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MEMOIRES
DC
I'ACADEMIE ROYALE
DEt
SCIENCES, ARTS ET BELLES-LETTRES
id;£ (Siii^sirg
CAEIV,
CHEZ A. HARDEL, SUCCESS. DE T. CHALOPIN,
IIMPniMEUR DE L'ACAD^MIE
BT DES SOCIETES SAVAKTES.
1840.
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mMoires
DE L'ACADfiMIE ROYALE
DE CAEN.
p.^s^-;^'h
M^MOIRES
DE
L'ACADEMIE ROYALE
DES
SCIENCES, ARTS ET BELLES-LETTRES
iDie (Qiiigec
s'^,'^
CAEN,
CHEZ A. HARDEL, SUCCESS. DE T. CHALOPIN,
IMPRIMEUR DE L'ACADEMIE
ET DES SOCIETES SAVANTES.
LISTE
DES MEMBRES.
MSITE
DF.S MEMBRES HONORAIRES , TlTrLAIIlES , ASSOCl£S-
RtSlDANTS ET ASSOC.lfiS - CORRESPONDANTS DE
L'ACADfiMIE ROYALE DES SCIENCES, ARTS
XT RELLES - LEITRES DE CAEN ,
AU 1". SEPTEiMBRE 1840.
<>il
ouwati.
MM.
P.EIITK.VM), president.
EDO.M , vice-president.
TRA\EUS , secretaire.
RO(iEK , vice-secretaire,
LE GRIP , trcsorier.
olLctiibtc<5 bciictLxitcco.
MM.
LE BOUCHER , medecin , mcmbre honoraire de la
Societe de mMccine de Caen.
VAl'LTIER , professeur de lillerat'.iic franoaise a la
Facu'.te doslcltres do Caen.
SPENCER-SMITH , meiubic de la SodJlc dvs aiili-
([uaiies de Loiidics.
■vm LISTE
THOMINE-DESMAZURES , peie , ancien professcur
a la Faculle dc droit de Caen.
GODEFROY , docteur en medecine.
DA?iS LEUB ORDRE DE RECEPTIOK.
MM.
tt. LE grip , conscillor dc prefecture.
2. DELOGES , le jeune , direcleur de 1' Assurance
muluelle centre Tincendic , pour les departe-
menls du Calvados , de TOrne el de la Manche.
3. LAIR , conseiller de prefecture , secretaire de la
Societe d'agriculture et de commerce dc Caen.
4. DE MAGNEYILLE , membre de la Societe d'a-
griculture et de commerce de Caen.
5. PRUDHOMME , ancien professeur de navigation.
6. THIERRY , professeur de chimie a la Faculle
des sciences.
7. LE SAUYAGE , chirurgien en chef des hospices.
8. JAMET ( I'abb*^ ) , direcleur de la maison du Bon-
Sauveur dc Caen.
9. DAN DE LA YAUTERIE , membre de la So-
ciety de medecine.
10. HERAULT , ingenieur en chef des mines.
11. RAISIN, direcleur de I'Ecole secondaire de me-
decine.
12. DE LAFOYE , professeur de physique a la Fa-
culle des sciences.
DE MM. LES MEMBRES. IX
13. EUDES-DESLONG CHAMPS, professp.urd'hisloiie
nalurelle a la FacuUe des sciences.
14. ROGER , professeur d'histoire a la Faculty des
leltres.
1 5. DANIEL (I'abbe) , recteur de rAcadomic univcrsi-
taire.
iG. TARGET , prefet du Calvados.
17. MAILLET-LACOSTE , professeur delilleratiiic
laline a la FacuUe des lellres.
18. DE CAUMONT , correspondant de I'Inslilut, se-
cretaire de la Societe des antiquaires de Nor-
niandie.
ig. EDOM , inspecteur do I'Academie universitaire.
20. LEC1IAUD£ D'ANISY , membre de la Sociele des
antiquaires de Normandie.
31 . BERTRAiS'D , doyen de la FacuUe des lottres.
22. BUNEL (Hippolyte), officier de marine en rctraite.
23. LE FLAGUAIS ( Alphonse ) , homme de leltres.
24. SUEUR-MERLIN , ancien chef de bureau de la
topograpbie et de la stalistique de I'administra-
tion des douanes , membre de la Commissicsn
centrale de la Societe de geograpbic , et de la
Societe royale academique des sciences de Paris.
25. LECERF , professeur bonorairc de droit civil ,
membre de la Sociele des antiquaires de Nor-
mandie.
20. DE GOURNAY , avocat.
27. TRAVERS , agrege de litterature pres la FacuUe
des leltres de Caen.
28. DES ESSARS , conseiller a la (^oiu- royale.
29. MASSOT , avocat general a la Cour royale.
X LISTE
3o SAISSET , professeur de philosophic an college
royal.
3i . VIOLLET , ing^nieiir en chef du Calvados.
32. BONNAIRE , professeur de mathemali^iues Irans-
cendantes k la Faculte des sciences.
33. DESilAYES , peintre , menibre de la Sociele des
anliquaires de Nonnandie.
34. SIMON , ing^n'eur , directeur du cadastre
35. VASTEL , doclcur en medecine.
36 t . . •
RESIDAKTS A CAF5.
MM.
CIIANTEPIE , ancien inspectcur dc TAcademie uni-
versilaire.
THOMINE Cls , ancien professeur a la FaciiUc de
droit.
BOISAKD , conseiller de prefecture.
BfiTOURNfi , ingenicur des ponls et chausseos.
PREL , ancien verificalcur des domaincs.
ROBERCiE , membre delaSociote linneenno.
CASSIN , professeur de philosophic au college roval.
LA TROUETTE , docteur cs-leltres.
Mile. CUllPIN(Emma).
I^IAXCEL (Georges) , bibliolhecaire dc la villc de
Caen.
BERGER , professeur de rhctorique au college royal.
DE MM. LES MEMBRE?. XI
SCHMIT , professeur de malhcmaliques spccialos au
college royal.
DESAINS , pioffssour de physi'iiic an college royal.
DE FORME VILLE , conseiller A la Coiir royale.
MfilllTTE LONGCIIAMP , mcmbic de la Sociele dcs
antiquaiies de Norinandie.
SANDR.VS , proviseiir dxi colk^ge royal.
QUENAULT-DESRIVIiKES , professeur de 4". au
college royal.
NATION.ICX BT ETRANCEBS.
MM.
SURIR.VY , medecin des hopilaux civil el inililalre , a
Paris.
ASSELIN , directeur de la Societe royale acadc-
mique de Cherbourg.
DE TILLY (Adjutor) , depute , i Villy , pres ViUers-
Bocage.
GOULLET DE RUGGY , ancien colonel d'arlillerie ,
AMetz.
TAILLEFER, inspecleur derAcademic universilaire ,
k Paris.
BROXGMART ( Alexandre ) , membre de I'Inslilut ,
academie des sciences , a Paris.
BOUILLON LA GRANGE , professeur de chimie , a
Paris.
DAVID , ancien consul general a Smyrnc , a Cerny ,
pres La Ferte-Aleps.
XII LISTE
LEGAGNEUR , homme de lettres , ji Saint-Aubin-
d'Arquenay.
CHANVALLON , homme de lettres , i Carentan.
DE FRANCE , naturalislc , i Paris.
DUBOIS, I'un dos conseivateurs des archives , k Paris.
LE FRANCAIS-LALANDE , membre de I'lnstitiit ,
academic des sciences , a Paris.
LESCAILLE, ing<^nieur en retraite, a Saint-Germain-
en-Laye.
DE LA BOUISSE ( Auguste ) , homme de lettres , k
Paris.
Mme. DE LA BOl'lSSE ( Eleonore ) , k Paiis.
LASNON DE LA RE> Al'DltlRE , membre de la So-
ciete de gi^ograpbie , a Paris.
VIGN£ , docleur en medecine , a Rouen.
BINET , ancien dessinateur au minislere de la marine,
a Paris.
FAYOLLE , homme de lettres , a Paris.
JACQUELIN-DUBUISSOX , docteur en medecine , a
Paris.
COSTAZ I'aine , ancien prefet de la Manchc , a Paris.
D'ARCET , membre de I'lnstitut , academie des
sciences , a Paris.
TIIIEBAULT DE BERNEAUD , natiiralisle , a Paris.
LEPERE , ancien inspecteur des ponts et chaussecs ,
k Gisors.
DE TH£IS , homme de lettres , a Laon.
DE MAIMIEUX , homme de lettres , a Paris.
GUITTARD , docteur eii medecine , a Bordeaux.
LE PREVOST D'IRAV , membre de I'lnslilut , aca-
demic des inscriptions et belles-lettres , a Paris
DE MM. LES MEMBRES. XHI
T)E LA RUE , juge de paix , a Brclcuil.
CAILLY , ofTicier superieur d'arlinerie , a Melz.
MARIE-DUMESML , homme dc IpUies , a Paris.
DE ROQUEFORT , homme de letlres , a Paris.
MilCHIN , ancien prefet du Calvados , a Paris.
PELLETIER , ancien pharmacien , a Paris.
SIGUIER (le marquis do) , correspondanl dc I'Aca-
demie des inscriptions , A Paris.
DE BAZOCHE , naluralislc , a Falaise.
LE IlfiRICIER DE GERVILLE , homme de leltres ,
a Valognes.
BERR ( Michel ) , homme de lellrcs , k Paris.
DAWSON TURNER , naturaliste , a Yarmouth.
DUMONT - D'URVILLE , capitaine de vaisseau , a
Toulon.
PRUDIIOMME DU IIANT-COURS , a I'lle de France.
MAUiENDIE , mcmbre dc I'lnstilul , academic des
sciences , A Paris.
JAUFFRET , conservateur dc la bibliotheque , a Mar-
seille.
VIEILLARD , I'un des bibliothccaires de I'Arsenal , a
Paris.
LE TERTRE , bibliothecaire , A Coutanccs.
DRTEU, colonel au 3''. regiment d'artilleric, a Rennes.
DE SURVILLE , ingenicur.
TIIURET , homme de lettrcs , a Rouen.
DE HAMMER ( Joseph ) , le chevalier , orienlalistc ,
4 Vienne ( Autriche).
AGAARD , naturaliste , i Lundcn ( Sticde )
BOUCHARLAT , homme de leltres , a Paris.
BOURDON ( Isidore ) , docteiu- en medecine , sli Paris,
XIV LISTE
I.ONDE , doclcur en medecine , a Paris.
DELISE , naturaliste , a Vire.
DUBOURG D'ISIGN'Y , ancicn president du tribunal
de premiere instance , a Vire.
BOYELDIEU , avocat , a Paris.
POLIiS'IEHE (Isidor) , medecindes hospices, a Lyon.
ARTHUR , profcsseur de malhematiques , A Paris.
DE BEAUREPAIRE (le comle) , ancien secretaire
d'ambassade , i Louvagny , pr^s Falaise.
BRARD , ingenieur des mines , k Tarascon.
JOLIMONT , peintre , A Paris.
DE VAUBLA>X (le comte) , ancien ministre, a Paris.
JULLIEN , homme de lettres , a Paris
DIEN , graveur, j\ Paris.
JOIJRDAN, doctcur en medecine , a Paris.
SERRURIER , docteur en medecine , a Paris.
DE VENDEL'VRE ( Ic comle ) , ancien prefet , k Vcn-
deuvre.
ELIE DE BEAUMONT , ingenieur des mines , k Paris.
GIBON , maitre de conferences a I'Ecole normale , a
Palis.
DL'PLESSIS , recleur de I'Academie , a Douay.
LAMBERT , conservateur de la bibliotbeque , a
Bayeux.
DUPIN (Charles'), membre de I'lnstitut , academic
des sciences , a Paris.
DE MONTLIYAULT ( le comte ) , ancien ofTicIer de
marine , a Blois.
DESNOYERS ( Jules ) , naturaliste , a Paris.
DE LA BOUDERIE ( I'abbe ) , a Paris.
COUEFFIN, ancien ingenieur geographe , a Bayeux.
DE MM. LES MEMBRES. XV
ODOLAM-DESNOS , Uommc do lettros, a Paris.
AUDOl'IN , professeur an Jartlin des Plantes , a Paris
PETITOT , statuaire , i Paris.
CIIESNON , ancion principal du college , a Baycux.
AMENTON, homme de lettres, au chAteau de Meudoii.
GREY-JACKON , A Saint-Servan.
MARCEL (J. J.),orientalisle, :\ Paris.
MAILLARD DE CHAMBURES, secretaire de I'Aca-
demie , a Dijon.
DE MONTLIVAULT (le comle) , ancien prefet du de-
parlemont da Calvados , a Montlivault , pr6s Blois.
M'"^ DE SALM (la princesse) , a Paris.
HERBERT-SMITH (Edouard), membrc del'Academie
de Cambridge (Angleterrc).
PESCHE jeune , homme do leltres , au Mans.
DE LA FONTENELLE DE VAUDOR^, conseiUer a
la Cour royale , k Poitiers.
MANGON DE LA LANDE , membrc de plusieurs
Socictes savant es , a Avranches.
LA DOUCETTE (le baron) , secretaire de la Societe
pbilotecbnique , i Paris.
ESCIIER , sous-intendant mililaire , a Alger.
M'"^ COIIEFFIN (Lucie), A Bayeux.
GIRARDIX , professeur de chimie, a Rouen.
GATTEAUX , graveur et sculptcur , a Paris.
DE LA MARRE ( I'abbe ) , membre de la Societe des
antiqxiaires de Normandie.
WOLF (Ferdinand) , membre de plusieurs Socictes
savantes , A Vienne.
TOLLEMER ( I'abbe ) , principal du college de Va-
lognes.
D'OSSEVH.LE , ancien maire de la villc de Caen.
XM IISTE
REY , nipmbre de la Sociele roj ale des antiquaires de
France , a Paris.
LE >'OBLE , mcnibre de plusieurs Socieles savantcs ,
a Paris.
SIMON , ancien bcitonnier de I'ordrc dos avocats.
MARTIN , profcsseur a la Faculte des lellres de
Rennes.
MASSON , agrege des sciences physiques pres la Fa-
culle des sciences de Paris.
PILLET ( Victor-Evremont ) , regent de rlietorique au
college de Bayeux.
LE BRETON ( Theodore ) , a Rouen.
C AUVIN , memhre de plusieurs Socieles savantes , au
Mans.
GUILLAUME , juge au tribunal de Besan^on.
BOUCHER DE PERTHES , directeur des douanes ,
presidentdelaSocieteroyaledemulaliond' Abbeville.
SANTAREM (Ic vicomte de), mcmbrc de la Commission
centrale de la Societe de geographic , k Paris.
MOLCHNEHT ( Dominique ) , sculpleur , a Paris.
ROCQUANCOIIRT , directeur de I'ficole mililaire, a
Saint-Cyr.
SIMON-SlilSSE , professcur-suppleant de philosophic
a la Faculte des lettrcs de Paris.
BATTEMAN, jurisconsulte anglais.
PINGEON , secretaire de rAcademie des sciences ,
arts et belles-lettres de Dijon.
DE BR^BISSON , naturaliste , a Falaise.
DE LA FRESNA YE, naturaliste, a Falaise.
MOORE (Thomas), membrc de plusieurs Socieles sa-
vantes , a Londres
HE MM. I.ES Mr.MP.RES. XYII
DE TOCQUEV ILLE (Aloxis), meinbre de I'Acadt^mie
dcs sciences morales el politiques, a Paris.
LE PRfiVOST (Auguste) , depute de I'Eure , membre
de la Sociele des aH^jqif'aiies de Normandie , a
Bernaj.
VEUL SMOR , homme de lettres , a Cherbourg.
LAMARTINE (Alphonse), membre de rAcaderaie fran-
caise , ;\ Paris.
DO^'tlRE r professetir d'histaire nalurelle au college
Henri l\ , a Paris.
II
SOCIETES CORRESPONDAIVTES ,
Ql'I ADRESSENT LEURS PUBLICATIONS A l'aCADEMIE DE
CAEN.
Societe d'emulation et d'agricullure de I'Ain.
Society indusli'ielle d' Angers.
Societe royale d'Arras.
Coniite bisloiique des arls et monuments , a Paris.
Athenee des arts , a Paris.
Society archeoIogiquG d'Avrancbes.
Societe des sciences, d'agricultureelartsduBas-Khin.
Society des sciences et des belles-lettres de la ville
deBlois.
Academic des sciences , belles-lettres et arls de
Bordeaux.
Societe royale d'agricultureetde commerce de Caen.
Societe de medecine de Caen.
Soci6t6 linncenne de Normandie.
Societe des antiquaires de Normandie,
Societe pbilbarmonique du Calvados.
Association normande.
Societe francaisc pour la conservation et la descrip-
tion des monuments bistoriques.
Societe veterinaire de la Mancbe et du Calvados.
Societe d'emulation de Cambray.
Societe d'agriculture , arts et commerce de la Cha-
rentc.
SOCIETiS CORBESPODANTES. XIX
Sociote royale acad<^mique de Cherbourg.
Academie de Dijon.
Sociele d'agriculture , sciences nalurelles et arts du
Doubs.
Societe d'agriculture, sciences, arts et belles-lettres
du deparlenient de I'Eure.
Societe acadcmique , agricole, industrielle et d'in-
struction de Tarrondissemenl de Falaise.
Academie des Jeux Floraux.
Academie duGard.
Society de geographie.
Commissiondes monuments historiquesdelaGironde
Sociele Havraise d'etudes diverses.
Sociele d'agriculture , sciences, arts et belles-lettres
du departemont d'lndre-et- Loire.
Sociele d'emulalion du departement du Jura.
Sociele royale d'agriculture , sciences et arts de Li-
moges.
Society d'emulalion deLisieux.
Sociele academique de la Loire-Inferieure.
Academic de Lyon.
Sociele d'agriculture , sciences et belles-lettres
de Macon.
Sociele d'agriculture , d'archeologie et d'bistoire
naturclle du departement de la Manche.
Sociele royale d'agriculture, sciences el arts du
Mans.
Sociele d'agriculture, commerce, sciences et arts
de la Marne.
Academic do Marseille.
Academic rovale deMelz.
XX SOCIEltS CORRESPOXDANTES.
Socicle acailemique dc Nancy,
Sociele academique dc Nantes.
Society generale dos naufrages.
Societe d'agriculturc , sciences et arts de Poitiers.
Socicte d'agriculturc , sciences ct belles-lettres de
Rochefort
Academic des sciences , arts et belles-lettres dc
Rouen.
Societe libre d'emulation de Rouen.
Societe academique de la ville de Saint-Quentin.
Societe centrale d'agricultupe du departement de la
Seine-Inferieure.
Academic des sciences , agriculture , commerce ^
belles-lettres et arts du departement de la Somme.
Academic royaledes sciences, inscriptions ct belles-
lettres de Toulouse.
Sociele des sciences, belles-lettres et arts du depar-
tement du Var.
Societe d'emulatioa du departement des Vosges.
SEA]\CE PUBLIQUE
DV 26 NOVEMBRli 1840.
ACADEMIE ROYALE
DRS
KOEEKreiiS, AmTB WS BHILEoES-ILJI^SMIIS
DE CAEN.
SEANCE PUBLIQUE
DU 26 KOVEMBKE l84o.
Cetle seance s'est tenue dans la grande salle dc
rh6lel-de-ville , de 7 Lcures a 9 beures et demie dii
soir.
Le programme en avail ete arrete ainsi qu'il suit :
Discours d'ouverlure, par M. Bertrand, president.
Rapport sur les liavaux de la Societ^,par M. Tra\ers,
secrelaivc.
XXIV SEANCE PIBLIQIE.
Sur Malherbe , par 1>L Edom , inspecteur.
Sur les Poesies de Clo tilde de Surville, par M. VAUUUiR,
professeur Ji la Faculte des Icttrcs.
Le privilege de la Fierte , par M. P. -A. Vieillard,
run des biblioth(5caires de I'Ai-senal.
Biographie du baron Le Menuel-la-Juganniere ,
ancien premier president de la Cour royale de Caen ,
merabre de I'Acad^rale , par M. Tli. Massot, avocat-
gen^ral.
Poesies, par MM. Thiret et Le Breton.
DISCOURS
d'ouvertube
PRO^ONCE
Pau M. F.-G. BERTRAND, piesidont.
Messieurs ,
Appele par votre choix a riionneur dc vous presider,
j'eprouve , avant de quitter ce fauteuil , le besoin de
vous exprimer uuc fois encore ma profondc recon-
naissance.
S'il est vrai que rien ne soil plus flatteur pour I'liomme
qu'un temoignage d'estime de la part de ses conci-
toyens , j'ai du me trouver honore, h un liaut point ,
du suffrage d'un corps oil le titre de mcmbre est dcjii
d'un grand prix.
Puissiez-vouspenser, Messieurs, que I'annee qui finit
n'a pas ete sterile ! Pour moi, en songeantaux travaux
reccnts de notre Academic , i\ la frcquenlation inac-
coutumec ct a I'iulcret de sos seances , et surlout aux
IXVl SKANCE PIBLIOVE
nouveaux collogues qui reniplissenl les vides nombreux,
trop long-temps ouverts au milieu de nous, je suis fier
de ces r(5sultats , encore bien qu'ils soient en entier
votre ouvrage.
L'instant est venu oil celteCompagnie peut reprendre
le rang qu'elle occupait autrefois dans la Province.
Quelque illustres que soient certains noms dont I'Aca-
d^mie de Caen s'est honoree , il est permis de croire ,
en considerant les services que beaucoup d'entre vous
ont rendus h la science et au pays , que rarement elle
reunit h la fois plus d'elements de prosp^rite , du cote
de ses membres.
Ce n'est pas que je pense , Messieurs , qu'il soit
maintcnant donne h une Society savante , quelle qu'elle
soit , quelque eminents que soient les hommes qui la
composent, de reparaltre avec le role important des
anciennes Academies, ni de fixer au meme degr(5 1'at-
tention pulilique. Le temps des Huet et des Bochart est
dejk bien loin de nous , et lors meme que ces acade-
miciens faraeux reviendraient h la vie , avec leur im-
mense savoir et d'autres hommes comme eux pour leur
servir de cortege, leurs travaux , leur debats n'auraient
plus le privilege de fournir , pour ainsi dire , seuls ,
un alimcnl h la curiosite des esprits. Cc n'est plus uni-
BU 26 NOVEMBRE l84o. XXVll
queraent dans les Academies que se traitent les questions
qui s'adressent ci lapartie la plus intelligente de la so-
ciete : c'est ailleurs que s'agiteut surtout les inlereLs et
les iddes qui remuent fortement les ames : c'est aulre-
inent que par leurs Perils de savants ou de litterateurs ,
que les liommes de notre epoque les plus distingues
dans la science ou dans la litterature exercent sur le
pays leur puissante influence.
Cependant une part assez large est encore reservee
aux Compagnies comme la notre , dans le grand oeuvre
du bien public ; elles peuvent encore tenir une place
honorable au nombre des institutions utiles d'un ordre
eleve, si, comprenant I'etat nouveau de la socicte ,
elles approprient leurs travaux a la satisfaction de scs
nouveaux besoins.
Le temps n'est plus oil la solenaite des Palinods exci-
lait dans la contree un interet general , et oii le moindre
6venement , pourvu qu'il se rattachat \i un grand per-
sonnage , mettait en dmoi tons les poetes du jour. Le
temps n'est plus des dissertations s(5rieuses sur des su-
jets frivoles, ni de ces questions oiseuses dont la solu-
tion , quelle qu'elle soit, ne saurait avoir d'utile ap-
plication. Le dirai-je, Messieurs ? le temps n'est plusr
oil les travaux d'un corps savant, en litterature, par
exemple, puissent n'avoir pas encore un autre Lul que
XXVm SEANCE Pl'DLIQUE
lalitterature elle-meme. Si Ton perniet i im particulier
de ne reconnaitre dans ses etudes d'autre loi que scs
gouts , I'exigence doit fitre plus severe Ji I'^gard d'une
Compagnie , surtout lorsqu'elle se pose comme une ins-
titution d'utilite puljlique. A une ^poque comme la
nOtre , ce n'est que par leur utilite que les Academies
peuvent obtenir une consideration reelle , et meme jus-
tifier leur existence.
Lorsque je parle d'utilite , vous me comprenez ,
IMessieurs : je n'entends pas restreindre la signification
(le ce mot Ji ce ^ti tient uniquement aux besoins raa-
teriels. II y en a d'autres pour un 6tre intelligent,
moral et sensible ; et , ces besoins de notre nature , ils
n'existent pas seulement pour les individus : c'est dans
leur satisfaction que consistent principalement la vie et
la gloire d'un peuple.
Je suis aussi bien loin de pretendre que I'inutilite soit
un caractere dominant dans les productions de ceux
qui nous ontpr^cedes : les anciennes Academies m(5ritcnt
de notre part plus de justice et plus de respect. Clia-
que ^poque appelle sp(5cialement de tel ou tel cote
Tactivite de ceux qui s'occupent de travaux intellcc-
tuels ; et , sans essayer de rappeler ici ce qu'ont fait
nos devanciers, je dirai qu'ils ont satisfait , en general,
a ce que demandait la science alors et a ce que leur
DU 26 NOVEKBRE 1840. XXIX
siecle r^clamait dc la science. C'est h leurs cflorls
(jue nous souimcs rcdevables d'avoir nn point de de-
part moins eloignc du Lut vers lequel nous devons
tendrc, et c'est encore en les imitant, au moins sous
un rapport , que nous pourrons I'atteindre , puisqu'il
faut , pour cela, c^ue nous soyons, aussi bleu qu'eux ,
de notre siecle.
Au reste, ce n'est pas de raoi , Messieurs, que vous
devez apprendre quelle direction il convient de donner
Ji vos travaux. Vous n'avez pas attendu ce jour pour
entrer vous-meraes dans la voie nouvelle. Ils'agit done
plutot en ce moment de proclamer ce que nous coni-
prenons tous , quelle est notre pens^e Ji tous sur co
que doit faire de nos jours quiconque aspire , non pas
seulement b. la reputation d'liomme instruit, mais en-
core au role de savant utile.
Tandis que les progres des sciences mathematiques ,
physiques et naturelles, serviront h trouver des perfec-
tionnements et des aecroissements nouveaux aux arts ,
h I'industrie , au bien-etre , h la surete et k la sante
publique , les hommes liabitu(5s aux speculations plii-
losophiques fcront porter de preference leurs medi-
tations sur les graves questions d'economie sociale qui
preoccupent les esprils : les verites d'application de-
viendront surtout I'objet de leurs recherches. L'etude
XXX STANCE PVBLIQUE
(le I'histoire n'aura pas pour but , dans ncs Compagnles,
de constater des fails insignifiauts, et I'importance des
eveuements recevra son appreciation , bieu moins de
leur fracas , que de leur influence sur la destinee des
peuples et sur la marclie de la civilisation. L'antiquaire
ne fouillera pas la terre , uniquement pour y trouver
des tombeaux et un peu de poussiere liumaiue : quel-
qucs ruines i demi enfouies sous le sol , quclques pieces
demonnaierongees par le temps n'absorberont pas en-
tierement les facultes de son intelligence, au point qu'il
neglige les institutions et les moeurs des peuples dont il
remue les cendres. Et , dans leurs investigations , ceux
qui se livrent aux diverses branches des travaux his-
toriques, ne tiendront pas toujours leurs yeux tournes
vers le pass^ : ils se souviendront que 1' etude des sli-
des ecoules n'est veritablement fructueuse , que lors-
qu'elle fournit des consequences applicables au present
et i I'avenir.
Les ceuvres litt^raires et les autres productions des
beaux -arts, n'ofTriront pas seulement des aliments Ji
notre besoin individuel d'cmotions ; elles ne seront pas
seulement pour nous des realisations du beau sous des
formes varices : nous y chercherons encore 1' expres-
sion de la vie intellectuelle, morale et politique des na-
tions, et, dans les nobles jouissances qu'cUosprocurcnt,
DU 26 NOVEMBRE 18i0. \X\l
nous vcrroiis, en mtoie temps que la satisfaction d'un
besoin comniun de Thunianite, un element puissant de
moralisation et de perfectionucmcntpour notre nature.
Et si quelques-uns parmi nous font entendre le Ian-
gage harmonieux et passionnd de la po^sie , ils n'ou-
blieront pas que nous ne soninies plus h une epcque
sociale 011 cet art divin ^tait rabaiss^ au role d'un amu-
sement futile pour les classes oisives; que, s'il est au
pouvoir du poete de rcpanclre des fleurs sur la \ie et
d'endormir les maux reels de I'homme , en le Irans-
portant au milieu d'un monde ideal niieux approprie
aux besoins de son cceur , 11 a aussi une mission plus
scrieuse et plus noble ; qu'il ne doit pas s'abandonner
uniquement h I'expression de ses sentiments intimcs
et prives ; que la voix du poete est surtout I'echo de la
joie , de la douleur et des autres emotions nationales ;
que , lorsqu'il s'emeut des passions pubbques et qu'il
s'en rend I'interprete , le plus digne emploi de son
g^nie, c'est d'exalter dans les ames ce qui s'y trouve de
grand, de bon , de g^nereux; c'est de rendre le citoyen
plus d^vou6 h la patrie , et I'homme plus ami de I'bu-
manite tout enti^re.
Si c'est ainsi;, Messieurs, que cbacun de nous com-
prend la tftcbe des mcmbres des Acad(5mies, nous ne
regarderons pas de nul effel riuflucnce de ces corps sur
XXXII SKA>CE rCBLIQlE
les progies ct la diffusion des lumieres, ni sur Tame-
lioration morale de la society.
Lorsque Ics premiers corps savants de la capitalc , qui
comptent dans leur sein ce que les sciences , les lettres
et les arts ont de plus Eminent , signaleront leur exis-
tence par des travaux propres i fixer I'attention du
monde, nous, honimes des centres secondaires , sans
songer k les 6galer , nous suivrons leurs travaux , nous
coustaterons leurs precienses d^couvertes , et tandis
que nos pretentions se borneront a y trouver d'utiles
applications , il arrivera parfois , grace au genre d'ex-
citatlon qui se faitsentir dans nos Compagnies , que des
productions importantes reveleront une haute portec
intellectuelle , qui autrement aurait pu demeurer ste-
rile. Et quand aucune ojuvre de genie ne sui-girait du
milieu de nous ; quand meme nous ne serious pas le
fleuve, qui, par la seule action de son cours, feconde
et enrichit les champs voisins , nous serous au moins
les canaux, qui portent avec ses eaux la fertilite jus-
qu'aux lieux eloignes de ses bords.
II y a , sans doute , pour la circulation de la pensee .
d'autres moyens , d'une activity prodigieuse , devant
lesquels tous les autres paraissent d'une bicn faible
puissance. Aussi ne saurait-il entrer dans men espiit
de comparer ce que font nos Compagnies . pour Yin -
DU 26 NOVEMBRE l84o. XXXIII
filtration des id^es , avec Taction incessante de la
presse , surtout de la presse p^riodique. Mais I'influence
que je comprends , pour etre d'une autre sorte ct moins
frappante , n'en est pas moins r^elle.
II ne suffit pas, en elTet, qu'une id6e naisse ct se
propage , pour qu'elle soit v^ritableraent acquise h la
science : il faut encore qu'elle passe au creuset de
I'examen ; que ce qu'elle a de vrai s'y degage du faux,
alliage si commun de la v^rite dans les conceptions liu-.
maines. Et lorsqu'elle serait pure d'erreur ou d'exa-
g^ration , rarcnient elle apparait d6s I'abord avec ses
consequences , c'est-k-dire , avec ce qui , d'ordinaire ,
offre le plus d'utilit^. Une fois echappee de la sphere
sup6rieure oil elle a 6t6 congue , elle a souvcnt besoin
d'etre reprise ailleurs , travaillee , ^laboree, jusqu'i ce
qu'elle soit propre k devenir un aliment substantiel
pour le plus grand nonibre. Or, n'est-il pas facile de
concevoir combien les Academies des d^partcments
sont favorablement placees pour assimilcr les id^es aux
intelligences eloignees du foyer createur?
D'ailleurs, Messieurs , il y a des questions , et mcme
des questions vitales pour la societe , qui deraandent ,
pour etrc convcnablcmcnt discutees et amener unc so-
lution fructucuse , des conditions de calnie ct de mo-
deration , qui se rencontrent dilTicilemcnt au milieu des
passions de la foulc. Trop souvent I'esprit de parti
III
XXXIV SEANCE PUBLIQUE
envenime ce qu'il louche. Ce qu'il y a d'exclusif et
d'exag6r6 dans ses pretentions provoque une resistance
opiniatre et des exigences oppos(5es. Parce que les
uns veulent exploiter , dans leurs alTcctions ou dans
leurs interfits, une idee d' economic sociale en soi juste
etsalutaire, e'en est assez pour que les autres la re-,
jettent, et meme la traitent en ennemie.
On comprend done la necessite d'un terrain neutre ,
oil (5es sortes de questions puissent se debattre Ji I'abri
des preventions ; oil les idecsjde quelque cote qu'elles
se produisent, n'aient k ressortir que du tribunal de la
raison, etoii leur verite et I'utilite de leurs applications
Solent les seuls litres qui les rendent recommandables.
Mais oil trouvcrait-on , Messieurs, ailleurs qu'au sein
de reunions comme les v6tres , plus de conditions
d'irapartlalite reunies, plus de garanties en favour de
ce qui est juste , sage et progres veritable , contre I'exa-
geration de I'esprit de systeme ou I'opiniatrete de la
resistance aveugle ?
Mon intention n'est pas , Messieurs , de faire res-
sortir tous les genres d'avantages qui resultcnt de I'cxis-
tence de nos Compagnies. Aulrenient j'ajoulerais qu'avec
rinfluence toujours croissante , et parfuis cxorbitante ,
de la Capitale sur le rcste de la France , e'en serait fait
bientot de I'ancienne vie provincialc ; que bientfit il
n'y aurait que Rome dans TEmpire, si, pour resister i
DU 26 NOVEMDRE iS^O. XXXV
reuvahissement, il n'y avail que dcs iodlvidus Isolds;
si les departements 6taient d^pourvus de ces Asso-
ciations , oil se rdunissent les forces locales , et qui
deviennent pour eux le centre d'une vie propre et
jusqu'i un certain point ind6pendante.
Je montrerais encore quel stimulant au profit de
I'etude, que ces reunions p^riodiques, oil chaquemembre
de nos Conipagnies s'impose le devoir d'apporter sou
tribut; quelle source pr^cieuse d'instruclion solide et
variee , que cet ^change frequent d'idces , le plus sou-
vent muries par de longues meditations , entre des
hommes de sp^cialites diverses , tous occupes de la
science , et offrant , la plupart , avec le fruit do leurs
etudes solitaires, I'experience , qui ne s'acquiert que
dans la vie active.
Mais que dirais-je , en insistant sur ces points de vue,
qui ne s'offre suffisamraent de soi-meme h la pensee ?
Qui pourrait contester serieusement I'utilile qui doit
resulter pour la science, d'institutions qui ont specia-
lement la science pour objet ?
.- Etd'ailleurs, Messieurs, quand il serait vrai que nos
travaux , que tous nos efforts reunis n'auraient rien de
fructueux , ni pour I'etude , ni pour les progres de la
science , ni pour la dilfusion des lumieres , ni pour la
decentralisation intellectuellc ; en un mot , lorsque les
noms de nos Conipagnies ne serviraient qu'i decorer
XXXVI SEANCE PUBLIQUE
des pretentions stdriles , il y a d'autres raisons qui ,
seules , sufliraient pour Ics reconimander aux amis
dclairt'S de leur pays et de rhumanit6 , k ceux qui
voicnt encore quelque chose au-delc^ des sciences, des
letlres et des arts , surtout dans les temps qui ne sont
pas tout-Ji- fait purges du levain des discordes civilcs.
Ce n'est pas uniqueraent aux idees inscrites siu" les
drapcaux de diverses coulcurs ou qui s'abritcnt h
leur ombre , que les partis opposes font la guerre :
niallieureuscment c'estpour les liommesque se reserve
ce qu'il y a de plus aclif dans la haine. 3Ieme dans les
ames que la nature a le mieux disposees & la bienveil-
lance , les preventions trouvent souvent alors un facile
acces. Si Ton est pour les siens tout rempli d'indul-
geuce , au point que la communaute de certains prin-
cipes dispose ci croire cliez eux h toutes les vertus, il
en est bien autrement ci I'^^gard de ceux d'une opinion
contraire. Tant qu'on ne les a vus qxi'k distance , et
surtout dans les luttes politiques, c'est a peine si Ton
pent supposer chez eux des qualites honorablcs. On se
trouve a ses proprcs yeux d'une assez large iraparlialite,
quand on leur reconnait des intentions pures, avec un
jugement faux et des vues retrecies , ou bien de la ca-
pacite et de I'intelligence, mais sans desinteressement
et sans patriotisme. On s'eloigne , on s'evite , ou , si
quelqucs rapports sociaux forcent a se reunir , on s'ob
DU 2G >OVEMDBE l84o. XXXTII
serve avec defiance , et il suffit d'une clrconstance in-
differente , pour qu'il s'ensuive une animosity declaree.
Et toutes ces iniinities individuelles , fruit des diver-
gences politiques,deviennent h. leur tour des obstacles
h la reunion des partis.
Et pourtant, Messieurs, ces hommes, qui, sans se
connaitre dans ce qui constitue veritablcraent rhomme ,
sont devenus les objets de pr<5ventions r^ciproques , et
peut-6tre de sentiments encore plus facheux , sou vent
lis portent dans leur esprit et dans leur coeur tout ce
qui pourrait les reliausser aux yeux I'un de I'autre et
Ics unir, s'ils pouvaient se toucher, se reveler I'un 1*1
I'autre et se comprcndre. Eh blen ! ce terrain neutre
dont je signalaiSjil n'y aqu'un instant, I'utilit^, pour
la juste appreciation des iddes , n'est-U pas pour les
hommes eux-mfimes I'occasion d'aussl heureux effets ?
Oui , Messieurs : au sein de ces Compagnies , dont les
merabres, soumis d'ailleurs h. des opinions et h des
ailections dilTerentes, serdunissentpour un but commun,
dlranger h ce qui les divise sur un autre theatre , lis ne
tardent pas h s'appr^cier sous d'autres rapports que
celui qui les a rapproch^s. Et quand ils ont reconnu ,
chez des collegues d'opinion oppos(5e , des hommes
tout II la fois d'une haute raison et de nobles sentiments,
des citoyens aussi devoucs au bien public qu'on pcnse
I'fitre soi-meme, alors les preventions s'effacent, non
XXXVin SEANCE PtBLIQUE.
seulement fi regard de ceux qui les ont vaincues, mais
encore envers ceux qui excitaient au meme litre la
meme antipathic. De \h cet esprit de tolerance , qui ,
sans rendre indifferent pour ce que Ton croit juste et
bon , dispose i trailer avec plus de respect les raisons
de ses adversaires. De Ici cette recherche plus cons-
ciencieuse de la verite, el ces reflexions, plus s^veres
pour soi-meme el pour les siens, plus bienveillanles h
I'e^gard des autres , qui permcttent de s'elever au-dessus
de la sphtire etroite des passions. De \h ces elements ,
deji nombreux parmi les honimes doues d'intelligence
et d'un ccEur droit , d'un parti superieur k lous les
partis , parce que , sans epouser leurs haines , il s'era-
pare et s'aninie de toutes leurs idees genereuses , du
parti social , qui fait de la Palrie le premier , le plus
Cher objet de son amour el de ses efforts , mais dont
la vue ne s'arrete pas, pour les lieux, aux montagnes
et aux mers qui forment nos frontiercs , ni , pour le
temps, k la courte duree d'une vie humaine.
C'est ainsi , Messieurs , que nos Conipagnies, meme
dans ce qu'elles ont , en apparence , d' (Stranger ;\ la
culture intellectuelle et aux progres des luraieres , con-
courent encore h ce qui doit etre le but commun ,
le but final des sciences , des lettres et des arts,
c'est-k-dire , le perfectionnement et le bonheur de
I'humanite.
RAPPORT
. . :i; . .1 1'.
Par M. Julie!* TRAVERS , secretaire.
Messieurs ,
Pr^s de sept ans se sont dcoul^s depuls la dernl&re
stance publique de I'Acadi^mie. Nous ne raanquerions
pas de pr^textes pour pallier la faute d'un si long silence.
Nous y renoncons. La franchise de I'aveu nous tiendra
plutot lieu d'excuse.
On ne peut le dissimuler , Messieurs : les Compagnies
savanfes ne sont pas seulement tenues Ji des labeurs
periodiques ; mais , comme elles reinvent de I'opinion ,
ellcs doivent parfois comparaitre devant I'opinion. De
\h ces stances annuelles qu'ellcs ont g^neraleraent ins-
titutes, stances oii elles rendent compte, et des travaux
parlicullers de leurs raenibrcs, et de leurs travaux col-
lectifs , et de rinipulsion donn^e par elles au dehors ,
soit par des concours ouvcrts , soit par d'utiles publi-
cations.
Aujourd'hui , Messieurs , je ne vous eutretiendrai
point de votre dernier volume : il remonte in quelques
XL SEAWE PUBLIQUE
annees. Je ne vous parlerai point de concours : celui
qui fut ouvert en 1833 a 6t^ sans r^sultat. Je vous rap-
pellerai seuleracnt les principales lectures , les princi-
pales communications faites h 1' Academic depuis lemois
d'avril 183/i. Vous pardonnerez h la sdcheresse de mon
Rapport , car vous savez tous que je ne suis point dans
les conditions voulues pour le faire : je u'ai assiste h
vos seances que cette annec. Pour les annees antericures,
je ne puis interroger nies souvenirs ; je n'ai qu'^ com-
puter les registres de vos proces-verbaux : mon role
doit se borner ii peu prcs i cclui d'abr^viateur ou de
copiste.
Les sciences et les lettres vous out tour ^ tour paye
leur tribut : je commence par les premieres.
— J'ai trouve dans vos archives un Memoire de M.
HeRALT sur les dermtitcs fouillcs fakes' a FciigueroLlcs
pour la reclierclie d'une mine de charbon de terre.
Depuis que I'industrie a pu maltriser la vapeur, cet
agent docile est devenu indispensable aux besoius des
societes modernes. Mais, pour produire cet agent et en
tirer le parti le plus ^conoraique , il faut de toute ne-
cessite, dans I'^tat actuel de la science , employer beau-
coup de combustible ; et comme le bois et le charbon
qui en est cxlrait dcviennent de plus en plus rares, cette
decouverte de la puissance de la vapeur aurait perdu
DU 26 NOVEMBRE l84o. XLI
blen vite de son importance , si Ton n'eut pu trouver un
autre combustible , d'un prix moins elcve, qui, sous
un moindre volume , put repondre aux besoins des in-
dustrlels. Ce combustible, employ^ depuis longues an-
n^es dans nos forges, est la houille et I'antbracite. La
possibilite de lutter sans trop de desavantage centre
I'industrie (5trangere dependait done de la dccouverte
des mines de houille. De lii est nee cette activite qui se
deploie de toutes parts h la recherche du combustible
mineral ; de \h les fouilles assez r^centcs faites k Feu-
guerolles.
Quelqucs annees avant la revolution de 1789, on fit
des recherches dans le nieme lieu et dans le merae but :
on creusa deux puits h 250 metres de I'Orne, et h. 50 ou
tiO metres I'un de I'autre. II existe, au'fond de celui qui
est vers le sud et qui pent avoir 65 metres de profon-
deur , une galerie longue de 60 metres. Au fond de
I'autre puits, qui n'a que 31 metres , on trouve cgale-
mcnt une galerie de 65 metres dirig^e vers Test. Au
bout de cette galerie , on a crcuse un puits de 24 a 25
metres de profondeur.
Ces travaux ne mirent au jour qu'une matiere scliis-
teuse noiratre , qui rougit au feu sans bruler.
Les couches de ce terrain renferment aussi du gr6s
siliccux , du schiste argilcux , du calcaire marbre , du
mimophire et du grauwackc. EUes se dirigent dans Feu-
XLII SEANCB PCBLIQUE
gueroUes , du nord-ouest au sud-ouest, et sont Incli-
n^es S peu pr6s de SO degr^s au nord-est.
Ces recherches furent abandonn(5es en 1790, etil
n'est resle de cette premiere tentative que la preuve
qu'elle avail 6t6 totalement iufructueuse. Malgre la
d^faveur qui a suivi I'abandon de ces fouilles, il s'est
form^, sur la proposition d'un habitant d'une commune
volsine, une nouvelle societe pour reprendre les tra-
vaux interrompus ; mais apres avoir employd une par-
tie d'un capital social qui s'^levait, dit-on,& 1 00,000 f.
la nouvelle entreprise a ^t<5 abandonn^e , sans qu'on
eut meme peuetr^ jusqu'au fond des premieres fosses.
L'avis des hommes les plus aptes h en juger n'a pas 6i6
plus favorable aux fouilles recentes qu'aux anciennes ,
et iM. Herault ne peuse pas que des recherches ult6-
ricurcs, avec quelque activite qu'on les dirigeat ,
obtiussent des resuUats plus avantageux.
Le tcrrein qu'on trouve h FeugueroUes est de meme
nature, il est vrai, que celui oii sont situecs les mines
d'autiiracite qu'on exploitc dans les departenients de
la Sarthc et de la Mayenne ; mais rien n'indique qu'on
trouve cette substance dans le terrein de FeugueroUes.
C'est dans cette commune que vient se terminer le ter-
rein de transition modernc, qui est entourede calcaire
j uassique. II resulte de cette disposition que si Ion y
trouvait de rautliracitc , les fouilles n'auraicnt pas
DU 26 NOVEMBRE l84o. XLIII
r^tendue suffisante pour y 6tablir une exploitation
avantageuse.
— Quelque importante que soil la connaissance des
(5tudcsmineralogiques, conuaissance qui ne s'acquiert
que par un travail opiniatre , ct qui ne sera jamais le
partage que des liomnies speciaux, il est pour la so-
ciete tout entiere une connaissance d'un plus haut inte-
ret, celle de Thomme, de scs infirmites physiques et
morales , et des moyens de les guerir.
M. Le Salt age vous a lu des Recherches siir le^
annexes du foetus humain ; un Memoire theorique et pra-
tique sur les luxations dites spontances ou consecutives , et
en particulier sur celles du femur; un autre Memoire
sur I'origine etle traitement des maladies siphilitic/ues ; un
autre , enfin , sur les tumcurs formees par exhalation et
dont le tissu est semblable a celui des pseudo-membranes.
Ces differents 3Iemoires ayant ete publics , je ne dois
pas en faire ici I'analyse. Je dirai seulemeut que s'ils
renferment parfois des opinions qui rencontrent plus
d'un contradicteur, ils renferment aussi desfaitspre-
cicux ct des apercus ncufs , qui sont ou qui doivcnt
conduire ^ des decouvertes.
— M. Raisin vous a prescnte plusicurs Rapports sur
la maison ccntrale de Dcaulieu. Le dernier est du 15 avril
XLIV SKANCE FIBLIQUE
18^0 , et a pour objet les maladies observees dans cette
prison, pendant I'annee 1839. L'auteur en a fait deux
categories : Tune embrasse les maladies ordinaires ,
dont 331 Iiomraes
et 234 femmes
565
ont etc atteints, parmi lesquels 22 homnies sont morts
do maladies aigues, et 43 de maladies chroniques; 8
femmes sont mortes de maladies aigues , et 9 de mala-
dies chroniques. La deuxieme categorie embrasse les
erysipeles et les fievres typhoides. 41 homnies et 19
femmes ont eu des erysipeles, 7 hommes et 1 femme
ont succombt5 ; les fievres typhoides ont atteint 1 7
hommes et 10 femmes, 9 hommes et 2 femmes ont
succombe. Le total geileral des raalades a done ete de
652, celui des morts do 101, sur une population
moyenne de 1211 individus, dont 906 hommes et 305
femmes.
M. Raisin , dans la dernicire partie de son Rapport ,
a recherche les causes auxquelles il faut attribuer I'ex-
cddant de maladies et de deces sur les ann^es prece-
dentcs , et il a indique les suivantes : 1". L'accroisse-
mcnt de population , notammcnt en vieillards et eu
individus d'une constitution deterior(5c ; 2" L'humidite
constante des trois premiers mois de 1839 , de la der-
DU 26 NOVEMBRE l84o. XLV
niere moitid d'aout et des mois de septembre , octobre
et novembre , jointe ^ une temperature assez elev(5e ct
sous I'influence des vents du sud , du sud-ouest et dc
I'ouest ; 3°. La stagnation des eaux pluviales ct mena-
geres , stagnation qui a dure plus de 18 mois, depuis
que le puits absorbant que Ton avail fait creuser pour
recevoir ces eaux avait cesse de fonctionner.
A I'occasion de cette derniere cause d'insalubrite ,
M. Raisin expose deux sjstemes d'ecoulement pour les
eaux pluviales et menageres de Beaulieu. Le premier
consiste ii les faire perdre dans les carrieres aban-
donnees , qui sont derriere I'enceinte de la maison
centrale; le second k conduirc les eaux dans la plaine,
loin de toute habitation, par un canal decouvert , jus-v
qu'i un bassin , d'une dimension suffisante , et qu'il
serait facile de nettoyer.
L'auteur du Rapport combat le premier de ces
raoyens , et donne des raisons plausibles en faveur du
second. II importe ^ la salubritc du pays que cette
question soit examinee sans preventions , et resolue
dans le sens de I'hygiene.
— Plus pres de nous que la maison dc Beaulieu , il
en est une autre oil se traitent avec un zele admirable
des infirmites plus dignes de pitie. La maison du Bon-
Sauveur a et6 I'objet dc plusieurs Memoires de M.
XLVI STANCE PUBLIQUE
I'abbd Jamet. Malheureiisement cesM^raoires remontent
i plusieurs ann^es. Toutefols , ils soiit precieux dans
I'absence de documents posterieurs , et nous en ex-
Irairons quelques cliiCfres ct quelques observations
utiles.
En I'ann^e 1835, il est entre au Bon-Sauvenr 92
alienes , ce qui a portc leur nombre dans I'etablisse-
menta/»21.
La statistique comparee prouve que dans cette mai-
son , un plus grand nombre de fous ont recouvre la
raison que dans les autres etablissemcnts de la memo
espece. II faut attribuer cet heureux rcsultat aux soins
attentifs et memes minutieux des personnes qui sur-
veillent ces infortunes.
Quant aux sourds-muets , le nombre en etait dans
cette meme annee 1835, de 8li. Vous avez appris de
M. Jamet que la methode qu'il a crC'ee pour rendre la
parole ices malheureux lui a reussi , et que I'un d'eux
a des succes marques dans les sciences, M. Jamet est
ensuite entre dans de curieux details sur les facultes
intellectucUes des sourds-muets , et. sur les moyens
qu'ils ont imagines pour lier entre eux une conversation
qui ne pent etre connue que des initids. Au sein des
tdncbres , ils ont trois moyens de communication : les
mains Icur en fournisscnt deux, et les pieds un troi-
si6me.
DU 26 NOVEMBRE 1840. LXTU
lis dcrivent avec I'index sur le dos ou dans la main
de leur interlocuteur.
Lorsqu'lls veulcnt abreger^l'un sesert dela main dc
I'autre , pour former les signes m^thodiques et lul
transmeltre ses pensees.
Enfin , ils se servent de leurs pieds avec tant d'a-
dresse , qu'il leur suffit dc pouvoir se les atteindre mu-
tuellement, pour lier une conversation et la soutenir
assez long-temps.
Dans le dernier Memoire de M. Jamet sont consi-
gnees diverses observations qu'il Importe de mention-
ner. II a remarque , par excniple , que , dans un grand
nombre de families , il existe plusieurs sourds-muets
de naissance , et ses recherches lui ont fait connaltrc
que, dans les seuls departements dii Calvados et de la
Manche, il existe dix families qui ont 22 enfants atteints
1,1
d'un mutisme originel.
M. Jamet ne confirme pas I'opinion recue , que la
surdite est moins commune parmi les riches que parmi
les pauvrcs; le nombre des sourds-muets lui semble
proportionn^ k la population des diverses classes de la
societ(5.
Les sourds-muets sans fortune, sortisduBou-Sauveur
avec une certaine instruction , s'appliqucnt gcn(?rale-
nient : les hommes . h la mcnuiscric et au jardinage ;
XLVIII SEAKcE PUBLIQUE
les fcmmcs , h la couture , b. la broderie , au J)lan-
chissage.
II est h rcgrettcr , Messieurs , que les utiles docu-
ments que renferineut les Meraoires dc M. Jamet,
n'aient pas une date posterieure Ji 1836. Esp^rons que
I'auteur^ne tardera pas a les completer.
— M. Bi NEL vous a communique deux cahicrs d'ob-
scrvations thermo-baroinctriqucs , calcul^es par lui
pour determiner les hauteurs de divers points du de-
partement. Ces observations vous sont parvenues assez
tot pour Irouver place dans votre dernier volume.
— M. 3IASS0N vous a lu un Memoire intitule : De
I'action cxercee par le clilorwc de zinc sur L'alcool, et
des prodmts qui en residtent. L'auleur , en s'occupant de
la thcorie des ethers, s'est propose les deux questions
suivantes :
Sous quelles conditions I'alcool se transforme-t-il
en ether ?
Quel role joue dans les corps I'liydrogene carbonnc?
Le Memoire se divise en deux parties, M. Masson ,
dans la premiere , rappcllc les theories qui ont ete
donnees pour expliquer la formation de I'ether, au
moycn du melange de plusieurs substances avcc I'al-
cool. II demontre rinsulTisance dc cctte explication ; il
DU 26 XOVEWBRE 1840. XLIX
examiner les objections qu'on pourralt faire h ces
theories , lesquelles n'offrent pas de solution satisfai-
sante de la prdsence de tons les produits fournis dans
rop(5ration de la formation de Tether.
M. 3Iasson , dans la seconde partie de son M^moire,
traite de Taction du cldorure de zinc sur Talcool: c'est
son travail particulier. La preparation du chlorure de
zinc conslste k trailer le zinc en grenaille par Tacide
hydrochlorique concentr(5 du commerce , pour en ob-
tenir une dissolution tres-concentr^e de chlorure de
zinc. Cette preparation , par Taction de la chaleur sur
la dissolution, donne beaucoup d'eauet un peu d'huile
douce pendant la formation de V6thcT. II serait fasti-
dieux d'entrer dans le detail des operations multiplides
que M. IMasson a faites pour arriver h son but ; voici
la conclusion de son M^moire :
1". L'alcool, traite par le chlorure dezinc, sc trans-
forme en 6ther hydratique eten eau, Ji une tcmpt^rature
de 130° centigrades.
1°. A une tempdrature entre 155" et 160°, Thuile
douce commence h se former , et continue ci paraitre
jusqu'i 220".
3°. La masse de chlorure de zinc reste Ji Tdtat d'hy-
drate mfileed'oxide de zinc.
W. II se degage , pendant Toperation , de Tacide
hydrochlorique en quantite variable.
IV
t SEANCE PUBLIQCE
— M. Eudes-Deslongchamps vous a brievement en-
tretenus de la decouverte d'unc iiouvcUe cspccc'de sau-
riens fossilcs , d'une grandeur considerable , qu'il a
decrite dons les Memoires de la Society linn^enne.
M. Deslonchamps vous a fait connaltre aussi , par
une appreciation 6crite , la valcur 'de I'ouvrage de M.
Brongniart, intitule : Premier Mtmoire sur Ics Kaoli7is
oil argiles a porcclaine.
— E Lafoye vous a lu un Memoire sur le ba~
romkre a syphon. Si les deux branches du barometre
^ sj-phon sont d'un diametre dgal , il suffira d'observer
la hauteur de la colonne sup<5rieure et de doubler les
variations apparontes, pour avoir les variations reelles.
Cette observation, qui appartient k M. Gay-Lussac, se
trouve ^nonc^e par M. Biot dans son Precis elcmen-
taire , ou il conseille d'envelopper enti^rement la bran-
che la plus longue , et de sc borner Ji observer la plus
courte. M. De Lafoye s'est convaincu que ces assertions
no sont exactes qu'autant qu'on ne se borne pas a une
seule observation. II donne un calcul qui prouve ce
qu'il avauce , et il conclut , en definitive , que les va-
riations ne seront egales et de signes contraires dans
les deux branches , qu'autant que la temperature n'aura
pas vari^.
Vous devez encore i M. De Lafoye un Memoire
DU 26 NOVEMDRE l84o. LI
intitule : Description et thcoiHe du psychrometrc du doc~
teur August , et quelques Rapports sur des ouvrages
iniprim(5s et manuscrits que vous avez recus.
— M. Desains vous a pr6sent6 une Analyse de la
chimie de Leinery , travail utile , qui eiit (16s cette an-
n<5e trouve place dansvos Meraoires, si i'auteur n'avait
pas desire , en le retirant , le completer par des (Etudes
sur toutes les ceuvres du grand cliimiste de Rouen.
— Ce que M. Desains n'avait fait que pour I'une des
ceuvres deLeraery, M. Sciimit I'a fait pour toutes celles
de Varignon. L'appreciation des travaux nombreux de
ce matheniaticien , ne dans notre ville , demandait un
mathematicien d'une grande force. M. Schmit s'est tire
avec honneur de cette tache penible , et sa notice pa-
raitra dans le volume que vous avez sous presse.
— M. Prudhomme , qui ne croit pas que son grand
Sge I'exempte de payer son tribut , vous a lu une note
int^ressante sur une trombe terrestre.
— M. Deloges vous a fait connaitre un proced^ qu'il
emploie pour obtenir dans ses bureaux une chaleur
exempte des iucommodites des feux de poeles. Une
Commission a 6te nommee par vous pour I'examen de
r
HI SKANCE PUBLIQITE
ce precede , et le rapporteur , M. Herault , vous en a
expliqu6 tous les avantages.
— M. BergLs vous a soumis une decouverte , qui ,
s'il ne s'est pas fait illusion , sera fort honorable pour
ce mathdraaticien. II croit avoir trouv6 , pour la solu-
tion des Equations algdbriques, des proc(5des beaucoup
plus rapidcs que ceux qui sont usites dans I'dtat actuel
de la science. M. Berges vous a envoys une portion de
son manuscrit, pour assurer la date de sa decouverte,
en attendant qu'il ait rddige tout son ouvrage. 11 faut
attcndre la suite de son travail , pour etre k nieme
d'apprdcier , avec certitude , la valcur des solutions
qu'il propose.
I^s sciences vous ont fourni , Messieurs , bien peu
de Menioires en dehors de ceux que je viens de men-
tionner. Je n'ai pas dii vous entretenir d'un travail
aussi sterile qu'etendu et dont M. Masson a fait justice.
L'auteur croyait fermement avoir trouve la quadrature
du cercle. Dieu vicune en aide h ces obstines inves-
tigateurs, soit pour qu'ils atteigneut le but qu'ils pour-
suivent , soit pour qu'ils renoncent i leurs rccherches !
— Entre le domaine des sciences et celui des Icttres,
viennent se placer comme lien naturel les M(5uioires
d'econoinie sociale et dc philosophic.
DU 26 NOVEMBRE 1840. LIU
— M. De Magneville vous a lu , IMrssieurs, un M6-
moire qui a donne lieu h uae importante discussion.
Ce Mt5moire est intitule : Qnclcjucs reflexions sur le par-
tage des biens communmix. L'auteur considfire celte
question dans I'interCt dc 1' agriculture, etdans celui
des communes.
Les iut(5rets dupauvre lui semblent 16s6spar lespar-
tages op6r(5s en vertu de la lol du 10 juin 1793. En
effet , qu'en est-il advenu ? la plupart des lots ^chus
aux families indigentes sont vendus , et le capital est
dissip^. Le droit d'usufruit u'a 6t6 change en droit de
propriet(5 qu'au detriment des communes , au d(5trl-
ment des races futures que ce changement d(5sherite.
M. de aiagneville pense que le partage, qui a mor-
cele les grandes propriet^s communales en portions
trop miuimcs, n'a pas permis les ameliorations qui de-
mandent un ensemble de travaux sur un plan un
pen vaste , et qui exigent des capitaux un peu con-
siderables.
Le mcllleur moyen de mettre en valeur les bicns
commuuaux , de conserver aux pauvres tous leurs
droits et d'augmenter meme lours ressources , serait,
dans ropiuiou de l'auteur , de louer ces biens par
baux ampliyteotiques , ou ci des termes plus ou raoius
longs , selon les depenscs jug(5cs nt5cessaires pour les
amcliorer. On imposerait aux localaires robligation de
LIX SEAXCE PUBLIQCE
falre , pendant leur jouissance , ces ameliorations plus
ou molns onereuses, dont lis se trouveraient indem-
nis6s durant les dernieres annees de leur bail. Apres
I'expiration de cliacun de ces baux , les communes ren-
treraienten possession de leursbiens,qui auraient ac-
quis une bicn plus grande valeur.
M. de MagnevUle, pour repondre h une objection
grave , trace les regies qui lui semblent les plus d' accord
avec la justice pour arreter d^s h present les listes des
ayant-droit. Ces listes une fois closes , on ne verrait
plus de ces strangers nomadcs , qui ne changent de
domicile que pour avoir part h des 'partages de biens
communaux. Cette opposition legale nc serait pas re-
nouvelde.
La majorite de la Commission nomm(5e pour I'examen
du Memoire de M. de Magneville , a partag^ son opi-
nion : elle a ete, commc lui, pour les baux ^ long
terrae.
— M. Le Gnip vous a lu , dans une de vos dernieres
SL'ances, un travail 5?<r la Mendicite , oil il a presents
une bonne analyse de la legislation francaise sur cette
matiere. Les donnecs pratiques renfermees dans son
morceau , I'ont fait admettrc dans le volume que vous
allez bient6t publier.
DU 26 NOVEMBBE l84o. LV
— Vous avez entendu M. rabb(5 Daniel lire pour
M. I'abb^ Delamare une Introduction d I'ctucle et d
I'enseignement de la philosophie. Je ne puis que luen-
tionncr ce raorceau , comnie tant d'autres dont je ne
trouve que I'indication dans vos proces-verbaux et qui
ne sont point dans vos arcliives.
— M. Saisset vous a fait connaltre le jugement
porte par Sclielling sur la philosophie de M. Cousin. Ce
n'est pas une traduction nouvelle de I'ouvrage allemand
que vous a donn^e votre jcune collegue, niais une
apprdciation de ce jugement, et une refutation de
quelques attaqucs contre les doctrines de son inaltre.
Les reflexions sur Schelling font partie du volume que
nous avons sous presse.
— M. Edom vous a prescnte un tableau prdcieux des
salles d'asile. Apr6s avoir fait I'dloge de cette blcnfai-
sante institution en general , il a cite particulifircracul
la salle d'asile d'Mencon. II attribue sa superiority sur
loutes les autres ci ce qu'elle est tenue par une congre-
gation de femmes , voudes specialement Ji cet emplol
dans un but rcligeux. L'autcur, en finissant, a emislc
vceu que des etablissements aussi utiles soient fondes
dans toutes les villes , dans tons les bourgs conside-
rables , ct que , dans les cites populcuses , Ic norabrc
LVI STANCE PUBLIQUE
en soit augments, ou par les Conseils rauniclpaux,
ou par des Associations philanthropiques.
Vous devez eucorc hM. Edora un Voyaged Solesme,
dans lequel il vous a fait connaltre en detail I'^tablls-
sementdecette congregation nouvelle de savanls,de ces
B^nedicUns de la Sartlie, qui se sont vouds i lu re-
clierclic des origines catliollques.
— Si I'etat de sa sante n'a pas permis a M. Vaultier
de venir Ji vos stances , il en a du moins occupy un
certain norabre pardesMemoires d'une grande (5tendue
et d'une haute importance. M. Vaultier joint un gout
exquis i une vaste Erudition. II ne prend jamais la
plume pour rep^ter ce qu'ont dit les autres , et le desir
de la nouveaute ne le conduit jamais au paradoxe.
Vous lui devez , Messieurs , et vous trouverez dans notre
volume , son second Memoirc sw la pocsi'e lyrique en
France. Dans le 1". , il avail trait<5 de son origine et
de ses ddveloppements jusqu'i la fin du XIIP, siecle.
Le second a pour objet le lyrique des XI V. et XV.
slides.
Un ouvrage de M. Wolf sur lancienne epopee
carlovingienne a donne I'occasion i\ M. Vaultier de
parlcr de nos anciens romans et de leur fortune jus-
qu'Ji nos jours. Nous dirons avec lui que les poemes
liC'roiques en lauguc vulgaire , conuus sous ce nora de
DU 26 NOVESIBBE 1840. LVI
7^omans, ont etc rancienue ^pop(5e frangaise, et une
branche de cette poesie nationale du moyeu-age , qui
a fait les delices des cours jusqu'aux approchcs du
rfigne de Francois I".
A cette 6poque , dite de la renaissance , le gout de
I'imitation classique et le cliangoment inlrodult par le
temps dans le langage , mirent fm au succes des vieux
romans, et b, peine Icur existence continue-t-cUe h etre
connue des 6rudits , au XVIP. siecle. Notre compa-
triote Daniel Huet,danssa Lettre hSegrais surTorigine
des romans , fixa son attention sur les romans du faux
Turpin et de la Table-Ronde , dont il rappcUe le sou-
venir dans quelqucs pages de son ouvrage. Mais ce fut
au XVIII". siecle que M. de Tressan les fit mieux con-
naitre par les extraits qu'il en publia, et qui eureut un
succes prodigieux.
Cependantlesceuvres originales decespoetesseraient
rcst(5es inconnues, sans quelques passages de I'Histoire
litt(5raire des Benedictins, qui oat appele Tattention
sur de curieux fragments, L'intcret s'est accru depuis
que les Raynouard et les De la Rue ont public leurs
savants ouvrages. De toutes parts on recherche nos
origines litteraircs, et M. Wolf est au courant de tout
ce qui se publie sur cet objct. Le jugement de M.
Vaultier est tres-favorable au Kvre de noire corres-
pondaut elraugcr.
LVllI SKANCE PL'BLIQCE
rarmi Ics autrcs travaux que vous a envoy^s M.
Vaultier , il faut distiuguer une Analyse rhylhmique du
vets dexandnn. L'objet de cette dissertation est de
d(5terminer en quoi consiste I'liarraanie de nos grands
vers. L'auteur a cru pouvoir y parvenir , au moyen
d'une analyse qui decompose I'alexandrin en rhythmes
dc combinaisons syllabiques , apprcciables Ji I'oreille ,
et entre lesquelles sc placcnt uaturellemcnt des pauses
sensiblcs de sens et de debit.
En procedant \ cette analyse , M. Vaultier a trouv6
que ces rhythmes, avec I't^lement rhytlunique simple,
qui peut s'y allier et les completer, sent en tout au
nombrc de six , depuis une seule jusqu'i six syllabes.
11 leur a doun(5, en consequence, les noms de mono-
phone, diphone,triph6ne, etc. , destines \ caract^riser
la nature et la forme de leurs combinaisons^
L'auteur a essayc d'etablir que ces rhythmes sont les
veritables elements harmoniques du vers alexandrin ,
dans lequel ils peuveut se combiner de beaucoup de
manieres diverses ; de sorte que ce vers que des cri-
tiques onL dit ctre constaimnent semblablc Ji lui-meme,
se Louve, auconti'aire, susceptible d'unnombre presque
infmi de formes, et Jitel point que,sur quelquemorceau
qu'on cnfasse repreuve,on trouvera difficilemcnt deux
vers de cette cspece , dont Ic mode de composition
rhythmique uc soit pas esscntiellement different.
DC 26 NOVEMBRE l84o. LIX
Cela pose, M. Vaultier a eutrepris de determiner
le caractere de chaque rliytlime, consid6r6 en lui-
nicme, et la propridt^ d' expression particuliferc b. chacun
d'eux , et qu'ils tcndent h coraniunlquer au vers oii lis
se trouvent combines. Puis 11 a deduit de ces notions
dcs principes sur I'art de lire les vers , et sur celui de
composer des vers propres au chant.
Enfln, 11 a demontre que V alcxandriji dramcuique
reirempe de la nouvelle ecole est essentiellcment vi-
cieux, et peche non seulement contre nos habitudes
de versification artificielle et convenue , mais aussi
contre les principes essentiels de I'harmonie naturelle ,
en ce qu'il brise , comme h dessein , tous les rhylhnies,
soil en introduisant des pauses \h ou le debit ne peut
en admettre , soit en ne tenant aucun compte de celles
que le sens lui fournit naturellement ailleurs.
L'idde-mere de la dissertation que je viens d' analyser,
I'idde du rhythrae de combinaison syllabique , a etd
fournie par I'abbe Scoppa , qui le premier en a signal^
I'cxistence dans son grand traite des principes de ver-
sification comparee. Dans lereste,IM. Vaultier a march6
pard'autres voies, enabandonnant tout-ii-fait ;\ I'auteur
Italien sa theorie des jeux supposes d'un accent tonique
que notrc langue ne possode pas , au moins dans le sens
oil on I'entcnd chez d'autres nations.
Ainsi , Messieurs , dans sou fond comme dans sa
LX SEANCE PUBLIQUE
forme , la theorie d^velopp^e par M. Vaultier lui appar-
tient exclusivement, et sans cniprunt d'aucun detail.
— M. IMaillet-Lacoste vous a r(5cit^ divers fragments
de ses cours et de ses autres travauxlitt6raires,entre
autres une partie de son Juijcmcnt sur I'eloquence de
Mirabcau , et son Discows contre les dctracteurs de
I' etude des langues ancienncs et des auteurs de I'antiqiiite.
— M. De Lafoye charge d'examiner la traduction
allemande que M. De Hammer a faite de I'ouvrage in-
titule Le Rossignol et la Rose, par le poftte turc Fazi ,
vous a signale le vide d'une foule de metaphores orien-
tales, qui doit nous faire attachcr peu d'importance Ji
de semblables travaux.
— M. Prel vous a lu son introduction h I'ouvrage qu'il
a compose snr les fables anciennes et modernesj fran-
(■(lises et etrangeres, dont La Fontaine a traite le sujet. Ce
morccau d'erudition offre des reclierclies curieuses et
nouvclles, aprSs les travaux aulericurs sur le meme
objet.
— Vous dcvez h M. P. -A. ViEiLEARn un morceau sur
le privilege de la Fierie de saint Rowain. L'auteur a
interpret6 uue lygende anciennedans un sens allego-
DU 26 NOA'EMBRE l84o. LXI
riquc, sans degrader en rien le caract^re religleux dc
lacer^monie touchante dont il a retract le souvenir.
— M. Roger vous a lu deux Memoires. Le premier
est sur le beau, I'une des niatieres les plus ardues de
I'esthetique. L'auteur , qui compte d^velopper un jour
I'idee-mere de ce premier travail,le resume en ces termes:
« Le beau est, dans son objet, laverite morale; dans
son sujet,remotion produile par cette verite ; dans sa
forme, la Vive expression delameme verite par Taction,
par le spectacle de la nature , par la litt^rature et les
arts. Laverite morale se resume en un seul sentiment,
la charity , suivant les lois du christianisme. La charite
est done ce qui constitue essentiellement le* beau. »
Nous devons. Messieurs , un autre Memoire h. M.
Roger. Notre coUegue s'est demande s'iL xj a eu progres
dans les societcs anciennes , etrangcrcs an christianisme ;
puis si le progres , qui scinble croilre de jour en jour
dans I'etat actuel de la societe , a toujours marche aussi
rapidement , on s'il s'cst arrclc par interrallcs el a di-
vcrscs epocptes. C'est uue belle , une tres-belle question
dont l'auteur n'a traite encore qu'une partie. Nous es-
perons qu'il ne tardera pas h I'achever.
— M. Scei'R-Mkhlin , qui vous avail deja envoytJ
une iVof tee sur Burckhardt etsesvoyuges ,\o\xs a prdseut^
LXII SKANCE PUBLIQUE
un M^moire sur rorient ct sur les ruincs d'Athenes, et
un autre intitule : Des progrds de la geographic en
Europe , depuis Ics temps les plus recul^s jusqu'i nos
jours.
— Les occupations multlpliees de M. Ya.hh6 Daniel
ne lui ont pas perniis de nous douner quelques travaux
qu'il a projetes. Toutefois , vous lui devez quelques
analyses d'ouvrages qui vous ont ^16 offerts , entre
autres un comple-rendu du 1". volume de la Revue
anglo-fraucaise.
— A I'oecasion du Bvdlelin de I'Academie 6broi-
cienne, dont le 2'. n". de 1835 enlevait h la ville de
Caen I'lionneur d' avoir donne le jour a Ticrre-Daniel
Huet, le patriotisme de M. Hubert s'est emu. II n'a pas
eu de repos qu'il n'ait decouvert , dans les registres
de I'^tat civil , I'acte de bapleme du savant evequc
d' Avranches. Enfin, il a ete assez heureux pour prouver ,
piece en main, que Pierre-Daniel Huet naquitsurla
paroisse St.-Jean, le 8 fevrier 1630.
— Un des membres recus depuis votre derniere
stance publique, M. De GouRNAy,vousa faitpart d'un
grand nombre de ses travaux. Parnii les morceaux
qu'il vous a lus, je Citerai un Parallele cntrc Hcracc et
DU 26 NOVEMBRE l84o. LXIU
Juvenal ; UD Aperni dcs progrcs de (a civilisation <?»
France, depuis Vorigine dc la inonarch iejiisqu'a nos jours ;
une Dis^eriation sur les Tristcs d'Ovide ; un Discours sur
le caractcre et les ouvrages d' Horace; un Mcmoire siir
I'historien Tite-Live; un autre sur I' epopee classique et
sur L' epopee humanitaire ; une Analyse de la Pliarsale de
Lucain; une autre de la Henriade de Voltaire; une autre
du Joce/yn deM. Lamarline; un Apercu de I'kistoircde
la litterature latine ; une Dissertation stir te poke Um-
lius , et une Notice sur Ennius. Tons ces niorceaux t6-
moignent des serieuses eludes de BI. De Gournay. Sa
Notice sur Ennius paraitra dans notre volume.
— Ce volume commence par un Memoire de M.
Martin sur les ceuvres pocliques de Desportes , de
Bertaut, deMalherbe, de Racan et de quelqucs autrcs
poetes de la meme epoque. Quelques personnes trou-
veront peut-etre le merite de I'autcur des stances ii Du
Perrier un peu trop rabaiss^ par M. Martin. La gloire
de la ville de Caen n'en souffrira point , car si le cri-
tique ote quelques fleurons 11 la couronne un peu ti"op
chargee de notre Malhcrbc , c'est pour les ajouter i
telle de Bertaut, ne aussi dans la ville de Caen.
— M. Bertrand vous a lu un Tableau de la marche
et du dcvcloppemefit dc la litter attire grecgue , elun 1".
LXIV SEANCE PlT.LIQl'E
Mnnoirc sur Aristophane. L'explication ingenicuse que
I'auteur a dounee d'un problcme jusqu'ici raal resolu
sur I'auteur AeslSuces , ;i savoir: — comment concilier
rirreverence de ranciennc comedic grecque envers
Ics Dieux , et le respect dcs Allieniens pour ces niemes
divinites? — prouvecombien I'investigation del' antiquity
est encore fcconde pour ceux qui ctudient dans les
sources meraes, et qui, laissantde cote la tourbe des
glossateurs inintelligents , puisent Icurs comraentaires
dans la connaissance des hommes et des epoques. Ce
Mcimoire paraitra dans votre prochaiu volume.
Vous d^vez encore a. M. Bv^rtrand divers Rapports,
dont I'un a pour objct le poeme inedit des Quaire ages,
par M. Jidicn Le TerliT.
— M. De Caumont vous a lu quelques fragments des
Visites d'Odon Rujaidt dans un certain nombre d'eglises
et de monasteres de la Basse-Normandie. Les commu-
nications partielles que notre confrere a faitcs jusqu'ici
de ce document aussi curieux qu'authentique , font
desircr la publication du raanuscrit original.
— M. LfiCHALDfi-D'ANiSY , VOUS a communique des
JSotcs sur I'Acadcmie de Caen. Ce sont d'utilcs rensei-
gncmcnts que ne manquera pas de mettre a profit
riiistoricn de notre Compagnio,
DU 26 NOVEMBRE 1840. LXV
— M. De Formeville , r(5cemmenl rc^u parrai nous ,
a paye son tribut academique par la lecture d'un mor-
ceau d'histoire intitule : Lcs Calvinistcs ct la St.-Bar-
thciemy a Lisieux. Le beau trait de la vie de Jean Lc
Hennuyer , que Ton citait avec complaisance , est in-
firm6 par M. de Formeville. Nous le regrettons pour
notrepart; raais nous approuvons le respect de I'lils-
torien pour la verity.
— Dans une de vos dernieres reunions , Messieurs ,
votre SECRfiTAiRE vous a lu une Analyse de la Chute d'tin
Angct par M. Lamartine. Les citations nombreuses qu'il
a faites de ce poeme vous ont mis ii meme de jugcr si le
style racbete les d^fauts si graves de cette composition,
— La critique d'un poeme nous amene Ji la poesie.
Quclles qucsoient les preoccupations du public, quelque
froid accueil qu'il fassc aux muses , elles ne sauraient
se resigner au silence. Quand I'inspiralion agite un scin
de poete , il faut que ce mortel a part , que ce mortel
divin cede k sou instinct sublime. Esclave du genie, il
lutterait en vain contre la flarame sul)tile , ardente ,
imperieuse , qui circule dans tout son etre, qui exalte
toutes scs facultes ; il faut qu'il marcbe ou le genie
I'entraine , il faut qu'il nous brule du feu qui I'embrase.
Nous Savons, "Messieurs, que le grand poete est rare.
I.XVI SEAXCE PLBMQl'E
et que le rhapsode de Platon scrait inutilemcnt chorch^
dans nos academies. Nous savons du moins que le ta-
lent poetique y est comniuu, et souvcut nous avous (5te
frapp^s du mc^rite de ses productions.
Parmi les pieces de vers qui nous ont ett5 envoy^es
par nos correspoudauts , ou qui ont 6t6 lues par les ti-
tulaircs et lesassocies, il est juste de mentionner cellcs
de3I™'. Lucie Coueffin,etde MM. AlphonseLe Flaguais,
Ludovic d'Ossevillc, Julien Le Tertre, Le Noble, Mar-
tin, Victor-Evremont Fillet, Theodore Le Breton, De
Gournay, Bertrand , Thuret etP.-A. Yieillard.
Ici, Messieurs, se termine noire compte-rendu pour
les sciences et les lettres. Quant aux arts , nous u'en
dirous que pcu de mots.
Je ne sais comment expliquer I'absence de tout M(5-
moire , de loute Dissertation sur les arts. Nous avons
des artistes dans notre cit(5 ; la musique et la pcinture
y sont cultivces avec succes, et jamais on ne vient nous
entretenir de leurs moyens et de leurs effcts.
Peut-6tre , Messieurs , s'cst-on fait au-dehors une
fausse id(5c des predilections de rxYcademie. Les arts
presses entre les sciences et les lettres , lans le litre
Ci^ Academic dos sciciirrs , arts et brlli.i-icdrrs , s'dclip-
sent dans celle association. On a pii croirc que vous
n'admetticz parmi vous que des huninics tie science et
DU 26 XOVEMBRE 1 840. IXVII
des litt(5rateurs. Peut-etrc aussi un trop petit nombre
de places ont-elles dte reservees aux artistes. C'est un
soupfon que j'emets en passant, et je me liflte de vous
rappelcr les objets d'art qui vous ont ete offerts dans
ces dernieres ann^es.
— M. P. -A. Lair vous a fait present d'un tableau re ^
presentant Minerve , qui offre h la vue un m^daillon
ou est point le buste de Louis XV , par Jean Retout.
Ce peintre I'avait offert h I'Academie quand il en fut
recu mcmbre. Pendant la revolution , ce tableau dis-
parut. M. Lair I'a retrouve dcpuis, I'afait reslaurer i
ses frais, et vous en a fait hommage.
— M. FouRNEAUX vous a donn^ une lithographic de
I'abbe Delariviere. qui fut votre secretaire de 1800
h 1816.
— Vous devez a M. le docteur TROLVf; le portrait de
I'un des grands hommes , qui contribuferent le plus h
rctablissement legal de notre Acad<?mie , de P. Daniel
Huet, peint par Rigaud. Ce portrait decore , dcpuis la
fin de 183:'i , la salle de vos seances.
Enfin , M. Spencer-Smith vous a reccmment offort
I'excmplaire ii". 7 du portrait dc Samuel Bochard , qu'il
LXTIII SEANCE PIBLIQIE
a fait dessiner h ses frals par un des jeunes artistes de
iiotre cit^ , M. D. Levavasseur.
line me reste plus, Messieurs , mais c'est la partie
douloureuse de ma tSche ! il ne me reste plus qu'Ji vous
parler de nos pertes depuis six ans. EUes ont 6t6
grandes , plus grandes peut-etre que pendant toute
autre p^riode d'unc mCme (5tendue. II suffira de rap-
pelcr les noms de MM. Le Mcnuet de la Jugauniere ,
I'abb^De la Rue, I'abb^ Rousseau, Marc, Trouve, Pattu,
Hc'bert , Lange, parmi nos membres titulaires ou asso-
cids-r«?sidants , ct parmi nos associ<5s-corrcspondants ,
MM. Chantereyne , Le Chevalier , d'Ornay , Toustain
de Ricliebourg, Turpin, H. La Riviere, Nepomucfene Le-
mcrcier, Chamisso, Pluquet , Dancel, Ampere , Ca-
Icron , TA'illiara Sidney Sniilli , Desgenettes, Des(5tables,
Gaillon , Girard et Bigot de Morogues.
Je n'ajoute ancune ^pitliete h ces noms. Tous sont
connus, et des notices Liographiques ont 6t6 consa-
cr6es , soit au sein de 1' Academic , soit au dehors, .'i
chacun de nos confriires.
Cette ample moisson de la mort parmi nous a sans
doute attristL^ le pr{'scii( ; mais elle n'a point fait de-
sesp^rer de I'avenir. De nouveaux membres sont venus
com bier tous les vides
DU 26 NOVEMDKE 1840. LXIX
Je ne Ics nomme point , Messieurs, parce que la
plupart sont ici , et que je dois avoir d'autant plus de
reserve, qu'ils ont plus de modestie. Je sais , d'aillcurs,
qu'ils ne veulent etre rccommandes que par leurs tra-
vaux, et que plusieurs d'entre eux en preparent de
fort imporlauts. Le public les reconnaitra bientot h
leurs oeuvres.
BIOGHAPIIIE
JDc iW. U 6avon €c SiXcnnd t»c la Jutjannirrr ,
ANCIEN PREMIER PRESIDENT DE LA COUR ROYALE DE CAEN,
JVlEUCnE DE LACADEMtE;
PAR
IM. Th. MASSOT , avocal-gdnera!.
MA^SiSm^S^ M(D)IS)I1IEMS^
M. IJi MEMiET DE LA JIGAIVINIERE.
MKSSUilRS,
Les circonstances peuvcnt parfois faire la fortune des
honimes, les elever ii dc hautes positions, meler leur
nom a de grandcs clioses; mais il n'y a que leur valeur
personnclle , qui ait le pouvoir de les maintenir dans
ces liauteurs oii les poussa la chance des evenemenls.
Les succds passagers, dans lesquels il n'y a que du
liasard , i)euvent bicn uu instant seduire les yeux qui
sc laissent aveuglcr par un ('clat Ironipcur ; niais Ic
temps ;, cet inexorable apprccialcur de toutes choscs ,
LXXIV SKANCE n'BLIQVE
lie tarde giicrc a dire , mc'iiie aux inoiiis clairvoyants ,
quo CCS succes furcnt la part du boiiheur qui acccpte
la fortune , bien plus que cclle du mcritc qui la con-
quiert. Un peu plus tot, un peu plus lard , rien ne sauve
do I'oubli les modiocritt^s parvcnues. — II n'y a que les
lionimcs auxquols lour intelligence , lours vertus , ou
quclquefois meme leurs dcfauis out acquis une ve-
ritable et solide influence sur Icur epoque, il n'y a que
ces natures privilegiees et exccptionnelles qui laissent
quelque trace de leur passage ici-bas. Aussl, Messieurs,
quand vous trouvez un honinie qui vit prorondement
dans la memoire de ceux qui sent venus apres lui ,
({ui , nic'jne alors qu'il n'est plus, semble, pour ainsi
dire , elre encore present au milieu de ceux qui I'ont
connu , fouillez sans crainte dans la vie de cethomme;
car il est de ceux qui ont merite d'etre offerts en
exeniplc , et vous devez puiser dans ses paroles, dans
ses actes, et jusque dans ses erreurs , d'utiles ensei-
gncnients. — II en est un, Messieurs , dontj'ai, parmi
vous, rencontre le noiurespecte dans toutcs les bouches,
comme son souvenir est dans toutes les amesquihono-
rent la vertu et la noblesse du caractere : c'est M, le
premier president Le Menuet de la .luganniere. Vous
me saurez gre , j'en suis certain, si j'cssaie aujourd'iiui
de mettre en lumiore celte belle et digno figure de
magistral.
DC ^G NOVEMBRE 1 84o. LXXV
Sans doute , c'esl une tache difTicilc ct quolfiue pen
perilleuse pour moi qui ne I'ai pas connu, dc vcuir
vous parlor de cct homme , h vous , qui presque tons
avez etc les Icmoins de sa longue et laborieuse car-
riere/.^ vous qui I'avez eu pour collegue et coUabo-
rateur danscetto'Academie , etqui pourriez , au premier
fait ir exact , h la moiudre louche infidele , m'arreter
ot me dire que je m'egare... Mais cette difficulte , ce
danger n'auraient-ils pas aussi leurs avantages? — On
juge quclquefois mal ce qu'on volt dc Irop pres; — 11
faut a respiit , comme a Ta'sl , son point de vue . sa
perspective . son lointaiu... — Voila pourquoi I'avenir
nc ratific jamais corapletenient les jngements que le
present porte sur les hommcset sur les choses... —
C'est que , a vrai dire , Ic present ne juge gutre : il
aime ou 11 deteste , il^se passionnc , et il y aurait do la
naivete a deraander aux passions, soit qu'ellos alta-
quent, soit qu'elles defendent. do se montrer impar-
tialos et mcsurees. . . — Quelques-uns pourraient penstr
que le telnps n'est pas venu do parlor de M. Le
Menuet , que sa vie n'est pas encore a son veritable
point dc vue... — II me sera pcut-etre plus facile a
moi, dont la carriere commencait au moment ct loin
(les lieux oil fmisjait la sienne , a moi qui ne sais de
lui que ce ((ui lui a survecu. il lao sera plus facile de
Ic trailer commc tin aitcun.
LXXVI SEANCE PIBLTQIE
On 6lait vers le milieu de eel 8". siecle quia produit
tautd'lioiuraesel tantde Glioses, qui a vu la finde Louis
XIV et Ic commencement de Napoleon , et qui pour-
lant, dans I'ceuvre de civilisation qui s'accomplit inces-
samment , semble avoir rccu la mission de detrmre et
de preparer , bien plus que celle de fonder. — Une
philosophic , plus audacieuse que novatrice , travaillait
a suhstitiier partout I'esprit d'cxamcn h I'esprit d'au-
torit^ ; — Ic pouvoir , prive de ses anciennes bases
qui s'en allaient en mines, ne chcrchait pas h s'en crcer
dc nouvelles, et s'aidait, par sou avcugle resistance,
a crcuscr I'abime dans Icquel il devait s'engloutir; — le
privilege , allachant obstinement ses yeux sur le passe,
ne trouvait rien de mieux , pour defendre ses positions
deniantcl(3es,que la censure et leslettres de cachet;—
I'cglise , au lieu de combatlre , par des idees de pro-
gres et d'huraanite , le scepticisme aflligcant et railleur
qui voulait envahir le raonde , brulait les livres, ex-
communiait leurs auteurs, oubliant que de la flamme
mcme qui devorait le livre , I'idee devait surgir plus
eclatante, plus vivace, plus bardie... — Au sein de ces
luttcs ardentes , dans lesquelles s'epuisaient en elTorts
dcsesperes les puissances des anciens temps , les
maitres d'autrefois , on avait vu se former fi une cer-
tainc hauteur moyennc dc rechcUe socialc , une classe
d'hommcs.qui assislait , dans une coulenance pleiuc de
DU 26 NOVEMBRE 1840. LXXTH
mesurc et de (lignite, h cettc dissolution gc^neralc : c'etait
unc bourgeoisie assez instruite pour tout coniprcndre,
assez riche pour attcndre , assez forte pour etrc pa-
tiente. — II senible , b. la voir a la fois si ferme et si
contenue, qu'elle cut devine d'avance que I'avenir lui
appartenait et oju'elle ne voulut pas se compromettre ,
avantle temps, dans de prematures et inutiles d(5bats.
C'est de cette bourgeoisie que faisait partie la famille
de M. Le 3Ienuet.
Pierre Le Menuet naquit h Pcriers, le 10 septembrc
17/i6. Des ses premiers pas dans la vie, 11 ^prouva
le plus grand des malheurs qui puissent atteindre
I'homme; il perdit son pere et samere , ce qu'il y a de
plus neccssaire et de meillcur pour I'enfant : I'appui
de I'un et les caresses de I'autrc. II rc?ut les soins
de sa grand'mere , I'une de ces femmcs quelque peu
puritaines,chez lesquelles la tendrcsse a presque toute
la scverite du devoir. Mais ce precieux soutien ne
devait pas tarder h lui manquer ; il n'avait pas ncuf
ans, quand il la vit mourir. II fut recueilli par un grand
oncle patcrnel , cure d'unc petite paroisse aux envi-
rons de Saint-Lo. Le bon pretre le garda quelque temps
chczlui, I'iniliant lui-meme aux premiers elements de
la languc latine. Bientot 11 1'envoya au college de Cou-
tances, oil il se fit remarquer par des succcs, qui sont
toujours, quoiqu'on puisse dire, un beureux presage.
LXXVIIl SEANCE PIBLIQL'E
A sa sortie du college , le jeune Le Menuet s'effraya
saus doute de son isolenient. II venait d'avoir dix-huit
aus, quaiul il epousa, h la fin dc 176/4 , la fiUe de M.
Lefebvre, I'un des avocats les plus distingues au bail-
liage de St.-Lo. Cctte soumission piecoce k la vie dc
menage , aux devoirs seiieux de chef de faniille,dut
contribuer a developper ce qu'il y avail de severe et
de grave dans le caractere de M. Le IWcnuet.
A 22 ans , il fit ses d(5buts au barreau , pres du
bailliage de Periers. II dut y debater avec succes, car
il avait les qualites qui conviennent h I'avocat : promp-
titude d'intelligence , lucidite de pens6es , facilite
d'elocution , ct par-dessus tout cela, cette genereuse
chaleur du cceur qui seule pent donner a la parole
la puissance qui seduit, emeut, entrainc... — Sa repu-
tation ne tarda pas ;\ franchir les limites de la modestc
juridiction aupres de laquelle il exercait. II eut souvent
riiouncur, assez rare h cette ^poque, d'etre appel(5 i
defendre , dcvant d'autres sieges , les intcrets de ses
clients. II venait surtout frequemment plaider devant
le bailliage de St.-Lo, II y marqua bicutot sa place t'l
cote , peut-etre menie au-dessus de cellc de son beau-
pere, c'est-a-dire au premier rang. M. Le Menuet n'avait
pas seulcmcnt le talent qui reussit ; il joignait h la di-
gnite qui impose, I'urbauite qui plait ct la bonte qui
captive. Aussi , scntait-il de jour en jour sagrandir ,
DU 26 NOVEMBRE l84o. tX\\\
s'affermir autour de lui cctte cncouragcante confiance
clans laqucUe riionimo sc repose et qui n'etait pas seu-
lemciit le fruU cle ses succes , mais encore et surtout le
prix de son caractere. Ses interets , son avenir , ses
affections le conviaicnt a se fixer ii St.-Lo : il y vint
en effet , mais non sans avoir resiste long-temps. Un
cceurcomme le sien, que la vie d'etude et d'interieur
avait conserve jeune pour toutes les affections simples
et vraies , ne devait pas quitter sans regrets la maison
dans laquelle il etait ne, dans laquelle son pere et sa
mere ^talent morts. . ,
M. Le Mcnuet avait 33 ans ; il etait jeune, plus jeune
qu'on ne Test aujourd'hui a pareil age, car les hommes
n'etaient point encore atteints de cettc impatience ma-
ladive, qui, s'essayanti\ marcher plusvite que le temps,
voudrait , des le debut et de plein-saut , toucher au
ternie qu'on ne se proniettait alors qu'apres une laho-
rieuse longanimite. Que de riches facultes. Messieurs,
que de tresors intellectuels, qui s'usent et se perdent
dans cette agitation prematurec, et qui etaient destines
k briller d'un vif eclat , s'ils avaiont su paticmmcnt
attendre le moment marque pour leur maturite et leur
mise a I'ceuvre !
II y avait trois ans que M. Le Menuet etait etabli a
St.-Lo, lorsque la confiance de ses concitoyens lui de-
ccrna le litre d'cchevin. Ut'j;i dans le commencement
LXXX SEANCE PUBLIQUE
du sieclc, iin de ses oncles avait exerc6 les menies fonc-
tions , concurremment avec ccUcs de conseiller du Roi.
Ne vous ctonncz pas , Messieurs , si je m'arrete avec
quclquc complaisance sur cettc premiere partie de la
vie de M. Lc iMenuet. Lui-meme , lorsque ses souvenirs
sc reportaient sur le passe, aimait i se rappeler ce
temps de sa jeunesse , qu'avaicnt sculs et largement
rempli les douces affections de la famille ct les travaux
serieux d'unc noble profession , noblement exercee.
C'etait h cette periode de sa vie qu'il donnait le plus
de regrets, car si elle fut la plus simple, elle fut aussi
la plus paisible ; et pour les natures comme la sienne ,
la paix , c'est la moitie du bonheur. Mais e'en <5tait fait
de cette douce paix. Le temps approcliait oil il nc serait
plus donne h personne , ni aux plus humbles , ni aux
plus grands, de la trouver sur la tcrre de France.
■1789 arriva.
Independant par caract(irc aittant que par ses
<5tudcs , jaloux de sa dignite , eleve dans I'exer-
cice d'une profession qui reveille puissamment le
sentiment du droit , M. Le Menuet dut accueillir avec
joie la revolution francaisc. — Les comraencenrents
furent si beaux!... les cceurs battaient si fort, ct tant
d'esperances s'evcillaient aux noms niagiques et sou-
dain rajeunis de citoyen, de patric, de liberie !... II y
avait , dans ces premiers 61ans , une immense force
DU 26 NOVESiBRE 1840. LXXXI
sociale qu'un pouvoir habile et tant soit peu clair-
voyant aurait essaye de contenir et de dinger , en
cedant b. ses legitimes exigences. Mais rien n'est
aveugle et miserablement tenace couime les intt^rfits ;
— et il 6tait donne k ceux qu'altaquait la revolution ,
de la pousser, par leurs imprudentes resistances, dans
des voies de desordre et de colore telles qu'on clier-
cherait vaincment quelque chose de pared dans I'his-
toire de I'humanite.
Trois ans avaient suffi pour amener les passions au
paroxisme de leur excitation, Una lutte terrible (5tait
engagee, et quiconque se seutait quelque chose dans
la poitrine devait y accepter un role. M. Le Menuct
fut nomme accusateur public pres le Tribunal criminel
de Coutances. C'etait une rude tache que lui iraposait
le choix de ses concitoyens , et les temps etaieut tels
qu'il n'y avait guere liberie de refuser. Est-il vrai ,
Messieurs, comme quelques-uns I'ont dit depuis , que
M. Le Menuet se soit montre trop ardent dans I'cxercice
de ces perilleuses et redoutables fonctions? — Question
brulante {Liccdoper igncsl.. ) que chacun envisage du
point de vue de ses affections et de ses liaines, et dans
laquellc , jc I'avoue, je me sens mal il I'aise , car il
faudrait , pour la resoudre , rcvoiller de douloureux
souvenirs et fouiller dans des fails k la source desquels
on ne rcnconlrerait blen souvcnt que la calomnio.
LVXXII SEA?(CE PUDLIQI'E
Jc ne suis pas , Messieurs , Ic partisan dc ce fata-
lisnic d^couragcant qui , considc^rant les lionmics
comme Ics instruments aveuglcs de je ne sais quelles
ncccssites funestes et providentielles , ne doit , pour
f tre consequent , leur tenir compte ni du bicn , ni du
nial ; — mais jc no suis pas non plus dc ceux qui ,
lorsque les niauvais jours sont passes , ne veulcnt plus
tenir compte de I'orage qu'ils ont oubli<5 ou qu'ils
n'ont pas vu , ct , tranquillement assis au port , sont
toujours prets a accuser de faiblesse ou de colore ceux
qui \ ecurent au anilieu de la tourmente ; — comme si
I'equipage pouvait, quand il est battuparla tempete ,
conscrver la mana?uvre reguliore ct mesur^e qui lui
suffit dans les temps de calmc... A chacun la respon-
sabilite de scs fails ; raals k c6t(5 de cbaque fait , la
cause qui I'explJque , la loi qui le commande , la cir-
constance qui I'excuse...
La r (Evolution etait aux prises avec ses ennemls. —
La lutte (5tail partout , au-dedans , au-dehors , dans la
rue , dans les clubs, dans les assemblees politiques...
II etait difficile , Messieurs , qu'elle s'arrelat dans ces
regions. BientOt elle allait forcer les portes memes du
temple de la justice, et c'est Ik qu'elle se rcservait de
fournir son plus^terrible ct plus douloureux spectacle.
Ce n'elaient plus des juges qui examinent ct des ac-
cuses qui se defendent; c'etaient , dc part ct d'autre.
DU 26 NOYEMBRE l84o. LXXXIIl
desennemis en pr(5sence ; U n'y avaltplus IJi que le men-
songer scmblant des formes de la justice ; au fond, c'^tait
un veritable combat ; il fallait vaincre ou succombcr.
De la salle meme oil le Tribunal criminel de Coutances
tenait ses stances, les juges purent entendre le canon
des Vendeens , qui venaicnt mettre le siege devant
Granville. Ces bruits sinistres dureot retentir doulou-
reusement au coeur de M. Le Menuet ; il avail ses deux
fils dans la place assiegee. L'effrol s'6tait r^pandu
dans Coutances ; on forma une commission charg^e de
pourvoir h la defense de la ville, en cas d'attaque; M.
Le Menuet fut choisi pour la presider. Pendant trois
jours , jours d'angoisses pour le p6re qui pouvait h
chaque instant apprendre qu'il n'avait plus de fds , la
commission demeura en permanence, jusqu'k ce qu'en-
fln rarm(5e veudeenne se retira, laissant derri^re elle
les faubourgs de Granville en cendres.
Faut-il s'^tonncr , Messieurs , qu'au milieu de ces
6v6ncmcnts, de ces menaces, de ces perils , M. Le
Menuet sc soitmontr^ ferme, dnergique? — Qui pourrait
songer a lui en faire un rcproche? — Mais violent ,
inhumain , imjjitoyable , M. Le Menuet ne le fut pas ; il
lie put pas I'otre , car il eut fallu , pour qu'il le devint ,
qu'il etouffat tous ces instincts d'lionnetc homme , si
profondemcul enracin^s dans son caractere et auxquels
vous I'avcz vu roster constammcnt fulelc dans tout le
LXXXIV SEANCE PUBLIQIE
cours dc sa longue carriere. Uu trait de cette partie de
sa vie , taut calomnice , va vous le niontrer tel que
vous I'avez connu, tel qu'ilfut toujours. Un pretre de
Valognes , nomme Delalonde , dont le nom 6tait inscrit
sur la list« des emigres , fuyait devanl les dangers dont
sa tete etait menacee. II s'etait confie a la frele barque
d'un pficheur et essayait de gagner Ics lies anglaises.
La nier le rejeta sur les c6tes de la Manclie. Aux termes
des lois rt^volutionnaires , cette dpave appartenait h
r^chafaud. Saisi comme Emigre rentr6 , Delalonde fut
anient devant le Tribunal crirainel de Coutances. M.
Le Menuet ne pouvait pas voir un crime dans le malheur
d'un naufrage. Au lieu d'accuser Delalonde, il se con-
stituason defenseur, et le pauvre pretre fut sauv6. En
d'autres temps, il n'y aurait Ih que de I'humaniti} ; h
eette ^poque , c'etait aussi du courage.
Apres deux ans de ces difiiciles fonctions , M. Le
Menuet devint president du Tribunal criminel. II devait
bientot reeevoir une marque plus eclatanle de I'estime
de ses concitoyens. Les ev^nements se precipitaient.
La redoutablc Convention , apres avoir vu cliacun de
ses partis fournir successivement son contingent h
r^chafaud, h coramencer par les plus purs, ii (inir par
les plus souill^s, la Convention s'etait retiree devant le
Direcloire.
Apres le coup d'Etat du 18 fructidor an V, qui avait
DU 26 NOVEMHRE l84o. LXXXV
annule les elections du departeraent de la Manclie, M.
Le Menuet fut 6Iu , par I'arrondisscment de St.-Lo ,
menibre du Conseil des Anciens.
II y a , Messieurs , dans les assemblies politiques ,
des hommes d'un incontestable talent , d'un veritable
savoir et dont le nora pourtant est Ji peine connij du
public qui fait les renommees. Soit que les bruyantes
interruptions des partis les eflfraient , soit que I'eclat
p(5rilleux de la tribune les intiniide, ils r^servent pour
le hui£-clos des bureaux leur parole plus modeste et
non moins utile. S'ils sont peu prOn6s au-dehors , en
revanche on les appr^cie dans ces reunions prepara-
toires oii s'etudient et se murissent les questions; on
les ecoute , car c'est bien souvcnt de leurs recherches ,
de leur travail que surgissent ces brillantes harangues
qui , produites h. la tribune , sont destint^cs h illustrer
d'autrcs noms que les leurs. C'est parmi ces hommes
que prit place HI. Le Menuet au Conseil des Ancicns.
II y fut nomme deux fois secretaire. II I'etait encore,
quand il vit se pr(5parer le coup d'Etat si diversc-
ment jugc qui allait clore le XVIIP. siccle , et poser
commc unc barriere qui devait separer la pe^riode de
destruction qui avait fini son ceuvrc de la pcriodc de
reedification qui commencait la sienne.
La France s'agltait pt^niblemcnt sous unc direction
faible et corrompue , et c'est de cette epoque de disso-
tXXXVI SEAXCE PL'BLIQUE
lution que Mirabeau ciit pu dire, avec bicn plus de
v6rite qu'en 1789 (1) : « Tous les liens de I'opinion
• sont reiach^s , et 11 n'existe pas encore un principe
« Jila place... Nous avons d(5sappris k ob^ir , dcsappris
« k travaillcr, desappris h souffrir, ct cepcndant il n'y
« a pas de liberty sans discipline... Que devicndrons-
« nous?... » Que deviendrons-nous?— Telle (5tait, en
effet, la question que chacuns'adressait avec inqui(5tude,
quand tout-h-coup , et sans que personnc Tattendit ,
arriva le hcros de I'ltalie et de I'Egypte , cet homme
que la victoire avait fait si grand, ct qui luarchait, comme
11 le disaitlui-mfime dans son stylo oriental (2) , acconi-
pagn6 du dieu de la guerre ct du dieu de la fortune.
II lui sufiit de quelqucs jours pour jugcr qu'il fallait
un chef a ces partis ingouvcrnablcs, qui tousaltaquaient
I'autorito, ct dont aucun pourtant n'ctait assez fort pour
la prendre. Le 18 bruinaire fut arrele dans sa ponscc.
Mais, conirne tous les ambilicux,il voulut colorer d'un
scmblant de legalitc la revolution qu'il meditait. II
associaii sesprojctsl'opiniatrete orgueillcuse deSiejes,
qui esperait trouver enfin I'occasion de raettre en ccuvre
ses syst(5niatiqucs conceptions. Lc role de ce dernier
etait d'aniener le Conscil des Anciens h preparer lui-
Cl) LoUrc de Mirabeau a Servan , 1789,
(2) Disrours deBona[>arlc au Conscil dcs Anciens , seance du 19
brumaire an VIII.
DC 2G NOVEMBRK 1840. I.XXXVII
meme les funerailles de cette chancelante constitution
de I'an III , dejii toute meurliie des coups qu'elle avail
recus aux mois de fructidor et de prairial.
M. Le Menuel fut vivement sollicite de prendre parti
pour le coup d'Etat , qui n'dtait plus un secret pour per-
sonne. Regnier,run des plus ardents conjures, celui-L'i
meme qui devint, un peu plus tard, grand Juge, Ministre
de la justice , alia trouver M. Le Menuet pour reutraincr
au banquet que les deux Conseils donnaient h Bona-
parte, le 15 brumaire, dans I'eglise St.-Sulpice. M.
Le Menuet refusa... Quelle que fut ii ses yeux I'autorit^
des noms qui conspiraicnt, quelque pures que pussent
etre leurs intentions et leurs esp6rances , ce n'en etait
pas moins une conspiration qui dut repugner ii la cons-
cience droite etpeut-etre aussi aux instincts conservateurs
dc M. Le Menuet. II se tint en-dehors, et resta jusqu'au
dernier moment fiddle a la constitution qui avait rccu
son serment.
Aprils la 18 brumaire , M. Le Menuet ne fit pas partie
du Corps l^gislatif. II devait s'y attendre. Le Sen at
conservateur , qui en choisissait les membres parmi
ceux des anciens Conseils, dut naturellcment s'adresser
aux devoumentsqui avaieut fait leurspreuves. Pourtant,
U. Le Menuet n'etait pas un de ccs homnies dont on
se separe sans regret et qu'on oublie. Lebrun, qui
parlageait le consulal avcc Bonaparte ct Cambaceres ,
LXXXVin SEANCE PIRLIQIE
Lebrun , conipatriote et collcgiie de M. Le Menuet , ct
qui avait pu appreciv'^r ce qu'il y avail dc richesse dans
son intelligence et dc veritable elevation dans son Anie,
le prcssa d'acccptcr dcs fonclions publiques dans le
nouveau gouvcrnemcnt. La constitution de Tan VIII
venaitdecrecrles Tribunauxd'appel. On offiitJi M. Le
Menuet la presidence de celui de Caen. C'etait prcsquc le
rendic aux clieres occupations de sa jeunesse , h ces
etudes toujours regreltees, vers lesquelles, au milieu
des agitations politiques , il revait souvent de rctourner.
JI. Le Menuet, apres quelque resistance, accepta.
Ici, Messieurs, commence cette honorable et longuc
magistrature , Ji laquelle, sauf quelques ann^es d'iuter-
ruption , la mort seule devait mettre un terme. C'est
dans I'excrcice de ces hautes fonctions que iM. Le
Menuet donna le plus de prcuves de cc sens exquis
qui voyait tout d'abord le bon cote des cboses, de
cette penetration judicicuse qui devinait presque ce
qu'elle n'avait pas appris, de cc rare talent d'analyse
qui savait rendre toutes questions, nieme les plus abs-
traitcs, facilcment intelligibles. Nul ne prononcait un
arret mieux et plus clairemenl que lui; se complaisant
peut-etre un peu trop dans les faciles deductions de sa
logique ; s'arretaut comme h plaisir dans les details ,
dont aucun n'echappait a son admirable memoire ;
abordant tous les moyeus, soit pour les accueillir, soil
DU 26 NOVEMBRE 1840: LXXXIX
pour les rejeter , prouvant ainsi qu'il avail tout (?cout<5 ,
tout comprlSjtout retenu ; et pourtant maixliant toujours
au but, luais y marchant parfois par des voies douce-
lucnt allongees; et tout cela se produisait avec des
formes si largcs , si digncs ; il y avail dans sa parole
taut de gravite temperee par lanl de bienveillance ,
dans son maiutien lanl de noblesse , non , comme on
I'a dit, de cede (jii'on se donne, mats de celle qui est en
soi {i) , qu'il etait impossible de voir ce majestueux
vieiilard sur son siege , a la tete de sa Compagnie , sans
se reporter par la pensee aux plus beaux temps de la
niagistraturc.
En 1811, Napol Jon voulant doancr i\ toutes les choses
de son Empire la grandeur et I'eclat (2) , remplaca les
Tribunauxd'appclparlesCours iraperiales.M. le Menuet
fut noram^ premier president de la Cour impciriale de
Caen, et en meme temps, pour qu'il put allier la no-
blesse du nom a la noblesse du cceur, il fut cree baron
de I'Empire.
C'est vers cette epoque que la ville de Caen eul
I'honneur tant envie de recevoir I'Empereur dans ses
murs. Sa puissance, qui dcvait si vite decUner , etait
alors a son apogt^e. Nul ici ne se souvlent d'un cnlliou-
(1) Hlon portefeuille , par >,I. Couture.
(2) lloedercr , discours prononc6 lors dc I'inslallation de la Cour
imperiale dc Cacu , 1811.
XC STANCE PLBLIQUE
siasme parcll ii celui qui s'attachait aux pas de cet
honime. On dit pourtant qu'au milieu de cet enivrement
general, une voix osa parler dcs poignants sacrifices
que la guerre imposait aux families, des plaintes que
le S(5jour des garnisaires arrachait aux populations...
Cette voix, c'etait celle deM. Le3Ienuet... L'Empereur,
qui n'avait sans doute pas oubli^ le reprdseutant de
I'arrondissement de St.-Lo au Conseil des Anciens,irrit6
peut-etre de le retrouver dans le premier president de
sa Cour de Caen , tourna sur ses talons par un de ccs
mouvements brusques qui lui «5taient familiers et s'eloi-
gna sans repondre. Napoleon n'aimait pas les donneurs
de conseils , niais il savait , h I'occasion , en profiler.
Dfes le lendemain , les habitants furent dclivres des
garnisaires.
De tristes ev(5nements ne tarderent pas h justifier la
\int6 des consciencieuses paroles que M. Le Menuct
avaitos^meler au concert de louanges dont I'Empercur
6tait entoure. L'hiver de 1812 avail die mauvais; on
s'effrayait , on soufTrait des pr(5paratifs de cette cam-
pagne gigantesque dans laquelle I'Empire allait sc
perdre ; on murmurait de la cherts des grains. Des
murniures on passa aux voies de fait , et le march(5 de
Caen devint le theatre de graves desordrcs. . . Le
prdfetet le maire accoururent, espcrant sans doute que
leur presence suffirait pour calmer les csprits; mais
DU 26 NOVEMBRE l84o. XCI
leur autorite fut meconnue ; lis furent insulins , frappes
peut-etre , obliges enfm de cdder devant la rdvolte. Le
prefct se r(5fugia dans I'hCtel du premier president.
Je ne sais ce qui ce passa entr'cux; mais ce que tout
le raonde sait, c'est qu'a peine quclques minutes s'etaieut
ecoulees que M. Le Blenuct, calme et dignc comme il
I'etait toujours, sortit dc son hotel, ayant h ses cotes
M. Ic prefct... La foule ameutee, quij'l'instant d'avant,
vocifcrait, poussait des cris dc mort , se tut a I'aspect
de ce noble visage et s'ouvrit pour livrcr passage au
couragcux magistrat...
Ne vous semble-t-il pas , 3Iessieurs , que je copic ,
comrae h plaisir, dans le pocte romain , cette grandc
image de la sedition s'apaisant devant rhomme de bien?
« .... Faces ct saxa volant , furor arma ministral :
« Turn, pietate gravem ac mcrilii- si forte iHrtnn qiicr.i
0. Conspcxere , silent arrcctisque aiiribiis adstant (1). »
J'aurais voulu , Messieurs , pour qu'il ne manquat rien
k ce tableau , que M. Le Meuuet, qui venait de montrcr
une fcrmete si salutairc en presence de I'cnieute ,
eut ^levc la voix quand , quclques jours plus tard , le
pouvoir punissait , mais punissait comme frappc la
foudre , prompt comme die , inexorable comme clle ,
aveugle comme elle (2).... II eut cte digne du chef de
(1) Virgilii jEncid. lib. 1.
(2) Un general , aiilc-dc-caini) dc rEinpcreur , aniva avcc uu
XCII SEANCE PIBLIQUE
la maglstrature de protester , au nom des droits de
la justice , contre cette commission qui vint ici , avec
tout I'appareil des armcs , condamner et tuer , en
quelques lieures , n'y mettant ni plus de formes ni plus
de temps que s'il se fiit agi d'enlever une redoute.
Les destinees de TEmpire s'etaient accomplies ;
la France vaincue expiait ses victoires. La reaction
triompliante, importunee des souvenirs de la revolu-
tion , frappait partout et les hommes et les choses.
M. LeMenuet etait un des hommes de la revolution;
il n'etait pas de ceux qui savent , h certaines heures ,
Lriser leurs idoles d'autrefois. II cut , Messieurs , et
c'est un de ses plus beaux titres au respect des gens
de conur , il eut le rare merite de resterfidelCcM'amitie,
quand les mauvais jours furent venus pour elle. La
fameuse loi de 1816, qui devait etre une loid'amnistie,
et qui , sous les haineuses inspirations de la Chambre ,
^tait devenue une loi de proscription , frappait h cote
de M. Le Menuet uncoUegue , un ancien ami (1)... Son
regiment de cavalcrie de la Garde ; une commission mililaire se
r6unit au chiUeau et condamna a mort sept ou huit pcrsonnes ,
pirmi Icsquelles so Irouvaieiit des femmes... Les tontlamn6s furenl
executes immediatement et Ton dit qu'il y eut wn<? er/-e«r dans
I'execution. Ce qui est certain, e'est qu'il ne resta aucune trace
ecrite des opi^rations de la commission.
(1) M. Havin , pcrc, convcntionnel.
DU 26 NOVEMBRE 1840 ' XCIII
affection, ses regrets, qu'il ne clierchait point a caclier,
suivirent le proscrit dans sou exil.
M. Le Menuet etait done, h plus d'un titre, digne do
la colore des passions nouvelles qui domiuaient le
pays; elles ne lui epargnerent point leurs calomnjes.
— N'osant ou ne pouvant attaquer de front cette repu-
tation si solideraent assise sur cinquante ans de probite
et de loyaux services , elles frappaient par derriere ,
comme salt frapper la calomnie ; elles exlmmaient ce
titre d'accusateur public accepte dans d'autres temps ,
et en faisaient le lexte de leurs odieuses difTaniations...
Soit que M. Le Menuet se sentit pris de ce degout , de
ce decourageraent que les mechancetes humaines inspi-
rent quelquefois aux anies delicates conunc la sienne ;
soit plutot qu'il s'effrayat de la marche rapide du
pouvoir dans les voies iniprudentes qu'il parcourait,
M. Le Menuet demanda sa rctraite. On savait le respect
qui I'entourait , la juste influence dont il joui&sait ; on
h(5sita et pendant ce temps , survint I'ordonnance du 5
septembre , qui 6tait le premier acte d'un gouverne-
ment enfin mieux eclaire sur ses ses vdritablos inte-
rets... On ne tint compte do la demission offcrte ; une
ordounauce du 1 '^ juillet 1818 vint confirmer M. Le
Menuet dans ses fonctions de premier pr(5sidcut ; et M.
Pasquier , alors garde des sccaux , le prcscntant au
XCIV SEANCE PUBLIQUE
serment, put dire au Roi: Je prcsente a Votre Majeste
le premier dcs praniers presidents...
Quelques mois apres,laCourroyalede Caen fut r^or-
ganis(5e , et son premier president ne contribua pas peu
h faire triomplier I'esprit de justice dans lequel se fit
cette reorganisation. Lesanciens services ne furent point
oublids ; — la jeunesse instruite , studieuse , y recut
aussi , grace k lui , plusieurs places , que dcpuis elle y
a dignement occupees. M. Le Menuct c(5dait en cela ,
non seuleraent h un sentiment d'equite, mais h I'un des
penchants les plus inalterables de son coeur; il aimait
les jeunes gens, il les accucillait , Ics ecoutait , dis-
cutant volontiers avec cux quand ils avaient le sage
bon sens de ne pas se montrer dedaigneux de sa vieille
experience, comprenant leurs idees meme quand il
ne les partagcait pas , ne vantant pas trop le temps
passe , sachant voir , rcconnaitre , adopter ce que le
present avait de bon. On concoit ais(5ment qu'avcc
de si bienveillantes qualites, M. Le Menuet soit rest6
un de ccs agreables vieillards , qu'on recherche jusqu'i'i
Icur dernier jour.
Pourtant , Messieurs , le temps d'arret que la res-
tauration avait fait dans les voles de reaction, n'avait
pas dte de bien longue duree... A la suite de I'un de
ces crimes odieux , que la France devait avoir la dou-
Icur de voir plus tard se renouveler si souvent, la centre-
DU 26 NOVEMBKE l84o. XCV
revolution ardente etait revenue aux affaires. Elle
s'offusquait, s'irrltait de voir M. Le Menuet h la tete
de la Cour royale de Caen. C'est alors que commenga,
dans I'espoir de fatiguer ce dlgne vieillard , un mise-
rable systeme d'etroites tracasseries... On lui faisait
marcliander quelqucs jours de repos que r^clamait sa
sante ; on lui disputait cette vacance classique que le
magistral a de tout temps consacree aux affections de
famille ct aux occupations scion soncceur;.. que sais-
je encore?... — c'otait quelquc chose d'odieusement
petit , ct M. Le ftlcnuct pouvait assurement laisscr
s'agitcr au-dcssous de lui , sans s'en inqui(5ter , ces
cnvicuses passions... 11 devait attendre , car il ^tait de
ceux qui peuvent dire , avec le poete anglais (1) ,
quo si Vhomme outrage , le temps vengc. Mais tout le
monde ne salt pas resister a cclte guerre h. coups
d'opingles, qui d'abord provoque, irrite, etqui, lors-
qu'elle se prolonge , peut lasser les iimes Icsplus fortes.
Elle se continuait contre M. Lc Menuet ; on exhumait
sa demission de 1816 ; ct conime on n'osait, par un
reste de pudeur, la prendre au serieux apres sept ans
(I) The world hath lefl me , what it found me, pure,'
And if I have not RaMicr'd yet its praise,
I sought il not hy any baser lure ;
Man wrongs, and time avenge
Byron , Pinphecy of Dante.
XCVI St-ANCE PIBLIQUE
de silence, de hautes et meticuleuses influences s'entre-
niircnt , pour decider M. Le Menuet Ji en donner une
nouvelle. On s'adressait k son coeur de pere , qui d^ji,
en 1815 , avail 6te bien doulourcusement froisse (1) ;
on lui faisait des promesses qu'on ne devait pas tenir...
Est-il done surprenant que M. Le Menuet , qui etait
alors age de 77 ans , ait c6de devant tant d'efforts
reunis, et n'aurons-nous pas quelque sympatliie meme
pour cette faiblesse , qui prend aussi sa source dans les
sentiments genereux de son canir?
En s'eloignant de ces fonctions qu'il avait si noble-
nient exercdes pendant vingt-trois ans, M. Le Menuet
se retira dans sa terrc de Vaudrimesnil , pres de Cou-
tances. Rien n'est plus simple et plus touchant h la fois
que sa vie dans cette modeste retraite ; presidant avec
bonliomie aux travaux deses champs ;reunissant autour
de lui le riche avec le pauvre, le maire de la commune
avec le pasteur de la paroisse , tons ceux enfm qui
avaient besoin de vivre en paix ensemble ; toujours
pret Ji donner un conscil i^ quiconque le desirait, h
soulagcr cclui qui souffrait , ^ calmer celui qui s'irritait;
c'etait , en un mot , I'homme de bien , utilisant ses
derniers loisirs au profit de tousceux qui I'entouraient.
(1) Son fils , iirocurcur imperial a Caen , avait cl6 dcslilu(5 et
niourul (luclquc Icmps aprcs.
DU 26 NOVEMBRE 1840. XCVll
Bien souvent, j'eu suis sur, sa pensee devait se reporter
vers sou ancienne compagnie , qui u'avait pas pu le voir
parlir sans d'amers regrets ; et c'elait toujours avec des
larnies d'atteudrisseuicut dans les yeux , que le bon
vieillard accueillait les collogues qui le veuaient visiter
dans sa retraite.
Ua dernier triomphe , luie derniere jole , conime 11
n'est donne qa'h peu de gens d'en eprouvcr dans le
cours de leur vie , etaient reserves aux vieux jours de
iM. Le Meuuet... Les memes honimes, qui I'avaientfait
descendre de son siege , avaient continue de pousser
aveuglement le pouvoir en sens contraire de la marche
du temps, et ils avaient fini par se perdre avec lui dans
Forage qu'ils avaient souleve. — Trois jours avaient
suCi pour faire justice de leurs rfives sacrileges. — La
revolution de 1830 ne devait pas oublier M. Le Menuet;
c'eut ete de I'ingratitude. — La premiere presidence de
la Cour royale de Caen 6tait vacante ; elle ne pouvait
appartenir qu'a lui. Cepcndant, Messieurs, lorsque ses
coucitoyens le pressaient de vcnir repreudre cette
place , qu'il devait retrouver aussi pleine de son sou-
venir que s'il ne I'eut jamais quittee , des scrupules
lionorables assaillirent sa conscience. II etait arrive ci
un age que lesplus heureux n'atteignent guere, et qui,
chez ceux qui I'atteigneut , ne respecte que bien rare-
ment les ressorts de I'lntelligence et de la volont^.
TII
XCVni SEANCE PUBLIQUE
M. Le Menuet se defiait de ses forces. — Pourtant, il
dut ecouter les prieres des siens , Ics voeux de toute une
population qui, dopuistreute ans, n'avait pas desappris
lui scul jour c'l I'ainier.— Qui dc nous. Messieurs, n'eut
h sa place fait comnie lui ?— Qui n'eut cede aux Amotions
si douces,si entrainantesquclui prometlait leretour? —
II Vint , et partout , sur son passage corame a son
arrivee , cc fut une belle ovation... J'avais raison ,
Messieurs , le temps I'avait veng6.
Cinq ans encore , M. Le Menuet presida la Cour
royale de Caen , et bien que I'tige eut quelque pen
affaibli la puissance de ses facult(5s, il n'en resta pas
moins, jusqu'au bout, observateur capable et fidele de
tous les devoirs du magistrat , entoure des memes res-
pects , en possession de la meme autorite.
Sans doute, Messieurs, 11 n'est pas difficile de trouver
une existence d'horame plus extraordinaire et se signa-
lant par plus de choses ; mais peut-fitre aurail-on
quelque peine a rencontrer, k cette hauteur luoyenne
oil se tint M. Le Menuet , un plus heureux assemblage
de qualites et de vertus , une carriere plus utilement
et mieux remplie : de la sagacite jointe ti un jugemcnt
sflr ; des id(5es nettes et droites sur toutcs choses , et de
la facilite pour les produire ; un esprit k la fois pene-
trant et simple , tolerant et ferme ; un caraclere r(5solu
pour le bien , n'oubliant jamais Ic respect qu'il se doit
DV 26 NOVEMBRE 1840. XCIX
k lui-memc et fixant ainsi le respect d'autrui ; un
devouraeiUsansbornes au devoir ; de I'indulgcnce pour
les autres et de la severite pour lui ; et par dessus tout
cela , une belle ame et la conscience d'un hoiinete
honune. Voilii pourquoi , Messieurs , la memoire de .M.
Le Menuet doit vivre parmi nous,... et, quoiqu'il appar-
tiennc plus specialement aux magistrals de garder
rcligieusenient son souvenir , vous trouvercz bien , sans
doute , que dans cette Academie dont 11 tit partic ,
j'aie tlche de reproduire , avant qu'ils soient plus
effaces , les traits de cette noble figure. EUe restcra ,
corarae modele du magistral et du citoycn.
SUJET DE PRIX POUR L'ANNEE 1841.
L** Academic royale des sciences, arts et belles-
leltrcs de Caen met au concours le sujct suivant :
ELOGE DE PIERRE-DANIEL HUET.
La Compagnie demande moins un eloge aca-
demique qu''une appreciation critique des divers
travaux du savant eveque cVAvranchcs-
Le prix sera une medaille d''or de la valeur de
4oo francs.
11 sera decerne , s''il y a lieu, dans sa seance
publique de novembre i84i«
Chaque ouvrage devra porter en tfite une devise qui sera
r^petee sur un billet cachete , contenantle nom et le domi-
cile de I'auteur. Le billet ne sera ouvert que dans le cas
oil Ic prix serait rcmport^. Cette ouverture sera faite par
M, le President, en seance particuliere , afin que le se-
cretaire puisse donner avis au laureat de son succes , assez
h temps pour qu'il lui soit possible de venir en recevoir
le prix en stance publique.
Chaque concurrent adressera son travail franc de port
a M. Julien Travers, secretaire de I'AcadOmie.
MEIHOIRES,
M!EM®]I11
BUR LES
OEUVRES POETIQUES
DE MALHERBE, DE RACAN ,
ET DE QUELQUES POETES DE LA MEME EPOQUE ;
^av Jl. J. M>atUp ,
Professeur de Litterature ancienne a la FacuU6 des Leltres
de Rennes.
Un bon poete estbien malheureux de naitre dansun
sieclede mauvaisgout. Meconnu de ses contemporains,
il court grand risque d'etre inconnu de la posterite , si
la vraic critique , celle qui ne cberche point le plaisir
de bhimer , mais qui s'estimc bcurcuse de trouver le
beau et le bien pour le comprendre , I'admirer et le
monlrer c» lous les yeux , ne vientlc tirer del'obscurit^
qu'il n'apas meritee et le retablir i sa place. Mais trop
souvent un jugement injuste se Iransmct de siecle en
4 S€R LES OEUVRES POETIQDES
siecle , parce qu'au lieu d'examiner soi-m^'me , on
trouve plus court de s"cn rapporler a la renoinmce , A
I'opinion re^ue. Qui s'avise d'ouvrir un poele fran^ais
aniciieur au siecle de Louis XIV , s'il n a pas ele nomme
par Boileau, ou s'il Fa ele avec indifference si La Harpe
n'en a pas parle , s'il a fait peu de bruit de son vivant,
et a ete oublie ou neglige apres sa mort? Tel a ele le
sort de plusieurs bons poetes. Au contraire , un Alain
Charlier, par exemple , un mauvais faiseur de vers, se
loue lui-meme, se fait louer . devient le poele de la
cour , accable ses rivaux de son mepris el passe pour
iingdnie :rengoueinenlpourluidevienl idqneMargue-
rite d'Ecosse, fenime de Louis XI , lui donne par admi-
ration, en presence de la cour, un baisor sur la boucbe
pendant son sommeil : sa reputation usurpeelui survit,
et , malgre le silence de Boileau , elle se perpelue ,
pr^cisement parce qu'on cite celte anecdote , et qu'on
ne lit pas ses vers , vers assez ennuycux pour le faire
oublier i jamais.
On parle de Villon , grAce i Boileau , pcut-etre plus
que grace A ses vers , dontquelqucs-uns pourlant nieri-
teraient bicn d'etre lus , et sont pleins d"une finesse qui
fait dcji pressenlir celle de Marot. Mais il n'y a pas
long-lemps que Ton connait comme poele le prince
Charles d'Orleans, anlerieur a Villon, auquel il est bien
sup^rieur sous tousles rapports. La Harpe I'a nomme
pour en ciler quelques vers assez peu roniarquables ,
pour lesqu( Is il secroit oblige de demander grace en
faveur de leur anciennete. One ne cilail-il lajolie piece
qui commence par ces mots : Tiegnc-toi d'amer qui
poiirra ; ou celle qui a pour refrain , Mon cuer qui est
DE DESPORTES , DE DERTAL'T , ETC. 5
maitre de nioi ; ou celle dont le refrain est De ces grands
biens est ma dame garnie; ou plusieursautres quepcul-
etre, il est vrai, ne connaissait-il pas! Nous ne pouvons
resister au desir d'en citer une ici. Fait prisoanier k la
balaille d'Azincourt,ceprince perdit sa premiere femnie
pendant sa captivite en Anglelerre. II raconle dans unc
piece allegorique comment il s'en plaignit k la deesse
de I'Amour :
En la forest d'ennuyeuse tristesse,
Un jour m'aduint qu'a part moi chemlnoye;
Si renconlray I'amourcuse Udesse ,
Qui m'appela , demandant oil J'alloyc.
Je respondy que par Fortune Ctoye
Mts en exil en ce bois , long-temps a,
Et qu a bon droit appellor me pouuoye
L'homnie esgar^ qui ne scait oil il va.
En sousriant , par sa tr^s grant hiimblcsse,
Me respondy : Amy , se je scavoye
Pourquoi tu es mis en ceste distress? ,
De mon ponuoir voulontiers t'aideroyc ;
Car ja pie^a je mis ton cuer en voye
De tout plaisir , ne scay qui Ten osta.
Or me desplait qu'a present je te voye
L'homme esgar6 qui ne scait oil il va.
H61as! dis-je, sonueraine princesse,
Mon fait scav6s ; pourquoi vous le diroye ?
C'est par la mort, qui fail h lous rudesse.
Qui in'a tollu celle que tant aimoye ,
En.qui eslail tout I'espair que j'avoye.
Qui me guydoit, si bien m'accompaigna
En son vivant , que point ne me frouuoyo
L'hommc osgar^ qui no scait oil il va.
6 SUB LES OEUVRES POfeTIQL'ES
ESVOT.
Aveugle suis , ne scay on aller dove;
De men baston , de peur que ne fouruoye,
Je yais tastant mon chcmin ca et Ici ;
C'est grant pitie qu'il convienl que je soye
L'honime esgar^ qui ne scait ou it Ta.
Tonles les beaules de celte piece cliarmante sont
dues au talent de Tauteur ; tous les defauts tiennent k
son epoque. Voili le poete auquel Alain Cbartier elait
prefere par ses conteraporains , et qui depiiis a ele si
long-temps inconnu. Et Froissard , conteniporain de
Charles d'Orleans , justement estime comme chroni-
queur ,et dignede I'etre comme poete ! La Harpe n'en
a parle sons aucun rapport. Cependant ses vers faciles
et ingenienx , ses poesies souvenl pleines de grSce , ses
rondeaux pour la plupart si bien tournes , auraient du
seuls lui valoir une reputation superieure i celle de
Villon , qui vint apres lui.
Clement Marot est generalement connu et apprecie,
Les eloges merites que lui ont donnes Boileau et La
Harpe nedoivent cependant s'appliquer qiik la moindre
partie de ses poesies. II a paye largement son tribut au
mauvais gout de son epoque.
Une autre renommee bien plus exurbilante que celle
d' Alain Chartiep, c'est celle de Ronsard. Un siecle de
mauvais gout, ou cependant la litterature est bonoree,
a besoin de se creer ainsi une idole dans laquelie il
puisse s'admirer lui-mcme. Ronsard s'erapara de ce
r6Ie: il se loua , comme Alain Cbartier , sefit loner par
sa Pleiade, passade son vivant pour le plus grand poete
qui euf jamais exisle , et les etrangers memes prircut
DE DE8P0RTES , DE BERTAtT , ETC. 7
part i ce conceit do loiianges qui nous etonne. Roiisard
osl du i^elit nonibre des auteurs que La Ilarpe a assez
bien juges, parce qu'avant d'en par'er, il a piis d'abord
la peine de lire au moins une partie de leurs ceuvfes.
II n'a pas connu tout Ronsard j mais cc qu'il en a
ignor6 n'est pas beaucoup meilleur que le rcste, Aussi
en a-t-il dit j\ peu pr^s tout le bien qu'on en peut dire,
lorsqu'il a loue en lui la bonne intention de donner k
notre langue plus de noblesse. C'est en vain que de nos
jours , pour rehabilUer ce poete depuis long- temps juge,
on a cite de lui , non pas les pieces qui font connaitrc
sa maniere habituelle , celles sur lesquelles se fondait
iiurtout son immense reputation , c'est-a-dire ses vers
beroiques el lyrique5,cha; giJisiJe mots grecs et latins, et
dans lesquels il s'imaginait imiler Pindare et les autres
poetes anciens; mais des sonnets, des madrigaux et
d'aulrespelitis pieces galaiites, pour la plupart invitees
do I'italien, et presque loutes inferieures k celles que
beaucoup d'autrespoetes faibles ont failes dans le mcme
genre avant et apreslui. On y trouve de I'esprit presque
toujours mal employe , de Tobscurile , deraffcclaliun,
du raauvais gout, souvent derind^cente , presque ja-
mais de verile ni de sentiment.
Entre I'ecoLe de llonsard et Malberbe , La Harpe a
aper^u Despartes , dont il a dit un mot en passant ,
el il a oublie Bertaut , que Boileau a seulement norame
pour memoire. II est cependant important de voir la
transition de Ronsard i ce Malberbe , qui vient , sui-
vant Boileau, reparor a lui seul la langue poetique de
notre pays. Que serait-ce si cetto langue etait deji en
grand e par lie reparee avant lui par ccsdeux poeles
8 SDR LBS 0EUTRE9 POtXIQUES
qu'onoublie? Que serait-ce si Tun d'eux n'avait gu^rc
etc surpasse par Malherbe pour la purete de la languc ,
pour la versification et le style , ct lui etait superieur
pour la pens6e et le sentiment ?
DESP0RTE9.
Philippe Desportes, ne k Chartres, oncledu satirique
Regnier, s'etant faitconnailre k lacour par ses poesies,
alia passer neufniois en Pologne k la suite d'Henri ,
frere de Charles IX, elu roi de ce pays en iSyS. Ce
prince etajit devenu roi de France en 1574 , Desportes
fut en faveur aupres de lui , et fut nomme abbe de
Tiron, de Josaphat, des Vaux-de-Cernai , de Bon-
Port et d'Aurillac , chanoine de la Sainte-Chapelle ,
lecteur de la chanibre du Roi et conseiller d'Etat. II
mourut k Paris , sous le regne d'Henri IV , en 1606 ,
la meme annee que naquit le grand Corneille. Ses
ceuvres poetiques se composent de 289 sonnets, 3i
chansons, 3 odes , 12 pieces en stances, 5 dialogues,
4 epigrarames, 16 complainles , 23 elegies, i5 discours
ou cartels, et de plusieurs fragments librement imites
de I'Arioste , dont trois tres-etendus : I'un intitule
Roland furieux ; I'autre , La mort de. Rodomont et aa
descente aux eii/ers ; \e troisieme , Angclique , conti-
nuation du sujet de I'Arioste. Quant aux pelites pieces
detachees,elles sont distribuees en cinq rccucils, savoir:
i". Amours de Diane en deux livresj 2°. Amours d'llip-
polytej 3°, Recueilde 17 elegies, suivies d'un discours en
vers ; ^°. Melanges ; 5". Pieces chreticnncs. Toutes les
DE DBSPORTES , DE BERTALT , ETC. 9
poesies des trois premiers recueils et la plupart de cellos
du quatrieme roulent sur Tamour ou pliU6t sur la ga-
lanterie. Les Amours de Diane et d'HippoIyte sont des
recueils dans le genre des Amours de Cassandre , de
Marie , d'Astree , d'Helene , etc. , par Ronsard ,
quoique d'un peu meilleur gout, ce qui n'est pas beau-
coup dire. Desportes a ete nomnie le TibuUe Francais
pour deuxqualites qu'il possede ; mais qui n'auraient
pas du suffire pour lui valoir un si beau surnom , la
douceur et la facilite de ses vers. II a rendu un impor-
tant service i la langue , en no suivant point la fausse
voie qu'avait ouverte Ronsard pour le style des sujets
eleves. II n'a iniite dans Ronsard que le style des poe-
sies galantes , en le rendant un peu plus naturel. Mais
dans cette imitation, il n'a pas eu besoin , comme le
jjrctendLallarpc, d'effacer la rouille iniprimee anotre
versification , eu la tirant du chaos ou I'avait plongee
I'ecole de Ronsard. La Harpe aurait du savoir que les
ojuvres de Joachim Dubellay , I'un des sept poetes de
la Pleiade , contiennent , dans la seconde partie , dans
celle qti'il composa apres avoir secoue le joug de Tecole
affeclee de Petrarquecl de I'ecole p^danle de Ronsard,
de charmantes poesies legeres , enjoueos et souvent
satiriques, dont le style , s'il etait moins incorrect ,
ressemblerait assez a celui de Desportes dans les pieces
du meme genre. II aurait du savoir que Ronsard lui-
nieme a eu , suivant les sujets , deux styles tout diffe-"
rents , quoique mauvais tous deux , et qu'il a reserve
ses grands mots forges a la grecque , uniquenient pour
les poesies ou il a voulu ctrc sublime. Des[tortes . qui
n'a pas eu cclte pretention , n'en a pas fait usage ,
lO SIR LES OELVUES POETIQUES
cxcople dans un scul vers , ou il dit que les eniicuiis
fuyaient devaiU Roland furieux ,
comme dedans la plaine
Fuit au-devanl du loup le mouton parte la inc.
Desportes a observe ordinairement le melange des
rimes masculines ol feminines , qui avail doji com-
mence i prevaloir depuis Octavien do Saint-Gelais ;
cependant il a fait quelques pieces ou toutes les rimes
sent feminines , d'autres oii toutes les rimes sont mas-
culines , d'uutres ou , par le croisement des rimes ,
deux rimes feminines differenles se rencontrent dans
deux vers consecutifs. 11 a evile avec soiu Tenjanibe-
ment; mais, quoi qu'en disc La llarpe, Y hiatus se Irouve
encore souvent dans ses vers. Du reste la coupe en est
assez lieureuse ; sa phrase pootique est ordinairement
Larmonieuse et assez bien tournee , et ses inversions
sont raremenl forcees.
Get auteur a depense une grande finesse d'esprit i
combiner des mots et des sons ; il a donn6 beaucoup
de souplesse k un instrument dont d'autres apres lui
ont su mieux ee servir. La Harpe a raison de dire en
general que Desportes est faible d'idees et de style.
C'est un de ces auleurs qui babillent avec une facilile
desesperanle , precisement parce (ju'ils n'ont rie« i
dire. Sous le rapport de la decence , Desportes a ete en
general plus reserve que Marot , quil a imite dans ses
meilleures pieces. II n'a guere pousse I'lndecence
jusqu'i I'obscenite que dans une pi(^ce intilulee De la
chasse. Mais I'affeterie italienne portee a I'exces . les
DE DESPORTES , DE BERTAVT , ETC. 1 i
jeiix (l'cs])rit , les jeux de mots , Ics concetti , les anti-
Ihcsos ridicules , voili ce que Ton trouve , au lieu dc
pensees et desentiniculs , dans toule la paiiic de s's
opuvresoii il a iniile Ronsard. Ses Irop nombreux son-
nets, dont les meilleurs ne sont que passables, faligucnt
tellenient par leur soporifique uniforniite , qu'on est
heuroux de rencontier §a et Itk pour se recreer quelques
vers extravagantSjComnie ces vers d'uu sonnet spirituel •
Seigneur, d'un'de tes clous je veuxfaire ma plume ,
Hon encre de ton sang , man papier de la croix , etc.
Ou comnje ces vers d'une pi^ce galante : raniour ,
dit I'auteur , Iroubla men esprit , et fit
De mon occur son fnurncau , ses charbons de mts veines ,
nies poumons ses soufflets , de mes yeux sesfontaines ,
Qui tans jamais larir coulenl incessamment , etc.
Voyez aussi les syllogismes rimes de la 4"- elegie. II
faut dire pourtant que de pareilles absurdites sont
rares dans les oeuvres dc Desporles , ou il se trouve
beaucoup de vers dont la faiblesse et la monotonie sont
presque les seuls defauts. Quand il a eu de bonnes idees
A exprimer , il V& fait quelquefois avoc bonheur. Ainsi
dans son chant (famour, on trouve quelques vers assez
beaux ouil imit e un passage du Banquet de Platon. Dc
meme, il y a de beaux passages dans ses imitations de
I'Arioste , et on reconnaitaisementtileur faiblesse ceux
ou il quitte son niodele pour in\ enter lui-meme. 11 a
meme assez bien reussi dans le genre Doblc et elcve en
12 sun LES OEL'VUES POETIQUES
paiaphrasani iin psaumc. Voici les deux premieres
strophes de cette paraphrase :
Dilivre-moi , Seigneur, de la mort eternelle,
Et regarde on pitie mon hme criminclle,
Languissante , 6tonnee, el Iremblantcd'clTroy:
Cache-la sous Ion aile au jour 6pouvanlabIo,
Quand la lerreet Ics cieux s'eiifuiront devanl toy,
En le voyantsi grand,. si saincl, si rcdoutable.
Au jour ou tu viendras , en la majesty saincte ,
Pour juger ce grand tout , qui fr(5mira de crainte,
te reduisant en rien par tes feux allumez:
0 jour , jour plein d'horreur , plein d'ire et de misires ,
De cris , d'ennuis , de plaints , de soupirs enflammei ,
De grincemenls de dents et de larnaes am^res I
Desportes a fait quelquefois allusion aux malheurs
des guerres civiles , et il a trouve sur ce sujet quelques
vers plus energiques qu'on ne s'y attendrait d'apr6s le
ton ordinaire de ses poesies :
Durant le temps piieux que la France embras<5e
Tournoit le far centre elle, en deux parts divisde ;
Voyanlen tant de lieux ses champs ensanglantez
Du sang de ses enfants meurtris (1) de tous costez ;
Voyant estinceler tant de luisantcs armes ,
Les deux camps opposez , tant d'assauts , tant d'allarmes ;
Voyant mes compagnons moiirir devanl racs yeux ,
EsmaUlanl de leur sang un lombeau glorieux ,
J'attendois d'heure en heure une mort asseur^e,
Et voir de mille coups ma poitrine honoree ;
J'attendois la prison , et lesautres hazards ,
Ordinaire loyer des serviteurs de Mars ;
Mais le ciel rigoureus me r^serva la vie, etc. El^gie 8'.
(i) Meurtrir — tuer.
DE DESPOBTES , DE DERTAUT , ETC. l3
SONNRT A LA FRANCE.
Du sommcil qui tc dost Ics yeux et la pens6e ,
Sus ! r6veille-toi , France , en celte extr6mit6 :
Voy le cici contre toy par toy-m^me irril6 ,
Et regarde en piti6 comme tu I'es blessde.
C'est assez contre toi ta vengeance exercee ,
C'est assez en ton sang Ion bras ensanglant^ ;
El quant ton coeur felon n'en serait contents ,
Pourtantde t'affoler{i) lu dois estre lassde.
Toy qui fus autrefois TelTroy de I'estranger ,
Or (2) tu es sa ris(5e , et soumise au danger,
Tanitis que tu deiiens a toi meme cruelle.
Qu'il sorte pour domler ton coeur em'tnime
Et face comme on voit un grand loup affamd ,
Qui de tout un troupeau sdpare la querelle !
Ce sonnet vaut mieuxquetous Ics sonnelsdes Amours
de Diane el d'Hippolyle.
Dans un genre plus simple, on pent citer deDesportcs
une ode au sommeil , elegamment vorsifice , et une
chanson en t6 couplets sur les charmos do la vie cliam-
petre, assez belle, quoique bien inferieurc aux celi-bres
stances de Racan. On y trouve ce joli couplet vraiment
parfait dans son genre :
Que de plaisir de voir deux colombellcs
Bee contre bee, en tremoussant des ailes,
Mille baisers se donncr tour a tour !
Puis , lout ravi de Icur grAcc naive ,
Porniir au frais d'une source d'cau vlvc,
Dont le doux bruit semblc parler U'amour !
(i) AffolcT — Corruinpi-« , dctruiio.
(?) Or — maintc-naut.
I^ SIR LES OEtvnES POETIQUES
Sur le mi-me sujel on pent enooro ciler avcc cloge
un (liscojirs adresse par Desportes k des amis qui vivent
A la com\
Aucune de sespoesiesn exprimeun sentiment tendrc
et profond ; mais quelqnes-unes sont assez gracieuses.
Tels sont les sonnels 23^ et 6l^ du premier livre des
Amours de Diane , le 49" sonnet du second livre , et le
sons;e insere dans cc meme livre.
Telle est aussi unc jolie complainte dontle refrain est
Ht^las / douce riviere, ou estmon chcr Philandre? Nous
en cilerons la premiere strophe , surtout pour y faire
remarquer un rhythme heureux et varie , ou il est
fAcheux que les rimes masculines et feminines ne soient
pas melangees regulieremenl :
Chcrchcz , mes Irislcs ycux , cherchez de lous costei ,
Vous ne troiiverez point ce que vous soiihaitez ,
Vous ne verrcz plus ricn qui vous soil agreable!
Et vous , riches tresors du piintcmiis d(^.sirable ,
0 prcz , tesmoings secrets de mon contcntemcnt ,
Oii, plcinc de desir, j'altcndoy mon amanf ,
Accusant (judquefoissa troplongue demcure,
Las ! portez le regret de son esloignement,
Et pleigncz de piti6 la douleur que j'endure !
Ce fust ici qu'il me dist sa pens^e,
Dont je feigny me sentir olTens6e ,
L'appclant tcm^rairc;
Mais ma feinte colere ,
Voyant scs pleurs, fust bien soudain pass(?e.
Car cussi5-je voulu contre Amour me defendre ?
Helas ! douce riviere , ou est mon chcr Philandre ?
II y a plusd'esprit que de bon goiH dans les trois
pieces inlitulees Le proccs d' Amour au siege de la Rai-
DE DESPOHTES , DE BERTAIT, ETC. l5
son . Le tomhcau d' Amour , cl Le cnricl sur la mort
fie I' Amour. Dan?, rcUe dornioro piece , on trouvcune
romparaisnn saliriqiic de ramour veiifable dc I'j^ge
d'or avec le faux amour qui dcpuis a usurpe sa place.
Celte meiiie comparaison estmieux developpee dans les
cent premiers vers de la y"". elegie. II y a de I'esprit
aussi dans la protestation d'amour , dont le refrain est,
avec quelques changenients,/^MSwa'o«5 nele croyezpas;
dans ses stances contre le mariage , qui sont une satire
contre les femmes , et dans beaucoup d'autres petites
pieces , qui malheureusement pour la plupart sont loin
d'etre irreprochables sous le rapport du gout. Mais lo
chef-d'ojuvrc de Desportes , dans le genre sat irique ,
ce sont ses Adieux a la Pologne. H parait que le poele
ne s'y etait pas tronve mieux que le roi. Le resscnli-
nient d'un homme qui s'est beaucoup ennuye parle dans
ces vers bien tournes et assez energiques :
Adieu, Pologne, adieu, plaincs dcserles,
Toujours do neigc ou de glare couvcrtes!
Adieu , pait d'uri cUrriel ailitu (1) !
Ton air, tcs moeurs ni'onl si fortsceu desplairc,
Qu'il faudra bien que lout me soil contraire,
Si jamais plus jc retourne en ce lieu.
Adieu , maisons d'admirable structure,
I'oislcs, adieu, qui dans vosire cioslure
Mille animaux peslc-m61e cntasscz,
Filles , garrons , veaux et bceufs tout ensemble I
Un tel mesnage i I'Age d'or ressemble ,
Tant regrctt^ par les sicclcs passez.
(i) C'est-A (lire ou il failt >lirc a<liiii iterncUiniint \ tout ce qui pent p!air«
daiiii la Tie.
SUR LES OEUVBES POETIQUES
Quoy qu'on mc dlsl de vos mceurs incivilcs,
De vos habits , de vos meschantcs villes,
De vos esprits pleins de 16gcrel6,
Sarmatcs Tiers , je n'en voulais rien croire ,
Ny ne pensois que vous pussiez tanl boire :
L'eusse-je creu , sans y avoir est6 ?
Barbare people , arrogant el volage ,
Vanteur, causeur , n'ayant rien que langage;
Qui, jour et nuil dans un poisle enferm6 ,
Pour tout plaisirsc joue avec un vcrre ,
Ronfle i la table, ou s'endort sur la terre,
Puiscomme un Mars veut ftre renomm^.
Ce ne sonl pas vos grand's lances creus6es ,
Vos peaux dc loup , vos armes d6guisdes
Oii maint plumage et maint aile s'^tend,
Vos bras charnus, ny vos traits redoutables ,
Lourds Polonais , qui vous font indomtables;
La pauvrct6 seulcmenl vous d(?fend.
Si vostre terre estait mieux culliv^e ,
Que fair fust doux , qn'ellefust abreuv6e
De ciairs ruisscaux , riche en bonne cilez ,
En marchandise, en profondes rivi6res ,
Qu'clie eusl des vins, des ports et des minieres,
Vous ne scriez si long temps indomtds.
Les Othomans , dont lame est si bardie ,
Aiment mieux Cypre ou la belle Candie ,
Que vos deserts presque toujours glacez ,
Et I'AlIemand , qui les guerres d<'mande ,
Vous dedaignant, court la terre Flamandc ,
Oiises labeurssont mieux r^compensez.
Neut mois entiers, pour complairc a mon maislrc,
Le grand Henry , que le ciel a faicl naistro ,
Comme un btl astre aux humains flamboyant ,
Pour cc d6serl j'ai le France hiissee ,
DK DESPORTES , DE BERTAUT , ETC. 1 7
Y consumant ma pauvre ame blessdc ,
Sans nul confort, sinon qu'en Ic voyant.
Face le ciel que cc valeureux prince
Soil bicn tost roy de quelque autre province,
Riche de gens , de citez ct d'avoir !
Que quelque jour a I'Empirc il parvienne,
Et que jamais ici je ne revienne ,
Bien que men coeur Boit bruslant de le voir !
Les voeux du po^te ne tard^rent pas , commc on
sail , i 6lre cxauces. Henri III, s'etant soustrail par
la fuite a Tamour de scs siijels pen obeissanls , succeda
cette meme annee k son frere snr le IrAne de France.
Dans un genre moins amer et plus gracieux , voici
des vers dont , exccptc un seul hialux , la facture est
parfaite, ct qui, pour la finesse, I'esprit , la delicatesse,
valent les raeilleurs de Clement Marot :
Rozetle , pour un pcu d'absencc ,
Voire cosur vous atez change ,
Et moi scachant celle inconslance ,
Le mien autre part j'ai range.
Jamais plus beaut6 si legere
Sur moy tant de pouvoir n'aura:
Nous verrons , volage bergere.
Qui premier s'en repentira.
Tandis qu'en pleurs je me consume ,
Maudissant cet esloignemcnt ,
Vous qui n'aimez que par couslumc
Caressiez un nouvel amanl:
Jamais legere girouette
Au vent si tosi ne se vira.
Nous verrons, bergere Rozellc,
Qui premier s'en repentira.
Oil soul UmiI <Ic jnoiiKiWKst saiiilM,
Tom! iv |il«!Ui» *<;i(i«« «ii purtontt
fctil-ll villi Mill' ci;« irislH* ploiiil«6
Swrliwi^iit dim cwur iiicoiislant t
liiruji ! que vous •■sUsb meiisoiigerf !
Maudil soil Mui plus vous croira!
^ous vcrroii); , vola;;'' bciKen- ,
Qui preinior sen repentira.
Celui qui o gaign^ ino plaw ,
Ne vouo peut aimer laul que mor ;
El cclle qupj'aiiiie vouf passe
De beaul* , d niiiour et dc Toy.
Gardei bieii vuslre aniilii iieuve;
La inieime plus lit varira :
Et puis II0U8 verrons ii I'esiireuve
Qui premier e'en repentira.
Quel lour ingenieux dang cette epigtamme I
Je I'apporte, 6 Sommeil , du vin dc quatre aiir>6e«,
Dn laid . des pavots noirs aux testes couronnto :
Veuille les ailerons en ce lieu desployer .
Tant qu'Alizon la vieillc accroupke au foyer.
Qui d un pouce retors , el dune deni mouiilte,
Sa quenouille chargee a quasi depouiU6e ,
Laisse cheoir le fuzeau , cesse dc babiller ,
El de tonte la suit ne se puisse esveiller,
Afin qu'a mon plaisir j'euibrasse ma rebelle ,
L'amoureuse Tsabeau . qui soupirc aupres d'elle.
Nous poumons citer encore dans ce mcme genre
qui est vraiment celui de Lesporles , comme celui t
Marot , une autre cpigramme non moins jolie , et la
tbanson qui commence par ce vers : Quand vous aurtz
un ccernr plcin d'amoinet de fo^ . quelques sonnets tire*
DE^DESPORTES , DE BERTAIT , ETC.
'9
dps Meslangcs , et quelques autres petites pieces : mais
elles ont moins de merite que les precedentes , et nous
croyons avoir fait connaitre suffisamment ce quil v a de
bon dans Desportes , poele spirituel . ingenieus , qui a
fait un certain nombre de jolis vers , quand il a pris le
ton qui lui convient , mais qui a fait beaucoup de poe-
sies ennuyeuses et pleines d'lme affectation puerile ,
quand il a voulu prendre le ton faux de la galanterie ,
et qui , nial(;re ses defauts , a rendu un important ser-
vice a la poesie franc^aise, en la ramenant des traces de
Ronsard sur celles de Marot.
DE QUELQUES POETES DE LA MEME EPOQUE.
Enlre Ronsard et Desportes, mais bien au-dessous
de tous deux , se place le poete Iragique Garnier , qui
fut leur contemporain. Robert Garnier , ne a La Fertc-
Bernard, conseillerdu roi, lieutenant-general criminel
an siege presidial et senechaussee du Maine , nous a
laisse un recueilde tragedies, qui seraicnt bien courles,
si Ton en retranchait les monologues el les declamations
de tout genre. C'est un amalgame bizarre de traduc-
tions de Seneque le tragique , et plus rarement
d'Eschj'le, de Sophode et d'Euripide, puisde Pindare,
d'Horace , d'Ovide , des psaumes , etc. : el dans quel
slyle ! Quelquefois c'est le style barbare de Ronsard
avec les nicmes pretentions au sublime, mais avec plus
de platitude , avec les mots bizarrement forges , les
mots grecs et latins , mais pourtant avec un peu plus
de reserve dans leur emploi. Quelquefois, au contraire.
c'est un slylp prcsque fran^ais , mais lourd , trainanl ,
2() SUR LES OEUVRES PUETIQDES
etqui ne so distingue de la prose la plus triviale que
par la rimeet la gone de la versification. Mieux valait
encore le style extravagant du poele tragique Jodelle,
disciple plus fidele de Ronsard , et par consequent jilus
admire du maitrc. Ronsard declare que Jodelle et
Gamier sont tons deux admirables, mais qu'en jugeant
le proces de ces deux rivaux ,
S'il faut cspeluchcr de pres
Le vieil artiGce des Grecs ,
Les vcrtus d'un oeuvrc el Ics vices,
Le siijct el Ic parlor haul ,
Et les mots bien cboisis, il fiiul
Que Garnicr paye les espices.
Plus loin , A propos des ceuvres de Racan , nous
auron« Toccasion de citer un exemple de ce parler haiu
et de ces mots bien choisis, trop rares , an jugement de
Ronsard , dans les ceuvres de Garnier. Ce parler haut
nous semblera bien bas aupres de la noble simplicile
de Racan.
Laissons li I'ecolede Ronsard et sa tentative, louable
en elle-meme ;, mais tres-malheurcuse , pour doniier k
notre langue poetique I'elevation qui convient aux
grands sujets. Disons qnelques mots d'un poete con-
temporain et disciple de Desportes , Vauquelin de La
Fresnaie, n^ k Falaise, et qui fut j)resident an bailliage
de Caen. Nous avons delui un grand nonibre de poesies
pastorales intitulees Forestcrics , des vers satiriques ,
des poesies legi^res, des sonnets, des chansons, des epi-
grammes , etc. , pour la plupart d'un genre beaucoup
trop licencieux. II avail compost un poeme epiquc sur
DE DESPORTES , DE BEHTAUT , ETC. 2!
David. Ce poeine , qui n'a jamais vu le jour , aurait ete
dcril dans un style tres-inferieur au sujet , A en juger
par les cinquante premiers vers que Vauquelin cite dans
le meilleur de scs ouvrages , dans son Art poetique ,
compose par ordre du roi Henri III. Le style de Vau-
quelin est trop diffus , peu elegant , et manque de
noblesse lA ou cette quality serait necessaire ; mais en
general il est correct, facile et ingenieux, commc celui do
Desportes, qu'il vante beaucoup et qu'il prend evidem-
ment pour modele. Commelui, Vauquelin s'estpermis
V/iiatus : A cela pri's, sa versiGcation est assez reguliere,
surtout dans cet Art po^lique , oil d'ailleurs il niontre
assez de bon sens et de gout , et des connaissances Ir^s-
vari6es. II paraphrase ordinairement I'Art po6tique
d'llorace , non sans y ajouter des observations justcs
qui ne manquent pas de finesse. Mais il profcssc
trop d'admiration pour les genres de poesie en vogue
A son epoque , el surlout pour I'^cole de Ronsard , k
laquelle cependant il n'appartient pas : il emprunte
menie A son devancier Ronsard quelques faux prin-
cipes bien differents de ceux d'llorace. L'histoire de la
poesie franijaise , disseminee dans le poeme de Vauque-
lin , est loin d'etre sans interet , et continue d en faire
pardonner la marcbe languissante et le style sou vent
bien faiblc. L'ouvrage entier, avec ses defauls, nelaisse
pas d'etre remarquable pour cette epoque. Boileau en
a quelqucfois profile , sans le uommer jamais. Voici les
derniers vers de I'Art poelique de Vaucpielin de La
Fresnaie. lis sonl du nombre des meilleurs , et peuvent
doni:er une idee de son style , certainemcnt inferieur
a celui de Desportes :
22 SUR LES OEUVRES POETIQIIES
Je coinposoy eel ^rt pour donner am Francois,
Quand vous, Sire, quittant le parler Polonnois,
Voulutcs , reposant dessous le bel ombrage
De vos UunftTSgaignes, polir vostre langage ,
Ouir parler des vers parmi le dous loisir
De CPS cloestres d(?vols , oil vous prenez plaisir ;
Ayant aupres de vous , comnie Auguste un M^coene ,
Jojeusc, qui sfavant des Virgiles vous m6ne ,
Des Horaces, un Varc, un Desportesqui I'alt
Composant netlenient , cet Art quasi parfait.
Depuis un chant plus haul j'entrepris tout celeste ,
Alors que Mars arm6 du dernier manifesle
Me rabaissa la voix. Je demeuray soudain
Commc dans la for<?t dcineure un petit dain
Qui voit un ours , cruel au pied d'une descente ,
Ouvrir les flancs battants de sa mere innoccnle :
I! fuit par la brossaillc, il fuitde boisen bois;
Timide etd6flant , il pense a chaque fois
Revoir Tours qui sa mere et la France d^vore.
Depuis ce jour lout let je suis pour eux encore.
Je vivois cependant au rivage Olenois ,
A Caen , oil I'Oc^an vient tous les jours deux fois.
La moi , de Vauquelin , content en ma province ,
Pr^sidant, je rendoy la justice du Prince.
Nous pouvons encore citer ici pour memoire un
imilateur de Desportcs , d'une epoque un peu posle-
lieure , le sieur De la Roque , de Clermont en Beau-
voisis , lecteur de la reine Marguerite , et qui avait
servi avec Malberbe dans les rangs des Ligueurs. II
nous a laisse un tres-gros et tres-fastidieux recueil de
poesies galanlcs, facilenient vcrsifiees , d'un style doux
ot coulant , niais fort insipides. II en faut dire aufant
de ses imitations de I'Arioste , do scs poomes mylLo-
DE DESPOKTt'S , DE DERTAUT , ETC. 23
logiques et romanesqiies , oili se trouvenl cependant ^i
et lA quelques descriptions assezjolies, etdeson diame
pastoral dans lo genre des Bergeries de Racan , dont on
ne pent soutenir la lectu c. Ses poesirs chr(^tiennes ne
valent pas raieux: par exemplo, il a mis en sonnets les
sept psaumcs dela p6nitence, et compose sur \eshtrmes
de la Magdelaine soixante-treize stances presque aussi
absurdes que les stances de Malherbe sur les larmes de
Saint-Pierre. Ses vers sur la mort de M"= Dclabarre et
sur celle de M"*. Duperrier sont bien miscrables en
comparaison des deux pieces correspondantcs , I'une
de Racan , I'autre de Malherbe , sur ces deux monies
sujetij. Ses odes, ses stances, ses sonnets, sur des sujels
politiques., sont en general d'une extreme faiblesse.
On pent cependant citer , beaucoup plus pour la pensc^'e
que pour le style , une strophe et demie de son ode aur
lanaissance de Monseigneur d'Orleans :
Ori(?ans en brusic de joye ,
Voyant que le tiel lui cnvoyo
Tout soil souhait et son bonhear ;
Mesme I'orabre de la Pucelle,
Pour annonier cesle nouvelle ,
Esl appafue i Vos-couleur.
EJle passe encor loute annte
Par ces bois en dlvefs canloiis :
El paroist mesme estre anim^e
Du iilaisir que nous ressenlons ,
Disant : Ce prince a pris naissance,
Dont la valeur et la puissance
Vengera ma morl ce8ti> fois;
El, nouvel astre de la guerre ,.
Joindra la rose d'Anglctcrre,
A«x tiges des bcaui tjs riaii?ois.
2.1 SUR LES OEUVRES I'OETIQL'ES
II ne se rencontre pas d''Uialus dans les vers qu'on
vient de lire ; mais en general il y en a autant dans les
vers de De la Roque que dans ceux de Desporles. On
en (rouve de mcme beaiicoup dans Le grand iniroir du
nionde , sorte de poeme encyclopedique , ecrit en un
style assez barbare , par Joseph Duchesne , sieur de
La Violette , medecin ordinaire du roi Henri IV. Pour
les mots bizarrement forges , Duchesne est encore de
Tecole de Ronsard.
Nous dironsici quelques mots d'unpoete plus reniar*
quable , qui pourtant est connu surtout comme prosa-
leur. Theodore Agrippa d'Aubigne , aieul de M"". de
Maintenon , naquit en Saintonge en i55o. Protestant,
flls d'un des conspiraleurs d'Amboise , il prit une part
tres-active aux guenes de religion, il sebattit toujours
pour Henri IV, et necessa d'en medire , de le caloni-
nier meme ; il se relira A Geneve en 1628 , et y mourut
en i63i. Ecrivain attachant,passionne,pleinde verve,
de finesse , et souvent d'eloquence , dans scs 3Jemoires,
ou il a donne libre cours a son esprit , A sa jactance et
k ses caprices j lourd et ennuyeux dans son Hisloire
universelle des evenements de son temps , oia il a voulu
6tre grave et serieux, et dont on ne peut lire avec plai-
sir que la preyizcc ; pamphletaire mordant et grossier
dans la Confession de Sancy , beaucoup trop vantee ;
excellent satirique dans le baron de Feneste , autre
pamphlet bien plus ingenieux , dont malheureusement
une parlie est en patois gascon ; d'Aubigne a egalcmcnt
r6ussi dans le genre qui lui convient , c'est-a-dire dans
la satire. II a voulu otre poete tragiquc , coninic il a
voulu C'trc grave bistoricn : sa Iragedic de Circe ne
ETC. 25
vautpasiiiieux que son Ilisloireiiniverselle, Ses poesies
legeres et ses vers d' amour se font remarquer par une
grande facilite et quelques traits heureux : ce soiit de
vrais impromptus. Mais il y a uii merile reel dans une
parlie du recueil intitule T'l-agirjucs , et de ses autres
poesies satiriques. L'esprit et la verve , la vivacite de
ses descriptions comiques et de ses mordanles tirades
font pardonner les negligences de tout genre , les hiatus
frequents , lesfautes de versification et de style. Rien
de plus pittoresque que ses portraits de Calhcrine de
Medicis , de Charles IX , et surlout d'llenri III. II n'a
pas menage non plus Henri IV : on en peut juger par
ce sonnet , qu'il fit graver lui-mcrae sur le collier d'un
cliien abandonne par le roi :
Le lidcle Ciiron , qui couchoit autrefois
Sur voire lit saer6, couche ores sur la dure.
C'est ce Gdele cliien , qui apprit de nature
A faire des amis et des (raitres le choix.
C'est lui qui les brigands cffrajoitde sa voix ,
Des dents les assassins. D'oii vient done qu'il endure
La faiin, le froid, les coups, les dcdains et I'injure?
Payement coulumier du service des rois!
Sa fierle, sa beaut6, sa jeunesse agr(5able,
Le fit cherir de vous ; mais il fut redoutable
A YDS fiers ennemis , pour sa dexterity.
Courtisansquijelezvos dedaigncuscs vues
Sur ce chien delaiss6, mort de faini paries rues,
Attendez ce loyer de la fidelil(5.
« Ce chien , ajoute-l-il dans ses Memoires , fut des
le lendemain mene au roi , comme il passait par Agen,
lequel changea de coulour el en resta confus. »
Suivant d'Auhigne , Henri IV rcconipcnsail les of-
fenses et punissuil leg service!-.
26 SLR LES OEl'VnES POKTIQUES
A cette epoque f<^conde en paniphlels fut coinposoe
la satire Menipp^e , ing^nieux libelle en assez bonne
prose mel^e de quelques mauvais vers. Mais c'est une
fo: I jolie pi^ce de vers , malgre bien des negligences de
versification et des defauts de style , que le Regret fu-
nchre sur le trepas de I'dne Ugueitr , imprime a la suite
de la satire Menippee.
Dans les oeuvresde Desportes et de quelques-uns des
autres poetes dont nous venons do parler , nous avons
signale plusieurs qualites tres-estimables. Mais aucun
n'a trouv6 le ton de la haute poesie ; aucun n'a eu une
versification parfaitement reguliere. Malherbe est le
premier , dit-on , qui sur ces deux points mi^rite d'etre
proclame le devancier des grands pontes du siecle de
Louis XIV. Voyoivs si avant lui Bertaut n'aurait pas
acquis quelques droits a cet honneur.
behtaut.
Jean Bertaut naquit k Caen vers le milieu du sei-
ziime siecle. II (levint premier aum6nier de la r.eine
Catherine de Medicis , merede Charles IX, lecteur
dllenri III, eveque de Seez et abbe d'Aunay. H mou-
rul en 1611 , apriis avoir contribue i la conversion
d'Henri IV.
Ses CBuvres po6tiquesse composent detrois recueils.
Le premier contient des cantiques imites des psaumes,
et appliques presque tous i Henri 111 ou i Henri IV ,
et aux destinees de la France , des discours , des son-
nets sur les eveneracntspolitiques, des epitresadressees
a de grands personnages , des discours funcbros , des
DE DESPOUTES , DE BEUTALT , ETC. 57
coniplaiiites , des epilapbes , uii po^mc inlitiile
Timandre sur une Iragiqiie a^'enlure , et la traduction
du second livre de TEneide. Le second recueil est inti-
tule Rccueil de quelques vers amoureux. Le frere de
I'auteur, daus une preface , declare qu'il acu bien de
la peine a arracher i son frere la permission de le faire
imprimer, et qu'il n'y a reussi qu'en luicitant souvent
le proverbe : Marie tafiUe ou elle se niariera. En effet ,
les libraires pubUaient , sans la permission de Bertaut,
dans de mauvais recueils , des copies fautives de ses
poesies inedites. L'amour paternel du pocte ne put
endurer cet affront fait a ces enfants de sa jeunesse :
il livra le manuscrit k son frere , qui le fit imprimer
sur-le- champ, de peur de quelque remords. Lc lecteur
doit de la reconnaissance au frere du pocte ; car ce
recueil contient plusieu; s cbarmanles pieces de vers.
Jedois ajouter qu'on y trouve vers la fin un assez long
poenie intitule Panaritc , froide allegorie sur la nais-
sauce du daupbin , fils d'Henri IV , qui fut plus tard
Louis XIII ; et une serie depeliles pieces allegoriques
pour des ballets , niascarades , telles qu'il y en a dans
Desportes , dans Malherbe , dans Racan , et dans lous
les poetes de cotte epoque. Le troisienie recueil con-
tient uu petit nonibre de poesies du memo gem-e que
celles du second , mais publiees seulenient apres la
mort de I'auteur.
Dans son Discours sicr le trcpas de Monsieur de Rori'
sard , oil les eloges sonl presque aussi prodigues que
dans I'oraison funrbrc de ce poete pronoucee par le
cardinal Duperron , alors evequc d'Evi eux , Bertaut
nous apprcud que , des I'i^gc de seize ans , la lecture
28 SUR LES OEUVnES POfillQlES
dv's vers de Ronsard lui inspira le desir et I'espoir de
marLber sur scs traces , que plus taid il eludia les
beaux vers de Desportes , plus faciles A imiter , et que
ce furent la ses deux modeles. Mais la traduction du
second livre de I'Eneide prouve assez qu'il avail etudi6
les anciens, et ses ojuvres sonl lA pour allester que ,
malgre son admiration pour le grand Ronsard , il I'a
heureusement fort pen imite. L'etude de Desportes au
conlraire a du lui etre tres-utile pour acquerir cetle
facilite et cette souplesse qu'on remarque dans son
style, et pour perfectionner la versiGcation. Sous ce
rappoit, il afait encore un progres bien marque sur son
modele. De tous les poetes fran^ais que nous connais-
sons , Bertaut est le premier qui ait observe constam-
ment toutes les regies de la versification , tandis qu'il
y en avait deux que Desportes , son contemporain ,
mort cinq ans avant lui , violait assez souvent. Seule-
ment dans les vers de Bertaut , comme dans ceux de
Malberbe , deux syllabes que nous separons mainte-
nant n'en formentqu'une dans un petit nombre de mots,
comma nieurtrkr , ouvrier , qu'ils emploient pour deux
syllabes seulement. II y a moins d'expressions vieilies
ou devenues Iriviales dans Bertaut que dans Desportes :
il n'y en a pas beaucoup plus que dans Malberbe , a
considerer I'ensemble (!es poesies de ces deux auteurs.
La phrase de Bertaut est claire , exacte , reguliere. 11
s'y trouve rarcment des inversions forcees ; dans quel-
ques beaux passages , c'est deja la langue poetique du
grand siecle.
La traduction du second livre de I'Eneide par Ber-
taut est generalemcnt faible. Son poeme de Timaudre
DE DESPORTES . DE DERTATIT , ETC. ig
est line fiction romanesqueetnierveilleuse , longuement
racnntee et de peu d'inteief. Cc genre 6tait lellenient
a la mode . que Racan a pris le trait principal du
Timandre pour en faire un des principaux ressorls
deson dranie pastoral. L'clogc de Ronsard par Bertaul
est nne longne allegoric pleine de declamations. La
complainte sur la mort de Lysis presenle Ic menie
caractere : c'est 1' oraison funebre d'un homme de
guerre , faite en vers par Bertaut , pour complaire k
un puissant ami du mort , qu'il iutroduit dans cetfe
piece sous le nom de Daphnis. Beaucoup des discours
en vers de Bertaut , de ses epitres , de ses eloges , de
ses epitaphes , etc. , pieces de circonstances , sont sans
interet pour nous et no sont que de la prose rinice.
Cette grande quantite de vers faibles a sans doute nut
k sa reputation. II faut de la patience pour decouvrir
dans ses oeuvres des morceaux dignes d'etre admires.
Beaucoup de ses pieces amoureuses ne sont que des
jeux d'esprit 5 la maniere de Dcsportes. On ti ouvc dans
une partie de ses ceuvres , cependant moins souvent
que dans celles de Desportes , lesjcux de mots, les
antitheses, lesconqjaraisoiis et les hyperboles affcctees.
Mais qu'on retranche toutes ces productions sans me-
rite : il reste de quoi former un petit volume digne d"un
bon poete. C'est dans cette parlie vraiment poetique
des oeuvres de Bertaut qu'il faut surtout I'etudier pour
le connaitre et le juger. Son defaut le plus habituel ,
menie dans ses bonnes pieces , c'est d'affaiblir une
pensee en voulant trop la developper. Aussi dans nos
citations nous retrancherons souvent des passages
languissants et inutiles. Ue meme, son style se fait plus
3o SIB LES OELVBES POETIQUES
rcniarquor par une abondante facilite que par la con-
cision. Mais Beiiaut a souvcnl do belles et nobles
penseeSjqu'il exprime d'une maniere naturelle, simple,
eloqiientc. H s'elevesans effort, descend avecsouplesse
et se joue avcc gnlce. Mais ce qui le distingue surtout,
cVst ce qui manque a Malbcr])e , c'est une scnsibilite
vraie et profonde, qui donne A ses vers tani de cbarmesj
c'est le langage de T^me qui va droit A TAme , celte
douceur , cette bienveillance communicative , qui , en
faisant aimer Thomme , fait qu'on prend plus de plaisir
d admirer le poete. Peut-etre ne convenait-il pas A un
eveque de publier dos poesies amoureuses ; mais du
moins cellcs de Bertaut ne sont point licencieuses :
elles expriment le sentiment et non la volupt^ , elles
s'adrcssent a T^me et non pas aux sens ; elles respirent
meme Tamour de la vertu , de la beaute morale. Seu-
lement le poete s'est dit comme Virgile :
Gratior cf pukhro venicns in corpore virlus 1
Mais il ne s'cslpoint complu dans la description,mcme
decente, de la beauts phjsique. Les poesies erotiques
de ses contemporains ne sont pour la plupart du temps
que des jeux d'c sprit sans expression , ou bien n'expri-
ment que le delire des sens. Bertaut, au contraire, aete
spirifualisle par sentiment , sinon par systeme , et c'est
]k en partie tequi fail sa superiorile. Les citations ne
nous manqiicronl pas pour justifier cet eloge. Voici les
premieres strophes d'une defense de I'amour atlaque
par Desportes. Le poete y montre que I'Amour est par
lui-meme un sentiment pur, mais qui peut seulement
se Iromper d'objet, ot alorsdevenir funeste et coiq)abic.
DB DESPORTES , DE BERTAl'T , ETC. Si
On nc sc souvient que du mal,
L'ingralllufJe r^gne au monde:
L'injurc se grave en mi^tal ,
Et le bienraits'escrit sur I'ondc.
Amour en serl de fircuve nux sicns,
Luy qui joint la peine aux d(?lices :
Ceux que plus il romble de bicns
N'en c6lebrent que les malices.
II porte un flambeau dans sa main ,
Pour en ^clairer a noire 4me ,
El nous , d'un jugement peu sain , 1
Nous aliens brusler i sa flamme.
II presle a noire entcndemenl ,
Pour volcr au ciel , ses deux ailcs :
Nous les engluons follemenl
Dedans les vanil(?s morlelles.
Ainsi du plumage qu'il eut ,
Icare pervertit I'usage :
II le recut pour son salut ,
11 s'en servitpourson dommage. Etc.
II y a encore un sentiment elev6 et pur dans ces
stances un peu entachees d'affectation :
Mon ame est de vos laqs si doucement press^e ,
Qu'il n'est point de tourment que je n'y Irouve doui ;
El ne m'estime heureux que lorsque ma pensde
Me ravit hors de moi , pour aller vivre en vous.
Aussi la beauld m^'me en vous seule resserre ,
Pour la gloirc d'Amour , les d^lices des Dieux :
Mon ame vil en moi , comme Ton vit en terre,
Mais elle vit en vous comme Ton vil is cieux.
32 SUB LES OEUVEES POETIQCES
A qui doy-je plustost consacrcr mon service
Qu'a re divin esprit de graces rcv<5lu ,
DonI le servage apprend a maistriscr Ic vice,
Et qu'on ne pcut aimer qu'en aimaiit la vertu ?
Nous citcrons encore celtc stance d'une autre piece :
Nul aussi n'cust jamais I'heur de sa cognoissance.
Qui volonlairemeril ne s'en soitveucliarmer,
Et qui n'ait en I'aimant senty la repentance
De n'avoir pas plus tost commence' de Taimer.
Que de douceur , que d'harmonie , que de charmes
dans ces beaux vers d'une elegie !
On dit qu'en Idumec, ejconfinsde Syrie,
Oil bien souvenl la palme au palmier se marie ,
II scmble , a rcgarder ces arbrcs bienhcureux ,
Qu'ils vivont animez d'un esprit anioiireux ;
Car le male , courb^ vers sa chere femclle,
Itlonstre de rcssentir le bien d'estre aupr6s d'elle :
EUe fait le seinblable , et pour s'enlr'embrasscr
On les voit leurs rameaux I'un vers I'autre avancer.
Decesembrassements leurs branches reverdissent,
Le cicl y prend plaisir, les astres les b6nissent,
Et I'haleine des vents soupirants a I'entour
Loue en son doux murmure une si sainte amour.
Que si rimpi<5t6dcquelque main barbare
Par le tranchant du ferce beau couple separe ,
Ou Iransplante autre \\htI\c\\ts. tiges desolez,
Les rendant pour jamais I'un de I'autre exilez :
Jaunissanl de I'cnnuy que chacun d'eux endure,
lis font mourir le teint de leur belle verdure,
Out en haine la vie , et pour Icur aliment
N'altirent plus I'humeur du terreslrei^li^ment.
Si vous m'aimiez, helas! autantque je vous ayme,
Quand nous sorlons absents, nous en fcrions de mf'me !
DE DESPORTES, DE BEUTAUT , ETC. 33
Cette coniparaison avail deji et6 exprinn^e avec une
heureuse siniplicile dans le lai du Chevrefoil, par Marie
de France , poete franrais du iZ". siecle. Elle a ele
developpee avec une admirable poesie dans I'elegie de
Goethe , inlitulee Amyntas.
Que de sentiment el de tendresse dans cos stances
pastorales , ou pourtant il y a trop d' antitheses !
Quoi ! lu vis , Coridon , loin des douces lumieres ,
Sans qui tii le jurois nc pouvoir vivre un jour.
Ah ! bergcr pcu constant dans les flammes premieres ,
Ta vie el ton absence accusent ton amour.
Tu pcux bien , si tu vcux , sans que rien (e retienne ,
Revcnir voir les yeux tant baisez en partanl :
Que le copur seulemenl le premier y revienne ,
Le corps soudainemenl s'en verra faire autant.
Car que puis-je estimer d'«n quiperd ma presence
Sans contrainle ou regret par effect tcsmoign6 ,
Sinon qu'estanl absent m^medevant I'absence,
Le coeur premier que I'oeil s'en estoit estoigne?
Te d^peindre accabl6 d'affaires (^ternelles,
C'est me faire penser qu'Amour t'a d^laiss^ ;
Car I'Amour ne scauroit compatir avec elles:
11 en chasse le soin , ou bien en est cha5s6.
Cependantquel soucy tient ton esprit en peine.
Qui puisse juslement empeschcr ton retour?
Est-il quelque pensec ou quelquo alTaire humaine
Qu'il faille qu'un amant pr(5f^re a son amour?
Non , do quelquo raison dont entin Hi m'abuscs ,
3
->4 SX:u LUs OELVRES fO L TIQl'liS
Til nc |)cux c\r.iisor cv vain osloignpmpnl;
( ar sculcmcnt cetn , d'allegucr Acs pxcuscs ,
C'esl convaincrc Ion coeur dc m'aimer froidcmcnt,
Mais pourquoi m'abysm^-jc en ma philosopliic ,
Mes proprcs arguments nuisants h lenranlheur?
HcMas ! pins je raisonne , rt plus je vc^iifie
Ce que jc vouJrais bicn Irouver faux elmentcur.
Non , Coridon , j'ai tort: fa flammp purp pl sainle
N'a point csteint I'ardeur dont lu soulois bruslpr:
Non , lu Ri'aimcs foujours Pl sans fraude Pl sans fainip ;
Mais pput-eslrp ii le plaistdc le dissimulpr.
II PSt vray que ton frpur Irop bipn Ic dissimiile
\, Pour un vraymenl ^pris d'un vif pmhrnsriiipiil ;
El jp n'cusse pas cru , quoiqup je sois ciTdiiip,
Qu'on se peusl tant forcer, quand on aimp nrdpinment.
Aussi scns-je apres lout ce bicn-lh mp d(?plairc ,
Et fairc que ma plainip en larmes se r(5soul:
Car quand on faint si bien que I'on n'aiinp plus guere ,
II nc s'en faul qu'un peu qu'on n'aime plus du tout.
11 n'y a pasmoins de sonfimenlavcopliis d'elevation
tlans ces vers d'une elegie :
Pourquoi, soulTlant I'ardeur dp ma flammc inscnse'e,
M'asseuras-lu jamais que yes/ois ta pensee ,
Et que la seule amour bruslant trop vivement
Ne nous permetloit point d'aymer 6galpmpnt?
Si tu ne m'aymois point , que tc servoit la fainte ,
Dont tu trompois I'espoir d'une amili(5 si sainle?
Si vrayment tu m'aymois, pourquoi , sans mon prreur(l)
As-tu pris ma conslancc el mon nom en borrcur?
Qu'ay-je diet , qu'ay-je fait , digne de ce supplice 7
(i) C'eti-i,-i\r» Sam faute He mn part.
DE DESPORTES, DK BEUTACT , ETC. 35
Que jesache ma faule, avant qu'on me punisse !
Qu'on no me fasse point, par une injustc loy^
Mourir sous les lourments , sans me dire pourquoy!
Ce saint et chaste feude qui la pure flaniine
Ardoii incessamnienl sur I'autcl de men ame,
L'ay-je laisse mourir ou I'ay-je viol6
Par quelque feu prophane ou mon coeur ait brusl6?
A quelques mots pr^s , ces beaux vers n'approchcnl-
ils pas dejA du ton A la fois noble , tendre et passional
des scenes d'amour dans les tragedies de Racine ? Ou
Bertaut en avait-il trouve le modele , sinon dans Vir-
gile?
Cilons aussi un sonnet, don t les deux derniers vers
sont charmants :
J'aurai loujours au coeur le souvenir bien chcr
Dujouroi'i mon devoir m'esloigna de ma belie,
Bien qu'il me fust advis qu'en prenant congd d'elle,
Un couteau vint mon ame en deux parts detrancher.
Que de mots qui pourraient enflammer un rocher
Me dist sa belle bouche a I'heure (l) moins cruelle !
Etqu'un trail Evident de peine muluelle
En ce Iriste depart monstra de la toucher !
Je meurs, me souvenant que sa bouche de basme,
D'un baiser redouble, qui me d6roba Tame,
En me disant adieu me pria du rctour.
Car , si je ne me trompe en I'ardeur qui m'allume.
Si le premier baiser fust donn6 par couslume ,
Le second, pour le moins, fust donn(5 par amour.
Le sonnet sur un baiser refuse , puis donne, n'est pas
(i) C'est-i f\\VH alors
36 sun LES OEL'VRES POETIQLES
moins gracieux, quoiqu'avec moins de deUcatesse. II est
du nonibre des poesies que Bertaut n'a pas voulu lais-
ser publier de son vivant.
Pourriong-nous ne pas citer ces stances, dont la plus
belle est sue de tout le monde , depuis que Leonard
ot Lallarpe en ont fait chacun le refrain d'une loniance?
Ce dernier dit seulement que c'est un vieux refrain ,
dont il no nomnie pas I'auteur,
Les cieux incxorables
Me sonl si rigoiireux ,
Que Ics plus misfirables ,
Se comparans h moy , se Irouveroienl heuroux.
Mon lict est de mes larmes
Trcmpi; toutes les nuits ;
El ne peuvent ses charmes,
Lors mcsme que je dors , endormir mcs ennuys.
Si je fay quolque sonqe ,
J'en suis espouvanl6;
Car mesme son niensonge
Exprlmc de mes maux la Irisle v6rit#.
La pitid, la justice,
La Constance et la foy ,
Cddanta rarlilice.
Dedans les coeurs humainssont csteintes pour moy.
L'ingratitude paye
Ma fidi'le amiti^;
La calomnie essaye
A rendre mes lourmenls iiidignes de pitied.
Bref, il ri'esl sUr la tene,
DE DESPORTES , DE BEHTAUT , ETC. 87
' Esp6cede malheur,
Qui , me faisant la guerre ,
N'exp^rimente en moy ce que peul la douleur.
Et ce qui rend plus dure
La misere oil je vy,
C'est , es maux que j'endure ,
La m6moirc de I'heur que le ciel m'a ravy.
F61icil6 pass(?«
Qui nepeux revenir,
Tourment dc ma pens^e.
Que n'ai-je , en le perdant , perdu le souvenir !
H6las ! il ne me reste
De mes conitntements
Qu'un souvenir funestc
Qui me les converlit i toule heure en tourmenls.
Le sort plein d'injustice
M'ayant eniin rendu
Ce reste un pur supplice ,
Jc serois plus lieureux , si j'avoy plus perdu.
II y a encore de bien jolis vers , quoiqu'avec un pen
d'affectatioii , dans une complainte du premier recueil
dont voici un fragment :
Mes plaisirs s'en sonl envolez ,
C6dans au malheur qui m'outragc ;
Mes beaux jours se sonl esioulez
Comme I'eau qu'enfanle un orage;
El s'escoulanl ne m'ont laiss6
Que le souvenir du pass6.
Ah! regret qui/flj'j lamenter
Ma vie au cercueil enfermdc,
Cesse de plus me tourmcnter.
38 SDR LES OEUVRES POETIQUES
Puisquc ma vie est consum6e :
Ne trouble point de tes reinords
La Iriste paix des pauvres morts.
Assez, lorsque j'esloisvivant,
J'ay senty tes dures atlaintes;
Assez , tes rigueurs «?prouvant ,
J'ay frapp6 Ic ciel dc mcs plainfes ;
Pourquoy , perp6tuant raon dueil ,
Me poursuis-tu dans le cercueil ? Etc.
Que de gpAce , de legerete , de Cnesse , dans celte
chanson, dont le rhythme est si bien trouv^ !
Celuy seul qui mesprisc
Les appasts amoureux >
Et garde sa franchise
Est sage et bienheurcux j
Et tout ainsi
Que d'amour il n'espere
Ny grace ny salaire ,
11 n'en craintrien «aw/.
II se mocque des larmes
Des amants insensez ;
II se rit des allarnies
Dont ils sont irai'ersez;
Et dans la mer ,
Sous Teffort de I'orage ,
II les voit du rivage
Eux-mesmes s'abysraer.
Le desir n'cst que peine,
L'altentc que lourmenl ;
La jouissancc est plcinc
De peiir dun changcment.
DJE DESPOUTES , DE BERTAUT , ETC. 3f^
Pensez quel heur
S>iil la vie anioureusc ,
Puisqiie la plus heurciise
Est ferlile en douleur.
On dit qu'il n'cst poinld'ame
Si rebellc ii I'aiiiour,
Que I'ardeur de sa flanime
N'embrase quelquc jour ;
Et que porter,
Dans le Cirur son ulcdre ,
C'esl un mal n^cessaire
Qu on ne pent d viler.
Mais, quoy qu'on veuille dlr^,
Je croy qu'Amour ne pcut
Ranger sous son empire
Queteiuy qui leveul.
LesenI dc^'faut
D'un peu dc resistance
Et non pas sa puissance ,
Uompte ceux qu'il assaut.
Non , jamais plus , >en jure,
Mon coEur n'nuru dc feu.
Bienhenreux , si jc dure
En reilel dc ce voeu !
Mail , nialheureux,
l)e bicn loin je menace ,
Et crains que je ne face
Un serment d'amoureux.
On peut remarquer que Bcrtaut a mis de suite dans
une nieme strophe deux vers masculins qui ne riraent
pas ensemble , ce qui n'est pas cunforme aux regies les
plusseveresdcla versification ; maisontrouveplusieurs
CAomplos scniMiibles , m»"ino dans Malherbe.
4o SUR LES OEUVUES POKTIQUES
11 n'y a pas moins d'esprit , niais «n pen Irop d'affec-
talion , dans la chanson dont le refrain est , avcc quel-
ques changcmenls : C'est hair que cV aimer ainsi.
Que de finesse encore dans ce joli sonnet '.
Bien qu'un fiddle amant soil lenu d'estimer
Tout ce qu'il recognoist estim6 de sa dame.
El qu'il doivc pnr la commander i son anic ,
EUe aimant ses parents , de les vouloir aimer ;
Si ne vons puis-je ouTr ce neveu siirnoinmer ,
Qu'un trait de d(^plaisir lout le coeur ue m'enlame;
El quand vous lui ricz , mon sang presque s'enflame
D'un si bruslant depit qu'on ne pent I'exprimer.
Je seal bien que la loi commandant que Ton aime
Le prochain, I'cstranger, voire I'ennemy mcsme,
Vous devez bien cherir un parent si parfait ;
Mais cela ne rend point la paix a mon courage (1).
Si voire esprit I'aimoit un pen moins qu'il ne fait,
Le mien , sans en mentir, I'aimeroit davantage.
Bertaiit a fait pen de sonnets ; mais presque tons
sent pr^ferables aux meilleurs de Desportes. Les deux
que nous avons cites sont mcme bien au-dessus du
sonnet d'Uranie par Voiture, et du sonnet de Job par
Benserade , qui ont fait cependant tant de bruit.
Quoi de plus ingenieux que ce fragment d'une elegie ?
Le poete suppose que , desespere de ses malheurs en
nmour , il a voulu se livrer tout entier h Tastronomio.
Pendant qu'il se livre k cette etude, TAmour lui appa-
rait , et lui dit d'un ton raillcur :
(i) Courage t\g-a\&i caur.
DE DliSPORTES , DE BERTAUT , ETC. /[l
Eh bien 1 jcune astrologue , a la On la pensde
Dcs liens amoiireux s'est du tout deluree ?
0 le vaillant Hercule ! il a ronipu mos laqs
Pour souslenir le ciel et souiager Alias I
C'cst bien fait : persevere , use ainsi ta jeunesse ,
T'amusant a compter , pour fufr la paressc ,
Lcs estoillcs du ciel; puis enfin , quol(|ue jour,
Estant vieil et cadur , suy les plaisirs d'amour.
Eh ! ne vois-lu pas bien , philosoplie pcu sage,
Qu'aussi mal est sortable aux ans de ton jeune Age
Ce vain amusement dont le soin te retient.
Que le vieillard Tithon a I'Aurore convient?
Laisse, laisse, imprudent, ces vaines impostures
Aux faiseursdalmanachs, et diseurs d'avantures:
Toy, chante de I'Amour, pendant que la vigueur
Du jeune ftge amoureux vif encore en Ion coeur.
Ce fust (s'il t'en souvicnt ) le roup de ma sagette,
Et non I'eau d'H6licon , qui te rendit poele.
Dans un genre different , ses vers sur la mort de la
fille de M"'*. Delabarre n'offrent pas moins de graces :
Les rayons de vertu trnp cinirs et imp luisanls
Qu'on te voyoit espandre en de si lendres ans ,
Devoicnt estre a nos ca>urs une preuve asseur^e
Qu'une bien fraislc vie et de courte durde
Te tiendroit (6 belle ame) altachde icy bas
Aux noeuds qui sont tranchez par la fauxdu trespas.
Le froid gele les fleurs qui trop tost s'enhardissent
D'annoncer la saison oil les prez s'en lapissent ,
Et mil fruit trop tost meur ne se voit arriver
Jusquau retour des mois successcurs de I'hyver.
Car la fiere rigueur du sort inexorable.
Qui ne veut rien d'heurcux au mondc estre durable,
Scmble avoir ordonn6 que, pour un chaslimenl
D'eslrc trop lost parfait , on nc soit qu'un moment.
4? SIR I.ES OELVREs POETIQITES
Qui jamais veil 6clore , en favril de ronfance ,
Taiil de flcursde boi!l6, de douceur , de coustance,
r>'humilit(^ , d'lionneur, d'esprit , de p\6li ,
Dq libre modcslie, et de sage gayel(5,
Comme des douces moeurs, avaut I'age polies ,
Mesme en les pelitsjeui s'en monlroient embellies? Etc,
Malheureusenient le teste de cette piere est niau-
vais , de meme qu'iine grande parlie de I'ode de Mal-
lierbe i Duperrier , que ces vers rappelleiit. On
retrouve le mcme charme dans ces vei's par lesqtiels se
(ermine la complainte sur la niortde M™^ Lugol. lis
sonl en menie temps pleins de noblesse , ot il ne
s'y trouve pas un mot que Ton voulut changer.
Or toy qui plains sa niorl , ne sois point estonn6
D'avoir veu ce beau jour a midi termini.
Ainsi le veut la loy prescrite i la nature:
Toujours le plus beau temps est celuy qui raoins dure-:
Mais les llcursdc vertu rcgueiit plus d'un prinlemps ,.
Etceux qui vivent bien vivent assez long-temps.
Parmi les vers de I'auteur sur les evenements poli-
li({ne6 , il y en a , comme nous Tavons dit , beaucoup
de mediocres et meme de faibles ; ses vers sur la mort
d'Henri IH offrent plus d'exageralion que d'energie ,
except^ quelques passages vrainient pathcliques ,
comme celui-ci , malgre bien des defauts de style :
H6Ias ! 11 m'en souvienl que quand son paste corps
Fut rais i reposeren la couche des morts,
J'enlrai dedans la chanibre oi'i le plomb qui I'enscrre
GUoit sansnuUc ^poDipc est enUu contra Ufre ,
DK DESPORTES , Dli nERTALT , ETC. 4^
Taiuiis que I'arlisan d cet ceiwrc empesche ,
De tnainl ais raisorinanl Tun a I'aulre allachft
Furrnoitia triste chamhre oil la fatnle marque
Dps fourriers de la morl logeoii ce grand monarquc.
Et lors rame/itei-aiii (1) que celuy dont les os
Dormoienl en Ire les vers dedans ce plonib endos
N'agu^re estoit au monde el mon prince el mon maislrc ,
("■eluy d'oi'i tout mon liour se prometloil de naistre,
Et de qui le trespas me venoll de ravir
L'espoir de lout le bien qu'a le suivrc el servir
J'avoy pcu ni(?riler|d"uii coeur si ddbonnairc,
Je vey perdre a mes sens leur usage ordinaire. EI1.C.
Les vers de Tauleur sur la mort d'Henri IV , sans
Ode mauvais , sont bien au dessous du sujet. C'est
qu'il est difficile d'exprimer en beaux vers une grande
(Joulcur pr^sente , surtout quand on est abatlu. Le
poele le dil lui-mume , ct les vers ou il cxprime celle
idee sont les meiileurs de cetfe ode. Bertaut tHait
alovs bien vienx : il niourul quelqucs mois apres. Ses
stances sur la conversion d'Henri IV , k laquelle il
avait contribue , sont raisonnablement assez bien ver-
siliees , mais peu poetiques.
Au contraire , it y a beaucoup de poesie dans ses
vers sur la mort de Calcrynie. Celte Caleryme , c'est
(iabrielle d'Eslrees. Depuis trois jours Anaxandre ,
e'est-i-dire Henri IV , pleure la mort de sa mailresse.
Lc sommeil susprnd un instant ses douleurs. Caleryme
Uii apparait ,
Telle que parattrait un bel ange des cieui
(0 ^i« rappelant.
44 SUB LES OEUVRES POETIQIES
Qui, ilcsocndu n'aguerc en ces plaines mortellcs,
Prendroit un corps visible, et cacheroitses ailes.
Mais ses beaux yeux sont Irislement baisscs et la
paleurde lamort est sur son visage. Anaxandre lui dit :
. Rcviens-tu du cercucil,
Fantosme desirable a nion ame ainig(5e ,
Pour voir en quels ennuis la mort I'a submergec"?
Ou jouissante encor de la darl6 dcs tieux ,
Viens-lu pour eslanchcr les larmcs de mes yeux ,
Toy-tn^me leur prouvanl par la douee presence
Qu'encore en ce beau corps I'anie fail residence,
Et que Ics bruits courans qui , dole/is messagers,
Ont publie la morl , sont faux et mensongers ?
Caleryme repond :
Un faux bruit de ma mort n'a point deceu Ion occur :
J'ay senty du trespas la meurtriere rigueur :
Mon corps n'esl plus que Icrre; cl ces yeux donl la flame
Sembloit donncr la vie et le jo-ir a ton am? ,
D'une dternelle nuict en la lombc converts ,
Ne sont plus maintenanlque le repas des vers,
Occident qui lesmoigne aux hostes de ce mondc
Combien faux esl I'cspoir de Tame qui s'y fonde ,
Puisque rien n'est durable en ce Iraistre sfejonr ;
Que la gloire y neurit et s'y passe en un jour ;
Que la pompe et I'orgueil des beautez de la terrc ,
Qui luit comme de Tor , se rompl commc du verrc ,
Et que la mort triomphe , en le privantde moy ,
De ce qu'Amour faisoit Iriompher d'un grand Roi.
Ce qii'ellc regrctte , dit-elle , ce ne sont point Ics
richei-sos ni les grandeurs ; c'est son royal anianl , co,
soul scs cnfanls. Pourlanl cUo bcnit la sainclo ct jintc
DE DESi'OimiS , DE BERTACT , ETC. 45
loyqm, pour le bonheur de la France, veul qu'Anaxandie
lui survive. Elle va retourncr au sejour ou reposcnt
Ics ames separees delcur corps , conlcnte de lui avoir
dit adieu. Mais avant de !e quitler , die lui fail uno
priere. C'esl un conseil que Berlaut donnail indirecte-
menl a son Roi. Pouvait-il preler a eel (e piece une
autoiite plus toiicbante qu'en I'adressanl t^ Henri IV
par la bouche de Gabriellc qu'il venait deperdre, el
au nom de la France?
Que si mes liumbles voeux en tarmes prononcei
Peuvent sc voir encor dc (on anie cxauccz;
Par nos feux qui brusloient d'une (lame si pure ,
El par ta proprc foy , je Ic prie r( conjure
De ne plus engager la sainctc liberie
Que ma mort I'a rendue , a nulie aulre bcaul(? ,
Qu'il celle que les dieux font desja deslin^e ,
Pour allacher ton coeur des chalnes d'hymi'nf'c.
Accorde-moy ce bien, pour comble de mes vcrux ,
Que je sois la derniere, apres lanl d'aulres nceuds,
Qui t'aye estreint des Inqs doiil la bcaul6 nous presse
Au volontaircjoug d'une simple maislrcssc ;
Et quand d'aulres beaulez s'olTiironl devant toy ,
Pour tenter ta conslance el debaucher la foy ,
Lorsque lu senliras ton coeur presl a se rendre ,
By soudain i part toy , repeusant a ma cendre:
Les yeux de Caleryme en la lombe enfermez ,
Qui ne sent plus que terre, ct que j'ai lant aimez ,
Ddfendent , sans purler ^ ccste erreur a mon ame. Etc.
Anaxandre rinterrompl par de lendrcsprolcslations,
lui promellanl de n'ainicrjamais qu'elle el de la pleurtn-
toMJours. II sc rappelle son bonheur passe :
Tu m'eslois commc un port , ou mon esprit , lass6
Des Hols don! eel eslal s'ost veu lH)ulcvers6,
46 sill LES OlilVKES POETIQl'ES
Pronoil quchjuc iclasrhe , et d'oii , plein de courage,
II rclournoil cncor s'opposcr a I'orage.
Tu scavois mes desirs , tu scavois mes desseins.
>
Jc lais infini.f dons cachez et manifestes
Que t'avoicnt d(?partis Ics puissances c<^lestes,
El diray seulemcnt que jamais icy bas
Nulle beaut6 qui linst un inonarque en ses lacs
IS'usa plus doucement de rcxtr^me puissance
Que I'amour lui donnait sur snn oheissance ;
Que CCS mains, (jui pouvaienl luainl orage emouvoir.
En lien qu'en obligeant n'ont monstr6 leur pouvoir ;
Que lu n'avois appris de nos vains artifices
Qu'a les avoir en hayue au ])air des plus grands vices ;
Et qu'cnfin ton esprit n'esloil ricn que bont6.
Tout ainsi que ton corps n'csloit rien que beautfi.
II ajoute que le courroux celeste le poursuit , et que
(lesormais il n'y a plus pour lui de bonheur :
Clciir asire des Francois, roi juste et magnanime,
( Lui rcspondit alors I'onibre de Caleryme )
Nulle hnync des cieux , poursuivant la valeur,
Ne m'a ravic a loy pour t'emplir de douleur :
Le ciel aime la gloire , el sans cesse conspire
Avec tes saints pensers pour Theur de ton empire.
Mais le bicn de I'estat conserve par les mains
Vent que, cedanlaux voeux dun million d'Inimains,
Tu r'engages les ans dans les noeuds d'hymi-ncie ;
Et je n'eslois point celle a qui la deslin<'e
Avail proniis riionncur d'esire conjointe k toy
Par les sacrds liens de In nopciere hi :
Bien que la France ail creu , veu Ion amour extreme,
Que pour me fairc part du royal diad^me ,
Ton esprit embrase d'une si longue ardeur
Eleverait ma vie a ce point de grandeur.
DE DESPOUTKS , I)t BEBTAtT , ETC. i^n
Elle hii fait I'elogc de sa future epouse , et lui re\ele
ses (leslins :
II sYlt've line sale an palais de la Parque
Oii (les (lieux el des rois le pere el le monarque
lipssirre les deslins des grands de I'univers
Prof<uid(^mcnt pravez en des (ableaux divers,
J.es mis d'or et d'argenl , el les autrfs de eiiivrc ,
Et les aulres dc fer , selon que les doit snivre
TJri sort obsrur on noble, el qu'ils sonldeslinez
lie viire fn leurs (leslins bien on mnl forlunez.
La , dans un tableau d'or oii la main de Menioire
D'nn burin (^lernela grav6 (on hisloire,
Je leu , n'a pas long- temps , alors que le Irespas
En re palais fatal guida mcs Irislcs pas ,
gue le doux fleuve d'Arne et les champs qu'il arrouse
Te devoient quelque jour cnvojcr pour espouse
Une belle prineesseen qui Ibeur des deslins
Assembloit les verlus des grands dues Florcnlins ;
Et que les fruits naissants de deux si rares /•l<trites
Estans I'ltuique moil des disrordes sanglanlcs
Qui dechirentla France, y feroient redcurir
Tous les biens que la guerre a conlraints d'y mourir.
Eiifin die lui annonce que devenu lo mailie de
TEurope , il renverseia renipire Ollonian. On savait
en effet (lu'Uenri IV formait d'imnienscs desseins , que
Porefixe a exposes d'apres les Menioires de Sully :
Kavaillac les a aneantis. CakTynie continue:
La je leu qu'il csloil de long-temps arrdtd
Que pour n'enipcscher point un heur tant souliailfi
D'arriver a la I'rance , il falloit que ma vie
Me fu St loin de tes yeux avani lAge ravie,
Ne pouvaul «rfi'f///>que tonardentc amour,
Moy vivante el voyani la lumiere dujour,
48 SIR LES OEUVRES rOETIQtES
To pcrmist (I'allachcr les d<^sirs(ie Ion ame
D'liii licii nuptial aux lacs d'une aulre dame;
El hicn qu'cn relisant ce dur arrest dcs eieux
Quclqiies goultcs de pleurs sourdissent demos ycux,
Si mc reconfortay-je , au lieu d'en faire plainte,
Voyant qu'au nioins ma vie avail I'heiir d'estre osleinle
Pour I'ospoird'un Icl hicn, cl qu'ainsi qu' aulrcfois
Un grand prince , apaisanl la d6esse desbois ,
Sacrifia sa fiUe aux v<t!ux d'une vengeance ,
La Parque m'immolait aux dostins dc la France.
Elle ajoule que la vuc des larmes d'Anaxandrc lui
cause uu melange de contcntcmenl et de peine , parre
qu'e'les attestent i la fois son amour el sa douleur.
Elle I'engage a ne pas se laisser abaltre, mais i rempliv
courageusement scs devoirs enversia France , en meme
temps qu'il temoignera son aCfeclion pour sa mailresse
en honorant sa cendre , mais surloul en I'aimdnt dans
ses enfants. Elie Icrminc par celte touchanle priere de
ramour malernel :
Je ne le laisse poinl unc insensible image
De I'air qui donn.il I'i" aux trails de mon visage,
fliais trois vivants portraits par le ciel animoz ,
Ou les liens et les miens tendremenl exprimez
Fonl desja remarquer en ccux de lour entance
Que dun roi g6n(?roux ils ont pris leur naissance.
Le ciel vueille inspirrr celte heureuse beaut6
Que tu dois en Ion Ironc asscoir a ton cosl6,
De les voir d'un bon ceil, de leur estre propice,
Et d'uncoeur favorable accepter leur service;
Ne les dedaignant point pour csire ncs de moy ,
Mais pluslost les aymanl pour estre issus de toy ,
De qui lenir Ic bien et la gloire de naistre
C'est assez de grandeur d qui que ce puisse estre.
DE DESPOUTES , DE BEKTAlf , ETC. 49
Et toy-m^me , 6 grand roy , vucille les clever
A tout I'hcur oil Ic ciel Icur permet d'arriver !
Aime-lcs , d<?fcnds-les , et, d'un amour de pcre
Quelquefois Icshaisanl, souvicns-toy de leur mere,
Qui desorniais , helasi hoslfsse d'un rrrrupil ,
N'a plus d'yeux pour les voir , si re nVsl par Ion ceil ,
Ne peul plus les baiser , si ce n'esl par ta bouche.
On reconnait encore lA un sage conseil de Bertant a
son roi et surlout 4 la future reinc do France. Que
d'habilete ef de delicatcsse dans la manicre dont il est
donne !
Gabriclle niourut , ronimc on salt, en iSgg, ct
Henri IV epousa Marie de Medicis en 1600. Malberbe
elait encore inconnu k la cour. Bcrtaut etait deja vioux
quand il coniposait ces vers. Dans quel poete francais
avait-il Irouve le modele d'un tel style et de telles
idees ? Dans cette piece de trois cent soixante vers , il
n'y en a qu'un assez petit nombre qui soient tout-a-
fait faibles ou de mauvais goiit : I'invention de tout le
niorceau est des plus heureuses ; la conduite en est
admirable. On y trouve la reunion d'une noble et tou-
chante poesie k un grand sens historique. Qu'on lise
Perefixc , et on verra q;ue Bertaut exprimait les vceux
de la France. Assurement un tel episode ne paraitrait
point de place dans un beau poenie cpique. On pent
reprocber sans doute k Bertaut d'avoir prete un trop
beau role a (Vabrielle, qui avaitbeaucoup intrigue pour
dcvenir reine de France , et surtout d'avoir parle de
son amour comme il aurait pu le faire d'un amour ver-
tueux. On'on se souvienne pourtant qu'il ne la loua
qu'apres sa niort , lorsque ces louanges ne pouvaic nt
4
5o SlU LES OSUVRKs POKIIQUES
plug avoir de consequences fAclicuses , el poiivaieit
servir k faire passer do sages conscils , el qu il ne finite
ainsi les anciennes faiblesses d'llenri TV que pour hii
empecher d'en commettre dc nouvelles. On sent quo ,
dans celte piece , il est inspire par I'amour de son roi
et de sa patrie.
Quoique la tradurtion du second livre de I'Eneide
soil en general au-dessous dn sujet , ils\y trouveoopev
danl bcauconp de vers henreusement traduils , et
quelques bons morrcaux. On en pent jugor par ce pas-
sage du recit de la niort de Priam :
Voyant la cild prise nller tombcr en cendre ,
Scf? portanx abaltiis cesser de le defTendre ,
Et Tennemy r6gncr e.i lieur plus t6\&tct.
Que son palais eusl point en son sein rrtircz ;
11 charge, bien qu'en vain, sescspaules Iremblanles
Du fardeau d6sapris de ses amies pesanlcs,
Ccint un glaive inutile, et va dans le plus fort
Dcs enncmys vainqueurs sc rucr a la mort.
^u milieu du palais et sous le ntid des os/rr.t ,
Un grand et large aulel gisoil sur ses pilaslrcs,
Et tout conlre un lauricr qui , charg6 dc Irop d'ans ,
Courboit desx us Va\ilc\ ses bras longs et pondans ,
Servant d'un parasol v(^n(?rablemcnt sombre
Auk penalcs sacr('^s qu'il convroit dc son ombre.
Icy la Iriste IlcVube en pleurs et hors dc soy ,
Et ses filles encore s'assemblant en cfTroy
Environnoient I'autcl, et sc scrroient enlrc dies,
Comme font en fuyant de promples colomhciles ,
Quand un nuage 6pais noircit le front dcs cieux ;
Et plorant , embrassoient les images dcs dicux.
Si tost done qu"clle vid , au milieu dc ses larmes ,
Ce g^nfreux vieillard couvcrt dc jeunes armes :
Quelle fureur (dit-elle) en ton ccvur furcenanl
»E DESPORTES , DB BERTAIT , ETC. 5l
TVxcite , pauvrc prince, a farmer maintenant ?
Ou t'emportc a clos yeux i'ardeur de ton courage ?
H6las ! nous n'avons plus , en ce mortel orage ,
Besoin dc tcs sccours . non pas quand raon Hector
Au milieu dcs vivanlsrespireroitenror.
Vicns icy despouillcr ton insensde envic;
Ou cc commun autel nous tienUra tons en vie,
Ou nous courrons ensemble en un mtfrae trespas.
Cemorceaa est en general bien senti. N'y reconnait-
on pas souvent , sous le voile de la traduction , la belle
siniplicile de Virgile? Nous voyons h quelle ecole Ber-
taut s'est forme , et celte traduction nous explique
comment il a appris k faire ccs vers nobles et touchants
que nous avons admires.
Comme nous I'avons dit , ses autres pieces delongue
haleine sont faibles ; niais on y trouve aussi quelques
vers assez bons. En voici , par esemple , qui sont tires
d'un bymne de plus de mille verssur le roy saint Leys
et la royale maison de Bourbon :
Ses beaux Tails sont escrits es annales celestes ;
L'Asie, ou s'estendit la grandeur de ses gesles,
Memphis, que la valeur souloit espouvanler ,
Sont encore enlendus sa mdmoirc vantcr ;
Et li le fameux noni du grand Loys neufiesme
IV'cst plus le nom d'un homme a ins de la vertu m(!me.
Dans la piece de vers intitulce Panarete , pour prou-
\er que le nom des princes justes est beni apres leur
niort , Berlaul prend un exemple tire de I'Listoire de
la Normandie , sa patrie , Fcxemple du due Rollon :
Tesmoin cc brave Rou , ce grand due des Normans ,
Ou'cncor d'un cry public lous les jours reclamans.
52 sill 1-ES oiiivniis i'()i-Tioi'i:s
lis noniinoiil au milieu il" lorl qui Ips opprosso ,
Commc «ils invoqiiaicnl sa dexlrc vcngcrpssc.
Ce passage curieux nous donne relymologio do la
olaincui" de llaro.
U y a de belles stances dans la piece dc vers adressee
au roi Henri IV , pour Ic convier de revenir i\ Taris.
Nous n'en literons qu'unc :
f.psic ville sans pair , eel nhregr de Frnncf ,
Oil repose le Ihrnne cl le sreplre des roys ,
Vims veil comme iin esclair lnire ;i la d(^livranee ,
Quand elles recogneul I'empire dc vos loix :
Scmblable a ee feu sainr t , qui paroist en I'orage ,
Sauve les matclols dii \)i'T\\ meiiarez ,
Puis soudain se rclire en lombre du nnage ,
Commc si pour sauvcr paroislre estoil asscz.
Bertaul a sonvenl Iroiive dc grande? el belles ins;)i-
ralions dans les psauines qu'il a paraphrases en les
appliquant k la France , de maniere a reunir le double
inlerel de la religion et de la palrie. Dans ces para-
])brascs, il s'ecarlc lellement du texle que le merite de
rinvention lui appartient en grande partie. Berlaul ,
ne au milieu des discordes civiles el des guerres de
religion , montre babituellemenl dans ses poesies reli-
gieuses , le vrai caracterc d'un pretre chretien : elles
respircnt Tamour de Dieu el des honinies. Dans celles
ou Ton ne Irouvc pas de poesie , on Irouve du nioins
de sages pensees , un esprit de charile , de conciliation
et de pais.
II est curieuxde comparer son canliqnc tire du \^y.
psanme de David avec I'ode correspondante de Jean-
DK DliSl'ORTl'S , DE IIKIIIAIT, liTC . 5J
Ba[ilisle Uoiisseau , qui est une dcs nicilleuies de oe
poele.Bcrtauteslbieninferieur dans plnsieurs strophes;
il y a des laches dans cello que nous citons , inais il
s'y trouvc des traits que h; poetc nioderne n'a pas sur-
passes :
Seigneur , qu'cst-cc que rhomme el la race mortelle ,
Pour lie d(?tlaigner point d'en prendre la tutelle ,
El loger eii (on coeurle soucy dc son bien?
Tu luy soubmels, lu tiel , lair el la lerrc etl'ondc;
El seiiiblc que la main ouvriere de ce mondc ,
Qui de rieu cria lout , cr6a tout pour un rien.
Car cnlin , (> seigneur , rbotnine nVst rien qu'un songe.
Qui de soiiges inenleurs se repaist el se rouge.
En son plus ferine cstat n'ayant rien de constant ;
Unc ombre que le jour dissipe i sa venue,
V!n eelair allumt- dans le seiu de la nue,
Donl {'eslrt et le iton eslre ont presque un m^mc instant.
Seigneur , baisse tonciel , el, tout ceint de tonnerres,
Descends en la fureur sur ces maudites terres ,
Ou niille impi(!'lez provuquenl ton couroux ;
Frai>pe les plus bauts monts des amies de ton ire ,
Fay-les fiirner el fondre ainsi que de la cire ,
El luuivers trembler sous I'horreur de tes coups.
Rcniply lout I'air d'^clairs, de foudres et d'orages :
De tes dards enllammez eslonne les courages
Dos meuhants dont I'elVort t'ollcnseen m'oulrageant.
Fay grondcren la main Vire lie cent lempestes.
Puis d'uu bruit dclatanl darde-la sur leurs testes,
Afin qu'un inesme coup le vengc en me vengeant.
Car c'est contre I'honneur dc ta puissance mesme
One Icur bouchearroganle a voiny le blaspht'rac.
54 SUR LES OliUVRKS POLTIQL'ES
Aiguisant conlre moy tant de trails inhiimains :
Lear langue inccssammeiU ourdil les calomnies,
Leur espril orgucillcux sc plaist aux tyrannies ,
Et tout mal fairc est I'art ou s'cxercent leurs mains.
O Seigneur , continue a d^livrer mon ame
• D'un gerii si superbe, et romps I'injuste trarae
Dcs barbares desseins que sa rage a concus :
Eslens du cicl le bras arm6 pour ma vengeance,
Et pousse en ta (urcur ccste maudile engeance
Dans les sanglants filets qu'elle-mdme a tissus ;
Afin que sur un luth monte pour tcs louanges,
Associant ma voix avec celie des anges ,
Je chante que c'est toy qui fais rcgner les roys ;
Toy qui les garantis desmeurtrieres atlcintes,
Toy qui rends leurs grandeurs v6n6rableset sainctes,
Et qui fais que la terra en adore les lois.
Jen sers aux ans futurs d'une preuve 6ternelle,
Moy sur qui la bont6 de ta main palernelle.
Seigneur , a fait du ciel mille graces pleuvoir ,
Centre lant d'ennemis me donnant la victoire ,
Que la paix de mon sceptre appartient a la gloire,
Commc un nouveau miracle oil reluit ton pouvoir.
11 etait difficile d'esprinier en plus beaux vers la re-
connaissance due par Henri IV A la Providence , et le
poete chrelien qui a fait ces vers etait djgne de ranie-
ner son roi au culte de ses ancelres. Qu'on remarque
bien que parnii ces strophes , trois , savoir : la i"^. ,
la 7^ et la B*"., sent aussi irreprocbables, aussi exemptcs
de tacbcs de vetuste , que les plus pures de Malherbe.
La mcme remarque peut s'appliquer i plusieurs pas-
sages des citations suivantes et menie de celles que
nous avons faites plus haut. A la fin de cc mcme can-
DE DESPORTES , DE BElllALT , ETC. 55
(Iquc , s'ecartant du texte dii psaume , Beitaut
s'lbstilue k la peinttire de la fausse prosp^rile des
niecbants celle du bonheur des contrees qui ne sont
lioiiit , comme la Fiance , en proie aux guerres civiles ;
La Irompctle s'y taist, et la voix des allarmcs;
Et tanl li'riise en bannil les soupirs el les larmes ,
Que leur inoindre bonheur, cVst ccluy de la paix.
Aussi loule la terre , enviant leur fortune.
La nomnie bienheurcuse, el de voeux s'importune
Pour de pareiis eiTels de ci^ieslc faveur;
Mais quclque hcur que le ciel rerse dessus leurs testes,
Plus lu'ureux est cnror , ni('ine au fort des (empestes ,
Ceiuy de qui Ion bras daigue eslrc le sauveun
Toy done , jetlant sur nous les yenx de ta cl^mcnce ,
Garde-nous du naufrage , etsois noire dC'fense
- Centre des ennernis si puissanls et si tiers :
Rendant par ta bonte ces lempestes plus calmes,
Ou nous raisant du ciel recevoir quelqucs palmes,
Si nous ii'en dcvons plus esp6rer d'oliviers.
Malhcibe a-t-il fail beaucoupde strophes aussi pures
que ciUcs-UW
Quel beau langage poelique, quel style noble et sou-
tenu dans cette prierc composee pour llcnri III , et
par consequent avant que Malberbe se fiil fait con-
nailrc !
Donne, Dieu lout' puissant, donnc au roy ta justice,
Afui qu'cw cquil6 ses peupics il regisse.
El que tout icy has s'inciine a scs genoui ;
AlluMiant se? dfejis d'uiie flanimo si saincle.
56 SUR LES OEt'VUES PO^TIQUES
Qu'^pris de ton amour, ct guid6 par la cralntc,
11 rcgnc sur soy-mesme en r(^gnanl dessus nous.
Fay que , prenant piliti du pauvrc qui souspire ,
Sa cl^menle rigueur serve a loul cet empire
D'un bouclier favorable el d'un glaive trenchant,
D'un boudicr de salul, d'un glaive de vengeance,
D'un bouclier pour remplir le juste d'assurance ,
Et dun glaive aiguisd pour la mort du meschant.
AfTranchy sur son chef sa rayale couronne ;
Fay que sous ta faveur sans cesse e\\e fleuronne ,
Ceinte de mainte palme et de lauriers espais ;
Afin que , s'appaisant nos discordes civiles,
Nous voyons d6sormais el nos champs et nos villes
Dormir entre les bras d'une dternelle paix.
Ne vois-tu pa5, Seigneur, quels violents orages,
- Quels vents d'ambilion esracuz en nos courages (1) ,
Soulllent de tous costez prests a nous abysmer ,
Si toy , de qui I'ainour el bonte palcrnetle
Nous parotl sommeiller en la saincte nassellc,
Ne veux par ton r6veil ces tempestes calmer (2).
L'insolenle fureur des rebelles pensees,
Rendanl de tout respect les btirrieres forcees ,
A fail I'irr^verence arriver k tcl poinct ,
Que ceux qui lui devroienlsacrifier leur vie,
Pour sauver sa grandeur du malheur poursuivie ,
Le pensenl obliger de ne Tofrenser point.
Rasscmblc ses sujets sous sa juste puissance ;
Rens-luy I'auforit^, rens-Iuy I'ob^issance ;
Redonne un heureux sccplrc a son bras valeureux ;
Et fay par ton esprit a leurs ames entendre.
(i1 CV'sl-a-Jitc en hos Loeun.
[j) Allusiua a nn passage dc VEvungiU.
DE DESPORTES , DE BERTAl 1 , ETC. 57
Qu'eslanl Icur bien comniun, ils nese scaurolcnl icndrc,
Eux heiircux que par luy , ny luy grand que par eux.
Quelle vraic ct ini[)osanle idee de la royaule , et du
rapport naturel des princes et des siijcts !
Ces stances sont bien belles. Cependant le poele a
alleint une perfection plus grande encore dans qiiehpies
strophes desa paraphrase du proniierpsaunie dc David.
II commence par un portrait de I'homme juste :
Qui lisant jour et nuict des yenxde la pensde
La loy du Tout-puissant dans son ame trac6e,
Concoit de beaux desirs, produit dc beaux ff feels ;
Et de qui Ic courage abhoranl la vengeance
D'un volonlaire oubly noye en sa souvenancc
Les torts qu'il a reccus, et les biens qu'il a fails;
Qui ne pouvant, du corps, s'esloigncrdela pompe
Des folles vanitez doni le lustre nous trompe ,
yen va , de la pens6e et de lame, esioignanf.
Si bien qu'au moiidc mcsme il est absent du monde,
Et n'a rien es grandeurs dont sa fortune abonde,
De si grand qu'un grand cceur sans fard les dc^daignant.
Cct iiomme-14 ressemble a ces belles olives
Qui du fameux Jourdain bordent les vertes rives,
Et de qui nul hyver la beaul6 ne destruit ;
Les ruisselets d'eau vive autour d'ellcs gazouillent ,
Jamais leurs rameaux verds leur printemps ne despouillent,
El toujours il s'y trouve ou des fleurs ou du fruit.
Nul elTroy , nuUe pcur en sursaut ne I'^veille :
Endorray , Dieu le garde , esveill6 , le conseille.
Conduit tous ses desseins au purl de son de'sir;
Puis fail qu'cn lenninant son licureuse vieillcssc,
Ce qu'il scinoit en terreavcc peine et trislcsse,
11 le rccucille au cici en repos cl plaisir.
58 sua LES OELVRKS PotriQl'ES
Quelle ravissaiite harmonie dans ces trois deiniers
vers qui terminent si bien ce morceau ! La fin de ce
oanlique est aussi d'unc grande beaute. Nous pouirions
ciler encore quelques bons vers de Borlaut ; uiais nous
pensonsque les citations precedentes sufiisent pour lui
assigner la place qu 11 doit tenir dans Tbistoire de la
poesie franraise , lui qui a vraiment fraye une route
nouvelle en faisanl Ic premier ce que Konsard avait
vainemcnt tente , en donnanl i notre langue la vraie
noblesse qui lui coiOiient.
Tel est le poete sur Icquel Boileau s'est contenle de
dire , apres avoir parle de Ronsard :
Cc poete orgueilleux , lr6buche de si haut ,
Rendil plus relcnus Desportcs el Certaul;
et qne La Harpe n'a pas memenomme dans un Aner^u
de rhistoire de la poesie ffancaise , ou il a trouve place
pour dcs citations de Cretin , de Martial de Paris , de
Chassignet et de Dabartas. Sans doute , s'il n'avait pas
lu Bertaut , il a mieux fait de n'en pas parlor que d'en
parler au hasard. Mais il aurait du le lire avant que
d'allirmer que Malberbe futle premier modele du style
noble ; que jusqu'i lui, quand il fallut s'elevcr au style
soufecau,au style di-s^ grands sujets^, tousles efforts
furent malheureux ; que Malhcrbe crea sa langue ,
qu'il debarrassa la langue francaise des inversions for-
cees , qu'il purgea la poesie des hiatus , qu'il appcit A
nielanger regulierement les rimes masculines et femi-
nines. Dans tout ccla !\Ialherbe a ele precede par Ber-
taut , ct , s'il I'a surpasse , ce n'csl que sous quclqucs
DE DESl'ORTliS , Dli BliUTAUT , ETC. 5c)
rapporls et dans un tres-petit nombre de vers. Mais
Boileau avail dil :
Enfin Malherbe vint , cl Ic premier en France
Fil senlir dans les vers unc jusic cadence ,
D'un mot mis en sa place enscigna le pouvoir,
Et r^duisit !a muse aux regies du devoir.
Par ce sage ecrivain , la langiio ri'-parce
N'ollrit plus rien de rude a I'oreille (!'pur6c.
Les stances avec grace apprirent la lomber,
Et le vers sur le vers n'osa plus enjambtr.
Boileau I'avait ('it, La Ilarpe I'a lepete , el on Ic
lepelera sans doule , lant qu'une bonne bisloire de la
lilteraluie franraise ne sera pas venue modilier un peu
eel eioge.
MALHEnBE.
Malherbe naqnil a Caen en i555. Son pere , qui y
etail assesseur, se fil prolestant avantdc mourir. Mal-
herbe en eul lant de chagrin, qu'il quitta le payset alia
en Provence i la suite du grand ptieur , due d'Angou-
lenie, fils nalurel d'Henri II. Ce n'est pas qu'il eut
jamais cu une foi bien sincere ; mais il pensail qu'un
bon citoyen doit se couCornicr cxactenient i loulos les
pratiques exterieures de la religion de son roi. II se
Hiuria en Provence A la fiUe d'un procurcur, veuve
d'un conseiller , el en eut plusieurs enfants, tons morts
avanl lui. Pendant la Ligue, Malherbe elle poeleDela
Hoquc , dont nous avoiis parle plus haul , serrcrcnt dc
Ires-pres Rosny , depuis due de Sully , qui leur en
(Jo SITR LKS OEt'VRES POETIQUES
garda rancuiie. Du nioins Malherbe disail que c'elail
1)0111- cela qu'il u'avait jamais pu tirer de faveursd'Hcnri
IV. En 1601, Duperron , evdque d'Evreux .depuis car-
dinal , parla de lui au roi. Cependant ce ne fut qu'cu
i6o5 qu'il fut appele a la cour , et recommande par le
I (ii au due de Bellegarde , qui lui donna sa table , »in
cheval et mille livresd'appointements,en attendant que
le roi I'eut mis sur la liste de ses pensioijaaii es. II lia
connaissanc3 avec Racan , page de la cbonibrc sous !e
duo de Bellegarde , et deja poete. Celte amitie dura
autant queleur vie. Ala morl d'lleari IV, Malberbe
rerut enfln de la reine, mere de Louis XIII, nne pension
de cinq cents 6cus, et cessa d'etre a charge au due de
Bellegarde. Depuis ce temps il fit tr^s-peu de vers. II
fut gentilbomme ordinaire de la chambre du roi Louis
XIII. 11 mourut en 1628 , peu de temps apres avoir fait
I'ode sur le siege de La Uocbelle. On peut voir sur lui
unefoule d'anectotes eurieuses dans sa vie ecrite par
Racan, dans ledictionnaire de Bayle et dans Mcsnage.
Dans les poesies de Malherbe , il y a une ode pa: fai-
lement belle , en quatre strophes , sur la vanite des
choses du monde , tiree du psaume i45^ Nous ne la
citons pas , parce que tout le monde la connait.
Apres cette ode , ce que Malherbe a fait de plus
approchant de la perfection , c'est son ode sur la mort
d' Henri IV. II est rcmarquable que La Ilarpe , grand
admirateur de Malherbe , n'ait parle ni de I'une ni de
I'autre. Le poele s'y fait Tinterprete de la douleur
d'Alcippc , c'est-a-dire probablement du due de Belle-
garde. Akippe commence par exprimcr son desespoir :
c'est naturel. Sa ?econdepensee, qui rcnipHt la seconde
DE DESPOIITKS , DE DEUTAIT , ETC. (> i
strophe , cost sur I'inconslance dcs clioscs Juimaines.
Cp grand roi ,
Comme un homme viilfiaire , csl dans la s6pullurc
A la merci dcs vers I
Ensuifc il dit nn motde la pcrte qu'a faite la France :
r'esi trop pen. On se rappelle le lableaii si vrai . si
(oudiant , que fait PereGxe de la douleur et de la cons-
ternation publiqnc. « Les pores disaienl i leurs eufants:
flics eufants , que deviendrez- vous ? voiis n'avez plus de
pere ! » Alcippe au contraire compare sa douleur a
rolle des autres Francais ct de la reine , en vers faibles
ol avec plusd'esprit que de sentiment. Laconiparaison
des larmes de la reine avec la Seine debordee , est du
j)lus mauvais gout. La comparaison de la reine avec
une flcur battue dcla pluie et dos vents, est ingenieuse,
mais convient pen au sujet , ct est exprimee d'une
maniere faible et languissaute. Heureusement re qui
suit vaut bien mieux :
Qiiiconque approrhc d'clle a pari i son inartyre ,
El par contagion prond sa Irisle couleur
Car , pour la consolor , que lui pourrail-on dire
En si juste douleur?
Cesl beau , c'esl louchant : voilalo ton de la sinco-
rile. Qui done consolera cctte reine . rette veuve eplo-
ree?Ce ne pent etre que son epoux.enlui apparaissaut
pour lui dire dc calmer son chagrin. Cetle idee vraie el
naturelle est asscz bien exprimee en deux strophes. Le
poete continue :
62 SIH LES OECVBK6 POETIQt'ES
Qiiclque soir , en sa chambrc apparois devant die,
Non Ic sang en la bouche el le visage blanc,
Comme lu demeuras sous rallcinle morlelle
Qui te perca le flanc.
Viens-y tel que tu fus , quand au\ monts de Savoye
Hymen en robe d'or te la vint amener ;
Ou tel qua saint Denys, entre noscrisdejoye,
Tu la fis couronner.
La premiere strophe est dechirante; la scconde , par
le contraste, ne fait quajouler au pathetique , en
mcme temps qu'elle repose Tame par une noble ct
douce image. Cependant on attend quelque chose de
plus , quelqucs reflexions sur la belle vie d'Henri IV et
sur les destinees de la France confiee a sa veu\e. C'est
en elevant ainsi Tame qu'on pent la consoler. Au con-
traire, que ne peut-on effaccr la strophe suivante ,
nialheureusemcnt uecessaire comme transition !
Jpres cet essay fnii , s'il demeurc inutile ,
Jc ne connais plus ricn qui la puisse toucher;
El sans doule la France aura, comme Sypile,
Quelque fameux rocher.
L'autein- ne pouvait-il exprimer la mcme idee sans
cette froide et obscure allusion mythologiqne?
Alcippe , apres avoir airete sa pensee sur cette dou-
leur plus grande encore que la sienne , revient k sa
propre doulcur , mais sur un ton plus calme. Ce n est
plus Taccent dn dcsespoir. On sent dans ces deux
strophes une trislesse profonde, mais moinsameie,
oellc qui se soulagc par dcs larmes :
»K DESPOUTES , DE BERTAfT , ETC. ()3
Pour inoy , dont la foiblcssc h I'orage succombe ,
Quaiid nion hcur abatu pourroit 5(? redressfr,
J'ai mis avtcqite toy mcs tlcsseins en la tombe ;
Je les y veiix laisser.
Qiioy que pour m'obligcr face la destin<!'c ,
Et (|iielque bcureux succes qui nic puissc arrivcr,
Je n'allans mon repos qu'en I'heureuse journie
Oil je t'iray trouver.
La derniere strophe est belle et touchanle dans sa
simplicile :
Ainsi dc cette cour I'honncur ct la mcrvcille,
Alcippe soupiroit, prest a s'crrinonJr ,
On I'aurait console; mais il fcrma I'oreille ,
De peur de rien ouir.
L'assassinat d'Hemi IV avait sansdoute emu profon-
dement Fame ordinairement pen sensible de Malherbe.
Cetle fois il a parle le langage du cceur, le laiigagcvrai
des passions. De temps en (emps I'esprit est vcnu y
melcr de faux ornenients qui sont autant de laches;
Taufeur n'a pas su y couserver celte purcte de style
dont on lui a trop fait honneur. Mais celte ode est
belle , nialgre ce qui y manque ct les defauls qui
la deparent,
L'ode sur le siege de La Rochelle , la derniere qu'ait
faile I'auleur , offre en general un assez boau mouve-
ment lyrique, mais trop ralenli par des longueurs
inutiles. Sur les 4' strophes dontcetleode se compose,
il y en a huit vraiment belles , que La Harpe cile en
y remarquant encore bien des taches , bien des expres-
sions triviales. Plusieurs d'entroelles ne sont pas com-
G4 SIR LES OKLVRES POtTIQlES
parables aux plus pures de Bertant. Dans cinq de ces
strophes , qui se trouvent vers le commencement de
Tode , le poele representela Vicloire qui appelle Louis
XIII pour le courcnner , et il compare scs enncmis aux
Titans. II n'y a rien de bien remarquable pour Tidee ;
mais le style est gcncralement noble et expressif. Dans
les Irois autrcs , qui sont vers la fin , I'auteur parle de
la vieillesse qui n'a pu eteindre le feu poelique dont
il est anime. II y a encore dans celte ode quelques
autres strophes assez bonnes j mais la plus grande par-
tie est faible , ct beaucoup de vers sont mauvais pour
le style et pour la pensce. En outre, on pent justement
reprocher A Malherbedeponsser Louis XIII k la cruaute
contre des sujets egares :
Marche ; va Ics dfilruirc : eleins-en fa sentence ,
El su)' jusf/u'd 11 Jin ton courroux gfn^reux,
Sans jamais oroutcr ni piti6 ni di'inence ,
Qui le parle pour eux.
Richelieu mcme fut mnins cruel que le poete ne
Taurait voulu.
Dans I'ode a Dupcrrier , il y a quatre beaux vers sur
la niort , imites d'llorace , et que tout le monde sait
par coeur , et au commencement trois strophes pleines
de grAce et de delicalcsse , cilees par La Uarpe : ce
sont peut-etre les seuls vers de ce genre qu'on puisse
admirer dans Malherbe. Mais sur 21 strophes , huit
sont faiblcs , neuf sont tout-a-fail rnauvaises , ct on
ne peul rien concevoir de moins consolant que Tode
enliere , 011 se montre une rare maladresse , une igno-
rance profonde du copur humain , it une extreme iiisen-
DE DESPORTHS , DK BKUTAUT , ETC. ()5
sibilite , qui rend parfaitenient compte des deuxautrcs
defauts.
Tout le monde connait qualre beaux vers de Malherbe
sur unc fontaine. On peul encore trouver un petit
nombre de strophes assez bonnes dans la Priere pour
le rot Henri- le- Grand allant en Limousin^ dans les
Vers mix otnbres de Damon, dans Y oAe sur le succcs du
voyage de Sedan et dans quclques autres pieces. Tout
le reste est bien aride , bien froid , et souvent bien
incorrect , bien obscur , bien peniblement contourne.
Tous ces defaufs sont plus frequents dans Malherbe
que dans Bertaut , a considerer I'ensemble des oeuvrcs
de ces deux poetes. De nit-me , si quelquefois on ren-
contre dans les vers de Bertaut des pensees fausses et
deniauvais gout, c'est bien pis dans ceux de Malherbe,
i qui Ton a cependant Thabitudc d'attribuer , k defaut
de sentiment poelique , un sens droit et une raison
severe. Son long poemesur la penitence de saint Pierre
en offre de curieux exemples. C'est \k qu'on trouve des
vers comme ceux-ci :
C'est alors que ses cris en lonnerres eclatent :
Ses soupirs se font vents, qui les chSnes combat tent ,
Et ses pli'urs , qui tantot descendoient moUement ,
Ressemblenl un torrent qui , des hautes montagnes,
Ravageant et noyant let voisines campagnes ,
Veut que tout I'univers ne soit qu^un element.
Dans I'ode sur la tentative d'assassinat faite par Jean
Delisle coutre Henri IV' en i6o5 , ce poete, apresavoir
reproche au soleil de n'avoir pas rebrouss6 cherain k
Taspi'ct de ce crime , et de n'avoir pas jnini la France
d'unc clernelle ohsvurite , se repreiid ainsi : 5
GG sill I,ES Oi:i:VKliB fOETKjlliS
Mais , 6 planets belle et claire ,
Je ne parte pas sagement :
Le juste exces de ma colere
M'a fait pcrdre le jugement.
II y a plus de verite que ne le pensait sans doutc
Tauteur dans ces quatre premiers vers , quoiqiie sa
colore soil bien froide , et que le soleil ne soil pas unc
planete. II conlLnue :
■Ce traistre , quelque frdneae
Qui trnvaillast sn faiilaisie ,
F.ut encore assez de ru-ison
Pour ne vouloir rien mt re prendre ,
Bel astre , qu'il n'ei'it vii descendre
Ta lumiere sous I'oiizon.
Malherbc dcvait etrc bieu content d'avoir cu tant
<lVspri( ;\ propos d'un attentat Ala vied'Honri IV ! Ce
Jean r>iJis!e , qui avail eiix'ore assez de I'aison , 6tait
corai)i('lrnwMitfou , et corame lol ful siniplemcnt rclenu
en prison : il so croyait roi de France.
Que dire de cettc epitaplic faite pour le tombeau
d'une Spouse !
J)elle aine , qui f us man flambeau ,
Jircnis rhonneur qii'en ce tombeau
Je suis oblige' de te reiidre.
Ce que je fais le sert de pcu ;
Mais au mains tu vois en In cendre
Comme j'en conserve fe feu.
Dans Malherbe , parmi les passages ou il faudrait
<le Ja leudr.essc , les nioins niauvai^ sont ceux ou il n'est
DE DESPORTES , DE BERTACT , ETC. 67
que froid. On sent qu'enlui la secberesse cl la raideur du
style viennentderaridite et do Tinsensibilife du cccur.
All rcste, ilen faisait parade. Nous iiedironsrien de ses
pieces galantes. Qu'auri(ins-nous a en dire? EUes ne
sont pas mcmeingenic uses. MaisTepitapLe de Monsieur
d'ls fait aussi peu d'houneur k son caractere qu'a son
esprit. II a soin de faire savoir au lecteur que Monsieur
d'ls etail son parent , et qu'il venait d'en heritor :
Jci dessous gist Monsieur d'ls.
Plust or a Dieii qu'ils f assent dix !
Ales troi.i svtirs , mon pere et ma mere ,
Le grand Eleasar , mon frere ,
Mes trois tantcs et Hlonsieur d'ls :
Vous les nomme-je pas tous dix P
Quel autre que Tauteur a pu trouver cela plaisanl?
Ore dit-il a son ami Du Perier pour le consoler de la
mort de sa fills?
yiime une ombre comme ombre, et des cendres eteintes
Eteins le souvenir.
II joint Texemple au precepte , et dans quel style !
De mny (I) , dfja deux fois d'une pareil/e foudre
Je mc suis vu perclus ;
Et deuxfois In raison m'a si bien fait resoudre ,
Qu'il ne m'en soucient plus.
II avail perdu une fiUe morte de la pcstc et un fils
tue en duel ! Ses autres odes de consolation , beaucoup
(1) Dc mny .st'iioiir qtinnt ,i mny .- cctte tourmiie est familii're a Mallierhe.^
G8 SUR LK9 OEL'VBIiS POKTK^LES
trop nonibreuscs , sont dc la force de ces vers que nous
venons dc citer. Voulant consoler une veuve , il lui dit
qn'auHeu de se lAaindre par coutume , elle devrait se
consoler par raison.
Tel nous voyons Malherbe dans ses poesies , tel nous
le reconnaissons dans sa vie 6crile par son ami Racan.
Lc memc caractere de duretese niontrc dans ses r6par-
ties caustiqups et souvent imperlinentes ; dans ses
amcres plaisanteries , coniparables i Tepilhaphe de
Monsieur d'ls ; dans sa niisantbropie et son buineur
morose j dans son insensibililt^ affectce A la niort de sa
mere ,• dans son inimilie avec son frere , qui lui seni-
blait tont-A-fait conforme a I'ordre de la nalure; dans
son indifference sysl6malique pour lout , except^ pour
les commodites de la vie ; et dans son superbe mepris
pour (outes cboses , excopte pour ses propres talents.
« II nVstimait , dit Racan , aucun dcs anciens poetes
francais , excepte un peu Berlaut : encore disait-il que
ses stances etaient nicbil-au-dos (i), et que. pour mettre
ime pointe A la fin , il faisait les trois derniers vers in-
supporlables. » II avait fait un commenlaire sur Ber-
taut , niais il ne le fit point iniprimer , et on ne I'a
publie que depuis peu d'annees. II ne faisait aucun cas
des Grecs , et parmi les latins celui qu'il ainiait le plus
ctait Stace , ensuite Seneqiie le tragiqiie , puis Horace,
Juvenal , Ovide et Martial. Virgile partageait avec
Homere et Sophocle le meprii> de Malberbo. Du reste,
Malherbe etait parfaitement content de lui-meme, il se
louait autant qu'il rabaissait les autres : il savait sans
(1) Voyez dans Mesnagc le sens de re terme de m<'pris.
DE 1>ESP0RTKS , DE BERTALT , ETC. 6t)
doute qu'on reussit souveiit ainsi A sc fuire loucr de
st^s contcmporains. Ici Ics citations ne nous nianque-
laient pas ; niais voici une forfanlerie qui seule en
vaut bien d'autres. II dil au roi :
Quelle sera la hauteur
De I'kymne tie ta victoire ,
Quand elle aura cette gloire
Que Malherbe eit sitit I'uuteur!
Cel homme qui , au lit dela mort , epiloguait sur la
gianiinaire,et qui sevantait d'etre !c premier despoetes
franf ais , affectait cepenilant de mdpriscr la po^sie. II
r6pelait souventisonami Racan, quelemetierdepoele
est un metier inutile au public et A ceux qui le font >
qu'un bon pocte n'est pas plus utile i I'etat qu'un bon
joueur de quilles, qu ils feraient eux-memes bien mieux
de se donner du bon temps et de tichcr dc s'enricbir.
En effet , Racan remarque qu'il travailla pour se faire
donner uuc pension, et que, lorsqu'il i'eut, pendant Ics
dix-huit dernieres annees de sa vie , il ne fit presque
plus rien. Toute la gloire que nous en pouvons esperer,
disait encoieMalherbe A Racan , c'est qu'on dira que
nous avons 6te deux exccUents arrargeurs de svllabes.
Assurenient, avec beaucoup d'csprit , cet homnie-li
6tait loin d' avoir ce qui constitue un grand poete.
Nous avons vu quels sont ses litres 4 son immense
reputation comme poete lyrique. Cependant pour lui
rendre tout ce qui lui appartieiit, il nous reste encore
quelques remarques i faire. Malherbe et Bertaut ,
s'elevant , dans quelques passages , pour ainsi dire au-
dessus d'eux-mC-racs ct de Icur temps , nous font admi-
70 SUB LE8 OEL'vnES POtxiQUES
ler notre laiigue dans loute sa purete , sa noblesse et
son elegance. Mais il est arrive a Malherbe plus souvcnt
qu'A Bertaut d'atleindre , mcme dans ses strophes
faibles , la brievete et la concision , qualites si impor-
tantes dans la poesie lyrique. Comnie nous Tavons vu ,
Bertaut a employe dcs rbythmes varies et bien cboisis
pour Ics sujets legers , gracieux et tendres. Dans la
haute poesie , il n'a employe que les vers alexandrins ,
tant6t sans croiser les rimes , tant6t en les croisant de
maniere i former des stances de cinq especes.Ce rhy thme
convient pour les sujets auxquels il Ta le plus souvent
applique , c'est-a-dirc pour les sujets majeslueux qui
ne demdudent ix)iut de mouvements tres-rapides. Ce-
pendant il y a dans ses oeuvres un cantique en strophes
oh il a introduit la variete dcs vers. En voicila dcrniere
strophe :
Tenant entre les mains la grace et le supplke^
La clemcnce et la loy ,
Dfploye , 6 Toiil-puissant , I'une et I'autre justice
De ton siege 6ternel , et sur eux , et sur moy :
Sureux, ccHe qui juge et condamne a la peine
Le p6eheur endurcy ;
Sur moy , celle qui , douce a la faiblcssc humainc ,
Le pficheurjustiQe, et leprenU a mercy.
Mais cet exeraple est le seul dans Bertaut. Malherbe
au con tr aire a introduit la variete des rhythmes dans
les grands sujets. Avec une oreille juste et le sentiment
de I'harmonie , il a cree plusieurs especes de strophes ,
ct a memo laisse sous cc rapport pcu de nouvellcs
inventions i faire. Dans Malherbe , la poesie lyrique
DE DESPOBTJJS , DE BERTAUT , ETC. ']^
franc aise a deja trouve presque loutcs Ics formes sons
Icsqueilcs elle a biille plus tard avec plus d'eclat ; ot
dans quelques ve:s , peu nombreux il est vrai , Mai
hcrbc lui-meme a montre ce qu'ellc pouvait devcnir un
jour.
RAGAN.
Honorat de Bucil , marquis de Racan^, naquit ^ la
Rocbc-Kaoan en Touraine, I'an iSSq. 11 fiit des Ten-
fance page d'Henri IV sous le due do Bellef:;anle ,
devint poete sans avoir elndi6 , travailla depuis TAge
de seize ans, d'aprt-s les conseilsde Malhcrbe , fut im
des premiers membres de TArademie frar^raise , et
mourut en 1670. II so retira pendant quelqiie tem[)s A
la Rocbe-Raran, avant dedonner nny premiere edition
de SGS poesies i)HbliePS en 1G37. II commandait une
fompagnie devant La RocbeUo en 1628 , a Tepoque de
la mort de Malherbc . dont il a ecrit la vie.
u Racan, dit La Harpe , dans lapnesia lyrique , est
rcste bien au-dessous de son maitre ; mais , cominc
po6le bucolique , il a justifie I'eloge qu'en a fail Boileau
quand il a dit :
Racan chante Philis , les bergers et les bois.
II a le premier saisi le vrai (on de la pastorale , qu'il
avait cludice dans Virgile, «
Qui ne croirait (Fapres cola que les oeuvres de Racan
se coinposent , d'une part de bacoliques , dans le genre
de colics do yirgile , de I'autrc dc poesies l^riqucsfaites
n2 SCR LES QEUVBJES POfexiQUES
k rimitation de celles de Malherbe j qu'il a reussi dans
les premieres et echoue dans les dernieres ? II n'en est
rien. La Harpe avait-il jamais lu les oeuvres de Racan?
U est per mis d'en douler.
Racan a compose un drame pastoral en cinq actes ,
suivi d'une mauvaise 6glogue , laseule qu'il ail faite, et
qui est comme I'epiloguede son drame. L'inlrigue de ce
dernier est exlr^mement embrouillee. L'auteur y a fait
entrer , avec quelques changemenls, une avenlure mer-
veilleuse racontee dans le Timandre de Berlaut , mais
en y ajoutant plusieurs autrcs intrigues compliquees et
d'une invraisemblance extreme, Cette pi^ce qui forme
plus de la moitie deses oeuvres est inlitul^eles Bergeries.
La lecture en est i peu pres aussi soporifique que le
serait la lecture continue des 289 sonnets de Desportes.
Ce sor.t tantot des vers d'une platitude et d'une affecta-
tion extremes, tant6t des declamations vraiment extra-
vagantes , qui font un bizarre contraste avec des gros-
sieretes dignes des plus stupides bouviers. Un berger
parledela nuit, qui
Oui're autant d'yeux au del qu'elle en ferine en la lerre ,
Et ou se prom^ne
Mainl phantosme hideux couvert de corps sans corps.
Un autre berger , voyant une bergere dans un bois ;
I'appclle :
line deessi en terre , el le soleil a I'ombre,
DE DESPORTES , DE BKUTAUT , ETC, 78
II est vrai qu'au milieu detoutcefatras on rencontre
desvers bien lournes. Au commencement du Iroisi^mc
acte, il y a memeun dialogue assez toucbant sur la
pais qu'une femme malheureuse pent trouver dans le
silence du cloitre. Mais les ve: s los plus tendres que
Racan ait fails , les voici. lis sont tires de la secondc
scene du second acte :
Je n'avais pas douze ans, quand la premiere flame
Des beaux rewxd'Alcidor s'alluma dans mon ame.
II mepassoil d'un an , et dc ses petits bras
Cueilloit desja des fruits dans les branches d'embas.
L'amour qu'a ce berger je portois des I'enfance
Creut insensibletnent sa douce violence.
I
Mais, Ignorant le feu qui depuis me brusla,
Je ne pouvois juger d 'oii m« veno'U tela :
Soil que dans la prairie W vislses brebis palstrc.
Soil que la bonne grace au bal le fit paroislre ,
Ou soil que dans le temple il fist priere aux dleux^
Je le suivois partout de I'esprit et des yeux.
A cause de mon iigc et de mon innocence,
Jc le voyois alors avec plus de licence,
Et souvent tous deux seuls , libres de tout soupcon ,
Nous passions tout le jour a I'ombre d'un buissoo.
II m'appeloit sa soeur, je I'appelois mon fr^re ;
Nous mangions m^me pain au logis de mon p6re :
Cependant qu'il y fut , nous vescumes alnsi ;
Toutcc queje roulois, il le vouloit aussl.
II m'ouvrit ses pensers jusqu'au fond de son ame ^
De baisers innocents il nourrissoit ma flamrae.
Jo goutois ndantmoins avec moins de douceur
Ces noms respectueux de parentcet de soetir.
Combien de fois alors ay-je dit en moy-mesme,
Ayant les yeux baissOs et Ic visage bicsme:
^4 SUB LES OECVRES POETIQLES
Jjeau chef-d'muvre des cierix, agrCable paslcur,
Qui (lu mal quP je sens estcs le seul aulheur ,
Avec moins de respect, soycz-moy favorable.
Nfi soyez point mon frere , ou soyez moins ayraable.
Mais quoy ! cet aveugld nc mc regarde pas !
Que de naturel , de giAcc. de naivelc touchante dans
CCS vers, que I'on relienl pour les avoir lus unc fois!
Mais qui s^avise d'allcr les cbercber dans ce drame
insipid,-? Dans un autre passage, Racan a presque
rencontre le ton de la bonne comedie , sans quitter la
ton poetique dc la pastorale.
SfLENE.
Ma Slle , h quelle fm
Toulez-rous aujourd'hui vous lever si matin?'
Le soleil n'a pas beu \'egnil de la prairie :
Cela nieUra le raal en voslre bergerie.
. ARTfeMCE,
Nostrc chien , qui rcsvoit dc moment en moment
An loupqueson penser luy forgcoit en dormant,
D'un veritable loup m'a fait naistre la cralnte.
SiLENE.
L'inutile soucy dont voire ame est atleinle
Nem'esfque Irop cogneu ;je ne puisl'ignorer,
Etc'estce qui me fail jour ct nuR'l souspirer.
Je sgai ce qui vous met la puce dans I'oreille.
3e vishicr icy Ic loup qui vous reveille;
Mais si tost qu'il me vil , il rebroussa ses pas ,
Fasch6 d'avoir Irouvd ce qu'il nc cherchoit pas.
11 nc faut point pour luy ni rougir ni sousrirc.
Aktunice.
Jc ne puis dcviner cc que vous voulcz dire.
DE DESl'OUTJtS , Uli BliUTALT , ETC. "J^J
SiLENE.
A quoy vous scrt cela , de le dissimulcr?
Vous sfavez bien colui de qui je vcux parler.
Ne me le eel ez plus ; j'ai d^couvcrt la mine :
Ce n'est pas avcc moi qu'ii faut fairela fine.
Je sgay que vous aimez celuy qui , {'autre jour,
Menoil le premier bransie en noire carrefour,
Et soullrez sans mon sceu I'afTcclion secrelte
De ce pauvre incogneu qui n'a que sa houlelfe.
Ici vient un elogc de la bonne grace du berger ,
trop poetique ct trop pompeiise dans la boucLe du peie.
Mais les vers suivants sontfovl bons :
Mais ces jeunesbergcrs, si beaux et si ch^ris,
Sont meilleurs pour amants qu'iis ne sont pour maris :
lis n'ont aucun arrest ; ce sont esprits volages.
Qui souvenl sont lous grisavant que d'dlrc sages,
El doit-on souhailar pour leur ulilUe
De voirflnir leur \ieat'ecqug leur beauf6:
Semblablcs a ces llcurs donl Vt^nus sc couronne,
De qui jamais les fruits n'enrichissent I'automne.
Onbliez , oubliez I'amour de ce berger ,
Etprcnez en son lieu quclque bon manager,
De qui la fa^on masle , a vos ycux nioins genlille,.
Tesmoigne un esprit meur a rcglr sa fumille.
El donl la main , robuste an metier de C6res ,
Fasse ploycr le soc en fcndanl les guards.
Vous estcs grande assez el devriez csUe sage,
Et plustosl projeter quelque bon mariage
Que de vous amuser a ces folles amours.
AllTENICE.
Mon pere, h quelle fin tcndenl tous ces discours?
Si je banlc Alcidor, en dois-jc cslrc blasnice?
Ce n'csl ni pour laimcr, iiipour en cslrc aimce.
76 SUK LES OELVUK-6 POtriQlJES
Ce me sera , mon pdrc , un blcn Inestimable
De meurlr avec vous la fleurde mon printcmps
Avant que d'en partir.
SlLfeNK.
C'est comme jc I'entends ;
Et , certes, le seul bien a quoy je veiix pr(5lendrc
Est qu'avant mon trespas vous mc donnie/ uh gendre,
Dont Ic bon naturcl me venant a propos
Medonnc le moyen de mourir en repos.
Je n'auray plus regret de lui quiter la place ,
Quandje verray mon sangrevivre en voire race.
Je croisque Lucidas serait bien votre fait:
La fortune lul rit; tout lui vientisouhait;
De vingt paires de boeufs il sillonne la plaine ;
Tous les ans ses acquests augmentent son domalne ;
Dans les champs d'alentour on ne voit aujourd'huy
Que ch6vres et brebis qui sorlent de chez luy ;
Sa maison sefait voir par dessus le village ,
Comme fait un grand cbesne au-dessus d'un bocage. Etc.
S'il y avail dans les Beigeries de Racan beaucoup
de scenes ecrites d'un ton aussi nalurel , la lecture
pourrait en elre tres-interessante. Mais il n'en est pas
ainsi : Artenice a ete surprise par son pere , precise-
ment k la fin d'une longue et absurde declaration centre
les tyranniques lois de rhonneur , qui veulent qu'uuc
femme soit vertueuse.
Gette declaration a paru si convenablc , si juste et
si jolie k M"*. Deshoulieres , qu'elle Ta imitee , repro-
duile , retournee en tous sens , je ne sais combien de
fois , en ses fades idyllcs.
Le rcstc des ocuvrcs de Racan sc compose d'une
DB DE8P0BTKS , DB BliRTAL'T , ETC. 77
traduction faible des sept psaumes de la penitence ,
de sonnets , dc poesies legeres , ct surtout de stances
et d'odes. Dans ccs poesies diverses, la plupart sont
pleines d'affectalion et de mauvaisgout, mais quelques-
unes sont fort belles ; par excniple , line ode dans le
genre des poesies legeres de Bertaiit , compos6e decinq
strophes charmantes , dont voici les deux premieres :
Phllis, vous avcz beau jurer,
Quand vous prolcstcz d'ignorer
Lc dcsir dont Amour nous touctie:
Les yeux , que vous avez si doux ,
Ddmenlant vostro belle bouche ,
Seront plus croyables que vous.
Vous sentez lout ce que jc sens :
Vos discours les plus innocents
Sont pleinsde ruse ct d'artilicc.
Je ne croy plus a voire foy ;
Je connais trop vosire malice :
Vous n'estes enfant que pour moy. Etc
Trois autres odes se rapprochent du genre pastoral.
Dans Tune, le berger Daphnis exhale ses plainles
melan( cliques . La Harpe en cite le commencement et
la fin, qui sont reniarquables par la douce harmonic des
vers. Le milieu est du plus mauvais gout , et forme la
parlie principale. line autre est une chanson de berger
a la loiiange de la reine mere. Sur huit strophes, trois
sont mauvaiscs , une est faible ; les qualre autres sont
ingenieuses et tournees avee une grace charmante :
Paissez , chcres brebis , jouissez de la jnic
Que le cici vous envoie.
7® sun LES OEUVUES POETIQUES
A la fin sa ch'inencc a pili6 dc nos plcurs.
Allcz dans la canipagnc, allez dans la prairie;
N'6pargnez point les fleurs:
II en revient assez sous les pas de Marie.
Nous Bc rcverrons plus nos campagnesd(5sertes,
Au lieu d'cspics , couverles
Do tant dc bataillons I'nn !\ rautie opposcz.
L'innoccncc et la paix rcgncront sur la terrc.
El les Dieux apaiscz
Oubliront pour jamais I'usage du tonnerre.
La nymphe dc la Seine incessammcnt revere
Ccstc grandc bcrgere.
Qui chasse de scs bords tout sujoct de soucy ;
Et, pour jouir long-lcmps de I'heurcuse fortune
Que Ton possede icy ,
Porte plus lentcment son tribut a Neptune.
Paissez done, mcs brebis, prenez part aux d61ices
Donf les destins propices
Par un si beau remede oal^niry nos doulcurs.
Allcz dans la campagnc, allez dans la prairie,
N'^pargnez point Icsileurs:
n en revient assez sous les pas de Marie.
Enfm , la troisieme , cc sont les cclebres stances
sur la letraite. II n'y a dans Malhcrbc aucunc piece de
vers de cette etendue, ouil y ait si pen a reprendre. Cos
quinze stances sont reniarquables par une grande
douceur et un heurcux abandon , et en meme temps
il y a dans plusieurs une veritable elevation avec beau-
coup de siniplicite. Nous nousbornonsa regret a citer
les qualre plus belles, c'est-a-dire les trois premieres
et la derniere :
DE DESrORTES , DE BERTAL'T , ETC. 79
Tirris , il faul pcnscr h fairc la rctraite:
La course de nos jours est plus qvth demi faitc;
L'Ago inscnsiblement nous coniluit i la niort.
Nous avons asspz veu sur la nicr de ce monde
Errcr au gi(? dcs Hots notrc ncl" vagabonde :
II est temps de jouir des d6lices du port.
Le bicn de la fortune est un bicn pi^rissablc ;
Quand on b;\tit sur ellc , on bitil sur le sable ;
Plus on est ^\o,\6 , plus on court de dangers:
Les grands pins sent en buttc aux coups de la lempeste,
Et la rage des vents brise plustost Ic feste
Dcs maisons de nos roys , que dcs toicts des bergers.
0 bicn-heurcux celuy qui pcutde sa m6moire
ElTarcr pour jamais cc vain cspoirdo gloirc,
Dont rinutile soing traverse nos plaisirs ,
Et qui , loing rcliri de la foule imporlune ,
Vivant dans samaison content desa fortune,
A se/on sun pouioir mesur(5 scs dCsirs.
Agrdables desserts, s6jour de I'innocencc,
Oil, loing des vanitez , de la magniliccnce ,
Commence mon reposet finit mon tourmcnt ,
Valons , fleuves , rochers, pldi^anie. solitude ,
SI vous fustes tesmoings de mon inquietude ,
Soyez-le d6sormais demon contentcmcnt (1).
(i) n y a (jviclcmmeiit J.iiis les qiiinie stancis Ju RaiMii , commc on pent
t'eu cnnv.iincie en les lisant en eiitiur , des imitations ile roJe iVHoraeo A Liii-
uiiis 5111 la nie.liocrite , et ile I'l-pocle siir la vie clianlpetie. Gamier a iliiite ces
ileus oiles iVlIoiace Jans le premier et le secoiiil L-luciir ile fia traj;eilie de Toreie,
et uvidemnieiit Kacan a tradnit en langagc IVanrais et poeticjiie le maluvais si; le
de Gamier , aiK^uel il a empmnte quehiues traitb qui ne soiit pat dans le poi^te
latin. La premit>re et la dernit'-re staiiee sont prestpie les scules qui soieiit
entliremsnt de Raeaii. K ous citerons seiilement quelques vcls de Gamier pour
en doniier line idee:
Notre coiirte felicitc
Coule et rt'LOule vagabonde,
Ho SIR LES OCIVUE5 POtTIQtES
Racan s'cst encore eleve assez haul dans une ode au
roi Louis XIII j quelques strophes sent faibles , niais
aucune n'est mauvaise , et plusieurs sont fort remar-
quables :
Desjii la Discorde enragee
Sortoit des goiifTrcs de I'enfer ;
Desja la France ravag(^e
Revoyait Ic siccle de fer ,
Et dcsji loutes les Furies,
Renouvclant leurs barbarics,
Rcndoient les vices triomphants
Par une impi(5l6 si noire ,
Que la Nuicl m^me n'eusl peu crolre
Avoir produit de tels cnfants.
Touterois nos rages civiles
Ont Irompd I'espoir des meschanls ;
Comme iin gallon agitd
Des vagn^a contraires tie I'onde,
Celiiy qui volage iejonde
Sur un si douteuj: fondement ,
Semhle (pi'en I'arAne ivfcconde
11 eTitreprt'jtne un haUinient,
Ij.l Fortune n'outrage pas
Volontien les personnes basses ,
Hlle n'appesantit scs bras
Que stir les plus lllustres races.
Les rois rraigni-nt plus ses menaces
Que les durs Itzboureurs ne font ,
JEt lefoudre est souvent aux placet
Qui se muntagnerit plus le front.
VoiliV Jans ce dernier vers le haut parler etles expressions choisies qni plai-
saieat A KousarJ. Dans ccs deux nii-nies rliopurs pastoraux de Gamier, on
Irouve , eu fait d'epitlictes A la nianit!;re <lo Ronsavd , les foiidres estifnuXf U'ft
troupt'aux porfe laines , le rutsseau fontenier , raihre Palladin ^ Jo penpte
itomu/iVn J etc. Et Gamier utait couteniporain de Desportes, de Bcrtaiit i-t de
Mallierlio.
DE DESPORTKS , DE BERTAUT , ETC. 8 I
La pah rend la pompc en nos villes
£t I'abondancc dans nos champs;
Et niainlcnant qu'en asseurance
II conduit la nof de la France ,
Et que les plaisirs ont leur tour ,
Ses yeux , qui , pour venger nos larmes,
S'arniaient d'edairs dans les allarmes ,
Sont arm6s d'attraicls pour I'araour.
A I'eloge de Louis XIII et de la reine , succede ce
beau souvenir d'Henri IV :
Ce grand Henri , dont la m6moire
A triompli6 du monument,
Est maintenant combld de gloirc
Sous les voAles du firmament ;
La nuict pour lui n'a plus de voiles ;
11 marche dessus les estoilles,
II bolt dans la coupe des dieux ,
Et voit soubs ses pieds les tempestes
Venger sur nos coulpables testes
La juste colere des cieux.
Nous pourrioiis ciler en entier la consolation auduc
de Bellegarde , sur la mort du due de Termes, son
frere , ode oil le ton eleve de la poesie lyiique est bien
soutenu d'un bout a I'aulre. Quelqnes strophes seule-
nient sentent trop Thyperbole. Voici les plus belles:
La gloire esloit Ic but de son ambition ,
L'amour de la vertu la seule passion
Dont il cstoil espris , soil en paix , soit en guerre ;
Et.sortant romme toy de la tige desDieux ,
Crpendanl que le sort I'arrestoit sur la terre ,
Tous ses voeux ne lendoientqu'a relourner aux cieux.
Disormaisce guerrier est, selon son cnvie,
Parvenu par la tnnri a la c61es(e vie.
82 SUB LES OEUVBES POETIQLES
Apres s'estre assoiicy des apas de I'honneur:
Les Dleux I'ont rctir6 des morlellcs alarmes ,
El si rien k present peut troubler son bon-heur,
C'est de le voir pour lui r^pandre lant de larmes.
Voili (le vraics consolations ! El plus loin
Croy-tu , qupjoiiissanl d'une paix si piofonde ,
II voulust k present que, selon tes d^sirs,
Le ciel Ic renvoyast aux miseres du monde ?
El pour terminer :
Au lieu de ga dcspoullle, ayme sa renommee:
C'est sur quoy le deslin n'aura point de pouvoir.
II y a encore plus de noblesse , de grandeur el d'har-
monie dans ces six strophes consecutives d'une ode en
I'honneur du due de Bellegarde :
En vain lors des esprils envieux de sa gloire
D6gorg^renl le fiel de leur malice noire
Pour luy ravir I'honneur dont il est reveslu :
L'<quil6 de ses moeurs , qui luy servoit d'oegide.
Fist quapr^s ses Iravaux.i la fin.celAlcide
Porta mesme Junon d'admirersa vertu.
Tel qu'un chesne puissant , dont I'orgueilleuse teste ,
Malgr6 tons let efforts que luy fait la tempeste ,
Fait admirer Nature en son accroissement ;
El son tronc, v6n6rable auxcampagnes voisines,
Attache dans I'enfer ses profondes racincs ,
El d« ses larges bras louche le firmament :
Tel psrul ce guerrier, quand Icnrs foUes pens^ci
Tftchircnl de ternir ses actions pass6es.
Plusil fut fraversfi, plus it ful glorieui :
S« barqui triompha ducourroui de Neptune.
DB DESPORTES , DE BKRTAUT , ETC. 83
El les flots , qii'(5mouvoienl los venls de la Fortune,
Au lieu de I'engloutir , lYleverenl aux cicux.
Ses lauricrs, rcspcclez dcs lempcstes civiirs,
Dans les champs oil la Sone ^pand ses (lots Iranquiles ,
Proti'gerent T^niis en nos dcrniers mallicurs :
Aux venls sedilleux ils ddfendoienl I'cnlrtV,
Et n'cn souffroient aucun , dans loule la conlr^e ,
Que ccluy seulement qui fail naislre les fleurs.
Dcsjii se ratisoient nos rages domesliques,
Desja Mars apresloil les spectacles Iragiques
Par qui Ton voil lombcr les empires a bas :
Jamais sa cruaul6 n'a produit tani de plainles,
Non pas mesme jadis , quand les cendrcs esteinles
Ne sccurcnt au bucher esteindre Icurs d^bats (1).
Toutesfois sa prudence, a noire ayde fatale (2) ,
Calma de nos discors la passion brutalc ,
Et tnticha nos fureurs d'un sentiment humain :
Bellone s'apaisa centre toute esp^rance ,
Et le fer eguise pour d^truire la France ,
Encore toutsanglant , lui tomba de la main.
Le mouvement lyrique de cette ode cntiere est beau.
II ne s'y Irouve pas line seule strophe qu'on puisse
appeler mauvaise , presque toutes ont quelque genre
de merile , et il y regne une grande variete de tons.
Le poele rhanlc d'abord la boaute , les grAces , les
amours de son heros pendant sa jeunesse , sa valeur ,
sa vertu supcrieure a I'envie , sa prudent e sagesse qui
a contribue a calmer les discordcs civlles ; enfin il
s'cleve contre Tinjustice de son siecle , dont les crimes
semblcnt avoir lasse la vengeance divine :
(0 AHujion a In Thibai'de. La flamme dcs cadanes d'EleocI« et de Polinic «
*< separa lur le bucher.
(a) C'est-fl-dive rei^i'vee par les destinspotir n^ns sermirir. On troin* g«ni\ciit
1« mnl /o//r/ i-iiiploTw Hiiisi ilaiis M.illierhe *■! dnns Km< hii.
84 sua LES OKUVRES POKTIQUES
Nos crimes trop frequents onl Iass6 le (onncrrc;
Lc cielne punilphislVw^''«nc# tie la terre
Qui desja reproduit tanl dc monslrcs divers :
Le dcstin absolu rcgne a sa fanlaisie ;
LPS Dicux , dans lour Olympe, enivrcz d'ambroisic ,
Sc d6chargent sur luy du soin de I'univers.
II y a certainement bien aulant de noblesse e( w
grandeur , plus d'heiireuse hardiesse de pensee et
d'expression ,dansles bonnes odes de Racan . tres-peu
nombreuscs , il est vrai , que dans les meilleures ('e
Malherbe , et Racan , bien superieiir ^ son maitre ,
dans le genre tendre et gracieux , se Irouve encore ,
malgre le jugenient de La Harpe, I'avoir pourleraoins
^gale dans le genre le plus eleve de la poesie lyriqne.
II est vrai qu'il est venu apres lui. Mais Bertaut les
avail precedes tons deux.
C'est Bertaut qui a trouv^ le style noble et soulonii
dcs grands sujets poetiques apres la vaine tentati\e
de Ilonsard , de mcme qu'apres Roiisard , Desporlcs
avait SH revenir au genre de Marot, sur les traces duqucl
il a niarche avec succes dans ses meilleures composi-
tions ; mais Dcsportes n'a gnerc reiissi que dans les
sujels legers et gracieux. Des quatre poefes dont nous
nous sommes principalement occupes dans cemcmoire,
celui qui a fait lc plusde bons vers dans les genres les
plus varies, celui qui a monire le plus de veritable
inspiration poetique, c'est Bertaut; apres lui , c'est
Racan. Malberbe a perfeclionne la slro|)lie lyrique , et
a fait un Ires-petit nonibre de fort beaux vers , presquc
tous dans un seul genre, dont il trouvaitdans les o-uvres
de Bertanl desmodeles qu'il n'a pas surpasses. Cepen-
dant le nnm de Malherbe est reste j celui de Bertaut
est presque tonibe dans ToKbli.
RHYTlIMrQUE
DU
VEIiS ALEXA]\^PEI.\ ;
Par M. F. VAULTIER ,
PROFESSSOR A LA FACULTE DES LETTRES
DE l'academie royalh de cakw.
II est bien coniiu que ce qu'on appelle pied syUabique.
dans le versfrancais, n'est qu un moyen artificiel d'cii
verifier la mesure , et non pas un elrinent nalurel cic
xoii harmonic; la plupart de nos vers , debilcs de nia-
niire a en faire senlir la coupe en pieds sjllabiques ,
produiraient I'effel le plus ridicule pour Toreille aussi
bien que pour le sens.
L'eleinent harnioniqtie est une chose a chercher ail-
leurs.
L'harmonie des vers , dans toute langue , est le
rcsuUat propre de sa composition rliYthmique.
On appeller/iy</t/«t' toute combinaison de mouvemcnls
85 ANALYSE RHVTIlMIQLIi:
et de repos entre lesquels rorcille peut saisir iin rapport
da sy me trie ou de proportion (i).
Tout mot entier , ou tout assemblage de mots , pre-
sentant une idee complete, et apres lequel on peut faire
une couite pause de voix et de sens , dans la versifica-
tion fran^aise, peut etre considere comme un rhythme,
ou une portion rhythmique du vers , et il n'y en esiste
d'aucune autre espece.
Tout rhythme , ou portion de rhythme , fran^ais , tcl
qu'il vient d'etre defini , se termine necessairement par
une syllabe pleine , seule , ou suivie d'une autre sjUabe
en e muel ; la dcrniere svllabe pleine est toujours celle
sur laquelle se fait I'eclat de voix j elle est accentualle ,
dans le debit et dans le chant , et repond aux syllabes
acccntuees des langues ou I'existenco en est connue.
Lemouvement de ces rhythmes fran^ais est toujours
des syllabes faibles h la syllabe^r/e , laquelle ferme la
combinaison : s'il y a finale en e muet , cette finale ne
( omptc pas comme partie du rhythme , et s'assortit
avec les premieres syllabes du rhythme suivant.
Tout vers francais est susceptible de se decomposer
en rhythmes et portions rhythmiques, dont le melange et
lassortiraent en constituent toute Tharmonie.
Ceux qui ont essaye de poser les bases de notre
theorie rhythmique, ont voulurapporter jusqu'a certain
point, nos rJiythmeikVeKel despieds mctriques des Latins,
et leur en ont applique les noms , en avertissant seule-
(0 C'est, comme on I'a fort bien dit, en le consid6rant spMa-
lemenl dans la musiquc , la partie de fair que pern ent rendre
la baiteinents du tambour.
DO VERS AI.EXANDKIN. 87
in*-!!!! que le jeu des syllabes accentuies el non accen-
tiiees ou simplemeiitybr/e* et JaibUs , y remplace celui
des quanlitds grecques et lalines ; rexemple de ce
changement de sens , dans les noms des elements de la
versification, nous avail 6t6 donn6 par d'autres nalions.
Nous ne voudrions pas les iniiler dans celle applica-
tion de termes anciens i des objets tout nouveaux : il
nous semble qu'il ne pent rt^sulter d'une telle operation
que des chances de meprise sur les choses , et d'einbar-
ras dans le langage.
Ce qu'il y aurait, selon nous, de mieux i. fairs k cet
e^'ard , serai f,au contraire , d'imposer k ces nouveaux
eldmonts de la versification , des- noms nouveaia ,
«onime I'idee de la- chose , et propres A en indiquer la
nature ou la forme : on pourrail les composer du njot
grec ^wvi) ( voix ou son ) , en y joignant un nom de
nombre , ddsignant celui de leurs syllabes.; on aurait
ainsi des Dipkones , des Triphones , etc.
Quel nombre demesureseleraentaires decetteespeeg
faudrait-il admetlre ? G'est une question A decider j
quelques-uns de ceux qui se sont occupes derecbercbes
analogues, onl cru qu'il ne fallait pas admettre du
rhythmes au-doli\ de quatre syllabes ; cola n'a pas suffi
pour rendre conipte de tous les vers dont ils onl essays
I'examen , el les a conduits k declarer vicieux des vers
qui , pourne pouvoir pas se preter i leur analyse, n'en
paraissenl pas plus mauvais d'ailleurs.
Au fait , il y a rhythme dans loute combinaison de
syllabes que r Oreille peut appreciei' ; il ny aurait au-
cunc raison de borncr le rhythme k un nombre plut6t
qu'aun autre, tant que son cffct demeure saisissahle;
88 ANALYSE RUYTUMlQt'E
seulement on con^oit que les plus simples et les plus
svriietriques sont ceux qui se feront toujours le mieux
sentir : I'ancienne pratique de versification , par les
repos qu'elle a etablis clans les vers au-dessus de huit
syllabes, indique que ce serait k la rigueur le plus long
terine que la combinaison put atteindre ; elle n'y par-
viendrait presque jamais , et il est meme tres-rare
qu'elle arrive a celui de six.
Le rhytbmeleplus simple est celui de deux syllabes ;
celui -li suit exactement le mouvement des pieds
syllabiques :
Joas — laiss6 — pour mort = frappa — soudain — ma vue....
Tin vaste — amas — d'airain, s d'argent, — d'ivoire — et d'or...
Mais, quoi! — du cor — bruyant,s:j'entends — d6}k — les sons....
Quelques-uns diraient que ces trois vers sont com-
poses dVawz^es /Vj/Z/uwiywe^; nous avons dit pourquoi
nous rejetons ce lerme ; celui de diphSnes nous parait
devoir le remplacer utilement j ce sont done trois
alexandrins diphoniques purs , sans melange d'aucun
autre element.
Dans les exemples suivants , le mouvement est de
trois en trois :
Tout le del— relentitsdes Mats— de la foudre.
A vos yeux , — sous vos mains , = il se roule — en torrent....
El les OS — disperses =:du gdant — d'Epidaure....
Ceux-ci sont exclusivement composes de triphones ;
que quelques-uns nommeraient annpesles.
II y a combinaison des deux rhythmes dans ceux-ci :
DU VERS .iLEXANDniN. 89
Soudain — lemont — liquide;=(?lev6 — dans les airs....
II fallut — qu'au travail r: son corps— rendu — docile....
Composes , comme on !e voit , chacun de trois diphoncs
et de deux triphones , en combinaison inverse I'lin dc
I'autre , les diphones commencantle premier el Cnissant
le second , et reciproquenient.
Le diphSne et le triphone sont les plus simples et les
plus beaux de nos elements rhylbmiques ; mais ils ne
sont pas les seuls qui entrent dans la composition de
nos vers.
Apres eux , vient le rhyfbme de quatrc sjUabes ,
que nous appellerons teiraphone , et que d'autres ont
Youlu a^pe\er choriaml^e.
On le trouve combine de huit manieres avec le di-
phoiic dans les vers :
Les pr6 — tres ne poucaient^i suflire — aiix sacrifices.:..
Je I'obseri'ois — hier = et je voyais — ses yenx....
Aux yeux — et dans les brassidtses parents — en pleurs....
Persecute — long-temps , rssut vaincre — et pardonner....
11 flolte — irresolu, =la peur — enfin — remportc....
£n tourbillons — bruyanls = ressaim — fougueux — s't^Iance...,
Trois ccrfs — aufront — superhe=: errant — dans la campagne..,.
Parlout — des pleurs', — du sang,=:rfej hurlements — terriblcs....
Employe avec des hemistiches triphoniqueSjW fournit
ces quatre corabinaisons :
11 cntre — e/ le palais^sc reniplit — dc soldats....
Vcs 6a/ai7/ortj— enlierssremplac^s — a linstant,.,.
r)0 ANALYSE nUYTUMlQl'B
Par vos soins — pr^voyants s; leur nombre — est redouble',...
De ses bras — innocents = ye me sent is — presser....
Aiiisi done des i present , et seulement avec ces trois
premiers elements rhythmiques , noire alexandrin , si
soiivent accuse d'uniformite, par Tes Strangers d'abord,
et ensuite par iiotre nouvcltc eiole , notre alexandrin ,
selon eux , invariablement semblabhi i lui-nieme , se
trouve au contraire deji susceptible de seize vari^tes
de combinaisons toutes distinctes , que repr^sealent les
chiffres suivanls (i) :.
t. 2. 2. — 2. 2. 2.
3, 3. — 3. 3.
f. 4. — 2. ♦.
4. 2, — 4. 8.
2. 2. 2. — 3. 3.
2. 2. 2. — 2. 4.
2i 2. 2. — 4. %i.
3. 3. — 2. a. 2.
3. 3. — 2. 4.
3. 3. — 4. 2;
9. 4, — 2. 2. 2.
(1) L'anglais Blair est, sll nous en souvient , le premier qui se
toil avls6 de ce reprocbe d'Mn//brm//e', devenu depuis si bannai',
el qu'ii fondaitsurcctte belle observation de versification comparde:
que I'alexandrin fran^ais de douze syllabes n'aqu'une seuh cesure,
toujours imariablemenl placde apres la sixierae, tandis que celle
du vers h^roique anglais de dix . par exemple, est mobile, et peul
se fairea volonte apr^s le deuxi^me ou le troisicme de ses pleds; on
aura occasion dejuger plus tard ce qu'il en est de I'unique cesure
Je I'alciandrui.
DV VERS ALIi\AM)UlPf, 9I
a. i.
— 3. 3.
2. 4.
— 4. 2.
4. 3.
— 2. 2. 2.
4. 2.
— 3. 3.
4. 2.
- 2. 4.
Mais n'avons-nous pas d'autres elements rhythmiques
plus longs , et i ceux que nous avons designes , ne faut-
il pas ajouter encore au moins le pentaphone et Vhejca-
phone? Nousle pensons ; autrementil faudrait declarer
vicieux, dansles chefs-d'oeuvre de nos meilleurs pontes,
un bon nombre de vers que personne n'y a jamais blA-
nies , et rejeter de notre poesie plusieurs termes et
assemblages de termes , dont elle se passerait difficile-
men t.
Ainsi dans les vers :
De rimmortalite =:noh]e et dou — ce espdrance....
Je ne me souviens plus^des lemons — de Neptune.^.
S'dcrou — te, torn — he,6cTiz:se en se precipitant, ...
Quel sera — ce bienfait = ?«« /c ne comprends pas !>..,.
11 est clair que les hemistiches : de I'immortalite , —
je ne me souviens plus , — en se precipitant , — et , que
fe ne comprends pas, sont des rhjthmes de six syllabes,
ou bien qu'ils doivent se decomposer en rhythmes plus
courts, ou bien encore qu'ils ne doivent etre consideres
que comme une suite de syllabes sans rhythme.
Si ce sont des syllabes sans rhythme , le vers est
vicieux dans une de scs moitics tout enliere , et alors
ce n'est plus un vers.
()2 ANALYSE UHVTU.MIQUE
Les decomposer en ihylbmes plus courts parait
impossible, puisqu'ils ne presenlent aucune syllabe
aci entuable , si ce n'cst la derniere , aucun repos de
sens praticablc, si ce n'cst colui qui en marque la fin ( i ).
Les admeltre pour rhytbraes de six syllab.-s , sous Ic
noni d'hexaphoncs , nous scnible la seule solution pos-
sible dela difliculte.
Vhexaphone admis , il n'y a aucune raison de ne pas
admettre cgaleiiicnt un pentnplwnc ; nous croyons re-
connaitre Texistence de ce rhytbme dans les vers:
Non, — je neferai passes qu'on veul — que je fasse....
Trui — ne en pre'cipilanl z::scs flols — amoncel6s.... Elc.
Oil ces passages : je neferai pas , et en precipitant ,
distincts de (e qui les precede et de ce qui les suit . et
places enlre deux pauses naturelles , ont , selou nous ,
tous les caracteres d'un rhytbme distinct, analogue a
tous ceux que nous avons pretendu etablir.
Une difiiculte se presentc sur la nature des deux
monosyllabes qui , ea s'associant aux pcntaphones ,
dans les deux exemples cites , en coraposent avec eux
les deux premiers hemistiches.
(1) Quelques-uns de ceux qui ont essaye de poser les bases de
noire theorie rhylhmiquc , onl pens6 lever la difflcull^ en admcKant
de pr(?tendus accents sur des monosyllal)es de sens incomplei ,
prf posilions , pronoms , articles , etc. ; ou bien encore sur une des
syllabcs radicalcs des polysyllabos longs ( des\ntcresse , etc. ) Mais
ces accents n'existent pas , ou si on les admcltait , il faudrait rccon-
natlrc qu'ils sont d'une nature particiiliere , ne marqiiant aucune
espece de pause de sens, et ne pouvant par cons(^(picnt determiner la
Dn d'un rliyihine , dans la sipnilication qu'a pour nous ce mot.
Elle se prcsenlerade nouveau siir I'emploi deniono-
syllabes analogues , que nous Irouvcrons ailleuis ,
places en divers postcs , aver d'aulres couibinaisoiis ,
quelquefois ineme plusieurs de sui(e , comme dans les
vers ci-apres :
Cieux , — 6coulcz — ma voix , = ler-re , pre— le roreillc...
Toi, — qa'U pleurait — la nuU,=s/o/, — qu'il pleurait — le jour....
Contre (ant — d'ennemis, =que vous reste-t-il? — moi....
Va — cours — vole , — Arfthusc , = amene-moi — mon fils....
II est clair que , pris a part , chacun de ces monosyl-
labes n'est pas un rhytbme ; tout rhytbme suppose;
rapport de parties cntr'e/les , etil n'y a point de parlies
dans un monosyllabe. Mais coninic d'ailleurs en se
combinanl avec d'autresrhytbmes , ces niemes mono-
syllabes remplissent visiblement cette fonction , de
completer, au moins sous le rapport d'effel numeriqr.e,
ce qui , sans eux , eat pu clocber dansle vers , il n'y a
pas nioyen dc nier qu'ils en dcvieniicnt une partie in-
dispensable, un element naturel el rhjthniiejue, comme
les aufres ; c'ost sousce point de vue que nous croyons
devoir les considerer, ct, a ce litre , nous ne balancons
pas a adjoindre encore celui-ci aux precedents, desquels
ilouvrira pour nous la seriesousle titrede monoplwne.
Ceci pose , si nous cberchons ([uelles sont les for-
mules nouvcllos du vers alexandrin, que pourra fournir
Temploi de Vhexnplume el du pentophone complete ,
son equivalent , dans leur combinaison propre et
reciproque , et aiissi en melanj^e , avec les formes
d'hemislicbes dej;i connues, nous Uouvons (prdles ne
q4 ANALYSE RHKTHMIQUE
vont pas A nioins de 33, qu'on peut representer, comme
les prec^dentes , par les chiffres ci-apres :
5. 1. — 5. 1.
1. 5. — 1. 5.
6. — 6.
5. 1. — I. 5.
5 1. — 6.
1. 5. — 5. 1.
i. 5. — 6.
6. — 6. 1.
6. — 1. 5.
5. 1. — 2. 2. 2.
5. 1. — 3. 3.
5. 1. — 2. 4.
5. I. — 4. 2.
1. 5. — 2. 2. 2,
1. 5. — 3. 3.
1. 5. — 2. 4,
1. 5, — 4. 2.
6. — 2. 2. 8.
6. — 3. 3.
6. — 2. 4.
6, — 4. a.
a. 2. 2. — 5. 1.
3. 3. — 5. I.
2. 4. — 5. 1.
4. 2. — 5. 1.
2. 2. 2. — 1. 5.
3. 3. — 1. 5.
2. 4. — 1. 5.
4. 2. — 1. S.
DC VERS AI.EXANDRIN. ^5
8. 3. 9. — 6.
3. 3. — 6.
9. 4. — C.
4. 2. — 0.
Enspmhip. • .
33.
A joindre les formes prdcedcnles.
16.
Total. ... 49.
Que si niaintenant , independamment du r61e qu'il
joue avec le pentaphone , dans le tableau ci-dessus ,
introduisant d'ailleurs le monophone dans toules Ics
combinaisons primitives , et le promenant seul , ou
mcnie deux ou trois fois repet^ , dans tous les poslrs
qu'il peut occuper dans cbaque hemisticbe , k cote dcs
rhylhnies de deux , de trois et de quatre syllabes ,
nous essayons de decouvrir quels nouveaux cbange-
ments vont en resulter dans la contexture rbytbmique
du vers , nous arriverons A no plus savoir qu'en dire
d'exact.
Le calcul des possibles ne donnerait pas moins de
8oo modes nouveaux ; quelques-uns peut-etre seraient
a rejeter , comme etrangcs , ou nicnie ridicules ; unc
ceniaine sont du meilleur effet ; ceux , par cxeniple ,
dans lesquels entreraient les formules des hemistiches :
1. 1. 9. 8.
8. 1. 1. 9.
1. I. 1. 3.
f. 1. 4.
1. 9. 3.
1. 3. S.
8. 1. 3.
C)(> ANALYSE UlIYTOMIQUB
2. 3. 1.
:!. i. 1.
3. 1. 2.
Etc.
On pent n'ctre pas d'accord siir le caraclere el la
propriete des aulres ; il nous importe peu qii'on en
rejette quelques-uns de plus ou de moins.
En tout cas , nous voici arrives A rcconnaitrequecet
alexandrin , si accuse de monolonie , ne laisse pas
d'etre susceptible de tant de formes , qu'il devient era-
barrassant d'en assigner le nonibre , et que dans un
niorceau suivi de vers de cetle espece , tels que nos
grands poetes ont su lesfaire, il doit etre rare que
deux de suite aient la ineme coupe et le meme niouve-
ment.
On conroit que le reproche banal d'une prelendue
symetrie parfaite des deux bemistiches entr'eux, n'est
pas autremenl fonde.
Maitre de les varier a peu pres de toutesles manieres
que suppose la corabinaison des chiffres propres a
represcnter le nombre six , si le poete les fait quelque-
fois seniblablcs , c'esl qu'apparemment il le veut ainsi ;
la nature du vers comporte tout et ne le force a rien ;
jc ne pense pas que dans Tanalyse suivie d'un morceau
de Racine, on trouve babilucUement un vers sur huit ,
dont les heniislicbes respectifs soient semblables
entr'eux, el la fanieuse conqjaraison de ses vers a sa
perruque , restc un mot de dcnigremenl aussi faux que
pauvre , et que dorenavant rignoranre presompturuse
aura seulo le droit de repelor.
DU VERS ALEXANDRIN. 9^
Si Ton a suivi avec quelquc attention le d^veloppe-
mcnt qui precede , on aura reniarque sans doute que
chacun des rhythmes , dont nous admettons renii)!oi
dans levers alejcandrin,a desproprieles tres-distincles,
el que leiir combinaison doit y produire des effets
d'harmonie qui ne pourraient s'expliquer que par eux.
Ainsi I'effet du diplwne est grave et lent ; repete
plusieurs fois de suite dans le vers , 11 y exprime par-
faiteinent I'effort ct la pesanteur , surlout lorsqu'il y
proccde de la breve k la longue , A la mani^rc de
Yiambe metrique ; c'cst par li que s'expliquent les pro-
prietes de ces vers si connus :
(Quatre boeufs— attel(?s)=5rf'Mn pas — tranquilU — et lent..,,
Tracdt — a pas — taidifs —( im p6nl — ble sillon)....
Protee — alors — /tag^«a«<=:{ vers I'antre — . accoutum6)....
Lc triphone est le plus bel element de noire versi-
fication ; ses caracteres generaux sont la noblesse et
rbarmonie ; repete de suite, il incline aux mouvements
vifs , si sa marche n'est rallcntie par des syllabes lon-
gues ; il est superbe surtout dans la forme anapestique,
ou il prend beaucoup de solennite. Ces differents
effets sont particnlierement rcniarquables dans les vers :
Le moment— oil je parler:est d(?ja — loindc moi...
Un poignard — 61amain = rimplacal)le— Alhalie...
Eh ! quel temps fut jamais = pins fertile — en miracles ?..
Mis en opposition avec le diphune , dans des hemis-
ticbes correspondants , il produit des contrastes de
mouvementsmerveillcux dans los suivanls -.
98 ANAl.VSK ll!5YTIIMl(,H K
(^ii'Ajat — soiiU'Vc — nil 101 = < / /'' hinct — <uec peine...
Siitnlaiii— Ic monl — liqui(lc = '"7rir — (/wz/s /cs airs...
Eiifin — la por— Ic loiiibc , —ai().\il6l — an s'elance. ..
Lcs rbylhnics plus longs , c'est-a-dire le tetraphone ,
le pmiaphone. , el \hcxnphbne , ont eiiscniblp , niais
ilans des tlegros diffcrcnls . la piopriele de peindredes
luouvcMuenls vopidcs , priicipiUs ou tuniulliienx ; on
aura pu en remarquer les cffels dans qiielques e\emples
tiles ; d'aulres se represenlent dans ceux-ci :
Lc dnt — r/(// / (ipportn — reciilc — epnuvanle. ...
Cc roi , — /?/> de David, , =oii — le chcrckerons-nnus ?....
Je te I'fii confie zzdes I'ft — gc le plus tr/tdre...
Le propre du monophonc est suiiout do delacher for-
tement deloutaulreauire, rolijelsur lequel il roncenlre
rallenlion , et d- faiic ressorlir avec vivacile les qua-
liles imilatives du mol qui Texprime ; il communique
surlout j\ Fexclaniaiion et i rai)Osliophe un caiaelere
de soli nnite et d'energie remarquable ; redouble oti
triple dans les comniandomcnis et les enumeralions,
il y peint vivement ledesordre des senlinienls ( t celui
des ehoscs ; place a deux posies correspondants, dans
des pbrases correlatives , il y fait ressorlir le conlraste
ou le rapport des objels , par ceux d'une sorle de cri
d'aniionce. Tout cela sera sensible dans les exemples
ci-apres :
Out, — je vicns — dans soil temple = adorer — I'^trrnel....
Dieux .' — que ne suis-je — assises a lom- bre des forfls !....
UL VERS ALEXANDRIN. t>)
fironde—'cn tigrc— irrit6 , zzglisse—e{ sirtle — en serpen!....
f^a ,— cours ,—vole , — Ar^lhuse , =am6ne-nioi— inon filsl....
Bois,~i)res,~champs,—a.n\ma.\i\, stoutest— pour son usage....
L'une •*- embrasse — n gcnou\ = scs colon — ncs sacrdes....
V autre — 'j col — lesa bouche,=cl ses mains, — el ses yeui....
Tui, — qu'il pleurait — la niiit,=:^w, — qu'i! plcurait— le Jour..,.
C'est done en cffet dii melange et de rassortiment
bien cntendu de ces coupes que rcsulle surtout la
beaule malerielle du vers; I'essenliel est d'en appro-
prier le mouvement a celui des choses , et de faire con-
courir les cffcts du rhylbnie a Texpression de la pensee
ot du sentiment.
Dans noire theorie , tout rhythme est determine par
un repos, et lout repos a la suite d'un ibylhnie est ce
que nous appelons une cesure. Ainsi, A la difference de
ceux qui , rcstreignant ce nom au repos de I'hernisliche,
ont dit que notre alexanclrin n'a qu'une cesure , lou-
jours placee apres la sixiemc svllabo , et a la difference
aussi de ceux qui , pour les combattre , ont repondu
qu'outre le repos oblige de Miemistiche , notre nlexan-
drin avail toujours une autre cesure Hire , placee on
le iK)cte le jugeail ci propos , et qui f:u(fisait pour on
varier la marche ; nous dirons , nous , que beaucoup
de nos vers alexandrins ont cinq cesures , qu'il y en a
pen qui en aient nioins de trois , que ceiix de deux sont
rares , et que ce serail presque un lour de force d'en
faire qui n'en eussenl quune , puisqu'on ne pourrait
les composer, chacun, que de la reunion de deux hexa-
pftone*, c'est-A-dire de la repetition immediate d'un
rhylbme qui , menie dans toute autre combinaison ,
lOO ANALYSE HmrUMiOVH
est d'lin usage asscz borrs^ pour que nous n'on con-
naissions guore que les exeinplcs que nous avoiis cites
en leur lieu.
Entre les diverses cesures qui peuvent enlrcr dans
la composition du vers alexandrin , toutes ne sont pas
d'une egalc importance; Ic repos qui marque la fin dc
la phrase , ceux qui delermincnt La suspension de ses
nienibres , ceux encore que Ton pent inlroduire entre
les elements parliels de c( s memes membies , doivent
naturellement diff6rer entr'eux (X! intonation et de durce;
cela semble a\oir 6t6 scnti de tout temps ; mais la
pratique de nos poeles consacre deux modes d'appli-
cation tout opposes d'une seule et mi^me obsrrvation.
Los uns , pour la regularite de la composition , ont
voulu que les grands el Icsmoyens repos lombassent en
general a la fin du vers ; que ceux de i'hemisliclie
fussent , autant que possible , de nature moyenne , et
surtout qu'aucun grand repos ne se trouvAt jamais
ptace ailleurs.
Les aulres , en vuc dc la varietc , ont affectd de
ronipre k dessein cet accord rigourcux du sens et des
mesures,etde Jeter dans levers des effets de suspension
et de surprise , en arretanl brusqucmentle sens , apres
les premiers mots , ou immediatemenl avant les der-
niers , de Tun ou I'autre bemistiche , de manierc que
les postes des pauses prcscrites fussent rarcment ceux
ou se rencontrent les gramls rcpns.
Le premier de ces deux modes est celui que nos
grands po(itesdu 17"^. siec'e ont exclusivement employe
dans leurs compositions du genre lieroique ; quelques-
uns d'entr'eux ont fait usage du second dans les ou-
DU VUBS ALEXANDni.V. lOI
vrages du caraclere simple et faniilier ; les formes
principalos de ce dernier ont 6lc transportees , depuis
environ Go ans , dans la poesie la plus solenncUo,
avec ci: conspeclion el intelligence par Ics uns, avec
audace el bizarrerie par les autres ; une ecole loule
nioderne parail disposee i pousser les cboses an point
A'alterer tout-h-fail le rhythme , c'esl-i-dire ce qui
conslilue I'l ssence mome du vers.
Ainsi lorsque Delille a dil :
Soudain — le mont — liquide = (!-lev6 — dans les airs ,
Retombe ; — un nolr — limon = bouillon — na sur les mcrs.
Ou bien encore s
L'univers — (5branl6 = s'6pouvan— te ; le DIeu-,
D'un bras — 6tlncelant = dardant — un trail — de feu.... Elc.
II esl clair qu'il n'a pas dispose les cesures selon
I'ordre de leur inxportance relative , niais ce qu'il a
fail , on sent parfaitement que'le raison il a eiie de le
faire , el celte raison est assez bonne pour que per-
sonne nc songe k le b'amcr de n'avoir pas fait autre-
ment.
On a di\ (ie mcme accueillir avec plus ou moins de
faveur , ces vers de Lebriin sur la puissance de Dieu •
Du char— glac6 — de I'Oursesaux fcux — deSirhis,
II r(?gne ; — il rcgne — encore = oil les cieux — ne sont plus.
Et ceuxd'/^Mf/re Chcriicr , sur le vicux Homcre:
C'cst ainsi — qu'achevai(=:raveuslc - en soupirant.
I02 ANALYSE KHYTHMIQUK
Et pres des bols — marchait ssfaible, —el sur une plerrc ,
S'asseyait....
Ou nidme encore ceux-ci de Malfdlatre :
On cntendit — au loin = retentir -►une roii
Lamentable , — et des cris z: sorlis *- du fond — des bols.
Dans tout cela , il y a d^placement visible de presque
tous les grands repos j niais ceux qui marqucnt les
hemistiches etlcs finsde vers , sent encore de nature
moyenne , ou du moins paraissent tels , jusqu'a ce que
Timpression en ail et6 affaiblie par cellc du repos plus
fort qui les suit de si pr6s.
L'effet total d'ailleurs y laisse subsister le jeu des
rhythmes dans son rapport avec celui des pieds sylla-
biques , et par consequent ne change rien i la consti-
tution intime du vers.
Nous ne pensons pas que M. Victor Hugo reclame le
meme jugemont en faveur de Yalexandrin retrempe ,
dont il nous offre le type dans son Hernani ; il y vise
d d'autres effets , et c'est un art tout nouveau qu'il se
propose d'etablir.
Son secret consislc surtout en ce point :
Qu'i la pause de I'hemistiche , et aussi a celle qui
marque la fin du vers , au lieu d'un mot de repos r6el de
premiere oude seconde espece, souvent il affecle de
s'arreter tout expres sur un de ceux qui semblent h.
peine en comporteraccidentellement un dela troisieme;
sur un do ces niols d'altenlc, dont le sens incoinplet ne
sera fixe (\WQpar ce qui va le suivre; d'ou il advienl que
la pause qu'il y fait, toutc de caprice, peu sensible,
DU VERS ALEXANDUl.N. loj
qiielquefois nuime absolunicnt impiaticable , manjufl
mal la niesuie du vers , si on ne force pas le debit ,
ou bien en disloque le sens et les ib^thnies , si on
essaie de Vy forcer.
Co defaut exisle evidemment i rhemistiche des vers
ci-apri>s :
Je suis banni , je suit — proscrit , ]c suls funeste....
En attendant, ye aV/i — /rcft dii ciel jaloux....
Ne prenez que-cf qui — peut ilre dut- oucomlf.^..
Mais que vcux-lii ^ ma pamre — erijdiii .' quand.orf-e*il vimix....
C'esl TAJlemagne ,.c'cj/ — In Frame , c'csl rEspagiiCi...
Un <5dlfice , oirc — deux homines au sommet....
On pent di e , au nioiiis cos deux deiniers , qu'il
n'y a dck'id^ment aucuric apparenrc A'^fie mis l ichc , cl
que pour les separer en deux parlies egales , il faudrait
dans Tune ct Taulrc cooper un telraphone. par la moiti»j.
De qiielque fa(j.on.qu'an lenrenne, il est diflkile c'e
recevoir lout cela pour des alexandrins ,• le dernier sur-
toul semble eKprossement laille sur le inodele de cclui
(jti'on avail fait autrefois pour rire :
Adieu , je n>'en vais d — Paris , pour mes affaires^..
Et il n'cn exisle peul-^tro d'analognes que dans la
tiagedie dtt pi'rrnquier mailfc Andre.
C'esl qu'i le bien prendre , le vers alexandrin est en
effet un vers douh'U , ou , si on le veut absolument , un
lonfi; lers itnitjue , que sa division en deux moilles rend
scule bien appnciubk a I'ureilk; cellc division a besoin
lo4 ANALYSE RHYTOMIQUE
d'etre marquee , au moins par iin repos , commcla Gn
du vers Test, ordinairement, ct par un repos et par line
rime ; qu'on supprime le repos de rhemisliche , ou
qu'on I'affaiblissc A certain point , la division dcvicnt
insensible ; de ce moment il n'y a plus de mesure sai-
sissable , par consequent plus de vers.
Les pauses finales sunt de meme; un fait suit I'autre ;
ct iln'y auraileuaucuneraison demarquer diversement
les deux repos d'un vers double ; c'est aussi par dislo-
cation que I'auteur aime i\ les falre ; et rcnjanibement
que souvent elles preparent , est le plus communement
de I'espece de ceux qui n'ontaucun objctde mouvement
k exprimer.
Tels nous seniblent ces exemples :
Parce qu'on est jaloux — des autrcs , et honteux
De sot....
Car sescheveux sonl noirs,-^et son ceil reluit comme
Le ticn..,.
Je suis Jean d'Arragon , — grand maltre d'Avis» ne
Dans I'exil, fils proscrit— d'un p6re assassin^.
Je vous aime , Hernani ; — je vous pardonne , et n'ai
Que de I'amour pour vous....
Voila done ce qu'il est ; — moi , je suis pauvre , et Weus,
Tout enfant), que les bois , — oti jc courais pieds nuds....
L'effct dece systemede dislocation est singulier dans
I'espression des traits de contraste ; on dirait que
I'auteur met i en eparpiller les termcs correlalifs , le
soin qu'un autre prendrait a les faire correspondre dans
les rhythmes :
lis font et ddfonl; I'cn — delle ct I'autrb coupe....
Liri , dans son pre vert ; moi , — dans mcs noircs alle'es.,>.
DU VERS ALEXANDKIN. 1 o5
A tout cela sans doufe aussi il y a des intentions,
mais non pas de celles qui saisissent d'abord tous Ics
esprils , ct auxquellcs on s'associe de soi-memc ;
dans le noble dessein d'altcindre des cffels a<]xque!s
appareninient I'art se refuse , M. Hus;o nous semblc
etrealle souvent jusqu'i alterer ce dernier dans ses
principes essentiels.
Tout system- bien entendu de lecture ou de decla-
malion d'ouvrages en vers , suppose au moins le senti-
ment dela Iheorie rhytlimiquc , et ne parait pouvoir
s'etablir que sur des principes qui s'y rapport ent ou en
soient deduits.
L'essentiel sera foujours de bien detacher tous les
rhyihmes , ou ce qui rovient au meme, cVobserver soi-
gneuscment tous les repos , en donnant k chacun le
degre d'imporlance et do duree qui lui convient , sans
forcer ceux des pauses prescrites , sans trop affecter
aussi de les affaiblir , variant , autant qu'il se peut ,
I'intonation ct les mouvcmenls , selon la nature des
choses et Ic caractere des sentiments exprimes.
Dans cette operation , le lecteur peut quelqucfois
aller jusqu'A corrigcr.par Ic debit, des inoonvcnanees de
rhythmes echappees au poete , en reunissant en un
seul ce qui partout ailleurs se com.pterait pour deux ,
ou en subdivisant au contraire en deux, ce qui a la
rigueur scmble ne devoir en former qu'un.
On concoit que ce vers de Delille :
Pcigncz — en vers — legcrssranianl — leger — de Flore....
ne doit pas etre lu corame si la nature des objcts y
lo6 ANALYSE KHYTIIMiyt'E
niolivail I'dnploi dcs rhylhnit's graves ; ic mieux seia
d'y supprimer deux repos , el d'y r^uiiir eii deux tctra-
phones les mots : en vers Icgers , ct : Vamant Ic^cr ,
qu'on se garderait bien d'assenibler ainsi, s'ils expri-
niaient des objets auxquels convinl un autre niouve-
iiient.
Au contraire dans ces vers de Soilcau sur les rois
faineants :
AucuTi soiir— n'approchail=.de Icur palsible cour....
Niille consideration ne justifismt I'emploi dcs
rhylbnies rapides, il sera bon de faire sentir la fin du
moipaisihlc ( de laquelle on tiendrail ailleurs pen de
compte), etmenieaussi d'yeiablir un petit repos factice
apres le mot d'attente: leiir , de maiiieie i decomposer
en Irois rbythmesle demi vers final , que dans d'autres
donnees , il eut ete plus4;ettvcnablede prononcer sans
division.
Deux sorles d'embarrasde&plirs graves dans le vers
sont ceux qu'y produiraient d'uiie part Tabus des longs
mots , et de I'autje , renlasse-ment da monosyllal/es
d'effet isol6.
Les premiers nepouvant se decomposer en rlnlbmes
partiels , et s'emparant quelquefois de tout un hemis*
tiche, tendent A precipiter le debit sur dcs syllabes
sans arret, donl la signification , ordinairement loule
ntetaphysique , est loin d'exiger un jwreil mode d'enon-
ciation ; ceci s'applique aux vers :
Les coupa - bles cffcls = (/e leurs divisions....
La (uperslilionz:qiic%a\ — Ic Ic silence....^
DV VERS ALEXANDBIX. I 07
Le defaut des autres lienl i ce que, rcfusant de se
Her enihylhmes de conibinaison, ilsLatlieraionl le vers
en fragments sees et brusques , dans la succession des-
quels Vordre et le nombrc ne se nianifesteraicnl par
aucun rapport ; telesl celui de eel excmple connu :
Nez , — cou ,— sein, — port,— tefnt,— tallle,= en cl— le loal ravit....
Hors ce cas, Temploi des monosyllabes , proscrit par
une critique vulgaire , n'a rien de r^ellemcnt repre-
hensible en vers.
Boileau a tres-bien dil r
Mais moi, — qni, dans le fond,=:sais bien — ce (fue j'eu crois .„
Et flacme ( entre bcaucoup d'autres exemples ana-
logues ) •-
Le jour — B'est pa»— plus pur = que le fond — de mon coeur....
L'emploi et la succession des diverses cspeces de
rbjthmcs dans les vers destinds au debit , n'ont ete
et n'ont du etre assujetlis i aucune regie particuliere ;
la variefe du mouvenienl parait devoir £'tre un des
principaux ni6rites de la composition , et le poete doit
resler libre du cboix des combinaisons, aOn de pouvoir
toujours les assortir aux convenances variables des
details de son sujet.
11 n'en est pas de mSme Jes vers destines au chant ;
non sculement il est bon que la conibinaison i!es
rl)} Ihnjcs y soit assujetlie a quelquc rapport de symc-
trie, niais il est surlout indispensable qi:e les vers
Io8 AXALVSK RHYTllMIQUE
coiresponclants de f'Laquc couplet , destines au mrmc
chant , aient csactcment le nieme ili^lhme , sansquoi
los pauses dc I'air compose pour I'un , coupant raude
A contre-teiiips, lui feraient neccssaircnient produire
un effet ridicule.
Le vers :
Voici — les lieux — cliarmants = ou mon fi — me ravfe ,
ne pourrait sans dissonnance sc chanter conime cct
autre :
La victoire — en chantant=:nous ou— vre la barrierc;
parce qu'd I'exccption des pauses prcscri les, tout est
different dans leur niouvement respcctif.
N. B. On comprend que les principes essentiels do
cette theorie doivcnt elre applicable?, outre Valcxan-
drin , a tons les autres vers francais , de fpielque ine-
surc qu'ils puisscnt ctre , sauf les scules differences
qui resuUent dc la condition nieme de leurs niesures ;
c'est bien ce qui existe en effet ; Ic seal point important
A noter k cet egard, c'est que dans les vers de sept et
huit syllabes , la combinaison rhythiuique , au lieu de
s'arreter kVhexaphone, comma (^an?, \e demi-alexan-
drin , pent admctlrc des formes plus longues d'une ou
de deux syllabes, egalantA I'occasion I'elendue tolale
de ccs deux memos vers , qui , conmie on salt , ne sont
soumis i aucune regie de rcpos prcstrit.
On pourra done y trouver par fois des rhjihmcs de
combinaison analogues anx formes suivantes :
DU VKBS AI.EXA.NDBIN. 109
Sije nc Ic disais pas....
Et:
Vous ne me reconnatlrez plus....
Hcptaphones el oclophoncs indivisibles, commeon voit ;
ce sont la dc pauvres rhythmes , que roicillc n'appiccie
guere qn'cii cLcrcbant a y saisir des appai en* es de
di'coniposilionsarlificielles, qui n'y sont j)asen efi'ol. lis
n'en existent pas moins eux-memcs, puisque les regies
de la versification commune ne les out pas rejetes ;
nous avons entendu chanter , dans une chanson de
1 793 , le vers :
Pour I'indivisibilild.
L'air en faisait «n dipltone et deux triplwnes factices;
IVffet ctait d'autant plus grotesque qu'il aspirail a eire
solennel.
Nousdcvons averlir ici quel'idee principale, faisant
le fonds de celte llioorie, est prise du grand travail de
Tabbe Scoppa , siir les S3 slemes compares de la versifi-
cation francaixe el ilaliennc, ouvrage precieux , malgre
scs defauts et ses erreurs , niais que Tauteur n'a pas su
meltre a la portee de tons les esprits , ni snrtout resu-
mer enprincipes d'applicalioii claire , precise et melho-
dique. Sa notion du rhjthnie nous a fourni noire point
no AXALVSU lUIVTIIMIQUE
dc (lopart ; tlans Ic roslc r.ous avons entcndu niarclier
de noiis-rncmes , et sans nous allacbcr aucunement
soil i le suivre , soil k revitcr.
Avant nous , I'abbe Gautier avail essaye de lirer du
niome fonds , sur ce sujct de la rncsure rhythmique clu
vers J'rancais , un petit traile tout pratique , qui ])eat
avoir eu sonulilite , mais que nous jugeons d'aillcurs
insuflisant ct fautif.
Plus ancienneinent , ct bien avant Scoppa , d'autres
critiques , ^Olivet surtout, avaienl aussi essaye d'ela-
blir des theories rhyihmiques , mais en partant d'une
idee fausse du rhythmc; leurs recberches n'ont pu nous
elrc d'aucun secours.
SUR L'OUVRAGE
IKTlTULfe :
JUGEMENT DE M. DE SCHELLING SUR LA PHILO-
SOPHIE DE M. VICTOR COUSIN;
Par M. E. SAISSET ,
Frofesseur de philosophic au Collide royal do Caen.
Qiiand Scbelling publia , dans ccs derniers Iem{is ,
i:On Jitgement snr In philosophic de fli. Cousin , ce fiit
iin ftvenoment philosophique au-dela dii Rbin. La se-
lieiise Alleniagne prcta I'oroille a la voix du plus illustte
de scs peiiseurs , rompant un silence de pres de vingt
annees , j)our jiiger la philosophie frangaise dans son
phis eloquent organe.
En France , dans cc torrent de publications qui ,
cliaque jour , flatlent les passions de la foule , le livre
dp Scbelling s'est perdu et comnie englouti. Nous vivons
dans nn age de politique et d'induslrie , Age de fer pour
la nietapbysique.
J'ai pens6 , neanmoins , que dans nne academic oi^
(ant d'csprits edaires conservenl Ic depAl du vieil
112 IIEFLEXIONS
amour de nos pores pour la philosophic, dc courles
reflexions siir Tecrit trop peu connu de Schelling seraieut
entendues avec interet.
I.
M. SthelHng commence par remcrcier M. Cousin
d'avoir cntrepris de former une 6{roile alliance cntre
Tesprit (lerAlleniagnecl Tespril francais. l*oiir la ft^con-
dif«^ et I'originalite de la pensee , M. Schelling , en bon
Alleniand , parait croire que son pays est plus en me-
sure do nous faire des avances qu'il n'a besoin de nous
eniprur.ter ; mais il veul bien reconnailre qu'en fait de
style ct de clarte , ses compatriotos ont quelque chose
a gagncr dans le pays c'e Descartes. Ils'el^ve avec force
contre ce ridicule jirojuge qui mesure la profondeiir
dos idees par leur obscuriie , et , si Ton n'y prcnait
garde , fcrait bientot de la philosophie , doniaine de
I'evidencc et de la realite , je ne sais quelle region fan-
tastiqiie peuplec d'onibres et dc fantfimcs.
« Lcs AUemands , dit-il ( trad, franc. , p. 3) habitues
i so regarder comme le peuple elu de la philosophie ,
avaient renonce A se faire coniprendre des autres
nations , oubliant que lebut primitifde toute philoso-
phie , but souvent manque , mais qu'il n'en faut pas
nioins toujouis poursuivre , est d'obtenir Tassentiment
universel en se rendant univorsellement intelligible. »
On aime k voir un metaphysicion alleniand faire un
si bel eloge de la clarte , et la recommander par dos
motifs d'lin ordre si relcve. Seulement , on regret(e
qiielquefois , en lisanl I'ecrit de M. Schelling , qu'apres
SLR SCUELLING. Il3
unc profession dc foi si edifianle , il n'ait pas jiig6 4
propos d'ajoufer k la verite du precepte la force et
I'aulorite dc Texemple.
Avant d'aller plus loin , nous hasarderons une re-'
flexion.
CerJaines personnes inclinent A penser que le pen-
chant de M. Cousin pour la philosophic allemande peut
bien meriter les remcrciments de nos voisins , raais
qu'il n'a pas les memes droits i la reconnaissance de
notre pays.
Si ce reproche n'avait d'autre fondement qu'un pa-
triolisme honnctc , mais etroit et nial placdi , il ne
meriterait pas un cxamen serieux. Depuis quand , en
effet, le patriotisme est-il une vertu dans la republique
des lettres ?Tout ami du heau et du vrai n'y a-t-il pas
droit de cite ? La philosophie , comme la litterature ,
comme les arts , n'esl-ellc pas cosmopolite 7 Chaque
jour , on fait honneur a M■"^ de Stael d'avoir appris
aux amis de Corneille et de Racine c\ admirer Schiller
el Goethe ; pourquoi M. Cousin serait-il si coupable
d'avoir ouvert les livres de Kant aux rompatriotes de
Condillac ?
Mais on a fait aussi une critique plus serieuse. On a
accuse rillustre ecrivaind'allerer les heureuses qualiles
et les saines habitudes de Tesprit fran^ ais par Timpor-
tation indiscrete de qualites et d'habitudes etrangeres ,
et , pour ainsi dire , de detourner le cours limpide
et pur de la philosophie indigene vers cp torrent
impetueux et trouble oii flolte la pensee germanique.
AUons droit au prejuge on ce reproche a son origine ;
ce prejuge fort invetere , mais qui n'en est pas moins
8
Il4 KEFLEXIOftS
deraisonnab'e , c'est que la philosopbte doil 6lrc misc
a la porlee de lout le monde.
Uu temps d'Arnauld el de Malebrar.dic, on croyait on
France que pours'elever A Tinlelligence des meditations
d'nn grand esprit , il fallait soi-memo avoir beaucoup
medite. Lo pretention de comprcndre en se jouant ces
hautes pensees , fruit laborieux du genie fecond6 par
la reflexion , eut semble ridicule aux bommes graves
de celle epoque.
Mais depuis que Voltaire devenu tout k coup grand
metapbysicien apres avoir feuillete Locke , eut tant
I'gaye ses amis aux depens de la Fision en Dicn el des
Jdees innees, depuis surloul quel'abbe de Condillac eul
decouvert en Anglelerre le merveilleux sysleme de la
sensation, il fut convenu que Descartes et Leibnilz
avaient decidement embrouill6 la metapbysique , et
qu'avec la pierre pbilosopbale de la sensation transfor-
mce , on al'ait cbanger ce vieux melal convert de
rouillc en or brillant et pur.
Cette illusion deplorable eut deux consequences:
d'abord , un niepris universel de la sagcsse antique , et
par suite une profonde ignorance des temps passes;
eufiil , cequi est plus grave , ralleration du sens pbilo-
sopbique.
Je n'exagore rien. Qu'on veuille bien me citer en
France, depuis Mallebrancbe , un seul m(''laphysicien
du premier ordre. J'ai beau parcourir le siicle des
philoxo/jJies . \e n'ypuis derouvrir nn sysleme original
de pbilosophie. L'ecole de Condillac a voidu rendre la
science facile el popuiaire; mais , comme on Ta fort
biea dit , au lieu u'elever les esprits k la bsuteur de la
sea SCBELLING. Il5
philosophie , elle a abaiss6 la philosophic au niveau des
esprils frivoles.
Au commencement du XIX''. siecle , une heureuse
reaclion conimen^a a s'operer dans Ics esprils. M.
Royer-Collard , avec un admirable A-propos et cclte
vigueur d'inlelligence qui n'appartient qu'A lui , vint
opposer la philosojihie ecossaisse, la philosophie de
I'observation et du sens comraun , A cette doctrine
artificielle dont I'^troite analyse mutilait I'esprit hu-
main.
Mais il nesuflisait pas dedetr6ner Condillac ; il fallait
imprimer k la pensec un nouvel essor. M. Cousin
sentit que la doctrine des sages d'Edimbourg , avec son
esprit tiraide et ses perspectives bornees , (^tait inca-
pable de donner le branle 4 des intelligences enervecs
et comme assoupies. Ses yeux se tournerent vers
TAUemagne , oil , A ce moment mome , un admirable
elan emportait les esprils sous les bannieres rivales de
Schelling et d'Hegel , aux plus hautes speculations de
la pensee.
Peut-on serieusement reprocher a M. Cousin denous
avoir propose pour guides en philosophie , au lieu
d'Helvelius ct Volney , Leibnitz , Kant, Fichte, Jacobi,
et pour I'histoire de la science , d'avoir mis au-dessus
des aper^us grossierement ignoranls du XVIII^ siecle ,
la critique ingenieuse , solide et profonde d'un Tenne-
raann , d'un Schleiermacher , d'un Brandis?
On dit que les livres allemands sont indechiffrables.
Je ne les cite pas comme des niodeles de clarte ; mais
j'avoue qu'en y desirant une marche plus nette , plus
sAre , plus degagee , je n'y regrotte pas du tout la
i)C) RKvi,i:xio?(s
clarlc (In Dictionnairc philosophique , iii celle dii livre
De I'esprit , ni meme celle dr; rinlroduclion Irop voiilt'-e
de rEncvclopinlie, en an mot la clarle sleiile do i-^\U^
philosophic siipcrficicUe el passionnee qui a ('mousse ,
fausso , perveili en France le verilable esprit philoso-
phiqiie.
Du lesleqiron ne s'effraie pas trop devoir la France
deriver vers rAllemagne. Les critiques deM. Pchclling
vonl nous convaincre que -M. Cousin, dans le com-
inene intiuic des genies etranpers , a s>i conserver
toule rindcpendanre deson esprit , el que s'il est sou-
vent allemand par la profondeur de scs vues, il reste
toujours francais par sa mi^lhode.
II.
Voi«i Tordrc queM. Schelling s'est trace dansl'exa-
nien de la doi trine frauraise :
Apres une exposilion et unc critique generales de la
doclrinede M. Cousin , il parcourt successivement les
points que voici :
i". LaMelhode ;
2". L'applicalion de la niethode ;
3°. Le passage de la Psychologic i 1 Ontologies
4". Les vues generales sur I'hisloire de la philosophic.
Dans son exposition gen6rale , M. Schelling deter-
nune avec beaucoup de justesse cl de precision cequ'on
peut appeler avec lui rindividualilc philosophique de
M. Coiisin.
Conune sou siecle, M. Cousin est parli de Condillac,
mais pour s'en separer bienlAt. II a pris des mains de
Sl'R SCUIiLLl>C. 1 I"
1 ecole sensualiste !a mtMhode psychologiqiic dont clip
;illeiait la verUi par iinc analyse inCdcMc, it a ontropris,
|»ar celfe melhodc, a la fois large el sihe , de recons-
Iniire les Laiilos parties de la srieme, el dc rctroiiver
dans la iiatuie humaine ces grandes veritos , foi eter-
nolle du genre hiunain et elernel ubjel de la philosophic,
que r6troil systenio dc la sensation s. mblait avoir
t'touffees.
Etd'abord, stir les Iraoes de Maine de Biran , il
constate et decril, a cote du phc^ioinene dc la sensation,
iin phenonieue qu'au<nne traiisforniaffon ne pcist v
laniener, le pbeuonicne de I'activite volontaiie.
L'aclivite est le siegede la liberte et de la responsa-
bilite , par conscqHent de la personnalite humaine. La
sensation , fataie coinme les (bi^es qui la pioduisent ,
est si loin de constiluei' la personne , le moi , quVUc
lend sans cesse A ralTaiblir el i\ labsorbcr. L'honime
est avanl tout une (oice libie.
Mais au-dessus de la sensation et- de ractivile ,
robservation voit a{)j)araitre une faculty superieure qui
les edaire et les domine , e'estla raison. La raison se
niontre dans rhommo , niais elle vient de plus haul.
K'^lle s'incline , en quelque sorte , vers nous , pour nous
clever jusqu'A la source d'oii elle emanc. C'est die qui
nous decouvre la substance sous le phenomene, la cause
dans I'errel , I'ordre dans la nature , relernile au-del<i
du temps , I'espace par-delA de retendue , Tinlini daiis
e fini , I'invisible dans le visible, Dieu enlin dans la
nature et rhunuuiito. Grace a celtc racullc , IVsprif
huniain IVancliil les limiles de Tobservalion par roltscr-
\ation meme , et jette les fondenienls d'une scicm e
Il8 BtFLEXlONS
plus elevee que la psychologic , la science de I'etre
rontologie, science aussi positive que la physique*
puisqu elle prend sou point de depart dans I'observation »
aussi rigoureuse que les matheraatiques , puisqu' elle
repose sur ces principcs premiers qui sent la raison
meme dans son essence.
En resume , il y a deux parties essenlielles dans la
doctrine de M. Cousin : la psychologie et I'ontologie ,
et son caractere singulier est « de fonder I'ontologie
sur la psychologie , c est-A-dire la metaphysique sur
i'experience, et de passer de I'une a I'autre, k I'aide d'une
faculte psychologique et ontologique tout ensemble ,
subjective et objective tout a lafois , qui apparait en
nous sans nous appartenir en propre , eclaire le pAtre
comme le philosophe , ne manque i personne et suHit
k tons ; savoir : la raison qui, du fond de la conscience,
s'e tend dans I'infini, et atleintjusqu'a I'etre des 6tres. »
(Frag. phil. , p. 17. i838.)
M. Schelling adresse k cette doctrine deux critiques
generales :
1°. La philosophie de M. Cousin riestpas d'une seule
piece ;
2°. La philosophie de M- Cousin n'est pas une philo-
sophie positive , reelle , eine real philosophie.
Reprenons ces critiques. La philosophie de M. Cousin
n'est pas d'une seule piece , c'est-a-dire qu'elle se com-
pose de deux parties essenticUement distinctes , la
psychologie , science des faits internes , et par conse-
quent renfermee daus les limites du moi , du sujet , en
un mot subjective; Tonlologie , science de I'etre, etpar
consequent placee hors du ccrcle des phenomenes , en
d'aulres {QxxnQS objective.
St'R SCHULLIXG. 1 IC)
M. Cousin pourrait ici repondre : J'accorde que ma
philosophie n'est pas d'une seulc piece , et j'admcts
avec vous que la science doit aspirer h I'unil^ ; niais
je dis qu'elle ne peut pas el ne doit pas pr(^tendre eire
plus simple que la nature. Autremenl elle court apres
une simplicite tout artificiello, et s'eloignc de larealile.
Si done la nature des choses veut que I'esprit bumain
ne puisse atteindre suremcnt les prob'.eraes m^taphy-
siques que par la route de robservation , il faut b'eu
subir celto neccssite , dure sans doute pour notre
ardente cuiiosite , mais rassuranle aussi pour notre
faiblcsse.
2°. La pbilosopbie de M. Cousin n'est pas une philo-
sopbie re'e//e. M. Schelling veul dire qu'elle ncxplique
pas I'ordre et Ic fond des cboses. Elle ne se sert , dit-il,
en ontologie, que du raisonnemenl. Or, le syllogisme est
bon lout au plus pour demontrer , par exemple , qu'il
y a un Dieu , uno cr^'alion , mais il est impuissant A
nous dj^voiler le secret de la creation et I'essence divine.
M. Scbelling resume celte critique par une expression
(r^s elliptique. En toutes choses , dit-il , la doctrine de
M. Cousin s'occupe seulement du epte et neglige le
comment.
Nous aurons tout i-rbeurel'DCcasion de nousexpli-
quer sur ce point fondamental.
Son arret prononce , le critique allemand s'allachc
h le confirmcr par un examen serieux de quclqucs par-
lies essenliellcs de la doctrine de M. Cousin C'est sur
I'arliclc de la nvelbodc qu'il insistc lo plus , et que nous
allons le suivre.
120 BEFLEXIONS
III.
M. Cousin s'est appliqu^ plusieurs fois k dislinguer
nettement sa methode de celle des philosophes al'o-
mands. Ceux-ci |)retendent ouverleir.ent explicpier h
priori la nature des cboses , au lieu que le philosopLe
frangais, ennemi de I'hypothesc, u'aboide les prublenies
de la metaphysique quapres s'etre donnc un point
d'appui solide dans la psychologie , c'est-i-dire dans
I'experienee.
M. Schellings'inscrit enfaux contre cette distinction,
et veut placer le debat sur un autre terrain. A I'en-
tendre , il tombe parfaitement d'accord avec I'ecole
psychologique de la nc^cessite de fonder la pbilosophie
sur I'observation ; mais un point plus grave oil il dif-
fere de M. Cousin , c'est I'idee meme de la science
philosopbique. Suivant le melaphysicicn allemand , le
seul objet digne du philosophe , c'est de reproduire
dans ses conceptions I'ordre et la nature des cboses ;
et il reprocbe ci M. Cousin de meconnaitre le vrai but
de la philosopbie, ou , s'il le reconnait , de n'y arriver
ni par voie psycbologiquc , ni par aucunc autre.
Ces rcprocbes sont-ils aussi merites ou aussi graves
que I'illustre critique parait le croire? Il nous est im-
possible de I'adniedrc.
Et d'abord, si M. Scbelliiig veut dire expressemcnt
que le pbilosopbe francais assigne k la pbilosopbie un
autre but, disons mieux, un autre ideal qucrexplication
de la nature des cboses j c'est une erreur de fait. II
suflit d'ouvrirlcs livrcsde M. Cousin pour scconvaincre
Sl'P. SCUEI.LI?iG 121
(ju'il est d' accord sur ce sujet avec lous les grands
philosophcs. Depuis Pylhagoie jiisqira Lcibiiilz Ics
systcmcs ont bicn change, niais Ic but est rcstc le
radme. La Iheorie des nomhvcs comnie cello des mo-
nadcs sont-ellcs autre chose que des tentativcs de genie
pour Irouver le mot de I'enignie du niondc ? Qu'on lisc
la Timee de Platon , la Metaphysiqne d'Aristole , les
Enncades de Plolin , la 6b/«/;;e de Si. -Thomas, les
Pnnc/);e5 de D. scarles; partont le meme esprit, parlout
le memo clan de la pensee pour monter jusqu'i la
source de rctre.
II est vrai que de nos jours I'enypirisme condillacien
el le spiritualismc timide de 1 ecolc ecossaise onl voulu
renfermcr la philosophic dans le cerclo borne de la
psychologie. II est vrai qu'avantCondillac ct Ueid , et
par des raisons d'un ordre tout autrement releve , un
philosophe eminent que M. Cousin a contribue h faire
connaiti e a la France , Kant ^ a denie h la raison
humaine le droit de speculer sur la nature dos choscs ;
mais c'est un des trails dislinclifs de I'entr; prise philo •
sophique de M. Cousin, d'avoir rappele la scienecpii
se fourvoyait sur les pas du genie , d son veritable
objet , el tout en faisant largemenl son profit des adnii-
vables Iravaux de Kanl sur rcsi)rit humain , d'avoir
voalu arracher la melaphysiquc au scepticismc rcdou-
table sous lequel le formalismedc I'ccole critique seni-
blaitl'avoir pour jamais enscvelie.
Personne ne reconnail done plus hautemenl que M.
Cousin que la psychologic n'est qu un instrument ,
I'eludc de la nature et dc Thomme qu'un moyen , et
que la science de I'^ire , si olle n est pas le point de
depart , est le veritable lermo de la philosophic.
12a BEl'LtXIONS
M. Schelling ne peut done avoir voiilu dire qu'iine
chose , c est qu'il n'a pas lrouv6 dans le philosopbe
fran^ais un syst^me complet de metaphysique. M.
Schelling a raison. Le disciple de Kcid el de Royer-
Collard laisse a des genies plus haidis ou plus teme-
raires la gloiie et le peril d"expliqiier toules choscs. Ce
n'est pas qu'il recule devant les problenies onlolo-
giques. U a louche d'une main fermeUs plusepineux ;
mais j'ose dire que c'est moins h un sysleme que M.
Cousin aspire A altacher son nom qu'a une niethodc.
Et , sans doule , un grand sysleme n'est jamais sans
fruit pour I'esprit humain. Mais en verite , depuis
Descartes , voila bien des syslenies ! II y a d'abord le
sysleme de Descartes j il y a celui de Leibnitz , celui
de Spinosa , celui de Locke, celui de Kant ; je ne parle
que des principaux. Or , voici M. de Schelling qui
ajoute A tons ces syslemes celui de Videntite absoluc.
Maisqu'arrive-t-il?Ce sysU'me est i\ peine parvenu d
sa malurile, que M. Ilegcl, d'abord disciple ardent de
Schelling , trouve bientut que son niailre n'explique
pas de la bonne facon Tordrc et le fond des choses , et
veut en rendre compte k sa maniere. Schelling con-
tesle , il est vrai , dans I'ecrit que j'ai sous les yeux ,
I'identite personnelle de M. Hegel comme philosopbe ,
et assure que la doclrine du disciple infidele n'est que
la sienne defiguree. 11 se plaint qu'on lui ait piis son
« siijct-objet absolu qui , en verlu memede sa nature ,
>iohjccUveoUi devienl objot, mais qui de chaque objec-
tivite revient victorieux et se montre chaque fois a une
plus haute puissance de ,w/yt'c<iVi/e. jusqu'A cc qu'apres
avoir epuise toule sa virtualile , toule sa possibilite de
SUU SCIIKLLI.NG. 123
s'objecliver , il apparaisse comme sujel trioniphanl de
tout » (p. 1 5. )
Quoi qu'il en soit , M. Hegel fait ecolo conime M.
Stbelling , et leurs disciples croient , chacun de leiir
cAte , posscder exclusivement la veiile absolue. Dans
letteliide acharnee des systemcs , je le dcmande i
tout esprit impartial , esl-ce d'un nouveau systeme que
la philosophic sent le besoin? N'est-ce pas plutot d'une
inethode qui , sans rien 6ter A I'esprit humain de sa
fecondite , en tempere , en rdigle I'ardeur ?
Ny a-t-ildonc pas assez de siecles que la philosophfe
flotte dansunc situation toujours provisoi;e? Le mo-
ment n'est-il pas venu d'imprimer 4 ses travaux un
caractcredefinitif? Apres avoir si souvent bAti sur le
sable , ne faut -il pas chcrcher le roc et I'argile 7 Et ou
trouvera-t-on cc minimum quid inconcussum apres
lequel soupirait le genie de Descartes, si cen'esl dans
une methode exacte et rigoureusc ? Et quelle melhode
p'us rigoureuse et plus exacte que la melhode psycho-
logique,c*est-i-direla melhode experimentaleappliquee
ci I'esprit humain.
Les allemands dedaiguent cctle melhode , parcequ'd
les entendre, la raison , dans I'etroite enceinte de la
conscience, nepcutse niouvoir avcc largcur. L'absolu,
disent-iis, ne pent <itre alteint par rexperiencc. El les
voili , hors de I'experience, courant apres le fanlomo
de l'absolu.
Mais eel absolii que vous cherchez si loin de la cons-
cience , vous vous en eloigivez do plus en plus. Sans
doute , il sc manifeste dans la luiturc , mais n'osl-ce
pas surtout dans Thomme qu'il ye piaiten quehpie sorle
i\ se depouillor de scs voiles? Et non S'julcnicnl il sV
fail scnlii- , inais jc dirai picsciuc (ju'il y habile , par
la manift'Slalion perpelucllc do la raison. « Non longi-
abcstab uno quoque nostrum. In co vhumus , ntovemur
el sunius. d
Mais M. SdiL'Uing nous arrcte el noire dit : Vous (Hes
dupes d'line illusion. Vous croyez Irouver dans la cons-
cicjice des principes d'une poi lee absolue. Mais que
donnela conscience? Desidees. El quelle est Taiitorile
deces idees? L'aulorile de la conscience humaine, c'csl-
ti-dirc d'une faculle toute personncUe , c'esl-A-diie ,
enfin , de la personnalite Irmitee et iniparfaile de
Ihomme. Faible et decevante auloril6 !
Et, en effet, que m'appicnnenl nies idecs? Que je ne
puis pas ne pas concevoir la substance , la cause , Tes-
pace , le temps. Mais est-ce h dire qu'il y ail rien de
semblable dans la lealite? Qu'esl-cc qui prouve que
les lois de ma pLTSonnalito , pleine de faiblesse el de
niisercs , soient les lofs absokics des choses? Ma raison,
dites-vous, me force da conccvdir un elre sans Icquel
tout le reste me serait inconcevable. Je reponds que je
ne nie pas la valeur subjective el relative de citte notion,
en d autres termes , le besoin que vous en avez. Mais je
lui conteste toule valenr reelle et absolue. Et ne lue
diles pasqu'it y a necessite absolue, necessite constatee
par la plus claire experience , de croire i la realite des
conceptions. Car c'est celtr necessite m<^me , relatise
i\ voire personne,qui itn[)riiue i vos idecs un caraclere
ineffacable de subjectivitc , el jamais par (onsequcnt la
conscience et la melhode psycbologique (pii la prend
pour base ne pourront fournir a la science un princijie
objectif, positif, r^el . absolu.
SIR SCIIELMNG. 12.5
Voili enfin la grande ohjcclion de M. Schelliiig qui
sc inot ail grand jour. 11 a beau la dissimuler. EUo
eclalc par lout. II rcpete souvonl que ce n'est pas la
lo veritable terrain do la question , et la logique I'y
rami^nc sans ccssc , coninie malgrelui.
J'avoue qu'aprcs avoir examine cette objection avoc
louteraltention donljesuis capable , il in'a paru que
M. Schelling , lout en attaquant la niethode fran^aise ,
lui fait des concessions que la verilc lui arrachc , niais
que son systeme le force bicntot de desavouer, de fa^on
qu'il s'enibarrasse a chaque instant dans des assertions
(onlradicloires. L'Acadeinie jugera par quelques cita-
tions si je me siiis abuse :
M. Scbelling, p. i3 , reconnait la nercssitede Texpe-
rience , et accorde que toute pliilosophie en releve
individuellement.
u La difference qui nous sej)are de M. Consin , dit
nn pen plus bas M. Schelling , ce nest pas non plus
([ue uous ii'admctlions pas la necessite de faire preceder
toule philosophic de certains principes formels (c'est-
j\-dire psychologiques), ct que nous tombions du ciel
avec nos syslemes. »
« La difficulle ne consisle point a justifier un tel
point de depart , mais dans la possibilite de marcher
en avant , en paitant de h\. »
Prenons acte de ces concessions ct niettons-les en
regard dc certaines assertions , ce nous semble , un peu
differentes :
M La raison , telle que I'cntend M. Cousin , n'est en
definitive qu'un sentiment , c'cst-i-dire , un simple
fail. »
13.6 REFLKXIONS
« Le ralionalisme ne peut sorlir de la sphere de la
pensec. » p. 19.
« La psychologie est en grandepartie sterile. » p.?.4.
« Les idees «p/ort n'expiiment que le c6te negalif
de foiite connaissance. » p. iB.
« La raison n'a qu'une valeur subjective et nega-
tive. » p. ?9.
Antant de citations, autant de contradictions.
Si les principes lationnels n'ont qu'une valeur subjec-
tive ; si, d'un autre c6te, on doit ou on peut coinmencer
la philosopliie par des principes ralionnels, n'est-il pas
evident que tout ce qu'on tirera de ces principes , c'est-
cVdirela philosophic entiere, n'aura aussiqu^une valeur
subjective, la conclusion ue pouvant pas donner ce
qui n'est pas dans les premisses?
Si Ton accorde que la philosophic relive de Texpe-
rience , et si en nieme temps on assure que tout ce qui
\icnl de Texperionce est relatif , comment peut-on se
flatter que la philosophic atleigne jamais un principc
absolu?
Enfin , pour generaliser cctle opposition , si Ton
refuse i la raison loute portee objective , que vient-on
nous parler d'unji science dc I'Etre?
Voudrait-on par hasard faire une mefaphysique en
se passant dc la raison ? Mais alors , ce r.e scrait pas
une metaphysique raisonnablc.
En definitive, M. SchcUing inscrit sur son drapeau
philosophique un principc qu'il d6clare absolu ; or , si
ce principc ne lui a pas etc donne par la raison , qu'il
nous disc a quelle autre source un philosophe puise
la verite. S'il a oblenu ce principc par un procede la-
Sli; M. SCIIKI.LING. 10.7
lionnol , je mc permcllrai tie lui demandcr avcc M. Cou-
sin si le proced^ en question , contemplation intdlec-
tuelle ou autre , tonibe sous I'opil de la conscience , ou
s'il n'j tombe pas. S"il n'y lombait pas , M. Schelling
n'en pourrait rien dire. S'il y tonibe, et si M. Schellin}:;
le donne pour objeclif et absolu, M. SchoUing reconnait
done (pie Ton pent saisir par la conscience des Veritas
absolufs et objectives , ce qu'il avail formellement nie.
II n'y a pas de milieu j si la raison bumaine est rela-
tive , e'en est fait de la pbilosopbie , ct il faut sc jeter ,
tele baissee, dans le scepticisme. Si on reconnait k la
raison humaine un caractere absolu , il faut partir do
ce principe sans en chercber une demonstration qui est
h jamais impossible.
M. Schelling soutient que la raison a besoin d'etre
expliquee. Mais on pent bardiment lui porter le defi de
sortir , en I'expliquant , de ce cerclc vicieux 011 tant de
genies se sont consumes ct qui consiste h prouver la
raison par la raison. En appele/-vous A la veracite
divine comme Di'scartes? mais la veracite divine n'a ete
etablie que par la raison ; ;\ la revelation , comme Pas-
cal ? niais Pascal avoue qu'il faut des raisons pour sou-
mottrc sa raison ; au sens commun, comme Reid? mais
le sens commun est une forme de la raison ; a la raison
generale comme M. de Lamennais? mais la raison ge-
noiale presuppose la raison individuelle.
II faut done toujours en revenir i la raison bumaine,
et le sceptique lui-mcme qui la nie n'ecbappe pas i
cetle necessite , puisqu'il ne pent nier la raison que par
un acte de raison.
Je crois done que M. Cousin pent renvoyer avcc
U>8 KtFLIiXlONS
avanlflge Ic roprothc d'illusion a M. Scbelling , et lui
dire avec son illuslre compalriole Kant :
Les esprils hardis s'imaginent que Tobservalion est
\me entiave , tandis qu'clle est un soutien. « CVst
ainsi que la colombe legere pourrait croire , lorsqu'cUe
fend dun vol rapide et libre I'air dont elle sent la resis-
tance , qu'clle volerail plus rapidement encore dans le
vide. Et c'esl encore ainsi qu'en dedaignant le nionde
sensible on se basarde au-dela du monde , sur les ailes
des idees , dans I'espace vide de Tentendement pur. »
( Crit. de la Rais. pur. I , p. 43 ).
Nous croyons avoir le droit de condure de loute cctte
discussion :
1°. Que M. Cousin reconnait commeM. Scbelling et
lous les pbilosojtbes , que le but final de la pbilosopbie
est d'expliquer Tordre et la nature des cboses.
2". M. Cousin n'a pas un systeme coniplet de nieta-
pliysique. II a une inetbode.
3". M. Cousin pense avcc Socrate, avec Descartes ,
avec KanI, que la nielliodc d'observalion psycbologique
est I'arcbe de salut en pbilosopbie, et M. Scbelling, en
niant rexccUence de celte metbode, se condamne a des
embarras insurmontables.
IV.
Dans les deux parties qui suivcnt , Application de la
metltocle , Passas^e cle la psychologic a f ontologie ^ M.
Scbelling reviont sur la question precedente , mais sans
ricn ajoufcr de nouveau.
En outre , il altaque la doctrine franraise sur deux
\
SDR M. SCIIELLING. t29
points tres- graves , Fun de psychologic , roriginc de
I'idee de substance^ Tautre de theodicee, Dieu considerc
comnic crealcur.
Nous ne diroiis rien de la premiere critique, de crainte
d'abuscr de la patience de rAcadeniie ; niais elle nous
permettra de nous expliquer avec quelque etendue sur
le problenie theologique.
On se souvient que la publication dcs Fragments phi-
losophiques en 1827 suscita un orage. Les reproches
de pantbeisnie et de spinosisme ^clatercnt de toutes
parts.
Ces accusations passionnees pouvaient s'expliquer
par des preventions hosliles et une sorte de parti pris
contre la philosopbie nouveile ; mais j'avoue que c'est
une chose tres-grave d'entendre M. Schelling fortiCer
cclle imputation de pantheisnie du poids do son impar-
tiale autorile.
II dit clairement , p. 82 , qu'il n'apercoit aucune dif-
ference entre le Dieu du systeme de Spii.osa et celui
de la doctrine de M. Cousin.
J ose dire que I'illustre critique s'est f ronipe , et en
appellor de ce jugement precipile a une decision plus
attentive.
A quoi sc r^duisent en effel les pretondues preuves
des adversaires de M . Cousin ? Le voici , si je ne me
trompe :
Vous n'admettez , lui disent-ils , qu'une seule subs-
tance.
Vous pretendez que la creation est eterncUe et ne-
cessaire.
Done vous 6tes pantheiste el fataliste . en un mot
spinosiste. g
l3o REFLEXIONS
M-ais M. CoTisin ne pciit-il pas r/'pondrc :
J'atlmols A!avt''rito,qiriln''y a qirunosenlcsnbslanfO;
mais il fa\il hmi m'oiilendrc et ne pas me condaiiiiiei-
«ur un rtiot , mal cboisi peul-ctre , raais parfailtMiKMit
innocent. J'appelle substance, ce qtune suppoic rien an-
delh Ae soi relattvement a iexistciK-e. Or , il esl evidenl
qu'il ny a qu'iin scid E(re qui ait cecaractere et possede
ceUe verlu. Est-ce \k le panlheisme? A ce comple, tons-
Jes phikisopbes <^t tou-s les bommes sont pantheisles .
«xcepte les manicbeons qui adn>etlcnl deux Etres ne-
cessaires.
Si done je merilc le reproche dp panlbeisme pom-
avoir dit : II n'y a qu'une substance , en entendant par
1& , il n^y -a qu'un ctfe qui exisle par soi, I'ailes reinoii-
4cr i'accusation jusqu'aux SaintesEcriluros, ou Dieu se
dc'finit lui-mrn>e : Celui qui est. Ego sum qui sum.
VoilA po!!r Tuniic dc la substance.
<)uant i releruite de la ereatioii , il est vrai que c'esl
un article de mon symbole pbilosopbique. Mais je sou-
tiens que celle opinion n'a rien de cotuniun avec le
panlbeisme , ni avec le falalisme.
Aucun bistorien de la pbilosopbie a-t-i! jamais range
Aristotc et Platon au uombre des panlbeistes? Tun et
I'autre admettenl pourtant que la creation est elernelle.
J'ajouterai une autoritti non nioins iniposanle.
Saint Auguslin , ce grand Ibeologien qui est aussi
un grand philosopbe , dans un livre de la Cite de Dieu,
examine cette question :
Dieu a-t-il jamais exisle sans creatures?
Le prolond docteur hesite enire les deux solutions
opposees. Et lout en adoptant Topinion qui parait la
91111 M. SCHEI.LING. l3l
plus orthodoxe, il ne cache pas son penchant pour I'opi-
nion contrairoet montre fori bien, la et ailleurs, quVlIu
ifest nuUonicnt oppos('e A la lellre et a I'esprit de la re-
\elation.
En cffet , de ce que Dieu a toiijours cree , il n'cn
resullepas qiicles creatures luisoient co-eternelles ; car
toule creature est dans le temps et Dieu est au-dessus
du temps dans son indivisible etcrnile.
Je laisse parler saint Augustin :
« De celte maniere, si Dieu a toujoursete Seigneur,
il a toujours cu des creatures qui lui out cte assujetties
ct qui n'ont pas ete cngendrees de sa substance , mais
qu'il a tirees du neanl , et qui par consequent ne lui
sonf pas co-clcrnclles. ILi-iail avnnt dies, quoiqu'il ii'nit
jamais etc sans elles , parce quil no les a pas [jrecedccs
par un inlervalle de lenips, mais par une clernite fixc.»
( Cite de Dieu. Liv. xil , oha|). j5).
« Erat quippe ante ilhim , quamvis nuUo tempore
sine ilia ; non eani spalio transcurrenle sed ninnonla
perpetuitale pr«cedons.rt(Aug. op vi,3i4- Ed. Bened.)
J'ajouterai un passage dcsCiOnfossioiis, autre ouvrage
plein d'une sublime pbilosopbie , oij saint Augustin
fait voir avec sa profondeur ordinaire que su;»poser nn
certain temps avant la creation, c'esi nepas s'entendie :
Chap. i3 du liv. Xl , intihile : (,>iic c'est se irompcr
que de se figurer dcs tcfiips nvnnl la cn'alion du nionile.
Pour ne pas citer tout le chapiire , je me bornerai a
nne courte analyse dont je puis garantir la lid^lile :
« Quelques-uns demandent ce que Dieu faisail avant
de creer le ciel et la terre. rotte question est deraison-
nable ; car on suppose qu'avant qu'il y cut des crea-
l32 REFLEXIONS
lures, il y avait du temps Or, lo fomps est liii-mi^inc
une creature. Ainsi. de deiix clidses rime : on bier, il y
avait du lem|!S avaiit la creation du ciel et de la lerre ,
ot alors on ne doit pas vous demandcr , 6 nion D^cu . ce
que vous faisiez avant cette creation , puisque vous
t'aisiez le temps ; on bien , il n'y avail pas de lenips
avanl ia c. cation du ciel et de la terre , el alors il y a
contradiction a deniander ce que vous faisiez oi'nnt
cette creation , puisquV?^!?;// suppose un temps ante-
rieur,
Ainsi done, Seifsneur , vous ne precedes pas les crea-
liiics d'une pjiorite de temps, mais par votre immuabic
eternile qui est superieure a toul ce qui so passe. »
Quelque parti qu'on proniie sur ce myslerieux pro-
bleme , toujours csl-il que rclernite de la creation nWle
rien a Dicu de sa liberie , et c'est toul ce que nous
voulons etablir.
On nous demandera : Qu'esl-ce done que le pan-
tbi'isme el Ic fatalisme de Spinosa ?
Nous repondrons neltenicnt :
Suivanl Spinosa , la pensee avec ses modes infinis et
relenduc avec les siens, cV'sl-A-dire , la nature et I'bu-
iTianile , sonl des altributs necessaires de la substance
infmie.
L'humanile el la nature sonl des atlributs de Dieu.
Voila le pantbeisme.
Cos atlributs sont necessaires el se dcveloppenl par
une infuiite de modes egalcment necessaires. >()ih\ le
fatalisme absolu.
Or , M. Cousin repousse de toutes scs forces ces deux
principes de la pbilosopLie de Spinosa.
SlU M. SCIJELLIAG. l 3 j
Loin qu'il absorbe rindividiialite biimaine e( la na-
(ure dans la substance infinic, rbomnie , dans sa doc-
trine , est par-dessiis tout unc aclivito , uue force , «n
moi rcsponsabic ct librc.
El suivant cette menu; doctrine, la nature corporelle
n'est pas une etendue passive , niais un systeme de
forces , qui toutcs fatales qu'eiles sont , n'en possedent
pas inoins une cnergic qui leur est propre.
Toutes ces forces , inlclligenles ou avcugles , so!it
essentiellcmeiilliniileesetconlingentes. Ellcssupposent
qiielque cbose au-deli d'elks-mrmes relativenient a
rexislence. Eiles n'ont done qu'un etre eni{)runte , et
sans une creation perpeluelle , elles s';ibinior;tionl dans
le neant. Mais tout en xCctatit pas svparces de Dieu ,
elles en sont disUncles. Ce sent des manifestations de sa
force infinie, mais non pas des attributs de sa substance.
Est-ce la Spinosa et le panlbeismc?
Suivant I'auteur de VEilu'ca. la pensec et Tetendue ,
la nalMre < t Tbumanite sont absohnnent neccssaires et
residlent necessairenient , avec tous leurs modes , de
la substance iuGnie.
« Omnia ex necessitate divina dcterminata sunt, non
tantuni ad existcnduni scd ad certo niodo exislendurn
et operanduni , nullumque datur contingcns. ( Eih.
pars. I. ad denionst. prop. xxix. )
Toutes choses decoulent de la substance , dit-il
ailleurs , nt ex natura triaiif^uli serfniiur , ejus ires
angulos ccqiutii duokis recUs. » [Fjli. p. i. Scb. ad
pr. XVII. )
Mais dans un tel systeme , il ne faul pas dire que la
creation est necessaire. II faiil dire avec M. Cousin
quelle est impossibie.
l3f RlirLEXIUNS
Est-ce en effet un Dieii crealeur, une veritable cause
que la substance aveugle ct fatalo de Spinosa ?
Le Dieu de la doctrine francaise ne rcssemble pas
plus ck celui-la que la providence au Fatum , la liberte
A la necessite , la verite a Terreur.
Sans doule, suivanl M. Cousin, on nc pent concevoir
DIeu sans le concevoir crealeur ; niais si I'acle de la
creation est , en un sens , necessairc, la creation prise
en elle-menie , je veux dire , Tensemble et I'ordre des
choses creees, dependent du libre choix de Dieu. Quand
je parle d'un libre choix , je n'entends pas un choix
arbitraire, ou capricieux, libre de cette liberte humaine,
sujelte a I'erreur et au mal , mais d'une liberte souve-
raine et parfaite , qui consiste ji agir avec une pleine
puissance, reglee par une pleine sagesse et coinrae sanc-
tifiee par une infinie bonlc.
Voili le Dieu qn'adore Thumanite et celui devant
qui s'incline la philosophic francaise.
Je conclus que si M. Cousin est d'accord avec Spinosa
sur ces deux points : i". 11 n'y a qu'un elre en soi j 2".
La creation est eternelle ; c'est qu'il est d'accord pour
le second , avec la plupart dis philosophes ; pour le
premier, avec tous.
Et quant aux principes qui constituent le pantheisme
et le fatalisme de Spinosa , M. Cousin Ics repousse de
bouche , d'esprit et de coeur , et il faut le dire bienhaut
A ses adversaires de France et d'AUemagne.
V.
J'arrive au dernier chapitre de Tecrit de Schelling
Viics generates sur I'hisloire de la philosophic.
SIR M. SCHELLING. l3
K
lei M. Scliellitig n'a ({ue des eloj;es sans r«iaeive pour
Us Iravaux dii philosophe framais :
« Tout ce que M. Cousin a enif sur Tbistoire dela
jthilosophie-, dit-il , et sur la maniere de la trailer est
dc lout point excellent , durchnus trefflich, el poi te
1 empreint© d'line coiinaissance profoiidi^, coimne on
tlevait s'y attendre de I'ingenie'ix tradticfeur de Plah)n
el du savan^editeur de Proclus. » (P. 33.)
M. Schelling nc dit presqiie rien de reclectismc;
Dans les rai bs eudroits ou il en louche quelques mots ,
il leconsidere , avee raison , nioins coinnie un syslemti
«jue coninve une niethodebisloriqiie , et A ce d<irnier
litre , il n-est pas eloigiie de radopler.
I! teruiine son intiMessaiit ecrit , en se plaignant de
la frivolity de certains critiques fiaiirais qui jugent
rAlIemagne sans la connailis el ne hii font guere de
\isites que pour s'eiuicbir a sos depeus :
i< Qu'ils nous soient le-s hienvenus les esprils plus
vils, s'ils veulent eliidier el examiner avec nous , mais
non pas lorsqu'ils prelcndenl jug^or avantd'avoir appris,
ou lorsque, sernblables a d'avejitureux corsaires, effleu-
rant lesrivagesde la science alleniande, abordant lajitAt
ici , tantot \k , ils s'iniaginent dejA etre les maitres du
pays. »
Voici les derniers mots de M. Scbelling :
« Si quelqulun est appele k donner par la suite A la
France une idee exacle de la marcbe de la [)hilosopbie
moderne (entendez de la philosopliie allemande). c'cst
M. Cousin, qui reunit A un degre emineiil et a niontre
dans tons ses Iravaux Tinvcstigaliou porsev«ranle , la
penetration , le caUue el I'inipartialite , toutcs les
X36 BEFLEXIONS SLR M. SCIIELLINC.
qiialiles en iin mol qui forment rbisloiien dela philo-
sophic , philosophe lui-meme. »
II est aise dc voir que 31. Schclling n'a pas de plus
grand cloge i donner a un philosophe franoais que de
le juger digne de porter la lumiere dans les profoudeurs
de la metaphysique allemande.
On reconnail bion , a cet eloge lout gernianiquc , la
verile de celte reniarque de M. Schelling lui-monic ,
que nos voisins d'au-deli du Rhin sonl habitues a sc
regarder commc le pcuple elu de la philosophic.
M. Schelling , en conscience , doit etre un peu indul-
gent pour ce prejugc palriotique. On pardonne volou-
tiers des faiblesses que Ton parlage.
A SOLESME;
Par M. EDOM ,
Inspccleur de rAcad(?mle dc Caen.
II nVsl giiere de voyageursquelqtie pen curieux , qui
sejournonl A prcsoiil dans le deiiarU-nicnl dc la SarlLo,
sans alltT visiler los noiiveaux Coiiedicliiis dc Solcsmc.
Qui lie voiidrait voir , en cffcl , maiiUcnanl qu'il est
rendu ti sa destination priniilivc, cct antique monas-
lere , contenq)orain de la premiere Croisadc , honore
de la visile d'L'/^rt/n i/, lorsqu'a la voix eloqucnle do
cc poiilife francais , la niilicccbrctienne so rasseniblait
sous rolendard dc la croix? Qui ne desiierait coiuiailrc
eelle association d'honinies pieux et instruils , formce
dans Ic but silouablede conserver aux arts nne collec-
tion dc cbefs d'oeuvre dans un lieu par eux devejm
cclebre , ct dc conliiiuer , a la faveur d'unc vie de pais
el de prieic , ces savanlcs retbercbes , ccs importants
Iravaux qui out rendu le noni des Bcncdictii\s si cbcr
aux leltres?
1 38 VOVAGK A >UMiS.UE.
J'ai legrellc Oil faisanl ce voyaj;;e que la Sailhe , i
laqiu'lle la ville du Mans vienl dc donner import,
MuiTril |»as encoie une navigation [jromjUe cl comniode,
(jiii ne [)eul liii manquer long-ts'mps. Anlieii de uiVn-
IcMmer dans une voilnro qui m'a peniblcmcnt tiaine
|UMidaii( hull licurcs. pour fairc di\ lienos sur uno niau-
vaiso ioulo , j'aurair> ainfe a v«gu€'i' entre ccs jolies rives
que j'ape.ccvais par inlervalles du haul des coleaux.
Kn passant a Ailoncs , j aurais saiue la inodeslc babi-
lalion des celebres inv(^nteu(s (i) du (elegrapbe el les
dcrniers debris de Tanlique cite des Conomanes (a).
Avant d'aniver A la petite ville de Sable, on est
ria[)pe de I'aspect iniposant du chateau , qui en fut
jadis la sauve-gaide, ct qui, gnWe an ciel , n'cn est plus
(|.:c rornement. I ii nereu du grand Colbert, beritier
de son nonx, ct acquereur de la siMgneuiie de Sable ,
rcmpla^a par un palais . au conuiieficenienl duXVIIl".
siede , la forteiesse que GecrrCroi avait eloAee au XF.
}\ en resic encore des jjarlies qiu forniont avoc I'archi-
tecliire inoderne un curieux conlraslo. La position de
ce chateau , bati sur uii rocbcr escnrpe , dominant a
pic le cours de ^a Sarthe , est aussi pittoresque qu'elle
Je rcndait imprenable. L'aspcct inlerieur en est triste ,
conime celui de (outes ces demeures abaiidonnees. Des
portraits de la famdle Colbert , |)L'inls par N.ignard ,
rnrnent encore , a demi etfaces par le (emps. De lAon
me nioiitra sur les hauteurs q-ii longcnt le nienie c6te
(t) MM. Chaiipc,
(2) I'lusicurs genres do prrnvcs so rcimisspnt pour atleslcr qu'il
}■ nil a Ailoncs une cilc loinaine anlericurc a la viHe du Man?.
VOVAGE .\ SOLtSME. l3<)
dc la riviere le pclit bourg dc Jiiignc, cl plus pi es , sur
la rive opposee , le village et I'abbaye de Solcsiue , ou
j'arrivai en moins d'une dcmi-heurc.
La courd'entree dii convent laissee ouvorle pendant
le jour permel de visiter Tegiisc A (oule Leiire. Je
in'adressai neanmoiiis aufrcre porlior. Son air humble
et rccucilli sous ce costume que depuis long-temps
nous ne vojons plus que dans les representations de
nos arls , fut pour nioi la premiere des impressions que
ni'a laissees celte visite. Je commen^ais a voir en roalile
cetlo ^ie monaslique , dont lapeinlure m'avaif souvent
inleresse , (onime interrsseriniiigc de lout ce qui n'est
plus. Puis-je parler a Doai Gueranger, voire supe-
rieur, dis-je au bon frere?— II n'est pas encore revenu
de son voyage a Rome . me repondit-il (i). Alors ,
tandis qu'il alia porter mon nom a un jeune IJenediclin-
poslulant, que je lui dcsigirai , j'enlrai dans Teglise ,
impatient d'aduiirer les chefs d'tpuvre de sculpture
qu elle renfcrnie.
Celte eglise n'est point celle qm fut fondee en mi'me
temps que le prienre deSolesme, eiv loi o, par tleoffroi
de Sable, DAlie sur le meme emplacement que Taniiennc,
elle ne remonle qu'au XIV''. siecle. D'une architecture
fort simple, et d'une dimension mediocre, eilepresente
la forme dune croix laline. Cost diins les deux cha-
l>elle» qui coupcnl les bras de celle croix que sonl pla-
ces ces aduiirablcs groupcs dc statues , connus sous le
(1) Dom GiK^ranger parti pour Ronir, au moistlc f^vrirr 183' ,
afin dc siiivrc I'airaircde I'appioltalioncaiioniqiicdc son monasleic,
n'esl rcvcnu a Solcsmc qu'au niois dc iiovcmbrc dc la rii(;iiu' aiuic^c.
I.JO VOYAtili A SUl-ESMt:.
iioni de saints dc Solesmc An centre el on avanl du
ihoDur reserve aux religietix , s'cleve le maitre-aulel ,
surmonle d'une enornic t i ossr toiile brillanle d'or. Jo
cms voir dans eel orncnicnl , qui frappa d'aboid mos
regards, un dos alUibuls dii litre (i) A\iU<ayc que Ic
souverain ponlifo a dcpuis pcu accorde i rancioa
prieuie de Solesnie ; mais je lus d^lrouipe par le jeunc
Benediclin qui vint m'acconipagncT , el qui me monlra
dans toute cette visile aulanl dMnstruction et de goAt
que d'obligeance. Celte crosse , me dil-il , remplace !e
tab made, que vous cbercbericz en vain sur eel aulel.
An sommet , vous voyez susiiendue, sous un pelil dais
en forme de clocbc , une cob inbe en argent ; elle est
creuse et renfernie les bosties consacrees. On Tabaisse
sur rautcl par le moyen d'un cordon cacbe dans Tinte-
rieur de la crosse. Get usage nVst point parliculier a
noire eglise , il exis'ait jadis dans plusieurs autres ,
iiotanmienl ;\ la coUcgiale de Si. -Pierre du Mans (2).
M'elant avance , acconipagnc de mon obligeant
cicerone , vers la cLapelle de droile , j'admirai d'abord
I'efl'et majeslueux d un vaste encadrenient d'arcbitec-
lure gotbique , du gout le plus delicat , tel quil regnait
(1) Par deslellres aposloliqucs, en date du ^^ seplrmbic 1837,
Grogoire XVI a ciig6 le priciir6 de Solfstne en alibaye rcgulieie
de St.-Benoil, e( 6labli une congrf^galioii frantaise du riK'tiieoidie,
donl I'aliliaje de Solesmo sera le cliei'. L'alilK- arliiel , Doni Guc-
ranger, sera le sup^rieur geiu'ral dela congregalion.
(i) Toule ccUc deseriplioii des riclit'sses artisUfpiesque renfermc
lYglise cA exlraitc de rcxtellenle iioliee publiee en 1834 par Dom
Guc^ranger, sur le piicuic dt Sule.siue. Mon intention est done de
resliluer a I'auteur cc ipii lui apparticnlen faisant pailcr a sa plare
un dcs rcligicux.
VOV\CK A SOLESME. l4l
i la fin ilu XV"^. siecle , a la veille de la icnaissaiK o.
A la base de ret enradioiiient qui part dii sol , sous niio
voule A ogivps , dniif le cinlrc extt'iicur est orne d'une
uuirlandt de demi-defles el d'un double arceau de
bian< hes el de feuiliages srulples avcc une 6legaiice
paifaile, je\is buit personnages dc hauleur colossale
cnsevelissant le corps du Sauveur.
LeCbrisl est elendu sur le linceul. A la droile , dii
cote dela tele, so lient Joseph d'Arimalbie portanl le
costume du temps de Louis Xll et le coUier de quelque
ordre de cbevalerie. Ce personnage , me dit le jeuue
Bi'iiiedictin , est evidemment le portrait de I'uii des
anciens seigneurs de Sable , et i)robablenient celui de
llene II , due de Lorraine, qui posseda cette seigneurie
depuis i48Gjusqu'en i5o8, epoque dc sa mo:t. Sous
les traits de Ni^ odome que vous voyez en face, vers
les pieds du Sauveur , on a voulu rcconnaiire par
analogic le seigneur d'un doniaine voisin , un seigneur
de Juigne , mais il y a tout lien de croire que la figure
aussi bien que le costume oriental de ce personnage
sont unicjuemcnt du gout do Tartisle.
Pies du tombcau vous voyez ensuite groupes la
Vierge, St. -Jean, deux saintcs i'emmes et un person-
nage avec barbe el tin-ban. Ce qui attache le plus dans
cette scene, c'est cette Madeleine assise, en meditation
sur le premier plan. Un sentiment profond, rendu avec
\me exquise purcte de ciseau , a fait de cette seule
fiirure une nierveilli-. IMadelcine est ici vivante , eile
respire doucemcnl. Son siieiue est en mcnie temps de
la mrlancolie et de la priere. Hien qui ressente I'inspi-
ration toute profane de Tantiipej Tarliste n'a pris
l42 VOVAGK A SOLliSME.
qu'oii lui-momo , dans Ics niODurs ct Ics croyancos dc
son temps le type qifil a realise. En un mot, c'est Pari
oatlioliquc developpe , niais reduit A ses seulos forces
et prodiiisant dt< Uii-nu'me a la fin du XV". sietle.
Ces deux soldats nuUilos qui gardeiit Tentrec de la
grollc sont plus mode: ncs que les statues derinterieur.
Lcs details de leur costume supposent une idee quel-
conque dc Tantique. Leur pose est aussi plus savante.
On ne saurait trop deplurer , ajnula nion guide, 1 s
violences dont ces statues out ele Tobjet. Piusieurs des
nnililations qui les detigurent icmontcnt a Tepoqiie de
nos grands troubles politiques , quelques-unes datcnt
de plus loin. II fut un temps ou , conduits par un zele
qui rappelle celui de Clovis et de ses Francs , les villa-
gcois de Solesme vengeaient sur ces deux malbeureux
satellites les outrages dont J.-C. fut I'objet de la pai t
des Juifs.
Les deux pilastres qne Ion admire a la droite el a
la gaucbe du caveau . et qui sont si richenient decores
d'arabcsques, appartiennent a une epoqueplusavanceo
que tout ce que nous avons vu jusqu'ici. Ces different^
niorceaux , comme toutes les sculptures de celte clia-
pelle de droite , sont du milieu du XVI'. siecle.
La partie superieure du monument est occupee par
un calvaire avee lous ses accessoires. Le Sauveur n'cst
plus sur la croix ; Nicodcme et Joseph d'Arimalbie
viennent de Tenlever pour I'ensevelir. Les deux voleurs
sont encore attaches sur Tinslrument de leur supplice,
leurs mf>mbres contractes exprimont Teffort de la
douleur.
D'un c6te , David ceint du diademe oriental , de
VOVAGIi A SOLESME. l43
I'autre Isaie , proplu'tisanl de concert sur la morl dti
Chiisl. Oil apercoil encore qiiolques traces dela Icftendo
dont le roi propliefe (cnaitune exiicmite dans c liaciuie
de ses mains; cello que lient Isaic pent se liicaisenient
et porte ces paroles du nienie propliele: Era svpulchrum
ejus g/oriosum ,
Plusieurs ayant a la main divers instruments de la
Passion completent cclte scene.
Los ornemcnis d'archilectme qui accompagnent
Taulel place dans cede chapellc fixereiit aiissi mon
attenlion. Le style de la pure renaissance se fait reniar-
quer dans les colonnes , arceaux , frise el entabl. ment
qui docorcnt Tespece de grotte sous laquelle rarlislo
voulul sans doule placer quelque grande scene, coauue
il I'avait fail a Tautel de la cbapelle correspondanle a
gaufbe ; on ignore aujourd'liui les motifs qui lui fueiil
inlerronipre son travail. On lit la dale i55j sur la
oolonne i droile.
Les statues qui remplissenl eel enfoncemenl sont j
une madone depiliejorl vener6e dans la conlree , deux
personnages tronques qui raccompagneiil , un Sl.-
Pierre en cliappe , la liare en lole , et un St. -Paul , ;\
longue barbe , ayanl en main une de ces epees a [)oi-
gnee en croix , telles que les po: taienl lescbevaliers au
moyen Age. Ces deux dernieres slalues qui prc^scnleut ,
snrtout le St. -Pierre, des details de costume assez
curieux , sont uii ouvrage du XV". siecle.
Quand on s'oi cupera , contiuua le jcui.e religieux ,
de la restauralion de cette cbapelle , on mettra en evi-
dence I'excelleiil bas-relief qui se Iroiive acliielienu'iit
masque par le tabernacle. Le sujet esl le /iutss,tcre dcs
).\\ VOYAGE A SOl.ESMK.
Innocents. On ainio A y lelroiiver certains details ile
mouvenienis et crattitudes , qui rappellcnt ie tableau
prcsqiie coiitomporain de Rapliai'l. II y a de renergic
et du sentiment dans cctle composition dont une sa-
vante perspective a heurcuscmenl groupe les person-
nages. Tandis que , par une forte saillic , les figures du
premier plan se monlrent presque detacbeesdu fond ,
la Sainle Faniilleparait fuir enEgypte , danslelointain.
Passons mainlenant k la chapelle de gauche ; c'est li
que nous allons trouver dans toutc sa fleur Tingenieuse
renaissance , dont nous avons dt''j;\ admire quelqtics
con V res.
Cette chapelle renferme cinq grandcs scenes de la vie
de. la Sainte Vierge, La premiere , placee au-dessus de
I'anlel , est dite scene de la pamoison oii Ircpasscment
de la Vierge. Marie est h genoux , et va recevoir la
communion de la main du Sauveur qui vient la visiter.
Kilo rccueille ce qu'elle a de vie pour aller au-devanl
de la nourrilure divine. Un vieillard venerable , St.-
Pierre , la souticnt , et , pendant qu'il rend cet olTicc
palerml a la mere de Jesus , ses yeuxchercbent respec-
tueuscmcnt Iboslie que le Sauveur ticnl danssa main.
A genoux. pres de sa mere d'adoplion . St.-Jean lui
prodigue les snins de la lendresse Gliale. Six ap6tres ,
dans rallitude du respect , assistant ;\ cette grande
scene.
Lc porsonnage venerable , en cbappe , les mains
jointcs , qu'on apercoit sur le devant et qui parait
preter une si grande attention , est Saint Hierothee,
disciple des apotrt s. II elait en elfet present a la mort
de la Sainle Vierge , au rapport de I'auteur du livredes
noms cln-inx , attribue a Dcnys Tareopagite.
VOYAGE A S0LE5ME. i^5
Perriere les personnages du premier plan , on aper-
5oit deux femmes , dont la Ggure est pleine de douleur
et d'expression. L'une surtout . placee k gauche, est
remarquablement belle , et rappelle , par la purete du
dessin et une noble simplicite, la nianiere des sculpteurs
antiques.
La statue du Christ que vous voyez ainsi rautilee est
dans cet 6tat depuis long-temps. Les traditions du pays
rapportent qu'un prieur de Solesme , honinie bizarre ,
choque de voir le Sau\eur donner ainsi la communion
a samere.circonstance en effet que le sculpteur n'avait
trouvee que dans son imagination, eut la docte barbarity
de casser le bras mcme qui presentait la sainte hostie.
Les details d'archilecture qui decorent la grot fe on
est placee cette scene, exciterent aussi mon admiration.
L'ogive capricieuse de la renaissance partage la voule
en gracieux compartimenls , et en prolonge la cle par
un merveilleux pendentif. Les arabesques de lafriseet
des colonnes rappellent les plus riches dessins de
Raphael en ce genre. Deux tetes de mort jettent une
j)ensee grave au milieu de cesjeuxd'une main legere
et inspiree.
A droiie et a gauche de I'autel, sent places , sous de
charmants baldaquins de pierre, deux personnages qui
font partie de cet ensemble. Ce sont Denys I'Areopagite
el St.-Timothee. Les trails austeies du dernier rap-
pellent cet homme rigide a qui I'apAtre St. -Paul , dans
une de ses epitres , ordonne de faire usage du vin pour
remettre son estomac affaibli par le jeune. Ces deux
personnages paraissent prononcer des passages de leurs
ecrits , relatifs a la Sainte Vierge , et qui se trouvent
places pres d'cux en inscription. lo
i4<» voya<;e a soi.ksmk.
Maintonant , me dil Ic jonno BtMUMlirlfii . nnvlons-
nous (levanl le groiipc dc l.i sepulture de la l''ieriii-.
Jiis»|n'ici nous avons onlrevu des oxlairs tic ^enie : iin
liief-d'o^nvro do |)rnst''e ol d'executidn est s^ present
snusnns veux. Considerez cetle Vieic;e an tombean ,
si donrement endormie , si graciciisemenl posee . si
(hastenieni diap(W\ On a dil que celle statue rappelait
I'Atala deGirodet. Oui, rommela mort rappellela vie,
comine la nature rappelle Telement surnalurel. Cest
tiien \k la Mere d^e Dieu , celle que. les lienx de la mort
n'nni pu relenir,parce que de sa clniir divine ellcajimrni
iin corps nu Fils del'Eternel. Laroniipliondn lonibeau
n'ent jamais de droits sur celte celeste creature, et
lame , en s'eloignanl pour quelques heures de ce corps
virsjinal . Ta laisse beau , flexible, angeliqne : en un
mot , il est encore le Iresor de la terre , en attendant
qu'il devieiine la merveilledes cicux. St. -Pierre et St.-
Jean seretrouvent presents A celte scene de denil. Le
prince des A pot res , inclinantsa tolecbenneet joignant
ses mains venerables, vent contempler encore unefois,
avant de les conOer a la tombe , les traits divins de la
Mere dn Sauveur. Son regard plein de f'oi cherche a
decouvrir , i travers les ombres de la mort , quelques
rayous de la gloire doiit resplendit deja la Ueine des
(lieux.
II y a dans ce regard nn adieu d'esperance el de
n'signation , m616 k je ne sais quoi de paternel qu'on
ne trouve que dans les antiques portraits de St. -Pierre,
que nous ont leguos les premiers siecles du cbristia-
nisme.
A la gauche de St. -Pierre , rt tenant un des coins du
VOYAGE A SOI.ESME. 1 4;
linrciil , St. -Jean rend k la lerre celle que Jesus liii
donna pour mere sur la croix. 11 porte encore un dernier
regard sur le visage angeliquc dela Vierge.
Un autre disciple , St-Jacqucs , frere du Seigneur ,
premier eveque de Jerusalem , se presente a la droile
du prince des Apotres. Sa tcte peucheeindique que des
pensees graves et tristes onl saisi son ame. 11 adore les
volontes supremes du Tres-Haut.
Par un de ces precieux anachronismes si communs
dans les a?uvres de I'art a I'epoque de la renaissance ,
un moine Bencdiclin licnt aussi un des coins dulinceul.
On considere cc beau portrait avec interct et respect ,
lorsqu'on apprend qu'ilreprcsenleDomBougler, prieur
de Solesme. C'cst ce religieux , mort en i553 , qui fit
execufer toutes les statues et decorations de cetle cha-
pelle de gauche devenue un veritable musee. La posle-
rite doit de la reconnaissance h Menage et h D. Ma-
billon qui ont preserve de I'oubli un nom si glorieux ,
I'un dans son histoire de Sable , Tautre dans ses Annales
ordinis sancti Bene(Ucti[\).
La tete de Dom Bougler a ete scioe , ainsi que celle
du personnage que Ton voit, a gauche, tenir un des
coins du linceul. (-et acte de vandalismc est destine A
rappeler , aussi long-temps que ce monument existera,
I'incroyable barbarie des commissaires qui , pendant
les premieres annees de I'empire , fureni charges , par
Tadministration departementale , de sender les statues
(I) Celebranlur hujus loci status insignes, ad pictatem c omposil.T.
quas , medio seculo proiime elapso, Johannrs Boiiszlenis , iiltimus
prior regularis , fieri (niravil(Annal. or. I. S. Ben., I. iv, p. 2tlJ.
l48 VOWGE A SOLtSMt.
diles Ics saints de Solcsme, afin dc voir s'il etait pru-
dent de les cxposor aux dangers du transport. Ces
Messieurs nepureiit acquerir la conviction du contrail e
qu'en faisant jouer la scie sur la tcte meme des person-
nages du premier plan.
Les aulres personnages semblent preter una vivc
attention k la scene qui vient d'etre decrite. On re-
marque surtoul un vieillard d longue barbe , probable-
ment le divin Hierolbec, el drux saintes feinmes , dont
la pbysionoraie est empreinted'uneprofonde expression
de trislfsse.
Les elegants bas-reliefs qui ornent le tonibeau out
^le malheureusement maltraites par le timps. On dis-
tingue encore Esther, qui sauve son peuple de la inort,
et Judith qui inimole I'ennenii de sa race , riches em-
blemes accomplis dans Marie.
L'ne figure niulilce que Ton voit assise pres du lom-
beau, a ete , comnie les deux soldals du St. -Sepulchre ,
victime de la devotion populaire. Les gens du pays
s'etaient persuade que celle statue repre«entait le
Diable, cberchant dans un livre Icspeches de laSainle
Vierge, ct deconcertc de trouver ce livre blanc k toutes
ses pages. Le malheureuxpersonnage a paye cher cette
meprise , et de temps immemorial il a ete en butte aux
voies de fait des trop zeles vengeurs de I'honneur de
Marie.
L'archlteclure severe de T^difice se trouve en
harmonie avec Taction dont il est le theatre , deux
cbarmanles colonnes en derorent Tentree, Tuneenlou-
r^e d'un lierre charge de ses fruits , i'autre ceinte
d'une vigne ornee de ses grappes.
VOYAGE A SOLKSMli. l49
Au-deasus , quatre saints docteurs posaiit sur leurs
niches avec une souveraine dignil^, proclamenl, coinnte
du haul dii ciel , la gloire dc Mario ressuscitee , dans
deslegendeslalinesou I'oa trouvc tout le genie poeliquc
et metaphysique du moyen ^ge. Ces docteurs sent
St. -Bernard , avec I'ancien babil de son ordre et la
crosse abbatiale, ensuitc deux evcqiies que Ton croit
iitre St.-Auguslia et Sl.-PieiTe-Damien , c^loquents
pan^gyristes de la Mere de Dieu, enfinSt.-Bonaventure,
autre mystique du moyen Age , non nioins abondanl
que I'abbe de Clairvaux S4ir les grandeurs de Marie.
Au-dessus des quatre docteurs , I'tBil , apres avoir
parcouru les details d'une admirable frise en arabesques,
arrive i un delicieux temple &uperpos6 au premier
avec unegrAce ct une leg^ret^ sanscgale. Tout Tespace
jusqu'A la voute est rempli par ces charmanlcs fanlai-
sies d'un genre vraiment createur.
La scene plac6e sous ceraagique edifice est VAssomp-
tion de la M^re de Dieu ; la V icrge , que nous avons
vue tout-A-l'heure descendre au tombaau , s'elcve du
desert de ce raonde, versle cicl , appuy^e sur sun bien-
aime. Iluit ap6tres et un raoine Bt-ncdiclin forment
loute I'assistance. Ces personriages suivenl des yeux
la Iriompbantc Assomption ; sur le dcvanl , David . la
barpe a la main, celebre les grandeurs de son heureuse
iille. Deux pelils angos soulcvent la porte d'un sarto-
phage place presque sous les pieds de la Vierge j
qutiiquecette scene soil inferieure , pour I'exccution ,
k cclles qui I'environnent , on convicnt que I'idee en
est belle , el Taspect general assez frappanl.
Mainlenant , me dil nion guide , pour connallre la
l5o VOVACE A SOLl.SME.
lin de cette merveilleuse histoire , que j'ai voulu voiis
monlrer par ordrc, il ne nous resle plus a voir que la
Glorificadun de Marie. Cette scene presente un luxe
d' allegories et de mysteres dont rien de ce que nous
avons vu jusqu'ici ne saurait donner I'idee. II sullit de
dire que le sujet a ete pris dans I'Apocalypse , et que
DoniBougler en donna Ic tcxteniysterieuxi ses artistes,
se reservant d'en fournir lui-menie le cominentaire ,
dans des inscriptions elincelantes de poesie.
Le grand dragon est represente avcc ses sept tfites et
scs sept diad^mes , le monstre vomit le fleuve dont
parle la prophetic; et , sur les flots qui tombent de sa
gueule principale , on lit cette imprecation de Tenfer
contre Marie , contre Teglise et centre Tame fidele :
Quandb morietur , et quando peribit nomen ejus ?
Sur la croupe du dragon est assise la prosliiuee de
Babylone , paree de tons les alours du XVP. siecle.
Marie est representee avec de longs cheveux epars et
deuxailes d'aigle, conformement au texte ; di:ux petits
anges, dont on admire le vol aerien, placent sur sa tele
une couronne. On lit , sur le nuage nicme qui lui sert
de tr6ne , les paroles (i) qu'elle adresse aux vertus sur
I'aile desquelles clle s'est elevee a ce degre de gloire.
€es vertus , que Ton voit dans Tattilude du triomphe ,
hont : la prudence , la justice , la force , la temperance,
1 humilite , la foi et lacharil6.
II ne nous resle plus a examiner quun groupe curieux
que nous avons reserve pour la tin , comme ne faisant
(1) 0 virtutesquae ex ulcio malris mca; crcvislis meriim, draco-
nis niccum capita conterentes, coronis glorix inyiccm gratulcniiir.
VOYAGli A SOLtSME. j5i
])<>iiilpai'(ic neccssuire de i'ensuinble qui nous auccupes
jusqu'ici, c'est un Irait de la \ie du Saiiveur.
Sous un porlique du ti'njple de Jerusalem , l\'nraiit.
.'»'sus , dont la sagesse vienl dejcler dans reloniunnent
les docteiirs d'lsiael , se l^ve pour soniire in Marie et
a Joseph , qui dans ce moment menie apparaissent
eatre les cilonnes. L: s trails de la Vierge portent
encore la trace de ses vives inquietiides. Par un senli-
nienl d'une exquise delicalesse , le sculpteur a saisi
linslanl ou Marie , dans sa mali'meSle reprimande ,
se non)mant a peine clle-nienie , parle de Joseph: ///oi
el a'o//t;yDr/c, dit-elle, en moulrant celui-ci , dont la
phjsionomie empreiuted'une joio na"i\e , fait assez \oir
que Tenlant , dont Taspei t le console si vite , ne saurait
etre que son fils adoplif.
Mais voyez ces personnages en bonnet d'universile ,
el dont les niani^res doctorates , Ala facon du XVI*.
hi^de , annoncent bien plut6t le gradue dans les quatre
I'acultes de Bologne ou de iSalamanqiiS , que le scribe
dela s^-nagogne; les^, livres des.proplietes son( enire
leurs niains ; sur Tun des tesles on lit la prophetie de
Jacob. An milieu de la discussion cjui parait eire fort
vive . Tun desdocleurs , otant ses lunettes , parait pi<^t
a emettro un avis inq)ortant : le ineme inslrumcnt
repose dans un etui Ala ceintuie d'un de ses coMegues.
l/obesile de plusieurs d'entre eiix , fait un conlrasle
piquant avec la doclemaigreur desauties. Eu un mot ,
ce groupe , dont I'idee est ingiuiieiise , psesenle uiie
scene deinoeurs inltMessante . mais un p eu grolcs»[i.e ,
a la mani^,redes tableaux de Kecole llamande.
Lorsqu'on a acheve d'cxaminer toules ces scenes,
l5a VOVAGE A SOLESME.
dans plusieurs desquelles le plus pur spirilualisme se
marie sans effort aux coaceplions les plus merveilleu-
sement poetiques , on reconnait sans peine que le
monument de Solesme est unique en son genre. L'art
du moyen Age s'y retrouve en action, au moment nieme
de son union avec celui de la renaissance ; Tatticisme
de Tun n'a point encore fletri le rayslicisme de Tautrc.
Calholique , comme un porlail de cathedrale , Teglise
de Solesme est souvent classique aux yeux de I'amateur
eclaire del'antique. Vraiment national , ce monument
apparlent a une epoque ou l'art franrais ne s'elait
point encore avised'aller demander A d'autres croyances
les types qu'ils voulaitimmortaliser.
Mais quels sent les artistes auxquels I'eglise de So-
lesme doit sa gloire? On croit communement, me dit
le jetme Benedictin , que ccs statues soul TceuYre du
celebre sculpteur Germain Pilon ; nuiis celte opinion
assez recente n'esl appuyee sur aucun lemoignage
historique. EUe provient uniquement de ce que cet
artiste elait ne k Loue , village distant de Solesme
d'environ quatre lieues ; on se sera cru en d:oit de
supposer qu'il n'a pu etre etranger aux merveilles de
son art qu'on admire si prcs de son berceau. Mais ,
sans enlrer dans le detail des preuves lirees de ra?uvre
meme , qui semblent refuter cette opinion , je me con-
tenterai de vous faire connaitre une tradition plus
ancienne et aussi plus vraisemblable. C'est celle qu'a
transmise un venerable curede la paroisse de Solesme,
qui est mort plus qu'octogenaire en i8ig. U a declare
avoir entendu dire aux anciens religieux que les sculp-
tures de la chapeile de gauche avaieat ^le execulces
VOYAUii: A SOLESME. 1 53
par (rois I( aliens , sous la direction de Dom Bouglor.
Le nicme vieillard ajoiitait , toiijours d'apres Ic dire
des rcligieux , que les sculptures el les decorations de
la chapelle de gauche avaient coute i5o coo livres , et
que la famille seigneuriale de Sable clail venue au
secours des Benddielins dans cettccirconstanee.
Ce qu'il y a de certain et ce qui donne un grand
degrei de vraiseinblance k ce temoignage , c'est qu'au
XVI". siecle les migrations d'artistes Ilalieus qui so
rendaient aux cours de Francois P"". , de Henri II et
de Francois II elaient frequentes , et , tandis que les
plus celebr. s d'ent: e eux allaient recevoir une hospita-
lite royale , d'auties, plus obscurs , ne dedaignaient
pas den demander une nioins brillante , mais nou
nioins honorable , aux vieilles abbajeset aux prieures
seculaires.
Apresrexamenprolonge deschapelles, nous enlrAmes
dans I'arriere-choDur, au fond dnquel est place un ancien
portrait de St.-Benoit. Les sialics sont ornees de sculp-
tures en bosse qui representent les ancelres de J. C. ,
suivant Tordre genealogique marque dans les evangile;--.
Le caraclere de celle curieuse boiserie , Ires-bien con-
servee, la fait remonter au XVI'-. siecle, epoque de la
reconstruction deTeglise. Mors aussi durent eti e peinis,
comme Tindique le style des edilices qui y sont re[)re-
sentes , les vitraux , aux vives couleurs, qui reslent a
une seulefenclre, Le pere Cellerier, me dit nion guide,
a beaucoup eludie les precedes de la peinture sur verre :
il se propose d'orncr dans ce gout les aulrcs croisees
du choeur. Le pere abbe a aussi le projet de fairc exe
cuter une restauralion iniporlanle dans le style du
i!^^\ VOVAOB A SUI.KSME.
sjccIl' auqiicl appartienl le monument. Voiis allezjugor
s'il y a netessite el siirtout conxenance. Alois il mo
laniena vers la ihapelle de droile , el m'inlroduisit
dansun caveau dontla vouteel les murs soul vordiilres
d'lmmidile. LA , sur un lombeaii degradt!; , je \is la
statue nuililce d'lm cLevalier , qu'uiie insciiptioii dit
clreGeoffroide Sable. II convienl en cffot, dis-je alors,
que les nouveaux Bc'nediclins de Solesnie , dans leur
zele de conservation , n'oublient pas ce qu'ils doivenl
a leur premier fondateur.
Dans ce moment une cloihe vint A sonner , il «^tail
quatre lieurcs ; te sonl nos Vepres, nie dil !e jeune
Benediclin , permellez-moi de vous quitter quelqnes
instants. BientOt \e le vis reparailre avec les religieux
quicnlraienl au choeur. Quelques-uns etaienl revdlus
d'un court rochel k larges manches , la pluparl d'une
ample robe noire appelee coule. Apres eel oilice , qui
dura environ Irois qtiarls d'lieure , je fus introduil dans
le couvenl et presente au soiis-prieur , Lomme simple
cl bo», qui me til ua aeoueil donl je garderai le sou-
venir. II n'avait plus que I'babit de travail , compose
du scapulaire et de la lunique , espece de soutane non
fendue par le bas et serree au milieu du corps par urie
C( intare d'un cuir grossier. Moii pere, lui dis-je, sans
avoir rbomieur d\■^^•e Benedicfin ni m^me prelie, j'ai
habile cinq ans une aUbaye assez celebre de voire
ordre avec le dernier sous-prieur ( i ) qu'elle ait eu. J'ai
(1) Dom Ribard , anci'en sous-prieur de I'ahbc.ye aii.x hnmme%
de Caen, morion 1827, rcnfenr honoraire du colk^i;? royal dc la
iik'iiic viile..
VOVAGIi A Sdl.tSMK. I,')f»
reciicilli de $a buMiche des tr.iditionseldes souvenirs qui
pounont vous inleressor, Jc les ai consigii6s dans ret
opnscule (i) queje vous prie d'acceptor. Vous concevcz
des-lois quel prix lout paiiicidier auronl pour nioi les
details que vous voudrez bien me donner sur voti «
niaison.
L'hisloire de I'ancicn pricure dc Solesme , me repon-
dil-il , n'est ni longue ni variee , comme le dit noire
pere abbe dans cette notice (2) queje vous piie a nion
lour d'accepter. Deux circonstanccs seulement y re-
pandent qi:e!que«^clat: c'esl le sejour prolonged que fit
parmi Ics religieux I'eveque duMaiis , Iloel, luyant de
sa ville opiscopale pour se soustraire aux violences de
Hugues III , conite du Maine, et vers la meme epoque,
la visile du pape I'rbain II precbant la croisade , ot
passant par Sable. Uu rcste , Solesme doit sa cclebrile
uniquement aux arts qui out decor^ son 6glise. Vous
venez de la visiter, il ne vous rcste plus i connaitre
que notre vie interieure. La regie que nous suivons
n est que provisoire (3). Le p(^re siiperieur doit la rap-
(1) ri.iite nil college royal de Caen, ancienne nbbaje-aiix-
liornnies,fond('e dans Ic XP. siccio, par GuillauniL'-le-Conqu<'rai)l;
bioch. iii-8°. avcc gravuies, a Caen, chcz ManccI , librairo; a
Paris , iihoi Ilachellc , nic ricrre-Sarrasin , 12.
(2) Notice sur le prieure de Sulesme , au 3Ians , chcz Belon ,
librairc,
(3) Voici itUc regie :
A 4 heurcs le Icvit. ImmdiJialcment aprcs, on thante au chci'ur
.Va/ifiesel Lander , puis , aux heurcs niarqut'es, Prime, Tierce
et la rncssea 9 lieures. Knsuile elude jiisqu'ii mldi. Diner el rt'iri^a-
liou jusqu'a 1 beure l\2. Elude jusqu'aux VC'pres, a 4 heures. l>e
4 lieurcs 3|4 a 6 heures Ii2, iMude. Lt( lure spiriluelle en loiuuiun
I 56 VOYAliK A 60LESME.
imiter de Rome approuvde par le Saint Si^ge, avec le
bief qui 6rige notre pricure en abbaye.
Nos exercices religieux sont distribiK^s de manieie
k nous laisser au moins hui t houres par jour pour Telude.
Sur nos moments de recreation , une domi-beure est
consacree k la culture de la terre , c'est-a-dire , ici , 4
telle du jardin , afin de nous rappeler au moins le
souvenir de cet humble travail des mains auquel les
premiers religieux se livraienl avec tant d'assiduile.
En general, I'ancienne regie est bien adoucie. Nous
n'avons point d'oflice au milieu de la nuit , pas d'absli-
ncnce perpetuelle ik pratiquer , seulemenl qtielques
observances, quelquesjeunes particuliers, pour lesquels
dcs motifs de dispense sont prompteraent accueillis.
En conversant ainsi , nous avions fait le lour du
cloitre , espece de galerie couverte qui regne autour
d'une cour carree, au centre de laquelle est un petit par-
terre soigneusenientculfive. LavoiiteA moitie demolie
de I'un des c6les ayant fix6 mon attention, j'appris que
tel aurait etele sort de la niaison lout entieic , il y a
quelques annees, si les nouveaux Benedictins n'elaieut
venus I'occuper. Leprieurede Solesme etait condamne
h elre detruit. Les pierres en etaieut vendues , et dejA
ellescommencaient atombe • sous le mar lean, lorsqu'un
prelre de Sable s'en emut et accourut au Mans aupres
de Dom Gueranger , originaire de Sable, qu'il habila
long- temps avec sa famille. L'antique prieure fut ra-
cbele , et le projet concu de le rendre k sa destination
jnsqii'h 7 heures. Souper et r^cr^ation jusqu'a 8 ll2. Complies
jusqu'i 9. Eiillii Ic couchcr.
VOYAGE A SOLESME. I "^7
primilive. Sousl'auloril^ de Mg"". Caron , alors ev^iqiie
(111 Mans , les rcligieux y furent installes le 1 1 juillet
1 833. jour de la translation de St. -Benoit. Depuis ce
moment , les exerciccs reguliers n'ont cesse d'j 6lve
exactenienl suivis.
Arrives A une petite salle de reception fort simple ,
le bon sows-prieur voiilut bieu me presenter le premier
volume dejA public des Iravaux de la oommunaute.
C'est le commencement dun ouvrage important ,
intitule Origines de l\'glise romainc. Je deniandai la
permission d'en lire les premieres pages. Elles con-
tiennentla dedicace adressee k Mg"". Bouvier , eveque
actuel du Mans. Ce morceau m'a paru por(er le carac-
lere d'une eloquence douce ct grave, d'une imaginalion
viveet brillanle. Les sentiments d'une tendre affection,
d'une reconnaissance toule filiale envers un prelat qui
en est si digne, sont habilement meles i de hautes con-
siderations , a des fails histo; iques eclatants. C'est le
frontispice majestueux d'un imposant edifice , et pour
les nouveaux Benedictins un dehul qui donne de belles
esperances. lis s'occupenl , en ou(re,de continuer le
Gallia Christiana , selon le vu?u du gouvernement , qui
leur accorde A ce tilre un encouragement bonorable.
Les cbambresdesreligieuxsontagreablementsiluees
au premier etage , ayant vue sur la campagne , qui est
delicieuse k Solesme. Ellos correspondent a un corridor
oil se trouve plac^e la bibliolbequc , deja composee de
cinqmille volumes bien choisis. Les cellules desnovices
sont releguees k Telage superieiir , c'esl-a dire dans les
comb'es. Celle ouj'entrai me parut elre unobservatoire
moins fait pour la (erre que pour les cieux. Le jour y
i58 voyA(;E a ^oi.esme.
iW'iiolro par nnc petite hioarno praliquee dans la loifuro.
Co n'osl pas avoc intonlion , niais par neocssit^ , qu'on
los Iraito ainsi. Qiioiqiie le couvcnt , primilivcnient
fonde pour six religieux , ait etc rcbAti en 178 1 siir un
plan plus etcndu , et que Ton soil avec raison difficile
danslc choix des sujcts a adnicltre, neanmoins on est
oblige dt'ja d'y nienager I'espace (i).
Redescendii an rez-dc-t haussee, je visitai le refecloire.
Tl est garni do son ancienne boiserie ct de tables etroites,
a qiialre converts , ranges sur une seule ligne , suivant
Fusagc des comnuinaules , ou la lecture pendant !e
repas remplace la conversation. Dc li , j'entrai dans
line petite piece appelee sallc du Chapitre. J'y reniar-
quai sur un pupitre un livre ouvert qui contenait la
regie de St.-Benoit , donl on fait chaque jour une lec-
ture en conimun. Enfin on me niontra Tappartemont
niodeste qu'occupe Mg'. Teveque du Mans dans ses
visiles A Solesme. J'appris aussi que des personnagcs
de distinction n'avaienl pas dedaigne Thumble hospi-
talile des nouveaux Benediclins , et que le noble et
savant auteur de la vie de S". -Elisabeth de Ilongrie (2)
avait compose en partie a Solesme , pendant un sejour
de plusieurs mois , ccs recitsempreints de lant de foi
ct de candeur, celte fraiche el naive peinture d'une
vie si remplie de merveilles.
(1) J'ai compl^ en loul 20 religieux ;
8 peres,
5 novices,
2 postulants ,
2 I'reres convers ,
3 freres postulants.
;2) M. Ic C". deMnnlalcmbert.
VOVAGli A SdLESMI!. Ki)
Lc monastere offro par tlcliors uii Piisoiiiblo n'-g'ilier,
<l'im aspect agroablo. La Sarllie conic an picd,ilii cAlc
tliiNord, ct arroseun spa(ieiixjardin.L;\,sons{!cl)raii\
nn.bragcs . dans do largcs allcos , je vis des rcligienx so
promener en lisanl. On me fil rcmarquer parmi eiix
iin moiiie cspagnol. Comnie il doit cnvier pour sa mal-
hciiieiisc paliie, dis-jc alors , la paix qifil a troiivee
en Fian:e et le calnieqiiil goule ici ! Solesnie est , en
effet, nr.erclraifc delicMCiise pour ceux qu'y appelle une
vocation sincere. Est-il une existence plus douce que
eelle de res bommes qui , loin du monde et de ses pas-
sions . unis par les monies gouts et par une rbaritcS
fraternelle, partagenl leur temps entre les jouissanres
del'i'ludeet les consolations de la priere? Ilospilaliers
envers les elrangers , affables covers lout le nionde ,
les Benedictins de ?olesme sont cheris dans la conlu'e
et , on ppiil le dire , robjol en France dePinteret gene-
ral, lis excilent la curiosile de ceux qui ne les (on-
naissent pas encore , Tadmiration et la reconnaissance
de ceux qui les visitenl.
ET USAGES
Par M. P.-A. VIEILLARD ,
L'un des conservatcurs de la bibliotheque de {'Arsenal,
PRIVILEGE DE LA FIERTE DE SAINT ROMAIN.
Peu d'egliscs , en France , ont joui d'un aussi bean
privilege que ( eliii dont le ohapitre de la calhedrale
de Rouen a ele en possession , depuis les premiers
temps de la monar<hie jusqu'a I'epoque de la revolu-
tion. II consislait A delivrcr tons les ans Tun des pri-
sonniers detenus i Rouen , pour crime emporlant la
peine capilale. Ce privilege , connu sous le nom de la
Fierle (Ferctrum) , i cause du role important que jouait
la chcisse de saint Romain, dans ret acte A la fois judi-
ciaire et religieux , offre a I'obscrvalion un vif interet ,
sous le triple rapport de la critique Lislorique, de la
morale et de la legislalion. Les chroniques normandcs,
si riches en fails mcrveilleux,en presentent peu d'aussi
remarquables que celui-ci. Les traces en subsistaicnt
encore, il y a quarante-huit ans, dans un usage, egale-
DE LA NORMANDIE. iTt']
ment chpr A la religion ct h I'humanite. P.irnii les an-
liques illustrations qui faisaient la parure de noire
vicille France , la Fierte etait sans contredil le plus
beau joyau de la ville de Rouen.
C'est k la tradition , bicn plutot qu'a Thistoire , qu'il
faut demander Torigine du privilege de saint Romain.
On ne trouve sur ce point , aucune lunii^re dans les
Perils confemporains. Le recit suivant , emprunte au
benedictin D. Pomnieraye , historien des archevequcs
de Rouen, parait offrir, dans le nienie cadre , la fiction
et la realite. Plus tard, nous essaierons de faire la part
de Tune et de I'autre.
« Saint Romain 6tant A la cour , pour y suivre unc
affaire , qui importait fort au bicn do son diocese , la
Seine sortit avec impetuosite hors de son canal , se
repandit dans la campagne , y renversa dcs arbres et
des maisons , et , ce qui fait parliculierement k mon
sujet , nionta si haut dans la ville de Rouen, que quan-
tite d'habitants furent contraints d'abandonner leurs
logis , et de se retirer aux lieux plus eloigncs du bord
de la riviere, avec leurs enfanis ct lours nieubles. Dos
que le saint cut nouvelles de ce nialLeur imprevu , il
quitta la cour , el vint en diligence a Rouen , on ,
aussit6t apres son arrivee , il alia vers la riviere , se
prosterna contre terre , et im[)lora la favour celeslo .
dans une fervente oraison ; puis , il fit Ic signe de la
croix, comme pour commander aux oaux de so rolirer ;
et on les vit incontinent obeir k ses ordres , avec la
meme deference que si ellos eussent olc poiu-vues de
raison , el se retirer dans les bornes de lour canal ordi-
naire.
II
I 58 TKAUrr IONS f.T VSACiES
« Cc prodige fill sans doiitp des phis iiisignes ; niais
en \o\ci un auiro , qui fil encore jdns d'eelal. Mons
avons jiarle ( i-devaiil de eel horrible seipenl, que saini
Nicaise exteiinina pies de la fonlaine de Vaux. II s'en
(iti nia un pareil , dans un lieu marecageux , proche de
la ville de Hoiien. qui faisait d'epouvanlables desoidres.
\\ siirprenait et de\orail les hommes , il tuait les ehe-
vaux , il fonompait Tair , par son haleine pestilenle ;
et tout seul qu'il elait , ii poi tait Talarme et le ravage
dans le pays voisin de ce niarais , ainsi queiU pu faire
line troupe d'ennemis. Los habitants de la ville ne
sa; haul par quel moyen se defaire de ce dragon , qui
leur ("aisart la guerre , depuis plusieurs annecs , euient
reeours h saint Roniain. Ce charitable pastein- , A qui
les plushautes enlre|)risf's send)Uuenl aisees , cpiand il
s'agissait de defendre son troupeau , les consola, el leur
proniit de les delivrer de ee furieux adversaire. Le
dessein elait grand et releve : niais la maniere donl il
I'executa rendit eneore cettc action plus eclatante ot
phis illuslre '. car il ne voulut pas seulement vaincre et
luer ce monstre • niais il entreprit nieme de le faire
inourir pnbliquement , coninie pour lui faire faire re-
paration de toutes les cruautes qu''il avail exercees.
Pour cet effet, il fallait s'en saisir, ce qu'il se cbargea
de faire lui-nieme ; mais ayanl deniande un honiine
jiour raccompagner , il ne se tronva personne qui eut
I'assurance d'aller avec lui. Ce que voyanl le saint , il
s'adressa a un miserable , qui avail ele condanine an
dernier supplice, pour des larcinsel des ineurlres qu'il
avait conimis , et le persuada de le snivre , avec pro-
messe de le sauvei de la morl qu'il avait ineritee, s'il
DE LA XORMAXDIE. l56
faisait harditnciit et ponctuellement ce qn'il lui dirait.
CeUii-ci qui croyait ne rien hasarder , en hasardanl sa
vie , laquelle il etait pres de perdre sur un echafaud ,
accopla fort volonlieis celte proposition. Le saint
Tayant done pris avee soi sortit de la viile , el s'avanra
vers le marecage , on se relirait celte bete. L'ayant
aper(;;ue , il s'approcha courageuseinont d'elle, et , par
la vertii du signe de la croix, il la desarma de sa fureur,
el la reduisit dans Timpuissance de rien allenter confre
lui. Apres cela, il lui passa son elole a IVntour du col ,
ef Tayant ainsi attachcc , il ordonna au prisonnier qui
I'avait suivi de la prendre ci de la conduire A la vllle ,
ou elle fut brulce en presence de tout le nionde , et ses
cendres jetees dans la riviere. Le niamiscrit de I'abbaye
de Hautniont , cite par M. Dadre , dont nous tirons ce
que nous venons d'ecrire , ajoute que le roi Dagobeit
qui regnail alors, nianda saint Romain pour apprendre
do sabouche les parliculaiilos de ce merveilleux evene-
nient; et que le saint prelat s'elant transporte a la cour,
et ayant raconte ce prodige que Dieu avait opere en
faveur de ceux de Rouen , le roi , pour en conserver la
nienioire , accorda a Teglise catbedrale de celte ville,
le droit de delivrer tons les ans un criniini 1 , le jour do
TAscension , auquel le saint archevoqiie avait trioniplie
de ce monstre. Et voil;\ quelle est Torigine du faineux
privilege du chapitre de Rouen , dont il jouit depuis
tant de siecles par la piete des rois tres-chretiens , des
dues de Normandie , des princes ot magislrats , qui ont
bien voulu etre les spectateurs de celte augusle cere-
nionie, et dont ils ont inviolablement etabli le droit par
leurs leltres-patentcs ct par les arrets doiines dans les
l6o TRADITIOXS m USAGES
coiirs souveraiiies. » ( Histoire des /irchevequcs de
Rouen , 1667 — in-f". — pages laS el 126 ).
Telle est la chronique. Nous verrons plus tard , en
la rapprochant de tant d'autres recils du menie genre ,
coninient elle parail devoir 6tre interpret^c. Disons d/'ja
que si rien n'est nioins aulhenlique que le caraclen*
mervcillcux du fail allribue k saint Romain, la longue
possession par I'eglise mclropolilaine de Rouen , du
privilege qui lui fut concede , k I'occasion de ce fait
mi de ce miracle , est un point historique elabli de la
mani6re la plus incontestable. A la verite , aucun tilre
n"'en constate Texistence , sous les rois des deux pre-
mieres races ; ce n'est qu'i la fin du XII''. siccle el sous
Ic rcgne de Philippe Auguste qu'apparaissent les pre-
mieres preuvcs ecrites du droit de la Fierle. Lorsque ,
par un juste chiliment de !a felonie de Jean sans-Terre,
le duch6 de Norniandie eut fait retour k la couronne de
France, le nouveau bailli etabU par le roi , fit difliculle
de dclivrer au chapilrede Rouen le prisonnier ^lu, pour
jouir du benefice d'un privilege oublie , on peut-i'tre
ignore des premiers rois Capetiens. Mais Philippe ayant
ordonn6 k Tarcheveque de Rouen , Robert Poulain , el
k Giiillaume LaChapelle,cha!clain de Pont-de-rArche,
d'etablir k ce sujel une enquele solennelle, neuf lemoins
notables furent enlendus,asavoir : Irois ecclesiasliques,
trois nobles et trois bourgeois, dontPhisloire a recueiili
les noms. Ces lemoins, apres avoir priHe sernient,dans
r^glise de St.-Ouen , se'nn la formule pi escrite , do[ut-
serent que des le temps de Henri II Plnnlagcnel , qui
conimenQH k regner en 1 1 54 , ils^avaient (oujonrs vu le
chapitre exercer le droit de d^livrance annuelle d'uu
DJJ LA NOUMA>UIE. l6l
prisonnier , pourvu que celui-ci ne fiit point criminel
(!e 16se-majest(i. Sur le rapport de ces conimissaires ,
Pliilippe-Auguste conflrma le privilege. Ces t6moins
r;ipport6rent meme une circonstance curieuse , qui en
attostait I'existence ant^rieure : c'est qu'en 1192,
ann^e 011 Rithard-Coeur-de-Lion , roi d'Aiigleterre et
due de Normandie, fut arrele Iraitreusement par ordre
de Leopold d'Autriche , en revenant de Palestine , le
thapitre ne jioursuivit la delivrance d'ancun prisonnier;
maia Tannic suivante , Richard ajant ete remts en
liberte , pour conipenser cetle omission , deux captifs
furent delivres a Rouen.
Depuis celte epoque , les baillis ont plusicurs fois
rcuouvele leur opposition i I'exercice du droit du
Chapitre , non plus A la verite par ignorance , mais par
esprit de jalousie el de rivalite. Cependant , d'accord
avec les cours sou vcraines, nos rois ont toiijours souteitu ,
contre ces abusives pretentions, Ic privilege de rhunia-
nile. A la suite d'une nouvello enquote , il fut en 1425,
confirm^ par Charles VI , et apres lui , par lous ses
successeurs , jusqu'i Henri IV , qui en excv pta , outre
\e crime de lese-niajeste , ceux de fuusse nioiinaie ,
d'assassinat preniedite , de viol et d'lieresie. Relative-
nient i ce dernier chef, il est perrais de croire que la
necessitc de donner aux catholi(iues niefians un nou-
\eau gage de la sinci^rile de son abjuration , put seule
engager le bon roi A faire aux exigences dc Tcspril de
secte , le sacrifice de ses penchants, et pjul-etro de scs
convictions.
Quoi qu'il en soit de son motif , les circonstances ou
il fut appele a confirmer ce privilege tcmoigneut encore
l62 TRADITIONS ET LSAGES
ill' celte longanimile decaraclere, quil'afail suinonniiiT
le bon, aussi bien que le grand. En i 'JyS , Kouoii elaiit
sous le jong des chefs de la ligiie , ccux-ci obligereiit
le rbapiire k conferer le benefice de la Fierle i Lamolbc
Pecbii, assassin de Ilallol de Monlnioiency, lieiilenanl-
general du roi, en Noniiandie. Loisqu'en iSg i, Tainiral
de Villars Lrancas , qui cominandail a Rouon pour la
ligue, eut rendu celle ville i Henri IV , la dame d'Os-
sonvilliers , veuve du due Hallot, reclania , en justice,
centre I'applicalion de ce privilege au nieurtiier de
son mari. L'aulbenlicite des litres de la Fierle ful alors
atlaquee par ses adversaires , avec une nouvelle vio-
lence. Le cardinal de Joyeuse , archeveque de Rouen ,
et le chapitre inlervinrcnl an proces , en faveur de la
Fierte ; et Henri , lout en reprouvanl Tusage qui en
avail ete fail au profit d'lin grand coupable , n'en res-
pccla pas moinsla cbosejugeejet, de I'avisdes notables
assembles a Rouen, il confirma , par lellrcs-patentos
expediees le 25 Janvier iS^y , le privilt-ge de saint
Roniain. Cent ans avanl Henri IV , Charles VllI ne
s'etail pas moins honore , par un fail comparable ci
celui-ci. Ce prince etant h Rouen, en 14535, les cha-
noines oblinrent son agrenicnt , pour lui faire direcle-
nienl Tinsinuation du droit do la Fierte. On approchait
alors de I'epoquc de cclfe solennite. Or, un des homnies
(Farmes du roi ajanl ele tue dans une rixe par xn\
habitant , le prevot de I'hijtel , sans doule pour faire
sa cour, voulail faire transporter le nieurlrier , hors
dL^s prisons de la ville , afin dc le souslraire a loute
chance de salul. Le Chapitre dcnonca cet abus de
pouvoir au roi , qui ordonna quo le prisonnier scrait ,
DE LA NOUMANDIK. l(>;5
(■ >uiine tons les aiities , ailmis i re\anieti. C.c fill stir
lui pr6ciseineiit que tomba le choiv du Chapitre ; el
bieii loin tie s'y opposer , ('.liailes le saiictionna , cii
oinant dc la pompe royale, la cereiiioiiic du pardon :
Irail qui senible caracteiiser pluUM !e pi edecesseur de
I.oiiis XII , (|ue le successeiir de Louis XI.
Passons maiiUeiiaiil au retil des loinialiles qui ac-
roinpagnaieiit reieclion et la delivrance dit candidal
de la Fierle.
Quinze jours avant les Rogations , le Ckipilie n»e-
liopolil£)in de Rouen designail quatre chanoincs qui ,
levelus de Tauniusse el du surplis , et precedes de
riiuissier, niossager duCbapili-e,porlanlla verge baiile,
se rendaienl au Parlenienl, A la cour des A) des el au
IVesidial , ou le do\en d'enlre eux portail la parole en
ces terines « Messieurs , nous sonnnes deputes i)ar les
« doyen , chanoincs et chapitre de Tegiise de Rouen ,
« pour vous supplier d'avoir agreabie Tiiisinuation du
« privilege de saint Komaiu . (jui c^l tcl q!!« nul |)ri-
« sonnier criniinel , etant dai;s les prisons^du roi , y
« sera amene , s'y viendra rendre, ou aulrenient, ne
« soil transporte de lieu a autre , nioleste , interroge ,
« questionne ni execute , en quelqtie nianiere que ce
« soil, jusqu'A ce que le privilege ail sort! son plein
« v.[ enlier effet. » Ce qui d'ordinaire elail octroye
au moment nieme de la requisition.
Pendant les Rogations, le Chapitre nonunait df^nx
cliaiioines pretres qui , acconq)ag»es de leur greflier el
deux chapelains , se transportaienl dans les pri.sous
pour y entendre la confession des criiiHiiels,el recevoir
leins declarations siu- les fails du proces i[u\ letu el.ul
1G4 TRADITIONS ET I SAGES
iiilcnle. Lejoiir de I'Ascension , leChapilre , compose
seulement dcs chanoines pretres , s'asseniblait pour
releclion de Taccuse, admis k lever la Fierte ; on faisait
lecture desdiverses confessions , et elles etaienl bruises
sur place , aussilAt apros I'election , qui avail lieu a la
pluralile dcs voix. Lc nom du candidal clait porle dans
un cartel , par le chapelain de la confierie de St.-
Uomaiii , au Parlement assemble en robes rouges , au
palais, oij il entendail la messe. Rentre dans la grande
chambre , le Parlement ouvrait le cartel , envoyait
prendre dans les prisons celui dont lo noin y clait
porle , rinterrogeait sur la sellelle, ayanl les fers aux
picds ; et , apres une instruction sommaire , rcndait un
arret solennel , par lequel sa remission clait admise.
Le premier president lui faisait une admonition severe,
apres quoi il le rcnvoyait au Chapilre , jioiir y jouir du
privilegv; de St. -Remain. Conduit au Ilallage , sous
I'escorfe de la cinquanlaine et des arqsK'busiers , on
lui 6tait les fers des picds , pour les remetlre aux bras ;
il montait ensuite i la vicille tour , ancmi [lalais des
dues de Normandie , par un cscalier , en haul duquel se
trouvait la chapelle de St.-Romain. C'est la que le pri-
sonnier etait depose , jusqu'^ I'arrivee du Chapilre.
Alors toutes les cloches des quatre-vingt-dix paroisses
el couvenls de la ville elanl mises en branle ci la fois, la
procession sorlait de la callicdrale, i trois heurcs apres
midi. On y voyait Ggurer toutes Icschasses desreliques,
qui se conservaient dans les nombreuses eglises de
Rouen. Celle de St.-Romain venait en dernier lieu ,
porlee immediatemL'nt derriere Tarchevcque , par deux
pretres , revctusd'aubcs. A la vieillc lour , on montait
DK LA N(JBMAi>DlIi. j65
la Ficite dans la thaiiclle Si -Romaiii , on pUilot sous
le porche qui se tiouvait en haul du double escalier ,
par lecpiel on anivait A celle chapelle. LJi , le criininel
♦ilanl i genoux , tele nue el les fers aux bras , Tarche-
vi'que lui faisail une nouvclle repriniande , robligcait
a dire son confiteor , puis , lui imposanl les mains siir
la lele , prononcail la formule de Pabsolution, Mors le
prisonnier , loujours i genoux , soulevail trois fois la
Ficrte, garant el symbole de sa delivrance ; relcv6, on
pla^ail sur ses 6paules ce fardcau, pour lui si precieux,
el, assisle d'un diacre, il le porlait proccssionncllement
jusque sur le niaitrc-autel de la cathedrale ; ses com-
plices, s'il en avail, marcbaienl j\ sa suite, d«Hi\res
comme lui , car la grace pouvail etrc coliecdve : (oiis
etaicnl couronnes de narcisses ou de jatinlLes blanches,
emblomede I'innocence, qui devenail ici celui du re-
pen I ir.
Apres s'clre prosterne aux pieds de cliaqtiecbanoine,
raflVancbi se rendait dans une cbapi'lle de la calhedrale
dediee i Sl.-Uoniain , ou ses fers lui elaient oles. II
assistail ensuite dans le cba>ur a la mcsse , qui n'etail
jamais celebree qu'apres la cercmonie , el furl avant
dans la soiree. Apres quelques autres formalites de peu
d'inlerdl , il revenait souper el coucber cbez le maitre
de la confrerie de St.-Romain , son liberaleur. Enlin ,
le lendemain i buil beures , devant loul le peuple , il
recevail une derniere semonce , en plein Cbapilre ,
lele nue el a genoux : de la, il elait conduit an confes-
sionnal du grand penilencier ; el apres celte expiation,
ou plul^l cetle amende honorable , il s'en alluil en
paix el juslille.
li')G TllADlTlOJNs liT ISAGKS
C'elail lino Lien aiigiislo el loucbanlo rt'n^nioniL' <j':p
rcHe ou Ics poniprs de la religion ennoblissaienl encore
rexercice des droits de la magistralure , ou les balances
dela justice passaienl aux mains de la c'.otnencc! Je ne
sais si Ic scnlimenl profond que m'a laisse le souvenir
de ces scenes inajeslueuses doil son cbarnie a celui qui
pare loujonrs les beureuses impressions de la premiere
cnlance ; mais a'icune s;enen'a grave dans uui memoire
des traces plus durables. Aujourd'bui , il me seuible
avoir encore devant les yeux ce magiiifique cortege, ou
parmi les cbAsses somptueuses qui recouvraicnl les re-
licjues d'j tant de martyrs et de confesseurs , brillail
surloul cctle Fierte de Sl.-Romain , lout edatanle
(i'or, et surmonlee de Pimage du ponlife el de celles du
dragon vaincu el du prisonuier qui lui avail impose
scs chaines ! J'entends encore les acclamations d'une
{'oule innombrable, re!>andue dans le parvis de la vieille
lour , se mcler a la triple f;\nfare qui sigualait les Irois
genuflexions du prisonnier ! Je le vois enfin , la tele
ceinle de fraichcs fleurs , libre et juslille , mais couvert
encore dc lalivree des caplifs , dcscendre, i la suite du
venerable arcbeveque el de tout son clerge , les degres
de Tantique palais des dues de Normandie , lui qui
semblail destine a monler les degres u'un echataud !
jMe permellra-t-on d'ajouter qu'un sentiment lilial
ajoute encore pour moi au prestige de ces impressions,
puis(piemon pere, membredu barreau de lloueii, eut,
I'annee meme de ma naissance , le bonbeur de faire
admeltre au benefice de la Fierte , un pere de I'amille
el ses deux domestiques (pii , daus la cbalcin tPune
querelle , avaienl {uc un malbcureux? Ainsi . grace a
1
VE LA NOUMA.NDIE. 167
rclle noble iiislitulion , mon entree dans la sie a ele
marquee du souvenir d'un bienfait !
Si , ccssanl d'envisager celte coulunie sous iin point
de vue poetique , nous essayons de Tapprerier dans
scs rapports avec les nioeurs de I'epoque oii elle prit
naissancc et avec noire ancieiine legislation criniinelle,
ne doit-elle pas nous apparailre , coninie une conquete
de la religion ct de rbunianite , sur cette legislation ,
inon-.inient odieiix des siecles feodaux , bien dignc de
telle barbare origine, et dont le pouvoir royal aurait
<lu rcpudicr le legs avec borreur ? La Fierle, au resle ,
n'elail pas la seule institution qui rendil lenioigtiaiie
de la niansuetude qiie , dans ces niauvais jours , nos
evoqiiesopposaient \ I'esprit de cruaute des puissances
seculieres. A leur avenement , les ev^ques d'Orleans
jouissaient du privilege de rendre a la liberie lous les
prisonnicrsde la vilie. L'exercice de ce droit remontait
au ponlificat de Sl.-Aignan. Beaucoup d'aulres eglises
en France possedaienl de ces immutiiles fondees sur
I'esprit de I'evangiie , verilaMes litres du clerge au
respect et i I'amour des peiiples, caracleres reels d'une
domination qui ne doil s\'lablir que sur la eoniiance ,
et se manifester que par des bienfails.
C'est evidemment dans un grand service rendu par
saint Romain A son diocese (jue Ton doil chercbcr Tori-
ginedu [trivilege auquel son nom est demeiue atlacbe.
Mais est-ce A une legendo doutcuse , obscure et dont
toute la garantie repose s;ir une version sans aulorile ,
(pril faut s'en rapporler , |)our rcconnuilrc celte ori-
gine? ou celte legende eilo-meme nedoil-elle elre in-
lerpretee (jue dans un sens alle^nricpic? le ne pense
lG8 TBADlTlOiNS ET USAGES
pas qu'aux yeux d'unc critique imparliale , ce point
piiisse long-lemps faire robjcl d'un doute. Quelle expli-
calioii done adopter sur Torigire reelle d'une foiida-
tion , donl les giierres continuelles qui onl autrefois
desole la Norniandie , ont , sans nul doute, detruil les
litres primordiaux? Cette explication , comnie je I'ai
donne A entendre, ressort avec evidence du rapprocbe-
nicnl des deux victoires allribucrs k St.-Roniain, Tune
sur la Seine debordce , et I'autre sur le serpent qiii en
infestait les rives? Ne voit-on pas que I'un de ces fails
est la traduction poetique de I'autre? Pcut-on conserver
le nioindre doute i cet egard , lorsqu'on se rappelle
qu'on Irouve , au berccau de loules les sotietes , une
foule de traditions qui presenlenl les beros de ces
temps recules , aux prises avec des monstres , dragons,
serpents, cbimeres , qui tons babitaient au bord des
caux? Qui ne voit , d'apres cela , que la Gargouille de
St.-Romain estde la nicnie fainille que P} tbon, produit
de la fermentation du Union Icrrestre , apres le deluge
de Deucalion ; de celle du serpent tue par Cadmus, au-
pres de la fontaine Dirce ; et encore de celle de Tll^dre
vaincue par Hercule , au bord du niarais de Lerne ?
Tons ces monstres , nes au sein des eaux stagnanlcs
ou fetides , ces etres fantasliques aux ailes de feu, aux
replis tortueux , dont le soullle empoisoiine dessocbail
les planles et les nioissons , el tuait les bommcs et les
tioupcaux, ne sont-i!s pas la bideuse personniUcation
des fievres peslilenlielles qui devorent les malbeureux
habitats du bord bun»ide des marais? Et, A une ^poque
de croyanccs superstitieuses , de quelies formes el-
frayantcs , de qucUes sinistres couleurs les tcrreurs
DE LA NOHMANDIE. iHq
populaires n'auraicnt-ellcs pas revrlu rindomplaMc
dragon , donl le vol fiini'bre a , dos bouchos dii Gauge,
promene le deiiil cl I'cffroi , dans foiites les parlies du
monde counu , et lc^e sur la France, la dime du trepas,
Lc cholera, s'il faul I'appclcr parson nom !
Tout prouve done que saint Roniain ne fut en effel ;
k Rouen, que le digne precurseur de Char'esBonhomee
hi Milan , et de Belsunce ji Marseille , et c'esl encore un
assez beau litre ! Comme Belsunce eniploya les forcals
k nelloyer le bassin de Marseille , le ponlife neuslrien
s'elait servi A Rouen des bras des prisonniers, soil pour
creiiser le lit de la Seine , soil pour elever des digues
sur scs bords, aGn de donipler la furcur des inondalions.
Ici , les conjectures se cbangent prcsqu'en cerlilude ,
quand , rapprocbant la cbronique de noire explication,
on ( onsidcre le cours lorluoux de la Seine , d<inl les
nonibreuses sinuosites offrent d'unenianicrefrappante,
la configuration des aniieauT; d'un serpent.
En depouillanl de son voile pnetiqiie I'origine du
beau privilege de la Fierle , je me flalte pourtanl de
n'en avoir point degrade le caraclere. Pour n'avoir pas
eclale a I'aide d'un miracle, la verlu de saint Romain
ne perd rien de son prix. C'esl toujours dans le ciel
qu'il faul cbercber le principe des bienfaits repandus
sur Thumanite.
La science litteraire el les arts onl imi leurs efforts
pour illustrer le sujet dont je viens d offrir une failile
esquisse. En i834, M. Floquel, aucien elAve de I'Ecolo
des cbartes el grelller en cliefde la Cour royale de
Rouen , a public sur la Fierle un ouvrage en deux
i;o lltADlTlONS ET LSAGES DE l.A iNUUMA.NDIE.
volumes, rcnipli do savantes rcchoiches et de details
omicux. An salon de i836 , M. Clement Bonlangor ,
j(Mme pcinlre dont Ic talent offre un brillant rcllol de
(-elni de Paid Veronese , a expose un tableau represcn-
tant la oeremonie de la Fierle a la vieille lour. On le
voit mainlcnanl dans la galerie du Luxembourg , dont
il n'est pas Tun des moindres orncments (i).
(1) A {'exception du dernier alinda, cet article a M dcril en 1834.
«E LA POESIE LYRI^WE
issr iFiBixsr(E2i (0
Par M. F. VAULTIER ,
PnOFESSEUR A LA FACULTE DES LETTRES
DF. L ACADIiJlIE ROVALE DE CAEN.
>Zl^)'S<Sia.
LYRIQUE DES XIV^ ET XV'. SIECLES.
La fin (111 WW. sieclc ol Ic commencomcnf dii XIV^
avaionl aniont' do gr.nnds cliajifijornenls dans Tc'lal dcs
nioMirs , dos affaiios |)iil)li(|ii<'s , ct do la socieU' civile
en France ; la poesie du lomps en poite de vives em-
preintes , ol ress(!mble pen ;\ cello do Ti^ge precedent.
Le faihle el niaigre fonds d(>s idets de la galanlerie
chevaleresque etail epuise ; la cbcvalerie , nienie en la
snpposant egalemont floiissanle , eul pii difficilemenf
en conlinuer rexploilalion, sans \v niodilior en plu^ieins
(1) Ce ni('-nioiro est la suite et le conipli^fneiil tie celiii qui a t?(i5
impriiiK^ dans lo prt-rt^donl volume des Memoires de I'Acadt^niie ,
sous le lilir : \)k i.a poisii'. i.yrique kn Fkam.k. Origtnr d pre-
niicr ilt\rti>j>iieiiiriit iiis(iii'n la fin dii \l/l". sirclc.
17? DE I.V I'OtSlE LYBIQUE
points pssenlicls , n'cut-cc ete que pour le variov ci le
rajeuiiir.
Mais il 6tait arrive bicn autre chose.
La chevalerie , deja degeneree de ses attributions ol
dc son objef , avail laisse ecbapper de ses mains quel-
ques-unes de ses plus belles prerogatives , el etait
tonibee dans le desordre des nia?urs et I'ignorance des
leltres.
Les Trouveres de Condi lion inferieure, qu'elle s'e tail
associes d'abord , faisanl de la poesie un metier de ba-
ladinx nmhulanls , s'etaienl generalement montres pen
capables d'cn soulenir I'ancien eclat.
D'autre part , Tetablissement des communes , et les
nombreux affrancbissemcnts de serfs , avaient cree des
professions independanles, danslesquelles les habitudes
honorables n'avaient pas manque de s'introduire avec
Taisance et la liberte.
L'Universite, dejA florissante, repandait de tout cote
le gout des bonnes etudes , et I'instruclion regagnait
par tout au decuple , ce qu'elle avail perdu chez les
chei'alicrs.
Dans ce nouvel elal de la societe , que faire de Tan-
cienne chanson clievaleresque ?
Le nouvel age dut se faire un autre lyrique , appro-
prie k d'autres idccs el h d'aulrcs mocurs.
II le produisil sous des formes nouvelles , lui assigna
d'aulres caracleres , et Telendil nalurellemenl A dis
objels plus nombreux cl plus divers.
C'esl au sein des cours , qu'on le voil d'abord se
produire , et il s'y prescnle surtout comme rocuvre de
quelques clercs , secrefai/es, musiciens et xcrvitciii'! , at-
EN FRANCE. 1^3
faches 4 la personnedu prince , rempHssant en quolqiie
sorle aiipres de lui , une parlie de I'ancien emploi drs
menestrds d'office^ mais seulement celle qui se rapporlo
aux obj'ets depur agrement.
Deja quelque chose de pareil avail commence d'exis-
ter vers la fin du XIP, siecle , a la cour de Phil.ppe-
Auguste, ou le moine Helinand avail Temploi d'esba-
noyer les fcstins du roi , el s'elail fait une grande re-
nommee pour la beaute des vers qu'il avail accoulurae
d'y chanter.
Les premiers monumenls un peu connus de ceUe
poesie au XIV^ , sonl les oeuvres de Guillaame de
Machau , existanl en 2 vol. nianuscrils , in-fol. , a
la bibliotheque du Roi , donl il n'a ele publie jusqu'a
present qu'un tres-petit nonibre de fragments detaches.
Guillauine de Machau fut Champenois d'origine , el
naquit vers Tan 1282 ou 1284 : on le trouye valet de
chambre du roi Philippe-le-Bcl, on iSo; ; il dovint plus
fard secretaire des rois/e^w el Cliarlps F , el vivait
encore en iSyo.
Machau fut trouvcre el grand musicien ; il etait
gentilhomme, et fut lie d'amilie avec le roi de Navarre,
Charles , surnomme plus tard le .IJauvais.
II se doime dans le prologue de sos fpuvres , comme
un poete choisi par Nature, qui le fait aider de trois d«
ses enfanls, i^ens , Musique et Rlietorique , pour exalter
la puissance et les bienfaits de V Amour, ■
La parlie lyrique de ses poesies sc compose de lais ,
motets , complaintes , ballades , rondeaux el chanwiis
halladees , le lout en nombre considerable , et sou^enl
avec notes des airs composes expics, .'
12
)-4 DB LA P()i:SlK l.\UK>iU'
l^rs a?uvros lyriqiios <lc Machau ne nous son! point
assoz conmies pour que nous prelendions nous cbarffpr
d'pn (lonner »ine idee gen^rale , et d'en designer les
morceaux d'elilc
Une excellente dissertation de I'abbe Ri\'e ( ap. De-
InhoriJe, Essai sur la musique, t. iv, ad rale. p. i , etc. )
nous fournit Ic debut d'un de ses lais , dit du Paradis
d' Amour.
Amours , si plus dem.indoie
Ne voloie ,
Ou s'aulre bien deslroie
Que la joie qui me vicnt
De toi , vers toi mesprenJrdie
El feroie
Ce que fairc nc devroie ,
El ce qu'ti mol n'apparlieni ;
Car il convient que jo croic ,
El oltroyc ,
Qu'cn (on doux pnradis sole,
Quanl de m'amour me souvient.
Nous y remarquons aussi ces quatre premiers vers
d'un rondeau galant
Doux Vlaire gracieux ,
De fin cuer vous ai servl ;
Veillies moi ilre pileux ,
Doux Viaire gracieux.
Ses ballades , dont on senible s'lMre peu occupe ,
passent , sur oit'i dire peut-elre , pour nVtre remplies
que de fadeurs langoureuses.
EN FRANCE. 176
Deserudits Font juge, soit quant arimaginalion,. soil
quant A la diction, fort inferieur aux troiwcres , atitcurs
de fabliaux^ qui Tont precede , et qu'il eut pu , disent-
ils , prendre pour modeles. ( Caylus , Mem. de I'Acad.
des Inscr., etc, , t. xx , p. Sgg , etc. ) Le public n'a pas
eu jusqu'ici les nioyens de veiiGer Texactitude de ce
jugement.
Machau a vecu dans un niauvais temps , au temps
de la grande peste noire et de la fatale batailU de Poi-
tiers; il a parle de ces deux evenements dans ses poesies
non lyriqucs ; il dit de la peste noire .- qu'aucun medecin
ne put en assigner la cause ; qu'on pensait que les eaux
avaient ete empoisonnees , ct que sur cent personnes , il
en mourait plus de qtuitre-vingt-dix :
En mil trois cents quarante-neuf.
Decent n'en demouroit que neuf.
Machau s'est dit fort amoureux d'une belle dame
quil ne nomme point ; il parait que c'etait la princesse
Agnes de ISavarre , femnie du celebre Gaston Phoebus,
comte due de Foix ; il eut au moins avec celle-ci une
corrcspondance de galanterie t res-active , et a insere
dans un de ses livres , plusicurs rondcaux , ballades et
chansons de cette dame, qui, dit un critique (Cayl. loc.
supr. citat.), ne sont pas les plus mauvais niorceaux du
recueil. On calcule qu'elle avait alors moins de vingt
ans ; Guillaume devait avoir depassc I'Age mur.
Machau dut jouir d'une grande renommcc cntre srs
contemporains ; void I'epitaphe que lui fit le bon roi
Rene de Provence :
17'> UK LA I'OKSIK I.YKlniK
(liiillaume itr Machnult . ainsi avojc nom ,
>(!' en Champogrie fus , el si oiis grand rcnom ,
D'^lrr fort embiasti du pcnser amoureux ,
"Pour I'amour d'unc voir, dont pas ne fus eureux;
Ma vip sciilemenl , tani que la pcussc voir ;
Mais ponr-ce ne laissai , pour vous dire le voir,
Faire diets et chansons, tant que dura ma vie,
Tanl avoyp forment de liii conipiaire envic ,
El lanl que cuer et corps asprenienl lui donnai,
Et fis mainteA)alladc , complainle et virclay ,
El incontinent voir jc rendis a Dleu Tame,
Doat le corps gist u'i en bas soubscctlclamc.
Son eloge se rctrouve plus cxplicitctiient cxprime
dans line ballade qui ne tardera pas a se presenter en
son lieu.
Eustache Deschamjis (dil Mcivl) , ful le succcsseur
immediat de Guillaume de Machau , cju'au reste il
parait avoir surpasse en talent.
Deschamps fut aussi Champenois , genlilhomme et
officier de cour.
II dutnaitre un pcu avant Tan 1828 , et vivait encore
en 14^2 , d'oii il suit qu'il a fleuri sous les qualre pre-
miers rois de la niaison de Falois.
II fut chatelain de Fismes , et exerca entre autres
emplois, ceux dVcr/jer huissier d'arnics de Charles P'J,
el de bailly de Senlis.
Les a?uvres poetiques A^ Eustache Deschamps, connues
k peine des erudits de profession , n'avaient exisfe
jusqu'A present (comme colles de DIachau) , qu'en ma-
nuscrits conserves dans nos fifrandcs bihlidllirqiies ; le
libraire Crapelet vienl d'en j)ublier un choix parfaile-
nient fait, et qui nous semhle de naliue ;\ devoir exciler
un vif inleret.
I
E> l-I'.ANCi;. -ijn
La parlie lyiiquc des ccuvres de Deschanij)s se com-
|>osc de lais , virc/ais . rondeaux , chansons , ballades ,
etc. , en iionibre immense, et surdes sujcis tres-vaiies,
el soiivenl fort curieux ; plusieurs de ses ballades surlout
onl un rapport direct avec les evenements et les niccius
du temps, dont elhs offrent souvcnt la vive pcintnre ,
et qudqiiefois aiissi la satire iageniatise et Ires-
piquanle j la galantf rie n'y a que sa pari , el est loin
d'y usurper un rule exdusif.
La nianie; e de D:isehanips est lo&tc el degagee dans
It's sujels badins , vraie et natiirello dans la peinliire
des affections personnelles ; un peti ^credans la salire
nioralej quelques sujels d'int6ret public n'ont pas lais>e
de lui fournir des I rai Is d'uiie elevation el d'une visneur
assez rcmarquables j quelques citations etab'.ironl
rexactitude de nos asseitions, surces differents points.
Nous comracncons par la ballade sur la niort ('e
Machau , non quelle soil-la nieillcure ou la plus im-
portaute en soi , mais parce que la liaison nalurellf des
nialieres deinande que nous ne la laissitins pas sV'loi-
gncr davantagc ufe rarticle auquel clle se raltacUe par
son objet.
riLLVDB POUR MACHAU.
Arnies , amours , dames , chevalcrie ,
Clcrcs musicaiis , failiUes en l'ran(.ois ,
Tous so()liislcs r lou'.e jjot'teric ,
Tous (cux qui oul raclodieuse voix ,
Ceux qui rhanlenl en orguc aucune fois.
El qui onl ihor Ic doux arl de musi(iuc,
Demenez dt-uil, plouiez (tar c'esl bii'u droils) ,
La morl iMachau , le noble rhrtoriquc.
I'j8 DE LA POESIE LYKIQUE
Onqucs d'araours nc paria tn folie , -
Aiiisa csl6 en tous ses dicls courlois;
Auss'i h moult pl(5u sa chantcrie
Aux grands seigneurs , a darocs el bourgeois.
Lc , Orpheus, assez lamentcr dois,
Et regrelter d'un regard authentique,
Arethuse et Alpheus , tous Irois ,
La mort Machau , lc noble rh6lorique.
Priez pour lui , si que nui ne I'oublie ,
Ce vous requiert le bailli de Valois ,
Car 11 n'en est aujourd'hui nul en vie
Tel comme il fut , ne ne sera desmois ;
Complaint sera de peuples et de rois ,
Jusqu'i long- temps pour sa bonne pratique ;
Vestez vous noir ; plourez tous , Champenois ,
La mort Machau , le noble rhdlorique.
Rubebes , Luihs , 1^ idles , Sy phonic ,
Psalte'rions , trestous instruments coys,
Rothes , Guitcrn.es , Flaustres , Chalemie ,
Travtrsaines , et »ous , Nymphes de bois ,
Tynipane aussi , meltez en omvrc dois ,
Et lc Choro ; n'y ait nul qui rdplique;
Faictes debvoir ; plourez gentils Galois,
La mort Machau , le noble rhdlorique.
Dansune piece de meniecaraclerc, Tauteur a deplore
parcillementla pertedc rillustie connelable Diigucsclui;
voici le morceau :
BALLADE SOR LA MOnT DE 8ERTBAISD DrGDKSClIM.
Estoc d'honneur , el arbres de vaillance ,
Cucr de lion csprins de hardement,
La flour des preux , et la gloire de France ,
Viclorieux et hardi combatlant,
k
EN Fn.kXCE. 179
Sage en vos fails , el bien enlreprcnanl ,
Souveraln liomiiic de guerre ,
Vaiiiqufiir de jjens , ct coiiqu6ieur de lerre ,
Le plus valllaril qui onqucs fulen v e,
C.hascuii pour vous doil noir vcstir et qiicrre,
Plourez , plourcz , flour de thevalerie.
O Hretugne , ploure Ion esp(*rancc ;
Sormantlle , fais son enlierenieiit ;
•Ciiyenne a\.\Sfi\, et /fuvergnr, or t'avance.
El Langiieduc , quier lul son nionunicnl;
Picardie , ihampngne el Occidenl
Doivent pour plourer acqucrre
TragMiens, Areihuse requerre ,
Qui en eaux fut par plour converlie,
Alin qu'i tous de sa morl !e cuer serre ;
Plourez , plourez , flour de chevalerie. ,
11^ gens d'armes , ayez en remembrance
A^oslre [lere , vous estiez si enrant ;
Le bon Bertrand , qui lant ol de puissanie ,
Qui vous amolt si aniourcusement;
(iuescCm crioit : piier dcvolcmont
Qu'il puist paradls conquerre ;
Qui deuil nVn fail , el qui n'en prie, il erre.
Car du nionde esl la lumierc laillie;
De loute honneur cstoil la droitc serre;
Plourez , plourez , flour dc cbcvalerle.
Eiitre celles qui se rapporfcnt plus on moiris diiec-
Icmeiil aux eveiicments publics el aux affeilions poli-
liques del'epoquc , on remarquera pailiculi^iTineril la
suivaiite :
DALLADE DE LA PHOPB^TIE DM. Mi:HI.I?(.
Selon le Brtil de I'isle des g^antf! ,
Qui depuls fui lib/on appellee ,
l8o DE LA POESIE LYRlgLE
People raaudit , lard dis en Dieu cr6ans,
Sera I'islc de lout point d6sol6e ;
Par leur orgueil vient la dure journie
Dont leur prophete Merlin
Pr^noslica leur dolereuse fin ,
Quani ilescripst: o Vie perdrez et terre ;
<< Lors tnonstreront estrangiers et voisin :
« Ou temps jadis esloit cy Angleterre. »
Las, toi , terre , gouvern^e d'enfanis,
Visage d'ange portcz; mais la pensde
De diable est en vous loudis sortissans
A Lucifer; par orgueil conipar6e
La loi par vous est ja deux fois cass6e,
Dans Ic service divin ,
Ne faictes pas d'aournement enterin ,
En demonstrant que faible est vostre serre,
Destruits sercz ; Grec dironl et Latin :
« Ou temps jadis esloit cy Angleterre. »
Sur le pays qut plus vous ful ardans ,
La Petite Bretagne esl surnommde ,
lerl le dibal de Gaule et de vous grans ;
La doit ccuvrcr contre vous deslinde ;
La commenca ta premiere meslde.
La finira le hutin ,
Puis passeront Gaulois Ic bras marin ,
Le pouvre Anglois destruiront si par guerre,
Qu'adonc dironl luit passant ce chcraiu:
" Ou temps jadis ctait cy Angleterre. »
Dansle nombre de celles que fouruit la simple pein-
lure lies nioeurs et des scenes du temps , on distingue
par-dessus tout la ballade Pour lelournoi de St.-Detiis ,
sous Charles VI ^ en i38(^:
Armcs, amours, ddduit, joie etplaisance,
Espoir , ddsir , souvenir, hardement,
K.N KliANCE. l8l
Jeunosse aussi , nianiere ct conlcnance ,
Iluiiiblc regard, trait amoureuscment ,
Gens corps , jolis , pares Ires-richemcnl ,
Avisez bien restc saison nonvclle ,
Ce jour de may, cesle grand' feste et bcll^.
Qui par le roy se fait a St. -Denis ,
A bien jouster gardez voslre (fdercile ,
Et vous scrcz honour6s et ch6ris.
Car la sera la grand'biaute de France ;
"Vingt chevaliers, vingt dames enscmenf ,
Qui les mestront arnit's par ordenance ,
Sur la place toutes d'un parement ,
Le premier jour , et puis secondemenl ,.
Vingt escuycrs , cliascun sa demoiselle
D'un parement joie se renouvelle ,
Et la feront Ics bdraux plnsieurs oris
Aux bien joustants : lenez fort votre selie,
Et vous serez bonoures et ch6ris.
Or y parra qui bien fcrra de lance ,
Etqui sera de beau gouverncment ,
PouracqucSrir d'amour la bicnveillance
Et qui durra auharnois longuemenl;
Cils aura los, doulx regard proprcment
Le monstrera ; amour , qui ne chancelle ^
L'enflambcra d'amoi!?euse estincelle,
Honneur donra aux mieux faisans les pris;.
Avisez lous cest€ douke nouvellc,
Et vous serez honourt^ ct cbt'ris.
Servants d'amour, regardez douleement
Aux cschalTaux, anges de paradis,
I-ors jouslcrez fort et joyeusement
El vous serez honour^s el ch^ris.
On y rallachera au besoiii sous ufi point de vue plus
gc'irieral , ccUe du Bon capilainc et de £ Ordre de chwa-
iBa Dli L.V l><»i;SlE I.MUQIU
/ent!,offraiil ibaciuie en co qui la coruernojle (ypcde !a
perfection idealc du temps , dans ces deux professions.
A oici le debut de la premiere :
Aux champs ! aus champs ! issez dc vo maison ,
Vous qui devez avoir honneur et querre;
A'ez-d avril el la doulce saison
(jue Ten se doil ordotincr pour la guerre ;
Etque Ten doll son ennemi requcrre
Et la froiititVe teiiir ,
Tant qu'il ne puist en vos marches venir ;
LI temps est doulx pour dormir en la plalne ,
L'herbette vienl pour chevaux soustcnir;
Ainsl sc doil gouvemer capltaine.
La seconde , demande i ^tre citde en entier
Vous qui voulez t'ordre dc chevalier,
II vous convient mcner nouvelle vie,
D(5votenicnt cii oraison veiller ,
P6chi6 fuir, orgueil et vilenic ;
L'^glise devez dt'fend re,
La veufvre aussi, I'orphenin entreprcndre,
Eslre bardis , et le peupic garder ,
Prodoms , loyaux , sans rien dc I'aulrul prendre :
Ainsi se doit chevalier gottverner.
Humble cuer ail; toudis doit Iravailler
Et poursuir fais de chevulerie ,
Guerre loyal , estre grant vojagier,
Tournois suJr et jouster pour s'amic ;
II doit i tout honour tendre.
Si com ne pulsl de lui blasme reprendre ,
Ne laschet6 en ses oeuvros trouvcr ,
Et entrc tousse doil Iciiir le mendre?
Ainsl sedoit cbcvafu'r ftouvcrner.
i:n fra.>ce. i83
II doil anicr son seigneur droilurier ,
El dossils tons gurder sa seignourie ,
Largesse avoir, estrc vral juslicier,
Des prodomcs suir la compagnie ,
Leurs dix oir el apprendre ,
El des vaillans les proesses comprendrc,
Afin qu'il puist les grans faiz achever ,
Commejadis fitle roi /tlexandre :
Ainsi se doit chevalier gouverner.
Les sujets saliriques ont fourni enlre aulrcs : niie
ballade k Double enlendenient (c'est-A-dire d'c(juivoqne,
d'eloge ironique ) , Sur les mocurs du siecle ; ensiii(e iiiie
autre , De la supei'iorile des anciens sur les />iodfinc\ ;
yuis line troisieme , Sur les nioyens de parvciiir a la
cour; puis encore une quatrieme , Sur le mariagcQic,
etc.
Voici la ballade sur les Moyens de pan'enir :
Apprenez moi commcnl j'arai cslat
Soudainement , Dame , je vous en prie,
El en quel lieu je trouverai bon plat
Pour gourmander el mcner glote vie:
— Je te I'oUroy ; traison el envie
Te I'aull savoir ; teulx le nicslront avant ;
Menlir, flatler, parler de l(5cherie;
Va a la court el en use souvent.
Pcigne toi bel ; ton chaperon abat,
Soies veslus de robe tres jolie ,
Fourre toi bien, quoi qu'il soil de I'achapt,
Tien toi brodd d'or el de pierrcrie ;
Mcnt largeinenl afin qua chascun rie,
Promet assez, el lien po de convent;
Fay lous ccs points ; ne le chaille qu'en die ,
Va a la court el en use souveni.
l84 DE L.V POIiSlE I.VUIQI'E
A mniiil I'ai vii fairo qui s'y enibal ,
Soi atToinler de IVschaiigonnerie ,
Joucr au\ doz , laiit qu'il gagiie on soil mat;
Ou'il jure foil , qu'il maugrec ou legnie ,
Fay done ainsi; met toi loujoiiis dovaiil;
Pour avoir nom , fous ces viies n'oublie ;
Va ^ la court et en use souvent.
Prince, bien doy renicri lor Folie ,
Qui ni'a nppris cc beau gouvernemenl,
Et qui ma did : a ces poins (^fudie ;
Va a la court et en use sou?ent.
Celle de Donbh entendcmenl debute coinnie il suil :
L'cTi me dennfand'e chasciin jour
Qu'il me semble du temps que voy ,
Et jerepoiids: c'est lout lionour,
Loyaut^ , v^riM et loy ,
LargeiJse , proucssc et army ,
Chari(6, et bicns qui s'advance
Pour Ic conimun ; niais par ma loy ,
Je ne dis pas quanque je pence.
On nous donne celJc du Manage sous Ic lihe de
Coniplainted'iai genlilhonime mai'ie en d gc moym { lout
indique (jue c'est Tauteur qui so dcgnlse, ou se d{''sii;iie
liii-nieme ainsi ) ; nous y reniartiuous eel excellenl
couplet ;
J'ai domourd cntre les Sarrasins^
Esclave csl6 en pays de Surie;
J'ai en vaisseaux, en gatees, en tins,
Esl6 sur mcr , et cb nave p6rie ,
Parle lournicnl cuidani perdre la vie;
J'ai combatlu en guerre el poup le gage.
i:.\ I'ltANC.K. l8{)
Elesdesprlsa un lionsauvago;
El (le lout nc me suis bien (5cliappc ,
El (I'aulres iTiau\; fors que du inariage;
Or garl chascun qu'il n'y soil allrap^.
11 y a dans lout cela beaucoup de choses louables et
bonnes ; ce dernier morceau sm tout est (el que nous
ne voyons guere qu'il lut possible de faire niienx.
En ce qui lient au genre badin et naif, il nous sonible
aussi qu'on (roiiverait difticilement quelque cbose de
plus gentil que ce franc et gai virelay , mis dans la
boucbe d'une jeune fille de quinze ans :
Suis-je , suis-je, suis-je belle ?
II me semble , a mon avis ,
Que j'ai beau front ct doulx vilz,
Et la bou( be vcrmeillelle ;
Diles-moi si je suis belle.
J'ai vairs yeux , pctils sourrils,
Le chief blond , le nez trailis ,
Rond menton, blanche porgctle;
Suis-je, suis je, suis-jc belle?
J'ai manliaux fourres de gris,
J'ai chapiaux , j'ai biaux profits,
Et d'argent inainte (*piiiglelte;
Suis-je, suis-je, etc.
J'ai draps de soie et tabis ,
J'ai draps d'or, cl b'aiirsel bis,
J'ai mainle bonne choselle ;
Diles moi si jcsuis belle.
Que quinze ans n'ai, je vous dis ;
Moult est nies lr(S!ors jolls;
l8G UE I.A POKSIE LYBIQUK
S'en gardprai la clavctle ;
Suis-jc, suis-je, elc.
Bien devra estre bardis,
Cils qui sera mes amis ,
Qui ara tel damoiselle;
Di(es moi si je suis belle.
Et par Dieu je li pl6vis
Que trcs-loyal , sc je vis ,
Li serai , si ne chancelle ;
Suis-je, suis-je, etc.
Se courtois est el gentilr ,
Vaillant, apers , bien appris,
II gagnera sa querelle.
Di(es-moi , etc.
C'est un mondain paradis.
Que d'avoir dame tous dis
Ainsi fraische, ainsi nouvelle;
Suis-je , suis-je , etc.
Euslache Deschamps, honime de cour, parfaitement
galant et poli d'ailleurs, n'a pas toujours piis suffisam-
meiit soin d'cviter I'emploi de certains mots un pen
cms , que I'usagc plus laffine de la langue a rejeles
depuis comme obsccnes ; c'est la faute du siecle beau-
coup plus que la sienne propre j quelques laches dc
cette espece peuvent se remarquer dans les parties non
citces de ce joli virelay , Suis-je belle; c'est a peu pres
le scul defaut que nous trouvions Ay relever.
II existc d^Etistache Deschanips un Rondeau dctnhle^
qui pourrait bien etic la plus ancienne Chanson a Loire,
i:> lUANCE. 107
f oinposee , 011 ilii moins connue , en langiie franriiise ;
il n'cst gucre rcmarquable que sous ce rappoit j voiti
Ic lexle :
BONDEAC DE TABLE,
I
Jamais a table nc serray ,
Si je ne voy le vin loul presi
Pour boire cl verser sans arrest.
Au premier morcrl Id soif ai
Que mort suis , se boire n'y est ;
Jamais ii table , etc.
Comment il m'cn va bien le say ;
liolanl en mounil ; si me plesl
Boire tost , puisqiie vin me pest.
Jamais a tabic , etc.
On pent remarquer encore d' Euatache Deschamps ,
le couplet ci-apres en AiUenx a la jeunesse :
Adieu printemps , adieu jeune saison ,
Que tous d^duils sont dus a rrdalure !
Adieu Amours, adieu noble maison ,
Pleinc jadis dc fleurs cl dc verdure !
Adieu esl(^! automne qui pen dure !
Yvers me vient , c'est-a-dire vieillcsse;
Pour cc tristcr te dy adieu jeunesse.
Et aussi la ballade Priere aitx Dames , par laquelle
il nous en faul fuiir :
PniiiRI! AtX DAHES.
Damos , Dames , que j'ai Ions-temps scrvi ,
Depuis qu'Amours m'oni donti(?fO!jiio"'isance,
1 88 DE LA POESIE I.YUIQI'E
El en (oiis c.is vous lo6 el chcry ,
Kt oinploye cucr , et cors, el puissance,
Et cii mes dis de joycuse plaisanee
Parle amouieuscmcnt ,
Priez pour moi , car nion d(5finement
Voy approchier , ct \c tcnips dc ma bicrc ;
Lc treu parroy de mort prochaincnienl
Sc de Dieu n'ay secours a vo priere.
Las , des que j'oy qualorze ans ct demi ,
Jc me soumis a voire obdissance ;
Si dcvriez avoir piti6 de my.
El vo servanl avoir en remembrance ,
Or vos suppli , doulces Dames dc France ,
Dc pricr dcvotemcnl
Nostre Seigneur , pour mon allcgemcnl;
El si je muir , ayez ma lombe chiere ,
Car sans retour vois au grand mandemcnt
Se de Dieu n'ai secours a vo priere.
Els'il convicnlquejc dcparleainsi ,
Veuiliez oir ma pileuse ordcnance;
Je eric a Dieu de mcs lorfnils mercy ,
Et a mcs homs lais ma petit'chevance ,
Le corps aux vers I'cra sa p(^nitcnce ;
Or ait I'ame sauvcmcnt ;
Vestez vons bianc pour moi au remenent ,
Oar de purld porle blanc la luniiere,
Et d'escliapper n'ai espoir nullcment
Se de Dieu n'ay secours a vo priere.
Immedlatcment apres Deschamps , ou , si Ton vent ,
jircsque avec lui , se presente le cbanoine Froissarl.
Joan Froissart naquil a Valenciennes^ vers I'an 1337.
Son pere , qui etail pcinlre d'annoiries , en fil \\i\
ckrc, et ce tlcrc , comme ii y en a pen , ful bioutot uu
K^i VKANCE. l89
des honimcs Ics plus recberches dcs princes ilc son
temps.
Froissart sallacha successivcmcnl au service de [)l!i-
sieurs grands personnages , fit avec eux , pour eux , on
quelquefois pour lui-mcnie , avec leur agremcnt , hcau-
coup dc courses d'ajf aires ou de plaisir , et mena , on
tout une vie d'avenliirc, assez peu conforme aux graves
convenances de son etat.
II a fleuri sous les rois de France , Jean , Charles V
et Charles PL
La reine A'Angleterre, Philippe de Hainaiit , femme
d'EdotiardlJI , Temploya pendant pres de sept ans ,
comnie clerc de sa cliaiiibre , et eut pour lui beaucouj)
de bicnveiilance ; plus tard , apres la niorl de cello
princesse, il fut secretaire du due Vcnceslas de Brabant,
et clerc de cliapelle de Guy , cointc de Blois , etc.
II eut aussi des relations non nioins utiles qu'bono-
rablesavec Gaston Phcokis. comte de Foix (IVpoux de
la princesse /Ignl-s de Nai-arre) , prince inagniflque ct
passionne pour (ous les nobles dcduiis dt^ son sicdc ,
etc. (i) , et finalement avec le jeune roi d'Anglcterre,
liichard II (pe(il-fi!s de sn prolectiice), qu'ii visita en
1395.
II ecrivait encore on i4<Jo.
Froissart a laisse une belle reputation coninie bisto-
ricn ; ses poesies aussi oiit eu loiir vogue , quViles pa-
raissent avoir nieritee au nioins :\ certains j'igards.
(I) Aulcur il'iin pociiio siir la fhasso , et qui pas5P pour avoir
aim(S col cxercicc , au point d'cnlrctnnir jiisqu'ii 16(10 chioiis bicii
drcssc's.
i3
\L)0 DK l.A I'OtslL l.VKIOlli
Sainte-Palnye , qui los a jugecs peul-rlre uii |>eu
severcment , iiclour refuse pourtanl pas i\ la ii},Mieur
un oertain ejfet cle simpUcite et de liberie assez gracieuacs
(Mem. de I'Ar. des Inscr. , elc. , t. xiv , p. 225); et
d'autre pari M. de Barante, si bien infornie de loiil co
(jtii lient an sujel et a Tauleur , va jusquW dire :
« qu'elles out un caraclere aussi vrai que son hisloiie ,
« el soul, comnie elle, non un ouvrage d'arl, mais une
« production toute naive el toute nalurelle. y> (Biogr.
I iiiv. , loc. propr. )
Les poesies de Froiisari n'ont ele conservees jiisqu'ici
i]u'en manuscrils, donl il n'a ele publie que de rarcs et
insuflisants echanlillons, apparlenanl pour la plupart
ail genre narralif d'alU'i^orie galavtc , el ne contenanl
de lyrique , que quelques inorccnux de chant , epars
dans le poenie , el appropries i la situation imaginaire
des personnages agissanls.
Les critiques qui onl pris la peine d'explorer les ori-
ginaux , y out reconuu I'exislence de beaucoup d'autres
productions lyriques ditacliees, les unes de pure galan-
lerie , les aulres relatives aux eveuemenls el aux inle-
rets du temps.
Dans le nombre de ces dernieresdoivenl se Irouver :
Un virelay danse i une fete pour la reception de
Ljonnel, due de Clarence , k la cour de Savoye, en
1 368.
Un lay sur la morl de sa bienfailrice , la reinc Phi-
lippe de Haynaut , en i3Gq.
Un epidialame du comte de Dunois , fils du comie
de Blois , son dernier maitre , en 1 386 ?
Des pastourelles , sur If roi lean , sur une victoire de
Charles VI , sur I'entrec de la reine IsabcUe , etc., etc.
EN FRANCE. I91
Tout cela devrait ^tre fort curieux A ^tudier.
Les Paxtourelles de Froissart passent pour avoir ele
coiiiposees en majeure parlic pour les concours publics
des academies de Picardic et de Flandre , etc. On les
juge en general pleines de grSce et de naivete , mais
un pen plus gales qu'il ne conviendrail a I'etat et au
caractere de leur auteur ; ajoutons d'ailleurs qu'il n'est
pas bien reconnu qu'elles soicnt lyriques , et que de ce
qu'on en dit et de ce que nous avons eu occasion d'en
voir nous-mcmes , il nous semble resulter que ce ne
doit etre que des cnireliens de bergers , il n'importc sur
quels objets , pastorales de Ion et de personnages , si
Ton veut , efrangercs du reste aux donnces de la pas-
tourelle d'aventure de l^^ge precedent.
Dans le nombrc despeli/es coinposiiions lyriques bien
connues de Frowrtr/ , nous dislingucrons avant tout le
gentil virelay ci-aprcs ( extrait du Joli Liiisson de
Jonece ) , dans lequel une dame est censee exprimer le
regret d'avoir econduit , par la reserve affectee de son
langage, I'amL dont , au fond du ccBur , lUe eut voulu
accueillir les voeux :
Par un lout seul csconrtire
Dc bouche , non de cuer , fait ,
Ai-je mon ami rclrail
De moi , dont jc morrai d'ire !
Helasl que ma bourhe a fait !
Ne comment ose clle dire
Tout le conlraire dou fail
De ce que moa cuer desire !
Lasse , je ploure et soupire ,
Et si n'ai-je rieii fourfet ,
1^2 B£ 1-A I'OESIE LYUJQUE
Fors que lie ma buuche ai trait
Le glave pour luoi occire !
Par un lout scul , etc.
Et so jamais se relrait
Vers moi , Dieu me puissc nuire ,
Se hriefmont ne me rcmet
Au point oil amours me tire !
Jen voil mon cuer assoufire,
Maugr(5 que ma boudio en ail ;
Nc ja pour cri no pour brait
Ne s'en laira desconfire.
Par un tout seul , ele.
On pourra au besoin en lapprocber cet autre (cxtrail
du niome poeme) , que Fauleur a mis , on ne voit ])as
trop pourquoi . dans la bouchc da pcrsonnagc allcgo-
ri(|ue Jltcmprance (moderation , ou lelcnue ? ) ; niais
ou se peint, avec une rare vei ile, Ic pelil amour-propre
d'une jeune fille , conti ntc de sa gcnlillesse et de son
independance, et toulc fierc d'avoir h se faire rcprocbcr
de pctites rigueurs :
On ditquej'ai bien manicre
D'esire orguillouselle ;
Bien afliert a (*lre fiere
Jone pucelelte.
Hui matin mclcvai
Droit h l'aioiirn('c;
En un jardinelenlrai
Dessus la rous^e.
Je culdai estre prerniore
Au cloi sui i'lierbelle ;
I
E.\ FRANCE. 193
Mais mon doiix ami y ere
Cueillanl la flourelle.
On dil(iue j'ai , elr.
Un ehapclel li dorinal ,
Failde la vespr^e;
II le prit, bon grtl'en sat.
Puis m'a apipel6e :
« Voeillez oir ma proycie ,
n Trds belle et doucelie,
« Un petit plus que n'alTi^re
« Vous m'elcs dureltc. »
On dit que j'ai , etc.
Froissart a passe pour exceller dans la composition
dos ancieiis rondeaux d'aniours ; on en jiigcra par les
deux suivants :
I. RONDEL SDR UN depart:
Le corps sen va , mais le cuer vous ilenicure,
Tres cheie dame ; adir 11 jusqu-'au reUiur ;
Trop me sera loinlainc ma dcracure ;
Le corns s'en va , ma is le cuer vous demeure ,
Tres chcrc dame ; adieu jusqu'au relour.
Mais doux penser , que .j'aurai a (oute heucc^
Adourira prant pari de ma doulour;
Tr6s chere dame, adieu jusqu'au retour;
Le corps s'en va . mais le cuer vous demeure.
2. RONDEL SUR UNE ABSENCE PROLONGKE. ,
Reviens, amy, Irnp longue est ta demeure ;
Elle me fail avoir peine el doulour ;
Mon esperil le dom:inde a (nule heure;
Reviens, amy, trop longue est ta dcmeurei
194 I>B LA POiSIE LiRIQt'E
Car II n'est nul , tors tol , qui me sequeure ,
Ne secourra jusques a Ion rclour ;
Reviens, amy, trop longue est la demeure;
Eile me fail avoir peine et doulour.
Lcs extraits connus des poesies de Froissart nous
foiirnissent un lay A la Stc.-Fiergc , formant epilogue
de son livre du Joli huisson , etc. ; nous en cilerons ce
debut , qui pourra nous servir plus tard , avec d'aulres
niorceaux analogues ou differents d'objel ou de formes,
a eciaircir un peu oe qu'il y a d'embrouille dans I'his-
toire de ce genre de composition :
Flour d'honneur Ires souveraine ,
En qui virginity maint
El parmaint,
Eulx tamaiul
Sent gari del ardenl paine
Que lenlalion amenc
Par I'anemi qui nous chainl
£t dcstraint
El constraint
A toute heure ct nous Tourmene;
Mais de tous biens es si pleine
Qu'en es saints ciels ne remaint
Sainlc ou saint
Qui se faint
De louer a longue haleine
Ta verlu noble el haulaine.
Qui n'amcindrit ne ne faint ,
Mais csleint
Et restreinl ,
Noire advcrsile prochaine
A Froissart succede Charles due d'Orleans,
EN FUA^CE. Uj)
Chttrlcs d'Orlcans fut un prince de la iuaisi»ii rovah*
(le l^alois . pelit-tils de Charles /' , peie de Luuis XII
el oiicle de Frnncois t' .
II iiaquit a Paris en iSgi , par consequenl une
dixaine d'annees avanl la mort de Froissart.
Charlex veciit dans im temps de malheiirs , et son
liaut rang ne (it qued'allirer plus inevilablenient sur
lui les coups de la fortune, alors si contraire i la PVaiice;
fait prisonnier ck la bataille d'/^=iMCOM/£{i4i5) , il ful
conduit en prison en Angleterre, oCi sa caplivile ne
dura pas moins de 25 ans ; plus tard rendu enfin i s:»
patrie , il y mourut en i465 , eniportanl apres Uii
IVstinie el les regrets de tousles gens de bien.
Charles d' Orleans a cultive la poesieavecun zele et
uue Constance fori reniarquables dans un prince, et
cette occupation dut etre pour lui une heureuse res-
source contre les ennuis de sa longue captivite.
Ses poesies coniposees , pour la plupart, en pays
I'tranger , furent apparemnient peu lepandiies en
France , ou peut-elre y excilerent peu d'atlention au
milieu des desasties politiques de I'epoque ; il est de
fait que cinquante ans apres la morl de I'auteur , ni
Francois I". , son neveu , ni aucun des lettrcs de sa
cour ne seniblent en avoir eu connaissance ; que des
lanibeaux s'en trouvent, alors menie , usurpes ou pu-
blics sous de faux noins ;,que personne n'en a parle au
XVII''. sieclej et qu'il n'en subsistail plus aucun sou-
venir, lorsqu'en 1735 , Tabbe Sallier en decouvrit ino-
pinement dans la bibliolbeque du Roi , un nianuscrit
oiiblie , mais parlaitemcnt autfaentique , etqu'aux mo-
iiogranimes de la couverlure , on reconnait pour avoir
;q>parlcnu a la reine Catherine de Mcdicis.
!f)f> DE LA POESIE LYRIQLE
11 n'cn a M. public jusqu'A present qu'un choix fort
inc( mplet, tcl que Ic donne un autre manuscril, Irouve
plus tard i la bibliothequc publiquo de Grenoble , el
execute , i ce qu il parait , sous ses yeux , par son
secretaire Astcsan , qui I'avait enrichi d'imitations en
vers latins.
Enlre les meilleuves pieces lyriqucs de ce recueil ,
nous devons commencer , comme lout lemoude, par
citer le rondeau celebre , dit du Renouveau :
Le Temps a laiss^son manleau
De vent, de froidure el de pluye,
Et s'est veslu de broderie
De soleil raiant , clair et beau.
II n'y a besle ne oyseau,
Qu'en son jargon ne chante et crle :
Le Temps a Iaiss6 son manleau
De vent, de frordure el de pluye.
Riviere , Tontaine el ruisseau
Portent en llvr^e jolie ,
Goules d'argent, d'orfavrerie;
Chascun s'habilledc nouveau;
Le Temps a laiss6 son manleau
De vent, de froidure et de pluye.
Dans le grand nombre de ceux qui se presentoraient
pour en fire rapproches , nous en voyons peu d'aussi
agreables que eel autre ou I'.uilour se nioiilre si nai Ye-
meni channe dcs perfections de sa Daiue :
N'est-elle de tous btens garnic,
Celle quej'aimc loyaumcnt?
II m'cst avis, par mon scrmcnt.
Que sa pareille n'a en vie.
E.\ FRANCE.
Qu'cn dilos-vous, je vous cnprie?
Que vous en semble vrayemeiit ?
Nest-elle de (ous biens garnie ,
Cellequej'aimc loyaumeiit?
Soil quelle danse, chante ou rie,
Ou fasse quclque esbatement ,
Faictes en loyal jugement ,
Sans faveur ousans flalterie ,
N'est-elle de lous biens garnie ?
'97
Uiic ballade du plus toucbant effet , est celle oii ,
apres la mort de son aniie , I'auleur se rcpresc:i(e
pliant Dieu pour elle , et comniencant ranuee par lui
offrir une messe pour etrennes :
Je me souloye pourpcnser
Au commencement de I'annfie,
Quel don je pourroye donner
A ma dame la bicn aim^e:
Or sills hors de ccsle pcnsce ,
Car mort I'a niise sous la lame ,
El I'a hors dc ce monde ost(5e ;
Je prie a Dicu qu'il en all I'dmc.
Non-pourlanl pour loujours gardcr
La coustume qi?c j'ai us(^e ,
El pour a foutes gens monstrer
Que pas n'ai ma dame oubli^e ,
De messe je I'ai cstrennie ,
Car ce me sera it trop de blame
De I'oublier cesle journde;
Je prie a Dieu qu'il en ait Vhrnc.
Tenement lui puist proufilcr
Ma priore , que conrftrlce
Soil son amc, sans point tardcr ,
,q8 »E la PUESIE I.YIUOVK
El de srs bien-fails gucrduiin^c
En [laradis, et couroiinec
Commc la plus loyale dame
Qu'en son vivant j'ayc Irouvde;
Je pric a Dieu qu'il en ait I'Ame.
Quanl je pense a la renoinmtSe
■ DCS grant biens donlestoilpar(5e,
Mon pouvre cueur de doiiil se pame ;
De lul souvenl est rcgrett6e ;
Je piie h Dieu qu'il en ail I'ftnie.
Lc bruit de sa propre moit faussemenl repandu en
France, duranl sa caplivile , lui a fourni le sujet de
cette autre :
Nouvelles ent couru en France
Par inainis lieux que j'esloye raort,
Dont avoient peu desplaisance
Aulcuns qui me haient a tort ;
Aultres en onl eu desconforl ,
Qui m'ainient de loyal voulolr ,
Comme mes bens et vrais amis ;
Si fais a loules gens savoir
Qu'encore est vive la souris.
Je n'ai eu ne mat ne grevancc ,
Dieu merci , mais suis sain etfort;
Et passe temps en esperance
Que paix , qui Irop longuemenl dort,
S'esveillera et par accord ,
A tons fera Hesse avoir ;
Pour cede Dieu soient maudits
Ceux qui sont dolents de v6olt
Qu'encore est vive la souris.
Jcunesse sur raoi a puissance ,
Mais vieilleisc fail son effort
EN KKAMCK. lOO
De rn 'avoir en sa gouvernance ,
A present faillira son sorC ,
Je suis assez loin de son port ,
De ploure veiiil garder mon hoir ,
Lou^soit Dieu de paradis ,
Qui m'a donnd force et povoir
Qu'encore est vive la souris.
Nul ne porle pour moi le noir ,
On vent meilleur marchi^ drap gris ;
Or liegne chascun pour lout voir
Qu'encore est vive la souris.
On pouria reniarquer encore au besoin , celle ou il
se peint.dans sa prison, sous remblcme d\i fruit d'hh'cr,
que I'on a mis k murir sur la paiile i
Je fus en fleur ou temps pass6 d'enfance,
Et puis apres devins fruit en jeunesse;
Lors m'abatlit de i'arbre de piaisance,
Verl et non meur , Folic ma niailresse ;
Et pour ceia , Raison qui tout rcdresse ,
A son plaisir , sans tort ou mesprison ,
Ma ci bon droit par sa Ires grant sagesse.
Mis pour meurir ou feurre de prison.
En ce j'ai fait longue continuance ,
Sans estre mis i i'essor de largesse,
J'ensuis content, et liens que sans doubtance
C'est pour le micux ; combicn que par paresse
Deviens fleslry et lire vers vieillesse,
Assez esteint est en moi le tison
De sol dt'sir , puis qu'ay est6 en presse
Mis pour meurir ou feurre de prison.
Dieu nous doint paix ; car c'est ma destrance ,
Adunc scrav en I'eauc dc licssc
200 DE LA POiiSIE LYRIQL'E
Trop refrt'sclii , el au sok-il rlo France
Bipii nelliL' dc moisy tie Irislcss^ ;
J'allcnds bon tonips, en diiranl en humblesse ;
Carj'ai espoirque Dieu ma gu^rison
Ordonnera ; pour ce m'a sa baulesse
Mis pour meurir , etc.
Fruit suis d'hyver qui a moins de fendresse
Que fruit d'esl6 ; si suis en gnrnison ,
Pour amollir ma Srop verde duresse ,
Mis pour meurir , etc.
Tous ces niorceaux sont, comnie on voi( . puretnent
personnels d'objet et de caraclere ; il ne parait pas q>ie
Charles soil souvent sorti hois dece cercle ; le reiueil
iniprinie ne nous fournit que deux pieces qui fassent
except ion a cet egard et se rapportent franchenienl i
la categorie des sujels d'interet public.
C'est a savair, en premier lieu , la ballade suivante ,
en facon de priere A la Ste. -Vierge, et va?ux pour le
relablisseinent de la pais ( apparemmciit peu aprcs
i44o?).
I'ricz pour pais , doulce vierge Marie ,
Roynedes cieuh , el du monde maitressc,
Faictes prier par voslre ccurloisie
Saints et saintes , el prerjf z vostre adressc
Vers voslre fils , rcqu(5rant sa hautesse
Qui! Ini plaise son peuple regarder.
Que de son sang a voulu racheter.
En desbrtulant guerre qui tout desvoye •
De priercs ne vous veuillez lasser ,
Priez pour paix , le vrai Iresor dc joic.
Pricz , preiats, et gens dc saincte vie,
Religicux , no dormcz en patcsse ,
i.> riivNci;. 201
Priez , maislres ct Ions suivanis clergie ,
Car par guerre fault que I'^lude cesse;
Mousliersilcslriiits sonl sans qu'on Ics redresse,
Le service do Dieu vous fault laissier.
Quant ne povez en repos doniourer ,
Priez si fort que bricfment Dieu vous oye;
L'6glise voult ii re vous ordonner,
Priez pour paix , Ic vrai Iresor dc joie.
Priez, pcuple, qui souffroz tyrannic ,
Car vos seigneurs sont en lelle foiblesse,
Qu'ils nc pcuvent vous gardcr pour maistrie ,
Nc vous aidier en grant dure destrcsse ;
Loyaux man hands, la selle si vous blesse.
Fort sur le dos, chascun vous vicnl pousser,
Et ne povez marchandise niener ,
Car vous n'avez seur |»assage nc voyc :
Et niainl peril vous convicnt-il passer,
Priez pour paix, le vrai (resor dcjoie.
Priez galans, joyeux en compagnie,
Qui dcspendredesirez a largesse ;
Guerre vous lient la bourse dcsgarnie ;
Priez , anians , qui voulez en liesse
Scrvir amour , car guerre par rndossc
Vous desloiirbp de vos dames banter ,
Qui niainles fois fait leurs vouloirs lourner,
Et quant tcncz Ic bout dc la couroie,
Un eslranger si vous le vientoster,
Priez pour paix , etc.
Dieu lout puissant nous vcuille conforter
Toutcs chosps , en terre, ciel et nicr;
Priez ver£ hil que brief en lout pourvoye ;
En liii seul csl de lous ninulx amender;
Priez pour paix , etc.
C'esl eiisuHe,et plus parliculieiemcnt, celte dorniiM-e ,
oo? Dli I.V I'OESIE LYUIQVE
la plus imporlante tic loutes , pour le merite de Toxe-
culion comme pour la nob'osse (hi sujet,sur Y Expulsion
lies Anglais, et la Reprise des provinces conqnises ( vers
1453, apres les balailles de Formigny et de CasUUon?].
Comment vois-je Ics Anglais csbahis?
Resjoi-toi , franc royaume de France!
On apercoit que de Dieu sont hais ,
Puisqu'ilsn'ont plus courage ne puissance;
Bien pensoient par leur ouUrecuidancc
Toi surmonter et lenir en servaigc ,
El onl tenua tort ton hirilaige;
Mais a present Dieu pour toi se combat ,
Et se monslre du lout de ta partie ,
Leur grant orgueil cnlierementabat,
Et t'a rendu GiQ-enne et Koimandif.
Quand Ics Anglais a? pi^ca envahi ,
Rien n'y valoit Ion sens ne la vaillance ;
Lors estoyc , ainsi que fut Irahi .
Pescheresse , qui , pour fairc p6nanre ,
Enclouse fut par divine ordonnance;
Ainsi as lu esl6 en rcclusaigc,
De desconforl , et douleur de coraigej
Et les Anglois menaientleur sab?t
En grant pompe, baubanset tyrannic,
Or a tourn6 Dieu ton deuil en esbat ,
Et t'a rendu Guyenne et Normandif.
N'ont pas Anglois souvent leurs rois trahis?
Certcs oil ; tons avent cognoissance ;
Et encore le roi de leur pays
Est mainlenant en douleuse balance;
D'cn parler mal chascun Anglois s'avancc;
Assez monslrent par leur mauvais langaige
Que voulontiers lui feraient outraige ;
Qui sera roi enlr'eu% est grant d^bat ;
E.N FIJANCF. au3
Pour c<? , France , que vc«i-tu que tc die?
De sa verge Dicu les punisl cl bat ,
Et I'a rendu , etc.
Roi dcs Francois, gagne as I'avantaige;
Parfais Ion jcu, commc vaillant cl saige ;
Mainlcnant I'as plus belle qu'au rabat ;
De Ion bonheur , France , Dieu remercle ;
Fortune en bicn avecques toi s'embat.
El I'a rendu , elc.
Ici nous devons nous arreter quelques moments ,
afin (le leflechir un pen sur re que nous .nvons vu.
In point (lont on n'auia pas manque d'etre frappe
d'abord , c'est VaJJinUe visible qu'offrent entr'eux los
quaire lyriquex des ocuvres desquels nous vcnons dVs-
quisser I'examen; elle est telle, que Ton pcut dire qu'ils
ne different en effet les uns des aulres , que par une
sorte d'adoucissement successif de nuances , qu'onl du
naturcUement introduire dans leurs chants, les progres
de la langue el ceux de Tart de la composition ; il serai t
superflu d'insister sur celle remarque , que tout ie
nionde aura faite avec nous.
Que d'aulre part , ce nouveau lyrique des XIV'. et
XV*". siecles presenle , ainsi que nous Tavons avance ,
un caractere lout different de celui des XII'. et WW.,
c'cst encore une chose fort claire par elle-menie , niais
surlaquelle il nous scmble pourlant utile d'entrer dans
quelques details.
Nous avons vu Ic lyrique de la chevalcrie , renferme
dans Ic cercle etroit des idees de galantcric et de dc-
\-otion , i pen pres egalemenl eiranger u Texpression
des njjections comnmncs dc la nature , et ;\ celle dci
2o4 »E LA POESIE I.YUIQIE
grands inlcirts du temps, retoiirncr de toulos Ics farons
pendant plus de deux cents ans , Ics memcs langueurs ,
Ics memes g^flffe's , les mvmc&Jincsses , dans leuis Irois
formes invariables de chanson (famour, pastourelle ot
jeu parti.
Maintcnant , revolution complete , ct dans le fonds
et dans les formes :
D'abord la galanierie ne disparait pas , mais elle se
modifie beui cusement dans son caractere : clle tend a
rtjnlre- dans le ton des affections naturelles , et a de-
pouiller peu ^ peu les couleurs de V adoration factice ,
dont la cbevalcrie s'etait evertuce a la revetir.
Elle cesse d'ailleurs d'etre exclusive.
A cote d'clle se produit avec avantage Texpression ,
jusqii'alors si negligee , de loutes les affections ct de
tous les interets ; le poete cniancipc a enfin appris que
son doraaino n'a plus de bornes; son choix est Hire, et
il se complait dans sa liberie ; la varicte s'est introduce
dans ses chants ■ les sujcts clcves eux-menies n'effraient
plus son audace , ct lorsqu'il ics a abordes , ce n'a pas
etc sans un certain succes. "'' '^'^'^ '•""' ^""^ uonuiu
On a pu remarquor sur combicn d'objels divers s'est
promcnec I'imaginalion iVEustache Deschamps ; com-
bicn de vcrilc ont mh Froissart et Charles d' Orleans
dans I'exprcssion des affections simples et douces qu'ils
se sont plus a peindre ; quel degre de convenance et de
noblesse out atteint Deschamps , d'abord , dars ses
deux ballades , Sur la mart de Dnguesclin , ct Sur la
destruction future de VAngleterrc . ot surlout Charles
d'Orleans encore , dans son noble chant de vicloirc sur
le beau sujct du Triomphc des amies francaises . au
temps lie Charles I II,
KN FBANCK. oo5
Voila pour Ic fonds dfs choses j le chaiigeincnl est
immense el le progres evident.
En un seiil point Ics poetes des XIV''. et XV^ siecles
sont lesles dans une des mauvaises praliqnes de Iciiis
piedecessenrs , don I iis ont meme encore outre Tabus ,
nous voulons dire la personnificalion et la materialisa-
tion des i'trcs nieloyhysiques , etc, ; on en aura reniar-
que de singuliercs traces dans la ballade de Charles
d' Orleans :
Je fiis en flcur, etc.
Le recucil de ses opuvres nous en fournirait au bpsoin
bien d'autres et dc bien plus etranges cxemples ; c'est
le defaul le plus habituel de sa nianierc , et il est vrai
de dire qu'ii entache desagreablement le plus grand
nombre de ses compositions. Entre ses abstractions
favorites , figurent [)articulierement Nature , Enjance,
Jeunessc , Lojaute , Confort , Esperance , Liesse , etc. ,
communemenl en guerre avec Dangler, Deuil , Mc-
rencolie, Souci , Desplaisance , etc. , ot dans le demele
desqucls il intervienl souvent , ou par lui-meme , ou
par les actes distincfs et quelqucfoissimultanesct con-
traires , de son Pcnser et de son Cceur.
Cetle personniGcation de son Cceur surtout , est une
de celles qu'il affectionne de preference, el sur laquolle
il revient cent fois , ef de cent facons pins ou moins
bizarres :
II va Iroui'cr son Coeur pour lui chercber querelle ;
son Cceur lui lit un ronian de Plaisant Penser ; il dressr
son Coeur a la cliasse h Voiseau . pour Vern'oycr volcr
apres mainte pensee ; Nonchaloir vient (rrncliappmuHtef
■>oU UK L\ I'OKSll'. I.\Klolli
AOM C(riir , atin qu'il no volo phis ; la /o/vp'vwr r/c «"/
f.'<r;/A' , iissiegee de Dandier et Tristessc . vicnl il\Mre
ravitaillee de vAvw r/c //o« espoir ; son Cceitr s'esi rendu
ht'imite en rhennitagc de pensee ; xon Cceur , roloim
par Dangier an pur^nloire de Tristrsse . cnliPia le dei"-
nior ail parntlis (Us anioiireux , etc. , etc.
La tnatcrifilixaiioti . roninie on le voit d'avance , a
sa bonne pari dans loiil cela , el Pa onrichi de nuances
tpii ne sonl pas les moins singiili^res ; on aura remar-
ipi^ les I'ivrrs ile hoii c.^/'d/r, I'hermilagp de. pensve , etc.
1^0 poete se |>resenle ailleiiis : cheniintint duns Infarct
tl'inuuiyciifc Iristessc. dorriinnt siir le lit do. dure pcnsee ,
niellanl siir son cceur un cmpldlre dc nnnclinloir , etc.
11 esl des pieces en palinialhias coniplcxe , qu'il s'esI
express^menl applicpie a remplir , aussi exclusiveinent
qu'il I'a pu , de traits accumules de celle espece.
Ainsi ; Qiiand le dotix soleil de la bcniite de sa dame,
biillera par les/t'//(V/<'5 dc m's ycitx , la chnmbre de sa
pensi'e reluiru de grande plaisance , el sera pa^-ee de
joic, elc.
Ainsi : II conserve le coeur de sa Dame enveloppe en
un comrcchef de plaisance , au cojf're de souvenance ,
lave aux lannes de depiteux penser , puis secb6 au /eii
d' espvrance , etc.
Ainsi (apres la mort de cettc meme Dame)> i' '*
( t'lebre les obseques de son amie an monlier ar/ioiuriix;
Penser douloureux cbantail le service; cierges de soupirs
pileux formaienl son lumiixiire ; il a fail (aire sa tond>e
de regrets peints de larmcs , elc. , elc.
Au milieu de ces iuvenlions d'allc^gorie pure , dans
ctirtaines couipiLsitiuns coiumenccnt aussi u poimhe
£>• FRANCE.
W]
tout (loucement quelqiies idees de Mythologie com-
mune : Forlune y figure , avec ou sans sa rone ; le Dicu
iV/4f/ioicrs s'y montic , accompagnc de sn mere, et I'un
eiraulre sous leurs noms et leurs //V/es connus ; tout
ccla s'y mele parfois d'une fa^on fort singuliere ,
comma on pourra le remarqucr surtout dans le pro-
logue (non lyrique) du livre , contenant , apres long
debat , letlre de relemte (ou engagement) , de I'autenr ,
donnee au noni de Finns et de Ciipidon, par Bonnefoi,
leur chef- secretaire en la cil6 de Gracieux desir , sous
le sceau A' Amour , appose par Loyaute , a la date du
jour de St.-Falentin , martjT !.. etc. (i).
Quant i ce qui ticnf a la forme, on a vu cequi en est:
Celle du lyrique de ccltc epoque se distingue habi-
tuellenient par I'usage de certains grands refrains de
vers entiers, que le sens ramene, a plusicurs fois , dans
des points determines du chant , dont ils semblent ainsi
jalonner symetriquement toute la distribution.
Le procede varie , dans son application a chaque
espece de composition , et ce sonl ces variations
memes , qui en detcrminent la denomination et le ca-
ractere.
Dans la ballade commune , c'est le dernier vers du
premier couplet , qui doit revenir , conime refrain , i
la fin de chacun des autres couplets.
(1) Des traits Equivalents sc rcinarqucraienl au besoin dans
quelques compositions narratives de Froixsart; — on a vu East.
iJeschainps invoquer Orphee , Mreihnse el /ilphee , dans line
eomplainle; — Machnu a parld des amours drs dieur rt ties
de'esses; — et avanl eux tous , d^ja I'anleiirdu roman df tu rnsf,
n'avail pas laiss^ de mf'Ier la Parqtie A/topos , !t\i\ per.snnn.-igos
d'allrgorie pure, dont ill'a d'aillriirs cxcl'isivcmciil rrrnpli.
2()8 DK I.A I'OKsIE LYlllyL'K
Dans le rondeau et le triolet , ce sont los deux vors
<]» commencement, qui, lamenes deux autres fois, en-
semble ou seul a seul , dans la composition, doivent y
occuper au moins cinq places , dans une conibinaison
qui rarenvent excede I'etendue de trois quatrains , et
quelquefois uVh contient que deux.
L'arlifice ijarliculier du vuelay conshie dans le retour
tVun rouplci (le debut , qui , distinct de tons Ics autres ,
doitTevcnir , cemme refrain natuiel, ^ la fin de chacun
jde ces dernieis.
Toutes ces combinaisons sont d'un offet ingenieux
tt agreable , lorsque le refrain a cl« bien choisi , et
qu'il s'y Irouve bien ran>cne , c'est-A-dire quand le
poele a rempli cett« double condition , d'y renfermor
Ja pensee principale -et ie sentiment dominant do la
piece , et d'en faire contrae un centre , auquel viennent
se rapporter d'^iux-memes les autres derails qu'il a di\
y assortif .
Cei>endan't c'«st en general un moyen de genlillesse
et de gracieus^te , plulot que de beatilc solide et n'elle ;
le prooede offre en lui-mome un caractere d'artifice
par trop palpable , surtout dans Tabus que ne pouvaicnt
manquer d'en faire I'indiscretion , la niediocrite et le
niauvais gout ; telles de ces formes de composition ne
laissaient pas assez d'espace au developpement nalurel
du sujet J toutes excluaient trop neccssairement tout
mouvement de grand contraste , d'objots ou de senti-
ments opposes , etc. Ces reflexions soul venues en leur
temps ; il est tout simple que peisonne ne se soit avise
de les faire alors.
On a demande d'oii nous venaient ces formes de
pitccs a refrains J el quel est celui de uoi \ieax poeles
«jui le premier avail Irouve le secret de ces mignardises .
Oiie)qucs-uns ont nonime Froissarl , comme ayant pu
en invenler , ou peut-etre seulenienl en inlroduire
parnii nous les premiers types , emprunles d'ailleurs.
Tout cela est fort ine:sact; Froissarl n'a rien invcnte ni
introduit , en ce genre , puisqiie , comme nous Tavons
vu , avant lui , Ensiacke Deschamps , et nirmc aussi
Guillaume de Machaii , ont fait des compositions tout-
i-fait semblables ; 11 est bien clair d'ailleurs , que si
Vusage etla vogue sont de ce temps , tiiwenlion elle-
meme n'en est point , ei remonte k une epjxpm plus
ancienno ; il existe une iLanson de Thibaui (i a', de son
recueil ,) dont cbaque couplet tinit par. te refrain de
<leux vers :
tt-Nus nepuet-iro|>.aclMi(er'
« Les^/I)k'i>s q.ij'Aiiiour scel^onner. «
Peul-on dire de- bonne foi que cola ditTere vraiment
d'une ballade? Le rondeau el le IrioleL e.rx-memes, les
plus compliqueesde ces foi-mes , teibs dans lesquelles
sembbMit s'en rcsnmer . dans le. plus eiroit espace
doune , tontes Ics di(1uuU(is el lout Fartifice , ne sent
]>as non plus , quelquc ihf:>sc de nouveau , ni d'inconnu,
comme on lecroirail., a la pratique (!os Ages prece-
dents ; il exisle plusieurs couplels de ( liansons en forme
de triolets dans plusieurs romaus bleu connus du XUb
siecle ; on en cite parliculieremenl cet exenqtle , pris
du roman des Amours dii cliatelain dc Coucy. ecril veis
I'an i??8; t'esi un cou|ilet que la dame du Fayel y
2IO DE LA POiSlK LYUIQUE
chante k table , et que toulc la compagnie lepcle en
cbceur :
J'aim' bicn loyaumenl ,
Et s'ai bcl amy ,
Pour qui dy souvent :
J'aim' bicn loyaument.
Est miens ligement,
Jc le say de fi ;
J'aim' Lien loyaument,
Et s'ai bel amy.
Nous demandons encore quel cheniin reel il y avail
A faire pour arrivcr de la d^uwicux rondeaux AeFrois'
sari , de Deschamps et de Machaii ?
On a dit queles poetes du XIV'<^. siede avaienl fait
revolution dans I'art, en separant la poesie de la niu-
sique , et en cultivant la composition lyrique indepen-
daniment de sa destination pour le cbaiit ; I'asscrlion
parait ^-Ire exacte en elle-mome ; niais i comniencer
d'ou 7 c'ost ce qui ne s'aperroit pas distinetement j le
changement sur cc point semble s'etre introduit par
degres , et d'une nianiere h pen pres insensible j il est
certain du nioins , que Ulachau a ele grand musicien ,
et qu'il a note lui-mcine les airs d'un bon nombre de
ses compositions ; que Deschamps parle partout de la
nnusique en bomnie qui s'en est occupe, et qui comprend
I'alliance naturelle de cet art avec relui de la poesie j
que Froissari nous dit positivement de quelques-iuis
de ses virelais , en quelle circonstance particuliere ils
furent chante s , etc. D'un autre cAle , nous ne voyons
pas que ni Deschamps , ni Fioissart , se soient donnes
L> K«A>CJi. 3 1 r
eiix-nii'iiies, ou nous soient cloiines par persoime, i>our
(les iiuisiciens coni[)osi(eiirs d'airs ; C/u/rlcs (t'Orlraiis
ne se produit pas avec dos droils plus appaients A t«
tide; ct nil grand nonibtc des productions de sa longuo
«aptivil(i , ne se presentenl qu'avec Ic caraclere de
n\eries rimees , boutailcs d'un moment , c^trangores i
toiile destinalion de chant , etc. ; en sorte (pic la ques-
tion reste vraimenl envelo|)pee de quelque obscuriti';.
Cequ'il j a de parfaitemejit clair en ce snjet, c'esi qu(!
les compositions nouvelles ,.virelaU , ballades , iiioleis
cl vieitx rorifleaiix , n'onl ele dans l\>rigin.> , (pie des
chansons de fonnesparliculieres, distinguees (oul siui-
pleineiil enlr'elles par d<^s noms tires de queUpics
( irconslances ttcccssoires (!y leurs nic^des^ d evt'culioii ,
iliinses , lours . viiv/iient.s , nuidus , etc. , etc. , el que ki
plus lard il en a ete fait aniiHi cLose , </a ett^ abusi>e-
nienl el en meconnaissant Tobjet primitif de leur des-
tinalion.
All tenqjs de Muchait- et de ses hois siiccesseurs,
(UMirirenl aussi uiie ioiile (rauti e^ poctes donl quelques-
nns, sansalteindreaunn'inedegre de inerile, ne laissenl
pas de s'(';lre dislingucs-par des siicces^ plus^ ou nioiiis
li )norab!es.
De ce nonibre durenl cire d'afrord :
l.a jeune princesse J^ini-s de Navarre , fenune (1b
( aslon Pliubus , aniie on proleclrice t\v. Guillauine de
Macliau , donl ce dernier , coinme on la vu , nouD a
« ons rve (pielipies compositions choisics;
Un certain 6'u/Nt7', mentionn^ aM'c I'logepar /•.'ttiiai/m
DcAc/ta/iips ;
{''enccslas, diu' de Brchant, donl les aMures l^riqius
217. DE LA POESIE LVKlQi;E
furcnt rasscmblees par Froissart . dans uii iccccil de
loinu' ronianesque , quecelui-ci donna sous le litre de
ISliliador ;
Et Chrisihie de Pisan, venitienne de naissance , fille
d'un aslronome de Charles V ^ veuve de bonne heure
d'un noiaire secretaire de ce monarque , etc.
Apres ceux-ci , an temps de Char/ei d'Orleans sur-
lout , la foule devicnt telle , que ce serait un vrai ca-
talogue A en dresser.
Dans lout cela nous remarquernns de preference ,
nialgre la diffusion molle et conmnnic du style , mais
parliculierement a cause de son objel , la ballade sui-
vanle, sur la deposition du roi d'Angtclerrc, Richard J],
el I'usurpation de Henri de Lancastrc , a?uvre d'un
genlilhonune francais ( les manusc. its le nomment
Creon ) , qui se dit lemoin oculaire dcs fails , et parait
avoir etc attacbe au service personnel du prince dechu.
On sail que Fcvenement est de I'an 1 399 , epoque de la
vieillcsse de Fvoissart , et de I'enfauce de Charles
d'Orleaiis :
Otoi, Henri, qui asengouvcrnance,
Pour Ic present , la terre ct !e pays
Du roi Richard , qui ol tanl de puissance,
Lequel lu as liors boul6 et d^mij ,
El tous ses biens approprit-s et mis ,
A loi , qui es niiroucr de Iraliisons;
Or ctiascun sect qu'oncqurs mais trahis tioms
Si faulcement ne fnt , comme tu q9
Trahi ton roi ; t6|pr ne ic pcux pas ;
Jugier I'as fait par jugeiiient infanie ;
Tu en perdras en la tin corps ct aine.
Car faulcement , sans mandcr defiance ,
En larrocin , toi cstaiit forbtimiis,
Lui ns cmbk^ sa Icrrc ; grand vaillance
IS'c'sl pas ;'i toi , (Cilt's ce m'cst advis ;
Vu (lu'il cslait liors sur scs eiinemis.
En Irelaridc , mi inaiiilsdnrs liorions
Uccut il'lrhiis , ([iii sonl tiers roiiime flons;
Ton filsaisiio y lit thevalicr. Ins!
I.e guenedon a lul lendre ouljHas :
C'cst grant pt'cliiiJ; touHe niondc t'en blAme;
Tu en [icrdras en la fin corps ci ^e.
Car <i ly n'as lenu foi H'alliance ,
Coninie jure I'avoies et promis^
Quant fainferncnt ct en norn d'assurance,
ISorihuinbeii/ind par toi lui fus Iramis,
En proleslant snr le corps Dieu qu'amis-
Tu lul serois, el que c'estoil raisons ;
Ainsi le roi , ains qu'il fust en salsons,
De scs chasteaux vuidaet hant el bas.
Vers tois'cn vint, 'rcs-humblcment, h(^lasr
Honlcusenient rcruineiias a dilTanie;.
Tu en pcrdras eii la fin corps et iinc.
Princes et rois, chevaliers ct barons,
Francois, Flamunds , AUemands vl Bretons ,
Devroient courre sur to! plus ([uc le pas; '
Car lu as fait Ic plus horrible cas
Qu'oncques fislhonis;.c'est pour toi laide fame;
Tu en pcrdras ca la fin corps et tme.
[y.Biich., Chroniq. de Froissart, t. i4, app. ad oalc,
La piece fait partie d'lin poenie navratif sur le incme
bujet. )
Un pen plus tare! , sous le noni d'nn sieur de Garen-
ricres . qu'on dil avoir ele ^//u' , ct qui ful |)eul-('lre
plus rev'llonient cimUe. julotix dc Charles d' Orleans ,
21 4 !>»' lA rutsii; i.viiKjiK
nous (rotivons cello anlrc piece, einprciiite d'lmc in-
lonlion toiile visible de sali.c peisoiinollc , doiil inm;*
no pouvoiis (|ue sowpconiier I'objct , el leruarquabU!
s'utoiil par la pbysionomie etrange do sou Cnpulon.
bon honiiiK' , blesse sans le savoir , dans les droits d«
sa seigneiirie , el qui a bosoin d'en clre aveili par lui
mcneatrel ; la forme est celle d'uiie suppU(jiie i ce Dieir.
Ciijiiilo, Dieu dcs ninourciii ,
Prince di' joyousc plyisaiicc ,
Mdi, C'lrtitif ierf . (iPS-soisni'UX
I)r vous sorvir dp ma puissance,
>'icns vers voiis en oliOissamc,
Pour voiis luunbli?ni(Mil rc(iucrir
Que VOIIS vciiilicz falrc punir
I'ji honime de niaiivaisc vie,
Qui coulre raison veiill lenir
Le droit de vostre seigrieurie.
CVsl un enfant nialieicux ,
Ou nnl ne rtrnl avoir fiance ,
Car il cii a ja plus dc lienx
D6ceus an pays de Kran -f* ,
Donl vou,s deussic/, prendre vengeance,
Pout {'aire les aullrcs crf^mlr ;
C'est te prinvode bien nicnlir,
Aisni^ IVcre dejoiigleric.
Qui rouire raison vcult tenir
Le droit de vostre seigneurie.
Ontpics l.nn'fti !'or(j;ueiileux
Nc list si ^rant oiiUreciiidancc ,
Quant il eiuprist d'eslrc euvieux
Sur le Dieu de toute-puissance :
II ni • seuible que par sentence
Vous ledeussiez faire tiannir
De vostre court , sans rcvcnir.
1> I'l'.A.NCE. 21 5
I.iii c( sa faulcc compngnic ,
Qui lonlre raison voull Icnir
J.e droit de vostre scigiieurie.
Prince, s'on doit avoir vaillancc ,
Pour mentir a Rranl abondauce ,
El pour faulcciL' iiiiiinleiiir ,
Vous vcrrcz icelui venir
A grant lionncur, n'en doutez mie,
Qui cotilre raison veuK tcuir
Le droit de vostre seigneurie.
Maintenant nous reprcnoiis la suite des faits , au
point ou no'js avons crti devoir en suspendre Ic retit ,
el nous renionlons ct Alain Ckarlier.
Alain Cluirtieriut Normand, et originaiicde Baymx,
Oil il dut naitre en i38(i.
II fleurit , coinnie Charles d'Orleans , sousles rois
Charles VI et Charles FJl, dont il fut clerc secretaire,
et mourut en i449-
Alain ne se presonle ici qu'apres Charles d'Orleans,
parce que, quoique son ainc, d'enviion cinq ans, il s'esl
ecarte, plus que lui, des types de composition lyrique
consacies par la pratique babiluelle de leuis trois der-
niers predecesseurs.
Alain Ciiartier passa pour la mervrille de sonsiccle ;
SOS conteniporains lui ont prodigue les litres CC excel-
lent orateur , noble pocte , tr'cs-renoiiiine rheloricien ,
jK-re de V eloquence jrancaisc, etc. II y a beaucoup A
raballredes elog s el de Tudmiration unanimes dont
ii semble qn'on eut pris alors i tAche de Tenivrer.
Ses ouvrages ont ete inqirimes plusieurs fois , en-
semble ou scparement ; on cite cnnimo la plus complete
line edition in-4". dv: Duchesne , en 1G17.
2 6 1)E LA I'OliSlli LVUIQI'R
Ce (iii'il e\istc de lyri(i!ic dans les ocuvies A'AUiin
Chariier, pout se rappoitcr i deux sorles de composi-
tions diverses , savoir :
1°. Plcies lyriqnes detacbees ;
2°. Morccaux lyriqnes formant ornement ^pisodiqne
dans unc composilion d'un an Ire genre.
La categorie dis pieces delacbees se compose parli-
culierenient de ballades , coinpIainCes et rondeaux , de
nalnie el de formes diverse*.
Les morceaux d'ornemenl episodiqne sont etrangcrs
a to'jte fornre de combinaisons i ernes , et marchent en
jtleine libcrte , sans en elablir ancnn type nonvean.
Ence qui estd'abord AQ\Aballad€ commune, on pent
dire (juVZ/om I'a IraiteeA pen prcs comme tout le monde,
exceple tonlcfois, que prenant souvent de preference
poiu' si:jct un texle dephilowphie morale A developpcr,
comme par cliapitres , dans une serie de ballades snc-
cossives, il s'esl par 1;\ mcnie jde da-ns nn double [leril
(hi 'ivideur et do /nonolciiie , dont a« fait il n'a [las su
triomjiber.
Cos defautsnoussemblentdq)areren general scssix
ballades du Regime de Fortune , entre lesquelles pour-
lant nous croyons encore devoir prendre les exemples
de ce qu'il pent avoir fait de mieux en ce genre de
composition t
B\LLA»E DU RKGIME W: FORTCNE , N". 3.
Les biens mondains, les honncursellcs gloircs,
Qu'on aime taiil , rlesirp , prie el loue ,
Ne sonl qu'abusrt ctioscs Iransiloircs ,
IMutol passant. (]mo 1p vol d'unc aloue.
K\ FRANCK. 217
Fortune en lienl le coniple en son cscroue,
Et les depart u I'un plus , I'autrc moins;
Et puis leur toll ct oste hors des mains ;
pt pour CO dy , el sur cela me fonde ,
A tous propos que dc soirs ct d? mains :
Co n'csl que vent de la gloirc du monde.
Fortune done assicden hauls pn?toires
Et Ics iU've au plus haul de sa roue ,
Tous eeux qui ont lu>nneurs et terrilolres.
El puis les fieri desa paume en lajoue,
Et du sommet les abat en la boue ,
Par quo! ilssont dc pauvrel6 atleints;
Dont (juand on est de ces sieges hautains
Mis en la chartre oil pauvretd redonde,
A jugcmen(s faire vraiscl certains,
Ce n'est que ventdc la gloire du monde.
Trop bien appcrl par anciens bisloires
Qui les escripis d^vcloppe ct diHioue,
Quedonne assez Iriomphcs el vi<'loires ,
A qui liii plaisl , ainsqtic Ic pas Icur clone,
Mais en la fin leur appoinle aulcls bains
Quelle jadis appoiutaagcnis mainls;
Pour lanl cstfol qui sc plonf^e en son onde;
Car par ses fails mal surs cl incertains
Ce n'csl que vent de la gloire du monde.
Forlune a bicns muablcs cl soudains ,
Et plus cscorche asscz qu'elle nc tondc;
Prise qui veul biens cl honneurs mondnins ,
Ce n'est que vent dc la gloire du monde.
AtlTRR , Mf;ME SCJET , !^°. C.
O fols des fols ! et Ics fols morf els hommcj ,
Qui vous fiez lant da biens de Fortune !
En ccsle Icrre , cs pays oil nous ^ommes ,
2iy DE I.A I'OESIE I.YRIQVE
Y avpz vous de chose proprc .luciinc?
Vous n'y avez chose voslre ncsune ,
Fors les beaux dons de grace et dc nature ;
Se Fortune done par cas d'adventiire ,
Vous toult les biens quo vostres vous tenez ,
Tort ne vous fait, ainfois vous fail droilure ;
Car vous n'aviez ricn quand vous Tustes n6j.
Ne laissez plus de dormir ji grands sommes.
En vostre lit, par null obscure ct brune.
Pour acquesler scs richesses a grands sommes;
Ne convoilcz chose dessous la lune,
Nc dc Paris jusques a Pampclune ,
Forsce qu'il faut sans plus a crc^-ature,
Pour rccouvrer sa simple nourrilure;
SufTise vous dV'tre bien renomm6s ,
Et d'emportcr bon los en sepulture ,
Car vous n'aviez ricn quand vous fusles nis.
Les joyeux fruits des arbres ct les pommes ,
Au temps que fut toute chose commune,
Le beau mid , les glandcs dies gommes
SoufTirent bien A chascun et chascune ;
Et pour cc fut sans noise et sans rancune ;
Soycz contents des chauds et des froidures ,
Et me prcnez Forlime douce et sure ;
Pour vos pertcs griefve deuil ne menez ,
Fors a saison , a point eta mesure ,
Car vous n'aviez rien quand vous fustes nis.
Se Fortune vous fait aucune injure ,
C'est deson droit; ja ne Ten reprcnez;
El pcrdissiez jusques a la vesture,
Car vous n'aviez rien quand vous fustes n^s.
Sons le meme litre de Ballade, mais dans uiic forme
loute dif'ferenle des types que nous on avons renronties
1;N FitA.NC.K. '2I<)
jiisqiri('i,/^/m'n nous fournit un long fit curieuxmorceau
«rinvptiive nalionale contie Ics Anglais violatcurs dos
trrs'cs , A Toccasion do la stn-prisc de Fougrre.i , signal
«lu penouvellemcnt dpshoslililes en i449- La jnece n'a
])a9 nioins dc pi rou|»lels ( do chacun sojtt vers ) , tons
saiu nfrains , ( oux-ri elanl romplarcs par un piwcrl/e
linal , different dans chaque couplet. Voici le tcxte :
BALLADE DE FOrGERES!
Angliiis, Anglais, chasticz vous
I)c I'un promeltro cl I'autro faire,
Qui la trcvc avez roinmc fols ,
Rompii , ponr Fougiere forfaire ;
Mais David piia Dieu difaire
Cenx qui veulcnt guerre ct non paix;
L'on doit jugier selon les (aids.
II n'ost point dc plus juste loi ,
Que quand nulcuns , sc Dion ine gard' ,
Qui ont iis^ de male foi ,
Sonl punis par leur riiauvais art ;
Vous avez jelt6 un hazard
Dont voire bouche est di^perie :
Aux trompcurs vienl la Iromperie.
Mieulx vous fust avoir allendu
Que la Ueve cut (5le passec ;
Que Fougiere eueilii, tendu ,
Et avoir voire foi fas«t^c,
Pour richesse avoir ainass(?e
Doiit le rcproclic sur vous maint :
Qui trop einbrasse , peu oslrPint.
Quant ceulx parlirent de flntien ,
Qu'envoyastes ii I'entrcprisc,
2?.j Die LA PoiiSlK I.YIUQUK
Voiis no cuidiez pas mcsowen
En soulTrir ne marque , nc prise ,
Et puis los aycT par fainlise ,
D^sadvoups , lout en appert :
Mai se musse a qui le cul pert-
S'aultre gent que vous fait I'avoient,
Chascun s'en debvroit eshahir ,
Mais ceux qui rousUimiers vous voient
D'cssayor a cliascun tialiir,
Sont provoqu(?s a vous hair,
Et prier Diou qu'il vous punisse :
Sapiences! vainc malice.
Les Francais n'autres Icurs voisins
Ne font point lelles niiilifiques;
Nc font mesmes les Sarrasins ,
Contre leins serments authentiques,
Ef poiir ce les gens hi^retiques
Rt^duils si porlent deux fanons :
Traistrcs et faux sont mauvais noms.
A Dien el aux gens ddlcslable
Est menterie et Irahison;
Pour re , n'esi point mis a la table
Des preux, I'image dc JnS'/H ,
Qui , pour emporter la toison
De Colchos, veut se parjurer:
Larrecin ne se peut c61er.
On dil souvent que trop grand aise
Si est trop forth cndurer,
Et pour , avant que jc mc laisC ,
Le veuil contre vous murmurer;
Toujours vous voulez fourvoyer
Faisant cc qu'oncques preux ne fist;
Tant gralte chievre que mal gist.
Quant la treve k vostre requeste
Fut oltroyt-e el confirnitV ;
J
E.X FRANCE. aa t
Vous en faisicz de paix la feste ,
Pour cuidcr mniprc vosire arm(5c;
Vous oustes trcs male pemic ,
Fougiercf avcz priiis en (ournc :
II nest chance qui ne rplourne.
En rompant la commune Ireve,
Sur voire fiance et cnseigne,
h'^rrngonois a prins la feve
Au chastcl du due de Bretaigne,
Floquet la recueill et regaigne
Comtiie son servant et ami :
Enconlre un fauli, un et demi.
Tout comme les Carthaginiens
Eurenl sur Romains avanlage,
Conlre le conscil ct les siens
Du vicux Hannan , consciller sage ,
lis refuserenl par oullrage,
Paix qu'ils ne purent recouvrer:
Quand temps en est, on doit ouvrer.
Charles , noslre bon roi Francois ,
N'a point fait faire Ids assauts,
Non a pas son neveu Francois
De Bretaigne , ni ses vassaux ,
Forsjusques a temps que vos maux
Chasti^ a avcc ses gens :
Bon chicn se defend de ses dents.
Trop plus vous nuil le Pont-delArche ,
Que ne vous pent aider Fougieres ;
Car il est pros do vostre marrhe
De Rouen , et sur les rivieres ,
Etsi est pros dc nos fronlieies,
Qui est «n point qui vous decoit :
Fol ne croit (ant qu'il ne recoit.
Vous I'assiigcriez volonlicrs ,
222 UK lA foKslfc I.'kl'.MJLJi
El si allumissipz vos ricrges ,
Si n'eussiPi pnom qu'cn denianlicr*
Aulciins vous chantasscnt des vicigp* ,
Ou quo I'on vous donn<isl dcs veigei ,
ComiiM^ a gens maiidils ct hais :
Traislrcsdoivenl ^Ire trahis.
Jamais hoinmc , sage ne simple,
l'«int ne doi< passer un central ,
S'il ne veull estre d'unc guimple
AfTubI6 par vosJrc barat:
Qui s'en cutdi' issiv sans d^bal ,
Pour certain ii est bien jenin :
En la queue gisl le venin,
D^aulresgcns que vous sent en gloire,
Pour leurs verliis d'un temps allez,
Comme i1 appert en maiuto histoire.
Qui deputs sonl fort ravalkJs;
Vous doBcques qui ainsi allei '
Contre vertus , gardez Ic hour! :
Tel cuide vivro qui so meurt.
j4garmemnon Ic capitaine
Des Grfcs , qui prindrcnt la grand Troye ,
Quand il revinl a son domaine ,
De grftoe , comme droit I'otlroye ,
N'eut pas a sa femmc la joie
D'une nuit sans estre lu#:
Grand orgueH est tantost mu(5.
Quand Hnnnihnt, roi de Carlhagr,
Eulsubjugue moult de Romains,
Fortune , qui est variable ,
Le ramcna du plus au moins:
D'un couteau portant i ses mains,
Pourlant se liia par sa coupe :
Meurlre roquiert d'autel pain soupe.
EN FRANCE. 223
Penscz-vous que Dieu toiijours soulTra
Vos inlquit^s el injures ,
Sans vous punir, quand le cas soutl're,
Comme les aullres creatures 7
Pas n'avez les testes plus dnres
Que les Bretons , la merci Dieu :
Vieillcs dettes viennent en lieu.
Si vous conseillc de bonne hcura
De Normandie ddpartir ,
Et sans y faire plus demeure ,
De vos mefaits vous repentir;
Car j'ose dire sans mentir,
Que Dieu hail loute iniquil6;
A la parfln vainc v^ril^.
De Carthage en ayez m^moire ,
Et de Troye la punition ,
Que leur ouilrage et vaine gloir«
Fit lourner a destruction.
De France , en paix la nation
Laissez, sans plus vous y bouter:
La fin de guerre est a doubter.
Le genre de la com^/amfe, etdela complaintejlmebre
de sujets d'amours , est celui dans lequel le genie de
mailre Alain semble s'^tre essentiellemenl coniplu ; il
a fait des complaintes pour son compte ; il en a fait
pour des personnages de prosopopce ; il en a ajusle en
plaid dialogue entre quatre personnes ; il en a fait en
prologues de poenies narratifs , etc. C'est un texte sur
lequel il est revenu au moins sept fois , et sur lequel il
s'est toujours longuement , et quelquefois beaucoup
trop etendu.
On reniarquera ce debut tout elegiaque du livre de
La belle Dame sans merci :
224 UK L\ POESIE LYlUyCli
N'.-igu^re chcvawchant pcnsoie ,
Coninic hommc Irislc ct douloureux ,
Au dcnll oil U iaut que jc soyc ,
Le plus dolenl Jes amoureux ,
Puisquc par son darl rigoureux
Laniort toUu m'a ma malstresse,
El m'a laisse seul langoureux
En la conduite de trislesse.
Si , disoie , il faul que je cesse
De dieter et derimoycr.
El que j'abandonne el d^laisse
Le rire pour le larmoyer ;
Lk me faul le temps employer ,
Car n'al plus seutimenl nl aise
Soil d'cscrire , soil d'envoyer
Chose qui moi ii'a autrul plaise.
Qui voudrait mon voulolr contraludre
A joyeuses clioses fcrlre ,
Ma plume n'y saurail alteindre ,
Non feroil ma langue i le dire;
Je n'ui bouchc qui puisse rire ,
Que les yeux ne la d^mcntisscnl ,
Car le coeur s'en voudroil desdlre
Par les larmes qui des yeux isseiit.
Je lalssc aux amoureux malades ,
Qui ont espoir d'allegement ,
Faire chansons , dits et ballades ,
Chascun en son entendement ,
Car ma dame en son testament
Prise a la mort; Dieu en ait I'ame!
Etemporta mon sentiment
Qui gisl 0 ellc sous la lame.
Ddsormais est temps de moi tairc ,
Car de dire je suls lassd;
Je veuil lalsser aux autrcs faire
EX FI;a>CE. 225
Lcur temps , car le mien est pass(5 ;
Fortune a le forgier se casse
Ou j'^pargnoie ma riclicsse
Et le blen que j'ai amassiS
Au meillcur temps de raajeunessc.
Amour a gDuvern6 man sens.
Se faule y a , Dieu me pardoane ;
Si j'ai bien fait, plus ne ra'cn sens,
Ccla.ne nie loult ne medonne,
Car au Irt^pas de la lit's-l>onne
Tout moa espoir se Irespassu.
L'amour m'assit illcc la borne
Qu'oncqucs puis mon occur ne passa..
Uii autre livre dit des Qitalre Dames eonimoncc de
nieiiie par cetle espece cPidylle de description gracieusc,
nu doinine encore partout, quoique d'une maniere plus
tielournee, Texprfission asscz vraie du meme sentiment :
Pour oublier merencoirfe ,
Et pour fairc cbere plus lie ,
Un doux malin aux champs Issy ,
Aux premiers jours qu'Amour rallie
Les C(rurs , en la saison jolie ,
El desthtissc ennui el souci^
Si allai (out sculcl ainsi<^
Que I'ai -de coutunie , et aussi
Marchai I'hcrbe poignant menue ,
Qui mist mon cucur liors de so«cr,
Lequei avait^ld Iransi
Long-temps par liessc perdue;
Tout aiiloijr oiscaux volctaient
Et si tres-douccment chantaient
Qu'il n'est cueur qui n'en fust jojcui;
Elcn chanl<vnt en Tair monlaient-,
326 DE LA POtSIB LYRIQUK
Et puis Tun I'autre surmonlalenl
A I'estrivee , h qui mieux mieux ;
Le temps ii'estail mie nueiii ;
De bleu csloienl vestus les cieux ,
Et le beau solcil clair luisail;
Violettes croissoient par lieux,
Et tout faisait ses devoirs tieui
Comme nature le duisoit.
En buissons oiseaux s'asserabloient ,
L'un chantoit, les aulres doubloienl.
En un chemin retentissant
De doux accords, allai pensant
A mamalheur^e fortune,
En mol-mfime m'esbahissant
Comme Amours qui est si puissant
Est large de joie, fors d'une.
Que je ne puis par voje aucune
Becouvrer , combien que n^suDfl
Autre grace k Amours ne veuil.
Les arbres regardai fleurir ,
Et li^vres et conniis courir ;
Du printemps tout s'esjoulssalt;
Lisemblail Amours seignorlr.
th venaienl pctils oisilions ,
Apres que de mainls gr6sillons ,
Des mouschetles ct papillons
lis y avaient pris leur pasture.
Le missel d'une source vive
Descendoil de roche naive.
E.\ FiiANCi:. 227
Tout au plus pros sur le pcndanl
De la inoulagiR', 011 dcsteiidaiil,
Ful assis nil joycux bocage.
Qui au niisst'l s'allail piMidaiit ,
El verlos courtincs teiitiaiii
De ses branches stir le rivagc.
Ainsi un pou in'esj(>uJssoye
QiianJ a cellc douleur jicnsoye ,.
El horsdcia (ristour issoye,
Que je porle (.lileemcnt ,
El puis a riioi rnesine tensoye ,
El dc chaiilcr je rn'ciron^oie ,
Maisee bien doiit je jouissoie ,
II ne durait pas loiigiienient ,
Ains rcniroie soudaiiieiiieiil
Au peiiser ou preiiiiercmeut
J'csloye, donl si durcnient
Suis cl de long-tcnips assailli ;
Ce bien accroissail iiion tourmenl ,
Eu voyanl rcsjouissernenl
Doiit il luVolait lout aulrejnent.
Car espoir m'eslail d^Tailli.
Si disoie a Amours : Amours ,
Pourquoi me I'afe-lu vivre en plours,
El passer tristcincnt nies jours?
Et tu donnes partoul plaisaucel
Tien suis a durer a loujours,
Et je Irouve toules rigours,
IMus de durl(?s , moins de seeours.
Que ceux qui ainaent d^evance.
Ainsi mon cucur se guermenloit
Dc la grand douleur qu'il porloit
En ce plaisani lieu solilaire,
Ou un (loux venlelcl venfoil ,
228 DE LA POESIE LYUIQUE
Si &M qu'on ne le sentoit ,
Fors que violclle mlcux (laire ;
Li ful le gracieux ropaire
De ce que nature a pu falrc
Dc bel et joyeux en estc ;
La n'avait cu ricn h rcralre
De tout ce qui pourroit mc plaire,
Mais que raa dame y cast est6.
Ce livre des QuaUe Dames lui-m^me, dans lout son
ensemble , n'est vraimenl autre chose qii'une grande
coniplainte en quatre parlies , siir les desaslres publics
de I'epoque , consideres sous le point de vue de leur
influence sur les destinees des gens occiipes d'amoursj
tout s'y rapporle au deplorable evenementdeladefaitc
des Francois ii Azincourl, en i4i5. Quatre Daniesy ont
perdu leurs amants ; I'nn d'eux est raort en beros ; un
autre a ete fait prisonnier; le 'i". a disparu , sans qu'on
en ait retrouve la trace; le dernier a pris lAcbement la
fuite ; cos Dames se lamcntent Tunc aprcs I'autre ,
chacune A sa maniere , et se disputent en quelque sorte
le prix lie la doidcnr ; le poele leur propose un arbi-
trage, qu'elles acceptent , et la composition flnit par la.
Les rondeaus connus ^ Alain Cliartier sent en tres-
petit nonibre; on dit qu'il en avait compose beaucoup
d'autres et de combinaisons assez diverses ; nous ne
voyons k citer que le suivant , remarquablc surlout
pour sa forme a petit refrain dc mots , si differente de
CO que nous avons vu pratique jusqu'ici dans les pieces
de ce nom; le sujet rappellera celui dune des plus gen-
lilles ballades de Charles d Orleans.
EN FRANCE. 25C)
BONDEAU DE VIEILLESSE.
La mcrci Dien , je vis loujours ,
Quelque di'plnisir que jf porle;
Bon vouloir ma doulcur supporlc,
Mais j'ai pas? 6 Ions nics bons jours.
Sans avoir aide nc sccours ,
Doucemcnl mon lempsje d(?portc,
La merci Dicu.
Je n'al plus que Taire d'Amours;
D^sormais ne m'en plaist la sorte ,
Aux auUres du (out m'en rapporle.
Car quanl a moi , j'ai fait mon cours.
La merci Dicu,
, Sous le litre de Libellc cle paix , qualiGe aussi lay
d'aniotir en charile , adrcssc au roi ct A la scigneun'e
lie France, Alain nous foiunit encore un long inorceau
tie 28G versd'exbortalion , pL-u imporlant pour le fond
des clioses , niais i rcmarquer d'aillcurs pour la forme,
que nous avons loujours besom de conslater ulle-
riL'uremcnl j il suflira d'en citer cot ex trail :
Pensez de qui vous vcnistcs
Et issislcs,
Etdont vos imes prenistes-
£l tenistcs
Honneur, tcrre, nomct gloire,
Et de ccux par qui nasquistcs,
Et vfquislcs ,
Aycz aulcune tncmoirc ;
Et par vos puerrcs dcspilcs
Lcurs mriilcs
Ne dcsfallos ou dcsdiles ,
ajO DE LA I'OJiSIt LVRigi'E
Qui cscriples
Sontel duiTiit jusquL'S ores;
Sc aullrciiicnt faitos ou elites ,
Vos cuiidiiites
Scroll t eii huiineur pctiles
Et maudiles
En chroni(mes el hisloires
Etc.
Quant en France esloye ,
Je entrclenoyc
Scur('l6 par voye ,
Par It's villes toye ,
Si que riuls n'y nicsfaisoienl ;
Toules gens alloicnt
Quels parts qu'ils vouloienl.,
Etc.
Tout CL-Ia , conime on I'enteiid , appaitienl propic-
menl <i la caU'gorie des pieces detachees , i laquelle
seiiU'nient nous avons pris sur nous dc rappoiler les
deux debuts en prologue elegiaque , (ju'on pourrail
aussi A la rigueur rejeler dans celle des ornemcnls qn-
jof%«c5 ; il soffit que I'oa en soil instruit de ce nio-
nienl.
Entre les waxs morceaux cpisodiques, epars suiiout
dans le livre de YEsperance ou lo Curial (livrc de
Cuur ) , peu nous paraissent dignes d'attention j nous
Mous borneions i ciler les siiivants :
1. Ch6tive nature huniaine ,
N^c a travail et a peine ,
De frf'le corps revestne ,
Tant es folle, taut os vaine,
Tendre , passible , inceHaine ,
£.> FnAMCB. a3i
Et tie I^gier nbattue !
Ton pensier Ic dcsvcrlue ,
Ton fol sens le nuit et luc ,
El k non savoir le niciie;
Taut es dc [loure venue
Se des cieulx n'es souleiiiic ,
Que til ne pciilx vivre saine.
a. Qui pourrail descrirc ,
N'S compter souffire.
Tout cc qui deschirc
El & nicsctiief lire
Notre liunianite !
Courroux nous rnarljre,
Favour , liaine ou ire
Nuisant h eslire,
Penscr , f.iire ou dire
Ce qu'csl verity.
InKlicitd
Etadvcrsi|{5,
Sans autorilf* ,
Font la probit6
Des meilleurs despire ;
El n^cessite
En mendicity
Mel fragility
En perplexity ,
Dont le sens empire.
Dans tout ce choix dc citalions , nous nous sommes
altaches suitout i faire connailre /^lain par ses bnaux
coles: il serait facile d'cti rassemblor d'aiifres , qui lui
foraicnl beaucoup moins lYhonneiir. Nous dcvons diie
rpfau fait j4lain tonibe souvent dans des execs dc r/////<-
sion , de tmialitc ou de ntaiivais goiU foil otianaies ;
li i c'cst un amant desole de la pcrfe de sa l>auie .
L>.32 DE LA POESIE LVIUQIE
(jui pour resistcr u Dcsespoir el a totite sa suile , sc
dticidc A conibatlre la JUoit , non de lance , inais tie
parole.... II ne comprcnd pas taut dc ciuaule de sa part
contre une personnc si parfaite... C'etait uu module
dc fourtoisie et de vertu... Jamais on ne vit une si
hclle chcvclure doree et blonde , outre i usage de Nature.
Comminl la niort a-t-cllcpu assaillir une lolleLcaiilc?
Cc'st morveille qii'elle ait osc cjfacer une couleur si trcs-
vcnneUle... Qu'a-t-elle fail dc son luminaire,
Dc la flartt de scs beaux ycax
Qui enluminait son viaire ,
Si claiicmenl qu'on ne pcut mieux?
Kl scs sourcils giacieux ,
Noirs el velus modt^rj^ment ,
Ou sont-ils? Ah , dit-il , je suis ennu.yeux ,
Quandj'y pensc^lecueur me Tend
C'esl Hop; Hen appelle , pourvu- toulcfois qu'cUc
acccplc son appct....
Mais lu ne veux rccevoir
Ne avoir
Eroc6s ou champ dc bataillc,
Conime jc puis concevoir
El savoir ,
Rien n'esl con-trc (el qui vaiilc
H rc\icnt en consequence a la vilienie (injure), cspe-
ranl, observc-t-il , que la inoit peidanl patience, va se
KN FItAXE. 0.M
iTSoudrc i\ Ic prendre aiissi , sur quoi il fiiiit en prianl
Dieu do le r^iinir h son aniie , qiiand il aura Jail sa
penitence et passe la fin de ses fours....
Puis arrive, sur le r?n'/iie propos , line ballade ternii-
nee par ce souhait , formanl envoi :
Le Dieu d' Amours parson plalsir m'otlroye
Dame trouver par qui soj e remis
En bon espoir de recouvrcr ma joye ,
En lout honncur , ct en fails el en dils !
Ne voiUV-t-il pas un homnie bien alTlige , une compo-
sition bien concuc , dans son ensemble et dans son
ap[)endice, et des details de style bien propres i\ eoni-
niuniquer le sentiment exprimc !
Ailleurs , c'est la premiere Dame A'Azincourt , <jui
dt^plorant la perte de son amant , tue bonorablement
dans cetle funeste balaille , et pretendant opposer Tun
a I'autre , I'eloge de sa valcnr , et le blAme des hklies
qui I'ont si mal seconde , gaspillc cc beau su;ct dans
des tableaux vagues et diffus , encombres de details
inutiles, et ou ce qu'il y a de vrai et d'energique , se
produit presque partout sous les couleurs de la plus
rcbutante trivialite ; c'est cc que feront sentir les frag-
ments ci-apres :
Bien a ril sa foi acquiltie
Dont mainlechroniqueet diclie
J a compost
Dust estrc, car a lanl os6,
Qu'il a corps et vie exposfe ,
Sans cstre lasclie ou rcposiS ,
Comme vaillant,
o34 DE I.A roiiSiE LVRIQL'E
Enconlre ecus qui assaillant
Or vpnoient France, en lour baillant,
De courage non defaillant ,
Asscz a fairc;
Et se chascun e>isl voulu faire
Pareillement sanssoi desfaire,
Anglois n'eussent pas peu a faire ,
Mais oitiportasscnt
Nos maux el s'f-n desconforlas?ent ,
Et autre part sc transportassent ,
Et d6sormais se dcportassenl
De nous grever.
Bien peuvent cnvieux crever ,
Sa mort fait son honncur lever
Contre qui voudroit eslever
Mauvais renoni.
Or n'ont-iis vu en iui senon
Loyaul6 , dont il a le nom ,
Puisque coux pour loyaux tenon.
Qui se mainticnnent
Si bien que loi et devoir liennent
Vers leur seigneur , el le sousliennent
Jusqu'au mourir, et enlreliennent
Leur loyaul«^,
Au besoin el la f(?aull(^
De leur dame etdcsa beaul^,
Sans pcnser inal ne rruaute ,
N'aguels subtils
Ah I peu loyaux ,
Fuilifs , iasches et desloyaui ,
Qui n'avez qu'estats et joyaux,
Vous laissastes tous les loyaux ,
El leur lournastes
Ledos, et vous en retournasiea ,
r.ar alors les abandonnastes ,
Et or Iristemcnt les laissastes
Trcslous mescreuj
De trahison faire et recreus.
K.N FKAXCK. 2JJ
Donl les nombrcs furent deceus
Et les cmurs dcs Anglois accreus..
Vifs escorchids
Soycz voiis , ct si bicn lorchids
Que jamais no voiis renforchiez 1
Tcls gens dusseril dire porchieis ,
Ou faisant viles
OEuvres , par cMs ct par villes,
Quand aii)! armes sont inutiles ,
Et vculenl avoir cents el milles....
Pr<?ts seroient n la ddpcnsc ,
Mais tardifs sont a la defense;
Lun maugree Dioa et I'autre lance
Par grand' yvrcsse,
Puisdort jusqu'ii dix par paressc,
Mais U une balaillc d'aspresse,
Sait bien lirer son cul de presse ,
Et son hdaulmc
Jeter, au besoin du royaume
De fievre quarlaiiic espous(5e
Soil Id' merdaillc ,
Et ji pauvrcte ne leiir faille ,
De faim niuls sur un peu de paille
Et d^iaisses,
Qiiand au besoin vous ont laiss^s ,
Princes royaux, qui les paissez !
Leurs lignagcs ont abaissis,
Et diiram(5s.
Moult ont leurs honneurs entamds ,
Que leurs parents ont tant amfis ,
Qu'ils en furent nobles clamtJs....
Mori est cil par Icur lascheld ,
Qui ne pent esire racheti^ ,
Dieu en ait I'ftnio !
Leur fuite est cause et leur grand blinie
23G DE LA I'OtSlE LVIIIQI'E
Dc la pprte el ilc la dilT.imp.
L'euss6-je fait , moi qui siiis femme ?
Ou le feroyc?
S'il m'advenoit , mieux aimcroye
Mourir , ct plus also scroje ,
Car honneur ainsi gardcroie
A li6rilage ,
Et cVsl Irop plus grand avantage ,
Mourir par lioiincur on liostago,
Qu'allongersa vk- h honlage.
Mieiix vault oullrcr
Le corps , que soi fairc monslrer
Au doigt, sans oser enconlrer
Les bons, n'en compagnie enlrer..,.-.
La quatrieme aussi depare , raoins esscnllelle-
ment a la virile , mais par plusicurs trails de details
lout aussi ficheux , son inlcressanl plaidoyer , IcndaiU
a se presenter conime la plus i plaindre, en ce que son
amant , en prenaut l&chernent la fuite , s'est couvert
d'uneignoininiequirejaillil surelle-m^'nie,etqui est, en
soi, le pire et le plus insupportable de tousles nialheurs.
Voici encore un extrait sur lequel pourra se verifler
I'observalion :
Or afui ,
Laschemenl se est enfui ,
Donl il a honneur desrui ;
Et di(-on : pourqnoi y fut il ,
Et ses semblables !
Quand leurs lasrheles donimagoabtes,
Et leur fuites deshonorables ,
Onl fait mourir taut de notables,
PrcsqiK" a milliers ,
El fail prrdrc Ics liievaliers
EN FBA.NCE.
Qui de la France csloient piliers,
Men^s comme ba?ufs en colliers ,
En violenlcs
Prisons , oi'i n'a que pons el Icnfes !
Ainsi Icurs couardiscs lentes
Ont fail (ant de dames dolentes
Elesplour(jcs....
• a
Ah queijourn^e!
Folle, de sens mal aournte
Suis , dont a I'aimer fus tourn^e;
Ne pourquoi fus-jc ce jour nde
En lelle erreur!
Les yeux qui m'onl fait la foleur,
En portent !a peine et le pleur ;
Las, comme eus-je si lasche cueur
Qui m'y list (raire!....
Las! a qui doncques ni'en prendrai,
Fors qu'a moi scule ,
Quant mon cucur fit dire a ma gueule
Ce dont il faut que je me deule,
Porlant plus griefs faix qu'une meule...
2^7
Ah ! fleur de lys ,
Oil Dieu mist piega scs ddlils ,
Ainsi comme en escript le lis,
Sont tes litres ensevelis ,
Par voie infecte ;
Seras-tu d'honneur imparfaite
Qui as est6 d'honneur refailc ,
Et sur loule maison parfailc?
Sont ja en cendres
Les nobles cueurs que lu enpendres;
Les princes pileux , doux et lendres
S'y sont mieux portcs que les mendres.
Car enferr6s ,
Navr6s, baltus et en terras
j6
2^8 I>E LA I'OESlli LYRltL'K
El (le morts (■ouvit(s et scrrt^s
Fiireiil 1.0US pris pt enserr^s :
C.liascun liappa
Sa haclw el oullrc se I'rappa;
Mais forluiie Ics atlrapa ,
Pes royaux mil n'en eschappa ,
Car sans t-ourner
Lc dos , afin dc rclourner,
Youlurent la tons s<5journcr ,
I'our leurs hoirsd'honnciir aourner,
Si renconlrcrent
Si mal , queletir vie y oullrerenl ;
Ah ! fiiilifs , ils sc donionstrerent
Si boiis , que vos iwntes nHDnstrcrent ;
Or rouglsse/
Dehonte, ct dcjour iiors ii'lssez,
Car cerlcs se rien vaulsissiez ,
Ja vos princes ne laississiez
Qui difcndirent
Les champs , et bien cher se vendirenl.
Mats les faillis couards fendirenl
Lours raivgs , qiiand ii fuite tendirent ,
Aa dcspiacer,
Safls oncques espec lasc-her ,
Si n y avail-il que cacher
Les pftt a la pointe d'archer;
Mais ils casserenl
L'ordonnance , el oullrc passerent ,
Leur honneur derriere enx laissercnt ,
El leurs lignages aliaisserenl.
Que leur Kisscnl,
Ou quel grant injure leur dissent
Leurs successeurs, s'ils les veissenl
Ainsl fuir ! bien les haissent ,
I)e morls anieres,
Lenrs notables ayeux el peres,
Dont les vaillaiices son! si claircs
Etc.
EN FKANCE. oSr)
Nous iiisistcrons pcu siir les personnificaHons (>t
ri'alisations , etc. , /^/am n'a fait en ce point que suivie
une route deja Irop frajee , et il ne s'j est niontre ni
plus ni moins bisarre que lantd'aulres ; lemoin le debut
<!e complainfe dc L'amant en qucrcUe nvec la Mart , ou
il nous presenle Z^Jsef/ja/rcomballant par desplaisance,
ainie de triste vouloir , ct monte sur cheval d'incons-
tance....; temoin encore ce premier couplet d'une
ballade de Fortune :
Sur lac de dcuH , sur riviere ennuycuse,
Pleine dccrig, de regrets eldeclains,
Sur pcsunt' source et m^lancolicuse ,
Pleine de pleurs , de soupirs et de plaints,
Et de douleurs sur abjme parfonde ,
Fortune la sa maison toujours fonde;
A Tun des les de ro<rljc cpouvantable ,
Et en pendant, ofin qucplustost fonde.
En d6monstrant qu'clle n'cst pas cstable.
Quelque chose de plus original en fail de raauvais
gout , est celte sotte ballade , toute en termes de
grammaire, ridiculemenl appliques a des idecs d'aniour:
Une douce plaisant' nominative,
DonI jc enteiids former un g^nitif ,
Si que d'amour me dcmoure dative,
Mangr6 Dangicr, ce fauh accusatif.
Par son dou\ oeii et regard vocalif ,
Me fait vouloir qu'clle soil ablative ,
Et si lui plait de m'cslre substantive.
En la servant , mc rondrai adjcclif ,
Mon cueur lui don' par amour transitive ,
Ponr assembler ia passive en I'actif.
A son mainlien nie senible indicative
^-fO 1>E LA PObSlH I.YRlylJE
Que (le moi vciil Ciirr limpc'Talif.
Amours liii iloini lani en cstre oplalivi*
Que de deux mffiul's faisions un conjonclif ;
Tant qup co fait dpmcnie infinilif.
Ma volont(^ lui sera rclalive ,
El s'elle en est premier inchoative,
Aussi rn est mon cuenr mMilalif,
Dc lui donner forme frwiuentatlve ,
Pour assembler, etc.
Se (le honti elle m'est positive,
De loyauti^ lui suis rom|)aratir.
Quant de heauti' est In superlative,
I'our doucemenl faire un copidatif,
De deux amants, jiisqu'au dc'tinilir,
Puisqu'ils o>it temps et espare expltWive,
Et sont d'accord , que I'une, primitive,
Soit attendant Taulre , di^rivatif ,
Os choses servent en infinitive
Pour assembler , etc.
Prince , on pent bien, qunnd c'esl chose hAtive,
('ombienqu'Amours change en diminutive,
Souvent faire dn prnpre apellalif,
Et d'autre part la dame acquisitive.
Pour assembler , etc.
C'esl aussi un pauvre jcu d'esprit , dans un genre
different, que celte autre , dile de Dcpit d'amours, ou
I'auteur , dementant loul-a-coiip et grossierenicnt le
caraclere de galanlerie dans leqnel il s'est coiislam-
ment tenu jusqucs-li , exprime A Fegard dos dames ,
et de tout ce qui se rapporle aux illusions des jeunes
coBurSjUn sentiment dededaiii injurieusenuMil cynique :
Fi de ce mai , qu'on dame si courlois ;
Fi dc V<5nus et dc la beaut6 d'clie ;
l'"i d'opcrvicrs , iJt' faucoiis , de pivois ;
Fi lie liaipcM' , <ic rhaiiler, tie vielle;
l>c liius oiseaux cxceple rarondellc ;
De moi-mestne dis-jc li par mon Amc;
Si faLs-je aussi d'Aniouis , aussi do dame.
Fide tous Jeux, dc chansons, do renvois,
F'i de Pallas cl de la Leaule d'elie;
Fi de joustcs, de danses, de lournois,
El si dis li de la faton nouvelle ,
Si fais-je aussi de celiil on de celle
Qui loyaul6 niainliendra journe larme.
Si faij-je aussi , ek.
El sen dis fi , se plus ne la rcvois.
Pas ne ferai comnie la tonterelle ,
A ins senibler veuil a« rossignol du Lois ,
CaraussilOt qii'a fail desa li^nielle,
Simant s'en va , el lui monslrc son aHe;
Lireau lui fait, combierr-que soil diffame ;
Si fais-je aussi , etc.
Ce n'est pas ainsi qiie Thihaui avail pris conge de sa
Dame, el poetiqucmenl, coniine inoraleraenl parlanl,
7V///-(^/(/; avail grainlcmaal raisoii en ce point; Alain
Ini-nienic aussi a rencoiUie quelque chose de niieux
dans son rondeau de la Msrci Dim.
En sonime , Alnin a de la facilite , el nne sorle de
verve quelquefois assez naturelle, niais avec un fAcLeu\
piMiclianl a loniber dans la diffusion el le bavardage
11 met en general peu de soin a choisir ses id^es , el
senible ne s'occuper en aucutie maniere d'ecarter dc s.i
tomposilion un melange maladioil de traits d'lin
caraclere ignol>le , ou pour Ic momivulf^aire el oiseiix.
On a vu (nous en demandons bien pardon), la merdaitlc
24^ DE LA POtSIE LYRIQUE
(TJzincourt tirant son derriire de la presse , et Ios/)om*
et Ics lenles des prisons anglaiscs , et la Dame qui se
plaint de ce que son coeur a fait dire i sa gucule. C'est
assez d'exeniples de celte sorle. Ailleurs, en decrivant
un j'oli ruisseau , le poete s'amuse a observer niaise-
ment , peut-etre pour le besoin do quolque rime :
« Que I'cau n'en ^lait pas sal6e. »
Et peu apres encore , qu'il etait :
« Large d'envrron une toise. »
Les refrains de ses ballades sont rarement pris dans
une spberc d'id^es neuvcs ou piquantos. II ainie i
egarer le lyrique dans les \oies de la pliilosophie nio -
rale , au point d'avoir compose i3 ballades de suite
sur le sujet des devoirs de la noblesse. II aime a se re-
prt'sonter occupe du technique de la composition ,
dicfant , 6frivant , etc. , etc.
La plupnrt de ces defau(9sepresentent A notre esprit,
comme ime suite nercssaire de la separation alors de-
cidemeut effectuee (nous le croyons) de la poesie et de
la musique; comme un resultat naturel de la nouvelle
position dii jml-te de cabinet, hommc d' artifice , qui
simulant le chant sans destination d'auditoirc , et en-
trainepar-li meme k versifier, sans dioix, toule espece
d'idees dont il se trouve personnellement frappe, com-
mence par negligcr dans son travail toule condition de
sympathie conmiune, et fiiiit par oulilier ou nicconnailrc
que dans ces conditions meines , resident exclusis'cmail
E> FUAN'CE. 2-1 ;>
I'essence . le priticipe cl Voljct reel tie Varl , t'ost A qiuii
l)ion d'aulres {\\\ Aiaia se trouveioiU pris.
Nous (lovons dire en fitiissant , t-t poiir I'exciise de
maitre Alain , que ses ceuvros n'onl pas ele recueillies
d'uiie maniere bien aulLenlique , el qu'il est assez ge-
iieralement recu que Ton y a inal ji ptopos laisse iii-
tioduire beaucoup de clyises donl i! n'esl pas Tauleiir.
Tout ce qui cidliva la pocsie dans la seconde inoitu
du XV", sieclo , suivit Ics^ traces A^ Alain , ou plus pio-
picnient encore, conibina diverscmenl ensemble les ( a-
racleres de la inaniere A' Alain , ct ceux de Tetole de
jVachau, chacun en j ajoulant, A I'occasion, des trails
(rinvenlion qui lui sont plus ou ninins propres.
Le corypbeo de celle epoquc ful Fillon.
Francois P'illon, que ^raulres ont i lorl appele Cor-
hneil, naquit i\ Paris, en i43i , et fleurit sous les regnes
de Charles Fll, Louis A/ el Charles FJII.
II etait ne de parents pauvres , qui pourlanl lui
avaient fait donner une bonne education. Ses inclina-
tions et sa conduile fuienl basses el vicieuses. II vecul
dans le desordre , el fit profession publique et avouee
iVtiscroqiierie. Livre une Cois A la justice du Chuielet , il
fiil condamne au supplice de la corde , qu'il n'evita que
par le succ^s d'un appel innsitr au Parlemeiit.
Les compositions poetiquts de Villon sont en pelil
nombre , et en general peu inleressantes pour le fonds
des cboses. La pluparl ne relraccnt que hop visib'.e-
Dient les gouts et les babiludes ignob'.es de rauteur.
Quelques-unes de ses ballades sont en jargon d'argot.
dont les voleurs seuls possedenl la vM'.
Les a?uvres de Villon ont ete iniprimees une dou-
244 DB LA POfeSIE LYKIQL'E
zaine de fois , et toujours avec approbation et ju-ivi-
lege. Francois I". , en flt faire en i532 une eililioii,
k laquelle Marot donna beaucoup de soins. Le (cxtc
avail ete fort defigure , et il y avait beaucoup i faire
pour le retablir d'une maniere exacte. L'editeur avouc
y avoir souvent procede par voie de conjeclure. On
soupconne ( quoiqu'il aflirme le contraire) qu'il est
alle jusqu'i le rajeunir dans beaucoup de details.
Le caraclere de la poesii5 de Villon est en general
satirique et grossier , souvent obscene , nirme dans les
pieces ou on s'y attendrait le ntoins ; son style a d'ail-
leurs du naturel et de I'agrement.
Doileau atlribuc k Villon I'honncur d'avoir su le
premier , debrouiller le chaos de noire vieux sjstl-Die
poeliqne. D'autres I'ont designe comnie Vinventcw dc
la poesie badine en France.ll n'y a rien que de hasarde
dans ces deux assertions, emises apparenimcnt sans
connaissance prealable des oeuvres de sos prcdecesseurs.
L'idee poetique la plus remarquable de tout point ,
selon nous , qu'ait rencontree Fillon , est celle de sa
ballade dite des Dames da temps jadis. II y a inlerel
dans le sujet , verite dans le mouvement , et grikce
])arfaite dans I'effet du refrain; seulement il faut ajouter
(jue. quant Al'invention, la piece est toule enlieiedans
Ic premier couplet , dont les aulres no font guere que
ri produire la substance , sans ajouler autre chose que
lies noms a des nonis.
Apres celte heureuse couqwsition , on pourra re-
marquer encore la ballade (double) , du Danger des
amours , et une autre ( simple) , de la Connaissance dc
soi-mcme. Toutes deux aussi procedent Irop uniforme-
nii'ul. La derniere suilout est toutc en tauiologic
EX FliAXCE. ajj
Voici la ballade des Danios :
DIcles-moi oii , n'cii quel pays
Est Flora , la hello Romaiiie ,
^rc/iijjiatiii , ne Thais ,
Qui ful sa rousiiie gerinaine?
Echo , parlaiil quanl bruit on mcne
Dessus riviere ou sus eslan ?
(Jul beaul6 cut trop plus (lu'luimaine !
Mais oil sont Ics ncigcs d' Aiitan !
Oil est la tr6s-sage Hehis,
Dont am6 fut , ct puis fait inoinc,
Pierre Esbdillurl a St -Deiiys ?
( Pour son amour eu( eel cssolue).
Semblabiement oil est la royne
Qui commaiiila que Buridun
Fust jel(5eii ui) sac en Seine?
Mais oil sent , etc.
La royne Blanche commc un lys ,
Qui cliantoit a voix de seralne,
JierlUeau grand pied, Liel/is, /lUyii,
Harenibuurge qui linl Ic V/iirie ,
El Jefirine, la bonne Lorraine,
Qii'Angiois brulerent a Roacn ?
Oil sonl-ils, Vierge souveraine?
Mais oil sont , etc.
Prince, n'cnquerez dc semaine,
Oil ellcs soul , lie de cest an ,
Que c'c refrain ne vous raiiiaine :
Mais oil sont , etc.
On jugera sufiisammcnl des aulies par leurs debuts :
1. LE DA>CE1I r)i:S AMOURS.
Aimcz , ainiez , lani que voudrez ,
2.\6 UE LA I'Ol^SIK LVUlQLIi
Siiivcz asscmblpps el Cosies ,
En la fill ji'i tiiifiilx n'on vaiildrcz
El si ii'y roin|)rez(]uc vos testes ;
Folk's amours font les gens bcsles;
Salmon en idolastria ;
S/imsnn en perditses lunettes.
Lieu est licurcux qui rien n'y a.
2. tA COn.NAISSANCE DE SOI-MIvDID:.
Je cognois bicn mouclics en laid;
Je cognois a la robe Ciioniine ;
Jc cognots le bean temps du laid ;
Jc cognois au pommicr In poniinc;
Jc cognois rarldc a voir ia gonime ;
Jc cognois quand tout est dc mesmrs ;
Jc cognofs qui besoigne on diommc ;
Je cognois lout, fors que moi-mcsnies.
On observrra en passant que la forme de colic dor-
nierc ballade n'est pas d'invenlion noiivcllc; Clir'isline
de Pisdn, \ Olive k aS ans , en i388, ou A peu pies , on
avail , au su]ot de son etat de veuvage , loul nouveau
sans doule , coiupose une scniblable , el bien posilivc-
iiionl nieilleure , sur le refrain :
« Seulclte suis , sans ami dcmour^e. »
( V. los Man. de la Bibiiolb. du Roi , etc. ).
Ces Irois proinieios pieoos de yUlon a[)parliennonl
sans difliculte a la |»oesie des bonnoles gens ; il n\n
rsl pas dc niemc dc tout co qu'il a fait.
Nous nevoulons pas juger liop soveronient sa ballade
au due de Bourbon : cVsl une dcinandc d'tiumdiic agioa-
h'.V I'HA.NCE. 3-17
blernent touriu'e , invcnlinn pen honorable sans doiile,
mais ou nous ne voyons a repiCMilre an foiids qirun
certain manque de clrlica/nsse, plus ou nioins cxciisuble
dansune condition si infcrieure , vis-a-vis d'un si haul
personnag ! , et dans un etal do bcsoin , (pii , comnie
on dit , n'est pas vice ; mais il y a pis ailleuis , el no-
tamment dans les compositions qui se rapporlent au
sujel de son bideux procos.
On appreciera en cc point , cl la joic que lui inspiic
le succt's de son appel, c'l'sl-a-dire un arret qui , com-
muanl sa peine on cel!e du bannisscmeril , le sauve du
supplice , en le laissanl tout cou^«;•l d'ignoniinie ; puis
aussi le sentiment que supposent les plats et ridicules
remerciments qu'i! en I'ait A la Coiu* , an nom de ses
cinq sens , etc. ; puis encore Ic caracterc sous lequol il
se produit de gaite de coeur , dans la piece ou , sous
rimpression du premier jugomeul , et sur la prevision
de ce qui devail s'en suivre , il s'amuse a t'ecrire la
Jigure que feronl au giljct les corps dissecbesdc ses
compagnons et le sien. Nous sommes ccndanu;es A
citer :
1. BALLADK a C RIVIKU , St/If LIJ SUCCKS DT, SON APPEL.
Que vous soriTble de inon appd ,
Giirnier ? fis-je sens oti folic?
Toiite bcsle gnnlc sa pel :
Qui la fonslraitU, cirorce ou lie,
S'clle pout, elle s(? (ioslie.
Qiianl done par plaisir volnntaire
i^haiile iiic I'lil ccsl lionirlic,
Esloil-il tors Iriniis (ic iin- laiic?
Se diss*' (les lioirs Hut <«/»»-/,
248 DE LA I'OLSIK I.VRKJLE
Qui fulexlrailde hoii'-licrio ,
Oil lie iu'eiisl , pariiii 1 1; drapel ,
Fail boire k celle escorcherie.
Vous eiilcndez blen joiicliorie ;
Mais quant cctte peine arbilraire
On rn'adjugea par tricheric,
Eslolt-il lors, etc.
Culdcz-vous que sous mon capel
N'y eust tant de piiilosoptiit- ,
Conime dedire: j'en appel?
Si avoU, je vous ccnilic ,
Conibien qiielroii point nc in'y fie;
Quand on me dil , pidscnt notaire ,
I'cndu seiez , je vous alTie ,
£stoit-iI lors , etc.
Prince , si j'eusse eu la p6ple ,
PicVa je fusse oil est Clolaire,
Au\ cbanips debout tomme un cspie.
EsloU-il lors , etc.
2. AUTRE EN REMERCIMEMS A LA COOR DE PARLEMEJiT.
Tons mescinq sens , jeux , oreilles el bouche,
Le nez , el vous le sensitif aussi ,
Tons mcs meinbres oil il y a rcprouche.
En son endroit , un chascun disc ainsi :
Court souvcrain' par qui sommes lei ,
Vous nous avez gardi' dc desconfire;
Or la laiigue seule ne pcut sullire
A vous rendre sullisaiilcs louanges,
SI parlons lous , lillc au souvcrain sire ,
Mere des bons , el strur des benoits angcs.
Cueur , fendcz-vous , on percez d'unc brochc ,
El ne soyez, au moins, plus endurci
Qn'au <l(?serl fut la forte bisc roche,
EN FRANCE. 349
Doiil le pcuple dcs Juils Tut adouci ;
Foiulcz , larnios , cl vcnrz n merri ,
(lommc liiimMo riieiir qui teiidremcnl sonpire,
Loucz la foiirt conjointp au saint cmplro ,
L'lieur dps Francois , Ip ronfnrt dcs estranges,
ProrrWe la sus an ciol empire ,
MiVe des bons , etc.
Et vous, mes dents . chacuncsi s'esloche,
Saillez avant, rendez toutes merci ,
Pins haultpmcnl qu'( rgue , trompe nc cloche,
Et dc niascher n'ayez ores soulci ;
(>)n!ii(i6rpz que jc fusse trans! ,
Fojp, ponmon et rale qui respire ,
El vous mon corps ( on vii cstes et pire
Qn'ours ne pourceau qnl fail son nid es fanges) ,
Louez ia conrt avant qu'il vous empirp,
jMi'rc des bons , etc.
Prince , trois jours nc vcuillez m'cscondire.
Pour moi pnurvoir et aux miens adieu dire ,
Sans eux , argent je n'ai ici n'aux ctianges ,
Court triomplianl', fiat , sans medesdire,
Mere dps bons , etc.
3. AITRE COMPOSEE EN PERSPECTIVE DE L'EXtCUTION DE I.A
1". SENTENCE.
Freres humains , qui aprcs nous vivez,
N'ayez les cueurs centre nous cndurcis ,
Car si pilid de nous pauvres avpz ,
Dipu en aura plut()t de vous mercis ;
Vous nous voyez ci attaclies , cinq , six ;
Quant de ia cliair que nous avons nourrle ,
Elle est pitVa dCvorec et pourrie ;
Et nous, les os , devenus cendrc et pouldre ,
De noslrc mal persoHUP ne s'en rie ,
Mais priez Dieu que tous nous veuille absoudro.
3(0 DE I-.V POESIK LYRIQL'R
Si friTcs voiis rlntnons , pas nc dcvpz
Avoir (Icsdain , quoique fusmes occis
Par justice , car vous mesmes save/
Que lous liommps n'onl pasl)on sensrassis;
Excusez nous , puisqiie somnies transis,
Envcrs le lils tie la Vierge Marie,
Que sa grace pour nous ne soil larie ,
Nous preservaiil de I'iufernale fouliire,
Nous sonimes morls . imc ne nous harie ,
Mais pricz Dieu , etc.
La pi II ye nous a bu6s ct lavfs,
Et Ic soleil desst'th^s et noircis ;
Pics , corlieaux nous ont les ycux cavfis ,
Et arrach^ la barbe et Ics sourcils ;
Jamais nul temps nous nc sonimcs rassis,
Puis Q.a , puis \k , comme le vent varie ,
A son plaisir sans cesse nous charrie ,
Plus bccquel6s d'oiseaux que dez a coudre ;
Hommes , ici n'usez de moqucrie ,
Mais pricz Dicu , etc.
Prince J<^sus , qui sur tons seigncurie ,
Garde qu'cnfcr n'ait de nous la maistrie;
A lui n'ayons (;ue fairc neque souldre;
Ne soyez done de nosire confrarie ,
Mais priez Dicu , etc.
All sujet de cetle dcrniere invention , se lie encore
un qualrain , bien digne d'en completer Teffet, s'il en
reslait quelquc besoin. L'idee de Tautcur est : que son
cou place an bout dune cordc, va apprcndre ce que pise
son corps ; au lieu de corps , il met le derricrc , encore
n'est-ce pas prt'^cisemenl le mot donl 11 sc sert.
Voila les gentillesscs de nUon. Si nous lui avons
contesle Tinvenlion du badinage poclique, nous n'allons
KN I'l'.AXCE. ?.5l
pas jusqu'^ nicr qu'il on ail fait un usage dont pcrsonnc
encore ne s'dlail avise avant lui.
Villon a compose sous le litre de Grand Testament,
unc espere de longue lanienlalion philosophique , dont
quolques fragments detaches peuveiit (■iic consideres
romme de petils clans d'elegie , d'un cffet A part et
quelquefois tres-salisfaisanl,On remarqucra Us strophes
ci-apres , oii Tauleur esprime assez naturellement , ce
nous senible, \cregrct dn maiwais emploi qii'ilafait de
sa jeunesse. Bien qu'il n'y ait rien de fort meritoire
dans le motif qui rexcite a resipiscence , c'est , A tout
prendre , un sentiment dont il est juste de lui savoir
eniorc quelque gr6 :
Je plains le temps de ma jeunesse
Auqucl j'ai , plus qu'autre , gallci,
Jusqu'a Tentn'-e dc vieillessc ;
Car son partement m'a celi^ ;
II ne s'en est a pied allt^ ,
N'a cheval , las! el rommcnl done?
Soudainemcnt s'en est voli^
Et ne m'a laissd quelque don !
Alld s'en est , el je demcurc
Pauvrc d« sens et de savoir ,
Trislc, failli , plus noir que meure;
Jo n'ai necens, rente , n'avoir;
Des miens le mendrc (je dy voir),
De me desadvouer s'avance ,
Oublians nature! devoir
Par fauUe d'uji peu de chevance.
He Dieu ! !ji j'eusse esludie ,
Au temps de ma jeunesse folle.
2v»2 DK LA POESIE LYRIQI'E
El h bonnes nio'urs d(?(iii',
J'eiissc mnison el coiiche molle;
Mais quoi ! je fuyoie lYrolc ,
Commo fait ie mauvais enfant ;
En escrivant ceste parole ,
A peu que le cueur no mc fend.
Mes jours s'cn son: aliens errant ,
Comme (lit Job , d'une tuuaiile ,
Et des filcls quant tisserant
Tienl en son poing ardenle paille
Oil sont les gracieux galans,
Que je suivoye au temps jadis?
Si bicn chantans , si bicn parlans ,
Si plaisans en faicis el en diets?
Les auctins sont inorls et roidis ,
D'euK n'est-il plus rien maintenanl ;
Reposayent en paradis ,
El Dieu sauve Ic remenant I
Villon n'avait point cle admis a la cour , cl Marot ,
son editcur,en temoigne le regret , pensanl que telle
freqiicutation eut pu conJLribiier k amender son jugcnicnt
et t\ polir son langage. 11 parait toiilefois que le roi
Louis XI goiilait son talent , cl le couvrit d'une pro-
(eclion efficace centre des dangers auxqucls il eut difli-
cilenient echapp^ sans un tel appui. Fillon cxprimc
reconnaissance et affection profondes pour ce Ion roi
tie Finance, dans le preanibule de son Grand Testament.
Dans la foule des conleniporains et successeurs dc
Fillon , vers la Cu du XV". sieclc ct le commencement
du XV I". , on pourra remarquer encore , Jean Regnicr
de Guercliy , J. Meschinot , G""*. Alexis , J. Molinet ,
Afarlial ii^Juvergne (ou de Paris), G"". Coquillart. G™'.
Dubois dil Creslin , etc.
EN FRANCE. 253
Ce ne sonl tons , comnie on le congoit , que des
ccrivains d'lin talent plus ou moins inferieur , mais
dans les productions desqiiels tout n'cst pas egalement
h dedaigner ; on ne laisscrail pas d'y trouver surtout
bon nonibre de pieces assez interessantes par lour
rapport avec les evenements du temps.
Regnicr de Guerchy , gentilhomme Bourguignon ,
consciller du due de Bonrgogne , Philippe-le-Bon , fut
implique dans les demeles de son niaitre avec le roi
Charles J'll^ an point d'y avoir vu sa tiHe gravement
compromise. Scs ceuvres coutiennent plusieurs pieces
relatives aux troubles dont le pays se trouvait alors
tourniente.
Jean Meschinot , sieur de Mortihrcs , mailre d'hotel
des cinq derniers dues de Breiagnc , et ensuite de la
reine Anne de Bretagne . femme des rois Charles Fill
ct Louis XII , a compose une coniplaiiite Sur I'interdit
fie la villc de Nantes.
Giiillaume Alexis , dit le bon inoine , fut religieux
benedicliu i I'abbaye de ZtVe, au diocese d'^i'ret/j: ,
puis prieur de Bussy ( ou Buzy ? ) an Perche ; le sujct
d'un de ses ouvrages parait se rapporter k un pelerinage
qu'il doit avoir fait k Jerusalem en i486.
Jean flJolinet , clerc Picard , cbanoine de Valen-
ciennes, bibliothecaire de Marguerite d'Aulricbe , gou-
vernante des Pays-Bas , a compose des complainles sur
la mort de plusieurs princes de son temps , etc. II en
a fait une aussi sur la desolation de la Grece , apres la
prise de Consfantinople par les Turcs , en i453.
Nous avons de Martial d'Auvcrgnc . sous le tilre (le
T igiles de la mort du roi Charles J 11 , \\\\ oiivraj^e
3/>4 DE I>A poj'isw: l-iRI^jih:
sp(Vial , cr\ I'logo (Vs arlioiis, et ro^rot>; dcla pcile (!«>
re nionarqno. Martini cvcrca penilaiil qnaranfc aiis
dos fonotions d'olTicier dc juslice au I'arlemont ol an
rhfttelet. On croil que Martial , originaire iieiil-t'lip
do la province Oi'Ain'ergtic, par sa famille , jMait nk \\i\-
un'ine k Paris : dc la apparommenl son double siiniom.
Coquillart elail official en la cathcdrale dc Rheims ,
el il y assisla en cefte qiialite , an sacre du roi Charles
VIII, en 14B4. II a C(!ilebr^ eel evenement. Ce poele
passe pour iin ecrivain fori licencieux. 11 esl {\ reniar-
qiier que ses ouvrages n'ont el6 puMic^s qu'apr«*s sa
mort , el que beaucoup de cboses y out elo reciiciliies
sous son nom , qui bien ^videmnienl iie peuvenl pas
eire de lui.
Guillaume Dubois dit Crestin , nalif de Parix . on
peul-elie de Nanterre, (resorier dela Sainte-Chapelle,
etc., nous a laisse des compositions sur Ics bataillcs de
Guinegate et de Paris (ifuS ct i5?.5), et unc pastorale
sur la naissance du dauphin Francois , fils du roi de
France , Francois l"^. (en i Tn 7 ).
Nous nc pouvons entrer dans les details de ces pro-
ductions et de beaucoiq> d aulres de la memo epoque ;
on loue le naturel et la naivele de quelques-unes ; nous
n'en voyons aucune qui puisse etre citee comnie mo-
nument d'un progres de I'art.
Quelques poetes de ces dcrniers temps se sont escri-
nies dans des tours de force de versificalion fori sinjju-
Hers, rimes en echo , simple ou double, assonances
d'initiales ou d'hr mis tidies avec la finale d'un vers pre-
cedent , vers equivoques ou couronnes . accumulation
de Icttre^ ou de syllalcs ideniiqucs , i anienees dc force
KN FRANCE. a55
a qiielqiie apparence tie rapport de sens ou d'objet ,
jeux de langiic et de plume , elrangers k tout effet ,
soit d'expression,soit de rhylhme ou d'harmonie, diffi-
cuUes de pure fantaisie , follemeni ajoutees a celles d'un
art dejA assez embarrasse dos sionnes propres. Molinet
et Crestin surtout passent pour s'etre particuliere-
nient dislingues dans la pratique de ccs bizarres pue-
rilites.
On cite,au contraire,commeempreints d'un caractere
de grAce simple et nalurelle, quelques morceaux choisis
des Vigiles de Marlial d'/duvergne sur la mort du roi
Charles VII. Nous remarquons entre autres ce frag-
ment de quatre strophes finales d'un chant de regrets
du bon temps et du bon roi :
Micux vault la liessc ,
L'amour et simplesse
De bergiers pasteurs ,
Qu'avoira largesse
Or , argent , richesse,
Ni la gentillesse
De res grands seigneurs;
Car ils ont douleurs
Et des maiix greigneurs;
Wais, pour nos labeurs ,
Nous avons sans cesse
Les beaux pr6s et fleurs ,
Fruitages , odeurs ,
Et joye a nos cn?urs.
Sans mal qui les blesse.
Vivent pastoureaux,
Brebis et agneaux !
Cornez, chalumellcs ;
Fillos et pucellcs.
2^6 DE LA PoESie I.YKKJLK
Prpru'z vo> rhiipoanx
Dc roses vermeilles .
El dansez .«ous Ireilles ,
Au chant des oiscaui !
Dcpiiis quarante ans.
L'on iifi vil Ips champs
Tellmient fleurir,
Rt'gncr si bon tonips
Enlre (oiilps gens ,
Quo jusqu'au niourir
Dii roi Ircspass^ ,
Qui, pour resjouir
Et iioiis secomir,
A niaint mat passi!-.
Si pour ppiiip prpndrp,
Bo'ufsPl hrobis vpiulre,
R'avoir je pouvojc
Le fpu roi dp ppiidre ,
Et sur pipfis 1p rpndre ,
Tout |p iiiipu veiidrojfc ,
El ne cpsspi'oye
Que np iui auroYP
La vie relourut'c,
Pour la douee voye ,
Le l)icn et la joye
Qu'il nous a donn6e !
Dans une coniplainle des Dames de France , sur le
m^me sujel de la moit dc Charles V"II , on pent dislin-
guer encore le couplet ci-apres :
Adieu le roi vailiant el verfucux ,
Charles sep(i6me , el juste pl secourable ;
Adieu le roi benin , vicloridix,
Humble, courlois, gracieux, amiable!
E> FRANCE. 'a57
Adieu le prince aiine rt agreuble ,
Qui hoiiora les no!)lcs fleur« de iys ,
Et la courotine, iiisigne el desiruble,
Doii( les flciii'ons a si fort embcllis !
Que si maiiitenant nous voulons rt-sumer nos idees
sur tout ce qui lient aux r.bjels dont nous venous de
nous occuper , nous reconnaitrons lout d'abord :
Qu'en passant des mains des chevaliers trouviret ,
dans celles Aeipoltes clcrcs, ofliciers de cour, ou antics,
d'etat inf^rieur , le lyrique Irtteraire de ces deux dcr-
niers siecles avail eprouve trois notables changenients.
1°. Dans son objet , en ce que , sans rejeler les idees
essentiellcs de la chevalerk , il en avait elargi , ou
plutol brise le ccrcle , en y associanl hardiment la libr<^
peintnre d'une foule de dioses at d' impress ions , que
celle-lA s'etait fait un sjsteme d'dviter , coinnie
etrangeres i I'espril tout special de son institution :
Fanite naive de fcune fille , Dcgoiit de vieiix gcn-
tilhomme tnal marie , Ironie ainire contre les mceurs
du temps, Scntimenls de deulcur publiqne sur la perle
d'un grand Itomrne de guerre , Espoir de I'abaissemenl
fiitur d'une nation cnneinie , etc. , etc. — Deschan/ps ,
lout le premier , nous a present^ lous ces sujels , et
lous , ce nous s nible , trailes avec une convenance
assez remarquable. On a vu ce que d'autres y onl
ajout^ apre* luf.
2°. Dans ses formes, en ce que sans precis6ment rien
inventor de tout-A-fait nouveau en ce genre, il s'aslrei-
gnit toutel'ois ci habituellcmenl a certains procedos
parliculiers de retour syinclrique de pensees el de mou-
\emenls raii>€Hanl les menw^s vers , qu'independara-
258 DE LA POiSlE LVRIQCE
ment de tout aulrc indice , la constiliillon niaterielle
de la plupart de ses productions , sufllt pour fairc rc-
connaitre sur-le- champ A quel temps ellcs appar-
liennent.
3'\ Dans son caracthre , en ce que , sans intention
formelle dc separer la poesie de la musique , ayant
amene I'usage de culliver ces deux arts indepcndani-
ment I'un del'autre , il en etait venu de fail a laisser
romprc leur alliance naturelle , ct i livrer la composi-
tion poetique a des ecrh'ains , etrangers i (oule notion
de chant public , et entre les mains de qui clle ne put
manquer de degenerer promptement , soit par negli-
gence mat entendue des moycns d'lmpression synipa-
thique , soit par recherche oiseuse de jeux techniques
d'idees ou d'articulations , sans rapport avec aucun
effet d'harmonie ou de rhylbme musical. L'epoque
iX! Alain Chartier est ccUe oii les vices de celte poesie
factice commencent surtout k se manifester plus sensi-
blement.
Les chants publics d'occasion solennelle, ne laissenl
pas d' avoir ete d'un usage frequent dans toute la duree
des XIV'=. ct XV^. siecles. ludependamment dc ceux
que nous trouvons dans les ODUvres des auteurs connus,
les chroniques font mention de beaucoup d'aulres qui
n'ont pu manquer d'avoir tons un certain degre d'iu-
teret , au moins sous le rapport de leur objet. On cite
en parliculier ceux de Tenlrevue de Charles FIl avec
le due de Bretagne k Tabbaye de St.-Florent, en '^^i6-
ceux des tournois et combats chevaleresqucs de la cour
de Bourgogne sous Plulippc-lc-Bon , en i449 ct i4.'>3 ,
etc. Dans la derniere dc ccs deux solenniles , appa-
E> FKA.NCi;. Zp.i)
raisaail unc Dame, fais;»nl Ic personnage de la religion,
laqiielle s'annoncait par un elegant triolet. ( V. de Ba-
ranle , llisl. dos dues de Bourgogne; Lacurnc , Mem.
do TAcad. des luscr. , etc. , I. xx , etc. ).
D'un autre cote , la culture du lyriquc de cabinet
elait puissamment encourageepar plusienrs institutions
lies-propres A en exciter et i\ en repandre le goiit , arn-
(leiiiies de province , en PicanUe ct en Flandre , etc. ,
societes de Palinod en Tlionneur do la Ste.-Vierge ,
dans plusieurs villes de Normnndie, etc. , etc. 11 existe
(luclquesrecueilsdepi6cescouronneesdanscesconcou:s.
On a bien observe sans doute que dans lout ce que
noiis avons dit jusqu'ici du lyriqiie des XIV''. et XV''.
siecles , il n'a etc question que de la branche liltcraire
de ce menie lyrique. Labranche populaire nous fournira
bi'aucoup moins d'objcts d'exanien. II est dans la dcs-
tinee des productions de cclle derniere espece, d'epuiser
promptenient leur vogue , de toniber dans le dedain de
la generation qui suit leur nai^sance, de ne vivre que
par chances de transmission orale , et de nVtre que
rarenient rccueillies dans des ecrits , qui , peu prists
a leur origine , ne lardont guerc i porir en majeure
parlie , abandonnes conune inuliles , on du moins
perdus par oubli , dans des deputs ignores.
Nous avons en ce genre, pour Tepoquc qui nous
oicupc , plus de mentions et de citations bistoriques
(pie de monuments reels, el positivement connus.
Entre ceux-ci se prescnle avant lout , une Ires-
curieuse cbanson sur Ics e\eaemenls de la guerre de
Ihelagne sous Charles y en 1375.
On la suppose chantec par les enfants et Ics jeunes
a66 DE LA POtSIE LYRIQLE
fliles du pays , qui se plaignenl de le voir devaste par
les Anglais , auxiliaires de leur due , elablis dans uu
fort , aupres de Quimperle , sous les ordres de Jean
d'Evreux.
Voici le morceau , que nous donnons accorapagne de
quelques notes d'eclaircissement :
Gardcr-vous du nouviau fort,
Vous qui allez ces allues ,
Car laiens prenl son deport
Messire Jehan d'E\rues.
11 a gens Irop bien d'accord ,
Car bon leur est vi^s et nues (I).
N'6pargnent faiblenc fort..
Tanlotaront plein leurs crues (2),
De la Molle, Marciol (3),
D'autre avoir que de vies ucs (4),
Et puis mcn'ront ii bon port
Leur pillage el leur conques (5).
Gardez-vous , etc.
CUchon , Rohem , Rocheforl ,
Biaumanoir , £«('«/ entrnes
Qu'li Dus a St.-Brieux dort ,
Chevauches les frans alues (6).
Fleur de Bretagne outre Lord
(i) Vieux et nenf.
(}) Creux , panier, niJ , retraite T — Xjes Tocabulairea ne donnent que lo
fliniinutif cruf/.
(3) Gem d« la Motte et ile la Marvhe, — ou peut-etre noms proprci <le parti -
eant« subalternen?
(4) QEiifsgStit.
(5) Butin.
(6) Clierauclient sur let grands elicminay.* ou peut-jtre sur Xti terrei librei
( franct alleui ? J.
EX KBA.XCE. 261
Eslre renoinni^e sues (t),
Et mainlenant oule moil (2) ,
Donl c'esl pilid ct grand dues (3).
Gardez-vous , etc.
Remonstrela Ion erfort,
Se conquerre lu le pues ,
Tu renderas niaiiil succort
A nos meres , se tu vues.
En ce pays onl a toil
Pris tnoutons el Grasses bues (4).
Leur escot payeront il or
A ce cop si tu I'esmues.
Gardez-vous , etc.
Froissart qui rapporte celte cLansonnelfe , prelend
qu'en effet , ellc fut pour quelque chose dans la reso-
lution que pril Telile de la noblesse Breloinie d'ailer
altaquer Jean d'E^'reux dans son fori (Buch. , Chrou.
de Froissart, I. vi , p. 9061729, etc.).
Nous nc nous arreteronspas ck provoquer la reflevion
que cette petite piece, Brelonne d'esprit et d'infenlion,
si Ton veut , pourrait bieu ne pas I'avoir ete de lull ct
d'origine; ni i recherchcr, en consequence, si c'est bien
dans ce langngc que les enfunis des environs de Quim-
perle I'eussent faite. L'epoque et le caraclere en sont
bien 6tabHs. II sufiit. Ce sont les seuls rapports sous
lesquels nous ayons eu A nous en occuper.
Un peu apres, nous trouverions i en rapprochcr les
(i) Conitue au loin par ta rcnomoite.
(t) Le mot oute fait dit'iiuulte j le sons Joit i^iro i tii es maintcnant ieiiue ppuf
mortp; tl se pent que le pass.ige loit allei^.
{\) Pili^J et grand Jvuii.
(-t; \ atht^s grassei.
262 Dt: LA I'OhSlli I.MUQIE
faux (Ic I ire de Bassclin , si Ic (c\lc dc ccux-ci elail
im pen aulhciiliquc. Mallieurcusemcnl il est Lien
toimu , an cnnlrairc , que cc mcnic lexte , apres avoir
616 , diiranl pies dc 200 ans , abandonnc i toulos k's
varialions de la Iransmission orale , n'a cle Gxo qu'au
bout de ce temps, par un editcur, qui no dissimuic pas
Ic soin mal onlcndu qu'il a pris de te rajeuuir.
Oln'icr Dasselin fut bourgeois de yire , ou il exeira
la profession dc fojdon. II dut y nailre vers Ic milieu
du XIV'-". siecle. On croit qu'il ful lue par les Anglais ,
mailres de la NormancUc , durant les malbcurcuv
(ri>ub'es du rj^gne de Cbarles VI , probablement au
siege de t^ire , en i4i8.
DasseUn , hoinmc du peuplc , bien que degrossi par
quclques etudes classiqucs , ne fut ni un faiseur de
ballades , de la nouvelle ecole , ni un langoureux
trouvlre de rancienne ; mais tout siniplement un
chansonnicr de caboiel. ou plus exactcmeiit encore, xm
franc bm'cur , dou^ du talent du chant, que la vue
d'un broc bien rempli avait seule Theureux don dc
mcttre en verve , sans que son inspiration fut de nature
c\ s'elendre A aucun autre objet.
Ses chansons apparlicnnenl i peu pres exclusivc-
ment a ce qu'il nous a plu d'appeler le genre bachiqne.
Ce sont, i ce qu'il parait, les premieres de cette esp(^ce,
que Ton ait connues en France , k moins qii'on ne
veuille y rapportcr un rondeau de table A' Enitachc
Descfiamps , qui a pu les preceder , et pcut-clrc en
fournir le premier type. L'auteur n'y sort gucrc de ses
idecs de laverna , que furtivement, deux ou trois fois ,
par allusion aux cireouslances deplorables de i'ctat
de guerre qui dcsolail alors le pays.
EN I'KANCE. 263
La louche de Basselin est fermc cl naluielK*. Son
deliren'a rieu de siniule. C'esl bien Ic degre d'enlhoii-
siasmc que comporle le genre. C'en est meme Irop ,
pour les esprils delicals , qui ne se preJeiil ;\ I'impres-
sion des Iransporls d'lin bineur , que conime A tuie
ficlion poetique , el qui ne separeul pas aisenienl I'idec
de I'ivrognerie , de ce quelle a en soi d'ignoble el de
hideux.
Basselin s'entend fori bien aussi a lourner un couplet,
el A presenter ses idces dans leur forme el leur niesure
nalurelles, sans effort comme sans divagation. Chaciuie
de ses chansons offre comme un petit tableau , bien
distinct el bien trace , d'un effet loujours parfailcment
simple el vrai.
Le grand defaul , le di^faut presque unique , niais
aussi le defaul immense , et i\ pen pres habituel de ses
compositions est la (rh'ialite. Elle y resuUe surtout de
la nialadrcsse sterile avec latjuille il s'est renferme , on
ne sail pourquoi , dans 1 eloge du vin (ou du cic/rc) ,
considere comme breuvagc savoureux , sans y associcr
(ainsi que d'aulres out si bien su le faire) aucune idee
d'affi'ction morale et s} mpathiquo , d'anwur ou cTami-
tie , d' insouciance voliiptueuse ou de joie comtnunica-
tive , etc., aucun trait d'ornemenlgracieux , emprunle
aux objets doux cl riantsde la nature champelre , etc.,
etc.
Dans le sujet ainsi con^u , les details aimables et
altrayanls nc sont pas ceux qui surabondent , et lout
seniblc, au contraire, y Icndie i\ des effets d'lui caraclere
bien different. Uignoblc s'y prosente le jilus souvent
conuno la vraie toulcur des choses. Basse/in n'a pas
2G4 DK LA rotSIli L\Ul(Jlli
cru devoir s'cr. ecaiior , ft il on acceple franc homrnt
jiisqiraux miatires les p'us basses : 11 vcul se rinccr la
gorge ou se Ln'cr les tripes ; le Ion vln lui rechauffe le
venire ; il ne laissera pas secher le passage des vhres ,
il veul boire jiisqu'a trebucher ; jusqu'i s'en rendie la
face cramoisie ct Ic nez violet , etc. , etc. Ce bachique-
la (il faul le dire) , a pcu de cbose de conimim avec
celui que culli\ereiil jadis Auacreon et Horace. Si
Basselin a connu ces deux poetes , il est clair au nioiiis
qu'il ne les a pas copies.
Le nombre des chansons bachiques bien conniu's
de Basselin , est de Ga, entre lescpielles spt ou buil
suiloul se font remaiquer par des trails d'originalilc
plus ou moius piquante ; en voici une qui nous parait
dassez bon aloi :
Qui estcotnme inoi bon buveur ,
Ne crainl lanl Irouvcr un voleur
Comme un niauvuis breuvage;
Car (l"un voleui on se defend ,
Maiscclui qui inauvais via prend,
Bienlosl perd lout courage.
Je voudroy beuvant mauvais vln.
Me voir la gorge lout soudaln
Bien courle de venue ;
Mais quand le bon vin je boirois,
Quelecou j'eussc encore Irols fois
Aussilong qu'une grue.
Quant a I'eau , ne me parlez point
D'en boire, se n y suis conlraint,
Ou se ne suis hermile ;
Entor faudroil-il quelquefois
Que vin je brus^p dans les bois ,
Ou ji' niariuys bien viste.
KTi rnA>T.E, -^Gj
.Te say bicn que je boi des mioulx ;
Mais jVn rossenible a mos aynilx ;
II fault siiivre iios pores;
S'on laisse les vieilles Tafons,
Jamais si bicn que nous pensons
N'ironl droit nos alTaires.
La suivanlo aussi , a nolro avis, esl (res bonne
d'invonlion el d'effet :
Fanlle d'hunieur, nos choiii son! morlj
En nos jardins par si^chercsse ;
Faiille d'abrouvcr iiirn mon corps ,
Sej'alloy niorir, que scroil-cc?
Sancoil je ne m'y firai pas;
Miiiir sec a r.aillc de lioire ,
C'esI un tres-malheiiretix Irospas,
El de tres-fiinesle ni6nioire.
A boire ! a boire , visleinenl I
Je vculx lenii ma sorge liiiniide,
De paour de morir povromeiil,
r.omme nos chonx , see et aride.
Toulefois moi et mon jardin ,
Nous din'erons en une ciiosc ;
Je me veuii abrenver de vin ,
Et d'eau nostre courtil s'arrose.
II y a oncorp bcauconp d'af;ri'nicnt et de naliirel dans
celle autre sur I'Avare trrpasse :
Qui est cesluy qui est gisant
Soubs (cste froide sepulture?
— Tn ridif avnre , qui , vi\ ,inl ,
Ne buvail que i'eau loule pure.
21)6 D!i: L\ POESIK LYKIQI'E
— Quelle lunrl I'.i fait Ircspasscr?
— II est moil d'une soif nuellc ,
Pour n'avoir voulu reschauffer
D'un verre dc vin sa fourcclle.
— Pourquoi no croist sur son (ombeau
Que du (hardon qui rcnvironne?
— Vn corps qui n'a bu que dc I'eau ,
Nc produit licrbe qui soil bonne.
— Pourquoi csl-ce un puter nosier
Que pas un ores nc lui donne ?
— Pourrequ'ayanl vin en chanlier,
II n'cn faisail boire a personnc.
— Est-il niort sans cstre plor(??
— Quel deuil voulez-vous qu'on en fasse?
Qui, conime lui, mcurt allfr^ ,
II fait grandc honte a sa race.
Vraimenl lu es bicn oi'i lu es;
Tes heriliers , conimc je pcnse ,
Dc ton bon vin faisant gros nez ,
Laveront bicn leur conscience.
Mais le cbcf-d'cDiivre tie rautcur , A Ions egards , ct
sans aiicune psptice dc comparaison , est celle de ses
chansons qui a pour sujet Ic Siege de Fire par les
Jngloix (i4i 7 ?) , la seule aussi du recucil de ses feuvres
qui sc rapporte bien positivcment k uu evenement
d'inleret public.
Lcs Anglais occupcnl lout Ic pays voisin. lis s'appi o-
cbent de la villc. Dasselin les voil prels a commencer
le siege. Qu eprouve l-il?ne quoi veut-il qu'on s'occupe
il'occasionde celle terrible crise? C'est ce que va
nous reveler sa chanson :
Toiil a I'cnloiirdc nns lomparls
l.ps rnnernis son! en fiirle;
Saiivcz nos lonncau\ , jp vous piic !
PiTiK'z pliilolile nous , soudars ,
Toiilcc (loni vous anrrz rnvic;
Souvcz nos tonnoanx , jc vous pric!
NoMS pourronsaprcs , en beuvani ,
(ihasser noire mc^renrolie ;
Sauvpz nos (oiineaiix , jc vous pric!
I.'ennemi <|ai esl ci-devant ,
Nc nous veult fairc eourloisie ;
Vuidons nos lonneaux , jc vous pric !
Au nioins, s'i! prend nosire eit6,
QiTil n'j Irouve plus (|ue la lie ;
Vuidons nos lonneaux , je vous pric !
Deussions nous tnarcher dc eosit* ,
Cq boil sildre n'cpargnons mie ;
Vuidons nos lonneaux , je vous pric I
L'idoc (Iccelle polite piere esl , ronimo on le ^oi( ,
lios-ingcnieiiscment plais.inic ; cl qiiaiid on icflt'ibit
«n pou siir les circonstances qui en foiiinissenl la don-
r.oe roollc , on esl tout suijiris iVy Irouvcr roxpiossion
d'lin courage fori rcmarquable , deguisc sous Ics formes
roniiques d'une simple boulade de cabaret. On croit que
r'a du i^'lre ime dcs dernieres productions de Tauleur.
Nousdevons nous borner aces citations. On pourrait
encore en rapprochcr les chansons :
« Quo N06 fut un palriarciiedignc,.... clc. »
« J'ai grand' peur d'une maladie, ... etc. »
n Laissons vivremallieureuses,.... etc. »
« Mon niari a, qucjecroi,. .. clc. »
2G8 DE I,A POKSIE LYRIQI'E
Ce sonl relics qui nous paraissenl devoir les suivrede
plus pres.
En fail iie passages detaches , il n'est pas permis
d'omellrc le couplet suivaiit :
Ili-lasI que fait un pauvre ivrogne?
II se couclie cl u'occit porsonne,
Ou bicii il di( propos joyeiix ;
II ne songe point en usure ,
Et nc rait a personne injure;
Bcuvcur d'eau peut-11 fairc niieui?
II est pris de la chanson :
« Ma fcmnie se dil mal pourveue, etc.... n
De laquclle il forme la ronclusion.
Les chansons de Basselin onl ele appelees T^aiix de
P'ire , du nom du lieu on I'auteur avait son etablisse-
nient , el oii se Irouvaiont aussi les tavernes qu'ii
avait coututne de frequenter.
On vent que de ce nom de fait de Fire se soil forme
plus lard celui de VaudeMle , applique aus chansons
satiriqncs , et que d'aulrcs avaicnl crii derive de J'oix
de Fille ; question de pure etymologie , et sans aucune
importance pour le fond des choses. Le Faudcvirc ha-
chiqne et le Faudeville sallriqne sonl des compositions
d'origine et de nature toute differenle. Basselin pai alt
avoir cree le premier. 11 n'a rien fait qui se rapporlc :«
robjeldu second. Ces deux sortcsdc chants proceden I de
deux sorles d'inspirations divcrscs, el qui sembleraicnt
devoir plut6t s'exclurc qtie se produire Tune laiitre. 11
EN FRANCE. 269
y avail des chansons satiriqiics , de vrais VawlwilUs ,
sous quelqiie noni que ce soil , et avant Basseim, ft
boaucoup [ihis anciennonient , des Ics premiers temps
de noire vieillo poesie. La chanson de Qnimperlc en est
iin. Plusieurs [jieces eoniuies ^'' Eustadie Deschainps
offrcnt visiblenienl le caraclere du genre , et nous en
avons trouve la premiere ebauche dans les chants de
Jerusalem , centre /Irnould Malcouronne , durant la
premiere croisade , a prcs de trois siecles de Tepoque
oil les Faux de Fire on I dii commencer.
A la siiile des J^aux dc Fire de Basselin , les deux
derniers editeurs de ce poeic ont pris soin de recueillir
quelques autrcs chansons d'auleurs inconnus et de ca-
racleres divers , la plupart etrangeres k son genre ,
comme k lui-memc , mais se rapportanl plus on moins
sensiblement anx idecs et anx inlerols de la nieme
conlree, queiqiiefois aussi anx evenemenls connus d'une
epoque pen eloign^e de la sienne. Ces pieces , de sujels
plus varies , ont d'aillcurs , sur les Faux de Fire , cet
autre avantage de s'offrir i nous dans un etat moins
suspect, quant a 1 alteration du langage , exlraites ,
comme on nous les doime , demanuscrils que Ton juge
apparlenir an milieu du XIV"". sieclc. 11 y en a d'qffec-
tions privees et dc sujets champelres. ITaulres sont re-
latives surtoul k la grande affaire du temps , la litUe
du pays contre les derniers efforts de I'invasion Anglaise,
(erminee par X expulsion definitive dc I'ennend, etc.
Dans la premiere de ces deux categories , nous re-
martpions cctle chanson sur le rossignol :
On (loil bien amcr I'oysclet
Qui chanic par n.ilure ,
i8
270 DE LA POESIE LVRiyiE
Co mois (Ic moy , sur Ic mugiicl
Tanl comiiic la nuicl dure.
II fait bon 6couter son chant
Plus que nul autre , en bonne Toi ,
Car il r(^jouil mainl nmanl ,
Jc le sais bien quant est de moi.
II s'appelle roussignolet ,
Qui met loulcsn cure
A bien chanter, ef de bon hel (I);
Ainsi c'cst sa nature.
Lc roussignol est sous le houx ,
Qui ne pense qu'.i ses ^bals ;
Le fjiux jnloux se sied dcssous ,
Pour lui tircr son malelas (2).
La belle qui faisoit le guet
Lui a dit par injure:
H^las ! que ravoit-ii iii6fail ,
M(?chanle rrtVt(urc ?
On y trouve aussi celto autre (fragmont inromplot
peut-etre?) en regrets naifs (Fiine liaiwn quo lc lemps,
ou line necessile de convcnance quekonque, ont usee :
Dieu gard' de dc^shonneur
Celle que j'ai lonjj-tomps aymdc !
Je I'ai aym6e de tout mon coeur ;
Ma jeunesse est passee !
Or vois-je bien que c'est folie
D'y met Ire sa peiis^e.
Quant elie m'a dil en ploranl:
• Nos amours sont finfes. »
(i) C-aiment, de l>on copiir.
(?) Matcras, matras , fleclie , ttnit , etc.
KN FBANCE. ajl
D^penser ma fait mon argent
A la maison d'un tabernier ;
Payer I'escot de mainte gent ,
Donl je n'en a vols pas meslier.
Chausscs de vair m'a fait porter
Et soiilicra h poulaine (3) ,
Et par devant son buys passer
Mainte fois la semaine.
Et puis encore celfe derniere, enplaintcs d'emharras
de menage , donl il existe des lemons fort diverses , et
qui demanderaient a ^tre rectifiees les unes par las
autres :
Helas ! il est pis de ma vie ,
Et hie (4) !
Mesnage a prins sur moi rigour ;
A Dieu comant joie et baudour (5) ,
Esbatement et chanterie,
Et hie!
Je m'y souloye aller csbattre
Avecques ces gentils gallants ;
Alais maintenant suis h mon aslre (6)
A nourrir mes petits enfants.
Dont I'un se deuU et I'aulre crie ,
L'autre m'appelle son seignour ;
Le petit brait et nuict et jour ;
Je n'ai bonne heure ne demie (7).
(3) A la polonaisr ; moile tlu temps,
(4) Refrain insigiiifiant imitant una pcrsonne qui plcure,
(5) AtUeu la joie et les divertisaementj.
(6) Atre , foyer.
(7) Ni Vieure } ni tJcmf-h^ura de repos.
^7* «K lA POKSIli LVUlyLE
Lc grand dcmande une colelle .
Et la fillcltc un rh.ipcron;
Ma fcmnio si brct et crcslclle ^8) :
Et, nostrc Darnel que feron ?
Hd , tesiez-vous, ma mie !
Nous dcspiirons noslre Seignour ,
Qu'il nous donne du pain au four;
Si nourriron nostre mesgnio.
Enlre les pieces de la seconde sorto , se present*'
naliirellement an jtremier rang, ce tableau des miseres
de la province, effel neccssairc de Petal de guerre qui
la desole :
A la duch6 de Normandie
II y a si grand pillerie ,
Que Ton n'y pent avoir foison;
Dicn doint (|uVlle soil appaisie!
Ou il faudra que Ton s'eiiJuyp,
Et laisser thascun sa niaison.
Quant i moi , je n'y serai plus.
Par la double des court vei us, (<j).
Phis ca: n'y a point d'aisenient ,
Qu'ils nous viengnent voir Irop souvent.
lis viengnent par grand ruderie,
Demander ce que n'avons mie;
Et nous donncnl m.iini horion ;
Encor faut-il que Ton leur die :
Mes bons seignours, je vous en prie ,
Prenez toutee que nous avon.
(fel Crie comme une poule ^n cnUre.
f4) I'ar la ^raiiite Jet Anglaii
Je lour dojinassc vouleiilifis
Si je pcnsoyc jivoir dc giiol ;
Miiis siir ma I'oi , Ions inc.* di-riicrs
E( tout riioii liicn esl hors de nm,
Je nc puis fairc courloisic ;
Car pauvrcl('' me conlMrie.
Et me tjpril an suMei'liafi ;
Je n'ai jjus ajui iif amis..
En Frame rie en Xormatidic ,
Qui KM donnast i*n porion;
Dicu vouijle ri>elLre liojine pak.
Tar loijlc la cl>r(-lieul6 !
Mes que ce soil a lout jamais ; ,
Si.vivrofl Ijjis en loyaule.
Sc fhr&ienle fiis( unie,,
Kous riieiiassion jovcuse vie ,
Et meUrion Irislcssc en prison ;
Ceux par qui ( esl , Dieu ies maudie ,
El auss! Ja vierge Marie ,
Sans avoir ja^iiais-guarJsoiW
Celtc chanson a e(e citco conuno un Faiude. Fire,
el qiidqucs-iius peiiscuL (luY'lIc fJOiUTait c Ire do Ba$-
sdin. La supiiosilion n'a i\dn quo d'a.s.^i'z plausiblo. An
ineme sujol si; rallaclic ualiirelleniciit !a suivanU- (jui ,
dans cc cas, nlt'ii <jorjiiten oilol qu «n coHijtlcnK'nl sur-
ajoulc :
II6las! Olivier Bas.seliti ,
N'orron nous plus de vos nouvelles?
Vous ont Ics Eiiglois mis a (in.
"Vous soulicz gayemenl chanter
El demcner jnM'nse vie ,
2^4 I>E LA POfeSIE I.YKIQL']::
Etles bons compagnons hanter
Par le pays de Normandie,
Jusqu'a Saint Lo en Conslanlin ,
Onques ne vi tel pellerln.
Les Anglois ont faitdcsraison,
Am compagnons du f^aii de fire ;
Vous n'orrcz plus dire chanson ,
A ccux qni les soulaient bicn dire.
Nous prieron Dieu dc bon cucur fln ,
Et la doulce viergc Marie ,
Qu'il doint aux Englois male fin ;
Dieu le p^re si les maudle !
Un recueil imprime du XVI^ si^cle lermiiie cellc-ci
par le couplet ci-aprfes .
Bassclin faisoit les chansons ;
C'cstoil lo maislre pour bien dire ;
II hania lani les compagnons ,
Qu'il no lui demoura que frlrc ;
Car fust de sildre ou fust de vin ,
II en beuvait jusqu'i la lie,
Et puis rcvcMoit au matin ,
Helas! Olivier Dasselin !
Une troisieme piece de la mcnie classc a pour objot
de se rejouir de Tembarras ou les Godons (gens jui ant
par Goddam .') , Anglois cones ( porlant leurs chcvcux
en queue) , se trouvenl jetes par la mort inopinee de
leur roi Henri V , prelendant aussi au IrAne de France
(1422), lequel ne laissc pour herilier deses projels de
(•onqueles qu'un faible enfant de neuf mois. Le
morceau, forme dc deux couplets avee refrain, pourrait
E.l FHA.VCE. 27 >
bicn ii'et.c qu'iin//wi;///c7ii dc ballade incoinpU-ln. Les
(leluils n'ont lieii de saillant. Le refrain est :
« Mauldicle en suit trcstoulc la lignje ! »
Ce pelit cycle , tout national , de snjets lelatifs k
I'invasion Anglaisc , se tcrniine on ne pent plus heu-
reusenieiil pur une derniere chanson Fan de Hie ,
lout recenunent publiee pour la premiere fois (i) , et
qui, en la supposaut aussi authenlique qu't/A; mctite de
I'ctre, doit avoir ete coniposee a I'epoque ct i I'occa-
sion de riieureuse vicloire de Furmigny {\/i^5u). C'est
comme le prelude populaire du beau cbant , ailleiirs
cite, de Charles d'OrUumx, sur I'expulsion de rennenii.
Voici le niorceau :
Cuidoycnl loujours vuider nos tonnes ,
MeUre en chaitre nos coni|)algnons ;
Tcndic sur nos huysdes sidoncs (1) ,
Et conlamincrccs vallons.
Cuidoyenl toujours dossus nos lerres
S'csbaUie en joie el grand soulas;
Pour resconforl einblcr nos vcrrcs (2)
El sc gaudir dc nos lopas.
Cuidoyent loujours.
(I) Dans i'l^dltion don-uV, en 1833, par M. Jnlieii TraNcrs.
elilion la pins (ornplilc de Basselln , el dans la(|ueile se Irouvenl
U Vaux de Vire inedlls de Le IIoux.
\l) I i-nili'tt dos liitct'uilit i'lMit'liros hiii nos noituv.
(i) I'liiKjver 110.1 vrircs.
2^6 DE LA rOESIli LVBIQIE
Ne bcuvant qu'cau lous nos rouraiges
Estoienl la vigne sans raisin ;
Rougissoient encor nos visaiges,
Ain^ois de sildre ne dc vln.
S'embesoignant de nos futaillcs,
Dieu .a f6ru ces enragi^s ,
Et la dernicrc des batailles
Per leur lrospa> nous a vcngi6s.
Beuvons tous ; dos jours de deslresse
Jetons le record dans ce vin {'-i).
Ores ne nic thauil que liesse (4) :
Beuvons tous du vespre au matin (5).
II est k observer que la lacune du 3^ couplet n'exisle
pas dans le lexte manuscrit. On devine quelles idees
doivent en fournir la substance. L'edileur avcilil que
lanaivele grossiere des expressions I'a force de rclran-
cher ces quatre vers. La piece esl-clle bien comp'ele
d'ailburs ? N y manque-l-il pas au moins quelque
couplet de debut? Nous ne voyons pas que personne se
soit occupe de cetle question.
En debnrs de nos affaires de guerre et de nalionalile
normandes , mais toujours dans la categoric des sujets
d'interct public , se trouve enrore unc cbanson de Irois
couplets, sur la niort du bon roi Rene dc Sicile (i-I^O-
C'est peu de chose , et il est clair aussi que le lexle
qu'on nous en donne est fort allere. Nous ne la cilons
qu'en consideration de son objet :
(1) Lo a-oiivenir.
(i) Maiiitenant je lie ttl'occ upc que Je joie.
(5^ 13ii &oii au matin-
liN ir.A.NCt. Z-J-]
Ccliii qui nasijiiil saiiiflcmciil,
lien hone , lien Iiciic , hen henc (1) !
Veuille tncner a snuvctd
L'aine du bon f u roi Rcn6 !
II a prins son dcfincmcnl;
Hen hcnr , elc.
Pour corlain il est trespassi ,
C'esl grand doinniage dc sa mort.
Elquand vicndralejugemcnt,
lien hcnc , etc.
Que thacun y sera pour soi ,
Le donix Jesus par sa pili6 ,
Nous veuille donner sauvemenl !
Hen henc, etc.
La NonnaniUe cl i'ecole de Fire cii i»ailitiilicr , pa-
raissent avoir fourni la nicilloiirc part des cbansoiis
populaircs dcs XIV^ et XV". siecles. Ce n'est pas A
dire pour cela que les aulres parlies de la France n'aicnt
pas aussi beaucoup prodiiit en ce genre , et nous ne
nianquons pas de preuves bien positives du contraire.
II y en cut de faites A Paris, sur la captivile du roi
de ISafarrc sous le roi Jean, en loSfi, Elles etaient
en faveur du prisonnier, el avaient grande vogue parnii
le peuple.
11 y en cut au temps de Charles F , en i36cj , sur
riuaclion de I'armee fraiiraiseenz/r/oiv, sous les ordres
du due de Bour^ognc , PhUippe-lellanli.
Celle de Quimperle , (pi'on n\uua pas oubliee , est
du nienie regnc , et a 5 ou 6 ans pres , de la nieine
ei>()qiie.
(i) IliTitiiu iusigniftaiit , pouriiiiilcr mic ptfsonne qui pi t- lire ?
2-S 1>E L\ I'OtSlli I.YIUQIE
Les njalhcureux troubles dii rOigno do Charles I' I
donnerenl lion i\ bcaucoiip d'aiitics , dar.s les illicit' Is
rospcetifs dos deux factions rivalos. A qiiatre ct cii <[
anndes dc distance (i4io , i4i4 ct t4'9)> ^^'s rues do la
capitale retcntirent tour-i-tour de voeux pour Ic bou
(lac dc Boui-frogne , oncle du loi , et pi esque roi de
tirconstance , Jcan-sans-Peur , et de lamentations siir
Fassassinal dc son concurrent, le due Louis d'Oiicdiis,
frere dudit roi, puis encore de chansons sur Tassassinat
de Tassassin , etc. , etc. En 1422 , les inalheurs pro-
longes de la guerre civile , mislre , famine , maladies .
oppression violcnle ct cruelle de I'elranger, produisirent
des complaintos energiques du pauvre commun :
« C'etait , y disait-on , un gouvernement de loups ra-
« vissants , qui emportaient la brebis avec la laine ,
« et devoraient la chair avec lesang. y [ V. Froissart,
Monstrelet , M. de Daranlc , etc.)
On en tit sous Louis XI , en 1469, sur la disgrace du
cardinal de La Baluc ; et en 1475 sur Texpiculion du
conne table de St.- Pol; et en 1476 , sur la victoire des
Suissos et la defaite du due de Bourgogne , CharlesAe-
Temeraire , Alajournee de Granson.
Quelques-unes de ces derni^res compositions iront
pas «^16 tellement oubliees , qu'on ne puisse en citcr
encore des fragments plus ou moins considi^rablos. I. a
coinplaintc sur le conn^table de St.-Pol , fournit Ic
morceau ci-apres :
Pleurcz ma mort, patrons de jiilleric ,
llommes de sang, qui aimez brouillcrie;
Plus ne vous puisscrvir , ne aide Tairc ;
Plcurez donclous el tasthez de defaire
EX FilAXCE. 2.-<)
Les unions dcs princes el raccord
Qu'eusse emi)esch(5 si n'cust csl<$ ma mort.
Petils cnfanls, donl guerre occil les peres,
Soycz en Juge au venire de vos meres ;
Car par ma mort vous vivrez en repos ;
Femmes , et vous , qui dcs larmcs ani6res
Avez iel6 pour vos maris el freres,
Quiltez le deuil , tenez joycux propos.
Nobles , marchands, et tous autres suppols.
La paix vous dit, comma a ses chicrs amis ,
Que justice a I'un de ses ennemis. . .
Dc la chanson sur Ic cardinal dc La Baltic , on a
relenu surtout ccs six vers :
Maistre Jean Baiue
A perdu la vue
De ses ^vescli6s ;
Monsieur de Verdun
N'en a pas plus un ;
Tous sont d6pesches.
L'cquipee de Peronnepar dtssus tout( 1 4<^'^)> aurail pu
fournir aussi aux Parisians un admirable sujct dc vau-
deville; mais il parail que personnc n'osa le (ourher. 11
y avail dc bonnes raisons pour cela. L'edit pour la pu-
blication du traile de paix ne parut qu'acconipagne de
defenses d'en criliquer les dispositions, \)i\r jmiolcs ,
crrils , cluuisons , peiitUires , si f;iics ou mi'iuc gcslcs ,
sous peine d'etre fustige el banni pour la premiere fois,
d'avoir la langue percec pour la scronde , el d'elre mis
;\ mort pour la Iroisieme, On alia jusqu'A faire lucr
"^O Dli I.A rotSIK I.VlllQLli
Ifs pies (lonicsliqiics (]iii (niiciil Ic nialbour do se laissor
appreiidie a prniioiKor des syllabos d'allusion suspcdi'.
Si qucKpj'iin sc Lasarda de chansoniicr siir Peronnv ,
on deviue quo ce iie diil tire que sous la garanlic dc
V finis bien ctos.
Cet clal dc3choscs bien compris , si , snr les monu-
ments aulhcniiquemcnl coTinus des deux branihes du
lyi'ique des XIV". ct XV''. siecles , r.ous dieichoiis a
nous faiie unv idee gi'iTerale des changements que pa-
raissenl avoir subis dans celle pei iode , la lanp;iie (rune
j)ail, el de I'aulre Tarf de la composition poetiqiie ,
nous Irouvons d'abord pour ce qui est du langage :
I". Que le vocabiilaire avail eprouve conime une
sorfc dc refonte , soil par Fintroduction d'une loule de
lermes loul nouveaux , soil par omission absolue on
niodificalion importanic , dc forme ou dc desinence ,
de la plupart de ceux de I'epoque anterieure.
2". Que I'nrticalalioii nifilcrielle en nieme tem|)s ,
s'elail sensiblemenl atfoucie, par la contraction devenue
habituelle de presque loutcs les syllabes en double
voyelle faisant clioc Tunc sur I'autre dans un menie
mot.
En ces deux points , Ic cbangemcnt parail avoir ele
prompt ct progrcssif. On en suit sensiblemenl la marthe
dans les qualre premiers poetos du XIV''. sieclc , A
ni )ins loulefuis (ju'il n'y eul pour nous illusion a ret
egard , el (ju'il ne I'allul rjipporter i des dilTeremcs de
dialecle local , ce que nous prenons rhez eux pour des
eflets de Taction du temps. Les ocuvres de Cluirlcs
(V Orleans y^mioni, nous uffrenl sous ce rapport un objet
d'observation des plus imporlants. A laseule ouverturc
EN FBAXCK. sSi
<lii livre , tout le monde se sent commo en pays limi-
trophe , el sY'lonne prcsq-.io de comprcndi c i pen pres
lout sans explication. L'aljsonre des voyelles fn'urh'cs
(ia?is la proiionc'ialion nVst pas those (jui puisse s'v
niauifester de nienic a la {iicmiere vue. Lcs porsonncs
qui seraienttentccs de verifier ce qu'il en est, qiianl a
ret auteur, liouveront que, sur dixexoniplcs de Teniploi
des mots a voyelles rassemblees ( cnsxe , daissc , en ,
seen, vcoir , seoir , el autres semblables ) , il y en
aura rarcnient deux ou Tauteur n'ail pas fait la ron
traction. II ne la manque ni dans aagc. , ni dans rojv/e,
on ses predecesseurs ne la faisaient pas.
Sous le rapport grammatical , les choses sont ciian-
gees aiissi :
1". En ce que les conjonclions ot les pronoms con-
jtmrtifset relalifs onl pris des formes phis delerminoes
el moins susceptibles d'equivoqiie et de confusion.
a". En ce que des regies plus nxess'cfant elablies pour
raracleriser la difference du iwinbrc. dans lcs nonis e( de
la jjersonne dans les verbes, et renipioi de Vs avanf ele
babiluellemcnt inlroduil dans Tunc el Tautre de ccs
deux fonctions , il a du s'en suivre , et il s'cn esl suivi
aussi , que Ys ail tendu a perdre, el ail finalement
perdu en effet , son auire fonction , plus ancienne , de
caraclerislique des noininalifs singuUers masculimt .
flJc.i roys n"a plus du se dire pour rex mens . quand il a
elebienrecu quesasignifiation commune el babitucllo
scrail ref;e.<i mei. La distinction a pen pres indispensable
des nomb es a di^ faire negligor la disliriclion moins
iniporlante , cl'iin cas unique . dars une langue oil la
i'onclion des termes est presque neci ssairement delcr-
minee par rordre d<' la construction.
aB >. UK LA POESIE LVUIQl'E
Be dire i quelle epoqiic precise s'cst effeclnc re der-
nier rhangcnicnt , ne scmble pas chose des plus aisees.
On croil vo:r qu'il y a eiid'abord confusion des moy ens,
ptiifi neglif;enccprogressh'e (ie I'emploi du premier, sm\'w.,
pen apres , de Vonbli cle son objel , qui dut un peu plus
lard en aniencr rflf/^<7«r/o/i total. L'ancienne pratique
est encore loule en vigueur thez Froissart. Alain
C/iariier ne parait pas y avoir scnsiblcment deroge.
Aucun veslige ne s'en montre phis chez Charles d'Or-
leans. On en relrouve quelques traits chez Villon ,
mais ils s'y presentent comnie des jeux d^archa'isnie
volontaire et avoue. Son edileur Alarot , Ires-bon
grammairien d'ailleurs , semble n'avoir pas connu le
principe qu'ils rappellent , ( t sc borne h les signaler
comnic pluricls cinplojds pour singuliers , selon I'usage
vicicux des ancicn.s. Pour resoudrela question en pleino
connaissance de cause, I'examen compare des bons
manuscrits de I'epoque , est le point par ou il faudrait
conimencer.
Sur le surplus , on pent dire que , soil chez les
succcsseurs de Fillon , soit ( hez Villon lui-meme , et
avanl lui aussi chez Charles f/'Or/t'«n5,lesseules traces
subsistantes de I'ancienne gramniaire sont la suppres-
sion facultative Anpronom personnel subjectif devant
le verbe , et le mode d'inversion qui permet d'y placer
le nom subsiantif emjAoye en regime direct.
Pour ce qui est de I'art de la composition poetique ,
dirons-nous qu'il soit constamment all6 en se perfcc-
lionnanl par degres? Ou bien qu'il ait langui dans une
longne im|)erfection , avec les seules differences qu'ont
dii y introduire rinegalile des talents individuels ? Ou
E.\ FKA.NCK. 5.83
l)ion encore , quil sc soil allere dans quelques points,
par roffcl nalurcl de la separation de la poesie et de la
nuisique? Nous Iroaveiions dcs raisons plausiblcs en
I'aveur de chacune do ces opinions divcrses , donl la
discussion nous mcnerait Irop loin. Lefait est que Tabus
des formules explclivcs ol des incises oiseuses semble
|>lus rare cliez East. Deschamps que diez Froissart •
que Charles cT Orleans seul parait avoir cu quelquc
superiorile sur ccmenie Deschamps , en co qui lient k
I'clevation des pensees el aux mouvemenis du style ,
.uispension , gradation ou conlraste , etc. ; que Charles
(C Orleans et Froissart se placi'nl, h peu pres ensemble,
sur une ligne h pari , pour loul ce qui est grace el
ualiirel tourhant et ingcnieux ; (yS Alain Charlicr ,
infcriour k tons trois sous Ic triple rapporl de la force ,
(\cVagrc//>ent etde \i\/inesse,sc nionlre presquc partout
cnlacbe de vices , donl ils se sont tons plus ou moins
habilucUemcnl garanlis. C'est lout ce que nous preten-
dnns affirmcr , quant k present , sur ee sujel.
Relalivcinenl k la versification, A part Tusage, devcnu
a peu pres general, des grands refrains, el, si Ton veul
aussi, quelques effets derejels ingcnieux, plus frequents
que p.ir le passe ; k part encore quelque amelioration
introduite a I'cgard dcs rimes , par Tabandon de I'an-
cienne pratique des desinences facliccs , oblcnucs par
syncope de syllabe finale ( mon ou mont pour mont/e ,
citil ou cni pour cuide , etc. ) ; nous ne voyons pas
que Tart ait fait aucun progrcs, en rien de ce qui lient
a son objet reel. On admet loujours Yidatiis. On nc
songe pas encore a la necessitc do Telision de Yc mint
final ^ precede d' une autre voyelle. On se perniel , plus
oSl VE LA POKSIE LYRIQt'E
IVt'tjucinnieiU pcut-t'tre qu'au temps dcs Iromurcs . ,le
placer le repos de I'lumisliche sur tin e muel ; on observe
nioins rigoiireusenienl qifeiix aussi , le rctow dc rinn-s-
de mcnic nature aiix posies eorrespondanls d'une meme
piece , etc. El rependant on lravaiile,on toinmeiilc
peiiibleinenl la versifitalion , pom- la pUer A des jeux
(le pur caprire , etrangers , commc nous I'avons dit , a
tout effel d'harmonie el de rbylbme. Et ce ne sonl pas
seulement quelques baibouilleurs desoeuvres qui se
livrent a res rctbercbcs pueriles. Ce sont les gens qui
oblieinienl la vogue. Ce sont aussi les honunes de
talent les plus capables de se distingucr par d'aulres
opuvres. Nous trouvoiis Froissart lui-nieme s'y cxer-
cant avaiit les MuUnct et les Crcstin. On remarquc de
lui ce couplet de ballade en rimes fralrisees ou an-
nexecs , etc. :
A tres-plaisant cljolie
Lie mon cocur el rcml pris ;
Pi is m'cn liois sans viUntue ;
Oil nil- est CM bicn do pi is ;
Pits nic rend en la prison
La belle que tant prison.... Etc.
Et aussi le rondeau en vers equivoques :
« La p''intiirc qui me point ,
Donl conscillcr ne me sai ,
Null el jour ne cesse puint
ha pointu re qui mc point ;
El si me point si ii point ,
Que riens ne rrienc son assai ,
La poinlnre qui me point ,
Donl consriller ne me sai.
tN FRANCE. 285
Ce no sonl .ippareniment pas \'k Jes invcnlioiis de
poetos cbanleurs ? Disons pourlant que celle dcs vers
equivoques roniontc a unc epoque aiiterieure , et qu'on
ne laisse pas d'cn trouver des le XIII''. siecle , no(am-
menl dans unecomposilioii satiriquede Rutebcufs\iv\QS
on/res (couveii(s) de Paris :
Se li cordelier , por la corde ;
Piicnt avoir la Dicu acccrde ;
Biier sont de la corde encorde.,,.
Etc.
Nous n'en somnics plus a demander aux monuments
poeliques de rcpoquc , dcs revelations sur un elat de
societe dont ils auraienl presque seuls conserve les
indices. L'histoire des temps que nous venons de par-
courir est bien connue. Leurs nioours aussi ne nous le
son tpas mal. Les chants de Tepoque nous fournissent
sur ce sujet peu de notions , que nous n'cussions
d'avance. Ce n'en est pas nioins pour nous un grand
et vif plaisir , d'y en reconnaitrc si clairement la vraie
ct naive empreinte. Sous ce rapport , le caractere de
celte poesie des XIV®. et XV'=. siecles laisse peu de
chose a desirer. Ce qu'elle peint est bien ce qui fut ,
ce que nous savons bien positivement avoir ^te : Une
soeiete en progres , passant dc la galanterie chevale-
resque a des formes de civilisation moins restreintes ;
de I'ignorance presque generale , k un commencement
d'instruction sageraent repandue j du desordre feodal
a raffermissement d'unc royaule preponderanle ,
aiitour de laquelle vienneiit se grouper tous les inte-
rets sociaux, et qui s'altachc d captiver les esprils et
'9
286 DE I.A rOESIE LYRIQUH
A exalter les Ames , par r^ilat des fetes siierri^res ,
joules, tournois , elc. ; snciete nialhcureiise et lour-
mentee d'ailleurs de mille fleaiix , giierrcs d'invasion
etrangere et disscntions civiles , famine , pestes , fac-
tions , revolte , lyrannie , oppression , niiseres et
crimes de toiile espece. Tels sontles tableaux des chro-
niques : tels sent aussi ceux de la poesie contempo-
raine. Ce sonl deux temoins qu'on aime a trouver si
parfaitement d'accord sur los momcs fails.
Nous en aurions fini en ce moment avec le lyrique
des XIV". el XV. siecles , s'il ne nous restail quelques
mots A dire de Clolilde clc Sundlle , el de ce qu'il y a
de lei dans le recueil de poesies donne sous son nom.
Les poesies de Clolilde de Sun'ille ont ele publiees
pour la premiere fois en i8o3. Jusqu'alors personne
n'avait enlendu parler de celte femme, ct il n'existe
nulle part aucun manuscrit coiinu des ouvrages qu'on
pretend lui altribuer.
Son edileur qui ne peul en produire que depn'lendues
copies toutes modernes, ne laisse pas de nous les donner
pour un ouvrage parfaitement authenlique. II y joint
sur la personno de Fauleur , des details fort circons-
tancies, qu'il pretend s'elre conserves 7»5yM7i! nos jours,
avec les poesies , dans des memoires de famille.... ac~
tuellement perdus.
Clotildc de Siinulle , s'il faul Ten croire , naquil en
i4o^, el vivail encore en i49^- l^'l^^ aurait vu , en con-
sequence , dediner et finir Alain Cliartier el Cliarlcs
d'Orleans , et naitre el p;isser le fameiix Villon. On
nous la donne pour une femme de qualile , fille d'un
sieurde f'allon Cluiljs au Z?</v / ii'arais, el mariec, en
EN FBANCE. 287
142 1 , A Bercnger tie Sur^illc , jeune gentilhomme du
nicnie pays, Tun dcs braves atlacLes k la fortune el aux
droits meconmis du roi Cliarles Vll , alors dauphin.
Les ouvrages de poesie altribues h Clotilde sont
pleins de grace, d'elegancc, de nalurel , el quelquefois
aussi de force et de bardiesse , el Ires-superieurs aux
compositions connues de lous les ecrivains de son siecle,
soil pour le fonds des cboses , soil aussi pour les pro-
cedes du st}le et ceux de la versification. On y re-
niarque une rare connaissance des anciens , et une
foule d'allusions k I'antiquite classique , qui supposent*
aulaut d'instruclion qu'on y reconnail d'ailleurs de
talent et dc gout.
lis sont dans notre dialecle du Nord , dit langiie
d'oil , qui n'est pas celui que Ton parlait dans le pays.
Clotilde apparenmient Taurait prefere au sien, conime
nieillcur , on plus n'pandu.
Comment au reslc , du fond de sa province , el dans
un tcl siecio , une femnie a-t-elle pu acquerir ces qua-
lites donl la reunion est partoul et en tout temps une
cbosesi rare? I/editcur nous repond , sur ia foi des
lue moires de famille :
I ". Qu'el'e apparlonait a une ecole AQfemmespoctcs,
fondee au XII"^. siecle par la celebre Helo'ise, el au sein
de laquelle sV;(aienl developpes el transmis, dejemme
enfentnic , duranl une periode d'environ trois cents
ans , dcs priucipes de composition et de gout , peu
connus dcs lio/nmcs . ecrivains de profession.
2". Qu'elle avail ele elevee par une mere , d'unc
instruction peu conmiune , ot donl les etudes avaicnl
ete dirigecs par lo celebre Froissart.
288 DK l.\ POiiSIE I.VRIQl'E
3". Qirelle avail cu a sa disposition li's cxlraiLs fails
par cello-ci , sous la direclion de son niaitrc, de tons les
bons oiiviagcs, anrionsel modernes, dola bibliolheque
de Gaslon Phvehus . comic de Foix , etc., el que lY'tude
de toule ccUe lilteralure avail ele le passe-lenips cheri
el la ])assion dominanle de ses jeiines ans.
Fails tout iieufs ! k recevoir sans aulrc examen !
Merveilie expliqiiec i)ar un cntassement de nieiveilles!
Phenomene invraisemblable de loiitos manieres , mais
qui le serail moius en !ui-mL'me que dans son ia[tporl
avec los circonstances qui doivenl Tavoir pioduit.
Cepcndant pour completer le s} steme de Teditcur , il
fan I encore y ajoulcr ces deux petiles allegations :
1 ". Que inalgre leur excellence reelle el leur beaule
si frappanle, nialgre Yh propos paifail des sentiments
de devouiueiil a la cause royale , quVlles expriment
admirahlenieiil , el que devaienl relever encore les
services de son jeune et vaillanl epoux , les poesies
(La/mantes de ClotUdc ne purenl cppendanl se faire
jTouter ni an camp du dauphin d'abord, ni crisuile a la
com- du roi (Charles VII), el en furenl duremenl ecar-
lees par rinfluence qu'y exercail ALaln Clinrticr.
2". Que refoulees par la dans le secret d'unasociete
asscz rcstreinle . ses oeuvres reslerent pcu connues du
public, el loniberenl Lientnl dansun oubli total, comme
celles de Charles d' Orleans , dil-on , mais avcc celtc
difference , sur laquelle on glisse , que des maniiscrits
des poesies de Charles d' Orleans se soul conserves dans
les bibliolheques publiques , oii lout le nionde peul en
conlrAler la forme , Velat el Vdgc, landis quon ne pent
ciler , de cc lies dc Clotildc , que de pretcndues copies ,
EN FRANCE. 289
loules fraiches, qui ne peuvent en consequence fournir
aucunc garantie malerielle de rautbenlicUe du fonds.
On nous avertit , d'aillcurs :
Que dans le temps de leur existence en nianuscrit an
sc'in de la faniiile de Surviile, les poesies de Clolitde ont
du ede relouchees deux fois, par deux membres de
celte nieme famille , A deux epoquc s diversos , et dans
des intentions tout opposees , la premiere operation
ayant tendu i en rajeunir le langage , la seconde au
conlraire ji y rctablir Ics archaisims , qu'elle a pu
quelquefois exagerer.
A la bonne beure ! il ne fallail pas moins que cet
avis pour trancber court A des objections dont la dis-
cussion n'cut pas 6te exempte de queique dilTiculte. II
n'y a plus i craindre qu'aucun detail du langage donne
prctexte de contester I'jlige des productions.
Plusieurs petites compositions lyriques de Clotilde
ne sont que d'ingenieux badinages , d'un interet tout
individucl , mais que relevent toujours la finesse ct
Tagrement dc la pensec , ct sou vent aussi I'exprcssion
viveet inattcndue d'un sentiment aimable et toucbant.
Til est ce gentil rondeau sur ce souvenir : Que quand
son lei ami , niainlenant son cpoiix , vinl luifaire sa
premiere visile , il cloil suivi d'un jetinc loiip prive :
o De pcur du loup n'allez onrqucs seufctlc ! »
Tanl me le diet ma mere qu'ocondrois
Trcmbloy toujours, sans que nicnoy lilFelte,
RIcsrne varlcls , aux chaniiis 1 1 dans les bois,
Chaquc printemps cocillir la violcltc.
Suivy d"ung Iou|», prive eommc Icvretlc ,
Drokl au ihastcl vint pour la prime fois
ago DE LA POtSlE LYRIQUE
Mon bel ami. Pensay m'enftiyr , nicelle ,
De peur du loup.
M'accosta brief: au sien parler courtois ,
Cuiday-je oir dieutelet d'amourelle ;
Voulus respondre, et nc Ireuvay de voix;
Tremble plus fori dcpuys que ne le vols ;
Maiz ce n'estplus (I'ai Irop senty, povrelle! )
De peur du loup.
A cette categoric se rapporte une traduction de I'ode
*aivsTat , etc. , de Sappho , traduction , comme on
n'en rencontre guere , et telle que , pour cette piece ,
on ne concoit pas qu'il fut posssible d'en surpasser
Yenergie, le inouvement et la ftdelite :
Qn'h mon grd ceste li va primant sur les Dicux ,
Qu'enyvre (on soubriz , sur qui ton ceil repose;
Qu'encharmont, r^sonnant de ta bouche derose
Les sons melodieux !
Je t'ai vu dans mon seyn , V^nus qu'ay toute en I'ftme ,
Qui sur levre embrasde cstoulToit mes accents ,
V^niis h feux sublils, mais jusqu'er os pcr^ants
Court en fleuves de fiamme
S'ennuaigent mes yenlx; n'oy plus qu'cnmi rumeurs;
Je brusle , je languis; chauds frissons dans ma vayne
Circulent ; je paslis, je palpilc , I'haleine
Me manque ; je me meurs
Une pi^cc des plus justement vantees enlre toules
celle3 du rccucil , est le niorccau inlilule : Fersclcls a
mon premier nc. Clolilde y adresse la parole au jeune
enfant qu'elle allaite , el tout en rendorniant sur ses
genoux , ellc rentrelienl , comme s'il pouvait la com-
EN FRANCE. ft^t
prendre, de son epoux (alors absent ) et de lous les
doux roves de son coeur.
L'elendue est de i6 couplets (de chacun quatre vers),
sans compter la repetition du couplet refrain , qui
revient de 3 en 3.
On remarquera ce debut si simple et si vrai :
O cher enraiilelet , vray pourtralct de Ion pere ,
Dors sur le seyn que ta bousclie a press6 :
Dors , petiot ; cloz , amy , sur le seyn de la mere ,
Tien doulx oeillet parle somme oppress^.
Bel amy , cher peliol , que ta pupillc Icndrc ,
Gousle ung sommeil qui plus n'cst faict pour moy !
Je vellle pour tc veoir, tc nourrir, le d^fendre....
Alns , quil m'esl douk nc veiller que pour toy !
Dors , mien cnfantelet, nion soulcy , mon Idole;
Dors sur raon seyn , le seyn qui I'a porle !
Ne m'esjoull eneor le son de la parole,
Bien ton soubriz cent fois m'aye enchante.
O cher enfantelel , etc.
Puis ce charmant passage :
Eslend scs brasselets; s'espand sur lui le somnie ;
Seclost son ceil ; plus ne bouptc ; il s'endorl;....
N'eslollce layn flouri des coideursde la pomme ,
Ne le diricz dans les bras de la mort?....
Arrcsle, cher onfanl!.... j'cn frcniy toule cnglicrc!....
R6veille-loi ; chassc ung lalal propoz !
Mon fils ! pour ung moment ! ah ! rcvoy la lumiere !
Au prilx du lien , rends-moi tout mon repoz I
Doulce erreur! il dormoil.... c'est asscz, je respire;
Songcs lOgiers , flattcz son doulx sommeil !
292 DE LA POESIE LYRIQLE
Ah! quand voyray cestuy pour qui nion rueur souspirc
Aui miens costcs , joulr de son r(?Yeil !
O Cher enfantelet , etc.
Et cet autre encore :
Te parle el ne m'enlends! ct que dis-je , inscnsce!
Plus n'oyroil-il, quand fust moult dveille....
Povre chicr enfancon ! des fils de la pensfie
L'esjhevelet n'est encor dt5brouill<; .'....
Trestous avons estfi commc es loi dans cPsle heure ;
Trislc raison que Irop tost n'adviendra ;
En la paix dont jouls , s'est possible , ah ! demcurc !
A tes beaux jours mesme 11 n'en souvicndia.
0 chcr enfantelet , etc.
Puis enCn ce dernier quatrain , faisant retour , el
en quelque sorte envoi , i son cpoux :
Voyli ses Iraicts, son ayr! volla tout cc que j'aymc;
Feu de son ceil , et rozes de son layn !....
D'oii vienl ni'en esbahir? aultre qu'en lout luy-mcsmc
PusImI jamais esdorc de mon seyn?
Tout ceia est excellent ; cV'st Tinspiralion de la
nature ; c'osl V'iv^h , ^oifnq de Si/nonic/c , qui pour-
rait bien cu avoir donne Tidee , ainsi qiril scniblo on
avoir fourni le refrain , si heureuscnient approprie a
une autre situation.
Dans un autre ordre de sentiments, sur cc qui louche
aux sujets d'inleret public , ClolUde se presenlc avec
le menic avantage , et sYdeve au ^raii I et a flicroujue,
tout aussi naturelleincnt qu'on Ta vue se jouor d'i.bord
J
EN FRANCE. SgS
dans le lendrc et le gracicux. C'esl du nioins cc que
nous remuiquons bien positivenicnt dans le chant royal
ci-apies , sur la vicloiic du roi Charles Fill , i For-
nouc ( 1 49'>).
Qui fait endcr Ion cours, flcuve bruyanl du Rosnc?
Pourquol roulciit si fiors tcs flots tuniullueulx?
Que la nytnphc dc Sayne au port niajestueulx ,
De scs bras argenlins aillc cnlourant le trosne ;
Tu lui falz envier Ics bonds inip(!lucnlxl
Les fleuvcs, lescsgaulx, coulcnt en assurance,
Parniy dcs champs llouris , des plaincs et dcs boiz:
Toy , qu'un goulTrc parfond absorbca ta naissance,
Mille obstacles divers combaltent la puissance ;
Tu Iriomphes dc Ions. Tel , vcngeur de scs droictz ,
Charles brave I'Europe, el faicl dire a la France :
« Rien n'cst Icl qu'ung h(5ros soubs la pourprc dcs royz ! »
Oil courcnl ces guerricrs donl la tourbc foizonne
Enlour du I'o , d'clTroi soudain lourmenluculx ?
Naguere ils courboient touz un front respecluculx
Devaiil I'ost oil des I5Z la Ironipelle rczonne ;
I'ciisciit done I'arresler , conqu^-rant vcrluculx ?
De Ics hauls faicls rciccnts la seule remembrance
Deja par la lerreur u'cmbaisne leurs exploictz?
N'a done asscz cogiieu leur parjurc alliance
Que pour descoriforler nos prculx et la vaillancc ,
Alpcs , voire Apennins sonl fragiles paroiz?
Va , Ics frappc d'ung coup I parte icel cry dc France :
« llicn n'cst lei qu'ung h6ros soubs la pourpre des royz .' »
Tel , des Diculx , q\i Uczins ct cygne de Sulmone ,
(Trop souvcnl deshoiit6splus que voluplueulx )
Onl dcspcincl vimlictcurs , pollrons, inccslueulx ,
L'arhilrc souliverain qu'eut sien temple i Duduuc ,
De la Icrrc cscrasa les enfantz monslrueulx.
En vain ils mcnagoienl Taugusle dcmourante ;
2g4 DH LA POESIE LYRIQL'E
En vain sur Pel/on Oisfl jusqu'a Iroiz foiz
Entass6, surmonloil ro/)7H/>c en apparence ;
Ains sc rit Jupiler ile leiir pers6vdrance;
El dcs monls fouldroycs Ics broyant sous le poidz,
Apprist h I'univers ce qii'orcs voyd la France :
« Rien H'esl Icl qu'ung h6ros soubsla pourprc des royz! »
Aux armes , paladins , vostre sang ne bouillonne !
Des Remains desgradez , \'.4igle lempeslueulx,
Le Griffon , la Licunie aux palais somptuciih ,
UOitrs blanc, et dc St. Ularc la supcrbc Liunne ,
Sousliennenl de Milan le Dragon tortueulx.
V Eri Inn de voz braz attend sa d^iivrance;
Haslez-vous ; disputez ccs passages estroicis!
Ne vouz auroil le cicl confid sa vengeance ,
Si de vos devanciers jiortanl vaine semblance,
Vous ne savioz joustcr qu'en spacieulx totirnoyz
Aux mains! n'oyez quel son rendenl 6choz de France,
n Rien n'cst lei qu'ung hC-ros soubs la pourpre dcs royz ! »
Ainsi bravanl la mort qui ja vousenvironne,
Fondez sur I'cniiriiiy lasdiect prc^sompluculx ;
Tu no I'allcndois pas, pontife fastuculx ,
Anx affronts qu'en ce jour sur ta triple couronne
Verscroient tes efTorls toujours infiuctuculx !
Quoy ! so peul-il eiuor que vicloire balance?
Diculx seroicnt incertains oiise monslrc J'nloyz?
Non , non, sur I'hydre niemc, en llerculcW s'eslancc;
Perfide Manlouan, rompz la derraine lance !
L'air au loing en mugist ; Ludovic , aux aboiz ,
Paslit, tombeet s'escrye: d Irop hcurrusc France,
" Rien n'cst to! qu'ung h6ros soubs la pourpre des royz I »
Prince , en {(ui luicl valour , sagesse el (cmp<^rance ,
Du premier de ton nom , qu'en despriz du Crrgeoiz,
A Tempcyrc romain cominc au reigne Gaiiloiz
Rendisl en deulx hyvers leur prime transparence ,
T'offre Ics derniors sons qu'eschappenl a ma voix ,
Fiere que dc tel chant retcntisse la France ;
■ Gloire a Charles, h^roz soubs la pourprc des royz ! »
EN FRANCE. SgS
Celle piece est unique dans le recueil ; el on veut
que Clolitik Tail composcc a Tdge de quatre-vingl-dix
ans.
Cen'est pas au resle la premiere fois qu'elle se serait
elevee A ce ton.
11 caracterise surloul une Herdide, que des I'an 1422
(A 17 ans, et presque immediatemenl apres son ma-
nage) , sur les derniers momenls dii regne de Cliarlcn
FI , Clolilde est censee avoir adiesse i son jeiine
epoux absent , qui est alle au camp des braves , re-
joindre les drapeaux du dauphin niecoimu.
La composilion , sous la forme d'une simple epilre,
contient des trails qu'on admirerait dans le chant de
guerre le plus heroique. On distingue a le passage
suivant , sur les malheurs de celle guerre :
Bellone au front d'airtiain ravagn nos provinces;
France est en proje aui dents des Icoparts;
BannI par sessujets, le plus noble des princes
Erre, et proscript en ses propres remparls,
De chastels en cliastcls el de villcs en villes ,
Contrainct de fuyr licux oil dcbvoit regncr ,
Pendant qu'hommes f61ons, clercs et tourbes servilcs
L'osent , berime, en jusdment assigncr!
Non , non , ne peull durer lanl roupable vertige ;
0 pcuple Franc ! reviendras a Ion roy !
Et pour te rcndre a luy , ((iiant faudroit d'ungprodige,
L'allendsdu ciel en ce ronimun desroy.
De lant de maux , amy, cc penscr me console ;
One n'a parcils vengid divin secours;
Comme d6ga(z de flolz , de vokans et A'Eolc ,
Plus sont affrcux, plus croi que seronl courts.
Puis eel aulre conlre les Fran^ais qui se sent decla-
res en favcur de Telranger :
sgG DE LA roiSIE LYRIQL'E
De vergongnc t'loulTez , qii'a difaul de la fouldrc ,
IWissenl louz soiibs le faix dcs rcmords!
Francois qui veult la France aider h se dissoudrc
N"a-l-il , r^ponds, mtVild niillc morts ?
Ainsy permrsl Ic cici Iclles mdsadvcn lures
El laissc ourdyr si noyres factions ,
Pour que soycnl, liuniains , vos divcrses natures
En un plain jour myses par actions!
Tel avecques la lerrc , escloz soubs ses entralllcs ,
L'or confondu n'cn dilfcre en couleur ;
Alals au feu s'cspuranl , emmycu viles scorailles ,
Tout son tidal reprent et sa valcur ;
Tels en ces temps de feu , voyrons Francois fidcles ,
Coniine l'or pur, entre escume apparoir;
Et lira I'advenir sur Icurs nobles rondelles:
« Mourir pluslOt que Irahyr son debvoir ! »
C'cst assez, ce nous scniblc, pour apprecier Ic iiR-rile
des poesies de CloiiUe, el peiil-eire aussi pour decider
la question dc leur aulhcnlicile.
Pour Ic fonds des cboses : Abondance d'idees el dc
connaissanccs acquises, sagesse ingenieuse d'invenlion,
el abandon absolu el raisonne t'cs vkillcries de pcrson-
nilicalion si generalemenl accreditees.
Pour la composition : Gout et mesure parfaites en
toutes cboses, entenlemerveilleuse des effels jusqu'alors
Ics plus inconnus du style , grftcc el vigueur de pensee
el d'expression , aisance el libertd gracieuse de niou\e-
ment , sans diffusion , sans mollcsse , sans aucun re-
coius a la ressource commune des formulcs cxplclives ,
etc.
Pour le langage : Idiome cpure, cboix el assorlinienl
bien enlendu dc ieimcs, alfsence de tout vaiige du trail
essentiel tic i'ancicnne graiiimaire , clc.
E> FBANCE. Of)"
Pour la vcrsificalion : Assorlimenl allPinalif ol oioi-
scinont paifailomenl regulicr do rinios masculines ot
feminiiies ; dViialus \>o\nl ;d'elisions inanquces, aiiciine;
plus dc repos d'hemisliche sur des syllabes muclles ;
plus de mauvais jeux d'echos ou d'equivoqucs ; jolis
re/efs d'cffet pillorcsque, etc.; en un mot, pratique an-
ticipee dc I'arl , telle , presquc dans tons Ics points , ct
mcillcure en quelques autres , que cello dont le secret
ne deviendra pul lie que plus d'un siecle apres.
Aux personnes qui n'auraient pas sudisammcnt re«
marque toules ces differences , nous dirions :
Recourons aux textes , ct essayez dc contrAlcr
nosjugcments. Compare/,, par excmple , dans ce qui
se rapporle k Texprcssion des memos sentiments et des
memos ponsees , le Uktc des Quatrc Dames d'/flain
Chartier, avec Vherdide a Dcrcngcr de la jeune ClotUde.
De toutcs les gcnlillesses , dc toutes les gracieuses len-
dresses , ct memo de la ballade heroique dc Charles
d' Orleans, rapprochez denumc, si vous le voulez , les
versclcts ait premier ne, Yode traduitc de Sappho , et le
chant royal sur la batallle de Fornouc ; el jugez si ces
diverscs productions offrent vraimcnt les trails essen-
ticls d'unc cmprcinte commune ; si cellos de Clotilde
pcuvent etre , en effet , une oeuvrc du siecle auqucl on
les attribuo; el s'il est concevable que , tclles qu'elles
sont , et publices i unc telle epoque , elles cussent pu
manqucr d'y attirer une attention des plus vivos , ct
d'y balancer , pour le moins , la vogue dc tout cc qui
s'y faisait le plus admirer.
Clotilde , comme nous Tavons vu , est censcc avoir
tiaduit , ct traduit admirablcmcnl , unc ode ceK'brede
2g8 DE LA POESIE LYRIQUE
Sappho. Dans un dialogue m-cc Apollon , on nous la
pioduil sp vanlanl do connaitre Ilomcrc , Anacreon et
Horace. Elle cite ailloiirs [Ihiode , Thiociitc el Ovide.
Ses poesies offrenl une miilliludc d'all'isions h. la my-
Ihologie el A Thisloire grecque et romaine , et des traits
visiblcni; nt emprunles des anciens class'upics.
Cc qui est beaucoup plus singulicr , c'est qu'elle
seuible aussi quelqucfois imiler , et presquc copier, des
modelesniodernes el Ires-poslerieursa son Age, Boileau,
Racine el Follairc , par exeniple ; rencontre fortuite
d'idees , prises peuf-etrc A une source commune,
dica-t-on ; ou bien encore , qui sail? ces modernes ne
peuvint-ils pas avoir en quolque connaissance dos poe-
sies de Clotilde , el s'en etre eux-memcs approprie
quelques traits? P'oluiii-e surtoul , n'esl-il pas bomme
A Uii avoir ainsi vole le joli sujel d'un conle dans lequel,
A vrai dire, on croirail qu'ils ont voulu Iravaillcr en-
semble, et comme par defi , sur un texle convenu (i).
El puis si vous ne voulez pas de ces excellenles expli-
cations, il reste toujours la ressource de s'en prendre A
des interpolations commises aux XVII''. el XVIII'.
siecles par ceux qui, A ces deux epoques, sepcrmirent
sur les tcuvres de Clotilde , des travaux dc remauic-
mcnts syslematiques qui vous ont ete denonces.
C'est A ces inlerpolateurs aussi sans doute qu'il faut
at tribucr certaines wp'/jmci de distraction un pen fortes,
qui sc remarquent dans ces poesies , et dans lesquelles
apparemmcnt Clotilde ne scrait pas tonibee , sur des
fails, qu'elle devait connaitre beaucoup mieux que nous.
(I) Voir rl fomparer Volaire Pl Clotilde , (ruvres , etc. Les Irois
tnaiiieies , el les tniis plaiils d'or.
EN FRANCE. 2f)()
Nous signalorons en oc genre :
I". Dans la -preface ( rccUgee sur Ics mcmoirc;) , la
lireteniluc citation d'un morceau de Marie de France,
tout different de la lecon des manuscrits authcntiques ,
et falsifie de la nianicre la plus visible , dans le but de
faire , de JiJarie, une personne de race royale (ce qu'elle
nefut evidemment point) , et aussi sans doute de lui
preter un systeme de versification perfectionnce , qui
ne se rotrouve dans aucune autre partie de ses vcrilables
ecrits.
2". Dans un article d'apprecialion litleraire de ses
dcvanciiTS , A cote d'un elalage nouveau de noms de
poetesses d'unc ecole jusqu'alors ignoree, Vexistenre de
toutes les lacunes recites de noire ancienne critique , no-
tamment I'omission des noms de I\Iachau et de Des-
chanips, si reniarquables et si voisins de son Age , et le
passage immediat de Thibaut k Gaston et k Froissart ,
entre lesquels ils se placaient nalurellement.
3". Dans une epitrc i Marguerite d'Ecosse, ^crile,
dit-on, dans la 40'". annee de TAge de I'auteur, d'abord,
le nom de reine , partout applique a celic princesse ,
quine le porta jamais , etant morte, celte mcme annee
()445), i(J ans avant Tepoque ou son eponx ( Louis XI)
devint roi. Puis aussi , une mention de Fillon , cite
comme deja en possession (bien que ;eunet),(lc sa double
renonimee , de pocte distingue , et d''dnie basse et
deloyale ; le lout a une epoque ou, ne en 1 43i , il devait
en consequence avoir tout au plus atleint ses qninzc
ans. Cloiilde qui apitaiemment ne Fa pas devin6
d'avance , Taurail-elle (pialifie plus lanl , en fCinter-
polant elle-meme apres coup? L'ingenieuse preface
3oo DE I,A pofesiE LVninvE
nous till que jusqu'^ la Gn de sa longue carriero , elle ne
ccssa de retoucher ses ecrils. Admcltons , co qui est
assurt'iiicnt bcaucouji , que V anachronimes sur la rc-
iionimec dc Fillon puisse rigourcuscment s'e^ipliquer
de celte nianiere ; rien de parcil ne tend Ic nioins du
nionde i infirmer , en quoi que ce soil , nos aulres
observations.
Ctotilde est censee avoir fail de la poetiquc , el de la
belle ct bonne poelique ( anlicipce , comnie tout le
rostc ) , sur le beau , sur Yimitation de la nature , etc.
On observera qu'elle y rccommande, an noin (TJpollon,
Vusage, mais I'usage niodere dela Mytbologiegrecque,
en rejelanl conime insipides el absurdes, la fcerie el les
pcrsonnifications si gencralement en vogue de son
temps. Ses jugements critiques sur les poetes antericurs
ou contemporains , sonl aussi fort h rcmarqucr sous
differcnis rapports. Ellcreproche k T/dbaut sou defaut
de chaleur , el a Froissart quelque abus du bcl esprit.
Elle ne nonime ni Coucy , ni , commc nous I'avons deji
observe , Machau, ni Deschanips. Elle louc par dcssus
toul le talent aimable ct facile dc Charles d' Orleans ,
cl se nioque partoul el i lout propos ^ Alain Chartier
el do ses succcs de cour. Elle cite de lui , el attaque ,
comiiie foil ridicules, plusieurs ouvrages, deTexistence
desqiiels on ne trouve ailieurs aucune autre mention.
Nousavonsdil que , pour expliquer le prodige de
rexislencc de Clolilde, ceux qui pretendent nous avoir
conserve ses poesies, n'ont rien imagine de micux que
de multiplier en quelque sorle le pbenomene , par la
supposition d'une ecole defemmes poetes, qui dVJvloi'sc
A elle , se seraienl successivemont transmis les secrets
1
EN FBANCK. 3oi
dii bon gout. L'editeur ne manque pas de donner la
liste de ces femmes , avec qiielques echantillons des
poesies qui leur sont altribuees, II y a de fort jolis mor-
ceaux dans le nombre. On en jugera par ces stances
qu'il nous cite sous le nom de Barbe de P^errue , es-
pece de cbanteuse quelque peu aventuriere , qui , dans
son sysleme , doit avoir fleuri au temps de la jeunesse
de Si.-Louis. Baric , devenue \ieille , y exprirae avec
reiijoucnient le plusaimable, sa resignation aunouveau
r61o que desormais vont lui commander ses cheveux
blancs :
Voyd sien hivert venir li taiges ,
Comme al fln bjau jor , belle nuict;
Seel que sont roses por toz eaiges,
Si por toz eaiges sont ennuict.
De ma primev^re tempcsfe
Ne me remembre sans plaisir ;
Ains quidan^a mollh la Teste,
Au soir n'a regret de g^zir,
Dantque vy cheoirroilles d'altomne,
RcUe trestoz ra'ont prQc!am6 ;
Trestoz, adez, me disent bonne;
Ne sai le nom qu'ai plus am^.
Heur ne despenl de gcnlillesse ;
Centre li temps n'ai de rancoeur ;
L'er m'a changl6 ; n'est de vieillcsse
Por dc qui n'a changi6 le coeur,
Bien sole un tanlel ja viei!IoUc„
Me duicl la cort di jovancels;
Ains n'ai regret que gent' fiUote
M'emble, au sien tor , iosnes aneels.
2^
302 DE LA POF.SIK I,VBiniK
!^Ie iluicl vooir doiilcrs pasloiirrllcs
Sfayri lilt lor hoitjicrol gpiitilz ,
r.o-illir nvclinc ct flourclles,
Kiiimyeii fuslayes el cortil/.
Me duict vpoir , souhs vcrtcs toniiollcs
r.oupfc adfinnl les feux du jor ;
Me duiil oyr diant dcs villancllos
AppeliT au combat d'amor.
Mp duif I ( birn qti'avprqacs lor daniPS
Oabent di rnicns recits longuptz ) ,
Si coiilo plaids d'antiiiiips flames ,
Soubrycr iiosjolys fiiqtiPlz.
Lor est advis qiip rion iie meiie ;
Out en [lilic rues cheveuli blaiis ;
Riolent , si lor contc, esmcuc;
Qu'eiiz lorpers a mes piedz iremblans.
r,! lie ma part , me ry sans feindre
De veoir parjieillons csvolez
Si nargiiillniis, presi ;i sVsteiri'lre ,
Flammel,qui lant eii abruslez!
Apocryplie ou non , cc n'cst ccitos pas la uno piodiir-
tioii a dodaigner commeinsignifiantc. Ellc pent pour Ic
XIIT"^. siecle , tout ainsi que les poesies de Clolildr pour
le XV''. , concourir , avec quclqiies moniinionis reels
du lenips, A etablir assez claircnient que si noire an-
cienne poesie n'apas etc d'aboid lout oe que Ton con^oit
qirdle eut pii etre , ce n'cst pas . qnoi qu'en dise unc
opiiiion fort arcredilee, que I' imperfection matcriclle de
In langue ait du arreter son essor, en rcfusanl de se
preter A de plus lieureux effcfs.
Dans le nombiedesprodiictions poetiques do CloUlde,
EN FBAXCE. 3o3
et nii^me entre les excmples choisis que nous en avons
cites, quelqucs morceaux simulent Varchdisme, assez
heureusement [jour fairc une sorte d'illusion d'idiome ,
au moins A la premier.i vue. D'autres , apparemment
nioins Iravaillces en ccsens, ne nous font toutd'abord
que I'effet d'un pastiche , qui se vieillit i dessein , et nc
diffeienlen effetdenotie langage actuel que par quelques
anciens mots,jc(es deloinen loin dans la composition, et
suitout par I'artifice aise d'une orthqgraphe surannee.
Vhcroule a Bcranger , donnee pour Tune des plus an-
ciennes pieces de Clotilde, est pourtant tout juste une de
cellcs ou nous semble se traliir Ic plus sensiblement ce
caraclere de supposition recenle. Cette observation qui
serait d'une haute importance , s'il s'agissait de poesies
prises d'un manuscrit tenu pour aulhentique, se reduit
i peu de chose (il faut le dire ) , en retombant dans la
masse d'objeclions diverscs, qui s'elevent de tons cAtes
contre une oDuvre de dccouvcrle , k recevoir sur de
simples o/^i-f//>-c de traditions de famille , qui n'osent
eux-mcmcs nous la presenter que comme ayantduetre
alterec au nioins deiixfois, et dans deux systcmes dif-
fcrents.
lETOE
DES
PRINGIPAUX FRAGMENTS D'ENNIUS,
Par M. F, a, DE GOURNW .
Avocai , iloclcur-cs-lellres , mombrc dps Academics dc Cncii c( de
Rouen.
ENNIUS (QciNTts) ,
iVe Can dc Rome 5i5 <i Riulies (i) cii Calabre , el mort
Van 58G.
Un autcur ancien , digne d<?s regards de la critique ,
est le venerable Ennius, pere de I'epopce latino {2). Sa
vieoffre peu de details. On sait seulement que le poelc,
qui fut aussi un habile honime de giicrre , fut aime et
recherche deScipionrAfricain et deCaton,ses illuslres
c(;ntem|M}rains. 11 en usait faniilierement avec eiix ,
et Ciceron raconte , k ce siijet (3j , line anetdole
(t) Sil. Hal. Lib. xii. Cic. pro Arcli. poet. n. 22,
{2) Lurret. Lili. 1.
(3) DeOrat Lib. 11.
DES PRINCIPAUX FnAGMENTS d'eNNIL'S. 3o5
assez plaisante. « Un jour , Scipion vcnant visiter
« Enniiis , la servante du poele i'arr6la , en lui
« disant que son mailre n'6tait point au logis. Sci-
M pion compritqu'elie avail lemotd'ordre et qu'Ennius
K nc voulait pas se niontrer. Quclques jours apres , le
« pocte venant a son tour rendre visile au heros ,
« celui-ci s'ecrie i la ports , qu'jl n'esl pas cLez lui.
« Ennius reprend aussit6t : Maisje reconnais voire
9 voix. Scipion repond : Vous eles bien hardi ! Lorsque
« j'ai demande ii vous voir , j-'en ai cru voire esclave
« qui m'a annonce que V9us iliez sorti , el vous , vous
« refusez de me croire ! «
Ne dans les nionts Calabrois , Ennius habila Ions-
lemps la Sardaigne. G'esl dans celte ile qu'il connut
Caton. Le sage ct le poete se liilipenl d'amilie. Ennius ,
iige de 4o ans , suivil Caton i Rome , apres lui avoir
enseign^ la langue grecque. L'eleve reconnaissant
donna i son maitre une maison, siluee sur le mont
Avenlin ( i ). De plus, le fils do M. Fulvius-Nobilior, dont
il avail etc le compagnon d'armes en Elolie, lui fit
accorder le droit dc cito^en romain , distinction que
meritaienl ses talents et scs services. 11 avail non
sculemcnl ele un savant strategiste , mais encore
il avail chanf^ , en vers Beroiques , les Annates de
Rome et les vicloires du pi-emicr Scipion I'Afrrcain ,■
qui remmenait souvanl dans sa maison dc cauipagncdo
Lilerne. II mournl dc la gouttc (2) , age de plus^ dc 70
ans, el oblint lishonncurs d'unc staluc dc niarbrc.
On dil qu'il ful place dans le lombcau dc Scipion.
(1) Euseb. in Chronic.
(8) Ibid. Oljmp. CLiii.
3o6 DES PRINCIPAUX FRAGMENTS
Ennius s'exer^a dans I'epop^e el la tragedie ; mais ,
nialgr6 la tendance de son esprit au grandiose , il paya
son tribut au gout d'un sididc rairieur. II composades
satires et des comedies. II rclira la satire du theatre et
lui donna la forme didaclique. II en fit un poeme
amusant k la lecture , ct peignit parfois les travers et
les ridicules , avec la grice moqueuse d' Horace , par
exemple dans ce portrait de la coquette :
Quasi in choro i)ila ludcns,
batalim dat scsc et cornmuncm facit :
Aliiim tenet , alii nutat , alibi manus
g
tst occnpala , alii pervellit pedcm ,
Alii datannulura spcctanduni , a labris
Aliuin invocat, cum alio canlat, altamen
Alio dat digito litteras.
Pareille a celui qui donrie et recoil la ballc , au milieu d'unc
iioupc de joueurs , ellc s'adrcsse a chacun lour-a-lour, ct licnt
tout le monde en echec; clle arriMe I'un, clle fail signe ii I'autrc ,
sa main est ailleurs occup6e , clle niarche sur le pied <le ix'lui-ci ,
clle donne sa bague h regardera celui-la , elle en appclle un autre
d'un raouvement de levres , avec Tun elle chante , et cepcndant sa
inain donne a quelqu'autre un billet.
Si toutesles compositions d'Ennius , dans la poesie
legcre , ressemblaient k cet opuscule , les distances
s'effaceraient, et son antiquile neserait qu'iinr ininior-
telle jeunesse. Je saurais alors mauvais gre a Troperce
d'avoir fait entendre , dans ce vers figure , (jue sa
poesie ctait grossiera et sans art :
Ennius hirsula cingal sua lempora qucrcu.
D EN.MLS. 307
Qu'Eiiiiius tciijiic ses leiiipcs de riidcs fcuillcs dc chf'ne.
Je ire recrierais egalcmcnl toulie cc jiigoinonl de
Qiiinlilion :
Giiniiiiii siciit sncros vetusliite Iiicos adorrniiis, iii quibus gralidia
el aiillqua roborajam iioii taiilam habeiit spcik'iii, quantam relli-
giuiiom.
Rdv(5roiis Eniiius toniine on rdverc ces bois que leur aniiquH^ a
roiisacrt's , ft dans lesqucls dc hauls el vicui chines sonl encore
plus v6n(?rablcs que bea\ix.
La versification d'Eiinius n'cul pas toujours I'l^le-
gaiice du portrait de la coquette. EUe fiit rude et ine-
gale (1) , en plus d'unc occasion. Mais du milieu de ses
cliiUes il se releve grand et sublime , par exemple dans
ce passage , oi\ il represenle les elements de I'univers
enchaines dans leur cours :
Mundus coeli vastus conslitll silcntjo ,
Et Ncplunus savus umlis aspeiis pausam dedit,
Sol cquls ilcr rcpressil uiigulis volaniibus;
Conslileie amnes pcrenrses, arbores vcnto vacant (2).
Lc vasle tinivcrs dcnicura siloncieux , et Neplune Ihipoj-a lo
caline «ux ondes courrouct'cs. Le Solell arr?la la rnarclie de ses
loiirsiers volant dans los airs; les lorrciils pcrpt'-lucls encbatiierenl
leur cours, el lc vent n'agiki plus les aibies.
Un niorceau epiquc , surlOut digne de mention , est
(1) Ovid. Trist. Lib. 11. Amor. Lib. 1. Eleg. xv.
(2) Macrob. Saturn. Lib. vi. Cap. u.
3o8 DES PRINCIPAUX FIUGME.NTS
celui oil Ennius represente Romulus et R6mus , con-
sultant les augures et les auspices , pour savoir lequel
des deux aura Tenipire et donncra son nom i la cil6
naissanle.
Cnranles magna cum cura , concupicnlcs
Regni dant dpcram simul auspicio augurioque.
Hinc Romus auspicio se dcvovet atqiie secundam
Solus avcm servat. Al Romulu* pulcher in alio
Quoerit Avenlino servans genus allivolantuni.
Ccrtabant litberri Rortiam-ne Rcmam-nc vocarcnt.
Oninis cura viris , uter csset induperalor.
Expectant, veluti Consul quummitlercsignura
Vult, omnes avidi spectant ad carceris oras ,
Qua mox emittat pictis e faucibu' currus ;
Sic expeclabaipopulus atque ora Icncbat,
Rebus utri magnl victoria sit data regni.
Interca sol albu' reccssit in infera noclis ;
Exin Candida se radiis dcdit icia foras lux,
Et simul ex alto ionge pulcherrima pra-pes
Laeva volavit avis, Simul aureus exoritursol ;
Ccdunl ter quatuorde calo corpora sancta
Avium, prapetibuSsesepukhrisquG locisdanl.
Conspicitiridesibl data Romulus esse priora
Auspicio regni stabilita Scamnd solumque (1).
L'expression de ce passage est nolle el les idees en
sontiiees. Les auspices y Sont pneliquomenl deciils.
Des mots , i la fin du vers , tiels que concupientes ,
alUvolantum , indupcrdtor , fornient , par exception ,
tine belle harmonie. Quelques monosyllabcs se ren-
cbnlrent coinme desinences el font image. On y observe
aussi des licences poetiques. C'est une composition ce
(i) Anna). Libi i.
D'eN NIL'S. 3o9
progres , quoique ce ne soil pas encore une cpuyio
d'ait.
Un grand soln Ics (rnvaille , ct (hacuB d'cux aspire
A devcnir le chef de Icurnaissant empire,
lis consiillent I'augnre et I'auspice sacr6.
Sciil, lout-ii-coup Rdinus, d'rsp(?rance cnivr6,
Observe un noble oiscau , de forlund presage.
A son lour , Romulus , au gracicux visage ,
Sur Ic haul Avenlin voit, d"un ceil curieux ,
Unc raccd'oiseaux qui planeni dans Icscieux.
Ainsi les dciix rivaux dispulent, pleinsde zele.
Pour imposcr leur nom a la viile (5tcrnelle ;
Et le peuple se prcsse , inquiet dc savoir
Qui desdcux obtiendra Ic souvcrain pouvoir ,
Comme au jour solennel , oh le consul dfiploie
Le superhe (^tcndard qu'a la gloirc il rcnvoic ,
\'a se grossir la foule aui pontes , quo Ics chars
Boivent bienl6t franchir avcc les lils de Mars.
Cependant k' soli'il , couvcrt de voiles sombres ,
Plongeait son disque pale en Tabimc des ombres;
Lorsque.du haul des airs, descendant vers fesol^
Un oiseau magnifique a gaurhe a pris son vol.
Wais, comme un globe d'or, sur la c61este voiitc j
Desqucl'aslre du joura rctracd sa route,
Douze divins oiseaux, volant en meme temps,
Ap|)araisscnt au tielcndes lieux ^clatanls ,
Et Uomulus comprend , par cet heureux auspice.
Que le sort pour lui scul s'esl ddclar^ propicc.
Ce morrcau de pocsic iiulique dans le lextc une belle
imagination, dc lY'levalion de pensce el dcla souplesse
de talent. Si ce poete etail parfois plaisanl et leger , il
dcvenait , A I'occasion , grave el majestueux.
Ennins a quelqnofois aussi des comparaisons IreS-
poeliqucs , i la maniere d'Uomcrc :
3lO DfS PIUNCIPALX FRAGME.NTS
Et turn situt eqiiiis (iiii dc pnpscpihus actus
Viiicla siiis magnis unimisabrnpit , pl iiide
Fcrl spse campi per curula , la'taque prata ,
JIt'lso pedore, sctpcjubam qiiassal siniiil allam ,
Spirilus ex aiiima calida spumas ogit albas (1).
Ti'l pst Ic fier coursicr qui , dans sa fougue aidi-iilo ,
A biis(5 les liens de son obscur s«5jour;
II s'enfuil, le cteur haul , la criniere floltanic ,
El riialclne enflamm^e Pt la bouche (^lunianle ,
Puis bondil dans les champs el les pres d'alcnluur.
II iniite encore Iloniore, dans la descriplloii (I'lsii
combat. Lc tribunCooliiis est TAjax ronutin , dans sa
(!oscrij)lion coiirle ct pilloresque :
Undiqueconveniunt , velulirnber, tela tribuno
Conllgunt parmani, (innil hastilibus umbo
jErato sonilu gale;c , sed nee pole quisquam
Undiquc nitendo corpus disrpj-pcre fcrro.
Semper abundanlcs liaslas frangilquc quatitqiie :
Toluin sudor habct corijiis , niulluni(|uc laboral;
Nee rcsplrandi fit copia prKpete ferro
llistri tela manu jacicntes sollicitabaiit (2).
D(^ja , de loutcs parts , la troupe est rdunie.
Sur le brave tribun, commc unc large pluie ,
mille traits sont tornbt's , et de son boudier
La bnssc en rctentil. L'airaiu de son citnier
Sous Icurs lerribles chocs inccssamment r(?sonne.
Mais ses fiers onnemis , que son courage elotine ,
Vainement conlrc lui rasscniblant Icurs cll'orls,
I'ar le glaive onl lent(5 de d(!'cliircr son corps,
llbrisc lour-ii-tour les hastes (jn'on lui luncc ,
(T) Aiuial Lil». ».
(a) AiliLjl. Lib. XVII.
BE.X.MLS. 3ll
Et frappe un coup inorlel, conduil par la Tcngcaiicc.
Tout son corps csl couvcrt d'une <5palsse sueur;
Uii (ravail sans relAche ^puise s,i vigueur ;
11 lulte, haletanl sous le ler <|ui I'oppressc :
hss traits des Istriens le harcclaieat sans ccsse.
Virgilc trouva plusioiirs vers d'Ennius a?scz be;ui\ ,
jxHir s'en emparer sans scrupule , sauf (luoUiiios tliaii-
gemcnts do mots. Son larcin est patent, dans le recit
du (:ond)at de Tuinus , ce ne par les Tioyens ot par le
foudroyant M.iestlioc. Qiiand le po6te de Mantoue
trouvait cpielques filons d'or dans la mine des anciens ,
il sc Ics appro[)iiait : il app-elail cela (ircr des perles du
fumier. II les lemaniait el les rendail plus brillanles.
Le diamanl noblicnl lout son t'clat que par Tart du
lapidairc.
Knnius , oiiire la gloiie des cmprunts que lui fit le
premier poele cpicjue des Homains , eut rinconleslablc
nieriled'avoir hewieuscmcnl imileles Grccs. II parlait
Ic giec , le latin , la langue Osquc , avec fatilile , el ses
essais , dans I'epopee el la liagcdie ,se ressentent de
rinfluencebellenique, II marcba sur les traces d'Kuri-
pide , dans sa piece de Medee , donl \oici un assez
court, niais toucbant fragment:
Utinam nc in nemore Polio securibus
Ca;sa accidis;ct abicgna ad terram trabcs !
Ncvc indc navis inchoanii.p exordium
Ccpist.et qua' nunc noniiriatur nomine
Argf), qua vficli Argivi delecti viri
Pctcbant ilium pcllcin inauratam arictis
(lolcliis , im|)erlo regis I'clia; , per doium '.
Nam nunquam hcra erransn>ea domo elTcrrct jicdein
Slcdea , animo spgra , amore save saucia.
3l2 DES PRINCIPAUX FnAGMENTS
PliUaux Dicui que la hachc n'cilt abattu nucun sapin dans los
forc'ls du montP61ion , ou qu'on n'cilt jamais comnicnc(5 la cons-
truction du navire, aujourd hui nomni6 Argo, sur icquel des
Arglons d'6lile cherch6renl a conqu(?rir par artifice la loison d'or
du l)clicr de Colclios, sous I'empire du roi P61ias 1 Jamais alors mon
inforlun(5e mallresse, jamais M6d6e, errant en tons licuj , le cocur
maladc ct bless6 d'un violent amour, n'eQt qultl6 le loit palcrncl.
Dans sa tragedic de Cresphonte,onreniarquc encore
CCS vers :
Injuria abs le alTicior indigna , pater,
' Nam si improbum Crosphonlem existimaveras,
Cur me huic locabas nuptiis?Sinestprobus,
Cur talem invitam invilum cogis linquere?
Mon p^re, voire injustice est extreme; car si vous regardiez
Cresphonte comme un homme pcrvcrs, pourquoi me Icfaisiezvous
«*pouscr? Si, au contraire , c'cst un homme dc bicn , pourquoi nie
forcer de I'abandonncr ?
Voici encore une imitation on plul6t une traduction
d'Euripide, dansl'tlecube d'Ennius :
Senci sum : utinam mortem oppetam
Priusquam cveniat quod in pauperis mca
Senex graviter gcmam !
Je suis viellle : fasse le ciel que je meurc avant d'avoir plus
long-temps h gdmir danS la d6trcsse demcs vieux ans I
Ennius cut dii talent , on ne pent en douler , el re
talent fut inflniirient fldxiblt;. Veul-on lientondie se
moquer des superstitions de sonepoque, il va employer
un vers prosque aussi enjoue que celui d'llorace :
D'tNNUS. 3l3
Non I abco dpniquc nauci Marsum augiirem,
Non vicanos aruspices , non de circo astrologos ,
Non Isiacos conjectores, non inlerpretcs somnium.
Non enim sunt ii aut scicntia aiit arte divini ,
Sed supersliliosi vatcs , impudenlesque harioli.
Aiil incrtes , aut insani , aut quibus cgcslas imperat :
Qui sibi semitam non sapiunl, allcri nionstranl viain.
Quibus divitias pollicentur, ab iisdraciimam ipsi petunt.
Dc his divitiis sibi dcducanl drachmam , reddant catcra (1).
J'cslime moins qu'un zcsle un vain las d'aruspiccs,
D'astrologues du Cirque ctdcdevins mcntcurs,
Interprctes vant(?s de songes imposteurs:
Leur science divine est un puits d'arliliccs.
Ces superslilieux , impudents magiciens.
Commandos par la faini qui vers nous Ics envoic ,
Sont tousdcs vagabonds, des fous ou dcs vauricns.
lis veulent nous montrer la veritable voic ,
Ignorant le senlier qu'il leur faut parcourir.
Aux cr^dulcs humalns proineltantdes richesses,
lis vonl leur demander trois as pour sc nourrlr:
Qu'ils retranchent pour eux trois as ile leurs promesses ,
Et qu'ils donnent le reste en cessanl de mentir,
VoilA comnie il convcnait qu'Ennius s'elevAt confre
les fausses croyances de son epoque. Mais je lui re(iie
nion eloge , lorsqu'i la faron d'Epicure , il nic la pro-
vidence lout en proclamant Texislence des Dieux :
Ego Deum genus «sse semper diii et dicam Cu^litum , >
Sed eos non curare opinorquid agai humanuin genui.
C'est line des grandcscrreurs de quolquospbilosophos
paj ens. Comment conccvoir lexislence d'une divinite
(1) Cic. in One lib. i , de divinat.
3l4 Di;S PRINCIPAIX FR.Vr.MEMS
inoilc. jcMaiit Tin (vil insowciciix sur rbomnip et se
roposant dansuno etornolle apalhic !
Eniiiiis a fait aiissi dcs poiiiaits el tics opithaplios.
Qni psl-ce qui nc connail ccs vers famcux sur Fabiiis?
I'nus homo nobis cunrlando rcslituil rem ;
Non poncliat cnim rumores ante salutcm :
Ergo postquc magisquc viri nunc gloria claret (I).
Un sciil hommeon tcmporisanl relablit la fortune publiquo. II
priMV'ra le salut do rclnt aux ciogos de la foulc : aussi sa gloirc au-
joiird'bui n'cn brillc que plus belle.
Co pocfe composa Tepitaphe dc Sripion I'Afrioain :
Ilic est illc silus, nii nemo rivi' , neque hoslis
Quivit pro factis redderc op'riE pretium.
Ci-gtt celui a qui aucun cilojcn ni aucun ennemi ne pul payer
le prix de ses actions.
Ennius a fail sa propre epitapLc , avec la conviclion
dcson immortalitc :
Aspicile, ocives, senis Ennii imagini' formam ;
Hie veslrum pinxil maxima facta patrum.
Nemo me larrymis decoret, neque funera flelu
Faxit. Cur? Volilo vivu' per era virum.
Tontemplez , 6 ciloycns , le portrait du vieil Ennnius. C'esI lui
(|ui dticrivit les grandes actions de vos anc<;tres. Que personiic no
m'lionorc dc ses larmeset nefasse pleurera mes funerailles. Poiii-
(luni ? Jc vis encore dans la boiiche dcs hommes.
Jp nc ternuncrai point ma critique d'Ennius sans dire
(1) Anniil. Lib. xu.
i) ESSIVS. 0 1 )
que sa poosic est lemarquable par ses nnoma(o|»(>es.
C'est h liii que nous devons taut dc vers imitatifs , de-
robes par Virgile. En voiri quelques-uns :
At tuba tcrribili sonitu laranlara diiit.
Cepcndant la Irompcltc fit enlcndrc son terrible taranlara.
Virgile a dil :
At tuba lerribiicm sonitum procul arc canoro
Increpuif.
Ennius :
Iteques, cl plausu cava concutil ungula lerram.
Lc cuursier vole et dc ses pieds ebranle la terre.
Virgile :
Quadrupodanic pulrcm sonitu quatit ungula campum.
Les rapprocliements seraicnt trcs-nombreux , si on
\oulait les multiplier.
Les deux vers suivants sont encore remarquables ,
Tun par sa douceur , I'autre par sa rudesse d'barnionie
imitative. '
Senilanlmesquc micant oculi , luccmquc rcquirunt.
Ses yeux h moiti6 ^teints s'ouvrcntct cherchcnlla luinic^rc.
Africa tcrribili trcmit horrida terra tumullu.
La saurage Afriquc tremble a cc terrible lumiilte.
Ce poete a plusieurs pens^es digncs d'etre rclenues t
Amicus cerlus in re incerla cerniliir.
3l6 DE3 PUIXCIPAUX FRAGMENTS d'eNXIUS.
Un ami sAr so reconnalt dans Ics circonstanccs difGciles.
Fortibus est Fortuna viris data.
La Fortune favorise les forts.
Moribus anliquis res stat Romana virisque.
La puissance de Rome se soulicnt par ses anciennes moeurs et
par ses grands borames.
Qui cupiant dare arma Achilli , ut ipse, cunctent.
Que ceux qui veutent donner des arracs a Achille tcmporiscnt
comme lui.
Te!s sont h peu pres les plus curieux fragments qui
nous restcnt des oeuvres d'Eiinius, mulilees par le temps.
Ceux qui voudraient les connaitre lous n'onl qu'i
consulter la collection des anciens poetes latins , par
Robert et Henri Etiennc , annee i564 , in-ia j
L'edition dc .Ter6me Colonne , Naples, iSgo, in-4''. ;
Celle de Morula , Leydc , i5g5 , petit in-4". ;
Celle d'llesselius, Amsterdam , 1707 , in-4''. ;
Celle de Ilahn , Leipsick , 1826 , in-S".
La tragiidie de Medce a ete publiep a part , avec un
choix des autres fragments et un savant commentaire,
par M. H. Planck, Hanovre , 1807, in-4°.
Des vers isoles , des fragments de vers , des mots
sans suite composent la majeure partie de ces debris
poeliqucs, sur lesqucls on ne pcut cxprimcr trop dc
regrets.
Kg
SIR
ARISTOPHAIXE;
Par M. F. G. ItERTRAND.
Profcsseur de lill^raturc prccqiic.i laFacult6 des LcUrcsdc Caen.
»»©9<Ss—
DBS IRRKVEHENCES DF. L ANCIKNNE COMEDIE GUECQCE EtO'ERS
LES DIEVX.
Cc qui nous frappe dcs I'ahord, i la lecture dcs pieces
qui nous sent resides de I'ancienne coniedie grecque ;
ce n est pas seulenient ce qui s'y rencontre si frcquem-
ment , dans les situations et dans I'expression , de
contraire h nos idees sur les moeurs et la dccence : on
n'est pas moins surpris de lirreverence avec laquelle
y sont Iraites les Dious du pays ; car elle est telle ,
qu'cllc resseinble k de Timpiete. On se deniaiidc com-
ment les compositions d'Aristophane pouvaient etrc
representees avcc favour devant Ic meme public qui
3l8 tXlDES
applaiitlissait aiix productions dos g ands pootos Iragi-
ques d'Alb(\nos , dont le caractere elait si grave ot
siirtout si eminemmont religieux. On s'etonne qiiand
on songe qi:e les represciitalions dans lesqiiclles les di-
vinites devenaient dcs objels dc ridicide formaicnt
une parlie des fetes destinecs precisement <i les ho-
norer. L'elonnement redouble lorsqu'on sait que les
Atheniens ronlemporains d'Aristopbane , qui derer-
naienl des prix i ses oeuvres , ofaient le peuple de la
Giece !e plus attacbe a scs D!eu\ : niille pail, en cffet,
jl n'y avail aulant dc temples et d'autcls , autant do
pr^trcs , de prelresses et dc devins , aulant de fries
religieuses ni de si impnsantcs , que dans rAlliquc : 1( s
pratiques religieuses s'y nielaient a presque tous !os
actos de la vie nalionale et privee : les croyances y
etaient ferventes , et les arcusatinns d'impiele et dc
eacrilege y entrainaient le plus souvent , pour les
accuses , les peines les plus severes , el ineme le der-
nier supplicc. L'bistoirc dit assez conibien les accu-
sations de ce genre etaicnl h craindre cbe/; les Alhc-
niens : Esrby'e,nialgre lesblessures qu'il avail reruesd
Salaniinc etlc succesdeses tragedies parmi le peuple,
n'ecbappa i la niort , pour un vers ou Ion crut voir
une revelation des mysteres , qn'en | r )uvant qu'il
n'etait pas inilie: Diagoras el Protagoras no parvinrent
k se souslrairo au cbAliment que par la fuilc : Anaxa-
gore ne dut son salut qvi'au credit de Pericles , qui ,
dans cclte circonslance , faiUit ^cbouer conlre Ic zt^le
religieux des Alhcniens: Alcibiade fut arracbe au coin-
niandement de la flotle , au debut d'une ex|te(lilion iin-
portante, donl los esperances reposaient parliculiere-
SIR AniSTOPIIANE. 3ir)
mcnt sur sa pcrsonnc, sans que IVxccssivc favour dont
il jonissait auparavant, lui , Tidole d'Alliones, piil ba-
lancer Tindignalion causec par la mutilalion dcs Ilcr-
nies : enfin , si Prodicus de Ceos et Socrale burent la
ciguii , ce fut comme enneniis des Dicux.
II n'csl done pas etonnant que Ton ait cherche plus
d'une fois a concilier des fails egalementinconlestables,
cxislant simullanemcnl , et qui scnibleraient pourtant
devoir neccssaircment s'exclu: e, c'est-a-dire, d'une part,
le caraclcre religieux , superstitieux , si Ton veul , dcs
Atbcniens ; de Pautre , Ics plaisanlcries incverentes ,
inipies nienie, en apparcnce, dirigees centre les objets
du culle, ainsi que les situations grotesques et ridicules
oil les poetes de Tancienne comedie grecquc faisaient
descendre les Dieux sur la scene. C'est parcc que les
diverses explications que nous avons rcncontrees A ce
sujet ne nous ont pas paru salisfaisantes , que nous
essayons i notrc tour de rcsoudre le probleme.
On a cm repondre h la diHiculte en disant que tout
otait pcrrais aux poetes comiqaes d'Albenes ; que la
licence du tb6Atre autorisait tout , jusqu'i ratbeisme ;
que ce qui faisait rire les Atbcniens trouvait toujours
gricc A lours yeux. Mais , en y rcflecbissant , on verra
que, pour admettre une solution semblablc , il faudrait
supposer cbez les Alhenicns une disposition conlraire
k la nature nienic de rbomme.
Que, dans une repubique on la democratic la plus
complete clait elablio jar les institutions et passee
dans toulcs Ks babitudes de la vie sociale , la licence
du tbcAtre fiit extrOmc 4 Tegard des personnages poli-
?,2U ETIDICS
liqucSiqiril u'ycut point do citoyon assez (lisliii{rue|iar
sa position et SOS aclions, |>oint dc maijislratriire asscr
^levcc, poiir ^'tie h I'abri de la nialignilc' , ct que l'el6-
vation m'mc dos ciloyons en Ics motlant [tins en relief,
fut une raison de plus pour altirer sur eux les trails de
la critique et de la satire ; rien de plus nature! : plu-
sieurs societes niodernes , sans avoir une constitution
anssi deniocralique que celle des Atheiiiens , nons ont
offert et nous offrent encore des fall;^ .issoz nombieux
du nienie genre, pour que rien ne nous eloiinc ;\ ce suiel
dans A-islophane.
Que la licence de ce poetc paraisse extreme arssi , cl
mime revoltanle , du v{)Ui des nio'urs el de la decenco,
il n'y a rien 1.*^ d'inevplicablo encore. Les opinions
re(;;ues a eel e^jard ne sonl pas chcz nous les mcmes que
cbez les Atlieniens. Dans ce qui toucbc aux nioeurs el
A la decence , il y a Irop de cboses de convention ,
pour que les bicnseances relatives A un peuple de
Tanliquile soicnt apprecieesd'apres ce qui est regarde
comnic bienseances dans les socictes dc nos jours. Les
modifications qui ont dil naiire seulenieni du duislia-
nisme sont immcnses : et d'aillenrs , mcmc cbez on
peuple chrelien , en le considorant A deux epoqiies
separ^es par quelqnes siedcs , les differences que Ton
reniarque A eel »''gard sont telles que les pieces les plus
libres d'un poole grcc ne doivent pas , cerlcs , tious
sembler inexplicables. II nous sufllt do .songer A des
productions litlerairos de notro propro nation , on les
lois de la decenco sont violoes pour nous de la maniere
la plus <boq;ianto , et qui faisaient nt^^anmoins un
anuisement ordinair cbez nos aieux.
sin AuiSTorii.vNE. 321
Mais qii'iiM ] oiiplo qui lionorc les Diciix , qui punit
avc.-Ia (leriiic're rigue;:r cciix qui sonl convainciis oti
inrnie sonpronnes de nicr leur existence et de piofancr
leurs mystiMCs , proline plaisir k les oulrager , ct tela,
ail milieu mime des fries celebrees en leur bouncur ,
c'est quelque chose de trop contraire A nctre nature
morale pour clre facilenient admis. Pes contradictions
aussi essentiel'.es pourraieiit se lrou\er , par excej)tion,
commed'autres bizarreries de la nature bumaine, cbcz
des individus , mais jamais cbcz un jxMiple entier.
On sail que les Atbeniens avaient la pretention de
remporter sur tous les aulres [eupli s de la drece , non
Si'ulemenl par leur gloire mililaire ct les services qu'ils
avaient reiidus i la palrio commune , mais encore par
la preference et les faveurs donl leurs ancelres avaient
6le les obj ts de la part des Dieux. Cbacune de leurs
letcs etait instiluec pour celebrer une circonstance qui
ilallait autaiit leur amour-propre national que leur
sentiment religieux ; car, pcrpetuer Ic souvenir des
bienfaits signales qu'ils avaient regus des immortels,
c'etait aussi se faire bonne ur d'un si glorieiix pa-
tronage. Comme Tbistoi e reiigieuse se confondait
souvent pour eux avec leur propre bisloire , leur foi
aux divinites de la patrie et aux traditions qui se con-
sjrvaient dans le culte se liait inlimement i la baute
eslime d'eux-memes qu'ils cbcnbaient d entretenir
cbez les autrcs peuples.
On sait aussi que les s ticnniles pendant lesquelles
sedonnaient les representations dranuiticpiesaiijielaient
a Albenes unefoulc de spectateurs de loutes bs parlies
dela G:ice, el que les elrangerscouraicnt a\ec d'autanf
3aa txuDES
plus d'cmpresscmciit au Ib^Atre , quo ces spectacles
6laicnt inconnus ailleurs. Or , pourrail on bien cora-
prcndre que les Albeniers eusscnt piis plaisir, en de-
versanl sciommcnl le mepris et en eveillanl dcs doutes
sur les divini(es de la patrie , i flotrir eui-mcmos ,
surlout en presence de leurs rivaiix, que'qucs-unes dcs
fleurs les plus brillanles de leur couronne nationale 7
Quelles qu'aienl etc les aberrations de Tcsprit bu-
main , mcmc (hcz quelques personnagcs celebros par
leur intelligence , on ne saurait en adinettre d'aiissi
absurdes dans I instinct d'une nation , quand il s'agit
dc sa gloire et de son bonneur. Pour apprccier ce qu'a
du etre A cet egard la manierc de scntir d'un pcuple
dansquelqi;c siecle, en quelque lieuqu'onle suppose, on
n'a qu'i s'interroger sur ce qu'eprouverail , clans la
nicnie circonstance , le peuple au milieu duqucl on vit
soi-menie. Le precede n'est pas moins siir qu'il n'est
facile. Les masses ne se dirigent pas dans leurs senti-
ments par dcs subtilites ni par I'csprit de sysleme. Ce
qui nous seniblerait repugner au sens commun et a la
nature pour le pcuple francais do notre age , n'est pas
plus admissible pour !e pcuple d'Athenes.
Si , commc on I'a dit , Aristopbane eiit 6le regarde
commeun atbeepar ses concitojens^s'il leur eatsemble
insulter aux objets les plus cbers de leur veneration et
de leur culte , il cut bu la ciguii , commc Prodicus et
Socrato , ou bien il cut etc force de se soustraire a;i
chi\timent par la fuitc , commeDiagoras et Alcibiadc.
U eut d'autanl moins ecbapp6 a la severit6 des lois ,
que ses adversaires poliliques ctaient fort nombreux ,
el qu'il avail soulcve contrc lui , par les attaques les
SUB AuisTornANE. 32}
plus directos cl les plus violcntcs , lahaincdos de-
magogues en faveur. Ceux-ci n'auraicnt pas manqii^,
pour sc venger de griefs personnels , d'appeler A leur
aide le zele religieux de la multitude , et de poursuivre
devant les tribunaux leur ennemi , conimc ennemi des
imniortels.
Ce n'esl done point dans celte premiere explication
que nous trouverons uric solution de la difficulte signa-
lee. Nous n'admettons point qti'un peuplc cminemment
religieux sc soit fait un jeu d'insulter aux objcts de son
culle , ni que les poetes comiqucs eussent pu , non seu-
lement avec impunilc , mais encore aux applaudisse-
ments de la nation, se rendreconpables d'un crime qui,
pour tous les autrcs citoycns, eiit eu les consequences
les plus terriblcs. Nous croirons plut6t que , si , dans
I'opinion de ses conciloyens, Arislopbane s'etait montr6
une seule fois surle tbeAtred'Alhencs.en presence de
•vingt ou trcnte mille spectatcurs de toutes les parties
de la Grice, comme un athec , comnie un impic ,
Ic cbAtiment eiit ete d'autant plus severe , qu'alors lo
scandalc aurait ete immense.
On a cru pouvoir expliquer d'unc autre nianiere la
diflicultc qui nous occupe : on a dit que les Paiens
dislinguaient la religion ellc-meme des fables relatives
aux Dieux ; qu'ainsi le respect pour los Dioux restait
sauf , aux yeux du pcuple d'Alhenes , tandis que
les circonslances mylbologiques de la vie des Dieux
|)ouvaienl elre des objets de ridicule. Mais , si Ton
examine avec un pcu de soiii la valeur de celte nouve'le
hypolbese.il est probable (ju'eUo neparaitrapas mieux
fondco que la prL'ccdciilf.
324 ttVDES
Qiielqiies esprits superieurs do ranliqiiilc paicnnc
onl pu fairc imc dislinction semblablc eiitrc I'l'sscnce
de la religion et la mylhologic ; mais rien iie prouve
le moins du monde que cclle dislin-lion exislal jioiir
la raassc du peiiple. Bien plus , L; contcairo est etabli ,
de la maniere la plus forniellc , par les lois positives
qui gouvcrnaient les Atheniens , par la nature des
fetes qu'ils celtbraieat en rhoniieiir dcs Dieiix , par
Tensemble dcs productions de leurs poetes el de leurs
kistoriens , par les discours de leurs orateuis , en un
mot, par tout ce qui nous offre dcs monunienis de la
vie reelle dans la snciete grccque , au moins jusqu'a
des temps bien posferieurs A Taninenne comedie.
Une telle explication suppc^sorait , conlre I'eviilence ,
que les Grccs du temps d'A islopbauj elaieiil b.'en plus
judicieux, en fait de religion, que ni- le sont les peuples
modcrnes. Quoique le spiritualisme soil un caraclerc
essenticl de la religion chretienne , et que les ensei-
gnements les plus communs et les plus formels de cetle
religion , sur la nature et les att. ibuts de la Divinite ,
Temportent sur les notions qu'en avaienl les sages de
lalirece, nousvoyons autour de nous avec quelle peine
on deracine dans les masses , quant aux croyances re-
ligicuses , les ideesles plus grossieres , et quelle est la
tendance dcshommes pen eclaires i tout materialiser,
el ci preler aux purs esprits leur mode d'existenco et
leurs passions , mcme celles qui sont deji une degra-
dation dans I'humanite. Conunent done admetlre ,
quelles qu'aient ele les premieres origines, quelle (pi'ait
ele la signilication premiere du polylbeisme et de la
mylbologie des Grecs, que la foule , cbez les Atbeniens,
1
SIR ARISTOPII.VMi. 3l'.5
n'ait vu dans sa religion que dcs syniboles , sin tout
qiiand il n'y avail pas en Greco Ic moindre cnseignc-
nient public qui evcillat une semblab'.e idee , quand
tout consj)irait, au conlrairo , pour que Tbisloire leli-
gicuse fill prisi' i la lollre? Par quel prodige (car ce
serait verilablement un prodige ) , lorsqiie lien ne
conlrariait chcz les Grecs le pencbanl naturel dcs
hommes ponr la divinisalion do la nature pbysique ct
lessiiparslilions, le peuple d'Albencs se serail-il sans
cesseeleve a des ideos rcligieuses d'un ordre sjperieur,
dont on nc reconnail les traces que chcz un petit noinbie
do SOS philosopbos ; landis qne , dans noire siecic ,
nialgre les lumierosdu christianisme ct dcs predications
incessanles , Tespril a tant d lutter conlrc la nialicrc ,
et que souvent les racincs do la superslilioi ne sont
arracheos du s )1, qu'en cntrainant avec dies qiielipics-
unes des croyanccs les plus respectables et les plus
precieuses ?
Les Grecs , sans doule , ont niontre , sous quclques
rapports , une excellence non conleslee ; niais il faut
b:cn rcniarquer que ce n est guere que dans les arls de
Timaginal ion ct dans cc qui suppose bien moins nno
raison forle qu'une sensibilite vive et esquise. Tarce
que les Athcniens du sieclo de Pericles out produit
d'adniirables chefs-d'oeuvre, il ne faut pas oiihliorqu'en
fait de pratiques supcrstilieuses , ils s'abaissaiont au
nioitis au niveau des autros peuples : on nc rencontre
ricndeplus absurdcA cet egard dans les classes !cs plus
ignoranles de notrc sociiile. Lorsqu'on sail que ( hez eux
on croyaitgeneraleuienl aiix oracles , au\ soni-es , aiix
presages de loules surlcs ; (pie les dcvins y elaient dcs
326 fiTLDES
j'crsonnages publics, onlourcs <le la plus haule ronsidc-
ralion , el que leurs predictions dcciJaienl les actos
Ics plus imporlants de la republique commc ceux dc la
■vie privee , on se i eniande comment on a pu si gratui-
lement Icur fairc bonneur, en religion , d'une sagacild
vraiment merveilleuse.
Rien n'elablit que , dans les mysleres d'Eleusis cux-
mr'nies , il y cut un cnseigneracnt qui appril a regar-
der comme des fables les opinions admisesdans le culle
public. Si un lei enscignement eut accompagne les
ceiemonies de I'inilialion , Ic grand nombre dc ceux
qui , dans la Grecc, et surlouldansrAtliquc, elaient
iuilies i ccs mysleres, aurail bienlot fail prevaloir,
dans les babiludes religieuses , les idces re:;ncs de
I'bieropbanle : car les inilies formaicnl la majorite
dans Ic pcuple d'Albenes : on voulait generalcment
parliciper aux mysleres avant sa mort , afin de jouir
dansTautre vie de la felicile promise aux inilies.
Au lieu dc pcnscr que des notions plus purcs sur la
Divinile el le rcjet de quelqucs uncs des croyances
vulgaircs fussent pour ceux-ci le resullat dis revela-
lions (jui leur elaicnl failes Jk Eleusis , il est vraisem-
blable qu'ils en revenaieat sculentenl avec unc ferveur
religicusc plus grande , ct peul-elrc Tobligation d'ac-
complir ccrlaines pratiques de surerogalion , comme
nous voyous s'en imposcr les membrcs des confrairics
de nos jours.
Nous n'avons pas la moindre donnee d'ou Ton puisse
inferer que les j)relrcs d'Albenes aieul jamais indique,
ou sculcmenl insiiuic , une distinction i faiic enlie
la religion veritable ct la mylhologie. Unc telle doc-
SUU ARISTOrUA>'E. 327
trine C'it clc bien cvidemment lout-a-fait contrairc
k Ic'.irs inlercls. Ce qui est bion plus a cruire , cVst
qu'ils onl luUe de tous leurs efforls pour la conscrva/ion
de croyances, de pratiques , de superstitions , sur Ics-
qucllcs reposait toulerimporlance deleur minislerc.
Ce n'est qtie dans Tecole d'Alexandric que commen-
cercnt i acquerir une cerlainc publicile les opinions
des pbilosoi)hes qui distinguaienl la religion des fab'cs.
Ce n'est que plus tard encore, lors dcs altaqucs diri-
gees par les Peres du cbristianismc conlre la religion
etablic , que 1 s defeiiseurs du paganisme mircnt en
avant ces distinctions et les proclanierent , pour sauver
i Icur croyance le reprocLe d'absurdile , ct qu'ainsi
elles purcnt verilab'ement sc repandre dans le peuple.
Si le sacerdoceeut fait en Grece, comme en Egyple,
du temps d'Arislopbane, une caste h part ct puissante ;
qu'il y eut eu un double enseignenicnt religieux , Tun
pour les masses ignorantes , I'autrc pour I'elile dcs
ciloyons , qui eut etc Texpression des opinions ct de la
foi du corps sacerdotal , et que les prctrcs eussent ele
juges dans lesproces intentes pour impictc , on pounait
comprendre comment , tout en punissant severemcnt
ce qui aurait ele contrairei leur doctrine esolerique ,
les pretres se seraient montres toleranspour desplai-
sanlerics qui auraient portc snr des cboscs assez
inditferentes a leurs ycux : mais il n'eii elait pas ainsi ;
I'enseignement religieux elait le nK-me pour tous les
ciloyens; Socrale elait puni de mort pour avoir in-
sulle les mcnies I>ieux que ceux dont Arislopbane fai-
sail des objels dc ridicule , et Socrale etail juge par ce
nxome peuple qui applaudissait aux conqjosilions du
j'j.S KTlDIiS
Itoele: c'clail b'cnalors I'tri'juiro par k-jicuplo lorsfiuc
la seiilcncc cmanail tl'im tiibiirial coinpose tic inille
ciloyeiis clt-signi'S par !c sort.
Ainsi , dcs t'.eiix cxinicalions quo nous vonons d'cxa-
ininer siir la qiicslion prescnlc , la premiere re|)ugne a
line loi tie iiotre nalu e morale , ct const';qiiemmL»nt ne
pent etre ailmise , surloul lorsqu'il s'agit tie la niani<5!: e
lie senlir ct tie jnger d'uii peuple eiilicr; Taulre est
contraire i toiites U'S donnecs tiiie nous foiirnil lliis-
toirc, c( i loules les raisoiis qui naisscnt de rinduclioii,
relalivemeiii i I'tilal social et religieux de la Greoc au
temps d'Arisfoi'-hane. II nous faut done cbei tlu-r ail-
leiirs les moyens de coucilier les inoverences cscessives
dc ramicniic comedic gierquc cnvers les divinilcs dii
pays , avec les ap[)laudisseiuents que le pocle reeevait
d'un peuple religicix.
Cc qui souvcnlcloMnc , lorsqu'on fait une etude un
pcu s^ricuse de ranliiiiulo , c'cst d'y rcncontrer d s
fails qui offreut avec d'aulrcs plus voisins de nous
dcsanalogits fra|)paiites , lesqucllcs pourlant ncsem-
bleut pas avoir elii jusques-li remarquees. 11 resulle de
celte absence de rapprochemrnl et de coniparaison
enlrc des fails seinblablcs, qu'on est prive de Tavanlage
d'apprecier ou expliqtier les uns par les donnees qui
seraicnt fournics par les aulres. De 1;\ dt^s didicuUt-s
tpii paraissenl inexUicablcs et tanl d'bypolbcsesbasar-
dees ; landis que la consideralion des rapports qui
subsislent entre les fails anciens el ceux qui nous sont
niieuxcounus peul conJuire nalurcllement i uiic solu-
tion satisfaibanle. Cellc icuiaKjue Irouvcra pent elrc
en re mouicul sou api'Uculioii tout cnlicic.
svji ARiSToPiiANE. Sag
Dans I'hisloiro dc notre nalion vl dc nofro liii'Atre,
nous ronrnn Irons unc cjioquc qui off re prccisc'-moiit les
mt'nios rirconslanccs , et , par siiilo , la nu'mc diffiruUc
a rcsoud c ,qiic cc qui vicnld'clro signalerelativemont
,mx Grccs.
All moycn Age , el jusqii'Adcs temps assez rapprodies
denoiis , on voit dcs dranios nnmbrcuv doiil Ics siijets
et les personnages sont freqiiemnjenl cnipriinles a la
reIi<i;ion dii pays , et qui parfois monie etaient repre-
scnles dans Ks cglises, surtout au temps des fetes so-
lennellcs.
Souvent aussi les situations ou Ics aulcurs placent
Icnrs heros ct les disrours qu'ils Icur font tenir nous
rhoquent par une irreverence el une grossiercle
vraiment elrangcs Co qu'il y a de plus sacre dans la
religion clirelienncy devienf parfois nn objet de ridi-
cule et (!e i)laisanteri(s tcllemenl indecentes qu'elles
nous seniblent im|)ies.
Cependant c'ctait au milieu d'une sociele ou Icr idees
rciigieusos regnaienl en souveraines, el qui, pour pmiir
les crimes de sacrilege el (rimpiele , eleva plus de
bucliors qu'il n'y eut jamais dc coupes de cigue pre-
parecs A AlLencs.
Qui pourrait netre pas frappe de cc contours dc
lant de circonstances semblablcs, en rapprocbant I'an-
ciennc comedie grccque des miracles , des niysllres (i)
(I) Lessujcts dcsmiVflf/M 6taiont cmpninliJs aux legcndes; coui
dcs mysiires , h rAncionot au Nouvcau Testament. Lrs miracles
seniblont avoir pri^<(!^(l(!" les mystrrrs. II csl di^nc <lc rcniarqiip que
t'cst a la Niinnaiidic (lue Ion doil les preitiicres pruduclioiis dra-
33o ETUDES
el dos autres dramcs ilumoyon age? Avoc unc si grandc
analogic dans les faits , il est bien permis d'espercr uiie
solution commune ; car [homme partout est ihomrne ,
ct si les niemes causes anienent partout dans I'liunia-
nile los monies effels , les monies effets doivent aussi
trouver leur explication dans des causes analogues.
Mais il est une precaution indispensable pour n'elre
pas exposes k unc fausse appreciation des hommes ct
dcs choscs , dans re qui apparticnl h des cpoques et A
des peuples eloigncs do nous ; c'esl de nc pas les voir
sculement ('e notre poir.t de vuc , A nous , Francais du
X1X^ siecle. II est necessaire que nous nous trans-
portions de toiite la force de notre imagination au milieu
de la sociele dont nous voulons jugtr les actes : il faut,
pour ainsi dire, que nous en devenions membres,cn
nous penetrant dc scs opinions , de ses croyances , dc
ses prejugcs , de ses affections , en faisant abstraction ,
aussi completcment qu'il est en nous , de toulcs les
idees , de tous les sentiments qui lie:ment h notre vie
individuelle ou k notre ctat social.
Avec cetle disposition prealable , assistons par la
pcnsec aux representations dramatiques de nos aieux,
et demandons-nous s'il y avait vraiment de rimpiele
dans les plaisanteries qui portaient sur les plus saints
personnages et sur Dicu lui-meme.
Nous y trouverons dc 1' irreverence , derindecence,
une excessive indccence , raais non pas de Tinipiete.
matiques dc notre litl^rature nalionale. Des miracles y dtalent
reprisenl^s des Ic commencement du XII*. siecle. Cost un pocte
normand , GclTroy , qui imports ccs spectacles en Angletcrre , ou
ill 6C maintinrenl long-temps avcc la plus grandc favcur.
sun AUISTOPIIANT. 33 I
I/impit>(o suppose rintention d'oxpriracr son ni(''pris
pour los objels du cultc ct do lo fairc partagcr aux
autres, on riiileiition au moins d'insiUer a Icur foi :
or , est-il vrai qu'il y eut qiielquc chose de cc genre ,
soil chez les auleurs , soil cbez les spectaleurs , lors
de la representation des Miracles et des Mystcrcs?
Non , sans doute ; c'est trop contraire A ce que nous
Savons de plus positif SUP I'etat de la societe franca ise
i cette epoque. 11 y avail alors , a la verite , dans les
niocurs , une licence et line grossierete dont aucune
classe n'elait exempte : les croyances el les pratiques
religieuses de la raassc elaienl miMees de snperstilions
indignes de I'Evangile , et souvent , au nom de la re-
ligion , se faisaient nombrcde choscs dont la religion
avail elle-memc k gemir ; mais ni les auteurs ni les
spectaleurs des drames du moyen Age n'avaient, A ces
spectacles, la moindre idee de I'offenser. Aucun ne
voyait dans les plaisanterics qui nous seniblent les plus
audacieuses une negation de la Divinile ni d'une seulc
des croyances essenlielles enseignees par TEglisc.
Parlout la foi t-tail robuste : loin qu'elle cut encore
re^u la moindre atleinte dans b; peuple , I'idee que
Ton pul doutcr , k moins que d'etre paien , n'y elail
pas memo entree dans les esprits.
C'est parce qu'il en etait ainsi , c'est parce que le
ridicule n'avait pas encore cte employe comme une
arme pour delruire , que Ic clerge riait des plaisan-
terics de la scene avec la meme effusion que le rcste
du pcuiple. Cc qui nous apparail mainlcnant conune
irrciigieux, comme imj)ie, a nous pour lescpielslcs asso-
ciations d'idees sont plus nombreuses et autrement
33?. ETIDES
varit'os , n'etait alors qu'un divorlissemcnl public
exempt do (out scandalc.
Et en effel , poiir que Ics plaisantcrics dont il est
qi'.pslioii parusscnt impies aux spcclaleurs , il aurait
fallu qii'ils apcrrnsscnl , darts les situations ct dans los
disconrs qui leur jTrtaienl A rire , dcs cons»^quonces
a en tirer contre la foi ; niais , pour que les csprits ar-
rivcnt au point dc tirer ces consequences , il y a des
conditions que n'offre pas un peiiple d loute pcriode dc
son hisloiro.
11 faut qiiole scntimrnt des biciiseances y soit port<^
;\ un certain dcgre dc delicatessc, et que les idees que
Ton s"y forme des pcrsonna^cs divins soient asse/ per-
fertionecs, pour qu'au jugcment du speclaleur , il y a;t
incompalibilitechoquanle cntrele role qui leur convient
et celui qui leur est prele par Ic poete.
11 faut encore que les fondemcnts de la foi aient
ele auparavant seiieusenient altaques , que le doulc
ait commence a se repandre , r.on pas seulcmcnt cboz
qnelqucs hommes , mais dans la foule; el que les plai-
santcrics du theatre , se liant aux arguments sorieus
deja connus , les rappellent A la pensee, ou mcme en
scmblent une reproduction sous une autre forme.
Moins ces conditions seront remplies , moins aussi
sera grande la susceptibilite quant aux plaisantcrics
dont la religion sera I'objet. Au contraire, dans un
temps oil , par suite des progres dc I'csprit humain ,
la perception des rapports sera dcvenuc plus large ,
plus subtile et plus promptc , si deji les croyanccs
religicuses o.it ele comballues avec des amies de tout
genre, et que le ridicule ail etc emploj'c mille fois comme
SUK ARISTOPHANE. 333
un argument contre ellcs , alors tout sera suspect :
le moindre mot presentant un sens equivoque sera con-
sidere conmie une attaque ; la plaisanterie deviendra
derision , raillerie amere ; rinlention innocente ne se
supposeraplus , sinon entre personncs reciproqueraent
convaincucs de la solidite de leur foi ; il arrivera meme
que ce qui autrefois a ete dit et represente devant un
pcuple , avec edification , ou au moins sans 6veiller
aucune idee contraire aux croyances , ne pourra plus
t'tre reproduit , qu'cn excitant un certain malaise et
souvent aussi I'indignation chez les Qdeles.
II n'y a, du resle, dans ces effets si differenls , selon
les associations d'idees qui seforment , rien autre chose
que ce qui s'eprouve cbaque jour dans la vie commune.
La plaisanterie se tolere, et pent amuser meme celui-ld
qui en estl'objet , tant qu'aucune intention serieuscct
maligne n'y saurail etre supposee , tant que rien n'a
ele dit qui puisse parailre vraisemblable et se croire ;
mais si elle atteint ce qui veritablement prete au blAme
Oil an ridicule ;si seulemcnt elleoffre I'apparenred'une
critique juslifiee par la realite , alors scs traits sont
enipoisonnes , et le rire qu'cUe fait naitre en presence
de cehii qui en est frappe rend plus vive encore sa
blcssure.
On voit maintcnant comment il faut resoudre la
question relative au theAtre d'Atbcnes. Ce qui vient
d'etre dit de nos aieux s'applique mot pour mot aux
Atheniens contemporains d'Aristopbanc. C'cst parce
que cbez eux les rroyaucrs religieuscs elaient entieres,
que les Atbeniens pouvaient sans impiete se livrer sur
le comple des Dieux a des plaisanterics qui nous ont
33} tTlTES
semble sarrilcgcs ; c'osf parte que les aulels n'claient
pas ineiiar(59 , que ces plaisanten'cs etaient toleiees
comme innoccnlos. Qiiand le pcuplc avail ri i la repre-
sentation des Grcnouillcs , des Oiscnux cl dii rintus,
il ne se pressail pas avec mnins de fervcar dans les
temples ; Bacchus etail loujoursle Dicu des Lenoennes
et desDionysiaqnes ; Jupiter etait toujours I'Olympien,
•ibjet de Tadoralion pnblique.
II y avail bien , sans doute , ca et li, paitni les spec-
tateurs de I'ancienne coniedie grecque , comme dans
le moycn i\ge , quelques incredules qui vnyaient daus
ceitaines plaisanteries autre chose quo ce qu'y aper-
cevail le poele lui menie, et doul le sourire ^'lail moins
innocent que celui de la foule ; niais Topinion generale
elail trop forlemenl etablio pour qu'il n'y eut pas du
danger jmur eux a la fronder par leur condiiite on par
leuis reflexions (i).
(1) L'existcncc des h^risiarqiies, qui Iroublaionl Ac Icmps en temps
la pais de I'Eglise lalholiqiie, n'infirnie en rien ce qui vicnt d'fire
dil. Le sucres ui^me quauraieni eu leurs pr^diralions seraU une
preuve de la ferveur des croyances. On ne discule , en elTel, aver la
clialeur du prosc'-lylisnie; on ne brave des dangers de loul genre ptiur
la propagation de ses opinions, et les pcnplcs ne se sonlevenl pour
oil fontre les novateurs, que dans les Icnips d'une foi vive. Et d'ail-
Icurs, lant que les points de fait n'^taienl pas rontest(^s, et que les
plaisanteries ne porlaient encore que surdes circonstances admises
fgalement par lous, il n'y avait pasdc raison pour qu'il en rc^sultAt
du scandale. Ce fut pendant la lulte du prolestantisme que corn-
menc^rcnt a devcnir plus tiniides nos poetes drainaliques Les
representations dos miracles et des mjslcrescesserenl ni(*nic cnlie-
rement dans les localities on les rt^lormts firent senlir lenr presence.
Ce n'est que dans les provinces oil les idf^es nouvelles n'avaient pos
SIR ABISJ'OPHANE. 335
Ainsi , loin de nous etonner de ce qui nous a frap-
pes d'abord dans Ics comedies d'Arislopbane , quant
au r61e qu'y jouenl souvent les Dieux ; loin d'y voir
quelque rhosc d'inconciiiab'c avec le caraclcre reli-
gieux dcs Afbeniens et les peines inlligecs par eux ,
pour crime d'impiele , ^ quelques bonuTU\s telebres ,
c'esl preciscjneut la foi inlacle et fcrventc decc peuple
qui nous expliquera comment il pouvait tout A la fois
rire dcs situations comiques ou les poetes placaicnt les
Dieux el faire boire de la eigne a ceux qu'il soupcon-
nait de nier les Dieux.
Les rapports que nous pourrions reconnailre entre
la societe grecque et la societe francaise , sous le point
de vuc qui nous ocrupe , ne s'arrelcraient pas aux
epoques dc la vieille comedie albenienne et de nos
mvsleres.
Dans le XVIIT. siede , on rajeunissait conlre le
cbrislianisme des plaisanteries qui avaient fait rire ,
mais qui n'avaient pas scaniiivlise nos aieux : la meme
chose elait arrivee, quelques siecles apres A; istopbane,
au milieu du paganisme. Un ecrivain, que Ton poui rait
appelcr le Voltaire de la pbilosophie grecque , nous
offre des scenes tout-a-fait dans le genre de la vieille
comedie , mais dont le but est bien different de celui
du pocte.
p6n^tr6 parmi les masses, que le cleise put tolerer sans inconve-
nient des spectacles dc ce genre : et pourtant quelle difference entre
les idecs religieuses que proclaniait la r^formc el cclles que devait
r<'pandre la philosopliie du XYIir. siecle !
33G iir!i)K>
C'clait sous les Antonins. La religion di's Grocs el
des Remains avail altcint lY'iioqiic c'c sa ilcuadcMict'.
.Tnpilpr elait encore an Capitole le Dieu officiel tie
FEmpire ; mais on avail commence A examiner ses
litres k la divinllo. Les pensenrs le niaient. II n'avail
plus gucre pour lui que la force de I'habilude el les pro-
fondes raoines par lesquclles une religion, quelle qu'elle
soil , lient toujours fort long-temps a nn people cbc/.
lequel elle a vecu des siecles aver lionneur. Le chris-
lianisme naissani faisail mieux rcssorlir encore i sa
lumiere ce qn'il y avail d'absurde dans le culte el les
superslilions antiques.
Quoi(jup Lnrien ne fut pas un juste appre.iateur dn
christianisme , el qu'au contraire quelqites-cnes de
ses compositions soient fori iojurieuses h la religion
nouvelie , i! lui tardait de voir lomber dp TOlynqie
Jupiler et son cortege. Ce que se perniellail Arislo-
pbaiie pour anniser le pcuple, Lucien le fit pour lourner
en derision ses croyanres el pour les detruire. Aussi
dut-il exciter une indignation profonde rbe/. ceux (pii
etaient encore resles fi e'.es aux ancicns Dieux , t.'.ndis
que le sourire de I'incredulile atteslail (Lez les aulres
ave? quelle juslesse frappail dans ses mains Farme du
ridicule.
Cctte difference que nous signalons , daiis les inten-
tions , entre le poele el le philosopbc , dovienJra nia-
nifesle , si on les rapprotbe Tun de I'aulre , s'.irloul
dans certains passag s ou le fonds des idees est a peu
pres le meme.
Dans le Plains, par exemple, AristopLnne represcnte
Mercure.mouranl de faim dansl'Olympe, trop beureux
SL'R AlklSTOPIlAMi. 33l
dc se faire valet chez les morlels, pour avoir ^ manner :
c'est bioji nioiiis iiii Dicu que la parodie d'un D;eu ,
(pi'il offre aiix spectatcurs. La srene qui suit, oOi figure
!e prctrc de Jupiter, n'est pas plus edifianle On se
souvienl en -ore du rolo dc Bacchus dans les Grenouilles:
il est diniL'ilc de faire descendre plus has une divinite ,
d'cn faire plus completcment un nbjct de ridicule.
Cependant, en y regardant de pres , on verra. dans les
scenes que nous iudiquons , ainsi que dans les dramcs
du inojen ;^ge , plutAt de Tirreverence que de Timpiele.
Le poele y joue avec des Dieux amis ; il ne s'y joue pas
dcs Dieux.
Ouvrons niainfenant Lucien : ligons !e dialogue inti-
tule Timon ( qui offre des rapprocbemeiits de plus d'un
genre i faire avec le Plutus) : ecoulons ensuite , dans
Mercure el Mdia , Ic fds de Jupiter , mecontcnt de son
etat, et s'en plaignant A sa m^re • ecoulons encore
Momus , dans V AssembUc des Dieux. Nous verrons
que , si Aristophane fait rire aux depcns des habitanls
du ciel , conime on s'egaic parfois aux depens de per-
■sonnes que Ton estinie et que Ton aime , Lucieti toiKne
en derision les idees recues dans la religion et la reli-
gion elle-nienie j que , si le poele commet des irreve-
lences , lesquelles sont innocentes dans ses intentions,
Ic philosopbe a un autre but que d'exciter la gaiete , et
que , par le ridicule , il veut saper les croyances et de-
trAner les Dieux.
S'il etait necessaire d'ajouler quelqne chose a cc qui
precede pour faire comprendre le veritable s;<ns dcs
plaisanleries d'Arislophane , nous appellerions Tallt n-
tioii des leclcurs sur la tomedie dcs JSuecs. Quand on
338 ETLLE5
I'aiira lue , en n'y vovant que ic qui s'y (rouve en
effet, sans se preoccuper de toutes Ics dissertations des
savants sur cetle piece, on ne saura guete s'expliquer
comment les modcrnes ont pu accuser le poete d'im-
piele ct d'atheisme. Ce sera , nous le crojons , un
nouve'i argument bien puissant en faveur de I'opinion
que nous avons expiimee.
Nous n'examincrons pas en ce moment si c'etait
reellement sans aucune apparence de raison que le
poete coniique choisissait Socrale comnie le represen-
tant des sophistes , de ces prelendus sages dont Ics en-
seignements n'avaient pour resullal,selon Aristophane,
que de ruincr les anciennes moeurs et les vertus civi-
ques , en meme temps que la religion d'Athenes. Nous
ne voulons ici que constater un fait ; c'est que I'impiete
el rimmoralite des nouveaux philosopbes est evidem-
nicnt I'obJL't de la comedie des Nuecs, et que le poete,
nou seulement les y altaquc avec Tarme du ridicule ,
mais encore les signale , comme immoraux et comnie
impies , k Tanimadversion des speclateurs. Du reste ,
on I'a si bien senti, que, depuis Elien jusqu'a nos jours,
I'auleur des Nuees a ete souvent accuse d'etre le prin-
cipal auteur de la mort de Socrale.
Au lieu done du reprocbe d'alboismc et de mepris
des Dieux , Arislopbane pourrait paraitre , avoc moins
d'invraisemblance , en meriter un autre , aupres de
ccux qui honorent Socrale comme un sage, victimc du
fanatisnie et de la calomnie , c'est-a-dirc , celui de
s'elre montre comnu^ un dcvot haineux, acharne ontre
toutc idee nouvcUe en reliijion , ou bien encore d'avoir
SLR ARISrOPIIA>E. 33q
abuse d'un prelexte sacre, pour appeler sur un ennemi
la nialveillance dc la nuiltilude (i).
En general , Arislopbar.e a cl(^ fort mal apprc^cie ,
aiissi bien sous le rapport moral , que sous le point de
vue religieux. On a ele cboque de ce qu il y avail de
grossier et d'ind^cent dans ses comedies , el Ton n'a
pas lenu compte du but qu'il se proposait ni des dispo-
sitions des spectaleurs. Encore une fi)is , la grossierele
t'es expressions , I'indecence el rinronvenance de toule
nature sonl cboscs relatives , qu'ii faut juger cbez le
po^le d'apres les mosurs el les idees des Albeniens de
son si(^cle , et non pas d'apres les n6tres. C'est par ses
iiitenlions que nous devons juger de sa moralite : or,
jusque dans ses compositions que nous serious le plus
poites a trailer avec soveiile, i cause de leur ind6-
cenc e , le but moral d'Arislo;:bane est assez evident.
Dans les CrenouiUes , [yar ; xempie , ce qu il altaque
avec le plus de vigueur en criliquanl Euripide , c'est
Timmoralite des personnages du po^te tragique ; ce
sonl ses Pbedres , ses Slbenobecs , etc., avec leurs
maxinies subversives du devoir : en sort.- que , maI<Me
des formes que ne sauraient admellre les societes mo-.
(1) Ce n'esl pas pourtant aiiisl que nous jugerions nous-m^mcs
If po6le comijue : ('opinion qui nous scmbic la plus probable, c'est
que, lorgqu'Arislophane fit reprc^scnler les ^'llef■s la prcmi6re fuis,
24 ans environ avant la mort de Socratc , on pouvait assez natu-
reilement, a celte t'poque de la vie du philosophe, ic confondre avec
les autres sopliisles , dont il avait (outes les Irabiludes cvlc^rieures.
Ouol qu'll eu soit , l'id6e doniinanle des Aiiees respire bien plul6t
le zele d'un croyant , qu'aucune des autres pieces du indmc poi^te ,
si elles sent lues avec tme allenlion judiclcuse , n'annonce un In-
crMulCi
34o ETUDES 6UR ARISTOPHANE.
dernes , il est vrai de dire , quelque paradoxalc que
puisse paraitre cette assertion a ceux qui n'ont qu'une
connaissance superficielle d'Aristophane,qu'il se montre
constamment le defenseur de la morale publique , de
ni6me que ceux qu'il presentait le plus souvent comme
y porlant les plus dangereuses atteintes elaient les
meines hommes qu'il accusait aussi de mepriser les
Dieux de la patrie.
I
D CN
MEMOIRE SUR LA MENDIGITE ,
Par M. LE GRIP ,
Conseillcr de Prifcclure.
»0<H>4
Suivant nous , la niendicite provient et date princi-
palemeiit dc raffraiicbissemcnl dcs communes. Co sont
les villes qui les piemiircs out oblenu cet avantage :
leur population etait considerable, comparalivemcnt i
leur lenitoire renferme dans d'etroiles limilcs. Elle se
cbmposait dc proprielaires en petit nombre , et de
beaucoup plus d'artisans que de cultivateurs. Leur li-
berte etait souvenl attaqueci souvent ces villes etaient
assiegecs : alois leur commerce etait inlerrompu ; les
artisans rcstaionl sans ouvrage ; une epidemie et des
famines tres-rapprocbees avaient lieu , et les artisans
ou manoeuvres etaient obliges de mcndier , fant dans
les villes de leur domicile que dans les paroisses cir-
convoisines.
L'esprit de cbarite, fecondc par notrc religion, etait
tel , que ces mcndianls oblcnaient des secouis abon-
dants; beaucoup de ceux qui d'aboid n'avaient lecourii
i\2 EXTRAIT DLN MEMOIUE
A ce moyen que par neccssite , tromerenl plus com-
mode el plus avanfageax de !c conlinuer que dc le-
prcndre leurs Iravaux.
Les mcndianfs se niultiplii^rent d'uiie nianlcre ef-
frayanle , surloul h Paris el dans les rapilales des pro-
vinces.
Les individus qui adoptaient cette nouvelle profes-
sion , s'adonnaient a tous les vices , fruits dc Toisivete
el de I'ignorance de tous les principes ; souvenl reunis
en troupes, leurs solticilations furent des ordres ac-
conipagnes d:' violences , de vols et d'incendies : ils
devinrent ui» objet de lerreur,
Des lois de repression furent rendues: une des prin-
(i pales est la declaration du 18 juillet 1724.
EUeporlait que les niendiants demandant l'aum6ne
avec insolence, ceux qvii se disaienl fausseraent soldals,
ceux qui deguisaieiit leurs noms el le lieu de leur nais-
sance , ceux qui faisaienl seinblant d'etre eslropies ,
aveugles , etc. , etc. , quoiqu'arrel6s pour la premiere
fois , seraienl condainnes , les homnies valides aus ga-
leres, et les honimes el les fenimes invalides au fouel,
el i une detention dans un h6pilal general A temps ou
A perpetuile. Ces dispositions furent renouvelees par
une declaration du 20 octobre lySo.
Une deruiere loi ful rcndue le 3 aoul 1764. Comrae
lesautres , ele resta sans effet et sans resultat. On se
rappelle le r6le q.ue joucrent des bordes de mendiants
reunics A Paris , sans qu'on put savoir qui les y avail
appeles , en 1788CI 178^;, daits les premiers moments
de la revolution,
Un objel aussi important ne pouvait ecbappcr a la
sun LA iMliNDIClTE. 34?
ConvenlioM naliotiale. Elle s'en occiipa , rcndit la loi
du 2-4 vendcmiaiieanll(i5 oclobie 1793). Nouscioyoiis
devoir on exposer quclques di.sj)Ositioiis.
Elle elablissait une agence de sccoiirs dans cliaque
canton. Les niunicipaliles dcvaient lui icnieltro lous
les ans un elat delaille de leurs indigents validos ;
I'agenl du canton devait faire parvcnir ccs etals au Di-
I'i'cloire de district, et lui deniander les secours neccs-
saires pour les niendiants valides.
LeDirccloire du district devait envoyer ces etals au
Directnirc du departenien(,,celui-ci auConseil exccutif,
et e Conseil execi'.tifau Corps Icgislatif pour accorder
les fonds necessaires.
Les Iravaux de secours devaient etre I'objet d'adju-
dicalions Les seuls indigents devaient y etre admis; ils
ne pouvaient sorlir de leurs communes ni de hurs
cantons sans passeports ; leur salaire devait etre fixe
aux trois quarts du prix moyen de la journ6e , adopte
dans le canton.
A chaque repartition de fonds , les agences , avant
de recevoir leur part , etaient tcnues de rendre compte
de ce qu'elles avaient regu anterieurement.
A I'epoque de I'ouverlurc dcs travaux, toules les dis-
tributions dc pain et d'argent devaient cesser , el (out
ciloyen convaincu d'avoir donne a un mendiant, devait
etre condamnc , au benefice de Tagence de secours, A
une amende de deux journees de travail , el au double
en cas de recidive.
Tout individu convaincu d'avoir dcniande del'argent
<i!i du pain dans les rues ou voies publiqiies . elail re-
pule mendiant , devait elre arrele et traduit devant le
juge de paix.
344 EXTBAIT d'lN MEMOIBE
S'il ^tait reconnu poiir etrcdu canton ou du dis^trirl,
il devait etre renvoye dans la romn>vii:e de son domicile
avec un passeport aux frais do I'Elat ; s'il ue faisail
point connait.e son domicile, il devait ctre conduit
cans la maison de repression.
Tout mendiant etranger devait ^Ire conduit jusqu'au
premier village du territoire hors France. Lcs enfanls
arr^tes avec ces mendiants devaient en 6tre separes ; si
leur jige ne les soumellait point au travail , ils devaient
ctre trailesconime les enfants abandonnes. Dos maisons
de repression devaient etrc etablies.
Tout mendiant en recidive etait condamne i un an
de detention , et A Irois annees , en cas d'une nou-
velle recidive.
D'apres cette loi , le domicile de secours est le lieu
ou riiomme necessileux a droit A des secours publics ;
le lieu de la naissance est le domicile naturel pour lcs
enfants , le lieu de la naissance est le domicile de la
m^re au moment ou ils sont nes ; pour acqueiir le do-
micile de secours , il fallait un sejour d'un an dans une
commune , lequel ne commencait quh dater du jour
de I'inscription au secretariat de la mairie.
La commune pouvait refuser le secours , si le domi-
cilie n'etait pas pourvu d'un passeport el de certiflcats
conslatanl qu'il n'etait pas un Iiomme sans avcu.
Jusqu'a 21 ans , tout cilojen pouvait reclamcr le
domicile de secours dans le lieu de sa naissance ; apres
cet Age, il devait iMrc aslreint a un sejour de six mois.
Ceux qui se seraicnt maries dans une commune et
qui rhabileraienl pendant six mois,. avaient droit au
domicile de secours.
SL'i l.A MENBiClTK. 345
Wi'mo droit pour les individiis qui seraicnt restes
(U'lix aiis dans la meme commune en louant leurs ser-
^ ices.
Tout snldat porlenr d'lm conge et de cerlificals ho-
norables devait jouir du d,oit de domicile de secours
dans le lieu par lui choisi. Tout vieiliard de 70 ans ,
sails avoir acquis de domicile , devait recevoir les
secours de stride necessile dans I'hospice le plus voisin.
Celui qui , dans Tinlervalie du delai prescrit pour
acquerir le domicile de secours , se trouvait , par un
malheur quelconque , Iiors d'etat de gagner sa vie ,
devait etrerecu i lout age dans Tliospice le phis voisin.
Tout malade, domicilie ou non , devait elre secouru,
ou a son domicile de fait ou dans I'hospice.
Une disposition de loi du 7 frimairean V, enjoignait
aux mendianfs valides qui n'avaient pas de domicile
acquis dans la conunune ou iis etaient nes , d'y re-
lourner , faule de quoi ils devaient y clre conduits par
la gendarmerie et condamnes a une detention de trois
mois.
Enfin , un decret du 5 juillet 1808 defendait la mcn-
diciie dans toute la France, et elablissail, dans cLaque
departenient , des depots dont les depenses devaient
etre acquittees concurremment par le tresor public ,
les departements et les villes de la situation.
La loi du 24 vendemiaire an II , ou i5 octobre 1793,
ne re^ut point d'execution par suite dcs ^venements
extraordinaires de la revolution , des guerres qui se
succederent et de la penurie des finances.
Le decret du 5 juillet 1808 recul ini commencement
d'execution , mais dans un temps de disette , suivi de
34G EXTKAIT d'iN Mr.MOIRE
rcnvaliisscmcnt de la Franco par les tUrangcrs ; !os
depAts oiiverts roourent une autre deslinalion ; ni le
Iri'snr , ni les deparlements , ni les villes ne purent
pourvoir aux depenses.
Ces lois el decrels n'ont point ele abroges par dcs
lois subsequentcs ; les principes qu'ils conlioniiciit sub-
sislent. II en resulte que la mcndicite est abolie , ct
qu'elle est un delit j que les communes doivent pourvoir
aux besoins de loute nature de leurs indigents valides
ou invalides qui y ont acquis domicile , el que le gou-
vernomenl et les deparlements doivent pourvoir i
linsuflisance de leurs moyeiis.
Les lois ciloes ne pouvaient et ne pourronl d'ailleiirs
eleindre entieremenl la mendicite , parce qu'on a lou-
jours meconnu, et qu'on meconnait peut-etre encore,
le principe conslitutif et conservateur des socieles
bumainesou des Elals, quelle que soil la nature de leur
gouvernemenl.
Cc principe consiste en cc que tout homme , tout
individu , n'ayanl d'autre proprieto que son Industrie ,
son travail et scs bras, doit y Irouver les moyens de
pourvoir a ses besoins et k ceux de sa famille , bien
entendu qu'il emploiera entieremenl son iudustrie , son
travail et ses bras , dans Finterel de la societe , dans le
sien et dans celui de . sa famille. Si done , par des cir-
constances quelconques, el remplissaul parfaitement
son obligation , il ne peut pourvoir entieremenl k ses
besoins el A ceux de sa famdle , la societe , a laquoUe il
apparlient , doil venir a son secours. 11 en est de meme
s'il devienl malade , infirme , s'il est prive de la vue ,
de la raison , et lorsquc par TAge il ne peut plus Ira-
SUR LA MENDICITY. 347
vailler ; aiitreincnt il mondie , vole , se mot en guerre
avec ses conciloyens ct trouble !;• society. On le pour-
siiivra, dira-t on : inais sera-ce avec une egale justice,
puisqu'i son egard le conlrat social est ronipu, el qu'il
ne trouve plus parmi ses semblablcs ce qu'il devait en
oblenir , les moyens d'exislence ?
Ce n'esl done pas souloment par hunianile que le
gouvernenient doit venir au secours de I'indigcnt : e'est
«n devoir, une obligation que lui a prescrit sa propre
conservation. Lo Christ ne s'est point adresse aux gou-
vernenients , niaisil a ordonne la charilc et I'a pressen-
tee comme le plus puissant moj en d'oblcnir une felicile
elernelle. Malbeureusemint Texperience prouve que
ses comniandements ne sont suivis que par le plus petit
nombie el plus encore par les moins fortunes que par
les heureux de la lerre , que dcs lors les secours ne
sont pas on rapport avoc los bosoins. 11 faul done appre-
rier ( esbosoins ol recourirau seul moyen d'y pourvoir.
II exisle en France, comme nous croyons Tavoir
etabli , des lois qui ont reconnu ot admis les memos
prinripos que ceux qui ont donne lieu i la loi des
pauvres en Angleterre; Pexeculion en a ete negligee ,
et il est i remarquer que ce ne sont pas les classes les
moins forlunees qui en repoussent Tapplication.
Mais les cboscs ne peuvent rosier dans leur el at
acluel ; de toutos parts on reclame, des associations
se forment , associations qui , je ne crains pas de le
dire , n'auront qu'un effet n)omenlane et local. II est
indispensable quelegouvernoment intorvienne ; qu'une
loi d'application soil ronduo , mise i oxerulion , quo
dans touto la Frame les indigents validcs, les inCrmos,
348 EXTRAIT O'UN MEMOIKK
les vieillards , jouisscntdu strict necessairc qui leur est
du , recoiinaissent que la patrie est une nierc pour eux,
el prenncnt pour ellc les sentiments d'unc reconnais-
sance meritee. Je n'entrerai pas dans le detail des
besoins dune famiile ; ils dependent de sa situation ,
du nonibre et de Tetat de sante des personnes qui la
coniposcnt.
J'ai cru etablir que la mendicite datait de I'affran-
diissenient des communes, s'etait multipliee dans les
villes, etc. , etc. Je crois devoir ajouler que Ton s'a-
percut bienlot que les seconrs , quelque multiplies
qu'ils fussent, elaient insuHisants et mime inapplicables
^ des nialad; s qui ne pouvaient eti e soignes chez eux,
a des vieillards isoles et restant sans famiile , & des
orpbelins , k des enfant s exposes d6s leur enfance , ^
des aveugles , k des alienes , etc. , etc. Des lors on
roconnut la necessile de leur ouvrir des asiles particu-
liers. Telle est Torigine des bospices, et, il faut bien le
reconnaitre , c'est encore i la religion qu'on doit ces
etablissements ; raais le nombre en est reste slation-
naire , il est bien insuffisant , el Ton ne peul se dissi-
rauler que les malbeureux donl nous venons de parler ne
soient un fardeau pour les families aiixquellcs ils ap-
pailiennent , et ne les forcent h recourir 4 la mendicite.
Regus dans les bospices , ils tcrmineraienl doucc-
nient leur carrierc. Lorsque des salles d'asilc , dont
le nombre Irop petit encore ne manqiiera pas de
s'aocroitre , s'ouvriront pour les enfants, leurs peres
et leurs meres pauvres , n'ayant plus a les garder , et
dispenses de pourvoir aux besoins de leurs anleurs,
>ieillards ou inGrmes , pourront consacrer loutes leurs
SUR LA ME.NDlClTfi. 349
jnurneos au travail , el se procurer par 1^ tout ce qui
leur sera nccessaire.
On objcctera sans doule que les hospices sont pleins
ct que c'csl uiie grande faveur d'y elre admis. Nous
repondrotis qu'ilsconticnnonl uii grand nonibre d'indi-
vidus qui pourraicnt etie utilises par une habile colo-
nisation. Par exemple , des maisons de travail pour-
raient elre construites en Algerie : le grand nonibre
de troupes que nous sommes obliges d'y entrelenu'
necessile des travaux de manufactures, d'entretien ,
de couture, de chaussure , qui seraient executes dans
ces maisons. Lesjeunes gens pourraient (3tre utilises
pour la marine, idee essayee par TEmpereur. D'autres,
quand lis auraient IVigc requis , entreraient dans les
regiments. Apres un certain temps de bonne conduite,
on leur accorderait quelques arpens de terre , ainsi que
les Anglais Tont pratique dans la Nouvelle-Galle ; ils
se marieraient avec les jeunes Giles qui sortiraient des
maisons destinees i leur sexe. EuGn , quant aux de-
pen&es , on pourrait accorder i ces maisons des terres
donl le prodnit , joint i celui du travail , scrait plus
que suCQsant pour couvrir leurs depenses. lis seraient
fraites avec bonte , non comnie des condamnos j ils
rcccvraient une forte instruction primaire, ou la reli-
gion tiendraitle premier rang, apprendraient la langue
des indigenes , et , A leur sortie , quelque Hal qu'ils
embrassassent , ils deviendraiont des niend)rcs utiles
de la colonic.
On iK>urrait encore louer leurs services a des colons,
mais sous des conditions ties-rigoureuses. Nousvoyons
des Etrangers accourir en Algerie ; pourquoi n'y con-
2-3
35o JXTKAIl DtN MKWitlllfc;
duiiions-iious pas les inforlunes donlje paile, pom v
formor pcu a peu une population fran^aise qui n'ou-
blierait jamais son origine et sa patrie?
En France , apres avoir pris les mesures indispon-
sablcs , forme ou agrandi les etablissenienls necessairos
aux infumes , aux vieillards et aux enfanis trouves el
abandonnes (je ne parle pas des alienes doiit le sort
est mainlenanl assure), deux sortcs de secours devroiit
Aire acford^s : le premier en travaux, el Tautre en
distributions d'aliinenls , de velemenls , etc. , etc.
En ce qui eoncerne le secours en Iravaux , il f.uit
reconnailre que la quasilile s'en Irouve diniinuee par
Irs prorvres des arts et de la mco;miqiie. II faul moins
d'hommos qi!'a!itrefois pour cuitivei- ; il en faul moins
encore pour lisser nos iai.'ies , nos chanvres , nos lins ,
ainsi que pour les colons el manufatlures. Cliaque jour,
on invente de nouveaux procedes mecaniqiies et rlii-
mi<jues favorables aux fonsomniateurs , mais en nieme
temps i'.s enlevent des travaux a la classeoiivriere. Les
eanaux, lescbeniins de ferauront uno ^rande inflnenre ;
ils necessileront moins de depenses que nos route:'! qui,
nudlipliees , eprouveront moins de deterioration, et
dont Tenlretien se fail avec la plus slrirlc economie ,
au moyen d'un faible nonibre de cantonniers.
Dii.i-; cetelalde rliases, la pr<>station en nature pour
nos ( liomins vicinaux et les lignes de grande commuiii-
ration, est une veritable calamite ; la repartition en est
injnste, Temploi en (>sl tnauvais , prescpie improdurlif,
et il donne lieu a tons les abus. Cette veritable corvee
a ete ressuscitee par iin simple decrot non discul<^.
Louis XVI I'avail jugee et supprimee par Tedil du
mois de fevrier 1776 , edit qui , dans son pieambuie ,
sun LA lIENDiriTK. 35l
en expose les motifs lellemeiit forts, que jamais on
n'a pu lc8 ileduire.
Nccessaiicmenl et conformcment an decret du S
jiiiilcl iSo8 , il doit <!'treetabli , non des depots demen-
dicilc, mais des maisoiis de travail, non dans les villes,
mais dans les campagnes , sur des brnjeres incultes
qiTon leur abandonnerait , ce qui serail , pour le pre-
sent , unc source de travail , et pour I'avcnir , un
moyen de pourvoir aux depenses.
— Mais ces bruj eres sont des proprietes particulieres?
On en traiterait , soit a I'amiable , soit par expropria-
tion pour cause d'utilite publique. — Mais les depens.^sde
premier etablissenient? Ence qui concerneles travaux,
ils seront faits par des indigens valides , el quant aux
autres depenses , ellcs ne s'eleveraient pas en total a cc
que couterail rouverlure d'un canal , retablissi'ment
d'un chemin de fer.
Cos maisons seraient organisees par radminisfra-
tion, suivant un mode analogue A celui qui exisle actucl-
lement pour les maisons de detention , mais avec les
modifications que commande la position differentc des
individus qui seraient admis, el que Ton occuperail aux
travaux relalifs a la construction , k la reparation ct a
rapjjropriation de.sbalimei.ts,et nu dc'-fiichenientdu ter-
rain concede. Considerees sous le rapport de Tagricul-
ture , ces maisons deviondraient , non des fermes-
modelcs , mais d'experience ; Tadministralion de Te-
tablisseniinl pourrait se rcndro adjudicalaire des che-
mins el derexlraclion (!os maleriaux ; elle organiserait
autant que possible des metiers pour la confection des
objets utiles a retablissement. Ces maisons de travail
3!i2 EXTRAIT D LN JlfcSlOlRE
sont non sculcmenl neressaires , niais nous par.iissonl
iudisponsablos. En cffet , tout individu manquant (1(^
travail dcvra y etre admis on conduit ; !es coinnuiiK «
qui nc peuvent procurer du travail a des habitants
validcs , pourront le« renvoyer , en payant unc U-gore
rotribulinn ;\ retablissement. Presentenvent des villes
ct des communes populeuscs , pour se debarrasser des
pauvrcs ouvriers valides et meme de leurs mendiants,
leur delivrent des passeporls d'indigonts av^c Irois
sous par lieue pour se rendre dans tel on tei etidroit.
Arrives A leur destination , oes mendiants n'y trouvenl
point do travail ; on les rcnvoie par Ic nr'nifi ntoyicn, el
ils parcoiiront ainsi la France aux frais dos departe-
nients. Cel abus , q;ii c:-.t une veritable orf:;anisa< ion
en favcur de ia mcndicite, n'exislerait i>lus , si le fonds
qui y est employe pouvait ("'Ire appl ique ^ son extinction.
Ces raaisons procureraienl un avantage encore plus
important; dies seraient nn asylo etnne rcssource pour
les condamnes liberes. En sorlant des bagnes on des
niaisons centrales , ils onl bientot dissipe lefaible pro-
duit de leur travail pendant leur detention ; repousses
par I'opinion , personne ne veut les employer , et bien-
lot denues de tous nioyens , ils sont , pour ainsi dire,
conlraints de CGmmctlre des crimes, et subissenl de
nouvelles condamnalions.
Kappdons que les communes doivent en premiere
ligne pourvoir aux besoins de leurs pauvres de toulo
nature ; qu'en cas d'iu^uflisancc , les depmtoraenls et
Ic gouvernemoul doivent contribucr.
II faudrait , dans noire sysleme , oter al'administra-
tion,pr()preniO!U(lil;>,deja Irtip sun'harc;ee,los delailsde
ladistribulioudesscfours. Confurmenient a la lyi du 24
SLR LA MENDlClTfe. 353
vendeiniaiie an 2 , il y aurail di's agencos dans chaque
commune , une agcuce au chef-lieu d'arrondissement ,
une agcnce au chef-lieu d'u depaitement. Lesmemhres
qui la composeraienl scraient nnmm6s par eleclion
conime les niembi es des conseils munkipaux et pour
le nieme temps; leur eleclion serail un litre dhonneur.
Les ev£'ques , les presidents des consi&toires feraient
uecessairemcnt partie de I'agencc desdepartcnienls ;
les cures et dcssei vanlaseraient membres des agences
communales ; les agences comniiuialos con espondraient
avec les agences d'anondissement ; les agences d'arron-
dissemenl avec celles des deparlements, et ce^dtMnieres
avec un sous-secFetaii8 d'elat ;Utacbe a« minisl^rc
de rinlerieur, charge exclusivemojil de celte partie.
L'autoril^ superieure inscriiail sur le verso des etals
qui lui seiaient transmis les sonimes pour lesqi.elles
les communes, les depyulements et le gouverrement
devraient conUibuer dans la depense , et provoquerait
une loi pour I'annec suivaule au commencement de
chaque session.
Les communes qui ne pourraient acquilter leurs
parts conl! ibutives sur les revenus ordinaires seraient
iinposees d'oflice , sur le vu de I'etat de repartition
arrfite par le ministre.
L'acceptation de dons el legs fails aux pauvres serait
aulorisee par les prefels , (juelle que fiU leur quolite
lorsqu'il y aurait consentemenl de la part des heritiers
ou legataires ^ litre universel et i litre particulier. Les
donataires des rentes d'un revenu superieur A ?oo f. ou
d'un capital de 3,ooof. seraient admiscomme membres
honoraires de Tagence do la commune , leurs noms
354 EXTRAIT d'l\ JltMOIBE SIR LA MENDICITE.
seraient inscrits sur nn rcgislre a ce destine ouvert par
Tagence du deparlenient et rendu public.
La loi du 5 frimaire an VII serait maintcnue en
ce qui concerne la perception , an profit dcs indigents,
d'un decime par franc du prix d s billets d'entree dans
Ics spectacles.
Le gouvernement aurait a examiner si une legere
retenue ne pouirait pas etre operee en favour dcs
j)auvres sur les arrerages des rentes sur I'etal , el si la
jouissance dcs Liens de main-morte , qui ne paient
aucuns droits successifs , ne pourraient pas etre assu-
jettis A une retribution.
Les agences auraient droit , comnie par le passe , de
faire queter dans les eglises , a d'autres jours que les
fabriques ; cts quotes seraient annoncees an prone.
Les biens e! rentes appartenant aux bureaux debien-
faisance feraient parlie de leurs ressources ; on poin'rait
leur attribuer les amendcs de police, la part que tou< bo
le gouvernement dans L' produit du travail dcs niaisons
centrales de detention, et meme les arrerages des rentes
sur I'etatqu'ellesont acquis avec cenieme produit.
Je n'entrerai point dans les details des niesures a
prendre pour la distribution des secours dans les villes
et les communes tres-populeuses : d'autres s'en oc-
cupent , et doivcnt arriver h d'beureux resultats. Je
n'ai eu pour but que de demontrer la neressite dc re-
mettre en vigueur les lois relatives a la mendicite, et d'y
ajouter toutcs les dispositions necessaires pour faire
entieremmt disparaitre ce fleau , qui est un acte d'ac-
rusation contre le gouvei nomcnt qui le tolerc; ovi plulot ,
j'ai crn devoir appeler Tattention de I'AcadtMnie sur uu
su;etdi.;^nede la sollicitudede tons les amis derhumanite.
ERRATA.
Page 3C0, ligne 18 en descendant. Au lieu de, par (outes les di-
rections, lisez: pour loules les directions.
Page 362, lignes 2 cl 3. Au lieu de, la surface des liquides, Use*:
la surface du llquide.
Id. ligne 13, Au lieu de, s'abaisser , lisez : I'abaisscr.
Page 366 , ligne 23. Au lieu de , la mobile , lisez : le mobile.
Page 370, ligne 19. Aulien de,cesrecherches, //if z; ses recherches.
Page 371, ligne 12. Au lieu de, sa ligne droife, lisez: la ligne droite.
Id. ligne 16. Au lieu de, dans des mouvemenls, lisez: dans les
mouvemenls.
Id. ligne 22. Au lieu de , par le rapport, lisez : par ce rapport.
Page 372 , ligne 20. Au lieu de, rayons tutcurs , lisez : rayons
recleurs.
Page 373, ligne 7. Au lieu de, la formule g^n^rale, lisez: sa for-
Hiule g6n6rale.
Id. ligne 16. Au lieu de ces mots : de hautes speculations, lisez :
ces hautes spi^culalions.
Page 374, ligne 11. Au lieu d«, dans toutes les courbures, lisez:
dans toutes les courbes.
Page 375, ligne 1. Au lieu de, rayon de la courbure, lisez : rayon
de courbure.
Id. ligne 2. Au lieu de , cela pass6 , lisez : cela pos6.
Id. ligne 28. Au lieu de, sur deux plans diITi5rents, lisez: sur des
plans dilTgrcnts.
Page 376, ligne 1. Au lieu de, des concours, lisez : du concours.
Page 377, ligne 15. Au lieu de, deux rayons recteurs infiniment
voisins sur Icsquels, lisez: deux rayons vecteursinflniraentvoisins
suivant lesquels.
Page 380, ligne 12. Supprimez d'abord.
Page 381, ligne 8. Au lieu de ces mots : et attir(?s, li.iez : el all^rds.
Page 381 , ligne 25. Au lieu de, ni mfme fail senlir , Uscz : ni
mieuxfait senlir.
mm
STK I.ES
(EUVRES D£ VARIGNON ,
Par M. SeiLMlDT,
Professeur de Mathemaliques speKiaicsau College myal df C.u-n.
s©s<
Qiiaiul on parcoiirl rhisloire pour y siiivre les pio-
gies des soieiK cs , l'es|)rit s'airelu oloniic ei presence
(It's granules decouvcrU's doni leiir doniaine s'est enri-
(bi pendant le XVIT. siede. Le debut do ce siecle fut
line epoque de fermentation intellecluelle ou Ton \it
le genie buniain s'agiler dans loutes les directions ,
aborder tons Its travaiix qui apparli«nnent a la pcns6e
et se signaler par les plus beineux resullals. De lant
d'effortssortirentces Ibtioriesgeiit'ralesel fecondes, (jui
depuis se sont accrddilt^es sans retour dans la science ,
el qui se mainliendronl A (ravers les Ages coranie autant
de foyers luniineux vers lesquels la raisnn se tournera
toujours pour en emprunter la clartc. Les matbenia-
liques surtout y prirent un essor si eleve tjue, tpielle
que soil la perfection A laquelle elles puissent arriver
jamais , une grande partie tie la gloire en rejaillira
toujours sur le si(icle qui a ouvert si niagniliquement
356 NOTICE
la carricie. Je vals m'arriMer A la finde cede pi^riotle,
non point pour passer en revue les produils divers que
la pensee pbilosophique a pu lui fournir ( Tentreprise
serait immense et au-dessiis dc nies forces) ; mais afin
d'analyser Ics travaux d'un geometre dislingiie , que
cette ville a produit comnie pour porter a la sfience
un tribut que la Normaudie ne lui a jamais refuse.
Je sais combien I'Academie s'interesse i toutcs les
recbercbes qui out contribuc i ragrandissement des
connaissances bumaines : c'lst dans cclte pensee que je
lui presenle cetlc nolite quelqu'imparfaitc qu'el'.e soit.
Pierre Varignon naquit a Caen en iG54. Sa vie, en-
tierement vouee ti I'etude et a la meditation , n'offre
aucun de ces evenemenls piquants dont le recit seme
au milieu des details d'une anahse scientiflque, en (eni-
pere la gravitej mais elle est bien propre i montrer
comment le merits , h force de conslance , parvient a
sorlir de I'obscurite qui I'cnvironne ,et finitpar s'elever
a lous les avantages que les societes accordent k celui
qui les sert.
Quand 1 bommeporte en lui une inclination nalurclle
bien deferminee, il ne larde pas i saisir son objel des
qu'il se presentc. Un cadran solaire quelejeune Vari-
gnon apercut dans Talelier de son pere , arcbitecte-
enlrepreneur , fixa ses premieres meditations ; une
geomelrie d'Euclide trouvee quelque temps apres dans
la boutique d'un libraire, acbeva de diriger son ima-
gination vers les etudes positives. It fut ebarme de
I'ordre , de la clarte et de Tencbaincmcnt des verites
geomelriques , et son cnlliousiasme pour la science
s'accrut encore quand il eul entre les mains lesouvrages
SLR LI'S OEIVRES DE VARIGXOX. 35;
tie Descarlos. Apr^s avoir aclievc ses Etudes de college,
il passa en llieologie, pour sc confurmer au desir de ses
parenls qui le destinaient k I'etat ecclesiastique. C'esl
Ici (ju'au milieu des discussions scolasliqucs , il mnnut
Tabbe de St. -Pierre ; un goat commun pour les sciences
les lia bienlut d'amitie , et cette liaison eiit une grandc
influencesur la fortunede notregeoinetre. L'abbe, pour
jouir exclusivemcnt de la societe dc son jeune ami ,
voulut le loger cbez hii , et , peneire do plus en plus dc
son nierite , il lui ceda une parlie de son niodique re-
venu , afin de le mellre en etat de devclopper plus
facilenient ses talents.
En 1G86, ils vinrenl s'etablir i Paris, dans une petite
inaisnn du faubourg St. -Jacques. C'esl la qu'au sein
d"ur.e profonde amilie, ils se livraientTun et I'autrei
la culture des sciences: l'abbe s'abandonnait i des re-
flexions sur I'bomme , la morale et la politique ; quant
a Varignon , il s'etait enfonce tout enlier dans les ma-
thematiques. II passait ainsi les journees entieres au
travail , qui semblait un delassement pour lui , car H
etail de ce temperament aclif et opiniAtre qui se com-
plait dans les diflicultes que suscite la recherche des
verites abstraifes, ct il no manquait ni dcla perseve-
rance ni de la penetration qui en font triompher.
Une application aussi constante devait produire des
fruits , el en effet , en 1687 , Varignon se fit coiniaitre
en donnanl au public sous le litre de Pro/et d'ltne nou-
K'clle Mccanique , un livre dont il fit hommage a TAca-
demie royale des Sciences. Get ouvrage,qui fut accueilU
par d'unanimes applaudissenienls , \alul a son auteur,
Taunee suivante , le litre d'academicien wt la cUaire de
358 NOTICE
nialheriialiques a;i college Mazarin , qui n'avail point
t'ricoie 6(6 occupee avai.l lui.
Je ni'arrele Ace prcniitT ei'rit,qiii i(>i)an<IH imc \ivo
Inmiere si:r la niikaiiiqiie, el crea line re[)iilalio!i jjiil-
lante an nialheniatiiiea de NormautHf- Avaiit (pi^il
jiarul , les conuaissaiucs (!i's geoiiietres eii slaliciue se
lediiisaienl a peu pies au piincipe du levier, lei (pi'Ar-
(h'mede en a\a!l doune la demonslialion : aussi cLer-
cLaieut-ils a v ranieiier de <t''6 ou deforce la pliipai t
(Jes autres machines. Deux honimes celebics, Descailes
el Wallis, en prenant im auUe route, etaienl |)aivenus,
il est vrai , a decouvrir les usages des princijjales ma-
chines , sans elie obliges de les faire dependre Tune de
I'aulre ; mais leius piincipes, quoique phis etendus et
plus convaincanls , iie pouvaient n6anmo;ns eclaiier
beaucoup. Ledefautde toulesces nielhodes piovenailiie
ce que leurs auteurs s'allachaient plulcU a pronver la
necessite dercquilihrc dans les casoii il alien qu'a mon-
trer la nianiere donl il s'etab'il. Pour lever la difliculle,
Vaiignon suivit une inarche qui decele loule la saga-
city d'un esj)rit si.perieur : il prit le parti d'epier lui-
menie la nature, et d'essayer si, en la suivanl pas a pas,
il ne pour ait pas apercevoir comment elle s'y prend
pour faire que deux forces egales ou inegales demeurent
en equilibre ; en un mot, il chercha Tequilibre dans sa
source, ou pour mienx dire dans sa generation , el il
parvinla son bat, en s'appnyant sur le princi[>e de la
composilion du mouvcnient , coniiu depuis tres-long-
temps, etqu'il euirheureuse ideed'elendrei\reqiiilibre.
Le premier objel sur lequel il lixa son allention fill
un poids qa'tine force relii'ul en equilibre sur un plan
SLR MiS OEIVRKS DK VtniGXOX. 35()
ii;cline , en imaginaiit los directions de la puissance el
dii poids coinme prolongecs jusqu'A leur point de con-
cours. II vit d'abord que si le plan venait tout-i coup
A eire enleve, le corps suivrait rinipression de ce point
el se dirige: ait par consequent suivant la diagonale du
parallelogramme des vitesses ; puis il reniarqua qu'en
letablissant Ic plan dans la position qui produit Tequi-
libre, le niouvcnienl qui avait lieu degenerait en iiue
simple pression , et que tout ce qui elait vrai du niou-
venient Telait aussi de celle pression. C'est ainsi que
du concours d'action de la puissance et du poids , il \ it
nailre une impression composee suivant la diagonale
et delruile par la resistance du plan perpendiculairc a
celle direction.
Voila les considerations A I'aide desquelles Varignon
parvint d un des principes les plus feconds de la meca-
niqiie rationnelle, celui du parallelogramme des forces.
(Quoiquc la premiere idee dece principe seniblc renion-
ter a Slevin, malLemalicicn du siecle antcrieur , on ne
peul neanmoins refuser a Varignon le principal honneur
de la decouvcrle; ce ful lui , en effet, qui lepremierle
posa clairement comme le fondement de la slalique.)
Sans doute , ii eut ele preferable de le demonlrer sans
recourir aux idees de mouvement, car les lois de Tequi-
libre ne supposent aucune relation particulieie enire
les forces el les vitesses qu'ellesinipriment , et jiour re-
soudrc tous les prisbleines de stali(j(ie, il sutlil de coii-
nalt! e le rapport des forces. En outre, le principe de la
|)roportionnaIite des forces aux vitesses sur lecpiel il
s'appuie,ne doit pas ("tie regarde commo nnepure hypo-
Ihese: il est susceptible d'une demonslralion, mais ellc
est lout-;Wait du ressDrt de la dvnaniicpie.
36o NOTICE
Toulefois , le priiu-ipe une fois pose , Varlgnon s'en
empare avec succes : on en voit sorlir ime longiie suite
de v^riles , les conscijiuMices n'ont rien do foi( e , elles
s'enchaincnt Tune i I'aulie dans un ordre i la fois sim-
ple et naturel.
D'abordil demontrc par sa methodeel sans le secours
d'aucune machine , coninie on le pratiquail avant lui ,
les proprietos des poids suspendus par des cordons ,
quels que soicnt leur nombre et Icurs directions ; de la
il passe a I'cquilibrc des poulies fixes ou mobile*, soUi-
citees par des forces que'.eonques ; puis il considerc ua
corps qui s'appuie sur plusieurs surfaces. Mais an lieu
d'une demonstration applicable seulement au cas parti-
culier de deux plans inclines, il en Irouve une qui
s'etend a (oute sorle de surfaces , quelles que soienl
d'ailleurs les directions des forces ; enfin il expose les
proprietes de toutes les especes de Icviers, de quelque
figure qu'ils soient , par loules les directions possibles
des puissances.
Son dessein avait et6 d'abord d'expliqner par sa
(beorieles effels les plus surprenants des machines com-
posees que Ton rencontre dans les arts et dans la nature;
mais il se borna dans son premier ouvrage i presenter
les propositions fondamentales de la statique , son but
6tant alors uniquemcnt de connaitre le sentiment des
geomelres sur la marcbe qu'il avait suivie. Toutefois
il ne rciion(;a pas c\ son premier projet. Encourage par
le succes , il voulut faire un Iraile complet sur la
science de I'equilibre, et, ferme dans sa resolution, il nc
cessa de reunir tons les doeumens que I'experience put
Ittifournir. Mais la mort Tatleignit avant qu'il cut mis
Sru I.KS OELVUES DK VAUKINO??, 3l) l
on ordre lo r^sultat lie ses rcchercbes. Ce fiil rillustre
Fonlenelle, a qiii Varignon legiia Ions ses papiers, qui
chargea M. de Beaufort , nionibrc do lAcademie des
srionccs , du soin de les grouper dans Tordre on Ton
pouvait penspr que I'auleur les out disposes; et , ea
1 7?5, partit un Iraite de stalique en deux volumes sous
le litre de JVoin'clle IfJecanique.Les usages des machines
T sont developpes avec de longs details ; on y trouve
un tres-grand nombre d'exemples semes au milieu dt^
la Ibeorie ,peul-etre memeavec une profusion nuisiblc
i renchainesneiit des propositions [(fincipaies , et que
I'auteur eut sans doule evilee. 11 scnibie , comme le
dit Ihislorieu des matbematiques , qu'on ait voulii
reellemcnt enlever au lecleur le plaisir de trouver un
S3ul cas particulier.
Apres avoir parle avec quelquc detail de la premiere
production de noire geoniefre , je vais maintenanf
aborder ia longne serie de Memoires publics sous son
nom dans le recueil de I'Academie des Sciences. Dans
I'expose que je ferai de ses Iravaux suivis p;esque sans
interruplion pendant plus de \ingt ans et presentes
dans plus de cinquanle ecrits divers , on comprend que
je nc puis nratlacber qu'nux resullats principaux , aux
recbercbes les plus importanles. Ainsi je passerai sous
silence plusieurs questions de geometrie dont il donne
la solution , la melbode qu'il indique pour resoudre
Tequalion du (roisienie degre par une simi)le transfor-
mation eri'ecluee sur son j)remier terme , Texplication
qu'il donne . d'apres les principes de la niecanique, sur
la nianiere donl les niusdes produis(>nl ci-rlains mou-
venients, J'insislerai peu sur le prorede general qu'il
3G2 NOTICE
invpnte prur gradiicr Ifs cic])?} tiros oii lioilogcs d'cau,
r'esl-A-dire pour Irouver los points ou la surfaco c'os
liquidcs arrive par son abaisscmenl conliniiel on cer-
laiiis lemps , connaissanl la figure tlu vase ct la loi
siiivanl laquolle varie la vilesse d'eioulemcnl. U donne
une forniule geomctriqiic telle que, la forme dii vase el
la vitesse de Teau etant delerniinees a volonte , on en
\oit naitre neccssairemonl la graduation de la clep-
sydra. Reciproqitement , si Ton sail comment la clep-
sj'dre est graduee et quelle est la vilesse de I'eau , la
raeme formiile fait connailre la fignre du vase. La ques-
tion une fois elevee A ses termes Ics plus universels , il
n'y a plus (\uk s'abaisser aux cas particuliers. Par
exemple , il en fail sorlir avec une extreme facilite la
solution d'un problrme celebre qui avail ethappe k
Toricelli, et que Mariottc n'avait trouvee que par une
melhode limitee a ce cas particulier ; il consiste a re-
cherchor quelle doit clre la figure do la clepsydre ,
pour qu'en supposanl les vilesses d'ecoulemenl commc
les racines carrees des bauteurs , suivanl la loi de
Galilee , I'eau s'abaisse de quantiles egales en temps
egaux ; il trouve ainsi que la clepsydre de descenle
imiforme est celle qui a pour generatrice une parabole
bicarree.
Dans Tbisldire de lout autre , il faudrait s'arreter
encose sur plusieurs travaux inleressanls; niais, de peur
de tomber dans ime trop grande prolixite , jc passe
inimediatemenl a I'examen des beaux Memoires qui
onl le plus cor.lribue au progres de la mecanique et i
I'accroissement de sa reputation. Les unscomprennent
latheorie romplele du mouvemenl soil rocliligne, soil
SI K I.ES OlilVltL'S l)U VAIUG.VON. 3bJ
<iij'vilinne ; Icsaiilrcs tiailenl do la rc'sislancc qii'op-
poscnl Ips fliiides aux corps qui !rs (lavorsent.
Diuis cos rechorcbos , il fil usage do cellegeoniolric
iiifinitcsiiiiale ilor.t Ics niatlicmaliquos elaicnt dopuis
pcu redevaldes au genie de Leibiiilz , cl on pout din;
(jii i! contiibua puissaninienl a la rcpandrc en monlrant
tout le parli qu'on pent en lirer pour la solution des
baules questions de I'analyse.
On sail que, dans un niouveinent uniforme, la vitesse
est un rapport de Tespace au temps ; mais si le niou-
vcmcnt est accelere comme cehii d'un corps pesant
(jui tombe dans Tair, ou relarde < oninie ( elui de Teau
qui sort par one petite ouverlurc praliquee dans le re-
servoir qui la conlient, alors la vitesse cbange i cbaque
instant ; neaninoins elle peut encore s'exprimer par
le nit nie rapport, pourvuque Tespacoolle temps soient
reduiisa I'iiifininient petit : c'est ce qi:e Varignon fait
voir par Us considerations suivantes. La vitesse en
vortu de laquelle un espace innnimcnt petit est par-
couru dans un temps inGniment petit, est une grandeur
fntie , car die est le rapport de deux inrmimenl petils
de mrnie o. dre , ct il e^t clair que si W space et le temps
decroissrnl proporlionnellement leu; rapport ne derroit
pas pour cela. .Mais il n'en est pas do raugmenlalion
de la vitesse coanne de la vitesse elle-m.'me ; car une
vitesse qui recoiti cbaque instant des augmentations du
memo genre , toujoui s dep 'udantes de la nieme cause ,
est moins augmenlee dans un tenq)s plus court que dans
un lenqisplusloFig .et , par const'tpient , dans un temps
innnimcnt pftil,son atcroissement ne iicut «'lre(prin-
iiiiiui(>nl petit. Or , une grandeur tinie est iiJininient
3<»4 :>t)TifE
gratulc par rapporl a iin infinimcnl pcli( ot il!e iTcsl
ni aiignienlt'c ni diminuoe qiiand eel inriniineiU polit
y esl ajiMite ou en est retrancbo, et par suite la vilcsse
O'lm inslant doit elre regardec comme uniforme pen-
dant cet instant , puisqiic son auginenlalion n'est A
compter pour ricn par rapport j\ elle.
A la faveur de celteuniformite si habilement trouvee,
Ics mouvemenls varies rentrcnt dans la meme regie que
los mouvements unifornics , pourvu toulefois que les
cspaces et les temps soicnt infinimcnt petils , et alors
on voit que de ccs trois cboscs , cspace , temps , vitcsse,
deux etant donnees, ou seulement leur rapport, la troi-
sieme s'eii deduirait dans les mouvements varies conmie
dans les mouvemenls uniformes. Comme application de
cctte theorie du mouvement rectiligne , Varignon re-
cherche les lois de la chute des corps. Deux ans apres, il
fit a ce premier Memoire , presente en i6g8 , une ad-
dition considerable , en introduisant dans son analjse
les forces centrales , c'est-a-dire des forces toujours
appliquees, qui portassent ea ligne droite vers un cer-
tain point ou en eloignasscnt le corps en mouvement.
Telle est I'idee que Ton a de la pesanteur. Les vitesses,
les espaces et les temps combines ensemble, nepeuvent
fournir que trois rapports ; mais, en y ajoutant la force
centrale, il en pent resulter six. L'auteur dispose tel-
lement sanouvelle mcthode, qu'il ne faul encore qu'ua
seul de ces rapportspour en deduire les cinq autrcs, ou,
ce qui est la meme chose , chacun d'eux etant repre-
sente par les abscisses et les ordonnees d'une courbe ,
si Ton doiuie uiie seule des sixcourbes, les cinq autres
s'en di'duisent facilemenl. A cet effet, il calcule la force
SCR LES OECVRES DE VARIGNON. 365
centrale denianiere qu'elle ne renfeimedans son expres-
sion que des vitesses ou des temps ou des espaces , et
par ce n»oycn Ic nombre des elements qu'il fallait con-
naitie dans la theorie precedente n'augmente point,
tandis que le nombre de ceus qu'on en pent dcduire se
Irouve augment^ de la force centrale. Voici comment
il arrive a son but. D'apres Galilee , les espaces par-
courus par une force constante et continuellement ap-
pliquee etant proporlionnels aux carres des temps
employes k les parcourir , il s'ensuit que ce rapport
constant est la mesure de I'effet qu'elle produit, et que
par consequent 11 pent servir a la representor geomelri-
quement. II nc s'agil done plus que de determiner quel
est I'espace parcouru en vertu de la force centrale. Or ,
nous avons vu tout-a-l'heure que I'espace decrit dans
un temps infiniment petit, en vertu de la vitesse acquise
ciit infiniment petit , et que dans ce meme temps I'ac-
ci oissement de la vitesse est aussi infiniment petit par
rapport a cette vitesse qui a une grandeur finie. II suit
de la que le nouvel espace parcouru en vertu de cet
accroissement de vitesse sera infiniment petit par rap-
port au premier , et que par consequent il sera infini-
ment petit du second ordre. Ainsi un espace infiniment
pelil du second ordre , divise par le carre du temps ,
exprimerala force centrale quelle qu'elle soit, et comme
dans cette expression il n'entre que des espaces et des
temps , on en deduira facilement la vilesse.
Cette theorie est bien propre i montrer toutc la fe-
condite dela melhode infinitesimale. On voit, en effet,
par les exemples qu'on vient de citer , qu'il j a des
rapports insaisissablcs, si Ton nepoursuit les grandeurs
24
3GG NOTICE
jusque dans leurs elements. Ainsi, tandis que, dans un
mouvenienl uniforme,la vitesseesl le rapport derespare
au temps exprimes en qiianliles finies , il faut , pour le
mouvement varie , chercber dans les elements de ces
deux grandeurs ce rapport qui n'existe point enlre ces
quantitcs considerees dansleur ^tendue Gnie. Et lors-
qu'on veut avoir la force centrale , ce serait vainemenl
qu'on chercherait le rapport dans les infiniment pelits
du premier ordre , il faut percer jusqu'au second ordre.
Ainsi la geometrie infinitesimale multiplie les rapports
des grandeurs et en fait naiticde nouveaux,
Jusqu'ici Varignon n'avait considere que les mouve-
ments faitsetiligne droite j niais commc , dans les re-
cherchf s scicnlifiques , la principale difficulte consiste A
trouver la bonne route , il n'eprouva aucune peine h
etendre sa theorie aux mouvements faits en lignes
courbes, qui ont lieu toutes les fois que la force ou la
resultante des forces appliquees au mobile n'agit pas
constamment dans la direction de Timpulsion initiale.
La geometrie des infiniment pelits permettant de
ramencr a I'uniformite tous les mouvements varies , la
vitesse dans un mouvement curviligne sera le rapport
d'un element de la coiirbe decrite par la mobile A un
temps infiniment petit, au lieu que, dansle mouvement
rei tiligne, elle etait le rapport d'une portion infiniment
petite de la droite A un temps infiniment petit.
Comme application de cetfe premiere regie et pojir
en faire comprendre I'usage , Varignon considerele cas
d'nn corps qui tombe le long d'unc cycloide rcn versee, ot
laparcourt dcpuisun point quelconquejusqu'd son point
le plusbasjil trouve ainsi, comme on lesavaildejd, que
SCR LES OEUVRES DE VARIGNON. 367
Icstempsdela chute sonl toujours les m(5nies.Il recherche
ensuite quelle hypolhese d'acceleration de vitesse a ete
necessaire pour donner ^la cycloide celte propriele, et
il retrouve avec la meme facilitc que c'est Thypolhese
de Galilee , dans laquelle les vitesscs sont comrae les
racines carrees des hauteurs. Mais il s'eleve beaucoup
plus haul en tirant desa regie I'cquation generalc d'une
courbe le long de laquelle un corps tombant s'approche
ou s'eloigne de Thorizon , selon telle proportion des
temps que Ton voudra , et quclque hypothese que Ton
prenne pour I'acceleration de la vitesse. Introduisant
ensuite dans sa formule generale I'hypothese de Galilee
et la condition que le mobile s'approche egalenient de
rhorizon en temps egaux , il tonibe sur la solution d'un
probleme qui avail arrete les meditations de Leibnitz
elde Bernouilli , et qui n'est ici qu'un simple cas parti-
culier. La courbe qui satisfait au prob!eme est une
secondc parabole cubiquc j elle a cela de reraarquable,
que le corps qui la doit decrire pour s'approcher de
I'horizon en temps egaux, ne peut pas la decrire des le
commencement de sa chute. II faut qu'il tombc d'abord
en lignc droite d'une ccrtaine hauteur , et ce n'cst
qu'avec la vitesse acquise par celte chute , qu'il peut
s'approf her egaleraent de I'horizon en temps egaux.
Tout ce qui precede ne concerne que la chute dos
corps prise par rapport h I'horizon ; niais le Memoire
qui nous occupe comprend encore , pour toutes les hj-
pothcses imaginables d'acceleration dans les corps qui
fombent , I'cxprcssion generalc des courbos qu'ils
devraient aussi dicrirc pour s'approcher ou s'eloigner
egalement eii temps egaux de tout autre point quel-
3GiB NOTir.ii , .,_.
conqiio pris (hms !e I'Uui de clincuno, c'e cos roiubos. Eii
faisanl ptisuile ornipcr ;\ re point differentes positions,
jl arrive ;\ jjhisiours circonstantes roniarquables ; par
exemple, en le suppusant iiiCniment (iloigne suivant uno
ligne horizonlale , ia parabole ordinaire se trouve ('Ire
la courbe suivant la convexile de lacpielle un corps toni-
hant s'^loignerait de son axe vertical cgalenient en
temps eganx , ce qui est precisement ce que Galilee
avait suppose pour prou^er que celte courbe esl celie
que decriraient les corps graves jetes borizontalement
dans le vide. Les cbcinins que cos deux geomelres ont
pris jK)ur arriver k la meme consequence sont si dif-
ferenls, qu'on est presque surpris de les voir arriver au
ineme resultat. C'esl !a Tavanlagc des melhodes gene-
rales : unc courbe line fois trouvco pour salisfaire h
cerlaines conditions d'un probleme, se cbange ensuite
en differentes autres courbes i chaqne inodificatfon
que Ton apporte dans les conditions. Ccs transforma-
tions sont un des plus beaux spectacles que puisse offrir
i I'esprit la geonielrie speculative ; et , quand elles
ramenent A dos propositions dejA connues , c'est un
surcroit d'assurance qu'on avait suivi la bonne route.
Apres avoir montre Textrcme fecondite de la regie
des niouvemenls curvilignes , prise dans sa premiere
simplicite , Varignon lui fait acquerir une grande
extension en y joignant la consideration des forces
centrales dirigees vers un point fixe , ainsi qu'il Tavait
deja fait dans les mouvcments rectilignes. Avant d'en-
trer dans les details de ces nouvelles rediercbes , il
ne sera pas inutile de jeter un coup-d'ceil rapide sur
les ininiortels Iravaux des geomelres qui I'ont precede
dans la carricreou nouslclrouvonsmainlcnant engage.
sin I.US OEIVUES DE VAlUti.NOX. 36)
Avanl llii\t;,hi'ns , (oiile ia lli6oric ties mouvenK'iils
ciii'^ilignes se reduisail in ce que Galilee avail autrefois
ilenioiilre suf la courbure du theniin des projectiles
soiiinis i una force agissant uniformement et dans
ties directions paiallelcs ; mais les recherches appro-
fondies de ce savant matheniaticieu sur les forces cen-
trifuges lepandireut une vive luniiere sur cet important
sujet.
Tout corps en mouvement tend k prendre une dire* -
tion rectiligne. Si done il est astreinl A s<; niouvoir cir-
cuiairenieiil autour d'un centre , il fautqu'il cxisfe une
cause qui , le detournant a chaque instant de la lignc
(iroite el le ramenanl vers le centre, Ten ticnnc toujours
egalemenl eloigne. Si colte cause cessait , au3sit6l il
s'e*:happerail par la tangenlc du cercle qu'il decrit, el
s'eloignerail de plus en plus du centre de rotation.
Mais il est dair qu'oii ne saurait ecarter nn corps de
sa direction naturclle sans en eprouver une resistance
en sens contraire. Done la force qui raniene sans cesse
le corps sur la circonference doil eprouver celte resis-
tance : c'est eel effort contraire qui , considere comnie
leifcl de I'inertie du corps el conrme tendant i I'ecarter
(hi centre, est nomnie force centrifug;\ La force opposee
(|ui le ranienc sur la route curviligne est appelee force
ccntripete , el on les designe toutes deux sous le nom
conimun de forces centrales. Dans le mouvemcnl circu-
laire, elles sont egales , car , puisque le corps reste k la
lUi'me distance du centre , il faut neccssairenicnl qu'e'les
sc contrebalancenl ; niais il n'cn est plus ainsi dai!s les
niouvementS(juionl lieu sur d'aulrescourbes. lluygbens
est le premier qui donna la niesure de celte force en la
3;0 NOTICE
deduisanl delaconsideialion du mouvcment circulaire,
et sa demonstration est trop connue pour que nous nous
y arrelions davantage. Quand on s'est eleve jusqu'au
point oil il est parvenu, on est etonne de voir qu'il n'ait
point pousse phis loin sa decouverte , car i! n'avait
reellenient qu'un pas a faire pour conclure immediate-
ment la niesurc de la force centrifuge dans une courbe
quelconque. 11 etait reserve au genie de Newton de le
franchir : ce fut lui qui , cnvisageanl le probleme des
mouvementscurvilignesd'unemanieregenerale,assigna
les lois suivant lesquelles ils s'executent , ct fit voir
comment la force centrale varie dans Ics differcnts points
de la courbe. L'applicalion qu'il en fit ensuite aux sec-
tions coniques , le conduisit h la belle decouverte qui
a jete lant c''eclat sur sa carriere scientifique, et qui a
fourni i rastronomie les verites les plus remarquables
et les plus utiles pour le syslerae de Tunivers.
Varignon , guide par eel esprit de generalite qu'il
appo; ta constammcnt dans toutesces recbercbes,reprit,
en 1700, toute cetle theorie, etlui donna un caraclere
d'universalite qu'elle n'avait point encore acquis. Ap-
pliquant la force centrale i toutes les courbes possibles
et la rapportant a un centre quelconque , pris soit au-
dedans , soit au-dihors de la trajcctoire, il delcrmina,
toujours par la geonietrie infinilesimale , quelle est
I'inegalite d'aclioa de celte force ^ chaque point de la
courbe oii se trouve le corps en mouvement.
Je vais donner une idee de ta marche qu'il suivit
pour arriver a I'expressian geonietrique do celte force.
Dans un mouvcment curviligne , les forces cen! rales ,
quoiqueconstantes en cUes-memes, ont une .action ine-
SIR LES OEIVRES DE VAKIGNOX. 3j i
gale, selon que la direction suivanl laquelle elles solli-
titent le mobile est plus ou moins oblique par rapport
^ I'elenient de la courbe decrit pendant chaque instant^
car que Ton imagine une force de cetJe nature agissant
dans la direction nienie suivant laquelle le corps se
meut , il est clair qu'elle n'a alors nul pouvoir pour
lui faire decrire une courbe , et que tout son effet se
borne k accelerer son mouvement ou k le retarder, selon
qu'elle agit dans le sens ou il se meut ou dans le sens
oppose. C'est done seulement lorsquesa direction tonibe
entre ces deux limites extremes, qu'elle pent delourner
le corps de sa ligne droile , et moins sa direction est
eloignee de I'un ou de I'autre de ces termes, moins elle
agit avantageuscmenl pour faire decrire la courbe. C'est
lA toute la difference des forces centrales considerees
dans des mouvemenls curvilignes. Ainsi I'effet de la
force centrale varie en mcme temps que Tangle que fait
k chaque instant sa direction avec celle du mobile, et il
est facile de reconnaitre que rinegalile de Taction peut
s'exprimer par le rapport d'un element de la courbe
a un element de la droile suivant laquelle est dirigee la
force centrale , en sorte qu'il sullit de multiplier par le
rapport Texpression des forces centrales (jui convient
aux mouvements rectilignes pour avoir celle qui reprc-
sente les forces centrales des mouvements curvilignes .
La formulc ainsi obtenue ne contient encore que des
espacesetdes temps, et, par consequent, il n'csl pas ne-
cpssaire de connaitre plus de choses pour avoir cetle
force avecles inegaliles deson action, que pour Tobicnir
quand elle agit par une mcme ligne droile. Son auleur
en fait Tappliculion a dilferenles courbcs ct cbeicbo
372 WOTICE
quelles forces centrales doivent en r^sulter ; il cboisit
principalemenl pour exemples ceiix que Newton a traites
dans son livre dcs Principes , et il fait voir avec quelle
facilite sa regie les expedie. Mais ce qui donne surfout
de I'eclat k sa recherche, ce sont les consequences qu'il
en tire pour I'astronomie et les differents syslemes des
cieux. Les anciens astrononies donnaicnt aux planetes
des vitesses uniformes sur les orbes circulaires qu'ils
leur faisaient decrire. Copernic nieme ne pensait pas
qu'il put en etre autrement ; de sorle que , pour en
expliquer les inegalites , ilsont ete forces de reiourir
h des excenlriqiies et a des epicjTles. Maisensuite sont
\enus des astronoines qui , avec des notions de physi-
que plus etendues , n'ont fait aucime difficulte i faire
niouvoir les planetes avec des vitesses differentes pour
chacune et mcnie A changer leurs orbes circulaires en
orbiles ellipliques dont ils ont assignc deux esp^ces.
La premiere est celle de I'illustre Kepler , c'est I'ellipse
ordinaire; la seconde est celle de Cassini, dans laquelle
le produil dcs rayons tuteurs nienes d'un point de la
courbe k ses deux foyers est constant , tandis que dans
Tellipse ordinaire, c'est la sonnne de ces droites qui est
invariable. Varignon passe successivement en revue ces
divers syslenics d'astronomie j il commence par celui
de Kepler etdc Newton, et relrouvelaloi deratlraclion
en vertu de laquelle les forct'S centrales ou pesanteurs
des planetes vers le soleil varient en raison inverse i!es
carresdes distances. Puisilexaminedivcrses hypotheses
I'aites par les aslronomes de son epoque. Abordant erifin
les suppositions des anciens, il demontrc que si, d'apres
les observations , le mouvemcnt des planetes est reel-
SUR LES OELVUES DE VARIGNON. 3;3
lenient iii<^gal , il est absolumont impossible (lu'olUs
decrivent dos cei'cles , ainsi que le pcnsait Copornic ,
et il fait voir que , pour leur donner un niouvement
ogal sur quelqu'autre courbe, il faudrait admcKre qu'a
fbaque instant de leurs cours , elles tcndissenl h un
centre different. Telles sont les consequences princi-
pales qu'il tire dela formule generale. Cinqans apres, il
revint encore sur les forces centrales desplanetes,pour
y comprendre les mouvcments de leur aphelie ; mais
la niecanique des cieux n'efait point encore assc/ avan-
cee pour rendre raison des inegalites planetaires : la
gloire en etait reservee A d'autres geomdstres , parnii
Icsquels la Norniandic compte avec ergueil riUusIre
Laplace.
Apres s'etre elev6 , par la tbeorie inOuitesimalc , h
de baulcs speculations , Varignon , pour monlrer en
quelque sorte toutes les ressources de cette tbeorie ,
resolut d'arriver par unevoie nouvelle aux veritc^s qu'il
avait deja demontrees.
Si Ton concoit une courbe enveloppec d'un fil dans
laute son etendue et qu'on deroule ce fil en le prcMUint
jjar une extremile de inaniere qu'etanl loujours tcndu
en ligne droite , il reslepar son autre extr^mite tan-
gent A la courbe , il decrira par son premier bout uno
autre courbe , par rapport A laquelle la premiere s'ap-
j)elle la developpee. La portion du fil comprise enlrc
son point de tangence sur la developpee et le point cor-
lespondant oii elle se termine sur la courbe nouvelle J
l»orle le iiom de rayon de la developpee. On le design;!
ainsi parce qu'en effet , il pent elre considere conimo
decrivant i chaque instant un arc de cerde iidlnimtMit
pelil.
374 NOTICB
On voit par \k que loiite combe peut 6tre regardee
conime etant le developpement d'une autre et coninie
composee d'arcs circulaircs dont chacun a deux ele-
ments de communs avec elle ; les ceccles auxquels ils
apparliennent se noniment cercles osculateurs, et Icurs
rayons , qui sont les rayons memes de la developpee ,
se nomnient aussi rayons osculateurs ou rayons de cour-
bure , parce qu'ils servent a incsurer le degre de cour-
bure en chaque point de la courbe. Or, il existc un
rapport d'infiniment petits qui fournit immedialcment
les rayons de courbure dans toutes les courbures possi-
bles. Varignon , par la methode infinitesimale , trouve
pour leur expression plusieurs formules differentes ,
mais parfaitement equivalentcs, etqui, seulement dans
les applications particulieres , peuvent avoir quel-
qu'avantage Tune sur Taulre pour la commoditc du
calcul. II decouvre ensuite un moyen de passer de la
connaissance de ce rayon a celle de la force ccutrale ,
de sorte que , connaissant le rayon de la developpee
d'une courbe quelconque , on en deduit la valeur de la
force centrale d'un corps qui, ladecrivant, se trouve au
point ou ce rayon se lermine, et, reciproquement, con-
naissant la force centrale, on oblient le rayon de cour-
bure. II est facile de comprcndre connnent s'etablit cette
relation. Puisqu'unj courbe quelconque a toujours deux
elements de communs avcc son ccrcle osculaleur , il
est permis de supposer que, pendant un temps infiniment
petit , le mobile qui la decrit se meut circulairement
autour du centre dc courbure ; done il doit avoir la
force centrifuge qui couvienl a ce dernier mouvemcnt,
laqucUo s'exprime , d'aprcs lluyghcns, par le rapport
sua LES 0EUVRE9 DE VAKIONON. 3^5
du cane de la vitesse au rayon de la courburc. Cela
passe , dans une trajecloire differentc du cerclc , ce
n'esl pas la force centrale qui est egale et opposee i la
force centrifuge, c'est seulement sa composante suivant
le rayon de courbure j done en divisant la force centri-
fuge par le cosinus de Tangle aigu que fait avec Ic
rayon de courbure la direction de la force centrale , on
obtieudra I'expression de celte derniere. En unissant
ainsi les deux theories des developpees et des forces
centrales , Varignon les a etendues toutes deux, et les
formuies auxquellcs il est parvenu sent les plus gene-
rales que Ton puisse concevoir.
Le cclebre Leibnitz ayant pris connaissance de ces
travaux . I'engagea , en 1708, a poursuivre ses re-
cbercLcs principalement par rapport aux couibes de-
crites par le concours do plusieurs forces centrales,
« etant, dit-il, apparent (pie les planetes agissentl'une
siir I'autre , et qu'ainsi elles decnvent peut-etre leurs
orbes en teadant non seulement au Suleil, mais encore
les unes vers les autrcs , en sorte que Mars , par
exemple , i cbaque point de la courbe qu'il decrit ,
en deux ans autour du Soleil , est tire par le Soleil ,
par Saturne , par Jupiter , par la Terre , etc. »
Varignon aborde avec ardeur cesnouvcUes difficultes;
il divise son probleme en deux parlies : dans la pre-
miere, il suppose que les foyers de toules les forces cen-
trales sont dans le plan de la courbe ; dans la seconde,
il les considere sur deux plans differenls , ce qui est le
cas do I'astronomie. <!/,;, Ml •.
Dans les deux cas , il delermine par une senle for-
mule rinqiression plus ou moins grande que la planete
376 NOTICE
reccvra des concours dc toules ces forces. Conmie ap-
plication , il consideie Ic cas d'uBc planele decrixant
une ellipse d'un monvement unifornie et soumise i\
Taction do deux forces centrales qui ratlirciit en menie
lemps aux deuS foyers ; la consequence quMl tire de
ces calculs est que les deux forces seront loujours
egales entr'elles , en quelque point de Tellipse que se
trouve la planete ; mais que leur action variera perpe-
tuellement , et sera d'aatant plus grande que le pro-
duit des rayons recleurs seramoindre. C'est 1^ un des
cxemples les plus sinq^les; niais sa regie generale per-
inet de r^soudre des cas plus compliques, et, sous ce
point de vue , elle met en etat d'aborder plus do ques-
tions que la nature n'en fournit.
Apres avoir expliqued'unemaniere complete comment
varient les forces centrales aux differents points d'une
courbe, il recberche, dans un nouveau Memoire^pubiie
en 1706, quelles sont absolument et cnelles-mcmes ces
forces dont on conuait les ra[iports. Pour cela, il les
compare A la pesanteur qui est une force connue.
Son analyse repose sur Texamen approfoudi des cir-
Lonstanccs qui font vaiier la force centrale. Puisque,
dans un mouvement curviligne , c'est la force centrale
qui delourne a cbacfue instant le mobile de la ligne
droilequ'il tciida decrire , il faut qu'elle soit d'aulant
plus grande que le corps est plus diflicile i devier de la
direction recliligne, et d'aulant plus puissantequ'elie
Ten ecarte davantage. Or , cette dilliculle deju-nd Ce
la vitessc du mobile , de sa masse ou pesanteur, et de
sa direction plus ou moins obli(iue par rappoi t a celle
de la force (jui lesollicitej en rassemblanl tous les prin-
sun LES OJitVEES DE VAHIGKON. 877
cipos qui influent sur la grandeur de la force cenlrale ,
on trouvc (lone la vilcsse du corps , sa pesanteur , la
direction de la force comparee a la direction rectilignc,
siiivanl laqiielle il tend h se mouvoir , enfin la grandeur
de I'ecart que celle force fail faire au mobile pour le
niaintenir sur la courbc. II doit done y avoir une rela-
tion algebriqiie entre ces quanlites et coninie la pesan-
teur en fait partie , on aura par li le rapj)ort de la
force centrale i la pesanteur. II en resulle cette propo-
sition : — Dans tout mouvement curviligne, la force
centrale est i la pesanteur du corps conime le produit
d'un element de la courbc et de la hauteur due a la
vilcsse du mobile est au produit du rayon de courburc
correspondant et de Tare circulaire compris entre les
deux rayons recteurs infiniment voisins sur lesquels agit
la force centrale.
Ainsi , dans le cercle , comme un element de cctle
courbc est le mcme que Tare circulaire doiit* on vient
de parler , on conclura que la force centrale est a la
pesanteur, conime le double de la hauteur due c\ la
Vitesse du mobile est au rayon. Varignon en fait encore
d'autres applications A plusieurs courbes, telles que la
spirale logarithmique el la parabole j mais je n'insisle
pas sur CCS details.
Dans tout ce qui precede , il n'a ete question que de
ce probleme direct : Une courbc elant doimee , quelle
est en chacun de ces points Taction de la force centrale ?
Ce probienien'exige que Tomploi du calcul differcnliel,
puisque la force centrale se trouv.c exprimee par les
infmiment pelils d'une couibe en general , qui sont
cnsuitc specilies par la courbc donnee. Mais le pro-
378 NOTICE
bleme inverse , danslequel la force cenlrale etanl con-
nue , il faut trouver la coiirbe , exige qu'avec ces infini-
nicnt pctits , ainsi specifies , on s'eleve A la Irajectoire
dont ils sont les elements , ce qui depend neccssaire-
ment du calcul integral , et alors la question presente
una difficulte de plus. Newton est le premier qui s'en
soil occupe J Jean Bernouilli en donna une solution
complete en 17T0, et vers le meme temps Hermann ,
professeur de mathematiques a Padoue , parvint au
meme but , quoique par une methode beaucoup plus
compliquee. Varignon, informe des travaux de ces deux
geomefrcs , essaya aussitot s'il ne pourrail point tircr
la meme solution des formules qu'il avail donnees pour
le probleme direct , el il eul la satisfaction de voir que
de ses dix-huit formules generales , quatorzc s'inte-
graient facilemenl el donnaienl les resultats qu'Her-
mann el Bernouilli avaient trouves par d'autrcs voies.
En supposantles forces centrales d'un corps qui decrit
une courbe en raison inverse des carres des distances
de ce corps a quelque point du plan de cette courbe,
ils demonherent qu'elle est toujours une section coni-
que dont ce point est un des foyers. II est done im-
possible , d'apres cela , que les corps celestes , en
vertu de la loi de Tattraction , derrivent d'autres
courbes que les sections coniques.
Je me suis arrete long-temps sur celle Ibeorie des
mouvements curviligncs et des forces centrales. II ii'en
est point, en effct, qui offre plus d'interel. C'est a elle
que Tastronomie est rcdevable de la demonstration des
verites que Tobservalion avail autrefois apprises i
Kepler , et c'est par elle que I'homme s'est eleve a la
SUR LES OEUVRES DE VARIGNON. 879
connaissancc des lois qui reglent les mouvements des
corps celestes et entretiennent rharmonie du mondc.
J'aborde maintenanl une nouvelle serie de Memoircs
on leur auteur traite encore des phenonienes du mou-
vement , mais en ayant egard k la resistance du milieu
dans lequel il s'effectue.
Toutes les fois qu'un corps se mcut dans un milieu ,
dans I'air , dans I'eau , etc. , il eprouve une difTiculte
k en deplacer les parties, et il s'agit de savoir combicn
sa Vitesse est diminuee a chaque instant par cette dif-
ficulte ou resistance. Tel est le prnblrme qui va main-
tenant nous occuper. Newton et Wallis sont les pre-
miers qui aient fait des recherches approfondies sur cet
important sujet, el vers le meme temps Leibnitz ixposa
aussi sesidees sur celte matiere. Apres eux , Varignon
reprit la question d'une manierc plus generale , et re-
trouva par son analyse non seulement lout ce que ses
predecesseurs avaient conclu de Icurs hypotheses ,
mais encore tout ce qui resulle de plusieurs aulres.
faites a volonle.
Pour determiner quelle est Talteration produitc dans
la Vitesse du mobile par la resistance du milieu qu il
traverse , il suppose que Ton connaisse A chaque ins-
tant la Vitesse primitive du corps mu , cVst-A-dire celle
qu'il aurait par lui-meme , si le mouvemenl s'operait
dans le vide ; puis , que Ton sache aussi quelle est la
proportion suivant laquelle le milieu resistc. 11 repre-
senleres deux donneesdc la question par les ordonnees
dedeux courbes; I'une est celle des vilesses priniilives,
rautre celle des resistances. A Taide de ces deux courbes,
il en (•her( he deux autres exprimant [lar leurs ordonnees,
38o NOTICE
rune Ics vilesses perducs t\ chaque instant , raulre
les vitcsses qui rcslcnt. T)e U\ nait une formulc generale
dans laquel'.e il suflit d'introduire les deux Lypolheses
que Ton veut, pour en deduire par le calcul les vilesses
perducs ct restanles.
Descendant ensuite de ces generaliles aux cas parli-
culiers , il suppose d'abord les niouvcmenls primilive-
menl nniformcs , cc qui change la courbe des vilesses
primilives en une simple lignc droite , el reduit alors
lout ce qui doit etre connu A la seule couibe des re-
sistances. C'est sur celle-la qu'il fait plusieurs hypo-
theses differentes ; je remarquerai d'abord les trois
suivanlcs : i". la rdsistance est proporlionnelle i la
simple Vitesse ; 2". ellc est proporlionnelle au carre de
la vilesse ; 3". elle est proporlionnelle a la somme faile
de la simple vilcsse et de son ca re. Dans la premiere,
le corps qui , par son mouvement uniforme , aurait du
parcourir un espace inOni dans un temps infini , n'en
parcourra qu'un fini , c'est-a-dire qu'il y aura, a une
distance finiedu point de depart, un tcnne qu'il n'allein-
dra jamais. Dans la secoiide , le corps parcourra , dans
un Icmps infini , un espace infini , comme il aurail fait
par son mouvement uniforme. La troisieme conduit
a la meme consequence que la premiere.
Dans ces trois suppositions , la resistance est reglee
sur la Vitesse ; mais, pour faire voir la fecondile de sa
nielbode generale , il en fait encore beaucoup d'autres
qui pcuvent paraihe fort bizarres , quand on ne con-
sidere que le point de vue physique , mais qui fournis-
sait pourtanl des consequences curieuscs. Par exemple,
en supposant que les resistances sont en raison des
SUR LE5 OEt'VKKS DE VAR'.GNOJf. 38l
espaces qui reslont i parcourir jiisqu'i I'enticre extinc-
tion dcs vitesscs , cette bypolhcse si extraordinaire
conduit au mcme resultat que cotte autre si naturoUe
et si simple , savoir : que Ics resistances sont en raison
des vitesses.
En 1708 , 1709 et 1710 , il presenta sncccssivement
trois nouveaux Mcmoires , ou il trailedes mouvements
primilivement varies , et attires par la resistance des
milieux. II y considere parliculieremcnt le cas des
corps pesants dans les trois hypotbeses de resistance
doiit nous avons parle precedenimenf. II reproduit
a Taide de sa theone generale tout ce que les geometres
avaicnt donne i ce stijet , ct il fait que'qucs additions
nouvelies. Enfin , il examine , dans la premiere hypo-
Ihcse soulcment , !e problcme dont I'objet est de re-
cbercber la couibe decrite par un corps projele dans
Tin milieu resistant. Newton et Huygbens Tavairnt
resolu en decomposant Ic mouvement dc projection
oblique en deux autres , I'un borizontal et qui eut ele
lUiifornie sans la resistance du milieu ; I'autre vertical
cl qui , s'il se fut fait libremeut , aurait ete uniforme-
ment accelere, Varignon en donne la solution d'uno
maniere plus simple , sans decomposer la vitesse de
projection oblique , et dont il montre I'accord avec
celle des deux geometres que nous venons dc citer.
Tel est le resume succinct de ses travaux sur cette
partie importante de la Mecanique.
Cette tbeorie, dont les premiers essais apparliennent
k Newton , est bien iniparfaile ; car on n'y tie.;t nul-
lement compte du mouvement du fluide , et Ton sup-
pose que les molecules de ce fluide agissent isolement
1^.5
382 ?(OTIf.K
sur le mobile et nullomeni Tune snr Paul re , ellc rqtose
sur line assimilation vague de raction dii milieu au
choc des corps qui Ic Iraversent , co qui est loin d'etre
vrai. La question , ainsi que I'a fait voir d'Alembert,
ne peut 6lre coiivenablcment r^solue , qu'en determi-
nant paries loisdela dynamique,les mouvementssimul-
lanes du fluide et du projectile. C'est ainsi seulement
qu'on peut determiner la resultante des pressions
qu'exerce le fluide sur la surface du corps ; c'est cetle
resultante sur laquelle on ne doit faire d'avance aucune
hypoth^se qui est la resistance proprenient dite. Et
pour n'ometlre aucune des circonstances qui peuvent
influer sur le mouvcment , il faut encore joindre k cette
force le frottemenl qu'exerce le fluide conlre la surface
du mobile.
Apres avoir passe en revue lesprincipauxtravaux de
Varignon , je terminerai par quelques reflexions sur
cet illustre matbematicien. Ce qui le caracterise sur-
tout , c'est un esprit de generalite , qui le porte sans
cesse k remonter jusqu'i la source des veriles , pour
en saisir Tensembled'un seul coup-d'ceil. Les diflicultes
qu'il rencontre sur sa route suspendent sans arreter son
infaligable ardeur, et presque toujours il parvient A les
surmonter. II n'esl peut-(?tre pas de geometre qui ait
mieux connu , ni meme fait sentir tout le prix de ces
formules algebriqucs, qui embrassent dans leur univer-
salite tous les cas particuliers d'une grande question.
Aussi ful-il un des plus zeles partisans de cette m^thode
iniinitesimale, avec laquelle Tesprit s'eleve an plus haul
point de vue, el de la plane sur ime elendue infinie. C'est
k elle qu'il a dii ses plus imporlants succi^s j et quand
SUE LES OEIVRES DE VARIGNOX. 383
('lie flit attaquee dans TAcad^niie , car clle subil le sort
dc toiitcs les nouveaules , il la defendit avec cbaieur
con (re ses nombreux advcrsaires.
Quoiqu'il se livrAt par gout aux speculations les plus
elevees de la science , il n'oubliait poui tant point qu'il
elait professeur. Pour facil iter i ses eleves I'etude de
la geometric , il publia des elements de malbematiques,
bien different en ccla dela pUipart des grands geometros,
qui s'appliquent exclusivement h faire dc nouvelles
decouverles, et se mettent pcu en peine de rendre plus
facile le cbeniin qui conduit an point ou il ne sont eux-
meraes parvenus que par des travaux immenses. On
retrouve dans ce livrc elemenlaire la clarte et I'exac-
titudc qui caracterisent ses autres ouvrages.
Sa soliicitude pour les eleves s'efendait encore plus
loin : il accueillait , avec unc bienveillance incpuisable,
ceux d'entr'eux qui sc distinguaient particulieremcnt
dans les cours qu'il faisait, soit au college Mazarin, soil
au college royal ou il occupait aussi une cbaire j il leur
donnait des lecons particulieres avec cette bonte natu-
relle qui porlc A etondre un devoir plutut qu'a le res-
scrrer, et lorsqu'aux derniers jours d'une vie consacree
a tant de travaux , affaibli par les attaqucs d'une ma-
ladie mortelle , il eut ete si juste qu'il prit quelques
instants dc repos, il n'cn relAcba rien de ses occupations
ordinairesj et enfin , apres avoir fail sa classe au college
Mazarin , le 22 decembre 17??. , il mourut subitement
la nuit suivante.
Ainsi a fini cet bomme infatigable, i qui les sciences
malbematiques sent redevables dc tant d'uliles rechcr-
cbes , et qui occupera toujours un rang distingue parmi
les savants dc son siecle.
mm
T?>
sun IE
BAROMFTUE A SYPHON ;
Par ^I. L. DE LAFOYE.
On lit dans la desnipfion du baromelre de M. Ciay-
Liissac (Ann. de Cli. ol de Ph. , t. i , p. 1 1) : « Si les
« deux branches sont d'lin diamelie egal , il sufliia
« d'observoi la liauleur de la coloniie superieure et de
« doubler les variations apparenlcs pour avoir les va-
« riafions reelles Cel avanlage, coniniun A tousles
« baronielres A syphon , est tres-precieux pour les
« voyages geologiques; car on fait d'autant plus d'ob-
u servations qu'elles sont faciles a faire. »
La nienie assertion est repetee dans la plupart des
Traites de Physique el de Chimie. M. Biol dans son
Precis elementaire , conseille meme comnie tres-avan-
tageux , d'envelopper enlierement la longue branche et
de se borner i observer la plus courte.
Le baroiuetre de M. (lay-Lussac , surtout aver la
modiflcation que M. Bunten y a apportce , etant fre-
quemment employe par les royageurs , j'ai pense qu'il
SUB LB BAROMETRE A SVPHOff. 385
lie seiait pas inutile de prouvcr qu'en se bornanl i uric
sciile obser^aliou on tievait necessairement commeltre
<le graves erreurs. II est en effet facile de s'assuiei' qu«
les variations sont Ires rarenient Cgales et inverses
dans les deux branches , que dans qiielques circons-
tances Ic njercure monte ou descend sinuUtanemenl des
deux c6tds et qu'il pent ni^me arriver qu'il reste sta-
Ifonnaire dans une des branches, tandis que son niveau
varie dans I'autie. Voici comment on pent determiner
It's circonslances dans lesquelles ccs cfivers mouvemenls
ont lieu.
Supposons que sans la pression a(mosj)heiique , le
mercure s'elevAt dans chaque branche , A parlir du
point le plus bas de la courbure , de «,- si Pair peut
sontenir unecolonne de mercure d'une longueur p=i h,
il est (Evident que les hauteurs du mercure dans les
deu\ branches seront :
a — It'
Si maintenant la pression el la temperature vieHnont
a varier, et que d soil le coetlicient de la dilatation ou
de la contraction du mercure ; dans le \ide la longueur
de chaque colonne serait a {i •+- d). Soil p' •= 2 W la
colonne de mercure que peut soutenir la pression de
Pair dans ces nouvelles circonslances: la longueur deg
deux colonnes seront :
a{i -4- 0^)4- h'
a{i ^S)~-h'
En retranchant de ces deux quantites les hauteurs
p: Ci'edentes . le^s diff(^renies cxprimcront les variations
386 NOTES SCR LE BAKOMfeTUE A SVPHON.
que Ic niveau du mercure aura 6piouvccs dans chacune
des branches. Ces variations seront ;
Pour la longue branche a d -^ {h^ — h)
Pour la petite branche ad — {h' — h)
On voit par li , i". Queles variations seront inegales
et de signcs conlraircs , lorsqu'on aura ad <.h' — h.
2". Qu'ellcs seront inegales et de menie signe lors-
qu'on aura a d^ h' — h,
2,". Que si on avail ad=z±{h' — Ji ), le niveau du
mercure ne varierait que dans une seule branche.
4". Qu'enOn les variations ne seront egales et de
signes contraires qu'aulant que la temperature seule
n'aurait pas varie.
J'ajouterai encore que les baromelrcs h syphon out
iin defaut auquel on ne peut remedier , c'est la varia-
tion qu'eprouve la forme dcla surface du mercure dans
la branche ouverle. Tantfit elle est tres-bonibce , tan-
t6t completenient plane , et dans ce cas I'agitation ne
rend jamais au menisquc sa forme norniale. Ces instru-
ments doivent done ^Ire tout-i-fait abandonnes.
DSSGRIFTION ET THEORIE
DU
PSYCIIROMETRE
DU D^ AUGUST.
EXTRAIT DE SES IMVERS MEHOIRES
Par M. L. BE LAFOYE.
La perfection qu'on est parvenu -k donner h la plupart
des instruments nictt'oiologicpies , alleste les progrt's
(|ue la science a faite dans ct s deiniers temps. MalLeu-
rciisemenl il nous nianqiiait encore im precede fa: ile
el rigoureiix pour determiner la quantity de vapeurs
aqueuses contenues dans I'atmospbere. Et en effel
rhygrometre de Saussure, celui qui est le plus frequeni-
menl employ^ , presente deux defauts auxquels on n"a
pu , jusqu'A present, complctement remedier. IVabord,
le cheveu, ainsi que loutes les substances organiqucs ,
s'altere tres-vite , et il est dillicilc de le remplacer sans
(banger aussi en meme temps la graduation dc I'instru-
menl ; et , ce qui est encore plus grave , c'est qu'il nc
nous fait pos connaitrc la force elastique de la vapeur
388 DEscuirrioN et th^orie
conloniie dans Fair. ]\IM. Ga^-Lussac , Diiloiig et
McUoiii ont chcrche A dctenniner le rapport en I re ces
forces dlasJiques el Icsdegres correspondanls de Tliygro-
m(^tre k cheveu , niais leurs resultals ne s'appli(iuent
qu'A une cerlainc lempeiaturejen les regardant comma
exacts pour toutes les (emperaturos dc I'air , I'emploi
des tables inferpolecs par M. Biot exige encore un
petit calcul qui rend les observations plus penibles et
par conseqiicnt moir.s frequcntcs.
Les hvgrometres de condensation font connaiti e ties-
exactement lepoint clc race, d'ou il est facile dc deduire
la force clastique de la vapeur conlcnue dans I'airj
mais leur eniploi est long et penib'e , do sorte que
les observations faitcs avec cos appareils seront lotijours
uioins nombieiises que les observations baromelriques
et Ibermomefriques.
Une autre classe d'bygronietres permet d'(^ valuer
rbumidile de I'air au moyen du froid produit par I'eva-
po: alion de I'eau. Leslie , qui a le premier employe ce
precede , s'etait sorvi pour cela de son tbermomelre
differenliel ; nialbeurcusomeiit les consideralions sur
Icsquelles il s'appuie ont ele reconnues tout-a-fait
incxactcs , ainsi que les tables qu'il a donnees.
Enfin , en 1825, le D'. August de Berlin jiroposa un
nouvel appareil bygromelriquc , auquel il donna Ic
nom dc Psychroincirc. 11 consiste dans deux (liermo-
niolros a niercurc , exaclement compares enlr'eux el
niar(piant au moins des 10'''. de degre- On les fixe sur
une monture commune a quclques ponces dc dislan e
I'un de Taufre , de mani»Me k ce que les boules el une
petite portion des lubes soient libres. La boule d'un des
DU PSYCUROMl'TRE DL' U' . AL'GLST. 38()
the.nioni(^tres est en(our6e d'uno pclile couroniie tic fil
donl rcxtreniile jilonge dans de I'eaii; Taction capillaire
la fait monter et le fil se colle sur la boule qu'il enve-
loppe de toule part : 11 vaut mieux encore revctir la
parlic libre du tube et faire arriver I'eau par le baiit
de la garniture , afin que le tube no fournisse pas de
calorique k la boule. Les observations doirciit etre
failes, autant que possible, A Tombrc et surtoul i Tabri
de forts courants d'air.
11 est evident, qu'en faisant abstraction de la cbaleur
que Tair verse sar le therinometre huniide , celui-ci
baissera jusqu'A ce que la vapeur qui se forme ait ac-
quis unc force elastique egale a celle do la vapeur deja
( oulenue dans Fair ; car plus la temperature de I'envc-
loj)iie bumide s'abaisse et pins la tension de la vapeur
qu'elle produit diminue, Lorsque celte tension est en
equilibre avec celle de la vapeur almospherique , le
refroidissemeiit cesse. Mais la chalear de I'air se porte
sur le Ibermometre e( tend i ramener sa temperature,
ainsi que celle de la coucbe d'eau qui Tentoure et de
la va[)cur qui s'y forme au meme dcgr6 que I'air am-
bianl. De ces deux actions opposees, I'absorplion de la
cbaleur provenant de I'evaporation et Tinlroduction du
calori(|uc de I'air , r^sulte I'etat final et stable du Ihor-
niomelre j il a lieu lorsque la quanlite de cbaleur qii'it
perd est egale a celle qu'il recoit.
Connaissant les temperatures indiquoes par les dims
lliermometrcs et la bauleur du barometrc , cbercbons
A determiner la quanlite de cbaleur que recoil le tber-
niometre bumide , nous en deduirons ensuile la force
elastique de la vapeur aqueuse contcnuc dans Pair-
390 DESCBIPTIOX ET TIIEORIB
La couche d'air en contact avec le llieinionioire bii-
niido , coiiche que nous pouvons supposer infininienl
mince , est saturee de vapeurs dont la t cm jve ratine est
la meme que celle du mercure : on pent la considerer
comrac foim6e par deux enve'.oppes conccniriques tres-
rapproih(^es. Elle contient trois Elements : i°. de I'air
sec ; 2". la vapeur atmosph6rique qui existail dt^ija
dans I'air ; 3". enfin la vapeur nouvellemenl form(^e.
Les deux premiers elements ont evidemment fourni la
clialeur ndcessaire ^ la formation du troisien-.e.
Pour calculer les quantites de calorique absorbees
par ce troisieme element el fournies par les donx
aulres, designons par &. le poids qu'aurait la coucbe
d'air qui entoure le therraometre, s'il 6tait sec , soumis
i\ la pression norniale n et li la temperature o", I'unite
etant le poids d'un pied cube d'eaa k o". soient Z> la
hauteur du baromotre A I'instanl de I'observation , l la
temperature de I'air ambiant , t' celle du Ibermomt^tre
bumide, e' la force elaslique maximum de la vapeur i
la temperature /' , e celle de la vapeur qui exisle dans
air.
Dans celte coiuhe que nous considerons , I'air sec et
la vapeur qu'elle contient ont unc force elastique = Z' ,
celle de la vapeur seule elant e' , I'air ne supporte
qu'une pression = b — e. Designons par z le poids de
cette couche d'air, le rapport- sera compose du rapport
des pressions L-l et du rapport inverse des tempera-
lures rT''~ ' '" f-lf^ot l*^* coelTicient o,oo37'>. On a
done : 1 , ,
L : « :: T"! i -f- '« '
d'oii ,, ^. M
' ' '— n • 1 '^ tn f*
DU PSVCUROMKTKE DV li' . AIJGLST. 3() I
La vapeur qui supporle la pression c , conlicnl ccllc
qui exislail deji dans Tair , donl la force elastiqiic est
e , et celle qui s'est foniiee nouvellement , dont la ten-
sion est par consequent e' — e. Si doncnous designons
par D le poids de la vapeur atmospherique , lo rapport
~ se composera : i°. du rapport des densites _, $ de-
signant Ic poids specifique de la vapeur , celui de I'air
etant =11,2". de celui dcs pressions - , 3°. enfin dn
rapport inverse des temperatures—^—,. On a done :
D : b> : : (? e : n[i-\-mt')
d'ofi
D=:
^
td
Designant par d le poids de la vapeur nouvellement
formee , on trouvera de nicme :
I e — e <? cj
n . \-\- m L'
Si la capacile de I'air pour la cbaleur est rcpiescntee
par 7 , le calorique abandonne par la masse d'air L , eu
passant de la temperature t i la temperature i' est
cxprimee par
L V [t-t') = bz.^: _-__, V [I - I') .
n . I -\~m t
Tuuite etant la quanlite de chaleur n^cessairo pour
clever un pied cube d'eau de y°.
Designant le calorique speciGque de la vapeur d'eau
par K , la (juantite de chaleur cedec par la vapeur
atmospherique sera :
Sga DESCB1BTI0> ET TIliiOKIE
D K {t—t') = ^ _f ^, K [l—t')
n- \-\~mL'
Tunile utaiil toujaurs ia uienie.
Soil cnfin "a la cba'.eur latcalu de la vajjeur , t'L-sl-A-
dire le nombre qui expriine de combien dc dogies une
masse d'eau, ligale i telle de la vapeur, peut elic elevee
par le caloi'ique que cell«>ci a absui'L6 pour sa ("ornia-
tioii , on a,
n ^ i-{- m l'
pour I'expressiou de la cbaleur rendue lalcnte ; et
Ci»ninie nous I'avons obsei\6 , k» cbaleur cedec par Pair
cl la vapeur D etant 6gale h la cbaleur absorbce par </,
on a Tegalil^ suivante :
el s'jpprimanl les facleurs commung ,
(i_e') y {t—t') -f- e (J K (f— 0 =(e'— e) <? > ( i )
Ce qui donne pour la force t^laslique de la vapeur
tonlenue dans I'air i
Ainsi cetle force clasliquc sera delerminee quand on
connaitra :
1°. La lemperalurc t de I'air, exprimee en dcgres
centigrades.
Dl' PSYCHROMhTBE DU V" . ALGUST. 3g3
?.". La (oniporatiire l' du (hermomotre humide.
J ". La force elaslique maximuni do la \apoiir dVau
t a la loin|W'ratnre t'.
4". La liaiileiir du baronio(rf /> , cxprimoe on milli-
niotros et ramenee ^ la tompoiatiire de la glaco fon-
danto.
'■>". La clialcur specifiqiie de Fair , y ; d'apri^s les
donneos do Biot , qui sonl les pins certaines, o,26Gt).
6". La oiialeur specifique de la vapour d'eau , k ;
d'apres le mome auleur , 2,8 170,
7". Le poids specifique de la vapeur , celui de I'air
t'tant = I ; 0,62349.
8", La chaleur latenfe de la vapeur, > , d'apres Gay-
Lussac , 55o" c. Si la couche d'eau etait congolee , il
laudrait faire X = 55o" + 75" = G25. Cependant en
conservanl le nonibre 55o" , les erreurs ne porteraient
que sur les dornieres decimales.
En renipla(;aiit , dans requation ci-dessiis , les cons-
tanles par cos nombres , on a :
i-|-o,ooo77832(^ — t') , 0,00077832^/ — t') .
1 4-o,ooi54oo [c — t') 1+0,001 b4oo(< — t')
Comme {t — t') no peut gueres surpasser 20", on pout
mettre cette equation sous la forme ,
I -f-oo . S/^oOyt — t')
L'erreur nepeut surpasser -i— e', tout au pluso'""', i.
II en serait de memo de la forniule plus simple ;
e = e' — 0,00077832 [t—t') h.
On peut verifier la formulc(i)dosmanicressuivantos:
1". Si on fail r'=:f on a c = c'. C'esl-u-dire que si les
394 DU PSYCOMfcTBE Dl, D^ At'OVST,
deux Ihermometres coincident , I'air est sature de
vapenrs.
2", Si Tair est parfaitemcnt sec , on a e = o. La
formule devient :
C'est celle que M. Gay-Lussac a employee dans son
memoire sur le froid produit par revaporalion ( Ann.
de Cb. et de Ph. , t. 21 , p. 82 ).
3". Si ^:=o et e =0, conditions de Tevaporation
dans le vide , on a :
S' ^^il + y{t-l']]= O
Or, le second facteur ne pouvanl ctrc nul , il faut que
Ton ait e'=o. Ce qui indiquc, qu'abslraclion faite du
rayonnemenl , le tliermonietre doit baisser jusqu'a re
qu'il no forme plus de vapeurs i sa surface , resuUat
conforme a la theorie.
M. August a encore publie des tables, qui, quand on
ne veut pas une extreme exactitude , permettent de
trouver de suite la force elastique de la vapeur.
Les indications donnees par le Psycbromelre ont etc
coniparees avec soin et dans des circonstances tres-
variees , avec celles obtcnues avec rhygromelre do
Daniill. L' accord constant qui a regne entre ces deux
procedes si differents est tres-remarquable ct prouve
Texactitude des formulcs employees par ratiteur. Aussi
des pbysicicns celebres, tels que le D' . Einian, Bobnen-
berger , etc. , ont-ils adopte I'usagc de cet instrument
comme ctant preferable aux bygrometres ; telle est
aussi Topinion qu'en a emise M. de Humboldt dans ses
fragments de Geologic el de Climalologie asiatique.
8UR LES
RECIIERCHES DE CIIARBOIV DE TERRE
FAITES A FEUGUEROLLES ;
Par M. HERAULT ,
Ing^nieur en chef dcs Mines.
Mon inlcnfioii est de vous entretenir dans celte
seance, des reeherches dccharbon de terre, faitesan-
ciennomenl k Feuguerolles , et qu'on a essaye de re-
prendre I'annee deiniere : je dis essaye , parce que ,
conime vous le verrez plus has , les Iravaiix des nou-
veaux explorateurs n'ont pas meme ele pousses aussi
loin que ceux de leurs devanciers.
En 178(5 , par arret du Conseil en date du 4 avril ,
Tautorisalion d'exploiler du charbon de terre, pendant
2oans,dans les terrains dependant de la paroisse de
May , generalile de Caen, fut concedee i M. Charles
Pierre , entrepreneur des elapes dans felte ville. II
parait que le concessionnaire associa an privilege qui
lui avait ete accorde , plusicurs personnes Iros-reconi-
mandables du pays , et entr'autres MM. d'Orcher et de
Faudoas ; mais, par une singularile digne de remarque,
les socielaires ne firent point cxecuter de travaux
3yl) Sl'R LES RECHERCUES DE CHARBOX DE TERRE
dans la paioisse de May , cl toules leurs recher( hos
ourcul lieu suf rcllo de FciigucroHes , siluee sur la rive
ojiposee de rOrnc. II est probable que la premiere
tonipagnie fut conduile h en agir ainsi, par I'exislencc,
a Fenguerolles, d'un calcaire noin\trc, renfermaiit beau-
roup do graplolitcs et d'orlhoceratiles , dans I'espoir ,
bien mal fondc , que ce calcaire serait remplace par de
la bouille h ure cerfaine profondeur. Cost d'apres f elle
opinion erronee que tons ses travaux furent dirigcs.
Je dois ajouler , copendant , que le meme terrain qui
rcnfermc le calraire dont il s'agit, offre aussi quelques
rouches d'unc maliere plus noire , un pen scbisteuse ,
luisanlc h la surface dcs feuillefs , Icrne dans Icur cas-
sure , ne faisant que pen ou point d'cfforvcsccnce avec
Tacide azolique , et qui a pu conlribuer a cntrelenir
les illusions de la compagnie , el I'engagcr i continuer
SOS recbercbcs pendant plusieurs annees. Cette maliere
n'est qa'une argile , legerement c alcarifere , et qui
rougil au feu sans brulcr. Elle a ele Irouvee dans plu-
sieurs autres localiles des departemcnts du Calvados ,
de rOrne et de la Manche, el dans presque toules,
elle a donne lieu a des recherthes, plus ou nioins ele:i-
ducs , de combustible mineral , et dont aucune n'a cu
de succes.
Le calcaire a graptolites de FeugucroUes et I'argile
noire qui I'accompagne quelquefois , font partie d'un
terrain de transition moderne , qui renfcrme aussi dcs
couches de gres quartzeux, de scbiste argilcux, de cal-
caire marbre , de mimophyre et de grauwacke. Les
coucbes de c e terrain se dirigent du nord-ouest au sud-
est , el inclinent , a Fenguerolles , d'a peu pres So" au
nord-estw
FAITES A FEUGUEROLLES. 3()7
Les premiers socictaires Crent pcrcer doiix puits , A
35o metres de TOrne , et distanls eiitre eux dc 3o ;\ 4^
metres. Celui qui est vers le sud a , dil-on , 65 metres
de profoiideur , et il existe au piedune galeried'allon-
gemeiit, d'une longueur egale A cette dimension, el qui
se dirigc vers Touest. L'autre puits n'a que 3i metres
de profondeur , ef on trouve aussi en bas »ne galerie
do (35 metres de longueur , mais qui se dirige k Test.
A Textremite de celle-ci , on a perce un puits de 24 '".
35 de profondeur, et on trouve aussi en bas une galerie
de 65 ". de longueur , mais qui se dirige k Test. A
I'exlremite de celle-ci , on a perce un puits de 24*". 35
de profondeur. Les Iravaux, commences probablement
en 1786, furent abandonnes en 1790; les uns pre-
tendent que ce fut parce que les societaires etaienl las
dedepenserdeTargent, sansenrelirer aucun avantage;
d'autrcs, k cause des troubles de la premiere revolution.
Quelques personnes de Caen ont entendu dire que les
depenses faites par la societe Charles Pierre s'etaient
elevees k i5o,ooo fr. Cela est possible; mais je pense
que les memes travaux qui furent executes alors pour-
raient I'etre niainlenant avec la moitie , ou , tout au
plus, les deux tiers de cette somme.
II n'est reste d'autre souvenir de cette premiere ten-
tative , que I'opinion qu'elle avail ete enliorement
infructueuse. Cependant, en i836, un vieux man'cbal
de Fcuguerolles dedara avoir employe , dans sa forge ,
du cbarbonde terre qui en etait provenu. Mais il est
plus que probable que ce n'etait qu'un contc fait i
plaisir, dans Ic but peut-elre d'encourager quelques
personnes a faire de nouvellcs rocbercbes qui , dans
26
3i)8 SUB LE9 llECIIEECnES DB CHAHDO>( DB TEnilE
tons lc9 cas , devaient repandro do Targoint dans le
j)ays , el cc qui ne doil laisser aucun doutc a cct egard,
c'est qii'en supposant ni.'me que la premie: e sociole
ciil Irouve un peu de combuslible mineral dans scs
Iravaux, ce n^aurail pu etre , tout au plus, que dc
ranlbiacite qui ne peut pas servir pour forger le fer.
Quoi qu'il en soil , dans le couranl de celte memo
ainiee i836, un parliculier proposa A divers negocianls
ou fabricanls de Rouen el tie ses environs , de former
line noqvclle sociele pour reprrndre les travaux de
recbercbe , ouverls anciennemcnl k Feuguerollrs.
L'exlreme bcsoin de combuslible qu'6prouve presque
partoul lindustrie fil accueillir assez favorablement sa
proposilion. Consulle a eel egard par quelques per-
sonnes , je crus devoir emetlre , relalivemenl aux nou-
vellcs recherches projelees , im avis peii favorable ,
d'apres lequel plusieurs interesses renoncerent k celle
enlreprise ; d'autres , au contraire , persislerent dans
leur projet, el former en I un fonds social de 1 00,000 fr.,
pour subvenir aux depenses que devait exigcr son exe-
cution,
Le 18 novcmbre iB36, le directeur de la nouvcUe
sociel6 demanda la concession de la mine de houille
qu'il supposait devoir se Irouver i Feuguerolles , dans
une circonference dc 20 kilometres dc rayon. Comme
il n'existait pas demine connuc de ce combustible dans
ladile commune , on nc crut pas devoir donner dc suile
k sa demande , dont il n'avail pas , au reste , compris
la consequence ; car une concession limilec , comme il
le desirait , aurail et6 passible d'une rodcvance fixe
annucllc de i3 i 14,000 fr. , k parlir dc la date dc
FAITES A FEUGL'EROLLES. 899
Tortlonnancc royale qui la lui aurait accordee. Vers la
fill de fevricr suivant , on commenca A faire tiavailler
a repuiscinent des puits perces par les premiers
exploraleurs. Le plus profond fut vid6 jusqu'a 4^
metres environ de la surface du sol, et I'autre mis
a sec , ainsi que la galerie qui est au pied. C'est alons
que la compagnie fit venir de Paris (au mois de sep-
tembre dernier ) , M. Regnault , aspirant au corps
royal des mines , qui jugea que son entreprise ne prc-
sentail aucune chance de succes. Apies son depart ,
ou peut-etre avant son arrivee , on epuisa encore les
eaux du petit puils ititerieur j mais, vers la fin du meme
mois, tousles fravaux furent suspendus , et la ma-
jeure partie des sociclaires se montra des lors dis-
posee i les abandonner entierement. Le directeur, au
conlraire, insisfait fortement pour qu'on les continuftt.
Jignore comment s'esl terminee celte contestation ;
inais cequi empccbera sans doutela compagnie actuelle
de continuer les travaux qu'ellc avait entrepris k Fcu-
guerolics, c'est que les fosses et les galeries qu'ellc avait
videes ont etc de nouveau remplies par les eaux pen-
dant la niauvaise saison. Au reste , comme on vient
dc le voir , celte sociolo s'est boriiee a epuiser les
eauxd'une partie des travaux ouverts par les premiers
exploraleurs ; elle n'afait absolument aucune nouvelle
recherche , et n'a pas meme vu toules ccUes cxecutees
anciennemeiit.
Quant aux chances que pourraicnt avoir dc nouvellcs
explorations mieux dirigees et plus etendues que celles
qui ont cesse a Tcpoqiie de la premiere revolution (on
vient de voir que les Travaux dcla nouvelle compagnie
4oO SDR LES RECQEBCBES DE CHARBON DE TERRE.
sont tout-i-fait insigniflants) , je ne pense pas qu'ollos
pussent en presenter de favorables. Le terrain de tran-
sition nioderne qu'on trouve A Feuguerolles renferme
bien quelquefois de I'anthracite , et c'est meme dans
un terrain de cette nature que sont situees les mines de
ce combustible dans les departements de la Sarihe et
de la Mayenne ; niais rien n'indique qu'il s'en trouve
dans le territoire de Feuguerolles : en sorte qu'il n'y
a absolument aucun motif de faire dcs recherches li
plnt6t qu'ailleurs ; et on pourrait meme dire qu'il y en
a nioins , si on consid^re que c'est dans cette commune
que vient ge terminer , dans le departement du Cal-
vados , le terrain de transition moderne, et qu'il n'y
forme qu'unebande tres-etroite, environnee depresque
tous les c6tes par le calcaire jurassique. II resulte de
cette disposition que , lors meme que ce terrain ren-
ferraerait k Feuguerolles , ou k May , une ou plusieurs
couches d'anthracite , ce qui n'est nullement probable,
il serait encore k craindre qu'elles n'eussent pas I'eten-
due sufBsante pour pouvoir etablir dessus une exploi-
tation avantageuse. Je crois devoir ajouter encore que
c'est dans la partie superieure du terrain de transition
moderne que Ton trouve quelquefois de I'anthracite ,
et que les couches dans lesquelles les recherches de
Feuguerolles ont ete faites appartiennent incontesta-
blement 4 la partie inferieure du meme terrain.
Caen, le -i^f wrier i838.
POESIES.
LES IIEROS DE ROUEIV,
PENDANT LE SifiGE DE U18;
Pah M. p. -a. VIEILLARD ,
L'lin des conscrvateurs dc la bibliolWque dc V Arsenal.
Civil entt qui lihrni po^^ct
Virbn animi proferre. Jutzxal.
La Seine , jusqu'aux mers , en un jour d'cpouvantc ,
Avail porl6 d'Arlhur la di^pouille sanglanle (1).
BienWl, soustrait aux lois d« monarque r<5!on ,
Apportant I'abondance aux rcmparls dc Rollon,
Le fleuvc, dc«x cents ans, propicc a l'indus(rie,
Des tribuls du commerce enrichil la Neustrie :
Mais Ics premiers Valois connurent les rcvcrs ;
L'un fiil rtdiiit k fuir, I'aulre porta dcs fers;
Dc Cr(^cy , de Poitiers , Ics d6faites cdlebres
Dc nos jours dc splendcur Crent dcs jours funcbres !
Pourtant, Calais vaincu grandit le nom frangais :
Sa chOile du vainqueur fit p41ir le succt^s.
(i) Ailliur, fils Je GcoFfioy Plantagenct, Juo Ac Brct.i;;n©, ftit i«a*itacr^ ii Roiirn
fa' Ntin oncle Jeaii-Saiis-Tcrre , qui iiBiirp.iit siir Iiii Itf iliicli^ ilo T^oimantlif* «'i
niois il'aoiit 1702 Co no fill qu'en 1211-i quo Vliilippt* -Aii^tisti- pnrv'.al a cl'nssor Jc
Pr^iico cut in.li^no fiU tic* Ifeiirl II.
4o4 LES DEROS DE ROUEX ,
Et de Jean prisonnier la parole royale (1)
Vibre comme un (?cho dans toulc Ame loyale.
Charles, son h6ritier , du fond de son palais ,
PaciQanl la France, humiliant I'Anglais,
A I'univers montra, dans un sietie d'alarmcs,
Un roi , par les conseils , plus fort que par les armcs.
Min6 d'un poison lent, il v(?cut pour soulTrir,
II mourut.... et la France aussi sciiibia mourirl
D'Anjoii, Bourbon, Berry, lulcurs, parents avidcs,
Rcmplirent lout I'elat de leurs tranies perlidcs ;
Lc Bourguignon , plus qu'eux ennenii du rcpos ,
De ses freres ligues surpassa les complols (2).
(;harles six , sous le joug d'une infAme rfigence ,
De la minority sorlit par la d^mencc.
Pcre et roi malheureux , plus malheureux (^poux ,
11 sembla du destin ^puiser le courroux.
Isabcau , que souillaient le mcnrlre el I'aduUere,
Sacrifiait son fils, la France, a I'Anglelcrrc;
Armagnacs , Bourguignons , de Paris ddchird
Faisaient un lieu d'horreur, au carnage livr6 ;
Le meurtre et la debauche, au palais des Tourncllcs,
Empruntaient de la nuit les ombres criminelles;
La Seine, jusqu'aux mers, portait avec cf'roi,
Un fardeau, que timbrait hi justice du Roi,
D(5ja, d'llarfleur dompte I'enceinlc prisonniere ,
Subissant d' Albion I'insultanle banniere ,
Avec fr(^niissement, sur ses deitris epars,
Enlendait , dans les vonls , rugir les leopards ,
Et, des bords oil Rouen se drcssc sur sa rive ,
La Seine aux mers roulait, tout entiere caplive.
(0 SI lafo! et la veriti' itnicnt hnrinie^ de tout !,• milt ,lu moiide , rioiinrnnirn
elles devroieiit se retrouver dan^ In bouc/ie des rah. (Mt-zuiay.)
^7.) On salt cjue let luteins de Cliarli!. VI linen', ses oncles palcrnci!, Louis, <liic
d'Aujou , .Jean , due de Berry , et I'liilirpe-lv-Unrdi , due de liourgngnc ; et sou
oucle maternel , le due de Bourbou.
PtNDANT LE SI£gE DE l4l8. 4o5
Quels fltViui assi^gcaicnt le fleuve aux cent detours,
Rival de la Tamisc , en son fcrlile coursi
Henri cinq de Rouen poursuivait la ruine
Par la flamme el le far, par la sape el la mine :
En chalnons faconnfis, de triples rangs d'acier
Emprlsoniiaienl I'essor du fleuve nourricicr.
El , des fils de Rollon dechirant les enlrailles ,
La Faim , spectre livide , errait dans leurs murailles.
Ma's rien , des ddfenseurs de I'anlique cil6
Ne pouvait afTaiblir le courage indompte:
Sur la breche assaillis, ces h^ros redoutables
Opposaient ii I'Anglais des bras infatigables.
L'aspccl de Tcnnemi , de leurs dc'biles corps
Raiiiinait la vigueur, remontait les ressorts;
Et quand ils subissaient rini{iitoyabIe atteinte
Du fer ou de la faim, ilsexpiraient sans plainte.
El celui qui loinbait, a I'lnstant rcmplac6,
Ne laissait point ce vide oil la faux a passe.
La mort, a leur valeur de pfrils idolatre,
Se prcsenlait cncor sur un plus grand Ih^Alre :
La rage de Henri , de ses nobles rivaux ,
Par une digiie fin couronnait les Iravaux.
Quand le sort, traliissanl leurs efforts magnanimcs,
Les livrail a ses mains avides de viclimes ,
Dans le camp du barbare, et sous les murs sacrfe
Que dt^fendaient en vain leurs bras descspfirc^s ,
Dress6 de loute part , I'inslrumenl du supplice
Qu'aux plus vilscriminels reserve la justice,
De leur corps , a sa voix , recevait le fardeau (1).
Les beros perissaient de la main du bourreau ;
(i) « Henri, pour insplrtr la Icrrcur, fit menncer sra Iialiilanls ilc lr« cxtcrnu-
c> nvr, s'ils s'nbstiiinient h sc rlcfenJrc. BIciitjt, pnssani Jfs menaces am iflVn,
n on ilrtsia par son onlru J, s potiiici 8 autour Je la ville, onxqnelks on alliuliail
« Icsprisonniers ilegiieire. .1 Fil/aret ylUst. Je Frame, CliarUs VI. De Lmtnn ,
Hist. Jc Charles VI. Hht. rt chroriique dc Noimantlic ,B.o\\cn , 1610, page 17'?.
4o6 LES nines de houen ,
CYtail tout rayonnans de IVclat dcs balalUos ,
Qu'ils trouvaient , chez tin Roi , d'infAmcs funi^rallles ,
Qu'ils mouraicnt, sous scs ycui, suspendusauxgibcts....
Voila, corame Henri conqu(?rail des sujels !
Tant dc calamitt'5 et tant de sacrifices ,
La morl dans les combats , la inort dans les tuppllccs,
La sourTranco partout , parlout le divoilmcnt ,
Ne pouvalenl ^carter un fatal dtSnoilment.
Des trUtes alimens qui prolongcaient leur vie,
La rcssource , aux guerricrs, allait <?tre ravie ;
Des plus vilsanimaux la chair, les Intcstins
Eussent scnibld du luxe , en leurs hideui festlns.
D'une grossiere peau , par I'usage avilic ,
La fibre sans saveur Icnlement ramollle ,
De ces corps abatlus dtail le seul soutien (1):
Au-delJ» de ce termc, 11 ne leur rcslail rien ,
Rien que Ic d6sespoir.... ou, contre I'esclavagc,
La tombe , oii tout Cnit, et faiblessc et courage.
Les morts suivent les morts , qui font place aux mourans ,
Dont le lr(^pas encor vient 6claircir les rangs.
Des soutiens de Rouen les dcrnl6res cohortes
Expirent dans les murs, sur les remparls, aux portes;
Le silence est partout, et dc piles flambeaux
Jcttcnt sur ces ddbris la clarl6 des tomheaux.
Trois hommcs ccpendant , d'une Ame pen commune ,
D'un cofur inaccessible aux coups de la fortune,
Soutcnaient le vaisseau sur le bord de I'ecueil.
Au sein de I'opulence Stranger a I'orgueil ,
^l^ • PlmlcMirs milUcrs ile gens etolont Jeji morts ile f.iim iluiLini l.nliti- lillc ,
<> I't ilea rcnlruo d*octol)re, i^toieut LOiitr.iints de manger clieviinx, cliitiii*, cliiits ,
II soillii , rrtls , ft aiitres cli05e3 , noil app.irtenrtiit k. tlunlule litini.iitic » Mori'
%tftr.t J cliap. 2<J7.
• (Jepeiidant Ki niis^re f.roissoil Jans lUtiu'n, Lo pcnplo rciiliiit a ic nourrir de
k la paillc dus Uto, L>t itca ciiirs (Qu'ils enlevoieiit des nialtei , «t des sellcs dcs
« tliuTauT , perissoit a tniUicrs. » Dc Liissan , Hist, de Cluirles }' I,
PENDANT LF, SltCE DE l4l8. 407
Jourdain , au lieu d'honneurs, dc litres magniCqucs,
Elait ambldcux do vortns domesliques.
Pour lui , I'art dcs combats n'avait point de secret:-.
C'6tait lui qui , du si(5ge enchatnint Ics progres,
Et guidant d'un (ril silr les foudrcs de la gucrrr ,
Sous Ics murs de Koucn arr(?tait I'Anglclerre (1).
Blanchard h ses c6t(5s, iic d'un sang pl(^l)(5ien ,
Enfant de son gdnie , avant lout citoyen (2),
Brillail du pur eclat dc ccs vertus antiques
Qui faisaient la splendeur dcs siecles Wrolqucs.
JMinisire dcs aulels, Robert Livet, pres d'eux (3)
Comme un ange de pais ambassadeur des cieux ,
Sur la villc , a p^rir chaque jour expos6e ,
Dc la favcur d'en haul appclail la rosee :
II b6nissait le glaive aux mains des combatlans ,
Lc pain dc la d6lresse el le lit dcs mourans.
Les rcstes des martyrs , leurs chAsses rcspect^es ,
D'un clerg6 suppliant avec pompe escorttes ,
Pour afTcrmir les coeurs offertes aux regards ,
Semblaient imi)lorcr Dieu pour ces tristes remparts.
Lh brillail de Romain la fierle proteclrice (i) ,
D'un pieux repcnlir sainle lib(?ratrice ,
(i) " Jean JouiiUin, bourgeois, qui avoit servi, ot ({ui t*otendoil lc scMice Ac
" TartiUerie, conduiaoit ceUe de 1« villc , et conim-iudoit pluftieurs batteries. » L'c
liussan, Hht.de Ch. Vt. Vnyez aussi ZMonstrelel, chap. 20;).
(a) " Les habitants de Kouea ne pcrddietit pas courage' : ils ct.iiont eicitos pi iii-
« cipalement par Alain Blanchard , le nicme qui avail prectdeninieut souluvc la
« villc centre Gaucourt; ce clu-f dti pcuplu etait dcvcnu nn heros, » Villaret,
Hhloire de France. Charles VI.
(3) (« Mailre Robertde Liaet (Livet), vicaire-geiieral de rdrciievcque de Rouen,
•" lequel duranl le siege, s^etoit gouvernii et conduit moul I pi udentement. » Mou-
slrelet, chap. 208.
Robert Liret faisaitpartie de la deputation qui fut cuvov'-c k Vaiis, aupris dc
Cliarles VI el du due de IJourgogne , au noni do la villc assirgee , pour crier sur
eul le grand hfiro de ditresse. LMiistoirc n'a point conserve le nom dcs habitants
qui alltirent demander a Henri uno capitulation- J'ai cm qu'en transpol taut a cetle
circonstance lc rule que Livel avait jouu dans celle que )c viens d'iudiqner , je ne
blcsserais ui la vraisemhlance ni les convenances.
(4) Tout le monde sait que la fierU elait une cli.'tsse renfermaut les reliqucs de
4o8 LES ntuos DK nOUEIt ,
Wais qui garantissait a ccs preux abattus ,
Non Ic prix du remord , mais celui des verlus.
Enfin, parul un jour, le dernier jour peuf-^lre !
Oa tout faillit mourir , pour ne jamais renattrc.
Siir un jpilne tlTrayanl , que ricn n'inlcrrompil,
Ccl homicide jour Tinl luire , el s'6teignil.
Lc lendcmaiu Livet a d6vanc6 Taurore;
II va trouver Jourdain.. a genoux , il rimplore;
Tous deux cherchcnt Blanchard et Guy Le Bouleiller.
Le d6sespoir , du peuple est le seul conselller;
Des maux qu'il a soulTerls , sa constauce s'6tonne.
II faut c6der enfin ; I'humanite I'ordonne.
Livet a rev^tu les longs habits de lin,
L'^lole oii briile Tor dans lesigne divln.
De Rouen autrefois di5fenseur intr6pide,
Vers II«nri , saint Romain sous la fierte le guide.
Cet auguste appareil , cet imposnnt aspect,
Ont au coeur de 1' Anglais imprim6 le respect ,
Et, de sa mission r(5verant I'origine,
Henri, devant Livet, se d^couvrc et s'incline.
« Roi! dit au conqu^rant le minislrc de Dieu ,
« Saint Romain autrefois a , dans ce m^me lieu ,
1 Sauv6 celfe cil6 d'une infortune immense.
« Nos Rois a sa victoire atlachanl la cl6mence ,
« Ont voulu que par elle un crime rachel6
« L'attcslAt (ous les ans a la posl^rit6.
" Vous que de nos destins la guerre a fait I'arbitre ,
« A Rouen rondamni* failes grace a cc litre ;
o El, qiiand vous hcrilcz du sccsplre des Valois,
u Conficz au pardon la garde de vos droits.
s^int Komaiii , et snr laquellc ttait ropii'sentci' en relicfU' fait attiiliue a ce Saint,
(.'I anqm-l on rapporle I'origiutj tlu privilege en verlu duqnel le cliapitre de In ca-
tlu'itraU; de Ivonen delivrait tous l-j8 ans, le jour de I'Aicenfilun, un cl'iiniuel ,
([ui avait eacouru la peine capilale.
PENDANT LE SIEGE DE J^{^. ^xKf
« Pr^lrei (respond Henri qu'irrilc ce langngr) ,
« Mos droUs sont triomphans, j'cn saurai faire usage;
« Jc ne voux , dc Rouen , que sa soumissioii.
« —Quel en sera I'arret et la comlilion ?
« — Rien qite ma volontf, la volonl6 d'un maltre.
« — N'cst-ilpas aux vaincus pcrmts dc la connaKre?
« — *Bienl<)l, a leurs regards, biillcra sa clarl^.
« — Mais qui sa«verez-vous? — Qui I'aura m^riti'.
<i — Un peuple lout cnlier louche ii sa demicrc lieure.
« — II mourra lout cnlicr, si j'ai besoiii qii'il rneurc !
« — Roi! vous Hes chrilicn Vos frcres , a genou'i ,
« Atlendent leur arr^t. — C'esl i'arr^l du courroux ! •
Livct porle au consell Timplacable r(5ponsp.
On s'indigne , on Trdmil du deilin qu'elle annonce.
Blanchard s'est 6ctU : « Puisqu'il le vcut, mourons!
« Non par sa loi cruelle, el que nous abhorrons,
« Non commc sessujels, ou pluWt, ses csclares....
« Mais comme citoyens , ct de la mort des braves !
<( Dans le champ de rhonneur , les armes h la main ,
« Wfions jusqu'au bout un vainqucur inhumain :
« Ce jour est le dernier..,, qu'il soil le plus illustrc!
« Qu'un imroortel trcpas le couvre de «on lustre!
« Au suppllce un lyran nous a tous reserves;
« P6rissons tous ensemble, ou soyons Ions sauvfis !
« Sans distingucrle rang, ni le scxc, ni I'age,
« Jusqu'au camp de Henri frayons-nous un passage;
« Mais, avant de parlir, tons ces rcmparts prosrrils,
« Que la mine s'embrAse et les change en dc'bris,
o Et que le conqufirant cntre dans nos muraillcs,
« N'y triomphe du nioins qu'apfcs leurs funCTaillesi »
Les accens de Blanchard clerlrisenl les coeurs,
Et del'enthoujiasrae excilent les dnmeurs.
Du peuple rassemblt le suffrage iinanimc
S'associe aui conseils d'un ronrage subliiin'.
En vain Le Bouteillcr, honic du nom franrals,
10 LE3 HERDS DE ROUEN,
Pour lui vpndre Rouen , achct6 par I'Anglais (1),
Sous (Ic laches ddlours masquant sa polilique ,
Vcul cncliatner lY'lan dc la verlu civique;
En vain, de la citi? reprouvant I'abandon ,
Pour priv dc la basscssf , il monlre le pardon ;
Blar-chard , a ses rcfus , n'opposc qu'un mol: « Tratlrc!
n Vous ^oulcz voir nos fronts souinis au joug d'un mnilre !
« Le mien se courbera sous le fer d'un bourrcau ,
« Avant que d'acccptcr cct indigne fardeau!. »
Be rage transports , Guy hors dcs murs sYlancc :
A Henri , de Blanchard il dit la violence;
Son ascendant fatal, et le supreme effort
Qui d'un peuplc expirant va signaler la mort....
("/nez Henri, la frajeur a remplace la joie....
Tout pres de la saisir , il pent perdre sa proie : ..
Pour imposer un frcin a ccs nobles vaincus,
5)e son inter^t niemc il se fait dcs verlus :
Sa voix a proclam6 I'arret de la cK'mence ;
II n'y met qu'un seul prix.... mais ce prix est immense !
Plutut que de flSchir sous le joug de ses lois ,
Blanchard voulait msurir.... il confirme son choix.
Avcc lui, dans Rouen, il guide I'abondance :
Tout rcnalt... mais tout plcuie , et tout pleure en silence !
La vie , avcc la paix , rentre dans la citS...
Au s6jour immortcl un hSros est monlS (2) !
(i^ « Messire Guy Le Bouleillei- qui p.ir avant ctoil CBpllaiue de liouen, se
>. rendu Anglols, et fit sermenl au rol d'Angleterre , en delaissanl son souveraiu
.. .InHturel seigneur, le roi dc France, dout moult fut Warn* etreproch^ de plu-
.. sieurs Franroii. « Monstrel^t, rliap. 208. V. aussi , sur la traliison de Guy Le
Bnuleiller, les Mimoircs dc Pierre Fmin , licuyer et ptinnitier de Charles VI,
tome 7 de la Collection da Memoirei rclntifs a Vllist. dc France, par M. Petilot;
De Lussan, Hist, de Cluxrlei VI ; Ma»seville, Hist, de Roue?!, et Villari-t, HUt. de
France,
(0 Aux termes du traite pour la reddition de TiOiu-n , sign* le 16 Janvier T-jlt) ,
par Henri V et les deputes de la \ille, tout les lia\)itants devaient avoir la Me
liauvc. Trois exceptions i cette disposition etaieiit prononcces centre Jonrdain ,
l.ivet et lilaiicliard. Les dens premiers raclietirent Icur vie, a prix d'argenl ;
Tll.in.liaid lilt decapite, dans la place du Vicux-JMarclu- , le 30 Janvier, par
PENDANT LE SIEGE DE l4l8. 4il
lldlas ! Ircize ans apris , dc I'hiSroTqiie Jeanne
Rouen vit le tr(^i)as, stir un l)iVher [iiofane (1)1
A la vierge intrdpide , an snlilirne vieillard ,
La gloire ct le suppliee onl fnil la nu^me part;
Mais si de leurs revers Rouen fut Ic lh6A(re ,
A leur verlu Rouen doit un culte idolatre !
Si pour eus , I'dchafaud fut le prix des hauls fails,
L'honneur est i la France , ct I'opprobre i I'Anglais !
Mais des peuples rivanx dont la lulle cruelle
Presageait i I'Europc unc guerre tternelle,
I/antique inimitid , fl6aii de I'univers ,
Expire , el laisse en paix et la terre et les mers.
Des Hers Plantagenfits , des Valois inlrfpilcs
Dorment dans le cercueil les haines homicides,
Et, d'lin pass6 sanglant la longuc adversity
Ne renaitra jamais dans la post^rit^.
I'orJic Ju conqiicrant qui , la Teille avait pris posseision Je la rillo. « Blanrliartl,
« (lit Villaret , tnoiirut avec une lonstancc IitToTquc , fjiii aurait ilii fairi- loiipii le
<( vainqueiir. » Farin , historien tie la viUc lit; Rouen , caract«;iise ainst son di'-
ffnsciir. t< ITomnic gcu(5rcur ct Jigne (l\''tie inimortel dans Tliistoire, utaiit niort
<« pour le service du Roi et de sa patrie »» Farzn , cliap. 5g.
(i) Ce fut le 3o niai i43i que I'liero'inc dc Doniremy fut brulcc a Houcn , conimc
sorciire j par la main des Anglais,
IMPRESSIONS ET SOLVEIMRS,
Par M. R.-E. TIIURET.
Je vous revois cncor , rives (oujotirs c1i(5rips ;
Jc vicns iC'ver encore a I'ombre dc vos bois,
Au front de vos roteaux , au herd de vos prairies ,
Avec mes souvenirs du bonbeur d'autrcfois I
Saliil , champs paternels, salut, riant bocafje,
Donx t(^moins de plaisirs et d'amniirs ingdnus :
Arrondisiez sur moi vos arches do fcuillage;
Ouvrez-moi vos sentiers , de mes pas si connus !
Voici ce long ruisseau , couronn(^ d'aub(^pine ,
Qui des (lanes du Quesnay dessine le contour :
Voici sa double haie oil I'orme qui s'indine
OfTre un 6pais abri centre les feux du jour.
Gravissons lentement ce tertrc solitaire
Dont I'humble serpolct nuance le gazon :
Couchons-nous sous ce cbdnc au d6mc sc'-culairc ,
D'oii I'a'il aime a plonger sur un vasle horizon.
Salut , mon bourg natal , au pied dc la rolline ,
Avec tes Irois clochers dans les cicux i'laiic6s;
Augustes raonumenis que la noble Leslinne
Fit 61ever pour Dieu dans les siecles pass6s (1) !
Salut , ruban d'azur que ddroulc la Dive
Parmi ces peuplicrs qui Iremblent dans les airs:
Descendons visiter la poeliquc rive,
Pleine des souvenirs qui me sont le plus chers !
o
(i) Les trois clochers <lc I'aiu ieiiiie .iWiayu Je S.iiiil-Pierre-sur Dive, fojiile
p.ir 1.1 eoilltesjc Ltslinn.; , sreiir Ju lUic Giiillimme,
IMPRESSIONS ET SOLVEMHS. 4,3
Dieu!quetes bords sont frais ! que tesflotssonl limpides!
Commc, en glissant sans bruit k travers ces roseaux ,
lis bcrcent mollement Ics corolles humidcs
Du pile ndnufar endormi sur les caux !
Comrae en les parcourant, ces rWes forlun6es,
L'image du pass6 s'(;veille dans mon crcur!
Comme elle me ramcne h mes belles annfics,
Et me rend en ces lieux mes scenes de bonheur !
Oui , doux tableaux d'.imour, mon cril voms voit ronaKrc ;
Je retrouve avec vons mon Smc de vingl ans :
L'un aprcs I'autre, ici , vous vencz m'apparaltre,
Dans toute la fratrheur et I'dclat du pri nlcmps !
Ett-ce toi, Cher objct d'une flammc clernclle?
Ma jcune et belle (•pouso, est-ce toi que je voi ,
Deux jours apres I'hyraen , dans la saison nouvelle.
Sous ces pommiers en fleur t'asseyant avec moi?....
Oui I voila bien son front oii la candcur respire;
Ses yeux bleus , sous leurs cils voilant leur doux ^cla( ;
Ses levres de corail au gracicux sourire ,
Et le satin ros6 de son teint d^licat !
Je crois enror, je crois, sous ces ombres discretes,
Sentir en I'embrassant s'eihaler de son sein
Le vague et doux parfum des pAles violelles
Que ma main lui cueillit sous le buisson voisin !
O tendre illusion , je me livre a tes charmesl
Captive cncor long-temps mon esprit enchantd !
Dans mes yeux obscurcis je sens roulcr des larmes ;
Mais des larmes d'amour, pleines de volupt6I
Tombcz , larmes , tombez sur ce banc de verdure .'
Du poids qui I'oppressait vous soulagez mon cwur.
27
4l4 LMPRESSIOXS ET SOtVEMRS.
Non , depuis son tr^pas , jamais , siir ma blossure,
D'un baume aussl puissant n'a coul6 la douceur !
Amis, qui mc rcstcz sur ces rives que j'aime ,
lis sont saeres Ics mols que je vais pronoiircr.
C'est Ik men dernier voeu, ma priere snprt*me :
Quand je ne serai plus , songez ii I'exauccr !
Si , loin des lieux ou gtt une femme si chferc ,
!1 fant (jne do ma vie expire le nambcan .
Redemandanl mon corps h la lerre ^Irangere ,
Placez-le pres du sien dans le mdme tombeau.
Et , s'il est vrai qu'un jour, pr6s de la ccndre aim(?c.
La cendre d'un 6poux se riJveiila soudain (1),
J'irai chercher sa main, dans la biere enfcrmi^e,
Et me rendormirai la tenant dans nia main !
(i) Lea cenJres tVAbeilara , qiianil Ici rcstes J'Heloi\c furciit places <Ians son
tombeau.
LE PRETRE,
A TN JEUNE SEUINARISTE,
Vrils (Vcnlrei dans les orilrev sr.cresj
Par M. R. -E. THURET.
Modcrne Samuel , dievfi dans iios templ'^s ,
Nourri dcs livrcs saints el des phis sainls exemplos ,
D'un monde corrompu soigneux dc Cisoler ,
EnCn done, au sortir de Ion adolescence,
Sur ton front calme cl pur, siege de I'lnnocence,
Le chrd'me sacid va couler.
Blent6t, de I'Eternel reprdsentant supreme,
Tu vas pouvoir b6nir et lancer I'anathi'me ,
Lier et duller , clore et rouvrir les cieux ;
Que dis-je ? au seul elTet de ta simple parole .
Faire descendre Dieu sous un humble symbole ,
Par quclques mots mystdrieux !
Qu'il est beau , qu'il est grand , ce noble ministere !
Des voIonl6s du ciel oracle sur la terre ,
Tu vas voir a tes pieds tous Ics fronts se baisscr ;
Mais , lorsque le pontife a I'oindre se disjose,
As-lu bien mesur6 tout ce qu'a I'homme impose
Le vceu que tu vas prononcer ?
As-lu bien refldchi que, dans ce siecle dtrange ,
II faudrait que le pr^trc eilt les vertus d'un ange ;
Que , plus que ses discours, ses mcrurs ont de pouvoir;
Que ses moindres erreurs causent un grand scandalc ;
El que, fait pour ddfendre el prccher la morale,
L'cxemple est son premier devoir ?
^l6 I.E rULTUE,
As-tu sonde Ics reins? as-lu scrutc Ion aine ?
As-tu puriC* , par la celeste flamine ,
Ce qu'ils pourraient cacher tie cup'ules penchants?
As-lu , lies passions etouffanl le munnure ,
Pris , pour vaincre la chair et dompler la nature .
Un empire enlier sur tes sens ?
Pourrais-lu , dans ton sein , rondamncr au silcme
L'amour-pro'pre biessii qu'un simple mot oiTciise .
L'orsnoil (U-cu , plus prompt encore a s'e.hrjpper ?
Pourrais-tu , sms courroux , cssuyanl lui ontra'^e,
A rexeinple du Christ , presenter ton visage
A ccux qui voudraicnt le frapper?
Gardien sacrd des ma?urs par ton seul caractere ,
Sous le ioug rigoureux d'une puiieur austi're
As-tu rang6 ton coeur et captive^ (es ycux ?
Pourrais-tu sans danger voir une Ulailelainc ,
Tremblante a tes genoux , oi"! !o remorJs Tamene ,
Faire de ptnibles aveux ?
Ah ! crains de te charger d'une tachc Irop forte I
Grains, en t'abandonnant au zele qui t'emporle,
D'avoir trop prfeum^ de la vocation !
Crains de grossir , un jour , la troupe criminelle
De ces anges dechus de qui I'orgucil rebelle
Fait gennir la religion !
Mais que faic-je ? alarmd par de pareils exemples ,
Voudrai-je I'^carler des parvis de nos temples ,
En jetant dans ton coeur un scrupulcux cITroi ?
Non , vingt ans d'une vie irreprochable et saintc
Doivent dans mon esprit dissipcr toute crainte
Pour tea vertus et pour ta foi.
A UN JlitNE SEMINABISTE. 4'7
'Son, pn suivanl la route h Ion ztMe lrac<5o,
Nul inltV^t mondaln n'a guid6 la prnsiie :
Til si'as pas vii do loin , pour ton secret orgueil ,
Iiiillcr Ics mi!ros d'or ou la pourprc romaiiic,
Songes ainliilk'ux , oi'i la faii)lcssc liumaiise
Trouve un inevitable ^cueil.
Non , pour quflque talont, don de I'esprit cdlesle,
Que noire vanil6 rend h(?las ! si funcsle
Par Tabus scandaleux qu'elle en fait quelqnefois,
Tu n'as pas pr^tcndu , rdvant de vains syslemes ,
Les iniposer, un jour, jusqu'a cos chefs suprenics
Dont tu dois rejevoir lei lois.
Non , ployant les genoux et frappant (a poKrine ,
Si , loin du droit scnlicr de la saine doelrii e ,
Tes pas, surpris un jour, lendaient h s'(?garer,
Au premier cri poussC par leur voix salulaire,
Abjurant d';in moment I'erreur involontaire ,
Tu les forccrais d'y rentrer.
Va done , a les devoirs Time ainsi pr(^par^c ,
OITrir Ion front candide a I'onction sacree ;
Va, pour i'ordre du ciel pleiu de soumission ,
Soil au seln des cit6s, dans unc basilique ,
Soit au fond des hameaux , dans un temple rustique ,
llemplir ta noble mission.
Va , non dans des discours pleins d'ornemenis frivoles ,
Non dins un flux pompeux de steriles paroles .
Mais dans I'liunible abauilou d'uii pieux cnhrlien ,
Pri'cher I'amour de Uicu , celui de Ion scmblable.
El celte charil6 facile et secourable.
Premiere vCrlu du Chretien.
Va prendre aux fonts sacr^s I'liomme des sa nalssance ;
Des priiceptes divins nourris sa tendre enfance ;
4l8 LE
Dresse son jeune front an joug du crucifix ;
,Mais , tout en I'inslruisant dcs lois (^vang^liques ,
De ses devoirs prives et des vcrlus civiques
Fais-lui connallre aussi le prix.
De ses secre'ts penchants dfpositaire intime,
Dirige-les chacun vers iin but k^gitime;
Change en lui , tu le peux , par la religion ,
L'orgueil en noble ardeur pour clever son iimc,
Une flamme impudique en une chaste damme ,
L'envie en emulation.
B6nis dans son hymen celle qu'il a choisie ;
Sur les asp6ril6s du chemin de la vie,
Comme un ange gardien , guide et soutiens ses pas;
Dans les biens ou les maux qu'il trouve sur sa voie ,
Console ses chagrins ou modere sa joie ,
Et ne le quitle qu'au tr6pas.
Qu'il trouve dans ton zclc une autre providence;
Censure ses d^fauts , mais avec indulgence;
Montre-!ui le bonheur pour prix de ses efforts.
Dis-Iui que le mepris s'altache aux pas du vice ,
Et que le crime henreux, s'il fchappe au supplice ,
N'echappe jamais au remords.
Veille , au scin des foyers, a la paix domestique ;
Dans les jours orageux de discorde publiquc ,
Prcche a lous les parlis I'ordre el I'amour des lois;
Que Saiil et David se disputent le trdne !
Laisse k Dieu seul le soin de fixer la couronne ,
Et de prononcer sur leurs droits.
Homme de tolerance et de misdricorde ,
Enlre les co?urs aigris rdtablis la Concorde ;
D^sarme la vengeance et calme le courroux ;
Chi^ris tons les mortels , sans choix pour Icur bannicrc ,
Ministrc de pardon , de paix et de priere ,
Pric , et sois indulgent pour lous.
A IN JEUXE SKMINARISTE. 4ig
Mais que ta chariW sensible et diligente
Veilie avec pins d'amour sur la classe indigente :
De les secours pieux eilc a le plus besoin.
Console ses chagrins, soulage sa misere ;
Des pauvres , tu le sais , prendre soin sur la lerre,
Dc Dieu m^me c'est prendre soin.
Aux traits de ta raison que leur 5rae s'^pure!
Apprends-leur a souffrir leur peine sans murmure,
A ne pas s'irriter a Taspect des heureux.
Pr^viens leur d^sespoir , souliens leur esp^rance ;
Dis-leur que le travail, Tordre el la temperance
Rendront leur sort moins rigoureux,
Voili de tes devoirs les plus indispensables ;
Remplis-les humblement dans les jours p6rissables,
N'ayanl , pour t'exciter que Dieu devant les yeux ;
Sans craindrc le m6pris , sans chercher la louange.
Par simple amour du bien , sois ici-bas un aoge.
Pour elre un ange dans les cieui.
UOMMAGE
21 VHcabimu ht Caen ,
Par M. Thkodore LE BRETON ,
Ouvrier de Rouen (t).
Quand , par un deslin trop severe ,
L'oiscau que vil eclorc un cicl de liberie ,
Est par la main de I'liomme arrache de son aire ,
Pour subir la caplivile ;
(1) Le 20 Janvier 1838 , M. Th(^odore Le Erelon , qui est, comme
il signe loujours, oui'tier de tionen , fi:t rofu nieniLire (!e rAraiiS-
mi'e de Caen. II dnt ce litre a l"cnvoi de son renieil de i)o6sies, iii-
Htu!(5 Heurrs de rep(js d'lin mnner, doiil la 1". fdilion pan I en
1837. Qucique connu que soil ce pocle , on relira sans doule avec
inlcret le passage suivanl cmprunl6 a la IN'oiice niisc en lele de son
volume :
« C'esl st'ulenient le malin, quand Le "Breton pari dc choz iui
pour aller a sun Iravail , c'esl scuicmenl alors que la po^sic vicnla
Iui , I'enleve el I'emporte ! Elle est dans le ciel , sombre ou bleu ,
dans lesarbres de la route, dans les coleaux loinlains, danslesoicil
qui se leve cu dans I'ouragan qui sifDc, el surlout dans le grand air
qii'il aime tanl a respirer ! EIlc cscorle le prolelaire , ct Iui fail le
che;;iin bien brillanl et bico court. El puis, quand il arrive a son
atelier, il Iui dil adieu el la laisse a la porle, comme I'espi^rancea la
porle de rEafer! Mais elle y resle Odelcmcnt jissqu'a la nuit, pour
I'esrsrler encore a son rcliiur el grimperavcc Iui dans sa moiiesle
demcure , oi'i ralletident sa jeune femmc , sa petite f.lle el sa vieille
niere , el son ind(''pendancc et ses iliusions.
<" II i;e m'esl pas permis de voiis faire pfn^lrer dans eel in!(?rieur,
oil la vcrlu obscure cl la sainle puJcur I'es aiTcrlions de famiile se
cachcnl.fous un voile dc tsiodeslie q':e ramilie la plus inlimc peul
HOMMAGE A l'aCADEMIE DE CAE>'. 421
Loin des cieux enibauincs par les flours du bocagc ,
Qu'il devait rcspirer, libre dans scs pcnchanls ,
Pauvre esclave , enchaine dans le fond de sa cage ,
Ce barde pour[toujours a-t-il perdu ses chants ?
sciile soulever. Mais si vous pouviez eutrer avec moi par cede porte
6lioi!e el basse, qui force k se courber, comme pour un salul, tous
ceux qui vculcnl arriver auprcs du poeleproi^taire; si vous pouviez
escalader eel escalior noir et lorlueux , et voir s'ouvrir devant vous
cetlemansarde oil le soleil coucliaiil r^pand a grands flols la mi^-lan-
colie (!e sesderniers rayons, alors vous dcvineriez que lout cc qui
habile celle modesle demeure doil <?lre pur, bon, noble el religleux.
L'aecueil simple cl bienveillant des hdtes , la propret6 minulicuse
ct I'ingenieuse coquetlcrie qui ornonl leur cLambrelte , tout fait
comprcndre que le bonheur el la pais domestique sent la caches
sous I'iiidigcnce. Parmi ces nieubles dont une indispensable n^ces-
sil6 a scule ri'gl6 le choix , il en est un qui arr^le les regards : c'est
une polite tablette, toutepelite, qui supporte quelques pelits vo-
lumes ; c'est loute la bibiiollicque de Le Rrelon. A ce propos, je ne
dois pas vous (aire que Le Breton cslde la pluscharmanle ignorance.
Son ame candide, son esprit droit , et son coeur gen^rcux, n'onl pas
(5l6corronipus et fauss(^s par la lecture. Le Breton n'a presque ricn
lu, cl i! fera bien de ne pas conipromclire sesqualilcs naturelles
dans le chaos de noire liltCrature. Qui sail sur quoi il tombcrait?
Aussi sa poSsie a-l-elle un caractere distinct, qui la met bien 4
pr.rt de toulcs les po&ies. C'est rinspiration la plus naive , I'exprcs-
sion la plus limpide, qui sent porli'cs sur le papier avec une ado-
rable barbaric de caracleres et une cacophonie orlhographique tene-
ment elrango , qu'clleembarrasserail un dechilTreurd'hii'roglyphes,
si les idc'cs cl les mots n'etaicnl pas lies par un encliaincment assez
logique cl asscz clair, pour que lout se comprenne ou se devine. Ce
n'est pas un m(?diocre plaisir que de voir le bon sens et la raison se
inonirer dans ce costume bizarre, au milieu de toulcs les soKiscs et
de toulcs les absurdil^s que Ton ^crit a peu prcs correctcmenl au-
jocrd'liui. Mais il y a, au milieu de loutcela, une chose d'aiitanl
plus IVappanIc, ipi'dle semble incxi)licable. Comment se fait-il (lue
Le Breton qui cstropic impitoyablcmcnt rorlhugraphe, ail un res-
422 HOMMAGE
Non : des que le prinlcnips do sa main tutelairc
Rcvicnl parcr nos clianips dc nouvcllcs coulcurs
Dis qu'cn passant il a sccouc sur la terre
Sa tunique plcinc dc flcurs ;
Aussil6l qu'un rayon du boau soleil qui dorc
Le Wane nuage a I'horizon ,
Ainsi qu'un brillant nicteorc ,
Revienl eclaircr sa prison ;
pect Inslinctif pour la grammaire, et ne se permcUe envers die que
de tr^s-rarcs et de tr6s-16geres offenses ?
« Une scale chose est a regretler, c'est que Lc Breton ii'ait pas (5(6
assez oiivrier dans ses chants. Sa po6sie n'cst pas de la po6sie de
proletaire ; au lieu de se laisser aller a rexrellenceel i la nouveautd
de sa position, le poele ouvrier s'esl resserr6 dans un genre qui ap-
partienl a tout le monde, lui qui pourrait si faciienient avoir un
genre h lui. Mais, 6coutez: il y a bicn long-temps que ce reproche
a H& fait a Theodore Lcbrcton, et savez-vous ce qu'il a r^pondu?
II a chant6 I'Oiseau capiif .' Lisez celte admirable plainte, cet
harmonieux sanglot de la douleur r6sign6e, et vous ne reprocberez
plus rien au poele ouvrier. C'est que ccliii qui louche au Dieu du
jour lui est sacri06 comme une victime ; c'est qu'il est des choscs
que I'ouvrier qui veut vivre ne doit pas dire m^me en beaux vers.
C'csl que I'allegorie , que le d^vergondage et le cynisme de noire
6poque veulent d6pouillcr de ses vetemenls m6mc les plus diaphancs,
doit se r6fugier auprcs de rouvrier qui pense et qui 6crit ses pens^es,
afin de les cacher derriere son voile le moins transparent. Et puis
LeBrelon connaltbien ceux qui vivent depuis lant d'ann(5esavec lui
sans le connaltre. II les connatt bien , et il ne Icur a jamais laissc
deviner ce qu'il 6tait; il sail bien qu'ils seraient jaloux dc lui, au
lieu d'cn dire fiers. Et il las aimc, car il ne se plaint pas devant eux,
de peur qu'ils ne s'apercoivent qu'ils souffrent aussi. Et il sail bien
que leur soulTrance, au lieu de montcr vers le ciol en prieres et en
cspi^rance, comnie la sicnne, se lordrait sur la ierre en horribles
convulsions. II les alme, car il fait pour eux lout ce que Ton peut
faire de plus cflicace et de meilleur : il leur donnc , depuis vingl-
<.Lnq ans , rexemple de I'ordre , du travail et de la resignation. »
A L'aCADEMIE DE CAEN. 423
Sous une celeste influence ,
Joyeux conimc au milieu des bois ,
Soudain I'oiseau captif , plein de reconnaissance.
Pour chanter la nature a rctrouve sa voix.
C'est ainsi que I'liumble pocte ,
Que rinfortunc enchaine en son vol incertain,
Reveille Ics accens de sa lyre muette ,
Quand , pour rclever son destin ,
De gencreux savants jusque dans sa chaumierc,
Ou s'abrile I'adversile ,
Font luire un rayon de lumiere
A Ira vers son obscurite.
II rctrouve sa voix , lorsqu'une voix amie
Vienl le frappcr de ses eclios ;
Lorsqu'une illustre Acadcuiie ,
L'unit a ses doctes travaux.
Eepoussant de I'orgueil la coupe cnpoisonncc ,
Dans la sphere du pauvrc , oil Dieu placa ses jours,
Rcsigne , subissant sa triste dcslincc ,
Aux plus rudcs travaux enchaine pour toujours;
A son ame reconnaissante ,
Qui va redoublcr ses transports ,
Dans ses soirs de repos , toujours il dira : Chanle !
Vers ceux qui font conipris clcve tcs accords!
Rouen, mars 1838.
AUX POETES.
DITIIYRAMBE ,
Par M. Theodore LE BRETON ,
Ouvrier dt- Rouen.
Bans un siecle oil la voix do 1 amc osl profanee ,
Oil loulc flcur c!u del Irouve raiidilc;
Quand, au pied du vcau d'or , la loule prosleriicc
Invoque Ic demon de la cupiditc;
Aiors que le nicpris, conime une main glac^o ,
Dcsseclie et brise au front I'idealc pensce
Qui dans tousles temps s'eleva;
D'un superbe dedain saisic,
Quand, s'eloignaiit du cffur, I'augustc Po6sle
Fait^cntendre ces mots : — La voix dc I)ieu s'en va !
Poetes , que Ton voit eneorc
Adorer cette reine au troiie radieux ;
Vous , les jeunes amans que son amour di^corc
Dcs perles que sa main va derobcr aux cieux ;
Vous qui reirempez voire vie
Dans les Hots de son harmonie,
Vous qui vous rechauffez a son celeste feu ,
Vous qui , de ses fleurs dor , fouiliez lous les calices,
Et goiitez toutes les deiiccs
Que gotltent les elus a la face de Dieu ;
Faut-il , pour vous soustraire au dedain de la foule ,
EloufTer dans vos coeurs vos reves eticliaiiles ?
Faul-il , sous les debris d'un inoiiumenl qui croule,
Engloutir a jamais vos chastcs voluples?
Faut-il briser, aux pieds de vos sainlcs collines ,
L'instrumcnt ou vibraient tant de gamnics divines?
AlZ POETES.
I)c voire amc faut-il caclicr I'ardcnt rayon?
Dc la sphiTo ombauim'-c oii vous rotirnt tin ango,
Faul-il vous voir (onibcr au milieu tic la fang-o ,
Oil d'un mondc grossier roulc Ic tourbillon ?
Non , non , sous sa bouillanto st-vp ,
Que voire front qui s'est penclic,
Avec plusd'arfleur se rcleve,
Sillonne par Icclair qu'il rofenail cache !
Jliiudlls et repousst's, ainsi que loul propliele ,
I-aissez gronder I'impie c! niontez jusqu'au faito
Du calvaire ou pour vous d(-s f cmplcs vont s'ouvrir.
Conime un noble deliris respcctc des orages,
Dcbout au milieu des naufrages,
riancz sur I'Ocean qui vcul vous cngloulir.
PIcins d'un robuste espoir , dcployez votrc voile ,
Kt voguez vers Ics cliamps que promel I'avenir.
Toujours a vos regards resplendira I'cloile
Que nullc ombre ne pent lernir.
Sur Ic not , dedaigncux de votrc accent qui passe,
Promcnez en vainqucurs votre superbe audace ;
Deux pharcs en avant eclairent vos chcmins :
De Hugo sur|vos ncfs le pavilion domine,
Et le soldi de Lamartine
Vous lance scs rayons divins.
Que vous iniporte , a vous , que lb profane ccoulc
Les accords exhales de vos sublimes vers?
Des cieux ou vous planez n'avez-vous pas la votile
Qui retentitde vos concerts?
Lorsque vous meditez un eloquent myslere,
Votre esprit n'csl point solitaire :
Donnant un libre cssor a ses nobles penchants ,
Dans sa solitude profonde,
Le poete inspire sail se crcer un mondc
Donl la voix applaudit k Tccho de ses chants.
4i>.5
426 AUX I'OETES.
Dc I'astre qui vous luit suivez toulcs Irs pliasps,
Hardis navigateurs , qu'on ne pcut arretcr.
Le bonheur est dans vos extases ,
Par rinspiration laissoz-vous omporter.
De vos ccnseurs jaloux , sans rcdoutcr le blame .
Fenimes au coRur dc feu, laissez s'ouvrir voire ame
Aiix reves consolans qui calmcnl les doulcurs ;
Laissez fondrc sur vous les Iraits de I'ironie :
Toujours le soleil du genie
Consuma le venin repandu sur ses lleurs.
L'enlhousiasme au sein , marcliez , hommes d'clite ,
Poetes genereux sorlis de tous les rangs ;
D'un plus vaste horizon franchissez la limite.
El de rimmensile devencz conqueranls !
Marchez , enlraincs par la gloire !
Plus le peril est grand , plus grande est la victoire;
Plus le Iriomphe a mcrilc.
Les yeux sur I'avenir, redoublez dc courage!
Pour recompense , un jour , les pcuples d'un autre age
Voilront votre memoire a rimmorlalile!
or VR AGES
OFFERTSAL'ACADEMIE.
OIVRAGES ()iFi:SITS A I'AaDOIIK.
MM.
Ajianton. Polices sur M. Chahllon tt siir M. Toroiii-
biMl. — Noiice sur feu lo marquis de Tiivait!. —
Elogs (le M. le marquis de Courlivron.
Bateman. a pralica- (realise on the law of auctions.
Beaifoy. Nautical and hydraulic experiments.
Bergei!. T)u role de I'l'niversite sous le rJ-gime de la
liberie de I'enseignement. — Proclus : exposition de
sa doctrine. — DerheloricA : quid sit secundum Pla-
tonem.
Beutuaxd. 1)u gcut ot de la bcatile considcree dans Ics
productions de la nature el des arts.
Beuzevili.e. I,es petits enfants , poesies.
PorciiAP.LAT. Le cbolera-morbus et autres poemes.
BoiLATiGMEH. De la fortune publiquc en France el de
son administration ; tomes i et ■->.
0,8
./|3o OIVRAGES
Brongmaut. r'. Momoirc sur les Kaolins ou argilos a
porcelaine.
BuNEL. Rapport sur los Iravaux do la Societe pliilhar-
monique du Calvados pendant I'annee 1829.
€aillel'x. Dcs causes de la diminution du commerce
des chevaux en Kormandie.
Canonge. Le Tassc a Sorente; Terentia ; le Monge des
lies d'or , poemes.
Castel. La Fee d'Argouges , legondc.
Cal'vin. Essai sur I'armorial du dioc'-so du Man;.. —
Supplement a I'Essai sur la slatislique. — Observa-
tions topograpliiques sur le diocese du Mans.
Chastelain. Etrennes a la jeuncsse. '
Ches>on. Essai sur I'histoire naturelle de la Norman-
die. — Mineralogie clemcntaire.
C1101.ET (F.). Memoirc sur la peste qui a rcgn6 a Cons-
tantinople en 1834.
CiiupiN {Emma). De 1 etat de la musique en Normandie
dcpuis le IX''. siecle.
Daniel. Tableaux synoptiques de geograpbie. — £le-
nients de geograpbie ancienno et uiodcrne conipa-
OFFKKTS A l'aCADEMII:. 43 1
rees. — Abre<fo chronologique de I histoire univer-
scllc.
De Banneville {Gaston). Souvenirs d'lin voyage en
Angleterre.
De Caimont. l^Iemoire g^ologique sur quelqups ter-
rains tie la Noniiandie otcisk'nlale. — Essai sur I'ar-
chileclure roligicuse du moyea-age , principaleniont
enNormandic— LesITugucnofsetlaSt.-Barthelcniy
iLisieux, 1562 — 1572.
De Fokmeville. Extrait d'une Notice sur les Francs-
Brements-Canoiuiicrs de la ville de Caen. — Nolicc
sur les elofles de laine de Lisieux.
De FitvNCE. Tableau des corps organises fossiles.
De GoiRNAY. L'Art d'aimcr d'Ovide , haduit en vers
francais.
*
De Hajimeu. Pensecs de Tcmpereur Marc-Aurele ,
Iraduiles en persan. — Milhriaca ou les l\Iithriaques.
De laFontenelle. Revue anglo-franraisc.
De la Renai'diere. Notice sur le royaumc de Mexico.
— Essai sur les progr^s de la geographic dans I'intc-
ricur de rAfricpie.
Des Essaks. Catherine de Lescun. — Quatre annocs
du regnc de Louis XIII , 1G18-1G32.
43?. OUVRAGES
D HoMBiiES-FiRMAs. Rccucil (le Memoires cl d'obscr-
vations de physiijiie , de mcteoiolo<iie , d'agriculluie
et d'bistoire naturclle. Tomes 2 ct 4-
DoYEEE. Lecoiis d'bistoire naturelle.
DuBuc. Traite sar les parements et encollages dont se
servent les tisserands.
Duchesne. Trailtrdu mais ou du ble d^- Tuiquie»
DuHAMEL. Antigone , tragedie.
DiMONT d'Uuville. Enumcratio planlaiuni , etc.
Dumas (J.-B.). Eloge bistoriqiin d'Anloinc-Franrois-
Marie Artaud.
Duval. De Tarrangement des sccondes dents. — Ob-
servations pratiques siir la sensibilile des substances
dures des dents. — Notice sur les travaux entropris
sur les dents , en France , depuis 179".
Gaueron. Statistiquc do rarrondisseinent dc Fala'se.
— Camille ou le patriotisme.
GiRARDiN (M. J.). Rapport sur le petrisscur meeaniqtift
dc ^LM. Cavclier , Frerc et C"''. — Notes sur deu\
sortes particulieres de savon. — 3''. Rapporl sur le
papier dit do surete do ISi. Mozart. — Do la I'crro-
line. — Rapport sur Tappareil etabli a Tbospiec ge-
OFFERTS A L'aCADEMIE. 433
noral de Rouen pour I'extraction dc la gelatine des
OS. — Observations sur le poirier Saugicr et sur ses
produits , suivies de quelques considc^rations g6ne-
rales siir la fabrication des cidres. — Rapports sur
un cafe avarid par I'eau de iner. — Discours pron >»ce
!c 3 juin i834) 'i I'ouverture du Cours d'application
fait a I'Ecole de chimic de Rouen. — Quelqucs autres
brochures.
GuiLLAUME. Etudes sur La Fontaine. — Observations
sur la litterature.
Herault. Memoire sur les principales rocbes qui com-
posent le terrain interniediaire dans le departement
du Calvados.
Hericart de Thl'ry. Dessechement des terres.
llERviEt'. Essai sur I'eleclricite atmospherique.
lIouEL [Ephrem). Des differenles especes de clievaux
en France , depuis les temps les plus anciens jusqu'a
nos jours. — Tableau synoptique des nioyens de con-
nailre I'age des clievaux par I'inspection des dents.
— Le Mont Saint-Michel. — Le cheval noir et la
marque blanche.
IIl'rel. Bataille de Tinchebray (■',7 septembre 1106).
— Le Cicerone de St. -Pierre.
Jacqi'emart et Bazi.n. Annales frant^aises el etrangeres
d'anatomie et de physiologic.
^3:^ OLVRAGES
Jamet (I'abbe). Memoires du cardinal Pacca.
JuLLiEN, de Paris. Essai d education physique, morale
ot inlellectuelle. — Essai sur I'dnploi du temps. —
Esquisse dun Essai sur la philosophie des sciences.
— Poesies poliliques.
LAnouDERiE (I'abbe). Dissertation religieuse sur Ro-
binson Crusoe. — Notice bislorique sur Zwingli.
Lair (P. A.). Memoires de la Sociele royale d'agricul-
ture et de commerce de Caen. — Rapport sur la 5^
exposition des produits des arts du Calvados.
Lambert. Memoire sur la bataille de Formigny. —
Notice bistorique sur rarrondisscnient de Bayeux.
Lange. fiphemerides normandes.
Le Bretox [Theodore], lleurcs de repos d'un ouvrier ,
poesies.
Le Brun [Isidore). Tableau statistique et politique des
deux Canadas.
Lecerf. Philippe et Henri , dialogue politique. — De
I'extinction de la mendicite.
LiciiALDii d'Amsy. Antiquitcs anglo-normandcs de
Du Carel , traduitis en fran(;ais.
OFFERTS A l'aCADEMIE. 435
FjE Flagcais. Poesies elegiaqucs. — Missolonghi. —
Le relablissement de la statue de Louis XIV a Caca.
— Melodies franraises el chants sacres. — Lc cMteau
de Falaise. — Noiivelles melodies franc aises. — Les
IVeustrienncs. — Etudes du siecle et pages du cocur.
— Epitre lilleraire. — A M. Dumont-d'Urville, sur le
relour de I'Astrolabe. — Discours d'inauguralioa
pour le theatre de Caen. — Marie d'Orleans , chant
de deuil. — Poesies d'une jeune Aveugle.
Lemercier [Ncpomuccne). La grande semaine. — Le
Iriomphe national. — Hommage a la memoire du
poinlre David. — Fragment d'un poeme intitule
Moise. — Sur la decouverle de I'ingenieux peinlre
du Diorama.
Le NoiJLE Albert du Bayet. — Les Nudzadelphincs ,
croquis poetiqucs.
Le Salvage. Rccherches sur le developpcment, I'orga-
nisalion et les fonctions de la membrane caduque. —
Memoire theorique et pratique sur les luxations
dites spontanees ou consecutives , et en particulier
sur coUes du femur.
Ma.ncel [Georges]. Notice des tableaux composant le
musee de Caen. —Notice sur les salines de Norman-
die , parlicuiiercment sur cclies de Touques et d'lsi-
gny. — Notice sur la bibliolhequc de Caen. — Caca
sous Jean-sans-Terre.
436 OUTRAGES
Mangon de la Lande. Essais historiques siir les aiili-
quit^s du departemcnt de la Ilautc-Loire. — Jie-
nioire sur Samarobriva. — Dissei'lalion sur Saina-
robriva , ancienne ville de la Gaule.
Martin. Memoiie sur les oeuvres poetiques de Des-
poites, de Bertaut , de Malherbe , de Racan , et de
quelques poetes de la nii'ine e{)oque.
Marti?? [jeune). Eloge hisloriquo de Pliilibort Paral.
Massot. Discours prononce A I'audience solennelle du
1 1 novembre 1837.
Mollevaut. L'Eneide traduile en prose. — Tibulle
(raduit en vers. — Chants sacres. — Pensecs en vers.
Pescbe. Chansons, poi^sies diverses, theitre.— Opus-
cules agricoles. — Des avantages qu'offre 1 cUuie
sinmltanee de rhistoire et des antitjuiles nationales,
ou Introduction au Cours d'archeologie historique
ouyert au Mans , le 3o novembre i835. — Diction-
nairc topographique, historique el statislique, de la
Sarllie ; 4 ^f>'- — Biograpliie et Bibliographie ; i" .
partie.
PiLLET ( Viclor-Evremont], Saint-Lo , poeme latin (hi
(luillaiune Ybert , traduit en prose. — Notrc-Dame
de la Delivrande. — Serlon.
Pii.LON. L'art d ecrire dc la main gauche.
OFFEIITS A l'aCADLMIE. 4^7
PoLiNitRE. Mcmoire sur Ics hopitaux. — fitiidcs di-
niques sur les emissioiss sanguines ailificiclles. —
Essai sur la puberle.
Prodho.'hme. Formulaire anglais pour la pharmacie.
QuENTiN [Ch.) Samarobrivo ou Sl.-Quenlin.
Rev. rjssorlalion sur Regulus.
RocQLANCouRT. Couis elcnienlairc d'art et d'liisloirc
mililaire.
Saisset [Emilc). QEnesideme.
Salm (la Princesse de). Pensees.— Poesies, 3'-. edition.
— Outrages divers en prose , suivis de Mes soixanle
ans.
Saktarem (le vicomle de). Memoire sur les connais-
sances scientifiqiies de Jean de Caslro. — De I'intro-
duclioa des procedes relalifs a la fabrioalion des
elofles de sole dans la Peninsule Lispaniqiie sous la
doiuinalion des Arabes. — Introduction au tableau
clemenlaire des relations poiilitpies et diploinali([ues
du Portugal avecles differentes puissances dumonde.
— Vasco de Gania el Florida Blanca, articles cxtrails
de I'Eucyclopedie des gens du nionde.
SrorTEiTEN. Coniple-rendu des Iravaisx de laSociele
des sciences nieJicalesdu departetacnt de la Moselle.
458 OUVRAGES
Serrurier. Compte-rendu dcs (ravaux dc la Soclcle
de mededsie pratique.
Simon. Commentaiie de Proclus sur leTimee dePlaton.
Spe>cer-Smith. Le festin d'Alexandrc oti le pouvoir
de la nuisique. — Discours prononce a TAcadeinie de
Caen, le 25 mai i832. — Wislh. Traile metliodique
des regies et maximes de eejeu. — Memoire sur la
culture de la musique dans la ville de Caen. — Des-
eriplion d'un monument arabe du moyen-age , con-
serve a Bayeirx. — Coup-d'oeil sur I'Angleterredepuis
j>484jusqu'en i5o9,discourslua TAcademiede Caen.
Suel'r-]Merli.\. De I'etat actuel de la geograpliie ma-
Ihematique en Espagne el en Portugal.
Taill£fer. Guide de la vie humaine.
T.u..i,m.VT (le baron de). Epitrc au comte de Paris.
Thiebact de Ber\eaud. Compte-rendu des travaux
de la Sociele liuneenne de Paris, annees 1822, 1825
et 1826.
Tuoi>ii>e-Des.>!az'jres. Cooinienlaire sur le code dc
procedure ci\ile.
TuL'RET {Robcrt-Eticnnc). Chants rcligicux et nielan-
colijucs.
Travers [Julien). Annuaire du depar lenient de !a
OFFERTS A l'aCADEMIE. 439
Mancbe , 1829 - 1840 ( collodion complete ). — Au
peuple, siir le cbolera-morbus. — Les Vaux-de-Vire
editcs et inedits d'OIivier Basselin et de Jean Lc
Houx. — De rinstruclion primaiio. — Les Disliqucs
de Muret , imites en quatrains francais. — De I'avenir
de la litleiature fianraise. — Dionysii Catonis Dis-
ticha de moribus ad filium in gallicos versus trans-
lata , quibus accedit , ad explanandas quajstiones dc
auctore el ejus doctrinA morali Disscrtalio. — Excur-
sion dans le Fiord du Passais normand. — Notice bio-
grapbique sur Frederic Galeron.
TuRPiN. Icones selecta) plantarum. — Iconograpbie
vegetale. — Organograpbie vegetale.
Vastel [Edouard). Guide dcs voyageurs et des ma-
lados aux Eaux-Bonnes.
. Verussior. Ilistoire de la ville de Cberbourg.
ViEiLLARD (P.-A. ). Les beros de Rouen pendanl le
siege de i4i8.
Vimort-^Iaux. Notice sur un secboir volant a})pliquc
au metier a tisser.
Walras. Dc la nature dcs ricbcsscs el de I'originc dc
la valeur.
WiLHEM. Programme general des Etudes musicales.
WoiNEz. Uier et Demain.
REGIEMENT
DES SCIENCES, ARTS ET BELLES-LETTRES
DE LA ^ILLE DE CAEN.
Art. !•■'.
L'AcADKMiE dos sciences , arls et belles-leltrcs de
Caon, se compose dc niemhroslionoraires, do iiiemhros
lilulaires , et d'associes residan(s ou corrcspondanls.
Art. IL
Le nomhredes monibres honoraires n'esl pas limiCe.
lis out rang immcdialcnicnt apies le bureau el jouis-
scnt des menacs droits que les membres (itidaires.
Art. in.
Lc nombre des membres tilulaircs est de (renlo-six.
4|2 REGLEMENT.
Art. IV.
Celui des associes residants on correspondanls est
illimitc. lis prennent place parmi les membrcs lilu-
laires dans les seances piibliques el parliculiercs , mais
sans avoir voix deliberative.
Art. V.
Tonte nomination pour les titres d'honorairo , de ti-
lulairc ou d'associe residant on correspondant est i)re-
cedee d'linc presentation , sauf le cas ou un membre
lilulaire deniandera a devenir honoraire.
Toute presentation est faite par ccrit , signee par un
membre bonoraire ou litulaire , et remise cacbetee an
president ou au secretaire , avec un ouvrage imprime
ou manuscrit, compose et adresse a I'Academie par
le candidat.
Cette proposition et les pieces a I'appui sont ren-
voyees sous le meme cachet a I'examcn de la Commis-
sion d'impression. Le jour oil le rapport doit avoir lieu
est annonce dans leslcltres de convocation.
La Commission , lorsqu'elle le juge convenable , est
dispensee de son rapport , sans etre obligee de foire
connailre les motifs de son silence ; mais elledoit aver-
tir et entendre le membre qui a propose le candidat ,
I'Academie se reservant le droit de prononcer sur les
reclamations.
Art. VL
L'Academie , aprcs avoir cntendu le rappor( de la
REGLEMENT. 445
Commission, decide s'il y a lieu a procedoial elt^clion.
Dans le cas dc rafTirmalive , cllo pent y proceder sur-
lo-champ ou la renvoycr a la seance suivante pour lout
delai.
Art. VII.
Pour elrc nomme , au premier tour de scniliFi ,
membre de I'Academie , ii fout avoir reuiii la moilic
des voix des membrcs ayant droit de voter.
Lorsque ce nombre de suffrages n'esl pas obfenu , il
sera , dans la seance suivante , procede a un nouvean
tour dc scrutin , dans lecpicl il faudra , pour etre elu ,
obtenir les deux tiers des voix des membres presents.
Si plusieurs membres sont en concurrence , ct si
releclion n'est pas faite par ce scrulin, il sera procede
inmiediatement au ballolage entrc les deux candidals
qui auront eu le plus grand nombre de voix , ct celui
quiobtiendra lamajorile relative sera proclame membre
de I'Academie. En cas dc partage egal de voix, le
plus age est elu (i).
f (!) Dans sa sdance du 2i mars 1810 , rAcatlCmlc a diddd , snr
!a proposition conformede la Commission de p!(^scnlalion , que,
lorsqu'il s'agirail do pourvoir aux places de membres titulaires
vacanlcs,la Compagnie proc6derail imiqnemenl par voied'tMoclion.
Elle a d6cid(? , en oulre , que I'arlicle VII serait intcrpr{?t6 ain.<a
qii'il suit : » Lorsqu'il y a ft proc6(!rr pnr oiii ou par non sur
I'admission de candidals aux places d'associ6s-r(^sidanls ou d'asso-
clSs-corrcspondanls , et que Ic nomlire de sulTrages voulu par le
rdglcment n'a pas 6l6o!)tenu dans la premiere seance, il faut , pour
que le scrulin puisse f'lre continue dans la s(?ance suivante , que
cliaque candidal ail obtenu d'abord les deux tiers des voix des
membres presents, »
4^4 J RKGLE3IEXT.
Anx. M!I.
Les officiers de rAcademie sonl : un president , un
vice-president , un secretaire , un vice-secretaire et
xin tresorier.
r.es digFiilaires sonl indefiniment reelijjibles , a
I'exception du president , qui ne pent eire ree'.u
qu'apres un an d'intervalle ; ii deviant de droit \ice-
presiJent.
Art. iX.
II sera cree une Commission d'impression, composee
de cinq membres. Elle choisira dans son sein un pre-
sident et un secretaire, et elle se reunira sur la con-
vocation de son president.
Elle fera connaitre par dos rapports ou par des
lectures les manuscrits que renferment les archives ;
elle prescntera a I'approbalion de I'Academie les M^i-
mnires qui poin-ront etre lus en seance publique ou
imprimes ; d'accord avec I'autcur , elle fera les chan-
gements qu'ellejugera convenables.
L'Academie se reserve le droit de prononccr sur les
difficultes qui pourraient s'elever.
Art. X.
De nouveaux membres pourront etre tcmporaire-
ment adjoints a la Commission d'impression , et des
Conunisslons speciales etre creees toiiles les fois que
TAcademie lejugcra convenable.
KtGLEMENT. ^5
Art. XI.
Les menibres du Bureau , ainsi que les mcmbres de
la Commission d'impression et de presentation , sont
nommes chaque annee dans la seance de novcmbre ,
a la majorite des suffrages des membres presents.
Pour les membres du Bureau , si la majorite n'est
pas acquise aux deux premiers tours de scrutin , il est
procede a un scrutin de ballolage, entre les deux
membres qui out obtenu le plus de voix au secoud
tour.
Pour les membres de la Commission , si la majorite
n'est pas acquise au premier tour de scrutin , la plu-
ralite decidera au second.
Art. XII.
Toutes les nominations se font au scrutin ; les autres
deliberations se prennent par la meme voie , a moins
que le president ne propose d'y proceder a haute voix
sans qu'il y ait reclamation.
Art. Xlir.
L'Academie tient ses seances le quatrieme vendredi
de cbaque mois , a sept heures precises du soir j le
jour et I'hcure des seances peuvent etre changes. Elle
prend vacance pendant les mois d'aout , de septembre
et d'octobre.
Art. XIV.
LArademie tient en outre des seances publi;}ucs.
446 KEGLEMENT.
Le jour , I'heurc , le lieu et I'objcl de ces seances sont
fixes par une deliberation.
Art. XV.
Tons les membrcs tilulaircs sont lenus d'assister au
moinsa cinq seances dans I'annee.
II sei*a distribue, pour droit de presence , des jetons
dont TAcadeniie determinera , par un arrets parti-
culier , la forme et la valeur.
Art. XVI.
Les membres tilulaires qui auraient laisse passer
une annee sans paraitre i aucune seance , ou deux
annees sans presenter aucun travail , et ceux qni
auraient cesse de resider a Caen , deviennent de droit
menibres associes. II sera pourvu sans retard k leur
remplacement.
Art. XVII.
Laliste des membres honoraires, titulaires, associes-
residants et associes-correspondants sera inipriniee
cbaque annee et remise a chaqne membre.
TABLE DES M ATIERES.
LisTE DES Membres au I•■^ septcmLve i84o. . png. vn
Societcs correspondantcs xvnr
Seance pnbli que du 26 novembic 1840. . . . xxi
Progtainnic xxiir
Discours d'ouvertiire protionce par M. F.-C.
Bertrand, president xxr
Rapport sur les tiavaux dc rAcadcmie , par M.
Tha VERS , secretaire ^ • xxxix
Magistrals inodertics. Biograpliie de 1\1. Ic baioii
Le Mcnuet dc la Juganriiere, par M. Massot,
avocat-general. lxxiii
Prix pour I'aunec i84' **
Memoires 1
Meinoire sur les ceuvres poetiques de Dcsporles .
de Bertaut , dc Malherbe , de Racaii , et dc
quelques autres poetes de la meiue cpoquc , p;ir
M. H. Martin, professeur de litlcraluie au-
cieniie a la Facultc des lettres de Reniies. . . 0
Analyse rbylhmiquc du vers alexandriii , par
M. F. Vaultier , professeur a la Facultc des
lellros de Caen ''^
Reflexions ^ur I'uuvrage inlilulc ; Jugcmcnt tic
Ill
TABLE DES MATIERES.
fli. Schelling sur la philosophie de M. Victor
Cousin , par M. E. Saisset , professcur de
philosophic •
Voyage a Solesrae , par M. Edom , inspecieur de
TAcadcraie de Caen i57
Traditions et usages de la Norinandie. Privilege
de la Fierte de St. Romain , par M. P. -A.
ViEiLLARD, I'ua des conservateurs de la bi-
tliothoque de rAisctial i6o
De la pocsie lyriqiie en France. — Lyrique des
XIV^ etXV^ siccles, par M. F. Vaultier. ..171
Revue des principauK fragments d'Ennius , par
M. F.-A. De Go'Uknay , avocat , docteur es-
lettres 3o4
Etudes sur Aristophane. — I. Des irreverences de
Tanciennc comedie grecque envers les dieux ,
par M. F.-G. Beetrand , prolesseur a la Fa-
culle des lettres de Caen 817
Extrait d'un Memoire sur la mendicite , par M.
Le Grip, conseillci de prefecture 54i
Notice sur les ceuvres de Yarignon , par M.
ScHMiT , professeur de matliematiques spe-
ciales au college royal de Caen 355
Note sur le baromctre a syphon , par M. L. De
Lafoye, professeur a la Faculle des sciences
de Caen 384
Description ct theorie du psychromctre du D'.
August , par le mime ■. . . . 587
Notice sur les recherches de charbon de lerrc faites
a FeugueroUes , par M. Herault , ingcnieur
en chef des mines , . SgS
TABLE DES MATIERES.
Poesies t • « ^ » 4^^
Les Heros dc Roueu pendant le siege de i4'8 ,
par M. P.-A. ViEitiAnD 4o5
Impressions et souvenirs, par M. R.-E. Tiiuret. 4'^
Le Prctre. A iin jeune seminariste pres d'enlrer
dans les ordres sacres , par /e /;ie/«c 4'5
Hommage a 1' Academic deCaen, par M.Theodore
Le Breton , ouvrier de Rouen. ...... 4*°
Aux poetes , dilhyrambe , par le menie. . . i 4^4
Ouvrages oJIerls a rAcadcrtiie » r 4^9
Reglement dc r Academic. .,..>>.. t 44'
ERRATA.
Page 306 , ligne 15. Aulieu de , alio , Itsez : alii.
Page 308 , ligne 9. Au lieu de, quoerit , lisez : quaeril.
Page 310 , ligne 1. Au lieu de , proesepibus , lisez : pra;sepibus.
Id. ligne 3 Au lieu de , coerula , lisez : cjcrula.
Page 313 , ligne 27. Au lieu de , caslilum, /isez: Cojlilum.
Page 3U, ligne 13. Aulieude, fipithaphes, lisez: 6pilaphes.
Note omise page ^0^, vers 1h'.
C3) Vers la fin d'avril 1 417, Charles Y I ayant surpris Boisbourdon,
matlie d'holel d'Isabeau de Baviere , romme II sorlait d'un rendez-
vous galanl avee celtc reine, le fil jeter a la Seine, 116 dans un sac
qui portait un inin{t&ndi\czMGimoisr Luissez passer la justice du
Rui.
15 JUN ISSS
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BULLETIiV »E L'lXSTRllCTIO^^ PIBLIQIE
ET DES SOCIETES SAVANTES
DE L'ACADEMIE DE CAEN.
( Extrait du Prospectus ].
a On Irouvcia dans ce Recucil :
« Uneanalyscct des fragments des priniipaux cours publics des
Facult^s de droit, des sciences, des lellnis et de I'Ecole secondairc
de m^decine ;
« Des morccaut scienliDqucs el lilldraircs analogues a I'enseignc-
raent supericur ;
a Un comple-rendu des concours, des priniipaux examcns, el de
loules !es solennites universitaires elacadcmiques;
« Lesactesofllcicis relatifsal'Instruclionpubilque anal5S(^sou re-
produils textuellemcnl, soil que cesacles 6manent du Miiiislre, soil
qu'ils (inianent du Rectcur ;
« Lemouvemcntdu personnel dans tous lps<5tablisseinenls publics
d'instruclion primaire, secondaire etsuperieine de nos trois d«5pni-
lements ; dans Ics ConiKes d'arrondissemenl, dans les Commissio:!;;
d'examen pour les brevets de capacil6 et de surveillance prcs des
Ecoles normales ;
« L'expose des Iravauxdes Soci^lcs savantes qui existent dans les
prlncipalcs villes du Calvados , de la Blanche et do I'Orne ;
. « Des nouvelles scientifiquesctlillL'raires, el la Bibliographic de
ccs trois d^partements;
« Des articles siir Ics pi-incipauiouvTagessortis de leurs presses, ou
publics par des auleurs normands qui en auront remis deux exem-
[Jaircs au bureau du Bulletin ;
n Des Melanaesou, selon Vespace laisss^ par les autrcs nialieres,
seront admis des fragments d'ceuvres iu6diles , des revues retros-
pectives , des biographies nonnandes , etc. »
1.0 Bulletin , dont 10 1". nuin(5ro a paru le l*^ oclobre 18i0, est
public par livraisons d'environ 80 pages vers lei"", de chaquemois.
el forme par ann6e deux volumes in-S". d'au moins soixante fcuill(s.
On s'abonnc , a Caen , chez Hardel , imprimeur-libraire, rue
Froide; h Paris, chez DruiciiK, rue du Bouloy, 7; chez Hachktte,
rue Pierre Sarrazin , 12 , et chez les princip'aux libraircs daus les
villes du ressort acad6mique.
Prix de rabonnement : i Caen, 12 francs; hors de Caen, 15 fl-ancs.
Tout ce qui concerne la redaction doil etre envoyti franc de port
a M. JiiuFN iKAVEns, agr^gd de liltcrature prcs la Facultddes
lei Ires de Caen.
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