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Full text of "Memoires de l'Academie Royale des Sciences, Arts et Belles-Lettres de Caen"

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MEMOIRES 


DC 


I'ACADEMIE  ROYALE 


DEt 


SCIENCES,  ARTS  ET  BELLES-LETTRES 


id;£  (Siii^sirg 


CAEIV, 


CHEZ  A.  HARDEL,  SUCCESS.  DE  T.  CHALOPIN, 

IIMPniMEUR     DE     L'ACAD^MIE 

BT  DES  SOCIETES  SAVAKTES. 

1840. 


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mMoires 


DE  L'ACADfiMIE  ROYALE 


DE  CAEN. 


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M^MOIRES 


DE 


L'ACADEMIE  ROYALE 


DES 


SCIENCES,  ARTS  ET  BELLES-LETTRES 


iDie  (Qiiigec 


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CAEN, 

CHEZ  A.  HARDEL,  SUCCESS.  DE  T.  CHALOPIN, 

IMPRIMEUR     DE     L'ACADEMIE 

ET  DES  SOCIETES  SAVANTES. 


LISTE 


DES  MEMBRES. 


MSITE 


DF.S   MEMBRES   HONORAIRES  ,   TlTrLAIIlES  ,   ASSOCl£S- 

RtSlDANTS   ET   ASSOC.lfiS  -  CORRESPONDANTS   DE 

L'ACADfiMIE  ROYALE  DES  SCIENCES,  ARTS 

XT    RELLES  -  LEITRES   DE  CAEN  , 

AU    1".  SEPTEiMBRE  1840. 


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ouwati. 


MM. 


P.EIITK.VM),  president. 
EDO.M  ,  vice-president. 
TRA\EUS  ,  secretaire. 
RO(iEK  ,  vice-secretaire, 
LE  GRIP  ,  trcsorier. 


olLctiibtc<5   bciictLxitcco. 

MM. 

LE  BOUCHER  ,  medecin  ,  mcmbre  honoraire  de  la 

Societe  de  mMccine  de  Caen. 
VAl'LTIER  ,  professeur  de  lillerat'.iic  franoaise  a  la 

Facu'.te  doslcltres  do  Caen. 
SPENCER-SMITH  ,  meiubic  de  la  SodJlc  dvs  aiili- 

([uaiies  de  Loiidics. 


■vm  LISTE 

THOMINE-DESMAZURES  ,  peie  ,  ancien  professcur 

a  la  Faculle  dc  droit  de  Caen. 
GODEFROY  ,  docteur  en  medecine. 

DA?iS    LEUB     ORDRE   DE   RECEPTIOK. 

MM. 

tt.     LE  grip  ,  conscillor  dc  prefecture. 

2.  DELOGES  ,  le  jeune  ,  direcleur  de  1' Assurance 

muluelle  centre  Tincendic  ,  pour   les  departe- 
menls  du  Calvados  ,  de  TOrne  el  de  la  Manche. 

3.  LAIR  ,  conseiller  de  prefecture  ,  secretaire  de  la 

Societe  d'agriculture  et  de  commerce  dc  Caen. 

4.  DE  MAGNEYILLE  ,  membre  de  la  Societe  d'a- 

griculture et  de  commerce  de  Caen. 

5.  PRUDHOMME ,  ancien  professeur  de  navigation. 

6.  THIERRY  ,  professeur  de  chimie   a  la  Faculle 

des  sciences. 

7.  LE  SAUYAGE  ,  chirurgien  en  chef  des  hospices. 

8.  JAMET  ( I'abb*^ ) ,  direcleur  de  la  maison  du  Bon- 

Sauveur  dc  Caen. 

9.  DAN  DE   LA  YAUTERIE  ,  membre  de  la  So- 

ciety de  medecine. 

10.  HERAULT  ,  ingenieur  en  chef  des  mines. 

11.  RAISIN,  direcleur  de  I'Ecole  secondaire  de  me- 

decine. 

12.  DE  LAFOYE  ,  professeur  de  physique  a  la  Fa- 

culle des  sciences. 


DE  MM.    LES  MEMBRES.  IX 

13.  EUDES-DESLONG CHAMPS, professp.urd'hisloiie 

nalurelle  a  la  FacuUe  des  sciences. 

14.  ROGER  ,  professeur  d'histoire  a  la  Faculty  des 

leltres. 

1 5.  DANIEL  (I'abbe) ,  recteur  de  rAcadomic  univcrsi- 

taire. 
iG.  TARGET  ,  prefet  du  Calvados. 

17.  MAILLET-LACOSTE  ,  professeur  delilleratiiic 

laline  a  la  FacuUe  des  lellres. 

18.  DE  CAUMONT  ,  correspondant  de  I'Inslilut,  se- 

cretaire de  la  Societe  des  antiquaires  de  Nor- 

niandie. 
ig.  EDOM  ,  inspecteur  do  I'Academie  universitaire. 
20.  LEC1IAUD£  D'ANISY  ,  membre  de  la  Sociele  des 

antiquaires  de  Normandie. 
31 .  BERTRAiS'D ,  doyen  de  la  FacuUe  des  lottres. 

22.  BUNEL  (Hippolyte),  officier  de  marine  en  rctraite. 

23.  LE  FLAGUAIS  (  Alphonse  )  ,  homme  de  leltres. 

24.  SUEUR-MERLIN  ,  ancien  chef  de  bureau  de  la 

topograpbie  et  de  la  stalistique  de  I'administra- 
tion  des  douanes  ,  membre  de  la  Commissicsn 
centrale  de  la  Societe  de  geograpbic  ,  et  de  la 
Societe  royale  academique  des  sciences  de  Paris. 

25.  LECERF  ,  professeur   bonorairc  de  droit  civil  , 

membre  de  la  Sociele  des  antiquaires  de  Nor- 
mandie. 
20.  DE  GOURNAY  ,  avocat. 

27.  TRAVERS  ,  agrege  de  litterature  pres  la  FacuUe 

des  leltres  de  Caen. 

28.  DES  ESSARS  ,  conseiller  a  la  (^oiu-  royale. 

29.  MASSOT  ,  avocat  general  a  la  Cour  royale. 


X  LISTE 

3o    SAISSET  ,  professeur  de  philosophic  an  college 

royal. 
3i .  VIOLLET  ,  ing^nieiir  en  chef  du  Calvados. 

32.  BONNAIRE  ,  professeur  de  mathemali^iues  Irans- 

cendantes  k  la  Faculte  des  sciences. 

33.  DESilAYES  ,  peintre  ,  menibre  de  la  Sociele  des 

anliquaires  de  Nonnandie. 

34.  SIMON  ,  ing^n'eur  ,  directeur  du  cadastre 

35.  VASTEL  ,  doclcur  en  medecine. 

36 t     .     .     • 

RESIDAKTS   A    CAF5. 

MM. 

CIIANTEPIE  ,  ancien  inspectcur  dc  TAcademie  uni- 

versilaire. 
THOMINE  Cls  ,  ancien  professeur  a  la  FaciiUc   de 

droit. 
BOISAKD  ,  conseiller  de  prefecture. 
BfiTOURNfi  ,  ingenicur  des  ponls  et  chausseos. 
PREL  ,  ancien  verificalcur  des  domaincs. 
ROBERCiE  ,  membre  delaSociote  linneenno. 
CASSIN  ,  professeur  de  philosophic  au  college  roval. 
LA  TROUETTE  ,  docteur  cs-leltres. 
Mile.  CUllPIN(Emma). 
I^IAXCEL  (Georges)  ,  bibliolhecaire  dc  la  villc  de 

Caen. 
BERGER  ,  professeur  de  rhctorique  au  college  royal. 


DE  MM.    LES  MEMBRE?.  XI 

SCHMIT  ,  professeur  de  malhcmaliques  spccialos  au 

college  royal. 
DESAINS  ,  pioffssour  de  physi'iiic  an  college  royal. 
DE  FORME  VILLE  ,  conseiller  A  la  Coiir  royale. 
MfilllTTE  LONGCIIAMP  ,  mcmbic  de  la  Sociele  dcs 

antiquaiies de  Norinandie. 
SANDR.VS  ,  proviseiir  dxi  colk^ge  royal. 
QUENAULT-DESRIVIiKES  ,  professeur  de  4".  au 

college  royal. 

NATION.ICX  BT    ETRANCEBS. 

MM. 

SURIR.VY  ,  medecin  des  hopilaux  civil  el  inililalre  ,  a 

Paris. 
ASSELIN  ,    directeur    de   la  Societe   royale   acadc- 

mique  de  Cherbourg. 
DE  TILLY  (Adjutor)  ,  depute  ,  i  Villy  ,  pres  ViUers- 

Bocage. 
GOULLET  DE  RUGGY  ,   ancien  colonel  d'arlillerie  , 

AMetz. 
TAILLEFER,  inspecleur  derAcademic  universilaire  , 

k  Paris. 
BROXGMART  (  Alexandre  ) ,  membre  de  I'Inslilut  , 

academie  des  sciences  ,  a  Paris. 
BOUILLON  LA  GRANGE  ,  professeur  de  chimie  ,  a 

Paris. 
DAVID  ,  ancien  consul  general  a  Smyrnc  ,  a  Cerny  , 

pres  La  Ferte-Aleps. 


XII  LISTE 

LEGAGNEUR  ,  homme  de   lettres  ,  ji  Saint-Aubin- 

d'Arquenay. 
CHANVALLON  ,  homme  de  lettres  ,  i  Carentan. 
DE  FRANCE  ,  naturalislc  ,  i  Paris. 
DUBOIS,  I'un  dos  conseivateurs  des  archives  ,  k  Paris. 
LE   FRANCAIS-LALANDE  ,   membre  de  I'lnstitiit , 

academic  des  sciences  ,  a  Paris. 
LESCAILLE,  ing<^nieur  en  retraite,  a  Saint-Germain- 

en-Laye. 
DE  LA  BOUISSE  (  Auguste )  ,  homme  de  lettres  ,  k 

Paris. 
Mme.  DE  LA  BOl'lSSE  (  Eleonore  )  ,  k  Paiis. 
LASNON  DE  LA  RE>  Al'DltlRE  ,  membre  de  la  So- 

ciete  de  gi^ograpbie  ,  a  Paris. 
VIGN£  ,  docleur  en  medecine  ,  a  Rouen. 
BINET  ,  ancien  dessinateur  au  minislere  de  la  marine, 

a  Paris. 
FAYOLLE  ,  homme  de  lettres  ,  a  Paris. 
JACQUELIN-DUBUISSOX  ,  docteur  en  medecine  ,  a 

Paris. 
COSTAZ  I'aine  ,  ancien  prefet  de  la  Manchc  ,   a  Paris. 
D'ARCET  ,    membre  de  I'lnstitut  ,    academie    des 

sciences ,  a  Paris. 
TIIIEBAULT  DE  BERNEAUD  ,  natiiralisle  ,  a  Paris. 
LEPERE  ,  ancien  inspecteur  des  ponts  et  chaussecs  , 

k  Gisors. 
DE  TH£IS  ,  homme  de  lettres  ,  a  Laon. 
DE  MAIMIEUX  ,  homme  de  lettres  ,  a  Paris. 
GUITTARD  ,  docteur  eii  medecine  ,  a  Bordeaux. 
LE  PREVOST  D'IRAV  ,  membre  de  I'lnslilut  ,  aca- 
demic des  inscriptions  et  belles-lettres  ,  a  Paris 


DE  MM.    LES  MEMBRES.  XHI 

T)E  LA  RUE  ,  juge  de  paix  ,  a  Brclcuil. 
CAILLY  ,  ofTicier  superieur  d'arlinerie  ,  a  Melz. 
MARIE-DUMESML  ,  homme  dc  IpUies  ,  a  Paris. 
DE  ROQUEFORT  ,  homme  de  letlres  ,  a  Paris. 
MilCHIN  ,  ancien  prefet  du  Calvados  ,  a  Paris. 
PELLETIER  ,  ancien  pharmacien  ,  a  Paris. 
SIGUIER  (le  marquis  do)  ,  correspondanl  dc  I'Aca- 

demie  des  inscriptions  ,  A  Paris. 
DE  BAZOCHE  ,  naluralislc  ,  a  Falaise. 
LE  IlfiRICIER  DE  GERVILLE  ,  homme  de  leltres  , 

a  Valognes. 
BERR  (  Michel )  ,  homme  de  lellrcs  ,  k  Paris. 
DAWSON  TURNER  ,  naturaliste  ,  a  Yarmouth. 
DUMONT  -  D'URVILLE  ,   capitaine  de  vaisseau  ,   a 

Toulon. 
PRUDIIOMME  DU  IIANT-COURS  ,  a  I'lle  de  France. 
MAUiENDIE  ,   mcmbre  dc  I'lnstilul ,   academic  des 

sciences ,  A  Paris. 
JAUFFRET  ,  conservateur  dc  la  bibliotheque  ,  a  Mar- 
seille. 
VIEILLARD  ,  I'un  des  bibliothccaires  de  I'Arsenal ,  a 

Paris. 
LE  TERTRE  ,  bibliothecaire  ,  A  Coutanccs. 
DRTEU,  colonel  au  3''.  regiment  d'artilleric,  a  Rennes. 
DE  SURVILLE ,  ingenicur. 
TIIURET  ,  homme  de  lettrcs  ,  a  Rouen. 
DE  HAMMER  ( Joseph  )  ,  le  chevalier  ,  orienlalistc  , 

4  Vienne  (  Autriche). 
AGAARD  ,  naturaliste  ,  i  Lundcn  (  Sticde  ) 
BOUCHARLAT  ,  homme  de  leltres  ,  a  Paris. 
BOURDON  ( Isidore  ) ,  docteiu-  en  medecine  ,  sli  Paris, 


XIV  LISTE 

I.ONDE  ,  doclcur  en  medecine  ,  a  Paris. 

DELISE  ,  naturaliste  ,  a  Vire. 

DUBOURG  D'ISIGN'Y ,   ancicn  president  du  tribunal 

de  premiere  instance  ,  a  Vire. 
BOYELDIEU  ,  avocat  ,  a  Paris. 
POLIiS'IEHE  (Isidor)  ,  medecindes  hospices,  a  Lyon. 
ARTHUR  ,  profcsseur  de  malhematiques  ,  A  Paris. 
DE  BEAUREPAIRE   (le  comle)  ,  ancien  secretaire 

d'ambassade  ,  i  Louvagny  ,  pr^s  Falaise. 
BRARD  ,  ingenieur  des  mines  ,  k  Tarascon. 
JOLIMONT  ,  peintre  ,  A  Paris. 
DE  VAUBLA>X  (le  comte)  ,  ancien  ministre,  a  Paris. 
JULLIEN  ,  homme  de  lettres  ,  a  Paris 
DIEN  ,  graveur,  j\  Paris. 
JOIJRDAN,  doctcur  en  medecine  ,  a  Paris. 
SERRURIER  ,  docteur  en  medecine  ,  a  Paris. 
DE  VENDEL'VRE  ( Ic  comle ) ,  ancien  prefet ,  k  Vcn- 

deuvre. 
ELIE  DE  BEAUMONT  ,  ingenieur  des  mines  ,  k  Paris. 
GIBON  ,  maitre  de  conferences  a  I'Ecole  normale  ,  a 

Palis. 
DL'PLESSIS  ,  recleur  de  I'Academie  ,  a  Douay. 
LAMBERT  ,    conservateur  de    la   bibliotbeque  ,    a 

Bayeux. 
DUPIN   (Charles'),  membre  de  I'lnstitut ,  academic 

des  sciences  ,  a  Paris. 
DE  MONTLIYAULT  ( le  comte  )  ,  ancien  ofTicIer  de 

marine  ,  a  Blois. 
DESNOYERS  ( Jules )  ,  naturaliste  ,  a  Paris. 
DE  LA  BOUDERIE  ( I'abbe )  ,  a  Paris. 
COUEFFIN,  ancien  ingenieur  geographe  ,  a  Bayeux. 


DE  MM.    LES   MEMBRES.  XV 

ODOLAM-DESNOS  ,  Uommc  do  lettros,  a  Paris. 

AUDOl'IN  ,  professeur  an  Jartlin  des  Plantes  ,  a  Paris 

PETITOT  ,  statuaire  ,  i  Paris. 

CIIESNON  ,  ancion  principal  du  college  ,  a  Baycux. 

AMENTON,  homme  de  lettres,  au  chAteau  de  Meudoii. 

GREY-JACKON  ,  A  Saint-Servan. 

MARCEL  (J.  J.),orientalisle,  :\  Paris. 

MAILLARD  DE  CHAMBURES,  secretaire  de  I'Aca- 

demie ,  a  Dijon. 
DE  MONTLIVAULT  (le  comle) ,  ancien  prefet  du  de- 

parlemont  da  Calvados  ,  a  Montlivault ,  pr6s  Blois. 
M'"^  DE  SALM  (la  princesse) ,  a  Paris. 
HERBERT-SMITH  (Edouard),  membrc  del'Academie 

de  Cambridge  (Angleterrc). 
PESCHE  jeune  ,  homme  do  leltres ,  au  Mans. 
DE  LA  FONTENELLE  DE  VAUDOR^,  conseiUer  a 

la  Cour  royale  ,  k  Poitiers. 
MANGON  DE  LA  LANDE  ,  membrc    de    plusieurs 

Socictes  savant  es  ,  a  Avranches. 
LA  DOUCETTE  (le  baron)  ,  secretaire  de  la  Societe 

pbilotecbnique  ,  i  Paris. 
ESCIIER  ,  sous-intendant  mililaire  ,  a  Alger. 
M'"^  COIIEFFIN  (Lucie),  A  Bayeux. 
GIRARDIX  ,  professeur  de  chimie,  a  Rouen. 
GATTEAUX ,  graveur  et  sculptcur  ,  a  Paris. 
DE  LA  MARRE  ( I'abbe  )  ,  membre  de  la  Societe  des 

antiqxiaires  de  Normandie. 
WOLF  (Ferdinand)  ,  membre  de  plusieurs  Socictes 

savantes  ,  A  Vienne. 
TOLLEMER  ( I'abbe ) ,   principal  du  college  de  Va- 

lognes. 
D'OSSEVH.LE  ,  ancien  maire  de  la  villc  de  Caen. 


XM  IISTE 

REY  ,  nipmbre  de  la  Sociele  roj  ale  des  antiquaires  de 

France  ,  a  Paris. 
LE  >'OBLE  ,  mcnibre  de  plusieurs  Socieles  savantcs  , 

a  Paris. 
SIMON  ,  ancien  bcitonnier  de  I'ordrc  dos  avocats. 
MARTIN  ,  profcsseur   a  la    Faculte  des    lellres    de 

Rennes. 
MASSON  ,  agrege  des  sciences  physiques  pres  la  Fa- 

culle  des  sciences  de  Paris. 
PILLET  (  Victor-Evremont ) ,  regent  de  rlietorique  au 

college  de  Bayeux. 
LE  BRETON  (  Theodore  )  ,  a  Rouen. 
C  AUVIN  ,  memhre  de  plusieurs  Socieles  savantes  ,   au 

Mans. 
GUILLAUME  ,  juge  au  tribunal  de  Besan^on. 
BOUCHER  DE  PERTHES  ,    directeur  des  douanes  , 

presidentdelaSocieteroyaledemulaliond' Abbeville. 
SANTAREM  (Ic  vicomte  de),  mcmbrc  de  la  Commission 

centrale  de  la  Societe  de  geographic  ,  k  Paris. 
MOLCHNEHT  (  Dominique  )  ,  sculpleur  ,  a  Paris. 
ROCQUANCOIIRT  ,  directeur  de  I'ficole  mililaire,  a 

Saint-Cyr. 
SIMON-SlilSSE  ,  professcur-suppleant  de  philosophic 

a  la  Faculte  des  lettrcs  de  Paris. 
BATTEMAN,  jurisconsulte  anglais. 
PINGEON  ,  secretaire  de  rAcademie  des  sciences  , 

arts  et  belles-lettres  de  Dijon. 
DE  BR^BISSON  ,  naturaliste  ,  a  Falaise. 
DE  LA  FRESNA YE,  naturaliste,  a  Falaise. 
MOORE  (Thomas),  membrc  de  plusieurs  Socieles  sa- 
vantes ,  a  Londres 


HE  MM.    I.ES   Mr.MP.RES.  XYII 

DE  TOCQUEV  ILLE  (Aloxis),  meinbre  de  I'Acadt^mie 

dcs  sciences  morales  el  politiques,  a  Paris. 
LE  PRfiVOST  (Auguste) ,  depute  de  I'Eure  ,  membre 

de  la  Sociele  des   aH^jqif'aiies   de   Normandie  ,    a 

Bernaj. 
VEUL  SMOR  ,  homme  de  lettres  ,  a  Cherbourg. 
LAMARTINE  (Alphonse),  membre  de  rAcaderaie  fran- 

caise ,  ;\  Paris. 
DO^'tlRE  r  professetir  d'histaire  nalurelle  au  college 

Henri  l\ ,  a  Paris. 


II 


SOCIETES  CORRESPONDAIVTES , 

Ql'I  ADRESSENT  LEURS  PUBLICATIONS  A  l'aCADEMIE  DE 

CAEN. 


Societe  d'emulation  et  d'agricullure  de  I'Ain. 
Society  indusli'ielle  d' Angers. 
Societe  royale  d'Arras. 

Coniite  bisloiique  des  arls  et  monuments  ,  a  Paris. 
Athenee  des  arts  ,  a  Paris. 
Society  archeoIogiquG  d'Avrancbes. 
Societe  des  sciences,  d'agricultureelartsduBas-Khin. 
Society  des  sciences  et  des  belles-lettres  de  la  ville 
deBlois. 

Academic  des  sciences  ,  belles-lettres  et  arls  de 
Bordeaux. 

Societe  royale  d'agricultureetde  commerce  de  Caen. 

Societe  de  medecine  de  Caen. 

Soci6t6  linncenne  de  Normandie. 

Societe  des  antiquaires  de  Normandie, 

Societe  pbilbarmonique  du  Calvados. 

Association  normande. 

Societe  francaisc  pour  la  conservation  et  la  descrip- 
tion des  monuments  bistoriques. 

Societe  veterinaire  de  la  Mancbe  et  du  Calvados. 

Societe  d'emulation  de  Cambray. 

Societe  d'agriculture ,  arts  et  commerce  de  la  Cha- 
rentc. 


SOCIETiS   CORBESPODANTES.  XIX 

Sociote  royale  acad<^mique  de  Cherbourg. 

Academie  de  Dijon. 

Sociele  d'agriculture  ,  sciences  nalurelles  et  arts  du 
Doubs. 

Societe  d'agriculture,  sciences,  arts  et  belles-lettres 
du  deparlenient  de  I'Eure. 

Societe  acadcmique ,  agricole,  industrielle  et  d'in- 
struction  de  Tarrondissemenl  de  Falaise. 

Academie  des  Jeux  Floraux. 

Academie  duGard. 

Society  de  geographie. 

Commissiondes  monuments  historiquesdelaGironde 

Sociele  Havraise  d'etudes  diverses. 

Sociele  d'agriculture  ,  sciences,  arts  et  belles-lettres 
du  departemont  d'lndre-et- Loire. 

Sociele  d'emulalion  du  departement  du  Jura. 

Sociele  royale  d'agriculture ,  sciences  et  arts  de  Li- 
moges. 

Society  d'emulalion  deLisieux. 

Sociele  academique  de  la  Loire-Inferieure. 

Academic  de  Lyon. 

Sociele  d'agriculture  ,  sciences  et  belles-lettres 
de  Macon. 

Sociele  d'agriculture  ,  d'archeologie  et  d'bistoire 
naturclle  du  departement  de  la  Manche. 

Sociele  royale  d'agriculture,  sciences  el  arts  du 
Mans. 

Sociele  d'agriculture,  commerce,  sciences  et  arts 
de  la  Marne. 

Academic  do  Marseille. 

Academic  rovale  deMelz. 


XX  SOCIEltS    CORRESPOXDANTES. 

Socicle  acailemique  dc  Nancy, 

Sociele  academique  dc  Nantes. 

Society  generale  dos  naufrages. 

Societe  d'agriculturc ,  sciences  et  arts  de  Poitiers. 

Socicte  d'agriculturc ,  sciences  ct  belles-lettres  de 
Rochefort 

Academic  des  sciences  ,  arts  et  belles-lettres  dc 
Rouen. 

Societe  libre  d'emulation  de  Rouen. 

Societe  academique  de  la  ville  de  Saint-Quentin. 

Societe  centrale  d'agricultupe  du  departement  de  la 
Seine-Inferieure. 

Academic  des  sciences  ,  agriculture  ,  commerce  ^ 
belles-lettres  et  arts  du  departement  de  la  Somme. 

Academic  royaledes  sciences,  inscriptions  ct  belles- 
lettres  de  Toulouse. 

Sociele  des  sciences,  belles-lettres  et  arts  du  depar- 
tement du  Var. 

Societe  d'emulatioa  du  departement  des  Vosges. 


SEA]\CE  PUBLIQUE 


DV   26   NOVEMBRli    1840. 


ACADEMIE  ROYALE 


DRS 


KOEEKreiiS,  AmTB  WS  BHILEoES-ILJI^SMIIS 


DE  CAEN. 


SEANCE    PUBLIQUE 

DU    26   KOVEMBKE    l84o. 

Cetle  seance  s'est  tenue  dans  la  grande  salle  dc 
rh6lel-de-ville  ,  de  7  Lcures  a  9  beures  et  demie  dii 
soir. 

Le  programme  en  avail  ete  arrete  ainsi  qu'il  suit : 

Discours  d'ouverlure,  par  M.  Bertrand,  president. 

Rapport  sur  les  liavaux  de  la  Societ^,par  M.  Tra\ers, 
secrelaivc. 


XXIV  SEANCE    PIBLIQIE. 

Sur  Malherbe ,  par  1>L  Edom  ,  inspecteur. 

Sur  les  Poesies  de  Clo  tilde  de  Surville,  par  M.  VAUUUiR, 
professeur  Ji  la  Faculte  des  Icttrcs. 

Le  privilege  de  la  Fierte  ,  par  M.  P. -A.  Vieillard, 
run  des  biblioth(5caires  de  I'Ai-senal. 

Biographie  du  baron  Le  Menuel-la-Juganniere  , 
ancien  premier  president  de  la  Cour  royale  de  Caen  , 
merabre  de  I'Acad^rale  ,  par  M.  Tli.  Massot,  avocat- 
gen^ral. 

Poesies,  par  MM.  Thiret  et  Le  Breton. 


DISCOURS 


d'ouvertube 


PRO^ONCE 


Pau    M.   F.-G.  BERTRAND,  piesidont. 


Messieurs  , 

Appele  par  votre  choix  a  riionneur  dc  vous  presider, 
j'eprouve ,  avant  de  quitter  ce  fauteuil ,  le  besoin  de 
vous  exprimer  uuc  fois  encore  ma  profondc  recon- 
naissance. 

S'il  est  vrai  que  rien  ne  soil  plus  flatteur  pour  I'liomme 
qu'un  temoignage  d'estime  de  la  part  de  ses  conci- 
toyens ,  j'ai  du  me  trouver  honore,  h  un  liaut  point , 
du  suffrage  d'un  corps  oil  le  titre  de  mcmbre  est  dcjii 
d'un  grand  prix. 

Puissiez-vouspenser,  Messieurs,  que  I'annee  qui  finit 
n'a  pas  ete  sterile !  Pour  moi,  en  songeantaux  travaux 
reccnts  de  notre  Academic  ,  i\  la  frcquenlation  inac- 
coutumec  ct  a  I'iulcret  de  sos  seances ,  et  surlout  aux 


IXVl  SKANCE    PIBLIOVE 

nouveaux  collogues  qui  reniplissenl  les  vides  nombreux, 
trop  long-temps  ouverts  au  milieu  de  nous,  je  suis  fier 
de  ces  r(5sultats ,  encore  bien  qu'ils  soient  en  entier 
votre  ouvrage. 


L'instant  est  venu  oil  celteCompagnie  peut  reprendre 
le  rang  qu'elle  occupait  autrefois  dans  la  Province. 
Quelque  illustres  que  soient  certains  noms  dont  I'Aca- 
d^mie  de  Caen  s'est  honoree  ,  il  est  permis  de  croire , 
en  considerant  les  services  que  beaucoup  d'entre  vous 
ont  rendus  h  la  science  et  au  pays  ,  que  rarement  elle 
reunit  h  la  fois  plus  d'elements  de  prosp^rite ,  du  cote 
de  ses  membres. 

Ce  n'est  pas  que  je  pense  ,  Messieurs  ,  qu'il  soit 
maintcnant  donne  h  une  Society  savante ,  quelle  qu'elle 
soit ,  quelque  eminents  que  soient  les  hommes  qui  la 
composent,  de  reparaltre  avec  le  role  important  des 
anciennes  Academies,  ni  de  fixer  au  meme  degr(5 1'at- 
tention  pulilique.  Le  temps  des  Huet  et  des  Bochart  est 
dejk  bien  loin  de  nous ,  et  lors  meme  que  ces  acade- 
miciens  faraeux  reviendraient  h  la  vie ,  avec  leur  im- 
mense savoir  et  d'autres  hommes  comme  eux  pour  leur 
servir  de  cortege,  leurs  travaux ,  leur  debats  n'auraient 
plus  le  privilege  de  fournir ,  pour  ainsi  dire  ,  seuls , 
un  alimcnl  h  la  curiosite  des  esprits.  Cc  n'est  plus  uni- 


BU  26  NOVEMBRE  l84o.         XXVll 

queraent  dans  les  Academies  que  se  traitent  les  questions 
qui  s'adressent  ci  lapartie  la  plus  intelligente  de  la  so- 
ciete  :  c'est  ailleurs  que  s'agiteut  surtout  les  inlereLs  et 
les  iddes  qui  remuent  fortement  les  ames :  c'est  aulre- 
inent  que  par  leurs  Perils  de  savants  ou  de  litterateurs , 
que  les  liommes  de  notre  epoque  les  plus  distingues 
dans  la  science  ou  dans  la  litterature  exercent  sur  le 
pays  leur  puissante  influence. 

Cependant  une  part  assez  large  est  encore  reservee 
aux  Compagnies  comme  la  notre ,  dans  le  grand  oeuvre 
du  bien  public  ;  elles  peuvent  encore  tenir  une  place 
honorable  au  nombre  des  institutions  utiles  d'un  ordre 
eleve,  si,  comprenant  I'etat  nouveau  de  la  socicte , 
elles  approprient  leurs  travaux  a  la  satisfaction  de  scs 
nouveaux  besoins. 

Le  temps  n'est  plus  oil  la  solenaite  des  Palinods  exci- 
lait  dans  la  contree  un  interet  general ,  et  oii  le  moindre 
6venement ,  pourvu  qu'il  se  rattachat  \i  un  grand  per- 
sonnage ,  mettait  en  dmoi  tons  les  poetes  du  jour.  Le 
temps  n'est  plus  des  dissertations  s(5rieuses  sur  des  su- 
jets  frivoles,  ni  de  ces  questions  oiseuses  dont  la  solu- 
tion ,  quelle  qu'elle  soit,  ne  saurait  avoir  d'utile  ap- 
plication. Le  dirai-je,  Messieurs  ?  le  temps  n'est  plusr 
oil  les  travaux  d'un  corps  savant,  en  litterature,  par 
exemple,  puissent  n'avoir  pas  encore  un  autre  Lul  que 


XXVm  SEANCE    Pl'DLIQUE 

lalitterature  elle-meme.  Si  Ton  perniet  i  im  particulier 
de  ne  reconnaitre  dans  ses  etudes  d'autre  loi  que  scs 
gouts  ,  I'exigence  doit  fitre  plus  severe  Ji  I'^gard  d'une 
Compagnie ,  surtout  lorsqu'elle  se  pose  comme  une  ins- 
titution d'utilite  puljlique.  A  une  ^poque  comme  la 
nOtre ,  ce  n'est  que  par  leur  utilite  que  les  Academies 
peuvent  obtenir  une  consideration  reelle ,  et  meme  jus- 
tifier  leur  existence. 

Lorsque  je  parle  d'utilite  ,  vous  me  comprenez  , 
IMessieurs  :  je  n'entends  pas  restreindre  la  signification 
(le  ce  mot  Ji  ce  ^ti  tient  uniquement  aux  besoins  raa- 
teriels.  II  y  en  a  d'autres  pour  un  6tre  intelligent, 
moral  et  sensible ;  et ,  ces  besoins  de  notre  nature ,  ils 
n'existent  pas  seulement  pour  les  individus  :  c'est  dans 
leur  satisfaction  que  consistent  principalement  la  vie  et 
la  gloire  d'un  peuple. 

Je  suis  aussi  bien  loin  de  pretendre  que  I'inutilite  soit 
un  caractere  dominant  dans  les  productions  de  ceux 
qui  nous  ontpr^cedes :  les  anciennes  Academies  m(5ritcnt 
de  notre  part  plus  de  justice  et  plus  de  respect.  Clia- 
que  ^poque  appelle  sp(5cialement  de  tel  ou  tel  cote 
Tactivite  de  ceux  qui  s'occupent  de  travaux  intellcc- 
tuels ;  et  ,  sans  essayer  de  rappeler  ici  ce  qu'ont  fait 
nos  devanciers,  je  dirai  qu'ils  ont  satisfait ,  en  general, 
a  ce  que  demandait  la  science  alors  et  a  ce  que  leur 


DU   26  NOVEKBRE    1840.  XXIX 

siecle  r^clamait  dc  la  science.  C'est  h  leurs  cflorls 
(jue  nous  souimcs  rcdevables  d'avoir  nn  point  de  de- 
part moins  eloignc  du  Lut  vers  lequel  nous  devons 
tendrc,  et  c'est  encore  en  les  imitant,  au  moins  sous 
un  rapport ,  que  nous  pourrons  I'atteindre  ,  puisqu'il 
faut ,  pour  cela,  c^ue  nous  soyons,  aussi  bleu  qu'eux  , 
de  notre  siecle. 

Au  reste,  ce  n'est  pas  de  raoi ,  Messieurs,  que  vous 
devez  apprendre  quelle  direction  il  convient  de  donner 
Ji  vos  travaux.  Vous  n'avez  pas  attendu  ce  jour  pour 
entrer  vous-meraes  dans  la  voie  nouvelle.  Ils'agit  done 
plutot  en  ce  moment  de  proclamer  ce  que  nous  coni- 
prenons  tous  ,  quelle  est  notre  pens^e  Ji  tous  sur  co 
que  doit  faire  de  nos  jours  quiconque  aspire  ,  non  pas 
seulement  b.  la  reputation  d'liomme  instruit,  mais  en- 
core au  role  de  savant  utile. 

Tandis  que  les  progres  des  sciences  mathematiques , 
physiques  et  naturelles,  serviront  h  trouver  des  perfec- 
tionnements  et  des  aecroissements  nouveaux  aux  arts  , 
h  I'industrie ,  au  bien-etre  ,  h  la  surete  et  k  la  sante 
publique  ,  les  hommes  liabitu(5s  aux  speculations  plii- 
losophiques  fcront  porter  de  preference  leurs  medi- 
tations sur  les  graves  questions  d'economie  sociale  qui 
preoccupent  les  esprils :  les  verites  d'application  de- 
viendront  surtout  I'objet  de  leurs  recherches.  L'etude 


XXX  STANCE    PVBLIQUE 

(le  I'histoire  n'aura  pas  pour  but ,  dans  ncs  Compagnles, 
de  constater  des  fails  insignifiauts,  et  I'importance  des 
eveuements  recevra  son  appreciation  ,  bieu  moins  de 
leur  fracas ,  que  de  leur  influence  sur  la  destinee  des 
peuples  et  sur  la  marclie  de  la  civilisation.  L'antiquaire 
ne  fouillera  pas  la  terre  ,  uniquement  pour  y  trouver 
des  tombeaux  et  un  peu  de  poussiere  liumaiue  :  quel- 
qucs  ruines  i  demi  enfouies  sous  le  sol ,  quclques  pieces 
demonnaierongees  par  le  temps  n'absorberont  pas  en- 
tierement  les  facultes  de  son  intelligence,  au  point qu'il 
neglige  les  institutions  et  les  moeurs  des  peuples  dont  il 
remue  les  cendres.  Et ,  dans  leurs  investigations ,  ceux 
qui  se  livrent  aux  diverses  branches  des  travaux  his- 
toriques,  ne  tiendront  pas  toujours  leurs  yeux  tournes 
vers  le  pass^  :  ils  se  souviendront  que  1' etude  des  sli- 
des ecoules  n'est  veritablement  fructueuse  ,  que  lors- 
qu'elle  fournit  des  consequences  applicables  au  present 
et  i  I'avenir. 

Les  ceuvres  litt^raires  et  les  autres  productions  des 
beaux -arts,  n'ofTriront  pas  seulement  des  aliments  Ji 
notre  besoin  individuel  d'cmotions ;  elles  ne  seront  pas 
seulement  pour  nous  des  realisations  du  beau  sous  des 
formes  varices :  nous  y  chercherons  encore  1' expres- 
sion de  la  vie  intellectuelle,  morale  et  politique  des  na- 
tions, et,  dans  les  nobles jouissances  qu'cUosprocurcnt, 


DU   26   NOVEMBRE  18i0.  \X\l 

nous  vcrroiis,  en  mtoie  temps  que  la  satisfaction  d'un 
besoin  comniun  de  Thunianite,  un  element  puissant  de 
moralisation  et  de  perfectionucmcntpour  notre  nature. 

Et  si  quelques-uns  parmi  nous  font  entendre  le  Ian- 
gage  harmonieux  et  passionnd  de  la  po^sie  ,  ils  n'ou- 
blieront  pas  que  nous  ne  soninies  plus  h  une  epcque 
sociale  011  cet  art  divin  ^tait  rabaiss^  au  role  d'un  amu- 
sement futile  pour  les  classes  oisives;  que,  s'il  est  au 
pouvoir  du  poete  de  rcpanclre  des  fleurs  sur  la  \ie  et 
d'endormir  les  maux  reels  de  I'homme  ,  en  le  Irans- 
portant  au  milieu  d'un  monde  ideal  niieux  approprie 
aux  besoins  de  son  cceur ,  11  a  aussi  une  mission  plus 
scrieuse  et  plus  noble ;  qu'il  ne  doit  pas  s'abandonner 
uniquement  h  I'expression  de  ses  sentiments  intimcs 
et  prives ;  que  la  voix  du  poete  est  surtout  I'echo  de  la 
joie ,  de  la  douleur  et  des  autres  emotions  nationales ; 
que ,  lorsqu'il  s'emeut  des  passions  pubbques  et  qu'il 
s'en  rend  I'interprete  ,  le  plus  digne  emploi  de  son 
g^nie,  c'est  d'exalter  dans  les  ames  ce  qui  s'y  trouve  de 
grand,  de  bon  ,  de  g^nereux;  c'est  de  rendre  le  citoyen 
plus  d^vou6  h  la  patrie ,  et  I'homme  plus  ami  de  I'bu- 
manite  tout  enti^re. 

Si  c'est  ainsi;,  Messieurs,  que  cbacun  de  nous  com- 
prend  la  tftcbe  des  mcmbres  des  Acad(5mies,  nous  ne 
regarderons  pas  de  nul  effel  riuflucnce  de  ces  corps  sur 


XXXII  SKA>CE    rCBLIQlE 

les  progies  ct  la  diffusion  des  lumieres,  ni  sur  Tame- 
lioration  morale  de  la  society. 

Lorsque  Ics premiers  corps  savants  de  la  capitalc ,  qui 
comptent  dans  leur  sein  ce  que  les  sciences ,  les  lettres 
et  les  arts  ont  de  plus  Eminent ,  signaleront  leur  exis- 
tence par  des  travaux  propres  i  fixer  I'attention  du 
monde,  nous,  honimes  des  centres  secondaires ,  sans 
songer  k  les  6galer ,  nous  suivrons  leurs  travaux ,  nous 
coustaterons  leurs  precienses  d^couvertes ,  et  tandis 
que  nos  pretentions  se  borneront  a  y  trouver  d'utiles 
applications ,  il  arrivera  parfois ,  grace  au  genre  d'ex- 
citatlon  qui  se  faitsentir  dans  nos  Compagnies ,  que  des 
productions  importantes  reveleront  une  haute  portec 
intellectuelle ,  qui  autrement  aurait  pu  demeurer  ste- 
rile. Et  quand  aucune  ojuvre  de  genie  ne  sui-girait  du 
milieu  de  nous ;  quand  meme  nous  ne  serious  pas  le 
fleuve,  qui,  par  la  seule  action  de  son  cours,  feconde 
et  enrichit  les  champs  voisins  ,  nous  serous  au  moins 
les  canaux,  qui  portent  avec  ses  eaux  la  fertilite  jus- 
qu'aux  lieux  eloignes  de  ses  bords. 

II  y  a ,  sans  doute ,  pour  la  circulation  de  la  pensee . 
d'autres  moyens ,  d'une  activity  prodigieuse  ,  devant 
lesquels  tous  les  autres  paraissent  d'une  bicn  faible 
puissance.  Aussi  ne  saurait-il  entrer  dans  men  espiit 
de  comparer  ce  que  font  nos  Compagnies  .  pour  Yin  - 


DU   26   NOVEMBRE    l84o.  XXXIII 

filtration  des  id^es ,  avec  Taction  incessante  de  la 
presse ,  surtout  de  la  presse  p^riodique.  Mais  I'influence 
que  je  comprends ,  pour  etre  d'une  autre  sorte  ct  moins 
frappante ,  n'en  est  pas  moins  r^elle. 

II  ne  suffit  pas,  en  elTet,  qu'une  id6e  naisse  ct  se 
propage ,  pour  qu'elle  soit  v^ritableraent  acquise  h  la 
science  :  il  faut  encore  qu'elle  passe  au  creuset  de 
I'examen ;  que  ce  qu'elle  a  de  vrai  s'y  degage  du  faux, 
alliage  si  commun  de  la  v^rite  dans  les  conceptions  liu-. 
maines.  Et  lorsqu'elle  serait  pure  d'erreur  ou  d'exa- 
g^ration  ,  rarcnient  elle  apparait  d6s  I'abord  avec  ses 
consequences  ,  c'est-k-dire ,  avec  ce  qui ,  d'ordinaire  , 
offre  le  plus  d'utilit^.  Une  fois  echappee  de  la  sphere 
sup6rieure  oil  elle  a  6t6  congue ,  elle  a  souvcnt  besoin 
d'etre  reprise  ailleurs ,  travaillee ,  ^laboree,  jusqu'i  ce 
qu'elle  soit  propre  k  devenir  un  aliment  substantiel 
pour  le  plus  grand  nonibre.  Or,  n'est-il  pas  facile  de 
concevoir  combien  les  Academies  des  d^partcments 
sont  favorablement  placees  pour  assimilcr  les  id^es  aux 
intelligences  eloignees  du  foyer  createur? 

D'ailleurs,  Messieurs ,  il  y  a  des  questions ,  et  mcme 
des  questions  vitales  pour  la  societe  ,  qui  deraandent , 
pour  etrc  convcnablcmcnt  discutees  et  amener  unc  so- 
lution fructucuse ,  des  conditions  de  calnie  ct  de  mo- 
deration ,  qui  se  rencontrent  dilTicilemcnt  au  milieu  des 

passions  de  la  foulc.  Trop  souvent  I'esprit  de  parti 

III 


XXXIV  SEANCE   PUBLIQUE 

envenime  ce  qu'il  louche.  Ce  qu'il  y  a  d'exclusif  et 
d'exag6r6  dans  ses  pretentions  provoque  une  resistance 
opiniatre  et  des  exigences  oppos(5es.  Parce  que  les 
uns  veulent  exploiter ,  dans  leurs  alTcctions  ou  dans 
leurs  interfits,  une  idee  d' economic  sociale  en  soi  juste 
etsalutaire,  e'en  est  assez  pour  que  les  autres  la  re-, 
jettent,  et  meme  la  traitent  en  ennemie. 

On  comprend  done  la  necessite  d'un  terrain  neutre  , 
oil  (5es  sortes  de  questions  puissent  se  debattre  Ji  I'abri 
des  preventions ;  oil  les  idecsjde  quelque  cote  qu'elles 
se  produisent,  n'aient  k  ressortir  que  du  tribunal  de  la 
raison,  etoii  leur  verite  et  I'utilite  de  leurs  applications 
Solent  les  seuls  litres  qui  les  rendent  recommandables. 
Mais  oil  trouvcrait-on ,  Messieurs,  ailleurs  qu'au  sein 
de  reunions  comme  les  v6tres ,  plus  de  conditions 
d'irapartlalite  reunies,  plus  de  garanties  en  favour  de 
ce  qui  est  juste ,  sage  et  progres  veritable ,  contre  I'exa- 
geration  de  I'esprit  de  systeme  ou  I'opiniatrete  de  la 
resistance  aveugle  ? 

Mon  intention  n'est  pas ,  Messieurs ,  de  faire  res- 
sortir tous  les  genres  d'avantages  qui  resultcnt  de  I'cxis- 
tence  de  nos  Compagnies.  Aulrenient j'ajoulerais  qu'avec 
rinfluence  toujours  croissante ,  et  parfuis  cxorbitante  , 
de  la  Capitale  sur  le  rcste  de  la  France ,  e'en  serait  fait 
bientot  de  I'ancienne  vie  provincialc  ;  que  bientfit  il 
n'y  aurait  que  Rome  dans  TEmpire,  si,  pour  resister  i 


DU    26   NOVEMDRE    iS^O.  XXXV 

reuvahissement,  il  n'y  avail  que  dcs  iodlvidus  Isolds; 
si  les  departements  6taient  d^pourvus  de  ces  Asso- 
ciations ,  oil  se  rdunissent  les  forces  locales ,  et  qui 
deviennent  pour  eux  le  centre  d'une  vie  propre  et 
jusqu'i  un  certain  point  ind6pendante. 

Je  montrerais  encore  quel  stimulant  au  profit  de 
I'etude,  que  ces  reunions  p^riodiques,  oil  chaquemembre 
de  nos  Conipagnies  s'impose  le  devoir  d'apporter  sou 
tribut;  quelle  source  pr^cieuse  d'instruclion  solide  et 
variee  ,  que  cet  ^change  frequent  d'idces ,  le  plus  sou- 
vent  muries  par  de  longues  meditations ,  entre  des 
hommes  de  sp^cialites  diverses ,  tous  occupes  de  la 
science  ,  et  offrant ,  la  plupart ,  avec  le  fruit  do  leurs 
etudes  solitaires,  I'experience ,  qui  ne  s'acquiert  que 
dans  la  vie  active. 

Mais  que  dirais-je  ,  en  insistant  sur  ces  points  de  vue, 
qui  ne  s'offre  suffisamraent  de  soi-meme  h  la  pensee  ? 
Qui  pourrait  contester  serieusement  I'utilile  qui  doit 
resulter  pour  la  science,  d'institutions  qui  ont  specia- 
lement  la  science  pour  objet  ? 

.-  Etd'ailleurs,  Messieurs,  quand  il  serait  vrai  que  nos 
travaux ,  que  tous  nos  efforts  reunis  n'auraient  rien  de 
fructueux ,  ni  pour  I'etude ,  ni  pour  les  progres  de  la 
science  ,  ni  pour  la  dilfusion  des  lumieres  ,  ni  pour  la 
decentralisation  intellectuellc ;  en  un  mot ,  lorsque  les 
noms  de  nos  Conipagnies  ne  serviraient  qu'i  decorer 


XXXVI  SEANCE    PUBLIQUE 

des  pretentions  stdriles ,  il  y  a  d'autres  raisons  qui , 
seules ,  sufliraient  pour  Ics  reconimander  aux  amis 
dclairt'S  de  leur  pays  et  de  rhumanit6  ,  k  ceux  qui 
voicnt  encore  quelque  chose  au-delc^  des  sciences,  des 
letlres  et  des  arts ,  surtout  dans  les  temps  qui  ne  sont 
pas  tout-Ji-  fait  purges  du  levain  des  discordes  civilcs. 
Ce  n'est  pas  uniqueraent  aux  idees  inscrites  siu"  les 
drapcaux  de  diverses  coulcurs  ou  qui  s'abritcnt  h 
leur  ombre ,  que  les  partis  opposes  font  la  guerre : 
niallieureuscment  c'estpour  les  liommesque  se  reserve 
ce  qu'il  y  a  de  plus  aclif  dans  la  haine.  3Ieme  dans  les 
ames  que  la  nature  a  le  mieux  disposees  &  la  bienveil- 
lance  ,  les  preventions  trouvent  souvent  alors  un  facile 
acces.  Si  Ton  est  pour  les  siens  tout  rempli  d'indul- 
geuce  ,  au  point  que  la  communaute  de  certains  prin- 
cipes  dispose  ci  croire  cliez  eux  h  toutes  les  vertus,  il 
en  est  bien  autrement  ci  I'^^gard  de  ceux  d'une  opinion 
contraire.  Tant  qu'on  ne  les  a  vus  qxi'k  distance ,  et 
surtout  dans  les  luttes  politiques,  c'est  a  peine  si  Ton 
pent  supposer  chez  eux  des  qualites  honorablcs.  On  se 
trouve  a  ses  proprcs  yeux  d'une  assez  large  iraparlialite, 
quand  on  leur  reconnait  des  intentions  pures,  avec  un 
jugement  faux  et  des  vues  retrecies ,  ou  bien  de  la  ca- 
pacite  et  de  I'intelligence,  mais  sans  desinteressement 
et  sans  patriotisme.  On  s'eloigne ,  on  s'evite ,  ou ,  si 
quelqucs  rapports  sociaux  forcent  a  se  reunir ,  on  s'ob 


DU  2G  >OVEMDBE  l84o.      XXXTII 

serve  avec  defiance ,  et  il  suffit  d'une  clrconstance  in- 
differente ,  pour  qu'il  s'ensuive  une  animosity  declaree. 
Et  toutes  ces  iniinities  individuelles ,  fruit  des  diver- 
gences politiques,deviennent  h.  leur  tour  des  obstacles 
h  la  reunion  des  partis. 

Et  pourtant,  Messieurs,  ces  hommes,  qui,  sans  se 
connaitre  dans  ce  qui  constitue  veritablcraent  rhomme , 
sont  devenus  les  objets  de  pr<5ventions  r^ciproques  ,  et 
peut-6tre  de  sentiments  encore  plus  facheux  ,  sou  vent 
lis  portent  dans  leur  esprit  et  dans  leur  coeur  tout  ce 
qui  pourrait  les  reliausser  aux  yeux  I'un  de  I'autre  et 
Ics  unir,  s'ils  pouvaient  se  toucher,  se  reveler  I'un  1*1 
I'autre  et  se  comprcndre.  Eh  blen  !  ce  terrain  neutre 
dont  je  signalaiSjil  n'y  aqu'un  instant,  I'utilit^,  pour 
la  juste  appreciation  des  iddes ,  n'est-U  pas  pour  les 
hommes  eux-mfimes  I'occasion  d'aussl  heureux  effets  ? 
Oui ,  Messieurs  :  au  sein  de  ces  Compagnies ,  dont  les 
merabres,  soumis  d'ailleurs  h.  des  opinions  et  h  des 
ailections  dilTerentes,  serdunissentpour  un  but  commun, 
dlranger  h  ce  qui  les  divise  sur  un  autre  theatre  ,  lis  ne 
tardent  pas  h  s'appr^cier  sous  d'autres  rapports  que 
celui  qui  les  a  rapproch^s.  Et  quand  ils  ont  reconnu  , 
chez  des  collegues  d'opinion  oppos(5e  ,  des  hommes 
tout  II  la  fois  d'une  haute  raison  et  de  nobles  sentiments, 
des  citoyens  aussi  devoucs  au  bien  public  qu'on  pcnse 
I'fitre  soi-meme,  alors    les  preventions  s'effacent,  non 


XXXVin  SEANCE  PtBLIQUE. 

seulement  fi  regard  de  ceux  qui  les  ont  vaincues,  mais 
encore  envers  ceux  qui  excitaient  au  meme  litre  la 
meme  antipathic.  De  \h  cet  esprit  de  tolerance ,  qui , 
sans  rendre  indifferent  pour  ce  que  Ton  croit  juste  et 
bon ,  dispose  i  trailer  avec  plus  de  respect  les  raisons 
de  ses  adversaires.  De  Ici  cette  recherche  plus  cons- 
ciencieuse  de  la  verite,  el  ces  reflexions,  plus  s^veres 
pour  soi-meme  el  pour  les  siens,  plus  bienveillanles  h 
I'e^gard  des  autres ,  qui  permcttent  de  s'elever  au-dessus 
de  la  sphtire  etroite  des  passions.  De  \h  ces  elements  , 
deji  nombreux  parmi  les  honimes  doues  d'intelligence 
et  d'un  ccEur  droit ,  d'un  parti  superieur  k  lous  les 
partis ,  parce  que  ,  sans  epouser  leurs  haines ,  il  s'era- 
pare  et  s'aninie  de  toutes  leurs  idees  genereuses ,  du 
parti  social ,  qui  fait  de  la  Palrie  le  premier ,  le  plus 
Cher  objet  de  son  amour  el  de  ses  efforts ,  mais  dont 
la  vue  ne  s'arrete  pas,  pour  les  lieux,  aux  montagnes 
et  aux  mers  qui  forment  nos  frontiercs ,  ni ,  pour  le 
temps,  k la  courte  duree  d'une  vie  humaine. 

C'est  ainsi ,  Messieurs  ,  que  nos  Conipagnies,  meme 
dans  ce  qu'elles  ont ,  en  apparence ,  d' (Stranger  ;\  la 
culture  intellectuelle  et  aux  progres  des  luraieres ,  con- 
courent  encore  h  ce  qui  doit  etre  le  but  commun  , 
le  but  final  des  sciences  ,  des  lettres  et  des  arts, 
c'est-k-dire  ,  le  perfectionnement  et  le  bonheur  de 
I'humanite. 


RAPPORT 

.    . :i;  .     .1   1'. 

Par  M.  Julie!*  TRAVERS  ,  secretaire. 


Messieurs  , 

Pr^s  de  sept  ans  se  sont  dcoul^s  depuls  la  dernl&re 
stance  publique  de  I'Acadi^mie.  Nous  ne  raanquerions 
pas  de  pr^textes  pour  pallier  la  faute  d'un  si  long  silence. 
Nous  y  renoncons.  La  franchise  de  I'aveu  nous  tiendra 
plutot  lieu  d'excuse. 

On  ne  peut  le  dissimuler ,  Messieurs :  les  Compagnies 
savanfes  ne  sont  pas  seulement  tenues  Ji  des  labeurs 
periodiques ;  mais ,  comme  elles  reinvent  de  I'opinion , 
ellcs  doivent  parfois  comparaitre  devant  I'opinion.  De 
\h  ces  stances  annuelles  qu'ellcs  ont  g^neraleraent  ins- 
titutes, stances  oii  elles  rendent  compte,  et  des  travaux 
parlicullers  de  leurs  raenibrcs,  et  de  leurs  travaux  col- 
lectifs ,  et  de  rinipulsion  donn^e  par  elles  au  dehors , 
soit  par  des  concours  ouvcrts ,  soit  par  d'utiles  publi- 
cations. 

Aujourd'hui  ,  Messieurs  ,  je  ne  vous  eutretiendrai 
point  de  votre  dernier  volume  :  il  remonte  in  quelques 


XL  SEAWE    PUBLIQUE 

annees.  Je  ne  vous  parlerai  point  de  concours  :  celui 
qui  fut  ouvert  en  1833  a  6t^  sans  r^sultat.  Je  vous  rap- 
pellerai  seuleracnt  les  principales  lectures ,  les  princi- 
pales  communications  faites  h  1' Academic  depuis  lemois 
d'avril  183/i.  Vous  pardonnerez  h  la  sdcheresse  de  mon 
Rapport ,  car  vous  savez  tous  que  je  ne  suis  point  dans 
les  conditions  voulues  pour  le  faire  :  je  u'ai  assiste  h 
vos  seances  que  cette  annec.  Pour  les  annees  antericures, 
je  ne  puis  interroger  nies  souvenirs ;  je  n'ai  qu'^  com- 
puter les  registres  de  vos  proces-verbaux  :  mon  role 
doit  se  borner  ii  peu  prcs  i  cclui  d'abr^viateur  ou  de 
copiste. 

Les  sciences  et  les  lettres  vous  out  tour  ^  tour  paye 
leur  tribut  :  je  commence  par  les  premieres. 

—  J'ai  trouve  dans  vos  archives  un  Memoire  de  M. 
HeRALT  sur  les  dermtitcs  fouillcs  fakes' a  FciigueroLlcs 
pour  la  reclierclie  d'une  mine  de  charbon  de  terre. 

Depuis  que  I'industrie  a  pu  maltriser  la  vapeur,  cet 
agent  docile  est  devenu  indispensable  aux  besoius  des 
societes  modernes.  Mais,  pour  produire  cet  agent  et  en 
tirer  le  parti  le  plus  ^conoraique ,  il  faut  de  toute  ne- 
cessite,  dans  I'^tat  actuel  de  la  science ,  employer  beau- 
coup  de  combustible ;  et  comme  le  bois  et  le  charbon 
qui  en  est  cxlrait  dcviennent  de  plus  en  plus  rares,  cette 
decouverte  de  la  puissance  de  la  vapeur  aurait  perdu 


DU    26   NOVEMBRE  l84o.  XLI 

blen  vite  de  son  importance ,  si  Ton  n'eut  pu  trouver  un 
autre  combustible ,  d'un  prix  moins  elcve,  qui,  sous 
un  moindre  volume ,  put  repondre  aux  besoins  des  in- 
dustrlels.  Ce  combustible,  employ^  depuis  longues  an- 
n^es  dans  nos  forges,  est  la  houille  et  I'antbracite.  La 
possibilite  de  lutter  sans  trop  de  desavantage  centre 
I'industrie  (5trangere  dependait  done  de  la  dccouverte 
des  mines  de  houille.  De  lii  est  nee  cette  activite  qui  se 
deploie  de  toutes  parts  h  la  recherche  du  combustible 
mineral ;  de  \h  les  fouilles  assez  r^centcs  faites  k  Feu- 
guerolles. 

Quelqucs  annees  avant  la  revolution  de  1789,  on  fit 
des  recherches  dans  le  nieme  lieu  et  dans  le  merae  but : 
on  creusa  deux  puits  h  250  metres  de  I'Orne,  et  h.  50  ou 
tiO  metres  I'un  de  I'autre.  II  existe,  au'fond  de  celui  qui 
est  vers  le  sud  et  qui  pent  avoir  65  metres  de  profon- 
deur ,  une  galerie  longue  de  60  metres.  Au  fond  de 
I'autre  puits,  qui  n'a  que  31  metres ,  on  trouve  cgale- 
mcnt  une  galerie  de  65  metres  dirig^e  vers  Test.  Au 
bout  de  cette  galerie ,  on  a  crcuse  un  puits  de  24  a  25 
metres  de  profondeur. 

Ces  travaux  ne  mirent  au  jour  qu'une  matiere  scliis- 
teuse  noiratre ,  qui  rougit  au  feu  sans  bruler. 

Les  couches  de  ce  terrain  renferment  aussi  du  gr6s 
siliccux ,  du  schiste  argilcux ,  du  calcaire  marbre  ,  du 
mimophire  et  du  grauwackc.  EUes  se  dirigent  dans  Feu- 


XLII  SEANCB   PCBLIQUE 

gueroUes ,  du  nord-ouest  au  sud-ouest,  et  sont  Incli- 
n^es  S  peu  pr6s  de  SO  degr^s  au  nord-est. 

Ces  recherches  furent  abandonn(5es  en  1790,  etil 
n'est  resle  de  cette  premiere  tentative  que  la  preuve 
qu'elle  avail  6t6  totalement  iufructueuse.  Malgre  la 
d^faveur  qui  a  suivi  I'abandon  de  ces  fouilles,  il  s'est 
form^,  sur  la  proposition  d'un  habitant  d'une  commune 
volsine,  une  nouvelle  societe  pour  reprendre  les  tra- 
vaux  interrompus ;  mais  apres  avoir  employd  une  par- 
tie  d'un  capital  social  qui  s'^levait,  dit-on,&  1 00,000 f. 
la  nouvelle  entreprise  a  ^t<5  abandonn^e ,  sans  qu'on 
eut  meme  peuetr^  jusqu'au  fond  des  premieres  fosses. 
L'avis  des  hommes  les  plus  aptes  h  en  juger  n'a  pas  6i6 
plus  favorable  aux  fouilles  recentes  qu'aux  anciennes  , 
et  iM.  Herault  ne  peuse  pas  que  des  recherches  ult6- 
ricurcs,  avec  quelque  activite  qu'on  les  dirigeat  , 
obtiussent  des  resuUats  plus  avantageux. 

Le  tcrrein  qu'on  trouve  h  FeugueroUes  est  de  meme 
nature,  il  est  vrai,  que  celui  oii  sont  situecs  les  mines 
d'autiiracite  qu'on  exploitc  dans  les  departenients  de 
la  Sarthc  et  de  la  Mayenne ;  mais  rien  n'indique  qu'on 
trouve  cette  substance  dans  le  terrein  de  FeugueroUes. 
C'est  dans  cette  commune  que  vient  se  terminer  le  ter- 
rein de  transition  modernc,  qui  est  entourede  calcaire 
j  uassique.  II resulte de  cette  disposition  que  si  Ion  y 
trouvait  de  rautliracitc ,  les  fouilles  n'auraicnt  pas 


DU   26   NOVEMBRE    l84o.  XLIII 

r^tendue  suffisante  pour  y  6tablir  une  exploitation 
avantageuse. 

— Quelque  importante  que  soil  la  connaissance  des 
(5tudcsmineralogiques,  conuaissance  qui  ne  s'acquiert 
que  par  un  travail  opiniatre ,  ct  qui  ne  sera  jamais  le 
partage  que  des  liomnies  speciaux,  il  est  pour  la  so- 

ciete  tout  entiere  une  connaissance  d'un  plus  haut  inte- 
ret,  celle  de  Thomme,  de  scs  infirmites  physiques  et 
morales ,  et  des  moyens  de  les  guerir. 

M.  Le  Salt  age  vous  a  lu  des  Recherches  siir  le^ 
annexes  du  foetus  humain ;  un  Memoire  theorique  et  pra- 
tique sur  les  luxations  dites  spontances  ou  consecutives  ,  et 
en  particulier  sur  celles  du  femur;  un  autre  Memoire 
sur  I'origine  etle  traitement  des  maladies  siphilitic/ues ;  un 
autre ,  enfin ,  sur  les  tumcurs  formees  par  exhalation  et 
dont  le  tissu  est  semblable  a  celui  des  pseudo-membranes. 
Ces  differents  3Iemoires  ayant  ete  publics ,  je  ne  dois 
pas  en  faire  ici  I'analyse.  Je  dirai  seulemeut  que  s'ils 
renferment  parfois  des  opinions  qui  rencontrent  plus 
d'un  contradicteur,  ils  renferment  aussi  desfaitspre- 
cicux  ct  des  apercus  ncufs  ,  qui  sont  ou  qui  doivcnt 
conduire  ^  des  decouvertes. 

—  M.  Raisin  vous  a  prescnte  plusicurs  Rapports  sur 
la  maison  ccntrale  de  Dcaulieu.  Le  dernier  est  du  15  avril 


XLIV  SKANCE    FIBLIQUE 

18^0 ,  et  a  pour  objet  les  maladies  observees  dans  cette 
prison,  pendant  I'annee  1839.  L'auteur  en  a  fait  deux 
categories :  Tune  embrasse  les  maladies  ordinaires  , 
dont  331  Iiomraes 
et  234  femmes 


565 

ont  etc  atteints,  parmi  lesquels  22  homnies  sont  morts 
do  maladies  aigues,  et  43  de  maladies  chroniques;  8 
femmes  sont  mortes  de  maladies  aigues ,  et  9  de  mala- 
dies chroniques.  La  deuxieme  categorie  embrasse  les 
erysipeles  et  les  fievres  typhoides.  41  homnies  et  19 
femmes  ont  eu  des  erysipeles,  7  hommes  et  1  femme 
ont  succombt5 ;  les  fievres  typhoides  ont  atteint  1 7 
hommes  et  10  femmes,  9  hommes  et  2  femmes  ont 
succombe.  Le  total  geileral  des  raalades  a  done  ete  de 
652,  celui  des  morts  do  101,  sur  une  population 
moyenne  de  1211  individus,  dont  906  hommes  et  305 
femmes. 

M.  Raisin ,  dans  la  dernicire  partie  de  son  Rapport , 
a  recherche  les  causes  auxquelles  il  faut  attribuer  I'ex- 
cddant  de  maladies  et  de  deces  sur  les  ann^es  prece- 
dentcs  ,  et  il  a  indique  les  suivantes  :  1".  L'accroisse- 
mcnt  de  population ,  notammcnt  en  vieillards  et  eu 
individus  d'une  constitution  deterior(5c  ;  2"  L'humidite 
constante  des  trois  premiers  mois  de  1839  ,  de  la  der- 


DU   26   NOVEMBRE    l84o.  XLV 

niere  moitid  d'aout  et  des  mois  de  septembre ,  octobre 
et  novembre ,  jointe  ^  une  temperature  assez  elev(5e  ct 
sous  I'influence  des  vents  du  sud  ,  du  sud-ouest  et  dc 
I'ouest ;  3°.  La  stagnation  des  eaux  pluviales  ct  mena- 
geres ,  stagnation  qui  a  dure  plus  de  18  mois,  depuis 
que  le  puits  absorbant  que  Ton  avail  fait  creuser  pour 
recevoir  ces  eaux  avait  cesse  de  fonctionner. 

A  I'occasion  de  cette  derniere  cause  d'insalubrite  , 
M.  Raisin  expose  deux  sjstemes  d'ecoulement  pour  les 
eaux  pluviales  et  menageres  de  Beaulieu.  Le  premier 
consiste  ii  les  faire  perdre  dans  les  carrieres  aban- 
donnees  ,  qui  sont  derriere  I'enceinte  de  la  maison 
centrale;  le  second  k  conduirc  les  eaux  dans  la  plaine, 
loin  de  toute  habitation,  par  un  canal  decouvert ,  jus-v 
qu'i  un  bassin ,  d'une  dimension  suffisante ,  et  qu'il 
serait  facile  de  nettoyer. 

L'auteur  du  Rapport  combat  le  premier  de  ces 
raoyens  ,  et  donne  des  raisons  plausibles  en  faveur  du 
second.  II  importe  ^  la  salubritc  du  pays  que  cette 
question  soit  examinee  sans  preventions ,  et  resolue 
dans  le  sens  de  I'hygiene. 

—  Plus  pres  de  nous  que  la  maison  dc  Beaulieu ,  il 
en  est  une  autre  oil  se  traitent  avec  un  zele  admirable 
des  infirmites  plus  dignes  de  pitie.  La  maison  du  Bon- 
Sauveur  a  et6  I'objet  dc  plusieurs  Memoires  de  M. 


XLVI  STANCE   PUBLIQUE 

I'abbd  Jamet.  Malheureiisement  cesM^raoires  remontent 
i  plusieurs  ann^es.  Toutefols  ,  ils  soiit  precieux  dans 
I'absence  de  documents  posterieurs ,  et  nous  en  ex- 
Irairons  quelques  cliiCfres  ct  quelques  observations 
utiles. 

En  I'ann^e  1835,  il  est  entre  au  Bon-Sauvenr  92 
alienes ,  ce  qui  a  portc  leur  nombre  dans  I'etablisse- 
menta/»21. 

La  statistique  comparee  prouve  que  dans  cette  mai- 
son  ,  un  plus  grand  nombre  de  fous  ont  recouvre  la 
raison  que  dans  les  autres  etablissemcnts  de  la  memo 
espece.  II  faut  attribuer  cet  heureux  rcsultat  aux  soins 
attentifs  et  memes  minutieux  des  personnes  qui  sur- 
veillent  ces  infortunes. 

Quant  aux  sourds-muets ,  le  nombre  en  etait  dans 
cette  meme  annee  1835,  de  8li.  Vous  avez  appris  de 
M.  Jamet  que  la  methode  qu'il  a  crC'ee  pour  rendre  la 
parole  ices  malheureux  lui  a  reussi ,  et  que  I'un  d'eux 
a  des  succes  marques  dans  les  sciences,  M.  Jamet  est 
ensuite  entre  dans  de  curieux  details  sur  les  facultes 
intellectucUes  des  sourds-muets  ,  et.  sur  les  moyens 
qu'ils  ont  imagines  pour  lier  entre  eux  une  conversation 
qui  ne  pent  etre  connue  que  des  initids.  Au  sein  des 
tdncbres  ,  ils  ont  trois  moyens  de  communication  :  les 
mains  Icur  en  fournisscnt  deux,  et  les  pieds  un  troi- 
si6me. 


DU   26  NOVEMBRE    1840.  LXTU 

lis  dcrivent  avec  I'index  sur  le  dos  ou  dans  la  main 
de  leur  interlocuteur. 

Lorsqu'lls  veulcnt  abreger^l'un  sesert  dela  main  dc 
I'autre  ,  pour  former  les  signes  m^thodiques  et  lul 
transmeltre  ses  pensees. 

Enfin  ,  ils  se  servent  de  leurs  pieds  avec  tant  d'a- 
dresse  ,  qu'il  leur  suffit  dc  pouvoir  se  les  atteindre  mu- 
tuellement,  pour  lier  une  conversation  et  la  soutenir 
assez  long-temps. 

Dans  le  dernier  Memoire  de  M.  Jamet  sont  consi- 
gnees diverses  observations  qu'il  Importe  de  mention- 
ner.  II  a  remarque ,  par  excniple ,  que ,  dans  un  grand 
nombre  de  families ,  il  existe  plusieurs  sourds-muets 
de  naissance ,  et  ses  recherches  lui  ont  fait  connaltrc 
que,  dans  les  seuls  departements  dii  Calvados  et  de  la 

Manche,  il  existe  dix  families  qui  ont  22  enfants  atteints 

1,1 
d'un  mutisme  originel. 

M.  Jamet  ne  confirme  pas  I'opinion  recue ,  que  la 
surdite  est  moins  commune  parmi  les  riches  que  parmi 
les  pauvrcs;  le  nombre  des  sourds-muets  lui  semble 
proportionn^  k  la  population  des  diverses  classes  de  la 
societ(5. 

Les  sourds-muets  sans  fortune,  sortisduBou-Sauveur 
avec  une  certaine  instruction  ,  s'appliqucnt  gcn(?rale- 
nient :  les  hommes  .  h  la  mcnuiscric  et  au  jardinage  ; 


XLVIII  SEAKcE    PUBLIQUE 

les  fcmmcs ,  h  la  couture  ,  b.  la  broderie ,  au  J)lan- 
chissage. 

II  est  h  rcgrettcr ,  Messieurs ,  que  les  utiles  docu- 
ments que  renferineut  les  Meraoires  dc  M.  Jamet, 
n'aient  pas  une  date  posterieure  Ji  1836.  Esp^rons  que 
I'auteur^ne  tardera  pas  a  les  completer. 

—  M.  Bi  NEL  vous  a  communique  deux  cahicrs  d'ob- 
scrvations  thermo-baroinctriqucs  ,  calcul^es  par  lui 
pour  determiner  les  hauteurs  de  divers  points  du  de- 
partement.  Ces  observations  vous  sont  parvenues  assez 
tot  pour  Irouver  place  dans  votre  dernier  volume. 

—  M.  3IASS0N  vous  a  lu  un  Memoire  intitule  :  De 
I'action  cxercee  par  le  clilorwc  de  zinc  sur  L'alcool,  et 
des  prodmts  qui  en  residtent.  L'auleur ,  en  s'occupant  de 
la  thcorie  des  ethers,  s'est  propose  les  deux  questions 
suivantes : 

Sous  quelles  conditions  I'alcool  se  transforme-t-il 

en  ether  ? 

Quel  role  joue  dans  les  corps  I'liydrogene  carbonnc? 

Le  Memoire  se  divise  en  deux  parties,  M.  Masson  , 
dans  la  premiere  ,  rappcllc  les  theories  qui  ont  ete 
donnees  pour  expliquer  la  formation  de  I'ether,  au 
moycn  du  melange  de  plusieurs  substances  avcc  I'al- 
cool. II  demontre  rinsulTisance  dc  cctte  explication  ;  il 


DU    26   XOVEWBRE    1840.  XLIX 

examiner  les  objections  qu'on  pourralt  faire  h  ces 
theories ,  lesquelles  n'offrent  pas  de  solution  satisfai- 
sante  de  la  prdsence  de  tons  les  produits  fournis  dans 
rop(5ration  de  la  formation  de  Tether. 

M.  3Iasson ,  dans  la  seconde  partie  de  son  M^moire, 
traite  de  Taction  du  cldorure  de  zinc  sur  Talcool:  c'est 
son  travail  particulier.  La  preparation  du  chlorure  de 
zinc  conslste  k  trailer  le  zinc  en  grenaille  par  Tacide 
hydrochlorique  concentr(5  du  commerce  ,  pour  en  ob- 
tenir  une  dissolution  tres-concentr^e  de  chlorure  de 
zinc.  Cette  preparation  ,  par  Taction  de  la  chaleur  sur 
la  dissolution,  donne  beaucoup  d'eauet  un  peu  d'huile 
douce  pendant  la  formation  de  V6thcT.  II  serait  fasti- 
dieux  d'entrer  dans  le  detail  des  operations  multiplides 
que  M.  IMasson  a  faites  pour  arriver  h  son  but ;  voici 
la  conclusion  de  son  M^moire  : 

1".  L'alcool,  traite  par  le  chlorure  dezinc,  sc  trans- 
forme  en  6ther  hydratique  eten  eau,  Ji  une  tcmpt^rature 
de  130°  centigrades. 

1°.  A  une  tempdrature  entre  155"  et  160°,  Thuile 
douce  commence  h  se  former ,  et  continue  ci  paraitre 
jusqu'i  220". 

3°.  La  masse  de  chlorure  de  zinc  reste  Ji  Tdtat  d'hy- 
drate  mfileed'oxide  de  zinc. 

W.  II  se  degage  ,  pendant  Toperation  ,  de  Tacide 
hydrochlorique  en  quantite  variable. 


IV 


t  SEANCE    PUBLIQCE 

—  M.  Eudes-Deslongchamps  vous  a  brievement  en- 
tretenus  de  la  decouverte  d'unc  iiouvcUe  cspccc'de  sau- 
riens  fossilcs  ,  d'une  grandeur  considerable  ,  qu'il  a 
decrite  dons  les  Memoires  de  la  Society  linn^enne. 

M.  Deslonchamps  vous  a  fait  connaltre  aussi ,  par 
une  appreciation  6crite ,  la  valcur  'de  I'ouvrage  de  M. 
Brongniart,  intitule  :  Premier  Mtmoire  sur  Ics  Kaoli7is 
oil  argiles  a  porcclaine. 

—  E  Lafoye  vous  a  lu  un  Memoire  sur  le  ba~ 
romkre  a  syphon.  Si  les  deux  branches  du  barometre 
^  sj-phon  sont  d'un  diametre  dgal ,  il  suffira  d'observer 
la  hauteur  de  la  colonne  sup<5rieure  et  de  doubler  les 
variations  apparontes,  pour  avoir  les  variations  reelles. 
Cette  observation,  qui  appartient  k  M.  Gay-Lussac,  se 
trouve  ^nonc^e  par  M.  Biot  dans  son  Precis  elcmen- 
taire ,  ou  il  conseille  d'envelopper  enti^rement  la  bran- 
che  la  plus  longue  ,  et  de  sc  borner  Ji  observer  la  plus 
courte.  M.  De  Lafoye  s'est  convaincu  que  ces  assertions 
no  sont  exactes  qu'autant  qu'on  ne  se  borne  pas  a  une 
seule  observation.  II  donne  un  calcul  qui  prouve  ce 
qu'il  avauce ,  et  il  conclut ,  en  definitive  ,  que  les  va- 
riations ne  seront  egales  et  de  signes  contraires  dans 
les  deux  branches ,  qu'autant  que  la  temperature  n'aura 
pas  vari^. 

Vous  devez  encore  i  M.   De  Lafoye  un  Memoire 


DU    26   NOVEMDRE    l84o.  LI 

intitule  :  Description  et  thcoiHe  du  psychrometrc  du  doc~ 
teur  August ,  et  quelques  Rapports  sur  des  ouvrages 
iniprim(5s  et  manuscrits  que  vous  avez  recus. 

—  M.  Desains  vous  a  pr6sent6  une  Analyse  de  la 
chimie  de  Leinery ,  travail  utile ,  qui  eiit  (16s  cette  an- 
n<5e  trouve  place  dansvos  Meraoires,  si  i'auteur  n'avait 
pas  desire ,  en  le  retirant ,  le  completer  par  des  (Etudes 
sur  toutes  les  ceuvres  du  grand  cliimiste  de  Rouen. 

—  Ce  que  M.  Desains  n'avait  fait  que  pour  I'une  des 
ceuvres  deLeraery,  M.  Sciimit  I'a  fait  pour  toutes  celles 
de  Varignon.  L'appreciation  des  travaux  nombreux  de 
ce  matheniaticien ,  ne  dans  notre  ville ,  demandait  un 
mathematicien  d'une  grande  force.  M.  Schmit  s'est  tire 
avec  honneur  de  cette  tache  penible ,  et  sa  notice  pa- 
raitra  dans  le  volume  que  vous  avez  sous  presse. 

—  M.  Prudhomme  ,  qui  ne  croit  pas  que  son  grand 
Sge  I'exempte  de  payer  son  tribut ,  vous  a  lu  une  note 
int^ressante  sur  une  trombe  terrestre. 

—  M.  Deloges  vous  a  fait  connaitre  un  proced^  qu'il 
emploie  pour  obtenir  dans  ses  bureaux  une  chaleur 
exempte  des  iucommodites  des  feux  de  poeles.  Une 
Commission  a  6te  nommee  par  vous  pour  I'examen  de 


r 


HI  SKANCE   PUBLIQITE 

ce  precede ,  et  le  rapporteur ,  M.  Herault ,  vous  en  a 
expliqu6  tous  les  avantages. 

—  M.  BergLs  vous  a  soumis  une  decouverte  ,  qui , 
s'il  ne  s'est  pas  fait  illusion ,  sera  fort  honorable  pour 
ce  mathdraaticien.  II  croit  avoir  trouv6  ,  pour  la  solu- 
tion des  Equations  algdbriques,  des  proc(5des  beaucoup 
plus  rapidcs  que  ceux  qui  sont  usites  dans  I'dtat  actuel 
de  la  science.  M.  Berges  vous  a  envoys  une  portion  de 
son  manuscrit,  pour  assurer  la  date  de  sa  decouverte, 
en  attendant  qu'il  ait  rddige  tout  son  ouvrage.  11  faut 
attcndre  la  suite  de  son  travail ,  pour  etre  k  nieme 
d'apprdcier ,  avec  certitude ,  la  valcur  des  solutions 
qu'il  propose. 

I^s  sciences  vous  ont  fourni ,  Messieurs ,  bien  peu 
de  Menioires  en  dehors  de  ceux  que  je  viens  de  men- 
tionner.  Je  n'ai  pas  dii  vous  entretenir  d'un  travail 
aussi  sterile  qu'etendu  et  dont  M.  Masson  a  fait  justice. 
L'auteur  croyait  fermement  avoir  trouve  la  quadrature 
du  cercle.  Dieu  vicune  en  aide  h  ces  obstines  inves- 
tigateurs,  soit  pour  qu'ils  atteigneut  le  but  qu'ils  pour- 
suivent ,  soit  pour  qu'ils  renoncent  i  leurs  rccherches  ! 

—  Entre  le  domaine  des  sciences  et  celui  des  Icttres, 
viennent  se  placer  comme  lien  naturel  les  M(5uioires 
d'econoinie  sociale  et  dc  philosophic. 


DU    26   NOVEMBRE    1840.  LIU 

—  M.  De  Magneville  vous  a  lu  ,  IMrssieurs,  un  M6- 
moire  qui  a  donne  lieu  h  uae  importante  discussion. 
Ce  Mt5moire  est  intitule :  Qnclcjucs  reflexions  sur  le  par- 
tage  des  biens  communmix.  L'auteur  considfire  celte 
question  dans  I'interCt  dc  1' agriculture,  etdans  celui 
des  communes. 

Les  iut(5rets  dupauvre  lui  semblent  16s6spar  lespar- 
tages  op6r(5s  en  vertu  de  la  lol  du  10  juin  1793.  En 
effet ,  qu'en  est-il  advenu  ?  la  plupart  des  lots  ^chus 
aux  families  indigentes  sont  vendus ,  et  le  capital  est 
dissip^.  Le  droit  d'usufruit  u'a  6t6  change  en  droit  de 
propriet(5  qu'au  detriment  des  communes  ,  au  d(5trl- 
ment  des  races  futures  que  ce  changement  d(5sherite. 

M.  de  aiagneville  pense  que  le  partage,  qui  a  mor- 
cele  les  grandes  propriet^s  communales  en  portions 
trop  miuimcs,  n'a  pas  permis  les  ameliorations  qui  de- 
mandent  un  ensemble  de  travaux  sur  un  plan  un 
pen  vaste ,  et  qui  exigent  des  capitaux  un  peu  con- 
siderables. 

Le  mcllleur  moyen  de  mettre  en  valeur  les  bicns 
commuuaux  ,  de  conserver  aux  pauvres  tous  leurs 
droits  et  d'augmenter  meme  lours  ressources  ,  serait, 
dans  ropiuiou  de  l'auteur  ,  de  louer  ces  biens  par 
baux  ampliyteotiques ,  ou  ci  des  termes  plus  ou  raoius 
longs ,  selon  les  depenscs  jug(5cs  nt5cessaires  pour  les 
amcliorer.  On  imposerait  aux  localaires  robligation  de 


LIX  SEAXCE   PUBLIQCE 

falre  ,  pendant  leur  jouissance  ,  ces  ameliorations  plus 
ou  molns  onereuses,  dont  lis  se  trouveraient  indem- 
nis6s  durant  les  dernieres  annees  de  leur  bail.  Apres 
I'expiration  de  cliacun  de  ces  baux ,  les  communes  ren- 
treraienten  possession  de  leursbiens,qui  auraient  ac- 
quis une  bicn  plus  grande  valeur. 

M.  de  MagnevUle,  pour  repondre  h  une  objection 
grave ,  trace  les  regies  qui  lui  semblent  les  plus  d' accord 
avec  la  justice  pour  arreter  d^s  h  present  les  listes  des 
ayant-droit.  Ces  listes  une  fois  closes ,  on  ne  verrait 
plus  de  ces  strangers  nomadcs ,  qui  ne  changent  de 
domicile  que  pour  avoir  part  h  des  'partages  de  biens 
communaux.  Cette  opposition  legale  nc  serait  pas  re- 
nouvelde. 

La  majorite  de  la  Commission  nomm(5e  pour  I'examen 
du  Memoire  de  M.  de  Magneville  ,  a  partag^  son  opi- 
nion :  elle  a  ete,  commc  lui,  pour  les  baux  ^  long 
terrae. 

—  M.  Le  Gnip  vous  a  lu ,  dans  une  de  vos  dernieres 
SL'ances,  un  travail  5?<r  la  Mendicite ,  oil  il  a  presents 
une  bonne  analyse  de  la  legislation  francaise  sur  cette 
matiere.  Les  donnecs  pratiques  renfermees  dans  son 
morceau  ,  I'ont  fait  admettrc  dans  le  volume  que  vous 
allez  bient6t  publier. 


DU   26   NOVEMBBE    l84o.  LV 

—  Vous  avez  entendu  M.  rabb(5  Daniel  lire  pour 
M.  I'abb^  Delamare  une  Introduction  d  I'ctucle  et  d 
I'enseignement  de  la  philosophie.  Je  ne  puis  que  luen- 
tionncr  ce  raorceau ,  comnie  tant  d'autres  dont  je  ne 
trouve  que  I'indication  dans  vos  proces-verbaux  et  qui 
ne  sont  point  dans  vos  arcliives. 

—  M.  Saisset  vous  a  fait  connaltre  le  jugement 
porte  par  Sclielling  sur  la  philosophie  de  M.  Cousin.  Ce 
n'est  pas  une  traduction  nouvelle  de  I'ouvrage  allemand 
que  vous  a  donn^e  votre  jcune  collegue,  niais  une 
apprdciation  de  ce  jugement,  et  une  refutation  de 
quelques  attaqucs  contre  les  doctrines  de  son  inaltre. 
Les  reflexions  sur  Schelling  font  partie  du  volume  que 
nous  avons  sous  presse. 

—  M.  Edom  vous  a  prescnte  un  tableau  prdcieux  des 
salles  d'asile.  Apr6s  avoir  fait  I'dloge  de  cette  blcnfai- 
sante  institution  en  general ,  il  a  cite  particulifircracul 
la  salle  d'asile  d'Mencon.  II  attribue  sa  superiority  sur 
loutes  les  autres  ci  ce  qu'elle  est  tenue  par  une  congre- 
gation de  femmes ,  voudes  specialement  Ji  cet  emplol 
dans  un  but  rcligeux.  L'autcur,  en  finissant,  a  emislc 
vceu  que  des  etablissements  aussi  utiles  soient  fondes 
dans  toutes  les  villes ,  dans  tons  les  bourgs  conside- 
rables ,  ct  que ,  dans  les  cites  populcuses ,  Ic  norabrc 


LVI  STANCE    PUBLIQUE 

en  soit  augments,  ou  par  les  Conseils  rauniclpaux, 
ou  par  des  Associations  philanthropiques. 

Vous  devez  eucorc  hM.  Edora  un  Voyaged  Solesme, 
dans  lequel  il  vous  a  fait  connaltre  en  detail  I'^tablls- 
sementdecette  congregation  nouvelle  de  savanls,de  ces 
B^nedicUns  de  la  Sartlie,  qui  se  sont  vouds  i  lu  re- 
clierclic  des  origines  catliollques. 

—  Si  I'etat  de  sa  sante  n'a  pas  permis  a  M.  Vaultier 
de  venir  Ji  vos  stances ,  il  en  a  du  moins  occupy  un 
certain  norabre  pardesMemoires  d'une  grande  (5tendue 
et  d'une  haute  importance.  M.  Vaultier  joint  un  gout 
exquis  i  une  vaste  Erudition.  II  ne  prend  jamais  la 
plume  pour  rep^ter  ce  qu'ont  dit  les  autres ,  et  le  desir 
de  la  nouveaute  ne  le  conduit  jamais  au  paradoxe. 
Vous  lui  devez ,  Messieurs ,  et  vous  trouverez  dans  notre 
volume  ,  son  second  Memoirc  sw  la  pocsi'e  lyrique  en 
France.  Dans  le  1". ,  il  avail  trait<5  de  son  origine  et 
de  ses  ddveloppements  jusqu'i  la  fin  du  XIIP,  siecle. 
Le  second  a  pour  objet  le  lyrique  des  XI V.  et  XV. 
slides. 

Un  ouvrage  de  M.  Wolf  sur  lancienne  epopee 
carlovingienne  a  donne  I'occasion  i\  M.  Vaultier  de 
parlcr  de  nos  anciens  romans  et  de  leur  fortune  jus- 
qu'Ji  nos  jours.  Nous  dirons  avec  lui  que  les  poemes 
liC'roiques  en  lauguc  vulgaire ,  conuus  sous  ce  nora  de 


DU   26   NOVESIBBE    1840.  LVI 

7^omans,  ont  etc  rancienue  ^pop(5e  frangaise,  et  une 
branche  de  cette  poesie  nationale  du  moyeu-age ,  qui 
a  fait  les  delices  des  cours  jusqu'aux  approchcs  du 
rfigne  de  Francois  I". 

A  cette  6poque ,  dite  de  la  renaissance  ,  le  gout  de 
I'imitation  classique  et  le  cliangoment  inlrodult  par  le 
temps  dans  le  langage ,  mirent  fm  au  succes  des  vieux 
romans,  et  b,  peine  Icur  existence  continue-t-cUe  h  etre 
connue  des  6rudits ,  au  XVIP.  siecle.  Notre  compa- 
triote  Daniel  Huet,danssa  Lettre  hSegrais  surTorigine 
des  romans ,  fixa  son  attention  sur  les  romans  du  faux 
Turpin  et  de  la  Table-Ronde  ,  dont  il  rappcUe  le  sou- 
venir dans  quelqucs  pages  de  son  ouvrage.  Mais  ce  fut 
au  XVIII".  siecle  que  M.  de  Tressan  les  fit  mieux  con- 
naitre  par  les  extraits  qu'il  en  publia,  et  qui  eureut  un 
succes  prodigieux. 

Cependantlesceuvres  originales  decespoetesseraient 
rcst(5es  inconnues,  sans  quelques  passages  de  I'Histoire 
litt(5raire  des  Benedictins,  qui  oat  appele  Tattention 
sur  de  curieux  fragments,  L'intcret  s'est  accru  depuis 
que  les  Raynouard  et  les  De  la  Rue  ont  public  leurs 
savants  ouvrages.  De  toutes  parts  on  recherche  nos 
origines  litteraircs,  et  M.  Wolf  est  au  courant  de  tout 
ce  qui  se  publie  sur  cet  objct.  Le  jugement  de  M. 
Vaultier  est  tres-favorable  au  Kvre  de  noire  corres- 
pondaut  elraugcr. 


LVllI  SKANCE    PL'BLIQCE 

rarmi  Ics  autrcs  travaux  que  vous  a  envoy^s  M. 
Vaultier  ,  il  faut  distiuguer  une  Analyse  rhylhmique  du 
vets  dexandnn.  L'objet  de  cette  dissertation  est  de 
d(5terminer  en  quoi  consiste  I'liarraanie  de  nos  grands 
vers.  L'auteur  a  cru  pouvoir  y  parvenir ,  au  moyen 
d'une  analyse  qui  decompose  I'alexandrin  en  rhythmes 
dc  combinaisons  syllabiques ,  apprcciables  Ji  I'oreille  , 
et  entre  lesquelles  sc  placcnt  uaturellemcnt  des  pauses 
sensiblcs  de  sens  et  de  debit. 

En  procedant  \  cette  analyse ,  M.  Vaultier  a  trouv6 
que  ces  rhythmes,  avec  I't^lement  rhytlunique  simple, 
qui  peut  s'y  allier  et  les  completer,  sent  en  tout  au 
nombrc  de  six ,  depuis  une  seule  jusqu'i  six  syllabes. 
11  leur  a  doun(5,  en  consequence,  les  noms  de  mono- 
phone,  diphone,triph6ne,  etc. ,  destines  \  caract^riser 
la  nature  et  la  forme  de  leurs  combinaisons^ 

L'auteur  a  essayc  d'etablir  que  ces  rhythmes  sont  les 
veritables  elements  harmoniques  du  vers  alexandrin , 
dans  lequel  ils  peuveut  se  combiner  de  beaucoup  de 
manieres  diverses ;  de  sorte  que  ce  vers  que  des  cri- 
tiques onL  dit  ctre  constaimnent  semblablc  Ji  lui-meme, 
se  Louve,  auconti'aire,  susceptible  d'unnombre  presque 
infmi  de  formes,  et  Jitel  point  que,sur  quelquemorceau 
qu'on  cnfasse  repreuve,on  trouvera  difficilemcnt  deux 
vers  de  cette  cspece ,  dont  Ic  mode  de  composition 
rhythmique  uc  soit  pas  esscntiellement  different. 


DC   26  NOVEMBRE    l84o.  LIX 

Cela  pose,  M.  Vaultier  a  eutrepris  de  determiner 
le  caractere  de  chaque  rliytlime,  consid6r6  en  lui- 
nicme,  et  la  propridt^  d' expression  particuliferc  b.  chacun 
d'eux ,  et  qu'ils  tcndent  h  coraniunlquer  au  vers  oii  lis 
se  trouvent  combines.  Puis  11  a  deduit  de  ces  notions 
dcs  principes  sur  I'art  de  lire  les  vers ,  et  sur  celui  de 
composer  des  vers  propres  au  chant. 

Enfln,  11  a  demontre  que  V alcxandriji  dramcuique 
reirempe  de  la  nouvelle  ecole  est  essentiellcment  vi- 
cieux,  et  peche  non  seulement  contre  nos  habitudes 
de  versification  artificielle  et  convenue ,  mais  aussi 
contre  les  principes  essentiels  de  I'harmonie  naturelle , 
en  ce  qu'il  brise ,  comme  h  dessein ,  tous  les  rhylhnies, 
soil  en  introduisant  des  pauses  \h  ou  le  debit  ne  peut 
en  admettre ,  soit  en  ne  tenant  aucun  compte  de  celles 
que  le  sens  lui  fournit  naturellement  ailleurs. 

L'idde-mere  de  la  dissertation  que  je  viens  d' analyser, 
I'idde  du  rhythrae  de  combinaison  syllabique ,  a  etd 
fournie  par  I'abbe  Scoppa ,  qui  le  premier  en  a  signal^ 
I'cxistence  dans  son  grand  traite  des  principes  de  ver- 
sification comparee.  Dans  lereste,IM.  Vaultier  a  march6 
pard'autres  voies,  enabandonnant  tout-ii-fait  ;\  I'auteur 
Italien  sa  theorie  des  jeux  supposes  d'un  accent  tonique 
que  notrc  langue  ne  possode  pas ,  au  moins  dans  le  sens 
oil  on  I'entcnd  chez  d'autres  nations. 

Ainsi  ,   Messieurs ,  dans  sou  fond  comme  dans  sa 


LX  SEANCE    PUBLIQUE 

forme ,  la  theorie  d^velopp^e  par  M.  Vaultier  lui  appar- 
tient  exclusivement,  et  sans  cniprunt  d'aucun  detail. 

—  M.  IMaillet-Lacoste  vous  a  r(5cit^  divers  fragments 
de  ses  cours  et  de  ses  autres  travauxlitt6raires,entre 
autres  une  partie  de  son  Juijcmcnt  sur  I'eloquence  de 
Mirabcau ,  et  son  Discows  contre  les  dctracteurs  de 
I' etude  des  langues  ancienncs  et  des  auteurs  de  I'antiqiiite. 

—  M.  De  Lafoye  charge  d'examiner  la  traduction 
allemande  que  M.  De  Hammer  a  faite  de  I'ouvrage  in- 
titule Le  Rossignol  et  la  Rose,  par  le  poftte  turc  Fazi , 
vous  a  signale  le  vide  d'une  foule  de  metaphores  orien- 
tales,  qui  doit  nous  faire  attachcr  peu  d'importance  Ji 
de  semblables  travaux. 

—  M.  Prel  vous  a  lu  son  introduction  h  I'ouvrage  qu'il 
a  compose  snr  les  fables  anciennes  et  modernesj  fran- 
(■(lises  et  etrangeres,  dont  La  Fontaine  a  traite  le  sujet.  Ce 
morccau  d'erudition  offre  des  reclierclies  curieuses  et 
nouvclles,  aprSs  les  travaux  aulericurs  sur  le  meme 
objet. 

—  Vous  dcvez  h  M.  P.  -A.  ViEiLEARn  un  morceau  sur 
le  privilege  de  la  Fierie  de  saint  Rowain.  L'auteur  a 
interpret6  uue  lygende  anciennedans  un  sens  allego- 


DU   26  NOA'EMBRE    l84o.  LXI 

riquc,  sans  degrader  en  rien  le  caract^re  religleux  dc 
lacer^monie  touchante  dont  il  a  retract  le  souvenir. 

—  M.  Roger  vous  a  lu  deux  Memoires.  Le  premier 
est  sur  le  beau,  I'une  des  niatieres  les  plus  ardues  de 
I'esthetique.  L'auteur ,  qui  compte  d^velopper  un  jour 
I'idee-mere  de  ce  premier  travail,le  resume  en  ces  termes: 

«  Le  beau  est,  dans  son  objet,  laverite  morale;  dans 
son  sujet,remotion  produile  par  cette  verite  ;  dans  sa 
forme,  la  Vive  expression  delameme  verite  par  Taction, 
par  le  spectacle  de  la  nature  ,  par  la  litt^rature  et  les 
arts.  Laverite  morale  se  resume  en  un  seul sentiment, 
la  charity  ,  suivant  les  lois  du  christianisme.  La  charite 
est  done  ce  qui  constitue  essentiellement  le*  beau.  » 

Nous  devons.  Messieurs ,  un  autre  Memoire  h.  M. 
Roger.  Notre  coUegue  s'est  demande  s'iL  xj  a  eu  progres 
dans  les  societcs  anciennes  ,  etrangcrcs  an  christianisme  ; 
puis  si  le  progres  ,  qui  scinble  croilre  de  jour  en  jour 
dans  I'etat  actuel  de  la  societe  ,  a  toujours  marche  aussi 
rapidement  ,  on  s'il  s'cst  arrclc  par  interrallcs  el  a  di- 
vcrscs  epocptes.  C'est  uue  belle ,  une  tres-belle  question 
dont  l'auteur  n'a  traite  encore  qu'une  partie.  Nous  es- 
perons  qu'il  ne  tardera  pas  h  I'achever. 

—  M.  Scei'R-Mkhlin  ,  qui  vous  avail  deja  envoytJ 
une iVof tee  sur Burckhardt  etsesvoyuges ,\o\xs  a  prdseut^ 


LXII  SKANCE    PUBLIQUE 

un  M^moire  sur  rorient  ct  sur  les  ruincs  d'Athenes,  et 
un  autre  intitule :  Des  progrds  de  la  geographic  en 
Europe ,  depuis  Ics  temps  les  plus  recul^s  jusqu'i  nos 
jours. 

—  Les  occupations  multlpliees  de  M.  Ya.hh6  Daniel 
ne  lui  ont  pas  perniis  de  nous  douner  quelques  travaux 
qu'il  a  projetes.  Toutefois ,  vous  lui  devez  quelques 
analyses  d'ouvrages  qui  vous  ont  ^16  offerts  ,  entre 
autres  un  comple-rendu  du  1".  volume  de  la  Revue 
anglo-fraucaise. 

—  A  I'oecasion  du  Bvdlelin  de  I'Academie  6broi- 
cienne,  dont  le  2'.  n".  de  1835  enlevait  h  la  ville  de 
Caen  I'lionneur  d' avoir  donne  le  jour  a  Ticrre-Daniel 
Huet,  le  patriotisme  de  M.  Hubert  s'est  emu.  II  n'a  pas 
eu  de  repos  qu'il  n'ait  decouvert ,  dans  les  registres 
de  I'^tat  civil ,  I'acte  de  bapleme  du  savant  evequc 
d' Avranches.  Enfin,  il  a  ete  assez  heureux  pour  prouver , 
piece  en  main,  que  Pierre-Daniel  Huet  naquitsurla 
paroisse  St.-Jean,  le  8  fevrier  1630. 

—  Un  des  membres  recus  depuis  votre  derniere 
stance  publique, M.  De  GouRNAy,vousa  faitpart  d'un 
grand  nombre  de  ses  travaux.  Parnii  les  morceaux 
qu'il  vous  a  lus,  je  Citerai  un  Parallele  cntrc  Hcracc  et 


DU    26   NOVEMBRE    l84o.  LXIU 

Juvenal  ;  UD  Aperni  dcs  progrcs  de  (a  civilisation  <?» 
France,  depuis  Vorigine  dc  la  inonarch  iejiisqu'a  nos  jours  ; 
une  Dis^eriation  sur  les  Tristcs  d'Ovide  ;  un  Discours  sur 
le  caractcre  et  les  ouvrages  d' Horace;  un  Mcmoire  siir 
I'historien  Tite-Live;  un  autre  sur  I' epopee  classique  et 
sur  L' epopee  humanitaire  ;  une  Analyse  de  la  Pliarsale  de 
Lucain;  une  autre  de  la  Henriade  de  Voltaire;  une  autre 
du  Joce/yn  deM.  Lamarline;  un  Apercu  de  I'kistoircde 
la  litterature  latine  ;  une  Dissertation  stir  te  poke  Um- 
lius ,  et  une  Notice  sur  Ennius.  Tons  ces  niorceaux  t6- 
moignent  des  serieuses  eludes  de  BI.  De  Gournay.  Sa 
Notice  sur  Ennius  paraitra  dans  notre  volume. 

—  Ce  volume  commence  par  un  Memoire  de  M. 
Martin  sur  les  ceuvres  pocliques  de  Desportes ,  de 
Bertaut,  deMalherbe,  de  Racan  et  de  quelqucs  autrcs 
poetes  de  la  meme  epoque.  Quelques  personnes  trou- 
veront  peut-etre  le  merite  de  I'autcur  des  stances  ii  Du 
Perrier  un  peu  trop  rabaiss^  par  M.  Martin.  La  gloire 
de  la  ville  de  Caen  n'en  souffrira  point ,  car  si  le  cri- 
tique ote  quelques  fleurons  11  la  couronne  un  peu  ti"op 
chargee  de  notre  Malhcrbc  ,  c'est  pour  les  ajouter  i 
telle  de  Bertaut,  ne  aussi  dans  la  ville  de  Caen. 

—  M.  Bertrand  vous  a  lu  un  Tableau  de  la  marche 
et  du  dcvcloppemefit  dc  la  litter  attire  grecgue ,  elun  1". 


LXIV  SEANCE    PlT.LIQl'E 

Mnnoirc  sur  Aristophane.  L'explication  ingenicuse  que 
I'auteur  a  dounee  d'un  problcme  jusqu'ici  raal  resolu 
sur  I'auteur  AeslSuces ,  ;i  savoir:  —  comment  concilier 
rirreverence  de  ranciennc  comedic  grecque  envers 
Ics  Dieux ,  et  le  respect  dcs  Allieniens  pour  ces  niemes 
divinites? — prouvecombien  I'investigation  del' antiquity 
est  encore  fcconde  pour  ceux  qui  ctudient  dans  les 
sources  meraes,  et  qui,  laissantde  cote  la  tourbe  des 
glossateurs  inintelligents ,  puisent  Icurs  comraentaires 
dans  la  connaissance  des  hommes  et  des  epoques.  Ce 
Mcimoire  paraitra  dans  votre  prochaiu  volume. 

Vous  d^vez  encore  a.  M.  Bv^rtrand  divers  Rapports, 
dont  I'un  a  pour  objct  le  poeme  inedit  des  Quaire  ages, 
par  M.  Jidicn  Le  TerliT. 

—  M.  De  Caumont  vous  a  lu  quelques  fragments  des 
Visites  d'Odon  Rujaidt  dans  un  certain  nombre  d'eglises 
et  de  monasteres  de  la  Basse-Normandie.  Les  commu- 
nications partielles  que  notre  confrere  a  faitcs  jusqu'ici 
de  ce  document  aussi  curieux  qu'authentique  ,  font 
desircr  la  publication  du  raanuscrit  original. 

—  M.  LfiCHALDfi-D'ANiSY  ,  VOUS  a  communique  des 
JSotcs  sur  I'Acadcmie  de  Caen.  Ce  sont  d'utilcs  rensei- 
gncmcnts  que  ne  manquera  pas  de  mettre  a  profit 
riiistoricn  de  notre  Compagnio, 


DU    26   NOVEMBRE    1840.  LXV 

—  M.  De  Formeville  ,  r(5cemmenl  rc^u  parrai  nous , 
a  paye  son  tribut  academique  par  la  lecture  d'un  mor- 
ceau  d'histoire  intitule  :  Lcs  Calvinistcs  ct  la  St.-Bar- 
thciemy  a  Lisieux.  Le  beau  trait  de  la  vie  de  Jean  Lc 
Hennuyer ,  que  Ton  citait  avec  complaisance  ,  est  in- 
firm6  par  M.  de  Formeville.  Nous  le  regrettons  pour 
notrepart;  raais  nous  approuvons  le  respect  de  I'lils- 
torien  pour  la  verity. 

—  Dans  une  de  vos  dernieres  reunions ,  Messieurs  , 
votre  SECRfiTAiRE  vous  a  lu  une  Analyse  de  la  Chute  d'tin 
Angct  par  M.  Lamartine.  Les  citations  nombreuses  qu'il 
a  faites  de  ce  poeme  vous  ont  mis  ii  meme  de  jugcr  si  le 
style  racbete  les  d^fauts  si  graves  de  cette  composition, 

—  La  critique  d'un  poeme  nous  amene  Ji  la  poesie. 
Quclles  qucsoient  les  preoccupations  du  public,  quelque 
froid  accueil  qu'il  fassc  aux  muses  ,  elles  ne  sauraient 
se  resigner  au  silence.  Quand  I'inspiralion  agite  un  scin 
de  poete ,  il  faut  que  ce  mortel  a  part  ,  que  ce  mortel 
divin  cede  k  sou  instinct  sublime.  Esclave  du  genie,  il 
lutterait  en  vain  contre  la  flarame  sul)tile  ,  ardente  , 
imperieuse  ,  qui  circule  dans  tout  son  etre,  qui  exalte 
toutes  scs  facultes ;  il  faut  qu'il  marcbe  ou  le  genie 
I'entraine ,  il  faut  qu'il  nous  brule  du  feu  qui  I'embrase. 

Nous  Savons,  "Messieurs,  que  le  grand  poete  est  rare. 


I.XVI  SEAXCE    PLBMQl'E 

et  que  le  rhapsode  de  Platon  scrait  inutilemcnt  chorch^ 
dans  nos  academies.  Nous  savons  du  moins  que  le  ta- 
lent poetique  y  est  comniuu,  et  souvcut  nous  avous  (5te 
frapp^s  du  mc^rite  de  ses  productions. 

Parmi  les  pieces  de  vers  qui  nous  ont  ett5  envoy^es 
par  nos  correspoudauts ,  ou  qui  ont  6t6  lues  par  les  ti- 
tulaircs  et  lesassocies,  il  est  juste  de  mentionner  cellcs 
de3I™'.  Lucie  Coueffin,etde  MM.  AlphonseLe  Flaguais, 
Ludovic  d'Ossevillc,  Julien  Le  Tertre,  Le  Noble,  Mar- 
tin, Victor-Evremont  Fillet,  Theodore  Le  Breton,  De 
Gournay,  Bertrand  ,  Thuret  etP.-A.  Yieillard. 

Ici,  Messieurs,  se  termine  noire  compte-rendu pour 
les  sciences  et  les  lettres.  Quant  aux  arts ,  nous  u'en 
dirous  que  pcu  de  mots. 

Je  ne  sais  comment  expliquer  I'absence  de  tout  M(5- 
moire ,  de  loute  Dissertation  sur  les  arts.  Nous  avons 
des  artistes  dans  notre  cit(5 ;  la  musique  et  la  pcinture 
y  sont  cultivces  avec  succes,  et  jamais  on  ne  vient  nous 
entretenir  de  leurs  moyens  et  de  leurs  effcts. 

Peut-6tre  ,  Messieurs ,  s'cst-on  fait  au-dehors  une 
fausse  id(5c  des  predilections  de  rxYcademie.  Les  arts 
presses  entre  les  sciences  et  les  lettres  ,  lans  le  litre 
Ci^ Academic  dos  sciciirrs  ,  arts  et  brlli.i-icdrrs ,  s'dclip- 
sent  dans  celle  association.  On  a  pii  croirc  que  vous 
n'admetticz  parmi  vous  que  des  huninics  tie  science  et 


DU    26  XOVEMBRE    1 840.  IXVII 

des  litt(5rateurs.  Peut-etrc  aussi  un  trop  petit  nombre 
de  places  ont-elles  dte  reservees  aux  artistes.  C'est  un 
soupfon  que  j'emets  en  passant,  et  je me  liflte  de  vous 
rappelcr  les  objets  d'art  qui  vous  ont  ete  offerts  dans 
ces  dernieres  ann^es. 

—  M.  P. -A.  Lair  vous  a  fait  present  d'un  tableau  re  ^ 
presentant  Minerve  ,  qui  offre  h  la  vue  un  m^daillon 
ou  est  point  le  buste  de  Louis  XV  ,  par  Jean  Retout. 
Ce  peintre  I'avait  offert  h  I'Academie  quand  il  en  fut 
recu  mcmbre.  Pendant  la  revolution  ,  ce  tableau  dis- 
parut.  M.  Lair  I'a  retrouve  dcpuis,  I'afait  reslaurer  i 
ses  frais,  et  vous  en  a  fait  hommage. 

—  M.  FouRNEAUX  vous  a  donn^  une  lithographic  de 
I'abbe  Delariviere.  qui  fut  votre  secretaire  de  1800 
h  1816. 

—  Vous  devez  a  M.  le  docteur  TROLVf;  le  portrait  de 
I'un  des  grands  hommes  ,  qui  contribuferent  le  plus  h 
rctablissement  legal  de  notre  Acad<?mie ,  de  P.  Daniel 
Huet,  peint  par  Rigaud.  Ce  portrait  decore  ,  dcpuis  la 
fin  de  183:'i ,  la  salle  de  vos  seances. 

Enfin  ,  M.  Spencer-Smith  vous  a  reccmment  offort 
I'excmplaire  ii".  7  du  portrait  dc  Samuel  Bochard ,  qu'il 


LXTIII  SEANCE    PIBLIQIE 

a  fait  dessiner  h  ses  frals  par  un  des  jeunes  artistes  de 
iiotre  cit^ ,  M.  D.  Levavasseur. 


line  me  reste  plus,  Messieurs ,  mais  c'est  la  partie 
douloureuse  de  ma  tSche !  il  ne  me  reste  plus  qu'Ji  vous 
parler  de  nos  pertes  depuis  six  ans.  EUes  ont  6t6 
grandes  ,  plus  grandes  peut-etre  que  pendant  toute 
autre  p^riode  d'unc  mCme  (5tendue.  II  suffira  de  rap- 
pelcr  les  noms  de  MM.  Le  Mcnuet  de  la  Jugauniere  , 
I'abb^De  la  Rue,  I'abb^  Rousseau,  Marc,  Trouve,  Pattu, 
Hc'bert ,  Lange,  parmi  nos  membres  titulaires  ou  asso- 
cids-r«?sidants  ,  ct  parmi  nos  associ<5s-corrcspondants , 
MM.  Chantereyne  ,  Le  Chevalier  ,  d'Ornay  ,  Toustain 
de  Ricliebourg,  Turpin,  H.  La  Riviere,  Nepomucfene  Le- 
mcrcier,  Chamisso,  Pluquet ,  Dancel,  Ampere ,  Ca- 
Icron ,  TA'illiara  Sidney  Sniilli ,  Desgenettes,  Des(5tables, 
Gaillon  ,  Girard  et  Bigot  de  Morogues. 

Je  n'ajoute  ancune  ^pitliete  h  ces  noms.  Tous  sont 
connus,  et  des  notices  Liographiques  ont  6t6  consa- 
cr6es  ,  soit  au  sein  de  1' Academic  ,  soit  au  dehors,  .'i 
chacun  de  nos  confriires. 

Cette  ample  moisson  de  la  mort  parmi  nous  a  sans 
doute  attristL^  le  pr{'scii( ;  mais  elle  n'a  point  fait  de- 
sesp^rer  de  I'avenir.  De  nouveaux  membres  sont  venus 
com  bier  tous  les  vides 


DU    26   NOVEMDKE    1840.  LXIX 

Je  ne  Ics  nomme  point ,  Messieurs,  parce  que  la 
plupart  sont  ici ,  et  que  je  dois  avoir  d'autant  plus  de 
reserve,  qu'ils  ont  plus  de  modestie.  Je  sais ,  d'aillcurs, 
qu'ils  ne  veulent  etre  rccommandes  que  par  leurs  tra- 
vaux,  et  que  plusieurs  d'entre  eux  en  preparent  de 
fort  imporlauts.  Le  public  les  reconnaitra  bientot  h 
leurs  oeuvres. 


BIOGHAPIIIE 

JDc  iW.  U  6avon  €c  SiXcnnd  t»c  la  Jutjannirrr , 

ANCIEN  PREMIER  PRESIDENT  DE  LA  COUR  ROYALE  DE  CAEN, 


JVlEUCnE    DE    LACADEMtE; 


PAR 


IM.  Th.  MASSOT  ,  avocal-gdnera!. 


MA^SiSm^S^  M(D)IS)I1IEMS^ 


M.  IJi  MEMiET  DE  LA  JIGAIVINIERE. 


MKSSUilRS, 


Les  circonstances  peuvcnt  parfois  faire  la  fortune  des 
honimes,  les  elever  ii  dc  hautes  positions,  meler  leur 
nom  a  de  grandcs  clioses;  mais  il  n'y  a  que  leur  valeur 
personnclle  ,  qui  ait  le  pouvoir  de  les  maintenir  dans 
ces  liauteurs  oii  les  poussa  la  chance  des  evenemenls. 
Les  succds  passagers,  dans  lesquels  il  n'y  a  que  du 
liasard ,  i)euvent  bicn  uu  instant  seduire  les  yeux  qui 
sc  laissent  aveuglcr  par  un  ('clat  Ironipcur ;  niais  Ic 
temps ;,  cet  inexorable  apprccialcur  de  toutes  choscs , 


LXXIV  SKANCE    n'BLIQVE 

lie  tarde  giicrc  a  dire ,  mc'iiie  aux  inoiiis  clairvoyants  , 
quo  CCS  succes  furcnt  la  part  du  boiiheur  qui  acccpte 
la  fortune ,  bien  plus  que  cclle  du  mcritc  qui  la  con- 
quiert.  Un  peu  plus  tot,  un  peu  plus  lard ,  rien  ne  sauve 
do  I'oubli  les  modiocritt^s  parvcnues. — II  n'y  a  que  les 
lionimcs  auxquols  lour  intelligence ,  lours  vertus ,  ou 
quclquefois  meme  leurs  dcfauis  out  acquis  une  ve- 
ritable et  solide  influence  sur  Icur  epoque,  il  n'y  a  que 
ces  natures  privilegiees  et  exccptionnelles  qui  laissent 
quelque  trace  de  leur  passage  ici-bas.  Aussl, Messieurs, 
quand  vous  trouvez  un  honinie  qui  vit  prorondement 
dans  la  memoire  de  ceux  qui  sent  venus  apres  lui , 
({ui ,  nic'jne  alors  qu'il  n'est  plus,  semble,  pour  ainsi 
dire  ,  elre  encore  present  au  milieu  de  ceux  qui  I'ont 
connu ,  fouillez  sans  crainte  dans  la  vie  de  cethomme; 
car  il  est  de  ceux  qui  ont  merite  d'etre  offerts  en 
exeniplc  ,  et  vous  devez  puiser  dans  ses  paroles,  dans 
ses  actes,  et  jusque  dans  ses  erreurs  ,  d'utiles  ensei- 
gncnients. — II  en  est  un,  Messieurs  ,  dontj'ai,  parmi 
vous,  rencontre  le  noiurespecte  dans  toutcs  les  bouches, 
comme  son  souvenir  est  dans  toutes  les  amesquihono- 
rent  la  vertu  et  la  noblesse  du  caractere  :  c'est  M,  le 
premier  president  Le  Menuet  de  la  .luganniere.  Vous 
me  saurez  gre  ,  j'en  suis  certain,  si  j'cssaie  aujourd'iiui 
de  mettre  en  lumiore  celte  belle  et  digno  figure  de 
magistral. 


DC    ^G   NOVEMBRE    1 84o.  LXXV 

Sans  doute ,  c'esl  une  tache  difTicilc  ct  quolfiue  pen 
perilleuse  pour  moi  qui  ne  I'ai  pas  connu,  dc  vcuir 
vous  parlor  de  cct  homme ,  h  vous  ,  qui  presque  tons 
avez  etc  les  Icmoins  de  sa  longue  et  laborieuse  car- 
riere/.^  vous  qui  I'avez  eu  pour  collegue  et  coUabo- 
rateur  danscetto'Academie ,  etqui  pourriez ,  au  premier 
fait  ir exact ,  h  la  moiudre  louche  infidele  ,  m'arreter 
ot  me  dire  que  je  m'egare...  Mais  cette  difficulte  ,  ce 
danger  n'auraient-ils  pas  aussi  leurs  avantages? — On 
juge  quclquefois  mal  ce  qu'on  volt  dc  Irop  pres;  — 11 
faut  a  respiit ,  comme  a  Ta'sl ,  son  point  de  vue .  sa 
perspective  .  son  lointaiu...  —  Voila  pourquoi  I'avenir 
nc  ratific  jamais  corapletenient  les  jngements  que  le 
present  porte  sur  les  hommcset  sur  les  choses...  — 
C'est  que  ,  a  vrai  dire ,  Ic  present  ne  juge  gutre  :  il 
aime  ou  11  deteste  ,  il^se  passionnc ,  et  il  y  aurait  do  la 
naivete  a  deraander  aux  passions,  soit  qu'ellos  alta- 
quent,  soit  qu'elles  defendent.  do  se  montrer  impar- 
tialos  et  mcsurees. . .  —  Quelques-uns  pourraient  penstr 
que  le  telnps  n'est  pas  venu  do  parlor  de  M.  Le 
Menuet ,  que  sa  vie  n'est  pas  encore  a  son  veritable 
point  dc  vue...  —  II  me  sera  pcut-etre  plus  facile  a 
moi,  dont  la  carriere  commencait  au  moment  ct  loin 
(les  lieux  oil  fmisjait  la  sienne ,  a  moi  qui  ne  sais  de 
lui  que  ce  ((ui  lui  a  survecu.  il  lao  sera  plus  facile  de 
Ic  trailer  commc  tin  aitcun. 


LXXVI  SEANCE    PIBLTQIE 

On  6lait  vers  le  milieu  de  eel  8".  siecle  quia  produit 
tautd'lioiuraesel  tantde  Glioses,  qui  a  vu  la  finde  Louis 
XIV  et  Ic  commencement  de  Napoleon ,  et  qui  pour- 
lant,  dans  I'ceuvre  de  civilisation  qui  s'accomplit  inces- 
samment ,  semble  avoir  rccu  la  mission  de  detrmre  et 
de  preparer  ,  bien  plus  que  celle  de  fonder.  —  Une 
philosophic ,  plus  audacieuse  que  novatrice ,  travaillait 
a  suhstitiier  partout  I'esprit  d'cxamcn  h  I'esprit  d'au- 
torit^  ;  —  Ic  pouvoir ,  prive  de  ses  anciennes  bases 
qui  s'en  allaient  en  mines,  ne  chcrchait  pas  h  s'en  crcer 
dc  nouvelles,  et  s'aidait,  par  sou  avcugle  resistance, 
a  crcuscr  I'abime  dans  Icquel  il  devait  s'engloutir; — le 
privilege ,  allachant  obstinement  ses  yeux  sur  le  passe, 
ne  trouvait  rien  de  mieux  ,  pour  defendre  ses  positions 
deniantcl(3es,que  la  censure  et  leslettres  de  cachet;— 
I'cglise ,  au  lieu  de  combatlre ,  par  des  idees  de  pro- 
gres  et  d'huraanite ,  le  scepticisme  aflligcant  et  railleur 
qui  voulait  envahir  le  raonde  ,  brulait  les  livres,  ex- 
communiait  leurs  auteurs,  oubliant  que  de  la  flamme 
mcme  qui  devorait  le  livre  ,  I'idee  devait  surgir  plus 
eclatante,  plus  vivace,  plus  bardie...  —  Au  sein  de  ces 
luttcs  ardentes ,  dans  lesquelles  s'epuisaient  en  elTorts 
dcsesperes  les  puissances  des  anciens  temps  ,  les 
maitres  d'autrefois ,  on  avait  vu  se  former  fi  une  cer- 
tainc  hauteur  moyennc  dc  rechcUe  socialc  ,  une  classe 
d'hommcs.qui  assislait ,  dans  une  coulenance  pleiuc  de 


DU  26  NOVEMBRE  1840.         LXXTH 

mesurc  et  de  (lignite,  h  cettc  dissolution  gc^neralc :  c'etait 
unc  bourgeoisie  assez  instruite  pour  tout  coniprcndre, 
assez  riche  pour  attcndre ,  assez  forte  pour  etrc  pa- 
tiente.  —  II  senible  ,  b.  la  voir  a  la  fois  si  ferme  et  si 
contenue,  qu'elle  cut  devine  d'avance  que  I'avenir  lui 
appartenait  et  oju'elle  ne  voulut  pas  se  compromettre , 
avantle  temps,  dans  de  prematures  et  inutiles  d(5bats. 
C'est  de  cette  bourgeoisie  que  faisait  partie  la  famille 
de  M.  Le  3Ienuet. 

Pierre  Le  Menuet  naquit  h  Pcriers,  le  10  septembrc 
17/i6.  Des  ses  premiers  pas  dans  la  vie,  11  ^prouva 
le  plus  grand  des  malheurs  qui  puissent  atteindre 
I'homme;  il  perdit  son  pere  et  samere ,  ce  qu'il  y  a  de 
plus  neccssaire  et  de  meillcur  pour  I'enfant :  I'appui 
de  I'un  et  les  caresses  de  I'autrc.  II  rc?ut  les  soins 
de  sa  grand'mere ,  I'une  de  ces  femmcs  quelque  peu 
puritaines,chez  lesquelles  la  tendrcsse  a  presque  toute 
la  scverite  du  devoir.  Mais  ce  precieux  soutien  ne 
devait  pas  tarder  h  lui  manquer  ;  il  n'avait  pas  ncuf 
ans,  quand  il  la  vit  mourir.  II  fut  recueilli  par  un  grand 
oncle  patcrnel ,  cure  d'unc  petite  paroisse  aux  envi- 
rons de  Saint-Lo.  Le  bon  pretre  le  garda  quelque  temps 
chczlui,  I'iniliant  lui-meme  aux  premiers  elements  de 
la  languc  latine.  Bientot  11 1'envoya  au  college  de  Cou- 
tances,  oil  il  se  fit  remarquer  par  des  succcs,  qui  sont 
toujours,  quoiqu'on  puisse  dire,  un  beureux  presage. 


LXXVIIl  SEANCE    PIBLIQL'E 

A  sa  sortie  du  college  ,  le  jeune  Le  Menuet  s'effraya 
saus  doute  de  son  isolenient.  II  venait  d'avoir  dix-huit 
aus,  quaiul  il  epousa,  h  la  fin  dc  176/4 ,  la  fiUe  de  M. 
Lefebvre,  I'un  des  avocats  les  plus  distingues  au  bail- 
liage  de  St.-Lo.  Cctte  soumission  piecoce  k  la  vie  dc 
menage  ,  aux  devoirs  seiieux  de  chef  de  faniille,dut 
contribuer  a  developper  ce  qu'il  y  avail  de  severe  et 
de  grave  dans  le  caractere  de  M.  Le  IWcnuet. 

A  22  ans ,  il  fit  ses  d(5buts  au  barreau  ,  pres  du 
bailliage  de  Periers.  II  dut  y  debater  avec  succes,  car 
il  avait  les  qualites  qui  conviennent  h  I'avocat :  promp- 
titude  d'intelligence  ,  lucidite    de    pens6es ,  facilite 
d'elocution  ,  ct  par-dessus  tout  cela,  cette  genereuse 
chaleur  du  cceur  qui  seule  pent  donner  a  la  parole 
la  puissance  qui  seduit,  emeut,  entrainc...  — Sa  repu- 
tation ne  tarda  pas  ;\  franchir  les  limites  de  la  modestc 
juridiction  aupres  de  laquelle  il  exercait.  II  eut  souvent 
riiouncur,  assez  rare  h  cette  ^poque,  d'etre  appel(5  i 
defendre  ,  dcvant  d'autres  sieges  ,  les  intcrets  de  ses 
clients.  II  venait  surtout  frequemment  plaider  devant 
le  bailliage  de  St.-Lo,  II  y  marqua  bicutot  sa  place  t'l 
cote ,  peut-etre  menie  au-dessus  de  cellc  de  son  beau- 
pere,  c'est-a-dire  au  premier  rang.  M.  Le  Menuet  n'avait 
pas  seulcmcnt  le  talent  qui  reussit ;  il  joignait  h  la  di- 
gnite  qui  impose,  I'urbauite  qui  plait  ct  la  bonte  qui 
captive.  Aussi  ,  scntait-il  de  jour  en  jour  sagrandir , 


DU  26  NOVEMBRE  l84o.  tX\\\ 

s'affermir  autour  de  lui  cctte  cncouragcante  confiance 
clans  laqucUe  riionimo  sc  repose  et  qui  n'etait  pas  seu- 
lemciit  le  fruU  cle  ses  succes  ,  mais  encore  et  surtout  le 
prix  de  son  caractere.  Ses  interets ,  son  avenir ,  ses 
affections  le  conviaicnt  a  se  fixer  ii  St.-Lo  :  il  y  vint 
en  effet ,  mais  non  sans  avoir  resiste  long-temps.  Un 
cceurcomme  le  sien,  que  la  vie  d'etude  et  d'interieur 
avait  conserve  jeune  pour  toutes  les  affections  simples 
et  vraies ,  ne  devait  pas  quitter  sans  regrets  la  maison 
dans  laquelle  il  etait  ne,  dans  laquelle  son  pere  et  sa 
mere  ^talent  morts. . , 

M.  Le  Mcnuet  avait  33  ans  ;  il  etait  jeune, plus  jeune 
qu'on  ne  Test  aujourd'hui  a  pareil  age, car  les hommes 
n'etaient  point  encore  atteints  de  cettc  impatience  ma- 
ladive, qui, s'essayanti\ marcher  plusvite  que  le  temps, 
voudrait ,  des  le  debut  et  de  plein-saut ,  toucher  au 
ternie  qu'on  ne  se  proniettait  alors  qu'apres  une  laho- 
rieuse  longanimite.  Que  de  riches  facultes.  Messieurs, 
que  de  tresors  intellectuels,  qui  s'usent  et  se  perdent 
dans  cette  agitation  prematurec,  et  qui  etaient  destines 
k  briller  d'un  vif  eclat ,  s'ils  avaiont  su  paticmmcnt 
attendre  le  moment  marque  pour  leur  maturite  et  leur 
mise  a  I'ceuvre ! 

II  y  avait  trois  ans  que  M.  Le  Menuet  etait  etabli  a 
St.-Lo,  lorsque  la  confiance  de  ses  concitoyens  lui  de- 
ccrna  le  litre  d'cchevin.   Ut'j;i  dans  le  commencement 


LXXX  SEANCE    PUBLIQUE 

du  sieclc,  iin  de  ses  oncles  avait  exerc6  les  menies  fonc- 
tions ,  concurremment  avec  ccUcs  de  conseiller  du  Roi. 

Ne  vous  ctonncz  pas ,  Messieurs  ,  si  je  m'arrete  avec 
quclquc  complaisance  sur  cettc  premiere  partie  de  la 
vie  de  M.  Lc  iMenuet.  Lui-meme ,  lorsque  ses  souvenirs 
sc  reportaient  sur  le  passe,  aimait  i  se  rappeler  ce 
temps  de  sa  jeunesse ,  qu'avaicnt  sculs  et  largement 
rempli  les  douces  affections  de  la  famille  ct  les  travaux 
serieux  d'unc  noble  profession  ,  noblement  exercee. 
C'etait  h  cette  periode  de  sa  vie  qu'il  donnait  le  plus 
de  regrets,  car  si  elle  fut  la  plus  simple,  elle  fut  aussi 
la  plus  paisible ;  et  pour  les  natures  comme  la  sienne , 
la  paix ,  c'est  la  moitie  du  bonheur.  Mais  e'en  <5tait  fait 
de  cette  douce  paix.  Le  temps  approcliait  oil  il  nc  serait 
plus  donne  h  personne ,  ni  aux  plus  humbles ,  ni  aux 
plus  grands,  de  la  trouver  sur  la  tcrre  de  France. 

■1789  arriva. 

Independant  par  caract(irc  aittant  que  par  ses 
<5tudcs  ,  jaloux  de  sa  dignite  ,  eleve  dans  I'exer- 
cice  d'une  profession  qui  reveille  puissamment  le 
sentiment  du  droit ,  M.  Le  Menuet  dut  accueillir  avec 
joie  la  revolution  francaisc.  —  Les  comraencenrents 
furent  si  beaux!...  les  cceurs  battaient  si  fort,  ct  tant 
d'esperances  s'evcillaient  aux  noms  niagiques  et  sou- 
dain  rajeunis  de  citoyen,  de  patric,  de  liberie  !...  II  y 
avait ,   dans  ces  premiers  61ans  ,  une  immense  force 


DU    26   NOVESiBRE    1840.  LXXXI 

sociale  qu'un  pouvoir  habile  et  tant  soit  peu  clair- 
voyant aurait  essaye  de  contenir  et  de  dinger  ,  en 
cedant  b.  ses  legitimes  exigences.  Mais  rien  n'est 
aveugle  et  miserablement  tenace  couime  les  intt^rfits ; 
—  et  il  6tait  donne  k  ceux  qu'altaquait  la  revolution  , 
de  la  pousser,  par  leurs  imprudentes  resistances,  dans 
des  voies  de  desordre  et  de  colore  telles  qu'on  clier- 
cherait  vaincment  quelque  chose  de  pared  dans  I'his- 
toire  de  I'humanite. 

Trois  ans  avaient  suffi  pour  amener  les  passions  au 
paroxisme  de  leur  excitation,  Una  lutte  terrible  (5tait 
engagee,  et  quiconque  se  seutait  quelque  chose  dans 
la  poitrine  devait  y  accepter  un  role.  M.  Le  Menuct 
fut  nomme  accusateur  public  pres  le  Tribunal  criminel 
de  Coutances.  C'etait  une  rude  tache  que  lui  iraposait 
le  choix  de  ses  concitoyens  ,  et  les  temps  etaieut  tels 
qu'il  n'y  avait  guere  liberie  de  refuser.  Est-il  vrai , 
Messieurs,  comme  quelques-uns  I'ont  dit  depuis  ,  que 
M.  Le  Menuet  se  soit  montre  trop  ardent  dans  I'cxercice 
de  ces  perilleuses  et  redoutables  fonctions?  —  Question 
brulante  {Liccdoper  igncsl.. )  que  chacun  envisage  du 
point  de  vue  de  ses  affections  et  de  ses  liaines,  et  dans 
laquellc  ,  jc  I'avoue,  je  me  sens  mal  il  I'aise ,  car  il 
faudrait ,  pour  la  resoudre ,  rcvoiller  de  douloureux 
souvenirs  et  fouiller  dans  des  fails  k  la  source  desquels 
on  ne  rcnconlrerait  blen  souvcnt  que  la  calomnio. 


LVXXII  SEA?(CE   PUDLIQI'E 

Jc  ne  suis  pas ,  Messieurs  ,  Ic  partisan  dc  ce  fata- 
lisnic  d^couragcant  qui  ,  considc^rant  les  lionmics 
comme  Ics  instruments  aveuglcs  de  je  ne  sais  quelles 
ncccssites  funestes  et  providentielles  ,  ne  doit ,  pour 
f  tre  consequent ,  leur  tenir  compte  ni  du  bicn ,  ni  du 
nial ;  —  mais  jc  no  suis  pas  non  plus  dc  ceux  qui  , 
lorsque  les  niauvais  jours  sont  passes  ,  ne  veulcnt  plus 
tenir  compte  de  I'orage  qu'ils  ont  oubli<5  ou  qu'ils 
n'ont  pas  vu  ,  ct  ,  tranquillement  assis  au  port  ,  sont 
toujours  prets  a  accuser  de  faiblesse  ou  de  colore  ceux 
qui  \  ecurent  au  anilieu  de  la  tourmente  ;  —  comme  si 
I'equipage  pouvait,  quand  il  est  battuparla  tempete  , 
conscrver  la  mana?uvre  reguliore  ct  mesur^e  qui  lui 
suffit  dans  les  temps  de  calmc...  A  chacun  la  respon- 
sabilite  de  scs  fails ;  raals  k  c6t(5  de  cbaque  fait ,  la 
cause  qui  I'explJque ,  la  loi  qui  le  commande ,  la  cir- 
constance  qui  I'excuse... 

La  r (Evolution  etait  aux  prises  avec  ses  ennemls.  — 
La  lutte  (5tail  partout ,  au-dedans ,  au-dehors ,  dans  la 
rue  ,  dans  les  clubs,  dans  les  assemblees  politiques... 
II  etait  difficile  ,  Messieurs ,  qu'elle  s'arrelat  dans  ces 
regions.  BientOt  elle  allait  forcer  les  portes  memes  du 
temple  de  la  justice,  et  c'est  Ik  qu'elle  se  rcservait  de 
fournir  son  plus^terrible  ct  plus  douloureux  spectacle. 
Ce  n'elaient  plus  des  juges  qui  examinent  ct  des  ac- 
cuses qui  se  defendent;  c'etaient ,  dc  part  ct  d'autre. 


DU  26  NOYEMBRE  l84o.        LXXXIIl 

desennemis  en  pr(5sence ;  U  n'y  avaltplus  IJi  que  le  men- 
songer  scmblant  des  formes  de  la  justice ;  au  fond,  c'^tait 
un  veritable  combat ;  il  fallait  vaincre  ou  succombcr. 

De  la  salle  meme  oil  le  Tribunal  criminel  de  Coutances 
tenait  ses  stances,  les  juges  purent  entendre  le  canon 
des  Vendeens  ,  qui  venaicnt  mettre  le  siege  devant 
Granville.  Ces  bruits  sinistres  dureot  retentir  doulou- 
reusement  au  coeur  de  M.  Le  Menuet ;  il  avail  ses  deux 
fils  dans  la  place  assiegee.  L'effrol  s'6tait  r^pandu 
dans  Coutances ;  on  forma  une  commission  charg^e  de 
pourvoir  h  la  defense  de  la  ville,  en  cas  d'attaque;  M. 
Le  Menuet  fut  choisi  pour  la  presider.  Pendant  trois 
jours ,  jours  d'angoisses  pour  le  p6re  qui  pouvait  h 
chaque  instant  apprendre  qu'il  n'avait  plus  de  fds ,  la 
commission  demeura  en  permanence,  jusqu'k  ce  qu'en- 
fln  rarm(5e  veudeenne  se  retira,  laissant  derri^re  elle 
les  faubourgs  de  Granville  en  cendres. 

Faut-il  s'^tonncr ,  Messieurs ,  qu'au  milieu  de  ces 
6v6ncmcnts,  de  ces  menaces,  de  ces  perils ,  M.  Le 
Menuet  sc  soitmontr^  ferme,  dnergique? — Qui  pourrait 
songer  a  lui  en  faire  un  rcproche? — Mais  violent  , 
inhumain ,  imjjitoyable ,  M.  Le  Menuet  ne  le  fut  pas  ;  il 
lie  put  pas  I'otre ,  car  il  eut  fallu ,  pour  qu'il  le  devint , 
qu'il  etouffat  tous  ces  instincts  d'lionnetc  homme ,  si 
profondemcul  enracin^s  dans  son  caractere  et  auxquels 
vous  I'avcz  vu  roster  constammcnt  fulelc  dans  tout  le 


LXXXIV  SEANCE  PUBLIQIE 

cours  dc  sa  longue  carriere.  Uu  trait  de  cette  partie  de 
sa  vie  ,  taut  calomnice ,  va  vous  le  niontrer  tel  que 
vous  I'avez  connu,  tel  qu'ilfut  toujours.  Un  pretre  de 
Valognes  ,  nomme  Delalonde ,  dont  le  nom  6tait  inscrit 
sur  la  list«  des  emigres ,  fuyait  devanl  les  dangers  dont 
sa  tete  etait  menacee.  II  s'etait  confie  a  la  frele  barque 
d'un  pficheur  et  essayait  de  gagner  Ics  lies  anglaises. 
La  nier  le  rejeta  sur  les  c6tes  de  la  Manclie.  Aux  termes 
des  lois  rt^volutionnaires  ,  cette  dpave  appartenait  h 
r^chafaud.  Saisi  comme  Emigre  rentr6  ,  Delalonde  fut 
anient  devant  le  Tribunal  crirainel  de  Coutances.  M. 
Le  Menuet  ne  pouvait  pas  voir  un  crime  dans  le  malheur 
d'un  naufrage.  Au  lieu  d'accuser  Delalonde,  il  se  con- 
stituason  defenseur,  et  le  pauvre  pretre  fut  sauv6.  En 
d'autres  temps,  il  n'y  aurait  Ih  que  de  I'humaniti} ;  h 
eette  ^poque  ,  c'etait  aussi  du  courage. 

Apres  deux  ans  de  ces  difiiciles  fonctions ,  M.  Le 
Menuet  devint  president  du  Tribunal  criminel.  II  devait 
bientot  reeevoir  une  marque  plus  eclatanle  de  I'estime 
de  ses  concitoyens.  Les  ev^nements  se  precipitaient. 
La  redoutablc  Convention  ,  apres  avoir  vu  cliacun  de 
ses  partis  fournir  successivement  son  contingent  h 
r^chafaud,  h  coramencer  par  les  plus  purs,  ii  (inir  par 
les  plus  souill^s,  la  Convention  s'etait  retiree  devant  le 
Direcloire. 

Apres  le  coup  d'Etat  du  18  fructidor  an  V,  qui  avait 


DU  26  NOVEMHRE  l84o.        LXXXV 

annule  les  elections  du  departeraent  de  la  Manclie,  M. 
Le  Menuet  fut  6Iu  ,  par  I'arrondisscment  de  St.-Lo  , 
menibre  du  Conseil  des  Anciens. 

II  y  a ,  Messieurs ,  dans  les  assemblies  politiques  , 
des  hommes  d'un  incontestable  talent ,  d'un  veritable 
savoir  et  dont  le  nora  pourtant  est  Ji  peine  connij  du 
public  qui  fait  les  renommees.  Soit  que  les  bruyantes 
interruptions  des  partis  les  eflfraient ,  soit  que  I'eclat 
p(5rilleux  de  la  tribune  les  intiniide,  ils  r^servent  pour 
le  hui£-clos  des  bureaux  leur  parole  plus  modeste  et 
non  moins  utile.  S'ils  sont  peu  prOn6s  au-dehors ,  en 
revanche  on  les  appr^cie  dans  ces  reunions  prepara- 
toires  oii  s'etudient  et  se  murissent  les  questions;  on 
les  ecoute ,  car  c'est  bien  souvcnt  de  leurs  recherches , 
de  leur  travail  que  surgissent  ces  brillantes  harangues 
qui ,  produites  h.  la  tribune  ,  sont  destint^cs  h  illustrer 
d'autrcs  noms  que  les  leurs.  C'est  parmi  ces  hommes 
que  prit  place  HI.  Le  Menuet  au  Conseil  des  Ancicns. 
II  y  fut  nomme  deux  fois  secretaire.  II  I'etait  encore, 
quand  il  vit  se  pr(5parer  le  coup  d'Etat  si  diversc- 
ment  jugc  qui  allait  clore  le  XVIIP.  siccle ,  et  poser 
commc  unc  barriere  qui  devait  separer  la  pe^riode  de 
destruction  qui  avait  fini  son  ceuvrc  de  la  pcriodc  de 
reedification  qui  commencait  la  sienne. 

La  France  s'agltait  pt^niblemcnt  sous  unc  direction 
faible  et  corrompue ,  et  c'est  de  cette  epoque  de  disso- 


tXXXVI  SEAXCE    PL'BLIQUE 

lution  que  Mirabeau  ciit  pu  dire,  avec  bicn  plus  de 
v6rite  qu'en  1789  (1)  :  «  Tous  les  liens  de  I'opinion 
•  sont  reiach^s ,  et  11  n'existe  pas  encore  un  principe 
«  Jila  place...  Nous  avons  d(5sappris  k  ob^ir , dcsappris 
«  k  travaillcr,  desappris  h  souffrir,  ct  cepcndant  il  n'y 
«  a  pas  de  liberty  sans  discipline...  Que  devicndrons- 
«  nous?...  »  Que  deviendrons-nous?— Telle  (5tait,  en 
effet, la  question  que  chacuns'adressait  avec  inqui(5tude, 
quand  tout-h-coup ,  et  sans  que  personnc  Tattendit , 
arriva  le  hcros  de  I'ltalie  et  de  I'Egypte ,  cet  homme 
que  la  victoire  avait  fait  si  grand,  ct  qui  luarchait,  comme 
11  le  disaitlui-mfime  dans  son  stylo  oriental  (2) ,  acconi- 
pagn6  du  dieu  de  la  guerre  ct  du  dieu  de  la  fortune. 
II  lui  sufiit  de  quelqucs  jours  pour  jugcr  qu'il  fallait 
un  chef  a  ces  partis  ingouvcrnablcs,  qui  tousaltaquaient 
I'autorito,  ct  dont  aucun  pourtant  n'ctait  assez  fort  pour 
la  prendre.  Le  18  bruinaire  fut  arrele  dans  sa  ponscc. 
Mais,  conirne  tous  les  ambilicux,il  voulut  colorer  d'un 
scmblant  de  legalitc  la  revolution  qu'il   meditait.   II 
associaii  sesprojctsl'opiniatrete  orgueillcuse  deSiejes, 
qui  esperait  trouver  enfin  I'occasion  de  raettre  en  ccuvre 
ses  syst(5niatiqucs  conceptions.  Lc  role  de  ce  dernier 
etait  d'aniener  le  Conscil  des  Anciens  h  preparer  lui- 

Cl)  LoUrc  de  Mirabeau  a  Servan  ,  1789, 

(2)  Disrours  deBona[>arlc  au  Conscil  dcs  Anciens ,  seance  du  19 
brumaire  an  VIII. 


DC    2G   NOVEMBRK    1840.  I.XXXVII 

meme  les  funerailles  de  cette  chancelante  constitution 
de  I'an  III ,  dejii  toute  meurliie  des  coups  qu'elle  avail 
recus  aux  mois  de  fructidor  et  de  prairial. 

M.  Le  Menuel  fut  vivement  sollicite  de  prendre  parti 
pour  le  coup  d'Etat ,  qui  n'dtait  plus  un  secret  pour  per- 
sonne.  Regnier,run  des  plus  ardents  conjures,  celui-L'i 
meme  qui  devint,  un  peu  plus  tard,  grand  Juge,  Ministre 
de  la  justice ,  alia  trouver  M.  Le  Menuet  pour  reutraincr 
au  banquet  que  les  deux  Conseils  donnaient  h  Bona- 
parte, le  15  brumaire,  dans  I'eglise  St.-Sulpice.  M. 
Le  Menuet  refusa...  Quelle  que  fut  ii  ses  yeux  I'autorit^ 
des  noms  qui  conspiraicnt,  quelque  pures  que  pussent 
etre  leurs  intentions  et  leurs  esp6rances ,  ce  n'en  etait 
pas  moins  une  conspiration  qui  dut  repugner  ii  la  cons- 
cience droite  etpeut-etre  aussi  aux  instincts  conservateurs 
dc  M.  Le  Menuet.  II  se  tint  en-dehors,  et  resta  jusqu'au 
dernier  moment  fiddle  a  la  constitution  qui  avait  rccu 
son  serment. 

Aprils  la  18  brumaire ,  M.  Le  Menuet  ne  fit  pas  partie 
du  Corps  l^gislatif.  II  devait  s'y  attendre.  Le  Sen  at 
conservateur ,  qui  en  choisissait  les  membres  parmi 
ceux  des  anciens  Conseils,  dut  naturellcment  s'adresser 
aux  devoumentsqui  avaieut  fait  leurspreuves.  Pourtant, 
U.  Le  Menuet  n'etait  pas  un  de  ccs  homnies  dont  on 
se  separe  sans  regret  et  qu'on  oublie.  Lebrun,  qui 
parlageait  le  consulal  avcc  Bonaparte  ct  Cambaceres  , 


LXXXVin  SEANCE    PIRLIQIE 

Lebrun ,  conipatriote  et  collcgiie  de  M.  Le  Menuet ,  ct 
qui  avait  pu  appreciv'^r  ce  qu'il  y  avail  dc  richesse  dans 
son  intelligence  et  dc  veritable  elevation  dans  son  Anie, 
le  prcssa  d'acccptcr  dcs  fonclions  publiques  dans  le 
nouveau  gouvcrnemcnt.  La  constitution  de  Tan  VIII 
venaitdecrecrles  Tribunauxd'appel.  On  offiitJi  M.  Le 
Menuet  la  presidence  de  celui  de  Caen.  C'etait  prcsquc  le 
rendic  aux  clieres  occupations  de  sa  jeunesse  ,  h  ces 
etudes  toujours  regreltees,  vers  lesquelles,  au  milieu 
des  agitations  politiques ,  il  revait  souvent  de  rctourner. 
JI.  Le  Menuet,  apres  quelque  resistance,  accepta. 

Ici,  Messieurs,  commence  cette  honorable  et  longuc 
magistrature ,  Ji  laquelle,  sauf  quelques  ann^es  d'iuter- 
ruption ,  la  mort  seule  devait  mettre  un  terme.  C'est 
dans  I'excrcice  de  ces  hautes  fonctions  que  iM.  Le 
Menuet  donna  le  plus  de  prcuves  de  cc  sens  exquis 
qui  voyait  tout  d'abord  le  bon  cote  des  cboses,  de 
cette  penetration  judicicuse  qui  devinait  presque  ce 
qu'elle  n'avait  pas  appris,  de  cc  rare  talent  d'analyse 
qui  savait  rendre  toutes  questions,  nieme  les  plus  abs- 
traitcs,  facilcment  intelligibles.  Nul  ne  prononcait  un 
arret  mieux  et  plus  clairemenl  que  lui;  se  complaisant 
peut-etre  un  peu  trop  dans  les  faciles  deductions  de  sa 
logique ;  s'arretaut  comme  h  plaisir  dans  les  details , 
dont  aucun  n'echappait  a  son  admirable  memoire  ; 
abordant  tous  les  moyeus,  soit  pour  les  accueillir,  soil 


DU   26   NOVEMBRE    1840:  LXXXIX 

pour  les  rejeter ,  prouvant  ainsi  qu'il  avail  tout  (?cout<5 , 
tout  comprlSjtout  retenu ;  et  pourtant  maixliant  toujours 
au  but,  luais  y  marchant  parfois  par  des  voies  douce- 
lucnt  allongees;  et  tout  cela  se  produisait  avec  des 
formes  si  largcs ,  si  digncs ;  il  y  avail  dans  sa  parole 
taut  de  gravite  temperee  par  lanl  de  bienveillance , 
dans  son  maiutien  lanl  de  noblesse ,  non ,  comme  on 
I'a  dit,  de  cede  (jii'on  se  donne,  mats  de  celle  qui  est  en 
soi  {i)  ,  qu'il  etait  impossible  de  voir  ce  majestueux 
vieiilard  sur  son  siege ,  a  la  tete  de  sa  Compagnie ,  sans 
se  reporter  par  la  pensee  aux  plus  beaux  temps  de  la 
niagistraturc. 

En  1811,  Napol  Jon  voulant  doancr  i\  toutes  les  choses 
de  son  Empire  la  grandeur  et  I'eclat  (2) ,  remplaca  les 
Tribunauxd'appclparlesCours  iraperiales.M.  le  Menuet 
fut  noram^  premier  president  de  la  Cour  impciriale  de 
Caen,  et  en  meme  temps,  pour  qu'il  put  allier  la  no- 
blesse du  nom  a  la  noblesse  du  cceur,  il  fut  cree  baron 
de  I'Empire. 

C'est  vers  cette  epoque  que  la  ville  de  Caen  eul 
I'honneur  tant  envie  de  recevoir  I'Empereur  dans  ses 
murs.  Sa  puissance,  qui  dcvait  si  vite  decUner ,  etait 
alors  a  son  apogt^e.  Nul  ici  ne  se  souvlent  d'un  cnlliou- 

(1)  Hlon  portefeuille  ,  par  >,I.  Couture. 

(2)  lloedercr ,  discours  prononc6  lors  dc  I'inslallation  de  la  Cour 
imperiale  dc  Cacu ,  1811. 


XC  STANCE    PLBLIQUE 

siasme  parcll  ii  celui  qui  s'attachait  aux  pas  de  cet 
honime.  On  dit  pourtant  qu'au  milieu  de  cet  enivrement 
general,  une  voix  osa  parler  dcs  poignants  sacrifices 
que  la  guerre  imposait  aux  families,  des  plaintes  que 
le  S(5jour  des  garnisaires  arrachait  aux  populations... 
Cette  voix,  c'etait  celle  deM.  Le3Ienuet...  L'Empereur, 
qui  n'avait  sans  doute  pas  oubli^  le  reprdseutant  de 
I'arrondissement  de  St.-Lo  au  Conseil  des  Anciens,irrit6 
peut-etre  de  le  retrouver  dans  le  premier  president  de 
sa  Cour  de  Caen ,  tourna  sur  ses  talons  par  un  de  ccs 
mouvements  brusques  qui  lui  «5taient  familiers  et  s'eloi- 
gna  sans  repondre.  Napoleon  n'aimait  pas  les  donneurs 
de  conseils ,  niais  il  savait ,  h  I'occasion  ,  en  profiler. 
Dfes  le  lendemain  ,  les  habitants  furent  dclivres  des 
garnisaires. 

De  tristes  ev(5nements  ne  tarderent  pas  h  justifier  la 
\int6  des  consciencieuses  paroles  que  M.  Le  Menuct 
avaitos^meler  au  concert  de  louanges  dont  I'Empercur 
6tait  entoure.  L'hiver  de  1812  avail  die  mauvais;  on 
s'effrayait ,  on  soufTrait  des  pr(5paratifs  de  cette  cam- 
pagne  gigantesque  dans  laquelle  I'Empire  allait  sc 
perdre ;  on  murmurait  de  la  cherts  des  grains.  Des 
murniures  on  passa  aux  voies  de  fait ,  et  le  march(5  de 
Caen  devint  le  theatre  de  graves  desordrcs. . .  Le 
prdfetet  le  maire  accoururent,  espcrant  sans  doute  que 
leur  presence  suffirait  pour  calmer  les  csprits;  mais 


DU    26   NOVEMBRE    l84o.  XCI 

leur  autorite  fut  meconnue ;  lis  furent  insulins ,  frappes 
peut-etre ,  obliges  enfm  de  cdder  devant  la  rdvolte.  Le 
prefct  se  r(5fugia  dans  I'hCtel  du  premier  president. 
Je  ne  sais  ce  qui  ce  passa  entr'cux;  mais  ce  que  tout 
le  raonde  sait,  c'est  qu'a  peine  quclques  minutes  s'etaieut 
ecoulees  que  M.  Le  Blenuct,  calme  et  dignc  comme  il 
I'etait  toujours,  sortit  dc  son  hotel,  ayant  h  ses  cotes 
M.  Ic  prefct...  La  foule  ameutee,  quij'l'instant  d'avant, 
vocifcrait,  poussait  des  cris  dc  mort ,  se  tut  a  I'aspect 
de  ce  noble  visage  et  s'ouvrit  pour  livrcr  passage  au 
couragcux  magistrat... 

Ne  vous  semble-t-il  pas ,  3Iessieurs ,  que  je  copic  , 
comrae  h  plaisir,  dans  le  pocte  romain  ,  cette  grandc 
image  de  la  sedition  s'apaisant  devant  rhomme  de  bien? 

«  ....  Faces  ct  saxa  volant ,  furor  arma  ministral  : 
«  Turn,  pietate  gravem  ac  mcrilii-  si  forte  iHrtnn  qiicr.i 
0.  Conspcxere ,  silent  arrcctisque  aiiribiis  adstant  (1).   » 

J'aurais  voulu ,  Messieurs ,  pour  qu'il  ne  manquat  rien 
k  ce  tableau ,  que  M.  Le  Meuuet,  qui  venait  de  montrcr 
une  fcrmete  si  salutairc  en  presence  de  I'cnieute  , 
eut  ^levc  la  voix  quand  ,  quclques  jours  plus  tard ,  le 
pouvoir  punissait  ,  mais  punissait  comme  frappc  la 
foudre ,  prompt  comme  die ,  inexorable  comme  clle  , 
aveugle  comme  elle  (2)....  II  eut  cte  digne  du  chef  de 

(1)  Virgilii  jEncid.  lib.  1. 

(2)  Un  general ,   aiilc-dc-caini)  dc  rEinpcreur ,  aniva  avcc  uu 


XCII  SEANCE   PIBLIQUE 

la  maglstrature  de  protester ,  au  nom  des  droits  de 
la  justice  ,  contre  cette  commission  qui  vint  ici ,  avec 
tout  I'appareil  des  armcs  ,  condamner  et  tuer  ,  en 
quelques  lieures  ,  n'y  mettant  ni  plus  de  formes  ni  plus 
de  temps  que  s'il  se  fiit  agi  d'enlever  une  redoute. 

Les  destinees  de  TEmpire  s'etaient  accomplies ; 
la  France  vaincue  expiait  ses  victoires.  La  reaction 
triompliante,  importunee  des  souvenirs  de  la  revolu- 
tion ,  frappait  partout  et  les  hommes  et  les  choses. 
M.  LeMenuet  etait  un  des  hommes  de  la  revolution; 
il  n'etait  pas  de  ceux  qui  savent ,  h  certaines  heures  , 
Lriser  leurs  idoles  d'autrefois.  II  cut ,  Messieurs ,  et 
c'est  un  de  ses  plus  beaux  titres  au  respect  des  gens 
de  conur ,  il  eut  le  rare  merite  de  resterfidelCcM'amitie, 
quand  les  mauvais  jours  furent  venus  pour  elle.  La 
fameuse  loi  de  1816,  qui  devait  etre  une  loid'amnistie, 
et  qui ,  sous  les  haineuses  inspirations  de  la  Chambre , 
^tait  devenue  une  loi  de  proscription ,  frappait  h  cote 
de  M.  Le  Menuet  uncoUegue  ,  un  ancien  ami  (1)...  Son 

regiment  de  cavalcrie  de  la  Garde  ;  une  commission  mililaire  se 
r6unit  au  chiUeau  et  condamna  a  mort  sept  ou  huit  pcrsonnes , 
pirmi  Icsquelles  so  Irouvaieiit  des  femmes...  Les  tontlamn6s  furenl 
executes  immediatement  et  Ton  dit  qu'il  y  eut  wn<?  er/-e«r  dans 
I'execution.  Ce  qui  est  certain,  e'est  qu'il  ne  resta  aucune  trace 
ecrite  des  opi^rations  de  la  commission. 
(1)  M.  Havin  ,  pcrc,  convcntionnel. 


DU   26   NOVEMBRE    1840  '  XCIII 

affection,  ses  regrets,  qu'il  ne  clierchait  point  a  caclier, 
suivirent  le  proscrit  dans  sou  exil. 

M.  Le  Menuet  etait  done,  h  plus  d'un  titre,  digne  do 
la  colore  des  passions  nouvelles  qui  domiuaient  le 
pays;  elles  ne  lui  epargnerent  point  leurs  calomnjes. 
— N'osant  ou  ne  pouvant  attaquer  de  front  cette  repu- 
tation si  solideraent  assise  sur  cinquante  ans  de  probite 
et  de  loyaux  services  ,  elles  frappaient  par  derriere , 
comme  salt  frapper  la  calomnie ;  elles  exlmmaient  ce 
titre  d'accusateur  public  accepte  dans  d'autres  temps , 
et  en  faisaient  le  lexte  de  leurs  odieuses  difTaniations... 
Soit  que  M.  Le  Menuet  se  sentit  pris  de  ce  degout ,  de 
ce  decourageraent  que  les  mechancetes  humaines  inspi- 
rent  quelquefois  aux  anies  delicates  conunc  la  sienne ; 
soit  plutot  qu'il  s'effrayat  de  la  marche  rapide  du 
pouvoir  dans  les  voies  iniprudentes  qu'il  parcourait, 
M.  Le  Menuet  demanda  sa  rctraite.  On  savait  le  respect 
qui  I'entourait ,  la  juste  influence  dont  il  joui&sait ;  on 
h(5sita  et  pendant  ce  temps  ,  survint  I'ordonnance  du  5 
septembre  ,  qui  6tait  le  premier  acte  d'un  gouverne- 
ment  enfin  mieux  eclaire  sur  ses  ses  vdritablos  inte- 
rets...  On  ne  tint  compte  do  la  demission  offcrte  ;  une 
ordounauce  du  1 '^  juillet  1818  vint  confirmer  M.  Le 
Menuet  dans  ses  fonctions  de  premier  pr(5sidcut ;  et  M. 
Pasquier  ,  alors  garde  des  sccaux  ,  le  prcscntant  au 


XCIV  SEANCE    PUBLIQUE 

serment,  put  dire  au  Roi:  Je  prcsente  a  Votre  Majeste 
le premier  dcs  praniers  presidents... 

Quelques  mois  apres,laCourroyalede  Caen  fut  r^or- 
ganis(5e ,  et  son  premier  president  ne  contribua  pas  peu 
h  faire  triomplier  I'esprit  de  justice  dans  lequel  se  fit 
cette  reorganisation.  Lesanciens  services  ne  furent  point 
oublids ;  —  la  jeunesse  instruite  ,  studieuse  ,  y  recut 
aussi ,  grace  k  lui ,  plusieurs  places ,  que  dcpuis  elle  y 
a  dignement  occupees.  M.  Le  Menuct  c(5dait  en  cela , 
non  seuleraent  h  un  sentiment  d'equite,  mais  h  I'un  des 
penchants  les  plus  inalterables  de  son  coeur;  il  aimait 
les  jeunes  gens,  il  les  accucillait ,  Ics  ecoutait ,  dis- 
cutant  volontiers  avec  cux  quand  ils  avaient  le  sage 
bon  sens  de  ne  pas  se  montrer  dedaigneux  de  sa  vieille 
experience,  comprenant  leurs  idees  meme  quand  il 
ne  les  partagcait  pas ,  ne  vantant  pas  trop  le  temps 
passe ,  sachant  voir ,  rcconnaitre  ,  adopter  ce  que  le 
present  avait  de  bon.  On  concoit  ais(5ment  qu'avcc 
de  si  bienveillantes  qualites,  M.  Le  Menuet  soit  rest6 
un  de  ccs  agreables  vieillards  ,  qu'on  recherche  jusqu'i'i 
Icur  dernier  jour. 

Pourtant ,  Messieurs ,  le  temps  d'arret  que  la  res- 
tauration  avait  fait  dans  les  voles  de  reaction,  n'avait 
pas  dte  de  bien  longue  duree...  A  la  suite  de  I'un  de 
ces  crimes  odieux ,  que  la  France  devait  avoir  la  dou- 
Icur  de  voir  plus  tard  se  renouveler  si  souvent,  la  centre- 


DU  26   NOVEMBKE    l84o.  XCV 

revolution  ardente  etait  revenue  aux  affaires.  Elle 
s'offusquait,  s'irrltait  de  voir  M.  Le  Menuet  h  la  tete 
de  la  Cour  royale  de  Caen.  C'est  alors  que  commenga, 
dans  I'espoir  de  fatiguer  ce  dlgne  vieillard ,  un  mise- 
rable systeme  d'etroites  tracasseries...  On  lui  faisait 
marcliander  quelqucs  jours  de  repos  que  r^clamait  sa 
sante ;  on  lui  disputait  cette  vacance  classique  que  le 
magistral  a  de  tout  temps  consacree  aux  affections  de 
famille  ct  aux  occupations  scion  soncceur;..  que  sais- 
je  encore?...  —  c'otait  quelquc  chose  d'odieusement 
petit  ,  ct  M.  Le  ftlcnuct  pouvait  assurement  laisscr 
s'agitcr  au-dcssous  de  lui  ,  sans  s'en  inqui(5ter ,  ces 
cnvicuses  passions...  11  devait  attendre  ,  car  il  ^tait  de 
ceux  qui  peuvent  dire  ,  avec  le  poete  anglais  (1)  , 
quo  si  Vhomme  outrage  ,  le  temps  vengc.  Mais  tout  le 
monde  ne  salt  pas  resister  a  cclte  guerre  h.  coups 
d'opingles,  qui  d'abord  provoque,  irrite,  etqui,  lors- 
qu'elle  se  prolonge ,  peut  lasser  les  iimes  Icsplus  fortes. 
Elle  se  continuait  contre  M.  Lc  Menuet ;  on  exhumait 
sa  demission  de  1816  ;  ct  conime  on  n'osait,  par  un 
reste  de  pudeur,  la  prendre  au  serieux  apres  sept  ans 


(I)  The  world  hath  lefl  me  ,  what  it  found  me,  pure,' 
And  if  I  have  not  RaMicr'd   yet  its  praise, 
I  sought  il  not  hy  any  baser  lure  ; 

Man  wrongs,  and  time  avenge 

Byron  ,  Pinphecy  of  Dante. 


XCVI  St-ANCE    PIBLIQUE 

de silence,  de  hautes  et  meticuleuses influences  s'entre- 
niircnt ,  pour  decider  M.  Le  Menuet  Ji  en  donner  une 
nouvelle.  On  s'adressait  k  son  coeur  de  pere ,  qui  d^ji, 
en  1815  ,  avail  6te  bien  doulourcusement  froisse  (1) ; 
on  lui  faisait  des  promesses  qu'on  ne  devait  pas  tenir... 
Est-il  done  surprenant  que  M.  Le  Menuet ,  qui  etait 
alors  age  de  77  ans  ,  ait  c6de  devant  tant  d'efforts 
reunis,  et  n'aurons-nous  pas  quelque  sympatliie  meme 
pour  cette  faiblesse ,  qui  prend  aussi  sa  source  dans  les 
sentiments  genereux  de  son  canir? 

En  s'eloignant  de  ces  fonctions  qu'il  avait  si  noble- 
nient  exercdes  pendant  vingt-trois  ans,  M.  Le  Menuet 
se  retira  dans  sa  terrc  de  Vaudrimesnil ,  pres  de  Cou- 
tances.  Rien  n'est  plus  simple  et  plus  touchant  h  la  fois 
que  sa  vie  dans  cette  modeste  retraite ;  presidant  avec 
bonliomie  aux  travaux  deses  champs  ;reunissant  autour 
de  lui  le  riche  avec  le  pauvre,  le  maire  de  la  commune 
avec  le  pasteur  de  la  paroisse ,  tons  ceux  enfm  qui 
avaient  besoin  de  vivre  en  paix  ensemble  ;  toujours 
pret  Ji  donner  un  conscil  i^  quiconque  le  desirait,  h 
soulagcr  cclui  qui  souffrait ,  ^  calmer  celui  qui  s'irritait; 
c'etait ,  en  un  mot ,  I'homme  de  bien  ,  utilisant  ses 
derniers  loisirs  au  profit  de  tousceux  qui  I'entouraient. 

(1)  Son  fils ,  iirocurcur  imperial  a  Caen  ,   avait  cl6  dcslilu(5  et 
niourul  (luclquc  Icmps  aprcs. 


DU    26   NOVEMBRE    1840.  XCVll 

Bien  souvent,  j'eu  suis  sur,  sa  pensee  devait  se  reporter 
vers  sou  ancienne  compagnie ,  qui  u'avait  pas  pu  le  voir 

parlir  sans  d'amers  regrets ;  et  c'elait  toujours  avec  des 
larnies  d'atteudrisseuicut  dans  les  yeux ,  que  le  bon 
vieillard  accueillait  les  collogues  qui  le  veuaient  visiter 
dans  sa  retraite. 

Ua  dernier  triomphe ,  luie  derniere  jole ,  conime  11 
n'est  donne  qa'h  peu  de  gens  d'en  eprouvcr  dans  le 
cours  de  leur  vie ,  etaient  reserves  aux  vieux  jours  de 
iM.  Le  Meuuet...  Les  memes  honimes,  qui  I'avaientfait 
descendre  de  son  siege ,  avaient  continue  de  pousser 
aveuglement  le  pouvoir  en  sens  contraire  de  la  marche 
du  temps,  et  ils  avaient  fini  par  se  perdre  avec  lui  dans 
Forage  qu'ils  avaient  souleve.  — Trois  jours  avaient 
suCi  pour  faire  justice  de  leurs  rfives  sacrileges.  —  La 
revolution  de  1830  ne  devait  pas  oublier  M.  Le  Menuet; 
c'eut  ete  de  I'ingratitude.  — La  premiere  presidence  de 
la  Cour  royale  de  Caen  6tait  vacante ;  elle  ne  pouvait 
appartenir  qu'a  lui.  Cepcndant,  Messieurs,  lorsque  ses 
coucitoyens  le  pressaient  de  vcnir  repreudre  cette 
place ,  qu'il  devait  retrouver  aussi  pleine  de  son  sou- 
venir que  s'il  ne  I'eut  jamais  quittee ,  des  scrupules 
lionorables  assaillirent  sa  conscience.  II  etait  arrive  ci 
un  age  que  lesplus  heureux  n'atteignent  guere,  et  qui, 
chez  ceux  qui  I'atteigneut ,  ne  respecte  que  bien  rare- 
ment  les  ressorts  de  I'lntelligence  et  de  la  volont^. 

TII 


XCVni  SEANCE   PUBLIQUE 

M.  Le  Menuet  se  defiait  de  ses  forces.  — Pourtant,  il 
dut  ecouter  les  prieres  des  siens ,  Ics  voeux  de  toute  une 
population  qui,  dopuistreute  ans,  n'avait  pas  desappris 
lui  scul  jour  c'l  I'ainier.— Qui  dc  nous.  Messieurs,  n'eut 
h  sa  place  fait  comnie  lui  ?— Qui  n'eut  cede  aux  Amotions 
si  douces,si  entrainantesquclui  prometlait  leretour? — 
II  Vint ,  et  partout ,  sur  son  passage  corame  a  son 
arrivee  ,  cc  fut  une  belle  ovation...  J'avais  raison  , 
Messieurs ,  le  temps  I'avait  veng6. 

Cinq  ans  encore  ,  M.  Le  Menuet  presida  la  Cour 
royale  de  Caen  ,  et  bien  que  I'tige  eut  quelque  pen 
affaibli  la  puissance  de  ses  facult(5s,  il  n'en  resta  pas 
moins,  jusqu'au  bout,  observateur  capable  et  fidele  de 
tous  les  devoirs  du  magistrat ,  entoure  des  memes  res- 
pects ,  en  possession  de  la  meme  autorite. 

Sans  doute,  Messieurs,  11  n'est  pas  difficile  de  trouver 
une  existence  d'horame  plus  extraordinaire  et  se  signa- 
lant  par  plus  de  choses  ;  mais  peut-fitre  aurail-on 
quelque  peine  a  rencontrer,  k  cette  hauteur  luoyenne 
oil  se  tint  M.  Le  Menuet ,  un  plus  heureux  assemblage 
de  qualites  et  de  vertus ,  une  carriere  plus  utilement 
et  mieux  remplie  :  de  la  sagacite  jointe  ti  un  jugemcnt 
sflr  ;  des  id(5es  nettes  et  droites  sur  toutcs  choses ,  et  de 
la  facilite  pour  les  produire ;  un  esprit  k  la  fois  pene- 
trant et  simple  ,  tolerant  et  ferme ;  un  caraclere  r(5solu 
pour  le  bien  ,  n'oubliant  jamais  Ic  respect  qu'il  se  doit 


DV    26   NOVEMBRE    1840.  XCIX 

k  lui-memc  et  fixant  ainsi  le  respect  d'autrui ;  un 
devouraeiUsansbornes  au  devoir ;  de  I'indulgcnce  pour 
les  autres  et  de  la  severite  pour  lui ;  et  par  dessus  tout 
cela ,  une  belle  ame  et  la  conscience  d'un  hoiinete 
honune.  Voilii  pourquoi ,  Messieurs ,  la  memoire  de  .M. 
Le  Menuet  doit vivre parmi  nous,...  et,  quoiqu'il  appar- 
tiennc  plus  specialement  aux  magistrals  de  garder 
rcligieusenient  son  souvenir ,  vous  trouvercz  bien ,  sans 
doute  ,  que  dans  cette  Academie  dont  11  tit  partic  , 
j'aie  tlche  de  reproduire  ,  avant  qu'ils  soient  plus 
effaces ,  les  traits  de  cette  noble  figure.  EUe  restcra  , 
corarae  modele  du  magistral  et  du  citoycn. 


SUJET  DE  PRIX  POUR  L'ANNEE  1841. 


L** Academic  royale  des  sciences,  arts  et  belles- 
leltrcs  de  Caen  met  au  concours  le  sujct  suivant : 

ELOGE  DE  PIERRE-DANIEL  HUET. 

La  Compagnie  demande  moins  un  eloge  aca- 
demique  qu''une  appreciation  critique  des  divers 
travaux  du  savant  eveque  cVAvranchcs- 

Le  prix  sera  une  medaille  d''or  de  la  valeur  de 
4oo  francs. 

11  sera  decerne  ,  s''il  y  a  lieu,  dans  sa  seance 
publique  de  novembre  i84i« 


Chaque  ouvrage  devra  porter  en  tfite  une  devise  qui  sera 
r^petee  sur  un  billet  cachete ,  contenantle  nom  et  le  domi- 
cile de  I'auteur.  Le  billet  ne  sera  ouvert  que  dans  le  cas 
oil  Ic  prix  serait  rcmport^.  Cette  ouverture  sera  faite  par 
M,  le  President,  en  seance  particuliere ,  afin  que  le  se- 
cretaire puisse  donner  avis  au  laureat  de  son  succes ,  assez 
h  temps  pour  qu'il  lui  soit  possible  de  venir  en  recevoir 
le  prix  en  stance  publique. 

Chaque  concurrent  adressera  son  travail  franc  de  port 
a  M.  Julien  Travers,  secretaire  de  I'AcadOmie. 


MEIHOIRES, 


M!EM®]I11 


BUR  LES 


OEUVRES  POETIQUES 

DE  MALHERBE,  DE  RACAN , 

ET  DE  QUELQUES  POETES  DE  LA  MEME  EPOQUE ; 

^av  Jl.    J.    M>atUp , 

Professeur  de  Litterature  ancienne  a  la  FacuU6  des  Leltres 
de  Rennes. 


Un  bon  poete  estbien  malheureux  de  naitre  dansun 
sieclede  mauvaisgout.  Meconnu  de  ses  contemporains, 
il  court  grand  risque  d'etre  inconnu  de  la  posterite  ,  si 
la  vraic  critique  ,  celle  qui  ne  cberche  point  le  plaisir 
de  bhimer  ,  mais  qui  s'estimc  bcurcuse  de  trouver  le 
beau  et  le  bien  pour  le  comprendre  ,  I'admirer  et  le 
monlrer  c»  lous  les  yeux ,  ne  vientlc  tirer  del'obscurit^ 
qu'il  n'apas  meritee  et  le  retablir  i  sa  place.  Mais  trop 
souvent  un  jugement  injuste  se  Iransmct  de  siecle  en 


4  S€R    LES   OEUVRES   POETIQDES 

siecle ,  parce  qu'au  lieu  d'examiner   soi-m^'me  ,    on 
trouve  plus  court  de  s"cn  rapporler  a  la  renoinmce  ,  A 
I'opinion  re^ue.  Qui  s'avise  d'ouvrir  un  poele  fran^ais 
aniciieur  au  siecle  de  Louis  XIV ,  s'il  n  a  pas  ele  nomme 
par  Boileau,  ou  s'il  Fa  ele  avec indifference  si  La  Harpe 
n'en  a  pas  parle  ,  s'il  a  fait  peu  de  bruit  de  son  vivant, 
et  a  ete  oublie  ou  neglige  apres  sa  mort?  Tel  a  ele  le 
sort  de  plusieurs  bons  poetes.  Au  contraire  ,  un  Alain 
Charlier,  par  exemple  ,  un  mauvais  faiseur  de  vers,  se 
loue  lui-meme,  se  fait  louer  .  devient  le  poele  de  la 
cour  ,  accable  ses  rivaux  de  son  mepris  el  passe  pour 
iingdnie  :rengoueinenlpourluidevienl  idqneMargue- 
rite  d'Ecosse,  fenime  de  Louis  XI ,  lui  donne  par  admi- 
ration, en  presence  de  la  cour,  un  baisor  sur  la  boucbe 
pendant  son  sommeil :  sa  reputation  usurpeelui  survit, 
et ,  malgre  le  silence  de  Boileau  ,  elle  se  perpelue  , 
pr^cisement  parce  qu'on  cite  celte  anecdote  ,  et  qu'on 
ne  lit  pas  ses  vers  ,  vers  assez  ennuycux  pour  le  faire 
oublier  i  jamais. 

On  parle  de  Villon  ,  grAce  i  Boileau  ,  pcut-etre  plus 
que  grace  A  ses  vers  ,  dontquelqucs-uns  pourlant  nieri- 
teraient  bicn  d'etre  lus  ,  et  sont  pleins  d"une  finesse  qui 
fait  dcji  pressenlir  celle  de  Marot.  Mais  il  n'y  a  pas 
long-lemps  que  Ton  connait  comme  poele  le  prince 
Charles  d'Orleans,  anlerieur  a  Villon,  auquel  il  est  bien 
sup^rieur  sous  tousles  rapports.  La  Harpe  I'a  nomme 
pour  en  ciler  quelques  vers  assez  peu  roniarquables  , 
pour  lesqu(  Is  il  secroit  oblige  de  demander  grace  en 
faveur  de  leur  anciennete.  One  ne  cilail-il  lajolie  piece 
qui  commence  par  ces  mots :  Tiegnc-toi  d'amer  qui 
poiirra  ;  ou  celle  qui  a  pour  refrain ,  Mon  cuer  qui  est 


DE   DESPORTES  ,    DE    DERTAL'T  ,    ETC.  5 

maitre  de  nioi ;  ou  celle  dont  le  refrain  est  De  ces  grands 
biens  est  ma  dame  garnie;  ou  plusieursautres  quepcul- 
etre,  il  est  vrai,  ne  connaissait-il  pas!  Nous  ne  pouvons 
resister  au  desir  d'en  citer  une  ici.  Fait  prisoanier  k  la 
balaille  d'Azincourt,ceprince  perdit  sa premiere femnie 
pendant  sa  captivite  en  Anglelerre.  II  raconle  dans  unc 
piece  allegorique  comment  il  s'en  plaignit  k  la  deesse 
de  I'Amour : 


En  la  forest  d'ennuyeuse  tristesse, 
Un  jour  m'aduint  qu'a  part  moi  chemlnoye; 
Si  renconlray  I'amourcuse  Udesse , 
Qui  m'appela  ,  demandant  oil  J'alloyc. 
Je  respondy  que  par  Fortune  Ctoye 
Mts  en  exil  en  ce  bois ,  long-temps  a, 
Et  qu  a  bon  droit  appellor  me  pouuoye 
L'homnie  esgar^  qui  ne  scait  oil  il  va. 

En  sousriant ,  par  sa  tr^s  grant  hiimblcsse, 
Me  respondy  :  Amy ,  se  je  scavoye 
Pourquoi  tu  es  mis  en  ceste  distress?  , 
De  mon  ponuoir  voulontiers  t'aideroyc ; 
Car  ja  pie^a  je  mis  ton  cuer  en  voye 
De  tout  plaisir  ,  ne  scay  qui  Ten  osta. 
Or  me  desplait  qu'a  present  je  te  voye 
L'homme  esgar6  qui  ne  scait  oil  il  va. 

H61as!  dis-je,  sonueraine  princesse, 
Mon  fait  scav6s ;  pourquoi  vous  le  diroye  ? 
C'est  par  la  mort,  qui  fail  h  lous  rudesse. 
Qui  in'a  tollu  celle  que  tant  aimoye  , 
En.qui  eslail  tout  I'espair  que  j'avoye. 
Qui  me  guydoit,  si  bien  m'accompaigna 
En  son  vivant ,  que  point  ne  me  frouuoyo 
L'hommc  osgar^  qui  no  scait  oil  il  va. 


6  SUB    LES   OEUVRES   POfeTIQL'ES 

ESVOT. 

Aveugle  suis  ,  ne  scay  on  aller  dove; 
De  men  baston  ,  de  peur  que  ne  fouruoye, 
Je  yais  tastant  mon  chcmin  ca  et  Ici ; 
C'est  grant  pitie  qu'il  convienl  que  je  soye 
L'honime  esgar^  qui  ne  scait  ou  it  Ta. 

Tonles  les  beaules  de  celte  piece  cliarmante  sont 
dues  au  talent  de  Tauteur ;  tous  les  defauts  tiennent  k 
son  epoque.  Voili  le  poete  auquel  Alain  Cbartier  elait 
prefere  par  ses  conteraporains  ,  et  qui  depiiis  a  ele  si 
long-temps  inconnu.  Et  Froissard ,  conteniporain  de 
Charles  d'Orleans  ,  justement  estime  comme  chroni- 
queur  ,et  dignede  I'etre  comme  poete !  La  Harpe  n'en 
a  parle  sons  aucun  rapport.  Cependant  ses  vers  faciles 
et  ingenienx  ,  ses  poesies  souvenl  pleines  de  grSce  ,  ses 
rondeaux  pour  la  plupart  si  bien  tournes  ,  auraient  du 
seuls  lui  valoir  une  reputation  superieure  i  celle  de 
Villon  ,  qui  vint  apres  lui. 

Clement  Marot  est  generalement  connu  et  apprecie, 
Les  eloges  merites  que  lui  ont  donnes  Boileau  et  La 
Harpe  nedoivent  cependant  s'appliquer  qiik  la  moindre 
partie  de  ses  poesies.  II  a  paye  largement  son  tribut  au 
mauvais  gout  de  son  epoque. 

Une  autre  renommee  bien  plus  exurbilante  que  celle 
d' Alain  Chartiep,  c'est  celle  de  Ronsard.  Un  siecle  de 
mauvais  gout,  ou  cependant  la  litterature  est  bonoree, 
a  besoin  de  se  creer  ainsi  une  idole  dans  laquelie  il 
puisse  s'admirer  lui-mcme.  Ronsard  s'erapara  de  ce 
r6Ie:  il  se  loua ,  comme  Alain  Cbartier ,  sefit  loner  par 
sa  Pleiade,  passade  son  vivant  pour  le  plus  grand  poete 
qui  euf  jamais  exisle  ,  et  les  etrangers  memes  prircut 


DE    DE8P0RTES ,    DE    BERTAtT  ,    ETC.  7 

part  i  ce  conceit  do  loiianges  qui  nous  etonne.  Roiisard 
osl  du  i^elit  nonibre  des  auteurs  que  La  Ilarpe  a  assez 
bien  juges,  parce  qu'avant  d'en  par'er,  il  a  piis  d'abord 
la  peine  de  lire  au  moins  une  partie  de  leurs  ceuvfes. 
II  n'a   pas  connu  tout  Ronsard  j   mais  cc  qu'il  en  a 
ignor6  n'est  pas  beaucoup  meilleur  que  le  rcste,  Aussi 
en  a-t-il  dit  j\  peu  pr^s  tout  le  bien  qu'on  en  peut  dire, 
lorsqu'il  a  loue  en  lui  la  bonne  intention  de  donner  k 
notre  langue  plus  de  noblesse.  C'est  en  vain  que  de  nos 
jours ,  pour  rehabilUer  ce  poete  depuis  long- temps  juge, 
on  a  cite  de  lui ,  non  pas  les  pieces  qui  font  connaitrc 
sa  maniere  habituelle ,  celles  sur  lesquelles  se  fondait 
iiurtout  son  immense  reputation  ,  c'est-a-dire  ses  vers 
beroiques  el  lyrique5,cha;  giJisiJe  mots  grecs  et  latins, et 
dans  lesquels  il  s'imaginait  imiler  Pindare  et  les  autres 
poetes  anciens;  mais  des  sonnets,  des  madrigaux   et 
d'aulrespelitis  pieces  galaiites,  pour  la  plupart  invitees 
do  I'italien,  et  presque  loutes  inferieures  k  celles  que 
beaucoup  d'autrespoetes  faibles  ont  failes  dans  le  mcme 
genre  avant  et  apreslui.  On  y  trouve  de  I'esprit  presque 
toujours  mal  employe  ,  de  Tobscurile  ,  deraffcclaliun, 
du  raauvais  gout,  souvent  derind^cente  ,  presque  ja- 
mais de  verile  ni  de  sentiment. 

Entre  I'ecoLe  de  llonsard  et  Malberbe  ,  La  Harpe  a 
aper^u  Despartes ,  dont  il  a  dit  un  mot  en  passant , 
el  il  a  oublie  Bertaut ,  que  Boileau  a  seulement  norame 
pour  memoire.  II  est  cependant  important  de  voir  la 
transition  de  Ronsard  i  ce  Malberbe  ,  qui  vient ,  sui- 
vant  Boileau,  reparor  a  lui  seul  la  langue  poetique  de 
notre  pays.  Que  serait-ce  si  cetto  langue  etait  deji  en 
grand  e  par  lie  reparee  avant  lui  par  ccsdeux  poeles 


8  SDR   LBS   0EUTRE9   POtXIQUES 

qu'onoublie?  Que  serait-ce  si  Tun  d'eux  n'avait  gu^rc 
etc  surpasse  par  Malherbe  pour  la  purete  de  la  languc , 
pour  la  versification  et  le  style  ,  ct  lui  etait  superieur 
pour  la  pens6e  et  le  sentiment  ? 


DESP0RTE9. 

Philippe  Desportes,  ne  k  Chartres,  oncledu  satirique 
Regnier,  s'etant  faitconnailre  k  lacour  par  ses  poesies, 
alia  passer  neufniois  en  Pologne  k  la  suite  d'Henri  , 
frere  de  Charles  IX,  elu  roi  de  ce  pays  en  iSyS.  Ce 
prince  etajit  devenu  roi  de  France  en  1574  ,  Desportes 
fut  en  faveur  aupres  de  lui ,  et  fut  nomme  abbe  de 
Tiron,  de  Josaphat,  des  Vaux-de-Cernai  ,  de  Bon- 
Port  et  d'Aurillac ,  chanoine  de  la  Sainte-Chapelle  , 
lecteur  de  la  chanibre  du  Roi  et  conseiller  d'Etat.  II 
mourut  k  Paris  ,  sous  le  regne  d'Henri  IV  ,  en  1606  , 
la  meme  annee  que  naquit  le  grand  Corneille.  Ses 
ceuvres  poetiques  se  composent  de  289  sonnets,  3i 
chansons,  3  odes ,  12  pieces  en  stances,  5  dialogues, 
4  epigrarames,  16  complainles ,  23  elegies,  i5  discours 
ou  cartels,  et  de  plusieurs  fragments librement  imites 
de  I'Arioste ,  dont  trois  tres-etendus  :  I'un  intitule 
Roland  furieux ;  I'autre ,  La  mort  de.  Rodomont  et  aa 
descente  aux  eii/ers ;  \e  troisieme  ,  Angclique ,  conti- 
nuation du  sujet  de  I'Arioste.  Quant  aux  pelites  pieces 
detachees,elles  sont  distribuees  en  cinq  rccucils,  savoir: 
i".  Amours  de  Diane  en  deux  livresj  2°.  Amours  d'llip- 
polytej  3°,  Recueilde  17  elegies, suivies  d'un  discours  en 
vers ;  ^°.  Melanges ;  5".  Pieces  chreticnncs.  Toutes  les 


DE   DBSPORTES  ,    DE    BERTALT  ,    ETC.  9 

poesies  des  trois  premiers  recueils  et  la  plupart  de  cellos 
du  quatrieme  roulent  sur  Tamour  ou  pliU6t  sur  la  ga- 
lanterie.  Les  Amours  de  Diane  et  d'HippoIyte  sont  des 
recueils  dans  le  genre  des  Amours  de  Cassandre  ,  de 
Marie  ,  d'Astree  ,  d'Helene  ,  etc.  ,  par  Ronsard  , 
quoique  d'un  peu  meilleur  gout,  ce  qui  n'est  pas  beau- 
coup  dire.  Desportes  a  ete  nomnie  le  TibuUe  Francais 
pour  deuxqualites  qu'il  possede  ;  mais  qui  n'auraient 
pas  du  suffire  pour  lui  valoir  un  si  beau  surnom  ,  la 
douceur  et  la  facilite  de  ses  vers.  II  a  rendu  un  impor- 
tant service  i  la  langue ,  en  no  suivant  point  la  fausse 
voie  qu'avait  ouverte  Ronsard  pour  le  style  des  sujets 
eleves.  II  n'a  iniite  dans  Ronsard  que  le  style  des  poe- 
sies galantes ,  en  le  rendant  un  peu  plus  naturel.  Mais 
dans cette  imitation,  il  n'a  pas  eu  besoin  ,  comme  le 
jjrctendLallarpc,  d'effacer  la  rouille  iniprimee  anotre 
versification ,  eu  la  tirant  du  chaos  ou  I'avait  plongee 
I'ecole  de  Ronsard.  La  Harpe  aurait  du  savoir  que  les 
ojuvres  de  Joachim  Dubellay  ,  I'un  des  sept  poetes  de 
la  Pleiade  ,  contiennent ,  dans  la  seconde  partie  ,  dans 
celle  qti'il  composa  apres  avoir  secoue  le  joug  de  Tecole 
affeclee  de  Petrarquecl  de  I'ecole  p^danle  de  Ronsard, 
de  charmantes  poesies  legeres  ,  enjoueos  et  souvent 
satiriques,  dont  le  style  ,  s'il  etait  moins  incorrect , 
ressemblerait  assez  a  celui  de  Desportes  dans  les  pieces 
du  meme  genre.  II  aurait  du  savoir  que  Ronsard  lui- 
nieme  a  eu  ,  suivant  les  sujets ,  deux  styles  tout  diffe-" 
rents  ,  quoique  mauvais  tous  deux  ,  et  qu'il  a  reserve 
ses  grands  mots  forges  a  la  grecque  ,  uniquenient  pour 
les  poesies  ou  il  a  voulu  ctrc  sublime.  Des[tortes  .  qui 
n'a  pas  eu  cclte  pretention  ,  n'en   a  pas  fait   usage  , 


lO  SIR    LES   OELVUES   POETIQUES 

cxcople  dans  un  scul  vers  ,  ou  il  dit  que  les  eniicuiis 
fuyaient  devaiU  Roland  furieux  , 

comme  dedans  la  plaine 

Fuit  au-devanl  du  loup  le  mouton  parte  la  inc. 

Desportes  a  observe  ordinairement  le  melange  des 
rimes  masculines  ol  feminines  ,  qui  avail  doji  com- 
mence i  prevaloir  depuis  Octavien  do  Saint-Gelais  ; 
cependant  il  a  fait  quelques  pieces  ou  toutes  les  rimes 
sent  feminines  ,  d'autres  oii  toutes  les  rimes  sont  mas- 
culines ,  d'uutres  ou ,  par  le  croisement  des  rimes , 
deux  rimes  feminines  differenles  se  rencontrent  dans 
deux  vers  consecutifs.  11  a  evile  avec  soiu  Tenjanibe- 
ment;  mais,  quoi  qu'en  disc  La  llarpe,  Y hiatus  se  Irouve 
encore  souvent  dans  ses  vers.  Du  reste  la  coupe  en  est 
assez  lieureuse  ;  sa  phrase  pootique  est  ordinairement 
Larmonieuse  et  assez  bien  tournee  ,  et  ses  inversions 
sont  raremenl  forcees. 

Get  auteur  a  depense  une  grande  finesse  d'esprit  i 
combiner  des  mots  et  des  sons  ;  il  a  donn6  beaucoup 
de  souplesse  k  un  instrument  dont  d'autres  apres  lui 
ont  su  mieux  ee  servir.  La  Harpe  a  raison  de  dire  en 
general  que  Desportes  est  faible  d'idees  et  de  style. 
C'est  un  de  ces  auleurs  qui  babillent  avec  une  facilile 
desesperanle ,  precisement  parce  (ju'ils  n'ont  rie«  i 
dire.  Sous  le  rapport  de  la  decence  ,  Desportes  a  ete  en 
general  plus  reserve  que  Marot ,  quil  a  imite  dans  ses 
meilleures  pieces.  II  n'a  guere  pousse  I'lndecence 
jusqu'i  I'obscenite  que  dans  une  pi(^ce  intilulee  De  la 
chasse.  Mais  I'affeterie  italienne  portee  a  I'exces  .  les 


DE    DESPORTES  ,    DE    BERTAVT  ,    ETC.  1  i 

jeiix  (l'cs])rit ,  les  jeux  de  mots  ,  Ics  concetti ,  les  anti- 
Ihcsos  ridicules  ,  voili  ce  que  Ton  trouve  ,  au  lieu  dc 
pensees  et  desentiniculs  ,  dans  toule  la  paiiic  de  s's 
opuvresoii  il  a  iniile  Ronsard.  Ses  Irop  nombreux  son- 
nets, dont  les  meilleurs  ne  sont  que  passables,  faligucnt 
tellenient  par  leur  soporifique  uniforniite ,  qu'on  est 
heuroux  de  rencontier  §a  et  Itk  pour  se  recreer  quelques 
vers  extravagantSjComnie  ces  vers  d'uu  sonnet  spirituel  • 

Seigneur,  d'un'de  tes  clous  je  veuxfaire  ma  plume  , 
Hon  encre  de  ton  sang ,  man  papier  de  la  croix  ,  etc. 

Ou  comnje  ces  vers  d'une  pi^ce  galante :  raniour  , 
dit  I'auteur  ,  Iroubla  men  esprit ,  et  fit 

De  mon  occur  son  fnurncau  ,  ses  charbons  de  mts  veines  , 
nies  poumons  ses  soufflets  ,  de  mes  yeux  sesfontaines  , 
Qui  tans  jamais  larir  coulenl  incessamment ,  etc. 

Voyez  aussi  les  syllogismes  rimes  de  la  4"-  elegie.  II 
faut  dire  pourtant  que  de  pareilles  absurdites  sont 
rares  dans  les  oeuvres  dc  Desporles  ,  ou  il  se  trouve 
beaucoup  de  vers  dont  la  faiblesse  et  la  monotonie  sont 
presque  les  seuls  defauts.  Quand  il  a  eu  de  bonnes  idees 
A  exprimer  ,  il  V&  fait  quelquefois  avoc  bonheur.  Ainsi 
dans  son  chant  (famour,  on  trouve  quelques  vers  assez 
beaux  ouil  imit  e  un  passage  du Banquet  de  Platon.  Dc 
meme,  il  y  a  de  beaux  passages  dans  ses  imitations  de 
I'Arioste  ,  et  on  reconnaitaisementtileur  faiblesse  ceux 
ou  il  quitte  son  niodele  pour  in\  enter  lui-meme.  11  a 
meme  assez  bien  reussi  dans  le  genre  Doblc  et  elcve  en 


12  sun   LES   OEL'VUES    POETIQUES 

paiaphrasani  iin  psaumc.   Voici  les  deux  premieres 
strophes  de  cette  paraphrase : 

Dilivre-moi ,  Seigneur,  de  la  mort  eternelle, 
Et  regarde  on  pitie  mon  hme  criminclle, 
Languissante  ,  6tonnee,  el  Iremblantcd'clTroy: 
Cache-la  sous  Ion  aile  au  jour  6pouvanlabIo, 
Quand  la  lerreet  Ics  cieux  s'eiifuiront  devanl  toy, 
En  le  voyantsi  grand,. si  saincl,  si  rcdoutable. 

Au  jour  ou  tu  viendras ,  en  la  majesty  saincte , 
Pour  juger  ce  grand  tout ,  qui  fr(5mira  de  crainte, 
te  reduisant  en  rien  par  tes  feux  allumez: 
0  jour ,  jour  plein  d'horreur ,  plein  d'ire  et  de  misires , 
De  cris ,  d'ennuis ,  de  plaints ,  de  soupirs  enflammei , 
De  grincemenls  de  dents  et  de  larnaes  am^res  I 

Desportes  a  fait  quelquefois  allusion  aux  malheurs 
des  guerres  civiles  ,  et  il  a  trouve  sur  ce  sujet  quelques 
vers  plus  energiques  qu'on  ne  s'y  attendrait  d'apr6s  le 
ton  ordinaire  de  ses  poesies  : 

Durant  le  temps  piieux  que  la  France  embras<5e 

Tournoit  le  far  centre  elle,  en  deux  parts  divisde ; 

Voyanlen  tant  de  lieux  ses  champs  ensanglantez 

Du  sang  de  ses  enfants  meurtris  (1)  de  tous  costez ; 

Voyant  estinceler  tant  de  luisantcs  armes , 

Les  deux  camps  opposez ,  tant  d'assauts ,  tant  d'allarmes ; 

Voyant  mes  compagnons  moiirir  devanl  racs  yeux , 

EsmaUlanl  de  leur  sang  un  lombeau  glorieux  , 

J'attendois  d'heure  en  heure  une  mort  asseur^e, 

Et  voir  de  mille  coups  ma  poitrine  honoree ; 

J'attendois  la  prison ,  et  lesautres  hazards , 

Ordinaire  loyer  des  serviteurs  de  Mars ; 

Mais  le  ciel  rigoureus  me  r^serva  la  vie,  etc.         El^gie  8'. 

(i)  Meurtrir — tuer. 


DE  DESPOBTES  ,  DE  DERTAUT  ,  ETC.       l3 


SONNRT  A  LA  FRANCE. 

Du  sommcil  qui  tc  dost  Ics  yeux  et  la  pens6e , 
Sus !  r6veille-toi ,  France ,  en  celte  extr6mit6 : 
Voy  le  cici  contre  toy  par  toy-m^me  irril6  , 
Et  regarde  en  piti6  comme  tu  I'es  blessde. 

C'est  assez  contre  toi  ta  vengeance  exercee  , 
C'est  assez  en  ton  sang  Ion  bras  ensanglant^ ; 
El  quant  ton  coeur  felon  n'en  serait  contents , 
Pourtantde  t'affoler{i)  lu  dois  estre  lassde. 

Toy  qui  fus  autrefois  TelTroy  de  I'estranger , 
Or  (2)  tu  es  sa  ris(5e  ,  et  soumise  au  danger, 
Tanitis  que  tu  deiiens  a  toi  meme  cruelle. 

Qu'il  sorte  pour  domler  ton  coeur  em'tnime 
Et  face  comme  on  voit  un  grand  loup  affamd , 
Qui  de  tout  un  troupeau  sdpare  la  querelle ! 

Ce  sonnet  vaut  mieuxquetous  Ics  sonnelsdes  Amours 
de  Diane  el  d'Hippolyle. 

Dans  un  genre  plus  simple,  on  pent  citer  deDesportcs 
une  ode  au  sommeil  ,  elegamment  vorsifice ,  et  une 
chanson  en  t6  couplets  sur  les  charmos  do  la  vie  cliam- 
petre,  assez  belle,  quoique  bien  inferieurc  aux  celi-bres 
stances  de  Racan.  On  y  trouve  ce  joli  couplet  vraiment 
parfait  dans  son  genre  : 

Que  de  plaisir  de  voir  deux  colombellcs 
Bee  contre  bee,  en  tremoussant  des  ailes, 
Mille  baisers  se  donncr  tour  a  tour ! 
Puis  ,  lout  ravi  de  Icur  grAcc  naive , 
Porniir  au  frais  d'une  source  d'cau  vlvc, 
Dont  le  doux  bruit  semblc  parler  U'amour ! 

(i)  AffolcT — Corruinpi-«  ,   dctruiio. 
(?)   Or  —  maintc-naut. 


I^  SIR    LES   OEtvnES   POETIQUES 

Sur  le  mi-me  sujel  on  pent  enooro  ciler  avcc  cloge 
un  (liscojirs  adresse  par  Desportes  k  des  amis  qui  vivent 
A  la  com\ 

Aucune  de  sespoesiesn  exprimeun  sentiment  tendrc 
et  profond  ;  mais  quelqnes-unes  sont  assez  gracieuses. 
Tels  sont  les  sonnels  23^  et  6l^  du  premier  livre  des 
Amours  de  Diane ,  le  49"  sonnet  du  second  livre  ,  et  le 
sons;e  insere  dans  cc  meme  livre. 

Telle  est  aussi  unc  jolie  complainte  dontle  refrain  est 
Ht^las  /  douce  riviere,  ou  estmon  chcr  Philandre?  Nous 
en  cilerons  la  premiere  strophe  ,  surtout  pour  y  faire 
remarquer  un  rhythme  heureux  et  varie  ,  ou  il  est 
fAcheux  que  les  rimes  masculines  et  feminines  ne  soient 
pas  melangees  regulieremenl : 

Chcrchcz ,  mes  Irislcs  ycux ,  cherchez  de  lous  costei , 
Vous  ne  troiiverez  point  ce  que  vous  soiihaitez , 
Vous  ne  verrcz  plus  ricn  qui  vous  soil  agreable! 
Et  vous  ,  riches  tresors  du  piintcmiis  d(^.sirable  , 
0  prcz  ,  tesmoings  secrets  de  mon  contcntemcnt , 
Oii,  plcinc  de  desir,  j'altcndoy  mon  amanf , 
Accusant  (judquefoissa  troplongue  demcure, 
Las !  portez  le  regret  de  son  esloignement, 
Et  pleigncz  de  piti6  la  douleur  que  j'endure  ! 

Ce  fust  ici  qu'il  me  dist  sa  pens^e, 

Dont  je  feigny  me  sentir  olTens6e , 
L'appclant  tcm^rairc; 
Mais  ma  feinte  colere , 

Voyant  scs  pleurs,  fust  bien  soudain  pass(?e. 
Car  cussi5-je  voulu  contre  Amour  me  defendre  ? 
Helas !  douce  riviere ,  ou  est  mon  chcr  Philandre  ? 

II  y  a  plusd'esprit  que  de  bon  goiH  dans  les  trois 
pieces  inlitulees  Le  proccs  d' Amour  au  siege  de  la  Rai- 


DE    DESPOHTES  ,    DE    BERTAIT,    ETC.  l5 

son  .  Le  tomhcau  d' Amour ,  cl  Le  cnricl  sur  la  mort 
fie  I' Amour.  Dan?,  rcUe  dornioro  piece  ,  on  trouvcune 
romparaisnn  saliriqiic  de  ramour  veiifable  dc  I'j^ge 
d'or  avec  le  faux  amour  qui  dcpuis  a  usurpe  sa  place. 
Celte  meiiie  comparaison  estmieux  developpee  dans  les 
cent  premiers  vers  de  la  y"".  elegie.  II  y  a  de  I'esprit 
aussi  dans  la  protestation  d'amour ,  dont  le  refrain  est, 
avec  quelques  changenients,/^MSwa'o«5  nele  croyezpas; 
dans  ses  stances  contre  le  mariage  ,  qui  sont  une  satire 
contre  les  femmes  ,  et  dans  beaucoup  d'autres  petites 
pieces  ,  qui  malheureusement  pour  la  plupart  sont  loin 
d'etre  irreprochables  sous  le  rapport  du  gout.  Mais  lo 
chef-d'ojuvrc  de  Desportes ,  dans  le  genre  sat irique  , 
ce  sont  ses  Adieux  a  la  Pologne.  H  parait  que  le  poele 
ne  s'y  etait  pas  tronve  mieux  que  le  roi.  Le  resscnli- 
nient  d'un  homme  qui  s'est  beaucoup  ennuye  parle  dans 
ces  vers  bien  tournes  et  assez  energiques  : 

Adieu,  Pologne,  adieu,  plaincs  dcserles, 
Toujours  do  neigc  ou  de  glare  couvcrtes! 
Adieu  ,  pait  d'uri  cUrriel  ailitu  (1) ! 
Ton  air,  tcs  moeurs  ni'onl  si  fortsceu  desplairc, 
Qu'il  faudra  bien  que  lout  me  soil  contraire, 
Si  jamais  plus  jc  retourne  en  ce  lieu. 

Adieu ,  maisons  d'admirable  structure, 
I'oislcs,  adieu,  qui  dans  vosire  cioslure 
Mille  animaux  peslc-m61e  cntasscz, 
Filles ,  garrons ,  veaux  et  bceufs  tout  ensemble  I 
Un  tel  mesnage  i  I'Age  d'or  ressemble , 
Tant  regrctt^  par  les  sicclcs  passez. 

(i)  C'est-A  (lire  ou  il  failt  >lirc  a<liiii  iterncUiniint  \  tout  ce  qui   pent  p!air« 
daiiii  la  Tie. 


SUR   LES    OEUVBES   POETIQUES 

Quoy  qu'on  mc  dlsl  de  vos  mceurs  incivilcs, 
De  vos  habits ,  de  vos  meschantcs  villes, 
De  vos  esprits  pleins  de  16gcrel6, 
Sarmatcs  Tiers ,  je  n'en  voulais  rien  croire , 
Ny  ne  pensois  que  vous  pussiez  tanl  boire : 
L'eusse-je  creu  ,  sans  y  avoir  est6  ? 

Barbare  people ,  arrogant  el  volage , 
Vanteur,  causeur ,  n'ayant  rien  que  langage; 
Qui,  jour  et  nuil  dans  un  poisle  enferm6 , 
Pour  tout  plaisirsc  joue  avec  un  vcrre , 
Ronfle  i  la  table,  ou  s'endort  sur  la  terre, 
Puiscomme  un  Mars  veut  ftre  renomm^. 

Ce  ne  sonl  pas  vos  grand's  lances  creus6es , 
Vos  peaux  dc  loup ,  vos  armes  d6guisdes 
Oii  maint  plumage  et  maint  aile  s'^tend, 
Vos  bras  charnus,  ny  vos  traits  redoutables , 
Lourds  Polonais  ,  qui  vous  font  indomtables; 
La  pauvrct6  seulcmenl  vous  d(?fend. 

Si  vostre  terre  estait  mieux  culliv^e , 
Que  fair  fust  doux ,  qn'ellefust  abreuv6e 
De  ciairs  ruisscaux  ,  riche  en  bonne  cilez  , 
En  marchandise,  en  profondes rivi6res , 
Qu'clie  eusl  des  vins,  des  ports  et  des  minieres, 
Vous  ne  scriez  si  long  temps  indomtds. 

Les  Othomans ,  dont  lame  est  si  bardie , 
Aiment  mieux  Cypre  ou  la  belle  Candie  , 
Que  vos  deserts  presque  toujours  glacez , 
Et  I'AlIemand ,  qui  les  guerres  d<'mande , 
Vous  dedaignant,  court  la  terre  Flamandc  , 
Oiises  labeurssont  mieux  r^compensez. 

Neut  mois  entiers,  pour  complairc  a  mon  maislrc, 
Le  grand  Henry ,  que  le  ciel  a  faicl  naistro , 
Comme  un  btl  astre  aux  humains  flamboyant , 
Pour  cc  d6serl  j'ai  le  France  hiissee , 


DK   DESPORTES  ,    DE   BERTAUT  ,   ETC.  1 7 

Y  consumant  ma  pauvre  ame  blessdc , 
Sans  nul  confort,  sinon  qu'en  Ic  voyant. 

Face  le  ciel  que  cc  valeureux  prince 

Soil  bicn  tost  roy  de  quelque  autre  province, 

Riche  de  gens  ,  de  citez  ct  d'avoir ! 

Que  quelque  jour  a  I'Empirc  il  parvienne, 

Et  que  jamais  ici  je  ne  revienne , 

Bien  que  men  coeur  Boit  bruslant  de  le  voir ! 

Les  voeux  du  po^te  ne  tard^rent  pas  ,  commc  on 
sail  ,  i  6lre  cxauces.  Henri  III,  s'etant  soustrail  par 
la  fuite  a  Tamour  de  scs  siijels  pen  obeissanls ,  succeda 
cette  meme  annee  k  son  frere  snr  le  IrAne  de  France. 

Dans  un  genre  moins  amer  et  plus  gracieux  ,  voici 
des  vers  dont ,  exccptc  un  seul  hialux  ,  la  facture  est 
parfaite,  ct  qui,  pour  la  finesse,  I'esprit ,  la  delicatesse, 
valent  les  raeilleurs  de  Clement  Marot : 

Rozetle ,  pour  un  pcu  d'absencc , 
Voire  cosur  vous  atez  change  , 
Et  moi  scachant  celle  inconslance , 
Le  mien  autre  part  j'ai  range. 
Jamais  plus  beaut6  si  legere 
Sur  moy  tant  de  pouvoir  n'aura: 
Nous  verrons ,  volage  bergere. 
Qui  premier  s'en  repentira. 

Tandis  qu'en  pleurs  je  me  consume , 
Maudissant  cet  esloignemcnt , 
Vous  qui  n'aimez  que  par  couslumc 
Caressiez  un  nouvel  amanl: 
Jamais  legere  girouette 
Au  vent  si  tosi  ne  se  vira. 
Nous  verrons,  bergere Rozellc, 
Qui  premier  s'en  repentira. 


Oil  soul  UmiI  <Ic  jnoiiKiWKst  saiiilM, 
Tom!  iv  |il«!Ui»  *<;i(i««  «ii  purtontt 

fctil-ll  villi  Mill'  ci;«  irislH*  ploiiil«6 
Swrliwi^iit  dim  cwur  iiicoiislant t 
liiruji !  que  vous  •■sUsb  meiisoiigerf ! 
Maudil  soil  Mui  plus  vous  croira! 
^ous  vcrroii); ,  vola;;''  bciKen- , 
Qui  preinior sen  repentira. 

Celui  qui  o  gaign^  ino  plaw , 
Ne  vouo  peut  aimer  laul  que  mor ; 
El  cclle  qupj'aiiiie  vouf  passe 
De  beaul*  ,  d  niiiour  et  dc  Toy. 
Gardei  bieii  vuslre  aniilii  iieuve; 
La  inieime  plus  lit  varira  : 
Et  puis  II0U8  verrons  ii  I'esiireuve 
Qui  premier  e'en  repentira. 

Quel  lour  ingenieux  dang  cette  epigtamme  I 

Je  I'apporte,  6  Sommeil ,  du  vin  dc  quatre  aiir>6e«, 
Dn  laid .  des  pavots  noirs  aux  testes  couronnto : 
Veuille  les  ailerons  en  ce  lieu  desployer . 
Tant  qu'Alizon  la  vieillc  accroupke  au  foyer. 
Qui  d  un  pouce  retors ,  el  dune  deni  mouiilte, 
Sa  quenouille  chargee  a  quasi  depouiU6e  , 
Laisse  cheoir  le  fuzeau ,  cesse  dc  babiller , 
El  de  tonte  la  suit  ne  se  puisse  esveiller, 
Afin  qu'a  mon  plaisir  j'euibrasse  ma  rebelle , 
L'amoureuse  Tsabeau .  qui  soupirc  aupres  d'elle. 

Nous  poumons  citer  encore  dans  ce  mcme  genre 
qui  est  vraiment  celui  de  Lesporles  ,  comme  celui  t 
Marot  ,  une  autre  cpigramme  non  moins  jolie ,  et  la 
tbanson  qui  commence  par  ce  vers  :  Quand  vous  aurtz 
un  ccernr  plcin  d'amoinet  de  fo^  .  quelques  sonnets  tire* 


DE^DESPORTES  ,    DE    BERTAIT  ,    ETC. 


'9 


dps  Meslangcs ,  et  quelques  autres  petites  pieces  :  mais 
elles  ont  moins  de  merite  que  les  precedentes  ,  et  nous 
croyons  avoir  fait  connaitre  suffisamment  ce  quil  v  a  de 
bon  dans  Desportes ,  poele  spirituel .  ingenieus  ,  qui  a 
fait  un  certain  nombre  de  jolis  vers ,  quand  il  a  pris  le 
ton  qui  lui  convient ,  mais  qui  a  fait  beaucoup  de  poe- 
sies ennuyeuses  et  pleines  d'lme  affectation  puerile  , 
quand  il  a  voulu  prendre  le  ton  faux  de  la  galanterie  , 
et  qui ,  nial(;re  ses  defauts  ,  a  rendu  un  important  ser- 
vice a  la  poesie  franc^aise,  en  la  ramenant  des  traces  de 
Ronsard  sur  celles  de  Marot. 

DE  QUELQUES  POETES  DE  LA  MEME  EPOQUE. 

Enlre  Ronsard  et  Desportes,  mais  bien  au-dessous 
de  tous  deux ,  se  place  le  poete  Iragique  Garnier  ,  qui 
fut  leur  contemporain.  Robert  Garnier  ,  ne  a  La  Fertc- 
Bernard,  conseillerdu  roi, lieutenant-general  criminel 
an  siege  presidial  et  senechaussee  du  Maine  ,  nous  a 
laisse  un  recueilde  tragedies,  qui  seraicnt  bien  courles, 
si  Ton  en  retranchait  les  monologues  el  les  declamations 
de  tout  genre.  C'est  un  amalgame  bizarre  de  traduc- 
tions de  Seneque  le  tragique  ,  et  plus  rarement 
d'Eschj'le,  de  Sophode  et  d'Euripide,  puisde  Pindare, 
d'Horace  ,  d'Ovide  ,  des  psaumes  ,  etc. :  el  dans  quel 
slyle  !  Quelquefois  c'est  le  style  barbare  de  Ronsard 
avec  les  nicmes  pretentions  au  sublime,  mais  avec  plus 
de  platitude ,  avec  les  mots  bizarrement  forges  ,  les 
mots  grecs  et  latins  ,  mais  pourtant  avec  un  peu  plus 
de  reserve  dans  leur  emploi.  Quelquefois,  au  contraire. 
c'est  un  slylp  prcsque  fran^ais ,  mais  lourd  ,  trainanl  , 


2()  SUR    LES   OEUVRES   PUETIQDES 

etqui  ne  so  distingue  de  la  prose  la  plus  triviale  que 
par  la  rimeet  la  gone  de  la  versification.  Mieux  valait 
encore  le  style  extravagant  du  poele  tragique  Jodelle, 
disciple  plus  fidele  de  Ronsard  ,  et  par  consequent  jilus 
admire  du  maitrc.  Ronsard  declare  que  Jodelle  et 
Gamier  sont  tons  deux  admirables,  mais  qu'en  jugeant 
le  proces  de  ces  deux  rivaux , 

S'il  faut  cspeluchcr  de  pres 

Le  vieil  artiGce  des  Grecs , 

Les  vcrtus  d'un  oeuvrc  el  Ics  vices, 

Le  siijct  el  Ic  parlor  haul , 

Et  les  mots  bien  cboisis,  il  fiiul 

Que  Garnicr  paye  les  espices. 

Plus  loin  ,  A  propos  des  ceuvres  de  Racan  ,  nous 
auron«  Toccasion  de  citer  un  exemple  de  ce  parler  haiu 
et  de  ces  mots  bien  choisis,  trop  rares  ,  an  jugement  de 
Ronsard  ,  dans  les  ceuvres  de  Garnier.  Ce  parler  haut 
nous  semblera  bien  bas  aupres  de  la  noble  simplicile 
de  Racan. 

Laissons  li  I'ecolede  Ronsard  et  sa  tentative,  louable 

en  elle-meme ;,  mais  tres-malheurcuse ,  pour  doniier  k 

notre  langue  poetique  I'elevation  qui   convient   aux 

grands  sujets.  Disons  qnelques  mots  d'un  poete  con- 

temporain  et  disciple  de  Desportes  ,  Vauquelin  de    La 

Fresnaie,  n^  k  Falaise,  et  qui  fut  j)resident  an  bailliage 

de  Caen.  Nous  avons  delui  un  grand  nonibre  de  poesies 

pastorales  intitulees  Forestcrics  ,  des  vers   satiriques , 

des  poesies  legi^res,  des  sonnets,  des  chansons,  des  epi- 

grammes  ,  etc.  ,  pour  la  plupart  d'un  genre  beaucoup 

trop  licencieux.  II  avail  compost  un  poeme  epiquc  sur 


DE   DESPORTES  ,    DE   BEHTAUT  ,    ETC.  2! 

David.  Ce  poeine ,  qui  n'a  jamais  vu  le  jour ,  aurait  ete 
dcril  dans  un  style  tres-inferieur  au  sujet  ,  A  en  juger 
par  les  cinquante  premiers  vers  que  Vauquelin  cite  dans 
le  meilleur  de  scs  ouvrages  ,  dans  son  Art  poetique , 
compose  par  ordre  du  roi  Henri  III.  Le  style  de  Vau- 
quelin est  trop  diffus ,  peu  elegant ,  et  manque  de 
noblesse  lA  ou  cette  quality  serait  necessaire  ;  mais  en 
general  il  est  correct, facile  et  ingenieux,  commc  celui  do 
Desportes,  qu'il  vante  beaucoup  et  qu'il  prend  evidem- 
ment  pour  modele.  Commelui,  Vauquelin  s'estpermis 
V/iiatus  :  A  cela  pri's,  sa  versiGcation  est  assez  reguliere, 
surtout  dans  cet  Art  po^lique  ,  oil  d'ailleurs  il  niontre 
assez  de  bon  sens  et  de  gout ,  et  des  connaissances  Ir^s- 
vari6es.  II  paraphrase  ordinairement  I'Art  po6tique 
d'llorace  ,  non  sans  y  ajouter  des  observations  justcs 
qui  ne  manquent  pas  de  finesse.  Mais  il  profcssc 
trop  d'admiration  pour  les  genres  de  poesie  en  vogue 
A  son  epoque  ,  el  surlout  pour  I'^cole  de  Ronsard  ,  k 
laquelle  cependant  il  n'appartient  pas  :  il  emprunte 
menie  A  son  devancier  Ronsard  quelques  faux  prin- 
cipes  bien  differents  de  ceux  d'llorace.  L'histoire  de  la 
poesie  franijaise  ,  disseminee  dans  le  poeme  de  Vauque- 
lin ,  est  loin  d'etre  sans  interet ,  et  continue  d  en  faire 
pardonner  la  marcbe  languissante  et  le  style  sou  vent 
bien  faiblc.  L'ouvrage  entier,  avec  ses  defauls,  nelaisse 
pas  d'etre  remarquable  pour  cette  epoque.  Boileau  en 
a  quelqucfois  profile  ,  sans  le  uommer  jamais.  Voici  les 
derniers  vers  de  I'Art  poelique  de  Vaucpielin  de  La 
Fresnaie.  lis  sonl  du  nombre  des  meilleurs  ,  et  peuvent 
doni:er  une  idee  de  son  style  ,  certainemcnt  inferieur 
a  celui  de  Desportes : 


22  SUR    LES   OEUVRES   POETIQIIES 

Je  coinposoy  eel  ^rt  pour  donner  am  Francois, 
Quand  vous,  Sire,  quittant  le  parler  Polonnois, 
Voulutcs ,  reposant  dessous  le  bel  ombrage 
De  vos  UunftTSgaignes,  polir  vostre  langage , 
Ouir  parler  des  vers  parmi  le  dous  loisir 
De  CPS  cloestres  d(?vols ,  oil  vous  prenez  plaisir ; 
Ayant  aupres  de  vous ,  comnie  Auguste  un  M^coene , 
Jojeusc,  qui  sfavant  des  Virgiles  vous  m6ne , 
Des  Horaces,  un  Varc,  un  Desportesqui  I'alt 
Composant  netlenient ,  cet  Art  quasi  parfait. 

Depuis  un  chant  plus  haul  j'entrepris  tout  celeste  , 
Alors  que  Mars  arm6  du  dernier  manifesle 
Me  rabaissa  la  voix.  Je  demeuray  soudain 
Commc  dans  la  for<?t  dcineure  un  petit  dain 
Qui  voit  un  ours ,  cruel  au  pied  d'une  descente , 
Ouvrir  les  flancs  battants  de  sa  mere  innoccnle : 
I!  fuit  par  la  brossaillc,  il  fuitde  boisen  bois; 
Timide  etd6flant ,  il  pense  a  chaque  fois 
Revoir  Tours  qui  sa  mere  et  la  France  d^vore. 
Depuis  ce  jour  lout  let  je  suis  pour  eux  encore. 

Je  vivois  cependant  au  rivage  Olenois , 
A  Caen ,  oil  I'Oc^an  vient  tous  les  jours  deux  fois. 
La  moi ,  de  Vauquelin ,  content  en  ma  province , 
Pr^sidant,  je  rendoy  la  justice  du  Prince. 

Nous  pouvons  encore  citer  ici  pour  memoire  un 
imilateur  de  Desportcs  ,  d'une  epoque  un  peu  posle- 
lieure  ,  le  sieur  De  la  Roque  ,  de  Clermont  en  Beau- 
voisis ,  lecteur  de  la  reine  Marguerite ,  et  qui  avait 
servi  avec  Malberbe  dans  les  rangs  des  Ligueurs.  II 
nous  a  laisse  un  tres-gros  et  tres-fastidieux  recueil  de 
poesies  galanlcs,  facilenient  vcrsifiees ,  d'un  style  doux 
ot  coulant ,  niais  fort  insipides.  II  en  faut  dire  aufant 
de  ses  imitations  de  I'Arioste  ,  do  scs  poomes  mylLo- 


DE   DESPOKTt'S  ,    DE    DERTAUT  ,    ETC.  23 

logiques  et  romanesqiies  ,  oili  se  trouvenl  cependant  ^i 
et  lA  quelques  descriptions  assezjolies,  etdeson  diame 
pastoral  dans  lo  genre  des  Bergeries  de  Racan ,  dont  on 
ne  pent  soutenir  la  lectu  c.  Ses  poesirs  chr(^tiennes  ne 
valent  pas  raieux:  par  exemplo,  il  a  mis  en  sonnets  les 
sept  psaumcs  dela  p6nitence,  et  compose  sur  \eshtrmes 
de  la  Magdelaine  soixante-treize  stances  presque  aussi 
absurdes  que  les  stances  de  Malherbe  sur  les  larmes  de 
Saint-Pierre.  Ses  vers  sur  la  mort  de  M"=  Dclabarre  et 
sur  celle  de  M"*.  Duperrier  sont  bien  miscrables  en 
comparaison  des  deux  pieces  correspondantcs ,  I'une 
de  Racan  ,  I'autre  de  Malherbe  ,  sur  ces  deux  monies 
sujetij.  Ses  odes,  ses  stances,  ses  sonnets,  sur  des  sujels 
politiques.,  sont  en  general  d'une  extreme  faiblesse. 
On  pent  cependant  citer  ,  beaucoup  plus  pour  la  pensc^'e 
que  pour  le  style  ,  une  strophe  et  demie  de  son  ode  aur 
lanaissance  de  Monseigneur  d'Orleans  : 


Ori(?ans  en  brusic  de  joye , 
Voyant  que  le  tiel  lui  cnvoyo 
Tout  soil  souhait  et  son  bonhear ; 
Mesme  I'orabre  de  la  Pucelle, 
Pour  annonier  cesle  nouvelle , 
Esl  appafue  i  Vos-couleur. 

EJle  passe  encor  loute  annte 
Par  ces  bois  en  dlvefs  canloiis : 
El  paroist  mesme  estre  anim^e 
Du  iilaisir  que  nous  ressenlons , 
Disant :  Ce  prince  a  pris  naissance, 
Dont  la  valeur  et  la  puissance 
Vengera  ma  morl  ce8ti>  fois; 
El,  nouvel  astre  de  la  guerre ,. 
Joindra  la  rose  d'Anglctcrre, 
A«x  tiges  des  bcaui  tjs  riaii?ois. 


2.1  SUR   LES  OEUVRES   I'OETIQL'ES 

II  ne  se  rencontre  pas  d''Uialus  dans  les  vers  qu'on 
vient  de  lire ;  mais  en  general  il  y  en  a  autant  dans  les 
vers  de  De  la  Roque  que  dans  ceux  de  Desporles.  On 
en  (rouve  de  mcme  beaiicoup  dans  Le  grand  iniroir  du 
nionde  ,  sorte  de  poeme  encyclopedique ,  ecrit  en  un 
style  assez  barbare  ,  par  Joseph  Duchesne  ,  sieur  de 
La  Violette  ,  medecin  ordinaire  du  roi  Henri  IV.  Pour 
les  mots  bizarrement  forges  ,  Duchesne  est  encore  de 
Tecole  de  Ronsard. 

Nous  dironsici  quelques  mots  d'unpoete  plus  reniar* 
quable  ,  qui  pourtant  est  connu  surtout  comme  prosa- 
leur.  Theodore  Agrippa  d'Aubigne  ,  aieul  de  M"".  de 
Maintenon  ,  naquit  en  Saintonge  en  i55o.  Protestant, 
flls  d'un  des  conspiraleurs  d'Amboise  ,  il  prit  une  part 
tres-active  aux  guenes  de  religion,  il  sebattit  toujours 
pour  Henri  IV,  et  necessa  d'en  medire  ,  de  le  caloni- 
nier  meme ;  il  se  relira  A  Geneve  en  1628 ,  et  y  mourut 
en  i63i.  Ecrivain  attachant,passionne,pleinde verve, 
de  finesse  ,  et  souvent  d'eloquence ,  dans  scs  3Jemoires, 
ou  il  a  donne  libre  cours  a  son  esprit ,  A  sa  jactance  et 
k  ses  caprices  j  lourd  et  ennuyeux  dans  son  Hisloire 
universelle  des  evenements  de  son  temps  ,  oia  il  a  voulu 
6tre  grave  et  serieux,  et  dont  on  ne  peut  lire  avec  plai- 
sir  que  la  preyizcc  ;  pamphletaire  mordant  et  grossier 
dans  la  Confession  de  Sancy ,  beaucoup  trop  vantee  ; 
excellent  satirique  dans  le  baron  de  Feneste ,  autre 
pamphlet  bien  plus  ingenieux  ,  dont  malheureusement 
une  parlie  est  en  patois  gascon ;  d'Aubigne  a  egalcmcnt 
r6ussi  dans  le  genre  qui  lui  convient ,  c'est-a-dire  dans 
la  satire.  II  a  voulu  otre  poete  tragiquc ,  coninic  il  a 
voulu  C'trc  grave  bistoricn :  sa  Iragedic  de  Circe  ne 


ETC.  25 

vautpasiiiieux  que  son  Ilisloireiiniverselle,  Ses  poesies 
legeres  et  ses  vers  d' amour  se  font  remarquer  par  une 
grande  facilite  et  quelques  traits  heureux :  ce  soiit  de 
vrais  impromptus.  Mais  il  y  a  uii  merile  reel  dans  une 
parlie  du  recueil  intitule  T'l-agirjucs  ,  et  de  ses  autres 
poesies  satiriques.  L'esprit  et  la  verve  ,  la  vivacite  de 
ses  descriptions  comiques  et  de  ses  mordanles  tirades 
font  pardonner  les  negligences  de  tout  genre ,  les  hiatus 
frequents  ,  lesfautes  de  versification  et  de  style.  Rien 
de  plus  pittoresque  que  ses  portraits  de  Calhcrine  de 
Medicis ,  de  Charles  IX  ,  et  surlout  d'llenri  III.  II  n'a 
pas  menage  non  plus  Henri  IV  :  on  en  peut  juger  par 
ce  sonnet ,  qu'il  fit  graver  lui-mcrae  sur  le  collier  d'un 
cliien  abandonne  par  le  roi  : 

Le  lidcle  Ciiron  ,  qui  couchoit  autrefois 
Sur  voire  lit  saer6,  couche  ores  sur  la  dure. 
C'est  ce  Gdele  cliien ,  qui  apprit  de  nature 
A  faire  des  amis  et  des  (raitres  le  choix. 

C'est  lui  qui  les  brigands  cffrajoitde  sa  voix  , 
Des  dents  les  assassins.  D'oii  vient  done  qu'il  endure 
La  faiin,  le  froid,  les  coups,  les  dcdains  et  I'injure? 
Payement  coulumier  du  service  des  rois! 

Sa  fierle,  sa  beaut6,  sa  jeunesse  agr(5able, 
Le  fit  cherir  de  vous ;  mais  il  fut  redoutable 
A  YDS  fiers  ennemis  ,  pour  sa  dexterity. 

Courtisansquijelezvos  dedaigncuscs  vues 

Sur  ce  chien  delaiss6,  mort  de  faini  paries  rues, 

Attendez  ce  loyer  de  la  fidelil(5. 

«  Ce  chien  ,  ajoute-l-il  dans  ses  Memoires  ,  fut  des 
le  lendemain  mene  au  roi ,  comme  il  passait  par  Agen, 
lequel  changea  de  coulour  el  en  resta  confus.  » 

Suivant  d'Auhigne  ,  Henri  IV  rcconipcnsail  les  of- 
fenses et  punissuil  leg  service!-. 


26  SLR   LES  OEl'VnES   POKTIQUES 

A  cette  epoque  f<^conde  en  paniphlels  fut  coinposoe 
la  satire  Menipp^e  ,  ing^nieux  libelle  en  assez  bonne 
prose  mel^e  de  quelques  mauvais  vers.  Mais  c'est  une 
fo:  I  jolie  pi^ce  de  vers  ,  malgre  bien  des  negligences  de 
versification  et  des  defauts  de  style  ,  que  le  Regret fu- 
nchre  sur  le  trepas  de  I'dne  Ugueitr  ,  imprime  a  la  suite 
de  la  satire  Menippee. 

Dans  les  oeuvresde  Desportes  et  de  quelques-uns  des 
autres  poetes  dont  nous  venons  do  parler  ,  nous  avons 
signale  plusieurs  qualites  tres-estimables.  Mais  aucun 
n'a  trouv6  le  ton  de  la  haute  poesie ;  aucun  n'a  eu  une 
versification  parfaitement  reguliere.  Malherbe  est  le 
premier  ,  dit-on  ,  qui  sur  ces  deux  points  mi^rite  d'etre 
proclame  le  devancier  des  grands  pontes  du  siecle  de 
Louis  XIV.  Voyoivs  si  avant  lui  Bertaut  n'aurait  pas 
acquis  quelques  droits  a  cet  honneur. 

behtaut. 

Jean  Bertaut  naquit  k  Caen  vers  le  milieu  du  sei- 
ziime  siecle.  II  (levint  premier  aum6nier  de  la  r.eine 
Catherine  de  Medicis  ,  merede  Charles  IX,  lecteur 
dllenri  III,  eveque  de  Seez  et  abbe  d'Aunay.  H  mou- 
rul  en  1611  ,  apriis  avoir  contribue  i  la  conversion 
d'Henri  IV. 

Ses  CBuvres  po6tiquesse  composent  detrois  recueils. 
Le  premier  contient  des  cantiques  imites  des  psaumes, 
et  appliques  presque  tous  i  Henri  111  ou  i  Henri  IV  , 
et  aux  destinees  de  la  France  ,  des  discours  ,  des  son- 
nets sur  les  eveneracntspolitiques,  des  epitresadressees 
a  de  grands  personnages ,  des  discours  funcbros ,  des 


DE   DESPOUTES ,    DE    BEUTALT  ,    ETC.  57 

coniplaiiites  ,  des  epilapbes  ,  uii  po^mc  inlitiile 
Timandre  sur  une  Iragiqiie  a^'enlure  ,  et  la  traduction 
du  second  livre  de  TEneide.  Le  second  recueil  est  inti- 
tule Rccueil  de  quelques  vers  amoureux.  Le  frere  de 
I'auteur,  daus  une  preface  ,  declare  qu'il  acu  bien  de 
la  peine  a  arracher  i  son  frere  la  permission  de  le  faire 
imprimer,  et  qu'il  n'y  a  reussi  qu'en  luicitant  souvent 
le  proverbe  :  Marie  tafiUe  ou  elle  se  niariera.  En  effet  , 
les  libraires  pubUaient ,  sans  la  permission  de  Bertaut, 
dans  de  mauvais  recueils ,  des  copies  fautives  de  ses 
poesies  inedites.  L'amour  paternel  du  pocte  ne  put 
endurer  cet  affront  fait  a  ces  enfants  de  sa  jeunesse  : 
il  livra  le  manuscrit  k  son  frere  ,  qui  le  fit  imprimer 
sur-le- champ,  de  peur  de  quelque  remords.  Lc  lecteur 
doit  de  la  reconnaissance  au  frere  du  pocte  ;  car  ce 
recueil  contient  plusieu;  s  cbarmanles  pieces  de  vers. 
Jedois  ajouter  qu'on  y  trouve  vers  la  fin  un  assez  long 
poenie  intitule  Panaritc  ,  froide  allegorie  sur  la  nais- 
sauce  du  daupbin  ,  fils  d'Henri  IV  ,  qui  fut  plus  tard 
Louis  XIII ;  et  une  serie  depeliles  pieces  allegoriques 
pour  des  ballets  ,  niascarades  ,  telles  qu'il  y  en  a  dans 
Desportes  ,  dans  Malherbe  ,  dans  Racan ,  et  dans  lous 
les  poetes  de  cotte  epoque.  Le  troisienie  recueil  con- 
tient uu  petit  nonibre  de  poesies  du  memo  gem-e  que 
celles  du  second ,  mais  publiees  seulenient  apres  la 
mort  de  I'auteur. 

Dans  son  Discours  sicr  le  trcpas  de  Monsieur  de  Rori' 
sard  ,  oil  les  eloges  sonl  presque  aussi  prodigues  que 
dans  I'oraison  funrbrc  de  ce  poete  pronoucee  par  le 
cardinal  Duperron  ,  alors  evequc  d'Evi  eux ,  Bertaut 
nous  apprcud  que  ,  des  I'i^gc  de  seize  ans  ,  la  lecture 


28  SUR    LES   OEUVnES    POfillQlES 

dv's  vers  de  Ronsard  lui  inspira  le  desir  et  I'espoir  de 
marLber  sur  scs  traces ,  que  plus  taid  il  eludia  les 
beaux  vers  de  Desportes  ,  plus  faciles  A  imiter ,  et  que 
ce  furent  la  ses  deux  modeles.  Mais  la  traduction  du 
second  livre  de  I'Eneide  prouve  assez  qu'il  avail  etudi6 
les  anciens,  et  ses  ojuvres  sonl  lA  pour  allester  que  , 
malgre  son  admiration  pour  le  grand  Ronsard ,  il  I'a 
heureusement  fort  pen  imite.  L'etude  de  Desportes  au 
conlraire  a  du  lui  etre  tres-utile  pour  acquerir  cetle 
facilite  et  cette  souplesse  qu'on  remarque  dans  son 
style,  et  pour  perfectionner  la  versiGcation.  Sous  ce 
rappoit,  il  afait  encore  un  progres  bien  marque  sur  son 
modele.  De  tous  les  poetes  fran^ais  que  nous  connais- 
sons ,  Bertaut  est  le  premier  qui  ait  observe  constam- 
ment  toutes  les  regies  de  la  versification  ,  tandis  qu'il 
y  en  avait  deux  que  Desportes  ,  son  contemporain  , 
mort  cinq  ans  avant  lui ,  violait  assez  souvent.  Seule- 
ment  dans  les  vers  de  Bertaut  ,  comme  dans  ceux  de 
Malberbe  ,  deux  syllabes  que  nous  separons  mainte- 
nant  n'en  formentqu'une  dans  un  petit nombre  de  mots, 
comma  nieurtrkr  ,  ouvrier  ,  qu'ils  emploient  pour  deux 
syllabes  seulement.  II  y  a  moins  d'expressions  vieilies 
ou  devenues  Iriviales  dans  Bertaut  que  dans  Desportes : 
il  n'y  en  a  pas  beaucoup  plus  que  dans  Malberbe  ,  a 
considerer  I'ensemble  (!es  poesies  de  ces  deux  auteurs. 
La  phrase  de  Bertaut  est  claire ,  exacte ,  reguliere.  11 
s'y  trouve  rarcment  des  inversions  forcees ;  dans  quel- 
ques  beaux  passages  ,  c'est  deja  la  langue  poetique  du 
grand  siecle. 

La  traduction  du  second  livre  de  I'Eneide  par  Ber- 
taut est  generalemcnt  faible.  Son  poeme  de  Timaudre 


DE   DESPORTES  .    DE    DERTATIT  ,    ETC.  ig 

est  line  fiction  romanesqueetnierveilleuse  ,  longuement 
racnntee  et  de  peu  d'inteief.  Cc  genre  6tait  lellenient 
a  la  mode .  que  Racan  a  pris  le   trait  principal    du 
Timandre  pour  en  faire  un    des  principaux  ressorls 
deson  dranie  pastoral.  L'clogc  de  Ronsard  par  Bertaul 
est  nne  longne  allegoric  pleine  de  declamations.  La 
complainte  sur  la  mort  de  Lysis  presenle  Ic  menie 
caractere :  c'est  1'  oraison  funebre    d'un    homme  de 
guerre  ,  faite  en  vers  par  Bertaut  ,  pour  complaire  k 
un  puissant  ami  du  mort ,   qu'il  iutroduit  dans  cetfe 
piece  sous  le  nom  de  Daphnis.  Beaucoup  des  discours 
en  vers  de  Bertaut ,  de  ses  epitres  ,  de  ses  eloges  ,  de 
ses  epitaphes  ,  etc. ,  pieces  de  circonstances  ,  sont  sans 
interet  pour  nous  et   no  sont  que  de  la  prose  rinice. 
Cette  grande  quantite  de  vers  faibles  a  sans  doute  nut 
k  sa  reputation.  II  faut  de  la  patience  pour  decouvrir 
dans  ses  oeuvres  des  morceaux  dignes  d'etre  admires. 
Beaucoup  de  ses  pieces  amoureuses  ne  sont  que  des 
jeux  d'esprit  5  la  maniere  de  Dcsportes.  On  ti  ouvc  dans 
une  partie  de  ses  ceuvres ,  cependant  moins  souvent 
que  dans  celles  de  Desportes ,  lesjcux  de  mots,  les 
antitheses,  lesconqjaraisoiis  et  les  hyperboles  affcctees. 
Mais  qu'on  retranche  toutes  ces  productions  sans  me- 
rite :  il  reste  de  quoi  former  un  petit  volume  digne  d"un 
bon  poete.  C'est  dans  cette  parlie   vraiment  poetique 
des  oeuvres  de  Bertaut  qu'il  faut  surtout  I'etudier  pour 
le  connaitre  et  le  juger.  Son  defaut  le  plus  habituel  , 
menie  dans  ses  bonnes  pieces ,   c'est  d'affaiblir  une 
pensee  en  voulant  trop  la  developper.  Aussi  dans  nos 
citations    nous  retrancherons  souvent  des    passages 
languissants  et  inutiles.  Ue  meme,  son  style  se  fait  plus 


3o  SIB    LES   OELVBES   POETIQUES 

rcniarquor  par  une  abondante  facilite  que  par  la  con- 
cision. Mais  Beiiaut  a  souvcnl  do  belles  et  nobles 
penseeSjqu'il  exprime  d'une  maniere  naturelle,  simple, 
eloqiientc.  H  s'elevesans  effort,  descend  avecsouplesse 
et  se  joue  avcc  gnlce.  Mais  ce  qui  le  distingue surtout, 
cVst  ce  qui  manque  a  Malbcr])e  ,  c'est  une  scnsibilite 
vraie  et  profonde,  qui  donne  A  ses  vers  tani  de  cbarmesj 
c'est  le  langage  de  T^me  qui  va  droit  A  TAme  ,  celte 
douceur  ,  cette  bienveillance  communicative  ,  qui ,  en 
faisant  aimer  Thomme  ,  fait  qu'on  prend  plus  de  plaisir 
d  admirer  le  poete.  Peut-etre  ne  convenait-il  pas  A  un 
eveque  de  publier  dos  poesies  amoureuses ;  mais  du 
moins  cellcs  de  Bertaut  ne  sont  point  licencieuses : 
elles  expriment  le  sentiment  et  non  la  volupt^  ,  elles 
s'adrcssent  a  T^me  et  non  pas  aux  sens ;  elles  respirent 
meme  Tamour  de  la  vertu ,  de  la  beaute  morale.  Seu- 
lement  le  poete  s'est  dit  comme  Virgile : 

Gratior  cf  pukhro  venicns  in  corpore  virlus  1 

Mais  il  ne  s'cslpoint  complu  dans  la  description,mcme 
decente,  de  la  beauts  phjsique.  Les  poesies  erotiques 
de  ses  contemporains  ne  sont  pour  la  plupart  du  temps 
que  des  jeux  d'c sprit  sans  expression  ,  ou  bien  n'expri- 
ment  que  le  delire  des  sens.  Bertaut,  au  contraire,  aete 
spirifualisle  par  sentiment ,  sinon  par  systeme  ,  et  c'est 
]k  en  partie  tequi  fail  sa  superiorile.  Les  citations  ne 
nous  manqiicronl  pas  pour  justifier  cet  eloge.  Voici  les 
premieres  strophes  d'une  defense  de  I'amour  atlaque 
par  Desportes.  Le  poete  y  montre  que  I'Amour  est  par 
lui-meme  un  sentiment  pur,  mais  qui  peut  seulement 
se  Iromper  d'objet,  ot  alorsdevenir  funeste  et  coiq)abic. 


DB    DESPORTES  ,    DE   BERTAl'T  ,    ETC.  Si 

On  nc  sc  souvient  que  du  mal, 
L'ingralllufJe  r^gne  au  monde: 
L'injurc  se  grave  en  mi^tal , 
Et  le  bienraits'escrit  sur  I'ondc. 

Amour  en  serl  de  fircuve  nux  sicns, 
Luy  qui  joint  la  peine  aux  d(?lices  : 
Ceux  que  plus  il  romble  de  bicns 
N'en  c6lebrent  que  les  malices. 

II  porte  un  flambeau  dans  sa  main , 

Pour  en  ^clairer  a  noire  4me , 

El  nous ,  d'un  jugement  peu  sain  ,  1 

Nous  aliens  brusler  i  sa  flamme. 

II  presle  a  noire  entcndemenl , 
Pour  volcr  au  ciel ,  ses  deux  ailcs  : 
Nous  les  engluons  follemenl 
Dedans  les  vanil(?s  morlelles. 

Ainsi  du  plumage  qu'il  eut , 

Icare  pervertit  I'usage : 

II  le  recut  pour  son  salut , 

11  s'en  servitpourson  dommage.  Etc. 

II  y   a  encore  un  sentiment  elev6  et  pur  dans  ces 
stances  un  peu  entachees  d'affectation  : 


Mon  ame  est  de  vos  laqs  si  doucement  press^e , 
Qu'il  n'est  point  de  tourment  que  je  n'y  Irouve  doui ; 
El  ne  m'estime  heureux  que  lorsque  ma  pensde 
Me  ravit  hors  de  moi ,  pour  aller  vivre  en  vous. 

Aussi  la  beauld  m^'me  en  vous  seule  resserre , 
Pour  la  gloirc  d'Amour ,  les  d^lices  des  Dieux : 
Mon  ame  vil  en  moi ,  comme  Ton  vit  en  terre, 
Mais  elle  vit  en  vous  comme  Ton  vil  is  cieux. 


32  SUB   LES  OEUVEES  POETIQCES 


A  qui  doy-je  plustost  consacrcr  mon  service 
Qu'a  re  divin  esprit  de  graces  rcv<5lu  , 
DonI  le  servage  apprend  a  maistriscr  Ic  vice, 
Et  qu'on  ne  pcut  aimer  qu'en  aimaiit  la  vertu  ? 

Nous  citcrons  encore  celtc  stance  d'une  autre  piece : 

Nul  aussi  n'cust  jamais  I'heur  de  sa  cognoissance. 
Qui  volonlairemeril  ne  s'en  soitveucliarmer, 
Et  qui  n'ait  en  I'aimant  senty  la  repentance 
De  n'avoir  pas  plus  tost  commence'  de  Taimer. 

Que  de  douceur  ,  que  d'harmonie  ,  que  de  charmes 
dans  ces  beaux  vers  d'une  elegie  ! 

On  dit  qu'en  Idumec,  ejconfinsde  Syrie, 

Oil  bien  souvenl  la  palme  au  palmier  se  marie , 

II  scmble ,  a  rcgarder  ces  arbrcs  bienhcureux , 

Qu'ils  vivont  animez  d'un  esprit  anioiireux  ; 

Car  le  male ,  courb^  vers  sa  chere  femclle, 

Itlonstre  de  rcssentir  le  bien  d'estre  aupr6s  d'elle : 

EUe  fait  le  seinblable  ,  et  pour  s'enlr'embrasscr 

On  les  voit  leurs  rameaux  I'un  vers  I'autre  avancer. 

Decesembrassements  leurs  branches  reverdissent, 

Le  cicl  y  prend  plaisir,  les  astres  les  b6nissent, 

Et  I'haleine  des  vents  soupirants  a  I'entour 

Loue  en  son  doux  murmure  une  si  sainte  amour. 

Que  si  rimpi<5t6dcquelque  main  barbare 

Par  le  tranchant  du  ferce  beau  couple  separe , 

Ou  Iransplante  autre  \\htI\c\\ts.  tiges  desolez, 

Les  rendant  pour  jamais  I'un  de  I'autre  exilez  : 

Jaunissanl  de  I'cnnuy  que  chacun  d'eux  endure, 

lis  font  mourir  le  teint  de  leur belle  verdure, 

Out  en  haine  la  vie  ,  et  pour  Icur  aliment 

N'altirent  plus  I'humeur  du  terreslrei^li^ment. 

Si  vous  m'aimiez,  helas!  autantque  je  vous  ayme, 

Quand  nous  sorlons  absents,  nous  en  fcrions  de  mf'me  ! 


DE   DESPORTES,    DE    BEUTAUT  ,    ETC.  33 

Cette  coniparaison  avail  deji  et6  exprinn^e  avec  une 
heureuse  siniplicile  dans  le  lai  du  Chevrefoil,  par  Marie 
de  France  ,  poete  franrais  du  iZ".  siecle.  Elle  a  ele 
developpee  avec  une  admirable  poesie  dans  I'elegie  de 
Goethe ,  inlitulee  Amyntas. 

Que  de  sentiment  el  de  tendresse  dans  cos  stances 
pastorales  ,  ou  pourtant  il  y  a  trop  d' antitheses  ! 

Quoi !  lu  vis ,  Coridon ,  loin  des  douces  lumieres  , 
Sans  qui  tii  le  jurois  nc  pouvoir  vivre  un  jour. 
Ah !  bergcr  pcu  constant  dans  les  flammes  premieres , 
Ta  vie  el  ton  absence  accusent  ton  amour. 


Tu  pcux  bien ,  si  tu  vcux ,  sans  que  rien  (e  retienne , 
Revcnir  voir  les  yeux  tant  baisez  en  partanl : 
Que  le  copur  seulemenl  le  premier  y  revienne , 
Le  corps  soudainemenl  s'en  verra  faire  autant. 


Car  que  puis-je  estimer  d'«n  quiperd  ma  presence 
Sans  contrainle  ou  regret  par  effect  tcsmoign6 , 
Sinon  qu'estanl  absent  m^medevant  I'absence, 
Le  coeur  premier  que  I'oeil  s'en  estoit  estoigne? 


Te  d^peindre  accabl6  d'affaires  (^ternelles, 
C'est  me  faire  penser  qu'Amour  t'a  d^laiss^ ; 
Car  I'Amour  ne  scauroit  compatir  avec  elles: 
11  en  chasse  le  soin ,  ou  bien  en  est  cha5s6. 

Cependantquel  soucy  tient  ton  esprit  en  peine. 
Qui  puisse  juslement  empeschcr  ton  retour? 
Est-il  quelque  pensec  ou  quelquo  alTaire  humaine 
Qu'il  faille  qu'un  amant  pr(5f^re  a  son  amour? 

Non  ,  do  quelquo  raison  dont  entin  Hi  m'abuscs , 

3 


->4  SX:u    LUs    OELVRES  fO  L  TIQl'liS 

Til  nc  |)cux  c\r.iisor  cv  vain  osloignpmpnl; 
(  ar  sculcmcnt  cetn  ,  d'allegucr  Acs  pxcuscs  , 
C'esl  convaincrc  Ion  coeur  dc  m'aimer  froidcmcnt, 

Mais  pourquoi  m'abysm^-jc  en  ma  philosopliic  , 
Mes  proprcs  arguments  nuisants  h  lenranlheur? 
HcMas !  pins  je  raisonne  ,  rt  plus  je  vc^iifie 
Ce  que  jc  vouJrais  bicn  Irouver  faux  elmentcur. 

Non  ,  Coridon  ,  j'ai  tort:  fa  flammp  purp  pl  sainle 
N'a  point  csteint  I'ardeur  dont  lu  soulois  bruslpr: 
Non  ,  lu  Ri'aimcs  foujours  Pl  sans  fraude  Pl  sans  fainip ; 
Mais  pput-eslrp  ii  le  plaistdc  le  dissimulpr. 

II  PSt  vray  que  ton  frpur  Irop  bipn  Ic  dissimiile 
\,    Pour  un  vraymenl  ^pris  d'un  vif  pmhrnsriiipiil ; 
El  jp  n'cusse  pas  cru  ,  quoiqup  je  sois  ciTdiiip, 
Qu'on  se  peusl  tant  forcer,  quand  on  aimp  nrdpinment. 

Aussi  scns-je  apres  lout  ce  bicn-lh  mp  d(?plairc , 
Et  fairc  que  ma  plainip  en  larmes  se  r(5soul: 
Car  quand  on  faint  si  bien  que  I'on  n'aiinp  plus  guere , 
II  nc  s'en  faul  qu'un  peu  qu'on  n'aime  plus  du  tout. 

11  n'y  a  pasmoins  de  sonfimenlavcopliis  d'elevation 
tlans  ces  vers  d'une  elegie  : 

Pourquoi,  soulTlant  I'ardeur  dp  ma  flammc  inscnse'e, 

M'asseuras-lu  jamais  que  yes/ois  ta  pensee  , 

Et  que  la  seule  amour  bruslant  trop  vivement 

Ne  nous  permetloit  point  d'aymer  6galpmpnt? 

Si  tu  ne  m'aymois  point ,  que  tc  servoit  la  fainte , 

Dont  tu  trompois  I'espoir  d'une  amili(5  si  sainle? 

Si  vrayment  tu  m'aymois,  pourquoi ,  sans  mon  prreur(l) 

As-tu  pris  ma  conslancc  el  mon  nom  en  borrcur? 

Qu'ay-je  diet ,  qu'ay-je  fait ,  digne  de  ce  supplice  7 

(i)  C'eti-i,-i\r»  Sam  faute  He  mn  part. 


DE   DESPORTES,    DK   BEUTACT  ,    ETC.  35 

Que  jesache  ma  faule,  avant  qu'on  me  punisse  ! 
Qu'on  no  me  fasse  point,  par  une  injustc  loy^ 
Mourir  sous  les  lourments ,  sans  me  dire  pourquoy! 
Ce  saint  et  chaste  feude  qui  la  pure  flaniine 
Ardoii  incessamnienl  sur  I'autcl  de  men  ame, 
L'ay-je  laisse  mourir  ou  I'ay-je  viol6 
Par  quelque  feu  prophane  ou  mon  coeur  ait  brusl6? 

A  quelques  mots  pr^s ,  ces  beaux  vers  n'approchcnl- 
ils  pas  dejA  du  ton  A  la  fois  noble ,  tendre  et  passional 
des  scenes  d'amour  dans  les  tragedies  de  Racine  ?  Ou 
Bertaut  en  avait-il  trouve  le  modele  ,  sinon  dans  Vir- 
gile? 

Cilons  aussi  un  sonnet,  don  t  les  deux  derniers  vers 
sont  charmants  : 

J'aurai  loujours  au  coeur  le  souvenir  bien  chcr 
Dujouroi'i  mon  devoir  m'esloigna  de  ma  belie, 
Bien  qu'il  me  fust  advis  qu'en  prenant  congd  d'elle, 
Un  couteau  vint  mon  ame  en  deux  parts  detrancher. 

Que  de  mots  qui  pourraient  enflammer  un  rocher 
Me  dist  sa  belle  bouche  a  I'heure  (l)  moins  cruelle  ! 
Etqu'un  trail  Evident  de  peine  muluelle 
En  ce  Iriste  depart  monstra  de  la  toucher ! 

Je  meurs,  me  souvenant  que  sa  bouche  de  basme, 
D'un  baiser  redouble,  qui  me  d6roba  Tame, 
En  me  disant  adieu  me  pria  du  rctour. 

Car ,  si  je  ne  me  trompe  en  I'ardeur  qui  m'allume. 
Si  le  premier  baiser  fust  donn6  par  couslume , 
Le  second,  pour  le  moins,  fust  donn(5  par  amour. 

Le  sonnet  sur  un  baiser  refuse  ,  puis  donne,  n'est  pas 

(i)  C'est-i  f\\VH  alors 


36  sun    LES   OEL'VRES    POETIQLES 

moins  gracieux,  quoiqu'avec  moins  de  deUcatesse.  II  est 
du  nonibre  des  poesies  que  Bertaut  n'a  pas  voulu  lais- 
ser  publier  de  son  vivant. 

Pourriong-nous  ne  pas  citer  ces  stances,  dont  la  plus 
belle  est  sue  de  tout  le  monde  ,  depuis  que  Leonard 
ot  Lallarpe  en  ont  fait  chacun le  refrain  d'une  loniance? 
Ce  dernier  dit  seulement  que  c'est  un  vieux  refrain  , 
dont  il  no  nomnie  pas  I'auteur, 

Les  cieux  incxorables 
Me  sonl  si  rigoiireux  , 
Que  Ics  plus  misfirables , 
Se  comparans  h  moy ,  se  Irouveroienl  heuroux. 


Mon  lict  est  de  mes  larmes 
Trcmpi;  toutes  les  nuits ; 
El  ne  peuvent  ses  charmes, 
Lors  mcsme  que  je  dors ,  endormir  mcs  ennuys. 

Si  je  fay  quolque  sonqe , 
J'en  suis  espouvanl6; 
Car  mesme  son  niensonge 
Exprlmc  de  mes  maux  la  Irisle  v6rit#. 

La  pitid,  la  justice, 
La  Constance  et  la  foy , 
Cddanta  rarlilice. 
Dedans  les  coeurs  humainssont  csteintes  pour  moy. 

L'ingratitude  paye 
Ma  fidi'le  amiti^; 
La  calomnie  essaye 
A  rendre  mes  lourmenls  iiidignes  de  pitied. 


Bref,  il  ri'esl  sUr  la  tene, 


DE   DESPORTES  ,    DE    BEHTAUT  ,    ETC.  87 

'    Esp6cede  malheur, 

Qui ,  me  faisant  la  guerre  , 
N'exp^rimente  en  moy  ce  que  peul  la  douleur. 

Et  ce  qui  rend  plus  dure 
La  misere  oil  je  vy, 
C'est ,  es  maux  que  j'endure , 
La  m6moirc  de  I'heur  que  le  ciel  m'a  ravy. 

F61icil6  pass(?« 
Qui  nepeux  revenir, 
Tourment  dc  ma  pens^e. 
Que  n'ai-je ,  en  le  perdant ,  perdu  le  souvenir ! 

H6las !  il  ne  me  reste 
De  mes  conitntements 
Qu'un  souvenir  funestc 
Qui  me  les  converlit  i  toule  heure  en  tourmenls. 

Le  sort  plein  d'injustice 
M'ayant  eniin  rendu 
Ce  reste  un  pur  supplice , 
Jc  serois  plus  lieureux ,  si  j'avoy  plus  perdu. 

II  y  a  encore  de  bien  jolis  vers  ,  quoiqu'avec  un  pen 
d'affectatioii ,  dans  une  complainte  du  premier  recueil 
dont  voici  un  fragment : 

Mes  plaisirs  s'en  sonl  envolez  , 
C6dans  au  malheur  qui  m'outragc ; 
Mes  beaux  jours  se  sonl  esioulez 
Comme  I'eau  qu'enfanle  un  orage; 
El  s'escoulanl  ne  m'ont  laiss6 
Que  le  souvenir  du  pass6. 

Ah!  regret  qui/flj'j  lamenter 
Ma  vie  au  cercueil  enfermdc, 
Cesse  de  plus  me  tourmcnter. 


38  SDR   LES   OEUVRES   POETIQUES 

Puisquc  ma  vie  est  consum6e : 
Ne  trouble  point  de  tes  reinords 
La  Iriste  paix  des  pauvres  morts. 

Assez,  lorsque  j'esloisvivant, 

J'ay  senty  tes  dures  atlaintes; 

Assez ,  tes  rigueurs  «?prouvant , 

J'ay  frapp6  Ic  ciel  dc  mcs  plainfes ; 

Pourquoy  ,  perp6tuant  raon  dueil , 

Me  poursuis-tu  dans  le  cercueil  ?  Etc. 

Que  de  gpAce  ,  de  legerete  ,  de  Cnesse  ,  dans  celte 
chanson,  dont  le  rhythme  est  si  bien  trouv^ ! 


Celuy  seul  qui  mesprisc 
Les  appasts  amoureux  > 
Et  garde  sa  franchise 
Est  sage  et  bienheurcux  j 

Et  tout  ainsi 
Que  d'amour  il  n'espere 
Ny  grace  ny  salaire , 
11  n'en  craintrien  «aw/. 

II  se  mocque  des  larmes 
Des  amants  insensez ; 
II  se  rit  des  allarnies 
Dont  ils  sont  irai'ersez; 

Et  dans  la  mer  , 
Sous  Teffort  de  I'orage , 
II  les  voit  du  rivage 
Eux-mesmes  s'abysraer. 


Le  desir  n'cst  que  peine, 
L'altentc  que  lourmenl  ; 
La  jouissancc  est  plcinc 
De  peiir  dun  changcment. 


DJE   DESPOUTES  ,    DE    BERTAUT  ,    ETC.  3f^ 

Pensez  quel  heur 
S>iil  la  vie  anioureusc , 
Puisqiie  la  plus  heurciise 
Est  ferlile  en  douleur. 

On  dit  qu'il  n'cst  poinld'ame 
Si  rebellc  ii  I'aiiiour, 
Que  I'ardeur  de  sa  flanime 
N'embrase  quelquc  jour ; 

Et  que  porter, 
Dans  le  Cirur  son  ulcdre , 
C'esl  un  mal  n^cessaire 
Qu  on  ne  pent  d viler. 

Mais,  quoy  qu'on  veuille  dlr^, 
Je  croy  qu'Amour  ne  pcut 
Ranger  sous  son  empire 
Queteiuy  qui  leveul. 

LesenI  dc^'faut 
D'un  peu  dc  resistance 
Et  non  pas  sa  puissance , 
Uompte  ceux  qu'il  assaut. 


Non  ,  jamais  plus ,  >en  jure, 
Mon  coEur  n'nuru  dc  feu. 
Bienhenreux  ,  si  jc  dure 
En  reilel  dc  ce  voeu  ! 

Mail ,  nialheureux, 
l)e  bicn  loin  je  menace , 
Et  crains  que  je  ne  face 
Un  serment  d'amoureux. 


On  peut  remarquer  que  Bcrtaut  a  mis  de  suite  dans 
une  nieme  strophe  deux  vers  masculins  qui  ne  riraent 
pas  ensemble  ,  ce  qui  n'est  pas  cunforme  aux  regies  les 
plusseveresdcla  versification  ;  maisontrouveplusieurs 
CAomplos  scniMiibles  ,  m»"ino  dans  Malherbe. 


4o  SUR   LES   OEUVUES   POKTIQUES 

11  n'y  a  pas  moins  d'esprit ,  niais  «n  pen  Irop  d'affec- 
talion  ,  dans  la  chanson  dont  le  refrain  est ,  avcc  quel- 
ques  changcmenls  :  C'est  hair  que  cV aimer  ainsi. 

Que  de  finesse  encore  dans  ce  joli  sonnet '. 

Bien  qu'un  fiddle  amant  soil  lenu  d'estimer 
Tout  ce  qu'il  recognoist  estim6  de  sa  dame. 
El  qu'il  doivc  pnr  la  commander  i  son  anic , 
EUe  aimant  ses  parents ,  de  les  vouloir  aimer ; 

Si  ne  vons  puis-je  ouTr  ce  neveu  siirnoinmer  , 
Qu'un  trait  de  d(^plaisir  lout  le  coeur  ue  m'enlame; 
El  quand  vous  lui  ricz ,  mon  sang  presque  s'enflame 
D'un  si  bruslant  depit  qu'on  ne  pent  I'exprimer. 

Je  seal  bien  que  la  loi  commandant  que  Ton  aime 
Le  prochain,  I'cstranger,  voire  I'ennemy  mcsme, 
Vous  devez  bien  cherir  un  parent  si  parfait ; 

Mais  cela  ne  rend  point  la  paix  a  mon  courage  (1). 
Si  voire  esprit  I'aimoit  un  pen  moins  qu'il  ne  fait, 
Le  mien ,  sans  en  mentir,  I'aimeroit  davantage. 

Bertaiit  a  fait  pen  de  sonnets  ;  mais  presque  tons 
sent  pr^ferables  aux  meilleurs  de  Desportes.  Les  deux 
que  nous  avons  cites  sont  mcme  bien  au-dessus  du 
sonnet  d'Uranie  par  Voiture,  et  du  sonnet  de  Job  par 
Benserade  ,  qui  ont  fait  cependant  tant  de  bruit. 

Quoi  de  plus  ingenieux  que  ce  fragment  d'une  elegie  ? 
Le  poete  suppose  que  ,  desespere  de  ses  malheurs  en 
nmour ,  il  a  voulu  se  livrer  tout  entier  h  Tastronomio. 
Pendant  qu'il  se  livre  k  cette  etude,  TAmour  lui  appa- 
rait  ,  et  lui  dit  d'un  ton  raillcur : 

(i)  Courage  t\g-a\&i  caur. 


DE    DliSPORTES    ,    DE    BERTAUT  ,    ETC.  /[l 

Eh  bien  1  jcune  astrologue ,  a  la  On  la  pensde 
Dcs  liens  amoiireux  s'est  du  tout  deluree  ? 
0  le  vaillant  Hercule  !  il  a  ronipu  mos  laqs 
Pour  souslenir  le  ciel  et  souiager  Alias  I 
C'cst  bien  fait :  persevere  ,  use  ainsi  ta  jeunesse , 
T'amusant  a  compter ,  pour  fufr  la  paressc , 
Lcs  estoillcs  du  ciel;  puis  enfin  ,  quol(|ue  jour, 
Estant  vieil  et  cadur  ,  suy  les  plaisirs  d'amour. 
Eh  !  ne  vois-lu  pas  bien  ,  philosoplie  pcu  sage, 
Qu'aussi  mal  est  sortable  aux  ans  de  ton  jeune  Age 
Ce  vain  amusement  dont  le  soin  te  retient. 
Que  le  vieillard  Tithon  a  I'Aurore  convient? 
Laisse,  laisse,  imprudent,  ces  vaines  impostures 
Aux  faiseursdalmanachs,  et  diseurs  d'avantures: 
Toy,  chante  de  I'Amour,  pendant  que  la  vigueur 
Du  jeune  ftge  amoureux  vif  encore  en  Ion  coeur. 

Ce  fust  (s'il  t'en  souvicnt )  le  roup  de  ma  sagette, 
Et  non  I'eau  d'H6licon ,  qui  te  rendit  poele. 

Dans  un  genre  different  ,  ses  vers  sur  la  mort  de  la 
fille  de  M"'*.  Delabarre  n'offrent  pas  moins  de  graces  : 

Les  rayons  de  vertu  trnp  cinirs  et  imp  luisanls 
Qu'on  te  voyoit  espandre  en  de  si  lendres  ans , 
Devoicnt  estre  a  nos  ca>urs  une  preuve  asseur^e 
Qu'une  bien  fraislc  vie  et  de  courte  durde 
Te  tiendroit  (6  belle  ame)  altachde  icy  bas 
Aux  noeuds  qui  sont  tranchez  par  la  fauxdu  trespas. 
Le  froid  gele  les  fleurs  qui  trop  tost  s'enhardissent 
D'annoncer  la  saison  oil  les  prez  s'en  lapissent , 
Et  mil  fruit  trop  tost  meur  ne  se  voit  arriver 
Jusquau  retour  des  mois  successcurs  de  I'hyver. 
Car  la  fiere  rigueur  du  sort  inexorable. 
Qui  ne  veut  rien  d'heurcux  au  mondc  estre  durable, 
Scmble  avoir  ordonn6  que,  pour  un  chaslimenl 
D'eslrc  trop  lost  parfait ,  on  nc  soit  qu'un  moment. 


4?  SIR    I.ES   OELVREs    POETIQITES 

Qui  jamais  veil  6clore ,  en  favril  de  ronfance , 

Taiil  de  flcursde  boi!l6,  de  douceur ,  de  coustance, 

r>'humilit(^ ,  d'lionneur,  d'esprit ,  de  p\6li , 

Dq  libre  modcslie,  et  de  sage  gayel(5, 

Comme  des  douces  moeurs,  avaut  I'age  polies , 

Mesme  en  les  pelitsjeui  s'en  monlroient  embellies?      Etc, 

Malheureusenient  le  teste  de  cette  piere  est  niau- 
vais  ,  de  meme  qu'iine  grande  parlie  de  I'ode  de  Mal- 
lierbe  i  Duperrier  ,  que  ces  vers  rappelleiit.  On 
retrouve  le  mcme  charme  dans  ces  vei's  par  lesqtiels  se 
(ermine  la  complainte  sur  la  niortde  M™^  Lugol.  lis 
sonl  en  menie  temps  pleins  de  noblesse  ,  ot  il  ne 
s'y  trouve  pas  un  mot  que  Ton  voulut  changer. 

Or  toy  qui  plains  sa  niorl ,  ne  sois  point  estonn6 
D'avoir  veu  ce  beau  jour  a  midi  termini. 
Ainsi  le  veut  la  loy  prescrite  i  la  nature: 
Toujours  le  plus  beau  temps  est  celuy  qui  raoins  dure-: 
Mais  les  llcursdc  vertu  rcgueiit  plus  d'un  prinlemps ,. 
Etceux  qui  vivent  bien  vivent  assez  long-temps. 

Parmi  les  vers  de  I'auteur  sur  les  evenements  poli- 
li({ne6 ,  il  y  en  a  ,  comme  nous  Tavons  dit ,  beaucoup 
de  mediocres  et  meme  de  faibles ;  ses  vers  sur  la  mort 
d'Henri  IH  offrent  plus  d'exageralion  que  d'energie  , 
except^  quelques  passages  vrainient  pathcliques  , 
comme  celui-ci ,  malgre  bien  des  defauts  de  style  : 

H6Ias !  11  m'en  souvienl  que  quand  son  paste  corps 
Fut  rais  i  reposeren  la  couche  des  morts, 
J'enlrai  dedans  la  chanibre  oi'i  le  plomb  qui  I'enscrre 
GUoit  sansnuUc  ^poDipc  est enUu  contra  Ufre , 


DK   DESPORTES  ,    Dli    nERTALT  ,    ETC.  4^ 

Taiuiis  que  I'arlisan  d  cet  ceiwrc  empesche , 

De  tnainl  ais  raisorinanl  Tun  a  I'aulre  allachft 

Furrnoitia  triste  chamhre  oil  la  fatnle  marque 

Dps  fourriers  de  la  morl  logeoii  ce  grand  monarquc. 

Et  lors  rame/itei-aiii  (1)  que  celuy  dont  les  os 

Dormoienl  en  Ire  les  vers  dedans  ce  plonib  endos 

N'agu^re  estoit  au  monde  el  mon  prince  el  mon  maislrc  , 

("■eluy  d'oi'i  tout  mon  liour  se  prometloil  de  naistre, 

Et  de  qui  le  trespas  me  venoll  de  ravir 

L'espoir  de  lout  le  bien  qu'a  le  suivrc  el  servir 

J'avoy  pcu  ni(?riler|d"uii  coeur  si  ddbonnairc, 

Je  vey  perdre  a  mes  sens  leur  usage  ordinaire.  EI1.C. 


Les  vers  de  Tauleur  sur  la  mort  d'Henri  IV  ,  sans 
Ode  mauvais ,  sont  bien  au  dessous  du  sujet.  C'est 
qu'il  est  difficile  d'exprimer  en  beaux  vers  une  grande 
(Joulcur  pr^sente  ,  surtout  quand  on  est  abatlu.  Le 
poele  le  dil  lui-mume  ,  ct  les  vers  ou  il  cxprime  celle 
idee  sont  les  meiileurs  de  cetfe  ode.  Bertaut  tHait 
alovs  bien  vienx  :  il  niourul  quelqucs  mois  apres.  Ses 
stances  sur  la  conversion  d'Henri  IV ,  k  laquelle  il 
avait  contribue  ,  sont  raisonnablement  assez  bien  ver- 
siliees  ,  mais  peu  poetiques. 

Au  contraire ,  it  y  a  beaucoup  de  poesie  dans  ses 
vers  sur  la  mort  de  Calcrynie.  Celte  Caleryme  ,  c'est 
(iabrielle  d'Eslrees.  Depuis  trois  jours  Anaxandre  , 
e'est-i-dire  Henri  IV  ,  pleure  la  mort  de  sa  mailresse. 
Lc  sommeil  susprnd  un  instant  ses  douleurs.  Caleryme 
Uii  apparait , 

Telle  que  parattrait  un  bel  ange  des  cieui 

(0   ^i«  rappelant. 


44         SUB  LES  OEUVRES  POETIQIES 

Qui,  ilcsocndu  n'aguerc  en  ces  plaines  mortellcs, 
Prendroit  un  corps  visible,  et  cacheroitses  ailes. 

Mais  ses  beaux  yeux  sont  Irislement  baisscs  et  la 
paleurde  lamort  est  sur  son  visage.  Anaxandre  lui  dit : 

. Rcviens-tu  du  cercucil, 

Fantosme  desirable  a  nion  ame  ainig(5e , 
Pour  voir  en  quels  ennuis  la  mort  I'a  submergec"? 
Ou  jouissante  encor  de  la  darl6  dcs  tieux  , 
Viens-lu  pour  eslanchcr  les  larmcs  de  mes  yeux , 
Toy-tn^me  leur  prouvanl  par  la  douee  presence 
Qu'encore  en  ce  beau  corps  I'anie  fail  residence, 
Et  que  Ics  bruits  courans  qui ,  dole/is  messagers, 
Ont  publie  la  morl ,  sont  faux  et  mensongers  ? 

Caleryme  repond : 

Un  faux  bruit  de  ma  mort  n'a  point  deceu  Ion  occur : 

J'ay  senty  du  trespas  la  meurtriere  rigueur : 

Mon  corps  n'esl  plus  que  Icrre;  cl  ces  yeux  donl  la  flame 

Sembloit  donncr  la  vie  et  le  jo-ir  a  ton  am? , 

D'une  dternelle  nuict  en  la  lombc  converts , 

Ne  sont  plus  maintenanlque  le  repas  des  vers, 

Occident  qui  lesmoigne  aux  hostes  de  ce  mondc 

Combien  faux  esl  I'cspoir  de  Tame  qui  s'y  fonde , 

Puisque  rien  n'est  durable  en  ce  Iraistre  sfejonr ; 

Que  la  gloire  y  neurit  et  s'y  passe  en  un  jour ; 

Que  la  pompe  et  I'orgueil  des  beautez  de  la  terrc  , 

Qui  luit  comme  de  Tor ,  se  rompl  commc  du  verrc , 

Et  que  la  mort  triomphe ,  en  le  privantde  moy , 

De  ce  qu'Amour  faisoit  Iriompher  d'un  grand  Roi. 

Ce  qii'ellc  regrctte  ,  dit-elle  ,  ce  ne  sont  point  Ics 
richei-sos  ni  les  grandeurs  ;  c'est  son  royal  anianl ,  co, 
soul  scs  cnfanls.  Pourlanl  cUo  bcnit  la  sainclo  ct  jintc 


DE   DESi'OimiS  ,    DE    BERTACT  ,    ETC.  45 

loyqm, pour le  bonheur  de  la  France, veul  qu'Anaxandie 
lui  survive.  Elle  va  retourncr  au  sejour  ou  reposcnt 
Ics  ames  separees  delcur  corps  ,  conlcnte  de  lui  avoir 
dit  adieu.  Mais  avant  de  !e  quitler  ,  die  lui  fail  uno 
priere.  C'esl  un  conseil  que  Berlaut  donnail  indirecte- 
menl  a  son  Roi.  Pouvait-il  preler  a  eel (e  piece  une 
autoiite  plus  toiicbante  qu'en  I'adressanl  t^  Henri  IV 
par  la  bouche  de  Gabriellc  qu'il  venait  deperdre,  el 
au  nom  de  la  France? 

Que  si  mes  liumbles  voeux  en  tarmes  prononcei 

Peuvent  sc  voir  encor  dc  (on  anie  cxauccz; 

Par  nos  feux  qui  brusloient  d'une  (lame  si  pure  , 

El  par  ta  proprc  foy  ,  je  Ic  prie  r(  conjure 

De  ne  plus  engager  la  sainctc  liberie 

Que  ma  mort  I'a  rendue ,  a  nulie  aulre  bcaul(? , 

Qu'il  celle  que  les  dieux  font  desja  deslin^e , 

Pour  allacher  ton  coeur  des  chalnes  d'hymi'nf'c. 

Accorde-moy  ce  bien,  pour  comble  de  mes  vcrux , 

Que  je  sois  la  derniere,  apres  lanl  d'aulres  nceuds, 

Qui  t'aye  estreint  des  Inqs  doiil  la  bcaul6  nous  presse 

Au  volontaircjoug  d'une  simple  maislrcssc  ; 

Et  quand  d'aulres beaulez  s'olTiironl  devant  toy , 

Pour  tenter  ta  conslance  el  debaucher  la  foy  , 

Lorsque  lu  senliras  ton  coeur  presl  a  se  rendre , 

By  soudain  i  part  toy ,  repeusant  a  ma  cendre: 

Les  yeux  de  Caleryme  en  la  lombe  enfermez  , 

Qui  ne  sent  plus  que  terre,  ct  que  j'ai  lant  aimez , 

Ddfendent ,  sans  purler  ^  ccste  erreur  a  mon  ame.         Etc. 

Anaxandre  rinterrompl  par  de  lendrcsprolcslations, 
lui  promellanl  de  n'ainicrjamais  qu'elle  el  de  la  pleurtn- 
toMJours.  II  sc  rappelle  son  bonheur  passe  : 

Tu  m'eslois  commc  un  port ,  ou  mon  esprit ,  lass6 
Des  Hols  don!  eel  eslal  s'ost  veu  lH)ulcvers6, 


46  sill    LES   OlilVKES   POETIQl'ES 

Pronoil  quchjuc  iclasrhe ,  et  d'oii ,  plein  de  courage, 

II  rclournoil  cncor  s'opposcr  a  I'orage. 

Tu  scavois  mes  desirs ,  tu  scavois  mes  desseins. 

> 

Jc  lais  infini.f  dons  cachez  et  manifestes 

Que  t'avoicnt  d(?partis  Ics  puissances  c<^lestes, 

El  diray  seulemcnt  que  jamais  icy  bas 

Nulle  beaut6  qui  linst  un  inonarque  en  ses  lacs 

IS'usa  plus  doucement  de  rcxtr^me  puissance 

Que  I'amour  lui  donnait  sur  snn  oheissance  ; 

Que  CCS  mains,  (jui  pouvaienl  luainl  orage  emouvoir. 

En  lien qu'en  obligeant  n'ont  monstr6  leur  pouvoir ; 

Que  lu  n'avois  appris  de  nos  vains  artifices 

Qu'a  les  avoir  en  hayue  au  ])air  des  plus  grands  vices ; 

Et  qu'cnfin  ton  esprit  n'esloil  ricn  que  bont6. 

Tout  ainsi  que  ton  corps  n'csloit  rien  que  beautfi. 


II  ajoute  que  le  courroux  celeste  le  poursuit  ,  et  que 
(lesormais  il  n'y  a  plus  pour  lui  de  bonheur  : 


Clciir  asire  des  Francois,  roi  juste  et  magnanime, 
( Lui  rcspondit  alors  I'onibre  de  Caleryme  ) 
Nulle  hnync  des  cieux  ,  poursuivant  la  valeur, 
Ne  m'a  ravic  a  loy  pour  t'emplir  de  douleur : 
Le  ciel  aime  la  gloire ,  el  sans  cesse  conspire 
Avec  tes  saints  pensers  pour  Theur  de  ton  empire. 
Mais  le  bicn  de  I'estat  conserve  par  les  mains 
Vent  que,  cedanlaux  voeux  dun  million  d'Inimains, 
Tu  r'engages  les  ans  dans  les  noeuds  d'hymi-ncie ; 
Et  je  n'eslois  point  celle  a  qui  la  deslin<'e 
Avail  proniis  riionncur  d'esire  conjointe  k  toy 
Par  les  sacrds  liens  de  In  nopciere  hi  : 
Bien  que  la  France  ail  creu  ,  veu  Ion  amour  extreme, 
Que  pour  me  fairc  part  du  royal  diad^me , 
Ton  esprit  embrase  d'une  si  longue  ardeur 
Eleverait  ma  vie  a  ce  point  de  grandeur. 


DE    DESPOUTKS  ,    I)t    BEBTAtT  ,    ETC.  i^n 

Elle  hii  fait  I'elogc  de  sa  future  epouse ,  et  lui  re\ele 
ses  (leslins  : 

II  sYlt've  line  sale  an  palais  de  la  Parque 

Oii  (les  (lieux  el  des  rois  le  pere  el  le  monarque 

lipssirre  les  deslins  des  grands  de  I'univers 

Prof<uid(^mcnt  pravez  en  des  (ableaux  divers, 

J.es  mis  d'or  et  d'argenl ,  el  les  autrfs  de  eiiivrc  , 

Et  les  aulres  dc  fer ,  selon  que  les  doit  snivre 

TJri  sort  obsrur  on  noble,  el  qu'ils  sonldeslinez 

lie  viire  fn  leurs  (leslins  bien  on  mnl  forlunez. 

La ,  dans  un  tableau  d'or  oii  la  main  de  Menioire 

D'nn  burin  (^lernela  grav6  (on  hisloire, 

Je  leu  ,  n'a  pas  long- temps ,  alors  que  le  Irespas 

En  re  palais  fatal  guida  mcs  Irislcs  pas  , 

gue  le  doux  fleuve  d'Arne  et  les  champs  qu'il  arrouse 

Te  devoient  quelque  jour  cnvojcr  pour  espouse 

Une  belle  prineesseen  qui  Ibeur  des  deslins 

Assembloit  les  verlus  des  grands  dues  Florcnlins ; 

Et  que  les  fruits  naissants  de  deux  si  rares  /•l<trites 

Estans  I'ltuique  moil  des  disrordes  sanglanlcs 

Qui  dechirentla  France,  y  feroient  redcurir 

Tous  les  biens  que  la  guerre  a  conlraints  d'y  mourir. 

Eiifin  die  lui  annonce  que  devenu  lo  mailie  de 
TEurope  ,  il  renverseia  renipire  Ollonian.  On  savait 
en  effet  (lu'Uenri  IV  formait  d'imnienscs  desseins  ,  que 
Porefixe  a  exposes  d'apres  les  Menioires  de  Sully  : 
Kavaillac  les  a  aneantis.  CakTynie  continue: 

La  je  leu  qu'il  csloil  de  long-temps  arrdtd 
Que  pour  n'enipcscher  point  un  heur  tant  souliailfi 
D'arriver  a  la  I'rance ,  il  falloit  que  ma  vie 
Me  fu  St  loin  de  tes  yeux  avani  lAge  ravie, 
Ne  pouvaul  «rfi'f///>que  tonardentc  amour, 
Moy  vivante  el  voyani  la  lumiere  dujour, 


48  SIR    LES   OEUVRES  rOETIQtES 

To  pcrmist  (I'allachcr  les  d<^sirs(ie  Ion  ame 
D'liii  licii  nuptial  aux  lacs  d'une  aulre  dame; 
El  hicn  qu'cn  relisant  ce  dur  arrest  dcs  eieux 
Quclqiies  goultcs  de  pleurs  sourdissent  demos  ycux, 
Si  mc  reconfortay-je  ,  au  lieu  d'en  faire  plainte, 
Voyant  qu'au  nioins  ma  vie  avail  I'heiir  d'estre  osleinle 
Pour  I'ospoird'un  Icl  hicn,  cl  qu'ainsi  qu' aulrcfois 
Un  grand  prince  ,  apaisanl  la  d6esse  desbois  , 
Sacrifia  sa  fiUe  aux  v<t!ux  d'une  vengeance , 
La  Parque  m'immolait  aux  dostins  dc  la  France. 

Elle  ajoule  que  la  vuc  des  larmes  d'Anaxandrc  lui 
cause  uu  melange  de  contcntcmenl  et  de  peine  ,  parre 
qu'e'les  attestent  i  la  fois  son  amour  el  sa  douleur. 
Elle  I'engage  a  ne  pas  se  laisser  abaltre,  mais  i  rempliv 
courageusement  scs  devoirs  enversia  France  ,  en  meme 
temps  qu'il  temoignera  son  aCfeclion  pour  sa  mailresse 
en  honorant  sa  cendre  ,  mais  surloul  en  I'aimdnt  dans 
ses  enfants.  Elie  Icrminc  par  celte  touchanle  priere  de 
ramour  malernel : 

Je  ne  le  laisse  poinl  unc  insensible  image 
De  I'air  qui  donn.il  I'i"  aux  trails  de  mon  visage, 
fliais  trois  vivants  portraits  par  le  ciel  animoz , 
Ou  les  liens  et  les  miens  tendremenl  exprimez 
Fonl  desja  remarquer  en  ccux  de  lour  entance 
Que  dun  roi  g6n(?roux  ils  ont  pris  leur  naissance. 
Le  ciel  vueille  inspirrr  celte  heureuse  beaut6 
Que  tu  dois  en  Ion  Ironc  asscoir  a  ton  cosl6, 
De  les  voir  d'un  bon  ceil,  de  leur  estre  propice, 
Et  d'uncoeur  favorable  accepter  leur  service; 
Ne  les  dedaignant  point  pour  csire  ncs  de  moy , 
Mais  pluslost  les  aymanl  pour  estre  issus  de  toy , 
De  qui  lenir  Ic  bien  et  la  gloire  de  naistre 
C'est  assez  de  grandeur  d  qui  que  ce  puisse  estre. 


DE    DESPOUTES  ,    DE   BEKTAlf  ,    ETC.  49 

Et  toy-m^me ,  6  grand  roy  ,  vucille  les  clever 
A  tout  I'hcur  oil  Ic  ciel  Icur  permet  d'arriver ! 
Aime-lcs ,  d<?fcnds-les ,  et,  d'un  amour  de  pcre 
Quelquefois  Icshaisanl,  souvicns-toy  de  leur  mere, 
Qui  desorniais ,  helasi  hoslfsse  d'un  rrrrupil , 
N'a  plus  d'yeux  pour  les  voir ,  si  re  nVsl  par  Ion  ceil , 
Ne  peul  plus  les  baiser ,  si  ce  n'esl  par  ta  bouche. 

On  reconnait  encore  lA  un  sage  conseil  de  Bertant  a 
son  roi  et  surlout  4  la  future  reinc  do  France.  Que 
d'habilete  ef  de  delicatcsse  dans  la  manicre  dont  il  est 
donne  ! 

Gabriclle  niourut ,  ronimc  on  salt,  en  iSgg,  ct 
Henri  IV  epousa  Marie  de  Medicis  en  1600.  Malberbe 
elait  encore  inconnu  k  la  cour.  Bcrtaut  etait  deja  vioux 
quand  il  coniposait  ces  vers.  Dans  quel  poete  francais 
avait-il  Irouve  le  modele  d'un  tel  style  et  de  telles 
idees  ?  Dans  cette  piece  de  trois  cent  soixante  vers  ,  il 
n'y  en  a  qu'un  assez  petit  nombre  qui  soient  tout-a- 
fait  faibles  ou  de  mauvais  goiit :  I'invention  de  tout  le 
niorceau  est  des  plus  heureuses ;  la  conduite  en  est 
admirable.  On  y  trouve  la  reunion  d'une  noble  et  tou- 
chante  poesie  k  un  grand  sens  historique.  Qu'on  lise 
Perefixc  ,  et  on  verra  q;ue  Bertaut  exprimait  les  vceux 
de  la  France.  Assurement  un  tel  episode  ne  paraitrait 
point  de  place  dans  un  beau  poenie  cpique.  On  pent 
reprocber  sans  doute  k  Bertaut  d'avoir  prete  un  trop 
beau  role  a  (Vabrielle,  qui  avaitbeaucoup  intrigue  pour 
dcvenir  reine  de  France  ,  et  surtout  d'avoir  parle  de 
son  amour  comme  il  aurait  pu  le  faire  d'un  amour  ver- 
tueux.  On'on  se  souvienne  pourtant  qu'il  ne  la  loua 
qu'apres  sa  niort ,  lorsque  ces  louanges  ne  pouvaic  nt 

4 


5o  SlU    LES   OSUVRKs    POKIIQUES 

plug  avoir  de  consequences  fAclicuses ,  el  poiivaieit 
servir  k  faire  passer  do  sages  conscils  ,  el  qu  il  ne  finite 
ainsi  les  anciennes  faiblesses  d'llenri  TV  que  pour  hii 
empecher  d'en  commettre  dc  nouvelles.  On  sent  quo  , 
dans  celte  piece  ,  il  est  inspire  par  I'amour  de  son  roi 
et  de  sa  patrie. 

Quoique  la  tradurtion  du  second  livre  de  I'Eneide 
soil  en  general  au-dessous  dn  sujet ,  ils\y  trouveoopev 
danl  bcauconp  de  vers  henreusement  traduils ,  et 
quelques  bons morrcaux.  On  en  pent  jugor  par  ce  pas- 
sage du  recit  de  la  niort  de  Priam  : 

Voyant  la  cild  prise  nller  tombcr  en  cendre , 
Scf?  portanx  abaltiis  cesser  de  le  defTendre  , 
Et  Tennemy  r6gncr  e.i  lieur  plus  t6\&tct. 
Que  son  palais  eusl  point  en  son  sein  rrtircz ; 
11  charge,  bien  qu'en  vain,  sescspaules  Iremblanles 
Du  fardeau  d6sapris  de  ses  amies  pesanlcs, 
Ccint  un  glaive  inutile,  et  va  dans  le  plus  fort 
Dcs  enncmys  vainqueurs  sc  rucr  a  la  mort. 
^u  milieu  du  palais  et  sous  le  ntid  des  os/rr.t , 
Un  grand  et  large  aulel  gisoil  sur  ses  pilaslrcs, 
Et  tout  conlre  un  lauricr  qui ,  charg6  dc  Irop  d'ans , 
Courboit  desx us  Va\ilc\  ses  bras  longs  et  pondans  , 
Servant  d'un  parasol  v(^n(?rablemcnt  sombre 
Auk  penalcs  sacr('^s  qu'il  convroit  dc  son  ombre. 
Icy  la  Iriste  IlcVube  en  pleurs  et  hors  dc  soy , 
Et  ses  filles  encore  s'assemblant  en  cfTroy 
Environnoient  I'autcl,  et  sc  scrroient  enlrc  dies, 
Comme  font  en  fuyant  de  promples  colomhciles  , 
Quand  un  nuage  6pais  noircit  le  front  dcs  cieux  ; 
Et  plorant ,  embrassoient  les  images  dcs  dicux. 
Si  tost  done  qu"clle  vid ,  au  milieu  dc  ses  larmes , 
Ce  g^nfreux  vieillard  couvcrt  dc  jeunes  armes  : 
Quelle  fureur  (dit-elle)  en  ton  ccvur  furcenanl 


»E    DESPORTES ,    DB    BERTAIT  ,    ETC.  5l 

TVxcite  ,  pauvrc  prince,  a  farmer  maintenant  ? 
Ou  t'emportc  a  clos  yeux  i'ardeur  de  ton  courage  ? 
H6las !  nous  n'avons  plus ,  en  ce  mortel  orage  , 
Besoin  dc  tcs  sccours .  non  pas  quand  raon  Hector 
Au  milieu  dcs  vivanlsrespireroitenror. 
Vicns  icy  despouillcr  ton  insensde  envic; 
Ou  cc  commun  autel  nous  tienUra  tons  en  vie, 
Ou  nous  courrons  ensemble  en  un  mtfrae  trespas. 

Cemorceaa  est  en  general  bien  senti.  N'y  reconnait- 
on  pas  souvent ,  sous  le  voile  de  la  traduction  ,  la  belle 
siniplicile  de  Virgile?  Nous  voyons  h  quelle  ecole  Ber- 
taut  s'est  forme ,  et  celte  traduction  nous  explique 
comment  il  a  appris  k  faire  ccs  vers  nobles  et  touchants 
que  nous  avons  admires. 

Comme  nous  I'avons  dit ,  ses  autres  pieces  delongue 
haleine  sont  faibles  ;  niais  on  y  trouve  aussi  quelques 
vers  assez  bons.  En  voici ,  par  esemple  ,  qui  sont  tires 
d'un  bymne  de  plus  de  mille  verssur  le  roy  saint  Leys 
et  la  royale  maison  de  Bourbon  : 

Ses  beaux  Tails  sont  escrits  es  annales  celestes ; 

L'Asie,  ou  s'estendit  la  grandeur  de  ses  gesles, 

Memphis,  que  la  valeur  souloit  espouvanler , 

Sont  encore  enlendus  sa  mdmoirc  vantcr  ; 

Et  li  le  fameux  noni  du  grand  Loys  neufiesme 

IV'cst  plus  le  nom  d'un  homme  a  ins  de  la  vertu  m(!me. 

Dans  la  piece  de  vers  intitulce  Panarete ,  pour  prou- 
\er  que  le  nom  des  princes  justes  est  beni  apres  leur 
niort ,  Berlaul  prend  un  exemple  tire  de  I'Listoire  de 
la  Normandie  ,  sa  patrie  ,  Fcxemple  du  due  Rollon  : 

Tesmoin  cc  brave  Rou  ,  ce  grand  due  des  Normans , 
Ou'cncor  d'un  cry  public  lous  les  jours  reclamans. 


52  sill  1-ES  oiiivniis  i'()i-Tioi'i:s 

lis  noniinoiil  au  milieu  il"  lorl  qui  Ips  opprosso  , 
Commc  «ils  invoqiiaicnl  sa  dexlrc  vcngcrpssc. 

Ce  passage  curieux  nous  donne  relymologio  do  la 
olaincui"  de  llaro. 

U  y  a  de  belles  stances  dans  la  piece  dc  vers  adressee 
au  roi  Henri  IV  ,  pour  Ic  convier  de  revenir  i\  Taris. 
Nous  n'en  literons  qu'unc  : 

f.psic  ville  sans  pair ,  eel  nhregr  de  Frnncf  , 
Oil  repose  le  Ihrnne  cl  le  sreplre  des  roys , 
Vims  veil  comme  iin  esclair  lnire  ;i  la  d(^livranee  , 
Quand  elles  recogneul  I'empire  dc  vos  loix  : 
Scmblable  a  ee  feu  sainr t ,  qui  paroist  en  I'orage  , 
Sauve  les  matclols  dii  \)i'T\\  meiiarez  , 
Puis  soudain  se  rclire  en  lombre  du  nnage , 
Commc  si  pour  sauvcr  paroislre  estoil  asscz. 

Bertaul  a  sonvenl  Iroiive  dc  grande?  el  belles  ins;)i- 
ralions  dans  les  psauines  qu'il  a  paraphrases  en  les 
appliquant  k  la  France ,  de  maniere  a  reunir  le  double 
inlerel  de  la  religion  et  de  la  palrie.  Dans  ces  para- 
])brascs,  il  s'ecarlc  lellement  du  texle  que  le  merite  de 
rinvention  lui  appartient  en  grande  partie.  Berlaul  , 
ne  au  milieu  des  discordes  civiles  el  des  guerres  de 
religion  ,  montre  babituellemenl  dans  ses  poesies  reli- 
gieuses  ,  le  vrai  caracterc  d'un  pretre  chretien  :  elles 
respircnt  Tamour  de  Dieu  el  des  honinies.  Dans  celles 

ou  Ton  ne  Irouvc  pas  de  poesie  ,  on  Irouve  du  nioins 

de  sages  pensees  ,  un  esprit  de  charile  ,  de  conciliation 

et  de  pais. 

II  est  curieuxde  comparer  son  canliqnc  tire  du  \^y. 

psanme  de  David  avec  I'ode  correspondante  de  Jean- 


DK    DliSl'ORTl'S  ,    DE    IIKIIIAIT,    liTC .  5J 

Ba[ilisle  Uoiisseau  ,  qui  est  une  dcs  nicilleuies  de  oe 
poele.Bcrtauteslbieninferieur  dans plnsieurs strophes; 
il  y  a  des  laches  dans  cello  que  nous  citons  ,  inais  il 
s'y  trouvc  des  traits  que  h;  poetc  nioderne  n'a  pas  sur- 
passes : 


Seigneur  ,  qu'cst-cc  que  rhomme  el  la  race  mortelle , 
Pour  lie  d(?tlaigner  point  d'en  prendre  la  tutelle , 
El  loger  eii  (on  coeurle  soucy  dc  son  bien? 
Tu  luy  soubmels,  lu  tiel ,  lair  el  la  lerrc  etl'ondc; 
El  seiiiblc  que  la  main  ouvriere  de  ce  mondc , 
Qui  de  rieu  cria  lout ,  cr6a  tout  pour  un  rien. 

Car  cnlin  ,  (>  seigneur  ,  rbotnine  nVst  rien  qu'un  songe. 

Qui  de  soiiges  inenleurs  se  repaist  el  se  rouge. 

En  son  plus  ferine  cstat  n'ayant  rien  de  constant ; 

Unc ombre  que  le  jour  dissipe  i  sa  venue, 

V!n  eelair  allumt-  dans  le  seiu  de  la  nue, 

Donl  {'eslrt  et  le  iton  eslre  ont  presque  un  m^mc  instant. 

Seigneur ,  baisse  tonciel ,  el,  tout  ceint  de  tonnerres, 

Descends  en  la  fureur  sur  ces  maudites  terres , 

Ou  niille  impi(!'lez  provuquenl  ton  couroux  ; 

Frai>pe  les  plus  bauts  monts  des  amies  de  ton  ire  , 

Fay-les  fiirner  el  fondre  ainsi  que  de  la  cire  , 

El  luuivers  trembler  sous  I'horreur  de  tes  coups. 

Rcniply  lout  I'air  d'^clairs,  de  foudres  et  d'orages : 
De  tes  dards  enllammez  eslonne  les  courages 
Dos  meuhants  dont  I'elVort  t'ollcnseen  m'oulrageant. 
Fay  grondcren  la  main  Vire  lie  cent  lempestes. 
Puis  d'uu  bruit  dclatanl  darde-la  sur  leurs  testes, 
Afin  qu'un  inesme  coup  le  vengc  en  me  vengeant. 

Car  c'est  contre  I'honneur  dc  ta  puissance  mesme 
One  Icur  bouchearroganle  a  voiny  le  blaspht'rac. 


54  SUR    LES   OliUVRKS   POLTIQL'ES 

Aiguisant  conlre  moy  tant  de  trails  inhiimains : 
Lear  langue  inccssammeiU  ourdil  les  calomnies, 
Leur  espril  orgucillcux  sc  plaist  aux  tyrannies , 
Et  tout  mal  fairc  est  I'art  ou  s'cxercent  leurs  mains. 

O  Seigneur  ,  continue  a  d^livrer  mon  ame 
•       D'un  gerii  si  superbe,  et  romps  I'injuste  trarae 
Dcs  barbares  desseins  que  sa  rage  a  concus  : 
Eslens  du  cicl  le  bras  arm6  pour  ma  vengeance, 
Et  pousse  en  ta  (urcur  ccste  maudile  engeance 
Dans  les  sanglants  filets  qu'elle-mdme  a  tissus  ; 

Afin  que  sur  un  luth  monte  pour  tcs  louanges, 

Associant  ma  voix  avec  celie  des  anges , 

Je  chante  que  c'est  toy  qui  fais  rcgner  les  roys ; 

Toy  qui  les  garantis  desmeurtrieres  atlcintes, 

Toy  qui  rends  leurs  grandeurs  v6n6rableset  sainctes, 

Et  qui  fais  que  la  terra  en  adore  les  lois. 

Jen  sers  aux  ans  futurs  d'une  preuve  6ternelle, 
Moy  sur  qui  la  bont6  de  ta  main  palernelle. 
Seigneur ,  a  fait  du  ciel  mille  graces  pleuvoir  , 
Centre  lant  d'ennemis  me  donnant  la  victoire , 
Que  la  paix  de  mon  sceptre  appartient  a  la  gloire, 
Commc  un  nouveau  miracle  oil  reluit  ton  pouvoir. 


11  etait  difficile  d'esprinier  en  plus  beaux  vers  la  re- 
connaissance due  par  Henri  IV  A  la  Providence ,  et  le 
poete  chrelien  qui  a  fait  ces  vers  etait  djgne  de  ranie- 
ner  son  roi  au  culte  de  ses  ancelres.  Qu'on  remarque 
bien  que  parnii  ces  strophes ,  trois  ,  savoir :  la  i"^.  , 
la  7^  et  la  B*".,  sent  aussi  irreprocbables,  aussi  exemptcs 
de  tacbcs  de  vetuste  ,  que  les  plus  pures  de  Malherbe. 
La  mcme  remarque  peut  s'appliquer  i  plusieurs  pas- 
sages des  citations  suivantes  et  menie  de  celles  que 
nous  avons  faites  plus  haut.  A  la  fin  de  cc  mcme  can- 


DE   DESPORTES  ,    DE    BElllALT  ,    ETC.  55 

(Iquc  ,  s'ecartant  du  texte  dii  psaume  ,  Beitaut 
s'lbstilue  k  la  peinttire  de  la  fausse  prosp^rile  des 
niecbants  celle  du  bonheur  des  contrees  qui  ne  sont 
lioiiit ,  comme  la  Fiance ,  en  proie  aux  guerres  civiles  ; 


La  Irompctle  s'y  taist,  et  la  voix  des  allarmcs; 
Et  tanl  li'riise  en  bannil  les  soupirs  el  les  larmes , 
Que  leur  inoindre  bonheur,  cVst ccluy  de  la  paix. 

Aussi  loule  la  terre ,  enviant  leur  fortune. 

La  nomnie  bienheurcuse,  el  de  voeux  s'importune 

Pour  de  pareiis  eiTels  de  ci^ieslc  faveur; 

Mais  quclque  hcur  que  le  ciel  rerse  dessus  leurs testes, 

Plus  lu'ureux  est  cnror ,  ni('ine  au  fort  des  (empestes  , 

Ceiuy  de  qui  Ion  bras  daigue  eslrc  le  sauveun 

Toy  done ,  jetlant  sur  nous  les  yenx  de  ta  cl^mcnce , 
Garde-nous  du  naufrage ,  etsois  noire  dC'fense 
-  Centre  des  ennernis  si  puissanls  et  si  tiers : 
Rendant  par  ta  bonte  ces  lempestes  plus  calmes, 
Ou  nous  raisant  du  ciel  recevoir  quelqucs  palmes, 
Si  nous  ii'en  dcvons  plus  esp6rer  d'oliviers. 

Malhcibe  a-t-il  fail  beaucoupde  strophes  aussi  pures 
que  ciUcs-UW 

Quel  beau  langage  poelique,  quel  style  noble  et  sou- 
tenu  dans  cette  prierc  composee  pour  llcnri  III  ,  et 
par  consequent  avant  que  Malberbe  se  fiil  fait  con- 
nailrc  ! 


Donne,  Dieu  lout' puissant,  donnc  au  roy  ta  justice, 
Afui  qu'cw  cquil6  ses  peupics  il  regisse. 
El  que  tout  icy  has  s'inciine  a  scs  genoui ; 
AlluMiant  se?  dfejis  d'uiie  flanimo  si  saincle. 


56  SUR   LES  OEt'VUES   PO^TIQUES 

Qu'^pris  de  ton  amour,  ct  guid6  par  la  cralntc, 
11  rcgnc  sur  soy-mesme  en  r(^gnanl  dessus  nous. 

Fay  que ,  prenant  piliti  du  pauvrc  qui  souspire , 
Sa  cl^menle  rigueur  serve  a  loul  cet  empire 
D'un  bouclier  favorable  el  d'un glaive  trenchant, 
D'un  boudicr  de  salul,  d'un  glaive  de  vengeance, 
D'un  bouclier  pour  remplir  le  juste  d'assurance , 
Et  dun  glaive  aiguisd  pour  la  mort  du  meschant. 

AfTranchy  sur  son  chef  sa  rayale  couronne ; 
Fay  que  sous  ta  faveur  sans  cesse  e\\e  fleuronne , 
Ceinte  de  mainte  palme  et  de  lauriers  espais ; 
Afin  que ,  s'appaisant  nos  discordes  civiles, 
Nous  voyons  d6sormais  el  nos  champs  et  nos  villes 
Dormir  entre  les  bras  d'une  dternelle  paix. 

Ne  vois-tu  pa5,  Seigneur,  quels  violents  orages, 
-    Quels  vents  d'ambilion  esracuz  en  nos  courages  (1) , 
Soulllent  de  tous  costez  prests  a  nous  abysmer , 
Si  toy  ,  de  qui  I'ainour  el  bonte  palcrnetle 
Nous  parotl  sommeiller  en  la  saincte  nassellc, 
Ne  veux  par  ton  r6veil  ces  tempestes  calmer  (2). 

L'insolenle  fureur  des  rebelles  pensees, 
Rendanl  de  tout  respect  les  btirrieres  forcees  , 
A  fail  I'irr^verence  arriver  k  tcl  poinct , 
Que  ceux  qui  lui  devroienlsacrifier  leur  vie, 
Pour  sauver  sa  grandeur  du  malheur  poursuivie  , 
Le  pensenl  obliger  de  ne  Tofrenser  point. 


Rasscmblc  ses  sujets  sous  sa  juste  puissance ; 
Rens-luy  I'auforit^,  rens-Iuy  I'ob^issance  ; 
Redonne  un  heureux  sccplrc  a  son  bras  valeureux ; 
Et  fay  par  ton  esprit  a  leurs  ames  entendre. 


(i1  CV'sl-a-Jitc  en  hos  Loeun. 

[j)   Allusiua  a  nn  passage  dc  VEvungiU. 


DE    DESPORTES  ,    DE    BERTAl  1  ,    ETC.  57 

Qu'eslanl  Icur  bien  comniun,  ils  nese  scaurolcnl  icndrc, 
Eux  heiircux  que  par  luy ,  ny  luy  grand  que  par  eux. 

Quelle  vraic  ct  ini[)osanle  idee  de  la  royaule  ,  et  du 
rapport  naturel  des  princes  et  des  siijcts  ! 

Ces  stances  sont  bien  belles.  Cependant  le  poele  a 
alleint  une perfection  plus  grande  encore  dans  qiiehpies 
strophes  desa  paraphrase  du  proniierpsaunie  dc  David. 
II  commence  par  un  portrait  de  I'homme  juste  : 

Qui  lisant  jour  et  nuict  des  yenxde  la  pensde 
La  loy  du  Tout-puissant  dans  son  ame  trac6e, 
Concoit  de  beaux  desirs,  produit  dc  beaux  ff feels  ; 
Et  de  qui  Ic  courage  abhoranl  la  vengeance 
D'un  volonlaire  oubly  noye  en  sa  souvenancc 
Les  torts qu'il  a  reccus,  et  les  biens  qu'il  a  fails; 

Qui  ne  pouvant,  du  corps,  s'esloigncrdela  pompe 

Des  folles  vanitez  doni  le  lustre  nous  trompe , 

yen  va  ,  de  la  pens6e  et  de  lame,  esioignanf. 

Si  bien  qu'au  moiidc  mcsme  il  est  absent  du  monde, 

Et  n'a  rien  es  grandeurs  dont  sa  fortune  abonde, 

De  si  grand  qu'un  grand  cceur  sans  fard  les  dc^daignant. 

Cct  iiomme-14  ressemble  a  ces  belles  olives 

Qui  du  fameux  Jourdain  bordent  les  vertes  rives, 

Et  de  qui  nul  hyver  la  beaul6  ne  destruit ; 

Les  ruisselets  d'eau  vive  autour  d'ellcs  gazouillent , 

Jamais  leurs  rameaux  verds  leur  printemps  ne  despouillent, 

El  toujours  il  s'y  trouve  ou  des  fleurs  ou  du  fruit. 

Nul  elTroy ,  nuUe  pcur  en  sursaut  ne  I'^veille : 
Endorray ,  Dieu  le  garde ,  esveill6 ,  le  conseille. 
Conduit  tous  ses  desseins  au  purl  de  son  de'sir; 
Puis  fail  qu'cn  lenninant  son  licureuse  vieillcssc, 
Ce  qu'il  scinoit  en  terreavcc  peine  et  trislcsse, 
11  le  rccucille  au  cici  en  repos  cl  plaisir. 


58  sua   LES  OELVRKS    PotriQl'ES 

Quelle  ravissaiite  harmonie  dans  ces  trois  deiniers 
vers  qui  terminent  si  bien  ce  morceau  !  La  fin  de  ce 
oanlique  est  aussi  d'unc  grande  beaute.  Nous  pouirions 
ciler  encore  quelques  bons  vers  de  Borlaut ;  uiais  nous 
pensonsque  les  citations  precedentes  sufiisent  pour  lui 
assigner  la  place  qu  11  doit  tenir  dans  Tbistoire  de  la 
poesie  franraise ,  lui  qui  a  vraiment  fraye  une  route 
nouvelle  en  faisanl  Ic  premier  ce  que  Konsard  avait 
vainemcnt  tente  ,  en  donnanl  i  notre  langue  la  vraie 
noblesse  qui  lui  coiOiient. 

Tel  est  le  poete  sur  Icquel  Boileau  s'est  contenle  de 
dire  ,  apres  avoir  parle  de  Ronsard  : 

Cc  poete  orgueilleux ,  lr6buche  de  si  haut , 
Rendil  plus  relcnus  Desportcs  el  Certaul; 

et  qne  La  Harpe  n'a  pas  memenomme  dans  un  Aner^u 
de  rhistoire  de  la  poesie  ffancaise  ,  ou  il  a  trouve  place 
pour  dcs  citations  de  Cretin  ,  de  Martial  de  Paris  ,  de 
Chassignet  et  de  Dabartas.  Sans  doute  ,  s'il  n'avait  pas 
lu  Bertaut ,  il  a  mieux  fait  de  n'en  pas  parlor  que  d'en 
parler  au  hasard.  Mais  il  aurait  du  le  lire  avant  que 
d'allirmer  que  Malberbe  futle  premier  modele  du  style 
noble ;  que  jusqu'i  lui,  quand  il  fallut  s'elevcr  au  style 
soufecau,au  style  di-s^  grands  sujets^,  tousles  efforts 
furent  malheureux  ;  que  Malhcrbe  crea  sa  langue  , 
qu'il  debarrassa  la  langue  francaise  des  inversions  for- 
cees  ,  qu'il  purgea  la  poesie  des  hiatus ,  qu'il  appcit  A 
nielanger  regulierement  les  rimes  masculines  et  femi- 
nines.  Dans  tout  ccla  !\Ialherbe  a  ele  precede  par  Ber- 
taut ,  ct ,  s'il  I'a  surpasse  ,  ce  n'csl  que  sous  quclqucs 


DE    DESl'ORTliS  ,    Dli    BliUTAUT  ,    ETC.  5c) 

rapporls  et  dans  un  tres-petit  nombre  de  vers.  Mais 
Boileau  avail  dil : 


Enfin  Malherbe  vint ,  cl  Ic  premier  en  France 
Fil  senlir  dans  les  vers  unc  jusic  cadence , 
D'un  mot  mis  en  sa  place  enscigna  le  pouvoir, 
Et  r^duisit  !a  muse  aux  regies  du  devoir. 
Par  ce  sage  ecrivain  ,  la  langiio  ri'-parce 
N'ollrit  plus  rien  de  rude  a  I'oreille  (!'pur6c. 
Les  stances  avec  grace  apprirent  la  lomber, 
Et  le  vers  sur  le  vers  n'osa  plus  enjambtr. 

Boileau  I'avait  ('it,  La  Ilarpe  I'a  lepete  ,  el  on  Ic 
lepelera  sans  doule  ,  lant  qu'une  bonne  bisloire  de  la 
lilteraluie  franraise  ne  sera  pas  venue  modilier  un  peu 
eel  eioge. 

MALHEnBE. 

Malherbe  naqnil  a  Caen  en  i555.  Son  pere ,  qui  y 
etail  assesseur,  se  fil  prolestant  avantdc  mourir.  Mal- 
herbe en  eul  lant  de  chagrin,  qu'il  quitta  le  payset  alia 
en  Provence  i  la  suite  du  grand  ptieur  ,  due  d'Angou- 
lenie,  fils  nalurel  d'Henri  II.  Ce  n'est  pas  qu'il  eut 
jamais  cu  une  foi  bien  sincere  ;  mais  il  pensail  qu'un 
bon  citoyen  doit  se  couCornicr  cxactenient  i  loulos  les 
pratiques  exterieures  de  la  religion  de  son  roi.  II  se 
Hiuria  en  Provence  A  la  fiUe  d'un  procurcur,  veuve 
d'un  conseiller ,  el  en  eut  plusieurs  enfants,  tons  morts 
avanl  lui.  Pendant  la  Ligue,  Malherbe  elle  poeleDela 
Hoquc ,  dont  nous  avoiis  parle  plus  haul ,  serrcrcnt  dc 
Ires-pres  Rosny ,  depuis  due  de  Sully ,  qui  leur  en 


(Jo  SITR   LKS   OEt'VRES   POETIQUES 

garda  rancuiie.  Du  nioins  Malherbe  disail  que  c'elail 
1)0111- cela  qu'il  u'avait  jamais  pu  tirer  de  faveursd'Hcnri 
IV.  En  1601,  Duperron  ,  evdque  d'Evreux  .depuis  car- 
dinal ,  parla  de  lui  au  roi.  Cependant  ce  ne  fut  qu'cu 
i6o5  qu'il  fut  appele  a  la  cour  ,  et  recommande  par  le 
I  (ii  au  due  de  Bellegarde  ,  qui  lui  donna  sa  table  ,  »in 
cheval  et  mille  livresd'appointements,en  attendant  que 
le  roi  I'eut  mis  sur  la  liste  de  ses  pensioijaaii  es.  II  lia 
connaissanc3  avec  Racan  ,  page  de  la  cbonibrc  sous  !e 
duo  de  Bellegarde ,  et  deja  poete.  Celte  amitie  dura 
autant  queleur  vie.  Ala  morl  d'lleari  IV,  Malberbe 
rerut  enfln  de  la  reine,  mere  de  Louis  XIII,  nne  pension 
de  cinq  cents  6cus,  et  cessa  d'etre  a  charge  au  due  de 
Bellegarde.  Depuis  ce  temps  il  fit  tr^s-peu  de  vers.  II 
fut  gentilbomme  ordinaire  de  la  chambre  du  roi  Louis 
XIII.  11  mourut  en  1628  ,  peu  de  temps  apres  avoir  fait 
I'ode  sur  le  siege  de  La  Uocbelle.  On  peut  voir  sur  lui 
unefoule  d'anectotes  eurieuses  dans  sa  vie  ecrite  par 
Racan,  dans  ledictionnaire  de  Bayle  et  dans  Mcsnage. 

Dans  les  poesies  de  Malherbe ,  il  y  a  une  ode  pa:  fai- 
lement  belle  ,  en  quatre  strophes ,  sur  la  vanite  des 
choses  du  monde  ,  tiree  du  psaume  i45^  Nous  ne  la 
citons  pas  ,  parce  que  tout  le  monde  la  connait. 

Apres  cette  ode  ,  ce  que  Malherbe  a  fait  de  plus 
approchant  de  la  perfection  ,  c'est  son  ode  sur  la  mort 
d' Henri  IV.  II  est  rcmarquable  que  La  Ilarpe  ,  grand 
admirateur  de  Malherbe  ,  n'ait  parle  ni  de  I'une  ni  de 
I'autre.  Le  poele  s'y  fait  Tinterprete  de  la  douleur 
d'Alcippc  ,  c'est-a-dire  probablement  du  due  de  Belle- 
garde. Akippe  commence  par  exprimcr  son  desespoir  : 
c'est  naturel.  Sa  ?econdepensee,  qui  rcnipHt  la  seconde 


DE    DESPOIITKS  ,    DE    DEUTAIT   ,     ETC.  (>  i 

strophe  ,   cost  sur  I'inconslance  dcs  clioscs  Juimaines. 
Cp  grand  roi , 

Comme  un  homme  viilfiaire ,  csl  dans  la  s6pullurc 
A  la  merci  dcs  vers  I 


Ensuifc  il  dit  nn  motde  la  pcrte  qu'a  faite  la  France : 
r'esi  trop  pen.  On  se  rappelle  le  lableaii  si  vrai  .  si 
(oudiant  ,  que  fait  PereGxe  de  la  douleur  et  de  la  cons- 
ternation publiqnc.  «  Les  pores  disaienl  i  leurs  eufants: 
flics  eufants  ,  que  deviendrez- vous  ?  voiis  n'avez  plus  de 
pere  !  »  Alcippe  au  contraire  compare  sa  douleur  a 
rolle  des  autres  Francais  ct  de  la  reine  ,  en  vers  faibles 
ol  avec  plusd'esprit  que  de  sentiment.  Laconiparaison 
des  larmes  de  la  reine  avec  la  Seine  debordee  ,  est  du 
j)lus  mauvais  gout.  La  comparaison  de  la  reine  avec 
une  flcur  battue  dcla  pluie  et  dos  vents,  est  ingenieuse, 
mais  convient  pen  au  sujet ,  ct  est  exprimee  d'une 
maniere  faible  et  languissaute.  Heureusement  re  qui 
suit  vaut  bien  mieux  : 

Qiiiconque  approrhc  d'clle  a  pari  i  son  inartyre , 
El  par  contagion  prond  sa  Irisle  couleur 
Car  ,  pour  la  consolor ,  que  lui  pourrail-on  dire 
En  si  juste  douleur? 

Cesl  beau  ,  c'esl  louchant :  voilalo  ton  de  la  sinco- 
rile.  Qui  done  consolera  cctte  reine  .  rette  veuve  eplo- 
ree?Ce  ne  pent  etre  que  son  epoux.enlui  apparaissaut 
pour  lui  dire  dc  calmer  son  chagrin.  Cetle  idee  vraie  el 
naturelle  est  asscz  bien  exprimee  en  deux  strophes.  Le 
poete  continue : 


62  SIH    LES  OECVBK6   POETIQt'ES 

Qiiclque  soir ,  en  sa  chambrc  apparois  devant  die, 
Non  Ic  sang  en  la  bouche  el  le  visage  blanc, 
Comme  lu  demeuras  sous  rallcinle  morlelle 
Qui  te  perca  le  flanc. 

Viens-y  tel  que  tu  fus ,  quand  au\  monts  de  Savoye 
Hymen  en  robe  d'or  te  la  vint  amener ; 
Ou  tel  qua  saint  Denys,  entre  noscrisdejoye, 
Tu  la  fis  couronner. 

La  premiere  strophe  est  dechirante;  la  scconde ,  par 
le  contraste,  ne  fait  quajouler  au  pathetique  ,  en 
mcme  temps  qu'elle  repose  Tame  par  une  noble  ct 
douce  image.  Cependant  on  attend  quelque  chose  de 
plus  ,  quelqucs  reflexions  sur  la  belle  vie  d'Henri  IV  et 
sur  les  destinees  de  la  France  confiee  a  sa  veu\e.  C'est 
en  elevant  ainsi  Tame  qu'on  pent  la  consoler.  Au  con- 
traire,  que  ne  peut-on  effaccr  la  strophe  suivante , 
nialheureusemcnt  uecessaire  comme  transition  ! 

Jpres  cet  essay  fnii ,  s'il  demeurc  inutile , 
Jc  ne  connais  plus  ricn  qui  la  puisse  toucher; 
El  sans  doule la  France  aura,  comme  Sypile, 
Quelque  fameux  rocher. 

L'autein-  ne  pouvait-il  exprimer  la  mcme  idee  sans 
cette  froide  et  obscure  allusion  mythologiqne? 

Alcippe  ,  apres  avoir  airete  sa  pensee  sur  cette  dou- 
leur  plus  grande  encore  que  la  sienne ,  revient  k  sa 
propre  doulcur  ,  mais  sur  un  ton  plus  calme.  Ce  n  est 
plus  Taccent  dn  dcsespoir.  On  sent  dans  ces  deux 
strophes  une  trislesse  profonde,  mais  moinsameie, 
oellc  qui  se  soulagc  par  dcs  larmes  : 


»K    DESPOUTES    ,    DE    BERTAfT  ,    ETC.  ()3 

Pour  inoy  ,  dont  la  foiblcssc  h  I'orage  succombe , 
Quaiid  nion  hcur  abatu  pourroit  5(?  redressfr, 
J'ai  mis  avtcqite  toy  mcs  tlcsseins  en  la  tombe  ; 
Je  les  y  veiix  laisser. 

Qiioy  que  pour  m'obligcr  face  la  destin<!'c  , 
Et  (|iielque  bcureux  succes  qui  nic  puissc  arrivcr, 
Je  n'allans  mon  repos  qu'en  I'heureuse  journie 
Oil  je  t'iray  trouver. 

La  derniere  strophe  est  belle  et  touchanle  dans  sa 
simplicile : 

Ainsi  dc  cette  cour  I'honncur  ct  la  mcrvcille, 
Alcippe  soupiroit,  prest  a  s'crrinonJr , 
On  I'aurait  console;  mais  il  fcrma I'oreille , 
De  peur  de  rien  ouir. 

L'assassinat  d'Hemi  IV  avait  sansdoute  emu  profon- 
dement  Fame  ordinairement  pen  sensible  de  Malherbe. 
Cetle  fois  il  a  parle  le  langage  du  cceur,  le  laiigagcvrai 
des  passions.  De  temps  en  (emps  I'esprit  est  vcnu  y 
melcr  de  faux  ornenients  qui  sont  autant  de  laches; 
Taufeur  n'a  pas  su  y  couserver  celte  purcte  de  style 
dont  on  lui  a  trop  fait  honneur.  Mais  celte  ode  est 
belle  ,  nialgre  ce  qui  y  manque  ct  les  defauls  qui 
la  deparent, 

L'ode  sur  le  siege  de  La  Rochelle ,  la  derniere  qu'ait 
faile  I'auleur  ,  offre  en  general  un  assez  boau  mouve- 
ment  lyrique,  mais  trop  ralenli  par  des  longueurs 
inutiles.  Sur  les  4'  strophes  dontcetleode  se  compose, 
il  y  en  a  huit  vraiment  belles  ,  que  La  Harpe  cile  en 
y  remarquant  encore  bien  des  taches ,  bien  des  expres- 
sions triviales.  Plusieurs  d'entroelles  ne  sont  pas  com- 


G4  SIR    LES   OKLVRES   POtTIQlES 

parables  aux  plus  pures  de  Bertant.  Dans  cinq  de  ces 
strophes  ,  qui  se  trouvent  vers  le  commencement  de 
Tode  ,  le  poele  representela  Vicloire  qui  appelle  Louis 
XIII  pour  le  courcnner  ,  et  il  compare  scs  enncmis  aux 
Titans.  II  n'y  a  rien  de  bien  remarquable  pour  Tidee  ; 
mais  le  style  est  gcncralement  noble  et  expressif.  Dans 
les  Irois  autrcs  ,  qui  sont  vers  la  fin ,  I'auteur  parle  de 
la  vieillesse  qui  n'a  pu  eteindre  le  feu  poelique  dont 
il  est  anime.  II  y  a  encore  dans  celte  ode  quelques 
autres  strophes  assez  bonnes  j  mais  la  plus  grande  par- 
tie  est  faible  ,  ct  beaucoup  de  vers  sont  mauvais  pour 
le  style  et  pour  la  pensce.  En  outre,  on  pent  justement 
reprocher  A  Malherbedeponsser  Louis  XIII  k  la  cruaute 
contre  des  sujets  egares  : 

Marche  ;  va  Ics  dfilruirc :  eleins-en  fa  sentence , 

El  su)'  jusf/u'd  11  Jin  ton  courroux  gfn^reux, 
Sans  jamais  oroutcr  ni  piti6  ni  di'inence , 
Qui  le  parle  pour  eux. 

Richelieu  mcme  fut  mnins  cruel  que  le  poete  ne 
Taurait  voulu. 

Dans  I'ode  a  Dupcrrier  ,  il  y  a  quatre  beaux  vers  sur 
la  niort  ,  imites  d'llorace  ,  et  que  tout  le  monde  sait 
par  coeur  ,  et  au  commencement  trois  strophes  pleines 
de  grAce  et  de  delicalcsse  ,  cilees  par  La  Uarpe  :  ce 
sont  peut-etre  les  seuls  vers  de  ce  genre  qu'on  puisse 
admirer  dans  Malherbe.  Mais  sur  21  strophes  ,  huit 
sont  faiblcs  ,  neuf  sont  tout-a-fail  rnauvaises  ,  ct  on 
ne  peul  rien  concevoir  de  moins  consolant  que  Tode 
enliere  ,  011  se  montre  une  rare  maladresse  ,  une  igno- 
rance profonde  du  copur  humain  ,  it  une  extreme  iiisen- 


DE   DESPORTHS  ,    DK    BKUTAUT  ,    ETC.  ()5 

sibilite  ,  qui  rend  parfaitenient  compte  des  deuxautrcs 
defauts. 

Tout  le  monde  connait  qualre  beaux  vers  de  Malherbe 
sur  unc  fontaine.  On  peul  encore  trouver  un  petit 
nombre  de  strophes  assez  bonnes  dans  la  Priere  pour 
le  rot  Henri- le- Grand  allant  en  Limousin^  dans  les 
Vers  mix  otnbres  de  Damon,  dans  Y oAe  sur  le  succcs  du 
voyage  de  Sedan  et  dans  quclques  autres  pieces.  Tout 
le  reste  est  bien  aride  ,  bien  froid  ,  et  souvent  bien 
incorrect ,  bien  obscur  ,  bien  peniblement  contourne. 
Tous  ces  defaufs  sont  plus  frequents  dans  Malherbe 
que  dans  Bertaut ,  a  considerer  I'ensemble  des  oeuvrcs 
de  ces  deux  poetes.  De  nit-me  ,  si  quelquefois  on  ren- 
contre dans  les  vers  de  Bertaut  des  pensees  fausses  et 
deniauvais  gout,  c'est  bien  pis  dans  ceux  de  Malherbe, 
i  qui  Ton  a  cependant  Thabitudc  d'attribuer  ,  k  defaut 
de  sentiment  poelique  ,  un  sens  droit  et  une  raison 
severe.  Son  long  poemesur  la  penitence  de  saint  Pierre 
en  offre  de  curieux  exemples.  C'est  \k  qu'on  trouve  des 
vers  comme  ceux-ci : 

C'est  alors  que  ses  cris  en  lonnerres  eclatent  : 
Ses  soupirs  se  font  vents,  qui  les  chSnes  combat  tent , 
Et  ses  pli'urs  ,  qui  tantot  descendoient  moUement  , 
Ressemblenl  un  torrent  qui ,  des  hautes  montagnes, 
Ravageant  et  noyant  let  voisines  campagnes  , 
Veut  que  tout  I'univers  ne  soit  qu^un  element. 

Dans  I'ode  sur  la  tentative  d'assassinat  faite  par  Jean 
Delisle  coutre  Henri  IV'  en  i6o5  ,  ce  poete,  apresavoir 
reproche  au  soleil  de  n'avoir  pas  rebrouss6  cherain  k 
Taspi'ct  de  ce  crime ,  et  de  n'avoir  pas  jnini  la  France 
d'unc  clernelle  ohsvurite  ,  se  repreiid  ainsi  :         5 


GG  sill    I,ES   Oi:i:VKliB  fOETKjlliS 

Mais  ,  6  planets  belle  et  claire  , 
Je  ne  parte  pas  sagement : 
Le  juste  exces  de  ma  colere 
M'a  fait  pcrdre  le  jugement. 

II  y  a  plus  de  verite  que  ne  le  pensait  sans  doutc 
Tauteur  dans  ces  quatre  premiers  vers  ,  quoiqiie  sa 
colore  soil  bien  froide  ,  et  que  le  soleil  ne  soil  pas  unc 
planete.  II  conlLnue : 

■Ce  traistre  ,  quelque  frdneae 

Qui  trnvaillast  sn  faiilaisie  , 

F.ut  encore  assez  de  ru-ison 
Pour  ne  vouloir  rien  mt  re  prendre  , 
Bel  astre ,  qu'il  n'ei'it  vii  descendre 
Ta  lumiere  sous  I'oiizon. 

Malherbc  dcvait  etrc  bieu  content  d'avoir  cu  tant 
<lVspri(  ;\  propos  d'un  attentat  Ala  vied'Honri  IV  !  Ce 
Jean  r>iJis!e ,  qui  avail  eiix'ore  assez  de  I'aison ,  6tait 
corai)i('lrnwMitfou  ,  et  corame  lol  ful  siniplemcnt  rclenu 
en  prison  :  il  so  croyait  roi  de  France. 

Que  dire  de  cettc  epitaplic  faite  pour  le  tombeau 
d'une  Spouse ! 

J)elle  aine  ,  qui  f us  man  flambeau , 
Jircnis  rhonneur  qii'en  ce  tombeau 
Je  suis  oblige'  de  te  reiidre. 
Ce  que  je  fais  le  sert  de  pcu  ; 
Mais  au  mains  tu  vois  en  In  cendre 
Comme  j'en  conserve  fe  feu. 

Dans  Malherbe ,  parmi  les  passages  ou  il  faudrait 
<le  Ja  leudr.essc  ,  les  nioins  niauvai^  sont  ceux  ou  il  n'est 


DE    DESPORTES ,    DE   BERTACT  ,    ETC.  67 

que  froid.  On  sent  qu'enlui  la  secberesse  cl  la  raideur  du 
style  viennentderaridite  et  do  Tinsensibilife  du  cccur. 
All  rcste,  ilen  faisait  parade.  Nous  iiedironsrien  de  ses 
pieces  galantes.  Qu'auri(ins-nous  a  en  dire?  EUes  ne 
sont  pas  mcmeingenic  uses.  MaisTepitapLe  de  Monsieur 
d'ls  fait  aussi  peu  d'houneur  k  son  caractere  qu'a  son 
esprit.  II  a  soin  de  faire  savoir  au  lecteur  que  Monsieur 
d'ls  etail  son  parent ,  et  qu'il  venait  d'en  heritor : 

Jci  dessous  gist  Monsieur  d'ls. 
Plust  or  a  Dieii  qu'ils  f assent  dix  ! 
Ales  troi.i  svtirs  ,  mon  pere  et  ma  mere  , 
Le  grand  Eleasar  ,  mon  frere  , 
Mes  trois  tantcs  et  Hlonsieur  d'ls  : 
Vous  les  nomme-je  pas  tous  dix  P 

Quel  autre  que  Tauteur  a  pu  trouver  cela  plaisanl? 
Ore  dit-il  a  son  ami  Du  Perier  pour  le  consoler  de  la 
mort  de  sa  fills? 

yiime  une  ombre  comme  ombre,  et  des  cendres  eteintes 
Eteins  le  souvenir. 

II  joint  Texemple  au  precepte  ,  et  dans  quel  style ! 

De  mny  (I)  ,  dfja  deux  fois  d'une  pareil/e  foudre 

Je  mc  suis  vu  perclus ; 
Et  deuxfois  In  raison  m'a  si  bien  fait  resoudre , 

Qu'il  ne  m'en  soucient  plus. 

II  avail  perdu  une  fiUe  morte  de  la  pcstc  et  un  fils 
tue  en  duel !  Ses  autres  odes  de  consolation ,  beaucoup 

(1)    Dc  mny  .st'iioiir  qtinnt  ,i  mny  .-  cctte  tourmiie  est  familii're    a  Mallierhe.^ 


G8  SUR    LK9   OEL'VBIiS   POKTK^LES 

trop  nonibreuscs  ,  sont  dc  la  force  de  ces  vers  que  nous 
venons  dc  citer.  Voulant  consoler  une  veuve ,  il  lui  dit 
qn'auHeu  de  se  lAaindre  par  coutume ,  elle  devrait  se 
consoler  par  raison. 

Tel  nous  voyons  Malherbe  dans  ses  poesies  ,  tel  nous 
le  reconnaissons  dans  sa  vie  6crile  par  son  ami  Racan. 
Lc  memc  caractere  de  duretese  niontrc  dans  ses  r6par- 
ties  caustiqups  et  souvent  imperlinentes  ;  dans  ses 
amcres  plaisanteries ,  coniparables  i  Tepilhaphe  de 
Monsieur  d'ls  ;  dans  sa  niisantbropie  et  son  buineur 
morose  j  dans  son  insensibililt^  affectce  A  la  niort  de  sa 
mere  ,•  dans  son  inimilie  avec  son  frere  ,  qui  lui  seni- 
blait  tont-A-fait  conforme  a  I'ordre  de  la  nalure;  dans 
son  indifference  sysl6malique  pour  lout ,  except^  pour 
les  commodites  de  la  vie  ;  et  dans  son  superbe  mepris 
pour  (outes  cboses  ,  excopte  pour  ses  propres  talents. 
«  II  nVstimait ,  dit  Racan  ,  aucun  dcs  anciens  poetes 
francais  ,  excepte  un  peu  Berlaut :  encore  disait-il  que 
ses  stances  etaient  nicbil-au-dos  (i),  et  que.  pour  mettre 
ime  pointe  A  la  fin  ,  il  faisait  les  trois  derniers  vers  in- 
supporlables.  »  II  avait  fait  un  commenlaire  sur  Ber- 
taut ,  niais  il  ne  le  fit  point  iniprimer  ,  et  on  ne  I'a 
publie  que  depuis  peu  d'annees.  II  ne  faisait  aucun  cas 
des  Grecs  ,  et  parmi  les  latins  celui  qu'il  ainiait  le  plus 
ctait  Stace ,  ensuite  Seneqiie  le  tragiqiie  ,  puis  Horace, 
Juvenal ,  Ovide  et  Martial.  Virgile  partageait  avec 
Homere  et  Sophocle  le  meprii>  de  Malberbo.  Du  reste, 
Malherbe  etait  parfaitement  content  de  lui-meme,  il  se 
louait  autant  qu'il  rabaissait  les  autres  :  il  savait  sans 

(1)  Voyez  dans  Mesnagc  le  sens  de  re  terme  de  m<'pris. 


DE   1>ESP0RTKS  ,    DE   BERTALT  ,    ETC.  6t) 

doute  qu'on  reussit  souveiit  ainsi  A  sc  fuire  loucr  de 
st^s  contcmporains.  Ici  Ics  citations  ne  nous  nianque- 
laient  pas ;  niais  voici  une  forfanlerie  qui  seule  en 
vaut  bien  d'autres.  II  dil  au  roi : 

Quelle  sera  la  hauteur 
De  I'kymne  tie  ta  victoire  , 
Quand  elle  aura  cette  gloire 
Que  Malherbe  eit  sitit  I'uuteur! 

Cel  homme  qui  ,  au  lit  dela  mort ,  epiloguait  sur  la 
gianiinaire,et  qui  sevantait  d'etre  !c  premier  despoetes 
franf  ais  ,  affectait  cepenilant  de  mdpriscr  la  po^sie.  II 
r6pelait  souventisonami  Racan,  quelemetierdepoele 
est  un  metier  inutile  au  public  et  A  ceux  qui  le  font  > 
qu'un  bon  pocte  n'est  pas  plus  utile  i  I'etat  qu'un  bon 
joueur  de  quilles,  qu  ils  feraient  eux-memes  bien  mieux 
de  se  donner  du  bon  temps  et  de  tichcr  dc  s'enricbir. 
En  effet ,  Racan  remarque  qu'il  travailla  pour  se  faire 
donner  uuc  pension,  et  que,  lorsqu'il  i'eut,  pendant  Ics 
dix-huit  dernieres  annees  de  sa  vie  ,  il  ne  fit  presque 
plus  rien.  Toute  la  gloire  que  nous  en  pouvons  esperer, 
disait  encoieMalherbe  A  Racan  ,  c'est  qu'on  dira  que 
nous  avons  6te  deux  exccUents  arrargeurs  de  svllabes. 
Assurenient,  avec  beaucoup  d'csprit  ,  cet  homnie-li 
6tait  loin  d' avoir  ce  qui  constitue  un  grand  poete. 

Nous  avons  vu  quels  sont  ses  litres  4  son  immense 
reputation  comme  poete  lyrique.  Cependant  pour  lui 
rendre  tout  ce  qui  lui  appartieiit,  il  nous  reste  encore 
quelques  remarques  i  faire.  Malherbe  et  Bertaut , 
s'elevant ,  dans  quelques  passages  ,  pour  ainsi  dire  au- 
dessus  d'eux-mC-racs  ct  de  Icur  temps ,  nous  font  admi- 


70  SUB   LE8   OEL'vnES   POtxiQUES 

ler  notre  laiigue  dans  loute  sa  purete ,  sa  noblesse  et 
son  elegance.  Mais  il  est  arrive  a  Malherbe  plus  souvcnt 
qu'A  Bertaut  d'atleindre  ,  mcme  dans  ses  strophes 
faibles  ,  la  brievete  et  la  concision  ,  qualites  si  impor- 
tantes  dans  la  poesie  lyrique.  Comnie  nous  Tavons  vu , 
Bertaut  a  employe  dcs  rbythmes  varies  et  bien  cboisis 
pour  Ics  sujets  legers ,  gracieux  et  tendres.  Dans  la 
haute  poesie ,  il  n'a  employe  que  les  vers  alexandrins  , 
tant6t  sans  croiser  les  rimes ,  tant6t  en  les  croisant  de 
maniere  i  former  des  stances  de  cinq  especes.Ce  rhy  thme 

convient  pour  les  sujets  auxquels  il  Ta  le  plus  souvent 
applique  ,  c'est-a-dirc  pour  les  sujets  majeslueux  qui 
ne  demdudent  ix)iut  de  mouvements  tres-rapides.  Ce- 
pendant  il  y  a  dans  ses  oeuvres  un  cantique  en  strophes 
oh  il  a  introduit  la  variete  dcs  vers.  En  voicila  dcrniere 
strophe : 


Tenant  entre  les  mains  la  grace  et  le  supplke^ 

La  clemcnce  et  la  loy  , 
Dfploye ,  6  Toiil-puissant ,  I'une  et  I'autre  justice 
De  ton  siege  6ternel ,  et  sur  eux  ,  et  sur  moy : 
Sureux,  ccHe  qui  juge  et  condamne  a  la  peine 

Le  p6eheur  endurcy ; 
Sur  moy ,  celle  qui ,  douce  a  la  faiblcssc  humainc , 
Le  pficheurjustiQe,  et  leprenU  a  mercy. 

Mais  cet  exeraple  est  le  seul  dans  Bertaut.  Malherbe 
au  con tr aire  a  introduit  la  variete  des  rhythmes  dans 
les  grands  sujets.  Avec  une  oreille  juste  et  le  sentiment 
de  I'harmonie  ,  il  a  cree  plusieurs  especes  de  strophes , 
ct  a  memo  laisse  sous  cc  rapport  pcu  de  nouvellcs 
inventions  i  faire.  Dans  Malherbe ,  la  poesie  lyrique 


DE    DESPOBTJJS  ,    DE    BERTAUT  ,    ETC.  ']^ 

franc aise  a  deja  trouve  presque  loutcs  Ics  formes  sons 
Icsqueilcs  elle  a  biille  plus  tard  avec  plus  d'eclat  ;  ot 
dans  quelques  ve:s ,  peu  nombreux  il  est  vrai ,  Mai 
hcrbc  lui-meme  a  montre  ce  qu'ellc  pouvait  devcnir  un 
jour. 

RAGAN. 

Honorat  de  Bucil ,  marquis  de  Racan^,  naquit  ^  la 
Rocbc-Kaoan  en  Touraine,  I'an  iSSq.  11  fiit  des  Ten- 
fance  page  d'Henri  IV  sous  le  due  do  Bellef:;anle  , 
devint  poete  sans  avoir  elndi6  ,  travailla  depuis  TAge 
de  seize  ans,  d'aprt-s  les  conseilsde  Malhcrbe  ,  fut  im 
des  premiers  membres  de  TArademie  frar^raise  ,  et 
mourut  en  1670.  II  so  retira  pendant  quelqiie  tem[)s  A 
la  Rocbe-Raran,  avant  dedonner  nny  premiere  edition 
de  SGS  poesies  i)HbliePS  en  1G37.  II  commandait  une 
fompagnie  devant  La  RocbeUo  en  1628  ,  a  Tepoque  de 
la  mort  de  Malherbc .  dont  il  a  ecrit  la  vie. 

u  Racan,  dit  La  Harpe  ,  dans  lapnesia  lyrique  ,  est 
rcste  bien  au-dessous  de  son  maitre ;  mais  ,  cominc 
po6le  bucolique ,  il  a  justifie  I'eloge  qu'en  a  fail  Boileau 
quand  il  a  dit  : 

Racan  chante  Philis ,  les  bergers  et  les  bois. 

II  a  le  premier  saisi  le  vrai  (on  de  la  pastorale  ,  qu'il 
avait  cludice  dans  Virgile,  « 

Qui  ne  croirait  (Fapres  cola  que  les  oeuvres  de  Racan 
se  coinposent ,  d'une  part  de  bacoliques ,  dans  le  genre 
de  colics  do  yirgile  ,  de  I'autrc  dc  poesies  l^riqucsfaites 


n2  SCR  LES  QEUVBJES  POfexiQUES 

k  rimitation  de  celles  de  Malherbe  j  qu'il  a  reussi  dans 
les  premieres  et  echoue  dans  les  dernieres  ?  II  n'en  est 
rien.  La  Harpe  avait-il  jamais  lu  les  oeuvres  de  Racan? 
U  est  per  mis  d'en  douler. 

Racan  a  compose  un  drame  pastoral  en  cinq  actes  , 
suivi  d'une  mauvaise  6glogue  ,  laseule  qu'il  ail  faite,  et 
qui  est  comme  I'epiloguede  son  drame.  L'inlrigue  de  ce 
dernier  est  exlr^mement  embrouillee.  L'auteur  y  a  fait 
entrer ,  avec  quelques  changemenls,  une  avenlure  mer- 
veilleuse  racontee  dans  le  Timandre  de  Berlaut ,  mais 
en  y  ajoutant  plusieurs  autrcs  intrigues  compliquees  et 
d'une  invraisemblance  extreme,  Cette  pi^ce  qui  forme 
plus  de  la  moitie  deses  oeuvres  est  inlitul^eles  Bergeries. 
La  lecture  en  est  i  peu  pres  aussi  soporifique  que  le 
serait  la  lecture  continue  des  289  sonnets  de  Desportes. 
Ce  sor.t  tantot  des  vers  d'une  platitude  et  d'une  affecta- 
tion extremes,  tant6t  des  declamations  vraiment  extra- 
vagantes ,  qui  font  un  bizarre  contraste  avec  des  gros- 
sieretes  dignes  des  plus  stupides  bouviers.  Un  berger 
parledela  nuit,  qui 

Oui're  autant  d'yeux  au  del  qu'elle  en  ferine  en  la  lerre , 

Et  ou  se  prom^ne 

Mainl  phantosme  hideux  couvert  de  corps  sans  corps. 

Un  autre  berger ,  voyant  une  bergere  dans  un  bois ; 
I'appclle : 

line  deessi  en  terre ,  el  le  soleil  a  I'ombre, 


DE   DESPORTES  ,    DE    BKUTAUT  ,    ETC,  78 

II  est  vrai  qu'au  milieu  detoutcefatras  on  rencontre 
desvers  bien  lournes.  Au  commencement  du  Iroisi^mc 
acte,  il  y  a  memeun  dialogue  assez  toucbant  sur  la 
pais  qu'une  femme  malheureuse  pent  trouver  dans  le 
silence  du  cloitre.  Mais  les  ve:  s  los  plus  tendres  que 
Racan  ait  fails ,  les  voici.  lis  sont  tires  de  la  secondc 
scene  du  second  acte  : 

Je  n'avais  pas  douze  ans,  quand  la  premiere  flame 
Des  beaux  rewxd'Alcidor  s'alluma  dans  mon  ame. 
II  mepassoil  d'un  an ,  et  dc  ses  petits  bras 
Cueilloit  desja  des  fruits  dans  les  branches  d'embas. 
L'amour  qu'a  ce  berger  je  portois  des  I'enfance 
Creut  insensibletnent  sa  douce  violence. 


I 


Mais,  Ignorant  le  feu  qui  depuis  me  brusla, 

Je  ne  pouvois  juger  d 'oii  m«  veno'U  tela  : 

Soil  que  dans  la  prairie  W  vislses  brebis  palstrc. 

Soil  que  la  bonne  grace  au  bal  le  fit  paroislre , 

Ou  soil  que  dans  le  temple  il  fist  priere  aux  dleux^ 

Je  le  suivois  partout  de  I'esprit  et  des  yeux. 

A  cause  de  mon  iigc  et  de  mon  innocence, 

Jc  le  voyois  alors  avec  plus  de  licence, 

Et  souvent  tous  deux  seuls ,  libres  de  tout  soupcon , 

Nous  passions  tout  le  jour  a  I'ombre  d'un  buissoo. 

II  m'appeloit  sa  soeur,  je  I'appelois  mon  fr^re ; 

Nous  mangions  m^me  pain  au  logis  de  mon  p6re : 

Cependant  qu'il  y  fut ,  nous  vescumes  alnsi ; 

Toutcc  queje  roulois,  il  le  vouloit  aussl. 

II  m'ouvrit  ses  pensers  jusqu'au  fond  de  son  ame  ^ 

De  baisers  innocents  il  nourrissoit  ma  flamrae. 

Jo  goutois  ndantmoins  avec  moins  de  douceur 
Ces  noms  respectueux  de  parentcet  de  soetir. 
Combien  de  fois  alors  ay-je  dit  en  moy-mesme, 
Ayant  les  yeux  baissOs  et  Ic  visage  bicsme: 


^4  SUB    LES   OECVRES   POETIQLES 

Jjeau  chef-d'muvre  des  cierix,  agrCable  paslcur, 
Qui  (lu  mal  quP  je  sens  estcs  le  seul  aulheur , 
Avec  moins  de  respect,  soycz-moy  favorable. 
Nfi  soyez  point  mon  frere ,  ou  soyez  moins  ayraable. 
Mais  quoy !  cet  aveugld  nc  mc  regarde  pas ! 

Que  de  naturel ,  de  giAcc.  de  naivelc  touchante  dans 
CCS  vers,  que  I'on  relienl  pour  les  avoir  lus  unc  fois! 
Mais  qui  s^avise  d'allcr  les  cbercber  dans  ce  drame 
insipid,-?  Dans  un  autre  passage,  Racan  a  presque 
rencontre  le  ton  de  la  bonne  comedie ,  sans  quitter  la 
ton  poetique  dc  la  pastorale. 

SfLENE. 

Ma  Slle ,  h  quelle  fm 
Toulez-rous  aujourd'hui  vous  lever  si  matin?' 
Le  soleil  n'a  pas  beu  \'egnil  de  la  prairie : 
Cela  nieUra  le  raal  en  voslre  bergerie. 

.     ARTfeMCE, 

Nostrc  chien  ,  qui  rcsvoit  dc  moment  en  moment 
An  loupqueson  penser  luy  forgcoit  en  dormant, 
D'un  veritable  loup  m'a  fait  naistre  la  cralnte. 

SiLENE. 

L'inutile  soucy  dont  voire  ame  est  atleinle 
Nem'esfque  Irop  cogneu  ;je  ne  puisl'ignorer, 
Etc'estce  qui  me  fail  jour  ct  nuR'l  souspirer. 
Je  sgai  ce  qui  vous  met  la  puce  dans  I'oreille. 
3e  vishicr  icy  Ic  loup  qui  vous  reveille; 
Mais  si  tost  qu'il  me  vil ,  il  rebroussa  ses  pas , 
Fasch6  d'avoir  Irouvd  ce  qu'il  nc  cherchoit  pas. 
11  nc  faut  point  pour  luy  ni  rougir  ni  sousrirc. 

Aktunice. 

Jc  ne  puis  dcviner  cc  que  vous  voulcz  dire. 


DE   DESl'OUTJtS  ,    Uli    BliUTALT  ,    ETC.  "J^J 

SiLENE. 

A  quoy  vous  scrt  cela  ,  de  le  dissimulcr? 
Vous  sfavez  bien  colui  de  qui  je  vcux  parler. 
Ne  me  le  eel ez  plus ;  j'ai  d^couvcrt  la  mine : 
Ce  n'est  pas  avcc  moi  qu'ii  faut  fairela  fine. 
Je  sgay  que  vous  aimez  celuy  qui ,  {'autre  jour, 
Menoil  le  premier  bransie  en  noire  carrefour, 
Et  soullrez  sans  mon  sceu  I'afTcclion  secrelte 
De  ce  pauvre  incogneu  qui  n'a  que  sa  houlelfe. 

Ici  vient  un  elogc  de  la  bonne  grace  du  berger  , 
trop  poetique  ct  trop  pompeiise  dans  la  boucLe  du  peie. 
Mais  les  vers  suivants  sontfovl  bons  : 

Mais  ces  jeunesbergcrs,  si  beaux  et  si  ch^ris, 

Sont  meilleurs  pour  amants  qu'iis  ne  sont  pour  maris : 

lis  n'ont  aucun  arrest ;  ce  sont  esprits  volages. 

Qui  souvenl  sont  lous  grisavant  que  d'dlrc  sages, 

El  doit-on  souhailar  pour  leur  ulilUe 

De  voirflnir  leur  \ieat'ecqug  leur  beauf6: 

Semblablcs  a  ces  llcurs  donl  Vt^nus  sc  couronne, 

De  qui  jamais  les  fruits  n'enrichissent  I'automne. 

Onbliez ,  oubliez  I'amour  de  ce  berger , 

Etprcnez  en  son  lieu  quclque  bon  manager, 

De  qui  la  fa^on  masle ,  a  vos  ycux  nioins  genlille,. 

Tesmoigne  un  esprit  meur  a  rcglr  sa  fumille. 

El  donl  la  main  ,  robuste  an  metier  de  C6res , 

Fasse  ploycr  le  soc  en  fcndanl  les  guards. 

Vous  estcs  grande  assez  el  devriez  csUe  sage, 

Et  plustosl  projeter  quelque  bon  mariage 

Que  de  vous  amuser  a  ces  folles  amours. 

AllTENICE. 

Mon  pere,  h  quelle  fin  tcndenl  tous  ces  discours? 
Si  je  banlc  Alcidor,  en  dois-jc  cslrc  blasnice? 
Ce  n'csl  ni  pour  laimcr,  iiipour  en  cslrc  aimce. 


76  SUK   LES  OELVUK-6  POtriQlJES 


Ce  me  sera ,  mon  pdrc ,  un  blcn  Inestimable 
De  meurlr  avec  vous  la  fleurde  mon  printcmps 
Avant  que  d'en  partir. 

SlLfeNK. 

C'est  comme  jc  I'entends ; 
Et ,  certes,  le  seul  bien  a  quoy  je  veiix  pr(5lendrc 
Est  qu'avant  mon  trespas  vous  mc  donnie/  uh  gendre, 
Dont  Ic  bon  naturcl  me  venant  a  propos 
Medonnc  le  moyen  de  mourir  en  repos. 
Je  n'auray  plus  regret  de  lui  quiter  la  place , 
Quandje  verray  mon  sangrevivre  en  voire  race. 
Je  croisque  Lucidas  serait  bien  votre  fait: 
La  fortune  lul  rit;  tout  lui  vientisouhait; 
De  vingt  paires  de  boeufs  il  sillonne  la  plaine  ; 
Tous  les  ans  ses  acquests  augmentent  son  domalne  ; 
Dans  les  champs  d'alentour  on  ne  voit  aujourd'huy 
Que  ch6vres  et  brebis  qui  sorlent  de  chez  luy  ; 
Sa  maison  sefait  voir  par  dessus  le  village  , 
Comme  fait  un  grand  cbesne  au-dessus  d'un  bocage.      Etc. 

S'il  y  avail  dans  les  Beigeries  de  Racan  beaucoup 
de  scenes  ecrites  d'un  ton  aussi  nalurel ,  la  lecture 
pourrait  en  elre  tres-interessante.  Mais  il  n'en  est  pas 
ainsi :  Artenice  a  ete  surprise  par  son  pere ,  precise- 
ment  k  la  fin  d'une  longue  et  absurde  declaration  centre 
les  tyranniques  lois  de  rhonneur  ,  qui  veulent  qu'uuc 
femme  soit  vertueuse. 

Gette  declaration  a  paru  si  convenablc ,  si  juste  et 
si  jolie  k  M"*.  Deshoulieres ,  qu'elle  Ta  imitee ,  repro- 
duile  ,  retournee  en  tous  sens  ,  je  ne  sais  combien  de 
fois  ,  en  ses  fades  idyllcs. 

Le  rcstc  des  ocuvrcs  de  Racan  sc  compose  d'une 


DB   DE8P0BTKS  ,    DB    BliRTAL'T  ,    ETC.  77 

traduction  faible  des  sept  psaumes  de  la  penitence , 
de  sonnets ,  dc  poesies  legeres  ,  ct  surtout  de  stances 
et  d'odes.  Dans  ccs  poesies  diverses,  la  plupart  sont 
pleines  d'affectalion  et  de  mauvaisgout,  mais  quelques- 
unes  sont  fort  belles ;  par  excniple ,  line  ode  dans  le 
genre  des  poesies  legeres  de  Bertaiit ,  compos6e  decinq 
strophes  charmantes ,  dont  voici  les  deux  premieres : 

Phllis,  vous  avcz  beau  jurer, 
Quand  vous  prolcstcz  d'ignorer 
Lc  dcsir  dont  Amour  nous  touctie: 
Les  yeux ,  que  vous  avez  si  doux , 
Ddmenlant  vostro  belle  bouche , 
Seront  plus  croyables  que  vous. 

Vous  sentez  lout  ce  que  jc  sens : 

Vos  discours  les  plus  innocents 

Sont  pleinsde  ruse  ct  d'artilicc. 

Je  ne  croy  plus  a  voire  foy ; 

Je  connais  trop  vosire  malice  : 

Vous  n'estes  enfant  que  pour  moy.  Etc 

Trois  autres  odes  se  rapprochent  du  genre  pastoral. 
Dans  Tune,  le  berger  Daphnis  exhale  ses  plainles 
melan(  cliques  .  La  Harpe  en  cite  le  commencement  et 
la  fin,  qui  sont  reniarquables  par  la  douce  harmonic  des 
vers.  Le  milieu  est  du  plus  mauvais  gout ,  et  forme  la 
parlie  principale.  line  autre  est  une  chanson  de  berger 
a  la  loiiange  de  la  reine  mere.  Sur  huit  strophes,  trois 
sont  mauvaiscs  ,  une  est  faible  ;  les  qualre  autres  sont 
ingenieuses  et  tournees  avee  une  grace  charmante : 

Paissez ,  chcres  brebis ,  jouissez  de  la  jnic 
Que  le  cici  vous  envoie. 


7®  sun    LES   OEUVUES    POETIQUES 

A  la  fin  sa  ch'inencc  a  pili6  dc  nos  plcurs. 
Allcz  dans  la  canipagnc,  allez  dans  la  prairie; 

N'6pargnez  point  les  fleurs: 
II  en  revient  assez  sous  les  pas  de  Marie. 

Nous  Bc  rcverrons  plus  nos  campagnesd(5sertes, 
Au  lieu  d'cspics  ,  couverles 

Do  tant  dc  bataillons  I'nn  !\  rautie  opposcz. 

L'innoccncc  et  la  paix  rcgncront  sur  la  terrc. 
El  les  Dieux  apaiscz 

Oubliront  pour  jamais  I'usage  du  tonnerre. 


La  nymphe  dc  la  Seine  incessammcnt  revere 

Ccstc  grandc  bcrgere. 
Qui  chasse  de  scs  bords  tout  sujoct  de  soucy ; 
Et,  pour  jouir  long-lcmps  de  I'heurcuse fortune 

Que  Ton  possede  icy , 
Porte  plus  lentcment  son  tribut  a  Neptune. 

Paissez  done,  mcs  brebis,  prenez  part  aux  d61ices 

Donf  les  destins  propices 
Par  un  si  beau  remede  oal^niry  nos  doulcurs. 
Allcz  dans  la  campagnc,  allez  dans  la  prairie, 

N'^pargnez  point  Icsileurs: 
n  en  revient  assez  sous  les  pas  de  Marie. 

Enfm ,  la  troisieme ,  cc  sont  les  cclebres  stances 
sur  la  letraite.  II  n'y  a  dans  Malhcrbc  aucunc  piece  de 
vers  de  cette  etendue,  ouil  y  ait  si  pen  a  reprendre.  Cos 
quinze  stances  sont  reniarquables  par  une  grande 
douceur  et  un  heurcux  abandon  ,  et  en  meme  temps 
il  y  a  dans  plusieurs  une  veritable  elevation  avec  beau- 
coup  de  siniplicite.  Nous  nousbornonsa  regret  a  citer 
les  qualre  plus  belles,  c'est-a-dire  les  trois  premieres 
et  la  derniere  : 


DE  DESrORTES  ,  DE  BERTAL'T  ,  ETC.       79 

Tirris ,  il  faul  pcnscr  h  fairc  la  rctraite: 
La  course  de  nos  jours  est  plus  qvth  demi  faitc; 
L'Ago  inscnsiblement  nous  coniluit  i  la  niort. 
Nous  avons  asspz  veu  sur  la  nicr  de  ce  monde 
Errcr  au  gi(?  dcs  Hots  notrc  ncl"  vagabonde : 
II  est  temps  de  jouir  des  d6lices  du  port. 

Le  bicn  de  la  fortune  est  un  bicn  pi^rissablc  ; 

Quand  on  b;\tit  sur  ellc ,  on  bitil  sur  le  sable ; 

Plus  on  est  ^\o,\6 ,  plus  on  court  de  dangers: 

Les  grands  pins  sent  en  buttc  aux  coups  de  la  lempeste, 

Et  la  rage  des  vents  brise  plustost  Ic  feste 

Dcs  maisons  de  nos  roys ,  que  dcs  toicts  des  bergers. 

0  bicn-heurcux  celuy  qui  pcutde  sa  m6moire 
ElTarcr  pour  jamais  cc  vain  cspoirdo  gloirc, 
Dont  rinutile  soing  traverse  nos  plaisirs , 
Et  qui ,  loing  rcliri  de  la  foule  imporlune , 
Vivant  dans  samaison  content  desa  fortune, 
A  se/on  sun  pouioir  mesur(5  scs  dCsirs. 


Agrdables  desserts,  s6jour  de  I'innocencc, 
Oil,  loing  des  vanitez  ,  de  la  magniliccnce  , 
Commence  mon  reposet  finit  mon  tourmcnt , 
Valons ,  fleuves ,  rochers,  pldi^anie.  solitude , 
SI  vous  fustes  tesmoings  de  mon  inquietude  , 
Soyez-le  d6sormais  demon  contentcmcnt  (1). 

(i)  n  y  a  (jviclcmmeiit  J.iiis  les  qiiinie  stancis  Ju  RaiMii  ,  commc  on  pent 
t'eu  cnnv.iincie  en  les  lisant  en  eiitiur ,  des  imitations  ile  roJe  iVHoraeo  A  Liii- 
uiiis  5111  la  nie.liocrite  ,  et  ile  I'l-pocle  siir  la  vie  clianlpetie.  Gamier  a  iliiite  ces 
ileus  oiles  iVlIoiace  Jans  le  premier  et  le  secoiiil  L-luciir  ile  fia  traj;eilie  de  Toreie, 
et  uvidemnieiit  Kacan  a  tradnit  en  langagc  IVanrais  et  poeticjiie  le  maluvais  si;  le 
de  Gamier  ,  aiK^uel  il  a  empmnte  quehiues  traitb  qui  ne  soiit  pat  dans  le  poi^te 
latin.  La  premit>re  et  la  dernit'-re  staiiee  sont  prestpie  les  scules  qui  soieiit 
entliremsnt  de  Raeaii.  K  ous  citerons  seiilement  quelques  vcls  de  Gamier  pour 
en  doniier   line    idee: 

Notre  coiirte  felicitc 

Coule  et  rt'LOule  vagabonde, 


Ho  SIR    LES   OCIVUE5   POtTIQtES 

Racan  s'cst  encore  eleve  assez  haul  dans  une  ode  au 
roi  Louis  XIII  j  quelques  strophes  sent  faibles  ,  niais 
aucune  n'est  mauvaise ,  et  plusieurs  sont  fort  remar- 
quables : 

Desjii  la  Discorde  enragee 
Sortoit  des  goiifTrcs  de  I'enfer ; 
Desja  la  France  ravag(^e 
Revoyait  Ic  siccle  de  fer , 
Et  dcsji  loutes  les  Furies, 
Renouvclant  leurs  barbarics, 
Rcndoient  les  vices  triomphants 
Par  une  impi(5l6  si  noire  , 
Que  la  Nuicl  m^me  n'eusl  peu  crolre 
Avoir  produit  de  tels  cnfants. 

Touterois  nos  rages  civiles 

Ont  Irompd  I'espoir  des  meschanls ; 


Comme  iin  gallon  agitd 
Des  vagn^a  contraires  tie  I'onde, 
Celiiy  qui  volage  iejonde 
Sur  un  si  douteuj:  fondement , 
Semhle  (pi'en  I'arAne  ivfcconde 
11  eTitreprt'jtne  un  haUinient, 
Ij.l  Fortune  n'outrage  pas 
Volontien  les  personnes  basses  , 
Hlle  n'appesantit  scs  bras 
Que  stir  les  plus  lllustres  races. 
Les  rois  rraigni-nt  plus  ses  menaces 
Que  les  durs  Itzboureurs  ne  font  , 
JEt  lefoudre  est  souvent  aux  placet 
Qui  se  muntagnerit  plus  le  front. 

VoiliV  Jans  ce  dernier  vers  le  haut  parler  etles  expressions  choisies  qni  plai- 
saieat  A  KousarJ.  Dans  ccs  deux  nii-nies  rliopurs  pastoraux  de  Gamier,  on 
Irouve  ,  eu  fait  d'epitlictes  A  la  nianit!;re  <lo  Ronsavd  ,  les  foiidres  estifnuXf  U'ft 
troupt'aux  porfe  laines  ,  le  rutsseau  fontenier ,  raihre  Palladin  ^  Jo  penpte 
itomu/iVn  J  etc.  Et  Gamier  utait  couteniporain  de  Desportes,  de  Bcrtaiit  i-t  de 
Mallierlio. 


DE   DESPORTKS ,    DE    BERTAUT  ,    ETC.  8 I 

La  pah  rend  la  pompc  en  nos  villes 
£t  I'abondancc  dans  nos  champs; 
Et  niainlcnant  qu'en  asseurance 
II  conduit  la  nof  de  la  France  , 
Et  que  les  plaisirs  ont  leur  tour , 
Ses  yeux ,  qui ,  pour  venger  nos  larmes, 
S'arniaient  d'edairs  dans  les  allarmes , 
Sont  arm6s  d'attraicls  pour  I'araour. 

A  I'eloge  de  Louis  XIII  et  de  la  reine ,  succede  ce 
beau  souvenir  d'Henri  IV : 

Ce  grand  Henri ,  dont  la  m6moire 
A  triompli6  du  monument, 
Est  maintenant  combld  de  gloirc 
Sous  les  voAles  du  firmament  ; 
La  nuict  pour  lui  n'a  plus  de  voiles ; 
11  marche  dessus  les  estoilles, 
II  bolt  dans  la  coupe  des  dieux  , 
Et  voit  soubs  ses  pieds  les  tempestes 
Venger  sur  nos  coulpables  testes 
La  juste  colere  des  cieux. 

Nous  pourrioiis  ciler  en  entier  la  consolation  auduc 
de  Bellegarde ,  sur  la  mort  du  due  de  Termes,  son 
frere  ,  ode  oil  le  ton  eleve  de  la  poesie  lyiique  est  bien 
soutenu  d'un  bout  a  I'aulre.  Quelqnes  strophes  seule- 
nient  sentent  trop  Thyperbole.  Voici  les  plus  belles: 

La  gloire  esloit  Ic  but  de  son  ambition  , 

L'amour  de  la  vertu  la  seule  passion 

Dont  il  cstoil  espris ,  soil  en  paix  ,  soit  en  guerre ; 

Et.sortant  romme  toy  de  la  tige  desDieux  , 

Crpendanl  que  le  sort  I'arrestoit  sur  la  terre  , 

Tous  ses  voeux  ne  lendoientqu'a  relourner  aux  cieux. 

Disormaisce  guerrier  est,  selon  son  cnvie, 
Parvenu  par  la  tnnri  a  la  c61es(e  vie. 


82  SUB    LES   OEUVBES   POETIQLES 

Apres  s'estre  assoiicy  des  apas  de  I'honneur: 
Les  Dleux  I'ont  rctir6  des  morlellcs  alarmes , 
El  si  rien  k  present  peut  troubler  son  bon-heur, 
C'est  de  le  voir  pour  lui  r^pandre  lant  de  larmes. 

Voili  (le  vraics  consolations  !  El  plus  loin 


Croy-tu  ,  qupjoiiissanl  d'une  paix  si  piofonde  , 
II  voulust  k  present  que,  selon  tes  d^sirs, 
Le  ciel  Ic  renvoyast  aux  miseres  du  monde  ? 


El  pour  terminer  : 


Au  lieu  de  ga  dcspoullle,  ayme  sa  renommee: 
C'est  sur  quoy  le  deslin  n'aura  point  de  pouvoir. 

II  y  a  encore  plus  de  noblesse ,  de  grandeur  el  d'har- 
monie  dans  ces  six  strophes  consecutives  d'une  ode  en 
I'honneur  du  due  de  Bellegarde  : 

En  vain  lors  des  esprils  envieux  de  sa  gloire 
D6gorg^renl  le  fiel  de  leur  malice  noire 
Pour  luy  ravir  I'honneur  dont  il  est  reveslu : 
L'<quil6  de  ses  moeurs ,  qui  luy  servoit  d'oegide. 
Fist  quapr^s  ses  Iravaux.i  la  fin.celAlcide 
Porta  mesme  Junon  d'admirersa  vertu. 

Tel  qu'un  chesne  puissant ,  dont  I'orgueilleuse  teste , 

Malgr6  tons  let  efforts  que  luy  fait  la  tempeste , 

Fait  admirer  Nature  en  son  accroissement ; 

El  son  tronc,  v6n6rable  auxcampagnes  voisines, 

Attache  dans  I'enfer  ses  profondes  racincs , 

El  d«  ses  larges  bras  louche  le  firmament : 

Tel  psrul  ce  guerrier,  quand  Icnrs  foUes  pens^ci 
Tftchircnl  de  ternir  ses  actions  pass6es. 
Plusil  fut  fraversfi,  plus  it  ful  glorieui : 
S«  barqui  triompha  ducourroui  de  Neptune. 


DB    DESPORTES ,    DE    BKRTAUT  ,    ETC.  83 

El  les  flots ,  qii'(5mouvoienl  los  venls  de  la  Fortune, 
Au  lieu  de  I'engloutir ,  lYleverenl  aux  cicux. 

Ses  lauricrs,  rcspcclez  dcs  lempcstes  civiirs, 

Dans  les  champs  oil  la  Sone  ^pand  ses  (lots  Iranquiles  , 

Proti'gerent  T^niis  en  nos  dcrniers  mallicurs : 

Aux  venls  sedilleux  ils  ddfendoienl  I'cnlrtV, 

Et  n'cn  souffroient  aucun  ,  dans  loule  la  conlr^e  , 

Que  ccluy  seulement  qui  fail  naislre  les  fleurs. 

Dcsjii  se  ratisoient  nos  rages  domesliques, 
Desja  Mars  apresloil  les  spectacles  Iragiques 
Par  qui  Ton  voil  lombcr  les  empires  a  bas  : 
Jamais  sa  cruaul6  n'a  produit  tani  de  plainles, 
Non  pas  mesme  jadis ,  quand  les  cendrcs  esteinles 
Ne  sccurcnt  au  bucher  esteindre  Icurs  d^bats  (1). 

Toutesfois  sa  prudence,  a  noire  ayde  fatale  (2)  , 

Calma  de  nos  discors  la  passion  brutalc , 

Et  tnticha  nos  fureurs  d'un  sentiment  humain  : 

Bellone  s'apaisa  centre  toute  esp^rance , 

Et  le  fer  eguise  pour  d^truire  la  France  , 

Encore  toutsanglant ,  lui  tomba  de  la  main. 

Le  mouvement  lyrique  de  cette  ode  cntiere  est  beau. 
II  ne  s'y  Irouve  pas  line  seule  strophe  qu'on  puisse 
appeler  mauvaise  ,  presque  toutes  ont  quelque  genre 
de  merile  ,  et  il  y  regne  une  grande  variete  de  tons. 
Le  poele  rhanlc  d'abord  la  boaute ,  les  grAces ,  les 
amours  de  son  heros  pendant  sa  jeunesse  ,  sa  valeur  , 
sa  vertu  supcrieure  a  I'envie  ,  sa  prudent e  sagesse  qui 
a  contribue  a  calmer  les  discordcs  civlles  ;  enfin  il 
s'cleve  contre  Tinjustice  de  son  siecle  ,  dont  les  crimes 
semblcnt  avoir  lasse  la  vengeance  divine : 

(0  AHujion  a  In  Thibai'de.  La  flamme  dcs  cadanes  d'EleocI«  et  de  Polinic  « 
*<  separa  lur  le  bucher. 

(a)  C'est-fl-dive  rei^i'vee  par  les  destinspotir  n^ns  sermirir.  On  troin*  g«ni\ciit 
1«  mnl /o//r/ i-iiiploTw  Hiiisi  ilaiis  M.illierhe  *■!  dnns   Km<  hii. 


84  sua    LES   OKUVRES   POKTIQUES 

Nos  crimes  trop  frequents  onl  Iass6  le  (onncrrc; 

Lc  cielne  punilphislVw^''«nc#  tie  la  terre 

Qui  desja  reproduit  tanl  dc  monslrcs  divers : 

Le  dcstin  absolu  rcgne  a  sa  fanlaisie  ; 

LPS  Dicux  ,  dans  lour  Olympe,  enivrcz  d'ambroisic , 

Sc  d6chargent  sur  luy  du  soin  de  I'univers. 

II  y  a  certainement  bien  aulant  de  noblesse  e(  w 
grandeur  ,  plus  d'heiireuse  hardiesse  de  pensee  et 
d'expression  ,dansles  bonnes  odes  de  Racan  .  tres-peu 
nombreuscs  ,  il  est  vrai ,  que  dans  les  meilleures  ('e 
Malherbe  ,  et  Racan  ,  bien  superieiir  ^  son  maitre  , 
dans  le  genre  tendre  et  gracieux  ,  se  Irouve  encore  , 
malgre  le  jugenient  de  La  Harpe,  I'avoir  pourleraoins 
^gale  dans  le  genre  le  plus  eleve  de  la  poesie  lyriqne. 
II  est  vrai  qu'il  est  venu  apres  lui.  Mais  Bertaut  les 
avail  precedes  tons  deux. 

C'est  Bertaut  qui  a  trouv^  le  style  noble  et  soulonii 
dcs  grands  sujets  poetiques  apres  la  vaine  tentati\e 
de  Ilonsard  ,  de  mcme  qu'apres  Roiisard  ,  Desporlcs 
avait  SH  revenir  au  genre  de  Marot,  sur  les  traces  duqucl 
il  a  niarche  avec  succes  dans  ses  meilleures  composi- 
tions ;  mais  Dcsportes  n'a  gnerc  reiissi  que  dans  les 
sujels  legers  et  gracieux.  Des  quatre  poefes  dont  nous 
nous  sommes  principalement  occupes  dans  cemcmoire, 
celui  qui  a  fait  lc  plusde  bons  vers  dans  les  genres  les 
plus  varies,  celui  qui  a  monire  le  plus  de  veritable 
inspiration  poetique,  c'est  Bertaut;  apres  lui  ,  c'est 
Racan.  Malberbe  a  perfeclionne  la  slro|)lie  lyrique  ,  et 
a  fait  un  Ires-petit  nonibre  de  fort  beaux  vers  ,  presquc 
tous  dans  un  seul  genre, dont  il  trouvaitdans  les  o-uvres 
de  Bertanl  desmodeles  qu'il  n'a  pas  surpasses.  Cepen- 
dant  le  nnm  de  Malherbe  est  reste  j  celui  de  Bertaut 
est  presque  tonibe  dans  ToKbli. 


RHYTlIMrQUE 


DU 


VEIiS  ALEXA]\^PEI.\ ; 

Par  M.  F.  VAULTIER  , 

PROFESSSOR  A  LA  FACULTE  DES  LETTRES 

DE  l'academie  royalh  de  cakw. 


II  est  bien  coniiu  que  ce  qu'on  appelle  pied  syUabique. 
dans  le  versfrancais,  n'est  qu  un  moyen  artificiel  d'cii 
verifier  la  mesure ,  et  non  pas  un  elrinent  nalurel  cic 
xoii  harmonic;  la  plupart  de  nos  vers  ,  debilcs  de  nia- 
niire  a  en  faire  senlir  la  coupe  en  pieds  sjllabiques  , 
produiraient  I'effel  le  plus  ridicule  pour  Toreille  aussi 
bien  que  pour  le  sens. 

L'eleinent  harnioniqtie  est  une  chose  a  chercher  ail- 
leurs. 

L'harmonie   des  vers  ,  dans   toute  langue ,   est  le 
rcsuUat  propre  de  sa  composition  rliYthmique. 

On  appeller/iy</t/«t'  toute  combinaison  de  mouvemcnls 


85  ANALYSE    RHVTIlMIQLIi: 

et  de  repos  entre  lesquels  rorcille  peut  saisir  iin  rapport 
da  sy  me  trie  ou  de  proportion  (i). 

Tout  mot  entier  ,  ou  tout  assemblage  de  mots  ,  pre- 
sentant  une  idee  complete,  et  apres  lequel  on  peut  faire 
une  couite  pause  de  voix  et  de  sens  ,  dans  la  versifica- 
tion fran^aise,  peut  etre  considere  comme  un  rhythme, 
ou  une  portion  rhythmique  du  vers ,  et  il  n'y  en  esiste 
d'aucune  autre  espece. 

Tout  rhythme  ,  ou  portion  de  rhythme  ,  fran^ais ,  tcl 
qu'il  vient  d'etre  defini ,  se  termine  necessairement  par 
une  syllabe  pleine  ,  seule  ,  ou  suivie  d'une  autre  sjUabe 
en  e  muel ;  la  dcrniere  svllabe  pleine  est  toujours  celle 
sur  laquelle  se  fait  I'eclat  de  voix  j  elle  est  accentualle , 
dans  le  debit  et  dans  le  chant  ,  et  repond  aux  syllabes 
acccntuees  des  langues  ou  I'existenco  en  est  connue. 

Lemouvement  de  ces  rhythmes  fran^ais  est  toujours 
des  syllabes  faibles  h  la  syllabe^r/e  ,  laquelle  ferme  la 
combinaison :  s'il  y  a  finale  en  e  muet ,  cette  finale  ne 
( omptc  pas  comme  partie  du  rhythme ,  et  s'assortit 
avec  les  premieres  syllabes  du  rhythme  suivant. 

Tout  vers  francais  est  susceptible  de  se  decomposer 
en  rhythmes  et  portions  rhythmiques,  dont  le  melange  et 
lassortiraent  en  constituent  toute  Tharmonie. 

Ceux  qui  ont  essaye  de  poser  les  bases  de  notre 
theorie rhythmique,  ont voulurapporter  jusqu'a  certain 
point, nos  rJiythmeikVeKel  despieds  mctriques  des  Latins, 
et  leur  en  ont  applique  les  noms ,  en  avertissant  seule- 


(0  C'est,  comme  on  I'a  fort  bien  dit,  en  le  consid6rant  spMa- 
lemenl  dans  la  musiquc  ,  la  partie  de  fair  que  pern  ent  rendre 
la  baiteinents  du  tambour. 


DO    VERS   AI.EXANDKIN.  87 

in*-!!!!  que  le  jeu  des  syllabes  accentuies  el  non  accen- 
tiiees  ou  simplemeiitybr/e*  et  JaibUs ,  y  remplace  celui 
des  quanlitds  grecques  et  lalines ;  rexemple  de  ce 
changement  de  sens  ,  dans  les  noms  des  elements  de  la 
versification,  nous  avail  6t6  donn6  par  d'autres  nalions. 

Nous  ne  voudrions  pas  les  iniiler  dans  celle  applica- 
tion de  termes  anciens  i  des  objets  tout  nouveaux  :  il 
nous  semble  qu'il  ne  pent  rt^sulter  d'une  telle  operation 
que  des  chances  de  meprise  sur  les  choses ,  et  d'einbar- 
ras  dans le langage. 

Ce  qu'il  y  aurait,  selon  nous,  de  mieux  i. fairs  k  cet 
e^'ard  ,  serai f,au  contraire  ,  d'imposer  k  ces  nouveaux 
eldmonts  de  la  versification  ,  des-  noms  nouveaia  , 
«onime  I'idee  de  la- chose  ,  et  propres  A  en  indiquer  la 
nature  ou  la  forme  :  on  pourrail  les  composer  du  njot 
grec  ^wvi)  (  voix  ou  son )  ,  en  y  joignant  un  nom  de 
nombre  ,  ddsignant  celui  de  leurs  syllabes.;  on  aurait 
ainsi  des  Dipkones  ,  des  Triphones  ,  etc. 

Quel  nombre  demesureseleraentaires  decetteespeeg 
faudrait-il  admetlre  ?  G'est  une  question  A  decider  j 
quelques-uns  de  ceux  qui  se  sont  occupes  derecbercbes 
analogues,  onl  cru  qu'il  ne  fallait  pas  admettre  du 
rhythmes  au-doli\  de  quatre  syllabes  ;  cola  n'a  pas  suffi 
pour  rendre  conipte  de  tous  les  vers  dont  ils  onl  essays 
I'examen  ,  el  les  a  conduits  k  declarer  vicieux  des  vers 
qui ,  pourne  pouvoir  pas  se  preter  i  leur  analyse,  n'en 
paraissenl  pas  plus  mauvais  d'ailleurs. 

Au  fait ,  il  y  a  rhythme  dans  loute  combinaison  de 
syllabes  que  r Oreille  peut  appreciei' ;  il  ny  aurait  au- 
cunc  raison  de  borncr  le  rhythme  k  un  nombre  plut6t 
qu'aun  autre,  tant  que  son  cffct  demeure  saisissahle; 


88  ANALYSE    RUYTUMlQt'E 

seulement  on  con^oit  que  les  plus  simples  et  les  plus 
svriietriques  sont  ceux  qui  se  feront  toujours  le  mieux 
sentir  :  I'ancienne  pratique  de  versification  ,  par  les 
repos  qu'elle  a  etablis  clans  les  vers  au-dessus  de  huit 
syllabes,  indique  que  ce  serait  k  la  rigueur  le  plus  long 
terine  que  la  combinaison  put  atteindre  ;  elle  n'y  par- 
viendrait  presque  jamais ,  et  il  est  meme  tres-rare 
qu'elle  arrive  a  celui  de  six. 

Le  rhytbmeleplus  simple  est  celui  de  deux  syllabes  ; 
celui -li  suit  exactement  le  mouvement  des  pieds 
syllabiques : 

Joas  —  laiss6  —  pour  mort  =  frappa  —  soudain  —  ma  vue.... 
Tin  vaste  —  amas  —  d'airain,  s  d'argent,  —  d'ivoire — et  d'or... 
Mais,  quoi!  —  du  cor  —  bruyant,s:j'entends  —  d6}k  —  les  sons.... 

Quelques-uns  diraient  que  ces  trois  vers  sont  com- 
poses dVawz^es /Vj/Z/uwiywe^;  nous  avons  dit  pourquoi 
nous  rejetons  ce  lerme ;  celui  de  diphSnes  nous  parait 
devoir  le  remplacer  utilement  j  ce  sont  done  trois 
alexandrins  diphoniques  purs  ,  sans  melange  d'aucun 
autre  element. 

Dans  les  exemples  suivants ,  le  mouvement  est  de 
trois  en  trois : 

Tout  le  del— relentitsdes  Mats— de  la  foudre. 

A  vos  yeux ,  —  sous  vos  mains ,  =  il  se  roule  —  en  torrent.... 

El  les  OS  —  disperses  =:du  gdant  —  d'Epidaure.... 

Ceux-ci  sont  exclusivement  composes  de  triphones  ; 
que  quelques-uns  nommeraient  annpesles. 
II  y  a  combinaison  des  deux  rhythmes  dans  ceux-ci : 


DU    VERS    .iLEXANDniN.  89 

Soudain  — lemont  — liquide;=(?lev6  —  dans  les  airs.... 
II  fallut  — qu'au  travail  r: son  corps— rendu  — docile.... 

Composes ,  comme  on  !e  voit ,  chacun  de  trois  diphoncs 
et  de  deux  triphones  ,  en  combinaison  inverse  I'lin  dc 
I'autre  ,  les  diphones  commencantle  premier  el  Cnissant 
le  second ,  et  reciproquenient. 

Le  diphSne  et  le  triphone  sont  les  plus  simples  et  les 
plus  beaux  de  nos  elements  rhylbmiques  ;  mais  ils  ne 
sont  pas  les  seuls  qui  entrent  dans  la  composition  de 
nos  vers. 

Apres  eux  ,  vient  le  rhyfbme  de  quatrc  sjUabes  , 
que  nous  appellerons  teiraphone  ,  et  que  d'autres  ont 
Youlu  a^pe\er  choriaml^e. 

On  le  trouve  combine  de  huit  manieres  avec  le  di- 
phoiic  dans  les  vers  : 

Les  pr6  —  tres  ne poucaient^i  suflire  —  aiix  sacrifices.:.. 

Je  I'obseri'ois  —  hier  =  et  je  voyais —  ses  yenx.... 

Aux  yeux  —  et  dans  les  brassidtses  parents  —  en  pleurs.... 

Persecute  —  long-temps  ,  rssut  vaincre  —  et  pardonner.... 

11  flolte  —  irresolu,  =la  peur — enfin  —  remportc.... 

£n  tourbillons — bruyanls  =  ressaim  —  fougueux  —  s't^Iance..., 

Trois  ccrfs  —  aufront  —  superhe=: errant — dans  la  campagne..,. 

Parlout  —  des  pleurs',  — du  sang,=:rfej  hurlements — terriblcs.... 

Employe  avec  des  hemistiches  triphoniqueSjW  fournit 
ces  quatre  corabinaisons : 

11  cntre  — e/  le  palais^sc  reniplit  — dc  soldats.... 
Vcs  6a/ai7/ortj— enlierssremplac^s  — a  linstant,.,. 


r)0  ANALYSE    nUYTUMlQl'B 

Par  vos  soins  —  pr^voyants  s;  leur  nombre  —  est  redouble',... 
De  ses  bras  —  innocents  =  ye  me  sent  is —  presser.... 

Aiiisi  done  des  i  present ,  et  seulement  avec  ces  trois 
premiers  elements  rhythmiques  ,  noire  alexandrin  ,  si 
soiivent  accuse  d'uniformite,  par  Tes  Strangers  d'abord, 
et  ensuite  par  iiotre  nouvcltc  eiole  ,  notre  alexandrin  , 
selon  eux  ,  invariablement  semblabhi  i  lui-nieme  ,  se 
trouve  au  contraire  deji  susceptible  de  seize  vari^tes 
de  combinaisons  toutes  distinctes ,  que  repr^sealent  les 
chiffres  suivanls  (i)  :. 

t.  2.  2.  —  2.  2.  2. 

3,  3.  —  3.  3. 
f.  4.  —  2.  ♦. 

4.  2,  —  4.  8. 

2.  2.  2.  —  3.  3. 

2.  2.  2.  —  2.  4. 

2i  2.  2.  —  4.  %i. 

3.  3.  —  2.  a.  2. 
3.  3.  —  2.  4. 
3.  3.  —  4.  2; 

9.  4,  —  2.  2.  2. 

(1)  L'anglais  Blair  est,  sll  nous  en  souvient ,  le  premier  qui  se 
toil  avls6  de  ce  reprocbe  d'Mn//brm//e',  devenu  depuis  si  bannai', 
el  qu'ii  fondaitsurcctte  belle  observation  de  versification  comparde: 
que  I'alexandrin  fran^ais  de  douze  syllabes  n'aqu'une  seuh  cesure, 
toujours  imariablemenl  placde  apres  la  sixierae,  tandis  que  celle 
du  vers  h^roique  anglais  de  dix  .  par  exemple,  est  mobile,  et  peul 
se  fairea  volonte  apr^s  le  deuxi^me  ou  le  troisicme  de  ses  pleds;  on 
aura  occasion  dejuger  plus  tard  ce  qu'il  en  est  de  I'unique  cesure 
Je  I'alciandrui. 


DV    VERS    ALIi\AM)UlPf,  9I 


a.  i. 

—  3.  3. 

2.  4. 

—  4.  2. 

4.  3. 

—  2.  2.  2. 

4.  2. 

—  3.  3. 

4.  2. 

-  2.  4. 

Mais  n'avons-nous  pas  d'autres  elements  rhythmiques 
plus  longs  ,  et  i  ceux  que  nous  avons  designes  ,  ne  faut- 
il  pas  ajouter  encore  au  moins  le  pentaphone  et  Vhejca- 
phone?  Nousle  pensons ;  autrementil  faudrait  declarer 
vicieux,  dansles  chefs-d'oeuvre  de  nos  meilleurs  pontes, 
un  bon  nombre  de  vers  que  personne  n'y  a  jamais  blA- 
nies ,  et  rejeter  de  notre  poesie  plusieurs  termes  et 
assemblages  de  termes  ,  dont  elle  se  passerait  difficile- 
men  t. 

Ainsi  dans  les  vers  : 

De  rimmortalite  =:noh]e  et  dou  — ce  espdrance.... 
Je  ne  me  souviens  plus^des lemons  —  de  Neptune.^. 
S'dcrou — te,  torn  —  he,6cTiz:se  en  se  precipitant, ... 
Quel  sera  —  ce  bienfait  =  ?««  /c  ne  comprends  pas  !>..,. 

11  est  clair  que  les  hemistiches  :  de  I'immortalite ,  — 
je  ne  me  souviens  plus  ,  —  en  se  precipitant ,  —  et ,  que 
fe  ne  comprends  pas,  sont  des  rhjthmes  de  six  syllabes, 
ou  bien  qu'ils  doivent  se  decomposer  en  rhythmes  plus 
courts,  ou  bien  encore  qu'ils  ne  doivent  etre  consideres 
que  comme  une  suite  de  syllabes  sans  rhythme. 

Si  ce  sont  des  syllabes  sans  rhythme ,  le  vers  est 
vicieux  dans  une  de  scs  moitics  tout  enliere ,  et  alors 
ce  n'est  plus  un  vers. 


()2  ANALYSE    UHVTU.MIQUE 

Les  decomposer  en  ihylbmes  plus  courts  parait 
impossible,  puisqu'ils  ne  presenlent  aucune  syllabe 
aci  entuable  ,  si  ce  n'cst  la  derniere  ,  aucun  repos  de 
sens  praticablc,  si  ce  n'cst  colui  qui  en  marque  la  fin  ( i ). 

Les  admeltre  pour  rhytbraes  de  six  syllab.-s  ,  sous  Ic 
noni  d'hexaphoncs  ,  nous  scnible  la  seule  solution  pos- 
sible dela  difliculte. 

Vhexaphone  admis  ,  il  n'y  a  aucune  raison  de  ne  pas 
admettre  cgaleiiicnt  un  pentnplwnc  ;  nous  croyons  re- 
connaitre  Texistence  de  ce  rhytbme  dans  les  vers: 

Non,  — je  neferai passes  qu'on  veul  —  que  je  fasse.... 
Trui  —  ne  en  pre'cipilanl z::scs  flols  —  amoncel6s....     Elc. 

Oil  ces  passages  :  je  neferai  pas ,  et  en  precipitant , 
distincts  de  (e  qui  les  precede  et  de  ce  qui  les  suit .  et 
places  enlre  deux  pauses  naturelles  ,  ont ,  selou  nous  , 
tous  les  caracteres  d'un  rhytbme  distinct,  analogue  a 
tous  ceux  que  nous  avons  pretendu  etablir. 

Une  difiiculte  se  presentc  sur  la  nature  des  deux 
monosyllabes  qui ,  ea  s'associant  aux  pcntaphones , 
dans  les  deux  exemples  cites  ,  en  coraposent  avec  eux 
les  deux  premiers  hemistiches. 

(1)  Quelques-uns  de  ceux  qui  ont  essaye  de  poser  les  bases  de 
noire  theorie  rhylhmiquc ,  onl  pens6  lever  la  difflcull^  en  admcKant 
de  pr(?tendus  accents  sur  des  monosyllal)es  de  sens  incomplei , 
prf  posilions ,  pronoms ,  articles ,  etc. ;  ou  bien  encore  sur  une  des 
syllabcs  radicalcs  des  polysyllabos  longs  (  des\ntcresse ,  etc. )  Mais 
ces  accents  n'existent  pas ,  ou  si  on  les  admcltait ,  il  faudrait  rccon- 
natlrc  qu'ils  sont  d'une  nature  particiiliere ,  ne  marqiiant  aucune 
espece  de  pause  de  sens,  et  ne  pouvant  par  cons(^(picnt  determiner  la 
Dn  d'un  rliyihine  ,  dans  la  sipnilication  qu'a  pour  nous  ce  mot. 


Elle  se  prcsenlerade  nouveau  siir  I'emploi  deniono- 
syllabes  analogues  ,  que  nous  Irouvcrons  ailleuis  , 
places  en  divers  postcs  ,  aver  d'aulres  couibinaisoiis  , 
quelquefois  ineme  plusieurs  de  sui(e  ,  comme  dans  les 
vers  ci-apres : 

Cieux ,  — 6coulcz  —  ma  voix  ,  =  ler-re ,  pre— le  roreillc... 
Toi, —  qa'U  pleurait  — la  nuU,=s/o/,  — qu'il  pleurait  — le  jour.... 
Contre  (ant  — d'ennemis,  =que  vous  reste-t-il?  —  moi.... 
Va  —  cours  —  vole ,  —  Arfthusc ,  =  amene-moi  —  mon  fils.... 

II  est  clair  que  ,  pris  a  part ,  chacun  de  ces  monosyl- 
labes  n'est  pas  un  rhytbme ;  tout  rhytbme  suppose; 
rapport  de  parties  cntr'e/les ,  etil  n'y  a  point  de  parlies 
dans  un  monosyllabe.  Mais  coninic  d'ailleurs  en  se 
combinanl  avec  d'autresrhytbmes  ,  ces  niemes  mono- 
syllabes  remplissent  visiblement  cette  fonction  ,  de 
completer,  au  moins  sous  le  rapport  d'effel  numeriqr.e, 
ce  qui  ,  sans  eux ,  eat  pu  clocber  dansle  vers  ,  il  n'y  a 
pas  nioyen  dc  nier  qu'ils  en  dcvieniicnt  une  partie  in- 
dispensable, un  element  naturel  el  rhjthniiejue,  comme 
les  aufres  ;  c'ost  sousce  point  de  vue  que  nous  croyons 
devoir  les  considerer,  ct,  a  ce  litre  ,  nous  ne  balancons 
pas  a  adjoindre  encore  celui-ci  aux  precedents,  desquels 
ilouvrira  pour  nous  la  seriesousle  titrede  monoplwne. 

Ceci  pose  ,  si  nous  cberchons  ([uelles  sont  les  for- 
mules  nouvcllos  du  vers  alexandrin,  que  pourra  fournir 
Temploi  de  Vhexnplume  el  du  pentophone  complete  , 
son  equivalent  ,  dans  leur  combinaison  propre  et 
reciproque  ,  et  aiissi  en  melanj^e  ,  avec  les  formes 
d'hemislicbes  dej;i  connues,  nous  Uouvons  (prdles  ne 


q4  ANALYSE    RHKTHMIQUE 

vont  pas  A  nioins  de  33,  qu'on  peut  representer,  comme 
les  prec^dentes ,  par  les  chiffres  ci-apres  : 

5.  1.  —  5.  1. 

1.  5.  —  1.  5. 

6.  —  6. 

5.  1.  —  I.  5. 
5    1.  —  6. 
1.  5.  —  5.  1. 
i.  5.  —  6. 

6.  —  6.  1. 
6.  —  1.  5. 

5.  1.  —  2.  2.  2. 

5.  1.  —  3.  3. 

5.  1.  —  2.  4. 

5.  I.  —  4.  2. 

1.  5.  —  2.  2.  2, 
1.  5.  —  3.  3. 
1.  5.  —  2.  4, 

1.  5,  —  4.  2. 

6.  —  2.  2.  8. 
6.  —  3.  3. 
6.  —  2.  4. 

6,  —  4.  a. 

a.  2.  2.  —  5.  1. 

3.  3.  —  5.  I. 

2.  4.  —  5.  1. 

4.  2.  —  5.  1. 

2.  2.  2.  —  1.  5. 

3.  3.  —  1.  5. 
2.  4.  —  1.  5. 

4.  2.  —  1.  S. 


DC   VERS    AI.EXANDRIN.  ^5 


8.  3.  9.  —  6. 

3.  3.  —  6. 

9.  4.  —  C. 

4.  2.  —  0. 

Enspmhip. •     . 

33. 

A  joindre  les  formes  prdcedcnles. 

16. 

Total.    ...        49. 

Que  si  niaintenant ,  independamment  du  r61e  qu'il 
joue  avec  le  pentaphone  ,  dans  le  tableau  ci-dessus  , 
introduisant  d'ailleurs  le  monophone  dans  toules  Ics 
combinaisons  primitives ,  et  le  promenant  seul ,  ou 
mcnie  deux  ou  trois  fois  repet^  ,  dans  tous  les  poslrs 
qu'il  peut  occuper  dans  cbaque  hemisticbe  ,  k  cote  dcs 
rhylhnies  de  deux ,  de  trois  et  de  quatre  syllabes  , 
nous  essayons  de  decouvrir  quels  nouveaux  cbange- 
ments  vont  en  resulter  dans  la  contexture  rbytbmique 
du  vers  ,  nous  arriverons  A  no  plus  savoir  qu'en  dire 
d'exact. 

Le  calcul  des  possibles  ne  donnerait  pas  moins  de 
8oo  modes  nouveaux  ;  quelques-uns  peut-etre  seraient 
a  rejeter  ,  comme  etrangcs  ,  ou  nicnie  ridicules ;  unc 
ceniaine  sont  du  meilleur  effet ;  ceux  ,  par  cxeniple  , 
dans  lesquels  entreraient  les  formules  des  hemistiches  : 

1.  1.  9.  8. 
8.  1.  1.  9. 

1.  I.  1.  3. 

f.  1.  4. 

1.  9.  3. 

1.  3.  S. 
8.  1.  3. 


C)(>  ANALYSE    UlIYTOMIQUB 

2.  3.  1. 
:!.  i.  1. 

3.  1.  2. 

Etc. 

On  pent  n'ctre  pas  d'accord  siir  le  caraclere  el  la 
propriete  des  aulres  ;  il  nous  importe  peu  qii'on  en 
rejette  quelques-uns  de  plus  ou  de  moins. 

En  tout  cas  ,  nous  voici  arrives  A  rcconnaitrequecet 
alexandrin ,  si  accuse  de  monolonie ,  ne  laisse  pas 
d'etre  susceptible  de  tant  de  formes  ,  qu'il  devient  era- 
barrassant  d'en  assigner  le  nonibre ,  et  que  dans  un 
niorceau  suivi  de  vers  de  cetle  espece ,  tels  que  nos 
grands  poetes  ont  su  lesfaire,  il  doit  etre  rare  que 
deux  de  suite  aient  la  ineme  coupe  et  le  meme  niouve- 
ment. 

On  conroit  que  le  reproche  banal  d'une  prelendue 
symetrie  parfaite  des  deux  bemistiches  entr'eux,  n'est 
pas  autremenl  fonde. 

Maitre  de  les  varier  a  peu  pres  de  toutesles  manieres 
que  suppose  la  corabinaison  des  chiffres  propres  a 
represcnter  le  nombre  six  ,  si  le  poete  les  fait  quelque- 
fois  seniblablcs  ,  c'esl  qu'apparemment  il  le  veut  ainsi ; 
la  nature  du  vers  comporte  tout  et  ne  le  force  a  rien  ; 
jc  ne  pense  pas  que  dans  Tanalyse  suivie  d'un  morceau 
de  Racine,  on  trouve  babilucUement  un  vers  sur  huit , 
dont  les  heniislicbes  respectifs  soient  semblables 
entr'eux,  el  la  fanieuse  conqjaraison  de  ses  vers  a  sa 
perruque  ,  restc  un  mot  de  dcnigremenl  aussi  faux  que 
pauvre  ,  et  que  dorenavant  rignoranre  presompturuse 
aura  seulo  le  droit  de  repelor. 


DU    VERS   ALEXANDRIN.  9^ 

Si  Ton  a  suivi  avec  quelquc  attention  le  d^veloppe- 
mcnt  qui  precede  ,  on  aura  reniarque  sans  doute  que 
chacun  des  rhythmes  ,  dont  nous  admettons  renii)!oi 
dans  levers  alejcandrin,a  desproprieles  tres-distincles, 
el  que  leiir  combinaison  doit  y  produire  des  effets 
d'harmonie  qui  ne  pourraient  s'expliquer  que  par  eux. 

Ainsi  I'effet  du  diplwne  est  grave  et  lent ;  repete 
plusieurs  fois  de  suite  dans  le  vers  ,  11  y  exprime  par- 
faiteinent  I'effort  ct  la  pesanteur  ,  surlout  lorsqu'il  y 
proccde  de  la  breve  k  la  longue  ,  A  la  mani^rc  de 
Yiambe  metrique ;  c'cst  par  li  que  s'expliquent  les  pro- 
prietes  de  ces  vers  si  connus  : 

(Quatre  boeufs— attel(?s)=5rf'Mn  pas  —  tranquilU  —  et  lent..,, 
Tracdt  —  a  pas  —  taidifs  —( im  p6nl  —  ble  sillon).... 
Protee  —  alors  — /tag^«a«<=:{  vers  I'antre  — .  accoutum6).... 

Lc  triphone  est  le  plus  bel  element  de  noire  versi- 
fication ;  ses  caracteres  generaux  sont  la  noblesse  et 
rbarmonie  ;  repete  de  suite,  il  incline  aux  mouvements 
vifs  ,  si  sa  marche  n'est  rallcntie  par  des  syllabes  lon- 
gues  ;  il  est  superbe  surtout  dans  la  forme  anapestique, 
ou  il  prend  beaucoup  de  solennite.  Ces  differents 
effets  sont  particnlierement  rcniarquables  dans  les  vers : 

Le  moment— oil  je  parler:est  d(?ja  —  loindc  moi... 
Un  poignard  — 61amain  =  rimplacal)le—  Alhalie... 
Eh !  quel  temps     fut  jamais  =  pins  fertile  —  en  miracles  ?.. 

Mis  en  opposition  avec  le  diphune  ,  dans  des  hemis- 
ticbes  correspondants  ,  il  produit  des  contrastes  de 
mouvementsmerveillcux  dans  los  suivanls  -. 


98  ANAl.VSK    ll!5YTIIMl(,H  K 

(^ii'Ajat  —  soiiU'Vc  —  nil  101  =  < /  /''  hinct  —  <uec  peine... 
Siitnlaiii—  Ic  monl  — liqui(lc  =  '"7rir  —  (/wz/s  /cs  airs... 
Eiifin  —  la  por—  Ic  loiiibc  ,  —ai().\il6l  —  an  s'elance.  .. 

Lcs  rbylhnics  plus  longs  ,  c'est-a-dire  le  tetraphone  , 
le  pmiaphone. ,  el  \hcxnphbne  ,  ont  eiiscniblp  ,  niais 
ilans  des  tlegros  diffcrcnls  .  la  piopriele  de  peindredes 
luouvcMuenls  vopidcs  ,  priicipiUs  ou  tuniulliienx  ;  on 
aura  pu  en  remarquer  les  cffels  dans  qiielques  e\emples 
tiles  ;  d'aulres  se  represenlent  dans  ceux-ci  : 

Lc  dnt  —  r/(//  /  (ipportn  —  reciilc  —  epnuvanle. ... 

Cc  roi ,  — /?/>  de  David, ,  =oii  —  le  chcrckerons-nnus  ?.... 

Je  te  I'fii  confie  zzdes  I'ft  — gc  le  plus  tr/tdre... 

Le  propre  du  monophonc  est  suiiout  do  delacher  for- 
tement  deloutaulreauire,  rolijelsur  lequel  il  roncenlre 
rallenlion  ,  et  d-  faiic  ressorlir  avec  vivacile  les  qua- 
liles  imilatives  du  mol  qui  Texprime  ;  il  communique 
surlout  j\  Fexclaniaiion  et  i  rai)Osliophe  un  caiaelere 
de  soli  nnite  et  d'energie  remarquable  ;  redouble  oti 
triple  dans  les  comniandomcnis  et  les  enumeralions, 
il  y  peint  vivement  ledesordre  des  senlinienls  ( t  celui 
des  ehoscs  ;  place  a  deux  posies  correspondants,  dans 
des  pbrases  correlatives ,  il  y  fait  ressorlir  le  conlraste 
ou  le  rapport  des  objels ,  par  ceux  d'une  sorle  de  cri 
d'aniionce.  Tout  cela  sera  sensible  dans  les  exemples 
ci-apres  : 

Out,  —  je  vicns  — dans  soil  temple  =  adorer  —  I'^trrnel.... 
Dieux .'  —  que  ne  suis-je —  assises  a  lom-  bre  des  forfls !.... 


UL    VERS   ALEXANDRIN.  t>) 

fironde—'cn  tigrc—  irrit6 , zzglisse—e{  sirtle  —  en  serpen!.... 
f^a  ,—  cours ,—vole ,  —  Ar^lhuse ,  =am6ne-nioi—  inon  filsl.... 
Bois,~i)res,~champs,—a.n\ma.\i\,  stoutest— pour  son  usage.... 
L'une  •*-  embrasse  —  n  gcnou\  =  scs  colon  —  ncs  sacrdes.... 
V autre  — 'j  col  — lesa  bouche,=cl  ses  mains,  — el ses  yeui.... 
Tui,  —  qu'il  pleurait  — la  niiit,=:^w,  —  qu'i!  plcurait— le Jour..,. 

C'est  done  en  cffet  dii  melange  et  de  rassortiment 
bien  cntendu  de  ces  coupes  que  rcsulle  surtout  la 
beaule  malerielle  du  vers;  I'essenliel  est  d'en  appro- 
prier  le  mouvement  a  celui  des  choses  ,  et  de  faire  con- 
courir  les  cffcts  du  rhylbnie  a  Texpression  de  la  pensee 
ot  du  sentiment. 

Dans  noire  theorie  ,  tout  rhythme  est  determine  par 
un  repos,  et  lout  repos  a  la  suite  d'un  ibylhnie  est  ce 
que  nous  appelons  une  cesure.  Ainsi,  A  la  difference  de 
ceux  qui ,  rcstreignant  ce  nom  au  repos  de  I'hernisliche, 
ont  dit  que  notre  alexanclrin  n'a  qu'une  cesure  ,  lou- 
jours  placee  apres  la  sixiemc  svllabo  ,  et  a  la  difference 
aussi  de  ceux  qui ,  pour  les  combattre  ,  ont  repondu 
qu'outre  le  repos  oblige  de  Miemistiche  ,  notre  nlexan- 
drin  avail  toujours  une  autre  cesure  Hire  ,  placee  on 
le  iK)cte  le  jugeail  ci  propos  ,  et  qui  f:u(fisait  pour  on 
varier  la  marche ;  nous  dirons  ,  nous  ,  que  beaucoup 
de  nos  vers  alexandrins  ont  cinq  cesures  ,  qu'il  y  en  a 
pen  qui  en  aient  nioins  de  trois  ,  que  ceiix  de  deux  sont 
rares  ,  et  que  ce  serail  presque  un  lour  de  force  d'en 
faire  qui  n'en  eussenl  quune  ,  puisqu'on  ne  pourrait 
les  composer,  chacun,  que  de  la  reunion  de  deux  hexa- 
pftone*,  c'est-A-dire  de  la  repetition  immediate  d'un 
rhylbme  qui ,  menie  dans  toute  autre  combinaison  , 


lOO  ANALYSE    HmrUMiOVH 

est  d'lin  usage  asscz  borrs^  pour  que  nous  n'on  con- 
naissions  guore  que  les  exeinplcs  que  nous  avoiis  cites 
en  leur  lieu. 

Entre  les  diverses  cesures  qui  peuvent  enlrcr  dans 
la  composition  du  vers  alexandrin  ,  toutes  ne  sont  pas 
d'une  egalc  importance;  Ic  repos  qui  marque  la  fin  dc 
la  phrase  ,  ceux  qui  delermincnt  La  suspension  de  ses 
nienibres  ,  ceux  encore  que  Ton  pent  inlroduire  entre 
les  elements  parliels  de  c(  s  memes  membies  ,  doivent 
naturellement  diff6rer  entr'eux  (X! intonation  et  de  durce; 
cela  semble  a\oir  6t6  scnti  de  tout  temps ;  mais  la 
pratique  de  nos  poeles  consacre  deux  modes  d'appli- 
cation  tout  opposes  d'une  seule  et  mi^me  obsrrvation. 

Los  uns  ,  pour  la  regularite  de  la  composition  ,  ont 
voulu  que  les  grands  el  Icsmoyens  repos  lombassent  en 
general  a  la  fin  du  vers  ;  que  ceux  de  i'hemisliclie 
fussent ,  autant  que  possible  ,  de  nature  moyenne  ,  et 
surtout  qu'aucun  grand  repos  ne  se  trouvAt  jamais 
ptace  ailleurs. 

Les  aulres ,  en  vuc  dc  la  varietc ,  ont  affectd  de 
ronipre  k  dessein  cet  accord  rigourcux  du  sens  et  des 
mesures,etde  Jeter  dans  levers  des  effets  de  suspension 
et  de  surprise  ,  en  arretanl  brusqucmentle  sens  ,  apres 
les  premiers  mots ,  ou  immediatemenl  avant  les  der- 
niers  ,  de  Tun  ou  I'autre  bemistiche  ,  de  manierc  que 
les  postes  des  pauses  prcscrites  fussent  rarcment  ceux 
ou  se  rencontrent  les  gramls  rcpns. 

Le  premier  de  ces  deux  modes  est  celui  que  nos 
grands  po(itesdu  17"^.  siec'e  ont  exclusivement  employe 
dans  leurs  compositions  du  genre  lieroique ;  quelques- 
uns  d'entr'eux  ont  fait  usage  du  second  dans  les  ou- 


DU   VUBS   ALEXANDni.V.  lOI 

vrages  du  caraclere  simple  et  faniilier  ;  les  formes 
principalos  de  ce  dernier  ont  6lc  transportees  ,  depuis 
environ  Go  ans  ,  dans  la  poesie  la  plus  solenncUo, 
avec  ci:  conspeclion  el  intelligence  par  Ics  uns,  avec 
audace  el  bizarrerie  par  les  autres  ;  une  ecole  loule 
nioderne  parail  disposee  i  pousser  les  cboses  an  point 
A'alterer  tout-h-fail  le  rhythme ,  c'esl-i-dire  ce  qui 
conslilue  I'l  ssence  mome  du  vers. 
Ainsi  lorsque  Delille  a  dil : 

Soudain  —  le  mont  —  liquide  =  (!-lev6  —  dans  les  airs , 
Retombe ;  —  un  nolr  —  limon  =  bouillon  —  na  sur  les  mcrs. 

Ou  bien  encore  s 

L'univers  —  (5branl6  =  s'6pouvan— te ;  le  DIeu-, 

D'un  bras  —  6tlncelant  =  dardant  —  un  trail  — de  feu....        Elc. 

II  esl  clair  qu'il  n'a  pas  dispose  les  cesures  selon 
I'ordre  de  leur  inxportance  relative  ,  niais  ce  qu'il  a 
fail ,  on  sent  parfaitement  que'le  raison  il  a  eiie  de  le 
faire  ,  el  celte  raison  est  assez  bonne  pour  que  per- 
sonne  nc  songe  k  le  b'amcr  de  n'avoir  pas  fait  autre- 
ment. 

On  a  di\  (ie  mcme  accueillir  avec  plus  ou  moins  de 
faveur  ,  ces  vers  de  Lebriin  sur  la  puissance  de  Dieu  • 

Du  char— glac6  — de  I'Oursesaux  fcux  — deSirhis, 

II  r(?gne ;  —  il  rcgne  —  encore  =  oil  les  cieux  —  ne  sont  plus. 

Et  ceuxd'/^Mf/re  Chcriicr  ,  sur  le  vicux  Homcre: 

C'cst  ainsi  — qu'achevai(=:raveuslc  -  en  soupirant. 


I02  ANALYSE   KHYTHMIQUK 

Et  pres  des  bols  —  marchait  ssfaible,  —el  sur  une  plerrc  , 
S'asseyait.... 

Ou  nidme  encore  ceux-ci  de  Malfdlatre : 

On  cntendit  — au  loin  =  retentir -►une  roii 

Lamentable ,  —  et  des  cris  z:  sorlis  *-  du  fond  —  des  bols. 

Dans  tout  cela ,  il  y  a  d^placement  visible  de  presque 
tous  les  grands  repos  j  niais  ceux  qui  marqucnt  les 
hemistiches  etlcs  finsde  vers  ,  sent  encore  de  nature 
moyenne  ,  ou  du  moins  paraissent  tels  ,  jusqu'a  ce  que 
Timpression  en  ail  et6  affaiblie  par  cellc  du  repos  plus 
fort  qui  les  suit  de  si  pr6s. 

L'effet  total  d'ailleurs  y  laisse  subsister  le  jeu  des 
rhythmes  dans  son  rapport  avec  celui  des  pieds  sylla- 
biques  ,  et  par  consequent  ne  change  rien  i  la  consti- 
tution intime  du  vers. 

Nous  ne  pensons  pas  que  M.  Victor  Hugo  reclame  le 
meme  jugemont  en  faveur  de  Yalexandrin  retrempe  , 
dont  il  nous  offre  le  type  dans  son  Hernani ;  il  y  vise 
d  d'autres  effets  ,  et  c'est  un  art  tout  nouveau  qu'il  se 
propose  d'etablir. 

Son  secret  consislc  surtout  en  ce  point : 

Qu'i  la  pause  de  I'hemistiche ,  et  aussi  a  celle  qui 
marque  la  fin  du  vers  ,  au  lieu  d'un  mot  de  repos  r6el  de 
premiere  oude  seconde  espece,  souvent  il  affecle  de 
s'arreter  tout  expres  sur  un  de  ceux  qui  semblent  h. 
peine  en  comporteraccidentellement  un  dela  troisieme; 
sur  un  do  ces  niols  d'altenlc,  dont  le  sens  incoinplet  ne 
sera  fixe  (\WQpar  ce  qui  va  le  suivre;  d'ou  il  advienl  que 
la  pause  qu'il  y  fait,  toutc  de  caprice,  peu  sensible, 


DU   VERS   ALEXANDUl.N.  loj 

qiielquefois  nuime  absolunicnt  impiaticable  ,  manjufl 
mal  la  niesuie  du  vers  ,  si  on  ne  force  pas  le  debit  , 
ou  bien  en  disloque  le  sens  et  les  ib^thnies  ,  si  on 
essaie  de  Vy  forcer. 

Co  defaut  exisle  evidemment  i  rhemistiche  des  vers 
ci-apri>s  : 

Je  suis  banni ,  je  suit  — proscrit ,  ]c  suls  funeste.... 

En  attendant,  ye  aV/i  — /rcft  dii  ciel  jaloux.... 

Ne  prenez  que-cf  qui  —  peut  ilre  dut-  oucomlf.^.. 

Mais  que  vcux-lii  ^  ma  pamre  —  erijdiii .'  quand.orf-e*il  vimix.... 

C'esl  TAJlemagne  ,.c'cj/  —  In  Frame  ,  c'csl  rEspagiiCi... 

Un  <5dlfice  ,  oirc  —  deux  homines  au  sommet.... 

On  pent  di  e  ,  au  nioiiis  cos  deux  deiniers  ,  qu'il 
n'y  a  dck'id^ment  aucuric  apparenrc  A'^fie mis l ichc ,  cl 
que  pour  les  separer  en  deux  parlies  egales ,  il  faudrait 
dans  Tune  ct  Taulrc  cooper  un  telraphone.  par  la  moiti»j. 
De  qiielque  fa(j.on.qu'an  lenrenne,  il  est  diflkile  c'e 
recevoir  lout  cela  pour  des  alexandrins  ,•  le  dernier  sur- 
toul  semble  eKprossement  laille  sur  le  inodele  de  cclui 
(jti'on  avail  fait  autrefois  pour  rire  : 

Adieu  ,  je  n>'en  vais  d  —  Paris  ,  pour  mes  affaires^.. 

Et  il  n'cn  exisle  peul-^tro  d'analognes  que  dans  la 
tiagedie  dtt  pi'rrnquier  mailfc  Andre. 

C'esl  qu'i  le  bien  prendre  ,  le  vers  alexandrin  est  en 
effet  un  vers  douh'U  ,  ou  ,  si  on  le  veut  absolument  ,  un 
lonfi;  lers  itnitjue  ,  que  sa  division  en  deux  moilles  rend 
scule  bien  appnciubk  a  I'ureilk;  cellc  division  a  besoin 


lo4  ANALYSE   RHYTOMIQUE 

d'etre  marquee ,  au  moins  par  iin  repos  ,  commcla  Gn 
du  vers  Test,  ordinairement,  ct  par  un  repos  et  par  line 
rime ;  qu'on  supprime  le  repos  de  rhemisliche ,  ou 
qu'on  I'affaiblissc  A  certain  point ,  la  division  dcvicnt 
insensible ;  de  ce  moment  il  n'y  a  plus  de  mesure  sai- 
sissable  ,  par  consequent  plus  de  vers. 

Les  pauses  finales  sunt  de  meme;  un  fait  suit  I'autre ; 
ct  iln'y  auraileuaucuneraison  demarquer  diversement 
les  deux  repos  d'un  vers  double  ;  c'est  aussi  par  dislo- 
cation que  I'auteur  aime  i\  les  falre  ;  et  rcnjanibement 
que  souvent  elles  preparent ,  est  le  plus  communement 
de  I'espece  de  ceux  qui  n'ontaucun  objctde  mouvement 
k  exprimer. 

Tels  nous  seniblent  ces  exemples  : 

Parce  qu'on  est  jaloux  — des  autrcs ,  et  honteux 
De  sot.... 

Car  sescheveux  sonl  noirs,-^et  son  ceil  reluit  comme 
Le  ticn..,. 

Je  suis  Jean  d'Arragon  ,  —  grand  maltre  d'Avis»  ne 
Dans  I'exil,  fils  proscrit— d'un  p6re  assassin^. 

Je  vous  aime ,  Hernani ;  —  je  vous  pardonne ,  et  n'ai 
Que  de  I'amour  pour  vous.... 

Voila  done  ce  qu'il  est ;  — moi ,  je  suis  pauvre  ,  et  Weus, 
Tout  enfant),  que  les  bois ,  —  oti  jc  courais  pieds  nuds.... 

L'effct  dece  systemede  dislocation  est  singulier  dans 
I'espression  des  traits  de  contraste ;  on  dirait  que 
I'auteur  met  i  en  eparpiller  les  termcs  correlalifs  ,  le 
soin  qu'un  autre  prendrait  a  les  faire  correspondre  dans 
les  rhythmes : 

lis  font  et  ddfonl;  I'cn  —  delle  ct  I'autrb  coupe.... 

Liri ,  dans  son  pre  vert ;  moi  ,  —  dans  mcs  noircs  alle'es.,>. 


DU    VERS   ALEXANDKIN.  1 o5 

A  tout  cela  sans  doufe  aussi  il  y  a  des  intentions, 
mais  non  pas  de  celles  qui  saisissent  d'abord  tous  Ics 
esprils  ,  ct  auxquellcs  on  s'associe  de  soi-memc  ; 
dans  le  noble  dessein  d'altcindre  des  cffels  a<]xque!s 
appareninient  I'art  se  refuse  ,  M.  Hus;o  nous  semblc 
etrealle  souvent  jusqu'i  alterer  ce  dernier  dans  ses 
principes  essentiels. 

Tout  system-  bien  entendu  de  lecture  ou  de  decla- 
malion  d'ouvrages  en  vers  ,  suppose  au  moins  le  senti- 
ment dela  Iheorie  rhytlimiquc  ,  et  ne  parait  pouvoir 
s'etablir  que  sur  des  principes  qui  s'y  rapport  ent  ou  en 
soient  deduits. 

L'essentiel  sera  foujours  de  bien  detacher  tous  les 
rhyihmes  ,  ou  ce  qui  rovient  au  meme,  cVobserver  soi- 
gneuscment  tous  les  repos ,  en  donnant  k  chacun  le 
degre  d'imporlance  et  do  duree  qui  lui  convient ,  sans 
forcer  ceux  des  pauses  prescrites  ,  sans  trop  affecter 
aussi  de  les  affaiblir  ,  variant ,  autant  qu'il  se  peut , 
I'intonation  ct  les  mouvcmenls  ,  selon  la  nature  des 
choses  et  Ic  caractere  des  sentiments  exprimes. 

Dans  cette  operation ,  le  lecteur  peut  quelqucfois 
aller  jusqu'A  corrigcr.par  Ic  debit,  des  inoonvcnanees  de 
rhythmes  echappees  au  poete  ,  en  reunissant  en  un 
seul  ce  qui  partout  ailleurs  se  com.pterait  pour  deux  , 
ou  en  subdivisant  au  contraire  en  deux,  ce  qui  a  la 
rigueur  scmble  ne  devoir  en  former  qu'un. 

On  concoit  que  ce  vers  de  Delille  : 

Pcigncz  — en  vers  — legcrssranianl  —  leger  —  de  Flore.... 

ne  doit  pas  etre  lu  corame  si  la  nature  des  objcts  y 


lo6  ANALYSE    KHYTIIMiyt'E 

niolivail  I'dnploi  dcs  rhylhnit's  graves  ;  ic  mieux  seia 
d'y  supprimer  deux  repos  ,  el  d'y  r^uiiir  eii  deux  tctra- 
phones  les  mots  :  en  vers  Icgers  ,  ct  :  Vamant  Ic^cr  , 
qu'on  se  garderait  bien  d'assenibler  ainsi,  s'ils  expri- 
niaient  des  objets  auxquels  convinl  un  autre  niouve- 
iiient. 

Au  contraire  dans  ces  vers  de  Soilcau  sur  les  rois 
faineants : 

AucuTi  soiir—  n'approchail=.de  Icur  palsible  cour.... 

Niille  consideration  ne  justifismt  I'emploi  dcs 
rhylbnies  rapides,  il  sera  bon  de  faire  sentir  la  fin  du 
moipaisihlc  (  de  laquelle  on  tiendrail  ailleurs  pen  de 
compte),  etmenieaussi  d'yeiablir  un  petit  repos  factice 
apres  le  mot  d'attente:  leiir ,  de  maiiieie  i  decomposer 
en  Irois  rbythmesle  demi  vers  final  ,  que  dans  d'autres 
donnees  ,  il  eut  ete  plus4;ettvcnablede  prononcer  sans 
division. 

Deux  sorles  d'embarrasde&plirs  graves  dans  le  vers 
sont  ceux  qu'y  produiraient  d'uiie  part  Tabus  des  longs 
mots  ,  et  de  I'autje  ,  renlasse-ment  da  monosyllal/es 
d'effet  isol6. 

Les  premiers  nepouvant  se  decomposer  en  rlnlbmes 
partiels ,  et  s'emparant  quelquefois  de  tout  un  hemis* 
tiche,  tendent  A  precipiter  le  debit  sur  dcs  syllabes 
sans  arret,  donl  la  signification  ,  ordinairement  loule 
ntetaphysique  ,  est  loin  d'exiger  un  jwreil  mode  d'enon- 
ciation  ;  ceci  s'applique  aux  vers : 

Les  coupa  -  bles  cffcls  =  (/e  leurs  divisions.... 
La  (uperslilionz:qiic%a\  —  Ic  Ic  silence....^ 


DV    VERS    ALEXANDBIX.  I 07 

Le  defaut  des  autres  lienl  i  ce  que,  rcfusant  de  se 
Her  enihylhmes  de  conibinaison,  ilsLatlieraionl  le  vers 
en  fragments  sees  et  brusques ,  dans  la  succession  des- 
quels  Vordre  et  le  nombrc  ne  se  nianifesteraicnl  par 
aucun  rapport ;  telesl  celui  de  eel  excmple  connu  : 

Nez ,  —  cou ,— sein,  —  port,—  tefnt,— tallle,=  en  cl— le  loal ravit.... 

Hors  ce  cas,  Temploi  des  monosyllabes ,  proscrit  par 
une  critique  vulgaire  ,  n'a  rien  de  r^ellemcnt  repre- 
hensible en  vers. 

Boileau  a  tres-bien  dil  r 

Mais  moi,  — qni,  dans  le  fond,=:sais  bien  —  ce (fue  j'eu crois  .„ 

Et  flacme  ( entre  bcaucoup  d'autres  exemples  ana- 
logues )  •- 

Le  jour  —  B'est  pa»—  plus  pur  =  que  le  fond  —  de  mon  coeur.... 

L'emploi  et  la  succession  des  diverses  cspeces  de 
rbjthmcs  dans  les  vers  destinds  au  debit  ,  n'ont  ete 
et  n'ont  du  etre  assujetlis  i  aucune  regie  particuliere  ; 
la  variefe  du  mouvenienl  parait  devoir  £'tre  un  des 
principaux  ni6rites  de  la  composition  ,  et  le  poete  doit 
resler  libre  du  cboix  des  combinaisons,  aOn  de  pouvoir 
toujours  les  assortir  aux  convenances  variables  des 
details  de  son  sujet. 

11  n'en  est  pas  de  mSme  Jes  vers  destines  au  chant ; 
non  sculement  il  est  bon  que  la  conibinaison  i!es 
rl)}  Ihnjcs  y  soit  assujetlie  a  quelquc  rapport  de  symc- 
trie,  niais  il  est  surlout  indispensable  qi:e  les  vers 


Io8  AXALVSK    RHYTllMIQUE 

coiresponclants  de  f'Laquc  couplet ,  destines  au  mrmc 
chant  ,  aient  csactcment  le  nieme  ili^lhme  ,  sansquoi 
los  pauses  dc  I'air  compose  pour  I'un  ,  coupant  raude 
A  contre-teiiips,  lui  feraient  neccssaircnient  produire 
un  effet  ridicule. 
Le  vers  : 

Voici  —  les  lieux  —  cliarmants  =  ou  mon  fi  —  me  ravfe , 

ne  pourrait  sans  dissonnance  sc  chanter  conime  cct 
autre : 

La  victoire  — en  chantant=:nous  ou— vre  la  barrierc; 

parce  qu'd  I'exccption  des  pauses  prcscri les,  tout  est 
different  dans  leur  niouvement  respcctif. 

N.  B.  On  comprend  que  les  principes  essentiels  do 
cette  theorie  doivcnt  elre  applicable?,  outre  Valcxan- 
drin  ,  a  tons  les  autres  vers  francais  ,  de  fpielque  ine- 
surc  qu'ils  puisscnt  ctre  ,  sauf  les  scules  differences 
qui  resuUent  dc  la  condition  nieme  de  leurs  niesures  ; 
c'est  bien  ce  qui  existe  en  effet ;  Ic  seal  point  important 
A  noter  k  cet  egard,  c'est  que  dans  les  vers  de  sept  et 
huit  syllabes ,  la  combinaison  rhythiuique  ,  au  lieu  de 
s'arreter  kVhexaphone,  comma  (^an?,  \e demi-alexan- 
drin  ,  pent  admctlrc  des  formes  plus  longues  d'une  ou 
de  deux  syllabes,  egalantA  I'occasion  I'elendue  tolale 
de  ccs  deux  memos  vers  ,  qui ,  conmie  on  salt ,  ne  sont 
soumis  i  aucune  regie  de  rcpos  prcstrit. 

On  pourra  done  y  trouver  par  fois  des  rhjihmcs  de 
combinaison  analogues  anx  formes  suivantes  : 


DU    VKBS   AI.EXA.NDBIN.  109 

Sije  nc  Ic  disais  pas.... 

Et: 

Vous  ne  me  reconnatlrez  plus.... 

Hcptaphones  el  oclophoncs  indivisibles,  commeon  voit ; 
ce  sont  la  dc  pauvres  rhythmes  ,  que  roicillc  n'appiccie 
guere  qn'cii  cLcrcbant  a  y  saisir  des  appai  en*  es  de 
di'coniposilionsarlificielles,  qui  n'y  sont  j)asen  efi'ol.  lis 
n'en  existent  pas  moins  eux-memcs,  puisque  les  regies 
de  la  versification  commune  ne  les  out  pas  rejetes  ; 
nous  avons  entendu  chanter  ,  dans  une  chanson  de 
1 793 ,  le  vers  : 

Pour  I'indivisibilild. 

L'air  en  faisait  «n  dipltone  et  deux  triplwnes  factices; 
IVffet  ctait  d'autant  plus  grotesque  qu'il  aspirail  a  eire 
solennel. 


Nousdcvons  averlir  ici  quel'idee  principale,  faisant 
le  fonds  de  celte  llioorie,  est  prise  du  grand  travail  de 
Tabbe  Scoppa  ,  siir  les  S3  slemes  compares  de  la  versifi- 
cation francaixe  el  ilaliennc,  ouvrage  precieux  ,  malgre 
scs  defauts  et  ses  erreurs  ,  niais  que  Tauteur  n'a  pas  su 
meltre  a  la  portee  de  tons  les  esprits ,  ni  snrtout  resu- 
mer  enprincipes  d'applicalioii  claire ,  precise  et  melho- 
dique.  Sa  notion  du  rhjthnie  nous  a  fourni  noire  point 


no  AXALVSU    lUIVTIIMIQUE 

dc  (lopart ;  tlans  Ic  roslc  r.ous  avons  entcndu  niarclier 
de  noiis-rncmes  ,  et  sans  nous  allacbcr  aucunement 
soil  i  le  suivre ,  soil  k  revitcr. 

Avant  nous  ,  I'abbe  Gautier  avail  essaye  de  lirer  du 
niome  fonds  ,  sur  ce  sujct  de  la  rncsure  rhythmique  clu 
vers J'rancais ,  un  petit  traile  tout  pratique  ,  qui  ])eat 
avoir  eu  sonulilite  ,  mais  que  nous  jugeons  d'aillcurs 
insuflisant  ct  fautif. 

Plus  ancienneinent ,  ct  bien  avant  Scoppa  ,  d'autres 
critiques  ,  ^Olivet  surtout,  avaienl  aussi  essaye  d'ela- 
blir  des  theories  rhyihmiques ,  mais  en  partant  d'une 
idee  fausse  du  rhythmc;  leurs  recberches  n'ont  pu  nous 
elrc  d'aucun  secours. 


SUR  L'OUVRAGE 

IKTlTULfe  : 


JUGEMENT  DE  M.  DE  SCHELLING  SUR  LA  PHILO- 
SOPHIE  DE  M.  VICTOR  COUSIN; 


Par  M.  E.  SAISSET  , 

Frofesseur  de  philosophic  au  Collide  royal  do  Caen. 


Qiiand  Scbelling  publia  ,  dans  ccs  derniers  Iem{is  , 
i:On  Jitgement  snr  In  philosophic  de  fli.  Cousin  ,  ce  fiit 
iin  ftvenoment  philosophique  au-dela  dii  Rbin.  La  se- 
lieiise  Alleniagne  prcta  I'oroille a  la  voix  du  plus  illustte 
de  scs  peiiseurs  ,  rompant  un  silence  de  pres  de  vingt 
annees  ,  j)our  jiiger  la  philosophie  frangaise  dans  son 
phis  eloquent  organe. 

En  France ,  dans  cc  torrent  de  publications  qui  , 
cliaque  jour  ,  flatlent  les  passions  de  la  foule  ,  le  livre 
dp  Scbelling  s'est  perdu  et  comnie  englouti.  Nous  vivons 
dans  nn  age  de  politique  et  d'induslrie ,  Age  de  fer  pour 
la  nietapbysique. 

J'ai  pens6  ,  neanmoins  ,  que  dans  nne  academic  oi^ 
(ant  d'csprits  edaires    conservenl  Ic    depAl  du   vieil 


112  IIEFLEXIONS 

amour  de  nos  pores  pour  la  philosophic,  dc  courles 
reflexions  siir  Tecrit  trop  peu  connu  de  Schelling  seraieut 
entendues  avec  interet. 


I. 


M.  SthelHng  commence  par  remcrcier  M.  Cousin 
d'avoir  cntrepris  de  former  une  6{roile  alliance  cntre 
Tesprit  (lerAlleniagnecl  Tespril  francais.  l*oiir  la  ft^con- 
dif«^  et  I'originalite  de  la  pensee ,  M.  Schelling  ,  en  bon 
Alleniand  ,  parait  croire  que  son  pays  est  plus  en  me- 
sure  do  nous  faire  des  avances  qu'il  n'a  besoin  de  nous 
eniprur.ter  ;  mais  il  veul  bien  reconnailre  qu'en  fait  de 
style  ct  de  clarte  ,  ses  compatriotos  ont  quelque  chose 
a  gagncr  dans  le  pays  c'e  Descartes.  Ils'el^ve  avec  force 
contre  ce  ridicule  jirojuge  qui  mesure  la  profondeiir 
dos  idees  par  leur  obscuriie ,  et ,  si  Ton  n'y  prcnait 
garde ,  fcrait  bientot  de  la  philosophie  ,  doniaine  de 
I'evidencc  et  de  la  realite  ,  je  ne  sais  quelle  region  fan- 
tastiqiie  peuplec  d'onibres  et  dc  fantfimcs. 

«  Lcs  AUemands  ,  dit-il  ( trad,  franc. ,  p.  3)  habitues 
i  so  regarder  comme  le  peuple  elu  de  la  philosophie  , 
avaient  renonce  A  se  faire  coniprendre  des  autres 
nations  ,  oubliant  que  lebut  primitifde  toute  philoso- 
phie ,  but  souvent  manque  ,  mais  qu'il  n'en  faut  pas 
nioins  toujouis  poursuivre  ,  est  d'obtenir  Tassentiment 
universel  en  se  rendant  univorsellement  intelligible.  » 

On  aime  k  voir  un  metaphysicion  alleniand  faire  un 
si  bel  eloge  de  la  clarte  ,  et  la  recommander  par  dos 
motifs  d'lin  ordre  si  relcve.  Seulement  ,  on  regret(e 
qiielquefois  ,  en  lisanl  I'ecrit  de  M.  Schelling  ,  qu'apres 


SLR    SCUELLING.  Il3 

unc  profession  dc  foi  si  edifianle  ,  il  n'ait  pas  jiig6  4 
propos  d'ajoufer  k  la  verite  du  precepte  la  force  et 
I'aulorite  dc  Texemple. 

Avant  d'aller  plus  loin  ,  nous  hasarderons  une  re-' 
flexion. 

CerJaines  personnes  inclinent  A  penser  que  le  pen- 
chant de  M.  Cousin  pour  la  philosophic  allemande  peut 
bien  meriter  les  remcrciments  de  nos  voisins ,  raais 
qu'il  n'a  pas  les  memes  droits  i  la  reconnaissance  de 
notre  pays. 

Si  ce  reproche  n'avait  d'autre  fondement  qu'un  pa- 
triolisme  honnctc ,  mais  etroit  et  nial  placdi  ,  il  ne 
meriterait  pas  un  cxamen  serieux.  Depuis  quand  ,  en 
effet,  le  patriotisme  est-il  une  vertu  dans  la  republique 
des  lettres  ?Tout  ami  du  heau  et  du  vrai  n'y  a-t-il  pas 
droit  de  cite  ?  La  philosophie ,  comme  la  litterature  , 
comme  les  arts ,  n'esl-ellc  pas  cosmopolite  7  Chaque 
jour  ,  on  fait  honneur  a  M■"^  de  Stael  d'avoir  appris 
aux  amis  de  Corneille  et  de  Racine  c\  admirer  Schiller 
el  Goethe ;  pourquoi  M.  Cousin  serait-il  si  coupable 
d'avoir  ouvert  les  livres  de  Kant  aux  rompatriotes  de 
Condillac  ? 

Mais  on  a  fait  aussi  une  critique  plus  serieuse.  On  a 
accuse rillustre  ecrivaind'allerer  les  heureuses  qualiles 
et  les  saines  habitudes  de  Tesprit  fran^ ais  par  Timpor- 
tation  indiscrete  de  qualites  et  d'habitudes  etrangeres  , 
et ,  pour  ainsi  dire ,  de  detourner  le  cours  limpide 
et  pur  de  la  philosophie  indigene  vers  cp  torrent 
impetueux  et  trouble  oii  flolte  la  pensee  germanique. 

AUons  droit  au  prejuge  on  ce  reproche  a  son  origine ; 
ce  prejuge  fort  invetere  ,  mais  qui  n'en  est  pas  moins 

8 


Il4  KEFLEXIOftS 

deraisonnab'e  ,  c'est  que  la  philosopbte  doil  6lrc  misc 
a  la  porlee  de  lout  le  monde. 

Uu  temps  d'Arnauld  el  de  Malebrar.dic,  on  croyait  on 
France  que  pours'elever  A  Tinlelligence  des  meditations 
d'nn  grand  esprit  ,  il  fallait  soi-memo  avoir  beaucoup 
medite.  Lo  pretention  de  comprcndre  en  se  jouant  ces 
hautes  pensees  ,  fruit  laborieux  du  genie  fecond6  par 
la  reflexion  ,  eut  semble  ridicule  aux  bommes  graves 
de  celle  epoque. 

Mais  depuis  que  Voltaire  devenu  tout  k  coup  grand 
metapbysicien  apres  avoir  feuillete  Locke  ,  eut  tant 
I'gaye  ses  amis  aux  depens  de  la  Fision  en  Dicn  el  des 
Jdees  innees,  depuis  surloul  quel'abbe  de  Condillac  eul 
decouvert  en  Anglelerre  le  merveilleux  sysleme  de  la 
sensation,  il  fut  convenu  que  Descartes  et  Leibnilz 
avaient  decidement  embrouill6  la  metapbysique  ,  et 
qu'avec  la  pierre  pbilosopbale  de  la  sensation  transfor- 
mce  ,  on  al'ait  cbanger  ce  vieux  melal  convert  de 
rouillc  en  or  brillant  et  pur. 

Cette  illusion  deplorable  eut  deux  consequences: 
d'abord  ,  un  niepris  universel  de  la  sagcsse  antique  ,  et 
par  suite  une  profonde  ignorance  des  temps  passes; 
eufiil ,  cequi  est  plus  grave ,  ralleration  du  sens  pbilo- 
sopbique. 

Je  n'exagore  rien.  Qu'on  veuille  bien  me  citer  en 
France,  depuis  Mallebrancbe  ,  un  seul  m(''laphysicien 
du  premier  ordre.  J'ai  beau  parcourir  le  siicle  des 
philoxo/jJies  .  \e  n'ypuis  derouvrir  nn  sysleme  original 
de  pbilosophie.  L'ecole  de  Condillac  a  voidu  rendre  la 
science  facile  el  popuiaire;  mais  ,  comme  on  Ta  fort 
biea  dit ,  au  lieu  u'elever  les  esprits  k  la  bsuteur  de  la 


sea   SCBELLING.  Il5 

philosophie  ,  elle  a  abaiss6  la  philosophic  au  niveau  des 
esprils  frivoles. 

Au  commencement  du  XIX''.  siecle  ,  une  heureuse 
reaclion  conimen^a  a  s'operer  dans  Ics  esprils.  M. 
Royer-Collard  ,  avec  un  admirable  A-propos  et  cclte 
vigueur  d'inlelligence  qui  n'appartient  qu'A  lui ,  vint 
opposer  la  philosojihie  ecossaisse,  la  philosophie  de 
I'observation  et  du  sens  comraun  ,  A  cette  doctrine 
artificielle  dont  I'^troite  analyse  mutilait  I'esprit  hu- 
main. 

Mais  il  nesuflisait  pas  dedetr6ner  Condillac ;  il  fallait 
imprimer  k  la  pensec  un  nouvel  essor.  M.  Cousin 
sentit  que  la  doctrine  des  sages  d'Edimbourg ,  avec  son 
esprit  tiraide  et  ses  perspectives  bornees  ,  (^tait  inca- 
pable de  donner  le  branle  4  des  intelligences  enervecs 
et  comme  assoupies.  Ses  yeux  se  tournerent  vers 
TAUemagne  ,  oil ,  A  ce  moment  mome  ,  un  admirable 
elan  emportait  les  esprils  sous  les  bannieres  rivales  de 
Schelling  et  d'Hegel ,  aux  plus  hautes  speculations  de 
la  pensee. 

Peut-on  serieusement  reprocher  a  M.  Cousin  denous 
avoir  propose  pour  guides  en  philosophie ,  au  lieu 
d'Helvelius  ct  Volney  ,  Leibnitz  ,  Kant,  Fichte,  Jacobi, 
et  pour  I'histoire  de  la  science  ,  d'avoir  mis  au-dessus 
des  aper^us  grossierement  ignoranls  du  XVIII^  siecle , 
la  critique  ingenieuse  ,  solide  et  profonde  d'un  Tenne- 
raann  ,  d'un  Schleiermacher  ,  d'un  Brandis? 

On  dit  que  les  livres  allemands  sont  indechiffrables. 
Je  ne  les  cite  pas  comme  des  niodeles  de  clarte  ;  mais 
j'avoue  qu'en  y  desirant  une  marche  plus  nette  ,  plus 
sAre  ,  plus  degagee  ,  je  n'y    regrotte  pas  du  tout  la 


i)C)  RKvi,i:xio?(s 

clarlc  (In  Dictionnairc  philosophique  ,  iii  celle  dii  livre 
De  I'esprit ,  ni  meme  celle  dr;  rinlroduclion  Irop  voiilt'-e 
de  rEncvclopinlie,  en  an  mot  la  clarle  sleiile  do  i-^\U^ 
philosophic  siipcrficicUe  el  passionnee  qui  a  ('mousse  , 
fausso  ,  perveili  en  France le  verilable  esprit  philoso- 
phiqiie. 

Du  lesleqiron  ne  s'effraie  pas  trop  devoir  la  France 
deriver  vers  rAllemagne.  Les  critiques  deM.  Pchclling 
vonl  nous  convaincre  que  -M.  Cousin,  dans  le  com- 
inene  intiuic  des  genies  etranpers ,  a  s>i  conserver 
toule  rindcpendanre  deson  esprit ,  el  que  s'il  est  sou- 
vent  allemand  par  la  profondeur  de  scs  vues,  il  reste 
toujours  francais  par  sa  mi^lhode. 


II. 


Voi«i  Tordrc  queM.  Schelling  s'est  trace  dansl'exa- 
nien  de  la  doi  trine  frauraise  : 

Apres  une  exposilion  et  unc  critique  generales  de  la 
doclrinede  M.  Cousin  ,  il  parcourt  successivement  les 
points  que  voici  : 

i".  LaMelhode  ; 

2".  L'applicalion  de  la  niethode  ; 

3°.  Le  passage  de  la  Psychologic  i  1  Ontologies 

4".  Les  vues  generales  sur  I'hisloire  de  la  philosophic. 

Dans  son  exposition  gen6rale  ,  M.  Schelling  deter- 
nune  avec  beaucoup  de  justesse  cl  de  precision  cequ'on 
peut  appeler  avec  lui  rindividualilc  philosophique  de 
M.  Coiisin. 

Conune  sou  siecle,  M.  Cousin  est  parli  de  Condillac, 
mais  pour  s'en  separer  bienlAt.   II  a  pris  des  mains  de 


Sl'R    SCUIiLLl>C.  1  I" 

1  ecole  sensualiste  !a  mtMhode  psychologiqiic  dont  clip 
;illeiait  la  verUi  par  iinc  analyse  inCdcMc,  it  a  ontropris, 
|»ar  celfe  melhodc,  a  la  fois  large  el  sihe  ,  de  recons- 
Iniire  les  Laiilos  parties  de  la  srieme,  el  dc  rctroiiver 
dans  la  iiatuie  humaine  ces  grandes  veritos  ,  foi  eter- 
nolle  du  genre  hiunain  et  elernel  ubjel  de  la  philosophic, 
que  r6troil  systenio  dc  la  sensation  s.  mblait  avoir 
t'touffees. 

Etd'abord,  stir  les  Iraoes  de  Maine  de  Biran ,  il 
constate  et  decril,  a  cote  du  phc^ioinene  dc  la  sensation, 
iin  phenonieue  qu'au<nne  traiisforniaffon  ne  pcist  v 
laniener,  le  pbeuonicne  de  I'activite  volontaiie. 

L'aclivite  est  le  siegede  la  liberte  et  de  la  responsa- 
bilite  ,  par  conscqHent  de  la  personnalite  humaine.  La 
sensation  ,  fataie  coinme  les  (bi^es  qui  la  pioduisent  , 
est  si  loin  de  constiluei' la  personne  ,  le  moi ,  quVUc 
lend  sans  cesse  A  ralTaiblir  el  i\  labsorbcr.  L'honime 
est  avanl  tout  une  (oice  libie. 

Mais  au-dessus  de  la  sensation  et-  de  ractivile  , 
robservation  voit  a{)j)araitre  une  faculty  superieure  qui 
les  edaire  et  les  domine  ,  e'estla  raison.  La  raison  se 
niontre  dans  rhommo ,  niais  elle  vient  de  plus  haul. 
K'^lle  s'incline  ,  en  quelque  sorte  ,  vers  nous  ,  pour  nous 
clever  jusqu'A  la  source  d'oii  elle  emanc.  C'est  die  qui 
nous  decouvre  la  substance  sous  le  phenomene,  la  cause 
dans  I'errel ,  I'ordre  dans  la  nature  ,  relernile  au-del<i 
du  temps  ,  I'espace  par-delA  de  retendue  ,  Tinlini  daiis 
e  fini  ,  I'invisible  dans  le  visible,  Dieu  enlin  dans  la 
nature  et  rhunuuiito.  Grace  a  celtc  racullc  ,  IVsprif 
huniain  IVancliil  les  limiles  de  Tobservalion  par  roltscr- 
\ation  meme ,  et  jette  les   fondenienls  d'une  scicm  e 


Il8  BtFLEXlONS 

plus  elevee  que  la  psychologic  ,  la  science  de  I'etre 
rontologie,  science  aussi  positive  que  la  physique* 
puisqu  elle  prend  sou  point  de  depart  dans  I'observation » 
aussi  rigoureuse  que  les  matheraatiques ,  puisqu' elle 
repose  sur  ces  principcs  premiers  qui  sent  la  raison 
meme  dans  son  essence. 

En  resume  ,  il  y  a  deux  parties  essenlielles  dans  la 
doctrine  de  M.  Cousin  :  la  psychologie  et  I'ontologie  , 
et  son  caractere  singulier  est  «  de  fonder  I'ontologie 
sur  la  psychologie  ,  c  est-A-dire  la  metaphysique  sur 
i'experience,  et  de  passer  de  I'une  a  I'autre,  k  I'aide  d'une 
faculte  psychologique  et  ontologique  tout  ensemble  , 
subjective  et  objective  tout  a  lafois  ,  qui  apparait  en 
nous  sans  nous  appartenir  en  propre  ,  eclaire  le  pAtre 
comme  le  philosophe  ,  ne  manque  i  personne  et  suHit 
k  tons  ;  savoir  :  la  raison  qui,  du  fond  de  la  conscience, 
s'e tend  dans  I'infini,  et  atleintjusqu'a  I'etre  des  6tres.  » 
(Frag.  phil. ,  p.  17.  i838.) 

M.  Schelling  adresse  k  cette  doctrine  deux  critiques 
generales : 

1°.  La  philosophie  de  M.  Cousin  riestpas  d'une  seule 
piece  ; 

2°.  La  philosophie  de  M-  Cousin  n'est  pas  une  philo- 
sophie positive  ,  reelle  ,  eine  real  philosophie. 

Reprenons  ces  critiques.  La  philosophie  de  M.  Cousin 
n'est  pas  d'une  seule  piece ,  c'est-a-dire  qu'elle  se  com- 
pose de  deux  parties  essenticUement  distinctes  ,  la 
psychologie  ,  science  des  faits  internes  ,  et  par  conse- 
quent renfermee  daus  les  limites  du  moi  ,  du  sujet ,  en 
un  mot  subjective;  Tonlologie  ,  science  de  I'etre,  etpar 
consequent  placee  hors  du  ccrcle  des  phenomenes  ,  en 
d'aulres  {QxxnQS  objective. 


St'R   SCHULLIXG.  1  IC) 

M.  Cousin  pourrait  ici  repondre  :  J'accorde  que  ma 
philosophie  n'est  pas  d'une  seulc  piece ,  et  j'admcts 
avec  vous  que  la  science  doit  aspirer  h  I'unil^  ;  niais 
je  dis  qu'elle  ne  peut  pas  el  ne  doit  pas  pr(^tendre  eire 
plus  simple  que  la  nature.  Autremenl  elle  court  apres 
une  simplicite  tout  artificiello,  et  s'eloignc  de  larealile. 
Si  done  la  nature  des  choses  veut  que  I'esprit  bumain 
ne  puisse  atteindre  suremcnt  les  prob'.eraes  m^taphy- 
siques  que  par  la  route  de  robservation  ,  il  faut  b'eu 
subir  celto  neccssite  ,  dure  sans  doute  pour  notre 
ardente  cuiiosite  ,  mais  rassuranle  aussi  pour  notre 
faiblcsse. 

2°.  La  pbilosopbie  de  M.  Cousin  n'est  pas  une  philo- 
sopbie re'e//e.  M.  Schelling  veul  dire  qu'elle  ncxplique 
pas  I'ordre  et  Ic  fond  des  cboses.  Elle  ne  se  sert ,  dit-il, 
en  ontologie,  que  du  raisonnemenl.  Or,  le  syllogisme  est 
bon  lout  au  plus  pour  demontrer  ,  par  exemple ,  qu'il 
y  a  un  Dieu ,  uno  cr^'alion  ,  mais  il  est  impuissant  A 
nous  dj^voiler  le  secret  de  la  creation  et  I'essence  divine. 

M.  Scbelling  resume  celte  critique  par  une  expression 
(r^s  elliptique.  En  toutes  choses ,  dit-il ,  la  doctrine  de 
M.  Cousin  s'occupe  seulement  du  epte  et  neglige  le 
comment. 

Nous  aurons  tout  i-rbeurel'DCcasion  de  nousexpli- 
quer  sur  ce  point  fondamental. 

Son  arret  prononce  ,  le  critique  allemand  s'allachc 
h  le  confirmcr  par  un  examen  serieux  de  quclqucs  par- 
lies essenliellcs  de  la  doctrine  de  M.  Cousin  C'est  sur 
I'arliclc  de  la  nvelbodc  qu'il  insistc  lo  plus  ,  et  que  nous 
allons  le  suivre. 


120  BEFLEXIONS 


III. 


M.  Cousin  s'est  appliqu^  plusieurs  fois  k  dislinguer 
nettement  sa  methode  de  celle  des  philosophes  al'o- 
mands.  Ceux-ci  |)retendent  ouverleir.ent  explicpier  h 
priori  la  nature  des  cboses  ,  au  lieu  que  le  philosopLe 
frangais,  ennemi  de  I'hypothesc,  u'aboide  les  prublenies 
de  la  metaphysique  quapres  s'etre  donnc  un  point 
d'appui  solide  dans  la  psychologie  ,  c'est-i-dire  dans 
I'experienee. 

M.  Schellings'inscrit  enfaux  contre  cette distinction, 
et  veut  placer  le  debat  sur  un  autre  terrain.  A  I'en- 
tendre  ,  il  tombe  parfaitement  d'accord  avec  I'ecole 
psychologique  de  la  nc^cessite  de  fonder  la  pbilosophie 
sur  I'observation  ;  mais  un  point  plus  grave  oil  il  dif- 
fere  de  M.  Cousin ,  c'est  I'idee  meme  de  la  science 
philosopbique.  Suivant  le  melaphysicicn  allemand  ,  le 
seul  objet  digne  du  philosophe ,  c'est  de  reproduire 
dans  ses  conceptions  I'ordre  et  la  nature  des  cboses  ; 
et  il  reprocbe  ci  M.  Cousin  de  meconnaitre  le  vrai  but 
de  la  philosopbie,  ou  ,  s'il  le  reconnait ,  de  n'y  arriver 
ni  par  voie  psycbologiquc ,  ni  par  aucunc  autre. 

Ces  rcprocbes  sont-ils  aussi  merites  ou  aussi  graves 
que  I'illustre  critique  parait  le  croire?  Il  nous  est  im- 
possible de  I'adniedrc. 

Et  d'abord,  si  M.  Scbelliiig  veut  dire  expressemcnt 
que  le  pbilosopbe  francais  assigne  k  la  pbilosopbie  un 
autre  but,  disons  mieux,  un  autre  ideal  qucrexplication 
de  la  nature  des  cboses  j  c'est  une  erreur  de  fait.  II 
suflit  d'ouvrirlcs  livrcsde  M.  Cousin  pour  scconvaincre 


Sl'P.    SCUEI.LI?iG  121 

(ju'il  est  d' accord  sur  ce  sujet  avec  lous  les  grands 
philosophcs.  Depuis  Pylhagoie  jiisqira  Lcibiiilz  Ics 
systcmcs ont  bicn  change,  niais  Ic  but  est  rcstc  le 
radme.  La  Iheorie  des  nomhvcs  comnie  cello  des  mo- 
nadcs  sont-ellcs  autre  chose  que  des  tentativcs  de  genie 
pour  Irouver  le  mot  de  I'enignie  du  niondc  ?  Qu'on  lisc 
la  Timee  de  Platon  ,  la  Metaphysiqne  d'Aristole  ,  les 
Enncades  de  Plolin  ,  la  6b/«/;;e  de  Si. -Thomas,  les 
Pnnc/);e5  de  D.  scarles;  partont  le  meme  esprit,  parlout 
le  memo  clan  de  la  pensee  pour  monter  jusqu'i  la 
source  de  rctre. 

II  est  vrai  que  de  nos  jours  I'enypirisme  condillacien 
el  le  spiritualismc  timide  de  1  ecolc  ecossaise  onl  voulu 
renfermcr  la  philosophic  dans  le  cerclo  borne  de  la 
psychologie.  II  est  vrai  qu'avantCondillac  ct  Ueid  ,  et 
par  des  raisons  d'un  ordre  tout  autrement  releve  ,  un 
philosophe  eminent  que  M.  Cousin  a  contribue  h  faire 
connaiti  e  a  la  France ,  Kant  ^  a  denie  h  la  raison 
humaine  le  droit  de  speculer  sur  la  nature  dos  choscs  ; 
mais  c'est  un  des  trails  dislinclifs  de  I'entr;  prise  philo  • 
sophique  de  M.  Cousin,  d'avoir  rappele  la  scienecpii 
se  fourvoyait  sur  les  pas  du  genie ,  d  son  veritable 
objet ,  el  tout  en  faisant  largemenl  son  profit  des  adnii- 
vables  Iravaux  de  Kanl  sur  rcsi)rit  humain  ,  d'avoir 
voalu  arracher  la  melaphysiquc  au  scepticismc  rcdou- 
table  sous  lequel  le  formalismedc  I'ccole  critique  seni- 
blaitl'avoir  pour  jamais  enscvelie. 

Personne  ne  reconnail  done  plus  hautemenl  que  M. 
Cousin  que  la  psychologic  n'est  qu  un  instrument  , 
I'eludc  de  la  nature  et  dc  Thomme  qu'un  moyen  ,  et 
que  la  science  de  I'^ire  ,  si  olle  n  est  pas  le  point  de 
depart ,  est  le  veritable  lermo  de  la  philosophic. 


12a  BEl'LtXIONS 

M.  Schelling  ne  peut  done  avoir  voiilu  dire  qu'iine 
chose ,  c  est  qu'il  n'a  pas  lrouv6  dans  le  philosopbe 
fran^ais  un  syst^me  complet  de  metaphysique.  M. 
Schelling  a  raison.  Le  disciple  de  Kcid  el  de  Royer- 
Collard  laisse  a  des  genies  plus  haidis  ou  plus  teme- 
raires  la  gloiie  et  le  peril  d"expliqiier  toules  choscs.  Ce 
n'est  pas  qu'il  recule  devant  les  problenies  onlolo- 
giques.  U  a  louche  d'une  main  fermeUs  plusepineux  ; 
mais  j'ose  dire  que  c'est  moins  h  un  sysleme  que  M. 
Cousin  aspire  A  altacher  son  nom  qu'a  une  niethodc. 

Et ,  sans  doule ,  un  grand  sysleme  n'est  jamais  sans 
fruit  pour  I'esprit  humain.  Mais  en  verite  ,  depuis 
Descartes ,  voila  bien  des  syslenies !  II  y  a  d'abord  le 
sysleme  de  Descartes  j  il  y  a  celui  de  Leibnitz  ,  celui 
de  Spinosa  ,  celui  de  Locke,  celui  de  Kant ;  je  ne  parle 
que  des  principaux.  Or ,  voici  M.  de  Schelling  qui 
ajoute  A  tons  ces  syslemes  celui  de  Videntite  absoluc. 
Maisqu'arrive-t-il?Ce  sysU'me  est  i\  peine  parvenu  d 
sa  malurile,  que  M.  Ilegcl,  d'abord  disciple  ardent  de 
Schelling  ,  trouve  bientut  que  son  niailre  n'explique 
pas  de  la  bonne  facon  Tordrc  et  le  fond  des  choses  ,  et 
veut  en  rendre  compte  k  sa  maniere.  Schelling  con- 
tesle ,  il  est  vrai ,  dans  I'ecrit  que  j'ai  sous  les  yeux  , 
I'identite  personnelle  de  M.  Hegel  comme  philosopbe  , 
et  assure  que  la  doclrine  du  disciple  infidele  n'est  que 
la  sienne  defiguree.  11  se  plaint  qu'on  lui  ait  piis  son 
«  siijct-objet  absolu  qui ,  en  verlu  memede  sa  nature  , 
>iohjccUveoUi  devienl  objot,  mais  qui  de  chaque  objec- 
tivite  revient  victorieux  et  se  montre  chaque  fois  a  une 
plus  haute  puissance  de  ,w/yt'c<iVi/e.  jusqu'A  cc  qu'apres 
avoir  epuise  toule  sa  virtualile  ,  toule  sa  possibilite  de 


SUU    SCIIKLLI.NG.  123 

s'objecliver ,  il  apparaisse  comme  sujel  trioniphanl  de 
tout  »  (p.  1 5.  ) 

Quoi  qu'il  en  soit ,  M.  Hegel  fait  ecolo  conime  M. 
Stbelling ,  et  leurs  disciples  croient ,  chacun  de  leiir 
cAte  ,  posscder  exclusivement  la  veiile  absolue.  Dans 
letteliide  acharnee  des  systemcs  ,  je  le  dcmande  i 
tout  esprit  impartial ,  esl-ce  d'un  nouveau  systeme  que 
la  philosophic  sent  le  besoin?  N'est-ce  pas  plutot  d'une 
inethode  qui ,  sans  rien  6ter  A  I'esprit  humain  de  sa 
fecondite  ,  en  tempere  ,  en  rdigle  I'ardeur  ? 

Ny  a-t-ildonc  pas  assez  de  siecles  que  la  philosophfe 
flotte  dansunc  situation  toujours  provisoi;e?  Le  mo- 
ment n'est-il  pas  venu  d'imprimer  4  ses  travaux  un 
caractcredefinitif?  Apres  avoir  si  souvent  bAti  sur  le 
sable  ,  ne  faut  -il  pas  chcrcher  le  roc  et  I'argile  7  Et  ou 
trouvera-t-on  cc  minimum  quid  inconcussum  apres 
lequel  soupirait  le  genie  de  Descartes,  si  cen'esl  dans 
une  methode  exacte  et  rigoureusc  ?  Et  quelle  melhode 
p'us  rigoureuse  et  plus  exacte  que  la  melhode  psycho- 
logique,c*est-i-direla  melhode  experimentaleappliquee 
ci  I'esprit  humain. 

Les  allemands  dedaiguent  cctle  melhode  ,  parcequ'd 
les  entendre,  la  raison  ,  dans  I'etroite  enceinte  de  la 
conscience,  nepcutse  niouvoir  avcc  largcur.  L'absolu, 
disent-iis,  ne  pent  <itre  alteint  par  rexperiencc.  El  les 
voili  ,  hors  de  I'experience,  courant  apres  le  fanlomo 
de  l'absolu. 

Mais  eel  absolii  que  vous  cherchez  si  loin  de  la  cons- 
cience ,  vous  vous  en  eloigivez  do  plus  en  plus.  Sans 
doute  ,  il  sc  manifeste  dans  la  luiturc  ,  mais  n'osl-ce 
pas  surtout  dans Thomme  qu'il  ye  piaiten  quehpie  sorle 
i\  se  depouillor  de  scs  voiles?  Et  non  S'julcnicnl  il  sV 


fail  scnlii-  ,  inais  jc  dirai  picsciuc  (ju'il  y  habile  ,  par 
la  manift'Slalion  perpelucllc  do  la  raison.  «  Non  longi- 
abcstab  uno  quoque  nostrum.  In  co  vhumus  ,  ntovemur 
el  sunius.   d 

Mais  M.  SdiL'Uing  nous  arrcte  el  noire  dit :  Vous  (Hes 
dupes  d'line  illusion.  Vous  croyez  Irouver  dans  la  cons- 
cicjice  des  principes  d'une  poi  lee  absolue.  Mais  que 
donnela  conscience?  Desidees.  El  quelle  est  Taiitorile 
deces idees?  L'aulorile  de  la  conscience  humaine,  c'csl- 
ti-dirc  d'une  faculle  toute  personncUe  ,  c'esl-A-diie  , 
enfin  ,  de  la  personnalite  Irmitee  et  iniparfaile  de 
Ihomme.  Faible  et  decevante  auloril6  ! 

Et,  en  effet,  que  m'appicnnenl  nies  idecs?  Que  je  ne 
puis  pas  ne  pas  concevoir  la  substance  ,  la  cause  ,  Tes- 
pace  ,  le  temps.  Mais  est-ce  h  dire  qu'il  y  ail  rien  de 
semblable  dans  la  lealite?  Qu'esl-cc  qui  prouve  que 
les  lois  de  ma  pLTSonnalito  ,  pleine  de  faiblesse  el  de 
niisercs ,  soient  les  lofs  absokics  des  choses?  Ma  raison, 
dites-vous,  me  force  da  conccvdir  un  elre  sans  Icquel 
tout  le  reste  me  serait  inconcevable.  Je  reponds  que  je 
ne  nie  pas  la  valeur  subjective  el  relative  de  citte  notion, 
en  d  autres  termes  ,  le  besoin  que  vous  en  avez.  Mais  je 
lui  conteste  toule  valenr  reelle  et  absolue.  Et  ne  lue 
diles  pasqu'it  y  a  necessite  absolue,  necessite  constatee 
par  la  plus  claire  experience  ,  de  croire  i  la  realite  des 
conceptions.  Car  c'est  celtr  necessite  m<^me  ,  relatise 
i\  voire  personne,qui  itn[)riiue  i  vos  idecs  un  caraclere 
ineffacable  de  subjectivitc ,  el  jamais  par  (onsequcnt  la 
conscience  et  la  melhode  psycbologique  (pii  la  prend 
pour  base  ne  pourront  fournir  a  la  science  un  princijie 
objectif,  positif,  r^el  .  absolu. 


SIR    SCIIELMNG.  12.5 

Voili  enfin  la  grande  ohjcclion  de  M.  Schelliiig  qui 
sc  inot  ail  grand  jour.  11  a  beau  la  dissimuler.  EUo 
eclalc  par  lout.  II  rcpete  souvonl  que  ce  n'est  pas  la 
lo  veritable  terrain  do  la  question ,  et  la  logique  I'y 
rami^nc  sans  ccssc  ,  coninie  malgrelui. 

J'avoue  qu'aprcs  avoir  examine  cette  objection  avoc 
louteraltention  donljesuis  capable  ,  il  in'a  paru  que 
M.  Schelling  ,  lout  en  attaquant  la  niethode  fran^aise  , 
lui  fait  des  concessions  que  la  verilc  lui  arrachc  ,  niais 
que  son  systeme  le  force  bicntot  de  desavouer,  de  fa^on 
qu'il  s'enibarrasse  a  chaque  instant  dans  des  assertions 
(onlradicloires.  L'Acadeinie  jugera  par  quelques  cita- 
tions si  je  me  siiis  abuse  : 

M.  Scbelling,  p.  i3  ,  reconnait  la  nercssitede  Texpe- 
rience ,  et  accorde  que  toute  pliilosophie  en  releve 
individuellement. 

u  La  difference  qui  nous  sej)are  de  M.  Consin  ,  dit 
nn  pen  plus  bas  M.  Schelling  ,  ce  nest  pas  non  plus 
([ue  uous  ii'admctlions  pas  la  necessite  de  faire  preceder 
toule  philosophic  de  certains  principes  formels  (c'est- 
j\-dire  psychologiques),  ct  que  nous  tombions  du  ciel 
avec  nos  syslemes.  » 

«  La  difficulle  ne  consisle  point  a  justifier  un  tel 
point  de  depart ,  mais  dans  la  possibilite  de  marcher 
en  avant ,  en  paitant  de  h\.  » 

Prenons  acte  de  ces  concessions  ct  niettons-les  en 
regard  dc  certaines  assertions  ,  ce  nous  semble  ,  un  peu 
differentes  : 

M  La  raison  ,  telle  que  I'cntend  M.  Cousin  ,  n'est  en 
definitive  qu'un  sentiment  ,  c'cst-i-dire  ,  un  simple 
fail.  » 


13.6  REFLKXIONS 

«  Le  ralionalisme  ne  peut  sorlir  de  la  sphere  de  la 
pensec.  »  p.  19. 

«  La  psychologie  est  en  grandepartie  sterile.  »  p.?.4. 

«  Les idees  «p/ort  n'expiiment  que  le  c6te  negalif 
de  foiite  connaissance.  »   p.  iB. 

«  La  raison  n'a  qu'une  valeur  subjective  et  nega- 
tive. »  p.  ?9. 

Antant  de  citations,  autant  de  contradictions. 

Si  les  principes  lationnels  n'ont  qu'une  valeur  subjec- 
tive ;  si,  d'un  autre  c6te,  on  doit  ou  on  peut  coinmencer 
la  philosopliie  par  des  principes  ralionnels,  n'est-il  pas 
evident  que  tout  ce  qu'on  tirera  de  ces  principes  ,  c'est- 
cVdirela  philosophic  entiere,  n'aura  aussiqu^une  valeur 
subjective,  la  conclusion  ue  pouvant  pas  donner  ce 
qui  n'est  pas  dans  les  premisses? 

Si  Ton  accorde  que  la  philosophic  relive  de  Texpe- 
rience  ,  et  si  en  nieme  temps  on  assure  que  tout  ce  qui 
\icnl  de  Texperionce  est  relatif ,  comment  peut-on  se 
flatter  que  la  philosophic  atleigne  jamais  un  principc 
absolu? 

Enfin  ,  pour  generaliser  cctle  opposition  ,  si  Ton 
refuse  i  la  raison  loute  portee  objective ,  que  vient-on 
nous  parler  d'unji  science  dc  I'Etre? 

Voudrait-on  par  hasard  faire  une  mefaphysique  en 
se  passant  dc  la  raison  ?  Mais  alors  ,  ce  r.e  scrait  pas 
une  metaphysique  raisonnablc. 

En  definitive,  M.  SchcUing  inscrit  sur  son  drapeau 
philosophique  un  principc  qu'il  d6clare  absolu  ;  or  ,  si 
ce  principc  ne  lui  a  pas  etc  donne  par  la  raison  ,  qu'il 
nous  disc  a  quelle  autre  source  un  philosophe  puise 
la  verite.  S'il  a  oblenu  ce  principc  par  un  procede  la- 


Sli;    M.    SCIIKI.LING.  10.7 

lionnol ,  je  mc  permcllrai  tie  lui  demandcr  avcc  M.  Cou- 
sin si  le  proced^  en  question  ,  contemplation  intdlec- 
tuelle  ou  autre ,  tonibe  sous  I'opil  de  la  conscience  ,  ou 
s'il  n'j  tombe  pas.  S"il  n'y  lombait  pas  ,  M.  Schelling 
n'en  pourrait  rien  dire.  S'il  y  tonibe,  et  si  M.  Schellin}:; 
le  donne  pour  objeclif  et  absolu,  M.  SchoUing  reconnait 
done  (pie  Ton  pent  saisir  par  la  conscience  des  Veritas 
absolufs  et  objectives ,  ce  qu'il  avail  formellement  nie. 

II  n'y  a  pas  de  milieu  j  si  la  raison  bumaine  est  rela- 
tive ,  e'en  est  fait  de  la  pbilosopbie  ,  ct  il  faut  sc  jeter  , 
tele  baissee,  dans  le  scepticisme.  Si  on  reconnait  k  la 
raison  humaine  un  caractere  absolu  ,  il  faut  partir  do 
ce  principe  sans  en  chercber  une  demonstration  qui  est 
h  jamais  impossible. 

M.  Schelling  soutient  que  la  raison  a  besoin  d'etre 
expliquee.  Mais  on  pent  bardiment  lui  porter  le  defi  de 
sortir ,  en  I'expliquant ,  de  ce  cerclc  vicieux  011  tant  de 
genies  se  sont  consumes  ct  qui  consiste  h  prouver  la 
raison  par  la  raison.  En  appele/-vous  A  la  veracite 
divine  comme  Di'scartes?  mais  la  veracite  divine  n'a  ete 
etablie  que  par  la  raison  ;  ;\  la  revelation  ,  comme  Pas- 
cal ?  niais  Pascal  avoue  qu'il  faut  des  raisons  pour  sou- 
mottrc  sa  raison  ;  au  sens  commun,  comme  Reid?  mais 
le  sens  commun  est  une  forme  de  la  raison  ;  a  la  raison 
generale  comme  M.  de  Lamennais?  mais  la  raison  ge- 
noiale  presuppose  la  raison  individuelle. 

II  faut  done  toujours  en  revenir  i  la  raison  bumaine, 
et  le  sceptique  lui-mcme  qui  la  nie  n'ecbappe  pas  i 
cetle  necessite  ,  puisqu'il  ne  pent  nier  la  raison  que  par 
un  acte  de  raison. 

Je  crois  done  que  M.  Cousin  pent  renvoyer  avcc 


U>8  KtFLIiXlONS 

avanlflge  Ic  roprothc  d'illusion  a  M.  Scbelling  ,  et  lui 
dire  avec  son  illuslre  compalriole  Kant : 

Les  esprils  hardis  s'imaginent  que  Tobservalion  est 
\me  entiave  ,  tandis  qu'clle  est  un  soutien.  «  CVst 
ainsi  que  la  colombe  legere  pourrait  croire ,  lorsqu'cUe 
fend  dun  vol  rapide  et  libre  I'air  dont  elle  sent  la  resis- 
tance ,  qu'clle  volerail  plus  rapidement  encore  dans  le 
vide.  Et  c'esl  encore  ainsi  qu'en  dedaignant  le  nionde 
sensible  on  se  basarde  au-dela  du  monde  ,  sur  les  ailes 
des  idees  ,  dans  I'espace  vide  de  Tentendement  pur.  » 
( Crit.  de  la  Rais.  pur.  I ,  p.  43 ). 

Nous  croyons  avoir  le  droit  de  condure  de  loute  cctte 
discussion  : 

1°.  Que  M.  Cousin  reconnait  commeM.  Scbelling  et 
lous  les  pbilosojtbes  ,  que  le  but  final  de  la  pbilosopbie 
est  d'expliquer  Tordre  et  la  nature  des  cboses. 

2".  M.  Cousin  n'a  pas  un  systeme  coniplet  de  nieta- 
pliysique.  II  a  une  inetbode. 

3".  M.  Cousin  pense  avcc  Socrate,  avec  Descartes  , 
avec  KanI,  que  la  nielliodc  d'observalion  psycbologique 
est  I'arcbe  de  salut  en  pbilosopbie,  et  M.  Scbelling,  en 
niant  rexccUence  de  celte  metbode,  se  condamne  a  des 
embarras  insurmontables. 

IV. 

Dans  les  deux  parties  qui  suivcnt ,  Application  de  la 
metltocle  ,  Passas^e  cle  la  psychologic  a  f  ontologie  ^  M. 
Scbelling  reviont  sur  la  question  precedente ,  mais  sans 
ricn  ajoufcr  de  nouveau. 

En  outre  ,  il  altaque  la  doctrine  franraise  sur  deux 


\ 


SDR   M.    SCIIELLING.  t29 

points  tres- graves ,  Fun  de  psychologic  ,  roriginc  de 
I'idee  de  substance^  Tautre  de  theodicee,  Dieu  considerc 
comnic  crealcur. 

Nous  ne  diroiis  rien  de  la  premiere  critique,  de  crainte 
d'abuscr  de  la  patience  de  rAcadeniie ;  niais  elle  nous 
permettra  de  nous  expliquer  avec  quelque  etendue  sur 
le  problenie  theologique. 

On  se  souvient  que  la  publication  dcs  Fragments  phi- 
losophiques  en  1827  suscita  un  orage.  Les  reproches 
de  pantbeisnie  et  de  spinosisme  ^clatercnt  de  toutes 
parts. 

Ces  accusations  passionnees  pouvaient  s'expliquer 
par  des  preventions  hosliles  et  une  sorte  de  parti  pris 
contre  la  philosopbie  nouveile  ;  mais  j'avoue  que  c'est 
une  chose  tres-grave  d'entendre  M.  Schelling  fortiCer 
cclle  imputation  de  pantheisnie  du  poids  do  son  impar- 
tiale  autorile. 

II  dit  clairement ,  p.  82  ,  qu'il  n'apercoit  aucune  dif- 
ference entre  le  Dieu  du  systeme  de  Spii.osa  et  celui 
de  la  doctrine  de  M.  Cousin. 

J  ose  dire  que  I'illustre  critique  s'est  f  ronipe  ,  et  en 
appellor  de  ce  jugement  precipile  a  une  decision  plus 
attentive. 

A  quoi  sc  r^duisent  en  effel  les  pretondues  preuves 
des  adversaires  de  M .  Cousin  ?  Le  voici  ,  si  je  ne  me 
trompe  : 

Vous  n'admettez  ,  lui  disent-ils  ,  qu'une  seule  subs- 
tance. 

Vous  pretendez  que  la  creation  est  eterncUe  et  ne- 
cessaire. 

Done  vous  6tes  pantheiste  el  fataliste  .  en  un  mot 
spinosiste.  g 


l3o  REFLEXIONS 

M-ais  M.  CoTisin  ne  pciit-il  pas  r/'pondrc  : 

J'atlmols  A!avt''rito,qiriln''y  a  qirunosenlcsnbslanfO; 
mais  il  fa\il  hmi  m'oiilendrc  et  ne  pas  me  condaiiiiiei- 
«ur  un  rtiot ,  mal  cboisi  peul-ctre  ,  raais  parfailtMiKMit 
innocent.  J'appelle  substance,  ce  qtune  suppoic  rien  an- 
delh  Ae  soi  relattvement  a  iexistciK-e.  Or ,  il  esl  evidenl 
qu'il  ny  a  qu'iin  scid  E(re  qui  ait  cecaractere  et  possede 
ceUe  verlu.  Est-ce  \k  le  panlheisme?  A  ce  comple,  tons- 
Jes  phikisopbes  <^t  tou-s  les  bommes  sont  pantheisles . 
«xcepte  les  manicbeons  qui  adn>etlcnl  deux  Etres  ne- 
cessaires. 

Si  done  je  merilc  le  reproche  dp  panlbeisme  pom- 
avoir  dit  :  II  n'y  a  qu'une  substance  ,  en  entendant  par 
1&  ,  il  n^y  -a  qu'un  ctfe  qui  exisle  par  soi,  I'ailes  reinoii- 
4cr  i'accusation  jusqu'aux  SaintesEcriluros,  ou  Dieu  se 
dc'finit  lui-mrn>e  :  Celui  qui  est.  Ego  sum  qui  sum. 

VoilA  po!!r  Tuniic  dc  la  substance. 

<)uant  i  releruite  de  la  ereatioii ,  il  est  vrai  que  c'esl 
un  article  de  mon  symbole  pbilosopbique.  Mais  je  sou- 
tiens  que  celle  opinion  n'a  rien  de  cotuniun  avec  le 
panlbeisme  ,  ni  avec  le  falalisme. 

Aucun  bistorien  de  la  pbilosopbie  a-t-i!  jamais  range 
Aristotc  et  Platon  au  uombre  des  panlbeistes?  Tun  et 
I'autre  admettenl  pourtant  que  la  creation  est  elernelle. 

J'ajouterai  une  autoritti  non  nioins  iniposanle. 

Saint  Auguslin  ,  ce  grand  Ibeologien  qui  est  aussi 
un  grand  philosopbe  ,  dans  un  livre  de  la  Cite  de  Dieu, 
examine  cette  question  : 

Dieu  a-t-il  jamais  exisle  sans  creatures? 

Le  prolond  docteur  hesite  enire  les  deux  solutions 
opposees.  Et  lout  en  adoptant  Topinion  qui  parait  la 


91111   M.    SCHEI.LING.  l3l 

plus  orthodoxe,  il  ne  cache  pas  son  penchant  pour  I'opi- 
nion  contrairoet  montre  fori  bien,  la  et  ailleurs,  quVlIu 
ifest  nuUonicnt  oppos('e  A  la  lellre  et  a  I'esprit  de  la  re- 
\elation. 

En  cffet ,  de  ce  que  Dieu  a  toiijours  cree  ,  il  n'cn 
resullepas  qiicles  creatures  luisoient  co-eternelles  ;  car 
toule  creature  est  dans  le  temps  et  Dieu  est  au-dessus 
du  temps  dans  son  indivisible  etcrnile. 

Je  laisse  parler  saint  Augustin  : 

«  De  celte  maniere,  si  Dieu  a  toujoursete  Seigneur, 
il  a  toujours  cu  des  creatures  qui  lui  out  cte  assujetties 
ct  qui  n'ont  pas  ete  cngendrees  de  sa  substance  ,  mais 
qu'il  a  tirees  du  neanl  ,  et  qui  par  consequent  ne  lui 
sonf  pas  co-clcrnclles.  ILi-iail  avnnt  dies,  quoiqu'il  ii'nit 
jamais  etc  sans  elles ,  parce  quil  no  les  a  pas  [jrecedccs 
par  un  inlervalle  de  lenips,  mais  par  une  clernite  fixc.» 
(  Cite  de  Dieu.  Liv.  xil ,  oha|).  j5). 

«  Erat  quippe  ante  ilhim  ,  quamvis  nuUo  tempore 
sine  ilia  ;  non  eani  spalio  transcurrenle  sed  ninnonla 
perpetuitale  pr«cedons.rt(Aug.  op  vi,3i4-  Ed.  Bened.) 

J'ajouterai  un  passage  dcsCiOnfossioiis,  autre  ouvrage 
plein  d'une  sublime  pbilosopbie  ,  oij  saint  Augustin 
fait  voir  avec  sa  profondeur  ordinaire  que  su;»poser  nn 
certain  temps  avant  la  creation,  c'esi  nepas  s'entendie  : 

Chap.  i3  du  liv.  Xl  ,  intihile  :  (,>iic  c'est  se  irompcr 
que  de  se  figurer  dcs  tcfiips  nvnnl  la  cn'alion  du  nionile. 

Pour  ne  pas  citer  tout  le  chapiire  ,  je  me  bornerai  a 
nne  courte  analyse  dont  je  puis  garantir  la  lid^lile  : 

«  Quelques-uns  demandent  ce  que  Dieu  faisail  avant 
de  creer  le  ciel  et  la  terre.  rotte  question  est  deraison- 
nable  ;  car  on  suppose  qu'avant  qu'il  y  cut  des  crea- 


l32  REFLEXIONS 

lures,  il  y  avait  du  temps  Or,  lo  fomps  est  liii-mi^inc 
une  creature.  Ainsi.  de  deiix  clidses  rime  :  on  bier,  il  y 
avait  du  lem|!S  avaiit  la  creation  du  ciel  et  de  la  lerre  , 
ot  alors  on  ne  doit  pas  vous  demandcr  ,  6  nion  D^cu  .  ce 
que  vous  faisiez  avant  cette  creation  ,  puisque  vous 
t'aisiez  le  temps  ;  on  bien  ,  il  n'y  avail  pas  de  lenips 
avanl  ia  c. cation  du  ciel  et  de  la  terre  ,  el  alors  il  y  a 
contradiction  a  deniander  ce  que  vous  faisiez  oi'nnt 
cette  creation  ,  puisquV?^!?;//  suppose  un  temps  ante- 
rieur, 

Ainsi  done,  Seifsneur  ,  vous  ne  precedes  pas  les  crea- 
liiics  d'une  pjiorite  de  temps,  mais  par  votre  immuabic 
eternile  qui  est  superieure  a  toul  ce  qui  so  passe.  » 

Quelque  parti  qu'on  proniie  sur  ce  myslerieux  pro- 
bleme ,  toujours  csl-il  que  rclernite  de  la  creation  nWle 
rien  a  Dicu  de  sa  liberie ,  et  c'est  toul  ce  que  nous 
voulons  etablir. 

On  nous  demandera  :  Qu'esl-ce  done  que  le  pan- 
tbi'isme  el  Ic  fatalisme  de  Spinosa  ? 

Nous  repondrons  neltenicnt  : 

Suivanl  Spinosa  ,  la  pensee  avec  ses  modes  infinis  et 
relenduc  avec  les  siens,  cV'sl-A-dire  ,  la  nature  et  I'bu- 
iTianile  ,  sonl  des  altributs  necessaires  de  la  substance 
infmie. 

L'humanile  el  la  nature  sonl  des  atlributs  de  Dieu. 
Voila  le  pantbeisme. 

Cos  atlributs  sont  necessaires  el  se  dcveloppenl  par 
une  infuiite  de  modes  egalcment  necessaires.  >()ih\  le 
fatalisme  absolu. 

Or  ,  M.  Cousin  repousse  de  toutes  scs  forces  ces  deux 
principes  de  la  pbilosopLie  de  Spinosa. 


SlU    M.    SCIJELLIAG.  l  3  j 

Loin  qu'il  absorbe  rindividiialite  biimaine  e(  la  na- 
(ure  dans  la  substance  infinic,  rbomnie  ,  dans  sa  doc- 
trine ,  est  par-dessiis  tout  unc  aclivito  ,  uue  force  ,  «n 
moi  rcsponsabic  ct  librc. 

El  suivant  cette  menu;  doctrine,  la  nature  corporelle 
n'est  pas  une  etendue  passive  ,  niais  un  systeme  de 
forces  ,  qui  toutcs  fatales  qu'eiles  sont ,  n'en  possedent 
pas  inoins  une  cnergic  qui  leur  est  propre. 

Toutes  ces  forces  ,  inlclligenles  ou  avcugles ,  so!it 
essentiellcmeiilliniileesetconlingentes.  Ellcssupposent 
qiielque  cbose  au-deli  d'elks-mrmes  relativenient  a 
rexislence.  Eiles  n'ont  done  qu'un  etre  eni{)runte  ,  et 
sans  une  creation  perpeluelle  ,  elles  s';ibinior;tionl  dans 
le  neant.  Mais  tout  en  xCctatit  pas  svparces  de  Dieu  , 
elles  en  sont  disUncles.  Ce  sent  des  manifestations  de  sa 
force  infinie,  mais  non  pas  des  attributs  de  sa  substance. 
Est-ce  la  Spinosa  et  le  panlbeismc? 

Suivant  I'auteur  de  VEilu'ca.  la  pensec  et  Tetendue  , 
la  nalMre  <  t  Tbumanite  sont  absohnnent  neccssaires  et 
residlent  necessairenient  ,  avec  tous  leurs  modes  ,  de 
la  substance  iuGnie. 

«  Omnia  ex  necessitate  divina  dcterminata  sunt,  non 
tantuni  ad  existcnduni  scd  ad  certo  niodo  exislendurn 
et  operanduni  ,  nullumque  datur  contingcns.  (  Eih. 
pars.  I.  ad  denionst.  prop.  xxix. ) 

Toutes  choses  decoulent  de  la  substance  ,  dit-il 
ailleurs  ,  nt  ex  natura  triaiif^uli  serfniiur  ,  ejus  ires 
angulos  ccqiutii  duokis  recUs.  »  [Fjli.  p.  i.  Scb.  ad 
pr.  XVII. ) 

Mais  dans  un  tel  systeme  ,  il  ne  faul  pas  dire  que  la 
creation  est  necessaire.  II  faiil  dire  avec  M.  Cousin 
quelle  est  impossibie. 


l3f  RlirLEXIUNS 

Est-ce  en  effet  un  Dieii  crealeur,  une  veritable  cause 
que  la  substance  aveugle  ct  fatalo  de  Spinosa  ? 

Le  Dieu  de  la  doctrine  francaise  ne  rcssemble  pas 
plus  ck  celui-la  que  la  providence  au  Fatum  ,  la  liberte 
A  la  necessite  ,  la  verite  a  Terreur. 

Sans  doule,  suivanl  M.  Cousin,  on  nc  pent  concevoir 
DIeu  sans  le  concevoir  crealeur  ;  niais  si  I'acle  de  la 
creation  est ,  en  un  sens  ,  necessairc,  la  creation  prise 
en  elle-menie  ,  je  veux  dire ,  Tensemble  et  I'ordre  des 
choses  creees,  dependent  du  libre  choix  de  Dieu.  Quand 
je  parle  d'un  libre  choix  ,  je  n'entends  pas  un  choix 
arbitraire,  ou  capricieux,  libre  de  cette  liberte  humaine, 
sujelte  a  I'erreur  et  au  mal ,  mais  d'une  liberte  souve- 
raine  et  parfaite  ,  qui  consiste  ji  agir  avec  une  pleine 
puissance,  reglee  par  une  pleine  sagesse  et  coinrae  sanc- 
tifiee  par  une  infinie  bonlc. 

Voili  le  Dieu  qn'adore  Thumanite  et  celui  devant 
qui  s'incline  la  philosophic  francaise. 

Je  conclus  que  si  M.  Cousin  est  d'accord  avec  Spinosa 
sur  ces  deux  points  :  i".  11  n'y  a  qu'un  elre  en  soi  j  2". 
La  creation  est  eternelle  ;  c'est  qu'il  est  d'accord  pour 
le  second ,  avec  la  plupart  dis  philosophes  ;  pour  le 
premier,  avec  tous. 

Et  quant  aux  principes  qui  constituent  le  pantheisme 
et  le  fatalisme  de  Spinosa  ,  M.  Cousin  Ics  repousse  de 
bouche ,  d'esprit  et  de  coeur  ,  et  il  faut  le  dire  bienhaut 
A  ses  adversaires  de  France  et  d'AUemagne. 


V. 


J'arrive  au  dernier  chapitre  de  Tecrit  de  Schelling 
Viics  generates  sur  I'hisloire  de  la  philosophic. 


SIR    M.    SCHELLING.  l3 


K 


lei  M.  Scliellitig  n'a  ({ue  des  eloj;es  sans  r«iaeive  pour 
Us  Iravaux    dii  philosophe  framais  : 

«  Tout  ce  que  M.  Cousin  a  enif  sur  Tbistoire  dela 
jthilosophie-,  dit-il  ,  et  sur  la  maniere  de  la  trailer  est 
dc  lout  point  excellent  ,  durchnus  trefflich,  el  poi  te 
1  empreint©  d'line  coiinaissance  profoiidi^,  coimne  on 
tlevait  s'y  attendre  de  I'ingenie'ix  tradticfeur  de  Plah)n 
el  du  savan^editeur  de  Proclus.  »  (P.  33.) 

M.  Schelling  nc  dit  presqiie  rien  de  reclectismc; 
Dans  les  rai  bs  eudroits  ou  il  en  louche  quelques  mots  , 
il  leconsidere  ,  avee  raison  ,  nioins  coinnie  un  syslemti 
«jue  coninve  une  niethodebisloriqiie  ,  et  A  ce  d<irnier 
litre  ,  il  n-est  pas  eloigiie  de  radopler. 

I!  teruiine  son  intiMessaiit  ecrit  ,  en  se  plaignant  de 
la  frivolity  de  certains  critiques  fiaiirais  qui  jugent 
rAlIemagne  sans  la  connailis  el  ne  hii  font  guere  de 
\isites  que  pour  s'eiuicbir  a  sos  depeus  : 

i<  Qu'ils  nous  soient  le-s  hienvenus  les  esprils  plus 
vils,  s'ils  veulent  eliidier  el  examiner  avec  nous  ,  mais 
non  pas  lorsqu'ils  prelcndenl  jug^or  avantd'avoir  appris, 
ou  lorsque,  sernblables  a  d'avejitureux  corsaires,  effleu- 
rant  lesrivagesde  la  science  alleniande,  abordant  lajitAt 
ici ,  tantot  \k  ,  ils  s'iniaginent  dejA  etre  les  maitres  du 
pays.  » 

Voici  les  derniers  mots  de  M.  Scbelling  : 

«  Si  quelqulun  est  appele  k  donner  par  la  suite  A  la 
France  une  idee  exacle  de  la  marcbe  de  la  [)hilosopbie 
moderne  (entendez  de  la  philosopliie  allemande).  c'cst 
M.  Cousin,  qui  reunit  A  un  degre  emineiil  et  a  niontre 
dans  tons  ses  Iravaux  Tinvcstigaliou  porsev«ranle  ,  la 
penetration  ,    le  caUue  el  I'inipartialite  ,    toutcs  les 


X36  BEFLEXIONS   SLR    M.    SCIIELLINC. 

qiialiles  en  iin  mol  qui  forment  rbisloiien  dela  philo- 
sophic ,  philosophe  lui-meme.  » 

II  est  aise  dc  voir  que  31.  Schclling  n'a  pas  de  plus 
grand  cloge  i  donner  a  un  philosophe  franoais  que  de 
le  juger  digne  de  porter  la  lumiere  dans  les  profoudeurs 
de  la  metaphysique  allemande. 

On  reconnail  bion  ,  a  cet  eloge  lout  gernianiquc  ,  la 
verile  de  celte  reniarque  de  M.  Schelling  lui-monic  , 
que  nos  voisins  d'au-deli  du  Rhin  sonl  habitues  a  sc 
regarder  commc  le  pcuple  elu  de  la  philosophic. 

M.  Schelling  ,  en  conscience  ,  doit  etre  un  peu  indul- 
gent pour  ce  prejugc  palriotique.  On  pardonne  volou- 
tiers  des  faiblesses  que  Ton  parlage. 


A  SOLESME; 

Par  M.  EDOM  , 

Inspccleur  de  rAcad(?mle  dc  Caen. 


II  nVsl  giiere  de  voyageursquelqtie  pen  curieux  ,  qui 
sejournonl  A  prcsoiil  dans  le  deiiarU-nicnl  dc  la  SarlLo, 
sans  alltT  visiler  los  noiiveaux  Coiiedicliiis  dc  Solcsmc. 
Qui  lie  voiidrait  voir ,  en  cffcl  ,  maiiUcnanl  qu'il  est 
rendu  ti  sa  destination  priniilivc,  cct  antique  monas- 
lere ,  contenq)orain  de  la  premiere  Croisadc ,  honore 
de  la  visile  d'L'/^rt/n  i/,  lorsqu'a  la  voix  eloqucnle  do 
cc  poiilife  francais  ,  la  niilicccbrctienne  so  rasseniblait 
sous  rolendard  dc  la  croix?  Qui  ne  desiierait  coiuiailrc 
eelle  association  d'honinies  pieux  et  instruils  ,  formce 
dans  Ic  but  silouablede  conserver  aux  arts  nne  collec- 
tion dc  cbefs  d'oeuvre  dans  un  lieu  par  eux  devejm 
cclebre  ,  ct  dc  conliiiuer  ,  a  la  faveur  d'unc  vie  de  pais 
el  de  prieic  ,  ces  savanlcs  retbercbes  ,  ccs  importants 
Iravaux  qui  out  rendu  le  noni  des  Bcncdictii\s  si  cbcr 
aux  leltres? 


1 38  VOVAGK    A    >UMiS.UE. 

J'ai  legrellc  Oil  faisanl  ce  voyaj;;e  que  la  Sailhe  ,  i 
laqiu'lle  la  ville  du  Mans  vienl  dc  donner  import, 
MuiTril  |»as  encoie  une navigation [jromjUe  cl comniode, 
(jiii  ne  [)eul  liii  manquer  long-ts'mps.  Anlieii  de  uiVn- 
IcMmer  dans  une  voilnro  qui  m'a  peniblcmcnt  tiaine 
|UMidaii(  hull  licurcs.  pour  fairc  di\  lienos  sur  uno  niau- 
vaiso  ioulo  ,  j'aurair>  ainfe  a  v«gu€'i' entre ccs  jolies rives 
que  j'ape.ccvais  par  inlervalles  du  haul  des  coleaux. 
Kn  passant  a  Ailoncs  ,  j  aurais  saiue  la  inodeslc  babi- 
lalion  des  celebres  inv(^nteu(s  (i)  du  (elegrapbe  el  les 
dcrniers  debris  de  Tanlique  cite  des  Conomanes  (a). 

Avant  d'aniver  A  la  petite  ville  de  Sable,  on  est 
ria[)pe   de  I'aspect  iniposant  du  chateau  ,    qui  en  fut 
jadis  la  sauve-gaide,  ct  qui,  gnWe  an  ciel  ,  n'cn  est  plus 
(|.:c  rornement.  I ii  nereu  du  grand  Colbert,  beritier 
de  son  nonx,  ct  acquereur  de  la  siMgneuiie  de  Sable  , 
rcmpla^a  par  un  palais  .  au  conuiieficenienl  duXVIIl". 
siede  ,  la  forteiesse  que  GecrrCroi  avait  eloAee  au  XF. 
}\  en  resic encore  des  jjarlies  qiu  forniont  avoc  I'archi- 
tecliire  inoderne  un  curieux  conlraslo.  La  position  de 
ce  chateau  ,  bati  sur  uii  rocbcr  escnrpe  ,   dominant  a 
pic  le  cours  de  ^a  Sarthe  ,  est  aussi  pittoresque  qu'elle 
Je  rcndait  imprenable.  L'aspcct  inlerieur  en  est  triste  , 
conime  celui  de  (outes  ces  demeures  abaiidonnees.  Des 
portraits  de  la  famdle  Colbert  ,  |)L'inls  par   N.ignard  , 
rnrnent  encore  ,  a  demi  etfaces  par  le  (emps.  De  lAon 
me  nioiitra  sur  les  hauteurs  q-ii  longcnt  le  nienie  c6te 


(t)  MM.  Chaiipc, 

(2)  I'lusicurs  genres  do  prrnvcs  so  rcimisspnt  pour  atleslcr  qu'il 
}■  nil  a  Ailoncs  une  cilc  loinaine  anlericurc  a  la  viHe  du  Man?. 


VOVAGE    .\    SOLtSME.  l3<) 

dc  la  riviere  le  pclit  bourg  dc  Jiiignc,  cl  plus  pi es  ,  sur 
la  rive  opposee  ,  le  village  et  I'abbaye  de  Solcsiue ,  ou 
j'arrivai  en  moins  d'une  dcmi-heurc. 

La  courd'entree  dii  convent  laissee  ouvorle  pendant 
le  jour  permel  de  visiter  Tegiisc  A  (oule  Leiire.  Je 
in'adressai  neanmoiiis  aufrcre  porlior.  Son  air  humble 
et  rccucilli  sous  ce  costume  que  depuis  long-temps 
nous  ne  vojons  plus  que  dans  les  representations  de 
nos  arls  ,  fut  pour  nioi  la  premiere  des  impressions  que 
ni'a  laissees  celte  visite.  Je  commen^ais  a  voir  en  roalile 
cetlo  ^ie  monaslique  ,  dont  lapeinlure  m'avaif  souvent 
inleresse  ,  (onime  interrsseriniiigc  de  lout  ce  qui  n'est 
plus.  Puis-je  parler  a  Doai  Gueranger,  voire  supe- 
rieur,  dis-je  au  bon  frere?—  II  n'est  pas  encore  revenu 
de  son  voyage  a  Rome  .  me  repondit-il  (i).  Alors , 
tandis  qu'il  alia  porter  mon  nom  a  un  jeune  IJenediclin- 
poslulant,  que  je  lui  dcsigirai  ,  j'enlrai  dans  Teglise  , 
impatient  d'aduiirer  les  chefs  d'tpuvre  de  sculpture 
qu  elle  renfcrnie. 

Celte  eglise  n'est  point  celle  qm  fut  fondee  en  mi'me 
temps  que  le  prienre  deSolesme,  eiv  loi  o,  par  tleoffroi 
de  Sable,  DAlie  sur  le  meme  emplacement  que  Taniiennc, 
elle  ne  remonle  qu'au  XIV''.  siecle.  D'une  architecture 
fort  simple,  et  d'une  dimension  mediocre,  eilepresente 
la  forme  dune  croix  laline.  Cost  diins  les  deux  cha- 
l>elle»  qui  coupcnl  les  bras  de  celle  croix  que  sonl  pla- 
ces ces  aduiirablcs  groupcs  dc  statues  ,  connus  sous  le 


(1)  Dom  GiK^ranger  parti  pour  Ronir,  au  moistlc  f^vrirr  183'  , 
afin  dc  siiivrc  I'airaircde  I'appioltalioncaiioniqiicdc  son  monasleic, 
n'esl  rcvcnu  a  Solcsmc  qu'au  niois  dc  iiovcmbrc  dc  la  rii(;iiu'  aiuic^c. 


I.JO  VOYAtili    A    SUl-ESMt:. 

iioni  de  saints  dc  Solesmc  An  centre  el  on  avanl  du 
ihoDur  reserve  aux  religietix  ,  s'cleve  le  maitre-aulel , 
surmonle  d'une  enornic  t  i  ossr  toiile  brillanle  d'or.  Jo 
cms  voir  dans  eel  orncnicnl ,  qui  frappa  d'aboid  mos 
regards,  un  dos  alUibuls  dii  litre  (i)  A\iU<ayc  que  Ic 
souverain  ponlifo  a  dcpuis  pcu  accorde  i  rancioa 
prieuie  de  Solesnie  ;  mais  je  lus  d^lrouipe  par  le  jeunc 
Benediclin  qui  vint  m'acconipagncT  ,  el  qui  me  monlra 
dans  toute  cette  visile  aulanl  dMnstruction  et  de  goAt 
que  d'obligeance.  Celte  crosse  ,  me  dil-il ,  remplace  !e 
tab  made,  que  vous  cbercbericz  en  vain  sur  eel  aulel. 
An  sommet  ,  vous  voyez  susiiendue,  sous  un  pelil  dais 
en  forme  de  clocbc  ,  une  cob  inbe  en  argent ;  elle  est 
creuse  et  renfernie  les  bosties  consacrees.  On  Tabaisse 
sur  rautcl  par  le  moyen  d'un  cordon  cacbe  dans  Tinte- 
rieur  de  la  crosse.  Get  usage  nVst  point  parliculier  a 
noire  eglise  ,  il  exis'ait  jadis  dans  plusieurs  autres  , 
iiotanmienl  ;\  la  coUcgiale  de  Si. -Pierre  du  Mans  (2). 

M'elant  avance  ,  acconipagnc  de  mon  obligeant 
cicerone  ,  vers  la  cLapelle  de  droile  ,  j'admirai  d'abord 
I'efl'et  majeslueux  d  un  vaste  encadrenient  d'arcbitec- 
lure  gotbique ,  du  gout  le  plus  delicat ,  tel  quil  regnait 

(1)  Par  deslellres  aposloliqucs,  en  date  du  ^^  seplrmbic  1837, 
Grogoire  XVI  a  ciig6  le  priciir6  de  Solfstne  en  alibaye  rcgulieie 
de  St.-Benoil,  e(  6labli  une  congrf^galioii  frantaise  du  riK'tiieoidie, 
donl  I'aliliaje  de  Solesmo  sera  le  cliei'.  L'alilK-  arliiel ,  Doni  Guc- 
ranger,  sera  le  sup^rieur  geiu'ral  dela  congregalion. 

(i)  Toule  ccUc  deseriplioii  des  riclit'sses  artisUfpiesque  renfermc 
lYglise  cA  exlraitc  de  rcxtellenle  iioliee  publiee  en  1834  par  Dom 
Guc^ranger,  sur  le  piicuic  dt  Sule.siue.  Mon  intention  est  done  de 
resliluer  a  I'auteur  cc  ipii  lui  apparticnlen  faisant  pailcr  a  sa  plare 
un  dcs  rcligicux. 


VOV\CK    A    SOLESME.  l4l 

i  la  fin  ilu  XV"^.  siecle  ,  a  la  veille  de  la  icnaissaiK o. 
A  la  base  de  ret  enradioiiient  qui  part  dii  sol ,  sous  niio 
voule  A  ogivps ,  dniif  le  cinlrc  extt'iicur  est  orne  d'une 
uuirlandt  de  demi-defles  el  d'un  double  arceau  de 
bian< hes  el  de  feuiliages  srulples  avcc  une  6legaiice 
paifaile,  je\is  buit  personnages  dc  hauleur  colossale 
cnsevelissant  le  corps  du  Sauveur. 

LeCbrisl  est  elendu  sur  le  linceul.  A  la  droile  ,  dii 
cote  dela  tele,  so  lient  Joseph  d'Arimalbie  portanl  le 
costume  du  temps  de  Louis  Xll  et  le  coUier  de  quelque 
ordre  de  cbevalerie.  Ce  personnage ,  me  dit  le  jeuue 
Bi'iiiedictin  ,  est  evidemment  le  portrait  de  I'uii  des 
anciens  seigneurs  de  Sable  ,  et  i)robablenient  celui  de 
llene  II  ,  due  de  Lorraine,  qui  posseda  cette  seigneurie 
depuis  i48Gjusqu'en  i5o8,  epoque  dc  sa  mo:t.  Sous 
les  traits  de  Ni^  odome  que  vous  voyez  en  face,  vers 
les  pieds  du  Sauveur  ,  on  a  voulu  rcconnaiire  par 
analogic  le  seigneur  d'un  doniaine  voisin  ,  un  seigneur 
de  Juigne  ,  mais  il  y  a  tout  lien  de  croire  que  la  figure 
aussi  bien  que  le  costume  oriental  de  ce  personnage 
sont  unicjuemcnt  du  gout  do  Tartisle. 

Pies  du  tombcau  vous  voyez  ensuite  groupes  la 
Vierge,  St. -Jean,  deux  saintcs  i'emmes  et  un  person- 
nage avec  barbe  el  tin-ban.  Ce  qui  attache  le  plus  dans 
cette  scene,  c'est  cette  Madeleine  assise,  en  meditation 
sur  le  premier  plan.  Un  sentiment  profond,  rendu  avec 
\me  exquise  purcte  de  ciseau  ,  a  fait  de  cette  seule 
fiirure  une  nierveilli-.  IMadelcine  est  ici  vivante  ,  eile 
respire  doucemcnl.  Son  siieiue  est  en  mcnie  temps  de 
la  mrlancolie  et  de  la  priere.  Hien  qui  ressente  I'inspi- 
ration  toute    profane   de  Tantiipej  Tarliste  n'a  pris 


l42  VOVAGK    A    SOLliSME. 

qu'oii  lui-momo  ,  dans  Ics  niODurs  ct  Ics  croyancos  dc 
son  temps  le  type  qifil  a  realise.  En  un  mot,  c'est  Pari 
oatlioliquc  developpe  ,  niais  reduit  A  ses  seulos  forces 
et  prodiiisant  dt<  Uii-nu'me  a  la  fin  du  XV".  sietle. 

Ces  deux  soldats  nuUilos  qui  gardeiit  Tentrec  de  la 
grollc  sont  plus  mode:  ncs  que  les  statues  derinterieur. 
Lcs  details  de  leur  costume  supposent  une  idee  quel- 
conque  dc  Tantique.  Leur  pose  est  aussi  plus  savante. 
On  ne  saurait  trop  deplurer ,  ajnula  nion  guide,  1  s 
violences  dont  ces  statues  out  ele  Tobjet.  Piusieurs  des 
nnililations  qui  les  detigurent  icmontcnt  a  Tepoqiie  de 
nos  grands  troubles  politiques  ,  quelques-unes  datcnt 
de  plus  loin.  II  fut  un  temps  ou  ,  conduits  par  un  zele 
qui  rappelle  celui  de  Clovis  et  de  ses  Francs  ,  les  villa- 
gcois  de  Solesme  vengeaient  sur  ces  deux  malbeureux 
satellites  les  outrages  dont  J.-C.  fut  I'objet  de  la  pai  t 
des  Juifs. 

Les  deux  pilastres  qne  Ion  admire  a  la  droite  el  a 
la  gaucbe  du  caveau  .  et  qui  sont  si  richenient  decores 
d'arabcsques,  appartiennent  a  une  epoqueplusavanceo 
que  tout  ce  que  nous  avons  vu  jusqu'ici.  Ces  different^ 
niorceaux  ,  comme  toutes  les  sculptures  de  celte  clia- 
pelle  de  droite  ,  sont  du  milieu  du  XVI'.  siecle. 

La  partie  superieure  du  monument  est  occupee  par 
un  calvaire  avee  lous  ses  accessoires.  Le  Sauveur  n'cst 
plus  sur  la  croix  ;  Nicodcme  et  Joseph  d'Arimalbie 
viennent  de  Tenlever  pour  I'ensevelir.  Les  deux  voleurs 
sont  encore  attaches  sur  Tinslrument  de  leur  supplice, 
leurs  mf>mbres  contractes  exprimont  Teffort  de  la 
douleur. 

D'un  c6te  ,   David    ceint   du   diademe  oriental  ,   de 


VOVAGIi    A    SOLESME.  l43 

I'autre  Isaie  ,  proplu'tisanl  de  concert  sur  la  morl  dti 
Chiisl.  Oil  apercoil  encore qiiolques  traces dela  Icftendo 
dont  le  roi  propliefe  (cnaitune  exiicmite  dans  c  liaciuie 
de  ses  mains;  cello  que  lient  Isaic  pent  se  liicaisenient 
et  porte  ces  paroles  du  nienie  propliele:  Era  svpulchrum 
ejus  g/oriosum , 

Plusieurs  ayant  a  la  main  divers  instruments  de  la 
Passion  completent  cclte  scene. 

Los  ornemcnis  d'archilectme  qui  accompagnent 
Taulel  place  dans  cede  chapellc  fixereiit  aiissi  mon 
attenlion.  Le  style  de  la  pure  renaissance  se  fait  reniar- 
quer  dans  les  colonnes  ,  arceaux  ,  frise  el  entabl.  ment 
qui  docorcnt  Tespece  de  grotte  sous  laquelle  rarlislo 
voulul  sans  doule  placer  quelque  grande scene,  coauue 
il  I'avait  fail  a  Tautel  de  la  cbapelle  correspondanle  a 
gaufbe  ;  on  ignore  aujourd'liui  les  motifs  qui  lui  fueiil 
inlerronipre  son  travail.  On  lit  la  dale  i55j  sur  la 
oolonne  i  droile. 

Les  statues  qui  remplissenl  eel  enfoncemenl  sont  j 
une  madone  depiliejorl  vener6e  dans  la  conlree ,  deux 
personnages  tronques  qui  raccompagneiil ,  un  Sl.- 
Pierre  en  cliappe  ,  la  liare  en  lole  ,  et  un  St. -Paul ,  ;\ 
longue  barbe  ,  ayanl  en  main  une  de  ces  epees  a  [)oi- 
gnee  en  croix  ,  telles  que  les  po:  taienl  lescbevaliers  au 
moyen  Age.  Ces  deux  dernieres  slalues  qui  prc^scnleut  , 
snrtout  le  St. -Pierre,  des  details  de  costume  assez 
curieux  ,  sont  uii  ouvrage  du  XV".  siecle. 

Quand  on  s'oi  cupera  ,  contiuua  le  jcui.e  religieux  , 
de  la  restauralion  de  cette  cbapelle  ,  on  mettra  en  evi- 
dence I'excelleiil  bas-relief  qui  se  Iroiive  acliielienu'iit 
masque  par  le  tabernacle.  Le  sujet  esl  le  /iutss,tcre  dcs 


).\\  VOYAGE    A   SOl.ESMK. 

Innocents.  On  ainio  A  y  lelroiiver  certains  details  ile 
mouvenienis  et  crattitudes  ,  qui  rappellcnt  ie  tableau 
prcsqiie  coiitomporain  de  Rapliai'l.  II  y  a  de  renergic 
et  du  sentiment  dans  cctle  composition  dont  une  sa- 
vante  perspective  a  heurcuscmenl  groupe  les  person- 
nages.  Tandis  que  ,  par  une  forte  saillic  ,  les  figures  du 
premier  plan  se  monlrent  presque  detacbeesdu  fond  , 
la  Sainle  Faniilleparait  fuir  enEgypte ,  danslelointain. 
Passons  mainlenant  k  la  chapelle  de  gauche  ;  c'est  li 
que  nous  allons  trouver  dans  toutc  sa  fleur  Tingenieuse 
renaissance ,  dont  nous  avons  dt''j;\  admire  quelqtics 
con  V  res. 

Cette  chapelle  renferme  cinq  grandcs  scenes  de  la  vie 
de.  la  Sainte  Vierge,  La  premiere  ,  placee  au-dessus  de 
I'anlel ,  est  dite  scene  de  la  pamoison  oii  Ircpasscment 
de  la  Vierge.  Marie  est  h  genoux  ,  et  va  recevoir  la 
communion  de  la  main  du  Sauveur  qui  vient  la  visiter. 
Kilo  rccueille  ce  qu'elle  a  de  vie  pour  aller  au-devanl 
de  la  nourrilure  divine.  Un  vieillard  venerable  ,  St.- 
Pierre  ,  la  souticnt ,  et ,  pendant  qu'il  rend  cet  olTicc 
palerml  a  la  mere  de  Jesus ,  ses  yeuxchercbent  respec- 
tueuscmcnt  Iboslie  que  le  Sauveur  ticnl  danssa  main. 
A  genoux.  pres  de  sa  mere  d'adoplion  .  St.-Jean  lui 
prodigue  les  snins  de  la  lendresse  Gliale.  Six  ap6tres  , 
dans  rallitude  du  respect ,  assistant  ;\  cette  grande 
scene. 

Lc  porsonnage  venerable  ,  en  cbappe  ,  les  mains 
jointcs ,  qu'on  apercoit  sur  le  devant  et  qui  parait 
preter  une  si  grande  attention  ,  est  Saint  Hierothee, 
disciple  des  apotrt  s.  II  elait  en  elfet  present  a  la  mort 
de  la  Sainle  Vierge  ,  au  rapport  de  I'auteur  du  livredes 
noms  cln-inx  ,  attribue  a  Dcnys  Tareopagite. 


VOYAGE   A    S0LE5ME.  i^5 

Perriere  les  personnages  du  premier  plan  ,  on  aper- 
5oit  deux  femmes  ,  dont  la  Ggure  est  pleine  de  douleur 
et  d'expression.  L'une  surtout .  placee  k  gauche,  est 
remarquablement  belle ,  et  rappelle  ,  par  la  purete  du 
dessin  et  une  noble  simplicite,  la  nianiere  des  sculpteurs 
antiques. 

La  statue  du  Christ  que  vous  voyez  ainsi  rautilee  est 
dans  cet  6tat  depuis  long-temps.  Les  traditions  du  pays 
rapportent  qu'un  prieur  de  Solesme  ,  honinie  bizarre  , 
choque  de  voir  le  Sau\eur  donner  ainsi  la  communion 
a  samere.circonstance  en  effet  que  le  sculpteur  n'avait 
trouvee  que  dans  son  imagination,  eut  la  docte barbarity 
de  casser  le  bras  mcme  qui  presentait  la  sainte  hostie. 

Les  details  d'archilecture  qui  decorent  la  grot fe  on 
est  placee  cette  scene,  exciterent  aussi  mon  admiration. 
L'ogive  capricieuse  de  la  renaissance  partage  la  voule 
en  gracieux  compartimenls  ,  et  en  prolonge  la  cle  par 
un  merveilleux  pendentif.  Les  arabesques  de  lafriseet 
des  colonnes  rappellent  les  plus  riches  dessins  de 
Raphael  en  ce  genre.  Deux  tetes  de  mort  jettent  une 
j)ensee  grave  au  milieu  de  cesjeuxd'une  main  legere 
et  inspiree. 

A  droiie  et  a  gauche  de  I'autel,  sent  places  ,  sous  de 
charmants  baldaquins  de  pierre,  deux  personnages  qui 
font  partie  de  cet  ensemble.  Ce  sont  Denys  I'Areopagite 
el  St.-Timothee.  Les  trails  austeies  du  dernier  rap- 
pellent cet  homme  rigide  a  qui  I'apAtre  St. -Paul ,  dans 
une  de  ses  epitres  ,  ordonne  de  faire  usage  du  vin  pour 
remettre  son  estomac  affaibli  par  le  jeune.  Ces  deux 
personnages  paraissent  prononcer  des  passages  de  leurs 
ecrits  ,  relatifs  a  la  Sainte  Vierge  ,  et  qui  se  trouvent 
places  pres  d'cux  en  inscription.  lo 


i4<»  voya<;e  a  soi.ksmk. 

Maintonant  ,  me  dil  Ic  jonno  BtMUMlirlfii  .  nnvlons- 
nous  (levanl  le  groiipc  dc  l.i  sepulture  de  la    l''ieriii-. 
Jiis»|n'ici  nous  avons  onlrevu  des  oxlairs  tic  ^enie  :   iin 
liief-d'o^nvro  do  |)rnst''e  ol  d'executidn   est  s^   present 
snusnns  veux.   Considerez  cetle  Vieic;e  an  tombean  , 
si    donrement  endormie  ,   si   graciciisemenl  posee  .  si 
(hastenieni  diap(W\  On  a  dil  que  celle  statue  rappelait 
I'Atala  deGirodet.  Oui,  rommela  mort  rappellela  vie, 
comine  la  nature  rappelle  Telement  surnalurel.  Cest 
tiien  \k  la  Mere  d^e  Dieu  ,  celle  que.  les  lienx  de  la  mort 
n'nni pu  relenir,parce  que  de  sa  clniir  divine  ellcajimrni 
iin  corps  nu  Fils  del'Eternel.  Laroniipliondn  lonibeau 
n'ent  jamais  de  droits  sur   celte  celeste  creature,   et 
lame  ,  en  s'eloignanl  pour  quelques  heures  de  ce  corps 
virsjinal  .  Ta  laisse  beau  ,  flexible,   angeliqne :  en  un 
mot ,  il  est  encore  le  Iresor  de  la  terre  ,  en  attendant 
qu'il  devieiine  la  merveilledes  cicux.  St. -Pierre  et  St.- 
Jean  seretrouvent  presents  A  celte  scene  de  denil.  Le 
prince  des  A  pot  res  ,  inclinantsa  tolecbenneet  joignant 
ses  mains  venerables,  vent  contempler  encore  unefois, 
avant  de  les  conOer  a  la  tombe  ,  les  traits  divins  de  la 
Mere  dn  Sauveur.  Son  regard  plein  de  f'oi  cherche  a 
decouvrir  ,  i  travers  les  ombres  de  la  mort ,  quelques 
rayous  de  la  gloire  doiit  resplendit  deja  la  Ueine  des 
(lieux. 

II  y  a  dans  ce  regard  nn  adieu  d'esperance  el  de 
n'signation  ,  m616  k  je  ne  sais  quoi  de  paternel  qu'on 
ne  trouve  que  dans  les  antiques  portraits  de  St. -Pierre, 
que  nous  ont  leguos  les  premiers  siecles  du  cbristia- 
nisme. 

A  la  gauche  de  St. -Pierre  ,  rt  tenant  un  des  coins  du 


VOYAGE   A   SOI.ESME.  1 4; 

linrciil ,  St. -Jean  rend  k  la  lerre  celle  que  Jesus  liii 
donna  pour  mere  sur  la  croix.  11  porte  encore  un  dernier 
regard  sur  le  visage  angeliquc  dela  Vierge. 

Un  autre  disciple ,  St-Jacqucs ,  frere  du  Seigneur  , 
premier  eveque  de  Jerusalem  ,  se  presente  a  la  droile 
du  prince  des  Apotres.  Sa  tcte  peucheeindique  que  des 
pensees  graves  et  tristes  onl  saisi  son  ame.  11  adore  les 
volontes  supremes  du  Tres-Haut. 

Par  un  de  ces  precieux  anachronismes  si  communs 
dans  les  a?uvres  de  I'art  a  I'epoque  de  la  renaissance  , 
un  moine  Bencdiclin  licnt  aussi  un  des  coins  dulinceul. 
On  considere  cc  beau  portrait  avec  interct  et  respect  , 
lorsqu'on  apprend  qu'ilreprcsenleDomBougler,  prieur 
de  Solesme.  C'cst  ce  religieux  ,  mort  en  i553  ,  qui  fit 
execufer  toutes  les  statues  et  decorations  de  cetle  cha- 
pelle  de  gauche  devenue  un  veritable  musee.  La  posle- 
rite  doit  de  la  reconnaissance  h  Menage  et  h  D.  Ma- 
billon  qui  ont  preserve  de  I'oubli  un  nom  si  glorieux  , 
I'un  dans  son  histoire  de  Sable ,  Tautre  dans  ses  Annales 
ordinis  sancti  Bene(Ucti[\). 

La  tete  de  Dom  Bougler  a  ete  scioe ,  ainsi  que  celle 
du  personnage  que  Ton  voit,  a  gauche,  tenir  un  des 
coins  du  linceul.  (-et  acte  de  vandalismc  est  destine  A 
rappeler  ,  aussi  long-temps  que  ce  monument  existera, 
I'incroyable  barbarie  des  commissaires  qui ,  pendant 
les  premieres  annees  de  I'empire  ,  fureni  charges  ,  par 
Tadministration  departementale ,  de  sender  les  statues 

(I)  Celebranlur  hujus  loci  status  insignes,  ad  pictatem  c omposil.T. 
quas ,  medio  seculo  proiime  elapso,  Johannrs  Boiiszlenis ,  iiltimus 
prior regularis ,  fieri  (niravil(Annal.  or. I.  S.  Ben.,  I.  iv,  p.  2tlJ. 


l48  VOWGE    A    SOLtSMt. 

diles  Ics  saints  de  Solcsme,  afin  dc  voir  s'il  etait  pru- 
dent de  les  cxposor  aux  dangers  du  transport.  Ces 
Messieurs  nepureiit  acquerir  la  conviction  du  contrail  e 
qu'en  faisant  jouer  la  scie  sur  la  tcte  meme  des  person- 
nages  du  premier  plan. 

Les  aulres  personnages  semblent  preter  una  vivc 
attention  k  la  scene  qui  vient  d'etre  decrite.  On  re- 
marque  surtoul  un  vieillard  d  longue  barbe  ,  probable- 
ment  le  divin  Hierolbec,  el  drux  saintes  feinmes  ,  dont 
la  pbysionoraie  est  empreinted'uneprofonde  expression 
de  trislfsse. 

Les  elegants  bas-reliefs  qui  ornent  le  tonibeau  out 
^le  malheureusement  maltraites  par  le  timps.  On  dis- 
tingue encore  Esther,  qui  sauve  son  peuple  de  la  inort, 
et  Judith  qui  inimole  I'ennenii  de  sa  race  ,  riches  em- 
blemes  accomplis  dans  Marie. 

L'ne  figure  niulilce  que  Ton  voit  assise  pres  du  lom- 
beau,  a  ete  ,  comnie  les  deux  soldals  du  St. -Sepulchre , 
victime  de  la  devotion  populaire.  Les  gens  du  pays 
s'etaient  persuade  que  celle  statue  repre«entait  le 
Diable,  cberchant  dans  un  livre  Icspeches  de  laSainle 
Vierge,  ct  deconcertc  de  trouver  ce  livre  blanc  k  toutes 
ses  pages.  Le  malheureuxpersonnage  a  paye  cher  cette 
meprise  ,  et  de  temps  immemorial  il  a  ete  en  butte  aux 
voies  de  fait  des  trop  zeles  vengeurs  de  I'honneur  de 
Marie. 

L'archlteclure  severe  de  T^difice  se  trouve  en 
harmonie  avec  Taction  dont  il  est  le  theatre ,  deux 
cbarmanles  colonnes  en  derorent  Tentree,  Tuneenlou- 
r^e  d'un  lierre  charge  de  ses  fruits ,  i'autre  ceinte 
d'une  vigne  ornee  de  ses  grappes. 


VOYAGE    A    SOLKSMli.  l49 

Au-deasus ,  quatre  saints  docteurs  posaiit  sur  leurs 
niches  avec  une  souveraine  dignil^,  proclamenl,  coinnte 
du  haul  dii  ciel ,  la  gloire  dc  Mario  ressuscitee  ,  dans 
deslegendeslalinesou  I'oa  trouvc  tout  le  genie  poeliquc 
et  metaphysique  du  moyen  ^ge.  Ces  docteurs  sent 
St. -Bernard  ,  avec  I'ancien  babil  de  son  ordre  et  la 
crosse  abbatiale,  ensuitc  deux  evcqiies  que  Ton  croit 
iitre  St.-Auguslia  et  Sl.-PieiTe-Damien  ,  c^loquents 
pan^gyristes  de  la  Mere  de  Dieu,  enfinSt.-Bonaventure, 
autre  mystique  du  moyen  Age  ,  non  nioins  abondanl 
que  I'abbe  de  Clairvaux  S4ir  les  grandeurs  de  Marie. 

Au-dessus  des  quatre  docteurs ,  I'tBil  ,  apres  avoir 
parcouru  les  details  d'une  admirable  frise en  arabesques, 
arrive  i  un  delicieux  temple  &uperpos6  au  premier 
avec  unegrAce  ct  une  leg^ret^  sanscgale.  Tout  Tespace 
jusqu'A  la  voute  est  rempli  par  ces  charmanlcs  fanlai- 
sies  d'un  genre  vraiment  createur. 

La  scene  plac6e  sous  ceraagique  edifice  est  VAssomp- 
tion  de  la  M^re  de  Dieu  ;  la  V icrge  ,  que  nous  avons 
vue  tout-A-l'heure  descendre  au  tombaau  ,  s'elcve  du 
desert  de  ce  raonde,  versle  cicl  ,  appuy^e  sur  sun  bien- 
aime.  Iluit  ap6tres  et  un  raoine  Bt-ncdiclin  forment 
loute  I'assistance.  Ces  personriages  suivenl  des  yeux 
la  Iriompbantc  Assomption  ;  sur  le  dcvanl ,  David  .  la 
barpe  a  la  main,  celebre  les  grandeurs  de  son  heureuse 
iille.  Deux  pelils  angos  soulcvent  la  porte  d'un  sarto- 
phage  place  presque  sous  les  pieds  de  la  Vierge  j 
qutiiquecette  scene  soil  inferieure  ,  pour  I'exccution  , 
k  cclles  qui  I'environnent ,  on  convicnt  que  I'idee  en 
est  belle  ,  el  Taspect  general  assez  frappanl. 

Mainlenant ,  me  dil  nion  guide ,  pour  connallre  la 


l5o  VOVACE   A   SOLl.SME. 

lin  de  cette  merveilleuse  histoire ,  que  j'ai  voulu  voiis 
monlrer  par  ordrc,  il  ne  nous  resle  plus  a  voir  que  la 
Glorificadun  de  Marie.  Cette  scene  presente  un  luxe 
d' allegories  et  de  mysteres  dont  rien  de  ce  que  nous 
avons  vu  jusqu'ici  ne  saurait  donner  I'idee.  II  sullit  de 
dire  que  le  sujet  a  ete  pris  dans  I'Apocalypse ,  et  que 
DoniBougler  en  donna  Ic  tcxteniysterieuxi  ses  artistes, 
se  reservant  d'en  fournir  lui-menie  le  cominentaire  , 
dans  des  inscriptions  elincelantes  de  poesie. 

Le  grand  dragon  est  represente  avcc  ses  sept  tfites  et 
scs  sept  diad^mes  ,  le  monstre  vomit  le  fleuve  dont 
parle  la  prophetic;  et ,  sur  les  flots  qui  tombent  de  sa 
gueule  principale  ,  on  lit  cette  imprecation  de  Tenfer 
contre  Marie ,  contre  Teglise  et  centre  Tame  fidele  : 
Quandb  morietur ,  et  quando  peribit  nomen  ejus  ? 

Sur  la  croupe  du  dragon  est  assise  la  prosliiuee  de 
Babylone  ,  paree  de  tons  les  alours  du  XVP.  siecle. 
Marie  est  representee  avec  de  longs  cheveux  epars  et 
deuxailes  d'aigle,  conformement  au  texte  ;  di:ux  petits 
anges,  dont  on  admire  le  vol  aerien,  placent  sur  sa  tele 
une  couronne.  On  lit ,  sur  le  nuage  nicme  qui  lui  sert 
de  tr6ne  ,  les  paroles  (i)  qu'elle  adresse  aux  vertus  sur 
I'aile  desquelles  clle  s'est  elevee  a  ce  degre  de  gloire. 
€es  vertus  ,  que  Ton  voit  dans  Tattilude  du  triomphe  , 
hont :  la  prudence  ,  la  justice  ,  la  force ,  la  temperance, 
1  humilite  ,  la  foi  et  lacharil6. 

II  ne  nous  resle  plus  a  examiner  quun  groupe  curieux 
que  nous  avons  reserve  pour  la  tin  ,  comme  ne  faisant 


(1)  0  virtutesquae  ex  ulcio  malris  mca;  crcvislis  meriim,  draco- 
nis  niccum  capita  conterentes,  coronis  glorix  inyiccm  gratulcniiir. 


VOYAGli    A    SOLtSME.  j5i 

])<>iiilpai'(ic  neccssuire  de  i'ensuinble  qui  nous  auccupes 
jusqu'ici,  c'est  un  Irait  de  la  \ie  du  Saiiveur. 

Sous  un  porlique  du  ti'njple  de  Jerusalem  ,  l\'nraiit. 
.'»'sus  ,  dont  la  sagesse  vienl  dejcler  dans  reloniunnent 
les  docteiirs  d'lsiael  ,  se  l^ve  pour  soniire  in  Marie  et 
a  Joseph  ,  qui  dans  ce  moment  menie  apparaissent 
eatre  les  cilonnes.  L:  s  trails  de  la  Vierge  portent 
encore  la  trace  de  ses  vives  inquietiides.  Par  un  senli- 
nienl  d'une  exquise  delicalesse  ,  le  sculpteur  a  saisi 
linslanl  ou  Marie  ,  dans  sa  mali'meSle  reprimande  , 
se  non)mant  a  peine  clle-nienie  ,  parle  de  Joseph:  ///oi 
el  a'o//t;yDr/c,  dit-elle,  en  moulrant  celui-ci  ,  dont  la 
phjsionomie  empreiuted'une  joio  na"i\e ,  fait  assez  \oir 
que  Tenlant ,  dont  Taspei  t  le  console  si  vite  ,  ne  saurait 
etre  que  son  fils  adoplif. 

Mais  voyez  ces  personnages  en  bonnet  d'universile  , 
el  dont  les  niani^res  doctorates ,  Ala  facon  du  XVI*. 
hi^de  ,  annoncent  bien  plut6t  le  gradue  dans  les  quatre 
I'acultes  de  Bologne  ou  de  iSalamanqiiS  ,  que  le  scribe 
dela  s^-nagogne;  les^,  livres  des.proplietes  son(  enire 
leurs  niains  ;  sur  Tun  des  tesles  on  lit  la  prophetie  de 
Jacob.  An  milieu  de  la  discussion  cjui  parait  eire  fort 
vive  .  Tun  desdocleurs  ,  otant  ses  lunettes  ,  parait  pi<^t 
a  emettro  un  avis  inq)ortant  :  le  ineme  inslrumcnt 
repose  dans  un  etui  Ala  ceintuie  d'un  de  ses  coMegues. 
l/obesile  de  plusieurs  d'entre  eiix  ,  fait  un  conlrasle 
piquant  avec  la  doclemaigreur  desauties.  Eu  un  mot  , 
ce  groupe ,  dont  I'idee  est  ingiuiieiise  ,  psesenle  uiie 
scene  deinoeurs  inltMessante .  mais  un  p  eu  grolcs»[i.e  , 
a  la  mani^,redes  tableaux  de  Kecole  llamande. 

Lorsqu'on  a  acheve  d'cxaminer  toules  ces  scenes, 


l5a  VOVAGE   A    SOLESME. 

dans  plusieurs  desquelles  le  plus  pur  spirilualisme  se 
marie  sans  effort  aux  coaceplions  les  plus  merveilleu- 
sement  poetiques ,  on  reconnait  sans  peine  que  le 
monument  de  Solesme  est  unique  en  son  genre.  L'art 
du  moyen  Age  s'y  retrouve  en  action,  au  moment  nieme 
de  son  union  avec  celui  de  la  renaissance ;  Tatticisme 
de  Tun  n'a  point  encore  fletri  le  rayslicisme  de  Tautrc. 
Calholique  ,  comme  un  porlail  de  cathedrale  ,  Teglise 
de  Solesme  est  souvent  classique  aux  yeux  de  I'amateur 
eclaire  del'antique.  Vraiment  national ,  ce  monument 
apparlent  a  une  epoque  ou  l'art  franrais  ne  s'elait 
point  encore  avised'aller  demander  A  d'autres  croyances 
les  types  qu'ils  voulaitimmortaliser. 

Mais  quels  sent  les  artistes  auxquels  I'eglise  de  So- 
lesme doit  sa  gloire?  On  croit  communement,  me  dit 
le  jetme  Benedictin  ,  que  ccs  statues  soul  TceuYre  du 
celebre  sculpteur  Germain  Pilon  ;  nuiis  celte  opinion 
assez  recente  n'esl  appuyee  sur  aucun  lemoignage 
historique.  EUe  provient  uniquement  de  ce  que  cet 
artiste  elait  ne  k  Loue  ,  village  distant  de  Solesme 
d'environ  quatre  lieues  ;  on  se  sera  cru  en  d:oit  de 
supposer  qu'il  n'a  pu  etre  etranger  aux  merveilles  de 
son  art  qu'on  admire  si  prcs  de  son  berceau.  Mais  , 
sans  enlrer  dans  le  detail  des  preuves  lirees  de  ra?uvre 
meme  ,  qui  semblent  refuter  cette  opinion  ,  je  me  con- 
tenterai  de  vous  faire  connaitre  une  tradition  plus 
ancienne  et  aussi  plus  vraisemblable.  C'est  celle  qu'a 
transmise  un  venerable  curede  la  paroisse  de  Solesme, 
qui  est  mort  plus  qu'octogenaire  en  i8ig.  U  a  declare 
avoir  entendu  dire  aux  anciens  religieux  que  les  sculp- 
tures de  la  chapeile  de  gauche  avaieat  ^le  execulces 


VOYAUii:   A   SOLESME.  1 53 

par  (rois  I( aliens  ,  sous  la  direction  de  Dom  Bouglor. 
Le  nicme  vieillard  ajoiitait ,  toiijours  d'apres  Ic  dire 
des  rcligieux  ,  que  les  sculptures  el  les  decorations  de 
la  chapelle  de  gauche  avaient  coute  i5o  coo  livres  ,  et 
que  la  famille  seigneuriale  de  Sable  clail  venue  au 
secours  des  Benddielins  dans  cettccirconstanee. 

Ce  qu'il  y  a  de  certain  et  ce  qui  donne  un  grand 
degrei  de  vraiseinblance  k  ce  temoignage  ,  c'est  qu'au 
XVI".  siecle  les  migrations  d'artistes  Ilalieus  qui  so 
rendaient  aux  cours  de  Francois  P"". ,  de  Henri  II  et 
de  Francois  II  elaient  frequentes  ,  et ,  tandis  que  les 
plus  celebr.  s  d'ent:  e  eux  allaient  recevoir  une  hospita- 
lite  royale ,  d'auties,  plus  obscurs  ,  ne  dedaignaient 
pas  den  demander  une  nioins  brillante  ,  mais  nou 
nioins  honorable  ,  aux  vieilles  abbajeset  aux  prieures 
seculaires. 

Apresrexamenprolonge  deschapelles,  nous  enlrAmes 
dans  I'arriere-choDur,  au  fond  dnquel  est  place  un  ancien 
portrait  de  St.-Benoit.  Les  sialics  sont  ornees  de  sculp- 
tures en  bosse  qui  representent  les  ancelres  de  J.  C.  , 
suivant  Tordre  genealogique  marque  dans  les  evangile;--. 
Le  caraclere  de  celle  curieuse  boiserie  ,  Ires-bien  con- 
servee,  la  fait  remonter  au  XVI'-.  siecle,  epoque  de  la 
reconstruction  deTeglise.  Mors  aussi  durent  eti  e  peinis, 
comme  Tindique  le  style  des  edilices  qui  y  sont  re[)re- 
sentes  ,  les  vitraux  ,  aux  vives  couleurs,  qui  reslent  a 
une  seulefenclre,  Le  pere  Cellerier,  me  dit  nion  guide, 
a  beaucoup  eludie  les  precedes  de  la  peinture  sur  verre : 
il  se  propose  d'orncr  dans  ce  gout  les  aulrcs  croisees 
du  choeur.  Le  pere  abbe  a  aussi  le  projet  de  fairc  exe 
cuter  une  restauralion  iniporlanle  dans  le  style  du 


i!^^\  VOVAOB    A    SUI.KSME. 

sjccIl'  auqiicl  appartienl  le  monument.  Voiis  allezjugor 
s'il  y  a  netessite  el  siirtout  conxenance.  Alois  il  mo 
laniena  vers  la  ihapelle  de  droile ,  el  m'inlroduisit 
dansun  caveau  dontla  vouteel  les  murs  soul  vordiilres 
d'lmmidile.  LA  ,  sur  un  lombeaii  degradt!;  ,  je  \is  la 
statue  nuililce  d'lm  cLevalier  ,  qu'uiie  insciiptioii  dit 
clreGeoffroide  Sable.  II  convienl  en  cffot,  dis-je  alors, 
que  les  nouveaux  Bc'nediclins  de  Solesnie  ,  dans  leur 
zele  de  conservation  ,  n'oublient  pas  ce  qu'ils  doivenl 
a  leur  premier  fondateur. 

Dans  ce  moment  une  cloihe  vint  A  sonner  ,  il  «^tail 
quatre  lieurcs ;  te  sonl  nos  Vepres,  nie  dil  !e  jeune 
Benediclin  ,  permellez-moi  de  vous  quitter  quelqnes 
instants.  BientOt  \e  le  vis  reparailre  avec  les  religieux 
quicnlraienl  au  choeur.  Quelques-uns  etaienl  revdlus 
d'un  court  rochel  k  larges  manches  ,  la  pluparl  d'une 
ample  robe  noire  appelee  coule.  Apres  eel  oilice  ,  qui 
dura  environ  Irois  qtiarls  d'lieure  ,  je  fus  introduil  dans 
le  couvenl  et  presente  au  soiis-prieur ,  Lomme  simple 
cl  bo»,  qui  me  til  ua  aeoueil  donl  je  garderai  le  sou- 
venir. II  n'avait  plus  que  I'babit  de  travail ,  compose 
du  scapulaire  et  de  la  lunique  ,  espece  de  soutane  non 
fendue  par  le  bas  et  serree  au  milieu  du  corps  par  urie 
C(  intare  d'un  cuir  grossier.  Moii  pere,  lui  dis-je,  sans 
avoir  rbomieur  d\■^^•e  Benedicfin  ni  m^me  prelie,  j'ai 
habile  cinq  ans  une  aUbaye  assez  celebre  de  voire 
ordre  avec  le  dernier  sous-prieur  ( i )  qu'elle  ait  eu.  J'ai 


(1)  Dom  Ribard  ,  anci'en  sous-prieur  de  I'ahbc.ye  aii.x  hnmme% 
de  Caen,  morion  1827,  rcnfenr  honoraire  du  colk^i;?  royal  dc  la 
iik'iiic  viile.. 


VOVAGIi    A    Sdl.tSMK.  I,')f» 

reciicilli  de  $a  buMiche  des  tr.iditionseldes  souvenirs  qui 
pounont  vous  inleressor,  Jc  les  ai  consigii6s  dans  ret 
opnscule  (i)  queje  vous  prie  d'acceptor.  Vous  concevcz 
des-lois  quel  prix  lout  paiiicidier  auronl  pour  nioi  les 
details  que  vous  voudrez  bien  me  donner  sur  voti « 
niaison. 

L'hisloire  de  I'ancicn  pricure  dc  Solesme  ,  me  repon- 
dil-il ,  n'est  ni  longue  ni  variee  ,  comme  le  dit  noire 
pere  abbe  dans  cette  notice  (2)  queje  vous  piie  a  nion 
lour  d'accepter.  Deux  circonstanccs  seulement  y  re- 
pandent  qi:e!que«^clat:  c'esl  le  sejour  prolonged  que  fit 
parmi  Ics  religieux  I'eveque  duMaiis  ,  Iloel,  luyant  de 
sa  ville  opiscopale  pour  se  soustraire  aux  violences  de 
Hugues  III ,  conite  du  Maine,  et  vers  la  meme  epoque, 
la  visile  du  pape  I'rbain  II  precbant  la  croisade  ,  ot 
passant  par  Sable.  Uu  rcste  ,  Solesme  doit  sa  cclebrile 
uniquement  aux  arts  qui  out  decor^  son  6glise.  Vous 
venez  de  la  visiter,  il  ne  vous  rcste  plus  i  connaitre 
que  notre  vie  interieure.  La  regie  que  nous  suivons 
n  est  que  provisoire  (3).  Le  p(^re  siiperieur  doit  la  rap- 

(1)  ri.iite  nil  college  royal  de  Caen,  ancienne  nbbaje-aiix- 
liornnies,fond('e  dans  Ic  XP.  siccio,  par  GuillauniL'-le-Conqu<'rai)l; 
bioch.  iii-8°.  avcc  gravuies,  a  Caen,  chcz  ManccI ,  librairo;  a 
Paris  ,  iihoi  Ilachellc  ,  nic  ricrre-Sarrasin  ,  12. 

(2)  Notice  sur  le  prieure  de  Sulesme ,  au  3Ians  ,  chcz  Belon  , 
librairc, 

(3)  Voici  itUc  regie  : 

A  4  heurcs  le  Icvit.  ImmdiJialcment  aprcs,  on  thante  au  chci'ur 
.Va/ifiesel  Lander ,  puis  ,  aux  heurcs  niarqut'es,  Prime,  Tierce 
et  la  rncssea  9  lieures.  Knsuile  elude  jiisqu'ii  mldi.  Diner  el  rt'iri^a- 
liou  jusqu'a  1  beure  l\2.  Elude  jusqu'aux  VC'pres,  a  4  heures.  l>e 
4  lieurcs  3|4  a  6  heures  Ii2,  iMude.  Lt(  lure  spiriluelle  en  loiuuiun 


I  56  VOYAliK   A   60LESME. 

imiter  de  Rome  approuvde  par  le  Saint  Si^ge,  avec  le 
bief  qui  6rige  notre  pricure  en  abbaye. 

Nos  exercices  religieux  sont  distribiK^s  de  manieie 
k  nous  laisser  au  moins  hui  t  houres  par  jour  pour  Telude. 
Sur  nos  moments  de  recreation  ,  une  domi-beure  est 
consacree  k  la  culture  de  la  terre  ,  c'est-a-dire  ,  ici ,  4 
telle  du  jardin  ,  afin  de  nous  rappeler  au  moins  le 
souvenir  de  cet  humble  travail  des  mains  auquel  les 
premiers  religieux  se  livraienl  avec  tant  d'assiduile. 
En  general,  I'ancienne  regie  est  bien  adoucie.  Nous 
n'avons  point  d'oflice  au  milieu  de  la  nuit ,  pas  d'absli- 
ncnce  perpetuelle  ik  pratiquer ,  seulemenl  qtielques 
observances,  quelquesjeunes  particuliers,  pour  lesquels 
dcs  motifs  de  dispense  sont  prompteraent  accueillis. 

En  conversant  ainsi ,  nous  avions  fait  le  lour  du 
cloitre  ,  espece  de  galerie  couverte  qui  regne  autour 
d'une  cour  carree,  au  centre  de  laquelle  est  un  petit  par- 
terre soigneusenientculfive.  LavoiiteA  moitie  demolie 
de  I'un  des  c6les  ayant  fix6  mon  attention,  j'appris  que 
tel  aurait  etele  sort  de  la  niaison  lout  entieic  ,  il  y  a 
quelques  annees,  si  les  nouveaux  Benedictins  n'elaieut 
venus  I'occuper.  Leprieurede  Solesme  etait  condamne 
h  elre  detruit.  Les  pierres  en  etaieut  vendues  ,  et  dejA 
ellescommencaient  atombe  •  sous  le  mar  lean,  lorsqu'un 
prelre  de  Sable  s'en  emut  et  accourut  au  Mans  aupres 
de  Dom  Gueranger ,  originaire  de  Sable,  qu'il  habila 
long- temps  avec  sa  famille.  L'antique  prieure  fut  ra- 
cbele ,  et  le  projet  concu  de  le  rendre  k  sa  destination 

jnsqii'h  7  heures.  Souper  et  r^cr^ation  jusqu'a  8  ll2.  Complies 
jusqu'i  9.  Eiillii  Ic  couchcr. 


VOYAGE   A   SOLESME.  I  "^7 

primilive.  Sousl'auloril^  de  Mg"".  Caron  ,  alors  ev^iqiie 
(111  Mans  ,  les  rcligieux  y  furent  installes  le  1 1  juillet 
1 833.  jour  de  la  translation  de  St. -Benoit.  Depuis  ce 
moment ,  les  exerciccs  reguliers  n'ont  cesse  d'j  6lve 
exactenienl  suivis. 

Arrives  A  une  petite  salle  de  reception  fort  simple , 
le  bon  sows-prieur  voiilut  bieu  me  presenter  le  premier 
volume  dejA  public  des  Iravaux  de  la  oommunaute. 
C'est  le  commencement  dun  ouvrage  important  , 
intitule  Origines  de  l\'glise  romainc.  Je  deniandai  la 
permission  d'en  lire  les  premieres  pages.  Elles  con- 
tiennentla  dedicace  adressee  k  Mg"".  Bouvier  ,  eveque 
actuel  du  Mans.  Ce  morceau  m'a  paru  por(er  le  carac- 
lere  d'une  eloquence  douce  ct  grave,  d'une  imaginalion 
viveet  brillanle.  Les  sentiments  d'une  tendre  affection, 
d'une  reconnaissance  toule  filiale  envers  un  prelat  qui 
en  est  si  digne,  sont  habilement  meles  i  de  hautes  con- 
siderations ,  a  des  fails  histo;  iques  eclatants.  C'est  le 
frontispice  majestueux  d'un  imposant  edifice  ,  et  pour 
les  nouveaux  Benedictins  un  dehul  qui  donne  de  belles 
esperances.  lis  s'occupenl ,  en  ou(re,de  continuer  le 
Gallia  Christiana  ,  selon  le  vu?u  du  gouvernement ,  qui 
leur  accorde  A  ce  tilre  un  encouragement  bonorable. 

Les  cbambresdesreligieuxsontagreablementsiluees 
au  premier  etage  ,  ayant  vue  sur  la  campagne  ,  qui  est 
delicieuse  k  Solesme.  Ellos  correspondent  a  un  corridor 
oil  se  trouve  plac^e  la  bibliolbequc  ,  deja  composee  de 
cinqmille  volumes bien  choisis.  Les  cellules  desnovices 
sont  releguees  k  Telage  superieiir  ,  c'esl-a  dire  dans  les 
comb'es.  Celle  ouj'entrai  me  parut  elre  unobservatoire 
moins  fait  pour  la  (erre  que  pour  les  cieux.  Le  jour  y 


i58  voyA(;E  a  ^oi.esme. 

iW'iiolro  par  nnc  petite  hioarno  praliquee  dans  la  loifuro. 
Co  n'osl  pas  avoc  intonlion  ,  niais  par  neocssit^  ,  qu'on 
los  Iraito  ainsi.  Qiioiqiie  le  couvcnt ,  primilivcnient 
fonde  pour  six  religieux  ,  ait  etc  rcbAti  en  178 1  siir  un 
plan  plus  etcndu  ,  et  que  Ton  soil  avec  raison  difficile 
danslc  choix  des  sujcts  a  adnicltre,  neanmoins  on  est 
oblige  dt'ja  d'y  nienager  I'espace  (i). 

Redescendii  an  rez-dc-t haussee,  je  visitai  le refecloire. 
Tl  est  garni  do  son  ancienne  boiserie  ct  de  tables  etroites, 
a  qiialre  converts  ,  ranges  sur  une  seule  ligne  ,  suivant 
Fusagc  des  comnuinaules ,  ou  la  lecture  pendant  !e 
repas  remplace  la  conversation.  Dc  li  ,  j'entrai  dans 
line  petite  piece  appelee  sallc  du  Chapitre.  J'y  reniar- 
quai  sur  un  pupitre  un  livre  ouvert  qui  contenait  la 
regie  de  St.-Benoit ,  donl  on  fait  chaque  jour  une  lec- 
ture en  conimun.  Enfin  on  me  niontra  Tappartemont 
niodeste  qu'occupe  Mg'.   Teveque  du  Mans  dans   ses 
visiles  A  Solesme.  J'appris  aussi  que  des  personnagcs 
de  distinction  n'avaienl  pas  dedaigne  Thumble  hospi- 
talile  des  nouveaux  Benediclins ,  et  que  le  noble  et 
savant  auteur  de  la  vie  de  S". -Elisabeth  de  Ilongrie  (2) 
avait  compose  en  partie  a  Solesme  ,  pendant  un  sejour 
de  plusieurs  mois  ,  ccs  recitsempreints  de  lant  de  foi 
ct  de  candeur,  celte  fraiche  el  naive  peinture  d'une 
vie  si  remplie  de  merveilles. 

(1)  J'ai  compl^  en  loul  20  religieux  ; 
8  peres, 
5  novices, 
2  postulants , 

2  I'reres  convers , 

3  freres  postulants. 

;2)  M.  Ic  C".  deMnnlalcmbert. 


VOVAGli    A    SdLESMI!.  Ki) 

Lc  monastere  offro  par  tlcliors  uii  Piisoiiiblo  n'-g'ilier, 
<l'im  aspect  agroablo.  La  Sarllie  conic  an  picd,ilii  cAlc 
tliiNord,  ct  arroseun  spa(ieiixjardin.L;\,sons{!cl)raii\ 
nn.bragcs  .  dans  do  largcs  allcos  ,  je  vis  des  rcligienx  so 
promener  en  lisanl.   On  me  fil  rcmarquer  parmi  eiix 
iin  moiiie  cspagnol.  Comnie  il  doit  cnvier  pour  sa  mal- 
hciiieiisc  paliie,  dis-jc  alors ,  la  paix  qifil  a  troiivee 
en  Fian:e  et  le  calnieqiiil  goule  ici !  Solesnie  est  ,  en 
effet,  nr.erclraifc  delicMCiise  pour  ceux  qu'y  appelle  une 
vocation  sincere.  Est-il  une  existence  plus  douce  que 
eelle  de  res  bommes  qui  ,  loin  du  monde  et  de  ses  pas- 
sions .  unis  par  les  monies   gouts  et  par  une  rbaritcS 
fraternelle,  partagenl  leur  temps  entre  les  jouissanres 
del'i'ludeet  les  consolations  de  la  priere?  Ilospilaliers 
envers  les  elrangers  ,    affables  covers  lout  le  nionde  , 
les  Benedictins  de  ?olesme  sont  cheris  dans  la  conlu'e 
et ,  on  ppiil  le  dire ,  robjol  en  France  dePinteret  gene- 
ral, lis  excilent  la   curiosile  de  ceux  qui  ne  les  (on- 
naissent  pas  encore  ,  Tadmiration  et  la  reconnaissance 
de  ceux  qui  les  visitenl. 


ET  USAGES 

Par  M.  P.-A.  VIEILLARD  , 

L'un  des  conservatcurs  de  la  bibliotheque  de  {'Arsenal, 


PRIVILEGE  DE  LA  FIERTE  DE  SAINT  ROMAIN. 

Peu  d'egliscs  ,  en  France  ,  ont  joui  d'un  aussi  bean 
privilege  que  ( eliii  dont  le  ohapitre  de  la  calhedrale 
de  Rouen  a  ele  en  possession  ,  depuis  les  premiers 
temps  de  la  monar<hie  jusqu'a  I'epoque  de  la  revolu- 
tion. II  consislait  A  delivrcr  tons  les  ans  Tun  des  pri- 
sonniers  detenus  i  Rouen ,  pour  crime  emporlant  la 
peine  capilale.  Ce  privilege  ,  connu  sous  le  nom  de  la 
Fierle  (Ferctrum) ,  i  cause  du  role  important  que  jouait 
la  chcisse  de  saint  Romain,  dans  ret  acte  A  la  fois  judi- 
ciaire  et  religieux  ,  offre  a  I'obscrvalion  un  vif  interet  , 
sous  le  triple  rapport  de  la  critique  Lislorique,  de  la 
morale  et  de  la  legislalion.  Les  chroniques  normandcs, 
si  riches  en  fails  mcrveilleux,en  presentent  peu  d'aussi 
remarquables  que  celui-ci.  Les  traces  en  subsistaicnt 
encore,  il  y  a  quarante-huit  ans,  dans  un  usage,  egale- 


DE   LA   NORMANDIE.  iTt'] 

ment  chpr  A  la  religion  ct  h  I'humanite.  P.irnii  les  an- 
liques  illustrations  qui  faisaient  la  parure  de  noire 
vicille  France  ,  la  Fierte  etait  sans  contredil  le  plus 
beau  joyau  de  la  ville  de  Rouen. 

C'est  k  la  tradition  ,  bicn  plutot  qu'a  Thistoire ,  qu'il 
faut  demander  Torigine  du  privilege  de  saint  Romain. 
On  ne  trouve  sur  ce  point ,  aucune  lunii^re  dans  les 
Perils  confemporains.  Le  recit  suivant  ,  emprunte  au 
benedictin  D.  Pomnieraye  ,  historien  des  archevequcs 
de  Rouen,  parait  offrir,  dans  le  nienie  cadre ,  la  fiction 
et  la  realite.  Plus  tard,  nous  essaierons  de  faire  la  part 
de  Tune  et  de  I'autre. 

«  Saint  Romain  6tant  A  la  cour  ,  pour  y  suivre  unc 
affaire  ,  qui  importait  fort  au  bicn  do  son  diocese  ,  la 
Seine  sortit  avec  impetuosite  hors  de  son  canal  ,  se 
repandit  dans  la  campagne  ,  y  renversa  dcs  arbres  et 
des  maisons  ,  et ,  ce  qui  fait  parliculierement  k  mon 
sujet ,  nionta  si  haut  dans  la  ville  de  Rouen,  que  quan- 
tite  d'habitants  furent  contraints  d'abandonner  leurs 
logis  ,  et  de  se  retirer  aux  lieux  plus  eloigncs  du  bord 
de  la  riviere,  avec  leurs  enfanis  ct  lours  nieubles.  Dos 
que  le  saint  cut  nouvelles  de  ce  nialLeur  imprevu  ,  il 
quitta  la  cour  ,  el  vint  en  diligence  a  Rouen ,  on  , 
aussit6t  apres  son  arrivee  ,  il  alia  vers  la  riviere  ,  se 
prosterna  contre  terre ,  et  im[)lora  la  favour  celeslo  . 
dans  une  fervente  oraison ;  puis  ,  il  fit  Ic  signe  de  la 
croix,  comme  pour  commander  aux  oaux  de  so  rolirer  ; 
et  on  les  vit  incontinent  obeir  k  ses  ordres  ,  avec  la 
meme  deference  que  si  ellos  eussent  olc  poiu-vues  de 
raison  ,  el  se  retirer  dans  les  bornes  de  lour  canal  ordi- 
naire. 


II 


I  58  TKAUrr IONS   f.T    VSACiES 

«  Cc  prodige  fill  sans  doiitp  des  phis  iiisignes  ;  niais 
en  \o\ci  un  auiro  ,  qui  fil  encore  jdns  d'eelal.  Mons 
avons  jiarle  ( i-devaiil  de  eel  horrible  seipenl,  que  saini 
Nicaise  exteiinina  pies  de  la  fonlaine  de  Vaux.  II  s'en 
(iti  nia  un  pareil  ,  dans  un  lieu  marecageux  ,  proche  de 
la  ville de  Hoiien. qui  faisait  d'epouvanlables desoidres. 
\\  siirprenait  et  de\orail  les  hommes  ,  il  tuait  les  ehe- 
vaux  ,  il  fonompait  Tair  ,  par  son  haleine  pestilenle  ; 
et  tout  seul  qu'il  elait  ,  ii  poi  tait  Talarme  et  le  ravage 
dans  le  pays  voisin  de  ce  niarais  ,  ainsi  queiU  pu  faire 
line  troupe  d'ennemis.  Los  habitants  de  la  ville  ne 
sa;  haul  par  quel  moyen  se  defaire  de  ce  dragon  ,  qui 
leur  ("aisart  la  guerre  ,  depuis  plusieurs  annecs  ,  euient 
reeours  h  saint  Roniain.  Ce  charitable  pastein-  ,  A  qui 
les  plushautes  enlre|)risf's  send)Uuenl  aisees  ,  cpiand  il 
s'agissait  de  defendre  son  troupeau  ,  les  consola,  el  leur 
proniit  de  les  delivrer  de  ee  furieux  adversaire.  Le 
dessein  elait  grand  et  releve  :  niais  la  maniere  donl  il 
I'executa  rendit  eneore  cettc  action  plus  eclatante  ot 
phis  illuslre  '.  car  il  ne  voulut  pas  seulement  vaincre  et 
luer  ce  monstre  •  niais  il  entreprit  nieme  de  le  faire 
inourir  pnbliquement  ,  coninie  pour  lui  faire  faire  re- 
paration de  toutes  les  cruautes  qu''il  avail  exercees. 
Pour  cet  effet,  il  fallait  s'en  saisir,  ce  qu'il  se  cbargea 
de  faire  lui-nieme  ;  mais  ayanl  deniande  un  honiine 
jiour  raccompagner  ,  il  ne  se  tronva  personne  qui  eut 
I'assurance  d'aller  avec  lui.  Ce  que  voyanl  le  saint ,  il 
s'adressa  a  un  miserable  ,  qui  avail  ele  condanine  an 
dernier  supplice,  pour  des  larcinsel  des  ineurlres  qu'il 
avait  conimis  ,  et  le  persuada  de  le  snivre  ,  avec  pro- 
messe  de  le  sauvei  de  la  morl  qu'il  avait  ineritee,  s'il 


DE    LA   XORMAXDIE.  l56 

faisait  harditnciit  et  ponctuellement  ce  qn'il  lui  dirait. 
CeUii-ci  qui  croyait  ne  rien  hasarder  ,  en  hasardanl  sa 
vie  ,  laquelle  il  etait  pres  de  perdre  sur  un  echafaud  , 
accopla  fort  volonlieis  celte  proposition.  Le  saint 
Tayant  done  pris  avee  soi  sortit  de  la  viile  ,  el  s'avanra 
vers  le  marecage ,  on  se  relirait  celte  bete.  L'ayant 
aper(;;ue  ,  il  s'approcha  courageuseinont  d'elle,  et ,  par 
la  vertii  du  signe  de  la  croix,  il  la  desarma  de  sa  fureur, 
el  la  reduisit  dans  Timpuissance  de  rien  allenter  confre 
lui.  Apres  cela,  il  lui  passa  son  elole  a  IVntour  du  col  , 
ef  Tayant  ainsi  attachcc ,  il  ordonna  au  prisonnier  qui 
I'avait  suivi  de  la  prendre  ci  de  la  conduire  A  la  vllle  , 
ou  elle  fut  brulce  en  presence  de  tout  le  nionde  ,  et  ses 
cendres  jetees  dans  la  riviere.  Le  niamiscrit  de  I'abbaye 
de  Hautniont  ,  cite  par  M.  Dadre  ,  dont  nous  tirons  ce 
que  nous  venons  d'ecrire  ,  ajoute  que  le  roi  Dagobeit 
qui  regnail  alors,  nianda  saint  Romain  pour  apprendre 
do  sabouche  les  parliculaiilos  de  ce  merveilleux  evene- 
nient;  et  que  le  saint  prelat  s'elant  transporte  a  la  cour, 
et  ayant  raconte  ce  prodige  que  Dieu  avait  opere  en 
faveur  de  ceux  de  Rouen  ,  le  roi ,  pour  en  conserver  la 
nienioire  ,  accorda  a  Teglise  catbedrale  de  celte  ville, 
le  droit  de  delivrer  tons  les  ans  un  criniini  1 ,  le  jour  do 
TAscension  ,  auquel  le  saint  archevoqiie  avait  trioniplie 
de  ce  monstre.  Et  voil;\  quelle  est  Torigine  du  faineux 
privilege  du  chapitre  de  Rouen  ,  dont  il  jouit  depuis 
tant  de  siecles  par  la  piete  des  rois  tres-chretiens  ,  des 
dues  de  Normandie ,  des  princes  ot  magislrats  ,  qui  ont 
bien  voulu  etre  les  spectateurs  de  celte  augusle  cere- 
nionie,  et  dont  ils  ont  inviolablement  etabli  le  droit  par 
leurs  leltres-patentcs  ct  par  les  arrets  doiines  dans  les 


l6o  TRADITIOXS   m  USAGES 

coiirs    souveraiiies.  »    (  Histoire  des  /irchevequcs  de 
Rouen  ,  1667  —  in-f".  —  pages  laS  el  126 ). 

Telle  est  la  chronique.  Nous  verrons  plus  tard ,  en 
la  rapprochant  de  tant  d'autres  recils  du  menie  genre  , 
coninient  elle  parail  devoir  6tre  interpret^c.  Disons  d/'ja 
que  si  rien  n'est  nioins  aulhenlique  que  le  caraclen* 
mervcillcux  du  fail  allribue  k  saint  Romain,  la  longue 
possession  par  I'eglise  mclropolilaine  de  Rouen  ,  du 
privilege  qui  lui  fut  concede  ,  k  I'occasion  de  ce  fait 
mi  de  ce  miracle  ,  est  un  point  historique  elabli  de  la 
mani6re  la  plus  incontestable.  A  la  verite  ,  aucun  tilre 
n"'en  constate  Texistence  ,  sous  les  rois  des  deux  pre- 
mieres races ;  ce  n'est  qu'i  la  fin  du  XII''.  siccle  el  sous 
Ic  rcgne  de  Philippe  Auguste  qu'apparaissent  les  pre- 
mieres preuvcs  ecrites  du  droit  de  la  Fierle.  Lorsque  , 
par  un  juste  chiliment  de  !a  felonie  de  Jean  sans-Terre, 
le  duch6  de  Norniandie  eut  fait  retour  k  la  couronne  de 
France,  le  nouveau  bailli  etabU  par  le  roi ,  fit  difliculle 
de  dclivrer  au  chapilrede  Rouen  le  prisonnier  ^lu,  pour 
jouir  du  benefice  d'un  privilege  oublie ,  on  peut-i'tre 
ignore  des  premiers  rois  Capetiens.  Mais  Philippe  ayant 
ordonn6  k  Tarcheveque  de  Rouen  ,  Robert  Poulain  ,  el 
k  Giiillaume  LaChapelle,cha!clain  de  Pont-de-rArche, 
d'etablir  k  ce  sujel  une  enquele  solennelle,  neuf  lemoins 
notables  furent  enlendus,asavoir :  Irois  ecclesiasliques, 
trois  nobles  et  trois  bourgeois,  dontPhisloire  a  recueiili 
les  noms.  Ces  lemoins,  apres  avoir  priHe  sernient,dans 
r^glise  de  St.-Ouen  ,  se'nn  la  formule  pi  escrite  ,  do[ut- 
serent  que  des  le  temps  de  Henri  II  Plnnlagcnel  ,  qui 
conimenQH  k  regner  en  1 1 54 ,  ils^avaient  (oujonrs  vu  le 
chapitre  exercer  le  droit  de  d^livrance  annuelle  d'uu 


DJJ    LA    NOUMA>UIE.  l6l 

prisonnier ,  pourvu  que  celui-ci  ne  fiit  point  criminel 
(!e  16se-majest(i.  Sur  le  rapport  de  ces  conimissaires  , 
Pliilippe-Auguste  conflrma  le  privilege.  Ces  t6moins 
r;ipport6rent  meme  une  circonstance  curieuse ,  qui  en 
attostait  I'existence  ant^rieure  :  c'est  qu'en  1192, 
ann^e  011  Rithard-Coeur-de-Lion  ,  roi  d'Aiigleterre  et 
due  de  Normandie,  fut  arrele  Iraitreusement  par  ordre 
de  Leopold  d'Autriche ,  en  revenant  de  Palestine  ,  le 
thapitre  ne  jioursuivit  la  delivrance d'ancun prisonnier; 
maia  Tannic  suivante  ,  Richard  ajant  ete  remts  en 
liberte  ,  pour  conipenser  cetle  omission  ,  deux  captifs 
furent  delivres  a  Rouen. 

Depuis  celte  epoque  ,  les  baillis  ont  plusicurs  fois 
rcuouvele  leur  opposition  i  I'exercice  du  droit  du 
Chapitre  ,  non  plus  A  la  verite  par  ignorance ,  mais  par 
esprit  de  jalousie  el  de  rivalite.  Cependant  ,  d'accord 
avec  les  cours  sou vcraines,  nos  rois  ont  toiijours  souteitu , 
contre  ces  abusives  pretentions,  Ic  privilege  de  rhunia- 
nile.  A  la  suite  d'une  nouvello  enquote  ,  il  fut  en  1425, 
confirm^  par  Charles  VI ,  et  apres  lui ,  par  lous  ses 
successeurs  ,  jusqu'i  Henri  IV  ,  qui  en  excv  pta  ,  outre 
\e  crime  de  lese-niajeste  ,  ceux  de  fuusse  nioiinaie  , 
d'assassinat  preniedite  ,  de  viol  et  d'lieresie.  Relative- 
nient  i  ce  dernier  chef,  il  est  perrais  de  croire  que  la 
necessitc  de  donner  aux  catholi(iues  niefians  un  nou- 
\eau  gage  de  la  sinci^rile  de  son  abjuration  ,  put  seule 
engager  le  bon  roi  A  faire  aux  exigences  dc  Tcspril  de 
secte  ,  le  sacrifice  de  ses  penchants,  et  pjul-etro  de  scs 
convictions. 

Quoi  qu'il  en  soit  de  son  motif ,  les  circonstances  ou 
il  fut  appele  a  confirmer  ce  privilege  tcmoigneut  encore 


l62  TRADITIONS   ET    LSAGES 

ill'  celte  longanimile decaraclere, quil'afail  suinonniiiT 
le  bon,  aussi  bien  que  le  grand.  En  i  'JyS  ,  Kouoii  elaiit 
sous  le  jong  des  chefs  de  la  ligiie  ,  ccux-ci  obligereiit 
le  rbapiire  k  conferer  le  benefice  de  la  Fierle  i  Lamolbc 
Pecbii,  assassin  de  Ilallol  de  Monlnioiency,  lieiilenanl- 
general  du  roi,  en  Noniiandie.  Loisqu'en  iSg i,  Tainiral 
de  Villars  Lrancas  ,  qui  cominandail  a  Rouon  pour  la 
ligue,  eut  rendu  celle  ville  i  Henri  IV  ,  la  dame  d'Os- 
sonvilliers  ,  veuve  du  due  Hallot,  reclania  ,  en  justice, 
centre  I'applicalion  de  ce  privilege  au  nieurtiier  de 
son  mari.  L'aulbenlicite  des  litres  de  la  Fierle  ful  alors 
atlaquee  par  ses  adversaires  ,  avec  une  nouvelle  vio- 
lence. Le  cardinal  de  Joyeuse  ,  archeveque  de  Rouen  , 
et  le  chapitre  inlervinrcnl  an  proces  ,  en  faveur  de  la 
Fierte  ;  et  Henri  ,  lout  en  reprouvanl  Tusage  qui  en 
avail  ete  fail  au  profit  d'lin  grand  coupable  ,  n'en  res- 
pccla  pas  moinsla  cbosejugeejet,  de  I'avisdes  notables 
assembles  a  Rouen,  il  confirma  ,  par  lellrcs-patentos 
expediees  le  25  Janvier   iS^y  ,  le  privilt-ge  de  saint 
Roniain.  Cent  ans  avanl  Henri  IV ,  Charles  VllI  ne 
s'etail  pas  moins  honore  ,  par  un  fail  comparable  ci 
celui-ci.  Ce  prince  etant  h  Rouen,  en  14535,  les  cha- 
noines  oblinrent  son  agrenicnt ,  pour  lui  faire  direcle- 
nienl  Tinsinuation  du  droit  do  la  Fierte.  On  approchait 
alors  de  I'epoquc  de  cclfe  solennite.  Or,  un  des  homnies 
(Farmes  du  roi  ajanl  ele  tue  dans  une  rixe  par  xn\ 
habitant ,  le  prevot  de  I'hijtel  ,  sans  doule  pour  faire 
sa  cour,  voulail  faire  transporter  le  nieurlrier ,  hors 
dL^s  prisons  de  la  ville  ,  afin  dc  le  souslraire  a  loute 
chance  de  salul.    Le  Chapitre  dcnonca  cet  abus   de 
pouvoir  au  roi  ,  qui  ordonna  quo  le  prisonnier  scrait , 


DE    LA    NOUMANDIK.  l(>;5 

(■  >uiine  tons  les  aiities  ,  ailmis  i  re\anieti.  C.c  fill  stir 
lui  pr6ciseineiit  que  tomba  le  choiv  du  Chapitre  ;  el 
bieii  loin  tie  s'y  opposer  ,  ('.liailes  le  saiictionna  ,  cii 
oinant  dc  la  pompe  royale,  la  cereiiioiiic  du  pardon  : 
Irail  qui  senible  caracteiiser  pluUM  !e  pi edecesseur  de 
I.oiiis  XII ,  (|ue  le  successeiir  de  Louis  XI. 

Passons  maiiUeiiaiil  au  retil  des  loinialiles  qui  ac- 
roinpagnaieiit  reieclion  et  la  delivrance  dit  candidal 
de  la  Fierle. 

Quinze  jours  avant  les  Rogations  ,  le  Ckipilie  n»e- 
liopolil£)in  de  Rouen  designail  quatre  chanoincs  qui  , 
levelus  de  Tauniusse  el  du  surplis ,  et  precedes  de 
riiuissier,  niossager  duCbapili-e,porlanlla  verge  baiile, 
se  rendaienl  au  Parlenienl,  A  la  cour  des  A) des  el  au 
IVesidial  ,  ou  le  do\en  d'enlre  eux  portail  la  parole  en 
ces  terines  «  Messieurs  ,  nous  sonnnes  deputes  i)ar  les 
«  doyen  ,  chanoincs  et  chapitre  de  Tegiise  de  Rouen  , 
«  pour  vous  supplier  d'avoir  agreabie  Tiiisinuation  du 
«  privilege  de  saint  Komaiu  .  (jui  c^l  tcl  q!!«  nul  |)ri- 
«  sonnier  criniinel  ,  etant  dai;s  les  prisons^du  roi  ,  y 
«  sera  amene  ,  s'y  viendra  rendre,  ou  aulrenient,  ne 
«  soil  transporte  de  lieu  a  autre  ,  nioleste  ,  interroge  , 
«  questionne  ni  execute  ,  en  quelqtie  nianiere  que  ce 
«  soil,  jusqu'A  ce  que  le  privilege  ail  sort!  son  plein 
«  v.[  enlier  effet.  »  Ce  qui  d'ordinaire  elail  octroye 
au  moment  nieme  de  la  requisition. 

Pendant  les  Rogations,  le  Chapitre  nonunait  df^nx 
cliaiioines  pretres  qui ,  acconq)ag»es  de  leur  greflier  el 
deux  chapelains  ,  se  transportaienl  dans  les  pri.sous 
pour  y  entendre  la  confession  des  criiiHiiels,el  recevoir 
leins  declarations  siu-  les  fails  du  proces  i[u\  letu  el.ul 


1G4  TRADITIONS    ET   I  SAGES 

iiilcnle.  Lejoiir  de  I'Ascension  ,  leChapilre  ,  compose 
seulement  dcs  chanoines  pretres  ,  s'asseniblait  pour 
releclion  de  Taccuse,  admis  k  lever  la  Fierte ;  on  faisait 
lecture  desdiverses  confessions  ,  et  elles  etaienl  bruises 
sur  place  ,  aussilAt  apros  I'election  ,  qui  avail  lieu  a  la 
pluralile  dcs  voix.  Lc  nom  du  candidal  clait  porle  dans 
un  cartel  ,  par  le  chapelain  de  la  confierie  de  St.- 
Uomaiii ,  au  Parlement  assemble  en  robes  rouges  ,  au 
palais,  oij  il  entendail  la  messe.  Rentre  dans  la  grande 
chambre ,  le  Parlement  ouvrait  le  cartel  ,  envoyait 
prendre  dans  les  prisons  celui  dont  lo  noin  y  clait 
porle  ,  rinterrogeait  sur  la  sellelle,  ayanl  les  fers  aux 
picds ;  et ,  apres  une  instruction  sommaire  ,  rcndait  un 
arret  solennel ,  par  lequel  sa  remission  clait  admise. 
Le  premier  president  lui  faisait  une  admonition  severe, 
apres  quoi  il  le  rcnvoyait  au  Chapilre ,  jioiir  y  jouir  du 
privilegv;  de  St. -Remain.  Conduit  au  Ilallage  ,  sous 
I'escorfe  de  la  cinquanlaine  et  des  arqsK'busiers ,  on 
lui  6tait  les  fers  des  picds ,  pour  les  remetlre  aux  bras ; 
il  montait  ensuite  i  la  vicille  tour ,  ancmi  [lalais  des 
dues  de  Normandie ,  par  un  cscalier ,  en  haul  duquel  se 
trouvait  la  chapelle  de  St.-Romain.  C'est  la  que  le  pri- 
sonnier  etait  depose  ,  jusqu'^  I'arrivee  du  Chapilre. 

Alors  toutes  les  cloches  des  quatre-vingt-dix  paroisses 
el  couvenls  de  la  ville  elanl  mises  en  branle  ci  la  fois,  la 
procession  sorlait  de  la  callicdrale,  i  trois  heurcs  apres 
midi.  On  y  voyait  Ggurer  toutes  Icschasses  desreliques, 
qui  se  conservaient  dans  les  nombreuses  eglises  de 
Rouen.  Celle  de  St.-Romain  venait  en  dernier  lieu  , 
porlee  immediatemL'nt  derriere  Tarchevcque ,  par  deux 
pretres  ,  revctusd'aubcs.  A  la  vieillc  lour  ,  on  montait 


DK   LA    N(JBMAi>DlIi.  j65 

la  Ficite  dans  la  thaiiclle  Si  -Romaiii  ,  on  pUilot  sous 
le  porche  qui  se  tiouvait  en  haul  du  double  escalier , 
par  lecpiel  on  anivait  A  celle  chapelle.  LJi ,  le  criininel 
♦ilanl  i  genoux  ,  tele  nue  el  les  fers  aux  bras ,  Tarche- 
vi'que  lui  faisail  une  nouvclle  repriniande  ,  robligcait 
a  dire  son  confiteor  ,  puis  ,  lui  imposanl  les  mains  siir 
la  lele ,  prononcail  la  formule  de  Pabsolution,  Mors  le 
prisonnier  ,  loujours  i  genoux  ,  soulevail  trois  fois  la 
Ficrte,  garant  el  symbole  de  sa  delivrance  ;  relcv6,  on 
pla^ail  sur  ses  6paules  ce  fardcau,  pour  lui  si  precieux, 
el,  assisle  d'un  diacre,  il  le  porlait  proccssionncllement 
jusque  sur  le  niaitrc-autel  de  la  cathedrale  ;  ses  com- 
plices, s'il  en  avail,  marcbaienl  j\  sa  suite,  d«Hi\res 
comme  lui ,  car  la  grace  pouvail  etrc  coliecdve  :  (oiis 
etaicnl  couronnes  de  narcisses  ou  de  jatinlLes  blanches, 
emblomede  I'innocence,  qui  devenail  ici  celui  du  re- 
pen  I  ir. 

Apres  s'clre  prosterne  aux  pieds  de  cliaqtiecbanoine, 
raflVancbi  se  rendait  dans  une  cbapi'lle  de  la  calhedrale 
dediee  i  Sl.-Uoniain  ,  ou  ses  fers  lui  elaient  oles.  II 
assistail  ensuite  dans  le  cba>ur  a  la  mcsse  ,  qui  n'etail 
jamais  celebree  qu'apres  la  cercmonie  ,  el  furl  avant 
dans  la  soiree.  Apres  quelques  autres  formalites  de  peu 
d'inlerdl  ,  il  revenait  souper  el  coucber  cbez  le  maitre 
de  la  confrerie  de  St.-Romain  ,  son  liberaleur.  Enlin  , 
le  lendemain  i  buil  beures  ,  devant  loul  le  peuple  ,  il 
recevail  une  derniere  semonce  ,  en  plein  Cbapilre  , 
lele  nue  el  a  genoux  :  de  la,  il  elait  conduit  an  confes- 
sionnal  du  grand  penilencier  ;  el  apres  celte  expiation, 
ou  plul^l  cetle  amende  honorable  ,  il  s'en  alluil  en 
paix  el  juslille. 


li')G  TllADlTlOJNs    liT    ISAGKS 

C'elail  lino  Lien  aiigiislo  el  loucbanlo  rt'n^nioniL'  <j':p 
rcHe  ou  Ics  poniprs  de  la  religion  ennoblissaienl  encore 
rexercice  des  droits  de  la  magistralure  ,  ou  les  balances 
dela  justice  passaienl  aux  mains  de  la  c'.otnencc!  Je  ne 
sais  si  Ic  scnlimenl  profond  que  m'a  laisse  le  souvenir 
de  ces  scenes  inajeslueuses  doil  son  cbarnie  a  celui  qui 
pare  loujonrs  les  beureuses  impressions  de  la  premiere 
cnlance ;  mais  a'icune  s;enen'a  grave  dans  uui  memoire 
des  traces  plus  durables.  Aujourd'bui  ,  il  me  seuible 
avoir  encore  devant  les  yeux  ce  magiiifique  cortege,  ou 
parmi  les  cbAsses  somptueuses  qui  recouvraicnl  les  re- 
licjues  d'j  tant  de  martyrs  et  de  confesseurs ,  brillail 
surloul  cctle  Fierte  de  Sl.-Romain  ,  lout  edatanle 
(i'or,  et  surmonlee  de  Pimage  du  ponlife  el  de  celles  du 
dragon  vaincu  el  du  prisonuier  qui  lui  avail  impose 
scs  chaines  !  J'entends  encore  les  acclamations  d'une 
{'oule  innombrable,  re!>andue  dans  le  parvis  de  la  vieille 
lour  ,  se  mcler  a  la  triple  f;\nfare  qui  sigualait  les  Irois 
genuflexions  du  prisonnier  !  Je  le  vois  enfin  ,  la  tele 
ceinle  de  fraichcs  fleurs  ,  libre  et  juslille  ,  mais  couvert 
encore  dc  lalivree  des  caplifs  ,  dcscendre,  i  la  suite  du 
venerable  arcbeveque  el  de  tout  son  clerge  ,  les  degres 
de  Tantique  palais  des  dues  de  Normandie  ,  lui  qui 
semblail  destine  a  monler  les  degres  u'un  echataud  ! 
jMe  permellra-t-on  d'ajouter  qu'un  sentiment  lilial 
ajoute  encore  pour  moi  au  prestige  de  ces  impressions, 
puis(piemon  pere,  membredu  barreau  de  lloueii,  eut, 
I'annee  meme  de  ma  naissance  ,  le  bonbeur  de  faire 
admeltre  au  benefice  de  la  Fierte  ,  un  pere  de  I'amille 
el  ses  deux  domestiques  (pii  ,  daus  la  cbalcin  tPune 
querelle  ,  avaienl  {uc  un  malbcureux?  Ainsi .  grace  a 


1 


VE    LA    NOUMA.NDIE.  167 

rclle  noble  iiislitulion  ,  mon  entree  dans  la  sie  a  ele 
marquee  du  souvenir  d'un  bienfait  ! 

Si ,  ccssanl  d'envisager  celte  coulunie  sous  iin  point 

de  vue  poetique  ,  nous  essayons  de  Tapprerier  dans 

scs  rapports  avec  les  nioeurs  de  I'epoque  oii  elle  prit 

naissancc  et  avec  noire  ancieiine  legislation  criniinelle, 

ne  doit-elle  pas  nous  apparailre  ,  coninie  une  conquete 

de  la  religion  ct  de  rbunianite  ,  sur  cette  legislation  , 

inon-.inient  odieiix  des  siecles  feodaux  ,  bien  dignc  de 

telle  barbare  origine,  et  dont  le  pouvoir  royal  aurait 

<lu  rcpudicr  le  legs  avec  borreur  ?  La  Fierle,  au  resle  , 

n'elail  pas  la  seule  institution  qui  rendil   lenioigtiaiie 

de  la  niansuetude  qiie  ,  dans  ces  niauvais  jours  ,  nos 

evoqiiesopposaient  \  I'esprit  de  cruaute  des  puissances 

seculieres.  A  leur  avenement ,  les  ev^ques  d'Orleans 

jouissaient  du  privilege  de  rendre  a  la  liberie  lous  les 

prisonnicrsde  la  vilie.  L'exercice  de  ce  droit  remontait 

au  ponlificat  de  Sl.-Aignan.  Beaucoup  d'aulres  eglises 

en  France  possedaienl  de  ces   immutiiles  fondees  sur 

I'esprit  de  I'evangiie  ,  verilaMes  litres  du  clerge  au 

respect  et  i  I'amour  des  peiiples,  caracleres  reels  d'une 

domination  qui  ne  doil  s\'lablir  que  sur  la  eoniiance  , 

et  se  manifester  que  par  des  bienfails. 

C'est  evidemment  dans  un  grand  service  rendu  par 
saint  Romain  A  son  diocese  (jue  Ton  doil  chercbcr  Tori- 
ginedu  [trivilege  auquel  son  nom  est  demeiue  atlacbe. 
Mais  est-ce  A  une  legendo  doutcuse  ,  obscure  et  dont 
toute  la  garantie  repose  s;ir  une  version  sans  aulorile  , 
(pril  faut  s'en  rapporler  ,  |)our  rcconnuilrc  celte  ori- 
gine? ou  celte  legende  eilo-meme  nedoil-elle  elre  in- 
lerpretee  (jue  dans  un  sens  alle^nricpic?    le  ne  pense 


lG8  TBADlTlOiNS   ET   USAGES 

pas  qu'aux  yeux  d'unc  critique  imparliale ,  ce  point 
piiisse  long-lemps  faire  robjcl  d'un  doute.  Quelle  expli- 
calioii  done  adopter  sur  Torigire  reelle  d'une  foiida- 
tion ,  donl  les  giierres  continuelles  qui  onl  autrefois 
desole  la  Norniandie  ,  ont ,  sans  nul  doute,  detruil  les 
litres  primordiaux?  Cette  explication  ,  comnie  je  I'ai 
donne  A  entendre,  ressort  avec  evidence  du  rapprocbe- 
nicnl  des  deux  victoires  allribucrs  k  St.-Roniain,  Tune 
sur  la  Seine  debordce  ,  et  I'autre  sur  le  serpent  qiii  en 
infestait  les  rives?  Ne  voit-on  pas  que  I'un  de  ces  fails 
est  la  traduction  poetique  de  I'autre?  Pcut-on  conserver 
le  nioindre  doute  i  cet  egard  ,  lorsqu'on  se  rappelle 
qu'on  Irouve  ,  au  berccau  de  loules  les  sotietes ,  une 
foule  de  traditions  qui  presenlenl   les  beros  de  ces 
temps  recules  ,  aux  prises  avec  des  monstres  ,  dragons, 
serpents,  cbimeres ,  qui  tons  babitaient  au  bord  des 
caux?  Qui  ne  voit  ,  d'apres  cela  ,  que  la  Gargouille  de 
St.-Romain  estde  la  nicnie  fainille  que  P}  tbon,  produit 
de  la  fermentation  du  Union  Icrrestre  ,  apres  le  deluge 
de  Deucalion  ;  de  celle  du  serpent  tue  par  Cadmus,  au- 
pres  de  la  fontaine  Dirce  ;  et  encore  de  celle  de  Tll^dre 
vaincue  par  Hercule  ,  au  bord  du  niarais  de  Lerne  ? 
Tons  ces  monstres ,  nes  au  sein  des  eaux  stagnanlcs 
ou  fetides  ,  ces  etres  fantasliques  aux  ailes  de  feu,  aux 
replis  tortueux  ,  dont  le  soullle  empoisoiine  dessocbail 
les  planles  et  les  nioissons  ,  el  tuait  les  bommcs  et  les 
tioupcaux,  ne  sont-i!s  pas  la  bideuse  personniUcation 
des  fievres  peslilenlielles  qui  devorent  les  malbeureux 
habitats  du  bord  bun»ide  des  marais?  Et,  A  une  ^poque 
de  croyanccs  superstitieuses  ,  de  quelies  formes  el- 
frayantcs  ,  de  qucUes  sinistres   couleurs  les  tcrreurs 


DE    LA    NOHMANDIE.  iHq 

populaires  n'auraicnt-ellcs  pas  revrlu  rindomplaMc 
dragon  ,  donl  le  vol  fiini'bre  a  ,  dos  bouchos  dii  Gauge, 
promene  le  deiiil  cl  I'cffroi ,  dans  foiites  les  parlies  du 
monde  counu  ,  et  lc^e  sur  la  France,  la  dime  du  trepas, 

Lc  cholera,  s'il  faul  I'appclcr parson  nom  ! 

Tout  prouve  done  que  saint  Roniain  ne  fut  en  effel ; 
k  Rouen,  que  le  digne  precurseur  de  Char'esBonhomee 
hi  Milan  ,  et  de  Belsunce  ji  Marseille  ,  et  c'esl  encore  un 
assez  beau  litre  !  Comme  Belsunce  eniploya  les  forcals 
k  nelloyer  le  bassin  de  Marseille  ,  le  ponlife  neuslrien 
s'elait  servi  A  Rouen  des  bras  des  prisonniers,  soil  pour 
creiiser  le  lit  de  la  Seine ,  soil  pour  elever  des  digues 
sur  scs  bords,  aGn  de  donipler  la  furcur  des  inondalions. 
Ici ,  les  conjectures  se  cbangent  prcsqu'en  cerlilude  , 
quand  ,  rapprocbant  la  cbronique  de  noire  explication, 
on  ( onsidcre  le  cours  lorluoux  de  la  Seine  ,  d<inl  les 
nonibreuses  sinuosites  offrent  d'unenianicrefrappante, 
la  configuration  des  aniieauT;  d'un  serpent. 

En  depouillanl  de  son  voile  pnetiqiie  I'origine  du 
beau  privilege  de  la  Fierle  ,  je  me  flalte  pourtanl  de 
n'en  avoir  point  degrade  le  caraclere.  Pour  n'avoir  pas 
eclale  a  I'aide  d'un  miracle,  la  verlu  de  saint  Romain 
ne  perd  rien  de  son  prix.  C'esl  toujours  dans  le  ciel 
qu'il  faul  cbercber  le  principe  des  bienfaits  repandus 
sur  Thumanite. 

La  science  litteraire  el  les  arts  onl  imi  leurs  efforts 
pour  illustrer  le  sujet  dont  je  viens  d  offrir  une  failile 
esquisse.  En  i834,  M.  Floquel,  aucien  elAve  de  I'Ecolo 
des  cbartes  el  grelller  en  cliefde  la  Cour  royale  de 
Rouen  ,  a  public  sur  la  Fierle  un  ouvrage  en    deux 


i;o      lltADlTlONS    ET    LSAGES    DE    l.A    iNUUMA.NDIE. 

volumes,  rcnipli  do  savantes  rcchoiches  et  de  details 
omicux.  An  salon  de  i836  ,  M.  Clement  Bonlangor , 
j(Mme  pcinlre  dont  Ic  talent  offre  un  brillant  rcllol  de 
(-elni  de  Paid  Veronese  ,  a  expose  un  tableau  represcn- 
tant  la  oeremonie  de  la  Fierle  a  la  vieille  lour.  On  le 
voit  mainlcnanl  dans  la  galerie  du  Luxembourg  ,  dont 
il  n'est  pas  Tun  des  moindres  orncments  (i). 

(1)  A  {'exception  du  dernier  alinda,  cet  article  a  M  dcril  en  1834. 


«E  LA  POESIE  LYRI^WE 


issr  iFiBixsr(E2i  (0 


Par  M.  F.  VAULTIER  , 


PnOFESSEUR  A  LA  FACULTE  DES  LETTRES 


DF.  L  ACADIiJlIE  ROVALE  DE  CAEN. 


>Zl^)'S<Sia. 


LYRIQUE  DES  XIV^  ET  XV'.  SIECLES. 

La  fin  (111  WW.  sieclc  ol  Ic  commencomcnf  dii  XIV^ 
avaionl  aniont'  do  gr.nnds  cliajifijornenls  dans  Tc'lal  dcs 
nioMirs  ,  dos  affaiios  |)iil)li(|ii<'s  ,  ct  do  la  socieU'  civile 
en  France  ;  la  poesie  du  lomps  en  poite  de  vives  em- 
preintes  ,  ol  ress(!mble  pen  ;\  cello  do  Ti^ge  precedent. 

Le  faihle  el  niaigre  fonds  d(>s  idets  de  la  galanlerie 
chevaleresque  etail  epuise  ;  la  cbcvalerie  ,  nienie  en  la 
snpposant  egalemont  floiissanle  ,  eul  pii  difficilemenf 
en  conlinuer  rexploilalion,  sans  \v  niodilior  en  plu^ieins 


(1)  Ce  ni('-nioiro  est  la  suite  et  le  conipli^fneiil  tie  celiii  qui  a  t?(i5 
impriiiK^  dans  lo  prt-rt^donl  volume  des  Memoires  de  I'Acadt^niie  , 
sous  le  lilir  :  \)k  i.a  poisii'.  i.yrique  kn  Fkam.k.  Origtnr  d  pre- 
niicr  ilt\rti>j>iieiiiriit  iiis(iii'n  la  fin  dii   \l/l".  sirclc. 


17?  DE    I.V    I'OtSlE    LYBIQUE 

points  pssenlicls  ,  n'cut-cc  ete  que  pour  le  variov  ci  le 
rajeuiiir. 

Mais  il  6tait  arrive  bicn  autre  chose. 

La  chevalerie  ,  deja  degeneree  de  ses  attributions  ol 
dc  son  objef  ,  avail  laisse  ecbapper  de  ses  mains  quel- 
ques-unes  de  ses  plus  belles  prerogatives  ,  el  etait 
tonibee  dans  le  desordre  des  nia?urs  et  I'ignorance  des 
leltres. 

Les  Trouveres  de  Condi  lion  inferieure,  qu'elle  s'e  tail 
associes  d'abord  ,  faisanl  de  la  poesie  un  metier  de  ba- 
ladinx  nmhulanls  ,  s'etaienl  generalement  montres  pen 
capables  d'cn  soulenir  I'ancien  eclat. 

D'autre  part ,  Tetablissement  des  communes  ,  et  les 
nombreux  affrancbissemcnts  de  serfs  ,  avaient  cree  des 
professions  independanles,  danslesquelles  les  habitudes 
honorables  n'avaient  pas  manque  de  s'introduire  avec 
Taisance  et  la  liberte. 

L'Universite,  dejA  florissante,  repandait  de  tout  cote 
le  gout  des  bonnes  etudes  ,  et  I'instruclion  regagnait 
par  tout  au  decuple  ,  ce  qu'elle  avail  perdu  chez  les 
chei'alicrs. 

Dans  ce  nouvel  elal  de  la  societe  ,  que  faire  de  Tan- 
cienne  chanson  clievaleresque  ? 

Le  nouvel  age  dut  se  faire  un  autre  lyrique ,  appro- 
prie  k  d'autres  idccs  el  h  d'aulrcs  mocurs. 

II  le  produisil  sous  des  formes  nouvelles  ,  lui  assigna 
d'aulres  caracleres  ,  et  Telendil  nalurellemenl  A  dis 
objels  plus  nombreux  cl  plus  divers. 

C'esl  au  sein  des  cours  ,  qu'on  le  voil  d'abord  se 
produire  ,  et  il  s'y  prescnle  surtout  comme  rocuvre  de 
quelques  clercs  ,  secrefai/es,  musiciens  et  xcrvitciii'! ,  at- 


EN    FRANCE.  1^3 

faches  4  la  personnedu  prince ,  rempHssant  en  quolqiie 
sorle  aiipres  de  lui  ,  une  parlie  de  I'ancien  emploi  drs 
menestrds  d'office^  mais  seulement  celle  qui  se  rapporlo 
aux  obj'ets  depur  agrement. 

Deja  quelque  chose  de  pareil  avail  commence  d'exis- 
ter  vers  la  fin  du  XIP,  siecle  ,  a  la  cour  de  Phil.ppe- 
Auguste,  ou  le  moine  Helinand  avail  Temploi  d'esba- 
noyer  les  fcstins  du  roi ,  el  s'elail  fait  une  grande  re- 
nommee  pour  la  beaute  des  vers  qu'il  avail  accoulurae 
d'y  chanter. 

Les  premiers  monumenls  un  peu  connus  de  ceUe 
poesie  au  XIV^  ,  sonl  les  oeuvres  de  Guillaame  de 
Machau  ,  existanl  en  2  vol.  nianuscrils ,  in-fol.  ,  a 
la  bibliotheque  du  Roi ,  donl  il  n'a  ele  publie  jusqu'a 
present  qu'un  tres-petit  nonibre  de  fragments  detaches. 
Guillauine  de  Machau  fut  Champenois  d'origine  ,  el 
naquit  vers  Tan  1282  ou  1284  :  on  le  trouye  valet  de 
chambre  du  roi  Philippe-le-Bcl,  on  iSo;  ;  il  dovint  plus 
fard  secretaire  des  rois/e^w  el  Cliarlps  F ,  el  vivait 
encore  en  iSyo. 

Machau  fut  trouvcre  el  grand  musicien  ;  il  etait 
gentilhomme,  et  fut  lie  d'amilie  avec  le  roi  de  Navarre, 
Charles  ,  surnomme  plus  tard  le  .IJauvais. 

II  se  doime  dans  le  prologue  de  sos  fpuvres ,  comme 
un  poete  choisi  par  Nature,  qui  le  fait  aider  de  trois  d« 
ses  enfanls,  i^ens  ,  Musique  et  Rlietorique ,  pour  exalter 
la  puissance  et  les  bienfaits  de  V Amour,    ■ 

La  parlie  lyrique  de  ses  poesies  sc  compose  de  lais  , 
motets  ,  complaintes  ,  ballades  ,  rondeaux  el  chanwiis 
halladees  ,  le  lout  en  nombre  considerable  ,  et  sou^enl 
avec  notes  des  airs  composes  expics,  .' 


12 


)-4  DB    LA    P()i:SlK    l.\UK>iU' 

l^rs  a?uvros  lyriqiios  <lc  Machau  ne  nous  son!  point 
assoz  conmies  pour  que  nous  prelendions  nous  cbarffpr 
d'pn  (lonner  »ine  idee  gen^rale  ,  et  d'en  designer  les 
morceaux  d'elilc 

Une  excellente  dissertation  de  I'abbe  Ri\'e  (  ap.  De- 
InhoriJe,  Essai  sur  la  musique,  t.  iv,  ad  rale.  p.  i ,  etc. ) 
nous  fournit  Ic  debut  d'un  de  ses  lais  ,  dit  du  Paradis 
d' Amour. 

Amours ,  si  plus  dem.indoie 

Ne  voloie  , 
Ou  s'aulre  bien  deslroie 
Que  la  joie  qui  me  vicnt 
De  toi ,  vers  toi  mesprenJrdie 

El  feroie 
Ce  que  fairc  nc  devroie  , 
El  ce  qu'ti  mol  n'apparlieni ; 
Car  il  convient  que  jo  croic , 

El  oltroyc , 
Qu'cn  (on  doux  pnradis  sole, 
Quanl  de  m'amour  me  souvient. 


Nous  y  remarquons  aussi  ces  quatre  premiers  vers 


d'un  rondeau  galant 


Doux  Vlaire  gracieux , 
De  fin  cuer  vous  ai  servl ; 
Veillies  moi  ilre  pileux  , 
Doux  Viaire  gracieux. 


Ses  ballades ,  dont  on  senible  s'lMre  peu  occupe  , 
passent ,  sur  oit'i  dire  peut-elre  ,  pour  nVtre  remplies 
que  de  fadeurs  langoureuses. 


EN    FRANCE.  176 

Deserudits  Font  juge,  soit  quant  arimaginalion,.  soil 
quant  A  la  diction,  fort  inferieur  aux  troiwcres ,  atitcurs 
de  fabliaux^  qui  Tont  precede  ,  et  qu'il  eut  pu  ,  disent- 
ils  ,  prendre  pour  modeles.  (  Caylus  ,  Mem.  de  I'Acad. 
des  Inscr.,  etc, ,  t.  xx  ,  p.  Sgg  ,  etc. )  Le  public  n'a  pas 
eu  jusqu'ici  les  nioyens  de  veiiGer  Texactitude  de  ce 
jugement. 

Machau  a  vecu  dans  un  niauvais  temps  ,  au  temps 
de  la  grande  peste  noire  et  de  la  fatale  batailU  de  Poi- 
tiers; il  a  parle  de  ces  deux  evenements  dans  ses  poesies 
non  lyriqucs ;  il  dit  de  la  peste  noire  .-  qu'aucun  medecin 
ne  put  en  assigner  la  cause ;  qu'on  pensait  que  les  eaux 
avaient  ete  empoisonnees  ,  ct  que  sur  cent  personnes  ,  il 
en  mourait  plus  de  qtuitre-vingt-dix  : 

En  mil  trois  cents  quarante-neuf. 
Decent n'en  demouroit  que  neuf. 

Machau  s'est  dit  fort  amoureux  d'une  belle  dame 
quil  ne  nomme  point ;  il  parait  que  c'etait  la  princesse 
Agnes  de  ISavarre  ,  femnie  du  celebre  Gaston  Phoebus, 
comte  due  de  Foix  ;  il  eut  au  moins  avec  celle-ci  une 
corrcspondance  de  galanterie  t res-active  ,  et  a  insere 
dans  un  de  ses  livres  ,  plusicurs  rondcaux ,  ballades  et 
chansons  de  cette  dame,  qui,  dit  un  critique  (Cayl.  loc. 
supr.  citat.),  ne  sont  pas  les  plus  mauvais  niorceaux  du 
recueil.  On  calcule  qu'elle  avait  alors  moins  de  vingt 
ans  ;  Guillaume  devait  avoir  depassc  I'Age  mur. 

Machau  dut  jouir  d'une  grande  renommcc  cntre  srs 
contemporains  ;  void  I'epitaphe  que  lui  fit  le  bon  roi 
Rene  de  Provence : 


17'>  UK    LA    I'OKSIK    I.YKlniK 

(liiillaume  itr  Machnult .  ainsi  avojc  nom  , 
>(!'  en  Champogrie  fus ,  el  si  oiis  grand  rcnom  , 
D'^lrr  fort  embiasti  du  pcnser  amoureux  , 
"Pour  I'amour  d'unc  voir,  dont  pas  ne  fus  eureux; 
Ma  vip  sciilemenl  ,  tani  que  la  pcussc  voir ; 
Mais  ponr-ce  ne  laissai ,  pour  vous  dire  le  voir, 
Faire diets  et  chansons,  tant  que  dura  ma  vie, 
Tanl  avoyp  forment  de  liii  conipiaire  envic , 
El  lanl  que  cuer  et  corps  asprenienl  lui  donnai, 
Et  fis  mainteA)alladc  ,  complainle  et  virclay  , 
El  incontinent  voir  jc  rendis  a  Dleu  Tame, 
Doat  le  corps  gist  u'i  en  bas  soubscctlclamc. 


Son  eloge  se  rctrouve  plus  cxplicitctiient  cxprime 
dans  line  ballade  qui  ne  tardera  pas  a  se  presenter  en 
son  lieu. 

Eustache  Deschamjis  (dil  Mcivl)  ,  ful  le  succcsseur 
immediat  de  Guillaume  de  Machau  ,  cju'au  reste  il 
parait  avoir  surpasse  en  talent. 

Deschamps  fut  aussi  Champenois  ,  genlilhomme  et 
officier  de  cour. 

II  dutnaitre  un  pcu  avant  Tan  1828  ,  et  vivait  encore 
en  14^2  ,  d'oii  il  suit  qu'il  a  fleuri  sous  les  qualre  pre- 
miers rois  de  la  niaison  de  Falois. 

II  fut  chatelain  de  Fismes ,  et  exerca  entre  autres 
emplois,  ceux  dVcr/jer  huissier  d'arnics  de  Charles  P'J, 
el  de  bailly  de  Senlis. 

Les  a?uvres  poetiques  A^ Eustache  Deschamps,  connues 
k  peine  des  erudits  de  profession  ,  n'avaient  exisfe 
jusqu'A  present  (comme  colles  de  DIachau)  ,  qu'en  ma- 
nuscrits  conserves  dans  nos  fifrandcs  bihlidllirqiies  ;  le 
libraire  Crapelet  vienl  d'en  j)ublier  un  choix  parfaile- 
nient  fait,  et  qui  nous  semhle  de  naliue  ;\  devoir  exciler 
un  vif  inleret. 


I 


E>    l-I'.ANCi;.  -ijn 

La  parlie  lyiiquc  des  ccuvres  de  Deschanij)s  se  com- 
|>osc  de  lais  ,  virc/ais  .  rondeaux  ,  chansons  ,  ballades  , 
etc.  ,  en  iionibre  immense,  et  surdes  sujcis  tres-vaiies, 
el  soiivenl  fort  curieux ;  plusieurs  de  ses  ballades surlout 
onl  un  rapport  direct  avec  les  evenements  et  les  niccius 
du  temps,  dont  elhs  offrent  souvcnt  la  vive  pcintnre  , 
et  qudqiiefois  aiissi  la  satire  iageniatise  et  Ires- 
piquanle  j  la  galantf  rie  n'y  a  que  sa  pari ,  el  est  loin 
d'y  usurper  un  rule  exdusif. 

La  nianie;  e  de  D:isehanips  est  lo&tc  el  degagee  dans 
It's  sujels  badins  ,  vraie  et  natiirello  dans  la  peinliire 
des  affections  personnelles  ;  un  peti  ^credans  la  salire 
nioralej  quelques  sujels  d'int6ret  public  n'ont  pas  lais>e 
de  lui  fournir  des  I rai Is d'uiie elevation  el  d'une  visneur 
assez  rcmarquables  j  quelques  citations  etab'.ironl 
rexactitude  de  nos  asseitions,  surces  differents  points. 

Nous  comracncons  par  la  ballade  sur  la  niort  ('e 
Machau  ,  non  quelle  soil-la  nieillcure  ou  la  plus  im- 
portaute  en  soi ,  mais  parce  que  la  liaison  nalurellf  des 
nialieres  deinande  que  nous  ne  la  laissitins  pas  sV'loi- 
gncr  davantagc  ufe  rarticle  auquel  clle  se  raltacUe  par 
son  objet. 

riLLVDB  POUR  MACHAU. 

Arnies ,  amours ,  dames ,  chevalcrie , 
Clcrcs  musicaiis ,  failiUes  en  l'ran(.ois , 
Tous  so()liislcs  r  lou'.e  jjot'teric  , 
Tous  (cux  qui  oul  raclodieuse  voix  , 
Ceux  qui  rhanlenl  en  orguc  aucune  fois. 
El  qui  onl  ihor  Ic  doux  arl  de  musi(iuc, 
Demenez  dt-uil,  plouiez  (tar  c'esl  bii'u  droils)  , 
La  morl  iMachau  ,  le  noble  rhrtoriquc. 


I'j8  DE   LA    POESIE   LYKIQUE 

Onqucs  d'araours  nc  paria  tn  folie  ,  - 
Aiiisa  csl6  en  tous  ses  dicls  courlois; 
Auss'i  h  moult  pl(5u  sa  chantcrie 
Aux  grands  seigneurs ,  a  darocs  el  bourgeois. 
Lc ,  Orpheus,  assez  lamentcr  dois, 
Et  regrelter  d'un  regard  authentique, 
Arethuse  et  Alpheus  ,  tous  Irois  , 
La  mort  Machau  ,  lc  noble  rh6lorique. 

Priez  pour  lui ,  si  que  nui  ne  I'oublie  , 
Ce  vous  requiert  le  bailli  de  Valois , 
Car  11  n'en  est  aujourd'hui  nul  en  vie 
Tel  comme  il  fut ,  ne  ne  sera  desmois ; 
Complaint  sera  de  peuples  et  de  rois , 
Jusqu'i  long- temps  pour  sa  bonne  pratique  ; 
Vestez  vous  noir ;  plourez  tous ,  Champenois , 
La  mort  Machau ,  le  noble  rhdlorique. 

Rubebes  ,  Luihs ,  1^ idles ,  Sy phonic  , 
Psalte'rions ,  trestous  instruments  coys, 
Rothes  ,  Guitcrn.es  ,  Flaustres  ,  Chalemie  , 
Travtrsaines  ,  et  »ous ,  Nymphes  de  bois , 
Tynipane  aussi ,  meltez  en  omvrc  dois , 
Et  lc  Choro  ;  n'y  ait  nul  qui  rdplique; 
Faictes  debvoir ;  plourez  gentils  Galois, 
La  mort  Machau ,  le  noble  rhdlorique. 

Dansune  piece  de  meniecaraclerc,  Tauteur  a  deplore 
parcillementla  pertedc  rillustie  connelable  Diigucsclui; 
voici  le  morceau  : 


BALLADE   SOR   LA   MOnT    DE  8ERTBAISD   DrGDKSClIM. 

Estoc  d'honneur ,  el  arbres  de  vaillance  , 
Cucr  de  lion  csprins  de  hardement, 
La  flour  des  preux ,  et  la  gloire  de  France , 
Viclorieux  et  hardi  combatlant, 


k 


EN    Fn.kXCE.  179 

Sage  en  vos  fails ,  el  bien  enlreprcnanl , 

Souveraln  liomiiic  de  guerre  , 
Vaiiiqufiir  de  jjens ,  ct  coiiqu6ieur  de  lerre  , 
Le  plus  valllaril  qui  onqucs  fulen  v  e, 
C.hascuii  pour  vous  doil  noir  vcstir  et  qiicrre, 
Plourez ,  plourcz ,  flour  de  thevalerie. 

O  Hretugne  ,  ploure  Ion  esp(*rancc  ; 
Sormantlle  ,  fais  son  enlierenieiit ; 
•Ciiyenne  a\.\Sfi\,  et  /fuvergnr,  or  t'avance. 
El  Langiieduc ,  quier  lul  son  nionunicnl; 
Picardie  ,  ihampngne  el  Occidenl 
Doivent  pour  plourer  acqucrre 
TragMiens,  Areihuse  requerre , 
Qui  en  eaux  fut  par  plour  converlie, 
Alin  qu'i  tous  de  sa  morl  !e  cuer  serre  ; 
Plourez  ,  plourez ,  flour  de  chevalerie.    , 

11^  gens  d'armes ,  ayez  en  remembrance 
A^oslre  [lere ,  vous  estiez  si  enrant ; 
Le  bon  Bertrand  ,  qui  lant  ol  de  puissanie  , 
Qui  vous  amolt  si  aniourcusement; 
(iuescCm  crioit  :  piier dcvolcmont 
Qu'il  puist  paradls  conquerre  ; 
Qui  deuil  nVn  fail ,  el  qui  n'en  prie,  il  erre. 
Car  du  nionde  esl  la  lumierc  laillie; 
De  loute  honneur  cstoil  la  droitc  serre; 
Plourez ,  plourez ,  flour  dc  cbcvalerle. 

Eiitre  celles  qui  se  rapporfcnt  plus  on  moiris  diiec- 
Icmeiil  aux  eveiicments  publics  el  aux  affeilions  poli- 
liques  del'epoquc  ,  on  remarquera  pailiculi^iTineril  la 
suivaiite  : 

DALLADE    DE    LA    PHOPB^TIE   DM.    Mi:HI.I?(. 

Selon  le  Brtil  de  I'isle  des  g^antf! , 
Qui  depuls  fui  lib/on  appellee  , 


l8o  DE    LA    POESIE    LYRlgLE 

People  raaudit ,  lard  dis  en  Dieu  cr6ans, 
Sera  I'islc  de  lout  point  d6sol6e  ; 
Par  leur  orgueil  vient  la  dure  journie 

Dont  leur  prophete  Merlin 
Pr^noslica  leur  dolereuse  fin , 
Quani  ilescripst:  o  Vie  perdrez  et  terre ; 
<<  Lors  tnonstreront  estrangiers  et  voisin  : 
«  Ou  temps  jadis  esloit  cy  Angleterre.  » 

Las,  toi  ,  terre  ,  gouvern^e  d'enfanis, 
Visage  d'ange  portcz;  mais  la  pensde 
De  diable  est  en  vous  loudis  sortissans 
A  Lucifer;  par  orgueil  conipar6e 
La  loi  par  vous  est  ja  deux  fois  cass6e, 

Dans  Ic  service  divin  , 
Ne  faictes  pas  d'aournement  enterin  , 
En  demonstrant  que  faible  est  vostre  serre, 
Destruits  sercz  ;  Grec  dironl  et  Latin  : 
«  Ou  temps  jadis  esloit  cy  Angleterre.  » 

Sur  le  pays  qut  plus  vous  ful  ardans , 
La  Petite  Bretagne  esl  surnommde , 
lerl  le  dibal  de  Gaule  et  de  vous  grans ; 
La  doit  ccuvrcr  contre  vous  deslinde ; 
La  commenca  ta  premiere  meslde. 

La  finira  le  hutin  , 
Puis  passeront  Gaulois  Ic  bras  marin , 
Le  pouvre  Anglois  destruiront  si  par  guerre, 
Qu'adonc  dironl  luit  passant  ce  chcraiu: 
"  Ou  temps  jadis  ctait  cy  Angleterre.  » 


Dansle  nombre  de  celles  que  fouruit  la  simple  pein- 
lure  lies  nioeurs  et  des  scenes  du  temps ,  on  distingue 
par-dessus  tout  la  ballade  Pour  lelournoi  de  St.-Detiis  , 
sous  Charles  VI  ^  en  i38(^: 

Armcs,  amours,  ddduit,  joie  etplaisance, 
Espoir ,  ddsir ,  souvenir,  hardement, 


K.N    KliANCE.  l8l 

Jeunosse  aussi ,  nianiere  ct  conlcnance , 
Iluiiiblc  regard,  trait  amoureuscment , 
Gens  corps ,  jolis ,  pares  Ires-richemcnl , 
Avisez  bien  restc  saison  nonvclle  , 
Ce  jour  de  may,  cesle  grand'  feste  et  bcll^. 
Qui  par  le  roy  se  fait  a  St. -Denis  , 
A  bien  jouster  gardez  voslre  (fdercile  , 
Et  vous  scrcz  honour6s  et  ch6ris. 

Car  la  sera  la  grand'biaute  de  France  ; 
"Vingt  chevaliers,  vingt  dames  enscmenf , 
Qui  les  mestront  arnit's  par  ordenance , 
Sur  la  place  toutes  d'un  parement , 
Le  premier  jour ,  et  puis  secondemenl ,. 
Vingt  escuycrs ,  cliascun  sa  demoiselle 
D'un  parement  joie  se  renouvelle  , 
Et  la  feront  Ics  bdraux  plnsieurs  oris 
Aux  bien  joustants :  lenez  fort  votre  selie, 
Et  vous  serez  bonoures  et  ch6ris. 

Or  y  parra  qui  bien  fcrra  de  lance , 
Etqui  sera  de  beau  gouverncment , 
PouracqucSrir  d'amour  la  bicnveillance 
Et  qui  durra  auharnois  longuemenl; 
Cils  aura  los,  doulx  regard  proprcment 
Le  monstrera ;  amour ,  qui  ne  chancelle  ^ 
L'enflambcra  d'amoi!?euse  estincelle, 
Honneur  donra  aux  mieux  faisans  les  pris;. 
Avisez  lous  cest€  douke  nouvellc, 
Et  vous  serez  honourt^  ct  cbt'ris. 

Servants  d'amour,  regardez  douleement 
Aux  cschalTaux,  anges  de  paradis, 
I-ors  jouslcrez  fort  et  joyeusement 
El  vous  serez  honour^s  el  ch^ris. 

On  y  rallachera  au  besoiii  sous  ufi  point  de  vue  plus 
gc'irieral ,  ccUe  du  Bon  capilainc  et  de  £  Ordre  de  chwa- 


iBa  Dli    L.V    l><»i;SlE    I.MUQIU 

/ent!,offraiil  ibaciuie  en  co  qui  la  coruernojle  (ypcde  !a 
perfection  idealc  du  temps  ,  dans  ces  deux  professions. 
A  oici  le  debut  de  la  premiere  : 

Aux  champs !  aus  champs !  issez  dc  vo  maison  , 
Vous  qui  devez  avoir  honneur  et  querre; 
A'ez-d  avril  el  la  doulce  saison 
(jue  Ten  se  doil  ordotincr  pour  la  guerre  ; 
Etque  Ten  doll  son  ennemi  requcrre 

Et  la  froiititVe  teiiir , 
Tant  qu'il  ne  puist  en  vos  marches  venir  ; 
LI  temps  est  doulx  pour  dormir  en  la  plalne , 
L'herbette  vienl  pour  chevaux  soustcnir; 
Ainsl  sc  doil  gouvemer  capltaine. 


La  seconde ,  demande  i  ^tre  citde  en  entier 

Vous  qui  voulez  t'ordre  dc  chevalier, 
II  vous  convient  mcner  nouvelle  vie, 
D(5votenicnt  cii  oraison  veiller , 
P6chi6  fuir,  orgueil  et  vilenic  ; 

L'^glise  devez dt'fend re, 
La  veufvre  aussi,  I'orphenin  entreprcndre, 
Eslre  bardis ,  et  le  peupic  garder  , 
Prodoms ,  loyaux  ,  sans  rien  dc  I'aulrul  prendre : 
Ainsi  se  doit  chevalier  gottverner. 

Humble  cuer  ail;  toudis  doit  Iravailler 
Et  poursuir  fais  de  chevulerie , 
Guerre  loyal ,  estre  grant  vojagier, 
Tournois  suJr  et  jouster  pour  s'amic ; 

II  doit  i  tout  honour  tendre. 
Si  com  ne  pulsl  de  lui  blasme  reprendre  , 
Ne  laschet6  en  ses  oeuvros  trouvcr , 
Et  entrc  tousse  doil  Iciiir  le  mendre? 
Ainsl  sedoit  cbcvafu'r  ftouvcrner. 


i:n  fra.>ce.  i83 

II  doil  anicr  son  seigneur  droilurier , 
El  dossils  tons  gurder  sa  seignourie , 
Largesse  avoir,  estrc  vral  juslicier, 
Des  prodomcs  suir  la  compagnie , 

Leurs  dix  oir  el  apprendre  , 
El  des  vaillans  les  proesses  comprendrc, 
Afin  qu'il  puist  les  grans  faiz  achever , 
Commejadis  fitle  roi  /tlexandre : 
Ainsi  se  doit  chevalier  gouverner. 

Les  sujets  saliriques  ont  fourni  enlre  aulrcs  :  niie 
ballade  k  Double  enlendenient  (c'est-A-dire  d'c(juivoqne, 
d'eloge  ironique ) ,  Sur  les  mocurs  du  siecle ;  ensiii(e  iiiie 
autre  ,  De  la  supei'iorile  des  anciens  sur  les  />iodfinc\  ; 
yuis  line  troisieme  ,  Sur  les  nioyens  de  parvciiir  a  la 
cour;  puis  encore  une  quatrieme  ,  Sur  le  mariagcQic, 
etc. 

Voici  la  ballade  sur  les  Moyens  de  pan'enir : 

Apprenez  moi  commcnl  j'arai  cslat 
Soudainement ,  Dame ,  je  vous  en  prie, 
El  en  quel  lieu  je  trouverai  bon  plat 
Pour  gourmander  el  mcner  glote  vie: 
—  Je  te  I'oUroy ;  traison  el  envie 
Te  I'aull  savoir ;  teulx  le  nicslront  avant ; 
Menlir,  flatler,  parler  de  l(5cherie; 
Va  a  la  court  el  en  use  souvent. 

Pcigne  toi  bel ;  ton  chaperon  abat, 
Soies  veslus  de  robe  tres  jolie , 
Fourre  toi  bien,  quoi  qu'il  soil  de  I'achapt, 
Tien  toi  brodd  d'or  el  de  pierrcrie  ; 
Mcnt  largeinenl  afin  qua  chascun  rie, 
Promet  assez,  el  lien  po  de  convent; 
Fay  lous  ccs  points ;  ne  le  chaille  qu'en  die  , 
Va  a  la  court  el  en  use  souveni. 


l84  DE    L.V   POIiSlE    I.VUIQI'E 

A  mniiil  I'ai  vii  fairo  qui  s'y  enibal , 

Soi  atToinler  de  IVschaiigonnerie  , 

Joucr  au\  doz ,  laiit  qu'il  gagiie  on  soil  mat; 

Ou'il  jure  foil ,  qu'il  maugrec  ou  legnie  , 

Fay  done  ainsi;  met  toi  loujoiiis  dovaiil; 

Pour  avoir  nom ,  fous  ces  viies  n'oublie ; 

Va  ^  la  court  et  en  use  souvent. 

Prince,  bien  doy  renicri lor Folie , 
Qui  ni'a  nppris  cc  beau  gouvernemenl, 
Et  qui  ma  did  :  a  ces  poins  (^fudie  ; 
Va  a  la  court  et  en  use  sou?ent. 

Celle  de  Donbh  entendcmenl  debute  coinnie  il  suil : 

L'cTi  me  dennfand'e  chasciin  jour 
Qu'il  me  semble  du  temps  que  voy , 
Et  jerepoiids:  c'est  lout  lionour, 
Loyaut^ ,  v^riM  et  loy  , 
LargeiJse ,  proucssc  et  army , 
Chari(6,  et  bicns  qui  s'advance 
Pour  Ic  conimun  ;  niais  par  ma  loy , 
Je  ne  dis  pas  quanque  je  pence. 

On  nous  donne  celJc  du  Manage  sous  Ic  lihe  de 
Coniplainted'iai  genlilhonime  mai'ie  en  d gc  moym  {  lout 
indique  (jue  c'est  Tauteur  qui  so  dcgnlse,  ou  se  d{''sii;iie 
liii-nieme  ainsi )  ;  nous  y  reniartiuous  eel  excellenl 
couplet  ; 

J'ai  domourd  cntre  les  Sarrasins^ 
Esclave  csl6  en  pays  de  Surie; 
J'ai  en  vaisseaux,  en  gatees,  en  tins, 
Esl6  sur  mcr ,  et  cb  nave  p6rie , 
Parle  lournicnl  cuidani  perdre  la  vie; 
J'ai  combatlu  en  guerre  el  poup  le  gage. 


i:.\    I'ltANC.K.  l8{) 

Elesdesprlsa  un  lionsauvago; 
El  (le  lout  nc  me  suis  bien  (5cliappc  , 
El  (I'aulres  iTiau\;  fors  que  du  inariage; 
Or  garl  chascun  qu'il  n'y  soil  allrap^. 

11  y  a  dans  lout  cela  beaucoup  de  choses  louables  et 
bonnes ;  ce  dernier  morceau  sm  tout  est  (el  que  nous 
ne  voyons  guere  qu'il  lut  possible  de  faire  niienx. 

En  ce  qui  lient  au  genre  badin  et  naif,  il  nous  sonible 
aussi  qu'on  (roiiverait  difticilement  quelque  cbose  de 
plus  gentil  que  ce  franc  et  gai  virelay  ,  mis  dans  la 
boucbe  d'une  jeune  fille  de  quinze  ans  : 

Suis-je ,  suis-je,  suis-je  belle  ? 
II  me  semble ,  a  mon  avis , 
Que  j'ai  beau  front  ct  doulx  vilz, 
Et  la  bou(  be  vcrmeillelle ; 
Diles-moi  si  je  suis  belle. 

J'ai  vairs  yeux  ,  pctils  sourrils, 
Le  chief  blond ,  le  nez  trailis , 
Rond  menton,  blanche  porgctle; 
Suis-je,  suis  je,  suis-jc  belle? 


J'ai  manliaux  fourres  de  gris, 
J'ai  chapiaux  ,  j'ai  biaux  profits, 
Et  d'argent  inainte  (*piiiglelte; 
Suis-je,  suis-je,  etc. 

J'ai  draps  de  soie  et  tabis , 
J'ai  draps  d'or,  cl  b'aiirsel  bis, 
J'ai  mainle  bonne  choselle ; 
Diles  moi  si  jcsuis  belle. 

Que  quinze  ans  n'ai,  je  vous  dis  ; 
Moult  est  nies  lr(S!ors  jolls; 


l8G  UE    I.A   POKSIE    LYBIQUK 

S'en  gardprai  la  clavctle ; 
Suis-jc,  suis-je,  elc. 

Bien  devra  estre  bardis, 
Cils  qui  sera  mes  amis , 
Qui  ara  tel  damoiselle; 
Di(es  moi  si  je  suis  belle. 

Et  par  Dieu  je  li  pl6vis 
Que  trcs-loyal ,  sc  je  vis , 
Li  serai ,  si  ne  chancelle ; 
Suis-je,  suis-je, etc. 

Se  courtois  est  el  gentilr , 
Vaillant,  apers ,  bien  appris, 
II  gagnera  sa  querelle. 
Di(es-moi ,  etc. 

C'est  un  mondain  paradis. 
Que  d'avoir  dame  tous  dis 
Ainsi  fraische,  ainsi  nouvelle; 
Suis-je ,  suis-je ,  etc. 


Euslache  Deschamps,  honime  de  cour,  parfaitement 
galant  et  poli  d'ailleurs,  n'a  pas  toujours  piis  suffisam- 
meiit  soin  d'cviter  I'emploi  de  certains  mots  un  pen 
cms  ,  que  I'usagc  plus  laffine  de  la  langue  a  rejeles 
depuis  comme  obsccnes ;  c'est  la  faute  du  siecle  beau- 
coup  plus  que  la  sienne  propre  j  quelques  laches  dc 
cette  espece  peuvent  se  remarquer  dans  les  parties  non 
citces  de  ce  joli  virelay  ,  Suis-je  belle;  c'est  a  peu  pres 
le  scul  defaut  que  nous  trouvions  Ay  relever. 

II  existc  d^Etistache  Deschanips  un  Rondeau  dctnhle^ 
qui  pourrait  bien  etic  la  plus  ancienne  Chanson  a  Loire, 


i:>   lUANCE.  107 

f  oinposee  ,  011  ilii  moins  connue ,  en  langiie  franriiise  ; 
il  n'cst  gucre  rcmarquable  que  sous  ce  rappoit  j  voiti 
Ic  lexle  : 

BONDEAC    DE   TABLE, 

I 

Jamais  a  table  nc  serray  , 
Si  je  ne  voy  le  vin  loul  presi 
Pour  boire  cl  verser  sans  arrest. 

Au  premier  morcrl  Id  soif  ai 
Que  mort  suis ,  se  boire  n'y  est ; 
Jamais  ii  table ,  etc. 

Comment  il  m'cn  va  bien  le  say ; 
liolanl  en  mounil ;  si  me  plesl 
Boire  tost ,  puisqiie  vin  me  pest. 
Jamais  a  tabic  ,  etc. 

On  pent  remarquer  encore  d' Euatache  Deschamps  , 
le  couplet  ci-apres  en  AiUenx  a  la  jeunesse  : 

Adieu  printemps ,  adieu  jeune  saison  , 
Que  tous  d^duils  sont  dus  a  rrdalure  ! 
Adieu  Amours,  adieu  noble  maison  , 
Pleinc  jadis  dc  fleurs  cl  dc  verdure  ! 
Adieu  esl(^!  automne  qui  pen  dure  ! 
Yvers  me  vient ,  c'est-a-dire  vieillcsse; 
Pour  cc  tristcr  te  dy  adieu  jeunesse. 

Et  aussi  la  ballade  Priere  aitx  Dames ,  par  laquelle 
il  nous  en  faul  fuiir  : 

PniiiRI!   AtX  DAHES. 

Damos ,  Dames ,  que  j'ai  Ions-temps  scrvi , 
Depuis  qu'Amours  m'oni  donti(?fO!jiio"'isance, 


1 88  DE    LA    POESIE    I.YUIQI'E 

El  en  (oiis  c.is  vous  lo6  el  chcry  , 

Kt  oinploye  cucr  ,  et  cors,  el  puissance, 

Et  cii  mes  dis  de  joycuse  plaisanee 

Parle  amouieuscmcnt , 
Priez  pour  moi ,  car  nion  d(5finement 
Voy  approchier  ,  ct  \c  tcnips  dc  ma  bicrc ; 
Lc  treu  parroy  de  mort  prochaincnienl 
Sc  de  Dieu  n'ay  secours  a  vo  priere. 

Las ,  des  que  j'oy  qualorze  ans  ct  demi , 

Jc  me  soumis  a  voire  obdissance  ; 

Si  dcvriez  avoir  piti6  de  my. 

El  vo  servanl  avoir  en  remembrance , 

Or  vos  suppli ,  doulces  Dames  dc  France , 

Dc  pricr  dcvotemcnl 
Nostre  Seigneur ,  pour  mon  allcgemcnl; 
El  si  je  muir ,  ayez  ma  lombe  chiere , 
Car  sans  retour  vois  au  grand  mandemcnt 
Se  de  Dieu  n'ai  secours  a  vo  priere. 

Els'il  convicnlquejc  dcparleainsi , 
Veuiliez  oir  ma  pileuse  ordcnance; 
Je  eric  a  Dieu  de  mcs  lorfnils  mercy , 
Et  a  mcs  homs  lais  ma  petit'chevance , 
Le  corps  aux  vers  I'cra  sa  p(^nitcnce  ; 

Or  ait  I'ame  sauvcmcnt ; 
Vestez  vons  bianc  pour  moi  au  remenent , 
Oar  de  purld  porle  blanc  la  luniiere, 
Et  d'escliapper  n'ai  espoir  nullcment 
Se  de  Dieu  n'ay  secours  a  vo  priere. 


Immedlatcment  apres  Deschamps ,  ou  ,  si  Ton  vent , 
jircsque  avec  lui ,  se  presente  le  cbanoine  Froissarl. 

Joan  Froissart  naquil  a  Valenciennes^  vers  I'an  1337. 

Son  pere ,  qui  etail  pcinlre  d'annoiries ,  en  fil  \\i\ 
ckrc,  et  ce  tlcrc  ,  comme  ii  y  en  a  pen  ,  ful  bioutot  uu 


K^i    VKANCE.  l89 

des  honimcs  Ics  plus  recberches  dcs  princes  ilc  son 
temps. 

Froissart  sallacha  successivcmcnl  au  service  de  [)l!i- 
sieurs  grands  personnages  ,  fit  avec  eux  ,  pour  eux  ,  on 
quelquefois  pour  lui-mcnie  ,  avec  leur  agremcnt ,  hcau- 
coup  dc  courses  d'ajf aires  ou  de  plaisir ,  et  mena  ,  on 
tout  une  vie  d'avenliirc,  assez  peu  conforme  aux  graves 
convenances  de  son  etat. 

II  a  fleuri  sous  les  rois  de  France  ,  Jean ,  Charles  V 
et  Charles  PL 

La  reine  A'Angleterre,  Philippe  de  Hainaiit ,  femme 
d'EdotiardlJI ,  Temploya  pendant  pres  de  sept  ans , 
comnie  clerc  de  sa  cliaiiibre ,  et  eut  pour  lui  beaucouj) 
de  bicnveiilance  ;  plus  tard  ,  apres  la  niorl  de  cello 
princesse,  il  fut  secretaire  du  due  Vcnceslas  de  Brabant, 
et  clerc  de  cliapelle  de  Guy ,  cointc  de  Blois  ,   etc. 

II  eut  aussi  des  relations  non  nioins  utiles  qu'bono- 
rablesavec  Gaston  Phcokis.  comte  de  Foix  (IVpoux  de 
la  princesse  /Ignl-s  de  Nai-arre) ,  prince  inagniflque  ct 
passionne  pour  (ous  les  nobles  dcduiis  dt^  son  sicdc , 
etc.  (i)  ,  et  finalement  avec  le  jeune  roi  d'Anglcterre, 
liichard  II  (pe(il-fi!s  de  sn  prolectiice),  qu'ii  visita  en 
1395. 

II  ecrivait  encore  on  i4<Jo. 

Froissart  a  laisse  une  belle  reputation  coninie  bisto- 
ricn  ;  ses  poesies  aussi  oiit  eu  loiir  vogue  ,  quViles  pa- 
raissent  avoir  nieritee  au  nioins  :\  certains  j'igards. 


(I)  Aulcur  il'iin  pociiio  siir  la  fhasso  ,  et  qui  pas5P  pour  avoir 
aim(S  col  cxercicc  ,  au  point  d'cnlrctnnir  jiisqu'ii  16(10  chioiis  bicii 
drcssc's. 

i3 


\L)0  DK    l.A    I'OtslL    l.VKIOlli 

Sainte-Palnye  ,  qui  los  a  jugecs  peul-rlre  uii  |>eu 
severcment ,  iiclour  refuse  pourtanl  pas  i\  la  ii},Mieur 
un  oertain  ejfet  cle  simpUcite  et  de  liberie  assez  gracieuacs 
(Mem.  de  I'Ar.  des  Inscr.  ,  elc.  ,  t.  xiv  ,  p.  225);  et 
d'autre  pari  M.  de  Barante,  si  bien  infornie  de  loiil  co 
(jtii  lient  an  sujel  et  a  Tauleur  ,  va  jusquW  dire  : 
«  qu'elles  out  un  caraclere  aussi  vrai  que  son  hisloiie  , 
«  el  soul,  comnie  elle,  non  un  ouvrage  d'arl,  mais  une 
«  production  toute  naive  el  toute  nalurelle.  y>  (Biogr. 
I  iiiv. ,  loc.  propr.  ) 

Les  poesies  de  Froiisari  n'ont  ele  conservees  jiisqu'ici 
i]u'en  manuscrils,  donl  il  n'a  ele  publie  que  de  rarcs  et 
insuflisants  echanlillons,  apparlenanl  pour  la  plupart 
ail  genre  narralif  d'alU'i^orie  galavtc  ,  el  ne  contenanl 
de  lyrique  ,  que  quelques  inorccnux  de  chant  ,  epars 
dans  le  poenie  ,  el  appropries  i  la  situation  imaginaire 
des  personnages  agissanls. 

Les  critiques  qui  onl  pris  la  peine  d'explorer  les  ori- 
ginaux  ,  y  out  reconuu  I'exislence  de  beaucoup  d'autres 
productions  lyriques  ditacliees,  les  unes  de  pure  galan- 
lerie  ,  les  aulres  relatives  aux  eveuemenls  el  aux  inle- 
rets  du  temps. 

Dans  le  nombre  de  ces  dernieresdoivenl  se  Irouver  : 

Un  virelay  danse  i  une  fete  pour  la  reception  de 
Ljonnel,  due  de  Clarence  ,  k  la  cour  de  Savoye,  en 
1 368. 

Un  lay  sur  la  morl  de  sa  bienfailrice  ,  la  reinc  Phi- 
lippe de  Haynaut ,  en  i3Gq. 

Un  epidialame  du  comte  de  Dunois  ,  fils  du  comie 
de  Blois  ,  son  dernier  maitre ,  en  1 386  ? 

Des  pastourelles ,  sur  If  roi  lean  ,  sur  une  victoire  de 
Charles  VI ,  sur  I'entrec  de  la  reine  IsabcUe ,  etc.,  etc. 


EN    FRANCE.  I91 

Tout  cela  devrait  ^tre  fort  curieux  A  ^tudier. 

Les  Paxtourelles  de  Froissart  passent  pour  avoir  ele 
coiiiposees  en  majeure  parlic  pour  les  concours  publics 
des  academies  de  Picardic  et  de  Flandre ,  etc.  On  les 
juge  en  general  pleines  de  grSce  et  de  naivete  ,  mais 
un  pen  plus  gales  qu'il  ne  conviendrail  a  I'etat  et  au 
caractere  de  leur  auteur  ;  ajoutons  d'ailleurs  qu'il  n'est 
pas  bien  reconnu  qu'elles  soicnt  lyriques ,  et  que  de  ce 
qu'on  en  dit  et  de  ce  que  nous  avons  eu  occasion  d'en 
voir  nous-mcmes  ,  il  nous  semble  resulter  que  ce  ne 
doit  etre  que  des  cnireliens  de  bergers ,  il  n'importc  sur 
quels  objets  ,  pastorales  de  Ion  et  de  personnages  ,  si 
Ton  veut ,  efrangercs  du  reste  aux  donnces  de  la  pas- 
tourelle  d'aventure  de  l^^ge  precedent. 

Dans  le  nombrc  despeli/es  coinposiiions  lyriques  bien 
connues  de Frowrtr/ ,  nous  dislingucrons  avant  tout  le 
gentil  virelay  ci-aprcs  (  extrait  du  Joli  Liiisson  de 
Jonece ) ,  dans  lequel  une  dame  est  censee  exprimer  le 
regret  d'avoir  econduit ,  par  la  reserve  affectee  de  son 
langage,  I'amL  dont ,  au  fond  du  ccBur ,  lUe  eut  voulu 
accueillir  les  voeux  : 

Par  un  lout  seul  csconrtire 
Dc  bouche ,  non  de  cuer ,  fait , 
Ai-je  mon  ami  rclrail 
De  moi ,  dont  jc  morrai  d'ire ! 

Helasl  que  ma  bourhe  a  fait ! 
Ne  comment  ose  clle  dire 
Tout  le  conlraire  dou  fail 
De  ce  que  moa  cuer  desire ! 

Lasse ,  je  ploure  et  soupire  , 
Et  si  n'ai-je  rieii  fourfet , 


1^2  B£    1-A    I'OESIE    LYUJQUE 

Fors  que  lie  ma  buuche  ai  trait 
Le  glave  pour  luoi  occire ! 

Par  un  lout  scul ,  etc. 

Et  so  jamais  se  relrait 
Vers  moi ,  Dieu  me  puissc  nuire  , 
Se  hriefmont  ne  me  rcmet 
Au  point  oil  amours  me  tire ! 

Jen  voil  mon  cuer  assoufire, 
Maugr(5  que  ma  boudio  en  ail ; 
Nc  ja  pour  cri  no  pour  brait 
Ne  s'en  laira  desconfire. 

Par  un  tout  seul ,  ele. 


On  pourra  au  besoin  en  lapprocber  cet  autre  (cxtrail 
du  niome  poeme)  ,  que  Fauleur  a  mis  ,  on  ne  voit  ])as 
trop  pourquoi .  dans  la  bouchc  da  pcrsonnagc  allcgo- 
ri(|ue  Jltcmprance  (moderation  ,  ou  lelcnue  ? )  ;  niais 
ou  se  peint,  avec  une  rare  vei  ile,  Ic  pelil  amour-propre 
d'une  jeune  fille ,  conti  ntc  de  sa  gcnlillesse  et  de  son 
independance,  et  toulc  fierc  d'avoir  h  se  faire  rcprocbcr 
de  pctites  rigueurs  : 

On  ditquej'ai  bien  manicre 

D'esire  orguillouselle ; 
Bien  afliert  a  (*lre  fiere 

Jone  pucelelte. 

Hui  matin  mclcvai 

Droit  h  l'aioiirn('c; 
En  un  jardinelenlrai 

Dessus  la  rous^e. 

Je  culdai  estre  prerniore 
Au  cloi  sui  i'lierbelle ; 


I 


E.\    FRANCE.  193 


Mais  mon  doiix  ami  y  ere 
Cueillanl  la  flourelle. 

On  dil(iue  j'ai ,  elr. 

Un  ehapclel  li  dorinal , 

Failde  la  vespr^e; 
II  le  prit,  bon  grtl'en  sat. 

Puis  m'a  apipel6e : 

«  Voeillez  oir  ma  proycie  , 

n  Trds  belle  et  doucelie, 
«  Un  petit  plus  que  n'alTi^re 

«  Vous  m'elcs  dureltc.  » 

On  dit  que  j'ai ,  etc. 

Froissart  a  passe  pour  exceller  dans  la  composition 
dos  ancieiis  rondeaux  d'aniours  ;  on  en  jiigcra  par  les 
deux  suivants  : 

I.    RONDEL   SDR  UN  depart: 

Le  corps  sen  va  ,  mais  le  cuer  vous  ilenicure, 
Tres  cheie  dame  ;  adir  11  jusqu-'au  reUiur ; 
Trop  me  sera  loinlainc  ma  dcracure  ; 
Le  corns  s'en  va  ,  ma  is  le  cuer  vous  demeure , 
Tres  chcrc  dame  ;  adieu  jusqu'au  relour. 

Mais  doux  penser ,  que  .j'aurai  a  (oute  heucc^ 
Adourira  prant  pari  de  ma  doulour; 
Tr6s  chere  dame,  adieu  jusqu'au  retour; 
Le  corps  s'en  va  .  mais  le  cuer  vous  demeure. 

2.   RONDEL   SUR  UNE    ABSENCE   PROLONGKE.     , 

Reviens,  amy,  Irnp  longue  est  ta  demeure  ; 
Elle  me  fail  avoir  peine  el  doulour ; 
Mon  esperil  le  dom:inde  a  (nule  heure; 
Reviens,  amy,  trop  longue  est  ta  dcmeurei 


194  I>B    LA    POiSIE    LiRIQt'E 

Car  II  n'est  nul ,  tors  tol ,  qui  me  sequeure , 
Ne  secourra  jusques  a  Ion  rclour  ; 
Reviens,  amy,  trop  longue  est  la  demeure; 
Eile  me  fail  avoir  peine  et  doulour. 


Lcs  extraits  connus  des  poesies  de  Froissart  nous 
foiirnissent  un  lay  A  la  Stc.-Fiergc  ,  formant  epilogue 
de  son  livre  du  Joli  huisson ,  etc.  ;  nous  en  cilerons  ce 
debut ,  qui  pourra  nous  servir  plus  tard  ,  avec  d'aulres 
niorceaux  analogues  ou  differents  d'objel  ou  de  formes, 
a  eciaircir  un  peu  oe  qu'il  y  a  d'embrouille  dans  I'his- 
toire  de  ce  genre  de  composition  : 

Flour  d'honneur  Ires  souveraine , 
En  qui  virginity  maint 

El  parmaint, 

Eulx  tamaiul 
Sent  gari  del  ardenl  paine 
Que  lenlalion  amenc 
Par  I'anemi  qui  nous  chainl 

£t  dcstraint 

El  constraint 
A  toute  heure  ct  nous  Tourmene; 
Mais  de  tous  biens  es  si  pleine 
Qu'en  es  saints  ciels  ne  remaint 

Sainlc  ou  saint 

Qui  se  faint 
De  louer  a  longue  haleine 
Ta  verlu  noble  el  haulaine. 
Qui  n'amcindrit  ne  ne  faint , 

Mais  csleint 

Et  restreinl , 
Noire  advcrsile  prochaine 

A  Froissart  succede  Charles  due  d'Orleans, 


EN    FUA^CE.  Uj) 

Chttrlcs  d'Orlcans  fut  un  prince  de  la  iuaisi»ii  rovah* 
(le  l^alois  .  pelit-tils  de  Charles  /'  ,  peie  de  Luuis  XII 
el  oiicle  de  Frnncois  t' . 

II  iiaquit  a  Paris  en  iSgi  ,  par  consequenl  une 
dixaine  d'annees  avanl  la  mort  de  Froissart. 

Charlex  veciit  dans  im  temps  de  malheiirs ,  et  son 
liaut  rang  ne  (it  qued'allirer  plus  inevilablenient  sur 
lui  les  coups  de  la  fortune,  alors  si  contraire  i  la  PVaiice; 
fait  prisonnier  ck  la  bataille  d'/^=iMCOM/£{i4i5) ,  il  ful 
conduit  en  prison  en  Angleterre,  oCi  sa  caplivile  ne 
dura  pas  moins  de  25  ans  ;  plus  tard  rendu  enfin  i  s:» 
patrie  ,  il  y  mourut  en  i465  ,  eniportanl  apres  Uii 
IVstinie  el  les  regrets  de  tousles  gens  de  bien. 

Charles  d' Orleans  a  cultive  la  poesieavecun  zele  et 
uue  Constance  fori  reniarquables  dans  un  prince,  et 
cette  occupation  dut  etre  pour  lui  une  heureuse  res- 
source  contre  les  ennuis  de  sa  longue  captivite. 

Ses  poesies  coniposees  ,  pour  la  plupart,  en  pays 
I'tranger  ,  furent  apparemnient  peu  lepandiies  en 
France  ,  ou  peut-elre  y  excilerent  peu  d'atlention  au 
milieu  des  desasties  politiques  de  I'epoque  ;  il  est  de 
fait  que  cinquante  ans  apres  la  morl  de  I'auteur  ,  ni 
Francois  I".  ,  son  neveu  ,  ni  aucun  des  lettrcs  de  sa 
cour  ne  seniblent  en  avoir  eu  connaissance  ;  que  des 
lanibeaux  s'en  trouvent,  alors  menie  ,  usurpes  ou  pu- 
blics sous  de  faux  noins  ;,que  personne  n'en  a  parle  au 
XVII''.  sieclej  et  qu'il  n'en  subsistail  plus  aucun  sou- 
venir, lorsqu'en  1735  ,  Tabbe  Sallier  en  decouvrit  ino- 
pinement  dans  la  bibliolbeque  du  Roi ,  un  nianuscrit 
oiiblie  ,  mais  parlaitemcnt  autfaentique  ,  etqu'aux  mo- 
iiogranimes  de  la  couverlure  ,  on  reconnait  pour  avoir 
;q>parlcnu  a  la  reine  Catherine  de  Mcdicis. 


!f)f>  DE    LA    POESIE    LYRIQLE 

11  n'cn  a  M.  public  jusqu'A  present  qu'un  choix  fort 
inc(  mplet,  tcl  que  Ic  donne  un  autre  manuscril,  Irouve 
plus  tard  i  la  bibliothequc  publiquo  de  Grenoble ,  el 
execute  ,  i  ce  qu  il  parait ,  sous  ses  yeux  ,  par  son 
secretaire  Astcsan  ,  qui  I'avait  enrichi  d'imitations  en 
vers  latins. 

Enlre  les  meilleuves  pieces  lyriqucs  de  ce  recueil , 
nous  devons  commencer ,  comme  lout  lemoude,  par 
citer  le  rondeau  celebre ,  dit  du  Renouveau  : 

Le  Temps  a  laiss^son  manleau 
De  vent,  de  froidure  el  de  pluye, 
Et  s'est  veslu  de  broderie 
De  soleil  raiant ,  clair  et  beau. 

II  n'y  a  besle  ne  oyseau, 
Qu'en  son  jargon  ne  chante  et  crle : 
Le  Temps  a  Iaiss6  son  manleau 
De  vent,  de  frordure  el  de  pluye. 

Riviere ,  Tontaine  el  ruisseau 
Portent  en  llvr^e  jolie , 
Goules  d'argent,  d'orfavrerie; 
Chascun  s'habilledc  nouveau; 
Le  Temps  a  laiss6  son  manleau 
De  vent,  de  froidure  et  de  pluye. 

Dans  le  grand  nombre  de  ceux  qui  se  presentoraient 
pour  en  fire  rapproches  ,  nous  en  voyons  peu  d'aussi 
agreables  que  eel  autre  ou  I'.uilour  se  nioiilre  si  nai Ye- 
meni channe  dcs  perfections  de  sa  Daiue  : 

N'est-elle  de  tous  btens  garnic, 
Celle  quej'aimc  loyaumcnt? 
II  m'cst  avis,  par  mon  scrmcnt. 
Que  sa  pareille  n'a  en  vie. 


E.\    FRANCE. 

Qu'cn  dilos-vous,  je  vous  cnprie? 
Que  vous  en  semble  vrayemeiit  ? 
Nest-elle de  (ous  biens  garnie , 
Cellequej'aimc  loyaumeiit? 

Soil  quelle  danse,  chante  ou  rie, 
Ou  fasse  quclque  esbatement , 
Faictes  en  loyal  jugement , 
Sans  faveur  ousans  flalterie , 
N'est-elle  de  lous  biens  garnie  ? 


'97 


Uiic  ballade  du  plus  toucbant  effet ,  est  celle  oii , 
apres  la  mort  de  son  aniie  ,  I'auleur  se  rcpresc:i(e 
pliant  Dieu  pour  elle  ,  et  comniencant  ranuee  par  lui 
offrir  une  messe  pour  etrennes  : 


Je  me  souloye  pourpcnser 
Au  commencement  de  I'annfie, 
Quel  don  je  pourroye  donner 
A  ma  dame  la  bicn  aim^e: 
Or  sills  hors  de  ccsle  pcnsce  , 
Car  mort  I'a  niise  sous  la  lame  , 
El  I'a  hors  dc  ce  monde  ost(5e  ; 
Je  prie  a  Dicu  qu'il  en  all  I'dmc. 

Non-pourlanl  pour  loujours  gardcr 
La  coustume  qi?c  j'ai  us(^e  , 
El  pour  a  foutes  gens  monstrer 
Que  pas  n'ai  ma  dame  oubli^e , 
De  messe  je  I'ai  cstrennie  , 
Car  ce  me  sera  it  trop  de  blame 
De  I'oublier  cesle  journde; 
Je  prie  a  Dieu  qu'il  en  ait  Vhrnc. 

Tenement  lui  puist  proufilcr 

Ma  priore  ,  que  conrftrlce 

Soil  son  amc,  sans  point  tardcr , 


,q8  »E    la    PUESIE    I.YIUOVK 

El  de  srs  bien-fails  gucrduiin^c 
En  [laradis,  et  couroiinec 
Commc  la  plus  loyale  dame 
Qu'en  son  vivant  j'ayc  Irouvde; 
Je  pric  a  Dieu  qu'il  en  ait  I'Ame. 

Quanl  je  pense  a  la  renoinmtSe 
■    DCS  grant  biens  donlestoilpar(5e, 
Mon  pouvre  cueur  de  doiiil  se  pame ; 
De  lul  souvenl  est  rcgrett6e ; 
Je  piie  h  Dieu  qu'il  en  ail  I'ftnie. 

Lc  bruit  de  sa  propre  moit  faussemenl  repandu  en 
France,  duranl  sa  caplivile  ,  lui  a  fourni  le  sujet  de 
cette  autre : 

Nouvelles  ent  couru  en  France 
Par  inainis  lieux  que  j'esloye  raort, 
Dont  avoient  peu  desplaisance 
Aulcuns  qui  me  haient  a  tort ; 
Aultres  en  onl  eu  desconforl , 
Qui  m'ainient  de  loyal  voulolr  , 
Comme  mes  bens  et  vrais  amis ; 
Si  fais  a  loules  gens  savoir 
Qu'encore  est  vive  la  souris. 

Je  n'ai  eu  ne  mat  ne  grevancc , 
Dieu  merci ,  mais  suis  sain  etfort; 
Et  passe  temps  en  esperance 
Que  paix ,  qui  Irop  longuemenl  dort, 
S'esveillera  et  par  accord  , 
A  tons  fera  Hesse  avoir ; 
Pour  cede  Dieu  soient  maudits 
Ceux  qui  sont  dolents  de  v6olt 
Qu'encore  est  vive  la  souris. 

Jcunesse  sur  raoi  a  puissance , 
Mais  vieilleisc  fail  son  effort 


EN    KKAMCK.  lOO 

De  rn 'avoir  en  sa  gouvernance  , 
A  present  faillira  son  sorC , 
Je  suis  assez  loin  de  son  port , 
De  ploure  veiiil  garder  mon  hoir , 
Lou^soit  Dieu  de  paradis  , 
Qui  m'a  donnd  force  et  povoir 
Qu'encore  est  vive  la  souris. 

Nul  ne  porle  pour  moi  le  noir  , 
On  vent  meilleur  marchi^  drap  gris ; 
Or  liegne  chascun  pour  lout  voir 
Qu'encore  est  vive  la  souris. 

On  pouria  reniarquer  encore  au  besoin  ,  celle  ou  il 
se  peint.dans  sa  prison,  sous  remblcme  d\i  fruit d'hh'cr, 
que  I'on  a  mis  k  murir  sur  la  paiile  i 

Je  fus  en  fleur  ou  temps  pass6  d'enfance, 
Et  puis  apres  devins  fruit  en  jeunesse; 
Lors  m'abatlit  de  i'arbre  de  piaisance, 
Verl  et  non  meur  ,  Folic  ma  niailresse  ; 
Et  pour  ceia  ,  Raison  qui  tout  rcdresse , 
A  son  plaisir ,  sans  tort  ou  mesprison  , 
Ma  ci  bon  droit  par  sa  Ires  grant  sagesse. 
Mis  pour  meurir  ou  feurre  de  prison. 

En  ce  j'ai  fait  longue  continuance  , 
Sans  estre  mis  i  i'essor  de  largesse, 
J'ensuis  content,  et  liens  que  sans  doubtance 
C'est  pour  le  micux  ;  combicn  que  par  paresse 
Deviens  fleslry  et  lire  vers  vieillesse, 
Assez  esteint  est  en  moi  le  tison 
De  sol  dt'sir ,  puis  qu'ay  est6  en  presse 
Mis  pour  meurir  ou  feurre  de  prison. 

Dieu  nous  doint  paix ;  car  c'est  ma  destrance , 
Adunc  scrav  en  I'eauc  dc  licssc 


200  DE    LA   POiiSIE    LYRIQL'E 

Trop  refrt'sclii ,  el  au  sok-il  rlo  France 

Bipii  nelliL'  dc  moisy  tie  Irislcss^  ; 

J'allcnds  bon  tonips,  en  diiranl  en  humblesse  ; 

Carj'ai  espoirque  Dieu  ma  gu^rison 

Ordonnera ;  pour  ce  m'a  sa  baulesse 

Mis  pour  meurir ,  etc. 

Fruit  suis  d'hyver  qui  a  moins  de  fendresse 
Que  fruit  d'esl6 ;  si  suis  en  gnrnison  , 
Pour  amollir  ma  Srop  verde  duresse , 
Mis  pour  meurir  ,  etc. 

Tous  ces  niorceaux  sont,  comnie  on  voi( .  puretnent 
personnels  d'objet  et  de  caraclere  ;  il  ne  parait  pas  q>ie 
Charles  soil  souvent  sorti  hois  dece  cercle  ;  le  reiueil 
iniprinie  ne  nous  fournit  que  deux  pieces  qui  fassent 
except  ion  a  cet  egard  et  se  rapportent  franchenienl  i 
la  categorie  des  sujels  d'interet  public. 

C'est  a  savair,  en  premier  lieu  ,  la  ballade  suivante  , 
en  facon  de  priere  A  la  Ste. -Vierge,  et  va?ux  pour  le 
relablisseinent  de  la   pais  ( apparemmciit  peu  aprcs 

i44o?). 

I'ricz  pour  pais ,  doulce  vierge  Marie  , 
Roynedes  cieuh  ,  el  du  monde  maitressc, 
Faictes  prier  par  voslre  ccurloisie 
Saints  et  saintes ,  el  prerjf  z  vostre  adressc 
Vers  voslre  fils ,  rcqu(5rant  sa  hautesse 
Qui!  Ini  plaise  son  peuple  regarder. 
Que  de  son  sang  a  voulu  racheter. 
En  desbrtulant  guerre  qui  tout  desvoye  • 
De  priercs  ne  vous  veuillez  lasser  , 
Priez  pour  paix ,  le  vrai  Iresor  dc  joic. 

Pricz  ,  preiats,  et  gens  dc  saincte  vie, 
Religicux  ,  no  dormcz  en  patcsse , 


i.>  riivNci;.  201 

Priez  ,  maislres  ct  Ions  suivanis  clergie , 
Car  par  guerre  fault  que  I'^lude  cesse; 
Mousliersilcslriiits  sonl  sans  qu'on  Ics  redresse, 
Le  service  do  Dieu  vous  fault  laissier. 
Quant  ne  povez  en  repos  doniourer  , 
Priez  si  fort  que  bricfment  Dieu  vous  oye; 
L'6glise  voult  ii  re  vous  ordonner, 
Priez  pour  paix  ,  Ic  vrai  Iresor  dc  joie. 

Priez,  pcuple,  qui  souffroz  tyrannic  , 
Car  vos  seigneurs  sont  en  lelle  foiblesse, 
Qu'ils  nc  pcuvent  vous  gardcr  pour  maistrie  , 
Nc  vous  aidier  en  grant  dure  destrcsse  ; 
Loyaux  man  hands,  la  selle  si  vous  blesse. 
Fort  sur  le  dos,  chascun  vous  vicnl  pousser, 
Et  ne  povez  marchandise  niener , 
Car  vous  n'avez  seur  |»assage  nc  voyc  : 
Et  niainl  peril  vous  convicnt-il  passer, 
Priez  pour  paix,  le  vrai  (resor  dcjoie. 

Priez  galans,  joyeux  en  compagnie, 
Qui  dcspendredesirez  a  largesse  ; 
Guerre  vous  lient  la  bourse  dcsgarnie  ; 
Priez  ,  anians  ,  qui  voulez  en  liesse 
Scrvir  amour ,  car  guerre  par  rndossc 
Vous  desloiirbp  de  vos  dames  banter  , 
Qui  niainles  fois  fait  leurs  vouloirs  lourner, 
Et  quant  tcncz  Ic  bout  dc  la  couroie, 
Un  eslranger  si  vous  le  vientoster, 
Priez  pour  paix ,  etc. 

Dieu  lout  puissant  nous  vcuille  conforter 
Toutcs  chosps  ,  en  terre,  ciel  et  nicr; 
Priez  ver£  hil  que  brief  en  lout  pourvoye  ; 
En  liii  seul  csl  de  lous  ninulx  amender; 
Priez  pour  paix  ,  etc. 

C'esl  eiisuHe,et  plus  parliculieiemcnt,  celte  dorniiM-e , 


oo?  Dli    I.V    I'OESIE    LYUIQVE 


la  plus  imporlante  tic  loutes  ,  pour  le  merite  de  Toxe- 
culion  comme  pour  la  nob'osse  (hi  sujet,sur  Y Expulsion 
lies  Anglais,  et  la  Reprise  des  provinces  conqnises  (  vers 
1453,  apres  les  balailles  de  Formigny  et  de  CasUUon?]. 


Comment  vois-je  Ics  Anglais  csbahis? 
Resjoi-toi ,  franc  royaume  de  France! 
On  apercoit  que  de  Dieu  sont  hais , 
Puisqu'ilsn'ont  plus  courage  ne  puissance; 
Bien  pensoient  par  leur  ouUrecuidancc 
Toi  surmonter  et  lenir  en  servaigc , 
El  onl  tenua  tort  ton  hirilaige; 
Mais  a  present  Dieu  pour  toi  se  combat , 
Et  se  monslre  du  lout  de  ta  partie  , 
Leur  grant  orgueil  cnlierementabat, 
Et  t'a  rendu  GiQ-enne  et  Koimandif. 

Quand  Ics  Anglais  a?  pi^ca  envahi , 
Rien  n'y  valoit  Ion  sens  ne  la  vaillance ; 
Lors  estoyc  ,  ainsi  que  fut  Irahi . 
Pescheresse ,  qui ,  pour  fairc  p6nanre , 
Enclouse  fut  par  divine  ordonnance; 
Ainsi  as  lu  esl6  en  rcclusaigc, 
De  desconforl ,  et  douleur  de  coraigej 
Et  les  Anglois  menaientleur  sab?t 
En  grant  pompe,  baubanset  tyrannic, 
Or  a  tourn6  Dieu  ton  deuil  en  esbat , 
Et  t'a  rendu  Guyenne  et  Normandif. 

N'ont  pas  Anglois  souvent  leurs  rois  trahis? 
Certcs  oil ;  tons  avent  cognoissance ; 
Et  encore  le  roi  de  leur  pays 
Est  mainlenant  en  douleuse  balance; 
D'cn  parler  mal  chascun  Anglois  s'avancc; 
Assez  monslrent  par  leur  mauvais  langaige 
Que  voulontiers  lui  feraient  outraige ; 
Qui  sera  roi  enlr'eu%  est  grant  d^bat ; 


E.N    FIJANCF.  au3 

Pour  c<? ,  France ,  que  vc«i-tu  que  tc  die? 
De  sa  verge  Dicu  les  punisl  cl  bat  , 
Et  I'a  rendu ,  etc. 

Roi  dcs  Francois,  gagne  as  I'avantaige; 
Parfais  Ion  jcu,  commc  vaillant  cl  saige  ; 
Mainlcnant  I'as  plus  belle  qu'au  rabat ; 
De  Ion  bonheur ,  France ,  Dieu  remercle ; 
Fortune  en  bicn  avecques  toi  s'embat. 
El  I'a  rendu ,  elc. 

Ici   nous  devons  nous  arreter  quelques  moments , 
afin  (le  leflechir  un  pen  sur  re  que  nous  .nvons  vu. 

In  point  (lont  on  n'auia  pas  manque  d'etre  frappe 
d'abord  ,  c'est  VaJJinUe  visible  qu'offrent  entr'eux  los 
quaire  lyriquex  des  ocuvres  desquels  nous  vcnons  dVs- 
quisser  I'examen;  elle  est  telle,  que  Ton  pcut  dire  qu'ils 
ne  different  en  effet  les  uns  des  aulres  ,  que  par  une 
sorte  d'adoucissement  successif  de  nuances  ,  qu'onl  du 
naturcUement  introduire  dans  leurs  chants,  les  progres 
de  la  langue  el  ceux  de  Tart  de  la  composition  ;  il  serai t 
superflu  d'insister  sur  celle  remarque  ,  que  tout  ie 
nionde  aura  faite  avec  nous. 

Que  d'aulre  part ,  ce  nouveau  lyrique  des  XIV'.  et 
XV*".  siecles  presenle ,  ainsi  que  nous  Tavons  avance  , 
un  caractere  lout  different  de  celui  des  XII'.  et  WW., 
c'cst  encore  une  chose  fort  claire  par  elle-menie  ,  niais 
surlaquelle  il  nous  scmble  pourlant  utile  d'entrer  dans 
quelques  details. 

Nous  avons  vu  Ic  lyrique  de  la  chevalcrie  ,  renferme 
dans  Ic  cercle  etroit  des  idees  de  galantcric  et  de  dc- 
\-otion ,  i  pen  pres  egalemenl  eiranger  u  Texpression 
des  njjections  comnmncs  dc  la  nature  ,   et  ;\  celle  dci 


2o4  »E    LA    POESIE    I.YUIQIE 

grands  inlcirts  du  temps,  retoiirncr  de  toulos  Ics  farons 
pendant  plus  de  deux  cents  ans  ,  Ics  memcs  langueurs , 
Ics  memes  g^flffe's  ,  les  mvmc&Jincsses  ,  dans  leuis  Irois 
formes  invariables  de  chanson  (famour,  pastourelle  ot 
jeu  parti. 

Maintcnant ,  revolution  complete  ,  ct  dans  le  fonds 
et  dans  les  formes  : 

D'abord  la  galanierie  ne  disparait  pas  ,  mais  elle  se 
modifie  beui  cusement  dans  son  caractere  :  clle  tend  a 
rtjnlre-  dans  le  ton  des  affections  naturelles ,  et  a  de- 
pouiller  peu  ^  peu  les  couleurs  de  V adoration  factice  , 
dont  la  cbevalcrie  s'etait  evertuce  a  la  revetir. 
Elle  cesse  d'ailleurs  d'etre  exclusive. 
A  cote  d'clle  se  produit  avec  avantage  Texpression  , 
jusqii'alors  si  negligee  ,  de  loutes  les  affections  ct  de 
tous  les  interets  ;  le  poete  cniancipc  a  enfin  appris  que 
son  doraaino  n'a  plus  de  bornes;  son  choix  est  Hire,  et 
il  se  complait  dans  sa  liberie  ;  la  varicte  s'est  introduce 
dans  ses  chants  ■  les  sujcts  clcves  eux-menies  n'effraient 
plus  son  audace ,  ct  lorsqu'il  ics  a  abordes  ,  ce  n'a  pas 
etc  sans  un  certain  succes.  "''  '^'^'^  '•""'  ^""^  uonuiu 
On  a  pu  remarquor  sur  combicn  d'objels  divers  s'est 
promcnec  I'imaginalion  iVEustache  Deschamps  ;  com- 
bicn de  vcrilc  ont  mh  Froissart  et  Charles  d' Orleans 
dans  I'exprcssion  des  affections  simples  et  douces  qu'ils 
se  sont  plus  a  peindre ;  quel  degre  de  convenance  et  de 
noblesse  out  atteint  Deschamps  ,  d'abord  ,  dars  ses 
deux  ballades  ,  Sur  la  mart  de  Dnguesclin  ,  ct  Sur  la 
destruction  future  de  VAngleterrc  .  ot  surlout  Charles 
d'Orleans  encore ,  dans  son  noble  chant  de  vicloirc  sur 
le   beau    sujct   du  Triomphc  des  amies  francaises  .  au 
temps  lie  Charles  I  II, 


KN    FBANCK.  oo5 

Voila  pour  Ic  fonds  dfs  choses  j  le  chaiigeincnl  est 
immense  el  le  progres  evident. 

En  un  seiil  point  Ics  poetes  des  XIV''.  et  XV^  siecles 
sont  lesles  dans  une  des  mauvaises  praliqnes  de  Iciiis 
piedecessenrs  ,  don  I  iis  ont  meme  encore  outre  Tabus  , 
nous  voulons  dire  la  personnificalion  et  la  materialisa- 
tion des  i'trcs  nieloyhysiques ,  etc,  ;  on  en  aura  reniar- 
que  de  singuliercs  traces  dans  la  ballade  de  Charles 
d' Orleans  : 

Je  fiis  en  flcur,  etc. 

Le  recucil  de  ses  opuvres  nous  en  fournirait  au  bpsoin 
bien  d'autres  et  dc  bien  plus  etranges  cxemples  ;  c'est 
le  defaul  le  plus  habituel  de  sa  nianierc  ,  et  il  est  vrai 
de  dire  qu'ii  entache  desagreablement  le  plus  grand 
nombre  de  ses  compositions.  Entre  ses  abstractions 
favorites  ,  figurent  [)articulierement  Nature ,  Enjance, 
Jeunessc  ,  Lojaute  ,  Confort ,  Esperance ,  Liesse  ,  etc.  , 
communemenl  en  guerre  avec  Dangler,  Deuil ,  Mc- 
rencolie,  Souci ,  Desplaisance ,  etc.  ,  ot  dans  le  demele 
desqucls  il  intervienl  souvent ,  ou  par  lui-meme  ,  ou 
par  les  actes  distincfs  et  quelqucfoissimultanesct  con- 
traires ,  de  son  Pcnser  et  de  son  Cceur. 

Cetle  personniGcation  de  son  Cceur  surtout ,  est  une 
de  celles  qu'il  affectionne  de  preference,  el  sur  laquolle 
il  revient  cent  fois  ,  ef  de  cent  facons  pins  ou  moins 
bizarres  : 

II  va  Iroui'cr  son  Coeur  pour  lui  chercber  querelle  ; 
son  Cceur  lui  lit  un  ronian  de  Plaisant  Penser ;  il  dressr 
son  Coeur  a  la  cliasse  h  Voiseau  .  pour  Vern'oycr  volcr 
apres  mainte pensee ;  Nonchaloir  vient  (rrncliappmuHtef 


■>oU  UK    L\    I'OKSll'.    I.\Klolli 

AOM  C(riir  ,  atin  qu'il  no  volo  phis  ;  la /o/vp'vwr  r/c  «"/ 
f.'<r;/A'  ,  iissiegee  de  Dandier  et  Tristessc  .  vicnl  il\Mre 
ravitaillee  de  vAvw  r/c  //o«  espoir ;  son  Cceitr  s'esi  rendu 
ht'imite  en  rhennitagc  de  pensee ;  xon  Cceur ,  roloim 
par  Dangier  an  pur^nloire  de  Tristrsse .  cnliPia  le  dei"- 
nior  ail  parntlis  (Us  anioiireux  ,  etc.  ,  etc. 

La  tnatcrifilixaiioti  .  roninie  on  le  voit  d'avance  ,  a 
sa  bonne  pari  dans  loiil  cela  ,  el  Pa  onrichi  de  nuances 
tpii  ne  sonl  pas  les  moins  singiili^res  ;  on  aura  remar- 
ipi^  les  I'ivrrs  ile  hoii  c.^/'d/r,  I'hermilagp  de.  pensve  ,  etc. 
1^0  poete  se  |>resenle  ailleiiis  :  cheniintint  duns  Infarct 
tl'inuuiyciifc  Iristessc.  dorriinnt  siir  le  lit  do.  dure  pcnsee  , 
niellanl  siir  son  cceur  un  cmpldlre  dc  nnnclinloir ,  etc. 
11  esl  des  pieces  en  palinialhias  coniplcxe  ,  qu'il  s'esI 
express^menl  applicpie  a  remplir  ,  aussi  exclusiveinent 
qu'il  I'a  pu  ,  de  traits  accumules  de  celle  espece. 
Ainsi ;  Qiiand  le  dotix  soleil  de  la  bcniite  de  sa  dame, 

biillera  par  les/t'//(V/<'5  dc  m's  ycitx  ,  la  chnmbre  de  sa 
pensi'e  reluiru  de  grande  plaisance  ,  el  sera  pa^-ee  de 
joic,  elc. 

Ainsi  :  II  conserve  le  coeur  de  sa  Dame  enveloppe  en 

un  comrcchef  de  plaisance  ,  au  cojf're  de  souvenance  , 

lave  aux  lannes  de  depiteux  penser ,  puis  secb6  au  /eii 

d' espvrance  ,  etc. 

Ainsi    (apres  la  mort   de  cettc  meme  Dame)>  i'  '* 

( t'lebre  les  obseques  de  son  amie  an  monlier  ar/ioiuriix; 

Penser  douloureux  cbantail  le  service;  cierges  de  soupirs 

pileux  formaienl  son  lumiixiire ;  il  a  fail  (aire  sa  tond>e 

de  regrets  peints  de  larmcs  ,  elc.  ,  elc. 

Au  milieu  de  ces  iuvenlions  d'allc^gorie  pure  ,  dans 

ctirtaines  couipiLsitiuns   coiumenccnt    aussi   u   poimhe 


£>•    FRANCE. 


W] 


tout  (loucement  quelqiies  idees  de  Mythologie  com- 
mune :  Forlune  y  figure  ,  avec  ou  sans  sa  rone  ;  le  Dicu 
iV/4f/ioicrs  s'y  montic  ,  accompagnc  de  sn  mere,  et  I'un 
eiraulre  sous  leurs  noms  et  leurs //V/es  connus ;  tout 
ccla  s'y  mele  parfois  d'une  fa^on  fort  singuliere  , 
comma  on  pourra  le  remarqucr  surtout  dans  le  pro- 
logue (non  lyrique)  du  livre  ,  contenant ,  apres  long 
debat ,  letlre  de  relemte  (ou  engagement) ,  de  I'autenr  , 
donnee  au  noni  de  Finns  et  de  Ciipidon,  par  Bonnefoi, 
leur  chef- secretaire  en  la  cil6  de  Gracieux  desir ,  sous 
le  sceau  A' Amour  ,  appose  par  Loyaute  ,  a  la  date  du 
jour  de  St.-Falentin  ,  martjT  !..  etc.  (i). 

Quant  i  ce  qui  ticnf  a  la  forme,  on  a  vu  cequi  en  est: 

Celle  du  lyrique  de  ccltc  epoque  se  distingue  habi- 
tuellenient  par  I'usage  de  certains  grands  refrains  de 
vers  entiers,  que  le  sens  ramene,  a  plusicurs  fois  ,  dans 
des  points  determines  du  chant ,  dont  ils  semblent  ainsi 
jalonner  symetriquement  toute  la  distribution. 

Le  procede  varie  ,  dans  son  application  a  chaque 
espece  de  composition  ,  et  ce  sonl  ces  variations 
memes  ,  qui  en  detcrminent  la  denomination  et  le  ca- 
ractere. 

Dans  la  ballade  commune  ,  c'est  le  dernier  vers  du 
premier  couplet  ,  qui  doit  revenir  ,  conime  refrain  ,  i 
la  fin  de  chacun  des  autres  couplets. 

(1)  Des  traits  Equivalents  sc  rcinarqucraienl  au  besoin  dans 
quelques  compositions  narratives  de  Froixsart;  —  on  a  vu  East. 
iJeschainps  invoquer  Orphee ,  Mreihnse  el  /ilphee ,  dans  line 
eomplainle;  —  Machnu  a  parld  des  amours  drs  dieur  rt  ties 
de'esses;  —  et  avanl  eux  tous  ,  d^ja  I'anleiirdu  roman  df  tu  rnsf, 
n'avail  pas  laiss^  de  mf'Ier  la  Parqtie  A/topos ,  !t\i\  per.snnn.-igos 
d'allrgorie  pure,  dont  ill'a  d'aillriirs  cxcl'isivcmciil  rrrnpli. 


2()8  DK    I.A    I'OKsIE    LYlllyL'K 

Dans  le  rondeau  et  le  triolet ,  ce  sont  los  deux  vors 
<]»  commencement,  qui,  lamenes  deux  autres  fois,  en- 
semble ou  seul  a  seul ,  dans  la  composition,  doivent  y 
occuper  au  moins  cinq  places  ,  dans  une  conibinaison 
qui  rarenvent  excede  I'etendue  de  trois  quatrains  ,  et 
quelquefois  uVh  contient  que  deux. 

L'arlifice ijarliculier  du  vuelay conshie dans  le retour 
tVun  rouplci  (le  debut ,  qui ,  distinct  de  tons  Ics  autres  , 
doitTevcnir  ,  cemme  refrain  natuiel,  ^  la  fin  de  chacun 
jde  ces  dernieis. 

Toutes  ces  combinaisons  sont  d'un  offet  ingenieux 
tt  agreable  ,  lorsque  le  refrain  a  cl«  bien  choisi ,  et 
qu'il  s'y  Irouve  bien  ran>cne  ,  c'est-A-dire  quand  le 
poele  a  rempli  cett«  double  condition  ,  d'y  renfermor 
Ja  pensee  principale  -et  ie  sentiment  dominant  do  la 
piece  ,  et  d'en  faire  contrae  un  centre ,  auquel  viennent 
se  rapporter  d'^iux-memes  les  autres  derails  qu'il  a  di\ 
y  assortif . 

Cei>endan't  c'«st  en  general  un  moyen  de  genlillesse 
et  de  gracieus^te  ,  plulot  que  de  beatilc  solide  et  n'elle ; 
le  prooede  offre  en  lui-mome  un  caractere  d'artifice 
par  trop  palpable  ,  surtout  dans  Tabus  que  ne  pouvaicnt 
manquer  d'en  faire  I'indiscretion  ,  la  niediocrite  et  le 
niauvais  gout ;  telles  de  ces  formes  de  composition  ne 
laissaient  pas  assez  d'espace  au  developpement  nalurel 
du  sujet  J  toutes  excluaient  trop  neccssairement  tout 
mouvement  de  grand  contraste  ,  d'objots  ou  de  senti- 
ments opposes  ,  etc.  Ces  reflexions  soul  venues  en  leur 
temps  ;  il  est  tout  simple  que  peisonne  ne  se  soit  avise 
de  les  faire  alors. 

On  a  demande  d'oii  nous  venaient  ces  formes  de 


pitccs  a  refrains  J  el  quel  est  celui  de  uoi  \ieax  poeles 
«jui  le  premier  avail  Irouve  le  secret  de  ces  mignardises . 
Oiie)qucs-uns  ont  nonime  Froissarl ,  comme  ayant  pu 
en  invenler ,  ou  peut-etre  seulenienl  en  inlroduire 
parnii  nous  les  premiers  types  ,  emprunles  d'ailleurs. 
Tout  cela  est  fort  ine:sact;  Froissarl  n'a  rien  invcnte  ni 
introduit ,  en  ce  genre  ,  puisqiie  ,  comme  nous  Tavons 
vu  ,  avant  lui  ,  Ensiacke  Deschamps  ,  et  nirmc  aussi 
Guillaume  de  Machaii ,  ont  fait  des  compositions  tout- 
i-fait  semblables ;  11  est  bien  clair  d'ailleurs  ,  que  si 
Vusage  etla  vogue  sont  de  ce  temps  ,  tiiwenlion  elle- 
meme  n'en  est  point  ,  ei  remonte  k  une  epjxpm  plus 
ancienno  ;  il  existe  une  iLanson  de  Thibaui  (i  a',  de  son 
recueil ,)  dont  cbaque  couplet  tinit  par.  te  refrain  de 
<leux  vers  : 


tt-Nus  nepuet-iro|>.aclMi(er' 

«  Les^/I)k'i>s  q.ij'Aiiiour  scel^onner.  « 

Peul-on  dire  de- bonne  foi  que  cola  ditTere  vraiment 
d'une  ballade?  Le  rondeau  el  le  IrioleL  e.rx-memes,  les 
plus  compliqueesde  ces  foi-mes  ,  teibs  dans  lesquelles 
sembbMit  s'en  rcsnmer  .  dans  le.  plus  eiroit  espace 
doune  ,  tontes  Ics  di(1uuU(is  el  lout  Fartifice  ,  ne  sent 
]>as  non  plus ,  quelquc  ihf:>sc  de  nouveau  ,  ni  d'inconnu, 
comme  on  lecroirail.,  a  la  pratique  (!os  Ages  prece- 
dents ;  il  exisle  plusieurs  couplels  de  ( liansons  en  forme 
de  triolets  dans  plusieurs  romaus  bleu  connus  du  XUb 
siecle  ;  on  en  cite  parliculieremenl  cet  exenqtle  ,  pris 
du  roman  des  Amours  dii  cliatelain dc  Coucy.  ecril  veis 
I'an   i??8;  t'esi  un  cou|ilet  que  la  dame  du  Fayel  y 


2IO  DE   LA  POiSlK    LYUIQUE 

chante  k  table  ,  et  que  toulc  la  compagnie  lepcle  en 
cbceur  : 


J'aim'  bicn  loyaumenl , 
Et  s'ai  bcl  amy , 
Pour  qui  dy  souvent : 
J'aim'  bicn  loyaument. 

Est  miens  ligement, 
Jc  le  say  de  fi ; 
J'aim'  Lien  loyaument, 
Et  s'ai  bel  amy. 


Nous  demandons  encore  quel  cheniin  reel  il  y  avail 
A  faire  pour  arrivcr  de  la  d^uwicux  rondeaux  AeFrois' 
sari ,  de  Deschamps  et  de  Machaii  ? 

On  a  dit  queles  poetes  du  XIV'<^.  siede  avaienl  fait 
revolution  dans  I'art,  en  separant  la  poesie  de  la  niu- 
sique  ,  et  en  cultivant  la  composition  lyrique  indepen- 
daniment  de  sa  destination  pour  le  cbaiit ;  I'asscrlion 
parait  ^-Ire  exacte  en  elle-mome  ;  niais  i  comniencer 
d'ou  7  c'ost  ce  qui  ne  s'aperroit  pas  distinetement  j  le 
changement  sur  cc  point  semble  s'etre  introduit  par 
degres  ,  et  d'une  nianiere  h  pen  pres  insensible  j  il  est 
certain  du  nioins  ,  que  Ulachau  a  ele  grand  musicien  , 
et  qu'il  a  note  lui-mcine  les  airs  d'un  bon  nombre  de 
ses  compositions  ;  que  Deschamps  parle  partout  de  la 
nnusique  en  bomnie  qui  s'en  est  occupe,  et  qui  comprend 
I'alliance  naturelle  de  cet  art  avec  relui  de  la  poesie  j 
que  Froissari  nous  dit  positivement  de  quelques-iuis 
de  ses  virelais  ,  en  quelle  circonstance  particuliere  ils 
furent  chante s ,  etc.  D'un  autre  cAle  ,  nous  ne  voyons 
pas  que  ni  Deschamps  ,  ni  Fioissart ,  se  soient  donnes 


L>     K«A>CJi.  3  1  r 

eiix-nii'iiies,  ou  nous  soient  cloiines  par  persoime,  i>our 
(les  iiuisiciens  coni[)osi(eiirs  d'airs  ;  C/u/rlcs  (t'Orlraiis 
ne  se  produit  pas  avec  dos  droils  plus  appaients  A  t« 
tide;  ct  nil  grand  nonibtc  des  productions  de  sa  longuo 
«aptivil(i ,  ne  se  presentenl  qu'avec  Ic  caraclere  de 
n\eries  rimees  ,  boutailcs  d'un  moment  ,  c^trangores  i 
toiile  destinalion  de  chant ,  etc. ;  en  sorte  (pic  la  ques- 
tion reste  vraimenl  envelo|)pee  de  quelque  obscuriti';. 
Cequ'il  j  a  de  parfaitemejit  clair  en  ce  snjet,  c'esi  qu(! 
les compositions  nouvelles  ,.virelaU  ,  ballades  ,  iiioleis 
cl  vieitx  rorifleaiix ,  n'onl  ele  dans  l\>rigin.>  ,  (pie  des 
chansons  de  fonnesparliculieres,  distinguees  (oul  siui- 
pleineiil  enlr'elles  par  d<^s  noms  tires  de  queUpics 
( irconslances  ttcccssoires  (!y  leurs  nic^des^  d  evt'culioii  , 
iliinses  ,  lours .  viiv/iient.s  ,  nuidus ,  etc.  ,  etc. ,  el  que  ki 
plus  lard  il  en  a  ete  fait  aniiHi  cLose  ,  </a  ett^  abusi>e- 
nienl  el  en  meconnaissant  Tobjet  primitif  de  leur  des- 
tinalion. 

All  tenqjs  de  Muchait-  et  de  ses  hois  siiccesseurs, 
(UMirirenl  aussi  uiie  ioiile  (rauti  e^  poctes  donl  quelques- 
nns,  sansalteindreaunn'inedegre  de  inerile,  ne  laissenl 
pas  de  s'(';lre  dislingucs-par  des  siicces^  plus^  ou  nioiiis 
li  )norab!es. 

De  ce  nonibre  durenl  cire  d'afrord  : 

l.a  jeune  princesse  J^ini-s  de  Navarre  ,  fenune  (1b 
(  aslon  Pliubus  ,  aniie  on  proleclrice  t\v.  Guillauine  de 
Macliau  ,  donl  ce  dernier  ,  coinme  on  la  vu  ,  nouD  a 
« ons  rve  (pielipies  compositions  choisics; 

Un  certain  6'u/Nt7',  mentionn^  aM'c  I'logepar  /•.'ttiiai/m 
DcAc/ta/iips  ; 

{''enccslas,  diu'  de  Brchant,  donl  les  aMures  l^riqius 


217.  DE   LA   POESIE    LVKlQi;E 

furcnt  rasscmblees  par  Froissart .  dans  uii  iccccil  de 
loinu'  ronianesque ,  quecelui-ci  donna  sous  le  litre  de 
ISliliador ; 

Et  Chrisihie  de  Pisan,  venitienne  de  naissance  ,  fille 
d'un  aslronome  de  Charles  V  ^  veuve  de  bonne  heure 
d'un  noiaire  secretaire  de  ce  monarque  ,  etc. 

Apres  ceux-ci  ,  an  temps  de  Char/ei  d'Orleans  sur- 
lout ,  la  foule  devicnt  telle  ,  que  ce  serait  un  vrai  ca- 
talogue A  en  dresser. 

Dans  lout  cela  nous  remarquernns  de  preference , 
nialgre  la  diffusion  molle  et  conmnnic  du  style  ,  mais 
parliculierement  a  cause  de  son  objel  ,  la  ballade  sui- 
vanle,  sur  la  deposition  du  roi  d'Angtclerrc,  Richard  J], 
el  I'usurpation  de  Henri  de  Lancastrc  ,  a?uvre  d'un 
genlilhonune  francais  ( les  manusc.  its  le  nomment 
Creon  ) ,  qui  se  dit  lemoin  oculaire  dcs  fails  ,  et  parait 
avoir  etc  attacbe  au  service  personnel  du  prince  dechu. 
On  sail  que  Fcvenement  est  de  I'an  1 399 ,  epoque  de  la 
vieillcsse  de  Fvoissart  ,  et  de  I'enfauce  de  Charles 
d'Orleaiis  : 

Otoi,  Henri,  qui  asengouvcrnance, 

Pour  Ic  present ,  la  terre  ct  !e  pays 

Du  roi  Richard ,  qui  ol  tanl  de  puissance, 

Lequel  lu  as  liors  boul6  et  d^mij , 

El  tous  ses  biens  approprit-s  et  mis , 

A  loi ,  qui  es  niiroucr  de  Iraliisons; 

Or  ctiascun  sect  qu'oncqurs  mais  trahis  tioms 

Si  faulcement  ne  fnt ,  comme  tu  q9 

Trahi  ton  roi ;  t6|pr  ne  ic  pcux  pas ; 

Jugier  I'as  fait  par  jugeiiient  infanie  ; 

Tu  en  perdras  en  la  tin  corps  ct  aine. 

Car  faulcement ,  sans  mandcr  defiance  , 


En  larrocin  ,  toi  cstaiit  forbtimiis, 

Lui  ns  cmbk^  sa  Icrrc  ;  grand  vaillance 

IS'c'sl  pas  ;'i  toi ,  (Cilt's  ce  m'cst  advis ; 

Vu  (lu'il  cslait  liors  sur  scs  eiinemis. 

En  Irelaridc  ,  mi  inaiiilsdnrs  liorions 

Uccut  il'lrhiis  ,  ([iii  sonl  tiers  roiiime  flons; 

Ton  filsaisiio  y  lit  thevalicr.  Ins! 

I.e  guenedon  a  lul  lendre  ouljHas  : 

C'cst  grant  pt'cliiiJ;  touHe  niondc  t'en  blAme; 

Tu  en  [icrdras  en  la  fin  corps  ci  ^e. 

Car  <i  ly  n'as  lenu  foi  H'alliance , 
Coninie  jure  I'avoies  et  promis^ 
Quant  fainferncnt  ct  en  norn  d'assurance, 
ISorihuinbeii/ind  par  toi  lui  fus  Iramis, 
En  proleslant  snr  le  corps  Dieu  qu'amis- 
Tu  lul  serois,  el  que  c'estoil  raisons  ; 
Ainsi  le  roi ,  ains  qu'il  fust  en  salsons, 
De  scs  chasteaux  vuidaet  hant  el  bas. 
Vers  tois'cn  vint,  'rcs-humblcment,  h(^lasr 
Honlcusenient  rcruineiias  a  dilTanie;. 
Tu  en  pcrdras  eii  la  fin  corps  et  iinc. 

Princes  et  rois,  chevaliers  ct  barons, 

Francois,  Flamunds  ,  AUemands  vl  Bretons  , 

Devroient  courre  sur  to!  plus  ([uc  le  pas;  ' 

Car  lu  as  fait  Ic  plus  horrible  cas 

Qu'oncques  fislhonis;.c'est  pour  toi  laide  fame; 

Tu  en  pcrdras  ca  la  fin  corps  et  tme. 


[y.Biich.,  Chroniq.  de  Froissart,  t.  i4,  app.  ad  oalc, 
La  piece  fait  partie  d'lin  poenie  navratif  sur  le  incme 
bujet. ) 

Un  pen  plus  tare!  ,  sous  le  noni  d'nn  sieur  de  Garen- 
ricres  .  qu'on  dil  avoir  ele  ^//u' ,  ct  qui  ful  |)eul-('lre 
plus  rev'llonient  cimUe.  julotix  dc  Charles  d' Orleans  , 


21 4  !>»'  lA  rutsii;  i.viiKjiK 

nous  (rotivons  cello  anlrc  piece,  einprciiite  d'lmc  in- 
lonlion  toiile  visible  de  sali.c  peisoiinollc ,  doiil  inm;* 
no  pouvoiis  (|ue  sowpconiier  I'objct  ,  el  leruarquabU! 
s'utoiil  par  la  pbysionomie  etrange  do  sou  Cnpulon. 
bon  honiiiK' ,  blesse  sans  le  savoir  ,  dans  les  droits  d« 
sa  seigneiirie  ,  el  qui  a  bosoin  d'en  clre  aveili  par  lui 
mcneatrel ;  la  forme  est  celle  d'uiie  suppU(jiie  i  ce  Dieir. 

Ciijiiilo,  Dieu  dcs  ninourciii , 
Prince  di' joyousc  plyisaiicc  , 
Mdi,  C'lrtitif  ierf  .  (iPS-soisni'UX 
I)r  vous  sorvir  dp  ma  puissance, 
>'icns  vers  voiis  en  oliOissamc, 
Pour  voiis  luunbli?ni(Mil  rc(iucrir 
Que  VOIIS  vciiilicz  falrc  punir 
I'ji  honime  de  niaiivaisc  vie, 
Qui  coulre  raison  veiill  lenir 
Le  droit  de  vostre  seigrieurie. 

CVsl  un  enfant  nialieicux  , 

Ou  nnl  ne  rtrnl  avoir  fiance  , 

Car  il  cii  a  ja  plus  dc  lienx 

D6ceus  an  pays  de  Kran -f* , 

Donl  vou,s  deussic/,  prendre  vengeance, 

Pout  {'aire  les  aullrcs  crf^mlr ; 

C'est  te  prinvode  bien  nicnlir, 

Aisni^  IVcre  dejoiigleric. 

Qui  rouire  raison  vcult  tenir 

Le  droit  de  vostre  seigneurie. 

Ontpics  l.nn'fti  !'or(j;ueiileux 
Nc  list  si  ^rant  oiiUreciiidancc , 
Quant  il  eiuprist  d'eslrc  euvieux 
Sur  le  Dieu  de  toute-puissance : 
II  ni  •  seuible  que  par  sentence 
Vous  ledeussiez  faire  tiannir 
De  vostre  court ,  sans  rcvcnir. 


1>    I'l'.A.NCE.  21  5 

I.iii  c(  sa  faulcc  compngnic  , 
Qui  lonlre  raison  voull  Icnir 
J.e  droit  de  vostre  scigiieurie. 

Prince,  s'on  doit  avoir  vaillancc , 

Pour  mentir  a  Rranl  abondauce , 

El  pour  faulcciL'  iiiiiinleiiir  , 

Vous  vcrrcz  icelui  venir 

A  grant  lionncur,  n'en  doutez  mie, 

Qui  cotilre  raison  veuK  tcuir 

Le  droit  de  vostre  seigneurie. 

Maintenant  nous  reprcnoiis  la  suite  des  faits  ,  au 
point  ou  no'js  avons  crti  devoir  en  suspendre  Ic  retit  , 
el  nous  renionlons  ct  Alain  Ckarlier. 

Alain  Cluirtieriut  Normand,  et  originaiicde  Baymx, 
Oil  il  dut  naitre  en  i38(i. 

II  fleurit  ,  coinnie  Charles  d'Orleans  ,  sousles  rois 
Charles  VI  et  Charles  FJl,  dont  il  fut  clerc  secretaire, 
et  mourut  en  i449- 

Alain  ne  se  presonle  ici  qu'apres  Charles  d'Orleans, 
parce  que,  quoique  son  ainc,  d'enviion  cinq  ans,  il  s'esl 
ecarte,  plus  que  lui,  des  types  de  composition  lyrique 
consacies  par  la  pratique  babiluelle  de  leuis  trois  der- 
niers  predecesseurs. 

Alain  Ciiartier  passa  pour  la  mervrille  de  sonsiccle ; 
SOS  conteniporains  lui  ont  prodigue  les  litres  CC excel- 
lent orateur  ,  noble  pocte  ,  tr'cs-renoiiiine  rheloricien  , 
jK-re  de  V eloquence  jrancaisc,  etc.  II  y  a  beaucoup  A 
raballredes  elog  s  el  de  Tudmiration  unanimes  dont 
ii  semble  qn'on  eut  pris  alors  i  tAche  de  Tenivrer. 

Ses  ouvrages  ont  ete  inqirimes  plusieurs  fois  ,  en- 
semble ou  scparement ;  on  cite  cnnimo  la  plus  complete 
line  edition  in-4".  dv:  Duchesne  ,  en  1G17. 


2   6  1)E    LA   I'OliSlli    LVUIQI'R 

Ce  (iii'il  e\istc  de  lyri(i!ic  dans  les  ocuvies  A'AUiin 
Chariier,  pout  se  rappoitcr  i  deux  sorles  de  composi- 
tions diverses ,  savoir  : 

1°.  Plcies  lyriqnes  detacbees  ; 

2°.  Morccaux  lyriqnes  formant  ornement  ^pisodiqne 
dans  unc  composilion  d'un  an  Ire  genre. 

La  categorie  dis  pieces  delacbees  se  compose  parli- 
culierenient  de  ballades ,  coinpIainCes  et  rondeaux ,  de 
nalnie  el  de  formes  diverse*. 

Les  morceaux  d'ornemenl  episodiqne  sont  etrangcrs 
a  to'jte  fornre  de  combinaisons  i  ernes  ,  et  marchent  en 
jtleine  libcrte  ,  sans  en  elablir  ancnn  type  nonvean. 

Ence  qui  estd'abord  AQ\Aballad€  commune,  on  pent 
dire (juVZ/om  I'a  IraiteeA  pen prcs  comme tout le  monde, 
exceple  tonlcfois,  que  prenant  souvent  de  preference 
poiu'  si:jct  un  texle  dephilowphie  morale  A  developpcr, 
comme  par  cliapitres  ,  dans  une  serie  de  ballades  snc- 
cossives,  il  s'esl  par  1;\  mcnie  jde  da-ns  nn  double  [leril 
(hi  'ivideur  et  do /nonolciiie  ,  dont  a«  fait  il  n'a  [las  su 
triomjiber. 

Cos  defautsnoussemblentdq)areren  general  scssix 
ballades  du  Regime  de  Fortune  ,  entre  lesquelles  pour- 
lant  nous  croyons  encore  devoir  prendre  les  exemples 
de  ce  qu'il  pent  avoir  fait  de  mieux  en  ce  genre  de 
composition  t 

B\LLA»E   DU   RKGIME    W:    FORTCNE  ,   N".    3. 

Les  biens  mondains,  les  honncursellcs  gloircs, 
Qu'on  aime  taiil ,  rlesirp  ,  prie  el  loue  , 
Ne  sonl  qu'abusrt  ctioscs  Iransiloircs  , 
IMutol  passant.  (]mo  1p  vol  d'unc  aloue. 


K\    FRANCK.  217 

Fortune  en  lienl  le  coniple  en  son  cscroue, 
Et  les  depart  u  I'un  plus ,  I'autrc  moins; 
Et  puis  leur  toll  ct  oste  hors  des  mains ; 
pt  pour  CO  dy  ,  el  sur  cela  me  fonde , 
A  tous  propos  que  dc  soirs  ct  d?  mains : 
Co  n'csl  que  vent  de  la  gloirc  du  monde. 

Fortune  done  assicden  hauls  pn?toires 
Et  Ics  iU've  au  plus  haul  de  sa  roue , 
Tous  eeux  qui  ont  lu>nneurs  et  terrilolres. 
El  puis  les  fieri  desa  paume  en  lajoue, 
Et  du  sommet  les  abat  en  la  boue , 
Par  quo!  ilssont  dc  pauvrel6  atleints; 
Dont  (juand  on  est  de  ces  sieges  hautains 
Mis  en  la  chartre  oil  pauvretd  redonde, 
A  jugcmen(s  faire  vraiscl  certains, 
Ce  n'est  que  ventdc  la  gloire  du  monde. 

Trop  bien  appcrl  par  anciens  bisloires 
Qui  les  escripis  d^vcloppe  ct  diHioue, 
Quedonne  assez  Iriomphcs  el  vi<'loires  , 
A  qui  liii  plaisl ,  ainsqtic  Ic  pas  Icur  clone, 
Mais  en  la  fin  leur  appoinle  aulcls  bains 
Quelle  jadis  appoiutaagcnis  mainls; 
Pour  lanl  cstfol  qui  sc  plonf^e  en  son  onde; 
Car  par  ses  fails  mal  surs  cl  incertains 
Ce  n'csl  que  vent  de  la  gloire  du  monde. 

Forlune  a  bicns  muablcs  cl  soudains  , 
Et  plus  cscorche  asscz  qu'elle  nc  tondc; 
Prise  qui  veul  biens  cl  honneurs  mondnins  , 
Ce  n'est  que  vent  dc  la  gloire  du  monde. 

AtlTRR  ,    Mf;ME   SCJET  ,   !^°.   C. 

O  fols  des  fols !  et  Ics  fols  morf els  hommcj , 
Qui  vous  fiez  lant  da  biens  de  Fortune  ! 
En  ccsle  Icrre  ,  cs  pays  oil  nous  ^ommes , 


2iy  DE    I.A    I'OESIE    I.YRIQVE 

Y  avpz  vous  de  chose  proprc  .luciinc? 
Vous  n'y  avez  chose  voslre  ncsune  , 
Fors  les  beaux  dons  de  grace  et  dc  nature ; 
Se  Fortune  done  par  cas  d'adventiire  , 
Vous  toult  les  biens  quo  vostres  vous  tenez , 
Tort  ne  vous  fait,  ainfois  vous  fail  droilure  ; 
Car  vous  n'aviez  ricn  quand  vous  Tustes  n6j. 

Ne  laissez  plus  de  dormir  ji  grands  sommes. 
En  vostre  lit,  par  null  obscure  ct  brune. 
Pour  acquesler  scs  richesses  a  grands  sommes; 
Ne  convoilcz  chose  dessous  la  lune, 
Nc  dc  Paris  jusques  a  Pampclune  , 
Forsce  qu'il  faut  sans  plus  a  crc^-ature, 
Pour  rccouvrer  sa  simple  nourrilure; 
SufTise  vous  dV'tre  bien  renomm6s  , 
Et  d'emportcr  bon  los  en  sepulture , 
Car  vous  n'aviez  ricn  quand  vous  fusles  nis. 

Les  joyeux  fruits  des  arbres  ct  les  pommes , 
Au  temps  que  fut  toute  chose  commune, 
Le  beau  mid  ,  les  glandcs  dies  gommes 
SoufTirent  bien  A  chascun  et  chascune  ; 
Et  pour  cc  fut  sans  noise  et  sans  rancune  ; 
Soycz  contents  des  chauds  et  des  froidures  , 
Et  me  prcnez  Forlime  douce  et  sure ; 
Pour  vos  pertcs  griefve  deuil  ne  menez  , 
Fors  a  saison ,  a  point  eta  mesure , 
Car  vous  n'aviez  rien  quand  vous  fustes  nis. 

Se  Fortune  vous  fait  aucune  injure  , 
C'est  deson  droit;  ja  ne  Ten  reprcnez; 
El  pcrdissiez  jusques  a  la  vesture, 
Car  vous  n'aviez  rien  quand  vous  fustes  n^s. 

Sons  le  meme  litre  de  Ballade,  mais  dans  uiic  forme 
loute  dif'ferenle  des  types  que  nous  on  avons  renronties 


1;N     FitA.NC.K.  '2I<) 

jiisqiri('i,/^/m'n  nous  fournit  un  long  fit  curieuxmorceau 
«rinvptiive  nalionale  contie  Ics  Anglais  violatcurs  dos 
trrs'cs  ,  A  Toccasion  do  la  stn-prisc  de  Fougrre.i ,  signal 
«lu  penouvellemcnt  dpshoslililes  en  i449-  La  jnece  n'a 
])a9  nioins  dc  pi  rou|»lels  (  do  chacun  sojtt  vers  ) ,  tons 
saiu  nfrains  ,  ( oux-ri  elanl  romplarcs  par  un  piwcrl/e 
linal  ,  different  dans  chaque  couplet.  Voici  le  tcxte  : 

BALLADE   DE   FOrGERES! 

Angliiis,  Anglais,  chasticz  vous 
I)c  I'un  promeltro  cl  I'autro  faire, 
Qui  la  trcvc  avez  roinmc  fols , 
Rompii ,  ponr  Fougiere  forfaire  ; 
Mais  David  piia  Dieu  difaire 
Cenx  qui  veulcnt  guerre  ct  non  paix; 
L'on  doit  jugier  selon  les  (aids. 

II  n'ost  point  dc  plus  juste  loi , 

Que  quand  nulcuns ,  sc  Dion  ine  gard' , 

Qui  ont  iis^  de  male  foi , 

Sonl  punis  par  leur  riiauvais  art ; 

Vous  avez  jelt6  un  hazard 

Dont  voire  bouche  est  di^perie  : 

Aux  trompcurs  vienl  la  Iromperie. 

Mieulx  vous  fust  avoir  allendu 
Que  la  Ueve  cut  (5le  passec  ; 
Que  Fougiere  eueilii,  tendu  , 
Et  avoir  voire  foi  fas«t^c, 
Pour  richesse  avoir ainass(?e 
Doiit  le  rcproclic  sur  vous  maint : 
Qui  trop  einbrasse  ,  peu  oslrPint. 

Quant  ceulx  parlirent  de  flntien  , 
Qu'envoyastes  ii  I'entrcprisc, 


2?.j  Die    LA    PoiiSlK    I.YIUQUK 

Voiis  no  cuidiez  pas  mcsowen 
En  soulTrir  ne  marque ,  nc  prise , 
Et  puis  los  aycT  par  fainlise  , 
D^sadvoups ,  lout  en  appert : 
Mai  se  musse  a  qui  le  cul  pert- 

S'aultre  gent  que  vous  fait  I'avoient, 
Chascun  s'en  debvroit  eshahir , 
Mais  ceux  qui  rousUimiers  vous  voient 
D'cssayor  a  cliascun  tialiir, 
Sont  provoqu(?s  a  vous  hair, 
Et  prier  Diou  qu'il  vous  punisse  : 
Sapiences!  vainc  malice. 

Les  Francais  n'autres  Icurs  voisins 
Ne  font  point  lelles  niiilifiques; 
Nc  font  mesmes  les  Sarrasins , 
Contre  leins serments  authentiques, 
Ef  poiir  ce  les  gens  hi^retiques 
Rt^duils  si  porlent  deux  fanons  : 
Traistrcs  et  faux  sont  mauvais  noms. 

A  Dien  el  aux  gens  ddlcslable 
Est  menterie  et  Irahison; 
Pour  re  ,  n'esi  point  mis  a  la  table 
Des  preux,  I'image  dc  JnS'/H  , 
Qui ,  pour  emporter  la  toison 
De  Colchos,  veut  se  parjurer: 
Larrecin  ne  se  peut  c61er. 

On  dil  souvent  que  trop  grand  aise 
Si  est  trop  forth  cndurer, 
Et  pour  ,  avant  que  jc  mc  laisC , 
Le  veuil  contre  vous  murmurer; 
Toujours  vous  voulez  fourvoyer 
Faisant  cc  qu'oncques  preux  ne  fist; 
Tant  gralte  chievre  que  mal  gist. 

Quant  la  treve  k  vostre  requeste 
Fut  oltroyt-e  el  confirnitV  ; 


J 


E.X    FRANCE.  aa  t 

Vous  en  faisicz  de  paix  la  feste , 
Pour  cuidcr  mniprc  vosire  arm(5c; 
Vous  oustes  trcs  male  pemic  , 
Fougiercf  avcz  priiis  en  (ournc  : 
II  nest  chance  qui  ne  rplourne. 

En  rompant  la  commune  Ireve, 
Sur  voire  fiance  et  cnseigne, 
h'^rrngonois  a  prins  la  feve 
Au  chastcl  du  due  de  Bretaigne, 
Floquet  la  recueill  et  regaigne 
Comtiie  son  servant  et  ami : 
Enconlre  un  fauli,  un  et  demi. 

Tout  comme  les  Carthaginiens 

Eurenl  sur  Romains  avanlage, 

Conlre  le  conscil  ct  les  siens 

Du  vicux  Hannan  ,  consciller  sage , 

lis  refuserenl  par  oullrage, 

Paix  qu'ils  ne  purent  recouvrer: 

Quand  temps  en  est,  on  doit  ouvrer. 

Charles ,  noslre  bon  roi  Francois , 
N'a  point  fait  faire  Ids  assauts, 
Non  a  pas  son  neveu  Francois 
De  Bretaigne  ,  ni  ses  vassaux  , 
Forsjusques  a  temps  que  vos  maux 
Chasti^  a  avcc  ses  gens : 
Bon  chicn  se  defend  de  ses  dents. 

Trop  plus  vous  nuil  le  Pont-delArche  , 

Que  ne  vous  pent  aider  Fougieres ; 

Car  il  est  pros  do  vostre  marrhe 

De  Rouen  ,  et  sur  les  rivieres  , 

Etsi  est  pros  dc  nos  fronlieies, 

Qui  est  «n  point  qui  vous  decoit : 

Fol  ne  croit  (ant  qu'il  ne  recoit. 

Vous  I'assiigcriez  volonlicrs , 


222  UK    lA    foKslfc    I.'kl'.MJLJi 

El  si  allumissipz  vos  ricrges , 
Si  n'eussiPi  pnom  qu'cn  denianlicr* 
Aulciins  vous  chantasscnt  des  vicigp* , 
Ou  quo  I'on  vous  donn<isl  dcs  veigei , 
ComiiM^  a  gens  maiidils  ct  hais : 
Traislrcsdoivenl  ^Ire  trahis. 

Jamais  hoinmc  ,  sage  ne  simple, 
l'«int  ne  doi<  passer  un  central , 
S'il  ne  veull  estre  d'unc  guimple 
AfTubI6  par  vosJrc  barat: 
Qui  s'en  cutdi'  issiv  sans  d^bal , 
Pour  certain  ii  est  bien  jenin  : 
En  la  queue  gisl  le  venin, 

D^aulresgcns  que  vous  sent  en  gloire, 
Pour  leurs  verliis  d'un  temps  allez, 
Comme  i1  appert  en  maiuto  histoire. 
Qui  deputs  sonl  fort  ravalkJs; 
Vous  doBcques  qui  ainsi  allei ' 
Contre  vertus ,  gardez  Ic  hour!  : 
Tel  cuide  vivro  qui  so  meurt. 

j4garmemnon  Ic  capitaine 

Des  Grfcs ,  qui  prindrcnt  la  grand  Troye , 

Quand  il  revinl  a  son  domaine , 

De  grftoe ,  comme  droit  I'otlroye , 

N'eut  pas  a  sa  femmc  la  joie 

D'une  nuit  sans  estre  lu#: 

Grand  orgueH  est  tantost  mu(5. 

Quand  Hnnnihnt,  roi  de  Carlhagr, 
Eulsubjugue  moult  de  Romains, 
Fortune  ,  qui  est  variable  , 
Le  ramcna  du  plus  au  moins: 
D'un  couteau  portant  i  ses  mains, 
Pourlant  se  liia  par  sa  coupe : 
Meurlre  roquiert  d'autel  pain  soupe. 


EN    FRANCE.  223 

Penscz-vous  que  Dieu  toiijours  soulTra 

Vos  inlquit^s  el  injures , 

Sans  vous  punir,  quand  le  cas  soutl're, 

Comme  les  aullres  creatures  7 

Pas  n'avez  les  testes  plus  dnres 

Que  les  Bretons  ,  la  merci  Dieu : 

Vieillcs  dettes  viennent  en  lieu. 

Si  vous  conseillc  de  bonne  hcura 
De  Normandie  ddpartir , 
Et  sans  y  faire  plus  demeure , 
De  vos  mefaits  vous  repentir; 
Car  j'ose  dire  sans  mentir, 
Que  Dieu  hail  loute  iniquil6; 
A  la  parfln  vainc  v^ril^. 

De  Carthage  en  ayez  m^moire , 
Et  de  Troye  la  punition  , 
Que  leur  ouilrage  et  vaine  gloir« 
Fit  lourner  a  destruction. 
De  France ,  en  paix  la  nation 
Laissez,  sans  plus  vous  y  bouter: 
La  fin  de  guerre  est  a  doubter. 

Le  genre  de  la  com^/amfe,  etdela  complaintejlmebre 
de  sujets  d'amours  ,  est  celui  dans  lequel  le  genie  de 
mailre  Alain  semble  s'^tre  essentiellemenl  coniplu ;  il 
a  fait  des  complaintes  pour  son  compte ;  il  en  a  fait 
pour  des  personnages  de  prosopopce  ;  il  en  a  ajusle  en 
plaid  dialogue  entre  quatre  personnes  ;  il  en  a  fait  en 
prologues  de  poenies  narratifs  ,  etc.  C'est  un  texte  sur 
lequel  il  est  revenu  au  moins  sept  fois  ,  et  sur  lequel  il 
s'est  toujours  longuement  ,  et  quelquefois  beaucoup 
trop  etendu. 

On  reniarquera  ce  debut  tout  elegiaque  du  livre  de 
La  belle  Dame  sans  merci : 


224  UK    L\    POESIE    LYlUyCli 

N'.-igu^re  chcvawchant  pcnsoie , 
Coninic  hommc  Irislc  ct  douloureux , 
Au  dcnll  oil  U  iaut  que  jc  soyc  , 
Le  plus  dolenl  Jes  amoureux  , 
Puisquc  par  son  darl  rigoureux 
Laniort  toUu  m'a  ma  malstresse, 
El  m'a  laisse  seul  langoureux 
En  la  conduite  de  trislesse. 

Si ,  disoie ,  il  faul  que  je  cesse 
De  dieter  et  derimoycr. 
El  que  j'abandonne  el  d^laisse 
Le  rire  pour  le  larmoyer ; 
Lk  me  faul  le  temps  employer , 
Car  n'al  plus  seutimenl  nl  aise 
Soil  d'cscrire  ,  soil  d'envoyer 
Chose  qui  moi  ii'a  autrul  plaise. 

Qui  voudrait  mon  voulolr  contraludre 
A  joyeuses  clioses  fcrlre , 
Ma  plume  n'y  saurail  alteindre  , 
Non  feroil  ma  langue  i  le  dire; 
Je  n'ui  bouchc  qui  puisse  rire , 
Que  les  yeux  ne  la  d^mcntisscnl , 
Car  le  coeur  s'en  voudroil  desdlre 
Par  les  larmes  qui  des  yeux  isseiit. 

Je  lalssc  aux  amoureux  malades , 
Qui  ont  espoir  d'allegement , 
Faire  chansons ,  dits  et  ballades , 
Chascun  en  son  entendement , 
Car  ma  dame  en  son  testament 
Prise  a  la  mort;  Dieu  en  ait  I'ame! 
Etemporta  mon  sentiment 
Qui  gisl  0  ellc  sous  la  lame. 

Ddsormais  est  temps  de  moi  tairc , 

Car  de  dire  je  suls  lassd; 

Je  veuil  lalsser  aux  autrcs  faire 


EX    FI;a>CE.  225 

Lcur  temps ,  car  le  mien  est  pass(5 ; 

Fortune  a  le  forgier  se  casse 

Ou  j'^pargnoie  ma  riclicsse 

Et  le  blen  que  j'ai  amassiS 

Au  meillcur  temps  de  raajeunessc. 

Amour  a  gDuvern6  man  sens. 
Se  faule  y  a ,  Dieu  me  pardoane ; 
Si  j'ai  bien  fait,  plus  ne  ra'cn  sens, 
Ccla.ne  nie  loult  ne  medonne, 
Car  au  Irt^pas  de  la  lit's-l>onne 
Tout  moa  espoir  se  Irespassu. 
L'amour  m'assit  illcc  la  borne 
Qu'oncqucs  puis  mon  occur  ne  passa.. 

Uii  autre  livre  dit  des  Qitalre  Dames  eonimoncc  de 
nieiiie  par  cetle  espece  cPidylle  de  description  gracieusc, 
nu  doinine  encore  partout,  quoique  d'une  maniere  plus 
tielournee,  Texprfission  asscz  vraie  du  meme  sentiment : 

Pour  oublier  merencoirfe , 
Et  pour  fairc  cbere  plus  lie , 
Un  doux  malin  aux  champs  Issy  , 
Aux  premiers  jours  qu'Amour  rallie 
Les  C(rurs ,  en  la  saison  jolie , 
El  desthtissc  ennui  el  souci^ 
Si  allai  (out  sculcl  ainsi<^ 
Que  I'ai  -de  coutunie ,  et  aussi 
Marchai  I'hcrbe  poignant  menue  , 
Qui  mist  mon  cucur  liors  de  so«cr, 
Lequei  avait^ld  Iransi 
Long-temps  par  liessc  perdue; 

Tout  aiiloijr  oiscaux  volctaient 
Et  si  tres-douccment  chantaient 
Qu'il  n'est  cueur  qui  n'en  fust  jojcui; 
Elcn  chanl<vnt  en  Tair  monlaient-, 


326  DE   LA  POtSIB    LYRIQUK 

Et  puis  Tun  I'autre  surmonlalenl 
A  I'estrivee  ,  h  qui  mieux  mieux ; 
Le  temps  ii'estail  mie  nueiii ; 
De  bleu  csloienl  vestus  les  cieux , 
Et  le  beau  solcil  clair  luisail; 
Violettes  croissoient  par  lieux, 
Et  tout  faisait  ses  devoirs  tieui 
Comme  nature  le  duisoit. 

En  buissons  oiseaux  s'asserabloient , 
L'un  chantoit,  les  aulres  doubloienl. 


En  un  chemin  retentissant 
De  doux  accords,  allai  pensant 
A  mamalheur^e  fortune, 
En  mol-mfime  m'esbahissant 
Comme  Amours  qui  est  si  puissant 
Est  large  de  joie,  fors  d'une. 
Que  je  ne  puis  par  voje  aucune 
Becouvrer ,  combien  que  n^suDfl 
Autre  grace  k  Amours  ne  veuil. 


Les  arbres  regardai  fleurir , 
Et  li^vres  et  conniis  courir ; 
Du  printemps  tout  s'esjoulssalt; 
Lisemblail  Amours  seignorlr. 


th  venaienl  pctils  oisilions , 
Apres  que  de  mainls  gr6sillons , 
Des  mouschetles  ct  papillons 
lis  y  avaient  pris  leur  pasture. 


Le  missel  d'une  source  vive 
Descendoil  de  roche  naive. 


E.\  FiiANCi:.  227 


Tout  au  plus  pros  sur  le  pcndanl 
De  la  inoulagiR',  011  dcsteiidaiil, 
Ful  assis  nil  joycux  bocage. 
Qui  au  niisst'l  s'allail  piMidaiit , 
El  verlos  courtincs  teiitiaiii 
De  ses  branches  stir  le  rivagc. 


Ainsi  un  pou  in'esj(>uJssoye 
QiianJ  a  cellc  douleur  jicnsoye  ,. 
El  horsdcia  (ristour  issoye, 
Que  je  porle  (.lileemcnt , 
El  puis  a  riioi  rnesine  tensoye  , 
El  dc  chaiilcr  je  rn'ciron^oie  , 
Maisee  bien  doiit  je  jouissoie  , 
II  ne  durait  pas  loiigiienient , 
Ains  rcniroie  soudaiiieiiieiil 
Au  peiiser  ou  preiiiiercmeut 
J'csloye,  donl  si  durcnient 
Suis  cl  de  long-tcnips  assailli ; 
Ce  bien  accroissail  iiion  tourmenl , 
Eu  voyanl  rcsjouissernenl 
Doiit  il  luVolait  lout  aulrejnent. 
Car  espoir  m'eslail  d^Tailli. 

Si  disoie  a  Amours :  Amours  , 
Pourquoi  me  I'afe-lu  vivre  en  plours, 
El  passer  tristcincnt  nies  jours? 
Et  tu  donnes  partoul  plaisaucel 
Tien  suis  a  durer  a  loujours, 
Et  je  Irouve  toules  rigours, 
IMus  de  durl(?s ,  moins  de  seeours. 
Que  ceux  qui  ainaent  d^evance. 


Ainsi  mon  cucur  se  guermenloit 
Dc  la  grand  douleur  qu'il  porloit 
En  ce  plaisani  lieu  solilaire, 
Ou  un  (loux  venlelcl  venfoil , 


228  DE   LA   POESIE   LYUIQUE 

Si  &M  qu'on  ne  le  sentoit , 
Fors  que  violclle  mlcux  (laire ; 
Li  ful  le  gracieux  ropaire 
De  ce  que  nature  a  pu  falrc 
Dc  bel  et  joyeux  en  estc  ; 
La  n'avait  cu  ricn  h  rcralre 
De  tout  ce  qui  pourroit  mc  plaire, 
Mais  que  raa  dame  y  cast  est6. 

Ce  livre  des  QuaUe  Dames  lui-m^me,  dans  lout  son 
ensemble  ,  n'est  vraimenl  autre  chose  qii'une  grande 
coniplainte  en  quatre  parlies  ,  siir  les  desaslres  publics 
de  I'epoque  ,  consideres  sous  le  point  de  vue  de  leur 
influence  sur  les  destinees  des  gens  occiipes  d'amoursj 
tout  s'y  rapporle  au  deplorable  evenementdeladefaitc 
des  Francois  ii  Azincourl,  en  i4i5.  Quatre  Daniesy  ont 
perdu  leurs  amants  ;  I'nn  d'eux  est  raort  en  beros ;  un 
autre  a  ete  fait  prisonnier;  le  'i".  a  disparu  ,  sans  qu'on 
en  ait  retrouve  la  trace;  le  dernier  a  pris  lAcbement  la 
fuite  ;  cos  Dames  se  lamcntent  Tunc  aprcs  I'autre  , 
chacune  A  sa  maniere  ,  et  se  disputent  en  quelque  sorte 
le  prix  lie  la  doidcnr ;  le  poele  leur  propose  un  arbi- 
trage, qu'elles  acceptent ,  et  la  composition  flnit  par  la. 

Les  rondeaus  connus  ^ Alain  Cliartier  sent  en  tres- 
petit  nonibre;  on  dit  qu'il  en  avait  compose  beaucoup 
d'autres  et  de  combinaisons  assez  diverses  ;  nous  ne 
voyons  k  citer  que  le  suivant ,  remarquablc  surlout 
pour  sa  forme  a  petit  refrain  dc  mots ,  si  differente  de 
CO  que  nous  avons  vu  pratique  jusqu'ici  dans  les  pieces 
de  ce  nom;  le  sujet  rappellera  celui  dune  des  plus  gen- 
lilles  ballades  de  Charles  d Orleans. 


EN    FRANCE.  25C) 


BONDEAU   DE   VIEILLESSE. 

La  mcrci  Dien  ,  je  vis  loujours  , 
Quelque  di'plnisir  que  jf  porle; 
Bon  vouloir  ma  doulcur  supporlc, 
Mais  j'ai  pas? 6  Ions  nics  bons  jours. 
Sans  avoir  aide  nc  sccours  , 
Doucemcnl  mon  lempsje  d(?portc, 
La  merci  Dicu. 

Je  n'al  plus  que  Taire  d'Amours; 
D^sormais  ne  m'en  plaist  la  sorte , 
Aux  auUres  du  (out  m'en  rapporle. 
Car  quanl  a  moi ,  j'ai  fait  mon  cours. 
La  merci  Dicu, 

,  Sous  le  litre  de  Libellc  cle  paix  ,  qualiGe  aussi  lay 
d'aniotir  en  charile ,  adrcssc  au  roi  ct  A  la  scigneun'e 
lie  France,  Alain  nous  foiunit  encore  un  long  inorceau 
tie  28G  versd'exbortalion  ,  pL-u  imporlant  pour  le  fond 
des  clioses  ,  niais  i  rcmarquer  d'aillcurs  pour  la  forme, 
que  nous  avons  loujours  besom  de  conslater  ulle- 
riL'uremcnl  j  il  suflira  d'en  citer  cot  ex  trail : 

Pensez  de  qui  vous  vcnistcs 

Et  issislcs, 
Etdont  vos  imes  prenistes- 

£l  tenistcs 
Honneur,  tcrre,  nomct  gloire, 
Et  de  ccux  par  qui  nasquistcs, 

Et  vfquislcs , 
Aycz  aulcune  tncmoirc ; 
Et  par  vos  puerrcs  dcspilcs 

Lcurs  mriilcs 
Ne  dcsfallos  ou  dcsdiles , 


ajO  DE    LA   I'OJiSIt    LVRigi'E 

Qui  cscriples 
Sontel  duiTiit  jusquL'S  ores; 
Sc  aullrciiicnt  faitos  ou  elites , 

Vos  cuiidiiites 
Scroll t  eii  huiineur  pctiles 

Et  maudiles 

En  chroni(mes  el  hisloires 

Etc. 

Quant  en  France  esloye , 
Je  entrclenoyc 
Scur('l6  par  voye  , 
Par  It's  villes  toye  , 
Si  que  riuls  n'y  nicsfaisoienl ; 
Toules  gens  alloicnt 
Quels  parts  qu'ils  vouloienl., 
Etc. 


Tout  CL-Ia  ,  conime  on  I'enteiid  ,  appaitienl  propic- 
menl  <i  la  caU'gorie  des  pieces  detachees  ,  i  laquelle 
seiiU'nient  nous  avons  pris  sur  nous  dc  rappoiler  les 
deux  debuts  en  prologue  elegiaque ,  (ju'on  pourrail 
aussi  A  la  rigueur  rejeler  dans  celle  des  ornemcnls  qn- 
jof%«c5 ;  il  soffit  que  I'oa  en  soil  instruit  de  ce  nio- 
nienl. 

Entre  les  waxs  morceaux  cpisodiques,  epars  suiiout 
dans  le  livre  de  YEsperance  ou  lo  Curial  (livrc  de 
Cuur  )  ,  peu  nous  paraissent  dignes  d'attention  j  nous 
Mous  borneions  i  ciler  les  siiivants  : 

1.     Ch6tive  nature  huniaine  , 
N^c  a  travail  et  a  peine , 
De  frf'le  corps  revestne  , 
Tant  es  folle,  taut  os  vaine, 
Tendre ,  passible  ,  inceHaine , 


£.>    FnAMCB.  a3i 

Et  tie  I^gier  nbattue  ! 
Ton  pensier  Ic  dcsvcrlue  , 
Ton  fol  sens  le  nuit  et  luc  , 
El  k  non  savoir  le  niciie; 
Taut  es  dc  [loure  venue 
Se  des  cieulx  n'es  souleiiiic , 
Que  til  ne  pciilx  vivre  saine. 

a.     Qui  pourrail  descrirc  , 
N'S  compter  souffire. 
Tout  cc  qui  deschirc 
El  &  nicsctiief  lire 
Notre  liunianite  ! 
Courroux  nous  rnarljre, 
Favour  ,  liaine  ou  ire 
Nuisant  h  eslire, 
Penscr  ,  f.iire  ou  dire 
Ce  qu'csl  verity. 
InKlicitd 
Etadvcrsi|{5, 
Sans  autorilf* , 
Font  la  probit6 
Des  meilleurs  despire ; 
El  n^cessite 
En  mendicity 
Mel  fragility 
En  perplexity , 
Dont  le  sens  empire. 

Dans  tout  ce  choix  dc  citalions  ,  nous  nous  sommes 
altaches  suitout  i  faire  connailre  /^lain  par  ses  bnaux 
coles:  il  serait  facile  d'cti  rassemblor  d'aiifres  ,  qui  lui 
foraicnl  beaucoup  moins  lYhonneiir.  Nous  dcvons  diie 
rpfau  fait  j4lain  tonibe  souvent  dans  des  execs  dc  r/////<- 
sion  ,  de  tmialitc  ou  de  ntaiivais  goiU  foil  otianaies  ; 

li  i  c'cst  un  amant  desole  de  la  pcrfe  de  sa  l>auie  . 


L>.32  DE    LA    POESIE    LVIUQIE 

(jui  pour  resistcr  u  Dcsespoir  el  a  totite  sa  suile  ,  sc 
dticidc  A  conibatlre  la  JUoit  ,  non  de  lance ,  inais  tie 
parole....  II  ne  comprcnd  pas  taut  dc  ciuaule  de  sa  part 
contre  une  personnc  si  parfaite...  C'etait  uu  module 
dc  fourtoisie  et  de  vertu...  Jamais  on  ne  vit  une  si 
hclle  chcvclure  doree  et  blonde ,  outre  i usage  de  Nature. 
Comminl  la  niort  a-t-cllcpu  assaillir  une  lolleLcaiilc? 
Cc'st  morveille  qii'elle  ait  osc  cjfacer  une  couleur  si  trcs- 
vcnneUle...  Qu'a-t-elle  fail  dc  son  luminaire, 

Dc  la  flartt  de  scs  beaux  ycax 

Qui  enluminait  son  viaire  , 

Si  claiicmenl  qu'on  ne  pcut  mieux? 

Kl  scs  sourcils  giacieux  , 

Noirs  el  velus  modt^rj^ment , 
Ou  sont-ils?  Ah  ,  dit-il ,  je  suis  ennu.yeux  , 

Quandj'y  pensc^lecueur  me  Tend 

C'esl  Hop;  Hen  appelle  ,  pourvu-  toulcfois  qu'cUc 
acccplc  son  appct.... 

Mais  lu  ne  veux  rccevoir 

Ne  avoir 
Eroc6s  ou  champ  dc  bataillc, 
Conime  jc  puis  concevoir 

El  savoir , 
Rien  n'esl  con-trc  (el  qui  vaiilc 


H  rc\icnt  en  consequence  a  la  vilienie  (injure),  cspe- 
ranl,  observc-t-il ,  que  la  inoit  peidanl  patience,  va  se 


KN    FItAXE.  0.M 

iTSoudrc  i\  Ic  prendre  aiissi ,  sur  quoi  il  fiiiit  en  prianl 
Dieu  do  le  r^iinir  h  son  aniie  ,  qiiand  il  aura  Jail  sa 
penitence  et passe  la  fin  de  ses  fours.... 

Puis  arrive,  sur  le  r?n'/iie  propos  ,  line  ballade  ternii- 
nee  par  ce  souhait ,  formanl  envoi  : 

Le  Dieu  d' Amours  parson  plalsir  m'otlroye 
Dame  trouver  par  qui  soj  e  remis 
En  bon  espoir  de  recouvrcr  ma  joye  , 
En  lout  honncur ,  ct  en  fails  el  en  dils ! 

Ne  voiUV-t-il  pas  un  homnie  bien  alTlige  ,  une  compo- 
sition bien  concuc  ,  dans  son  ensemble  et  dans  son 
ap[)endice,  et  des  details  de  style  bien  propres  i\  eoni- 
niuniquer  le  sentiment  exprimc  ! 

Ailleurs ,  c'est  la  premiere  Dame  A'Azincourt ,  <jui 
dt^plorant  la  perte  de  son  amant ,  tue  bonorablement 
dans  cetle  funeste  balaille  ,  et  pretendant  opposer  Tun 
a  I'autre ,  I'eloge  de  sa  valcnr  ,  et  le  blAme  des  hklies 
qui  I'ont  si  mal  seconde  ,  gaspillc  cc  beau  su;ct  dans 
des  tableaux  vagues  et  diffus  ,  encombres  de  details 
inutiles,  et  ou  ce  qu'il  y  a  de  vrai  et  d'energique ,  se 
produit  presque  partout  sous  les  couleurs  de  la  plus 
rcbutante  trivialite  ;  c'est  cc  que  feront  sentir  les  frag- 
ments ci-apres  : 


Bien  a  ril  sa  foi  acquiltie 
Dont  mainlechroniqueet  diclie 

J  a  compost 
Dust  estrc,  car  a  lanl  os6, 
Qu'il  a  corps  et  vie  exposfe  , 
Sans  cstre  lasclie  ou  rcposiS , 

Comme  vaillant, 


o34  DE    I.A   roiiSiE   LVRIQL'E 

Enconlre  ecus  qui  assaillant 

Or  vpnoient  France,  en  lour  baillant, 

De  courage  non  defaillant , 

Asscz  a  fairc; 
Et  se  chascun  e>isl  voulu  faire 
Pareillement  sanssoi  desfaire, 
Anglois  n'eussent  pas  peu  a  faire  , 

Mais  oitiportasscnt 
Nos  maux  el  s'f-n  desconforlas?ent , 
Et  autre  part  sc  transportassent , 
Et  d6sormais  se  dcportassenl 

De  nous  grever. 
Bien  peuvent  cnvieux  crever , 
Sa  mort  fait  son  honncur  lever 
Contre  qui  voudroit  eslever 

Mauvais  renoni. 
Or  n'ont-iis  vu  en  iui  senon 
Loyaul6  ,  dont  il  a  le  nom , 
Puisque  coux  pour  loyaux  tenon. 

Qui  se  mainticnnent 
Si  bien  que  loi  et  devoir  liennent 
Vers  leur  seigneur  ,  el  le  sousliennent 
Jusqu'au  mourir,  et  enlreliennent 

Leur  loyaul«^, 
Au  besoin  el  la  f(?aull(^ 
De  leur  dame  etdcsa  beaul^, 
Sans  pcnser  inal  ne  rruaute  , 

N'aguels  subtils 


Ah  I  peu  loyaux  , 
Fuilifs ,  iasches  et  desloyaui , 
Qui  n'avez  qu'estats  et  joyaux, 
Vous  laissastes  tous  les  loyaux , 

El  leur  lournastes 
Ledos,  et  vous  en  retournasiea , 
r.ar  alors  les  abandonnastes , 
Et  or  Iristemcnt  les  laissastes 

Trcslous  mescreuj 
De  trahison  faire  et  recreus. 


K.N    FKAXCK.  2JJ 


Donl  les  nombrcs  furent  deceus 
Et  les  cmurs  dcs  Anglois  accreus.. 

Vifs  escorchids 
Soycz  voiis ,  ct  si  bicn  lorchids 
Que  jamais  no  voiis  renforchiez  1 
Tcls  gens  dusseril  dire  porchieis , 

Ou  faisant  viles 
OEuvres ,  par  cMs  ct  par  villes, 
Quand  aii)!  armes  sont  inutiles  , 
Et  vculenl  avoir  cents  el  milles.... 


Pr<?ts  seroient  n  la  ddpcnsc , 
Mais  tardifs  sont  a  la  defense; 
Lun  maugree  Dioa  et  I'autre  lance 

Par  grand'  yvrcsse, 
Puisdort  jusqu'ii  dix  par  paressc, 
Mais  U  une  balaillc  d'aspresse, 
Sait  bien  lirer  son  cul  de  presse , 

Et  son  hdaulmc 
Jeter,  au  besoin  du  royaume 

De  fievre  quarlaiiic  espous(5e 

Soil  Id'  merdaillc , 
Et  ji  pauvrcte  ne  leiir  faille  , 
De  faim  niuls  sur  un  peu  de  paille 

Et  d^iaisses, 
Qiiand  au  besoin  vous  ont  laiss^s  , 
Princes  royaux,  qui  les  paissez  ! 
Leurs  lignagcs  ont  abaissis, 

Et  diiram(5s. 
Moult  ont  leurs  honneurs  entamds , 
Que  leurs  parents  ont  tant  amfis , 
Qu'ils  en  furent  nobles  clamtJs.... 

Mori  est  cil  par  Icur  lascheld , 
Qui  ne  pent  esire  racheti^ , 
Dieu  en  ait  I'ftnio  ! 
Leur  fuite  est  cause  et  leur  grand  blinie 


23G  DE    LA    I'OtSlE    LVIIIQI'E 

Dc  la  pprte  el  ilc  la  dilT.imp. 
L'euss6-je  fait ,  moi  qui  siiis  femme  ? 

Ou  le  feroyc? 
S'il  m'advenoit ,  mieux  aimcroye 
Mourir ,  ct  plus  also  scroje  , 
Car  honneur  ainsi  gardcroie 

A  li6rilage , 
Et  cVsl  Irop  plus  grand  avantage  , 
Mourir  par  lioiincur  on  liostago, 
Qu'allongersa  vk-  h  honlage. 

Mieiix  vault  oullrcr 
Le  corps ,  que  soi  fairc  monslrer 
Au  doigt,  sans  oser  enconlrer 
Les  bons,  n'en  compagnie  enlrer..,.-. 


La  quatrieme  aussi  depare ,  raoins  esscnllelle- 
ment  a  la  virile  ,  mais  par  plusicurs  trails  de  details 
lout  aussi  ficheux  ,  son  inlcressanl  plaidoyer ,  IcndaiU 
a  se  presenter  conime  la  plus  i  plaindre,  en  ce  que  son 
amant  ,  en  prenaut  l&chernent  la  fuite  ,  s'est  couvert 
d'uneignoininiequirejaillil  surelle-m^'nie,etqui  est,  en 
soi,  le  pire  et  le  plus  insupportable  de  tousles  nialheurs. 
Voici  encore  un  extrait  sur  lequel  pourra  se  verifler 
I'observalion : 

Or  afui , 
Laschemenl  se  est  enfui , 
Donl  il  a  honneur  desrui ; 
Et  di(-on  :  pourqnoi  y  fut  il , 

Et  ses  semblables ! 
Quand  leurs  lasrheles  donimagoabtes, 
Et  leur  fuites  deshonorables , 
Onl  fait  mourir  taut  de  notables, 

PrcsqiK"  a  milliers  , 
El  fail  prrdrc  Ics  liievaliers 


EN    FBA.NCE. 

Qui  de  la  France  csloient  piliers, 
Men^s  comme  ba?ufs  en  colliers  , 

En  violenlcs 
Prisons ,  oi'i  n'a  que  pons  el  Icnfes ! 
Ainsi  Icurs  couardiscs  lentes 
Ont  fail  (ant  de  dames  dolentes 

Elesplour(jcs.... 

• a 

Ah  queijourn^e! 
Folle,  de  sens  mal  aournte 
Suis ,  dont  a  I'aimer  fus  tourn^e; 
Ne  pourquoi  fus-jc  ce  jour  nde 

En  lelle  erreur! 
Les  yeux  qui  m'onl  fait  la  foleur, 
En  portent  !a  peine  et  le  pleur ; 
Las,  comme  eus-je  si  lasche  cueur 

Qui  m'y  list  (raire!.... 

Las!  a  qui  doncques  ni'en  prendrai, 

Fors  qu'a  moi  scule  , 
Quant  mon  cucur  fit  dire  a  ma  gueule 
Ce  dont  il  faut  que  je  me  deule, 
Porlant  plus  griefs  faix  qu'une  meule... 


2^7 


Ah  !  fleur  de  lys , 
Oil  Dieu  mist  piega  scs  ddlils , 
Ainsi  comme  en  escript  le  lis, 
Sont  tes  litres  ensevelis , 

Par  voie  infecte  ; 
Seras-tu  d'honneur  imparfaite 
Qui  as  est6  d'honneur  refailc , 
Et  sur  loule  maison  parfailc? 

Sont  ja  en  cendres 
Les  nobles  cueurs  que  lu  enpendres; 
Les  princes  pileux  ,  doux  et  lendres 
S'y  sont  mieux  portcs  que  les  mendres. 

Car  enferr6s , 
Navr6s,  baltus  et  en  terras 


j6 


2^8  I>E    LA    I'OESlli    LYRltL'K 

El  (le  morts  (■ouvit(s  et  scrrt^s 
Fiireiil  1.0US  pris  pt  enserr^s : 

C.liascun  liappa 
Sa  haclw  el  oullrc  se  I'rappa; 
Mais  forluiie  Ics  atlrapa  , 
Pes  royaux  mil  n'en  eschappa , 

Car  sans  t-ourner 
Lc  dos ,  afin  dc  rclourner, 
Youlurent  la  tons  s<5journcr , 
I'our  leurs  hoirsd'honnciir  aourner, 

Si  renconlrcrent 
Si  mal ,  queletir  vie  y  oullrerenl ; 
Ah  !  fiiilifs ,  ils  sc  donionstrerent 
Si  boiis ,  que  vos  iwntes  nHDnstrcrent ; 

Or  rouglsse/ 
Dehonte,  ct  dcjour  iiors  ii'lssez, 
Car  cerlcs  se  rien  vaulsissiez  , 
Ja  vos  princes  ne  laississiez 

Qui  difcndirent 
Les  champs ,  et  bien  cher  se  vendirenl. 
Mats  les  faillis  couards  fendirenl 
Lours  raivgs ,  qiiand  ii  fuite  tendirent , 

Aa  dcspiacer, 
Safls  oncques  espec  lasc-her , 
Si  n  y  avail-il  que  cacher 
Les  pftt  a  la  pointe  d'archer; 

Mais  ils  casserenl 
L'ordonnance  ,  el  oullrc  passerent , 
Leur  honneur  derriere  enx  laissercnt , 
El  leurs  lignages  aliaisserenl. 

Que  leur  Kisscnl, 
Ou  quel  grant  injure  leur  dissent 
Leurs  successeurs,  s'ils  les  veissenl 
Ainsl  fuir !  bien  les  haissent , 

I)e  morls  anieres, 
Lenrs  notables  ayeux  el  peres, 

Dont  les  vaillaiices  son!  si  claircs 

Etc. 


EN    FKANCE.  oSr) 

Nous  iiisistcrons  pcu  siir  les  personnificaHons  (>t 
ri'alisations ,  etc. ,  /^/am  n'a  fait  en  ce  point  que  suivie 
une  route  deja  Irop  frajee  ,  et  il  ne  s'j  est  niontre  ni 
plus  ni  moins  bisarre  que  lantd'aulres  ;  lemoin  le  debut 
<!e  complainfe  dc  L'amant  en  qucrcUe  nvec  la  Mart ,  ou 
il  nous  presenle  Z^Jsef/ja/rcomballant  par  desplaisance, 
ainie  de  triste  vouloir ,  ct  monte  sur  cheval  d'incons- 
tance....;  temoin  encore  ce  premier  couplet  d'une 
ballade  de  Fortune  : 

Sur  lac  de  dcuH  ,  sur  riviere  ennuycuse, 
Pleine  dccrig,  de  regrets  eldeclains, 
Sur  pcsunt'  source  et  m^lancolicuse , 
Pleine  de  pleurs ,  de  soupirs et  de  plaints, 
Et  de  douleurs  sur  abjme  parfonde  , 
Fortune  la  sa  maison  toujours  fonde; 
A  Tun  des  les  de  ro<rljc  cpouvantable  , 
Et  en  pendant,  ofin  qucplustost  fonde. 
En  d6monstrant  qu'clle  n'cst  pas  cstable. 

Quelque  chose  de  plus  original  en  fail  de  raauvais 
gout ,  est  celte  sotte  ballade  ,  toute  en  termes  de 
grammaire,  ridiculemenl  appliques  a  des  idecs  d'aniour: 

Une  douce  plaisant'  nominative, 
DonI  jc  enteiids  former  un  g^nitif , 
Si  que  d'amour  me  dcmoure  dative, 
Mangr6  Dangicr,  ce  fauh  accusatif. 
Par  son  dou\  oeii  et  regard  vocalif , 
Me  fait  vouloir  qu'clle  soil  ablative  , 
Et  si  lui  plait  de  m'cslre  substantive. 
En  la  servant ,  mc  rondrai  adjcclif , 
Mon  cueur  lui  don'  par  amour  transitive , 
Ponr  assembler  ia  passive  en  I'actif. 

A  son  mainlien  nie  senible  indicative 


^-fO  1>E    LA    PObSlH    I.YRlylJE 

Que  (le  moi  vciil  Ciirr  limpc'Talif. 
Amours  liii  iloini  lani  en  cstre  oplalivi* 
Que  de  deux  mffiul's  faisions  un  conjonclif ; 
Tant  qup  co  fait  dpmcnie  infinilif. 
Ma  volont(^  lui  sera  rclalive  , 
El  s'elle  en  est  premier  inchoative, 
Aussi  rn  est  mon  cuenr  mMilalif, 
Dc  lui  donner  forme  frwiuentatlve , 
Pour  assembler,  etc. 

Se  (le  honti  elle  m'est  positive, 
De  loyauti^  lui  suis  rom|)aratir. 
Quant  de  heauti'  est  In  superlative, 
I'our  doucemenl  faire  un  copidatif, 
De  deux  amants,  jiisqu'au  dc'tinilir, 
Puisqu'ils  o>it  temps  et  espare  expltWive, 
Et  sont  d'accord  ,  que  I'une,  primitive, 
Soit  attendant  Taulre  ,  di^rivatif , 
Os  choses  servent  en  infinitive 
Pour  assembler ,  etc. 

Prince ,  on  pent  bien,  qunnd  c'esl  chose  hAtive, 
('ombienqu'Amours  change  en  diminutive, 
Souvent  faire  dn  prnpre  apellalif, 
Et  d'autre  part  la  dame  acquisitive. 
Pour  assembler ,  etc. 

C'esl  aussi  un  pauvre  jcu  d'esprit ,  dans  un  genre 
different,  que  celte  autre  ,  dile  de  Dcpit  d'amours,  ou 
I'auteur  ,  dementant  loul-a-coiip  et  grossierenicnt  le 
caraclere  de  galanlerie  dans  leqnel  il  s'est  coiislam- 
ment  tenu  jusqucs-li  ,  exprime  A  Fegard  dos  dames  , 
et  de  tout  ce  qui  se  rapporle  aux  illusions  des  jeunes 
coBurSjUn  sentiment  dededaiii  injurieusenuMil  cynique  : 

Fi  de  ce  mai ,  qu'on  dame  si  courlois ; 
Fi  dc  V<5nus  et  dc  la  beaut6  d'clie ; 


l'"i  d'opcrvicrs ,  iJt'  faucoiis  ,  de  pivois ; 
Fi  lie  liaipcM' ,  <ic  rhaiiler,  tie  vielle; 
l>c  liius  oiseaux  cxceple  rarondellc  ; 
De  moi-mestne  dis-jc  li  par  mon  Amc; 
Si  faLs-je  aussi  d'Aniouis ,  aussi  do  dame. 

Fide  tous  Jeux,  dc  chansons,  do  renvois, 
F'i  de  Pallas  cl  de  la  Leaule  d'elie; 
Fi  de  joustcs,  de  danses,  de  lournois, 
El  si  dis  li  de  la  faton  nouvelle , 
Si  fais-je  aussi  de  celiil  on  de  celle 
Qui  loyaul6  niainliendra  journe  larme. 
Si  faij-je  aussi ,  ek. 

El  sen  dis  fi  ,  se  plus  ne  la  rcvois. 

Pas  ne  ferai  comnie  la  tonterelle , 

A  ins  senibler  veuil  a«  rossignol  du  Lois , 

CaraussilOt  qii'a  fail  desa  li^nielle, 

Simant  s'en  va  ,  el  lui  monslrc  son  aHe; 

Lireau  lui  fait,  combierr-que  soil diffame ; 

Si  fais-je  aussi ,  etc. 

Ce  n'est  pas  ainsi  qiie  Thihaui  avail  pris  conge  de  sa 
Dame,  el  poetiqucmenl,  coniine  inoraleraenl  parlanl, 
7V///-(^/(/;  avail  grainlcmaal  raisoii  en  ce  point;  Alain 
Ini-nienic  aussi  a  rencoiUie  quelque  chose  de  niieux 
dans  son  rondeau  de  la  Msrci  Dim. 

En  sonime  ,  Alnin  a  de  la  facilite  ,  el  nne  sorle  de 
verve  quelquefois  assez  naturelle,  niais  avec  un  fAcLeu\ 
piMiclianl  a  loniber  dans  la  diffusion  el  le  bavardage 
11  met  en  general  peu  de  soin  a  choisir  ses  id^es  ,  el 
senible  ne  s'occuper  en  aucutie  maniere  d'ecarter  dc  s.i 
tomposilion  un  melange  maladioil  de  traits  d'lin 
caraclere  ignol>le  ,  ou  pour  Ic  momivulf^aire  el  oiseiix. 
On  a  vu  (nous  en  demandons  bien  pardon),  la  merdaitlc 


24^  DE   LA  POtSIE   LYRIQUE 

(TJzincourt  tirant  son  derriire  de  la  presse  ,  et  Ios/)om* 
et  Ics  lenles  des  prisons  anglaiscs  ,  et  la  Dame  qui  se 
plaint  de  ce  que  son  coeur  a  fait  dire  i  sa  gucule.  C'est 
assez  d'exeniples  de  celte  sorle.  Ailleurs,  en  decrivant 
un  j'oli  ruisseau  ,  le  poete  s'amuse  a  observer  niaise- 
ment ,  peut-etre  pour  le  besoin  do  quolque  rime  : 

«  Que  I'cau  n'en  ^lait  pas  sal6e.  » 

Et  peu  apres  encore  ,  qu'il  etait  : 

«  Large  d'envrron  une  toise.  » 

Les  refrains  de  ses  ballades  sont  rarement  pris  dans 
une  spberc  d'id^es  neuvcs  ou  piquantos.  II  ainie  i 
egarer  le  lyrique  dans  les  \oies  de  la  pliilosophie  nio  - 
rale ,  au  point  d'avoir  compose  i3  ballades  de  suite 
sur  le  sujet  des  devoirs  de  la  noblesse.  II  aime  a  se  re- 
prt'sonter  occupe  du  technique  de  la  composition  , 
dicfant  ,  6frivant ,  etc.  ,   etc. 

La  plupnrt  de  ces  defau(9sepresentent  A  notre  esprit, 
comme  ime  suite  nercssaire  de  la  separation  alors  de- 
cidemeut  effectuee  (nous  le  croyons)  de  la  poesie  et  de 
la  musique;  comme  un  resultat  naturel  de  la  nouvelle 
position  dii  jml-te  de  cabinet,  hommc  d' artifice  ,  qui 
simulant  le  chant  sans  destination  d'auditoirc  ,  et  en- 
trainepar-li  meme  k  versifier,  sans  dioix,  toule  espece 
d'idees  dont  il  se  trouve  personnellement  frappe,  com- 
mence par  negligcr  dans  son  travail  toule  condition  de 
sympathie  conmiune,  et  fiiiit  par  oulilier  ou  nicconnailrc 
que  dans  ces  conditions  meines  ,  resident  exclusis'cmail 


E>    FUAN'CE.  2-1  ;> 

I'essence  .  le  priticipe  cl  Voljct  reel  tie  Varl ,  t'ost  A  qiuii 
l)ion  d'aulres  {\\\  Aiaia  se  trouveioiU  pris. 

Nous  (lovons  dire  en  fitiissant  ,  t-t  poiir  I'exciise  de 
maitre  Alain  ,  que  ses  ceuvros  n'onl  pas  ele  recueillies 
d'uiie  maniere  bien  aulLenlique  ,  el  qu'il  est  assez  ge- 
iieralement  recu  que  Ton  y  a  inal  ji  ptopos  laisse  iii- 
tioduire  beaucoup  de  clyises  donl  i!  n'esl  pas  Tauleiir. 

Tout  ce  qui  cidliva  la  pocsie  dans  la  seconde  inoitu 
du  XV",  sieclo  ,  suivit  Ics^  traces  A^ Alain  ,  ou  plus  pio- 
picnient  encore,  conibina  diverscmenl  ensemble  les  ( a- 
racleres  de  la  inaniere  A' Alain ,  ct  ceux  de  Tetole  de 
jVachau,  chacun  en  j  ajoulant,  A  I'occasion,  des  trails 
(rinvenlion  qui  lui  sont  plus  ou  ninins  propres. 

Le  corypbeo  de  celle  epoquc  ful  Fillon. 

Francois  P'illon,  que  ^raulres  ont  i  lorl  appele  Cor- 
hneil,  naquit  i\  Paris,  en  i43i ,  et  fleurit  sous  les  regnes 
de  Charles  Fll,  Louis  A/ el  Charles  FJII. 

II  etait  ne  de  parents  pauvres  ,  qui  pourlanl  lui 
avaient  fait  donner  une  bonne  education.  Ses  inclina- 
tions et  sa  conduile  fuienl  basses  el  vicieuses.  II  vecul 
dans  le  desordre  ,  el  fit  profession  publique  et  avouee 
iVtiscroqiierie.  Livre  une  Cois  A  la  justice  du  Chuielet ,  il 
fiil  condamne  au  supplice  de  la  corde  ,  qu'il  n'evita  que 
par  le  succ^s  d'un  appel  innsitr  au  Parlemeiit. 

Les  compositions  poetiquts  de  Villon  sont  en  pelil 
nombre ,  et  en  general  peu  inleressantes  pour  le  fonds 
des  cboses.  La  pluparl  ne  relraccnt  que  hop  visib'.e- 
Dient  les  gouts  et  les  babiludes  ignob'.es  de  rauteur. 
Quelques-unes  de  ses  ballades  sont  en  jargon  d'argot. 
dont  les  voleurs  seuls  possedenl  la  vM'. 

Les  a?uvres  de  Villon  ont  ete  iniprimees  une  dou- 


244  DB   LA   POfeSIE   LYKIQL'E 

zaine  de  fois  ,  et  toujours  avec  approbation  et  ju-ivi- 
lege.  Francois  I". ,  en  flt  faire  en  i532  une  eililioii, 
k  laquelle  Marot  donna  beaucoup  de  soins.  Le  (cxtc 
avail  ete  fort  defigure  ,  et  il  y  avait  beaucoup  i  faire 
pour  le  retablir  d'une  maniere  exacte.  L'editeur  avouc 
y  avoir  souvent  procede  par  voie  de  conjeclure.  On 
soupconne  ( quoiqu'il  aflirme  le  contraire)  qu'il  est 
alle  jusqu'i  le  rajeunir  dans  beaucoup  de  details. 

Le  caraclere  de  la  poesii5  de  Villon  est  en  general 
satirique  et  grossier  ,  souvent  obscene  ,  nirme  dans  les 
pieces  ou  on  s'y  attendrait  le  ntoins  ;  son  style  a  d'ail- 
leurs  du  naturel  et  de  I'agrement. 

Doileau  atlribuc  k  Villon  I'honncur  d'avoir  su  le 
premier  ,  debrouiller  le  chaos  de  noire  vieux  sjstl-Die 
poeliqne.  D'autres  I'ont  designe  comnie  Vinventcw  dc 
la  poesie badine  en  France.ll  n'y  a  rien  que  de  hasarde 
dans  ces  deux  assertions,  emises  apparenimcnt  sans 
connaissance  prealable  des  oeuvres  de  sos  prcdecesseurs. 

L'idee  poetique  la  plus  remarquable  de  tout  point  , 
selon  nous  ,  qu'ait  rencontree  Fillon  ,  est  celle  de  sa 
ballade  dite  des  Dames  da  temps  jadis.  II  y  a  inlerel 
dans  le  sujet  ,  verite  dans  le  mouvement ,  et  grikce 
])arfaite  dans  I'effet  du  refrain;  seulement  il  faut  ajouter 
(jue.  quant  Al'invention,  la  piece  est  toule  enlieiedans 
Ic  premier  couplet ,  dont  les  aulres  no  font  guere  que 
ri  produire  la  substance  ,  sans  ajouler  autre  chose  que 
lies  noms  a  des  nonis. 

Apres  celte  heureuse  couqwsition  ,  on  pourra  re- 
marquer  encore  la  ballade  (double)  ,  du  Danger  des 
amours ,  et  une  autre  (  simple) ,  de  la  Connaissance  dc 
soi-mcme.  Toutes  deux  aussi  procedent  Irop  uniforme- 
nii'ul.  La  derniere  suilout  est  toutc  en  tauiologic 


EX    FliAXCE.  ajj 

Voici  la  ballade  des  Danios  : 

DIcles-moi  oii ,  n'cii  quel  pays 
Est  Flora  ,  la  hello  Romaiiie  , 
^rc/iijjiatiii  ,  ne  Thais  , 
Qui  ful  sa  rousiiie  gerinaine? 
Echo  ,  parlaiil  quanl  bruit  on  mcne 
Dessus  riviere  ou  sus  eslan  ? 
(Jul  beaul6  cut  trop  plus  (lu'luimaine ! 
Mais  oil  sont  Ics  ncigcs  d' Aiitan ! 

Oil  est  la  tr6s-sage  Hehis, 
Dont  am6  fut ,  ct  puis  fait  inoinc, 
Pierre  Esbdillurl  a  St  -Deiiys  ? 
(  Pour  son  amour  eu(  eel  cssolue). 
Semblabiement  oil  est  la  royne 
Qui  commaiiila  que  Buridun 
Fust  jel(5eii  ui)  sac  en  Seine? 
Mais  oil  sent ,  etc. 

La  royne  Blanche  commc  un  lys , 
Qui  cliantoit  a  voix  de  seralne, 
JierlUeau  grand  pied,  Liel/is,  /lUyii, 
Harenibuurge  qui  linl  Ic  V/iirie  , 
El  Jefirine,  la  bonne  Lorraine, 
Qii'Angiois  brulerent  a  Roacn  ? 
Oil  sonl-ils,  Vierge  souveraine? 
Mais  oil  sont ,  etc. 

Prince,  n'cnquerez  dc  semaine, 
Oil  ellcs  soul ,  lie  de  cest  an , 
Que  c'c  refrain  ne  vous  raiiiaine : 
Mais  oil  sont ,  etc. 

On  jugera  sufiisammcnl  des  aulies  par  leurs  debuts : 

1.    LE    DA>CE1I    r)i:S    AMOURS. 

Aimcz ,  ainiez  ,  lani  que  voudrez , 


2.\6  UE    LA    I'Ol^SIK    LVUlQLIi 

Siiivcz  asscmblpps  el  Cosies  , 
En  la  fill  ji'i  tiiifiilx  n'on  vaiildrcz 
El  si  ii'y  roin|)rez(]uc  vos  testes  ; 
Folk's  amours  font  les  gens  bcsles; 
Salmon  en  idolastria  ; 
S/imsnn  en  perditses  lunettes. 
Lieu  est  licurcux  qui  rien  n'y  a. 

2.   tA   COn.NAISSANCE   DE   SOI-MIvDID:. 

Je  cognois  bicn  mouclics  en  laid; 
Je  cognois  a  la  robe  Ciioniine  ; 
Jc  cognots  le  bean  temps  du  laid  ; 
Jc  cognois  au  pommicr  In  poniinc; 
Jc  cognois  rarldc  a  voir  ia  gonime  ; 
Jc  cognois  quand  tout  est  dc  mesmrs ; 
Jc  cognofs  qui  besoigne  on  diommc  ; 
Je  cognois  lout,  fors  que  moi-mcsnies. 

On  observrra  en  passant  que  la  forme  de  colic  dor- 
nierc  ballade  n'est  pas  d'invenlion  noiivcllc;  Clir'isline 
de  Pisdn,  \ Olive  k  aS  ans  ,  en  i388,  ou  A  peu  pies  ,  on 
avail ,  au  su]ot  de  son  etat  de  veuvage  ,  loul  nouveau 
sans  doule  ,  coiupose  une  scniblable  ,  el  bien  posilivc- 
iiionl  nieilleure  ,  sur  le  refrain  : 

«  Seulclte  suis ,  sans  ami  dcmour^e.  » 

(  V.  los  Man.  de  la  Bibiiolb.  du  Roi ,  etc. ). 

Ces  Irois  proinieios  pieoos  de  yUlon  a[)parliennonl 
sans  difliculte  a  la  |»oesie  des  bonnoles  gens  ;  il  n\n 
rsl  pas  dc  niemc  dc  tout  co  qu'il  a  fait. 

Nous nevoulons pas  juger  liop  soveronient  sa  ballade 
au  due  de  Bourbon  :  cVsl  une  dcinandc  d'tiumdiic  agioa- 


h'.V    I'HA.NCE.  3-17 

blernent  touriu'e ,  invcnlinn  pen  honorable  sans  doiile, 
mais  ou  nous  ne  voyons  a  repiCMilre  an  foiids  qirun 
certain  manque  de  clrlica/nsse,  plus  ou  nioins  cxciisuble 
dansune  condition  si  infcrieure  ,  vis-a-vis  d'un  si  haul 
personnag ! ,  et  dans  un  etal  do  bcsoin  ,  (pii  ,  comnie 
on  dit ,  n'est  pas  vice  ;  mais  il  y  a  pis  ailleuis  ,  el  no- 
tamment  dans  les  compositions  qui  se  rapporlent  au 
sujel  de  son  bideux  procos. 

On  appreciera  en  cc  point  ,  cl  la  joic  que  lui  inspiic 
le  succt's  de  son  appel,  c'l'sl-a-dire  un  arret  qui ,  com- 
muanl  sa  peine  on  cel!e  du  bannisscmeril  ,  le  sauve  du 
supplice  ,  en  le  laissanl  tout  cou^«;•l  d'ignoniinie  ;  puis 
aussi  le  sentiment  que  supposent  les  plats  et  ridicules 
remerciments  qu'i!  en  I'ait  A  la  Coiu*  ,    an  nom  de  ses 
cinq  sens ,  etc.  ;  puis  encore  Ic  caracterc  sous  lequol  il 
se  produit  de  gaite  de  coeur  ,  dans  la  piece  ou  ,  sous 
rimpression  du  premier  jugomeul ,  et  sur  la  prevision 
de  ce  qui  devail  s'en  suivre  ,  il   s'amuse  a  t'ecrire  la 
Jigure  que  feronl  au  giljct  les  corps  dissecbesdc  ses 
compagnons  et  le   sien.    Nous  sommes  ccndanu;es  A 
citer  : 

1.    BALLADK   a   C    RIVIKU  ,    St/If  LIJ    SUCCKS   DT,   SON  APPEL. 

Que  vous  soriTble  de  inon  appd  , 
Giirnier  ?  fis-je  sens  oti  folic? 
Toiite  bcsle  gnnlc  sa  pel : 
Qui  la  fonslraitU,  cirorce  ou  lie, 
S'clle  pout,  elle  s(?  (ioslie. 
Qiianl  done  par  plaisir  volnntaire 
i^haiile  iiic  I'lil  ccsl  lionirlic, 
Esloil-il  tors  Iriniis  (ic  iin-  laiic? 

Se  diss*' (les  lioirs  Hut  <«/»»-/, 


248  DE    LA    I'OLSIK    I.VRKJLE 

Qui  fulexlrailde  hoii'-licrio , 
Oil  lie  iu'eiisl ,  pariiii  1 1;  drapel , 
Fail  boire  k  celle  escorcherie. 
Vous  eiilcndez  blen  joiicliorie  ; 
Mais  quant cctte  peine  arbilraire 
On  rn'adjugea  par  tricheric, 
Eslolt-il  lors,  etc. 

Culdcz-vous  que  sous  mon  capel 
N'y  eust  tant  de  piiilosoptiit- , 
Conime  dedire:  j'en  appel? 
Si  avoU,  je  vous  ccnilic , 
Conibien  qiielroii  point  nc  in'y  fie; 
Quand  on  me  dil ,  pidscnt  notaire , 
I'cndu  seiez ,  je  vous  alTie , 
£stoit-iI  lors ,  etc. 

Prince ,  si  j'eusse  eu  la  p6ple , 
PicVa  je  fusse  oil  est  Clolaire, 
Au\  cbanips  debout  tomme  un  cspie. 
EsloU-il  lors ,  etc. 

2.    AUTRE   EN  REMERCIMEMS   A   LA    COOR  DE  PARLEMEJiT. 

Tons  mescinq  sens ,  jeux  ,  oreilles  el  bouche, 

Le  nez  ,  el  vous  le  sensitif  aussi , 

Tons  mcs  meinbres  oil  il  y  a  rcprouche. 

En  son  endroit ,  un  chascun  disc  ainsi : 

Court  souvcrain'  par  qui  sommes  lei , 

Vous  nous  avez  gardi'  dc  desconfire; 

Or  la  laiigue  seule  ne  pcut  sullire 

A  vous  rendre  sullisaiilcs  louanges, 

SI  parlons  lous ,  lillc  au  souvcrain  sire , 

Mere  des  bons ,  el  strur  des  benoits  angcs. 

Cueur ,  fendcz-vous ,  on  percez  d'unc  brochc  , 
El  ne  soyez,  au  moins,  plus  endurci 
Qn'au  <l(?serl  fut  la  forte  bisc  roche, 


EN    FRANCE.  349 

Doiil  le  pcuple  dcs  Juils  Tut  adouci ; 
Foiulcz  ,  larnios ,  cl  vcnrz  n  merri , 
(lommc  liiimMo  riieiir  qui  teiidremcnl  sonpire, 
Loucz  la  foiirt  conjointp  au  saint  cmplro , 
L'lieur  dps  Francois ,  Ip  ronfnrt  dcs  estranges, 
ProrrWe  la  sus  an  ciol  empire  , 
MiVe  des  bons ,  etc. 

Et  vous,  mes  dents .  chacuncsi  s'esloche, 

Saillez  avant,  rendez  toutes  merci , 

Pins  haultpmcnl  qu'(  rgue  ,  trompe  nc  cloche, 

Et  dc  niascher  n'ayez  ores  soulci ; 

(>)n!ii(i6rpz  que  jc  fusse  trans! , 

Fojp,  ponmon  et  rale  qui  respire  , 

El  vous  mon  corps  ( on  vii  cstes  et  pire 

Qn'ours  ne  pourceau  qnl  fail  son  nid  es  fanges) , 

Louez  ia  conrt  avant  qu'il  vous  empirp, 

jMi'rc  des  bons ,  etc. 

Prince  ,  trois  jours  nc  vcuillez  m'cscondire. 
Pour  moi  pnurvoir  et  aux  miens  adieu  dire , 
Sans  eux  ,  argent  je  n'ai  ici  n'aux  ctianges  , 
Court  triomplianl',  fiat ,  sans  medesdire, 
Mere  dps  bons ,  etc. 

3.    AITRE   COMPOSEE  EN   PERSPECTIVE   DE   L'EXtCUTION   DE   I.A 
1".   SENTENCE. 

Freres  humains ,  qui  aprcs  nous  vivez, 

N'ayez  les  cueurs  centre  nous  cndurcis , 

Car  si  pilid  de  nous  pauvres  avpz , 

Dipu  en  aura  plut()t  de  vous  mercis  ; 

Vous  nous  voyez  ci  attaclies ,  cinq ,  six  ; 

Quant  de  ia  cliair  que  nous  avons  nourrle , 

Elle  est  pitVa  dCvorec  et  pourrie ; 

Et  nous,  les  os ,  devenus  cendrc  et  pouldre , 

De  noslrc  mal  persoHUP  ne  s'en  rie  , 

Mais  priez  Dieu  que  tous  nous  veuille  absoudro. 


3(0  DE   I-.V   POESIK   LYRIQL'R 

Si  friTcs  voiis  rlntnons ,  pas  nc  dcvpz 
Avoir  (Icsdain  ,  quoique  fusmes  occis 
Par  justice ,  car  vous  mesmes  save/ 
Que  lous  liommps  n'onl  pasl)on  sensrassis; 
Excusez  nous  ,  puisqiie  somnies  transis, 
Envcrs  le  lils  tie  la  Vierge  Marie, 
Que  sa  grace  pour  nous  ne  soil  larie , 
Nous  preservaiil  de  I'iufernale  fouliire, 
Nous  sonimes  morls .  imc  ne  nous  harie , 
Mais  pricz  Dieu  ,  etc. 

La  pi  II  ye  nous  a  bu6s  ct  lavfs, 
Et  Ic  soleil  desst'th^s  et  noircis ; 
Pics ,  corlieaux  nous  ont  les  ycux  cavfis  , 
Et  arrach^  la  barbe  et  Ics  sourcils ; 
Jamais  nul  temps  nous  nc  sonimcs  rassis, 
Puis  Q.a  ,  puis  \k ,  comme  le  vent  varie , 
A  son  plaisir  sans  cesse  nous  charrie  , 
Plus  bccquel6s  d'oiseaux  que  dez  a  coudre ; 
Hommes ,  ici  n'usez  de  moqucrie , 
Mais  pricz  Dicu  ,  etc. 

Prince  J<^sus ,  qui  sur  tons  seigncurie , 
Garde  qu'cnfcr  n'ait  de  nous  la  maistrie; 
A  lui  n'ayons  (;ue  fairc  neque  souldre; 
Ne  soyez  done  de  nosire  confrarie , 
Mais  priez  Dicu ,  etc. 

All  sujet  de  cetle  dcrniere  invention  ,  se  lie  encore 
un  qualrain  ,  bien  digne  d'en  completer  Teffet,  s'il  en 
reslait  quelquc  besoin.  L'idee  de  Tautcur  est :  que  son 
cou  place  an  bout  dune  cordc,  va  apprcndre  ce  que  pise 
son  corps ;  au  lieu  de  corps  ,  il  met  le  derricrc  ,  encore 
n'est-ce  pas  prt'^cisemenl  le  mot  donl  11  sc  sert. 

Voila  les  gentillesscs  de  nUon.  Si  nous  lui  avons 
contesle  Tinvenlion  du  badinage  poclique,  nous  n'allons 


KN    I'l'.AXCE.  ?.5l 

pas  jusqu'^  nicr  qu'il  on  ail  fait  un  usage  dont  pcrsonnc 
encore  ne  s'dlail  avise  avant  lui. 

Villon  a  compose  sous  le  litre  de  Grand  Testament, 
unc  espere  de  longue  lanienlalion  philosophique  ,  dont 
quolques  fragments  detaches  peuveiit  (■iic  consideres 
romme  de  petils  clans  d'elegie ,  d'un  cffet  A  part  et 
quelquefois  tres-salisfaisanl,On  remarqucra  Us  strophes 
ci-apres  ,  oii  Tauleur  esprime  assez  naturellement ,  ce 
nous  senible,  \cregrct  dn  maiwais  emploi  qii'ilafait  de 
sa  jeunesse.  Bien  qu'il  n'y  ait  rien  de  fort  meritoire 
dans  le  motif  qui  rexcite  a  resipiscence  ,  c'est ,  A  tout 
prendre  ,  un  sentiment  dont  il  est  juste  de  lui  savoir 
eniorc  quelque  gr6  : 

Je  plains  le  temps  de  ma  jeunesse 
Auqucl  j'ai ,  plus  qu'autre  ,  gallci, 
Jusqu'a  Tentn'-e  dc  vieillessc ; 
Car  son  partement  m'a  celi^ ; 
II  ne  s'en  est  a  pied  allt^ , 
N'a  cheval ,  las!  el  rommcnl  done? 
Soudainemcnt  s'en  est  voli^ 
Et  ne  m'a  laissd  quelque  don ! 

Alld  s'en  est ,  el  je  demcurc 
Pauvrc  d«  sens  et  de  savoir , 
Trislc,  failli ,  plus  noir  que  meure; 
Jo  n'ai  necens,  rente  ,  n'avoir; 
Des  miens  le  mendrc  (je  dy  voir), 
De  me  desadvouer  s'avance  , 
Oublians  nature!  devoir 
Par  fauUe  d'uji  peu  de  chevance. 


He  Dieu  !  !ji  j'eusse  esludie  , 
Au  temps  de  ma  jeunesse  folle. 


2v»2  DK    LA    POESIE    LYRIQI'E 

El  h  bonnes  nio'urs  d(?(iii', 
J'eiissc  mnison  el  coiiche  molle; 
Mais  quoi !  je  fuyoie  lYrolc , 
Commo  fait  ie  mauvais  enfant ; 
En  escrivant  ceste  parole , 
A  peu  que  le  cueur  no  mc  fend. 


Mes  jours  s'cn  son:  aliens  errant , 
Comme  (lit  Job ,  d'une  tuuaiile , 
Et  des  filcls  quant  tisserant 
Tienl  en  son  poing  ardenle  paille 

Oil  sont  les  gracieux  galans, 
Que  je  suivoye  au  temps  jadis? 
Si  bicn  chantans ,  si  bicn  parlans , 
Si  plaisans  en  faicis  el  en  diets? 
Les  auctins  sont  inorls  et  roidis , 
D'euK  n'est-il  plus  rien  maintenanl ; 
Reposayent  en  paradis , 
El  Dieu  sauve  Ic  remenant  I 

Villon  n'avait  point  cle  admis  a  la  cour  ,  cl  Marot , 
son  editcur,en  temoigne  le  regret ,  pensanl  que  telle 
freqiicutation  eut  pu  conJLribiier  k  amender  son  jugcnicnt 
et  t\  polir  son  langage.  11  parait  toiilefois  que  le  roi 
Louis  XI  goiilait  son  talent ,  cl  le  couvrit  d'une  pro- 
(eclion  efficace  centre  des  dangers  auxqucls  il  eut  difli- 
cilenient  echapp^  sans  un  tel  appui.  Fillon  cxprimc 
reconnaissance  et  affection  profondes  pour  ce  Ion  roi 
tie  Finance,  dans  le  preanibule  de  son  Grand  Testament. 

Dans  la  foule  des  conleniporains  et  successeurs  dc 
Fillon  ,  vers  la  Cu  du  XV".  sieclc  ct  le  commencement 
du  XV I". ,  on  pourra  remarquer  encore  ,  Jean  Regnicr 
de  Guercliy  ,  J.  Meschinot ,  G""*.  Alexis  ,  J.  Molinet , 
Afarlial  ii^Juvergne  (ou  de  Paris),  G"".  Coquillart.  G™'. 
Dubois  dil  Creslin  ,  etc. 


EN    FRANCE.  253 

Ce  ne  sonl  tons  ,  comnie  on  le  congoit  ,  que  des 
ccrivains  d'lin  talent  plus  ou  moins  inferieur  ,  mais 
dans  les  productions  desqiiels  tout  n'cst  pas  egalement 
h  dedaigner  ;  on  ne  laisscrail  pas  d'y  trouver  surtout 
bon  nonibre  de  pieces  assez  interessantes  par  lour 
rapport  avec  les  evenements  du  temps. 

Regnicr  de  Guerchy ,  gentilhomme  Bourguignon  , 
consciller  du  due  de  Bonrgogne ,  Philippe-le-Bon  ,  fut 
implique  dans  les  demeles  de  son  niaitre  avec  le  roi 
Charles  J'll^  an  point  d'y  avoir  vu  sa  tiHe  gravement 
compromise.  Scs  ceuvres  coutiennent  plusieurs  pieces 
relatives  aux  troubles  dont  le  pays  se  trouvait  alors 
tourniente. 

Jean  Meschinot ,  sieur  de  Mortihrcs  ,  mailre  d'hotel 
des  cinq  derniers  dues  de  Breiagnc  ,  et  ensuite  de  la 
reine  Anne  de  Bretagne  .  femme  des  rois  Charles  Fill 
ct  Louis  XII ,  a  compose  une  coniplaiiite  Sur  I'interdit 
fie  la  villc  de  Nantes. 

Giiillaume  Alexis  ,  dit  le  bon  inoine  ,  fut  religieux 
benedicliu  i  I'abbaye  de  ZtVe,  au  diocese  d'^i'ret/j: , 
puis  prieur  de  Bussy  (  ou  Buzy  ?  )  an  Perche ;  le  sujct 
d'un  de  ses  ouvrages  parait  se  rapporter  k  un  pelerinage 
qu'il  doit  avoir  fait  k  Jerusalem  en  i486. 

Jean  flJolinet ,  clerc  Picard ,  cbanoine  de  Valen- 
ciennes, bibliothecaire  de  Marguerite  d'Aulricbe  ,  gou- 
vernante  des  Pays-Bas ,  a  compose  des  complainles  sur 
la  mort  de  plusieurs  princes  de  son  temps  ,  etc.  II  en 
a  fait  une  aussi  sur  la  desolation  de  la  Grece  ,  apres  la 
prise  de  Consfantinople  par  les  Turcs  ,  en  i453. 

Nous  avons  de  Martial  d'Auvcrgnc  .  sous  le  tilre  (le 
T  igiles  de  la  mort  du   roi  Charles  J  11 ,  \\\\   oiivraj^e 


3/>4  DE   I>A  poj'isw:   l-iRI^jih: 

sp(Vial  ,  cr\  I'logo  (Vs  arlioiis,  et  ro^rot>;  dcla  pcile  (!«> 
re  nionarqno.  Martini  cvcrca  penilaiil  qnaranfc  aiis 
dos  fonotions  d'olTicier  dc  juslice  au  I'arlemont  ol  an 
rhfttelet.  On  croil  que  Martial ,  originaire  iieiil-t'lip 
do  la  province  Oi'Ain'ergtic,  par  sa  famille  ,  jMait  nk  \\i\- 
un'ine  k  Paris :  dc  la  apparommenl  son  double  siiniom. 

Coquillart  elail  official  en  la  cathcdrale  dc  Rheims , 
el  il  y  assisla  en  cefte  qiialite  ,  an  sacre  du  roi  Charles 
VIII,  en  14B4.  II  a  C(!ilebr^  eel  evenement.  Ce  poele 
passe  pour  iin  ecrivain  fori  licencieux.  11  esl  {\  reniar- 
qiier  que  ses  ouvrages  n'ont  el6  puMic^s  qu'apr«*s  sa 
mort ,  el  que  beaucoup  de  cboses  y  out  elo  reciiciliies 
sous  son  nom  ,  qui  bien  ^videmnienl  iie  peuvenl  pas 
eire  de  lui. 

Guillaume  Dubois  dit  Crestin  ,  nalif  de  Parix  .  on 
peul-elie  de  Nanterre,  (resorier  dela  Sainte-Chapelle, 
etc.,  nous  a  laisse  des  compositions  sur  Ics  bataillcs  de 
Guinegate  et  de  Paris  (ifuS  ct  i5?.5),  et  unc  pastorale 
sur  la  naissance  du  dauphin  Francois  ,  fils  du  roi  de 
France  ,  Francois  l"^.  (en  i Tn 7  ). 

Nous  nc  pouvons  entrer  dans  les  details  de  ces  pro- 
ductions et  de  beaucoiq>  d  aulres  de  la  memo  epoque  ; 
on  loue  le  naturel  et  la  naivele  de  quelques-unes  ;  nous 
n'en  voyons  aucune  qui  puisse  etre  citee  comnie  mo- 
nument d'un  progres  de  I'art. 

Quelques  poetes  de  ces  dcrniers  temps  se  sont  escri- 
nies  dans  des  tours  de  force  de  versificalion  fori  sinjju- 
Hers,  rimes  en  echo ,  simple  ou  double,  assonances 
d'initiales  ou  d'hr  mis  tidies  avec  la  finale  d'un  vers  pre- 
cedent ,  vers  equivoques  ou  couronnes .  accumulation 
de  Icttre^  ou  de  syllalcs  ideniiqucs  ,  i  anienees  dc  force 


KN    FRANCE.  a55 

a  qiielqiie  apparence  tie  rapport  de  sens  ou  d'objet  , 
jeux  de  langiic  et  de  plume  ,  elrangers  k  tout  effet , 
soit  d'expression,soit  de  rhylhme  ou  d'harmonie,  diffi- 
cuUes  de  pure  fantaisie  ,  follemeni  ajoutees  a  celles  d'un 
art  dejA  assez  embarrasse  dos  sionnes  propres.  Molinet 
et  Crestin  surtout  passent  pour  s'etre  particuliere- 
nient  dislingues  dans  la  pratique  de  ccs  bizarres  pue- 
rilites. 

On  cite,au  contraire,commeempreints  d'un  caractere 
de  grAce  simple  et  nalurelle,  quelques  morceaux  choisis 
des  Vigiles  de  Marlial  d'/duvergne  sur  la  mort  du  roi 
Charles  VII.  Nous  remarquons  entre  autres  ce  frag- 
ment de  quatre  strophes  finales  d'un  chant  de  regrets 
du  bon  temps  et  du  bon  roi  : 

Micux  vault  la  liessc , 
L'amour  et  simplesse 
De  bergiers  pasteurs , 
Qu'avoira  largesse 
Or  ,  argent ,  richesse, 
Ni  la  gentillesse 
De  res  grands  seigneurs; 
Car  ils  ont  douleurs 
Et  des  maiix  greigneurs; 
Wais,  pour  nos  labeurs , 
Nous  avons  sans  cesse 
Les  beaux  pr6s  et  fleurs , 
Fruitages ,  odeurs , 
Et  joye  a  nos  cn?urs. 
Sans  mal  qui  les  blesse. 

Vivent  pastoureaux, 
Brebis  et  agneaux ! 
Cornez,  chalumellcs ; 
Fillos  et  pucellcs. 


2^6  DE    LA    PoESie    I.YKKJLK 

Prpru'z  vo>  rhiipoanx 
Dc  roses  vermeilles . 
El  dansez  .«ous  Ireilles , 
Au  chant  des  oiscaui  ! 

Dcpiiis  quarante  ans. 
L'on  iifi  vil  Ips  champs 
Tellmient  fleurir, 
Rt'gncr  si  bon  tonips 
Enlre  (oiilps  gens , 
Quo  jusqu'au  niourir 
Dii  roi  Ircspass^ , 
Qui,  pour  resjouir 
Et  iioiis  secomir, 
A  niaint  mat  passi!-. 

Si  pour  ppiiip  prpndrp, 
Bo'ufsPl  hrobis  vpiulre, 
R'avoir  je  pouvojc 
Le  fpu  roi  dp  ppiidre  , 
Et  sur  pipfis  1p  rpndre , 
Tout  |p  iiiipu  veiidrojfc  , 
El  ne  cpsspi'oye 
Que  np  iui  auroYP 
La  vie  relourut'c, 
Pour  la  douee  voye , 
Le  l)icn  et  la  joye 
Qu'il  nous  a  donn6e ! 

Dans  une  coniplainle  des  Dames  de  France  ,  sur  le 
m^me  sujel  de  la  moit  dc  Charles  V"II ,  on  pent  dislin- 
guer  encore  le  couplet  ci-apres  : 

Adieu  le  roi  vailiant  el  verfucux  , 
Charles  sep(i6me ,  el  juste  pl  secourable ; 
Adieu  le  roi  benin ,  vicloridix, 
Humble,  courlois,  gracieux,  amiable! 


E>    FRANCE.  'a57 

Adieu  le  prince  aiine  rt  agreuble , 
Qui  hoiiora  les  no!)lcs  fleur«  de  iys  , 
Et  la  courotine,  iiisigne  el  desiruble, 
Doii(  les  flciii'ons  a  si  fort  embcllis ! 

Que  si  maiiitenant  nous  voulons  rt-sumer  nos  idees 
sur  tout  ce  qui  lient  aux  r.bjels  dont  nous  venous  de 
nous  occuper ,  nous  reconnaitrons  lout  d'abord  : 

Qu'en  passant  des  mains  des  chevaliers  trouviret , 
dans  celles  Aeipoltes  clcrcs,  ofliciers  de  cour,  ou  antics, 
d'etat  inf^rieur  ,  le  lyrique  Irtteraire  de  ces  deux  dcr- 
niers  siecles  avail  eprouve  trois  notables  changenients. 

1°.  Dans  son  objet ,  en  ce  que  ,  sans  rejeler  les  idees 
essentiellcs  de  la  chevalerk  ,  il  en  avait  elargi  ,  ou 
plutol  brise  le  ccrcle ,  en  y  associanl  hardiment  la  libr<^ 
peintnre  d'une  foule  de  dioses  at  d' impress  ions  ,  que 
celle-lA  s'etait  fait  un  sjsteme  d'dviter  ,  coinnie 
etrangeres  i  I'espril  tout  special  de  son  institution  : 
Fanite  naive  de  fcune  fille  ,  Dcgoiit  de  vieiix  gcn- 
tilhomme  tnal  marie  ,  Ironie  ainire  contre  les  mceurs 
du  temps,  Scntimenls  de  deulcur  publiqne  sur  la  perle 
d'un  grand  Itomrne  de  guerre  ,  Espoir  de  I'abaissemenl 
fiitur  d'une  nation  cnneinie  ,  etc.  ,  etc. —  Deschan/ps  , 
lout  le  premier ,  nous  a  present^  lous  ces  sujels  ,  et 
lous ,  ce  nous  s  nible  ,  trailes  avec  une  convenance 
assez  remarquable.  On  a  vu  ce  que  d'autres  y  onl 
ajout^  apre*  luf. 

2°.  Dans  ses  formes,  en  ce  que  sans  precis6ment  rien 
inventor  de  tout-A-fait  nouveau  en  ce  genre,  il  s'aslrei- 
gnit  toutel'ois  ci  habituellcmenl  a  certains  procedos 
parliculiers  de  retour  syinclrique  de  pensees  el  de  mou- 
\emenls  raii>€Hanl  les  menw^s  vers  ,  qu'independara- 


258  DE   LA   POiSlE   LVRIQCE 

ment  de  tout  aulrc  indice  ,  la  constiliillon  niaterielle 
de  la  plupart  de  ses  productions  ,  sufllt  pour  fairc  rc- 
connaitre  sur-le- champ  A  quel  temps  ellcs  appar- 
liennent. 

3'\  Dans  son  caracthre  ,  en  ce  que  ,  sans  intention 
formelle  dc  separer  la  poesie  de  la  musique  ,  ayant 
amene  I'usage  de  culliver  ces  deux  arts  indepcndani- 
ment  I'un  del'autre  ,  il  en  etait  venu  de  fail  a  laisser 
romprc  leur  alliance  naturelle  ,  ct  i  livrer  la  composi- 
tion poetique  a  des  ecrh'ains  ,  etrangers  i  (oule  notion 
de  chant  public  ,  et  entre  les  mains  de  qui  clle  ne  put 
manquer  de  degenerer  promptement ,  soit  par  negli- 
gence mat  entendue  des  moycns  d'lmpression  synipa- 
thique  ,  soit  par  recherche  oiseuse  de  jeux  techniques 
d'idees  ou  d'articulations  ,  sans  rapport  avec  aucun 
effet  d'harmonie  ou  de  rhylbme  musical.  L'epoque 
iX! Alain  Chartier  est  ccUe  oii  les  vices  de  celte  poesie 
factice  commencent  surtout  k  se  manifester  plus  sensi- 
blement. 

Les  chants  publics  d'occasion  solennelle,  ne  laissenl 
pas  d' avoir  ete  d'un  usage  frequent  dans  toute  la  duree 
des  XIV'=.  ct  XV^.  siecles.  ludependamment  dc  ceux 
que  nous  trouvons  dans  les  ODUvres  des  auteurs  connus, 
les  chroniques  font  mention  de  beaucoup  d'aulres  qui 
n'ont  pu  manquer  d'avoir  tons  un  certain  degre  d'iu- 
teret  ,  au  moins  sous  le  rapport  de  leur  objet.  On  cite 
en  parliculier  ceux  de  Tenlrevue  de  Charles  FIl  avec 
le  due  de  Bretagne  k  Tabbaye  de  St.-Florent,  en  '^^i6- 
ceux  des  tournois  et  combats  chevaleresqucs  de  la  cour 
de  Bourgogne  sous  Plulippc-lc-Bon  ,  en  i449  ct  i4.'>3  , 
etc.  Dans  la  derniere  dc  ccs  deux  solenniles  ,  appa- 


E>    FKA.NCi;.  Zp.i) 

raisaail  unc  Dame,  fais;»nl  Ic  personnage  de  la  religion, 
laqiielle  s'annoncait  par  un  elegant  triolet.  (  V.  de  Ba- 
ranle  ,  llisl.  dos  dues  de  Bourgogne;  Lacurnc ,  Mem. 
do  TAcad.  des  luscr.  ,  etc.  ,  I.  xx  ,  etc. ). 

D'un  autre  cote  ,  la  culture  du  lyriquc  de  cabinet 
elait  puissamment  encourageepar  plusienrs  institutions 
lies-propres  A  en  exciter  et  i\  en  repandre  le  goiit ,  arn- 
(leiiiies  de  province  ,  en  PicanUe  ct  en  Flandre ,  etc. , 
societes  de  Palinod  en  Tlionneur  do  la  Ste.-Vierge  , 
dans  plusieurs  villes  de  Normnndie,  etc.  ,  etc.  11  existe 
(luclquesrecueilsdepi6cescouronneesdanscesconcou:s. 

On  a  bien  observe  sans  doute  que  dans  lout  ce  que 
noiis  avons  dit  jusqu'ici  du  lyriqiie  des  XIV''.  et  XV''. 
siecles ,  il  n'a  etc  question  que  de  la  branche  liltcraire 
de  ce  menie  lyrique.  Labranche  populaire  nous  fournira 
bi'aucoup  moins  d'objcts  d'exanien.  II  est  dans  la  dcs- 
tinee  des  productions  de  cclle  derniere  espece,  d'epuiser 
promptenient  leur  vogue  ,  de  toniber  dans  le  dedain  de 
la  generation  qui  suit  leur  nai^sance,  de  ne  vivre  que 
par  chances  de  transmission  orale  ,  et  de  nVtre  que 
rarenient  rccueillies  dans  des  ecrits  ,  qui  ,  peu  prists 
a  leur  origine  ,  ne  lardont  guerc  i  porir  en  majeure 
parlie  ,  abandonnes  conune  inuliles  ,  on  du  moins 
perdus  par  oubli ,  dans  des  deputs  ignores. 

Nous  avons  en  ce  genre,  pour  Tepoquc  qui  nous 
oicupc ,  plus  de  mentions  et  de  citations  bistoriques 
(pie  de  monuments  reels,  el  positivement  connus. 

Entre  ceux-ci  se  prescnle  avant  lout  ,  une  Ires- 
curieuse  cbanson  sur  Ics  e\eaemenls  de  la  guerre  de 
Ihelagne  sous  Charles  y  en  1375. 

On  la  suppose  chantec  par  les  enfants  et  Ics  jeunes 


a66  DE   LA   POtSIE   LYRIQLE 

fliles  du  pays  ,  qui  se  plaignenl  de  le  voir  devaste  par 
les  Anglais  ,  auxiliaires  de  leur  due  ,  elablis  dans  uu 
fort ,  aupres  de  Quimperle  ,  sous  les  ordres  de  Jean 
d'Evreux. 

Voici  le  morceau  ,  que  nous  donnons  accorapagne  de 
quelques  notes  d'eclaircissement : 

Gardcr-vous  du  nouviau  fort, 
Vous  qui  allez  ces  allues , 
Car  laiens  prenl  son  deport 
Messire  Jehan  d'E\rues. 

11  a  gens  Irop  bien  d'accord , 
Car  bon  leur  est  vi^s  et  nues  (I). 
N'6pargnent  faiblenc  fort.. 
Tanlotaront  plein  leurs  crues  (2), 
De  la  Molle,  Marciol  (3), 
D'autre  avoir  que  de  vies  ucs  (4), 
Et  puis  mcn'ront  ii  bon  port 
Leur  pillage  el  leur  conques  (5). 
Gardez-vous ,  etc. 

CUchon  ,  Rohem ,  Rocheforl , 
Biaumanoir ,  £«('«/ entrnes 
Qu'li  Dus  a  St.-Brieux  dort , 
Chevauches  les  frans  alues  (6). 
Fleur  de  Bretagne  outre  Lord 


(i)  Vieux  et  nenf. 

(})  Creux  ,   panier,  niJ  ,   retraite  T  —  Xjes  Tocabulairea    ne   donnent   que  lo 
fliniinutif  cruf/. 

(3)  Gem  d«  la  Motte  et  ile  la  Marvhe,  —  ou  peut-etre  noms  proprci  <le  parti - 
eant«  subalternen? 

(4)  QEiifsgStit. 

(5)  Butin. 

(6)  Clierauclient  sur  let  grands  elicminay.*  ou  peut-jtre  sur   Xti  terrei  librei 
(  franct  alleui  ?  J. 


EX    KBA.XCE.  261 

Eslre  renoinni^e  sues  (t), 
Et  mainlenant  oule  moil  (2) , 
Donl  c'esl  pilid  ct  grand  dues  (3). 
Gardez-vous ,  etc. 

Remonstrela  Ion  erfort, 

Se  conquerre  lu  le  pues  , 

Tu  renderas  niaiiil  succort 

A  nos  meres ,  se  tu  vues. 

En  ce  pays  onl  a  toil 

Pris  tnoutons  el  Grasses  bues  (4). 

Leur  escot  payeront  il  or 

A  ce  cop  si  tu  I'esmues. 

Gardez-vous ,  etc. 

Froissart  qui  rapporte  celte  cLansonnelfe  ,  prelend 
qu'en  effet ,  ellc  fut  pour  quelque  chose  dans  la  reso- 
lution que  pril  Telile  de  la  noblesse  Breloinie  d'ailer 
altaquer  Jean  d'E^'reux  dans  son  fori  (Buch.  ,  Chrou. 
de  Froissart,  I.  vi ,  p.  9061729,  etc.). 

Nous  nc  nous  arreteronspas  ck  provoquer  la  reflevion 
que  cette  petite  piece,  Brelonne  d'esprit  et  d'infenlion, 
si  Ton  veut ,  pourrait  bieu  ne  pas  I'avoir  ete  de  lull  ct 
d'origine;  ni  i  recherchcr,  en  consequence,  si  c'est  bien 
dans  ce  langngc  que  les  enfunis  des  environs  de  Quim- 
perle  I'eussent  faite.  L'epoque  et  le  caraclere  en  sont 
bien  6tabHs.  II  sufiit.  Ce  sont  les  seuls  rapports  sous 
lesquels  nous  ayons  eu  A  nous  en  occuper. 

Un  peu  apres,  nous  trouverions  i  en  rapprochcr  les 


(i)  Conitue  au  loin  par  ta  rcnomoite. 

(t)  Le  mot  oute  fait  dit'iiuulte  j  le  sons  Joit  i^iro  i  tii  es  maintcnant  ieiiue  ppuf 
mortp;  tl  se  pent  que  le  pass.ige  loit  allei^. 
{\)  Pili^J  et  grand  Jvuii. 
(-t;  \  atht^s  grassei. 


262  Dt:    LA    I'OhSlli    I.MUQIE 

faux  (Ic  I  ire  de  Bassclin  ,  si  Ic  (c\lc  dc  ccux-ci  elail 
im  pen  aulhciiliquc.  Mallieurcusemcnl  il  est  Lien 
toimu  ,  an  cnnlrairc  ,  que  cc  mcnic  lexte  ,  apres  avoir 
616  ,  diiranl  pies  dc  200  ans  ,  abandonnc  i  toulos  k's 
varialions  de  la  Iransmission  orale  ,  n'a  cle  Gxo  qu'au 
bout  de  ce  temps,  par  un  editcur,  qui  no  dissimuic  pas 
Ic  soin  mal  onlcndu  qu'il  a  pris  de  te  rajeuuir. 

Oln'icr  Dasselin  fut  bourgeois  de  yire  ,  ou  il  exeira 
la  profession  dc  fojdon.  II  dut  y  nailre  vers  Ic  milieu 
du  XIV'-".  siecle.  On  croit  qu'il  ful  lue  par  les  Anglais  , 
mailres  de  la  NormancUc ,  durant  les  malbcurcuv 
(ri>ub'es  du  rj^gne  de  Cbarles  VI  ,  probablement  au 
siege  de  t^ire ,  en  i4i8. 

DasseUn  ,  hoinmc  du  peuplc  ,  bien  que  degrossi  par 
quclques  etudes  classiqucs  ,  ne  fut  ni  un  faiseur  de 
ballades  ,  de  la  nouvelle  ecole  ,  ni  un  langoureux 
trouvlre  de  rancienne  ;  mais  tout  siniplement  un 
chansonnicr  de  caboiel.  ou  plus  exactcmeiit  encore,  xm 
franc  bm'cur ,  dou^  du  talent  du  chant,  que  la  vue 
d'un  broc  bien  rempli  avait  seule  Theureux  don  dc 
mcttre  en  verve ,  sans  que  son  inspiration  fut  de  nature 
c\  s'elendre  A  aucun  autre  objet. 

Ses  chansons  apparlicnnenl  i  peu  pres  exclusivc- 
ment  a  ce  qu'il  nous  a  plu  d'appeler  le  genre  bachiqne. 
Ce  sont,  i  ce  qu'il  parait,  les  premieres  de  cette  esp(^ce, 
que  Ton  ait  connues  en  France  ,  k  moins  qii'on  ne 
veuille  y  rapportcr  un  rondeau  de  table  A' Enitachc 
Descfiamps  ,  qui  a  pu  les  preceder  ,  et  pcut-clrc  en 
fournir  le  premier  type.  L'auteur  n'y  sort  gucrc  de  ses 
idecs  de  laverna ,  que  furtivement,  deux  ou  trois  fois  , 
par  allusion  aux  cireouslances  deplorables  de  i'ctat 
de  guerre  qui  dcsolail  alors  le  pays. 


EN    I'KANCE.  263 

La  louche  de  Basselin  est  fermc  cl  naluielK*.  Son 
deliren'a  rieu  de  siniule.  C'esl  bien  Ic  degre  d'enlhoii- 
siasmc  que  comporle  le  genre.  C'en  est  meme  Irop  , 
pour  les  esprils  delicals  ,  qui  ne  se  preJeiil  ;\  I'impres- 
sion  des  Iransporls  d'lin  bineur  ,  que  conime  A  tuie 
ficlion  poetique  ,  el  qui  ne  separeul  pas  aisenienl  I'idec 
de  I'ivrognerie  ,  de  ce  quelle  a  en  soi  d'ignoble  el  de 
hideux. 

Basselin  s'entend  fori  bien  aussi  a  lourner  un  couplet, 
el  A  presenter  ses  idces  dans  leur  forme  el  leur  niesure 
nalurelles,  sans  effort  comme  sans  divagation.  Chaciuie 
de  ses  chansons  offre  comme  un  petit  tableau  ,  bien 
distinct  el  bien  trace ,  d'un  effet  loujours  parfailcment 
simple  el  vrai. 

Le  grand  defaul ,  le  di^faut  presque  unique  ,  niais 
aussi  le  defaul  immense  ,  et  i\  pen  pres  habituel  de  ses 
compositions  est  la  (rh'ialite.  Elle  y  resuUe  surtout  de 
la  nialadrcsse  sterile  avec  latjuille  il  s'est  renferme  ,  on 
ne  sail  pourquoi  ,  dans  1  eloge  du  vin  (ou  du  cic/rc) , 
considere  comme  breuvagc  savoureux  ,  sans  y  associcr 
(ainsi  que  d'aulres  out  si  bien  su  le  faire)  aucune  idee 
d'affi'ction  morale  et  s}  mpathiquo  ,  d'anwur  ou  cTami- 
tie  ,  d' insouciance  voliiptueuse  ou  de  joie  comtnunica- 
tive  ,  etc.,  aucun  trait  d'ornemenlgracieux  ,  emprunle 
aux  objets  doux  cl  riantsde  la  nature  champelre  ,  etc., 
etc. 

Dans  le  sujet  ainsi  con^u  ,  les  details  aimables  et 
altrayanls  nc  sont  pas  ceux  qui  surabondent ,  et  lout 
seniblc,  au contraire, y  Icndie  i\  des  effets  d'lui  caraclere 
bien  different.  Uignoblc  s'y  prosente  le  jilus  souvent 
conuno  la  vraie  toulcur  des  choses.  Basse/in  n'a  pas 


2G4  DK    LA    rotSIli    L\Ul(Jlli 

cru  devoir  s'cr.  ecaiior  ,  ft  il  on  acceple  franc homrnt 
jiisqiraux  miatires  les  p'us  basses  :  11  vcul  se  rinccr  la 
gorge  ou  se  Ln'cr  les  tripes  ;  le  Ion  vln  lui  rechauffe  le 
venire  ;  il  ne  laissera  pas  secher  le  passage  des  vhres  , 
il  veul  boire  jiisqu'a  trebucher  ;  jusqu'i  s'en  rendie  la 
face  cramoisie  ct  Ic  nez  violet ,  etc.  ,  etc.  Ce  bachique- 
la  (il  faul  le  dire)  ,  a  pcu  de  cbose  de  conimim  avec 
celui  que  culli\ereiil  jadis  Auacreon  et  Horace.  Si 
Basselin  a  connu  ces  deux  poetes  ,  il  est  clair  au  nioiiis 
qu'il  ne  les  a  pas  copies. 

Le  nombre  des  chansons  bachiques  bien  conniu's 
de  Basselin  ,  est  de  Ga,  entre  lescpielles  spt  ou  buil 
suiloul  se  font  remaiquer  par  des  trails  d'originalilc 
plus  ou  moius  piquante  ;  en  voici  une  qui  nous  parait 
dassez  bon  aloi  : 

Qui  estcotnme  inoi  bon  buveur , 
Ne  crainl  lanl  Irouvcr  un  voleur 

Comme  un  niauvuis  breuvage; 
Car  (l"un  voleui  on  se  defend  , 
Maiscclui  qui  inauvais  via  prend, 

Bienlosl  perd  lout  courage. 

Je  voudroy  beuvant  mauvais  vln. 
Me  voir  la  gorge  lout  soudaln 

Bien  courle  de  venue  ; 
Mais  quand  le  bon  vin  je  boirois, 
Quelecou  j'eussc  encore  Irols  fois 

Aussilong  qu'une  grue. 

Quant  a  I'eau ,  ne  me  parlez  point 
D'en  boire,  se  n  y  suis  conlraint, 

Ou  se  ne  suis  hermile ; 
Entor  faudroil-il  quelquefois 
Que  vin  je  brus^p  dans  les  bois , 

Ou  ji'  niariuys  bien  viste. 


KTi  rnA>T.E,  -^Gj 

.Te  say  bicn  que  je  boi  des  mioulx  ; 
Mais  jVn  rossenible  a  mos  aynilx  ; 
II  fault  siiivre  iios  pores; 
S'on  laisse  les  vieilles  Tafons, 
Jamais  si  bicn  que  nous  pensons 
N'ironl  droit  nos  alTaires. 

La  suivanlo  aussi  ,    a  nolro  avis,    esl  (res  bonne 
d'invonlion  el   d'effet  : 

Fanlle  d'hunieur,  nos  choiii  son!  morlj 
En  nos  jardins  par  si^chercsse  ; 
Faiille  d'abrouvcr  iiirn  mon  corps  , 
Sej'alloy  niorir,  que  scroil-cc? 

Sancoil  je  ne  m'y  firai  pas; 
Miiiir  sec  a  r.aillc  de  lioire  , 
C'esI  un  tres-malheiiretix  Irospas, 
El  de  tres-fiinesle  ni6nioire. 

A  boire  !  a  boire ,  visleinenl  I 
Je  vculx  lenii  ma  sorge  liiiniide, 
De  paour  de  morir  povromeiil, 
r.omme  nos  chonx  ,  see  et  aride. 

Toulefois  moi  et  mon  jardin  , 
Nous  din'erons  en  une  ciiosc  ; 
Je  me  veuii  abrenver  de  vin  , 
Et  d'eau  nostre  courtil  s'arrose. 

II  y  a  oncorp  bcauconp  d'af;ri'nicnt  et  de  naliirel  dans 
celle  autre  sur  I'Avare  trrpasse  : 

Qui  est  cesluy  qui  est  gisant 
Soubs  (cste  froide  sepulture? 
—  Tn  ridif  avnre  ,  qui ,  vi\  ,inl , 
Ne  buvail  que  i'eau  loule  pure. 


21)6  D!i:    L\    POESIK    LYKIQI'E 

—  Quelle  lunrl  I'.i  fait  Ircspasscr? 

—  II  est  moil  d'une  soif nuellc , 
Pour  n'avoir  voulu  reschauffer 
D'un  verre  dc  vin  sa  fourcclle. 

—  Pourquoi  no  croist  sur  son  (ombeau 
Que  du  (hardon  qui  rcnvironne? 

—  Vn  corps  qui  n'a  bu  que  dc  I'eau  , 
Nc  produit  licrbe  qui  soil  bonne. 

—  Pourquoi  csl-ce  un  puter  nosier 
Que  pas  un  ores  nc  lui  donne  ? 

—  Pourrequ'ayanl  vin  en  chanlier, 
II  n'cn  faisail  boire  a  personnc. 

—  Est-il  niort  sans  cstre  plor(?? 

—  Quel  deuil  voulez-vous  qu'on  en  fasse? 
Qui,  conime  lui,  mcurt  allfr^  , 

II  fait  grandc  honte  a  sa  race. 

Vraimenl  lu  es  bicn  oi'i  lu  es; 
Tes  heriliers ,  conimc  je  pcnse , 
Dc  ton  bon  vin  faisant  gros  nez  , 
Laveront  bicn  leur  conscience. 

Mais  le  cbcf-d'cDiivre  tie  rautcur  ,  A  Ions  egards  ,  ct 
sans  aiicune  psptice  dc  comparaison  ,  est  celle  de  ses 
chansons  qui  a  pour  sujet  Ic  Siege  de  Fire  par  les 
Jngloix  (i4i  7  ?) ,  la  seule  aussi  du  recucil  de  ses  feuvres 
qui  sc  rapporte  bien  positivcment  k  uu  evenement 
d'inleret  public. 

Lcs  Anglais  occupcnl  lout  Ic  pays  voisin.  lis  s'appi  o- 
cbent  de  la  villc.  Dasselin  les  voil  prels  a  commencer 
le  siege.  Qu  eprouve  l-il?ne  quoi  veut-il  qu'on  s'occupe 
il'occasionde  celle  terrible  crise?  C'est  ce  que  va 
nous  reveler  sa  chanson  : 


Toiil  a  I'cnloiirdc  nns  lomparls 
l.ps  rnnernis  son!  en  fiirle; 
Saiivcz  nos  lonncau\  ,  jp  vous  piic  ! 
PiTiK'z  pliilolile  nous ,  soudars  , 
Toiilcc  (loni  vous  anrrz  rnvic; 
Souvcz  nos  tonnoanx  ,  jc  vous  pric! 

NoMS  pourronsaprcs ,  en  beuvani , 
(ihasser  noire  mc^renrolie  ; 
Sauvpz  nos  (oiineaiix  ,  jc  vous  pric! 
I.'ennemi  <|ai  esl  ci-devant , 
Nc  nous  veult  fairc  eourloisie  ; 
Vuidons  nos  lonneaux  ,  jc  vous  pric  ! 

Au  nioins,  s'i!  prend  nosire  eit6, 

QiTil  n'j  Irouve  plus  (|ue  la  lie  ; 
Vuidons  nos  lonneaux  ,  je  vous  pric  ! 
Deussions  nous  tnarcher  dc  eosit* , 
Cq  boil  sildre  n'cpargnons  mie  ; 
Vuidons  nos  lonneaux  ,  je  vous  pric  I 

L'idoc  (Iccelle  polite  piere  esl  ,  ronimo  on  le  ^oi( , 
lios-ingcnieiiscment  plais.inic  ;  cl  qiiaiid  on  icflt'ibit 
«n  pou  siir  les  circonstances  qui  en  foiiinissenl  la  don- 
r.oe  roollc  ,  on  esl  tout  suijiris  iVy  Irouvcr  roxpiossion 
d'lin  courage  fori  rcmarquable ,  deguisc  sous  Ics  formes 
roniiques  d'une  simple  boulade  de  cabaret.  On  croit  que 
r'a  du  i^'lre  ime  dcs  dernieres  productions  de  Tauleur. 

Nousdevons  nous  borner  aces  citations.  On  pourrait 
encore  en  rapprochcr  les  chansons  : 

«  Quo  N06  fut  un  palriarciiedignc,....  clc.  » 
«  J'ai  grand'  peur  d'une  maladie,  ...  etc.  » 
n  Laissons  vivremallieureuses,....  etc.  » 
«  Mon  niari  a,  qucjecroi,.  ..  clc.  » 


2G8  DE    I,A    POKSIE    LYRIQI'E 

Ce  sonl  relics  qui  nous  paraissenl  devoir  les  suivrede 
plus  pres. 

En  fail  iie  passages  detaches  ,  il    n'est  pas  permis 
d'omellrc  le  couplet  suivaiit : 

Ili-lasI  que  fait  un  pauvre  ivrogne? 
II  se  couclie  cl  u'occit  porsonne, 
Ou  bicii  il  di(  propos  joyeiix  ; 
II  ne  songe  point  en  usure , 
Et  nc  rait  a  personne  injure; 
Bcuvcur  d'eau  peut-11  fairc  niieui? 

II  est  pris  de  la  chanson  : 

«  Ma  fcmnie  se  dil  mal  pourveue,  etc....  n 

De  laquclle  il  forme  la  ronclusion. 

Les  chansons  de  Basselin  onl  ele  appelees  T^aiix  de 
P'ire ,  du  nom  du  lieu  on  I'auteur  avait  son  etablisse- 
nient  ,  el  oii  se  Irouvaiont  aussi  les  tavernes  qu'ii 
avait  coututne  de  frequenter. 

On  vent  que  de  ce  nom  de  fait  de  Fire  se  soil  forme 
plus  lard  celui  de  VaudeMle  ,  applique  aus  chansons 
satiriqncs  ,  et  que  d'aulrcs  avaicnl  crii  derive  de  J'oix 
de  Fille ;  question  de  pure  etymologie ,  et  sans  aucune 
importance  pour  le  fond  des  choses.  Le  Faudcvirc  ha- 
chiqne  et  le  Faudeville  sallriqne  sonl  des  compositions 
d'origine  et  de  nature  toute  differenle.  Basselin  pai  alt 
avoir  cree  le  premier.  11  n'a  rien  fait  qui  se  rapporlc  :« 
robjeldu  second. Ces  deux  sortcsdc chants  proceden I  de 
deux  sorles  d'inspirations  divcrscs,  el  qui  sembleraicnt 
devoir  plut6t  s'exclurc  qtie  se  produire  Tune  laiitre.  11 


EN    FRANCE.  269 

y  avail  des  chansons  satiriqiics  ,  de  vrais  VawlwilUs  , 
sous  quelqiie  noni  que  ce  soil  ,  et  avant  Basseim,  ft 
boaucoup  [ihis  anciennonient ,  des  Ics  premiers  temps 
de  noire  vieillo  poesie.  La  chanson  de  Qnimperlc  en  est 
iin.  Plusieurs  [jieces  eoniuies  ^'' Eustadie  Deschainps 
offrcnt  visiblenienl  le  caraclere  du  genre  ,  et  nous  en 
avons  trouve  la  premiere  ebauche  dans  les  chants  de 
Jerusalem  ,  centre  /Irnould  Malcouronne  ,  durant  la 
premiere  croisade  ,  a  prcs  de  trois  siecles  de  Tepoque 
oil  les  Faux  de  Fire  on  I  dii  commencer. 

A  la  siiile  des  J^aux  dc  Fire  de  Basselin  ,  les  deux 
derniers  editeurs  de  ce  poeic  ont  pris  soin  de  recueillir 
quelques  autrcs  chansons  d'auleurs  inconnus  et  de  ca- 
racleres  divers  ,  la  plupart  etrangeres  k  son  genre  , 
comme  k  lui-memc  ,  mais  se  rapportanl  plus  on  moins 
sensiblement  anx  idecs  et  anx  inlerols  de  la  nieme 
conlree,  queiqiiefois  aussi  anx  evenemenls connus  d'une 
epoque  pen  eloign^e  de  la  sienne.  Ces  pieces ,  de  sujels 
plus  varies  ,  ont  d'aillcurs  ,  sur  les  Faux  de  Fire  ,  cet 
autre  avantage  de  s'offrir  i  nous  dans  un  etat  moins 
suspect,  quant  a  1  alteration  du  langage  ,  exlraites  , 
comme  on  nous  les  doime  ,  demanuscrils  que  Ton  juge 
apparlenir  an  milieu  du  XIV"".  sieclc.  11  y  en  a  d'qffec- 
tions privees  et  dc  sujets  champelres.  ITaulres  sont  re- 
latives surtoul  k  la  grande  affaire  du  temps  ,  la  litUe 
du  pays  contre  les  derniers  efforts  de  I'invasion  Anglaise, 
(erminee  par  X expulsion  definitive  dc  I'ennend,  etc. 

Dans  la  premiere  de  ces  deux  categories  ,  nous  re- 
martpions  cctle  chanson  sur  le  rossignol  : 

On  (loil  bien  amcr  I'oysclet 
Qui  chanic  par  n.ilure  , 

i8 


270  DE    LA    POESIE    LVRiyiE 

Co  mois  (Ic  moy  ,  sur  Ic  mugiicl 
Tanl  comiiic  la  nuicl  dure. 

II  fait  bon  6couter  son  chant 
Plus  que  nul  autre  ,  en  bonne  Toi , 
Car  il  r(^jouil  mainl  nmanl , 
Jc  le  sais  bien  quant  est  de  moi. 

II  s'appelle  roussignolet , 
Qui  met  loulcsn  cure 

A  bien  chanter,  ef  de  bon  hel  (I); 
Ainsi  c'cst  sa  nature. 

Lc  roussignol  est  sous  le  houx  , 
Qui  ne  pense  qu'.i  ses  ^bals ; 
Le  fjiux  jnloux  se  sied  dcssous , 
Pour  lui  tircr  son  malelas  (2). 

La  belle  qui  faisoit  le  guet 
Lui  a  dit  par  injure: 

H^las  !  que  ravoit-ii  iii6fail , 
M(?chanle  rrtVt(urc  ? 


On  y  trouve  aussi  celto  autre  (fragmont  inromplot 
peut-etre?)  en  regrets  naifs  (Fiine  liaiwn  quo  lc  lemps, 
ou  line  necessile  de  convcnance  quekonque,  ont  usee  : 

Dieu  gard'  de  dc^shonneur 
Celle  que  j'ai  lonjj-tomps  aymdc  ! 
Je  I'ai  aym6e  de  tout  mon  coeur  ; 

Ma  jeunesse  est  passee ! 

Or  vois-je  bien  que  c'est  folie 

D'y  met  Ire  sa  peiis^e. 
Quant  elie  m'a  dil  en  ploranl: 

•  Nos  amours  sont  finfes.  » 


(i)  C-aiment,  de  l>on  copiir. 

(?)   Matcras,  matras  ,  fleclie  ,  ttnit ,  etc. 


KN    FBANCE.  ajl 

D^penser  ma  fait  mon  argent 
A  la  maison  d'un  tabernier ; 
Payer  I'escot  de  mainte  gent , 
Donl  je  n'en  a  vols  pas  meslier. 

Chausscs  de  vair  m'a  fait  porter 

Et  soiilicra  h  poulaine  (3) , 
Et  par  devant  son  buys  passer 
Mainte  fois  la  semaine. 

Et  puis  encore  celfe  derniere,  enplaintcs  d'emharras 
de  menage  ,  donl  il  existe  des  lemons  fort  diverses  ,  et 
qui  demanderaient  a  ^tre  rectifiees  les  unes  par  las 
autres  : 

Helas !  il  est  pis  de  ma  vie , 

Et  hie  (4) ! 
Mesnage  a  prins  sur  moi  rigour ; 
A  Dieu  comant  joie  et  baudour  (5) , 
Esbatement  et  chanterie, 

Et  hie! 

Je  m'y  souloye  aller  csbattre 
Avecques  ces  gentils  gallants ; 
Alais  maintenant  suis  h  mon  aslre  (6) 
A  nourrir  mes  petits  enfants. 

Dont  I'un  se  deuU  et  I'aulre  crie , 
L'autre  m'appelle  son  seignour ; 
Le  petit  brait  et  nuict  et  jour ; 
Je  n'ai  bonne  heure  ne  demie  (7). 


(3)  A  la  polonaisr ;  moile  tlu  temps, 

(4)  Refrain  insigiiifiant  imitant  una  pcrsonne  qui  plcure, 

(5)  AtUeu  la  joie  et  les  divertisaementj. 

(6)  Atre  ,  foyer. 

(7)  Ni  Vieure }   ni  tJcmf-h^ura  de  repos. 


^7*  «K    lA    POKSIli    LVUlyLE 

Lc  grand  dcmande  une  colelle  . 
Et  la  fillcltc  un  rh.ipcron; 
Ma  fcmnio  si  brct  et  crcslclle  ^8) : 
Et,  nostrc  Darnel  que  feron  ? 

Hd ,  tesiez-vous,  ma  mie  ! 
Nous  dcspiirons  noslre  Seignour , 
Qu'il  nous  donne  du  pain  au  four; 
Si  nourriron  nostre  mesgnio. 


Enlre  les  pieces  de  la  seconde  sorto ,  se  present*' 
naliirellement  an  jtremier  rang,  ce  tableau  des  miseres 
de  la  province,  effel  neccssairc  de  Petal  de  guerre  qui 
la  desole  : 


A  la  duch6  de  Normandie 
II  y  a  si  grand  pillerie  , 
Que  Ton  n'y  pent  avoir  foison; 
Dicn  doint  (|uVlle  soil  appaisie! 
Ou  il  faudra  que  Ton  s'eiiJuyp, 
Et  laisser  thascun  sa  niaison. 

Quant  i  moi ,  je  n'y  serai  plus. 
Par  la  double  des  court  vei us,  (<j). 
Phis  ca:  n'y  a  point  d'aisenient , 
Qu'ils  nous  viengnent  voir  Irop  souvent. 

lis  viengnent  par  grand  ruderie, 
Demander  ce  que  n'avons  mie; 
Et  nous  donncnl  m.iini  horion  ; 
Encor  faut-il  que  Ton  leur  die  : 
Mes  bons  seignours,  je  vous  en  prie  , 
Prenez  toutee  que  nous  avon. 


(fel  Crie  comme  une  poule  ^n  cnUre. 
f4)    I'ar  la  ^raiiite  Jet  Anglaii 


Je  lour  dojinassc  vouleiilifis 
Si  je  pcnsoyc  jivoir  dc  giiol  ; 
Miiis  siir  ma  I'oi ,  Ions  inc.*  di-riicrs 
E(  tout  riioii  liicn  esl  hors  de  nm, 

Je  nc  puis  fairc  courloisic  ; 
Car  pauvrcl(''  me  conlMrie. 
Et  me  tjpril  an  suMei'liafi ; 
Je  n'ai  jjus  ajui  iif  amis.. 
En  Frame  rie  en  Xormatidic  , 
Qui  KM  donnast  i*n  porion; 

Dicu  vouijle  ri>elLre  liojine  pak. 
Tar  loijlc  la  cl>r(-lieul6 ! 
Mes  que  ce  soil  a  lout  jamais  ; , 
Si.vivrofl  Ijjis  en  loyaule. 

Sc  fhr&ienle  fiis(  unie,, 
Kous  riieiiassion  jovcuse  vie , 
Et  meUrion  Irislcssc  en  prison  ; 
Ceux  par  qui  (  esl ,  Dieu  ies  maudie  , 
El  auss!  Ja  vierge  Marie  , 
Sans  avoir  ja^iiais-guarJsoiW 


Celtc  chanson  a  e(e  citco  conuno  un  Faiude.  Fire, 
el  qiidqucs-iius  peiiscuL  (luY'lIc  fJOiUTait  c Ire  do  Ba$- 
sdin.  La  supiiosilion  n'a  i\dn  quo  d'a.s.^i'z  plausiblo.  An 
ineme  sujol  si;  rallaclic  ualiirelleniciit  !a  suivanU- (jui  , 
dans  cc  cas,  nlt'ii  <jorjiiten  oilol  qu  «n  coHijtlcnK'nl  sur- 
ajoulc  : 

II6las!  Olivier  Bas.seliti , 

N'orron  nous  plus  de  vos  nouvelles? 

Vous  ont  Ics  Eiiglois  mis  a  (in. 


"Vous  soulicz  gayemenl  chanter 
El  demcner  jnM'nse  vie  , 


2^4  I>E    LA   POfeSIE   I.YKIQL']:: 

Etles  bons  compagnons  hanter 
Par  le  pays  de  Normandie, 
Jusqu'a  Saint  Lo  en  Conslanlin  , 
Onques  ne  vi  tel  pellerln. 

Les  Anglois  ont  faitdcsraison, 
Am  compagnons  du  f^aii  de  fire  ; 
Vous  n'orrcz  plus  dire  chanson  , 
A  ccux  qni  les  soulaient  bicn  dire. 

Nous  prieron  Dieu  dc  bon  cucur  fln  , 
Et  la  doulce  viergc  Marie  , 
Qu'il  doint  aux  Englois  male  fin  ; 
Dieu  le  p^re  si  les  maudle ! 

Un  recueil  imprime  du  XVI^  si^cle  lermiiie  cellc-ci 
par  le  couplet  ci-aprfes  . 

Bassclin  faisoit  les  chansons ; 
C'cstoil  lo  maislre  pour  bien  dire ; 
II  hania  lani  les  compagnons , 
Qu'il  no  lui  demoura  que  frlrc  ; 
Car  fust  de  sildre  ou  fust  de  vin  , 
II  en  beuvait  jusqu'i  la  lie, 
Et  puis  rcvcMoit  au  matin , 
Helas!  Olivier  Dasselin  ! 


Une  troisieme  piece  de  la  mcnie  classc  a  pour  objot 
de  se  rejouir  de  Tembarras  ou  les  Godons  (gens  jui  ant 
par  Goddam  .') ,  Anglois  cones  (  porlant  leurs  chcvcux 
en  queue)  ,  se  trouvenl  jetes  par  la  mort  inopinee  de 
leur  roi  Henri  V ,  prelendant  aussi  au  IrAne  de  France 
(1422),  lequel  ne  laissc  pour  herilier  deses  projels  de 
(•onqueles  qu'un  faible  enfant  de  neuf  mois.  Le 
morceau,  forme  dc  deux  couplets  avee  refrain,  pourrait 


E.l    FHA.VCE.  27  > 

bicn  ii'et.c  qu'iin//wi;///c7ii  dc  ballade  incoinpU-ln.  Les 
(leluils  n'ont  lieii  de  saillant.  Le  refrain  est  : 

«  Mauldicle  en  suit  trcstoulc  la  lignje !  » 

Ce  pelit  cycle  ,  tout  national  ,  de  snjets  lelatifs  k 
I'invasion  Anglaisc  ,  se  tcrniine  on  ne  pent  plus  heu- 
reusenieiil  pur  une  derniere  chanson  Fan  de  Hie , 
lout  recenunent  publiee  pour  la  premiere  fois  (i)  ,  et 
qui,  en  la  supposaut  aussi  authenlique  qu't/A;  mctite  de 
I'ctre,  doit  avoir  ete  coniposee  a  I'epoque  ct  i  I'occa- 
sion  de  riieureuse  vicloire  de  Furmigny  {\/i^5u).  C'est 
comme  le  prelude  populaire  du  beau  cbant ,  ailleiirs 
cite,  de  Charles  d'OrUumx,  sur  I'expulsion  de  rennenii. 

Voici  le  niorceau  : 

Cuidoycnl  loujours  vuider  nos  tonnes , 
MeUre  en  chaitre  nos  coni|)algnons ; 
Tcndic  sur  nos  huysdes  sidoncs  (1) , 
Et  conlamincrccs  vallons. 

Cuidoyenl  toujours  dossus  nos  lerres 
S'csbaUie  en  joie  el  grand  soulas; 
Pour  resconforl  einblcr  nos  vcrrcs  (2) 
El  sc  gaudir  dc  nos  lopas. 


Cuidoyent  loujours. 


(I)  Dans  i'l^dltion  don-uV,  en  1833,  par  M.  Jnlieii  TraNcrs. 
elilion  la  pins  (ornplilc  de  Basselln  ,  el  dans  la(|ueile  se  Irouvenl 
U  Vaux  de  Vire  inedlls  de  Le  IIoux. 

\l)     I  i-nili'tt  dos  liitct'uilit  i'lMit'liros  hiii    nos  noituv. 
(i)    I'liiKjver  110.1  vrircs. 


2^6  DE    LA    rOESIli    LVBIQIE 

Ne  bcuvant  qu'cau  lous  nos  rouraiges 
Estoienl  la  vigne  sans  raisin  ; 
Rougissoient  encor  nos  visaiges, 
Ain^ois  de  sildre  ne  dc  vln. 

S'embesoignant  de  nos  futaillcs, 
Dieu  .a  f6ru  ces  enragi^s , 
Et  la  dernicrc  des  batailles 
Per  leur  lrospa>  nous  a  vcngi6s. 

Beuvons  tous ;  dos  jours  de  deslresse 
Jetons  le  record  dans  ce  vin  {'-i). 
Ores  ne  nic  thauil  que  liesse  (4)  : 
Beuvons  tous  du  vespre  au  matin  (5). 

II  est  k  observer  que  la  lacune  du  3^  couplet  n'exisle 
pas  dans  le  lexte  manuscrit.  On  devine  quelles  idees 
doivent  en  fournir  la  substance.  L'edileur  avcilil  que 
lanaivele  grossiere  des  expressions  I'a  force  de  rclran- 
cher  ces  quatre  vers.  La  piece  esl-clle  bien  comp'ele 
d'ailburs  ?  N  y  manque-l-il  pas  au  moins  quelque 
couplet  de  debut?  Nous  ne  voyons  pas  que  personne  se 
soit  occupe  de  cetle  question. 

En  debnrs  de  nos  affaires  de  guerre  et  de  nalionalile 
normandes  ,  mais  toujours  dans  la  categoric  des  sujets 
d'interct  public  ,  se  trouve  enrore  unc  cbanson  de  Irois 
couplets,  sur  la  niort  du  bon  roi  Rene  dc  Sicile  (i-I^O- 
C'est  peu  de  chose ,  et  il  est  clair  aussi  que  le  lexle 
qu'on  nous  en  donne  est  fort  allere.  Nous  ne  la  cilons 
qu'en  consideration  de  son  objet : 


(1)  Lo  a-oiivenir. 

(i)   Maiiitenant  je  lie  ttl'occ  upc  que  Je  joie. 

(5^   13ii  &oii    au  matin- 


liN    ir.A.NCt.  Z-J-] 

Ccliii  qui  nasijiiil  saiiiflcmciil, 
lien  hone  ,  lien  Iiciic  ,  hen  henc  (1) ! 
Veuille  tncner  a  snuvctd 
L'aine  du  bon  f  u  roi  Rcn6 ! 

II  a  prins  son  dcfincmcnl; 
Hen  hcnr ,  elc. 

Pour  corlain  il  est  trespassi  , 
C'esl  grand  doinniage  dc  sa  mort. 

Elquand  vicndralejugemcnt, 
lien  hcnc ,  etc. 
Que  thacun  y  sera  pour  soi , 
Le  donix  Jesus  par  sa  pili6  , 
Nous  veuille  donner  sauvemenl ! 
Hen  henc,  etc. 


La  NonnaniUe  cl  i'ecole  de  Fire  cii  i»ailitiilicr  ,  pa- 
raissent  avoir  fourni  la  nicilloiirc  part  des  cbansoiis 
populaircs  dcs  XIV^  et  XV".  siecles.  Ce  n'est  pas  A 
dire  pour  cela  que  les  aulres  parlies  de  la  France  n'aicnt 
pas  aussi  beaucoup  prodiiit  en  ce  genre  ,  et  nous  ne 
nianquons  pas  de  preuves  bien  positives  du  contraire. 

II  y  en  cut  de  faites  A  Paris,  sur  la  captivile  du  roi 
de  ISafarrc  sous  le  roi  Jean,  en  loSfi,  Elles  etaient 
en  faveur  du  prisonnier,  el  avaient  grande  vogue  parnii 
le  peuple. 

11  y  en  cut  au  temps  de  Charles  F ,  en  i36cj  ,  sur 
riuaclion  de  I'armee  fraiiraiseenz/r/oiv,  sous  les  ordres 
du  due  de  Bour^ognc  ,  PhUippe-lellanli. 

Celle  de  Quimperle  ,  (pi'on  n\uua  pas  oubliee  ,  est 
du  nienie  regnc  ,  et  a  5  ou  6  ans  pres  ,  de  la  nieine 
ei>()qiie. 

(i)  IliTitiiu  iusigniftaiit ,   pouriiiiilcr  mic  ptfsonne  qui  pi t- lire  ? 


2-S  1>E    L\    I'OtSlli    I.YIUQIE 

Les  njalhcureux  troubles  dii  rOigno  do  Charles  I' I 

donnerenl  lion  i\  bcaucoiip  d'aiitics  ,  dar.s  les  illicit' Is 

rospcetifs  dos  deux  factions  rivalos.  A  qiiatre  ct  cii  <[ 

anndes  dc  distance  (i4io  ,  i4i4  ct  t4'9)>  ^^'s  rues  do  la 

capitale  retcntirent  tour-i-tour  de  voeux  pour  Ic  bou 

(lac  dc  Boui-frogne ,  oncle  du  loi  ,  et  pi esque  roi  de 

tirconstance  ,  Jcan-sans-Peur  ,  et  de  lamentations  siir 

Fassassinal  dc  son  concurrent,  le  due  Louis  d'Oiicdiis, 

frere  dudit  roi,  puis  encore  de  chansons  sur  Tassassinat 

de  Tassassin  ,  etc.  ,  etc.   En  1422  ,  les  inalheurs   pro- 

longes  de  la  guerre  civile  ,  mislre  ,  famine  ,  maladies  . 

oppression  violcnle  ct  cruelle  de  I'elranger,  produisirent 

des    complaintos    energiques    du    pauvre    commun  : 

«  C'etait  ,  y  disait-on  ,  un  gouvernement  de  loups  ra- 

«  vissants ,  qui  emportaient  la  brebis  avec  la  laine  , 

«  et  devoraient  la  chair  avec  lesang.  y  [  V.  Froissart, 

Monstrelet  ,    M.  de  Daranlc ,  etc.) 

On  en  tit  sous  Louis  XI ,  en  1469,  sur  la  disgrace  du 
cardinal  de  La  Baluc ;  et  en  1475  sur  Texpiculion  du 
conne table  de  St.- Pol;  et  en  1476  ,  sur  la  victoire  des 
Suissos  et  la  defaite  du  due  de  Bourgogne  ,  CharlesAe- 
Temeraire ,  Alajournee  de  Granson. 

Quelques-unes  de  ces  derni^res  compositions  iront 
pas  «^16  tellement  oubliees  ,  qu'on  ne  puisse  en  citcr 
encore  des  fragments  plus  ou  moins  considi^rablos.  I. a 
coinplaintc  sur  le  conn^table  de  St.-Pol ,  fournit  Ic 
morceau  ci-apres  : 

Pleurcz  ma  mort,  patrons  de  jiilleric , 
llommes  de  sang,  qui  aimez  brouillcrie; 
Plus  ne  vous  puisscrvir  ,  ne  aide  Tairc  ; 
Plcurez  donclous  el  tasthez  de  defaire 


EX    FilAXCE.  2.-<) 

Les  unions  dcs  princes  el  raccord 
Qu'eusse  emi)esch(5  si  n'cust  csl<$  ma  mort. 

Petils  cnfanls,  donl  guerre  occil  les  peres, 
Soycz  en  Juge  au  venire  de  vos  meres ; 
Car  par  ma  mort  vous  vivrez  en  repos ; 
Femmes ,  et  vous ,  qui  dcs  larmcs  ani6res 
Avez  iel6  pour  vos  maris  el  freres, 
Quiltez  le  deuil ,  tenez  joycux  propos. 

Nobles ,  marchands,  et  tous  autres  suppols. 
La  paix  vous  dit,  comma  a  ses  chicrs  amis , 
Que  justice  a  I'un  de  ses  ennemis.     .    . 


Dc  la  chanson  sur  Ic  cardinal  dc  La  Baltic  ,  on  a 
relenu  surtout  ccs  six  vers  : 

Maistre  Jean  Baiue 
A  perdu  la  vue 
De  ses  ^vescli6s ; 
Monsieur  de  Verdun 
N'en  a  pas  plus  un  ; 
Tous  sont  d6pesches. 

L'cquipee  de  Peronnepar  dtssus  tout(  1 4<^'^)>  aurail  pu 
fournir  aussi  aux  Parisians  un  admirable  sujct  dc  vau- 
deville; mais  il  parail  que  personnc  n'osa  le  (ourher.  11 
y  avail  dc  bonnes  raisons  pour  cela.  L'edit  pour  la  pu- 
blication du  traile  de  paix  ne  parut  qu'acconipagne  de 
defenses  d'en  criliquer  les  dispositions,  \)i\r  jmiolcs  , 
crrils ,  cluuisons  ,  peiitUires  ,  si f;iics  ou  mi'iuc  gcslcs  , 
sous  peine  d'etre  fustige  el  banni  pour  la  premiere  fois, 
d'avoir  la  langue  percec  pour  la  scronde  ,  el  d'elre  mis 
;\  mort  pour  la  Iroisieme,  On  alia  jusqu'A  faire  lucr 


"^O  Dli    I.A    rotSIK    I.VlllQLli 

Ifs  pies  (lonicsliqiics  (]iii  (niiciil  Ic  nialbour  do  se  laissor 
appreiidie  a  prniioiKor  des  syllabos  d'allusion  suspcdi'. 
Si  qucKpj'iin  sc  Lasarda  de  chansoniicr  siir  Peronnv  , 
on  deviue  quo  ce  iie  diil  tire  que  sous  la  garanlic  dc 
V finis  bien  ctos. 

Cet  clal  dc3choscs  bien  compris  ,  si  ,  snr  les  monu- 
ments aulhcniiquemcnl  coTinus  des  deux  branihes  du 
lyi'ique  des  XIV".  ct  XV''.  siecles ,  r.ous  dieichoiis  a 
nous  faiie  unv  idee  gi'iTerale  des  changements  que  pa- 
raissenl  avoir  subis  dans  celle  pei  iode ,  la  lanp;iie  (rune 
j)ail,  el  de  I'aulre  Tarf  de  la  composition  poetiqiie  , 
nous  Irouvons  d'abord  pour  ce  qui  est  du  langage  : 

I".  Que  le  vocabiilaire  avail  eprouve  conime  une 
sorfc  dc  refonte  ,  soil  par  Fintroduction  d'une  loule  de 
lermes  loul  nouveaux ,  soil  par  omission  absolue  on 
niodificalion  importanic  ,  dc  forme  ou  dc  desinence  , 
de  la  plupart  de  ceux  de  I'epoque  anterieure. 

2".  Que  I'nrticalalioii  nifilcrielle  en  nieme  tem|)s  , 
s'elail  sensiblemenl  atfoucie,  par  la  contraction  devenue 
habituelle  de  presque  loutcs  les  syllabes  en  double 
voyelle  faisant  clioc  Tunc  sur  I'autre  dans  un  menie 
mot. 

En  ces  deux  points  ,  Ic  cbangemcnt  parail  avoir  ele 
prompt  ct  progrcssif.  On  en  suit  sensiblemenl  la  marthe 
dans  les  qualre  premiers  poetos  du  XIV''.  sieclc  ,  A 
ni  )ins  loulefuis  (ju'il  n'y  eul  pour  nous  illusion  a  ret 
egard  ,  el  (ju'il  ne  I'allul  rjipporter  i  des  dilTeremcs  de 
dialecle  local  ,  ce  que  nous  prenons  rhez  eux  pour  des 
eflets  de  Taction  du  temps.  Les  ocuvres  de  Cluirlcs 
(V  Orleans  y^mioni,  nous  uffrenl  sous  ce  rapport  un  objet 
d'observation  des  plus  imporlants.  A  laseule  ouverturc 


EN    FBAXCK.  sSi 

<lii  livre  ,  tout  le  monde  se  sent  commo  en  pays  limi- 
trophe ,  el  sY'lonne  prcsq-.io  de  comprcndi  c  i  pen  pres 
lout  sans  explication.  L'aljsonre  des  voyelles  fn'urh'cs 
(ia?is  la  proiionc'ialion  nVst  pas  those  (jui  puisse  s'v 
niauifester  de  nienic  a  la  {iicmiere  vue.  Lcs  porsonncs 
qui  seraienttentccs  de  verifier  ce  qu'il  en  est,  qiianl  a 
ret  auteur,  liouveront  que,  sur  dixexoniplcs  de  Teniploi 
des  mots  a  voyelles  rassemblees  (  cnsxe ,  daissc  ,  en  , 
seen,  vcoir ,  seoir ,  el  autres  semblables  )  ,  il  y  en 
aura  rarcnient  deux  ou  Tauteur  n'ail  pas  fait  la  ron 
traction.  II  ne  la  manque  ni  dans  aagc. ,  ni  dans  rojv/e, 
on  ses  predecesseurs  ne  la  faisaient  pas. 

Sous  le  rapport  grammatical  ,  les  choses  sont  ciian- 
gees  aiissi : 

1".  En  ce  que  les  conjonclions  ot  les  pronoms  con- 
jtmrtifset  relalifs  onl  pris  des  formes  phis  delerminoes 
el  moins  susceptibles  d'equivoqiie  et  de  confusion. 

a".  En  ce  que  des  regies  plus  nxess'cfant  elablies  pour 
raracleriser  la  difference  du  iwinbrc.  dans  lcs  nonis  e(  de 
la  jjersonne  dans  les  verbes,  et  renipioi  de  Vs  avanf  ele 
babiluellemcnt  inlroduil  dans  Tunc  el  Tautre  de  ccs 
deux  fonctions  ,  il  a  du  s'en  suivre  ,  et  il  s'cn  esl  suivi 
aussi  ,  que  Ys  ail  tendu  a  perdre,  el  ail  finalement 
perdu  en  effet ,  son  auire  fonction  ,  plus  ancienne  ,  de 
caraclerislique  des  noininalifs  singuUers  masculimt . 
flJc.i  roys  n"a  plus  du  se  dire  pour  rex  mens  .  quand  il  a 
elebienrecu  quesasignifiation  commune  el  babitucllo 
scrail  ref;e.<i  mei.  La  distinction  a  pen  pres  indispensable 
des  nomb  es  a  di^  faire  negligor  la  disliriclion  moins 
iniporlante  ,  cl'iin  cas  unique  .  dars  une  langue  oil  la 
i'onclion  des  termes  est  presque  neci  ssairement  delcr- 
minee  par  rordre  d<'  la  construction. 


aB  >.  UK    LA    POESIE    LVUIQl'E 

Be  dire  i  quelle  epoqiic  precise  s'cst  effeclnc  re  der- 
nier rhangcnicnt ,  ne  scmble  pas  chose  des  plus  aisees. 
On  croil  vo:r  qu'il  y  a  eiid'abord  confusion  des  moy ens, 
ptiifi  neglif;enccprogressh'e  (ie  I'emploi du premier, sm\'w., 
pen  apres  ,  de  Vonbli  cle  son  objel ,  qui  dut  un  peu  plus 
lard  en  aniencr  rflf/^<7«r/o/i  total.  L'ancienne  pratique 
est  encore  loule  en  vigueur  thez  Froissart.  Alain 
C/iariier  ne  parait  pas  y  avoir  scnsiblcment  deroge. 
Aucun  veslige  ne  s'en  montre  phis  chez  Charles  d'Or- 
leans.  On  en  relrouve  quelques  traits  chez  Villon , 
mais  ils  s'y  presentent  comnie  des  jeux  d^archa'isnie 
volontaire  et  avoue.  Son  edileur  Alarot ,  Ires-bon 
grammairien  d'ailleurs  ,  semble  n'avoir  pas  connu  le 
principe  qu'ils  rappellent ,  ( t  sc  borne  h  les  signaler 
comnic  pluricls  cinplojds  pour  singuliers  ,  selon  I'usage 
vicicux  des  ancicn.s.  Pour  resoudrela  question  en  pleino 
connaissance  de  cause,  I'examen  compare  des  bons 
manuscrits  de  I'epoque  ,  est  le  point  par  ou  il  faudrait 
conimencer. 

Sur  le  surplus  ,  on  pent  dire  que  ,  soil  chez  les 
succcsseurs  de  Fillon  ,  soit  ( hez  Villon  lui-meme  ,  et 
avanl  lui  aussi  chez  Charles  f/'Or/t'«n5,lesseules  traces 
subsistantes  de  I'ancienne  gramniaire  sont  la  suppres- 
sion facultative  Anpronom  personnel  subjectif  devant 
le  verbe ,  et  le  mode  d'inversion  qui  permet  d'y  placer 
le  nom  subsiantif  emjAoye  en  regime  direct. 

Pour  ce  qui  est  de  I'art  de  la  composition  poetique  , 
dirons-nous  qu'il  soit  constamment  all6  en  se  perfcc- 
lionnanl  par  degres?  Ou  bien  qu'il  ait  langui  dans  une 
longne  im|)erfection  ,  avec  les  seules  differences  qu'ont 
dii  y  introduire  rinegalile  des  talents  individuels  ?  Ou 


E.\    FKA.NCK.  5.83 

l)ion  encore  ,  quil  sc  soil  allere  dans  quelques  points, 
par  roffcl  nalurcl  de  la  separation  de  la  poesie  et  de  la 
nuisique?  Nous   Iroaveiions  dcs  raisons  plausiblcs  en 
I'aveur  de  chacune  do  ces  opinions  divcrses  ,    donl  la 
discussion  nous  mcnerait  Irop  loin.  Lefait  est  que  Tabus 
des  formules  explclivcs  ol   des  incises  oiseuses  semble 
|>lus  rare  cliez  East.  Deschamps  que  diez  Froissart  • 
que   Charles  cT Orleans  seul  parait  avoir  cu  quelquc 
superiorile  sur  ccmenie  Deschamps  ,  en  co  qui  lient  k 
I'clevation  des  pensees  el  aux  mouvemenis  du  style  , 
.uispension  ,  gradation  ou  conlraste  ,  etc.  ;  que  Charles 
(C Orleans  et  Froissart  se  placi'nl,  h  peu  pres  ensemble, 
sur  une  ligne  h  pari  ,  pour  loul  ce  qui  est  grace  el 
ualiirel  tourhant   et   ingcnieux  ;  (yS Alain    Charlicr  , 
infcriour  k  tons  trois  sous  Ic  triple  rapporl  de  la  force  , 
(\cVagrc//>ent  etde  \i\/inesse,sc  nionlre  presquc  partout 
cnlacbe  de  vices  ,  donl  ils  se  sont  tons  plus  ou  moins 
habilucUemcnl  garanlis.  C'est  lout  ce  que  nous  preten- 
dnns  affirmcr  ,  quant  k  present  ,  sur  ee  sujel. 

Relalivcinenl  k  la  versification,  A  part  Tusage,  devcnu 
a  peu  pres  general,  des  grands  refrains,  el,  si  Ton  veul 
aussi,  quelques  effets  derejels  ingcnieux,  plus  frequents 
que  p.ir  le  passe  ;  k  part  encore  quelque  amelioration 
introduite  a  I'cgard  dcs  rimes  ,  par  Tabandon  de  I'an- 
cienne  pratique  des  desinences  facliccs ,  oblcnucs  par 
syncope  de  syllabe  finale  (  mon  ou  mont  pour  mont/e  , 
citil  ou  cni  pour  cuide  ,  etc. )  ;  nous  ne  voyons  pas 
que  Tart  ait  fait  aucun  progrcs,  en  rien  de  ce  qui  lient 
a  son  objet  reel.  On  admet  loujours  Yidatiis.  On  nc 
songe  pas  encore  a  la  necessitc  do  Telision  de  Yc  mint 
final  ^  precede  d' une  autre  voyelle.  On  se  perniel ,  plus 


oSl  VE    LA   POKSIE    LYRIQt'E 

IVt'tjucinnieiU  pcut-t'tre  qu'au  temps  dcs  Iromurcs  .  ,le 
placer  le repos de  I'lumisliche  sur  tin  e  muel ;  on  observe 
nioins  rigoiireusenienl  qifeiix  aussi ,  le  rctow  dc  rinn-s- 
de  mcnic  nature  aiix  posies  eorrespondanls  d'une  meme 
piece  ,  etc.  El  rependant  on  lravaiile,on  toinmeiilc 
peiiibleinenl  la  versifitalion  ,  pom-  la  pUer  A  des  jeux 
(le  pur  caprire  ,  etrangers  ,  commc  nous  I'avons  dit  ,  a 
tout  effel  d'harmonie  el  de  rbylbme.  Et  ce  ne  sonl  pas 
seulement  quelques  baibouilleurs  desoeuvres  qui  se 
livrent  a  res  rctbercbcs  pueriles.  Ce  sont  les  gens  qui 
oblieinienl  la  vogue.  Ce  sont  aussi  les  honunes  de 
talent  les  plus  capables  de  se  distingucr  par  d'aulres 
opuvres.  Nous  trouvoiis  Froissart  lui-nieme  s'y  cxer- 
cant  avaiit  les  MuUnct  et  les  Crcstin.  On  remarquc  de 
lui  ce  couplet  de  ballade  en  rimes  fralrisees  ou  an- 
nexecs ,  etc.  : 

A  tres-plaisant  cljolie 

Lie  mon  cocur  el  rcml  pris ; 

Pi  is  m'cn  liois  sans  viUntue  ; 

Oil  nil-  est  CM  bicn  do  pi  is ; 

Pits  nic  rend  en  la  prison 

La  belle  que  tant  prison....  Etc. 

Et  aussi  le  rondeau  en  vers  equivoques  : 

«  La  p''intiirc  qui  me  point , 

Donl  conscillcr  ne  me  sai , 
Null  el  jour  ne  cesse  puint 
ha  pointu re  qui  mc  point ; 
El  si  me  point  si  ii  point , 
Que  riens  ne  rrienc  son  assai , 
La  poinlnre  qui  me  point , 
Donl  consriller  ne  me  sai. 


tN    FRANCE.  285 

Ce  no  sonl  .ippareniment  pas  \'k  Jes  invcnlioiis  de 
poetos  cbanleurs  ?  Disons  pourlant  que  celle  dcs  vers 
equivoques  roniontc  a  unc  epoque  aiiterieure ,  et  qu'on 
ne  laisse  pas  d'cn  trouver  des  le  XIII''.  siecle  ,  no(am- 
menl  dans  unecomposilioii  satiriquede  Rutebcufs\iv\QS 
on/res  (couveii(s)  de  Paris  : 

Se  li  cordelier  ,  por  la  corde ; 
Piicnt  avoir  la  Dicu  acccrde  ; 
Biier  sont  de  la  corde  encorde.,,. 
Etc. 

Nous  n'en  somnics  plus  a  demander  aux  monuments 
poeliques  de  rcpoquc  ,  dcs  revelations  sur  un  elat  de 
societe  dont  ils  auraienl  presque  seuls  conserve  les 
indices.  L'histoire  des  temps  que  nous  venons  de  par- 
courir  est  bien  connue.  Leurs  nioours  aussi  ne  nous  le 
son  tpas  mal.  Les  chants  de  Tepoque  nous  fournissent 
sur  ce  sujet  peu  de  notions  ,  que  nous  n'cussions 
d'avance.  Ce  n'en  est  pas  nioins  pour  nous  un  grand 
et  vif  plaisir  ,  d'y  en  reconnaitrc  si  clairement  la  vraie 
ct  naive  empreinte.  Sous  ce  rapport ,  le  caractere  de 
celte  poesie  des  XIV®.  et  XV'=.  siecles  laisse  peu  de 
chose  a  desirer.  Ce  qu'elle  peint  est  bien  ce  qui  fut , 
ce  que  nous  savons  bien  positivement  avoir  ^te  :  Une 
soeiete  en  progres ,  passant  dc  la  galanterie  chevale- 
resque  a  des  formes  de  civilisation  moins  restreintes  ; 
de  I'ignorance  presque  generale  ,  k  un  commencement 
d'instruction  sageraent  repandue  j  du  desordre  feodal 
a  raffermissement  d'unc  royaule  preponderanle  , 
aiitour  de  laquelle  vienneiit  se  grouper  tous  les  inte- 
rets  sociaux,  et  qui  s'altachc  d  captiver  les  esprils  et 

'9 


286  DE    I.A    rOESIE    LYRIQUH 

A  exalter  les  Ames  ,  par  r^ilat  des  fetes  siierri^res  , 
joules,  tournois  ,  elc.  ;  snciete  nialhcureiise  et  lour- 
mentee  d'ailleurs  de  mille  fleaiix  ,  giierrcs  d'invasion 
etrangere  et  disscntions  civiles  ,  famine  ,  pestes  ,  fac- 
tions ,  revolte  ,  lyrannie  ,  oppression  ,  niiseres  et 
crimes  de  toiile  espece.  Tels  sontles  tableaux  des  chro- 
niques :  tels  sent  aussi  ceux  de  la  poesie  contempo- 
raine.  Ce  sonl  deux  temoins  qu'on  aime  a  trouver  si 
parfaitement  d'accord  sur  los  momcs  fails. 

Nous  en  aurions  fini  en  ce  moment  avec  le  lyrique 
des  XIV".  el  XV.  siecles  ,  s'il  ne  nous  restail  quelques 
mots  A  dire  de  Clolilde  clc  Sundlle  ,  el  de  ce  qu'il  y  a 
de  lei  dans  le  recueil  de  poesies  donne  sous  son  nom. 

Les  poesies  de  Clolilde  de  Sun'ille  ont  ele  publiees 
pour  la  premiere  fois  en  i8o3.  Jusqu'alors  personne 
n'avait  enlendu  parler  de  celte  femme,  ct  il  n'existe 
nulle  part  aucun  manuscrit  coiinu  des  ouvrages  qu'on 
pretend  lui  altribuer. 

Son  edileur  qui  ne  peul  en  produire  que  depn'lendues 
copies  toutes  modernes,  ne  laisse  pas  de  nous  les  donner 
pour  un  ouvrage  parfaitement  authenlique.  II  y  joint 
sur  la  personno  de  Fauleur  ,  des  details  fort  circons- 
tancies,  qu'il  pretend  s'elre  conserves 7»5yM7i!  nos  jours, 
avec  les  poesies  ,  dans  des  memoires  de  famille....  ac~ 
tuellement  perdus. 

Clotildc  de  Siinulle  ,  s'il  faul  Ten  croire  ,  naquil  en 
i4o^,  el  vivail  encore  en  i49^-  l^'l^^  aurait  vu  ,  en  con- 
sequence ,  dediner  et  finir  Alain  Cliartier  el  Cliarlcs 
d'Orleans  ,  et  naitre  el  p;isser  le  fameiix  Villon.  On 
nous  la  donne  pour  une  femme  de  qualile  ,  fille  d'un 
sieurde  f'allon  Cluiljs  au  Z?</v  /  ii'arais,  el  mariec,  en 


EN    FBANCE.  287 

142 1  ,  A  Bercnger  tie  Sur^illc  ,  jeune  gentilhomme  du 
nicnie  pays,  Tun  dcs  braves  atlacLes  k  la  fortune  el  aux 
droits  meconmis  du  roi  Cliarles  Vll ,  alors  dauphin. 

Les  ouvrages  de  poesie  altribues  h  Clotilde  sont 
pleins  de  grace,  d'elegancc,  de  nalurel ,  el  quelquefois 
aussi  de  force  et  de  bardiesse  ,  el  Ires-superieurs  aux 
compositions  connues  de  lous  les  ecrivains  de  son  siecle, 
soil  pour  le  fonds  des  cboses  ,  soil  aussi  pour  les  pro- 
cedes  du  st}le  et  ceux  de  la  versification.  On  y  re- 
niarque  une  rare  connaissance  des  anciens  ,  et  une 
foule  d'allusions  k  I'antiquite  classique  ,  qui  supposent* 
aulaut  d'instruclion  qu'on  y  reconnail  d'ailleurs  de 
talent  et  dc  gout. 

lis  sont  dans  notre  dialecle  du  Nord ,  dit  langiie 
d'oil ,  qui  n'est  pas  celui  que  Ton  parlait  dans  le  pays. 
Clotilde  apparenmient  Taurait  prefere  au  sien,  conime 
nieillcur  ,  on  plus  n'pandu. 

Comment  au  reslc  ,  du  fond  de  sa  province  ,  el  dans 
un  tcl  siecio  ,  une  femnie  a-t-elle  pu  acquerir  ces  qua- 
lites  donl  la  reunion  est  partoul  et  en  tout  temps  une 
cbosesi  rare?  I/editcur  nous  repond  ,  sur  ia  foi  des 
lue moires  de  famille  : 

I ".  Qu'el'e  apparlonait  a  une  ecole  AQfemmespoctcs, 
fondee  au  XII"^.  siecle  par  la  celebre  Helo'ise,  el  au  sein 
de  laquelle  sV;(aienl  developpes  el  transmis,  dejemme 
enfentnic  ,  duranl  une  periode  d'environ  trois  cents 
ans  ,  dcs  priucipes  de  composition  et  de  gout  ,  peu 
connus  dcs  lio/nmcs  .  ecrivains  de  profession. 

2".  Qu'elle  avail  ele  elevee  par  une  mere ,  d'unc 
instruction  peu  conmiune ,  ot  donl  les  etudes  avaicnl 
ete  dirigecs  par  lo  celebre  Froissart. 


288  DK    l.\    POiiSIE    I.VRIQl'E 

3".  Qirelle  avail  cu  a  sa  disposition  li's  cxlraiLs  fails 
par  cello-ci ,  sous  la  direclion  de  son  niaitrc,  de  tons  les 
bons  oiiviagcs,  anrionsel  modernes,  dola  bibliolheque 
de  Gaslon  Phvehus  .  comic  de  Foix  ,  etc.,  el  que  lY'tude 
de  toule  ccUe  lilteralure  avail  ele  le  passe-lenips  cheri 
el  la  ])assion  dominanle  de  ses  jeiines  ans. 

Fails  tout  iieufs !  k  recevoir  sans  aulrc  examen  ! 
Merveilie  expliqiiec  i)ar  un  cntassement  de  nieiveilles! 
Phenomene  invraisemblable  de  loiitos  manieres  ,  mais 
qui  le  serail  moius  en  !ui-mL'me  que  dans  son  ia[tporl 
avec  los  circonstances  qui  doivenl  Tavoir  pioduit. 

Cepcndant  pour  completer  le  s}  steme  de  Teditcur  ,  il 
fan  I  encore  y  ajoulcr  ces  deux  petiles  allegations  : 

1  ".  Que  inalgre  leur  excellence  reelle  el  leur  beaule 
si  frappanle,  nialgre  Yh  propos  paifail  des  sentiments 
de  devouiueiil  a  la  cause  royale  ,  quVlles  expriment 
admirahlenieiil  ,  el  que  devaienl  relever  encore  les 
services  de  son  jeune  et  vaillanl  epoux ,  les  poesies 
(La/mantes  de  ClotUdc  ne  purenl  cppendanl  se  faire 
jTouter  ni  an  camp  du  dauphin  d'abord,  ni  crisuile  a  la 
com-  du  roi  (Charles  VII),  el  en  furenl  duremenl  ecar- 
lees  par  rinfluence  qu'y  exercail  ALaln  Clinrticr. 

2".  Que  refoulees  par  la  dans  le  secret  d'unasociete 
asscz  rcstreinle  .  ses  oeuvres  reslerent  pcu  connues  du 
public,  el  loniberenl  Lientnl  dansun  oubli  total,  comme 
celles  de  Charles  d' Orleans ,  dil-on  ,  mais  avcc  celtc 
difference  ,  sur  laquelle  on  glisse  ,  que  des  maniiscrits 
des  poesies  de  Charles  d' Orleans  se  soul  conserves  dans 
les  bibliolheques  publiques  ,  oii  lout  le  nionde  peul  en 
conlrAler  la  forme  ,  Velat  el  Vdgc,  landis  quon  ne  pent 
ciler  ,  de  cc  lies  dc  Clotildc  ,  que  de  pretcndues  copies  , 


EN    FRANCE.  289 

loules  fraiches,  qui  ne  peuvent  en  consequence  fournir 
aucunc  garantie  malerielle  de  rautbenlicUe  du  fonds. 

On  nous  avertit  ,  d'aillcurs  : 

Que  dans  le  temps  de  leur  existence  en  nianuscrit  an 
sc'in  de  la  faniiile  de  Surviile,  les  poesies  de  Clolitde  ont 
du  ede  relouchees  deux  fois,  par  deux  membres  de 
celte  nieme  famille  ,  A  deux  epoquc  s  diversos  ,  et  dans 
des  intentions  tout  opposees  ,  la  premiere  operation 
ayant  tendu  i  en  rajeunir  le  langage  ,  la  seconde  au 
conlraire  ji  y  rctablir  Ics  archaisims ,  qu'elle  a  pu 
quelquefois  exagerer. 

A  la  bonne  beure !  il  ne  fallail  pas  moins  que  cet 
avis  pour  trancber  court  A  des  objections  dont  la  dis- 
cussion n'cut  pas  6te  exempte  de  queique  dilTiculte.  II 
n'y  a  plus  i  craindre  qu'aucun  detail  du  langage  donne 
prctexte  de  contester  I'jlige  des  productions. 

Plusieurs  petites  compositions  lyriques  de  Clotilde 
ne  sont  que  d'ingenieux  badinages ,  d'un  interet  tout 
individucl ,  mais  que  relevent  toujours  la  finesse  ct 
Tagrement  dc  la  pensec  ,  ct  sou  vent  aussi  I'exprcssion 
viveet  inattcndue  d'un  sentiment  aimable  et  toucbant. 

Til  est  ce  gentil  rondeau  sur  ce  souvenir  :  Que  quand 
son  lei  ami ,  niainlenant  son  cpoiix  ,  vinl  luifaire  sa 
premiere  visile ,  il  cloil  suivi  d'un  jetinc  loiip  prive  : 

o  De  pcur  du  loup  n'allez  onrqucs  seufctlc  !  » 
Tanl  me  le  diet  ma  mere  qu'ocondrois 
Trcmbloy  toujours,  sans  que  nicnoy  lilFelte, 
RIcsrne  varlcls  ,  aux  chaniiis  1 1  dans  les  bois, 
Chaquc  printemps  cocillir  la  violcltc. 

Suivy  d"ung  Iou|»,  prive  eommc  Icvretlc , 
Drokl  au  ihastcl  vint  pour  la  prime  fois 


ago  DE   LA   POtSlE   LYRIQUE 

Mon  bel  ami.  Pensay  m'enftiyr ,  nicelle , 
De  peur  du  loup. 

M'accosta  brief:  au  sien  parler  courtois , 
Cuiday-je  oir  dieutelet  d'amourelle ; 
Voulus  respondre,  et  nc  Ireuvay  de  voix; 
Tremble  plus  fori  dcpuys  que  ne  le  vols ; 
Maiz  ce  n'estplus  (I'ai  Irop  senty,  povrelle! ) 
De  peur  du  loup. 

A  cette  categoric  se  rapporte  une  traduction  de  I'ode 
*aivsTat ,  etc. ,  de  Sappho  ,  traduction  ,  comme  on 
n'en  rencontre  guere  ,  et  telle  que ,  pour  cette  piece  , 
on  ne  concoit  pas  qu'il  fut  posssible  d'en  surpasser 

Yenergie,  le  inouvement  et  la  ftdelite  : 

Qn'h  mon  grd  ceste  li  va  primant  sur  les  Dicux  , 
Qu'enyvre  (on  soubriz  ,  sur  qui  ton  ceil  repose; 
Qu'encharmont,  r^sonnant  de  ta  bouche  derose 
Les  sons  melodieux ! 

Je  t'ai  vu dans  mon  seyn  ,  V^nus  qu'ay  toute  en  I'ftme  , 

Qui  sur  levre  embrasde  cstoulToit  mes  accents , 
V^niis  h  feux  sublils,  mais  jusqu'er  os  pcr^ants 
Court  en  fleuves  de  fiamme 

S'ennuaigent  mes  yenlx;  n'oy  plus  qu'cnmi  rumeurs; 
Je  brusle ,  je  languis;  chauds  frissons  dans  ma  vayne 
Circulent ;  je  paslis,  je  palpilc  ,  I'haleine 
Me  manque ;  je  me  meurs 

Une  pi^cc  des  plus  justement  vantees  enlre  toules 
celle3  du  rccucil ,  est  le  niorccau  inlilule  :  Fersclcls  a 
mon  premier  nc.  Clolilde  y  adresse  la  parole  au  jeune 
enfant  qu'elle  allaite  ,  el  tout  en  rendorniant  sur  ses 
genoux  ,  ellc  rentrelienl ,  comme  s'il  pouvait  la  com- 


EN    FRANCE.  ft^t 

prendre,  de  son  epoux  (alors  absent )  et  de  lous  les 
doux  roves  de  son  coeur. 

L'elendue  est  de  i6  couplets  (de  chacun  quatre  vers), 
sans  compter  la  repetition  du  couplet  refrain  ,  qui 
revient  de  3  en  3. 

On  remarquera  ce  debut  si  simple  et  si  vrai  : 

O  cher  enraiilelet ,  vray  pourtralct  de  Ion  pere , 

Dors  sur  le  seyn  que  ta  bousclie  a  press6 : 
Dors ,  petiot ;  cloz ,  amy  ,  sur  le  seyn  de  la  mere , 

Tien  doulx  oeillet  parle  somme  oppress^. 

Bel  amy  ,  cher  peliol ,  que  ta  pupillc  Icndrc , 

Gousle  ung  sommeil  qui  plus  n'cst  faict  pour  moy  ! 

Je  vellle  pour  tc  veoir,  tc  nourrir,  le  d^fendre.... 
Alns  ,  quil  m'esl  douk  nc  veiller  que  pour  toy  ! 

Dors ,  mien  cnfantelet,  nion  soulcy  ,  mon  Idole; 

Dors  sur  raon  seyn ,  le  seyn  qui  I'a  porle ! 
Ne  m'esjoull  eneor  le  son  de  la  parole, 

Bien  ton  soubriz  cent  fois  m'aye  enchante. 

O  cher  enfantelel ,  etc. 
Puis  ce  charmant  passage  : 

Eslend  scs  brasselets;  s'espand  sur  lui  le  somnie  ; 

Seclost  son  ceil ;  plus  ne  bouptc  ;  il  s'endorl;.... 
N'eslollce  layn  flouri  des  coideursde  la  pomme  , 

Ne  le  diricz  dans  les  bras  de  la  mort?.... 

Arrcsle,  cher  onfanl!....  j'cn  frcniy  toule  cnglicrc!.... 

R6veille-loi ;  chassc  ung  lalal  propoz  ! 
Mon  fils !  pour  ung  moment !  ah  !  rcvoy  la  lumiere ! 

Au  prilx  du  lien  ,  rends-moi  tout  mon  repoz  I 

Doulce  erreur!  il  dormoil....  c'est  asscz,  je  respire; 
Songcs  lOgiers ,  flattcz  son  doulx  sommeil ! 


292  DE   LA   POESIE    LYRIQLE 

Ah!  quand  voyray  cestuy  pour  qui  nion  rueur  souspirc 
Aui  miens  costcs ,  joulr  de  son  r(?Yeil ! 

O  Cher  enfantelet ,  etc. 
Et  cet  autre  encore  : 

Te  parle  el  ne  m'enlends!  ct  que  dis-je ,  inscnsce! 

Plus  n'oyroil-il,  quand  fust  moult  dveille.... 
Povre  chicr  enfancon !  des  fils  de  la  pensfie 

L'esjhevelet  n'est  encor  dt5brouill<; .'.... 

Trestous  avons  estfi  commc  es  loi  dans  cPsle  heure ; 

Trislc  raison  que  Irop  tost  n'adviendra ; 
En  la  paix  dont  jouls ,  s'est  possible ,  ah !  demcurc ! 

A  tes  beaux  jours  mesme  11  n'en  souvicndia. 

0  chcr  enfantelet ,  etc. 

Puis  enCn  ce  dernier  quatrain  ,  faisant  retour  ,  el 
en  quelque  sorte  envoi  ,  i  son  cpoux : 

Voyli  ses  Iraicts,  son  ayr!  volla  tout  cc  que  j'aymc; 

Feu  de  son  ceil ,  et  rozes  de  son  layn !.... 
D'oii  vienl  ni'en  esbahir?  aultre  qu'en  lout  luy-mcsmc 

PusImI  jamais  esdorc  de  mon  seyn? 

Tout  ceia  est  excellent ;  cV'st  Tinspiralion  de  la 
nature  ;  c'osl  V'iv^h ,  ^oifnq  de  Si/nonic/c  ,  qui  pour- 
rait  bien  cu  avoir  donne  Tidee  ,  ainsi  qiril  scniblo  on 
avoir  fourni  le  refrain  ,  si  heureuscnient  approprie  a 
une  autre  situation. 

Dans  un  autre  ordre  de  sentiments,  sur  cc  qui  louche 
aux  sujets  d'inleret  public  ,  ClolUde  se  presenlc  avec 
le  menic  avantage  ,  et  sYdeve  au  ^raii  I  et  a  flicroujue, 
tout  aussi  naturelleincnt  qu'on  Ta  vue  se  jouor  d'i.bord 


J 


EN   FRANCE.  SgS 

dans  le  lendrc  et  le  gracicux.  C'esl  du  nioins  cc  que 
nous  remuiquons  bien  positivenicnt  dans  le  chant  royal 
ci-apies  ,  sur  la  vicloiic  du  roi  Charles  Fill ,  i  For- 
nouc  ( 1 49'>). 

Qui  fait  endcr  Ion  cours,  flcuve  bruyanl  du  Rosnc? 

Pourquol  roulciit  si  fiors  tcs  flots  tuniullueulx? 

Que  la  nytnphc  dc  Sayne  au  port  niajestueulx  , 

De  scs  bras  argenlins  aillc  cnlourant  le  trosne  ; 

Tu  lui  falz  envier  Ics  bonds  inip(!lucnlxl 

Les  fleuvcs,  lescsgaulx,  coulcnt  en  assurance, 

Parniy  dcs  champs  llouris ,  des  plaincs  et  dcs  boiz: 

Toy  ,  qu'un  goulTrc  parfond  absorbca  ta  naissance, 

Mille  obstacles  divers  combaltent  la  puissance  ; 

Tu  Iriomphes  dc  Ions.  Tel ,  vcngeur  de  scs  droictz , 

Charles  brave  I'Europe,  el  faicl  dire  a  la  France  : 

«  Rien  n'cst  Icl  qu'ung  h(5ros  soubs  la  pourprc  dcs  royz !  » 

Oil  courcnl  ces  guerricrs  donl  la  tourbc  foizonne 

Enlour  du  I'o  ,  d'clTroi  soudain  lourmenluculx  ? 

Naguere  ils  courboient  touz  un  front  respecluculx 

Devaiil  I'ost  oil  des  I5Z  la  Ironipelle  rczonne ; 

I'ciisciit  done  I'arresler  ,  conqu^-rant  vcrluculx  ? 

De  Ics  hauls  faicls  rciccnts  la  seule  remembrance 

Deja  par  la  lerreur  u'cmbaisne  leurs  exploictz? 

N'a  done  asscz  cogiieu  leur  parjurc  alliance 

Que  pour  descoriforler  nos  prculx  et  la  vaillancc  , 

Alpcs  ,  voire  Apennins  sonl  fragiles  paroiz? 

Va  ,  Ics  frappc  d'ung  coup  I  parte  icel  cry  dc  France  : 

«  llicn  n'cst  lei  qu'ung  h6ros  soubs  la  pourpre  des  royz  .'  » 

Tel ,  des  Diculx  ,  q\i  Uczins  ct  cygne  de  Sulmone  , 
(Trop  souvcnl  deshoiit6splus  que  voluplueulx  ) 
Onl  dcspcincl  vimlictcurs  ,  pollrons,  inccslueulx  , 
L'arhilrc  souliverain  qu'eut  sien  temple  i  Duduuc , 
De  la  Icrrc  cscrasa  les  enfantz  monslrueulx. 
En  vain  ils  mcnagoienl  Taugusle  dcmourante  ; 


2g4  DH   LA  POESIE    LYRIQL'E 

En  vain  sur  Pel/on  Oisfl  jusqu'a  Iroiz  foiz 

Entass6,  surmonloil  ro/)7H/>c  en  apparence  ; 

Ains  sc  rit  Jupiler  ile  leiir  pers6vdrance; 

El  dcs  monls  fouldroycs  Ics  broyant  sous  le  poidz, 

Apprist  h  I'univers  ce  qii'orcs  voyd  la  France  : 

«  Rien  H'esl  Icl  qu'ung  h6ros  soubsla  pourprc  des  royz!  » 

Aux  armes ,  paladins ,  vostre  sang  ne  bouillonne  ! 
Des  Remains  desgradez  ,  \'.4igle  lempeslueulx, 
Le  Griffon  ,  la  Licunie  aux  palais  somptuciih  , 
UOitrs  blanc,  et  dc  St.  Ularc  la  supcrbc  Liunne  , 
Sousliennenl  de  Milan  le  Dragon  tortueulx. 
V Eri  Inn  de  voz  braz  attend  sa  d^iivrance; 
Haslez-vous ;  disputez  ccs  passages  estroicis! 
Ne  vouz  auroil  le  cicl  confid  sa  vengeance , 
Si  de  vos  devanciers  jiortanl  vaine  semblance, 

Vous  ne  savioz  joustcr  qu'en  spacieulx  totirnoyz 

Aux  mains!  n'oyez  quel  son  rendenl  6choz  de  France, 
n  Rien  n'cst  lei  qu'ung  hC-ros  soubs  la  pourpre  dcs  royz  !  » 

Ainsi  bravanl  la  mort  qui  ja  vousenvironne, 

Fondez  sur  I'cniiriiiy  lasdiect  prc^sompluculx  ; 

Tu  no  I'allcndois  pas,  pontife  fastuculx  , 

Anx  affronts  qu'en  ce  jour  sur  ta  triple  couronne 

Verscroient  tes  efTorls  toujours  infiuctuculx  ! 

Quoy  !  so  peul-il  eiuor  que  vicloire  balance? 

Diculx  seroicnt  incertains  oiise  monslrc  J'nloyz? 

Non  ,  non,  sur  I'hydre  niemc,  en  llerculcW  s'eslancc; 

Perfide  Manlouan,  rompz  la  derraine  lance  ! 

L'air  au  loing  en  mugist ;  Ludovic  ,  aux  aboiz  , 

Paslit,  tombeet  s'escrye:  d  Irop  hcurrusc France, 

"  Rien  n'cst  to!  qu'ung  h6ros  soubs  la  pourpre  des  royz  I  » 

Prince  ,  en  {(ui  luicl  valour ,  sagesse  el  (cmp<^rance , 
Du  premier  de  ton  nom  ,  qu'en  despriz  du  Crrgeoiz, 
A  Tempcyrc  romain  cominc  au  reigne  Gaiiloiz 
Rendisl  en  deulx  hyvers  leur  prime  transparence  , 
T'offre  Ics  derniors  sons  qu'eschappenl  a  ma  voix  , 
Fiere  que  dc  tel  chant  retcntisse  la  France  ; 
■  Gloire  a  Charles,  h^roz  soubs  la  pourprc  des  royz !  » 


EN    FRANCE.  SgS 

Celle  piece  est  unique  dans  le  recueil ;  el  on  veut 
que  Clolitik  Tail  composcc  a  Tdge  de  quatre-vingl-dix 
ans. 

Cen'est  pas  au  resle  la  premiere  fois  qu'elle  se  serait 
elevee  A  ce  ton. 

11  caracterise  surloul  une  Herdide,  que  des  I'an  1422 
(A  17  ans,  et  presque  immediatemenl  apres  son  ma- 
nage) ,  sur  les  derniers  momenls  dii  regne  de  Cliarlcn 
FI ,  Clolilde  est  censee  avoir  adiesse  i  son  jeiine 
epoux  absent ,  qui  est  alle  au  camp  des  braves  ,  re- 
joindre  les  drapeaux  du  dauphin  niecoimu. 

La  composilion  ,  sous  la  forme  d'une  simple  epilre, 
contient  des  trails  qu'on  admirerait  dans  le  chant  de 
guerre  le  plus  heroique.  On  distingue  a  le  passage 
suivant ,  sur  les  malheurs  de  celle  guerre  : 

Bellone  au  front  d'airtiain  ravagn  nos  provinces; 

France  est  en  proje  aui  dents  des  Icoparts; 
BannI  par  sessujets,  le  plus  noble  des  princes 

Erre,  et  proscript  en  ses  propres  remparls, 
De  chastels  en  cliastcls  el  de  villcs  en  villes , 

Contrainct  de  fuyr  licux  oil  dcbvoit  regncr , 
Pendant  qu'hommes  f61ons,  clercs  et  tourbes  servilcs 

L'osent ,  berime,  en  jusdment  assigncr! 
Non ,  non  ,  ne  peull  durer  lanl  roupable  vertige  ; 

0  pcuple  Franc !  reviendras  a  Ion  roy  ! 
Et  pour  te  rcndre  a  luy  ,  ((iiant  faudroit  d'ungprodige, 

L'allendsdu  ciel  en  ce  ronimun  desroy. 
De  lant  de  maux  ,  amy,  cc  penscr  me  console  ; 

One  n'a  parcils  vengid  divin  secours; 
Comme  d6ga(z  de  flolz  ,  de  vokans  et  A'Eolc  , 

Plus  sont  affrcux,  plus  croi  que  seronl  courts. 

Puis  eel  aulre  conlre  les  Fran^ais  qui  se  sent  decla- 
res en  favcur  de  Telranger  : 


sgG  DE   LA   roiSIE    LYRIQL'E 

De  vergongnc  t'loulTez  ,  qii'a  difaul  de  la  fouldrc , 

IWissenl  louz  soiibs  le  faix  dcs  rcmords! 
Francois  qui  veult  la  France  aider  h  se  dissoudrc 

N"a-l-il  ,  r^ponds,  mtVild  niillc  morts  ? 
Ainsy  permrsl  Ic  cici  Iclles  mdsadvcn lures 

El  laissc  ourdyr  si  noyres  factions , 
Pour  que  soycnl,  liuniains  ,  vos  divcrses  natures 

En  un  plain  jour  myses  par  actions! 
Tel  avecques  la  lerrc ,  escloz  soubs  ses  entralllcs , 

L'or  confondu  n'cn  dilfcre  en  couleur ; 
Alals  au  feu  s'cspuranl ,  emmycu  viles  scorailles , 

Tout  son  tidal  reprent  et  sa  valcur ; 
Tels  en  ces  temps  de  feu ,  voyrons  Francois  fidcles , 

Coniine  l'or  pur,  entre  escume  apparoir; 
Et  lira  I'advenir  sur  Icurs  nobles  rondelles: 

«  Mourir  pluslOt  que  Irahyr  son  debvoir !  » 

C'cst  assez,  ce  nous  scniblc,  pour  apprecier  Ic  iiR-rile 
des  poesies  de  CloiiUe,  el  peiil-eire  aussi  pour  decider 
la  question  dc  leur  aulhcnlicile. 

Pour  Ic  fonds  des  cboses  :  Abondance  d'idees  el  dc 
connaissanccs  acquises,  sagesse  ingenieuse  d'invenlion, 
el  abandon  absolu  el  raisonne  t'cs  vkillcries  de  pcrson- 
nilicalion  si  generalemenl  accreditees. 

Pour  la  composition  :  Gout  et  mesure  parfaites  en 
toutes  cboses,  entenlemerveilleuse  des  effels  jusqu'alors 
Ics  plus  inconnus  du  style ,  grftcc  el  vigueur  de  pensee 
el  d'expression  ,  aisance  el  libertd  gracieuse  de  niou\e- 
ment ,  sans  diffusion  ,  sans  mollcsse  ,  sans  aucun  re- 
coius  a  la  ressource  commune  des  formulcs  cxplclives , 
etc. 

Pour  le  langage  :  Idiome  cpure,  cboix  el  assorlinienl 
bien  enlendu  dc  ieimcs, alfsence  de  tout  vaiige  du  trail 
essentiel  tic  i'ancicnne  graiiimaire  ,  clc. 


E>    FBANCE.  Of)" 

Pour  la  vcrsificalion  :  Assorlimenl  allPinalif  ol  oioi- 
scinont  paifailomenl  regulicr  do  rinios  masculines  ot 
feminiiies  ;  dViialus  \>o\nl  ;d'elisions  inanquces,  aiiciine; 
plus  dc  repos  d'hemisliche  sur  des  syllabes  muclles  ; 
plus  de  mauvais  jeux  d'echos  ou  d'equivoqucs ;  jolis 
re/efs  d'cffet  pillorcsque,  etc.;  en  un  mot,  pratique  an- 
ticipee  dc  I'arl ,  telle  ,  presquc  dans  tons  Ics  points  ,  ct 
mcillcure  en  quelques  autres  ,  que  cello  dont  le  secret 
ne  deviendra  pul  lie  que  plus  d'un  siecle  apres. 

Aux  personnes  qui  n'auraient  pas  sudisammcnt  re« 
marque  toules  ces  differences  ,  nous  dirions  : 

Recourons  aux  textes ,  ct  essayez  dc  contrAlcr 
nosjugcments.  Compare/,,  par  excmple  ,  dans  ce  qui 
se  rapporle  k  Texprcssion  des  memos  sentiments  et  des 
memos  ponsees  ,  le  Uktc  des  Quatrc  Dames  d'/flain 
Chartier,  avec  Vherdide  a  Dcrcngcr  de  la  jeune  ClotUde. 
De  toutcs  les  gcnlillesses  ,  dc  toutes  les  gracieuses  len- 
dresses  ,  ct  memo  de  la  ballade  heroique  dc  Charles 
d' Orleans,  rapprochez  denumc,  si  vous  le  voulez  ,  les 
versclcts  ait  premier  ne,  Yode  traduitc  de  Sappho  ,  et  le 
chant  royal  sur  la  batallle  de  Fornouc ;  el  jugez  si  ces 
diverscs  productions  offrent  vraimcnt  les  trails  essen- 
ticls  d'unc  cmprcinte  commune  ;  si  cellos  de  Clotilde 
pcuvent  etre ,  en  effet ,  une  oeuvrc  du  siecle  auqucl  on 
les  attribuo;  el  s'il  est  concevable  que  ,  tclles  qu'elles 
sont ,  et  publices  i  unc  telle  epoque  ,  elles  cussent  pu 
manqucr  d'y  attirer  une  attention  des  plus  vivos  ,  ct 
d'y  balancer  ,  pour  le  moins  ,  la  vogue  dc  tout  cc  qui 
s'y  faisait  le  plus  admirer. 

Clotilde  ,  comme  nous  Tavons  vu ,  est  censcc  avoir 
tiaduit ,  ct  traduit  admirablcmcnl  ,  unc  ode  ceK'brede 


2g8  DE    LA   POESIE    LYRIQUE 

Sappho.  Dans  un  dialogue  m-cc  Apollon  ,  on  nous  la 
pioduil  sp  vanlanl  do  connaitre  Ilomcrc  ,  Anacreon  et 
Horace.  Elle  cite  ailloiirs  [Ihiode  ,  Thiociitc  el  Ovide. 
Ses  poesies  offrenl  une  miilliludc  d'all'isions  h.  la  my- 
Ihologie  el  A  Thisloire  grecque  et  romaine  ,  et  des  traits 
visiblcni; nt  emprunles  des  anciens  class'upics. 

Cc  qui  est  beaucoup  plus   singulicr ,  c'est  qu'elle 
seuible  aussi  quelqucfois  imiler  ,  et  presquc  copier,  des 
modelesniodernes  el  Ires-poslerieursa  son  Age,  Boileau, 
Racine  el  Follairc  ,  par  exeniple  ;  rencontre  fortuite 
d'idees ,    prises  peuf-etrc    A   une   source  commune, 
dica-t-on  ;  ou  bien  encore  ,  qui  sail?  ces  modernes  ne 
peuvint-ils  pas  avoir  en  quolque  connaissance  dos poe- 
sies de  Clotilde  ,  el   s'en  etre  eux-memcs  approprie 
quelques  traits?  P'oluiii-e  surtoul ,  n'esl-il  pas  bomme 
A  Uii  avoir  ainsi  vole  le  joli  sujel  d'un  conle  dans  lequel, 
A  vrai  dire,  on  croirail  qu'ils  ont  voulu  Iravaillcr  en- 
semble, et  comme  par  defi  ,  sur  un  texle  convenu  (i). 
El  puis  si  vous  ne  voulez  pas  de  ces  excellenles  expli- 
cations, il  reste  toujours  la  ressource  de  s'en  prendre  A 
des  interpolations  commises    aux  XVII''.   el  XVIII'. 
siecles  par  ceux  qui,  A  ces  deux  epoques,  sepcrmirent 
sur  les  tcuvres  de  Clotilde  ,  des  travaux  dc  remauic- 
mcnts  syslematiques  qui  vous  ont  ete  denonces. 

C'est  A  ces  inlerpolateurs  aussi  sans  doute  qu'il  faut 
at  tribucr  certaines  wp'/jmci  de  distraction  un  pen  fortes, 
qui  sc  remarquent  dans  ces  poesies  ,  et  dans  lesquelles 
apparemmcnt  Clotilde  ne  scrait  pas  tonibee  ,  sur  des 
fails,  qu'elle  devait  connaitre  beaucoup  mieux  que  nous. 

(I)  Voir  rl  fomparer  Volaire  Pl  Clotilde  ,  (ruvres ,  etc.  Les  Irois 
tnaiiieies  ,  el  les  tniis  plaiils  d'or. 


EN    FRANCE.  2f)() 

Nous  signalorons  en  oc  genre : 

I".  Dans  la  -preface  ( rccUgee  sur  Ics  mcmoirc;)  ,  la 
lireteniluc  citation  d'un  morceau  de  Marie  de  France, 
tout  different  de  la  lecon  des  manuscrits  authcntiques  , 
et  falsifie  de  la  nianicre  la  plus  visible  ,  dans  le  but  de 
faire  ,  de  JiJarie,  une  personne  de  race  royale  (ce  qu'elle 
nefut  evidemment  point)  ,  et  aussi  sans  doute  de  lui 
preter  un  systeme  de  versification  perfectionnce  ,  qui 
ne  se  rotrouve  dans  aucune  autre  partie  de  ses  vcrilables 
ecrits. 

2".  Dans  un  article  d'apprecialion  litleraire  de  ses 
dcvanciiTS  ,  A  cote  d'un  elalage  nouveau  de  noms  de 
poetesses  d'unc  ecole  jusqu'alors  ignoree,  Vexistenre  de 
toutes  les  lacunes  recites  de  noire  ancienne  critique ,  no- 
tamment  I'omission  des  noms  de  I\Iachau  et  de  Des- 
chanips,  si  reniarquables  et  si  voisins  de  son  Age  ,  et  le 
passage  immediat  de  Thibaut  k  Gaston  et  k  Froissart , 
entre  lesquels  ils  se  placaient  nalurellement. 

3".  Dans  une  epitrc  i  Marguerite  d'Ecosse,  ^crile, 
dit-on,  dans  la  40'".  annee  de  TAge  de  I'auteur,  d'abord, 
le  nom  de  reine  ,  partout  applique  a  celic  princesse  , 
quine  le  porta  jamais  ,  etant  morte,  celte  mcme  annee 
()445),  i(J  ans  avant  Tepoque  ou  son  eponx  (  Louis  XI) 
devint  roi.  Puis  aussi  ,  une  mention  de  Fillon  ,  cite 
comme  deja  en  possession  (bien  que ;eunet),(lc  sa  double 
renonimee  ,  de  pocte  distingue  ,  et  d''dnie  basse  et 
deloyale  ;  le  lout  a  une  epoque  ou,  ne  en  1 43i ,  il  devait 
en  consequence  avoir  tout  au  plus  atleint  ses  qninzc 
ans.  Cloiilde  qui  apitaiemment  ne  Fa  pas  devin6 
d'avance  ,  Taurail-elle  (pialifie  plus  lanl  ,  en  fCinter- 
polant  elle-meme   apres  coup?   L'ingenieuse    preface 


3oo  DE  I,A  pofesiE  LVninvE 

nous  till  que  jusqu'^  la  Gn  de  sa  longue  carriero  ,  elle  ne 
ccssa  de  retoucher  ses  ecrils.  Admcltons  ,  co  qui  est 
assurt'iiicnt  bcaucouji ,  que  V anachronimes  sur  la  rc- 
iionimec  dc  Fillon  puisse  rigourcuscment  s'e^ipliquer 
de  celte  nianiere  ;  rien  de  parcil  ne  tend  Ic  nioins  du 
nionde  i  infirmer  ,  en  quoi  que  ce  soil ,  nos  aulres 
observations. 

Ctotilde  est  censee  avoir  fail  de  la  poetiquc  ,  el  de  la 
belle  ct  bonne  poelique  ( anlicipce ,  comnie  tout  le 
rostc )  ,  sur  le  beau ,  sur  Yimitation  de  la  nature  ,  etc. 
On  observera  qu'elle  y  rccommande,  an  noin  (TJpollon, 
Vusage,  mais  I'usage  niodere  dela  Mytbologiegrecque, 
en  rejelanl  conime  insipides  el  absurdes,  la  fcerie  el  les 
pcrsonnifications  si  gencralement  en  vogue  de  son 
temps.  Ses  jugements  critiques  sur  les  poetes  antericurs 
ou  contemporains  ,  sonl  aussi  fort  h  rcmarqucr  sous 
differcnis  rapports.  Ellcreproche  k  T/dbaut  sou  defaut 
de  chaleur ,  el  a  Froissart  quelque  abus  du  bcl  esprit. 
Elle  ne  nonime  ni  Coucy ,  ni ,  commc  nous  I'avons  deji 
observe  ,  Machau,  ni  Deschanips.  Elle  louc  par  dcssus 
toul  le  talent  aimable  ct  facile  dc  Charles  d' Orleans  , 
cl  se  nioque  partoul  el  i  lout  propos  ^ Alain  Chartier 
el  do  ses  succcs  de  cour.  Elle  cite  de  lui ,  el  attaque  , 
comiiie  foil  ridicules,  plusieurs  ouvrages,  deTexistence 
desqiiels  on  ne  trouve  ailieurs  aucune  autre  mention. 

Nousavonsdil  que  ,  pour  expliquer  le  prodige  de 
rexislencc  de  Clolilde,  ceux  qui  pretendent  nous  avoir 
conserve  ses  poesies,  n'ont  rien  imagine  de  micux  que 
de  multiplier  en  quelque  sorle  le  pbenomene ,  par  la 
supposition  d'une  ecole  defemmes  poetes,  qui  dVJvloi'sc 
A  elle  ,  se  seraienl  successivemont  transmis  les  secrets 


1 


EN   FBANCK.  3oi 

dii  bon  gout.  L'editeur  ne  manque  pas  de  donner  la 
liste  de  ces  femmes ,  avec  qiielques  echantillons  des 
poesies  qui  leur  sont  altribuees,  II  y  a  de  fort  jolis  mor- 
ceaux  dans  le  nombre.  On  en  jugera  par  ces  stances 
qu'il  nous  cite  sous  le  nom  de  Barbe  de  P^errue ,  es- 
pece  de  cbanteuse  quelque  peu  aventuriere  ,  qui ,  dans 
son  sysleme  ,  doit  avoir  fleuri  au  temps  de  la  jeunesse 
de  Si.-Louis.  Baric  ,  devenue  \ieille  ,  y  exprirae  avec 
reiijoucnient  le  plusaimable,  sa  resignation  aunouveau 
r61o  que  desormais  vont  lui  commander  ses  cheveux 
blancs : 

Voyd  sien  hivert  venir  li  taiges , 
Comme  al  fln  bjau  jor ,  belle  nuict; 
Seel  que  sont  roses  por  toz  eaiges, 
Si  por  toz  eaiges  sont  ennuict. 

De  ma  primev^re  tempcsfe 
Ne  me  remembre  sans  plaisir ; 
Ains  quidan^a  mollh  la  Teste, 
Au  soir  n'a  regret  de  g^zir, 

Dantque  vy  cheoirroilles  d'altomne, 
RcUe  trestoz  ra'ont  prQc!am6 ; 
Trestoz,  adez,  me  disent  bonne; 
Ne  sai  le  nom  qu'ai  plus  am^. 

Heur  ne  despenl  de  gcnlillesse ; 
Centre  li  temps  n'ai  de  rancoeur  ; 
L'er  m'a  changl6 ;  n'est  de  vieillcsse 
Por  dc  qui  n'a  changi6  le  coeur, 

Bien  sole  un  tanlel  ja  viei!IoUc„ 
Me  duicl  la  cort  di  jovancels; 
Ains  n'ai  regret  que  gent'  fiUote 
M'emble,  au  sien  tor  ,  iosnes  aneels. 

2^ 


302  DE    LA    POF.SIK    I,VBiniK 

!^Ie  iluicl  vooir  doiilcrs  pasloiirrllcs 
Sfayri  lilt  lor  hoitjicrol  gpiitilz  , 
r.o-illir  nvclinc  ct  flourclles, 
Kiiimyeii  fuslayes  el  cortil/. 

Me  duict  vpoir  ,  souhs  vcrtcs  toniiollcs 
r.oupfc  adfinnl  les  feux  du  jor ; 
Me  duiil  oyr  diant  dcs  villancllos 
AppeliT  au  combat  d'amor. 

Mp  duif  I  (  birn  qti'avprqacs  lor  daniPS 
Oabent  di  rnicns  recits  longuptz  ) , 
Si  coiilo  plaids  d'antiiiiips  flames , 
Soubrycr  iiosjolys  fiiqtiPlz. 

Lor  est  advis  qiip  rion  iie   meiie  ; 
Out  en  [lilic  rues  cheveuli  blaiis ; 
Riolent ,  si  lor  contc,  esmcuc; 
Qu'eiiz  lorpers  a  mes  piedz  iremblans. 

r,!  lie  ma  part ,  me  ry  sans  feindre 
De  veoir  parjieillons  csvolez 
Si  nargiiillniis,  presi  ;i  sVsteiri'lre  , 
Flammel,qui  lant  eii  abruslez! 

Apocryplie  ou  non ,  cc  n'cst  ccitos  pas  la  uno  piodiir- 
tioii  a  dodaigner  commeinsignifiantc.  Ellc  pent  pour  Ic 
XIIT"^.  siecle  ,  tout  ainsi  que  les  poesies  de  Clolildr  pour 
le  XV''.  ,  concourir  ,  avec  quclqiies  moniinionis  reels 
du  lenips,  A  etablir  assez  claircnient  que  si  noire  an- 
cienne  poesie  n'apas  etc  d'aboid  lout  oe  que  Ton  con^oit 
qirdle  eut  pii  etre  ,  ce  n'cst  pas .  qnoi  qu'en  dise  unc 
opiiiion  fort  arcredilee,  que  I' imperfection  matcriclle  de 
In  langue  ait  du  arreter  son  essor,  en  rcfusanl  de  se 
preter  A  de  plus  lieureux  effcfs. 

Dans  le  nombiedesprodiictions  poetiques  do  CloUlde, 


EN    FBAXCE.  3o3 

et  nii^me  entre  les  excmples  choisis  que  nous  en  avons 
cites,  quelqucs  morceaux  simulent  Varchdisme,  assez 
heureusement  [jour  fairc  une  sorte  d'illusion  d'idiome , 
au  moins  A  la  premier.i  vue.  D'autres  ,  apparemment 
nioins  Iravaillces  en  ccsens,  ne  nous  font  toutd'abord 
que  I'effet  d'un  pastiche  ,  qui  se  vieillit  i  dessein  ,  et  nc 
diffeienlen  effetdenotie  langage  actuel  que  par  quelques 
anciens  mots,jc(es  deloinen  loin  dans  la  composition, et 
suitout  par  I'artifice  aise  d'une  orthqgraphe  surannee. 
Vhcroule  a  Bcranger ,  donnee  pour  Tune  des  plus  an- 
ciennes  pieces  de  Clotilde,  est  pourtant  tout  juste  une  de 
cellcs  ou  nous  semble  se  traliir  Ic  plus  sensiblement  ce 
caraclere  de  supposition  recenle.  Cette  observation  qui 
serait  d'une  haute  importance  ,  s'il  s'agissait  de  poesies 
prises  d'un  manuscrit  tenu  pour  aulhentique,  se  reduit 
i  peu  de  chose  (il  faut  le  dire  ) ,  en  retombant  dans  la 
masse  d'objeclions  diverscs,  qui  s'elevent  de  tons  cAtes 
contre  une  oDuvre  de  dccouvcrle  ,  k  recevoir  sur  de 
simples  o/^i-f//>-c  de  traditions  de  famille  ,  qui  n'osent 
eux-mcmcs  nous  la  presenter  que  comme  ayantduetre 
alterec  au  nioins  deiixfois,  et  dans  deux  systcmes  dif- 
fcrents. 


lETOE 


DES 


PRINGIPAUX  FRAGMENTS  D'ENNIUS, 


Par  M.  F,  a,  DE  GOURNW  . 

Avocai ,  iloclcur-cs-lellres ,  mombrc  dps  Academics  dc  Cncii  c(  de 

Rouen. 


ENNIUS  (QciNTts)  , 

iVe  Can  dc  Rome  5i5  <i  Riulies  (i)   cii  Calabre  ,  el  mort 

Van  58G. 

Un  autcur  ancien  ,  digne  d<?s  regards  de  la  critique  , 
est  le  venerable  Ennius,  pere  de  I'epopce  latino  {2).  Sa 
vieoffre  peu  de  details.  On  sait  seulement  que  le  poelc, 
qui  fut  aussi  un  habile  honime  de  giicrre ,  fut  aime  et 
recherche deScipionrAfricain  et  deCaton,ses  illuslres 
c(;ntem|M}rains.  11  en  usait  faniilierement  avec  eiix  , 
et  Ciceron    raconte  ,   k  ce  siijet  (3j  ,   line   anetdole 

(t)  Sil.  Hal.  Lib.  xii.  Cic.  pro  Arcli.  poet.  n.  22, 
{2)  Lurret.  Lili.  1. 
(3)  DeOrat   Lib.  11. 


DES   PRINCIPAUX   FnAGMENTS   d'eNNIL'S.  3o5 

assez  plaisante.  «  Un  jour  ,  Scipion  vcnant  visiter 
«  Enniiis  ,  la  servante  du  poele  i'arr6la  ,  en  lui 
«  disant  que  son  mailre  n'6tait  point  au  logis.  Sci- 
M  pion  compritqu'elie  avail lemotd'ordre  et  qu'Ennius 
K  nc  voulait  pas  se  niontrer.  Quclques  jours  apres ,  le 
«  pocte  venant  a  son  tour  rendre  visile  au  heros , 
«  celui-ci  s'ecrie  i  la  ports ,  qu'jl  n'esl  pas  cLez  lui. 
«  Ennius  reprend  aussit6t :  Maisje  reconnais  voire 
9  voix.  Scipion  repond  :  Vous  eles  bien  hardi !  Lorsque 
«  j'ai  demande  ii  vous  voir ,  j-'en  ai  cru  voire  esclave 
«  qui  m'a  annonce  que  V9us  iliez  sorti ,  el  vous ,  vous 
«  refusez  de  me  croire  !  « 

Ne  dans  les  nionts  Calabrois  ,  Ennius  habila  Ions- 
lemps  la  Sardaigne.  G'esl  dans  celte  ile  qu'il  connut 
Caton.  Le  sage  ct  le  poete  se  liilipenl  d'amilie.  Ennius  , 
iige  de  4o  ans  ,  suivil  Caton  i  Rome  ,  apres  lui  avoir 
enseign^  la  langue  grecque.  L'eleve  reconnaissant 
donna  i  son  maitre  une  maison,  siluee  sur  le  mont 
Avenlin  ( i ).  De  plus,  le  fils  do  M.  Fulvius-Nobilior,  dont 
il  avail  etc  le  compagnon  d'armes  en  Elolie,  lui  fit 
accorder  le  droit  dc  cito^en  romain  ,  distinction  que 
meritaienl  ses  talents  et  scs  services.  11  avail  non 
sculemcnl  ele  un  savant  strategiste  ,  mais  encore 
il  avail  chanf^ ,  en  vers  Beroiques  ,  les  Annates  de 
Rome  et  les  vicloires  du  pi-emicr  Scipion  I'Afrrcain  ,■ 
qui  remmenait  souvanl  dans  sa  maison  dc  cauipagncdo 
Lilerne.  II  mournl  dc  la  gouttc  (2)  ,  age  de  plus^  dc  70 
ans,  el  oblint  lishonncurs  d'unc  staluc  dc  niarbrc. 
On  dil  qu'il  ful  place  dans  le  lombcau  dc  Scipion. 

(1)  Euseb.  in  Chronic. 
(8)  Ibid.  Oljmp.  CLiii. 


3o6  DES   PRINCIPAUX    FRAGMENTS 

Ennius  s'exer^a  dans  I'epop^e  el  la  tragedie  ;  mais  , 
nialgr6  la  tendance  de  son  esprit  au  grandiose  ,  il  paya 
son  tribut  au  gout  d'un  sididc  rairieur.  II  composades 
satires  et  des  comedies.  II  rclira  la  satire  du  theatre  et 
lui  donna  la  forme  didaclique.  II  en  fit  un  poeme 
amusant  k  la  lecture  ,  ct  peignit  parfois  les  travers  et 
les  ridicules  ,  avec  la  grice  moqueuse  d' Horace  ,  par 
exemple  dans  ce  portrait  de  la  coquette  : 

Quasi  in  choro  i)ila  ludcns, 

batalim  dat  scsc  et  cornmuncm  facit : 

Aliiim  tenet ,  alii  nutat ,  alibi  manus 
g 
tst  occnpala ,  alii  pervellit  pedcm  , 

Alii  datannulura  spcctanduni ,  a  labris 

Aliuin  invocat,  cum  alio  canlat,  altamen 

Alio  dat  digito  litteras. 

Pareille  a  celui  qui  donrie  et  recoil  la  ballc ,  au  milieu  d'unc 
iioupc  de  joueurs ,  ellc  s'adrcsse  a  chacun  lour-a-lour,  ct  licnt 
tout  le  monde  en  echec;  clle  arriMe  I'un,  clle  fail  signe  ii  I'autrc , 
sa  main  est  ailleurs  occup6e ,  clle  niarche  sur  le  pied  <le  ix'lui-ci , 
clle  donne  sa  bague  h  regardera  celui-la  ,  elle  en  appclle  un  autre 
d'un  raouvement  de  levres ,  avec  Tun  elle  chante  ,  et  cepcndant  sa 
inain  donne  a  quelqu'autre  un  billet. 

Si  toutesles  compositions  d'Ennius  ,  dans  la  poesie 
legcre  ,  ressemblaient  k  cet  opuscule  ,  les  distances 
s'effaceraient,  et  son  antiquile  neserait  qu'iinr  ininior- 
telle  jeunesse.  Je  saurais  alors  mauvais  gre  a  Troperce 
d'avoir  fait  entendre ,  dans  ce  vers  figure  ,  (jue  sa 
poesie  ctait  grossiera  et  sans  art : 

Ennius  hirsula  cingal  sua  lempora  qucrcu. 


D  EN.MLS.  307 

Qu'Eiiiiius  tciijiic  ses  leiiipcs  de  riidcs  fcuillcs  dc  chf'ne. 


Je  ire  recrierais  egalcmcnl  toulie  cc  jiigoinonl  de 
Qiiinlilion  : 

Giiniiiiii  siciit  sncros  vetusliite  Iiicos  adorrniiis,  iii  quibus  gralidia 
el  aiillqua  roborajam  iioii  taiilam  habeiit  spcik'iii,  quantam  relli- 
giuiiom. 

Rdv(5roiis  Eniiius  toniine  on  rdverc  ces  bois  que  leur  aniiquH^  a 
roiisacrt's ,  ft  dans  lesqucls  dc  hauls  el  vicui  chines  sonl  encore 
plus  v6n(?rablcs  que  bea\ix. 

La  versification  d'Eiinius  n'cul  pas  toujours  I'l^le- 
gaiice  du  portrait  de  la  coquette.  EUe  fiit  rude  et  ine- 
gale  (1) ,  en  plus  d'unc  occasion.  Mais  du  milieu  de  ses 
cliiUes  il  se  releve  grand  et  sublime  ,  par  exemple  dans 
ce  passage  ,  oi\  il  represenle  les  elements  de  I'univers 
enchaines  dans  leur  cours  : 

Mundus  coeli  vastus  conslitll  silcntjo , 
Et  Ncplunus  savus  umlis  aspeiis  pausam  dedit, 
Sol  cquls  ilcr  rcpressil  uiigulis  volaniibus; 
Conslileie  amnes  pcrenrses,  arbores  vcnto  vacant  (2). 

Lc  vasle  tinivcrs  dcnicura  siloncieux  ,  et  Neplune  Ihipoj-a  lo 
caline  «ux  ondes  courrouct'cs.  Le  Solell  arr?la  la  rnarclie  de  ses 
loiirsiers  volant  dans  los  airs;  les  lorrciils  pcrpt'-lucls  encbatiierenl 
leur  cours,  el  lc  vent  n'agiki  plus  les  aibies. 

Un  niorceau  epiquc  ,  surlOut  digne  de  mention  ,  est 

(1)  Ovid.  Trist.  Lib.  11.  Amor.  Lib.  1.  Eleg.  xv. 

(2)  Macrob.  Saturn.  Lib.  vi.  Cap.  u. 


3o8  DES  PRINCIPAUX    FIUGME.NTS 

celui  oil  Ennius  represente  Romulus  et  R6mus  ,  con- 
sultant les  augures  et  les  auspices ,  pour  savoir  lequel 
des  deux  aura  Tenipire  et  donncra  son  nom  i  la  cil6 
naissanle. 

Cnranles  magna  cum  cura ,  concupicnlcs 
Regni  dant  dpcram  simul  auspicio  augurioque. 
Hinc  Romus  auspicio  se  dcvovet  atqiie  secundam 
Solus  avcm  servat.  Al  Romulu*  pulcher  in  alio 
Quoerit  Avenlino  servans  genus  allivolantuni. 
Ccrtabant  litberri  Rortiam-ne  Rcmam-nc  vocarcnt. 
Oninis  cura  viris ,  uter  csset  induperalor. 
Expectant,  veluti  Consul  quummitlercsignura 
Vult,  omnes  avidi  spectant  ad  carceris  oras , 
Qua  mox  emittat  pictis  e  faucibu'  currus ; 
Sic  expeclabaipopulus  atque  ora  Icncbat, 
Rebus  utri  magnl  victoria  sit  data  regni. 
Interca  sol  albu'  reccssit  in  infera  noclis ; 
Exin  Candida  se  radiis  dcdit  icia  foras  lux, 
Et  simul  ex  alto  ionge  pulcherrima  pra-pes 
Laeva  volavit  avis,  Simul  aureus  exoritursol ; 
Ccdunl  ter  quatuorde  calo  corpora  sancta 
Avium,  prapetibuSsesepukhrisquG  locisdanl. 
Conspicitiridesibl  data  Romulus  esse  priora 
Auspicio  regni  stabilita  Scamnd  solumque  (1). 

L'expression  de  ce  passage  est  nolle  el  les  idees  en 
sontiiees.  Les  auspices  y  Sont  pneliquomenl  deciils. 
Des  mots  ,  i  la  fin  du  vers  ,  tiels  que  concupientes , 
alUvolantum  ,  indupcrdtor ,  fornient ,  par  exception  , 
tine  belle  harmonie.  Quelques  monosyllabcs  se  ren- 
cbnlrent  coinme  desinences  el  font  image.  On  y  observe 
aussi  des  licences  poetiques.  C'est  une  composition  ce 

(i)  Anna).  Libi  i. 


D'eN  NIL'S.  3o9 

progres  ,  quoique  ce  ne  soil  pas  encore  une  cpuyio 
d'ait. 


Un  grand  soln  Ics  (rnvaille ,  ct  (hacuB  d'cux  aspire 
A  devcnir  le  chef  de  Icurnaissant  empire, 
lis  consiillent  I'augnre  et  I'auspice  sacr6. 
Sciil,  lout-ii-coup  Rdinus,  d'rsp(?rance  cnivr6, 
Observe  un  noble  oiscau  ,  de  forlund  presage. 
A  son  lour ,  Romulus ,  au  gracicux  visage , 
Sur  Ic  haul  Avenlin  voit,  d"un  ceil  curieux  , 
Unc  raccd'oiseaux  qui  planeni  dans  Icscieux. 
Ainsi  les  dciix  rivaux  dispulent,  pleinsde  zele. 
Pour  imposcr  leur  nom  a  la  viile  (5tcrnelle ; 
Et  le  peuple  se  prcsse  ,  inquiet  dc  savoir 
Qui  desdcux  obtiendra  Ic  souvcrain  pouvoir  , 
Comme  au  jour  solennel ,  oh  le  consul  dfiploie 
Le  superhe  (^tcndard  qu'a  la  gloirc  il  rcnvoic , 
\'a  se  grossir  la  foule  aui  pontes ,  quo  Ics  chars 
Boivent  bienl6t  franchir  avcc  les  lils  de  Mars. 
Cependant  k'  soli'il  ,  couvcrt  de  voiles  sombres  , 
Plongeait  son  disque  pale  en  Tabimc  des  ombres; 
Lorsque.du  haul  des  airs,  descendant  vers  fesol^ 
Un  oiseau  magnifique  a  gaurhe  a  pris  son  vol. 
Wais,  comme  un  globe  d'or,  sur  la  c61este  voiitc  j 
Desqucl'aslre  du  joura  rctracd  sa  route, 
Douze  divins  oiseaux,  volant  en  meme  temps, 
Ap|)araisscnt  au  tielcndes  lieux  ^clatanls  , 
Et  Uomulus  comprend ,  par  cet  heureux  auspice. 
Que  le  sort  pour  lui  scul  s'esl  ddclar^  propicc. 

Ce  morrcau  de  pocsic  iiulique  dans  le  lextc  une  belle 
imagination,  dc  lY'levalion  de  pensce  el  dcla  souplesse 
de  talent.  Si  ce  poete  etail  parfois  plaisanl  et  leger  ,  il 
dcvenait  ,  A  I'occasion  ,  grave  el  majestueux. 

Ennins  a  quelqnofois  aussi  des  comparaisons  IreS- 
poeliqucs  ,  i  la  maniere  d'Uomcrc  : 


3lO  DfS   PIUNCIPALX   FRAGME.NTS 

Et  turn  situt  eqiiiis  (iiii  dc  pnpscpihus  actus 
Viiicla  siiis  magnis  unimisabrnpit  ,  pl  iiide 
Fcrl  spse  campi  per  curula  ,  la'taque  prata  , 
JIt'lso  pedore,  sctpcjubam  qiiassal  siniiil  allam  , 
Spirilus  ex  aiiima  calida  spumas  ogit  albas  (1). 

Ti'l  pst  Ic  fier  coursicr  qui ,  dans  sa  fougue  aidi-iilo , 
A  biis(5  les  liens de  son  obscur  s«5jour; 
II  s'enfuil,  le  cteur  haul ,  la  criniere  floltanic  , 
El  riialclne  enflamm^e  Pt  la  bouche  (^lunianle  , 
Puis  bondil  dans  les  champs  el  les  pres  d'alcnluur. 

II  iniite  encore  Iloniore,  dans  la  descriplloii  (I'lsii 
combat.  Lc  tribunCooliiis  est  TAjax  ronutin  ,  dans  sa 
(!oscrij)lion  coiirle  ct  pilloresque  : 

Undiqueconveniunt ,  velulirnber,  tela  tribuno 
Conllgunt  parmani,  (innil  hastilibus  umbo 
jErato  sonilu  gale;c ,  sed  nee  pole  quisquam 
Undiquc  nitendo  corpus  disrpj-pcre  fcrro. 
Semper  abundanlcs  liaslas  frangilquc  quatitqiie  : 
Toluin  sudor  habct corijiis ,  niulluni(|uc  laboral; 
Nee  rcsplrandi  fit  copia  prKpete  ferro 
llistri  tela  manu  jacicntes  sollicitabaiit  (2). 

D(^ja ,  de  loutcs  parts ,  la  troupe  est  rdunie. 
Sur  le  brave  tribun,  commc  unc  large  pluie  , 
mille  traits  sont  tornbt's  ,  et  de  son  boudier 
La  bnssc  en  rctentil.  L'airaiu  de  son  citnier 
Sous  Icurs  lerribles  chocs  inccssamment  r(?sonne. 
Mais  ses  fiers  onnemis ,  que  son  courage  elotine  , 
Vainement  conlrc  lui  rasscniblant  Icurs  cll'orls, 
I'ar  le  glaive  onl  lent(5  de  d(!'cliircr  son  corps, 
llbrisc  lour-ii-tour  les  hastes  (jn'on  lui  luncc  , 


(T)   Aiuial    Lil».   ». 
(a)  AiliLjl.  Lib.  XVII. 


BE.X.MLS.  3ll 

Et  frappe  un  coup  inorlel,  conduil  par  la  Tcngcaiicc. 
Tout  son  corps  csl  couvcrt  d'une  <5palsse  sueur; 
Uii  (ravail  sans  relAche  ^puise  s,i  vigueur ; 
11  lulte,  haletanl  sous  le  ler  <|ui  I'oppressc  : 
hss  traits  des  Istriens  le  harcclaieat  sans  ccsse. 

Virgilc  trouva  plusioiirs  vers  d'Ennius  a?scz  be;ui\  , 
jxHir  s'en  emparer  sans  scrupule  ,  sauf  (luoUiiios  tliaii- 
gemcnts  do  mots.  Son  larcin  est  patent,  dans  le  recit 
du  (:ond)at  de  Tuinus  ,  ce  ne  par  les  Tioyens  ot  par  le 
foudroyant  M.iestlioc.  Qiiand  le  po6te  de  Mantoue 
trouvait  cpielques  filons  d'or  dans  la  mine  des  anciens  , 
il  sc  Ics  appro[)iiait  :  il  app-elail  cela  (ircr  des  perles  du 
fumier.  II  les  lemaniait  el  les  rendail  plus  brillanles. 
Le  diamanl  noblicnl  lout  son  t'clat  que  par  Tart  du 
lapidairc. 

Knnius  ,  oiiire  la  gloiie  des  cmprunts  que  lui  fit  le 
premier  poele  cpicjue  des  Homains  ,  eut  rinconleslablc 
nieriled'avoir  hewieuscmcnl  imileles  Grccs.  II  parlait 
Ic  giec  ,  le  latin  ,  la  langue  Osquc  ,  avec  fatilile  ,  el  ses 
essais ,  dans  I'epopee  el  la  liagcdie  ,se  ressentent  de 
rinfluencebellenique,  II  marcba  sur  les  traces  d'Kuri- 
pide  ,  dans  sa  piece  de  Medee ,  donl  \oici  un  assez 
court,  niais  toucbant  fragment: 

Utinam  nc  in  nemore  Polio  securibus 

Ca;sa  accidis;ct  abicgna  ad  terram  trabcs  ! 

Ncvc  indc  navis  inchoanii.p  exordium 

Ccpist.et  qua'  nunc  noniiriatur  nomine 

Argf),  qua  vficli  Argivi  delecti  viri 

Pctcbant  ilium  pcllcin  inauratam  arictis 

(lolcliis  ,  im|)erlo  regis  I'clia; ,  per  doium  '. 

Nam  nunquam  hcra  erransn>ea  domo  elTcrrct  jicdein 

Slcdea ,  animo  spgra ,  amore  save  saucia. 


3l2  DES   PRINCIPAUX   FnAGMENTS 

PliUaux  Dicui  que  la  hachc  n'cilt  abattu  nucun  sapin  dans  los 
forc'ls  du  montP61ion  ,  ou  qu'on  n'cilt  jamais  comnicnc(5  la  cons- 
truction du  navire,  aujourd  hui  nomni6  Argo,  sur  icquel  des 
Arglons  d'6lile  cherch6renl  a  conqu(?rir  par  artifice  la  loison  d'or 
du  l)clicr  de  Colclios,  sous  I'empire  du  roi  P61ias  1  Jamais  alors  mon 
inforlun(5e  mallresse,  jamais  M6d6e,  errant  en  tons  licuj  ,  le  cocur 
maladc  ct  bless6  d'un  violent  amour,  n'eQt  qultl6  le  loit  palcrncl. 

Dans  sa  tragedic  de  Cresphonte,onreniarquc  encore 
CCS  vers  : 

Injuria  abs  le  alTicior  indigna  ,  pater, 
'        Nam  si  improbum  Crosphonlem  existimaveras, 
Cur  me  huic  locabas  nuptiis?Sinestprobus, 
Cur  talem  invitam  invilum  cogis  linquere? 

Mon  p^re,  voire  injustice  est  extreme;  car  si  vous  regardiez 
Cresphonte  comme  un  homme  pcrvcrs,  pourquoi  me  Icfaisiezvous 
«*pouscr?  Si,  au  contraire  ,  c'cst  un  homme  dc  bicn  ,  pourquoi  nie 
forcer  de  I'abandonncr  ? 

Voici  encore  une  imitation  on  plul6t  une  traduction 
d'Euripide,  dansl'tlecube  d'Ennius  : 

Senci  sum  :  utinam  mortem  oppetam 
Priusquam  cveniat  quod  in  pauperis  mca 
Senex  graviter  gcmam ! 

Je  suis  viellle :  fasse  le  ciel  que  je  meurc  avant  d'avoir  plus 
long-temps  h  gdmir  danS  la  d6trcsse  demcs  vieux  ans  I 

Ennius  cut  dii  talent ,  on  ne  pent  en  douler  ,  el  re 
talent  fut  inflniirient  fldxiblt;.  Veul-on  lientondie  se 
moquer  des  superstitions  de  sonepoque,  il  va  employer 
un  vers  prosque  aussi  enjoue  que  celui  d'llorace : 


D'tNNUS.  3l3 

Non  I  abco  dpniquc  nauci  Marsum  augiirem, 

Non  vicanos  aruspices ,  non  de  circo  astrologos , 

Non  Isiacos  conjectores,  non  inlerpretcs  somnium. 

Non  enim  sunt  ii  aut  scicntia  aiit  arte  divini , 

Sed  supersliliosi  vatcs ,  impudenlesque  harioli. 

Aiil  incrtes ,  aut  insani ,  aut  quibus  cgcslas  imperat : 

Qui  sibi  semitam  non  sapiunl,  allcri  nionstranl  viain. 

Quibus  divitias  pollicentur,  ab  iisdraciimam  ipsi  petunt. 

Dc  his  divitiis  sibi  dcducanl  drachmam ,  reddant  catcra  (1). 

J'cslime  moins  qu'un  zcsle  un  vain  las  d'aruspiccs, 
D'astrologues  du  Cirque  ctdcdevins  mcntcurs, 
Interprctes  vant(?s  de  songes  imposteurs: 
Leur  science  divine  est  un  puits  d'arliliccs. 
Ces  superslilieux ,  impudents  magiciens. 
Commandos  par  la  faini  qui  vers  nous  Ics  envoic , 
Sont  tousdcs  vagabonds,  des  fous  ou  dcs  vauricns. 
lis  veulent  nous  montrer  la  veritable  voic , 
Ignorant  le  senlier  qu'il  leur  faut  parcourir. 
Aux  cr^dulcs  humalns  proineltantdes  richesses, 
lis  vonl  leur  demander  trois  as  pour  sc  nourrlr: 
Qu'ils  retranchent  pour  eux  trois  as  ile  leurs  promesses , 
Et  qu'ils  donnent  le  reste  en  cessanl  de  mentir, 

VoilA  comnie  il  convcnait  qu'Ennius  s'elevAt  confre 
les  fausses  croyances  de  son  epoque.  Mais  je  lui  re(iie 
nion  eloge  ,  lorsqu'i  la  faron  d'Epicure  ,  il  nic  la  pro- 
vidence lout  en  proclamant  Texislence  des  Dieux  : 

Ego  Deum  genus  «sse  semper  diii  et  dicam  Cu^litum  ,      > 
Sed  eos  non  curare  opinorquid  agai  humanuin  genui. 

C'est  line  des  grandcscrreurs  de  quolquospbilosophos 
paj ens.  Comment  conccvoir  lexislence  d'une  divinite 

(1)  Cic.  in  One  lib.  i ,  de  divinat. 


3l4  Di;S    PRINCIPAIX    FR.Vr.MEMS 

inoilc.  jcMaiit  Tin   (vil  insowciciix  sur  rbomnip  et  se 
roposant  dansuno  etornolle  apalhic  ! 

Eniiiiis  a  fait  aiissi  dcs  poiiiaits   el  tics  opithaplios. 
Qni  psl-ce  qui  nc  connail  ccs  vers  famcux  sur  Fabiiis? 

I'nus  homo  nobis  cunrlando  rcslituil  rem  ; 
Non  poncliat  cnim  rumores  ante  salutcm  : 
Ergo  postquc  magisquc  viri  nunc  gloria  claret  (I). 

Un  sciil  hommeon  tcmporisanl  relablit  la  fortune  publiquo.  II 
priMV'ra  le  salut  do  rclnt  aux  ciogos  de  la  foulc  :  aussi  sa  gloirc  au- 
joiird'bui  n'cn  brillc  que  plus  belle. 

Co  pocfe  composa  Tepitaphe  dc  Sripion  I'Afrioain  : 

Ilic  est  illc  silus,  nii  nemo  rivi' ,  neque  hoslis 
Quivit  pro  factis  redderc  op'riE  pretium. 

Ci-gtt  celui  a  qui  aucun  cilojcn  ni  aucun  ennemi  ne  pul  payer 
le  prix  de  ses  actions. 

Ennius  a  fail  sa  propre  epitapLc ,  avec  la  conviclion 
dcson  immortalitc  : 

Aspicile,  ocives,  senis  Ennii  imagini' formam  ; 

Hie  veslrum  pinxil  maxima  facta  patrum. 
Nemo  me  larrymis  decoret,  neque  funera  flelu 

Faxit.  Cur?  Volilo  vivu'  per  era  virum. 

Tontemplez  ,  6  ciloycns ,  le  portrait  du  vieil  Ennnius.  C'esI  lui 
(|ui  dticrivit  les  grandes  actions  de  vos  anc<;tres.  Que  personiic  no 
m'lionorc  dc  ses  larmeset  nefasse  pleurera  mes  funerailles.  Poiii- 
(luni  ?  Jc  vis  encore  dans  la  boiiche  dcs  hommes. 

Jp  nc  ternuncrai  point  ma  critique  d'Ennius  sans  dire 

(1)  Anniil.  Lib.  xu. 


i)  ESSIVS.  0  1   ) 

que  sa  poosic  est  lemarquable  par  ses  nnoma(o|»(>es. 
C'est  h  liii  que  nous  devons  taut  dc  vers  imitatifs  ,  de- 
robes  par  Virgile.  En  voiri  quelques-uns  : 

At  tuba  tcrribili  sonitu  laranlara  diiit. 

Cepcndant  la  Irompcltc  fit  enlcndrc  son  terrible  taranlara. 

Virgile  a  dil  : 

At  tuba  lerribiicm  sonitum  procul  arc  canoro 
Increpuif. 

Ennius  : 

Iteques,  cl  plausu  cava  concutil  ungula  lerram. 

Lc  cuursier  vole  et  dc  ses  pieds  ebranle  la  terre. 

Virgile  : 
Quadrupodanic  pulrcm  sonitu  quatit  ungula  campum. 

Les  rapprocliements  seraicnt  trcs-nombreux  ,  si  on 
\oulait  les  multiplier. 

Les  deux  vers  suivants  sont  encore  remarquables  , 
Tun  par  sa  douceur  ,  I'autre  par  sa  rudesse  d'barnionie 
imitative.       ' 

Senilanlmesquc  micant  oculi ,  luccmquc  rcquirunt. 
Ses  yeux  h  moiti6  ^teints  s'ouvrcntct  cherchcnlla  luinic^rc. 

Africa  tcrribili  trcmit  horrida  terra  tumullu. 
La  saurage  Afriquc  tremble  a  cc  terrible  lumiilte. 

Ce  poete  a  plusieurs  pens^es  digncs  d'etre  rclenues  t 
Amicus  cerlus  in  re  incerla  cerniliir. 


3l6  DE3  PUIXCIPAUX    FRAGMENTS   d'eNXIUS. 

Un  ami  sAr  so  reconnalt  dans  Ics  circonstanccs  difGciles. 

Fortibus  est  Fortuna  viris  data. 
La  Fortune  favorise  les  forts. 

Moribus  anliquis  res  stat  Romana  virisque. 

La  puissance  de  Rome  se  soulicnt  par  ses  anciennes  moeurs  et 
par  ses  grands  borames. 

Qui  cupiant  dare  arma  Achilli ,  ut  ipse,  cunctent. 

Que  ceux  qui  veutent  donner  des  arracs  a  Achille  tcmporiscnt 
comme  lui. 

Te!s  sont  h  peu  pres  les  plus  curieux  fragments  qui 
nous  restcnt  des oeuvres  d'Eiinius,  mulilees par  le  temps. 

Ceux  qui  voudraient  les  connaitre  lous  n'onl  qu'i 
consulter  la  collection  des  anciens  poetes  latins  ,  par 
Robert  et  Henri  Etiennc  ,  annee  i564  ,  in-ia  j 

L'edition  dc  .Ter6me  Colonne  ,  Naples,  iSgo,  in-4''. ; 

Celle  de  Morula  ,  Leydc  ,  i5g5 ,  petit  in-4".  ; 

Celle  d'llesselius,  Amsterdam  ,  1707  ,  in-4''. ; 

Celle  de  Ilahn  ,  Leipsick  ,  1826  ,  in-S". 

La  tragiidie  de  Medce  a  ete  publiep  a  part ,  avec  un 
choix  des  autres  fragments  et  un  savant  commentaire, 
par  M.  H.  Planck,  Hanovre  ,  1807,  in-4°. 

Des  vers  isoles  ,  des  fragments  de  vers  ,  des  mots 
sans  suite  composent  la  majeure  partie  de  ces  debris 
poeliqucs,  sur  lesqucls  on  ne  pcut  cxprimcr  trop  dc 
regrets. 


Kg 


SIR 


ARISTOPHAIXE; 

Par  M.  F.  G.  ItERTRAND. 

Profcsseur  de  lill^raturc  prccqiic.i  laFacult6  des  LcUrcsdc  Caen. 


»»©9<Ss— 


DBS  IRRKVEHENCES   DF.   L  ANCIKNNE   COMEDIE  GUECQCE  EtO'ERS 
LES   DIEVX. 


Cc  qui  nous  frappe  dcs  I'ahord,  i  la  lecture  dcs  pieces 
qui  nous  sent  resides  de  I'ancienne  coniedie  grecque  ; 
ce  n  est  pas  seulenient  ce  qui  s'y  rencontre  si  frcquem- 
ment ,  dans  les  situations  et  dans  I'expression  ,  de 
contraire  h  nos  idees  sur  les  moeurs  et  la  dccence  :  on 
n'est  pas  moins  surpris  de  lirreverence  avec  laquelle 
y  sont  Iraites  les  Dious  du  pays ;  car  elle  est  telle  , 
qu'cllc  resseinble  k  de  Timpiete.  On  se  deniaiidc  com- 
ment les  compositions  d'Aristophane  pouvaient  etrc 
representees  avcc  favour  devant  Ic  meme  public  qui 


3l8  tXlDES 

applaiitlissait  aiix  productions  dos  g  ands  pootos  Iragi- 
ques  d'Alb(\nos  ,  dont  le  caractere  elait  si  grave  ot 
siirtout  si  eminemmont  religieux.  On  s'etonne  qiiand 
on  songe  qi:e  les  represciitalions  dans  lesqiiclles  les  di- 
vinites  devenaient  dcs  objels  dc  ridicide  formaicnt 
une  parlie  des  fetes  destinecs  precisement  <i  les  ho- 
norer.  L'elonnement  redouble  lorsqu'on  sait  que  les 
Atheniens  ronlemporains  d'Aristopbane  ,  qui  derer- 
naienl  des  prix  i  ses  oeuvres  ,  ofaient  le  peuple  de  la 
Giece  !e  plus  attacbe  a  scs  D!eu\  :  niille  pail,  en  cffet, 
jl  n'y  avail  aulant  dc  temples  et  d'autcls ,  autant  do 
pr^trcs  ,  de  prelresses  et  dc  devins  ,  aulant  de  fries 
religieuses  ni  de  si  impnsantcs  ,  que  dans  rAlliquc  :  1(  s 
pratiques  religieuses  s'y  nielaient  a  presque  tous  !os 
actos  de  la  vie  nalionale  et  privee  :  les  croyances  y 
etaient  ferventes  ,  et  les  arcusatinns  d'impiele  et  dc 
eacrilege  y  entrainaient  le  plus  souvent  ,  pour  les 
accuses  ,  les  peines  les  plus  severes  ,  el  ineme  le  der- 
nier supplicc.  L'bistoirc  dit  assez  conibien  les  accu- 
sations de  ce  genre  etaicnl  h  craindre  cbe/;  les  Alhc- 
niens  :  Esrby'e,nialgre  lesblessures  qu'il  avail  reruesd 
Salaniinc  etlc  succesdeses  tragedies  parmi  le  peuple, 
n'ecbappa  i  la  niort ,  pour  un  vers  ou  Ion  crut  voir 
une  revelation  des  mysteres  ,  qn'en  |  r  )uvant  qu'il 
n'etait  pas  inilie:  Diagoras  el  Protagoras  no  parvinrent 
k  se  souslrairo  au  cbAliment  que  par  la  fuilc  :  Anaxa- 
gore  ne  dut  son  salut  qvi'au  credit  de  Pericles  ,  qui  , 
dans  cclte  circonslance  ,  faiUit  ^cbouer  conlre  Ic  zt^le 
religieux  des  Alhcniens:  Alcibiade  fut  arracbe  au  coin- 
niandement  de  la  flotle ,  au  debut  d'une  ex|te(lilion  iin- 
portante,  donl  los  esperances  reposaient  parliculiere- 


SIR    AniSTOPIIANE.  3ir) 

mcnt  sur  sa  pcrsonnc,  sans  que  IVxccssivc  favour  dont 
il  jonissait  auparavant,  lui ,  Tidole  d'Alliones,  piil  ba- 
lancer Tindignalion  causec  par  la  mutilalion  dcs  Ilcr- 
nies :  enfin  ,  si  Prodicus  de  Ceos  et  Socrale  burent  la 
ciguii  ,  ce  fut  comme  enneniis  des  Dicux. 

II  n'csl  done  pas  etonnant  que  Ton  ait  cherche  plus 
d'une  fois  a  concilier  des  fails  egalementinconlestables, 
cxislant  simullanemcnl ,  et  qui  scnibleraient  pourtant 
devoir  neccssaircment  s'exclu:  e,  c'est-a-dire,  d'une  part, 
le  caraclcre  religieux ,  superstitieux  ,  si  Ton  veul ,  dcs 
Atbcniens  ;  de  Pautre  ,  Ics  plaisanlcries  incverentes , 
inipies  nienie,  en  apparcnce,  dirigees  centre  les  objets 
du  culle,  ainsi  que  les  situations  grotesques  et  ridicules 
oil  les  poetes  de  Tancienne  comedie  grecquc  faisaient 
descendre  les  Dieux  sur  la  scene.  C'est  parcc  que  les 
diverses  explications  que  nous  avons  rcncontrees  A  ce 
sujet  ne  nous  ont  pas  paru  salisfaisantes ,  que  nous 
essayons  i  notrc  tour  de  rcsoudre  le  probleme. 

On  a  cm  repondre  h  la  diHiculte  en  disant  que  tout 
otait  pcrrais  aux  poetes  comiqaes  d'Albenes  ;  que  la 
licence  du  tb6Atre  autorisait  tout ,  jusqu'i  ratbeisme  ; 
que  ce  qui  faisait  rire  les  Atbcniens  trouvait  toujours 
gricc  A  lours  yeux.  Mais  ,  en  y  rcflecbissant ,  on  verra 
que,  pour  admettre  une  solution  semblablc  ,  il  faudrait 
supposer  cbez  les  Alhenicns  une  disposition  conlraire 
k  la  nature  nienic  de  rbomme. 

Que,  dans  une  repubique  on  la  democratic  la  plus 
complete  clait  elablio  jar  les  institutions  et  passee 
dans  toulcs  Ks  babitudes  de  la  vie  sociale  ,  la  licence 
du  tbcAtre  fiit  extrOmc  4  Tegard  des  personnages  poli- 


?,2U  ETIDICS 

liqucSiqiril  u'ycut  point  do  citoyon  assez  (lisliii{rue|iar 
sa  position  et  SOS  aclions,  |>oint  dc  maijislratriire  asscr 
^levcc,  poiir  ^'tie  h  I'abri  de  la  nialignilc' ,  ct  que  l'el6- 
vation  m'mc  dos  ciloyons  en  Ics  motlant  [tins  en  relief, 
fut  une  raison  de  plus  pour  altirer  sur  eux  les  trails  de 
la  critique  et  de  la  satire  ;  rien  de  plus  nature!  :  plu- 
sieurs  societes  niodernes  ,  sans  avoir  une  constitution 
anssi  deniocralique  que  celle  des  Atheiiiens  ,  nons  ont 
offert  et  nous  offrent  encore  des  fall;^  .issoz  nombieux 
du  nienie  genre,  pour  que  rien  ne  nous  eloiinc  ;\  ce  suiel 
dans  A-islophane. 

Que  la  licence  de  ce  poetc  paraisse  extreme  arssi ,  cl 
mime  revoltanle ,  du  v{)Ui  des  nio'urs  el  de  la  decenco, 
il  n'y  a  rien  1.*^  d'inevplicablo  encore.  Les  opinions 
re(;;ues  a  eel  e^jard  ne  sonl  pas  chcz  nous  les  mcmes  que 
cbez  les  Atlieniens.  Dans  ce  qui  toucbc  aux  nioeurs  el 
A  la  decence  ,  il  y  a  Irop  de  cboses  de  convention  , 
pour  que  les  bicnseances  relatives  A  un  peuple  de 
Tanliquile  soicnt  apprecieesd'apres  ce  qui  est  regarde 
comnic  bienseances  dans  les  socictes  dc  nos  jours.  Les 
modifications  qui  ont  dil  naiire  seulenieni  du  duislia- 
nisme  sont  immcnses  :  et  d'aillenrs  ,  mcmc  cbez  on 
peuple  chrelien  ,  en  le  considorant  A  deux  epoqiies 
separ^es  par  quelqnes  siedcs  ,  les  differences  que  Ton 
reniarque  A  eel  »''gard  sont  telles  que  les  pieces  les  plus 
libres  d'un  poole  grcc  ne  doivent  pas  ,  cerlcs  ,  tious 
sembler  inexplicables.  II  nous  sufllt  do  .songer  A  des 
productions  litlerairos  de  notro  propro  nation  ,  on  les 
lois  de  la  decenco  sont  violoes  pour  nous  de  la  maniere 
la  plus  <boq;ianto ,  et  qui  faisaient  nt^^anmoins  un 
anuisement  ordinair    cbez  nos  aieux. 


sin  AuiSTorii.vNE.  321 

Mais  qii'iiM  ]  oiiplo  qui  lionorc  les  Diciix  ,  qui  punit 
avc.-Ia  (leriiic're  rigue;:r  cciix  qui  sonl  convainciis  oti 
inrnie  sonpronnes  de  nicr  leur  existence  et  de  piofancr 
leurs  mystiMCs  ,  proline  plaisir  k  les  oulrager  ,  ct  tela, 
ail  milieu  mime  des  fries  celebrees  en  leur  bouncur  , 
c'est  quelque  chose  de  trop  contraire  A  nctre  nature 
morale  pour  clre  facilenient  admis.  Pes  contradictions 
aussi  essentiel'.es  pourraieiit  se  lrou\er  ,  par  excej)tion, 
commed'autres  bizarreries  de  la  nature  bumaine,  cbcz 
des  individus  ,  mais  jamais  cbcz  un  jxMiple  entier. 

On  sail  que  les  Atbeniens  avaient  la  pretention  de 
remporter  sur  tous  les  aulres  [eupli  s  de  la  drece  ,  non 
Si'ulemenl  par  leur  gloire  mililaire  ct  les  services  qu'ils 
avaient  reiidus  i  la  palrio  commune  ,  mais  encore  par 
la  preference  et  les  faveurs  donl  leurs  ancelres  avaient 
6le  les  obj  ts  de  la  part  des  Dieux.  Cbacune  de  leurs 
letcs  etait  instiluec  pour  celebrer  une  circonstance  qui 
ilallait  autaiit  leur  amour-propre  national  que  leur 
sentiment  religieux  ;  car,  pcrpetuer  Ic  souvenir  des 
bienfaits  signales  qu'ils  avaient  regus  des  immortels, 
c'etait  aussi  se  faire  bonne ur  d'un  si  glorieiix  pa- 
tronage. Comme  Tbistoi  e  reiigieuse  se  confondait 
souvent  pour  eux  avec  leur  propre  bisloire ,  leur  foi 
aux  divinites  de  la  patrie  et  aux  traditions  qui  se  con- 
sjrvaient  dans  le  culte  se  liait  inlimement  i  la  baute 
eslime  d'eux-memes  qu'ils  cbcnbaient  d  entretenir 
cbez  les  autrcs  peuples. 

On  sait  aussi  que  les  s  ticnniles  pendant  lesquelles 
sedonnaient  les  representations  dranuiticpiesaiijielaient 
a  Albenes  unefoulc  de  spectateurs  de  loutes  bs  parlies 
dela  G:ice,  el  que  les  elrangerscouraicnt  a\ec  d'autanf 


3aa  txuDES 

plus  d'cmpresscmciit  au  Ib^Atre  ,  quo  ces  spectacles 
6laicnt  inconnus  ailleurs.  Or  ,  pourrail  on  bien  cora- 
prcndre  que  les  Albeniers  eusscnt  piis  plaisir,  en  de- 
versanl  sciommcnl  le  mepris  et  en  eveillanl  dcs  doutes 
sur  les  divini(es  de  la  patrie  ,  i  flotrir  eui-mcmos  , 
surlout  en  presence  de  leurs  rivaiix,  que'qucs-unes  dcs 
fleurs  les  plus  brillanles  de  leur  couronne  nationale  7 

Quelles  qu'aienl  etc  les  aberrations  de  Tcsprit  bu- 
main  ,  mcmc  (hcz  quelques  personnagcs  celebros  par 
leur  intelligence  ,  on  ne  saurait  en  adinettre  d'aiissi 
absurdes  dans  I  instinct  d'une  nation  ,  quand  il  s'agit 
dc  sa  gloire  et  de  son  bonneur.  Pour  apprccier  ce  qu'a 
du  etre  A  cet  egard  la  manierc  de  scntir  d'un  pcuple 
dansquelqi;c  siecle,  en  quelque  lieuqu'onle  suppose, on 
n'a  qu'i  s'interroger  sur  ce  qu'eprouverail ,  clans  la 
nicnie  circonstance  ,  le  peuple  au  milieu  duqucl  on  vit 
soi-menie.  Le  precede  n'est  pas  moins  siir  qu'il  n'est 
facile.  Les  masses  ne  se  dirigent  pas  dans  leurs  senti- 
ments par  dcs  subtilites  ni  par  I'csprit  de  sysleme.  Ce 
qui  nous  seniblerait  repugner  au  sens  commun  et  a  la 
nature  pour  le  pcuple  francais  do  notre  age  ,  n'est  pas 
plus  admissible  pour  !e  pcuple  d'Athenes. 

Si ,  commc  on  I'a  dit  ,  Aristopbane  eiit  6le  regarde 
commeun  atbeepar  ses  concitojens^s'il  leur  eatsemble 
insulter  aux  objets  les  plus  cbers  de  leur  veneration  et 
de  leur  culte  ,  il  cut  bu  la  ciguii ,  commc  Prodicus  et 
Socrato  ,  ou  bien  il  cut  etc  force  de  se  soustraire  a;i 
chi\timent  par  la  fuitc  ,  commeDiagoras  et  Alcibiadc. 
U  eut  d'autanl  moins  ecbapp6  a  la  severit6  des  lois  , 
que  ses  adversaires  poliliques  ctaient  fort  nombreux  , 
el  qu'il  avail  soulcve  contrc  lui ,  par   les   attaques  les 


SUB  AuisTornANE.  32} 

plus  directos  cl  les  plus  violcntcs  ,  lahaincdos  de- 
magogues en  faveur.  Ceux-ci  n'auraicnt  pas  manqii^, 
pour  sc  venger  de  griefs  personnels  ,  d'appeler  A  leur 
aide  le  zele  religieux  de  la  multitude ,  et  de  poursuivre 
devant  les  tribunaux  leur  ennemi ,  conimc  ennemi  des 
imniortels. 

Ce  n'esl  done  point  dans  celte  premiere  explication 
que  nous  trouverons  uric  solution  de  la  difficulte  signa- 
lee.  Nous  n'admettons  point  qti'un  peuplc  cminemment 
religieux  sc  soit  fait  un  jeu  d'insulter  aux  objcts  de  son 
culle ,  ni  que  les  poetes  comiqucs  eussent  pu  ,  non  seu- 
lement  avec  impunilc ,  mais  encore  aux  applaudisse- 
ments  de  la  nation,  se  rendreconpables  d'un  crime  qui, 
pour  tous  les  autrcs  citoycns,  eiit  eu  les  consequences 
les  plus  terriblcs.  Nous  croirons  plut6t  que ,  si ,  dans 
I'opinion  de  ses  conciloyens, Arislopbane  s'etait  montr6 
une  seule  fois  surle  tbeAtred'Alhencs.en  presence  de 
•vingt  ou  trcnte  mille  spectatcurs  de  toutes  les  parties 
de  la  Grice,  comme  un  athec ,  comnie  un  impic , 
Ic  cbAtiment  eiit  ete  d'autant  plus  severe ,  qu'alors  lo 
scandalc  aurait  ete  immense. 

On  a  cru  pouvoir  expliquer  d'unc  autre  nianiere  la 
diflicultc  qui  nous  occupe  :  on  a  dit  que  les  Paiens 
dislinguaient  la  religion  ellc-meme  des  fables  relatives 
aux  Dieux  ;  qu'ainsi  le  respect  pour  los  Dioux  restait 
sauf  ,  aux  yeux  du  pcuple  d'Alhenes  ,  tandis  que 
les  circonslances  mylbologiques  de  la  vie  des  Dieux 
|)ouvaienl  elre  des  objets  de  ridicule.  Mais  ,  si  Ton 
examine  avec  un  pcu  de  soiii  la  valeur  de  celte  nouve'le 
hypolbese.il  est  probable (ju'eUo  neparaitrapas  mieux 
fondco  que  la  prL'ccdciilf. 


324  ttVDES 

Qiielqiies  esprits  superieurs  do  ranliqiiilc  paicnnc 
onl  pu  fairc  imc  dislinction  semblablc  eiitrc  I'l'sscnce 
de  la  religion  et  la  mylhologic  ;  mais  rien  iie   prouve 
le  moins  du  monde  que  cclle  dislin-lion  exislal  jioiir 
la  raassc  du  peiiple.  Bien  plus  ,  L;  contcairo  est  etabli  , 
de   la  maniere  la  plus  forniellc  ,  par  les  lois  positives 
qui   gouvcrnaient  les  Atheniens  ,  par  la  nature  des 
fetes  qu'ils  celtbraieat  en  rhoniieiir  dcs  Dieiix ,   par 
Tensemble  dcs  productions  de  leurs  poetes  el  de  leurs 
kistoriens  ,  par  les  discours  de  leurs  orateuis  ,  en  un 
mot,  par  tout  ce  qui  nous  offre  dcs  monunienis  de  la 
vie  reelle  dans  la  snciete  grccque  ,  au  moins  jusqu'a 
des  temps  bien  posferieurs  A  Taninenne  comedie. 

Une  telle  explication  suppc^sorait ,  conlre  I'eviilence  , 
que  les  Grccs  du  temps  d'A  islopbauj  elaieiil  b.'en  plus 
judicieux,  en  fait  de  religion,  que  ni-  le  sont  les  peuples 
modcrnes.  Quoique  le  spiritualisme  soil  un  caraclerc 
essenticl  de  la  religion  chretienne  ,  et  que  les  ensei- 
gnements  les  plus  communs  et  les  plus  formels  de  cetle 
religion  ,  sur  la  nature  et  les  att.  ibuts  de  la  Divinite  , 
Temportent  sur  les  notions  qu'en  avaienl  les  sages  de 
lalirece,  nousvoyons  autour  de  nous  avec  quelle  peine 
on  deracine  dans  les  masses  ,  quant  aux  croyances  re- 
ligicuses  ,  les  ideesles  plus  grossieres  ,  et  quelle  est  la 
tendance  dcshommes  pen  eclaires  i  tout  materialiser, 
el  ci  preler  aux  purs  esprits  leur  mode  d'existenco  et 
leurs  passions  ,  mcme  celles  qui  sont  deji  une  degra- 
dation dans  I'humanite.  Conunent  done  admetlre  , 
quelles  qu'aient  ele  les  premieres  origines, quelle (pi'ait 
ele  la  signilication  premiere  du  polylbeisme  et  de  la 
mylbologie  des  Grecs,  que  la  foule  ,  cbez  les  Atbeniens, 


1 


SIR    ARISTOPII.VMi.  3l'.5 

n'ait  vu  dans  sa  religion  que  dcs  syniboles  ,  sin  tout 
qiiand  il  n'y  avail  pas  en  Greco  Ic  moindre  cnseignc- 
nient  public  qui  evcillat  une  semblab'.e  idee  ,  quand 
tout  consj)irait,  au  conlrairo  ,  pour  que  Tbisloire  leli- 
gicuse  fill  prisi'  i  la  lollre?  Par  quel  prodige  (car  ce 
serait  verilablement  un  prodige  )  ,  lorsqiie  lien  ne 
conlrariait  chcz  les  Grecs  le  pencbanl  naturel  dcs 
hommes  ponr  la  divinisalion  do  la  nature  pbysique  ct 
lessiiparslilions,  le  peuple  d'Albencs  se  serail-il  sans 
cesseeleve  a  des  ideos  rcligieuses  d'un  ordre  sjperieur, 
dont  on  nc  reconnail  les  traces  que  chcz  un  petit  noinbie 
do  SOS  philosopbos ;  landis  qne  ,  dans  noire  siecic , 
nialgre  les  lumierosdu  christianisme  ct  dcs  predications 
incessanles  ,  Tespril  a  tant  d  lutter  conlrc  la  nialicrc  , 
et  que  souvent  les  racincs  do  la  superslilioi  ne  sont 
arracheos  du  s  )1,  qu'en  cntrainant  avec  dies  qiielipics- 
unes  des  croyanccs  les  plus  respectables  et  les  plus 
precieuses  ? 

Les  Grecs  ,  sans  doule  ,  ont  niontre  ,  sous  quclques 
rapports ,  une  excellence  non  conleslee ;  niais  il  faut 
b:cn  rcniarquer  que  ce  n  est  guere  que  dans  les  arls  de 
Timaginal ion  ct  dans  cc  qui  suppose  bien  moins  nno 
raison  forle  qu'une  sensibilite  vive  et  esquise.  Tarce 
que  les  Athcniens  du  sieclo  de  Pericles  out  produit 
d'adniirables  chefs-d'oeuvre,  il  ne  faut  pas  oiihliorqu'en 
fait  de  pratiques  supcrstilieuses  ,  ils  s'abaissaiont  au 
nioitis  au  niveau  des  autros  peuples  :  on  nc  rencontre 
ricndeplus  absurdcA  cet  egard  dans  les  classes  !cs  plus 
ignoranles  de  notrc  sociiile.  Lorsqu'on  sail  que  ( hez  eux 
on  croyaitgeneraleuienl  aiix  oracles  ,  au\  soni-es  ,  aiix 
presages  de  loules  surlcs  ;  (pie  les  dcvins  y  elaient  dcs 


326  fiTLDES 

j'crsonnages  publics,  onlourcs  <le  la  plus  haule  ronsidc- 
ralion  ,  el  que  leurs  predictions  dcciJaienl  les  actos 
Ics  plus  imporlants  de  la  republique  commc  ceux  dc  la 
■vie  privee  ,  on  se  i  eniande  comment  on  a  pu  si  gratui- 
lement  Icur  fairc  bonneur,  en  religion  ,  d'une  sagacild 
vraiment  merveilleuse. 

Rien  n'elablit  que  ,  dans  les  mysleres  d'Eleusis  cux- 
mr'nies  ,  il  y  cut  un  cnseigneracnt  qui  appril  a  regar- 
der  comme  des  fables  les  opinions  admisesdans  le  culle 
public.  Si  un  lei  enscignement  eut  accompagne  les 
ceiemonies  de  I'inilialion  ,  Ic  grand  nombre  dc  ceux 
qui  ,  dans  la  Grecc,  et  surlouldansrAtliquc,  elaient 
iuilies  i  ccs  mysleres,  aurail  bienlot  fail  prevaloir, 
dans  les  babiludes  religieuses  ,  les  idces  re:;ncs  de 
I'bieropbanle  :  car  les  inilies  formaicnl  la  majorite 
dans  Ic  pcuple  d'Albenes  :  on  voulait  generalcment 
parliciper  aux  mysleres  avant  sa  mort ,  afin  de  jouir 
dansTautre  vie  de  la  felicile  promise  aux  inilies. 

Au  lieu  dc  pcnscr  que  des  notions  plus  purcs  sur  la 
Divinile  el  le  rcjet  de  quelqucs  uncs  des  croyances 
vulgaircs  fussent  pour  ceux-ci  le  resullat  dis  revela- 
lions  (jui  leur  elaicnl  failes  Jk  Eleusis  ,  il  est  vraisem- 
blable  qu'ils  en  revenaieat  sculentenl  avec  unc  ferveur 
religicusc  plus  grande  ,  ct  peul-elrc  Tobligation  d'ac- 
complir  ccrlaines  pratiques  de  surerogalion ,  comme 
nous  voyous  s'en  imposcr  les  membrcs  des  confrairics 
de  nos  jours. 

Nous  n'avons  pas  la  moindre  donnee  d'ou  Ton  puisse 
inferer  que  les  j)relrcs  d'Albenes  aieul  jamais  indique, 
ou  sculcmenl  insiiuic ,  une  distinction  i  faiic  enlie 
la  religion  veritable  ct  la  mylhologie.  Unc  telle  doc- 


SUU   ARISTOrUA>'E.  327 

trine  C'it  clc  bien  cvidemment  lout-a-fait  contrairc 
k  Ic'.irs  inlercls.  Ce  qui  est  bion  plus  a  cruire  ,  cVst 
qu'ils  onl  luUe  de  tous  leurs  efforls  pour  la  conscrva/ion 
de  croyances,  de  pratiques  ,  de  superstitions  ,  sur  Ics- 
qucllcs  reposait  toulerimporlance  deleur  minislerc. 

Ce  n'est  qtie  dans  Tecole  d'Alexandric  que  commen- 
cercnt  i  acquerir  une  cerlainc  publicile  les  opinions 
des  pbilosoi)hes  qui  distinguaienl  la  religion  des  fab'cs. 
Ce  n'est  que  plus  tard  encore,  lors  dcs  altaqucs  diri- 
gees  par  les  Peres  du  cbristianismc  conlre  la  religion 
etablic ,  que  1  s  defeiiseurs  du  paganisme  mircnt  en 
avant  ces  distinctions  et  les  proclanierent ,  pour  sauver 
i  Icur  croyance  le  reprocLe  d'absurdile  ,  ct  qu'ainsi 
elles  purcnt  verilab'ement  sc  repandre  dans  le  peuple. 

Si  le  sacerdoceeut  fait  en  Grece,  comme  en  Egyple, 
du  temps  d'Arislopbane,  une  caste  h  part  ct  puissante  ; 
qu'il  y  eut  eu  un  double  enseignenicnt  religieux  ,  Tun 
pour  les  masses  ignorantes  ,  I'autrc  pour  I'elile  dcs 
ciloyons  ,  qui  eut  etc  Texpression  des  opinions  ct  de  la 
foi  du  corps  sacerdotal  ,  et  que  les  prctrcs  eussent  ele 
juges  dans  lesproces intentes  pour  impictc ,  on  pounait 
comprendre  comment ,  tout  en  punissant  severemcnt 
ce  qui  aurait  ele  contrairei  leur  doctrine  esolerique  , 
les  pretres  se  seraient  montres  toleranspour  desplai- 
sanlerics  qui  auraient  portc  snr  des  cboscs  assez 
inditferentes  a  leurs  ycux  :  mais  il  n'eii  elait  pas  ainsi ; 
I'enseignement  religieux  elait  le  nK-me  pour  tous  les 
ciloyens;  Socrale  elait  puni  de  mort  pour  avoir  in- 
sulle  les  mcnies  I>ieux  que  ceux  dont  Arislopbane  fai- 
sail  des  objels  dc  ridicule  ,  et  Socrale  etail  juge  par  ce 
nxome  peuple   qui  applaudissait  aux  conqjosilions  du 


j'j.S  KTlDIiS 

Itoele:  c'clail  b'cnalors  I'tri'juiro  par  k-jicuplo  lorsfiuc 
la  seiilcncc  cmanail  tl'im  tiibiirial  coinpose  tic  inille 
ciloyeiis  clt-signi'S  par  !c  sort. 

Ainsi ,  dcs  t'.eiix  cxinicalions  quo  nous  vonons  d'cxa- 
ininer  siir  la  qiicslion  prescnlc  ,  la  premiere  re|)ugne  a 
line  loi  tie  iiotre  nalu  e  morale  ,  ct  const';qiiemmL»nt  ne 
pent  etre  ailmise  ,  surloul  lorsqu'il  s'agit  tie  la  niani<5!:  e 
lie  senlir  ct  tie  jnger  d'uii  peuple  eiilicr;  Taulre  est 
contraire  i  toiites  U'S  donnecs  tiiie  nous  foiirnil  lliis- 
toirc,  c(  i  loules  les  raisoiis  qui  naisscnt  de  rinduclioii, 
relalivemeiii  i  I'tilal  social  et  religieux  de  la  Greoc  au 
temps  d'Arisfoi'-hane.  II  nous  faut  done  cbei tlu-r  ail- 
leiirs  les  moyens  de  coucilier  les  inoverences  cscessives 
dc  ramicniic  comedic  gierquc  cnvers  les  divinilcs  dii 
pays  ,  avec  les  ap[)laudisseiuents  que  le  pocle  reeevait 
d'un  peuple  religicix. 

Cc  qui  souvcnlcloMnc  ,  lorsqu'on  fait  une  etude  un 
pcu  s^ricuse  de  ranliiiiulo  ,  c'cst  d'y  rcncontrer  d  s 
fails  qui  offreut  avec  d'aulrcs  plus  voisins  de  nous 
dcsanalogits  fra|)paiites  ,  lesqucllcs  pourlant  ncsem- 
bleut  pas  avoir  elii  jusques-li  remarquees.  11  resulle  de 
celte  absence  de  rapprochemrnl  et  de  coniparaison 
enlrc  des  fails  seinblablcs,  qu'on  est  prive  de  Tavanlage 
d'apprecier  ou  expliqtier  les  uns  par  les  donnees  qui 
seraicnt  fournics  par  les  aulres.  De  1;\  dt^s  didicuUt-s 
tpii  paraissenl  inexUicablcs  et  tanl  d'bypolbcsesbasar- 
dees ;  landis  que  la  consideralion  des  rapports  qui 
subsislent  entre  les  fails  anciens  el  ceux  qui  nous  sont 
niieuxcounus  peul  conJuire  nalurcllement  i  uiic  solu- 
tion satisfaibanle.  Cellc  icuiaKjue  Irouvcra  pent  elrc 
en  re  mouicul  sou  api'Uculioii  tout  cnlicic. 


svji  ARiSToPiiANE.  Sag 

Dans  I'hisloiro  dc  notre  nalion  vl  dc  nofro  liii'Atre, 
nous  ronrnn  Irons  unc  cjioquc  qui  off  re  prccisc'-moiit  les 
mt'nios  rirconslanccs  ,  et ,  par  siiilo  ,  la  nu'mc  diffiruUc 
a  rcsoud  c  ,qiic  cc  qui  vicnld'clro  signalerelativemont 
,mx  Grccs. 

All  moycn  Age  ,  el  jusqii'Adcs  temps  assez  rapprodies 
denoiis  ,  on  voit  dcs  dranios  nnmbrcuv  doiil  Ics  siijets 
et  les  personnages  sont  freqiiemnjenl  cnipriinles  a  la 
reIi<i;ion  dii  pays  ,  et  qui  parfois  monie  etaient  repre- 
scnles  dans  Ks  cglises,  surtout  au  temps  des  fetes  so- 
lennellcs. 

Souvent  aussi  les  situations  ou  Ics  aulcurs  placent 
Icnrs  heros  ct  les  disrours  qu'ils  Icur  font  tenir  nous 
rhoquent  par  une  irreverence  el  une  grossiercle 
vraiment  elrangcs  Co  qu'il  y  a  de  plus  sacre  dans  la 
religion  clirelienncy  devienf  parfois  nn  objet  de  ridi- 
cule et  (!e  i)laisanteri(s  tcllemenl  indecentes  qu'elles 
nous  seniblent  im|)ies. 

Cependant  c'ctait  au  milieu  d'une  sociele  ou  Icr  idees 
rciigieusos  regnaienl  en  souveraines,  el  qui,  pour  pmiir 
les  crimes  de  sacrilege  el  (rimpiele  ,  eleva  plus  de 
bucliors  qu'il  n'y  eut  jamais  dc  coupes  de  cigue  pre- 
parecs  A  AlLencs. 

Qui  pourrait  netre  pas  frappe  de  cc  contours  dc 
lant  de  circonstances  semblablcs,  en  rapprocbant  I'an- 
ciennc  comedie  grccque  des  miracles  ,  des  niysllres  (i) 


(I)  Lessujcts  dcsmiVflf/M  6taiont  cmpninliJs  aux  legcndes;  coui 
dcs  mysiires ,  h  rAncionot  au  Nouvcau  Testament.  Lrs  miracles 
seniblont  avoir  pri^<(!^(l(!"  les  mystrrrs.  II  csl  di^nc  <lc  rcniarqiip  que 
t'cst  a  la  Niinnaiidic  (lue  Ion  doil  les  preitiicres  pruduclioiis  dra- 


33o  ETUDES 

el  dos autres  dramcs ilumoyon age?  Avoc  unc  si  grandc 
analogic  dans  les  faits  ,  il  est  bien  permis  d'espercr  uiie 
solution  commune  ;  car  [homme  partout  est  ihomrne  , 
ct  si  les  niemes  causes  anienent  partout  dans  I'liunia- 
nile  los  monies  effels  ,  les  monies  effets  doivent  aussi 
trouver  leur  explication  dans  des  causes  analogues. 

Mais  il  est  une  precaution  indispensable  pour  n'elre 
pas  exposes  k  unc  fausse  appreciation  des  hommes  ct 
dcs  choscs  ,  dans  re  qui  apparticnl  h  des  cpoques  et  A 
des  peuples  eloigncs  do  nous  ;  c'esl  de  nc  pas  les  voir 
sculement  ('e  notre  poir.t  de  vuc  ,  A  nous  ,  Francais  du 
X1X^  siecle.  II  est  necessaire  que  nous  nous  trans- 
portions  de  toiite  la  force  de  notre  imagination  au  milieu 
de  la  sociele  dont  nous  voulons  jugtr  les  actes  :  il  faut, 
pour  ainsi dire, que  nous  en  devenions  membres,cn 
nous  penetrant  dc  scs  opinions  ,  de  ses  croyances  ,  dc 
ses  prejugcs  ,  de  ses  affections  ,  en  faisant  abstraction , 
aussi  completcment  qu'il  est  en  nous ,  de  toulcs  les 
idees  ,  de  tous  les  sentiments  qui  lie:ment  h  notre  vie 
individuelle  ou  k  notre  ctat  social. 

Avec  cetle  disposition  prealable  ,  assistons  par  la 
pcnsec  aux  representations  dramatiques  de  nos  aieux, 
et  demandons-nous  s'il  y  avait  vraiment  de  rimpiele 
dans  les  plaisanteries  qui  portaient  sur  les  plus  saints 
personnages  et  sur  Dicu  lui-meme. 

Nous  y  trouverons  dc  1' irreverence  ,  derindecence, 
une  excessive  indccence  ,  raais  non  pas  de  Tinipiete. 

matiques  dc  notre  litl^rature  nalionale.  Des  miracles  y  dtalent 
reprisenl^s  des  Ic  commencement  du  XII*.  siecle.  Cost  un  pocte 
normand  ,  GclTroy  ,  qui  imports  ccs  spectacles  en  Angletcrre  ,  ou 
ill  6C  maintinrenl  long-temps  avcc  la  plus  grandc  favcur. 


sun    AUISTOPIIANT.  33  I 

I/impit>(o  suppose  rintention  d'oxpriracr  son  ni(''pris 
pour  los  objels  du  cultc  ct  do  lo  fairc  partagcr  aux 
autres,  on  riiileiition  au  moins  d'insiUer  a  Icur  foi  : 
or  ,  est-il  vrai  qu'il  y  eut  qiielquc  chose  de  cc  genre  , 
soil  chez  les  auleurs  ,  soil  cbez  les  spectaleurs  ,  lors 
de  la  representation  des  Miracles  et  des  Mystcrcs? 
Non  ,  sans  doute  ;  c'est  trop  contraire  A  ce  que  nous 
Savons  de  plus  positif  SUP  I'etat  de  la  societe  franca ise 
i  cette  epoque.  11  y  avail  alors  ,  a  la  verite  ,  dans  les 
niocurs  ,  une  licence  et  line  grossierete  dont  aucune 
classe  n'elait  exempte  :  les  croyances  el  les  pratiques 
religieuses  de  la  raassc  elaienl  miMees  de  snperstilions 
indignes  de  I'Evangile  ,  et  souvent  ,  au  nom  de  la  re- 
ligion ,  se  faisaient  nombrcde  choscs  dont  la  religion 
avail  elle-memc  k  gemir ;  mais  ni  les  auteurs  ni  les 
spectaleurs  des  drames  du  moyen  Age  n'avaient,  A  ces 
spectacles,  la  moindre   idee  de  I'offenser.    Aucun  ne 
voyait  dans  les  plaisanterics  qui  nous  seniblent  les  plus 
audacieuses  une  negation  de  la  Divinile  ni  d'une  seulc 
des  croyances    essenlielles    enseignees    par    TEglisc. 
Parlout  la  foi  t-tail  robuste :  loin  qu'elle  cut  encore 
re^u  la  moindre  atleinte  dans  b;  peuple  ,  I'idee    que 
Ton  pul  doutcr  ,  k  moins  que  d'etre  paien  ,  n'y  elail 
pas  memo  entree  dans  les  esprits. 

C'est  parce  qu'il  en  etait  ainsi  ,  c'est  parce  que  le 
ridicule  n'avait  pas  encore  cte  employe  comme  une 
arme  pour  delruire  ,  que  Ic  clerge  riait  des  plaisan- 
terics de  la  scene  avec  la  meme  effusion  que  le  rcste 
du  pcuiple.  Cc  qui  nous  apparail  mainlcnant  conune 
irrciigieux,  comme  imj)ie,  a  nous  pour  lescpielslcs  asso- 
ciations d'idees  sont  plus  nombreuses  et   autrement 


33?.  ETIDES 

varit'os ,   n'etait   alors    qu'un    divorlissemcnl    public 
exempt  do  (out  scandalc. 

Et  en  effel ,  poiir  que  Ics  plaisantcrics  dont  il  est 
qi'.pslioii  parusscnt  impies  aux  spcclaleurs  ,  il  aurait 
fallu  qii'ils  apcrrnsscnl ,  darts  les  situations  ct  dans  los 
disconrs  qui  leur  jTrtaienl  A  rire  ,  dcs  cons»^quonces 
a  en  tirer  contre  la  foi  ;  niais  ,  pour  que  les  csprits  ar- 
rivcnt  au  point  dc  tirer  ces  consequences  ,  il  y  a  des 
conditions  que  n'offre  pas  un  peiiple  d  loute  pcriode  dc 
son  hisloiro. 

11  faut  qiiole  scntimrnt  des  biciiseances  y  soit  port<^ 
;\  un  certain  dcgre  dc  delicatessc,  et  que  les  idees  que 
Ton  s"y  forme  des  pcrsonna^cs  divins  soient  asse/  per- 
fertionecs,  pour  qu'au  jugcment  du  speclaleur  ,  il  y  a;t 
incompalibilitechoquanle  cntrele  role  qui  leur  convient 
et  celui  qui  leur  est  prele  par  Ic  poete. 

11  faut  encore  que  les  fondemcnts  de  la  foi  aient 
ele  auparavant  seiieusenient  altaques  ,  que  le  doulc 
ait  commence  a  se  repandre  ,  r.on  pas  seulcmcnt  cboz 
qnelqucs  hommes  ,  mais  dans  la  foule;  el  que  les  plai- 
santcrics du  theatre ,  se  liant  aux  arguments  sorieus 
deja  connus ,  les  rappellent  A  la  pensee,  ou  mcme  en 
scmblent  une  reproduction  sous  une  autre  forme. 

Moins  ces  conditions  seront  remplies ,  moins  aussi 
sera  grande  la  susceptibilite  quant  aux  plaisantcrics 
dont  la  religion  sera  I'objet.  Au  contraire,  dans  un 
temps  oil  ,  par  suite  des  progres  dc  I'csprit  humain  , 
la  perception  des  rapports  sera  dcvenuc  plus  large  , 
plus  subtile  et  plus  promptc ,  si  deji  les  croyanccs 
religicuses  o.it  ele  comballues  avec  des  amies  de  tout 
genre,  et  que  le  ridicule  ail  etc  emploj'c  mille  fois  comme 


SUK    ARISTOPHANE.  333 

un  argument  contre  ellcs  ,  alors  tout  sera  suspect  : 
le  moindre  mot  presentant  un  sens  equivoque  sera  con- 
sidere  conmie  une  attaque  ;  la  plaisanterie  deviendra 
derision  ,  raillerie  amere  ;  rinlention  innocente  ne  se 
supposeraplus  ,  sinon  entre  personncs  reciproqueraent 
convaincucs  de  la  solidite  de  leur  foi ;  il  arrivera  meme 
que  ce  qui  autrefois  a  ete  dit  et  represente  devant  un 
pcuple  ,  avec  edification  ,  ou  au  moins  sans  6veiller 
aucune  idee  contraire  aux  croyances  ,  ne  pourra  plus 
t'tre  reproduit ,  qu'cn  excitant  un  certain  malaise  et 
souvent  aussi  I'indignation  chez  les  Qdeles. 

II  n'y  a,  du  resle,  dans  ces  effets  si  differenls  ,  selon 
les  associations  d'idees  qui  seforment ,  rien  autre  chose 
que  ce  qui  s'eprouve  cbaque  jour  dans  la  vie  commune. 
La  plaisanterie  se  tolere,  et  pent  amuser  meme  celui-ld 
qui  en  estl'objet  ,  tant  qu'aucune  intention  serieuscct 
maligne  n'y  saurail  etre  supposee  ,  tant  que  rien  n'a 
ele  dit  qui  puisse  parailre  vraisemblable  et  se  croire  ; 
mais  si  elle  atteint  ce  qui  veritablement  prete  au  blAme 
Oil  an  ridicule  ;si  seulemcnt  elleoffre  I'apparenred'une 
critique  juslifiee  par  la  realite  ,  alors  scs  traits  sont 
enipoisonnes  ,  et  le  rire  qu'cUe  fait  naitre  en  presence 
de  cehii  qui  en  est  frappe  rend  plus  vive  encore  sa 
blcssure. 

On  voit  maintcnant  comment  il  faut  resoudre  la 
question  relative  au  theAtre  d'Atbcnes.  Ce  qui  vient 
d'etre  dit  de  nos  aieux  s'applique  mot  pour  mot  aux 
Atheniens  contemporains  d'Aristopbanc.  C'cst  parce 
que  cbez  eux  les  rroyaucrs  religieuscs  elaient  entieres, 
que  les  Atbeniens  pouvaient  sans  impiete  se  livrer  sur 
le  comple  des  Dieux  a  des  plaisanterics  qui  nous  ont 


33}  tTlTES 

semble  sarrilcgcs  ;  c'osf  parte  que  les  aulels  n'claient 
pas  ineiiar(59  ,  que  ces  plaisanten'cs  etaient  toleiees 
comme  innoccnlos.  Qiiand  le  pcuplc  avail  ri  i  la  repre- 
sentation des  Grcnouillcs  ,  des  Oiscnux  cl  dii  rintus, 
il  ne  se  pressail  pas  avec  mnins  de  fervcar  dans  les 
temples  ;  Bacchus  etail  loujoursle  Dicu  des  Lenoennes 
et  desDionysiaqnes  ;  Jupiter  etait  toujours  I'Olympien, 
•ibjet  de  Tadoralion  pnblique. 

II  y  avail  bien  ,  sans  doute  ,  ca  et  li,  paitni  les  spec- 
tateurs  de  I'ancienne  coniedie  grecque  ,  comme  dans 
le  moycn  i\ge  ,  quelques  incredules  qui  vnyaient  daus 
ceitaines  plaisanteries  autre  chose  quo  ce  qu'y  aper- 
cevail  le  poele  lui  menie,  et  doul  le  sourire  ^'lail  moins 
innocent  que  celui  de  la  foule  ;  niais  Topinion  generale 
elail  trop  forlemenl  etablio  pour  qu'il  n'y  eut  pas  du 
danger  jmur  eux  a  la  fronder  par  leur  condiiite  on  par 
leuis  reflexions  (i). 


(1)  L'existcncc  des  h^risiarqiies,  qui  Iroublaionl  Ac  Icmps  en  temps 
la  pais  de  I'Eglise  lalholiqiie,  n'infirnie  en  rien  ce  qui  vicnt  d'fire 
dil.  Le  sucres  ui^me  quauraieni  eu  leurs  pr^diralions  seraU  une 
preuve  de  la  ferveur  des  croyances.  On  ne  discule ,  en  elTel,  aver  la 
clialeur  du  prosc'-lylisnie;  on  ne  brave  des  dangers  de  loul  genre  ptiur 
la  propagation  de  ses  opinions,  et  les  pcnplcs  ne  se  sonlevenl  pour 
oil  fontre  les  novateurs,  que  dans  les  Icnips  d'une  foi  vive.  Et  d'ail- 
Icurs,  lant  que  les  points  de  fait  n'^taienl  pas  rontest(^s,  et  que  les 
plaisanteries  ne  porlaient  encore  que  surdes  circonstances  admises 
fgalement  par  lous,  il  n'y  avait  pasdc  raison  pour  qu'il  en  rc^sultAt 
du  scandale.  Ce  fut  pendant  la  lulte  du  prolestantisme  que  corn- 
menc^rcnt  a  devcnir  plus  tiniides  nos  poetes  drainaliques  Les 
representations  dos  miracles  et  des  mjslcrescesserenl  ni(*nic  cnlie- 
rement  dans  les  localities  on  les  rt^lormts  firent  senlir  lenr  presence. 
Ce  n'est  que  dans  les  provinces  oil  les  idf^es  nouvelles  n'avaient  pos 


SIR    ABISJ'OPHANE.  335 

Ainsi ,  loin  de  nous  etonner  de  ce  qui  nous  a  frap- 
pes  d'abord  dans  Ics  comedies  d'Arislopbane  ,  quant 
au  r61e  qu'y  jouenl  souvent  les  Dieux ;  loin  d'y  voir 
quelque  rhosc  d'inconciiiab'c  avec  le  caraclcre  reli- 
gieux  dcs  Afbeniens  et  les  peines  inlligecs  par  eux  , 
pour  crime  d'impiele  ,  ^  quelques  bonuTU\s  telebres  , 
c'esl  preciscjneut  la  foi  inlacle  et  fcrventc  decc  peuple 
qui  nous  expliquera  comment  il  pouvait  tout  A  la  fois 
rire  dcs  situations  comiques  ou  les  poetes  placaicnt  les 
Dieux  el  faire  boire  de  la  eigne  a  ceux  qu'il  soupcon- 
nait  de  nier  les  Dieux. 

Les  rapports  que  nous  pourrions  reconnailre  entre 
la  societe  grecque  et  la  societe  francaise ,  sous  le  point 
de  vuc  qui  nous  ocrupe  ,  ne  s'arrelcraient  pas  aux 
epoques  dc  la  vieille  comedie  albenienne  et  de  nos 
mvsleres. 

Dans  le  XVIIT.  siede  ,  on  rajeunissait  conlre  le 
cbrislianisme  des  plaisanteries  qui  avaient  fait  rire  , 
mais  qui  n'avaient  pas  scaniiivlise  nos  aieux  :  la  meme 
chose  elait  arrivee,  quelques  siecles  apres  A;  istopbane, 
au  milieu  du  paganisme.  Un  ecrivain,  que  Ton  poui  rait 
appelcr  le  Voltaire  de  la  pbilosophie  grecque ,  nous 
offre  des  scenes  tout-a-fait  dans  le  genre  de  la  vieille 
comedie  ,  mais  dont  le  but  est  bien  different  de  celui 
du  pocte. 

p6n^tr6  parmi  les  masses,  que  le  cleise  put  tolerer  sans  inconve- 
nient des  spectacles  dc  ce  genre  :  et  pourtant  quelle  difference  entre 
les  idecs  religieuses  que  proclaniait  la  r^formc  el  cclles  que  devait 
r<'pandre  la  philosopliie  du  XYIir.  siecle ! 


33G  iir!i)K> 

C'clait  sous  les  Antonins.  La  religion  di's  Grocs  el 
des  Remains  avail  altcint  lY'iioqiic  c'c  sa  ilcuadcMict'. 
.Tnpilpr  elait  encore  an  Capitole  le  Dieu  officiel  tie 
FEmpire  ;  mais  on  avail  commence  A  examiner  ses 
litres  k  la  divinllo.  Les  pensenrs  le  niaient.  II  n'avail 
plus  gucre  pour  lui  que  la  force  de  I'habilude  el  les  pro- 
fondes  raoines  par  lesquclles  une  religion,  quelle  qu'elle 
soil  ,  lient  toujours  fort  long-temps  a  nn  people  cbc/. 
lequel  elle  a  vecu  des  siecles  aver  lionneur.  Le  chris- 
lianisme  naissani  faisail  mieux  rcssorlir  encore  i  sa 
lumiere  ce  qn'il  y  avail  d'absurde  dans  le  culte  el  les 
superslilions  antiques. 

Quoi(jup  Lnrien  ne  fut  pas  un  juste  appre.iateur  dn 
christianisme  ,  el  qu'au  contraire  quelqites-cnes  de 
ses  compositions  soient  fori  iojurieuses  h  la  religion 
nouvelie ,  i!  lui  tardait  de  voir  lomber  dp  TOlynqie 
Jupiler  et  son  cortege.  Ce  que  se  perniellail  Arislo- 
pbaiie  pour  anniser  le  pcuple,  Lucien  le  fit  pour  lourner 
en  derision  ses  croyanres  el  pour  les  detruire.  Aussi 
dut-il  exciter  une  indignation  profonde  rbe/.  ceux  (pii 
etaient  encore  resles  fi  e'.es  aux  ancicns  Dieux  ,  t.'.ndis 
que  le  sourire  de  I'incredulile  atteslail  (Lez  les  aulres 
ave?  quelle  juslesse  frappail  dans  ses  mains  Farme  du 
ridicule. 

Cctte  difference  que  nous  signalons  ,  daiis  les  inten- 
tions ,  entre  le  poele  el  le  philosopbc  ,  dovienJra  nia- 
nifesle  ,  si  on  les  rapprotbe  Tun  de  I'aulre  ,  s'.irloul 
dans  certains  passag  s  ou  le  fonds  des  idees  est  a  peu 
pres  le  meme. 

Dans  le  Plains,  par  exemple,  AristopLnne  represcnte 
Mercure.mouranl  de  faim  dansl'Olympe,  trop  beureux 


SL'R    AlklSTOPIlAMi.  33l 

dc  se  faire  valet  chez  les  morlels,  pour  avoir  ^  manner  : 
c'est  bioji  nioiiis  iiii  Dicu  que  la  parodie  d'un  D;eu  , 
(pi'il  offre  aiix  spectatcurs.  La  srene  qui  suit,  oOi  figure 
!e  prctrc  de  Jupiter,  n'est  pas  plus  edifianle  On  se 
souvienl  en  -ore  du  rolo  dc  Bacchus  dans  les  Grenouilles: 
il  est  diniL'ilc  de  faire  descendre  plus  has  une  divinite  , 
d'cn  faire  plus  completcment  un  nbjct  de  ridicule. 
Cependant,  en  y  regardant  de  pres  ,  on  verra.  dans  les 
scenes  que  nous  iudiquons  ,  ainsi  que  dans  les  dramcs 
du  inojen  ;^ge ,  plutAt  de  Tirreverence  que  de  Timpiele. 
Le  poele  y  joue  avec  des  Dieux  amis  ;  il  ne  s'y  joue  pas 
dcs  Dieux. 

Ouvrons  niainfenant  Lucien  :  ligons  !e  dialogue  inti- 
tule Timon  ( qui  offre  des  rapprocbemeiits  de  plus  d'un 
genre  i  faire  avec  le  Plutus)  :  ecoulons  ensuite  ,  dans 
Mercure  el  Mdia  ,  Ic  fds  de  Jupiter  ,  mecontcnt  de  son 
etat,  et  s'en  plaignant  A  sa  m^re  •  ecoulons  encore 
Momus  ,  dans  V AssembUc  des  Dieux.  Nous  verrons 
que  ,  si  Aristophane  fait  rire  aux  depcns  des  habitanls 
du  ciel  ,  conime  on  s'egaic  parfois  aux  depens  de  per- 
■sonnes  que  Ton  estinie  et  que  Ton  aime ,  Lucieti  toiKne 
en  derision  les  idees  recues  dans  la  religion  et  la  reli- 
gion elle-nienie  j  que ,  si  le  poele  commet  des  irreve- 
lences  ,  lesquelles  sont  innocentes  dans  ses  intentions, 
Ic  philosopbe  a  un  autre  but  que  d'exciter  la  gaiete  ,  et 
que  ,  par  le  ridicule  ,  il  veut  saper  les  croyances  et  de- 
trAner  les  Dieux. 

S'il  etait  necessaire  d'ajouler  quelqne  chose  a  cc  qui 
precede  pour  faire  comprendre  le  veritable  s;<ns  dcs 
plaisanleries  d'Arislophane  ,  nous  appellerions  Tallt  n- 
tioii  des  leclcurs  sur  la  tomedie  dcs  JSuecs.  Quand  on 


338  ETLLE5 

I'aiira  lue  ,  en  n'y  vovant  que  ic  qui  s'y  (rouve  en 
effet,  sans  se  preoccuper  de  toutes  Ics  dissertations  des 
savants  sur  cetle  piece,  on  ne  saura  guete  s'expliquer 
comment  les  modcrnes  ont  pu  accuser  le  poete  d'im- 
piele  ct  d'atheisme.  Ce  sera  ,  nous  le  crojons  ,  un 
nouve'i  argument  bien  puissant  en  faveur  de  I'opinion 
que  nous  avons  expiimee. 

Nous  n'examincrons  pas  en  ce  moment  si  c'etait 
reellement  sans  aucune  apparence  de  raison  que  le 
poete  coniique  choisissait  Socrale  comnie  le  represen- 
tant  des  sophistes  ,  de  ces  prelendus  sages  dont  Ics  en- 
seignements  n'avaient  pour  resullal,selon  Aristophane, 
que  de  ruincr  les  anciennes  moeurs  et  les  vertus  civi- 
ques  ,  en  meme  temps  que  la  religion  d'Athenes.  Nous 
ne  voulons  ici  que  constater  un  fait  ;  c'est  que  I'impiete 
el  rimmoralite  des  nouveaux  philosopbes  est  evidem- 
nicnt  I'obJL't  de  la  comedie  des  Nuecs,  et  que  le  poete, 
nou  seulement  les  y  altaquc  avec  Tarme  du  ridicule  , 
mais  encore  les  signale  ,  comme  immoraux  et  comnie 
impies  ,  k  Tanimadversion  des  speclateurs.  Du  reste  , 
on  I'a  si  bien  senti,  que,  depuis  Elien  jusqu'a  nos  jours, 
I'auleur  des  Nuees  a  ete  souvent  accuse  d'etre  le  prin- 
cipal auteur  de  la  mort  de  Socrale. 

Au  lieu  done  du  reprocbe  d'alboismc  et  de  mepris 
des  Dieux  ,  Arislopbane  pourrait  paraitre  ,  avoc  moins 
d'invraisemblance ,  en  meriter  un  autre  ,  aupres  de 
ccux  qui  honorent  Socrale  comme  un  sage,  victimc  du 
fanatisnie  et  de  la  calomnie  ,  c'est-a-dirc ,  celui  de 
s'elre  montre  comnu^  un  dcvot  haineux,  acharne  ontre 
toutc  idee  nouvcUe  en  reliijion  ,  ou  bien  encore  d'avoir 


SLR   ARISrOPIIA>E.  33q 

abuse  d'un  prelexte  sacre,  pour  appeler  sur  un  ennemi 
la  nialveillance  dc  la  nuiltilude  (i). 

En  general  ,  Arislopbar.e  a  cl(^  fort  mal  apprc^cie  , 
aiissi  bien  sous  le  rapport  moral ,  que  sous  le  point  de 
vue  religieux.  On  a  ele  cboque  de  ce  qu  il  y  avail  de 
grossier  et  d'ind^cent  dans  ses  comedies  ,  el  Ton  n'a 
pas  lenu  compte  du  but  qu'il  se  proposait  ni  des  dispo- 
sitions des  spectaleurs.  Encore  une  fi)is  ,  la  grossierele 
t'es  expressions  ,  I'indecence  el  rinronvenance  de  toule 
nature  sonl  cboscs  relatives ,  qu'ii  faut  juger  cbez  le 
po^le  d'apres  les  mosurs  el  les  idees  des  Albeniens  de 
son  si(^cle  ,  et  non  pas  d'apres  les  n6tres.  C'est  par  ses 
iiitenlions  que  nous  devons  juger  de  sa  moralite  :  or, 
jusque  dans  ses  compositions  que  nous  serious  le  plus 
poites  a  trailer  avec  soveiile,  i  cause  de  leur  ind6- 
cenc e  ,  le  but  moral  d'Arislo;:bane  est  assez  evident. 
Dans  les  CrenouiUes  ,  [yar  ;  xempie  ,  ce  qu  il  altaque 
avec  le  plus  de  vigueur  en  criliquanl  Euripide  ,  c'est 
Timmoralite  des  personnages  du  po^te  tragique  ;  ce 
sonl  ses  Pbedres  ,  ses  Slbenobecs ,  etc.,  avec  leurs 
maxinies  subversives  du  devoir  :  en  sort.-  que ,  maI<Me 
des  formes  que  ne  sauraient  admellre  les  societes  mo-. 

(1)  Ce  n'esl  pas  pourtant  aiiisl  que  nous  jugerions  nous-m^mcs 
If  po6le  comijue  :  ('opinion  qui  nous  scmbic  la  plus  probable,  c'est 
que,  lorgqu'Arislophane  fit  reprc^scnler  les  ^'llef■s  la  prcmi6re  fuis, 
24  ans  environ  avant  la  mort  de  Socratc ,  on  pouvait  assez  natu- 
reilement,  a  celte  t'poque  de  la  vie  du  philosophe,  ic  confondre  avec 
les  autres  sopliisles  ,  dont  il  avait  (outes  les  Irabiludes  cvlc^rieures. 
Ouol  qu'll  eu  soit ,  l'id6e  doniinanle  des  Aiiees  respire  bien  plul6t 
le  zele  d'un  croyant ,  qu'aucune  des  autres  pieces  du  indmc  poi^te , 
si  elles  sent  lues  avec  tme  allenlion  judiclcuse  ,  n'annonce  un  In- 
crMulCi 


34o  ETUDES    6UR    ARISTOPHANE. 

dernes ,  il  est  vrai  de  dire  ,  quelque  paradoxalc  que 
puisse  paraitre  cette  assertion  a  ceux  qui  n'ont  qu'une 
connaissance  superficielle  d'Aristophane,qu'il  se  montre 
constamment  le  defenseur  de  la  morale  publique  ,  de 
ni6me  que  ceux  qu'il  presentait  le  plus  souvent  comme 
y  porlant  les  plus  dangereuses  atteintes  elaient  les 
meines  hommes  qu'il  accusait  aussi  de  mepriser  les 
Dieux  de  la  patrie. 


I 


D  CN 


MEMOIRE  SUR  LA  MENDIGITE , 


Par   M.    LE   GRIP  , 

Conseillcr  de  Prifcclure. 


»0<H>4 


Suivant  nous  ,  la  niendicite  provient  et  date  princi- 
palemeiit  dc  raffraiicbissemcnl  dcs  communes.  Co  sont 
les  villes  qui  les  piemiircs  out  oblenu  cet  avantage  : 
leur  population  etait  considerable,  comparalivemcnt  i 
leur  lenitoire  renferme  dans  d'etroiles  limilcs.  Elle  se 
cbmposait  dc  proprielaires  en  petit  nombre  ,  et  de 
beaucoup  plus  d'artisans  que  de  cultivateurs.  Leur  li- 
berte  etait  souvenl  attaqueci  souvent  ces  villes  etaient 
assiegecs  :  alois  leur  commerce  etait  inlerrompu  ;  les 
artisans  rcstaionl  sans  ouvrage  ;  une  epidemie  et  des 
famines  tres-rapprocbees  avaient  lieu  ,  et  les  artisans 
ou  manoeuvres  etaient  obliges  de  mcndier  ,  fant  dans 
les  villes  de  leur  domicile  que  dans  les  paroisses  cir- 
convoisines. 

L'esprit  de  cbarite,  fecondc  par  notrc  religion,  etait 
tel  ,  que  ces  mcndianls  oblcnaient  des  secouis  abon- 
dants;  beaucoup  de  ceux  qui  d'aboid  n'avaient  lecourii 


i\2  EXTRAIT   DLN    MEMOIUE 

A  ce  moyen  que  par  neccssite  ,  tromerenl  plus  com- 
mode  el  plus  avanfageax  de  !c  conlinuer  que  dc  le- 
prcndre  leurs  Iravaux. 

Les  mcndianfs  se  niultiplii^rent  d'uiie  nianlcre  ef- 
frayanle  ,  surloul  h  Paris  el  dans  les  rapilales  des  pro- 
vinces. 

Les  individus  qui  adoptaient  cette  nouvelle  profes- 
sion ,  s'adonnaient  a  tous  les  vices  ,  fruits  dc  Toisivete 
el  de  I'ignorance  de  tous  les  principes  ;  souvenl  reunis 
en  troupes,  leurs  solticilations  furent  des  ordres  ac- 
conipagnes  d:'  violences  ,  de  vols  et  d'incendies  :  ils 
devinrent  ui»  objet  de  lerreur, 

Des  lois  de  repression  furent  rendues:  une  des  prin- 
(i pales  est  la  declaration  du  18  juillet  1724. 

EUeporlait  que  les  niendiants  demandant  l'aum6ne 
avec  insolence,  ceux  qvii  se  disaienl  fausseraent  soldals, 
ceux  qui  deguisaieiit  leurs  noms  el  le  lieu  de  leur  nais- 
sance ,  ceux  qui  faisaienl  seinblant  d'etre  eslropies  , 
aveugles  ,  etc. ,  etc. ,  quoiqu'arrel6s  pour  la  premiere 
fois  ,  seraienl  condainnes  ,  les  homnies  valides  aus  ga- 
leres,  et  les  honimes  el  les  fenimes  invalides  au  fouel, 
el  i  une  detention  dans  un  h6pilal  general  A  temps  ou 
A  perpetuile.  Ces  dispositions  furent  renouvelees  par 
une  declaration  du  20  octobre  lySo. 

Une  deruiere  loi  ful  rcndue  le  3  aoul  1764.  Comrae 
lesautres  ,  ele  resta  sans  effet  et  sans  resultat.  On  se 
rappelle  le  r6le  q.ue  joucrent  des  bordes  de  mendiants 
reunics  A  Paris ,  sans  qu'on  put  savoir  qui  les  y  avail 
appeles  ,  en  1788CI  178^;,  daits  les  premiers  moments 
de  la  revolution, 

Un  objel  aussi  important  ne  pouvait  ecbappcr  a  la 


sun    LA    iMliNDIClTE.  34? 

ConvenlioM  naliotiale.  Elle  s'en  occiipa  ,  rcndit  la  loi 
du  2-4  vendcmiaiieanll(i5  oclobie  1793).  Nouscioyoiis 
devoir  on  exposer  quclques  di.sj)Ositioiis. 

Elle  elablissait  une  agence  de  sccoiirs  dans  cliaque 
canton.  Les  niunicipaliles  dcvaient  lui  icnieltro  lous 
les  ans  un  elat  delaille  de  leurs  indigents  validos  ; 
I'agenl  du  canton  devait  faire  parvcnir  ccs  etals  au  Di- 
I'i'cloire  de  district,  et  lui  deniander  les  secours  neccs- 
saires  pour  les  niendiants  valides. 

LeDirccloire  du  district  devait  envoyer  ces  etals  au 
Directnirc  du  departenien(,,celui-ci  auConseil  exccutif, 
et  e  Conseil  execi'.tifau  Corps  Icgislatif  pour  accorder 
les  fonds  necessaires. 

Les  Iravaux  de  secours  devaient  etre  I'objet  d'adju- 
dicalions  Les  seuls  indigents  devaient  y  etre  admis;  ils 
ne  pouvaient  sorlir  de  leurs  communes  ni  de  hurs 
cantons  sans  passeports ;  leur  salaire  devait  etre  fixe 
aux  trois  quarts  du  prix  moyen  de  la  journ6e  ,  adopte 
dans  le  canton. 

A  chaque  repartition  de  fonds  ,  les  agences  ,  avant 
de  recevoir  leur  part  ,  etaient  tcnues  de  rendre  compte 
de  ce  qu'elles  avaient  regu  anterieurement. 

A  I'epoque  de  I'ouverlurc  dcs  travaux,  toules  les  dis- 
tributions dc  pain  et  d'argent  devaient  cesser  ,  el  (out 
ciloyen  convaincu  d'avoir  donne  a  un  mendiant,  devait 
etre  condamnc ,  au  benefice  de  Tagence  de  secours,  A 
une  amende  de  deux  journees  de  travail ,  el  au  double 
en  cas  de  recidive. 

Tout  individu  convaincu  d'avoir  dcniande  del'argent 
<i!i  du  pain  dans  les  rues  ou  voies  publiqiies  .  elail  re- 
pule  mendiant ,  devait  elre  arrele  et  traduit  devant  le 
juge  de  paix. 


344  EXTBAIT   d'lN    MEMOIBE 

S'il  ^tait  reconnu  poiir  etrcdu  canton  ou  du  dis^trirl, 
il  devait  etre  renvoye  dans  la  romn>vii:e  de  son  domicile 
avec  un  passeport  aux  frais  do  I'Elat ;  s'il  ue  faisail 
point  connait.e  son  domicile,  il  devait  ctre  conduit 
cans  la  maison  de  repression. 

Tout  mendiant  etranger  devait  ^Ire  conduit  jusqu'au 
premier  village  du  territoire  hors  France.  Lcs  enfanls 
arr^tes  avec  ces  mendiants  devaient  en  6tre  separes  ;  si 
leur  jige  ne  les  soumellait  point  au  travail ,  ils  devaient 
ctre  trailesconime  les  enfants  abandonnes.  Dos  maisons 
de  repression  devaient  etrc  etablies. 

Tout  mendiant  en  recidive  etait  condamne  i  un  an 
de  detention  ,  et  A  Irois  annees ,  en  cas  d'une  nou- 
velle  recidive. 

D'apres  cette  loi  ,  le  domicile  de  secours  est  le  lieu 
ou  riiomme  necessileux  a  droit  A  des  secours  publics  ; 
le  lieu  de  la  naissance  est  le  domicile  naturel  pour  lcs 
enfants  ,  le  lieu  de  la  naissance  est  le  domicile  de  la 
m^re  au  moment  ou  ils  sont  nes  ;  pour  acqueiir  le  do- 
micile de  secours ,  il  fallait  un  sejour  d'un  an  dans  une 
commune  ,  lequel  ne  commencait  quh  dater  du  jour 
de  I'inscription  au  secretariat  de  la  mairie. 

La  commune  pouvait  refuser  le  secours  ,  si  le  domi- 
cilie  n'etait  pas  pourvu  d'un  passeport  el  de  certiflcats 
conslatanl  qu'il  n'etait  pas  un  Iiomme  sans  avcu. 

Jusqu'a  21  ans  ,  tout  cilojen  pouvait  reclamcr  le 
domicile  de  secours  dans  le  lieu  de  sa  naissance ;  apres 
cet  Age,  il  devait  iMrc  aslreint  a  un  sejour  de  six  mois. 

Ceux  qui  se  seraicnt  maries  dans  une  commune  et 
qui  rhabileraienl  pendant  six  mois,.  avaient  droit  au 
domicile  de  secours. 


SL'i    l.A    MENBiClTK.  345 

Wi'mo  droit  pour  les  individiis  qui  seraicnt  restes 
(U'lix  aiis  dans  la  meme  commune  en  louant  leurs  ser- 
^  ices. 

Tout  snldat  porlenr  d'lm  conge  et  de  cerlificals  ho- 
norables  devait  jouir  du  d,oit  de  domicile  de  secours 
dans  le  lieu  par  lui  choisi.  Tout  vieiliard  de  70  ans  , 
sails  avoir  acquis  de  domicile  ,  devait  recevoir  les 
secours  de  stride  necessile  dans  I'hospice  le  plus  voisin. 

Celui  qui  ,  dans  Tinlervalie  du  delai  prescrit  pour 
acquerir  le  domicile  de  secours  ,  se  trouvait ,  par  un 
malheur  quelconque  ,  Iiors  d'etat  de  gagner  sa  vie  , 
devait  etrerecu  i  lout  age  dans  Tliospice  le  phis  voisin. 

Tout  malade,  domicilie  ou  non  ,  devait  elre  secouru, 
ou  a  son  domicile  de  fait  ou  dans  I'hospice. 

Une  disposition  de  loi  du  7  frimairean  V,  enjoignait 
aux  mendianfs  valides  qui  n'avaient  pas  de  domicile 
acquis  dans  la  conunune  ou  iis  etaient  nes  ,  d'y  re- 
lourner  ,  faule  de  quoi  ils  devaient  y  clre  conduits  par 
la  gendarmerie  et  condamnes  a  une  detention  de  trois 
mois. 

Enfin  ,  un  decret  du  5  juillet  1808  defendait  la  mcn- 
diciie  dans  toute  la  France,  et  elablissail,  dans  cLaque 
departenient  ,  des  depots  dont  les  depenses  devaient 
etre  acquittees  concurremment  par  le  tresor  public  , 
les  departements  et  les  villes  de  la  situation. 

La  loi  du  24  vendemiaire  an  II ,  ou  i5  octobre  1793, 
ne  re^ut  point  d'execution  par  suite  dcs  ^venements 
extraordinaires  de  la  revolution  ,  des  guerres  qui  se 
succederent  et  de  la  penurie  des  finances. 

Le  decret  du  5  juillet  1808  recul  ini  commencement 
d'execution  ,  mais  dans  un  temps  de  disette ,  suivi  de 


34G  EXTKAIT    d'iN    Mr.MOIRE 

rcnvaliisscmcnt  de  la  Franco  par  les  tUrangcrs  ;  !os 
depAts  oiiverts  roourent  une  autre  deslinalion  ;  ni  le 
Iri'snr  ,  ni  les  deparlements  ,  ni  les  villes  ne  purent 
pourvoir  aux  depenses. 

Ces  lois  el  decrels  n'ont  point  ele  abroges  par  dcs 
lois  subsequentcs  ;  les  principes  qu'ils  conlioniiciit  sub- 
sislent.  II  en  resulte  que  la  mcndicite  est  abolie ,  ct 
qu'elle  est  un  delit  j  que  les  communes  doivent  pourvoir 
aux  besoins  de  loute  nature  de  leurs  indigents  valides 
ou  invalides  qui  y  ont  acquis  domicile  ,  el  que  le  gou- 
vernomenl  et  les  deparlements  doivent  pourvoir  i 
linsuflisance  de  leurs  moyeiis. 

Les  lois  ciloes  ne  pouvaient  et  ne  pourronl  d'ailleiirs 
eleindre  entieremenl  la  mendicite  ,  parce  qu'on  a  lou- 
jours  meconnu,  et  qu'on  meconnait  peut-etre  encore, 
le  principe  conslitutif  et  conservateur  des  socieles 
bumainesou  des  Elals,  quelle  que  soil  la  nature  de  leur 
gouvernemenl. 

Cc  principe  consiste  en  cc  que  tout  homme  ,  tout 
individu  ,  n'ayanl  d'autre  proprieto  que  son  Industrie  , 
son  travail  et  scs  bras,  doit  y  Irouver  les  moyens  de 
pourvoir  a  ses  besoins  et  k  ceux  de  sa  famille ,  bien 
entendu  qu'il  emploiera  entieremenl  son  iudustrie  ,  son 
travail  et  ses  bras  ,  dans  Finterel  de  la  societe  ,  dans  le 
sien  et  dans  celui  de .  sa  famille.  Si  done  ,  par  des  cir- 
constances  quelconques,  el  remplissaul  parfaitement 
son  obligation  ,  il  ne  peut  pourvoir  entieremenl  k  ses 
besoins  el  A  ceux  de  sa  famdle  ,  la  societe  ,  a  laquoUe  il 
apparlient ,  doil  venir  a  son  secours.  11  en  est  de  meme 
s'il  devienl  malade  ,  infirme  ,  s'il  est  prive  de  la  vue  , 
de  la  raison  ,  et  lorsquc  par  TAge  il  ne  peut  plus   Ira- 


SUR    LA   MENDICITY.  347 

vailler ;  aiitreincnt  il  mondie ,  vole  ,  se  mot  en  guerre 
avec  ses  conciloyens  ct  trouble  !;•  society.  On  le  pour- 
siiivra,  dira-t  on  :  inais  sera-ce  avec  une  egale  justice, 
puisqu'i  son  egard  le  conlrat  social  est  ronipu,  el  qu'il 
ne  trouve  plus  parmi  ses  semblablcs  ce  qu'il  devait  en 
oblenir  ,  les  moyens  d'exislence  ? 

Ce  n'esl  done  pas  souloment  par  hunianile  que  le 
gouvernenient  doit  venir  au  secours  de  I'indigcnt :  e'est 
«n  devoir,  une  obligation  que  lui  a  prescrit  sa  propre 
conservation.  Lo  Christ  ne  s'est  point  adresse  aux  gou- 
vernenients  ,  niaisil  a  ordonne  la  charilc  et  I'a  pressen- 
tee  comme  le  plus  puissant  moj  en  d'oblcnir  une  felicile 
elernelle.  Malbeureusemint  Texperience  prouve  que 
ses  comniandements  ne  sont  suivis  que  par  le  plus  petit 
nombie  el  plus  encore  par  les  moins  fortunes  que  par 
les  heureux  de  la  lerre ,  que  dcs  lors  les  secours  ne 
sont  pas  on  rapport  avoc  los  bosoins.  11  faul  done  appre- 
rier  ( esbosoins  ol  recourirau  seul  moyen  d'y  pourvoir. 

II  exisle  en  France,  comme  nous  croyons  Tavoir 
etabli  ,  des  lois  qui  ont  reconnu  ot  admis  les  memos 
prinripos  que  ceux  qui  ont  donne  lieu  i  la  loi  des 
pauvres  en  Angleterre;  Pexeculion  en  a  ete  negligee  , 
et  il  est  i  remarquer  que  ce  ne  sont  pas  les  classes  les 
moins  forlunees  qui  en  repoussent  Tapplication. 

Mais  les  cboscs  ne  peuvent  rosier  dans  leur  el  at 
acluel ;  de  toutos  parts  on  reclame,  des  associations 
se  forment ,  associations  qui ,  je  ne  crains  pas  de  le 
dire  ,  n'auront  qu'un  effet  n)omenlane  et  local.  II  est 
indispensable  quelegouvernoment  intorvienne  ;  qu'une 
loi  d'application  soil  ronduo  ,  mise  i  oxerulion  ,  quo 
dans  touto  la  Frame  les  indigents  validcs,  les  inCrmos, 


348  EXTRAIT   O'UN   MEMOIKK 

les  vieillards  ,  jouisscntdu  strict  necessairc  qui  leur  est 
du  ,  recoiinaissent  que  la  patrie  est  une  nierc  pour  eux, 
el  prenncnt  pour  ellc  les  sentiments  d'unc  reconnais- 
sance meritee.  Je  n'entrerai  pas  dans  le  detail  des 
besoins  dune  famiile  ;  ils  dependent  de  sa  situation  , 
du  nonibre  et  de  Tetat  de  sante  des  personnes  qui  la 
coniposcnt. 

J'ai  cru  etablir  que  la  mendicite  datait  de  I'affran- 
diissenient  des  communes,  s'etait  multipliee  dans  les 
villes,  etc.  ,  etc.  Je  crois  devoir  ajouler  que  Ton  s'a- 
percut  bienlot  que  les  seconrs  ,   quelque  multiplies 
qu'ils fussent,  elaient  insuHisants  et  mime  inapplicables 
^  des  nialad;  s  qui  ne  pouvaient  eti  e  soignes  chez  eux, 
a  des  vieillards  isoles  et  restant  sans  famiile ,  &  des 
orpbelins  ,  k  des  enfant s  exposes  d6s  leur  enfance  ,   ^ 
des  aveugles ,   k  des  alienes ,  etc. ,  etc.   Des  lors  on 
roconnut  la  necessile  de  leur  ouvrir  des  asiles  particu- 
liers.  Telle  est  Torigine  des  bospices,  et,  il  faut  bien  le 
reconnaitre  ,  c'est  encore  i  la  religion  qu'on  doit  ces 
etablissements  ;  raais  le  nombre  en  est  reste  slation- 
naire  ,  il  est  bien  insuffisant ,  el  Ton  ne  peul  se  dissi- 
rauler  que  les  malbeureux  donl  nous  venons  de  parler  ne 
soient  un  fardeau  pour  les  families  aiixquellcs  ils  ap- 
pailiennent ,  et  ne  les  forcent  h  recourir  4  la  mendicite. 
Regus  dans  les  bospices ,  ils   tcrmineraienl   doucc- 
nient  leur  carrierc.   Lorsque  des  salles  d'asilc ,  dont 
le  nombre    Irop    petit  encore  ne  manqiiera  pas  de 
s'aocroitre  ,  s'ouvriront  pour  les  enfants,  leurs   peres 
et  leurs  meres  pauvres  ,  n'ayant  plus  a  les  garder  ,  et 
dispenses  de  pourvoir  aux  besoins  de  leurs  anleurs, 
>ieillards  ou  inGrmes  ,  pourront  consacrer  loutes  leurs 


SUR   LA   ME.NDlClTfi.  349 

jnurneos  au  travail ,  el  se  procurer  par  1^  tout  ce  qui 
leur  sera  nccessaire. 

On  objcctera  sans  doule  que  les  hospices  sont  pleins 
ct  que  c'csl  uiie  grande  faveur  d'y  elre  admis.  Nous 
repondrotis  qu'ilsconticnnonl  uii  grand  nonibre  d'indi- 
vidus  qui  pourraicnt  etie  utilises  par  une  habile  colo- 
nisation. Par  exemple ,  des  maisons  de  travail  pour- 
raient  elre  construites  en  Algerie :  le  grand  nonibre 
de  troupes  que  nous  sommes  obliges  d'y  entrelenu' 
necessile  des  travaux  de  manufactures,  d'entretien  , 
de  couture,  de  chaussure  ,  qui  seraient  executes  dans 
ces  maisons.  Lesjeunes  gens  pourraient  (3tre  utilises 
pour  la  marine,  idee  essayee  par  TEmpereur.  D'autres, 
quand  lis  auraient  IVigc  requis  ,  entreraient  dans  les 
regiments.  Apres  un  certain  temps  de  bonne  conduite, 
on  leur  accorderait  quelques  arpens  de  terre  ,  ainsi  que 
les  Anglais  Tont  pratique  dans  la  Nouvelle-Galle ;  ils 
se  marieraient  avec  les  jeunes  Giles  qui  sortiraient  des 
maisons  destinees  i  leur  sexe.  EuGn  ,  quant  aux  de- 
pen&es  ,  on  pourrait  accorder  i  ces  maisons  des  terres 
donl  le  prodnit ,  joint  i  celui  du  travail ,  scrait  plus 
que  suCQsant  pour  couvrir  leurs  depenses.  lis  seraient 
fraites  avec  bonte ,  non  comnie  des  condamnos  j  ils 
rcccvraient  une  forte  instruction  primaire,  ou  la  reli- 
gion tiendraitle  premier  rang,  apprendraient  la  langue 
des  indigenes  ,  et ,  A  leur  sortie ,  quelque  Hal  qu'ils 
embrassassent ,  ils  deviendraiont  des  niend)rcs  utiles 
de  la  colonic. 

On  iK>urrait  encore  louer  leurs  services  a  des  colons, 
mais  sous  des  conditions  ties-rigoureuses.  Nousvoyons 
des  Etrangers  accourir  en  Algerie  ;  pourquoi  n'y  con- 

2-3 


35o  JXTKAIl     DtN    MKWitlllfc; 

duiiions-iious  pas  les  inforlunes  donlje  paile,  pom  v 
formor  pcu  a  peu  une  population  fran^aise  qui  n'ou- 
blierait  jamais  son  origine  et  sa  patrie? 

En  France  ,  apres  avoir  pris  les  mesures  indispon- 
sablcs  ,  forme  ou  agrandi  les  etablissenienls  necessairos 
aux  infumes  ,  aux  vieillards  et  aux  enfanis  trouves  el 
abandonnes  (je  ne  parle  pas  des  alienes  doiit  le  sort 
est  mainlenanl  assure),  deux  sortcs  de  secours  devroiit 
Aire  acford^s  :  le  premier  en  travaux,  el  Tautre  en 
distributions  d'aliinenls  ,  de  velemenls  ,  etc.  ,  etc. 

En  ce  qui  eoncerne  le  secours  en  Iravaux  ,  il  f.uit 
reconnailre  que  la  quasilile  s'en  Irouve  diniinuee  par 
Irs  prorvres  des  arts  et  de  la  mco;miqiie.  II  faul  moins 
d'hommos  qi!'a!itrefois  pour  cuitivei- ;  il  en  faul  moins 
encore  pour  lisser  nos  iai.'ies ,  nos  chanvres  ,  nos  lins  , 
ainsi  que  pour  les  colons  el  manufatlures.  Cliaque  jour, 
on  invente  de  nouveaux  procedes  mecaniqiies  et  rlii- 
mi<jues  favorables  aux  fonsomniateurs  ,  mais  en  nieme 
temps  i'.s  enlevent  des  travaux  a  la  classeoiivriere.  Les 
eanaux,  lescbeniins  de  ferauront  uno  ^rande  inflnenre ; 
ils  necessileront  moins  de  depenses  que  nos  route:'!  qui, 
nudlipliees  ,  eprouveront  moins  de  deterioration,  et 
dont  Tenlretien  se  fail  avec  la  plus  slrirlc  economie  , 
au  moyen  d'un  faible  nonibre  de  cantonniers. 

Dii.i-;  cetelalde  rliases,  la  pr<>station  en  nature  pour 
nos  ( liomins  vicinaux  et  les  lignes  de  grande  commuiii- 
ration,  est  une  veritable  calamite  ;  la  repartition  en  est 
injnste,  Temploi  en  (>sl  tnauvais  ,  prescpie  improdurlif, 
et  il  donne  lieu  a  tons  les  abus.  Cette  veritable  corvee 
a  ete  ressuscitee  par  iin  simple  decrot  non  discul<^. 

Louis  XVI  I'avail  jugee  et  supprimee  par  Tedil  du 
mois  de  fevrier  1776  ,  edit  qui ,  dans   son  pieambuie  , 


sun    LA    lIENDiriTK.  35l 

en  expose  les  motifs   lellemeiit  forts,    que  jamais  on 
n'a  pu  lc8  ileduire. 

Nccessaiicmenl  et  conformcment  an  decret  du  S 
jiiiilcl  iSo8  ,  il  doit  <!'treetabli  ,  non  des  depots demen- 
dicilc,  mais  des  maisoiis  de  travail,  non  dans  les  villes, 
mais  dans  les  campagnes  ,  sur  des  brnjeres  incultes 
qiTon  leur  abandonnerait  ,  ce  qui  serail ,  pour  le  pre- 
sent ,  unc  source  de  travail  ,  et  pour  I'avcnir  ,  un 
moyen  de  pourvoir  aux  depenses. 

— Mais  ces  bruj  eres  sont  des  proprietes  particulieres? 
On  en  traiterait ,  soit  a  I'amiable  ,  soit  par  expropria- 
tion pour  cause  d'utilite  publique. — Mais  les  depens.^sde 
premier  etablissenient?  Ence  qui  concerneles  travaux, 
ils  seront  faits  par  des  indigens  valides  ,  el  quant  aux 
autres  depenses  ,  ellcs  ne  s'eleveraient  pas  en  total  a  cc 
que  couterail  rouverlure  d'un  canal  ,  retablissi'ment 
d'un  chemin  de  fer. 

Cos  maisons  seraient  organisees  par  radminisfra- 
tion,  suivant  un  mode  analogue  A  celui  qui  exisle  actucl- 
lement  pour  les  maisons  de  detention  ,  mais  avec  les 
modifications  que  commande  la  position  differentc  des 
individus  qui  seraient  admis,  el  que  Ton  occuperail  aux 
travaux  relalifs  a  la  construction  ,  k  la  reparation  ct  a 
rapjjropriation  de.sbalimei.ts,et  nu  dc'-fiichenientdu  ter- 
rain concede.  Considerees  sous  le  rapport  de  Tagricul- 
ture  ,  ces  maisons  deviondraient ,  non  des  fermes- 
modelcs  ,  mais  d'experience  ;  Tadministralion  de  Te- 
tablisseniinl  pourrait  se  rcndro  adjudicalaire  des  che- 
mins  el  derexlraclion  (!os  maleriaux  ;  elle  organiserait 
autant  que  possible  des  metiers  pour  la  confection  des 
objets  utiles  a  retablissement.  Ces  maisons  de  travail 


3!i2  EXTRAIT    D  LN    JlfcSlOlRE 

sont  non  sculcmenl  neressaires  ,  niais  nous  par.iissonl 
iudisponsablos.   En  cffet  ,  tout  individu  manquant  (1(^ 
travail  dcvra  y  etre  admis  on  conduit  ;  !es  coinnuiiK  « 
qui  nc  peuvent  procurer  du  travail   a  des  habitants 
validcs  ,  pourront  le«  renvoyer  ,  en  payant  unc  U-gore 
rotribulinn  ;\  retablissement.  Presentenvent  des  villes 
ct  des  communes  populeuscs  ,  pour  se  debarrasser  des 
pauvrcs  ouvriers  valides  et  meme  de  leurs  mendiants, 
leur   delivrent  des  passeporls  d'indigonts  av^c  Irois 
sous  par  lieue  pour  se  rendre  dans  tel  on  tei  etidroit. 
Arrives  A  leur  destination  ,  oes  mendiants  n'y  trouvenl 
point  do  travail ;  on  les  rcnvoie  par  Ic  nr'nifi  ntoyicn,  el 
ils  parcoiiront  ainsi  la  France  aux  frais  dos  departe- 
nients.  Cel  abus  ,   q;ii  c:-.t  une  veritable  orf:;anisa< ion 
en  favcur  de  ia  mcndicite,  n'exislerait  i>lus  ,  si  le  fonds 
qui  y  est  employe  pouvait  ("'Ire  appl ique  ^  son  extinction. 
Ces  raaisons  procureraienl  un  avantage  encore  plus 
important;  dies  seraient  nn  asylo  etnne  rcssource  pour 
les  condamnes  liberes.    En  sorlant  des  bagnes  on  des 
niaisons  centrales  ,  ils  onl  bientot  dissipe  lefaible  pro- 
duit  de  leur  travail  pendant  leur  detention  ;  repousses 
par  I'opinion  ,  personne  ne  veut  les  employer  ,  et  bien- 
lot  denues  de  tous  nioyens  ,  ils  sont  ,  pour  ainsi  dire, 
conlraints  de  CGmmctlre  des  crimes,  et  subissenl  de 
nouvelles  condamnalions. 

Kappdons  que  les  communes  doivent  en  premiere 
ligne  pourvoir  aux  besoins  de  leurs  pauvres  de  toulo 
nature  ;  qu'en  cas  d'iu^uflisancc  ,  les  depmtoraenls  et 
Ic  gouvernemoul  doivent  contribucr. 

II  faudrait  ,  dans  noire  sysleme  ,  oter  al'administra- 
tion,pr()preniO!U(lil;>,deja  Irtip  sun'harc;ee,los  delailsde 
ladistribulioudesscfours.  Confurmenient  a  la  lyi  du  24 


SLR    LA    MENDlClTfe.  353 

vendeiniaiie  an  2  ,  il  y  aurail  di's  agencos  dans  chaque 
commune  ,  une  agcuce  au  chef-lieu  d'arrondissement  , 
une  agcnce  au  chef-lieu  d'u  depaitement.  Lesmemhres 
qui  la  composeraienl  scraient  nnmm6s  par  eleclion 
conime  les  niembi  es  des  conseils  munkipaux  et  pour 
le  nieme  temps;  leur  eleclion  serail  un  litre  dhonneur. 
Les  ev£'ques  ,  les  presidents  des  consi&toires  feraient 
uecessairemcnt  partie  de  I'agencc  desdepartcnienls ; 
les  cures  et  dcssei  vanlaseraient  membres  des  agences 
communales  ;  les  agences comniiuialos  con  espondraient 
avec  les  agences  d'anondissement ;  les  agences  d'arron- 
dissemenl  avec  celles  des  deparlements,  et  ce^dtMnieres 
avec  un  sous-secFetaii8  d'elat  ;Utacbe  a«  minisl^rc 
de  rinlerieur,  charge  exclusivemojil  de  celte  partie. 

L'autoril^  superieure  inscriiail  sur  le  verso  des  etals 
qui  lui  seiaient  transmis  les  sonimes  pour  lesqi.elles 
les  communes,  les  depyulements  et  le  gouverrement 
devraient  conUibuer  dans  la  depense  ,  et  provoquerait 
une  loi  pour  I'annec  suivaule  au  commencement  de 
chaque  session. 

Les  communes  qui  ne  pourraient  acquilter  leurs 
parts  conl!  ibutives  sur  les  revenus  ordinaires  seraient 
iinposees  d'oflice  ,  sur  le  vu  de  I'etat  de  repartition 
arrfite  par  le  ministre. 

L'acceptation  de  dons  el  legs  fails  aux  pauvres  serait 
aulorisee  par  les  prefels  ,  (juelle  que  fiU  leur  quolite 
lorsqu'il  y  aurait  consentemenl  de  la  part  des  heritiers 
ou  legataires  ^  litre  universel  et  i  litre  particulier.  Les 
donataires  des  rentes  d'un  revenu  superieur  A  ?oo  f.  ou 
d'un  capital  de  3,ooof.  seraient  admiscomme membres 
honoraires  de  Tagence  do  la  commune  ,  leurs  noms 


354     EXTRAIT    d'l\    JltMOIBE    SIR    LA   MENDICITE. 

seraient  inscrits  sur  nn  rcgislre  a  ce  destine  ouvert  par 
Tagence  du  deparlenient  et  rendu  public. 

La  loi  du  5  frimaire  an  VII  serait  maintcnue  en 
ce  qui  concerne  la  perception  ,  an  profit  dcs  indigents, 
d'un  decime  par  franc  du  prix  d  s  billets  d'entree  dans 
Ics  spectacles. 

Le  gouvernement  aurait  a  examiner  si  une  legere 
retenue  ne  pouirait  pas  etre  operee  en  favour  dcs 
j)auvres  sur  les  arrerages  des  rentes  sur  I'etal ,  el  si  la 
jouissance  dcs  Liens  de  main-morte  ,  qui  ne  paient 
aucuns  droits  successifs  ,  ne  pourraient  pas  etre  assu- 
jettis  A  une  retribution. 

Les  agences  auraient  droit  ,  comnie  par  le  passe  ,  de 
faire  queter  dans  les  eglises  ,  a  d'autres  jours  que  les 
fabriques  ;  cts  quotes  seraient  annoncees  an  prone. 

Les  biens  e!  rentes  appartenant  aux  bureaux  debien- 
faisance  feraient  parlie  de  leurs  ressources  ;  on  poin'rait 
leur  attribuer  les  amendcs  de  police,  la  part  que  tou<  bo 
le  gouvernement  dans  L'  produit  du  travail  dcs  niaisons 
centrales  de  detention,  et  meme  les  arrerages  des  rentes 
sur  I'etatqu'ellesont  acquis avec  cenieme  produit. 

Je  n'entrerai  point  dans  les  details  des  niesures  a 
prendre  pour  la  distribution  des  secours  dans  les  villes 
et  les  communes  tres-populeuses  :  d'autres  s'en  oc- 
cupent  ,  et  doivcnt  arriver  h  d'beureux  resultats.  Je 
n'ai  eu  pour  but  que  de  demontrer  la  neressite  dc  re- 
mettre  en  vigueur  les  lois  relatives  a  la  mendicite,  et  d'y 
ajouter  toutcs  les  dispositions  necessaires  pour  faire 
entieremmt  disparaitre  ce  fleau  ,  qui  est  un  acte  d'ac- 
rusation  contre  le  gouvei  nomcnt  qui  le  tolerc;  ovi  plulot , 
j'ai  crn  devoir  appeler  Tattention  de  I'AcadtMnie  sur  uu 
su;etdi.;^nede  la  sollicitudede  tons  les  amis  derhumanite. 


ERRATA. 

Page  3C0,  ligne  18  en  descendant.  Au  lieu  de,  par  (outes  les  di- 
rections, lisez:  pour  loules  les  directions. 

Page  362,  lignes  2  cl  3.  Au  lieu  de,  la  surface  des  liquides,  Use*: 
la  surface  du  llquide. 

Id.  ligne  13,  Au  lieu  de,  s'abaisser ,  lisez :  I'abaisscr. 

Page  366 ,  ligne  23.  Au  lieu  de ,  la  mobile ,  lisez :  le  mobile. 

Page  370, ligne  19.  Aulien  de,cesrecherches,  //if  z;  ses  recherches. 

Page  371,  ligne  12.  Au  lieu  de,  sa  ligne  droife,  lisez:  la  ligne  droite. 

Id.  ligne  16.  Au  lieu  de,  dans  des  mouvemenls,  lisez:  dans  les 
mouvemenls. 

Id.  ligne  22.  Au  lieu  de ,  par  le  rapport,  lisez :  par  ce  rapport. 

Page  372  ,  ligne  20.  Au  lieu  de,  rayons  tutcurs ,  lisez  :  rayons 
recleurs. 

Page  373,  ligne  7.  Au  lieu  de,  la  formule  g^n^rale,  lisez:  sa  for- 
Hiule  g6n6rale. 

Id.  ligne  16.  Au  lieu  de  ces  mots :  de  hautes  speculations,  lisez : 
ces  hautes  spi^culalions. 

Page  374,  ligne  11.  Au  lieu  d«,  dans  toutes  les  courbures,  lisez: 
dans  toutes  les  courbes. 

Page  375,  ligne  1.  Au  lieu  de,  rayon  de  la  courbure,  lisez :  rayon 
de  courbure. 

Id.  ligne  2.  Au  lieu  de ,  cela  pass6 ,  lisez :  cela  pos6. 

Id.  ligne  28.  Au  lieu  de,  sur  deux  plans  diITi5rents,  lisez:  sur  des 
plans  dilTgrcnts. 

Page  376,  ligne  1.  Au  lieu  de,  des  concours,  lisez  :  du  concours. 

Page  377,  ligne  15.  Au  lieu  de,  deux  rayons  recteurs  infiniment 
voisins  sur  Icsquels,  lisez:  deux  rayons  vecteursinflniraentvoisins 
suivant  lesquels. 

Page  380,  ligne  12.  Supprimez  d'abord. 

Page  381,  ligne  8.  Au  lieu  de  ces  mots :  et  attir(?s,  li.iez :  el  all^rds. 

Page  381 ,  ligne  25.  Au  lieu  de,  ni  mfme  fail  senlir ,  Uscz :  ni 
mieuxfait  senlir. 


mm 


STK   I.ES 


(EUVRES  D£  VARIGNON  , 

Par  M.  SeiLMlDT, 

Professeur  de  Mathemaliques  speKiaicsau  College  myal  df  C.u-n. 


s©s< 


Qiiaiul  on  parcoiirl  rhisloire  pour  y  siiivre  les  pio- 
gies  des  soieiK  cs  ,  l'es|)rit  s'airelu  oloniic  ei  presence 
(It's  granules  decouvcrU's  doni  leiir  doniaine  s'est  enri- 
(bi  pendant  le  XVIT.  siede.  Le  debut  do  ce  siecle  fut 
line  epoque  de  fermentation  intellecluelle  ou  Ton  \it 
le  genie  buniain  s'agiler  dans  loutes  les  directions  , 
aborder  tons  Its  travaiix  qui  apparli«nnent  a  la  pcns6e 
et  se  signaler  par  les  plus  beineux  resullals.  De  lant 
d'effortssortirentces  Ibtioriesgeiit'ralesel  fecondes,  (jui 
depuis  se  sont  accrddilt^es  sans  retour  dans  la  science  , 
el  qui  se  mainliendronl  A  (ravers  les  Ages  coranie  autant 
de  foyers  luniineux  vers  lesquels  la  raisnn  se  tournera 
toujours  pour  en  emprunter  la  clartc.  Les  matbenia- 
liques  surtout  y  prirent  un  essor  si  eleve  tjue,  tpielle 
que  soil  la  perfection  A  laquelle  elles  puissent  arriver 
jamais  ,  une  grande  partie  tie  la  gloire  en  rejaillira 
toujours  sur  le  si(icle  qui  a  ouvert  si  niagniliquement 


356  NOTICE 

la  carricie.  Je  vals  m'arriMer  A  la  finde  cede  pi^riotle, 
non  point  pour  passer  en  revue  les  produils  divers  que 
la  pensee  pbilosophique  a  pu  lui  fournir  (  Tentreprise 
serait  immense  et  au-dessiis  dc  nies  forces)  ;  mais  afin 
d'analyser  Ics  travaux  d'un  geometre  dislingiie  ,  que 
cette  ville  a  produit  comnie  pour  porter  a  la  sfience 
un  tribut  que  la  Normaudie  ne  lui  a  jamais  refuse. 

Je  sais  combien  I'Academie  s'interesse  i  toutcs  les 
recbercbes  qui  out  contribuc  i  ragrandissement  des 
connaissances  bumaines  :  c'lst  dans  cclte  pensee  que  je 
lui  presenle  cetlc  nolite  quelqu'imparfaitc  qu'el'.e  soit. 

Pierre  Varignon  naquit  a  Caen  en  iG54.  Sa  vie,  en- 
tierement  vouee  ti  I'etude  et  a  la  meditation  ,  n'offre 
aucun  de  ces  evenemenls  piquants  dont  le  recit  seme 
au  milieu  des  details  d'une  anahse  scientiflque, en  (eni- 
pere  la  gravitej  mais  elle  est  bien  propre  i  montrer 
comment  le  merits ,  h  force  de  conslance  ,  parvient  a 
sorlir  de  I'obscurite  qui  I'cnvironne  ,et  finitpar  s'elever 
a  lous  les  avantages  que  les  societes  accordent  k  celui 
qui  les  sert. 

Quand  1  bommeporte  en  lui  une  inclination  nalurclle 
bien  deferminee,  il  ne  larde  pas  i  saisir  son  objel  des 
qu'il  se  presentc.  Un  cadran  solaire  quelejeune  Vari- 
gnon apercut  dans  Talelier  de  son  pere ,  arcbitecte- 
enlrepreneur  ,  fixa  ses  premieres  meditations  ;  une 
geomelrie  d'Euclide  trouvee  quelque  temps  apres  dans 
la  boutique  d'un  libraire,  acbeva  de  diriger  son  ima- 
gination vers  les  etudes  positives.  It  fut  ebarme  de 
I'ordre ,  de  la  clarte  et  de  Tencbaincmcnt  des  verites 
geomelriques  ,  et  son  cnlliousiasme  pour  la  science 
s'accrut  encore  quand  il  eul  entre  les  mains  lesouvrages 


SLR    LI'S   OEIVRES   DE   VARIGXOX.  35; 

tie  Descarlos.  Apr^s  avoir  aclievc  ses  Etudes  de  college, 
il  passa  en  llieologie,  pour  sc  confurmer  au  desir  de  ses 
parenls  qui  le  destinaient  k  I'etat  ecclesiastique.  C'esl 
Ici  (ju'au  milieu  des  discussions  scolasliqucs  ,  il  mnnut 
Tabbe  de  St. -Pierre ;  un  goat  commun  pour  les  sciences 
les  lia  bienlut  d'amitie  ,  et  cette  liaison  eiit  une  grandc 
influencesur  la  fortunede  notregeoinetre.  L'abbe,  pour 
jouir  exclusivemcnt  de  la  societe  dc  son  jeune  ami  , 
voulut  le  loger  cbez  hii ,  et ,  peneire  do  plus  en  plus  dc 
son  nierite ,  il  lui  ceda  une  parlie  de  son  niodique  re- 
venu  ,  afin  de  le  mellre  en  etat  de  devclopper  plus 
facilenient  ses  talents. 

En  1G86,  ils  vinrenl  s'etablir  i  Paris,  dans  une  petite 
inaisnn  du  faubourg  St. -Jacques.  C'esl  la  qu'au  sein 
d"ur.e  profonde  amilie,  ils  se  livraientTun  et  I'autrei 
la  culture  des  sciences:  l'abbe  s'abandonnait  i  des  re- 
flexions sur  I'bomme  ,  la  morale  et  la  politique  ;  quant 
a  Varignon  ,  il  s'etait  enfonce  tout  enlier  dans  les  ma- 
thematiques.  II  passait  ainsi  les  journees  entieres  au 
travail ,  qui  semblait  un  delassement  pour  lui  ,  car  H 
etail  de  ce  temperament  aclif  et  opiniAtre  qui  se  com- 
plait  dans  les  diflicultes  que  suscite  la  recherche  des 
verites  abstraifes,  ct  il  no  manquait  ni  dcla  perseve- 
rance ni  de  la  penetration  qui  en  font  triompher. 

Une  application  aussi  constante  devait  produire  des 
fruits  ,  el  en  effet ,  en  1687  ,  Varignon  se  fit  coiniaitre 
en  donnanl  au  public  sous  le  litre  de  Pro/et  d'ltne  nou- 
K'clle  Mccanique  ,  un  livre  dont  il  fit  hommage  a  TAca- 
demie  royale  des  Sciences.  Get  ouvrage,qui  fut  accueilU 
par  d'unanimes  applaudissenienls  ,  \alul  a  son  auteur, 
Taunee  suivante ,  le  litre  d'academicien  wt  la  cUaire  de 


358  NOTICE 

nialheriialiques  a;i  college  Mazarin  ,  qui  n'avail  point 
t'ricoie  6(6  occupee  avai.l  lui. 

Je  ni'arrele  Ace  prcniitT  ei'rit,qiii  i(>i)an<IH  imc  \ivo 
Inmiere  si:r  la  niikaiiiqiie,  el  crea  line  re[)iilalio!i  jjiil- 
lante  an  nialheniatiiiea  de  NormautHf-  Avaiit  (pi^il 
jiarul  ,  les  conuaissaiucs  (!i's  geoiiietres  eii  slaliciue  se 
lediiisaienl  a  peu  pies  au  piincipe  du  levier,  lei  (pi'Ar- 
(h'mede  en  a\a!l  doune  la  demonslialion  :  aussi  cLer- 
cLaieut-ils  a  v  ranieiier  de  <t''6  ou  deforce  la  pliipai  t 
(Jes  autres  machines.  Deux  honimes  celebics,  Descailes 
el  Wallis,  en  prenant  im  auUe  route,  etaienl  |)aivenus, 
il  est  vrai ,  a  decouvrir  les  usages  des  princijjales  ma- 
chines ,  sans  elie  obliges  de  les  faire  dependre  Tune  de 
I'aulre  ;  mais  leius  piincipes,  quoique  phis  etendus  et 
plus  convaincanls  ,  iie  pouvaient  n6anmo;ns  eclaiier 
beaucoup.  Ledefautde  toulesces  nielhodes  piovenailiie 
ce  que  leurs  auteurs  s'allachaient  plulcU  a  pronver  la 
necessite  dercquilihrc  dans  les  casoii  il  alien  qu'a  mon- 
trer  la  nianiere  donl  il  s'etab'il.  Pour  lever  la  difliculle, 
Vaiignon  suivit  une  inarche  qui  decele  loule  la  saga- 
city d'un  esj)rit  si.perieur  :  il  prit  le  parti  d'epier  lui- 
menie  la  nature,  et  d'essayer  si,  en  la  suivanl  pas  a  pas, 
il  ne  pour  ait  pas  apercevoir  comment  elle  s'y  prend 
pour  faire  que  deux  forces  egales  ou  inegales  demeurent 
en  equilibre  ;  en  un  mot,  il  chercha  Tequilibre  dans  sa 
source,  ou  pour  mienx  dire  dans  sa  generation  ,  el  il 
parvinla  son  bat,  en  s'appnyant  sur  le  princi[>e  de  la 
composilion  du  mouvcnient  ,  coniiu  depuis  tres-long- 
temps, etqu'il  euirheureuse  ideed'elendrei\reqiiilibre. 

Le  premier  objel  sur  lequel  il  lixa  son  allention  fill 
un  poids  qa'tine  force  relii'ul  en  equilibre  sur  un  plan 


SLR    MiS    OEIVRKS    DK    VtniGXOX.  35() 

ii;cline  ,  en  imaginaiit  los  directions  de  la  puissance  el 
dii  poids  coinme  prolongecs  jusqu'A  leur  point  de  con- 
cours.  II  vit  d'abord  que  si  le  plan  venait  tout-i  coup 
A  eire  enleve,  le  corps  suivrait  rinipression  de  ce  point 
el  se  dirige:  ait  par  consequent  suivant  la  diagonale  du 
parallelogramme  des  vitesses ;  puis  il  reniarqua  qu'en 
letablissant  Ic  plan  dans  la  position  qui  produit  Tequi- 
libre,  le  niouvcnienl  qui  avait  lieu  degenerait  en  iiue 
simple  pression  ,  et  que  tout  ce  qui  elait  vrai  du  niou- 
venient  Telait  aussi  de  celle  pression.  C'est  ainsi  que 
du  concours  d'action  de  la  puissance  et  du  poids ,  il  \  it 
nailre  une  impression  composee  suivant  la  diagonale 
et  delruile  par  la  resistance  du  plan  perpendiculairc  a 
celle  direction. 

Voila  les  considerations  A  I'aide  desquelles  Varignon 
parvint  d  un  des  principes  les  plus  feconds  de  la  meca- 
niqiie  rationnelle,  celui  du  parallelogramme  des  forces. 
(Quoiquc  la  premiere  idee  dece  principe  seniblc  renion- 
ter  a  Slevin,  malLemalicicn  du  siecle  antcrieur  ,  on  ne 
peul  neanmoins  refuser  a  Varignon  le  principal  honneur 
de  la  decouvcrle;  ce  ful  lui  ,  en  effet,  qui  lepremierle 
posa  clairement  comme  le  fondement  de  la  slalique.) 
Sans  doute  ,  ii  eut  ele  preferable  de  le  demonlrer  sans 
recourir  aux  idees  de  mouvement,  car  les  lois  de  Tequi- 
libre  ne  supposent  aucune  relation  particulieie  enire 
les  forces  el  les  vitesses  qu'ellesinipriment ,  et  jiour  re- 
soudrc  tous  les  prisbleines  de  stali(j(ie,  il  sutlil  de  coii- 
nalt!  e  le  rapport  des  forces.  En  outre,  le  principe  de  la 
|)roportionnaIite  des  forces  aux  vitesses  sur  lecpiel  il 
s'appuie,ne  doit  pas  ("tie  regarde  commo  nnepure  hypo- 
Ihese:  il  est  susceptible  d'une  demonslralion,  mais  ellc 
est  lout-;Wait  du  ressDrt  de  la  dvnaniicpie. 


36o  NOTICE 

Toulefois  ,  le  priiu-ipe  une  fois  pose  ,  Varlgnon  s'en 
empare  avec  succes  :  on  en  voit  sorlir  ime  longiie  suite 
de  v^riles  ,  les  conscijiuMices  n'ont  rien  do  foi( e  ,  elles 
s'enchaincnt  Tune  i  I'aulie  dans  un  ordre  i  la  fois  sim- 
ple et  naturel. 

D'abordil  demontrc  par  sa  methodeel  sans  le  secours 
d'aucune  machine  ,  coninie  on  le  pratiquail  avant  lui , 
les  proprietos  des  poids  suspendus  par  des  cordons  , 
quels  que  soicnt  leur  nombre  et  Icurs  directions  ;  de  la 
il  passe  a  I'cquilibrc  des  poulies  fixes  ou  mobile*,  soUi- 
citees  par  des  forces  que'.eonques  ;  puis  il  considerc  ua 
corps  qui  s'appuie  sur  plusieurs  surfaces.  Mais  an  lieu 
d'une  demonstration  applicable  seulement  au  cas  parti- 
culier  de  deux  plans  inclines,  il  en  Irouve  une  qui 
s'etend  a  (oute  sorle  de  surfaces  ,  quelles  que  soienl 
d'ailleurs  les  directions  des  forces  ;  enfin  il  expose  les 
proprietes  de  toutes  les  especes  de  Icviers,  de  quelque 
figure  qu'ils  soient ,  par  loules  les  directions  possibles 
des  puissances. 

Son  dessein  avait  et6  d'abord  d'expliqner  par  sa 
(beorieles  effels  les  plus  surprenants  des  machines  com- 
posees  que  Ton  rencontre  dans  les  arts  et  dans  la  nature; 
mais  il  se  borna  dans  son  premier  ouvrage  i  presenter 
les  propositions  fondamentales  de  la  statique  ,  son  but 
6tant  alors  uniquemcnt  de  connaitre  le  sentiment  des 
geomelres  sur  la  marcbe  qu'il  avait  suivie.  Toutefois 
il  ne  rciion(;a  pas  c\  son  premier  projet.  Encourage  par 
le  succes  ,  il  voulut  faire  un  Iraile  complet  sur  la 
science  de  I'equilibre,  et,  ferme  dans  sa  resolution,  il  nc 
cessa  de  reunir  tons  les  doeumens  que  I'experience  put 
Ittifournir.  Mais  la  mort  Tatleignit  avant  qu'il  cut  mis 


Sru    I.KS    OELVUES    DK    VAUKINO??,  3l)  l 

on  ordre  lo  r^sultat  lie  ses  rcchercbes.  Ce  fiil  rillustre 
Fonlenelle,  a  qiii  Varignon  legiia  Ions  ses  papiers,  qui 
chargea  M.  de  Beaufort  ,  nionibrc  do  lAcademie  des 
srionccs  ,  du  soin  de  les  grouper  dans  Tordre  on  Ton 
pouvait  penspr  que  I'auleur  les  out  disposes;  et ,  ea 
1 7?5,  partit  un  Iraite  de  stalique  en  deux  volumes  sous 
le  litre  de  JVoin'clle  IfJecanique.Les  usages  des  machines 
T  sont  developpes  avec  de  longs  details  ;  on  y  trouve 
un  tres-grand  nombre  d'exemples  semes  au  milieu  dt^ 
la  Ibeorie  ,peul-etre  memeavec  une  profusion  nuisiblc 
i  renchainesneiit  des  propositions  [(fincipaies  ,  et  que 
I'auteur  eut  sans  doule  evilee.  11  scnibie  ,  comme  le 
dit  Ihislorieu  des  matbematiques  ,  qu'on  ait  voulii 
reellemcnt  enlever  au  lecleur  le  plaisir  de  trouver  un 
S3ul  cas  particulier. 

Apres  avoir  parle  avec  quelquc  detail  de  la  premiere 
production  de  noire  geoniefre  ,  je  vais  maintenanf 
aborder  ia  longne  serie  de  Memoires  publics  sous  son 
nom  dans  le  recueil  de  I'Academie  des  Sciences.  Dans 
I'expose  que  je  ferai  de  ses  Iravaux  suivis  p;esque  sans 
interruplion  pendant  plus  de  \ingt  ans  et  presentes 
dans  plus  de  cinquanle  ecrits  divers  ,  on  comprend  que 
je  nc  puis  nratlacber  qu'nux  resullats  principaux  ,  aux 
recbercbes  les  plus  importanles.  Ainsi  je  passerai  sous 
silence  plusieurs  questions  de  geometrie  dont  il  donne 
la  solution  ,  la  melbode  qu'il  indique  pour  resoudre 
Tequalion  du  (roisienie  degre  par  une  simi)le  transfor- 
mation eri'ecluee  sur  son  j)remier  terme  ,  Texplication 
qu'il  donne  .  d'apres  les  principes  de  la  niecanique,  sur 
la  nianiere  donl  les  niusdes  produis(>nl  ci-rlains  mou- 
venients,  J'insislerai  peu  sur  le  prorede  general  qu'il 


3G2  NOTICE 

invpnte  prur  gradiicr  Ifs  cic])?}  tiros  oii  lioilogcs  d'cau, 
r'esl-A-dire  pour  Irouver  los  points  ou  la  surfaco  c'os 
liquidcs  arrive  par  son  abaisscmenl  conliniiel  on  cer- 
laiiis  lemps  ,  connaissanl  la  figure  tlu  vase  ct  la  loi 
siiivanl  laquolle  varie  la  vilesse  d'eioulemcnl.  U  donne 
une  forniule  geomctriqiic  telle  que,  la  forme dii  vase  el 
la  vitesse  de  Teau  etant  delerniinees  a  volonte  ,  on  en 
\oit  naitre  neccssairemonl  la  graduation  de  la  clep- 
sydra. Reciproqitement ,  si  Ton  sail  comment  la  clep- 
sj'dre  est  graduee  et  quelle  est  la  vilesse  de  I'eau  ,  la 
raeme  formiile  fait  connailre  la  fignre  du  vase.  La  ques- 
tion une  fois  elevee  A  ses  termes  Ics  plus  universels  ,  il 
n'y  a  plus  (\uk  s'abaisser  aux  cas  particuliers.  Par 
exemple  ,  il  en  fail  sorlir  avec  une  extreme  facilite  la 
solution  d'un  problrme  celebre  qui  avail  ethappe  k 
Toricelli,  et  que  Mariottc  n'avait  trouvee  que  par  une 
melhode  limitee  a  ce  cas  particulier  ;  il  consiste  a  re- 
cherchor  quelle  doit  clre  la  figure  do  la  clepsydre  , 
pour  qu'en  supposanl  les  vilesses  d'ecoulemenl  commc 
les  racines  carrees  des  bauteurs  ,  suivanl  la  loi  de 
Galilee  ,  I'eau  s'abaisse  de  quantiles  egales  en  temps 
egaux  ;  il  trouve  ainsi  que  la  clepsydre  de  descenle 
imiforme  est  celle  qui  a  pour  generatrice  une  parabole 
bicarree. 

Dans  Tbisldire  de  lout  autre  ,  il  faudrait  s'arreter 
encose  sur  plusieurs  travaux  inleressanls;  niais,  de  peur 
de  tomber  dans  ime  trop  grande  prolixite  ,  jc  passe 
inimediatemenl  a  I'examen  des  beaux  Memoires  qui 
onl  le  plus  cor.lribue  au  progres  de  la  mecanique  et  i 
I'accroissement  de  sa  reputation.  Les  unscomprennent 
latheorie  romplele  du  mouvemenl  soil  rocliligne,  soil 


SI  K    I.ES    OlilVltL'S    l)U    VAIUG.VON.  3bJ 

<iij'vilinne  ;  Icsaiilrcs  tiailenl  do  la  rc'sislancc  qii'op- 
poscnl  Ips  fliiides  aux  corps  qui  !rs  (lavorsent. 

Diuis  cos  rechorcbos ,  il  fil  usage  do  cellegeoniolric 
iiifinitcsiiiiale  ilor.t  Ics  niatlicmaliquos  elaicnt  dopuis 
pcu  redevaldes  au  genie  de  Leibiiilz  ,  cl  on  pout  din; 
(jii  i!  contiibua  puissaninienl  a  la  rcpandrc  en  monlrant 
tout  le  parli  qu'on  pent  en  lirer  pour  la  solution  des 
baules  questions  de  I'analyse. 

On  sail  que,  dans  un  niouveinent  uniforme,  la  vitesse 
est  un  rapport  de  Tespace  au  temps  ;  mais  si  le  niou- 
vcmcnt  est  accelere  comme  cehii  d'un  corps  pesant 
(jui  tombe  dans  Tair,  ou  relarde  <  oninie  ( elui  de  Teau 
qui  sort  par  one  petite  ouverlurc  praliquee  dans  le  re- 
servoir qui  la  conlient,  alors  la  vitesse  cbange  i  cbaque 
instant  ;  neaninoins  elle  peut  encore  s'exprimer  par 
le  nit  nie  rapport,  pourvuque  Tespacoolle  temps  soient 
reduiisa  I'iiifininient  petit  :  c'est  ce  qi:e  Varignon  fait 
voir  par   Us  considerations  suivantes.  La  vitesse  en 
vortu  de  laquelle  un  espace  innnimcnt  petit  est  par- 
couru  dans  un  temps  inGniment  petit,  est  une  grandeur 
fntie  ,  car  die  est  le  rapport  de  deux  inrmimenl  petils 
de  mrnie  o.  dre  ,  ct  il  e^t  clair  que  si  W  space  et  le  temps 
decroissrnl  proporlionnellement  leu;  rapport  ne  derroit 
pas  pour  cela.   .Mais  il  n'en   est  pas  do  raugmenlalion 
de  la  vitesse  coanne  de  la  vitesse  elle-m.'me  ;  car  une 
vitesse  qui  recoiti  cbaque  instant  des  augmentations  du 
memo  genre  ,  toujoui  s  dep  'udantes  de  la  nieme  cause  , 
est  moins  augmenlee  dans  un  tenq)s  plus  court  que  dans 
un  lenqisplusloFig  .et  ,  par  const'tpient ,  dans  un  temps 
innnimcnt  pftil,son  atcroissement  ne  iicut  «'lre(prin- 
iiiiiui(>nl  petit.  Or  ,  une  grandeur  tinie  est  iiJininient 


3<»4  :>t)TifE 

gratulc  par  rapporl  a  iin  infinimcnl  pcli(  ot  il!e  iTcsl 
ni  aiignienlt'c  ni  diminuoe  qiiand  eel  inriniineiU  polit 
y  esl  ajiMite  ou  en  est  retrancbo,  et  par  suite  la  vilcsse 
O'lm  inslant  doit  elre  regardec  comme  uniforme  pen- 
dant cet  instant  ,  puisqiic  son  auginenlalion  n'est  A 
compter  pour  ricn  par  rapport  j\  elle. 

A  la  faveur  de  celteuniformite  si  habilement  trouvee, 
Ics  mouvemenls  varies  rentrcnt  dans  la  meme  regie  que 
los  mouvements  unifornics  ,  pourvu  toulefois  que  les 
cspaces  et  les  temps  soicnt  infinimcnt  petils  ,  et  alors 
on  voit  que  de  ccs  trois  cboscs  ,  cspace ,  temps  ,  vitcsse, 
deux  etant  donnees,  ou  seulement  leur  rapport,  la  troi- 
sieme  s'eii  deduirait  dans  les  mouvements  varies  conmie 
dans  les  mouvemenls  uniformes.  Comme  application  de 
cctte  theorie  du  mouvement  rectiligne  ,  Varignon  re- 
cherche les  lois  de  la  chute  des  corps.  Deux  ans  apres,  il 
fit  a  ce  premier  Memoire  ,  presente  en  i6g8  ,  une  ad- 
dition considerable  ,  en  introduisant  dans  son  analjse 
les  forces  centrales  ,  c'est-a-dire  des  forces  toujours 
appliquees,  qui  portassent  ea  ligne  droite  vers  un  cer- 
tain point  ou  en  eloignasscnt  le  corps  en  mouvement. 
Telle  est  I'idee  que  Ton  a  de  la  pesanteur.  Les  vitesses, 
les  espaces  et  les  temps  combines  ensemble,  nepeuvent 
fournir  que  trois  rapports  ;  mais,  en  y  ajoutant  la  force 
centrale,  il  en  pent  resulter  six.  L'auteur  dispose  tel- 
lement  sanouvelle  mcthode,  qu'il  ne  faul  encore  qu'ua 
seul  de  ces  rapportspour  en deduire  les  cinq  autrcs,  ou, 
ce  qui  est  la  meme  chose  ,  chacun  d'eux  etant  repre- 
sente  par  les  abscisses  et  les  ordonnees  d'une  courbe  , 
si  Ton  doiuie  uiie  seule  des  sixcourbes,  les  cinq  autres 
s'en  di'duisent  facilemenl.  A  cet  effet,  il  calcule  la  force 


SCR    LES   OECVRES   DE   VARIGNON.  365 

centrale  denianiere  qu'elle  ne  renfeimedans  son  expres- 
sion que  des  vitesses  ou  des  temps  ou  des  espaces  ,  et 
par  ce  n»oycn  Ic  nombre  des  elements  qu'il  fallait  con- 
naitie  dans  la  theorie  precedente  n'augmente  point, 
tandis  que  le  nombre  de  ceus  qu'on  en  pent  dcduire  se 
Irouve  augment^  de  la  force  centrale.  Voici  comment 
il  arrive  a  son  but.  D'apres  Galilee  ,  les  espaces  par- 
courus  par  une  force  constante  et  continuellement  ap- 
pliquee  etant  proporlionnels  aux  carres  des  temps 
employes  k  les  parcourir  ,  il  s'ensuit  que  ce  rapport 
constant  est  la  mesure  de  I'effet  qu'elle  produit,  et  que 
par  consequent  11  pent  servir  a  la  representor  geomelri- 
quement.  II  nc  s'agil  done  plus  que  de  determiner  quel 
est  I'espace  parcouru  en  vertu  de  la  force  centrale.  Or  , 
nous  avons  vu  tout-a-l'heure  que  I'espace  decrit  dans 
un  temps  infiniment  petit,  en  vertu  de  la  vitesse  acquise 
ciit  infiniment  petit  ,  et  que  dans  ce  meme  temps  I'ac- 
ci  oissement  de  la  vitesse  est  aussi  infiniment  petit  par 
rapport  a  cette  vitesse  qui  a  une  grandeur  finie.  II  suit 
de  la  que  le  nouvel  espace  parcouru  en  vertu  de  cet 
accroissement  de  vitesse  sera  infiniment  petit  par  rap- 
port au  premier ,  et  que  par  consequent  il  sera  infini- 
ment petit  du  second  ordre.  Ainsi  un  espace  infiniment 
pelil  du  second  ordre  ,  divise  par  le  carre  du  temps , 
exprimerala  force  centrale  quelle  qu'elle  soit,  et  comme 
dans  cette  expression  il  n'entre  que  des  espaces  et  des 
temps  ,  on  en  deduira  facilement  la  vilesse. 

Cette  theorie  est  bien  propre  i  montrer  toutc  la  fe- 
condite  dela  melhode  infinitesimale.  On  voit,  en  effet, 
par  les  exemples  qu'on  vient  de  citer  ,  qu'il  j  a  des 
rapports  insaisissablcs,  si  Ton  nepoursuit  les  grandeurs 

24 


3GG  NOTICE 

jusque  dans  leurs  elements.  Ainsi,  tandis  que,  dans  un 
mouvenienl  uniforme,la  vitesseesl  le  rapport derespare 
au  temps  exprimes  en  qiianliles  finies  ,  il  faut ,  pour  le 
mouvement  varie  ,  chercber  dans  les  elements  de  ces 
deux  grandeurs  ce  rapport  qui  n'existe  point  enlre  ces 
quantitcs  considerees  dansleur  ^tendue  Gnie.  Et  lors- 
qu'on  veut  avoir  la  force  centrale  ,  ce  serait  vainemenl 
qu'on  chercherait  le  rapport  dans  les  infiniment  pelits 
du  premier  ordre  ,  il  faut  percer  jusqu'au  second  ordre. 
Ainsi  la  geometrie  infinitesimale  multiplie  les  rapports 
des  grandeurs  et  en  fait  naiticde  nouveaux, 

Jusqu'ici  Varignon  n'avait  considere  que  les  mouve- 
ments  faitsetiligne  droite  j  niais  commc  ,  dans  les  re- 
cherchf  s  scicnlifiques  ,  la  principale  difficulte  consiste  A 
trouver  la  bonne  route ,  il  n'eprouva  aucune  peine  h 
etendre  sa  theorie  aux  mouvements  faits  en  lignes 
courbes,  qui  ont  lieu  toutes  les  fois  que  la  force  ou  la 
resultante  des  forces  appliquees  au  mobile  n'agit  pas 
constamment  dans  la  direction  de  Timpulsion  initiale. 

La  geometrie  des  infiniment  pelits  permettant  de 
ramencr  a  I'uniformite  tous  les  mouvements  varies  ,  la 
vitesse  dans  un  mouvement  curviligne  sera  le  rapport 
d'un  element  de  la  coiirbe  decrite  par  la  mobile  A  un 
temps  infiniment  petit,  au  lieu  que,  dansle  mouvement 
rei  tiligne,  elle  etait  le  rapport  d'une  portion  infiniment 
petite  de  la  droite  A  un  temps  infiniment  petit. 

Comme  application  de  cetfe  premiere  regie  et  pojir 
en  faire  comprendre  I'usage  ,  Varignon  considerele  cas 
d'nn  corps  qui  tombe  le  long  d'unc  cycloide  rcn  versee,  ot 
laparcourt  dcpuisun  point  quelconquejusqu'd  son  point 
le  plusbasjil  trouve  ainsi,  comme  on  lesavaildejd,  que 


SCR   LES  OEUVRES    DE   VARIGNON.  367 

Icstempsdela  chute  sonl  toujours  les  m(5nies.Il  recherche 
ensuite  quelle  hypolhese  d'acceleration  de  vitesse  a  ete 
necessaire  pour  donner  ^la  cycloide  celte  propriele,  et 
il  retrouve  avec  la  meme  facilitc  que  c'est  Thypolhese 
de  Galilee  ,  dans  laquelle  les  vitesscs  sont  comrae  les 
racines  carrees  des  hauteurs.  Mais  il  s'eleve  beaucoup 
plus  haul  en  tirant  desa  regie  I'cquation  generalc  d'une 
courbe  le  long  de  laquelle  un  corps  tombant  s'approche 
ou  s'eloigne  de  Thorizon  ,  selon  telle  proportion  des 
temps  que  Ton  voudra  ,  et  quclque  hypothese  que  Ton 
prenne  pour  I'acceleration  de  la  vitesse.  Introduisant 
ensuite  dans  sa  formule  generale  I'hypothese  de  Galilee 
et  la  condition  que  le  mobile  s'approche  egalenient  de 
rhorizon  en  temps  egaux  ,  il  tonibe  sur  la  solution  d'un 
probleme  qui  avail  arrete  les  meditations  de  Leibnitz 
elde  Bernouilli ,  et  qui  n'est  ici  qu'un  simple  cas  parti- 
culier.  La  courbe  qui  satisfait  au  prob!eme  est  une 
secondc  parabole  cubiquc  j  elle  a  cela  de  reraarquable, 
que  le  corps  qui  la  doit  decrire  pour  s'approcher  de 
I'horizon  en  temps  egaux,  ne  peut  pas  la  decrire  des  le 
commencement  de  sa  chute.  II  faut  qu'il  tombc  d'abord 
en  lignc  droite  d'une  ccrtaine  hauteur  ,  et  ce  n'cst 
qu'avec  la  vitesse  acquise  par  celte  chute  ,  qu'il  peut 
s'approf  her  egaleraent  de  I'horizon  en  temps  egaux. 

Tout  ce  qui  precede  ne  concerne  que  la  chute  dos 
corps  prise  par  rapport  h  I'horizon  ;  niais  le  Memoire 
qui  nous  occupe  comprend  encore  ,  pour  toutes  les  hj- 
pothcses  imaginables  d'acceleration  dans  les  corps  qui 
fombent  ,  I'cxprcssion  generalc  des  courbos  qu'ils 
devraient  aussi  dicrirc  pour  s'approcher  ou  s'eloigner 
egalement  eii   temps  egaux  de  tout  autre  point  quel- 


3GiB  NOTir.ii     ,  .,_. 

conqiio  pris  (hms  !e  I'Uui  de  clincuno,  c'e  cos  roiubos.  Eii 
faisanl  ptisuile  ornipcr  ;\  re  point  differentes  positions, 
jl  arrive  ;\  jjhisiours  circonstantes  roniarquables  ;  par 
exemple,  en  le  suppusant  iiiCniment  (iloigne  suivant  uno 
ligne  horizonlale  ,  ia  parabole  ordinaire  se  trouve  ('Ire 
la  courbe  suivant  la  convexile  de  lacpielle  un  corps  toni- 
hant  s'^loignerait  de  son  axe  vertical  cgalenient  en 
temps  eganx  ,  ce  qui  est  precisement  ce  que  Galilee 
avait  suppose  pour  prou^er  que  celte  courbe  esl  celie 
que  decriraient  les  corps  graves  jetes  borizontalement 
dans  le  vide.  Les  cbcinins  que  cos  deux  geomelres  ont 
pris  jK)ur  arriver  k  la  meme  consequence  sont  si  dif- 
ferenls,  qu'on  est  presque  surpris  de  les  voir  arriver  au 
ineme  resultat.  C'esl  !a  Tavanlagc  des  melhodes  gene- 
rales  :  unc  courbe  line  fois  trouvco  pour  salisfaire  h 
cerlaines  conditions  d'un  probleme,  se  cbange  ensuite 
en  differentes  autres  courbes  i  chaqne  inodificatfon 
que  Ton  apporte  dans  les  conditions.  Ccs  transforma- 
tions sont  un  des  plus  beaux  spectacles  que  puisse  offrir 
i  I'esprit  la  geonielrie  speculative  ;  et  ,  quand  elles 
ramenent  A  dos  propositions  dejA  connues ,  c'est  un 
surcroit  d'assurance  qu'on  avait  suivi  la  bonne  route. 
Apres  avoir  montre  Textrcme  fecondite  de  la  regie 
des  niouvemenls  curvilignes  ,  prise  dans  sa  premiere 
simplicite  ,  Varignon  lui  fait  acquerir  une  grande 
extension  en  y  joignant  la  consideration  des  forces 
centrales  dirigees  vers  un  point  fixe  ,  ainsi  qu'il  Tavait 
deja  fait  dans  les  mouvcments  rectilignes.  Avant  d'en- 
trer  dans  les  details  de  ces  nouvelles  rediercbes  ,  il 
ne  sera  pas  inutile  de  jeter  un  coup-d'ceil  rapide  sur 
les  ininiortels  Iravaux  des  geomelres  qui  I'ont  precede 
dans  la  carricreou  nouslclrouvonsmainlcnant  engage. 


sin    I.US    OEIVUES    DE    VAlUti.NOX.  36) 

Avanl  llii\t;,hi'ns  ,  (oiile  ia  lli6oric  ties  mouvenK'iils 
ciii'^ilignes  se  reduisail  in  ce  que  Galilee  avail  autrefois 
ilenioiilre  suf  la  courbure  du  theniin  des  projectiles 
soiiinis  i  una  force  agissant  uniformement  et  dans 
ties  directions  paiallelcs  ;  mais  les  recherches  appro- 
fondies  de  ce  savant  matheniaticieu  sur  les  forces  cen- 
trifuges lepandireut  une  vive  luniiere  sur  cet  important 
sujet. 

Tout  corps  en  mouvement  tend  k  prendre  une  dire* - 
tion  rectiligne.  Si  done  il  est  astreinl  A  s<;  niouvoir  cir- 
cuiairenieiil  autour  d'un  centre  ,  il  fautqu'il  cxisfe  une 
cause  qui  ,  le  detournant  a  chaque  instant  de  la  lignc 
(iroite  el  le  ramenanl  vers  le  centre,  Ten  ticnnc  toujours 
egalemenl  eloigne.  Si  colte  cause  cessait  ,  au3sit6l  il 
s'e*:happerail  par  la  tangenlc  du  cercle  qu'il  decrit,  el 
s'eloignerail  de  plus  en  plus  du  centre  de  rotation. 
Mais  il  est  dair  qu'oii  ne  saurait  ecarter  nn  corps  de 
sa  direction  naturclle  sans  en  eprouver  une  resistance 
en  sens  contraire.  Done  la  force  qui  raniene  sans  cesse 
le  corps  sur  la  circonference  doil  eprouver  celte  resis- 
tance :  c'est  eel  effort  contraire  qui ,  considere  comnie 
leifcl  de  I'inertie  du  corps  el  conrme  tendant  i  I'ecarter 
(hi  centre,  est  nomnie  force  centrifug;\  La  force  opposee 
(|ui  le  ranienc  sur  la  route  curviligne  est  appelee  force 
ccntripete  ,  el  on  les  designe  toutes  deux  sous  le  nom 
conimun  de  forces  centrales.  Dans  le  mouvemcnl  circu- 
laire,  elles  sont  egales  ,  car  ,  puisque  le  corps  reste  k  la 
lUi'me  distance  du  centre ,  il  faut  neccssairenicnl  qu'e'les 
sc  contrebalancenl ;  niais  il  n'cn  est  plus  ainsi  dai!s  les 
niouvementS(juionl lieu  sur  d'aulrescourbes.  lluygbens 
est  le  premier  qui  donna  la  niesure  de  celte  force  en  la 


3;0  NOTICE 

deduisanl  delaconsideialion  du  mouvcment  circulaire, 
et  sa  demonstration  est  trop  connue  pour  que  nous  nous 
y  arrelions  davantage.  Quand  on  s'est  eleve  jusqu'au 
point  oil  il  est  parvenu,  on  est  etonne  de  voir  qu'il  n'ait 
point  pousse  phis  loin  sa  decouverte  ,  car  i!  n'avait 
reellenient  qu'un  pas  a  faire  pour  conclure  immediate- 
ment  la  niesurc  de  la  force  centrifuge  dans  une  courbe 
quelconque.  11  etait  reserve  au  genie  de  Newton  de  le 
franchir  :  ce  fut  lui  qui  ,  cnvisageanl  le  probleme  des 
mouvementscurvilignesd'unemanieregenerale,assigna 
les  lois  suivant  lesquelles  ils  s'executent  ,  ct  fit  voir 
comment  la  force  centrale  varie  dans  Ics  differcnts  points 
de  la  courbe.  L'applicalion  qu'il  en  fit  ensuite  aux  sec- 
tions coniques  ,  le  conduisit  h  la  belle  decouverte  qui 
a  jete  lant  c''eclat  sur  sa  carriere  scientifique,  et  qui  a 
fourni  i  rastronomie  les  verites  les  plus  remarquables 
et  les  plus  utiles  pour  le  syslerae  de  Tunivers. 

Varignon  ,  guide  par  eel  esprit  de  generalite  qu'il 
appo;  ta  constammcnt  dans  toutesces  recbercbes,reprit, 
en  1700,  toute  cetle  theorie,  etlui  donna  un  caraclere 
d'universalite  qu'elle  n'avait  point  encore  acquis.  Ap- 
pliquant  la  force  centrale  i  toutes  les  courbes  possibles 
et  la  rapportant  a  un  centre  quelconque  ,  pris  soit  au- 
dedans  ,  soit  au-dihors  de  la  trajcctoire,  il  delcrmina, 
toujours  par  la  geonietrie  infinilesimale  ,  quelle  est 
I'inegalite  d'aclioa  de  celte  force  ^  chaque  point  de  la 
courbe  oii  se  trouve  le  corps  en  mouvement. 

Je  vais  donner  une  idee  de  ta  marche  qu'il  suivit 
pour  arriver  a  I'expressian  geonietrique  do  celte  force. 
Dans  un  mouvcment  curviligne  ,  les  forces  cen! rales  , 
quoiqueconstantes  en  cUes-memes,  ont  une  .action  ine- 


SIR    LES   OEIVRES   DE    VAKIGNOX.  3j  i 

gale,  selon  que  la  direction  suivanl  laquelle  elles  solli- 
titent  le  mobile  est  plus  ou  moins  oblique  par  rapport 
^  I'elenient  de  la  courbe  decrit  pendant  chaque  instant^ 
car  que  Ton  imagine  une  force  de  cetJe  nature  agissant 
dans   la  direction  nienie  suivant  laquelle  le  corps  se 
meut ,  il  est  clair  qu'elle  n'a  alors  nul  pouvoir  pour 
lui  faire  decrire  une  courbe  ,  et  que  tout  son  effet  se 
borne  k  accelerer  son  mouvement  ou  k  le  retarder, selon 
qu'elle  agit  dans  le  sens  ou  il  se  meut  ou  dans  le  sens 
oppose.  C'est  done  seulement  lorsquesa direction  tonibe 
entre  ces  deux  limites  extremes,  qu'elle  pent  delourner 
le  corps  de  sa  ligne  droile  ,  et  moins  sa  direction  est 
eloignee  de  I'un  ou  de  I'autre  de  ces  termes,  moins  elle 
agit  avantageuscmenl  pour  faire  decrire  la  courbe.  C'est 
lA  toute  la  difference  des  forces  centrales  considerees 
dans  des  mouvemenls  curvilignes.  Ainsi  I'effet  de  la 
force  centrale  varie  en  mcme  temps  que  Tangle  que  fait 
k  chaque  instant  sa  direction  avec  celle  du  mobile,  et  il 
est  facile  de  reconnaitre  que  rinegalile  de  Taction  peut 
s'exprimer  par  le  rapport  d'un  element  de  la  courbe 
a  un  element  de  la  droile  suivant  laquelle  est  dirigee  la 
force  centrale  ,  en  sorte  qu'il  sullit  de  multiplier  par  le 
rapport  Texpression  des  forces  centrales  (jui  convient 
aux  mouvements  rectilignes  pour  avoir  celle  qui  reprc- 
sente  les  forces  centrales  des  mouvements  curvilignes  . 
La  formulc  ainsi  obtenue  ne  contient  encore  que  des 
espacesetdes  temps,  et,  par  consequent,  il  n'csl  pas  ne- 
cpssaire  de  connaitre  plus  de  choses  pour  avoir  cetle 
force  avecles  inegaliles  deson  action,  que  pour  Tobicnir 
quand  elle  agit  par  une  mcme  ligne  droile.  Son  auleur 
en  fait  Tappliculion  a  dilferenles  courbcs  ct  cbeicbo 


372  WOTICE 

quelles  forces  centrales  doivent  en  r^sulter  ;  il  cboisit 
principalemenl  pour  exemples  ceiix  que  Newton  a  traites 
dans  son  livre  dcs  Principes ,  et  il  fait  voir  avec  quelle 
facilite  sa  regie  les  expedie.  Mais  ce  qui  donne  surfout 
de  I'eclat  k  sa  recherche,  ce  sont  les  consequences  qu'il 
en  tire  pour  I'astronomie  et  les  differents  syslemes  des 
cieux.  Les  anciens  astrononies  donnaicnt  aux  planetes 
des  vitesses  uniformes  sur  les  orbes  circulaires  qu'ils 
leur  faisaient  decrire.   Copernic  nieme  ne  pensait  pas 
qu'il  put  en  etre  autrement  ;  de  sorle  que  ,  pour  en 
expliquer  les  inegalites  ,   ilsont  ete  forces  de  reiourir 
h  des  excenlriqiies  et  a  des  epicjTles.  Maisensuite  sont 
\enus  des  astronoines  qui  ,  avec  des  notions  de  physi- 
que plus  etendues  ,   n'ont  fait  aucime  difficulte  i  faire 
niouvoir  les  planetes  avec  des  vitesses  differentes  pour 
chacune  et  mcnie  A  changer  leurs  orbes  circulaires  en 
orbiles  ellipliques  dont  ils  ont  assignc  deux  esp^ces. 
La  premiere  est  celle  de  I'illustre  Kepler  ,  c'est  I'ellipse 
ordinaire;  la  seconde  est  celle  de  Cassini,  dans  laquelle 
le  produil  dcs  rayons  tuteurs  nienes  d'un  point  de  la 
courbe  k  ses  deux  foyers  est  constant  ,  tandis  que  dans 
Tellipse  ordinaire,  c'est  la  sonnne  de  ces  droites  qui  est 
invariable.  Varignon  passe  successivement  en  revue  ces 
divers  syslenics  d'astronomie  j  il  commence  par  celui 
de  Kepler  etdc Newton,  et  relrouvelaloi  deratlraclion 
en  vertu  de  laquelle  les  forct'S  centrales  ou  pesanteurs 
des  planetes  vers  le  soleil  varient  en  raison  inverse  i!es 
carresdes  distances.  Puisilexaminedivcrses hypotheses 
I'aites  par  les  aslronomes  de  son  epoque.  Abordant  erifin 
les  suppositions  des  anciens,  il  demontrc  que  si,  d'apres 
les  observations  ,  le  mouvemcnt  des  planetes  est  reel- 


SUR    LES   OELVUES   DE   VARIGNON.  3;3 

lenient  iii<^gal ,  il  est  absolumont  impossible  (lu'olUs 
decrivent  dos  cei'cles  ,  ainsi  que  le  pcnsait  Copornic  , 
et  il  fait  voir  que  ,  pour  leur  donner  un  niouvement 
ogal  sur  quelqu'autre  courbe,  il  faudrait  admcKre  qu'a 
fbaque  instant  de  leurs  cours  ,  elles  tcndissenl  h  un 
centre  different.  Telles  sont  les  consequences  princi- 
pales  qu'il  tire  dela  formule  generale.  Cinqans  apres,  il 
revint  encore  sur  les  forces  centrales  desplanetes,pour 
y  comprendre  les  mouvcments  de  leur  aphelie  ;  mais 
la  niecanique  des  cieux  n'efait  point  encore  assc/  avan- 
cee  pour  rendre  raison  des  inegalites  planetaires  :  la 
gloire  en  etait  reservee  A  d'autres  geomdstres  ,  parnii 
Icsquels  la  Norniandic  compte  avec  ergueil  riUusIre 
Laplace. 

Apres  s'etre  elev6  ,  par  la  tbeorie  inOuitesimalc  ,  h 
de  baulcs  speculations  ,  Varignon  ,  pour  monlrer  en 
quelque  sorte  toutes  les  ressources  de  cette  tbeorie  , 
resolut  d'arriver  par  unevoie  nouvelle  aux  veritc^s  qu'il 
avait  deja  demontrees. 

Si  Ton  concoit  une  courbe  enveloppec  d'un  fil  dans 
laute  son  etendue  et  qu'on  deroule  ce  fil  en  le  prcMUint 
jjar  une  extremile  de  inaniere  qu'etanl  loujours  tcndu 
en  ligne  droite  ,  il  reslepar  son  autre  extr^mite  tan- 
gent A  la  courbe  ,  il  decrira  par  son  premier  bout  uno 
autre  courbe  ,  par  rapport  A  laquelle  la  premiere  s'ap- 
j)elle  la  developpee.  La  portion  du  fil  comprise  enlrc 
son  point  de  tangence  sur  la  developpee  et  le  point  cor- 
lespondant  oii  elle  se  termine  sur  la  courbe  nouvelle  J 
l»orle  le  iiom  de  rayon  de  la  developpee.  On  le  design;! 
ainsi  parce  qu'en  effet  ,  il  pent  elre  considere  conimo 
decrivant  i  chaque  instant  un  arc  de  cerde  iidlnimtMit 
pelil. 


374  NOTICB 

On  voit  par  \k  que  loiite  combe  peut  6tre  regardee 
conime  etant  le  developpement  d'une  autre  et  coninie 
composee  d'arcs  circulaircs  dont  chacun  a  deux  ele- 
ments de  communs  avec  elle  ;  les  ceccles  auxquels  ils 
apparliennent  se  noniment  cercles  osculateurs,  et  Icurs 
rayons  ,  qui  sont  les  rayons  memes  de  la  developpee  , 
se  nomnient  aussi  rayons  osculateurs  ou  rayons  de  cour- 
bure  ,  parce  qu'ils  servent  a  incsurer  le  degre  de  cour- 
bure  en  chaque  point  de  la  courbe.  Or,  il  existc  un 
rapport  d'infiniment  petits  qui  fournit  immedialcment 
les  rayons  de  courbure  dans  toutes  les  courbures  possi- 
bles. Varignon  ,  par  la  methode  infinitesimale  ,  trouve 
pour  leur  expression  plusieurs  formules  differentes  , 
mais  parfaitement  equivalentcs,  etqui,  seulement  dans 
les   applications   particulieres  ,   peuvent  avoir  quel- 
qu'avantage  Tune  sur  Taulre  pour  la  commoditc  du 
calcul.  II  decouvre  ensuite  un  moyen  de  passer  de  la 
connaissance  de  ce  rayon  a  celle  de  la  force  ccutrale  , 
de  sorte  que  ,  connaissant  le  rayon  de  la  developpee 
d'une  courbe  quelconque  ,  on  en  deduit  la  valeur  de  la 
force  centrale  d'un  corps  qui,  ladecrivant,  se  trouve  au 
point  ou  ce  rayon  se  lermine,  et,  reciproquement,  con- 
naissant la  force  centrale,  on  oblient  le  rayon  de  cour- 
bure. II  est  facile  de  comprcndre  connnent  s'etablit  cette 
relation.  Puisqu'unj  courbe  quelconque  a  toujours  deux 
elements  de  communs  avcc  son  ccrcle  osculaleur  ,  il 
est  permis  de  supposer  que, pendant  un  temps  infiniment 
petit ,  le  mobile  qui  la  decrit  se  meut  circulairement 
autour  du  centre  dc  courbure  ;  done  il  doit  avoir  la 
force  centrifuge  qui  couvienl  a  ce  dernier  mouvemcnt, 
laqucUo  s'exprime  ,  d'aprcs  lluyghcns,  par  le  rapport 


sua   LES   0EUVRE9  DE   VAKIONON.  3^5 

du  cane  de  la  vitesse  au  rayon  de  la  courburc.  Cela 
passe  ,  dans  une  trajecloire  differentc  du  cerclc  ,  ce 
n'esl  pas  la  force  centrale  qui  est  egale  et  opposee  i  la 
force  centrifuge,  c'est  seulement  sa  composante  suivant 
le  rayon  de  courbure  j  done  en  divisant  la  force  centri- 
fuge par  le  cosinus  de  Tangle  aigu  que  fait  avec  Ic 
rayon  de  courbure  la  direction  de  la  force  centrale  ,  on 
obtieudra  I'expression  de  celte  derniere.  En  unissant 
ainsi  les  deux  theories  des  developpees  et  des  forces 
centrales  ,  Varignon  les  a  etendues  toutes  deux,  et  les 
formuies  auxquellcs  il  est  parvenu  sent  les  plus  gene- 
rales  que  Ton  puisse  concevoir. 

Le  cclebre  Leibnitz  ayant  pris  connaissance  de  ces 
travaux  .  I'engagea  ,  en  1708,  a  poursuivre  ses  re- 
cbercLcs  principalement  par  rapport  aux  couibes  de- 
crites  par  le  concours  do  plusieurs  forces  centrales, 
«  etant,  dit-il,  apparent  (pie  les  planetes  agissentl'une 
siir  I'autre  ,  et  qu'ainsi  elles  decnvent  peut-etre  leurs 
orbes  en  teadant  non  seulement  au  Suleil,  mais  encore 
les  unes  vers  les  autrcs  ,  en  sorte  que  Mars  ,  par 
exemple  ,  i  cbaque  point  de  la  courbe  qu'il  decrit  , 
en  deux  ans  autour  du  Soleil  ,  est  tire  par  le  Soleil  , 
par  Saturne  ,  par  Jupiter  ,  par  la  Terre  ,  etc.  » 

Varignon  aborde  avec  ardeur  cesnouvcUes  difficultes; 
il  divise  son  probleme  en  deux  parlies  :  dans  la  pre- 
miere, il  suppose  que  les  foyers  de  toules  les  forces  cen- 
trales sont  dans  le  plan  de  la  courbe  ;  dans  la  seconde, 
il  les  considere  sur  deux  plans  differenls  ,  ce  qui  est  le 
cas  do  I'astronomie. <!/,;, Ml  •. 

Dans  les  deux  cas  ,  il  delermine  par  une  senle  for- 
mule  rinqiression  plus  ou  moins  grande  que  la  planete 


376  NOTICE 

reccvra  des  concours  dc  toules  ces  forces.  Conmie  ap- 
plication ,  il  consideie  Ic  cas  d'uBc  planele  decrixant 
une  ellipse  d'un  monvement  unifornie  et  soumise  i\ 
Taction  do  deux  forces  centrales  qui  ratlirciit  en  menie 
lemps  aux  deuS  foyers  ;  la  consequence  quMl  tire  de 
ces  calculs  est  que  les  deux  forces  seront  loujours 
egales  entr'elles  ,  en  quelque  point  de  Tellipse  que  se 
trouve  la  planete  ;  mais  que  leur  action  variera  perpe- 
tuellement ,  et  sera  d'aatant  plus  grande  que  le  pro- 
duit  des  rayons  recleurs  seramoindre.  C'est  1^  un  des 
cxemples  les  plus  sinq^les;  niais  sa  regie  generale  per- 
inet  de  r^soudre  des  cas  plus  compliques,  et,  sous  ce 
point  de  vue  ,  elle  met  en  etat  d'aborder  plus  do  ques- 
tions que  la  nature  n'en  fournit. 

Apres  avoir  expliqued'unemaniere  complete  comment 
varient  les  forces  centrales  aux  differents  points  d'une 
courbe,  il  recberche,  dans  un  nouveau  Memoire^pubiie 
en  1706,  quelles  sont  absolument  et  cnelles-mcmes  ces 
forces  dont  on  conuait  les  ra[iports.  Pour  cela,  il  les 
compare  A  la  pesanteur  qui  est  une  force  connue. 
Son  analyse  repose  sur  Texamen  approfoudi  des  cir- 
Lonstanccs  qui  font  vaiier  la  force  centrale.  Puisque, 
dans  un  mouvement  curviligne  ,  c'est  la  force  centrale 
qui  delourne  a  cbacfue  instant  le  mobile  de  la  ligne 
droilequ'il  tciida  decrire  ,  il  faut  qu'elle  soit  d'aulant 
plus  grande  que  le  corps  est  plus  diflicile  i  devier  de  la 
direction  recliligne,  et  d'aulant  plus  puissantequ'elie 
Ten  ecarte  davantage.  Or  ,  cette  dilliculle  deju-nd  Ce 
la  vitessc  du  mobile  ,  de  sa  masse  ou  pesanteur,  et  de 
sa  direction  plus  ou  moins  obli(iue  par  rappoi  t  a  celle 
de  la  force  (jui  lesollicitej  en  rassemblanl  tous  les  prin- 


sun    LES   OJitVEES    DE    VAHIGKON.  877 

cipos  qui  influent  sur  la  grandeur  de  la  force  cenlrale  , 
on  trouvc  (lone  la  vilcsse  du  corps  ,  sa  pesanteur  ,  la 
direction  de  la  force  comparee  a  la  direction  rectilignc, 
siiivanl  laqiielle  il  tend  h  se  mouvoir  ,  enfin  la  grandeur 
de  I'ecart  que  celle  force  fail  faire  au  mobile  pour  le 
niaintenir  sur  la  courbc.  II  doit  done  y  avoir  une  rela- 
tion algebriqiie  entre  ces  quanlites  et  coninie  la  pesan- 
teur en  fait  partie  ,  on  aura  par  li  le  rapj)ort  de  la 
force  centrale  i  la  pesanteur.  II  en  resulle  cette  propo- 
sition :  —  Dans  tout  mouvement  curviligne,  la  force 
centrale  est  i  la  pesanteur  du  corps  conime  le  produit 
d'un  element  de  la  courbc  et  de  la  hauteur  due  a  la 
vilcsse  du  mobile  est  au  produit  du  rayon  de  courburc 
correspondant  et  de  Tare  circulaire  compris  entre  les 
deux  rayons  recteurs  infiniment  voisins  sur  lesquels  agit 
la  force  centrale. 

Ainsi ,  dans  le  cercle  ,  comme  un  element  de  cctle 
courbc  est  le  mcme  que  Tare  circulaire  doiit*  on  vient 
de  parler  ,  on  conclura  que  la  force  centrale  est  a  la 
pesanteur,  conime  le  double  de  la  hauteur  due  c\  la 
Vitesse  du  mobile  est  au  rayon.  Varignon  en  fait  encore 
d'autres  applications  A  plusieurs  courbes,  telles  que  la 
spirale  logarithmique  el  la  parabole  j  mais  je  n'insisle 
pas  sur  CCS  details. 

Dans  tout  ce  qui  precede  ,  il  n'a  ete  question  que  de 
ce  probleme  direct  :  Une  courbc  elant  doimee  ,  quelle 
est  en  chacun  de  ces  points  Taction  de  la  force  centrale  ? 
Ce  probienien'exige  que  Tomploi  du  calcul  differcnliel, 
puisque  la  force  centrale  se  trouv.c  exprimee  par  les 
infmiment  pelils  d'une  couibe  en  general  ,  qui  sont 
cnsuitc  specilies  par  la  courbc  donnee.  Mais  le  pro- 


378  NOTICE 

bleme  inverse  ,  danslequel  la  force  cenlrale  etanl  con- 
nue  ,  il  faut  trouver  la  coiirbe  ,  exige  qu'avec  ces  infini- 
nicnt  pctits  ,  ainsi  specifies  ,  on  s'eleve  A  la  Irajectoire 
dont  ils  sont  les  elements  ,  ce  qui  depend  neccssaire- 
ment  du  calcul  integral  ,  et  alors  la  question  presente 
una  difficulte  de  plus.  Newton  est  le  premier  qui  s'en 
soil   occupe  J  Jean  Bernouilli  en  donna  une  solution 
complete  en  17T0,   et  vers  le  meme  temps  Hermann  , 
professeur  de  mathematiques   a  Padoue  ,  parvint  au 
meme  but ,  quoique  par  une  methode  beaucoup  plus 
compliquee.  Varignon,  informe  des  travaux  de  ces  deux 
geomefrcs  ,  essaya  aussitot  s'il  ne  pourrail  point  tircr 
la  meme  solution  des  formules  qu'il  avail  donnees  pour 
le  probleme  direct  ,  el  il  eul  la  satisfaction  de  voir  que 
de   ses  dix-huit  formules  generales  ,  quatorzc  s'inte- 
graient  facilemenl  el  donnaienl  les  resultats  qu'Her- 
mann  el  Bernouilli  avaient  trouves  par  d'autrcs  voies. 
En  supposantles  forces  centrales  d'un  corps  qui  decrit 
une  courbe  en  raison  inverse  des  carres  des  distances 
de  ce  corps  a  quelque  point  du  plan  de  cette  courbe, 
ils  demonherent  qu'elle  est  toujours  une  section  coni- 
que  dont  ce  point  est  un  des  foyers.  II  est  done  im- 
possible ,  d'apres  cela  ,    que   les  corps  celestes  ,  en 
vertu  de  la  loi  de  Tattraction   ,   derrivent  d'autres 
courbes  que  les  sections  coniques. 

Je  me  suis  arrete  long-temps  sur  celle  Ibeorie  des 
mouvements  curviligncs  et  des  forces  centrales.  II  ii'en 
est  point,  en  effct,  qui  offre  plus  d'interel.  C'est  a  elle 
que  Tastronomie  est  rcdevable  de  la  demonstration  des 
verites  que  Tobservalion  avail  autrefois  apprises  i 
Kepler  ,  et  c'est  par  elle  que  I'homme  s'est  eleve  a  la 


SUR    LES   OEUVRES  DE   VARIGNON.  879 

connaissancc  des  lois  qui  reglent  les  mouvements  des 
corps  celestes  et  entretiennent  rharmonie  du  mondc. 

J'aborde  maintenanl  une  nouvelle  serie  de  Memoircs 
on  leur  auteur  traite  encore  des  phenonienes  du  mou- 
vement  ,  mais  en  ayant  egard  k  la  resistance  du  milieu 
dans  lequel  il  s'effectue. 

Toutes  les  fois  qu'un  corps  se  mcut  dans  un  milieu  , 
dans  I'air  ,  dans  I'eau  ,  etc.  ,  il  eprouve  une  difTiculte 
k  en  deplacer  les  parties,  et  il  s'agit  de  savoir  combicn 
sa  Vitesse  est  diminuee  a  chaque  instant  par  cette  dif- 
ficulte  ou  resistance.  Tel  est  le  prnblrme  qui  va  main- 
tenant  nous  occuper.  Newton  et  Wallis  sont  les  pre- 
miers qui  aient  fait  des  recherches  approfondies  sur  cet 
important  sujet,  el  vers  le  meme  temps  Leibnitz  ixposa 
aussi  sesidees  sur  celte  matiere.  Apres  eux  ,  Varignon 
reprit  la  question  d'une  manierc  plus  generale  ,  et  re- 
trouva  par  son  analyse  non  seulement  lout  ce  que  ses 
predecesseurs  avaient  conclu  de  Icurs  hypotheses  , 
mais  encore  tout  ce  qui  resulle  de  plusieurs  aulres. 
faites  a  volonle. 

Pour  determiner  quelle  est  Talteration  produitc  dans 
la  Vitesse  du  mobile  par  la  resistance  du  milieu  qu  il 
traverse  ,  il  suppose  que  Ton  connaisse  A  chaque  ins- 
tant la  Vitesse  primitive  du  corps  mu  ,  cVst-A-dire  celle 
qu'il  aurait  par  lui-meme  ,  si  le  mouvemenl  s'operait 
dans  le  vide  ;  puis  ,  que  Ton  sache  aussi  quelle  est  la 
proportion  suivant  laquelle  le  milieu  resistc.  11  repre- 
senleres  deux  donneesdc  la  question  par  les  ordonnees 
dedeux  courbes;  I'une  est  celle  des  vilesses  priniilives, 
rautre  celle  des  resistances.  A  Taide  de  ces  deux  courbes, 
il  en  (•her(  he  deux  autres  exprimant  [lar  leurs  ordonnees, 


38o  NOTICE 

rune  Ics  vilesses  perducs  t\  chaque  instant ,  raulre 
les  vitcsses  qui  rcslcnt.  T)e  U\  nait  une  formulc  generale 
dans  laquel'.e  il  suflit  d'introduire  les  deux  Lypolheses 
que  Ton  veut,  pour  en  deduire  par  le  calcul  les  vilesses 
perducs  ct  restanles. 

Descendant  ensuite  de  ces  generaliles  aux  cas  parli- 
culiers  ,  il  suppose  d'abord  les  niouvcmenls  primilive- 
menl  nniformcs  ,  cc  qui  change  la  courbe  des  vilesses 
primilives  en  une  simple  lignc  droite  ,  el  reduit  alors 
lout  ce  qui  doit  etre  connu  A  la  seule  couibe  des  re- 
sistances. C'est  sur  celle-la  qu'il  fait  plusieurs  hypo- 
theses differentes  ;  je  remarquerai  d'abord  les  trois 
suivanlcs  :  i".  la  rdsistance  est  proporlionnelle  i  la 
simple  Vitesse  ;  2".  ellc  est  proporlionnelle  au  carre  de 
la  vilesse  ;  3".  elle  est  proporlionnelle  a  la  somme  faile 
de  la  simple  vilcsse  et  de  son  ca  re.  Dans  la  premiere, 
le  corps  qui ,  par  son  mouvement  uniforme  ,  aurait  du 
parcourir  un  espace  inOni  dans  un  temps  infini  ,  n'en 
parcourra  qu'un  fini ,  c'est-a-dire  qu'il  y  aura,  a  une 
distance  finiedu  point  de  depart, un  tcnne  qu'il  n'allein- 
dra  jamais.  Dans  la  secoiide  ,  le  corps  parcourra  ,  dans 
un  Icmps  infini ,  un  espace  infini  ,  comme  il  aurail  fait 
par  son  mouvement  uniforme.  La  troisieme  conduit 
a  la  meme  consequence  que  la  premiere. 

Dans  ces  trois  suppositions  ,  la  resistance  est  reglee 
sur  la  Vitesse  ;  mais,  pour  faire  voir  la  fecondile  de  sa 
nielbode  generale ,  il  en  fait  encore  beaucoup  d'autres 
qui  pcuvent  paraihe  fort  bizarres  ,  quand  on  ne  con- 
sidere  que  le  point  de  vue  physique  ,  mais  qui  fournis- 
sait  pourtanl  des  consequences  curieuscs.  Par  exemple, 
en  supposant  que  les  resistances  sont  en  raison   des 


SUR    LE5    OEt'VKKS    DE   VAR'.GNOJf.  38l 

espaces  qui  reslont  i  parcourir  jiisqu'i  I'enticre  extinc- 
tion dcs  vitesscs  ,  cette  bypolhcse  si  extraordinaire 
conduit  au  mcme  resultat  que  cotte  autre  si  naturoUe 
et  si  simple  ,  savoir :  que  Ics  resistances  sont  en  raison 
des  vitesses. 

En  1708  ,  1709  et  1710  ,  il  presenta  sncccssivement 
trois  nouveaux  Mcmoires  ,  ou  il  trailedes  mouvements 
primilivement  varies  ,  et  attires  par  la  resistance  des 
milieux.  II  y  considere  parliculieremcnt  le  cas  des 
corps  pesants  dans  les  trois  hypotbeses  de  resistance 
doiit  nous  avons  parle  precedenimenf.  II  reproduit 
a  Taide  de  sa  theone  generale  tout  ce  que  les  geometres 
avaicnt  donne  i  ce  stijet ,  ct  il  fait  que'qucs  additions 
nouvelies.  Enfin  ,  il  examine  ,  dans  la  premiere  hypo- 
Ihcse  soulcment  ,  !e  problcme  dont  I'objet  est  de  re- 
cbercber  la  couibe  decrite  par  un  corps  projele  dans 
Tin  milieu  resistant.  Newton  et  Huygbens  Tavairnt 
resolu  en  decomposant  Ic  mouvement  dc  projection 
oblique  en  deux  autres ,  I'un  borizontal  et  qui  eut  ele 
lUiifornie  sans  la  resistance  du  milieu  ;  I'autre  vertical 
cl  qui  ,  s'il  se  fut  fait  libremeut  ,  aurait  ete  uniforme- 
ment  accelere,  Varignon  en  donne  la  solution  d'uno 
maniere  plus  simple  ,  sans  decomposer  la  vitesse  de 
projection  oblique  ,  et  dont  il  montre  I'accord  avec 
celle  des  deux  geometres  que  nous  venons  dc  citer. 

Tel  est  le  resume  succinct  de  ses  travaux  sur  cette 
partie  importante  de  la  Mecanique. 

Cette  tbeorie,  dont  les  premiers  essais  apparliennent 
k  Newton  ,  est  bien  iniparfaile  ;  car  on  n'y  tie.;t  nul- 
lement  compte  du  mouvement  du  fluide  ,  et  Ton  sup- 
pose que  les  molecules  de  ce  fluide  agissent  isolement 

1^.5 


382  ?(OTIf.K 

sur  le  mobile  et  nullomeni  Tune  snr  Paul  re  ,  ellc  rqtose 
sur  line  assimilation  vague  de  raction  dii  milieu  au 
choc  des  corps  qui  Ic  Iraversent  ,  co  qui  est  loin  d'etre 
vrai.  La  question  ,  ainsi  que  I'a  fait  voir  d'Alembert, 
ne  peut  6lre  coiivenablcment  r^solue  ,  qu'en  determi- 
nant paries  loisdela  dynamique,les  mouvementssimul- 
lanes  du  fluide  et  du  projectile.  C'est  ainsi  seulement 
qu'on  peut  determiner  la  resultante  des  pressions 
qu'exerce  le  fluide  sur  la  surface  du  corps  ;  c'est  cetle 
resultante  sur  laquelle  on  ne  doit  faire  d'avance  aucune 
hypoth^se  qui  est  la  resistance  proprenient  dite.  Et 
pour  n'ometlre  aucune  des  circonstances  qui  peuvent 
influer  sur  le  mouvcment ,  il  faut  encore  joindre  k  cette 
force  le  frottemenl  qu'exerce  le  fluide  conlre  la  surface 
du  mobile. 

Apres  avoir  passe  en  revue  lesprincipauxtravaux  de 
Varignon  ,  je  terminerai  par  quelques  reflexions  sur 
cet  illustre  matbematicien.  Ce  qui  le  caracterise  sur- 
tout  ,  c'est  un  esprit  de  generalite  ,  qui  le  porte  sans 
cesse  k  remonter  jusqu'i  la  source  des  veriles  ,  pour 
en  saisir  Tensembled'un  seul  coup-d'ceil.  Les  diflicultes 
qu'il  rencontre  sur  sa  route  suspendent  sans  arreter  son 
infaligable  ardeur,  et  presque  toujours  il  parvient  A  les 
surmonter.  II  n'esl  peut-(?tre  pas  de  geometre  qui  ait 
mieux  connu  ,  ni  meme  fait  sentir  tout  le  prix  de  ces 
formules  algebriqucs,  qui  embrassent  dans  leur  univer- 
salite  tous  les  cas  particuliers  d'une  grande  question. 
Aussi  ful-il  un  des  plus  zeles  partisans  de  cette  m^thode 
iniinitesimale,  avec  laquelle  Tesprit  s'eleve  an  plus  haul 
point  de  vue,  el  de  la  plane  sur  ime  elendue  infinie.  C'est 
k  elle  qu'il  a  dii  ses  plus  imporlants  succi^s  j  et  quand 


SUE    LES    OEIVRES    DE    VARIGNOX.  383 

('lie  flit  attaquee  dans  TAcad^niie  ,  car  clle  subil  le  sort 
dc  toiitcs  les  nouveaules  ,  il  la  defendit  avec  cbaieur 
con  (re  ses  nombreux  advcrsaires. 

Quoiqu'il  se  livrAt  par  gout  aux  speculations  les  plus 
elevees  de  la  science  ,  il  n'oubliait  poui  tant  point  qu'il 
elait  professeur.  Pour  facil iter  i  ses  eleves  I'etude  de 
la  geometric  ,  il  publia  des  elements  de  malbematiques, 
bien  different  en  ccla  dela  pUipart  des  grands  geometros, 
qui  s'appliquent  exclusivement  h  faire  dc  nouvelles 
decouverles,  et  se  mettent  pcu  en  peine  de  rendre  plus 
facile  le  cbeniin  qui  conduit  an  point  ou  il  ne  sont  eux- 
meraes  parvenus  que  par  des  travaux  immenses.  On 
retrouve  dans  ce  livrc  elemenlaire  la  clarte  et  I'exac- 
titudc  qui  caracterisent  ses  autres  ouvrages. 

Sa  soliicitude  pour  les  eleves  s'efendait  encore  plus 
loin  :  il  accueillait ,  avec  unc  bienveillance  incpuisable, 
ceux  d'entr'eux  qui  sc  distinguaient  particulieremcnt 
dans  les  cours  qu'il  faisait,  soit  au  college  Mazarin,  soil 
au  college  royal  ou  il  occupait  aussi  une  cbaire  j  il  leur 
donnait  des  lecons  particulieres  avec  cette  bonte  natu- 
relle  qui  porlc  A  etondre  un  devoir  plutut  qu'a  le  res- 
scrrer,  et  lorsqu'aux  derniers  jours  d'une  vie  consacree 
a  tant  de  travaux  ,  affaibli  par  les  attaqucs  d'une  ma- 
ladie  mortelle  ,  il  eut  ete  si  juste  qu'il  prit  quelques 
instants  dc  repos,  il  n'cn  relAcba  rien  de  ses  occupations 
ordinairesj  et  enfin  ,  apres  avoir  fail  sa  classe  au  college 
Mazarin  ,  le  22  decembre  17??.  ,  il  mourut  subitement 
la  nuit  suivante. 

Ainsi  a  fini  cet  bomme  infatigable,  i  qui  les  sciences 
malbematiques  sent  redevables  dc  tant  d'uliles  rechcr- 
cbes  ,  et  qui  occupera  toujours  un  rang  distingue  parmi 
les  savants  dc  son  siecle. 


mm 


T?> 


sun  IE 


BAROMFTUE  A  SYPHON ; 


Par  ^I.  L.  DE  LAFOYE. 


On  lit  dans  la  desnipfion  du  baromelre  de  M.  Ciay- 
Liissac  (Ann.  de  Cli.  ol  de  Ph.  ,  t.  i  ,  p.  1 1) :  «  Si  les 
«  deux  branches  sont  d'lin  diamelie  egal  ,  il  sufliia 
«  d'observoi  la  liauleur  de  la  coloniie  superieure  et  de 
«  doubler  les  variations  apparenlcs  pour  avoir  les  va- 

«  riafions  reelles Cel  avanlage,  coniniun  A  tousles 

«  baronielres  A  syphon  ,  est  tres-precieux  pour  les 
«  voyages  geologiques;  car  on  fait  d'autant  plus  d'ob- 
u  servations  qu'elles  sont  faciles  a  faire.  » 

La  nienie  assertion  est  repetee  dans  la  plupart  des 
Traites  de  Physique  el  de  Chimie.  M.  Biol  dans  son 
Precis  elementaire  ,  conseille  meme  comnie  tres-avan- 
tageux ,  d'envelopper  enlierement  la  longue  branche  et 
de  se  borner  i  observer  la  plus  courte. 

Le  baroiuetre  de  M.  (lay-Lussac  ,  surtout  aver  la 
modiflcation  que  M.  Bunten  y  a  apportce  ,  etant  fre- 
quemment  employe  par  les  royageurs ,  j'ai  pense  qu'il 


SUB    LB   BAROMETRE    A   SVPHOff.  385 

lie  seiait  pas  inutile  de  prouvcr  qu'en  se  bornanl  i  uric 
sciile  obser^aliou  on  tievait  necessairement  commeltre 
<le  graves  erreurs.  II  est  en  effet  facile  de  s'assuiei'  qu« 
les  variations  sont  Ires  rarenient  Cgales  et  inverses 
dans  les  deux  branches  ,  que  dans  qiielques  circons- 
tances  Ic  njercure  monte  ou  descend  sinuUtanemenl  des 
deux  c6tds  et  qu'il  pent  ni^me  arriver  qu'il  reste  sta- 
Ifonnaire  dans  une  des  branches,  tandis  que  son  niveau 
varie  dans  I'autie.  Voici  comment  on  pent  determiner 
It's  circonslances  dans  lesquelles  ccs  cfivers  mouvemenls 
ont  lieu. 

Supposons  que  sans  la  pression  a(mosj)heiique  ,  le 
mercure  s'elevAt  dans  chaque  branche  ,  A  parlir  du 
point  le  plus  bas  de  la  courbure  ,  de  «,-  si  Pair  peut 
sontenir  unecolonne  de  mercure  d'une  longueur  p=i  h, 
il  est  (Evident  que  les  hauteurs  du  mercure  dans  les 
deu\  branches  seront : 

a —  It' 

Si  maintenant  la  pression  el  la  temperature  vieHnont 
a  varier,  et  que  d  soil  le  coetlicient  de  la  dilatation  ou 
de  la  contraction  du  mercure ;  dans  le  \ide  la  longueur 
de  chaque  colonne  serait  a  {i  •+-  d).  Soil  p'  •=  2  W  la 
colonne  de  mercure  que  peut  soutenir  la  pression  de 
Pair  dans  ces  nouvelles  circonslances:  la  longueur  deg 
deux  colonnes  seront  : 

a{i  -4- 0^)4-  h' 
a{i  ^S)~-h' 

En  retranchant  de  ces  deux  quantites  les  hauteurs 
p: Ci'edentes  .  le^s  diff(^renies  cxprimcront  les  variations 


386  NOTES   SCR    LE    BAKOMfeTUE    A   SVPHON. 

que  Ic  niveau  du  mercure  aura  6piouvccs  dans  chacune 
des  branches.  Ces  variations  seront ; 

Pour  la  longue  branche a  d -^  {h^  —  h) 

Pour  la  petite  branche ad — {h'  —  h) 

On  voit  par  li  ,  i".  Queles  variations  seront  inegales 
et  de  signcs  conlraircs  ,  lorsqu'on  aura  ad  <.h'  —  h. 

2".  Qu'ellcs  seront  inegales  et  de  menie  signe  lors- 
qu'on aura  a  d^  h' — h, 

2,".  Que  si  on  avail  ad=z±{h'  —  Ji ),  le  niveau  du 
mercure  ne  varierait  que  dans  une  seule  branche. 

4".  Qu'enOn  les  variations  ne  seront  egales  et  de 
signes  contraires  qu'aulant  que  la  temperature  seule 
n'aurait  pas  varie. 

J'ajouterai  encore  que  les  baromelrcs  h  syphon  out 
iin  defaut  auquel  on  ne  peut  remedier  ,  c'est  la  varia- 
tion qu'eprouve  la  forme  dcla  surface  du  mercure  dans 
la  branche  ouverle.  Tantfit  elle  est  tres-bonibce ,  tan- 
t6t  completenient  plane  ,  et  dans  ce  cas  I'agitation  ne 
rend  jamais  au  menisquc  sa  forme  norniale.  Ces  instru- 
ments doivent  done  ^Ire  tout-i-fait  abandonnes. 


DSSGRIFTION  ET  THEORIE 


DU 


PSYCIIROMETRE 

DU  D^  AUGUST. 

EXTRAIT  DE   SES  IMVERS  MEHOIRES 

Par  M.  L.  BE  LAFOYE. 


La  perfection  qu'on  est  parvenu  -k  donner  h  la  plupart 
des  instruments  nictt'oiologicpies  ,  alleste  les  progrt's 
(|ue  la  science  a  faite  dans  ct  s  deiniers  temps.  MalLeu- 
rciisemenl  il  nous  nianqiiait  encore  im  precede  fa:  ile 
el  rigoureiix  pour  determiner  la  quantity  de  vapeurs 
aqueuses  contenues  dans  I'atmospbere.  Et  en  effel 
rhygrometre  de  Saussure,  celui  qui  est  le  plus  frequeni- 
menl  employ^  ,  presente  deux  defauts  auxquels  on  n"a 
pu  ,  jusqu'A  present,  complctement  remedier.  IVabord, 
le  cheveu,  ainsi  que  loutes  les  substances  organiqucs  , 
s'altere  tres-vite  ,  et  il  est  dillicilc  de  le  remplacer  sans 
(banger  aussi  en  meme  temps  la  graduation  dc  I'instru- 
menl ;  et ,  ce  qui  est  encore  plus  grave  ,  c'est  qu'il  nc 
nous  fait  pos  connaitrc  la  force  elastique  de  la  vapeur 


388  DEscuirrioN  et  th^orie 

conloniie  dans  Fair.  ]\IM.  Ga^-Lussac  ,  Diiloiig  et 
McUoiii  ont  chcrche  A  dctenniner  le  rapport  en  I  re  ces 
forces  dlasJiques  el  Icsdegres  correspondanls  de  Tliygro- 
m(^tre  k  cheveu  ,  niais  leurs  resultals  ne  s'appli(iuent 
qu'A  une  cerlainc  lempeiaturejen  les  regardant  comma 
exacts  pour  toutes  les  (emperaturos  dc  I'air  ,  I'emploi 
des  tables  inferpolecs  par  M.  Biot  exige  encore  un 
petit  calcul  qui  rend  les  observations  plus  penibles  et 
par  conseqiicnt  moir.s  frequcntcs. 

Les  hvgrometres  de  condensation  font  connaiti  e  ties- 
exactement  lepoint  clc race,  d'ou  il  est  facile  dc  deduire 
la  force  clastique  de  la  vapeur  conlcnue  dans  I'airj 
mais  leur  eniploi  est  long  et  penib'e  ,  do  sorte  que 
les  observations  faitcs  avec  cos  appareils  seront  lotijours 
uioins  nombieiises  que  les  observations  baromelriques 
et  Ibermomefriques. 

Une  autre  classe  d'bygronietres  permet  d'(^ valuer 
rbumidile  de  I'air  au  moyen  du  froid  produit  par  I'eva- 
po:  alion  de  I'eau.  Leslie  ,  qui  a  le  premier  employe  ce 
precede ,  s'etait  sorvi  pour  cela  de  son  tbermomelre 
differenliel  ;  nialbeurcusomeiit  les  consideralions  sur 
Icsquelles  il  s'appuie  ont  ele  reconnues  tout-a-fait 
incxactcs  ,  ainsi  que  les  tables  qu'il  a  donnees. 

Enfin  ,  en  1825,  le  D'.  August  de  Berlin  jiroposa  un 
nouvel  appareil  bygromelriquc  ,  auquel  il  donna  Ic 
nom  dc  Psychroincirc.  11  consiste  dans  deux  (liermo- 
niolros  a  niercurc ,  exaclement  compares  enlr'eux  el 
niar(piant  au  moins  des  10'''.  de  degre-  On  les  fixe  sur 
une  monture  commune  a  quclques  ponces  dc  dislan  e 
I'un  de  Taufre  ,  de  mani»Me  k  ce  que  les  boules  el  une 
petite  portion  des  lubes  soient  libres.  La  boule  d'un  des 


DU    PSYCUROMl'TRE   DL'    U' .    AL'GLST.  38() 

the.nioni(^tres  est  en(our6e  d'uno  pclile  couroniie  tic  fil 
donl  rcxtreniile  jilonge  dans  de  I'eaii;  Taction  capillaire 
la  fait  monter  et  le  fil  se  colle  sur  la  boule  qu'il  enve- 
loppe  de  toule  part  :  11  vaut  mieux  encore  revctir  la 
parlic  libre  du  tube  et  faire  arriver  I'eau  par  le  baiit 
de  la  garniture  ,  afin  que  le  tube  no  fournisse  pas  de 
calorique  k  la  boule.  Les  observations  doirciit  etre 
failes,  autant  que  possible,  A  Tombrc  et  surtoul  i  Tabri 
de  forts  courants  d'air. 

11  est  evident,  qu'en  faisant  abstraction  de  la  cbaleur 
que  Tair  verse  sar  le  therinometre  huniide  ,  celui-ci 
baissera  jusqu'A  ce  que  la  vapeur  qui  se  forme  ait  ac- 
quis unc  force  elastique  egale  a  celle  do  la  vapeur  deja 
( oulenue  dans  Fair  ;  car  plus  la  temperature  de  I'envc- 
loj)iie  bumide  s'abaisse  et  pins  la  tension  de  la  vapeur 
qu'elle  produit  diminue,  Lorsque  celte  tension  est  en 
equilibre  avec  celle  de  la  vapeur  almospherique  ,  le 
refroidissemeiit  cesse.  Mais  la  chalear  de  I'air  se  porte 
sur  le  Ibermometre  e(  tend  i  ramener  sa  temperature, 
ainsi  que  celle  de  la  coucbe  d'eau  qui  Tentoure  et  de 
la  va[)cur  qui  s'y  forme  au  meme  dcgr6  que  I'air  am- 
bianl.  De  ces  deux  actions  opposees,  I'absorplion  de  la 
cbaleur  provenant  de  I'evaporation  et  Tinlroduction  du 
calori(|uc  de  I'air  ,  r^sulte  I'etat  final  et  stable  du  Ihor- 
niomelre  j  il  a  lieu  lorsque  la  quanlite  de  cbaleur  qii'it 
perd  est  egale  a  celle  qu'il  recoit. 

Connaissant  les  temperatures  indiquoes  par  les  dims 
lliermometrcs  et  la  bauleur  du  barometrc  ,  cbercbons 
A  determiner  la  quanlite  de  cbaleur  que  recoil  le  tber- 
niometre  bumide ,  nous  en  deduirons  ensuile  la  force 
elastique  de  la  vapeur  aqueuse  contcnuc  dans  Pair- 


390  DESCBIPTIOX    ET   TIIEORIB 

La  couche  d'air  en  contact  avec  le  llieinionioire  bii- 
niido  ,  coiiche  que  nous  pouvons  supposer  infininienl 
mince  ,  est  saturee  de  vapeurs  dont  la  t cm jve ratine  est 
la  meme  que  celle  du  mercure  :  on  pent  la  considerer 
comrac  foim6e  par  deux  enve'.oppes  conccniriques  tres- 
rapproih(^es.  Elle  contient  trois  Elements  :  i°.  de  I'air 
sec  ;  2".  la  vapeur  atmosph6rique  qui  existail  dt^ija 
dans  I'air ;  3".  enfin  la  vapeur  nouvellemenl  form(^e. 
Les  deux  premiers  elements  ont  evidemment  fourni  la 
clialeur  ndcessaire  ^  la  formation  du  troisien-.e. 

Pour  calculer  les  quantites  de  calorique  absorbees 
par  ce  troisieme  element  el  fournies  par  les  donx 
aulres,  designons  par  &.  le  poids  qu'aurait  la  coucbe 
d'air  qui  entoure  le  therraometre,  s'il  6tait  sec  ,  soumis 
i\  la  pression  norniale  n  et  li  la  temperature  o",  I'unite 
etant  le  poids  d'un  pied  cube  d'eaa  k  o".  soient  Z>  la 
hauteur  du  baromotre  A  I'instanl  de  I'observation  ,  l  la 
temperature  de  I'air  ambiant ,  t'  celle  du  Ibermomt^tre 
bumide,  e'  la  force  elaslique  maximum  de  la  vapeur  i 
la  temperature  /' ,  e  celle  de  la  vapeur  qui  exisle  dans 

air. 

Dans  celte  coiuhe  que  nous  considerons  ,  I'air  sec  et 
la  vapeur  qu'elle  contient  ont  unc  force  elastique  =  Z' , 
celle  de  la  vapeur  seule  elant  e' ,  I'air  ne  supporte 
qu'une  pression  =  b  —  e.  Designons  par  z  le  poids  de 
cette  couche  d'air,  le  rapport-  sera  compose  du  rapport 
des  pressions  L-l  et  du  rapport  inverse  des  tempera- 
lures  rT''~  '      '"  f-lf^ot  l*^*  coelTicient  o,oo37'>.  On  a 

done  :  1  ,  , 

L  :  «  ::    T"!    i -f- '«  ' 

d'oii  ,,   ^.        M 

' '    '—        n     •      1   '^   tn  f* 


DU    PSVCUROMKTKE    DV   li' .    AIJGLST.  3()  I 

La  vapeur  qui  supporle  la  pression  c  ,  conlicnl  ccllc 
qui  exislail  deji  dans  Tair  ,  donl  la  force  elastiqiic  est 
e  ,  et  celle  qui  s'est  foniiee  nouvellement ,  dont  la  ten- 
sion est  par  consequent  e'  — e.  Si  doncnous  designons 
par  D  le  poids  de  la  vapeur  atmospherique  ,  lo  rapport 
~  se  composera  :  i°.  du  rapport  des  densites  _,  $  de- 
signant  Ic  poids  specifique  de  la  vapeur  ,  celui  de  I'air 
etant  =11,2".  de  celui  dcs  pressions  -  ,  3°.  enfin  dn 
rapport  inverse  des  temperatures—^—,.  On  a  done  : 

D  :  b>  : :  (? e  :  n[i-\-mt') 
d'ofi 


D=: 


^ 


td 


Designant  par  d  le  poids  de  la  vapeur  nouvellement 
formee  ,  on  trouvera  de  nicme  : 

I e  —  e        <?  cj 

n  .    \-\-  m  L' 

Si  la  capacile  de  I'air  pour  la  cbaleur  est  rcpiescntee 
par  7  ,  le  calorique  abandonne  par  la  masse  d'air  L  ,  eu 
passant  de  la  temperature  t  i  la  temperature  i'  est 
cxprimee  par 

L  V  [t-t')  =  bz.^:    _-__,  V  [I  -  I') . 
n  .    I  -\~m  t 

Tuuite  etant  la  quanlite  de  chaleur  n^cessairo  pour 
clever  un  pied  cube  d'eau  de  y°. 

Designant  le  calorique  speciGque  de  la  vapeur  d'eau 
par  K  ,  la  (juantite  de  chaleur  cedec  par  la  vapeur 
atmospherique  sera  : 


Sga  DESCB1BTI0>    ET   TIliiOKIE 

D  K  {t—t')  =  ^    _f  ^,  K  [l—t') 
n-   \-\~mL' 

Tunile  utaiil  toujaurs  ia  uienie. 

Soil  cnfin  "a  la  cba'.eur  latcalu  de  la  vajjeur  ,  t'L-sl-A- 
dire  le  nombre  qui  expriine  de  combien  dc  dogies  une 
masse  d'eau,  ligale  i  telle  de  la  vapeur,  peut  elic  elevee 
par  le  caloi'ique  que  cell«>ci  a  absui'L6  pour  sa  ("ornia- 
tioii ,  on  a, 


n  ^  i-{-  m  l' 

pour  I'expressiou  de  la  cbaleur  rendue  lalcnte  ;  et 
Ci»ninie  nous  I'avons  obsei\6  ,  k»  cbaleur  cedec  par  Pair 
cl  la  vapeur  D  etant  6gale  h  la  cbaleur  absorbce  par  </, 
on  a  Tegalil^  suivante  : 

el  s'jpprimanl  les  facleurs  commung  , 

(i_e')  y  {t—t')  -f-  e  (J  K  (f— 0 =(e'— e)  <?  > ( i ) 

Ce  qui  donne  pour  la  force  t^laslique  de  la  vapeur 
tonlenue  dans  I'air  i 

Ainsi  cetle  force  clasliquc  sera  delerminee  quand  on 
connaitra  : 

1°.  La  lemperalurc  t  de  I'air,  exprimee  en  dcgres 
centigrades. 


Dl'    PSYCHROMhTBE   DU    V" .    ALGUST.  3g3 

?.".   La  (oniporatiire  l'  du  (hermomotre  humide. 

J ".  La  force  elaslique  maximuni  do  la  \apoiir  dVau 
t   a  la  loin|W'ratnre  t'. 

4".  La  liaiileiir  du  baronio(rf  /> ,  cxprimoe  on  milli- 
niotros  et  ramenee  ^  la  tompoiatiire  de  la  glaco  fon- 
danto. 

'■>".  La  clialcur  specifiqiie  de  Fair  ,  y  ;  d'apri^s  les 
donneos  do  Biot  ,  qui  sonl  les  pins  certaines,  o,26Gt). 

6".  La  oiialeur  specifique  de  la  vapour  d'eau  ,  k  ; 
d'apres  le  mome  auleur  ,  2,8  170, 

7".  Le  poids  specifique  de  la  vapeur ,  celui  de  I'air 
t'tant  =  I  ;  0,62349. 

8",  La  chaleur  latenfe  de  la  vapeur,  >  ,  d'apres  Gay- 
Lussac  ,  55o"  c.  Si  la  couche  d'eau  etait  congolee  ,  il 
laudrait  faire  X  =  55o"  +  75"  =  G25.  Cependant  en 
conservanl  le  nonibre  55o" ,  les  erreurs  ne  porteraient 
que  sur  les  dornieres  decimales. 

En  renipla(;aiit ,  dans  requation  ci-dessiis  ,  les  cons- 
tanles  par  cos  nombres  ,  on  a  : 

i-|-o,ooo77832(^ — t')  ,      0,00077832^/ — t')      . 

1  4-o,ooi54oo  [c — t')  1+0,001  b4oo(< — t') 

Comme  {t — t')  no  peut  gueres  surpasser  20",  on  pout 
mettre  cette  equation  sous  la  forme  , 

I  -f-oo .  S/^oOyt — t') 

L'erreur  nepeut  surpasser  -i—  e',  tout  au  pluso'""',  i. 
II  en  serait  de  memo  de  la  forniule  plus  simple  ; 

e  =  e'  —  0,00077832  [t—t')  h. 

On  peut  verifier  la  formulc(i)dosmanicressuivantos: 
1".  Si  on  fail  r'=:f  on  a  c  =  c'.  C'esl-u-dire  que  si  les 


394  DU   PSYCOMfcTBE   Dl,    D^    At'OVST, 

deux   Ihermometres   coincident  ,  I'air  est  sature  de 
vapenrs. 

2",  Si  Tair  est  parfaitemcnt  sec  ,  on  a  e  =  o.  La 
formule  devient  : 

C'est  celle  que  M.  Gay-Lussac  a  employee  dans  son 
memoire  sur  le  froid  produit  par  revaporalion  (  Ann. 
de  Cb.  et  de  Ph. ,  t.  21  ,  p.  82 ). 

3".  Si  ^:=o  et  e  =0,  conditions  de  Tevaporation 
dans  le  vide  ,  on  a  : 


S'    ^^il  +  y{t-l']]=  O 


Or,  le  second  facteur  ne  pouvanl  ctrc  nul ,  il  faut  que 
Ton  ait  e'=o.  Ce  qui  indiquc,  qu'abslraclion  faite  du 
rayonnemenl  ,  le  tliermonietre  doit  baisser  jusqu'a  re 
qu'il  no  forme  plus  de  vapeurs  i  sa  surface  ,  resuUat 
conforme  a  la  theorie. 

M.  August  a  encore  publie  des  tables,  qui,  quand  on 
ne  veut  pas  une  extreme  exactitude  ,  permettent  de 
trouver  de  suite  la  force  elastique  de  la  vapeur. 

Les  indications  donnees  par  le  Psycbromelre  ont  etc 
coniparees  avec  soin  et  dans  des  circonstances  tres- 
variees  ,  avec  celles  obtcnues  avec  rhygromelre  do 
Daniill.  L' accord  constant  qui  a  regne  entre  ces  deux 
procedes  si  differents  est  tres-remarquable  ct  prouve 
Texactitude  des  formulcs  employees  par  ratiteur.  Aussi 
des  pbysicicns  celebres,  tels  que  le  D' .  Einian,  Bobnen- 
berger ,  etc.  ,  ont-ils  adopte  I'usagc  de  cet  instrument 
comme  ctant  preferable  aux  bygrometres  ;  telle  est 
aussi  Topinion  qu'en  a  emise  M.  de  Humboldt  dans  ses 
fragments  de  Geologic  el  de  Climalologie  asiatique. 


8UR  LES 


RECIIERCHES  DE  CIIARBOIV  DE  TERRE 


FAITES  A  FEUGUEROLLES  ; 


Par    M.     HERAULT    , 

Ing^nieur  en  chef  dcs  Mines. 


Mon  inlcnfioii  est  de  vous  entretenir  dans  celte 
seance,  des  reeherches  dccharbon  de  terre,  faitesan- 
ciennomenl  k  Feuguerolles  ,  et  qu'on  a  essaye  de  re- 
prendre  I'annee  deiniere  :  je  dis  essaye ,  parce  que  , 
conime  vous  le  verrez  plus  has  ,  les  Iravaiix  des  nou- 
veaux  explorateurs  n'ont  pas  meme  ele  pousses  aussi 
loin  que  ceux  de  leurs  devanciers. 

En  178(5 ,  par  arret  du  Conseil  en  date  du  4  avril  , 
Tautorisalion  d'exploiler  du  charbon  de  terre,  pendant 
2oans,dans  les  terrains  dependant  de  la  paroisse  de 
May  ,  generalile  de  Caen,  fut  concedee  i  M.  Charles 
Pierre  ,  entrepreneur  des  elapes  dans  felte  ville.  II 
parait  que  le  concessionnaire  associa  an  privilege  qui 
lui  avait  ete  accorde ,  plusicurs  personnes  Iros-reconi- 
mandables  du  pays ,  et  entr'autres  MM.  d'Orcher  et  de 
Faudoas  ;  mais,  par  une  singularile  digne  de  remarque, 
les   socielaires  ne  firent  point   cxecuter  de  travaux 


3yl)  Sl'R  LES  RECHERCUES  DE  CHARBOX  DE  TERRE 

dans  la  paioisse  de  May  ,  cl  toules  leurs  recher(  hos 
ourcul  lieu  suf  rcllo  de  FciigucroHes  ,  siluee  sur  la  rive 
ojiposee  de  rOrnc.  II  est  probable  que  la  premiere 
tonipagnie  fut  conduile  h  en  agir  ainsi,  par  I'exislencc, 
a  Fenguerolles,  d'un  calcaire  noin\trc,  renfermaiit  beau- 
roup  do  graplolitcs  et  d'orlhoceratiles  ,  dans  I'espoir  , 
bien  mal  fondc  ,  que  ce  calcaire  serait  remplace  par  de 
la  bouille  h  ure  cerfaine  profondeur.  Cost  d'apres  f elle 
opinion  erronee  que  tons  ses  travaux  furent  dirigcs. 
Je  dois  ajouler ,  copendant ,  que  le  meme  terrain  qui 
rcnfermc  le  calraire  dont  il  s'agit,  offre  aussi  quelques 
rouches  d'unc  maliere  plus  noire ,  un  pen  scbisteuse  , 
luisanlc  h  la  surface  dcs  feuillefs  ,  Icrne  dans  Icur  cas- 
sure  ,  ne  faisant  que  pen  ou  point  d'cfforvcsccnce  avec 
Tacide  azolique  ,  et  qui  a  pu  conlribuer  a  cntrelenir 
les  illusions  de  la  compagnie  ,  el  I'engagcr  i  continuer 
SOS  recbercbcs  pendant  plusieurs  annees.  Cette  maliere 
n'est  qa'une  argile  ,  legerement  c alcarifere ,  et  qui 
rougil  au  feu  sans  brulcr.  Elle  a  ele  Irouvee  dans  plu- 
sieurs autres  localiles  des  departemcnts  du  Calvados  , 
de  rOrne  et  de  la  Manche,  el  dans  presque  toules, 
elle  a  donne  lieu  a  des  recherthes,  plus  ou  nioins  ele:i- 
ducs  ,  de  combustible  mineral ,  et  dont  aucune  n'a  cu 
de  succes. 

Le  calcaire  a  graptolites  de  FeugucroUes  et  I'argile 
noire  qui  I'accompagne  quelquefois  ,  font  partie  d'un 
terrain  de  transition  moderne  ,  qui  renfcrme  aussi  dcs 
couches  de  gres  quartzeux,  de  scbiste  argilcux,  de  cal- 
caire marbre  ,  de  mimophyre  et  de  grauwacke.  Les 
coucbes  de  c e  terrain  se  dirigent  du  nord-ouest  au  sud- 
est ,  el  inclinent ,  a  Fenguerolles  ,  d'a  peu  pres  So"  au 
nord-estw 


FAITES   A    FEUGUEROLLES.  3()7 

Les  premiers  socictaires  Crent  pcrcer  doiix  puits  ,  A 
35o  metres  de  TOrne ,  et  distanls  eiitre  eux  dc  3o  ;\  4^ 
metres.  Celui  qui  est  vers  le  sud  a  ,  dil-on  ,  65  metres 
de  profoiideur  ,  et  il  existe  au  piedune  galeried'allon- 
gemeiit,  d'une  longueur  egale  A  cette  dimension,  el  qui 
se  dirigc  vers  Touest.  L'autre  puits  n'a  que  3i  metres 
de  profondeur ,  ef  on  trouve  aussi  en  bas  »ne  galerie 
do  (35  metres  de  longueur  ,  mais  qui  se  dirige  k  Test. 
A  Textremite  de  celle-ci  ,  on  a  perce  un  puits  de  24  '". 
35  de  profondeur,  et  on  trouve  aussi  en  bas  une  galerie 
de  65  ".  de  longueur  ,  mais  qui  se  dirige  k  Test.  A 
I'exlremite  de  celle-ci  ,  on  a  perce  un  puits  de  24*".  35 
de  profondeur.  Les  Iravaux,  commences  probablement 
en  1786,  furent  abandonnes  en  1790;  les  uns  pre- 
tendent  que  ce  fut  parce  que  les  societaires  etaienl  las 
dedepenserdeTargent,  sansenrelirer  aucun  avantage; 
d'autrcs,  k  cause  des  troubles  de  la  premiere  revolution. 
Quelques  personnes  de  Caen  ont  entendu  dire  que  les 
depenses  faites  par  la  societe  Charles  Pierre  s'etaient 
elevees  k  i5o,ooo  fr.  Cela  est  possible;  mais  je  pense 
que  les  memes  travaux  qui  furent  executes  alors  pour- 
raient  I'etre  niainlenant  avec  la  moitie  ,  ou  ,  tout  au 
plus,  les  deux  tiers  de  cette  somme. 

II  n'est  reste  d'autre  souvenir  de  cette  premiere  ten- 
tative ,  que  I'opinion  qu'elle  avail  ete  enliorement 
infructueuse.  Cependant,  en  i836,  un  vieux  man'cbal 
de  Fcuguerolles  dedara  avoir  employe  ,  dans  sa  forge , 
du  cbarbonde  terre  qui  en  etait  provenu.  Mais  il  est 
plus  que  probable  que  ce  n'etait  qu'un  contc  fait  i 
plaisir,  dans  Ic  but  peut-elre  d'encourager  quelques 
personnes  a  faire  de  nouvellcs  rocbercbes   qui ,  dans 

26 


3i)8     SUB   LE9   llECIIEECnES   DB    CHAHDO>(    DB   TEnilE 

tons  lc9  cas  ,  devaient  repandro  do  Targoint  dans  le 
j)ays  ,  el  cc  qui  ne  doil  laisser  aucun  doutc  a  cct  egard, 
c'est  qii'en  supposant  ni.'me  que  la  premie: e  sociole 
ciil  Irouve  un  peu  de  combuslible  mineral  dans  scs 
Iravaux,  ce  n^aurail  pu  etre ,  tout  au  plus,  que  dc 
ranlbiacite  qui  ne  peut  pas  servir  pour  forger  le  fer. 

Quoi   qu'il  en  soil  ,  dans  le  couranl  de  celte  memo 
ainiee  i836,  un  parliculier  proposa  A  divers  negocianls 
ou  fabricanls  de  Rouen  el  tie  ses  environs  ,  de  former 
line  noqvclle  sociele  pour  reprrndre  les  travaux  de 
recbercbe    ,    ouverls   anciennemcnl  k  Feuguerollrs. 
L'exlreme  bcsoin  de  combuslible  qu'6prouve  presque 
partoul  lindustrie  fil  accueillir  assez  favorablement  sa 
proposilion.  Consulle  a  eel  egard  par  quelques  per- 
sonnes  ,  je  crus  devoir  emetlre  ,  relalivemenl  aux  nou- 
vellcs  recherches  projelees ,  im  avis  peii   favorable , 
d'apres  lequel  plusieurs  interesses  renoncerent  k  celle 
enlreprise  ;  d'autres  ,  au  contraire  ,  persislerent  dans 
leur  projet,  el  former  en  I  un  fonds  social  de  1 00,000  fr., 
pour  subvenir  aux  depenses  que  devait  exigcr  son  exe- 
cution, 

Le  18  novcmbre  iB36,  le  directeur  de  la  nouvcUe 
sociel6  demanda  la  concession  de  la  mine  de  houille 
qu'il  supposait  devoir  se  Irouver  i  Feuguerolles  ,  dans 
une  circonference  dc  20  kilometres  dc  rayon.  Comme 
il  n'existait  pas  demine  connuc  de  ce  combustible  dans 
ladile  commune ,  on  nc  crut  pas  devoir  donner  dc  suile 
k  sa  demande ,  dont  il  n'avail  pas  ,  au  reste ,  compris 
la  consequence  ;  car  une  concession  limilec ,  comme  il 
le  desirait ,  aurail  et6  passible  d'une  rodcvance  fixe 
annucllc  de  i3  i  14,000  fr.  ,   k  parlir  dc  la  date  dc 


FAITES   A    FEUGL'EROLLES.  899 

Tortlonnancc  royale  qui  la  lui  aurait  accordee.  Vers  la 
fill  de  fevricr  suivant  ,  on  commenca  A  faire  tiavailler 
a  repuiscinent  des  puits  perces  par  les  premiers 
exploraleurs.  Le  plus  profond  fut  vid6  jusqu'a  4^ 
metres  environ  de  la  surface  du  sol,  et  I'autre  mis 
a  sec  ,  ainsi  que  la  galerie  qui  est  au  pied.  C'est  alons 
que  la  compagnie  fit  venir  de  Paris  (au  mois  de  sep- 
tembre  dernier )  ,  M.  Regnault ,  aspirant  au  corps 
royal  des  mines  ,  qui  jugea  que  son  entreprise  ne  prc- 
sentail  aucune  chance  de  succes.  Apies  son  depart , 
ou  peut-etre  avant  son  arrivee  ,  on  epuisa  encore  les 
eaux  du  petit  puils  ititerieur  j  mais,  vers  la  fin  du  meme 
mois,  tousles  fravaux  furent  suspendus ,  et  la  ma- 
jeure partie  des  sociclaires  se  montra  des  lors  dis- 
posee  i  les  abandonner  entierement.  Le  directeur,  au 
conlraire,  insisfait  fortement  pour  qu'on  les  continuftt. 
Jignore  comment  s'esl  terminee  celte  contestation  ; 
inais  cequi  empccbera  sans  doutela  compagnie actuelle 
de  continuer  les  travaux  qu'ellc  avait  entrepris  k  Fcu- 
guerolics,  c'est  que  les  fosses  et  les  galeries  qu'ellc  avait 
videes  ont  etc  de  nouveau  remplies  par  les  eaux  pen- 
dant la  niauvaise  saison.  Au  reste  ,  comme  on  vient 
dc  le  voir ,  celte  sociolo  s'est  boriiee  a  epuiser  les 
eauxd'une  partie  des  travaux  ouverts  par  les  premiers 
exploraleurs  ;  elle  n'afait  absolument  aucune  nouvelle 
recherche  ,  et  n'a  pas  meme  vu  toules  ccUes  cxecutees 
anciennemeiit. 

Quant  aux  chances  que  pourraicnt  avoir  dc  nouvellcs 
explorations  mieux  dirigees  et  plus  etendues  que  celles 
qui  ont  cesse  a  Tcpoqiie  de  la  premiere  revolution  (on 
vient  de  voir  que  les  Travaux  dcla  nouvelle  compagnie 


4oO  SDR  LES  RECQEBCBES  DE  CHARBON  DE  TERRE. 

sont  tout-i-fait  insigniflants)  ,  je  ne  pense  pas  qu'ollos 
pussent  en  presenter  de  favorables.  Le  terrain  de  tran- 
sition nioderne  qu'on  trouve  A  Feuguerolles  renferme 
bien  quelquefois  de  I'anthracite  ,  et  c'est  meme  dans 
un  terrain  de  cette  nature  que  sont  situees  les  mines  de 
ce  combustible  dans  les  departements  de  la  Sarihe  et 
de  la  Mayenne  ;  niais  rien  n'indique  qu'il  s'en  trouve 
dans  le  territoire  de  Feuguerolles :  en  sorte  qu'il  n'y 
a  absolument  aucun  motif  de  faire  dcs  recherches  li 
plnt6t  qu'ailleurs  ;  et  on  pourrait  meme  dire  qu'il  y  en 
a  nioins  ,  si  on  consid^re  que  c'est  dans  cette  commune 
que  vient  ge  terminer  ,  dans  le  departement  du  Cal- 
vados ,  le  terrain  de  transition  moderne,  et  qu'il  n'y 
forme  qu'unebande  tres-etroite,  environnee  depresque 
tous  les  c6tes  par  le  calcaire  jurassique.  II  resulte  de 
cette  disposition  que  ,  lors  meme  que  ce  terrain  ren- 
ferraerait  k  Feuguerolles ,  ou  k  May ,  une  ou  plusieurs 
couches  d'anthracite  ,  ce  qui  n'est  nullement  probable, 
il  serait  encore  k  craindre  qu'elles  n'eussent  pas  I'eten- 
due  sufBsante  pour  pouvoir  etablir  dessus  une  exploi- 
tation avantageuse.  Je  crois  devoir  ajouter  encore  que 
c'est  dans  la  partie  superieure  du  terrain  de  transition 
moderne  que  Ton  trouve  quelquefois  de  I'anthracite  , 
et  que  les  couches  dans  lesquelles  les  recherches  de 
Feuguerolles  ont  ete  faites  appartiennent  incontesta- 
blement  4  la  partie  inferieure  du  meme  terrain. 

Caen,  le  -i^f wrier  i838. 


POESIES. 


LES  IIEROS  DE  ROUEIV, 

PENDANT  LE  SifiGE  DE  U18; 

Pah   M.   p. -a.  VIEILLARD  , 

L'lin  des  conscrvateurs  dc  la  bibliolWque  dc  V Arsenal. 


Civil    entt  qui   lihrni  po^^ct 
Virbn  animi proferre.  Jutzxal. 


La  Seine ,  jusqu'aux  mers ,  en  un  jour  d'cpouvantc  , 
Avail  porl6  d'Arlhur  la  di^pouille  sanglanle  (1). 
BienWl,  soustrait  aux  lois  d«  monarque  r<5!on  , 
Apportant  I'abondance  aux  rcmparls  dc  Rollon, 
Le  fleuvc,  dc«x  cents  ans,  propicc  a  l'indus(rie, 
Des  tribuls  du  commerce  enrichil  la  Neustrie  : 
Mais  Ics  premiers  Valois  connurent  les  rcvcrs ; 
L'un  fiil  rtdiiit  k  fuir,  I'aulre  porta  dcs  fers; 
Dc  Cr(^cy  ,  de  Poitiers  ,  Ics  d6faites  cdlebres 
Dc  nos  jours  dc  splendcur  Crent  dcs  jours  funcbres ! 
Pourtant,  Calais  vaincu  grandit  le  nom  frangais  : 
Sa  chOile  du  vainqueur  fit  p41ir  le  succt^s. 


(i)  Ailliur,  fils  Je  GcoFfioy  Plantagenct,  Juo  Ac  Brct.i;;n©,  ftit  i«a*itacr^  ii  Roiirn 
fa'  Ntin  oncle  Jeaii-Saiis-Tcrre  ,  qui  iiBiirp.iit  siir  Iiii  Itf  iliicli^  ilo  T^oimantlif*  «'i 
niois  il'aoiit  1702  Co  no  fill  qu'en  1211-i  quo  Vliilippt* -Aii^tisti-  pnrv'.al  a  cl'nssor  Jc 
Pr^iico  cut  in.li^no  fiU  tic*  Ifeiirl  II. 


4o4  LES   DEROS   DE    ROUEX  , 

Et  de  Jean  prisonnier  la  parole  royale  (1) 
Vibre  comme  un  (?cho  dans  toulc  Ame  loyale. 
Charles,  son  h6ritier  ,  du  fond  de  son  palais , 
PaciQanl  la  France,  humiliant  I'Anglais, 
A  I'univers  montra,  dans  un  sietie  d'alarmcs, 
Un  roi ,  par  les  conseils ,  plus  fort  que  par  les  armcs. 
Min6  d'un  poison  lent,  il  v(?cut  pour  soulTrir, 
II  mourut....  et  la  France  aussi  sciiibia  mourirl 
D'Anjoii,  Bourbon,  Berry,  lulcurs,  parents  avidcs, 
Rcmplirent  lout  I'elat  de  leurs  tranies  perlidcs ; 
Lc  Bourguignon  ,  plus  qu'eux  ennenii  du  rcpos  , 
De  ses  freres  ligues  surpassa  les  complols  (2). 
(;harles  six  ,  sous  le  joug  d'une  infAme  rfigence , 
De  la  minority  sorlit  par  la  d^mencc. 
Pcre  et  roi  malheureux  ,  plus  malheureux  (^poux  , 
11  sembla  du  destin  ^puiser  le  courroux. 
Isabcau  ,  que  souillaient  le  mcnrlre  el  I'aduUere, 
Sacrifiait  son  fils,  la  France,  a  I'Anglelcrrc; 
Armagnacs ,  Bourguignons ,  de  Paris  ddchird 
Faisaient  un  lieu  d'horreur,  au  carnage  livr6  ; 
Le  meurtre  et  la  debauche,  au  palais  des  Tourncllcs, 
Empruntaient  de  la  nuit  les  ombres  criminelles; 
La  Seine,  jusqu'aux  mers,  portait  avec  cf'roi, 
Un  fardeau,  que  timbrait  hi  justice  du  Roi, 

D(5ja,  d'llarfleur  dompte  I'enceinlc  prisonniere  , 
Subissant  d' Albion  I'insultanle  banniere  , 
Avec  fr(^niissement,  sur  ses  deitris  epars, 
Enlendait ,  dans  les  vonls ,  rugir  les  leopards , 
Et,  des  bords  oil  Rouen  se  drcssc  sur  sa  rive  , 
La  Seine  aux  mers  roulait,  tout  entiere  caplive. 


(0  SI  lafo!  et  la  veriti'  itnicnt  hnrinie^  de  tout  !,•  milt  ,lu  moiide ,  rioiinrnnirn 
elles  devroieiit  se  retrouver  dan^  In  bouc/ie  des  rah.  (Mt-zuiay.) 

^7.)  On  salt  cjue  let  luteins  de  Cliarli!.  VI  linen',  ses  oncles  palcrnci!,  Louis,  <liic 
d'Aujou  ,  .Jean  ,  due  de  Berry  ,  et  I'liilirpe-lv-Unrdi  ,  due  de  liourgngnc  ;  et  sou 
oucle  maternel  ,  le  due  de  Bourbou. 


PtNDANT    LE   SI£gE   DE    l4l8.  4o5 

Quels  fltViui  assi^gcaicnt  le  fleuve  aux  cent  detours, 

Rival  de  la  Tamisc  ,  en  son  fcrlile  coursi 

Henri  cinq  de  Rouen  poursuivait  la  ruine 

Par  la  flamme  el  le  far,  par  la  sape  el  la  mine  : 

En  chalnons  faconnfis,  de  triples  rangs  d'acier 

Emprlsoniiaienl  I'essor  du  fleuve  nourricicr. 

El ,  des  fils  de  Rollon  dechirant  les  enlrailles , 

La  Faim ,  spectre  livide ,  errait  dans  leurs  murailles. 

Ma's  rien  ,  des  ddfenseurs  de  I'anlique  cil6 

Ne  pouvait  afTaiblir  le  courage  indompte: 
Sur  la  breche  assaillis,  ces  h^ros  redoutables 
Opposaient  ii  I'Anglais  des  bras  infatigables. 
L'aspccl  de  Tcnnemi ,  de  leurs  dc'biles  corps 
Raiiiinait  la  vigueur,  remontait  les  ressorts; 
Et  quand  ils  subissaient  rini{iitoyabIe  atteinte 
Du  fer  ou  de  la  faim,  ilsexpiraient  sans  plainte. 
El  celui  qui  loinbait,  a  I'lnstant  rcmplac6, 
Ne  laissait  point  ce  vide  oil  la  faux  a  passe. 

La  mort,  a  leur  valeur  de  pfrils  idolatre, 

Se  prcsenlait  cncor  sur  un  plus  grand  Ih^Alre  : 

La  rage  de  Henri ,  de  ses  nobles  rivaux , 

Par  une  digiie  fin  couronnait  les  Iravaux. 

Quand  le  sort,  traliissanl  leurs  efforts  magnanimcs, 

Les  livrail  a  ses  mains  avides  de  viclimes , 

Dans  le  camp  du  barbare,  et  sous  les  murs  sacrfe 

Que  dt^fendaient  en  vain  leurs  bras  descspfirc^s  , 

Dress6  de  loute  part ,  I'inslrumenl  du  supplice 

Qu'aux  plus  vilscriminels  reserve  la  justice, 

De  leur  corps ,  a  sa  voix  ,  recevait  le  fardeau  (1). 

Les  beros  perissaient  de  la  main  du  bourreau ; 


(i)  «  Henri,  pour  insplrtr  la  Icrrcur,  fit  menncer  sra  Iialiilanls  ilc  lr«  cxtcrnu- 
c>  nvr,  s'ils  s'nbstiiinient  h  sc  rlcfenJrc.  BIciitjt,  pnssani  Jfs  menaces  am  iflVn, 
n  on  ilrtsia  par  son  onlru  J,  s  potiiici  8  autour  Je  la  ville,  onxqnelks  on  alliuliail 
«  Icsprisonniers  ilegiieire.  .1  Fil/aret  ylUst.  Je  Frame,  CliarUs  VI.  De  Lmtnn  , 
Hist.  Jc  Charles  VI.   Hht.  rt  chroriique  dc  Noimantlic  ,B.o\\cn  ,  1610,  page  17'?. 


4o6  LES  nines  de  houen  , 

CYtail  tout  rayonnans  de  IVclat  dcs  balalUos , 
Qu'ils  trouvaient ,  chez  tin  Roi ,  d'infAmcs  funi^rallles , 
Qu'ils  mouraicnt,  sous  scs  ycui,  suspendusauxgibcts.... 
Voila,  corame  Henri  conqu(?rail  des  sujels ! 

Tant  dc  calamitt'5  et  tant  de  sacrifices , 

La  morl  dans  les  combats ,  la  inort  dans  les  tuppllccs, 

La  sourTranco  partout ,  parlout  le  divoilmcnt , 

Ne  pouvalenl  ^carter  un  fatal  dtSnoilment. 

Des  trUtes  alimens  qui  prolongcaient  leur  vie, 

La  rcssource ,  aux  guerricrs,  allait  <?tre  ravie ; 

Des  plus  vilsanimaux  la  chair,  les  Intcstins 

Eussent  scnibld  du  luxe ,  en  leurs  hideui  festlns. 

D'une  grossiere  peau ,  par  I'usage  avilic , 

La  fibre  sans  saveur  Icnlement  ramollle , 

De  ces  corps  abatlus  dtail  le  seul  soutien  (1): 

Au-delJ»  de  ce  termc,  11  ne  leur  rcslail  rien  , 

Rien  que  Ic  d6sespoir....  ou,  contre  I'esclavagc, 

La  tombe ,  oii  tout  Cnit,  et  faiblessc  et  courage. 

Les  morts  suivent  les  morts ,  qui  font  place  aux  mourans , 

Dont  le  lr(^pas  encor  vient  6claircir  les  rangs. 

Des  soutiens  de  Rouen  les  dcrnl6res  cohortes 

Expirent  dans  les  murs,  sur  les  remparls,  aux  portes; 

Le  silence  est  partout,  et  dc  piles  flambeaux 

Jcttcnt  sur  ces  ddbris  la  clarl6  des  tomheaux. 

Trois  hommcs  ccpendant ,  d'une  Ame  pen  commune , 
D'un  cofur  inaccessible  aux  coups  de  la  fortune, 
Soutcnaient  le  vaisseau  sur  le  bord  de  I'ecueil. 
Au  sein  de  I'opulence  Stranger  a  I'orgueil , 


^l^  •  PlmlcMirs  milUcrs  ile  gens  etolont  Jeji  morts  ile  f.iim  iluiLini  l.nliti-  lillc  , 
<>  I't  ilea  rcnlruo  d*octol)re,  i^toieut  LOiitr.iints  de  manger  clieviinx,  cliitiii*,  cliiits  , 
II  soillii  ,  rrtls  ,  ft  aiitres  cli05e3  ,  noil  app.irtenrtiit  k.  tlunlule  litini.iitic  »  Mori' 
%tftr.t  J  cliap.  2<J7. 

•  (Jepeiidant  Ki  niis^re  f.roissoil  Jans  lUtiu'n,  Lo  pcnplo  rciiliiit a  ic  nourrir  de 
k  la  paillc  dus  Uto,  L>t  itca  ciiirs  (Qu'ils  enlevoieiit  des  nialtei  ,  «t  des  sellcs  dcs 
«  tliuTauT  ,  perissoit  a  tniUicrs.   »  Dc  Liissan  ,  Hist,  de  Cluirles  }' I, 


PENDANT    LF,    SltCE    DE    l4l8.  407 

Jourdain  ,  au  lieu  d'honneurs,  dc  litres  magniCqucs, 
Elait  ambldcux  do  vortns  domesliques. 
Pour  lui ,  I'art  dcs  combats  n'avait  point  de  secret:-. 
C'6tait  lui  qui ,  du  si(5ge  enchatnint  Ics  progres, 
Et  guidant  d'un  (ril  silr  les  foudrcs  de  la  gucrrr , 
Sous  Ics  murs  de  Koucn  arr(?tait  I'Anglclerre  (1). 
Blanchard  h  ses  c6t(5s,  iic  d'un  sang  pl(^l)(5ien  , 
Enfant  de  son  gdnie  ,  avant  lout  citoyen  (2), 
Brillail  du  pur  eclat  dc  ccs  vertus  antiques 
Qui  faisaient  la  splendeur  dcs  siecles  Wrolqucs. 

JMinisire  dcs  aulels,  Robert  Livet,  pres  d'eux  (3) 
Comme  un  ange  de  pais  ambassadeur  des  cieux , 
Sur  la  villc ,  a  p^rir  chaque  jour  expos6e , 
Dc  la  favcur  d'en  haul  appclail  la  rosee  : 
II  b6nissait  le  glaive  aux  mains  des  combatlans , 
Lc  pain  dc  la  d6lresse  el  le  lit  dcs  mourans. 
Les  rcstes  des  martyrs  ,  leurs  chAsses  rcspect^es , 
D'un  clerg6  suppliant  avec  pompe  escorttes , 
Pour  afTcrmir  les  coeurs  offertes  aux  regards , 
Semblaient  imi)lorcr  Dieu  pour  ces  tristes  remparts. 
Lh  brillail  de  Romain  la  fierle  proteclrice  (i)  , 
D'un  pieux  repcnlir  sainle  lib(?ratrice , 

(i)  "  Jean  JouiiUin,  bourgeois,  qui  avoit  servi,  ot  ({ui  t*otendoil  lc  scMice  Ac 
"  TartiUerie,  conduiaoit  ceUe  de  1«  villc  ,  et  conim-iudoit  pluftieurs  batteries.  »  L'c 
liussan,  Hht.de  Ch.  Vt.  Vnyez  aussi  ZMonstrelel,  chap.  20;). 

(a)  "  Les  habitants  de  Kouea  ne  pcrddietit  pas  courage'  :  ils  ct.iiont  eicitos  pi  iii- 
«  cipalement  par  Alain  Blanchard  ,  le  nicme  qui  avail  prectdeninieut  souluvc  la 
«  villc  centre  Gaucourt;  ce  clu-f  dti  pcuplu  etait  dcvcnu  nn  heros,  »  Villaret, 
Hhloire  de  France.  Charles  VI. 

(3)  («  Mailre  Robertde  Liaet  (Livet), vicaire-geiieral  de  rdrciievcque  de  Rouen, 
•"  lequel  duranl  le  siege,  s^etoit  gouvernii  et  conduit  moul  I  pi  udentement.  »  Mou- 
slrelet,  chap.  208. 

Robert  Liret  faisaitpartie  de  la  deputation  qui  fut  cuvov'-c  k  Vaiis,  aupris  dc 
Cliarles  VI  el  du  due  de  IJourgogne  ,  au  noni  do  la  villc  assirgee  ,  pour  crier  sur 
eul  le  grand  hfiro  de  ditresse.  LMiistoirc  n'a  point  conserve  le  nom  dcs  habitants 
qui  alltirent  demander  a  Henri  uno  capitulation-  J'ai  cm  qu'en  transpol  taut  a  cetle 
circonstance  lc  rule  que  Livel  avait  jouu  dans  celle  que  )c  viens  d'iudiqner  ,  je  ne 
blcsserais  ui  la  vraisemhlance  ni  les  convenances. 

(4)  Tout  le  monde  sait  que  la  fierU  elait  une  cli.'tsse  renfermaut  les  reliqucs  de 


4o8  LES  ntuos  DK  nOUEIt  , 

Wais  qui  garantissait  a  ccs  preux  abattus , 
Non  Ic  prix  du  remord ,  mais  celui  des  verlus. 

Enfin,  parul  un  jour,  le  dernier  jour  peuf-^lre ! 

Oa  tout  faillit  mourir  ,  pour  ne  jamais  renattrc. 

Siir  un  jpilne  tlTrayanl ,  que  ricn  n'inlcrrompil, 

Ccl  homicide  jour  Tinl  luire  ,  el  s'6teignil. 

Lc  lendcmaiu  Livet  a  d6vanc6  Taurore; 

II  va  trouver  Jourdain..    a  genoux  ,  il  rimplore; 

Tous  deux  cherchcnt  Blanchard  et  Guy  Le  Bouleiller. 

Le  d6sespoir ,  du  peuple  est  le  seul  conselller; 

Des  maux  qu'il  a  soulTerls  ,  sa  constauce  s'6tonne. 

II  faut  c6der  enfin  ;  I'humanite  I'ordonne. 

Livet  a  rev^tu  les  longs  habits  de  lin, 

L'^lole  oii  briile  Tor  dans  lesigne  divln. 

De  Rouen  autrefois  di5fenseur  intr6pide, 

Vers  II«nri ,  saint  Romain  sous  la  fierte  le  guide. 

Cet  auguste  appareil  ,  cet  imposnnt  aspect, 
Ont  au  coeur  de  1' Anglais  imprim6  le  respect , 
Et,  de  sa  mission  r(5verant  I'origine, 
Henri,  devant  Livet,  se  d^couvrc  et  s'incline. 

«  Roi!  dit  au  conqu^rant  le  minislrc  de  Dieu  , 

«  Saint  Romain  autrefois  a  ,  dans  ce  m^me  lieu  , 

1  Sauv6  celfe  cil6  d'une  infortune  immense. 

«  Nos  Rois  a  sa  victoire  atlachanl  la  cl6mence , 

«  Ont  voulu  que  par  elle  un  crime  rachel6 

«  L'attcslAt  (ous  les  ans  a  la  posl^rit6. 

"  Vous  que  de  nos  destins  la  guerre  a  fait  I'arbitre , 

«  A  Rouen  rondamni*  failes  grace  a  cc  litre  ; 

o  El,  qiiand  vous  hcrilcz  du  sccsplre  des  Valois, 

u  Conficz  au  pardon  la  garde  de  vos  droits. 


s^int  Komaiii ,  et  snr  laquellc  ttait  ropii'sentci'  en  relicfU'  fait  attiiliue  a  ce  Saint, 
(.'I  anqm-l  on  rapporle  I'origiutj  tlu  privilege  en  verlu  duqnel  le  cliapitre  de  In  ca- 
tlu'itraU;  de  Ivonen  delivrait  tous  l-j8  ans,  le  jour  de  I'Aicenfilun,  un  cl'iiniuel  , 
([ui  avait  eacouru  la  peine  capilale. 


PENDANT    LE    SIEGE    DE    J^{^.  ^xKf 

«  Pr^lrei  (respond  Henri  qu'irrilc  ce  langngr) , 

«  Mos  droUs  sont  triomphans,  j'cn  saurai  faire  usage; 

«  Jc  ne  voux  ,  dc  Rouen  ,  que  sa  soumissioii. 

«  —Quel  en  sera  I'arret  et  la  comlilion  ? 

«  —  Rien  qite  ma  volontf,  la  volonl6  d'un  maltre. 

«  —  N'cst-ilpas  aux  vaincus  pcrmts  dc  la  connaKre? 

«  — *Bienl<)l,  a  leurs  regards,  biillcra  sa  clarl^. 

«  —  Mais  qui  sa«verez-vous?  —  Qui  I'aura  m^riti'. 

<i  —  Un  peuple  lout  cnlier  louche  ii  sa  demicrc  lieure. 

«  —  II  mourra  lout  cnlicr,  si  j'ai  besoiii  qii'il  rneurc  ! 

«  —  Roi!  vous  Hes  chrilicn Vos  frcres ,  a  genou'i , 

«  Atlendent  leur  arr^t.  —  C'esl  i'arr^l  du  courroux !  • 

Livct  porle  au  consell  Timplacable  r(5ponsp. 
On  s'indigne ,  on  Trdmil  du  deilin  qu'elle  annonce. 
Blanchard  s'est  6ctU  :  «  Puisqu'il  le  vcut,  mourons! 
«  Non  par  sa  loi  cruelle,  el  que  nous  abhorrons, 
«  Non  commc  sessujels,  ou  pluWt,  ses  csclares.... 
«  Mais  comme  citoyens ,  ct  de  la  mort  des  braves ! 
<(  Dans  le  champ  de  rhonneur ,  les  armes  h  la  main , 
«  Wfions  jusqu'au  bout  un  vainqucur  inhumain  : 
«  Ce  jour  est  le  dernier..,,  qu'il  soil  le  plus  illustrc! 
«  Qu'un  imroortel  trcpas  le  couvre  de  «on  lustre! 
«  Au  suppllce  un  lyran  nous  a  tous  reserves; 
«  P6rissons  tous  ensemble,  ou  soyons  Ions  sauvfis ! 
«  Sans  distingucrle  rang,  ni  le  scxc,  ni  I'age, 
«  Jusqu'au  camp  de  Henri  frayons-nous  un  passage; 
«  Mais,  avant  de  parlir,  tons  ces  rcmparts  prosrrils, 
«  Que  la  mine  s'embrAse  et  les  change  en  dc'bris, 
o  Et  que  le  conqufirant  cntre  dans  nos  muraillcs, 
«  N'y  triomphe  du  nioins  qu'apfcs  leurs  funCTaillesi  » 

Les  accens  de  Blanchard  clerlrisenl  les  coeurs, 
Et  del'enthoujiasrae  excilent  les  dnmeurs. 
Du  peuple  rassemblt  le  suffrage  iinanimc 
S'associe  aui  conseils  d'un  ronrage  subliiin'. 
En  vain  Le  Bouteillcr,  honic  du  nom  franrals, 


10  LE3    HERDS   DE    ROUEN, 

Pour  lui  vpndre  Rouen  ,  achct6  par  I'Anglais  (1), 
Sous  (Ic  laches  ddlours  masquant  sa  polilique  , 
Vcul  cncliatner  lY'lan  dc  la  verlu  civique; 
En  vain,  de  la  citi?  reprouvant  I'abandon  , 
Pour  priv  dc  la  basscssf ,  il  monlre  le  pardon ; 
Blar-chard  ,  a  ses  rcfus  ,  n'opposc  qu'un  mol:  «  Tratlrc! 
n  Vous  ^oulcz  voir  nos  fronts  souinis  au  joug  d'un  mnilre  ! 
«  Le  mien  se  courbera  sous  le  fer  d'un  bourrcau  , 
«  Avant  que  d'acccptcr  cct  indigne  fardeau!.  » 

Be  rage  transports ,  Guy  hors  dcs  murs  sYlancc  : 

A  Henri ,  de  Blanchard  il  dit  la  violence; 

Son  ascendant  fatal,  et  le  supreme  effort 

Qui  d'un  peuplc  expirant  va  signaler  la  mort.... 

("/nez  Henri,  la  frajeur  a  remplace  la  joie.... 

Tout  pres  de  la  saisir  ,  il  pent  perdre  sa  proie  :  .. 

Pour  imposer  un  frcin  a  ccs  nobles  vaincus, 

5)e  son  inter^t  niemc  il  se  fait  dcs  verlus  : 

Sa  voix  a  proclam6  I'arret  de  la  cK'mence ; 

II  n'y  met  qu'un  seul  prix....  mais  ce  prix  est  immense ! 

Plutut  que  de  flSchir  sous  le  joug  de  ses  lois , 

Blanchard  voulait  msurir....  il  confirme  son  choix. 

Avcc  lui,  dans  Rouen,  il  guide  I'abondance : 

Tout  rcnalt...  mais  tout  plcuie  ,  et  tout  pleure  en  silence  ! 

La  vie ,  avcc  la  paix  ,  rentre  dans  la  citS... 

Au  s6jour  immortcl  un  hSros  est  monlS  (2) ! 


(i^  «  Messire  Guy  Le  Bouleillei-  qui  p.ir  avant  ctoil  CBpllaiue  de  liouen,  se 
>.  rendu  Anglols,  et  fit  sermenl  au  rol  d'Angleterre  ,  en  delaissanl  son  souveraiu 
..  .InHturel  seigneur,  le  roi  dc  France,  dout  moult  fut  Warn*  etreproch^  de  plu- 
..  sieurs  Franroii.  «  Monstrel^t,  rliap.  208.  V.  aussi ,  sur  la  traliison  de  Guy  Le 
Bnuleiller,  les  Mimoircs  dc  Pierre  Fmin  ,  licuyer  et  ptinnitier  de  Charles  VI, 
tome  7  de  la  Collection  da  Memoirei  rclntifs  a  Vllist.  dc  France,  par  M.  Petilot; 
De  Lussan,  Hist,  de  Cluxrlei  VI  ;  Ma»seville,  Hist,  de  Roue?!,  et  Villari-t,  HUt.  de 
France, 

(0  Aux  termes  du  traite  pour  la  reddition  de  TiOiu-n  ,  sign*  le  16  Janvier  T-jlt)  , 
par  Henri  V  et  les  deputes  de  la  \ille,  tout  les  lia\)itants  devaient  avoir  la  Me 
liauvc.  Trois  exceptions  i  cette  disposition  etaieiit  prononcces  centre  Jonrdain  , 
l.ivet  et  lilaiicliard.  Les  dens  premiers  raclietirent  Icur  vie,  a  prix  d'argenl  ; 
Tll.in.liaid    lilt  decapite,   dans    la   place    du  Vicux-JMarclu- ,   le    30  Janvier,  par 


PENDANT    LE   SIEGE   DE    l4l8.  4il 

lldlas !  Ircize  ans  apris ,  dc  I'hiSroTqiie  Jeanne 
Rouen  vit  le  tr(^i)as,  stir  un  l)iVher  [iiofane  (1)1 
A  la  vierge  intrdpide  ,  an  snlilirne  vieillard  , 
La  gloire  ct  le  suppliee  onl  fnil  la  nu^me  part; 
Mais  si  de  leurs  revers  Rouen  fut  Ic  lh6A(re , 
A  leur  verlu  Rouen  doit  un  culte  idolatre  ! 
Si  pour  eus  ,  I'dchafaud  fut  le  prix  des  hauls  fails, 
L'honneur  est  i  la  France ,  ct  I'opprobre  i  I'Anglais ! 

Mais  des  peuples  rivanx  dont  la  lulle  cruelle 
Presageait  i  I'Europc  unc  guerre  tternelle, 
I/antique  inimitid ,  fl6aii  de  I'univers , 
Expire ,  el  laisse  en  paix  et  la  terre  et  les  mers. 
Des  Hers  Plantagenfits ,  des  Valois  inlrfpilcs 
Dorment  dans  le  cercueil  les  haines  homicides, 
Et,  d'lin  pass6  sanglant  la  longuc  adversity 
Ne  renaitra  jamais  dans  la  post^rit^. 

I'orJic  Ju  conqiicrant  qui  ,  la  Teille  avait  pris  posseision  Je  la  rillo.  «  Blanrliartl, 
«  (lit  Villaret  ,  tnoiirut  avec  une  lonstancc  IitToTquc ,  fjiii  aurait  ilii  fairi-  loiipii  le 
<(  vainqueiir.  »  Farin  ,  historien  tie  la  viUc  lit;  Rouen  ,  caract«;iise  ainst  son  di'- 
ffnsciir.  t<  ITomnic  gcu(5rcur  ct  Jigne  (l\''tie  inimortel  dans  Tliistoire,  utaiit  niort 
<«  pour  le  service  du  Roi  et  de  sa  patrie    »»  Farzn  ,  cliap.  5g. 

(i)  Ce  fut  le  3o  niai  i43i  que  I'liero'inc  dc  Doniremy  fut  brulcc  a  Houcn  ,  conimc 
sorciire  j  par  la  main  des  Anglais, 


IMPRESSIONS  ET  SOLVEIMRS, 

Par  M.  R.-E.  TIIURET. 


Je  vous  revois  cncor  ,  rives  (oujotirs  c1i(5rips ; 
Jc  vicns  iC'ver  encore  a  I'ombre  dc  vos  bois, 
Au  front  de  vos  roteaux ,  au  herd  de  vos  prairies , 
Avec  mes  souvenirs  du  bonbeur  d'autrcfois  I 

Saliil ,  champs  paternels,  salut,  riant  bocafje, 
Donx  t(^moins  de  plaisirs  et  d'amniirs  ingdnus : 
Arrondisiez  sur  moi  vos  arches  do  fcuillage; 
Ouvrez-moi  vos  sentiers ,  de  mes  pas  si  connus ! 

Voici  ce  long  ruisseau  ,  couronn(^  d'aub(^pine  , 
Qui  des  (lanes  du  Quesnay  dessine  le  contour  : 
Voici  sa  double  haie  oil  I'orme  qui  s'indine 
OfTre  un  6pais  abri  centre  les  feux  du  jour. 

Gravissons  lentement  ce  tertrc  solitaire 
Dont  I'humble  serpolct  nuance  le  gazon  : 
Couchons-nous  sous  ce  cbdnc  au  d6mc  sc'-culairc  , 
D'oii  I'a'il  aime  a  plonger  sur  un  vasle  horizon. 

Salut ,  mon  bourg  natal ,  au  pied  dc  la  rolline , 
Avec  tes  Irois  clochers  dans  les  cicux  i'laiic6s; 
Augustes  raonumenis  que  la  noble  Leslinne 
Fit  61ever  pour  Dieu  dans  les  siecles  pass6s  (1) ! 

Salut ,  ruban  d'azur  que  ddroulc  la  Dive 
Parmi  ces  peuplicrs  qui  Iremblent  dans  les  airs: 
Descendons  visiter  la  poeliquc  rive, 
Pleine  des  souvenirs  qui  me  sont  le  plus  chers ! 

o 

(i)  Les  trois  clochers  <lc  I'aiu  ieiiiie  .iWiayu  Je  S.iiiil-Pierre-sur  Dive,  fojiile 
p.ir    1.1    eoilltesjc  Ltslinn.;  ,  sreiir    Ju  lUic  Giiillimme, 


IMPRESSIONS    ET    SOLVEMHS.  4,3 

Dieu!quetes  bords  sont  frais !  que  tesflotssonl  limpides! 
Commc,  en  glissant  sans  bruit  k  travers  ces  roseaux  , 
lis  bcrcent  mollement  Ics  corolles  humidcs 
Du  pile  ndnufar  endormi  sur  les  caux  ! 

Comrae  en  les  parcourant,  ces  rWes  forlun6es, 
L'image  du  pass6  s'(;veille  dans  mon  crcur! 
Comme  elle  me  ramcne  h  mes  belles  annfics, 
Et  me  rend  en  ces  lieux  mes  scenes  de  bonheur ! 

Oui ,  doux  tableaux  d'.imour,  mon  cril  voms  voit  ronaKrc  ; 
Je  retrouve  avec  vons  mon  Smc  de  vingl  ans : 
L'un  aprcs  I'autre,  ici ,  vous  vencz  m'apparaltre, 
Dans  toute  la  fratrheur  et  I'dclat  du  pri  nlcmps ! 

Ett-ce  toi,  Cher  objct  d'une  flammc  clernclle? 
Ma  jcune  et  belle  (•pouso,  est-ce  toi  que  je  voi , 
Deux  jours  apres  I'hyraen  ,  dans  la  saison  nouvelle. 
Sous  ces  pommiers  en  fleur  t'asseyant  avec  moi?.... 

Oui  I  voila  bien  son  front  oii  la  candcur  respire; 
Ses  yeux  bleus ,  sous  leurs  cils  voilant  leur  doux  ^cla( ; 
Ses  levres  de  corail  au  gracicux  sourire , 
Et  le  satin  ros6  de  son  teint  d^licat ! 

Je  crois  enror,  je  crois,  sous  ces  ombres  discretes, 
Sentir  en  I'embrassant  s'eihaler  de  son  sein 
Le  vague  et  doux  parfum  des  pAles  violelles 
Que  ma  main  lui  cueillit  sous  le  buisson  voisin ! 

O  tendre  illusion ,  je  me  livre  a  tes  charmesl 
Captive  cncor  long-temps  mon  esprit  enchantd ! 
Dans  mes  yeux  obscurcis  je  sens  roulcr  des  larmes ; 
Mais  des  larmes  d'amour,  pleines  de  volupt6I 

Tombcz ,  larmes ,  tombez  sur  ce  banc  de  verdure .' 
Du  poids  qui  I'oppressait  vous  soulagez  mon  cwur. 

27 


4l4  LMPRESSIOXS    ET    SOtVEMRS. 

Non ,  depuis  son  tr^pas ,  jamais  ,  siir  ma  blossure, 
D'un  baume  aussl  puissant  n'a  coul6  la  douceur  ! 


Amis,  qui  mc  rcstcz  sur  ces  rives  que  j'aime , 
lis  sont  saeres  Ics  mols  que  je  vais  pronoiircr. 
C'est  Ik  men  dernier  voeu,  ma  priere  snprt*me  : 
Quand  je  ne  serai  plus ,  songez  ii  I'exauccr ! 

Si ,  loin  des  lieux  ou  gtt  une  femme  si  chferc , 
!1  fant  (jne  do  ma  vie  expire  le  nambcan  . 
Redemandanl  mon  corps  h  la  lerre  ^Irangere  , 
Placez-le  pres  du  sien  dans  le  mdme  tombeau. 

Et ,  s'il  est  vrai  qu'un  jour,  pr6s  de  la  ccndre  aim(?c. 
La  cendre  d'un  6poux  se  riJveiila  soudain  (1), 
J'irai  chercher  sa  main,  dans  la  biere  enfcrmi^e, 
Et  me  rendormirai  la  tenant  dans  nia  main  ! 


(i)  Lea  cenJres  tVAbeilara  ,  qiianil  Ici  rcstes  J'Heloi\c  furciit  places  <Ians  son 
tombeau. 


LE  PRETRE, 

A     TN    JEUNE    SEUINARISTE, 

Vrils  (Vcnlrei  dans  les  orilrev  sr.cresj 

Par    M.    R. -E.    THURET. 


Modcrne  Samuel ,  dievfi  dans  iios  templ'^s , 
Nourri  dcs  livrcs  saints  el  des  phis  sainls  exemplos , 
D'un  monde  corrompu  soigneux  dc  Cisoler , 
EnCn  done,  au  sortir  de  Ion  adolescence, 
Sur  ton  front  calme  cl  pur,  siege  de  I'lnnocence, 
Le  chrd'me  sacid  va  couler. 

Blent6t,  de  I'Eternel  reprdsentant  supreme, 
Tu  vas  pouvoir  b6nir  et  lancer  I'anathi'me , 
Lier  et  duller ,  clore  et  rouvrir  les  cieux  ; 
Que  dis-je  ?  au  seul  elTet  de  ta  simple  parole  . 
Faire  descendre  Dieu  sous  un  humble  symbole , 
Par  quclques  mots  mystdrieux ! 

Qu'il  est  beau  ,  qu'il  est  grand  ,  ce  noble  ministere ! 
Des  voIonl6s  du  ciel  oracle  sur  la  terre , 
Tu  vas  voir  a  tes  pieds  tous  Ics  fronts  se  baisscr  ; 
Mais  ,  lorsque  le  pontife  a  I'oindre  se  disjose, 
As-lu  bien  mesur6  tout  ce  qu'a  I'homme  impose 
Le  vceu  que  tu  vas  prononcer  ? 

As-lu  bien  refldchi  que,  dans  ce  siecle  dtrange , 
II  faudrait  que  le  pr^trc  eilt  les  vertus  d'un  ange ; 
Que ,  plus  que  ses  discours,  ses  mcrurs  ont  de  pouvoir; 
Que  ses  moindres  erreurs  causent  un  grand  scandalc ; 
El  que,  fait  pour  ddfendre  el  prccher  la  morale, 
L'cxemple  est  son  premier  devoir  ? 


^l6  I.E   rULTUE, 

As-tu  sonde  Ics  reins?  as-lu  scrutc  Ion  aine  ? 
As-tu  puriC* ,  par  la  celeste  flamine  , 
Ce  qu'ils  pourraient  cacher  tie  cup'ules  penchants? 
As-lu  ,  lies  passions  etouffanl  le  munnure , 
Pris ,  pour  vaincre  la  chair  et  dompler  la  nature . 
Un  empire  enlier  sur  tes  sens  ? 

Pourrais-lu  ,  dans  ton  sein  ,  rondamncr  au  silcme 
L'amour-pro'pre  biessii  qu'un  simple  mot  oiTciise  . 
L'orsnoil  (U-cu  ,  plus  prompt  encore  a  s'e.hrjpper  ? 
Pourrais-tu  ,  sms  courroux  ,  cssuyanl  lui  ontra'^e, 
A  rexeinple  du  Christ ,  presenter  ton  visage 
A  ccux  qui  voudraicnt  le  frapper? 

Gardien  sacrd  des  ma?urs  par  ton  seul  caractere , 
Sous  le  ioug  rigoureux  d'une  puiieur  austi're 
As-tu  rang6  ton  coeur  et  captive^  (es  ycux  ? 
Pourrais-tu  sans  danger  voir  une  Ulailelainc  , 
Tremblante  a  tes  genoux ,  oi"!  !o  remorJs  Tamene , 
Faire  de  ptnibles  aveux  ? 

Ah !  crains  de  te  charger  d'une  tachc  Irop  forte  I 
Grains,  en  t'abandonnant  au  zele  qui  t'emporle, 
D'avoir  trop  prfeum^  de  la  vocation  ! 
Crains  de  grossir ,  un  jour ,  la  troupe  criminelle 
De  ces  anges  dechus  de  qui  I'orgucil  rebelle 
Fait  gennir  la  religion  ! 


Mais  que  faic-je  ?  alarmd  par  de  pareils  exemples , 
Voudrai-je  I'^carler  des  parvis  de  nos  temples , 
En  jetant  dans  ton  coeur  un  scrupulcux  cITroi  ? 
Non  ,  vingt  ans  d'une  vie  irreprochable  et  saintc 
Doivent  dans  mon  esprit  dissipcr  toute  crainte 
Pour  tea  vertus  et  pour  ta  foi. 


A    UN    JlitNE    SEMINABISTE.  4'7 

'Son,  pn  suivanl  la  route  h  Ion  ztMe  lrac<5o, 
Nul  inltV^t  mondaln  n'a  guid6  la  prnsiie  : 
Til  si'as  pas  vii  do  loin  ,  pour  ton  secret  orgueil  , 
Iiiillcr  Ics  mi!ros  d'or  ou  la  pourprc  romaiiic, 
Songes  ainliilk'ux  ,  oi'i  la  faii)lcssc  liumaiise 
Trouve  un  inevitable  ^cueil. 

Non  ,  pour  quflque  talont,  don  de  I'esprit  cdlesle, 
Que  noire  vanil6  rend  h(?las !  si  funcsle 
Par  Tabus  scandaleux  qu'elle  en  fait  quelqnefois, 
Tu  n'as  pas  pr^tcndu  ,  rdvant  de  vains  syslemes  , 
Les  iniposer,  un  jour,  jusqu'a  cos  chefs  suprenics 
Dont  tu  dois  rejevoir  lei  lois. 

Non  ,  ployant  les  genoux  et  frappant  (a  poKrine , 
Si ,  loin  du  droit  scnlicr  de  la  saine  doelrii  e , 
Tes  pas,  surpris  un  jour,  lendaient  h  s'(?garer, 
Au  premier  cri  poussC  par  leur  voix  salulaire, 
Abjurant  d';in  moment  I'erreur  involontaire , 
Tu  les  forccrais  d'y  rentrer. 

Va  done ,  a  les  devoirs  Time  ainsi  pr(^par^c , 
OITrir  Ion  front  candide  a  I'onction  sacree  ; 
Va,  pour  i'ordre  du  ciel  pleiu  de  soumission  , 
Soil  au  seln  des  cit6s,  dans  unc  basilique  , 
Soit  au  fond  des  hameaux  ,  dans  un  temple  rustique , 
llemplir  ta  noble  mission. 

Va  ,  non  dans  des  discours  pleins  d'ornemenis  frivoles , 
Non  dins  un  flux  pompeux  de  steriles  paroles . 
Mais  dans  I'liunible  abauilou  d'uii  pieux  cnhrlien  , 
Pri'cher  I'amour  de  Uicu  ,  celui  de  Ion  scmblable. 
El  celte  charil6  facile  et  secourable. 
Premiere  vCrlu  du  Chretien. 

Va  prendre  aux  fonts  sacr^s  I'liomme  des  sa  nalssance ; 
Des  priiceptes  divins  nourris  sa  tendre  enfance ; 


4l8  LE 

Dresse  son  jeune  front  an  joug  du  crucifix ; 
,Mais ,  tout  en  I'inslruisant  dcs  lois  (^vang^liques , 
De  ses  devoirs  prives  et  des  vcrlus  civiques 
Fais-lui  connallre  aussi  le  prix. 

De  ses  secre'ts  penchants  dfpositaire  intime, 
Dirige-les  chacun  vers  iin  but  k^gitime; 
Change  en  lui ,  tu  le  peux ,  par  la  religion  , 
L'orgueil  en  noble  ardeur  pour  clever  son  iimc, 
Une  flamme  impudique  en  une  chaste  damme  , 
L'envie  en  emulation. 

B6nis  dans  son  hymen  celle  qu'il  a  choisie  ; 
Sur  les  asp6ril6s  du  chemin  de  la  vie, 
Comme  un  ange  gardien  ,  guide  et  soutiens  ses  pas; 
Dans  les  biens  ou  les  maux  qu'il  trouve  sur  sa  voie , 
Console  ses  chagrins  ou  modere  sa  joie , 
Et  ne  le  quitle  qu'au  tr6pas. 

Qu'il  trouve  dans  ton  zclc  une  autre  providence; 
Censure  ses  d^fauts ,  mais  avec  indulgence; 
Montre-!ui  le  bonheur  pour  prix  de  ses  efforts. 
Dis-Iui  que  le  mepris  s'altache  aux  pas  du  vice  , 
Et  que  le  crime  henreux,  s'il  fchappe  au  supplice , 
N'echappe  jamais  au  remords. 

Veille ,  au  scin  des  foyers,  a  la  paix  domestique ; 
Dans  les  jours  orageux  de  discorde  publiquc , 
Prcche  a  lous  les  parlis  I'ordre  el  I'amour  des  lois; 
Que  Saiil  et  David  se  disputent  le  trdne  ! 
Laisse  k  Dieu  seul  le  soin  de  fixer  la  couronne , 
Et  de  prononcer  sur  leurs  droits. 

Homme  de  tolerance  et  de  misdricorde  , 
Enlre  les  co?urs  aigris  rdtablis  la  Concorde  ; 
D^sarme  la  vengeance  et  calme  le  courroux  ; 
Chi^ris  tons  les  mortels ,  sans  choix  pour  Icur  bannicrc  , 
Ministrc  de  pardon  ,  de  paix  et  de  priere  , 
Pric ,  et  sois  indulgent  pour  lous. 


A    IN   JEUXE    SKMINARISTE.  4ig 

Mais  que  ta  chariW  sensible  et  diligente 
Veilie  avec  pins  d'amour  sur  la  classe  indigente  : 
De  les  secours  pieux  eilc  a  le  plus  besoin. 
Console  ses  chagrins,  soulage  sa  misere ; 
Des  pauvres ,  tu  le  sais ,  prendre  soin  sur  la  lerre, 
Dc  Dieu  m^me  c'est  prendre  soin. 

Aux  traits  de  ta  raison  que  leur  5rae  s'^pure! 
Apprends-leur  a  souffrir  leur  peine  sans  murmure, 
A  ne  pas  s'irriter  a  Taspect  des  heureux. 
Pr^viens  leur  d^sespoir ,  souliens  leur  esp^rance ; 
Dis-leur  que  le  travail,  Tordre  el  la  temperance 
Rendront  leur  sort  moins  rigoureux, 

Voili  de  tes  devoirs  les  plus  indispensables ; 
Remplis-les  humblement  dans  les  jours  p6rissables, 
N'ayanl ,  pour  t'exciter  que  Dieu  devant  les  yeux ; 
Sans  craindrc  le  m6pris  ,  sans  chercher  la  louange. 
Par  simple  amour  du  bien  ,  sois  ici-bas  un  aoge. 
Pour  elre  un  ange  dans  les  cieui. 


UOMMAGE 

21    VHcabimu    ht   Caen  , 

Par  M.  Thkodore  LE  BRETON , 
Ouvrier  de  Rouen  (t). 


Quand ,  par  un  deslin  trop  severe , 
L'oiscau  que  vil  eclorc  un  cicl  de  liberie , 
Est  par  la  main  de  I'liomme  arrache  de  son  aire , 

Pour  subir  la  caplivile  ; 


(1)  Le  20  Janvier  1838 ,  M.  Th(^odore  Le  Erelon ,  qui  est,  comme 
il  signe  loujours,  oui'tier  de  tionen  ,  fi:t  rofu  nieniLire  (!e  rAraiiS- 
mi'e  de  Caen.  II  dnt  ce  litre  a  l"cnvoi  de  son  renieil  de  i)o6sies,  iii- 
Htu!(5  Heurrs  de  rep(js  d'lin  mnner,  doiil  la  1".  fdilion  pan  I  en 
1837.  Qucique  connu  que  soil  ce  pocle  ,  on  relira  sans  doule  avec 
inlcret  le  passage  suivanl  cmprunl6  a  la  IN'oiice  niisc  en  lele  de  son 
volume  : 

«  C'esl  st'ulenient  le  malin,  quand  Le  "Breton  pari  dc  choz  iui 
pour  aller  a  sun  Iravail  ,  c'esl  scuicmenl  alors  que  la  po^sic  vicnla 
Iui ,  I'enleve  el  I'emporte !  Elle  est  dans  le  ciel ,  sombre  ou  bleu  , 
dans  lesarbres  de  la  route,  dans  les  coleaux  loinlains,  danslesoicil 
qui  se  leve  cu  dans  I'ouragan  qui  sifDc,  el  surlout  dans  le  grand  air 
qii'il  aime  tanl  a  respirer !  EIlc  cscorle  le  prolelaire  ,  ct  Iui  fail  le 
che;;iin  bien  brillanl  et  bico  court.  El  puis,  quand  il  arrive  a  son 
atelier,  il  Iui  dil  adieu  el  la  laisse  a  la  porle,  comme  I'espi^rancea  la 
porle  de  rEafer!  Mais  elle  y  resle  Odelcmcnt  jissqu'a  la  nuit,  pour 
I'esrsrler  encore  a  son  rcliiur  el  grimperavcc  Iui  dans  sa  moiiesle 
demcure ,  oi'i  ralletident  sa  jeune  femmc  ,  sa  petite  f.lle  el  sa  vieille 
niere  ,  el  son  ind(''pendancc  et  ses  iliusions. 

<"  II  i;e  m'esl  pas  permis  de  voiis  faire  pfn^lrer  dans  eel  in!(?rieur, 
oil  la  vcrlu  obscure  cl  la  sainle  puJcur  I'es  aiTcrlions  de  famiile  se 
cachcnl.fous  un  voile  dc  tsiodeslie  q':e  ramilie  la  plus  inlimc  peul 


HOMMAGE    A    l'aCADEMIE    DE    CAE>'.  421 

Loin  des  cieux  enibauincs  par  les  flours  du  bocagc  , 
Qu'il  devait  rcspirer,  libre  dans  scs  pcnchanls , 
Pauvre  esclave  ,  enchaine  dans  le  fond  de  sa  cage , 
Ce  barde  pour[toujours  a-t-il  perdu  ses  chants  ? 


sciile  soulever.  Mais  si  vous  pouviez  eutrer  avec  moi  par  cede  porte 
6lioi!e  el  basse,  qui  force  k  se  courber,  comme  pour  un  salul,  tous 
ceux  qui  vculcnl  arriver  auprcs  du  poeleproi^taire;  si  vous  pouviez 
escalader  eel  escalior  noir  et  lorlueux ,  et  voir  s'ouvrir  devant  vous 
cetlemansarde  oil  le  soleil  coucliaiil  r^pand  a  grands  flols  la  mi^-lan- 
colie  (!e  sesderniers  rayons,  alors  vous  dcvineriez  que  lout  cc  qui 
habile  celle  modesle  demeure  doil  <?lre  pur,  bon,  noble  el  religleux. 
L'aecueil  simple  cl  bienveillant  des  hdtes ,  la  propret6  minulicuse 
ct  I'ingenieuse  coquetlcrie  qui  ornonl  leur  cLambrelte  ,  tout  fait 
comprcndre  que  le  bonheur  el  la  pais  domestique  sent  la  caches 
sous  I'iiidigcnce.  Parmi  ces  nieubles  dont  une  indispensable  n^ces- 
sil6  a  scule  ri'gl6  le  choix  ,  il  en  est  un  qui  arr^le  les  regards  :  c'est 
une  polite  tablette,  toutepelite,  qui  supporte  quelques  pelits  vo- 
lumes ;  c'est  loute  la  bibiiollicque  de  Le  Rrelon.  A  ce  propos,  je  ne 
dois  pas  vous  (aire  que  Le  Breton  cslde  la  pluscharmanle  ignorance. 
Son  ame  candide,  son  esprit  droit ,  et  son  coeur  gen^rcux,  n'onl  pas 
(5l6corronipus  et  fauss(^s  par  la  lecture.  Le  Breton  n'a  presque  ricn 
lu,  cl  i!  fera  bien  de  ne  pas  conipromclire  sesqualilcs  naturelles 
dans  le  chaos  de  noire  liltCrature.  Qui  sail  sur  quoi  il  tombcrait? 
Aussi  sa  poSsie  a-l-elle  un  caractere  distinct,  qui  la  met  bien  4 
pr.rt  de  toulcs  les  po&ies.  C'est  rinspiration  la  plus  naive  ,  I'exprcs- 
sion  la  plus  limpide,  qui  sent  porli'cs  sur  le  papier  avec  une  ado- 
rable barbaric  de  caracleres  et  une  cacophonie  orlhographique  tene- 
ment elrango  ,  qu'clleembarrasserail  un  dechilTreurd'hii'roglyphes, 
si  les  idc'cs  cl  les  mots  n'etaicnl  pas  lies  par  un  encliaincment  assez 
logique  cl  asscz  clair,  pour  que  lout  se  comprenne  ou  se  devine.  Ce 
n'est  pas  un  m(?diocre  plaisir  que  de  voir  le  bon  sens  et  la  raison  se 
inonirer  dans  ce  costume  bizarre,  au  milieu  de  toulcs  les  soKiscs  et 
de  toulcs  les  absurdil^s  que  Ton  ^crit  a  peu  prcs  correctcmenl  au- 
jocrd'liui.  Mais  il  y  a,  au  milieu  de  loutcela,  une  chose  d'aiitanl 
plus  IVappanIc,  ipi'dle  semble  incxi)licable.  Comment  se  fait-il  (lue 
Le  Breton  qui  cstropic  impitoyablcmcnt  rorlhugraphe,  ail  un  res- 


422  HOMMAGE 

Non  :  des  que  le  prinlcnips  do  sa  main  tutelairc 
Rcvicnl  parcr  nos  clianips  dc  nouvcllcs  coulcurs 
Dis  qu'cn  passant  il  a  sccouc  sur  la  terre 
Sa  tunique  plcinc  dc  flcurs ; 

Aussil6l  qu'un  rayon  du  boau  soleil  qui  dorc 
Le  Wane  nuage  a  I'horizon  , 
Ainsi  qu'un  brillant  nicteorc , 
Revienl  eclaircr  sa  prison ; 

pect  Inslinctif  pour  la  grammaire,  et  ne  se  permcUe  envers  die  que 
de  tr^s-rarcs  et  de  tr6s-16geres  offenses  ? 

«  Une  scale  chose  est  a  regretler,  c'est  que  Lc  Breton  ii'ait  pas  (5(6 
assez  oiivrier  dans  ses  chants.  Sa  po6sie  n'cst  pas  de  la  po6sie  de 
proletaire  ;  au  lieu  de  se  laisser  aller  a  rexrellenceel  i  la  nouveautd 
de  sa  position,  le  poele  ouvrier  s'esl  resserr6  dans  un  genre  qui  ap- 
partienl  a  tout  le  monde,  lui  qui  pourrait  si  faciienient  avoir  un 
genre  h  lui.  Mais,  6coutez:  il  y  a  bicn  long-temps  que  ce  reproche 
a  H&  fait  a  Theodore  Lcbrcton,  et  savez-vous  ce  qu'il  a  r^pondu? 
II  a  chant6  I'Oiseau  capiif .'  Lisez  celte  admirable  plainte,  cet 
harmonieux  sanglot  de  la  douleur  r6sign6e,  et  vous  ne  reprocberez 
plus  rien  au  poele  ouvrier.  C'est  que  ccliii  qui  louche  au  Dieu  du 
jour  lui  est  sacri06  comme  une  victime  ;  c'est  qu'il  est  des  choscs 
que  I'ouvrier  qui  veut  vivre  ne  doit  pas  dire  m^me  en  beaux  vers. 
C'csl  que  I'allegorie  ,  que  le  d^vergondage  et  le  cynisme  de  noire 
6poque  veulent  d6pouillcr  de  ses  vetemenls  m6mc  les  plus  diaphancs, 
doit  se  r6fugier  auprcs  de  rouvrier  qui  pense  et  qui  6crit  ses  pens^es, 
afin  de  les  cacher  derriere  son  voile  le  moins  transparent.  Et  puis 
LeBrelon  connaltbien  ceux  qui  vivent  depuis  lant  d'ann(5esavec  lui 
sans  le  connaltre.  II  les  connatt  bien  ,  et  il  ne  Icur  a  jamais  laissc 
deviner  ce  qu'il  6tait;  il  sail  bien  qu'ils  seraient  jaloux  dc  lui,  au 
lieu  d'cn  dire  fiers.  Et  il  las  aimc,  car  il  ne  se  plaint  pas  devant  eux, 
de  peur  qu'ils  ne  s'apercoivent  qu'ils  souffrent  aussi.  Et  il  sail  bien 
que  leur  soulTrance,  au  lieu  de  montcr  vers  le  ciol  en  prieres  et  en 
cspi^rance,  comnie  la  sicnne,  se  lordrait  sur  la  ierre  en  horribles 
convulsions.  II  les  alme,  car  il  fait  pour  eux  lout  ce  que  Ton  peut 
faire  de  plus  cflicace  et  de  meilleur  :  il  leur  donnc ,  depuis  vingl- 
<.Lnq  ans ,  rexemple  de  I'ordre ,  du  travail  et  de  la  resignation.  » 


A   L'aCADEMIE    DE    CAEN.  423 

Sous  une  celeste  influence , 
Joyeux  conimc  au  milieu  des  bois  , 

Soudain  I'oiseau  captif ,  plein  de  reconnaissance. 

Pour  chanter  la  nature  a  rctrouve  sa  voix. 

C'est  ainsi  que  I'liumble  pocte  , 
Que  rinfortunc  enchaine  en  son  vol  incertain, 
Reveille  Ics  accens  de  sa  lyre  muette  , 

Quand ,  pour  rclever  son  destin  , 

De  gencreux  savants  jusque  dans  sa  chaumierc, 
Ou  s'abrile  I'adversile , 
Font  luire  un  rayon  de  lumiere 
A  Ira  vers  son  obscurite. 

II  rctrouve  sa  voix ,  lorsqu'une  voix  amie 
Vienl  le  frappcr  de  ses  eclios ; 
Lorsqu'une  illustre  Acadcuiie , 
L'unit  a  ses  doctes  travaux. 

Eepoussant  de  I'orgueil  la  coupe  cnpoisonncc  , 
Dans  la  sphere  du  pauvrc ,  oil  Dieu  placa  ses  jours, 
Rcsigne ,  subissant  sa  triste  dcslincc , 
Aux  plus  rudcs  travaux  enchaine  pour  toujours; 

A  son  ame  reconnaissante , 

Qui  va  redoublcr  ses  transports , 
Dans  ses  soirs  de  repos ,  toujours  il  dira  :  Chanle ! 
Vers  ceux  qui  font  conipris  clcve  tcs  accords! 

Rouen,  mars  1838. 


AUX  POETES. 


DITIIYRAMBE , 

Par  M.  Theodore  LE  BRETON , 
Ouvrier  dt-  Rouen. 


Bans  un  siecle  oil  la  voix  do  1  amc  osl  profanee  , 

Oil  loulc  flcur  c!u  del  Irouve  raiidilc; 

Quand,  au  pied  du  vcau  d'or ,  la  loule  prosleriicc 

Invoque  Ic  demon  de  la  cupiditc; 

Aiors  que  le  nicpris,  conime  une  main  glac^o  , 

Dcsseclie  et  brise  au  front  I'idealc  pensce 

Qui  dans  tousles  temps s'eleva; 

D'un  superbe  dedain  saisic, 
Quand,  s'eloignaiit  du  cffur,  I'augustc  Po6sle 
Fait^cntendre  ces  mots :  —  La  voix  dc  I)ieu  s'en  va ! 

Poetes ,  que  Ton  voit  eneorc 
Adorer  cette  reine  au  troiie  radieux  ; 
Vous  ,  les  jeunes  amans  que  son  amour  di^corc 
Dcs  perles  que  sa  main  va  derobcr  aux  cieux  ; 

Vous  qui  reirempez  voire  vie 

Dans  les  Hots  de  son  harmonie, 
Vous  qui  vous  rechauffez  a  son  celeste  feu  , 
Vous  qui  ,  de  ses  fleurs  dor ,  fouiliez  lous  les  calices, 

Et  goiitez  toutes  les  deiiccs 
Que  gotltent  les  elus  a  la  face  de  Dieu  ; 

Faut-il ,  pour  vous  soustraire  au  dedain  de  la  foule  , 
EloufTer  dans  vos  coeurs  vos  reves  eticliaiiles  ? 
Faul-il ,  sous  les  debris  d'un  inoiiumenl  qui  croule, 
Engloutir  a  jamais  vos  chastcs  voluples? 
Faut-il  briser,  aux  pieds  de  vos  sainlcs  collines , 
L'instrumcnt  ou  vibraient  tant  de  gamnics  divines? 


AlZ    POETES. 

I)c  voire  amc  faut-il  caclicr  I'ardcnt  rayon? 
Dc  la  sphiTo  ombauim'-c  oii  vous  rotirnt  tin  ango, 
Faul-il  vous  voir  (onibcr  au  milieu  tic  la  fang-o , 
Oil  d'un  mondc  grossier  roulc  Ic  tourbillon  ? 

Non  ,  non  ,  sous  sa  bouillanto  st-vp  , 

Que  voire  front  qui  s'est  penclic, 

Avec  plusd'arfleur  se  rcleve, 
Sillonne  par  Icclair  qu'il  rofenail  cache  ! 
Jliiudlls  et  repousst's,  ainsi  que  loul  propliele  , 
I-aissez  gronder  I'impie  c!  niontez  jusqu'au  faito 
Du  calvaire  ou  pour  vous  d(-s  f cmplcs  vont  s'ouvrir. 
Conime  un  noble  deliris  respcctc  des  orages, 

Dcbout  au  milieu  des  naufrages, 
riancz  sur  I'Ocean  qui  vcul  vous  cngloulir. 

PIcins  d'un  robuste  espoir ,  dcployez  votrc  voile , 
Kt  voguez  vers  Ics  cliamps  que  promel  I'avenir. 
Toujours  a  vos  regards  resplendira  I'cloile 

Que  nullc  ombre  ne  pent  lernir. 
Sur  Ic  not ,  dedaigncux  de  votrc  accent  qui  passe, 
Promcnez  en  vainqucurs  votre  superbe  audace  ; 
Deux  pharcs  en  avant  eclairent  vos  chcmins : 
De  Hugo  sur|vos  ncfs  le  pavilion  domine, 

Et  le  soldi  de  Lamartine 

Vous  lance  scs  rayons  divins. 

Que  vous  iniporte ,  a  vous ,  que  lb  profane  ccoulc 

Les  accords  exhales  de  vos  sublimes  vers? 

Des  cieux  ou  vous  planez  n'avez-vous  pas  la  votile 

Qui  retentitde  vos  concerts? 
Lorsque  vous  meditez  un  eloquent  myslere, 

Votre  esprit  n'csl  point  solitaire  : 
Donnant  un  libre  cssor  a  ses  nobles  penchants , 

Dans  sa  solitude  profonde, 
Le  poete  inspire  sail  se  crcer  un  mondc 
Donl  la  voix  applaudit  k  Tccho  de  ses  chants. 


4i>.5 


426  AUX    I'OETES. 

Dc  I'astre  qui  vous  luit  suivez  toulcs  Irs  pliasps, 
Hardis  navigateurs ,  qu'on  ne  pcut  arretcr. 

Le  bonheur  est  dans  vos  extases , 
Par  rinspiration  laissoz-vous  omporter. 
De  vos  ccnseurs  jaloux  ,  sans  rcdoutcr  le  blame . 
Fenimes  au  coRur  dc  feu,  laissez  s'ouvrir  voire  ame 
Aiix  reves  consolans  qui  calmcnl  les  doulcurs ; 
Laissez  fondrc  sur  vous  les  Iraits  de  I'ironie  : 

Toujours  le  soleil  du  genie 
Consuma  le  venin  repandu  sur  ses  lleurs. 

L'enlhousiasme  au  sein  ,  marcliez ,  hommes  d'clite , 
Poetes  genereux  sorlis  de  tous  les  rangs ; 
D'un  plus  vaste  horizon  franchissez  la  limite. 
El  de  rimmensile  devencz  conqueranls  ! 

Marchez  ,  enlraincs  par  la  gloire ! 
Plus  le  peril  est  grand ,  plus  grande  est  la  victoire; 

Plus  le  Iriomphe  a  mcrilc. 
Les  yeux  sur  I'avenir,  redoublez  dc  courage! 
Pour  recompense ,  un  jour ,  les  pcuples  d'un  autre  age 
Voilront  votre  memoire  a  rimmorlalile! 


or  VR  AGES 


OFFERTSAL'ACADEMIE. 


OIVRAGES  ()iFi:SITS  A  I'AaDOIIK. 


MM. 


Ajianton.  Polices  sur  M.  Chahllon  tt  siir  M.  Toroiii- 
biMl.  —  Noiice  sur  feu  lo  marquis  de  Tiivait!.  — 
Elogs  (le  M.  le  marquis  de  Courlivron. 

Bateman.  a  pralica-  (realise  on  the  law  of  auctions. 

Beaifoy.  Nautical  and  hydraulic  experiments. 

Bergei!.  T)u  role  de  I'l'niversite  sous  le  rJ-gime  de  la 
liberie  de  I'enseignement.  —  Proclus  :  exposition  de 
sa  doctrine.  —  DerheloricA  :  quid  sit  secundum  Pla- 
tonem. 

Beutuaxd.  1)u  gcut  ot  de  la  bcatile  considcree  dans  Ics 
productions  de  la  nature  el  des  arts. 

Beuzevili.e.   I,es  petits  enfants  ,  poesies. 

PorciiAP.LAT.  Le  cbolera-morbus  et  autres  poemes. 

BoiLATiGMEH.  De  la  fortune  publiquc  en  France  el  de 
son  administration  ;  tomes  i  et  ■->. 

0,8 


./|3o  OIVRAGES 

Brongmaut.  r'.  Momoirc  sur  les  Kaolins  ou  argilos  a 
porcelaine. 

BuNEL.  Rapport  sur  los  Iravaux  do  la  Societe  pliilhar- 
monique  du  Calvados  pendant  I'annee  1829. 

€aillel'x.  Dcs  causes  de  la  diminution  du  commerce 
des  chevaux  en  Kormandie. 

Canonge.  Le  Tassc  a  Sorente;  Terentia  ;  le  Monge  des 
lies  d'or ,  poemes. 

Castel.  La  Fee  d'Argouges ,  legondc. 

Cal'vin.  Essai  sur  I'armorial  du  dioc'-so  du  Man;..  — 
Supplement  a  I'Essai  sur  la  slatislique.  —  Observa- 
tions topograpliiques  sur  le  diocese  du  Mans. 

Chastelain.  Etrennes  a  la  jeuncsse.     ' 

Ches>on.  Essai  sur  I'histoire  naturelle  de  la  Norman- 
die.  —  Mineralogie  clemcntaire. 

C1101.ET  (F.).  Memoirc  sur  la  peste  qui  a  rcgn6  a  Cons- 
tantinople en  1834. 

CiiupiN  {Emma).  De  1  etat  de  la  musique  en  Normandie 
dcpuis  le  IX''.  siecle. 

Daniel.  Tableaux  synoptiques  de  geograpbie.  —  £le- 
nients  de  geograpbie  ancienno  et  uiodcrne  conipa- 


OFFKKTS    A    l'aCADEMII:.  43 1 

rees.  —  Abre<fo  chronologique  de  I  histoire  univer- 
scllc. 

De  Banneville  {Gaston).  Souvenirs  d'lin  voyage  en 
Angleterre. 

De  Caimont.  l^Iemoire  g^ologique  sur  quelqups  ter- 
rains tie  la  Noniiandie  otcisk'nlale.  —  Essai  sur  I'ar- 
chileclure  roligicuse  du  moyea-age  ,  principaleniont 
enNormandic— LesITugucnofsetlaSt.-Barthelcniy 
iLisieux,  1562 — 1572. 

De  Fokmeville.  Extrait  d'une  Notice  sur  les  Francs- 
Brements-Canoiuiicrs  de  la  ville  de  Caen.  —  Nolicc 
sur  les  elofles  de  laine  de  Lisieux. 

De  FitvNCE.  Tableau  des  corps  organises  fossiles. 

De  GoiRNAY.  L'Art  d'aimcr  d'Ovide  ,  haduit  en  vers 
francais. 

* 

De  Hajimeu.  Pensecs  de  Tcmpereur  Marc-Aurele , 
Iraduiles  en  persan.  —  Milhriaca  ou  les  l\Iithriaques. 

De  laFontenelle.  Revue  anglo-franraisc. 

De  la  Renai'diere.  Notice  sur  le  royaumc  de  Mexico. 
—  Essai  sur  les  progr^s  de  la  geographic  dans  I'intc- 
ricur  de  rAfricpie. 

Des  Essaks.  Catherine  de  Lescun.  —  Quatre  annocs 
du  regnc  de  Louis  XIII  ,   1G18-1G32. 


43?.  OUVRAGES 

D  HoMBiiES-FiRMAs.  Rccucil  (le  Memoires  cl  d'obscr- 
vations  de  physiijiie  ,  de  mcteoiolo<iie  ,  d'agriculluie 
et  d'bistoire  naturclle.  Tomes  2  ct  4- 

DoYEEE.  Lecoiis  d'bistoire  naturelle. 

DuBuc.  Traite  sar  les  parements  et  encollages  dont  se 
servent  les  tisserands. 

Duchesne.  Trailtrdu  mais  ou  du  ble  d^-  Tuiquie» 

DuHAMEL.  Antigone  ,  tragedie. 

DiMONT  d'Uuville.  Enumcratio  planlaiuni ,  etc. 

Dumas  (J.-B.).  Eloge  bistoriqiin  d'Anloinc-Franrois- 
Marie  Artaud. 

Duval.  De  Tarrangement  des  sccondes  dents.  —  Ob- 
servations pratiques  siir  la  sensibilile  des  substances 
dures  des  dents.  —  Notice  sur  les  travaux  entropris 
sur  les  dents  ,  en  France  ,  depuis  179". 

Gaueron.  Statistiquc  do  rarrondisseinent  dc  Fala'se. 
—  Camille  ou  le  patriotisme. 

GiRARDiN  (M.  J.).  Rapport  sur  le  petrisscur  meeaniqtift 
dc  ^LM.  Cavclier  ,  Frerc  et  C"''.  —  Notes  sur  deu\ 
sortes  particulieres  de  savon.  —  3''.  Rapporl  sur  le 
papier  dit  do  surete  do  ISi.  Mozart.  —  Do  la  I'crro- 
line.  —  Rapport  sur  Tappareil  etabli  a  Tbospiec  ge- 


OFFERTS    A    L'aCADEMIE.  433 

noral  de  Rouen  pour  I'extraction  dc  la  gelatine  des 
OS.  —  Observations  sur  le  poirier  Saugicr  et  sur  ses 
produits  ,  suivies  de  quelques  considc^rations  g6ne- 
rales  siir  la  fabrication  des  cidres.  —  Rapports  sur 
un  cafe  avarid  par  I'eau  de  iner. — Discours  pron  >»ce 
!c  3  juin  i834)  'i  I'ouverture  du  Cours  d'application 
fait  a  I'Ecole  de  chimic  de  Rouen.  — Quelqucs  autres 
brochures. 

GuiLLAUME.  Etudes  sur  La  Fontaine.  —  Observations 
sur  la  litterature. 

Herault.  Memoire  sur  les  principales  rocbes  qui  com- 
posent  le  terrain  interniediaire  dans  le  departement 
du  Calvados. 

Hericart  de  Thl'ry.  Dessechement  des  terres. 

llERviEt'.  Essai  sur  I'eleclricite  atmospherique. 

lIouEL  [Ephrem).  Des  differenles  especes  de  clievaux 
en  France  ,  depuis  les  temps  les  plus  anciens  jusqu'a 
nos  jours.  —  Tableau  synoptique  des  nioyens  de  con- 
nailre  I'age  des  clievaux  par  I'inspection  des  dents. 

—  Le  Mont  Saint-Michel.  —  Le  cheval  noir  et  la 
marque  blanche. 

IIl'rel.  Bataille  de  Tinchebray  (■',7  septembre  1106). 

—  Le  Cicerone  de  St. -Pierre. 

Jacqi'emart  et  Bazi.n.  Annales  frant^aises  el  etrangeres 
d'anatomie  et  de  physiologic. 


^3:^  OLVRAGES 

Jamet  (I'abbe).  Memoires  du  cardinal  Pacca. 

JuLLiEN,  de  Paris.  Essai  d  education  physique,  morale 
ot  inlellectuelle.  —  Essai  sur  I'dnploi  du  temps.  — 
Esquisse  dun  Essai  sur  la  philosophie  des  sciences. 
—  Poesies  poliliques. 

LAnouDERiE  (I'abbe).  Dissertation  religieuse  sur  Ro- 
binson Crusoe.  —  Notice  bislorique  sur  Zwingli. 

Lair  (P.  A.).  Memoires  de  la  Sociele  royale  d'agricul- 
ture  et  de  commerce  de  Caen.  —  Rapport  sur  la  5^ 
exposition  des  produits  des  arts  du  Calvados. 

Lambert.  Memoire  sur  la  bataille  de  Formigny.  — 
Notice  bistorique  sur  rarrondisscnient  de  Bayeux. 

Lange.  fiphemerides  normandes. 

Le  Bretox  [Theodore],  lleurcs  de  repos  d'un  ouvrier  , 
poesies. 

Le  Brun  [Isidore).  Tableau  statistique  et  politique  des 
deux  Canadas. 

Lecerf.  Philippe  et  Henri  ,  dialogue  politique.  —  De 
I'extinction  de  la  mendicite. 

LiciiALDii  d'Amsy.  Antiquitcs  anglo-normandcs  de 
Du  Carel  ,  traduitis  en  fran(;ais. 


OFFERTS    A    l'aCADEMIE.  435 

FjE  Flagcais.  Poesies  elegiaqucs.  —  Missolonghi.  — 
Le  relablissement  de  la  statue  de  Louis  XIV  a  Caca. 

—  Melodies  franraises  el  chants  sacres. — Lc  cMteau 
de  Falaise.  —  Noiivelles  melodies  franc aises.  —  Les 
IVeustrienncs.  —  Etudes  du  siecle  et  pages  du  cocur. 

—  Epitre  lilleraire. — A  M.  Dumont-d'Urville,  sur  le 
relour  de  I'Astrolabe.  —  Discours  d'inauguralioa 
pour  le  theatre  de  Caen.  —  Marie  d'Orleans  ,  chant 
de  deuil.  —  Poesies  d'une  jeune  Aveugle. 

Lemercier  [Ncpomuccne).  La  grande  semaine.  —  Le 
Iriomphe  national.  —  Hommage  a  la  memoire  du 
poinlre  David.  —  Fragment  d'un  poeme  intitule 
Moise.  —  Sur  la  decouverle  de  I'ingenieux  peinlre 
du  Diorama. 

Le  NoiJLE  Albert  du  Bayet.  —  Les  Nudzadelphincs  , 
croquis  poetiqucs. 

Le  Salvage.  Rccherches  sur  le  developpcment,  I'orga- 
nisalion  et  les  fonctions  de  la  membrane  caduque.  — 
Memoire  theorique  et  pratique  sur  les  luxations 
dites  spontanees  ou  consecutives  ,  et  en  particulier 
sur  coUes  du  femur. 

Ma.ncel  [Georges].  Notice  des  tableaux  composant  le 
musee  de  Caen.  —Notice  sur  les  salines  de  Norman- 
die  ,  parlicuiiercment  sur  cclies  de  Touques  et  d'lsi- 
gny.  —  Notice  sur  la  bibliolhequc  de  Caen.  —  Caca 
sous  Jean-sans-Terre. 


436  OUTRAGES 

Mangon  de  la  Lande.  Essais  historiques  siir  les  aiili- 
quit^s  du  departemcnt  de  la  Ilautc-Loire.  —  Jie- 
nioire  sur  Samarobriva.  —  Dissei'lalion  sur  Saina- 
robriva  ,  ancienne  ville  de  la  Gaule. 

Martin.  Memoiie  sur  les  oeuvres  poetiques  de  Des- 
poites,  de  Bertaut  ,  de  Malherbe ,  de  Racan  ,  et  de 
quelques  poetes  de  la  nii'ine  e{)oque. 

Marti??  [jeune).  Eloge  hisloriquo  de  Pliilibort  Paral. 

Massot.  Discours  prononce  A  I'audience  solennelle  du 
1 1  novembre  1837. 

Mollevaut.  L'Eneide  traduile  en  prose.  —  Tibulle 
(raduit  en  vers.  —  Chants  sacres.  —  Pensecs  en  vers. 

Pescbe.  Chansons,  poi^sies  diverses,  theitre.— Opus- 
cules agricoles.  —  Des  avantages  qu'offre  1  cUuie 
sinmltanee  de  rhistoire  et  des  antitjuiles  nationales, 
ou  Introduction  au  Cours  d'archeologie  historique 
ouyert  au  Mans  ,  le  3o  novembre  i835.  —  Diction- 
nairc  topographique,  historique  el  statislique,  de  la 
Sarllie  ;  4  ^f>'-  —  Biograpliie  et  Bibliographie  ;  i"  . 
partie. 

PiLLET  (  Viclor-Evremont],  Saint-Lo  ,  poeme  latin  (hi 
(luillaiune  Ybert ,  traduit  en  prose.  —  Notrc-Dame 
de  la  Delivrande.  — Serlon. 

Pii.LON.  L'art  d  ecrire  dc  la  main  gauche. 


OFFEIITS    A    l'aCADLMIE.  4^7 

PoLiNitRE.  Mcmoire  sur  Ics  hopitaux. — fitiidcs  di- 
niques  sur  les  emissioiss  sanguines  ailificiclles.  — 
Essai  sur  la  puberle. 

Prodho.'hme.  Formulaire  anglais  pour  la  pharmacie. 

QuENTiN  [Ch.)  Samarobrivo  ou  Sl.-Quenlin. 

Rev.  rjssorlalion  sur  Regulus. 

RocQLANCouRT.  Couis  elcnienlairc  d'art  et  d'liisloirc 
mililaire. 

Saisset  [Emilc).  QEnesideme. 

Salm  (la  Princesse  de).  Pensees.— Poesies,  3'-.  edition. 
—  Outrages  divers  en  prose  ,  suivis  de  Mes  soixanle 
ans. 

Saktarem  (le  vicomle  de).  Memoire  sur  les  connais- 
sances  scientifiqiies  de  Jean  de  Caslro.  —  De  I'intro- 
duclioa  des  procedes  relalifs  a  la  fabrioalion  des 
elofles  de  sole  dans  la  Peninsule  Lispaniqiie  sous  la 
doiuinalion  des  Arabes.  —  Introduction  au  tableau 
clemenlaire  des  relations  poiilitpies  et  diploinali([ues 
du  Portugal  avecles  differentes  puissances  dumonde. 
— Vasco  de  Gania  el  Florida  Blanca,  articles  cxtrails 
de  I'Eucyclopedie  des  gens  du  nionde. 

SrorTEiTEN.  Coniple-rendu  des  Iravaisx  de  laSociele 
des  sciences  nieJicalesdu  departetacnt  de  la  Moselle. 


458  OUVRAGES 

Serrurier.  Compte-rendu  dcs  (ravaux  dc  la  Soclcle 
de  mededsie  pratique. 

Simon.  Commentaiie  de  Proclus  sur  leTimee  dePlaton. 

Spe>cer-Smith.  Le  festin  d'Alexandrc  oti  le  pouvoir 
de  la  nuisique.  —  Discours  prononce  a  TAcadeinie  de 
Caen,  le  25  mai  i832.  —  Wislh.  Traile  metliodique 
des  regies  et  maximes  de  eejeu.  —  Memoire  sur  la 
culture  de  la  musique  dans  la  ville  de  Caen.  —  Des- 
eriplion  d'un  monument  arabe  du  moyen-age  ,  con- 
serve a  Bayeirx. — Coup-d'oeil  sur  I'Angleterredepuis 
j>484jusqu'en  i5o9,discourslua  TAcademiede  Caen. 

Suel'r-]Merli.\.  De  I'etat  actuel  de  la  geograpliie  ma- 
Ihematique  en  Espagne  el  en  Portugal. 

Taill£fer.  Guide  de  la  vie  humaine. 

T.u..i,m.VT  (le  baron  de).  Epitrc  au  comte  de  Paris. 

Thiebact  de  Ber\eaud.  Compte-rendu  des  travaux 
de  la  Sociele  liuneenne  de  Paris,  annees  1822,  1825 
et  1826. 

Tuoi>ii>e-Des.>!az'jres.  Cooinienlaire  sur  le  code  dc 
procedure  ci\ile. 

TuL'RET  {Robcrt-Eticnnc).  Chants  rcligicux  et  nielan- 
colijucs. 

Travers   [Julien).  Annuaire  du  depar lenient    de  !a 


OFFERTS   A    l'aCADEMIE.  439 

Mancbe  ,  1829  -  1840  (  collodion  complete  ).  —  Au 
peuple,  siir  le  cbolera-morbus. —  Les  Vaux-de-Vire 
editcs  et  inedits  d'OIivier  Basselin  et  de  Jean  Lc 
Houx.  —  De  rinstruclion  primaiio.  —  Les  Disliqucs 
de  Muret ,  imites  en  quatrains  francais. — De  I'avenir 
de  la  litleiature  fianraise.  —  Dionysii  Catonis  Dis- 
ticha  de  moribus  ad  filium  in  gallicos  versus  trans- 
lata  ,  quibus  accedit  ,  ad  explanandas  quajstiones  dc 
auctore  el  ejus  doctrinA  morali  Disscrtalio. — Excur- 
sion dans  le  Fiord  du  Passais  normand.  —  Notice  bio- 
grapbique  sur  Frederic  Galeron. 

TuRPiN.  Icones  selecta)  plantarum.   —  Iconograpbie 
vegetale.  —  Organograpbie  vegetale. 

Vastel  [Edouard).  Guide  dcs  voyageurs  et  des  ma- 
lados  aux  Eaux-Bonnes. 

.  Verussior.  Ilistoire  de  la  ville  de  Cberbourg. 

ViEiLLARD  (P.-A. ).  Les  beros  de  Rouen  pendanl  le 
siege  de  i4i8. 

Vimort-^Iaux.  Notice  sur  un  secboir  volant  a})pliquc 
au  metier  a  tisser. 

Walras.  Dc  la  nature  dcs  ricbcsscs  el  de  I'originc  dc 
la  valeur. 

WiLHEM.  Programme  general  des  Etudes  musicales. 

WoiNEz.   Uier  et  Demain. 


REGIEMENT 

DES  SCIENCES,  ARTS  ET  BELLES-LETTRES 


DE  LA  ^ILLE  DE  CAEN. 


Art.  !•■'. 


L'AcADKMiE  dos  sciences  ,  arls  et  belles-leltrcs  de 
Caon,  se  compose  dc  niemhroslionoraires,  do  iiiemhros 
lilulaires  ,  et  d'associes  residan(s  ou  corrcspondanls. 

Art.  IL 

Le  nomhredes  monibres  honoraires  n'esl  pas  limiCe. 
lis  out  rang  immcdialcnicnt  apies  le  bureau  el  jouis- 
scnt  des  menacs  droits  que  les  membres  (itidaires. 

Art.  in. 
Lc  nombre  des  membres  tilulaircs  est  de  (renlo-six. 


4|2  REGLEMENT. 

Art.  IV. 

Celui  des  associes  residants  on  correspondanls  est 
illimitc.  lis  prennent  place  parmi  les  membrcs  lilu- 
laires  dans  les  seances  piibliques  el  parliculiercs ,  mais 
sans  avoir  voix  deliberative. 

Art.  V. 

Tonte  nomination  pour  les  titres  d'honorairo  ,  de  ti- 
lulairc  ou  d'associe  residant  on  correspondant  est  i)re- 
cedee  d'linc  presentation  ,  sauf  le  cas  ou  un  membre 
lilulaire  deniandera  a  devenir  honoraire. 

Toute  presentation  est  faite  par  ccrit ,  signee  par  un 
membre  bonoraire  ou  litulaire  ,  et  remise  cacbetee  an 
president  ou  au  secretaire  ,  avec  un  ouvrage  imprime 
ou  manuscrit,  compose  et  adresse  a  I'Academie  par 
le  candidat. 

Cette  proposition  et  les  pieces  a  I'appui  sont  ren- 
voyees  sous  le  meme  cachet  a  I'examcn  de  la  Commis- 
sion d'impression.  Le  jour  oil  le  rapport  doit  avoir  lieu 
est  annonce  dans  leslcltres  de  convocation. 

La  Commission ,  lorsqu'elle  le  juge  convenable  ,  est 
dispensee  de  son  rapport  ,  sans  etre  obligee  de  foire 
connailre  les  motifs  de  son  silence  ;  mais  elledoit  aver- 
tir  et  entendre  le  membre  qui  a  propose  le  candidat  , 
I'Academie  se  reservant  le  droit  de  prononcer  sur  les 
reclamations. 

Art.  VL 

L'Academie  ,  aprcs  avoir  cntendu  le  rappor(  de  la 


REGLEMENT.  445 

Commission,  decide  s'il  y  a  lieu  a  procedoial  elt^clion. 
Dans  le  cas  dc  rafTirmalive  ,  cllo  pent  y  proceder  sur- 
lo-champ  ou  la  renvoycr  a  la  seance  suivante  pour  lout 
delai. 

Art.  VII. 

Pour  elrc  nomme  ,  au  premier  tour  de  scniliFi , 
membre  de  I'Academie  ,  ii  fout  avoir  reuiii  la  moilic 
des  voix  des  membrcs  ayant  droit  de  voter. 

Lorsque  ce  nombre  de  suffrages  n'esl  pas  obfenu  ,  il 
sera  ,  dans  la  seance  suivante  ,  procede  a  un  nouvean 
tour  dc  scrutin  ,  dans  lecpicl  il  faudra  ,  pour  etre  elu  , 
obtenir  les  deux  tiers  des  voix  des  membres  presents. 

Si  plusieurs  membres  sont  en  concurrence  ,  ct  si 
releclion  n'est  pas  faite  par  ce  scrulin,  il  sera  procede 
inmiediatement  au  ballolage  entrc  les  deux  candidals 
qui  auront  eu  le  plus  grand  nombre  de  voix  ,  ct  celui 
quiobtiendra  lamajorile  relative  sera  proclame membre 
de  I'Academie.  En  cas  dc  partage  egal  de  voix,  le 
plus  age  est  elu  (i). 


f  (!)  Dans  sa  sdance  du  2i  mars  1810 ,  rAcatlCmlc  a  diddd ,  snr 
!a  proposition  conformede  la  Commission  de  p!(^scnlalion  ,  que, 
lorsqu'il  s'agirail  do  pourvoir  aux  places  de  membres  titulaires 
vacanlcs,la  Compagnie  proc6derail  imiqnemenl  par  voied'tMoclion. 
Elle  a  d6cid(? ,  en  oulre  ,  que  I'arlicle  VII  serait  intcrpr{?t6  ain.<a 
qii'il  suit  :  »  Lorsqu'il  y  a  ft  proc6(!rr  pnr  oiii  ou  par  non  sur 
I'admission  de  candidals  aux  places  d'associ6s-r(^sidanls  ou  d'asso- 
clSs-corrcspondanls  ,  et  que  Ic  nomlire  de  sulTrages  voulu  par  le 
rdglcment  n'a  pas  6l6o!)tenu  dans  la  premiere  seance,  il  faut ,  pour 
que  le  scrulin  puisse  f'lre  continue  dans  la  s(?ance  suivante  ,  que 
cliaque  candidal  ail  obtenu  d'abord  les  deux  tiers  des  voix  des 
membres  presents,  » 


4^4  J  RKGLE3IEXT. 

Anx.    M!I. 

Les  officiers  de  rAcademie  sonl :  un  president  ,  un 
vice-president  ,  un  secretaire  ,  un  vice-secretaire  et 
xin  tresorier. 

r.es  digFiilaires  sonl  indefiniment  reelijjibles  ,  a 
I'exception  du  president  ,  qui  ne  pent  eire  ree'.u 
qu'apres  un  an  d'intervalle  ;  ii  deviant  de  droit  \ice- 
presiJent. 

Art.  iX. 

II  sera  cree  une  Commission  d'impression,  composee 
de  cinq  membres.  Elle  choisira  dans  son  sein  un  pre- 
sident et  un  secretaire,  et  elle  se  reunira  sur  la  con- 
vocation de  son  president. 

Elle  fera  connaitre  par  dos  rapports  ou  par  des 
lectures  les  manuscrits  que  renferment  les  archives  ; 
elle  prescntera  a  I'approbalion  de  I'Academie  les  M^i- 
mnires  qui  poin-ront  etre  lus  en  seance  publique  ou 
imprimes  ;  d'accord  avec  I'autcur  ,  elle  fera  les  chan- 
gements  qu'ellejugera  convenables. 

L'Academie  se  reserve  le  droit  de  prononccr  sur  les 
difficultes  qui  pourraient  s'elever. 

Art.  X. 

De  nouveaux  membres  pourront  etre  tcmporaire- 
ment  adjoints  a  la  Commission  d'impression ,  et  des 
Conunisslons  speciales  etre  creees  toiiles  les  fois  que 
TAcademie  lejugcra  convenable. 


KtGLEMENT.  ^5 

Art.  XI. 

Les  menibres  du  Bureau  ,  ainsi  que  les  mcmbres  de 
la  Commission  d'impression  et  de  presentation  ,  sont 
nommes  chaque  annee  dans  la  seance  de  novcmbre  , 
a  la  majorite  des  suffrages  des  membres  presents. 

Pour  les  membres  du  Bureau  ,  si  la  majorite  n'est 
pas  acquise  aux  deux  premiers  tours  de  scrutin  ,  il  est 
procede  a  un  scrutin  de  ballolage,  entre  les  deux 
membres  qui  out  obtenu  le  plus  de  voix  au  secoud 
tour. 

Pour  les  membres  de  la  Commission  ,  si  la  majorite 
n'est  pas  acquise  au  premier  tour  de  scrutin  ,  la  plu- 
ralite  decidera  au  second. 

Art.  XII. 

Toutes  les  nominations  se  font  au  scrutin ;  les  autres 
deliberations  se  prennent  par  la  meme  voie  ,  a  moins 
que  le  president  ne  propose  d'y  proceder  a  haute  voix 
sans  qu'il  y  ait  reclamation. 

Art.  Xlir. 

L'Academie  tient  ses  seances  le  quatrieme  vendredi 
de  cbaque  mois  ,  a  sept  heures  precises  du  soir  j  le 
jour  et  I'hcure  des  seances  peuvent  etre  changes.  Elle 
prend  vacance  pendant  les  mois  d'aout ,  de  septembre 
et  d'octobre. 

Art.  XIV. 

LArademie  tient  en  outre  des  seances  publi;}ucs. 


446  KEGLEMENT. 

Le  jour  ,  I'heurc  ,  le  lieu  et  I'objcl  de  ces  seances  sont 
fixes  par  une  deliberation. 

Art.  XV. 

Tons  les  membrcs  tilulaircs  sont  lenus  d'assister  au 
moinsa  cinq  seances  dans  I'annee. 

II  sei*a  distribue,  pour  droit  de  presence  ,  des  jetons 
dont  TAcadeniie  determinera  ,  par  un  arrets  parti- 
culier  ,  la  forme  et  la  valeur. 

Art.  XVI. 

Les  membres  tilulaires  qui  auraient  laisse  passer 
une  annee  sans  paraitre  i  aucune  seance ,  ou  deux 
annees  sans  presenter  aucun  travail  ,  et  ceux  qni 
auraient  cesse  de  resider  a  Caen  ,  deviennent  de  droit 
menibres  associes.  II  sera  pourvu  sans  retard  k  leur 
remplacement. 

Art.  XVII. 

Laliste  des  membres  honoraires,  titulaires,  associes- 
residants  et  associes-correspondants  sera  inipriniee 
cbaque  annee  et  remise  a  chaqne  membre. 


TABLE  DES  M ATIERES. 


LisTE   DES  Membres  au  I•■^  septcmLve  i84o.    .   png.     vn 

Societcs  correspondantcs xvnr 

Seance  pnbli que  du  26  novembic  1840.    .    .    .  xxi 

Progtainnic xxiir 

Discours  d'ouvertiire   protionce   par   M.   F.-C. 

Bertrand,  president xxr 

Rapport  sur  les  tiavaux  dc  rAcadcmie  ,  par  M. 

Tha VERS  ,  secretaire ^    •  xxxix 

Magistrals  inodertics.  Biograpliie  de  1\1.  Ic  baioii 

Le  Mcnuet  dc  la  Juganriiere,  par  M.  Massot, 

avocat-general. lxxiii 

Prix  pour  I'aunec  i84' ** 

Memoires 1 

Meinoire  sur  les  ceuvres  poetiques  de  Dcsporles  . 
de  Bertaut  ,  dc  Malherbe  ,  de  Racaii  ,  et  dc 
quelques  autres  poetes  de  la  meiue  cpoquc  ,  p;ir 
M.  H.  Martin,  professeur  de  litlcraluie  au- 
cieniie  a  la  Facultc  des  lettres  de  Reniies.  .    .  0 

Analyse  rbylhmiquc  du  vers  alexandriii  ,  par 
M.  F.  Vaultier  ,  professeur  a  la  Facultc  des 
lellros  de  Caen ''^ 

Reflexions  ^ur  I'uuvrage  inlilulc  ;  Jugcmcnt  tic 


Ill 


TABLE    DES   MATIERES. 

fli.  Schelling  sur  la  philosophie  de  M.  Victor 
Cousin  ,  par  M.  E.  Saisset  ,  professcur  de 
philosophic • 

Voyage  a  Solesrae  ,  par  M.  Edom  ,  inspecieur  de 

TAcadcraie  de  Caen i57 

Traditions  et  usages  de  la  Norinandie.  Privilege 
de  la  Fierte  de  St.  Romain  ,  par  M.  P. -A. 
ViEiLLARD,  I'ua  des  conservateurs  de  la  bi- 
tliothoque  de  rAisctial i6o 

De  la  pocsie  lyriqiie  en  France.  —  Lyrique  des 

XIV^  etXV^  siccles,   par  M.  F.  Vaultier.  ..171 

Revue  des  principauK  fragments  d'Ennius  ,  par 
M.  F.-A.  De  Go'Uknay  ,  avocat  ,  docteur  es- 
lettres 3o4 

Etudes  sur  Aristophane. —  I.  Des  irreverences  de 
Tanciennc  comedie  grecque  envers  les  dieux  , 
par  M.  F.-G.  Beetrand  ,  prolesseur  a  la  Fa- 
culle  des  lettres  de  Caen 817 

Extrait  d'un  Memoire  sur  la  mendicite  ,  par  M. 

Le  Grip,  conseillci  de  prefecture 54i 

Notice  sur  les  ceuvres  de  Yarignon  ,  par  M. 
ScHMiT  ,  professeur  de  matliematiques  spe- 
ciales  au  college  royal  de  Caen 355 

Note  sur  le  baromctre  a  syphon  ,  par  M.  L.  De 
Lafoye,  professeur  a  la  Faculle  des  sciences 
de  Caen 384 

Description  ct  theorie  du  psychromctre  du  D'. 

August  ,  par  le  mime ■.    .    .    .  587 

Notice  sur  les  recherches  de  charbon  de  lerrc  faites 
a   FeugueroUes  ,  par  M.  Herault  ,  ingcnieur 
en  chef  des  mines ,    .  SgS 


TABLE    DES   MATIERES. 


Poesies t  •    « ^    »  4^^ 

Les  Heros  dc  Roueu  pendant  le  siege  de  i4'8  , 

par  M.  P.-A.  ViEitiAnD 4o5 

Impressions  et  souvenirs,  par  M.  R.-E.  Tiiuret.  4'^ 
Le  Prctre.   A  iin  jeune  seminariste  pres  d'enlrer 

dans  les  ordres  sacres ,  par /e /;ie/«c 4'5 

Hommage  a  1' Academic  deCaen,  par  M.Theodore 

Le  Breton  ,  ouvrier  de  Rouen.  ......  4*° 

Aux  poetes ,  dilhyrambe  ,  par  le  menie.    .    .    i  4^4 

Ouvrages  oJIerls  a  rAcadcrtiie »   r  4^9 

Reglement  dc  r Academic.    .,..>>..    t  44' 


ERRATA. 

Page  306  ,  ligne  15.  Aulieu  de  ,  alio  ,  Itsez  :  alii. 

Page  308 ,  ligne  9.  Au  lieu  de,  quoerit ,  lisez  :  quaeril. 

Page  310  ,  ligne  1.  Au  lieu  de ,  proesepibus ,  lisez  :  pra;sepibus. 

Id.  ligne  3  Au  lieu  de  ,  coerula  ,  lisez  :  cjcrula. 

Page  313  ,  ligne  27.  Au  lieu  de  ,  caslilum,  /isez:  Cojlilum. 

Page  3U, ligne  13.  Aulieude,  fipithaphes,  lisez:  6pilaphes. 


Note  omise  page  ^0^,  vers  1h'. 

C3)  Vers  la  fin  d'avril  1 417,  Charles  Y I  ayant  surpris  Boisbourdon, 
matlie  d'holel  d'Isabeau  de  Baviere ,  romme  II  sorlait  d'un  rendez- 
vous galanl  avee  celtc  reine,  le  fil  jeter  a  la  Seine,  116  dans  un  sac 
qui  portait  un  inin{t&ndi\czMGimoisr  Luissez  passer  la  justice  du 
Rui. 


15   JUN    ISSS 


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BULLETIiV  »E  L'lXSTRllCTIO^^  PIBLIQIE 

ET  DES  SOCIETES  SAVANTES 
DE   L'ACADEMIE   DE    CAEN. 

(  Extrait  du  Prospectus  ]. 

a  On  Irouvcia  dans  ce  Recucil : 

«  Uneanalyscct  des  fragments  des  priniipaux  cours  publics  des 
Facult^s  de  droit,  des  sciences,  des  lellnis  et  de  I'Ecole  secondairc 
de  m^decine ; 

«  Des  morccaut  scienliDqucs  el  lilldraircs  analogues  a  I'enseignc- 
raent  supericur ; 

a  Un  comple-rendu  des  concours,  des  priniipaux  examcns,  el  de 
loules  !es  solennites  universitaires  elacadcmiques; 

«  Lesactesofllcicis  relatifsal'Instruclionpubilque  anal5S(^sou  re- 
produils  textuellemcnl,  soil  que  cesacles  6manent  du  Miiiislre,  soil 
qu'ils  (inianent  du  Rectcur  ; 

«  Lemouvemcntdu  personnel  dans  tous  lps<5tablisseinenls  publics 
d'instruclion  primaire,  secondaire  etsuperieine  de  nos  trois  d«5pni- 
lements ;  dans  Ics  ConiKes  d'arrondissemenl,  dans  les  Commissio:!;; 
d'examen  pour  les  brevets  de  capacil6  et  de  surveillance  prcs  des 
Ecoles  normales ; 

«  L'expose  des  Iravauxdes  Soci^lcs  savantes  qui  existent  dans  les 
prlncipalcs  villes  du  Calvados ,  de  la  Blanche  et  do  I'Orne  ; 

.    «  Des  nouvelles  scientifiquesctlillL'raires,  el  la  Bibliographic  de 
ccs  trois  d^partements; 

«  Des  articles  siir  Ics  pi-incipauiouvTagessortis  de  leurs  presses,  ou 
publics  par  des  auleurs  normands  qui  en  auront  remis  deux  exem- 
[Jaircs  au  bureau  du  Bulletin  ; 

n  Des  Melanaesou,  selon  Vespace  laisss^  par  les  autrcs  nialieres, 
seront  admis  des  fragments  d'ceuvres  iu6diles ,  des  revues  retros- 
pectives ,  des  biographies  nonnandes ,  etc.  » 


1.0  Bulletin ,  dont  10  1".  nuin(5ro  a  paru  le  l*^  oclobre  18i0,  est 
public  par  livraisons  d'environ  80  pages  vers  lei"",  de  chaquemois. 
el  forme  par  ann6e  deux  volumes  in-S".  d'au  moins  soixante  fcuill(s. 

On  s'abonnc  ,  a  Caen  ,  chez  Hardel  ,  imprimeur-libraire,  rue 
Froide;  h  Paris,  chez  DruiciiK,  rue  du  Bouloy,  7;  chez  Hachktte, 
rue  Pierre  Sarrazin  ,  12  ,  et  chez  les  princip'aux  libraircs  daus  les 
villes  du  ressort  acad6mique. 

Prix  de  rabonnement :  i  Caen,  12  francs;  hors  de  Caen,  15  fl-ancs. 

Tout  ce  qui  concerne  la  redaction  doil  etre  envoyti  franc  de  port 
a  M.  JiiuFN  iKAVEns,  agr^gd  de  liltcrature  prcs  la  Facultddes 
lei  Ires  de  Caen. 


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