul  mola.  Si  auteni  ipsos  cives  in  ali(|uo  jure 
conlingerit  dubitare,  tinic  ad  se  vocent  quinque  advocatos  et  scidtetos,  quos  eis  singulis 
annis,  secundum  quod  nobis  visum  fuerit,  jungere  volumus  et,  habilo  illorum  consilio, 
unaiiiinitcr  illud  definiant,  appellatione  rcmota,  de  quo  habetur  tune  tractus,  et  qualiter- 
cunquo  determinaverint,  volumus  quod  in  nostro  dominio,  quantum  ad  jus  deininrjicuni , 
pro  jure  irrevocabili  pcrenniter  habeatur.  Et  ut  onuiia  prachabita  nec  non  eorum  singula 
robur  obtineant  perpetuae  firmitatis,  praesentem  paginam  super  ipsis  conscribi  praeee- 
pimus  et  sigillorum  nostrorum  appensione  praecepimus  roborari.  Dalae  Ratibor ,  per  manus 
domini  Arnoldi  summi  notarii,  in  vigilia  beati  Stanislai,  anno  Domini  millesimo  ducen- 
tcsinio  octuagesimo  sexto,  testibus  qui  aderant,  infra  scriptis ,  videlicet,  Francisco  pala- 
tine, Michaikonc  judice  curiae,  Stoygneo  castellano  de  Ratibor,  Venceslao  fratre  ejus, 
Petro  de  Slawikow,  Jascone,  Corniza ,  Pribiziao  fratre  ejus,  Michaele  cognominato  Siro- 
kezlovo  et  aliis  multis. 

(Tzschoppe  et  Stenzel ,  Vrkwulenbuch  ,  p.  -lOô.i 


DOCUMENTS  ET  PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  549 


XVII. 

L'évêque  Henri  de  Brcslau  abolit  le  droit  de  Marjdebourrj ,  accordé  antérieurement  à  la 
ville  de  Neisse ,  et  renouvelle  en  sa  faveur  le  droit  flamand  dont  elle  jouissait  primiti- 
vement. 

(20  février  1310  ) 

In  nomine  Domini  amen.  Potestatis  humane  prelatio,  evenluum  fiiturorum  ignara, 
pleninique  nonnulla  sollerter  onlinat  et  concedit,  que  tani  propria  qiiani  subditoruni  iilili- 
tate  suadente  postnioduni  consultiiis  rcvocat  in  meliusve  commutât.  Ea  proptcr  nos,  Hen- 
ricus,  Dci  gratia  episeopus  Wralizlaviensis,  notum  esse  volumus  universis  pracsenlem 
paginam  inspecturis,  quod  consultacione  sollicita  pcrpcndentcs,  jus  municipale  Meyde- 
burgensc ,  quod  olim  civitati  nostrc  Nyzcnsi  et  ejus  incolis  et  civibus  nostris  et  ecclesie 
nostre  fidelibus  ordinavimus  et  concessimus ,  tam  nobis  et  nostre  Wralislaviensi  ecclesie, 
quam  ipsi  civitati  et  ejus  incolis  nullam  prorsus  utilitatem  aut  commodum,  sed  potius 
incommodum  multiplex,  ut  experientia  docuit,  attulisset,  nos,  qui  in  subditoruni  iios- 
trorum  quiète  quiescimus  et  fovcmur  in  pace,  dilectorum  nobis  in  Cbristo  fratrum  cano- 
nicornm  nostrorum  wratislavensiuni  nec  non  et  predictorum  noslrorum  et  ecclesie  nostre 
fidelium,  advocati,  consulum  et  civium  Nyzensium  ac  aliorum  nostrorum  hominum 
communicato  consilio,  prcdictum  Mcydeburgense  jus,  ad  ipsorum  civium  nostrorum 
instanciam,  tenore  presentium  revocantes  penitus  et  cassantes,  jus  municipale  flcmin- 
cjicum  dicte  civitati  nostre  Nyzc  et  ejus  incolis,  quod  ex  antiquo  et  a  primeva  locatione 
ipsius  civitalis  babilum  est  ibidem ,  danuis  et  concedimus ,  statucntes  modis  omnibus  et 
voientes  cpiod  eodcm  jure  fîemiufjico  ipsa  civitas  noslra  Nyza  de  cctcro  iiti  dcbeal  et 
omnino  in  suis  judiciis  hoc  fîemingiciini  jtis  tcnere  in  omnibus  ipsius  juris  arliculis, 
clausulis  et  punctis,  proiit  idem  jus  /Icmingicnm,  in  scriplis  et  lihris  indc  confectis,  plane 
et  lucide  invcnitur  expressutn  ;  ad\mcmes  quod  quotiescunque  et  quandocunque  in  aliis 
civitaiibus  nostris  scu  opidis  aut  villis  Tcutonicalibus,  vcl  in  aliqua  earum,  ubicunque  et 
in  quibuscunque  ducatibus  silis ,  iii  (piibus  jurisdictio  ad  nos  spectat,  apud  laycos  in 
judicio,  in  quacunque  causa  suborla  fuerit  quostio,  sic  quod  dubitctur  qualilcr  in  causa 
hujusmodi  scntentia  sit  ferenda,  scmpcr  ad  civitatom  nostram  Nyzeusem  pro  jure  sivc 
sententia,  que  vulgariter  Urteyl  dicitur,  per  bomines  loci  illius,  in  quo  dubitationcm 

hujusmodi   suboriri  contigcril,  recurratur Actum  et  datum  Nyze,  decimo  calend. 

marcii,  anno  Domini  MCCC  decimo,  prescntibus  dominis  .lohanne  decano  nosiro 
Wralislaviensi,  Grabisio  preposilo  Lubucensi,Nycolao  de  Baniz  ,  Legnicensi,  et  magislro 
Arnoldo  Glogoviensi ,  archydiaconis ,  magislro  Meynardo ,  Petro  de  Waltdorf  et  Henrico 
de  Jescotel ,  canonicis  nostris  Wratizlaviensibus,  Johanne  advocalo  nostro  Nyzensi , 
Ilermanno  de  Crepindorf,  Gotzone  et  Zuchtendorf,  militibus  et  lidelibus  nostris,  et 
magislro  Jeanne  de  Brùnna  nosiro  notario  et  aliis  multis. 

(Tzsclioppp  el  Stenzel,  Urktinilenbuch.  p.  -485.) 


350    '  HISTOIRE  DES  COLOISIES  BELGES. 

xvir-. 

L'eber  den  Lrsprung  einer  loblichen  SocieUtet  (Ut  Flemmiger  in  Bitterfvld. 

Du  misère  Fclil-Fliiren  in  Flâmigs-  uikI  Ritter-HùlTen  ,  in  Scheiilings-  tirui  Hoff-Accker 
\onieiulilicli  abgetlieiltwerden,  so  liabe  icli  besoiiders  naeh  dcr  Benennung  und  Lrsprung 
der  er^len  fleissig  geforschet,  nirgend  abej-  etwas  sicliercs  auftinden  konnen.  Es  bieibl 
aiso  noch  immer  bey  der  Mulhmassung,  dass  zum  Ende  des  12.  Jahrhiinderts  zur  Zeit 
des  Herzogs  in  Saelisen,  Alberti  i'rsi,  einige  Coionislen  ans  Flandcrn,  die  Flàmùiger 
genanni,  so  wiebey  WiUenberg  jenscil  der  Elbe,  also  auch  in  liiesiger  Gegend,  sieh  nie- 
dergelassen,  unsere  50  Flemigs-IIuffcn  an  sith  gebracht  und  aufgebauet  haben,  welches 
aucli  der  Nahme  des  l)enacbbarten  Dorfes  Niemeck  wahrsclieiniieh  niacht. 

'  Nacii  sichern  Nachrichten ,  ist  die  Sladt  Bittcrfeid  von  denen  ans  den  iNiederlanden 
ausgewanderten  Einwobnern  um  das  Jabr  Hoô  erbaiiel  wordcn,  und  konimt  deren 
Namen  in  Urkunden  des  Jahres  H81 ,  so  wie  auf  Donkmaleren  vor.  Die  Fliiniiger  baben 
solche  erbauet,  und  seibst  Régalien  ausgeûbet,  als  Z.  E.  Mûnze  geschlagen ,  anno  Ho9. 
Die  Dorfer  AliUdbek  und  Nieniegk  sind  auch  flâniiselien  L  rsprungs ,  einige  Gegenden  um 
Wittenberg  —  hauptsâchlich  der  Hohe-FlemmiiKj  — ,  ini  Anhaltischen  und  der  Mark 
Brandenburg.  Die  Lrsachc  jener  Sitzvcranderung  sind  liiuilige  Ueberschwenuiiungen  ge- 
wesen.  Die  Anzahl  der  Ausgewanderten  niusz  viele  lOOU  bclragen  baben,  da  neben  diesen 
Besitzergreifungen,  die  der  Crone  Portugall  gehorigen  9  Azoriselien  oder  Flàmigs-In- 
stiln  ini  Atlantischen  Ozean  von  selbigen  besetz  worden  sind.  — Doch  ,  sic  hatlen  zur  Bc- 
siiznehmung  der  erslgedachten  Ghegenden ,  neben  der  Einladung  des  Grafen  Albrechl 
des  Baren  von  Ascanien  (Anhalt)  - — ,  zu  Vertreibung  und  Lnterjocbung  der  Sorben- 
Weiiden  — ,darumein  Recht,\veil  ihre  Forfahren,  glcich  nacli  dem  Jahre  800,  da  Karel 
der  Grosse  Teutscbland  bebersclile,  und  sie  sich  der  Annehmung  der  christlichen  Reli- 
gion vvidersetzten ,  in  die  Niederlande  ausgewandert  warcn. 

Wie  jedoeh  die  Flamiger  auf  die  Azoriscben  Insuln,  welcbe  anno  1419  entdeckl 
worden,  und  zwiscben  140  bis  160  Meilen  von  der  Porlugesischen  Kùste  enlfernt  sint , 
isi  niir  unbekannt. 

(  Copié  d'après  roi'iginal  :  Gesetzbuch  der  Flemigs-Societaet 
in  Bilterfeld,  MS.  in-4  ,  par  M.  J.  C.  Backelman,  1776, 
pp.  20-2,  205.) 

'  Ce  passaa;e,  quoique  précédant  dans  le  MS  celui  que  je  viens  de  copier,  est  écrit  postérieurement  et  d'une 
main  autre  que  celle  du  diacre  Rackelmann. 


DOCUMENTS  ET  PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  551 

xvm. 

Extraits  de  la  chronique  de  Bitterfeld ,  relativement  aux  Flamands. 

...  Das  Dorf  Niemegk  ist  ohnc  Zweifel  von  ilincn  (den  Sorben-Wcndcn)  erbaut  worden , 
denn  obsclion  einc  NachriclU  sagt  dass  dassclbe  von  den  Flanderern  oder  Fldminr/ern 
erbaiiet  wurde,  so  lasst  sich  diesc  Nachricht  sebr  leicht  dndurcli  wiederlogcn  :  die  Flâ- 
miger  kamcn  crst  im  12  Jalirbundert  hierher,  es  kommt  aber  schon  M5G  eine  Abtei  ini 
Dorfe  Nicmcgk  vor,  welclic  die  Eltern  des  JMarkgrafen  Conrad  gesliflel  liatlcn.  Die  Ein- 
kùnfle  dieser  Abtei  welclie  sebr  scbwacb  waren ,  wurden  spiitcr  dcm  KIoster  ans  dem 
Petersberge  einerleibt,  foiglicb  bat  Niemegk  schon  geslanden  ebe  rf/e  Fldmi<jer  bierficr 
kamcn 

Zu  Ende  des  12  Jabrbuiiderls  verlrieb  Albreciit,  ein  Graf  von  Ascanicn,  die  AWnden 
grôsstcntlicils.  Um  nun  dem  rolicn  Zusland  der  biesigen  Gegend  eine  bessere  und  niitzii- 
chere  Verfassung  zù  gcben,  zog  er  eine  Menge  Colonislcn  ans  den  Niederlanden,  welcbe 
dort  durch  ein  grosse  Ueberscbwcmmimg  sebr  gebtlen  batlen,  namentiich  ans  Flan- 
dern,  bierber.  Dièse  Flandrcr  oder  Flàininger  versianden  sicb  vorziigbcb  giit  auf  den 
Ackerbau,  und  so  dacbte  man  sicb  in  der  Folgezeit  unter  dem  Worte  Flâmincjer  einon 
vorziiglicben  OEconomcn  '.  Nun  wurde  diesen  Ftdminrjern  ein  grosses  Stiick  Land  ziu' 
Urbarmacliung  eingcraumt,  und  dics  sind  die  beiden  Flàmimje,  der  Einc  in  der  Gegend 
von  Witlcnbcrg,  der  Andere  in  der  Gegend  von  Prelzsch,  welcher  sicli  weit  erstreckt;  beide 
habcn  von  diesen  Flàminrjcrn  ibren  Namen.  Aïs  sich  nun  dièse  Flàmiwjer  mehrten,  auch 
in  der  OEconomie  kiuger  wurden,  saben  sie  wobl  ein  das  der  grosstciHhcils  sandigc 
Boden ,  den  sie  i)ebauten ,  nicbt  den  Segen  gab  den  sic  von  ibrer  Arbeit  hofTen  konnten, 
so  wûnschten  sie  sicb  besser  Fcld  um  bessern  Lohn  fiir  iiu'c  Alûbe  crndtcn  zù  kônnen.  Es 
wurde  ibncn  auch  Erlaubniss  crlheilt  sich  andcrswo  anzubaucn;  deslialb  scbikten  sie 
Kundscbafler  aus,  die  den  Boden  in  unserer  Gegend  fiir  besser  l'anden,  und  sicb  hier 
niederUcbcn,  und  so  wurden  denn  dièse  die  Erbauer  der  ersten  oder  alten  Sladt  Beterveld, 
denn  als  sie  hier  besser  Feld,  als  dasjenige  war  was  sie  auf  dem  F  lâm  i  ng  hesessen  batlen, 
fanden,  so  nannten  sie  auch  die  Sladt  die  sie  baulen  Besscrfeld,  oder,  nach  ibrer  piallen 
Spracbc,  GetotcW.  Dies  geschab  ohngefabr  zu  Ende  des  12  Jahriiunderts 

Was  nun  von  dieser  Zeit  an  in  dieser  Sladt  bis  1475,  wo  sie  wcggebrannt  ist,  vorfiel, 
ist  nicbt  anzugei)en;  dièse  ÏNacbricbten  sind  vormuliicb  bei  der  Piiindcrung  im  30  jabri- 
gen  Kriege  verloren  gcgangen.  Bilterfcid  had  crst  zùr  Graffsciiaft  Brcbna  gebort,  und  ist 
dann  Anhahiscb  geworden,  bat  aiso  zù  Ascanicn  gebort.  Das  Haus  Anbalt  oder  Ascanicn 
gebort  zù  den  aUcsten  Fùrstcnbauscrn ,  und  Icitet  scinen  Ursprung  von  Bercngar,  welcher 
um  das  Jabr  78G  als  Graf  von  Ascanicn  oder  Ballcnsladt  Icbte  ber.  Dicsc  Famille  wurde 
1218indenFurstenstanderhoben.  Da  nunder  Wiltenbergcr  Kreis  oder  dochein  Theil  dcs- 

'  Agronome. 


55-2  HISTOIRE  DES  COLONIES  BELGES. 

sclbcn  zum  Ascanischen  Erblande  gchôrte,  so  gchôrlc  Bittcrfeld  ebenfals  dazù.  Die  chrisl- 
liclieii  Ilcrrcn  becifcrton  sicb  nun  iminer  mehr  tlie  'W'eiulen  cntweder  ziir  christlichen  Reli- 
gion zu  zwingcn,  zu  vcrjagen  odcr  niederzùbaiicn;  das  gelaiig  ibaen  aucb  mit  der  Zeil  so 
dass  sie  bin  und  wicdcr  nur  einzebi  Postcn  bebaupteten.  So  wohnten  in  Niemegk  schon  eine 
gei-aunie  Zeit  Chrislen,  als  sieh  in  der  Ntihe  imnier  nocli  ^^'endcn  befanden.  Ans  dem  alten 
Scbloss,  bci  Bittcrfeld,  liielt  sieh  cin  Wendischcr  Fiirst  aiif,  weleher  sich  allen  blutigen 
Gegenwchr,  wcggefubrter  Abgolter,  ùnd  zerstortcr  Haine,  lange  gebaltcn  und  von  seiner 
feindischen  Weise  durchaus  nichl  ablassen  woilte.  Endlich  haben  es  die  Flâmiiiger  nach 
vielen  blutigen  Auflrilten,  mit  Sturm  ersliegen,  und  die  Besatzung  theils  vertrieben  ,  theils 

niedergesabelt 

Wahrend  dieser  Fcbden,  halten  die  Wenden  iln-  Dorf,  so  hinterden  Biencngarten  gele- 
gen,  und  was  heute  noch  das  alte  Dorf  genannt  wird ,  mit  drcifachen  Wallen  tungebcn  ùiîd 
slark  besiitzt,  so  dass  es  viel  Stûrme  und  Blut  gekostet  liât  elie  sie  daraus  vertrieben  werden 
konnten,  wobei  das  Dorf  verbrannt  wurde.  In  der  Folgezeit  wurden  die  hier  ausgegra- 
benen  Todtenkopfe  in  die  Akademische  Biebliothek  nach  ^\'iltenberg  gcsand.  Nîm  wurde 
das  aile  Scbloss  einem  sich  hier  aufhaltcnden  sàehsiscbcn  Ritter  zur  Bcschiitzung  iiberge- 
ben,  weleher  die  aus  Flâmingern  bestehende  Besatzung  befehligte.  Dafur  erhielt  der 
Riltcr  ein  Stûck  Land  von  25  Hufen  zur  Benutzung,  daniil  ihm  einigerDank  war.wovon 
die  heutigen  Rittershufen  ihren  Namen  haben.  So  bekamcn  auch  die  christlichen  Vor- 
fechler,  die  FlauiniHjer,  ein  Stûck  Land  van  50  Hufen,  in  Aeker,  Wiesen,  und  Wald, 
zùni  Lobne;  dies  sind  die  heutige /'7««»'(/«/(»/e;i... 

(D'après  l'original  manuscrit,  communiqué  par  M.  Aug.  Daniclie, 
fii»  5,  5,  0,7  et  8.) 


XIX. 

Première  notification  faite  aux  Flamands  par  le  receveur  des  impôts. 

Demnach  man  bey  der  Kônigl.  und  Kurfûrstl.  Sachs.  General-Accise  zu  wissen  nôlhig 
bat,  was  es  eigentlich  mit  denen  in  Bittcrfeld  befindlichen  so  gcnannten  Fkmminrjshufcn 
vor  Bescbaflenheit  babe  ,  wcr  selbige  vorhero  besessen,  wie  und  wenn  solchc  zur  Stadt 
gekommen,  unter  was  vor  Jurisdiction  sic  gehôrcii,  warum  dièse,  wie  man  erfahren, 
unterscbicden ,  also  dass  die  Teubnerische  halbe  Hufe  nach  Dôberniz,  andere,  anders 
wohin  gehôren,  was  vor  onera  darauff  haiïten,  wohin  die  Sieucrn  dercn  entrichtet  werden, 
dies  werden  Commissio7ts  wegen  die  respectiven  Ilerren  Besizer  Sothaner  Felder  bier- 
durch  beschieden ,  mir  binncn  vierzchen  Tagen  hierauf  grundliche  und  zuverliissige  Nach- 
richt  zuertheilcn.  Der  ich  sonst  zu  allen  Gefâlligkeiten  bereit  bin.  Sig.  Dûben,  den 
4  May  1726. 

Kônigl.  Pobl.  und  Churfùrstl.  Sachs,  allergnadigst  verordnetes  Accis-Commissariat ,  Jo- 
hann Goltfried  Benemann. 


DOCUMENTS  ET  PIECES  JUSTIFICATIVES.  353 

XX. 

Seconde  notification  faite  avx  Flamands  par  le  receveur  des  impôts. 

Der  Fleminger  Societaet  zu  Bitferfeldt  ist  bercits  bekandt,  was  de  dato  Dresden,  den 
b  May  A.  C.  ratione  des  Weiclibilds  des  sogenandten  Flemmings  allergnadigst  anbe- 
folilcn  worden ,  gestalt  denn  bcy  meincr  neulichen  Anwescnhcit  in  Bitterfeldt  von  Sothaner 
allergnadigsten  Rescripte  Abschrifft  ertheiiet  habe.  Wann  nun  zu  der  allergnadigst  anbe- 
fohlnen  Untersuchung  der  nechst  kommende  Neim  und  zicanzigste  hnjus  anberaumet 
worden;  als  wird  oITt  gedachtc  Flemmincjische Societaet  bcy  zwanzig  Thaler  Straffc  be- 
deutet,  aile  vcrhandenc  Nachrichtungen,  wer  dièse  Grund-Stûcken  vorhcr  besessen?  wie 
und  wenn  seiche  zur  Stadt  gekommen?  unier  was  vor  Jurisdiction  sic  gehôren?  und  was 
es  vor  cigcntlicbe  Beschafïenhcit  habe,  zu  ediren,  oder  gewiirttig  zu  seyn,  dass  dièse 
Straffe  Tages  darauf  eingebracht,  und  mit  crhôheter  Straffe  verfahren  werde.  Vornach  sich 
zu  achten.  Sig.  Dûben  ,  den  22  Aug.  1730.  (Signé  Beneman.) 

(  Ces  deux  pièces  d'après  l'original  reposant  aux  archives  des 
Flamands  à  Bitterfeld ,  cahier  P,  pp.  27  et  32.  ) 


XXI. 

Réponse  des  Flamands. 
(P.  P.) 

Insonders  Hochgeehrtester  Kammer  Accis  und  Commissarie  Causae. 

Dass  Ew.  Hochwohledclgeborcn  gûtist  geriihen  wollen,  aufunsir  schuldiges  Ansuchen  : 
in  Sachen  die  allergnaedigst  angeordnete  Untersuchung  dercr  Fleminger  Grnndstiicken 
und  was  dem  anhacnig  betreffendc  uns  annoch  cinige  Frist  zù  Beibringung  dcrer  verlang- 
ten  Nachriclitungcn  zu  verstatten ,  erkenncn  wir  mit  allem  gezichmenden  Danke  an.  Nun 
haben  unser  Hochgeehrtester  Ilerr  Commissarius  vi  Commissionis  der  Flemingischen 
Societaet  beij  zwanzig  Thaler  Straffe  bcdcutet  : 

1°  Aile  vorhandene  Nachrichtungen  :  wer  dièse  Grundstûcke  vorher  besessen? 

Tome  XXXII.  46 


354  HISTOIRE  DES  COLONIES  BELGES. 

2"  Wie  und  wann  solche  ziir  Sladt  gekommcn  ? 

5!  Uiiler  was  vor  Jurisdiction  sic  gcliocrcn? 

Il,"  Und  was  es  eigentlich  vor  BescliadI'enheit  damit  habe?  zu  ediren  oder  gewaerlig  zu 
sein,  dass  dièse  Slraffe  Tages  daraiil'  eingebraciit  und  mil  erhoehler  Straffe  verfahren 
werde. 

Was  mm  ad  1°  die  vcriangten  Nachriciuimgen  :  wer  dièse  Grundslùcke  vorlier  beses- 
sen?  beirifft,  so  wird  beijgebender  Zeugcn-Rotulus  sub  A'  des  mehreren  besagen,  was 
Gestalt  vor  langen  Jahren  ^  als  der  ehemalige  Pfarrer  zù  Roitzsch,  Jiï  Christoph  Poyda, 
Vorsteher  von  der  Fleiniiujsclien  Socielaet  gewescn,  imd  hergebraoiiler  Masscn  dcrcr  Fle- 
mifjer  Lade  bei  sich  gcbabt,  zùr  sclbigcn  Zeit  aber  die  Pfarr-\\'olmimg  daselbstganz  und 
gar  abgebrannt  mit  hin  aueh  gedachte  Lade  sammt  alten  Nachrichtungen  nnd  Documenlen 
in  Feuer  aufgegangeii ,  wodurch  mehrerwâhntc  Flemigsclie  Socielaet  leider  uni  viele  Pri- 
vilégia und  Freiheilen  rjekoinen  '.  Bcij  so  gestalletcn  Umstaenden  nun  ist  es  wohi  sciiiech- 
terdings  einc  pure  Onmoeglichkeit,  dass  wir  die  sonsl  allcrdings  vorliandcnen  NachricbUm- 
gen  ediren  koennen,  jedoch  haben  wir  zù  aller  untertbaenigster  Folge  des  allergnaedigsi 
ergangcnen  Befehls  so  viel  uns  nur  immcr  moeglich  gewesen  aile  jMuhc  angewcndel  von 
denen  vorigen  und  alten  Besitzern  einige  Nachrichtungen  ausfùndig  zù  machcn,  und  wird 
beijgehende  Abschrift,  sub  B.,  die  aeltesten  Besiizer  derer  Fleminger  Grundstiicken , 
von  1S87,  angeben.  Wii-  seynd  auch  willig  und  parât  dasjcnige  aile  Flemirjs-Budi ,  woraus 
wir  dièse  Nachricbt  haben,  beij  der  allergnaedigst  angeordneten  Commission  originaliier 
zù  produciren. 

Quoad  2°  aber ,  seynd  wir  gar  nichl  im  Stande  die  gcringste  Nachricbt  zù  crthcilen ,  zù 
welchcr  Zeit  die  FleDiinger-Grùndslûcken  zùr  Sladt  Bitterfeid  gekonmien,  ancrwogcgcn 
vielerwchnte  Fleiningische  Socielaet,  besage  des  Documents  sub  B,  nicht  nm-  allerbe- 
reits  1S87,  sondern  auch  wie  der  Extract  sub  C,  erweissiich  machet  schon  1349  bestan- 
den  und  demnach  beij  so  undenklichen  Jahren  lier ,  besondcrs  wie  cingangs  an  und  ausge- 
fûhret,  da  aile  Documente  und  Nachrichtungen  verbrandt,  kcine  Nachricbt  von  uns  zu 
verlangen  scijn  wird,  ja  wir  lebcn  aucli  des  untertbaenigen  zuversichtiichen  Vcrtrauens  : 
es  werde  das  Hochpreissliche  Accis-Collcgium,  rébus  sic  slantibus ,  und  da  wir  possessio- 
nem  el  pracscriplionem  immemorialeni ,  sowohi  rationc  quantilatis  cl  qualilatis  dcrcr 
Fleminger  Grundslûckrn  vor  uns  haben ,  mit  ferner  Lntersuchung  oder  sonst  einigen 
Ansprùchen  zù  verschoncn  gniidigst  geruhen. 

Quoad  3°,  hingegcn  so  ist  unieugbar  dass  dem  hiesigen  fûrstlichen  Ambt  die  Jurisdic- 
tion ùber  derer  Flenùnger-Grmidslikkcn  zuslehe. 

Endiich  (]uoad  4°,  so  wird  ex  antea  deduclis  :  was  es  eigentlich  mit  derer  Fleminger- 
Gnmdslikken  vor  BcschalTcnheit  habe,  sich  Sonnenklahr  am  Tage  lieget  mit  der  gewissen 
IIofTnungder  Commissarischen  Verordnung  cine  Gcniige  geleistet  und  so  viel  aùsgcfùhret 
zù  haben,  ilass  wir  von  denen  iiber  ganz  undenklichen  Jahren  her  zur  Fleminger  Socielaet 

'  J'ai  supprime  les  annexes,  comme  offranl  peu  d'inléièl. 

-  Anno  lôliS  Dom;  Rogale.  Vide  M.  Hermann,  li<ielscher's.  Bruntbr.,  1746. 

^  Les  mots  soulignés  le  sont  également  dans  le  texte. 


DOCUMENTS  ET  PIECES  JUSTIFICATIVES.  3S5 

gehoerigcn  Feldern  und  Grundstùcken,  so  nachhcro  auf  uns  gekommcn  fcrnerhin  und 
weiter  kcineswcgs  responsabel  zu  sein,  die  wir  mit  aller  Hochachtung  beharren. 

Eîier  Hochedclgebohren ,  miscres  insonders  Hochr/eelirleslen  Heri'ti  Caminer  und  Acci.i- 
und  Commissarii  Cuusae,  gehorsame  die  Fleminger  Societaet. 

Bitierfeld,  den  18  October  des  Jahres  1750. 

(D'après  l'original  MS.,  reposant  aux  archives  des  Flamands, 
vol.  P.,  p.  .53.) 


XXII. 

GHESEZ-BUCH 

Einer  lôblichen  Societàt  der  Flemmiger  in  Billerfcld. 

Welches  nicht  nur  ihre  uralte  Vertrâge  und  Ordnùngcn  wie  sie  anno  1387  dureh  den 
wohivcrdicntcn  Burgemeistcr  und  Flcmigs-Vorslehcr  Hermanniis  Bartlioldus  niedcrge- 
.scliriebei),  und  dem  alten  Flemigs-Huffvn-Buche  vorgesetzl  worden  sind,  sondern  auchdie 
naehhero  dazu  gckommen  Gheseze,nebst  Unterschrift  sanimtlicher,  ieziger  und  kûnftiger 
Societats-Verwandten,  in  sich  bail,  zusamnicn  getragen  naeh  den  UmsUinden  ieziger 
Zeit  verbesserl,  und  in  folgende  Ordnùng  gebracht 


IM.   JoBANN-CDRisTapn   RACKEtiM AlVN , 

Diacono  allhier 
Uebergeben  den  30  junij  1776. 

Da  keine  geschlossene  Ghesellschafft  ohne  gute  Ghcseze,  und  deren  redliche  Beobach- 
tung,  lange  bestehen  kann,  so  bat  eine  lôblicbc  Socielat  der  Flemniigcr  allbier  bey  ihrer 
Pfingst-Zusammenkunft  anno  177G  gcnicinscbalTUieh  bcschlossen,  dass  nicht  nùr  ihre 
nralte  Ordnungen  und  Vcrtràgc,  wclche  dureh  den  verdicnstvollen  Bùrgemeisler  und 
Flcmmigs-Vorsteher  Hermannus  Barlholdus  ini  Jahr  1387,  zusammcngeschrieben,  und 
dem  alten  Flemmigs-Huffcn-Buche  vorgesezet  worden  sind,  erneucrt,  und  nach  den  Um- 
standen  der  ieziger  Zeit  verbessert,  sondern  auch  die  nachher  gekommcne  aus  dem  Pro- 
tocol und  Jahr-Rechnungen,  und  iibrigen  vorhandenen  Aclen  zusammcn  getragen,  und 
in  folgende  Ordnung  gebracht  werden  solten. 


3d6  histoire  des  COLONIES  BELGES. 


DAS  ERSTE  CAl'lTEL. 
Von  den  Socletilts-Verwandten  lus  gemein. 

1.  Sàmmtliche  Besizer  dcr  Flemmigshuffen  sollen,  nach  der  bisher  seit  ellichen  Jahr- 
hunderlen  gcwescnen  Ghewohnheit,  auch  aufs  Kûnftige,  einc  Societiit  ausinachen,  und 
dafiir  angeschen  wcrdcn. 

2.  Wer  cinc  Flemmingshuffe,  halb  odcr  ganz,  crkaufft,  ererbcl  oder  erheyrathet  hat, 
soll  sich  bey  dem  icdesmahligen  Vorstchcr  anmelden ,  scinen  Nahmen  in  das  Ghcsezbuch 
einschreiben ,  und  damil  seine  Wiiligkcit,  sich  nach  ihren  gemachten  Vertragen  zu 
achlcn,  zu  eriicnnen  gel)en ,  und  fur  die  Einlassung,  ein  fur  alhnabi,  vier  Rsth.  zur 
gemeinschafftiichen  Cassa  crlegen. 

3.  Er  soll  sich  alsdenn  diejenige  Commun-Gulcr  an  Holz  und  Wiescn,  die  zwar  zùm 
ordentiichen  HulTenschlag  gchôren ,  aber  weil  sic,  als  Prival-Slucke,  nieht  ùnter  den  Pflug 
getrieben,  und  wcgen  Mulden-Abreisscns ,  und  daher  nothwendig'gewordenen  "W'asser- 
baue  einzeln  nicht  genulsl  werden  kônne,  zusammen  geschlagcn  worden  sind,  bekannt 
inacheh ,  und  vornehmlicii  von  dem  Fôrsler  auf  die  Friedcrsdoriïer  Wcrder ,  wciche  (hirch 
den  anno  1473  erfoigten  gewalisamen  Durchbrùchder  Mulde  hiniibcr  verschet  worden 
sind,  fuhrcn,  und  deren  Grenzen  und  Mahisteine  zeigen  lassen,  wofur  er  diesem,  nach 
Gewohnheit,  ein  beiiebiges  Geschenke  darreichct. 

k.  Wer  seine  Huffe  zu  vcrkaufîen  willens  ist,  soll  sie  zuersl  einem  oder  dem  andern 
Mitgiied  der  Socieliit  anbielen,  und  wcnn  sie  nicht  eins  wcrdcn  kônnen ,  den  mehr  bie- 
lenden  Kàuffer  ausser  der  Societat  dem  Vorsteher  anzeigen,  damit  derselbe  keine  ihr 
unangenchme,  levis  notae  macula  laborirende,  und  einen  Vorwurff  machende  Person 
aufgedrungen  werde. 

a.  Es  soll  einer  wenigstens  eine  halbe  Huffe  haben ,  und  wenn  ia  Geschwister  bey  der 
Erblheilung  nicht  eins  werden  kônnlen,  und  sich  in  einc  halbe  Iluffe  theilen  wolltcn  ,  soll 
doch  nur  einer  bey  der  Zusammenkunft  zugelassen  werden,  und  an  denCommun-Rechten 
Antheil  haben  konnen  ,  wcshalb  sie  sich  zu  vergleichen  haben. 

6.  Es  soll  sich  keiner  elwas ,  das  zur  Commun  gehort ,  es  sey  Holz ,  Graserey ,  wild 
Obst  und  dergleichen,  eigenmachtig  anmassen,  und  die  Zeit,  bis  letzteresaufgethan  wird, 
in  Geduld  aufwarten  ,  bey  Siraffe  20  Gr. 

7.  Bey  Abfùhr  der  Ilolz-ausbeute,  soll  sich  keiner  durchaus  nicht  an  das  Nachbars 
seinem  Loos,  oder  an  den  zum  Vcrkauffgcselzten  Malter  und  Schock  oder  noch  stehend- 
gebliebenem  Holzc  vergreiffen,  bey  Straffe  12Gr.  zùr  Cassa,  und  Ersaz  des  entwendeten 

Holzcs. 

8.  Die  iùngen  Verhauichte  sollen  Forstmassig  geschonet,  und  darinnen  weder  mit 
dem  Viehe  gehûlet,  noch  gegraset  und  geschnitten  werden  ;  auch  in  den  andern  \er- 
hauichlen  keinen  andern,  als  Flemmigs-Huffnern ,  und  deren  Knechten  und  Magden  zù 
hiiten  und  zu  grascn  erlaubt  seyn,  icdoch  weder  des  Nachts ,  noch  unter  wahrendem 
ôffentlichen  Gottes-Dienste,  bey  12  Gr.  Siraffe. 


DOCUMENTS  ET  PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  537 

9.  Auch  in  den  Grunden  ùnd  Bruchen  der  Privat-Stûcke ,  soUen  àusser  den  Flenimigs- 
und  Rittcr-Huffner-Magden  keine  andere ,  keinc  angenommene  Taglôhner-Weiber,  koine 
Frqmde,  die  dergicichen,  oder  gar  kein  Feid  ijcsizen,  aiii  allerwenigsten  aiiswertige,  ge- 
duldet,  sondern  gepfandet  werden. 

10.  Keiner  soll  von  den  Rainen,  dcm  iNaciibar  zu'schadcn,  und  ohne  dessen  Wissen 
und  Einwiliigung,  etwas  abpfliigen,  um  sein  Stiick  dadurch  zù  vcrgrôsseren ,  damit  die 
vormahls  gleich-getlieilte  Sliiekc  in  Gleichheil  crlialten  werden  ,  bey  Straffe  10  Gr. 

1 1 .  Wer  auf  seinen  Privat-StSckcn  Hoiz  scbiagen  lassen  will ,  sol!  es  ,  wo  es  nùr  einiges 
massen  streilig  werden  kônntc, seinen  JVachbar  und  deni  Forster  nieidcn,  und  durcb  diesen 
sein  Stiick  ricbtig  abschaimen  lassen,  damit  nachbero  kein  Zank  daiiiber  entslehe. 

12.  Wer  dièses  unterlassen,  inid  von  seinem  Nachbar  in  Ansprueh  genomnien  wiid, 
soll  das  Holz  nicbt  eher  abfahren,bis  er  sicb  mit  diesem  gullich  vergliclien  liât,  bey 
Straffe  IG  gr.,  zur  Cassa,  mul  Vergiitung  an  den  Nachbar. 

15.  Kônnen  sie  sich  selber  nicbt  mit  einandcr  giitlich  vergleicben ,  soll  sich  der  belei- 
digte  Theil  von  dem  Vorsteher  eine  Besichtigung  und  Entscbeidung  erbitten  ,  der  Andere 
aber  sicb  dem  reçhtmassigen  Aussprucbe  unterwerffen ,  die  Unkoslen  erlegen ,  und  innom 
gnugibun. 

14.  Es  soll  sicb  keiner  wcigern ,  die  verursacbte  oder  ihni  recbmassig  dictirle  Straffe 
willig  ZU  erlegen ,  oder  sich  gefallen  lassen  dass  sie  ihm  kûnftig  an  seiner  Geld-ausbeute 
abgezogen  werde. 

15.  Wer  bey  den  offentlichen  Zusammenkûnften  etwas  vûrzutragen  oder  zu  klagen 
bat,  soll  es  mit  aller  Bescheidenbeit ,  ohne  Gcscbrey  ùnd  Bitterkeit,  obne  Scbimpffen 
und  Schmâhe,  obne  Fluehe  und  Liistern  thun ,  bey  Straffe  12  Gr. 

16.  Wenn  Bau-fùbren  nacb  der  Reilie  angesagt  werden,  soll  keiner  versehonel  werden, 
oder  zurûck  bleiben ,  widerigen  falls  soll  er  die  von  dem  Forster  anderwerts  besorgle 
Fùhren  bczahlen  ;  doch  soll  der  Vorsteher  so  billig  seyn ,  und  sie  nichl  fordern ,  wenn  die 
Anspiinnner  notbwcndig  aùf  dem  Felde  zu  thun  baben. 

17.  Zu  den  Besiebtignngen  und  Ausiiisungen  soll  der  Vorsteher  nebsl  seinem  Beysilzer 
und  dem  Flemmigs-Scbrciber,  zuersl  die  ncu-dazu  gekommenc  Flemmiger  mit  beslcllen, 
damit  sie  unserer  von  den  Huffen  ausgesetzen  Commun-Giiter,  und  unsercr  Rechte  und 
Pdichlen  kundig  werden,  ausserdem  aber  der  Reibe  nacb  den  Loberstûcken  nacb  geben. 

18.  Wenn  eine  Zusammenkunft  durch  den  Forster  angesagt  wird ,  soll  keiner  ohne 
zulanglicbe  Entsehuldigung  Zuriiek  bleiben,  bcsonders  wenn  uber  wichtige  Conimun- 
Angelenbeiten  geralhschlaget  werden  soll,  beij  straffe  8  Gr. 

19.  Es  soll  ieder  sein  eignes  Flemmigs-Huffen-Buch  haben ,  vor  welebem  dièse  Geseize 
eingeschrieben  steben. 

20.  '  Und  da  dièses  nicbt  aile  baben,  so  sollen  bey  der  iiihrliehen  Pfmgst-Zusammen- 
kunl'l  dièse  Geseize  vorgelesen  werden,  damit  sich  keiner  mit  der  Unwissenbeit  entscbul- 
digen  durffe. 

'  Les  §§  20  et  21  oui  été  ajoutés  postérieurement. 


358  HISTOIRE  DES  COLOiMES  BELGES. 

'21.  Es  soll  aucli  iiicht  cher  zu  irincken  gcforderl  nnd  gcreichet  werdcn,  bis  die  Rech- 
nung  durciigegangen,  iuslilicirei  und  untcrschricben ,  und  andcrer  nôtliigeii  Commun- 
Sachen  vciabiedet  und  entschieden  vvorden  sind. 

DAS  ZWEITE  CAI'IÏEL. 
Von  dem  lithrllchen    Vorsteher. 

1.  Weiin  der  bisherige  Vorstcher  seine  Jahr-Rechnung  abgeleget  hal,  foiget  auf  ilin 
derjenige,  der  in  dem  vorigen  Jalir  als  Beysizer  durch  die  meislen  Stimmen  ervyehlet 
worden  isl.  Solte  iencr  abcr  vor  der  Zeit  mit  Tode  abgehen,  so  soll  die  Societaet  zusammen 
gerniïen  ,  und  berathschiagct  werden ,  ob  die  Rechnung  von  des  verstorbenen  Erben  fort- 
gesleiiet,  oder  aber  einsAveil  ein  anderer  dazu  crweidl  werden  soll. 

2.  Der  neue  Vorsteher  soll  sicli  von  seinem  Vorfahrer  die  kleine  Lade  nebst  den  dazu 
gehôrigen  Inventarien-Stûcken,  wie  auch  die  Schlùssel  zu  den  beyden  andcren  in 
E.  Raths-Arclùv  an  der  Kirche  niedergesetzten  Laden,  wie  auch  den  Bestand  an  baareni 
Gelde  und  andern  Vorrathcn  ûbergeben  und  anvveiscn  lassen. 

5.  Er  soll ,  was  ihm  von  der  ganzen  Societaet  bey  der  Pfmgst-Zusammenkunft  aufgege- 
ben  wird,  treulich  besorgen,  oder  was  noihig  und  niitzlieh  sein  môchle,  selber  in  Vor- 
sclilog  und  zur  gemeinschaffllichen  Ucberlegung  vorbringen,  und  fiir  sieh  allein  niehts 
vvichtiges  und  bedenkliches  vornehmen,  sondern  dabey  seinen  Beysizer  zu  Hûlffe  neb- 
men,  oder  die  ganze  Societaet  zusammen  kommen  lassen. 

4.  Er  soll  nach  den  iMulden-Bauen ,  Briickcn ,  Danimen ,  Graben ,  Wegen  und  Grenzen 
fleissig  sehen,  und  nachsehen  lassen,  damit  das  schadhaffte  in  Zeilen  mit  noch  geringen 
Kosten  gebesscrt  werden  kônne. 

3.  Besonders  soll  er  nebst  seinem  Beysizer,  oder  doch  einer  von  beyden,  iâhrlich  ein- 
mahl  mit  dem  Forster  die  Friedersdorffer-Werder,  und  dasige  Wasser-baue  besichtigen^ 
und  nach  den  Malen- und  Grenzen-Steinen  at'hen,  da  die  Vormahlige  fur  die  Cassa  so 
beschwerliche  Grenzziige  aufgehoben  worden,  und  nun,  da  wirden  sehr  accuraten  Scfiu- 
mannisschen-Riss  davon  haben,  nicht  mehr  nôlhig  sind. 

().  Wenn  was  zù  baucn  und  besseren  nôlhig  ist,  soll  er  die  Arbeils-Leute  bedingen, 
und  nachsehen  dass  ailes  fleissig  und  tiichlig  gemacht  werde. 

7.  Die  zùr  Cassa  gehôrige  Ghelder  einnehmen,  in  Zeiten  eintreiben,  wohl  verwahren, 
und  nur  zum  gemeinen  Besten  anwenden ,  und  bey  entstehenden  Verdachte  immer  gewer- 
lig  seyn,  dass  ihm  von  Einnahme  und  Ausgabe  RechenschalTt  abgcfordert  werde. 

8.  Keinen  anderen,  als  den  nach  vorgeschriebener  Ordnung  folgenden  Verhaùicht 
anwcisen,  damit  es  bny  den  einmahl  festgesezten  18  V'erhaùichten  bestàndig  verbleibe, 
imd  die  Holzhauer  ernstlich  dahiii  anlialten,  das  sic  tùchtige,  und  so  viel  moglich  gleich 
Schocke  und  Maltern  machen,  und  keine  andere,  als  abstcrbende,  zu  dicht  an  einander 
stehende,  und  sonst  undbrauchbare  Eichen  niederschlagen  lassen,  und  ohne  Einwilli- 
gung  der  Sorietact  keine  Bau-Eichen  in  Mcnge  verkauffen. 


DOCUMEiNTS  ET  PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  359 

9.  An  ledige  Plàze  allerley  scliickliches  iunges  Holz  anphlanzen  lassen. 

10.  Die  Commun-Wiesen,  so  wohi  grosse  als  Idcine,  nacli  bishcriger  Art,  so  viel  môg- 
lich  aut' G  Jahre,  an  nieislbielende  uncl  sichere  Bczalilcr  verpachlcn;  wenn  aber  deren 
Preisse  allzulicfî  lallen  sollten,  es  mit  der  ganzen  Societaet,  vornehmiich  bey  der  Pfingsl- 
Zusaninienkunfft  iiberlcgen ,  und  wenn  er  mil  den  Pachlern  einig  worden,  ihnen  dmeh 
den  Flemmigs-Schreiber  die  Contracte  ausfertigen  lassen. 

11.  Bey  forfallenden  Verpaciitùngcn ,  Holz-Verkauff,  Baucn,  Processen,  imd  derglei- 
chen  zuerstseinen  Beysizer,  auch  wohl  den  Flemmigs-Schreiber,  niid  wenns  nôlhig  seyn 
sollte,  die  ganze  versammelte  Societaet  zù  Rallie  ziehen. 

12.  Er  soll  sich  von  dem,  was  der  Conmiun  gehôrt,  durchaus  niclits,  an  Holz,  Griise- 
reyen,  wildem  Obste,  auch  nicht  die  Abgànge  beym  Baiien,  eigenmâchlig  anmassen , 
sondern  dièse  an  die  Meistbietendc  verkauiïen,  selber  keinen  Unterschleiff  machen ,  nocli 
andern  gestatten. 

15.  Wenn  er  zu  Besichlignng  und  Enlscheidung  streitiger  Sachen  in  den  Gehôlzen  uiul 
auf  den  Wiesen  aufgefordert  wird,  soll  er  sich  nebstdem  Beysizer  und  Forsler,  auch  wie 
es  nôlhig  seyn  sollte,  dem  Flemmigs-Schreiber,  an  den  streitigen  Ort  begeben,  ailes  genau 
in  Augensehein  nehmen,ieden  mit  seinen  Ursachen  geduldig  anhôren,  ailes  wohl  iiber- 
legen,  abschreiten  und  ausmessen  lassen,  und,  keinen  zu  Lieb  odcr  Leid,  einen  nnpar- 
theyischen  Ausspruch  thun,  damil  der  beleidigle  Theil  nicht  genôthigl  werde,  bey  der 
ordentlichen  Obrigkeil  Hiiile  zù  suchen. 

14.  Es  soll  bey  dem  gewôhnlichen  Auslôsungen  bleiben,  solche  aber  nicht  ûberbâuffet, 
und  der  Cassa  beschwerlich  werden,  in  Betracht  dass  die  Besoldimg  des  Vorstelicrs  in 
neuerlichen  Zciten,  wegen  der  vielen  Mulden-Baîie,  mit  vier  Rsth.  fiir  unbelohnte  Miihe 
und  Wege  erhôhet  worden. 

15.  Ailes,  was  zum  Nachtheil  der  Societaet  gereichen  kônnte,  sorgfàltig  abzuwenden 
suchen,  und  was  zu  ihrem  Beslem,  Aufnehmen  und  Erhaltung  giiter  Ordnung  nur  immer 
gereichen  kan,  treulich  befôrdcrn,  und  daliin  bedachl  seyn,  dass  diesen  Gesezeii  unver- 
bruchlich  nachgelebet  werde.  ' 

16.  Er  soll  seine  Rechnung  14  Tage  vor  Plingslen  schliessen  und  ferlig  halten,  dannt 
sie  durch  den  Fôrster  einem  ieden  Societaets-Verwandten  eingehàndiget,  durchgesehen, 
und  beùrtheilt  werden  kônne. 

DAS  DRITTE  CAPITEL. 
Von    dem    Beysizer. 

1.  Dieser  wird  yàhrlich,  bei  der  Pfingst-Zusammenkunfi ,  nach  abgelegter  Rechnung, 
durch  die  meisten  Stimmen  erwehlet,  und  wenn  ihrer  zween  gleiche  Stimmen  hiillen, 
und  keiner  freywillig  abgehen  wolte,  darum  geloscl.  Es  soll  aber  kciner  auf  sich  selbst 
votiren ,  oder  sich  zuvor  der  andern  Stimmen  zu  erschleichen  suchen ,  bey  50  Gr.  Straffc, 
und  die  Wahl  soll  nichts  gelten. 

2.  Er  soll,  besonders  wenn  er  zum  ersten  Mahl  verwehlt  worden,  sich  unsere  Com- 


Ô60  HISTOIRE  DES  COLOtNlES  BELGES. 

inuii-Holzcr  und  W'icsen ,  in  ilucn  Abiheilungcn  und  Grenzen  wohi  bekannt  machen  und 
anwcisen  lasscn. 

5.  El-  soll  nebst  dcm  Vorsteher,  oder  wenn  dieser  Hindernisse  liai,  allein  fleissig  nach 
dem  Baù-  unrl  Arbcits-Leuten  sehen  ,  und  im  Vorauslernen,  wie  cr  nachhero  anordnen 
soll. 

4.  Was  der  Vorsteher  in  scinem  Jaiir  nicht  zwingen  Ivônne,  naehholcn;  und  sich  im 
voraus  mercken  und  auserschen,  was  fur  ihn ,  zum  Commun-Bcsten  in  Zeilen  zu  besseren, 
tmd  zu  bauen  nôthig  seyn  môchte. 

o.  Alsdenn  erst  soll  cr  auch  die  fur  die  fleysigen  Beysizer  allein  bestimmte  4  Rslh.  aus 
der  Cassa  erhalten. 

DAS  VIERTE  CAPITEL. 
Von  dem  Flemmigs-Schreiber. 

\ .  Es  soll  allemahl  einer  von  den  Rechlsgelehrten  aus  der  Socieiaet  ihr  Schreiber  oder 
Regislrator  seyn,  der  das  Protocol  fuhren,  und  die  nôthigen  Sachen  einschreiben,  bey 
entstehendcn  Streitigkeiten  oder  Proccssen  ihr  mit  seinem  Rathc  dicnen,  die  altc  Docu- 
mente aus  den  Laden  aufsuchen,  und  ihre  Redite  vcilheidigen  konne. 

2.  Er  soll  die  iàhrlielien  Ilolz-Auslôsungen,  und  die  an  die  General-Accise  iahrlich  zu 
ùbergebende  Spécification  besorgen. 

5.  Die  Pacht-Contracte  so  wohl  ùber  die  Friedcrsdorffer  Werder ,  die  Bôttchcr-Weiden 
und  Toden-Kopfï,  als  auch  ùber  die  kleinere  Commun-AViesen  fertigcn,  besicgeln,  dem 
Protocol  einverleiben ,  und  fur  iene  2  Rsth.,  fur  dièse  aber  nach  proportion  von  den  Pàch- 
teren  erhalten. 

4.  Zu  den  Besichtigungcn  bey  cntstandenen  Streitigkeiten  fur  die  gewôhnliche  Auslo- 
sung  mitgcnommen  werden,  und  unparteyich  richten  helffen. 

0.  Er  soll  auch  bey  der  versammteten  Societaet  den  Vortrag  haben,  und  besonders 
bey  Ablegung  der  Jahr-Rechnungcn,  die  er  mit  Fleiss  durch  zu  gehen,  und  nachzusehen 
hat,  oh  sic  auch  in  Calctdo  und  sonst  richtig  ist,  sein  Urthcil  ùber  selbige  fàllen,  seine 
Erinnerungen  und  Bcdenklichkeilen  anzcigen ,  und  was  auf  das  kùnfftige  Jahr  zu 
besorgen  seyn  môchte,  in  Vorschlag  bringen. 

6.  Fur  dièse  Benùtzungen  erhàlt  er  iahrlich  1  Rlaller  eichene  Schcidle,  oder  in  deren 
Ermangelung  6  gute  Scliock-Reissbund ,  oder  2  Rsth.,  8  Gr.  aus  der  Cassa. 

DAS  FiJNFTE  CAPITEL. 
Tou  dent  FiirsUT. 

1 .  Diesor  wird  von  der  Societaet  nach  den  meisten  Stimmcn  gcwchlt  und  angenommen, 

2.  Er  soll  nicht  selber  schon  ein  Societaets-Verwanndler  seyn, aber  doch  die  zu  seinem 
Dienstc  iiôthige  Kenninisse,  gute  natùrliche  und  sittliche  Eigenschafflen  haben. 


OOCUMEINTS  ET  PIECES  JUSTIFICATIVES.  5(H 

3.  Ailes,  was  in  dcr  A.  1773  aùsgestellten  Instruction  enthalten  ist,  trcti,  redlich  iind 
mil  unverlezlcn  Gevvisscn,  zum  gcmcinem  Bestc  dcr  Sociclael,  licobachlcn  iind  crfullcn, 
wiedrigen  Falls  aber  sich  die  Aiifkùndigung  seines  Uiensles  icderzcit  gcfallen  lassen. 

4.  Mit  dem,  was  ihm  dasselbst  zu  seiner  Besoldung  ausgesczct  und  angewiesen 
werden,  gern  zufriéden  scyn,  und  sich  durchaus  niclits,  weder  an  wildcni  Obste,  noch 
Gràsereycn,  noch  Windfàllcn  und  anderm  Holze  cigenniàchlig,  ohne  Verwissen,  und 
Einwiliigung  des  Vorstehers  anniassen,  und  zu  Nuz  niachen. 

5.  Sich  seine  i)ejO!(«a«-Schock.,  nicht  selber  weblen  und  machen  lassen,  sondcrn  aus 
den,  ihm  von  dem  Vorstehcr  bcy  dcr  Auslôsung  vorgchalicnen  IVumern  cine  herauszic- 
ben,  zu  welchcr  seine  bestimmte  10  Scbock  mit  gczchlet  wcrdcn,  damit  cr  desto  mchr 
darauf  Acbt  babe,  das  die  Schock  so  viol  môglich  cmandcr  gleich  gesezet  werden. 

6.  Die  in  seine  Verwabrung  genonimcne  Imcularim-Slùckc  wobl  in  Acht  nchmen, 
damit  sie  scinem  Nachfolger  wicder  idjcrgcben  werden  kônnc. 

7.  Bey  den  angcsaglcn  Bau-Fuhren  keinen  ubergehen,  noch  verschonen,  und  sich  ein 
eigenes  Biichel  darûber  halten,  das  er  iedesmahl  vorzcigen,  und  sich  damil  rechtlerligen 
konne. 

8.  ledcn  ncuen  Flemmiger  auf  die  Friedesdorffer  A\'erder  binubcr,  fubren,  ùnd  ihm 
seiche  in  ibrcn  Grenzcn  fiir  das  beliebige  Trankgeld  anweisen. 

9.  Eincn  ieglichen  Schadcn,  dcr  geschehen  oder  zîi  besorgcn  ist,  aïs  bald  dem  \'or- 
stcber  anzcigen,  damit  er  in  Zeilen  gebcssert  werde. 

Da  dièse  Ghesezc  gerecht  und  billig,  und  zum  fortdauercnden  Besten  der  Societaet 
eingericblct  sind,  so  baben  wir  das  Zulrauen,  dass  sich  siimtlicbe,  iczigc  und  kuniîtige 
Flcmniigs-HulTen-Besizcr,  gern  darnach  ricblen,  und  es  nicht  zur  BcstralTung  kommcn 
lassen  werden.  Solte  aber  einer  oder  der  andere  wissentlieh,  mit  Vorsaz  und  Troz,  ein- 
und  mehrmahl  dawieder  handcln  ;  so  soU  ihm  von  dem  V^orstcher  die  gesczte  Strafle  abge- 
fordert,  und  wenn  cr  sich  dessen  wcigert,  von  seiner  zu  hoflcndcn  Geld-Ausbeute  abgc- 
zogcn,  und  zur  Cassa  berechnet  wcrdcn. 

Uebrigens  kônnen  dièse  vormabis  errichtete,  bisher  bcobachtcle,  und  nun  erncuele 
Co;i(;eH^/o»ja/-Gbcsezc,  nacbdem  es  Zciten  und  Umstiindc  crfordcrcn  môchcn,  nach  vor- 
gàngig-  zu  sacbendcn  hôchslcn  Landes-herrliclien  Approbation,  gebcssert,  vcrmehreri 
oder  vermindert  werden. 

Voriezo  aber  erklaren  sich  gesammte  Mitglicdcr  durch  frcywillige  Unterschrift ,  dic- 
selbe  treu,  redlich  und  unvcrbrùcblich  zu  beobachlen.  So  geschehen,  Bitterfeld ,  den 
30  Juny  177G.  (Suivent  53  signatures.') 

(Copié  d'après  l'original  ;  Gesezbuclt  der  Flemigs-Socielaet 
in  Bitterfeld,  pp.  1-2-i.) 


Tome  XXXII.  47 


362  HISTOIRE  DES  COLONIES  BELGES. 


xxin. 

IVas  (Hp  Flemiger  niUer  sicli  :ù  richlen  uiid  wie  sie  sidi  vorhalten  sollen,  ist  connais 
nach  Ausweisuiig  der  RvfjhtnUuren  auch  also  rerliallen  icordcn  '. 

(Ib87.) 

§  I.  —  Anfacnglicli  liabcn  sie  uiiier  sich  zu  richlen  gemcine  Schelleswo]!,  vvenii  eincr 
dein  aiulorcii  zu  iiiilie  hauot,  plUigel  iind  iingehorsamblich  were.  Er  erfordert  aiisscn- 
bloil)ci  iitid  deni  Andercn  das  Seine  wcgluiiicl. 

§  II.  —  So  soll  auch  in  diesen  und  andercn  Dingen  keincr  onvorwisscn  vor  anderer 
Obrigkcit  lauffen  bcy  poen  zwanzig  Groschen. 

Das  findet  nian  cin  Exenipel  aiiiio  loiO  bey  Zeiten  Moritz  Poyda's  l'ind  Tliomas  Zan- 
ders  gewcsenen  Flemigs-IIci  rcn. 

§  III.  —  Es  soll  keincr  in  der  Gcnicinc  sein  Ilolz  vcrkaufTcn,  er  sei  dann  ein  Flemiger. 
In  Belraelit,  dass  der  sein  Holz  enlIVdn'ct,  Frenibdcr  darnmb  in  andere  Gcricbte  zù 
belangen  cder  zu  clagcn  sich  bcschwcrlicli  fihfallen  voile  bey  poen  ô  Groscbcn. 

§  IV.  —  So  auch  einer  sein  Prival-Siùck  will  lassen  abhauen,  soll  er  seine  beide 
Nachbalirndarzufordern  und  ailes  richtig  abschalmen  oder  abzeichnen  bey  nechst  gesester 
poen. 

§  V.  —  So  auch  eincr  deni  andercn  wùrde  abpflugcn,  soll  er  erstlich  bey  dern  Fleniigs- 
Herrn  geclagt  werden;  so  er  aber  vor  Jhnen  mit  nit  koendte  Vertrags  wcrden  moegen  sic 
alsdann  vor  anderer  Obrigkcit  klagen,  bey  Slraff  30  Groscbcn. 

Ji  \l.  —  So  ein  ncuer  Flemiger  einkocnibl,  der  soll  sich  bcy  dcn  Flcniigs-Hcrren 
angcben  und  umb  die  Gebiibr  in  der  Matricul  oder  Registcr  der  Flemiger  sich  einsehrci- 
ben  lassen  bey  poen  20  Groschen. 

§  AU.  —  Wcnn  die  Flemiger  bcisammcn  ,  und  wird  Jcmand  obne  genugsahme  .Jhnen 
darzu  gcgebcne  Ubrsachc  Iladcrn  und  Zwietrachl  anricbtcn  oder  mil  Schmchworten  umb 
sicli  wcrfen ,  der  soll  ein  Viertel  Bicr  zur  StralT  verfallen  scyn. 

§  VIII.  —  Die  Loss-Wiesen  sollen  aile  Jabr  deren  Inhaberen  aùfs  neue  wiedcr  zuge- 
sagcl  werden  oder  wer  das  vcrwehrl,  soll  seiner  AMcse  verlustigt  werden. 

!i  IX.  —  Die  Grenzen  soll  uls  Laengstc  aile  drc\  Jahr  uffdas  ncue  wiedcr  besichiiget 
werden,  und  wer  darzu  bescheiden  und  aussenbleibct  bcy  poen  20  Groschen. 

S  X.  —  Er  ist  auch  allhicr  nebsl  dicsem  allcn  Buch  vor  denen  neucn  Bùchcrn  der 
Nahme  neben  gesctzet  dieweillcn  unter  dieser  Zcit  cin  Theils  viel  verhandcli,  verkauiït 
und  verlauscht  worden,  umb  bessercr  Nacbrichtung  willcn,  damit  Solche  richtiger 
erkennet  und  gefunden  werden  môge. 

(D'après  l'original  MS,,  vol.  A,  inil.,  Archices  des  Flamtiiids.) 

'   Kcril  par  HiM-man  Dartlioldus,  boucgmeslrc  de  BiUerfeld  et  président  delà  société. 


DOCUMENTS  ET  PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  363 


XXIV. 

Léopold  le  Glorieux,  duc  d'Autriche  ,  accorde  des  privilèges  aux  Flamands  établis 

dans  ses  États. 

.  (1208.) 

In  noinine  sancie  et  Inclividue  Trinitalis.  Leopoklus  Dei  gralia  diix  Ausliiae,  Styrie  in 

perpetuum.  Labentc  tenipore  facliim  quodlibet  a  mcmoria  labitur,  nisi  vetustali  scriplorum 

perseverantia  obvietur.  Ne  igilur  antiquitas  hanc  noslram  praesenlem  concessioncm  valcat 

abolerc  lam  pracscnlibus  qiiani  futuris  notum  fieri  volunuis,  quod  Biirgenses  nosiros, 

qui  apud  nos  Flandrenses  nuncupantur,  taliter  in  civilatc  noslra  Wienna  instituimiis,  tit 

ipsi  in  offîcio  suo,  jure  fori  nostri,  in  civitate,  et  in  terra  noslra,  libertate  et  privilegioaiio- 

runi  nostrorum  Burgensium  omnimode  gaudeant  et  ulantur.  Praeterea  ipsos  ab  ofTrcio 

judicis  nostri  in  Wienna  ila  cximimus,  ut  super  quibuscunque  querimoniis  corani  ipso 

non  rcspondeanl,  sed  corani  camerario  monctc  noslre  trabant  in  causas,  spcciali  exccp- 

tione,  de  omnibus  responsuri.  Subjungimus  insuper  et  confirmamus,  ut  in  eoruni  officio 

negociari  nulius  présumai  ncc  audcal,  nisi  ab  ipsis  rcceptus  in  consortium  eum  cis,  sub 

eodem  jure  in  omni  pensione  et  stiora  rcspondeal  sicuti  ipsi.  Ut  autcm  a  nobis  bec  taiis 

nostra  tradicio  in  postcrum  scmpcr  maneat  inconvulsa,  presenti  cedule  conscribi  fecimiis, 

et  subscripto  curie  nostre  tcstimonio,  imprcssionc  nostri  sigilli  in   icnaccm  niemoriam 

roboramus.  Testes  Wichard  Dapii'er,  Rudolfus  de  Polendorf,  Marquardus  de  Hintberch, 

L'iricus  Slruno,  Itcmfridus  lilius  Marquardi  de  Ilanpercb ,  Ub-icus  Stupso  (de  Traul- 

mannsdorf),  Ilenricus  Dapifer  de  Prone  ,  Henricus  camerarius  de  Tribanswincbcl ,  Diei- 

marus  de  Raielcnberge,  Rodigcrus  de  Ilolen,  Dielricus  magisler  monete,   Golofiidus 

camerarius,  Marquardus  judex,  cives  Wienncnses.  Pilrolfus,  Paitrainus  IVater  cjus,  Liu- 

boldus  Dypincb,   Henricus  Scboucbo,  Wiento,  Ruedcgerus  incisor,   Heinricus  socius 

ejus,  Aibero  de  Padislorf,  Sifrid  Scbutcwofel,  Maliifridus  monetarius,  Albreebl  cblclm- 

rius,  Ebcrhardus  Tanewaschel,  Grizo  Chunradus  maritus  domine  Sigulc,  Ciiunradus 

Suevus ,  Wido.  Actum  anno  Incar.... 

(Hormayr,  Wien ,  Il ,  Hefl  ô,  p.  19b.  i 

Traduction. 
Von  der  Flàmmiger  oder  Farber  Recbten. 

In  dem  Namen  der  Heiligen  und  unlbailhaffligen  Drivaltikait  tun  wir  LewpoU  von 
Gotes  Gnaden  Herczog  ze  Osterreich  und  zeSteir  zewissen  ewiicleichcn.  Daz  mit  hinfleiss- 
under  Zeit  ein  yegleich  sach  von  denkniissentslciffet,  man  engcgen  dcnn  dem  Aller  mil 
ainar  werunden  Schrifl.  Und  daz  dar  umb  das  aller  nichl  mug  abgetun  dièse  gegenbftr- 


364  HISTOIRE  DES  COLONIES  BELGES. 

tiçc  unscr  Verlcihiing,  darunib  wcllcn  wir  chiint  sein  den  gcgonburrigen  und  den  kiiiif- 
tigen,  daz  wir,  viiscr  Purger  die  bcy  vns  gênant  sint  Flàinniirjor,  also  in  vnser  Siatze 
Wienn  ingesatzt  haben,  daz  Sy  in  Ir  anipl  vnser  iMarkt  recht  in  der  Stat,  und  ini  Lande 
von  vnsrer  freyung  und  besunder  Recht,  als  ander  vnser  Purger  ip  aile  Weis  frewen  und 
niessen.  Uber  das  freycn  wir  Sy  also  vor  unsers  Gericbis  ampts  ze  Wienn,  dnz  sy  iiber 
dhain  klag  nicht  aniburlen  sullen  vor  [m,  dann  vor  unsercr  Miinss  Kamrar  sol  man  sew 
beclagen,  und  sullcii  vor  Im,  besundcrlich  unib  ail  sah  anlwurtlen.  >\ir  fiigen  in  auch 
dariiber  und  bevestcn  daz  nyeman  in  Ir  andjt  arbaitt,  nocli  geliirr  aiibailtcn,  \\ann  der 
von  In,  in  Ir  Gescllscbafït  niclit  cmphangcn  ist,  und  mit  In  under  denselben  Recht  in 
allen  Gcding  und  stewr  geb  ,  als  Syselber.  Das  aber  von  uns  discsôlbe  unsere  Gabe  hinnach 
albcg  beleibe  unczebroehen,  so  haben  wir  gehaissen  verschreiben,  an  diesen  gegenbur- 
tigcn  Brief  mit  der  Zeugnuss  unsrcr  Ilofseiift  und  besterkchen  di(!  in  ein  bchalilich  Ge- 
denknûss  mit  dcm  Intrukch  unsers  Insigeis.  Das  sint  die  Geczeugen,  ^\'e^ldlarl  der 
Truchsealz,  Rudolf  von  Potendorf,  Markhart  von  Ilinlperg,  Vlrich  der  Sirewn,  Irnfriid 
ÎMarkbarts  sun  von  Ilinlperg,  Vlrich  der  Stiichs  (von  Traulmansdorf),  Hainrich  der 
Truchselz  von  Prunne,  Hainrich  der  kammerer  von  Tribeswinkel,  Dietmar  \on  Raten- 
bers,  Riidiirer  von  Zolle.  Dietrich  der  Mûnssmaistear.  Golfrid  der  Kannear  Markhart  der 
Richtear,  das  sint  Burger  von  Wieenn,  Pielrolf  und  Baltram  sein  Brader,  Lcwpoll  der 
Pippink,  Hainrich  der  Schawk  (Srhcnk?),  ^^'ieral,  Riidiger  der  Ilantsneyder,  und  Hain- 
lieh  seinGescll,  Alber  von  Pabistorf.  Seyfried  Schûlenwùrlïel ,  Mcahtlrid  der  Mûnsser, 
Albrecbt  der  Klebear,  Ebcrhart  Taneweachsel,  dar  Graiff,  Conrald  der  frawen  Sigolen 
Man,Kunrat  der  Swabe  und  Wida.  Das  ist  geschehen,  do  von  Crists  gepurde  warn  er- 
gangen  Tauscnt  zwayhundert  lar  vnd  darnach  in  dem  achten  lar,  in  dem  AindlelTten  lar 
Rtimer  steur  lar. 

(///(./,.  p.  10 1.) 


XXV. 

Rescril  des  éiliecins  de  Miujdebouig  coiiccrnaiil  le  droit  héréditaire  flamand. 

(1559.) 

Sprechen  wir  Schôppen  zu  Magdehurg  vor  Recht,  dasz  an  eincm  Ort  Landes,  nahc 
bey  .Alagdeburg,  gelegen  ûber  die  Elben,  im  Fleminçi  genannt ,  im  tôdtlichen  Absterben 
der  Eheieule  mit  den  nachgelassenen  Giitern  und  Erbc  nach  Ubunge,  Gebrauch  und 
aller  verwchter  Gewohnheit  desselben  Ort  Landes  dermaszcn  gchalten  wird",  nemlich 
wenn  in  dem  Flemiiirj  eiiw  cheliche  Persohn  Todcshalben  abgangcn  und  verhliehen  ist, 
und  sein  ehelich  Gemahl,  \\  cil)  und  Mann,  sambt  Leibes-Erben  und  Gûlcrn  bat  nach 
sicji  geiassen  ,  alsdcnn  nimbt  die  Frau  oder  Mann  so  am  Leben,  die  helffte  aller  gelasse- 
ncn  Giiler,  und  die  Kinder  die  andere  helITtc.  An  Mangel  aber  der  Leibes-Erben,  so  hat 


DOCUMEi^ïS  ET  PIECES  JUSTIFICATIVES.  365 

die  verstoibene  Persohn  des  Ehcsiandcs  aile  ihre  Guter,  die  zu  Erbe  iind  Erbreclilo 
gehôren,  aiit' sciiieii  gelasseneii  Eiiegalten  die  iielirte,  und  auch  scinen  neclisleii  Erbneh- 
nien  die  andere  heliTte ,  nacli  obbcnieldter  Flemischer  Gewolmlieil  gebraclit,  und  gefallet 
von  Rechtswegen  vcrsiegeli  mit  unserm  Insiegel. 

(Werscbe,  Il ,  p  683  ^ 


XXVI 

Henri  Vighe,  éciiyer,  surnommé  le  Hollandais,  vend  des  parcelles  de  terre,  situées 
à  Vlhlede,  aux  architectes  de  l'église  Saint-Michel,  à  Brème. 

(l-i77.) 

Fck  Hinric  Vighc  andcrs  geheteri  de  Holler,  I)ek<'nne  und  lictiige  opcnbar  in  dessen 
Brève  vor  my  unde  myne  recliten  Erven  so  alze  zeiige  [Jermen  van  Wersebe  unde  Hemien 
sin  Sone  und  Johan  van  Wersebe  Carstens  Sone  my  unde  mynen  Erven  vortydes  hebben 
verkofi  vor  soslig  lîremer  Mark  desset  nascrcvcn  Gud  to  utiede  belegen  nomptiiken  een 
verdcndcellandes  unde  veer  were  gelegcn  im  deni  Dorpc  unde  an  dem  Vclde  upp  der 
Ghest  unde  an  der  Marsch  myt  aller  Reehligheil  unde  tobehoringe  nae  vunhoide  twyer 
bôvet  Brève.  Des  dcn  cnen  Herman  van  Wersebe  Hermen  sin  Sone  unde  Joban  Carstens  Sone 
unde  den  andcren  Breff  Hinric  van  Wersebe  Knapen  besegeld  liebben  welke  Guder  unde 
Brève  erbenand  ick  nu  jegcuwardigen  —  so  ik  der  een  roelu  Holder  bin  —  hebbe  verkoft 
unde  myt  crafft  desses  Brèves  verkope  lo  enem  steden  vasten  ewigen  Ervekope  in  unde 
niyl  erafft  deses  Brèves  den  bcscbcdcnen  Ludcn  Alaricn  Oldgors  unde  Bcyneken  Sanders, 
Buwmeslers  der  Kei'cken  Sunte  Micbaciis  vor  Brenien  belegen  unde  ereii  ÎVakomelingen 
vor  ene  bescheden  summen  Geides  de  my  deger  unde  allowilien  we!  betald  is  unde  late  on 
de  Guder  unde  Brève  in  cren  egendiim  l)csittinge  unde  wcre  so  men  erve  Guder  myt  rechte 
lalen  sehal  und  ik  Hinric  \'igbe  unde  inyiie  Erven  willen  unde  Scbiillcn  den  erbnand  Buwc- 
mcsteren  to  Sunte  Michaeie  unde  cren  Nakomelingen  Buwmesters  der  vorgenanden  Guter 
unde  hovet  Brève  myt  aller  Rechticbeit  unde  tobehoringe  Reehte  warende  wesen  unde 
warschiip  von  wann  unde  so  vaken  on  des  bederf  is  unde  dat  van  uns  esschct  edder  esseben 
latct  ane  unsse  weddersprake,  etc.  — Desto  Tugc  hebbe  ik  Hinrick  Vicghe  erbenant  vor 
my  unde  myne  erven  boren  unde  ungeboren  myn  rechte  yngeseg,  to  voren  to  dessen  Brève 
gehangen  unde  wenth  desse  vorscreven  ewige  ervekop  myt  unsscm  guden  Willen  unde 
ganlzcr  vulbord  is  gcscheen  yn  Malhe  alze  vorscreven  steyt.  So  hebben  \vy  Frédéric  de 
Huiler  des  gcnand  Hinrikes  Broder  ok  m'ge  (?)  Hinric  de  Holler  des  genand  Hinrikes 


366  HISTOIRE  DES  COLONIES  BELGES. 

veddcre  unde  Johun  de  Hollcr  Fredcrikes  Sone  Knapen  vor  uns  nnde  unsse  Ervcn  unsse 
reohten  ingcs,  lo  moicn  Tiichenisse  of  lo  dcssen  Brève  gehangen. 

(ievcn  na  Godes  Bord  verteinhunder  Yar  dar  nae  in  deni  seven  unde  seventigeslen 
y-Are  am  avcnde  Cosme  et  Damiani  niart. 

( Archiv  des  Verein?,  fur  Geschiclite  und  AlterlhDmer  rter  llei- 
zoythumer  JJremen  und  Verden,  voii  K.  C.  H.  Kraiise,  Sladi', 
1S6Ô,  i,  p.  80.) 


XXVIL 


Albert  l'Ours,    marrjrave    de  Brandebourq ,   accorde  des  privt'lér/es  à  la  ville  de  Sfoidal 

{fondée  par  les  Flamands). 

.Albcrtus,  divina  faventc  clemcntia,  Brandcburgcnsis  IMarchio.  ^'oIuln  sit  omnibus 
Christi  iideiibus  tam  pracscntibus  quani  futuris  qualilcr  ego  Adeibcrtus  Dei  gralia  !\Iar- 
ehio  in  terra  ditionis  nicae  quae  dioitur  Balsameriand  forum  reruni  venalium  inslitui  in 
propria  villa  mea  quac  appellatur  Stcndale  ;  eum  antea  competens  in  terra  iila  forum  non 
esset  ubi  legem  hanc  merces  suas  illuc  advenienlibus  indulgcri  piacuit,  quatenus  a  die 
instilutionis  hujus  exinde  per  quinquennium  telonii  jura  nnnquam  persoivore  cogerenlur, 
incolas  vero  memoralae  villae  in  tn-bibus  ditionis  meae,  Brandenbourg,  Havelberg,  Wer- 
bene,  Arneburg,  Tanghermunde,  OEstcrburg ,  Saltvvcdele,  et  cunctis  locis  attinentibus 
ab  omni  telonei  exactione  in  perpetuuni  absoivimus.  Insuper  eisdem  per  omnia  justitiam 
Magdcburgensium  civium  concessimus ,  eujus  si  forte  aiiquando  apud  eos  exccutio  non 
valuerit,  in  Magdeburgensi  civitate  justitiam  suam  ipsos  exequi  oporlebit.  Areas  supra 
nominatae  villae  haercditario  et  libcro  eis  jure  concessimus  quatenus  vendendi  et  pro 
arbitrio  suo  disponendi  liberam  habeant  facultatem,  eo  tamen  modo,  ut  censum  earum 
arearum,  quatuor  videlieet  nummos  annuatim  exinde  persolvant.  Judicialis  potestas  prae- 
Cecturae  judicialis  praefatae  villae  Siendale  honiini  mco  Oitoni  ex  meo  bcncficiato  jure 
nbvenit,  ubi  duac  partes  mihi,  tertia  vcro  praefato  Ottoni  aut  heredi  ejus  jure  debetin-. 
Forum  vero,  qui  illo  postmodum  inliabilaturi  advenicnt ,  cum  incolis  praeteriti  temporis, 
tam  in-  agris  quam  in  pascuis  et  silvis  caeterisque  rébus  aequa  in  portione  esse  decre- 
vimus.  Hujus  rei  testes  sunt  Otto  Marcbio,  Wernberus  comes,  Tlieodoricus  de  Than- 
germunde,  Sifridus  de  Arneburg,  liominnmque  et  ministerialium  meornm  quamplures. 

(  ttiicliliolz  ,  Ceschichte  der  Mari:  Urandenburg.  ) 


DOCUMENTS  ET  PIÈCES  JUSTIFICATIVES.  567 

xxvm. 

Formules  de  cerli/tcnt  du   Kirchgamu. 
I.  —  A.  Heuingen. 

EIn  hocringtsclier  Ktrcbgaiit;Nbrler. 

Zu  wissen  : 

Deninacli  cin  Singiilare  ius  consuetudinarium ,  das  tlàmische  Redit  genannt,  —  vcr- 
iiiôge  dessen  ein  jeder  Hauswirth,  welcher  in  liiesigcm  Feld  und  Flulir,  iind  zwar  vor 
dcni  Ilorti ,  in  dcin  Horn,  liintcr  dcni  Horn,  wic  aiicli  im  Brcitcniand  und  in  Eller  gelo- 
gcnes  Land  inid  Wiesen  besizzct,  und  verehclifhl  ist,  um  dicscs  seines  Ehestandes  einon 
Kirehgang  zu  hallen  schuldig,  wenn  er  anders  niclit  in  gnâdigster  Herrschafi  Stral'e,  die 
sieh  auf  dcn  dritten  Theil  solhancr  Lànderei  und  Wiesen  erstrecket,  bekannterniassen  ver- 
fallen  wil ,  —  von  undenkliclien  Jahren  hieselbst  introducirt,  und  bis  daher  unausge- 
selzt  exereirt  worden,  und  deni  laut  untengesezten  Dalo  aueh  der  N.N.  (Name)  mit  dessen 
Frau  Eheliebslen,  ein  solch  Jtts  observirt,  und  uhrallen  Gebraucb  naeh,  ibren  sâmnitli- 
cben  (liiniingiselien  Grundsiiicke,  an  obbenannten  Orten,  mit  eineni  so  genannten  ganzen 
flàmingiseben  Kirebgange,  bei  Gottlob,  gesunden  Tagen,  zur  Kireiie  und  Strassen  ver- 
kirchganget,  und  die  gewôhniiebe  Kircbgangspfliciil allciseits  vôHig  beobaclitet,und  rea- 
liter pràsliret  baben  :  Als  ist  wobiermeldeten  Herrn  N.  und  dessen  aucli  gedacblen  Frau 
Elieliebslen  dièses  zur  Bescbeinigung  ailes  dessen  in  Gegenwart  eines  lioeinvohierwïndigeii 
Miiiislerii,  als —  {nun  fohjen  die  Narnen  der  Geistlidien,  Scimhen  und  flàniin/jer),  wis- 
sentlicli  und  wohlbedàchtig  ausgeslellet  worden.  Allermassen  die  hernachsiehenden  drei 
Herrn  Sebulcollegen  diesen  Acium,  mittelst  eigcnbàndigcr  Untcrscbift,  attestiren  und 
bezeugen.  So  gesebeben,  Heeringen  ani  i\.  Tage,  Monals  iN.  war  Monlag  naeh  N.  Sams- 
lage  (Name  des  Soiiiislags)  des  Jabres  N.  naeh  Jesu  Cbristi  Geburt. 

N.  Rector.  —  N.  Cantor.  —  N.  Aeditlis. 

II.    A.    GÔRSBACH. 

In  Gorsbach  nlrd  er  so  einserichlet. 

Wir  N.  Pasior,  N.  Diaconvs,  N.  Cantor,  i\.  Sebultbeisz,  N.  N.  N.  N.  die  vicr  verord- 
neten  Vormùnder  derGemeine  Gorsbach,  ibun  hiermit  kund,  en  bekennen,  dass  N.  und 
N.  geborne  N.  seine  ebelicbe  Hausliau,  rccbter  und  gewôhnliclicr  Weisc,  da  sie  obne 
jemandes  Hiilfe  mil  gesundem  Leibe  zur  Kirclien  und  Strassen  liaben  gehen  konnen,  von 


368  HISTOIRE  DES  COLOMES  BELGES. 

alli-ii  ihrcii  tlainisclicn  Gùtern,  die  sie  liabcn,  und  noch  bekommen  môgcn,  gekircli- 
gaiigci,  iiml  iillc  KiiThgiingspflichten  und  Gobiihr  gcgobcMi  und  abgeslattci,  ihun  derowegen 
solchcn  Kiieligang  von  Gottcs  und  des  durchlauchiigsU'n  Fûrslen  und  llcnni  N.  N.  Fùr- 
sten  von  Schwarzburg,  und  des  hociigebornen  Grafcn  und  Herrn  iN.  N.  Grafen  von  Stoll- 
berg  und  Rossia,  unserer  gnàdigsien  und  gnadigen  Herrn  wcgen,  eonfimiiren  und  bcstà- 
ligen,  dass  er  Kraft-Macbt  babcn  soll.  Gescbohen  Gorsbacb,  u.  s.  w. 

(Unterschrift.) 
III.  —  A.  Berga. 

Drr  I.elinlirle(  in  Bcrgn  wlrd  von  dcni    %nilniann  in  Kciltrii 
ausgcstelt,   und  iiclsst  un  : 

Zu  wissen  : 

Das  vor  niir,  dem  Ratb  inid  AnUmann,  hcutc  (Dalo)  —  albier  crschienen  N.  Amts- 
Schultlicisz  und  Obcrflàmer  aus  Berga,  nebst  dcni  Canlore  N.  imgleicben  N.  dem  \'or- 
und  N.  dem  Langcn-Riclhs  Schultheisscn  daselbst,  und  brachten  gcziemcnd  vor,  wie  N. 
und  sein  Weib  N.  geborne  N.  aus  N.  fliimiscben  Gebrauch  nacb,  iiber  8  Aecker  und 
Wiesen,  im  Vor-Riethc  gelegen,  bei  ihnen  gemuthet,  baten  demnacb,  selber  gewobnli- 
cher  Maassen  einen  Kirebgangsbrief  iil)er  erwàbntes  Ortes  Sliicke  zu  erdieilen.  A\  ie  nun 
solch  ihr  Sueben  dem  Ilerkomnien  gemiisz  befunden  worden,  so  bal  man  bierubei-  kein 
Bedenken  getragen,  sondern  allfort  unter  des  hocbfiirstiicben  Amts  Hand  und  Siegel 
solchen  ausgefertigt ,  so  geschehen  Kelbra,  u.  s.  w. 

Ambt  Kelbia.  N.  N-  AMTMA^^. 

(Hoclie,  Historische  Uutersuchung  Uher  die  Xiederlândischcn 
Kolonien,  etc.,  pp.  107-109.) 


XXIX. 

Vmi  dycken  ende  dyckieclit  '. 

Costume  van  Waze  le  bedykene  est  talis,  quod  quorum  sunt  agri  a  mare  occupati ,  si 
fuerint  qui  vebnt  eos  aggerare,  oblinent  vciroy  sive  consensum  principis,  et  tune  moneni 
alios  qui  habent  agros  inundatos  ut  inlra  certum  tempus  veniant  coniribuentes  secum , 
aiiàs  perdent  suas  terras.  Hoc  videlur  contra  rationem,  maxime  contra  illos  qui  non  lia- 

'  Par  Jnoques  de  Blazere,  premier  présideul  et  vice-président  du  Conseil  de  Flandre,  du  24  décembre  1327 


DOCUMEÎNTS  ET  PIECES  JUSTIFICATIVES.  369 

bent  pecuniam  ad  manum.  Sed  tanu'ii  de  jure  potest  sustineri ,  pcr  L.  Si,  Cod.  de  jure 
reipublieac ,  lib.  XI. 

Servalur  in  stylo  aggcrandorum  fundorum  adversus  marc  dut  daer  es  eeii  meentenare  qui 
est  prelccliLs  opei'i,  die  rerzoïtcl  zijn  ne.mers,  et  sunt  illi  qui  certo  precio  accepto  et  con- 
vento  cum  illo  meentenaere  capiunt  faciundos  aggeres  centuin  vci  L  mensurarum  vel  alio 
numéro.  Tune  sunt  ccrti  LEnr,nERS,  et  sunt  iili  quorum  est  waze  sive  terra  que  aggeril)us 
cingitur.  Et  illi  habenl  ad  hoc  octroy  a  principe ,  et  cuni  illis  admittiintur  omnes  qui  prius 
ibi  terrant  liabuerunt,  si  conférant  denarios. 

Estetiam  consuetudo  quod  dum  iMEENTENAUE  conducil  taies,  ipsi  nemers  faciunt  sibi  cau- 
tionem  quod  bene  operabuntur  et  complebunt  opus.  Et  illa  caulio  est  plerumque  quod 
omnes  nemeus  sunt  sibi  inviccin  bonjhers  ckk  voor  al.  El  si  ipse  jieentenare  non  cepil  cau- 
tionem  suffîcientem  a  nemers,  iinputct  sibi  si  fugiunt. 

Esletiam  moris  facerc  eoi  eveiiinrjlie ,  hoc  est,  cuilibet  nicnsiire  terre  subjecto  periculo 
imponitiM-  certus  numerus  secundum  bonitatem  terre.  Et  tune  ponunt  sepe,  1res,  4  vel 
quinque  mensuras  stériles  contra  unamfertilem,  et  secundum  hoc  fit  eontributio  ad  agge- 
rum  sumptus. 

Est  eliam  vnlgata  consuetudo  d(U  de  lecgiiers  bedijekeii  al  dal  zij  hij  oclroy  veniiofjlwn 
alsser  nitment  en  comt  binnen  kerajheboden  oni  zyu  lundi  oft  rechl.  Et  fundatur  de  jure 
per  Berther.  verbo  dunus  (?..),  verso  XXXIJ". 

(D'après  l'original,  reposant  aux  Arcliivcs  du  Consoil  de 
Flandre,X,H»42,fol.'i3.) 


FIN    DES    DOCUMENTS     ET    DES     PIÈCES    JUSTIFICATIVES. 


Tome  XXXII. 


TABLE  DES  MATIERES. 


AVANT-PROPOS ,„ 

INTRODUCTION 1 

1  I.  Emigrations  des  Germains,  en  général,  et  des  Belges,  en  particulier  (conquêtes, 

pèlerinages,  croisades,  voyages,  expéditions  guerrières),  faites  presque  toutes 
avec  esprit  de  retour Ib. 

2  II.  Emigrations  ayant  un  caractère  de  perpétuité ,  faites  sans  esprit  de  retour.  Colonies 

belges  en  Allemagne  aux  douzième  et  treizième  siècles 8 

§111.  Enoncé  de  la  question.  Sources  de  la  matière:  peu  ou  point  dans  les  Pays-Bas; 

presque  toutes  en  Allemagne 17 

§  IV.  Situation  de  la  basse  Allemagne.  —  Slaves  et  Germains.  Antipathies  de  races.  Guerre 

d'extermination.  Dépeuplement.  —  Appel  fait  par  les  prélats  et  les  princes  aux 

peu|)les  des  Pays-Bas 2S 

I  V.  Causes  qui  amenèrent  les  émigrations  des  Belges 33 


PREMIÈRE  PARTIE. 

HISTOIRE  DES  COLONIES  BELGES  QUI  S'ETABLIRENT  EN  ALLEMAGNE 
AUX  Xll"»'  ET  XIII""^  SIÈCLES. 


DIVISION  I. 

Colonies  fondées  par  des  prélats. 

CHAPITRE        I.  Brème  (H06) 33 

—  II.  Holstein  (1120) 67 

§     I.  Cercle  de  la  Wilster 69 

§    II.  Cercle  de  la  Stôr 71 

§  III.  Cercle  d'Elmshorn.  72 


372  TABLE  DES  MATIERES. 

Page-.. 

CFIAPITRE      III.  Thuringc 74 

g      I.  Goldcne  Aùc{ll-i7) 75 

§    H.  Erfurt  (1153) 80 

I  m.  Naumbours(llô7) 82 

—  IV.  Misnic(113G) 87 

—  V.  Anhalt(M59) 90- 

—  VI.  MagiIcI)Ourg  (llf)7) 95 

—  Vil.  Basse-Lasace  (avant  liOOj ■    .     .  97 

—  Vill.  Silésie  (treizième  siècle) 99 

g      1.  Basse  Silésie 100 

§    II.  Jlaiite  Silésie lOS 


DIVISION  II. 

Colonies  fondées  par  des  princes. 

CHAPITRE         I.  Wagrie(ll4ô  ou  ll4'i) lOfi 

—  II.  Branclei)ourg(M4()) 110 

—  III.  Cercle  de  Jùterbock   (M  30) 121 

—  IV.  Cercle  de  Bitlerfcld   (1153) 133 

—  V.  Saxe-Éleclorale  (llo7) 141 

—  VI.  Mecklcnboiirg    (MGO) 143 

=  _           VII.  Laucnhourg  (1160) 146 

—  VIII.  Poméranic  (après   1200) 148 

—  IX.  Ukermarck  (treizième  siècle) 1 49 

—  X.  Autriche  (1208) 154 

—  XI.  Pays  de  Culm  (avant  1232) 155 

—  XII.  Cercle  de  Lebus  (avant  1262) 156 


DEUXIEME  PARTIE. 

DROIT.S  ET  PRIVILÈGES  IMPORTE.^  OU  OBTENUS  PAR  LES  BELGES  EN  ALLEMAGNE. 


Préliminaires 159 

g    I.  Installation  des  colons  dans  les  endroits  qui  leur  étaient  assi- 
gnés   /fc- 

g  II.  Droit  flamand.  Droit  hollandais.  Observations  générales.     .     .  165 

CHAPITRE        I.  Droits  généraux 170 

Sectio.\       I.  Droit  de  liberté /6- 

—         II.  Droit  de  propriété 171 


TABLE  DES  iMAÏlÈRES.  375 

Pages. 

CHAPITRE       I.        Section     111.  Droit  de  juridiction  indépendante 170 

§      I.  Pouvoir  administratif 178 

§    II.  Pouvoir  judiciaire 181 

—  IV.  Droit  de  succession 183 

§     I.  Droit  de  transmission  ou  d'adhéritance     .     .  184 

§    II.  Droit  d'hérédité 180 

V.  Droit  de  conserver  leurs  propres  mesures IIM 

—             H.  Droits  spéciaux l'JiJ 

Section        I.  Brème /^• 

—  II.  Holstein I'J9 

g      I.  Cercle  de  la  Wilster Ib. 

%    II.  Cercle  de  la  Stor ' 202 

—  III.  Thuringe 204 

g      I.  Goldene  Aùc Ib. 

1.  Kirchyaiicj 205 

II.  Serment  sans  vahe 217 

§    II.  Erfurt 222 

§  III.  Cercle  de  Naumbourg 233 

—  IV.  Misnie 253 

—  V.  Anhalt 241 

—  VI.  Silésie 244 

—  VII.  Brandebourg 231 

—  VIII.  Bittcrfeld , 234 

—  IX.  Saxe  électorale 263 

—  X.  Autriche 2CC 


TROISIEME  PARTIE. 

DE  L'INFLUENCE  DES  COLONIES  SUR  LA  CIVILISATION  DE  L'ALLEMAGNE. 


Préliminaires 267 

Section        I.  Fondation  de  villes  et  de  villages 271 

—  II.  Religion 273 

—  III.  Églises.  —  Architecture.  —  Matériaux  de   construc- 

tion    276 

—  IV.  Langue.  —  Traditions 284 

—  V.  Endiguements  et  dessèchements 297 

CHAPITRE     I.  Coutumes  usitées  dans  les  Pays-Bas  et  surtout  en  Flandre  sur  le  dicage.  298 

—          II.  Dessèchements 502 

§       I.  Polders Ib. 


374  TABLE  DES  MATIERES. 

Page 

g      II.  Marais 304 

§     III.  Walcringucs 507 

CIIAPITHE  III.  Coutumes  usitées  spécialement  en  Hollande,  en  Zélande  et  en  Frise.     .  j08 

§       I.  Inondations 309 

g      II.  Art  de  construire  les  digues 312 

§    III.  Fonctionnaires 515 

§     IV.  Mode  de  construction 314 

g      V.  Ustensiles 51.') 

—         IV.  Pays  où  les  Belges  établirent  des  digues 517 

§        I.  Brème Ib. 

%      II.  Ilolstein 5J9 

§    m.  Thuringe 520 

%     IV.  Anhalt 521 

§      V.  Magdebourg 322 

§     VI.  Brandebourg Ib. 

Section     VI.  Agriculture 524 

g        I.  État  de  l'agriculture  en  Belgique  aux  dou- 
zième et  treizième  siècles 52.*i 

§      II.  Mode  de  culture  pratiqué  dans  les  Pays-Bas.  527 
§     III.  Des  résultats  agricoles  obtenus  parles  colons 

belges  en  Allemagne 550 


DOCUMENTS  ET  PIECES  JUSTIFICATIVES. 

1.     Colonisation  du  village  de  Woesten  par  Thierry  et  Philippe  d'Alsace  (1161)     .     553 
il.      Frédéric,  archevêque  de  Brème,  accorde  des  privilèges  aux  Belges  qui  s'établis- 
sent dans  son  diocèse  (llOti) 554 

III.  Lettre  de  vente  entre  Jean  de  Campe  et  Jean  de  Nieukerke  (1540) 555 

IV.  Borchard,  comte  de  Mansfeld,  fait  don  d'une  ferme  flamande  à  l'abbaye  de 

VValkenricd  (I2GC) 336 

V.      Borchard,  de  Scrapclowe,  fait  don  de  quatre  fermes  flamandes  à  la  même 

abbaye  (1282) 557 

VI.      Henri  de  Sangersbausen  et  Frédéric  de  Berga  vendent  à  la  même  abbaye  la 

.    ferme  dite  Vlemingesgut  (1291) Ib. 

VU.      L'abbé  de  Walkenried  cède  l'usufruit  de  deux  champs  flamands  (1512).     .     .     358 
VIII.      Wichmann,  évêque  de  Naumbourg,  accorde  des  privilèges  aux  Belges  établis 

dans  son  diocèse  (1152) Ib. 

IX.      L(^  même  cède  à  son  église  le  revenu  du  marché  de  la  ville  de  Naumbourg 

(1152) 359 

l.\''".  Berthold,  évêque  de  Naumbourg,  attribue,  par  échange,  à  l'abbaye  de  Porta, 

le  village  de  Flemmingen  (1205) 540 

-K.      Extraits  de  la  Chronique  de  Porta,  relativement  aux  Belges  du  Naumbourg.     541 


TABLE  DES  MATIERES.  ÔT.'i 

Pages. 

XI.      Jean,  évèquc  do  Misnic,  conlinnc  la  vente  du  village  de  Korvii,  (iiile  au.\  Fla- 

niands  par  son  pi'édéce.sseur  Geruiig  (1514) 545 

XII.      L'abbé  de  Ballensledl  vend  deux  villages  wendes  aux  Flaniauds  (Ilo'J)     .     .  34i 

XIII.  Conrad  II ,  duc  de  Silésic,  fonde  le  village  de  Zedlilz  d'après  le  droit  teuto- 

flamand  (I2IJ7) 54;» 

XIV.  Le  même  fonde  le  village  de  Pogel  d'après  le  droit  flamand  (1259) 54(i 

XV.     Othon  IV,  duc  de  Silésie-Breslau  ,  accorde  à  la  ville  de  Kreusbourg  le  droit  fla- 
mand (1274) ."47 

XVI.      Les  ducs  d'Oppeln  et  de  Ratibor  établissent  une  cour  supérieure  pour  tous  les 

villages  fondés  dans  leurs  États  d'après  le  droit  flamand  (1 280) 54X 

XVII.      Henri,  évcquc  de  Breslau,  restitue  à  la  ville  de  Neisse  le  droit  flamand  (1510).  54!l 

XVII"'.  Sur  l'origine  de  la  Socit'ïe  (/es  F/a)»((Hrfs,  à  Bitterfeld 3;j(l 

XVIII.     Extiails  de  la  Chronique  de  Billerf'eld ,  relativement  aux  Flamands  de  ce  bail- 
liage   551 

XIX.      Première  notification  faite  aux  Flamands  de  Bitterfeld  par  le  receveur  royal 

des  impôts  (1726) 352 

XX.      .Seconde  notification  faite  aux  Flamands  de  Bitterfeld  par  le  même  receveur 

(1750) 555 

XXI.      Réponse  des  Flamands  (1730) Ib. 

XXII.      Nouveau  code  des  Flamands  de  Bitterfeld  (177f)) 555 

XXIII.  Ancien  code  des  Flamands  de  Bitterfeld  (1587) 5(i2 

XXIV.  Léopold  le  Glorieux,  duc  d'Autriche,  accorde  des  privilèges  aux  Flamands  de 

SCS  États  (1208) 5(15 

XXV.      Rescrit  des  échcvins  de  Magdebourg  concernant  le  droit  héréditaire  flamand 

(1539) 5C4 

XXVI.      Henri  Vighe,  le  Hollandais,  vend  des  parcelles  de  terre  aux  architectes  de 

l'église  Saint-Michel,  à  Brème  (1477) 5(i5 

XXVII.      Albert  l'Ours,  marquis  de  Brandebourg,  accorde  des  privilèges  à  la  \ille  fla- 
mande de  Stcndal  (1 145?) 36() 

XXVIII.      Formules  de  certificat  du  Kirchgang 567 

XXIX.       Van  dyrkeii  ciiile  ilijckreclit  {i5-27) 368 


Hy    DE    L.4    TABLE    DES    MATIERES. 


ÉCOLE  FLAMANDE 

DE  PEINTURE. 

CARACTÈRES  CONSTITUTIFS  DE  SON  ORIGINALITÉ, 


M.  A.  WIERTZ, 


ARTISTE    PEINTRE. 


(Monioire  couronné  le  2i  seplenilïre   1863.) 


Palrii 


Tome  XXXII. 


y 


ÉCOLE  FLAMANDE 

DE  PEINTURE. 

CARACTÈRES  CONSTITUTIFS  DE  SON  ORIGINALITÉ. 


«  Déterminer  et  analyser,  au  triple  point  de  vue  de  la  composition,  du 
dessin  et  de  la  couleur,  les  caractères  constitutifs  de  roriginalité  de  récole 
llamande  de  peinture,  en  distinguant  ce  qui  est  essentiellement  national  de 
ce  qui  est  individuel.  » 

Cette  question,  posée  par  l'Académie,  est  une  idée  heureuse;  voici  poui- 
quoi  : 

L'art  aujourd'hui  est  entré  dans  une  période  de  décadence;  les  honnes 
traditions  s'oublient,  les  grands  maîtres  sont  incompris.  En  vain  l'on  cherche 
des  routes  nouvelles,  des  principes  nouveaux,  on  ne  produit  que  de  mal- 
heureux résultats.  A  défaut  de  qualités  solides,  on  vise  à  l'originalité,  une 
originalité,  hélas!  (|u'on  ne  saurait  louer.  L'extravagance,  la  fantaisie,  le 
caprice,  les  modes,  tout  cela  semble  remplacer  le  génie,  l'étude  et  le  lalenl. 
On  nie  Phidias,  on  nie  Raphaël,  on  nie  Rubens,  on  nie  tout  ce  que  la  raison 
a  de  tout  temps  admiré ,  tout  ce  que  les  siècles  ont  constamment  approuvé. 
Le  culte  du  beau  est  dans  un  désarroi  complet. 

Cet  étal  de  choses  a  des  conséquences  funestes.  L'Académie  l'a  senti  el 
elle  s'en  est  émue.  Elle  a  compris  le  danger  que  courent  nos  jeunes  artistes; 


4  ÉCOLE  FLAMANDE  DE  PEINTURE. 

on  bonne  mère,  elle  a  jelé  un  cri  de  rappel,  et  ce  cri,  c'est  la  question 
qu'elle  vient  de  poser. 

Parler  de  l'école  flamande  alors  qu'on  ne  l'étudié  plus,  parler  de  conipo- 
silion  alors  qu'on  ne  sait  plus  composer,  parler  de  dessin  alors  qu'on  ne  sait 
])lus  dessiner,  parler  de  couleur  alors  qu'on  ne  sait  plus  colorier,  parler  d'ori- 
ginalité alors  qu'on  cherche  l'originalité  dans  le  faux,  dans  Tabsurde,  parler 
de  tout  cela ,  n'est  -  ce  pas  ébranler  l'esprit  des  successeurs  de  nos  grands 
maîtres?  N'est-ce  pas  leur  dire  :  Revenez  au  giron  de  la  grande  école!  Secouez 
le  joug  des  modes  corruptrices!  Abandonnez  les  principes  erronés,  les  puéri- 
lités ridicules!  Revenez,  revenez  aux  études  sérieuses  et  viriles!  Tâchez  de 
régénérer  cette  superbe  école  flamande,  l'admiration  des  siècles,  la  gloire  de 
voire  pairie  ! 

Telles  sont  les  raisons  qui  nous  font  dire  : 

La  question  posée  par  l'Académie  est  une  idée  heureuse. 

Nous  savons  combien  nous  sommes  téméraire  en  écrivant  ces  lignes ,  com- 
bien la  lâche  que  nous  nous  imposons  ici  est  au-dessus  de  nos  forces;  mais 
on  nous  pardonnera ,  nous  l'espérons ,  en  faveur  de  noire  sincérité  et  de  nos 
convictions. 

Sans  autre  préambule,  nous  entrons  en  matière;  nous  tâcherons  d'être 
clair,  vrai  et  concis. 

Nous  divisons  ce  travail  en  trois  parties  :  la  première  est  consacrée  à  la 
composition,  la  deuxième  au  dessin,  la  troisième  à  la  couleur.  Nous  termi- 
nerons par  un  chapitre  concernant  l'école  flamande  moderne. 


L'ECOLE. 


L'école  flamande,  c'est  Técole  de  Rubens;  c'est  cette  pléiade  d'artistes  qui 
marcha  sur  ses  traces.  Avant  eux,  notre  peinture  a  peu  d'éclat,  elle  n'a  pas 
un  caractère  national  bien  décidé.  Après  eux,  l'école  flamande  tombe  dans 
une  dégénérescence  fatale.  L'époque  glorieuse  de  notre  peinture  est  donc  celle 
de  Rubens  et  de  sesdisci|)les,  et  cette  époque,  si  féconde  en  grands  peintres, 
finit  pour  ainsi  dire  avec  eux. 

De  notre  temps,  une  dernière  étincelle  des  vieux  maîtres  brillait  encore  : 
celte  étincelle,  c'était  Ilerreyns. 

Si  l'on  étudie  attentivement  l'école  flamande,  si  l'on  cherche  les  bases  sur 
lesquelles  s'appuient  ses  principes,  on  reconnaît  tout  d'abord  quelle  est  son 
origine  : 

L'Italie  est  sa  mère. 

Florence  l'inspire  dans  le  choix  de  la  forme  et  ragencement  des  groupes. 
Venise  lui  a|)prend  les  charmes  de  la  couleur,  les  secrets  du  clair-obscur. 
.Michel-Ange,  Raphaël,  Vinci,  Corrége,  Titien,  Véronèse,  sont  tour  à  tour 
interrogés  par  elle. 

De  tous  les  sucs  recueillis  en  Italie,  le  fondateur  de  l'école  composa  son 
miel.  C'est  à  ce  trésor  de  science  que  tout  un  peu|)le  d'artistes  vint  puiser 
à  pleines  mains. 

Les  grands  peintres  impiiment  toujours  dans  leurs  œuvres  deux  cachets  : 
lun,  celui  de  leur  originalité  propre;  l'autre,  celui  des  maîtres  qu'ils  ont  étu- 
diés. C'est  une  loi  éternelle. 


fi  ECOLE  FLAMANDE  DE  PEINTURE. 

Ainsi,  lo  chef  de  l'école  flamande  allie  à  Pari  italien  ses  qualités  indivi- 
duelles, et  cette  association  lui  permet  d'atteindre  aux  plus  heureux  résultats. 
Le  génie  greffe  sur  le  génie  produit  des  fruits  merveilleux. 

L'originalité  est  ou  n'est  pas  une  (|ualilé  louable  :  certains  talents,  cer- 
taines écoles  se  caractérisent  par  une  originalité  hlàmable.  Disons  de  suite 
que  l'école  llaniande,  elle,  se  distingue  avantageusement  par  les  qualités  qui 
lui  sont  propres.  Son  originalité  est  tout  au  profil  de  sa  gloire. 


PREMIERE  PARTIE. 


COMPOSITION. 


Par  composilion,  il  faut  entendre  l'assemblage  des  divers  objets  contenus 
dans  un  tableau.  Cet  assemblage  a  des  règles  nombreuses,  elles  sont  généra- 
lement connues  :  nous  ne  citerons  que  celles  (lui  sont  nécessaires  à  nos 
observations. 

Bien  composer,  c'est  à  la  fois  charmer  les  yeux  et  parler  à  Tâme. 

La  composition  charme  les  yeux  lorsqu'elle  oITre  : 

Variété  dans  le  choix  des  objets, 

Grandeur  dans  la  disposition  des  lignes. 

Mouvement  dans  l'ensemble  des  masses , 

Perfection  dans  la  forme  des  groupes , 

Harmonie  dans  le  jet  des  lignes. 

Disposition  heureuse  dans  les  eflets  du  clair-obscur, 

Choix  d'objets  favorables  aux  charmes  de  la  couleur. 

Elle  est  expressive  lorsqu'elle  présente  : 

Une  ligne  synthétique,  caractéristique  du  sujet, 

Richesse  d'idées  caractéristiques , 

Unité,  économie  et  concision  , 

Choix  convenable  de  caractères ,  de  formes  et  d'accessoires. 

Afin  de  faire  comprendre  clairement  notre  pensée  sur  la  composilion  , 
analysons  un  tableau  de  Rubens.  Les  œuvres  de  ce  maître  serviront  souvent 
dans  le  cours  de  ce  travail  :  le  caractère  de  l'école  flamande  est  tout  entier 
dans  son  chef. 


8  ECOLE  FLAMANDE 

Le  moiivemenl  des  lignes,  rarrangement  des  groupes,  la  variété  des  for- 
mes, la  disposition  des  masses,  tout  cela  peut-il  s'exprimer  parle  discours? 
La  plume  peut -elle  suivre  le  pinceau?  La  phrase  peut- elle  préciser  les 
ondoiements  de  la. ligne?  Nous  ne  le  pensons  pas. 

Qu'on  nous  permette  donc  de  joindre  le  crayon  à  la  plume. 


Voilà  Pesquisse  au  Irait  de  ce  tableau  du  grand  peintre  flamand. 

Nous  indiquons  par  lettres  alphabétiques   les   parties   auxquelles   nous 


DE  PEINTL'RE.  9 

renvoyons  le  lecteur.  Ainsi  notre  analyse  sera  plus  facile  et  nos  observations 
plus  intelligibles. 

Dans  la  composition,  Uubens  recherche  avant  tout  le  pittoresque;  Tidée 
toujours  est  subordonnée  à  l'aspect ,  soumise  à  cet  arrangement  séduisant  sans 
lequel  un  tableau  n'a  point  de  charme. 

En  composant,  la  première  ligne  que  trace  le  maitre,  c'est  la  ligne  synthé- 
tique (A)  :  elle  embrasse  toute  l'étendue  de  la  scène  ;  par  son  mouvement,  elle 
exprime  déjà  le  caractère  du  sujet.  Dans  le  tableau  des  Amazones,  cette  ligne 
est  une  déroule;  dans  celui  de  Constantin  contre  Maxence,  elle  est  un  choc; 
dans  la  Chute  des  Réprouvés,  un  écroulement. 

Dans  le  tableau  qui  nous  occupe,  la  ligne  synthétique  représente  une 
marche. 

La  première  ligne  tracée  (A) ,  Rubens  dessine  les  grandes  lignes  secon- 
daires (B)  :  elles  forment  des  masses  mouvementées  que  j'appellerai  embryon- 
naires. 

Au  milieu  de  ces  lignes  harmonieuses,  on  devine  déjà  des  êtres  animés, 
de  nombreux  groupes  d'hommes;  on  voit  de  l'agitation  partout,  partout  de 
la  vie.  Il  y  a  là  tumulte,  empressement,  elïort.  Il  y  a  là  un  effrayant  mou- 
vement de  sinistre  présage.  Il  se  passe  là  quelque  chose  de  grand  ,  d'impo- 
sant, de  terrible. 

Telles  sont  les  impressions  que  produit  ici  le  mouvement  des  masses 
embryonnaires. 


Voici  maintenant  la  composition  complétée  : 

Dans  celte  seconde  partie  de  son  travail ,  Rubens  apporte  la  variélé  dans  le 
choix  des  o^/e/s  ;  peuple,  soldats,  femmes,  enfants,  vieillards,  chevaux, 
étofles,  cuirasses,  ciel,  arbres,  plantes.  Après  cette  opération,  le  grand 
peintre  cherche  \vi  perfection  dans  la  forme  des  groupes  :  contrastes,  ron- 
deur, variété,  harmonie,  mouvement;  tout  ici  est  réuni.  Les  groupes  s'éta- 
lent lanlùt  en  pyramide,  tantôt  en  grappes.  Rubens  applique  la  forme  arron- 
die aux  sujets  tranquilles,  la  forme  élancée  aux  sujets  mouvementés.  Cette 
Tome  XXXII.  2 


iO  ÉCOLE  FLAMANDE 

dernière  forme  est  adoplée  ici;  les  deux  figures  (AA)  en  sont  un  exemple 
frappant  :  elles  caractérisent  à  elles  seules  la  manière  du  maître  :  les  jambes 
(BB)  sont,  au  point  de  vue  de  ragencement,  un  trait  de  génie  :  elles  expri- 
ment merveilleusement  rcmpre^ssement  de  la  marche  el  impriment  à  toute  la 
composition  un  entraînement  haVmonique.  Ces  trois  lignes  parallèles  sont  un 
coup  de  fouet  donné  au  mouvement  général. 

Les  clisposilions  heureuses  dans  les  effels  du  clair-obscur  favorisent  tout 
à  la  fois  le  dessin,  le  mouvemepl,  la  couleur,  l'expression  et  le  relief.  Ici,  les 
masses  d'ombre  et  de  lumière  sont  distribuées  avec  un  art  infini.  Il  y  a  variété, 
contraste,  opposition,  balancement;  Tobjet  se  détache  tantôt  en  clair  sur 
ombre  (C) ,  tantôt  en  ombre  sur  clair  (D);  de  toute  part,  jeu  continuel  du 
lununeux  et  de  l'obscur;  de  toute  part,  moyens  ingénieux  d'obtenir  des 
reliefs,  dos  contrastes  propres  aux  effets  et  des  effets  propres  à  la  couleur. 
Voyez  celte  masse  lumineuse  partir  du  pied  de  la  figure  d'avant-plan  (A); 
elle  marche,  marche,  gagne  le  dos  d'un  larron  (E),  la  croupe  d'un  cheval 
(F),  l'homme  qui  le  monte  (G),  et  se  perd  dans  les  clartés  du  ciel.  Voyez 
cette  autre  masse  lumineuse  commencer  à  droite,  au  pied  de  l'enfant  (H), 
s'étendre  sur  la  ^ladeleine,  sur  le  bras  d'un  bourreau  (I),  sur  le  soldat  à 
cheval ,  el  s'évanouir  dans  les  groupes  supérieurs  du  tableau.  Merveilleux 
enchaînements   dont  Rubens  seul  connaît  le  secret  ! 

Dans  le  choix  favorable  aux  charmes  de  la  couleur,  le  maître  est  inépui- 
sable en  ressources  ingénieuses  :  ici,  ciel,  terre,  figures,  draperies,  acces- 
soires, tout  concourt  à  la  splendeur  du  coloris. 

Les  chairs  de  l'esclave  qui  pousse  (A),  celles  des  bourreaux,  celles  des  lar- 
rons, des  enfants  et  de  la  Madeleine,  sont  dans  des  conditions  de  pittoresque 
admirable.  Au  moyen  de  la  masse  d'ombre  (K),  le  dos  de  l'esclave  prend  de 
la  vérité  et  de  l'éclat;, au  moyen  du  manteau  sombre  de  la  Vierge  (L),  la 
Madeleine  devient  fraîche  et  brillante.  Au  moyen  des  tons  sourds  du  terrain, 
le  groupe  d'enfants  resplendit  de  fraîcheur. 

Passons  à  la  richesse  d'idées  caraclérisliques. 

Voici  un  chemin  tortueux,  exprimant  la  montée  du  Calvaire;  des  hommes 
à  cheval,  exprimant  une  grande  escorte;  un  homme  sonnant  la  trompette, 


DE  PEINTURE.  dl 

expriiiianl  un  grand  événcmcnl.  Les  enfants  jouant  au  milieu  de  ce  drame 
navrant,  sont  une  antithèse  frappante.  Le  bourreau  saisissant  le  Christ  par 
les  cheveux,  offre  une  scène  de  férocité,  caractéristique. 

Le  choix  du  caractère  des  formes  et  des  accessoires  est  parfait  dans  cette 
admirable  composition.  L'esclave  qui  pousse  affecte  un  saisissant  cachet  de 
grandeur,  ses  formes  herculéennes  sont  bien  adaptées  au  sujet.  Le  dessin 
en  général  a  la  puissance  qui  convient  aux  temps  bibliques.  Cette  page  est 
homérique  par  le  fond ,  elle  devait  Têlre  par  la  forme.  l*eu  d'accessoires 
caractérisent  la  scène.  La  corde  dont  s'est  armé  le  bras  d'un  bourreau,  la 
pique  dont  le  Christ  est  frappé  sont  d'une  grande  force  d'expression,  deux 
accessoires  bien  choisis  et  bien  placés. 

L'unité,  l'économie  et  la  concision  sont  des  qualités  où  excelle  encore  le 
grand  maître  flamand.  Les  lignes  harmonieusement  jetées,  les  lumières 
savamment  concentrées,  les  repos  heureusement  distribués,  les  forces  adroi- 
tement placées,  constituent  une  parfaite  unité.  Ici,  les  regards  sont  attirés 
partout,  mais  l'œil  est  ramené  sans  cesse  vers  un  point  :  la  croix.  Effet  mer- 
veilleux !  cette  croix  semble  le  lien  qui  unit  toutes  ces  grappes  d'hommes. 

L'économie  dans  les  objets  accessoires  et  la  concision  dans  l'agencement 
des  groupes  produisent  tout  à  la  fois  force ,  grandeur,  clarté.  Nous  ne  voyons 
l)as  ici  un  objet  inutile;  les  groupes  sont  serrés  et  bien  nourris;  pas  une 
figure  ne  peut  être  ajoutée;  pas  un  objet  ne  jteut  être  retranché;  tout  est 
sagement  mesuré;  espaces  occupés  et  espaces  vides  sont  ce  qu'ils  doivent  être, 
rien  ne  peut  être  changé. 

La  ligne  de  Rubens  ne  se  corrige  point.  C'est  un  vers  de  Corneille. 


/ 


DEUXIEME   PARTIE. 


DESSIN. 


Il  est  une  beauté  que  n'apprécie  point  le  vulgaire,  c'est  la  beauté  pitlo- 
resque. 

Généralement,  l'on  confond  le  beau  pittoresque  avec  le  beau  sensuel.  Cette 
confusion  a  donné  lieu  à  bien  des  appréciations  fausses.  On  accuse  de  laideur, 
par  exemple,  les  formes  pittoresques  d'une  tète  de  vieille;  pourquoi?  Parce  que 
ces  formes  n'éveillent  point  d'idées  qui  flattent  les  sens.  C'est  dans  cet  esprit 
d'appréciation  que  l'on  juge  trop  souvent  le  beau  en  peinture.  Aussi,  quelle 
opinion  se  fait-on  généralement  du  dessin?  Les  hommes  peu  versés  dans  les 
secrets  de  l'art  vous  disent  :  le  dessin,  c'est  la  forme  sveltc,  élancée,  polie, 
arrondie;  le  dessin,  ce  sont  des  contours  bien  nets,  des  détails  bien  exacts, 
bien  finis.  Cette  définition  de  la  foule  a  été  funeste  à  la  renommée  de  l'école 
flamande  :  longtemps  on  n'a  vu  dans  les  œuvres  de  nos  maîtres  que  des  formes 
lourdes,  communes  et  incorrectes,  des  contours  indécis  et  négligés.  Ce  pré- 
jugé, comme  tous  les  préjugés,  est  accepté  sans  réflexion  et  sans  examen. 

Il  importe  de  combattre  ici  ces  erreurs  populaires. 

On  compare  sans  cesse  le  dessin  de  notre  école  à  celui  de  l'école  italienne  ; 
on  voit  dans  celle-ci  les  qualités  les  plus  parfaites,  et  dans  celle-là  les  défauts 
les  plus  grossiers.  Nous  en  demandons  pardon  au  préjugé,  nous  ne  sommes 
pas  du  tout  de  son  avis.  Nous  avons  des  raisons  pour  cela;  nous  allons  cher- 
cher à  les  faire  valoir. 

Le  dessin  n'est  précisément  ni  l'exact,  ni  le  fini.  Le  dessin  est  plutôt  l'en- 
semble, le  caractère,  le  mouvement,  l'expression,  l'ampleur,  la  variété,  la 
grâce,  la  vérité,  la  vie. 


14 


ECOLE  FLAMANDE 


-Nous  trouvons  toulcs  ces  choses  dans  le  dessin  italien ,  il  est  vrai  ;  mais 
nous  les  retrouvons  souvent  i)lus  complètes  dans  le  dessin  tlamantl.  Il  est  tel 
tableau  de  Jordaens,  ce  dessinateur  si  calomnié,  (jui  ne  le  cède  point  à  cer- 
taines pages  de  Michel-Ange.  Ce  que  nous  disons  là  doit  sembler  bien 
hasardé;  (|u'on  nous  permette  d'expliquer  notre  pensée. 

L'école  italienne  v.  Thabitude  d'accuser  la  forme  par  un  contour  sec,  dé- 
coupé; l'école  flamande,  par  un  contour  moelleux,  fondu.  Ces  deux  manières 
produisent  sur  les  yeux  peu  exercés  des  effets  opposés  :  le  contour  sec,  dé- 
coupé, emporte  avec  lui  l'idée  de  justesse,  de  précision  ;  le  contour  moelleux, 
fondu,  semble  au  contraire  de  l'inexactitude,  de  l'invraisemblance.  Que 
Michel-Ange  dessine  la  chose  la  plus  impossible,  on  a  foi  dans  ses  contours  : 
ils  sont  accusés  avec  force,  avec  netteté.  Mais  que  nos  maîti-es  flamands  mon- 
trent les  choses  les  plus  vraies,  on  ne  les  croit  pas  :  ils  n'aflirment  point  par 
le  contour  sec  et  découpé.  L'un  est  semlilable  au  menteur  qui  en  impose  par 
un  air  consciencieux  et  vrai,  les  autres  à  l'homme  véridique  auquel  manque 
l'aplomb  qui  fait  des  dupes. 

Ce  que  nous  venons  de  dire  n'attaque  point  les  beautés  réelles  de  l'école 
italienne;  si  nous  dévoilons  ces  petites  ruses  de  métier,  c'est  qu'elles  égarent 
l'opinion  sur  le  véritable  caractère  du  dessin  de  notre  école. 

Ce  que  nous  venons  d'avancer,  nous  allons  chercher  aie  prouver.  Qu'on 
nous  permette  encore  la  démonstration  du  crayon  jointe  à  celle  de  la  plume. 

Et  d'abord,  commençons  par  justifier  Jordaens;  ce  maître  porte  souvent 
à  lui  seul  le  fardeau  des  reproches  adressés  à  l'école. 


Voici  un  fragment  de  dessin  d'après  le  grand 
peintre  flamand  ^  : 


En  voici  un  autre  d'après  Michel-Ange  : 

'  Les  dessins  du  manuscrit  étaient  au  crayon,  et  les  pein- 
tures étaient  à  l'iiuile.  La  reproduction  n'a  pu  être  d'une  exac- 
titude rigoureuse,  on  le  comprendra. 


DE  PEINTURE. 


15 


Dans  le  premier,  le  vulgaire  ne  trouve  point  ce  qu'il  appelle  la  forme 
correcte. 

Dans  le  second,  il  croit  voir  la  forme  exacte. 

Dans  le  dessein  de  Jordaens,  les  détails  sont  rendus  avecle  moelleux  des 
chairs;  dans  le  dessin  de  Michel-Ange,  avec  celte  sécheresse,  celle  fermeté 
qui  trompe. 

Plaçons  un  autre  dessin  de  Jordaens  à  côté  d\m  dessin  de  Michel-Ange. 


Le  dessin  du  maître  florentin  présente  de  la  grandeur  el  du  style,  des 
muscles  larges  el  bien  attachés,  l'élude  de  Tantique  et  le  choix  idéal;  le 
tout  modelé  avec  force  el  précision.  Mais  remarquons  ceci  :  la  figure  de 
Jordaens  a  des  qualités  non  moins  estimables  :  le  muscle  n'esl  pas  sculpté, 
mais  on  le  sent  sous  la  peau;  la  forme  n'est  point  grecque,  mais  elle  est 
nature  ;  le  modelé  n'est  poinl  ferme,  mais  il  peint  la  chair.  (]elte  figure  n'a 
point  la  beauté  de  la  statue,  mais  elle  a  la  beauté  du  modèle  vivant. 

Que  l'on  accuse  l'école  flamande  d'incorrection,  d'invraisemblance,  soit; 
mais  pourquoi  cette  sévérité,  si  souvent  réservée  à  elle  seule? 

Le  jugement  dernier  de  Michel-Ange  fourmille  d'impossibilités  sans  nom- 
bre :  la  proportion,  la  perspective,  le  modelé,  l'analomie  même,  y  oITrenl 
des  négligences  saillantes. 

Horace  Vernet  disait  un  jour  :  Michel-Ange  sait,  quand  il  lui  plait,  placer 
des  muscles  où  il  n'y  en  a  pas. 


16  ÉCOLE  FLAMAINDE 

Nous  croyons  que  c'est  un  devoir  de  ne  pas  s'incliner  devant  le  préjugé. 
Qu'on  nous  permeUe  donc  de  demander  si  la  main  de  ce  bras  est  propor- 
tionnée? 


Si  derrière  celle  montagne  ioinlaine  la  perspective  permet  des  figures  de 
celle  dimension? 


Nous  citons  ces  deux  exemples,  trouvés  à  la  chapelle  Sixlinc,  parce  qu'ils 
frappent  les  plus  simples  inlelligences. 

Nous  croyons  inutile  d'en  dire  davantage  sur  ce  sujet.  On  a  sulïisamnient 
compris  ceci  :  que  l'on  pardonne  à  l'art  italien  ce  que  l'on  ne  pardonne  pas 
à  l'art  llamand. 

La  peinture  n'exige  point  le  vrai  réel,  le  vrai-mesure,  le  vrai-compas; 
la  peinture  exige  le  vrai  qu'on  peut  appeler  le  vrai  apparent. 

L'école  flamande  se  dislingue  en  cela.  Son  dessin  n'a  point  la  correction 
du  réel,  mais  il  a  la  correction  du  vrai  apparent.  Au  premier  aspect,  le 
dessin  italien  l'emporte;  mais  le  dessin  flamand  prend  bientôt  sa  revanche: 
ses  écarts  sont  des  combinaisons  habiles;  ses  fautes  de  dessin,  d'adroils 
slralagèmes;  ses  négligences,  de  savants  mensonges.  L'école  flamande  sait 
plier  un  contour  intelligent  en  faveur,  soit  de  l'expression,  soil  du  carac- 
tère, soil  du  mouvement,  soit  de  la  couleur  ou  de  la  vraisemblance.  Ces 


DK  PEI^^Tl'RK 


il 


artifices,  ces  monsongos  sont  les  vraies  illusions  de  Tari,  les  véritables  secrets 
(lu  dessin. 

Ces  deux  figures,  lune  de  Rubens,  l'autre  de  Michel-Ange,  viennent  ici 
à  l'appui  de  nos  assertions. 


L'une  et  l'autre  de  ces  figures  n'ont  point  la  justesse  inatiiémati(|ue,  la  pré-, 
cision  photographique;  chacune  d'elles  a  ses  incorrections  intentionnelles, 
ses  recherches  intelligentes. 

Les  deux  maîtres  sont  dans  l'art  d'imiter  d'habiles  prestidigitateurs.  Mais 
on  remarque  dans  ces  figures  des  différences  qu'il  esl  impoitant  de  signaler  : 
elles  caractérisent  tout  à  la  fois  et  d'une  manière  bien  nette  l'individualité 
de  Rubens  et  de  son  école. 

Si  nous  jetons  un  regard  sur  les  dessins  ci-dessus,  il  est  facile  de  saisir 

les  similitudes  et  les  divergences  qui  les  distinguent  :  d'abord  une  analogie 

frappante  s'aperçoit  dans  la  pose,  le  mouvement  et  le  caractère.  Mais  voici 

en  quoi  les  différences  sont  sensibles  :  la  pose  de  l^lichel-Ange  est  énergique 

Tome  XXXII.  5 


18 


ECOLE  FLAMANDE 


el  variée;  colle  de  Rubens  plus  variée  encore  et  plus  énergique.  Le  mou- 
vement du  maître  florentin  est  bien  senti,  celui  du  maitre  flamand  est  plus 
grand  et  plus  expressif.  Le  premier  a  des  formes  alhléli(iues  à  la  manière 
antique,  le  second  des  formes  athlétiques  trouvées  dans  la  nature. 

Remarquons  dans  le  dessin  de  Rubens  cette  grande  ligne  d'ensemble 
de  la  tète  au  pied,  cette  courbure  de  la  colonne  vertébrale,  cette  grande 
flexion  de  la  cuisse  et  de  la  jambe  droite,  cette  ondulation  constante  des 
lignes  d'ensemble  et  des  lignes  de  détails,  celle  variété  soutenue  dans  tous 
les  contours ,  celte  morbidesse  dans  les  chairs  et  ces  muscles  palpitants 
sous  la  peau.  Puis,  remarquons  Tèpine  dorsale  s'effaçant  là  où  la  lumière 
est  appelée,  ces  parties  d'ombres  sacrifiées  à  la  couleur,  ces  muscles  lom- 
baires se  perdant  dans  les  replis  si  vrais  de  la  peau.  Toutes  ces  choses 
sont  les  traits  caractéristiques  du  maître.  Elles  deviennent  plus  sensibles, 
plus  faciles  à  saisir  à  l'instant  qu'on  les  cherche  dans  son  antagoniste.  Ici, 
la  ligne  d'ensemble  est  moins  étendue,  la  colonne  vertébrale  a  moins  de 
mouvement,  les  cuisses  et  les  jambes  ont  moins  d'action,  la  souplesse  des 
chairs  est  moins  sentie  et  l'on  n'aperçoit  nulle  part  des  sacrifices  en  faveur 
du  clair-obscur,  du  relief  ou  de  la  couleur. 

Les  combinaisons  de  Michel-Ange  tendent  à  obtenir  d'autres  résultats. 
Nous  n'avons  pas  ici  à  nous  en  occuper. 

Voici  maintenant  un  autre  exemple  caractéristique  du  dessin  de  Ru- 
bens. 

Ces  formes  (A)  ne  sont  point  la  copie 
fidèle  d'un  modèle  vivant,  elles  ne  sont 
point  celles  que  choisissaient  les  Grecs  :  ces 
formes  sont  l'idéal  du  beau  pittoresque  dans 
toute  l'acception  du  mot. 

A  côté  de  ce  dessin  (A) ,  nous  en  plaçons 
un  second,  puis  un  troisième.  Le  second 
(R)  rappelle  les  formes  de  Michel-Ange;  le 
troisième  (C)  celles  de  l'antique.  Ce  paral- 
lèle nous  fournira  des  démonstrations  nou- 
velles. 


DE  PEI?JTURE.  19 

Nous  avons  pointillé  sur  le  dessin  flamand  le  contour  antique;  parce  moyen, 
nous  déterminons  le  caractère  du  dessin  flamand ,  nous  le  rendons  sensible 
aux  yeux  et  en  quelque  sorte  palpable.  L'originalité  peut  ici  se  mesurer  par 
millimètres. 

Le  dessin  de  Michel-Ange  (B)  nous  montre  un  terme  moyen ,  un  milieu 
entre  deux  grandes  époques  de  l'art  :  l'époque  de  Phidias  et  celle  de  Rubens. 
Michel-Ange  est  la  transition  de  la  forme  grecque  à  la  forme  flamande  : 
l'acheminement  vers  le  mouvement,  la  morbidesse  et  la  vie. 

Pour  terminer,  caractérisons  d'un  trait  l'école  flamande. 

Les  cin(|  lignes  ci-dessous  tracées  représentent  cin(|  caractères  de  maîtres 
différents  : 

La  première  rappelle  la  roideur  de  la  renaissance,  la  naïveté  un  peu 
gauche  du  Giotto; 

La  seconde,  le  dessin  déjà  moins  guindé  et  plus  nourri  d'Albert  Durer; 

La  troisième,  se  ressentant  encore  des  deux  premières,  rappelle  la  beauté 
et  la  grâce  de  Raphaël; 

La  quatrième,  la  force  et  l'ampleur  de  Michel-Ange; 

La  cincpiième,  l'énergie,  le  mouvement,  la  variété,  le  |)ittoresque  de 
Rubens. 


f 


J 


MICHEL-ANGE.  RUBENS. 

École  flamande. 


■  M  fc^        — 


TROISIÈME  PARTIE. 


COLLEUR. 


Généralement,  on  accorde  une  bonne  couleur  à  l'école  flamande.  Cesl 
son  côté  caractéristique  le  mieux  connu,  c'est  aussi  le  moins  contesté. 
Quelques  erreurs  cependant  se  mêlent  aux  appréciations  vulgaires.  Nous 
avons  vu  que  l'on  compare  sans  cesse  le  dessin  flamand  au  dessin  italien. 
De  même  la  couleur  flamande  est  souvent  opposée  à  la  couleur  vénitienne. 
L'école  flamande,  dit-on,  a  du  brillant,  mais  les  Vénitiens  sont  plus  vrais, 
plus  harmonieux.  Voilà  ce  que  répète  la  foule.  Nous  avons  dit  pourquoi 
il  est  bon  de  combattre  les  préjugés  :  ici  encore  nous  les  rencontrons ,  ici 
encore  nous  chercherons  à  rétablir  la  vérité. 

Qu'enlend-on  par  une  bonne  couleur? 

Les  uns  s'imaginent  qu'elle  consiste  dans  l'imitation  parfaite  de  la  couleur 
propre  à  chaque  objet.  Les  autres  la  cherchent  dans  certains  tons  dominants 
sur  toute  la  surface  d'une  œuvre  :  il  y  a  des  admirateurs  de  tableaux  roux,  des 
admirateurs  de  tableaux  gris,  des  admirateurs  de  tableaux  noirs,  et  indé- 
pendamment de  ces  diverses  opinions,  il  règne  une  opinion  générale,  une 
opinion  souveraine,  qui  dure  un  temps,  passe  et  se  renouvelle.  Ces  manières 
de  voir  changent  comme  la  pluie  et  le  beau  temps.  Le  vent  de  la  mode 
apporte  à  son  gré  les  tons  bruns,  les  tons  gris  ou  les  tons  jaunes.  Tout  le 
monde  se  conforme  à  ces  variations.  On  dit  de  la  couleur  d'un  tableau  : 
«  C'est  la  mode  »  comme  on  dit  :  «  C'est  la  mode  »  en  parlant  de  la  forme 
d'un  chapeau. 


22  ECOLE  FLAMAINDE 

Nous  ne  nous  laisserons  point  guider  par  celte  autorité  d'un  jour  :  notre 
travail  est  sérieux.  Nous  avons  à  invoquer  les  lois  du  beau  éternel;  ces  lois 
seules  serviront  de  base  à  notre  examen. 

La  couleur  donc  n'est  pas  une  cbose  de  fantaisie;  la  composition  et  le 
dessin  ont  des  règles,  la  couleur  a  des  règles  aussi. 

Une  bonne  couleur ,  c'est  la  réunion  des  qualités  suivantes  : 

Vérité , 
Variété, 
Lumière , 
Vigueur , 
Harmonie, 
Opposition, 
Richesse, 
Éclat.... 

Les  ressources  du  peintre  sont  très- restreintes;  le  blanc  de  sa  palette,  par 
exemple,  n'est  que  de  l'ombie.  Pour  que  le  blanc  devienne  lumière,  il  faut 
des  o[)posilions.  Plus  il  y  a  opposition,  plus  il  y  a  lumière;  plus  il  y  a 
lumière,  plus  il  y  a  relief;  plus  il  y  a  relief,  plus  il  y  a  vérité. 

Il  résulte  de  ceci  que  la  gamme  des  tons  brillants  est  la  plus  propre  aux 
saillies,  aux  profondeurs,  à  la  rondeur,  à  l'illusion ,  à  la  vérité. 

La  gamme  des  Ions  sombres  a  moins  de  puissance;  seulement,  elle  conduit 
le  peintre  à  une  harmonie  plus  facile. 

La  gamme  aux  tons  brillants  va  du  blanc  pur  aux  noirs  les  plus  in- 
tenses. 

La  gamme  aux  tons  sombres  va  d'un  blanc  sale  aux  grands  noirs. 

Si  cette  gamme  est  comme  un  instrument  à  trois  octaves,  la  première  est 
comme  l'instrument  à  quatre  octaves,  plus  puissante  que  l'autre. 

Avec  une  gamme  bien  composée ,  l'artiste  n'est  pas  encore  coloriste  ;  s'il 
a  l'instrument,  il  lui  faut  encore  l'art  de  s'en  servir. 

La  distribution  de  l'ombre  et  de  la  lumière,  le  choix  des  tons  convenables 
à  cette  distribution,  l'opposition  des  teintes  chaudes  aux  teintes  froides, 
l'économie  dans  l'intensité  des  brillants,  l'harmonie,  etc.;  tout  cela  doit  être 


DE  PEINTURE.  23 

connu  du  peintre  coloriste.  Une  science  qu'il  ne  peut  ignorer  surtout ,  c'est 
la  science  du  clair-obscur. 

Le  clair-obscur  en  elTet  est  presque  à  lui  seul  la  couleur.  Voyez  une 
estampe  d'après  Rubens ,  un  de  ces  clairs-obscurs  traduits  par  Bolswert  :  cette 
estampe  n'est  pas  une  estampe,  c'est  un  tableau  complet;  on  y  voit  toutes 
les  ricbesses  de  la  palette. 

Si  la  plume  a  peine  à  décrire  l'accident  de  la  forme ,  quelle  doit  être  son 
impuissance  à  décrire  la  nuance  des  tons. 

Nous  avons  à  parler  des  couleurs,  c'est  avec  des  couleurs  que  nous  devons 
expliquer  notre  pensée. 

Prenons  des  esquisses  d'après  Rubens  et  Titien. 

Si  nous  recberchons  les  traits  caractéristiques  dans  desimpies  esquisses, 
qu'on  ne  s'en  étonne  point.  L'esquisse,  —  supposons-la  suffisamment  exacte, 
—  renferme  les  qualités  constitutives  de  la  couleur.  En  effet,  la  couleur  est 
bien  plutôt  dans  l'ensemble  que  dans  le  détail.  Les  masses  d'ombre  et  de 
lumière,  les  oppositions,  la  variété,  l'éclat,  la  vérité,  l'barmonie,  toutes  ces 
qualités  ne  sont-elles  pas  dans  l'effet  général?  Au  premier  coup  d'œil,  on 
juge  la  couleur  d'un  tableau;  on  la  juge  bonne  ou  mauvaise,  avant  l'examen 
du  détail.  xUi  milieu  d'une  vaste  galerie,  on  saisit,  on  trouve  aussitôt  l'œuvre 
la  mieux  coloriée.  L'effet  du  premier  coup  d'œil ,  c'est  l'effet  de  l'esquisse. 

Le  premier  regard  jeté  sur  ces  esquisses  nous  dit  qu'elles  sont  dans  les 
conditions  de  la  bonne  couleur.  Toutes  deux  ont  le  brillant,  le  lumineux 
qui  attire.  Toutes  deux  ont  cette  vigueur,  cette  force  qui  étonne,  cette 
vérité,  cette  liarmonie  qui  encbantent. 

Les  différences  caractéristiques  sont  faciles  à  saisir. 


DIFFERENCE    DANS    LE   CLAIR-OBSCUR. 

La  lumière  et  les  ombres  du  Titien  offrent  des  masses  découpées  (A),  peu 
liées  entre  elles,  nuisibles  à  l'barmonie.  La  lumière  et  l'ombre  de  Rubens 
offrent  des  masses  mieux  liées,  plus  propres  à  former  un  bon  ensemble.  Le 


1 

24  ECOLE  FLAMANDE 

peinlic  vénilicn  dispose  indifféreinmcnl  ses  clairs  sur  tous  les  objets  (B). 
Le  peintre  flamand  dispose  toujours  ses  clairs  au  profit  du  brillant  des 
chairs  (A).  Titien  distribue,  sur  toute  la  surface,  des  forces  de  même  valeur. 
(  A  C  C  C).  Rubens  distribue  les  forces  avec  économie  et  gradue  sans  cesse 
leur  degré  d'intensité  (BBB).  Le  premier  varie  peu  ses  oppositions  d'ombre 
el  de  lumière,  le  second  varie  sans  cesse  le  jeu  du  clair  et  de  Tobscur. 


DIFFERENCE  DANS  LE  CHOIX  DES  TEINTES. 

Dans  Pœuvre  de  Titien,  nous  voyons  la  gamme  des  teintes  sombres.  Dans 
celle  de  Rubens,  la  gamme  des  teintes  brillantes.  Titien  semble  rechercher 
les  teintes  chaudes  que  donne  parfois  le  crépuscule.  Rubens  semble  imiter 
hardiment  Téclat  que  donne  la  lumière  du  jour.  Les  carnations  du  Titien  sont 
d'une  teinte  généralement  brune,  dorée,  uniforme.  Les  carnations  de  Rubens 
sont  tantôt  brûlantes  (C),  tantôt  rosées,  tantôt  argentines.  Le  premier  donne 
aux  ombres  de  ses  chairs  des  teintes  rousses,  brunes  ou  noires  (D  D).  Le 
second  des  ombres  légères,  transparentes,  aériennes  (DD). 

DIFFÉRENCE  DANS  l'iIARMONIE  DES  TEINTES. 

Ici  une  grande  analogie  existe  entre  les  deux  maîtres.  Le  peintre  flamand 
s'est  moins  écarté  du  peintre  vénitien.  Rubens  aussi  bien  que  le  Titien 
sait  où  placer  une  draperie  rouge  (E  E  E),  bleue  (B),  ou  jaune  (FF);  il 
sait,  comme  lui,  accorder  par  des  glacis,  équilibrer  par  des  rappels,  lier 
par  des  échos.  L'harmonie  de  Rubens  ne  diffère  de  celle  du  Titien  que  par 
l'éclat. 

Placez  un  tableau  de  Titien  au  soleil,  vous  aurez  l'harmonie  de  Rubens. 

DIFFÉRENCE  DANS  LE  CHOIX  DU  VRAI. 

La  nature  se  montre  sous  bien  des  aspects  :  elle  se  colore  de  rouge  au 
soleil  couchant,  elle  prend  des  tons  argentins  au  soleil  du  midi,  elle  devient 


i/rni.  ruur  t  XXX/f_ 


.tffin  cour,  t  XXX  if 


DE  PEIÎNTURE.  25 

sombre  et  bleuâtre  au  clair  de  lune.  Quelle  que  soit  la  couleur  qu'elle 
cnqjrunte  à  la  lumière,  elle  est  toujours  vraie.  Une  vaste  latitude  est  donc 
laissée  à  l'imilalion;  de  là  résulte  un  grand  embarras  pour  le  peintre;  que 
doit-il  choisir? 

Au  point  de  vue  de  l'art,  la  nature  a  deux  vérités  :  la  vérité  rare  et  la 
vérité  ordinaire. 

Une  vérité  rare,  c'est  par  exemple  un  ciel  rayé  par  le  feu  des  éclairs, 
ce  sont  des  chairs  éclairées  par  la  lueur  des  flammes.  Une  vérité  ordinaire, 
ce  sont  des  objets  hors  de  toute  influence  qui  les  dénature,  hors  de  toute 
condition  qui  en  change  la  couleur  propre. 

Le  coloris  v}'ai  rare  et  le  coloris  vrai  ordinaire  sont  tous  deux  possibles, 
("xcellents,  puisque  tous  deux  sont  vrais.  Mais  ce  qui  est  le  vrai  rare  semble 
en  peinture  moins  vrai  que  ce  qui  est  le  vrai  ordinaire.  D'un  côté,  il  y 
a  la  vérité  simple,  de  l'autre  la  vérité  vraie. 

Rubens  a  la  vérité  vraie. 

Ce  (jue  nous  venons  de  dire  de  l'harmonie  et  de  la  vérité  combattra-t-il 
sutfisammenl  ce  dire  populaire  :  «  Les  Vénitiens  sont  plus  vrais,  plus  har- 
monieux ?  » 

Si  nous  n'avons  pas  réussi  à  nous  faire  comprendre ,  que  l'on  jette  un 
regard  sur  nos  esquisses;  la  démonstration  peut-être  sera  plus  frappante  : 
peut-être  pourra-t-on  se  convaincre  que  l'harmonie  des  teintes  de  Rubens 
n'est  pas  moins  parfaite  que  celle  des  teintes  du  Titien,  et  que  la  vérité  y  est 
mieux  choisie. 

On  objectera  peut-être  que  nos  esquisses  sont  des  exceptions;  que  c'est 
par  l'ensemble  des  œuvres  qu'il  faut  juger  un  maître.  A  cela  nous  répon- 
dons que  ces  deux  exemples  représentent  assez  la  manière  de  nos  grands 
coloristes  et  que,  eussions- nous  sous  les  yeux  vingt  autres  tableaux,  nous 
n'aurions  pas  d'autres  traits  caractéristiques  à  signaler. 


Tome  XXXU. 


26  ÉCOLE  FLAMANDE      . 

El  maintenant,  quelques  l'eniarques  sur  le  clair-obscur. 

Le  clair-obscur,  on  le  sait,  fait  partie  intégrante  du  coloris. 

Les  deux  dessins  ci-joints  résument,  le  premier,  le  clair-obscur  du  Titien, 
le  second,  le  clair-obscur  llamand. 

Supposons  (|ue  dans  le  tableau  du  Titien  un  maître  flamand  apporte  des 
cbangcments  à  sa  manière ,  ajoute  ce  qu'il  croit  devoir  y  substituer  selon  ses 
principes  :  jetant  ici  des  ombres  ,  là  des  lumières.  Supposons  enlin  qu'il 
transforme  le  clair-obscur  vénitien  en  clair-obscur  flamand.  Cette  trans- 
formation donnera  un  résultat  curieux,  elle  jettera  un  grand  jour  sur  un 
point  important  de  l'originalité  de  l'école  flamande. 

Disons  d'abord  ce  que  le  maître  flamand  admet,  ce  qu'il  ne  cbange 
point. 

L'opposition  dés  masses  obscures  (A  A,  premier  dessin)  aux  masses  de  lu- 
mières (BB),  la  lumière  ménagée  sur  les  chairs  (CCC),  les  échos  (DD). 

Ce  qu'il  n'admet  pas,  le  voici  :  les  trois  niasses  obscures,  divisées  et  diri- 
gées parallèlement  (EEE  );  la  ligne  des  apôtres,  découpée  en  silhouette  noire 
sur  le  ciel  clair  (F  F);  les  masses  tranchées  de  la  ligure  de  la  Vierge 
(G)  et  des  figures  du  haut  de  la  toile  (H  II);  les  chairs  peu  lumineuses  de 
la  Vierge  et  celles  de  quelques  apôtres;  la  lumière  papillolée  des  anges  dis- 
persés dans  le  ciel;  la  masse  vide  et  uniforme  de  l'espace (1);  retendue  vide 
et  uniforme  du  ciel  à  l'horizon  (  K  K  ) ,  l'égalité  de  force  dans  toute  l'étendue 
du  tableau;  l'uniformité  générale  dans  les  chairs,  les  draperies  et  les  acces- 
soires. 

Signaler  ce  que  le  peintre  flamand  désapprouve,  c'est  appeler  les  regards 
sur  les  points  tpi'il  tiansformc  : 

Les  trois  masses  d'ombres  divisées  et  parallèles  sont  corrigées  d'abord  par 
les  deux  moyens  suivants  :  l'ne  masse  obscure  (rocher,  muraille  ou  tombeau), 
(A,  secoml  -dessin)  lie  la  ligne  des  apôtres  à  celle  des  anges.  Une  autre 
masse  (nuages  ou  figures)  va  de  la  ligne  des  anges  à  la  troisième  ligne  (pii 
couronne  le  tableau  (H).  Ces  deux  niasses  posées  comme  trait  d'iuiion  amènent 
deux  autres  changements  importants.  Premièrement,  elles  rompent  la  mono- 
tonie de  la  masse  vide  du  haut  du  ciel;  secondement,  elles  coupent  l'étendue 
vide  du  ciel  à  l'horizon.  Deux  movens  rendent  aux  chairs  sombres  de  la 


Mrm  roiir  I  .O,»//. 


p.  -id  * 


Mrni  rinw  (  XX \  //. 


p.  z6  'f^ 


DE  PEIÎSTURE.  27 

Vierge  une  lumière  resplendissante  :  Péclal  du  fond  allénué  par  les  nuages 
déjà  ajoutés,  el  la  lumière  vivemenl  frappée  en  échos.  Des  clairs  répandus 
çà  et  là  lient  les  chairs  brillantes  des  anges  el  en  font  un  seul  tout.  L'uni- 
formité générale  devient  un  ensemble  varié  par  les  oppositions,  les  rappels 
et  les  réveillons.  L'égalité  de  force  est  rompue  par  quehiucs  points  d'un  brun 
puissant, -faisant  trombone  dans  celle  harmonie  pittoresque  de  lumière  et 

d'ombre  (CGC). 

Voilà  le  tableau  italien  devenu  une  œuvre  flamande. 


RESUME. 


Après  ce  que  nous  venons  de  dire,  nous  croyons  pouvoir  nous  résumer 
ainsi  : 

Ce  qui  conslilue  Toriginalilé  de  Técole  flamande,  c'est  : 

Au  point  de  vue  de  la  composition  : 

L'iiabilclé  dans  la  variété,  la  grandeur,  le  mouvement,  Pexpression, 
l'harmonie,  les  lignes  synthéliques,  l'agencemenl. 

Au  point  de  vue  du  dessin  : 

Le  choix  de  la  forme  pittoresque,  de  la  forme  grande,  mais  vraie,  de 
la  forme  qui  se  prête  au  mouvement,  à  l'expression,  au  coloiis. 

Au  point  de  vue  de  la  couleur  : 

La  supériorité  sur  toutes  les  écoles  dans  l'art  de  distribuer  la  lumière  et 
l'ombre,  de  porter  haut  l'éclat,  la  vigueur,  la  vérité,  l'harmonie. 


CAUACTEUE  GENERAL  DES  ECOLES. 

L'école  florentine  se  dislingue  par  le  dessin. 
L'école  vénitienne  se  distingue  par  la  couleur. 
L'école  lombarde  se  dislingue  par  la  grâce  et  le  clair-obscur. 
L'école  hollandaise  se  distingue  par  la  vérité  et  le  fini. 
L'école  flamande,  elle,  se  distingue  par  ce  qu'il  y  a  de  plus  important 
dans  l'art  :  Le  beau  pitloresque. 


ÔO  ÉCOLE  FLAMANDE 


INDIVIDUALITES  DANS  L  ECOLE. 

Quel(|uc'S  indivicliialilés  se  dislingiu'iil  dans  l'école ,  nous  citerons  les 
|)n'iicipales. 

Van  Dyck  a  (ouïes  les  qualités  du  chef  de  l'école,  mais  à  un  diapason 
moins  élevé.  Sa  composifion  a  du  mouvement,  de  la  vie;  son  dessin,  de  la 
vérilé  et  de  la  grâce.  L'originalité  de  ce  maître  se  manifeste  en  ceci  :  gamme 
de  tons  généralement  sombre,  grise  |)arfois.  Harmonie  d'une  incomparahh' 
perfection.  Emploi  d'un  certain  brun  auquel  on  a  donné  son  nom.  Clair-obscur 
plein  de  mystère  et  de  charme,  modelé  parfait. 

JoRDAENS  compose  avec  une  fougue  qui  le  place  bien  près  de  Hubens. 
Son  dessin  a  beaucoup  de  grandeur  et  de  vérité.  Comme  Van  Dyck,  son 
originalité  est  toute  dans  la  couleur.  Il  se  distingue  par  le  choix  des  tons 
brûlants,  par  les  o|)positions  violentes,  par  une  gamme  dans  les  teintes  de 
l'arc-en-ciel.  Au  milieu  d'une  galerie  où  Rubens  même  étale  ses  splendeurs, 
•lordaens  est  un  feu,  un  volcan,  un  soleil. 

CiUAYER  est  simple,  tempéré  dans  les  diverses  parties  de  l'art.  Il  se  dis- 
tingue j)ar  une  harmonie  parfaite  et  une  vérité  qu'on  ne  se  lasse  pas  d'admirer. 

Tenieus  semble  n'ambitionner  qu'une  chose  :  égaler  les  plus  grands  maîtres 
dans  Fart  d'exprimer  le  vrai.  Son  originalité  est  saillante  dans  le  choix  des 
sujets,  dans  la  manière  de  les  composer  et  de  les  rendre. 


DE  PEINTURE.  51 


ÉCOLE  FLAMANDE  MODERNE. 


L'nil  ('8l  Mil  édilico  où  clinciin  appuile  sa  pierre.  C'est  une  pyrainitle 
aux  i)ro|)orlions  gigantesques;  d'intelligents  ouvriers  l'ont  élevée  au  point 
où  nous  la  voyons.  Depuis  Phidias  jusqu'à  Rubens,  le  monument  a  pro- 
gressé. Jusque-là  tout  s'appuie  sur  un  plan  unique,  régulier.  Les  grandes 
assises  sont  taillées  dans  des  conditions  de  solidité  et  de  durée;  elles  s'en- 
chainenl,  se  combinent,  se  soutiennent  mutuellement.  L'édifice  de  l'art  est 
l'œuvre  des  génies  les  plus  renommés,  il  est  le  type  immuable  du  I)eau  ;  nul 
n'oserait  le  démolir. 

Les  générations  qui  se  succèdent  sont  appelées  à  continuer  l'œuvre,  mais 
(|uand  des  ouvriers  nouveaux  sont  impuissants,  quand  le  découragement 
les  saisit,  étourdis,  éperdus,  ils  s'écartent  du  plan  primitif  et  cherchent  à 
en  établir  de  nouveaux.  Alors,  il  y  a  conl'usion  parmi  les  travailleurs;  l'édi- 
fice de  l'art  cesse  de  s'élever,  il  s'arrête  dans  son  achèvement ,  il  devient 
Rabel. 

Ln  spectacle  navrant  alors  frappe  le  regard.  A  côté  de  l'édifice  majes- 
tueux, surgissent  de  petits  édifices  monstrueux.  Ce  sont  les  œuvres  de  nos 
travailleurs  découragés,  enchaînés  aux  capiices  des  modes,  livrés  aux  folies 
de  l'individualisme. 


.-^2 


ECOLE  FLAMANDE 


(lette  situation  s"a|)i)olle  décadence. 


/D£lAD£A/C£ 


'RUBENS. 
RAPHAËL. 
MICHEL-ANGF.; 

PHIDIAS 


D£CAZ)£'/\/Cr. 


^^. 


EDIFICE      DE      l'art. 

Trois  clioses  principales  amènent  la  décadence  :  la  première,  c'est  l'inca- 
pacité et  le  découragement;  la  seconde,  lamour  de  la  nouveauté;  la  troi- 
sième, les  caprices  de  la  mode. 

La  nouveauté  a  tant  d'attraits  pour  nous  qu'un  bonheur  continu  nous 
fatigue,  qu'un  excellent  mets  souvent  servi  nous  fatigue,  que  l'aspect 
constant  d'un  beau  ciel  nous  fatigue. 

Quand  Paris  oublie  Talma  el  admire  un  danseur  de  corde,  c'est  qu'il  est 
fatigué;  quand  il  s'écrie  :  «  A  bas  Racine!  Vive  le  romantisme  !  »  c'est  qu'il  est 
fatigué;  quand  il  demande  qu'on  le  délivre  des  Grecs  et  des  Romains,  c'est 
qu'il  est  fatigué. 

L'amour  de  la  nouveauté  est  si  grand  parmi  les  hommes ,  qu'ils  chan- 
geraient, s'ils  le  pouvaient,  la  nuit  en  jour,  le  soleil  en  lanterne. 

La  mode,  troisième  cause  de  décadence  est  d'une  inlluence  immense  :  la 
mode  trompe  les  yeux,  trompe  l'esprit,  trompe  le  bon  sens.  La  mode  nous 
habitue  au  ridicule,  à  l'absurde,  à  l'impossible.  C'est  elle  qui  a  inventé  celle 
belle  définition  :  le  beau,  c'est  le  laid! 

Notre  époque,  nous  l'avons  dit  en  commençant,  est  une  époque  de  déca- 
dence. 

Ce  mol  décadence,  à  propos  de  nos  peintres  modernes,  doit  sonner  mal 
à  certaines  oreilles.  Un  des  symptômes  de  la  décadence,  c'est  d'être  invisible 
à  ceux  qui  la  subissent.  Ainsi  un  brouillard  répandu  dans  l'atmosphère  ne 
semble  point  exister  là  où  se  posent  nos  pieds. 

Avant  d'aller  plus  loin,  acquittons-nous  d'un  devoir;  au  milieu  des  apos- 
tasies qui  nous  environnent,  il  y  a  d'honorables  exceptions. 

Cela  dit,  continuons. 


DE  PEINTURE.  33 

Après  la  glorieuse  époque  des  grands  niailres  flamands,  les  nnitaleurs  pul- 
lulèrent :  ils  ne  furent  point  imitateurs  comme  lUibens  Pavait  été  du  Titien, 
comme  celui-ci  l'avait  été  de  Giorgione;  ils  suivirent  un  bon  principe  sans 
y  ajouter  leur  originalité  propre. 

Ces  copistes  avaient  du  bon  cependant,  les  nond}reuses  toiles  qu'ils  ont 
laissées  ne  sont  point  sans  cbarme.  C'est  que  le  souffle  de  Rubens  avait  passé 
par  là,  c'est  qu'ils  avaient  puisé  à  une  source  féconde,  à  une  école  où  tout 
pinceau  se  trempe  vigoureusement,  prend  des  allures  de  grand  maître,  colore 
chaudement,  brosse  bardiment  et  accomplit  des  œuvres  de  mérite,  sinon  des 
œuvres  de  génie. 

Pouniuoi  parmi  ces  imitateurs  ne  s'esl-il  point  trouvé  un  grand  peintre? 
C'est  qu'ils  ont  manqué  de  courage  et  de  persistance,  c'est  qu'ils  se  sont 
laissé  subjuguer  par  la  mode  et  l'amour  de  la  nouveauté. 

Le  désir  de  voir  du  nouveau  était  grand  à  la  fin  du  dix-septième  siècle  ; 
il  prit  des  proportions  effrayantes  à  la  fin  du  dix-huitième.  Alors,  nos  peintres 
flamands  s'éloignèrent  toujours  davantage  de  la  peinture  mère. 

Bientôt,  ils  l'oublièrent  complètement,  pour  se  livrer  à  l'étude  des  œuvres 
de  nos  voisins.  A  cette  époque,  la  réputation  de  David  faisait  grand  bruit, 
elle  entrauia  la  plupart  de  nos  artistes;  la  peinture  de  David  était  devenue 
la  peinture  à  la  mode. 

Les  choses  continuèrent  ainsi  jusqu'en  1830. 

La  révolution  poliliiiue  amena  la  révolution  artisli(iue.  L'amour  de  la 
patrie  éveilla  l'amour  de  l'art.  On  avait  combattu  pour  le  bon  droit,  on 
voulut  combattre  pour  la  bonne  peinture.  Ce  fut  un  élan  superbe  :  le  fusil 
donnait  du  cœur  au  pinceau. 

Toutes  les  têtes  alors  s'enflammaient  au  mot  de  patrie.  La  patrie!  chacun 
voulait  sacrifier  sur  son  autel.  Les  uns  offraient  leurs  bras,  les  autres  leurs 
capacités,  leur  fortune.  Le  peintre  sentit  qu'il  devait  aussi  quelque  chose 
au  pays.  Tous  les  hommes  de  l'art  n'eurent  plus  qu'une  pensée  :  ressusciter 
l'école  flamande,  relever  ce  glorieux  fleuron  national.  On  criait  :  Vive  la 
Belgique!  on  criait:  Vive  Rubens! 

Il  fallait  voir  alors  cette  jeunesse  ardente!  Il  fallait  la  voir,  dans  nos 
musées,  s'attacher  à   nos  vieux   maîtres,  les   étudier,   les  analyser,   les 
Tome  XXXII.  S 


54  ECOLE  FLAMANDE 

cxpliijuer!  Il  l'allail  la  voir  empoigner  des  loiles  immenses,  répandre  à 
flols  d'éclatantes  couleurs ,  faire  trembler  nos  grands  hommes  sur  leur 
piédestal!  Singulière  époque  el  heureux  effet  de  Fenthousiasnie !  on  maniait 
le  pinceau,  on  maniait  la  carabine;  au  feu  des  barricades  s'allumait  le 
feu  du  génie.  Toutes  les  palettes  sentaient  à  la  fois  le  bitume  Rubénien  el 
la  poudre  à  canon! 

La  bonne  route  était  reprise  enfin,  la  peinture  nationale  allait  renaître  et 
de  grands  peintres  nous  étaient  promis.  Du  courage  et  de  la  persistance 
encore  el  la  vieille  école  reprenait  vie  :  encore  un  peu  de  temps  et  Ton 
poursuivait  l'édifice  de  l'art,  on  continuait  Rubens! 

Hélas!  tout  cet  enthousiasme,  tout  cet  élan,  bientôt  s'écroula  :  l'amour 
de  la  nouveauté  et  la  mode  reprirent  leur  empire. 

La  renaissance  de  l'art  flamand  parut  chose  monstrueuse  :  c'était  beau, 
mais  c'était  usé,  il  fallait  du  nouveau. 

A  celte  époque  les  Français  étaient  fatigués  du  romantisme;  une  mode 
nouvelle  éclata  parmi  eux.  Celle  mode,  comme  toujours,  ne  fit  qu'un  saut 
de  Paris  à  Bruxelles.  C'est  alors  qu'apparut  la  peinture  grise,  la  peinture  qui 
règne  encore  aujourd'hui. 

Supposez  qu'une  personne  étrangère  à  l'art  s'avise  de  peindre  :  son 
œuvre  n'aura  ni  composition,  ni  dessin,  ni  couleur;  les  formes,  s'il  y  en  a, 
seront  plaies,  découpées,  impossibles;  la  couleur  sera  froide,  blafarde 
et  grise,  les  tons  seront  tourmentés,  barbouillés,  salis;  les  plans,  collés 
et  les  objets  sans  relief.  Il  y  aura  ce  que  l'on  remarque  dans  les  peintures 
d'enfants  :  la  couleur  vraie,  la  couleur  locale;  le  ton  juste  de  la  culotte  du 
polichinelle,  le  ton  juste  du  bleu  de  son  habit.  L'ensemble  sera  d'un  gris 
sale  et  rappellera  les  enseignes  de  village. 

Tel  est  l'aspect  de  la  peinture  à  la  mode ,  importée. 

La  peinture  grise  a  des  admirateurs  passionnés,  on  se  prend  d'amour 
pour  le  ton  local,  le  ton  juste,  les  tons  vrais  el  les  tons  gris;  on  sait  comment 
les  enfants  trouvent  facilement  toutes  ces  belles  choses. 

L'individualisme  a  des  principes  fort  curieux;  qu'on  en  juge  par  les  maximes 
suivantes  : 

L'élude  des  grands  maîtres  est  pernicieuse; 


DE  PEINTURE.  35 

Il  laul  cire  soi,  ne  rien  l'aire  de  ce  (|iii  a  élc  l'ail; 

L'iiidividualilc  est  la  qualilé  qui  l'ail  le  grand  peinlre  ! 

On  conçoit  quel  débordement  dut  suivre  de  tels  conseils,  quelle  lalilude 
surtout  ils  laissèrent  à  l'ignorance  et  à  la  paresse!  Chacun  visant  à  Tindivi- 
dualilé,  il  en  est  résulté  des  prétentions  à  la  célébrité  des  plus  risibles. 

Notre  école  moderne  n'est  pas  une  école. 

Où  il  y  a  école,  il  y  a  un  principe  accepté  de  tous;  un  principe  auquel 
tout  le  monde  a  foi  et  obéit.  Où  il  y  a  école,  il  y  a  la  force  collective  qui 
fait  les  grandes  choses.  Où  il  y  a  école,  chacun  vise  au  même  but,  et  ce 
but  est  bientôt  atteint. 

Une  école,  c'est  un  gros  de  soldats  s'élançant  vers  la  brèche. 

Loin  de  suivre  la  route  parcouiue  des  gi-ands  hommes ,  chacun  de  nos 
peintres  se  blottit  dans  son  petit  coin,  avec  sa  petite  idée,  son  petit  caprice 
et  sa  petite  originalité.  Pourquoi  chercherait-on  à  faire  mieux?  ce  qu'on  fait 
ne  ressemble  point  aux  maîtres,  est  unique  dans  son  genre,  on  n'a  rien  vu 
de  pareil.  Pourquoi  chercherait-on  à  faire  mieux?  ce  qu'on  fait  est  indi- 
viduel! Pourquoi  chercherait-on  à  faire  mieux  enfin?  ce  qu'on  produit  ne 
rapporle-t-il  pas  de  beaux  bénéfices? 

Et  croirait-on  qu'il  y  ait  des  admirateurs  et  des  acheteurs  de  toutes  ces 
folies  ! 

Oui ,  cela  est  ainsi.  La  corruption  du  goût  est  générale  :  il  n'y  a  plus 
de  règles,  plus  de  lois.  C'est  commode  pour  tout  le  monde.  Tout  le  monde 
ainsi  juge  sans  être  connaisseur.  Tout  le  monde  est  artiste  sans  avoir  étudié. 
Les  encouragements  ne  peuvent  manquer.  Chacun  apprécie  le  beau  selon 
ses  goûts ,  selon  ses  connaissances  spéciales  :  des  archéologues  par  exem|)le 
vous  disent  :  le  beau  dans  l'art,  c'est  l'archéologie;  des  chroniqueurs  :  c'est 
l'exactitude  des  faits  et  des  dates;  les  antiquaires  à  leur  tour  :  ce  sont  les 
costumes,  les  armures,  etc. 

La  mode  a  si  bien  troublé  toutes  les  cervelles ,  que  des  hommes  sérieux 
ont  ])Osé  des  questions  telles  que  celles-ci  : 

Est-il  bien  vrai  que  la  peinture  moderne  soit  supérieure  à  l'ancienne? 

Est-il  vrai  que  la  peinture  n'ait  pas  besoin  d'être  enseignée? 


36  ECOLE  FLAMANDE 

Est-il  vrai  que  les  académies  ii'aienl  pas  besoin  de  professeurs? 

Dans  la  confusion  générale,  les  impuissants  exploitent  les  esprits  abusés; 
sous  prétexte  d'orginaiilé,  Tignorance  se  pavane  —  elle  produit  des  mons- 
truosités et  dit  :  J'ai  fait  cela  exprès. 

Notre  peinture  moderne,  on  le  conçoit,  n'a  pas  de  caractère  national;  on 
peut  dire  même  qu'elle  n'a  pas  de  caractère. 

Dans  les  œuvres  de  nos  maîtres,  il  y  a  de  l'école  française  et  de  l'école 
espagnole.  Le  style  renaissance  s'y  fait  aussi  sentii'.  Quant  aux  vieux  lla- 
mands ,  ils  sont  peu  rappelés  :  il  semble  qu'on  ait  Uubens  en  horreur. 

Les  sujets  sont  prescpie  toujours  des  sujets  de  genre.  Nul  ne  s'élève  à 
ces  grands  agencements  du  nu  qui  font  la  gloire  de  Kubens  et  de  Michel- 
Ange.  Le  nu  est  soigneusement  évité,  parce  que  le  nu  est  diflicile.  Des  cos- 
tumes, des  accessoires,  des  modèles  faciles  à  poser,  tels  sont  les  éléments 
recherchés  de  nos  maîlies.  Ils  ne  dépassent  point  les  études  élémentaires 
académiques.  Point  d'élévation  de  pensée,  point  de  style  surtout.  Les  scènes 
historiques  sont  traitées  comme  les  scènes  de  taverne.  Nous  croyons  avoir 
des  peintres  d'histoire,  erreur!  Pour  peindre  l'histoire,  il  faut  en  avoir  le 
style;  le  sujet  historique  ne  fait  point  le  peintre  d'histoire;  l'épée  ne  fait 
point  le  héros. 

Il  y  a  une  prétention  générale  à  atteindre  le  vrai.  On  dédaigne  les  sujets 
où  l'imagination  crée.  Peindre  ce  que  l'on  sent,  ce  que  l'on  voit,  ce  qui 
pose ,  telle  est  la  loi  de  nos  artistes  à  la  mode. 

Selon  eux,  Rubens  eut  tort  de  peindre  la  descente  de  croix,  Raphaël  eut 
tort  de  peindre  des  saints  et  des  anges.  Tout  cela ,  faux  prétextes  :  histoire 
du  renard  et  des  raisins  trop  verts. 

Tout  est  matériel  dans  les  œuvres  de  nos  peintres  d'aujourd'hui.  Ils 
s'attachent  à  la  vérité  historique,  à  l'exactitude  chronologique  et  archéo- 
logique, au  rendu  des  étoffes,  des  cuirasses,  des  hallebardes. 

Toutes  choses  petites,  communes,  niaises,  faciles. 

Dessiner  le  poil  des  sourcils  à  l'Apollon  du  Bcivéder,  voilà  notre  époque. 

On  a  dit  :  Qui  nous  délivrera  des  Grecs  et  des  Romains?  On  dira  dans 
peu  :  Qui  nous  délivrera  du  réalisme?  Rien  de  fatigant  comme  une  constante 


DE  PEirsTURE  57 

réalité.  On  revicndi-a  sans  cesse  aux  œuvres  diniaginalion.  Los  mensonges 
irHomère  seront  toujours  préférés  aux  vérités  historiiines;  les  magnificences 
fabuleuses  de  Piubens  à  toutes  les  friperies  exactemenl  copiées  d'après  le 
mannequin. 

Le  peintre-machine  passera,  le  peintre-cerveau  restera  :  toujours  Tespril 
rem[)orle  sur  la  matière. 

Au  point  de  vue  de  la  composition,  du  dessin  et  de  la  couleur,  examinons 
maintenant  nos  maitres. 

iXotre  méthode  de  parallèle  va  nous  servir  encore. 

Supposons  à  côté  des  toiles  modernes,  une  œuvre  de  Uubens  ou  de 
Van  Dvck. 

Au  point  de  vue  de  la  composition,  que  voyons-nous? 

Dans  nos  vieux  maîtres,  Taspect  imposant  des  lignes,  la  majesté,  Tam- 
pleur,  ragencement,  les  beautés  du  nu. 

Dans  nos  peintres  modernes,  un  ensemble  sans  grandeur,  la  science  des 
lignes  ignorée,  le  nu  dissimulé,  des  assemblages  d'écoliers,  le  sentiment 
pittoresque  peu  développé. 

Chez  les  premiers,  le  mouvement,  l'unité,  l'expression,  la  vie.  Chez  les 
seconds,  l'action  sans  vigueur,  le  sujet  mal  exprimé,  le  froid  du  modèle 
partout,  la  roideur  du  mannequin  partout,  partout  l'inexpérience  et  l'igno- 
rance des  principes  éternels. 

Là  où  il  y  a  tendance  à  l'individualisme,  la  règle  se  perd,  l'art  i-ecom- 
mence,  Giolto  renaît. 

Au  point  de  vue  du  dessin,  que  pouvons-nous  dire  de  nos  novateurs?  Ils 
ont  pour  principe  de  ne  faire  rien  de  ce  qui  fut  fait,  de  tourner  le  dos  aux 
traditions.  Nous  ne  pouvons  donc  mieux  caractériser  le  dessin  moderne  que 
par  ces  mots  :  Tout  ce  qui  est  contraire  aux  bonnes  qualités  des  grands 

maitres. 

Au  point  de  vue  de  la  couleur,  l'individualisme  s'ingénie  à  trouver  les 

choses  les  plus  extravagantes. 

Ce  n'est  point  ainsi  que  les  grands  peintres  du  passé  cherchaient  l'origi- 
nalité :  ce  qu'ils  faisaient  pour  y  parvenir  n'outrageait  point  la  raison.  Pour 


38  FXOLE  FLAMANDE 

ne  pas  ressembler -au  Titien,  liubens  ne  salit  point  ses  pinceaux,  ne  les  plonge 
point  dans  des  tons  impossibles.  Ses  teintes  sont  chaudes,  pures,  brillantes  et 
vraies.  Pour  ne  point  ressembler  à  Rubens,  Van  Dyck  et  Jordaens  n'enfari- 
nent  point  leur  palette,  n'imitent  point  la  maladresse  des  enfants,  n'oublient 
point  le  clair-obscur,  la  perspective,  le  modelé.... 


En  résumé,  notre  peinture  moderne  a  tout  ce  qu'il  faut  pour  plaire  à  la 
foule  ignorante.  .Malheureusement,  ce  que  l'on  croit  nouveau  est  vieux  comme 
la  terre.  Ce  que  l'on  appelle  innovation  ressemble  aux  premiers  essais  de 
l'art,  rappelle  ce  que  firent  d'abord  les  Égyptiens,  puis  les  Grecs,  puis  les 
hommes  de  la  Renaissance. 

Chose  singulière,  l'art  a  son  flux  et  son  reflux. 

Depuis  nos  peintres  d'histoire  jusqu'à  nos  peintres  de  cabarets,  tous 
travaillent  pour  la  foule. 

i\otre  peinture  moderne  peut  à  bon  droit  porter  ce  titre  :  Peinture  bour- 
geoise. 

Si  l'on  compare  l'art  moderne  à  l'art  ancien,  un  sentiment  de  tristesse 
profonde  vous  saisit  :  La  belle  école  flamande  devait-elle  engendrer  de  pa- 
reils enfants  ! 

Quand  on  songe  que  toutes  ces  tètes  désorientées  sont  pleines  d'heureuses 
dispositions,  que,  parmi  ces  victimes  de  l'erreur,  il  en  est  qui  ont  du  talent, 
du  génie  ;  (jue  tout  cela  se  fourvoie  et  se  perd  ;  que  pour  s'élever  il  ne  fau- 
drait à  ces  imaginations  en  déroute  qu'un  peu  d'amour  de  la  gloire,  un  peu 
d'amour  de  la  patrie ,  qu'une  énergique  volonté  de  renverser  le  démon  de 
la  mode,  de  se  réveiller  comme  en  1830,  de  se  jeter  dans  les  bras  de  nos 
glorieux  maîtres.  Quand  on  )  songe ,  la  pitié  vous  prend  et  un  peu  la  honte 
aussi. 

Si  notre  voix  était  puissante  nous  dirions  à  nos  artistes  : 

Ouvriers  de  l'édifice  de  l'art,  plus  de  découragement,  plus  de  mutinerie  ! 
A  l'œuvre!  à  l'œuvre!  rentrez  sous  la  discipline!  plus  d'isolement,  plus  d'in- 
dividualité! l'individualilé,  vous  l'entendez  mal;  car,  seuls,  vous  ne  pouvez 


DE  PEINTURE. 


59 


lien.  Voyez  le  grand  édifice,  regardez -vous  à  ses  pieds  :  comme  vous  êtes 
pelils,  comme  vous  êtes  ridicules!  A  l'œuvre!  suivez  les  sublimes  archi- 
tectes. Écoutez,  ils  vous  appellent,  suivez  leurs  avis.  C'est  au  sommet  (pi'ils 
sont ,  c'est  là  qu'est  la  perfectibilité ,  c'est  là  qu'est  le  progrès  !  c'est  au 
sommet!  Allons,  à  l'œuvre!  là,  vous  serez  forts;  là,  vous  serez  utiles,  vous 
serez  grands;  là,  vos  travaux  seront  bons,  ils  seront  soutenus,  ils  seront 
liés,  liés  à  la  masse  solide,  à  l'édifice  éternel.  Montez  donc,  montez  votre 
pierre  et  voyez  où  il  faut  la  poser. 

Qui  a  posé  le  dernier  degré  ?  C'est  le  grand  maître  flamand  ,  c'est 
Hubens,  c'est  lui  qui  s'est  élevé  jusqu'à  la  cime.  C'est  donc  lui  qu'il  faut 
suivre,  c'est  lui  qu'il  faut  atteindre,  c'est  lui  qu'il  faut  surpasser!  c'est  sur 
sa  pierre  qu'il  faut  poser  votre  pierre,  élever  votre  talent,  couronner  votre 
individualité. 


jO£CAD£NC£ 


HUBENS. 
RAPHAËL. 
MICHEL-ANGE.\ 

PHIDIAS. 


D£CA/}£yVCje. 


ED  IFICE      DE      L  ART. 


FIN. 


MÉMOIRE 


SLR    LES 


CARACTÈRES  CONSTITUTIFS 

DE 

L'ÉCOLE  FLAMANDE  DE  PEINTURE, 

l'An 
M.  Edgar  BAES, 

PEINTRE,   A    ANVERS. 


(  Mémoire  couronne  par  la  classe  des  Beaux-arts  ,  le  24  septembre  11*63, J 


Tome  XXXII. 


MÉMOIRE 


SUR 


LES  CARACTÈRES  CONSTITUTIFS 


L'ÉCOLE  FLAMANDE  DE  PEINTURE 


EN  RÉPONSE  A  LA  QUESTION  SUIVANTE  : 

Déterminer  et  analyser  au  triple  point  de  vue  de  la  composition,  du  dessin 
et  de  la  couleur,  les  caractères  constitutifs  de  l'originalité  de  l'école 
flamande  de  peinture,  en  distinguant  ce  qui  est  essentiellement  natio- 
nal de  ce  qui  est  individuel. 


Rien  n'est  beau  que  le  vrai 


L'ÉCOLE  FLAMANDE. 


Avant  d'aborder  le  secret  des  traditions  dont  la  mise  en  pratique  constitue 
notre  école,  il  serait  bon  de  déterminer  ce  que  nous  entendons  par  Vécole 
flamande  de  peinlure,  où  et  quand  elle  commence,  quels  en  furent  les  créa- 
teurs, les  aspirations,  les  progrès  ou  la  décadence,  et  enfin  les  résultats  jus- 
(|u'à  nos  jours. 

Pour  nous,  l'école  flamande  proprement  dite  prend  naissance  à  Bruges, 
à  la  période  de  transition  entre  les  miniaturistes  du  moyen  âge  et  la  rénova- 
tion produite  par  Jean  Van  Eyck  et  ses  successeurs,  véritables  continuateurs 
des  pieux  artistes  de  missels  et  de  manuscrits. 

Malgré  l'ancienneté  de  cette  origine,  ce  n'est  pas  par  la  grande  peinture, 
ce  n'est  pas  par  un  coup  d'éclat,  par  des  éblouissements  grandioses  que  nous 
voyons  inaugurer  la  gloire  de  notre  école  :  c'est  par  un  labeur  souvent  pé- 
nible", par  un  soin  minutieux,  une  étude  de  tous  les  instants,  un  sentiment 


4  MEMOIRE 

profond  des  beautés  de  la  nature;  c'est  par  un  respect  sincère  et  religieux 
de  Part. 

Hemling,  ce  trait  d'union  du  passé  et  de  l'avenir,  se  présente  d'abord  à 
nous,  tendant  la  main  aux  Van  Eyckpour  tirer  la  peinture  de  l'obscurité  où 
elle  végète  depuis  des  siècles.  Autour  d'eux  se  groupent  aussitôt  tout  un 
cortège  de  peintres  vrais,  pleins  de  sentiment,  admirables  de  patience  et  cbez 
lesquels  un  travail  persévérant  et  soutenu  fait  édore  les  plus  grandes  qua- 
lités artistiques.  Quentin  31etzys  est  la  dernière  et  la  plus  sublime  expression 
de  cette  période. 

A  l'époque  de  la  renaissance,  celte  inquiétude  générale  des  esprits,  cette 
puissante  attraction  qui  existe  partout  vers  un  nouvel  ordre  d'idées,  ne  peut 
manquer  de  produire  sur  notre  école  une  pression  extraordinaire.  Déjà  les 
procédés  d'exécution  ont  gagné  une  facilité,  une  perfection  incontestable. 
La  vue  des  nouveaux  chefs-d'œuvre  italiens,  le  dessin  idéal  de  Raphaël,  de 
Léonard  et  de  Michel-Ange  entraînent  exclusivement  nos  artistes  à  recher- 
cher la  beauté  de  la  forme,  la  grâce  de  la  ligne  et  le  culte  de  l'art  antique; 
mais  ceci,  pour  notre  école,  ne  peut  être  considéré  que  comme  une  transition  : 
ces  tâtonnements  vers  le  beau,  sous  notre  ciel  du  Nord,  ne  pouvaient  pas 
garder  la  direction  et  les  tendances  de  l'Italie.  Aussi  voyons-nous  déjà,  à 
l'époque  d'Otto  Vœnius,  certains  génies  naturels,  dédaigneux  de  cette  sorte 
de  convention  qu'ils  comprennent  diflîcilemenl,  se  frayer  eux-mêmes  une 
voie  du  côté  où  leur  nature  les  entraine. 

De  ce  nombre  est  Adam  Van  Noort,  organisation  puissante,  un  peu  sau- 
vage, sans  culture,  mais  coloriste  plein  d'énergie.  En  un  mot,  Van  Noort  est 
à  Rubens  ce  que  fut  le  Pérugin  à  Raphaël. 

Nous  entrons  dans  la  glorieuse  époque  où  un  seul  homme,  un  seul  nom, 
éclipse  à  nos  yeux  éblouis  une  pléiade  de  célébrités  et  de  nobles  talents. 
Ici  les  traditions  du  moyen  âge  semblent  complètement  anéanties  :  tout  est 
renouvelé.  L'Italie  et  ses  inspirations  méridionales  disparaissent  devant  l'ori- 
ginalité flamande  du  chef  de  notre  école.  Le  maniement  du  pinceau,  jadis 
un  culte,  une  difficulté,  est  devenu  un  jeu  :  le  dessin ,  grandiose,  sûr  et  vrai, 
dégagé  de  toute  tendance  conventionnelle,  est  l'esclave  pour  ainsi  dire  d'une 
couleur  éblouissante,  inconcevable,  où  les  plus  grandes  difficultés,  les  com- 


SUR  L ÉCOLE  FLAMANDE  DE  PELMURE.         S 

binaisons  les  plus  suaves  s'entrelacent  à  nos  yeux  pour  nous  laisser  (lotler 
entre  l'élonnement  et  radmiration. 

Mais  cet  astre  éclatant  n'est  pas  seul  :  on  dirait  que,  possesseur  lui-même 
de  toutes  les  qualités,  il  a  voulu  les  partager  équitablement  entre  ses  satel- 
lites pour  s'en  former  une  nouvelle  auréole.  L'un  a  reçu  la  grâce  et  la  no- 
blesse, un  autre  la  force  de  couleur  et  d'effet,  un  troisième  l'babileté,  la 
finesse,  le  naturel,  et  le  Maître,  dans  ses  innombrables  compositions,  a 
montré  tantôt  chacune  de  ces  facultés,  tantôt  toutes  réunies. 

Rubens  a  fait  faire  à  notre  école  un  pas  immense  ;  désormais  ses  succes- 
seurs ne  font  que  l'éludier,  que  suivre  ses  traces,  sans  essayer  de  changer 
de  route,  ni  de  chercher  au  dehors  la  moindre  inspiration.  La  grande  pein- 
ture, le  genre,  le  paysage,  tout,  jusqu'à  la  fin  du  dix-huilième  siècle,  res- 
sort du  même  principe  invariable.  Pourtant  l'art  national  n'a  point  trouvé  là 
son  apogée  :  il  sent  qu'il  ne  suffit  plus  pour  lui  d'étudier  simplement  la  na- 
ture ou  les  grands  coloristes.  Les  disciples  dégénérés  des  émules  de  Rubens 
ont -fini  par  tomber  uniquement  dans  la  pratique,  sans  choix  de  sujet  :  le 
souffle  révolutionnaire,  les  idées  nouvelles  qui  attirent  l'esprit  humain  dans 
les  régions  abstraites  empêchent  par  cela  même  le  développement  de  l'art. 
L'art  est  vulgarisé,  asservi  à  une  mode  d'un  goût  faux  :  c'est  un  métier,  et 
tandis  que  tout  ce  qui  est  intellectuel  se  jette  à  corps  perdu  dans  les  utopies 
|)oliliques,  dans  des  rêveries  philosophi(|ues,  la  plus  belle  expression  de 
l'esprit  humain  est  abandonnée  presque  à  des  manœuvres. 

Ce  besoin  de  régénération,  qui  fait  frémir  la  société  eitfopéenne,  se  fait 
jour  cependant  en  peinture  comme  en  politique.  Lassé  de  la  convention  des 
peintures  pastorales,  des  décorations  Louis  XV,  on  demande  quelque  chose 
de  plus  vrai,  de  grandiose  et  de  beau.  La  révolution  amène  le  goût  de  l'an- 
lique  et  avec  lui,  chez  nous,  l'influence  française  de  David. 

Van  Rrée  est  le  fondateur  d'une  nouvelle  école  :  à  ce  litre  recommandable 
d'avoir  relevé  l'art  belge  d'une  sorte  d'oubli,  il  ajoute  d'éminentes  qualités  de 
dessinateur. 

La  couleur  n'est  point  comprise  dans  ce  moment;  elle  est  oubliée  ou  con- 
ventionnelle; mais  la  ligne,  le  dessin  proprement  dit,  sort  des  langes  et  arrive 
à  un  point  qu'il  n'a  jamais  atteint  en  Belgique.  On  voit  poindre  le  désir  de 


«  MEMOIRE 

la  pcinlure  idéaliste,  dont  la  réunion  avec  l'antique  peinture  des  yeux  doit 
former  la  perfection  dans  l'art,  but  que  l'on  semble  ne  pouvoir  atteindre  que 
par  efforts,  par  soubresauts,  pour  ainsi  dire,  suivis  chaque  fois  d'un  moment 
darrêt  ou  de  recul. 

Lens  est  encore  un  de  ces  peintres  de  transition  qui  ont  suivi  l'impulsion 
de  l'époque  vers  ranli(|ue  et  vers  une  idée  fausse  de  la  régénération  du  beau. 
Habitués  au  style  Louis  XV,  fatigués  des  airs  de  tète,  des  fadeurs  des  bergers 
et  bergères,  ils  ont  cru  trouver  la  dernière  limite  en  revenant  tout  d'un  coup 
à  l'antique  pur,  à  l'idéal  complet  :  et  de  fait,  s'ils  ont  produit  une  réaction 
salutaire,  ni  l'inspiration  ni  la  nature  ne  présidaient  à  cette  transformation, 
et  leurs  principes  systématiques  ne  firent  que  passer  du  genre  pastoral  dans 
un  style  élevé,  mais  mal  compris.  Avouons  cependant  que  ce  changement 
produisit  une  véritable  renaissance,  et,  pour  ne  parler  que  de  notre  pays, 
c'est  à  cette  direction  dévouée  que  nous  devons  plusieurs  des  illustrations 
contemporaines  de  notre  école. 

Herreins  fut  comme  l'avant-coureur  du  retour  vers  la  couleur.  Continué 
dans  sa  lâche  par  Paelinck  et  quelques  autres,  il  fil  éclore  enfin  une  con- 
currence aux  classiques.  La  couleur  et  la  nature,  sous  le  nom  de  romantisme, 
furent  l'étendard  qu'arborèrent  tous  ceux  qui  ressentaient  un  désir  ardent  de 
progrès.  ^ 

Nous  voici  enfin  arrivés  à  notre  époque  d'éclectisme,  époque  où  le  procédé 
d'exécution  a  atteint  des  limites  extraordinaires  sinon  infranchissables,  et 
où  l'idée  souvent  est  sacrifiée  à  la  praticpie  :  l'industrie,  les  inventions  nou- 
velles, l'enseignement  artistique,  la  propagation  générale  des  lumières  et  des 
chefs-d'œuvre,  tout  se  réunit  pour  aider  au  développement  de  l'art,  tout 
sert  à  former  des  maîtres  exercés,  d'une  habileté  consommée.  L'idée,  il  faut 
le  reconnaître,  le  sentiment  manque  dans  cet  assemblage  de  qualités;  tantôt 
on  est  à  s'avouer  impuissant  devant  les  premières  œuvres  de  l'art  gothique, 
tantôt  devant  les  compositions  grandioses  de  Rubens  ou  devant  la  céleste 
inspiration  des  maîtres  italiens;  on  se  sent  écrasé,  on  confesse  que  le  génie  a 
disparu,  si  le  talent  est  à  son  comble;  mais  le  temps  viendra,  et  c'est  par  le 
moyen  mécanique  de  l'industrie,  c'est  à  l'aide  du  procédé  que  le  feu  sacré 
se  fera  jour  et  parviendra  librement  à  darder  ses  ravons  sur  la  foule.  Si  celle 


SUR  L'ÉCOLE  FLAMANDE  DE  PEI?sTURR.  7 

époque  n'est  pas  la  nôtre,  on  peut  la  pressentir  pour  peu  qu'on  jelle  un 
regard  approfondi  en  arrière  et  autour  de  soi.  Notre  siècle  n'est  plus  celui 
de  la  foi  ni  dans  la  religion  ni  dans  l'art,  mais  nous  avons  la  foi  dans  la 
science  et  la  vérité,  qui  s'étalent  en  compositions  où  le  type  est  complet,  exact, 
où  les  recherches  sont  sûres,  où  plus  rien  ne  fait  défaut  sinon  l'inspiration. 

Nous  avons  de  nouveau  l'époque  du  travail  minutieux  et  persévérant  en 
tous  points;  il  nous  faut  atteindre  la  période  Rubens,  la  grande  peinture,  la 
pratique  au  service  d'un  génie  puissant  :  de  grandes  idées  reproduites  et 
symbolisées  par  une  exécution  inimitable. 

Nous  conclurons  donc  qu'il  n'y  a  pas  solution  de  continuité  entre  le  moyen 
âge  et  l'école  de  Rubens,  pas  plus  qu'entre  celle-ci  et  la  nôtre  :  elles  peuvent 
servir  également  de  base  à  notre  examen,  en  laissant  cependant  de  côté 
les  époques  sans  caractère  propre,  c'est-à-dire  la  renaissance  italienne  et  la 
domination  française. 

Par  une  étude  approfondie  des  tendances  identiques  de  toute  notre  école 
vers  le  même  but,  depuis  Van  Eyck  jusqu'à  nos  jours,  et  par  la  comparaison 
des  œuvres  nationales  avec  celles  dont  le  rapport  et  l'aflhiité  sont  le  plus 
propres  à  induire  en  erreur,  nous  devons  arriver  sûrement  à  déterminer  les 
signes  de  l'originalité  flamande. 

♦ 
COMPARAISON  ENTRE  LES  DIVERSES  ÉCOLES. 


Notre  école  a-t-elle  un  caractère  d'individualité,  et  peut-on  facilement  la 
séparer  des  autres  écoles  en  tout  temps  P  —  Il  est  hors  de  doute  que  l'on 
peut  juger  l'expression  artistique  d'un  peuple  d'après  son  caractère  physique 
et  moral.  Or  la  Relgique,  la  partie  flamande  surtout,  a  toujours  formé  sépa- 
ration distincte,  soit  avec  ses  voisins,  soit  avec  ses  dominateurs;  en  effet, 
on  a  toujours  dit  :  le  peuple  flamand,  les  Flamands,  distincts  de  toute  autre 
nationalité.  De  même  l'art  flamand  est  distinct  de  toute  influence  étrangère 
et  participe  des  caractères  constitutifs  du  peuple  et  de  l'esprit  flamand. 

On  n'a  pas  assez  étudié,  selon  nous,  par  rapport  à  l'art,  ce  que  peuvent 
produire  le  climat,  la  constitution  individuelle,  les  événements  physiques 


8  MEMOIRE 

clans  lin  peuple  ou  clans  un  homme  :  on  y  liouverait  matière  à  réflexions  et 
à  découvertes. 

Ne  voyons-nous  pas  en  effet  les  trois  grandes  écoles  coloristes,  la  Hol- 
lande, la  Flandre  et  Venise,  croître  sous  un  climat  également  humide,  dans 
un  pays  bas  et  entrecoupé  d'eau,  ciuoiciue  plus  chaud  là-bas  cjue  chez  nous? 
Ne  voyons -nous  pas  aussi  dans  d'autres  écoles,  au  centre  de  pays  méri- 
dionaux et  secs,  tels  que  la  France,  le  milieu  de  Tltalie,  ou  secs  et  froids 
comme  rAllemagne,  une  extrême  perfection  de  dessin,  de  sentiment,  une 
profonde  science  de  composition,  et  pas  de  couleur?  Évidemment  il  y  a  des 
exceptions,  mais  il  y  aurait  lieu  d'examiner  si  elles  ne  sont  pas  le  résultat  de 
conditions  particulières  d'existence  ou  de  tempérament. 

Le  Flamand  est  calme,  patient,  supportant  c|uelc|uefois  le  joug  jusc|u'à 
l'extrême  :  calculateur,  raisonnant  juste,  insouciant  des  choses  abstraites 
ou  trop  spéculatives,  se  bornant  volontiers  à  son  entourage  et  tâchant  de 
perfectionner  son  milieu  de  tous  les  jours  :  loyal  et  franc,  observateur  froid 
et  (|uelc|ue  peu  mociueur,  attaché  à  ses  institutions  et  à  ce  qu'il  a  pris  l'ha- 
bitude de  vénérer,  point  remuant,  mais  aimant  les  cérémonies,  le  brillant 
des  fêtes,  l'ornementation,  le  luxe  et  les  couleurs  vives  et  fraîches.  Avec  ce 
caractère  on  trouve  donc  rarement  des  exemples  de  celte  fougue  dont  Rubens 
est  peut-être  chez  nous  le  seul  représentant.  Lo  Flamand  est  lourd,  posé, 
physiquement  épais  et  fort,  frais  de  couleur,  gai  mais  tranquille. 

Autant  il  y  a  de  différence  entre  le  peuple  flamand  et  le  peuple  français, 
autant  il  y  a  de  dissemblance  entre  eux  dans  l'art. 

L'art  français  est  brillant  sans  profondeur,  facile  mais  peu  solide  ;  il  vise 
plus  à  l'effet  qu'à  l'étude  et  tombe  souvent  à  l'examen  approfondi.  La  cou- 
leur n'est  pas  son  fort;  elle  est  quelquefois  exagérée  quand  on  veut  la  faire 
dominer,  terne  et  malpropre  dans  d'autres  cas. 

L'école  allemande  a  un  cachet  gothic|ue  tout  particulier  qui  la  sépare 
complètement  de  celle  des  Flamands;  elle  a  cependant  avec  celle-ci  des 
points  de  ressemblance  :  la  réflexion,  l'étude,  la  naïveté,  les  détails;  mais 
un  excès  de  profondeur,  une  sorte  de  mysticisme  couvre  toujours  d'un  voile, 
chez  les  Allemands,  la  nature  et  leurs  idées. 

Les  Italiens  sont  reconnaissables  à  la  vue  :  leur  expression  artistique  dif- 


SLR  L'ÉCOLE  FLAMANDE  DE  PEliNTURE.  9 

fère  de  la  nôtre  comme  leur  pays,  leurs  mœurs  el  leur  lypej  la  couleur 
cependant  est  une  qualité  qui.  est  commune  à  Pllalie  et  à  la  Flandre,  mais 
quelle  différence  dans  le  procédé  comme  dans  les  tendances  ! 

Sous  la  domination  de  la  famille  de  Charles  V,  TEspagne  pourrait  venir 
se  mêler  à  nos  peintres  :  en  effet,  les  deux  nationalités  s'étaient  pour  ainsi  dire 
fondues;  mais  le  tempérament  naturel  produisait  néanmoins  des  manifesta- 
tions dissemblables;  car  les  effets  piquants,  vigoureux,  l'aspect  sombre  des 
idées  et  de  la  couleur,  la  chaleur  et  l'énergie  des  Ions,  habituels  aux  uns, 
ou  bien  leur  mate  finesse,  forment  contraste  avec  la  fraîcheur  flamande ,  la 
lumière  franche,  large,  brillante  et  les  touches  fines  et  relevées  des  autres. 
Il  existe  cependant  une  école  à  côté  de  la  nôtre  qui,  plus  que  toute  autre, 
a  une  évidente  affinité  avec  nos  procédés,  nos  idées,  notre  sentiment  et  notre 
caractère,  c'est  celle  de  la  Hollande,  à  laquelle  nous  réservons  un  chapitre 
spécial.  Examinons  d'abord  les  rapports  de  l'art  français  avec  l'art  belge.  Avant 
la  grande  époque  de  Louis  XIY,  la  France  a  peu  de  maîtres  qu'elle  puiss(! 
placer  en  parallèle  avec  la  nombreuse  phalange  déjà  produite  par  la  Belgique 
depuis  l'invention  de  la  peinture  à  l'huile.  Aussi  convient-il  de  s'occuper  de 
cette  époque  surtout,  pour  nous  rendre  compte  des  inspirations  de  l'école, 
dégagée  alors  de  Tinfluence  étrangère.  Nous  voyons  paraître  en  première  ligne 
Lebrun,  Mignard,  Vouet,  Lesueur,  Poussin,  Claude,  el  ensuite  Largillière, 
Coypel,  Varin,  Oudry,  Jouvenet,  Courlin,  etc.,  assurément  tous  hommes 
d'un  talent  remarquable  el  plusieurs  d'un  véritable  génie.  Que  nous  montre 
cette  réunion  de  peintres  d'un  même  pays  et  d'un  même  siècle?  D'abord,  peu 
de  tendance  vers  la  nature  ou  plutôt  la  naïveté;  et  toujours,  un  but  principal: 
l'effet,  la  grandeur  et  l'éblouissement  du  public;  ce  sont  à  peu  près  les  qua- 
lités de  l'art  décoratif.  Aussi  (fuelle  partie  de  l'art  a  plus  prospéré,  produit 
plus  de  chefs-d'œuvre  encore  admirables  de  nos  jours,  que  la  décoration  dans 
les  palais  de  Louis  XIV? 

Lepautre,  qui  a  exercé  une  grande  inlluence  sur  ses  contemporains  comme 
dessinateur,  Lebrun,  Pujel,  Lemoine,  n'étaient-ils  pas  de  vrais  décorateurs, 
et  n'onl-ils  pas  laissé  des  modèles  du  genre,  qu'a  renouvelés  depuis  Abel  de 
Pujol?  Dans  ce  siècle,  les  Lenain  seuls  donnent  l'idée  la  plus  vraie  possible 
de  la  nature,  et  à  ce  titre,  en  France  même,  on  les  compare  avec  orgueil 
Tome  XXXI  L  2 


iO  MEMOIRE 

aux  Flamands  j  mais,  ii  faut  l'avouer,  la  décoration  repose  essenliellement  sur 
un  système  de  convention,  défaut  qui  saule  aux  yeux  et  auquel  un  esprit 
inquiet,  remuant,  doué  d'une  rare  facilité,  dispose  nalurellemenl  les  ar- 
tistes français.  Leur  légèreté  est  aussi  sensible  dans  leur  peinture  :  éludiez 
un  tableau  français  et  n'importe  quel  flamand  qui  s'en  rapprocbe,  vous 
trouverez  cbez  le  premier  souvent  le  même  effet  sans  aucun  détail,  sans 
aucune  étude;  et  cbez  le  second,  un  travail  ardu,  persévérant,  soutenant 
l'examen  minutieux,  enfin,  une  œuvre  de  longue  baleine,  lis  ont  l'iiabileté 
de  jouer  sous  jambe  certaines  diflicultés  en  attirant  l'allention  sur  un  autre 
point  qu'ils  savent  traiter;  ils  ont  ce  défaut  de  conscience  qui  n'est  point 
facile  à  acquérir  et  que  le  langage  artistique  n'a  pu  caractériser  que  par  le 
nom  de  chic.  La  grâce  est  aussi  plus  leur  fait  que  le  nôtre  :  cbez  nous  plus 
de  fond,  cbez  eux  plus  de  forme.  La  couleur  française  a  une  certaine  sécbe- 
resse;  ce  moelleux  de  la  carnation  flamande  lui  manque,  à  cause  du  modelé 
incessant  qui  tend  à  fondre  tous  les  tons  et  leur  fait  perdre  leur  pureté  :  les 
Français  usent  trop  du  procédé,  des  tours  de  force:  ils  voient  l'art  seul  dans 
l'art,  et  point  la  nature. 

On  voit,  ver«  le  règne  de  Louis  XV,  à  quel  point  le  caractère  français  peut 
devenir  affecté,  systématiquement  esclave  de  la  mode;  où  trouver  en  effet 
l'ombre  du  nalurel  dans  les  nombreux  ouvrages  de  Bouclier,  Watteau,  Lan- 
cret,  Van  Loo ,  etc.,  estimés  cependant  alors,  ainsi  qu'ils  le  sont  aujourd'bui , 
comme  ayant  une  véritable  valeur  artistique?  Mais  en  eux  tout  est  système, 
tout  est  sacrifié  à  l'envie  de  plaire  ou  plutôt  de  réunir  les  tons  les  plus  faux, 
les  dessins  les  plus  impossibles,  les  attitudes  et  les  sujets  les  plus  invrai- 
semblables; et  tout  cela  semble,  pour  une  époque  du  moins,  la  vraie  école 
française.  Heureusement  qu'en  même  temps  on  trouve,  pour  relever  le  goût, 
Greuze,  un  peu  plus  naïf,  Chardin,  vraiment  consciencieux,  et  qui  porte 
moins  que  tout  autre  les  défauts  de  son  siècle. 

Enfin,  avec  l'empire,  rénovation  complète  d'idées  :  la  tendance  en  est-elle 
changée?  Non,  car  en  suivant  une  impulsion  plus  grande  à  la  recherche  du 
vrai  beau,  on  est  encore  néanmoins  tombé  dans  le  système;  en  voulant  faire 
de  l'antique,  on  a  souvent  touché  à  faux  :  le  goût  passager  l'emporte  presque 
toujours.  Il  y  a  cependant  une  aflinité  remarquable  en  fait  de  dessin,  de 


SUR  L'ÉCOLE  FLAMANDE  DE  PEINTURE.  W 

noblesse  et  (rentente  de  composition  entre  Girodet,  David,  Prudhon,  Gérard, 
Gros  et  quelques  autres  de  la  même  époque,  et  c'est  là  un  caractère  national. 
Les  Français  ont  du  rapport  avec  l'école  romaine,  sèche  et  dure,  grise  et 
sans  couleur,  mais  noble  ou  gracieuse  de  dessin  et  d'expression.  Ils  consi- 
dèrent l'effet  en  peinture  ainsi  qu'en  dessin  comme  un  contraste  entre  lo 
foncé  et  le  clair,  et  dans  la  composilion,  par  conséquent,  ne  recherchent 
que  la  ligne  heureuse  et  la  distribution  de  la  lumière;  la  couleur  est  chez 
eux  généralement  accessoire,  car  ils  ont  déjà  assez  d'occupation  à  diriger 
et  ménager  les  ombres  portées,  le  clair  et  l'obscur,  de  manière  à  équilibrer 
le  rendu  de  leur  sujet.  L'ombre  est  noire,  sans  transparence,  ce  qui  produit 
souvent  tache  dans  la  masse  claire,  et,  dans  tous  les  cas,  ternit  la  couleur 
générale  d'un  tableau. 

Nous  n'avons  pas  parlé  encore  de  l'Angleterre  qui ,  sans  avoir  eu  jusqu'ici 
une  place  marquante  dans  la  peinture,  n'en  a  pas  moins  un  grand  nombre 
d'œuvres  d'art  et  quelques  hommes  de  mérite  à  nous  offrir.  L'Angleterre  n'a 
pas  d'école:  chacun  a  suivi  sa  voie,  et  pourtant  ses  peintres  ont  tous  un  cachet 
de  nationalité  très-facile  à  découvrir;  c'est  peut-être  le  peuple  le  plus  original, 
tant  dans  l'art  que  dans  toute  autre  faculté  humaine.  Ils  adorent  la  nature, 
la  suivent  et  l'imitent,  mais  c'est  leur  nature,  la  nature  au  point  de  vue 
anglais,  ce  qui  frappe  au  premier  moment  tout  œil  étranger. 

La  couleur  est  fraîche  de  ton,  brillante,  agréable,  mais  l'etret  est  fort  rare; 
il  semble  qu'ils  procèdent  par  détail  et  que,  tous  les  détails  bien  terminés, 
on  ne  retrouve  plus  l'ensemble  :  il  y  a,  il  est  vrai,  des  exemples  contraires; 
l'éclectique  Joshua  Reynolds,  Hogarth,  Martin,  ont  parfaitement  connu  la 
valeur  de  l'effet;  mais  Benj.  West,  dans  ses  grandes  compositions,  Barry, 
dans  ses  tableaux  allégoriques,  n'ont  pu  s'empêcher  d'abonder  en  détails  son- 
vent  inutiles  ou  nuisibles.  Le  dessin  anglais  est  roide;  la  grâce  voluptueuse, 
la  morbidezza  des  Italiens,  l'énergique  vivacité  de  la  France,  leur  sont  in- 
connues. Cependant  un  sentiment  sincère  de  la  nature  anime  beaucoup  de- 
leurs  productions,  (|uand  ils  ne  se  laissent  pas  aller  à  un  parti  pris  ou  une  mé- 
thode; ils  sont  consciencieux,  exacts,  tant  pour  le  dessin  que  pour  la  couleur; 
leur  défaut  est  de  pousser  trop  loin  cette  qualité;  l'amour  des  détails  les  em- 
porte hors  des  masses;  les  points  brillants,  les  petits  reflets,  les  jeux  de 


12  MEMOIRE 

lumière,  marqués  parloul  el  passant  également  sur  tous  les  objets,  ne  laissent 
plus  de  place  pour  le  large  effet  d'une  lumière  franche  et  uniforme.  Chez 
nous,  sans  être  concentré,  comme  dans  les  tableaux  hollandais  et  espagtiols, 
Peffet  met  l'objet  principal  en  lumière  ou  dans  Fombre,  et  l'on  peut  d'un  coup 
d'oeil  se  rendre  compte  des  masses  claires  et  foncées.  Chez  les  Anglais,  le 
clair  est  partout,  l'ombre  aussi,  il  n'y  a  rien  qui  attire  et  tout  est  également 
traité.  Leurs  tableaux  ne  sont  pas  des  aspects,  c'est  un  assemblage  d'études 
quelquefois  superficielles,  souvent  approfondies.  Ils  sont  cependant  enclins 
aussi  à  la  convention ,  comme  les  Français ,  mais  par  un  défaut  contraire,  leur 
difficulté  d'exécution,  qui  les  engage  à  suivre  une  méthode.  Pour  la  compo- 
sition, s'élevant  rarement  à  des  idées  hors  du  cercle  des  objets  environnants, 
ils  ont  cependant  un  profond  moraliste,  Hogarth,  qui  a  su  faire  de  l'allégorie 
dans  le  réel  et  qui  porte  complètement  l'empreinte  du  caractère  anglais  :  on 
remarque  chez  lui  le  goût  des  détails  et  l'étude  dans  la  moindre  signification 
de  chacun  d'eux;  une  certaine  roideur,  peu  de  grâce  et  plutôt  un  penchant 
vers  l'étrangeté. 

L'Italie  nous  présente  trois  écoles  principales  qui  diffèrent  totalement  entre 
elles  et  bien  plus  avec  la  nôtre.  Les  Romains  sont  pour  ainsi  dire  nos  anti- 
podes. Leur  école  tout  idéale,  l'antique  rajeuni,  le  culte  du  beau  classique, 
un  dessin  sévère  et  noble  au  service  d'une  inspiration  élevée,  ne  peut  en 
aucune  façon  se  rapporter  à  la  simple  nature,  à  l'aspect  pittoresque  trouvé 
sans  recherche,  qui  est  le  critérium  de  l'art  flamand.  De  plus,  on  n'a  jamais 
cherché  à  mettre  en  avant  un  coloriste  parmi  le  cortège  d'artistes  qui  entourent 
Raphaël  et  Michel-Ângc  :  la  fresque  est  plutôt  leur  élément. 

Les  Lombards  sont  la  transition  entre  Rome  et  Venise:  tout  en  dessinant 
plus  noblement  que  celle-ci,  plus  moelleusement,  ils  ont  des  couleurs  fondues, 
légèrement  touchées,  des  tons  gris,  fins  et  moins  variés  que  chez  les  Vé- 
nitiens; ils  peuvent  rivaliser  avec  ceux-ci  pour  la  couleur,  mais  ils  sont  plus 
sobres  et  savent  surtout  tirer  parti  du  modelé  el  du  clair-obscur.  On  ne  trouve 
pas  chez  nous  celte  simplicité  de  coloris,  celle  harmonie  des  grands  tons  gé- 
néraux d'une  composition.  A  côté  d'un  tableau  flamand,  un  Corrége  semble 
presque  une  grisaille,  tant  l'effet  est  dans  la  lumière  et  tant  chez  nous  le  choix 
des  couleurs  est  varié. 


SUR  L'ÉCOLE  FLAMANDE  DE  PEINTURE.  i5 

Mais  tel  n'est  pas  le  cas,  si  rtous  motions  en  parallèle  un  Ruhens  et  un 
Véronèse,  par  exemple.  Cette  grande  école  vénitienne,  qu'on  dit  avoir  eu  tant 
d'influence  sur  le  chef  de  notre  école,  a  en  effet  une  grande  connexilé  avec 
toutes  nos  aptitudes  :  la  nature  est  son  but,  son  modèle;  la  couleur  est  son 
moyen;  son  désir,  la  vérité. 

Les  Vénitiens  font  de  la  couleur  dans  le  choix  des  tons  de  leur  composi- 
tion; ils  étendent  celle  qualité  aux  plus  petits  Ions  de  leurs  personnages.  Tout 
cela  se  rapporte  également  à  la  peinture  flamande;  mais  ce  que  nous  ne 
pouvons  représenter,  c'est  la  chaleur  de  la  carnation  italienne,  la  mate  linesse 
ou  la  sombre  énergie  de  cette  couleur  causée  par  le  climat;  ce  que  nous  ne 
possédons  pas,  c'est  cette  science  de  procéder  par  glacis,  de  produire  des  effets 
d'une  force  extraordinaire,  après  coup,  par  comparaison,  en  couvrant  d'un 
voile  transparent  une  partie  ou  trop  claire  ou  trop  faible  ;  la  couleur  des  Véni- 
tiens réside  dans  les  tons  gris  rompus ,  dans  le  mélange  extrême  des  nuances. 
La  nôtre  est  plus  simple,  plus  franche,  plus  pure,  depuis  les  grands  tons 
généraux  jusqu'aux  détails  :  les  glacis  sont  très-rares;  les  couleurs  les  plus 
variées  sont  franchement  juxtaposées  sans  se  heurter;  mais  dans  les  deux 
écoles,  une  lumière  large  est  prise  pour  base  et,  d'un  bout  à  l'autre  du 
tableau,  éclaire  la  composition  entière  sans  effet  concentré. 

L'Ilalie  a  encore  donné  le  jour  à  une  autre  école,  celle  de  Bologne,  qu'on 
pourrait  nommer  la  fusion  des  trois  autres.  En  effet,  les  Carrache ,  comme 
on  sait,  inculquaient  à  leurs  élèves  ce  principe  d'éclectisme  qui  fait  res- 
sembler l'un  à  un  Parmesan  avec  un  dessin  plus  vigoureux,  l'autre  à  un 
élève  de  Raphaël  avec  un  sentiment  de  coloris  plus  développé;  mais  en  tout 
cas,  il  sérail  difficile  de  confondre  avec  les  reflets  colorés,  transparents,  la 
carnation  blanche  et  claire  de  la  Flandre,  ces  ombres  noires  et  opaques,  ces 
clairs  dorés  et  chauds  de  ton  qui  sont  le  caractéristique  des  œuvres  que  nous 
examinons. 

On  dirait  que  les  Espagnols  sont  aux  Vénitiens  ce  que  les  Hollandais  sont 
aux  Belges  :  moins  de  dessin,  plus  de  nature,  si  l'on  entend  par  là  le  côté 
trivial,  ou  la  nature  prise  au  hasard;  ce  qu'on  a,  de  nos  jours,  caractérisé 
par  le  mot  réalismo.  Tout  leur  est  bon ,  tout  est  sujet  à  études ,  mais  ce  ne 
sont  presque  toujours  que  des  études  qu'ils  produisent  :  en  effet,  on  trouve  à 


a  31EM0IRE 

peu  prés  aussi  peu  d'œuvres  nobles  et  grandes,  de  pensée,  en  Espagne  cpie 
dans  les  Pays-Bas.  En  revanche,  le  portrait  y  est  admirable.  Leur  couleur 
est  prestpie  toujours  sombre,  comme  le  fond  de  leur  caractère;  leurs  effets 
forts  et  piquants;  ils  sont  sobres  de  tons,  travaillant  surtout  les  contrastes 
d'ombres  et  de  clairs;  et  au  lieu  de  commencer  par  la  couleur,  comme  les 
Flamands  et  les  Vénitiens,  ils  terminent,  quand  leur  effet  est  marqué,  par 
des  rehauts,  pour  piquer  laltenlion.  Il  y  a  cependant  une  différence  à  noter 
entre  les  Hollandais  et  les  Espagnols  en  fait  de  couleur  :  c'est  que  les  premiers 
semblent  vouloir  travailler  la  lumière  et  la  mitiger  par  la  demi -teinte  et 
l'ombre;  les  seconds,  au  contraire,  travaillent  les  ombres  pour  frapper  ensuite 
par  le  brillant  du  clair. 

■  On  ne  peut  contester  aux  Allemands  un  sentiment  vrai  et  sincère  de  Part 
dans  toutes  leurs  productions.  Rien  n'y  est  mis  sans  une  intention,  une  idée 
préalable  et  surtout  une  direction  poétique  qui  frappe  aussitôt  par  la  géné- 
ralité de  tendance  de  toute  l'école.  Chez  eux,  les  sujets  grotesques  ont  quelque 
chose  de  sérieux;  l'histoire  a  toujours  suivi  une  roule  élevée,  mais  sans 
toucher  au  premier  aspect  comme  dans  d'autres  écoles,  et  cela  à  cause  du 
manque  d'effet  :  ils  idéalisent,  ils  ne  peignent  pas  :  c'est  le  côté  moral  et  non 
le  pittoresque  de  la  nature  qui  les  inspire.  Les  peintures  et  les  gravures  d'Al- 
bert Durer  sont  de  vraies  allégories,  et  empruntent  presque  toujours  leur 
charme  à  ce  sentiment  contenu  dans  le  cœur  de  l'artiste. 

L'école  allemande  a  conservé  le  sentiment  gothique  jusque  dans  ses  pro- 
ductions de  style  antique;  elle  ne  peut  se  défaire  de  cet  aspect  moyen  âge 
qui  sort  d'ailleurs  du  fond  de  ses  idées.  Elle  unit  la  naïveté  à  ce  sentiment 
d'idéalisme;  par  cela  même,  elle  devait  s'attacher  surtout  à  la  ligne,  ce  moyen 
simple,  sans  distraction,  rapide  et  susceptible  de  tout  caractère  pour  repré- 
senter une  idée.  Sans  cesse  à  la  poursuite  d'une  signification ,  ses  peintres 
n'ont  pas  le  temps  de  s'occuper  d'un  ton,  d'un  ensemble  d'elïet,  d'im  rayon 
de  lumière,  ou  d'une  masse  mystérieuse  d'ombre;  mais  en  revanche,  le  moin- 
dre détail,  le  pli  le  plus  invisible  apporte  son  tribut  à  la  méditation  du  spec- 
tateur réfléchi. 

Holbein ,  cet  honnne  débauché ,  d'un  caractère  violent  et  désordonné ,  a 
cependant  ce  cachet  de  l'Allemagne  sur  toutes  ses  œuvres.  Le  vieux  Cranacli, 


SUR  L'ECOLE  FLAMANDE  DE  PEIINTURE.  ia 

Burgkmair,  Israël  Van  Meckenen,  el  laiil  d'autres,  no  font  que  corroborer 
notre  opinion  ;  et  de  nos  jours,  Schnorr,  dans  ses  compositions  magistrales, 
admirables  de  formes  et  de  sentiment^  mais  dépourvues  d'effet;  Kaulbach , 
Cornélius,  dont  la  couleur  el  le  clair-obscur  sacrifiés  ont  fait  dire  que  Pécole 
allemande  ne  pouvait  se  livrer  qu'à  la  fresque,  prouvent  à  Tévidence  que  le 
caractère  germanique  diffère  essentiellement  des  écoles  flamande  et  hollan- 
daise. 

En  fait  de  couleur,  rAllemagnc  est  comme  la  charge  de  la  Flandre,  par 
rapport  à  la  Hollande  :  celle-ci  a  Tharmonie  des  tons  gris  et  sombres;  elle 
est  sobre  de  couleurs;  la  Flandre  a  des  nuances  variées,  mais  harmoniques 
el  claires;  l'Allemagne,  des  Ions  heurtés,  criards,  durs  et  exagérés:  la  lour- 
deur est  un  défaut  commun  à  ces  Irois  pays. 

De  même,  pour  le  dessin,  la  Hollande  est  triviale,  la  Flandre  réaliste 
(ne  cherchant  que  le  vrai),  l'Allemagne  idéaliste:  Tune  sans  forme  souvent, 
la  deuxième  d'un  style  suivi  quoique  sans  noblesse ,  la  troisième  d'une  ligne 
dure  el  tourmentée,  exagérée,  mais  presque  toujours  noble.  Toutes  les  trois 
sont  donc  bien  loin  de  la  France,  gracieuse  et  facile,  mais  sans  profondeiu", 
et  encore  plus  de  l'Italie,  où  le  dessin  est  noble,  pur,  grandiose  ou  bien  plein 
d'une  voluptueuse  langueur. 

Pour  la  composition,  l'on  pourrait  établir  le  même  parallèle  :  la  Hollande 
vise  au  clair-obscur  et  à  l'effet;  la  Flandre,  à  l'aspecl  rendu  par  le  dessin  el  la 
couleur;  l'Allemagne,  à  la  ligne  et  au  sentiment,  que  vient  plutôt  contrarier 
l'emploi  de  la  couleur.  La  Hollande  ne  choisit  pas  ses  sujets;  elle  prend  le 
premier  aspect  venu  el  rend  un  sujet  simplement  pour  l'effet  pittoresque. 
La  Belgique  choisit  son  sujet  el  le  rend  comme  un  effet  de  la  nature,  comme 
elle  croit  qu'il  a  dû  se  passer,  et  quelquefois  comme  il  se  passe  en  réalité; 
l'Allemagne  l'approfondit,  l'idéalise,  le  transforme,  l'étudié  plus  loin  qu'il 
ne  le  comporte  souvent,  el  réussit  à  faire  du  grandiose  el  du  beau,  mais 
dépassant  souvent  le  but;  sa  profondeur  devient  quelquefois  un  mysticisme 
inintelligible. 

On  voit  que,  s'il  y  a  un  rapport  presque  égal  entre  les  Irois  écoles,  ce 
n'est  pas  du  côté  de  l'Allemagne  qu'on  pourrait  hésiter,  tant  pour  l'exécution 
que  pour  les  tendances.  Mais  il  n'en  est  pas  de  même  de  nos  voisins  du  Nord, 


K)  MEMOIRE 

dont  la  tlilTéronce  avec  noire  peinliue  n'a  été  jusqu'ici  que  vaguemcnl  défi- 
nie. En  constalanl  les  points  de  dissemblance,  il  nous  sera  facile  de  déduire 
les  caractères  constilutil's  de  l'école  flamande. 


RAPPROCHEMENT  DE  L'ÉCOLE  HOLLANDAISE  ET  DE 
L'ECOLE  FLAMANDE. 


On  pourrait  quelquefois  confondre  les  peintres  hollandais  avec  les  nôtres; 
en  efl'et,  nous  avons  été  compatriotes,  régis  par  les  mêmes  lois,  soumis  aux 
mêmes  idées,  et  la  Flandre  a  toujours  eu,  sinon  de  Fattraction,  du  moins 
quelque  affinité  pour  les  Pays-Bas.  Souvent  on  n'a  pu  établir  conq)létomenl 
l'origine  belge  ou  néerlandaise  de  certain  peintre,  mais  jamais  on  n'a  man- 
qué de  dire  cependant  :  il  était  flamand  ou  hollandais  par  son  travail,  son 
talent;  Hobbema,  si  longtemps  inconnu,  a  toujours  été  associé  à  Ruysdael 
el  à  Polter;  Brauwer,  flamand  de  naissance,  est  considéré  comme  hollan- 
dais de  travail  et  d'inspiration.  Il  faut  convenir  pourtant  qu'il  y  a  parfois 
matière  à  doute  ou  erreur,  si  l'on  excepte  la  grande  peinture.  Par  exemple, 
Vander  Helsl  a  fait  bien  des  portraits  que  l'école  flamande  pourrait  reven- 
diquer, du  moins  comme  couleur  el  dessin,  sinon  comme  sentiment  de  com- 
position :  il  en  a  peint  qui  semblent  identiques  avec  ceux  de  C.  Devos.  Ainsi, 
Pourbus  le  Vieux  tient,  comme  portraitiste,  beaucoup  de  la  Hollande,  et 
•lordaens,  dont  le  dessin  est  plus  hollandais  que  flamand,  a  quelques  têtes, 
de  femme  surtout,  où  sa  couleur  surpasse  son  dessin.  P.  Neefs,  dans  ses 
architectures,  est  complètement  hollandais.  D.  Rykacrt,  tout  autant.  Van 
IJyck  même,  le  type  de  l'élégance  du  portrait,  s'est  montré  quelquefois  hol- 
landais de  couleur,  surtout  en  peignant  des  enfants.  Il  y  a  beaucoup  du 
flamand  dans  les  portraits  de  Moreelse  et  même  dans  quelques-uns  de  Roi. 
Mais  c'est  surtout  dans  le  paysage  cl  les  sujets  de  genre  que  se  révèle  Taf- 
finité  :  ne  prendrait-on  pas  souvent  Wynants,  Wouwermans  pour  des  Fla- 
mands; et  Teniers,  Brauwer,  ne  semblent -ils  pas  souvent  de  la  famille 
des  Ostade,  des  ,1.  Siecn;  Fyl,  Weenicx  el  Snyders  ne  sont-ils  pas  un  peu 
parents,  comme  aussi  Van  Artois  et  Iluysmans,  avec  Pynacker,  Moucheron, 


SUR  L'ÉCOLE  FLAMANDE  DE  PEI?JTURE.  17 

Koning,  dans  le  paysage?  Jordaens  pcinl  les  animaux  comme  les  Hollandais, 
témoin  certain  tableau  du  musée  de  Lille,  représentant  des  vaches.  Mieris  a 
fréquemment  imité  le  coloris  fin  des  Flamands.  Enfin,  il  est  arrivé  que  des 
critiques  d'art,  français  et  autres,  ont  confondu  la  Hollande  et  la  Flandre 
au  point  de  dire  indifféremment  les  Flamands,  pour  iMetsu,  Terburg,  etc., 
ou  Técde  hollandaise,  pour  Teniers,  Breughel  et  leurs  confrères. 

Cependant  la  couleur  hollandaise  a  quelque  chose  de  terne,  de  sombre, 
qui  contraste  avec  l'éclat  et  le  brillant  des  Flamands.  Rapprochez  Tun  de 
l'autre  des  portraits  de  Roi  ou  Rembrandt  et  de  Van  Dyck  ;  chez  l'un  vous 
voyez  un  effet  fort  et  profond,  une  lumière  intense,  qui  vous  attire  et  semble 
au  premier  coup  d'oeil  plus  forte  que  celle  des  Flamands;  mais  un  second 
examen  vous  fait  découvrir  que  c'est  l'effet  obscur  qui  rejette  toute  l'attention 
sur  la  clarté,  ce  qui  n'arrive  pas  chez  nous. 

Nous  prenons  Van  Dyck  comme  point  de  comparaison ,  parce  qu'il  pos- 
sède plus  que  tout  autre  la  sobriété  des  tons,  leur  finesse  et  la  plupart  des 
facultés  hollandaises. 

Les  Hollandais  travaillent  entièrement  dans  une  gamme  grise,  et  quand  ils 
mettent  une  touche  pour  finir,  alors  seulement  ils  emploient  la  couleur  pure 
comme  clair  brillant.  Ils  ont  toujours  moins  d'éclat;  le  clair  semble  n'être 
qu'une  demi-teinte ,  tandis  que  chez  nous  le  clair  est  de  pure  couleur  et  la 
demi-teinte  sert  seulement  de  transition.  Us  arrivent  à  une  grande  force  de 
ton,  mais  plutôt  par  la  profondeur  que  par  la  lumière  :  par  cela  même, 
leur  peinture  s'adapte  mieux  à  la  représentation  des  sujets  d'intérieur,  tandis 
que  dans  nos  intérieurs  on  voit  entrer  la  lumière  et  le  plein  jour. 

Van  Dyck,  quelquefois  moins  vigoureux,  avec  un  effet  et  un  clair  moins 
vif  que  Rembrandt,  a  cependant  des  tons  |)lus  charnus,  plus  divers,  tout  en 
s'harmonisant  :  on  distingue  en  lui  l'élève  de  Rubens,  malgré  la  différence 
de  route  qu'a  suivie  leur  couleur. 

De  Crayer  a  le  défaut  hollandais  d'être  massif,  un  peu  bois,  et  cependant 
il  montre  parfois  de  fraîches  carnations,  ([ui  imitent  parfaitement  la  manière 
de  Rubens  et  dont  les  tons  fins,  bleuâtres  à  côté  de  tons  clairs,  sont  tout  à 
fait  difleremment  composés  :  on  voit  surtout  une  grande  diversité  dans  les 
Ions  vifs. 

Tome  XXXH.  3 


18  MÉMOIRE 

Van  Tluilden,  Hollandais  de  naissance,  en  a  gardé  le  senlimenl  el  métne 
la  couleur. 

Que  semblerait  èlre  une  peinture  hollandaise,  exécutée  du  premier  coup, 
sans  rappel  de  couleur,  sans  relouche  de  clair  et  sans  glacis?  Une  ébauche 
[doods-liokur),  une  peinture  fade,  sans  force,  ou  une  demi-teinte  perdue  dans 
un  brouillard;  tandis  que  Van  Dyck  même,  tout  en  employant  des  tons  gris, 
attire  Teffet  partout,  sans  transition  ni  chocs,  simplement  par  Tharmonie  et 
la  clarté  de  la  couleur. 

Chez  nous,  le  ton  de  rehaut  est  placé  de  suite  comme  clair  et  contraste 
avec  Tombre,  la  touche  brillante  en  fait  partie.  Chez  les  Hollandais,  il  vieni 
produire  après  coup  un  elTet  calculé  qui  résulte  de  rha])ileté  el  de  la  science 
des  procédés.  A  eux  le  fini,  le  travail  ardu,  le  soin,  la  minutie,  à  nous  la 
finesse,  la  légèreté  de  la  brosse,  la  facilité,  la  largeur  et  plus  de  couleur 
que  de  fini. 

On  pourrait  caractériser  la  dilîérence  en  disant  que  la  Hollande  a  le  secret 
des  procédés  el  la  Flandre  celui  du  coloris.  Tout  en  étant  une  des  nations 
les  mieux  douées  pour  le  sentiment  de  la  couleur,  la  Hollande  ne  peut  riva- 
liser avec  l'effet  large,  le  brillant  et  la  diversité,  je  dirais  prescjue  la  gaielé 
des  tons  de  l'école  flamande.  Cette  diversité,  il  est  vrai,  empêche  quelque- 
fois le  modelé,  dissémine  souvent  l'effet. 

Nous  avons  de  commun  avec  les  Vénitiens  la  science  de  l'harmonie  des 
contrastes  de  couleurs  vives,  qui  manque  à  la  Hollande.  Certains  tableaux 
hollandais  paraissent  sombres  partout,  sauf  un  petit  rappel  rouge  ou  blanc 
ouvert,  piquant  d'effet  ;  le  reste  se  fond  dans  le  ton  général  :  tout  est  clair- 
obscur,  même  dans  les  tableaux  des  italianisés  K.  Dujardin  et  Berchem.  Ils 
n'ont  pas  de  franchise  dans  la  couleur;  mais  ils  ont  une  science  profonde 
dans  le  parti  à  tirer  du  moindre  côlé  de  l'œuvre  pittoresque. 

Il  suffit  d'avoir  vu  peindre  quelques  Hollandais  pour  s'apercevoir  qu'ils 
font  une  autre  divisioti  que  nous  des  parties  d'une  même  figure.  Los  Fla- 
mands voient  le  clair  brillant,  le  ton  local  ou  plutôt  les  couleurs  locales, 
les  plans  fuyants  de  demi-teinte,  la  Iransilion  bleuâtre,  l'ombre  et  le  reflet. 
Les  Hollandais  ont  le  ton  local  avec  touche  colorée  ou  claire  et  qui  va  sou- 
vent, en  tons  gris,  jusqu'à  l'ombre,  en  restant  composé  de  même  que  le 


SUR  L'ÉCOLE  FLAiMAKDE  DE  PEl^TlJRE.  19 

clair;  ombre  bitumineuse  el  peu  de  reflets.  Leur  efl"el  est  plus  visible,  plus 
marqué;  s'il  y  a  moins  de  tons  divers,  ceux-ci  sont  plus  rompus;  l'absence 
de  cette  transition  bleuâtre,  ou  plutôt  de  contraste  entre  le  clair  el  sa  demi- 
teinte,  leur  donne  peu  de  tons  cbarnus;  ils  imitent  plutôt  le  bois,  d'autant 
l)lus  que  leur  pâte  est  souvent  lourde;  ils  travaillent  beaucoup  sur  un  fond 
bitumineux.  Comme  ils  peignent  en  clair  sur  un  fond  sombre,  ils  n'arrivent 
qu'au  ton  de  demi-teinte ,  car  leurs  clairs  restent  en  rapport  avec  le  ton  pri- 
mitif, tandis  que  nous  faisons  une  distinction  frappante  entre  le  clair  et 
l'ombre. 

Quelques  Vénitiens  ont  peint  aussi  en  demi-teinte,  mais  alors  leur  effet 
n'est  pas  piquant  :  l'ombre  se  fond  poétiquement  avec  le  clair,  comme  chez 
Giorgion,  sans  touches  lumineuses,  en  restant  dans  les  tons  gris,  mais  avec 
des  nuances  fortes  et  chaudes  que  ne  peuvent  atteindre  que  très-rarement 
les  Néerlandais,  malgré  la  profondeur  de  leurs  ombres.  Un  Flamand  vous 
[jrésentera  souvent,  à  côté  d'un  ton  clair  jaune  presque  pur,  une  demi-teinte 
franchement  bleuâtre  :  chez  nos  voisins,  il  est  presque  impossible  de  trouver 
de  pareils  exemples. 

Mieris  nous  ofl"re  des  tons  fins  sans  l'éclat,  le  brillant  des  clairs  ni  la 
variété  des  couleurs.  Tandis  que  Brauwer,  quoique  devenu  hollandais,  a 
gardé  ce  goût  de  contraste,  avec  sa  facilité  de  touche;  son  rival  Jean  Steen 
est  infiniment  plus  massif,  plus  lourd:  il  semble  que  sa  brosse  ne  se  détache 
point  de  la  pâte. 

Teniers  est  plus  noble  que  Van  Oslade,  moins  caustique,  moins  chargé, 
plus  naturel  et  naïf;  sa  couleur  s'arrondit  moins,  mais  il  est  large  d'effet,  lu- 
mineux. Ostade  (Adrien),  en  revanche,  est  piquant  d'effet  et  de  formes, 
plus  sombre,  accusé  et  sobre  de  couleurs;  ombres  bitumineuses. 

Metsu  a  un  modelé  plus  travaillé,  possédant  une  meilleure  entente  de  la 
dégradation  et  de  la  force  des  Ions  identiques;  il  est  plus  massif,  plus  rond 
et  s'occupe  davantage  du  clair-obscur.  Mais  c'est  surtout  dans  la  peinture  de 
tleurs  qu'on  peut  faire  un  examen  de  la  couleur  :  car  Zegers,  Van  Son,  Van 
Dael,  Breughel,  Lambrechts  d'un  côté,  Rachel  Ruysch,  Van  Huysum,  De 
Ileem ,  de  l'autre;  Van  Spaendonck,  qui  forme  le  trait  d'union  des  deux  écoles, 
peuvent  facilement  faire  distinguer,  au  milieu  des  tons  les  plus  frais,  chez  les 


20  MEMOIRE 

Hollaiulfiis ,  le  fini ,  Iharinonie  sobre  des  tons,  TeiTel  concentré ,  le  demi-jour, 
une  lumière  \9gue  et  poétique  et  peu  de  choix  dans  le  dessin  et  le  groupé  ; 
chez  nous,  au  contraire,  Tintention,  le  choix  et  la  disposition,  la  lumière 
large  et  vigoureuse,  les  tons  vifs  et  variés,  une  certaine  largeur  de  brosse 
qui  exclut  un  grand  fini.  La  peinture  de  fieurs  nous  semble  contraire  au  tem- 
pérament hollandais,  qui  cherche  TelTet  concentré  (ici  nous  ne  parlons  pas 
de  nature  morte).  Quand  ils  veulent  employer  la  couleur  en  mosaïque,  pour 
ainsi  dire,  qu'exigent  les  fleurs,  les  Hollandais  sont  souvent  heurtés,  si  l'ombre 
ne  leur  vient  pas  en  aide  pour  modeler,  et  les  fleurs  ont  besoin  de  la  pleine 
lumière. 

Les  Flamands  mettent  la  clarté  partout,  mais  par  là  leurs  tableaux  de 
fleurs  sont  souvent  plats,  n'empruntant  leur  charme  (|u'à  Tharmonie  des 
tons. 

L'instinct  de  la  nature  guide  notre  dessin,  et  nous  ne  cherchons  guère 
autre  chose  que  sa  reproduction  :  les  Hollandais  cherchent  ou  acceptent  le 
trivial  :  il  leur  est  diflicile  de  produire  un  dessin  noble,  correct,  grandiose. 
Ils  peignent  sans  dessin,  et  nous  en  dessinant.  Ils  y  gagnent  quelquefois  en 
attrait  et  en  finesse,  surtout  dans  leurs  petits  tableaux;  mais  on  ne  peut  nier 
que  le  dessin  de  nos  Teniers,  Breughel,  Vinckeboom,  Van  Meuwlandt,  sans 
être  aussi  caractéristicpie,  ne  porte  avec  lui  un  talent  d'observation  inimi- 
table, un  sentiment  de  la  nature  souvent  délicat  et  s'élevant  parfois  jusqu'à 
la  noblesse,  jusqu'à  l'élégance,  ce  qu'on  peut. rarement  accorder  à  nos  voi- 
sins. 

Une  preuve  à  l'appui  de  notre  opinion,  c'est  que,  parmi  les  gothiques 
c'est-à-dire  depuis  Van  Eyck  jusqu'à  Van  Orley,  alors  que  la  religion  était 
la  même  et  qu'une  communauté  de  mœurs,  de  tendances  et  de  maîtres  devait 
en  quehjue  sorte  passer  un  niveau  sur  l'expression  artisliiiue,  on  dislingue 
encore  aisément  les  peintres  hollandais  des  flamands,  en  suivant  les  carac- 
tères que  nous  venons  d'énoncer. 

Ainsi,  quand  on  compare  un  tableau  de  J.  Mostaert  avec  d'autres,  dus  à 
des  Flamands  du  même  style,  on  voit  une  tendance  vers  l'eff'et  concentré  qui 
lui  est  commune  avec  J.  Swarl,  avec  L.  Van  Noort,  tandis  que  chez  Vander 
Goes,  Gossart,  Vander  Weyden,  l'eftet  et  l'équilibre  restent  toujours  dans  la 


SUR  L'ÉCOLE  FLAMAISDE  DE  PEllNTURE.  21 

couleur  el  non  dans  le  clair-obscur;  on  peut  reconnaître  le  peu  de  souci  qu'ils 
ont  eu  des  effets  de  lumière,  car  presque  tous  leurs  tableaux  sont  éclairés  par 
devant  ou  par  une  lumière  uniforme.  Ils  nous  présentent  aussi  généralement 
cette  diversité  dans  le  choix  des  tons,  même  Vander  Weyden,  dans  les  quel- 
ques tableaux  où  il  a  travaillé  les  tons  gris  fins. 

Comme  dessin,  Hoemskerk,  Moslaert,  nous  offrent  une  ligne  moins  dure  el 
qui  semble  plus  fondue;  le  premier  est  complètement  hollandais,  sans  avoir 
pourtant  l'effet  de  lumière  ((pialitè  que  A.  Grimmer  semble  avoir  accaparée 
parmi  les  gothiques).  11  est  trivial,  mou  de  contours,  rond  et  modelé,  gris 
de  tons.  31oslaert,  lui,  est  lourd,  tout  est  un  peu  bois  chez  lui;  il  a  un 
grand  modelé,  une  grande  harmonie,  mais  dans  les  tons  gris  el  les  couleurs 
sombres  :  on  Irouverait  chez  lui  très -peu  de  couleurs  éclatantes  et  encore 
moins  de  lumières  vives.  A  l'encontre,  enfin,  de  tous  nos  peintres,  les  Hol- 
landais nous  présentent  une  unité  de  tons  réveillée  simplement  par  quelques 
rehauts;  aucune  idée  de  reflet,  mais  souvent  un  véritable  relief. 

RÈGLES  ET  CARACTÈRES  CONSTITUTIFS  DE  L'ART  FLAMAND. 


La  peinture  flamande  exclut  toute  convention  :  par  cela  même  on  croirait 
que  roriginalilé  doit  être  extrême  et  variée  dans  chaque  artiste,  et  cepen- 
dant il  est  des  règles  constantes,  sûres,  auxquelles,  malgré  eux  et  sans 
en  avoir  été  avertis,  les  peintres  flamands  ne  font  jamais  défaut;  ces  règles 
sont  tirées,  non-seulemenl  de  la  nature  en  général,  mais  de  Texamen  attentif 
de  la  nature  sous  le  ciel  flamand  avec  les  idées  flamandes.  Essayons  de  les 
exposer  ici,  telles  que  nos  comparaisons  multipliées  les  ont  présentées  à  noire 
jugement. 

La  patience  est  la  première  des  vertus  flamandes  :  de  là,  une  sorte  de 
travail  de  mosaïque  dans  les  trois  branches  que  nous  allons  examiner.  En 
effet,  les  tons  se  juxtaposent  l'un  d'après  l'autre,  el  nous  oserions  aflirmer 
que  chaque  objet  ou  personnage  d'une  composition  s'y  met  de  même  l'un 
d'après  l'autre,  le  tout  s'enchaînant  ainsi  pour  obéir  à  une  sorte  d'intuition 
existant  dans  l'esprit  du  peintre. 


22  MÉMOIRE 


COMPOSlTIOiN. 


Naïveté  et  pittoresque. 

Un  senliment  vrai  de  la  nalure  a  toujours  été  le  premier  caractère  des 
tableaux  de  notre  école  :  chez  les  uns  exagéré  peut-être  et  tombant  dans 
le  trivial,  chez  d'autres  mitigé  par  l'éducation,  les  voyages  ou  une  élude  plus 
appiofondie  de  l'une  ou  de  l'autre  école  étrangère.  Ce  caractère  est  incon- 
testable dans  les  peintres  gothiques;  avec  quelque  attention,  on  le  retrouve 
encore  dans  les  maîtres  de  la  renaissance,  qui,  malgré  leur  imitation  de 
l'Italie,  s'attachèrent  surtout  au  côté  naïf  et  gracieux  que  présentait  la  pein- 
ture de  cette  école.  Où  il  existe  encore  sans  contredit,  c'est  chez  les  peintres 
de  genre  qui  suivirent  l'époque  de  Rubens.  A  ce  nom,  une  objection  sérieuse 
se  présente  cependant  :  peut-on  juger  comme  naïves  les  productions  de  Ru- 
bens et  des  autres  peintres  d'histoire  que  forma  son  génie  et  qui  suivirent 
ses  traces?  —  Oui,  répondrons-nous:  au  centre  de  la  grandeur  déployée 
dans  ses  magnifiques  compositions  par  le  roi  des  peintres,  ainsi  qu"au  milieu 
de  l'aristocratique  élégance  de  Van  Dyck,  on  découvre  toujours  un  sentiment 
intime  de  la  nature,  soit  qu'il  se  révèle  par  une  Madeleine  échevelée,  implo- 
rant les  bourreaux  du  Christ  qu'elle  aime  de  toute  la  puissance  de  sa  double 
nature,  soit  qu'il  se  traduise  par  un  ange  en  deuil  versant  des  larmes  sur 
le  corps  détaché  du  Sauveur,  soit  enfin  qu'il  résulte  d'un  détail  qui  semble- 
rait trivial  dans  tout  autre  et  qui  s'ennoblit  au  contraire  par  le  sentiment 
expressif. 

Pittoresque  au  plus  haut  point,  la  composition  llamande  doit  cette  qualité 
à  sa  couleur;  la  recherche  de  la  couleur  fait  trouver  l'efTet  d'ensemble,  dis- 
paraître la  convention;  et  quoi  de  plus  artistique  que  la  couleur  dans  les 
procédés  de  l'art?  Aussi  la  grandeur  magistrale  de  la  ligne,  la  recherche  de 
la  forme ,  la  noblesse ,  l'idéalisme  enfin  ne  sont  pas  souvent  du  domaine  de 
nos  peintres. 

La  partie  de  la  peinture  d'histoire  commune  avec  la  sculpture  n'a  jamais 
intéressé  des  hommes  que  leur  instinct  naturel  porte  à  admirer  les  nuances 


SUR  L'ÉCOLE  FLAMANDE  DE  PEINTURE.  23 

les  plus  délicates  et  riiarmonie  des  Ions  éclatants  qu'offrenl  à  leurs  yeux  la 
nature  humaine  aussi  bien  que  le  paysage  el  le  ciel.  Cependant,  la  gran- 
deur leur  manque-t-elle  absolument?  Non  certes,  et  sauf  quelques  maîtres 
italiens,  il  n'y  a  pas  d'exemples  de  compositions  plus  magistrales,  plus  frap- 
pantes à  la  première  vue  que  celles  de  quelques-uns  de  nos  maîtres  ;  mais 
c'est  à  la  couleur  seule,  c'est  à  l'aspect  qu'ils  doivent  cet  avantage,  qui  ne 
résulte  point  de  l'ordonnance  du  tableau. 

Largeur  de  la  lumière. 

Ici  nous  abordons  un  des  principaux  caractères  de  l'école  :  la  distribution  de 
la  lumière  dans  la  composition.  De  quels  exemples  admirables  ne  pouvons- 
nous  pas  nous  élayer  pour  mettre  en  parallèle  les  chefs-d'œuvre  flamands 
avec  ceux  de  l'Italie,  de  l'Espagne,  de  la  Hollande,  etc.,  où  certains  peintres 
semblent  avoir  joué  avec  le  soleil  lui-même,  pour  produire  l'effet  qu'ils  dé- 
siraient! Mais  dans  le  Midi  comme  en  Hollande,  sous  des  ciels  opposés,  les 
effets  ont  été  à  peu  près  identiques  :  l'énergie  du  soleil  de  la  Méditerranée 
a  produit,  par  ses  contrastes  d'ombre,  des  effets  piquants,  une  force  éton- 
nante ,  que  l'on  retrouve  avec  surprise  sous  le  climat  brumeux  et  froid  de  la 
Hollande:  ici,  par  le  moyen  de  l'ombre,  là,  par  l'effet  du  soleil. 

Rien  de  semblable  chez  nous.  Une  lumière  large,  étendue,  brillante,  géné- 
rale, où  la  couleur  fait  plus  pour  les  contrastes  que  le  défaut  de  lumière; 
un  clair-obscur  formé  par  le  ton  lui-même,  tel  qu'un  Véronèse  peut  l'avoir 
imaginé;  un  effet  calme,  trouvé  sans  recherche,  tranquille  comme  un  Ve- 
lasquez,  comme  certains  Tiliens  ou  Giorgions,  mais  sans  celte  sombre  pro- 
fondeur qu'acquiert  chez  eux  le  jour,  privé  de  leur  soleil  éclatant.  Chez 
nous,  la  lumière  joue,  touche,  eflleure  tout  :  chaque  objet  a  son  clair,  son 
ombre,  ses  demi-teintes,  ses  reflets  et  ses  points  brillants,  mais  elle  reste  à 
la  surface. 

Dans  le  Midi,  elle  semble  entrer  dans  les  objets,  se  perdre  dans  leur 
profondeur  :  tout  est  mat.  Ici,  tout  est  luisant,  poli,  brillant.  De  là,  une 
différence  d'effets  de  composition.  Les  Flamands  semblent  vouloir  repro- 
duire unr  aspect  qu'ils  ont  vu,  sans  songer  à  distribuer  la  lumière  à  tel  ou 


24  MEMOIRE 

tel  endroit ,  sans  essayer  d'équilibrer  leur  composition  par  une  onihre  jetée 
avec  motif  ou  par  un  effet  surnaturel;  la  première  lumière  venue  leur  est 
bonne;  ils  entament  leur  sujet,  Téquilibre  est  parfait,  l'effet  est  produit;  ils 
ne  comptent  que  sur  la  couleur  pour  trouver  au  fur  et  à  mesure  ce  qui  leur 
manque. 

C'est  ainsi  que,  dans  le  Coup  de  tance  de  Rubens,  la  lumière  blancbe  du 
corps  du  Christ  est  ramenée,  comme  par  enchantement,  sur  le  premier  plan 
de  la  Vierge  et  de  saint  Jean  par  un  manteau  d'un  rouge  extraordinaire  qui, 
dans  ce  coin  sombre,  fait  comme  l'effet  d'un  rayon  de  soleil. 

Diversité  dans  le  choix  des  tons. 

Le  choix  des  tons  révèle,  dans  son  ensemble,  le  goût  et  les  aptitudes  de 
notre  nation;  en  effet,  là  où  les  autres  arrivent  à  la  variété  par  des  essais, 
des  tâtonnements  ou  une  sorte  de  science  puisée  dans  l'étude,  on  voit  chez 
nous  le  peintre  poser  franchement  ses  tons  sans  arrière-pensée,  sans  pré- 
occupation de  procédé  et,  du  premier  coup,  arriver  à  une  puissance  d'effet 
ou  une  finesse  poétique  de  nuances  inimaginable,  selon  que  l'exige  l'équi- 
libre des  teintes  ou  leur  dégradation  vers  le  lointain.  Par  là  on  voit  souvent 
les  arrière-plans  offrir  des  parties  plus  éclatantes  que  d'autres  sur  le  pre- 
mier plan,  et  rester  cependant  parfaitement  à  leur  place.  Le  Flamand  trouve 
naturellement  sur  sa  palette  les  nuances  dont  la  réunion  produit  un  charme: 
il  évite  par  instinct  des  Ions  criards  ou  faux,  ou  trop  contrastants  et,  sans 
fatiguer  sa  couleur,  il  la  varie  admirablement.  Remarquez  comme  un  rappel 
de  couleur  se  montre  souvent  d'un  côté  à  l'autre  de  la  toile;  comme  un  con- 
traste ménagé,  quelquefois  sans  le  savoir,  vient  reporter  l'attention  sur  un 
côté  inobservé  ! 

Les  gothiques,  Breughel,  tous  enfin,  nous  présentent  ce  choix  varié  de 
couleurs  vives  que  les  Allemands  exagèrent  et  dont  le  bon  goût  sait  tirer  un 
si  grand  parti. 

Il  n'y  a  pas,  comme  dans  d'autres  écoles,  une  lumière  concentrée  qui  cap- 
tive l'attention  :  la  lumière  est  la  même  au  centre  qu'aux  deux  bonis;  elle 
vient  du  même  côté,  largement  et  jamais  par  rayon;  mais  la  vivacité  de 


SUR  LECOLE  FLAMANDE  DE  PEINTURE.  2o 

la  couleur  au  cenlrc ,  miligée  insensihiemeiil  vers  les  bords,  fait  quelquefois 
l'oflice  (le  miroir  concenlriquo. 

Ampleur  du  sli/(c  et  des  formes. 

f^a  niajeslé  est  souvent  notre  fait ,  la  grâce  rarement ,  la  svelte  élégance 
jamais.  La  beauté  llamande  est  une  beauté  forte,  calme,  énergique,  sou- 
riante et  fraîche;  mais  aussi  dépourvue  de  coquette  alTéterie,  de  voluptueuse 
délicatesse,  de  grâce  maladive  que  de  la  révélation  mystique,  du  sombre 
ascétisme  ou  des  passions  altières. 

La  sinqilicité  dans  les  vues  et  dans  l'agencemenl  d'une  composition  est 
la  première  cause  de  l'ampleur  du  style  :  aussi,  même  chez  les  Gothiques, 
nous  trouvons  une  masse  imposante,  des  groupes  souvent  serrés,  des  figures 
nobles,  amples,  majestueuses,  malgré  leur  apparente  maigreur  et  l'étriqué 
ou  la  roideur  de  leurs  draperies;  et  c'est  plutôt  le  disparate  des  tons  qui 
éparpille  l'effet  chez  eux.  Cette  remarque  s'applique  surtout  à  Van  Eyck,  à 
Hemliiig  et  à  Vander  Weyden. 

Chez  les  Flamands  plus  modernes,  celle  ampleur  existe  plus  dans  le  Ion  et 
la  couleur  que  dans  le  dessin  ou  la  réunion  des  groupes.  La  rondeur  de  ceux-ci 
est  chose  très-apparente  :  jamais  de  dureté;  l'une  partie  se  ramène  aux  autres 
en  modelant  la  masse  et  en  formant  la  grappe;  la  lumière  court  insensiblement 
de  manière  que,  même  à  travers  l'ombre,  le  clair  se  rattache  au  clair. 

Nous  pourrions  certes  citer  des  exceptions,  Boeyermans,  par  exemple; 
mais,  presque  toujours,  la  masse  est  bien  nourrie,  les  groupes  sont  serrés 
et  pleins;  dans  un  groupe  ou  un  plan  tous  les  clairs  sont  réunis  et  toutes  les 
ombres  aussi,  de  manière  à  sembler  une  masse  solide  et  ronde;  et  quand  il 
y  a  une  partie  noire  dans  une  gamme  claire,  elle  est  si  vigoureuse  qu'elle 
ressort  autant  que  le  clair,  et  aide  à  continuer  l'ensemble  sans  interruption  ; 
si,  dans  une  masse,  il  y  a  un  trou  par  lequel  l'on  voit  le  fond  ou  le  ciel,  ce 
fond  est  si  conforme  au  ton  général,  qu'on  ne  remar(|ue  pas  seulemeni  la 
dureté  que  paraît  devoir  produire  toujours  un  vide. 

Enfin,  les  ombres  dans  les  parties  claires  participent  du  clair  et  vice  versa, 
de  façon  que  le  tout  forme  une  masse  épaisse ,  large  et  simple. 

Tome  XXXIL  4 


26  MEMOIRE 

Manque  de  slyle  dans  les  draperies. 

Le  jet  des  draperies,  toujours  nalurel,  quelquefois  chiffonné,  tounnenlé 
comme  dans  Jordaens,  d'autres  fois  grandiose,  noble  et  majestueux,  mais 
lourd,  comme  chez  Rubens,  n'a  rien  d'étudié  comme  dans  certaines  écoles 
et  chez  les  Antiques.  Jamais  on  n'a  songé  aux  contrastes  de  plis,  à  l'arrange- 
ment dans  tel  ou  tel  sens,  au  style,  à  la  transparence,  aux  formes  que  re- 
couvre l'étolTe.  On  dirait  d'une  draperie  (juelconque,  jetée  sur  un  modèle  et 
copiée  fidèlement  avec  tout  ce  que  le  hasard  y  a  mis  d'heureux  ou  d'impar- 
fait. C'est  le  même  mode  d'action  que  chez  les  Vénitiens  et  les  Espagnols  : 
résultat  de  l'étude  simple  de  la  nature  particulière  aux  coloristes  de  tempé- 
rament. 

Cette  remarque  a  plus  d'intérêt  chez  les  Gothiques;  en  effet,  le  style  de 
leurs  draperies  est  souvent  loué  avec  raison,  et  cependant,  malgré  le  sentiment 
et  l'étude  qu'ils  ont  mis  en  tout,  on  y  reconnaît  presque  toujours  la  copie  ser- 
vile  d'une  étoffe  à  peine  dépliée  et  dont  le  hasard  forme  les  sinuosités. 

Emploi  des  raceourcis. 

Raphaël  n'a  presque  jamais  employé  les  raccourcis,  qui,  en  effet,  nuisent 
à  la  beauté  entendue  selon  le  slyle  classique,  par  leur  énergie,  leur  fougue 
et  leur  étrangeté,  qui  jurent  avec  le  calme  nécessaire  au  beau  idéal. 

L'école  lombarde  et  quelques  Vénitiens  ont  suivi  le  même  principe;  mais 
l'Espagne,  prenant  la  nature  sur  le  fait,  en  a  usé  largement,  et  nos  maîtres 
n'ont  jamais  cherché  à  les  éviter,  même  ceux  dont  le  génie  élégant  semblait 
devoir  les  rejeter.  Quant  à  Rubens,  c'est  un  de  ses  caractères,  et  l'on  trou- 
vera bien  peu  de  ses  tableaux,  de  ses  personnages  même,  dirons-nous,  (pii 
n'olTrent  quelque  raccourci. 

Équilibre  des  tons. 

La  lumière  est  partout,  et  l'œil,  se  fixant  sur  un  endroit  quelconque  du 
tableau,  est  ramené  vers  d'autres  points,  mais  surtout  vers  ceux  que  la 
couleur  met  en  évidence. 


SUR  LÉCOLE  FLAMA>iDE  DE  PEINTURE.  27 

La  composition  ne  peut  donc  pas  avoir  pour  point  de  vue  la  ligne  dans  les 
masses,  comme  celle  des  Allemands,  ni  l'elTet  de  lumière  des  Hollandais,  ni 
la  distribution  des  ombres  et  leur  équilibre  comme  chez  les  Français;  mais 
elle  consiste  imiquement  pour  nous,  sous  une  même  lumière,  à  équilibrer  en 
tous  sens  par  le  moyen  de  la  couleur  et  de  la  force  du  ton  les  clairs  et  les 
noirs,  qu'ils  proviennent  de  Tombre  ou  de  la  couleur  même  des  objets. 

Manque  d'effet  concentrk/ue ,  c'est-à-dire  lumière  égale  au  centre 

et  aux  bords. 

Par  le  motif  qui  précède,  les  Flamands  ont  pour  la  plupart  négligé  reffel 
concentrique;  ici  nous  ne  parlons  pas  de  Rubens  et  de  son  école;  mais 
d'autres  ont  exagéré  le  clair  et  l'ombre  en  force  partout  égale  :  c'est  le  carac- 
tère principal  du  peintre  de  fleurs  Zegers.  Janssens,  De  Klerck,  Jordaens 
(|uel(|uefois,  et  tant  d'autres,  nous  en  ofl'rent  l'exemple.  De  cette  façon  le 
tout  semble  plat,  sur  un  même  plan,  formant  seulement  une  vraie  mosaïque 
pour  la  couleur;  tandis  que  les  Hollandais,  (jui  ne  recherchent  que  l'effet  et 
la  limiière,  s'efforcent  de  miliger  en  même  temps  leurs  ombres  et  toutes  les 
teintes  sur  les  bords,  pour  ramener  l'œil  à  l'effet  piquant. 

Le  tableau  flamand  est  bien  rempli;  on  ne  peut  en  ôter  une  partie  sans 
nuire  à  l'ensemble  ou  enlever  un  organe  essentiel  et  qui  parle;  tandis  que, 
d'un  hollandais,  souvent  on  peut  couper  tout  un  bord  à  l'intérieur  du  cadre 
sans  gâter  l'effet  et  sans  que  Ton  s'aperçoive  même  de  ce  qui  est  perdu. 

Chez  Rubens,  il  faut  l'avouer,  l'effet  concentrique  est  admirablement  re- 
produit par  la  couleur.  En  outre ,  les  derniers  plans  se  fondent  avec  les  plus 
forts  pour  former  un  tout  ample  et  compact,  de  manière  (]ue  c'est  moins  une 
dégradation  de  plans  qu'un  ensemble  (|ue  l'on  aperçoit. 

DESSIN. 


L'idéal  flamand  n'existe  que  par  l'ensemble,  la  puissance  de  l'eft'et,  l'ébiouis- 
sement  de  la  couleur;  la  ligne  régulière,  méthodicpie,  les  proportions  antiques 


28  MEiMOIRE 

ou  les  altitudes  pleines  cFun  calme  majestueux  et  idéal  n'ont  rien  à  y  voir. 
Devant  Ruhens,  TelTel  vous  terrasse,  Ténergie  vous  étonne,  la  fougue  cl  la 
vitalité  sont  inconcevables  :  examinez  plus  profondémeni ,  niellez  à  cùlé  une 
simple  figure  de  Raphaël,  vous  trouverez  mille  laideurs,  mille  défauts  dans 
Rubens,  vous  direz  (pie  Raphaël  seul  a  compris  la  beauté.  Ceci  est  une  opinion 
arbitraire,  soit;  mais  enfin  cela  prouve  que  ce  n'est  pas  dans  Tordre  d'idées 
général  qu'il  faut,  chez  nous,  chercher  le  beau. 

Conscience  dans  la  forme. 

Le  parti  pris  de  ne  rien  laisser  à  la  fantaisie  ou  à  des  sentiments  préconçus 
de  beauté  ou  de  méthode,  doit  produire  inévilablement  une  imitation  naïve 
autant  (ju'il  est  permis  à  l'artiste,  et  de  la  conscience  à  reproduire  les  détails. 
Il  sérail  facile  ainsi  de  tomber  dans  le  défaut  des  Allemands,  la  sécheresse 
et  la  dureté  des  contours,  si  la  première  préoccupation  des  Flamands  était, 
comme  chez  nos  voisins,  le  trait  graphique,  inimitable,  à  la  vérité,  pour 
reproduire  une  idée;  mais  pour  ceux  qui  cherchent  à  retracer  un  aspect, 
un  ensemble,  on  conçoit  (jue  celle  crainte  ne  saurait  être  fondée. 

Ligne  produite  par  lu  couleur  ou  le  clair-obscur. 

La  ligne  se  produit  d'elle-même  chez  nos  peintres  par  la  différence  des  cou- 
leurs et  des  tons;  elle  n'existe  pas  réellement;  ils  ne  conçoivent  un  olqel  (pu^ 
sous  le  point  de  vue  de  sa  surface  et  de  son  ensemble  perceptible;  ils  ne  l'exé- 
cutent que  par  les  différents  plans  de  ses  surfaces,  en  ayant  toujours  en  vue  ce 
même  ensemble  qu'ils  veulent  reproduire;  mais  celte  manière  d'opérer,  ce 
travail  patient  de  mosaïque,  forme,  il  est  vrai,  une  ligne  un  peu  lourmenlée, 
malgré  toute  ratlenlion  et  les  vues  générales  que  l'on  peut  y  avoir  employées. 

La  ligne  est  si  peu  estimée  comme  moyen  expressif,  qu'on  pourrait  en 
faire  la  négation,  s'il  n'y  avait  des  exemples  de  dessins  faits  par  des  maîtres 
llamands,  et  où  la  ligne  a  assurément  joué  un  rôle;  sans  examiner  si  une 
iniluence  étrangère  y  avait  présidé,  nous  considérerons  celle  partie  de  Tari 
comme  elle  doit  être  comprise  dans  noire  pays. 


SUR  L'ÉCOLE  FLAMA^DL  DE  PEIMIKE.  29 

Forme  un  peu  tourmentée. 

LY'pocuio  où,  chez  nous,  la  ligne  Cul  le  plus  cullivée,  esl  évidemment  le 
moyen  âge  :  là  tout  élail  étudié;  le  contour  comme  le  moindre  coup  de  pin- 
ceau était  le  sujet  de  lal)orieuses  recherches,  de  travaux  patients  et  ardus; 
et  là,  moins  que  jamais,  vous  trouverez  un  parti  pris,  un  écart  de  la  véri- 
tahle  nature;  là,  c'est  la  naïveté  au  plus  haut  degré,  se  rapprochant  (piel- 
(piefois  du  style  allemand. 

Cette  exactitude  minutieuse  ne  peut  mancpier  d'amener,  à  côté  de  grandes 
(jualités,  les  défauts  qui  résultent  de  rexcès  :  la  minutie,  la  sécheresse,  le 
tourmenté.  Ceci  a  rapport  aux  maîtres  gothicpics;  mais  nous  avons  dit  plus 
haut  et  nous  répétons  (pie,  par  une  cause  différente,  la  plupart  de  nos 
maîtres  nous  offrent  le  même  caractère.  Quand  nous  disons  le  tourmenté,  ce 
n'est  peut-être  pas  l'expression  exacte  ;  ce  serait  plutôt  imitation  servile,  ce  qui 
donne  tantôt  exagération  de  muscles  ou  de  formes,  ou  trivialité,  ou  encore 
multiplicité  de  détails,  selon  que  le  cas  se  présente  à  l'étude  du  peintre. 

Défaut  de  noblesse  on  d'idéalisme. 

Avant  les  voyages  en  Italie,  nos  peintres  n'avaient  pas  la  moindre  notion 
de  l'antique  ni  de  la  heaulé  idéale.  L'étude  de  Raphaël  et  celle  des  statues 
formèrent  des  individualités  comme  Coxcie,  Oflo  Van  Veen,  Van  Orley, 
Floris,  (pii  tinrent  plus  assurément  de  l'Italie  que  de  leur  patrie.  Il  en  est 
d'autres  aussi  méritants  (pii  n'avaient  pas  quitté  la  Flandre  et  dont  le  con- 
traste avec  eux  est  frappant  :  tels  sont  les  Van  Noort,  Van  Uden,  Koeber- 
ger,  etc.,  qui  avaient  réellement  conservé  complètes  les  traditions  llamandes  ; 
plus  tard,  Rubens,  formé  à  ces  deux  écoles  réunies,  et  inspiré  plutôt  par  son 
génie  vers  le  grandiose,  conserva  si  peu  de  l'élude  des  grands  modèles  ita- 
liens, qu'on  le  dirait  entraîné  toujours  vers  une  nature  essentiellement  lla- 
mande,  quoique  dépassant  la  réalité  de  toutes  les  bornes  humaines. 

Le  beau,  pour  nous,  redisons-le,  loin  d'être  dans  la  ligne,  réside  dans 
l'ampleur,  la  largeur  de  la  masse,  la  force,  la  puissance  et  non  dans  la  grâce 
de  la  forme  ou  la  gravité  simple  du  trait,  ou  l'agencement  étudié  du  style. 


30  MEMOIRE 

Noire  école  est  solidaire  des  colorisles  en  général;  ce  que  l'on  reproche  au 
Titien,  à  Murillo,  Véronèse,  Giorgion,  Kibera,  peut  être  imputé  à  charge  aux 
Flamands  :  ce  que  Ton  a  supposé  un  défaut  de  noblesse,  un  manque  de 
grandeur,  de  dessin  ,  un  réalisme  qui  ne  s'élève  pas  plus  haut  (|ue  le  monde 
ordinaire,  tout  en  le  représentant  admirablement,  telles  sont  les  propriétés 
communes  à  tous  les  colorisles. 

Si  Ton  essayait  de  rapprocher  de  quelques  maîtres  français,  par  exemple, 
un  (lamand,  môme  soigneux  de  la  forme,  supposons  Van  Dyck,  on  serait 
étonné  de  voir  combien  le  dessin  des  premiers  semble  conventionnel,  fait 
d'idée,  pour  ainsi  dire,  alors  que  Taulre,  aussi  recherché  qu'il  peut  l'être, 
rappelle  aussitôt  la  nature  et  semble  la  faire  vivre  devant  nous. 


COULKUR. 


Tons  posés  du  premier  coup. 

La  franchise  du  ton  participe  de  ce  travail  de  mosaïipie  (pii  semble  le  |)ar- 
lage  de  notre  école,  et  quia  sa  raison  d'être  plutôt  dans  la  couleur  que  dans 
toute  autre  branche.  On  ne  revient  pas  par  procédé,  par  des  glacis,  des  re- 
touches, sur  des  tableaux  préparés:  du  premier  coup,  le  ton  est  posé,  juste, 
et  rarement  à  changer;  la  couleur  est  posée  en  pâte  en  tons  multipliés;  si 
l'on  reprend  à  nouveau  pour  finir,  on  tire  parti  de  ce  qui  est  peint  et  ce  n'est 
plus,  à  proprement  parler,  qu'un  poli  qu'on  donne  à  ce  qu'on  a  fait. 

Il  serait  difficile  de  concevoir  autrement  la  couleur,  avec  l'hypothèse  que 
nous  avons  admise  sur  la  manière,  pour  nos  peintres,  d'envisager  et  de  rendre 
une  œuvre  d'art.  En  effet,  comment  supposer  (lu'après  avoir  étudié  si  profon- 
dément chaque  partie  de  son  tableau,  pour  la  mettre  en  rapport  direct  avec 
celle  déjà  faite,  il  soit  possible  de  travailler  par  surprise,  pour  ainsi  dire,  afin 
de  produire  des  effets  dont  souvent  on  ne  peut  se  rendre  compte  à  l'avance, 
et  (|ui  réussissent  plutôt  à  la  manière  de  tours  de  force,  que  comme  résultat 
d'études  consciencieuses  et  soignées  ? 


SIR  LÉCOLE  FLAMANDK  DE  PEINTURE.  51 

Smplicilo ,  frairheur  et  pureté  dos  tous. 

lue  dos  plus  l)ellos  (|ualilt'S  de  noire  école,  c'est  iiiconleslablemenl  celle 
fraiclieiir  de  couleur  qui,  apanage  de  lemps  inniiéniorial  de  la  race  flamande, 
le  plus  parfait  joyau  de  la  beauté  des  femmes  de  noire  pays,  Test  aussi  de 
noire  peinture.  Il  est  vrai  que  tout  contribue  à  celte  fraîcheur  :  riiumidilé 
du  climat,  cause  de  la  beauté  de  la  verdure  el  des  Ions  vaporeux  du  malin; 
Texquise  propreté  de  tous  les  objets,  des  édifices;  le  coloris  vivace  des  tliïures, 
el  puis  encore,  le  sentiment  naturel ,  le  goùl  du  peuple  pour  ce  qui  est  propre, 
neuf,  soigné  el  vif  de  couleur. 

En  outre,  le  procédé  d'exécution,  à  lui  seul,  esl  le  plus  apte  à  produire 
des  Ions  simples  el  purs  pour  quiconque  en  a  la  moindre  intention  :  il  est 
évident  que  si  Ton  dépose  sur  la  toile  un  las  de  couleur  sans  retendre  ou  le 
remuer,  il  sera  plus  propre  que  le  même  las,  tourné  et  frotté  sur  une  palette; 
de  plus,  un  ton  composé  de  deux  couleurs  simplement  mélangées  el  posées, 
doit  être  plus  frais  el  plus  éclatant  qu'un  autre  ton,  formé  de  trois  couleurs 
ou  j)lus,  cl  mélangées  en  conséquence.  Ce  principe  est  la  source  de  ce  coloris 
pur  el  clair,  (pii  n'a  d'égal  dans  aucune  école,  el  qui  esl  la  base  fondamentale 
de  l'art  flamand;  l'élude  de  la  palette,  la  minutie  dans  le  choix  des  substances 
colorantes,  rallention  dans  les  proportions  du  mélange,  rien  n'est  négligé  dans 
ce  but,  indispensable  à  celui  qui  veut,  du  premier  coup,  frapper  juste  cl 
bien. 

Défaut  de  transparence. 

Selon  nous,  celte  manière  de  poser  les  Ions  cause  une  certaine  lourdeur 
dans  la  couleur;  il  esl  certes  des  exceptions,  mais  on  ne  peut  nier  (pi 'en 
Flandre  les  peintres  de  marines,  d'eaux,  de  ciels,  de  fleurs  et  de  sujets 
gracieux  et  légers,  qui  comportent  toujours  la  transparence  comme  première 
(|ualilé,  ne  soient  bien  plus  rares  que  dans  certaines  autres  écoles,  telles  que 
Venise,  la  Hollande,  l'Anglclerre  et  même  quelquefois  la  France  dans  ses 
sujets  légers  el  chiffonnés,  dans  ses  décorations  d'appartements.  La  superposi- 
tion savante  de  deux  couleurs  donne  en  effel  une  transparence  que  ne  pouriail 
atteindre  un  Ion,  quel  qu'il  soit,  posé  à  pleine  couleur;  l'aquarelle  en  esl  un 


32  MEMOIRE 

exemple,  et  l'on  remarquera  que  c"esl  dans  les  pays  que  nous  venons  de 
nommer  que  celle  peinUire  est  le  plus  en  usage  et  en  vogue. 

Variété  dans  les  tons  juxtaposés. 

L'harmonie  esl  formée  par  l'union  des  conirasies,  a  dil  Bernardin  de  Saint- 
Pierre,  et  c'est,  dirait-on ,  le  principe  de  noire  école  ;  en  effet,  peu  ont  poussé 
plus  loin  le  sentiment  de  l'harmonie  des  couleurs,  et  l'on  peut  remanpier  (pie 
les  tons  les  plus  dilTérenls,  les  contrastes  qui  seraient  les  plus  cho(|uants  sous 
une  main  inhabile,  concourent  presque  toujours  à  former  ce  tout  harmonieux 
qui  provoque  notre  admiration.  Ceci  existe  dans  la  composition  comme  dans 
les  tons  dont  est  formée  une  simple  figure.  C'est  là  même  un  des  |)oints  de 
caractère  auxquels  les  étrangers  (|ui  étudient  la  manière  flamande  ont  le  plus 
de  peine  à  s'assimiler;  ils  trouvent  réellement  des  obstacles  souvent  insur- 
montables dans  cette  mosaïque ,  à  la  fois  d'effet  et  de  couleur,  (jui  ne  forme 
quune  question  de  peu  de  temps  pour  un  Flamand  bien  doué.  Les  couleurs 
sont  toujours  vives,  résultat  de  la  simplicité  du  mélange,  et  cependant  rien 
ne  se  heurte,  absolument  comme  dans  un  bouquet  formant  un  ensemble 
cbarmanl  et  où  se  réunissent  les  tons  les  plus  riches  et  les  plus  vigoureux, 
les  couleurs  les  plus  disparates  et  les  plus  édalanles. 

Manque  de  modelé. 

Les  contrastes  dans  la  couleur  d'une  même  figure,  les  larges  tons  à  côté 
les  uns  des  autres,  ne  favorisent  pas  autant  le  modelé  que  cette  sorte  de  gri- 
saille en  peinture,  que  font  quel(|ues  écoles  s'occupant  surtout  de  clair-obscur. 

Assurément  il  y  a  de  la  rondeur;  la  couleur  habilement  ménagée  fait  avancer 
les  clairs  et  les  parties  en  relief,  reculer  les  fonds,  arrondir  les  contours,  har- 
moniser les  Ions  trop  différents;  mais  il  est  évident  que  la  différence  même 
dans  la  composition  de  ces  tons,  pour  peu  qu'ils  ne  soient  pas  mitigés  de  la 
manière  la  plus  parfaite,  doit  tôt  ou  tard  se  faire  sentir  et  nuire  au  modelé 
par  des  espèces  de  nuirbrures. 

Celte  observation  est  principalement  sensible  dans  les  anciens  tableaux,  où 


SUR  L'ECOLE  FLAMANDE  DE  PEINTURE.  53 

les  influences  alniosphériques  ou  chimi(|ues  ont  agi  sur  les  nuances.  On  la 
découvre  clans  Rubens,  qui  a  voulu,  semble-l-il,  se  jouer  de  la  couleur  en 
accumulant  à  plaisir  les  teintes  les  plus  diversement  composées.  Aussi,  quoi- 
que son  inconcevable  habileté  sorte  toujours  victorieuse  dans  ses  œuvres  vues 
à  distance,  on  peut  se  convaincre,  en  examinant  de  près  quelques  peinlures 
non  retouchées,  que  certains  tons  sont  pour  ainsi  dire  heurtés. 


Demi-teintes  fines  et  bleuâtres. 

Dans  nos  contrées,  la  lumière  elïleure  tous  les  objets;  elle  ne  donne  pas 
en  plein  comme  dans  le  Midi.  Plus  diffuse,  elle  diverge  plus  ou  moins  dans 
tous  les  sens  et  jusque  dans  l'ombre,  où  elle  produit  le  reflet.  C'est  ainsi  que 
se  forment  ces  tons  gris  bleuâtre,  d'une  finesse  extrême  et  dont  la  facture 
est  souvent  complètement  différente  des  teintes  juxtaposées;  en  effet,  la  pa- 
lette flamande  a  trois  tons  fondamentaux  :  un  ton  clair,  pur,  simplement 
formé,  un  ton  pour  les  transitions,  les  plans  fuyants,  composé  de  couleurs 
transparentes  et  légères  dans  lequel  l'outremer  a  joué  et  joue  encore  un 
grand  rôle,  et  enfin,  un  ton  d'ombre,  chaud,  transparent,  brun  et  coloré. 
C'est  théoriquement  parlant  que  nous  admettons  ceci  ;  car  la  pratique  ferait 
naître  encore  une  foule  de  conditions  particulières  et  plus  d'une  nuance  (|ui 
n'est  pas  énoncée  plus  haut. 

Contraste  de  l'ombre  avec  le  clair. 

L'harmonie  ne  résulte  pas  seulement  des  contrastes  do  couleurs,  le  clair- 
obscur  y  a  sa  part  par  le  contraste  de  la  lumière  et  de  l'ombre.  Non-seule- 
ment, dans  notre  école,  ce  sont  deux  tons  difleremment  posés,  l'un  en  pâte, 
l'autre  en  frottis  ou  en  glacis,  mais  l'ombre  est  forte,  vigoureuse,  chaude, 
autant  (|ue  le  clair  est  vif,  brillant  et  lumineux;  elle  n'est  cependant  ni  noire 
ni  bitumineuse  comme  celle  des  peintres  hollandais  :  le  fond  change  comme 
elle,  selon  le  ton  local  général,  et  le  changement  de  plan  ou  de  gamme  la 
modifie  presque  toujours  complètement. 

Tome  XXXIL  .5 


34  MEMOIRE 

Bc/lels  colorés  et  bien  étudiés. 

On  ne  peul  conlester  que  les  refiels,  les  mille  chaloyemenls  de  la  couleur 
et  (le  la  lumière  dans  l'ombre  ne  produisent  un  des  principaux  charmes  du 
pinceau  de  nos  grands  maîtres.  Rubens,  le  premier,  en  a  fait  un  emploi  in- 
fini, admirable,  sans  toutefois  s'approcher  de  l'exagéralion  qui  fait  disparaître 
la  masse  au  profil  des  détails.  Chez  nous,  plus  que  partout  ailleurs,  on  sait 
tirer  parti  de  ces  jeux  de  lumière  que  favorise  en  outre  une  clarté  large, 
simple  et  répandue  de  toutes  paris:  la  France,  l'Allemagne,  la  Hollande  même 
n'olTrenl  rien  de  semblable.  Celle  dernière  école,  par  ses  rayons  piquanis, 
ses  elTets  concentriques  assombris  vers  le  cadre,  se  prive  elle-même  de  cette 
ressource  dont  son  instinct  de  coloriste  aurait  sans  doute  tiré  bon  parti.  L'école 
ilalienne  semble  ne  les  avoir  jamais  connus.  D'ailleurs,  dans  le  Midi,  la  force 
de  la  lumière,  agissant  naturellement  sur  la  force  des  ombres,  finit  par  absor- 
ber et  l'effet  et  la  couleur  en  ne  laissant  plus  de  place  aux  reflets.  Aussi,  en 
Espagne,  et  même  chez  la  plupart  des  Véniliens,  voyons-nous  une  lumière 
fortement  colorée;  mais  si  nous  descendons  vers  l'ombre,  il  n'y  a  plus  rien  : 
une  niasse  imposante,  mystérieuse,  indéfinissable;  chez  nous,  on  voit  dans 
l'ombre  comme  dans  le  clair,  et  les  objets  y  ont  leur  forme  el  leur  couleur. 

Défaut  (le  relief. 

L'examen  de  la  photographie  et  du  stéréoscope  nous  prouve  que  le  relief 
est  une  qualité  plus  sensible  et  plus  facile  à  marquer  dans  un  dessin  ou  un 
clair-obscur  que  dans  un  tableau  :  c'est,  croyons- nous,  le  seul  motif  pour 
lequel  les  Hollandais,  par  exemple,  ont  plus  souvent  que  nous  réussi  à  le 
produire:  citons  simplement  Jean  Steen,  dont  le  relief  est  quelquefois  inima- 
ginable. 

Le  musée  d'Anvers  possède  de  ce  peintie  un  tableau  représentant  un  caba- 
ret où  les  personnages,  vus  à  quelque  distance,  semblent  les  uns  ressortir, 
les  autres  s'enfoncer  dans  la  profondeur  de  la  salle  avec  un  relief  étonnant; 
nous  pourrions  comparer  ce  tableau,  sans  la  moindre  rélicence,  à  un  petit 
théâtre  de  marionnettes. 


SUR  L'ÉCOLE  FLAMANDE  DE  PEINTURE.  55 

H  est  vrai  que  nos  peintres,  imaginant  une  scène  telle  qu'elle  se  passe  en 
nature,  avec  couleur,  formes,  ombres  et  distances,  peuvent  perdre  facilement 
cette  qualité  de  perspective  aérienne,  par  le  constant  désir  de  juxtaposer 
des  teintes  pures  et  harmoniques  sur  un  plan. 

Les  touches  claires  viennent  relever  la  masse ,  il  est  vrai  :  mais  ce  qui 
produit  le  relief,  ce  n'est  pas  l'ombre  par  sa  vigueur,  ni  la  vivacité  du  clair, 
ni  la  force  du  ton,  c'est,  plus  que  tout  cela ,  le  modelé  extrême,  et  surtout  la 
fonte  des  contours  dans  le  fond  à  l'aide  de  nuances  aériennes,  qui  non-seule- 
ment marijueiit  le  reflet  de  la  couche  d'air  étendue  derrière  la  figure,  mais, 
de  plus,  détachent  la  figure  entière  du  fond.  Or,  en  mettant  d'un  coup  nos 
tons  presque  sans  repeindre,  il  est  fort  difficile  d'obtenir  ce  résultat.  Les 
Hollandais  et  les  autres  écoles  qui  s'occupent  du  modelé  ont,  au  contraire,  cet 
avantage. 

Éclat  et  brillant  dans  les  touches  lumineuses. 

Si  déjà  les  ions  locaux  sont  clairs  el  purs,  il  est  facile  à  concevoir  que  le 
point  lumineux  brillant  sur  ce  ton  local  doit  arriver  à  un  degré  excessif  de 
clarté,  surtout  parce  qu'il  est  déjà  plus  marqué  que  dans  la  peinture  des 
autres  écoles;  c'est  même  un  caractère  de  la  couleur  llamande,  que  les 
touches  claires  et  largement  posées  pour  rehausser  encore  le  clair.  Elles 
n'existent  pas  chez  les  Français;  chez  les  Hollandais,  elles  servent  plutôt  à 
rehausser  el  à  donner  un  piquant  aux  tons  gris  du  clair,  et  sont,  pour  ce 
motif,  presque  toujours  plus  colorées  que  ce  clair  même. 

Largeur  de  la  peinture  même  dans  le  fini. 

Presque  impossible  par  un  travail  de  mosaïque  comme  celui  qui  forme  la 
base  de  notre  couleur,  par  des  touches  empâtées,  le  fini  précieux  et  poli,  tel 
que  Gérard  Dow  nous  le  présente,  n'a  jamais  trouvé  d'adeptes  en  Flandre, 
sinon  au  moyen  âge,  alors  que  la  peine  et  le  travail,  inhérents  à  une  nou- 
velle manière  de  peindre,  entravaient  autant  que  le  défaut  de  connaissance. 
Mais,  hormis  cette  époque,  les  tableaux  les  plus  finis,  les  mieux  louches,  le 


36  MEMOIRE 

sont  toujours  par  coups  de  brosse  visibles  de  près;  par  touches  fines,  spiri- 
tuelles et  légères  mais  faciles  à  distinguer;  par  tons  posés  avec  leur  forme  et 
en  pale,  loin  d'être  fondus,  glacés  ou  noyés  dans  les  teintes  environnantes, 
ou  d'être  pointillés,  comme  on  en  trouve  des  exemples. 

Ce  caractère  est,  selon  nous,  un  de  ceux  qui  assimilent  le  plus  Adrien 
Van  Ostade  à  Teniers  et  à  nos  autres  peintres  de  genre  :  c'est  toujours  le 
principe  de  la  grande  peinture  pour  la  largeur  de  la  brosse,  réduit  juscpi'aux 
plus  minimes  dimensions  et  dont  Rubens  a  poussé  à  l'extrême  le  développe- 
ment grandiose. 


Nous  avons  encore  deux  observations  à  énoncer  au  sujet  de  la  couleur; 
nous  ne  savons  si  l'on  pourrait  les  admettre  au  nombre  de  caractères  dis- 
linclifs  ou  généraux  de  la  peinture  flamande,  car  c'est  l'étude  du  seul  Rubens 
qui  nous  les  a  suggérées,  et  nous  sommes  loin  de  |)rétendre  que  celte  incar- 
nation de  l'école  flamande  n'ait  pas  eu  ses  caractères  propres  avec  tous  ceux 
qu'il  nous  a  transmis  ;  mais  il  se  pourrait  que  les  deux  faits  suivants  prissent 
leur  source  aulanl  dans  le  sentiment  nalional  que  dans  la  science  prodigieuse 
et  les  aptitudes  extraordinaires  d'un  homme. 

Il  est  l'cmarquable  que  Rubens  avait  une  sagacité  profonde  dans  la  décou- 
verte et  l'emploi  des  contrastes  de  couleurs  et  de  nuances.  De  nos  jours ,  un 
habile  chimiste,  M.  Chevreul,  a  déduit  de  ses  recherches  faites  dans  l'inlérêl 
de  l'industrie  une  sorte  de  statistique  de  nuances;  suivant  lui  : 

Le  vert-azur  contraste  avec  le  rouge  ; 

Le  violet  est  complémentaire  du  jaune  légèrement  verdàlre; 

Le  bleu  contraste  avec  l'orangé  ; 

L'indigo  avec  le  jaune  légèrement  orangé. 

Il  a,  de  plus,  établi  la  règle  suivante  : 

L'(eil  étant  simultanément  impressionné  par  deux  couleurs  (|ui  se  louchent, 
il  les  voit  le  plus  dissemblables  possible. 

Or,  chose  étonnante,  on  retrouve  facilement  l'usage  de  ces  propriétés  dans 
les  tableaux  de  Rubens,  non-seulement  dans  l'étiuilibre  des  couleurs  d'une 
conq)osition,  mais  jusque  dans  une  simple  tète.  Celle  particularité  est  très- 


SUR  L'ÉCOLE  FLAMANDE  DE  PEINTURE.  37 

facile  à  étudier  dans  ce  maître,  à  cause  de  la  largeur  de  ses  tons;  en  elïel, 
prenons  au  hasard  une  de  ses  compositions,  la  Descente  de  croix,  par  exemple; 
il  y  avait  là  un  centre  lumineux  el  clair  qu'il  fallait  entourer  d'une  manière 
égale  par  des  Ions  divers  qui  s'y  relient.  Nous  voyons  d'abord  le  manteau 
rouge  de  saint  Jean  accompagné  aussitôt  de  son  complémentaire,  le  vert  de 
la  robe  de  Marie -Madeleine  :  c'est  comme  la  base  de  l'édifice;  sur  le  côté, 
le  manteau  bleu  et  le  voile  de  la  Vierge  qui  contrastent  avec  son  propre  ton 
de  chair  et  la  robe  jaune  de  Joseph  d'Arimathie,  placé  au-dessus.  En  bas, 
à  gauche,  les  chevelures  blondes  des  deux  femmes,  avec  la  robe  violette 
de  Tune  d'elles.  Ensuite  un  autre  contraste  formé  par  la  robe  pourpre  du 
disciple  de  droite  et  le  ton  de  sa  carnation  brune  el  vigoureuse.  De  même 
que  l'homme  penché  en  avant  et  qui  soutient  le  bras  du  Christ,  à  gauche,  a 
les  chairs  et  la  draperie  complémentaires  l'une  de  l'autre.  Il  est  remanpiable, 
de  plus,  que  les  Ions  violets  et  gris  abondent  tout  autour  du  centre  lumineux, 
(|ui  est  blanc  pour  la  draperie,  mais  jaune  plus  ou  moins  nuancé  pour  le  corps 
du  Christ.  Ces  contrastes  n'empêchent  pas  les  rappels  de  couleur.  Car  la  bas- 
sine de  droite  avec  les  tons  jaunes  et  oranges  d'en  haut,  le  vieillard  d'en  haut, 
à  droite,  avec  la  robe  lilas  d'une  Marie,  le  bonnet  rouge  de  Joseph  avec  la 
robe  de  saint  Jean,  la  robe  bleue  avec  la  robe  violette  de  droite,  prouvent 
qu'on  chercherait  en  vain  un  défaut  dans  l'équilibre  de  la  couleur. 

Mais  prenons  une  simple  figure,  un  portrait,  par  exemple.  Nous  voyons 
bien  souvent  des  demi-teintes  fines,  grises  à  distance  et  qui,  vues  de  près, 
sont  tout  à  fait  laqueuses  ou  jaunes,  ou  d'un  autre  ton  qui  change  par  la 
juxtajiosilion  d'un  ton  com|)lémentaire. 

Comme  règle  ordinaire  donc,  on  trouve  toujours  à  côté  d'un  ton  local  clair 
ou  rouge,  par  exemple,  une  demi-teinte  verdâtre  ou  une  oml)re  tirant  sur  le 
vert  :  de  même  l'ombre  générale  contraste  avec  le  ton  clair  général. 

Prenez  un  cadavre ,  le  corps  du  Christ ,  vous  y  trouverez  deux  Ions  dans 
le  clair,  soit  l'un  jaune  un  peu  orangé,  l'autre  alors  d'un  gris  bleuâtre 
fin. 

Enfin  partout,  à  côté  d'une  draperie  rouge,  vous  en  verrez  une  bleu  ver- 
dâtre ou  même  une  verte;  à  côté  d'un  bras  de  carnation  rouge,  vous  trouverez 
presque  toujours  une  draperie  ou  un  objet  vert  :  ce  (|ui  nous  fait  présumer 


58  MEMOIRE 

que  les  tons  clairs  ou  les  couleurs  les  |)lus  vives  sont  le  point  de  départ  pour 
modifier  les  tons  rompus. 


Une  autre  observation  non  moins  importante,  c'est  l'étude  des  gammes  de 
couleur;  tous  les  objets  et  personnages  d'un  même  plan  participent  de  la  même 
gamme,  et  l'on  peut  retrouver  en  eux  une  intention  identique  de  coloris. 
De  plus,  la  couleur  propre  de  chacune  de  ces  gammes  contraste  avec  celle 
d'iui  autre  plan;  par  exemple,  une  figure  faisant  partie  d'une  gamme  rou- 
geâtre  devant  ressortir  sur  un  fond  apparienanl  à  un  autre  plan,  celui-ci  est 
verdâtre.  On  le  conçoit,  ce  sont  là  toutes  difficultés  dans  l'art  ;  toutes  nuances 
fugitives  ou  plutôt  effets  d'une  profonde  sagacité,  (piand  il  faut,  dans  une 
même  partie  de  tableau,  du  premier  coup,  par  réffexion  autant  que  par 
instinct,  adapter  et  appliquer  en  même  temps  ces  règles  si  nombreuses.  Aussi 
ne  les  avons-nous  présentées  ici  que  comme  particularités  propres  surtout  à 
Rubens. 

DU  PAYSAGE. 


Otte  partie  de  l'art  ne  nous  procurera  pas  de  nouveaux  caractères  à  étu- 
dier; mais  puisque  le  paysage  a  été  défini  un  résumé  de  tous  les  autres  genres 
de  peinture,  il  peut  de  même  à  lui  seul  contenir  tous  les  caractères  énoncés 
pour  l'histoire. 

En  efl"et,  il  suffit  de  voir  queUpies  paysages  de  notre  école  pour  se  con- 
vaincre d'abord  qu'il  n'y  a  pas  de  parti  pris,  d'intention  de  composilion,  de 
groupé,  ni  même  de  feuille  méthodique  des  arbres.  Le  paysage  historique, 
par  exemple,  n'a  jamais  eu  de  vogue  chez  nous;  en  revanche,  on  trouve, 
comme  en  Hollande,  phus  d'une  élude  consciencieuse  d'un  site  souvent  mé- 
diocre, d'un  arbre  rabougri  ou  du  premier  animal  venu. 

Toutes  les  remarques  (jui  ont  rapporta  la  lumière  naissent  et  proviennent 
de  l'examen  de  la  nature  en  Flandre  et,  par  conséquent,  se  retrouvent  comme 
dogmes  dans  le  sujet  que  nous  traitons. 


SUR  LÉCOLE  FLAMANDE  DE  PEI.MLKE.  39 

Le  relief  manque  assez  souvent ,  et  comment  le  contraire  pourrait-ii  exister? 
Dans  les  pays  montagneux  il  est  sensible,  dans  les  plaines  moins,  et  il  ne  Test 
presque  plus  avec  un  horizon  borné;  or  tel  est  le  caractère  de  la  plupart  des 
paysages  flamands. 

Otiant  au  choix  des  tons,  au  procédé,  à  la  couleui-,  il  est  hors  de  doute 
(pie  Kubens,  un  des  plus  grands  paysagistes  dont  la  Flandre  s'honore,  n^i 
|)as  agi  autrement  dans  ses  chasses  et  autres  sujets  que  dans  ses  grands 
tableaux,  et  qu'il  a  toujours  eu  en  vue  les  mêmes  principes  qui  guidaient 
son  pinceau  et  en  lesquels  se  résumait  pour  lui  la  pratique  de  Fart. 

La  patience  dïmilation  se  traduit  chez  Breughel ,  dont  le  feuille  et  la  mi- 
nutie des  détails  vont  jusqu'à  l'extrême;  l'ampleur  dans  les  masses,  c'est  par 
Kubens  encore  et  toujours,  par  Van  Dyck,  Jordaens,  dans  quelques  fonds 
de  tableaux,  Van  Artois,  etc. 

Si  nous  abordons  les  paysagistes  contemporains,  nous  pourrons  facilement 
nous  convaincre  de  la  coimexité  de  leurs  tendances  avec  rancienne  école 
flamande  et  de  ce  que  ces  tendances  ont  de  national.  Dans  le  paysage  |)lus 
que  dans  les  autres  genres,  le  senliment  naïf  de  la  nature  et  de  l'originalité 
est  resté  chez  les  artistes  :  De  Jonghe,  Verboeckhoven ,  Ommeganck,  etc., 
ne  sont-ils  pas  aussi  amoureux  des  détails  et  de  la  recherche  dans  la  nature 
et  la  couleur?  Robbe,  Jacob  Jacobs,  Verlat,  De  Rnyfl",  etc.,  ne  sont-ils  i)as 
les  représentants  de  l'ampleur,  de  la  masse,  et  tous  n'ont-ils  pas  une  lumièie 
étendue,  uniforme?  N'est-il  pas  bien  rare  de  trouver  de  ces  efl'ets  concen- 
trés, de  ces  rayons  lumineux,  de  ces  fouillis  dans  l'ombre  qui  constituent  le 
charme  de  tant  d'autres  écoles  étrangères?  De  nos  jours,  le  paysage  a  ac- 
(piis  une  importance  qu'il  n'a  jamais  atteinte  auparavant  dans  notre  pays  : 
on  compte  en  effet  peu  de  Flamands  ipii  aient  fait  du  paysage  pur  et  sinq)le. 
C'étaient  d'ordinaire  des  fonds  de  tableaux,  et,  sauf  quelques  exceptions, 
aujourd'hui  encore,  les  animaux  forment  le  sujet  principal  de  nos  paysages: 
c'est  que  l'œil,  chez  nous,  ne  se  perd  pas  dans  l'espace,  du  haut  des  cimes 
d'un  rocher  ou  du  bord  d'une  falaise;  il  ne  s'égare  pas  rêveur  au  milieu  des 
vapeurs  poétiques  de  lacs  ou  de  rivières  immenses;  l'horizon  est  borné,  le 
tableau  est  simple  et  modeste  :  rien  de  trop  semble  être  en  tout  la  devise  de 
notre  nationalité. 


40  MEMOIRE 

Entiii ,  ou  ne  saurait  Irouver,  sinon  on  Angietorre,  où  le  paysage  est  pour 
ainsi  dire  dans  les  mœurs,  une  école  dans  ce  genre  qui  présente  plus  d'éclat 
et  de  fraîcheur  dans  la  couleur  que  la  noire. 


CONCLUSION. 


Qu'il  nous  soit  permis  de  terminer  par  certaines  observations  de  nature  à 
justifier  en  quelque  sorte  le  plan  de  notre  travail  et  son  exécution. 

Il  est  évident  que  plus  d'une  des  remarques  que  nous  avons  émises,  surtout 
à  propos  de  la  couleur,  sont  sujettes  à  des  interprétations  fort  diverses,  selon 
le  sentiment,  le  caractère  ou  la  nature  de  l'observateur.  Il  a  toujours  été  jugé 
impossible  de  donner  des  principes  sûrs  et  fixes  sur  une  matière  variable 
à  l'infini,  telle  que  la  couleur,  que  chacun  voit  dillleremment,  où  les  nuances 
délicates  semblent  souvent  changer  à  l'examen  attentif  et  où  l'illusion  tra- 
vaille autant  que  les  propriétés  de  la  nature.  Cependant,  en  bien  des  points 
nous  croyons  avoir  touché  juste,  autant  à  cause  d'une  étude  consciencieuse, 
d'une  observation  de  plusieurs  années,  que  du  point  de  vue  tout  national 
auquel  nous  nous  sommes  placé  dans  notre  appréciation. 

En  effet,  on  s'apercevra  que  nous  n'avons  pas  fait  usage  de  citations  ou 
(le  jugements  empruntés  à  des  ouvrages  déjà  publiés,  quoiqu'il  en  existe 
assurément  dont  les  auteurs  sont  ou  bien  des  écrivains  très-compétents  en 
fait  d'art,  ou  bien  de  grands  artistes.  Mais  il  nous  a  paru  que,  pour  juger 
l'école  flamande  au  véritable  point  de  vue,  il  ne  fallait  ni  s'inspirer  du  sen- 
timent étranger,  ni  même  chercher  en  dehors  de  notre  pays  des  points  de 
comparaison  et  des  sujets  d'étude,  mais  émettre  spontanément  nos  propres 
convictions. 

Malgré  la  quantité  des  chefs-d'œuvre  de  nos  maîtres  qui  ont  déserté  la 
Belgique,  c'est  encore  chez  nous  qu'il  faut  venir  pourvoir  et  juger  les  Fla- 
mands. 

Anvers  possède  des  tableaux  admirables  de  cette  école,  Bruxelles  s'est 


SUR  LECOLE  FLAMANDE  DE  PEINTURE.  4i 

formé  une  oofleclion  pleine  trintérêl,  el,  si  Ton  y  ajoute  les  musées  des 
autres  villes,  ainsi  que  quelques  galeries  particulières,  on  sera  étonné  du 
nombre  d'œuvres  devaleur  que  Ton  aura  réunies  et  qui  proviennent  de  noire 
seule  école. 

C'est  surtout,  nous  ne  le  contesterons  pas,  le  Roi  de  nos  peintres  qui  nous 
a  inspiré;  mais  s'il  nous  a  suggéré  la  plus  grande  partie  de  nos  observations, 
si  ses  œuvres  ont  été  pour  nous  un  véritable  rudiment,  c'est  qu'en  Rubens 
se  résume  l'école  flamande  ;  c'est  qu'il  en  est  et  la  plus  belle  expression  et  le 
plus  infatigable  ouvrier;  c'est  que  tout  ce  qu'on  trouve  en  Rubens  existe  en 
germe  dans  le  cœur  de  tout  artiste  véritablemenl  flamand,  et  que  vouloir 
atteindre  plus  haut  que  lui,  c'est  vouloir  l'impossible,  car  ce  serait  dépasser 
la  perfection  humaine  dans  ses  dernières  limites. 

Mais  le  rôle  de  la  Flandre  n'est  pas  fini  dans  l'histoire  de  l'art  :  selon 
nous,  au  contraire,  le  progrès  no  peut  qu'activer  et  nos  tendances  el  notre 
énergie. 

Les  moyens  d'action  sont  changés,  il  est  vrai  :  ce  n'est  plus  l'inspiration 
seule  et  un  travail  passionné  qui  produit  les  artistes.  Notre  siècle  doitToir 
l'industrie,  la  science  tous  les  jours  plus  infaillible,  donner  la  main  à  l'art 
pour  se  frayer  ensemble  une  route  inconnue  ;  mais  ce  n'est  pas  là  une  raison 
pour  abandonner  nos  anciennes  traditions;  au  contraire,  là  est  l'inspiration, 
le  sanctuaire  de  l'art  flamand,  et  c'est  en  nous  étayant  de  nos  divins  modèles, 
en  marchant  toujours  unis  et  par  conséquent  forts,  dans  la  roule  de  nos  an- 
cêtres, que  nous  verrons  un  jour  noire  école  arriver  au  plus  haut  point  de  la 
gloire  el  de  la  perfection  artistique. 


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Tome  XXX 11. 


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