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Full text of "Mémoires et documents"

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MÉMOIRES  ET  DOCUMENTS 


DE  LA 


SOCIÉTÉ  D'HISTOIRE  ET  D'ARCHÉOLOGIE 


DE  GEWETE 


tKNKVE.  —  IMPRIMERIE    RAMBOZ   ET   SCHUCHARDT. 


MÉMOIRES  ET  DOCUMENTS 


PUhLiES 


^  ^ 


PAR  LA  SOCIETE 


mmii  w  mmwk 


DE   GEjNEVE 


TOME  ONZIÈME 


GENEVE 

CHKZ    JLLLIKN     FRÈRES,    LlBRAIRtS-ÉDlTEURS 

PARIS 

r.HEZ     VLLOUARD    ET    K.BPPELIN 

Rue  de  Seine,  1-2 

1859 


ÏH£GtïTvCLNl£R 


CHARLES  PERROT 

PASTEIR  GENEVOIS  Al'  SEIZIÈME  SIÈCLE 


NOTICE   BIOGRAPHIQUE 


INTRODUCTION 

Le  nom  de  Charles  Perrot  est  presque  entièrement  inconnu, 
et  l'on  me  demandera  sans  doute  ce  qui  m'a  engagé  h  étudier 
et  à  faire  connaître  sa  vie.  —  Il  est  vrai  :  Charles  Perrot  n'a 
occupé  aucune  place  éminente  ;  aucun  de  ses  ouvrages  n'a  vu 
le  jour,  aucun  progrès  évident,  aucune  révolution  morale  ne  se 
rattache  à  son  nom  ;  ce  n'est  même  que  par  hasard,  et  pour 
résoudre  des  énigmes  historiques  où  ce  nom  était  mêlé,  que 
j'ai  commencé  à  m'occuper  de  lui.  Cependant  je  crois  cet  homme 
digne  d'attention  et  d'intérêt. 

Je  crois  que  l'étude  de  cette  vie,  fort  originale,  n'est  pas  sans 
utilité.  L'obscurité,  la  singularité,  les  contrastes,  la  valeur  éle- 
vée, la  secrète  influence  de  cette  individualité,  de  ce  caractère 
et  de  cette  foi,  voilà  ce  qui  m'a  attaché  à  ce  personnage  ignoré  ; 
type  nouveau  pour  nous,  surtout  au  seizième  siècle.  Sans  faire 
grand  cas,  je  l'avoue,  de  son  savoir  et  de  son  jugement,  je  me 
suis  peu  à  peu  comme  épris  de  cette  humble  figure ,  fort  inat- 
Tome  XI.  1 


2 

tendue  clans  la  chaire  tle  Calvin,  et  malgré  quelques  impru- 
dences, ou  même  quelques  aberrations,  toujours  vénérable  et 
naïve  à  la  fois ,  par  cela  même  toujours  attrayante. 

Un  mot  sur  les  sources  où  j'ai  puisé  ;  sources  en  général  in- 
complètes et  contradictoires,  toujours  insuffisantes.  Je  les  dis- 
tingue eu  quatre  catégories. 

1 .  Documents  officiels,  comme  registres  du  Conseil  et  de  la 
Compagnie,  obituaires  des  pasteurs,  rôles,  catalogues,  actes 
publics,  livres  des  bourgeois,  etc. 

Ces  documents  sont  les  plus  sûrs  de  tous.  Ce  sont  les  seuls 
qui  fassent  foi  entre  des  assertions  contradictoires.  Et  pourtant, 
à  l'endroit  de  Charles  Perrot,  tous,  môme  les  procès-verbaux 
(les  Corps,  présentent  de  petites  contradictions,  de  singulières 
méprises  et  d'inexplicables  lacunes  \ 

2.  Documents  historiques,  en  restreignant  cette  classification 
il  ceux,  bien  peu  nombreux,  qui  méritent  toute  confiance  et  ne 
sont  nulle  part  contredits.  Je  n'ose  en  vérité  renfermer  dans 
cette  catégorie  qu'un  petit  article  du  journal  de  Pierre  de  l'E- 
toile, une  note  de  Bavie  à  l'occasion  de  Perrot  d'Ablancourt, 
deux  lettres  de  Casaubon  à  Charles  Perrot.  quelques-uns  des 
précieux  documents  réunis  et  toujours  libéralement  communi- 
qués par  M.  Gaberel,  enfin  une  notice  de  Galiffe  dans  la  por- 
tion seulement  qui  est  extraite  des  actes  pubHcs. 

3.  Documents  hollandais  ou  arminiens.  Je  désigne  ainsi 
quelques  données  fort  importantes  sur  les  rapports  de  Perrot 
avec  deux  ou  trois  théologiens  des  Provinces-Unies,  et  par 
suite  sur  ses  doctrines  personnelles.  Ces  données  méritent 
toute  confiance  en  ce  qui  touche  aux  tendances  dogmatiques, 
mais  elles  sont  entremêlées  de  faits  historiques  inexacts,  par- 
fois contradictoires,  et  visiblement  empruntés  à  une  tradition 

*  Je  dois  exprimer  ici  ma  vive  reconnaissance  aux  amis  qui  se  sont  donné 
la  peine  d'explorer  pour  moi  les  registres  officiels  ou  les  actes  publics;  avant 
tout  à  M.  Tarcliivisle  Ileycr  el  à  ?.i.  le  pasteur  Arcliinard,  mais  aussi  h  M. 
l'ancien  pasteur  Gaberel. 


vague  et  douteuse.  Elles  sont  conlennes  dans  quelques  ou- 
vrages, dont  les  principaux  ne  sont  pas  faciles  à  rencontrer'. 

4.  Documents  iraditionneh.  Je  désigne  de  la  sorte  les  recils 
parfois  assez  détaillés  de  Moreri ,  Spon ,  Senebier  et  Ga- 
lilïe  dans  ce  qu'il  n'a  pas  extrait  d'actes  publics.  Ces  divers 
écrivains  se  sont  copiés  successivement,  reproduisant  toujours 
à  côté  de  détails  curieux,  et  confirmés  d'ailleurs,  bien  d'autres 
plus  contestables,  ou  même  décidément  erronés. 

Où  ont-ils  primitivement  puisé?  Quelle  a  été  la  source  pre- 
mière de  la  tradition,  mêlée  de  méprises,  qu'ils  reproduisent  à 
l'envi?  En  vérité,  je  ne  puis  répondre.  Après  des  recherches 
mutiles  et  des  conjectures  trompées,  j'ai  dû  en  revenir  sur  cette 
matière  au  point  de  départ,  c'est-à-dire  au  doute  complet.  Toute- 
fois on  ne  peut  guère  attribuer  ces  faits  de  détail  qu'à  une  ou 
plusieurs  des  trois  sources  suivantes:  des  souvenirs  locaux, 
ceux  d'Utenbogaerl  disciple  de  Perrot,  et  ceux  de  Casaul^on 
son  collègue,  les  uns  et  les  autres  plus  ou  moins  fortuitement 
recueillis,  et  inexactement  reproduits. 

Ces  diverses  sources,  on  le  voit,  sont  bien  pauvres.  Toute- 
fois, leurs  incertitudes  mêmes  et  leurs  contradictions  sont  en  un 
certain  sens  un  stimulant  à  la  recherche  de  la  vérité  historique. 
Cette  vérité,  aurai-je  réussi  à  i'éclaircir?  Bien  incomplètement 
sans  doute,  mais  du  moins  je  m'efforcerai  de  ne  rien  affirmer 
qui  ne  soit  certain. 

*  J'ai  pu  consulter  le  Supplément  de  Chaufj'epié  au  Dictionnaire  de  Bayle, 
La  Haye,  1750,  i  volumes  in-folio,  et  Branilt,  Histoire  de  la  Réformai  ion, 
('■crite  en  hollandais,  mais  traduite  plus  tard;  La  Haye  1726,  4  volumes.  La 
Collection  de  Rotterdam  des  Épitres  de  Casaubon  (1709)  et  les  Éphémérides 
(lu  même  auteur  pourraient,  par  l'analogie  des  points  de  vue,  niulrer  dans 
cette  même  catégorie,  et  j'en  ai  pu  tirer  (piehpie  parti.  Jlais  la  soui-ce  la 
plus  importante  et  la  plus  féconde  est  la  vie  d'Utenbogaert  écrite  par  lui- 
même  en  hollandais,  surtout  la  préface.  Voir  là-dessus  une  note  du  cha- 
pitre 111.  Jo  dois  à  la  fraternelle  et  docte  bienveillance  de  M.  l'ancien  pas- 
teur Dclprat,  à  Rotterdam,  communication  de  ce  précieux  document  dont  il 
a  bien  voulu  prendre  la  peine  de  traduire  pour  moi  tout  ce  qui  touchait  à 
mon  sujet.  On  verra  plus  tard  tout  ce  que  celte  préface  m'a  fourni. 


La  marclie  à  suivre  dans  cet  essai  de  liiogiaphie  esl  com- 
pliquée parce  que  l'homme  est  complexe.  11  faudrait  retrouver  et 
reproduire  son  histoire  extérieure  et  sa  vie  intérieure;  ses  an- 
técédents inconnus  et  les  jugements  passionnés  qui,  après  sa 
mort,  entourèrent  sa  mémoire  ;  sa  naïve  et  pieuse  originalité,  et 
ses  rapports  avec  l'inflexible  organisme  ecclésiastique  auquel  il 
appartenait;  ses  opinions  secrètes  enfin  et  ses  actes  publics. 
Pour  arriver  à  un  examen  un  peu  complet  et  profond  de  ces 
divers  éléments  de  sa  vie,  j'ai  pris  le  parti  d'étudier  successive- 
ment en  lui. 

L'homme  historique,  ou  les  faits; 

L'homme  naturel,  ou  lindwiduaiiU'  ; 

L'homme  religieux,  ou  la  foi. 
Enfin,  dans  un  appendice,  j'exposerai  l'étrange  et  triste  his- 
toire de  la  suppression  de  ses  écrits. 

Je  ferai  mes  efforts  pour  prévenir  ou  atténuer  les  répétitions 
auxquelles  un  tel  plan  semble  devoir  condamner. 


CHAPITRE  PREMIER. 

L'homme  historique,  ou  les  Faits. 

Le  10  novembre  1564,  la  Compagnie  élisait  Charles  Perrot, 
pasteur  à  Moëns,  et  son  frère  aîné  Denis  Perrot  à  Peney  et  Sa- 
tigny.  Le  4  décembre  suivant  cette  double  élection  était  con- 
firmée par  le  Conseil  d'Etal  en  même  temps  qu'une  troisième 
(de  M.  Henry,  à  Céligny).  Voila  le  point  de  départ  certain  de 
notre  histoire ,  fondé  sur  les  registres  officiels  des  deux  Corps. 
El  cependant,  chose  étrange  !  ce  nest  que  par  la  comparaison 
d'autres  extraits  de  registres,  soit  du  Conseil,  soit  de  la  (Com- 
pagnie, ainsi  (|ue  de  l'obi tuaire  de  celle-ci,  que  l'on  arrive  à 
celte  certitude.  En  ell'el,  il  y  a  eu  plusieurs  confusions  faites 
par  les  secrétaires  officiels  entre  les  prénoms  des  deux  frères, 


et  par  suite  entre  les  places  auxquels  ils  furent  appelés  et  entre 
leur  ordre  de  primogéniture.  Il  y  en  a  eu  môme  entre  Charles 
Perrot  et  un  troisième  pasteur  du  même  nom,  Samuel  Perrot, 
qui  fut,  plus  tard,  successivement  élu  h  Satigny  et  à  la  ville. 

Moëns,  petit  village  du  pays  de  Gex,  au-dessus  de  Fernex  et 
de  Prévessin,  appartenait  alors  à  la  République  de  Genève 
comme  terre  du  Chapitre.  La  résidait  le  pasteur  de  la  paroisse 
dite  de  Moëns,  Collex  et  Genllwd.  Satigny,  jadis  riche  prieuré, 
formait  avec  quelques  villages  voisins  le  Mandement  de  Peney, 
ainsi  nommé  d'un  château  au  bord  du  Rhôsîe,  château  alors  en 
ruines,  mais  plein  de  sanglants  souvenirs,  et  dont  on  ne  pouvait 
oublier  à  cette  époque  l'importance  passée. 

Suivant  les  procès-verbaux  et  l'obituaire,  les  deux  frères 
Perrot  étaient  originaires  de  Paris;  circonstance  ignorée  des 
biographes,  et  même  d'autres  documents  officiels.  Le  livre  des 
bourgeois,  entre  autres,  si  exact  d'ordinaire  a  donner  la  première 
patrie  des  étrangers  admis,  se  lait  sur  celle  de  Charles  Perrot 
et  la  laisse  en  blanc. 

Savoir  qu'il  était  de  Paris,  c'est  quelque  chose,  mais  cela  ne 
peut  nous  suffire.  Il  nous  faut  quelques  renseignements  sur  ses 
antécédents  et  sa  famille. —  Le  contrat  de  mariage  de  Cli.  Perrot. 
retrouvé  par  M.  Heyer,  m'a  mis  sur  la  voie.  Ce  contrat,  déjà 
connu  de  M.  Galilïe,  nous  apprend  que  les  deux  frères  étaient 
lils  d'Emile  Perrot,  conseiller  au  Parlement  de  Paris.  Dès  lors, 
avec  l'aide  de  Bayle  on  peut  aller  plus  loin.  Emile  Perrot 
était  un  jurisconsulte  distingué,  catholique  et  d'une  grande  no- 
blesse de  robe.  Plusieurs  membres  de  cette  famille  ont  joué 
un  rôle  important  et  occupé  de  hautes  positions  en  France,  en 
Angleterre,  en  Italie,  a  Genève  enfin.  î^es  enfants  de  Charles 
Perrot  s'allièrent  chez  nous  aux  Mituitoli,  aux  De  Chapeaurouge, 
aux  Saladin,  aux  Pulliet.  L'un  de  ses  fils  fut  Conseiller  d'État, 
l'autre  membre  du  Deux-Cents,  ainsi  que  ses  petits-fils. 

Il  semble  qu'il  y  ait  eu  dans  la  famille,  catholique  pourtant, 
d'Emile  Perrot,  quelque  semence  secrète  et  vivace  de  |)rotos- 


6 

tantisme.  Nous  voyons  deux  de  ses  lils  pasteurs  à  Genève.  Un  de 
ses  petits-fils  d'une  autre  branche,  Paul  Perrot,  se  fit  protestant 
à  Oxford.  Son  arrière  petit-fils  enfin,  le  célèbre  d'Ablancourt, 
fils  de  Paul,  né  protestant,  se  fit  catholique,  mais  pour  rentrer 
bientôt  dans  l'Église  prolestante  où  il  vécut  avec  conviction  pen- 
dant les  quarante  dernières  années  de  sa  vie.  Bien  des  choses 
conduiraient  à  soupçonner  que  la  mère  de  toute  la  famille, 
Magdeleine  Gron,  femme  d'Emile  Perrot,  était  protestante  au 
moins  de  cœur. 

Quoi  qu'il  en  soit,  les  deux  frères  qu'en  1 564  nous  retrou- 
vons pasteurs  a  Genève,  étaient  nés  catholiques  et  à  Paris.  Que 
s'était-il  passé  entre  deux?  Quelles  données  avons-nous  sur 
leur  conversion,  sur  leur  histoire  intérieure  pendant  les  vingt- 
cinq  ans  environ  qui  séparent  les  deux  époques? — A  peu  près 
aucune.  Rien  dans  les  sources  n'éclaircit  ce  point.  Un  seul  in- 
dice, mais  indirect  et  douteux,  se  trouve  dans  l'histoire  sub- 
séquente. Les  adversaires  de  Ch.  Perrot  lui  reprochaient  dans 
l'occasion  d'avoir  les  allures  d'un  ancien  moine.  Était-ce  une 
épigramme  attirée  par  ses  manières  d'être  et  d'agir,  assez  ex- 
traordinaires en  effet?  Était-ce  une  allusion  maligne  à  un  fait 
antérieur?  Nous  ne  savons,  mais  nous  inclinons  à  cette  dernière 
alternative.  On  verra  plus  tard  nos  motifs. 

Denis  Perrot,  l'ainé  des  deux  frères,  quitta  Satigny  à  la  fin 
de  1 5CG  pour  retourner  à  Paris  se  fixer  auprès  de  sa  mère,  à 
laquelle,  déjà  au  printemps,  il  avait  été  faire  visite.  Il  y  périt  à  la 
Saint-Barthélémy,  c'est  tout  ce  que  nous  savons  de  lui.  De  Thou 
fait  son  éloge,  et  le  désigne  comme  le  «  digne  fils  du  savant  et 
probe  Emile  Perrot.  » 

Charies  Perrot,  le  cadet,  devait  être  né  en  1541.  En  1566, 
il  épousa  la  fille  de  Sp*'.  Cop.  Théodore  de  Bèze  lui  fit  l'honneur 
d'assister  au  contrat.  En  1571,  il  épousa  en  secondes  noces 
la  fille  de  Simon  Caillate,  de  Paris. 

Il  était  devenu  p;isteur  a  la  ville  en  1567,  époque  à  laquelle 
il  fut  reçu  bourgeois  gratis.  Le  livre  des  bourgeois,  contre  son 
usage,  garde  le  silence  sur  le  motif  de  cette  faveur. 


7 

Il  est  intéressant  de  remarquer  que  sa  position  à  Genève 
n'ôlail  rien  à  ses  alïeclions  filiales.  Nous  le  voyons,  à  trois  repri- 
ses*, demander  un  congé  pour  aller  voir  sa  mère,  veuve  à  ce 
qu'il  semble,  et  ayant  besoin  d'appui. 

Dans  ce  chapitre,  où  il  n'est  encore  question  que  de  dates  et 
de  faits,  nous  n'avons  pas  à  caractériser  Perrol  comme  pasteur 
et  docteur,  mais  les  dates  et  les  faits  trahissent  à  eux  seuls  une 
carrière  active,  savante  et  dévouée.  Le  2  septembre  15G8  il  est 
envoyé  à  l'hôpital  des  pestiférés;  dès  lors  il  est  fréquemment 
chargé  par  la  Compagnie  de  commissions  et  fonctions  relatives 
au  soin  des  pauvres ,  à  l'administration  de  la  charité ,  comme 
aussi  à  la  surveillance  de  l'enseignement  et  aux  sciences  théolo- 
giques. Il  devint  recteur  de  l'Académie  en  1570.  En  1572  il 
fut  fait  lecteur  en  théologie,  titre  d'une  espèce  de  professorat 
secondaire,  irrégulier  et  honoraire  qui  devait  correspondre,  a  ce 
qu'il  semble,  aux  privatim  docentes  des  universités  allemandes. 
Nous  savons  par  Utenbogaert  qu'il  était  en  cette  qualité  appelé 
à  donner  quelques  cours  de  temps  à  autre,  et  a  présider  cer- 
tains exercices  des  étudiants. 

En  1588  il  fut  élu  recteur  une  seconde  fois,  et  encore  réélu 
malgré  lui  en  1590.  En  1586  on  le  chargea  spécialement  de 
remplacer  dans  l'enseignement  de  la  théologie  Bèze  et  La 
Faye ,  envoyés  tous  deux  au  synode  de  Montbelliard.  Eniin 
Perrot  mourut  subitement,  en  1608  ,  dans  la  maison  que  ses 
enfants  avaient  héritée  à  la  rue  des  Chanoines  du  pasteur  Cop, 
leur  aïeul.  Il  n'y  a  aucun  doute  possible  sur  cette  date  attestée 
par  les  registres  de  la  Chancellerie,  et  confirmée  par  les  faits 
subséquents.  Et  cependant,  chose  étrange!  elle  est  en  contra- 
diction avec  l'obituaire  de  la  Compagnie  qui,  rédigé  postérieu- 
rement, place  cette  mort  un  an  plus  tôt.  Tant  l'origine,  la 
naissance,  la  vie,  la  mort  et  (comme  nous  le  verrons)  les  ou- 
vrages de  Perrol  devaient  être  entourés  d'obscurités,  dues  entre 
autres  aux  lacunes  et  aux  contradictions  des  documents  ofliciels. 

'  '18  Mai  1565;  8  Avril  15116;  i  Juin  1571. 


8 

Perrot  avait  rédigé  plusieurs  écrits,  tous  inédits  à  sa  mort, 
et  qui  furent,  après  qu'on  les  eut  découverts,  l'occasion  de  longs 
débats  et  de  curieux  incidents.  Le  dernier  chapitre  de  ce  tra- 
vail sera  consacré  à  ce  douloureux  exposé. 

Avant  de  terminer  ce  chapitre-ci,  nous  avons  à  discuter  deux 
autres  détails  plus  que  douteux  de  la  vie  de  Ch.  Perrot,  détails 
affirmés  par  les  biographes ,  mais  décidément  inconciliables 
avec  les  documents  authentiques  et  les  faits  constatés. 

Suivant  Senebier  et  les  autres,  Ch.  Perrot  aurait  été  pasteur 
de  l'Hôpital  général.  Il  y  aurait  même  réformé  des  abus,  fait 
cesser  des  dilapidations,  et  introduit  par  son  influence  de  nou- 
veaux règlements.  —  En  second  lieu,  tout  à  la  fm  du  siècle, 
en  1598,  il  serait  devenu  professeur  ordinaire  de  théologie. 

Quant  à  l'Hôpital  général,  celte  assertion  ne  s'appuie  sur 
aucun  document  authentique.  La  fonction  que  les  divers  bio- 
graphes de  Perrot  s'obstinent  à  lui  attribuer,  n'existait  pas 
de  son  temps.  Les  ordonnances  ecclésiastiques  revues  en  1 576 
supposent  le  contraire,  car  elles  établissent  à  l'Hôpital  un  maître 
d'école  [Magisler)  pour  remplir  l'office  d'instituteur,  d'évan- 
géliste  et  de  consolateur.  La  chapelle  de  l'Hôpital  ne  fut  bâtie 
qu'au  commencement  du  dix-huitième  siècle.  Le  silence  absolu 
de  tous  les  registres  du  Conseil  ou  de  la  Compagnie  *  est  d'ail- 
leurs un  argument  décisif  contre  cette  tradition,  dont  l'origine 
erronée  est  du  reste  facile  à  découvrir.  Elle  tient  probablement 
à  une  confusion  avec  les  services  rendus  par  Ch.  Perrot  à  l'hô- 
pital des  pestiférés,  où  la  tradition  lui  attribue  aussi,  et  proba- 
blement avec  plus  de  raison,  la  réformation  de  graves  abus. 
Cette  confusion  se  sera  encore  fortifiée  par  le  fait  qu'en  1 573 
Ch.  Perrot  se  plaignit  vivement  en  chaire  de  la  dureté  avec  la- 
quelle les  diacres  de  IHôpital  en  agissaient  avec  les  pauvres. 
Puis  encore  parce  qu'en  L575  il  fut  chargé  par  la  Compagnie 


'  Les  registres  de  l'Hôpital  ne  remontent  pas  au  delà  de  la  fondation  de 
la  chapelle. 


<rinspecler  (hahiliielleiiient  à  ce  qu'il  seniMe)  ia  dislribution  des 
secours  faite  par  ces  mêmes  diacres'. 

Quant  à  l'assertion  de  Senebier  que  Cli.  Pcrrol  devint  pro- 
fesseur ordinaire  de  théologie  en  1598,  c'est  une  erreur  évi- 
dente, pareillement  aisée  à  expliquer.  La  tâche  de  lecteur  en 
théologie  qui  lui  avait  été  confiée,  l'enseignement  académique 
occasionnel  et  interrompu  qu'en  conséquence  il  donna  de  temps 
à  autre  entre  15T2  et  1598  ou  1599,  laissent  deviner  l'origine 
de  la  méprise.  Mais  quant  à  une  élection  au  posie  de  profes- 
seur ordinaire,  il  n'y  en  a  aucune  trace,  ni  dans  les  catalogues 
extraits  des  registres,  ni  dans  les  registres  eux-mêmes,  tant  du 
Conseil  que  de  la  Compagnie. 

Bien  plus:  En  1598,  à  l'époque  même  où  l'on  veut  que 
Ch.  Perrot  soit  devenu  professeur  ordinaire,  les  registres  de  la 
Compagnie  nous  le  montrent  venant  demander  avec  instances 
d'être  déchargé  de  l'enseignement  qui  lui  incombait  à  cette 
époque,  très-probablement  comme  suppléant  de  Théodore  de 
Bèze  vieux  et  fatigué.  11  s'appuie  humblement  sur  ce  que  les 
étudiants  ne  viennent  plus  l'entendre,  un  seul  d'entre  eux  suivant 
encore  ses  leçons.  La  Compagnie  ajourne  la  décision  en  no- 
vembre, et  les  registres  n'en  parlent  plus.  L'année  suivante, 
toutefois,  Jean  Diodati  se  chargea  de  suppléer  gratuitement 
Théodore  de  Bèze,  et  continua  cet  office  jusqu'après  la  mort  de 
Perrot,  qu'évidemment  il  remplaçait  dans  cette  fonction  secon- 
daire. 

'  Registres  de  la  Compagnie  du  22  juillet  1575  :  «  M.  Perrot  print  cliarge 
«  d'assister  à  la  distribution  pour  voir  l'ordre,  et  en  pouvoir  rapporter  à  la 
«  Compagnie.  »  —  D'apiès  l'article  166  des  Ordonnances  Ecclésiastiques,  cette 
inspection  exercée  par  le  Conseil  et  la  Compagnie  avait  lieu  tous  les  trois 
mois  ;  mais  la  Compagnie  qui,  comme  le  Conseil,  l'exerçait  par  un  délégué, 
était  libre  de  confier  habituellement  cette  délégation  au  même  individu,  lors- 
qu'il  était  connu  par  une  aptitude  pai'ticulière  à  ce  genre  d'office.  Il  semble 
que  ce  fut  là  le  cas  de  Ch.  Perrot,  et  l'expression  print  charge,  paraît  plutôt 
indiquer  l'acceptation  d'une  fonction  répétée  et  régulière. 


10 

CHAPITRE  II. 

L'homme  naturel,  ou  l'Individu. 

Charles  Perrot  était  au  physique  un  homme  frêle  et  débile. 
Le  jour  où  il  devait  prêter  serment  comme  pasteur  à  Moêns ,  il 
ne  put,  étant  indisposé,  paraître  devant  le  Conseil  d'Etat.  La 
première  mention  que  dès  lors  les  registres  du  Conseil  fassent 
de  lui  est  la  suivante  :  «  A  esté  exposé  de  la  part  de  M.  de  Bèze, 
«  que  le  dit  ministre  est  contraint  d'avoir  un  cheval  pour  aller 
«  prescher  ça  et  la,  a  cause  d'une  grande  infirmité  qu'il  a  en 
«  son  corps.  »  Il  n'avait  alors  que  24  ans.  En  1574,  il  était 
atteint  de  la  pesle  dans  sa  demeure,  et  avec  une  assez  grande 
intensité;  mais  il  échappa.  Sa  santé  cependant  en  resta,  ce  semble, 
altérée.  Il  avait  39  ans  quand,  six  ans  plus  tard,  le  l*""  février 
1580,  il  demandait  et  obtenait  sa  décharge  de  pasteur  à  la  ville 
«  pour  les  maladies  qui  lui  sont  survenues,  et  auxquelles  il  n'y 
«  a  point  d'apparence  d'amendement.  » 

Pendant  cinq  mois  les  pasteurs  sollicitent  à  maintes  repri- 
ses sa  réintégration ,  parce  qu'eux-mêmes ,  disent-ils ,  sont  va- 
létudinaires et  ne  peuvent  se  passer  de  lui.  Mais  ce  n'est  que  sur 
une  cinquième  instance ,  et  au  milieu  d'août ,  que  le  Conseil  y 
consent.  Jusque-là ,  «  Messieurs  ne  s'en  sont  peu  résoudre  à 
«  cause  de  l'impuissance  du  dit  Spectable  l^errot.  »  Pour  triom- 
pher de  cette  résistance,  la  Compagnie  s'engage  à  essayer  en- 
core et  avertir  si  sa  voix  est  insuffisante.  Puis  enfin  elle  affirme, 
après  examen,  «  qu'il  a  bonne  voix  pour  se  faire  entendre  du 
peuple,  et  Messieurs  arresient  enfin  qu'il  soit  remis  en  sa  place 
et  gaiges.  »  Dès  lors  il  continua  sans  autre  interruption.  Puis 
il  mourut  à  67  ans  «  d'une  soudaine  déffuxion,  dit  le  registre 
«  mortuaire ,  et  comme  apoplexie.  » 

Cette  fragilité  corporelle  rend  plus  digne  encore  d'attention 
les  travaux  considérables  et  la  grande  activité  de  cet  honnne  sin- 
gulier, mais  remarquable. 


n 

Les  biographes  vantent  le  grand  savoir  de  Perrot,  et  insis- 
tent sur  sa  connaissance  de  l'antiquité,  c'est-à-dire  probable- 
ment de  l'antiquité  ecclésiastique  et  des  Pères.  Cela  est  tout  à  fait 
en  rapport  avec  ce  que  nous  savons  de  ses  travaux.  Les  fonc- 
tions qui  lui  furent  confiées  suffisent  pour  prouver  la  considéra- 
tion dont  il  était  entouré  au  point  de  vue  de  la  science  et  de 
l'érudition  \ 

Encore  pasteur  de  Moëns,  à  l'âge  de  24  ans,  sur  la  proposi- 
tion de  Théodore  de  Bèze ,  il  est  chargé  par  le  Conseil  d'Etat 
de  chercher  parmi  les  jurisconsultes  de  Bourges,  en  allant  à 
Paris ,  s'il  se  trouverait  un  ou  deux  hommes  qu'il  convînt  d'ap- 
peler à  Genève  pour  y  fonder  l'école  de  droit.  Sa  première  édu- 
cation et  sa  position  de  fds  d'un  conseiller  au  Parlement  lui  fa- 
cilitaient une  recherche  de  ce  genre.  Il  n'était  pasteur  à  la  ville 
que  depuis  trois  ans,  il  n'avait  pas  encore  30  ans,  quand,  sans 
avoir  encore  jamais  enseigné ,  il  fut  fait  recteur.  Nous  avons  vu 
que,  quand  il  en  avait  environ  cinquante,  la  même  fonction  lui 
fut  encore  deux  fois  conférée.  Le  registre  de  la  Compagnie ,  au 
sujet  delà  dernière  des  deux,  mérite  d'être  cité  (3  juillet  1590)  : 
«  M.  Perrot  s'excusa  du  rectorat  et  pria  de  l'en  décharger,  les 
«  deux  ans  estants  achevés  ;  mais  la  Compagnie  l'ayant  prié  de 
«  continuer  à  cause  qu'elle  en  avait  fort  bon  témoignage,  il  ac- 
«  cepta.  »  A  l'issue  de  son  premier  rectorat,  et,  pendant  le 
troisième,  on  voit  qu'il  était  chargé  par  la  Conq)agnie  d'admi- 
nistrer, et  sans  doute  aussi  de  distribuer  les  deniers  «  des  poures 
escholiers,  »  tâche  pour  laquelle  son  exactitude,  son  désinté- 
ressement et  son  amour  des  pauvres  le  désignaient  autant  que 
ses  fonctions  de  recteur.  A  ces  deux  époques,  les  registres  de 
la  Compagnie  nous  le  montrent  demandant  à  en  être  déchargé, 

*  C'est  par  erreur  que  quelques-uns  ont  appliqué  à  Cli.  Perrot  des  éloges 
et  des  criti({ues  philologiques  de  Casauljon  et  d'autres,  mais  qui  concernent 
un  autre  Perrol,  commentateur  de  Polybe  et  de  Martial.  Celui-ci,  Nicolas 
Perrot,  vivait  au  quinzième  siècle,  il  était  né  à  Sasso-Ferrato  en  Onibrie,  et  il 
mourut  en  1480,  non  pas  pasteui"  mais  arclievêque. 


12 

et  la  Compagnie  s'y  refusant.  Ce  fut  avant  la  lin  du  premier 
rectorat  que  la  Compagnie  et  le  Conseil  le  firent  lecteur  en  théo- 
logie, îl  ne  paraît  pas  avoir  fréquemment  donné  d'enseignement 
régulier,  sauf  pour  aider  la  vieillesse  de  Théodore  de  Bèze;  mais 
nous  voyons  à  plus  d'une  reprise  les  Corps  insister  pour  qu'il 
rende  ce  service  à  l'Eglise ,  et  le  Conseil  le  lui  demande  encore 
en  1605,  trois  ans  avant  sa  mort.  —  En  1587,  la  Compagnie  le 
nomme  membre  de  la  commission  chargée  de  préparer  une  pré- 
face pour  la  version  de  la  Bible. 

Mais  bien  avant  cette  époque  il  avait  été  choisi  pour  s'ac- 
quitter seul  ou  presque  seul  de  deux  tâches  importantes,  qui 
prouvent  la  confiance  qu'on  avait  non-seulement  dans  son  sa- 
voir, mais  aussi  dans  sa  capacité. 

Le  16  octobre  1573  (registre  de  la  Compagnie),  «  a  été  ad- 
«  visé  de  remettre  les  papiers  de  feu  M.  Calvin  entre  les  mains 
«  de  M.  Perrot,  qui  les  pourra  voir  et,  communiquant  le  tout 
«  à  M.  de  Besze,  adviser  ensemble  d'en  faire  une  fin.  » 

De  ce  travail  résulta  la  collection  des  Epislolœ  et  Rcsponsa^ 
publiée  à  Genève  en  1 575  avec  la  vie  de  Calvin  par  Bèze.  Une 
seconde  édition,  augmentée  de  seize  lettres  nouvelles,  parut 
l'année  suivante,  et  cette  addition  fut  encore  l'œuvre  de  Perrot. 
Nous  en  avons  la  certitude  par  les  registres  du  Conseil  du  1 3 
mars  1576:  —  «  Charles  Perrot,  epistns  de  M.  Calvin;  a  été 
«  proposé  qu'on  a  aperçu  qu'à  l'impression  des  dites  epistres , 
«  y  en  a  été  insérée  une  taxant  ceux  de  ceste  ville  de  légièreté 
«  et  aultres  aussy.  Arreslé  qu'on  le  voye  pour  le  luy  remons- 
«  trer.  » 

Nous  aurons  plus  tard  d'autres  preuves  du  despotisme  étroit 
que,  fidèle  a  l'esprit  du  temps  et  au  droit  en  vigueur,  le  Conseil 
fit  peser  sur  Perrot  a  l'endroit  de  la  presse  et  de  la  pensée. 
Heureusement  pour  nous  el  pour  les  Epialri'fi  de  Calvin,  que  des 
éditeurs  modernes,  au  niveau  de  leur  tâche,  peuvent  acluelle- 
raenl  la  remplir  avec  toute  indépendance.  Mes  lecteurs  se  ré- 
jouissent sans  doute  avec  moi  du  monument  que  M.  .Jules  Bonnet 
élève  en  ce  moment  a  la  mémoire  du  réformateur. 


13 

Cela  n'empêcha  pas  la  Compagnie  de  donner  peu  après  à 
Perrot  un  nouveau  témoignage  de  haute  confiance.  —  Uegislre 
de  la  Compagnie  du  8  juin  1576.  «  Messieurs  nous  ont  adverly 
«  de  repasser  les  lois  de  l'eschole ,  et  adviser  s  il  y  faudrait  re- 
«  dresser  ou  adjousler  quelque  chose ,  afin  que  puisqu'on  doit 
«  l'aire  imprimer  de  nouveau  les  ordonnances  ecclésiastiques 
«  dernièrement  revues ,  l'on  y  psiisse  adjouster  aussi  les  lois  de 
«  l'eschole  mises  au  net.  La  charge  de  les  revoir  a  été  baillée  à 
«  M.  Perrot.  » 

Les  lois  de  l'eschole  renfermaient  les  règlements  officiels  sur 
le  Collège  et  l'Académie,  rédigés  par  Calvin,  et  publiés  officiel- 
lement sous  le  nom  de  Leges  Academiœ. — On  comprend  l'impor- 
tance de  cette  fonction  de  réviseur,  confiée  en  pareille  matière  à 
Perrot,  et  à  Perrot  seul.  Nous  verrons  plus  loin  qu'elle  fut  pour 
lui  l'occasion  d'un  acte  de  courageuse  indépendance,  et  d'un  pas 
important  qu'il  fit  faire  à  l'Eglise  de  Genève  dans  un  sens  assez 
différent  de  celui  de  Calyin. 

Le  renom  de  savoir  et  d'habileté  de  Charles  Perrot,  attesté 
par  les  historiens,  est,  après  tous  ces  détails,  une  chose  incon- 
testable. Mais  quelle  était  la  valeur  réelle  et  la  vraie  nature  de 
ce  savoir?  Je  dois  reconnaître  qu'il  y  avait  probablement  chez 
Perrot  plus  de  nobles  sentiments  que  de  vraie  science ,  plus  de 
connaissances  entassées  que  de  philosophie.  C'était  un  homme 
d'impressions,  ouvert  aux  émotions  généreuses,  plein  d'une  ac- 
tivité dévouée,  mais  nullement  une  tète  réfléchie  et  un  esprit 
méthodique.  D'après  ce  qu'on  nous  dit  de  sa  vénération  d'érudit 
pour  les  anciens,  nous  pouvons  croire  que  son  exégèse  était 
essentiellement  patristique;  donc  probablement  savante  plutôt 
qu'originale.  Enfin,  le  peu  d'intérêt  qu'apportaient  à  ses  leçons 
de  1598  les  étudiants,  ou  l'étudiant,  qui  fréquentaient,  ou  ne 
fréquentaient  pas  l'auditoire,  porte  à  croire  que  si  Perrot  avait, 
comme  on  le  dit,  une  grande  science,  cependant  il  ne  savait 
guère  en  faire  comprendre  le  prix.  N'exagérons  rien  toutefois  ; 
nous  verrons  plus  loin  que  Perrot  savait  se  faire  des  disciples 


14 

affectionnés  et  même  enthousiastes.  Mais  ce  n'était  pas ,  ce 
semble,  par  le  talent  de  ses  déductions  ou  par  l'habileté  de  sa 
critique;  c'était  bien  plutôt  par  la  sympadiie  d'une  piété  cha- 
leureuse toute  pleine  de  largeur  et  de  charité. 

Si  nous  avions  conservé  les  écrits  de  Charles  Perrot ,  nous 
saurions  mieux  a  quoi  nous  en  tenir  sur  la  valeur  réelle  de  ses 
travaux.  Le  peu  qui  nous  est  parvenu  sur  leur  nombre,  leur 
objet  et  leurs  titres ,  est  du  moins  une  preuve  de  plus  de  sa 
constante  activité  d'esprit. 

Mais  cette  activité  intellectuelle  ne  snftirait  pas  pour  nous 
faire  connaître  tout  entière  l'individualité  de  Charles  Perrot. 
C'est  de  son  caractère  personnel  que  nous  voulons  maintenant 
parler,  en  nous  bornant  toutefois  à  ses  dispositions  naturelles  ; 
nous  verrons  plus  tard  ce  qu'y  ajouta  la  piété.  Ce  qui  nous 
frappe  d'entrée  dans  ce  caractère,  ce  sont  les  oppositions  sin- 
gulières et  les  contrastes  qu'il  présente.  Contraste  de  la  cons- 
tante activité  de  cet  homme,  et  de  sa  crainte  d'être  appelé  à  des 
occupations  nouvelles;  contraste  d'une  timidité  presque  mala- 
dive, et  d'un  courage  d'action  remarquable;  contraste  d'une 
grande  exactitude  et  fermeté  administratives,  et  d'une  absence 
assez  grande  de  réflexion  et  de  prudence  pratique  dans  les  choses 
de  la  vie;  d'une  singulière  indépendance  d'action  et  de  pensée 
sur  certains  points,  et  d'une  soumission  pleine  de  déférence 
aux  avis  et  aux  conseils  de  ses  supérieurs  ou  de  ses  collègues  ; 
contraste  eniin  d'une  énergie  allant  parfois  jusqu'à  l'audace  et 
l'âpreté ,  avec  une  humble  confession  de  ses  imprudences  et  de 
ses  torts. 

Quelques  traits  de  sa  vie,  racontés  d'après  les  registres  offi- 
ciels .  conhrmeront,  je  crois,  ces  impressions,  qui  ne  seront 
cependant  complètement  justifiées  qu'après  l'étude  de  Charles 
Perrot  tout  entier,  c'est-à-dire  non-seulement  de  son  individua- 
lité ,  mais  aussi  de  sa  foi.  Qu'est-ce  d'ailleurs  que  des  extraits 
de  registres  lorsqu'il  s'agit  de  surprendre  et  de  reproduire  les 
secrets  d'un  caractère!  Je  me  demande,  en  vérité,  si  je  ne  me 


15 

suis  point  condamné  à  une  tâclie  impossible,  en  entreprenant 
d'analyser  le  caractère  et  le  cœur  d'un  théologien  dont  on  ne 
possède  ni  un  sermon,  ni  un  livre,  ni  une  lettre!  J'essaie  pour- 
tant de  profiler  des  données  telles  quelles,  qui  sont  venues  jus- 
qu'à nous,  mais  je  sollicite  une  indulgence  à  laquelle  cette  po- 
sition me  donne  quelques  droits. 

Je  commence  par  la  manière  dont  M.  Perrot  accueillit  sa  vo- 
cation de  lecteur  en  théologie. 

Le  l*""  février  1572,  M.  de  Bèze  demande  à  la  Compagnie 
qu'on  choisisse  quelqu'un  «  qui  commençast  de  faire  quelque 
«  lecture  (de  théologie),  atin  qu'advenant  que  lui-même  léust 
((  empêché,  l'eschole  ne  demeurast  du  tout  destituée.  »  Charles 
Perrot ,  encore  recteur  h  celte  époque,  fut  élu  et  appelé  à  faire 
le  vendredi  suivant  une  leçon  d'essai.  A  la  suite  de  celte  leçon, 
suivant  le  registre  du  8  février,  «  il  a  esté  exhorté  de  plus  fort 
«  par  les  frères  à  commencer  au  plus  tost  qu'il  pourrait  à  faire 
«  quelque  leçon  en  l'eschole.  »  Perrot ,  qui  avait  consenti , 
revint  bientôt  en  arrière ,  et ,  le  7  mars ,  il  se  refuse  expressé- 
ment à  riionneur  qu'on  veut  lui  faire ,  alléguant  «  qu'il  ne  sen- 
«  tait  qu'il  peusl  faire  cela.  Sur  quoy  a  été  advisé  en  son  ab- 
«  sence ,  ses  excuses  trouvées  non  recevables ,  par  quoy  a  esté 
«  exhorté  de  rechef  de  s'accourager  et  de  commencer  au  plus 
«  tost.  »  Il  commence  enfin  le  28  avril,  mais,  le  20  juin,  la  Com- 
pagnie est  appelée  a  insister  de  nouveau  pour  qu'il  n'abandonne 
pas  la  tâche  commencée. 

Dans  les  quelques  autres  occasions  où  les  registres  nous  mon- 
trent Perrot  appelé  à  remplir  de  nouveau  ces  mêmes  fonctions 
d'une  manière  effective ,  nous  retrouvons  en  lui  la  même  répu- 
gnance timide  et  la  même  absence  d'ambition.  En  1586,  invité 
à  remplacer  à  la  fois  Bèze  et  La  Faye,  il  n'y  consentit  qu'à  con- 
dition d'être  aidé  par  son  collègue  el  ami  Rolan ,  et  celui-ci , 
grâce  à  celte  circonstance,  devint  l'année  suivante  professeur  en 
titre.  Cet  honneur  eut  bien  probablement  été  le  partage  de 
Perrot  s'il  ne  s'y  fût  pour  ainsi  dire  volontairement  soustrait 


16 

pour  le  faire  passer  sur  la  lêle  d'un  collègue  pour  lequel,  nous 
le  savons,  il  avait  beaucoup  de  svmpathie,  et  qu'il  tenait  pro- 
bablement pour  lui  être  supérieur.  Du  reste,  on  n'a  pas  oublié, 
je  pense,  la  naïveté  de  sa  demande  en  décharge  en  1 598. 
J'arrive  à  une  prédication  tout  à  fait  caractéristique. 
L'année  1 573  fut  une  époque  de  souffrance  et  de  misère  par 
la  multitude  des  réchappes  de  la  Saint-Barthélémy  réfugiés  à 
Genève,  comme  aussi  par  la  cherté  des  vivres  '.  Les  charges 
de  l'Hôpital  étaient  grandes,  et,  au  commencement  de  l'hiver, 
le  Conseil  d'Etat  renvoya  de  la  ville  beaucoup  de  pauvres  étran- 
gers, qui  ne  pouvaient  fournir  les  cautions  qu'on  leur  deman- 
dait. C'en  était  trop  pour  le  cœur  et  les  principes  de  Charles 
Perrot.  Il  monta  en  chaire  le  mardi  l®*"  décembre  et  se  plaignit 
avec  amertume  de  tant  de  dureté,  disant  que  sur  raille  person- 
nes il  n'y  en  avait  pas  deux  qui  fussent  vraiment  charitables, 
que  Genève  avait  tort  de  tirer  gloire  de  ses  armoiries  et  de  dire  : 
après  les  ténèbres  la  lumière^  et  que  si  «  notre  Seigneur  Jésus- 
«  Christ  venait  pour  le  jourd'huy,  on  lui  ferait  amener  des  ré- 
«  pondans.  »  Le  même  jour,  le  Conseil  arrête  «  qu'on  en  com- 
«  munique  avec  M.  de  Bèze  affin  de  le  remonstrer:  puys  après 
«  au  ditSp*^.  Perrot.  »  Le  surlendemain,  dit  le  même  registre, 
«  MM.  de  Bèze  et  Pinault  cstans  icy  ont  rapporté  que,  suivant 
-«  la  charge  a  eux  donnée,  ils  ont  parlé  au  dit  Perrot,  lequel  a 
«  confessé  la  plupart  de  ce  qu'ils  luy  dirent  avoir  esté  par  luy 
«  presché,  cognoyssant  cependant  qu'il  a  aixcédé  {sic)^  et  qu'on 
«  a  peu  prendre  occasion  de  mescoutentement,  combien  que 
«  son  intention  n'estait  pas  telle,  et  ne  sait  que  Messieurs  soient 
«  coupables  de  rien  de  ce  qu'il  reprenait,  ne  condamnant  l'or- 
«  dre  qu'ils  tiennent  à  la  réception  des  habilanls.  Il  est  vray 
«  qu'au  regard  de  diacres  (que  se  sont  aussi  offensés),  il  aperçoit 
«  bien  qu'ils  sont  un  peu  rudes  aux  paouvres.  Or,  là-dessus,  ils 

'  Ln  (liseUo  du  blé  lut  telle  que  la  Seigneurie  refusa  d'en  vendre  plus  d'un 
quarteron  par  personne  ;  le  prix  officiel  du  vin  fut  à  peu  près  double  de 
celui  des  ynnées  précédeutes  et  suivantes. 


17 

a  l'ont  adverty  que  Messieurs  l'appelleront,  attendu  quoy  arreslé 
«  qu'il  soit  icy  appelé  lundy  pour  eslre  remonstré.  )>  Et  le  lundi 
suivant,  «  Charles  Perrot  estant  icy  appelé  et  remonstré  tou- 
«  chant  le  sermon  par  luy  fait  dernièrement,  il  a  remercié  Mes- 
«  sieurs  et  protesté  de  sa  bonne  intention.  » 

Vingt-quatre  ans  plus  tard  Perrot  fut  encore  appelé  devant 
le  Conseil  pour  une  autre  prédication,  pareillement  peu  réflé- 
chie, mais  dictée  par  un  sentiment  analogue. 

Le  8  avril  1597  ,  «  Sp*^.  Ch.  Perrot  a  été  icy  appelé  pour 
«  ce  qu'en  la  prière  qu'il  fit  vendredi  dernier  il  auroit  dit  que 
«  la  permission  de  prester  a  huit  pour  cent  n'estoit  pas  chré- 
«  tienne  ny  charitable ,  mais  que  c'esloit  une  permission  judai- 
«  que.  Ce  que  Messieurs  trouvoient  eslrange  de  luy,  d'autant 
«  qu'il  les  en  devoit  advertir  particulièrement,  sur  quoy  il  a 
«  respondu  de  première  face  qu'il  le  diroit  toulesfois  et  quantes 
«  qu'il  en  seroit  requis,  et  que  tel  prest  d'argent  n'a  esté  conclu 
«  en  telle  sorte  si  non  au  regard  des  marchands  et  non  des  par- 
ce ticuliers,  suppliant  en  cela  le  supporter.  En  après  a  dit  que 
«  par  cy  devant,  il  l'a  souvent  remonstré  sans  qu'on  luy  en  aye 
«  rien  dit,  et  qu'il  aymeroit  mieux  desplaire  aux  hommes  qu'à 
«  Dieu.  Toutefois,  puisqu'il  voyoit  que  cela  desplaisoil  à  Mes- 
«  sieurs,  il  a  promis  de  n'en  parler  jamais  plus.  » 

Retournons  maintenant  de  quinze  ans  en  arrière,  et  nous 
trouverons  en  1582  deux  traits  de  Perrot  fort  divers,  mais  assez 
caractéristiques  tous  deux. 

Le  premier  touche  presque  au  comique,  mais,  sous  le  gro- 
tesque de  la  scène,  on  sent  la  ferme  conscience  du  pasteur  chré- 
tien. Il  s'agit  de  deux  époux,  dont  je  crois  devoir  taire  les  noms 
en  désignant  le  mari  par  les  lettres  A  et  B,  et  la  femme  par  son 
prénom  d'Aurélia.  Au  reste  Perrot,  et  même  les  registres,  en 
parlant  a  elle  ou  d'elle,  le  plus  souvent  ne  lui  donnent  pas  d'au- 
tre nom.  —  A.  B.  appartenait  a  une  famille  ancienne  et  distin- 
guée qui  avait,  ou  avait  eu  des  membres  dans  le  Deux-Cents  et 
même  dans  le  Conseil  d'Etat.  Aurélia  était,  semble-t-il,  noble 
Tome  XI.  2 


18 

et  étrangère,  mais  elle  avait  été  compromise,  au  point  de  vue 
moral ,  dans  une  procédure  antérieure  de  six  ans.  Voici  mainte- 
nant l'extrait  textuel  du  registre  du  Conseil  du  1  4  octobre  1 582  : 

«  A.  B.  a  présenté  requeste  par  laquelle  il  se  plaint  de  ce 
«  que ,  le  jour  d'hyer ,  estant  à  St-Pierre ,  au  presche  de  cinq 
«  heures  du  matin  pour  s'espouser  »  (Trait  de  mœurs  à  noter 
en  passant  :  on  prêchait  alors  à  cinq  heures  du  matin,  et  cela  le 
14  octobre).  —  «.  Au  presche,  donc,  de  cinq  heures  du  matin 
«  pour  s'espouser,  le  S.  Perrot  auroit  dit  semblables  paroles  in- 
«  continent  estant  entré  en  chaire  :  Aurélia ,  vous  savez  bien 
«  que  ce  n'est  pas  la  coutume  d'espouser  les  filles  du  matin  ; 
«  vous  vous  contenterez  de  cela  pour  le  présent,  je  ne  vous  dis 
«  aultres.  Puys  les  ayant  espousé,  la  prière  estant  faite  et  le  dit 
«  A.  B.  retiré  ' ,  dit  davantage  :  Aurélia ,  vous  ne  debviez  pas 
«  lever  si  matin  pour  mettre  ce  beau  chapeau ,  pensant  cacher 
«  vostre  faulte;  je  vous  dis  cela,  je  m'en  descharge  ;  dont  le  dit 
«  A.B.  et  sa  femme  se  sentent  grevés  en  leur  honneur,  d'aul- 
«  tant  que  les  auditeurs  peuvent  prétendre  que  la  dite  Aurélia 
«  aye  commis  volontairement  quelque  faulte,  ce  que  toutefois  ne 
«  se  trouvera  pas  comme  Messieurs  en  sont  informés.  A  esté 
«  arresté  qu'on  voye  la  procédure  entre  cy  et  demain.  » 

Voici  maintenant  le  procès-verbal  du  lendemain. 

«  De  l'examen  d'un  procès  fait  à  la  dite  Aurélia  en  1576, 
«  il  semble  résulter  qu'il  y  avait  bien  quelque  chose  à  dire 
«  contre  cette  personne.  Mais  on  dit  au  sieur  A.  B.  que  Mes- 
«  sieurs  sont  desplaisans  de  ce  qu'a  fait  M.  Perrot  ainsy  publi- 
«  quement  à  l'endroit  de  la  dite  Aurélia.  » 

La  même  semaine,  le  20  octobre,  à  la  suite  de  lettres  des 
Églises  de  Champaigne  et  Bassigny,  qui  ayant  perdu  leur  pas- 
teur demandent  qu'on  leur  prête  quelque  temps  le  sieur  Charles 
Perrot,  celui-ci  est  pressé  par  la  Compagnie  et  le  Conseil  d'y 
consentir.  Il  se  laisse  persuader,  puis,  comme  à  l'ordinaire,  il 

'  liolii'é  sans  son  ôpniise!  par  quel  hasard? 


se  rétracte  le  lendemain.  Suivant  le  registre  ilu  Conseil  du  23 

octobre ,  «  despuys  il  s'est  excusé,  tant  sur  ce  qu'il   n'est 

«  fourny  d'accoustrements,  et  qu'il  ne  se  pourroil  bien  accom- 
«  moder  et  vivre  en  maysons  de  Genliihonime,  etc.  » 

Deux  ans  après,  le  4  mai  1584,  sur  une  demande  semblable 
de  l'Église  de  Blois,  la  même  scène  se  répète.  Le  Conseil  est 
informé  que  la  Compagnie  est  d'advis  de  «  prester  M.  Perrot 
«  pour  environ  six  mois  ayans  esgard  à  l'importance  de  la  dite 
«  Église  qui  sert  aussy  celle  d'Orléans  et  aultres.  »  Mais  le 
lendemain  S""  Charles  Perrot  se  présente  en  Conseil,  «  s'ex- 
«  cusant  par  longue  remonslrance  du  voyage  qu'on  prétendait 
«  lui  faire  faire  tant  sur  sa  famille,  indisposition  que  insuffi- 
«  sance  et  aultres  raisons.  » 

Il  nous  reste  encore  à  exposer  des  scènes  de  tout  autre  na- 
ture, et  qui  mettent  plutôt  en  évidence  des  défauts  naturels  à 
Charles  Perrot.  C'est  dans  sa  vieillesse,  et  deux  ans  avant  sa 
mort,  que  nous  le  verrons,  devant  le  Conseil,  quelque  peu  en- 
têté et  trop  impétueux. 

Théodore  de  Bèze  était  mort  en  1605.  La  Compagnie  pour 
établir  une  plus  complète  égalité  enire  ses  membres,  se  refusa 
à  élire  comme  auparavant  un  Modérateur  annuel  et  rééligible, 
ce  qu'exigeait  cependant  le  Conseil  ;  elle  ne  voulait  qu'un  prési- 
dent semainier,  et  à  tour  de  rôle.  De  là  de  longs  débats  entre 
les  deux  Corps.  Débats  sur  ce  point,  et  débats  surtout  sur  le 
droit  de  le  régler.  La  Compagnie  maintenait  que  l'autorité  ec- 
clésiastique devait  être  apte  à  déterminer  son  organisation  inté- 
rieure, sans  l'intervention  du  pouvoir  civil.  Les  deux  partis  cher- 
chaient, semble-t-il,  à  s'appuyer  quant  au  droit,  le  Conseil  sur 
les  Ordonnances  ecclésiastiques,  et  la  Compagnie  sur  l'Écriture. 
Charles  Perrot  parait  avoir  été  prononcé  dans  le  sens  du  droit 
de  la  Compagnie. 

Après  des  discussions  déjà  prolongées,  le  10  décembre  1605 
les  ministres  étaient  réunis  devant  le  Conseil  d'État.  «  M.  le 
«  syndique  Lect  leur  fit  im  long  discours.  »  C'est  la  seule  oc- 


20 

casion  où  nous  voyions  figurer  dans  la  vie  de  Perrot  cet  homme 
important,  qui  devait  jouer  un  grand  el  triste  rôle  dans  la  pros- 
cription des  manuscrits  découverts  après  sa  mort.  Je  continue  à 
transcrire  le  procès-verbal.  «  Ensuite  M.  le  Syndique  Sarasin  a 
«  dit  que  c'est  un  grand  abus  en  leur  escript  d'appliquer  à  cette 
«  question  et  à  eux-mêmes  ce  qui  est  dict  de  la  personne  de 
«  notre  Seigneur  Jésus-Christ  :  Osculamini  filium  qui  judicatis 
«  terram,  lequel  propos  du  dict  sieur  Syndique  a  esté  interrompu 
«  par  Specl®.  Charles  Perrot  s'escriant  insolemment  qu'un  autre 
«  texte  y  estoit  exprès  en  l'Apocalypse  :  Faciaui  ut  veniant  et 
«  adorent  pedes  luos.  Luy  a  esté  imposé  silence  par  M.  le  Syn- 
«  dique  Lect  lequel  luy  a  dit  que  c'esloit  détorquer  le  sens  de 
«  ce  passage,  et  parler  eu  moyne,  et  que  ce  n'est  dès  à  pré- 
«  sent.  » 

Le  1  I  les  pasteurs  comparaissent  encore. 

«  A  esté  arresté  de  les  ouïr  tous  en  leur  advis  particulière- 
«  ment,  et  suyvant  ce  le  S""  Perrot  a  esté  appelé,  et  interro- 
«  gué  de  son  advis,  a  dit  qu'il  requérait  qu'il  alât  proposer  ceste 
«  affaire  à  ses  frères  qui  sont  de  delà.  Ce  que  luy  ayant  esté 
«  refusé,  a  dit  qu'il  y  a  quelque  temps  que  la  Compagnie  ap- 
«  prochoit  de  l'intention  de  Messieurs,  mais  despuis  sont  sur- 
«  venues  quelques  considérations  pour  lesquelles  ils  ne  peuvent 
"  pas  passer  plus  outre  qu'à  ce  qu'ils  ont  proposé  cy-devant. 
«  Sur  cela  M.  le  Syndique  Lect  lui  a  leu  le  commencement  des 
«  Ordonnances  ecclésiastiques.  —  A  reparti  disant  qu'il  fallait 
«  regarder  mentem  aulhoris^  et  que  Ramus  estant  icy  trouva 
«  estrange  qu'il  n'y  avait  que  la  Seigneurie  qui  parlast;  qu'il  se 
«  souvient  que  feu  M.  Chenelat  luy  demandant  quelque  passage 
«  des  anciens,  il  luy  alléga  saint  Augustin.  Sur  quoy  M.  Lect 
«  luy  dit:  il  ne  faut  pas  croire  tout  ce  qu'il  a  dit,  car  il  a  parlé 
((  du  purgatoire  et  de  prier  pour  les  morts....  a  dit:  Vous  ues- 
«  VEZ  :  attendu  quoy  luy  a  esté  commandé  de  passer  de  delà.  » 

Il  n'était  pas  dans  la  nature  de  Ch.  Perrot  d'endurer  avec 
plus  de  calme  une  accusation  hasardée  contre  saint  Augustin, 


21 

qu'un  procédé  dur  envers  les  pauvres.  C'est  ce  qui  explique, 
sans  la  justifier,  son  apostrophe  au  syndic.  Peut-être  aussi  y 
avait-il  là  quelque  reste  d'émotion  des  paroles  outrageantes  que 
Lect  lui  avait  adressées  la  veille  du  fauteuil  syndical  et  en  plein 
Conseil.  Dans  tous  les  cas  nous  voyons  se  dessiner  ici  la  dé- 
fiance mutuelle  que  ces  deux  hommes  éprouvaient  évidemment 
l'un  pour  l'autre. 

Mais  pour  achever  d'étudier  Ch.  Perrot  dans  cette  circons- 
tance, passons  à  la  séance  de  l'après-diner  et  a  celle  du  lende- 
main. 

«  Estant  opiné  sur  ce  que  le  sieur  Perrot  a  dit  en  plein  Con- 
«  seil  ce  matin  à  M.  le  syndique  Lect  :  Vous  resvez,  a  esté 
«  arresté  qu'il  en  réponde  céans  pour  veoir  s'il  recognoist  sa 
(S  faulte,  afin  d'adviser  sur  luy  selon  ce  qu'il  respondra.  Ayant 
«  respondu  et  recogneu  franchement  sa  faulte ,  arresté  qu'on 
«  lui  en  fasse  des  remonstrances  en  présence  de  ses  frères  Ven- 
«  dredi  prochain,  auquel  jour  ils  seront  appelés  pour  se  résoul- 
«  dre  à  obéissance.  » 

Le  vendredi  13,  en  effet,  les  pasteurs  comparaissent  de  nou- 
veau et  Perrot  avec  eux;  chose  étrange,  celui-ci  en  double 
qualité.  D'abord  comme  chargé  par  ses  frères,  probablement 
en  qualité  de  Modérateur  de  semaine,  de  parler  en  leur  nom 
sur  le  grand  débat  de  la  présidence,  qui  devait  être  vidé  dans 
cette  séance  même  ;  puis  en  second  lieu  comme  coupable,  ve- 
nant pour  être  réprimandé  par  ses  supérieurs. 

Sur  ce  dernier  point  voici  ce  que  disent  les  registres  du 
Conseil  :  «  M.  Perrot  a  fait  ses  excuses  fort  honnestement  de  ce 
«  qui  se  passa  ces  jours  passés,  recognoissant  sa  faulte  et  plu- 
«  sieurs  aultres,  prie  qu'il  ne  demeure  en  suspens  de  la  bonne 
ce  volonté  de  nos  Seigneurs  ;  que  certaine  lettre  qui  avait  esté 
a  envoyée  l'avait  tellement  renversé  qu'il  a  recogneu  depuis 
«  avoir  esté  mal  advisé.  A  cela ,  M.  le  Syndique  Lect  a  repré- 
«  sente  en  présence  de  ses  frères,  ce  qu'il  estait  du  dict  faict, 
«  et  qu'il  avait  renvoyé  le  dit  sieur  Perrot  a  recognoistre  sa 


22 

«  faillie  en  présence  de  ses  frères,  ce  qu'il  a  fait  el  plus  qu'on 
«  en  requérait  de  luy,  de  quoy  on  a  heu  satisfaction.  » 

On  comprend  aisément  que  les  boutades  et  l'irréflexion  de 
Perrot  pouvaient  indisposer  le  Conseil.  Lect,  en  particulier, 
l'ami  de  Théodore  de  Bèze,  et  en  quelque  sorte  son  successeur 
à  cette  époque ,  homme  influent ,  et  remarquable  par  sa  puis- 
sante el  persévérante  activité,  par  sa  haute  et  froide  intelligence, 
par  son  dévouement  à  l'œuvre  calviniste  et  sa  sévère  vigilance 
à  la  maintenir  avec  la  fermeté  sagace  du  jurisconsulte  unie  à  la 
conviction  scientifique  du  théologien ,  Lect  ne  pouvait  facile- 
ment supporter  l'imprudente  et  chaleureuse  naïveté  de  Perrot. 
Les  prédications  irréfléchies  de  ceiui-ci,  ses  manières  parfois 
étranges  d'être  et  de  faire,  telles  que  nous  les  verrous  encore 
dans  le  chapitre  suivant,  sa  conduite  publique  souvent  répré- 
hensible  par  défaut  d'intelligence  pratique  des  affaires  \  enfin  le 
soupçon  d'hérésie  qui  naissait  autour  de  lui  el  que  Lect  avait 
dès  longtemps  subodoré,  tout  cela  rendait  nécessairement  ces 
deux  hommes,  du  reste  si  droits  tous  deux  d'intention  et  de 
cœur,  inintelligibles  el  antipathiques  l'un  à  l'autre. 

Quant  a  nous,  placés  à  distance,  si  nous  cherchons  à  résu- 
mer nos  impressions  sur  le  caractère  de  Ch.  Perrot,  tel  qu'il  se 
montre  dans  les  diverses  scènes  que  nous  venons  de  raconter, 
nous  ne  pouvons  y  méconnaître  deux  traits  saillants.  D'une  part, 
cet  homme  obéit  toujours  à  une  spontanéité  peu  réfléchie ,  sou- 
vent imprudenîe,  parfois  répréhensible ,  quoique  presque  tou- 
jours généreuse.  C'est  un  esprit  mal  équilibré,  conduit  un  peu 
au  hasard  par  un  cœur  chaleureux  et  charitable.  D'autre  part, 
dans  ce  caractère  candide  et  passionné ,  qui  se  montre  fort  a 
nu  et  ne  songe  à  rien  cacher,  on  ne  découvre,  chose  rare,  au- 
cune de  ces  petitesses  personnelles  auxquelles. les  hommes  pu- 
blics et  les  hommes  de  cabinet  sont  accusés  de  mal  aisément 

'  En  voici  encore  un  singulier  exemple.  Du  A  septembre  1581,  Sp^  Ch. 
Periot  ayant  de  son  chef  ajouté  quelques  lignes  à  un  renvoi  du  Consistoire 
au  Conseil,  a  a  este  arrestô  qu'on  appelle  le  ditSp*^  Perrot,  pour  lui  renions- 
^  trer  qu'il  ne  debvait  taire  cette  addition  sans  le  sceu  du  Consistoire.  » 


23 

échapper,  ni  amour-propre,  ni  avidité;  aucune  recherche  des 
honneurs  ou  de  l'argent. 

Au  total,  ce  caractère  me  semble  n'être  ni  sans  mérite,  ni 
sans  attrait,  et  je  comprends  la  constante  indulgence,  l'affection 
vraiment  fraternelle  que  les  collègues  de  Perrot  lui  témoignèrent 
jusqu'au  bout ,  malgré  quelques  différences  de  tendances  dog- 
matiques, malgré  aussi  1  impatience  assez  naturelle  que  pouvaient 
leur  donnai-  les  boutades  imprévues  et  parfois  compromettantes 
de  Ch.  Perrot.  Au  reste ,  le  Conseil  lui-même ,  à  tout  prendre, 
lui  montra  beaucoup  de  patience  et  de  bienveillance.  Il  rendait 
justice  à  son  activité  dévouée,  et  il  semblait  le  traiter  comme 
un  enfant  estimable ,  mais  sans  expérience,  plein,  du  reste,  de 
candeur  et  de  bonnes  intentions,  et  trop  faible  pour  être  re-r 
douté. 


CHAPITRE  III. 

L'homme  religieux  ou  la  Foi. 

Notre  tâche  n'est  pas  terminée.  Nous  ne  connaissons  point 
suffisamment  Ch.  Perrot ,  car  nous  n'avons  point  encore  la  clef 
de  certaines  bizarreries  de  sa  vie,  de  quelques  contrastes  de 
son  caractère  et  des  défiances  de  quelques-uns  à  son  endroit. 
Cette  clef,  c'est  dans  les  tendances  de  sa  piété,  en  d'autres 
termes  ,  dans  le  caractère  particulier  de  sa  foi  que  nous  la 
(rouverons.  C'est  cette  foi ,  je  veux  dire  non-seulement  les  con- 
victions de  cet  homme ,  mais  surtout  ses  affections  religieuses 
et  sa  vie  intérieure,  qui  marquèrent  sa  carrière  et  sa  personne 
d'une  empreinte  tout  ensemble  humble  et  vénérable ,  originale 
et  touchante. 

Cette  recherche  nous  dévoilera  aussi ,  d'une  manière  très- 
inattendue ,  l'influence  fort  indirecte  et  légère,  il  est  vrai,  que 
cet  homme  obscur  eut  sur  les  mouvements  religieux  de  la  Hol- 
lande au  début  du  dix-septième  siècle. 


24 

Cette  nouvelle  étude  exigerait  un  examen  soigneux ,  et  pour 
ainsi  dire  intérieur  et  subjectif  de  ses  habitudes  privées,  de  sa 
vie  pastorale,  de  ses  prédications,  de  son  enseignement  en  théo- 
logie ,  enfin  de  ses  écrits.  Nous  avons  déjà  touché  à  ces  divers 
points  d'une  manière  superficielle.  Le  moment  serait  venu  de 
compléter  cela  par  un  examen  plus  approfondi ,  de  coordonner 
le  tout ,  et  d'en  déduire  si  possible  l'intime  et  vraie  nature  de 
cet  homme  étrange,  peu  explicable  au  premier  coup  d'œil. 

Malheureusement,  nous  l'avons  dit,  les  documents  sont  in- 
suffisants, incomplets,  contradictoires,   et  notre  œuvre  sera 
toujours  boiteuse  et  mutilée.  Toutefois ,  nous  rencontrerons  en- 
core sur  notre  route  quelques  détails  nouveaux,  en  petit  nom- 
bre, mais  importants  pour  notre  but,  et  ce  but,  si  nous  ne 
pouvons  pleinement  l'atteindre,  pourtant  nous  en  approcherons. 
J'ai,  pour  ma  pari,  l'entière  conviction  que  la  secrète  pensée 
de  ]*errot,  la  tendance  dominante  de  sa  piété,  et  le  mot  de 
l'énigme  de  sa  vie,  étaient  dans  une  ferveur  presque  passionnée 
pour  la  sanctification  et  la  chanté,  ferveur  qui  allait  jusqu  à 
laisser  quelque  peu  dans  l'ombre  la  doctrine.  Rien  n'indique 
que  Ch.  Perrot  ne  partageât  en  gros  et  assez  complètement  les 
doctrines  calvinistes,  mais  ces  convictions  dogmatiques  ne  pou- 
vaient entièrement  lui  sufiire.  Il  n'était  pas  homme  à   s'en 
tenir  a  des  formules;  il  lui  fallait  le  mouvement  et  la  vie,  et 
cette  vie  de  sainteté,  d'humilité,  de  charité,  de  paix  surtout, 
dont  il  avait  soif,  il  ne  la  trouvait  pas  assez  générale  autour 
de  lui  ;  il  voulait  qu'on  y  tendit  davantage,  et  les  vérités  même, 
qu'il  acceptait  avec  pleine  conviction ,  lui  semblaient  n'avoir  en 
comparaison  qu'une  importance  secondaire.  Il  reprochait  à  l'é- 
coli'  calviniste,  qui  insistait  toujours,  et  avec  raison,  sur  le  grand 
principe  de  la  réforme,  la  justification  par  la  foi,  de  trop  laisser 
au  second  rang  ou  à  l'écart  la  sanctification.  Plus  audacieux 
encore,  lui  réformé,  converti  sincère,  qui  avait  sacrifié  sa  fa- 
mille, sa  position ,  sa  fortune  aux  convictions  protestantes,  il  en 
était  venu  ,  lassé  qu'il  clait  des  débats,  et  navré  des  soufiianccs 


25 

individuelles  enfaïUées  à  leur  suite,  à  reprocher  aux  i)remiers 
réformateurs  d'avoir  imprudemment  compromis  la  paix  pour 
défendre  la  vérité.  Cet  homme  semhle  avoir  eu  profondément 
dans  le  cœur  et  la  pensée  les  paroles  d'un  apôtre,  sur  les  fruits 
de  la  justice  qui  doivent  être  semés  dans  la  paix  et  par  des  hom- 
mes de  paix  \  Tel  est  pour  nous  Charles  Perrot. 

Si  cette  solution  du  problème  est  exacte,  on  comprend  que 
la  position  de  cet  homme  dans  l'Église  et  la  République  dut 
être  souvent  suspecte  et  gênée.  Cet  esprit  de  large  tolérance  et 
de  paix  à  tout  prix  était  en  complet  contraste  avec  celui  du 
temps  et  avec  les  nécessités  de  la  Réformation.  Aussi  Perrot 
mécontent,  mal  jugé,  comprimé  par  le  sentiment  de  son  im- 
puissance, par  sa  timidité  naturelle,  par  ses  instincts  d'humilité 
et  de  répugnance  à  se  produire,  ne  put  jamais  mettre  complète- 
ment sa  pensée  au  jour.  C'est  ce  qui  la  rend  maintenant  si  diffi- 
cile a  recueillir. 

Mais  il  est  temps  d'entrer  en  matière.  Nous  allons ,  comme 
nous  l'avons  annoncé,  rechercher  avec  soin  tout  ce  qu'il  nous 
sera  permis  de  découvrir  encore  sur  l'homme  pieux,  sur  le  pas- 
teur, sur  le  docteur,  sur  l'écrivain  ,  et  nous  espérons  qu'à  l'aide 
des  détails  déjà  donnés  nous  verrons  sortir  de  là  Charles  Perrot 
plus  complet,  et  tel  que  nous  venons  de  le  dépeindre. 

C'est  dans  le  cœur  et  dans  la  vie  intime  de  notre  héros  qu'il 
faudrait  fouiller  avant  tout  pour  saisir  le  véritable  caractère  de 
sa  foi.  «  Sa  vie  était  exemplaire  »  nous  dit  son  disciple  Uten- 
bogaert.  Mais,  sans  le  nier  le  moins  du  monde,  les  biographes 
traditionnels  disent  à  l'envi  des  choses  assez  étranges  sur  les 
formes  bizarres  dont  sa  piété  se  revêtait.  Il  avait,  assure-t-on, 
d'humbles  dehors  portés  jusqu'à  l'exagération.  Il  tenait  habi- 
tuellement les  mains  jointes;  il  ne  parlait  guère  de  lui-même 
qu'à  la  troisième  personne ,  en  se  désignant  sous  le  nom  de 
Peccalor,  qui  de  là  était  devenu  son  surnom.  Tout  cela,  a-t-on 

'  Jacques;  111,  IS. 


26 

soin  d'ajouter,  le  faisait  accuser  d'avoir  les  manières  d'un  ancien 
moine.  Ces  détails  se  retrouvent  à  peu  près  chez  tous  les  écri- 
vains qui  ont  parlé  de  Perrot  ;  ils  sont  de  plus  confirmés  par  les 
registres  du  Conseil  d'État,  où  le  surnom  de  Peccator  accom- 
pagne quelquefois  son  nom,  et  oii,  comme  nous  l'avons  vu,  le 
syndic  Lect  lui  reproche  ses  allures  de  couvent. 

Cette  manière  d'être ,  qui  parait  donc  avoir  été  la  sienne , 
était  tout  à  fait  en  rapport  avec  la  timidité  maladive  qui  lui  fai- 
sait craindre  les  fonctions  en  évidence  et  répugner  à  des  rap- 
ports avec  des  gentilshommes.  Mais  n'allons  pas  l'accuser  d'af- 
fectation ,  ce  serait  incompatible  avec  la  nature  de  Perrot ,  si 
primesautière  et  irréfléchie  d'une  part,  si  craintive  de  l'autre  et 
amie  de  l'obscurité.  Que  l'on  y  retrouve,  si  l'on  veut,  un  reste 
du  cloître,  soit;  pourvu  qu'on  admette  que  tout  en  lui,  et  cela 
même ,  était  sincère,  pieux  et  fervent.  En  revanche ,  il  est  évi- 
dent qu'il  y  avait  chez  lui,  reste  du  cloître  encore ,  une  impor- 
tance exagérée  mise  aux  formes  extérieures.  Un  autre  trait  de  sa 
vie ,  curieux  à  rapprocher  de  celui-ci ,  confirme  tout  à  fait  cette 
conjecture  et  notre  explication.  En  1584,  nous  voyons  Perrot, 
alors  pasteur  a  la  ville  depuis  dix-sept  ans ,  exiger  qu'au  culte , 
pendant  les  prières,  ses  auditeurs  se  mettent  à  genoux.  Il  était 
bien  d'usage,  à  celte  époque,  d'appuyer  ses  genoux  sur  le  banc 
antérieur  en  priant,  mais  cela  ne  suffisait  pas  à  Perrot,  qui  vou- 
lait un  agenouillement  complet  et  sur  le  sol  du  temple,  et  qui 
menaçait,  dès  la  chaire,  de  ne  pas  faire  la  prière,  si  l'on  ne  se 
conformait  pas  à  cette  exigence.  Le  registre  du  Conseil ,  du  24 
août,  mentionne  les  plaintes  des  auditeurs  h  ce  sujet,  spéciale- 
ment des  dames  qui  trouvaient  la  posture  très-fatigante  et  diffi- 
cile a  prendre,  surtout  entre  des  bancs  très-rapprochés.  Le 
Conseil  fit  avertir  à  ce  sujet  les  pasteurs  de  ne  pas  introduire  de 
nouveautés  sans  son  aveu.  C'est  bien  là  le  Perrot  Peccator  et 
des  mains  jointes. 

Quant  à  ce  que  Perrot  fui  comme  pasteur,  les  documents 
disent  bien  peu  de  choses.  Nous  avons  cependant  quelques  don- 


27 

nées  assez  claires  sur  la  direction  ciiaiitable  et  dévouée  de  son 
activité.  Utenbogaerl  aflirme  qu'il  était  prédicateur  trèii-savant  et 
fort  ('laquent.  Nous  ne  connaissons,  nous ,  de  sa  prédication  que 
les  boutades,  certes,  éloquentes  ou  du  moins  véhémentes,  mais 
peu  réfléchies,  censurées  par  le  Conseil  d'État.  Or,  nous  l'avons 
vu,  elles  se  rapportaient  aux  misères  des  classes  souffrantes, 
et  elles  témoignent  au  moins  de  la  vive  sympathie  que  Perrot 
éprouvait  pour  elles.  —  Nous  devons  remarquer  encore  les  nom- 
breuses fonctions  spéciales  que  la  Compagnie  lui  confia,  souvent 
malgré  lui ,  comme  à  un  homme  particulièrement  doué  pour  les 
remplir.  Toutes  celles  qui  ne  sont  pas  relatives  à  la  science  théo- 
logique ,  le  sont  au  soin  des  pauvres  et  des  deniers  à  leur  distri- 
buer. Les  premières  témoignaient  de  la  haute  opinion  qu'on 
avait  du  savoir  de  Perrot;  les  secondes  démontrent  que  l'on 
cropit  pouvoir  compter  sur  lui  dès  qu'il  s'agissait  de  soulager 
des  misères  avec  dévouement  et  intelligence.  C'est  ce  que  sup- 
pose au  reste  la  tradition  erronée  qui  l'a  transformé  en  pasteur 
réformateur  de  l'Hôpital  général ,  tradition  que  nous  avons  dis- 
cutée plus  haut. 

Au  reste,  nous  pouvons  apporter  ici  en  témoignage  un  fait 
important  et  incontestable.  A  défaut  de  l'Hôpital  général ,  nous 
avons  l'hôpital  des  pestiférés.  Le  fait  a  été  diversement  raconté, 
et  les  registres  de  la  Compagnie,  comme  ceux  du  Conseil ,  sont 
sur  ce  point  brefs  et  incomplets  ;  toutefois  il  en  reste  assez  pour 
établir  les  détails  importants,  et  même  pour  les  éclairer,  comme 
ou  le  verra,  d'une  lumière  nouvelle. 

En  1568,  la  peste  sévit  avec  une  rigueur  extrême  ,  qui  s'ac- 
crut encore  par  l'opinion  populaire  qu'elle  était  propagée  par  des 
empoisonneurs.  Le  Conseil  prit  à  cette  occasion  des  précautions 
de  police  imisitées,  interdisant  l'entrée  des  fruits,  les  bains,  etc., 
faisant  tuer  tous  les  chiens  et  les  chats,  et  obligeant  tous  les 
médecins  à  servir  à  tour  les  pestiférés ,  chacun  une  semaine. 
Cependant  l'hôpital  des  pestiférés  était  dans  un  affreux  délais- 
sement, manquaut  et  d'infirmiers  et  d'enterreurs.  Le  pasteur 


28 

Legagueux,  choisi  de  nouveau  par  le  sort,  était  ailé  consoler  et 
soigner  les  pestiférés,  lorsqu'il  y  tomba  malade  d'une  fièvre 
double-quarte;  sur  quoi  le  10  septembre  la  Compagnie  le  rap- 
pela et  tira  au  sort,  pour  le  remplacer,  Ch.  Perrot,  «  qui  est 
«  prêt,  dit  le  registre  du  Conseil  (13  septembre  1568),  d'aller 
«  faire  sa  charge  le  plus  lost.  »  Mais  le  Conseil  se  refusa  à  l'y 
envoyer,  tout  en  consentant  au  rappel  de  Legagneux.  Dès  ce 
moment  les  registres  des  deux  Corps  gardent  le  silence  sur  le 
départ  de  Perrot.  Toutefois  il  n'était  pas  homme  à  vouloir  que 
les  malades  mourussent  sans  consolations  et  sans  prières,  et 
j)!omptement  ou  plus  tard  il  alla,  j)roba!)lement  de  son  chef 
mais  d'accord  avec  la  Compagnie,  à  l'hôpital  des  pestiférés.  Le 
4  décembre  suivant,  les  registres  de  la  Compagnie  nous  le 
montrent  demandant  à  en  revenir,  vu  la  presque  cessation  du 
fléau;  ce  qui  fut  approuvé  par  le  Conseil. 

Perrot  n'avait  rien  fait  en  cela  que  bien  d'autres  pasteurs 
n'eussent  fait  et  ne  dussent  faire  encore.  Mais  voici  un  petit 
détail  caractéristique  qui  lui  est  particulier,  et  qui  nous  révèle 
le  sentiment  intérieur  avec  lequel  il  remplissait  cette  fonction. 

Pour  les  pasteurs  comme  pour  les  médecins,  le  Conseil  avait 
attaché  un  salaire  spécial  au  service  des  pestiférés.  Cette  fois 
Legagneux  et  Perrot  furent  oubliés.  Treize  mois  après  seule- 
ment le  Conseil  y  songea,  puis  le  21  mars  1570  le  syndic 
Chabrey  rapporte  «  que  dernièrement  baillant  au  dit  Cagneux 
«  le  mandement  qui  luy  avoyt  esté  ordonné,  il  fist  démonstra- 
«  tion  de  mesconlentement,  disant  avoir  baillé  à  son  serviteur 
«  plus  de  huit  escus.  D'ailleurs  a  rapporté  que  le  dit  Perrot  luy 
«  a  dit  que  Dieu  l'a  bény  tellement  quil  prie  messieurs  de  ne 
«  trouver  mauvais  qu'il  n'en  prenne  rien,  d'autant  qu  il  n'en  a 
«  pas  besoin,  car  quand  il  seroit  question  d'en  prendre  salaire, 
«  il  ne  luy  en  faudroit  pas  à  beaucoup  près  tant.  »  Le  conseil 
arrête  «  de  se  tenir  à  ce  qu'est  fait  au  regard  du  dit  Cagneux, 
«  et  quant  a  M.  Perrot,  qu'on  le  prie  de  recevoir  ce  qui  lui  a 
«  esté  ordonné.  » 


29 

Gardons-nous  d'être  sévères  pour  Legagneux  qui  avait  déjà, 
dans  plusieurs  occasions,  prouvé  son  dévouement  aux  pestiférés, 
et  qui  vlans  celle-ci  avait  particulièrement  souffert  et  beaucoup 
dépensé.  —  Mais  remarquons  la  délicatesse  et  le  sentiment 
élevé  de  Perrot,  auquel  il  répugnait  de  ne  s'être  pas  dévoué 
gratuitement.  Son  désintéressement  est  d'autant  plus  digne  d'at- 
tention, que  sa  position  paraît  avoir  été  gênée,  et  son  caractère 
enclin  à  regarder  de  très-près  à  l'argent  et  aux  dépenses.  Nous 
devons  nous  rappeler  que  quatorze  ans  plus  tard  il  déclarait  n'être 
pas  fourni  (Vaccoustrements  pour  aller  en  May  sons  de  Genlil- 
fiommc.  Il  était  à  peine  établi  à  Moëns  qu'il  demandait  de  quoi 
pouvoir  tenir  un  cbeval;  un  an  après  il  sollicitait  deux  petits  chênes, 
pour  dresser  un  polier.  Six  ans  après  son  séjour  au  milieu  des 
pestiférés,  il  sollicite  de  Messieurs  «  de  la  fuste  pour  clore  son 
«  curtil  »  à  la  rue  des  Chanoines,  ce  qui  lui  est  refusé  comme 
contraire  aux  précédents.  A  peine  pasteur  a  la  ville,  il  avait  de- 
mandé que  son  logement  gratuit  dans  une  maison  de  la  Sei- 
gneurie fut  transformé  en  un  loyer  payé  pour  son  compte  à  sa 
belle-mère,  chez  laquelle  il  demeurait;  demande  qui,  équita- 
blement  accordée,  se  renouvela  encore  avec  quelques  modifi- 
cations à  trois  autres  époques.  —  Les  salaires  et  les  concessions 
du  Conseil  avaient  donc  une  valeur  réelle  pour  Ch.  Perrot,  et 
son  refus  cette  fois  ne  peut  s'expliquer  que  par  des  motifs  d'un 
ordre  très-relevé. 

Remarquons  en  passant  que  les  demandes  de  cette  nature 
adressées  de  temps  à  autre  par  Perrot  au  Conseil,  quoique  mul- 
tipliées, avaient  un  caractère  réel  de  modération  et  de  discrétion, 
ce  que  prouve  au  reste  la  manière  bienveillante  dont  le  Conseil 
les  accueille  presque  toujours. 

Nous  avons  parlé  plus  haut  de  je  ne  sais  quelle  suspicion 
d'hérésie  à  laquelle  Ch.  Perrot  finit  par  être  en  butte.  C'est  à 
ses  doctrines  que  nous  devons  maintenant  arriver.  Nous  allons 
rassembler  les  divers  faits  ou  indices  qui  peuvent  s'y  rapporter. 
Nous  chercherons  en  particulier  si  nous  pouvons  découvrir 
quelle  influence  exerça  son  enseignement. 


30 

Sur  ce  point,  nous  ne  trouvons  absolument  rien  de  signill- 
catif  dans  les  registres.  Nous  y  remarquons  seulement  un  fait 
unique,  mais  important,  qui  nous  autorise  à  supposer  que  Perrot 
était  en  avant  de  son  époque  quant  aux  droits  de  la  pensée  et 
à  la  nécessité  d'examiner.  Nous  avons  dit  que  le  8  juin  1576 
il  avait  été  chargé  par  la  Compagnie  de  revoiries  Leges  academiœ 
de  Calvin  avant  leur  réimpression.  Or,  trois  semaines  plus  lard, 
le  3  juillet,  la  Compagnie  raie  de  ces  Ordonnances  de  l'École 
l'obligation  jusque-là  imposée  aux  étudiants  de  signer  à  leur 
entrée  la  confession  de  foi  laline,  longue  de  huit  pages  petit 
in-quarto,  que  Calvin  avait  exigée  des  élèves  comme  des  pro- 
fesseurs et  des  régents.  Le  registre  ne  dit  pas  que  cette  décision 
ait  eu  lieu  sur  le  rapport  et  la  proposition  de  Ch.  Perrot,  mais 
comment  en  douter  puisque  c'est  lui  qui  avait  été  chargé  de 
préparer  le  travail  ?  Elle  est  d'ailleurs  en  rapport  avec  tout  ce 
que  nous  verrons  de  lui.  C'est  donc  à  lui  que  doit  revenir  le 
premier  honneur  de  cette  suppression  conjointement  consentie 
par  la  Compagnie  et  par  le  Conseil ,  et  qui  est  véritablement 
surprenante,  dix-sept  ans  seulement  après  l'institution,  et  douze 
ans  après  la  mort  de  Calvin.  Le  considérant  qui  la  motive,  et  qui 
doit  remonter  aussi  à  Ch.  Perrot,  mérite  d'être  conservé.  «  D'au- 
«  tant,  dii  le  registre,  que  cela  oste  le  moyen  et  aux  papistes  et 
«  aux  luthériens  de  venir  et  profiter  en  ceste  église,  et  qu'il 
«  ne  semble  raisonnable  de  presser  ainsi  une  conscience  qui 
«  n'est  résolue  de  signer  ce  qu'elle  n'entend  pas  ;  joinct  que 
«ceux  de  Saxe  ont  prins  occasion  de  ceste  ordonnance,  de 
«  faire  signer  la  confession  d'Augsbourg  aux  nostres,  qui  vont 
«  de  par  de  là.  » 

On  peut  croire  que  celui  qui  avait  conseillé  cette  mesure  et 
rédigé  ces  considérants  devait  inspirer  à  ses  étudiants  des  ten- 
dances pacifiques  et  modérées.  Pùen  n'indique  cependant  qu'un 
ell'et  de  ce  genre  ait  été  produit  sur  le  grand  nombre,  mais  nous 
le  découvrons  dans  les  rapports  personnels  de  Perrot  avec  des 
étrangers. 


31 

En  1584  deux  jeunes  îiollaiulais  dislingués  étaienl  au  nom- 
bre des  étudiants  en  théologie  de  Genève,  où  ils  avaient  été 
envovés  aux  (Vais  de  leurs  villes  respectives.  C'étaient  Arminius, 
d'Amsterdam,  et  Utenbogaert,  d'Utrecht.  Celui-ci  était  a  Genève 
dès  1580,  et  il  était  prêta  repartir  quand  Arminius  arriva.  Ces 
deux  jeunes  hommes  déjà  liés  à  Genève,  et  plus  tard  amis  inti- 
mes, furent  renommés  dans  la  suite  comme  pasteurs  pieux,  comme 
théologiens  savants  et  hribiles,  et  comme  chefs  persécutés  du 
parti  arminien,  parti  opposé,  comme  l'on  sait  à  la  prédestina- 
tion calviniste,  et  qui  dans  la  vie  ecclésiastique  demandait  et 
apportait  en  général  un  esprit  de  douceur  et  de  modération. 

Rien  ne  nous  dit  qu'Arminius  ait  eu  des  rapports  personnels 
avec  Perrot,  mais  cela  est  assez  probable,  son  compatriote  et 
son  ami  Utenbogaert  en  ayant  eu  de  doux  et  d'intimes,  et  lui 
Arminius,  ayant  fait  encore  peu  après  un  second  voyage  a  Ge- 
nève. Quoi  qu'il  en  soit,  Utenbogaert  a  raconté  ceux  qu'il  avait 
eus  lui-même  et  l'influence  qu'ils  avaient  exercée  sur  toute  sa 
carrière  \  Il  avait  vu  d'abord  à  Genève  le  pasteur  Simon  Gou- 
lard  auquel  il  était  recommandé,  et  qui  lui  avait  libéralement 
accordé  l'usage  de  sa  riche  bibliothèque.  Goulart  l'y  surprit 
un  jour  lisant  les  Stratagemata  Salanœ^  ouvrage  connu  par  sa 
tendance  modérée.  Il  était  de  l'italien  Acontius,  mort  en  An- 
gleterre peu  auparavant.  Goulart  arracha  le  livre  à  Utenbogaert, 
affirmant  que  c'était  «  le  plus  mauvais  livre  qu'il  connût.  »  Le 
jeune  homme  céda  sans  répondre,  mais  il  y  avait  pris  goût;  il 
revint  plus  tard  au  livre,  et  avec  profit,  dit-il. 

'  Utenbogaert  a  écrit  lui-même  l'histoire  de  sa  vie,  mais  ce  n'est  pas  dans 
le  livre  même,  c'est  dans  la  préface,  œuvre  d'un  anonyme,  que  se  trouvent 
ces  intéressants  détails.  Le  livre  était  terminé  en  1638  et  parut  en  1645,  un 
an  après  la  mort  de  l'auteur.  La  préface  fut  ainsi  rédigée  au  moment  de 
cette  mort.  C'est  une  espèce  de  supplément  de  l'ouvrage,  les  faits  relatifs  à 
Ch.  Perrot  y  sont  rapportés,  dit  l'auteur  de  la  préface,  d'après  des  notes  ma- 
nuscrites de  la  main  d'Utenbogaert,  et  d'après  des  récits  oraux  de  ce  dernier. 
Cela  explique  suffisamment  quelques  confusions  historiques  qui  malheureuse- 
ment y  ont  trouvé  place. 


32 

Cependant  il  lit  en  théologie  plusieurs  propositions  latines  ou 
thèses  que  Perrot  fut  appelé  à  présider.  Celui-ci  les  remarqua, 
et  eut  bientôt  en  lui  un  disciple  aimant  et  aimé.  «  Il  lui  témoi- 
«  gna  une  affection  toute  particulière,  dit  le  précieux  document 
«  d'où  nous  tirons  ce  détail.  Il  lui  permit  de  venir  souvent  i'en- 
«  tretenir  pour  recevoir  de  lui  un  enseignement  et  des  leçons 
«  qu'il  aimait  à  donner,  et  qu'il  lui  communiquait  de  temps  en 
«  temps  avec  grande  libéralité.»  Quand,  en  1584,  Utenbogaert 
partit  de  Genève,  honoré  des  éloges  et  des  recommandations 
de  Théodore  de  Bèze,  il  n'oublia  pas  d'aller  faire  de  tendres 
adieux  à  Charles  Perrot,  et  de  lui  porter  son  Album  amkorum 
en  le  priant  d'y  inscrire  son  nom.  Je  vais  transcrire  littérale- 
ment le  récit  de  cette  dernière  visite,  car  je  me  reprocherais  d'en 
perdre  un  seul  mot  ou  d'y  rien  ajouter. 

«  Perrot  le  retint  longtemps,  discourant  avec  lui  d'un  ton  très- 
«  familier,  l'exhortant  entr'autres  à  bien  prendre  garde,  si  ja- 
«  mais  il  venait  à  exercer  le  ministère  sacré,  de  ne  point  con- 
«  damner,  ni  aider  à  condamner  légèrement  ceux  qui  pourraient 
«  lui  paraître  ne  pas  se  conformer  en  tous  points  aux  sentiments 
«  de  l'Église  réformée,  du  moins  aussi  longtemps  qu'il  les  ver- 
ci  rait  fidèles  aux  points  et  articles  principaux  et  fondamentaux 
«  de  la  religion  chrétienne,  et  disposés  à  entretenir  la  paix  et 
«  l'unité  de  l'Église,  le  priant  de  supporter  ses  frères  dans  les 
«  opinions  qui  ne  renversent  pas  le  fond  de  la  religion,  bien 
«  qu'elles  fussent  différentes  des  siennes;  lui  déclarant  que  c'é- 
«  tait  la  le  véritable  moyen  de  prévenir  le  schisme,  et  d'obtenir 
«  une  miité  h  salut  avec  ia  paix  de  l'Église,  terminant  enfin  tous 
«  ces  divers  propos  par  la  signature  de  son  nom  dans  l'album 
«  d'Utenbogaerl ,  avec  l'épigraphe,  à  côté  de  son  nom,  de 
«  Matthieu  V  :  fieali  pacifici  quoniam  fiiii  Dei  vucabuntur  \ 
«  C'est  une  parole  dont  Utenbogaert  s'est  souvenu  très-sou- 
«  vent  depuis  ce  temps,  dans  diverses  circonstances  difficiles, 

*  Heureux  les  pacifiques,  car  ils  seront  appelés  enfants  do  Dieu.  (Matth. 
V,9). 


33 

<f  durant  un  niinislère  qui  lui  a  imposé  de  graves  labeurs.  » 

Ces  dernières  exhortations  de  Perrot  à  Utenbogaert  rappel- 
lent le  langage  que  tint  cent  vingt  ans  plus  tard  cet  Alphonse 
Turrettin  dont  Perrot  nous  apparaît  comme  l'ancêtre  dans  l'É- 
glise de  Genève.  Mais  Perrot  élait  l'un  des  premiers  de  sa  race, 
et  ses  principes  de  large  tolérance  et  de  zèle  pour  la  paix  étaient 
bien  plus  remarquables  en  1584  qu'après  1700. 

Utenbogaert  avait  alors  vingt-sept  ans.  Déjà,  comme  Perrot, 
il  avait  eu  l'occasion  de  prouver  son  courage  et  son  amour 
chrétien,  au  milieu  des  horreurs  de  la  peste.  Plus  tard  il  prouva 
mieux  encore  sa  charité  par  les  sacrifices  d'amour-propre  qu'il 
fit  plus  d'une  fois  à  la  paix,  par  l'abandon  répété  de  ses  intérêts 
et  de  ses  droits  pour  amener  la  fin  des  disputes  et  l'édilication 
de  l'Église.  La  graine  déposée  par  Charles  Perrot  devint  une 
moisson,  mais  Utenbogaert  loin  d'en  tirer  gloire,  n'y  voyait 
qu'une  profitable  leçon  de  son  vieux  maître,  et  qu'un  sujet  de 
reconnaissance  envers  Dieu  et  envers  lui. 

Cinquante-deux  ans  après  son  départ  de  Genève,  et  à  la  fin 
de  son  long  ministère,  il  lisait  un  jour  le  tableau  de  la  réforma- 
tion de  Genève,  publié  en  1035  par  Frédéric  Spanheim  a  l'oc- 
casion d'un  jubilé  séculaire  \  La  il  trouva  l'éloge  des  grands 
théologiens  qui  avaient  affermi  et  honoré  l'Église  de  Genève 
au  seizième  siècle,  Farel,  Viret,  Calvin,  Bèze,  Daneau,  Goulart, 
La  Paye,  etc.  —  Mais  Perrot,  dit-il  avec  surprise,  pourquoi 
l'a-t-on  oublié?  Un  moment  de  réflexion  lui  fit  supposer  que 
c'étaient  les  défiances  dont  ses  doctrines  avaient  été  l'objet  qui 
avaient  fait  écarter  son  nom,  et  il  s'en  attrista. 

Il  y  a,  selon  moi,  bien  du  charme  dans  ces  récils  d'Ulenbo- 
gaert  qui  nous  peignent  si  bien  l'intime  sympathie  du  maitre  et 
du  disciple  ".  On  se  représente  l'âme  souffrante  et  froissée  de 

'  Geneva  restituta. 

-  Si  Perrot  avait  tant  de  répugnance  à  remplir  les  fonctions  de  lecletir  en 
théologie,  ce  n'était  donc  pas  qu'il  méconnut  la  douceur  de  coniniuiiiqucr 
ses  convictions  à  des  disciples  bien  disposés,  et  d'allumer  en  eux  l'amour  do 

Tome  XL  3  . 


34 

Perrol  s'ouvrant  avec  joie  h  la  rencontre  de  celte  jeune  et  cha- 
leureuse intelligence  qui  savait  non-seulement  l'aimer,  comme 
faisaient  ses  collègues,  mais  encore  l'écouter,  l'apprécier,  le 
comprendre  et  s'associer  pour  l'avenir  à  ses  vues.  La  même 
joie  lui  fut  donnée  sous  une  autre  forme  encore,  et  c'est  tou- 
jours Utenbogaert  qui  nous  l'apprend.  Rotan,  ce  collègue  que 
Perrot  avait  fait  devenir  professeur  à  sa  place,  sentait  et  pensait 
comme  lui.  Le  public  le  soupçonnait  \  Perrot  eut  encore  une 
autre  amitié,  qui  dut  lui  être  douce.  Isaac  Casaubon,  homme 
non-seulement  docte  et  célèbre,  mais  profondément  pieux,  au- 
quel ses  principes  de  modération  attirèrent  assez  de  contrarié- 
tés, avait  été  professeur  de  grec  à  Genève  de  1582  à  1596. 
Il  était  l'un  des  maîtres  qu'Utenbogaert  avait  suivis  en  même 
temps  que  Ch.  Perrot,  et  il  continua  à  apprécier  et  aimer  celui- 
ci.  On  a  entre  autres  deux  lettres  intéressantes  et  toutes  frater- 
nelles qu'il  lui  adressa,  l'une  de  Montpellier  en  1597,  l'autre 
de  Paris  en  1602.  La  première  est  pour  lui  parler  de  son  fds 
Denis  Perrot  qui  étudiait,  un  peu  h  contre-cœur,  la  médecine  à 
Montpellier,  et  qui  lui  avait  été,  ce  semble,  recommandé  par  son 
père.  L'autre  est  une  simple  et  tendre  effusion  d'estime  et  d'a- 
mitié, en  réponse  à  une  lettre  de  môme  nature,  où  Perrot  pa- 
raît avoir  fait  des  vœux  pour  le  voir  revenir  a  Genève. 

Ce  coup  d'œil  jeté  sur  les  rapports  de  Perrot  avec  les  étran- 
gers et  sur  ses  secrètes  affections,  suffirait  à  nous  éclairer.  Il 
était  un  homme  de  paix.  L'amour  de  la  paix,  l'esprit  de  paix, 


la  science  et  de  la  foi.  Utenbogaert  nous  dit  positivement  qu'il  aimait  à  don- 
ner des  leçons.  Je  me  demande  si,  dans  cette  répugnance  si  souvent  mani- 
festée, il  n'entrait  point  à  côté  de  la  timidité  naturelle  à  Perrot  quelque 
souilrance  morale,  quoique  crainte  de  ne  pouvoir  exprimer  toute  sa  pensée,  ou 
d'exciter  en  la  manifestant  tout  entière,  ces  débats  dont  il  avait  horreur. 

*  Les  malins  s'amusaient  à  confondre  ces  deux  hommes  en  une  seule  unité. 
Us  réunissaient  pour  cela  leurs  deux  noms  dans  une  désignation  commune  : 
Perhotanus.  I^otan,  originaire  des  Grisons  et  pasteur  à  Genève,  excita  plus 
tard  de  grandes  défiances ,  connue  suspect  d'incliner  à  une  réunion  entre 
les  deux  Églises. 


35 

lel  était  le  point  central  de  la  piété  de  ce  théologien  alors  excep- 
tionnel. Au  milieu  des  débats  de  l'époque  et  des  souffrances, 
suite  des  persécutions,  ce  sentiment  nourrissait  en  lui  comme 
une  secrète  amertume,  qu'il  épanchait  plus  librement  au  dehors 
qu'à  Genève.  De  la  encore  le  besoin  qu'il  éprouva  d'écrire  se- 
crètement des  livres  où  il  déposait  librement  sa  pensée  et  ses 
regrets,  quoi  quil  ne  pût  guère  espérer  les  publier  un  jour. 
Nous  pourrons  recueillir  d'autres  preuves  encore  du  sentiment 
qui  le  poursuivait.  Le  même  Utenbogaert  nous  en  rapporte  une 
fort  saillante.  Tilius,  ancien  abbé  catholique  et  plus  tard  pasteur 
à  Anvers  lui  montra  une  lettre  que  Perrot  lui  avait  écrite,  et 
qui  renfermait  cette  phrase  :  «  La  plupart  des  réformateurs  me 
«  rappellent  Uzza  approchant  présomptueusemeut  la  main  de 
«  l'arche  du  Seigneur,  parce  qu'd  craignait  de  la  voir  tomber*.  » 
Parole  hardie,  et  même  injuste,  qui  fait  comprendre  le  soupçon 
de  papisme  jeté  plus  lard  sur  Perrot  et  ses  livres.  Remarquons 
cependant  cette  expression  la  plupart,  qui  ne  fait  porter  le  re- 
proche que  sur  les  premiers  réformateurs,  et  qui  par  cela  même 
en  distingue  Calvin. 

Voici  sur  le  même  sujet  un  autre  document,  plus  singulier 
encore,  et  qui  nous  vient  d'autre  part. 

Le  curieux  journal  de  Pierre  de  l'Etoile,  grand  audiencier  de 
la  chancellerie  de  Paris,  renferme  la  note  suivante,  à  la  date 
du  28  septembre  1607,  un  an  avant  la  mort  de  Perrot  :  «  Ce 
«  jour  M.  Perrot,  fils  du  ministre  Perrot  de  Genève,  lequel  à  ce 
«  que  j'en  ay  pu  descouvrir  par  son  discours,  affecte  fort  la  réu- 
«  nion  et  réformation  de  l'Église,  m'a  dit  que  son  père,  grand 
c(  zélateur  de  la  réconciliation  des  deux  (mais  qui  est  contraint 
«  de  dissimuler  pour  le  lieu  où  il  est),  a  fait  un  livre  De  extre- 
«  mis  in  Ecclesia  vilandis  ^,  lequel  il  veut  faire  imprimer,  mais 
«  qu'il  tirera,  estant  là,  s'il  peut,  de  ses  mains,  pour  le  faire  voir 

•  «  Plerique  reformatores  fueruQt  instar  Uzzœ  temere  manum  admoventis 
«  arcaî  Domini  in  spcciem  ruinam  minantis.  »  Conip.  2  Samuel  VI,  6.  7, 

*  Sur  les  mesures  extrêmes  à  éviter  dans  TEelise. 


36 

«  ici  au  jour  el  servir  a  raclierainement  de  ce  saint  ouvrage 
tt  qu'on  a  desseigné.  » 

Ces  paroles,  quoique  assez  amphibologiques,  sont  fort  claires 
quant  à  la  position  morale  de  Cb.  Perrot,  et  aux  vœux  secrets 
qu'elles  lui  prêtent.  Toutefois  l'équité  fait  un  devoir  de  rabattre 
quelque  chose  du  caractère  absolu  des  assertions.  L'Étoile, 
quoique  catholique,  était  ardent  pour  la  réunion  des  Églises  et 
pour  que  la  paix  entre  les  croyances  mit  fin  aux  débats.  C'est 
pour  cela  même  que  le  fils  Perrot  s'adressait  à  lui,  et  dans  la 
conversation  il  dût  donner  avec  plus  de  force  encore  celte  cou- 
leur aux  opinions  de  son  père.  L'Étoile  lui-même  dut  aussi  re- 
marquer surtout  el  s'exagérer  volontiers  ce  qui  lui  était  dit  dans 
ce  sens.  Les  termes  même  qu'il  emploie  laissent  voir  que  le 
père  n'était  pour  rien  dans  la  démarche  du  fils,  et  dans  la  ten- 
tative de  faire  voir  le  livre  ici  au  jour  *.  Quoi  qu'il  en  soit,  les 
ferventes  aspirations  de  Cb.  Perrot  pour  un  état  de  tolérance  et 
de  paix  entre. les  deux  communions,  si  ce  n'est  même  pour  un 
rapprochement  plus  intime,  ne  peuvent  être  révoquées  en  doute. 
Cela  seul  ferait  supposer  que  ses  convictions  dogmatiques,  quoi- 
que calvinistes  en  gros,  étaient  moins  serrées  que  celles  du 
reste  de  l'Église  de  Genève.  Nous  en  avons  eu  déjà  quelques 
preuves;  en  voici  d'autres  encore. 

En  1610,  deux  ans  après  la  mort  de  Perrot,  Utenbogaert 
était  à  Paris  comme  chapelain  des  représentants  des  Provinces- 
Unies.  Il  }•  rencontra  Isaac  Casaubon  qui,  devenu  bibliothécaire 


•  Je  ne  puis  m'erapècher  de  soupçonner  que  la  mort  récente  de  Thédore 
de  Bèze  était  pour  quelque  chose  dans  la  démarche  du  fils  Perrot.  Le  père, 
qui  consacrait  ses  studieux  loisirs  à  rédiger  secrètement  de  pacifiques  leçons 
de  tolérance,  ne  pouvait  songer  à  les  publier  du  vivant  de  Bèze  son  ancien 
maître,  son  collègue  actuel,  et  le  chef  vénéré  de  l'Église  de  Genève,  mais  il 
pouvait  avoir  quelque  vague  espérance  qu'après  la  mort  de  Bèze,  de  vingt- 
deux  ans  plus  âgé  que  lui,  cela  pourrait  devenir  possible.  Or  Théodore  de 
Bèze  était  mort  en  1605,  et  Denys,  fils  aîné  de  Ch.  Perrot,  qui  partageait 
ses  principes  et  connaissait  ses  vœux  et  son  livre,  impatient  de  voir  celui-ci 
mis  au  jour,  put  risquer  cette  ffutative. 


37 

ilu  roi,  se  reposait  quelque  peu  des  soucis  de  sa  vie  traversée  el 
des  tracasseries  que  la  modération  de  ses  principes,  disait- il,  et 
des  circonstances  de  famille  lui  avaient  attirées  a  Genève.  Ces 
deux  hommes,  qui  s'y  étaient  autrefois  connus,  se  retrouvèrent 
avec  plaisir  el  se  plurent  mutuellement.  Ils  eurent  le  20  avril 
1610  '  une  conférence  dogmatique,  dont  la  préface  de  la  vie 
d'Utenbogaert  reproduit  le  sommaire.  Dans  cette  conversation 
il  fut  question  de  Perrot.  Gasaubon  cita  un  trait  de  lui,  ou  plutôt 
un  mot  seulement,  mais  significatif.  Perrot  aurait  dit  qu'on  prê- 
chait trop  exclusivement  a  Genève  la  justification  par  la  foi,  et 
qu'il  serait  temps  qu'on  prêchât  un  peu  les  œuvres  '. 

La  même  année  Ctenbogaert,  suivant  la  même  préface,  vit 
aussi  à  Paris  un  autre  Perrot ,  frère  de  Charles ,  et  qui  lui 
annonça  avec  douleur  la  suppression  récemment  consommée  à 
Genève  du  livre  De  extremis.  Le  fond  de  ce  récit  doit  être  vrai, 
mais  il  renferme  une  erreur  évidente.  Le  seul  frère  protestant 
de  Charles  Perrot,  Denys,  pasteur  à  Satigny,  avait  été  massacré 
à  la  Saint-Barthélémy,  trente-huit  ans  auparavant.  Il  y  a  ici 
très-certainement  confusion  avec  l'autre  Denvs  Perrot,  fils  aîné 
de  Charles.  Celui-ci  nous  le  connaissons  par  sa  visite  à  Pierre 
de  l'Étoile  en  1607,  et  dans  le  dernier  chapitre  de  ce  travail 
nous  le  connaîtrons  mieux  encore.  Nous  savons  déjà  l'intérêt 
qu'avant  la  mort  de  son  père  il  prenait  au  livre  inculpé.  Nous 
verrons  sa  douleur  lorsque  ce  livre,  au  lieu  d'atteindre  le  but 
de  son  auteur,  devint  l'occasion  d'une  flétrissure  imprimée  à  sa 
mémoire.  D'ailleurs  nous  avons  vu  Denys  Perrot  faire  une  course 
a  Paris  trois  ans  auparavant;  il  pouvait  avoir  bien  des  motifs 
d'y  retourner,  puisque  là  était  (semble-t-il)  le  patrimoine  de 

'  C'est  Brandt  qui  précise  ainsi  le  jour  de  la  conférence.  J'ignore  d'après 
quelle  autorité. 

-  Pourtant,  chose  étrange!  les  Ephémérides  de  Casau])on,  c'est-à-dire  son 
journal  intime,  publié  après  sa  mort,  garde  le  silence  sur  cette  conversation 
et  le  20  avi'il,  et  tous  les  jours  suivants  jusqu'à  son  départ  pour  r.\ngleterre 
en  automne.  Cependant  il  rend  compte  de  beaucoup  de  choses  analogues, 
et  spécialement  d'une  préthVation  d'Utenbogaert  le  2  mai. 


38 

son  père  et  le  séjour  de  sa  famille  paternelle  ;  il  devait  mettre 
du  prix  d'ailleurs  à  revoir  Ltenbogaert,  chez  lequel  il  savait 
qu'il  trouverait  une  âme  sympathique  et  de  vieilles  affections. 
Enfin  nous  sommes  certains,  par  une  requête  qu'il  présenta  de 
loin  à  la  Compagnie  en  décembre  1610,  qu'il  avait  été  assez 
longtemps  absent  de  Genève  pendant  les  derniers  mois  de  cette 
année. 

Mais  revenons  aux  doctrines  de  Ch.  Perrot. 

D'après  les  détails  que  nous  venons  de  réunir  on  peut  croire 
que  Ch.  Perrot,  au  fond  du  cœur,  différait  de  l'opinion  générale 
de  ses  collègues  par  deux  points  :  Le  désir  de  quelque  rappro- 
chement pacifique  avec  l'Eglise  romaine,  et  la  crainte  que  la 
manière  scholastique  dont  la  justification  par  la  foi  était  prê- 
chée,  ne  voilât  l'importance  de  la  sanctification.  — iSous  verrons 
tout  à  l'heure  qu'il  était  pareillement  un  peu  suspect  à  l'endroit 
des  sacrements.  Sous  quel  point  de  vue?  C'est  ce  qu'il  serait 
possible  de  conjecturer,  mais  qui  cependant  reste  douteux. 

On  ne  supposera  pas,  je  pense,  que  malgré  ce  qui  précède, 
Perrot  fût  réellement  hérétique  au  point  de  vue  calviniste,  sur 
l'un  ou  l'autre  des  points  signalés.  Non,  cet  homme  simple,  ai- 
mant, spontané,  dévoué,  et  qui  avait  tant  sacrifié  à  ses  convic- 
tions prolestantes,  n'était  pas  papiste,  il  était  simplement  paci- 
fique à  l'excès  *.  Il  ne  niait  nullement  la  justification  par  la  foi, 

*  Le  sentiment  de  Ch.  Perrot  à  ce  sujet  se  formulerait  très-probablement 
avec  exactitude  comme  celui  qu'à  la  même  époque  son  ami  Casaubon  dé- 
posait dans  son  journal  intime  (10  Juin  1600)  et  dans  une  touchante  prière: 
a  Equidem  fateor  quoties  schisma  hoc,  quod  ecclesiam  tuam  tôt  jam  aunos 
a  lacérât,  ob  oculos  mihi  pono,  ingenti  desiderio  corripi  me  pacis  et  ron- 
«  cordiae.  Sed  nunquam  tamen  eo  venimus  amentiœ,  ut  pacem  iniquam  et 
«  irreligiosam  vel  prœsenti  rermn  statui  putaremus  anteponendam.  >'eque 
«  tu,  Deus  mi,  Deus  mi,  siris  ut  sententiam  mutem  unquam.  »  En  français: 
«  J'avoue  bien,  Seigneur,  que  toutes  les  fois  que  je  songe  à  ce  schisme  qui, 
«  depuis  tant  d'années,  déchire  ton  Église,  je  me  sens  saisi  d'un  ardent  désir 
et  de  concorde  et  de  paix.  Mais  jamais  je  n'en  viens  à  ce  degré  de  démence 
9  de  croire  une  paix  inique  ou  irréligieuse  préférable  même  à  l'état  de  choses 
«  actuel.  Mon  Dieu,  mon  Dieu!  ne  permets  pas  que  j'abandonne  jamais  ce 
*  sentiment.  » 


39 

H  l'a  toujours  admise  et  confessée,  mais  il  s'aliligeail  qu'on  n'a- 
dressât si  souvent  celte  doctrine  qu'à  Tintelligence  et  a  la  dia- 
lectique ;  qu'on  la  revêtit  toujours  de  formes  juridiques  et  scho- 
lastiques  au  lieu  d'en  faire  un  stimulant  pour  le  cœur,  un  principe 
de  vie  et  d'amour.  —  Mais  Perrot  n'appartenait  pas  à  son  siècle. 
Il  ne  pouvait  ni  le  comprendre  ni  en  être  compris.  Puis,  humble 
et  timide,  il  se  taisait  volontiers  et  se  plaisait  à  rester  dans 
l'ombre. 

Toutefois  cette  ombre  ne  pouvait  être  bien  épaisse,  et  les 
tendances  de  Perrot,  déjà  suspectes  au  temps  d'Utenbogaert  h 
ce  que  celui-ci  nous  apprend,  devaient  percer  toujours  davan- 
tage, et  finir  par  scandaliser.  La  grande  douceur  avec  laquelle 
Perrot  acceptait  les  avis,  sa  soumission  aux  décisions  imposées, 
son  ardeur  à  s'effacer  de  l'administration  de  l'Église  et  à  s'oc- 
cuper surtout  des  pauvres  et  des  souffrants,  devaient  retarder  et 
atténuer  les  défiances.  Mais  ces  défiances  ne  pouvaient  que  se 
faire  jour  une  fois  ou  une  autre,  sous  une  forme  plus  frater- 
nelle dans  la  Compagnie  qui  aimait  Perrot  et  à  laquelle  il  ne 
résistait  jamais,  d'une  manière  plus  vive  dans  le  Conseil  d'Etat, 
où  Lect,  le  gardien  né  des  dogmes  calvinistes,  le  tenait  pour 
suspect  et  par  conséquent  dangereux. 

Ces  doutes  et  ces  soupçons  eurent  toutefois  dans  riiii  et 
l'autre  corps  peu  de  retentissement  avant  la  mort  de  Perrot,  et 
tant  que  ses  écrits  restèrent  inconnus. 

Voici  les  deux  seuls  documents  que  nous  fournissent  à  ce 
sujet  les  registres  ofliciels.  Le  premier  en  date  est  de  la  Com- 
pagnie, et  du  16  décembre  1586.  Il  remonte  donc  à  une  époque 
comparativement  ancienne.  Utenbogaert  avait  quitté  Genève 
depuis  deux  ans ,  et  Perrot  en  avait  quarante-cinq.  «  Ce  jour 
«  même,  qui  fut  le  jour  des  censures,  on  print  occasion  de 
«  quelque  rapport  qu'on  fesoit  de  ce  que  M.  Perrot  ne  sembloit 
«  point  s'accorder  en  doctrine  avec  ses  compaignons,de  confè- 
re rer  avec  luy  touchant  certains  poincts  contenus  en  un  escript 
«  qu'il  avait  baillé  autrefois,  pour  se  résoudre  avec  luy.  Sui- 


40 

«  vant  cela  le  lendeiiiain  on  s'assembla  el  Irailta  on  avec  luy 
«  du  poincl  de  la  justification,  et  trouva  on  de  fait  qu'il  n'estoit 
«  point  d'accord  avec  ses  frères,  et  fust  advisé  que  le  vendredy 
«  suivant  on  poursuivroit.  » 

«  Du  vendredy  23,  M.  Perrot  ayant  assez  déclaré  qu'il  estoit 
<f  consentant  avec  nous  à  ce  point  de  la  justiiicalion  qui  avoit 
«  esté  iraitté  auparavant,  fust  advisé  qu'on  luy  présenteroit  en- 
«  core  un  certain  escrit  veu  par  toute  la  compagnie  et  approuvé 
«  lequel  coatenoit  en  sommayre  la  doctrine  de  la  justification, 
«  afin  que  le  dit  sieur  Perrot  l'ayant  veu  et  approuvé,  il  fust 
K  signé  de  toute  la  Compagnie.  Ce  mesme  jour  on  conféra  encor 
«  avec  M.  Perrot  touchant  les  sacrements  et  fust  dit  qu'on 
«  comprendroit  en  un  escript  sommaire  ce  qu'il  en  faut  croire, 
«  pour  le  communiquer  au  dit  sieur  Perrot,  comme  de  celuy 
«  de  la  justification.  » 

Ce  document  ne  nous  apprend  rien  de  bien  nouveau ,  si  ce 
n'est  qu'au  point  de  vue  non-seulement  de  la  justification,  mais 
aiïssi  des  sacrements,  on  trouvait  quelque  chose  à  dire  à  la 
doctrine  de  Perrot.  —  Mais  ce  procès-verbal  a  de  l'importance 
comme  nous  indiquant  assez  bien  le  caractère  et  la  position 
morale  de  notre  héros.  Nous  le  voyons  ici,  avec  son  esprit  de 
douceur,  toujours  prêt  à  céder  à  ses  frères,  et  aussi  avec  sa  can- 
deur native,  ne  leur  déguisant  pas  ses  points  de  vue.  On  peut 
l'accuser,  peut-être,  d'avoir  dissimulé  ses  instincts  de  largeur 
excessive  à  l'endroit  du  papisme,  mais  en  ce  qui  lient  à  la  jus- 
tification ce  reproche  ne  peut  être  fait.  Du  reste  la  scène  qui 
nous  est  racontée  nous  montre  clairement  Perrot,  ainsi  que 
nous  l'avions  supposé,  ne  niant  point  la  doctrine,  mais  aimant  à 
la  présenter  autrement  qu'on  ne  faisait. 

L'autre  extrait  de  registres  est  du  Conseil  d'Etat,  et  de  huit 
ans  postérieur. 

Le  8  octobre  1 594 ,  «  estant  proposé  que  le  sieur  Perrot  a 
tf  quelques  erreurs,  a  esté  arresté  qu'on  en  enquière  les  spec- 
t<  tables  ministres  sur  le  mémoire  qu'on  drossera,  et  que  M.  An-' 


41 

«  jorrand  '  soilouy  par  serment,  et  aussi  qu'on  appelle  céans 
«  lesdils  speclables  ministres.'  » 

Ce  document  n'est  accompagné  d'aucun  des  développements 
qui  nous  seraient  nécessaires.  La  décision  du  Conseil  paraît 
n'avoir  eu  aucune  suite,  et  le  registre  de  la  Compagnie  ne  fait 
mention  de  rien  qui  y  soit  relatif.  Le  Conseil  avait  beau  être 
mécontent  de  Perrot  et  se  défier  de  lui,  il  reculait  à  la  pensée  de 
frapper  cet  homme  paisible,  cher  a  ses  collègues,  qui,  sans 
prétention,  sans  ambition,  sans  influence,  se  défiait  de  lui-même 
et  ne  cherchait  qu'a  bien  faire. 

Il  nous  semble  que  les  faits  ont  suffisamment  autorisé  et 
confirmé  nos  conjectures  sur  les  convictions  et  les  sentiments 
réels  de  Perrot. 

Singulier  honnne,  et  type  étrange  au  seizième  siècle  !  Il  n'é- 
tait certes  pas  jeté  dans  le  rnoule  de  Calvin  ;  pourtant  il  est  tou- 
jours excusé,  défendu  par  ses  collègues,  qui  le  chargent  h  di- 
verses reprises,  et  malgré  lui,  d'enseigner  la  théologie,  et  le 
Conseil  de  même.  —  Qu'on  nous  permette  de  voir  ici  le  triom- 
phe d'une  charité  éprouvée,  de  la  foi  du  cœur,  dune  humilité 
profonde  et  sincère  sur  les  débats  théologiques  et  les  calculs  de 
l'inteiligence. 

Mais  nous  n'aurons  pas  complètement  connu  Ch.  Perrot  tant 
que  nous  ne  nous  serons  pas  rendu  compte  du  travail  intérieur 
parlequel  il  était  arrivé  à  cet  état  d'âme  et  de  foi.  Cet  homme,  en 
effet,  est  une  énigme  dont  nous  voudrions  trouver  le  mot.  On 
ne  comprend  guère  dans  un  même  cœur  l'excès  de  la  sévérité 
dans  les  pratiques  religieuses,  et  l'excès  de  la  largeur  dans  la 
tolérance.  Et  tout  cela  au  sein  de  l'atmosphère  dont  la  grande 
unité  de  Calvin  enveloppait  et  imprégnait  l'Eglise  de  Genève  ! 
chez  un  conducteur  de  l'Eglise  ,  un  continuateur  de  l'œuvre 
calviniste,  élu  trois  ans  seulement  après  la  mort  du  Réforma- 

*  Auteur  probable  du  rapport  relatif  aux  erreurs  de  Perrot.  Jacob  Anjor- 
rand,  Iioinme  noble  et  distingué,  venait  d'entrer  dans  le  Deux-Cents  et  de- 
vint Conseiller  d'État  neuf  ans  plus  tard. 


1% 

teur!  Quelle  a  donc  été,  sommes-nous  conduits  à  nous  deman- 
der, l'influence  créatrice,  la  tourmente  intérieure  qui  a  pu  dé- 
velopper simultanément  ces  tendances  opposées,  et  les  concilier 
dans  une  charité  excentrique,  peut-être,  mais  touchante?  —  Je 
suis  pour  ma  part  bien  tenté  de  croire  que  c'est  dans  le  cloître 
où  avait  été  enfermée  la  jeunesse  de  Gh.  Perrot  qu'il  faut  cher- 
cher la  solution  du  problème.  Le  cloître,  qui  tantôt  fausse  les 
consciences  et  tantôt  les  réveille,  qui  matérialise  les  âmes  gros- 
sières et  donne  aux  âmes  d"élite  la  faim  et  la  soif  de  justice, 
qu'il  ne  peut  cependant  satisfaire,  le  cloître  a  envoyé  à  toutes 
les  époques  de  la  réformation,  dans  les  rangs  de  l'Eglise  pro- 
testante ,  tantôt  des  hommes  peu  dignes ,  tantôt  des  pasteurs 
expérimentés  et  fervents.  La  jeunesse  de  Luther  dit  assez  ce 
que  la  soif  de  science  d'une  part  et  l'anxiété  du  péché  de 
l'autre,  aux  prises  avec  l'oppression  et  les  déceptions  du  cloître, 
peuvent  allumer  d'énergie  dans  une  âme  ardente.  Je  n'ai  pas,  on 
le  comprend,  la  prétention  de  comparer,  même  de  loin,  Charles 
Perrot  à  Luther  ;  mais,  comme  Luther,  cet  homme  me  semble 
inexplicable  sans  une  période  antérieure  d'études,  de  médita- 
tion et  de  travail  de  l'âme  ;  sans  une  soif  de  liberté,  d'Evangile 
et  de  charité,  excitée  par  l'esclavage  et  les  mécomptes  de  la  \ie 
monastique. 

Je  me  figure  donc  que  Perrot,  entré  bien  jeune  au  couvent, 
puisqu'il  en  sortit  à  vingt-trois  ou  vingt-quatre  ans  au  plus  tard, 
fut  poussé  vers  le  protestantisme  par  les  connaissances  bibliques 
et  palristiques  qu'il  y  avait  acquises,  par  les  déceptions  aux- 
quelles ses  espérances  de  progrès  et  de  sainteté  l'y  avaient  livré, 
peut-être  aussi  par  les  péchés  qui  y  avaient  tourmenté  sa  con- 
science, et  pour  lesquels  il  sentait  le  besoin  d'un  pardon  plus 
assuré  que  celui  d'un  confesseur.  Le  surnom  de  Peccator^  qu'il 
adopta,  semble  indiquer  quelque  chose  de  ce  genre.  Il  garda 
toutefois  du  cloître  la  teinte  de  formalisme  qui  caractérisa  tou- 
jours sa  piété,  car  sa  raison  n'était  pas  assez  puissante,  et  son 
intelligence  assez  calme  pour  comprendre  a  fond  la  vraie  nature 


43 

(le  la  foi.  Chez  lui  les  vues  de  l'esprit  furent  toujours  dominées 
par  les  affections  et  les  besoins  du  cœur. 

Il  adopta,  je  crois,  sincèrement  les  convictions  protestantes, 
mais  il  n'y  trouva  cependant  pas  tout  ce  qu'il  avait  espéré.  Les 
formes  scliolasliques  et  dialectiques  dont  se  revêtait  alors  la 
science  dogmatique  ne  lui  allaient  pas.  La  sanctification  lui  sem- 
blait parfois  oubliée  pour  cette  justification  qu'on  n'exposait 
pas  assez  chrétiennement  à  son  gré.  Les  discordes  théologiques 
enfin,  et  leurs  suites  oppressives  ou  persécutrices,  étaient  à  ses 
yeux  un  opprobre  pour  la  foi,  et  froissaient  fortement  cette  soif 
de  paix,  de  charité  qui  le  dévorait.  Avec  des  vues  plus  nettes  et 
plus  fermes ,  avec  une  intelligence  plus  vaste,  il  eût  peut-être 
un  peu  hâté  le  mouvement  des  idées  et  préparé  quelques  pas 
importants;  mais  il  ne  fut  qu'un  homme  obscur,  aimé  pour  son 
caractère  charitable  et  modeste,  n'osant  se  montrer  tout  entier, 
se  mettant  par  instinct  a  fécart ,  quelque  peu  dédaigné  même 
pour  l'excentricité  apparente  de  ses  idées  et  de  ses  actes;  par 
conséquent  sans  influence  sur  l'Eglise  de  Genève. 

Au  reste  il  faut  franchement  reconnaître  que  si  Perrot  n'était 
pas  compris  de  son  époque ,  il  ne  la  comprenait  pas  non  plus, 
et  que  si  ses  vues  pacifiques  eussent  été  prises  au  pied  de  la 
lettre,  la  Réformation,  de  partout  menacée,  aurait  manqué  de 
l'énergie  nécessaire  pour  compléter  l'œuvre,  résister  aux  armes 
tant  loyales  que  déloyales  du  papisme  et  préparer  l'avenir. 

Telles  sont  nos  conjectures  sur  la  vie  antérieure  et  intime  de 
Ch.  Perrot.  Si  l'on  croit  devoir  les  repousser  comme  hasardées, 
cela  ne  change  rien  aux  faits  que  nous  avons  établis. 


44 


CHAPITRE  IV. 

Les  écrits  de  Perrot.  —  Appendice. 

Nous  avons  vu  mourir  Charles  Perrot,  et  notre  notice  bio- 
graphique est  terminée.  Toutefois  nous  croyons  nécessaire  de 
dire  en  appendice  ce  que  devinrent  ses  écrits. 

Nous  ne  pouvons  analyser  des  ouvrages  perdus  et  demeurés 
inconnus  ;  mais  les  scènes  que  nous  allons  raconter  jetteront 
encore  quelque  jour  sur  le  caractère  et  les  convictions  de  l'au- 
teur. Elles  méritent  surtout  l'attention  comme  fournissant  de 
curieux  matériaux  pour  l'étude  des  idées  de  l'époque,  de  l'es- 
prit de  la  Compagnie  et  des  principes  du  Conseil;  en  un  mot 
du  gouvernement  de  l'Église  et  de  la  liberté  d'examen,  tels  qu'on 
les  entendait  alors. 

Charles  Perrot  était  mort,  avons-nous  dit,  le  15  octobre 
1608. 

Le  18  février  suivant,  voici,  suivant  le  registre,  ce  qui  se 
passait  en  Conseil. 

«  Monsieur  le  Syndique  Lect  a  rapporté,  qu'entre  les  papiers 
«  de  feu  spectable  Charles  Perrot,  se  trouvent  deux  livres,  l'un 
«  De  extremis  in  Ecclesia  vitandis,  et  encor  un  autre,  lesquels 
«  sont  entre  mains  du  S""  Timothée  Perrot,  et  que  s'il  adve- 
«  nait  que  les  dits  livres  tombassent  entre  les  mains  des  pa- 
rt pistes,  il  serait  à  craindre  que  cela  n'importast  grandement  à 
«  cet  Estât,  principalement  au  fait  de  la  religion,  et  que  mesme, 
«  ils  y  pourroient  adjouster.  A  esté  arresté  que  M.  le  Syndique 
«  Sarrasin  et  le  S""  Gallatin  conseiller,  qui  ont  esté  cy-devant 
«  commis  pour  accorder  les  dits  frères  en  leurs  différents,  se 
«  saisissent  des  dits  livres  et  les  rapportent  céans,  et  mesme 
«  les  contraignent  par  serment  de  les  déclarer  s'ils  en  font  re- 

<(  fus.  rt 

Telle  fut  la  découverte  qui  donna  naissance  au  drame  pé- 


45 

nible,  monolone  et  prolongé  que  nous  avons  à  exposer.  Mais 
avant  d'en  continuer  le  déveloj)pement,  nous  devons  nous  ar- 
rêter un  instant  pour  dire  quelques  mots  des  personnages  en 
scène  et  du  sujet  de  l'action. 

Nous  connaissons  déjà  l'esprit  des  corps  qui  vont  agir.  Le 
Conseil  d'État,  bienveillant  poui'  la  personne  de  Perrot  pendant 
sa  vie,  mais  défiant  de  ses  doctrines,  ayant  horreur  de  toute 
hérésie,  et  dirigé  par  Lect  qui,  gardien  vigilant  et  sévère  de 
l'orlhodoxie,  redoute  les  écrits  de  Perrot,  et  n'a  jamais  aimé 
l'auteur.  —  La  Compagnie,  indulgente  et  fraternelle  jusqu'au 
bout  pour  Perrot  et  sa  mémoire.  Toutefois,  si  elle  n'a  pas 
l'âprelé  de  Lect,  elle  adhère  à  ses  principes  et  reconnaît  au  Con- 
seil le  droit  d'agir  souverainement.  En  outre,  elle  n'a  plus  ni 
Modérateur  permanent,  ni  homme  influent  à  sa  tête.  Bèze  est 
mort,  Diodaii  vient  seulement  d'être  élu  pasteur. 

Les  deux  fils  de  Perrot  jouent  un  grand  rôle  et  un  rôle  dif- 
férent dans  tout  ce  débat. 

Nous  connaissons  déjà  l'aîné,  spectable  Denys  Perrot,  âgé 
alors  d'environ  quarante  ans.  Il  avait  étudié  la  médecine  à  Mont- 
pellier; mais  au  témoignage  de  Casaubon  qui  le  protégeait  et 
l'aimait,  il  s'en  était  dégoûté.  Plus  tard  semble-t-il,  il  s'occupa 
de  jurisprudence  et  devint  avocat.  Il  fut  nommé  du  Deux-Cents 
l'année  suivante,  mais  du  reste  il  ne  remplit  aucune  charge  pu- 
blique. Nous  avons  vu  sa  démarche  auprès  de  Pierre  de  l'Étoile, 
et  nous  savons  par  là,  que ,  confident  intime  de  son  père ,  il 
partageait  sa  largeur  de  vues  et  son  amour  de  la  paix.  Proba- 
blement même  il  les  exagérait.  Pour  le  père,  ces  sentiments 
avaient  leur  racine  dans  le  cœur  plus  que  dans  l'intelhgence.Il  de- 
vait en  être  un  peu  autrement  chez  le  fils,  laïque,  et  homme  de 
loi.  Dans  aucun  cas,  il  ne  pouvait  sympathiser  en  rien  avec  Lect. 
Bien  différents  étaient  les  sentiments  et  la  position  du  fils 
cadet,  Timothée.  Celui-ci,  très-rapproclié  de  l'âge  de  son  frère 
et  avocat  comme  lui,  avançait  sur  la  route  des  honneurs,  et  ap- 
partenait tout  entier  à  l'esprit  gouvernemental.  Au  moment  de 


46 

ia  mort  de  son  père,  il  était  du  Deux-Cents  depuis  cinq  à  six 
ans.  Il  avait  été  nommé  auditeur  en  1604.  II  était  au  nombre 
des  anciens  du  consistoire.  Il  avait  épousé  la  fille  de  François 
de  Chapeam-ouge  qui,  collègue  de  Lect  depuis  vingt  ans  dans 
le  Conseil  et  dans  le  Svndicat,  était  cette  année  même  Premier 
Syndic.  Évidemment  Timotliée  Perrot  était  dans  la  position  d'un 
homme  qui  aspire  au  Conseil  d'État,  et  qui  devait  y  arriver 
une  fois  ou  une  autre.  Il  y  arriva  en  eiïet,  mais  seulement  vinut- 
deux  ans  plus  tard.  Pour  le  moment  il  pouvait  être  regardé 
comme  le  client  et  l'élève  de  De  Chapeaurouge  et  de  Lect.  — 
Il  ne  put  se  montrer  d'une  manière  toujours  bien  franche  dans 
la  suite  de  l'affaire,  où  les  bienséances  filiales  et  l'honneur  de 
son  nom  rendaient  sa  position  complexe.  Toutefois  sa  manière  de 
sentir  y  parut  assez  clairement,  et  nous  ne  pensons  pas  lui  faire 
tort  en  conjecturant  qu'il  avait  probablement  été  l'intermédiaire 
par  lequel  Lect  connut  ou  réussit  à  découvrir  les  manuscrits 
de  son  père.  Le  procès-verbal  que  nous  venons  de  transcrire 
nous  conduit  assez  naturellement  à  cette  conjecture,  quand  il  parle 
des  livres  qui  «  sont  entre  mains  de  Timothée  Perrot.  »  Il 
y  a  plus:  ce  même  procès-verbal  fait  naître  une  conjecture 
nouvelle  quand  il  parle  de  différents  qu'une  commission  du 
Conseil  avait  été  chargée  de  concilier  entre  les  frères.  En  effet 
un  registre  de  la  Compagnie,  beaucoup  plus  précis,  nous  parle 
d'un  eslrif  entre  eux  qui  avait  eu  lieu  seulement  trois  semaines 
auparavant,  et  qu'une  commission  de  la  Compagnie  avait  reçu 
mandat  d'apaiser.  N'est-il  pas  un  peu  probable  que  la  différence 
de  sentiment  des  frères,  au  moment  de  la  découverte  des  li- 
vres, fut  pour  quelque  chose  dans  ce  débat,  et  ne  pourrait-on 
point  voir  dans  le  rapport  fait  à  ce  sujet  au  syndic  Lect ,  ou  la 
suite  ou  la  cause  de  l'es^n/en  question? 

Un  mot  maintenant  sur  les  écrits  découverts. 

Le  premier.  De  extrenm  in  Eccksia  vitandis^  nous  est  déjà 
connu  par  la  démarche  de  Denys  Perrot,  et  certes,  à  en  juger 
par  le  journal  de  l'Étoile,  les  appréhensions  de  Lect  n'étaient 


47 

pas  sans  fondement.  Nous  verrons  en  outre,  par  les  discussions 
mêmes  auxquelles  ce  livre  donna  lieu,  que,  prêchant  la  paix 
entre  cliéliens,  il  renfermait  des  choses  dirigées  contre  le  schisme, 
et  qu'il  allait  même,  semble-t-il,  jusqu'à  accuser  les  réformateurs 
de  précipitation  et  d'imprudence,  précisément  comme  le  frag- 
ment conservé  de  la  lettre  à  Tilius.  Cette  préface  de  la  vie  d'U- 
tenbogaert,  qui  nous  a  déjà  appris  tant  de  choses,  rapporte  en- 
core que,  suivant  le  fds  Perrot,  «  ce  livre  contenait  des  vues 
«  fort  remarquables  et  fortement  conçues,  sur  l'amélioration  à 
«  introduire  dans  la  réforme  générale.  » 

Au  reste,  les  biographes  traditionnels  affirment  que  ce  livre 
avait  été  imprimé  avant  la  mort  de  Perrot,  qu'il  fut  supprimé 
et  détruit  par  le  Conseil,  mais  qu'un  Hollandais,  Henri  Klook, 
Conseiller  de  la  cour  de  La  Haye,  en  retrouva  plus  tard  à  Paris 
un  exemplaire  entièrement  illisible,  échappé  apparemment  au 
pilon  du  Conseil.  Mais  cette  assertion  est  démentie  par  le  fait 
que  jusqu'au  moment  de  la  découverte,  ce  livre  était  absolument 
inconnu  au  Conseil  d'État  et  a  la  Compagnie.  Il  faudrait  donc 
supposer  que  l'édition  entière  secrètement  et  récemment  im- 
primée par  les  soins  de  Denys  Perrot,  était  cachée  chez  son 
père  au  moment  de  la  découverte.  Siq)position  véritablement 
absurde,  et  démentie  par  les  faits  et  les  procès-verbaux  sub- 
séquents. La  méprise  doit  avoir  eu  lieu  plus  tard.  Elle  aura  été 
due  au  bruit  fait  par  cet  ouvrage  après  la  mort  de  Perrot,  à 
une  vague  connaissance  des  tentatives  de  son  fds  pour  l'impri- 
mer pendant  sa  vie,  et  à  l'empressement  du  S""  Klook,  à  se  croire 
possesseur  d'une  rareté  théologique. 

Lect  mentionne  encore  un  autre  livre  qu'il  ne  désigne  point. 
C'était  probablement  les  Annotations  sur  le  catéchisme^  qui  plus 
tard  furent  déclarées  condamnables,  presque  au  même  degré 
que  De  extremis.  D'autres  écrits  de  Perrot  furent  successive- 
ment découverts.  Nous  en  parlerons  à  mesure  que  les  procès- 
verbaux  nous  feront  connaître  leur  existence. 

Il  est  temps  maintenant  de  reprendre  notre  récit. 


48 

Nous  étions  au  18  février  1609.  Le  24  la  Compagnie  reçoit 
«ne  plainte  en  commun  des  deux  fils  Perrot,  qui  réclament 
contre  la  manière  de  procéder  du  Conseil,  et  contre  l'enlève- 
ment arbitraire  des  manuscrits.  La  Compagnie  reconnaît  le 
droit  du  Conseil  et  donne  des  éloges  à  son  zèle,  mais  elle  ex- 
prime le  vœu  que  l'examen  des  manuscrits  soit  fait  par  des  ex- 
perts tirés  d'entre  les  pasteurs.  Elle  désigne  a  cet  effet  MM.  Dio- 
dati  et  Laurent. 

Trois  jours  après,  une  nouvelle  découverte  avait  compliqué 
l'affaire.  M.  de  Châteauneuf  lapporte  en  Conseil  qu'on  a  trouvé 
deux  autres  livres  de  Perrot:  Un  commentaire  de  l'Institution 
cbrélienne  de  Calvin,  et  uncommeiitaire  de  saint  Augustin,  «  A 
«  esté  arresté  que  les  Seigneurs  commis  s'en  saisissent,  et  de  tou- 
«  tes  ses  autres  œuvres.  »  Il  y  en  avait  bien  d'autres  en  effet, 
comme  nous  le  verrons.  Quant  a  ces  deux-ci,  il  n'en  est  plus 
question  d'une  manière  spéciale,  mais  il  y  a  bien  apparence 
que  l'un  et  l'autre  ouvrage  se  rapportaient  directement  au  dogme. 

Le  8  mars,  la  Compagnie  apprend  que  le  S""  Laurent,  alors 
recteur  et  son  commissaire  auprès  du  syndic  Lect,  en  a  été 
mal  reçu  ;  il  a  eu  pour  réponse  «  que  c'estait  à  la  Compagnie  à 
«  veiller  sur  ces  choses,  non  de  les  vouloir  couvrir  ou  suppor- 
«  ter.  »  D'autre  parties  fils  Perrot  insistenl  toujours,  et  de  con- 
cert, pour  que  «  les  dits  escripts  soyent  remis  à  l'examen  de 
«  la  Compagnie.  »  Celle-ci  fait  encore  une  bumble  et  timide 
tentative  pour  l'obtenir;  tentative  accompagnée  de  grands  élo- 
ges à  Messieurs  «  du  soing  qu'ils  ont  eu.  » 

Cependant  le  diiféiend  entre  les  (ils  Perrot  avait  recommencé, 
et  le  surlendemain,  10  mars,  à  la  demande  de  Denys  Perrot, 
deux  pasteurs  sont  chargés  de  parler  h  ïimothée  pour  le  calmer 
et  le  ramener.  Evidemment ,  pendant  que  ce  dernier  avait  ses 
appuis  dans  le  Conseil ,  l'ainé  se  rattachait  à  la  Compagnie ,  et, 
grâce  à  la  mémoire  de  son  père,  obtenait  volontiers  sa  protec- 
tion ,  qui  cependant  n'eut  que  peu  de  poids  dans  cette  longue 
affaire. 


49 

Le  17  mars,  la  Compagnie  fait  une  nouvelle  demande,  tou- 
jours plus  restreinte ,  et  l'adresse  directement  au  syndic  Lect. 
Elle  supplie  que  les  manuscrits  «  soyent  veus  ensemblement  » 
par  les  délégués  du  Conseil  et  par  ceux  de  la  Compagnie  «  et 
«  que  tout  se  face  [sic)  avec  telle  modération  qu'il  appartient,  et 
«  que  le  fils  aine  du  dit  défunt,  qui  sçait  commodément  lire  ses 
«  escripls,  y  assiste.  »  —  Ceci  nous  fait  connaître  un  détail 
nouveau,  qui  a  son  importance  dans  ce  débat,  et  le  compliqua 
à  plus  d'une  reprise.  L'écriture  des  manuscrits  était  presque 
illisible,  et  Denys  Perrot  qui,  nous  le  savons,  les  avait  lus  et 
goûtés,  était  presque  le  seul  qui  s'en  tirât  facilement. 

Il  semblerait  que  Lect  eût  consenti,  au  moins  en  apparence, 
à  quelque  cbose  de  ce  que  l'on  demandait,  car,  le  5  mai  sui- 
vant, la  Compagnie  presse  «  ceux  à  qui  la  charge  a  «  esté 
baillée  de  voir  par  ordre  et  exactement  les  dits  escris,  »  de  s'en 
acquitter  aussitôt  que  possible. — «Cependant,  ajoute  le  procès- 
«  verbal,  que  le  Sieur  Denys  Perrot  soii  adverty  que  la  Com- 
«  pagnie  aura  toujours  tel  esgard  à  la  réputation  de  son  feu 
«  père  qu'elle  doit.  « 

Cette  phriise,  où  Denys  Perrot  est  mentionné  sans  son  frère, 
nous  fait  connaître  d'une  manière  significative  l'intérêt  que  la 
Compagnie  lui  portait,  l'ardeur  filiale  qu'il  apportait  à  défendre 
la  mémoire  de  son  père,  et  la  différence  qu'il  y  avait  sur  ce 
point  entre  les  deux  fils. 

L'examen  collectif  que  la  Compagnie  pensait  avoir  obtenu 
n'eut  pas  lieu.  Soit  mauvaise  volonté  de  Lect  et  résolution  arrê- 
tée d'en  finir  à  lui  seul,  soit  impuissance  des  examinateurs 
par  suite  de  l'écriture  de  Perrot,  et  impossibilité  de  voir  enscm- 
hlemenl,  par  ordre  et  exactement  les  dits  escripls,  au  24  novem- 
bre suivant  tout  est  changé,  et  il  vaut  la  peine  de  transcrire  le 
registre  de  la  Compagnie  de  ce  jour. 

«  Notre  frère,  Monsieur  Grenet  fait  entendre  à  la  Compagnie 
«  que  Monsieur  le  Syndique  Lect  luy  a  fait  entendre  qu'il  avoit 
«  pris  la  peine  de  fueilleter  tous  les  manuscrits  de  feu  noire 
Tome  XI.  4 


50 

«  frère  Monsieur  Perrot,  et  qu'entre  iceux  il  y  avoit  beaucoup 
«  de  points  qui  ne  pouvoyent  être  pris  en  sens  orthodoxes ,  et 
((  partant  que  nos  Seigneurs  avoyent  advisé  que  pour  le  bien 
«  des  Eglises  en  général,  de  cette-ci  en  particulier,  mémoire  du 
«  défunct  et  plus  de  repos  de  ses  héritiers ,  que  les  dits  escris 
«  ne  leur  seront  point  remis.  —  Advisé  que  Monsieur  le  Syn- 
«  dique  Lect  sera  remercié  de  la  peine  qu'il  luy  a  pieu  de  pren- 
ne dre  pour  fueilleter  les  dits  escris  autrement  fort  fascheux  a  lire  ; 
«  et  que  la  Compagnie  acquiesçant  a  ce  que  nos  Seigneurs  ont 
«  résolu  touchant  les  dits  escris,  ne  s'en  mettra  plus  en  peine.  » 
Ainsi  les  délégués  de  la  Compagnie  ont  été  éconduits,  Lect  a 
été  de  fait  le  seul  examinateur;  il  a  fueilleté ,  dit-il,  tous  ces 
nombreux  manuscrits ,  et  sur  son  seul  rapport ,  sans  contrôle 
aucun ,  ces  manuscrits  innocents  ou  coupables ,  jugés  sur  quel- 
ques phrases  isolées  recueilHes  au  hasard,  sont  tous  confisqués 
et  vont  être  supprimés,  probablement  détruits.  Le  Conseil  l'a 
ainsi  ordonné,  à  ce  que  dit  Lect,  et  la  Compagnie  déboutée, 
repoussée,  humiliée,  retire  son  appui  à  la  mémoire  du  père,  à 
la  piété  fihale  du  fils!  Elle  va  même  jusqu'à  remercier  celui  qui 
en  agit  de  la  sorte  avec  elle  !  Evidemment  elle  acceptait  son  au- 
torité, ou  elle  tremblait  devant  lui. 

Pour  mieux  apprécier  le  procédé  du  syndic  Lect,  retournons 
de  deux  jours  en  arrière.  Lect  vient  de  faire  entendre  à  la  Com- 
pagnie, qu'il  avait  fueUleté  tous  les  manuscrits,  et  que  nos  Sei- 
gneurs avoyent  advisé  que  les  escris  ne  seront  point  remis  aux 
héritiers.  Or  voici  ce  que  dit  au  contraire  le  registre  du  Conseil 
de  l'avant-veille,  22  novembre  1609,  dans  l'arrêté  que  Lect 
est  censé  transmettre  a  la  Compagnie  :  «  Monsieur  le  Syndique 
«  Lect  a  rapporté  avoir  veu  une  partie  des  livres,  »  et  plus  loin  : 
«  arreslé  que  ceux  qui  concerneront  la  théologie  soyeut  suppri- 
«  mes;  quant  aux  autres,  qu'on  les  voye  encore  plus  particu- 
«  lièi'cnient  avant  que  de  les  rendre  à  ses  héritiers.  »  Mais  Lect 
ne  s'arrête  pas  pour  si  peu  ;  il  veut  en  finir  seul  pour  en  finir 
sûrement,  c'est-a-dire  complètement.  Il  est  peu  accoutumé  à 


51 

rencontrer  des  résistances,  et  jusqu'à  la  lin ,  à  peu  près,  nous 
le  verrons  agir  de  même.  Toutefois  l'impartiaiité  historique  nous 
oblige  a  avertir  que,  dans  son  exposé  du  6  juin  suivant,  Lect 
nous  présentera  les  choses  sous  un  autre  jour,  eu  rapportant 
certains  détails  que  le  registre  de  la  Compagnie  avait  passés 
sous  silence,  par  prudence,  peut-être,  et  ménagement  pour 
Chai  les  Perrot. 

Huit  jours  après  la  communication  de  Lect  et  la  soumission 
de  la  Compagnie ,  elle  revint  quelque  peu  en  arrière,  stimulée 
par  le  souvenir  de  ses  promesses  à  Denys  Perrot. 

«  \^^  décembre.  Proposé  que  le  sieur  Denys  Perrot  portera 
«  fort  impatiemment  si  on  lui  délient  tous  les  manuscrits  de 
«  son  dit  feu  père  (il  n'est  pas  question,  on  le  voit,  de  Timothée, 
qu'on  ne  suppose  pas  dans  les  mêmes  sentiments);  qu'il  se- 
a  rait  bon  d'adviser  lui  donner  quelque  contentement  ;  qu'entre 
«  les  escrits  de  son  dit  feu  père,  il  y  en  peut  avoir  qui  sont 
«  orthodoxes,  et  notamment  les  Adages  lesquels  il  s'offre  trans- 
«  cripre  luy  estants  donnés  cayer  par  cayer,  et  au  cas  qu'ils 
«  fussent  trouvés  exemps  de  toute  erreur,  la  Compagnie  pour- 
«  rait  aviser  à  les  lui  donner.  Avisé  qu'on  demandera  les  sus- 
«  dils  adages  à  Monsieur  le  Syndique  Lect  et  que  quelcun  de 
«  la  Compagnie  sera  chargé  les  luy  distribuer  cayer  par  cayer 
«  au  dit  Sieur  Denys  Perrot ,  et  rapportera  à  la  Compagnie  ce 
«  qu  il  aura  observé,  et  puis  sera  advisé  ce  qu'on  aura  à  faire.  » 

Il  est  ici  question  d'un  nouvel  ouvrage  de  Perrot,  les  Âdagia 
sacra.  Nous  n'en  connaissons  à  peu  près  rien  de  plus.  C'était , 
semble-t-il,  le  moins  suspect  et  malheureusement  le  moins  lisi- 
ble des  manuscrits  de  Charles  Perrot;  probablement  aussi  le 
plus  regrettable.  Cet  homme  n'était  pas  précisément  fait  pour 
écrire  des  livres  méthodiques  ou  des  commentaires  ;  mais  un 
recueil  de  pensées  religieuses,  soit  rédigées,  soit  choisies  dans 
les  documents  de  l'antiquité  ecclésiastique  ou  sacrée,  par  un 
savant  aussi  pieux  qu'érudit,  devait  être  et  serait  pour  nous  d'un 
prix  véritable.  En  fait,  les  Adagia  sacra ,  vantés  et  regrettés  pai' 
Denys  Perrot,  ne  furent  lus  de  personne. 


52 

Celte  demande  spéciale  de  la  Compagnie,  si  modeste  et  si 
équitable,  fut  repoussée  comme  les  autres,  et  pendant  six  mois 
il  ne  fut  plus  question  de  rien.  Mais  le  2  juin  1610,  le  débat 
se  ranima  avec  beaucoup  plus  de  force,  parce  que  cette  fois 
Timolhée  se  joignit  aux  réclamations  de  son  frère  avec  une  cer- 
taine solennité,  et  parce  que  Lect,  qui  avait  dès  longtemps 
tout  pris  sur  lui ,  se  trouve  en  quelque  sorte  mis  en  cause  de- 
vant le  Conseil  auquel  la  Compagnie  s'adresse. 

Voici  le  registre  de  la  Compagnie  du  2  juin  1610  : 

«  Messieurs  les  deux  frères  Perrot  se  sont  présentés  à  la 
«  Compagnie  pour  lui  faire  plainte  d'un  arrêté  donné  par  nos 
«  Seigneurs  touchant  certains  escripts  de  leur  feu  père  con- 
«  damnés  à  être  supprimés ,  ont  prié  la  Compagnie  prendre  la 
«  défense  d'icelle  cause ,  protestans  ne  vouloir  rien  faire  ni 
«  attenter  au  préjudice  de  cette  Eglise  et  Estât ,  auquel  ils  dé- 
«  sirent  servir.  » 

Cette  dernière  phrase  ,  on  le  comprend ,  était  comme  exigée 
par  l'intervention  inattendue,  la  position  et  les  sentiments  de 
Timothée  Perrot.  On  avait  probablement  obtenu  de  lui  de  faire 
de  nouveau  quelque  chose  pour  l'honneur  de  son  père  et  de  son 
nom,  flétri  par  l'arrêté  arbitraire  et  méprisant  du  22  novembre, 
surtout  en  la  forme  où  Lect  l'avait  communiqué  le  24.  Du  reste, 
la  démarche  des  frères  Perrot  avait  un  caractère  inusité,  qui 
en  augmentait  le  sérieux  et  la  force.  Au  heu  d'une  communi- 
cation individuelle  ou  d'une  requête  écrite,  ils  demandent  l'en- 
trée de  la  Compagnie  et  se  présentent  personnellement  tous 
deux  à  sa  l)arre.  Lect  dut  voir  dans  cet  effort  solennel  et  simul- 
tané des  deux  frères  un  danger  pour  les  principes  rigoureux 
qu'il  faisait  suivre  au  Conseil,  et  une  plainte  indirecte  contre 
lui-même ,  qui  jusque-là  interprétait  à  son  gré  et  exécutait  sou- 
verainement tout  ce  qui  concernait  cette  affaire. 

La  Compagnie  résolut  de  ne  faire  aucune  démarche  en  faveur 
des  deux  ouvrages  déjà  déclarés  condamnables  (De  extremis, 
et  Annotations  sur  le  caléchisme,  ouvrage  cette  fois  expressé- 


53 

ment  nommé  clans  le  procès-verbal),  mais  d'appuyer  auprès  du 
Conseil  les  sentiments  des  fils  Perrot,  en  lui  recommandant  la 
mémoire  du  défunt;  puis  de  solliciter  encore  une  fois  que  les 
autres  ouvrages  de  Perrot  lui  soient  remis  pour  être  examinés 
par  elle. 

Nous  retrouvons  ici  la  différence  constante  entre  le  point  de 
vue  de  Lect  et  celui  de  la  Compagnie.  De  ce  que  quelques  ou- 
vrages de  Perrot  renferment  des  erreurs ,  celle-ci  conclut  que 
les  autres  doivent  être  examinés,  mais  non  flétris  avant  l'exa- 
men. Lect,  au  contraire,  nous  le  verrons  dans  son  plaidoyer 
du  6  juin ,  semble  toujours  conclure  de  la  culpabilité  de  deux 
écrits  de  Perrot  à  la  convenance  de  supprimer  les  autres,  comme 
nécessairement  rédigés  dans  le  même  esprit. 

Quatre  jours  après,  le  6  juin  1610,  le  Conseil  s'occupe  de 
l'affaire  et  cette  fois  sérieusement,  car  il  y  consacre  trois  séances 
en  un  même  jour.  Dans  la  séance  ordinaire  du  matin ,  les  dé- 
putés de  la  Compagnie  exposent  humblement  et  timidement 
leur  mandat.  Lect  est  mécontent ,  et  rappelle  les  faits  avec  quel- 
que âpreté.  «  M.  Lect  a  remonstré  en  leur  présence  (de  specta- 
«  blés  Goulard  et  David,  députés  de  la  Compagnie),  qu'il  avait 
«  cy  devant  remis  à  M.  Goulard  le  livre  De  extremis  et  du  Sijm- 
«  hole  et  oraison  dominicale  (voici  la  mention  d'un  nouvel  ou- 
vrage qui  semblerait  n'être  qu'un  autre  nom  des  Annotations 
sur  le  catéchisme);  «  que  le  dit  sieur  les  communiqua  aux  sieurs 
«  Diodati  et  Tronchin,  que  là-dessus  l'advis  des  ministres  fut 
a  de  députer  M.  Prévost  pour  remercier  Messieurs  en  sa  per- 
«  sonne  du  soing  qu'ils  avoyent  d'empescber  que  ces  livres  ne 
«  se  vissent,  à  cause  des  erreurs,  ce  que  le  dit  sieur  Prévost 
«  fist,  estant  allé  treuver  M.  Lect  en  son  logis.  Davantage  que 
«  outre  cela  le  dit  sieur  Lect,  pour  contenter  les  dits  enfants 
«  les  assembla  une  après  disnée  en  présence  de  Messieurs  David, 
«  Grenet,  Tronchin  et  Laurent,  les  dits  frères  appelés,  furent 
«  leus  vingt  ou  vingt-cinq  passages  sur  lesquels  il  se  treuvè- 
«  rent  muets,  sauf  qu'ils  prièrent  qu'on  ne  supprimast  pas  les 


54 

«  autres  livres,  mais  que  M.  Grenet  respoiidil  que  luy  ni  sa 
«  Compagnie  ne  scauroyent  avoir  loysir  de  lire  tant  d'escripts.  » 

Lect  avait  beau  jeu  à  reprocher  à  la  Compagnie  son  incon- 
séquence. Seulement,  il  ne  pouvait  comprendre  qu'il  y  a  des 
cas  oii  l'inconséquence  est  non-seulement  naturelle,  mais  hono- 
rable; par  exemple,  quand  elle  naît  comme  ici,  d'une  lutte  de 
sentiments  élevés  aux  prises  avec  les  rigueurs  de  la  logique. 
Quant  à  lui ,  Lect,  l'homme  logique,  ferme  et  froid  par  excel- 
lence, esprit  de  la  famille  de  Calvin  h  la  conservation  de  l'œu- 
vre duquel  il  s'est  dévoué,  il  faut  bien  reconnaître  que  son  des- 
potisme et  son  arbitraire  étaient,  si  ce  n'est  justifiés,  du  moins 
expliqués  et  presque  autorisés  par  la  réunion  en  lui  d'une  vo- 
lonté forte  et  intelligente,  à  un  patriotisme  et  à  une  activité  qui 
ne  reculaient  devant  aucun  fardeau. 

Le  Conseil  arrête  «  que  les  specîables  ministres  et  profes- 
«  seurs  soyent  appelés  céans  pour  ouyr  lecture  des  poincts  er- 
1  ronez  qui  se  treuvent  es  dicts  livres  De  exlremis  et  en  dire 
«  leur  advis.  »  Il  n'est  rien  dit  du  Catéchisme ,  qui ,  évidem- 
ment, n'avait  pas  encore  été  complètement  examiné,  même  par 
Lect,  et  sur  lequel,  au  reste,  tout  du  long  de  cette  affaire,  il  y 
a  bien  des  obscurités.  Nous  y  reviendrons. 

La  Compagnie  avait  déjà  abandonné  au  jugement  du  Conseil 
De  extremis  et  le  Calcckisme^  qui,  par  conséquent,  semblaient 
hors  de  cause,  ainsi  que  La  Faye  le  fera  sentir  dans  la  séance 
de  l'après-midi.  L'insistance  du  Conseil  à  y  revenir  prouve  que 
Lect  se  regardait  comme  personnellement  accusé ,  et  tenait  à  se 
justifier  par  la  condamnation  expresse,  au  moins  de  De  extremis. 
Elle  indique  encore  que  le  même  Lect ,  qui  dirigeait  toute  l'af- 
faire ,  croyait  pouvoir  déduire  de  la  culpabilité  évidente  de  ce 
seul  livre  son  droit  à  supprimer  les  autres,  même  sans  examen 
régulier.  Il  cédera  cependant  sur  ce  dernier  point ,  (]ui  ne  pou- 
vait être  refusé  aux  réclamations  instantes  de  la  Compagnie.  Le 
Conseil,  nous  le  verrons,  clorra  la  journée  par  une  décision 
dans  ce  sens.  Du  reste,  le  silence  que  Lect  garde  ici  sur  tous 


55 

les  autres  livres  prouve  sulïisaninient  qu'ils  lui  étaient  encore 
inconnus,  quoiqu'en  novembre  précédent  il  eût  fait  entendre  le 

contraire. 

On  envoie  chercher  les  membres  de  la  Compagnie,  dispersés 
en  ce  moment  (c'était  un  mardi);  ils  arrivent,  et  la  seconde 
séance  a  lieu.  Ils  entendent  la  lecture  des  passages  inculpés,  et 
demandent  quelque  temps  pour  en  conférer.  On  ne  leur  accorde 
que  jusqu'à  trois  heures  après  midi,  mais  on  leur  remet  De 
extremis  et  le  Catéchisme ,  le  tout  en  quatre  cahiers. 

A  trois  heures  ils  reviennent,  et  la  troisième  séance  de  la 
journée  commence. 

Les  procès-verbaux  du  Conseil  et  ceux  de  la  Compagnie  mé- 
riteraient d'être  transcrits,  mais  nous  sommes  déjà  bien  longs 
et  il  faut  condenser. 

On  oblige  les  pasteurs  à  parler  les  uns  après  les  autres.  Cela 
a  de  l'importance,  comme  nous  le  verrons  au  0  novembre  de  cette 
même  année.  Ils  concluent  tous,  suivant  le  registre  de  la  Com- 
pagnie, que  la  suppression  de  De  extremis  est  convenable,  et 
le  Catéchisme,  sans  être  nommé,  y  paraît  implicitement  compris. 
D'après  le  registre  du  Conseil ,  à  la  fois  plus  précis  et  plus  dé- 
veloppé «  le  Catéchisme  et  ses  nolles  »  ont  expressément  part 
a  la  condamnation.  La  Faye  ne  peut  s'empêcher  de  faire  remar- 
quer que  c'est  la  cinquième  fois  que  la  Compagnie  fait  cette 
déclaration.  —  Suivant  le  registre  de  la  Compagnie,  elle  prie 
en  outre  «  nos  Seigneurs  d'user  en  leur  arrest  des  mots  les 
«  plus  doux  pour  espargner  la  mémoire  du  défunt  ;  »  ce  qui  est 
développé  d'une  manière  intéressante  dans  celui  du  Conseil  : 
«  Néantmoins  déclarent  n'avoir  pas  treuvé  aux  livres  qui  leur 
«  ont  été  communiqués  aucune  errésie  {sic)  pour  flestrir  la  mé- 
Π moire  du  dit  sieur  Perrot,  qui  d'ailleurs  avoyt  l'ame  telle 
«  qu'il  acquiescoyt  quand  on  luy  remontroyt ,  ne  repliquoyt 
«  guères ,  avoyt  néantmoins  ses  méditations  particulières.  « 
Parmi  ceux  qui ,  individuellement,  s'exprimaient  de  la  sorte,  se 
trouvaient,  il  ne  faut  pas  l'oublier,  ïronchin  et  Diodati,  aux- 


56 

quels  Lecl  nous  a  appris  qu'il  avait  communiqué  six  mois  au- 
paravant les  deux  livres  inculpés.  Ce  louchant  témoignage  nous 
donne  le  vrai  caraclère  de  Charles  Perrot ,  cette  originalité  cha- 
ritable et  modeste,  qui,  dès  le  commencement  de  ce  travail, 
m'a  paru  en  faire  un  tvpe  à  pari ,  digne  de  vénération  et  plein 
d'attrait. 

Quant  aux  autres  livres,  les  pasteurs  ajoutent  que,  si  on  les 
leur  communique,  «  ils  les  verront  en  diligence,  fidélité,  cha- 
«  rite  et  contentement  de  Messieurs.  »  Le  Conseil  ordonne 
0  que  les  dils  livres  demeurent  supprimés ,  et  que  les  autres 
«  soient  distribuez  aux  dils  ministres  pour  les  voyr  et  rap- 
c(  porter.  »  Ainsi  finit  cette  laborieuse  journée  qui,  en  fait,  fit 
reculer  Lect ,  honora  la  mémoire  de  Perrot ,  et  la  protégea 
contre  l'arbitraire. 

Elle  peut  être  considérée  ccmme  terminant  le  premier  acte 
de  notre  drame,  où  elle  inaugure  une  marche  nouvelle.  Le 
despotisme  personnel  a  pris  fin.  Lect  n'agira  désormais  qu'ap- 
puyé sur  le  Conseil.  L'action  de  l'autorité  sera  légale,  mais  les 
résultats  seront  les  mêmes. 

Le  premier  acte  avait  duré  quinze  mois  ;  le  second  en  durera 
sept,  jusqu'à  la  fin  de  1610. 

Le  9  juin,  trois  jours  plus  tard,  la  Compagnie  insiste  pour 
que,  conformément  h  l'arrêté  du  Conseil,  les  manuscrits  soient 
remis;  le  Conseil,  tout  en  accordant  l'examen  immédiat,  refuse 
la  remise,  et  veut  qu'on  vienne  les  lire  à  la  Chambre  des  Comptes 
où  ils  sont  déposés.  C'est  le  premier  indice  d'une  défiance  qui, 
le  26  novembre  suivant,  sera  plus  nettement  exprimée.  Cepen- 
dant le  23  juin,  le  Conseil  fait  remettre  les  manuscrits  à 
M.  Goulard,  et  la  Compagnie  les  distribue  comme  suit  pour 
l'examen.  «  Adagia  à  notre  frère  M.  Goulard;  à  M.  David,  le 
a  Catéchisme;  à  M.  Greney  certain  escript  contenant  varias  lec- 
«  tiones;  à  M.  Diodati,  liihlia  grœca,  en  laquelle  il  y  a  plu- 
«  sieurs  annotations  en  la  marge;  à  M.  Tronchin,  le  Mesnage 
«  de  la  foy;  afin  que  chacun  voye  et  annote  soigneusement, 


57 

«  puis  dans  quinzaine  représente  le  tout  à  la  Compagnie,  pour 
«  en  prendre  cognoissance  et  en  donner  advis  à  nos  Seigneurs.  » 
On  doit  s'étonner  de  voir  figurer  ici  de  nouveau  le  Caléchisme, 
déjà  examiné  et  expressément  condamné.  C'est  une  énigme 
dont  nous  n'avons  pas  la  clef,  non  plus  que  des  confusions  ou 
contradictions  précédentes  sur  ce  même  ouvrage,  dans  les  re- 
gistres officiels  ' .  Du  reste,  nous  trouvons  dans  ce  procès-ver- 

*  Voici  le  résumé  de  ce  que  les  procès-verbaux  des  deux  Corps  disent  de 
ce  livre. 

1°  Le  18  février  1609,  Lect  adjoint  à  De  extremis,  comme  également 
dangereux,  un  autre  livre. 

2"  Le  2  juin  1610,  la  Compagnie  désigne  cet  autre  livre  par  les  mots 
Annotations  sur  le  cathéchisme,  et  déclare  (sur  la  parole  de  Lect  et  proba- 
blement aussi  de  Goulard,  Diodati  et  Tronchin),  qu'aucune  réclamation  ne 
peut  être  faite  en  sa  faveur. 

3"  Le  6  juin  suivant,  Lect  désigne  cet  autre  livre,  comme  traitant  du 
Symbole  et  Oraison  Dominicale.  Il  déclare  que  cet  ouvrage,  comme  De  ex- 
tremis, a  été  précédemment  commimiqué  à  MM.  Goulard,  Diodati  et  Tronchin. 

4"  Le  même  jour  Lect  lit  aux  pasteurs  assemblés  des  passages  tirés  du 
De  extremis.  Il  n'en  lit  aucun,  semble-t-il,  de  l'autre  livre. 

5"  Le  même  jour  encore  pour  que  les  pasteurs  puissent  vérifier  la  culpa- 
bilité des  passages  qui  leur  ont  été  lus,  on  leur  remet  jusqu'à  trois  heures 
après  midi  De  extremis  et  le  Catéchisme,  cette  fois  expressément  nommé  de 
la  sorte  dans  les  registres  du  Conseil.  Ceux  de  la  Compagnie  ne  parlent  pas 
de  cette  remise  momentanée  des  livres. 

6»  Le  même  jour  encore,  le  registre  de  la  Compagnie  nous  montre  les 
pasteurs  opinant  un  à  un  dans  la  séance  avec  le  Conseil,  et  Jà  il  ne  fait  au- 
cune mention  expresse  du  Catéchisme.  Il  paraît  cependant  le  renfermer  im- 
plicitement dans  la  condamnation  du  De  extremis,  par  l'expression  plurielle  : 
les  dits  traités. 

1°  Le  même  jour  encore,  le  registre  du  Conseil,  affirme  la  condamnation 
explicite  par  les  pasteurs  du  Catéchisme  avec  ses  nottes. 

8°  En  conséquence,  le  même  jour  encore,  dans  les  registres  du  Conseil 
il  est  ordonné  «  que  les  dits  livres  (De  extremis  et  le  Cathéchisme,  qui  vien- 
«  nent  d'être  nommés)  demeurent  supprimés,  et  que  les  autres  soient  dis- 
ï  tribués  aux  ministres  pour  les  voir  et  rapporter.  » 

Le  sort  du  Catéchisme  semblerait  donc  décidé  et  son  histoire  terminée. 
Mais  : 

9"  Le  23  juin  le  Cathéchisme  fait  expressément  partie  des  livres  distribués 
aux  ministres  pour  les  voir  et  rapporter.  Il  est  remis  pour  cela  à  l'examen 
spécial  de  M.  David  (registre  de  la  Compagnie). 

\0°  Le  16  novembre,  les  rapporteurs  de  la  Compagnie  déclarent  dange- 


58 

bal  plusieurs  ouvrages  nouveaux,  dont  uu  seul,  le  Mcsnage  de  la 
foy  a  de  l'importance.  Les  autres  ne  sont  que  de  remarquables 
témoignages  des  études  variées  et  de  la  vie  laborieuse  de  ce  vieux 
érudit  qui  pourtant  ne  travaillait  guère  que  pour  lui  seul.  Quant 
au  Memage  de  la  foy,  nous  aurons  h  en  reparler  le  1 0  no- 
vembre.—  Il  n'y  a  rien  ici  sur  les  commentaires  de  saint  Au- 
gustin et  de  l'Institution  de  Calvin.  La  Compagnie  parait  avoir 
toujours  ignoré  l'existence  de  ces  deux  ouvrages  que  les  registres 
du  Conseil  sont  seuls  à  mentionner.  Peut-être  y  a-t-il  eu  erreur 
sur  ces  noms,  ou  ces  livres  sont-ils  de  ceux  que  Lect  supprima 
de  son  chef. 

Plus  d"un  mois  après,  le  27  juillet,  arrive  à  la  Compagnie 
une  requête  irriîée  de  Denys  Perrot  seul,  demandant  qu'on  en 
finisse  une  fois,  et  s'olFrant  à  défendre  tous  les  écrits  de  son 
père  sans  exception.  Réponse  sévère  de  la  Compagnie  qui  cen- 
sure son  impatience  a  l'avertit  «  qu'il  s'est  j)ar  trop  oubbé 
«  quand  il  a  dit  que  tous  les  escripts  de  son  père  estoyent  or- 
«  thodoxes.  »  Toutefois  on  presse  les  examinateurs  de  hâter 
leur  travail. 

Trois  mois  plus  tard,  comme  aucun  rapport  n'a  encore  été 
fait,  la  Compagnie  donne  aux  mêmes  examinateurs  l'ordre  de 
rapporter  dans  la  huitaine. 


reux  «  ce  que  le  dit  défunt  a  escript  sur  le  Catéchisme  »  (registre  de  la  Com- 
pagnie). 

Le  23  novembre  ce  rapport  est  implicitement  approuvé  par  la  Compagnie, 
comme  le  7  et  10  décembre  en  Conseil  d'État,  mais  dans  les  deux  Corps  sans 
aucune  désignation  spéciale  de  ce  livre,  qui  dés  lors  n'est  plus  distinctement 
mentionné. 

Pour  concilier  ces  détails  si  confus  et  même  contradictoires,  il  est  ce 
semble  nécessaire  d'admettre  que  Lect  avait  fort  légèrement  fueilleté  cet 
autre  livre,  et  manquait  d'inculpations  précises  à  son  sujet.  Ensuite  on  peut 
croire  qu'il  y  a  eu  confusion,  doute  ou  variation  sur  le  titi'e.  Mais  cela  ne  peut 
encore  suffire  à  l'entière  solution  du  problème.  Pour  y  arriver  il  faut  supposer 
ce  semljle,  que  ce  livre  se  composait  de  plusieurs  portions  diversement  inti- 
tulées, et  qui,  contenues  dans  divers  cahiers,  furent  séparées  dans  l'examen 
soit  de  Lect,  soit  des  pasteurs.. 


59 

Au  bout  de  quinze  jours,  le  9  novembre,  comme  le  rapport 
n'a  pas  encore  eu  lieu,  l'avis  est  renouvelé,  et  on  l'appuie  sur 
la  nécessité  de  donner  réponse  à  nos  Seigneurs. 

Le  16  novembre  enfin  le  rapport  se  fait  en  Compagnie.  li 
conclut  à  ne  pas  laisser  mettre  au  jour  les  notes  sur  le  Caté- 
chisme, et  «  ce  qui  est  en  forme  de  rapsodie  sur  les  Eglises 
c<  romaines  et  réformées;  >^  (c'était  apparemment  le  Mesnage 
de  la  foy),  puis  à  faire  transcrire  par  Denys  Perrot  les  Adages, 
que  seul  il  peut  lire.  Il  n'est  pas  question  des  Variœ  lectiones 
et  Biblia  sacra  qui  ne  sont  même  plus  nommés  à  part. 

Huit  jours  après,  le  23  novembre,  la  Compagnie  entre  en 
discussion  sur  ce  rapport.  «  Advisé  par  la  pluralité  des  voix 
«  que  les  escripts  de  notre  feu  frère,  Monsieur  Perrot,  seront 
«  rendus  à  nos  Seigneurs,  ne  trouvant  la  Compagnie  expédient 
«  que  les  dits  escripts  voyenl  lumière,  tant  à  cause  qu'en  iceux 
«  le  dit  défunct  accuse  nos  Églises  d'avoir  fait  schisme,  tenant 
«  cette  opinion  qu'il  fallait  gémir  et  demeurer  en  l'Eglise  ro- 
«  maine,  qu'à  cause  de  plusieurs  autres  erreurs  contenues  aux 
«  dits  escripts.  »  Ce  procès-verbal  renferme  un  détail  impor- 
tant, mais  il  n'est  ni  assez  précis,  ni  assez  complet.  Celui  du 
Conseil  du  lundi  suivant  26  y  suppléera,  en  nous  dévoilant  en 
outre  des  intentions  et  des  soupçons  dont  la  Compagnie,  à  ce 
qu'il  paraît,  n'eut  aucune  connaissance.  «  Monsieur  le  Premier 
«  Syndique  a  rapporté  que  M.  Goulard  accompagné  d'ung  de 
«  ses  frères  le  sont  venu  treuver  au  nom  de  leur  Compagnie 
«  pour  s'excuser  de  ce  qu'ils  n'ont  fait  plus  tost  leur  rapport 

«  des  Uvres  du  dit  spectable  Perrot, auxquels  à  la  vérité 

«  ils  treuvent  à  leur  grand  regret  de  grandes  fautes  et  des  hé- 
«  résies  tout  à  fait\  aschepveront  au  plus  tost  qu'ils  pourront 

*  Cela  est  en  contradiction  avec  ce  que  les  pasteurs  ont  dit  précédemment 
et  rediront  encore,  que  dans  les  erreurs  de  Cli.  Perrot,  il  n'y  avait  nulle 
hérésie.  Mais  le  premier  syndic  (D.  Chabrey),  et  le  secrétaire  d'Etat  rédac- 
teur du  procès-verbal,  n'ont  probablement  pas  aussi  soigneusement  pesé 
les  mots,  et  on  peut  les  soupçonner  d'avoir  un  peu  chargé  les  couleurs  dans 
le  sens  du  Conseil  et  de  Lect. 


60 

a  de  les  annotler,  et  néantmoins  sont  priez  par  quelques  pa- 
«  rents  de  ses  enfants  de  sursoyer  encores  pour  quelques  temps 
«  le  dit  rapport.  Arresté  que  pour  la  conséquence  du  faict  ils 
«  ne  sursoyent  pas  davantage  le  dit  rapport,  et  qu'ils  le  fassent 
«  lundy  prochain  et  qu'ils  viennent  icy  toute  leur  Compagnie 
«  et  les  professeurs  avec,  pour  en  oppiner  en  présence  de  Mes- 
«  sieurs,  afin  quon  sache  ceux  qu'on  dit  eslre  entachés  de  cette 
«  doctrine,  et  que,  afin  que  Messieurs  soyent  plus  prests  pour 
«  en  délibérer  qu'il  soit  dict  au  S""  Goulard  que  vendredy  en 
«  leur  Compagnie  ils  fassent  le  recueil  sommaire  de  ces  erreurs 
«  et  le  délivrent  à  Monsieur  le  Premier  Syndique,  et  que  sam- 
«  medy  matin  on  s'assemble  exprès  pour  les  voir  et  en  déli- 
ft bérer.  » 

Il  est  évident  que  ne  pouvant  comprendre  les  égards  affec- 
tueux des  pasteurs  pour  la  mémoire  de  leur  ancien  collègue,  le 
Conseil,  ou  plutôt  Lect,  les  imputait  à  complicité.  Nous  vou- 
drions pour  son  honneur  que  le  registre  n'eût  pas  exprimé  avec 
cette  naïveté  tant  soit  peu  cynique  l'intention  d'épier  les  secrets 
sentiments  de  chacun  des  spectables  ministres  et  professeurs 
en  les  faisant  parler  un  à  un. 

La  séance  suivante  de  la  Compagnie  (30  novembre  1610) 
s'ouvre  par  une  requête  de  Timothée  Perrol,  fort  différente  de  ton 
et  de  nature  de  celle  de  son  frère,  et  qui  semblerait  même  avoir 
un  but  opposé'.  Il  se  borne  à  prier  la  Compagnie  «  adviser 
«  de  près  aux  manuscripts  de  feu  son  père,  pour  en  juger  le 
«  plus  sainement  que  faire  se  pourra.  »  La  Compagnie  fait  une 
réponse  aussi  vague  que  la  requête.  «  Elle  donnera  au  dit  S"^ 

*  Le  25  novembre  le  premier  syndic  a  communiffiié  une  demande  des 
parents  des  enfants,  tendant  à  sursoyer.  Le  7  dcceml)re  nous  en  verrons  une 
scmJjlable  de  Denys  Perrot,  absent  et  inquiet,  et  qui  demande  avec  ins- 
tances un  délai,  sans  doute  jusqu'à  son  retour.  Timothée  au  contraire  de- 
mande simplement  que  l'examen  ait  lieu.  C'est  un  démenti  évident  donné 
en  ce  qui  le  concerne  aux  parents  qui  ont  parlé  au  nom  des  enfants.  Hors 
de  cette  explication,  la  requête  de  Timothée  Perrot  n'a  ce  semble  aucun 
inotif  assignaljie. 


Gf 

«  Timothée  Perrot  aulanl  de  contentement  que  la  raison  et 
«  équité  parmetlra  [mc).  »  Puis,  le  Conseil  faisant  demander 
le  rapport  et  les  manuscrits ,  on  envoie  solliciter  un  délai ,  at- 
tendu la  difticulté  de  lire  ces  cahiers  «  dont  Tescripture  est 
«  comme  toute  pochée.  »  Le  Conseil  accorde  huitaine  pour 
dernier  délai. 

Le  7  décembre  en  conséquence  il  fait  demander  de  nouveau 
et  de  bonne  heure  les  manuscrits  et  le  rapport.  Survient  une 
requête  de  Denys  Perrot,  absent,  requête  suppliante,  pour  ob- 
tenir de  la  Compagnie  de  retarder  encore  le  rapport,  ce  même 
rapport  qu'au  27  juillet  hâtaient  ses  instances.  Mais  alors  il 
avait  en  perspective  à  ce  qu'il  semble  un  voyage  avant  lequel  il 
aurait  souhaité  que  tout  fût  terminé.  Il  redoutait  d'avance  ce 
qui  maintenant  va  arriver  :  un  jugement  définitif  qui  aura  lieu 
en  son  absence.  Evidemment  il  se  défie  de  la  fermeté  de  la 
Compagnie,  de  l'impartialité  du  Conseil,  et  du  zèle  de  son 
frère. 

La  Compagnie,  pressée  par  les  ordres  du  Conseil,  ne  peut 
que  refuser  le  délai.  Elle  décide  de  proposer  au  Conseil  «  que 
a  tous  les  passages  incommodes,  erronés  et  dangereux  seront 
«  raturés  et  bien  expressément  effaci's.  »  Après  quoi  les  ma- 
nuscrits seront  remis  aux  héritiers  sous  leur  foi  et  serment  de 
ne  jamais  les  imprimer.  A  quoi  le  registre  du  Conseil  ajoute 
un  détail.  «  Les  spectables  ministres  remontrent  qu'on  doit 
«  avoir  quelque  égardt  aux  héritiers  de  feu  M.  Perrot,  dont  le 
«  jeune,  qui  est  icy,  a  présenté  une  honeste  requeste.  L'autre 
«  absent,  a  prié  estre  différé,  a  quoy  ils  ne  se  sont  arrestés.  » 
—  «  Arresté  que  les  dits  spectables  ministres  rapportent  par 
«  escripl  aujourd'huy  a  M.  le  Premier  Syndique  les  extraits  des 

«  passaiges  qu'ils  ont  trouvez  ou  erronnez  ou  papistes pour 

«  estre  rapportés  céans  demain,  et  les  spectables  ministres  oys 
«  icy  lundi  prochain  sur  les  dits  passaiges  suyvant  l'arrest  donné 
«  il  y  a  quinze  jours.  » 

Le  lundi  10  décembre  1610  enfin,  cette  importante  séance 


62 

a  heu.  «  Tous  les  professeurs  et  ministres ,  fors  M.  Alexius 
«  qui  est  malade,  sont  entrez  pour  estre  ouvs  suyvant  Tarrest 
«  de  Messieurs  sur  les  livres  de  M.  Perrot,  et  en  dire  leur  advis, 
«  ce  qu'ils  ontfaicll'ung  après  l'autre  bien  amplement  comme  a 
«  esté  recueillv,  et  si  besoing  est  on  verra  ce  qu'ils  en  ont  dit 
«  cbacung  parliculièrement  en  la  liette  des  affaires  du  public  eu 
«  la  Chancellerie,  et  en  reviennent  touts  là  qu'ils  sont  d'advis 
«  qu'on  retranche,  raye  et  bitfe  tout  ce  qui  a  esté  annoté  de 
«  douteux  ou  obscur,  et  tout  ce  où  on  a  mis  la  lettre  L  qui 
«  signifie  litura^  mesmes  tout  ce  où  on  a  mis  la  lettre  T  qui 
«  signifie  lolerabile  affin  qu'en  effaçant  et  rayant  ainsy  tout  ce 
«  qui  peut  donner  du  scrupule  aux  consciences  infirmes  per- 
«  sonne  ne  demeure  offensé  que  ces  livres  voyent  la  lumière.  » 
Cette  dernière  phrase  ne  peut  s'expliquer  que  par  une  méprise, 
une  lacune  ou  une  amphibologie.  La  Compagnie  n'a  pas  eu 
un  seul  instant  la  pensée  de  laisser  mettre  au  jour  les  ouvrages 
de  Perrot  même  ainsi  mutilés'. 

Enfin  le  Conseil  arrête  «  que  MM.  Lect,  Sarazin  et  CoUadon 
«  sont  commis  pour  revoir  avec  les  ministres  les  passaiges  dont 
«  ils  ont  faict  extraict,  ot  voir  le  reste  des  autres  livres,  et  sur 
«  le  tout  rapporter.  » 

Le  Conseil,  qui  venait  cependant  d'approuver  les  décisions 
suffisamment  sévères  de  la  Compagnie ,  ne  se  fiait  donc  pas 
même  à  elle  pour  l'exécution,  ainsi  que  pour  l'examen  des  livres 
restants.  Il  la  soumet  pour  cela  au  contrôle  de  Lect  et  de  deux 
autres  anciens  syndics  ou  conseillers. 

Remarquons  encore  que  rien  n'est  décidé  sur  le  point  impor- 
tant pour  les  fils  Perrot  et  aux  yeux  de  la  Compagnie  ;  je  veux 
dire  le  sort  des  manuscrits  raturés,  et  leur  restitution  aux  hé- 
ritiers. Le  Conseil  garde  le  silence  sur  ce  sujet,  et  pourvoit 

*  Voici  la  plirase  textuelle  de  son  registre  :  «  Ainsi  repurgés,  seront  (les 
<r  dits  oscripts)  sous  ceste  condition  remis  aux  héritiers,  scavoir  qu'ils  s'o- 
«  bligeront  sous  leur  foi  et  serment  de  ne  jamais  faire  imprimer  les  dits 
«  escripts,  n'estant  en  forme  7ii  disposition  convenable  pour  voir  la  lumière.  » 


63 

seulement  à  ce  que  les  autres  livres  non  encore  examinés  le 
soient  par  les  délégués  réunis  des  deux  corps. 

Les  acteurs  de  ce  triste  drame  sont  lassés.  Ils  exécutent  les 
ratures  et,  sans  s'occuper  du  ieste  de  leur  mandat,  ils  rentrent 
pour  longtemps  dans  le  silence.  Là  peut  se  terminer  le  second 
acte. 

Le  troisième  renfermera  l'année  1611,  et  ne  présente  qu'un 
seul  fait,  avec  ses  suites  immédiates,  mais  un  fait  important  :  la 
mort  de  Lect.  Elle  eut  lieu  au  mois  d'août.  Les  manuscrits  à 
examiner  ne  l'étaient  pas  encore, et  on  découvre  chez  lui  d'autres 
écrits  de  Charles  Perrot,  qu'il  n'avait  pas  déposés  a  la  Chambre 
des  Comptes'.  Probablement  aussi  il  s'était  chargé  de  la  des- 
truction de  plusieurs  manuscrits  condamnés  ou  raturés  qui  ont 
disparu  ^  Cette  découverte  réveille  le  zèle  filial  de  Denys  Perrot, 
qui,  le  l^*"  octobre  1611,  présente  requête  a  la  Compagnie  pour 
que  les  manuscrits  trouvés  chez  Lect  soient  réunis  aux  autres 
en  la  Chambre  des  Comptes.  La  Compagnie  fait  demander  la 
chose  au  premier  syndic  |)ar  M.  Goulard;  la  demande  fut  pro- 
bablement accordée ,  et  Denys  Perrot  put  enfin  espérer  pour 
la  mémoire  de  son  père,  que  l'examen  aurait  une  issue  et  que 
les  manuscrits  seraient  restitués.  Erreur!  les  manuscrits  de- 
meurèrent encore  dans  le  même  état,  à  ce  qu'il  semble  pendant 
un  entr'acte  de  huit  ans  et  demi.  Les  registres  du  Conseil  et 
ceux  de  la  Compagnie  gardent  sur  ces  livres  un  silence  complet 
jusqu'en  avril  1620.  C'est  à  ce  moment  que  commence  le  qua- 
trième et  dernier  acte  du  drame. 

Il  s'ouvre  par  une  communication  des  deux  frères  Perrot, 
cette  fois  justement  irrités  tous  deux  de  ce  long  déni  de  justice. 
«  Les  sieurs  Denys  et  Timolhée  Perrot  se  plaignent ,  dit  le 
«  registre  de  la  Compagnie  du  7  avril  1620,  de  ce  que  une 
«  partie  des  escrits  de  feu  leur  père  est  encore  retenue  par 
«  Messieurs,  sans  qu'ils  ayent  jamais  peu  savoir  pourquoy  ni 

*  Registre  de  la  Compagnie,  du  1"  octobre  1611. 

*  Registre  de  la  Compagnie,  du  4  août  1G20. 


u 

«  comment ,  que  encore  mesmes  qu'ils  ne  s'en  pourroient  pré- 
«  valoir,  c'eslait  toutesfois  une  note  sur  la  mémoire  heureuse  de 
«  leur  dit  père ,  laquelle  ils  ne  pou  voient  et  croyoient  aussi  de- 
ce  voir  supporter,  que  donc  ils  prétendoient  les  demander,  non 
«  pour  en  faire  imprimer  chose  aucune,  si  non  en  tant  que  la 
«  Compagnie  le  croiroit  et  cognoistroit  expédient  pour  le  bien 
«  et  édification  de  l'Eglise ,  et  sur  ce  requèroient  notre  Com- 
«  pagnie  d'y  vouloir  apporter  mesme  envers  Messieurs  ce 
«  qu'elle  jugeroit  pour  leur  contentement.  » 

La  Compagnie  décide  d'appuyer  cette  demande ,  mais  elle 
laisse  voir  qu'elle  n'en  espère  aucun  succès.  Elle  supposait,  sans 
doute,  qu'aux  yeux  du  Conseil  il  y  avait  prescription,  ennui 
surtout  de  cette  longue  et  épineuse  affaire,  et  crainte  de  la  re- 
commencer. 

Le  Ll  juillet  seulement,  la  requête  arrive  au  Conseil,  qui 
renvoie  les  dits  manuscrits  au  Modérateur  de  semaine,  pour  les 
faire  examiner  h  la  Compagnie  et  rapporter.  Cette  décision  est 
exécutée,  et  le  4  août  enfin  les  manuscrits  sont  remis  à  la  Com- 
pagnie, qui  pourvoit  à  ce  qu'il  en  soit  rendu  compte.  Quelques- 
uns  ayant  été  déjà  anciennement  examinés,  elle  se  flatte  que  la 
besogne  sera  peu  difficile.  Tout  paraît  cheminer  aisément,  et  les 
deux  Corps  semblent  également  jaloux  de  terminer  promptemenl 
cette  triste  affaire  «  ponr  en  faire  une  conclusion  qui  est  d'au- 
<(  tant  plus  aisée  (dit  le  registre  de  la  Compagnie)  à  la  faveur 
«  des  dits  sieurs  Pei  rot  frères ,  que  certains  traictés  desquels 
«  autresfois  on  s'est  ombragé  ne  se  trouvent  plus.  »  Mais  une 
difficulté  matérielle  entrave  de  nouveau  les  efforts.  Les  manus- 
crits qui  restent  à  examiner  sont  les  moins  lisibles  de  tous. 
Naturellement  on  avait  commencé  par  les  autres. 

Aussi  le  1 1  août  «  Spectable  Bénédict  Turreltin  a  remonstré 
«  (registre  du  Conseil)  que  la  Compagnie  a  esté  priée  de  voir 
«  les  livres  de  feu  Spectable  Charles  Perrot,  ce  qui  ne  se  peut 
«  bonnement  faire;  sur  quoy  leur  Compagnie  a  estimé  qu'on 
«  peut  leur  rendre  les  livres  à  la  charge  qu'ils  promettent  de 


05 

«  ne  les  poinl  j)ul)ller  en  façon  que  ce  soil,  tant  ceux  qui  sont 
«  dans  le  coiïrc  qui  est  entre  mains  de  la  Seigneurie  que  autres 
«  qu'ils  pourroyent  avoir  entre  mains,  jusques  h  ce  qu'ils  ayent 
«  esté  leus  exactement.  » 

Celte  demande  resta  sans  réponse,  mais  quinze  jours  après, 
le  25  août,  Denys  Perrot,  inditigable  dans  son  zèle,  peut-être 
parce  qu'il  se  sentait  mourir  et  qu'auparavant  il  souhaitait  ar- 
demment avoir  achevé  son  oeuvre  filiale,  se  présente  h  la  Com- 
pagnie; là,  parlant  au  nom  de  son  frère  comme  au  sien,  il  se 
plaint  de  nouveau  des  longues  sollicitudes  par  lesquelles  on  le 
fait  passer,  il  insiste  pour  la  remise  des  manuscrits,  afin  d'ôler 
la  tache  dont  on  s'obstine  a  flétrir  la  mémoire  de  son  père.  La 
Compagnie  approuve,  et  elle  envoie  Speclable  Diodati  parler 
de  sa  part  à  Messieurs  assemblés  en  Conseil. 

Nous  touchons  enfin  au  dénouement  du  drame. 

Nous  croyons  devoir  transcrire  en  entier  le  registre  du  Con- 
seil du  30  août  1 620  : 

«  Spectable  Jean  Diodati  s'est  présenté  en  Conseil  de  la  part 

<i  de  la  Compagnie  des  ministres  pour les  Sieurs  Denys  et 

«  Timolhée  Perrot,  lesquels  sollicitent  toujours  que  les  escri[)ts 
«  de  feu  leur  père  leur  soyent  rendus  ;  sur  quoy  leur  Compa- 
«  pagnie  trouve  que  ces  escripts  ayant  ci-devant  esté  examinés, 
«  il  n'y  a  aucun  d'eux  qui  (renferme)  hérésie,  et  semble  que  le 
«  refus  qu'on  a  fait  de  les  leur  bailler  est  plus  dangereux  que 
«  ce  qui  peut  estre  dans  ces  escripts,  partie  desquels  ne  sont 
«  que  recueils  et  parlant  peuvent  être  rendus  en  toute  asseu- 
«  rance,  moyennant  qu'ils  promettent  de  ne  les  publier  point, 
«  ni  par  impression  ni  autrement,  qu'au  préalable  ils  n'ayent 
«  esté  veus  particulièrement  et  examinez  par  ceux  qu'il  plaira  à 
«  Messieurs  de  commettre.  » 

Le  Conseil  était  fatigué  de  cette  affaire,  Lect  était  mort  de- 
puis longtemps,  et  dès  lors  treize  nouveaux  conseillers  y  étaient 
entrés.  Les  raisons  de  Diodati,  quoique  vagues  et  inexactes ,  ou 
même ,  si  le  reaislre  est  fidèle ,  en  contradiction  avec  les  asser- 
Tome  XL  5 


GG 

lions  aiUcriciiros,  furent  acceptées  comme  décisives.  Ou  plulôf, 
l'influence  personnelle  tlu  représentant  de  la  Compagnie  assura 
le  succès,  et  ce  n'est  pas  sans  dessein  (pi'il  avait  été  choisi. 
Diodati,  qui  deux  ans  auparavant  triomphait  avec  Tronchin  à 
Dordrccht,  était,  à  celte  époque,  au  dedans  et  au  dehors, 
l'homme  le  plus  marquant  de  l'Eglise  de  Genève.  Depuis  l'issue 
du  synode  hollandais,  son  nom  réveillait  dans  toute  l'Europe 
protestante  l'idée  du  calvinisme  le  plus  sévère  et  de  la  plus  scru- 
puleuse orthodoxie.  Dès  l'origine,  en  outre,  il  avait  été  appelé 
d'ahord  par  Lect,  puis  par  la  Compagnie  a  examiner  les  manu- 
scrits de  Perrot ,  et  quand  un  tel  homme  venait  devant  le  Con- 
seil déclarer,  au  nom  de  l'Eglise,  que  les  manuscrits  subsistant 
ne  renfermaient  aucune  hérésie,  la  partie  ne  pouvait  qu'être 
gagnée.  L'arrêté  qu'il  sollicitait  fut  rendu  immédiatement  et 
exécuté  deux  jours  plus  tard. 

Le  l*^*"  septembre  1620,  le  Conseil  reçut  le  serment  des 
frères  Perrot;  puis  un  pasteur  fut  chargé  de  leur  remettre  le 
mystérieux  bakul  où  étaient  renfermés  les  manuscrits,  raturés 
ou  non  ,  qui  avaient  survécu.  Un  autre  pasteur  fut  appelé  à  leur 
en  transmettre  la  clef,  confiée,  sans  douîe  par  précaution,  à  des 
mains  diflerentes.  Ce  dernier  commissaire  reçut  du  Conseil 
d'Etat  une  copie  oflicielle  de  l'arrêt,  avec  ordre  de  la  conserver. 

Il  y  avait  douze  ans  moins  cinq  semaines  que  Charles  Perrot 
élait  mort ,  lorsque  la  piété  filiale  de  son  fils  aîné  obtint  ce  que, 
sans  sa  persévérance,  la  Compagnie,  lassée  et  rebutée,  aurait 
renoncé  à  demander.  Quelques  mois  après ,  Denys  Perrot  était 
mort.  Onze  ans  plus  tard ,  son  frère  Timothée  entra  dans  le 
Conseil  d'Etat. 

Les  scènes  que  nous  venons  d'esquisser  fourniraient  à  bien 
des  réflexions.  Il  m'en  coûte,  je  l'avoue,  de  renoncer  à  les  dé- 
duire; mais  les  lecteurs  le  feront  sans  moi,  et  je  n'ai  été  que 
trop  long.  Je  dois  me  borner  à  deux  corollaires  purement  histo- 
riques; le  premier  relatif  au  principe  admis  dans  toute  cette 
affaire,  et  le  second  au  droit  en  vigueur: 


67 

I.  Le  Conseil  el  la  Compagnie  étaient  d'accord  à  tenir  pour 
constant  que  l'erreur  en  religion  est  une  chose  intolérable,  qui 
doit  être  réprimée  ou  du  moins  comprimée.  Charles  Perrot  seul 
repoussait  ce  principe  aussi  peu  évangélique  que  philosophique. 
La  raison  d'Etat  fut ,  il  est  vrai ,  présentée  en  premiôi  e  ligne 
parLect  '.  Certainement,  dans  les  circonstances  données,  cette 
raison  était  d'une  importance  évidente  et  d'un  poids  immense  ; 
aussi  ne  fut-elle  combattue  par  personne ,  pas  même  par  Den ys 
Perrot.  Mais  en  fait,  et  dans  la  suite  de  ce  long  débat,  on  revint 
bien  moins  sur  le  danger  de  la  publication  des  écrits  inculpés 
que  sur  les  erreurs  qu'ils  renfermaient.  C'est  leur  orthodoxie 
qui  semble  surtout  être  en  question. 

IL  Le  Conseil  était  reconnu  comme  l'évêque  et  le  chef  sou- 
verain de  l'Eglise.  En  cette  qualité,  il  s'attribue  le  droit  et  le 
devoir:  1°  de  prendre  des  mesures  décisives,  même  arbitraires, 
même  inquisitoriales,  et  2*^  de  prononcer  sur  la  doctrine.  Les 
frères  Perrot  sont  les  seuls  à  douter  du  premier  point  ■,  et  le 
second  est  accepté  sans  réclamation  de  droit,  môme  par  la  Com- 
pagnie ;  il  n'en  avait  pas  été  de  même  pendant  les  années  qui 
suivirent  la  mort  de  Calvin.  Alors  la  Compagnie  se  posait 
comme  un  jury  théologique,  ayant  seul  autorité  pour  interpréter 
la  parole  de  Dieu,  ou  du  moins  pour  prononcer  sur  les  doc- 
trines. Bien  plus ,  elle  prétendait  en  déterminer  les  applications 
aux  lois  civiles,  et  apposer  ainsi  son  transeal  ou  son  veto  à  cer- 
tains édits.  Le  Conseil  d'Etat  lui-même  fut  longtemps  avant  de 
lui  contester  ce  droit  en  principe  ;  mais  a  la  mort  de  Perrot  tout 
était  bien  changé.  Depuis  plus  d'un  demi-siècle ,  la  voix  puis- 

'  Registre  du  Conseil,  du  16  février  1609. 

-  Encore  n'est-ce  qu'au  début  de  l'affaire  (24  février  1609)  que  les  frères 
Perrot  expriment  ce  doute.  Plus  tard  ils  ne  semblent  pas  contester  le  droit 
du  Conseil,  mais  seulement  se  plaindre  de  la  dureté  de  ses  procédés.  Ou 
devine  aisément  que  si  le  Conseil  avait  fait  à  peu  près  les  mêmes  choses, 
mais  avec  quelque  égard  pour  la  mémoire  de  leur  père,  quelque  attention 
à  leurs  réclamations  à  eux,  et  quelque  désir  de  terminer  légalement  le  dé- 
qat,  ils  auraient  tout  accepté  sans  se  plaindre. 


68 

santé  de  Calvin  ne  se  faisait  plus  entendre ,  Bèze  était  mort ,  un 
jurisconsulte  magistrat  était  à  cette  époque  leur  véritable  suc- 
cesseur. La  Compagnie,  d'ailleurs,  poussée  par  un  aveugle  ins- 
tinct d'égalité,  s'était  volontairement  affaiblie  et  presque  an- 
nulée, en  échangeant  son  Modérateur  annuel  et  rééligible  contre 
un  Président  hebdoniaire  pris  à  tour  dans  son  sein. 


-=^>o< 


ALLOCUTION 


A  LA 


SOCIÉTÉ  D'HISTOIRE  ET  D'ARCHÉOLOGIE 

LE   27   DÉCEMLiRE    1835. 

Par  m.  le  D^  J.-J.  CHAPONNIÈRE 

vice-président. 


Messieurs,  l'excellent  président  à  qui  nous  rendîmes,  il  y  a 
quelques  jours,  les  derniers  devoirs,  et  dont  la  perte  laissera  un 
vide  si  sensible  au  milieu  de  nous,  appartenait  à  une  famille  qui 
a  fourni  à  notre  république  un  grand  nombre  de  savants  et 
plusieurs  magistrats  distingués,  parmi  lesquels  il  tiendra  une 
place  honorable. 

Celui  de  ses  ancêtres  qui,  le  premier,  devint  Genevois,  fut 
Jean-Ulrich  Cramer*  qui  avait  pratiqué  la  médecine  k  Stras- 

'  Consulter  sur  la  famille  Cramer,  le  Registre,  des  Bourgeois,  Leu  (Hans 
Jacob).  Allgemeines  Helvelisclies ,  Eydgcnœssisches ,  oder  Schweitzerisdies 
Lexicon,  Zurich,  in-4.  1751.  V.  Theil,  p.  499,  à  501.  Supplément.  Zurich. 
1786.  !«'■  Theil.  p.  571  (Leu  l'a  dit  originaire  du  Holstein).  Eloi  (N.  F.  J.). 
Dictionnaire  historique  de  la  médecine  ancienne  et  moderne,  etc.  Mons  1778, 
in-4.  T.  l'^»",  p.  727.  —  GalifTe.  Notices  généalogiques  sur  les  familles  gene- 
voises ,  tome  111,  183G,  p.  147. — La  France  protestante  ou  vie  des  pro- 
testants français  qui  se  sont  fait  un  nom  dans  l'histoire,  etc.  par  Eug.  et  Em, 
llaag.  Tome  IV,  1853,  p.  1!2. 


70 

bourg,  science  qu'il  avait  momentanément  abandonnée  pour  se 
charger  de  l'cducation  d'un  prince,  Ernest  de  liesse,  auquel  il 
resta  attaché  jusqu'au  moment  ou  ce  seigneur  abjura  la  religion 
réformée;  cette  abjuration  détermina  Jean-Ulrich  à  se  rendre  à 
Genève:  il  s'y  établit  le  29  mars  1634  et  v  obtint  le  droit  de 
bourgeoisie  avec  ses  quatre  iils,  Gabriel ,  Jaques  *,  André  et 
Jean-Antoine,  le  1  0  novembre  1668. 

Gabriel  naquit  à  Genève,  le  24  mars  1641,  étudia  la  méde- 
cine a  Strasbourg,  y  reçut  le  bonnet  de  docteur  le  11  octobre 
1664,  après  quoi  il  revint  dans  sa  patrie  ,  où  il  exerça  sa 
profession  avec  beaucoup  de  succès  pendant  soixante  ans  , 
jusqu'à  sa  mort  qui  arriva  le  15  juin  1724.  Il  était  doyen 
du  collège  de  médecine.  On  a  de  lui  deux  petits  ouvrages^. 
Jean-Isaac,  fils  de  Gabriel,  suivit  les  traces  de  son  père;  reçu 
docteur  le  12  mai  1696,  il  pratiqua  la  médecine  h  Genève,  et 
y  publia  un  traité  de  matière  médicale  ^  Il  prit  de  plus  une 
part  très-active  aux  travaux  de  la  société  de  médecine  qu'il  con- 
tribua h  fonder  au  commencement  du  dix-huitième  siècle  *  et 
qui  subsiste  encore  aujourd'hui.  Son  fils  aîné,  Jean,  auquel  on 
doit  deux  opuscules  '  jouit,  comme  professeur  en  droit,  d'une 
grande  réputation.  Il  fut  estimé  un  des  savants  et  des  magistrats 
les  plus  remarquables  que  Genève  ait  produits.  Il  laissa  en  12 
volumes  in-4°  un  Recueil  de  procédures  civiles  et  criminelles,  qui 

*  Il  fut  docteur  en  droit  et  fit  ses  études  à  Orléans  où  il  publia:  Thèses  de 
Tiitelis,  i672  (Leu). 

'^  Thèses  anatomicœ  totam  anatomice  epitomen  complec lentes.  Argentorati 
1663,  in-4.  —  Disputnlio  inaufjumlis  de  obsiructione  jccoris.  Ibidem,  1664. 
in-4  (Leu,  Eloy,  France  proteslantc). 

^  Thésaurus  secrvlurum  curinsorum,  in  (}uo  curiosa  non  solum  ad  onine.s  cor- 
poris  humani  Uim  inlcrnof:,  ium  eximws  morbos  curandos,  sed  etiam  ad  cutis, 
faciei,  aHarumquepiniinm  omnium^  furmam,  nitorem  et  elcf/antiam  cunciiian- 
dos,  coniini'niur  sécréta.  Coloniœ  Allobrogum,  4709,  in-4.  (Eloi). 

*  Commencée  le  26  octobre,  approuvée  le  20  décembre  1713.  Ileg. 
nianusc. 

■*  Tiiescs  phjjsirœ  de  Baromclro.  Gcnevit'  1718,  iu-8.  — Disserlalio  de  do~ 
naiionilnis,  in-4".  Basiicœ,  1722  (Leu). 


71 

iiialhcureusemenl  n'a  pas  é\é  livré  l\  riniprcssion.  Le  lils  (Jcan- 
Manassé),  et  le  pclil-lils  (Jean-Anloinc),  de  Jean  furenl  aussi 
piofesseurs  de  droit. 

Le  second  fils  de  Jean-Isaac  fut  Gabriel,  célèbre  professeur 
de  philosophie  et  de  mathématiques,  dont  la  réputation  s'éten- 
dit au  loin,  et  qui  entretint  des  relations  avec  les  savants  illus- 
tres de  l'Europe.  Baulacre  et  Senebier  nous  donnent  le  récit  de 
sa  vie  et  la  liste  de  ses  ouvrages,  je  vous  y  renvoie ,  Messieurs; 
mais  je  ne  puis  passer  sous  silence  que  c'est  lui  qui  parvint  k 
déchiffrer  les  tablettes  de  cire  conservées  dans  notre  bibliothè- 
que, où  l'on  trouve  les  comptes  de  Philippe  le  Bel  pour  les  six 
derniers  mois  de  1308.  Le  troisième  fds  de  Jean-Isaac,  Jean- 
Antoine,  docteur  en  médecine ,  par  des  recherches  difficiles,  le 
dépouillement  des  registres  mortuaires,  ouvrage  qu'on  peut  à 
juste  titre  appeler  national ,  le  seul  en  ce  genre  qui  existe  ou 
ait  jamais  existé  nulle  part ,  dressa  année  par  année  un  relevé 
de  la  vie  probable  et  de  la  vie  moyenne  des  babilanls  de  la 
ville  de  Genève.  Son  travail  remonte  à  l'origine  de  ces  regis- 
tres (1549)  et  s'arrête  en  1768;  il  fut  poursuivi  jusqu'en  1785 
par  un  de  ses  neveux.  Le  docteur  Odier  entreprit  d'immenses 
déchiffrements  des  mêmes  registres,  sans  avoir  eu  connaissance 
de  ces  recherches,  et  les  chiffres  se  rencontrent  avec  une  exacte 
précision'. 

Le  quatrième  fds  de  Jean-Ulrich,  Jean-Antoine,  fut  celui  de 
qui  descend  le  collègue  dont  je  vous  parle  aujourd'hui  ;  son 
fils  Guillaume-Philibert  épousa  une  demoiselle  De  Tournes- 
De  la  Rive,  alliance  qui  peut-être  introduisit  ses  deux  fds  Ga- 
briel et  Philibert  dans  la  profession  de  l'imprimerie  et  di;  la  li- 
brairie. Comme  les  De  Tournes,  les  Cramer  entrèrent  dans  les 
charges  publiques  et  fournirent  à  Genève  des  magistrats  d'un 

*  D'Ivernois.  Mémorial  des  s'ances  du  Conseil  Représentatif,  lundi  12  mai 
183-i  (proposition  de  M.),  p.  32. 

Ed.  Mallot.  Nulicc  sur  les  anciennes  pestes  de  Genève,  (Jiihlinthèqne  l'iti- 
versclle,  janvier  1835V  p.  13. 


72 

grand  mérile.  Voltaire  s'était  lié  d'intimité  avec  Messieurs  les 
frères  Cramer.  La  correspondance  du  patriarche  de  la  littérature 
du  dix-huitième  siècle  avec  eux  est  encore  à  publier.  Elle 
renferme  bien  des  détails  inédits  et  piquants \  Ils  eurent  aussi 
des  rapports  avec  J.-J.  Rousseau.  Philibert  avait  reçu  de  lui 
deux  lettres  que  le  petit-iils  nous  communiqua  le  22  avril 
1847.  Elles  étaient  inédites  et  furent  insérées  dans  nos  mé- 
moires *^. 

Philibert,  conseiller  en  1767,  puis  trésorier-général,  mourut 
en  1779;  son  fds  Louis-Gabriel,  que  l'orage  révolutionnaire 
força  de  s'expatrier,  s'était  établi  a  Lyon. 

Ce  fut  dans  le  temps  de  ces  tourmentes  sociales  que  vit  le 
jour  à  Njon,  le  27  octobre  1795,  celui  que  nous  ne  posséde- 
rons plus  au  milieu  de  nous,  Frédéric-Auguste  Cramer.  Il  reçut 
sa  première  éducation  à  Lyon  ;  \'ers  sa  seizième  année ,  il  vint 
la  continuer  h  Genève  et  faire  ses  études  supérieures.  Il  avait 
déjà  obtenu  ses  baccalauréats  es  lettres  et  es  sciences,  était 
entré  h  l'auditoire  de  droit  en  1812;  lus  circonstances  militaires 
l'en  firent  sorlir  en  avril  1813,  pour  être  enrôlé  dans  le  4*"° 
régiment  des  gardes  d'honneur,  afin  de  remplacer  son  frère 
qu'il  jugeait  plus  nécessaire  a  sa  famille  que  lui-même;  il  débuta 
donc  dans  la  vie  active  par  un  acte  de  dévouement.  Moins  long- 
temps séparé  des  siens  qu'on  n'eût  pu  le  craindre,  il  leur  fut 
rendu  en  mai  1814,  après  la  bataille  de  Leipzig  et  quelques 
mois  de  séjour  à  Erfurt,  où  il  avait  été  enfermé  et  bloqué.  A  son 
retour,  âgé  de  18  ans,  il  ne  trouva  pas  dans  Genève  les  res- 
sources qu'il  lui  fallait  pour  terminer  ses  éludes.  Un  de  ses  on- 
cles résidait  à  Strasbourg,  il  alla  près  de  lui  pour  y  prendre  ses 
grades  de  licencié  en  droit,  ce  qu'il  put  faire  à  la  Faculté  de 

*  Gaullieur.   Etudes  sur  la  tijpographie  fjcnevoise  du  XV'"»  au  XIX™c  siècle, 
etc.,  1855,  p.  262  à  265. 

—  Eludes  sur  l'histoire  liUéraire  de  la  Suisse  française  iiai'liculièrcmeut 
<laus  la  2""-'  moitié  du  XVIII  siècle,  p.  52  à  92. 

-  Vol  r,,  p.  3;io. 


7'-» 


celle  ville  le  21  août  1818.  Avant  d'obtenir  ce  grade,  il  avait 
été  employé  à  la  préfecture  du  Doubs,  et  obtenu  de  S.  M. 
Louis  XVKl  (30  janvier  1817)  des  lettres  de  déclaration  de  na- 
luralité.  Sa  thèse,  dissertation  très-remarquable  et  souvent  citée, 
sur  le  Droit  (Vanbaine^  exposition  historique  de  la  législation 
sur  ce  sujet,  avant  et  après  la  révolution,  lui  fit  grand  honneur, 
et,  comme  il  possédait  très-bien  la  langue  allemande,  il  fut 
nommé  conseiller-auditeur  à  la  cour  royale  de  Colmar,  puis 
substitut  du  procureur-général  à  la  même  cour.  Il  aurait  pu , 
sans  nul  doute,  suivre  une  carrière  brillante  en  France  et  attein- 
dre les  plus  liautcs  dignités  de  la  magistrature,  mais  l'amour 
de  sa  patrie,  où  il  avait  déjà  uni  son  sort  avec  une  compagne 
qui  devait  assuier  son  bonheur  intérieur,  le  rappela  à  Genève. 
Il  ne  tarda  pas  à  entrer  dans  les  charges  publiques  ;  il  fut  suc- 
cessivement auditeur,  substitut  du  procureur-général,  juge  au 
tribunal  de  l'audience;  il  avait  été  élu  député  au  Conseil  Repré- 
sentatif (1825-31).  Lorsqu'il  eut  atteint  l'âge  requis,  il  fit  partie 
du  Conseil  d'Etat  ;  il  y  remplit  la  charge  de  lieutenant  de  po- 
lice ;  ses  éminenles  qualités  lui  firent  rendre  les  plus  grands 
services  dans  ces  épineuses  fonctions.  Il  fut  plusieurs  fois  dé- 
puté à  la  Diète,  où  ses  talents,  son  caractère  aimable  et  liant  aug- 
mentèrent son  influence  ,  et  par  conséquent  celle  de  son  pays. 

Ce  fut  en  1840  qu'il  parvint  aux  plus  hautes  dignités,  à  celle 
de  syndic;  mais  il  n'occupa  pas  longtemps  cette  place:  à  la  suite 
delà  révolution  de  1841,  et  après  l'Assemblée  constituante  de 
1842,  il  joignit  sa  démission  de  Conseiller  d'Etat  en  1843  h 
celle  de  MM.  Rigaud  et  Rieu,  et  Genève  perdit  en  même  temps 
trois  de  ses  plus  éminenls  magistrats.  M.  Cramer  n'abandonna 
pas  néanmoins  la  défense  de  nos  antiques  institutions,  et,  dans 
les  Assemblées  constituantes  de  1 842  et  de  1 847,  il  resta  sur 
la  brèche  pour  lâcher  de  conserver  ce  qu'il  croyait  de  plus  pré- 
cieux dans  notre  vieille  Genève  ;  il  demeura  dans  le  Grand  Con- 
seil jusqu'en  1850. 

Mais,  Messieurs,  ce  n'est  pas  à  moi  qu'il  appartient  d'ex- 


74 

poser  el  d'apprécier  la  carrière  politique  cl  administrative  de 
M.  Cramer;  d'autres,  plus  capables,  plus  compétents,  le  feront 
sans  doute;  ils  seront  plus  h  portée  de  vous  faire  connaître  toutes 
les  forces  de  sa  vie  qu'il  a  dépensées  pour  le  bien  de  son  pays. 
La  Société  d'utilité  publique,  l'Asile  de  l'enfance  de  Plainpalais, 
l'Ecole  rurale  des  jeunes  fdles  de  Villelte,  la  Classe  d'industrie 
el  de  commerce  de  la  Société  des  arts,  l'ont  compté  parmi  leurs 
membres  ;  quelques-uns  de  ces  établissements  l'ont  eu  comme 
leur  président;  la  Direction  de  l'Hôpital,  le  Consistoire  l'ont 
possédé  dans  leur  sein ,  souvent  à  leur  tête.  Nous  n'omettrons 
point  cependant,  relativement  à  ce  dernier  corps,  ce  qui  nous 
regarde  j)arliculièremenl ,  et  nous  parlerons  à  sa  date  de  son 
remarquable  ouvrage,  intitulé  modestement:  Noies  exlralles  des 
registres  du  Consistoire  de  l'Eglise  de  Genève. 

A  sa  sortie  du  Conseil  d'Etat ,  M.  Cramer  nous  fit  la  faveur 
de  demander  h  élre  reçu  dans  notre  Société,  où  son  entrée  eut 
lieu  le  24  janvier  1 844.  Son  amour  du  travail  et  sa  prodigieuse 
facilité  le  rendaient  un  collègue  bien  précieux,  et  nous  eûmes 
l'inestimable  avantage  de  profiter  des  derniers  labeurs  auxquels 
il  consacrait  le  temps  que  l'Hôpital  el  le  Consistoire  laissaient 
libre.  Déjh  le  19  avril  de  celle  année,  il  nous  lui  un  mémoire 
sur  la  vie  et  les  obsèques  du  duc  de  Rolian  el  sur  les  rapports 
suivis  et  amicaux  qu'il  soutint  avec  la  République  de  Genève  \ 

En  1846,  nous  le  plaçâmes  a  notre  tête;  il  y  resta  jusqu'à  la 
fin  de  1 848.  Il  avait  consulté  el  étudié  ï Histoire  de  la  Républi- 
que helvétique^  depuis  sa  fondation  en  il 9S,  jusqu'à  sa  dissolu- 
lion  en  1803,  par  M.  de  ïillier.  Narrateur  scruj)uleux,  l'auteur 
avait  peut-être  présenté  quelque  surabondance  dans  les  détails; 

'  La  BiUiothèi]ue  VniverscUe,  juillet  et  août  1814,  p.  li  el  231  contient 
de  lui:  Fragments  historiques  sur  le  duc  de  Roltan,  son  séjour  à  Genève  et  sa 
sépulture.  —  Ce  journal  renferme  aussi  le  compte-rendu  de  M.  Cramer,  sur 
niisloire  de  lu  HépnlAique  Helvétique  de  Tillier,  dekembre  i8i3,  p.  241, 
mars  1844,  p,  380;  sur  Y  Histoire  de  iAlleinaipie  aux  ti;mps  de  la  réforme, 
par  L.  Ilauke,  nuii  et  juin  1844,  )>.  IC)  et  2i3.  —  Sur  la  Science  des  partis 
politiques,  1"'  partie,  par  h?  frères  Rohuier,  février   1845,    p.   237,  278. 


75 

par  mie  traduclion  libre,  M.  Cramer  sut  donner  h  cet  ouvrage 
une  marche  plus  rapide  dans  les  faits ,  plus  claire  dans  les  dé- 
veloppements. Dans  la  séance  du  22  avril  1847,  il  fil  passer 
sous  nos  yeux  la  copie  d'une  lettre  d'Isaac  Newton  au  peintre 
Arlaud,  en  date  de  1722;  trois  lettres  originales  de  J.-J.  Rous- 
seau à  Philibert  Cramer,  écrites  de  Motiers  en  1764;  les  ins- 
tructions données  par  le  Conseil  d'Etat,  au  même  Philibert, 
pour  deux  missions  :  l'une  à  Chambéry,  au  sujet  des  brigandages 
de  Copponex  ;  l'autre  à  Bourg  en  Bresse,  relativement  aux  déser- 
teurs: enfin  une  lettre  de  Philippe  Robin  au  même,  du  25  jan- 
vier 1777,  au  sujet  de  sa  non-réélection  au  Conseil  d'Etat. 

Le  23  août  1849,  il  nous  communiqua  un  compte-rendu 
historique  et  littéraire  de  Vllisloire  de  la  conquclo  de  la  Méso- 
potamie et  de  l'Arménie  par  les  Arabes^  d'un  auteur  nommé  El 
Vakeidi,  et  traduite  de  l'arabe  en  allemand,  par  Niebuhr  *. 
Le  26  décembre  1 850,  il  nous  donna  lecture  d'une  analyse  rai- 
sonnée  de  la  première  partie  de  Y  Histoire  des  llomains^  par 
Gerlach  et  Bacliofen,  contenant  l'histoire  des  temps  les  plus 
anciens  jusqu'à  la  fondation  de  la  ville  ^;  d'une  dissertation  de 
M.  Léonard  Oser  (contenue  dans  les  mémoires  de  la  Société 
d'histoire  de  Bâle),  sur  les  relations  qui  existaient  entre  celte 
ville  et  son  évêque  avant  la  Réformation;  le  26  février  1852, 
sur  les  divers  documents  contenus  dans  les  Mitlheilungen  de  la 
Société  des  antiquaires  suisses  de  Bàle  et  sur  le  huitième  volume 
des  mémoires  de  la  Société  suisse  d'histoire.  Il  nous  commu- 
niqua aussi  un  extrait  de  l'histoire  de  la  Confédération  suisse 
de  1830  à  1848,  par  M.  de  Tillier '. 

Mais  tout  cela  n'était  que  quelques  opuscules  qu'il  faisait  en 
passant ,  pendant  l'inmiense  travail  auquel  il  s'était  assujetti ,  et 


*  Article  inséré  dans  la  Bibliutlicque  Universelle,  août  1850,  — p.  iSl  — 
527. 

^  Bibliothcijue  Universelle,  janvier  1851,  j).  G9,  vol.  XVI. 

'"  Inséré  clans  la  Bibliothèque  Universelle,  décembre  1853,  vol.  XXIV,  p. 
ô24. 


76 

auquel  ses  fondions  du  Consistoire  le  mettaient  plus  a  même 
de  s'adonner.  Il  fallait  son  coup  d'œil  rapide ,  son  intelligence 
prompte  et  sûre,  sa  grande  facilité  à  lire  et  à  saisir  le  sens,  pour 
tirer,  en  moins  de  deux  ans,  de  110  volumes  in-folio,  dont 
quelques-uns  sont  d'une  écriture  presque  indéchiffrable,  l'extrait 
lumineux  de  ces  poudreux  cahiers,  frappant  par  le  tableau  qu'il 
nous  donne  en  relief,  de  l'état  religieux ,  de  l'histoire  intime  de 
Genève  au  seizième  et  au  dix-septième  siècle.  Ne  croit-on  pas 
assister  aux  scènes  vivantes  de  ces  luttes  qui  ont  caractérisé  la 
fondation  de  notre  individualité  nationale?  C'est  là  une  œuvre 
du  plus  grand  mérite,  qui  doit  remuer  tout  cœur  genevois; 
l'introduction  qu'il  nous  lut  le  11  août  1853,  en  présente  un 
résumé  lucide  et  précis;  en  voici  la  conclusion:  «  Ainsi  nous 
«  pouvons  dire  que  le  Consistoire  de  l'Eglise  de  Genève  est  en- 
«  core  debout  avec  trois  cent  douze  ans  de  vie,  siégeant  sans 
«  discontinuation  chaque  jeudi,  à  côté  du  temple  de  St-Pierre, 
«  ayant  vu  passer  toutes  les  révolutions  politiques  et  même  la 
((  réunion  momentanée  de  Genève  k  un  sceptre  étranger.  Plu- 
«  sieurs  des  noms  de  familles  qui  figurent  comme  membres  de  ce 
«  corps  au  seizième  siècle,  s'y  retrouvent  par  l'élection  populaire 
«  au  dix-neuvième.  Quelle  institution  politique,  quelles  lois  civiles, 
«  quels  corps  administratifs  ont  eu  une  pareille  durée?  Et  me 
«  fais-je  illusion  en  y  voyant  la  preuve  que  l'œuvre  de  Calvin  vit 
ff  et  vivra  toujours  dans  Genève  ?  »  Est-il  permis  de  partager 
cet  espoir,  lorsque  chaque  excellent  citoyen  que  la  République 
voit  quitter  ce  monde ,  est  une  pierre  qui  se  détache  de  la  base 
de  l'édifice  et  n'est  pas  remplacée? 

M.  Cramer  a  plus  tard  développé  cette  introduction  sous  le 
titre  de  Coup  d'œil  sur  les  registres  du  Consistoire  de  r Eglise  de 
Genève  *. 


'  Inséi'é  dans  nos  Mémoires  et  Documents  {854..  Tome  IX,  page  30. 

Voir  sur  l'ouvrage  :  Bulletin  de  la  Société  de  l'Instoire  du  protestantisme 
français,  '2'""  anuôo,  p.  500.  —  Bulletin  d-  la  Siviélé  de  l'histoire  de  France, 
i853,  185i.  p.  i5. 


77 

M.  l'ancien  Conseiller  Le  Fort,  élanl  président  (1851-53), 
recourut  souvent  a  son  obligeance  et  renvoya  à  son  examen  les 
mémoires  de  la  Société  suisse  d'histoire,  des  antiquités  natio- 
nales de  Bâle,  de  la  Société  d'histoire  de  Slyrie. 

Le  26  janvier  1854,  M.  Cramer  fut  réélu  à  la  présidence  et, 
le  27  avril  de  la  même  année,  il  nous  fit  entendre  des  paroles 
émues  dans  l'allocution  qu'il  nous  adressa  sur  un  de  ces  citoyens, 
dont  la  mémoire  est  entourée  du  respect  et  de  l'affection  du 
pays,  avec  lequel  il  avait  dû  sympathiser  profondément,  et  qu'il 
devait  bientôt  suivre,  M.  l'ancien  syndic  Rigaud ,  que  la  Société 
venait  de  perdre.  Il  devait  en  écrire  une  biographie  plus 
étendue,  notice  que  sa  mort  vint  interrompre  h  l'instant  où  il 
allait  y  mettre  la  dernière  main. 

A  la  séance  de  rentrée  (23  novembre  1854),  il  nous  fit  un 
rapport  complet  sur  nos  travaux ,  sur  ceux  qui  y  avaient  pris 
part,  sur  les  moyens  d'exciter,  de  soutenir  notre  activité;  cet 
encouragement  fut  envoyé  par  circulaire  du  3  décembre  à  tous 
nos  collègues.  La  dernière  fois  que  nous  eûmes  le  plaisir  de  le 
voir  et  de  l'entendre,  ce  fut  à  la  séance  du  24  mai  1855.  Il 
nous  donna  la  description  de  trouvailles  qu'on  avait  faites  aux 
démolitions  de  la  Tranchée  ;  ce  fut  là  son  dernier  adieu.  Déjà 
dans  l'hiver,  sa  santé  avait  commencé  à  s'ébranler  ;  une  maladie 
longue  et  douloureuse  l'atteignait;  obligé  de  suspendre  ses  tra- 
vaux, ce  qui  était  pour  lui  un  chagrin  réel,  il  portait  toujours 
un  intérêt  très-vif  à  notre  société  ;  il  se  tenait  toujours  au  cou- 
rant de  ce  qui  se  passait  dans  nos  réunions  ;  il  put  encore  rece- 
voir le  Comité  en  été.  Quand  ses  douleurs  ne  s'y  opposaient  pas 
entièrement,  il  s'occupait  de  la  traduction  de  l'histoire  de  Pierre 
de  Savoie ,  écrite  en  allemand  par  M.  Wûrstemberger  de  Berne , 
mais  les  rapides  progrès  de  son  mal  suspendirent  ses  travaux  ; 
il  ne  put  achever  l'œuvre  commencée.  Le  14  décembre  1855, 
notre  président,  Frédéric-Auguste  Cramer  fut  enlevé  à  sa  patrie, 
dans  un  âge  où  il  pouvait  encore  lui  rendre  de  grands  services; 
à  cette  patrie  pour  laquelle  toute  sa  vie  avait  été  employée,  à 


78 

laquelle  peu  de  cllovons  ont  consacré  leurs  forces,  leurs  talents, 
leurs  facultés,  avec  autant  de  dévouement  dans  les  diverses 
fondions  qu'il  a  remplies,  fonctions  dont  mieux  que  personne 
il  savait  adoucir  les  aspérités.  Aussi  sa  mort  a-t-elle  navré  non- 
seulement  sa  famille,  qui  le  chérissait  tendrement,  mais  tous 
ceux  qui  ont  eu  des  rapports  avec  lui  et  dont  il  s'était  tou- 
jours fait  aimer;  il  est  de  ceux  dont  l'absence  se  fera  de  plus 
en  plus  remarquer.  Son  savoir  étendu,  sa  bienveillance  afl'ec- 
tueuse,son  esprit  conciliant ,  sa  politesse  du  cœur,  rendront 
toujours  plus  profond  notre  regret  de  voir  cesser  les  relations 
si  précieuses,  si  douces,  dont  nous  jouissions  avec  lui  ;  car  en 
lui  brillaient  des  qualités  bien  rarement  réunies  à  un  aussi  haut 
degré,  une  vive  intelligence,  une  érudition  sérieuse  et  solide, 
et  une  parfaite  amabilité. 


►©<£=- 


70 


BULLETIN 


DE    I.A 


SOCIÉTÉ  D'IIISTOIUK  ET  D'ARClIEOLOGiE 


Avriâ   fi^SSI. 


1.   L.i  So'ciélô  d'Hisloiro  a  reçu  an  nombre  de  ses  membres  ordi- 
naires : 

I8rt5  MM.   Joël  CiiKnoLLiF-Z,  libraire. 

Anioiiiû  MoiiiN,  pharmacien, 
Henn  FiARiun'. 
François  Segli.x. 

MONTAGU  WlI.SlOT. 

18r>6  Alphonse  FAviir..  professeur. 

Edouard  lîtiiBKr.T,  professeur. 
Alexandre  Martin,  avocat. 
Anloni   Dlkand. 
El  au  nombre  de  ses  associés  él rangers  : 

l85î)  M.  Frédéric  'rnoYO>',  b  Bel  Air,  près  Chescaux  (canlon  de  Vaud.) 


2.  Mémoires,  Rapports,  etc.  présentés  h  la  Société  depuis  la  publi- 
cation du  dernier  Bulletin  (Mars  1855): 

Mémoire  sur  l'épiscopat  de  Pierre  do  Faucigny  (successeur  d'Aymon 
du  Quart),  par  M.  Ed.  Mallet. 

Introduction  à  un  mémoire  sur  l'épiscopat  de  Jean-Louis  de  Savoie 
et  sur  Genève  à  l'époque  des  guerres  do  Bourgogne,  par  MM.  Chapo.n- 

NIÈUE  ET  HeYER. 

Notes  sur  les  sommes  prêtées  ou  données  à  Genève  par  la  Hollande 
h  la  fin  du  seizième  siècle,  par  M.  Heyer. 

Lettres  écrites  par  des  membres  de  la  famille  de  Coligny,  réfugiés 
en  Suisse  après  la  Saint  Barthélémy,  communiquées  par  M.  Gaberel. 


80 

Etude  sur  la  correspotiilancc  de  Philippe  II  rolalivemcnt  aux  troubles 
dos  Pays-Bas,  publiée  par  M.  Gachard,  archiviste  général  du  gouver- 
nement belge,  par  M.  Amédée  Roget. 

Notice  sur  le  pasteur  Charles  Porrot  et  sur  ses  ouvrages,  par  M.  lo 
professeur  Cellérier  (présent  cahier,  p.   1   à  68). 

Notes  sur  les  poésies  latines  de  Jacques  Lect,  par  le  même. 

Communication  et  analyse  de  diverses  pièces  relatives  aux  procès  de 
sorcellerie  par  MM.  Gust.  Revilliod,  Gaberel  et  Cellérier. 

Récit  de  diverses  tentatives  faites  par  les  cantons  évangcliques  pour 
obtenir  de  Louis  XIV  en  faveur  des  protestants  du  pays  de  Gex  le  libre 
exercice  de  leur  culte,  par  M.  Théodore  Claparède. 

Notice  sur  Jean  de  Bar,  baron  de  Mauzac,  réfugié  à  Genève  après  la 
révocation  de  l'Éditde  Nantes,  par  M.  Alex,  Lombard.  (Voy.  bulletin 
de  la  Société  d'Histoire  du  protestantisme  français,  IV,  p.  173  et  434.) 

Étude  de  M.  le  professeur  Roget  sur  le  mouvement  intellectuel  à 
Genève  au  dix-huitième  siècle. 

Note  sur  une  représentation  adressée  aux  Conseils  de  Genève  en 
1773  contre  les  loteries,  en  particulier  contre  le  loto  génois,  par  M.  le 
professeur  Cnoisy. 

Notice  historique  sur  la  vie  et  les  écrits  de  M.  Guillaume  Favre- 
Bortrand,  par  M.  le  professeur  Adert. 

Résumé  de  l'histoire  de  Genève,  par  M.  Ed.  Mallet  (Publié  dans 
la  Suisse  pittoresque.  Genève  1856,  1  vol.  grand  in-8.) 

Coup  d'œil  sur  les  règnes  de  trois  ducs  de  Savoie  dans  ses  rapports 
avec  Genève,  par  M.  Mallet-d'Hauteville. 

Compte  rendu,  par  M.  Gaberel,  sur  diverses  pièces  importantes  re- 
latives h  l'histoire  de  Genève,  contenues  aux  archives  de  Turin. 

Rapport  sur  lo  congrès  des  délégués  des  Sociétés  savantes  tenu  h 
Paris  en  1855,  par  M.  Hippolyte  Gosse. 

Notice  sur  d'anciens  cimetières,  par  le  même. 

Notice  sur  les  anciennes  monnaies  russes,  par  M,  F.  Seguin. 


SUITE 

A  LA 

NOTICE  SUR  D'ANCIENS  CIMETIÈRES 

TROUVÉS 

SOIT  EN  SAYOIE,  SOIT  DANS  LE  CANTON  DE  GENÈVE 

ET   PRINCIPALEMENT 

SUR  CELUI  DE  LA  BALME,  PRÈS  LA  ROCHE,  EN  FAUCIGNY 


PAR  H.-J.  GOSSE,  FILS 

Membre  de  la  Société  d'Histoire  et  d'Archéologie  de  Genève,  etc.,  etc. 


Avec  4  Planches. 


(Lu  à  la  Société  d'Histoire  et  d'Archéolof/ie  de  Genève,  dans  sa  séance  du 

27  septembre  1855.) 


Daiisune  précédente  notice  j'ai  essayé  de  décrire  les  cimetières 
découverts  soit  en  Savoie,  soit  dans  les  environs  de  Genève,  ainsi 
que  les  objets  que  l'on  avait  eu  le  bonheur  d'y  trouver. 

Si  l'on  compare  ces  objets  dans  divers  pays,  il  est  fiicile  de 
voir  qu'ils  ont  varié  avec  les  populations  dont  ils  sont  les 
vestiges. 

Dans  le  but  d'éclaircir  ce  point,  je  vais  tâcher  de  signaler  les 
traits  caractéristiques  des  tombeaux  Helvéto-Burgondes ',  et 
les  dissemblances  qu'ils  présentent  avec  ceux  des  Germains , 

*  Voici  ce  que  M.  Troyon  dit  à  cet  égard,  dans  une  note  faisant  suite  à 
sa  publication  sur  les  tombeaux  de  Bel-Air,  qu'il  m'a  remise  en  septembre 
1856  :  «  Je  faisais  observer  que  si  les  objets,  recueillis  dans  des  pays  divers, 
«  sont  les  mêmes  quand  on  les  prend  un  à  un,  on  peut  cependant  relever 

l'orne  XL  6 


82 

des  Anglo-Saxons,  et  surtout  des  Francs-Mérovingiens  tels  qu'ils 
sont  décriis  dans  le  magnifique  ouvrage  de  M.  l'abbé  Cocliel*. 

Une  des  principales  différences  est  certainement  l'absence 
dans  nos  cimi  lières  de  certaines  armes  et  la  rareté  des  autres. 

Boucliers,  haches  de  quelque  nature  et  de  quelque  forme 
qu'elles  soient,  lances  ou  augons,  fers  de  flèches  simples  ou 
barbelées  sont  pour  nous  choses  inconnues,  du  moins  jusqu'à 
ce  jour. 

Ces  objels  forment  pourtant  une  partie  notable  des  découver- 
tes de  MM.  Lindenschniitt  à  Seizen  ',  Roach  Smith  a  OxingeP, 
Wvlie  à  Fairford",  Baudot  à  Charnay  %  Cochet  à  Douvrend, 
à  Envermeu,  à  Londinièrcs,  etc.,  elc. 

Le  grand  et  le  petit  couteau  sont  les  seules  armes  que  pa- 
raissent avo  r  eu  nos  populations,  jirobablement  plus  pacifiques, 
comme  semblent  aussi  l'indiquer  plusieurs  des  objets  trouvés 
par  M.  ïroyon  h  Bel-Air,  par  exemple;  le  contre  de  charrue, 
les  ciseaux  a  tondre,  et  une  paire  de  balances''. 

On  y  remarque  aussi  l'absence  presque  complète,  de  celles 

«  des  Iraits  distinclifs  si  on  les  examine  dans  leur  ensennble,  en  sorte  qu'on 
«  voit  la  francisque  prédominer  chez  les  Francs,  la  longue  épée  chez  les 
a  Allemani  et  le  coutelas  chez  les  Burgondes.  D'une  part,  on  peut  remar- 
ï  quer  la  richesse  dans  les  verroteries,  de  l'autre  dans  les  fibules,  et  chez  les 
«  dernieis  l'un  des  traits  caractéristiquiis  est  la  beauté  des  damasquinures 
«  et  le  nombre  des  symboles  chrétiens.  » 

•  La  Nimnandie  souterraine  ou  notices  sur  des  cimetières  romains  et  des 
cimetières  francs  explorés  en  Normandie,  par  M.  l'abbé  Cochet.  Seconde 
édition,  1  vol.  in-8,  Paris  1855. 

2  Dus  Gcrinaniscite  Todtmlaf/er  bei  Seizen  in  der  Provinz  Reinhessen , 
dargeslellt  und  erlautert  von  dcn  Gebrûdern  W.  und  L.  Lindenschniitt,  in-8. 
Mainz,  Zabern,  I8i8. 

'  Colledanea  aiitiqua  etcbings  and  notices  of  ancient  remains,  by  Roach 
Smith,  3  vol.  in-8.  London  1843-54.. 

*  Fuirford  f/raves,  a  record  of  researches  in  an  anglo-saxon  burial  place 
in  Glouceslershirc,  by  W.  Wjlie,  in-4",  Oxford  18o2. 

^  Mémoires  de  la  Commission  des  antiquités  de  la  Gôle-d'Or,  1832-33. — 
Note  sur  les  sépultures  mérovingiennes  de  Charmay  dans  les  séances  géné- 
rales du  congrès  archéologique  tenu  à  Dijon  en  1852. 

«  Description  des  lomb:,ux  de  bel-Air,  près  Cheseaux  sur  Lausanne,  par 
M.  F.  ïroyon,  in-8,  Lausanne  1841. 


83 

des  fibules  que  MM.  L-ndenschmitt  classent  dans  leur  troisième 
caléaorie.  Voici  comment  ils  les  définissent  :  «  Ce  sont  des  bro- 
«  dies  d'ornement  en  bronze  ou  en  arg<  nt  doré,  souvent  munies 
«  d'incrustations  en  verre  colorié.  La  parlie  snpérii  ure  au  fond 
«  de  laquelle  est  fixé  Tard. lion  en  fer,  rarement  en  bronze,  est 
«  carrée  ou  semi-circulaire,  de  là  elle  se  prolonge  vers  la  parlie 
«  inférieure  qui  souvent  se  termine  en  tête  d'aiiimal  et  qui  est 
«  destiné  à  fixer  l'ardillon.  Le  milieu  est  ordinairement  bosselé. 

« Les  ornementations  en  verre  de  ces  bijoux  sont 

«  rarement  bleues,  parfois  vertes,  mais  le  plus  souvent  rouges'.» 

M.  Troyon,  a  ma  connai-sance  du  moins,  n'en  a  trouvé  qu'une 
seule  de  celte  espèce",  et  je  n'en  possède  aucune,  or  c'est  une 
des  formes  de  libules  les  plus  répandues  dans  les  pays  sejiten- 
trionaux. 

Celles  que  j'ai  trouvées  sont  circulaires;  voici  la  desciiption 
de  deux  d'entre  elles, découvertes  dans  le  cimetière  delaB;ilme; 
toutes  les  deux  présentaient  originairement  à  leur  surface  une 
feuille  d'or,  seule  la  plus  grande  l'offre  encore. 

Celle-ci,  pi.  III,  fig.  5  a  0,07c.  de  diamètre  et  0,22  c.  de 
circonférence.  Elle  présente  au  centre  un  bouton  de  pâte  bleu 
foncé. 

Autour  de  ce  centre  et  à  égale  distance  les  uns  des  autres 
sont  rangés  liuit  boulons  en  verre  un  peu  verdàlre. 

La  feuille  d'or  qui  recouvre  loule  la  fibule  étant  très-mince, 
à  cause  de  sa  valeur,  n'aurait  pu  résister  à  la  moindre  pression 
lorsqu'on  aurait  voulu  s'en  servir,  aussi  l'artiste  l'a-l-il  soutenue 
par  une  petite  plaque  de  bronze,  qui  apparaît  autour  de  cbaque 
bouton  et  qui  a  été  utilisée  pour  Us  recevoir  el  les  sertir.  Elle 
dépasse  un  peu  le  niveau  de  ceux-ci  et  forme  un  léger  cordon 
qui  devait  produire  le  pins  joli  effet. 

Quant  au  champ  même  de  la  fibule,  qui  est  légèrement  bombé, 
il  est  tout  entier  couvert  de  dessins  assez  réguliers  avant  la  forme 

'  Ce  qui  est  rexception  à  Selzen  est  fréquent  chez  nous. 
*  Tombeaux  de  Bel-Air,  pi,  I,  fig.  10, 


de  rayons  concentriques,  de  petits  cercles  et  de  triangles,  de 
telle  sorte  qu'il  n'y  a  pas  une  seule  place  unie. 

Toutes  ces  Tgnes  sont  formées  par  une  suite  de  points  ar- 
rondis qui  ne  laissent  aucun  doute  sur  la  manière  dont  ils  ont 
été  laits.  La  feuille  d'or  et  la  plaque  de  cuivre  ont  été  repous- 
sées ensemble  au  marteau  après  que  l'on  eut  serti  celles-ci  au 
moven  d'une  lame  de  bronze  qui  donne  une  épaisseur  de  0™,006 
à  la  fibule,  et  qui  maintient  liées  les  feuilles  d'or  et  de  cuivre. 

Lorsque  ce  travail  a  été  fini  on  a  rempli  tout  l'espace  compris 
entre  elles  et  l'anneau  qui  entoure  la  fibule  à  sa  circonférence, 
avec  de  l'argile  que  l'on  a  laissé  sécher  après  l'avoir  fortement 
comprimé. 

L'argile  entrant  dans  les  moindres  anfractuosilés  soutenait 
toutes  les  parties  d'une  manière  parfaitement  égale,  et  par  con- 
séquent donnait  une  assez  grande  solidité. 

La  face  postérieure  était  complètement  fermée  par  une  plaque 
de  fer  sans  laquelle  l'argile  n'aurait  pu  tenir  bien  longtemps. 
Enfin  à  cette  plaque  était  fixé  l'ardillon  en  fer,  dont  il  ne  reste 
que  quelques  vestiges  '. 

Quant  k  laulre  fibule  de  la  même  espèce,  pi.  IIL  fig.  4,  elle 
n'a  que  deux  centimètres  et  demi  de  diamètre,  et  n'offre  qu'un 
seul  boulon  de  verre  bleu  à  sa  partie  centrale.  Elle  présente 
également  des  dessins  dont  une  partie  sont  détruits. 

Je  mentionnerai  ici  deux  fibules  ayant  une  grande  analogie 
avec  celles  (jue  je  viens  de  décrire  quoique  plus  petites,  l'une 
trouvée  à  Nernelçan,  dans  le  canton  de  Yaud  et  déposée  au  Mu- 
sée de  Lausanne,  l'autre  près  de  Soleure.  Elles  présentent  une 
plaque  d'or,  âe^  boutons  de  verre  et  sont  identiques  aux  mien- 
nes pour  le  mode  de  fabrication.  Je  joins  la  description  do  la 
derruère  telle  que  M.  Schiatter  la  donne  dans  un  mémoire  de 
M.  Ferd.  Relier  \ 

'  Je  signalerai  lo  fait  assez  bizarre,  qu'elle  a  été  trouvée  sur  le  sternum 
d'un  enfant  de  6  à  10  ans.  La  même  tombe  nous  a  encore  présenté  plusieurs 
objets  sur  lesquels  je  reviendrai  plus  tard. 

'  MiWmluiujen  der  Antiquarischen  Gesellschaft  in  Zujrich.  Band  III,  zweiter 


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«  Près  du  sternum  élait  une  fibule  faisant  |jenl-êlre  partie 
<T  (l'un  collier  d'ambre.  Elle  est  formée  de  deux  minces  lames 
«  de  métal,  la  supérieure  d'or,  l'inférieure  d'argent.  L'interstice 
«  qu'elles  laissent  enlre  elles  est  rempli  par  une  mntière  dure, 
«  noirâtre,  peut-être  une  espèce  de  ciment.  La  lamelle  supé- 
«  Heure  d'or  présente  a  son  cenîre  un  morceau  de  verre,  et 
«  autour  six  pierres  ronges  triangulaires,  et  six  pierres  bleues 
«  rondes;  le  tout  serli  avec  assez  d'habileté.  La  partie  de  la  sur- 
«  face  de  la  lame  d'or  qui  est  plane  est  recouverte  par  des 
«  ornements  ayant  la  forme  de  serpents.  A  la  plaque  infé- 
«  rieure  (celle  qui  est  d'argent)  se  trouvent  encore  les  trares 
«  d'une  partie  mince  en  forme  de  bec  ainsi  que  celles  d'une 
«  broche  en  fer,  au  moyen  desquelles  le  tout  était  fixé  aux  vé- 
«  temenls.  » 

Après  avoir  énuméré  les  principaux  objels  que  nous  ne  trou- 
vons pas  dans  nos  cimetières,  j'indiquerai  ceux  que  nous  avons 
en  plus  grand  nombre,  et  qui  manquent  presque  en  Normandie. 

Je  citerai  en  premier  lieu  les  agrafes  en  fi'r,  plaquées  d  ar- 
gent, dont  l'existence  dans  nos  tombes  nous  dédommage  des 
armes  qui  nous  font  défaut.  Ces  plaqués  ont  été  déjà  sufiisam- 
ment  décrits  pour  que  je  ne  m'y  arrête  pas  longtemps ,  je  ne 
ferai  qu'indiquer  leur  mode  de  fabrication. 

On  est  pour  cela  obligé  de  les  diviser  en  deux  catégories. 

La  première,  dans  laquelle  le  fer  apparaît  à  la  surface  de  la 

Theil,  Seite  48.  Beschreihunij  der  Helvetischen  Heiden^ràber  und  Todten- 
liufjcl,  u.  s.  w.  von  Ferd.  Keller.  «  In  der  Nàhe  des  Bruslbeins  und  vielleicht 
T  zur  Bernsteinkette  gehôrend  lag  die  Stecknadel  (fig.  18).  Sie  bestcht  aus 
«  zwei  dûnnen  Metallplattchen,  das  obère  aus  Gold,  das  untere  aus  Silber. 
t  Der  Zwischenraum  war  mit  einer  harten,  schwàrzlichen  Materie,  vielleicht 
«  einer  Art  Kitt  ausgefiilit.  Das  obère  Goldplatlclien  zeicht  um  einen  in  der 
■■'  Mitte  liegenden  runden  Glasfluss  6  dreieckige  rolhe  und  6  runden  blaue 
1  Steine,  die  mit  ziemlicher  Kunslforligkeil  in  dus  Gold  gct'asst  sind.  Die 
-î  ubrige  Flàche  desGoldplaUchens  bedeeken  sclilangonfôrniige  Verzierungen. 
Am  untern  (den  siibernen)  Plàttcben  finden  sich  noch  Spuren  einer  diinnen 
<î  Rôhre  und  eines  eissrnen  Stiftes,  wodurch  das  Ganze  vielleicht  an  den 
î  Kleidernbefestigtwurde.  » 


86 

plaque  et  cnncourl  à  former  le  dessin  des  entrelacs,  est  une  in- 
cru-^tilion  d'argent  sur  fer. 

En  examinant  avec  alien.ion  une  partie  dans  laquelle  l'ar- 
gent vient  d'èlre  eidevé  on  aperçoit  une  rainure  qui,  de  cliaque 
côlé,  présente  des  espèces  de  petites  dents. 

C'est  en  effet  un  moyen  encore  usité  dans  plusieurs  pavs*. 

L'ouvrier,  après  avoir  l'ait  la  rainure  qui  ddit  recevoir  la  la- 
melle de  mêlai  que  l'on  vrul  incruster,  praîique  de  petites  dents 
sur  les  bords  de  la  rainure  au  moyen  d'un  burin. 

Puis  il  introduit  à  petits  coups  de  marteau  la  lamelle  qui, 
ainsi  fortement  pressée,  s'engage  en  partie  sous  les  dents,  qui  la 
retiennent  avec  une  bien  grande  force,  puis  qu'après  tant  de 
siècles  on  retrouve  quelque-unes  de  ces  agrafes  si  bien  con- 
servées, malgi  é  le  travail  de  l'oxydation  -. 

Dans  la  seconde  catégorie  l'argent  recouvre  toute  la  plaque, 
et  si  le  f  r  apparaît,  ce  n'est  presque  qu'accidentellement.  L'ar- 
gent est  ici  retenu  en  grande  partie  par  les  rosaces  qui  entourent 
les  têtes  de  clous.  Dans  ce  cas  ces  rosaces  sont  le  plus  souvent 
en  argent,  et  compriment  fortement  le  plaqué  auquel  elles  sont 
quelquefois  sondées. 

Le  plaqué  se  recourbe  sur  les  bords  de  l'agrafe,  et  là  entre 
dans  une  rainure  semblable  à  celles  déjà  citées.  Quelquefois  on 
aperçoit  sur  l'argent  des  traces  de  dessins  qui  dans  ce  cas  ont 
dû  être  gravés  '\ 

Je  dois  a  présent  parler  des  plaques  de  ceinturons  en  bronze 
qui  offre  chez  nous  une  particularité  assez  frappante.  Car  au 
lieu  de  ne  présenter  que  des  entrelacs,  comme  dans  celle  de  la 

*  Les  Aralies  ornent  ainsi  beaucoup  de  leurs  ustensiles,  mais  c'est  surtout 
dans  ceux  qui  datent  de  plusieurs  siècles  que  l'analogie  avec  nos  plaqués  est 
frappante.  —  Note  due  à  l'obligeance  de  M.  Charles  Cournault. 

'  Sur  deux  plaques  trouvées  à  Londinières,  que  M.  l'abbé  Cochet  avait  eu 
l'obligeance  de  m'envoyer,  j'ai  pu  reconnaître  très-distinctement  une  incrus- 
tation d'argent  de  cette  espèce. 

'  J'indiquerai  conmie  exemple  la  lig.  fi,  pi.  V  de  ma  Notice  sur  d'anciens 
cimetières,  etc.  Mémoires  de  ta  Société  d'Histoire  et  d' Ardtéologie  de  Ge- 
nève, t.  IX,  Genève  1853. 


87 

Normandie,  dans  la  grande  majorité  des  cas  nous  y  voyons  des 
dessins  emblémaliques. 

Sur  les  sept  plaques  dessinées  sur  la  pi.  II,  cinq  d'entre  elles 
ont  été  trouvées  près  de  Châlons-sur-Saône  ;  mais  cette  parlie 
de  la  Bourgogne  a  eu  dos  rapports  si  nombreux  avec  Genève 
à  celle  époque,  que  j'ai  cru  pouvoir  les  joindre  à  celles  de 
nos  environs. 

Elles  viennent  de  la  magnifique  collection  de  M*"®  Fèvre 
de  Chiseul  qui,  avec  une  bonté  rare ,  m'a  donné  toutes  les  fa- 
cilités possibles  pour  en  prendre  copie.  Je  saisis  avec  empres- 
sement cette  occasion  pour  lui  en  adresser  mes  sincères  remer- 
ciements '. 

La  fig.  G,  pi.  II,  présente  un  sujet  des  plus  curieux  déjà, 
mentionné   par  M.  Troyon  -,  c'est   l'adoration  de  la  croix  ^. 

La  plaque  du  ceinturon  est  divisée  en  cinq  compartiments.  Dans 
celui  du  milieu  est  la  croix.  Les  deux  divisions  attenantes  renfer- 
ment un  liomme  ayant  une  main  levée,  le  pouce  dirigé  vers  les 
lèvres,  les  autres  doigts  étendus  suivant  le  rite  d'adoration  des 
prêtres  égyptiens.  Ils  regardent  la  croix  et  tournent  le  dos  à 
une  figure  allégorique  ou  sphinx,  gravée  à  chaque  extrémité. 
«  Ce  sujet  montrerait  ainsi  le  prêire  du  cidle  étranger  abau- 
a  donnant  ces  faux  dieux  pour  servir  le  Christianisme  et  ré- 
a  pondrait  à  l'idée  exprimée  par  les  lions  qui  lèchent  les  pieds 
«  de  Daniel"*.  » 

Voici  ce  que  dit  à  cet  égard  M.  Blavignac  dans  son  ouvrage 
sur  l'architecture  sacrée  ^  : 

«  C'est  un  exemple  de  la  renonciation  au  culte  païen ,  là 
«  l'ennemi  de  l'église  n'est  plus  sous  la  figure  du  lion  qui  ce- 

'  Les  figures  2,  3,  4,  5,  7  de  la  pi.  II  proviennent  de  cette  collection. 

*  Antique  Annbânder  iitid  Afjniffiiu  hcHchrieben  voa  Herr  F.  Troyon,  p. 
29.  Mémoires  de  la  Soc.  des  Aiitiq.  de  Zurich,  1841. 

'  CeUe  plaque  est  au  Musée  de  Genève.  Trois  analogues  se  trouvent  dans 
les  ouvrages  de  M.  Troyon. 

*  Antique  Annbdnder,  etc.  von  F.  Troyon,  p.  29. 

^  De  l'Arcliileclure  sacrée  dans  les  diocèses  de  Genève,  Lausanne  et  Sien, 
par  M.  J.-D.  Blavignac,  p.  51.  —  1  vol.  in-S^  et  .\llas.  Lausanne  1854. 


88 

«  pendant  servira  encore  pendant  longtemps  à  personnifier  les 
«  dieux  des  Gentils  ;  mais  c'est  toujours  dans  la  paro!e  divine 
flt  que  sont  pris  les  éléments  de  la  composition  de  l'artiste  chré- 
«  tien.  Les  personnages  placés  devant  ia  croix  se  disposent  à 
«  prêter  l'oreille  aux  vérités  de  l'Evangile.  Derrière  eux  se  trou- 
«  vent  les  simulacres  païens,  anciens  objets  du  culte,  repré- 
«  sentes  cette  fois  par  des  créatures  hybrides,  rappelant  plus 
rt  que  toute  autre  chose  le  Dation  des  Philistins;  cette  divinité, 
«  moitié  poisson,  que  la  mythologie  avait  empruntée  d'Orient 
«  sous  le  nom  d'Oannès  chez  les  Babyloniens.  « 

En  examinant  les  différentes  agrafes  qui  ont  été  jusqu'ici  dé- 
couverîes  et  qui  représentent  ce  sujet,  on  sera  bientôt  con- 
vaincu que  celle  dont  nous  parlons  n'est  point  un  des  types, 
mais  bien  une  copie.  Seulement  l'artiste,  dans  celle-ci,  a  repré- 
senté le  prêtre  de  face  et  non  de  profil,  comme  cela  se  voit  dans 
la  gr.mde  majorité  de  ces  agrafes,  la  position  de  la  main,  mal- 
gré ce  changement,  a  été  conservée  identique.  Je  pense  donc 
que  l'aitiiude  du  prêtre  est  celle  de  l'adoration,  et  non  pas  celle 
de  quelqu'un  qui  écoule,  comme  le  présume  M.  Blavignac;  car, 
à  cette  époque,  le  christianisme  qu'avaient  adopté  ces  peuples 
à  demi  barbares ,  n'était  pas  aussi  spirituel  que  celte  opinion 
tendrait  à  le  faire  croire,  ils  adoraient  bien  plus  la  croix  elle- 
même,  qu'ils  ne  s'occupaient  des  vérités  et  des  enseignements 
dont  elle  n'était  que  le  symbole.  Nous  voyons  cette  adoration 
représentée  à  plusieurs  reprises  et  sous  diverses  formes ,  par 
exemple  la  fig.  4,  pi.  II. 

Elle  est  d'un  dessin  et  d'une  exécution  bien  inférieure  à  la 
précédente.  On  y  voit  des  quadrupèdes  ailés,  avec  un  bec  très- 
distinct,  et  adorant  la  croix  qu'ils  regardent.  Puis,  dans  un  autre 
compartiment  sont  des  animaux  informes,  placés  près  d'un  ob- 
jet trop  mal  gravé  pour  que  l'on  puisse  exactement  en  déter- 
miner la  nature. 

La  fig.  2,  pi.  II,  a  élé  déjà  publiée  par  M,  de  Caumont  dans 


89 

son  Abécédaire  d'archéologie';  néanmoins,  je  la  reproduis  ici, 
quelques  détails  intéressants  ayant  été  omis  dans  sa  planche. 
La  plaque  elle-même  est  d'un  dessin  distinct  et  plus  correct  que 
les  autres,  il  représente  Daniel  d^ins  la  fosse  aux  lions.  Le  pro- 
phète, les  deux  mains  élevées  et  étendues,  bénit  les  lions  qui 
lui  lèchent  les  pied>j  ;  sur  leurs  corps  se  voit  une  croix,  signe  de 
leur  consécration  à  la  religion  nouvelle.  Ils  ont  sur  la  tète  une 
espèce  de  crinière  d'une  forme  très-curieuse. 

A  la  gauche  de  Daniel  on  aperçoit  le  prophète  Habacuc, 
bénissant  de  la  même  manière.  L'inscription  qui  entoure  la 
plaque  ne  laisse  aucun  doute  sur  les  sujets  qui  y  sont  gravés: 

DANFEf  PROFETAf  =  ABBACV  PROFETAf. 

Daniel  et  Habacuc  portent  aussi  la  croix  gravée  sur  la  poi- 
trine. Tout  le  fond  de  la  plaque  est  rempli  par  des  rayures^. 

La  fig.  1,  pi,  11%  est  une  reproduction  presque  trait  pour 
trait  d'une  plaque  que  j'ai  déjà  publiée"*;  mais  dans  celle-ci  il 
n'y  a  pas  d'inscription  \  C'est  une  preuve  de  plus  de  la  manière, 

•  Page  51  ;  troisième  édition.  Paris  1854. 

•  M.  Troyon  a  publié  cinq  plaques  représentant  Daniel,  dont  une  avec  une 
inscription  très-remarquable  et  surtout  très-inlelligible. 

'  Trouvée  à  la  Balme,  prés  La  Roche,  de  même  que  tous  les  objets  dont 
je  ne  désigne  pas  spécialement  la  provenance. 

•  PI.  II,  lig.  i  et  page  9  de  la  Notice  sur  d'anciens  cimetières,  etc. 

"  Dans  un  article  intitulé:  Des  tombeaux  delà  vallée  de  lEaulne;  réfuta- 
tion de  l'opinion  de  M.  l'abbé  Cochet,  touchant  l'origine  de  ces  sépultures 
et  imprimé  dans  la  Revue  Archéologique  (Juin  1855,  page  151)  se  trouve  le 
passage  suivant: 

«  le  christianisme  étant  déjà  très-répandu  dans  la  Gaule,  quoi  d'é- 

«  tonnant  qu'on  en  trouve  quelques  symboles  épars  çà  et  là  dans  des  tom- 
«  beaux  antérieurs  à  la  conversion  de  Clovis. 

«  Une  découverte  récente,  faite  en  Suisse,  présente  de  pareilles  agrafes, 
<  ayant  au  centre  de  la  plaque  un  grand  nombre  de  symboles  chrétiens,  et, 
•i  sur  les  bords,  les  noms  de  l'empereur  Justinien  et  du  fabricant  de  ces  an- 
«  tiques.  Nous  en  avons  vu  les  dessins  dans  le  cabinet  de  M.  Lenormant.  » 

Depuis  la  publication  de  cette  plaque,  car  je  ne  connais  pas  d'autre  dé- 
couverte en  Suisse  que  la  mienne,  se  rapportant  à  la  description  que  l'au- 
teur en  donne ,  j'ai  montré  cette  pièce  intéressante  à  plusieurs  archéologues 


do 

dont  on  fabriquait  ces  objets,  il  y  avait  nn  type  qui  était  copié 
et  qui  peu  à  peu  s'altérait  au  point  d'en  devenir  méconnaissable. 

Nous  en  avons  également  un  exemple  frap^pant  sous  les  yeux, 
dans  les  fig.  3,  5  et  7,  pi.  II. 

Le  type,  suivant  moi,  ser;iit  la  fig.  7. 

On  y  voit  très-clairement  un  clieval  ailé,  dans  la  fig.  3  il  est 
déjà  diflicilc,  de  reconnaître  ce  qui  est  sur  le  dos  de  l'animal,  et 
dans  la  fig.  5  le  cheval  lui-même  serait  problématique  si  nous 
ne  possédions  pas  celle  série  de  plaques  représentant  le  même 
objet. 

M.  Baudot  possède  plusieurs  agrafes  sur  lesquelles  on  voit 
le  même  sujet.  Je  n'aurais  pas  dessiné  celles-ci  si  j'eusse  cru 
que  ce  type  fût  propre  à  la  Bourgogne,  mais  quoique  je  ne  l'aie 
pas  encore  trouvé  en  Savoie  je  ne  pense  pas  que  cela  soit  im- 
possible d'y  arriver. 

Nous  possédons  en  effet  plusieurs  localités  offrant  des  tra- 
ditions meniionnant  un  cheval  ailé  '. 

Je  ne  terminerai  pas  cet  exposé  sans  faire  remarquer  que  si 
la  Suisse  et  la  Savoie  présentent  de  notables  diffL-rences  avec  la 
Belgique,  l'Angleterre  et  la  Normandie,  la  Bourgogne  d'un  autre 
côté  semble  être  un  trait  d'union  entre  ces  divers  pays.  La  ma- 
gnifique collection  de  M.  Baudot  en  est  une  preuve  des  plus 
évidentes.  Il  a  en  effet  trouvé,  dans  les  divers  cimetières  qu'il  a 
examinés,  des  spécimens  de  tous  les  objets  mentionnés  dans  les 

distingués.  Il  paraît  que  l'on  doit,  avec  assez  de  sûreté,  y  lire  JVSTINA. 
D'ailleurs,  à  supposer  que  ce  soit  le  nom  de  Justinien  que  l'artiste  ait  voulu 
graver,  le  règne  (h  cet  empereur  (de  527  à  565)  étant  postérieur  au  baptême 
de  Clovis,  qui  eut  lieu  eu  4%,  il  me  semble  que  l'auteur  prouverait  le  con- 
traire de  ce  qu'il  avance. 

•  Je  signalerai  en  particulier  une  pierre  située  entre  Evire,  Groisy  et 
Menliionnex  (province  du  Faucigny),  appelée  la  pierre  au  cheval.  Suivant 
les  paysans,  un  cheval  ailé  se  serait  élancé  depuis  le  mont  Salève,  serait 
venu  toucher  cette  pierre,  y  aurait  marqué  l'empreinte  d'un  de  ses  fers,  et, 
d'un  nouveau  bond,  aurait  atteint  le  Grand-Bornand.  —  Dans  des  fouilles 
faites  au  pied  de  cette  pierre,  j'ai  trouvé  ceUe  année  un  beau  bracelet  en 
bronze,  orné  de  rayures  celtiques. 


91 

différentes  contrées  par  les  archéologues  s'occupant  de  cette 
époque.  Il  a  de  plus  eu  le  bonheur  de  trouver  des  tombeaux  qui 
n'avaient  pas  été  violés,  circons:ance  que  je  n'ai  pu  malheu- 
reusement que  trop  constater  pour  la  majeure  partie  de  ceux 
que  j'ai  ouverts. 

Cependant  quelques  tombes  trouvées  intactes  m'ont  donné 
un  certain  nombre  d'objets  nouveaux. 

La  sépulture  la  plus  riche  que  j'aie  découverte  est  celle 
de  l'enfant  sur  le  sternum  duquel  était  placé  la  grande  fibule 
dont  j'ai  parlé  plus  haut.  L'on  y  remarquait  aussi  une  épingle  a 
cheveux  ou  plutôt  un  style  eu  bronze  orué  de  fines  stries,  pi.  III, 
fig.  23.  Une  boucle  en  bronze,  pi.  III,  fig.  17.  Un  grain  de  col- 
lier en  verre  jaunâtre,  pi.  III,  fig.  IG,  et  deux  bagues  à  peu  près 
semblables,  pi.  III,  fig.  8  et  9.  Elles  sont  en  bronze  et  formées 
de  trois  pièces  qui  ont  dû  être  somlées  ensemble. 

Un  anneau,  présenlani  une  solution  de  continuité,  applati  aux 
deux  bouts  sur  lequels  s'adaptait  une  plaque  en  bronze.  A  cette 
dernière  était  soudé  un  anneau  ciselé  en  forme  de  corde,  dont  la 
partie  intérieure  s'amincissant,  servait  à  sertir  un  morceau  de 
veirolerie  (bleue  dans  la  fig.  8,  verte  dans  la  fig.  14).  La  bague 
fig.  8  présentait  une  particularité  très-intéressante,  et  que  je  ne 
crois  pas  avoir  été  indiquée  jusqu'ici.  La  plaque  en  bronze,  au 
heu  d'être  simplement  polie,  était  argentée  et  jouait  ainsi  le  rôle 
du  paillon  que  l'on  met  de  nos  jnurs  sous  les  imitations  de  pierres 
précieuses  afin  de  leur  donner  plus  d'éclat. 

Dans  d'autres  tombes  j'ai  trouvé  quatre  agrafes,  dont  une  en 
bronze,  pi.  III,  fig.  3,  et  trois  formées  d'un  alliage  de  cuivre  et 
de  plomb.  Nous  reviendrons  plus  tard  sur  celte  qualité  de  bronze 
qui  a  la  propriété  d'être  j)resque  inaltérable.  En  effet,  ce  n'est 
que  dans  les  parties  où  l'alliage  n'a  |)as  été  tout  à  fait  homo- 
gène que  l'on  aperçoit  quelques  traces  de  l'oxydation  du  cuivre, 
partout  ailleurs  le  métal  est  encore  d'un  très-beau  poli  gris 
de  perle. 

J'en  donne  ici  deux,  ce  sont  les  fig.  1  et  2,  pi.  IIL 


92 

Les  fig.  1  et  3  élaient  sur  l'extrémité  inférieure  du  radius  et 
du  cubitus  de  deux  femmes.  A  cette  place  également  élait  une 
chaînetle  en  bronze  fig.  21 ,  pi.  lll,  dont  il  ne  nous  reste  que 
0^,118  et  qui  probablement  élait  un  bracelet. 

J'ai  trouvé  cette  année  une  nouvelle  cliainette  en  bronze  à  la 
même  place  et  qui  par  conséquent  ne  peut  laisser  aucun  doute 
à  cet  égard.  La  forme  des  anneaux  de  celle-ci  est  assez  bizarre, 

pi.  m,  fig.  22. 

J'ai  également  découvert  deux  chaînes  en  fer ,  l'une  n'offre 
rien  de  bien  saillant,  l'autre  est  remarquable  en  ce  qu'un  de  ses 
bouts  est  fixé  par  un  anneau  à  un  double  crochet,  et  que  l'autre 
bout  se  termine  par  une  tige  qui  m'a  paru  être  une  clef.  Au 
moment  où  je  la  sortis  du  tombeau  j'ai  vu  de  l'extrémité  de 
celle  tige  se  séparer  un  morceau  recourbé  ressemblant  au  pêne 
de  la  clef  publié  par  M.  Troyon,  tombeau  de  Bel-Air,  pi.  I,  fig.  9. 

Non  loin  de  celte  chaîne  était  un  amas  de  morceaux  de  fer. 

Après  un  examen  attentif  je  suis  parvenu  à  découvrir  que 
c'étaient  probablement  les  débiis  d'une  cassette.  J'ai  encore  un 
gond  qui  en  faisait  parlie. 

Outre  les  bagues  dont  nous  avons  déjà  parlé,  j'en  ai  encore 
trois  à  mentionner,  pi.  III,  fig.  10,  11  et  7.  Cette  dernière  est 
curieuse  par  les  dessins  qui  s'y  voient.  Peul-élre  a-t-elle  servi  de 
cachet*. 

Quatre  doubles  crochets  placés  sur  les  vertèbres  cervicales  ou 
sur  le  sternum,  dont  trois  en  bronze  (fig.  12,  14,  15,  pi.  III),  et 
une  en  fer,  fig.  13.  Le  n»  12,  orné  de  jolies  rayures  celtiques, 

'  N'y  aurait-il  pas  de  l'analogie  entre  cette  bague  et  l'anneau  trouvé  à 
Hochberg,  près  de  Soleure,  en  18li,  et  publié  soit  par  M.  Mommsen  dans 
ses  inscriptions  lielvétiques,  soit  en  premier  lieu  par  M.Ferd.  Keller,  dans  le 
tome  III  des  Mémoires  de  la  Société  des  Anti(juaires  de  Zurich,  [»age  47.  Elle 
a  été  trouvée  avec  la  fibule  dont  nous  avons  rapporté  la  description,  et  qui 
avait  une  si  grande  analogie  avec  les  nôtres. 

M.  Bordier,  dans  un  article  récent  (Revue  archéolor/igue,  Paris  1855,  G™»  li- 
vraison, page  350),  a  donné  sur  l'inscription  que  présente  cette  bague,  des 
détails  très-intéressants ,  suivant  lui  on  y  lirait,  UENATI  ,  AMET  ARMA. 
MM.  Mommsen  et  Keller  ne  lisent  que  RENATI. 


93 

est  en  outre  percé  d'un  trou  auquel  venait  je  pense  s'attacher 
une  chaîne. 

Quelques  personnes  avaient  cru  voir  un  briquet  dans  le  double 
crochet  en  fer  que  j  ai  publié,  pi.  III,  fîg.  3,  dans  ma  pn'-cédente 
notice.  J'en  ai  trouvé  un*  qui  fera  mieux  voir  les  différences 
qui  existent  entre  ces  deux  objets. 

Le  briquet  a  une  épaisseur  de  0"',004,  tandis  que  le  double 
crochet  s'amincit  et  n'a  que  0,002.  Le  second,  en  outre,  était 
placé  près  de  la  clavicule,  le  premier  au  contraire  était  près  de 
la  main  droile,  en  partie  sur  le  fémur. 

Une  épingle  à  cheveux  en  bronze,  pi.  IV,  fig.  9.  S'il  a  pu  s'é- 
lever quelques  doutes  sur  celle  dont  j'ai  déjà  parlé ,  il  ne  peut 
en  être  ainsi  pour  ce'le-ci,  trouvée  sur  la  tête,  et  dont  l'oxydation 
a  retenu  quelques-uns  des  cheveux  dans  lesquels  elle  avait  sé- 
journé. 

Un  bracelet  en  bronze,  pi.  IV,  fig.  6,  et  un  fragment  de  vase, 
pi.  IV,  fig.  5.  Un  disque  en  bronze  doré,  dont  je  ne  connais  pas 
l'usage ,  mais  dont  on  a  signalé  plusieurs  exemplaires,  pi.  III, 
fig.  6.  Trois  petites  boucles,  deux  en  bronze,  pi.  III,  fig.  17  et 
18,  l'autre  en  fer,  pi.  IV,  fig.  7,  qui  ont  été  trouvées  près  du 
genou.  L'une  d'elles,  la  fig.  18,  était  encore  adhérente  au  tibia, 
qu'elle  avait  coloré  du  plus  beau  vert.  Elles  devaient  évidemment 
servir  à  retenir  une  espèce  de  chaussure. 

Je  n'ai  trouve  que  trois  grands  couteaux  et  un  petit. 

Enfin  je  terminerai  cette  énumération  en  indiquant  deux 
agrafes  de  ceinturons  en  bronze,  l'un  uni,  pi.  III,  fig.  20,  et  l'autre 
orné  d'entrelacs,  fig.  19,  et  plus  de  30  agrafes  en  fer,  dont  le 
tiers  au  moins  préseme  des  plaqués  d'argent. 

Il  me  reste  à  parler  d'un  fait  qui  ne  s'est  présenté  jusqu'ici 
que  dans  un  cimetière,  je  veux  parler  des  coquilles  ou  pseudo- 
coquilles trouvées  sur  des  plaques  de  ceinturons. 

Dans  le  congrès  scientifique  tenu  à  Dijon  au  mois  d'août 

*  Par  erreur,  au  lieu  de  copier  la  pièce  nouvelle  que  j'avais  trouvée,  j'ai 
recopié  celle  que  j'avais  déjà  publiée. 


94 

1855-,  je  présentai  des  plaques  de  ceinturons  en  fer  incrustés 
d'argent,  trouvés  dans  le  cimetière  de  la  Balme. 

A  la  surface  de  ces  plaques  se  voient  des  rugosités  ayant  l'ap- 
parence de  coquilles.  Je  les  présentai  en  effet  comme  des  co- 
quillages marins,  suivant  en  cela  l'avis  de  plusieurs  naturalistes, 
et  je  soumis  à  l'assemblée  une  série  de  questions  que  la  pré- 
sence de  ces  objets  dans  des  tombeaux  faisait  naître. 

M.  Nodot,  conservateur  du  cabineld'Iiistoire  naturelle  de  Dijon, 
fut  invité  par  le  président  à  donner  son  avis  sur  ces  objets.  Se 
rendant  à  cette  demande  «  il  examina  ces  apparences  de  coquil- 
le lages,  doni  l'oxyde  de  fer  aurait  remplacé  la  matière  primitive 
«  par  suite  d'un  travail  naturel  opéré  par  le  temps  dans  certaines 
«  circonstances.  Il  n'y  vit  aucun  des  caractères  qui  constituent 
a  les  corps  organisés.  L'absence  de  cbarnières,  le  manque  d'im- 
«  pression  musculaire  et  la  diversié  des  formes  qu'il  remarqua 
«  dans  les  écbantillons  soumis  à  son  examen  lui  firent  penser 
«  que  ces  objets,  qui  présentent  il  est  vrai  la  forme  de  coquil- 
«  lages,  ne  sont  que  des  boursonffîures  de  fer  sulfuré.  C'est  un 
«  jeu  du  hasard  produit  par  l'oxydation  du  fer.  Il  remarqua  bien 
«  parmi  ces  écbantillons  quelques  concrétions  calcaires  dans 
«  lesquelles  on  pourrait  peut-être  apercevoir  quelques  traces 
«  de  charnières,  mais  ces  boursouflïures  n'ont  pas,  suivant  lui, 
«  la  forme  ni  le  caractère  de  la  coquille  '.  » 

Ne  m'élant  pas  occupé  de  conchyliologie,  je  ne  pouvais  ré- 
pondre aux  objections  soulevées  par  M.  Nodot,  mais,  suivant  en 
cela  le  vœu  émis  par  ce  naturaliste,  je  promis  de  présenter  les 
pièces  à  plusieurs  savants  versés  dans  celte  partie,  pour  tâeher 
de  faire  cesser  l'incertiiude  dans  laquelle  nous  nous  trouvions. 

Je  vins  à  Paris  au  mois  d'octobre,  et  dès  le  mois  suivant  je  me 
mis  à  l'œuvre;  voici  quels  furent  les  résultats  de  mes  recherches. 

M.  Moquin-Taudon  de  l'Institut,  professeur  d'histoire  nalu- 

*  Journal  de  la  Côle-d'Or,  du  22  août  i85i.  —  Compte  rendu  du  congrès 
scientifique  de  Dijon,  séance  du  15  août  1854. 


95 

relie  à  la  Faculté  de  médecine  de  Paris,  après  un  examen  attentif 
jugea  que  celaient  des  coquilles  marines. 

M.  Desliaves,  et  M.  Alcide  d'Orbigny,  professeur  de  paléonto- 
logie au  Muséum  d'histoire  naturelle,  ne  furent  pas  de  cette  opi- 
nion et  ne  virent  qu'une  forme  d'oxyde  de  fer. 

D  un  autre  côté  M.  Valenciennes,  de  l'Institut,  professeur  de 
conchvliologieau  Muséum  dliistoire  naturelle,  se  rangea  à  l'avis 
de  M.  Moquin-Tandon.  Il  eut  de  plus  l'exirême  obligeance  de 
les  montrer  pour  moi  à  M.  Dufresnoy,  de  l'Académie  des  sciences, 
professeur  de  minéralogie  au  Muséum  d'histoire  naturelle;  h 
M.  Bayle,  professeur  de  paléontologie  à  l'école  des  mines,  et  à 
M.  Senarmonl,  de  l'Académie  des  sciences,  professeur  de  géologie 
à  l'École  des  mines,  qui  lous  reconnurent  l'existence  de  coquilles. 

M.  Rousseau,  aide-natura'iste  au  Muséum  d'histoire  naturelle, 
qui  avait  précédemment  examiné  ces  plaques  de  ceinturons  et  y 
avait  vu  des  coquilles,  persista  dans  son  opinion. 

Enfin  M.  Gervais,  professeur  d'histoire  naturelle  à  la  Faculté 
des  sciences  de  Monlpe'ilier  se  joignit  à  leur  avis,  et  dans  l'exa- 
men qu'il  fil  de  ces  objets  il  découvrit  sur  une  plaque  trouvée 
au  mois  de  septembre  185i  une  coquille  uuivalve  qui,  jusqu'alors, 
n'avait  pas  été  remarquée,  et  cju'il  pensa  être  une  espèce  vivant 
dans  des  marais  salants.  Tous  les  naturalistes  s'accordèrent  pour 
reconnaître  que  c'était  une  coquille,  mais  ils  différèrent  d'opi- 
nion quant  au  genre  dans  laquelle  on  doit  la  classer. 

Quelques-uns  la  placènnt  dans  le  genre  Bulimus  ',  mais  après 
un  exannn  attentif  la  majorité  d'entre  eux  se  rallièrent  à  l'opi- 
nion qui  la  plaçait  dans  le  genre  Eulima.  Elle  serait  voisine  de 
l'Eulima  ^iaberrima^ 

M.  Pictet  de  la  Rive,  professeur  de  paléontologie  et  d'anato- 
mie  comparée  a  lAcadéniie  de  Genève,  pense  que  c'est  une  Ce- 

'  Elle  se  rapprochait,  suivant  eux,  du  Bulimus  acicula  de  Bruguière  (Acha- 
tina  acicula  Lam). 

*  Eulima  glaberrima.  Risso,  Faune  de  l'Europe  méridionale,  tome  IV; 
p.  124. 


96 

rite,  et  cela  à  cause  de  quelques  ponciuations  qui  se  trouvent  près 
de  la  bouche,  orifice  qui  également  n'est  pas  parfaitement  ovale.  Il 
croit  du  reste  que  cette  pièce  n'est  pas  dans  un  état  de  conserva- 
tion assez  parfait  pour  qu'il  soit  possible  de  la  déterminer  exac- 
tement. 

En  présence  de  ces  opinions  opposées,  émises  par  des  savants 
distingués,  j'étais  assez  embarrassé;  je  voulus  avoir  l'avis  d'un 
chimiste  et  je  consultai  M.  Dumas  de  l'Institut.  Il  eut  l'extrême 
complaisance  de  vouloir  bien  me  prêter  son  concours.  Pour  lui, 
il  croit  que  ce  sont  des  coquilles,  et  il  repousse  l'idée  d'une 
forme  d'oxyde  de  fer  non  encore  décrite,  néanmoins  il  se  propose 
de  les  étudier  d'une  manière  plus  approfondie. 

M.  Marignac,  professeur  de  chimie  à  l'Académie  de  Genève, 
avait  eu  précédemment  l'obligeance  d'en  faire  l'analyse ,  mais 
n'ayant  pas  trouvé  de  traces  de  phosphates,  il  n'a  pas  cru  pouvoir 
considérer  ces  objets  comme  étant  des  coquilles.  M.  Dumas  ne 
pense  pas  que  ce  soit  une  preuve  suffisante.  Il  a  déposé  à  l'école 
polytechnique  une  faucille,  trouvée  dans  le  lit  de  la  Seine,  sur 
laquelle  était  un  grand  nombre  de  coquilles  bien  caractérisées 
qui  étaient  complètement  transformées  en  oxyde  de  fer. 

Bien  d'autres  objets,  et  en  particulier  plusieurs  espèces  de 
tissus  ayant  servi  comme  vêtements,  nous  ont  été  ainsi  conservés. 
Que'ques-uns  même  présentent  la  cassure  métallique  ne  ren- 
fermant aucune  trace  de  leur  organisation  primitive. 

La  découverte  de  M.  Gervais  et  l'opinion  de  M.  Dumas  sont 
d'un  grand  poids  en  faveur  de  l't^xistence  des  coquilles,  car  d'un 
côté  nous  avons  une  coquille,  reconnue  comme  telle  par  tout  le 
monde,  qui  est  passée  au  même  état  ferrugineux  que  les  coquilles 
ou  pseudocoquillessur  lesquelles  portent  la  discussion;  et  d'un 
autre  côté,  si  ce  ne  sont  pas  des  coquilles,  ce  sont  des  produits 
de  l'oxydation  du  fer,  ce  que  M.  Dumas  ne  pense  pas  pouvoir 
admettre,  et  certes  on  ne  pourrait  trouver  une  autorité  plus  com- 
pétente. 

Plusieurs  faits  d'une  tout  autre  nature  viennent  encore  cor- 
roborer cette  opinion. 


1)7 

Je  signalerai  d'abord  la  place  qu'occiipaionl  ces  plaques  de 
ceinturons  dans  le  tombeau. 

Toujours  celles  qui  sont  en  fer  sont  placées  sur  les  os  du 
bassin  perpendiculairement  a  l'axe  du  corps ,  je  ne  sache  pas 
que  l'on  ait  jamais  mentionné  une  autre  position,  qui  du  reste 
est  parfaitement  naturelle. 

Or,  sur  les  six  plaques  présentant  des  coquilles,  quatre  étaient, 
lors  de  l'ouverture  de  la  tombe,  placées  sous  le  crâne,  et  deux 
étaient  près  de  la  main  gauche  h  côté  du  fémur. 

Ces  plaques  n'avaient  donc  pas  été  placées  comme  faisant 
partie  des  vêtements  du  mort;  mais  comme  une  espèce  d'of- 
frande qu'on  lui  faisait,  ou  comme  objet  lui  ayant  appartenu,  et 
auquel  il  mettait  du  prix. 

En  second  lieu,  sur  les  six  tombes  dans  lesquelles  elles  ont|^ 
été  trouvées,  une  seule  était  vide  et  les  cinq  autres  étaient  rem- 
plies de  terre,  sans  que  (sauf  pour  une  d'elles)  on  puisse  l'attri- 
buer à  un  défaut  de  construction.  J'ai  du  reste  déjà  mentionné 
cette  particularité  ^ 

A  mon  retour  à  Genève  j'ai  examiné  avec  le  plus  grand  soin 
le  sol  qui  environne  les  tombeaux  et  la  terre  qu'ils  contenaient, 
jamais  je  n'y  ai  trouvé  la  moindre  apparence  de  coquilles. 

Je  demanderai,  d'un  autre  côté,  aux  personnes  qui  voient  là  une 
oxydation  du  fer,  comment  il  se  ferait  que  sur  le  nombre  immense 
de  p!a(iues  de  ceinturons  qui  ont  été  retrouvées  en  Suisse,  en 
Allemagne,  en  Angleterre  et  en  France,  cette  forme  d'oxyde  ne 
se  fût  développée  que  sur  six  d'entre  elles.  Les  autres  peuvent 
être  oxydées,  présenter  des  boursoufïlures,  ce  n'est  pas  très-rare, 
mais  elles  ne  ressemblent  en  aucune  manière  aux  objets  en  li- 
tige^. Je  donne  le  dessin  de  trois  d'entre  elles,  pi.  IV,  fig.  1, 

*  Notice  sur  d'anciens  cimetières,  etc.  Page  3. 

*  Extrait  des  procès-verbaux  du  congrès  des  délégués  des  sociétés  savantes,, 
séance  du  21  mars  i85o.  —  «  Après  le  rapport  de  M.  Gosse,  M.  de  Caumont 
c  prie  M.  le  président  de  vouloir  bien  donner  son  opinion  sur  ces  faits  qu'il 
«  a  étudiés.  Pour  élucider  les  (juestions  qu'on  vient  de  poser,  M.  Valenciennes 

Tome  XI.  7 


98 

1  bis,  2  et  3.  La  coquille  fig.  1  est  prise  exléiieurement,  la 
fig.  1  bis  représente  les  deux  valves  prises  intérieuremeut. 

Enfin  j'ajouterai  la  circons'ance  très-curieuse  de  la  décou- 
verte faite  celte  année  dans  un  tombeau  de  la  Balm.e  d'une  co- 
quille marine,  c'est  la  Janira  maxima  (Pecten  maximus  Lin. 
Lam.)  Elle  présenie  près  de  la  charnière  deux  trous,  qui  ont  dû 
être  praiiqués  pour  pouvoir  la  suspendre,  pi.  lY,  fig.  4.  Elle  est 
du  reste,  quant  à  sa  composition,  «lans  un  étu  à  peu  près  normal. 
Cependant  on  remarijue  qu'elle  est  d'une  grande  friabilité. 

Ce  fait  de  la  découverte  d'une  coquille  marine  dans  une  sé- 
pulture n'est  pas  un  fait  unique  en  Su'sse  ;meliant  a  part  les 
C0({uilles  en  litige).  M.  Keller  en  a  trouvé  une  non  loin  de  Zurich. 
Voici  ce  qu'il  dit  à  cet  égard  dans  le  premier  vol.  des  Mém.  de 
la  Soc.  des  antiquaires  de  Zurich^  1841,  page  29; 

AusorabunG;en  auf  dem  Enîibùchel  beim  Balçfrist  unweit 
Zurich. 

«  Der  Kôrper  6  schien  ein  weibliches  Gerippe  zu  sein , 
«  der  Ropf  auf  einem  Stein  ruhend,  am  Halse  Rorallen,  in  der 
«  Bruslgegend  eine  Meermuschel  Cijprea  ligris ,  ans  dem  m- 
«  dischen  Océan.,  die  an  zwei  Stellen  durchbolirt  war,  und 
«  wahrscheinlicli  als  Schmuck  gedient  batte.  Ferner  in  einer 
<(  bronzenen  Siliale  liegend  ein  Stiick  Eliénbein,  dessen  Ge- 
«  brauch  uns  ralliselbait  ist  ^  » 

«  répond  que  les  corps  placés  sur  les  agrafes  de  ceinturons  sont  des  co- 
«■>  quilles  chnagées  en  fer  hydraté. 

«  On  peut  donc  expliquer  parfaitement  les  doutes  émis  par  quelques-unes 
*  des  personnes  qui  les  ont  examinées.  En  somme,  il  est  évident  que  l'on 
«  s'est  généialement  rangé  h  l'opinion  qu'il  avait  précédemment  émise. 

«  Ces  coquilles  sont  curieuses  en  ce  qu'elles  sont  essentiellement  marines, 
«  elles  peuvent  servir  à  des  discussions  archéologiques,  puisqu'il  est  très- 
«  probable  qu'elles  ont  été  mises  dans  des  tombes  en  hommage  à  quelque 
«  voyageur  défunt.  Elles  ne  sont  pas  du  tout  du  ressort  de  la  géologie.  En 
'/  résumé,  ces  corps  ne  peuvent  être  autre  chose  que  des  coquilles  marines, 
«.  les  unes  bivalves,  du  genre  huîlre,  et  l'autre  un  gasléropode  marin  du 
,  genre  Eulime.  » 

(')  «  Le  squelette  6  paraît  avoir  été  celui  d'une  femme,  la  tête  reposait 

sur  une  pierre,  à  son  cou  étaient  des  morceaux  de  corail,  et  près  de  sa  poi- 


99 

Après  les  détails  qui  précè('en',  je  pense  pouvoir  résumer  en 
quelques  lignes  les  idées  que  j'avais  soumises  au  congrès  scien- 
tifique de  Dijon. 

Comment  expliquerla  présence  de  ces  coquilles,  si  l'on  n'admet 
pas  que  ces  agrafes  ont  été  plongées  dans  l'eau  de  mer  ?  y  ont 
séjourné  un  certain  temps?  en  ont  été  letirées  et  portées  dans 
l'intérieur  des  terres?  pour,  en  dernier  lien,  être  déposées  dans 
des  tombeaux?  Telles  sont  les  questions  curieuses  qui,  je  crois, 
devront  occuper  les  personnes  qui  s'intéressent  aux  sépultures 
de  l'époque  mérovingienne,  mais  je  laisserai  à  de  plus  érudits 
que  moi  le  soin  de  les  résoudre. 

6  trine  se  trouvait  une  coquille  marine  de  l'océan  Indien,  la  Cyprea  Tii/ris. 
«  Elle  est  pprcée  à  deux  endroits  et  il  est  probable  qu  elle  avait  servi  d'or- 
«  nement.  Un  peu  plus  loin  daas  une  enveloppe  de  bronze  était  un  morceau 
«  d'ivoire  dont  nous  ne  connaissons  pas  l'usage.  » 


EXPLICATION  DES  PLANCHES 


PLANCHE  I.  Denn-(/rand€ur  naturelle. 

Plusieurs  personnes  m'ayant  témoigné  le  regret  de  ne  pas  avoir  un  dessin 
des  crânes  dont  jai  purlé,  pages  7  et  8  dans  ma  première  notice,  je  joins 
ici  un  croquis  qui  les  r.-présenle. 

Figure  1.  Crâne  trouvé  à  Villy,  [  rès  Régnier. 

y>       2.  Crâne   irouvé   à    liel-Aj',   prés  Cheseaux ,  d'après  un  dessin  de 
M.  Troyon. 


100 


PLANCHE  II.  Grandeur  naturelle. 

Figure  1.  Plaque  de  ceinturon  en  bronze,  trouvée  à  la  Balme. 

5      2,  3,  i,  5.  Plaques  de  ceinturon  en  bronze,  collection  de  M™«  Le 

Fèvre. 
3       6.  Plaque  de  ceinturon  en  bronze,  Musée  de  Genève. 
i      7.  id.  collection  de  M»"  Le  Fèvre. 

PLANCHE  IH.  Grandeur  naturelle.  Trouvé  à  la  Balme. 

Figure  1,  2.  Agrafes  de  ceinturon  en  alliage  cuivre  et  plomb. 
j>      3.  id.  en  bronze. 

>  4,  5.  Fibules  cuivre  et  or. 

>  6.  Rondelle  de  cuivre  doré. 

î  7.  Bague  en  bronze  avec  Monogramme  mérovingien. 

»  8.  Baçue  en  bronze  avec  chaton  en  verre  bleu. 

>  9.  id.  en  verre  vert. 
î  10,  11.  Bague  en  bronze. 

K       12,  14-,  15.  Doubles  crochets  en  bronze. 

>  13.  Double  crochot  en  fer. 

>  16.  Grain  de  collier  en  verre  jaunâtre. 

3  17,  18.  Bouclettes  de  ceinturon  on  bronze. 

»  19,  2  '.  Plaques  de  ceinturons  en  bronze. 

>  21,  22.  Cliaines  en  bronze. 
»  23.  Style  en  bronze. 

PLANCHE  IV.  Grandeur  natureile,  sauf  la  figure  S. 

Figure  1,  2,  3.  Coquilles  on  pseudo-coquilles  trouvées  sur  des  ceinturons. 
»       1  bis.  Les  deux  valves  de  la  ligure  1  vues  iulérieuremeat. 

>  4.  Janira  Maxima.  Coquilles  des  mers  d'Europe. 
»       5.  Fragments  de  poteiie  grisâtre. 

»       6.  Bracelet  en  bronze. 

i       7.  Agrafe  en  fer. 

j>       8.  Do  d)le  croohet  dv^h  publié  et  dessiné  par  erreur. 

y       9.  Epingle  à  cheveux. 

j>  10.  Chaîne  en  fer. 


-=»^DO'< 


EDOUARD  MALLET 


AliTiOCUTIO:^ 

A    LA 

SOCIÉTÉ  D'HISTOIRE  ET  D'ARCHÉOLOGIE 

Le  iZ  juin  t856. 

Par  M.  le  D^  J.-J.  CHAPOiNNIÈRE,  Président. 


Encore  une  pierre  qui  tombe,  Messieurs,  de  la  base  de  1  édi- 
fice que  nous  cherchons  à  élever  el  à  soutenir.  Naguère  c'était 
le  magistrat  distingué',  qui,  après  sa  carrière  politiq  le  et  ad- 
ministrative, nous  avait  voué  son  concours,  soit  par  sa  direction 
éclairée,  soit  par  son  active  coopération.  Maintenant  c'est  un 
de  nos  fondateurs,  celui  qui  nous  avait  offert  sa  collaboration 
sous  toutes  les  formes,  tantôt  comme  président  et  vice-président, 
en  dernier  lieu  comme  secrétaire,  toujours  comme  le  plus  ar- 
<ient  ouvrier  de  notre  tâche,  ne  nous  refusant  jamais  ni  l'appui 
de  ses  recherches,  ni  le  secours  de  sa  plume.  Personne  plus  que 
moi,  son  contemporain,  son  ancien  ami  ne  peut  lui  rendre  cette 
justice.  Combien  de  fois  ne  nous  sommes -nous  pas  entretenus 
ensemble  des  phases  diverses  de  l'existence  de  notre  R  publi- 
que, des  travaux  à  entrejjrendre  sur  son  histoire,  heureux  l'un 

*  M.  l'ancien  syndic  Cramer. 


102 

et  l'autre  de  nous  distraire  par  l'étude  du  passé  des  préoccu- 
palions  actuelles;  nous  marcliions  pour  l'investigation  de  nos 
temps  anciens,  dans  la  même  voie  où  je  ne  le  suivais  que  de 
loin. 

Appartenant  à  une  familie  qui  comptait  parmi  ses  membres 
(je  ne  cite  pas  ceux  qui  sont  vi\ants)  Paul-Henri  Mallet,  l'au- 
teur de  l'Histoire  du  Danemark  et  de  1  Histoire  des  Sui.Nses, 
le  célèbre  publiciste  Malkt-DuPan  et  plusieurs  antres  personnes 
connues  par  leurs  productions  de  divers  genres,  Edouard  Mallet 
naquit  à  Fcrney  le  2  décembre  1805.  Il  fit  de  brillantes  études 
au  collège  de  Genève  et  en  sortit  dans  l'année  1819,  en  ré- 
citant une  harangue  dans  le  temple  de  Sl-Pierre,  comme  c'était 
alors  l'usage  aux  promotions. 

Neuf  ans  plus  tard,  en  présentant  une  dissertation  sur  Tusu- 
fruit  paternel,  il  fui  reçu  docteur  en  droit  et  exerça  immédiate- 
ment la  carrière  d'avocat  auprès  des  tribunaux  de  Genève.  Son 
activité  d'esprit  n'était  point  restreinte  aux  travaux  juridiques; 
de  bonne  heure  il  manifesta  du  goût  pour  1  "étude  de  l'iiistoire 
naturelle  et  de  la  sta:istique.  Il  avait  entrepris  des  collections  de 
divers  coquillages  et  eut  des  rapports  soutenus  avec  M.  de  Char- 
pentier de  Bex.  Nous  le  voyons  entrer  en  1 829  dans  la  Société 
Helvétique  des  sciences  naturelles,  en  1833  dans  la  Société  de 
physique  et  d'histoire  naturelle  de  Genève,  en  183G  dans  la 
Sociélé  de  statistique  de  Marseille,  en  1838  dans  la  Société  de 
statistique  de  Dresde,  en  1839  dans  la  Sociélé  des  sciences  na- 
turelles et  médicales  de  la  même  ville;  en  1840  il  fut  nommé 
membre  étranger  de  la  Société  de  statistique  de  Londres.  Parmi 
les  travaux  présentés  à  la  Sociélé  de  physique  de  Genève  ou  doit 
menlionner  au  premier  rang  ses  Recherches  hisioriques  et  slalàti- 
ques  sur  la  population  de  Genève,  son  mouvement  annuel  et  sa 
longévité,  ouvrage  dont  le  mérite  fut  promplement  ajtprécié  en 
dehors  môme  de  notre  canton.  D'autres  mémoires  sur  des  sujets 
analogues  ont  été  insérés  dans  la  Bibliothèque  universelle  ou  sont 
encore  inédits.  Lorsque,  plus  lard,  l'attention  d'Edouard  Mallet 


103 

fut  essentiellement  dirigée  sur  les  études  historiques  il  n'aban- 
donna point  tout  à  fait  les  investigations  statistiques  si  propres 
à  porter  une  vive  lumière  sur  les  phases  successives  d  une  so- 
ciété. Ces  deux  ordres  de  recherches  se  trouvent  couibinés 
dans  deux  récentes  publications  de  notre  regrelié  collègue,  le 
«  Mémoire  sur  le  recrutement  de  la  population  genevoise.  »  et 
le  «  Coup  (l'œil  historique  et  descriptif  sur  le  canton  de  Genève, 
faisant  partie  de  la  Suisse  pittoresque,  »  dont  il  nous  lut  en  dé- 
cembre 1855  la  partie  la  plus  importante.  Je  ne  nomme  pas 
tous  ses  mémoires,  je  n'en  reproduis  pas  tous  les  titres;  ces 
renseignements  seront  renvoyés  à  l'appendice  bibliographique 
complet  qui  se  trouvera  à  la  fin  de  cette  notice. 

Il  fut  élu  membre  du  Conseil  représentatif  en  1836;  l'acti- 
vité de  son  esprit,  sa  facilité  de  rédaction,  la  clarté  de  ses  idées 
rinlroduisirent  dans  un  grand  nombre  de  commissions  et  il 
fut  rapporîeiir  de  plusieurs  lois  importantes.  A  la  même  époque, 
il  coopéra  avec  MM.  Odier  et  Schaub  à  une  seconde  édition 
de  la  loi  sur  la  procédure  civile  de  Bellot  (Genève  1837)  et 
c'est  à  lui  que  sont  dus  les  fragments  de  statistique  jutliciaire 
et  les  arrêts  des  tribunaux  genevois  qui  complètent  ce  recueil. 
Meniioimons  aussi  la  colle  tion  qu  il  entreprit  dès  s^i  jeuiiesse 
des  édits,  votes  et  actes  du  Conseil  général  de  Genève,  des  traités 
que  ce  Conseil  accepta  et  même  des  projets  de  loi  ou  d'édits 
qu'il  refusa,  en  un  mol  de  tout  ce  qui  formait  sous  l'ancienne 
République  ce  qu'on  pouvait  appeler  les  décisions  du  souve- 
rain. Cette  collection  représente  l'histoire  de  la  législation  à 
Genève  et  même  l'histoire  politique.  Il  y  a  réuni  375  pièces 
imprimées,  les  a  coordonnées  dans  un  ordre  chronologique; 
à  la  suite  de  chacune  se  trouvent  les  mentions  de  l'adoption  ou  de 
la  réjection,  le  nombre  de  voix  pour  ou  contre,  et  les  principaux 
événements  qui  ont  précédé,  accompagné  ou  suivi  le  fait  auquel 
se  rapporte  l'édit  ou  la  loi.  Ce  recueil  comprend  6  v.  in-8. 

Ce  fut  en  1 837  qu'il  devint  juge  au  tribunal  civil  et  correc- 
tionnel. Qu  on  me  permette  de  citer  l'appréciation  que  fait  un 


104 

de  ses  collègues  *  de  la  manière  dont  il  remplit  sa  tâche.  «  Mallet 
apportait  dans  ses  fonctions  judiciaires,  outre  des  connais- 
sances étendues  et  solides  en  législation,  l'expérience  des  af- 
faires qu'il  avait  acquise  par  plusieurs  années  d'exercice  au 
barreau:  également  familier  avec  le  point  de  vue  théorique 
et  le  côté  pratique  des  causes  qui  se  débattaient  devant 
lui,  il  saisissait  très-prompteraent  les  questions  qu'elles  sou- 
levaient, et  il  apportait  toujours  de  vives  lumières  dans 
leur  discussion  :  il  avait  en  général  une  opinion  prononcée 
qu'il  exprimait  avec  clarté  et  qu'il  avait  le  don  de  formuler 
par  écrit  avec  une  rare  facilité;  ses  rédactions  étaient  remar- 
quables par  leur  lucidité  et  par  la  promptitude  avec  la- 
quelle il  les  achevait.  Il  aimait  le  travail  ;  il  était  toujours 
disposé  à  en  prendre  la  plus  forte  partie,  et  nul  n'était  aussi 
exact  que  lui  à  le  terminer  pour  le  moment  qui  avait  été 
fixé.  Il  voyait  toujours  avec  peine  les  procès  traîner  en 
longueur;  il  luttait  autant  qu'il  le  pouvait  contre  les  délais 
et  il  n'en  demandait  jamais  pour  lui,  à  moins  que  la  con- 
science scrupuleuse  qu'il  apportait  à  l'examen  des  affaires  ne 
lui  fît  sentir  le  besoin  d'un  examen  plus  approfondi.  Ceux 
qui,  pendant  la  durée  de  sa  carrière  judiciaire,  ont  été  associés 
à  ses  travaux,  qui,  dans  des  rapports  de  tous  les  jours,  avaient 
pu  apprécier  les  qualités  aimables  qui  le  distinguaient,  son 
obligeance,  son  abnégation  de  lui-même,  l'égalité  parfaite  de 
son  caractère,  lui  avaient  voué  une  affection  sincère,  et  plus 
que  d'autres  ils  partagent  les  vifs  regrets  que  sa  perte  pré- 
maturée fait  éprouver  à  tous  ceux  qui  l'ont  connu.  » 
Mallet  resta  juge  jusqu'en  1 848  et  reprit  alors  sa  carrière  d'a- 
vocat. En  raison  de  sa  spécialité  et  de  ses  travaux,  il  avait  été 
nommé  membre  de  la  Société  économique  (sous  la  constitution 
de  1842  et  jusqu'à  linstallation  de  la  Commission  communale, 
créée  sous  la  constitution  de  1847);  il  avait  fait  aussi  partie  de 

'  M.  Charles  Sarasin,  ancien  Vice-Piésident  du  Tril)unal  civil.  ; 


105 

la  Commission  des  Archives  (1836-46)  et  de  la  Direction  de 
la  B  bliothèqne  publique  (1  843-47). 

Mais  ce  qu'il  nous  importe  le  plus  de  connaître  et  d'appré- 
cier c'est  le  rôli'  si  essentiel  qu'il  a  soutenu  dans  notre  Société, 
dont  il  fut  un  des  fondateurs  et  un  des  plus  fermes  appuis; 
permettez-moi  de  le  dire,  Messieurs,  le  plus  fcruie  appui.  De 
bonne  heure  il  fut  nommé  vice-président  et  membre  du  Comiîé 
de  public  ation. 

Dès  le  premier  volume  il  fit  pressentir  ce  qu'on  pouvait  at- 
tendre de  lui.  Il  y  débute  par  une  no!  ce  sur  de  prétendus  évo- 
ques genevois;  (  nsuile  il  raconte  avec  beaucoup  d'impartialité 
le  conflit  qui  s  éleva  en  1667,  entre  le  Petit  Conseil  et  le  Con- 
seil des  Deux-Cents,  au  sujet  de  l'auditeur  Sarasin  ;  puis  dans 
la  préface  d.  s  Documenta,  il  développe  d'une  manière  claire, 
élevée,  les  principes  sur  lesquels  l'histoiie  d'un  pays  doit 
se  fonder,  et  il  en  off're  un  précieux  modèle  en  publiant  les 
actes  qu'il  accompagne  de  commentaires  et  de  notes.  Ces  diffîé- 
rentes  preuves,  ces  documents  avaient  été  recherchés  avec  sa- 
gacité, recueillis  avec  une  as  iduité  persévérante  de  toutes  pnrts, 
dans  les  archives  de  Genève  d'abord,  puis  dans  celles  de  Lau- 
sanne, de  Turin,  de  Chambéry,  d'Annecy,  de  Djon,  etc.;  il  s'é- 
clairait par  de  nombreuses  correspondances  qu'il  entrelenait 
avec  de  savants  archéologues,  avec  dos  historiens  distingués, 
parmi  h  squds  je  citerai  MM.  Cilrario,  Promis,  Ménabréa, 
de  Costa,  Sclopis,  de  Saluées,  de  S.  Thomas,  Zellweger, 
Meyer  de  Knonau,  Wiirstemberger,  de  Wyss ,  de  Miilinen , 
de  Gingins,  Vuliiemin,  Hisely,  de  Chnrrière,  Forel,  Matile,  Da- 
guet,  Maillard  de  Chambure,  Henri  Bordier,  Mittermaier,  etc. 
Outre  l'étude  des  documents  aulhenliques,  il  savaii  pro- 
filer des  ouvrages  modernes  sur  l'histoire  du  moyen  âge,  au 
point  de  vue  juridique  et  économique.  Procédant  par  disser- 
tations sur  des  sujets  au  premier  abord  très-spéci.iux,  mais  les 
examinant  sous  toutes  leurs  faces,  il  faisait  jaillir  la  luuiière  sur 
des  temps,  des  époques  où  l'histoire  du  pays  restait  assez  ob- 


106 

scure,  les  reliant  d'une  manière  logique  avec  l'époque  actuelle  ; 
il  le  prouva  bien  par  le  coup  d'œil  rapide  sur  Genève  qu'il  fit 
paraître  dans  la  Suisse  historique  et  pittoresque. 

Nous  n'insisterons  pas  sur  ses  divers  mémoires  qui  ont  vu 
le  jour,  on  en  retrouvera  le  titre  et  la  date  dans  l'appendice  bi- 
bliographique, mais  Edouard  Mallet  nous  avait  lu  plu.^ieurs  œu- 
vres qu'il  destinait  probablement  à  la  publicité;  je  mentionnerai 
surtout:  l' Inventaire  des  biens  mobiliers  possédés  par  la  ville  en 
1507  ;  des  documents  extraits  des  Comptes  rendus  financiers  des 
Syndics  et  des  receveurs  de  Genève  aux  XIV^  et  XP  siècles  ; 
une  Notice  sur  l'église  de  Marie- Madeleine;  quelques  détails  sur 
le  château  épiscopal  de  Tliiez.  \\  nous  lut  en  1855  le  récit  d'une 
coalition  faite  à  Genève  en  1315  par  les  charpentiers  et  les 
maçons  (petit  mémoire  qui  suit  celte  courte  notice);  et  le  com- 
mencement d'un  mémoire  sur  l'épiscopatde  Pierre  de  Faucigny, 
épiscopat  qui  succédait  à  celui  d'Aymon  du  Quart.  —  Enfin, 
Messieurs,  la  dernière  fois  que  nous  l'entondîmes,  il  nous  fit  un 
rapport  très-substantiel  sur  diverses  publications  historiques 
suisses.  Depuis  1 845 ,  il  faisait  partie  de  la  Société  générale 
suisse  d'histoire. 

Il  avait  déjà  des  relations  historiques  avec  les  Académies 
sardes;  en  1842  il  avait  été  nommé  de  la  Société  royale  aca- 
démique de  Savoie,  en  1 852  membre  correspondant  de  l'Aca- 
démie royale  de  Tuiin.  Il  envoya  dans  cette  capitale,  le  9  octo- 
bre 1855,  un  mémoire  intiiulc:  «Documents  genevois  inédits 
pour  la  généalogie  historique  de  la  maison  de  Savoie.»  Cet  ouvrage 
lui  valut  l'ordre  de  chevalier  des  Saints  Maurice  et  Lazare,  dont  le 
diplôme  lui  fut  envoyé,  le  22  octobre  1855,  par  un  homme  bien 
fait  pour  juger  Ed.  Mallet  à  sa  juste  valeur,  M.  le  ministre  histo- 
rien Cibrario.  Ce  fut  lorsque  ce  mémoire  fut  mis  à  l'impression, 
que  Mallet  fut  atteint  de  la  maladie  qui  nous  l'a  enlevé*.  J'ai  eu 
le  triste  privilège  de  corriger  la  dernière  épreuve  de  la  dernière 
de  ses  œuvres  livrées  à  la  presse. 

«  Ed.  Mallet  est  mort  le  20  mai  t856. 


107 

Certes,  Messieurs,  toutes  ces  publications,  toutes  les  lectures 
qu  il  nous  avait  faites  sont  la  preuve  d'immenses  travaux,  d'une 
infatigahle  activité,  et  cependant  que  d'ouvr.iges  éiaient  encore 
sur  le  chantier,  que  de  matériaux  sont  encore  recueillis,  pres- 
que préparés,  destinés  qu'ds  étaient  a  l'exposition  de  nouvelles 
vues,  à  la  solution  de  nouveaux  problèmes  historiques.  Vous 
n'ignorez  pas,  Messieurs,  que  la  mise  au  jour  des  articles  cu- 
rieux ei  savants  de  Léonard  Baulacre,  épars,  enfouis,  et  presque 
perdus  dans  plusieurs  journaux  littéraires  et  scientifiques  du  siè- 
cle dernier,  lui  avait  été  confiée;  que  ces  articles,  ces  disserta- 
tions devaient  être  suivis  de  notes,  d'explications  qui  les  au- 
raient mis  a  la  hauteur  des  connaissances  actuelles,  précédés 
d'une  biographie  qu'il  devait  nous  lire  dans  une  séance  bien 
rapprochée  du  funeste  moment  où  il  se  coucha  pour  ne  plus  se 
relever.  Mais,  Messieurs,  ce  qu'ont  pu  voir,  examiner,  les  mem- 
bres de  la  Société  qui  ont  été  a  même  de  parcourir  quelques- 
uns  des  portefeu  lies  qui  contiennent  les  innombrables  recher- 
ches de  noire  regretté  collègue,  leur  a  bien  démontré  combien 
ont  perdu  ceux  qui  se  livrent  à  l'étude  de  Thisloire  de  Genève, 
combien  auraient  ser\i  à  la  connaissance  de  notre  passé  les 
profondes  investigations  de  celui  qu'on  ne  rempl:icera  pas;  et 
combien,  entre  autres,  il  serait  utile  de  mettre  au  jour  sous  son 
nom,  ce  précieux  cartulaire  genevois  base  de  notre  histoire, 
et  de  réaliser  ainsi  les  souhaits  exprimés  par  les  hommes  les 
plus  compétents. 

Faisons  des  vœux,  Messieurs,  pour  que  nos  confrères,  loin 
de  s'abattre  par  les  coups  qui  les  frappent,  soient  excités  par  le 
bel  exemple  qui  doit  les  diriger  et  soutenus  par  les  inestimables 
travaux  de  celui  que  nous  ne  verrons  plus  au  milieu  de  nous. 


108 


APPENDICE  BIBLIOGRAPHIQUE 


Nous  ne  pensons  pouvoir  mieux  faire  connaître  l'activité  d'Ed.  Mallet 
et  l'étendue  de  ses  connaissances  qu'en  dressant  la  liste  des  divers  écrits 
et  mémoires  dont  il  est  l'auteur. 

I.  —  JisriispfirudieMCc. 

Dissertation  sur  l'usufruit  paternel  pour  obtenir  le  grade  de  Docteur  en 
Droit.  Genève  1828. 

Loi  sur  la  procédure  civile  du  canton  de  Genève,  suivie  de  l'Exposé  des 
motifs,  par  feu  P.-Fr.  Bellot,  professeur  de  droit,  ^2"""  édition,  compre- 
nant la  jurisprudence  de  la  Cour  de  justice  civile  de  Genève,  et  des  ta- 
bleaux de  statistique  judiciaire  jusqu'en  1836,  etc.,  par  MM.  Schaub 
avocat,  P.  Odier,  professeur  de  droit  et  Ed.  Mallet,  docteur  en  droit. 
i  fort  vol.  in-8,  1837. 

II.  —  Mfôpport^  légi^Iatlfii;  et  «dntinigtratife. 

(A)  Co7iseil  Représentatif. 

Rapports  faits  au  nom  des  Commissions  chargées  de  l'examen  des 
objets  ci-après  : 

Révision  des  comptes  du  canton  et  de  la  ville  de  Genève,  pour  l'année 
1835. 

Idem  pour  1836. 

Budgets  du  canton  et  de  la  ville  de  Genève,  pour  l'année  1837. 

Idem  pour  1841. 

Loi  du  8  juin  1838,  sur  les  Contribiitmis  publiques,  à  l'occasion  du 
nouveau  système  monétaire. 

Loi  du  28  décembre  1838,  sur  le  mode  de  recouvrement  des  contri- 
butions directes. 

Loi  du  27  mars  1839,  autorisant  la  perception  d'un  droit  pour  le  pas- 
sage sur  le  pont  en  bois  de  l'Arve. 

Instructions  pour  les  députés  à  la  Diète  ordinaire  de  l'année  1837. 

Idem  pour  1838. 


109 

Loi  du  5  février  1838,  sw'  le  placement  et  la  surveillance  des  aliénés 
{Mémorial,  lO""*  année,  p.  UOJ). 

Loi  du  13  mai  1839  sur  les  Mines  {Mémorial,  12'"<'  année,  p.  57). 

Loi  du  18  septembre  1839,  qui  confère  la  qualité  de  Genevois  au£ 
Suisses  nés  dans  le  canton  {Mémorial,  12™*  année,  p.  377). 

(B)  Société  de  lecture. 

Rapport  sur  l'administration  de  la  Société  de  lecture,  présenté  à  l'As- 
semblée générale,  le  30  janvier  1845,  par  Ed.  Mallet,  président. 
Id.  le  29  janvier  1846,  » 

Id.  le  31  janvier  1849,  » 

Id.  le  31  janvier  1850,  » 

Id.  le  31  janvier  1856,  » 

III. —  Statigtique  et  hiigtoire  Katurelle. 

Recherches  historiques  et  statistiques  sur  la  population  de  Genève,  son 
mouvement  annuel  et  sa  longévité,  depuis  le  XV1«  siècle  jusqu'à  nos  jours 
(1549-1833).  Mémoire  luàla  Société  de  physique  en  1834,  imprimé  par- 
tiellement dans  les  Mémoires  de  la  dite  société,  tome  VU  page  321-392, 
et  en  entier  dans  les  Annales  d'hygiène  publique,  tome  XVII,  1"  partie, 
d'où  il  a  été  extrait  en  un  vol.  in-8,  Paris  1837. 

Mouvement  de  la  population  de  la  ville  de  Genève  pendant  l'année  1 834. 
Lu  à  la  Société  de  physique  et  d'histoire  naturelle  de  Genève,  le  5  février 
1835  {Bibliothèque  universelle,  Sciences  et  Arts,  LVIII,  p.  60). 

Notice  sur  les  anciennes  pestes  de  Genève  ;  lue  à  la  Société  de  phy- 
sique et  d'histoire  naturelle  le  19  mars  1835  {Bibliothèque  universelle. 
Sciences  et  Arts,  LVIII,  p.  57). 

De  la  taille  moyenne  de  l'homme  dans  le  canton  de  Genève  ;  Mémoire 
lu  à  la  Société  de  physique  et  d'histoire  naturelle,  le  17  décembre  1835 
{Bibliothèque  irniverselle.  Littérature  LX,  p.  245). 

Notice  sur  la  population  de  la  Suisse  {Bibliothèque  universelle  de 
Genève,  septembre  1838,  p.  27). 

Compte  rendu  des  Recherches  sur  la  probabilité  des  jugements  en  ma- 
tière civile  et  criminelle,  par  Poisson  {Bibliothèque  universelle  de  Ge- 
nève, juillet  1837,  p.  125). 

De  la  population  de  la  Sicile  {Bibliothèque  tmiverselle  de  Genève,  dé- 
cembre 1842,  p.  241). 

Note  sur  quelques  espèces  d'oiseaux  trouvés  aux  environs  de  Genève 
{Mémoire  de  la  Société  de  physique  et  d'histoire  naturelle  de  Genève, 
VIII,  p.  107-118). 


110 

IV.  —  Histoire  et  Antiquités  de  Sienève. 

(A)  Avant  la  Réformatïon, 

(Travaux  insérés  dans  les  présents  Mémoires  et  Documents.  Les  pre- 
miers volumes  sont  divisés  en  deux  parties,  dont  la  deuxième  est  consacrée 
spécialement  à  la  mise  au  jour  de  documents  inédits  accompagnés  d'in- 
troductions et  de  notes.  Cette  portion  du  recueil  a  été  constamment  due 
aux  soins  de  M.  Ed.  Mallet.) 

Notice  sur  quelques  prétendus  évêques  de  Genève  (l,  p.  229  à  233). 

Notices  et  documents  publiés  dans  la  S^^^  partie  du  tome  I,  soit:  1°  Pré- 
face et  notice  sur  Guillaume  de  Conflans,  avec  24  chartes  du  treizième 
siècle  ;  2°  Sur  l'évêque  Guy  de  Faucigny  et  les  chartes  qui  le  concernent, 
suivi  de  12  chartes  inédites,  p.  1  à  162. 

Mémoire  historique  sur  l'élection  des  évêques  de  Genève,  II,  p.  104  à 
183,  suivi  de  29  pièces  justificatives,  183  à  232.  Seconde  partie.  Conciie 
de  Bàle.  Amédée  de  Savoie  et  ses  trois  petits-lils,  V,  p.  127  à  269,  suivi 
de  47  pièces  justificatives,  p.  270  à  354. 

Franchises  de  Genève  promulguées  par  l'évêque  Adémar  Fabri  (t.  II, 
p.  271  à  388,  renfermant:  Introduction,  Texte  des  Franchises,  Sources, 
Pièces  annexes). 

Seconde  partie  du  tome  II  (Introduction,  p.  1  à  15,  25  chartes  des 
dixième,  douzième  et  treizème  siècles). 

Inscription  de  Gondebaud  à  Genève  (IV,  p.  305  à  310). 

Seconde  partie  du  tome  IV  (Préface,  p.  1  à  10,  Chartes  au  nombre  de 
77,  jusqu'au  milieu  du  treizième  siècle). 

Monnaie  épiscopale  de  Genève  (V,  p.  35f)  à  359). 

Du  pouvoir  que  la  maison  de  Savoie  a  exercé  dans  Genève.  P"  période. 
Origine  (VII,  p.  177  à  290,  suivi  de  51  pièces  justificatives  (290-346)  et 
d'une  notice  sur  l'enquête  contre  un  évêque  dp  Genève,  document  du  trei- 
zième siècle).  2""^  période.  Établissement  légal  (VIII,  p.  81  à  218,  suivi 
de  42  pièces  justificatives,  p.  219  à  281,  d'une  note  sur  les  avoués  des 
Eglises,  p.  282  à  286,  et  d'une  liste  des  vidomnesde  Genève  aux  douzième 
et  treizième  siècles). 

Aimon  du  Quart  et  Genève  pendant  son  épiscopal,  1304  à  1311  (IX, 
p.  89  à  197,  suivi  de  38  pièces  justificatives,  p.  198  à  290). 

La  plus  ancienne  chronique  de  Genève,  1303-1335  (IX,  p.  290  à  320). 

Preuve  diplomatique  que  Genève  a  fait  partie  du  royaume  de  Bour- 
gogne (IX,  p.  454  à  457). 

Une  coaliton  ouvrière  à  Genève  en  1315  (ci-après  p.  112). 


111 


(B)  Après  la  Ré  formation. 

Conflit  entre  le  Petit  Conseil  et  le  Conseil  des  Deux-Cents  en  1667,  ou 
Épisode  de  l'auditeur  Sarasin.  Mémoires  et  Documents.  Genève,  t.  I, 
p.  277-320. 

Du  recrutement  de  la  population  dans  les  petits  États  démocratiques, 
avec  esquisse  historique  et  statistique  sur  l'admission  d'étrangers  et  la  na- 
turalisation dans  la  république  de  Genève  (Mémoire  qui  a  remporté  le 
prix  du  concours  ouvert  eu  1850  parla  Société  d'utilité  publique  du  can- 
ton de  Genève).  Genève  1851,  un  vol.  in-8. 

(C)  Biographies. 

Nécrologie  sur  le  marquis  Félix  Carron  de  Saint-Thomas,  Mémoires 
de  la  Soc.  Il,  page  413-415. 

Notice  biographique  sur  M.  le  proi".  Henri  Boissier,  id.  IV,  p,  69  à  96. 
Notice  sur  M.  le  baron  de  Grenus  et  sur  M.  Gaudy,  id.  YIIl,  p.  22  à  36. 

(D).  Description  des  monuments.  Mélanges. 

Saint-Pierre,  cathédrale  de  Genève,  1835,  in-8°  (reproduit  dans 
\ Album  de  la  Suisse  romane,  I,  p.  177). 

Le  cardinal  de  Brogny  et  la  Chapelle  des  Macchabées,  à  Genève  (Al- 
hum  de  la  Suisse  romane,  tome  II,  p.  177). 

Le  temple  de  Saint-Pierre  de  Genève,  second  et  dernier  article  {Album, 
tome  IV,  page  49). 

Coup  d'oeil  historique  et  descriptif  sur  Genève  {Suisse  pittoresque  et 
br.  in-4°,  Genève  1856). 

lif* — Travaux  liistoriqties  non  relatifs  à  Genève. 

Règle  et  statuts  secrets  des  Templiers  précédés  de  l'histoire  de  l'éta- 
blissement, de  la  destruction  et  de  la  conlinuation  moderne  de  l'Ordre  du 
Temple.  [)ubliés  sur  des  manuscrits  inédits,  par  M.  C  -H.  Maillard  de 
Chambure  (('ompte  rendu  dans  la  Bibliothèque  universelle,  octobre  1841). 

Des  publications  historiques  du  Piémont  {Bibliothèque  universelle  de 
Genève,  novembre  1841). 

Documents  genevois  inédits  pour  la  généalogie  historique  de  la  maison 
souveraine  de  Savoie  depuis  le  douzième  siècle  jusqu'au  quinzième  (Ex- 
trait des  Mémoires  de  l'Académie  des  sciences  de  Turin,  série  11,  t.  XVI, 
in-4°). 


112 


UNE  - 

1 


COALITION  OUVRIERE  A  GENEVE 

En  1315. 

Par  M.  EDOUARD  MAILET. 


(Mémoire  lu  à  la  Société  d'Histoire  et  d'Archéologie  de  Genève  dans  sa 
séance  du  25  janvier  1855*.) 


En  1315,  la  voix  publique  accusa  à  Genève  les  charpen- 
tiers el  les  maçons,  non-seulemenl  d'avoir  élevé  des  prélenlions 
abusives,  supérieures  à  ce  que  l'usage  leur  avait  jusqu'alors  ac- 
cordé, mais  encore  (el  ceci  étail  plus  grave)  d'avoir  formé  enlre 
eux  une  association  obligatoire  el  réL-lcmeniée,  qui  aurait  con- 
stitué ce  que  nous  appelons  maintenant  le  délit  de  coalition. — 
C'est  ainsi  qu'on  reprochait  aux  uns  el  aux  autres:  1"  d'txiger 
que  les  parti»"uliers  qui  les  employaient  dans  la  semaine  les 
nourrissent  encore  le  dimanche ,  à  peine  de  voir  tout  ouvrier 
leur  refuser  le  trava  1  ;  2"  de  ne  pas  permettre  à  un  charpen- 
tier ou  à  un  maçon  de  s'employer  à  un  ouvrage  commencé  par 
un  autre,  sans  le  consentement  de  celui-ci. 

On  reprochait  en  outre  aux  maçons  d'avoir  inlerdif.  par  les 
règlements  qu  ils  avaient  fait  entre  eux  :  1**  de  tra\ ailler  |)Oiir  un 
particulier  qui  aurait  été  redevable  envers  un  membre  de  l'asso- 
ciation ;  2"  de  vendre  des  matériaux  ou  objets  de  construction 

•  Cet  opuscule  n'avait  pas  été  définitivement  rédigé  en  vue  de  l'impres- 
sion. Il  était  probablement  destiné  à  faire  [larlie  d'une  étude  approfondie 
sur  la  période  de  l'histoire  de  Genève  comprise  dans  l'Épiscopat  de  Pierre 
de  Faucigny  (1311-1342).  étude  entreprise  par  M.  Mallet  et  devant  suivre  le 
mémoire  sur  Aymon  du  Quart,  inséré  dans  le  tome  IX  des  présents  Mémoires. 


113 

à  tout  propriétaire  qui  refuserait  de  se  soumettre  à  ces  statuts. 

Ces  diverses  prétentions  ne  tendaient  à  rien  moins  qu'à  in- 
terdire à  celui  qui  faisait  faire  ou  réparer  une  construction,  le 
droit  d;i  clianger  d'ouvrier  ou  d'entrepreneur,  quelque  vala- 
bles que  fussent  ses  motifs;  qu'à  le  mettre  à  la  merci  des  ou- 
vriers en  bâtiment,  et  en  particulier  du  premier  auquel  il  se 
serait  adressé,  sous  peine  de  voir  son  entreprise  demeurer  in- 
achevée; qu'à  subordonner  le  consommateur  au  producteur;  et 
généralement  à  permettre  à  une  classe  du  public  d'imposer  à 
l'autre  une  volonté  intéressée,  capricieuse  et  arbitraire,  enfin  de 
la  mettre  en  interdit,  en  cas  de  désobéissance. 

L'opinion  publique  s'émut  donc  à  juste  titre,  et  le  procureur 
de  la  Cour  vidomnale,  François  Dardel ,  s'en  rendit  l'écho  en 
poursuivant  les  charpentiers  et  maçons  et  en  déposant  contre  eux 
une  plainte,  pour  qu'il  fût  procédé  légalement  à  leur  égard  et 
au  sujet  de  leurs  règlements. 

Le  Vidomne  prononça  d'abord  (le  5  mai  1315)  dans  la  cause 
des  charpentiers.  îl  déclara  «  qu'après  s'être  enquis  de  la  vérité 
a  de  l'accusation  portée  contre  la  communauté  [universikii!)  des 
«  charpentiers  de  Genève,  d'avoir  fait  et  ordonné  entre  eux  cer- 
«  tains  statuts  contraires  au  Seigneur  et  aux  citoyens  de  Ge- 
«  nève,  il  n'a  rien  pu  découvrir  à  leur  charge.»  En  conséquence 
il  prononça  leur  acquittement  en  ces  termes: 

«  Nous  Yidomne,  séant  sur  notre  Tribunal ,  ayant  Dieu  seul 
«devant  les  yeux,  et  devant  nous  les  saints  évangiles,  après 
«  avoir  recherché  la  vérité  par  les  dépositions  de  témoins  dignes 
«  de  foi ,  ouï  ce  que  les  parties  ont  jugé  à  propos  de  dire  de 
«  part  et  d'autre,  et  délibéré  avec  soin  à  ce  sujet  du  conseil  de 
«nos  assistants,  nous  acquittons  lesdits  charpentiers  jepré- 
«  semés  par  les  deux  procureurs  de  leur  communauté)  de  ladite 
M  accusation.  »  iPièces  justificatives,  p.  122  . 

Puis,  par  voie  générale  ou  de  règlement,  il  prononça  comme 
suit,  pour  prévenir  tout  abus  du  genre  de  ceux  qui  avaient  été 
signalés  : 

Tome  XI.  8 


114 

c(  A  ces  causes,  nous  ordonnons  et  enjoignons  suiabondani- 
0  menl  auxdils  charpentiers  présents  et  futurs ,  d'observer 
((  maintenant  et  dorénavant  dans  l'exercice  de  leur  profession 
«  vis-à-vis  des  citoyens  et  habitants  les  bonnes  coutumes  de  la 
«  cité  de  Genève  jusqu'ici  observées ,  et  de  conserver  perpé- 
«  tuellement  à  l'avenir  lesdites  bonnes  coutumes  sans  aucune 
a  fraude  a  l'égard  desdits  citoyens,  leur  défendant  de  se  rien 
«  permettre  qui  y  soit  contraire.  Nous  enjoignons  de  même  aux- 
«  dits  citoyens  d'observer  inviolablement  lesdites  bonnes  cou- 
ce  tûmes  de  ladite  profession  envers  lesdits  charpentiers.  Nous 
«  ne  voulons  rien  innover  contre  lesdits  charpentiers  ni  à  leur 
«  préjudice  dans  leur  gain  et  ouvrage ,  voulant,  au  contraire, 
«  qu'ils  en  jouissent  suivant  lesdites  bonnes  coutumes  jusqu'ici 
«  observées.  «  (P.  jusiif.  p.  123.) 

L'affaire  des  maçons  fut  plus  sérieuse  et  plus  longue ,  car 
l'enquête  prouva  que  Taccusation  portée  contre  eux  était  fon- 
dée, au  moins  jusqu'à  un  certain  point.  Les  statuts  de  coaUtion 
qu'on  leur  imputait  étaient  réels.  Laissons  encore  ici  parler  le 
Vidomne  dans  sa  sentence  (en  date  du  24  mai  1315):  «  ...Pour 
«  punir  ces  méfaits,  s'ils  avaient  réellement  été  commis,  nous 
«  avons  fait  une  enquête  au  moyen  de  nombreux  témoins  dignes 
«  de  foi  :  et  quoique  nous  ayons  trouvé  beaucoup  de  choses 
«  prouvées  contre  lesdits  maçons  par  les  dépositions  des  témoins, 
«  par  la  voix  publique,  par  les  présomptions;  quoiqu'il  soit  ré- 
«  suite  de  l'avis  de  prud'hommes  que  lesdits  maçons  avaient 
«  eu  tort  au  sujet  des  points  qui  leur  étaient  reprochés  [erraase 
«inpremissis),  cependant  Nous,Yidomne  de  Genève  pour  notre 
«  illustre  seigneur  Amédée,  comte  de  Savoie,  tant  par  la  uo- 
«  lonté  et  réquisition  de  notre  dit  seigneur  comte,  cjuà  la  prière 
«  et  réquisition  pressante  de  nombreux  citoyens  de  la  ville,  séant 
«  sur  notre  tribunal les  saints  évangiles  étant  ouverts  de- 
ce  vaut  nous,  ayant  Dieu  seul  devant  les  yeux,  du  conseil  de  ju- 
«  risconsulles  et  de  plusieurs  citoyens  de  Genève  appelés  à  siéger 
«  avec  nous  suivant  la  coutume  de  la  cour  du  Vidomnat  de  Ge- 


It5 

nève,  Nous  absolvons  judiciairement  lestlits  maçons  au  sujet 
desdils  statuts,  des  torts  qu'ils  ont  pu  avoir  à  cette  occasion, 
et  de  toutes  autres  offenses  commises  par  eux  à  tout  autre 
titre  jusqu'à  ce  jour.  ÎS'ous  les  condamnons  toutefois  par  notre 
sentence  à  cesser  dès  à  présent  et  à  l'avenir,  entièrement, 
complètement  et  à  toujours,  toute  observation  desdils  statuts; 
leur  défendant  de  rien  exiger  des  citovens  et  babitants  de 
Genève  sous  prétexte  desdits  statuts,  lesquels  nous  déclarons 
par  les  présentes  nuls  et  de  nul  effet ,  ainsi  que  tout  ce  qui  a 
pu  être  ci-devant  fait  et  traité  par  lesdits  maçons  à  cette  occa- 
sion. Enfin  nous  les  condamnons  par  notre  sentence  a  obser- 
ver entièrement  à  l'avenir  toutes  les  bonnes  coutumes  jus- 
qu'ici pratiquées  dans  cette  ville  au  sujet  de  leur  profession. 
Et  pour  qu'il  ne  soit  rien  fait  contre  lesdites  coutumes ,  nous 
les  déclarons  comme  suit,  après  les  avoir  duement  constatées 
par  les  dépositions  de  témoins  dignes  de  foi. 
«  Il  sera  payé  à  chaque  maçon,  passé  maître  dans  sa  proles- 
sion,  12  deniers  genevois  par  jour  depuis  la  fête  de  la  Puri- 
fication jusqu'à  celle  de  la  Toussaint,  et  8  d.  de  la  Toussaint 
à  la  Purification  :  il  lui  sera  de  plus  donné  à  dîner  et  à  goûter. 
Aux  porte-fardeaux,  la  première  année  de  leur  apprentissage, 
4  deniers  par  jour  en  toute  saison  :  la  S'^"  année,  ils  recevront 
6  d.  par  jour  de  la  Purification  à  la  Toussaint  et  4  d.  de  la 
Toussaint  à  la  Purification:  la  3®  année  8  d.  de  la  Purification 
à  la  Toussaint,  et  6  d.  de  la  Toussaint  a  la  Purification  :  le 

«  tout  avec  la  nourriture  comme  ci-dessus  : 

«  Quand  on  pose  les  clefs  de  voûte,  on  donnera  du  vin  aux 

«  maçons,  et  la  gratification  usitée  an  maître. 

«  Mandons  à  nos  officiers  de  faire  observer  lesdites  coutumes, 

«  sans  les  laisser  amplifier,  etc.»  (prés.  Mémoires^  VIII,  p.  246.) 
Quoique  le  résultat  judiciaire  des  deik  instances  dirigées 

contre  les  charpentiers  et  contre  les  maçons  ait  été  le  même,  on 

voit  qu'il  n'y  avait  pas,  entre  les  deux  cas,  identité  déposition  et 

de  motifs. 


116 

Les  premiers  sont  réellenient  ncquiltés  en  raison  de  leur  in- 
nocence ou  faute  (le  preuves  ;  mais  on  profile  de  l'occasion  pour 
lenr  rappeler  et  rendre  obligatoire  pour  eux  la  siricle  observa- 
tion des  coutumes  traditionnelles  qui  avaient  jusqu'alors  régi 
l'exercice  de  leur  profession. 

Quant  aux  seconds,  le  fait  donl  ils  étaient  accusés,  c'est-à- 
dire  le  règlement  abusif  arrêté  entre  eux,  est  établi;  néanmoins 
ils  sont  absous,  à  la  sollicitation  d'une  partie  des  citoyens  et  du 
comie  de  Savoie  lui-même,  comme  on  pardonne  à  des  gens 
qui  ont  péché  par  ignorance  plutôt  que  par  mauvais  vouloir, 
et  qui,  dès  qu'ils  sont  avertis,  se  soumettent,  renoncent  a  leur 
illicite  tentative  et  promettent  de  n'y  plus  revenir. 

Cette  solution  était  probablement  une  œuvre  de  sage  conci- 
liation vis-à-vis  d'un  premier  essai  de  coalition  professionnelle, 
puisqu'elle  fut  consentie  par  les  citoyens  qui,  comme  prud'hom- 
mes, étaient  appelés  à  siéger  comme  assistants  dans  la  cour 
vidomnale.  —  Maison  voit  se  produire,  dans  cette  atfaire,  deux 
interventions  diverses  qui  doivent  attirer  notre  attention,  et  être 
appréciées  dans  leur  nature  et  dans  leurs  conséquences:  l'une, 
plus  haute  et  plus  influente,  est  celle  du  comte  de  Savoie;  l'autre, 
qui  a  bien  aussi  sa  portée,  est  celle  des  citoyens  de  Genève. 

Lorsque  l'évêque  Guillaume  de  Conflans  avait  été  obligé,  eu 
1290,  d'inféoder  l'ollice  de  Vidomne  de  Genève  à  Amédée  V, 
on  n'eut  pas  la  pensée  de  voir  ce  prince  venir  exercer  par  lui- 
même  et  en  personne  ces  modestes  fonctions.  Le  comte  de  Sa- 
voie au  nom  duquel  on  rendait  en  tant  d'endroits  la  haute  justice, 
aurait  cru  déroger  en  descendant  à  rendre  lui-même  la  basse 
justice  au  nom  d'un  prélat.  Aussi  ne  parait-il  pas  qu'Amédée 
ait  jamais,  même  accidentellement,  même  à  titre  de  prise  de 
possession,  rendu  personnellement  aucun  jugement,  aucune 
décision  en  qualité  de  Vidomne  de  Genève. 

Il  déléguait  donc  l'exercice  de  ses  fonctions  à  quelqu'un  qui 
les  remplissait  en  son  lieu  et  place,  comme  lieutenant  et  qui 
prenait  le  titre  de  Vicedominus. 


117 

Pour  que  l'inslilulioii  vidoumale  conservât,  sous  reinj»ire  de 
l'inféodation  savoyarde ,  son  caraclère  essentiel  et  primitif,  il 
aurait  fallu  que  le  vidomne,  une  fois  nommé  par  le  comte  au 
lieu  de  l'être  comme  ci-devant  par  l'évèque,  en  devînt  indépen- 
dant. Dans  ce  but  il  aurait  fallu  que  son  office  fût  inamovible , 
et  ne  fût  cumulé  avec  aucune  autre  charge.  Alors  on  aurait  pu 
espérer  que  ce  magistrat  se  renfermerait  exclusivement  dans  ses 
fonctions,  qu'il  en  revêtirait  l'esprit,  et  les  exercerait  dans  le 
seul  intérêt  des  justiciables. 

Mais  il  en  fut  tout  autrement  en  réalité.  Le  lieutenant  que  le 
comte  de  Savoie  établissait  pour  exercer  à  sa  place  le  Vidomnat 
était  un  de  ses  offîcieis  de  profession,  qu'il  instituait  et  révoquait 
à  son  gré,  qu'il  employait  tantôt  à  Genève,  tantôt  ailleurs,  et 
auquel  il  faisait  cumuler,  avec  le  Vidomnat,  la  qualité  de  châte- 
lain ou  commandant  du  château  de  l'Ile.  Il  en  résultait  que 
cet  officier  était  disposé  a  confondre  ces  doubles  fonctions  ou 
plutôt  à  faire  prédominer  celles  qu'il  exerçait  pour  le  comte 
seul,  à  obtempérer  à  tout  mandat  qui  lui  venait  du  prince  sa- 
voyard, sans  distinguer  s'il  s'agissait  de  vidomnat  ou  de  châtel- 
lenie,  sans  s'inquiéter  si  par  là  il  entreprenait  sur  les  droits  de 
l'évèque.  Aussi,  dans  l'exercice  même  du  Vidomnat,  il  désignait 
le  comte  comme  son  Seigneur,  Dominus  noster,  quoiqu'il  ne  fît, 
en  cette  part,  qu'exercer  une  branche  de  la  justice  seigneuriale 
de  l'évèque,  lequel  était  à  cet  égard,  son  véritable  Seigneur. 

Deux  motifs  principaux  auraient  dû  empêcher  le  comte  de 
singérer  dans  la  justice  vidomnale:  l'un  c'est  qu'ayant  délégué 
cet  office,  il  devait  laisser  le  délégataire  l'exercer  librement  sui- 
vant sa  conscience  et  d'après  les  circonstances  locales;  l'autre, 
c'est  qu'étant  en  réalité  pour  Genève  un  prince  étranger,  avant, 
a  raison  de  ses  États,  des  intérêts  diflcrenls,  souvent  même  con- 
traires, il  ne  devait  pas  chercher  à  y  usurper  une  influence  qui 
pouvait  souvent  y  être  fâcheuse. 

Ce  n'est  cependant  pas  ainsi  que  les  choses  se  passaient,  et 
l'on  ne  vit  que  trop  souvent  le  comte  intervenir  par  des  dircc- 


118 

lions,  des  mandats  el  même  des  ordres,  donnés,  soit  dans  l'in- 
térêt de  ce  prince,  soit  à  la  sollicilalion  de  ceux  qui  s'adres- 
saient à  lui.  Uusa^e  lendit  h  s'introduire  de  s'adresser  au  comte, 
et  d'invoquer  a  propos  d'affaires  particulières  et  intérieures,  l'ap- 
pui et  même  Tintervention  de  ce  prince.  C'est  ce  que  firent  les 
maçons  de  Genève  dans  la  question  qui  nous  occupe.  Se  sentant 
engagés  dans  une  mauvaise  affaire,  ils  jugèrent  prudents  d'ob- 
tenir protection  en  haut  lieu;  ils  durent  probablement  au  comte, 
la  sentence  d'absolution  rendue  en  leur  faveur  malgré  l'exis- 
tence du  délit  :  c'est  ce  que  parait  indiquer  cette  phrase  dans 
laquelle  le  Vidomne  déclare  prononcer  ainsi  de  voluntate  et  re- 
quisitione  Domini  nostri  comitis. 

Celte  influence  extérieure  était  un  des  inconvénients  prati- 
ques les  plus  ordinaires  de  cette  illogique  inféodalion  qui  avait 
remis  une  simple  magistrature  subordonnée,  branche  de  la  jus- 
tice temporelle  de  l'évéque,  aux  mains  d'un  prince  étranger 
infiniment  plus  puissant  que  le  prélat,  et  qui  n'y  avait  vu  qu'un 
moyeu  d'acquérir  de  l'influence  dans  une  ville  sur  laquelle  il 
n'avait  eu  jusqu'alors  aucun  droit. 

Un  mot  sur  la  conduite  des  citoyens  de  Genève  dans  l'aflaire 
dont  nous  nous  occupons.  C'était  la  voix  publique  qui  avait  ac- 
cusé les  maçons  de  coalition  :  cependant  le  Yidomne  nous  dit 
qu'une  partie  des  citoyens  intercéda  pour  eux  auprès  de  lui. 
Celte  apparente  contradiction  pourrait  s'expliquer  par  la  co- 
existence de  deux  avis  opposés  sur  celte  affiiire,  ou  par  un 
retour  de  l'opinion  rassurée  sur  les  conséquences  de  la  coa- 
lition. Cependant  nous  sommes  plutôt  disposés  à  croire  que 
voyant  l'influence  du  comte  se  déployer  en  faveur  des  coalition- 
naires,  les  citoyens  estimèrent  que  ce  qu'ils  avaient  de  mieux  à 
faire,  c'était  de  se  joindre  a  lui,  mais  à  condition  d'obtenir,  non  pas 
seulement  l'annulation  des  statuts  faits  par  les  matons  et  qui 
étaient  la  cause  première  de  la  plainte,  mais  encore  de  solides 
garanties  pour  l'avenir.  De  là  ce  règlement,  opposé  aux  inno- 
vations coalilionnaircs,  constatant  par  voie  d'enquête,  les  an- 


119 

ciennes  coulunies  suivant  les(Hielles  ia  |>rofession  de  maçon 
s'était  pratiquée  invariablement  de  temps  immémorial,  et  or- 
donnant de  s'y  conformer  sans  aucune  dérogation.  Les  citoyens 
se  trouvèrent  ainsi,  à  l'occasion  de  l'intérêt  qu'ils  avaient  à  une 
poursuite  pour  délit  correctionnel,  fournir  au  pouvoir  vidomnal 
une  occasion  de  se  développer,  en  l'engageant  à  prononcer,  à 
titre  de  sentence  judiciaire,  un  de  ces  Arrêts  de  Règlement,  qui 
furent  une  des  sources  du  pouvoir  des  parlements  souverains  de 
France  avant  la  révolution ,  et  dont  le  Code  Napoléon  a,  dans 
son  article  5,  sagement  proscrit  le  retour.  Ce  fut  donc  pour  le 
Vidomne  comital  une  occasion  d'accroître  ses  attributions  aux 
dépens  de  l'autorité  é'iiscopale,  d'accoutumer  les  citoyens  à  se 
détacher  de  celle-ci,  pour  se  tourner  vers  le  bras  séculier  pins 
énergique  du  prince  savoyard. 

Moyennant  les  dispositions  réglementaires  que  nous  avons 
mentionnées,  les  citoyens  considérèrent  la  solution  donnée  à 
l'affaire  des  charpentiers  et  des  maçons,  comme  constituant 
une  garantie  en  faveur  du  corps  de  la  bourgeoisie  :  lorsque,  le 
siècle  suivant  ils  réunirent  en  un  volume  les  divers  actes 
contenant  leurs  droits  et  franchises  [Liber  franchesiarum),  ils  y 
inscrivirent  les  sentences  du  Vidomne  rendues  à  celte  occa- 
sion, comme  des  titres  a  leur  usage,  qu'il  leur  importait  de  con- 
server précieusement. 

Envisagées  sous  le  point  de  vue  du  fond  même  des  objets 
en  discussion,  les  deux  affaires  des  charpentiers  et  des  maçons 
nous  suffo'èrent  les  réflexions  suivantes  : 

1"  Les  charpentiers  et  les  maçons  formaient  des  corpora- 
tions ou  communautés  [unlver.^itates)  ayant  des  procureurs  {pm- 
curatores)  pour  les  représenter  et  agir  en  leur  nom.  C'étaient 
donc  des  associations  organisées  dans  un  but  collectif,  pour 
faire  valoir  des  intérêts  communs  aux  divers  membres  de  l'as- 
sociation. Par  une  pente  toute  naturelle,  ces  corporations  cher- 
chaient a  faire  valoir  leurs  ressources,  à  développer  leurs  pro- 
fits. On  peut  présumer  que  les  autres  professions  importantes 
et  d'un  personnel  nombreux  en  faisaient  autant. 


120 

2"  La  profession  de  cliarpeiitier  et  celie  de  maçon  repo- 
saient chacune  sur  un  ensemble  de  connaissances  tenant  non- 
seulement  à  la  pratique  mais  aussi  à  la  science  et  étaient  con- 
sidérées comme  un  art  {ars  carpentaria,  ars  lalhomeria).  Celui 
qui  possédait  a  fond  cet  art,  était  maître  {magùter)^  celui  qui  tra- 
vaillait à  l'apprendre,  Vnpprcnd  (addiiicem),  recevait  un  salaire 
inférieur  h  celui  du  maîlre,  mais  graduellement  croissant  avec  le 
savoir  et  l'expérience  de  l'élève:  lapprentissage  durait  trois  ans 
dans  la  profession  de  maçon. 

3*^  Il  semble  qu'il  n'y  avait  dans  ces  deux  professions  que 
deux  catégories  de  travailleurs  :  les  apprentis  et  les  maîtres,  qui 
paraissent  n'avoir  [»as  été  autre  chose  que  les  élèves  ayant  ter- 
miné leur  apprentissage.  îl  n'est  fait  aucune  mention  d'une 
catcgorie  intermédiaire,  ceilo  des  ouvriers.  Il  n'est  fait  non  plus 
aucune  mention  de  la  catégorie  supérieure  des  entrepreneurs.  A 
cette  épotjue  de  simplicité,  où  l'état  social  en  général,  et  les 
arts  en  particulier  éîaient  encore  peu  développés,  celui  qui  vou- 
lait faire  bâtir  achetait  directement  les  matériaux,  et  les  faisait 
mettre  en  œuvre  par  des  charpentiers  et  des  maçons  qu'il 
payait  lui-même  h  la  journée,  et  non  à  prix  fait.  Que  l'on  ouvre 
les  comptes  des  châtelains  qui  sont  demeurés  en  si  grand  nom- 
bre à  partir  des  treizième  et  quatorzième  siècles,  on  verra  que 
c'est  par  ce  procédé  (que  l'on  nomme  maintenant  à  économie) 
qu'ils  entretenaient  et  réparaient  les  vastes  châteaux  forts  et 
les  ouvrages  défensifs  qui  leur  étaient  confiés. 

4**  Il  paraît  que  les  charpentiers  et  maçons  étaient  obligés 
de  travailler,  au  prix  fixé  par  l'usage,  pour  le  premier  qui  vou- 
lait les  employer:  on  prohiba  en  elfet  les  règlements  d'après  les- 
uels  ils  auraient  été  tenus  tantôt  d'exiger  l'autorisation  d'un 


o"^ 


q 

autre  ouvrier,  tantôt  même  de  refuser  absolument  leur  travail  à 
certaines  personnes. 

5<*  Rien  ne  révèle  mieux  que  ces  all'aires  des  charpentiers  et 
des  maçons,  la  puissance  de  la  coutume  au  moyen  âge,  l'auto- 
rité (piasi  légitime,  le  pouvoir  absolu  dont  jouissait  tout  usage 


121 

ancien  el  traditionnel  dont  l'origine  était  inconnne  et  qui  pou- 
vait être  considéré  comme  immémorial. 

Yoici  des  ouvriers  qui  arrêtent  entre  eux  des  statuts  con- 
tenant une  petite  augmenlalion  de  salaire,  et  constituant  à  ini 
finble  degré  seulement  ce  que  nous  considérons  comme  une 
coalition  dangereuse,  mais  n'enfreignant  en  définitive  aucune 
disposition  ou  prohibition  antérieure ,  car  il  ne  parait  pas 
qu'aucune  ordonnance  existât  à  Genève  avant  1315  sur  leurs 
professions.  Mais  ces  statuts  constituaient  une  innovation, 
étaient  contraires  à  une  pratique  ancienne  et  constante;  cela 
suffit  pour  les  frapper  d'illégalité.  On  constate  par  enquête 
testimoniale  que  jusqu'alors  ils  ont  travaillé  sans  autre  condition 
qu'un  paiement  à  la  journée  dont  le  prix  était  déterminé  par  un 
usage  constant  :  et  par  cela  seul,  on  décide  qu'ils  seront  tenus 
de  travailler  totijours  aux  mêmes  conditions  et  moyennant  le 
même  salaire.  On  ne  s'arrête  pas  à  discuter  s'il  y  a,  ou  non, 
quelque  chose  de  fondé  dans  leurs  exigences  nouvelles:  il  suffit 
qu'on  les  reconnaisse  nouvelles,  pour  qu'a  ce  seul  titre  on  les 
proscrive.  On  ne  laisse  pas  même  à  l'avenir  la  possibilité  de 
tenir  compte  des  circonstances,  des  éventualités  futures  el  im- 
prévues: on  décide  d'avance  que,  quoiqu'il  arrive, il  ne  pourra 
y  avoir  aucun  changement.  A  des  prétentions  qui  prouvaient, 
tout  au  moins,  que  les  ouvriers  n'étaient  pas  satisfaits  du  pré- 
sent, on  répond  en  déclarant  le  salaire  à  tout  jamais  station- 
naire  et  les  conditions  du  travail  perpétuellement  incommuta- 
bles.  Dans  son  culte  pour  le  passé,  le  moyen  âge  ne  comprenait 
pas  qu'on  ne  pouvait  ni  enchaîner,  ni  même  prévoir  l'avenir  : 
que  vouloir,  dans  un  présent  toujours  mobile,  décréter  d'avance 
l'immobilité,  c'était  une  prétention  aussi  illogique,  qu'exorbi- 
tante. 


122 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES 

I.  Littera  absolutoria  procuratorum  universitatis  carpenta- 

torum  Gebenn. 

5  Mai  1315. 

In  nomine  Domini  amen.  Cum  super  causa  denuncialionis  facte  coram 
nobis  Vicedogno Geben. pro  111.  viro  Domino  nostro  D.  Amedeo  Comité  Sa- 
baudie,  per  Fr.  Dardelli  clericum  curie  Yicedognatus  Geben.  familiarem 
et  procuratorem  dicte  curie  Yicedognatus  Geben.  et  fama  publica  referente, 
contra  carpentarios  habitantes  in  civifate  et  suburbio  Geben,,  et  specia- 
liter  contra  Mermetum  dictum  Pirons  et  Perretum  filium  Aymonis  car- 
pentatoris  quondam,  nomine  suo  et  procuratorio  nomine  universitatis 
omnium  carpentariorum  in  civitate  Geben.  habitantium  verteretur  materia 
questionis.  Visa  dicta  denunciatione  dicti  Francisci  procuratoris,  nomine 
quo  supra,  que  talis  est. 

Pervenit  ad  aures  curie  Yicedognatus  Geben.,  fama  publica  referente, 
et  per  clamosam  insinuationem  quamplurimorum  civium  civitatis  Geben., 
quod  universitas  carpentariorum  habitantium  in  civitate  Geben.  fecerant 
inter  se  et  ordinaverant  quedam  statuta  contra  dominium  et  contra  cives 
lotius  universitatis  civium  civitatis  Geben.,  videlicet  quod  si  aliquis  car- 
pentariorum opus  alicujus  persone  incepisset  operari  infra  dictam  civita- 
tem  et  suburbium,  quod  nullus  aller  aliorum  carpentariorum  in  ipso  opère 
operaretur  nisi  de  voUmtate  illius  carpentarii  qui  dictum  opus  inceperat 
operari.  Itemfecerunt  inter  se  aliud  statutum,  videlicet  ut  ille  cum  quo  seu 
pro  quo  aliquis  ipsorum  esset  per  ebdomadam  operatus,  daret  ad  pran- 
dium  in  die  Dominico  illi  carpenlario  qui  per  dictam  ebdomadam  in  dieto 
opère  fuerit  operatus  :  et  si  ille  cum  quo  per  ebdomadam  fuerit  operatus, 
dictum  prandium  eidem  carpentario  dare  renuerit,  quod  nullus  ipsorum 
carpentariorum  operaretur  in  opère  recusantis  dare  dictum  prandium. 
Item,  quod  ipsi  carpentarii  in  prejudicium  Domini  et  civitatis  Geben., 
quedam  alia  statuta  inter  se  fecerunt,  et  quod  aUud  manipolium  in  preju- 
dicium Domini  et  civitatis  et  habitantium  in  eadem  non  modicum  et  gra- 
vamen.  Quare  supplicavit  nobis  dictus  Franciscus  procurator,  nomine  quo 
supra,  contra  dictos  carpentarios  et  procuratores  eorumdem  supcrius 
nominatos,  cum  publiée  intersit  ut  maleticia  non  remaneant  impunita,  ut 
de  dicto  statuto  inquiramus  veritatem  :  et  ipsa  reperla,  ipsos  carpentarios 
et  eorum  qucmlibet  puniamus  in  quantum  fuerit  rationis,  et  juris  ordo  in 


123 

talibus  [)Ostulal  et  requirit,  coudempnaBcIo  ipsos  per  nostram  diffinitivam 
seiitenliam. 

Lite  igitiir  légitime  contestata  super  dicta  denunciatione,  per  affirma- 
tionem  dicti  Francisci  prociiratorio  nomine  quo  siq)ra,  et  per  negationem 
dictorum  Mermeti  et  Perreti  nominibus  suis  et  nominibus  quibus  supra, 
jurato  de  calumpnia  hinc  et  inde,  eadem  dixeruiit  partes  post  juramen- 
tum,  quod  ante  factis  positionibus  et  responsionibus  ad  eas  subsecutis, 
testibus  produetis  et  eorumdem  attestationibus  publicatis,  renunciato  et 
concluso  in  causa,  pluribus  diebus  assignatis  ad  diffiniendum  peremp- 
torie  et  précise  et  specialiter  die  Lune  ante  festum  B.  Johannis  ante  por- 
tani  latinam.  Qua  die,  dictis  partibus  nominibus  suis  et  nominibus  quibus 
supra  presentibus  et  ditTuiiri  petentibus,  nos  dictus  Vicedognus  sedentes 
pro  tribunali,  Deum  solum  habentes  pre  oculis,  propositis  sacrosanctis 
evangebis,  auditis  que  partes  bine  inde  proponere  voiuerunt,  dili- 
genti  deliberatione  habita  super  prediclis ,  et  facta  per  testes  fide  dignos 
diligenti  inquisitione  super  denunciatione  predicta,  de  consibo  predicto- 
rum,  absolvimus  dictos  Mermetum  et  Perretuni,  nomine  suo  et  nomine 
quo  supra  a  denunciatione  predicta  neminem  in  expensis  condempnando, 
eteidem  Francisco,  nomine  quo  supra  a  dicta  denunciatione  silencium  im- 
ponendo.  Datum  cum  appositione  sigilH  Curie  Yicedognatus  Geben.,  dicta 
die  Lune  A.  D.  1315°. 

(Liv.  des  Franchises,  f°  42  v.,  43  r.) 


IL  Injunctio  Domini  Vicedogni  Gebenn.  facta  carpentariis 
Gebenn.  de  observando  in  eorura  arte  laudabiles  consue- 
tudines  Gebennenses. 

5  Mai  1315 

Nos  Vicedognus  Gebenn.  pro  111.  viro  Dno  nostro  Amedeo  Comité 
Sabaudie,  notum  facimus  universis,  quod  cum  questio  seu  causa  per  mo- 
dum  denunciationis  verteretur  coram  nobis  inter  Mermetum  dictum  Pirons, 
et  Perretum  filium  Aymonis  carpentatoris  quondam  de  Gebennis,  nomine 
suo  et  nomine  procuratorio  universitatis  omnium  carpentatorum  in  civi- 
tate  Gebenn.  habitantium:  etFransciscum  Dardelli  clericum  [)rocuratorem 
dicte  Curie  ex  altéra.  Super  eo  videlicet  quod  dicebatur  fjuod  universilas 
dictorum  carpentatorum  inter  se  fecerant  et  ordinaverant  quedam  slatula 
contra  Dominum  et  cives  Gebenn.,  super  (piibus  inquisivimus  diligenter 


124 

veritatem,  nec  contra  ipsos  carpentatores  potuimus  aliquid  veritatis  in- 
venire.  Quare  nos  ex  habundanti  precipimus  et  injiinximus  ipsis  carpen- 
tariis  qui  nunc  sunt  et  qui  pro  lempore  fuerint,  ut  ipsi  ex  nunc  in  antea 
in  arte  carpentarie,  erga  dictos  cives  et  liabitantes,  operentur  secundum 
bonas  consuetudines  civitatis  Gebenn.  hactenus  observatas  civibus  et  ha- 
bitatoribus  Gebenn.,  et  ipsas  bonas  consuetudines  servent  ipsis  civibus 
sine  aliqua  fraude  perpétue  in  futurum  nec  aliquid  contra  dictas  bonas 
consuetudines  in  arte  carpentarie  lacère  présumant  :  et  etiam  per  dictos 
cives  injunximus  et  precipimus  eisdem  carpentariis ,  dictas  bonas  con- 
suetudines in  dicta  arte  inviolabiliter  observari.  Nolentes  etiam  contra 
ipsos  procuratores  nec  in  eorumdem  opère  seu  alTanagio  aliquid  innovare 
nec  aliquid  novi  concédera  seu  ordinare  in  prejudicium  eorumdem,  quin 
semper  gaudeant  et  fruantur  secundum  dictas  bonas  consuetudines  hac- 
tenus observatas.  Datum  Gebenn.  die  Lune  ante  festum  B.  Johannis 
ante  portamlatinam,  cumappositione  sigilli  Curie  Vicedonatus  Gebennarnm 
in  premissorum  testimonium,  A.  D.  1315°,  et  si  alique  littere  contra  dictos 
carpentarios  super  premissis  et  ratione  premissorum  invenirentur  confecte 
ipsas  quassamus  et  adnullamus,  et  eas  volumus  carere  robore  firmitatis. 
Datum  ut  supra. 

(Copié  dans  le  Livre  des  Franchises,  f°  43  verso.) 


AMORTISSEMENT 


DU 


CLOCHER  DE  LA  PLACE  DU  MOLARD 

A  GENÈVE 


Le  clocher  de  l'horloge  du  Molard  se  termine  par  un  amor- 
tissement d'un  genre  particulier  et  dont  nous  donnons  un  des- 
sin exact.  C'est  un  fer  de  hallebarde,  dont  l'élégance  et  le  style 
décoratif  annoncent  une  arme  du  seizième  siècle. 

La  partie  inférieure  de  celte  arme  a,  d'un  côté,  la  forme  d'un 
croissant,  et  de  l'autre,  elle  se  termine  en  pointe;  cette  pointe 
est  perforée  et  une  clef  y  est  suspendue,  non  par  l'anneau,  mais 
par  une  petite  boucle  ajustée  a  l'extrémité  de  la  tige.  Quelle  est 
la  signification  de  cette  arme  et  de  cette  clef?  qui ,  il  n'y  a 
guère  lieu  d'en  douter,  ont  été  placées  dans  un  lieu  semblable 
d'une  manière  intentionnelle. 

Si  on  écoute  la  tradition ,  la  clef  serait  celle  de  l'ancienne 
porte  de  ville  qui  se  voit  encore  sous  le  clocher  du  Molard,  ou 
bien  une  de  celles  des  autres  portes ,  et  elle  aurait  été  placée 
au  sommet  du  clocher  en  souvenir  de  l'Escalade  de  1G02  avec 
une  des  armes  des  assaillants. 

Celle  tradition,  que  nous  avons  cru  bon  de  recueillir  avant 
qu'elle  soit  complètement  eiïacée ,  ne  peut  malheuieusement 
pas  s'étayer  d'autorités  authentiques;  les  Registres  de  la  Cham- 
bre des  Comptes  ,  source  souvent  précieuse  pour  les  détails  re- 
latifs aux  monuments  publics,  ne  contiennent  rien  a  ce  sujet. 


i26 

Tout  ce  que  nous  pouvons  dire,  c'est  qu'ayant  eu  momentané- 
ment entre  les  mains  l'amortissement  dont  nous  parlons,  qui 
avait  été  déposé  en  suite  d'un  travail  exécuté  sur  le  clocher , 
nous  avons  pu  nous  assurer  que  la  hallebarde  est  une  arme 
véritable,  et  que  la  clef  est  une  clef  ordinaire  qui,  autant  qu'on 
peut  en  juger  par  l'usure  du  panneton,  a  réellement  servi  avant 
de  devenir  une  pièce  de  cette  espèce  de  trophée  si  originale- 
ment placé.  Ajoutons  que  cette  clef  n'a  aucun  caractère  d'an- 
cienneté, qu'elle  n'est  point  contemporaine,  de  la  hallebarde  et 
que  nous  ne  serions  point  étonnés  d'apprendre  qu'elle  n'a  été 
appendue  qu'à  une  époque  tout  a  fait  récente. 

L'idée  de  suspendre  une  clef  au  sommet  d'un  clocher  n'est 
du  reste  pas  une  idée  neuve,  on  pourrait  citer  quelques  exem- 
ples de  dispositions  semblables  sans  qu'on  puisse  toutefois  y 
joindre  d'explications  plus  claires  que  pour  celle  qui  nous  oc- 
cupe ,  ainsi  on  voit ,  ou  tout  au  moins  on  voyait  naguère ,  au 
sommet  de  la  flèche  de  la  cathédrale  de  Strasbourg,  et  un  peu 
au-dessous  de  la  pomme  qui  termine  cette  aiguille,  une  énorme 
clef  en  fer  suspendue  au  moyen  d'un  anneau  sans  qu'on  ait  pu 
découvrir  pour  quelle  raison,  ni  à  quelle  époque  elle  a  été  pla- 
cée dans  ce  lieu  ;  la  mention  de  cette  clef  se  trouve  déjà  dans 
la  Description  de  la  cathédrale  de  Strasbourg  par  Bœhm ,  pu- 
bliée en  1743. 


LE  BRAS  DE  FER  T)E  JEAN  D'IYOIRE 


On  a  dit  beaucoup  de  choses  sur  le  bras  de  fer  de  Jean  d'I- 
voire ainsi  que  sur  le  héros  pour  qui  celte  pièce  aurait  été  faite. 
Nous  ne  voulons  faire  ici  ni  une  réfutation  ,  ni  une  exposition 
historique,  mais  seulement  donner  quelque  publicité  à  des  ma- 
tériaux qui  peuvent  servir  pour  l'un  et  pour  l'autre. 

Le  bras  de  fer  dont  nous  donnons  la  figure  est  conservé 
dans  les  archives  du  château  d'Ivoire,  sur  les  bords  du  Léman  ; 
c'est  une  pièce  dont  les  analogues  sont  mentionnés  dans  un 
grand  nombre  d'écrits  du  moyen  âge ,  et  dont  on  trouve  des 
originaux  dans  quelques  musées.  Son  mécanisme  est  des  plus 
simples ,  le  coude  étant  sans  articulations  de  même  que  les 
grands  doigts ,  le  pouce  seul  est  mobile.  Les  ouvertures  qui 
se  voient  dans  le  mancheron  servaient  a  attacher  ce  membre 
artificiel  au  moionon  du  bras. 

Jean  d'Ivoire  nous  paraît  un  personnage  entièrement  fictif. 
L'individu  pour  lequel  ce  bras  fut  exécuté  se  nommait  Ferdi- 
nand Bovier  ou  Bouvier  et  appartenait  a  la  famille  des  barons 
actuels  d'Ivoire.  C'était  l'un  des  conjurés  qui,  en  1588,  tentèrent 
de  délivrer  le  pays  de  Vaud  de  la  domination  bernoise.  Se 
voyant  découvert,  il  s'échappa  à  l'aide  de  stratagèmes  que  nous 
avons  racontés  ailleurs,  et,  monté  suj-  un  bon  coursier,  se  réfugia 


128 

sur  les  terres  de  Savoie,  traversant  la  pointe  du  lac  à  la  nage. 
Le  contrai  de  mariage  de  Ferdinand  Bouvier ,  pièce  datée  de 
1 580,  est  conservée  aux  archives  cantonales  de  l'Etat  de  Vaud; 
M.  l'archiviste  Baron  a  eu  l'ohligeance  de  nous  en  expédier 
une  copie  authentique  dont  voici  la  teneur  : 


«  Au  Nom  de  dieu.  Âinsin  soit  11.  A  tous  présens  et  adue- 
nirs  par  Gestes  soit  chose  notoire  et  Manifeste  comme  en  suy- 
vant  la  ordonnance  de  Dieu  faicle  du  sainct  estât  de  mariage  et 
en  conséquent  le  vray  ordre  des  Chrestiens ,  de  présent  par 
parolles  et  promesses.  Il  az  esté  traiclé  de  mariage  entre  les 
parties  soubznommees,  Assavoir  entre  Nohle  Ferdinand  Bovier 
filz  de  fenz  Noble  Franceovz  Bovier  boursçeois  de  la  Villeneuve 
de  Chillion  traictant  a  son  nom  propre  d'une  part ,  Et  honno- 
rable  Marie  du  cresl  Relicte  de  feuz  Noble  Adam  de  Garniisvil 
en  son  vivant  donzel  des  planches  de  Mustreuz  traictante  aussi 
a  son  nom  propre  daultre  part.  Lesquelles  parliez  ont  entre 
Icelles  faict  dict  arresté  et  conclud  les  pasches,  promesses,  et 
conventions  de  mariage  au  mode  que  sensuvt,  Et  premièrement 
ledict  Noble  Ferdinand  bovier  az  promis  par  son  serement  et 
bonne  foy,  Que  II  prendraz  la  susdite  Marie  du  Crest  pour  saz 
loyale  femme  et  espouse ,  et  Icelle  par  devant  l'assemblée  de 
leglise  comme  est  lordre  des  Chrestiens  la  espouseraz,  Et  par 
semblable  serement  que  dessus  la  dicte  marie  du  crest  az  pro- 
mis que  elle  prendraz  le  susdt  Ferdinand  Bouier  pour  son  loyal 
mary  et  espoux  et  Icelluy  par  devant  l'assemblée  de  l'Eglise 
comme  est  lordre  des  chrestiens  le  espouseraz,  En  après  des- 
quelles promesses  matrimoniales  ainsin  faictes ,  pour  la  confir- 
mation et  approbation  de  Icestuy  présent  mariage,  Il  est  assa- 
voir que  la  dicte  Marie  du  Crest  c'est  conjoincte  et  mariée  au 
dict  Noble  Ferdinand  Bouier,  assavoir  avecq  tous  et  ung  ches- 
cungz  ses  biens  et  droits  de  Icelle  marie  du  crest  quelz  quilz 
soyent  et  de  quelle  qualité  Ils  pourront  estre,  Lesquelz  la  doib- 


129 

uronl  suivre  avec  son  di  mary  après  la  célébration  des  nop- 
ces,  El  en  la  contemplation  de  Icesluy  preseut  mariage  et  affin 
que  k'ellu^  puisse  mieulx  sortir  a  son  effect  c'est  constitué  le 
susdt  iNoble  Ferdinand  bovier,  lequel  comme  sçachanl  de  son 
bon  grez  et  spontanée  voluntez,  sans  aulcune  contraincte  ny 
déception  pour  îuy  et  les  syens  héritiers  «juelzconques,  a  donne 
bail!e  et  constitue  de  don  gracieux  au  lieu  de  augmenlement, 
a  la  dicte  marie  du  crest  saz  promise  estant  présente  et  slipu- 
laule  pour  elle  et  les  syens  héritiers  queizconques ,  assavoir  la 
somme  pécuniaire  pour  une  fois  de  mille  florins  de  petit  poids, 
ung  chescung  florin   vaillant  douzes  gros  de  bonne  monoye 
par  le  pays  coursable ,  Lesquelz  pour  et  aftln  que  a  ladueuir 
pour  la  dicte  saz  promise  ne  soyent  perduz,  mais  demeurent 
seurs  et  asseurs,  Les  az  assignez  pose  et  ypothecquez  pour  par 
Icelle  et  les  syens  a  debuoir  bavoir  lever  et  percoivre  en  tous 
cas  aduenant  de  restitution  scellon  les  boas  vs  et  coustumez  de 
Lausanne,  sceîlon  laquelle  le  présent  traicté  est  reduict,  assa- 
voir sur  tous  et  ung  chescungz  ses  biens  meubles  luimeubies 
presens  et  aduenirs  queizconques ,  aussi  az  promis  de  faire  a 
la  dicte  saz  promise  vne  robbe  et  vne  cotte  nuptiales  sellon  son 
estât  pour  le  Jour  des  nopces,  et  de  la  enjoieiler  de  Joyaulx 
nuptiaulx  scellon  aussi  son  dt  estât.  Daultre  part  îadicte  marie 
du  crest  espouse  ayant  regard  a  l'amitié,  Laquelle  elle  porte 
au  susdt  Noble  Ferdinand  Bovier ,  aiissi  en  consyderation  des 
poynes  et  grands  Labeurs  que  II  auraz  en  la  maintenance  et 
protection  de  ses  biens  pour  estre  chargez  de  plusieurs  debtes 
et  affin  de  iuy  donner  meilleur  couraige  de  Iceux  entretenir, 
Pour  ce  regard  comme  scachante  de  son  bon  grez  et  spontanée 
voluniez,  sans  aulcune  contraincte,  tromperie  ny  séduction  pour 
elle  et  les  syens  héritiers  quelzconquez  az  donne  baille  et  graiiffie 
par  ce  présent  traiclez  de  mariage  de  don  gratuit ,  auecq  noble 
Ferdinand  bouuier  son  mary  promis  piît  et  stipulant  pour  iuy  et 
les  syens  héritiers  queizconques,  et  cest  cas  aduenant  que  elle 
decede  de  ce  monde  avant  son  dt  mary  et  que  Icelle  ne  aye  des 
Tom6  XI.  9 


Î30 

enffaus  supeivivaus  nays  de  leur  mariage  Assavoir  !a  somme 
de  Denx-milîe  «^scuz  d'or  au  signe  du  Soleil  et  de  bon  poids, 
lesquels  aduenanî  predictes  conditions  V(ndl  e(  desclaire  deb- 
uoir  eslre  levez  et  detirez  par  ledt  Nohle  Ferdiiiand  Bouier 
son  mary  sur  tous  et  ung  cbescungz  ses  biens  lani  meubler, 
que  ïmîiieubies  quolzconques  Lesquelles  toutes  choses  siises- 
criptes  Les  prénommées  paities  contrabanles  ont  spontannee- 
menl  et  de  leur  bon  grez  loué  ratifiîé  et  approuué.  En  pro- 
mettant par  leurs  seremens  et  bonnes  foy,  et  soubs  la  expresse 
obligation  de  tous  et  ung  clsescungz  leurs  biens  tant  meubles 
que  îmmeables  prer-ens  et  aduenirs  qnelz  qu'ils  soyent,  !cestuy 
présent  conlraet,  avecq  toutes  les  cboses  en  Icelluy  contenues, 
bavoir  et  tenir  a  tousjours  pour  fermes ,  stables ,  aggreables  et 
vallides ,  pour  Jamais  a  ienconire  dire  aller  ny  venir  par  eux 
ny  par  aulcungz  auUres  a  Leurs  noms  en  fasson  (|ue  ce  soit 
au  temps  futur,  ains  a  tous  voullans  aller  au  contre  résister  de 
tout  leur  pouuoir ,  .soubz  l'entière  Restitution  à  debuoir  faire 
de  tous  domaiges  costes,  missions  et  despens,  lesquelz  ou  les- 
quelles soy  pourroyent  sortir  ou  incourir  à  l'une  ou  h  l'autre 
des  parties  contrahenles  pour  nor»  avoir  esté  observées  et  ac- 
complies les  choses  îcy  dessus  escriptes  et  enarrees,  Renun- 
ceantz  finalement  ïrelles  dictes  parties  conirahantes  pour  aulx 
et  les  Leurs  susdicîs  par  vigueur  de  Leurs  diclz  seremens ,  a 
toutes  et  singuliers  exceptions,  déceptions,  cavillations,  eau- 
tbel'es,  oppositions,  ileffenses,  et  allégations  de  droicts,  de  Iran- 
chises,  d'usance  et  cousiumes  de  pays  et  lieu,  Et  generallemenl 
a  tontes  aulties  choses  aux  présentes  contrariantes  et  par  le 
njoyen  desquelles  elles  pouirayent  du  tout  ou  en  partie  estre 
cassées,  vici^-es,  abolies,  fnfraincies  et  cancelees,  et  maxime- 
menî  an  droict  disant  la  generalle  renunciation  rien  valloir  si  la 
spéciale  ny  précède.  Donné  soubz  le  s*^'l  armoriai  du  très-bon- 
noré  seig*"  balîifz  de  Viveys  et  capitlaine  de  chillion ,  Depuie 
au  nom  et  pour  la  part  de  la  magnificeiicc?  de  nos  très  redoub- 
lez princes  et  seigneurs  supérieurs  de  la  Louable  ville  de  Berne 


131 

sans  son  domaige  ny  des  syens  avecq  le  signet  manuel  de  inoy 
Notaire,  Juré,  soubsignez  en  plus  grande  corroboralion  des 
choses  Ici  dessus  escriples ,  Faict  eis  planches  de  Mustreuz  le 
vingt  et  deux  Jour  du  mois  de  Décembre ,  Lan  de  nostre 
seig""  Jesus-Christ  courant  mille-cinq-cents  et  octanle,  Presens 
nobles  et  puissans  Seigneurs  Bendich  d'Erlach  bourg*  de  Berne, 
gouverneur  en  Aigle,  Henricli  Synner  ballifz  de  chillion,  Fran- 
ceoys  de  Blouay  seig*"  du  dt  lieu ,  Johan  Franceoys  son  fils, 
Franceoys  et  Johan -baptiste  deprez  frères,  Andrey  Joffrey, 
Franceoys  de  Tavel,  Franceoys  et  Loys  de  Collorabier  frères, 
Prudentz  maistre  Johan  Roland  ministre  de  la  parolle  de  Dieu 
a  Mustreuz ,  maistre  Johan  poysat  ministre  de  la  Villeneuve, 
Egregie  ypolite  mesiral  notaire  de  Vivey,  avecq  plusieurs  aul- 
tres  parens  tesmoingz  a  ce  requis.  » 

«  (signé)  P"*'  Do  Mur  , 

«  Leue  est  au  nom  et  a  laide  du  susdt  noble 
Ferdinand  bovier  espoux  et  des  syens.  » 


RECHERCHES 


SCR 


L'ORIGISE,  L'HISÏOIRE  ET  LES  EFFETS 


DE   LA 


CHAMBRE  DES  BLÉS 

INTRODUCTION 

On  pourrait  donner  le  nom  d'instilutions  exceptionnelles  k 
celles  qui,  amenées  par  des  circonstances  impérieuses  en  même 
temps  qu'anormales,  ont  été  en  opposiliou  avec  los  vrais  prin- 
cipes administratifs.  Elles  sont  utiles  à  étudier,  non  point  comme 
modèles,  mais  parce  que  leurs  causes,  et  surtout  leurs  effets  di- 
rects ou  indirects,  lienieux  ou  funestes,  leurs  succès  ou  leurs 
revers  sont  particulièrement  instructifs  pour  l'économiste  et 
l'historien. 

La  Chambre  des  blés  instituée  à  Genève  en  1028,  et  qui  a 
duré  jusqu'en  1798,  était  dans  ce  sens  uue  institution  excep- 
tionnelle, tout  à  fait  digne  d'une  étude  approfondie.  Celte  étude 
n"a  point  encore  été  faite,  du  moins  depuis  que  la  Chambre  des 
blés  a  cessé  de  fonciionner,  et  qu'il  est  permis  de  juger  impar- 
tialement l'ensemble  de  son  action.  Rien  n'a  encore  été  publié 
sur  ce  sujet  ',  déjà  presque  inconnu  à  la  génération  actuelle.  Il 

*  Il  faut  en  excepter  quatie  pages  du  remarquable  rajiport  de  M.  de  Gan- 
dolle  père,  au  nom  d'une  commission  des  subsistances,  en  janvier  1820, 


133 

serait  vraiment  dommage  que  les  patriotiques  efforts  dont  cette 
singulière  institution  a  fait  preuve,  les  longs  services  qu  elle  a 
rendus,  et  aussi,  je  dois  le  dire,  les  graves  inconvénients  qu'elle 
a  entraînés  à  la  longue  par  sa  nature  exceptionnelle,  tombassent 
dans  un  oubli  complet.  Il  y  a  là  d'une  part  des  souvenirs,  de 
l'autre  des  leçons  qui  font  partie  de  rbérilage  de  nos  pères  et 
que  Genève,  malgré  les  changements  qui  la  transforment,  ne 
doit  pas  laisser  perdre. 

Mais  je  n'ai  ni  la  possibilité,  ni  par  conséquent  ia  prétention 
d'écrire  ici  l'iiistoin^  développée  de  la  Chambre  des  blés.  Je 
serais  seulement  heureux  d'encourager  à  cette  œuvre  des  tra- 
vailleurs plus  jeunes  et  plus  forts.  J'ai  voulu  la  leur  faciliter  en 
réunissant  et  en  coordonnant  un  cerlain  nombre  de  faiis  et  d'ob- 
servations, résultat  de  recherches  auxquels  j'ai  été  fortuitement 
conduit. 

J'ai  surtout  utilisé  pour  ce  travail  les  registres  du  Conseil 
d'Etat  vers  la  fm  du  16™*"  siècle  et  pendant  la  première  moitié 
du  17'^^'^;  des  mémoires  historiques  officiels  ou  semi-officiels, 
conservés  aux  archives;  enfin  le  rôle  exact  des  prix  du  blé  de 
1578  à  1772.  La  complaisance  de  M.  l'archiviste  Heyer  a, 
comme  toujours,  grandement  facilité  ma  tâcJie, 

La  république  de  Genève,  au  commencement  du  17"^*  siècle 
comme  au  16™^,  était,  quant  aux  denrées  nécessaires  à  la  vie, 
dans  une  position  tout  à  fait  précaire  et  forcée,  qui  l'obligeait 
constamment  h  recourir  à  des  moyens  anormaux.  On  y  conser- 
vait le  souvenir  de  famines  dans  lesquelles  les  Sujets^  c'est-à- 
dire  les  paysans  des  campagnes  genevoises,  avaient  dû  vivre 
d'herbes,  en  d'auires  termes  mourir  de  faim*. 

Le  territoire  de  la  république  ne  lui  fournissait  pas  des  ré- 
coltes suffisantes  pour  la  nourrir.  Les  rapports  officiels  n'éva- 
luent leur  produit  qu'à  un  neuvième  de  la  conson]mation  pour 
le  commencement  du  l?™*"  siècle,  et  à  un  dixième  seulement 

«  Cela  ^tait  encore  arrivé  en  15><(>. 


134 

pour  la  fin  du  18™®.  Ces  récoltes  même  étaient  fréquemment 
enlevées  par  Ii^  brigandage  ou  la  guerre.  Les  étroites  frontières 
de  Ger'.ève  touchaient  à  des  pays  souvent  ennemis,  et  avec  les- 
quels le  contmerce  des  blés  n'était  jamais  facile  ni  sûr.  La  Savoie 
ne  laissait  en  aucun  cas  sortir  le  blé,  la  France  seulement  quand 
les  prix  étaient  bas,  et  Berne  les  arrêtait  dès  qu'il  y  avait  cherté. 
Les  Genevois  qui  avaient  des  propriétés  dans  1<!S  États  de  Sa- 
voie n'en  pouvaient  souvent  retirer  les  fruits  qu'après  des  luties 
prolongées  ou  de  sanglantes  rixes.  Les  paysans  savoyards,  qui 
essayaient  d'amener  leurs  blés  à  Genève,  couraient  le  risque 
de  la  confiscation  et  des  plus  mauvais  traitements.  Ils  étaient 
maltraités  et  dépouillés  sans  pitié  par  ceux  qu'on  nommait 
Gardes  des  6/«s,  f!  qui  élisaient,  ce  semble,  à  la  fois  le  métier 
de  gendarmes  et  celui  de  brigands,  peut-être  spontanément  et 
par  soif  de  gain,  peut-être  aussi  à  la  solde  du  duc  de  Savoie; 
toujours  au  péril  de  leur  vie,  car  s'ils  se  laissaient  prendre  sur 
terre  de  Genève,  ils  y  étaient  pendus  d'ordinaire. 

Pour  se  procurer  les  blés  dont  ils  avaient  besoin,  les  Gene- 
vois n'avaient  donc  bien  souvent  à  choisir  qu'entre  la  contre- 
bande armée  et  le  pillage.  On  voit  en  1589  le  célèbre  Jacques 
Lect,  déjà  depuis  plusieurs  années  professeur  de  droit  et  Con- 
seiller dEtat,  demander  au  Conseil  et  en  obtenir  l'autorisaiion 
d'aller,  de  concert  avec  le  capitaine  Pépin,  moissonner  chez  Ten- 
nemi  '.  Cet  élai  de  choses  fut,  sans  doute,  fort  adouci  par  le 
traité  de  Sl-Julien  ^,  mais  il  ne  fît  pas  place  à  une  sécurité  com- 
plète, car  les  mœurs  et  les  passions  restèrent  longtemps  les 
mêmes.  D'ailleurs,  pour  bien  apprécier  la  position  de  Genève 
au  point  de  vue  de  l'arrivage  des  blés,  il  faut  se  rappeler  le  peu 
de  ressources  qu'offrait  pour  cela  le  commerce,  à  une  époque 
où  d'une  part  les  transports  étaient  encore  entravés  par  bien  des 

•  Protjableiaent  dans  les  environs  de  sa  terre  de  Bourdigny,  qui  avait  été 
précédcniiiienl,  ou  qui  fut  peu  après,  ravagée  el  brûlée  par  les  troupes 
savoyardes  stationnées  dans  le  pays  de  Gex. 

•  En  1603. 


135 

difliculiéà  malérielles  el  politiques,  et  de  l'anue,  les  vrais  prin- 
cipes du  commerce  des  subsistances  enùèremenl  ignorés. 

Il  était  certes  bien  naturel  que  les  liommes  d'Etat,  qui  veil- 
laient au  salut  de  Genève,  cherchassent  avec  anxiété  les  moyens 
de  lui  assurer  des  aliments  pour  les  années  de  cherté.  Or,  l'une 
des  premières  idées  qui  durent  se  présenter  à  eus,  et  la  plus 
naturelle  de  toutes,  était  celle  dont,  à  l'enfance  même  de  la  ci- 
vilisation, les  Livres  saints  fournissaient  un  mémorable  exemple: 
accumuler  des  provisions  pendant  les  années  d'abondance,  pour 
pourvoir  a  celles  de  famine.  En  établissant  comme  une  société 
d'assurance  forcée  entre  les  années  successives,  on  pouvait  se 
flatter  d'égaliser  en  quelque  mesure  les  récoltes  et  les  prix. 

On  devait  même  se  figurer,  tant  qu'on  n'en  avait  pas  encore 
fait  l'essai,  que  cette  institution  serait  une  source  noii-seu!emenl 
de  tranquillité,  mais  de  gains  assurés  pour  le  pays  qui  saurait 
la  fonder  et  la  conduire. 

Quelques  tentatives  imparfaites  et  bientôt  abandonnées  eurent 
lieu  dans  ce  sens  à  Genève  en  1588  et  1595  *,  puis  encore, 

'  L'une  et  l'aiitL'o  de  ces  tentatives  se  rattachent  à  iiu  des  noms  les  plus 
vénérables  de  l'époque,  à  Michel  Roset.  Elles  prouvent  combien  ce  citoyen 
émiuent  se  préoccupait  des  souffrances  du  pays  et  de  la  désastreuse  famine 
de  1586,  dont  la  république  se  remettait  à  peine. 

Je  transcris  le  i-egistre  de  1588. 

0  Sur  la  proposition  cy-devant  faite  de  faire  une  bonne  provision  de  bled 
pour  le  soulagement  du  peuple,  et  pour  une  nécessité  afin  de  l'avoir  toujours 
à  bon  pi'ix  même  dans  les  temps  de  cherté,  M.  le  premier  Syndic  (Michel 
Koset)  a  rapporté  qu'en  ayant  conféré  avec  les  seigneurs  Jean  Sarasin, 
Manfredo  Brdleani  et  Pierre  De  la  Rue,  (pii  avoient  donné  leur  avis  par 
écrit,  suivant  lequel  il  a  été  arrêté  qu'il  y  aie  six  conseillers  chargés  de 
faire  les  dites  provisions  de  bled  et  d'autres  grains  au  plus  bas  prix  possible 
comme  encore  pour  tenir  la  ville  pourvue  de  bon  pain,  bien  accommodé 
et  à  un  prix  raisonnable,  et  que  la  dite  commission  soit  composée  d'un 
seigneur  syndic,  d'un  conseiller  du  P.  tit  Conseil  et  de  quatre  de  celui  des 
ce,  lesquels  auront  six  sous  pour  chaque  assemblée.  » 

Un  pareil  projet  n'a  j'ien  encore  de  saisissable  et  de  solide.  On  s'est 
préoccupé  des  petits  détails  sans  paraître  se  douter  des  difficultés  réelles.  On 
fixe  d'entrée  les  jetons  de  présence,  mais  on  ne  sonsre  pas  aux  capitaux  à 
réunir  pour  cheminer 


136 

comme  nous  !e  verrons,  en  1 622,  mais  la  pensée  même  de 
l'insiitiition  d'une  Cliamlire  des  blés  ne  prit  véritablement  un 
corps,  et  ne  fut  revêtue  d'ane  forme  possible  qu'en  1628;  date 
réelle  de  celle  importante  organisation,  qui,  pendant  170  ans, 
a  tenu  une  si  grande  place  dans  la  vie  financière,  commerciale, 
malérielle,  morale  cl  même  politique  de  la  vieille  Genève. 

Mais  avani  de  raconter  la  constitution  de  la  Chambre  des 
blés,  et  pour  bien  comprendre  la  série  des  idées  ou  des  f.iils  qui 
y  firent  arriver,  en  d'auires  termes,  pour  retirer  de  ceux-ci  les 
instructions  très-positives  qui  en  découlent,  nous  devons  nous 
arrêter  un  momesit  sur  la  succession  et  les  variations  des  prix 
dans  les  années  précédentes,  et  particulièrement  dès  1619. 

Pour  faire  celle  aporécirttion  avec  une  précision  entière,  il 
faudrait  tenir  exactement  compte,  soit  de  la  dépréciation  totale 

En  1595,  il  n'en  est  plus  de  même.  Pendant  ces  sept  ans  la  tête  de 
Michel  Roset  a  travaillé,  et  sa  pensée  s'est  mûrie.  Pourtant,  il  est  encore 
bien  loin  de  se  faire  une  juste  idée  des  conditions  nécessaires  à  son  entre- 
prise, et  principalement  des  garanties  à  donner  aux  actionnaires.  Voici  son 
projet  tel  que  le  donnent  les  procès- verbaux  de  1595. 

«  Il  a  été  rappoité  que  M.  l'ancien  syndic  Roset  ayant  conféré  avec  le 
seigneur  de  la  maison  Neuve,  sur  les  moyens  de  remédier  à  la  cherté  du 
bled,  ils  avaient  trouvé:  l"Que  s'il  plaisait  à  la  seigneurie  d'entrer  dans  une 
compagoie  qui  se  ferait  pour  cela,  pour  la  somme  de  1000  ou  500  écus,  le 
Conseil  nommerait  un  seigneur  de  son  corps,  pour,  avec  ceux  qui  seraient 
choisis  de  la  dite  Compagnie,  aviser  à  tout  ce  qui  concernera  l'nchat,  la 
conduite,  la  vente,  l'avilissement  et  renchérissement  des  bleds.  2°  Que  s'il 
arrivait  que  le  bled  diminuât  de  prix,  les  boulangers  seroient  obligés  aussi 
longtemps  que  le  bled  de  la  dite  compagnie  durerait,  d'en  prendre  et  de  le 
payer  à  8  pour  100  de  profit,  et  qu'en  ce  cas  la  dite  compagnie  aurait  le 
même  privilège  que  nos  dits  seigneurs,  de  vendre  le  bled  du  public  quand 
ils  «1!  ont;  3"  ([ue  nos  dits  seigneurs  accommoderont  gratuitement  la  dite 
compagnie  des  greniers  de  la  seigneurie,  pour  y  loger  ces  bleds,  et  qu'ils  lui 
accorderont  les  lettres  de  recommandation  dont  elle  pourrait  avoir  besoin 
pour  le  passage  des  bleds,  exemption  de  péages  et  autres  cas  qui  pourraient 
survenir,  /> 

«  Dont  opiné,  arrèl»'  que  poia-  le  bien  public  on  accepte  les  dits  trois 
articles.  » 

Du  reste  rien  n'indique  que  cet  arrêté  ait  eu  quelque  suite.  Selon  toute 
apparence,  la  compagnie  ne  put  se  former. 


137 

de  l'argent  depuis  lors  jusqu'à  nos  jours,  soit  de  la  marche  ir- 
régulière quoiqiie  eonstamraenl  progressive  de  cette  déprécia- 
tion pendant  î'époque  qui  nous  occupe,  c'e.sl-h-dire,  dans  la 
première  moitié  du  17™®  siècle.  Je  ne  puis  décidément  aborder 
le  second  poinl,  mais,  quanl  au  premier,  je  me  crois  près  de  la 
vérité  en  aiîmetlant  qu'en  moyenne,  à  Genève,  de  1615  à  1625 
ou  à  1630,  l'argent  représentait  h  peu  près  trois  fois  s;i  valeur 
actuelle  '. 

En  1619  le  prix  du  blé,  après  la  récolte,  fut  de  fl.  17, 
prix  comparativement  él-jvé,  mais  supportable,  puisqu'il  aurait 
représenté  pour  notre  temps  23  à  24  francs. 

En  1620  les  prix  descendirent  a  12  fl.  6  d.,  ce  qui  cor- 
respondait assez  exactenjcnt  à  la  moyenne  des  dix  années  anté- 
rieures, de  1609  à  1618,  dont,  du  reste,  le  maximum  avait 
été  de  18  fl.,  en  1614,  et  le  minimum  de  9  fl.,  en  1613. 

En  1621,  ie  prix  après  la  récolte  remonta  quelque  peu.  Il 
fut  de  1 3  fl.,  léger  accroissement  qui  ne  faisait  guère  présager 
l'état  de  souffrance  qui  se  préparait.  Ces  soufl*rances,  dues  pro- 
bablement à  des  causes  politiques  réunies  à  la  mauvaise  appa- 
rence des  blés  récemment  semés,  furent  telles  qu'à  la  fin  de 
cette  même  année  on  chassa  de  la  viile  les  bouches  inutiles,  et 
que,  pour  remédier  à  la  détresse  de  l'Etat,  on  recourut  ou  l'on 
songea  à  bien  des  expédients  dont  je  ne  citerai  qu'un  seul. 

L'auditeur  Tremidey  proposa  que  chaque  citoyen  fût  tenu  de 
déclarer  sa  fortune  sous  la  foi  du  serment,  et  d'en  donner  à  la 
seigneurie  un,  ou  du  moins  demi  pour  cent.  Ce  qui,  du  reste, 
fut  rejeté. 

Quoi  qu'il  en  soit,  en  1622,  le  prix  du  blé  s'accroissant  d'une 
manière  efïrayante,  le  Conseil  d'Etat  crut,  dès  les  mois  de  mars 

'  Le  gage  d'un  régent  de  première,  par  exemple,  étant  en  it>17  de 
1000  florins,  21)  conpos  de  blés  et.  un  logement  de  peu  de  valeur,  pouvait 
s'évaluer  à  1800  florins,  soit  830  francs,  el  équivalait  à  ce  que  je  présume 
à  2500  francs  dans  le  moment  actuel.  Par  la  loi  de  1848  ce  traitement  esl 
en  ce  moment  de  2700  francs  plus  un  casuel. 


138 

el  d'avril,  devoir  recourir  a  des  mesures  extraordinaires.  Il  fit 
chercher  du  blé  dans  les  provinces  françaises  voisines.  Malheu- 
reusement il  ne  s'en  tint  pas  là,  mais  il  essaya  d'un  expédient 
qui  se  présenie  naturellement  en  pareil  cas  à  l'esprit  des  peuples 
encore  étrangers  à  la  science  administrative.  11  eut  la  fatale  idée 
de  décréter  un  maximum  que  h  prix  du  blé  ne  devait  pas  dé- 
passer. Ce  maximum  dnt  paraître  non-seuUment  opportun,  mais 
équitable.  En  effet,  il  fut  fixé  à  17  fl.,  c'était  le  prix  de  l619 
et  le  plus  élevé  que  l'on  eût  connu  depuis  1614.  Hélas,  cette 
mesure  déplorable  eut  bien  vite  son  effet  naturel.  Trois  mois 
après,  et  pourtant  à  la  suite  de  la  récolte,  le  prix  s'éleva  à  34  fl., 
c'est-a-dire  exactement  au  doubi*^  du  maximum  imposé. 

Cette  année  1622,  on  le  comprend,  fut  difficile  à  passer.  Le 
peuple,  chez  lequel  on  ne  pouvait  p;^s  s'attendre  à  trouver  plus 
de  lumières  que  chez  ses  magistrats,  se  plaignait  d'eux  avec 
amertume,  les  accusant  d'imprévoyance,  et  les  pasteurs,  qui 
partageaient  naturellement  l'erreur  commune,  eurent  le  malheur 
de  se  faire  l'écho  de  ces  plaintes. 

D'autre  part,  il  paraîtrait  que  le  blé  de  la  seigneurie,  pro- 
venant des  dîmes  ou  d'achats  spéciaux,  était  de  mauvaise  na- 
ture ou  mal  conservé,  car  le  Conseil  répond  aux  plaignants, 
que  la  disette  n'est  apparemment  pas  si  grande  qu'on  le  dit, 
puisqu'on  refuse  quelquefois  le  blé  qu'il  donne,  et  qu'on  l'a 
même,  en  certain  cas,  laissé  à  la  rue;  ce  qui  prouve  simplenient 
à  quel  point  il  était  en  mauvais  état. 

Ce  fut  dans  ces  circonstances  que  surgit  la  proposition  d'une 
Chambre  des  blés,  mais  sous  une  forme  qui  ne  pouvait  guère 
la  rendre  acceptable  ou  du  moins  fructueuse.  L'ancien  syndic 
Jean  Savion  voulait  qu'elle  fût  «  composée  de  seigneurs  du 
«  Petit  Conseil,  des  Soixante  et  du  CC,  à  laquelle  les  particu- 
«  liers  pourront  prêter  de  l'argent  pour  acheter  des  blés.  »  Il 
est  probable  qti'une(>hambre  ainsi  constituée,  et  sans  autre  ga- 
rantie, n'eût  pas  trouvé  beaucoup  de  préteurs;  aussi  la  chose 
en  resta  là  pour  celte  fois.  Cependant  l'idée  (|ui  venait  une  fois 


139 

de  se  produire,  germa  dans  les  esprits  et  fut  essayée  sous  di- 
verses formes,  ainsi  que  nous  le  verrons  dans  les  années  sub- 
séquentes. 

En  1623,  le  nrix  du  blé  fut,  après  la  récolte,  de  21  fl., 
après  quoi  il  redescendit  en  f  024  a  16  fl.,  et  en  1625  à  12  fl. 
Mais,  dans  chacune  de  ces  trois  années,  nous  avons  à  noter 
quelques  k'iis  sigoificaiifs,  parce  qu'ils  indiquent  à  la  fois  le 
travail  des  esprits  et  leur  fausse  direction. 

En  1623  il  est  interdit  aux  boulangers  et  pâtissiers  d'acheter 
et  d'employer  d'autre  farine  que  celle  provenant  du  blé  de  la 
seigneurie,  et  cela  pend;uiî  un  mois,  jusqu'au  complet  écoule- 
ment du  vieux  blé. 

Nous  devons  fon  ément  en  conclure  que  ce  vieux  blé  de  la 
seigneurie  était  mauvais,  raie  la  sciimeurie  en  était  embarrassée 
et  ob'igée  par  la  de  recourir  a  d'étrang«s  expédients.  C'est  en 
outre  un  singulier,  quoique  très-logique,  résultat  de  l'interven- 
tion et  de  la  concurrence  de  l'Etat  dans  le  commerce  des  Mes, 
que  celle  nécessité  où  il  se  trouve  d'entraver  l'emploi  et  par 
conséquent  l'arrivée  des  blés  de  bonne  qualité,  et  cela  en  temps 
de  cherté,  car  21  fl.  la  coupe,  équivalant  à  30  francs  aujour- 
d'hui, c'est  la  cherté  et  c'est  bien  près  de  la  disette.  Au  reste, 
dans  toute  cette  histoire  genevoise  du  commerce  des  blés,  nous 
pourrions,  je  pense,  découvrir,  en  y  regardant  de  près,  bien 
d'autres  résultats,  ;sussi  bizarres  qu'instructifs,  de  l'inexpérience 
et  des  préjugés  du  temps  aux  prises  avec  de  réelles  et  dures 
nécessités. 

En  1624  on  essaya  non  pas  encore  une  Chambre,  mais  une 
Compagnie  des  blés,  qui  n'était  guère  plus  capable  de  marcher 
que  la  Chambre  proposée  par  Savion,  quoiqu'elle  fût  mieux 
conçue,  et  qu  elle  constituât  un  progrès.  Elle  fut  établie  pour 
cinq  ans,  et  elle  devait  agir  avec  des  capitaux  fournis,  un  quart 
par  la  seigneurie,  les  trois  quarts  par  les  boulangers  et  d'autres 
actionnaires.  Mais  elle  s'nppuyait,  cela  va  sans  dire,  sur  l'inter- 
diction faite  aux  boulangers  d'acquérir  du  blé  libre  J(  regrette 


140 

de  n'avoir  presque  aucun  détail  à  donner  sur  les  résultats  de  ce 
premier  essai  pratique,  qui  fonctionna  pendant  cinq  ans.  Je 
trouve  seulement  dans  les  registres  du  Conseil  ti'Eiat,  qu'en 
1625  ou  établit  des  seigneurs-commis,  tirés  du  Petit  Conseil 
et  du  ce,  sur  cette  Compagnie  des  blés,  déjà  qualifiée  h  celle 
occasion  de  Chambre  des  blés,  et  qui,  en  effet,  devenait  par 
l'introduction  des  seigneurs-commis  une  Chambre  de  i'Ëlat  '. 
Je  trouve  encore  que  l'on  décida  en  même  temps  de  bâtir  des 
greniers  à  la  Charpenierie  "^.  Ces  deux  dérisions  réunits  prou- 
vent, d'une  pari,  que  la  chose  ne  marchaii  pas  très-bien,  et  de 
l'autre,  que  l'on  voulait  cependant  poursuivre  dans  la  même 
voie,  en  essayant  de  l'améliorer.  Du  reste,  la  constitution  défi- 
nitive, et  très-différente,  de  la  Chambre  des  blés  de  1028  dé- 
montre encore  que  la  pratique  avait  déjà  révélé  des  lacunes  et 
des  dangers  dans  celle  de  1G24.  Et  pourtant  l'on  n'avait  pu  la 
juger  encore  d'après  l'expérience  critique  des  temps  de  cherté. 

En  1626  en  effet  le  blé  fut  à  14  fl.,  et  en  1627  il  ne  re- 
monta qu'à  18  fl.  6  d.  Les  registres  de  ces  deux  années  ne 
contiennent  rien  d'important  à  ce  sujet.  La  nouvelle  organisa- 
tion fonctionnait  sans  doute  assez  facilement,  grâce  à  la  baisse 
des  prix.  Mais  1628  fut  le  commencement  d'une  crise.  Cette 
année  même  Tarrêté  constitutif  de  la  Compagnie  des  blés  ex- 
pirait et  devait  être  abrogé,  renouvelé  ou  modifié.  En  même 
temps  le  blé  s'élevait  à  30  fl.,  prix  presque  double  de  la  moyenne 
des  dix  années  qui  venaient  de  s'écouler.  Alors,  au  mois  de  juin, 
surgit  la  proposition  qui  donna  naissance  à  la  Chambre  des  blés 
sous  sa  forme  complèîe. 

Ce  fut  l'œuvre  du  conseiller  Domaine  Mestrezat,  magistrat 
dont  les  propositions  diverses  ont  laissé  dans  les  registres  les 
indices  d'un  caractère  actif,  intelligent  et  plein  d'initiative.  Il 
n'était  entré  dans  le  Conseil  que  depuis  six  ans,  c'est-à  -dire  au 
moment  précis  où  Savion   proposait  une  Chambre  des  blés, 

•  Le  Registre  ne  donne  aucun  motif  h  l'appui  de  cette  introduction. 

*  Place  de  Rive. 


141 

proposition  bientôt  suivie  de  rim[iarfaite  création  essayée  en 
1624,  et  refondue  en  1625.  Ces  six  années  s'étaient  donc 
passées  pour  Mestrezatà  entendre  débattre,  à  débntlre  lui-même 
et  k  voir  expérimenter  d'après  des  faits  positifs  ei  d'infructueuses 
tentatives  celle  ma'àère  ditfi/ale.  I!  n'avait  pas  encore  été  syndic. 
Il  ne  pouvait  donc  être  déjà  rangé  parmi  les  membres  impor- 
tants du  Conseil,  mais  dans  cet'e  occasion  son  influence  gran- 
dit et  fut  l'occasion  d'un  service  décisif  rendu  au  p.iys.  Ses  ar- 
moiries même  en  conservèrent  le  souvenir,  et  l'écu  de  ses 
descendants  a  été  dès  lors  supporté  par  deux  ge:  bes  de  blé. 

A  la  même  époque,  et  avant  que  la  propos-lion  de  Mestrezat 
fût  adoptée  ou  même  faite,  le  Petit  Conseil  prit  deux  mesures 
sévères  qui  contribuent  pour  leur  part  à  faire  connaître  la  posi- 
tion alimentaire  de  la  ville,  comme  les  mœurs  et  l'esprit  du 
temps. 

Sur  les  représentations  de  la  Compagnie  il  interdit  tous  It^s 
festins,  excepté  à  l'occasion  des  noces. 

Pour  diminuer  la  détresse  publique,  et  sans  doute  aussi  pour 
faciliter  les  achats  de  blé  donl  tout  le  monde  sentait  la  néces- 
sité, il  fut  arrêté  tant  en  Petit  qu'en  Grand  Conseil  (et  déjîi  à  la  de- 
mande du  conseiller  Mesirezat)  «  qu'il  soit  défendu  à  tout  citoyen, 
bourgeois  et  habitant,  d'acheter  du  bled,  ni  prendre  paît  aux 
aclifils  qui  se  pourraient  faire  dans  la  ville  et  dans  quatre  litues 
à  la  ronde,  de  bled  et  autres  grains,  bétail,  huile  de  noix  et 
beurre,  dans  l'intention  de  débiter  ces  demées  hors  de  cette 
ville,  sous  peine  aux  contrevenants  de  500  écus  d'amende,  con- 
fiscation de  la  denrée  et  d'être  privés  de  tous  droits  et  pri- 
vilèges. » 

On  peut  se  demander  si  cette  mesure  n'allait  point  à  fins 
contraires  en  entravant  le  commerce,  et  si  d'ailleurs  elle  pou- 
vait être  rigoureusement  exécutée.  La  sévérité  excessive  des 
peines  prononcées  suffirait  pour  montrer  qu'on  n'y  pouvait 
guère  compter.  Mais  revenons  h  la  proposition  principale  du 
conseiller  Mestrezat. 


142 

H  proposait  que  l'on  fit  un  achat  extraordinaire  de  blé  avec 
des  capitaux  fournis  par  le  patriotisme  de  citoyens  aisés.  Leurs 
créances  devaient  être  hypolliéquées  sur  le  prix  de  revente  du 
blé,  sans  que  la  seigneurie  en  pûl  rien  distraire,  et  l'administra- 
tion des  capitaux,  la  direction  des  opérations  devait  être  con- 
fiée à  des  hommes  choisis  en  gronde  majorité  par  les  intéressés. 

Tel  était  le  plan  conçu  par  Meslrezal,  pian  inip;irlait  encore, 
parce  que  toute  inlerveniion  de  l'Etat  duns  le  commerce  des 
blés  est  pleine  d'une  part  de  dangers,  de  Taulre  de  complica- 
tions croissantes,  conduisant  à  des  résultais  inattendus.  Toute- 
fois ce  plan  témoignai!  de  vues  plus  intelligentes  et  plus  libé- 
rales que  tous  les  essais  qui  avaient  précédé.  AJesirezat  le  pre- 
mier avait  senti  la  nécessité  de  doimer  de  la  confiance  aux 
citoyens,  pt  d'assurer  des  garanties  ans  prêteurs  en  les  asso- 
ciant à  radminiï-tration  et  à  la  surveillance  de  l'institution  pro- 
jetée. Ce  que  ce  plan  avait  encore  de  vicieux  tenait  aux  erreurs 
économiques  de  l'époque  et  aux  circonstances  excejttionnelles 
où  Genève  se  trouvait.  Mais  tel  qu'il  était,  il  constituait  un  vé- 
ritable progrès  et  il  respirait  un  esprit,  tout  nouveau. 

Après  une  discussion  de  deux  mois,  le  projet  de  Mestrezat 
fut  adopté  en  Petit  et  en  Grand  Conseil  le  8  aoiil  1628,  et 
voici  l'analyse  ou  le  texte  des  sept  articles  dont  se  composa 
l'arrêté  définlif. 

1  "  La  seigneurie,  aidée  de  l'argent  des  prêteurs,  devait  for- 
mer un  dépôt  de  (iOOO  coupes  de  blé  ^  au  moins,  destinées  à 
être  vendues  aux  seuls  boulangers.  Ce  dépôt  devait  toujours 
être  entretenu  au  complet  dans  les  greniers  de  la  ville  par  de 
nouveaux  achats,  fails  à  l'aide  du  produit  des  ventes  successives. 

2°  «  Les  profits  qui  se  feront  sur  les  dits  blés  appartiendront 
entièrement  à  la  seigneurie,  laquelle  pourtant  ne  pourra  les  re- 
tirer, non  plus  que  son  fonds,  qu'au  bout  de  quatre  ans,  et 
après  que  les  particuliers  auront  été  entièrement  remboursés 

'  A  très-peu  de  chose  prés  4800  liectolitres. 


143 

de  leur  capital  el  intérêts;  et  les  dits  intérêts  leur  seront  payés, 
h  raison  de  six  el  deux  tiers  pour  cent,  à  la  (in  de  chaque  an- 
née, et  le  capitiil  seulement  au  bout  de  quatre  ans,  auquel  temps 
il  sera  permis  aux  dits  prêteurs  de  se  retirer  ou  de  continuer, 
ou  même,  avant  l'expiration  de  ce  terme,  de  subroger  quel- 
qu'un à  leur  place,  si  bon  leur  semble.  » 

3"  Cet  article  consliiuait  une  Chambre  des  blés,  composée 
d'un  syndic,  président,  d'un  conseiller,  qui  devait  être  du  nom- 
bre des  prêteurs,  enfin  de  cinq  autres  prêteurs  choisis  par  la 
majorité  d'entre  eux  et  approuvas  par  le  Conseil.  Le  caissier,  le 
teneur  de  livres  el  le  magasinier  devaient  être  choisis  de  même 
par  les  prêteurs,  et  approuvés  par  le  Conseil.  Il  devait  y  avoir 
une  assemblée  annuelle  des  prêîeurs,  dans  laquelle  ceux-ci  pou- 
vaient remplacer  deux  de  leurs  délégués  par  d'auiies,  approu- 
vés pareillement  par  le  Conseil. 

4°  «  Les  dits  commis  en  la  Chambre  auront  la  direction  du 
dit  commerce  des  blés,  tant  pour  l'achat  que  pour  la  vente,  et 
ils  devront  prêter  serment  tous  les  ans  à  la  seigneurie  de  bien 
administrer  ce  dont  ils  seront  chargés.  » 

5**  i<  Aussitôt  que  la  dite  Chambre  aura  provision  suffisante 
pour  débiter  aux  boulangers,  il  leur  sera  fait  défense  de  vendre 
d'autre  bled  que  celui  de  la  dite  Chambre,  ni  d'en  acheter  d'autre 
en  ville  ni  dehors  sous  peine  de  confiscation  et  d'amende;  le 
reste  du  peuple  pouvant  se  pourvoir  de  bled  à  l'ordinaire  dans 
les  marchés  auprès  de  ceux  qui  en  amèneront,  comme  ci-devant.» 

6"  Hypothèque  spéciale  sur  les  blés  et  générale  sur  l'Etat, 
assurée  aux  prêteurs. 

7**  «  Les  deniers  du  dit  commerce  ne  pourront  être  distraits 
d'iceiui  par  la  seigneurie  pour  quelque  cause  que  ce  soit.  » 

Cet  arrêté  était  suiyi  de  quelques  mesures  d'exécution  de  na- 
ture à  montrer  la  satisfaction  el  la  confiance  avec  lesquelles  la 
seigneurie  et  la  nation  acceptaient  l'iustitulion  nouvelle. 

En  examinant  de  près  cet  arrêté,  on  est  frappé  d'une  contra- 
diction singulière.  L'article  7  est  en  opposition  avec  larlicle  2. 


144 

Sans  doute  les  rédactions  obscures  se  rencontrent  souvent  dans 
les  anciens  procès-verbaux  genevois.  Mais  il  y  a  autre  chose  ici 
qu'une  simple  obscurité.  II  y  a  contradiction  de  forme  et  de 
fonds,  du  moins  en  ce  qui  touche  le  droit  accordé  à  la  seigneurie 
de  retirer  tous  les  quatre  ans  ses  fonds,  et  avec  ses  fonds  les 
bénéfices  de  la  Chambre.  Pour  ma  part,  la  conciliation  m'é- 
chappe. Au  reste  les  faits  subséquents  la  firent  disparaître.  En 
effet,  ils  démontrent  que  quant  aux  gains  de  la  Chambre  l'ar- 
ticle 2  céda  tout  à  fait  la  place  à  l'article  7.  En  réalité  cet  ar- 
ticle 2  était  inexécutable.  On  s'aperçut  bien  vite  que  la  Chambre 
des  blés  ne  pouvait  subsister  qu'appuyée  sur  des  capitaux  de 
réserve  accumulés  et  considérables.  Les  gains,  quand  il  y  en 
avait,  devaient  nécessairement  servir  à  combler  d'anciens  ou  de 
futurs  déficits.  La  position  de  caissier,  que  la  Chambre  prit 
promptement  à  l'égard  de  l'Etat,  f^usait  d'ailleurs  profiter  l'Etat 
au  moins  indirectement  des  bénéfices  de  la  Chambre.  Son  pro- 
pre crédit  s'augmentait  précisément  des  capitaux  qu'il  ne  re- 
tirait pas. 

Tels  furent  les  faits  qui  se  manifestèrent  dans  les  années  sui- 
vantes, mais  cela  n'explique  pas  la  contradiction  de  l'arrêté. 

J'incline  à  croire  que  celte  contradiction  vraiment  élrange 
entre  les  articles  2  et  7  tenait  à  une  opposition  de  vues  dans  le 
sein  du  Conseil  d'Etat.  C'était  sans  doute  le  résultat  de  la  lutte 
entre  l'esprit  ancien  et  l'esprit  moderne,  entre  les  vieux  ma- 
gistrats et  Mestrezat.  Les  premiers,  fidèles  aux  errements  an- 
térieurs, voulaient  avant  tout  sauvegarder  l'argent  de  la  seigneu- 
rie, et  comprenaient  mal  l'action  future  de  la  Chambre.  Le  der- 
nier tenait  à  perpétuer  et  consolider  son  œuvre  pour  le  salut  du 
pays.  Peut-être,  en  cédant  sur  l'article  2,  obtint-il  de  déposer 
dans  l'arrêté  un  principe  important,  qui,  après  quelques  orages, 
triompha  des  éléments  hétérogènes  qui  l'embarrassaient.  C'est 
par  cette  intelligence  de  l'avenir,  unie  à  l'observation  du  passé, 
que  Mestrezat  fit  une  œuvre  durable,  et  mérita  bien  du  pays. 

En  comparant  les  habitudes  et  les  méthodes  antérieures  du 


U5 

gouvernemenl  avec  la  proposition  de  Mesirezat,  et  celle  propo- 
silion  elle-même  avec  l'arrêté  final,  nous  jetterons  plus  de  lu- 
mière encore  sur  ce  débal,  et  sur  la  pensée  dominante  qui  finit 
par  L'emporter. 

Les  grands  achats  de  blé,  faits  par  le  Conseil  dans  des  mo- 
menîs  favorables  et  en  vue  de  l'avenir,  n'étaient  pas  chose  nou- 
velle à  Genève,  et  les  registres  en  présentent  des  traces  fré- 
quentes. Michel  Roset  seul,  ou  du  moins  le  premier,  avait  conçu 
le  projet  d'une  institution  permanente,  et  il  avait  échoué.  Savion 
et  d'autres  avaient  formé  ou  voulu  former  des  Compagnies  des 
blés,  mais  momentanées,  à  ce  qu'il  semble,  et  destinées  à  pro- 
fiter d'une  année  favorable  plutôt  qu'à  fonder  quelque  chose 
pour  l'avenir.  En  outre,  les  bases  sur  lesquelles  ces  compagnies 
se  constituent,  et  aussi  leur  insuccès,  prouvent  que  leurs  fonda- 
teurs n'entendaient  guère  le  crédit,  el  ne  se  doutaient  pas,  en 
vérité,  des  garanties  qu'il  faut  oflVir  au  public  quand  on  lui  de- 
mande des  capitaux. 

La  proposition  de  Mestrezat.  il  est  vrai,  ne  semble  pas  au 
début  témoigner  de  vues  plus  lointaines  que  celles  des  com- 
pagnies précédentes.  Elle  est  sourtout  remarquable  par  les  con- 
ditions nouvelles  qu'elle  fait  aux  prêteurs.  Mais,  débattue  en 
Conseil,  celte  proposition  en  ressortit  développée  et  transformée, 
grâces  sans  doute  à  l'esprit  jjctif  et  progressif  de  son  auteur. 
Si  les  articles  1,  3  et  G  étaient  enfin  de  nature  à  attirer  des 
capitalistes,  l'article  7,  de  son  côté,  fondait  une  institution  per- 
manente, el  l'article  2  n'était  plus  qu'un  triomphe  partiel  et 
une  méprise  inconséquente  des  opposants,  fragile  bâton  jeté  dans 
les  roues  de  la  création  nouvelle  mais  impuissant  à  l'arrêter. 

C'est  ainsi  que  Mestrezat  réalisa  par  son  intelligence  vive  et 
hardie  les  vœux  patriotiques  que  le  vénérable  Michel  Roset, 
malgré  ses  efforts  persévérants,  n'avait  pu  amener  à  bien  trente 
ou  quarante  ans  auparavant. 

Malgré  le  caractère  exceptionnel  de  la  Chambre  des  blés, 
Genève,  dans  ma  profonde  conviction,  doit  une  grande  recon- 
Tome  XI.  10 


:4(> 

naissance  à  la  mémoire  et  a  l'œuvre  de  ces  deux  magistrats. 

Telles  turent  l'origine  et  la  première  organisation  de  cette 
Chambre  des  blés  qui  a  duré  jusqu'à  la  fin  du  dix-huitième 
siècle.  On  ne  j)eut  la  juger  qu'en  la  voyant  a  l'œuvre,  el  s'il 
nous  est  impossible  d'en  tracer  ici  l'histoire  d'une  manière  un 
peu  complète,  nous  pouvons  et  nous  devons  jeter  an  moins  un 
coup  d'œil  rapide  sur  les  dangers  qu'elle  rencontra,  les  appuis 
qui  la  soutinrent,  les  résultats  bons  el  mauvais  qu'elle  eut 
pour  Genève. 

Dès  son  début  elle  l'ut  appelée  h  traverser  une  crise  qui  dut 
révéler  aux  hommes  expérimentés  les  dangers  qu'elle  courait, 
et  qui  l'auraient  probablement  renversée  sans  le  concours  de 
l'Etal.  La  rude  année  1628,  qui  avait  vu  constituer  au  mois 
d'août  la  Chambre  des  blés,  fut  suivie  de  trois  autres  plus  diffi- 
ciles encore,  car  les  prix  s'élevèrent  jusqu'à  i3  florins,  et  la 
moyenne  des  quatre  ans  fut  de  35  florins.  ïl  en  résulta  de  grands 
embarras  et  de  grandes  pertes  pour  l'institution  novice  encore, 
sans  provisions  faites,  qui  avait  à  les  faire  à  un  prix  excessif  et 
à  payer  nu  intérêt  très-fort.  D'autre  part,  l'Etat  empruntant 
les  deniers  de  h)  Chambre,  sans  doute  par  détresse,  et  dans 
tous  les  cas  en  s'écartant  de  l'esprit  de  la  charte  de  1628. 
avait  compromis  rinstitulion  nouvelle.  —  La  dette  contractée, 
considérable  ei  toujours  f^-roissante,  entravait  les  opérations. 

En  1645,  dix-sept  ans  après  l'arrêté,  celle  dette  de  la  sei- 
gneurie était  de  -iôO.OOO  florins. 

Heureusement  on  seniit  la  nécessité  d'un  remède  énergique, 
et  pour  combler  ce  vide,  a'i  moins  en  partie,  on  adjugea  \\  la 
Cliambre  pour  six  ans  la  ferme  des  se!s,  sur  laquelle  elle  g;igna 
300,000  florins. 

Celte  circonslancc  la  fit  enlnr  dans  une  voie  qui  la  sauva, 
et  la  mil  en  même  temps  en  mesure  de  rendre  de  grands  ser- 
vices à  la  république.  Successivement,  à  mesure  que  la  Cham- 
bre l'aisaii  l'expérience  de  l'étendue  de  ses  besoins,  dont  à  l'ori- 
gine on  ne  -'était  pas.  ce  s<>mble.  bi(  n  remhi  compte,  à  mesure 


147 

aussi  qu'elle  organisait  son  administration  d'une  manière  plus 
habile,  plus  ferme  et  plus  éclairée,  elle  obtint  plus  largement 
de  semblables  secours,  c|ui,  en  rendant  sa  position  plus  solide, 
modifièrent  son  rôle  dans  la  République ,  et  appelèrent  la 
Cbambre  à  soutenir  à  son  tour  l'Etat. 

La  ferme  ties  sels  lui  fut  concédée  d'une  manière  délini- 
tive;  on  y  joignit  les  gabelles  sur  la  viande  et  sur  le  vin,  etc., 
puis  le  produit  des  droits  de  sceau,  des  subliastations,  des  con- 
signations et  bien  d  autres  choses. 

Peu  à  peu  elle  devint  a  la  fois  un  caissier  et  un  fermier  de 
l'Etat;  caissier  riche  et  solide,  qui  inspirait  assez  de  confiance 
pour  qu'au  lieu  d'emprunter  encore  presqu'au  7  pour  cent,  elle 
n'empruntât  plus  qu'au  i  ou  même  au  3.  En  effet,  vers  la  fin, 
je  crois,  du  dix-septième  siècle,  un  règlement  interdisait  à  la 
Chambre  de  pavera  ses  prêteurs  un  intérêt  supérieur  au  i,  et  en 
1719  elle  trouva  cent  raille  écus  au  3,  somme  qui  servit  gran- 
dement aux  besoins  «le  l'Etat  et  fut  appliquée  aux  fortifications. 

La  manière  dont  fut  établi  le  compte  courant  de  la  Chambre 
des  blés  avec  l'Etat,  fut  encore  pour  elle  une  source  de  gains. 
Elle  ne  lui  pavait  aucun  intérêt  des  sommes  qu'elle  encaissait 
pour  lui  ou  qu'elle  lui  devait  à  d'autres  titres,  tandis  qu'elle 
en  percevait  un  pour  les  avances  considérables  qu'elle  lui  fai- 
sait de  temps  à  autre.  Elle  lut  en  ouîre  autorisée  à  faire  valoir 
à  son  profit  particulier  soit  les  fonds  qu'elle  avait  en  main  au 
crédit  de  l'Etat,  soit  ceux  d'une  caisse  de  réserve  dite  la  Caiane 
dormanie. 

La  Chambre  des  blés,  chargée  d'abord  uniquement  d'opéra- 
tions dilficiles,  dangereuses  et  coûteuses,  fut  donc  transformée 
en  une  puissance  financière,  jouissant  d'un  crédit  solide,  pos- 
sédani  le  monopole  des  sels  qui  ne  courait  point  les  menées 
chances  que  le  commerce  des  blés,  douée  de  vastes  ressources 
qui  lui  permettaient  de  faire  ses  achats  aux  moments  favorables 
et  siu"  une  échelle  étendue.  Comme  Chambre  des  blés,  quand 
elle  ne  disposait  que  de  capiiaux  bornés  et  de  dépôts  restreints. 


148 

elle  perdait,  parce  qu'elle  était  obligée  de  faire  des  achats  con- 
sidérables au  moment  des  besoins  extraordinaires,  c'est-à-dire 
aux  époques  de  cherté.  Mais  quand,  au  lieu  des  6000  coupes 
prescrites  dans  sa  charte  originaire,  elle  en  eut  dans  ses  greniers 
de  30  à  40,000  ou  même  davantage,  achetées  au  loin  et  à 
propos,  quand  elle  fut  ensuite  habile  à  les  conserver  en  les  des- 
séchant, elle  gagna  presque  toujours.  Plus  d'une  fois,  par  suite 
d'une  succession  de  mauvaises  années,  elle  fit  des  pertes  con- 
sidérables, mais  elle  se  trouva  de  force  à  les  supporter. 

L'important  changement  survenu  dans  la  position  de  la 
Chambre  réagit  nécessairement  sur  son  organisation,  l!  rendit 
en  particulier  inutile  et  impossible  ce  qu'il  y  avait  eu  da  plus 
libéral  et  de  plus  hardi  dans  l'œuvre  de  Domaine  Meslrezat. 
Etablissement  financier,  appuyé  sur  un  crédit  solide  et  puissant, 
elle  n'eut  j)lus  besoin  de  la  faveur  des  capitalistes  genevois,  et 
ne  dut  plus  être  surveillée  par  eux.  Aussi  les  cinq  commissai- 
res qui,  selon  l'article  3  de  sa  charte,  devaient  être  choisis  par 
ses  créanciers,  se  trouvent  bientôt  transformés  en  cinq  mem- 
bres du  Deux-Cents,  choisis  par  le  Conseil  d'Etat. 

Une  fois  solidement  constituée,  la  Chambre  des  blés  rendit 
devrais  services  au  pays  qui,  dès  celte  fondation,  ne  connut 
plus  de  famine.  Si  l'on  ne  peut  pas  dire  de  même  qu'il  fût  a 
l'abri  de  toute  disette,  il  faut  cependant  reconnaître  que  la 
Chambre  contribuait  beaucoup  à  diminuer  la  trop  grande  élé- 
vation des  prix,  en  taisant  fabriquer  du  pain  à  meilleur  compte. 
Dans  les  années  d'abondance,  elle  faisait  transformer  en  pain 
6200  coupes  pour  l'alimentation  de  ceux  qui,  comme  les  ou- 
vriers et  les  voyageurs,  ne  pouvaient  fabriquer  eux-mêmes  leur 
pain.  Mais  dans  les  années  de  cherté  ce  débit  s'^'levait  jusqu'à 
40  mille  coupes  au  profit  de  tous  les  gens  peu  aisés,  qui  trou- 
vaient alors  chez  les  boulangers  ou  dans  les  bureaux  de  la 
Chambre  du  pain  à  des  prix  moins  élevés.  En  out^^e,  dans  cer- 
tains cas,  elle  versait  prudennnent  et  peu  à  peu  sur  le  marché 
une  quantité  notable  de  blé,  à  un  taux  inférieur. 


149 

Cela  n'empêcha  pas  toutefois  qu'en  1693  le  blé  ne  montât 
au  taux  excessif  de  fl.  95  ',  et  qu'en  janvier  1694  le  Conseil 
n'eût  l'imprudence  de  fixer  un  maximum  de  11.  84.  Mais  cette 
fois  les  inconvénients  de  la  mesure  furent  moins  graves,  les 
blés  de  la  Chambre,  surtout,  étant  là  pour  suppléer  à  ceux  du 
marché.  Ce  prix  de  95  fl.  fut  atteint  de  nouveau,  mais  non  dé- 
passé, à  la  suite  du  terrible  hivei'  de  1709;  mais  cette  fois  le 
Conseil  ne  recourut  pas  à  la  dangereuse  mesure  du  maximum.  \ 
ces  exceptions  près  et  à  parler  en  général,  les  prix  furent  modé- 
rés, au  moins  dans  le  dix-lmiiième  siècle.  De  1723  à  1750, 
par  exemple,  la  movenne  resta  au-dessous  de  fl.  27,  malgré  la 
dépréciation  croissante  de  l'argent. 

La  Chambre  des  blés  eut,  en  outre,  au  moins  pendant  le 
premier  siècle  de  son  existence,  un  important  effet  moral  :  celui 
de  tranquilliser  le  peuple,  qui  eut  confiance  dans  l'institution,  et 
qui  cessa  de  s  en  prendre  aux  magistrats  de  la  cherté  des  prix. 

Elle  fut  encore  souvent  d'un  grand  secours  a  l'Etat,  en  le 
faisant  profiter  de  son  crédit,  et  en  l'aidant  de  sa  garantie.  J'ai 
déjà  parlé  des  cent  mille  écus  empruntés  au  trois  pour  cent  en 
1719,  pour  subvenir  aux  fortifications. 

Mais  ce  ne  fut  pas  seulement  dans  l'enceinte  de  la  Républi- 
<}ue,  qu'aux  époques  de  détresse,  la  Chambre  des  blés  vint  au 
secours  des  populations  souffrantes.  Elle  put  dans  l'occasion 
fournir  des  blés  à  des  prix  modérés  à  plus  d'une  province  voi- 
sine, et  même  à  des  villes  plus  éloignées,  Lvon  et  Zurich,  par 
exemple.  La  Savoie  elle-même  en  profita.  Ce  genre  de  services 
peu  coûteux  valut  à  la  République,  en  diverses  occasions,  la  re- 
connaissance et  les  remerciements  de  voisins  plus  puisj>ants  et 
plus  riches  qu'elle 

On  voit  donc  en  résumé  que,  si  la  Chambre  put  remplir  sa 
mission,  ce  fut  à  l'aide  des  revenus  importants  que  l'Etat  lui 
conféra.  Ce  fut  au  moyen  de  ce  secours  seulement  qu'elle  cou- 

•  Ce  prix  équivaudrait  de  nos  jours  à  plus  de  fr.  100  l'hectolitro. 


150 

vrit  les  chances  trop  aléatoires  de  ses  opérations  sur  les  blés, 
et  qu'elle  obtint  un  crédit  étonnant. 

Toutefois,  il  faut  l('  reconnaître,  malgré  ces  secours,  la  Cham- 
bre n'eût  pu  accomplir  son  œuvre  avec  succès  sans  l'activité, 
le  dévouement  des  hommes  qui  la  dirigèrent,  et  du  Conseil  qui 
seconiiait  et  d'ordinaire,  à  ce  qu'il  paraît,  suivait  leur  impulsion. 
L'impression  dominante  qui  résulte  pour  moi  de  mes  recher- 
ches sur  la  Chambre  des  blés,  c'est  l'admiration  pour  le  patrio- 
tisme, la  conscience  et  l'intelligence  avec  lesquels  ses  adminis- 
trateurs pressentirent  et,  autant  que  possible,  conjurèrent  les 
damiers  de  leur  adininistrati-jn. 

Dès  l'entrée  ils  eurent  h  luttei'  <;ontre  trois  graves  obstacles 
qui  étaient  de  nature  à  tuer  dès  le  début  leur  entrej)rise  :  le 
manque  de  ciîpitaux  sulïisants ,  le  défaut  de  greniers  assez 
vastes,  et  les  difticultés  de  la  conservation  des  blés. 

Le  premier  de  ces  obstacles  fut  vaincu,  comme  nous  l'avons 
dit,  |)ar  le  concours  de  l'Iitat,  appui  qui  fut  aussi  avantageux 
k  l'Etat  qu'à  la  Chambre.  Mais,  comme  je  l'ai  déjà  énoncé, 
ce  furent  l'activité  et  l'habileté  de  la  Chambre  dans  ses  opé- 
rations purement  fioan;  ières  qui  lui  permirent  de  tirer  un  im- 
mense parti  de  ce  concours.  C'est  ainsi,  par  exemple,  qu'elle 
fit  avantageusement  valoir  des  fonds  que  jusque-là  l'Etat  lais- 
sait dormir. 

QnaïU  au  second  obstacle,  la  Chambre  put  successivement 
aux  greniers  de  l'Etat  en  joindre  de  nouveaux  bâtis  à  ses  frais, 
ceux  de  Rive  et  du  Molard  entre  autres.  Ce  fut  alors  qu'elle  se 
trouva  en  mesure  d'acquérir  les  approvisiormenients  considé- 
rables qui  seuls  lui  procuraient  des  bénéiices. 

Enlin,  en  troisième  lieu,  les  administrateurs  des  blés  re- 
cherchèrent et,  grâces  à  de  persévérantes  expériences,  décou- 
vrirent des  moyens  plus  elïicaces  de  conserver  le  blé  que  ceux 
qu'on  connaissait  alors.  Ils  arrivèrent  à  leur  lin,  soit  en  remuant 
soit  en  étuvant  les  blés,  soit  surtout  en  les  choisissant.  C'est 
ainsi  qu'ils  firent  souvent  venir  de  Sicile  et  d'Algérie  des  blés 


(51 

durs,  ijue  le  liaiispoil  reiicliéns.saji,  li  e.-l  \nii,  iiais  qui  elaieiil 
beaucoiip  moins  altaqiK^s  par  les  insectes.  Bien  plus:  dans  la 
pteniièie  moitié  du  dix-liuiiièm<'  siècK^  ils  anivèroni  à  con- 
stater que  les  blés  longienq)s  el  bien  conservés,  et  desséchés 
par  cettr  coisservation,  pouviiiciil  se  gnrder  presque  iiidéliin- 
ment.  Dès  lors  riitiminislraiioi!  eut  soin  de  raeilro  ces  blés-là 
en  réserve  pour  les  années  ddliciles,  et  d'écouler  en  revanche 
de  trt's-boiine  iieure  les  blés  Liouvellemenl  actjuisqui  n  oiiraient 
pas  les  mêmes  garanties,  t^ette  découverte,  el  (  n  général  la 
science  praiique  et  toujours  progressive  de  la  conservation  des 
blés,  épargnèrent  de  grandes  perles. 

Ces  derniers  d.lails  suiîiraieni  à  i'aire  comprendre  (ce  qui 
du  reste  résulta  de  tout.  Thisioire  de  la  Chambre  des  blés)  à 
quel  point  son  administration  était  active  el  bien  orgimisée,  mais 
dans  la  manière  dorit  cette  administration  fut  conduite  il  v  a  bien 
autre  cho^e  encore  qu'un  organisme  habile.  5  In  v  peut  remarquer 
une  tendance  pratique  el  observatrice  qui,  conforme  au  géuie 
de  nos  pères,  leur  teiait  souvent  lieu  «les  connaissances  en 
économie  politique  dont  ils  étaient  dépourvus.  L'attention  des 
directeurs  delà  Chambre  éiait  constamment  tendue  non-seule- 
ment sur  les  résullats  directs  de  leurs  opérations,  mais  aussi 
sur  les  eifets  indirects  [)ro(iuits  par  leurs  acliats  ei  leurs  ventes, 
comme  aussi  par  les  vaiiations  de  la  taxe  du  pain.  On  les  voit 
habitut  liemenl  préoccupés  de  ce  -jui  en  résultera  pour  les  mar- 
chés de  la  ville,  pour  le  bien-être  des  pauvres,  poni'  la  diili- 
cullé  de  la  contrebande,  pour  la  fabrication  du  pain.  Condam- 
née par  l'institution  même  à  excluie  toute  concurrence,  ils 
surent  cependant  s'en  faire  une  à  eux-mêmes  pour  empêcher 
les  boulangers  d'abuser  du  monopole.  Ceux-ci  étaient  facile- 
ment conduits,  on  le  comprend  de  reste,  a  fabriquer  négligem- 
ment un  pain  qu  une  forte  aliquote  des  consommateurs  était, 
comme  nous  le  verrons,  eontrainls  d'acheter.  Pour  prévenir  cet 
abus,  la  Chambre  créa  dans  ses  bureaux  une  grande  manuten- 
tion, où  elle  faisait  vendre  au  même  prix  un  pain  provenanl  du 
même  blé,  mais  fabriqué  soigneu*^ement  sous  ses  veux. 


152 

Tout  cela,  sans  lioule,  ne  pouvait  corriger  ce  qu'il  )  avait  de 
fondaraentalemenl  vicieux  dans  un  organisme  opposé  à  ce  que 
la  science  administrative  a  de  plus  important  el  de  plus  clair. 
Mais  l'institution  une  fois  donnée,  sous  l'empire  de  circon- 
stances tout  exceptionnelles  réunies  aux  fausses  idées  de  1  e- 
poque,  il  était  impossible  de  prendre  plus  de  soins  pour  décou- 
vrir et  diminuer  les  abus.  On  ne  peut  en  vérité  reprocher 
sérieusement  autre  chose  aux  administrateurs  que  d'avoir, 
même  à  la  fin  du  dix-huitième  siècle,  cru  la  Chambre  des  blés 
encore  nécessaire  et  toujours  possible. 

Cette  même  erreur  se  retrouva  plus  tard  dans  la  constitution 
de  18H *,  tant  il  y  avait,  dans  les  souvenirs  du  pays,  une  vague 
conscience  des  services  rendus  autrefois  par  la  Chambre. 

Notre  tâche  nous  appelle  maintenant  à  retourner  la  médaille, 
et  a  considérer  les  dangers  auxquels  ne  pouvait  échapper  une 
institution  aussi  exceptionnelle  que  la  Chambre  des  blés,  les 
inconvénients  réels  qu'à  la  longue  elle  eut  pour  Genève,  et  les 
impossibilités  contre  le^^quelles  elle  finit  par  se  heurter.  Toute- 
fois, avant  de  commencer  cette  portion  de  notre  travail,  je  dois 
rappeler  encore  que  je  ne  prétends  faire  ni  un  tableau  complet, 
ni  une  histoire  suivie. 

Nous  rangeons  dans  les  quatre  catégories  suivantes  les  ré- 
sultats fâcheux  ou  dangereux  qu'eut  selon  nous  la  r.hamhre  des 
blés. 

1°  Daneers  financiers. 
2"  Complications  réglementaires. 
3"  Action  constamment  arbitraire. 
4"  Dangers  politiques '. 

•  Titre  X,  article  3.  «  Dès  que  les  finances  de  l'Etat  le  permettront,  la 
Chambre  des  blés  sera  rétablie.  Le  Conseil  représentatif  déterminera  le 
mode  de  son  existence.  » 

*  Il  y  aurait  bien  une  cinquième  catégorie  à  ajouter,  celle  des  inconvé- 
nients agricoles  el  industriels,  et  ce  ne  serait  certes  pas  la  moins  instructive. 
Mais  outre  que  les  faits  recueillis  ont  ici  moins  de  précision,  et  par  cela 
mAme  pourraient  être  contestés,  cela  nous  entraînerait  dans  un  ordre  de 


153 


I.  Dangers  finaneit-^r». 


De  tout  ce  qui  précède,  nous  avons  dû  nécessairement  con- 
clure que  la  Chambre  des  blés  n'avait  pu  se  soutenir,  dans  sa 
longue  existence,  qu'avec  l'aide  des  revenus  étrangers  dont  la 
Seigneurie  lui  avait  concédé  la  perception  et  en  partie  la  jouis- 
sance. Il  n'y  a  pour  ainsi  dire  pas  un  détail  de  son  histoire, 
qui  ne  démontre  que,  sans  cet  appui  et  réduite  au  seul  com- 
merce des  blés,  elle  eût  été  promptement  culbutée.  Nous  avons 
déjà  vu  ses  grands  embarras  peu  après  sa  fondation.  A  ce  fait 
j'en  ajouterai  deux  autres  qui  eurent  lieu  au  dix-huitième  siècle 
et  à  l'époque  où  son  habileté  pratique  avait  été  portée  le  plus 
haut.  De  1745  à  1750  la  Chambre  achela  plus  de  74,000 
coupes  au  prix  moyen  de  43  florins,  et  elle  ne  les  revendit  en 
réalité  qu'à  37  florins,  le  pain  n'ayant  pu  être  haussé  que  de 
six  deniers.  Il  en  résulta  pour  elle  une  perte  d'environ  450,000 
florins.  Puis,  en  1770,  son  approvisionnement  de  blé  se  trou- 
vant très-insuffisani,  elle  dut  faire  une  opération  toute  sem- 
blable où  elle  perdit  plus  de  100,000  écus. 

A  ces  perles  considérables,  occasionnées  quelquefois  par 
les  séries  d'années  de  cherté,  il  faut  ajouter  les  pertes  plus 
légères,  mais  assez  fréquentes,  amenées  par  les  années  d'abon- 
dance. Dans  celles-ci,  en  effet,  on  n'osait  pas  toujours  taxer  le 
pain  à  son  prix  de  revient,  quand  il  était  supérieur  à  celui  du 
marché.  La  redoutable  concurrence  du  pain  de  Chênes  et  de 
celui  de  Carouge  ne  pouvait  être  suffisamment  combattue  par 
l'action  de  la  police  et  par  des  répressions  légales.  Tout  cela 
serait  devenu  inefficace  au  moment  où  la  différence  des  prix 
^ût  été  trop  grande,  et  où  le  pain  de  contrebande,  habituelle- 
développements  et  (Je  discussions  fort  étranger  au  but  de  ce  recueil.  Je 
m'en  abstiens  donc,  en  tne  bornant  à  signaler  cette  face  nouvelle  de  la 
question. 


154 

raent  meilleur  que  celui  de  la  Ville,  eùl  encore  été  notahle- 
ment  meilleur  marché.  Plus  la  Chambre  avançait,  et  plus  elle 
sentait  l'impossibilité  de  trop  hausser  les  pris.  Les  agitations 
politiques  s'v  opposèrent  toujours  plus  et  l'on  peut  affirijier  en 
particulier  que,  dans  le  dernier  tiers  du  dix-huitième  siècle, 
cette  cause  nuisit  beaucoup  à  ses  opérations. 

Toutefois,  chose  singulière  !  en  1789.  aux  approches  de  la 
révolution,  la  Chambre,  rendan!  compte  de  ses  finances,  dut 
déclarer  un  capifal  de  deux  millions  et  demi  de  ilorins,  qui,  par 
une  contre  estime  des  immeubles  et  des  dépôts,  lurent  bienlôt 
portés  à  un  million  de  florins  de  plus. 

De  ces  deux  niillions  et  demi,  un  million,  suivant  les  pre- 
miers experts,  provenait  du  co!nm<M'(e  des  blés,  et  un  million 
et  demi  des  revenus  d'autre  nature. 

Que  la  Chambre  ah  pu  avoir  gagné  en  1789  un  million  de 
flori(?s  sur  le  commerce  des  blés,  et  cela  après  en  avoir  perdu 
bien  davantage  dans  le  même  commerce  depuis  cinquante  ans, 
c'est  un  résultat  qui  étonne  fort,  mais  que  je  ne  suis  pas  en 
état  de  contrôler.  Je  me  borne  à  remarquer  que.  malgré  la 
hante  valeur  des  noms  honorables  qui  signèrent  en  1789  et 
1790  ces  résultats  ofticiels,  le  doute  est  encore  permis.  En  effet 
ces  divers  calculs  furent  faits  approximativement  et  nécessai- 
rement un  peu  an  hasard,  les  livres  de  la  Chambre  n'ayant  ja- 
mais distingué  on  deux  catégories  d'origine  les  bénéfices  et  les 
pertes.  Puis,  les  appréciations  des  biens  de  la  Chambre  repo- 
saient sur  des  documents  en  partie  très-anciens  et  très-incom- 
plets, de  plus  très-complexes.  Klles  reposaient  encore  sur  des 
éléments  variables  et  douteux.  <  omme  la  valeur  à  diverses  épo- 
ques des  immeubles,  des  dépôts  et  aussi  des  sommes  en  argent. 
Il  me  semble  qu'il  suffirait  de  la  déj*réciation  croissante  de 
l'argent,  de  1028  à  1789  [)Our  introduire  un  grave  élément 
d'incertitude  dans  ces  immenses  calculs.  Le  travail  des  experts 
de  1789  et  1790  fut  entrepris  avec  beaucoup  de  courage.  Il 
fut  acc<»mpli  avec  con-science,  persévéïance  el   habileté,  mais. 


155 

outre  qu'il  dut  se  ressentie  quelque  peu  des  graves  préoccupa- 
tions politiques  du  moment  et  des  ridicules  accusations  qui  le 
rendaient  nécessaire,  il  n'était  dans  tous  les  cas  qu'uue  hypo- 
thèse; hypothèse  sur  laquelle  nous  voyons  varier  les  experts 
eux-mêmes,  et  qui  ne  peut  en  aucune  manière  être  acceptée 
comme  une  démonstration. 


II.  C'ontplirationii  réf;ie»i«'iBtaire8. 

L'organisation  de  la  Chambre  des  hiés  était  trop  compliquée 
et  trop  exceptionnelle  pour  cheminer  facilement.  Il  lui  fallait 
pour  se  soutenir  de  nombreuses  dispositions  auxiliaires,  toutes 
un  peu  forcées,  et  par  cela  mèsne  d'une  exécution  difficile.  Ku 
fait  elle  s'appuya  sur  quatre  principes,  quatre  mesures  de  res- 
triction et  d'exécution  qui,  du  reste,  dès  les  temps  les  plus 
anciens,  avaient  constamment  el  nécessairement  accompagné 
tous  les  elforts  du  gouvernement  de  Genève  pour  organiser  le 
conmierce  des  blés. 

C'était  1"  robligatioii  imposée  aux  boulanegrs  de  se  servir 
exclusivement  du  blé  de  l'Etat;  2<^  la  taxe  du  pain  :  3°  la  con- 
trainte où  étaient  placés  certains  consommateurs,  tenus  d'a- 
cheter le  pain  ainsi  fabriqué  et  taxé;  4"  enfin  des  précautions 
assez  minutieuses,  et  des  moyens  <le  répression  assez  sévères 
pour  obtenir  l'exécution  de  tou!es  ces  mesures. 

Ainsi  les  boulangers  furent  placés  dans  la  dépendance  et 
sous  la  tutelle  de  la  Chambre  dont  ils  devaient  employer  ex- 
clusi\emenl  le  blé  et  qni  en  fixait  le  prix,  qui  intervenait  en 
outre,  par  ses  règlements  ou  ses  préavi  ,  dans  h*  Imbrication,  la 
vente  et  la  taxe  du  pain. 

IVauire  part,  privés  qu'ils  étaient  de  tous  les  avantages  de 
la  concurrence  et  de  ia  liberté,  ces  mêmes  boulanaters  avaient 
droit  à  être  légalement  protégés  et  à  être  certains  d'un  gain 
suffisant,  même  considérable  ;   sans  cela  leur  position  eût  été 


156 

impossible.  Aussi  tout  le  pain  qui  se  vendait  à  Genève  devait 
être  fabriqué  par  eux.  Les  particuliers  avaient  ;i  la  vérité  le 
droit  d'en  faire  avec  du  blé  acheté  au  marché,  mais  pour  leur 
usage  seulement,  et  ils  ne  pouvaient  en  vendre. 

Gomme  conséquence  de  ces  diverses  contraintes,  il  était  né- 
cessaire que  le  pain  fût  taxé ,  les  boulangers  ayant  des  acheteurs 
forcés  et  n'étant  pas  contenus  par  la  concurrence. 

De  là  résultait  un  singulier  état  de  choses. 

Avec  le  blé  de  la  Ghambre,  blé  provenant  soit  des  dîmes, 
soit  d'achats  faits  au  loin,  qui  par  cela  même  était  souvent  de 
qualité  secondaire ,  souvent  détérioré  par  une  conservation 
imparfaite,  les  boulangers  fabriquaient  un  pain  d'une  qualité 
habituellement  inférieure.  Ge  pain,  taxé  quelquefois  plus  bas, 
quelquefois  plus  haut  que  sa  valeur  réelle,  servait  à  la  nour- 
riture de  la  garnison,  des  ouvriers,  des  pauvres,  des  étrangers, 
et  de  tous  ceux  auxquels  il  ne  convenait  pas  de  fabriquer  chez 
eux,  ou  bien  auxquels  cela  était  interdit,  comme  aux  aubergis- 
tes. Aucun  pain  fabriqué  hors  de  la  ville  ne  pouvait  y  entrer;  mais 
tous  les  ménages  ayant  quelque  aisance  achetaient  du  blé  pour 
leur  consommation  privée,  le  faisaient  moudre  à  leur  guise,  le 
pétrissaient  à  domicile,  et  étaient  autorisés  à  le  faire  cuire  chez 
les  boulangers.  Kn  fail,  ils  jouissaient  du  privilège  d'avoir  un 
pain  de  ménage  meilleur  et  plus  sain,  mais  ils  payaient  cet 
avantage  par  une  augmentation  de  soucis,  de  frais  et  de  fatigues 
domestiques.  ïls  étaient  en  outre  ex[)osés  à  de  grandes  chances  de 
perle  ou  de  décej)tion  sur  la  quantité  ou  la  qualité  de  leur  farine. 

On  comprend  qu'un  étal  de  chose  aussi  factice  ne  pouvait 
subsister  que  d'une  manière  factice  aussi  et  forcée.  Il  fallut 
constamment  des  mesures  de  contrainte,  mesures  sévères  et 
répétées,  des  amendes  énormes  (les  registres  en  font  foi),  pour 
empêcher  soit  les  boulangers  de  la  ville  d'introduire  clandes- 
tinement des  farines  meilleures,  soit  ceux  de  Ghêne  et  de  Ga- 
rouge  d'approvisionner  les  Genevois  de  pain  meilleur  et  souvent 
h  meilleur  marché. 


157 

Singulière  extrémité,  pour  le  dire  en  passant,  que  celle  où 
l'on  se  trouvait  amené  par  une  marche  et  un  point  de  départ 
qui  avaient  eu  pour  but  unique  de  prévenir  les  disettes!  On 
s'était  mis  dans  une  position  telle  que,  pour  assurer  du  blé  à 
la  ville,  il  fallait  en  entraver  l'achat,  et,  pour  lui  assurer  du 
pain  en  tout  temps,  empêcher  l'entrée  de  celui  que  le  commerce 
voulait  lui  fournir  à  meilleur  compte! 

Du  reste,  on  comprend  sans  que  j'y  insiste  que  l'intérêt 
privé  tendait  nécessairement  à  se  faire  jour  à  travers  les  fis- 
sures de  l'institution  gouvernementale.  De  là  les  châtiments 
sévères,  les  amendes  ruineuses  et  les  confiscations  auxquelles 
nous  avons  déjà  fait  allusion.  De  là  aussi  des  précautions  de 
police  toujours  nouvelles,  souvent  fâcheuses  et  d'une  exécu- 
tion peu  sûre.  Le  serment,  par  exemple,  dut  souvent  être  em- 
ployé par  l'administration  pour  garantir  ou  découvrir  la  prove- 
nance des  farines  et  du  pain. 

L'action  gouvernementale  se  présentait  donc,  quant  à  l'ap- 
provisionnement de  la  ville,  comme  soutenant  contre  l'intérêt 
privé  une  lutte  continue,  souvent  acharnée,  peu  comprise  des 
pauvres,  et  où  elle  devait  finir  par  êîre  vaincue. 

III.  Af'tion  «•onstaisirnsesit  arbitraire. 

On  l'a  vu ,  l'institution  de  la  Chambre  des  blés  ne  pouvait 
marcher  qu'à  l'aide  d'une  action  incessante,  variée  et  souveraine 
de  l'administration.  Il  fallait  modifier  ou  suspendre  d'année  en 
année,  au  besoin  de  semaine  en  semaine,  les  règlements  exis- 
tants, en  les  remplaçant  dans  chaque  cas  donné  par  des  me- 
sures toutes  nouvelles,  et  souvent  tout  à  t'ait  inattendues.  Le 
Conseil  et  la  Chainbre  firent,  je  crois,  eji  général  un  usage  sage 
et  (laternel  de  ce  pouvoir  arbitraire.  Mais  par  cela  seul  qu'il 
était  arbitraire  et  imprévu,  il  gênait  l'activité  individuelle,  il 
prêtait  à  des  abus,  il  pouvait  et  devait  nécessairement  être  ca- 
lomnié, et  il  devait  finir  par  rendre  l'inslilution  impossible. 


158 


IV.   Ifangeri*  politiciues. 


Cel  arbitraire  admiiiistratif  portail,  en  outre,  sur  ce  qui 
touche  le  plus  profondément  à  l'intérêt  et  a  la  vie  des  masses  : 
sur  le  prix  du  pain.  C'est  assez  dire  qu'au  moindre  réveil  des 
agitations  poliliqsies,  au  premier  sentiment  de  défiance  du 
peuple  contre  ses  chefs,  l'administration  des  blés  devait  four- 
nir des  prétextes  aux  passions,  devenir  l'aliment  de  l'irritation 
populaire,  et  toute  élévation  du  prix  du  pain  était  dès  lors 
comme  impo-sible.  Dans  les  années  de  cherté,  c'est-à-dire  de 
souffrance,  le  danger  était  peut-être  moins  grand,  parce  que  le 
pain  public  était  suffisamment  abondant,  et  souvent  meilleur 
marché;  mais  c'est  précisément  dans  les  années  d'abondance 
que  le  mécontentement  ne  pouvait  guère  manquer  d'arriver, 
parce  que  le  plus  souvent  il  fallait  alors,  en  vendant  le  pain 
plus  cher  qu'ailleurs,  retrouver  ce  qui  avait  été  perdu  dans 
d'autres.  Or  comment  faire  accepter  à  un  peuple  défiant  et 
agité  cette  espèce  de  compromis?  Cela  était  possible  à  l'é- 
poque d'une  aristocratie  serrée,  ou  quand  le  peuple  avait  con- 
fiance dans  l'arbitraire  paternel  des  gouvernants.  Gela  deve- 
nait impossible  dès  que,  lancé  dans  les  mouvements  politiques, 
il  était  agité  par  des  défiances,  des  passions,  de  faux  bruits  et 
des  meneurs. 

L'histoire  de  la  Chambre  des  blés,  vers  la  fin  du  dix-huitième 
siècle,  confirme  d'une  manière  frappante  ce  que  nous  venons 
de  dire.  On  n'a  pas  oublié  les  pertes  énormes  faites  vers  1750 
[)ar  la  Chambre,  parce  que  le  Conseil  n'avait  osé  élever  que 
de  six  deniers  la  livre  un  pain  sur  lequel  la  Chambre  en  perdait 
encore  plus  de  sept  même  après  cette  élévation.  Or,  en  janvier 
1789.  une  semblable  élévation  de  six  deniers,  certainement 
naturelle,  équitable  et  nécessaire,  puisqu'on  était  ii  une  époque 
de  cherté  grave  ^^t  croissante,  excita  une  insurrection  qui  en- 
sanglanta la  ville  et  qui  fut  un  des  débuts  de  la  révolution. 


15<î 

Dans  le  courant  de  la  môme  année,  la  Chambre  des  blés 
avant,  par  son  bilan,  déclaré  comme  nous  lavons  dit  un  capital 
de  deux  millions  et  demi  de  florins,  ce  chiffre  servit  de  texte  à 
bien  des  agitations  et  accusations,  qiii  furent  à  la  fois  une  in- 
justice, un  sujet  d'inquiétude  et  un  danger. 

Co  fut  au  reste  cette  circonst.inct^  qui  amena  les  recherches 
et  les  rapports  auxqui^ls  j'ai  déjà  fait  plus  d'une  fois  allusion. 
La  Chfimbre,  voulant  éclairer  et  calmer  les  esprits,  rendit  au 
llonseil  d'Etat  un  compte  détaillé  de  ses  livres,  de  son  adîwi- 
uistration,  de  son  histoire  même  dès  l'origine  Puis  le  Deux- 
Cents  nomma  îuie  Commission  de  s«;n  sein,  chargée  de  con- 
trôler ce  travail,  et  qui  fit  elle  même  son  rapport  en  janvier 
1790.  Ces  deux  volumineux  rapports  existent  aux  archives 
avec  des  calculs  et  des  tableaux  a  l'appui.  Ils  rendent  tous  deux 
témoignage  de  la  prudence  et  de  l'expérience  administrative  de 
la  Chambre,  comme  du  travail  consciencieux  et  singulièrement 
, compliqué  de.-,  rapporteurs.  Ceux-ci  s'efforcent,  en  rappelant 
les  services  et  les  mérites  de  la  Chambre,  de  démontrer  la  né- 
cessité dont  elle  est  encore  au  pays  ;  mais,  en  fait,  ils  démon- 
trent mieux  encore,  sans  le  vouloir,  l'absolue  impossibilité  de  la 
maintenir  à  une  époque  où  les  esprits  s'enivraient  de  liberté,  où 
les  piincipes  de  la  révolution  pénétraient  partout,  et  où  ceux 
de  l'économie  politique  commençaient  a  être  entrevus. 

La  Chambre  des  blés  subsista  encore,  au  siioins  de  nom, 
jusqu'à  la  réunion  à  la  France,  mais  impuissante,  sans  avenir 
possible,  et  transformée  en  un  simple  département  de  l'Etat. 

Nous  pouvons,  ce  semble,  tirer  les  conclusions  suivantes  des 
recherches  qui  précèdent  ; 

1  "  La  Chambre  des  blés  naquit  de  circonlances  tout  à  fait 
exce(>tionnetles.  et  fui  un  remède  forcé  à  d'intolérables  souf- 
frances. 

2°  Conçue  avec  intelligence,  organisée  avec  une  ingénieuse 
habileté  dans  ie  désir  d'éviter  les  dangers  qui  avaient  paralysé  les 


160 

efforts  aniérieurs,  conduite  avec  un  esprit  remarquable  de  pru- 
dence et  d'observation  pratique,  elle  est  un  monument  du  pa- 
triotisme patient  et  persévérant,  de  la  courageuse  activité,  enfin 
de  la  sagacité  des  anciens  magistrats  de  Genève. 

3°  Elle  atteignit  pleinement  son  but  tant  que  durèrent  les 
circonstances  exceptionnelles  et  les  habitudes  politiques  aux- 
quelles elle  avait  dû  sa  naissance. 

4<>  Mais  en  d'autres  temps,  avec  le  développement  de  la  ci- 
vilisation, et  surtout  de  l'esprit  moderne,  elle  devint  dangereuse 
et  impossible. 

5**  Toute  insîitution  exceptionnelle,  c'est-à-dire  contraire 
aux  vrais  principes  de  la  science  administrative,  quelque  utile 
ou  même  nécessaire  qu'elle  ait  pu  être  pour  un  temps,  est  fata- 
lement condamnée  à  avoir  à  la  longue  le  même  sort  que  la 
Chambre  des  blés. 


LETTRES  PATENTES 


DES 


PROVINCES-UNIES  DES  PAYS-BAS 


EN   FAVEUR 


des  Docteurs  et  autres  gradués  de  l'Académie  de  Genève. 

(1593  à  1599) 


C'est  au  génie  à  la  fois  créateur  et  organisateur  de  Calvin 
que  Genève  doit  son  académie  ^Malgré  les  difficultés  extrêmes 
de  l'époque  où  elle  fut  fondée,  en  dépit  de  grandes  et  visibles 
lacunes,  la  nouvelle  institution  se  trouva  bientôt  occuper 
une  position  honorable  dans  l'Europe  savante  :  des  élèves  lui 
arrivèrent  de  contrées  lointaines,  et  elle  reçut  des  témoignages 
variés  de  sympathie  et  d'encouragement. 

Les  pièces  que  nous  allons  publier  sont  un  exemple  de 
ce  genre.  Elles  nécessitent  naturellement  des  explications 
[iréalables. 

Les  dernières  années  du  XVI™®  siècle  furent  très-difficiles 

'  M.  le  professeur  Cellérier  a  traité  ce  sujet  dans  un  mémoire  qui  a  pour 
titre:  L'Académie  de  Genève.  Esquisse  d'une  histoire  abrégée  de  cette  aca- 
démie, pendant  les  trois  premières  époques  de  son  existence,  1559  — 1798. 
(Bulletin  de  la  Société  de  l'histoire  du  protestantisme  français,  4"»*'  année  1855, 
u"»  1  à  8.) 

Tome  XL  11 


162 

pour  les  hommes  qui  étaient  à  la  tête  de  notre  république. 
Les  ressources  dont  ils  pouvaient  disposer  ne  suffisaient  pas  pour 
pourvoir  à  toutes  les  charges  d'un  petit  Etat  qui,  s'il  n'était  pas 
en  guerre  continuelle  avec  un  voisin  relativement  fort  puis- 
sant, devait  au  moins  se  tenir  sans  cesse  en  garde  contre  des 
attaques  imminentes. 

La  pénurie  d'argent  étant  devenue  excessive,  !e  gouverne- 
ment résolut  d'avoir  recours  a  un  moyen  qui  ne  présentait  alors 
rien  d'extraordinaire:  il  profita  de  la  bonne  réputation  que 
Genève  s'était  acquise  dans  le  monde  protestant,  pour  faire 
quêter  en  sa  faveur.  La  Grande-Bretagne,  diverses  parties  de 
la  France  et  de  l'Allemagne,  les  Pays-Bas,  s'y  prêtèrent  tour 
à  tour. 

C'est  ainsi  que,  en  1590,  le  professeur  Lect  en  revenant 
d'Angleterre,  où  il  s'était  rendu  dans  le  même  but,  exposa  aux 
autorités  des  Provinees-Ï.nies  les  besoins  de  sa  patrie,  et  il 
obtint  la  permission  de  faire  une  collecte  qui  produisit  14,000 
francs.  De  retour  a  Genève,  il  présenta  au  Petit  Conseil  une 
lettre  des  États  généraux,  que  nous  allons  transcrire  ici,  parce 
qu'elle  explique  fort  bien,  quoique  un  peu  longuement,  l'état 
des  choses  '. 

«  Messieurs,  nous  avons  esté  bien  marris  d'entendre  tant 
par  vos  lettres  que  la  remonsîrance  du  Sieur  conseiller  Lect, 
vostre  agent  présent  porteur.  Testât  de  la  Seigneurie  de  Ge- 
nève, et  en  quelle  nécessité  vous  estiés  réduits  par  la  forie  et 
cruelle  guerre  que  piéça  vous  faisoit  le  Duc  de  Savoye,  sous- 
tenu  des  forces  du  Roy  d'Espagne  et  d'autres  nos  ennemis 
communs  en  havne  de  la  religion  chrestiemie,  au  regard  d.' 
l'intérest  qui  en  va  de  ceste  guerre  a  toute  la  chrestienté  ;  et 
d'autre  part  que  nous  voions  affligés  nos  bons  amis  qui,  par 

*  Registre  du  Consoii  de  l'ancionne  républiqiio  fie  Genève   vol.  de  1591, 
fol.  8  verso,  séanre  du  13  janvier. 


163 

tant  d'années,  onl  fait  de  leur  ville  un  refuge  et  hospilal  de  tous 
chrestiens  et  spécialement  receu  et  nourri  en  icelle  un  nombre 
d'exilez  et  retirez  de  ces  pays  pour  la  parolle  de  Dieu.  \i\  pour 
ces  raisons  et  autres  bonnes  considérations,  avons  envové  in- 
continent copie  des  dites  lettres  et  remonstrance  à  chescune  de 
nos  provinces  et  selon  la  forme  ordinaire  de  procéder  en  ma- 
tière de  quelques  subventions  et  aydes  extraordmaires,  et 
prié  icelles  bien  sérieusement  d'y  prendre  tout  le  regard  que 
convenoit,  à  ceste  fin  qu'il  leur  pleust  cncor  s'esvertuer.  j)armi 
toutes  leurs  charges  et  grandes  incommoditez,  à  vous  apporter 
et  fournir  autnnt  d'assistance  que  leur  seroit  aucunement  pos- 
sible, y  ayans  adjousté  toutes  les  meilleures  inductions  que 
pouvions  a*  1  viser  alors,  lesquelles  nous  avons  aussi  depuis  se- 
condé sur  les  instances  qu'en  faisoil  le  dit  Sieur  Lect,  par  nos 
lettres  de  recommendation  ;  tellement  que  les  dites  provinces 
se  sont  eslargies  si  avant  qu'en  ceste  conjuncture  il  leur  a  esté 
aucunement  possible.  Si,  Messieurs,  la  somme  qu'icelles  ont 
accordée  pour  ceste  fois  n'est  si  grande  et  importante  que  nous 
heussions  bien  souhaité,  et  n'a  aussi  esté  fournie  tant  promp- 
tement  qu'il  convenoit  selon  l'exigence  et  nécessité  de  vos 
affaires,  nous  vous  pouvons  asseurer  que  cela  n'est  procédé  par 
faute  de  bonne  volonté  et  affection  qu'elles  portent  à  vostre 
ayde,  soulagement  et  conservation  (laquelle  nous  désirons  géné- 
ralement comme  la  nostre  propre)  ains  des  incommoditez  et 
difficultez  de  la  longue  guerre  que  le  dit  Roy  d'Espagne 
nous  a  fait  continuellement  l'espace  de  vingt  et  quatre  ans  et 
davantage,  lesquelles  consument  tellement  tous  les  movens  de 
ces  pays  qu'il  nous  est  impossible  de  fournir  et  payer  toutes 
les  charges  requises  et  nécessaires  pour  nostre  défence,  et  sont 
cause  que  les  manans  et  habitans  de  ces  pays  se  trouvent  si 
menacés  de  toutes  parts  des  lettres  d'arrestz  et  représailles  pour 
arrérages  des  services  des  gens  de  guerre,  qu'ils  n'osent  tra- 
ficquer  librement  sur  les  royaumes  et  autres  pays  voisins,  au 
grand  préjudice  et   intérest  d'iceux   et  de  tout  nostre  Estât. 


164 

Pourquoi,  Messieurs,  nous  vous  prions  bien  affeclueusemenl 
qu'il  vous  plaise  accepter  en  gré  ce  peu  que  recepvrés  de  nostre 
part,  dont  nous  ne  demandons  aucun  autre  remboursement, 
sinon,  que  quand  vos  affaires  le  permettront,  que  veuillez  em- 
ployer semblable  somme  au  redressement  de  vostre  escole,  et 
croire  que  si  Dieu  nous  fait  une  fois  la  grâce  de  nous  délivrer 
de  ceste  nostre  longue,  misérable  et  cruelle  guerre  (comme 
nous  espérons  que  fera  bien  tost)  que  ne  serons  de  nostre  part 
mescognoissans  de  la  faveur  que  vous  avez  ci-devant  fait  ausditz 
réfugiez.  Confians  cependant  en  sa  divine  clémence  et  bonté 
qu'il  ne  vous  abandonnera  jamais,  ains  délivrera  à  son  temps 
de  vos  ennemis  pour  la  grandeur  de  son  nom  et  l'accroissement 
de  sa  sainte  parole,  h  quoy  nous  ne  cesserons  de  l'implorer  par 
nos  prières.  Au  demeurant,  vous  entendrez  la  disposition  de 
notre  estât  et  affaires  et  ce  que  nous  avons  fait  pour  divertir 
les  entreprises  du  Duc  de  Parme  au  soulagement  du  Roy  de 
France  et  asseurer  nostre  estât  tant  qut^  nous  a  esté  possible 
par  le  dit  Sieur  Lect  vostre  agent,  personage  que  nous  avons 
heu  fort  aggréable,  et  qui  s'est  fort  dextrement  et  diligemment 
employé  vers  nous  et  les  Provinces-Unies  en  ceste  sa  charge, 
à  la  suffisance  desquels  nous  remettans,  prions  au  Créateur, 
Messieurs,  vous  maintenir  et  conserver  en  sa  sainte  protection 
à  la  honte  et  confusion  de  nos  ennemis  communs.  De  la  Haye 
en  Hollande  ce  16*^  de  novembre  1590.  Signé  vos  très-affec- 
tionnés amis  les  Estais  généraux  des  Provinces-Unies  des  Pavs 
Bas.  » 

Cette  lettre  est  un  précieux  témoignage  en  faveur  de  Genève. 
Certes,  les  Provinces-Unies  avaient  alors  assez  d'embarras  sur 
les  bras,  pour  qu'on  n'eût  [)u  guère  les  accuser  d'égoïsme  si 
elles  avaient  refusé  de  s'intéresser  activement  à  nos  affaires. 
Mais  précisément  parce  qu'elles  avaient  passé  par  de  rudes 
épreuves,  elles  compatirent  aux  souffrances  d'un  autre  peuple 
qui,  comme  elles,  combattait  pour  la  liberté  politique  et  reli- 


165 

gieuse,  et  elles  voulurent  montrer  qu'elles  savaient  apprécier 
des  services  rendus  à  la  cause  prolestante.  Comme  d'ailleurs 
un  grand  nombre  de  dévoués  pasteurs,  instruits  et  formés  dans 
notre  ville,  avaient  contribué  à  faire  connaître  d'une  manière 
favorable  l'enseignement  qu'on  y  recevait,  les  Etats  généraux, 
en  mettant  à  leur  don  une  remarquable  condition,  constataient 
le  pénible  effet  produit  à  l'étranger  par  la  suppression  momen- 
tanée de  l'académie:  en  demandant  que  leur  argent  fût  employé, 
dès  que  les  circonstances  le  permellrfiient,  au  redressement  de 
l'école^  ils  le  rendaient  utile  aux  églises  réformées  en  général. 

Au  printemps  de  1592,  Charles  Liffort,  muni  de  lettres  de 
crédit  se  dirigea  vers  les  États  protestants  de  l'Allemagne.  Il 
avait  à  visiter  les  églises  de  Pologne,  de  Hongrie,  de  Tran- 
sylvanie et  il  rapporta*  7977  florins  6  s.  monnaie  de  Genève 
(3682  fr.). 

Au  commencement  de  l'année  suivante,  le  syndic  Paul  Che- 
valier député  à  la  cour  de  Henri  ÏV,  pour  demander,  entre  au- 
tres, la  restitution  de  sommes  assez  fortes  prêtées  par  Genève, 
n'ayant  obtenu  que  de  vagues  promesses  et  des  lettres  de  re- 
commandation auprès  des  églises  de  France,  avait  commencé  à 
recueillir,  dans  quelques  villes,  des  secours  et  des  marques 
d'affection  *. 

Mais  les  besoins  croissant  toujours,  on  se  décida  à  renvoyer 
encore  quêter  dans  les  Provinces-Unies,  où  l'on  était  presque 
certain  de  rencontrer  des  dispositions  favorables.  Une  lettre 
adressée  par  la  princesse  d'Orange  à  Th.  de  Bèze  et  communi- 
quée au  Petit  Conseil  donnait  en  eflet  l'espérance  d'une  se- 
conde contribution  '. 

Jacob  Anjorrant,  souvent  appelé  M.  de  Sully  ou  de  Soully, 
fut  chargé  de  cette  mission,  par  arrêt  du   14  mars  1593*; 

'  Registre  du  Conseil,  vol.  de  1593  fol.  175,  3  décembre. 

*  Ibid.  loi.  30,  56  et  70. 

'  Ibid.  vol.  de  1592,  fol.  111.  11  juin. 

*  Ibid.  vol.  de  1593,  fol.  42  verso. 


166 

il  ne  nous  est  resté  aucune  copie  des  instructions  qui  lui  furent 
données. 

Le  nouveau  député  ne  tarda  pas  à  se  mettre  en  route.  Le 
l"avril\  on  reçut  en  Conseil  une  lettre  dans  laquelle  il  annon- 
çait, de  Soleure,  qu'il  avait  obtenu  de  l'ambassadeur  de  France 
en  Suisse  quelques  recommandations.  Le  23,  on  apprit  qu  à 
Francfort  le  prince  Palatin  l'avait  bien  accueilli  et  lui  avait  fait 
espérer  des  lettres  pour  les  États  généraux  et  pour  le  comte 
Maurice  de  Nassau.  Le  même  jour  il  fut  encore  donné  commu- 
nication d'une  lettre  de  la  princesse  d'Orange  çcrite  de  la  Haye, 
le  16  mars,  a  M.  de  Bèze.  «Depuis  ses  dernières  lettres,  les 
Estais  généraux  n'ont  point  esté  assemblés  pour  se  résoudre  sur 

l'assistance  requise ,  tout  ce  qu'elle  a  peu  faire  jusques  ici, 

c'a  esté  de  solliciter  chacune  province  en  particulier  et  espère 
qu'en  brief  ils  se  résoudront  à  contentement  ;  ne  pouvant  néant- 
moins  dire  la  somme  ny  le  temps,  qu'est  la  cause  qu'elle  n'ose 
escrire  a  Messieurs  ' .  » 

Anjorrant,  parvenu  dans  les  Pays-Bas,  tint  ses  supérieurs  au 
courant  de  ses  opérations  ^  Puis,  le  15  avril  1594,  il  parut 
devant  le  Conseil  et  présenta  un  rapport  détaillé  transcrit  dans 
le  registre*. 

Il  y  expose  longuement  les  courses  nombreuses  qu'il  dut 
faire  dans  diverses  villes  des  Provinces,  ses  sollicitations  au- 
près des  autorités  principales  et  les  difficultés  qu'il  rencontra, 
provenant  non  d'indifférence  pour  nos  affaires,  car  il  fut  partout 
bien  reçu,  mais  de  la  position  gênée  du  peuple  auquel  il  s'a- 
dressait. 

Voyons  d'abord  b-s  résultats  financiers  de  sa  mission  ^  : 


'  Registre  du  Conseil,  vol.  de  1593,  fol.  48. 


*  Ibid.  fol.  63. 

•'  Ibid.  fol.  113,  21  juillet;  fol.  127  verso,  21  août. 

*  Ibid.  vol.  de  159i,  fol.  55. 

=*  Ibid.  et  fol.  120,  26  août,  Rapport  des  commis  de  la  Chambre  des 
Comptes 


167 

Il  obtint  en  pur  don  de  la  ville  d'Utrecht FI.     1000 

De  même  de  la  province  de  Zélande -1300 

De  la  ville  de  Berg-op-Zoom,  ville  de  garnison  du  tout  minée.  50 

De  la  province  de  Gueldre 1000 

De  la  ville  d'Embden 900 

Et  de  présent  fait  par  MM.  les  Etats  généraux  à  M.  de  Bèze. 300 

FI.     7550 

Il  reçut  en  outre  des  Etats  de  Hollande  et  de  j 

Westfrise FI    24000  29000 

et  de  ceux  de  Frise 5000  ) 

FI.  36550 

Ces  deux  dernières  sommes  prêtées  sans  intérêt  pendant  trois 
années  et  ensuite  à  6  pour  %  par  an,  pour  estre  iceux  employés 
à  r entretien  de  quelques-uns  de  leurs  écoliers  qu'ils  enverront. 

Le  tout  réuni  se  montait  à  36,550  florins  monnaie  des  Pays- 
Bas,  de  20  patards;  et  comme  on  ajoute  que  65  patards  font  l'écu 
sol  de  8  florins  de  Genève,  la  somme  ci-dessus,  convertie  en 
monnaie  de  Genève,  faisait  89,968  florins  (4 1 ,524  francs)  ;  mais 
si  on  la  tiaduisait  immédiatement  en  livres  tournois  ou  en 
francs,  on  aurait  une  valeur  beaucoup  plus  forte. 

II  }'  avait  naturellement  à  prélever  certains  frais,  dont  on 
sera  peut-être  curieux  de  connaître  le  détail  : 

M.       Pat     D 

«  Pour  les  despens  faits  en  la  recepte  des  monnaies  ...  62  1 0  » 
Pour  des  présents  aux  Estats  généraux  et  salaires  des  se- 
crétaires et  clercs 196  S  » 

En  messagers  et  ports  de  lettres  .' 37  17  6 

Pour  changer  les  espèces  et  pour  sacs  el  thoiles 31  iO  » 

Pour  des  habits  faits  au  dit  voiage  pour  sa  négociation.   .  321  1  3 

Pour  lettres  d'approbation  des  docteurs 35  4  » 

Pour  despense  de  bouche,  louage  des  chevaux,  chariots 

et  basteaux  au  dit  voiage 1135  18  » 

Pour  despense  du  séjour  au  dit  Pais  Bas  et  louage  de 

chambre 691  1  » 

Pour  l'achept  de  2  chevaux  (qui  furent  remis  à  l'hôpital 

au  retour) 227  14  » 

FI.   2739       0     9 


168 

«  Laquelle  despense  contenue  es  neuf  articles  précédens 
monte  à  2739  fl.  9  deniers.  » 

En  outre  il  fut  payé  au  député  pour  ses  salaires  et  vacations 
pendant  387  journées  à  raison  de  30  sous  (de  Genève)  par 
jour,  967  fl.  6  deniers  (de  Genève). 

Anjorrant  n'avait  pas  été  chargé  uniquement  de  demander 
des  secours  pécuniaires  aux  Provinces-Unies;  il  devait  aussi 
chercher  à  obtenir,  ce  à  quoi  notre  gouvernement  attachait  un 
grand  prix,  l'approbation  des  grades  conférés  par  l'académie: 
Chevalier  avait  échoué,  dans  une  demande  semblable,  auprès 
de  la  cour  de  France,  et  il  assure  que  l'agent  des  Pays-Bas 
avait  eu  le  même  sort*. 

Un  meilleur  succès  étah  réservé  à  Anjorrant  et  voici  com- 
ment il  rendit  compte  de  cette  négociation  : 

«  Or  quant  au  second  point  qui  est  des  lettres  d'approbation 
des  docteurs,  combien  que  les  difficultés  en  ayent  esté  grandes 
pour  les  obtenir  parfaites  et  authv'^ntiques,  pour  ce  qu'ils  crai- 
gnent faire  préjudice  à  leurs  universités,  si  est  ce  que  ce  n'a  rien 
esté  au  prix  de  celles  pour  la  subvention,  n'y  ayant  point  plus 
grand  afaire  au  monde  que  trouver  argent  et  ce  qui  en  despend. 
Pour  lesquelles  lettres  obtenir,  il  luy  a  falu  attendre  d'en  parler 
à  toutes  les  provinces,  que  la  résoluiion  n'eust  esté  avant  prinse 
de  la  subvention,  recognoissant  que  cela  eust  fait  tort  à  sa  né- 
gociation princijialle.  En  quoy  la'raison  qu'il  allégua  que  l'en- 
nemi ne  prétendoit  pas  seulement  à  la  subversion  totale  de 
l'Estat,  mais  principalement  à  la  ruyne  de  l'eschole  et  que  faloit 
par  quelque  tel  renom  conlrevenir  à  ses  desseins,  veu  mesmes 
que  par  telles  espérances  il  retenoit  annuelle  subvention  des 
papes,  leur  lit  acquiescer  à  sa  demande. 

«  Et  d'autant  que  passant  par  l'Allemagne  et  négociant  au 
Pais  Bas  au  nom  de  vos  seigneuries,  il  a  recogneu  que  Genève 

'  Registre  du  Conseil,  vol.  de  1592,  fol.  218  verso,  3  novembre. 


169 

esloit  encores  en  grande  réputation  el  a  remarqué  que  son 
principal  renom  venoit  de  ce  que  Dieu  leur  avoit  fait  ceste 
grâce  que,  despuis  soixante  et  deux  ans  en  çà,  la  pureté  de  la 
religion  v  avoit  esté  preschée  sans  qu'il  y  ayt  eu  aucune  secte  ny 
hérésie  de  l'eschole,  qui  a  fleuri  par  le  renom  et  estime  des  per- 
sonnes rares  qui  ont  esté  et  sont  en  renom  par  tout  le  monde, 
tant  en  la  théologie  qu'en  la  jurisprudence,  qu'aussi  pour  les 
langues  hébraïques  et  grecques  et  en  l'humanité,  tellement 
qu'on  présume  celuy  estre  docte  qui  a  heu  ce  bien  d'estre  leur 
auditeur. 

«  Or  comme  c'eusl  esté  peu  de  chose  si  le  tout  n'eust  esté 
réglé  en  bonne  discipline,  n'est  pas  moindre  le  renom  que 
Genève  s'est  acquise  par  le  bon  ordre  et  discipline  qu'il  y  a  heu, 
de  sorte  qu'on  a  telle  opinion  de  la  jeunesse  qui  a  esté  de  par 
deçà,  qu'ils  sont  tenus  encores  pour  bien  morigénez,  et  de  fait 
sont  plus  tosl  receus  en  cliarge.  Par  conséquent  c'est  la  bonne 
discipline  qui  occasionne  les  pères  et  parens  d'envoyer  icy  leurs 
enfans,  comme  il  sçait  que  plusieurs  des  Païs-Bas  doibvent  re- 
tirer de  France,  d'Allemagne  et  d'Angleterre  pour  les  mettre 
icy,  se  confiant  sur  telle  bonne  opinion  en  laquelle  il  les  a 
remis. 

«  Sur  ce,  il  supphe  au  nom  de  Dieu,  de  la  part  de  Messieurs 
les  Estais  des  Provinces-Unies,  surtout  de  ceux  du  duché  de 
Gueldres  et  de  Lutphen,  que  vous  vouliés  les  obliger  tant  que 
veiller  et  avoir  l'œil  sur  leur  jeunesse  de  peur  qu'elle  ne  se  des- 
bauche. 

«  Et  d'autant  que  la  réputaiion  d'une  ville  despend  aussi  de 
l'imprimerie,  une  infinité  de  personnes  qui  ayment  cest  Estât, 
prient  qu'on  donne  ordre  que  le  papier  soit  bon  et  les  livres 
bien  corrects,  autrement  cela  fera  beaucoup  de  tort  ;  à  quoy  il 
faut  remédier  au  plus  tost,  sur  tout  maintenant  que  de  tous 
costéz  on  dresse  imprimeries  nouvelles  ;  el  aussi  d'autant  qu'il  n'y 
a  prince  et  estai  qui  ne  dressent  universités,  on  doit  prendre 
garde  de  maintenir  ceste  eschole  par  hommes  doctes  et  de  re- 


i70 

nom.  Et  est  aussi  nécessaire  le  plus  diligemment  qu  il  sera  pos- 
sible, s'entretenir  par  lettres  avec  ceux  qui  affectionnent  cest 
Estai,  car  un  défaut  de  telles  correspondance  aliène  les  cœurs  et 
bonnes  volontés,  comme  j'en  ay  des  tesmoignages;  et  au  con- 
traire, par  lettres,  nous  nous  pourrons  unir  de  plus  en  plus  avec 
leur  Estai,  ce  qu'ils  désirent  et  qui  sera  la  cause  qui  donnera 
très  grande  facilité  au  changement  du  prest  en  don.  » 

11  fait  ensuite  observer  que  l'argent  donné  par  Embden, 
«  ville  maritime  en  la  Frise  orientale  et  la  plus  ancienne  qui 
ayt  receu  la  pureté  de  la  religion  en  Allemagne,  »  ainsi  que  par 
Arnheim,  étant  destiné  aux  pauvres,  il  faut  se  conformer  à 
l'inteniion  des  diinaleurs.  Puis  il  ajoute: 

«  Et  d'autant  que  cela  ferait  beaucoup  de  tort  à  cest  Estât 
qu'il  fut  recogneu  quelque  juste  mescontentement  ou  plainte 
des  ministres,  est  expédient  pour  le  bien  de  TEslat  que  les 
ministres  soyent  bien  unis  avec  la  Seigneurie,  esiant  sur  tous 
le  nom  de  M.  de  Besze  révéré  et  le  renom  très-grand;  les 
lettres  duquel  serviroient  plus  après  les  vostres  que  d'aucunes 
autres  qui  puissent  estre  hors  celles  du  Roy. 

«  Il  a  sondé  les  volontez  de  la  plus  part  estre  autant 

affectionnées  et  désireuses  de  subvenir  à  cest  Estât  qu'aupara- 
vant;   les  espérances  sont  très-grandes  que  l'un  de  vostre 

corps  ne  feroit  un  voyage  infructueux,  en  cas  qu'il  faille  ren- 
trer en  guerre,  et  que  des  Estais  on  en  tireroit  encor  subven- 
tion voire  annuelle  durant  la  guerre. 

«  Outre  Messieurs  les  Estais  tant  en  général  qu'en 

particulier  qui  lui  ont  lesmoigné  l'honneur  et  amitié  qu'ils  ont 
a  vostre  Estai,  sont  M.  le  prince  d'Orenges  lequel  prenant 
congé  de  luy,  chargea  de  vous  asseurer  de  son  entière  amitié; 
Madame  la  princesse  luy  en  a  rendu  tout  tesmoignage  et  office 
et  commanda  à  son  fils  le  jeune  prince,  sur  son  despari,  qu'il 
tesmoignast  son  affection  et  la  grande  obligation  qu'elle-même 
disoil  avoir  à  cest  Estai,  leipiel  promit  de  se  dédier  en  reven- 
che  pour  le  bien  et  service  de  cest  Estai.  » 


471 

Après  avoir  ainsi  terminé  son  rapport,  Anjorrant  déposa 
trois  lettres  qui  furent  transcrites  clans  le  registre,  et  dont  nous 
donnerons  la  copie  : 

Lettre  du  comte  ^Maurice  de  \assau. 

«  Messieurs,  d'autant  que  vous  serés  assez  particulièrement 
informez  par  le  Sieur  de  Sully,  vostre  député,  de  ce  qu'il  a  né- 
gotié  avec  Messieurs  les  Estats  de  ces  provinces,  au  fait  de  |a 
charge  que  vous  luy  avés  imposée,  je  n'estime  pas  estre  besoin 
de  vous  en  faire  autre  relation  par  ceste,  ains  vous  prieray  de 
vouloir  croire  que  je  n'ay  pas  obmis  aucun  debvoir  que  j'ay 
cogneu  pouvoir  donner  advnncement  à  sa  despêche,  (  omme  je 
sçay  que  le  dit  de  Sully  m'en  rendra  bon  tesmoignage.  Et  si 
en  autre  chose  je  me  puis  employer  pour  vostre  service,  je  le 
feray  tousjours  d'entière  affection.  Sus  qu'elle  fin,  après  mes 
bien  affectueuses  recoramendations  en  vos  bonnes  grâces,  je 
prie  Dieu  vous  maintenir,  Messieurs,  en  sa  sainte  protection. 
D'.'  La  Haye  le  22  de  febr.  1594,  vostre  bien  affectionné  amy 
de  vous  faire  service,  de  Nassau.  » 


Lettre  de  Messieurs  les  Estats  généraux  des   Provînees-L'nies 

des  Païs-Bas. 


«  Messieurs.  Nous  avons,  sur  la  réception  de  vos  lettres  et 
la  remonstrance  à  nous  exhibée  de  vostre  part  par  Madame  la 
princesse  d'Orenges,  fait  entendre  aux  Provinces-Unies  Testai 
de  vos  afaires,  ensemble  l'extrémité  où  estiés  réduits  et  la  ville 
de  Genève,  pour  les  grands  frais  qu'il  vous  convenoil  suppor- 
ter journellement  en  vostre  guerre  contre  le  duc  de  Savoye  et 
autres  ennemis  communs,  a  ceste  fin  de  les  disposer  à  vous 
faire  une  seconde  subvention.  Estant  despuis  survenu  le  Sieur 
de  Sully  vostre  délégué  présent  porteur,  avec  lettres  de  cré- 
dence  et  plus  ample  instruction,  et  ayans  ouy  et  veu  sa  propo- 


172 

sition  servante  h  la  fin  que  dessus,  trouvasmes  expédient,  pour 
des  très-bonnes  considérations,  de  le  renvoyer  aux  provinces 
particulières,  pour  tant  mieux  par  sa  présence  et  vives  remons- 
trances,  les  esmouvoir  à  une  hriefve  et  bonne  résolution,  le 
pourvoyant  a  ceste  fin  de  nos  lettres  d'adresse  et  recommenda- 
tions.  Suivant  quoy  il  a  si  bien  déduit  sa  charge,  besoigé  et  ef- 
fectué èsdites  provinces,  que  nous  estimons  vous  aurés  occa- 
sion et  matière  de  cognoistre,  par  leurs  résolutions  et  le  rapport 
du  dit  Sieur  de  Sully,  la  continuation  de  la  très-grande  affection 
qu'elles  portent  particulièrement  et  Testât  en  général  à  votre 
conservation,  et  pour  vous  asseurer,  si  la  puissance  et  moyens 
leur  estoient  à  l'advenant,  qu'elles  ne  fauidroient  à  vous  en 
faire  des  plus  grandes  preuves  et  démonstrations.  II  nous  des- 
plaist  que  n'en  avés  peu  sentir  les  effects  plus  tost;  mais  s'il 
vous  plaist  considérer  un  peu  de  plus  près  où  ceste  longue  et 
pénible  guerre  contre  un  si  puissant  ennemi  nous  a  réduits, 
ensemble  les  grandes  charges  qu'il  nous  convient  encor 
supporter  par  eau  et  par  terre  avec  tant  de  difficultez  et  tra- 
verses que  la  guerre  produit,  cela  nous  servira  d'excuse  et  pour 
suffisante  preuve  de  nostre  debvoir  et  à  vous  rendre  contents  et 
satisfaits  des  dites  provinces,  mesmes  de  la  longue  demeure 
par  deçà  du  dit  Sieur  de  Sully,  lequel  vous  avés  dignement 
choisy  pour  ceste  légation,  s'y  estant  employé  très  diligemment 
et  avec  beaucoup  de  contentement.  Et  comme  du  demeurant 
il  est  informé  bien  particulièrement  pour  vous  pouvoir  rendre 
tout  ample  tesmoignage  de  tout  ce  que  dessus,  et  que  ultérieu- 
rement il  a  peu  cognoistre  et  apprendre  j)armi  nous  touchant 
nostre  ferme  résolution  de  nous  maintenir  avec  la  grâce  de  Dieu 
contre  les  efforts  du  roy  d'Espagne  et  ses  conlédérez  ennemis 
•  de  la  cause  commune,  nous  nous  remectrons  pour  faire  lin  à  la 
présente  à  sa  suffisance,  prians  au  Créateur,  Messieurs,  de  con- 
server et  maintenir  vostre  estât  en  toute  prospérité  et  vous 
oltroyer  santé  et  longue  et  heureuse  vie.  A  la  Hâve,  le  10  de 
mars  1594.  Vos  bien  affectionnés  amis  les  Estats  y;éuéraux  des 


173 

Provinces-Unies  du  Pais-Bas,  et  par  ordre  des  dits  seigneurs 
Estais » 

Lettre  de  la  princesse  d'Orange  *. 

«  Messieurs,  sachant  le  besoin  qu'avés  d'cstre  secourus,  je 
suis  marrie  que  vostre  député  n'a  peu  estre  plus  promptement 
expédié;  mais  je  vous  puis  asseurer  de  sa  diligence  et  fidèle  af- 
fection à  vostre  service.  Je  pense  qu'il  vous  représentera  les 
justes  raisons  de  ce  long  délay.  Créiez  que  ce  n'a  esté  faute  do 
bonne  volonié  en  Messieurs  les  Estais  (je  m'asseure  aussy  que 
n'en  doublés)  ;  mais  à  mon  advis,  de  la  multitude  de  leurs  affai- 
r<^s  et  pluralité  des  personnes  à  qui  il  faut  parler  en  divers  lieux. 
Quant  à  mon  particulier,  je  vous  supplie  continuer  à  faire  estai 
asseuréde  tout  ce  qui  dépend  de  mon  pouvDirou  crédit,  el  comme 
tous  gens  de  bien  se  doibvent  sentir  obligez  en  général  d'afection- 
ner  le  bien  el  l'avancement  de  vostre  Estai  el  d'y  ayder  de  tous 
leurs  moyens,  je  recognois  d'y  avoir  spéciale  obligation,  pour 
l'honneur  el  courtoisie  quej'ay  receue  en  vostre  villequand  j'y  ay 
esté  ;  aussi  me  sera-ce  tousjours  beaucoup  d'heur  et  de  conten- 
tement de  rencontrer  les  occasions  el  posséder  les  moyens  de 
m'employer  pour  le  service  d'icelle.  Je  prie  Dieu  de  tout  mon 
cœur  pour  sa  conservation  et  prospérité  comme  aussi  de  vos 
personnes.  Messieurs,  et  demeure  vostre  bien  humble  et  afïéc- 
tionnée  a  vous  faire  service.  Louise  de  Coligny,  à  la  Haye,  le 
1  \  mars  1594.  » 

Enfin,  Anjorrant  remit  au  Conseil  cinq  lettres  patentes  pour 
l'approbation  des  grades  conférés  par  l'académie. 

Cependant  notre  république,  fort  obérée,  se  trouvait  toujours 

«  Louise  de  Coligny,  fille  de  Gaspard  de  Coligny,  amiral  de  France,  mas- 
sacré à  la  St-Barthélemy,  veuve  de  Charles  de  Téligni,  avait  épousé  Guil- 
laume de  Nassau,  prince  d'Orange,  qui  fut  assassiné  en  1584. 


174 

dans  une  grande  gêne.  En  1598  ',  un  conseiller,  Michel  Roset, 
annonça  avoir  appris  que  l'électeur  Palalin  venait  de  faire  un 
héritage  de  30  à  40  mille  livres  de  rente;  alors  et  «  sur  l'advis 
qu'on  a  d'ailleurs  que  Messieurs  des  Eslats  des  Païs-Bas  s'en- 
richissent de  jour  à  autre  »  et  aussi  d'après  les  espérances  don- 
nées par  des  gentilshommes  de  ces  quartiers,  il  fut  résolu  d'en- 
voyer demander  quelque  gratification  soit  à  l'Electeur  soit  aux 
Provinces-Unies. 

Lect  fut  désigné  pour  cette  commission,  mais  il  demanda  et 
obtint  d'en  êlre  dispensé  eu  esgard  à  son  indisposition  et  gros- 
sesse de  sa  femme  preste  d'accoucher'^  et  l'on  nomma  à  sa  place 
Anjorrant  qui  venait  d'être  élu  l'un  des  secrétaires  du  Conseil. 

Il  voulut  bien  aussi  s'excuser  «  tant  sur  son  insuffisance, 
grossesse  de  sa  femme  et  autres  nécessités  de  sa  famille,  que 
sur  la  petite  espérance  de  faire  quelque  adventage  pour  cest 
estai  en  ce  temps;  »  il  revint  môme  sur  les  motifs  qu'd  pouvait 
alléguer,  mais  on  passa  outre  et  on  lui  donna  pour  instructions 
de  cherchei-  a  obtenir  l'abandon  des  sommes  dues  à  l'Electeur 
et  aux  Etats,  ou  au  moins  un  retard  dans  le  paiement  jusqu'au 
remboui  sèment  qu'on  attendait  toujours  et  vainement  du  roi  de 
France  "'. 

Anjorrant  se  soumit,  et  l'on  reçut  bientôt  diverses  lettres, 
dans  lesquelles  il  racontait  ses  démarches,  l'appui  et  les  difficul- 
tés qu'il  rencontrait.  Ainsi,  il  écrivit  de  la  Haye,  le  14  mai, 
qu'il  avait  bonne  espérance  de  sa  négociation,  quoiqu'il  trouvât 
dans  ces  provinces  de  gramis  changements  di^puis  son  premier 
voyage:  «  La  plupart  de  nos  meilleurs  amis  sont  morts.  Il  a  af- 
faire à  des  hommes  nouveaux,  aussi  lui  conseille-t-on  d'en  gagner 

deux  ou  trois Néantmoins  son  voiage  estoit  très  nécessaire; 

en  tout  cas  il  servira  pour  empescher  qu'on  ne  soit  en  ce  temps 
chargé  des  escholiers  qu'ils  faisoient  estât  nous  envoyer  tous  les 

'  Kegistre  du  (jonseil,  vol.  de  1598,  fol.  36  verso,  21  lévrier. 

*  Ibid.  fol.  45,  6  mars. 

*  Ibid.  fol.  46,  10  mars,  46  verso  13  mars,  47  verso  14  mars. 


175 

ans'.))  Il  revint  plusieurs  fois  sur  les  espérances  qu'il  concevait; 
mais,  ajoutait-il,  //  y  escliet  de  la  patience  ^. 

Son  absence  dura  quatorze  mois  et  lorsqu'il  fut  arrivé  à 
Genève,  il  fit  au  Conseil  un  rapport  transcrit  de  sa  main  dans 
le  registre'. 

L'Electeur  avait  consenti  sans  trop  de  peine  à  céder  les  in- 
térêts échus  et  à  venir,  et  il  promettait  d'attendre  pour  le  rem- 
boursement du  capital.  Mais  les  difficultés  à  surmonter  dans 
les  Pays-Bas  furent  nombreuses.  On  voit  dans  les  collections 
de  la  Bibliothèque  publique  une  lettre  adressée  à  Th.  de  Bèze 
par  un  ancien  élève  de  l'Académie  de  Genève,  connu  dès  lors 
comme  un  des  remontrants  les  plus  distingués  :  elle  constate 
la  position  extrêmement  fâcheuse  de  ces  provinces  à  cette 
époque,  et  exphque  comment,  avec  les  meilleures  intentions  du 
monde,  on  ne  pouvait  faire  davantage  ^ . 

Après  beaucoup  de  courses,  Anjorranl  avait  obtenu  des 
Etals  généraux  une  subvention  de  12,000  fl.  à  prendre  et 
estre  départis  sur  les  sept  provinces,  et  cela  pour  l'employer  a 
l'entretien  d'une  compagnie  de  100  hommes  pendant  un  an. 
Cette  condition  ne  plaisait  pas  au  député  genevois,  mais  il  se 
décida  a  recevoir  l'argent,  et  ne  fit  aucune  promesse  formelle. 
Les  provinces  de  Hollande  et  de  Frise  ajoutèrent  le  don  de 
cinq  années  des  intérêts  du  prêt  précédent. 

'  Registre  du  Conseil,  vol.  de  t598,  fol.  94,  9  juin. 

*  Ibid.  fol.  117  verso. 

5  Ibid.  vol.  de  1599,  fol.  56  verso,  18  mai. 

*  Lettres  et  pièces  diverses,   portefeuille   n°  4.  Lettres  de  Wtenbogaert, 

écrite  à  la  Haye  le  21  mars  1599 «  Je  fai  ce  petit  et  grossier  (toutes 

fois  véritable)  discours.  Monsieur  et  père,  affin  que  non-seulement  vous  en- 
tendiez notre  excuse,  mais  surtout  affin  que  soyez  tant  plus  esmeu  et  incité 
de  continuer  comme  vous  faites  desjà  des  longtemps,  à  sçavoir  qu'en  vos 
prières  tant  publiques  que  particulières,  vous  ayez  les  églises  de  cest  estât  pour 

recommendées  singulièrement De   mon  particulier  je  ne  dirai  rien 

si  non  que  tandis  qu'il  plaira  au  bon  Dieu  me  continuer  cesle  vie,  je  ne 
laisseiai  d'avoir  souvenance  des  biens  et  faveurs  que  j'ai  receu  de  vous  et 
des  autres  mes  précepteurs  et  pères,  comme  Messieurs  de  Perrot,  La  Faye, 
Gouiart  et  autres.  > 


176 

Après  avoir  exposé  les  résultais  auxquels  il  est  parvenu, 
Anjorrant  fait  observer  combien  il  est  honorable  pour  Genève, 
de  n'être  point  abandonnée  de  peuples  lointains  qui,  exposés 
eux-mêmes,  continuent  à  nous  montrer  de  la  bonne  volonté,  à 
nous  assister  et  à  nous  offrir  leurs  conseils,  comme  par  exemple 
celui  de  chercher  à  devenir  partie  intégrante  de  la  Suisse  '  ; 
puis  il  rappelle  que  le  succès  de  sa  négociation  doit  être 
principalement  attribué  aux  grands,  doctes  el  laborieux  ■person- 
nages qiiil  y  a  en  ceste  ville,  et  qu'il  faut  par  conséquent  entre- 
tenir avec  soin  les  établissements  d'instrution  publique. 

Il  présenta  enfin  une  lettre  patente  analogue  aux  cinq  qu'il 
avait  apportées  en  1594.  Les  Provinces-Unies  étant  au  nombre 
de  sept,  il  manquait  une  de  ces  pièces.  Mais,  dans  son  premier 
rapport,  Anjorrant  disait  h  propos  de  ses  courses  pour  la  quête  à 
laquelle  il  avait  déjà  mis  beaucoup  de  temps  :  «  Il  restait  Over- 
Yssel.  la  dernière  ei  plus  pauvre  province  en  laquelle  il  n'a  esté 
conseillé  d'aller  pour  un  si  long  retardement;  s'est  contenté  de 
ses  lettres  d'excuse,  estant  asseuré  que  les  lettres  d'approbalion 
des  docteurs luy  seront  envoyées.»  Il  paraît  qu'au  second  voyage 
Anjorrant  négligea  de  les  aller  redemander. 

Le  Conseil,  en  reconnaissance  des  bons  services  rendus  par 
son  député,  lui  accorda  outre  ses  honoraires  une  gratification  de 
300  écus^. 

Jacob  Anjorrant  doit  être  compté  parmi  les  nombreux  citoyens 
qui  consacrèrent  à  notre  patrie  leur  zèle  el  leurs  facultés.  Homme 

*  «  Et  qu'en  la  concurrence  de  tant  d'affaires  a  remontré  debvoir  estre 
jugé  beaucoup  pour  l'honneur  de  la  seigneurie  envers  toute  et  mesme  en- 
vers le  pouple,  de  ce  qu'on  a  esté  abandonné  ni  mesprisé  des  plus  loingtains 
qui  sont  en  péril,  et  surtout  à  cause  des  offres  exprès  de  la  continuation  de 
leurs  bonnes  voluntéz  et  assistances,  selon  que  leur  estât  le  pourra  porter, 
et  par  les  tesmoignages  de  leurs  conseils,  en  l'union  qu'ils  cognoisseut  avec 
nous  estre  nécessaire  qu'ayons  avec  la  Suisse,  dans  le  corps  de  laquelle 
il  falloit  que  tous  tendissent  là,  pour  y  estre  incorporez,  attendu  qu'ils 
ont  un  même  fondement  d' estât  avec  nous,  qui  est  la  liberté.  » 

*  Registre  du  Conseil,  vol.  de  1599,  fol.  97,  17  août. 


177 

instruit,  actif  et  jouissant  d'une  grande  aisance,  il  fournit  une 
des  plus  honorables  carrières  de  magistrat  :  il  n'était  encore 
que  membre  du  Grand  Conseil  lors  de  son  premier  voyage 
dans  les  Pavs-Bas,  mais  une  fois  entré  dans  le  Conseil  d'Etat, 
on  le  vit  souvent  à  la  tête  de  la  république  et  plusieurs  mis- 
sions importantes,  auprès  des  cours  de  France  et  de  Piémont, 
lui  furent  confiées;  il  était,  par  exemple,  à  Paris  en  1610,  et  il 
reçut  son  audience  de  congé  le  jour  même  où  Henri  IV  tomba 
frappé  par  le  poignard  de  Ravaillac.  Pour  montrer  le  cas  qu'on 
faisait  de  lui  dans  les  Conseils,  il  suffît  de  citer  le  fait  suivant  : 
en  1638  l'une  de  ses  filles,  veuve  de  P.  Lect,  devant  épouser 
le  svndic  Ami  Favre,  il  fut  décidé*  qu'on  dérogerait  cette  fois 
a  une  loi  formelle  qui  interdisait  a  un  beau-père  et  à  son  gen- 
dre de  siéger  ensemble  dans  le  Petit  Conseil";  on  déclara  en 
même  temps  que  cette  faveur  était  accordée  pour  bonnes  con- 
sidérations et  sans  conséquence  pour  l'avenir,  et  l'on  y  mil 
quelques  restrictions  en  ce  qui  concernait  les  fonctions  judi- 
ciaires. 

ÂrrivoiiS  maintenant  aux  lettres  patentes. 

Elles  sont  toutes  écrit*  s  sur  parchemin,  en  beaux  caractères  ; 

'  Reg.  du  Conseil,  vol.  de  1638,  p.  400,  !«''  juin.  Séance  du  Conseil  des 
Deux-Cents. 

*  Doux  personnages  du  nom  d'Anjorrant  vinrent,  vers  le  milieu  du  siècle, 
s'établir  à  Genève  pour  motifs  religieux:  Renaud  et  Pierre  son  neveu.  Ce 
dernier  mourut  en  1589  sans- laisser  de  postérité  (Galiffe,  Notices  généalogi- 
ques, III,  10). 

Renaud,  l'un  des  fils  de  Louis  Anjorrant  (seigneur  de  Cloyes,  de  Soully  et 
de  Latingy,  avocat  du  roi  à  la  Chambre  des  Comptes,  puis  Conseiller)  fut 
reçu  habitant  de  Genève  le  10  décembre  1554  et  bourgeois  le  30  janvier 
1556.  Entré  dans  le  Grand  Conseil  en  1570,  il  mourut  le  25  août  1572,  il 
n'avait  plus  alors  que  son  fils  Jacob  et  une  fille  mariée  avec  Nicolas  .\ndrion. 

Jacob  Anjorrant,  né  en  octobre  1566,  entra  dans  le  Conseil  des  CC.  en 
1592  et  dans  le  Petit  Conseil  en  16:25;  il  mourut  le  20  janvier  1648,  le 
dernier  de  son  nom  à  Genève.  La  branche  de  celle  famille  qui  resta  en 
France  a  subsisté  jusqu'à  nos  jours;  elle  n'a  plus  qu'un  seul  représentant 
dans  la  personne  du  marquis  Anjorrant. 

Toine  XI.  12 


178 

seulement  il  est  difficile  d'en  lire  les  signatures  quand  on  n'est 
pas  au  courant  des  noms  de  famille  néerlandais. 

La  première  parle  au  nom  du  sénat  et  du  peuple  de 
Frise.  «Dans  cette  vie  mortelle  et  passagère,  y  est-il  dit,  nous 
considérons  et  nous  désirons  par-dessus  tout  la  gloire  de  Dieu, 
l'édification  de  l'Eglise  et  de  toute  la  chrétienté,  son  accroisse- 
ment, ses  succès,  son  bonheur;  et  pour  obtenir  ces  biens,  pour 
les  conserver,  nous  jugeons  que  l'étude  des  langues  et  des 
lettres  est  nécessaire,  surtout  l'étude  des  langues  et  des  lettres 
sacrées.  Aussi  nous  n'avons  pu  qu'acquiescer  à  la  demande  qui 
nous  a  été  adressée  par  noble  Jacob  Anjonant,  sieur  de  Sully, 
docteur  en  droit,  député  de  la  république  de  Genève.  11  nous  a 
communiqué  le  pieux  désir  que  les  magistrats  de  cette  ville 
célèbre  ont  de  relever  l'étude  de  la  religion  chrétienne  et  des 
lettres,  si  utile  pour  le  gouvernement  des  affaires  publiques  et 
nous  a  annoncé  que,  en  vue  de  donner  plus  de  lustre  à  leur 
école  établie  déjà  depuis  longtemps,  au  grand  avantage  de 
l'Eglise  de  Christ  et  célèbre  dans  tout  le  monde  chrétien,  ils  ont 
l'intention  de  conférer  à  ceux  qui  le  mériteront,  des  grades  de 
maîtres  es  arts,  de  licenciés  et  de  docteurs,  comme  cela  se 
pratique  dans  les  universités  d'Allemagne,  d'Italie,  de  France 
et  des  Provinces-Unies.  Il  a  ensuite  sollicité  notre  approbation 
pour  ces  grades  en  nous  offrant  la  réciprocité.  Or  puisque  a 
Genève,  la  suprême  autorité  a|)rès  Dieu  réside  dans  le  sénat 
et  dans  le  peuple,  nous  pensons  que  les  magistrats  de  cette 
cité  ont  eu  le  droit  d'y  établir  une  école,  comme  le  font  les 
autres  villes  libres,  les  princes  el  les  peuples  ;  et  nous  déclarons 
que  les  maîtres  es  arts,  licenciés  et  docteurs  reçus  régulière- 
ment il  Genève  jouiiont  dans  la  province  de  Frise  des  mêmes 
honneurs  et  privilèges  dont  jouissent  les  nôtres,  de  même  que 
nous  reconnaissons  les  titres  semblables  qui  ont  été  décernés 
dans  les  antres  académies  de  l'Europe.  » 

Le  considérant  de  la  deuxième  patente,  qui  est  écrite  au  nom 
de  la  province  d'Utrechi,  diffère  un  peu  de  celui  de  la  précé- 


179 

dente.  «  Rim  n'est  plus  propre,  suivant  la  nouvelle  pièce,  à 
exciler  le  zèle  des  hommes  lettrés,  dont  l'iibondance  fait  l'orne- 
ment d'un  État,  que  de  reconnaître  les  divers  grades  qu'ils  ont 
acquis  pnr  beaucoup  de  travaux  et  à  grands  frais.  » 

La  troisième  est  écrite  an  nom  des  Etats  de  Hollande  et  de 
Westfrise;  la  quatrième  au  nom  du  comté  de  Zélande  ;  la 
cinquième  au  nom  du  duché  de  Gueidre  et  du  comté  de  Zui- 
phen;  la  sixième  au  nom  de  la  ville  et  Ommeiande  «le  Gro- 
ningue. 

Ces  quatre  pièces  semblent  avoir  été  composées  par  le 
même  secrétaire  ou  du  moins  sur  un  même  modèle.  Elles  s"ac- 
conient  à  jeconnaître  les  grands  services  rendus  à  la  cause  des 
lettres  et  de  l'Evangile  par  TEgliso  de  Genève  ;  elles  relèvent 
le  zèle  persévérant  avec  lequel  cette  ville  a  fourni  des  prédica- 
teurs et  des  ministres  dévoués  pariout  où  l'on  en  demandait; 
elles  parlent  des  dangers  qu'un  puissant  voisin  lui  fait  courir; 
et  elles  ajouteni  qu'au  milieu  de  C\S  attaques,  de  ces  alarmes 
incessantes,  au  milieu  des  armes  et  des  combats,  Genève,  con- 
vaincne  de  l'importance  des  bonnes  études,  veut  exciter  de  plus 
en  plus  les  étudiants  a  se  distinguer  par  des  progrès  véritables, 
et  institue*  pour  les  récompenser  des  grades  académiques:  «aussi, 
disent-elles,  nous  ne  pouvons  qu»!  déférer  à  sa  demande,  et 
nous  déclarons  que  ces  grades  seront  reconnus  chez  nous 
comme  ci'ux  qu'accordent  ou  accorderont  les  autres  académies 
ou  universités.  »  La  province  de  Zélande  fait  sortir  de  Genève, 
«  comme  du  cheval  de  Troie,  des  hommes  illustres  qui  vont 
par  toute  l'Europe'  soutenir  les  intérêts  de  la  vraie  religion  et 
combattre  l'ignorance.  » 

Il  est  à  remarquer  que  certains  grades  ici  mentionnés  ne 
furent  point  conférés  par  notre  académie,  puisque  renseigne- 
ment des  sciences  médicales  n'y  a  jamais  été  complet  et  régulier. 
A  la  cinquième  patente  est  jointe  une  lettre,  très-flatteuse 
et  très-amicale,  de  la  chancellerie  de  Gueidre,  dont  nous  allons 
donner  la  traduction  : 


180 


Tiès-lionorés  Messieurs  et  li ès-chers  frères, 

Ladépuialion  que  vous  avez  adressée  aux  Etats  de  la  Gueldre 
nous  a  causé  un  grand  plaisir,  car  sans  craindre  d'être  soup- 
çonnés de  flatterie,  nous  reconnaissons  en  touie  sincérité  que 
l'église  et  Técole  de  Genève  ont  Wien  mérité  du  peuj)le  chré- 
tien, qu'elles  brillent  d'un  juste  éclat,  et  qu'elles  doivent  con- 
férer les  honneurs  et  les  dignités  aux  étudiants  de  l'Eglise  et 
de  la  république  chrétienne,  lorsqu'ils  ont  parconru  la  carrière 
des  études.  Aussi  souhaitons-nous  que,  comme  autrefois  on  se 
rendait  à  Bologne  en  Italie,  à  Orléans  en  France,  et  dans 
d'autres  académies  plus  célèbres  pour  obtenir  les  insignes  du 
doctorat,  désormais  les  étudiants  préfèrerit  Genève  la  mère  de 
la  vraie  piété,  qu'ils  la  célèbrent  par  leurs  louanges,  comme 
étant  la  lumière  des  arts  et  des  talents,  et  qu'ils  en  relèvent 
l'éclat  par  leur  fréquentation.  Pour  qu'on  ajoutât  plus  aisément 
foi  à  ces  [laroles,  nous  aimerions  mieux  offrir  des  marques  ef- 
fectives de  notre  reconnaissance,  à  l'exemple  des  autres  pro- 
vinces des  Pays-Bas,  qui  vous  fournissent  avec  empressement 
des  subsides  contre  la  fureur  de  voire  voisin  de  Sav^oie.  Mais 
l'Espagnol,  notre  ennemi  commun,  a  tellement  mis  à  néant  le 
trésor  de  notre  république,  que  nous  sommes  forcés,  non  sans 
en  ressentir  une  vive  douleur,  de  renvoyer  a  vide  votre  député; 
seulement  les  magistrats  de  la  quatrième  division  de  la  basse 
Gueldre  lui  ont  compté,  vu  le  peu  qui  leur  reste,  la  somme  de 
mille  pièces  d'or.  En  atlendani,  nous  prions  le  Dieu  tout-puis- 
sant de  suppléer  à  ce  qui  nous  manque  d'or  et  d'argent  par  son 
divin  secours,  en  vous  suscitant  d'ailleurs  des  honmies  qui  ap- 
porienl  le  salut  a  son  Eglise,  et  qui  se  fassent  tellement  redouter 
de  l'ennemi  que  jamais  il  n'ose  plus  attaquer  la  nioni:igne  du 
Seigneur. —  Puisse  le  Dieu  irès-bon  et  très-grand  vous  con- 
server vous  et  votre  république  pour  l'honneur  de  son  Eglise  ! 


181 

La  concession  faite  par  les  Provinces-Unies,  outre  le  plaisir 
qu'elle  procura  à  notre  gouvernement,  dut  l'encourager  à  main- 
tenir et  à  pei  Sectionner  l'enseignement  supérieur.  Mais  à  côlé 
de  ces  résultats  évidents,  il  serait  curieux  de  savoir  si  l'espèce  de 
concordat  littéraire  qu'elle  constatait  fut  directement  utile  à  un 
grand  nombre  d'élèves  des  académies  ou  universités  respectives. 

C'est  une  question  sur  laquelle  nous  n'avons  guère  de  ren- 
seignements. Oh  ne  trouve  qu'un  unique  exemple  formellement 
indiqué  d'un  avocat  reçu  à  L^yde  et  admis  par  cela  seul  à  être 
inscrit  sur  le  tableau  de  ses  confrères  de  Genève',  D'autre 
part,  nous  n'avons  non  plus  connaissance  que  d'un  certificat 
délivré  par  notre  chancellerie"  à  un  avocat  genevois  qui  vou- 
lait se  faire  admettre  dans  les  Pays-Bas,  mais  il  est  clair  que 
de  pareilles  attestations,  toutes  personnelles,  n'étaient  pa<  né- 
cessairement conservées  dans  les  registres  publics;  d'ailleurs, 
on  peut  penser  que  la  simple  présentation  d'un  diplôme  régu- 
lier devait  suffire  pour  faire  reconnaître  des  droits  clairement 
élablis  dans  les  pièces  qui  nous  occupeni. 

Quoi  qu'il  en  soii,  les  lettres  patentes  dont  nous  avons  elier- 
ché  à  raconter  l'origine,  demeurent  comme  un  document  pré- 
cieux de  l'affection  que  les  cliefs  de  notre  république  et  les  pro- 
fesseurs qui  honoraient  notre  académie  dès  les  premiers  temps 
de  son  existence,  rencontrèrent  auprès  d'une  autre  république, 
puissante  et  amie,  chez  un  peuple  qui  avait  su  conquérir  son 
indépendance  au  prix  d'efforts  énergiques  et  persévérants. 

Ces  liens  de  fraternité  si  vivement  recherchés  d'une  part,  si 
libéralement  acceptés  de  l'autre,  sont  des  gages  d'une  mutuelle 
estime  dont  nous  tenons  a  conserver  la  trace.  L'accumulation 
des  années  qui  a  produit  tant  de  vicissitudes  diverses  dans  nos 
destinées  respectives,  les  a  peut-être  fait  négliger;  mais  il  ne 
saurait  nous  convenir  d'y  renoncer,  et  c'est  afin  de  montrer  notre 
respect  pour  ces  textes  ignorés  ou  oubliés  que  nous  les  publions 
ici  complètement.  ïh.  H, 

'  Reg.  du  Conseil,  vol.  de  178'J,  pages  518,  520,  628. 
^  En  faveur  de  l'avocat  Jacques  Grenus,  le  15  août  1783, 


182 


LETTRES  PATENTES 


i;n  favkl'r  des 


DOCTEUES,  LICENCIÉS   ET   MAITRES  ES   ARTS 


ADMIS   DANS   L  ACADEMIE   DE   GENEVE. 


I.  De  la  province  de  Frise.  —  Leeuwardeu,  ZS  juillet  1593. 

{Archives  de  Genève.  Portefeuilles  des  pièces  historiques^  dossier  n°  2182.) 

Senatus  ordinum  populique  Frisiîe,  universis  ac  singulis  ad  quorum 
manus  ac  notitiam  praesens  hoc  instrumentum  perventurum  est,  salutem. 
Ciini  in  omni  vita  hac  niortali  ac  fluxa  nitiil  magis  prae  oculis  et  in  votis 
habearnns,  quam  Dei  gloriam,  ecclesise  ac  totius  reipublicae  christianae 
a^ditlcatioiiL'ni,  incrementa  successumque  verum  ac  felicem  :  ad  eaque 
cumparanda,  constituenda  et  conservanda,  linguarum  ac  litterarum,  in 
primis  autem  sacrarum  studia,  necessaria  esse  judicemus  Audito  pii  ma- 
gistratus  inclyta^  civitatis  Genevatum  in  provehendis  christianae  religio- 
nis  reique  litterariae  ad  publica  gubernacula  utilissimae  studiis  pio  desi- 
derio,  per  nobilem  virum  Jacobum  Anjorrantium  dominiim  Sulliœiim  et 
juris  utriusqiie  doctorem  legatum  ijjsius,  cui  inter  caetera  et  hoc  in  man- 
datis  est  datum  :  et  quod  exem[)lo  pubhcarum  per  Germaniam,  Italiam, 
Galliam,  Angiiani  et  hasce  confœderatas  provincias  belgicas  scholarum,  et 
ipsi  suani  jam  niiilto  ante  magno  cum  fructu  totius  ecclesiîe  Christi  insti- 
tutam  pubHcam  et  toto  orbe  christiano  célébrera  scholam  magis  exornare 
in  eaque  magisterii,  licentiae  ac  doctoratus  insignia  studiosis  eos  honores 
merentibus  jiosthac  conferre  decreverit,  nostramque  super  hac  re  appro- 
bationem-et  calcuhim  requisiverit  :  uli  videhcet  in  schola  sua  publica 
dignis  magisterii,  licentiae  et  doctoratus  titulis  ornati,  in  nostra  Frisia  pro 


183 

matïislris,  licentiatis  ac  doctoribiis  haheantiir  e\  admittantiir  cadcni 
diernatione  cum  magistris,  licentiatis  ac  doctorihiis  qiianunvis  aliariim 
academiariiiTi  Eiiropae:  non  polnimiis  aniplissinii  niagistratus  laiidatissi- 
mum  institiitiim  iillo  modo  ini|irobare,  et  quoniam  senatus  liopiihisqiie 
Genevas  supremus  est  in  urbe  territoriaque  siio  [lost  Deum  mat;islratus, 
jus  ac  poiestatem  luijusniodi  a|)enendœ  scholœ  babens,  non  minus  ac  re- 
liquae  Hbeiiv  civitates,  principes  ac  [lopuli,  declaramus  et  contestamur 
magistrus,  licentiatos  ac  doctores  Geneva?  recte  atqne  ordine  jinjmoven- 
dos  posthac,  nobis  in  nostra  Frisia  eodem  cnm  aliis  magistris,  licentiatis 
ac  doctoribus  honore  ac  loco  futiiros,  iisdemqne  i>iivilpgiis  l'riiituros; 
haud  secus,  ac  si  in  quacumque  aiia  Germanise,  Italiae,  Gallise,  Anglise,  ac 
totius  Europae  nationis  alterius  academia  honorum  supra  dictorum  orna- 
menta  atque  testimonia  ad  nos  adferrent  :  dum  modo  dignum  tituiis  in- 
geniorum  cultum  et  eruditionem  secum  portent.  Ut  autem  hujus  nostrae 
voluniatis  testimonium  publicum  hac  de  re  amplissimus  senatus  haberet, 
hoc  instrumentum  in  tesseram  pubhcae  hdei  conscribi,  et  sigillo  ordiiium 
Frisiae  signari  curavimus.  Leonardiae  Frisiorum  urbe  primaria,  decimo 
caiendas  augusti  anno  nativitatis  Christi  crj  :  r.)  :  xciu. 

Mandalo  senatus  ordinum  Frisiîe 

Sceau  appliqué. 


II.   Me  la  province  «ITfrecht. —  Itreeht.  28  août  1593. 

[Archives  de  Genève.  Portefeuilles  des  pièces  historiques,  dossier  n°  21 8o.) 

Ordines  provincial  Ultrajectinae,  universis  et  singulis  praesentes  hasce 
literas  visuris,  lecturis  et  seu  legi  audituris,  salutem.  Cum  ad  ornatum 
necessitatemque  reipublicae  et  constituenda;  et  conservanda^  plurimum 
faciat  virorum  literatorum  copia,  atque  eorum  industria  exciletur  non 
parum,  ubi  cognoverint  eos  qui  honorando  magisterii,  licentige  aut  doctu- 
ratus  gradu  post  multos  labores  in  studia  alicujus  facultatis  gravions  im- 
pensos  ornati  sunt  diversis  locis,  apud  eos  qui  reipublicae  praesunt  esse 
gratos  acceptosque  prudenter  admodum  magnilicus  inditne  civitatis  Gene- 
vatum  magistratus  per  nobilem  virum  D.  Jacobura  Anjorrantium,  dominum 
SouUiarum  juris  utriusque  doctorem  suum,  eorum  legatum,  inter  aliarum 
regionum  provinciarumquo  ordines  etiam  a  nobis  petiit  ut  pro  pio  uostro 


184 

in  verain  chi'istianain  religionem  zelo  schoiam  eorum  inultis  noininibus 
laudatain  ejusque  alumnos  inerito  in  hoc  favore  prosequi  minime  gravare- 
iiiur.  Et  si  quidem  etiam  nostr*  provincis  Ultrajeclinae  subditos  cum 
apud  principes  alios  tum  etiam  apud  prsdictiim  Gencvatum  niagistratiiiu 
aliariimqiie  rerum  publicarum  prefectos  et  eorumdemufficiarios  ac  subditos 
gratos  commendatosque  esse  desideramus  et  pro  eo  quem  in  rem  literariam 
maxime  autem  erga  synceram  christiana?  reiigionis  doctrinam  gerimus 
affectum  declaramus,  proiltemur  ac  pollicemur,  quod  magistros,  licentia- 
tos,  ac  doctores  in  scliola  Genevalum  légitime  probatos  atque  promotos  et 
posthac  probandos  ac  promovendos,  iisdem  honore  ac  loco  habebiraus, 
iisdemque  privilegiis  in  hac  nostra  provincia  gaudere  ac  frui  permittemus, 
quibus  in  quacunque  alia  Germania?,  Italiae,  Gallise  aut  Anghae,  alterius- 
ve  per  Eiiropam  regionis  academia  promoti  apud  nos  habenlur,  gaudent 
ac  fruuntur  aut  in  posterum  habebuntur,  gaudebunt  ac  fruentur.  In  cujus 
rei  lidem  ac  testimonium  literas  iiasce  manu  secretarii  nostri  subscri[ttas, 
sigilii  etiam  nostri  appensione  jussimus  ac  fecimus  communiri.  Actum  et 
datum  Utrajecti  xxii  Augusti  mdxchi. 

Au  repli:  Ex  mandate  ordinum  Trajecten.... 

Sceau  pendant,  en  cire  rouge,  avec  contre-sceau. 


m.  De  la  province  de  Hollande  et  '^Vestfrise.  — 
La  Haye.    15  septembre  1593. 

{Archives  de  Genève.  Portefeuilles  des  pièces  historiques,  dossier  n°  2186.; 

Ordines  Hollandiae  et  Westt'risi«,  omnibus  et  singulis  hasce  praesentes 
lecturis,  audituris  aut  visuris,  salutem.  Cum  nulU  non  exploratum  per- 
spectum  fiue  sit  quantum  omnes  verse  christiana?  reiigionis  principes, 
respublicîie  et  magistratus  debeanl  praeclarissimae  et  inclytœ  Genevatum 
rei|)ublicai  atque  ejus  scholae  doctoribus  et  protessoribus  qui,  favente  Deo 
Optimo  Maximo,  superatis  hactenus  permultis  difficultatibus  et  unmibus 
persecutionibus  spretis,  suam  curam,  zelum  et  diligentiain  toti  terrarum  orbi 
testatam  fecerunt,  et  Dei  gloi'iam  atque  ejus  Evangelii  doctrinam  magna 
cum  lande  et  cunstantia  adeo  propagarunt  ut,  ex  ea  civitate  mat;na 
pars  virorum  orbis  christiani  in  vera  religione  et  doctrina  illustrium  pro- 
dierit.  Et  etiamnum  nequaquam  despondentes  animum  inter  média  arma  et 
aceibos  hostium  in  se  conjuratorum  insultus,  ut  lirmius  religiunem  sta- 
biliant  et  simul  barbariem  bonarum  liierarum  inimicam  arceant,  nullum 


185 

movere  la[)i(lem  non  cessant.  Aiiditoque  super  hac  re  amplissimi  gravis- 
siniique  senalus  pio  ac  aequo  desiderio,  ex.  suo  legato  nobili  viro  Jacobo 
Anjorranlio  Domino  SouUiteo,  juris  ntriusque  doctore  (qui  ex  mandalo 
nobis  inter  alia  exposuit  istius  rei  justas  causas  et  rationes),  nempe  ut  ad 
exemplum  et  instar  publicarum  scholarum,  academiarum,  seu  universi- 
tatura  in  Italia,  Germania,  Anglia,  Gallia  et  hisce  Belgii  confederatis  in- 
ferioris  Germanise  provinciis  et  ubique  locorum  Europae  erectarum,  sua 
quoque  schola  publica  iisdem  elparibus  privilegiis,  honoribus  etpi'^roga- 
tivis  quibus  alise  antiquiores  academiae  gaudeiit  et  IVuuntur,  apud  nos  iti- 
dem  in  perpctuum  habeatur  et  censeatur,  et  ut  qui  emenso  studiorum 
suorum  curriculo  postquam  aliquod  prasclarum  spécimen  suae  eruditionis 
exhibuerint  et  in  prœdictorum  Genevatuni  academia  magisierii,  licentiiw, 
aut  doctoratus  gradum  in  theologia,  jurisprudentia,  medicina,  liberalibus 
humanioribusque  artibus  aut  in  qualicunque  alia  professione  adepti  fue- 
rint,  pro  bene,  légitime,  probabiliter  et  ex  merito  promotis  existimentur, 
gaudeantqne  iisdem  honoribus  et  privilegiis  quibus  alibi  per  totam  Eu- 
ropam  promoti  et  graduati  gaudent  ac  fruuntur.  Petens  dictus  Anjorran- 
tius  nomine  dictas  Genevatum  inclyta;  reipublicïe,  sibi  a  nobis  approba- 
tionem  nostram  et  literas  nostras  ad  hoc  in  authentica  forma  concedi  et 
dari.  Nos  itaque  pio  et  vere  christiano  huic  inslituto  prseclarissimi  maxime- 
que  jtrovidi  magistratus  faventes  et  annuentes,  ut  illi  in  bis  tempeslatibus 
quibus  in  dies  oppugnatur  nustro  benelicio  compensaremus  prceclarara 
hac  in  parte  praestitam  ab  illo  operam  :  declaramus,  asserimus,  ac  pro- 
mittimus  tenore  pra^sentium  omnes  et  singulos  in  dicta  Genevatum  aca- 
demia ad  magisterii,  hcentiae,  aut  doctoratus  gradum  et  insignia  in  theo- 
logia ,  jurisprudentia ,  medicina  et  humaniorum  artium  aut  in  quavis 
professione  promottos,  aut  deinceps  ab  ipsis  aut  eorum  successoribus 
promovendos,  futuros  apud  nos  et  censendos  dignandosque  iri  a  nobis  et 
nostris  omnibus  in  perpetuum  successoribus  tali  honore,  loco  et  gradu 
quo  apud  nos  alibi  quovis  locorum  etiam  in  prseclarissimis  celeberrimis- 
que  per  Euro[)am  academiis  seu  universitatibus  promoti  merentur.  In 
quorum  omnium  et  singulorum  fidem,  robur,  et  testimonium  praesens 
hoc  publicum  et  in  perpetuum  valiturum  instrumentum  majoris  sigilli 
nostri  appensione  et   secretarii  nostri  subscriptione  muniri  jussimus. 
Actum  et  datum  Hagse  xv  septembris  die  anno  mdxciii. 

Au  repli.  Ex  mandatoordinnm, 

Sceau  pendant,  en  cire  rouge. 


186 

IV.  De  la  pcovince  de  Zélande.  —  Hliddelbourg, 
9  janvier  1594. 

{Archives  de  Genève.  Portefeuilles  des  pièces  historiques,  dossier  nO  2189.) 

Ordines  comitatus  Zeelandiae,  omnibus  et  singulis  hasce  praesentes  lec- 
turis,  audituris  aut  visuris,  saliitem  et  pacem  in  Christo  Jesu  domino 
nostro  sempiternam.  Ciim  niilli  non  exploratum  perspecturaqne  sit , 
quantum  omnes  vers  christianae  religionis  principes,  respublicae  et  ma- 
gislratus  debeant  prseclarissim;e  et  inclytfe  Genevatum  reipublicse  acque 
ejus  scliolse  doctoribus  et  professoribus  qui,  favente  Deo  Optimo  Maximo, 
superatis  hactenus  permiiltis  difficultatibus  et  omnibus  persecutionibus 
spretis,  suam  cuiam,  zelum  et  diligentiam  loti  terrarum  orbi  testatam 
fecerunt  et  Dei  gloriam  atque  ejus  Evangelii  doctrinam  magna  cum  laude 
et  constantia  adeo  propagarunt  ut,  ex  eacivitate  pars  potissima  virorum  in 
vera  religione  et  doctrina  illustrium,  tamquam  ex  equo  Trojano  prodiisse 
et  per  totuni  orbem  christianum  sparsa  esse  videatur.  Et  etiamnum 
nequaquam  despondentes  animum  inter  média  arma  et  acerbos  hostium 
in  se  conjuratorum  insultus ,  ut  tlrmius  religionem  christianam  stabiliant 
et  simul  barbariem  bonarum  iiteraruni  inimicam  arceant,  nullum  non 
movere  lapidem  non  cessant.  Auditoque  super  hac  re  amplissimi  gravis- 
simique  senatus  pio  ac  aequo  desiderio,  ab  ipsius  legato  nobili  viro  Jacobo 
Aujorrantio,  Domino  Souliiteo,  juris  utriusque  doctore,  qui  ex  mandate 
nobis  inter  alia  exposuit,  istius  rei  justas  causas  et  rationes,  nempe  ut 
ad  exemplum  et  instar  publicarum  scbolarum,  academiarum  seu  universi- 
tatum  in  lialia,  Germania,  Anglia,  Gallia  et  hisce  Belgii  confœderatis  in- 
férions Germanigp  provinciis  et  ubique  locorum  Europae  erectarum,  sua 
quoque  schoia  publica  (qua  scimus  totum  orbem  christianum  illuminatum 
fuisse)  iisdem  et  paribus  privilegiis,  honoribus  et  praerogativis,  quibus 
aliae  antiquiores  academiae  gaudent  et  fruuntur,  apud  nos  ifidem  in  per- 
petuum  habeatur  et  censeatur,  et  ut  qui  emenso  studiorum  suorum 
curriculo  postquam  aliquod  praeclai'um  spécimen  suae  eruditionis  exhibue- 
rint,  et  in  itraedictorum  Genevatum  academia  magisterii,  licentiae  aut 
doctoratus  gradum  in  theologia,  jurisprudentia ,  medicina,  liberalibus 
humanioribusque  arlibus,  aut  in  qualicunque  christiana  et  iiberali  profes- 
sione  ad'^pti  fuerint,  pro  bene,  légitime,  landabiliter  et  ex  merito  promotis 
existimentur,  gaudeantque  iisdem  honoribus  et  privilegiis,  quibus  alibi 
per  Intam  Eiu'Ofiam   promoti  et  graduati  gaudent  ac  fruuntur.  Petens 


187 

diùtus  Anjorrantius  nomine  dictas  Genevatum  inclytse  reipublicaB,  sibi  a 
nobis  approbationem  nostram  et  literas  nostras  ad  hoc  in  authentica 
forma  concedi  et  dari.  Nos  itaqiie  pio  et  vere  christiano  huic  instituto 
piaeclarissimi  maximeque  providi  niagistratus  faveiites  et  aniuientes,  ut 
illi,  in  his  tempestatibus,  qui  in  dies  oppugnatur,  gratitudine  aliqua  com- 
peiisaremus  praeclaram  hac  in  parte  prgestitam  hactenus  ab  illo  ojieram  ; 
qiioniam  ex  illà  republicâ  per  totum  orbem  pii  ac  doctissimi  viri  qiiam- 
plurimi  sunt  diffusi,  uno  consensu  declaramus,  asserimus  ac  promittimus 
tenore  prasentium,  oinnes  et  singulos  in  dicta  Genevatum  academia  ad 
magisterii,  licenti*  aut  doctoratus  gradum  et  insignia  in  theologia,  juris- 
prudentia,  medecina  et  humaniorum  artium,  aut  in  quavis  christiana  et 
liberali  professione  promotos,  aut  deinceps  ab  ipsis  aut  eorum  successori- 
bus  promovendos  futuros  apud  nos,  et  censendos  dignandosque  iri  a 
nobis  ei  nostris  omnibus  in  perpetuum  successoribus,  tali  honore,  loco  et 
gradu,  non  soium  quera  merentur  apud  nos  ahbi  quovis  locorum,  etiam  in 
pra^clarissimis  celeberrimisque  per  Europam  academiis  seu  universitati- 
bus  promoti,  verum  tanto  majoribus  privilegiis,  favoribus,  prsrogativis 
et  praeeminontiis  fruituros  et  prosequendos  iri  a  nobis  et  nostris  in  perpe- 
tuum, quanto  civitas  et  respubhca  Genevatum  in  omnium  Christianorum 
animis,  nedum  nostris,  merito  suo  caeteras  omnes  praecellere  existimatur. 
Ut  quae  sit,  et  a  longisshnn  temj)ore  fuerit  constantissima  assertrix  fidei 
et  verae  reiigionis  alumna,  fidehssima  et  firmissima  columna,  omniumque 
hberahura  artium,  scientiarum  et  hnguarum  scbola  celeberrima  et  exactis- 
sima.  in  quorum  omnium  et  singnlurum  fidem,  robur  et  testimunium 
prs*sens  hoc  public  um  et  in  perpetuum  vahlurum  instrumentum,  majoris 
sigilU  nostri  et  Pensionnarii  nostri  subscriptione  muniri  jiissinms.  Datum 
Medioburgi  Zeelandorum,  septimo  cidusjanuarii.  cid  rj  nonagesimo quarto. 

Et  au  repli  :  Mandato  ordinum, 

Sceau  pendant  de  cire  rouge. 


V.   De  la  province  de  Gueldre  et  Xutphen.  —  Aruheim, 

18  février  1594. 

(Archives  de  Genève.  Portefeuilles  des  pièces  historiques,  dossier  n°  2195.) 

Ordines  ducatus  Gdriae  et  comitatus  Zutphaniœ,  omnibus  et  singuHs 
hasce  praesentes  lecturis,  audituris  aut  visuris,  salutem.  Cum  nuIH  non 


188 

exploratum  perspectumque  sit,   quantum  omues  vera?  ohristianae  reli- 
gionis  principes  respublicae  et  magistratus  debeant  prcBclarissimae  et  in- 
clytae  Genevatum  reipubliciç.  atque  ejus  scholfe  doctorihus  et  prot'essori- 
bus,  qui  favente  Deo  Optimo  Maximo,  superatis  hactenus  permultis  diffi- 
cultatibus  et  omnibus  persecutionibus  sprelis,  suam  curam,   zeiuni  et 
diligentiam  toti  terrarum  orbi  testatam  fecerunt,  et  Dei  gloriam,  atque 
ejus  Evangelii  doctrinam,  magna  cum  laude  et  constantia  adeo  propaga- 
runt,  ut  ex  ea  civitate  pars  potissima  virorum,  in  vera  religione  et  doctrina 
illustrium  prodiisse,  et  per  totum  orbem  christianum  sparsa  esse  videatur. 
Et  etiamnum  nequaquam  despondentes  animum  intermedia  arma  et  acer- 
bes hostium  in  se  conjuratorum  insultus,  ut  firmius  rebgionem  christianam 
stabiliant,  et  simul  barbariem  bonarum  litterarum   inimicam   arceant, 
nullum  raovere  lapidem  cessant.  Auditoque  super  hac  re  amplissimi  gravis- 
simique  senatus,  pio  ac  «quo  desiderio  ab  ipsius  legato  nobili  viro  Jacobo 
utriusque  Anjorrantio,  domino  Soullaeo  juris  utriusque  doctori  (qui  ex  man- 
date nobis  inter  alia  exposuit,  istius  rei  justs(s  causas  et  rationes)  nempe 
ut,  ad  exemplum  et  instar  pubbcarum  scholarum,  academiarura  seu  univer- 
sitatum  in  Italia,  Germania,  Gallia  et  hisce  Belgii  confœderatis  inferioris 
Gerraaniae  provinciis  et  ubique  locorum  Europœ  erectarum,  sua  quoque 
scliola  publica  (qua  scimus  totum  orbem  christianum  iliiiminatum  fuisse) 
iisdem  et  paribus  privilegiis,  honoribus  et  prrerogativis,  quibus  alia?  anti- 
quiores  academiœ  gaudent  et  fruuntur,  apud  nos  itidem  in  perpetuum 
habeatur  etcenseatur,  et  utquiemensostudiorum  suorum  curriculo,  post- 
quam  aliquod  prgeclarum  spécimen  suae  eruditionis  exbibuerint  et  in  pr*- 
dictorum  Genevatum  academia  magisterii,  licentiae,  aut  doctoratus  gradnm 
in  theologia,  jurisprudentia,  medicina,  liberalibus  humanioribusque  arti- 
bus,  aut  in  qualicunque  christiana  et  liberali  professione  adepti  fuerint,  pro 
bene,  légitime,  probabiliter  et  ex  merito  promotis  existimentur,  gaudeant- 
que  iisdem  honoribus  et  privilegiis  quibus  alibi  [)er  totam  Europam  jn-o- 
moti  et  graduati  gaudent  ac  fruuntur.  Petens  dictus  Anjorrantius,  nonune 
dictœ  Genevatum  inclyt*  reipublica?,  sibi  a  nobis  approbationem  nostram 
et  literas  nostras  ad  hoc  in  authentica  forma  concedi  et  dari,  nos  itaque 
pio  et  vere  christiano  huic  instituto  praeclarissimi  maximeque  providi  ma- 
gistratus  faventes  et  annuentes,  ut  illi  in  liis  tempestatibus,  quibus  in  dies 
oppugnatur,  gratiludine  aliqua  comi)ensaremus,  pra^clai-am  hac  in  parte 
pra.'slitam  hactenus  ab  illo  operam  publico  consensu  declaramus,  asserimus 
ac  promiltimus  tenore  praiseutium,  omnes  et  singulos  in  dicta  Genevatum 
academia  ad  magisterii,  licentite  aut  doctoratus  gradum  et  insignia  in  tlieo- 


189 

logia,  jiirispnidentia,  medicina  et  hiimaniorum  artium,  aul  in  qiiavis  chris- 
tiana  et  liberali  professione  promotos  aut  deinceps  ab  ipsis  aut  eorum  succes- 
soribiis  proniovendos,  futurosapud  nos  et  censendos  dignandosque,  anobis 
et  nostris  omnibus  in  perpetunm  successonbus,  tali  bonore,  loco  et  gradu, 
non  solum  qiiein  merentur  apud  nos  alibi  quovis  locorum  etiam  in  praecla- 
rissiniis,  celeberrimisque  per  Europam  academiis  seu  universitatibus  pro- 
luoti,  verum  tanlo  niajoribas  privilegiis,  favoribus,  praerogativis  et  pra^e- 
minentiis  iViiituros  et  |)rosequendos,  qiianto  civitas  et  respublica  Genevatum 
iii  omnium  Christianorum  animis,  nedum  nostris  merito  suo  cai^teras  omnes 
prdeceilere  existiinatur,  ut  quae  sit  et  a  longissimo  tempore  fuerit  constan- 
tissima  assertrix  fidei  et  verae  religionis  alunma,  tldelissima  et  firmissima 
columna  omniunique  liberalium  artium,  scientiarum  et  linguarum  schola 
celeberrima.  In  quorum  omnium  et  singulorum  fidem,  robur  et  testi- 
monium  prœsens  hoc  publicum  et  in  perpetuum  valiturum  instrumentum, 
majoris  sigilli  nostri  ajjpensione  et  grapharii  nostri  subscriptione  muniri 
jussimus.  Dat*  Arnemii  décima  octava  mensis  februarii,  anno  Domini 
niiliesimo  quingentesimo  nonagesimo  quarto. 

Ex  singulari  inandato  ordinum  ducatus  Ge\nx  et  comitatus  Zutphaniae. . . . 

Sceau  pendant,  de  cire  rouge,  avec  conlre-sceau. 

A  cette  patente  est  jointe  la  lettre  qui  suit  : 

Nobilibus   amplimmisque   senatoribiis    inclytœ   Genevatum  reipublicœ, 
Domims  et  amicis  nostris  chai'issimis. 

Gratissima  nobis  luit,  amplissimi  viri  et  IVatres  cbarissimi,  legatio  vestra 
ad  Geldros  directa.  iNamque  absque  omni  adulationis  suspicione,  syncero 
corde  agnoscimus,  inter  totius  christianae  orbis  ecclesias  et  scholas  vera 
pietate  Deum  culentes  et  invocantes,  Genevatum  ecclesiam  et  scholam 
de  populo  christiaiio  optime  meritam  merito  ea  dignitate  prœfulgere,  aliis 
debere  ut  in  studiosos  ecclesiae  et  reipublic*  chrisiianœ  post  emensa  stu- 
diorum  curricula  honores  et  dignitates  conférant.  Ideoque  optamus  ut 
qucmadmodum  olim  Bononiam  in  Italia,  Aureliam  in  Galliis,  aliasque  in 
aliis  Europ*  regioiiibus  celebriores  prse  cœteris  academiis,  ad  insignia 
(ioctoratus  obtiuenda  petere  solebant  studiosi,  in  p.osterum  Genevam  (ver« 
pietatis  matrem,  pra^lerant,  eamque  hmien  artium  et  facultatum  et  laudibus 
celebreni  et  frequentia  sua  ornent.  Ut  autem  major  fides  hisce  dictis 
nostris  iiabeatur,  mallemus  putius  re  ipsa  gratissimi  signa  demonstrare, 


190 

exemplo  aliarum  Belgii  [)rovinciaruni,  quge  subsidiuni  vobis  adversus  vicini 
Sabaudi  furorem  prompto  animo  subministrant.  Verum  communis  hostis 
Hispanus  adeo  rempublicam  nostram  a^rario  denudavit,  ut  legatum  ves- 
trum,  non  sine  m.igno  animorum  dolore,  vacuum  cogamur  remittere,  nisi 
qiiod  Ordines  quartae  et  infimae  Gelriae  partis,  qiiae  Telua  dicitur,  mille 
aureos  legato  vestro  pro  exigiia  facultate  qu«  illis  superest,  numeravit. 
Deum  omnipotentem  intérim  oramns,  ut  quod  in  auro  et  argento  iiobis 
deest,  divina  sua  ope,  ad  preces  nostras  suppléât,  dando  vobis  aliunde  vires 
ecclesiae  suse  salutiteros,  hostique  adeo  formidabiles  et  nunquam  in  pos- 
terum  montera  Doinini  am|)lius  oppugnare  audeat.  Deus  Opt.  Max.  vos 
vestramque  rempublicam  ad  ecclesia?  su*  honorem  incolumen  servet.  Datae 
Arnehmii  19"  februarii  1594. 

Cancellarius  et  consiliarii  ducatus  Gelriœ  et  comitatus  Zutphani*. 


\l.  De  la  province  de  Cironingue. —  €ironin;;ue. 
39  janvier  15»». 

(Archives  de  Genève.  Portefeuilles  des  pièces  historiques,  dossier  n»  233o.) 

Ordines  civitatis  et  Omlandia?  Groninganae,  onmibus  et  singulis  hasce 
praesentes  lecturis,  audituris,  aut  visuris,  salutem.  Cum  nuUi  non  explo- 
ratum  perspectumque  sit,  quantum  omnes  verae  christianae  religionis  prin- 
cipes, respublicas  et  magistratus  debeant  prœclarissimœ  et  inclytae  Gene- 
vatum  reipublicae,  atque  ejns  scholœ,  doctoribus  et  professoribus  qui,  fa- 
vente  Deo  Optimo  Maximo,  superatis  hactenus  permultis  difficultatibus  et 
omnibus  persecutionibus  spretis,  suam  curam,  zeluui  et  diligentiam  toti 
terrarum  orbi  testatam  tecerunt,  et  Dei  gloriam  atque  ejus  Evangelii  doc- 
trinam  magna  cum  laude  et  constantia  adeo  propagarunt,  ut  ex  ea  civitate 
magna  pars  virorum  orbis  christiani  in  vera  religione  et  doctrina  illus- 
trium  prodierit.  Et  etiamnum  nequaquam  despondentes  animum  inter 
tantas  difficultates,  ut  lirmius  religionem  stabiliant  et  simul  barbariem 
bonarum  literarum  inimicam  arceant,  nullum  movere  lapidem  non  cessant. 
Auditoque  super  hac  re  amplissimi  gravissimique  senatus  pio  ac  aequo  de- 
siderio  ex  suo  legato,  nobili  viro  Jacobo  Anjorranlio,  Domino  a  Soully, 
juris  ulriusque  doctore  (qui  ex  mandato  nobis  inter  alia  exposuit  istius  rei 
justas  causas  et  rationes)  nempe,  ut  ad  exemplum  et  instar  publicarum 
scliolarum,  academiarum  seu  universilatum  in  llalia,  Germania,  Anglia, 


191 

Gallia  et  hisce  Belgii  cnnfœderatis  inferioris  Germaniae  provinciis,  et  uhi- 
que  locoriim  Europae  erectariim,  sua  qiioque  schola  publica  iisdem  et 
paribus  privilegiis,  honoribus  et  prserogativis,  quibus  aliae  antiquiores  aca- 
demiaî  gaudent  et  frumitur,  a|)ud  nos  itidem  in  perpetuum  habeatur  et 
censeatur,  et  ut  qui  emenso  studiorum  suorum  curriculo,  postquam  ali- 
quod  prœclarum  spécimen  suae  eruditionis  exhibuerint,  et  in  praedictorum 
Genevatum  academia  magisterii,  licentige,  aut  doctoratus  gradum  in  theo- 
logia,  jurisprudentia,  medicina,  liberalibus  hunianioribusque  artibus  aut 
in  qualicumque  alia  professione  adepti  fuerint,  pro  bene,  Ugitime,  proba- 
bililer  et  ex  uierito  promotos  existimentur  gaudeantque  iisdem  honoriijus 
et  privilegiis,  quibus  alibi  per  totam  Eurojiam  promoti  et  graduati  gaudent 
ac  fruuntur.  Petens  dictiis  D.  Anjorrantius  nomine  dictse  Genevatum  in- 
clytae  reipublicœ,  sibi  a  nobis  approbationem  nostram  et  literas  nostras  ad 
hoc  in  authentiqua  forma  concedi  et  dari,  nos  itaque  pio  ac  vere  christiano 
huic  instituto,  praeclarissirai  maximeque  providi  magistratus  faventes  et 
annuentes,  ut  illi  in  his  terapestatibus  quibus  in  dies  oppugnatur,  nostro 
benehcio  compensaremus  praeclaram  in  hac  parte  prœstitam  operam , 
declaramus,  asserimus  et  promiltimus  tenore  praesentium,  omnes  et  sin- 
gulos  in  dicta  Genevatum  academia  ad  magisterii,  licentiae  aut  doctoratus 
gradum  et  insignia  in  theologia,  jurisprudentia,  medecina  et  humanarum 
artium  aut  in  quavis  professione  promotos,  aut  deinceps  ab  ipsis  aut  eorum 
successoribus  promovendos  futuros  apud  nos  et  censendos  dignandosque  iri 
a  nobis  et  nostris  omnibus  in  perpetuum  successoribus,  tali  honore,  loco 
et  gradu  quo  apud  nos  alibi  quovis  locoruni  etiam  in  praîclarissimis  cele- 
berrimisque  per  Europam  academiis  seu  universilatibus  promoti  merentur. 
In  quorum  omnium  et  singulorum  fidem,  robur  et  testimonium  pra^sens 
hoc  publicura  et  in  perpetuum  valiturum  instrumentum,  majoris  sigilli  nostri 
appensione  et  secretarii  nostri  subscriptione  muniri  jussimus.  Actum  Gro- 
ninghae,  vigesima  nona  die  januarii,  anno  post  natum  Christum  millesimo 
quingentesinio  nonagesmio  nono.  Gruys. — Authoritate  et  jussu  supradicto- 
rum  dominorum  ordinum,  S.  Gorkinga. 

Sceau  pendant,  de  cire  rouge,  avec  contre-sceau. 


BILLETIN 


DE   LA 

SOCIÉTÉ  D'HISTOIRE  ET  D'ARCHÉOLOGIE 


Février  1»5S. 


1.  Personnel  de  la  Société.  La  Société  d'histoire  a  reçu  au  nombre 
de  ses  membres  ordinaires  : 

1856.  MM.  Aimé  ToLLOT. 

»     Odier-Baulacre. 

1857.  »     Martin,  ancien  pasteur. 
r>     Théod.  Paul,  pasteur. 

»       Louis  MlCHELI. 

»  Alexandre  Roch.\t-Maury. 

»  Marin,  docteur-médecin. 

»  Albert  Pictet. 

»  Ernest  Grioleï. 

»  Marc  CnAuvET. 

»  Paul  Cramer. 

1858.  )>  Eugène  de  BuDÉ-KuNKLER. 
»  Alexandre  Van-Berchem. 

Et  au  nombre  de  ses  associés  étrangers  : 

1856.     MM.  Éloi  Serand,  à  Annecy. 

»     Rosseeuw  Saint- h  1  lai he,  professeur  d'histoire   à  la 

Faculté  des  lettres,  à  Paris, 
1858.       1'     Mignet,  secrétaire  perpétuel  de  l'Académie  des  sciences 

morales  et  pohtiques,  à  Paris. 
))     Michelet,  membre  de  l'Institut,  à  Paris. 
n     Eugène  Haag,  à  Paris. 
1     F   FoREL-MoRiN,  président  de  la  Société  d'histoire  de 

la  Suisse  romande,  à  Morges. 
»     G.  de  Wyss,  président  de  la  Société  générale  d'histoire 

de  la  Suisse,  à  Zurich. 
i>     Maurice  de  Stlîrler,  chancelier  et  archiviste  à  Berne. 
»     J.-J    lIisELY,  professeur  à  l'Académie  de  Lausanne. 


193 

La  Société  a  perdu  un  de  ses  membres  ordinaires,  M.  Jolm  Coindet, 
mort  à  Clarens,  le  9  novembre  1857.  M.  Coindet  s'était  fait  avantageu- 
sement connaître  du  public  littéraire  et  artistique  par  son  Histoire  du 
prince  Rupert  (Genève,  1851,  in-12)  et  par  son  Histoire  de  la  peinture 
en  Italie  dont  la  seconde  édition  a  paru  à  Paris  en  1 8o6,  en  2  vol.  in-1 2.  A 
l'occasion  de  la  fondation  de  la  Société  d'histoire  de  la  Suisse  romande, 
M,  Coindet  avait  publié  dans  la  Bihliothèque  Universelle  de  Genève  (mai 
1838)  un  Coup  d'œd  sur  l'histoire  de  la  Suisse  au  moyen  âge. 

S.  Mémoires,  Rapports,  etc.,  présentés  à  la  Société  d'Histoire  de- 
puis le  dernier  Bulletin,  voyez  page  79. 

Séance  du  12  juin  1856. — Allocution  du  Président,  M.  le  D''  Chapon- 
NiÈRE,  sur  la  mort  de  M.  Ed.  Mallet.  (Présent  volume,  p.  69  à  78). 

—  État  religieux  et  moral  de  Genève  à  la  fin  du  XV""»  siècle,  par 
M.  Gaberel. 

Séance  du  25  septeînbre  1856.  —  Rapport  de  M.  H.  Gosse  sur  la 
réunion  de  la  Société  savoisienne  d'Histoire  et  d'Archéologie,  tenue  à 
Annecy,  les  1,  2  et  3  septembre  18 o6. 

—  Rapport  de  M.  Ch.  Le  Fort  sur  l'assemblée  de  la  Société  géné- 
rale d'Histoire  de  la  Suisse,  réunie  à  Soleure  au  mois  d'août  18S6. 

—  Rapport  de  M.  Gaberel  sur  divers  documents  relatifs  à  l'histoire 
religieuse  de  Genève  au  XYI"^»^  siècle,  conservés  aux  archives  de  Turin. 

Séance  du  30  octobre  1856.  —  Étude  sur  l'histoire  de  la  gravure 
à  Genève,  par  M.  H.  Hammann.  Elle  forme  l'introduction  de  l'ouvrage 
intitulé  :   Des  Arts  graphiques  destinés  à  multiplier  par  l'impression  \ 

—  Notice  sur  la  vie  et  les  travaux  de  Léonard  Baulacre,  par  M.  Th. 
Heyer,  imprimée  en  tête  des  Œuvres  historiques  et  littéraires  de  Léo- 
nard Baulacre,  recueillies  et  mises  en  ordre  par  Ed.  Mallet.  Publication 
de  la  Société  d'Histoire  et  d'Archéologie  de  Genève,  2  vol.  in-8,1857. 

Séance  du  27  novembre.  Notice  sur  l'origine  et  l'histoire  de  la  Cham- 
bre des  bleds,  par  M.  le  professeur  Cellérier.  (Ci-dessus,  p.  132.) 

Séance  du  11  décembre  1856.  —  Notice  sur  les  monnaies  soit  cou- 
pons de  cuir  mentionnés  dans  la  numismatique  russe,  par  M.  F.  Seguin. 

—  Documents  inédits  sur  l'histoire  de  l'Escalade,  par  M.  Gaberel. 

—  Les  cercles  politiques  à  Genève  à  la  fin  du  XVIII'"*=  siècle,  par 
M.  P.  Odier. 

—  Aperçu  général  sur  l'étude  de  l'archéologie  au  point  de  vue  histo- 
rique, par  M.  F.  Troyon. 

»  Genève,  1836,  1  vol.  in -12. 

Tome.  XI.  13 


194 

Séance  du  22  janvier  1807 .  —  Suite  et  tin  de  l'Étude  sur  les  cercles 
IHililicjues. 

—  Lettre  de  Roucas,  ambassadeur  du  duc  de  Savoie  à  Uorae  à  l'épo- 
que de  l'Escalade,  communiquée  par  M.  Gadeuel. 

Séance  du  26  février  1837.  — Notice  sur  les  colliers  de  Russie,  par 
M.  Seguin. 

—  Rapport  du  ComUo  au  sujet  de  la  publication  des  Œuvres  de  Léo- 
nard Baulacre. 

Séance  du  20  mars  1857.  —  Rapport  de  M.  F.  Troyon  sur  diverses 
découvertes  archéologiques  récemment  faites  aux  environs  de  Genève. 

—  Rapport  de  M.  le  professeur  Cellékier  sur  la  Revue  de  l'art  chré- 
tien do  ïubbé  Corblet. 

Séance  du  30  avril  J8Ô7. —  Notice  sur  Charles  de  Jonvillers,  se- 
crétaire de  Calvin,  par  M.  Jules  Bo^^net  (publiée  dans  la  Revue  chré- 
lienne,  n"  du  i5  mai  -1857). 

—  Notice  sur  les  imprimeurs  de  Tournes,  par  M.  Gustave  Revilliod. 
(!■•«  partie.) 

Séance  du  14  mai  1857.  —  Suite  et  fin  de  la  notice  sur  les  imprimeurs 
de  Tournes. 

—  Compte  rendu  de  l'histoire  d'Attila,  d'Amédée  Thierry,  par  M.  Amé- 
dée  Rogeï  (publié  dans  la  Bibliuthèque  Universelle  de  Genève). 

Séance  du  24  septembre.  Notice  sur  un  conflit  survenu  en  1574  et 
to75  entre  le  Consistou'e  et  le  Conseil  des  XXV,  au  sujet  de  l'Interpré- 
tation des  Ordonnances  ecclésiastiques  touchant  les  promesses  de  mariage, 
par  M,  Celléuieb.. 

—  Communication  de  M.  le  docteur  Maki.n  au  sujet  d'une  agrafe  trou- 
vée dans  les  ruines  du  château  de  Mont,  au-dessus  de  Rolle. 

Séance  du  20  octobre  1857.  —  Étude  sur  la  domesticité  au  siècle  de 
Louis  XIV,  par  M.  Âmédéo  Rooet  (publiée  ûdiûs  h  Dibliothèque  Uni- 
verselle de  Genève,  novembre  1857). 

Communications  de  MM.  Alexandre  Lombard,  H.  Gosse,  D'  iMarin, 
1  elativemenl  aux  découvertes  d'anlir|uilés  faites  sur  les  Tranchées. 

Séance  du  26  novembre  1857 .  —  Notice  sur  les  monnaies  carrées  de 
Suède,  par  M.  F.  Seguin. 

Notice  sur  les  Lettres  Patentes  des  Provinces-Unies  des  Pays-Bas  en 
laveur  des  Docteurs  et  autres  gradués  de  l'Académie  de  Genève  (ci-des- 
sus, p.  162  à  lui). 

—  La  Réaction  cathohquc  à  Genève  de  1538  à  15-40,  par  M.  Gaderel. 


195 

Smiice  du  ^24  àcceiniire  tSîJl.  — Notice  sur  les  antiquités  romaines 
«découvertes  sur  les  Tranchées,  par  M.  Henri  Fazy-Meyer. 

—  Rapport  sur  le  Caiiulaire  genevois  de  M.  Ed.  Mallet,  par  M.  Ch. 
Le  Fort. 

Séance  du  W  janvier  /85S.  —  Notices  additionnelles  à  l"histoire  de 
l'Académie  de  Genève,  par  M.  le  professeur  Cellérier. 

—  Un  diocèse  français  au  commencement  du  XVIII^'^  siècle,  d'après 
le  Journal  de  l'abbé  Le  Dieu,  par  M.  Am.  Roget. 

—  Letti-e  de  Firmin  Abauzit  en  date  du  7  avril  1718;  communiquée 
par  M.  Aug.  Serre. 

Séance  du  /2  février  1858.  —  Râle  qu  quatorzième  siècle,  par 
M.  G.  Revilliod.  Compte  rendu  de  l'ouvrage  publié  sous  c0  titre  par  la 
Société  historique  de  Râle,  à  l'occasion  du  ciiMjuième  anniversaire  séculaire 
•du  tremblement  de  terre  de  1356. 

—  Manuscrits  inédits  de  J.-J.  Rousseau,  conservés  dans  la  famille 
Moultou  et  communiqués  par  M.  Gaberel. 

Séance  du  25  février  1858.  —  Ch.  Bonnet  envisagé  comme  disciple 
de  .Montesquieu,  par  M.  Ed.  Humbert. 

—  Communication  de  M.  J.  Bonnet  sur  ses  recherches  relatives  à  This- 
loire  de  la  réforme  en  Italie  et  en  particulier  sur  le  séjour  de  Calvin  à  Aost. 

3.  La  famille  de  M.  Guillaume  Favre,  en  puWiant  sous  le  titre  de 
Mélanges  d'Histoire  liltéraire,  les  travaux  la  plupart  inédits  de  ce  savant, 
a  bien  voulu  les  dédier  à  la  Société  d'Histoire  et  d'Archéologie,  dont 
0.  Favre  était  l'un  des  fondateurs  (Voy.  prés.  Mémoires  VIH,  p.  37). 

Cette  importante  publication,  due  aux  soins  intelligents  de  notre  collè- 
gue, M.  le  prof.  Adert,  comprend  :  l*»  Une  notice  sur  la  vie  et  les  écrits 
de  G.  Favre,  par  M.  Adert  (T.  I,  p.  vu  à  lxii).  2"  Des  lettres  inédites  de 
Guillaume  Schlcgel,  d'Angelo  Mai  et  de  quelques  autres  savants  (p.  lxih 
à  cxxix).  3"  Les  écrits  suivants  de  M.  Favre:  Vie  de  Jean-Marius  Phi- 
lelphe  (Tome  1,  p.  9  à  221).  —  Recherches  sur  les  histoires  fabuleuses 
d'Alexandre  le  Grand  (Tome  H,  p.  1  à  184).  —  Essai  sur  la  littérature 
des  Goths  (p.  183  à  306).  —  Notice  sur  les  livres  imprimés  à  Genève 
dans  le  XV'"«  siècle  (p.  307  à  364). 

4.  M.  Théodore  Glaparède  a  fait  paraître  une  Histoire  des  Eglises  ré- 
formées du  pays  de  Gex  (Genève  1856,  Cherbuliez  libraire,  un  vol. 
in-8  de  450  pages),  dont  les  fragments  les  plus  importants  avaient  été 
successivement  communiqués  à  la  Société  d'Histoire.  Cet  ouvrage,  fruit 
de  longues  et  patientes  recherches,  est  divisé  en  trois  périodes  :  1"  De- 


196 

()uis  l'introduction  de  la  Kélbrnie  jusqu'à  l'établissement  de  i'Édit  âe 
Nantes  dans  le  pays  de  Gex  (p.  5).  2°.  Depuis  l'établissement  de  I'Édit 
de  Nantes  dans  le  pays  de  Gex  jusqu'à  sa  révocation  (p.  5i).  3°.  De- 
puis la  révocation  de  I'Édit  de  Nantes  jusqu'au  temps  présent  (p.  201). 

Le  reste  du  volume  renferme  des  pièces  justificatives,  pour  la  plupart 
entièrement  inédites. 

9.  Le  travail  historique  de  M.  le  professeur  Gellérier  sur  l'Académie 
de  Genève  a  été  publié  dans  le  Bulletin  de  la  Société  de  l'Histoire  du 
protestantisme  français.  Il  se  divise  en  trois  parties  :  1°  De  1559  à  la  mort 
de  Théodore  de  Bèze  (1605),  t.  IV  du  Bulletin,  p.  13.  2»  de  1603,  à 
l'élection  d'Alphonse  Turrettini  (1697),  p.  200.  3°  Dès  cette  élection  à  la 
réunion  de  Genève  à  la  France  (1798),  p.  353. 

6.  Le  tome  IM'^'^,  1'""  livraison,  des  Notices  généalogiques  sur  les  fa- 
milles genevoises,  continuées  par  J.-B.-G.  Galiffe,  docteur  en  droit,  vient 
de  paraître  à  Genève,  Jullien  frères,  en  1  vol.  in-8  de  174  pages. 

Entre  autres  articles  contenus  dans  l'ouvrage  de  notre  collègue,  nous 
devons  signaler  en  raison  de  son  importance  historique  celui  consacré  à  la 
famille  de  Marval  la  plus  ancienne  probablement  de  notre  canton  et  dont 
la  généalogie  est  établie  dès  la  fm  du  XI"^  siècle,  d'après  des  documents 
en  majeure  partie  inédits.  Un  grand  nombre  des  actes  du  XI">^  au  XV"^ 
siècle  relatifs  à  cette  famille  et  analysés  pages  69  à  86  font  partie  de  la 
précieuse  collection  de  feu  M.  Ed.  Mallet.  La  notice  sur  la  famille  Revil- 
liod  renferme  de  curieux  détails  sur  les  mœurs  genevoises  aux  XYI"»*  et 
XVII'^'-  siècles. 


STote  additionsielle  atiik  licttres  patentes. 

Ces  lettres  étaient  imprimées,  lorsque  M.  C.  Ralilenbeck,  l'un  des  fonda- 
lem's  de  la  Société  pour  la  publication  des  mémoires  relatifs  à  l'histoire  de  la 
Belgique,  se  trouvant  à  Genève,  a  bien  voulu  nous  faire  connaître  les  signa- 
tures que  nous  n'avons  indiquées  ci-dessus  que  par  des  points. 

Au  bas  de  la  P«  après  Mandato  senatus  ordinum  Frisiœ,  «7  faut  lire  E.  Is- 
hrandis. 

Au  bas  de  la  i/"»»  après  Ex  mandato  ordinum  Trajecten,  il  faut  lire 
G.  V.  Ralilenbeck. 

Au  bas  de  la  III^'^  après  3IDXCIII  il  faut  lire},  van  Oldcnbarneveld. 

Au  bas  de  lu  71'""=  après  nonagesimo  quarto,  il  faut  lire  P.  Ryckert,  et  après 
Mandato  ordinum  il  faut  lire  Van  Goc'ls. 

Au  bas  de  la  F^e  après  Ex  singulari  mandato  ordinum  ducatus  Gelriae  et 
comitatus  Zutphani.'o,  (7  fatit  lire  W.  Luyszken. 


BEZANSON  HUGUES 

LIBÉRATEUR  DE  GENÈVE 


«....  C'est  assavoir  du  dit  Seigneur  Bezanson,  que 
depuis  cent  ans  en  çà  n'avez  eu  en  vostre  ville  un  si 
honneste  homme,  lequel  a  retiré  de  servitude  vostre 
dite  ville  et  icelle  mise  et  réduicte  en  franchise  com- 
me sçavez,  s'efforçant  toujours  de  mectre  corps  et 
biens  pour  maintenir  la  liberté,  que  l'on  peult  bien 
dire  que  c'est  le  père  du  pays.  Par  quoy  je  diz  que 
encores  que  mon  dit  frère  ayt  bon  droit,  je  luy  donne 
encores  le  tort  de  se  mectreoùnlre  ungtel  homme  de 

bien Et  avant  que  d'estre  à  la  malle  ^àce  du  dit 

Seigneur,  je  voudroye  plus  tost  que  le  Rosne  eust 
emporté  le  dit  jardin. ...  Vous  priant,  Messeigneurs, 
faire  le  possible  et  me  recommander  à  la  bonne  grâce 
du  dit  Seigneur  Bezanson  très-humblement  et  cor- 
diallement,  car  je  veulx  estre  son  serviteur  et  amy, 
veulle  il  ou  non » 

Lettre  de  Jean  Kléberger  (surnommé  le  Bon  Al- 
lemand) écrite  de  Lyon"  le  6  juin  1532,  aux  syndics 
et  conseillers  de  Genève,  à  l'occasion  d'un  procès 
entre  son  frère  et  Bezanson  Hugues. 


Bezanson  Hugues  est  le  plus  grand  citoyen  que  Genève  ait 
produit.  Sans  doute,  il  ne  s'agit  pas  ici  de  l'une  de  ces  illustra- 
tions européennes  dont  notre  patrie  esl  fière  à  juste  titre;  le 
champ  d'action  du  patriote  genevois  ne  s'y  prêtait  pas,  et  il  ai- 
mait trop  son  petit  pays  pour  vouer  ses  services  à  d'autres, 
su'rtout  dans  un  moment  où  il  ne  fallait  rien  moins  qu'un 
homme  de  dévouement  et  de  génie  tel  que  lui  pour  sauver  Ge- 
nève et  assurer  sa  liberté  future.  C'est  a  ce  noMe  but  qu'il 
sacrifia  sans  hésiter  son  repos,  ses  forces  et  sa  fortune;  et, 
malgré  les  chances  les  plus  défavorables  et  à  travers  mille  dan- 
gers, il  eut  le  bonheur  de  voir  son  œuvre  couronnée  de  succès 
Tome  XL  14 


198 

avant  de  succomber  a  la  tâche.  La  Réfoi  me  religieuse,  qui  sur- 
vint peu  d'années  après,  dôlourna  trop  vile  rattenlion  du  drame 
émouvant  de  notre  lutte  pour  l'indépendnnce,  et  les  milliers  de 
proscrits  étrangers  qui  vinrent  en  recueillir  les  fruits  se  préoc- 
cupèrent fort  peu  de  ceux  à  qui  ils  en  étaient  redevables.  Les 
traditions  populaires  elles-mêmes,  dont  les  souvenirs,  ordinaire- 
ment plus  fidèles,  se  ratiaclicnt  cependant  de  préférence  an  mer- 
veilleux,ont  laissé  disparaître  la  grande  figure  du  Sauveur  et  Père 
de  la  patrie  derrière  certains  noms  et  certains  faits  plus  ou  moins 
légendaires.  Citons  entre  autres  la  langue  coupée  de  Pécoliat,  his- 
toire dont  la  fausseté  es!  depuis  longtemps  ilémontrée;  le  massacre 
desjeunesBlanchetet  Navis,  victimes  plus  infortunées  que  méri- 
toires; la  captivité  de  Chillon,  qui  eut  lieu  pour  des  affaires 
toutes  personnelles,  du  prieur  de  S^-Viclor,  lequel  n'était  pas 
même  Genevois  a  cette  époque,  et  qui  ne  fit  d'ailleurs  pour 
Genève  que  des  dettes  qu'il  fallut  payer  et  des  chroniques  qui 
laissent  beaucoup  à  désirer  sous  le  rapport  de  la  véracité.  Cons- 
tatons néanmoins  que  nous  ne  confondons  pas  les  précédents 
avec  Ami  Lévrier,  dont  on  a  cependant  mêlé  l'assassinat  juri- 
dique aux  éminenls  services  rendus  par  son  père,  le  syndic 
Pierre  Lévrier,  —  ni  surtotii  avec  Berihelier  (digne  martyr  de 
la  liberté,  quoi  qu'en  ait  médit  Bonivard ,  qui  aurait  mieux  fait 
de  parler  différemment  des  patriotes  sans  lesquels  il  n'eût 
jamais  trouvé  d'asde  à  Genève)  ;  mais  c'est  au  moment  le  plus 
critique  que  Bertheber  a  été  mis  à  mort,  tandis  que  son  collè- 
gue Bezanson  Hugues  exposa  sa  vie  en  mille  rencontres,  non 
moins  héroïquement,  mais  avec  plus  de  fruits  pour  la  même 
cause. 

Quiconque  étudie  notre  histoire  a  ses  sources  y  verra  le  nom 
et  les  œuvres  de  Bezanson  Hugues  tracés  en  caractères  indélé- 
biles. Mais  combien  sommes-nous  à  Genève  qui  nous  soucions 
de  ce  qui  s'y  est  passé  avant  Calvin?  Parmi  tant  d'écrits  sur 
Genève  et  les  Genevois,  qu'ils  sont  rares  ceux  qui  traitent 
•^sérieusement  de  nos  premiers  libérateurs! — Animés  sans  doute 


199 

des  meilleures  inienlions,  le  gouvernement  et  la  municipalité 
épuisent  leurs  connaissances  historiques  à  trouver  des  noms 
de  citoyens  illustres  pour  baptiser  les  rues  et  les  places  des 
nouveaux  quartiers  de  la  ville;  et  ils  oublient  jusqu'ici  le  plus 
grand  de  tous,  le  seul  de  qui  l'on  puisse  dire  réellement  que  Ge- 
nève lui  doit  son  indépendance,  le  seul  auquel  l'esprit  de  parti 
le  plus  pointilleux  ne  puisse  adresser  le  moindre  reproche!  Et 
il  faut  que  ce  soit  des  historiens  étrangers  qui  nous  rappellent 
la  reconnaissance  que  nous  devons  à  la  mémoire  du  sauveur  de 
Genève  '  !  —  On  voit  qu'il  était  grandement  temps  de  réparer 
un  oubli  aussi  injustifiable.  Pnissions-nous,  hélas!  ne  pas  rester 
trop  au-dessous  de  la  tâche  que  nous  nous  sommes  imposée; 
car  s'il  est  de  nos  jours  une  tâche  difficile,  c'est  celle  d'intéres- 
ser, sans  autre  aide  que  la  vérité  historique,  à  un  héros  mort 
depuis  plus  de  trois  siècles,  dans  lequel  tout  est  à  louer  et  à 
admirer,  et  qui  cependant  est  mort  dans  son  lit. 

L'époque  de  notre  histoire  qui  sert  de  canevas  a  cette  étude 
est  naturellement  celle  des  tristes  démêlés  de  la  communauté 
genevoise  avec  le  duc  Charles  III  de  Savoie  et  les  deux  derniers 
princes-évé(]ues  de  Genève,  le  bâtard  Jean  de  Savoie  et  Pierre 
de  la  Baume.  Mais,  pour  comprendre  la  nature  des  prétentions 
séculaires  de  la  maison  de  Savoie  sur  Genève,  il  faut  remonter 
rapidement  jusqu'à  l'époque  où  cette  maison  s'y  fit  pour  la 
première  fois  cormaître.  C'était  dans  la  première  moitié  du 
treizième  siècle,  c'est-à-dire  au  plus  fort  des  démêlés,  généra- 
lement très-mal  compris,  entre  les  comtes  et  les  évêques  de 
Genève^.  La  maison  de  Savoie  suivit  précisément  ici  la  même 


*  Voyez  entre  autres  Hisely,  Histoire  du  Comté  de  Gruyères,  t.  II,  p.  270, 
note  3. 

*  On  connaît  les  troubles  graves  que  la  déplorable  administration  du  der- 
nier roi  de  Bourgogne  de  la  race  rodolphienne ,  Rodolphe  III,  avait  suscités 
à  diverses  reprises.  Ce  fut  pour  se  venger  de  ses  giands  vassaux,  dont  il 
n'était  que  primtis  inter  pares  et  qui  avaient  dû  le  mettre  à  la  raison  les 


200 

tactique  qu'elle  suivait  déjà  dans  le  pays  de  Vaud  contre  la 
même  dynastie  rivale,  les  comtes  de  Genève  et  de  Vaud  ;  c'est- 
à-dire  qu'elle  prit  d'abord  le  parti  de  l'évêque  contre  le  comte, 
dont  elle  se  fit  livrer  les  châteaux ,  puis  le  parti  des  citoyens 
contre  l'évêque;  elle  favorisa  même  à  celle  occasion  la  nais- 
sance de  la  commune,  qui,  dans  le  véritable  sens  du  mot,  n'exis- 
tait pas  encore  à  Genève.  Il  est  bizarre  que  nous  devions, 
jusqu'à  un  certain  point,  la  première  origine  connue  de  nos  li- 
bertés et  franchises  à  la  dynastie  qui  ne  tarde  pas  à  en  devenir 
l'ennemi  le  plus  acharné.  —  Cependant ,  et  c'était  surtout  en 
cela  que  consistait  la  politique  envahissante  de  la  maison  de 
Savoie,  les  services  rendus  devaient  être  payés  ;  et  comme  elle 
les  taxait  avec  les  frais  à  une  somme  introuvable  à  pareille 
époque,  elle  dut  se  contenter  d'un  gage  qui  ne  tarda  pas  nalu- 

armes  à  la  main,  qu'il  fit  passer  la  couronne  à  son  petit  neveu  par  alliance 
Conrad  le  Salique,  et  cela  au  mépris  des  substitutions  qui  existaient  dans  sa 
dynastie,  ainsi  qu'en  général  dans  toute  la  noblesse  de  ses  États,  où  les 
fiefs  étaient  féminins.  Or  au  nombre  des  prétendants  lésés,  et  qui  entrepri- 
rent de  faire  valoir  leurs  droits  par  les  armes,  se  trouvaient  en  première  ligne 
Eudes  comte  de  Champagne  et  de  Brie  et  Gérold  comte  de  Genève,  tous 
deux  fds  de  Berthe  (soeur  aînée  de  Rodolphe)  qui  avait  épousé  successive- 
ment Eudes  comte  de  Blois  et  de  Chartres  et  Aymoin  comte  de  Genève. 
Gérold  de  Genève  devint  même  seul  prétendant  légitime  lorsque  son  frère 
utérin  eut  été  tué  en  bataille  rangée  près  de  Bar  (1037).  Mais  comme,  mal- 
gré le  couronnement  de  Conrad  (1033),  les  grands  vassaux  continuaient  à 
faire  sentir  leur  mécontentement,  il  pensa  que  le  meilleur  moyen  de  les 
punir  et  surtout  de  les  affaiblir  serait  de  donner  aux  évêques  les  droits  ré- 
gahens  et  la  seigneurie  temporelle  de  leurs  capitales  respectives.  L'exercice 
de  ces  prérogatives  constituait  un  empiétement  permanent  sur  les  droits 
séculaires  des  comtes,  sans  l'assentiment  desquels  les  évêques  ne  pouvaient 
autrefois  pas  même  être  consacrés.  De  là  ces  querelles  incessantes,  qui  dans 
toutes  les  anciennes  provinces  du  royaume  de  Bourgogne  (la  Franche-Comté 
exceptée),  tournèrent  bientôt  en  faveur  des  évêques,  grâce  à  l'appui  que 
ceux-ci  reçurent  de  l'empire  et  de  leurs  sujets-citoyens.  On  voit  donc  qu'on 
ne  saurait  sans  injustice  taxer  de  «  brouillons  rebelles  à  toute  autorité  légi- 
time »  ces  malheureux  comtes  de  Genève,  qui  après  tout  ne  faisaient  que  dé- 
fendre, avec  les  seules  armes  dont  ils  pouvaient  disposer,  les  seuls  droits 
héréditaires  dont  l'arbitraire  de  l'empire  et  les  usurpations  de  l'Église  n'a- 
vaient pu  les  dépouiller. 


201 

rellemeni  a  devenir  une  propriété  héréditaire.  La  maison  de  Sa- 
voie se  fil  inféoder  le  vidomnal  par  l'évêque  (1290),  c'est-a-dire 
le  pouvoir  judiciaire  de  première  instance  de  Genève,  qu'elle 
conserva  pendant  deux  siècles  et  demi,  jusqu'au  moment  où  la 
glorieuse  issue  de  notre  lutte  pour  l'indépendance  vint  mettre 
un  terme  à  celte  possession,  la  seule  de  toutes  les  prétentions 
ducales  qui  eut  d'ailleurs  un  caractère  de  légalité.  Celte  même 
politique  d'intervention  fut  souvent  encore  appliquée  pendant 
les  derniers  et  héroïques  efforts  de  l'infortunée  maison  comtale 
de  Genève;  au  reste,  dès  sa  première  introduction  dans  nos 
murs,  il  devenait  évident  que  la  maison  de  Savoie  ne  laisserait 
échapper  aucune  occasion  d'y  augmenter  son  influence;  et  cette 
guerre  tantôt  sourde,  tantôt  ouverte, —  tantôt  aussi  déguisée  sous 
des  dehors  de  fêtes,  de  protection  ou  de  dévotion,  selon  les 
caractères  des  divers  comtes, —  continua  ainsi  avec  des  succès 
divers  mais  jamais  durables,  selon  que  nos  princes-évêques 
étaient  plus  ou  moins  dévoués  à  leur  siège  épiscopal. 

En  attendant,  la  municipalité  avait  grandi  en  importance. 
Chaque  évêque  devait  à  son  avènement  jurer  d'observer  et  de 
maintenir  les  libertés  et  franchises  de  la  cité  ;  car  par  l'une  des 
nombreuses  bizarreries  de  la  constitution  genevoise,  c'était  le 
souverain  qui  prêtait  serment  à  ses  sujets-citoyens  sans  que 
ceux-ci  eussent  à  prendre  le  moindre  engagement  de  ce  genre 
vis-a-vis  de  lui,  et  il  en  était  de  même  des  principaux  officiers 
des  deux  parties  ;  mais  le  prélat  qui  prenait  son  serment  au 
sérieux  était  assuré  de  trouver  dans  les  citoyens  un  appui  fidèle 
et  très-effectif  pour  le  maintien  sans  cesse  menacé  de  ses  pro- 
pres prérogatives.  Dès  lors,  la  politique  de  la  maison  de  Savoie 
devait  tendre  à  influer  sur  l'élection  des  évêques;  cela  n  avait 
pas  été  facile  à  l'époque  où  leur  siège  et  le  chapitre  épiscopal 
se  trouvaient  encore  entourés  des  antiques  possessions  féodales  du 
comte  de  Genève  qui,  avec  le  Chablais,  formaient  presque  ex- 
clusivement le  diocèse  genevois.  Mais,  par  une  série  d'événe- 
ments (ju'il  serait  trop  long  de  rappeler  ici ,  plusieurs  du  pays 


202 

dont  les  dynastes  rendaient  hommage  aux  comtes  de  Genève  (les 
pays  de  Vaiid,  les  baronnies  de  Gex  et  de  Faucigny),  avaient 
successivement  dû  reconnaître  la  suzeraineté  de  la  maison  de 
Savoie.  Enfin,  en  1394,  l'antique  et  malheureuse  maison  de 
Genève  vint  à  s'éteindre  dans  la  personne  du  fameux  antipape 
Clément  VIÏ  (Robert  de  Genève)  à  qui  nous  devons  Adhémar 
Fabri,  notre  meilleur  évêque.  Son  comté,  réduit  depuis  long- 
temps à  la  seule  province  du  Genevois  proprement  dit,  échut  à 
la  maison  deThoire  et  Villars  qui,  sans  égards  pour  des  parents 
tout  aussi  proches  qu'elle  du  dernier  comte,  le  vendit  (1401)  au 
célèbre  Amédée  Vïlï,  comte  puis  premier  duc  de  Savoie,  en- 
suite antipape  sous  le  nom  de  Félix  V  K  Dès  lors  Genève  se 
trouva  (le  tous  côtés  enclavée  dans  les  possessions  de  celte 
dvnaslie,  dont  l'extension  n'avait  pas  eu  moins  de  succès  au 
midi  qu'au  nord  des  Alpes.  Il  en  résulta  naturellement  que  le  cha- 
pitre de  S^-Pierre,  à  qui  seul  appartenait  l'élection  de  l'évéque, 
se  trouva  bientôt  presque  entièrement  composé  de  vassaux  nés 
de  la  maison  de  Savoie.  Toutefois,  il  est  juste  de  reconnaître 
que  cela  ne  changea  pas  grand'chose  aux  tendances  nationales 
de  ce  corps,  fier  de  son  indépendance  et  de  ses  immunités. 
Dégagés  par  leur  dignité  de  tout  lien  féodal,  les  chanoines,  qui 
n'étaient  pas  plus  sujets  du  duc  qu'ils  ne  l'étaient  de  l'évé- 
que ou  de  la  ville,  continuèrent,  plus  encore  que  sous  les  comtes 
de  Genève,  à  préférer  les  intérêts  de  leur  résidence  à  ceux  de 
leurs  maisons  respectives ,  et  à  faire,  lors  de  chaque  vacance 
de  siège,  leur  élection  en  conséquence.  Malheureusement,  vers 
cette  époque  de  relâchement  dans  la  discipline  ecclésiastique,  la 
cour  de  Rome  s'arrogea  aussi  le  droit  de  nommer  les  évêques  ; 
et  les  intrigues  de  la  maison  de  Savoie  ne  réussirent  que  trop 
souvent,  au  mépris  des  anciens  canons  de  l'Église ,  à  lui  faire 
annuler  les  élections  capitulaires  ou  transférer  à  d'autres  sièges 
les  évêques  qui  ne  lui  convenaient  pas. 

■Ml  t 

«  Il  est  assez  remarquable  que  le  schisme  qui  désola  l'Église  latine  pen- 
dant 70  ans  ait  commencé  par  un  Genevois  et  fini  par  un  évêque  de  Genève . 


203 

Certes  ce  fut  nne  chose  heureuse  pour  Genève  d'avoir  affaire 
h  un  prince  anssi  magnanime  qu'Amédée  VIII ,  précisément  à 
l'époque  où  tout  se  réunissait  pour  faire  aboutir  les  prétentions 
de  ses  devanciers  sur  cette  ville.  A  vrai  dire,  il  eut  bien  d'abord 
quelques  velléités  de  continuer  leur  œuvre;  mais  elles  furent 
aussitôt  réprimées  par  l'empereur  Sigisraond  ainsi  que  par  la  fer- 
meté de  l'évêque  Jean  de  la  Rochetaillée  et  celle  des  citoyins.  Dès 
lors,  ce  prince  extraordinaire,  qui  avait  été  tour  à  tour  souverain 
temporel ,  époux,  père,  puis  ermite  et  pape,  prit  la  république 
naissante  en  amitié;  et,  trouvant  sans  doute  qu'il  manquait  un 
dernier  fleuron  à  son  diadème,  moitié  tiare,  moitié  couronne, 
il  se  créa  de  sa  propre  autorité  prince-évêque  de  Genève  (^1444), 
dont  il  fut  l'un  des  prélats  les  plus  aimés.  Mais  les  choses 
changèrent  du  tout  au  tout  sous  ses  successeurs,  notamment 
sous  son  fils  Louis  P"",  le  faible  et  inepte  époux  de  Tambitieuse 
Anne  de  Lusignan  (ou  de  Chypre),  et  plus  encore  sous  son 
arrière-petit-fils  le  duc  Charles  III,  surnommé  le  Bon^  l'ennemi 
à  la  fois  le  plus  haineux,  le  plus  arrogant,  le  plus  cruel  et  le 
plus  perfide  que  Genève  eut  jamais  '. 

Le  premier,  le  duc  Louis,  fut  constamment  brouillé  avec  sa 
noblesse  et  même  avec  ses  propres  enfants;  l'un  d'eux,  Pierre 
de  Savoie,  fut  élevé  à  l'épiscopat  de  Genève  h  l'âge  de  huit  ans, 
et  sa  mère  lui  fit  donner  pour  administrateur  Thomas  He  Sur, 
une  de  ces  sangsues  chypriotes  dont  elle  avait  infesté  les  États 
de  son  mari,  et  qui  fit  à  Genève  tout  le  mal  possible.  Le  petit 
évêque  étant  mort  à  quinze  ans ,  sa  mère  lui  donna  pour  suc- 
cesseur son  frère  cadet,  Jean-Louis,  âgé  de  quatorze  ans  à 
peine,  bien  qu'il  fût  alors  déjà  administrateur  perpétuel  de  cinq 
abbayes,  de  trois  prieurés,  de  deux  commanderies  et,  par-des- 
sus tout  cela,  archevêque  de  Tarentaise.  Celui-ci,  quoique 
brusque  et  emporté,  sut  au  moins  dans  la  suite  faire  respecter 

*  Comme  les  panégyristes  de  la  maison  de  Savoie  eux-mêmes  ont  dû  re- 
noncer à  blanchir  ces  princes,  nous  ne  voyons  pas  pourquoi  nous  nous  gê- 
nerions davantage. 


204 

les  droits  de  son  Église,  et  vécut  eu  bonue  amitié  avec  les  Ge- 
nevois, séduits  par  le  vernis  brillant  de  ses  vices  autant  que  par 
ses  quelques  bonnes  qualités.  Mais  cette  amitié  même  les  entraîna 
dans  les  plus  grands  périls  ;  car  c'est  à  cela  que  nous  dûmes 
cette  trop  fameuse  rançon  de  26,000  écus  d'or  qui  nous  fut  im- 
posée par  les  Suisses  lors  des  guerres  de  Bourgogne,  à  cause  de 
quelques  centaines  d'hommes  fournis  par  ledit  évêque  à  son 
frère  le  comte  de  Romont.  En  attendant,  le  duc  et  sa  digne 
épouse  ne  perdaient  pas  une  occasion  de  vexer  les  Genevois  de 
mille  manières ,  et  surtout  de  leur  extorquer  de  l'argent  pour 
soutenir  les  prétentions  de  leur  second  fils  Louis,  au  royaume 
de  Chypre*.  Leurs  créatures  n'étaient  pas  moins  exigeantes; 
ainsi  l'administrateur  Thomas  de  Sur,  ce  parasite  d'outre-mer  à 
qui  la  duchesse  avait  fait  obtenir  encore  l'archevêché  de  Taren- 
taise,  mit  les  Genevois  sous  l'interdit  ecclésiastique  pour  lui 
avoir  refusé  de  l'argent  et  des  chevaux.  Le  duc  Louis  n'eut 
qu'un  seul  ami,  Louis  XI,  devenu  son  gendre  à  Genève  même, 
au  mépris  de  l'autorité  paternelle;  il  n'eut  pas  de  peine  à  l'ex- 
citer contre  les  Genevois,  qu'il  accusait  d'avoir  favorisé  les 
violences  de  son  fils  rebelle  Philippe-Monsieur.  Irrité  d'an- 
cienne date  contre  eux  pour  des  refus  de  services  pendant  qu'il 
était  encore  dauphin, — et  plus  tard  pour  la  sortie  hautaine  que  le 
syndic  Jean  du  Souchey  avait  osé  faire  en  plein  conseil  général 
à  son  ambassadeur  l'archevêque  d'Embrun,  sortie  dans  laquelle 
ledit  syndic  n'avait  pas  ménagé  davantage  le  roi  de  France  que 
le  duc  de  Savoie,  —  Louis  XI  arrêta,  de  concert  avec  son 
beau-père  et  malgré  l'intervention  des  cantons  suisses,  de  trans- 
férer à  Lyon  les  quatre  fameuses  foires  de  Genève  auxquelles 
on  accourait  de  tous  les  pays  de  l'Europe,  et  cela  sous  des  pei- 
nes sévères  pour  leurs  sujets  respectifs  qui  les  fréquenteraient 
encore,  et  en  refusant  aux  négociants  étrangers  les  sauf-conduits 

*  Par  son  mariage  avec  sa  cousine  germaine,   Charlotte  de  Lusignaa, 
reine  de  Chypre. 


205 

dont  ils  avaienl  joui  jusque-là.  Le  duc  de  Savoie  Tut  le  premier 
puni  de  celle  translation  qui  n'était  favorable  qu'à  la  France 
si  bien  que  ses  successeurs  n'eurent  rien  de  plus  pressé  que 
de  chercher  sous  les  mêmes  pénalités  à  remettre  ces  foires  à 
Genève  '.  Quant  aux  Genevois,  qu'on  avait  cru  ruiner  du  coup, 
ils  ne  s'en  préparèrent  que  mieux  à  la  lutte  bien  plus  grave  en- 
core qui  les  attendait;  il  paraît,  d'ailleurs,  que  ces  foires,  quoi- 
que moins  fréquentées,  n'en  continuèrent  pas  moins  à  Genève 
aux  époques  accoutumées,  au  moins  deux  d'entre  elles. 

La  position  de  la  dynastie  de  Savoie,  déjà  très-compliquée 
sous  le  règne  de  Louis,  le  fui  bien  davantage  encore  sous  ses 
successeurs  immédiats,  à  raison  des  ambitions  rivales  de  plu- 
sieurs princes  apanages  qui  occupaient  simultanément  autant  de 
provinces  diverses,  ainsi  que  par  les  interventions  continuelles 
et  opposées  de  Louis  XI  et  du  duc  de  Bourgogne  en  qualité  de 
proches  parents  ou  de  tuteurs  des  princes  mineurs.  On  com- 
prend ce  que  dut  être,  au  milieu  de  toutes  ces  querelles  et  de 
ces  intrigues,  la  position  de  Genève,  dont  le  moindre  inconvé- 
nient était  de  servir  continuellement  de  vache  à  lait  aux  uns  et 
aux  autres,  comme  à  ses  propres  évéques.  L'épiscopat  lui-même 
paraissait  ne  plus  devoir  sortir  de  la  maison  de  Savoie;  car  à 
Jean-Louis  de  Savoie,  frère  et  successeur  de  Pierre,  avait  suc- 
cédé un  troisième  frère,  François,  archevêque  d'Aux,  dont 
l'idée  bien  arrêtée  était  de  livrer  la  ville  au  duc  Charles  I^''son 
neveu.  Celui-ci  avait  dû  l'installer  les  armes  à  la  main  pour  le 
débarrasser  de  deux  autres  concurrents  nommés,  l'un  par  le 
chapitre  et  l'autre  par  le  pape,  qui  lança  aussitôt  l'interdit  sur 
la  ville.  Le  même  scandale  se  renouvela  peu  d'années  après  en 
faveur  de  l'évêque  Champion,  protégé  de  la  régente  de  Savoie, 
Blanche  de  Monferrat,  contre  l'élu  du  chapitre,  Charles  de 
Seyssel,  dt;  l'illustre  maison  d'Aix,  dont  le  parti  fut  défait  près 
de  Chancy.  L'évêque  Champion  étant  mort  cinq  ans  après,  la 

»  Avec  les  foires  de  Genève  toml)ait  d'ailleurs  toute  l'importance  finan- 
cière du  vidomnat  de  cette  ville,  inféodé  à  la  maison  de  Savoie. 


206 

même  duchesse  Blanche  trouvn  moyen  de  lui  donner  pour  suc- 
cesseur le  petit  Philippe  de  Savoie  âgé  de  sept  ans,  qui.  avant 
sa  majorité,  jeta  le  froc  aux  orties  pour  endosser  l'habit  mili- 
taire ^  pas  assez  tôt  cependant  pour  que  les  Genevois  n'eussent 
cruellement  à  souffrir  de  l'incurie  et  de  la  cupidité  de  ses  gou- 
verneurs ou  administrateurs  dont  on  n'obtenait  rien  sans  argent; 
mais  cette  vénalité  même  de  la  cour  épiscopale  fut  souvent 
d'un  grand  secours.  Pendant  cette  longue  série  de  calamités 
de  toute  espèce,  Genève  n'eut  qu'un  seul  auxihaire,  une  peste 
formidable,  qui  n'y  laissa  à  diverses  reprises  que  ceux  qui  n'a- 
vaient pas  d'antre  patrie. 

Cependant  les  derniers  événements  n'avaient  pas  été  perdus 
pour  les  Genevois.  C'était  autrefois  à  l'évèque  à  défendre  son 
Église  et  les  franchises  de  sa  capitale;  c'était  maintenant  aux 
citoyens  à  défendre  l'une  et  l'autre  depuis  que  la  crosse  se  trou- 
vait en  des  mains  enfantines,  hostiles  ou  criminelles,  et  que 
l'évèque  n'était  plus  qu'un  instrument  prêté  au  duc  par  le  pape 
pour  l'accomplissement  de  ses  projets.  Le  conseil  étroit,  qui 
dans  l'origine  n'était  qu'une  municipalité,  ne  tarda  pas  à  deve- 
nir ainsi  un  véritable  Conseil  d'Etat,  forcément  mêlé  aux  plus 
graves  questions  politiques  de  l'époque  '^.  Ce  fut  alors  que 
l'on  créa  le  conseil  des  L.  Précédemment  déjà,  les  syndics 
et  conseils  avaient  cherché  à  intéresser  de  plus  en  plus  les 
citoyens  aux  affaires  publiques,  spécialement  par  la  convocation 
plus  fréquente  du  conseil  général,  ne  fut-ce  que  pour  y  faire  en- 
tendre la  lecture  de  quelques  chapitres  des  franchises;  mais  le 
peuple,  d'ailleurs  plein  de  confiance  dans  les  magistrats  qu'il 
s'était  donnés,  en  eut  bientôt  assez  de  ces  réunions;  le  Conseil 

1  II  fut  ensuite  créé  comte  de  Genevois  par  son  frère  le  duc  Cliarles  III. 

-  Rien  n'est  plus  faux  que  de  vouloir  dater  fimportance  de  Genève  seu- 
lement depuis  la  Réforme.  Dès  les  temps  les  plus  reculés,  elle  a  toujours 
joué  un  rôle  de  premier  ordre.  Les  papes,  les  empereurs,  les  premières 
puissances  de  l'Europe  se  sont  constamment  mêlés  de  ses  affaires,  souvent 
même  de  celles  de  simples  bourgeois  et  citoyens  de  Genève.  On  en  verra 
d'ailleurs  plusieurs  preuves  dans  ce  récit. 


207 

se  réserva  alors  de  pouvoir  faire  partager,  au  moins  dans  les 
cas  graves,  aux  principaux  chefs  de  famille  la  responsabilité 
souvent  immense  qui  pesait  sur  lui  '.  On  commença  aussi  de 
former  un  arsenal  piihlic  pour  la  communauté,  et  à  se  prému- 
nir de  toute  manière,  tant  au  dedans  qu'au  dehors,  contre  les 
atlaques  imprévues.  En  consultant  les  documents  intimes  de 
l'époque,  on  est  frappé  de  la  dignité  et  surtout  de  la  piété  pro- 
fondément sincère  qui  percent  dans  tous  les  faits  ei  gestes  de 
la  magistrature  genevoise  de  la  tin  du  quinzième  siècle.  C'était 
l'époque  (les  Pierre  Lévrier,  des  Petremand  de  Malbuisson,  des 
Louis  Montyon,  des  Pierre  d'Orsières,  des  Antoine  Péeolat,  des 
Pierre  de  Versones,  des  FrançoisVincent,etc.,et  Ton  pouvait  au- 
gurer favorablement  de  la  jeunesse  élevée  sous  leurs  auspices. 
Cependant  on  commençait  déjà  à  travailler  sourdement  les  ci- 
toyens et  surtout  les  membres  des  conseils  pour  les  gagner  au 
parti  de  Savoie;  tel  est  le  vrai  motif  de  celle  loi  qui  étendait 
le  secret  auquel  chaque  conseiller  était  tenu,  même  vis-a-vis  de 
ceux  de  ses  collègues  qui  n'avaient  pas  assisté  au  conseil. 

Jamais  la  dvnastie  de  Savoie  n'avait  été  aussi  forte  qu'à  l'avé- 
nement  de  Charles  IIL  Une  série  d'événements  heureux  pour 
sa  puissance  l'avait  mis  d'emblée  en  possession  de  toutes  les 
provinces  naguère  démembrées  pour  les  apanai;es  des  diverses 
branches  de  s;i  maison,  telles  que  les  pays  de  Yaud  et  de  Gex,  le 
Genevois,  la  Bresse,  le  Bugey.  Ses  Étals  étaient  donc  en  réalité 
plus  vastes  que  les  États  continentaux  de  la  monarchie  sarde 
actuelle  et  formaient,  pour  l'époque,  une  puissance  de  premier 
ordre.  On  a  d'autant  plus  de  peine  à  comprendre  l'aveugle 
acharnement  que  mit  ce  prince,  beau-frère  de  Charhs-Quint et 
oncle  de  François  V^,  avec  tant  de  moyens  de  se  faire  considé- 
rer, à  consumer  toutes  les  ressources  de  sa  maison  pour  s'em- 

•  Le  véritable  corps  souverain  était  le  Conseil  Général,  composé  de  tous 
les  chefs  de  famille.  Celui  des  CC  n'existait  pas  encore,  et  celui  des  L  fut 
créé  à  cette  occasion  ;  il  ne  faut  pas  prendre  ces  chiffres  trop  à  la  lettre. 


208 

parer  d'une  petite  ville  qui  ne  demandait  qu'à  vivre  en  paix  avec 
lui  et  dont  il  n'avait  reçu  que  des  témoignages  de  respect  ;  de 
cette  pauvre  Genève,  au  territoire  si  étroit  et  si  bien  enclavé  au 
milieu  des  vastes  possessions  ducales,  que  «  les  cloches  de  Saint- 
Pierre  étaient  entendues  de  plus  de  Savoyards  que  de  Gene- 
vois \  »  Ce  qui  est  plus  incompréhensible  encore,  c'est  le 
résultat  de  celte  lutte  de  près  de  trente  ans.  si  extraordinaire- 
ment  inégale  en  apparence  :  non-seulement  le  duc  eut  la  honte 
d'échouer  complètement  et  de  la  manière  la  plus  ignominieuse, 
mais  son  entêtement  mesquin  et  sa  rage  insensée  lui  firent  per- 
dre encore  la  presque  totalité  de  ses  États  héréditaires.  Ce 
n'était  certes  pas  un  homme  ordinaire  que  le  simple  citoyen 
genevois,  dont  le  dévouement  et  le  génie  surent  accom|jlir 
de  pareils  prodiges  sans  jamais  s'écarter  des  voies  de  la  plus 
stricte  loyauté. 

En  attendant  le  moment  favorable  pour  s'emparer  de  sa 
proie,  le  duc  de  Savoie  continuait  à  l'atfaiblir  à  son  profil.  Au 
printemps  1506,  il  demanda  contre  les  Yalaisans  un  secours 
d'hommes  que  les  gouverneurs  et  administrateurs  du  petit 
évêque  se  gardèrent  bien  de  lui  refuser  ;  la  communauté,  qui 
n'était  nullement  tenue  à  un  service  pareil,  dut  non-seulement 
équiper  et  entretenir  cette  troupe  à  ses  frais,  mais  prêter  encore 
son  artillerie  pour  la  même  expédition,  le  tout  pour  s'assurer 
la  bienveillance  de  Son  Altesse.  Vaine  complaisance  ;  car  les 
infractions  aux  franchises  et  à  la  juridiction  ecclésiastique  se 
succédèrent  dès  lors  sans  interruption,  malgré  les  réclamations 
constantes  des  ayants  droit.  Cela  n'empêcha  pas  les  Genevois 
de  se  préparer  à  plusieurs  reprises  à  recevoir  avec  cette  magni- 
ficence hospitalière  qui  les  distinguait  la  visite  souvent  annoncée, 
toujours  renvoyée  du  duc,  à  qui  l'on  faisait  toujours  en  pareille 

*  Il  importe  de  ne  pas  oublier  que  les  mandements  épiscopaux  de  Peney, 
de  Thies  et  de  Jussy,  ainsi  que  les  possessions  du  prieuré  de  St-Victor  étaient 
entièrement  enclavés  parle  territoire  ducal,  et  que  ces  pays  appartenaient  d'ail- 
leiu-s  à  l'Évêque  et  nullement  à  la  ville,  qui  ne  s'en  empara  qu'à  la  Réformation. 


209 

circonstance  des  présents  de  grand  prix.  On  fit  même  cette  fois 
l'énorme  dépense  de  paver  la  ville  en  son  honneur.  Au  lieu  de 
Son  Altesse  on  eut  à  recevoir,  en  qualité  de  vicaire-général  de 
Févêque,  le  protonotaire  apostolique  Jean  de  Savoie,  bâtard 
reconnu  de  l'ancien  évêque  François,  le  même  qui  joua  ensuite 
un  rôle  si  effroyable  lorsqu'il  fut  parvenu  à  l'épiscopat,  et  qui, 
en  attendant,  venait  gagner  ses  éperons  comme  séide  de  son 
cousin. 

Dès  lors  l'usurpation  savoyarde  dédaigna  même  d'employer 
des  subterfuges.  Les  ciloyeus,  les  magistrats  mêmes  étaient 
saisis  et  jetés  en  prison.  Pour  la  troisième  fois  le  premier  syn- 
dic, No.  Pierre  Lévrier,  arrêlé  dans  l'exercice  de  ses  fonctions, 
languissait  dans  les  cachots  de  l'Ëvêché  ;  les  ambassadeurs 
envovés  au  duc  et  h  l'évêque  à  Chambéry  ne  revenaient  pas,  et 
la  ville  consternée  s'attendait  à  quelque  catastrophe  pire  que 
tout  ce  qu'elle  avait  enduré  jusque-là,  lorsque  la  scène  changea 
tout  à  coup,  le  14  septembre  1507,  par  l'arrivée  imprévue  de 
l'avoyer  de  Fribourg,  François  Arseut,  accompagné  du  secré- 
taire d'Étal  de  ce  canton.  Depuis  [)eu  de  temps  le  syndic  Lévrier 
s'était  fait  recevoir  bourgeois  de  Fribourg  ',  et  les  magistrats 
de  cette  ville,  informés  probablement  par  Berthelier  de  la  nou- 
velle captivité  de  leur  combourgeois,  venaient  avec  menaces 
demander  son  élargissement.  Le  duc,  averti  par-dessous  main, 
s'empressa  d'en  donner  l'ordre  avec  force  bonnes  paroles  à 
Tadresse  du  conseil  ;  il  n'y  mit  que  la  condition  d'un  caution- 
nement de  deux  mille  écus  d'or,  que,  dans  la  première  ivresse 
du  moment,  on  s'empressa  de  signer  malgré  l'énormité  de  la 
somme.  La  hardiesse  et  le  prompt  succès  de  cette  intervention 
étonnèrent  d'autant  plus  les  Genevois,  encore  éblouis  du  pres- 
tige de  la  cour  de  Savoie  et  de  sa  noblesse  belliqueuse,  qu'ils 
ne  s'attendaient  guère  alors  à  trouver  un  jour  des  alliés  chez 
ces  terribles  Suisses  qui  les  avaient  maintes  fois  rançonnés  en 

»  En  même  temps  que  Lucain  DuPan. 


210 

menaçant  leur  ville  d'une  entière  destruction,  et  dont  nos  femmes 
effrayaient  les  enfants.  Au>si  fallut-il  encore  une  longue  série 
de  nouvelles  épreuves  avant  que  dautres  citoyens  se  déci- 
dassent à  suivre  l'exemple  de  Lévrier ,  exemple  dont  l'effei  ne 
tarda  pas  d'ailleurs  à  être  dissipé  par  de  nouveaux  événements. 
Au  printemps  de  1508,  le  duc  fit  enfin  cette  enirée  solen- 
nelle attendue  depuis  trois  ans.  La  libéralité  de  la  ville  en  dons 
gracieux  à  Son  Altesse,  en  pots  de  vin  aux  officiers  de  sa  cour, 
en  pour  boire  à  tous  ses  serviteurs,  et  la  magnificence  déployée* 
en  parades,  en  représentations  théâtrales,  en  réjouissances 
publiques  de  toute  espèce,  tout  cela  prouva  qu'alors  Charles  III 
était  bien  encore  aux  yeux  de  la  grande  majorité  des  Genevois 
le  descendant  de  cet  Humbert  aux  blanches  mains,  de  cet  Amé- 
dée  la  Queue,  de  ce  comte  Yert  et  de  tant  d'autres  preux  de 
cette  race  antique  dont  les  légendes  avaient  charmé  leur 
enfance.  Cette  visite  eut  même  une  influence  funeste  sur  les 
Enfants  de  Genève^  c'est-à-dire  sur  les  jeunes  miliciens  incor- 
porés dans  les  diverses  abbayes  ou  compagnies  (archers,  arba- 
létriers, arquebusiers)  qui  formaient,  quoique  sous  une  tout 
autre  forme,  ce  que  nous  appellerions  aujourd  hui  le  contin- 
gent de  Genève.  Détournés,  par  l'appât  du  plaisir,  de  leurs 
études  et  de  leurs  occupations  commerciales  ou  industrielles, 
ces  jeunes  gens,  dont  la  turbulence  n'était  que  trop  souvent  à 
réprimer  dans  ces  temps  difficiles,  ne  pensaient  plus  qu'à  riva- 
liser d'adresse  et  d'élégance  avec  les  brillants  cavaliers  de  la 
cour  ducale  ;  ils  en  vinrent  même  à  méconnaître  lauiorité  de 
leurs  magistrats,  et  le  syndic  Lévrier,  qui  n'était  pas  homme  à 
voir  braver  impunément  la  sienne,  perdit  toute  sa  popularité, 
acquise  par  tant  de  services  et  de  sacrifices,  en  ne  tenant  peut- 
être  pas  assez  compte  de  l'excitation  du  moment.  Le  duc  fut 
naturellement  enchanté  de  cette  querelle  de  famille,  provoquée 
par  sa  présence  et  fomentée  par  ses  agents;  il  fallait  qu'elle 
fût  bien  réelle  pour  lui  inspirer  l'idée  de  confier  le  vidomnal 
à  l'abbé,  soit   capitaine-général  de  ces  milices,  Hugonin  de 


211 

Bourdigny,  qui  n'en  resta  pas  moins  au  conseil,  bien  que 
Lévrier  eût  réussi  à  en  faire  sortir  son  prédécesseur,  le  vidomne 
Trolliet. 

L'esprit  national  reprit  le  dessus  lors  de  l'avénemeut  au 
siège  épiscopal  de  ce  même  Giiarles  de  Seyssel,  que  les  vio- 
lences ducales  en  avaient  chassé  vingt-huit  ans  auparavant.  C'est 
peut-être  de  tous  les  prélats  de  Genève  celui  auquel  on  a  le 
moins  rendu  la  justice  qui  lui  est  due;  car,  placé  dans  mie 
position  délicate  a  cause  des  derniers  antécédents  de  l'épisco- 
pat,  il  résista  avec  calme  et  dignité  aussi  bien  aux  infractions 
ducales  qu'à  la  mauvaise  opinion  qu'un  grand  nombre  de 
citoyens  transférèrent  de  ses  prédécesseurs  sur  son  compte. 

Au  commencement  de  1511,  les  Genevois  donnèrent  un 
nouvel  exemple  de  cet  esprit  d'entraînement,  ou,  si  l'on  veut, 
à'engouement  versatile  et  irréfléchi  qui  les  caractérisèrent  de 
tout  temps.  Les  cantons  suisses,  avertis  par  un  transfuge  ducal 
qu'ils  étaient  encore  créanciers  de  la  maison  de  Savoie  pour 
une  somme  immense  (chose  tout  à  fait  invraisemblable),  en 
raison  des  services  qu'ils  lui  avaient  rendus  dans  la  guerre  de 
Saluées,  firent  mine  de  prendre  les  armes  pour  venir  chercher 
leur  paiement.  Très-alarmé,  le  duc  fit  prier  le  plus  gracieuse- 
ment possible  les  Genevois  de  refuser  le  passage  du  Rhône  à 
ces  ennemis  formii labiés  ;  et  son  envoyé,  M.  de  Viry,  ayant 
déclaré  aux  citoyens  assemblés  que  «  l'intention  de  Son  Altesse 
était  de  vivre  et  de  mourir  avec  eux,  »  toute  arrière-pensée  fut 
aussitôt  bannie,  et  l'on  déploya  le  plus  grand  enthousiasme  pour 
mettre  la  ville  avec  ses  quelques  centaines  de  miliciens  à  même 
de  résister  a  des  armées  qui  passaient  alors  pour  invincibles. 
Peu  de  temps  après  on  exécuta  avec  le  même  empressement 
un  citoyen  notable,  Jean  de  Rougemont,  soupçonné  du  meurtre 
présumé  d'un  domestique  de  M.  de  Châteauvieux,  premiei' 
chambellan  du  duc.  Mais  comme  celui-ci,  loin  d'être  satisiait, 
désignait  maintenant  pour  véritable  auteur  de  cet  attentat  le 
fameux  Jean  PécoUal,  l'un  des  plus  turbulents  des  enfants  de 


212 

Genève,  la  bande  se  tourna  aussitôt  tout  d'une  pièce  contre  le 
parti  ducal.  Sans  doute  Berlhelier  y  travailla  et  suggéra  à  cette 
occasion  une  plaisanterie  qui  fut  répétée  dans  la  suite  avec  un 
succès  croissant,  mais  qui,  dès  ce  moment,  lui  valut  de  la  part 
de  Son  Altesse  le  projet  bien  arrêté  de  le  faire  périr.  Le  cou- 
rage physique  n'était  pas  au  nombre  des  qualités  de  Charles  III; 
sa  terreur  des  Suisses  avait  éclaté  au  grand  jour;  il  paraît 
même  qu'elle  le  mettait  hors  d'état  de  réprimer  l'horreur  que 
lui  inspiraient  les  fifres  et  les  tambours,  musique  militaire  qui 
caractérisait  tout  particulièrement  les  troupes  suisses  de  l'é- 
poque. Armés  de  rapières  et  de  javelines,  les  Enfants  de  Genève 
passèrent  de  nuit  sous  les  fenêtres  de  son  hôtel,  précédés, 
comme  les  régiments  suisses,  d'un  fifre  et  <run  tambour.  Sa 
frayeur  fit  naturellement  place  à  une  épouvantable  colère  quand 
il  sut  par  qui  d  avait  été  mystifié.  Les  magistrats  interpellés 
se  bornèrent  à  prohiber  l'usage  nocturne  des  fifres  et  des  tam- 
bours. Dès  l'année  suivante  Berthelier  entra  au  conseil  et  ne 
tarda  pas,  bien  que  le  plus  jeune,  à  devenir  le  plus  influent  de 
ses  membres.  Il  succéda  à  Pierre  Lévrier  comme  chef  du  parti 
national  jusqu'au  moment  où  Bezanson  Hugues  fut  à  son  tour 
d'âge  à  se  montier. 

Il  était  temps  que  ce  parti  eût  à  sa  tête  des  chefs  plus  fermes 
et  plus  capables  que  les  étourdis  qui  le  compromettaient  en 
toute  occasion  ;  car  le  duc,  qui  avait  repris  courage,  allait  lui- 
même  essayer  d'une  tactique  beaucoup  plus  agressive  encore 
que  par  le  passé.  Il  était  cette  fois  bien  décidé  à  l'accomplisse- 
ment de  faits  qui,  selon  les  idées  du  temps,  auraient  pu  dans  la 
suite  être  interprétés  comme  des  actes  de  souveraineté  compro- 
mettant l'avenir,  soit  comme  une  simple  reprise  de  prétendus 
anciens  droits  abandonnés  par  ses  prédécesseurs.  En  consé- 
quence il  vint  se  loger  au  couvent  de  Palais,  et  prétendit  que 
les  bouchers  lui  envovassent  les  langues  de  toutes  les  bêtes 
qu'ils  tueraient.  Cette  prétention  ridicule  ayant  été  repoussée 
sans  façon,  il  voulut  revendiquer  le  droit  de  grâce,  que  plusieurs 


213 

de  ses  prédécesseurs  avaient  déjà  vivement  réclamé  en  faveur 
de  criminels  de  la  pire  espèce,  uniquement  pour  pouvoir  se 
vanter  d'avoir  exercé  ce  droit  souverain  à  Genève  '.  Il  partit 
sans  avoir  rien  pu  obtenir.  iMais  peu  de  temps  après  il  voulut 
exiger  qu'en  compensalion  des  saufs-conduits  qu'on  lui  deman- 
dait de  continuer  pour  les  foires  de  Genève,  cette  ville  lui  fît 
annueliemenl  un  don  gratuit,  qu'elle  lui  permît  de  placer  des 
gardes  à  ses  portes,  en  d'autres  termes,  d'y  tenir  garnison,  et 
enfin  qu'elle  lui  accordât  le  domaine  direct  et  les  lods  des 
nouveaux  bâtiments.  Le  Conseil  Générai,  consulté  par  ses  magis- 
trats, repoussa  ces  demandes  à  l'unanimité,  ajoutant  «  que  la 
liberté  devait  être  préférée  à  toute  chose  (libertatem  procul 
dubio  dignam  rébus  cunctis  praeferendam  esse)  et  qu'il  valait 
mieux  ne  jamais  avoir  de  foires  que  de  mener  une  vie  servile 
sous  de  tels  tributs  ;  »  et  comme  le  duc  revenait  à  la  charge  en 
modifiant  ses  exigences  sans  en  changer  le  fond,  on  lui  répon- 
dit, en  se  référant  à  la  réponse  du  Conseil  Général,  «  qu'il  valait 
mieux  vivre  libre  et  pauvre  que  de  s'enrichir  sous  le  jong  de 
la  servitude  ^,  »  et  à  une  autre  ambassade  ducale  sur  le  même 
sujet  :  a  qu'il  valait  mieux  choyer  une  pauvrelé  toute  couronnée 
de  lauriers  de  liberté  que  de  s'enrichir  dans  la  servitude  en 
payant  des  tributs  annuels  \  »  En  attendant,  les  Suisses 
avaient  profilé  de  la  diète  de  Bade,  où  se  trouvaient  réunis  les 
ambassadeurs  des  principaux  Étals  de  l'Europe  *,  pour   solli  - 

'  Il  va  sans  dire  que  le  prince-évêque  avait  seul  le  droit  de  grâce  alors 
à  Genève.  Toutefois  un  fait  qui  s'y  passa,  le  9  juillet  1500,  révèle  l'existence 
d'une  coutume  bizarre  dont  on  trouve  des  exemples  dans  d'autres  pays.  Un 
drôle  condamné  à  mort  pour  meuitre,  sacrilège  et  vol,  était  déjà  sur  Téchelle 
fatale  lorsqu'une  fille  publique  le  demanda  et  l'obtint  pour  mari. 

*  Melius  est  in  libertate  etpaupertate  vivere  quam  locupletari  et  sub  jugo 
servitutis  fore  adstrictos. — Registre,  2  sept.  1512. 

»  Malunt  paupertatem  enutrire  libertate  undique  laureatam,  quam  ditio- 
res  effici  inque  servitute  annualia  tributa  solvendo  vivere. — Reg.,  4sept.  1512. 

*  Il  suffit  de  les  nommer  poui-  donner  une  idée  de  la  puissance  de  la 
Suisse  à  cette  époque.  C'étaient  les  ambassadeurs  du  roi  des  Romains,  de 
France,  d'.\ngleterre,  d'Espagne,  du  pape,  de  la  république  de  Venise,  des 

Tome  XI.  1 5 


2li 

ciler  au  sujei  des  foires  de  Genève,  auxijuelies  ils  élaienl  direc- 
icnieDi  inléressés;  et  le  <iu(;  de  Savoie,  n'osant  plus  s  y  opposer, 
avaii  subilemenl  réduit  toutes  ses  exigences  à  mendier  des 
Genevois  loulau  moins  ini  petit  témoignage  de  reconnaissance, 
«  car,  ajoutait-il.  loul  ouvrier  est  digne  de  son  salaire  »  {diguus 
est  operaiius  mercede  sua).  Ce  mélange  d'arrogance  ei  de  bas- 
sesse éîail  l'un  des  traits  disiinctifs  de  Charles  le  Bon.  Il  lui 
suffit  de  ces  quelques  paroles  pour  rallier  tous  les  cœurs, 
tant  les  Genevois  avaient  de  peine  à  se  brouiller  pour  tout  àe 
bon  avec  la  maison  de  Savoie.  Cependant  son  vidorane  Ayraon 
Conseil  n'en  continuait  pas  moins  ses  empiétements  journaliers. 
Ayant  osé  arrêter  le  geôlier  de  l'Evéché,  les  citoyens  s'assem- 
blèrent au  son  du  tocsin,  allèrent  assiéger  le  vidomne  dans  sa 
demeure  dn  Bourg-de-Fonr  et  l'eussent  jeté  au  Rhône  sans  l'in- 
îervenlion  de  Bertheiier,  qui,  prévoyant  quel(|ne  folie,  s'était  mis 
à  la  tête  du  mouvement  pour  pouvoir  le  modérer  en  le  diri- 
geant '.  Bien  malgré  lui,  celte  fois,  les  fifres  et  les  tambours 
furent  encore  de  la  partie  au  retour  de  cette  expédition. 

Le  duc  étant  arrivé  peu  de  temps  après,  se  prit  de  querelle 
sur  ces  choses  avec  l'évéque  Charles  de  Seyssel,  qui  venait 
aussi  d'arriver,  et  dont  la  ferme  attitude  lui  valut  des  menaces 
qui  ne  se  réalisèrent  que  trop  tôt;  car  cet  excellent  prélat 
mourut  empoisonné  dans  une  de  s  s  terres  près  de  Ghambéry, 
le  î  1  avril  1513.  Le  chapitre  s'empressa  aussitôt  d'élire  à  sa 
place  l'abbé  de  Bonmont,  Aymon  de  Gingins,  très-aimé  des 
Genevois  et  vivement  recommandé  par  le  Conseil  et  par  les 
Suisses;  mais  le  duc,  qui  avait  pris  les  devants  auprès  du  pape 
antérimreniml  h  h  mon  de  Charles  de  Seyssel,  obtint  l'épiscopat 


ducs  de  Loiraine^,  do  Savnio  el  do  .Mil.ui.  Il  paraît  liion  que  Bertheiier  y  fui, 
quoique  sans  mission  ollicielli*. 

»  Pour  tjien  comprendre  le  tort  du  vidomne  dans  cette  affaire ,  il  faut  se 
rappeler  que  le  vidomnat,  quoique  inféodé  à  la  maison  de  Savoie,  n'en  était 
pas  moins  un  office  épiscopal,  pour  l'exercice  duquel  le  duc  lui-même  et  son 
remplaçant  devaient  hommage  au  princc-évêque. 


215 

pour  son  cousin  le  bâtard  Jean  (ie  Savoie,  le  mênie  qui  Tavait 
déjà  servi  quelques  années  auparavant  comme  vicaire  i>énéral. 
Ce  nouveau  trafic  d(^  l'ÉvêcIté  et  la  scélératesse  hien  connue 
lie  celui  que  les  Genevois  allaient,  selon  leur  constitution,  avoir 
comme  prince  temporel  île  la  ville  aussi  bien  que  comme 
directeur  spirituel  de  leur  Église,  décida  enfin  les  chefs  du 
parti  national  a  se  mettre  sons  la  proleciion  du  canton  suisse 
de  Fribourg,  comme  Pierre  Lévrier  et  Lucain  Dnpan  l'avaient 
fait  en  1507.  En  conséquence,  le  4  juillet  1513,  Bezanson 
Hugues,  Jean  Baux,  Philibert  Berthelinr,  Jean  Taccon,  Nan- 
termet  Tissol  et  Henri  Pollier  furent  reçus  bourgeois  de  Fri- 
bourg, moyennant  la  redevance  annuelle  d'un  florin  d'or,  «  pour 
la  préservation  de  leur  corpfi  et  de  leurs  biens,  »  phrase  jusqu'a- 
lors inusitée  dans  les  registres  de  celte  république.  Dès  lors, 
ces  citoyens  j)ouvaient  prétendre  personnellement  au  beau  titre 
à' Eidgenossen  (confédérés),  qu'on  appliqua  bientôt  à  leur  parti 
à  Genève  en  francisant  le  mot  allemand  en  Eydguenols.  Une 
nouvelle  corruption  de  ce  mot  fit  plus  lard  le  terme  de  Hugue- 
nots, sous  lequel  les  Français  désignèrent  spécialemenl  leurs 
compatriotes  réformés.  On  voit  combien  ce  terme  qui,  dans 
l'origine,  n'était  porté  que  par  des  Genevois  catholiques,  s'est 
éloigné  de  sa  signification  première  '. 


II 

(1513—1519) 

La  famille  Hugues  (aussi  Hugoz,  Iluyonis  en  latin)  était 
ancienne,  riche  et  considérée.  Pierre  Hugues  de  Copponex,  le 

•  Nous  croyons  que,  dans  sa  juste  admiration  pour  notre  grand  citoyen, 
M.  Hisely  va  peut-être  trop  loin  en  voulant  rattacher  le  terme  de  Huguenots 
à  Bezanson  Hugues.  Mais  si  ceUe  opinion  était  fondée,  le  changement  de  si- 
gnification que  ce  terme  éprouva  serait  encore  bien  plus  frappant.  Car  il 
n'y  avait  rien  de  moins  huguenot  que  Bezanson  Hugues,  qui  mourut  bon  ca- 
catholique  en  1532,  ni  que  sa  famille  qui  préféra  l'exil  aux  nouvelles  doc- 
trines. 


216 

bisaïeul  de  Bezaiison ,  était  déjà  depuis  quelque  temps  établi 
à  Genève,  lorsqu'il  fut  reçu  bourgeois  de  cette  ville  le  13  sep- 
tembre 1429.  Son  fils  Jean  épousa  la  fille  de  Rolet  Arnaud, 
conseiller  de  Genève,  mais  natif  de  Strassberg ,  au  canton  de 
Zurich,  où  il  paraît  que  le  dit  Jean  Hugues  alla  s'établir,  et  où, 
en  tous  cas,  ses  enfants  furent  élevés,  car,  pendant  bien  des 
années,  on  les  considéra  plutôt  comme  Allemands,  c'est-à-dire 
comme  Suisses  que  comme  Genevois.  Quoi  qu'il  en  soit,  pendant 
que  Genève  était  si  ignominieusement  rançonnée  par  les  Ber- 
nois et  les  Fribourgeois ,  en  sa  qualité  d'alliée  malgré  elle  du 
comte  de  Romont,  et  par  là  de  Charles  le  Téméraire ,  les  deux 
fils  (le  Jean  Hugues  combattaient  avec  les  troupes  de  Zurich  à 
la  bataille  de  Morat  (22  juin  1476).  L'aîné,  Jean  soit  Anzo 
(francisé  du  diminutif  allemand  Hans),  du  Conseil  des  L  en 
1497,  1502,  conseiller  de  la  confrérie  des  Pelletiers  soit  de 
l'Assomption,  ne  paraît  avoir  eu  de  sa  femme,  Guillauma  Blanc- 
mantel,  qu'une  fille  nommée  Denyse,  qui  vivait  encore  en  1538. 
Le  cadet,  Conrad  Hugues,  rentré  à  Genève  avec  son  frère  après 
la  guerre,  fut  élu  conseiller  en  1503. 1507,  et  syndic  en  1508  et 
1510.  Il  avait  épousé  sa  belle-sœur  Andréa,  fille  du  syndic  Girar- 
(lin  Blancmantel  ;  de  ce  mariage,  que  nous  pouvons  placer  assez 
approximativement  vers  1  490,  étaient  nés:  1**  Bezamon  '  Hu- 
gues ;  2°  Guillaume  Hugues,  qui  fut  ensuite  syndic  et,  du  chef 
de  sa  première  femme,  Miehée  Baud,  seigneur  de  la  Feuillade; 
3"  Anloina,  femme  du  conseiller  Denis  Daddaz,  d'une  branche 
genevoise  de  l'illustre  famille  d'Adda  de  Milan  ;  enfin,  4'*  Anna, 
mariée  au  syndic  Jean  Baud  (oncle  de  la  Miehée  ci-dessus), 
l'ami  le  plus  dévoué  de  son  beau-frère  Bezanson,  et  son  princi- 
pal aide  et  collègue  dans  le  parti  des  Eydguenots*.  —  Soit  dit 

»  Ce  nom,  qu'il  écrivait  lui-même  Bezanson,  était  l'un  des  prénoms  les 
plus  usités  de  l'époque. 

*  Un  voit,  d'après  cette  rapide  notice  de  la  famille  Hugues,  qu'il  y  aurait 
quelques  corrections  à  apporter  à  celle  que  Galiffe  en  a  donnée  dans  le  !«'■ 
volume  de  ses  Notices  généalogiques,  et  cela  d'après  ses  propres  recher- 
ches ultérieures. 


217 

en  passant,  la  famille  Baud  ou  Baux,  bien  que  la  plupart  de  ses 
représentants  fussent  voués  au  commerce,  était  l'une  des  plus 
anciennes  de  Genève,  où  elle  remoniait  clairement  jusqu'au 
treizième  siècle  ;  elle  avait  fourni  des  chanoines  au  chapitre 
de  Saint-Pierre  et  contracté  des  alliances  avec  la  noblesse  des 
environs  (de  Nernier,  de  iMonlfort ,  de  Valier,  Lambert,  de 
Russin,  de  Moyron,  de  Lancy,  Goyet,  Varro,  etc.)  ;  elle  posséda 
aussi  les  terns  seigneuriales  de  Floret,  de  la  Feuillade,  de 
Troches,etc.  Quant  aux  Hugues,  Bezanson,  tout  en  faisant  éga- 
lement le  commerce,  était  qualifié  de  Damoiseau,  mais  ne  fai- 
sait usage  de  ce  titre,  particulier  à  la  noblesse  chevalière,  qu'en 
cour  de  Rome  et  à  l'étranger,  jamais  dans  sa  patrie,  et  cet 
exemple  a  longtemps  été  suivi  par  la  grande  majorité  des  Ge- 
nevois quahfiés  '  ;  il  fut  aussi  seigneur  de  Perolle,  de  Beygris, 
etc.,  au  canton  de  Fribourg.  Un  de  ses  grands-oncles,  Messire 
Guillaume  Hugues,  chanoine  de  Genève,  avait  été  créé  cardinal 
du  titre  de  Saint-Marcel  ;  enfin  Conrad ,  lejDropre  fils  de  Be- 
zanson,  fut  également,  sans  autre  titre  que  sa  naissance,  — 
c'est-à-dire  sans  être  gradué  en  droit,  —  chanoine  de  Saint- 
Pierre,  et  quitta  Genève  à  la  réformation  ainsi  que  son  oncle 
Guillaume  Hugues,  avec  les  Baud,  les  DuMur,  les  Girard,  les 
de  Malbuisson,  les  de  la  Mare,  les  de  Yersonnex,  les  frères  du 
Crest,  et  tant  d'autres  des  premiers  patriotes  et  des  principaux 
libérateurs  de  Genève.  Quant  à  Bezanson  Hugues,  il  mourut 
bon  catholique,  mais  boudé  ou  dédaigné  par  le  parti  régnant 
de  l'époque,  trois  ans  environ  avant  que  la  réforme  eût  été  offi- 
ciellemenl  avouée  dans  nos  murs. 

Nous  tenions  a  donner  ces  renseignements  et  nous  en  don- 
nerons encore  d'autres  pour  montrer  une  fois  de  plus  la  faus- 

•  Ce  furent  les  Français  réfugiés  pour  cause  de  religion,  ou  plutôt  leure 
fils  ou  petits-fils  qui  importèrent  à  Genève  le  goût  éminemment  aiilinalional 
des  qualifications  nobiliaires,  entre  autres  celle  dCécuyer.  Encore  est-il  certain 
que  la  plupart  ne  pouvaient  revendiquer  d'autre  noblesse  que  celle,  plutôt  per- 
sonnelle qu'héréditaire,  que  les  premières  charges  de  la  république  avaient 
conférée  à  leurs  pères. 


218 

stlé  complète  de  deux  opinions  également  accréditées  parmi 
ceux  qui  n'ont  pas  étudié  noire  histoire  à  ses  sources.  L'une, 
très-bien  venue  de  nos  ennemis ,  consiste  à  représenter 
les  premiers  libérateurs  de  Genève  comme  autant  de  tribuns 
du  peuple,  véritables  jacobins  de  l'époque,  sortis  des  derniers 
rangs  de  la  nation  ;  tandis  qu'ils  appartenaient  presque  tous  aux 
familles  les  plus  riches,  les  plus  anciennes  et  les  plus  considé- 
rées ai'  la  ville,  qu'ils  étaient  presque  tous  apparentés  ou  alliés 
aux  plus  nobles  maisons  chevalières  des  environs,  et  que,  sous 
ce  rapport,  leur  position  était,  sauf  quelques  exceptions,  géné- 
ralement meilleure,  ou  tout  au  moins  beaucoup  plus  homo- 
gène que  celle  de  leurs  ennemis  les  Mamclucs,  i;,ens  dévoués  ou 
vendus  à  la  maison  de  Savoie;  et  certes  ce  u'esi  pas  un  de 
leurs  moindres  titres  de  gloire  d'avoir  sacrifié  tout  cela  à  l'indé- 
pendance de  leur  pays  avec  la  certitude  d'avoir  tout  à  perdre 
et  rien  à  gagner  sous  le  rapport  des  honneurs  et  de  la  fortune*. 
—  L'autre  erreur  consiste  a  confondre  la  lutte  libératrice  des 
Eydguenots  avec  la  réforme  religieuse  de  1535,  tandis  qu'il  est 
bien  avéré  que  la  majorité  de  ceux  qui  firent  cette  dernière  ré- 
volution, n'aurait  pas  même  été  d'âge  à  figurer  au  bon  moment 
parmi  les  champions  de  la  première  lutte,  laquelle  avait  déjà 
commencé  avant  le  seizième  siècle,  pour  n'aboutir  entièrement 
que  !)eu  d'années  avant  la  réforme.  On  trouve  sans  doute  parmi 
les  premiers  jtrolestants  quelques  noms  qui  avaient  déjà  figuré 
parmi  les  Eydguenots;  mais  en  y  regardant  de  plus  près,  on 
pourra  se  convaincre  que  la  plupart  n'y  étaient  entrés  que  d;ms 
les  dernières  années,  et  qu'ils  n'y  jouèrent  qu'un  rôle  tout  à  fait 
subalterne  et,  pour  quelques-uns  même,  peu  honorable,  jusqu'au 
moment  où  ce  parti,  privé  de  ses  chefs,  fut  débordé  par  des  ten- 


'  Berlhelier  iui-uièino  était  qualifié  de  noble  longtemps  avant  son  entrée 
au  (Conseil.  Selon  toute  apparence  sa  i'amille  descendait  d'une  branche  de 
l'illuslre  maison  de  Hogeniont  qui  avait  pris  ce  nom.  Il  épousa  No  Amblarde 
Du(]rest  qui,  quinze  ans  après  sa  mort,  se  remaria  avec  No.  Rezanson  Du- 
.Mur,  ancien  Eydgiif-not,  puis  Peneysan. 


219 

(lances  toutes  nouvellt  s  à  Genève.  D'ailleurs  nous  pourrions 
ausbi  nommer  piii  mi  les  protestants  les  plus  fougueux  quelques 
anciens  i/anu/ut.s,  voire  niênie  de  ceux  qui  avaient  été  baiser  la 
main  ducale  à  Sainl-Julieo  en  1519.  Le  fait  est  que  l'idée  delà 
réforme  religieuse  et  de  l'expulsion  de  l'évêque  n'était  jamais 
entrée  dans  le  programme  des  véritables  Eydguenots:  ceux-ci 
ne  voulaient  pas  autre  chose  que  ramener,  à  l'aide  de  l'alliance 
suisse,  la  constitution  de  Genève  à  sa  pureté  primitive,  c'est-a- 
dire  à  l'état  d'une  ville  libre,  gouvernée  par  ses  propres  magis- 
trats sous  la  souveraineté  plus  nominative  que  réelle  de  son 
chef  spirituel  et  de  l'empire.  Tant  que  Genève  eut  des  princes- 
évêques  dignes  de  ce  nom,  celle  position  avait  paifailement 
sufïi  à  son  bonheur,  ainsi  qu'à  !a  défendre  contre  ses  ennemis  na- 
turels, pendant  que  tant  de  républiques  bien  autrement  puissantes 
étaient  tombées.  Sa  consùtulion  politique  avait  même  résisté 
aux  attaques  de  ses  propres  évêques,  ligués  avec  ses  plus  cruels 
ennemis.  Â  plus  forte  raison  eût  e'de  pu  suffire,  comme  ce  fut 
le  cas  pour  d'autres  cantons  placés  d.ns  des  circonstances  ana- 
logues, sous  l'égide  de  la  nation  la  plus  redoutée  de  l'épocjne 
par  ses  armes.  Au  lieu  de  cela,  grâce  à  la  façon  turbulente  avec 
laquelle  la  réforme  religieusf  se  présenta  chez  nous,  Genève 
perdit  ses  alliés  les  p'us  ani  iens,  les  plus  chauds  et  les  plus 
désintéressés,  les  Fribourgeois  (ainsi  que  Tappui  des  cantons  ca- 
tholiques), pour  se  mettre  sous  la  tutelle  et  comme  '.■>  la  merci  de 
la  puissante  république  bernoise,  dont  la  conduite  dans  ces  cir- 
constances fut  tout  autre  que  généreuse  ou  désintéressée.  On  n(; 
saurait  iionc  en  vouloir  aux  anciens  Eydguenols,  a  ces  premiers  li- 
bérateurs de  Genève,  qui  vécurent  assez  pour  voir  leur  œuvre  ex- 
ploitée et  entièrement  détournée  de  son  bnt  par  des  gens  tarés 
pour  la  plupart  et  certainement  incapables  de  savoir  où  ils  nous 
menaient,  on  ne  sainait  leur  en  vouloir  d'avoir  préféré  l'exil  et  la 
foi  de  leurs  pères  aux  nouvelles  doctrines.  Ce  fut  même  le  plus 
grand  de  tous  leurs  sacrifices,  puisqu'il  rendait  les  précédents  inu- 
tiles pour  eux.  D'ailhurs,  ceux  qui  ne  s'étaient  pas  retirés  à  temps 


220 

furent  haniiis,  leurs  biens  confisqués,  et  leurs  familles  persé- 
cutées par  le  gouvernement  réformé.  A  notre  avis,  on  ne  sau- 
rait même  en  vouloir  à  ceux  des  anciens  Eydguenots  qu'un 
excès  de  fidélité  légitimiste  poussa  ii  figurer  encore  sur  leurs 
vieux  jours  parmi  les  courageux  défenseurs  du  château  épisco- 
pal  de  Peney,  gens  que  l'on  ne  doit  pas  considérer  comme  des 
traîtres,  mais  comme  les  Vendéens  de  l'époque.  Car  la  cause 
qu'ils  défendaient  était  encore,  même  à  Genève,  celle  de  la 
légitimité*;  mais  n'anticipons  pas  sur  les  événements  et  ache- 
vons ce  qui  tient  à  la  personne  de  Bezanson  Hugues,  avant 
de  le  mettre  en  scène. 

L'opinion  la  plus  généralement  répandue  parmi  ceux  qui 
en  ont  une  à  ce  sujet,  se  figure  Bezanson  Hugues  comme  une 
sorte  de  Nestor  genevois,  grave  mélange  de  Sullv,  de  Washington 
et  de  Nicolas  de  Flùe,  et  c'est  ainsi  que  l'a  représenté  notre 
peintre  national  par  excellence.  Il  semble,  en  effet,  qu'on  ne 
saurait  s'imaginer  autrement  le  grand  citoyen  dont  la  présence 
ou  une  lettre  suffisait  pour  rassurer  tous  les  esprits  dans  les 
moments  les  plus  critiques;  le  magistrat  imposant  dont  l'élo- 
quence à  la  fois  douce  et  ferme  dominait  les  assemblées  et  les 
Conseils,  alors  même  qu'il  n'y  occupait  aucune  fonction  offi- 
cielle; l'écrivain,  le  conseiller  insinuant  qui  sut  inspirer,  au 
moins  pour  quelque  temps ,  au  prince-évêque  Pierre  de  la 
Baume  les  seuls  sentiments  dignes  de  lui  qu'il  eût  jamais  :  — 
l'habile  négociateur  qui  savait  si  bien  émouvoir  et  entraîner  aux 
récits  des  malheurs  de  sa  patrie,  ces  hommes  de  fer  qui  com- 
posaient les  Conseils  de  Berne  et  de  Fribourg.  où  sa  place  était 
marquée  d'avance  à  la  droite  de  l'avoyer;  enfin,  ce  vénérable 
père  et  sauveur  de  la  patrie  que  les  étrangers  et   jusqu'à  ses 

•  Les  Peneysans,  d'abord  rassemblés  à  Bonne,  occupèrent  le  château  de 
Peney  dès  le  5  septembre  1534;  à  cette  éqoque,  les  institutions  épiscopales 
étaient  encore  en  vigueur  à  Genève.  La  Réforme  elle-même,  malgré  ses 
nombreux  adhérents,  fut  mise  et  remise  en  question  par  les  Conseils  jusqu'à 
la  fin  de  1535.  Ce  ne  fut  que  dans  le  Conseil  Général  du  i\  mai  1536,  que  le 
peuple  genevois  se  prononça  définitivement  siu-  cette  grande  que^stion. 


221 

propres  eiiuemis  continuaient  à  appeler  ainsi,  alors  que  ses  in- 
grats concitoyens  ne  paraissaient  plus  se  souvenir  de  lui  !.... 
Avec  tout  cela  on  n'a  cependant  qu'un  des  côtés  de  cette 
grande  et  noble  figure. 

On  oublie  que  Bezanson  ,  entré  fort  jeune  dans  la  carrière 
j.'iiblique,  chef,  pour  ainsi  dire  malgré  lui,  du  parti  national  dès 
ses  premiers  pas,  mourut  dix-sept  ans  plus  tard,  après  avoir 
vainement  demandé  sa  retraite  des  affaires.  On  oublie  que  ce 
chef  adoré  des  Enfants  de  Genève^  dont  nous  avons  parlé 
plus  haut,  fut  choisi  par  ceux-ci,  qui,  d'accord  avec  tous  les 
citoyens,  le  réélurent  dans  le  moment  le  plus  critique  pour  leur 
capiiaine  général,  fonctions  dans  lesquelles  il  succédait  à  Ber- 
ihelier,  et  qui  exigeaient  les  qualités  physiques  les  plus  brillan- 
tes. On  oublie  surtout  les  dangers  continuels  attachés  aux 
périlleuses  missions  dont  on  le  chargeait  à  tout  instant  pour 
les  cantons  suisses,  à  une  époque  où  il  ne  pouvait  s'y  rendre 
et  ne  revenir  à  Genève  qu'en  traversant  —  par  des  chemins  dé- 
tournés en  trois  ou  quatre  jours  de  marche  ou  de  chevauchée, 
d'autrefois  avec  une  effrayante  rapidité. — le  territoire  de  son  plus 
cruel  ennemi,  le  duc  de  Savoie,  qui  le  faisait  traquer  comme 
une  bête  fauve  par  ses  archers,  par  ses  gens  d'armes  et  surtout 
par  les  gentilshommes  de  la  Cuiller,  dont  les  châteaux  ei  les 
bandes  armées  formaient  comme  autant  de  postes  militaires  en- 
nemis, depuis  les  portes  de  Genève  jusqu'aux  frontières  de 
Berne  et  de  Fribourg, 

Braver  nuit  et  jour  les  rigueurs  des  saisons  ;  s'aventurer  seul 
ou  avec  quelques  amis  seulement  dans  les  défilés  les  plus  dan- 
gereux du  Jura  ei  des  Alpes  ;  être  continuellement  sur  le  qui- 
vive;  se  frayer  un  chemin  la  dague  au  poing  à  travers  les  hal- 
lebardes ducales;  a  peine  arrivé,  consacrer  tout  son  temps  aux 
affaires  de  son  pays;  renouveler  constamment  ces  fatigues 
et  ces  courses  périlleuses,  alors  même  qu'il  était  blessé  ou 
malade  ;  loui  cela  pouvait  paraître  peu  de  chose  pour  le 
capitaine  de  cette  turbulente  jeunesse  genevoise,  si  prompte  à 


222 

(légaînei  les  rapières,  même  entre  amis.  Aussi  ne  raconte-t-il 
des  dangers  courus  par  lui-même  que  ce  qu'il  faut  pour  ren- 
dre justice  au  courage  de  ses  collègues  ou  pour  confondre  les 
insinuations  injurieuses  de  rivaux  jaloux.  Les  seules  craintes 
qui  percent  dans  ses  correspondances,  écrites  toujours  à  la  hâte, 
souvent  des  gîtes  les  plus  aventureux,  c'est  de  ne  pouvoir  ar- 
river à  sa  destination,  ou  d'y  être  devancé  par  les  espions  ou 
par  les  messagers  ducaux  ;  c'est  d'ignorer  ce  qui  peut  se  pas- 
ser de  fâcheux  à  Genève  pendant  son  absence;  c'est  enfin  ce 
qui  lui  inspire  une  sollicitude  aussi  discrète  que  touchante  pom" 
sa  jeune  famille,  et  pour  celle  de  son  beau-frère  Baud  que  l'ab- 
sence de  tous  deux  laissait  sans  protection  fiarmi  tant  d'ennemis 
secrets  ou  déclarés.  Ce  qu'il  y  a  de  vraiment  grand  dans  Bezan- 
son  Hugues,  c'est  encore  cette  réunion  de  tant  de  qualités  mora- 
les et  physiques  ordinairement  incompatibles:  beaucoup  de  dou- 
ceur et  de  sensibilité  réunies  à  un  courage  et  à  une  force  de 
volonté  a  toute  épreuve;  une  modération,  un  esprit  de  tolé- 
rance et  de  conciliation  rares  chez  tout  homme  politique,  mais 
qui  tiennent  du  prodige  chez  un  chef  de  parti  aussi  zélé  et 
aussi  actif;  enfin  une  habileté  diplomatique,  une  clarté  de  vues, 
une  supériorité  d'intelligence  et  une  sagesse  politique  qui  ne 
s'acquièrent  ordinairement  qu'après  une  longue  expérience,  et 
qu'il  posséda  d'emblée,  sans  renoncer  h  aucun  des  devoirs,  à 
aucune  des  prérogatives  de  la  jeunesse.  Car,  on  ne  saurait  assez 
le  répéter:  Bezanson  Hugues  ne  pouvait  guère  avoir  plus  de 
vingt-cinq  à  vingt-six  ans  lorsqu'd  fut  appelé  au  Conseil  (1515), 
et  il  n'en  avait  donc  guère  plus  de  quarante  lorsque,  seize  ans 
plus  tard,  un  an  avant  sa  mort,  il  demanda  instamment,  en  allé- 
guant ses  services,  son  âge  et  ses  enfants,  qu'on  voulût  bien 
enfin  le  dérharger  de  ses  offices  (notamment  de  celui  de  capi- 
taine général),  dans  lesquels  on  le  retenait  comme  prisonnier 
contre  toute  espèce  de  discrétion  et  d'humanité.  Ce  qu'il  faut 
dire,  c'est  que  la  vie  de  fatigues,  de  privations  et  d'émotions 
de  toute  nature  à  laquelle  il  s'était  voué  pendant  quinze  ans, 


était  au-dessus  des  forces  morales  et  physiques  de  l'homme  ;  et 
que  l'ingratitude  de  ses  concitoyens,  pour  lesquels  il  avait  sa- 
crifié son  repos  et  sa  fortune,  acheva  rapidement  de  ruiner  et  de 
pousser  au  tombeau  cette  existence  déjà  brisée  au  service  de  la 
patrie. 

La  bourgeoisie  de  Fribourg  acquise  par  Bezanson  Hugues, 
Berthelier  el  leurs  quatre  amis  susnommés,  ne  pouvait  pour  le 
moment  profiter  qu'à  eux;  ce  n'était  qu'un  acheminement  à 
quelque  chose  d'un  intérêt  plus  général  dans  un  avenir  plus  ou 
moins  éloigné  ;  les  Friboiirgeois  ne  le  prouvèrent  que  trop 
en  venant  s'emparer  à  main  armée  du  président  du  parlement 
de  Dijon,  M.  de  Villeneuve,  dont  ils  avaient  exigé  l'incarcéra- 
tion. Il  s'agissait  là  d'une  de  ces  affaires  qui  ne  regardaient  ni 
l'évOque,  ni  les  citoyens,  mais  auxquelles  Genève  se  trouvait  si 
souvent  exposée  en  sa  qualité  de  ville  libre,  neutre  el  ouverie 
à  tout  le  monde.  Dans  cette  occasion,  le  Conseil,  et  surtout 
Pierre  Lévrier  (également  bourgeois  de  Fribourg)  résistèrent 
jusqu'au  bout  et  épuisèrent  toutes  les  voies  de  la  persuasion. 
II  fallut  céder  à  la  force  brutale  ^  Aussi  fut-on  si  peu  r;issuré 
lorsque,  quelque  temps  après,  les  Suisses  firent  annoncer  qu'ils 
comptaient  traverser  Genève  <t  y  prendre  étape  en  grand 
nombre,  qu'en  outre  de  toutes  les  mesures  de  sûreté  pour  la 
ville,  pour  les  personnes  des  magistrats,  on  donna  une  coupe 
de  froment  à  chacun  des  quatre  cou\ents  afin  d'en  obtenir  de 
ferventes  prières  pour  le  salut  de  la  ville.  Le  fait  est  qu'à  Ge- 
nève comme  partout  on  craignait  la  brutalité  el  les  habitudes 
de  pillage  de  ces  hôtes  importuns.  Pour  éviter  toute  chauct-  de 
dispute,  on  ordonna  aux  habitants  de  leur  donner  tout  ce  qu'ils 
demanderaient  ;  on  recommanda  les  manières  les  plus  douces  et 

*  M.  Picol  fait  tort  aux  syndics  en  prétendant  qu'ils  cédèrent  làrlievi-ent 
et  licrèrmt  le  niallieureux  président.  Le  l'ait  est  iprils  résislèi'ent  pendant 
trois  semaines,  et  ne  cédèrent  (ju'à  la  force  brutale  et  à  Tordre  positif  du 
prince-évêipie  de  ne  pas  pousser  plus  loin  la  résistance. 


22^ 

les  plus  polies;  enfin  on  promit  de  ilédonimager  ceux  à  qui  ils 
auraient  pris  quelque  chose  sans  le  payer.  Ces  détails  sont  né- 
cessaires pour  montrer  combien  les  sympathies  genevoises 
étaient  encore  plus  favorables  aux  populations  déjà  hostiles  qui 
avoisinaient  notre  ville  qu'à  ces  Suisses  qui.  hors  de  leurs  fron- 
tières, n'étaient  rien  moins  que  les  champions  de  la  liberté  et 
de  la  justice.  —  Nous  passons  quantité  d'autres  faits  de  ce 
genre,  ainsi  qu'une  foule  de  nouvelles  infractions  tantôt  détour- 
nées tantôt  ouvertes  de  l'évéque,  du  duc  et  du  vidomne,  pour 
arriver  enfin  à  Bezanson  Hugues. 

Le  prieur  de  Saint- Victor,  Jean-Amédée  Bonivard ,  oncle 
du  prisonnier  de  Chiilon  \  mourut  dans  les  derniers  jours  de 
1514-,  laissant  à  son  couvent  quatre  pièces  d'artillerie,  qui  lui 
appartenaient  en  propre,  pour  en  faire  des  cloches.  Le  même 
jour  les  syndics  se  hâtèrent  d'en  faire  l'acquisition  qui  fut  ap- 
prouvée le  lendemain  par  le  Conseil  des  L.  Le  duc  ne  l'eut 
pas  plutôt  appris,  qu'il  écrivit  pour  que  cette  artillerie  fût  re- 
mise à  son  vidomne.  Nanti  de  la  lettre  du  duc,  le  Conseil  des 
L  prit  la  résolution  pacifique  de  prier  Son  Altesse  de  se  dé- 
sister de  sa  demande  en  vue*  du  besoin  que  la  ville  avait  de 
ses  pièces  pour  la  défense  de  Sainl-Gervais.  Aussitôt  l'on  vit 
entrer  dans  la  salle  Bezanson  Hugues  à  la  tête  d'un  grand  nom- 
bre de  citoyens  et  bourgeois,  au  nom  desquels  il  déclare 
«  qu'ils  ne  aouffrironl  pas  que  cette  artillerie  soit  remise  au 
vidomne  quand  la  ville  en  a  un  si  pressant  besoin.  »  Telle 
fut  la  première,  apparition  de  Bezanson  dans  les  affaires  pu- 
bliques; la  première,  parce  qu'il  n'y  avait  que  deux  mois  que 
son  père,  le  conseiller  ancien  syndic  Conrad ,  était  mort,  et 
qu'à  cette  époque  les  fils  se  taisaient  encore  devant  leurs  pères-; 

'  Celui-ci  s'aUi'ibue,  dans  ceUe  occasion  et  dans  beaucoup  d'autres,  un 
rôle  important  dont  les  registres  ne  disent  pas  un  mot,  et  qu'ils  contre- 
disent même  souvent  de  la  manière  la  plus  formelle. 

*  Son  beau-frère  Jean  Baud  l'ut  le  premier  exemple  d'un  (ils  nommé  syn- 


225 

il  entrait  d'ailleurs  îi  peine  dans  sa  majorité  civile.  Au  fond, 
cette  démarche  tenait  davantage  du  caractère  de  Berthelier 
que  du  sien;  mais  Berthelier  n'aurait  pu  la  faire  en  quahté 
de  conseiller.  Il  ne  faut  pas  oublier  non  plus  que  les  conseils 
contenaient  un  grand  nombre  de  traîtres  vendus  au  duc,  lesquels 
gênaient  extraordinairement  leurs  délibérations ,  si  bien  qu'on 
ne  pouvait  souvent  pas  faire  aboutir  celles-ci  autrement  qu'en 
provoquant  quelque  vigoureuse  manifestation  de  l'opinion  pu- 
blique, dans  ce  genre.  Enfin  les  événements  qui  suivirent 
nous  permettent  de  dire  que  Bezanson  Hugues  agit  dans 
celte  occasion  surtout  en  vue  de  la  fortification  du  bourg  de 
Saint-Gervais  '  qu'il  habitait ,  et  dont  les  habitants  l'affection- 
naient particulièrement.  Quoi  qu'il  en  soit ,  cette  première  dé- 
marche suffit  pour  lui  attirer  la  haine  de  l'évêque  et  du  duc  de 
Savoie,  et  cela  d'autant  plus  que  ces  princes  avaient  pu  le  re- 
garder d'avance  comme  l'un  des  piliers  de  leur  parti,  à  cause 
de  son  alliance  récente  avec  Claudia  de  Fernex^,  sœur  de 
Pierre  de  Fernex,  qu'ils  savaient  leur  être  dévoué;  mais  cette 
démarche  suffit  également  pour  montrer  aux  Genevois  qu'ils  trou- 
veraient en  lui  un  défenseur  ferme  et  courageux  de  leurs  intérêts; 
aussi  fut-il  porté  au  Conseil  dès  les  élections  suivantes. 

En  attendant,  le  duc  de  Savoie,  aidé  de  son  digne  séide  l'évêque 
Jean,  faisait  négocier  à  Rome  la  remise  entre  ses  mains  de  la 
juridiction  criminelle  de  Genève,  laquelle  juridiction  n'appar- 
tenait qu'aux  syndics.  Le  collège  des  cardinaux  s'y  opposait  en 

die  du  vivant  de  son  père  ;  encore  cette  distinction  lui  vint-elle  comme 
beau-frère  et  ami  de  Bezanson,  et  surtout  à  cause  de  l'extrême  difficulté  de 
trouver  des  sujets  fidèles.  Plus  tard  on  vit  des  pères  conseillers  présidés  par 
leurs  fds  syndics. 

»  Saint-Gervais  était  alors  considéré  moins  comme  un  faubourg,  ainsi  qu'on 
se  plaît  à  le  croire,  que  comme  un  bourg  distinct  de  la  cité,  et  qui  souvent 
eut  à  agir  comme  tel,  quoique  appartenant  à  la  ville  ;  sa  position  ouverte  et 
riante  au  bord  du  Rhône,  comparée  aux  rues  grimpantes,  étroites  et  tor- 
tueuses de  la  cité,  en  faisait  alors  le  séjour  préféré  de  plusieurs  des  familles 
les  plus  riches  et  les  plus  considérées  de  Genève. 

*  Elle  était  lille  de  No.  Jean  de  Fernex  ,  syndic  ,  et  de  No.  Guillemette 
délia  Riva  de  Visron. 


226 

déclarant  qu'on  ne  pouvait  l'ôter  aux  syndics  que  dans  le  cas 
où  une  rébellion  patente,  accompagnée  d'un  attentat  contre  les 
jours  de  leur  prince-évêque  prouverait  que  celui-ci  ne  pouvait 
demetirer  en  sûreté  avec  eux  sans  une  protection  spéciale. 
C'est  pour  prouver  que  cette  rébellion  existait  et  que  des  at- 
tentats avaient  été  commis,  que  les  deux  princes  intentèrent 
ensuite  les  procès  de  Bertlielier,  de  Jean  l'écolat,  d'Ami  de 
Joie,  etc.,  sous  des  accusations  que  le  phis  simple  bon  sens  de- 
vait répudier  à  Genève,  mais  qui  pouvaient  paraître  très-plau- 
sibles à  Rome,  grâce  aux  résumés  partiaux  qu'auraient  l'ait 
de  ces  procès  les  officiers  judiciaires  du  parti  ducal  ;  car  le 
duc  et  son  cousin  pensaient  bien  que  l'indolence  et  les  occu- 
pations des  cardinaux  italiens  les  auraient  détournés  de  la  lec- 
ture des  interminables  procès-verbaux  sténographiés  séance  te- 
nante, où  ils  eussent  pu  découvrir  la  vérité. 

Tout  en  développant  les  principales  phases  de  l'histoire  ge- 
nevoise comme  canevas  indispensable  de  notre  sujet,  nous  ne 
devons  pas  laisser  ignorer  les  petits  faits  accessoires  relatifs  à 
Bezanson  Hugues.  A  celle  époque  il  était  d'usage  d'amodier 
aux  particuliers  les  places  de  la  ville  pour  les  besoins  du  com- 
merce et  de  l'industrie.  Bezanson  :imonia,  le  11  avril  1515, 
pour  13  florins  par  an  celle  du  Molard,  par  l'entremise  de  son 
serviteiir  ou  commis,  François  Bernard  ;  ce  fait  prouve  'qu'il 
était  alors  dans  le  commerce. — Au  commencement  de  l'année 
suiv;inte  le  prédicateur  de  la  Madeleine  scandalisa  tellement  ses 
ouailles  par  les  injures  qu'il  proférait  en  chaire,  entre  autiesen 
traitant  le  peuple  de  Genève  de  nigaud  (stolidus),  qu'on  menaça 
le  vicaire  d'assembler  le  Conseil  Général  au  son  de  la  Clémence, 
s'il  n'y  mettait  ordre.  Il  paraît  cependant  que  ces  prédications 
continuèrent  sur  le  même  ton,  car  le  10  juin  Bezanson  Hugues, 
Antoine  de  Versonnex  et  plusieurs  autres  bourgeois  vinrent 
demander  an  conseil  que,  pour  éviter  des  scandales,  on  fît  enfin 
justice  de  cet  énergumène,  qui  avait  dit  entre  autres  «que  toutes 
les  femmes  qui  avaient  jtorté  ou  qui  portaient  encore  l'habit  de 


227 

saint  François  élaienl  des  libaudes  et  des  lilles  de  joie.«  Celte 
fois  la  clrose  fut  arrangée  entre  les  syndics,  le  vicaire  général  et  le 
conseil  épiscopal. — Ona  préleiidii  trouvera  Genève  à  cette  épo- 
cjue,  et  même  déjà  longtemps  avant,  des  indices  précurseurs  de  la 
réforme.  Mais  le  lait  est  que  les  Genevois,  quoique  peu  dis- 
posés à  la  superstition  proprement  dite,  étaient  nlors  et  res- 
tèrent jusqu'au  dernier  moment  d'un  catholicisme  plutôt  exagéré, 
snriout  pour  ce  qui  tenait  aux  pratiques  extérieures  de  leur 
religion.  Nous  en  pourrions  cMer  qui  faisaient  partie  de  14coii- 
fréries  à  la  l'ois;  les  processions  surtout  étaient  très  en  hon- 
neur, et  jam;iis  le  conseil  n'entrait  eu  séance  sans  avoir  d'abord 
entendu  une  messe  dans  la  chapelle  de  la  maison  de  ville.  Par 
contre,  les  Genevois  tenaient  esseniiellement  à  une  bonne  pré- 
dication et  payaient  largement  pour  l'obtenir;  cette  année 
même  et  dans  bien  d'autres  occasions  ils  firent  tout  ce  qu'ils 
purent  auprès  des  principaux  dignitaires  du  clergé  pour  obtenir 
les  meilleurs  prédicateurs  possibles.  Plus  d'une  fois  aussi  les 
magistrats  rappelèrent  à  l'ordre  les  moines  de  iel  ou  tel  couvent 
dont  les  mœurs  étaient  loin  il'être  exemplaires. 

Selon  touîe  apparence,  ce  lut  à  cette  époque  (1515  ou 
1516),  après  une  série  de  nouvelles  vexations  du  duc,  de  l'é- 
vêqiie  et  de  leurs  officiers,  que  Berthelier  institua,  parmi  les 
Enfants  de  Genève .  l'association  du  qui  touche  l'un  louche 
Vautre,  par  laquelle  il  devenait  impossible  à  leurs  ennemis,  à 
moins  de  procéder  par  surprise,  d  en  arrêter  un  seul  sans  que 
les  autres  tussent  aussitôt  rassemblés  aux  coups  de  sifflet  de 
leurs  chefs.  Les  partisans  de  Berthelier  se  réunissaient  de  pré- 
férence chez  un  traiteur  du  Molaid,  et  ce  fut  la  sans  doute  que 
germèrent  les  premières  idées  d'une  alliance  avec  les  Suisses'. 
Il  est  à  remarquer  qu'il  n'y  eut  jamais,  maigre  leur  extrême 

>  Les  indépendants  se  réunissaient  aussi  tréqueminent  au  couvent  de 
Palais  (Voyez  les  procès  de  Tocpiet,  d'An»!  de  Joie,  etc.  Galiffe,  Materinux 
t.  II».  Quant  aux  Mamelucs,  ils  s'assemblaient  au  couvent  de  Kive  ,  chez 
Hugonin  l-';ivre  et  chez  le  vidonine  Hugues  de  Rogeniont. 


228 

différence  de  caractère,  le  moindre  indice  de  désaccord  ou 
même  de  froideur  entre  ces  trois  grands  citoyens  qui  furent 
simultanément  et  à  tour  de  rôle  à  la  tête  du  parti  national. 
Non-seulement  Berihelier  avait  désapprouvé  la  mutinerie  des 
Enfants  de  Genève  contre  le  syndic  Lévrier,  mais  c'était  grâce 
à  lui  que  ce  doyen  des  patriotes  genevois  était  rentré  en  fonc- 
tion. Quant  a  Bezanson  Hugues  qui,  bien  que  plus  jeune  que 
Berthelier,  procédait  plutôt  de  Lévrier  par  le  genre  et  la  pré- 
cocité de  ses  talents,  jamais  homme  ne  fut  moins  que  lui 
accessible  à  ces  mesquines  jalousies  qui  désunissent  si  souvent 
les  partis  politiques,  et  à  Genève  peut-être  plus  que  partout 
ailleurs.  Dès  longtemps  il  savait  quel  ardent  patriotisme  était 
caché  sous  les  formes  i^aies,  brillantes  et  enjouées  de  Berthelier, 
et  mieux  que  personne  il  savait  combien  ces  formes  raénie 
servaient  à  rallier  et  à  maintenir  fidèle  celte  jeunesse  turbu- 
lente sur  laquelle  reposait  l'avenir  du  pays.  Le  seul  reproche 
sérieux  qu'on  puisse  faire  à  Berthelier,  c'est  précisément  cette 
audace  dédaigneuse  qui  le  portail  a  narguer  et  à  apprendre 
à  ses  compagnons  à  narguer  de  même  par  des  plaisanteries 
publiques,  comme  celle  des  fifres  et  tambours,  ces  ennemis 
qui  n'attendaient  qu'une  légère  aggravation  des  charges  qu'ils 
avaient  successivement  amassées  contre  lui  pour  le  perdre 
à  tout  jamais.  La  plaisanterie  bien  connue  de  la  mule  crevée 
du  docteur  Gros,  juge  des  trois  châteaux  épiscopaux  (Peuey, 
Jussy  et  Thies)  fut  travestie  en  crime  de  lèse-majesté  par  l'é- 
vêque,  qui,  avant  et  depuis  son  avènement,  n'avait  lui-même 
cessé  d'enfreindre  son  serment  et  les  franchises  de  la  ville  de 
la  manière  la  plus  inique.  Berthelier  et  ses  compagnons  furent 
cités  à  son  de  lron)pe  comme  des  malfaiteurs  sous  la  peine 
d'une  amende  que  les  lois  interdisaient  positivement.  Au  lieu 
d'obéir,  Berihelier  intenta  au  vidomne  un  procès  pour  cette  nou- 
velle infraction,  et  ses  compagnons  ne  changèrent  rien  à  leur 
conduite  ordinaire  jusqu'au  moment  où  l'évêfjue  furieux  arriva 
en   personne  [)Our   exiger   l'arrestation  de  Berthelier,  contre 


229 

lequel  il  prélentlait  avoir  des  informations  siiflisanles.  Berlhelier 
eiil  le  temps  de  s'évader;  mais  on  arrêta  Jean  Pécolat,  qui, 
loin  de  se  couper  la  langue,  comme  le  prétend  Bonivard,  fit  à 
la  torture  tous  les  aveux  qui  lui  furent  dictés,  ainsi  que  ses 
propres  amis  inculpés  par  lui  le  déclarèrent  ensuite  sans  lui  en 
vouloir  le  moins  du  monde.  Ceux  qui  résistaient  à  la  torture 
étaient  singulièrement  rares,  et  le  malheureux  Pécolat  n'y 
était  préparé  ni  par  ses  antécédents  qui  n'avaient  rien  de  bien 
honorai)les,  ni  par  sa  santé  qui  était  des  plus  cliétives  *. 
On  ne  tarda  pas  à  savoir  où  Berthelier  s'était  réfugié  en 
voyant  arriver,  peu  de  jours  après,  un  ambassadeur  de  Fri- 
bourg,  qui  renouvela  au  sujet  de  ce  combourgeois  toutes  les 
menaces  faites  dans  le  temps,  lors  de  l'emprisonnement  de 
Lévrier.  Il  termina  son  discours  en  disant  que  «  ses  concitoyens 
mettraient  bon  ordre  à  tout  cela;  qu'ils  viendraient  en  armes 
arrêter  le  gouverneur  de  Vaud,  les  nobles  du  pays  et  quelques 
Genevois  (du  parti  ducal)  pour  les  traiter  comme  on  aurait 
traité  leur  combourgeois,  »  Mais  cette  menace  dune  visite  en 
armes  déplut  autant  à  la  ville  qu'au  parti  ducal,  si  bien  que 
les  propres  amis  de  Berthelier  préférèrent  se  soumettre  et 
demander  un  sursis  au  procès,  déjà  porté  devant  la  cour 
méiropohiaine  de  Vienne.  Il  faut  tenir  compte  de  cette  terreur 
continue  des  Suisses  pour  comprendre  tous  les  préjugés  que 
Bezanson  Hugues  eut  h  vaincre  pour  faire  aboutir  ses  projets. 
L'évêque,  qui  s'était  sauvé,  revint  bientôt  avec  Son  Altesse  ; 
le  duc  fut  reçu,  comme  à  chaque  visite,  avec  les  honneurs  et  les 
présents  accoutumés;  quant  à  l'évêque,  on  lui  demanda  aussi- 
tôt justice  d'un  attentat  qu'il  s'était  permis  contre  Pierre  d'Or- 

*  11  va  sans  dire  que  dans  ce  cas,  comme  dans  les  autres  du  même  genre, 
l'interrogatoire  et  la  détention  des  prévenus  n'avaient  pas  lieu  à  Genève,  oii 
le  peuple  aurait  pu  délivrer  les  inculpés,  mais  dans  les  châteaux  épiscopaux 
de  Thies,  de  Jussy  ou  de  Peney,  où  la  ville  n'avait  rien  à  voir.  —  Jean  Pé- 
colat était  un  bon  vivant  parasite,  assez  mauvais  sujet,  et  qui  tenait  toute 
son  importance  de  la  mémoire  de  son  père  et  de  l'amitié  de  Berthelier. 
Tome  XI.  iQ 


230 

sières,  qu'on  lui  avait  envoyé  <n  ambassade  pour  ie  prier  de 
revenir.  En  attendant,  rintrépide  Berllieiier  était  revenu  de  Fri- 
bourg,  s'était  remis,  en  qualité  de  capitaine  général,  à  la  tête  des 
Enfants  de  Genève ,  et  organisait  des  mesures  de  sûreté  ; 
car  il  savait  que  le  duc,  présent  a  Genève,  avait  préparé  un 
coup  de  main  avec  les  nobles  des  environs  et  les  traîtres  de  lin- 
térieur  pour  semparer  de  la  ville  par  trahison.  Au  lieu  décela,  le 
duc  et  l'évêque  se  trouvèrent  eux-mênies  comme  prisonniers. 
Ce  fut  la  un  grand  tort  aux  yeux  des  princes,  et  Tévéque  n'hé- 
sita pas  à  travestir  en  nouveau  crime  de  lèse-majesté  les  précau- 
tions que  Berthelier  avait  prises  pour  lui  conserver  sa  capitale. 

Cependant  Berthelier  avait  profité  de  son  dernier  séjour  à 
Fribourg  pour  renouer  les  fils  du  projet  d'alliance,  et,  y  étant 
retourné,  il  avait  su  persuader  a  pkisieurs  des  principaux  bour- 
geois de  cette  ville  de  venir  a  Genève  se  mettre  en  relation  avec 
Bezanson  Hugues ,  que  Ion  commençait  déjà  à  considérer 
comme  l'homme  le  plus  propre  à  ces  négociations.  De  son 
côté,  Bezanson  Hugues  profitait  de  ses  relations  commerciales 
pour  mettre  de  nouveaux  Genevois  en  rapport  avec  Fribourg  et 
étendre  ainsi  le  plus  possible  ces  combourgeoisies  individuelles 
qui  augmentaient  naturellement  les  occasions  d'intervention 
fribourgeoise  a  Genève.  Grâce  à  tout  cela,  le  parti  national  avait 
si  bien  repris  courage  que  le  duc  et  l'évêque  ne  jugèrent  pas 
prudent  d'attendre  le  prochain  Conseil  général  pour  s'en  aller. 
Informé  de  ce  qui  se  passait ,  l'évêque  voulut  y  couper  court 
en  faisant  subitement  arrêter  quatre  des  principaux  négociateurs, 
parmi  lesquels  Pierre  Lévrier  et  Bezanson  Hugues  devaient 
naturellement  être  compris;  mais  ses  officiers  ne  jugèrent  pas 
la  chose  prudente,  surtout  en  présence  de  quelques  Friboui- 
geois  qui  se  trouvaient  à  Genève.  Quelque  temps  après,  Bezan- 
son étant  syndic,  le  duc  et  l'évêque  pensèrent  le  dégoûter 
des  alVaires  publiques  en  lui  faisant  intenter  un  procès  par  l'une 
de  leurs  créatures  sur  un  fait  relatif  à  son  syndicat.  Mais  le 
Conseil  décida  que  ie  procès  regardait  la  communauté  et  non 


231 

les  syndics  comme  particuliers.  Certes  si  (|uelque  chose  pouvait 
encore  contribuer  a  la  haine  que  les  princes  portaient  à  Bezan- 
sou  Hugues  comme  chef  du  parti  national,  c'était  son  extrême 
habileté  a  déjouer  leurs  complots  et  l'impossibilité  où  il  les 
mettait  piar  sa  conduite  privée  et  publique  d'alléguer  la  moindre 
chose  contre  lui. 

Le  Conseil  général  du  7  février  1518  débuta  par  l'adoption 
de  quelques  résolutions  générales  dignes  de  la  république  nais- 
sante \  et  élut  pour  syndics  les  nobles  Pierre  Montyon,  Jean- 
Louis  Ramel,  Claude  Vandel,  allié  a  la  noble  maison  du  Fres- 
noir-Chuit  et  Bezanson  Hugues,  le  plus  jeune  des  conseillers. 
Jean-Louis  Ramel  et  Claude  Yandel,  étaient  et  restèrent 
bons  citoyens  ;  mais  on  s'était  trompé  en  comptant  sur  la  con- 
stance de  la  fidélité  de  Montyon,  beau-frère  comme  Hugues  de 
ce  Pierre  de  Fernex  qui  était  secrètement  dévoué  au  duc.  La 
femme  de  Hugues  suivit  fidèlement  son  parti,  tandis  que  celle 
de  Montyon  entraîna  son  mari  dans  le  sien  ^.  Cette  parenté 
avait  été  contractée  à  une  époque  où  personne  ne  pouvait 
encore  suspecter  le  civisme  de  Pierre  de  Fernex,  à  plus  forte 
raison  celui  de  Montyon,  qui  resta  fidèle  encore  quelque  temps; 
elle  suffit  dans  la  suite  aux  ennemis  de  Hugues  pour  jeter  des 
doutes  sur  sa  propre  sincérité. 

Nous  avons  dit  que  Bertheher  était  retourné  à  Fribourg; 
plus  que  personne  il  désirait  que  le  procès  entamé  contre  lui 
eût  enfin  son  cours  régulier.  Son  désir  étant  partagé  par  ses 
combourgeois  de  Fribourg ,  ceux-ci  envoyèrent,  à  cet  effet,  le 
18  février,  un  ambassadeur  k  Genève,  et  demandèrent  un 
sauf-conduit  que  l'évèque  n'osa  leur  refuser;  il  fut  accordé 


•  On  défendit  entre  autres  pour  l'avenir  ce  dangereux  cumul  de  la  magis- 
trature genevoise  avec  les  offices  ducaux  et  épiscopaux ,  qui  avait  rempli 
les  Conseils  de  traîtres  ou  de  gens  vacillant  entre  deux  intérêts  opposés. 

5  Elle  se  remaria  en  secondes  noces  au  seigneur  de  Candie,  noble  sa- 
voyard. 


232 

le  23,  valable  jusqu'à  la  Pentecôte,  et  Berthelier  le  lit  recon- 
naître en  personne  le  2  mars  suivant;  malgré  cela,  le  pro- 
cureur du  vidomne,  Pierre  Navis,  qui  conduisait  l'accusation 
pour  l'évêque,  voulait  absolument  que  Berthelier,  à  peine  arrivé, 
fût  arrêté  et  mis  aux  fers.  Le  parti  ducal  tenait  beaucoup  à 
s'assurer  de  cette  proie  avant  l'expiration  du  sauf-conduit,  d'a- 
bord pour  l'empêcher  d'agir  et  ensuite  pour  décider  sa  mort  sous 
le  premier  prétexte  qui  se  présenterait  ;  il  va  sans  dire  que  le 
Conseil  s'y  refusa  absolument.  En  attendant,  les  prétendues 
pièces  de  conviction  contre  Berthelier  allaient  faire  défaut  à  ses 
ennemis;  car  Pécolat  avait  rétracté  ses  précédents  aveux,  et 
l'appel  à  Vienne  sur  le  procès  de  ce  malheureux  avait  tourné 
contre  ses  persécuteurs.  Il  fallait  donc  que  ceux-ci  se  procurassent 
de  nouveaux  témoignages,  et  les  Genevois  étaient  extraordinai- 
rement  sur  leurs  gardes  depuis  les  dernières  arrestations.  Néan- 
moins deux  jeunes  gens  de  bonne  famille  se  laissèrent  entraîner 
dans  le  plus  infernal  guel-apens  qui  se  puisse  imaginer.  L'un 
d'eux  au  moins  aurait  pu  se  croire  en  sûreté,  car  c'était  le 
propre  fils  du  procureur  Navis,  dont  le  dévouement  à  la  maison 
de  Savoie  était  connu  de  tout  le  monde  ;  l'autre  éiait  un  jeune 
Blanchet  ou  Bidermann,  Ces  jeunes  gens  se  laissèrent  per- 
suader d'accompagner  à  Turin  une  fille  de  mauvaise  vie.  A  peine 
arrivés,  ils  furent  saisis  et  jetés  en  prison,  puis  transférés  au 
château  de  Pignerol;  là,  deux  commissaires  spéciaux,  nommés 
à  cet  effet  deux  jours  avant  le  mandat  d'arrestation  de  ces  infor- 
tunés, leur  firent  immédiatement  leur  procès  et  les  massacrèrent 
dans  la  cour  même  du  château,  sans  doute  pour  que  les  dépo- 
sitions, fabriqué»  s  sous  leurs  noms,  ne  pussent  pas  ensuite  être 
démenties  par  eux.  Pendant  ce  temps,  l'infâme  Pierre  Navis 
demandait  à  Genève,  où  l'on  ne  savait  rien  encore,  un  sursis 
au  procès  de  Berthelier  «  pour  l'audition  de  témoins  qui  étaient 
au  delà  des  monts;  »  il  voulait  encore  que  les  syndics  eux- 
mêmes  s'y  transportassent  pour  les  entendre,  ce  qui  fut  natu- 
rellemeni  refusé,  ainsi  que  de  déléguer  à  cet  effet  leur  pouvoir 


233 

à  d'autres.  Par  contre,  le  Conseil  demanda  ensuite  que  les 
jeunes  Navis  et  Blanchet,  dont  on  n'avait  appris  que  la  captivité, 
fussent  amenés  à  Genève  devant  leurs  seuls  juges  naturels.  On 
ne  sut  que  trop  tôt  ce  qu'ils  étaient  devenus.  Jusque-la  le  duc 
Charles  avait  paru  laisser  agir  l'évêque  seul  dans  l'affaire  Ber- 
thelier  et  s'être  réservé  le  rôle  d'une  neutralité  amicale.  Dans 
les  circonstances  présentes  il  faisait  rappeler  «  son  affection 
pour  la  ville  et  la  communauté,  le  désir  qu'il  avait  de  défendre 
et  de  protéger  leurs  libertés,  même  contre  l'évêque,  et  qu'il 
ferait  connaître  son  bon  vouloir,  particulièrement  en  pacifiant 
et  terminant  le  procès  de  Bertlielier.  »  Hélas  î  on  sut  bientôt 
que  penser  de  ces  belles  paroles.  Les  personnes  qui ,  le 
dimanche  3  octobre,  se  rendirent  à  l'église  de  Notre- Dame-des- 
Grâces,  près  du  pont  d'Arve  (  limite  des  franchises),  pour  y 
entendre  la  messe,  virent  deux  têtes  clouées  au  noyer  en  face 
de  l'église,  avec  une  feuille  de  fer-blanc  portant  cette  inscrip- 
tion :  Œ  Ce  sont  les  traiires  de  Genève.  »  Au  pied  de  l'arbre, 
deux  barils  aux  armes  de  Savoie  contenaient  des  membres 
humains  hachés  et  salés  comme  de  la  viande  de  charcuterie; 
c'étaient  les  têtes  et  les  corps  des  jeunes  Navis  et  Blanchet! 
Aux  protestations  et  à  l'ambassade  qui  fut  aussitôt  envoyée  au 
duc,  celui-ci  répondit  :  «  que  c'était  l'évêque  auquel  il  n'avait 
fait  que  prêter  main-forte,  qui  avait  ordonné  d'apporter  ces 
têtes,  pour  que  justice  eût  lieu  et  que  les  mauvais  fussent 
séparés  des  bons,  ce  dont  tous  devaient  se  réjouir.  »  Dans  une 
autre  occasion  Charles  le  Bon  fît  comprendre  à  ses  courtisans 
que  ce  n'était  pas  pour  des  crimes,  mais  pour  des  raisons  poli- 
tiques qu'il  avait  fait  périr  ces  jeunes  Genevois;  car  l'un  des 
faibles  de  ce  prince  était  de  se  croire  un  grand  homme  d'État,  et 
il  aimait  singulièrement  à  faire  parade  de  ses  profondes  combi- 
naisons. Elles  étaient  si  profondes,  en  effet,  qu'elles  finirent  par 
réaliser  sur  lui-même  tout  le  mal  qu'il  avait  pensé  faire  aux 
autres. 

Bientôt  arriva  une  excellente  lettre  de  Fribourg,  puis,  pour 


234 

la  cinquième  fois,  l'ambassadeur  de  cette  ville,  Fridli  Marti', 
qui  parla  avec  amitié  et  menace  pour  le  maintien  des  franchises 
en  faveur  de  Berllielier  et  de  son  procès.  On  ne  demandait 
certes  pas  mieux  ;  mais  en  même  temps  la  communauté,  qui  en 
avait  appelé  a  Rome,  tenait  absolumtnt,  pour  conserver  le  droit 
de  son  côté,  à  ne  pas  dévier  d'une  ligne  de  la  stricte  légalité  et 
de  ses  devoirs  envers  le  j)rince-évêque  quel  qu'il  fût,  tâche  fort 
difficile  avec  l'enchevêtrement  et  les  conflits  continuels  des 
diverses  juridictions.  Les  ambassadeurs  envovés  à  Turin  (c'é- 
taient le  vidomne  et  deux  conseillers  dévoués  au  duc)  revinrent 
avpc  une  mission  mystérieuse  pour  l'audition  de  laquelle  ils 
demandèrent  que  vingt  des  citoyens  les  plus  notables  fussent 
assermentés  et  joints  au  Conseil,  ce  qui  eut  lieu  immédiatement. 
Cette  mission  consistait  en  quatre  demandes  aussi  absurdes 
qu'inadmissibles,  et  dont  la  première  devait  être  d'arrêter  Ber- 
thelier  malgré  ses  sauf-conduits,  puis  d'en  demander  pardon 
aux  Suisses.  Si  ces  demandes  étaient  admises,  les  ambassadeurs 
pourraient  alors  donner  connaissance  d'un  pli  cacheté  qui  était 
censé  contenir  une  déclaration  très-importante  pour  la  commu- 
nauté. Le  dimanche  suivant  la  chose  fut  portée  au  Conseil  géné- 
ral et  la,  Nergaz,  l'un  des  ambassadeurs,  élevant  le  pli  mysté- 
rieux, exposa  aux  citoyens  à  quelles  conditions  on  pourrait  en 
prendre  connaissance.  A  peine  eut-il  fini  que  les  cris  :  «  Au 
Rhône  les  ambassadeurs!  au  Rhône  les  traîtres!  »  se  firent 
entendre  de  toutes  parts,  et  l'exécution  allait  suivre  la  menace 
si  Lévrier,  Bezanson  Hugues  et  les  autres  chefs  du  parti  de 
l'indépendance  ne  se  fussent  interposés  pour  sauver  ces  misé- 
rables. Ils  profitèrent  de  l'occasion  pour  faire  révoquer  les  pou- 
voirs précédemment  délégués  au  Conseil  des  L,  qui  tournait 


*  Bezanson  Hugues  était  toujours  la  t)reniière  personne  que  les  ambassa- 
deurs frilïoingeois  voyaient  à  Genève,  et  il  est  évident  que,  si  Fridli  Marti  ne 
logeait  pas  chez  lui,  tout  au  moins  y  passait-il  la  plus  grande  partie  de  son 
temps;  car  c'est  toujours  Hugues  qui  fait  convoquer  les  Conseils  où  l'ambas- 
sadeur avait  à  paraître,  ou  qui  parle  en  son  nom  quand  H  n'y  est  pas. 


235 

au  conservatisme  bourgeois,  el  tléclarer  que  dorénavant  le  Con- 
seil général  serait  seul  juge  des  questions  concernant  les  fran- 
chises de  la  cité.  Quelques  semaines  après,  un  héraut  aux  armes 
de  Fribourg  vint  déclarer  au  Conseil  qu'il  ne  quitterait  pas  la 
ville  que  Berthelier  ne  lût  jugé  ;  on  reçut  en  même  temps 
la  nouvelle  certaine  cpie  l'appel  avait  été  reçu  el  admis  à  Rome, 
ce  qui  acheva  de  rassurer  les  citoyens  indécis.  Après  trois  Con- 
seils généraux  et  une  forte  lettre  reçue  de  Berne,  les  syndics 
prononcèrent  la  sentence  par  laquelle  Berthelier  fut  non-seu- 
lement absous,  mais  loué  de  ce  qu'il  avait  fait. 

Il  paraît  bien  que'  dans  l'un  de  ces  derniers  Conseils  géné- 
raux, le  projet  de  combourgeoisie  avec  Fribourg  avait  été  proposé 
et  repoussé;  car  le  président  de  Lande  vint  avec  deux  autres 
nobles  savoyards  (MM.  deBalayson  et  de  Saleneuve)  pour  témoi- 
gner la  joie  que  le  duc  en  ressentait,  et  renouveler  toutes 
sortes  de  protestations  d'amiiié  et  de  bons  services  pour  la  ville, 
sans  oublier  les  insinuations  ordinaires  contre  ses  prétendus 
enntmis;  tout  cela  pendant  que  les  deux  têtes  de  Navis  et 
Blanchel  décoraient  encore  le  noyer  du  pont  d'Ar\e!  Mais 
Hugues  allait  remédiera  cet  échec  i!u  parti  de  l'indépenilance. 
Déjà  huit  jours  après  la  harangue  de  M.  de  Laude,  le  peuple 
se  rendait  en  foule  au  Conseil  général,  el  les  pories  ayant  été 
térniées,  le  syndic  noble  Bezanson  Hugues  parla  en  ces  termes  : 

«  Messieurs,  dimanche  passé,  le  magnifique  seigneur  Gabriel 
«  de  Laude,  président  et  ambassadeur  de  l'illustiissime  (!uc  de 
«  Savoie,  avec  le  speclable  seigneur  de  Balayson,  a  dit  entre 
«  autres  choses  que  des  personnes  de  celte  ville  avaient  comploté 
«  contre  monseigneur  le  duc  ou  contre  son  autorité.  Ensuite, 
«  quand  nous  l'avons  prié  de  s'expliquer  plus  clairement,  il  a 
«  changé  sa  phrase  et  dit  qu'on  a  voulu  faire  des  choses  coniraires 
«  à  l'intérêt  de  Son  Altesse.  Je  vois  qu'il  a  voulu  parler  de  moi, 
«  parce  que  ces  jouis  passés  j'ai  accompagné  à  Fribourg  quelques 
«  citoyens  qui  désiraient  s'y  faire  recevoir  bourgeois.  —  Afin 
-i    que  tout  le  monde  sache  bien  que  je  n'ai  rien  fait  que  je  ne 


236 

«  dusse  faire,  je  déclare  que  je  n'y  suis  point  allé  comme  syn- 
«  die  '.  mais  comme  particulier  et  pour  mes  afi'aires  indivi- 
((  duelles.  Tl  est  vrai  que ,  avant  Noël ,  en  parlant  des  per- 
«  sonnes  qui  désiraient  acquérir  cette  bourgeoisie,  le  noble 
«  hospitalier  de  Fribourg,  Fridly  Marti,  dit  qu'on  l'accorderait 
«  non-seulement  à  eux,  mais  à  toute  la  communauté  de  Genève 
«  si  elle  le  désirait.  Cela  fut  répété  ensuite  plus  au  long  dans 
y  une  lettre  que  Messieurs  l'avoyer  et  conseil  de  Fribourg  ont 
«  dernièrement  déclaré  avoir  été  écrite  de  leur  exprès  comman- 
«  dément.  Ou  me  demanda  de  le  répéter  en  Conseil  général  ; 
«  mais  je  m'en  excusai  sur  ce  que  je  n'étais  point  allé  la  pour 
<■<  cela,  et  je  les  priai  de  me  [)ermettre  de  n'accepter  aucune 
«  mission  à  cet  effet.  Je  n'en  aurais  donc  jamais  parlé  si  l'on 
«  n'en  avait  pris  note,  et  si  je  le  fais  à  présent  ce  n'est  pas  pour 
«  qu'on  prenne  quelque  résolution  à  cet  égard,  mais  pour 
'(  qu'on  sache  bien  que  je  n'ai  rien  fait  au  préjudice  de  qui 
«  que  ce  soit,  ni  qui  ne  fût  licite  à  un  homme  de  bien.  —  La 
«  lettre  en  question  portait  que  si  la  communauté  entière  de 
«  cette  cité  désirait  contracter  amitié  et  bourgeoisie  avec  Mes- 
«  sieurs  de  Fribourg,  ils  le  feraient  très-volontiers,  sans  préju- 
a  dice  de  l'illustrissime  et  révérend  seigneur,  monseigneur 
«  l'évêque  et  prince  de  Genève,  ni  de  nos  libertés  et  franchises, 
"  mais  jiluiôt  pour  les  protéger  et  défendre  et  sans  aucun  tri- 
«  but  de  part  ni  d'autre.  » 

Il  eût  été  difficile  de  ramener  avec  plus  d'habilité,  sans  en 
faire  l'objet  d'une  proposition  formelle,  ce  projet  de  combour- 
geoisie,  si  mal  vu  par  !anl  de  Genevois  et  repoussé  dans  un  des 
derniers  Conseils  généraux.    A  peine  Hugues  out-il  cessé  de 

*  C'était  si  vrai  qu'usant  de  la  faculté  de  substitution,  il  s'était  fait  rem- 
placer au  syndicat  pendant  son  absence.  Nous  avertissons  que  ce  discours 
n'est  que  la  traduction  littérale  du  texte  latin  du  registre  du  Conseil,  tenu 
au  jour  le  jour,  et  que  nous  ne  prêtons  à  aucun  de  nos  personnages  d'au- 
tres paroles  que  celles  qui  leur  sont  attribuées  par  les  documents  de 
l'époque.  Hugues  avait  d'ailleurs  l'habitude,  dans  les  occasions  importantes, 
de  remettre  ses  discours  par  écrit  au  secrétaire  du  Conseil. 


237 

parler,  que  plusieurs  personnes  se  levèrent  pour  demander  que 
l'affaire  fùl  mise  aux  voix.  Les  syndics  Montyon  oA  Vandel  s'y 
opposèrent  et  refuseront  d'opiner;  mais  la  majorité  l'emporta, 
et  il  fut  arrêté  que  la  combourgeoisie  était  acceptée  sous  les 
trois  réserves  mentionnées  a  la  fin  du  discours  qu'on  venait 
d'entendre.  On  eut  encore  soin,  dans  la  lettre  qui  fut  écrite  à 
cette  occasion,  de  mettre  la  chose  sous  la  responsabilité  de  Be- 
zanson  Hugues  qui  en  avait  pris  l'initiative,  et  de  prier  Mes- 
sieurs de  Fribourg  de  faire  aussi  entrer  ceux  de  Suleure  dans 
l'alliance,  ainsi  qu'il  en  avait  été  question  à  Fribourg.  On  élut 
ensuite  pour  syndics  les  nobles  Guignes  Prévôt,  Etienne  de  la 
Mare,  Louis  Plonjon  et  Jean  Baux,  le  fds.  Nous  connaissons 
déjà  ce  dernier  comme  beau-frère  et  ami  de  Bezanson  Hugues.  Les 
trois  autres  appartenaient  également  aux  meilleures  familles  pa- 
triciennes de  Genèxe;  G.  Prévôt,  quoique  irrésolu,  était  bien 
intentionné,  ce  dont  il  faut  d'amant  plus  lui  tenir  compte  que 
ses  trois  alliances  successi\es  avec  les  meilleures  maisons  des 
environs  (Viennois,  de  Gruyères  et  de  Greiily)  auraient  pu  l'en- 
traîner vers  le  parti  ducal;  Etienne  de  la  Mare,  seigneur  de  Yan- 
zier,  allié  de  (jingins,  était  l'ami  de  cœur  de  Bezanson  Hugues 
et  l'un  des  chefs  les  plus  actifs  du  parti  de  l'indépendance  ;  Louis 
Plonjon,  seigneur  de  Bellerive,  fut  l'un  des  plus  beaux  carac- 
tères politiques  de  l'époque'.  — Ges  nouveaux  syndics,  con- 
vaincus de  la  trahison  et  des  mauvaises  intentions  de  plusieurs 
des  anciens  conseillers,  ne  les  réélureni  point  et  en  mirent  d'au- 
tres a  leur  place. 

Hélas  !  cette  brillante  victoire  ne  fut  pas  de  longue  durée  : 
le  parti  national  allait  être  atiaqué  de  tous  les  côtés  a  la  fois.  La 
faction  opposée  ne  se  composait  pas  seulement  des  familles  dé- 
vouéesou  vendues  à  la  maison  deSavoie,  mais  encore  d'une  grande 
partie  delà  bourgeoisie  marchande  et  industrielle  qui,  mettant  ses 

•  On  voit  combien  cette  élection,  la  plus  libérale  et  la  plus  etjdguenote  qui 
avait  encore  eu  lieu,  confirme  ce  que  nous  avons  dit  plus  haut  de  la  véri- 
table position  sociale  des  prétendus  tribuns  genevois  de  l'époque. 


238 

intérêts  pécuniaires  au-dessus  de  toute  chose,  était  persuadée  que 
la  rupture  avec  le  duc  allait  ruiner  le  commerce  de  la  ville; 
des  citoyens  îrembleurs  et  indécis  qui  redoutaient  toui  change- 
ment, surtout  au  moyen  des  Suisses  ;  enfin  de  la  populace, 
ramassis  de  gens  sans  ;iveu,  non  bourgeois  pour  la  plupart  et 
entièrement  dévoués  au  parti  ducal,  qui  ne  réussissait  que  trop 
facilement  à  exciter  sa  fureur  contre  les  magistrats  patriotes.  — 
Ce  parti,  encouragé  par  les  agents  du  duc,  tint  dès  lors  de  fré- 
quentes et  nombreuses  réunions,  et  avant  la  fin  du  mois  M.  de 
Brandis,  chef  de  la  maison  genevoise  de  Pesmes  et  qui  était 
aussi  bourgeois  de  Berne)  vint  au  Conseil  avec  les  Montyon, 
les  de  Versonex,  les  de  Fernex  et  beaucoup  d'autres  déclarer 
«  qu'ils  protestaient  contre  la  combourgeoisie  avec  Fribourg.  » 
Dès  lors  les  partis  furent  parfaitement  tranchés  et  se  donnè- 
rent réciproquement  ces  sobriquets  d'Endguenots  ^  et  de 
Mamducs  (alors  synonyme  de  servilité  aveugle)  qui  devinrent 
bientôt  de  mortelles  injures. 

I.e  lendemain  même  de  celte  protestation,  un  Conseil  général 
fut  convoqué  pour  entendre  deux  ambassadeurs ,  l'un  de  Fri- 
bourg, l'autre  de  Berne,  qui  venaient  h  fins  contraires.  Le  pre- 
mier, Messire  Jean  Favre,  dit«queleduc  s'était  plaint  à  la  diète 
de  Berne  de  ce  que  les  Fribourgeois  avaient  contracté  alliance 
avec  ses  sujets  de  Genève;  la  chose  avait  été  renvoyée  à  la  diète 
de  Zurich  ;  en  attendant,  les  Fribourgeois  avaient  vigoureuse- 
ment défendu  notre  cause,  et  tenaient  h  rassurer  les  Genevois 
(jue,  malgré  ce  que  l'envoyé  de  Berne  pourrait  dire,  ils  n'en 
étaient  pas  moins  prêts  à  conclure  l'alliance  projetée,  si  on  la 
désirait  toujours.»  Aussitôt  le  |)euple  cria  qu'il  le  vouhiil  plus 
que  jamais,  et  l'ambassadeur  se  retira.  Alors  M.  d'Erlach  se 
présenta,  non-seulement  pour  Berne,  mais  au  nom  des  Ligues 
en  général  ;  il  parla  comme  si  la  suzeraineté  du  duc  sur  Genève 

•  La  première  mention  à  nous  connue  du  terme  Eydguenot  (Eiiguenot) 
se  trouve  dans  le  compte  rendu  de  la  srance  du  Conseil  du  3  mai  1520.  Dans 
le  [trocès  de  Benoît  Totjuet  (1521),  le  parti  des  indépendants  est  appelé 
Ayguinoctica  Secta. 


239 

ne  pouvait  même  être  mise  en  doute;  et  exhorta  les  citoyens 
«  à  l'obéissance,  sous  peine  du  ressentiment  des  cantons  con- 
fédérés. »  Les  syndics  se  bornèrent  à  relever  son  erreur  el  à 
dire  qu'ils  enverraient  aussi  des  ambassadeurs  à  la  diète  de 
Zurich  pour  y  défendre  leurs  droits.  Ils  élurent,  à  cet  eft'ei,  Be- 
zanson  Hugues,  Claude  Richardet  et  François  Goule.  Pendant 
ce  temps  les  Fribourgeois  députaient  l'ancien  avoyer,  noble 
Thierry  d'Endlisberg  au  duc,  pour  lui  intimer  de  ne  commettre 
aucune  violence  contre  Genève  à  raison  de  la  combourgeoisie. 
La  mission  a  Zurich  n'eut  aucun  succès,  tant  on  était  prévenu 
contre  Genève  en  faveur  du  duc,  et  la  révocation  de  la  bour- 
geoisie y  fut  prononcée  par  tous  les  iiutres  cantons.  Au  retour 
de  cette  ambassade,  Bezanson  Hugues  fut  immédiatement  en- 
voyé à  Fribourg  avec  Jacques  de  3L^lbuisson,  pour  y  faire  signer 
le  traité  en  dépit  de  tous  ces  obstacles.  A  peine  étaient-ils  partis 
que  les  ambassadeurs  du  duc  (Messieurs  de  Salagine  et  de 
Lussey)  vinrent  apostropher  le  Conseil  sur  cette  nouvelle  am- 
bassade faite  après  la  révocation  de  la  bourgeoisie  par  les 
Ligues  suisses. 

En  attendant,  tout  !e  voisinage  était  en  armes;  plusieurs 
Genevois  avaient  été  arrêtés  sur  territoire  ducal,  d';iutres  cher- 
chaient à  s'enfuir  avec  ce  qu'ils  pouvaient  emporter.  Le  duc 
lui-même,  décidé  à  ne  plus  rien  ménager,  arriva  près  de  Ge- 
nève avec  une  année  de  huit  mille  hommes  et  demanda  a  loger 
à  la  maison  de  ville ,  ce  dont  on  trouva  cependant  moyen  de 
le  dissuader;  mais  il  n'en  persistait  pas  moins  à  vouloir  venir 
souper  et  loger  ce  jour-la  en  ville  avec  toute  sa  cour  et  quel- 
ques centaines  de  gardes,  ce  à  quoi  on  n'osait  s'opposer  '.  Il 
sutfit  cependant  d'en  mentionner  la  possibilité,  pour  l'empêcher 
de  venir,  pusillanimité  d'autant  plus  inconcevable  que  la  bande 
des  dévoués  et  des  traîtres  du  parti  ducal,  grossie  par  l'acces- 

«  M.  Thourel  prête,  dans  ces  circonstances ,  à  Bezanson  Hugues  un  dis- 
cours qui  n'est  ni  dans  son  caractère  ni  surtout  dans  l'histoire  ;  car  il  est 
rempli  d'assertions  erronées,  et  Hugues  était  d'ailleurs  à  Fribourg. 


240 

sion  des  lâches,  s'étaient  rendue  à  Saint-Julien  pour  lui  rendre 
hommage  et  le  conjurer  de  venir  terminer  son  oeuvre.  An  lieu 
de  cela .  il  trou. a  plus  prudent  d'aller  d'abord  sr  réunir  à  son 
frère  Philippe,  comte  de  Genevois  (l'ancien  évêque  de  ce  nom), 
qui  se  trouvait  à  Gaillard  à  la  tète  des  Foucignerans  et  des  trou- 
pes levées  dans  le  Chablais.  Les  Genevois  reprirent  alors  courage; 
les  plus  échauffés  s'armèrent  à  la  hâte  ;  on  eut  de  la  peine  à  empê- 
cher qu'ils  ne  jetassent  au  Rhône  les  traîtres  revenus  de  Saint- 
Julien;  mais  tant  de  zèle  était  inutile  sans  un  chef.  On  dé- 
pécha un  exprès  à  Rezanson  Hugues  pour  lui  porter  ces  tristes 
nouvelles  '  ;  mais  ce  messager  tomba  déjà  à  Yersoix  entre  les 
mains  des  gens  du  duc  et  fut  mené  à  Gex,  où  on  le  mil  à  la 
torture,  ainsi  qu'un  autre  Genevois  qui  arrixait  de  Suisse  et 
ne  savait  rien  de  rien.  L'ambassadeur  de  Fribourg.  notre  brave 
ami  Fridli  Marti,  qui  venait  ratifier  l'iilhance  tandis  que  Hugues 
la  ratifiait  à  Fribourg,  fut  consterné  ;  il  renvoya  immédiatement 
son  héraut  et  un  autre  serviteur  pour  donner  l'alarme,  mais  en 
attendant  recommanda  aux  Genevois  la  soumission  comme  leur 
seul  salut  immédiat;  ce  fut  aussi  l'avis  d'un  chevalier  zurichois 
qui  passait  par  Genève,  ;illaut  en  France,  et  ces  deux  Suisses 
accompagnèrent  le  soir  fort  tard  les  syndics  à  Gail'ard.  Ils  de- 
vaient y  retourner  le  lendemain;  mais  le  duc, qui  avait  juré  «  sa 
foi  de  gentilhomme  »  qu'il  attaquerait  Genève  avec  toutes  ses 
forces,  et  qui  tenait  sans  doute  a  écarter  tout  ce  qui  aurait  pu 
l'empêcher  «  de  faire  tomber  des  têtes  »  (pour  nous  servir  d'un 
autre  de  ses  refrains  sur  Genève),  le  duc,  disons -nous,  voulut 

•  Il  paraîtrait  cependant,  d'après  le  procès  d'Ami  de  Joie,  que  Bezanson 
Hugues  était  ce  jour-là  à  Genève ,  et  que  ce  fut  à  sa  voix  que  les  citoyens 
qui  entouraient  la  maison  de  ville  courui'ent  aux  armes  ;  dans  ce  cas,  il  se 
serait  jeté  le  même  soir  à  bride  abattue  sur  la  route  de  Fril)Ourg,  où  il  se- 
mait l'alarme  le  lendemain  matin  ['i'i  lieues\  ("est  la  version  que  Galiffe  a 
d'abord  adoptée  ;  il  est  de  fait  que  les  apparitions  subites  du  grand  citoyen 
au  moment  où  on  le  croyait  tout  autre  part  étaient  assez  dans  ses  habitudes, 
ainsi  que  ces  courses  précipitées  qui,  même  avec  les  moyens  actuels  de 
communications,  passeraient  pour  extraordinairement  rapides. 


241 

prévenir  l'ambassafle  par  un  coup  de  main  infaillible  selon  lui. 
Pendant  que  la  milice  genevoise,  qui  était  sur  pied  depuis  deux 
jours,  profilait  de  la  nuit  et  de  la  soumission  faite  au  duc  pour 
se  reposer  de  ses  fatigues,  le  comte  de  Genevois,  frère  du  duc, 
averti  par  les  traîtres  au  moyen  d'un  fallot  placé  sur  le  clocher 
de  S'.-Piene,  se  présenta  subitement  à  minuit  à  la  porte  S'.- 
Antoine,  que  d'antres  niamelucs  devaient  lui  ouvrir.  Mais  la  sen- 
tinelle fit  feu,  le  tocsin  sonna,  les  citoyens  coururent  aux  armes 
et  le  prince  repartit  sans  même  avoir  tenté  l'assaut,  Certes,  si 
les  Genevois  eussent  alors  osé  révoquer  leur  arrêté  de  soumis- 
sion et  prendre  un  parti  énergique;  si  surtout  ils  eussent  com- 
pris à  quels  singuliers  généraux  ils  avaient  affaire,  ces  derniers 
se  seraient  probablement  retirés  comme  ils  étaient  venus.  Mais 
le  premier  syndic  Prévôt,  malgré  ses  bonnes  dispositions,  man- 
quait d'énergie,  et  les  chefs  à  même  de  diriger  le  courage  des 
milices  étaient  absents.  L'ambassade  projetée  pour  le  lendemain 
eut  lieu,  toujours  sous  la  protection  des  deux  Suisses,  et  il  fut 
convenu  de  part  et  d'autre  que  Charles  III  n'entrerait  à  Genève 
le  jour  même  qu'avec  cinq  cents  hommes  seulement  ;  néanmoins» 
il  renvoya  la  chose  encore  au  lendemain  mardi  5  avril;  ses 
adhérents  abattirent  la  porte  de  Saint-Antoine  qui  avait  vu  fuir 
son  frère,  et  Son  Altesse,  la  foulant  aux  pieds,  entra  vêtue  en  hé- 
ros de  chevalerie,  précédée  d'un  page  portant  son  casque,  «  afin 
«  (dit  une  relation  imprimée  de  l'époque)  qu'on  pût  voir  ses  yeux 
«  armés  de  courroux,  auxquels  il  avait  donné  autant  de  pointes 
«  de  foudres  pour  abîmer  l'audace  de  ses  sujets  qui  seraient  si 
«  téméraires  de  contempler  sa  face.  »  Pour  couronner  dignement 
ce  triomphe  de  théâtre,  il  se  fit  apporter  comme  autant  de  tro- 
phées de  sa  vaillance  les  cadenas  de  toutes  les  chaînes  qui  se 
tendaient  dans  les  rues,  et  récompensa  ses  troupes  par  le  pillage 
des  caves.  Sa  joie  se  trahissait  en  sorties  à  sa  manière  ;  ainsi,  ce 
fut  en  soupant  le  soir  chez  M.  de  Brandis  qu'd  tint  le  sot  et 
cruel  propos  sur  les  jeunes  Navis  et  Blanchel  que  nous  avons 
rapporté  plus  haut  (p.  233).  On  donna  à  cette  ridicule  parade, 


242 

que  (les  historiens  n'ont  pas  rougi  (\e  rej)résenter  comme  une 
victoire,  le  nom  de  guerre  des  besolesou  des  harengs,  vu  la  quantité 
énorme  de  ces  petits  poissons  que  l'armée  ducale  se  plut  à  dé- 
vorer, faute  de  mieux,  à  cause  du  carême.  Le  lendemain  il  fallut 
convoquer  le  Conseil  général  pour  dresser  l'acte  de  renoncia- 
tion à  la  combourgeoisie  ;  il  y  vint  si  peu  de  monde  qu'on  dut 
en  convoquer  un  autre  qui,  le  jour  suivant,  ne  fut  pas  plus 
nombreux. 

En  attendant,  les  Fribourgeois,  électrisés  par  les  appels  pa- 
triotiques do  Bezansnn  Huguis,  étaient  courus  aux  armes;  le 
pays  de  Vaud  se  rem|»lissaii  de  leurs  troupes;  les  autres  Suisses 
accouraient  de  tous  côtés  grossir  cette  armée  qui,  entraînée  par 
Hugues  et  Malbuisson',  avait  déjà  pris  Morges  et  menaçait 
de  tout  mettre  à  feu  et  à  sang,  lorsque  des  ambassadeurs 
de  Zurich ,  Berne  et  Soleure  vinrent  offrir  de  les  arrêter 
moyennant  une  bonne  rançon ,  l'argument  ordinaire  en  pareil 
cas.  Les  Suisses  demandèrent  d'abord  six  mille  écus,  et  peut- 
être  s'en  seraient-ils  contentés  si  l'on  avait  pu  leur  por- 
ter le  même  jour  celte  somme, qu'il  n'était  pas  possible  de 
réaliser  sitôt;  mais  dès  le  lendemain  il  leur  en  fallait  déjà  huit 
mille;  trois  jours  après,  à  l'aide  de  la  vaisselle  du  comte  de  Ge- 
nevois, on  n'avait  pu  réunir  et  leur  porter  que  la  moitié  de  la 
rançon  ;  mais  ils  demandaient  maintenant  seize  mille  écus,  qu'il 
s'agit  de  trouver  à  tous  prix;  et  comme  il  n'y  avait  plus  d'argent 
comptant,  ils  durent  accepter  des  obligations.  Il  va  sans  dire 
que  la  ville  dut  supporter  la  presque  totalité  de  celte  ran- 
çon, qui  fut  encore  augmentée  sous  divers  prétextes.  Amis  et 
ennemis  concouraient  à  ruiner  ainsi  cette  pauvre  Genève,  qui 
n'avait  eu  que  de  bons  procédés  pour  tous  -.    Mais  elle  n'était 

»  Le  vendredi  10  février  1520,  des  députés  de  Morges  vinrent  se  plaindre 
au  Conseil  des  dommages  causés  à  leur  ville  par  l'armée  de  messieurs  de 
Fribourg  «  conduite,  en  grand  appareil,  au  secours  de  Genève  par  des  gens 
de  cette  cité,  notamment  par  Bczanson  Hugues  et  Jaques  de  Malbuisson,  du 
consentement,  disaient-ils,  des  syndics  d'alors.  » 

-  On  n'épargna  pas  les  ambassades  pour  tâcher  d'obtenir  une  réduction  ; 


243 

pas  au  l>out  de  ses  calamités.  Son  propre  évêque,  dont  le  pre- 
mier devoir  eût  été  de  la  protéger  contre  tous,  allait  couronner 
l'œuvre  commencée  par  son  cousin. 

La  peste  avait  d'abord  contraint  les  princes  et  leur  armée  de 
s'éloigner  de  la  ville  ;  peu  de  temps  après  on  apprit  que  l'évêque 
faisait  lever  des  troupes  de  tous  côtés;  les  syndics  de  la  Mare  et 
Plonjon  lui  ayant  été  députés  à  Bonne  pour  en  savoir  le  motif, 
il  leur  apprit  le  plus  gracieusement  du  monde  «  qu'il  viendrait 
le  lendemain  à  Genève  avec  cent  cinquante  liommis  de  sa  garde 
pour  vivre  gaiement  (liilariter)avec  les  Genevois  sans  faire  le  moin- 
dre mal  a  personne.  »  Certes,  on  ne  pouvait  pas  fermer  les  portes 
contre  l'évêque  et  prince,  qui  arriva  avec  bien  plus  de  monde 
qu'il  n'avait  annoncé.   Il  convoqua  immédiatement  un  Conseil 

Bezanson  Hugues  devait  faire  partie  de  lune  d'elles,  et  peut-être  eût-il 
réussi,  si  l'évêque,  par  une  de  ses  lettres  les  plus  grossières,  n'eût  fait  an- 
nuler cette  élection  (voyez  Galiffe,  Matériaux  pour  VHktoire  de  Genève,  II, 
p.  273).  Bonivard  prétend,  et  après  lui  tous  ceux  qui  l'ont  copié,  qu'à  leur 
retour  de  Fribourg,  Bezanson  Hugues  et  Jaques  de  Malbuisson  furent  man- 
dés à  Thonon  par  le  duc,  qui  leur  avait  à  cet  effet  expédié  des  sauf-con- 
duits ;  que  ces  deux  citoyens  y  accompagnèrent  en  effet  le  vidomne  Aymé 
Conseil;  qu'à  peine  arrivés,  le  duc  les  fit  arrêter  ;  que  les  gentilshommes  de 
sa  cour  voulaient  les  jeter  au  lac,  et  qu'il  ne  les  relâcha  qu'après  leur  avoir 
fait  prêter  serment  sur  l'autel  de  Saint-Hippolyte,  patron  du  lieu,  de  renon- 
cer à  la  combourgeoisie  avec  Fribourg,  de  ne  rien  entreprendre  contre  son 
autorité,  et  de  ne  plus  se  mêler  des  affaires  publiques  de  Genève.  C'est  pos- 
sible, mais  peu  probable  ;  et  d'ailleurs  les  documents  contemporains  n'en 
disent  pas  im  mot.  Mieux  que  tout  autre,  Hugues  et  Malbuisson  savaient  ce 
que  valaient  les  sauf-conduits  ducaux  et  la  compagnie  d"un  traître  de  l'espèce 
d'Aymé  Conseil.  Il  n'était  pas  dans  le  caractère  de  Hugues  de  s'exposer  aussi 
inutilement  et  d'une  manière  aussi  absurde,  surtout  dans  un  pareil  moment.  Il 
est  parfaitement  vrai  que  le  duc  lui  fit  ensuite  intimer,  à  plusieurs  reprises, 
de  ne  pas  se  mêler  des  affaires  de  la  communauté,  sous  peine  de  sa  colère, 
et  qu'après  avoir  longtemps  bravé  ces  menaces,  Hugues  les  prétexta  plus 
lard  pour  se  dispenser  du  syndicat.  Mais  cette  circonstance  même  est  pré- 
cisément ce  qui  confirme  le  plus  nos  doutes  sur  l'authenticité  de  cette  anec- 
dote. Car  appelé  à  raconter  quand  et  comment  ces  menaces  lui  avaient  été 
faites,  il  expliqua  en  détail  les  diverses  circonstances  qui  s'y  rapportaient  sans 
dire  un  mot  de  cette  affaire  de  Thonon,  qui  eût  cependant  été  bien  plus 
concluante  que  tout  ce  qu'il  allégua  pour  justifier  son  abstention. 


244 

général,  et  là,  flanqué  de  M.  de  Saleneuve  et  du  marquis  de 
Lullin  (conseillers  intimes  du  duc),  il  jeta  le  masque  et  annonça 
que  son  armée  allait  lui  servir  au  châtiment  des  insensés  qui 
voudraient  le  contrarier  ou  lui  résister.  Certes,  dejiuis  longtemps 
Berthelier  devait  savoir  combien  il  lui  importait  de  ne  pas  se 
mettre  inutilement  à  la  merci  de  ses  ennemis;  dans  les  circon- 
stances actuelles  il  aurait  pu  facilement  quitter  Genève,  ou  ne 
pas  y  revenir  encore  s'il  l'avait  quitté  lors  des  dernières  aff'aires, 
ce  qui  nous  paraît  probable  ;  actuellement  il  pouvait  plus  que 
jamais  se  considérer  comme  bien  averti,  et  cependant  il  ne 
chercha  point  à  s'enfuir.  Le  23  août,  à  7  heures  du  matin,  il  se 
promenait  du  côté  de  la  porte  de  la  Corraterie,  lorsqu'il  fut  su- 
bitement arrêté  par  des  gens  d'armes  qui  l'aviiienl  suivi  et  qui  fu- 
rent rejoints  par  d'autres  qui  l'attendaient  hors  des  murs,  en  même 
temps  que  le  vidomne  descendait  les  Crêts  (la  Treille)  sur  sa 
mule  avec  une  autre  bande.  Toute  résistance  eût  été  inutile. 
Berthelier  se  borna  h  dire  qu'il  n'avait  rien  fait  pour  mériter  ce 
traitement,  et  «qu'il  espérait  qu'on  lui  ferait  bonne  justice.»  Il  fut 
immédiatement  enfermé  au  châieau  de  l'Ile  où  le  vidomne  tenait 
garnison  et  qu'entouraient  les  troupes  épiscopales.  Les  syndics  al- 
lèrent aussitôt  demander  qu'il  leur  fût  remis  s'il  était  arrêté  pour 
cause  criminelle,  ou  relâché  sous  caution  si  c'était  pour  cause 
civile;  mais  déjà  l'on  procédait  à  l'inventaire  de  ses  biens  comme 
s'il  était  condamné.  Les  citoyens  les  plus  courageux  pouvaient 
encore  espérer  de  le  délivrer  dans  le  trajet  a  Champel,  lieu  or- 
dinaire des  exécutions;  mais  l'échafaud  se  dressa  subitement  sur 
la  très-petite  place  devant  la  porte  de  la  prison.  Le  même  jour, 
à  quatre  heures  après  midi,  /iu«Wieu/'es  environ  après  l'arrestation 
de  Berthelier,  la  foule  consternée,  qui  couvrait  la  place  et  les  ponts 
de  Bel-Air,  vit  tomber  la  tête  de  ce  martyr  de  la  liberté  sans 
pouvoir  même  faire  un  pas  vers  lui  pour  entendre  au  moins  ses 
dernières  paroles  *  ! . , .  Quatre  jours  après,  l'é  vêque  cassa  les  syndics 

*  Nous  allons,  à  l'aide  des  preuves  authentiques,  pour  la  curiosité  du 
fait,  montrer  par  ce  seul  exemple  de  la  mort  de  Berthelier  ce  qu'il  y  aurait 


245 

et  les  conseillers  et  en  fit  nommer  d'autres.  Dans  lacté  de  celte 
cassation,  il  osa  dire  «  que  la  ville  aurait  été  anéantie  à  jamais 
sans  l'extrême  bonlé  du  duc,  doni  la  clémence  avait  surpassé  la 
charilé  de  notre  Rédempteur  '.» 

Jamais  Genève  n'avait  été  dans  une  position  plus  désespérée  ; 
tout  était  à  recommencer  ;  et  le  duc,  sachant  fort  bien  qui  seuj 


à  corriger  dans   les   histoires   de  Genève   qui   se  sont  copiées   à  la  file 
depuis  Bonivard,  Roset  et  compagnie:    1°  Berthelier  n'avait  pas  alors  50 
ans,  mais  37  au  plus.  S»  L'évêque  ne  vint  pas  à  Genève  avec  100  ou  150 
hommes  seulement,  mais  avec  une  armée  beaucoup  mieux  organisée  et  plus 
nombreuse  que  les  milices.  3"  Il  ne  fit  pas  juger  Berthelier  dans  les  24  heu- 
res, mais  dans  moins  de  neuf.  4°  Il  ne  le  fit  pas  juger  par  Claude  Dubois, 
lieutenant  du  vidomne,  mais  par  des  commissaires  spéciaux,  comme  c'avait 
été  le  cas  pour  Blanchet  et  Navis.  5"  Il  ne  permit  à  personne  de  le  voir  ou 
de  lui  causer  dans  la  prison  ;  ainsi  Berthelier,  qui  avait  demandé  justice  dès 
son  arrestation,  ne  put  rien  répondre  à  de  prétendues  sollicitations  d'im- 
plorer sa  grâce.  6"  Berthelier  ne  se  livra  point  au  vidomne,  mais  fut  arrêté 
par  trois  groupes  de  gens  d'armes  à  la  fois,  contre  lesquels  toute  résistance  eût 
été  inutile.  1°  Il  ne  lut  point  arrêté  dans  ou  devant  son  jardin  de  Plainpa- 
lais,  mais  dans  l'intérieur  de  la  ville.  8»  Il  ne  dit  point  à  plusieurs  reprises 
qu'il  était  joyeux  de  mourir  pour  la  cause  de  la  patrie,  parce  qu'il  n'en  eut 
pas  le  temps  et  ne  vit  pas  un  ami.  9°  Il  ne  fut  pas  exécuté  à  Champel,  mais 
devant  la  prison  de  l'Ile.  10°  C'est  calomnier  les  Genevois  bien  gratuitement 
que  d'affirmer  qu'il  ne  se  trouva  pas  un  citoyen  assez  courageux  pour  ré- 
clamer contre  la  violation  des  lois,  car  les  syndics  firent  à  l'instant  même 
tout  ce  qu'il  y  avait  légalement  à  faire,  et  l'on  ne  pouvait  songer  à  arracher 
le  prisonnier  d'un  château  préparé  depuis  longtemps  par  la  maison  de  Savoie 
contre  un  pareil  coup  de  main,  et  garni  et  entouré  alors  de  dix  fois  plus  de 
troupes  qu'il  n'en  avait  fallu  jadis  pour  le  défendre  longtemps  contre  un 
siège  en  règle.  11"  Enfin,  ni  Berthelier  ni  les  Genevois  ne  pouvaient  connaî- 
tre exactement  le  sort  qui  lui  était  réservé  ;  sans  doute  on  pouvait  s'attendre 
à  de  mauvais  traitements  et  à  toutes  les  infractions  possibles  ;  le  caractère 
bien  connu  de  l'évêque  Jean  autorisait  toutes  ces  suppositions  ;  mais  il  y  avait 
loin  de  là  à  devenir  bourreau,  et  à  tremper  les  mains  dans  le  sang,  au  mé- 
pris des  canons  fondamentaux,  pour  achever  ainsi  de  combler  cette  mesure  de 
scélératesse  qui  devait  lui  faire  perdre  l'administration  de  son  évèché.  Certes 
la  conduite  de  Berthelier  fut  assez  belle  et  assez  grande  pour  qu'on  puisse 
se  passer  de  l'orner  encore  ou  de  lui  fournir  des  échasses. 

«  «  Nisi  fuisset  Princeps  ipse  illustrissimus  misericordia  plenus,  suaque  cle- 
mentia  vinxisset  pielatem  Redemptoris.  »  Voyez  cette  étrange  proclamation 
aux  pièces  justificatives,  n"  1. 

Tome  XL  17 


246 

était  encore  capable  de  ia  relever  et  de  ranimer  les  courages,  fît 
défendre  à  Bezanson  Hugues,  «  sous  peine  de  sa  colère,  de  se 
mêler  en  quoi  que  ce  fût  des  affaires  de  la  commun;iuté.  » 


m 

(1519—15-25; 

La  ville  entièrement  au  pouvoir  des  sbires  de  l'évéque,  et 
par  conséquent  du  duc;  les  magi'-trats  nationaux  chassés  de 
leurs  postes,  et  remplacés  par  des  intrus  notoirement  dévoués 
ou  vendus  a  la  maison  de  Savoie  ;  la  combourgeoisie  avec  Fri- 
bourg,  seule  espérance  des  fidèles,  révoquée  par  les  cantons 
suisses  ainsi  que  par  les  successeurs  même  de  ceux  qui  l'a- 
vaient sollicitée  ;  la  bourgeoisie  genevoise  ruinée  par  l'énorme 
rançon  qu'il  avait  fallu  payer  aux  troupes  suisses,  ainsi  que 
par  le  séjour  des  troupes  ducales  ;  enfin  la  tête  du  principal 
chef  (lu  parti  national  clouée  au  gibet,  pour  montrer  le  sort 
qui  attendait  tous  ceux  qui  voudraient  l'imiter.  La  détresse  de 
Genève  ne  pouvait  être  plus  grande.  A  tout  cela  il  faudrait  en- 
core ajouter  la  haine  qui,  depuis  quelque  temps,  animait  les 
populations  des  environs  et  surtout  la  noblesse,  contre  Genève 
et  les  Genevois;  mais  celte  dernière  circonstance  mérite  une  ex- 
plication. 

Pendant  des  siècles,  Genève  avait  été  le  rendez-vous  de  plai- 
sirs et  dalfaires  de  tous  les  seigneurs  et  habitants  notables  du 
diocèse  et  des  pays  voisins,  (détail  là  qu'ils  accordaient  leurs 
différends,  leurs  mariages,  leurs  affaires  de  famille  et  d'État; 
là  qu  ils  donnaient  leurs  tournois ,  qu'ils  vidaient  leurs  duels 
judiciaires;  là,  souvent  aussi,  qu'ils  faisaient  leurs  donations  pies, 
qu'ils  choisissaient  d'avance  leur  sépulture.   Plusieurs  d'entre 


2i7 

eux  élaieni  bourgeois  de  la  ville  de  Genève,  laquelle  accordait 
alors  très-largement  c»'tle  faveur;  la  plupart  v  avaient  de  proches 
parents  dans  le  chapitre,  dans  le  clergé,  parmi  les  magistrats  el 
même  dans  la  bourgeoisie:  car  il  n'est  réellement  pas  une  de 
nos  anciennes  familles  notables  qui  ne  fût  alliée,  d'une  manière 
ou  de  l'autre,  a  quelque  maison  chevalière  des  environs  el,  parla, 
plus  ou  moins  à  toutes.  Loin  donc  d'exciter  la  jalousie  de  ses 
voisins,  Genève  en  était  le  séjour  aimé  et  préféré;  loin  de 
la  molesler,  ils  étaient  prêts  à  la  défendre  et  s'employaient  vo- 
lontiers à  la  servir.  Mais  tout  cela  avait  bien  changé  depuis  le 
duc  Louis  et  ses  successeurs.  A  force  de  voir  ces  princes 
chercher  à  faire  valoir  sur  Genève  des  prétentions  qui  pa- 
raissaient toutes  naturelles  à  leurs  sujets  et  vassaux,  ceux-ci, 
peu  au  fiait  de  nos  franchises ,  avaient  fini  par  croire  ces 
prétentions  fondées.  La  noblesse  savoyarde,  employée  dans  tou- 
tes ces  entreprises,  s'indignait  de  notre  résistance,  qu'elle 
considérait  comme  un  affront  fait  à  son  suzerain  féodal ,  et  par 
conséquent  à  elle-même  qui  vivait  sous  ses  lois.  Enfin  il  n'est 
pas  jusqu'aux  petites  villes  du  Faucigny,  du  Genevois  et  de 
la  Savoie,  qui  ne  témoignassent  bientôt  leur  irritation  de  ce 
que  Genève  voulait  être  plus  indépendante  qu'elles ,  qui  sa- 
vaient bien  se  contenter  de  leur  son.  Ce  fut  cetie  haine  jalouse, 
plus  encore  ([ue  les  incitations  du  duc  et  de  l'évêque,  qui  don- 
nèrent naissiince  à  la  fameuse  confrérie  des  (ienliUhommes  ou 
Chevaliers  de  la  Cuiller.  La  preuve  en  est  dans  la  lage  aveu- 
gle qui  animait  ces  Messieurs  et  leurs  gens  contre  les  Genevois 
en  général,  sans  distinction  de  parti,  du  moins  dans  les  com- 
mencements. Les  citoyens  trouvés  par  eux  hors  des  murs  étaient 
attaqués,  arrêtés,  rançonnés,  pillés,  rossés,  qu'ils  fussent  ma- 
melucs  ou  eydguenois.  Le  duc  lui-même  eut  beaucoup  de 
peine  à  leur  faire  sentir  qu'il  y  avait  sous  ce  rapport,  dans  son 
propre  intérêt,  une  diflérence  à  faire.  Nous  les  retrouverons 
souvent  et  toujours  les  mêmes.  Remarquons  seulement  que  l'on 
place  ordinairement  beaucoup  trop  tard  l'origine  de  cette  sin- 


2i8 

gulière  association,  tlont  les  débuis  commencèrent  dès  l'année 
1520 ,  bien  qu'elle  n'ait  pris  son  nom  que  plus  tard  '. 

Le  premier  soin  des  syndics  et  conseillers  intrus  fut,  d'ac- 
cord avec  le  duc  et  l'évéque,  d'envoyer  une  ambassade  aux 
canions  suisses  pour  y  justifier  la  mort  de  Bertbelier'.  Le  duc 
ordonna  ensuite  une  réconciliation  entre  les  partis  opposés;  et 
pour  donner  à  ce  fait  une  apparence  de  sincérité,  ou  nomma  six 
eydguenots  aux  places  vacantes  dans  le  Conseil,  savoir:  J.-L. 
Ramel ,  Etienne  de  la  Mare,  Louis  Plonjon ,  Denys  Dadaz, 
Corne  et  un  autre.  Il  fit  aussi  voter,  malgré  l'opposition  très  éner- 
gique de  quelques  eydguenots,  plusieurs  changements  à  la  con- 
stitution genevoise,  notamment  pour  ce  qui  concernait  le  mode 
d'élection  au  syndicat.  Quanta  Bezanson  Hugues,  le  duc  lui  re- 
nouvela la  défense  (lèse mêler  des  affairesdela  communauté  sous 
peine  de  sa  colère.  Que  pouvaient,  en  de  pareilles  circonstances, 
six  eydguenots,  privés  de  leurs  chefs,  dans  un  Conseil  composé 
de  plus  de  vingt  membres  inféodés  aux  princes?  Aux  instances 
qui  lui  furent  faites,  Plonjon  répon<liiitérativement  qu'il  ne  regar- 
dait pas  sa  nomination  comme  légale,  et  qu'il  n'assisterait  pas  au 
Conseil.  Ramel  n'y  vint  que  pour  remettre  la  bannière  de  la 
confrérie  de  l'Iuicharislie,  ave(t  sa  démission  de  prieur  de  cette 
confrérie.  Dadaz  n'y  vint  pas  du  tout,  et  les  autres  s'absentè- 
rent. Alors  on  voulut  avoir  raison  de  leur  désobéissance;  les 
anciens  syndics  furent  appelés  à  rendre  compte  de  leur  gestion, 
sous  peine  de  la  perte  de  leur  bourgeoisie,  et  d  être  condamnés 
à  pnver  les  frais  du  séjour  des  troupes  ducales;  mais  Guignes 
Prévôt  fut  le  seul  qui  vint  faire  sa  soumission.  Bientôt  le  duc 
apprit  que  les  Fribourgeois  se  préparaient  à  venger  la  mort  de 

'  Il  va  sans  dire  que  les  propos  insultants  sur  Genève  et  les  Genevois  n'é- 
taient pas  épargnés.  Ne  vit-on  pas,  en  1525,  un  président  de  Chambéry, 
hélas  !  se  faire  fort  de  prouver  (ju'avant  cent  ans  Genève  (cette  vieille  ca- 
pitale lomaine  et  Iturgonde^  n'était  ((u'un  misérable  village,  qui  s'était  peu- 
plé des  hommes  laillables  ot  corvéables  de  Savoie  !  Nous  verrons,  au  reste, 
des  choses  bion  [ilus  fortes  que  celle-là. 

*  Galiffe,  Matériaux,  volume  II,  p.    141  à  150. 


249 

leur  combourgeois.  Une  nouvelle  triple  ambassade  (du  duc,  de 
1  evêque  et  de  la  ville)  partit  pour  conjurer  cet  orage,  et,  dans 
l'espoir  de  fabriquer  quelque  nouvelle  inculpation  pour  donner 
raison  aux  bourn^aux  de  Beitbelier,  on  s'empara  de  ce  pauvre 
Ami  de  Joie,  qui  ne  dit  rien  de  compromeltani,  parce  que,  fort 
heureusement,  bs  chirurgiens  et  les  docteurs  en  droit  ne  le  lais- 
sèrent pas  mettre  à  la  torture,  en  sorte  qu'on  fut  obligé  de  le 
relâcher,  ou  plutôt  de  le  l'aire  évader  nuitamment  pour  sauver 
les  apparences  *. 

Pour  s'ôter  tout  sujet  d'inquiétude,  les  syndics  intrus  obtin- 
renl  la  défense  à  tous  de  porter  aucune  arme  offensive  ni 
défensive  sous  peine  d'une  forte  amende  et  de  deux  traits 
d'estrapade.  Trois  citoyens  furent  livrés  pour  avoir  été  pris  en 
contravention.  C'en  était  trop  pour  Bezanson  Hugues,  qui  n  at- 
tendait qu'une  occasion  unie  de  braver  la  colère  des  deux  t\rans. 
En  conséquence ,  il  rassembla  autour  de  lui  ceux  qui  se  sen- 
taient le  courage  d'en  faire  autant;  il  s'en  trouva  seize  qui  le 
suivirent  chez  le  vicaire  Pierre  Gruet,  où  il  demanda  pour  eux 
et  pour  tous  ceux  qui  voudraient  encore  appuyer  leur  démarche, 
la  révocation  immédiate  de  la  défense  qui  venait  d'être  procla- 
mée comme  contraiie  aux  libertés  et  franchises  de  la  commu- 
nauté, et  la  libération  de  ceux  qui  avaient  été  arrêtés  pour  cette 
affaire,  déclarant,  qu'en  cas  de  refus,  ils  en  ajtpelleraient  au  mé- 
tropolitain de  Yienne-.  Celle  démarche  hardie  réussit  parfai- 
tement; le  vicaire  intimidé  nia  que  cette  proclamation  eût 
obtenu  son  assentiment  ni  celui  des  syndics ,  et  déclara  qu'il 
voulait  observer  les  franchises  en  toutes  choses;  aussitôt,  par 
l'organe  de  Hugues,  les  pétitionnaires  se  firent  expédier  des 
testimoniales  de   leur  demande  et  de  la  réponse  du   vicaire 

*  C'est  de  lui  que  M.  Thourel  a  fait  un  héros  et  un  martyr,  proliablement 
parce  que  Galiffe  a  mis  son  procès  à  la  suite  de  ceux  de  Berthelier,  de  Na- 
vis  et  de  Blanchet 

*  Voyez  cette  protestation,  qui  fut  minutée  de  sa  propre  main,  aux  pièces 
justificatives,  n»  2. 


250 

général,  représentant  l'évéque,  et  dès  lors  la  proclamation  fut 
regardée  comme  nulle  et  non  avenue. 

Le  peuple  genevois,  malgré  son  indécision,  n'était  pas  favo- 
rable au  gouvernement  intrus  ;  dès  qu'il  fut  constaté  que  celui- 
ci  n'avait  rien  a  répliquer  quand  on  le  venait  braver  en  face,  les 
plus  hardis  ne  se  firent  pas  faute  de  le  faire  ' .  Les  indécis  et  les  ti- 
mides eux-mêmes  eurent  bientôt  honle  du  rôle  que  la  prudence 
leur  avait  dicté.  Non-seulement  on  refusait  d'assister  aux  Con- 
seils généraux  convoqués  par  les  nouveaux  magistrats,  mais  on 
en  tenait  de  secrets,  et  ce  fut  dans  l'une  de  ces  réunions  que  le 
docteur  Ami  Lévrier,  fils  du  syndic  Pierre,  fut  chargé  d'aller 
solliciter  à  Rome  la  destitution  de  l'évéque  Jean  de  Savoie,  et 
le  maintien  de  la  juridiction  ecclésiastique.  Mais  les  princes  en 
ayant  été  informés,  réussirent  à  faire  déclarer  celte  procuration 
fausse  et  contraire  au  vœu  du  peuple.  Cela  eut  lieu  dans  un 
Conseil  général  composé  en  grande  partie  de  leurs  créatures, 
voire  de  gens  qui  n'étaient  pas  même  bourgeois,  et  dans  lequel 
ils  renouvelèrent  leurs  menaces  de  châtier  les  rebelles.  La  péti- 
tion n'en  parvint  pas  moins  au  pape  qui,  dans  sa  fatale  complai- 
sance pour  la  maison  de  Savoie,  se  borna  à  défendre  à  l'évéque 
Jean  de  retourner  à  Genève,  et  lui  permit  de  se  choisir  un  coad- 
jnteur  pour  l'y  remplacer  à  son  gré.  Le  choix  tomba  sur  Pierre 
de  la  Baume,  de  l'illustre  maison  des  comtes  de  Montre vel, 
abbé  de  Suze  et  de  Saint-Claude ,  lequel  ne  vit  d'abord  dans 
cette  nouvelle  dignité  qu'un  échelon  pour  arriver  plus  vite, 
grâce  à  sa  naissance ,  aux  plus  hautes  dignités  de  l'Eglise. 
Comme  le  coadjuteur  d'un  évêché  devait  nécessairement  être 
investi  lui-même  de  la  dignité  épiscopale,  Pierre  fut  à  cette  oc- 
casion créé  évêque  de  Tarse  m  parlibus ,  et  la  mauvaise  santé 
de  Jean  de  Savoie  lui  permit  d'espérer  de  pouvoir  y  ajouter 
bientôt  la  dignité,  de  tout  temps  très-recherchée,  de  prince- 
évêque  de  Genève. 

*  Les  syndics  ul  Conseils  ayanl  dirigé  siutoul  leur  esprit  taquin  coutre  la 
corporation  des  bou(;hors,  ceux-ci  ne  tardent  pas  à  résister  ouvertement. 


251 

En  attendant,  les  affaires  du  parti  national  n'avançaient  pas; 
il  fut  cruellement  mortifié  dans  les  premiers  jours  de  1521  par 
une  lettre  tle  Messieurs  de  Berne,  qui  persistaient  à  s'opposer 
à  toute  eombourffeoisie  (-ntre  Frihoure  et  Genève.  «  L'alliance 
plus  ancienne  des  Suisses  avec  le  duc  de  Savoie,  disaient-ils, 
leur  défendait  d'admettre  à  leur  combourgeoisie  des  personnes 
des  trois  évêchés  de  Genève,  de  Lausanne  et  de  Sion.  »  Enfin  ils 
menaçaient  derechef  les  Genevois  «  de  prêter  main -forte  au  duc  et 
à  l'évêque,  si  ces  princes  n'étaient  pas  assez  for(s  pour  punir  les 
séditieux  et  les  promoteurs  de  déb  its.»  Hélas  !  depuis  longtemps 
Bezanson  Hugues  songenit  a  réparer  la  faute  grave  qu'on  avait 
faite  de  traiter  avec  Fribourg  et  d'autres  cantons  sans  y  inté- 
resser la  puissante  et  jalouse  république  de  Berne  qui,  depuis 
,  lors,  afl'ectait  hautement  de  tenir  d  autant  plus  à  ses  bonnes  re- 
lations avec  le  duc,  qu'elle  exploitait  comme  une  vache  à  lait. 
Mais  le  moment  de  réparer  cette  faute  n'était  pas  encore  venu; 
le  formalisme  aristocratique  de  Messieurs  de  Berne  eût  été  inac- 
cessible aux  appels  isolés  de  quelques  patriotes  genevois. 

Bezanson  Hugues  lui-même  se  trouvait  depuis  quelque  temps 
dans  une  position  assez  embarrassante.  Soit  qu'on  ne  l'eût  pas 
nominativement  rayé  du  Conseil,  dans  le  Conseil  général  tenu 
après  la  mort  de  Bertbelier,  soit  que  l'oi»  eût  jugé  convenable 
de  l'y  faire  rentier  en  même  temps  que  ses  autres  collègues 
susnommés  pour  donner  à  ce  corps  une  apparence  nalionaley 
toujours  est-il  que  depuis  quelque  temps  on  ne  cessait  de  le 
faire  harceler  par  les  huissiers  poui'  le  forcer  à  y  venir  siéger; 
il  va  sans  dire  qu'il  restait  sourd  à  ces  provocations.  Non-seu- 
lement il  ne  reconnaissait  pas  la  légalité  du  Conseil  nommé 
par  l'évêque,  et  moins  encore  celle  des  changements  que  les 
édils  ducaux  avaient  apportés  à  la  constitution ,  mais  il  ne  se 
souciait  nullement  d'attacher  sou  nom  à  la  déplorable  admi- 
uistraiion,  aux  condamnations  capitales  et  aux  excès  de  tout 
genre  des  magistrats  mamelucs.  Ceux-ci  prétendirent  alors  aussi 
lui  faire  rendre  les  comptes  de  son  syndicat,  échu  depuis  deux 


252 

ans  et  de  ses  ambassades,  et  comme  il  n'en  vint  pas  davantage 
au  Conseil,  il  fut  menacé  d'être  privé  de  la  bourgeoisie,  comme 
c'avait  déjà  été  le  cas  pour  plusieurs  de  ses  collègues;  enfin, 
poussé  à  bout  par  ces  tracasseries,  il  jura  —  on  l'en  accusa  du 
moins  —  qu'il  ne  remettrait  pas  les  pieds  à  la  maison  de  ville, 
où  il  avait  déjà  laissé  une  bonne  partie  de  sa  fortune,  ajoutant 
que  les  syndics  ne  pouvaient  le  priver  de  la  bourgeoisie  sans 
un  Conseil  général.  Un  nouvel  événement  vint  cependant  lui 
fournir  l'occasion  de  se  rendre  utile  à  son  pays. 

Le  25  janvier  1 521,  le  coadjuteur  Pierre  de  la  Baume  en  per- 
sonne était  venu  prendre  possession  del'évêché,  et  jurer  dans  la 
calhédrale,  sur  l'autel  de  Sainte-Catherine,  les  franchises  de  la 
ville.  Après  son  dîner,  il  reçut  la  visite  officielle  des  syndics 
mamelucs,  qui  lui  racontèrent  longuement,  et  à  leur  manière,  tout 
ce  qui  s'était  passé  pendant  les  dernières  années,  et  terminèrent 
leur  discours  par  des  plaintes  amères  contre  les  citoyens  e\i\- 
guenots.  Mais  Pierre  de  la  Baume  voulut  bien  aussi  recevoir 
la  visite  de  Bezanson  Hugues,  dont  l'éloquence  persuasive  s'at- 
tacha à  effacer  l'impression  produite  par  l'entrevue  précédente. 
Bezanson  Hugues  avait  jadis  été  à  Rome;  son  nom  y  était 
très-connu,  ainsi  que  dans  le  clergé  du  diocèse  de  Genève,  par 
la  mémoire  de  son  grand'oncle  le  cardinal  Guillaume  Hugues. 
Son  instruction  était  à  la  hauteur  de  ses  talents  naturels.  Mieux 
que  personne  il  était  à  même  de  renseigner  à  fond  le  coaiijuteur 
sur  tout  ce  qu'il  importait  à  celui-ci  de  savoir  à  son  entrée  en 
fonctions.  Mieux  que  personne  il  savait  que  les  obligations  que 
ce  représentant  d'une  des  plus  illustres  maisons  de  l'Europe 
pouvait  avoir  vis-à-vis  de  la  maison  de  Savoie  n'étaient  point 
de  celles  qui  font  de  la  reconnaissance  un  devoir  sacré.  A 
part  le  titre  de  prince-évêque  qui  ne  pouvait  lui  manquer. 
Pierre  de  la  Baume ,  chanoine  et  comte  de  Lyon ,  seigneur 
de  la  Tour  de  May,  abbé  de  Suze  et  de  Saint-Cluude,  prieur 
'Arbois  et  de  Lémeut.  enfin  évêque  de  Tarse  m  partibus^  était 
en  réalité  mieux  et  plus  richement  pourvu  que  le  bâtard  Jean 


(\ 


253 

de  Savoie.  C'était  le  candidat  épiscopal  le  plus  en  vue  par  son 
rang  et  par  sa  naissance;  le  duc  de  Savoie  n'aurait  pu  le  né- 
gliger sans  froisser  une  maison  puissante,  à  l'appui  de  laquelle 
il  tenait  heaucoup  ;  et  d'aillf urs,  avec  sa  présomjttion  ordinaire, 
il  s'était  flatté  de  gagner  facilement  à  ses  intérêts  ce  prélat  en- 
core jeune,  dont  la  vanité  et  l'amour  des  plaisirs  devaient  être 
les  seuls  mobiles.  Mais  c'est  précisément  en  quoi  il  se  trompait. 
Sans  avoir  le  génie  que  lui  prêtent  ses  panégyristes,  Pierre  <le 
la  Baume  ne  manquait  ni  d'esprit,  ni  de  conscience,  ni  d'imagi- 
nation, ni  surtout  de  cette  ambition  de  race,  qui  pousse  les  ca- 
dets de  famille  à  vouloir  égaler  leurs  aines.   Bezanson  Hugues 
savait  tout  cela,  et  sa  profonde  connaissance  des  hommes  e 
des  choses  lui  fit  deviner  bien  vite  le  fond  du  caractère  du  coad- 
juteur.  Il  exalta  son  ambition ,  son  honneur  et  ses  sentiments 
les  plus  nobles  en  lui  traçant  ce  que  pouvait  et  devait  être 
un  prince-évêque  de  Genève  qui,  souverain  lui-même,  saurait 
faire  valoir  ses  prérogatives  au  lieu  de  s'atteler  au  char  d'un 
souverain  voisin  qui,  à  Genève  même,  ne  devait  être  que  son 
vassal.  Il  s'attacha  snrloul  a  lui  donner  de  ses  futurs  sujets-ci- 
toyens, et  des  franchises  dont  il  venait  de  jurer  la  conservation, 
une  tout  autre  idée  que  celle  que  le  duc  s'était  efforcé  de  lui 
inculquer.    Il  est  même  probable  qu'il  entra  dans  des  détails 
circonstanciés  sur  l'état  des  partis  dans  Genève  et  qu'il  lui  en 
remit  des  listes  écrites.  Quoi  qu'il  en  soit,  Pierre  de  la  Baume 
fut  complètement  séduit  par  les  manières  et  les  raisonnements 
de  Hugues,  qui  devint  dès  ce  moment  et  resta  longtemps  en- 
core son  conseiller  intime  pour  tout  ce  qui  concernait  Genève; 
il  suffii   de  parcourir  les  nombreuses  lettres  qu'il  lui  adressa 
dès  lors  sans  interruption,  pour  deviner,  sous  le  style  familier 
du  grand  seigneur,  toute  l'étendue  du  respect  et  de  la  confiance 
qu'il  portait  au  grand  citoyen.  De  son  côté,  Hugues  avait  assez 
de  pénétration  pour  comprendre  que  la  persévérance  et  la  fer- 
meté n'étaient  pas  le  côté  fort  du  coadjuteiir ,  et  qu'il  fallait 
se  hâter  de  profi'er  de  ses  bonnes  dispositions  et  de  son  séjour 
à  Genève. 


251 

Aussi  Bezansoi)  Hugues  se  présente-t-il  hanliment  au  pro- 
chain Conseil  (c'était  le  29  janvior,  quatre  jours  après  son  en- 
tretien aveele  coadjuteur)  et  il  expose:  a  qu'il  y  a  déjà  trois  ou 
(juatre  ans  qu'on  souffre  entre  concitoyens  de  certaines  dissen- 
sions nuisibles  à  l'Eiat  dont  elles  ont  presque  amené  la  ruine; 
il  adjure  donc  les  syndics  et  conseillt^rs  de  faire  en  sorte  que 
ces  dissensions  et  les  injures  aient  un  terme,  afin  que  tous  les 
citoyens  soient  ramenés  à  l'ancienne  bonne  harmonie  entre 
eux,  et  a  l'obéissance  du  prince  et  des  administrateurs  de  la 
justice;  que,  quant  à  lui,  il  se  fait  fort  d'amener  en  personne 
ceux  qu'on  représente  comme  les  promoteurs  des  troubles 
passés.  »  Les  mainelucs,  pris  au  dépourvu  par  une  proposition 
aussi  loyale  et  aussi  généreuse,  s'empresseni  de  répondre  qu'ils 
l'acceptent;  ils  invitent  Hugues  à  amener  au  Conseil  les  citoyens 
dont  il  est  question,  et  qu'il  ne  tiendra  pas  à  eux  qu'on  ne  re- 
devienne bons  amis.  Ils  convoquent,  a  cet  effet,  po»r  le  ven- 
dredi suivant,  le  Conseil  des  L,  auquel  on  joindra  cinquante  autres 
citoyens  pour  l'élection  préparatoire  des  syndics,  «en  avant  soin 
toutefois  d'éviter  les  sui^pecls^  «  porte  le  registre'.  Ils  ont  grand 
soin  encore  de  ne  mettre  l'entrée  de  Hugues  et  des  siens  qu  après 
l'élection  des  syndics,  à  laquelle  les  eydguenots  ne  doivent  pas 
prendre  pai  t.  Aussitôt  cette  éleciion  terminée  au  gré  du  parti 
ducal,  on  ouvre  les  portes  aux  evdguenots.  Bezanson  Hugues, 
entouré  de  vingt-deux  des  principaux  citovens  de  ce  parti,  ré- 
pète son  discours  du  dernier  Conseil;  il  ajoute  que  lui  cl  tous 
ses  amis  présents  sont  décidés  :t  vivre  en  paix  et  en  bonne 
amitié  avec  tous,  et  à  donner  l'exemple  de  l'obéissance  au 
prince  et  aux  magistrats.  Derechef  les  mamelucs  affectent  une 
grande  joie  de  cette  manifestation,  promettent  de  la  faire  approu- 
ver par  les  absents  de  leur  parti,  et  vont  communiquer  le  tout  à 
Pierre  de  la  Baume.  C'était  précisément  là  ce  que  Hugues  dé- 
sirait. Le  coadjuteur  leur  ordonna  aussitôt  de  lui  amener  ces 

*  Cfîst  ainsi  que  l'on  constituait  le  Conseil  dit  des  cent,  qui  était  entière- 
ment de  oréalion  ducale  et  qui,  au  reste,  n'eut  que  peu  de  durée. 


-255 

citoyens;  neuf  antres  indépendants  se  joignent  à  cet  «ffet  au 
cortège  de  Hugues,  qui  se  trouve  ainsi  composé  d'une  trentaine 
des  citoyens  les  plus  recommandablts  de  la  cité,  et  Pierre  de  la 
Bauîne  est  enchanté  de  cette  entrevue  et  des  nouvelles  con- 
naissances qu'elle  lui  procure. 

On  avait  espéré  que  ce  retour  apparent  des  manielucs  à  des 
sentiments  de  bienveillance  procurerait  aux  inculpés  une  am- 
nistie, et  arrêterait  tout  au  moins  l'exécution  de  ceux  qui 
étaient  condamnés  à  mort.  Mais  un  certain  Benoit  Toquet,  qui 
se  trouvait  dans  ce  cas,  fut  exécuté  peu  de  temps  après,  et 
pour  ainsi  dire  encor.'  au  mdieu  de  celle  réconciliation  géné- 
rale. Le  duc  de  Savoie,  informé  de  ce  qui  s'était  passé,  té- 
moigna à  son  tour  une  grande  joie  de  la  bonne  harmonie  qui 
paraissait  régner  entre  ses  bons  amis  et  sujets  de  Genève.  Mais 
eu  même  temps,  il  chargea  son  noiiveau  vidomne,  M.  de  Beau- 
fort-de  Salagine,  de  s'informer  soignensemeni  de  tous  les  dé- 
tails de  cette  affaire ,  et  fil  réitérer  îi  Bezanson  Hugues,  avec 
des  menaces  plus  fortes  que  jamais ,  la  défense  positive  de  se 
mêler  des  alîaires  de  la  ville.  Celui-ci  n'en  continuait  jtas  moins, 
au  fur  et  à  iiiesure  que  l'occasion  s'en  présentait,  à  instruire  le 
coadjuteur  de  la  conduite  qu'il  avait  légalement  a  tenir,  et  réus- 
sit à  lui  faire  repousser  énergiquement,  avant  son  dépari,  plu- 
sieurs tentatives  d'infraciions  de  la  pari  du  duc,  des  niagislrats 
niamelucs  et  même  du  chapitre. 

Malgré  sa  supériorité  numérique  et  l'occupation  de  t<nis  les 
emplois,  le  parti  ducal  ne  tarda  pas  à  comprendre  qu'il  lui  im- 
portait de  se  donner,  vis-a-\is  du  public,  les  apparences  d'être 
au  mieux  avec  les  principaux  eydguenots.  Le  duc  venait  d'é- 
pouser Béatrice  de  Portugal  ;  on  attendait  la  visite  de  l'auguste 
couple;  impossible  de  lui  faire  une  réception  convenable  si  les 
familles  les  plus  riches  et  les  plus  considérées  de  la  ville  conti- 
nuaient à  se  tenir  a  l'écart.  En  conséquence,  après  plusieurs 
ciémonstrations  patriotiques  et  force  tirades  sur  l'amour  frater- 
nel, on  résolut  de  faire  venir  au  Conseil  Bezanson  Hugues  et 


256 

les  principaux  de  ses  amis  pour  se  lier  d'une  amitié  inaltérable, 
et  aller  de  là  s'asseoir  à  un  banquet  de  truites  où  l'on  pourrait 
deviser  de  l'arrivée  de  madame  la  duchesse.  Mais  les  evdsfiienots, 
qui  n'avaient  eu  que  trop  d'occasions  de  voir  de  quelle  manière 
leurs  ennemis  avaient  compris  la  réconciliation,  ne  se  laissèrent 
pas  prendre  à  ces  manifestations  hypocrites,  surtout  pour  un 
pareil  prétexte;  le  voyage  de  la  duchesse  l'ut  d'ailleurs  renvoyé 
à  une  autre  époque.  Malgré  leur  abstention  apparente  des  affaires 
d'Etat,  les  eydguenotsne  négligeaient  pas  cependant  de  donner  des 
preuves  de  leur  sollicitude  pour  la  répuldique.  Ainsi,  il  y  eut  cette 
année  plusieurs  assassinats  de  nobles  étrangers,  et  à  part  l'ineptie 
de  ses  magistrats,  qui  ne  savaient  pas  maintenir  l'ordre  et  la 
sécurité,  la  ville  était  étrangère  à  ces  voies  de  fait,  qui  étaient 
chaque  fois  suivies  de  menaces  et  de  représailles  de  la  part  des 
parents  de  la  victime.  Le  5  janvier  1522,  Bezanson  Hugues 
alla  an  mdieu  de  la  nuit  informer  le  premier  syndic  que  la  vilie 
se  remplissait  de  Foucignerans  venus  pour  se  venger  d'un 
M.  de  Marlie  qui  avait  tué  un  de  leurs  compatriotes.  On  prii 
à  l'instant  toutes  les  mesures  nécessaires  pour  ia  sûreté  de  la 
ville,  et  l'on  proclama  que  le  premier  qui  bougerait  serait  immé- 
diatement puni  de  trois  coups  d'estrapade.  La  seule  chose 
que  les  eydguenois  it-naient  à  éviter,  c'était  de  siéger  avec  des 
traîtres  dont  ils  auraient  paru  les  complices.  Pour  donner  une 
juste  idée  de  la  détresse  de  leur  position  pendant  ces  deux  an- 
nées, il  suffit  de  dire  que  la  tète  de  Berlhelier  était  restée  clouée, 
au  gibei  sans  que  personne  eût  essayé  de  l'enlever  '. 

Quelque  bons  catholiques  que  fussent  les  partisans  de  l'indé- 
pendance genevoise ,  ils  ne  durent  pas  trop  s'affliger  de  deux 
morts  illustres  qui  se  succédèrent  à  peu  de  distance:  celle  du 
pape  Léon  X,  qui  avait  eu  tant  de  coupables  complaisances 

•  Il  en  fut  question  au  Conseil  le  2(5  août  t521.  Elle  fut  ensuite  enlevée  et 
ensevelie  comme  une  relique  dans  ri''glisc  de  Motre-lJanie-de-Grâces. 


257 

pour  la  maison  de  Savoie,  — et  celle  de  leur  évèque,  le  bâtard 
Jean  de  Savoie.  Aussitôt  son  successeur  fit  prendre  possession 
(le  l'évêclié  [)ar  le  vicaire  Pierre  Griiei,  qui  prêta,  comme  d'ha- 
bitude, le  sermeni  pour  la  jm  cservalion  des  franchis-es  sur  l'autel 
de  Sainle-Catherine.  Pierre  de  la  Baume  succéda  aussi  à  son 
prédécesseur  dans  l'abbaye  de  Pignerol  * .  Il  reçut  froidement 
les  ambassadeurs  (jue  le  Conseil  mameluc  lui  envoya  pourlecom- 
plinienler,  et  comme  le  moment  de  son  entrée  solennelle  n'avait 
pas  encore  été  fixé,  il  vint  s'établir  a  Saint-Julien  sous  prétexte  de 
la  restauration  des  foires,  à  laquelle  le  duc  faisait  semblant  de  sou- 
scrire ;  mais  le  véritable  motif  de  cette  démarche  était  de  se  retrou 
ver  à  |torléedes  conseils  de  Bezanson  Hugues.  La  chose  devint  si 
ésidente,  qu'après  quatre  ambassades  delà  ville  et  autant  de  let- 
ties  de  l'évêque,  le  Conseil  lui-même  exigea  enfin  que  Hugues  lui 
fût  député.  Celui-ci  accepta  et  partit  avec  son  beau-frère  Dadaz 
et  deux  des  syndics.  Il  eut  avec  Pierre  de  la  Baume  un  long  en- 
tretien confidentiel  dans  lequel  il  amena  te  prélat  com|)lélement 
dans  ses  vues,  non-seulemenl  sur  la  réponse  à  laire  quant  aux 
foires,  réponse  qu'ils  minutèrent  ensemble,  mais  aussi  au  sujet 

•  Cette  abbaye  de  Pignerol  fut  la  véritable  cause  de  la  haine  de  Bonivard 
oontro  le  duc  de  Savoie,  contre  l'évêque  Jean,  contre  Pierre  de  la  Baume 
et  contre  la  cour  de  Pionie.  Jnscju'en  1514,  cette  abbaye  avait  été  possédée 
par  son  oncle  Jean-Aniédée  Bonivard,  prieur  de  Saint-Victor.  Grâce  à  ces 
complaisances  de  la  cour  de  Rome  qui,  dans  toute  la  chrétienté,  avait  rem- 
placé l'ancienne  discipline  ecclésiastique,  François  Bonivard  avait  pu  espé- 
rer succéder  à  son  oncle  dans  sa  riche  abbaye  de  Pignerol,  comme  il  lui 
succéda  en  elfet  dans  celle  de  Saint-Victor.  Mais  avec  tout  autant  de  raison 
et  de  droit,  le  duc  de  Savoie,  sur  le  territoire  duquel  elle  était  située,  l'ob- 
tint pour  son  cousin  Jean  de  Savoie,  et  à  la  mort  de  celui-ci,  pour  son  suc- 
cesseur Pierre  de  la  Baume.  Dès  ce  moment ,  Bonivard  devint  l'ennemi  le 
plus  acliarné  de  celui  qu'il  considérait  connue  son  spoliateur,  de  ceux  qui 
en  avaient  prolilé  et  de  l'Église  qui  y  avait  consenti.  Sa  haine  ne  put  que 
s'accroître  lorsqu'il  vit  qu'on  ne  le  considérait  pas  comme  assez  important 
pour  prêter  l'oreille  à  ses  réclamations.  Sa  captivité  à  Chillon  ne  put  natu- 
rellement qu'augmenter  ces  dispositions.  Tout  le  monde  sait  d'ailleurs  à  quel 
point  Bonivard  était  peu  recommandable  sous  le  rapport  des  mœurs.  Ceux 
qui  ont  étudié  l'histoire  de  Genève  ailleurs  que  dans  ses  écrits,  peuvent 
seuls  dire  combien  ceux-ci  contiennent  de  faussetés  et  d'inexactitudes. 


258 

des  lettres  de  reconnaissance  de  la  juridiciion  ecclésiastique  que 
le  duc  avait  accordées  depuis  longtemps,  mais  auxquelles  man- 
quait encore  le  parali  obedire  (le  visa)  du  Conseil  ducal,  à  dé- 
faut duquel  elles  étaient  sans  valeur.  Bezanson  Hugues  pressa 
lévéque  si  vivement  sur  ce  point  capital,  (jue  l'évêque  lui-même 
se  rendit  en  personne  h  Cliambérv,  d'où  les  lettres  revinrent 
déjà  le  surlendemain  en  bonne  forme.  Nous  ne  suivrons  pas  le 
duc  et  ses  affidés  dans  toutes  les  finesses,  les  tripotages  et  les 
coups  de  ihéâire  '  qu'ils  invenièreni  pour  renrire  ces  lettres  inu- 
tiles, et  empiéter  plus  que  jamais  sur  la  juridiction  épiscopale. 
Quant  à  Hugues,  aussitôt  qu'il  eut  rendu  compte  de  sa  mission 
au  Conseil,  où  tous  ses  amis  raccompagnèrent,  il  reçut  dere- 
chef la  défense  expresse  ilu  duc  de  ne  pas  se  mêler  des  affaires 
<le  la  ville,  s'il  craignait  sa  colère.  Selon  sa  tactique  habituelle, 
depuis  qu'il  était  sous  le  coup  de  ces  menaces,  Hugues  s'abstint 
du  Conseil  tant  qu'il  y  jugea  sa  présence  inutile,  mais  il  s'ex- 
posa bravement  et  alors  avec  d'autant  plus  de  fruits  chaque 
fois  (ju'il  en  pouvait  résulter  du  bien  pour  la  communauté.  Il 
accepta  toutefois  une  place  de  dizenier,  c'est-à-dire  de  capitaine 
de  son  quartier. 

Vers  la  fin  de  l'année  (1 522),  le  duc  annonça,  dans  une  lettre 
joyeuse,  à  la  communauté  la  naissance  de  son  premier  fds,  de- 
mandant qu'on  en  fît  de  grandes  réjouissances.  On  tira  les  ca- 
nons; ou  fit  sur  les  principales  places  des  feux  de  joie  que  la 
bise  éteignit  aussitôt;  le  crieur  public  proclama  la  nouvelle  par 
la  ville,  accompagné  de  douze  fallots  ;  enfin  on  réunit  tous  les 
musiciens  qui  firent  une  symphonie  délicieuse  «  avec  des  trom- 
pettes ,  trois  t.tmbours ,  trois  fifres  et  trois  autres  instruments 
mélodieux.  »  Malgré  tout  cela,  il  devenait  évident  que,  depuis 
l'avènement  de  Pierre  de  la  Baume,  la  marée  remontait  forte- 


*  Il  fit,  entre  autres,  insulter  le  Conseil  épiscopal,  composé  des  plus  vieux 
chanoines,  avec  toutes  les  formes  de  l'ancienne  chevalerie ,  par  un  héraut 
gentilhomme,  M.  de  Provana,  qui,  changeant  de  masque,  alla  ensuite  faire 
les  compliments  affectueux  de  Son  Altesse  au  Conseil  ordinaire  de  la  ville. 


259 

ment  en  faveur  du  parti  de  riiidéj)end;ince.  Les  mamelucs  le 
sentaient  si  bien  que,  dans  leur  désir  de  se  concilier  les  eydgue- 
nois,  ils  leur  otî'riient  aux  élections  de  1523  le  partage  égal  du 
pouvoir  entre  les  deux  partis.  Toutefois,  malgré  la  double  pré- 
sentation, après  une  violente  dispute  sur  la  valeur  des  derniers 
édits  ducaux  tout  liant  les  éleciions  syndicales,  celles-ci  tournè- 
rent au  Conseil  général  en  faveur  de  quatre  eydguenots  bien 
déclarés,  dont  l'un,  Jean  Baux,  avail  été  cassé  du  syndicat  par 
l'évèque  Jean  de  Savoie,  en  1519.  Ses  collègues  furent  Jean- 
Louis  Raniel,  Claude  Vaudel  et  JeanMigerand^  Aussitôt  après 
la  prestation  de  leur  serment,  les  nouveaux  syndics  allèrent 
chez  le  vicaire  général  pour  l'assurer  de  leur  soumission  aux 
ordres  de  l'évèque  el  aux  siens.  C'était  alors  l'ancien  élu  Aimé 
de  Gingins,  abbé  de  Bonmont,  dont  les  sympathies  étaient  pour 
le  parti  de  l'indépendance  et  pour  l'alliance  avec  les  Suisses. 
Bien  que  les  svndics  eussent  le  droit  de  nommer  leurs  conseil- 
lers, ils  ne  voulurent  point  congédier  les  anciens,  sans  doute 
pour  les  empêcher  de  nuire  en  les  maintenant  en  évidence,  el 
se  contentèrent  de  leur  adjoindre  Bezanson  Hngues,  Denys 
Dadaz,  Plonjon,  Jean  Favre,  Benoit  Genod  et  Jean  de  Mal- 
buisson, autant  d'eydguenots  bien  connus.  Le  Conseil  d'Etat  se 
trouva  ainsi  composé  de  trente-cinq  membres,  et  le  Conseil 
des  L  de  soixante.  On  reconnaît  en  cela  la  riireclion  de  Hugues, 

'  Deux  de  ces  syndics  étaient  censés  pour?le  haut  de  la  ville,  et  deux  au- 
tres pour  le  tas.  Mais  cette  distinction,  conservée  pendant  longtemps,  n'avait 
aucun  rapport  avec  celle  qu'on  a  établie  depuis.  Elle  était  même  en  sens 
inverse  ;  car  s'il  y  avait  alors  un  quartier  plus  riche  et  plus  aristocratique 
que  les  autres,  c'était  précisément  les  rues  basses  et  une  partie  de  Saint- 
Gervais.  Les  rues  du  haut  de  la  ville  qui  ont  aujourd'hui  quelque  apparence, 
telles  que  la  rue  des  Granges  et  Beauregard,  ne  datent  que  du  dernier  siècle. 
Celle  des  Chanoines  n'était  habitée  que  par  eux.  Le  reste,  à  part  quelques 
maisons  nobles,  se  composait  de  rues  en  pentes  rapides,  étroites  et  tor- 
tueuses, et  d'allées  sales,  sombres  et  tristes,  qui  durent  nécessairement  à 
la  longue  influer  sur  le  caractère,  l'humeur  et  le  physique  de  leurs  habi- 
tants. Enfin,  il  ne  faut  pas  oublier  que  la  ville  proprement  dite  était  en  outre 
entourée  de  faubourgs  qui  la  surpassaient  en  étendue  et  en  agrément. 


260 

«jui  préféiiiii  les  Conseils  nombreux  .  el  dont  la  politique  fui 
constamment  d'intéresser  le  plus  de  citoyens  possible  aux  affai- 
res publiques. 

On  se  préparait  depuis  des  mois  pour  l'entrée  solennelle  de 
l'évêque  •  ;  celui-ci  annonça  que  la  duchesse  allait  d'abord  faire 
la  sienne,  et  demanda  qu'elle  eût  lieu  avec  le  plus  de  luxe  pos- 
sible. Il  revenait  de  Rome,  où  il  avait  obtenu  l'absolution  a 
cena  el  culpa  pour  tous  ceux  qui  assisteraient  à  sa  première  messe. 
Il  informait  aussi  secrètement  le  Conseil  qu'il  apportait  des 
brefs  apostoliques  qui  mettraient  fin  à  toutes  les  chicanes  sur 
sa  juridiction.  Le  duc,  qui  l'apprit  de  son  côté,  fut  si  courroucé 
qu'il  renvoya  encore  le  voyage  de  la  duchesse.  On  n'en  fut  que 
mieux  préparé  pour  la  venue  de  l'évêque.  Toute  la  ville  courut 
à  pied  ou  à  cheval  ;j  sa  rencontre.  Louis  Monlhyon  avait  com- 
posé le  discours  qui  devait  lui  être  adressé  sur  le  pont  d'Arve, 
h  mile  des  franchises.  Bezanson  Hugues,  qui  venait  d'être  nommé 
Abbé  lie  la  ville,  soit  capitaine  général,  lui  en  adressa  un  autre  à  la 
tête  de  la  milice^.  Un  préire,  habillé  en  f>ape  pour  représenter 
saint  Pierre,  lui  offrit  la  clef  de  son  église  en  bois  doré.  Ce  fut 
le  samedi  11  a\ril  1523  que  Pierre  de  la  Baume  fit  son  entrée 
solennelle,  accompagné  de  la  comtesse  de  Monirevel,  femme 
de  son  frère  aine,  de  son  second  frère  le  baron  de  Mont-Saint- 
Sorlin,  et  de  deux  de  ses  neveux.  Il  se  rendit  aussitôt  à  la  ca- 
thédrale où,  après  la  messe,  il  prêta  le  serment  accoutumé  pour 
le  maintien  des  franchises  sur  l'autel  de  Sainte-Catherine  ;  puis 
on  lui  porla  le  don  de  la  ville,  qui  consistait  en  trente-deux 
marcs  de  vaisselle  plate,  douze  cierges  et  douze  boites  de  dra- 

•  Le  13  mars  1.523,  Bezanson  Hugues  et  Hugonin  Fabri  lui  furent  dépu- 
putés  à  Saint-Claude  pour  lui  porter  deux  belles  truites  (Turtures  duae  ho- 
nestœ). 

*  La  première  proposition  de  Hugues  comme  capitaine  général  avait  assez 
fait  voir  de  quel  côté  tourneraient  ses  sympathies  militaires.  Il  avait  demandé 
«  que,  pour  riionneur  de  l'État,  on  lit  venir  des  tambours  et  des  fifres 
étrangers  *  (Taborinos  et  lifer  extraneos.  Registre,  24  mars  1523).  On  se  rap- 
pelle que  c'était  là  exclusivement  la  musique  militaire  des  troupes  suisses  d'alors. 


261 

gées  ;  on  porta  aussi  de  l'hydromel  et  de  la  malvoisie  à  toute 
sa  famille.  A  peine  installé  il  s'empressa  d'exercer  les  droits  de 
souveraineté  qui  étaient  à  sa  portée,  surtout  le  plus  noble  de  tous, 
le  droit  de  grâce;  malheureusement  il  y  mettait  plus  d'amour- 
propre  que  de  discernement.  Mais  comm^  le  duc,  dans  sa 
rage  jalouse,  alla  jusqu'à  jurer  que  le  premier  qu'il  gracierait 
serait  pendu  avec  sa  grâce  au  cou,  on  ne  put  qu'encourager 
Pierre  de  la  Buume  à  continuer  de  gracier  à  tort  et  à  travers, 
voire  même  avant  la  condamnation  des  inculpés.  Ce  beau  zèle 
ne  le  servit  pas  mieux  dans  les  autres  prérogatives  souveraines. 
Son  caractère  léger  l'empêchait  de  distinguer  l'importance  rela- 
tive des  choses  ;  plus  d'une  fois  il  fut  obligé  de  revenir  sur  des 
actes  consommés.  Ces  tâtonnements  lui  firent  du  tort  auprès  de 
beaucoup  de  gens  ;  il  aurait  pu  les  éviter  en  consultant  chaque 
fois  des  hommes  tels  que  Bezanson  Hugues.  Malheureusement 
le  duc  et  son  parti  n'avaient  que  trop  réussi  à  l'entourer  des 
officiers  qui  avaient  déjà  servi  son  prédécesseur,  Jean  de  Savoie, 
D'autres  Genevois  étaient  d'ailleurs  parvenus  à  gagner  sa 
confiance  ;  l'un  des  premiers  était  Robert  Vandel  \  fds  du 

*  La  famille  Vandel,  originaire  de  Septmoncel,  au  diocèse  de  Lyon, 
était  Tune  des  plus  distinguées  de  Genève  quoiqu'elle  y  fût  un  peu  moins 
ancienne  que  celles  que  nous  avons  déjà  nommées.  Toutes  ses  alliances 
étaient  nobles.  Le  syndic  Claude  Vandel  avait  eu  quatre  fils  :  Robert,  Pierre, 
Hugues  et  Thomas,  qui  tous  jouèrent  un  rôle  dans  la  lutte  pour  l'indé- 
pendance. Ils  furent  du  très-petit  nombre  d'eydguenots  qui  travaillèrent, 
et  cela  de  longue  main,  à  l'établissement  de  la  réforme,  d'autant  mieux  qu'ils 
y  mirent  certainement  autant  de  finesse  diplomatique  que  de  conviction 
religieuse  ;  Thomas,  qui  était  curé  de  Saint-Germain,  conserva  et  chercha  à 
augmenter  ses  bénéfices  (il  devint  même  chanoine  de  Saint-Pierre),  jus- 
qu'au moment  où  son  intérêt  personnel  réclama  sa  conversion  publique. 
Pierre  fut  seigneur  de  Saconnex  delà  d'Arve,  du  Fresney  et  de  Gray- 
zier.  Robert  et  Hugues  furent  longtemps  employés  dans  toutes  les  négo- 
ciations importantes.  Leur  tour  n'en  arriva  pas  moins  à  tous,  malgré  leurs 
services  ,  quoique  un  peu  plus  tard  que  pour  leurs  anciens  collègues,  de 
se  consoler  de  la  perte  de  leur  crédit  et  même  de  leur  patrie  avec  le  sic 
vos  non  vobis  de  Virgile,  et  cela  à  cause  de  l'attachement  qu'ils  avaient  con- 
servé pour  leurs  anciens  parents,  amis  et  collègues  persécutés. 

Tome  XL  1 8 


262 

syndic  Claude,  l'un  des  citoyens  les  plus  distingués  après  Hu- 
gues. Eydguenot  comme  lui,  quoique  de  plus  fraîche  date,  il 
en  difterait  essentiellement  par  le  fond  de  ses  opinions  et  de 
ses  projets  politiques,  et  formait  par  cela  même  une  exception 
no!able  dans  ce  parti.  En  un  mot,  selon  toute  apparence  il 
était  déjà  alors  secrètement  luthérien  et  rêvait  une  république 
indépendante  au  spirituel  comme  au  temporel.  Il  en  résultait 
de  sa  part  de  la  jalousie  et  de  l'éloignemenl  pour  Hugues,  que 
tout  le  monde  désignait  d'avance  pour  le  premier  avoyer  du 
nouveau  canton  de  Genève,  si  la  combourgeoisie  réussissait. 
Aussi  Vandel  fut-il  de  ceux  qui  contribuèrent  le  plus  dans  la 
suite  à  l'espèce  d'ostracisme  dont  le  grand  citoyen  fut  frappé 
dans  ses  dernières  années.  Pour  le  moment  il  lui  importait  de 
se  mettre  le  plus  avant  possible  dans  les  bonnes  grâces  de  l'é- 
vêque,  qui  ne  tarda  pas  à  en  faire  l'un  de  ses  secrétaires.  Con- 
vive plus  sémillant,  conseiller  plus  complaisant,  il  s'attacha 
sous  ce  rapport  à  éclipser  Hugues,  dont  la  supériorité  même 
embarrassait  l'évêque,  ainsi  que  la  respectueuse  mais  inébran- 
lable fermeté  avec  laquelle  il  s'opposait  à  tout  empiétement  du 
prélat  sur  les  droits  de  la  communauté.  La  conduiie  de  Vandel 
fut  d'autant  moins  franche  que  Pierre  de  la  Baume,  très-sincè- 
rement catholique  malgré  ses  défauts,  était  certainement  l'un  des 
évêques  de  sou  temps  qui  éprouvaient  le  plus  de  chagrin  réel 
du  progrès  des  doctrines  luthériennes.  Il  suftisait  des  nouvelles 
d'un  synode,  tenu  à  cent  lieues  de  là,  pour  donner  à  Pierre 
une  profonde  mélancolie',  bien  qu'il  n'eût  certainement  alors 
aucun  sujet  apparent  de  s'inquiéter  pour  son  diocèse,  ni  sur- 
tout pour  Genève  où  le  peuple  resta  encore  longtemps  d'un 
catholicisme  plutôt  exagéré.  Le  parti  ducal  et  les  partisans  se- 
crets de  la  reforme  étaient  donc  parfaitement  d'accord,  quoique 
leurs  vues  fussent  diamétralement  opposées,  à  désirer  par  les 
mêmes  moyens  l'avilissement  de  l'autoriié  éplscopale. 

'  «  Heri  vidit  eum  tristem,  occasione  Synodi  et  gestorum  in  ea  »  (Rftg. 
du  22  mai  1523). 


263 

t 

Le  duc  annonça  vers  la  fin  de  juin  que  la  duchesse  allait 
enfin  faire  son  entrée.  Mais  lorsqu'il  apprit  que  la  ville  ne 
comptait  mettre  au  cadeau  qu'elle  lui  destinait  que  la  moitié  de 
la  valeur  qu'on  avait  mise  à  celui  de  l'évéque,  que  ce  cadeau 
n'était  pas  encore  prêt  et  que  l'on  n'en  comptait  faire  qu'à  h 
duchesse,  il  fut  si  vexé  qu'il  arriva  seul  à  Genève,  oii,  à  la  suite 
de  quelques-uns  de  ces  désordres  qui  ne  manquaient  jamais  ;i 
chaque  visite  ducale,  il  finit  par  menacer  de  ne  pas  amener  la 
duchesse  du  tout.  Elle  arriva  cependant,  et  si  l'on  avait  tenu  à 
faire  une  différence  entre  son  cadeau  et  celui  du  prince-évêque, 
on  se  rattrapa  d'autant  plus  sur  les  fêtes  de  réception.  D'après 
le  désir  de  l'évéque.  on  avait  habillé  trois  cents  femmes  choi- 
sies aux  couleurs  de  la  duchesse  (bleu  et  blanc).  Le  velours,  le 
satin  et  la  toile  d'argent  furent  prodigués  pour  les  costumes 
des  cinq  cents  hommes  qui  devaii  nt  faire  partie  du  cortège. 
Enfin  la  poésie  dramatique  joua  son  rôle  ordinaire  sur  les  tré- 
teaux en  plein  vent.  La  duchesse  parut  très-satisfaite*,  mais 

'  La  plupart  de  nos  historiens  affirment ,  d'après  Bonivard,  que  la  du- 
chesse reçut  tous  ces  hommages  avec  beaucoup  de  dédain  et  de  fierté.  Les 
registres  des  Conseils,  tenus  au  jour  le  jour,  disent  précisément  le  contraire. 
La  duchesse  reçut  agréablement  le  don  que  les  syndics  lui  présentèrent,  et 
les  assura  gracieusement  que  les  honneurs  dont  elle  avait  été  l'objet  auraient 
déjà  suffi,  et  qu'elle  s'efforcerait  d'en  témoigner  sa  reconnaissance  à  la  ville; 
aussi  se  servit-on,  dès  les  jours  suivants,  de  son  intermédiaire  auprès  du 
duc.  —  Nous  prévenons  nos  lecteurs  que  bien  que,  ou  plutôt /)«rce  que,  notre 
travail  est  essentiellement  calqué  sur  les  registres,  nous  ne  citerons  ceux- 
ci  que  lorsque  nous  ne  pourrons  absolument  pas  nous  en  dispenser.  La 
raison  en  est  facile  à  comprendre.  Les  registres  des  Conseils,  tenus  au 
jour  le  jour,  sont,  de  tous  les  documents  publics,  les  plus  faciles  à  consulter 
pour  des  faits  cités  à  leurs  dates  respectives.  Plusieurs  de  nos  collègues 
les  possèdent  en  outre,  comme  nous ,  en  extraits  ou  en  copie  ,  pour  les 
époques  les  plus  importantes.  De  simples  renvois  en  note  seraient  donc  en- 
tièrement superflus,  en  outre  qu'il  faudrait  les  répéter  à  chaque  phrase ,  et 
des  citations  in  extenso  prendraient,  pour  un  travail  aussi  condensé  que  le 
nôtre,  au  moins  trois  fois  la  place  occupée  par  le  texte,  inconvénient  qui  ne 
vaut  pas  la  petite  apparence  d'érudition  qu'il  pourrait  nous  procurer,  et  au- 
quel il  faut  prendre  garde  quand  on  n'imprime  pas  à  ses  frais.  Il  n'en  est 
pas  de  même  des  documents  isolés  que  nous  publions  comme  pièces  justifi- 
catives, et  auxquelles  personne  peut-être  n'aurait  fait  attention. 


264 

ces  fêtes  eurent  sur  les  Genevois  les  tristes  effets  qu'elles  ne 
manquaient  jamais  de  produire.  Des  hommes  mûrs,  voire  même 
deux  eydguenots,  Jean  de  Malbuisson  et  Jean  Philippe,  eurent 
une  dispute  sérieuse  en  rivalisant  de  magnificence  dans  leur 
coslume;  d'autres  menacèrent  de  s'abstenir  si  leurs  femmes 
n'étaient  pas  les  premières  de  la  bande;  un  autre  faillit  être 
cassé  de  bourgeoisie .  parce  que  la  sienne  ne  se  souciait  pas 
d'en  être.  La  passion  de  briller  dominait  chez  les  eydguenots 
comme  chez  les  mamelucs.  Seul  l'austère  premier  syndic  Ra- 
mel  s'absenta  pendant  les  fêtes  pour  se  dispenser  d'avoir 
l'air  d'approuver  des  dépenses  qu'il  aurait  voulu  employer  aux 
fortifications  de  la  ville,  et  à  en  tenir  éloignés  ceux  qu'on  se 
plaisait  à  y  attirer.  En  cela  Bezanson  Hugues  ne  fut  pas  de 
son  avis;  la  passion  du  peuple  genevois  pour  les  fêles  et  les 
spectacles  était  si  forte  qu'il. y  aurait  eu  danger  à  l'en  priver 
une  fois  qu'il  s'y  attendait.  La  meilleure  manière  de  popula- 
riser l'adminisi ration  des  eydguenots  était  de  prouver  qu'ils 
savaient  déployer  encore  plus  de  goût  et  de  magnificence  que 
les  autres.  Mais  en  prenant  part  à  tout,  à  la  tête  des  milices 
genevoises,  le  capitaine  général  Bezanson  Hugues  prit  aussi 
toutes  les  mesures  nécessaires  pour  la  sûreté  de  la  ville  pen- 
dant le  séjour  d'un  hôie  aussi  perfide.  Toutes  les  dizaines  furent 
armées,  et  cinq  d'entre  elles  passaient  la  nuit  dans  la  maison 
de  ville.  D'ailleurs,  sur  la  proposition  de  son  beau-frère,  le  syn- 
dic Baud,  les  dizeniers  eurent  onire  d'entreposer  des  armes  par- 
tout, même  dans  les  magasins  et  les  boutiques. 

Charles  le  Bon  ne  pouvait  jamais  venir  à  Genève  sans  y 
susciter  aussitôt,  directement  ou  par  ses  ofliciers ,  des  esclan- 
dres de  toute  espèce  ;  cetie  fois  cependant  les  citoyens  et  leur 
évêque  firent  bonne  contenance.  Malheureusement  l'excellent 
pape  Adrien  VI,  qui  avait  rem|)lacé  Léon  X,  vint  à  mourir  et 
avec  lui  s'évanouirent  toutes  les  espérances  que  Ton  fondait  sur 
la  bonne  administration  qu'il  avait  inaugurée  malgré  la  brièveté 
de  son  règne;  car  il  fut  remplacé  par  Clément  VU,  bâtard  de  la 


265 

maison  de  Médicis.  aussi  peu  scrupuleux  que  son  parent  Léon  X, 
quand  il  s'agissait  de  l'agrandissement  de  sa  famille.  Le  duc,  de- 
venu plus  arrogant  que  jamais,  invita  ses  officiers  à  coniinuer  de 
plus  belle  leurs  empiétements  sur  la  juridiction  épiscopale  ei  leurs 
vexations  contre  les  Genevois  en  général.  Il  ne  tarda  pas  à  re- 
venir lui-même  à  Genève,  où  il  fut  bientôt  suivi  par  la  duchesse, 
qui  comptait  foire  ses  couches  au  couvent  des  frères  prêcheurs. 
La  froide  réception  qu'on  fit  cette  fois  à  Leurs  Altesses  acheva 
d'exaspérer  le  duc,  qui  ne  se  consolait  pas  de  n'avoir  pas  reçu 
aussi  son  cadeau  à  sa  dernière  visite.  Toutefois,  le  gouverne- 
ment était  décidé  à  user  de  toute  la  douceur  et  la  prudence 
possibles,  et  adjoignit  à  cet  effet  Bezanson  Hugues  et  Pierre 
d'Orsières  aux  syndics  Baud  et  Vandel,  que  l'on  trouvait 
trop  brusques.  Vandel  étant  mort  peu  de  jours  après,  fut  rem- 
placé par  Antoine  de  la  Fontaine ,  l'un  des  mamelucs  les  plus 
dangereux,  preuve  évidente  de  l'influence  que  ce  parti  venait 
de  reconquérir  sous  celle  des  rodomontades  de  Son  Altesse 
qui  menaçait  tantôt  «de  faire  un  exemple  terrible,»  tantôt 
«qu'il  rendrait  Genève  plus  misérable  qne  le  plus  pauvre  vil- 
lage de  ses  États;  »  d'autres  fois,  se  ravisant,  il  faisait  entendre 
que  tout  pourrait  s'arranger  «  moyennant  une  bourse  remplie 
d'écus.  »  Il  faut  voir  ces  choses  dans  les  registres  et  dans  les 
documents  de  l'époque,  pour  croire  à  autant  de  méchanceté, 
de  lâcheté  et  de  bassesse  de  la  part  d'un  prince  aussi  puissant 
vis-a-vis  d'une  ville  composée  en  majeure  partie  de  marchands  ^ 
et  d'ouvriers,  dans  le  moment  même  oii  cette  ville,  oubliant  les 
injures  et  les  mauvais  traitements,  lui  accordait,  à  lui  et  à  sa 
famille,  une  hospitalité  qu'elle  ne  lui  devait  en  aucune  façon. 
^  Le  2  décembre  1523,  la  duchesse  accoucha  d'un  fils  dans 
le  couvent  des  frères  prêcheurs.  Aussitôt  l'évêque,  le  chapitre, 
le  clergé,  les  confréries  sous  leurs  prieurs,  les  bandes  de  milices 
sous  leurs  rois,  les  enfants  de  Genève  sous  leur  capitaine  général, 
les  artilleurs  et  jusqu'aux  petits  enfants  des  deux  sexes  habil- 
lés de  blanc,  tout  cela  se  mit  en  mouvement  et  fit  pendant  trois 


266 

jours  ei  trois  nuits  autant  de  (apage  «  que  si  la  ville  elle-même 
venait  d'accoucher  d'un  libérateur  ' .  »  Au  milieu  de  ces  mani- 
festations on  apprit  que  le  duc  avait  fait  armer  6000  Foucigne- 
rans  sous  prétexte  du  baptême  de  son  fils.  Aussitôt  les  dizeniers' 
eurent  ordre  de  se  tenir  sur  leurs  gardes,  et  comme  le  cœur 
lui  manquait  toujours  au  dernier  moment,  le  baptême  se  passa 
sans  encombre.  Après  une  courte  absence ,  le  duc  levint  à 
Genève  pour  l'élection  des  syndics,  4  février  1524.  Sous  cette 
pression ,  la  majorité  se  déclara  pour  Antoine  de  la  Fontaine, 
Clautle  Richarde! ,  François  Forneret  et  Bernard  Du  mont,  un 
seul  eydguenot,  Richardet,  et  trois  mamelucs  avérés,  bien 
qu'on  eût  procédé  d'après  l'ancienne  coutume  et  non  selon  la 
constitution  ducale  de  1519.  Le  duc  fut  si  joyeux  qu'il  donna  le 
soir  même  aux  dames  de  la  ville  un  souper  suivi  d'un  bal  où 
il  fut  très-affable,  surtout  avec  les  enfants  de  Genève.  Dès  le 
lendemain,  lors  de  la  visite  que  lui  firent  les  nouveaux  syndics, 
il  chercha  de  plus  belle  à  empiéter  sur  la  juridiction  épiscopale 
en  faveur  de  son  nouveau  vidomne,  Hugues  de  Rogemont,  sei- 
gneur de  Vernaux,  devant  lequel  il  voulait  que  toutes  les  causes 
civiles  et  profanes  fussent  portées.  Mais  en  l'absence  de  l'é- 
vêque,  le  vicaire  général  Aymon  de  Gingins  fit  bonne  conte- 
nance ;  les  syndics  eux-mêmes  jugèrent  convenable,  en  entrant 
en  charge,  de  montrer  quelque  apparence  de  fermeté,  et  le  duc 
négligea  ces  petites  contrariétés  en  faveur  d'une  injure  bien  plus 
sensible  qu'il  préparait  aux  Genevois. 

Messire  Ami  Lévrier,  docteur  en  droit,  digne  fils  du  brave  syn- 
dic Pierre  Lévrier,  après  avoir  soigné  avec  beaucoup  de  zèle  et 
d'intelligence  les  intérêts  de  la  communauté  genevoise  à  Rome, 
était  revenu  dans  sa  pairie,  où  il  occupait  les  importantes  fonc- 
tions de  juge  des  excès.  Le  duc  savait  de  reste  que  c'était  en 
grande  partie  ce  jeune  et  courageux  ecclésiastique  qui  avait  si 
bien  déjoué  ses  dernières  intrigues  en  cour  de  Rome;  il  n'en 

'  Tout  en  profitant  des  matériaux  de  Galiffe,  nous  tenons  cependant  à  lui 
laisser  l'honneur  de  ses  propres  expressions. 


267 

fallai!  pas  davantage  pour  lui  faire  reporter  sur  cv  fils  la  haine 
qu'il  avail  jadis  vouée  au  père.  En  sa  (jiialité  d'ecclésiastique  et 
de  grand  officier  de  l'évêque,  dont  le  duc  lui-même  éiait  vassal 
pour  le  vidomnat.  Ami  Lévrier  n'étail  justiciable  d'aucun  tribunal 
temporel.  Mais  celte  considération  ne  pouvait  arrêter  Charles  le 
Bon  sons  un  pontifical  comme  celui  de  Clément  VIL  Enlevé  de 
guet-apens  au  moment  où  les  principaux  des  evdguenots  étaient 
au  Conseil,  et  garrotté  sur  un  cheval  par  des  gentillàlres  de 
bas  étage,  prêts  pour  quehjues  sous  à  commettre  lous  les  crimes 
que  pouvail  ordonner  leur  souverain,  Ami  Lévrier  fut  conduit 
au  couvent  de  Palais,  et  de  là  traîné  aussitôt  à  la  suite  de  Leurs 
Altesses  au  château  de  Bonne  en  Faucigny,  à  quatre  lieues  de 
Genève.  La,  le  duc  lui  demanda  a  brûle-poiirpoint  :  «  Suis  je 
souverain  seigneur  de  Genève,  et  êles-vous  mon  sujet?  »  Puis, 
sûr  la  simple  réponse  négative  de  Lévrier,  il  lui  fit  trancher  la 
tête  dans  la  cour  du  château  '. 

Aussitôt  que  l'arrestation  de  Lévrier  avait  été  connue  à  Ge- 
nève, les  syndics  et  le  chapitre  avaient  pris  eu  commun  toutes 
les  mesures  nécessaires,  et  comme  il  s'agissait  de  députer  au 
duc  quelqu'un  qui  fût  en  sûreté  dans  ses  Etats,  et  qui  eût  en 
même  temps  quelque  influence  personnelle,  on  obtint  de  l'évê- 
que de  Maurienne,  Louis  de  Goi  revod,  alors  présent  a  Genève, 
qu'il  s'acquitterait  de  cette  importante  mission.  Au  départ  de  ce 
prélat  le  crime  était  déjà  consommé  :  mais  le  duc  trouva  moyen 
de  le  lui  cacher,  nous  aimons  à  le  croire,  et  le  renvoya  avec  la 
réponse  «  que  le  prisonnier  serait  gracié  et  libéré  dès  que  les 
syndics  viendraient  faire  leur  soumission  en  personne  et  se  dé- 
clarer ses  sujets.  »  Plus  tard,  lorsque  le  duc  s'aperçut  de  l'hor- 
reur universelle  qut^ce  nouveau  meurtre  avait  soulevée,  il  chercha 
à  se  disculper  en  prétendant  que  Lévrier  avait  ainsi  subi  la  peine 
de  deux  assassinais  et  d'autres  délits  commis  en  Savoie;  mais 
personne  ne  fut  dupe  de  cet  infâme  mensonge. 

>  Voyez  l'extrait  du  procès  de  Cartelier,  dans  Ggliffe,  Malériaux,  t.  II, 
p.  248. 


268 

L'évêqiie  de  Genève  était  alors  trop  loin  pour  qu'on  osât  lui 
porter  cette  triste  nouvelle  ;  on  la  fit  savoir  à  son  frère,  le  baron 
de  Mont-Saint-Sorlin,  qui  arriva  de  Riimilly.  Malheureusement, 
les  parents  de  Pierre  de  la  Baume  étaient  plus  dévoués  à  la  Sa- 
voie qu'à  Genève  ;  l'évéque  lui-même  commençait  à  s'inquiéter  des 
suites  de  la  lutte  engagée  avec  le  duc,  et  les  projets  d'alliance  avec 
les  cantons  lui  déplaisaient  vivement  à  cause  des  éléments  héré- 
tiques que  cela  pourrait  amener  à  Genève.  Enfin,  depuis  l'avé- 
nement  de  Clément  VII,  la  faveur  de  la  maison  de  Savoie  était 
plus  forte  que  jamais  en  cour  de  Rome.  Or  Pierre  de  la  Baume 
n'était  pas  homme  a  sacrifier  l'espoir  d'un  chapeau  de  cardinal 
au  bien  de  ses  administrés.  Il  ne  montra  donc  pas  toute  l'indi- 
gnation qu'on  aurait  voulu  lui  voir  a  la  nouvelle  de  la  mort  de 
Lévrier;  la  froideur  qui  commençait  a  s'établir  entre  son  peuple 
et  lui,  lui  fit  trouver  des  prétextes  de  prolonger  ses  absences. 
Le  duc  en  profitait;  il  recommença  à  persécuter  les  bouchers 
avec  son  ignoble  prétention  sur  les  langues  des  bêtes  tuées; 
ceux  qu'on  trouvait  moyen  de  saisir  étaient  jetés  dans  les  sou- 
terrains du  château  de  Gaillard;  une  poutre  leur  permettait  de 
monter  tour  à  tour  jusqu'au  soupirail  pour  y  respirer  plus  à 
l'aise,  et  parler  de  Ta  à  leurs  familles  ;  le  duc  la  fil  enlever.  Peu 
de  temps  après  il  y  eut  une  scène  au  Conseil  entre  le  syndic 
Richardet,  eydguenot,  et  le  trésorier  Boulet,  mameluc,  que  le 
premier  frappa  de  son  bâton  syndical.  Aussitôt  le  mameluc,  au 
lieu  de  faire  sa  plainte  devant  les  juges  compétents,  alla  la  por- 
ter au  Conseil  ducal  de  Chambéry  qui  séquestra  immédiatement, 
avec  menaces  de  confiscation,  les  biens  des  syndics  situés  sur 
terre  de  Savoie.  Alors  seulement  l'évéque  se  mit  en  colère  pour 
tout  de  bon,  et  après  plusieurs  voyages  à  Saint-Clauile,  l'eyd- 
guenot  Ami  Girard  '  en  revint  enfin  avec  la  nouvelle  positive 

1  Avec  moins  d'emportemeut  et  plus  de  modération,  Ami  Girard  aurait, 
sous  certains  rapports,  presque  égalé  Bezanson  Hugues.  Ses  lettres,  rem- 
plies d'histoire,  sont  celles  d'un  homme  remarquahlement  instruit  et  distin- 
gué. Au  reste,  tout  ce  que  nous  avons  dit  jusqu'ici  de  la  véritable  position 


269 

que  le  prélat  consentait  à  se  réunir  à  la  conmuniauté  pour  un 
appel  a  Rome. 

Malgré  la  supérioiité  Itien  évidente  du  parti  dur-al,  les  élec- 
tions syndicales  de  1525  tournèrent  presque  en  faveur  des 
eydguenots.  On  élut  Louis  Montyon ,  Bezanson  Hugues,  Guil- 
laume Pensabin  et  Jean  Balard,  l'auteur  du  Journal  publié  par  le 
docteur  Cliaponnière.  Pensabin  et  Balard,  qui  étaient  présents, 
acceptèreni  seuls;  les  autres  nrélendirent  avoir  de  bonnes  rai- 
sons pour  refuser.  Alors  on  mit  tout  en  œuvre  pour  les  faire 
accepter  :  l'évêque  lui-même  voulut  s'en  mêler  ;  Montyon  pré- 
textait des  raisons  de  santé  et  la  crainte  que  son  acceptation 
ne  fît  du  toi  t  à  ses  neveux  ei  pupilles,  qui  avaient  de  grands 
biens  sur  territoire  ducal.  Enfin  il  se  laissa  gagner  par  faiblesse. 
Mal  lui  en  prit ,  car  il  ne  tarda  pas  à  fléchir,  et  à  gâter  ainsi 
une  longue  et  honorable  carrière.  Mais  Bezanson  Hugues  fut 
inébranlable,  et  resta  sourd  à  toutes  les  sollicitations.  Les  mo- 
tifs qu'il  faisait  valoir  étaient  «  que  le  duc  l'avait  maintes  fois 
menacé  de  toute  sa  colère  s'il  se  mêlait  encore  des  affaires  de 
la  ville  ;  que,  le  cas  échéant,  le  prince-évêque  ne  saurait  pas 
mieux  le  protéger  qu'il  n'avait  su  proléger  Ami  Lévrier.  Enfin, 
qu'î7  aimait  mieux  être  confesaeur  que  martyr.  »  Singulier  aveu 
de  la  part  d'un  homme  qui,  malgré  les  défenses  du  duc,  s'était, 
dans  les  moments  les  plus  critiiiues,  exposé  plus  que  personne 
dans  les  fonctions  de  capitaine  général,  pendant  tous  les  der- 
niers séjours  de  Son  Altesse.  Aussi  revint-on  à  la  charge  à  plu- 
sieurs reprises.  Hugues  raconta  alors  brièvement  les  nombreuses 

sociale  des  premiers  eydguenots,  s'applique  également  à  celui-ci.  Son  père 
était  qualifié  de  noble  sans  avoir  jamais  occupé  aucune  charge  publique  à 
Genève,  et  sa  mère  était  de  la  noble  maison  de  Pesmes.  —  Aux  autres  prin- 
cipaux eydguenots  déjà  cités,  il  faut  ajouter  Jean  Taccon,  qui  avait  été  ca- 
pitaine général  de  1513  à  1516,  proche  parent  de  M.  d'Erlach  par  son  ma- 
riage avec  une  demoiselle  de  Courtelary  ;  noble  François  de  Lunes,  sei- 
gneur deCivin,  conseiller  en  1519  et  1522;  les  du  Crest  dont  l'un,  Nycolin, 
conseiller  1526,  syndic  1528,  lieutenant  1530  (ensuite  Peneysan),  épousa 
No.  Madeleine  d'Erlach;  etc.,  etc. 


270 

occasions  dans  lesquelles  Son  Altesse  lui  avait  fait  adresser  de 
pareilles  menaces;  il  offrit  de  faire  corroborer  son  récit  par 
le  témoignage  nssermenté  demamelucs  bien  avérés,  qui  savaient 
parfaitement  qu'il  perdrait  la  vie  s'il  acceptait  le  syndicat.  La  ma- 
nière habile  dont  il  termina  son  discours,  prouva  du  reste  assez 
que  ce  n'était  pas  la  crainte  de  déplaire  au  duc  qui  dirigeait  la 
présente  démarche.  Il  raconta  «  que  le  juge  de  Gex  l'avait  aussi 
prévenu  que  Son  Altesse  Illustrissime  savait  qu'il  se  mêlait  des 
affaires  de  la  ville,  et  qu'il  lui  avait  raconté  ii  ce  sujet  une  chose 
assez  singulière  qui  s'était  passée  dans  une  ville  du  Piémont, 
où  Son  Altesse  avaii  fait  une  défense  toute  semblable  a  un  par- 
ticulier: celui-ci  s'était,  en  conséquence,  abstenu  de  tout  em- 
ploi ;  mais  sij;  ou  huit  personnes  du  Conseil  allaient  le  voir  chez 
lui ,  et  tout  se  faisoit  par  ses  avis.»  Certes,  pour  être  fine,  l'al- 
lusion était  a'^sez  claire;  le  Conseil  d'alors  ne  contenait  en  effet 
guère  plus  de  six  ou  huit  eydguenots;  un  de  plus  ou  de 
moins  ne  pouvait  augmenter  leur  influence  contre  un  nombre 
triple  de  mamelucs.  De  plus,  il  venait  d'être  clairement  prouvé 
que  tout  ce  qui  se  disait  au  Conseil  était  aussitôt  transmis  au 
duc;  l'évêque  lui-même  s'en  était  plaint  hautement.  Il  ne  res- 
tait aux  fidèles  que  la  ressource  de  se  réunir  chez  un  des 
leurs  pour  y  deviser  des  choses  faites  ou  à  faire ,  et  transmet- 
tre ensuite  à  tous  leurs  affidés  le  résultat  de  leur  délibération. 
D'ailleurs,  Bezanson  Hugues  offrait  de  payer  pour  son  refus  l'a- 
mende qu'il  plairait  au  Conseil  de  (iser.  Son  beau-frère  Baud 
qui,  dans  cette  occasion  seule,  ne  pensa  pas  tout  à  fait  comme 
lui,  proposa  au  Conseil  général  de  le  priver  de  la  bourgeoisie 
pendant  un  an  pour  l'exemple;  mais  l'avis  unanime  fut  d'agréer 
la  validité  de  ses  excuses,  et  l'on  élut  Jean  Bouvier  à  sa  place. 
Ses  partisans  ne  tardèrent  pas  du  reste  à  reconnaître  combien 
il  avait  agi  sagement  en  refusant  le  syndicat  dans  cette  occa- 
sion. 

Comme  nous  ne  prétendons  pas  faire  ici  l'histoire  de  Genève, 
nous  passons  sur  les  détails  des  nouvelles  persécutions,  plus 


271 

cruelles  encore  que  les  précédenles,  que  le  duc  se  permit  contre 
Genève,  pour  la  faire  renoncer  à  l'appel  à  Rome.  Il  fallut  avoir 
recours  aune  ambassade  du  prince-évêque  en  personne  pour  prier 
Son  Alless'î  de  permettre  que  les  propriétés  genevoises  séijues- 
iréf'ssur  territoire  ducal  pussent  au  moins  être  cultivées  en  at- 
tendant la  décision  du  procès.  Le  président  du  Conseil  de  Cham- 
béry  déclara  que  bien  loin  de  rien  révoquer,  on  allait  multiplier 
les  peines,  et  le  duc  fit  aussitôt  prendre  toutes  les  mesures  né- 
cessaires pour  couper  les  vivres  à  la  ville.  C'était  une  infraction 
aux  traités  de  subsistance  que  les  Genevois  avaient  conclus  avec 
ses  prédécesseurs,  qui  avaient  assuré  le  libre  passage  des  den- 
rées pour  une  somme  payée  une  fois  pour  toutes.  (Soit  dit  par 
anticipation,  celte  espèce  de  blocus  de  la  ville  ne  finit  qu'avec  la 
puissance  de  Son  Altesse.)  Les  choses  allèrent  si  loin  que  l'évê- 
que,  alors  malade  à  Milan,  où  il  n'avait  rien  à  craindre',  jura 
qu'il  armerait  loute  sa  famille  pour  faire  la  guerre  au  duc  de 
Savoie.  Malheureusiment  ces  velléités  énergiques  étaient  de 
courte  durée,  et  la  maison  de  la  Baume  ne  tenait  pas  à  se 
brouiller  avec  celle  de  Charles  IIL 

Cependant  le  duc,  perdant  patience  de  ce  qu'il  n'arrivait  pas 
à  ses  fins  aussi  vite  qu'il  l'aurait  voulu,  finit  par  menacer  la 
ville  d'y  amener  8000  hommes  pour  la  forcer  à  l'obéissance. 
En  attendant,  les  fermiers,  vignerons  et  grangers  des  proprié- 
lés  genevoises  étaient  traînés  en  prison.  Les  Genevois  qui 
avaient  le  malheur  de  sortir  des  franchises  subissaient  le  même 
sort.  Enfin,  voyant  Genève  réduite  à  la  dernière  extrémité,  le 
gouvernement  assembla  le  Grand  Conseil  (le  LX  augmenté 
d'une  quarantaine  de  conseillers)  et  là,  53  voix  contre  42  déci- 
dèrent de  révoquer  l'appel  à  Rome.  Mais  on  eut  le  tort  de  lais- 
ser connaître  ces  chiffres  au  duc  ;  car  Son  Altesse,  au  lieu  de 
se  déclarer  satisfaite,  répondit  qu'elle  aurait  révoqué  les  pei- 


'  Il  s'y  était  rendu  comme  partisan  et  agent  de  l'empereur  auprès  du 
connétable  de  Bourbon  contre  François  I*""  (Journal  de  Balard,  page  3). 


272 

nés  décrétées  contre  la  ville  et  les  particuliers  si  la  résolution  du 
Grand  Conseil  avait  été  unanime  \ 

Dans  le  but  de  profiter  de  l'indignation  qu'une  réponse  aussi 
amèrement  dérisoire  ne  pouvait  manquer  de  produire  dans  !e 
peuple,  les  eydguenots  demandèrent  la  convocation  d'im  Con- 
seil général,  sans  doute  pour  proposer  la  résistance  ;  mais  cette 
demande  fut  repoussée  par  le  vicaire  remplaçant  le  prince-évé- 
que.  Peut-être  eut-il  raison;  car  on  apprit  aussitôt  que  plusieurs 
Genevois  venaient  encore  d'être  arrêtés  hors  des  franchises,  et 
que  l'armée  ducale  n'était  plus  qu'à  un  quart  de  lieue  de  la  ville; 
aussitôt  aussi  lese}'dgi!enots  reçurent  de  leurs  parents  de  Savoie 
des  messages  pressés  les  prévenant  qu'ils  n'avaient  pas  un  ins- 
tant à  perdre  pour  éviter  d'être  saisis,  condamnés  et  exécutés. 
Ils  n'eurent  pas  même  le  temps  de  se  concerter  entre  eux,  mais 
s'enfuirent  précipitamment,  le  groupe  principal  dans  la  direction 
de  Saint-Claude,  à  la  suite  de  Bezanson  Hugues ,  qui  espérait 
vainement  y  trouver  l'évêque.  A  peine  sortaient-ils  de  cette  pe- 
tite ville,  que  les  archers  du  duc,  qui  avaient  suivi  leurs  tra- 
C('s,  y  entraient  par  l'autre  porte;  les  malheureux  fugitifs  serrés 
de  si  près  furen;  contraints  de  se  jeter  dans  les  bois;  ils  furent 
ainsi  poursuivis  jusqu'à  Besançon,  d'où,  par  des  chemins  affreux 
et  une  jduie  constante,  et  ayant  toujours  les  ennemis  sur  leurs 
pas,  ils  atteignirent  le  territoire  fribouigeois,  et  enfin  la  ville  de 
Fribourg  qui  les  accueillit  avec  transport.  Suivi  de  ses  compa- 
gnons, Bezanson  Hugues  fut  aussitôt  conduit  au  Conseil,  où 
on  le  fit  asseoira  la  droite  de  l'avoyer.  Une  explosion  de  colère 
et  d'indignation  répondit  au  simple  récit  quM  fit  des  événements 
qui  l'avaient  amené  là,  lui  et  ses  amis,  dans  un  si  triste  état'. 
Des  lettres  de  sauvegarde   furent  aussitôt  dressées  pour  lui 

«  Cette  résolution  n'avait  du  reste  aucune  valeur  tant  qu'elle  n'était  pas 
confirmée  par  le  Conseil  général, 

^  Ils  étaient  dix-huit  :  Bezanson  Hufjues,  Jean  et  Claude  Baud,  Jean-Louis 
Ramel,  Michel  Sept,  Claude,  Jean  et  Iludriol  du  Molard,  Ami  Bandiéres,  Bo- 
niface  et  Guillaume  Hoffisdier,  François   et  Claude  Rosset,  Jean  d'Arlod, 


273 

et  tous  ses  compngiions  d'infortune.  Puis  Messieurs  de  Fribourg 
écrivirenl  à  leurs  confédérés  de  Berne  et  de  Soleure  pour  leur 
exposer  la  manière  infâme  dont  le  duc  venait  de  se  conduire 
avec  leurs  combourgeois ,  ei  les  prier  de  se  joindre  à  eux  pour 
une  ambassade  menaçante,  qui  le  forcerait  à  renoncer  à  son 
entreprise,  et  a  libérer  les  Genevois  prisonniers,  dont  l'un 
avaii  même  été  saisi  le  dimanche  pendant  la  grand'messe,  à 
Notre-Dame-de-Giâces,  sacrilège  qui,  dans  l'esprit  des  catho- 
liques fribourgeois,  fit  autant  de  tort  à  Son  Altesse  que  loul  le 
reste. 


IV 

(1525  —  1527) 

Les  troupes  ducales  éiaient  celte  fois  presque  entièrement 
composées  deFoucigntrans.  c  est-a-dire  de  la  population  à  la  fois 
la  plus  guerrière  et  la  plus  hostile  aux  Genevois.  En  l'absence 
des  principaux  eydguenols,  le  duc  aurait  pu  aisément  anéantir 
la  ville;  m;iis  le  cœur  manquait  toujours  àu  moment  décisif  a 
ce  héros  de  parade.  Le  plus  grand  exploit  de  ses  troupes  fut 
de  saccager  à  fond  la  campagne  de  Guillaume  Hugues,  frère  de 
Bezanson,  à  Lancy.  Puis  l'évêque  de  Maurienne  et  M.  de  Ba- 
layson,  intimes  de  Son  Altesse,  firent  convoquer  le  Conseil  gé- 
néral pour  lui  faire  confirmer  la  renonciation  de  la  communauté 
à  l'appel  à  Bome  ;  mais  quand  celte  pièce  fut  prête,  on  s'aper- 

Pierre  de  la  Thoy,  Jean  Pécolat,  Jean  Luilin  et  Ami  Girard.  D'autres  les 
avaient  précédés  ou  les  rejoignirent  ensuite,  mais  leurs  noms  ne  sont  pas 
mentionnés  ;  d'autres  encore  furent  arrêtés  en  chemin.  Quelques  historiens 
racontent  que  le  châtelain  de  Gex,  compère  de  Bezanson  Hugues,  et  à  qui, 
pour  cette  raison,  on  avait  confié  la  capture  de  ce  citoyen,  vint  coucher  chez 
lui,  dans  sa  campagne  de  Châtelaine  où  il  se  trouvait  alors;  mais  qu'après 
lui  avoir  fait  hon  accueil  comme  si  de  rien  n'était,  Hugues  s'enfuit  nuitam- 
ment sur  le  cheval  même  du  châtelain. 


274 

çut  avec  consternation  que  le  grand  sceau  de  la  ville,  qui  seul 
pouvait  la  rendre  valable,  avait  été  emporté  par  Ami  Girard,  qui 
en  était  dépositaire  en  qualité  de  trésorier.  Alors  les  mamelucs 
craignirent  qu'il  ne  servît  aux  fugitifs  pour  sceller  un  nouvel 
acte  de  combourgeoisie  avec  «ces  canailles  d'Allemagne,» 
comme  ils  appelaient  les  Suisses,  et  ils  écrivirent  lettres  sur 
lettres  à  Fribourg  et  aux  autres  cantons  suisses,  |>our  désavouer 
d'avance  un  pareil  acte  ' . 

Bien  que  le  duc  fût,  comme  toujours ,  entouré  des  princi- 
paux seigneurs  laïques  et  ecclésiastiques  de  ses  Étals,  son  en- 
trée fut  cependant  beaucoup  moins  triomphale  que  les  précéden- 
tes. Son  cortège  s'était  augmenté  de  quelques  personnages  dont 
il  se  serait  bien  passé:  des  ambassadeurs  de  Fribourg,  Berne  et 
Soleure,  qui  lui  avaient  déjà  fait  entendre  des  paroles  peu  flat- 
teuses. Malgré  le  redoublement  de  servilité  des  magistrats  ma- 
melucs, Charles  III  échoua  sur  tous  les  points,  même  dans  ses 
éternelles  demandes  d'argent  qui  lui  tenaient  le  plus  a  cœur.  Il 
voulut  iilors  provoquer  un  désaveu  officiel  des  plaintes  que  les 
eydgiienots  fugitifs  avaient  été  porter  en  Suisse,  et  les  mame- 
lucs y  étaient  tout  disposés.  Mais  aussitôt  les  ambassadeurs  des 
trois  cantons  firent  assembler  le  Grand  Conseil,  et  invitèrent  là 
les  citoyens  «  à  exposer  franchement  leurs  griels,  ajoutant  que 
leurs  commettants  étaient  désireux  et  parfaitement  à  même  <le 
maintenir  leurs  libertés  et  franchisas.  »  Ce  discours  était  tout 
l'opposé  de  celui  que  M.  d'Erlach  était  venu  tenir  en  1519. 
Le  patricien  bernois  parlait  alors  au  nom  de  sa  caste,  qui  avait 
quantité  de  ses  membres  au  service  de  la  maison  de  Savoie  et 
d'autres  souverains;  actuellement  c'était  l'opinion  de  la  haute 

•  Le  fait  est  qu'Ami  Girard  n'avait  fait  que  cactier  le  sceau  dans  sa  propre 
maison  avant  sa  fuite,  qui  eut  lieu  séparément  de  celle  de  Hugues  et  de  ses 
amis.  Voyez  dans  Galiffe,  Matériaux,  t.  II,  p.  314,  sa  ferme  et  malicieuse 
réponse  aux  syndics  mamelucs  qui  demandaient  le  dit  sceau  à  cor  et  à  cri. 
Voyez  aussi  (ibidem,  p.  336  à  355)  les  lettres  spirituelles  signées  Déluge 
qu'Ami  Porral  écrivit  aux  fugitifs  sur  ce  qui  se  passait  à  Genève  durant  leur 
absence. 


275 

bourgeoisie  bernoise  qui  l'emportait,  et  ce  résultat  était  encore 
dû  aux  efforts  de  Bezanson  Hugues.  Celui-ci,  sans  se  donner 
mémo  le  temps  de  se  reposer  de  ses  f;itigues  au  milieu  de  ses 
amis  de  Fribourg,  élail  parti  pour  Berne  avec  les  principaux  d'en- 
tre eux.  Là,  parcourant  les  abbayes  delà  ville,  il  était  parvenu  à 
gagner  peu  à  peu  tous  les  membres  influents  du  Grand  Conseil, 
qui  était  le  véritable  corps  souverain  ,  et  qui  embrassa  dès  lors 
avec  chaleur  la  cause  de  l'indépendance  genevoise.  Le  duc,  qui 
s'était  donné  l'air  d'être  au  mieux  avec  les  ambassadeurs  des  can- 
tons, dicta  à  ses  créatures  la  réponse  à  faire.  Mais  le  prestige 
qui  avait  retenu  si  longtemps  le  peuple  genevois  dans  le  doute 
€t  l'indécision  était  passé.  Il  comprenait  enfin  que  la  résistance 
au  duc  et  l'alliance  avec  les  Suisses,  pour  avoir  été  soutenues 
par  des  ijros  de  la  ville,  n'en  étaient  pas  moins  les  seuls  moyens 
honorables  à  employer  pour  la  conservation  de  leur  commune 
patrie.  Il  suffit  d'une  sérénade  de  fifres  et  de  tambours  pour 
faire  à  l'instant  déguerpir  Son  Altesse,  dans  un  accès  de  rage 
difficile  à  décrire. 

Ses  créatures,  qui  étaient  moins  faciles  à  décourager,  prépa- 
rèrent alors  pour  tous  les  cantons  suisses  de  nouvelles  missives 
contenant  un  désaveu  formel  de  tous  les  actes  que  les  eyd- 
guenots  fugitifs  pourraient  sceller  avec  le  grand  sceau  que  l'on 
croyait  entre  leurs  mains.  Mais  quand  ces  pièces  furent  prêtes, 
personne  ne  voulut  se  charger  de  les  porter.  On  trouva  enfin , 
à  prix  d'argent,  un  sellier,  qui  pouvait  aussi  bien  passer  pour 
eydguenot  que  pour  autre  chose,  et  il  fut  expédié  en  toute 
hâie  à  Berne,  d'où  il  revint  encore  plus  vite  qu'il  n'était  parti. 
Le  fait  est  qu'il  y  avait  été  reçu  comme  un  chien  dans  un  jeu  de 
quilles  parles  eydgnenots  qui  se  trouvaient  en  cette  ville.  On  lui 
avait  même  fait  entendre  que,  si  par  malheur,  il  s'était  rendu 
en  premier  lieu  à  Fribourg,  il  aurait  fort  bien  pu  ne  pas  reve- 
nir du  tout. 

Cependant  le  duc,  honteux  d'avoir  si  misérablement  échoué, 
méditait   une    revanche    éclatante.  Une    nouvelle   ambassade 


276 

suisse,  venue  uniquement  pour  vérifier  sur  les  lieux  un  mé- 
moire d'Ami  Girard ,  lui  fit  d'abord  ajourner  ses  projets. 
Voyant  enfin  le  champ  libre,  il  revint  le  9  décembre  (1525)  et 
ordonna  en  maître  pour  le  lendemain  la  convocation  du  Con- 
seil général.  Le  vicaire  Gruet  eut  le  courage  de  le  lui  refuser, 
sous  prétexte  qu'il  l'avait  déjà  refusé  aux  eydgiienols  fugitifs 
avant  leur  départ,  «et  qu'il  n'y  viendrait  d'ailleurs  que  des  gens 
de  rien  ou  des  ferrailleurs.  »  Mais  le  duc  renouvela  son  ordre 
en  lui  intimant  d'assister  lui-même  à  cette  assemblée  avec  le 
Conseil  épiscopal.  Aussitôt  les  mamelucs  se  mirent  à  courir  les 
lues  pour  gagner  le  plus  d'assistants  possible.  Le  registre, 
tenu  par  le  secrétaire  mameluc  Biolleys,  donne  en  effet  307 
noms,  en  grande  partie  complètement  inconnus;  il  est  même 
fort  douteux  qu'il  put  y  en  avoir  autant,  puisqu'on  ne  pouvait 
ordinairement  réunir,  à  des  Conseils  généraux  bien  autrement 
importants,  que  les  deux  tiers  de  ce  chiffre.  Le  duc  s'y  trouvait 
en  personne  entouré  de  toute  sa  cour  et  d'une  garde  nombreuse, 
circonstance  qui  fit  donner  à  cette  réunion  le  nom  dérisoire 
de  Conseil  des  hallebardes.  Le  discours  que  le  chancelier  de 
Savoie  prononça  au  nom  de  son  maître,  n'était  qu'une  nouvelle 
variation  du  thème  bien  connu  de  Son  Altesse:  ordres,  me- 
naces, et  assurances  d'amitié  et  de  respect  des  franchises.  A  l'en- 
tendre, le  duc,  «  qui  a  toujours  été  un  prince  doux  et  bénin, 
réclamé  au  delà  des  Alpes  par  des  affaires  de  première  urgence, 
aurait  tout  quitté  pour  la  pacification  de  cette  ville;»  et  il  termina 
cette  belle  liarangue  en  priant  les  citoyens  assemblés  de  voter 
sur  la  question,  «  s'ils  voulaient  vivre  sous  l'obéissance  de  leur 
évêque  et  prince  et  sous  l'obéissance  et  protection  de  monsei- 
gneur le  duc  ?»  — On  cria  :  «  Oui  !  oui  !  »  Alors  il  déclara  révo- 
(jués  les  séquestres  ainsi  que  les  peines  prononcées  [)ar  les  tri- 
bunaux savoyards,  et  que  ceux-ci  taxaient  de  20  à  22,000  écus, 
somme  dont  Son  Altesse  gratifiait  afnsi  la  communauté.  Après  le 
départ  de  la  cour  ducale,  le  premier  syndic  iMonlyon,  huche  sur 
un  banc,  répéta  à  haute  voix  la  question  posée  par  le  chancelier 


& 


277 

de  Savoie  el  obtint  la  même  réponse.  Le  secrétaire  procéda 
aussitôt  à  la  rédaction  de  cette  déclaration  ;  mais  le  grand  sceau 
manquait  pour  donner  à  celte  pièce  la  validité  nécessaire,  landis 
que  l'acte  de  révocation  des  peines  et  séquestres,  promulgué 
par  le  chancelier  sous  le  grand  sceau  de  Savoie,  était  parfaite- 
ment en  règle. 

Le  départ  siibit  du  duc  pour  le  Piémont  ranima  aussitôt  le 
courage  du  parti  national  ;  et  comme  les  mamelucs  ne  cessaient 
de  protester  partout  contre  la  combourgeoisie  et  de  désavouer 
les  émigrés  eydguenols,  les  indépend;mls  restés  à  Genève  ré- 
solurent de  meitre  un  terme  à  ces  manœuvres'.  Il  s'agissait 
-d'iiilUuirs  d'effacer  l'effet  produit  par  le  T.onseil  des  hallebardes. 

En  conséquence,  le  22  décembre,  Jean  Bandières,  dont  le 
fds  Ami  était  parmi  les  fugitifs,  et  Robert  Vandel  se  présen- 
tèrent au  Conseil  suivi  d'une  centaine  de  citoyens,  pour  la 
plupart  parents  ou  amis  des  émigrés.  Dans  le  cortège  figu- 
raient les  enfants  de  Bezanson  Hugues,  de  Jean  Baud  et  de 
Jean  Philippe.  Robert  Vandel  demanda  d'abord  au  secrétaire 
du  Conseil,  Biolleys,  des  testimoniales  de  ce  qui  allait  être 
exposé,  —  ajoutant  qu'en  cas  de  refus  ces  testimoniales  se- 
raient expédiées  par  un  notaire  fribourgeois  qu'ils  avaient  amené 
à  cet  elfet  et  que  l'on  voyait  à  l'entrée  de  la  salle.  Alors  Jean 
Bandières,,  s'avançant  en  tenant  par  la  main  les  jeunes  enfants 

»  11  faut  dire  que  les  syndics  et  le  Conseil  mamelucs  avaient  aussi  récem- 
ment fort  mal  reçu  une  requête  des  eydguenots  fugitifs,  appuyée  de  Mes- 
sieurs de  Fribourg,  «  de  leur  envoyer  les  chartes  de  la  ville  pour  s'en  servir 
au  profit  de  Genève  et  de  l'autorité  épiscopale  à  une  diète  qui  devait  se  tenir 
prochainement  entre  les  trois  villes  (Berne,  Fribourg  et  "Soleure).  d  Dans 
cette  même  requête  les  eydguenots  protestaient  derechef  contre  tout  ce  que 
le  Conseil  actuel  pourrait  faire  contre  les  droits  de  la  cité  et  de  l'évêque 
{Journal  de  Balard,  p.  25).  Il  paraîtrait,  d'après  le  même  journal,  que 
plusieurs  des  fugitifs  firent  quérir  à  Genève  leurs  femmes  et  leurs  enfants 
(page  36).  —  Il  paraît  que  ce  fut  pendant  ce  séjour  prolongé  de  Hugues  à  Fri- 
bourg, qu'il  fit  l'acquisition  de  la  terre  de  Perolles;  car  le  litre  de  seigneur 
de  Perolles  lui  est  donné  depuis  lors  par  les  étrangers  avec  qui  il  était  en 
correspondance. 

Tome  XI,  19 


278 

susnommés,  protesta  au  nom  de  tous  ceux  qui  l'accompagnaient 
contre  le  discrédit  que  Messieurs  du  Conseil  cherchaient, 
dans  leurs  missives  aux  cantons  suisses ,  à  jeter  sur  leurs 
amis  émigrés,  «  l)ons  et  fidèles  citoyens,  qui  aimeraient  mieux 
mourir  que  de  rien  faire  qui  ne  fût  à  l'avantage  de  leur  évéque 
et  prince  et  de  toute  la  communauté.  Que  comme  tels  ils  les 
avouaient  dans  tout  ce  qu'ils  pourraient  faire.  Qu'ils  protes- 
taient également  contre  tout  ce  qui  avait  été  fait  et  se  ferait 
encore  céans  contre  l'autorité  de  l'évêque  et  les  franchises  de 
la  ville,  et  qu'ils  en  demandaient  des  testimoniales.  »  Le  syndic 
MontyoM  voulut  alors  les  faire  retirer  pour  permettre  au  Conseil 
de  délibérer;  mais  Robert  Vandel  coupa  court  à  toute  discus- 
sion en  sommant  le  notaire  fribourgeois,  Louis  de  Sergin,  de 
dresser  les  testimoniales  demandées,  ce  qui  eut  lieu  à  l'instant 
même.  Alors  le  susdit  notaire,  prenant  h  son  tour  la  parole,  ex- 
posa qu'il  avait  mission  expresse  de  M.  l'avoyer  de  Fribourg  de 
s'enquérir  de  l'opinion  qu'on  avait  des  émigrés,  et  on  lui  ré- 
pondit en  ces  termes  :  «  Sachez  de  certain  que  ces  citoyens  qui 
«  demeurent  auprès  de  messieurs  les  Helvétiens  sont  des  hom- 
«  mes  lionorables,  des  |>lus  anciens  citoyens  de  cette  ville,  de 
«  bonne  et  de  la  meilleure  réputation  et  renommée,  dignes  de 
«  toute  louange  et  de  tout  honneur,  et  qu'ils  n'ont  rien  fait  mal 
«  à  propos.  «  On  ajouta,  sur  la  demande  expresse  du  notaire, 
«  que  tout  ce  qui  serait  conclu  par  les  émigrés  pour  l'honneur 
et  le  bien  de  la  ville ,  sans  empiéter  sur  l'autorité  de  l'évêque, 
serait  approuvé.  »  Les  testimoniales  de  celte  scène  furent  dres- 
sées sur  le  pallier  même  de  la  maison  de  ville,  et  l'inscription 
restant  ouverte,  une  foule  considérable  de  citoyens  vinrent  sans 
interruption,  pendant  plusieurs  heures,  joindreleurs  nomsàceux 
des  premiers  signataires.  Le  notaire  dut  môme  ajouter  «  que  les 
fugitifs  étaient  meilleurs  que  tous  les  autres,  vu  qu'ils  avaient 
abandonné  leur  patrie,  leurs  femmes,  leurs  enfants  et  tous  leurs 
biens  pour  le  maintiin  de  la  liberté,»  etc. — Hélas!  combien  n'y 
en  avait-il  pas  parmi  ces  signataires  enthousiastes  qui,  quelques 


279 

mois  auparavant,  eussent  pris  leur  parti  de  voir  les  têtes  de 
Huguos  et  (le  ses  amis  clouées  au  gibet  comme  celle  de  Ber- 
ihelier!  combien  qui  avaient  voté  dans  un  sens  tout  opposé 
dans  les  derniers  Conseils  généraux  !  Mais  les  masses  sont  ainsi 
faites  ;  ce  n'est  pas  h  elles,  mais  à  ceux  qui  les  poussent,  qu'il 
faut  s'en  prendre  du  bien  ou  du  mal  qu'elles  peuvent  faire.  Ne 
vit-on  pas,  peu  d'heures  après  la  scène  que  nous  venons  de 
rapporter,  plusieurs  des  signataires  revenir  sur  leurs  pas  et 
déclarer  au  Conseil  qu'ils  s'étaient  joints  au  cortège  et  qu'ils 
avaient  donné  leur  signature  sans  même  savoir  de  quoi  il  était 
question? Dieu  sait  combien  de  rétractations  on  aurait  eu  encore 
h  enregistrer  si  Robert  Vandcl  et  le  notaire  fribourgeois  n'a- 
vaient fait  le  tour  de  la  ville,  même  des  maisons  des  mamelucs, 
pour  engager  moralement  le  plus  de  Genevois  possible  à  se  join- 
dre 'a  cette  protestation,  qui  fut  aussitôt  portée  à  Fribourg. 

Pendant  ce  temps  le  duc,  changeant  de  batterie,  cherchait 
à  amadouer  l'évêque,  qu'il  avait  jusque-là  traité  en  cadet  de  fa- 
mille. A  son  instigation  celui-ci  vint  enfin  a  Genève,  où  il  fut 
reçu  avec  beaucoup  de  pompe  et  d'empressement  par  le  parti 
national.  Dès  son  arrivée,  il  témoigna  son  déplaisir  de  ce  qu'on 
avait  renoncé  à  l'appel  a  Rome  sans  l'en  avertir,  et  déclara  qu'il 
tenait  les  eydguenots  fugitifs  pour  gens  de  bien.  Malheureuse- 
ment il  ne  pouvait  pas  faire  un  pas  sans  se  voir  aussitôt  flanqué 
de  messieurs  de  Saleneuve  et  de  B;davson,  auxquels  le  duc 
avait  confié  sa  garde,  et  que  des  concerts  journaliers  de  fifres 
et  de  tambours  n'avaient  pu  faire  déguerpir.  C'était  le  moment 
des  élections  syndicales  pour  l'année  1526.  Le  Conseil  mame- 
luc  voulut  naturellement  suivre  a  cet  etfet  les  édiis  ducaux,  qui 
consistaient  a  nommer  d'abord,  au  Conseil  des  L,  huit  candi- 
dats entre  lesquels  le  Conseil  général  avait  à  choisir.  Mais  Ro- 
bert Vandel  s'y  opposa  positivement.  L'évêque  recommanda 
alors  de  son  côté  quatre  candidats  a  lui.  dans  des  vues  en  appa- 
rence toutes  conciliatrices  ;  d'autre  part  les  indépendants,  menés 
par  Vandel,  étaient  résolus  à  faire  passer  Jean  Philippe  malgré 


280 

son  absence'.  Celui-ci,  qui  ne  s'était  distingué  jusqu'alors  que 
par  la  richesse  de  son  costume  à  l'enirée  de  la  duchesse 
Béalrix,  fut  en  effet  élu  premier  syndic  à  une  immense  majorité, 
ei  eut  pour  collègue  Girardin  Bergtyron,  Nycod  du  Villard" 
(l'un  des  candidats  recommandés  par  l'évéque)  et  Matthieu  Car- 
rier, be;m-frère  de  Vandel.  Sur  l'insistance  que  mirent  mes- 
sieurs de  Saleneuve  et  de  Balavson  à  faire  sentir  linconvénient 
de  nommer  un  absent  aux  premières  fonctions  de  TEtat,  on 
convint  de  tenir  encore  un  Conseil  général  pour  donner  à  Phi- 
hppe  un  substitut  pendant  son  absence  ;  le  choix  tomba  sur  son 
propre  beau-frère,  Domaine  Franc.  On  cassa  ensuite,  sur  la  pro- 
position de  l'évéque,  sans  que  personne  osât  s'y  opposer,  tous  les 
statuts  passés  naguère  à  la  demande  du  duc.  L'évéque  lui-même, 
qui  assistait  en  personne  avec  ses  conseillers  épiscopaux  à  ce 
Conseil  général,  le  termina  par  une  verte  réprimande  à  l'adresse 
des  conseillers  et  des  chanoines  dncaux,  et  tourna  ensuite  sa 
colère  contre  le  vidomne.  Il  voulut  mênie  payer  l'eslaffeite  qui 
porta  à  Jean  Philippe  la  nouvdle  de  sa  nomination,  et  prêta  ses 
mules  et  ses  écuyers  pour  le  cortège  des  Enfants  de  la  ville, 
dont  Bezanson  Dadaz,  neveu  et  fdleul  de  Bezanson  Hugues, 
venait  d'être  élu  roP. 

»  Ou  plutôt  à  cause  de  son  absence.  Le  parti  national,  naguère  réduit  à 
ime  trentaine  de  citoyens,  commençait  à  se  grossir  d'une  foule  de  gens  qui 
se  seraient  bien  gardés  de  l'appuyer  quelques  années  ou  seulement  quelques 
mois  plus  tôt.  Tant  que  Bezanson  Hugues  pouvait  à  la  rigueur  ne  passer  que 
pour  Teydguenot  le  plus  courageux  et  le  plus  zélé ,  on  l'avait  désigné  d'a- 
vance pour  le  premier  Avoijer  du  nouveau  canton  suisse.  Mais  dès  que  son 
inlluence  et  son  immense  supériorité  furent  bien  clairement  démontrées,  tou- 
tes les  médiocrités  jalouses  s'accordèrent  à  ajouter  le  moins  possible  à  ce 
qu'il  était  déjà.  Au  reste  le  syndic  Philippe,  de  très-bonne  maison,  était  un 
homme  distingué.  On  doit  le  compter  non-seulement  parmi  les  fondateurs  de 
notre  indépendance,  mais  aussi  au  nombre  des  premiers  et  plus  fermes  sou- 
tiens de  la  réforme.  Il  n'en  fut  pas  moins,  quelques  années  plus  tard,  con- 
danuiéet  décapité  par  le  parti  français  des  protestants  de  Genève, 

*  Nous  avons  donné  dans  la  première  série  du  IV"»<=  volume  des  Notices 
généalogiques  h  généalogie  complète  de  cette  famille  Du  Villard,  anoblie  dès 
le  milieu  du  XYln^e  siècle  par  l'empereur  Ferdinand. 

»  Tous  ces  détails  se  li-ouvent  dans  les   lettres  intéressantes  et  piquantes 


281 

Certes,  Pierre  de  la  Baume  était  alors  sincère  dans  ses  dé- 
monstrations, et  d'iuitant  plus  (|n'il  croyait  pouvoir  concilier  ses 
intérêts  de  prince-évêque  de  Genève  avec  les  désirs  du  duc. 
Celui-ci,  en  échange  de  très-belles  promesses  corroborées  par 
S2i  foi  de  (jenlilhonmie ,  ne  lui  avait  pas  demandé  autre  chose 
que  de  s'opposer  à  la  combourgeoisie  avec  les  Suisses  qui  déjà 
ne  lui  plaisait  pas;  ei  les  nouveaux  eydguenots.  tels  que  Ro- 
bert Vandel,  avec  lesquels  il  se  trouvait  actuellemenl  en  rap[)ort, 
lui  avaient  donné  à  entendre  qu'ils  obtiendraient  la  protection 
des  cantons  suisses  sans  combourgeoisie.  Il  avait  si  bien  été 
trompé  par  les  deux  partis  qu'il  eherchait  à  ménager,  que,  sur 
la  demande  de  MM.  de  Balavson  et  de  Saleneuve,  il  envoya  en 
Suisse  pour  s'opposer  à  la  bourgeoisie,  ce  même  Robert  Van- 
del qui  était  à  la  fois  l'homme  le  plus  à  même  de  la  faire  man- 
quer, mais  aussi  le  plus  intéressé  à  la  faire  réussir,  à  cause 
de  ses  tendances  politiques  et  religieuses^  —  Aussi  l'évêque 
fut-il  consterné  lorsqu'il  apprit  que,  malgré  les  assurances  les 
plus  formelles,  on  continuait  à  négocier  la  combourgeoisie,  ei 
cela  d'autant  plus  que  le  duc,  appelé  par  ses  agents,  était 
attendu  à  Saint- Julien.  Pierre  de  la  Baume  essaya  alors  vai- 
nement d'une  réconciliation  entre  les  principaux  représentants 
des  deux  partis.  Les  eydguenots  lui  rappelèrent  qu'd  n'avait 
pas  su  les  protéger  contre  les  violences  ducales ,  et  qu'il  était 
donc  assez  naturel  qu'ils  cherchassent  des  amis  plus  puissants. 
Ce  quasi-reproche  lui  fut  répété  par  un  capitaine  fribourgeois 
qui  venait  d'arriver  et  qui  y  joignit  des  remarques  assez  justes 

que  Porral  écrivait  aux  fugitifs,  pour  les  tenir  au  fait  de  ce  qui  se  passait  à 
Genève;  elles  sont  adressées  «à  Sire  Jean  Baud,  ou  au  Sire  Bezanson  Hugues, 
ou  à  Sire  A.mi  Girard,  »  et  signées  i)fi/(<(/e  (Voyez  Galitïe,  Matériaux,  t.  II,  pa- 
ges 336  à  355).  —  Ces  détails  concordent  parfaitement  avec  le  Journal  con- 
temporain de  Balard. 

*  II  est  bien  évident  que  c'était  surtout  aux  opinions  religieuses  de  Vandel 
que  François  Favre  faisait  allusion  dans  sa  lettre  au  Conseil,  2  juillet  1526, 
en  ces  termes  :  «  Je  vous  avise  que  le  sire  Robert  n'est  point  trop  bon  pour 
«  Fribourg;  mais  il  est  bon  pour  Berne,  fort  bon.  » 


282 

sur  son  caractère  irrésolu*.  En  attendant,  on  prenait  toutes 
les  mesures  nécessaires  pour  prémunir  la  ville  contre  une 
nouvelle  attaque  des  troupes  ducales,  et  l'on  écrivit  k  Lau- 
sanne pour  avoir  300  hommes  d'armes  et  cent  arquebusiers 
que  cette  ville  avait  offerts. 

Ce  fut  le  23  février  (le  21  selon  Balard),  au  milieu  de  tous 
ces  préparatifs,  que  Bezanson  Hugues  et  les  autres  émigrés  ren- 
trèrent dans  Genève.  Hugues  lut  aussitôt  créé  conseiller  avec  ses 
beaux-frères  Jean  Baud  et  Claude  du  Molard.  Aussitôt  aussi,  le 
secrétaire  mameluc  Biolleys  donna  sa  démission  et  fut  remplacé 
par  Ami  Porral,  dont  le  style  piquant  et  spirituel  forme  avec  le 
verbiage  i^i^nare ,  obscur  et  négligé  de  son  prédécesseur,  un 
contraste  qui  donnerait  une  pauvre  idée  des  ressources  litté- 
raires de  l'ancien  Conseil  mameluc,  si,  pour  la  plupart  d'entre 
eux,  on  n'avait  des  preuves  du  contraire.  Le  lendemain  24,  on 
tint  un  Conseil  des  CC  presque  général  {Consilium  ducentena- 
riumadmodum  generale^^)  auquel  assistèrent 320 personnes.  Ce 
dut  éirel'un  des  plus  beaux  jours  de  la  vie  de  Hugues.  Il  y  vint  k 
la  tète  des  émigrés  (le  premier  syndic  Jean  Philippe  confondu 
avec  les  autres  de  son  cortège)  et  déclara  qu'il  allait  parler  au 
nom  de  tous,  sans  en  excepter  Ramel  resté  malade  en  route; 
puis  il  s'exprima  en  ces  termes  : 

«  Messieurs,  comme  vous  savez,  il  y  a  l'environ  de  cinq  ou 
«  MX.  mois,  le  lendemain  de  la  Sainte-Croix,  15  septembre  der- 
«  nièremenl  passé  1525,  que  nous  partîmes  d'ici  par  divers  che- 
«  mins,  sans  savoir  l'un  de  l'autre,  ni  où  nous  devions  sûre- 
«  ment  tirer  pour  évader  la  fureur  de  très-illustre  prince  Mon- 

'  Lettres  d'Ami  Porral,  Galiffe,  Matériaux,  II,  pages  351  à  354, 
'  C'est  la  première  fois  qu'il  est  question  du  CG.  Il  remplaça  dès  lors  le 
Conseil  des  C  institué  par  les  mamelucs,  11  est  évident  que  c'était  une  imi- 
tation des  constitutions  suisses,  probablement  provoquée  par  Bezanson 
Hugues,  qui  ne  voyait  de  discussion  francbe  et  libérale  que  dans  les  Conseils 
nombreux. 


283 

«  seigneur  de  Savoie,  lequel,  comme  nous  lûmes  avertis  par 
K  quelques  amis,  était  délibéré,  au  pourchas  d'aucun  de  celte 
«  ville',  nous  faire  prendre  par  ses  gens  qu'il  envoya  au  pont 
«  d'Arve  et  après  nous  faire  mourir  ifjnuminiemement^'^  pour  ce 
«  que  nous  n'avions  voulu  renoncer,  sans  noire  prince,  à  une 
«  appellation  interposée  à  Rome  par  révérend  prince  Monsei- 
«  gneur  de  Genève  et  la  communauté  de  cette  ville  contre  le 
«  Conseil  résidant  à  Chambéry,  sur  les  excès  et  innovations 
«  qu'il  faisait  contre  nos  libertés  et  franchises  en  supportant 
«  un  nommé  Bernard  Boulet  auparavant  trésorier  de  céans. 

«  Messieurs,  ce  n'était  pas  jeu;  car  les  archers  et  commis  du 
«  dit  Seigneur,  Monseigneur  de  Savoie,  nous  suivirent  jusqu'à 
«  Saint-Claude,  et  de  Saint-Claude  à  Besançon  et  par  delà, 
«  d'où  nous  fallait  cheminer  jour  et  nuit  parmi  les  bois,  en 
«  temps  de  [)luie,  ne  sachant  uîi  tiier  sûrement.  Toutefois  nous 
a  avisâmes  que  nous  avions  des  amis  marchands  à  Fribourg, 
«  pourquoi  tirâmes  là  celle  part,  et  étant  là  arrivés ,  n'étant 
«  pas  encore  bien  assurés,  nous  adressâmes  à  la  seigneurie 
«  pour  avoir  lettres  de  sûreté,  lesquelles,  de  leur  grâce,  nous 
«  furent  octroyées  et  concédées.  Or,  ne  doutez  que  les  dits  sei- 
a  gneurs,  comme  vrais  prolecteurs  des  cités  de  l'Église,  vou- 
«  lurent  bien  savoir  de  nous  comment  les  choses  s'étaient 
«  passées,  et  pourquoi  nous  étions  ainsi  dédiasses;  lesquelles 
»  choses  après  avoir  bien  entendues,  ils  procurèrent  envers 
«  messieurs  de  Berne  de  faire  venir  aucuns  ambassadeurs  par 
«  devers  mon  dit  Seigneur  de  Savoie  étant  pour  lors  à  Annessi, 
«  tant  pour  faire  retirer  ses  dits  gens  d'armes  Foueignerans 
«  qu  il  avait  mis  au   pont  d'Arve,  nous  faisant  loul  plein  de 


•  C'est-à-dire  à  la  requête  de  quelques  traîtres  mauielucs  ;  mais  Hugues, 
Qiême  en  parlant  de  ses  ennemis,  se  servait  toujours  des  termes  les  plus 
modérés. 

«  On  ne  comprend  pas  comment  M.  P'iournois  a  laissé  échapper  ces  six 
derniers  mots  dans  sa  copie  publiée  par  le  baron  Grenus:  il  n'aura  proha- 
blenient  pas  su  les  déchiffrer. 


284 

«  maux,  que  pour  faire  lâcher  plusieurs  de  cette  ville,  que,  à 
i'  cette  cause,  il  avait  fait  emprisonner  et  enferrer  sur  ses  pays, 
('  comme  Louis  Chabot!  à  Gex,  Pierre  Mabosson  (Malbuisson) 
«  h  Seyssel,  Befîant  à  Annessi,  et  un  chapelier,  nommé  Jean 
«  Ballon,  à  Gaillard,  qui  avait  été  pris,  un  dimanche,  dans  la  sa- 
«  cristie  de  Notre-Dame-de-Grâees,  pendant  qu'on  chantait  la 
«  grand'messe  :  aussi  pour  savoir  en  quoi  nous  avions  délin- 
«  que,  et  y  donner  et  mettre  bon  ordre,  comme  après  ils  firent 
«  de  leur  grâce,  dont  nous  sommes  lenus  et  obligés  à  eux. 

«  Messieurs,  à  vous  le  faire  court,  les  dits  ambassadeurs 
«  étant  retournés,  et  messieurs  de  Berne  el  Fri bourg  par  eux 
i<  bien  informés  du  tout,  voyant  aussi  qu'une  cité  de  Genève 
«  n'était  point  sujette  à  un  duc  de  Savoie  comme  nous  le  leur 
«  fîmes  apparoir  évidemment,  ils  avisèrent,  de  leur  bien,  qu'il 
«  n'y  avait  nul  autre  moyen  pour  nous  mettre  en  repos  en  cette 
«  ville,  dessous  un  prince  de  l'Église,  comme  ont  été  nos  pré- 
«  décesseurs,  sinon  que  nous  prendre  et  accepter  pour  leurs 
«  bourgeois,  sans  s'arrêter  aux  promesses  et  transactions  de  ces 
«  gros  maîtres,  qui  ne  sont  à  présent  de  longue  durée;  laquelle 
«  bourgeoisie,  ayant  connu  leur  bonne  volonté,  avons  pour- 
«  chassée  et  obtenue  à  nos  propres  dépents  au  nom  de  toute  la 
«  communauté  de  celte  ville  de  Genève,  dont  en  voyez  ici  les 
«  lettres  bien  scellées  et  bien  huilées  de  leurs  grands  sceaux. 
«  Or  sont-elles  couchées  en  allemand;  mais  je  vous  dirai  la 
«  substance  d'icelle.-,  article  par  article,  sans  vous  mentir,  sur 
«  ma  vie. 

«  Le  premier  article  :  En  tout  et  partout  est  réservée  l'au- 
«  lorilé,  droit  et  jurisdiction  de  monseigneur  de  G^'nève,  sans 
«  préjudiquer  aucunement  aux  franchises  et  libertés  de  cette 
«  ville  et  commune  de  Genève. 

«  IL  La  dite  bourgeoisie  est  laite  pour  25  ans,  et  se  doit 
«  faire  le  serment  de  cinq  ans  en  cinq  ans. 

«in.  Ils  seront  francs  ici  comme  nous-mêmes  et  nous  vers 
«  eux  comme  eux-mêmes,  sans  contribuer  les  uns  aux  autres 
«  d'un  seul  denier,  pour  un  coup,  ni  pour  an. 


285 

«  IV.  Ils  doivent  défendre  ei  maintenir  celte  cité  et  les  ha- 
«  bitants ,  citoyens  et  bourgeois  d'icelle  dessous  un  prince 
«  d'Eglisi' ,  en  leurs  libertés  et  franchises,  envers  et  contre 
«  tous,  de  tonte  leur  puissance,  aux  dépents  de  celui  qui  se 
«  trouverait  en  tort  ;  c'est  à  savoir  de  l'invaseur  ou  de  ceux  de 
«  Genève  qui  les  auraient  demamlés  en  aides. 

«  V.  La  communauté  de  Genève  leur  doit  aider  et  secourir 
«  de  sa  petite  puissance,  à  sa  discrétion,  quand  de  c<"  serait 
((  requise  pour  la  défense  de  leur  pays  tant  seulement. 

«  YI.  Toutes  fois  quantes  il  [»laira  à  ceux  de  Genève  d'en- 
«  voyer  un  nombre  de  leurs  gens,  sous  une  enseigne,  avec  les 
«  dits  de  Berne  et  Fribourg,  pour  aller  à  la  guerre  au  service  de 
«  quelque  prince,  seront  tenus  les  dits  de  Berne  et  Fribourg 
«  les  recevoir  et  prendre  sous  leur  conduite,  à  tels  gages  qu'eux 


«  mêmes*. 


«MI.  Lausanne  sera  lieu  de  mi -marche  entre  eux  et  nous* 
«  tant  seulement  en  cas  d'appel,  et  là  par  devant  les  arbitres 
«  qu'il  plaira  aux  parties  d'élire  et  députer  du  pays  de  Valais 
«  et  de  Neuchâlel .  se  termineront  les  dites  causes  d'appel 
«  dans  trois  semaines. 

«Messieurs,  moi  et  mes  compagnons  qui  sont  ici,  vous  pro- 
«  mettons  et  maintenons,  sur  nos  vies  et  tous  nos  biens,  la- 
ce dite  bourgeoisie  être  telle  et  non  autrement  en  substance 
«  comme  dessus  est  dit,  combien  qu'il  ne  me  survienne  pas 
«  proprement  de  l'article  louchant  la  mi-marche;  mais  l'on 
«  pourra  faire  translater  les  dites  lettres,  et  alors  se  verra  tout 
«  assurément.  ()v  avisez.  Messieurs,  si  vous  voulez  bien  ainsi 
«  ratifier,  accepter  et  approuver  la  dite  bourgeoisie.  » 

*  La  jeunesse  genevoise  avait  la  passion  du  service  militaire,  des  voyagos 
et  des  aventures.  C'était  lui  faire  honneur  et  lui  fournir  une  excellente  école 
militaire  que  de  l'assimiler  ainsi  aux  premières  troupes  de  l'époque.  Enfin 
cet  article  compensait  ce  qu'avaient  de  dur  les  deux  précédents,  qui  obli- 
geaient les  Genevois  à  payer  les  secours  fournis  par  leurs  combourgeois, 
tandis  qu'ils  les  serviraient  gratuitement. 

*  C'est-à-dire  le  lieu  situé  à  peu  près  à  mi-chemin  des  États  confédérés, 
où  ceux-ci  régleraient  leurs  discussions  d'intérêt. 


286 

11  y  eut  presque  unanimité  parmi  les  assistants  pour  accep- 
ter la  bourgeoisie  avec  reconnaissance  et  remerciment,  ce  dont 
Bezanson  Huoues  fit  immédiatement  dresser  des  testimoniales 
par  le  secrétaire  Ami  Porral,  auquel,  selon  son  usage,  il  remit 
son  discours  par  écrit.  Puis  il  fut  résolu  que  les  syndics  iraient 
demander  pour  le  lendemain  à  l'évêque  la  convocation  d'un 
Conseil  général,  afin  d'y  procéder  à  une  approbation  encore  plus 
solennelle  de  la  dite  bourgeoisie,  dont  Hugues  emporta  les 
actes  chez  lui.  M.  de  Lulry,  chanoine  du  parti  ducal,  avait  mis 
garnison  au  clocher  de  Saint-Pierre  pour  empêcher  de  sonner 
la  Clémence',  mais  on  en  eut  bientôt  laison.  Do  son  côté, 
Pierre  de  la  Baume  était  très-mécontent  qu'on  eût  obtenu  la  com- 
bourgeoisie  contre  sa  volonlé  expresse;  aussi  voulut- il  tenter 
un  dernier  effort  pour  s'y  opposer  en  maître.  En  effet,  le  di- 
manche 25  février ,  le  Conseil  général  étant  assemblé  et  la 
séance  ouverte,  on  vit  enlrer  le  prélat  en  grande  pompe,  pren- 
dre place  sur  le  siège  le  plus  élevé  et  déclarer  que, «comme  chrf, 
pasteur  et  prince  de  la  communauté,  il  voulait  assister  à  cette 
assemblée  et  savoir  ce  qui  y  serait  proposé,  d'autant  qu'il  s'a- 
gissait de  ses  propn'S  intérêts.  »  —  Bezanson  Hugues  répondit 
respectueusement  a  que  la  piésence  et  l'assistance  du  prince 
n'était  pas  conforme  à  la  (outurae,  surtonl  lorsqu'il  s'agissait 
de  la  politique,  qui  était  réservée  aux  ciiovens;  mais  que  cette 
présence  ne  leur  était  pas  moins  agréable,  vu  qu'ils  n'avaient 
lien  à  discuter  qui  ne  fût  honorable,  légal  et  bon  à  connaitre.» 
Alors,  sur  l'invitation  du  syndic  Bergeyron,  il  répéta  en  sub- 
stance son  discours  dn  dernier  Conseil,  et  produisit  les  lettres 
de  combourgeoisie.  Là-dessus  le  syndic  Bergeyron  demanda  à 
haute  voix  si  l'on  voulait  approuver,  accepter  et  ratifier  celte 
bourgeoisie.  Presque  tous  répondirent  que  oui  ;  il  procéda  alors 
avec  Hugues  à  la  votation  par  mains  levées  '  :  même  unanimité  ; 

'  C'était  encore  une  mode  suisse  récemment  importée  à  Genève  par  les 
eydguenots.  Ces  citoyens  allèrent  du  reste  un  peu  trop  loin  dans  leur  imi- 
tation des  confédérés  :  passe  encore  pour  crier  les  heures  de  nuit  à  la  mode 


287 

six  personnts  seulement  levèrent  les  mains  en  signe  de  refus 
à  la  contre-épreuve.  Mais  le  prince-évêque  aussi  déclara  ne 
point  consentir  à  la  combouri^eoisie  en  tant  qu'elle  était  con- 
traire à  son  autorité  et  à  sa  juridiction,  ajoutant  qu'il  en  ap|»e- 
lait  au  pape,  au  siège  apostolique  et  à  l'empereur,  ce  dont  il 
se  fit  expédier  des  testimoniales  par  son  propre  secrétaire.  M;ds 
se  ravisant  tout  à  c<»up,  sans  doute  a  cause  de  l'attitude  mécon- 
tente de  l'assemblée,  d  ajouta  :  «  Toutefois,  si  vous  êtes  en  pos- 
«  session  de  faire  et  contracter  bourgeoisie  sans  votre  prince, 
«  et  que  ainsi  le  portent  vos  Irancbises  écrites  ou  non  écrites  et 
«  aussi  vos  libertés.  au\(|uelles  je  ne  veux  point  déroger  ni 
«  contrevenir,  laites-le,  je  m'en  rapporte  à  vous  ;  en  tel  cas  ne 
«  m'opposé-je  point.  »  A  son  tour  Bezanson  Hugues  demanda 
au  nom  de  la  communauté  des  testimoniales  de  cette  impor- 
tante déclaration.  Puis  il  assura  le  prélat  «  que  la  bourgeoisie 
en  question  n'était  nullement  contraire  à  son  autorité  ou  à  sa 
juridiction,  ni  aux  libertés  et  francbises  de  cet  État,  dont  les 
citoyens  et  bourgeois  avaient  réellement  le  droit  de  contracter 
de  telles  bourgeoisies  sans  leur  prince,  et  qu'ds  en  avaient  con- 
tracté en  effet  avec  Venise ,  Cologne ,  Thonon  et  d'autres 
villes'  ;  »  sur  quoi  l'évéque  se  retira  satisfait  {abiit  contentus). 
C'est  ainsi  que  ce  prélat  versatile,  venu  là  tout  exprès  pour 
rompre  l'alliance,  ne  lit  que  l'autoriser  et  la  sanctionner.  Plus 
on  étudie  ce  caractère  capricieux,  susceptible  et  frivole,  et  moins 
l'on  admettra  cette  trahison  de  plusieurs  années,  dont  plusieurs 
auteurs,  même  catholiques,  l'ont  accusé.  Dans  ce  même  Con- 
seil général ,  Ami  Girard  fut  réintégré  dans  sa  place  de  tré- 
sorier, que  les  raamelucs  avaient  donnée  àGirardin  de  la  Rive*. 

suisse;  mais  Genève  voulut  ensuite  tenir  des  ours,  comme  les  Bernois.  Ces 
animaux  se  montrèrent  chez  nous  si  intraitables  qu'il  fallut  les  abattre. 

•  Rien  n'était  plus  vrai  ;  la  combourgeoisie  avec  Venise  avait  eu  en  vue  les 
intérêts  commerciaux  des  deux  villes;  il  en  était  probablement  de  même 
de  celle  de  Cologne.  Celles  avec  Thonon,  Cruseilles,  Aubonne,  la  Roche  et 
Rumilly  étaient  d'une  nature  plus  intime. 

*  Ce  n'est  pas  que  ce  citoyen,  pharmacien  du  Conseil,  fut  un  mameluc  bien 


288 

Puis  Bezanson  Hugues  emporta  derechef  chez  lui  les  lettres  de 
combourgeoisie.  C'est  le  cas  de  rappeler  qu'il  les  avait  payées 
de  sa  bourse,  et  que  cette  dépense  ne  lui  fut  jamais  remboursée. 
Jamais  aussi  il  ne  reçut  un  sou  pour  ses  innombrables  et  péril- 
leuses ambassades,  ainsi  que  pour  h'S  services  de  tous  genres 
qu'il  rendit  ;i  sa  patrie  ;  —  mais  il  fut  le  seul  de  son  parti  qui 
consentit  jusqu'au  bout  à  servir  la  ville  à  ses  frais*.  Quant  aux 
nouveaux  evdgnenots,  ils  se  firent  payer  leurs  services  très- 
largement. 

Les  mamelucs  n'étaient  pas  gens  h  vider  l'arène  sans  résis- 
tance. Ils  se  réunirent  en  grand  nombre  dans  la  nuit  du  27  au 
28  février  chez  le  chanoine  M.  de  Lutry,  et  là,  rédigèrent  une 
protestation  en  bonne  forme  contre  la  bourgeoisie  avant  que  le 
peuple  ameuté  eût  dispersé  l'assemblée  en  attaquant  la  maison 
à  coups  de  pierres.  A  la  suite  de  cet  événement,  les  chanoines 
députèrent  deux  de  leurs  membres  au  Conseil  pour  demander 
s'ils  étaient  en  sûreté  dans  la  ville;  aussitôt  les  syndics,  accom- 
pagnés de  plusieurs  conseillers,  allèrent  les  assurer  qu'ils  ne 
demandaient  pas  mieux  que  de  vivre  en  bonne  intelligence  avec 
eux.  Il  est  bon  d'observer  que  les  chanoines  étaient  eux-mêmes 
assez  divisés  sur  les  questions  pendantes,  et  que  le  corps  entier 
était  mal  avec  Pierre  de  la  Baume.  Celui-ci  leur  en  voulait 
surtout  de  n'avoir  pas  mis  assez  de  vigueur  à  défendre  des 
droits  qu'il  aurait  dû  venir  défendre  en  personne,  et,  dans 
ses  momenis  de  colère  hautaine,  il  les  appelait  «  une  compa- 
gnie envenimée.  » 

On  ne  pensait  pas  encore  à  sévir  contre  les  mamelucs;  et 
Hugues,  qui  dirigeait  tout,  ne  l'aurait  pas  permis.  On  se  borna 

avéré.  Mais  il  était  de  ceux  qui  ne  se  convertissent  qu'à  la  douzième  heure  au 
parti  qui  paraît  devoir  l'emporter.  Il  fut  ainsi  tour  à  tour  mameluc,  eydgue- 
not,  puis  du  parti  catholique,  ensuite  protestant,  etc.,  avançant  toujours  jus- 
qu'à se  rendre  presque  indispensable  par  une  certaine  habileté  administra- 
tive qui  ne  manquait  que  trop  chez  les  partis  auxquels  il  se  joignit  plus  tard. 
*  Son  beau-frère  Jean  Baud  n'était  guère  moins  généreux  ;  mais  on  l'em- 
ployait moins  souvent.  Il  mourut  d'ailleurs  en  1.529. 


289 

à  changer  quelques  conseillers  plus  compromis  que  les  autres, 
et  comme  bon  nombre  de  gens  tlii  parti  ducal  s'étaient  enfuis  en 
nienaç;mt  de  revenir  bienlôl  en  armes  avec  les  troupes  de  Son 
Altesse,  on  prit  toutes  les  mesures  nécessaires  pour  la  défense 
de  la  ville  *.  C'était  surtout  l'affaire  de  Bezanson  Hugues,  en  sa 
qualité  de  capitaine  général  ;  il  fut  autorisé  à  former  une  petite 
garnison  avec  les  Suisses  qui  étaient  venus  offrir  leurs  services, 
et  parmi  lesquels  il  s'agissait  de  distinguer  les  bons  sujets  des 
simples  aventuriers.  Il  fit  murer  quelques-unes  des  portes  du 
côté  de  la  Savoie,  et  griller  les  fenêtres  ouvertes  dans  les  murs 
de  la  ville. 

Le  dimanche  suivant,  il  mars,  fut  une  véritable  fête  natio- 
nale. La  population  entière  se  porta  à  pied  et  à  cheval,  les  syn- 
dics munis  de  leurs  masses  en  tête,  suivis  des  coulevriniers  sous 
leurs  drapeaux,  etc.,  à  la  rencontre  des  ambassadeurs  suisses  qui 
venaient  recevoir  et  prêter  le  serment  de  combourgeoisie.  C'é- 
taient, pour  Berne,  Sébastien  de  Diesbach,  le  banneret  Pierre 
StiirKr,  Antoine  Butsclieibach  et...Thorman ;  pourFribourg,  l'a- 
voyer  Thierri  d'Englisberg ,  le  boursier  Wilhelm  Schvveitzer, 
Jaques  Freiburger  et  Nicolas  Veillard.  Le  lendemain,  le  Conseil 
général  fut  convoqué  à  la  cathédrale  de  Saini-Pierre ,  et  M.  de 
Diesbach,  chef  de  l'ambassade,  s'exprima  en  ces  termes'^  : 

«  Magnifiques  seigneurs,  syndics,  Conseils  et  communauté 
«  de  cette  ville,  nos  singuliers  amis  et  irès-chers  combour- 
«  geois,  nous  sommes  ici  envoyés  par  devers  vous,  de  la  part 
«  des  magnifiques  seigneurs.  Messieurs  de  Berne  et  de  Fri- 
«  bourg,  nos  supérieurs,  principalement  prendre  et  recevoir  le 
«  serment  de  la  bourgeoisie  faite  entre  vous  et  eux,  qui  sera  la 
«  conclusion  d'icelle;  aussi  pour  vous  faire  savoir  le  bon  vou- 

'  Quelques  mamelucs  plus  clairvoyants  avaient  déjà  fait  emporter  leurs 
meubles  avant  le  retour  des  eydguenots  fugitifs. 

*  Bien  que  cette  scène  et  celle  du  25  février  figurent  dans  plusieurs 
histoires  de  Genève,  on  ne  saurait  cependant  s'empêcher  de  les  répéter  en 
entier  dans  une  biographie  de  Hugues  qui  y  joua  le  principal  rôle. 


290 

«  loir  que  nos  dits  supérieurs  ont  de  vous  maintenir  de  toute 
«  leur  puissance,  envers  et  contre  tous,  en  vos  libertés  et 
«  franchises,  et  aussi  en  votre  bon  droit,  voulant  en  cette  sorte 
«  vivre  et  niourir  avec  vous.  Toutefois,  vous  priant  que  ne 
«  soyez  que  plus  humbles,  plus  sages  el  plus  paisibles,  ne 
«  veuillant  maltraiter  ceux  de  celte  ville,  vos  citoyens  et  bour- 
«  geois,  qui  vous  ont  été  contraires  en  cette  affaire  de  bour- 
«  geoisie.  mais  les  laisser  pour  tels  qu'ils  sont  :  vous  savez  qu'il 
«  n'est  jamais  si  beau  bled  qui  n'ait  toujours  quelque  ordure. 

«  Or  donc.  Messieurs,  présupposé,  comme  on  nous  a  dit, 
«  que  vous  êtes  assez  informés  el  instruits  du  contenu  de  la 
«  dite  bourgeoisie  par  le  seigneur  Bezanson  et  ces  autres  gens 
«  de  bien  qui  étaient  par  devers  nous  quand  elle  se  passa, 
«  ne  voulez-vous  pas  bien  à  cette  heure,  jurer  et  promettre 
«  de  tenir  et  observer  cette  bourgeoisie,  ainsi  qu'on  vous  a  dit 
«  être  faite  ?  »  Toute  l'assemblée  ayant  crié  :  «  Oui  !  oui  !  »  il 
ajouta  :  «  Levez  donc  les  mains  tous,  et  dites  après  moi  :  «  En 
«  ensuivant  notre  bourgeoisie  et  le  contenu  d'icelle,  nous  pro- 
«  mettons  la  tenir,  maintenir  et  observer:  ainsi  nous  soit  Dieu 
«  en  aide,  la  Vierge  Marie  et  tous  les  saints  du  paradis.  » 
Ces  paroles  ayant  été  répétées  par  toute  l'assemblée,  les  am- 
bassadeurs se  retirèrent  ;  puis  les  syndics  et  Conseils  furent 
autorisés  à  élire  des  députés  à  la  diète  de  Lucerne,  avec  pou- 
voir de  contracter  de  semblables  bourgeoisies  avec  tous  ceux 
qui  le  voudraient  bien  et  emprunter  les  sommes  nécessaires 
pour  leur  maintien.  On  termina  la  séance  par  un  pardon  gé- 
néreux à  ceux  qui  s'y  étaient  opposés,  et  en  votant  un  splen- 
dide  banquet  avec  spectacle  allégorique  à  la  maison  de  ville, 
auquel  les  ambassadeurs  suisses  seraient  conduits  par  les 
syndics  et  les  citoyens  les  plus  notables. 

Les  ambassadeurs  repartirent  le  lendemain  fort  contents  de 
l'accueil  qui  leur  avait  été  fait.  Chacun  avait  reçu  en  outre  un  don 
gracieux  de  vingt  écus  au  soleil.  Pendant  que  ceci  se  passait  à 
Genève,  les  ambassadeurs  genevois  avaient  rempli  la  même  for- 


291 

malilé  ii  Berne  et  a  Fribourg.  Celaient  Louis  Plonjon.  Claude 
Cliarpilliet,  Domaine  Franc,  Jean  de  Malbuisson,  François  Fa- 
vre,  Guillaume  Hugues,  Boniface  HoHiscber,  Micbel  Sept*; — Ro- 
bert Vandel  el  Ami  Girard  furent  députés  à  la  diète  de  Lucerne, 
d'où  le  dernier  s'en  fut  a  B  rne  pour  y  soigner  nos  affaires. 

On  pouvait  croire  que  loui  serait  terminé  après  cet  échange 
des  ratilications  de  la  combourgeoisie  avec  Berne  et  Fribourg. 
Cet  acte  important  avait  sans  doute  pour  le  moment  conjuré 
le  plus  gros  de  l'orage  ;  Genève  venait  d'acquérir  des  amis  et 
des  défenseurs  puissants  ;  mais  aux  exigences  et  difficultés  inhé- 
rentes à  sa  position,  vinrent  bientôt  s'en  joindre  de  nouvelles, 
beaucoup  plus  compliquées  sinon  plus  graves.  C'est  dès  ce 
moment  surtout  que  brillent  dans  tout  leur  éclat  les  vertus,  le 
dévouement  sans  bornes  et  les  rares  talents  du  srand  citoven 
qui  venait  de  sauver  sa  patrie. 

C'était  grâce  à  ses  instances  que  les  ambassadeurs  suisses 
avaient  recommandé,  et  que  le  Conseil  général  avait  voté  une 
amnistie  générale  en  faveur  du  parti  ducal.  Cette  mesure  avait 
sans  douie  rassuré  et  gagné  les  rangs  inférieurs  de  ce  parti,  qui 
formait  naguère  plus  de  la  moitié  de  la  population.  Mais  il  n'en 
était  pas  de  même  des  chefs  qui  les  avaient  égarés;  grâce  aux 
incitations  et  aux  promesses  du  duc  de  Savoie,  bonnombredes 
mamelucs  les  plus  renforcés  quittèrent  la  ville  et  devinrent  à  son 
égard  autant  de  petits  Coriolans,  dont  la  haineuse  insolence  et 
les  vexations  de  toute  espèce  surpassèrent  encore  celles  des 
Chevaliers  de  la  cuiller-.  C'était  beaucoup  dire;  car  ces  gen- 

•  Leurs  succès  et  leur  retour  turent  annoncés  à  Bezanson  Hugues  par 
une  lettre  de  l'avoyer  de  Fribourg,  Thierry  dEnglisberg.  (Voy.  Galiflo,  Ma- 
tériaux, tome  II,  pages  309  à  370). 

'  En  voici  un  exemple  entre  beaucoup  d'autres  :  L'ancien  syndic  ma- 
meluc  Antoine  de  la  Fontaine  ayant  rencontré  un  Genevois  à  Feigères  lui  dil_ 
«  qu'on  jetterait  tous  les  Genevois  dans  le  Rhône,  quoiqu'il  valût  mieux  leur 
couper  la  tèle  pour  multiplier  les  reliques,  t  méchante  allusion  à  la  tête  de 
Berthelier  qu'on  avait  ensevelie  avec  respect  à  Notre-Dame-de-Grâces.  La 


292 

lilshommes,  exaspérés  de  la  pusillanimité  de  leur  souverain,  ne 
rêvaient  qu'à  se  venger  par  tous  les  moyens  de  ceux  qui  l'a- 
vaient mise  au  jour.  Le  pays  de  Vaud  en  était  infesté  jusqu'aux 
frontières  de  Berne  ei  de  Fribourg,  que  les  ambassadeurs  ge- 
nevois ne  pouvaient  atteindre  qu'à  travers  mille  dangers,  surtout 
quand  on  savait  que  Bezanson  Hugues  était  de  la  partie,  ce  qui 
était  presque  toujours  le  cas;  car  les  cantons  allemands  ne  vou- 
laient avoir  affaire  qu'à  lui  K  II  lui  fidlait  alors  partir  nuitam- 
ment et  cheminer  par  des  sentiers  détournés,  comme  un  mal- 
faiteur, ou  bien  courir  à  franc  étrier  accompagné  d'une  ving- 
taine de  cavaliers  dévoués  et  bien  armés  ;  mais  à  peine  arrivé, 
on  le  redemandait  à  cor  et  cri  h  Genève ,  où  il  n'avait  guère 
plus  de  repos  ;  non-seulement  il  lui  fallait,  en  qualité  de  capi- 
taine général*,  veiller  nuit  ei  jour  à  la  défense  de  la  ville  sans 
cesse  menacée,  ou  courir,  à  la  tête  d'un  parti  des  Enfants  de  Ge- 
nève, délivrer,  sur  territoire  ennemi,  les  pourvoyeurs  de  la  ville 
arrêtés  par  les  troupes  ducales;  mais  ses  propres  concitoyens 
ne  lui  donnaient  guère  moins  d'embarras.  Le  peuple  genevois,  la 
jeunesse  surtout,  si  longtemps  comprimée,  jouissait  avec  excès 
de  la  liberlé  reconquise,  et  recherchait  les  occasions  de  faire 
sentir  ce  triomphe  à  chacun.  Il  fallait  sans  cesse,  et  le  plus 
souvent  de  nuit,  aller  séparer  des  groupes  d'enragés  qui  se 
battaient  dans  les  rues  ou  dans  les  tavernes,  ou  protéger  les  ha- 
bitations et  les  familles  des  anciens  mamelucs  attaquées  par  des 
eydguenols  de  la  veille.  Ce  fut  encore  bien  autre  chose  quand 
les  querelles  pour  la  religion  vinrent  s'en  mêler.  Tout  antre 
que  Hugues  y  eût  vite  perdu  sa  popularité;  la  sienne  était  déjà 

Fontaine  ajouta  des  railleries  sur  la  pauvreté  de  la  ville,  «qui  prétendait  faire 
la  guerre  à  un  prince  qui  ferait  couper  les  oreilles  à  tous  ses  habitants,  »  etc. 

*  Nos  combourgeois  des  deux  villes  trouvaient  généralement  les  autres 
députés  genevois  a  trop  prompts  ou  trop  chauds,  »  c'est-à-dire  pas  assez 
retenus  pour  des  diplomates,  et  trop  ardents  pour  des  républicains  de  la 
▼eille  «  voulant  déjà  être  comme  Canton,  »  tandis  que  l'autorité  épiscopale 
ne  pouvait  être  contestée,  etc. 

»  Il  venait  d'être  réélu  à  ce  poste  important. 


293 

compromise  par  sa  générosité  et  sou  extrîme  modération  vis-k- 
vis  (lu  parti  vaincu,  dont  il  avait  eu  à  se  plaindre  plus  que  tout 
autre;  mais  peu  lui  importait,  pourvu  que  son  autoriié  ne  fût 
pas  méconnue  tant  qu'il  la  jugeait  nécessaire  au  salut  de  son 
pays.  C'était  encore  Hugues  qui  recevait  et  entretenait  les  am- 
bassadeurs suisses;  qui  minutait  toutes  les  missives  importantes 
du  Conseil  ;  et,  au  milieu  de  toutes  cts  occupations,  il  trouvait 
encore  moyen  d'entretenir  une  correspondance  très-étendue  et 
des  plus  utiles,  quoique  moins  oliicielle,  avec  l'évéque  et  ses  offi- 
ciers, avec  les  chefs  les  plus  influents  des  divers  cantons  suisses, 
avec  la  France,  avec  les  négociants  étrangers  qu'il  avait  su  per- 
suader à  avancer  des  fonds  à  son  pays  ruiné,  enfin  (qui  l'aurait 
cru?)  avec  des  individus  de  la  cour  ducale,  gagnés  par  lui  à  no- 
tre cause  et  qui  le  servaient  beaucoup  plus  fidèlement  qu'ils  ne 
servaient  leur  propre  maître.  On  ne  se  doute  guère  dans  com- 
bien d'occasions  il  déjoua  les  complots  formés  contre  la  ville 
par  des  intelligences  avec  le  dehors  ' . 

Puisque  les  lettres  de  Hugues,  dont  plusieurs  sont  déjà  cou- 
nues  par  les  Malèriaux  pour  r histoire  de  Genève^  de  Galiffe, 
forment  la  principale  partie  des  pièces  justificatives  de  noire 
travail,  nous  croyons  opportun  d'en  dire  ici  quelques  mots. 

De  toutes  les  erreurs  répétées  à  satiété  par  tant  d'historiens 
genevois,  la  pins  éclatante  est  celle  qui  exalte  l'instruction  géné- 
rale de  la  république  réformée  aux  dépens  de  celle  de  l'ancienne 
Genève.  Ceux  qui  ont  soutenu  cette  opinion  avec  sincérité  ont 
été  trompés  par  le  temps  d'arrêt  et  de  relâchement  qui  précéda 

'  Parmi  Jes  nombreuses  lettres  de  l'époque  extraites  ou  copiées  par  Ga- 
liffe, nous  en  possédons  aussi  plusieurs  des  principaux  agents  du  due  à  Bezanson 
Hugues,  qui,  tout  en  s' acquittant  de  leur  mandat,  déploraient  très-sincère- 
ment l'état  dos  choses,  et  ne  craignaient  pas  de  donner  çà  et  là  un  bon  avis, 
tout  en  parlant  d'autres  choses.  —  Il  en  existe  aussi  des  ambassadeurs  fran- 
çais auprès  des  Ligues  à  Hugues,  gens  dont  les  sympathies  étaient  évidemment 
pour  Genève,  excepté  lorsqu'il  y  avait  concurrence  directe  en  Suisse  entre 
des  demandes  de  secours  en  hommes  et  en  argent  de  cette  ville  et  de  Fran- 
çois I,  qui  en  avait  aussi  besoin  que  nous.(Voy.  Pièces  justificatives.) 
Tome  XI.  20 


294 

la  création  do  l'académie  calviniste,  sans  réfléchir  que  la  cause 
en  fui  d'abord  rémigration  forcée  du  clergé  et  d'une  partie 
des  classes  aisées,  puis  les  perturbations  de  tous  genres  que  les 
guerres  el  le  changement  de  religion  rendaient  inévitables.  Mais 
que  l'on  compare  seulement  les  trois  quarts  ou  le  demi-siècle 
qui  précéda  la  réforme  avec  l'époque  qui  la  suivit,  el  l'on  sera 
singulièremeni  surpris  en  sens  inverse  de  l'opinion  que  nous 
combattons.  On  verra  que  la  plupart  des  anciens  Genevois, 
magistrats,  négociants,  industriels*,  écrivaient  non-seulemeni 
leur  langue  avec  une  pureté  remarquable  pour  l'époque,  mais 
qu'ils  maniaient  le  latin  presque  aussi  facilement,  et  qu'ils  y 
joignaieni  souvent  la  connaissance  de  l'allemand  et  de  l'italien. 
Il  existe  même  de  celle  époque  des  leiires  de  jeunes  garçons 
écrites  à  leurs  paienls  dans  un  latin  qui  ferait  honte  a  plus  d'un 
bachelier  de  nos  jours.  Quant  aux  dépêches,  actes  notariés, 
registres  des  conseils  et  autres  docun»ents  publics,  français  ou 
latins,  on  ne  saurait,  sans  plaisanterie,  vouloir  leur  comparer  ce 
qui  suivit  dans  le  courant  du  seizième  siècle.  Nous  avons  eu, 
sous  ce  rappori,  des  reproches  a  adresser  au  secrétaire  ma- 
meluc  Biolleys,  comparé  à  son  prédécesseur  et  surtout  à  son 
successeur  immédiat,  le  spirituel  Ami  Porrar^.   Mais  Biolleys 

'  11  était  assez  fréquent  dans  rancienue  Genève  de  voir  un  industriel 
projtrenient  dit  cliauger  son  métier  mauuel  pour  une  profession  qui  de- 
7nandail  un  degré  et  un  genre  d'instruction  bien  différents,  celle  de  notaire 
ou  de  pharmacien  par  exemple.  Cette  circonstance,  jointe  aux  umombrahles 
documents  privés  ou  publics  que  nous  possédons  des  anciens  Genevois , 
prouve  que,  loin  d'être  négligée,  l'instruction  était  à  Genève  remarquable- 
ment bonne,  étendue,  éclairée  et  surlout  jtratique. 

-  Mallieureuseiuent  Porral  ne  fut  jias  longtemps  secrétaire;  on  le  rem- 
plaça par  Jean-Ami  Curtet  dit  Botoiller,  qui  était  encore  plus  négligent  el 
plus  illettré  que  Biolleys.  Galiffe  a  retrouvé  et  replacé  dans  les  archives  des 
feuilles  volantes  de  lui  (pii  avaient  laissé  une  fâcheuse  lacune  dans  les  re- 
gistres (entre  autres  du  25  février  au  2  avril  1527).  A  propos  du  secrétaire 
Jean-Ami  Curlet  et  de  son  successeur  Robert  Vandel,  nous  devons  observer 
qu'ils  n'étaient  ni  l'un  ni  l'autre  favorables  à  Bezanson  Hugues,  ce  que  l'on 
voit  déjà  par  ce  fait  qu'ils  évitent  de  le  citer  en  tête  du  personnel  des  Conseils 
auxquels  il  as.sis(ail,  niarque  de  déférence  qui  lui  était  accordée  par  tous  les 


•295 

étiiil  un  professeur  à  côté  des  vulgaires  barbouilleurs  de  papier 
(jui  vinrenl  <'nsuite.  Il  n'y  a  <]"''à  suivre  les  registres  latins  jus- 
qu'au l)Oul,  el  voir  dans  quel  français  ils  furent  continués,  pour 
rester  persuadé  que  l'ignorance  des  nouveaux  magistrats  fut 
pour  beaucoup  dans  le  changement  de  langue.  Ne  vit-on  pas  le 
gouvernement  des  Guillermins^  —  dont  l'ineptie  fut  la  princi- 
pale cause  du  rappel  de  Calvin,  chassé  par  le  parti  national 
opposé,  —  ne  vi(-on  pas  c-'  parti,  calviniste  par  excellence, 
forcé  d'avouer  aux  magistrats  bernois  qu'il  n'y  avait  pas  dans  ses 
rangs  un  seul  individu  à  même  de  comprendre  leurs  missives 
allemandes,  que  naguère  presque  tous  les  eydguenois  tradui- 
saient si  facilemeni  en  Conseil  à  lettre  vue!  El  plus  tard,  alors 
que  l'académie  réformée  avait  eu  tout  le  temps  de  porter  ses 
fruits,  quel  incroyable  désordre  ne  règne-i-il  pas  dans  la  tenue 
des  registres  d'où  dépendait  l'existence  civile  des  citoyens;  et 
lorsque,  cà  et  là,  le  latin  ofticiel  vient  à  reparaître,  ne  cioirail- 
on  pas  retrouver  le  jargon  qui  a  inspiré  Molière  dans  le  Ma- 
lade imaginaire?  Il  a  été  de  mode  à  diverses  époques  de  s'exta- 
sier, faute  de  mieux,  devant  les  œuvres  littéraires  d'un  Froment, 
d'un  Bonivard,  dun  Roseï,  etc.,  etc.,  œuvres  grassement  pavées 
et  composées  à  loisir  au  milieu  de  toutes  les  commodités  de  la 
vie.  Sans  doute,  les  anciens  Genevois,  les  eydguenots  surtout,  ne 
pensaient  guère  a  écrire  des  livres;  ils  avaient  bien  autre  chose 
à  faire.  Ce  qui  nous  reste  d'eux,  écrit  de  leur  propre  main, 
outre  les  documents  officiels  proprement  dits,  ce  sont  des  tes- 
timoniales, des  procès-verbaux  sténographiés  en  latin,  à  me- 
sure que  l'orateur  s'exprimait  en  français  ou  en  allemand  ;  ce 
sont  surtout  leurs  innombrables  lettres  tracées  à  la  hâte,  sou- 
vent des  sites  les  plus  aventureux,  au  milieu  des  dangers  ou  des 

autres  secrétaires.  Ce  qui  est  plus  grave,  c'est  que,  Jeur  laconisme  aidant , 
ils  ont  dans  bien  des  cas  tronqué  ou  évité  de  rapporter  des  choses  favora- 
bles à  Bezanson  Hugues,  el  assez  ijnportantes  pour  nous  obliger  de  les  com- 
pléter ou  de  les  rétablir  au  moyen  des  autres  dociurients  originaux  de  l'épo- 
que, des  lettres  surtout. 


29() 

graves  intérèis  qui  les  préoccupaient,  sans  autre  prétention  que 
de  (lire  le  nécessaire  le  plus  brièvement  possible.  On  en  pos- 
sède à  peu  près  de  tous  les  eydguenots  connus,  et  certes,  s'il  y 
a  du  vrai  dans  l'axiome:  «le  style  c'est  l'homme, »  on  sera 
obligé  de  convenir  qu'il  s'agit  là  d'hommes  d'une  tout  autre 
trempe  que  ceux  qui  les  firent  oublier.  Parmi  ces  pièces,  d'une 
époque  généralement  trop  peu  étudiée,  nous  ne  dirons  pas  que 
les  leltr<  s  de  Hugues  soient  toujours  les  plus  piquantes;  sous 
ce  rapport,  celles  d'Ami  Porral,  d'Ami  Girard,  des  frères  Van- 
del,  de  Nicolin  Du  Crest  ^  et  de  quelques  autres,  peuvent  leur 
être  comparées  sans  désavantage.  11  est  d'ailleurs  évident  que 
l'éloquence  du  grand  citoyen  était  encore  bien  supérieure  à  son 
style.  Mais  ses  lettres  se  distinguent  entre  toutes  celles  de  l'é- 
poque par  la  clarté  de  la  pensée,  par  l'aisance  et  la  vigueur 
souvent  pittoresque  de  l'expression,  surtout  par  la  conviction 
qu'elles  portent  et  qu'elles  inspirent  ;  on  y  respire  le  comme  il 
faut  du  donzel,  neveu  d'un  cardinal,  joint  aux  sentiments  plus 
mâles  du  patriote,  fils  d'un  des  héros  de  Morat. 

La  politique  extérieure  des  Genevois  pendant  l'année  1526 
et  les  suivantes  dut  tendre  surtout  à  défendre  et  à  consolider 
la  combourgeoisie  avec  Berne  et  Fribourg,  que  le  duc  attaqua 
par  tous  les  moyens  en  son  pouvoir.  Malheureusement  le  pro- 
verbe: «  pas  d'argent,  pas  de  Suisses,»  était  alors  aussi  vrai  en 
politique  que  pour  le  service  militaire,  ainsi  que  nous  n'aurons 
que  trop  souvent  l'occasion  de  ie  voir;  le  duc  répandit  l'or  à 
pleines  mains.  D'autre  part,  les  Suisses  avaient  trop  de  loyauté 
pour  soupçonner  facilement  le  mensonge  chez  autrui,  à  plus 
forte  raison  chez  un  piince  aussi  puissant  que  Charles  111.  Les 
autres  cantons  prirent  au  grand  sérieux  ses  lamentations  contre 
ses  sujets  rebelles  de  Genève;  il  obtint  facilement  d'eux  de  cas- 

'  Nous  ne  citons  ici  que  les  eydgueuots  ;  mais  le  parti  des  inamelucs 
comptait  un  nombre  tout  aussi  considérable  d'hommes  remarquables  par 
leur  instruction  et  leur  esprit,  dont  les  lettres  ne  le  cèdent  en  rien  sous  ce 
rapport  à  celles  de  leurs  adversaires  politiques. 


297 

serce  traité;  Berne  et  Fribourg  furent  eux-mêmes  ébranlés  a 
diverses  reprises  ;  et  comment  leur  en  vouloir  quand  le  duc  de 
Savoie  engageait  sa  parole  et  sa  foi  de  gentilhomme  à  leur  prou- 
ver que  les  Genevois  étaient  ses  sujets ,  et  quand  cette  parole 
était  encore  corroborée  par  les  déclarations  unanimes  de  tout  le 
parti  des  mameiucs,  dont  quarante  des  plus  notables  accompa- 
gnèrent son  ambassade  à  la  diète  de  Bienne?  —  I!  est  vrai  que 
cette  loyauté  des  Suisses  devint  bientôt  sa  perte  et  le  salut  de 
Genève.  Berne  et  Fribourg,  éclairés  par  Bezanson  Hugues  et 
!^es  amis,  lui  renvoyèrent  le  dernier  traité  de  leur  alliance  avec 
lui,  après  en  avoir  brisé  les  sceaux.  Le  procès  qui  s'ensuivit  en 
dièle  mit  la  fausseté  de  ses  assertions  en  pleine  évidence  ;  il  y 
perdit  non-seulement  de  puissants  alliés,  qui  ne  cachèrent  pas 
le  mépris  que  leur  inspirait  un  tel  manque  de  foi,  et  dont  l'ap- 
pui lui  avait  coûté  des  sommes  énormes,  mais  il  dut  encore  payer 
tous  les  frais  du  procès.  Il  sacrifia  tout  alors  pour  regagner 
1  amitié  de  Berne  et  Fribourg,  et  y  réussit  si  bien  que  c<'S  deux 
Etats  sollicitèrent  a  Genève  la  rupture  de  la  combourgeoisie  ; 
les  Genevois  s'y  refusèrent  avec  l'énergie  touchante  du  déses- 
poir. Des  commissaires  bernois  et  fribourgeois  qui  vinrent  rési- 
der à  Genève  à  posie  fixe,  aux  frais  des  Genevois,  pour  voir  les 
choses  de  leurs  propres  yeux,  n'eurent  que  trop  d'occasions  de 
se  rendre  compte  de  la  détresse  où  le  duc  tenait  cette  ville  à 
laide  de  la  noblesse  des  environs',  et  des  mameiucs  émigrés. 

»  Les  gentilshommes  de  la  Cuiller,  pour  être  plus  sûrs  de  ne  pas  laisser 
passer  les  Genevois,  altacpiaient  indifféremment  tout  passager  parlant  fran- 
çais ;  ils  interceptèrent  ainsi,  sans  s'en  douter,  une  foule  de  messagers  de 
France  destinés  aux  cantons  suisses  et  surtout  aux  Bernois.  Alors  ces  der- 
niers se  fâchèrent  (1525),  non  pas  contre  les  coupables,  mais  contre  les  Ge- 
nevois, auxquels  ils  intimèrent  l'ordre  de  faire  cesser  ces  scandales,  absolument 
comme  s'il  n'était  question  que  de  traquer  un  loup  ou  une  bête  fauve, 
tandis  qu'il  s'agissait  d'une  véritable  armée,  répandue  sous  les  ordres  de 
M,  de  Pontverre,  depuis  Genève  jusqu'aux  frontières  de  Berne  et  de  Fri- 
bourg, et  dont  presque  toute  la  noblesse  vaudoise  faisait  partie. — Voyez  deux 
de  leurs  lettres  aux  pièces  justificatives. —  A  leur  tour  les  gentilshommes 
savoyards  s'en  prenaient  aux  Genevois  des  violences  que  les  Suisses  se  par- 


298 

Les  paysans ,  même  ceux  des  mamîements  épiscopaux,  ne 
ponvaieni  apporter  des  vivres  sans  risquer  d'être  dépouillés, 
rossés  et  traînés  en  prison.  Charles  llïne  tarda  pas  à  êire  traité 
par  les  deux  canions  avec  un  mépris  d'autant  plus  humiliant 
qu'il  n'osait  plus  donner  carrière  à  celui  qu'il  affectait  pour 
Genève  ;  on  se  gênait  bien  nioiiis  encore  pour  ses  ambassadeurs. 
Le  marquis  de  Lullin  fut  publiquement  accusé  d'avoir  menti 
sur  divers  points  ;  il  répondit  naïvement  :  «  Que  comme  sujet 
«  du  duc,  il  devait  affirmer  tout  ce  qui  lui  était  ordonné,  vrai 
«  ou  faux.  » 

Après  ce  rapide  exposé,  dans  lequel  nous  avons  dû  anticiper 
sur  les  événements,  on  comprendra  mieux  les  diverses  ambas- 
sades dont  Bezanson  Hugues  dut  faire  partie.  Déjà  le  jeudi 
saint,  un  mois  à  peine  après  la  rentrée  des  eydguenots  fugitifs, 
Ami  Girard,  (]ui  de  Berne  était  venu  fiire  ses  Pâques  à  Fri- 
bourg,  réclamait  a  grands  cris  au  nom  de  ses  collègues  et  de  ses 
amis  des  deux  villes  la  présence  de  Hugues  :  «  Tous  nos  amis 
«  de  Berne  vous  prient  que  deviez  venir  à  la  dite  Journée  (Diète 
«  de  Berne),  et  me  semble  que  devez  venir  ;  car  c'est  au  be- 
«  soin  mieux  que  jamais  et  pour  faire  ailenlium  perpcluum, 
«  Monsieur  l'avoyer  de  cette  ville  m'a  aussi  donné  charge  vous 

«  resorire  que  dussiez  venir  sans  y  faire  faute Neantmoins 

«  afin  que  abbrévions  les  choses  et  que  puissions  demeurer  en 
'<  repos,  il  est  de  nécessité  que  veniez,  tant  pour  répondre  aux 
'(  manielus,  qui  doivent  venir  en  gros  nombre,  qu'aux  glorieux 
«  Lullin  (celui  dont  il  s'agit  plus  haut).  Le  sieur  Jaques  Blanc 
«  (Jacob  Wyss,  l'un  des  principaux  Bernois)  m'a  dit  que  si 
«  vous  venez,  les  Bourgeois  (le  Grand  Conseil  de  Berne)  au- 
«  ronl  patience,  pourvu  que  leur  disiez  lant  seulement,  étant 
«  tous  en  Conseil,  que  nous  aquitterons  envers  eux  dedans 
«  peu  de  temps  des  honneurs,   biens  et   services  qu'ils  nous 

menaient  quelquefois  à  leur  égard;  M.  de  Viry,  entre  autres,  écrivit  (juatie 
fois  à  Genève  au  sujet  de  trois  chevaux  que  les  Suisses  lui  avaient  piis 
après  avoir  pillé  son  château  irAlleniogne    1526). 


299 

«  oui  fails.  Le  Bailli  ni  a  dit  iniii  le  semblable.  »  Elc,  elc.  ' 
Après  avoir  voyagé  toute  la  nuit,  Bezanson  Hugues  arrive  à 
Fribourg  le  jour  de  Pâques  de  grand  malin,  il  voit  tous  nos 
amis,  se  met  au  courant  de  nos  alîaires,  prépare,  article  par 
article,  une  réponse  à  toutes  les  idlégations  que  les  ambassadeurs 
et  les  agents  du  duc  col(iorlaient  en  Suisse,  et  en  soigne  la  ira- 
duclion  en  allemand.  Puis,  dans  une  longue  lettre  envoyée  par 
un  exprès,  il  informe  le  premier  syndic  Jean  Philippe  de  ses 
faits  et  gestes,  des  nouveiks  qu'il  a  apprises,  demamh-  de  plus 
amples  pouvoirs  et  donne  uni'  foule  de  conseils  sur  ce  qu'il 
y  aurait  à  faire  h  Genève.  L'argent  était  ce  qui  pressait  le  plus, 
et  il  s'offre  le  tout  premier  commi'  prêteur".  Lr  lendemain  il 
est  à  Berne,  où  ii  prend  également  la  direction  <le  nos  affiiires. 
An  milieu  des  plus  graves  occupations  il  font  tenir  table  ou- 
verte, boire  ot  banqueter  avec  tout  le  monde;  car  c'était  le  plus 
fort  lien  des  amitiés  de  ce  siècle,  chez  les  Suisses  surtout.  Mal- 
heureusement à  cette  époque,  près  de  quatre  mois  des  registres 
du  Conseil  manquen!  à  cause  de  l'absence  d'Ami  Porral.  Tou- 
tefois une  lettre  de  François  Favie.  du  fi  juin,  nous  apprend  que 
nos  affaires  s'étaient  dérangées  à  Berne,  à  cause  de  la  pariialité 
de  celte  ville  pour  les  mami  lues  ;  «  mais,  dit  il,  (jue  le  sire 
«  Bezanson  vienne,  la  cause  commencera  belle  pour  nous.  » 
Une  longue  lettre  de  Hugues  à  son  bran-frère  Jean  Baud,  sur 

»  Galiflo.  Matériaux  11,  371. 

*  ( M.  le  Sanctique,  je  vous  prie  et  fous  nos  ainis  qu'ayez  égard 

«  que  tant  de  peines  et  de  dépenses  qu'avons  portées  jusqu'à  présent  ne 
«  soient  pas  perdues,  avec  le  danger  qui  pourrait  survenir  de  perdre  les 
«  vies  et  le  reste  des  biens.  Vous  savez  ipie  sans  argent  nous  parviendrons 
'(  à  celte  malheureuselé  ;  pour  quoi  est  de  besoin  y  donner  ordre  de  bonne 
(  heure,  et  trouver  moyen  d'en  avoir,  t^ourquoi  j'ai  regardé  le  plus  expé- 
a  dient  des  deux  moyens  l'un  :  le  premier  que  regardiez  entre  vous  de  se 
(  trouver  une  douzaine  qui  prêtent  chacun  cent  écus  ;  je  me  présente  le. 
<(  premier  de  les  prêter.  Si  vous  ne  voulez  faire  ainsi,  envoyez-moi  bonne 
«  puissance  et  suffisante  pour  pouvoir  emprunter  par  deçà  ce  qui  vous 
«  semblera  qui  fera  besoin,  et  je  me  parforcerai  de  ce  faire,  combien  qu'il 
i  semble  que  l'autre  moyen  serait  beaucoup  meilleur  et  à  moins  de  bruit,  et 
-ï  ébahirait  fort  nos  ennemis.  » 


300 

les  atïaires  courantes,  nous  apprend  que  le  premier  juillet  il 
était  en  etFet  derechef  à  Fribourg,  d'où  il  alla  à  Bernée  Un 
billet  plus  intime,  indu  dans  cette  lettre,  contenait  ces  mots  : 
M  Mon  frère,  je  vous  prie  me  recommander  fort  à  ma  femme, 
«  et  que  je  me  porte  bien,  Dieu  merci;  et  que,  au  plaisir 
«  de  Dieu,  je  serai  bientôt  a  Genève;  et  soyez  sûr  que,  si  je 
«  puis  revenir  là,  vous  ne  me  ferez  revenir  ici  d'un  an.  Un 
«  autre  fera  son  tour.  »  Mais  à  peine  de  retour  à  Genève, 
il  était  élu  le  5  août  député  à  la  diète  de  Bienne  avec  Ami  Gi- 
rard etBoniface  Peter  (Hoôischer)  -.  Non-seulement  il  leur  fallut 

'  D'après  le  Journal  fie  Balard,  p.  64-66,  il  paraît  que  Hugues  avait  eu- 
core  rempli  une  ambassade  à  Berne  au  mois  de  juin,  entre  celle  dont  il  est 
ici  question  et  la  première. 

-  Cette  fois,  ce  fut  encore  à  la  demande  d'Ami  Girard,  resté  à  Berne  pour 
y  soigner  nos  affaires,  que  Hugues  y  fut  envoyé,  ainsi  qu'on  le  voit  dans  une 

lettre  du  premier  au  Conseil,  datée  du  15  juillet  1526.  «  Il  vous  plaira 

«  mander  les  deux  Abscheid  (sentences  de  diète)  desquels  je  rescris  au  sei- 
'i  gneur  Bezanson,  et  l'enverrez  ici  pour  être  mercredi  au  soir  à  Berne,  pour 
«aider  à  conduire  les  affaires  ;  car,  comme  savez,  un  homme  seul  ne  peut 
•i-  guère,  et  sera  bon  que  lui  fassiez,  à  lui  seul,  la  semblable  puissance  que 
*  nous  mandates  après  Pâques  pour  recevoir  l'argent  de  Lucerne,  et  pour 
tt  changer  les  fiances  (cautions)  et  qu'il  apporte  le  sceau,  etc.etc.»  Galiffe,  Ma- 
tériaux, II,  p.  495. — Le  19  août,  son  beau-frère  Baud  lui  écrivait  :  «  Je  vous 
n  promets  que  tout  le  peuple  est  joyeux  des  bonnes  nouvelles  que  le  trésorier 
li  (Ami  Girard)  a  apportées ,  et  si  vous  aveitis  quel  e  trésoiier  a  bien  re- 
«  montré  la  peine  que  preniez,  dont  je  vous  promets  que  chacun  prie  Dieu  poui' 
a.  VOUS,  et  ont  tous  bon  vouloir  vous  faire  quelque  bonne  récompense  à  tous 
c  deux.  »  Non-seulement  Bezanson  servit  constamment  la  ville  à  ses  frais  et  ne 
reçut  jamais  un  sol  du  Conseil ,  mais  il  ne  fut  pas  même  remboursé  des 
avances  considérables  qu'il  fit  en  diverses  occasions  pour  la  communauté. 
Peiidaul  que  Bezanson  Hugues  défendait  à  Bienne,  devant  la  diète  helvétique, 
la  coniboun:;eoisie  avec  les  deux  villes,  il  y  eut  à  Genève  une  scène  que  nous 
ne  pouvons  passer  sous  silence.  Le  23  août  1526,  le  Conseil  étant  assemblé 
après  midi,  plus  de  cent  citoyens  se  présentèrent  et  demandèrent  audience. 
Jean  Baud  (beau-frère  de  Bezanson)  parlant  au  nom  de  tous ,  rappela  a  que 
sept  ans  auparavant,  en  ce  même  jour  du  23  août,  Philibert  Berthelier  avait 
été  décapité  à  (juatre  heures  après  midi,  sur  la  place  devant  le  château 
de  l'Ile,  pour  le  maintien  des  libertés  et  franchises  de  la  cité ,  et  qu'il  leur 
semblerait  juste  de  célébrer  cet  anniversaire  en  convoquant  pour  la  même 
heure  une  procession  générale  à  laquelle  assisteraient  tous  les  chanoines, 


301 

là  faire  aux  Bernois  un  don  gracieux  de  800  écus  (environ 
36,000  francs  de  notre  monnaie)  *,  mais  encore  paver  à  Tau- 
berge  de  Bienne  les  frais  de  séjour  des  dépulations  bernoise 
et  fribourgeoise.  Ces  petites  gracieusetés  n'étaient  rien  à  côté 
des  dépenses  immenses  qui  incombaient  à  la  ville,  soit  pour 
maintenir  l'alliance  contie-minéeparles  sommes  folles  que  le  duc 
trouvait  moyen  de  prodiguer  en  Suisse,  soit  pour  la  défense  delà 
ville  que  les  Savoyards  et  les  pariisans  du  duc  tenaient  comme 
assiégée.  Aussi,  après  avoir  rendu  compte  de  la  dièle  de 
Bienne,  dans  les  Conseils  du  2  et  du  5  septembre,  réussit-il  à 
faire  passer  sa  proposition  d'imposer  d'un  sou  (1  franc  de  no- 
tre monnaie)  chaque  setier  de  vin  qui  entrerait  en  ville,  et  l'évê- 
que  y  consenti!. —  Le  15  novembre  Bezanson  Hugues  était  de- 
rechef député  à  Berne  avec  (Robert  Vandel)  Jean  de  la  Thoy 
et  Boniface  Hoffischer.  On  savait  que  tous  les  passages  étaient 
occupés  par  les  gentilshommes  de  la  Cuiller  et  les  troupes  du- 


prèU'es  et  moines  de  la  ville,  dans  l'église  de  Saint-Pierre,  au  son  de  toutes 
les  cloches  de  toutes  les  paroisses,  en  mémoire  et  pour  le  salut  de  l'âme  du 
dit  Bertlielier,  mort  pom"  la  patrie  ;  après  quoi,  les  syndics  et  citoyens  iraient 
à  l'église  de  ^otre-Dame-de-Grâces,  où  sa  tète  était  ensevelie,  prier  et  chanter 
vigiles  pour  lui.»  —  On  leur  répondit  «qu'on  chanterait  vigiles  à  Notre-Dame. 
de-Grâces  pour  l'âme  de  Berlhelier  et  des  autres  morts  pour  la  république  ; 
qu'il  y  aurait  grand'messe  le  lendemain  matin,  et  que  tous  ceux  qui  le  vou- 
draient y  assisteraient;  qu'on  ne  ferait  pas  autre  chose  pom'  le  moment  (et 
non  aliudpropnesenti).»  Berthelier,  Lévrier  et  les  autres  morts  pour  la  patrie 
n'eurent  pas  d'autre  anniversaire.  Les  noms  de  ces  glorieux  martyrs  ne  tar- 
dèrent pas  à  être  en  très-mauvaise  odeur  à  Genève.  On  peut  savoir  gré  aux 
Genevois  de  s'en  être  rappelé  après  plus  de  trois  siècles,  à  l'occasion  des 
nouvelles  rues  de  la  ville.  Mais  avant  de  leur  adjoindre  encore  d'autres  noms 
auxquels  Genève  doit  peu  ou  rien,  on  aurait  pu  se  souvenir  du  seul  qui 
était  vraiment  digne  de  leur  être  adjoint. 

»  Ce  n'est  pas  par  poids  et  mesures  qu'il  faut  évaluer  la  valeur  relative  de 
l'argent  d'une  époque  à  l'autre  ;  ce  système,  adopté  par  plusieurs  historiens, 
conduit  à  des  conclusions  de  la  dernière  absurdité.  La  seule  mesure  ration- 
nelle est  celle  du  prix  des  choses  nécessaires  à  la  vie,  que  nous  avons  adop- 
tée d'après  GaliCfe,  pour  toutes  nos  évaluations.  D'après  ce  système,  le  sou 
doit  être  évalué  au  moins  à  un  franc  de  notre  monnaie  pour  le  seizième 
siècle,  et  à  un  franc  et  demi  pour  les  siècles  précédents. 


•M)2 

(lueales;  (rauirf  pari  nos  dépiUés  étaient  celte  fois  poi'lems 
(les  anciennes  chartes  de  la  ville,  destinées  h  prouver  ses  droits, 
et  auxquelles  on  tenait  pour  le  moins  autnnt  qu'à  la  vie  de 
Hui^ues  et  de  ses  compagnons  :  aussi  funut-ils  escortés  jusqu'à 
l^aiisanne  par  vingt-trois  cavaliers  bien  armés.  I.e  lendemain 
ils  sont  à  Fribourg,  e!  le  jour  suivant  à  Berne,  d'où  le  soir 
même,  à  minuit,  Bezanson  Hugues  écrit  au  Conseil  de  Genève. 
Cette  fois  les  dangers  de  la  roule  avaient  semblé  si  sérieux  aux 
Bernois,  (pie  l'arrivée  subite  des  députés  genevois  leur  avait 
paru  tenir  du  miracle,  et  que  cent  hommes  di-vaicnt  partir  le 
lendemain  pour  les  aller  quérir  sur  territoire  ducal  '.  Le  20 
novembre  arriva  une  autre  lettre  de  Hugues,  qui  contenait  des 
nouvelles  reialivement  si  favorables  que  l'on  convint  de  convo- 
(juer  tout  exprès  pour  le  lendemain  le  Conseil  des  I^  afin  de  lui 
en  donîier  lecture  «  pour  la  eonsolalion  du  peuple  »  (pro  con- 
solatione  populi).  Le  27,  le  Conseil  écoutait  encore  la  lecture 
d'une  nouvelle  lettre  de  Hugues  qui  isnnonçait  son  retour  dans  la 
journée  même.  Le  lendemain  il  exposa  au  Conseil  le  résultat 

'  «....  (]e  samedi,  somm(?s  arrivés  à  Berne,  et  soyez  sûrs  que  tout  ce  peii- 
«  pie  ont  estimé  miraculeux  de  me  voir  et  mes  compagnons  ;  et  si  ne  lussions 
<t  arrivés  ce  soir,  demain  partaient  cent  hommes  pour  nous  venir  quérir,  et 
«  eussent  prolongé  la  journée  (la  diète")  jusqu'à  notre  venue.  A  la  reste,  te- 
.(  nez  vous  assurés  que  Dieu  conduit  nos  affaires,  »  etc.  Les  dangers  de  la  route 
étaient  en  effet  très-grands;  (piantité  de  lettres  et  de  messagers  avaient  été  in- 
terceptés. Peu  de  jours  après  Jean  Baud  disait  en  post-scriplum  à  son  beau- 
frère  Hugues  :  «  Je  vous  recris  tant  amplement  comme  je  puis.  Car  ce  je  ne 
^  sais  si  vous  pourrons  écrire  ;  car  ces  gentilshommes  qui  sont  sur  les  champs 
•<  ne  lairront  passer  nul  qu'il  soit  pris.  »  Et  ailleurs:  «  Je  vous  avertis  que 
«le  bruit  se  fait  de  vous  avoir  et  moi  aussi;  pourquoi  soyez  toujours  sur 
*  votre  garde,  s  Uu  reste,  les  Bernois  et  les  Fribourgeois  se  montraient  gé- 
néralement beaucoup  plus  jaloux  de  la  conservation  et  de  la  représentation 
de  Hugues  que  ses  propres  concitoyens;  car  il  revenait  rarement  à  Genève, 
surtout  à  cette  époque,  sans  une  escorte  des  deux  villes. —  On  voit,  d'après 
cette  même  lettre  de  Baud,  que  le  duc  de  Savoie  avait  demandé  des  secours 
au  roi  de  France  contre  (îenève,  (jui  les  lui  avait  nettement  refusés.  —  Une 
lettre  d'Ami  Girard  à  J.  Baud ,  datée  de  Lyon,  23  décembre  1526,  nous 
apprend  qu'on  suivait  également  dans  cette  ville  avec  im  grand  intérêt 
les  phases  de  notre  lutte  pour  l'indépendance. 


MO.i 


(le  son  ambassadr.  On  en  lui  lelltment  salisfait  qu'on  or- 
donna trois  jours  de  processions  généiales  en  actions  de 
grâces. 

Il  va  sans  dire  qu'à  pt.'ine  rentré  chez  hii,  tout  son  temps 
était  de  nouveau  réclamé,  coninif  nous  l'avons  expliqué  j)lus 
haut,  par  ses  correspondances,  p.ir  ses  fonctions  de  conseillei', 
de  capiiaine  général  et  de  chef  de  faii,  sinon  de  droit,  de  (ouïe 
la  communauté  genevoise.  Nous  avons  vu  que  '.-e  n'était  pas  la 
partie  la  moins  pénible  de  sa  tâche,  grâce  surtout  aux  progrès 
que  la  iiberié  faisait  faire  journellement  à  l'insubordination  de 
gens  qui  ne  s'étaiem  distingués  jusqu'ici  que  par  leurs  excès. 
Ils  ne  firent  que  trop  parler  d'eux  dans  la  suite.  î/liistorien  ré- 
pid)licain  et  protestant  rougit  d'avoir  à  constater  dans  une  bande 
de  \auriens  avides  de  vo)  et  de  pillage,  l'origine,  non  pas.  a  Diru 
ne  plaise,  de  notre  indépentiance  ni  des  premiers  réformés  sin- 
cères, mais  du  parti  révolutionnaire  dont  les  violences  aidèrent 
si  puissamment  au  triomphe  matériel  des  nouvelles  doctrines '. 

'  Ce  parli,  auquel  nous  ne  saurions  donner  d'autre  nom  que  celui  de  parti  ou 
Itande  des  vauriens-tapageurs,  se  oomposait  principalement  de  :  Jean  d'Abères 
ditla  Haille,  Claude  Furjod  dit  le  Hàtard,  Claude  Ilolel,  Marc  Perrequin, Pierre 
Povol.  Pierre  de  la  Tlioy  dit  le  Poulain,  Jean  Pécolat  (celui  dont  Donivard 
a  fait  un  héros  martyr),  Ami  Boclief,  Henri  Dolens,  Pierre  L'Hoste,  Jean  d'A- 
vignon, Claude  Bernard  dit  Clément ,  Jean  Bernard,  Jean  Chièvre,  Nicolas 
Comte,  André  de  Malvenda.  Jean  Goule,  le  plus  méchant  et  le  plus  intrigant 
do  tO'is,  et  Baudichou  de  la  Maisonneuve  qui  devint  leur  chef.  Tels  étaient 
les  principaux  chefs  de  lile  de  ce  parti  qui,  Tannée  suivante,  comptait  déjà 
plus  de  deux  cents  adhérents.  Tous  avaient  été  arrêtés  et  punis  à  diverses 
reprises  pour  vol  et  pillage  nocturne  avec  escalade  et  eflfraction,  plusieurs 
même  pour  de  véritables  crimes,  tels  que  meurtres,  faux  témoignages,  etc. 
Ils  n'en  furent  pas  moins  des  premiers  à  embrasser  les  nouvelles  doctrines,  et 
tirent  rapidement  leur  chemin  dans  Genève  protestante,  où  plusieurs  parvin- 
rent aux  premières  dignités.  Ce  fut  ce  même  parti  qui.  ligué  ensuite  avec  ce 
que  l'immigration  française  nous  amena  de  moins  bon,  trouva  moyen  de  faire 
successivement  condamner  à  mort  ou  proscrire  de  Genève  précisément  ceux 
sans  le  dévouement  desquels  il  n'y  auiait  eu  à  Genève  ni  liberté  politique,  nj 
réforme  religieuse.  Comme  tous  les  partis  révolutionnaires,  celui-ci  comp- 
tait dans  ses  rangs  quelques  enfants  perdus  de  l'aristocratie  qui,  à  l'assou- 
vissement de  leurs  plus  mauvais   penchants,  joignaient    la    satisfaction    de 


304 

Ce  parti  (si  1  on  peut  lui  donner  ce  tiom)  dout  les  principaux  ne 
rêvaient  que  désordre,  plaie  et  bosse,  se  grossit  bientôt  de  tous 
les  fainéants  et  mauvais  sujets  endettés  de  la  ville,  prêts  à  se 
jeter  à  corps  perdu  dans  toute  entreprise  qui  pouvait  amener 
un  changement  dans  leur  position.  D'autres  avaient  leurs  an- 
técédents au  sein  de  cette  canaille  que  les  agents  ducaux  ameu- 
taient naguère  contre  les  magistrats  evdguenots.  Aucun  d'eux 
n'avait  fait  le  moindre  sacrifice  pour  la  cause  de  la  liberté. 
La  plupart  eussent  été  trop  lâches  pour  se  compromettre  in- 
dividuellement, alors  quil  v  avait  quelque  danger  a  le  faire. 
Enfoncer  les  portes,  escalader  et  piller  de  nuit  les  maisons  des 
émigrés,  lesquelles  n'étaient  gardées  que  par  des  femmes  et  des 
enfants;  assaillir  des  citoyens  inoffensifs,  surtout  les  ecclésias- 
tiques, en  se  mettant  naturellement  toujours  vingt  contre  un; 
en  traiter  d'autres  de  mamelucs  pour  les  forcer  à  émigrer  et 
s'emparer  de  leurs  biens....  telles  étaient  pour  le  moment,  en 
l'absence  du  capitaine  général,  les  prouesses  de  ces  bauuits  de 
carrefours,  surtout  lorsqu'ils  avaient  leur  tour  de  garde.  Puis, 
dès  qu'ils  sentirent  leur  force  numérique,  ils  entreprirent,  sous 
la  direction  de  Baudichon  de  la  Maisonneuve,  qui,  jeune 
encore,  avait  inauguré  sa  carrière  par  un  meurtre,  d'agir  sur 
les  affaires  publiques  par  rintimidalion  et  la  violence,  comme 
le  font  tous  les  partis  ainsi  composés,  en  envahissant  en  masse  les 
séances  du  Conseil  aux  fins  de  lui  dicter  leurs  volontés,  pour  don- 
ner par  leurs  vociférations  une  apparence  d'impopularité  aux 
magistrats  ou  aux  propositions  qui  ne  leur  plaisaient  pas,  et 
pour  appuyer  leurs  amis  dans  tout  ce  que  ceux-ci  propose- 
raient de  violent.  —  Malheur  aux  magistrats  qui  basent  leur  in- 
fluence et  leur  popularité  sur  des  éléments  aussi  méprisables! 
ils  en  sont  tôt  ou  tartl  les  victimes;  et  honte  aux  républiques 
qui  tolèrent  de  pareils  scandales  î  Elles  marchent  par  le  chemin 
le  plus  court  à  la  guerre  civile  ou  a  l'anarchie  et  au  despotisme. 

iraîner  et  de  retoiu'iier  dans  la  boue  des  noms  qui  n'étaient  connus  jusqu'ici 
que  par  des  antécédents  honorables. 


305 

A  Geuève  on  n'en  était  pas  encore  la  ;  les  vauriens  eu  voulaient 
surtout  pour  le  moment  an  syndic  Jean  Philippe,  a  Jean  Baud 
et  à  Bezanson  Hugues,  précisément  à  cause  de  leur  influence. 
Leur  sollicitude  à  éviter  des  voies  de  fait  contre  des  citoyens 
dont  rien  ne  prouvait  encore  la  culpabilité  était  travestie  en 
flagrante  partialité  pour  le  parti  ducal,  dont  ces  vauriens  les 
accusaient  de  recevoir  de  l'argent.  Mais  ces  magistrats  ne  se 
laissaient  pas  intimider  ;  au  milieu  de  leurs  préoccupations  de 
chaque  instant,  ils  osaient  alors  faire  saisir  et  châtier  les  coupa- 
bles. Les  Enfants  de  Genève,  mieux  discipHnés  qu'ils  ne  le  furent 
jamais,  sous  un  chef  comme  Hugues,  prirent  chaudement  parti 
contre  le  désordre.  Ils  rossèrent  d'importance  à  diverses  re- 
prises la  bande  des  vauriens  qui  ne  redoutait  qu'eux ,  et  en 
chassèrent  plusieurs  de  la  ville'.  Le  peuple  se  montra  tout  aussi 
bien  disposé.  Malheureusement  le  prince-évèque  gâtait  tout  avec 
sa  rage  de  gracier  à  tort  et  a  travers,  même  ceux  qui  conspiraient 
ouvertement  contre  son  autorité.  Lescoupablesrenlraient,  les  sen- 
tences prononcées  contre  eux  ne  pouvaient  être  exécutées,  et  le 
désordre  allait  croissant  avec  la  déchéance  de  l'autorité  épisco- 
pale  et  magistrale. 


V 

(1527—15-29) 


La  passion  que  l'évéque  mettait  à  exercer  son  droit  de  grâce, 
et  cela  le  plus  souvent  à  distance  pour  des  gens  qu'il  ne  con- 

'  Ceux-ci  devenaient  alors  aussi  humbles  qu'ils  avaient  été  insolents  pour 
obtenir  l'aulorisation  de  rentrer.  Dans  ces  cas-là  c'est  à  Hugues  qu'ils  s'adres- 
saient, comptant  avec  raison,  pour  le  pardon  comme  pour  l'insulte,  sur  l'in- 
dulgence du  grand  citoyen. 


306 

naissait  pas  même  de  nom,  éiail  d'autant  plus  funeste  que  ja- 
mais la  justice  n'avait  été  administrée  avec  plus  d'équité  et  de 
modération  que  sous  le  gouvernemeiU  des  véritables  eydgue- 
nots.  Rien  ne  til  peut-être  plus  de  tort  à  son  autorité  que  Té- 
irange  conduite  qinl  tinl  dms  le  fameux  procès  de  Cutellier. 
Car  rien  de  ce  qui  miliiail  eu  faveur  des  nianielucs,  comme  de 
tout  parti  sérieux,  ne  pouvait  être  appliqué  à  cet  individu,  qui 
s'était  fait  recevoir  genevois  au  commencement  do  la  lutte, 
et  porter  à  la  magistrature  uniquement  pour  seconder  les  pro- 
jets du  duc  de  Savoie;  sa  carrière  tout  entière  n'avait  été 
qu'une  conspiration  |)ermanente  contre  sa  nouvelle  patrie  et 
tout  spécialement  contre  l'autorité,  la  juridiction  et  les  autres 
prérogatives  de  son  prince-évêque;  il  avait  mille  fois  mérité  la 
mort  des  traîtres;  l'évêque  en  convenait  le  tout  premier.  Ar- 
rêté et  emprisonné  parles  officiers  épiscopauv,  Carlellier  avouait 
lui-même  tout  cela  ;  et  cependant  jamais  l'évêque  et  sa  famille 
ne  mirent  autant  d'insistance  que  dans  leurs  efforts  pour  sauver 
ce  misérable.  Ils  y  réussirent  enfin,  après  une  série  de  lettres 
et  d'ambassades  de  part  et  d'autre  '  ;  mais  les  magistrats  ne  se 
laissèrent  pas  enlever  le  droit  de  lui  faire  son  procès  jusqu'au 
bout  et  de  prononcer  la  sentence  qu'il  méritait;  elle  fut  d'autant 
plus  sévère  qu'elle  ne  devait  pas  être  exécutée  ;  mais  les  syndics 
tenaient  au  moins  à  effrayer  les  iraitres.  Condamné  à  être  déca- 
pité etécartelé,  Cartellier  fut  conduit  la  corde  au  cou  au  lieu  de 
l'exécution,  où  il  eut  à  subir  toutes  les  cries  et  cérémonies  dé- 
plaisantes usitées  en  pareil  cas;  puis  on  lui  notifia  sa  grâce  par 
ordre  de  l'évêque;  mais  il  fut  condamné  pour  dommages  et 
intérêts  à  donner  sa  maison  des  Rues  basses',  et  2000  écus 
d'or  au  soleil.  Plus  lard  il  faillit  être  massacré  par  le  peuple 
parce  que  le  paiement  ne  se  faisait  pas  assez  vite. 

*  Voyez  ces  lettres  dans  Galiffe,  Matériaux,  II,  p.  400  à  4l5,  et  le  procès 
de  Cartellier,  ibidem,  p.  533  à  2(58. 

-  Sur  la  présentation  de  Hugues,  celle  maison  lui  peu  après  acquise  par 
Jean  Klèherger,  surnommé  le  Bon  Allemand. 


307 

L'o.véque  ne  prenait  pas  moins  cliaudeMienl  le  parii  des  ma- 
nielucs  émigrés,  et  voulait  qu'ils  rentiassent  tous;  mais  les  Ge- 
nevois s'y  opposèrent  avec  fermeté.  Il  ne  faudrait  pas  en  inférer 
que  Pierre  de  la  Baume  l'ut  alors  favorable  au  duc,  loin  de  la; 
chose  bizarre:  taudis  qu'il  témoignait  tant  d'intérêt  a  ses  sujets 
/rt>V/«.s  du  parti  ducal,  il  poursuivait  de  sa  colère  et  de  ses  sar- 
casmes les  ecclésiastiques  et  les  chanoines  genevois  qui  avaient 
embrassé  le  même  parti,  et  en  fil  emprisonner  plusieurs.  Dans 
une  lettre  à  Bezanson  Hugues  au  sujet  des  chanoines  fugitifs,  il 
s'étonnait  de  ce  que  celui-ci  ne  se  souciait  pas  davantage  des 
dangers  qu'ils  avaient  courus  tous  les  deux,  grâce  à  cette 
«rompaniiii'  envenimée.»  }e  veux  bien  vous  écrire  ceci,  disail-il, 
<»  que  si  j'eusse  \oulu  condescendre  a  leur  enlreprise,  puZ-P/n- 
«  votre  tête  serait-el'e  bien  loin  du  corps  ;  et  si  je  voulais  écouter 
e  tout  ce  qu'on  me  dit,  je  ferais  bien  une  paix,  mais  elle  serait 
«  fourrée  pour  cet  hyver,  et  pullulerait  l'été  venant.  J'en  écris  à 
<■  mes  sujets  grand  et  petit  Conseil  et  le  Général,  si  besom  est. 
«  mon  opinion  ;  mais  je  vous  promets  que  s'ils  y  rentrent  (les 
«  dits  chanoines),  comme  ils  demandent,  et  vous  souvienne  de 
«  ceci,  que  \nu>  en  serez  le  premier  trompé  d'eux,  dont  il  n'\  a 
'<  pas  longtemps  en  avez  vu  les  preuves  d'aucuns,  et  m'avez  écrit 
«  contre  eux.  Je  suis  (  ontraint  de  vous  parler  latin  :  Qui  tum 
«  irUral  in  ovileper  os/à<m,  ille  fur  et  latro  est  '.  » 

ïl  n'est  pas  besoin  de  cette  leître,  que  nous  avons  citée  par 
anticipation,  pour  prouver  combien  Pierre  de  la  Baume  était 
alors  éloii^né  de  s'entendre  avec  le  duc  de  Savoie.  Dès  la  fin  de 
l'année  1526,  il  avait  député  messire  Pierre  Chapelain,  son 
principal  agent  diplomatique,  à  l'empereur,  en  Espagne,  pour 
s'informer  jusqu'à  <|uel  point  il  pourrait  conq)ler  sur  sa  protec- 

'  l.e.s  rliniu>int'.>  du  |);ii-ti  ducal  (''taiciil  peu  nombreux  ;  mais  leur  violonce 
suppléait  à  leur  faiblesse  numéiiqui;.  Celaient  surtout  Messieurs  de  Lutrj, 
de  Saint-Martin,  de  Lucinge,  de  lionzier,  de  Montrollier,  etc.  Les  autres 
étaient,  en  majorité,  bien  disposés  pour  la  ville,  mais  cherchaient  à  maintenir 
lesiniininiitésde  leur  corps  an  milieu  des  événement*  de  cette  époque. 


308 

lion  efficace  contre  le  duc  «le  Savoie,  en  sa  qualité  de  prince  de 
l'empire.  La  réponse  qui  arriva   par  la  Flandre,  en  été  1527, 
était  entièrement  favorable,  et  Charles-Quint  fit  de  plus  intimer 
au  duc  l'ordre  de  laisser  la  ville  de  Genève  en  paix.  L'évêque 
avait  aussi  mis  de  côlé  ses  préventions  contre  les  Suisses;  il 
reçut  même  à  sa  table  une  ambassade  nombreuse  des  deux 
villes  qui  était  venue  pour  l'éternelle  affaire  des  mamelucs.  Sans 
doute  il  dut  êîre  frappé  de  la  haute  stature  et  de  l'air  martial 
de  ces  chefs  étrangers,  entourés  alors  dans  toute  l'Europe  d'un 
prestige  militaire  dont  aucun  peuple  n'a  peut-être  depuis  lors 
joui  au  même  degré;  mais  ce  qui  le  frappa  bien  davantage,  ce 
fut  le  respect  tout  h  fait  extraordinaire  dont  il  les  vit  pénétrés 
a  l'égard  de  Bezanson  Hugues,  eux  dont  la  présence  à  Genève, 
pour  des  motifs  entièrement  conciliateurs,  suffisait  pour  faire 
trembler  le  duc  de  Savoie  au  cenire  de  ses  vastes  États,  que 
défendait  une  armée  considérable,  sous  les  ordres  d'une  noblesse 
des  plus  belliqueuses.  Aussi  l'ascendant  du  grand  citoyen  sur 
Pierre  de  la  Baume  fut-il  dès  lors  plus  fort  que  jamais.  Hugues 
en  profilait  dans  les  petites  comme  dans  U'S  grandes  choses, 
dans  les  affaires  de  simple  charité  cbrétienne  comme  dans  celles 
d'où  pouvaient  dépendre  les  destinées  de  sa  patrie.  Quand  on 
réfléchit  combien  ces  dernières  devaient  l'absorber,  on  ne  peut 
qu'être  touché  en  suivant  dans  nos  registres,  au  milieu  de  la  poli- 
tique brûlante  de  l'époque, sescontinuelles  interventions  pour  des 
citoyens  infirmes  ou  malheureux,  pour  des  aveugles,  pour  les 
euves  et  les  orphelins,  pour  les  ouvriers  que  l'État  employait, 
par  exemple,  aux  fortifications,  bref,  pour  tout  ce  qui  avait  be- 
soin d'aide  et  de  protection.  Mais  ce  qui  est  vraiment  surpre- 
nant, c'est  la  confiance  aveugle  qu'il  inspirait  de  plus  en  plus  au 
prince-évêque,  qui,  en  tout  et  partout,  ne  voulait  suivre  que  ses 
avis. 

Bezanson  Hugues  avait  compris  depuis  longtemps  que  sa 
lacliqne  vis-à-vis  d'un  esprit  aussi  versatile  devait  lendre  sur- 
tout à  le  brouiller  avec  le  duc  de  Savoie;  il  y  réussit  supé- 


V 


309 

rieurement  ;  mais  il  y  risquait  gros  jeu  pour  lui-même,  et  l'on 
ne  conçoit  réellement  pas  comment  il  trouva  moyen  d'échapper 
pendant  tanl  d'années  (cette  année  moins  qu'en  toute  autre)  aux 
embûches  et  aux  guel-apens  de  (ous  genres  que  Charles  le  Bon 
et  ses  partisans  semèrent  sous  ses  pas,  non-seulement  le  long  de 
la  route  qu'il  devait  suivre  sur  territoire  ennemi  dans  ses  nombreu- 
ses ambassades,  mais  à  Genève  même,  encore  remplie  des  agents 
secrets  de  Son  Altesse,  et  où  le  parti  toujours  croissant  des 
vauriens-tapageurs  se  serait  vite  consolé  de  le  voir  enlever,  même 
par  nos  plus  cruels  ennemis.  Hugues  n'était  nullement  de  ces 
enthousiastes  qui  trouvent  une  certaine  joie  mystique  à  pressen- 
tir et  ensuite  à  voler,  au  moment  donné,  à  une  mort  certaine  ;  il 
avait  déclaré  lui-même  «qu'il  aimait  mieux  être  confesseur  que 
martyr.  »  Jamais  il  ne  s'exposa  inutilement,  et  cependant  jamais 
Genevois  ne  s'exposa  autant  ni  plus  souvent  que  lui  ;  aucun 
n'eut  en  face  du  danger  un  tel  degré  de  sang-froid  et  de 
présence  d'esprit.  Dans  tous  ses  actes,  il  prouva  ce  que  peut 
la  supériorité  morale  d'un  seul  homme  contre  la  puissance, 
même  la  plus  redoutable,  armée  pour  une  cause  injuste  et  dé- 
loyale. 

Derechef  Hugues  avait  réussi  à  rendre  à  l'évêque  la  con- 
science de  sa  dignité  personnelle,  et  à  lui  faire  chérir  ses  devoirs 
de  prince  et  de  pasteur,  en  exaltant  tout  ce  qui  restait  en  lui  de 
sentiments  nobles  et  élevés  sous  Tenveloppe  des  vices  de  son 
siècle  et  de  son  état.  Une  fois  dans  cette  voie,  Pierre  de  la 
Baume  ne  put  qu'être  frappé  et  touché  à  la  fois  de  ce  qu'un 
simple  citoyen  genevois  avait  su  faire  jusqu'ici  pour  sa  patrie 
et  son  prince.  Il  lui  vint  subitement  à  lesprit  de  récompenser 
tant  de  mérite  d'une  manière  éclatante  et  qui  fût  en  même  temps 
quelque  compensation  aux  sacrifices  pécuniaires  que  Hugues 
avait  faits  à  son  pays.  Eu  conséquence  il  lui  accorda,  par  une 
charte  du  12  juin  1527,  en  fief  noble  et  perpétuel  la  pêche  du 
lac,  du  Rhône  et  de  l'Ârve,  laquelle  faisait  partie  de  ses  régales 
Tome  XI.  2 1 


310 

de  prince  de  Genève'.  Certes,  cette  pièce  suffirait  a  elle  seule 
pour  prouver  la  sincérité  de  Pierre  de  la  Baume;  l'eydguenot  le 
plus  avancé  n'aurait  pn  se  prononcer  plus  fortement. 

«  Depuis  20  ans  en  ça  (y  est-il  dit),  certains  princes  séculiers 
«  et  autres  du  voisinage  ont  opprimé  la  ville  et  ses  citoyens  et 
«  habitants  jMsgw'à  faire  trancher  la  tête  et  verser  le  sang  de  plu- 
«  sieurs,  elc. 

«  Commandable  homme  Bezanson  Hugues,  citoyen  de  la  ville, 
«  mu  de  dévotion  envers  Dieu  el  saint  Pierre,  le  prince  des  apô- 
«  très,  patron  de  la  cité,  —  comme  il  convient  à  un  homme 
«  bon  et  généreux,  ayant  une  fol  solide,  se  souvenant  avec  fer- 
«  meté  de  ce  que  les  sujets  doivent  à  leur  évéque  et  prince, 
«  et  de  tout  ce  qu'on  doit  faire  pour  sa  patrie  et  pour  le  bien 
«  public,  pour  lequel  les  anciens  jurisconsultes  ont  pensé  qu'il 
«  fallait  combattre  jusqu'à  la  mort,  —  animé  du  senliment  do 
«  ses  devoirs  envers  Dieu,  et  de  compassion  pour  ses  conci- 
«  toyens,  a  quitté  toutes  ses  propriétés  pour  recourir  aux  magni- 
«  fiques  seigneurs  el  puissantes  communautés  voisines  de  la 
«  cité,  et  a  exposé  sa  fortune  personnelle ,  en  sommes  considé- 
<(  rahles  et  pendant  longtemps  (par  le  commandement  de  i/il- 

«  LUSTRE    ET    RÉVÉREND    SEIGNEUR    SOUSNOMMÉ),  et    a  pris    tant 

«  de  peine ^  el  tellement  travaillé  avec  son  argent.,  ses  actions 
«  et  ses  paroles,  dans  maint  el  maint  voyage  (pour  obéir  a 
«  la  volonté  et  aux  ordres  du  dit  révérend  seigneur) 
«  qu'il  est  enfin  parvenu  a  délivrer  la  ville  et  les  irois  châteaux 
«  de  ces  violences  et  de  celte  tyrannie,  et  que  l'évêque  et 
«  piince  a  recouvré  sa  souveraineté,  précédemment  déchirée 
«  et  presque  enlièrement  ruinée,  etc..  ne  voulant  point  se 
«  montrer  ingrat,  mais  au  contraire  récompenser  la  vertu  par 
«  des  biens  el  honneuis,  comme  cela  convient  à  l'Église,  el 
«  d'autant  que  cet  homme  probe  el  loyal  y  a  épuisé  son  palri- 
«  moine  et  ses  richesses,  qui  s'élevaient  à  de  grandes  sommes, 

»  C'était  même  l'une  de  celles  qui  avaient  causé  dans  le  temps  le  plus  de 
difficultés  entre  les  comtes  et  les  évêques  de  Genève. 


311 

«  indépendamment  des  damjen  auxquels  il  s'est  exposé  et  du 

«  péril  éminenl  de  sa  me Toutes  lesquelles  choses  sont 

«  notoires  et  plus  claires  que  le  jour  en  plein  midi,  etc.,  elc. 

«Le  dit  illustre  et  révérend  seigneur,  ne  pouvant  Tindem- 
<!  niser  autrement,  lui  remet  en  fief  perpétuel  pour  lui  et  sa 
«  postérité  mâle  a  l'infini ,  la  pêcherie  de  l'Eglise  et  monse 
«  épiscopale  dans  les  eaux  du  lac,  du  Rhône,  de  l'Arve,  etc., 
(•  sous  le  fief  et  hommage  noble  et  lige,  qu'il  prête  à  l'Église  et 
«  sous  la  censé  annuelle  d'une  livre  de  cire,  payable  à  la  Saint- 
«  Michel  :  se  réservant  cependant,  et  à  ses  successeurs,  la  fa- 
<(  culte  du  rachat  pour  deux  mille  gros  ducats  d'or,  etc.,  etc.  » 

L'évêque  l'investit  de  cette  propriété,  suivant  la  coutume,  en 
lui  remettant  une  plume  à  écrire  ^  per  traditionem  iinius  calami 
scriptoris  »  et  par  acte  solennel  passé  devant  le  notaire  Claude 
Barondel  de  Saint-Claude,  dans  le  couvent  des  frères  prêcheurs 
de  l'ordre  de  saint  Dominique,  an  Palais  de  Genève,  et  dans  la 
chapelle  de  saint  Grégoire,  en  présence  de  révérend  père  en 
Christ.  Messire  Aymon  de  Gingins,  élu  de  Genève,  abbé  de 
Sainte-Marie -de-Bonmonl  et  prieur  de  Saint-Sulpice,  Nyon  et 
Divonne,  et  de  spectable  homme  messire  Pierre  Patron,  docteur 
des  arts  de  la  médecine  B.  G.  ' 

Il  s'en  fallait  bien  que  cette  libéralité  de  l'évêque  dédomma- 
geât Hugues  des  pertes  et  des  sacrifices  qu'il  avait  déjà  faits; 
cette  nouvelle  propriété  servit  comme  les  autres  a  payer  ce  qui 
était  dû  ou  promis  en  Suisse,  ainsi  que  nous  le  verrons  plus 
loin.  Mais  elle  témoignait  de  la  bonne  volonté  du  donateur;  il 
y  avait  de  la  part  de  ce  dernier  au  moins  autant  d'audace  que 
de  présomption  à  déclarer  aussi  publiquement  que  tout  ce  que 
Hugues  avait  accompli  jusqu'ici  s'était  fait  par  son  ordre  et 
pour  lui  obéir^  tandis  qu'il  y  avait  un  an  à  peine  que  l'évêque 
avait  engagé  sa  parole  au  duc  de  Savoie  de  s'opposer  à  la  com- 
bourgeoisie  par  lotis  les  moyens  en  son  pouvoir.  Mais  Pierre  de 

'  Voyez  l'acte  entier  aux  Pièces  justificatives. 


312 

la  Baume  devait  aller  celte  fois  encore  bien  plus  loin  dans  son 
opposition  aux  prétentions  ducales  :  il  allait,  comme  on  dit  vul- 
gairement, jeter  son  bonnet  ou  sa  mitre  par-dessus  les  moulins, 
en  dépit  des  efforts  de  Bezansoî)  Hugues,  qui  cherchait  vai- 
nement à  lui  faire  allier  à  ces  démarches  la  dignité  convena- 
ble  à  un  prince-évéque  de  Genève.  En  véritable  enfant  gâté, 
Pierre  de  la  Baume  profitait  quelquefois  de  l'absence  de  son 
mentor  pour  accomplir  les  démarches  les  plus  marquantes, 
pensant  éviter  ainsi  ses  remontrances  tout  en  lui  préparant  une 
surprise  agréable. 

Dès  le  lendemain  de  la  concession  de  la  pêche,  Pierre  de  la 
Baume  autorisa  la  séquestration  des  biens  de  ces  mamelucs 
bannis  ,  dont  il  avait  pris  si  chaudement  la  défense  quelques 
semaines  auparavant  ;  —  ceux-ci  en  appelèrent  au  métropo- 
litain de  Vienne  contre  l'évéque,  les  syndics  et  la  communauté. 
La  métropole,  qui  s'était  si  bien  montrée  dans  les  procès  de  Ber- 
ihelier  et  de  Pécolat,  prit  cette  fois  chaudement  le  parti  des 
mamelucs  ;  les  Genevois  trouvèrent  alors  qu'on  pouvait  parfai- 
tement se  passer  de  cette  suprématie  ecclésiastique.  Le  duc 
réussit  de  son  côté  à  persuader  aux  mamelucs  que  l'évéque  ne 
leur  était  maintenant  opposé  que  parce  qu'il  }•  était  forcé  par 
leurs  ennemis,  qui  le  retenaient  captif  à  Genève.  En  conséquence 
ils  résolurent  de  l'enlever,  et  vinrent  en  armes  le  13  juillet 
pour  prêter  main-forte  à  une  tentative  des  conspirateurs  du 
dedans.  Mais  le  capitaine  général  et  ses  mdices  étaient  sur  leur 
garde'.  Le  coup  manqua  complètement;  plusieurs  de  ceux  qui 
l'avaient  monté  n'eurent  que  le  temps  de  s'échapper  par  les 
fossés  de  Saint-Gervais;  d'autres,  parmi  lesquels  plusieurs  cha- 
noines, furent  incarcérés.  Bezanson  Hugues  fit  le  lendemain  au 

*  Journal  cle  Balard,  p.  H 7.  —  Les  Genevois  avaient  appris  à  craindre 
beaucoup  plus  les  entreprises  particulières  de  la  noblesse  savoyarde  contre 
la  ville  que  celles  de  Tannée  ducale  proprement  dite,  surtout  quand  cette 
dernière  était  commandée  par  le  duc  ou  par  son  frère  le  comte  de  Ge- 
nevois. 11  suffisait  souvent  alors  de  faire  sonner  vigoureusement  les  cloches 
et  les  tambours  de  la  ville,  pour  engagei-  ces  princes  à  la  retraite. 


313 

Conseil  des  L  un  rapport  détaillé  de  cette  affaire  ;  et  comme  on 
savait  que  c'était  partie  remise  de  la  part  des  émigrés,  on  dé- 
pêcha une  estafette  aux  deux  villes  pour  leur  demander  du  se- 
cours *.  Le  duc  faisait  en  effet  rapprocher  ses  troupes  de  Ge- 
nève. 

Dès  le  lendemain  15  juillet,  l'évéque,  jusquici  plus  indigné 
qu'intimidé,  fait  rassembler  le  Conseil  général,  où  il  arriva  en 
personne  accompagné  de  ses  conseillers  épiscopaux.  Il  y  révo- 
qua et  annula  solennellement  toutes  ses  précédentes  protesta- 
tions et  appellations  contre  la  comhourgeoisie  avec  les  Suisses, 
déclarant  «  qu'en  s'y  opposant  naguère,  il  n'avait  considéré  que 
son  opinion  jjarticulière  et  le  désir  de  complaire  à  quelqu'un.  » 
«  Actuellement,  dit-il,  il  pense  si  différennnent  qu'il  a  lui-même 
un  grand  désir  de  s'allier  avec  messieurs  de  Berne  et  de  Fri- 
bourg,  et  qu'il  le  leur  a  fait  témoigner  par  des  ambassadeurs  ; 
mais  que,  comme  il  apprend  qu'il  peut  y  participer  par  lal- 
liance  de  ses  sujets,  il  la  loue,  approuve  ei  ratifie  pour  lui  et 
pour  ses  successeurs  dans  tout  son  contenu.  «Et  pour  plus 
«  grosse  démonstrance  d'approbation  et  afin  qu'à  l'avenir  il 
«  puisse  de  la  dite  comhourgeoisie  avec  ceux  de  la  dite  cité 
«(  user,  a  prié  les  assistants  qu'ils  le  voulussent  à  bourgeois 
«  recevoir  :  promettant  par  sa  foi  et  son  serment  (par  la  éleva- 
«  lion  de  sa  main  dextre  et  apposition  de  sa  main  seneslre  à 
«  son  pecle,  comme  est  la  manière  des  prélats,  duement  fait) 
«  justement  et  loyalement  se  entretenir,  maintenir,  garder  et 


*  Ces  secours  ne  se  firent  pas  attendre.  Leur  arrivée  fut  annoncée  dès  le 
22,  par  des  ambassadeurs  des  deux  villes,  qui  venaient  néanmoins  essayer 
d'une  n'ansaction  avec  le  duc  ;  la  majorité  du  Conseil  était  opposée  à  cette 
tentative  ;  Hugues  fut  presque  seul  de  l'avis  des  députés  suisses  ;  celte  opi- 
nion finit  cependant  par  l'emporter  au  CC.  Il  est  évident  que  Hugues  ne  se 
faisait  pas  plus  d'illusion  qu'un  autre  sur  le  résultat  de  cette  tentative;  et 
cependant  il  avait  raison:  car  il  eût  été  singulièrement  impolitique  d'empê- 
cher nos  puissants  alliés  de  faire  une  démarche  à  laquelle  ils  tenaient  beau- 
coup, et  dont  l'insuccès  devait  nous  les  attacher  plus  que  jamais,  ce  qui  ef- 
fectivement ne  manqua  pas  d'arriver. 


31  i 

<(  observer  tant  et  quant  ce  que  en  bourgeoisie  est  de  bé- 
er soin,  etc.  » 

Par  cette  démarclie  bizarre,  l'évêque  ne  faisait  en  somme 
qu'accomplir  un  projet  qu'il  nourrissait  depuis  plusieurs  mois*, 
et  auquel  le  parti  des  vauriens  avait  cherché  à  s'opposer  par 
ses  moyens  ordinaires.  Pierre  de  la  Baume  n'en  fut  pas  moins 
reçu  bourgeois  à  l'nnaniinité  ;  puis,  d'accord  avec  le  peuple,  il 
donna  la  juridiction  civile  de  la  ville  aux  syndics  et  Conseil;  déjà 
précédemment,  il  avait  autorisé  le  Conseil  h  siéger  une  fois  par 
semaine  au  tribunal  de  conciliation,  —  autant  de  démarches  qui 
allaient  droit  contre  la  juridiction  du  vidomne,  nommé  par  le 
duc  de  Savoie  ; — il  étendit  aussi  les  pouvoirs  du  Conseil  des  L  et 
de  celui  des  CC,  et  les  autorisa  à  juger  tous  les  prisonniers, 
nommément  ceux  qu'on  avait  incarcérés  l'avant-veille.  Dans  ce 
même  Conseil  général,  Bezanson  Hugues  fui  confirmé  dans  le  poste 
d'abbé  et  capitaine  gént-ral  avec  les  capitaines,  banderels  et 
dizeniers  sous  ses  ordres.  Ses  pouvoirs  furent  étendus  en  vue 
d'une  meilleure  organisation  militaire.  Chaque  citoyen  porterait 
l'épée  et  se  pourvoirait  chez  lui  des  armes  requises  pour  cou- 
rir à  son  poste  en  cas  d'alarme  ;  le  clergé  lui-même  devait  con- 
tribuer personnellement  à  la  défense  de  la  ville  ou  fournir  des 
remplaçants  a  ses  frais  ;  défense  expresse  de  s'injurier  entre 
concitoyens,  notamment  par  les  noms  de  mametus  et  à'esguc' 
noulx .  Malgré  tout  cela,  la  ville  devait  demeurer  ouverte  à  tous 
les  marchands  étrangers,  qui  y  seraient  protégés,  etc.,  etc. 

Nous  n'aimons  pas  les  si  et  les  mais  en  matière  historique. 
Ici  cependant  nous  n'avons  pas  d'autres  moyens  de  répondre  à 
des  allégations  qui  ne  reposent  pas  sur  autre  chose.  Les  Gene- 
vois d'origine  moderne  répètent  éternellement  que,  sans  Calvin 
et  les  réfugiés  français,  Genève  n'aurait  pu   conserver  ni  son 

•  Il  avait  envoyé  Bezanson  Hugues  et  son  greffier  au  mois  de  juin,  à 
Berne,  pour  tâler  le  gouvernement  de  cette  ville,  au  sujet  de  son  désir  d'ê- 
tre compris  dans  la  combourgeoisie  avec  Berne  et  Fribourg.  On  verra  plus 
loin  pourquoi  les  Suisses  hésitaient  à  s'y  prêter. 


315 

indépendance  ni  la  réforme.  Nous  avon>;  déjà  répondu  plus 
haut  à  la  première  partie  de  cette  objection.  Nous  ajou- 
terons ici,  avec  tout  autant  de  vraisemblance,  que  si  au  lieu 
d'un  prélat  versatile  et  capricieux,  dont  les  accès  d'énergie  n'é- 
taient que  des  feux  de  paille,  la  communauté  avait  eu  alors  à  sa 
tête  unFabri,  un  de  la  Rochetaillée  ou  un  Charles  de  Seyssell, 
(îenève  serait^  selon  loutes  prohabilités,  restée  aussi  catholique 
que  Fribourg.  le  Valais  et  les  petits  cantons  suisses;  car  le 
peuple  était  encore  aussi  opposé  que  possible  à  tout  change- 
ment de  doctrine,  et  les  très-rares  disciples  que  la  réforme 
avait  ébauchés  dans  nos  murs,  grâces  sans  doute  aux  rapporis 
suivis  avec  Berne,  s'en  cachaient  encore  comme  d'un  crime. 

Charles  le  Bon,  qui  craignait  l'évéque  beaucoup  moins  que 
les  Genevois,  savait  bien  que  les  velléités  patriotiques  de  l'é- 
véque ne  seraient  pas  de  longue  durée.  Il  employa  à  l'inti- 
mider, par  la  crainte  de  toutes  sortes  de  dangers  imaginaires, 
une  dame  la  Gruyère,  parente  du  prélat  et  qui,  dans  cette  oc- 
casion, parait  avoir  joué  un  assez  vilain  rôle,  très-liée  qu'elle 
était  avec  son  cousin  l'évéque  tout  en  servant  le  duc'.  En  même 
temps,  Charles  III  se  prépara  à  une  nouvelle  tentative  pour 
s'emparer  de  la  personne  de  Pierre  de  la  Baume.  Il  paraît  bit  n 
que  la  chose  était  fort  sérieuse .  car  les  ami  assadeurs  suisses 
qui  revenaient  de  Chambéry  la  jugèrent  ainsi,  et  prévoyaient 
même  avec  certitude  une  attaque  de  la  ville  par  les  troupes  du- 
cales. L'évéque  avait  presque  aussi  peur  des  dangers  du  dedans 
que  de  ceux  du  dehors;  il  n'aimait  pas  les  émotions  populaires. 
Nul  doute  que  les  scènes  tumultueuses  auxquelles  il  avait  quel- 
quefois assisté,    n'eussent  contribué  à   l'éloigner  de  Genève, 


*  Voyez-en  les  preuves  dans  Galiffe  ,  Matériaux,  H,  p.  424-425.  Cette  dame 
n'appartenait  point,  comme  on  l'a  cru,  à  la  maison  comtale  de  Gruyère.  Son 
véritable  nom  était  Antoinette  du  Saix,  fille  d'Antoine  du  Saix ,  seigneur  de 
Resseins,  en  Beaujolais,  et  de  Françoise  de  la  Baume  ;  c'était  donc  une  cou- 
sine germaine  de  l'évéque  ;  elle  était  mariée  à  Charles  de  Besse ,  seigneur 
de  Beaumont  et  de  Charmes,  au  duché  de  Bourgogne,  chevalier. 


316 

Avec  la  peur,  il  lui  prit  un  désir  subit  de  se  retrouver  au  rai- 
lieu  de  ses  vassaux  de  Saint-Claude,  où  personne  ne  pensait  a 
l'inquiéter;  rien  ne  put  l'arrêter ,  les  ambassadeurs  suisses 
l'engageaient  d'ailleurs  à  fuir  au  plus  vite.  Il  aurait  facilement 
obtenu  une  escorte  imposante  pour  protéger  sa  fuite  ;  une 
nombreuse  ambassade  des  trois  villes  et  bon  nombre  de  mili- 
taires suisses  se  trouvaient  alors  à  Genève.  Mais  Pierre  de  la 
Baume  ne  voulut  s'en  rapporter  qu'à  Bezanson  Hugues,  qui 
risquait  beaucoup  plus  que  lui  et  dont  la  seule  présence  doublait 
le  danger.  Peut-être  avait-il  foi  en  la  bonne  étoile  qui  avait  si 
souvent  préservé  le  citoyen  genevois  au  milieu  de  dangers  non 
moins  pressants.  En  conséquence,  ils  partirent  secrètement 
dans  un  peut  bateau,  la  nuit  du  1*"^  août;  et  Hugues,  qui 
connaissait  tous  les  sentiers  et  les  passages  détournés  du  Jura, 
réussit  à  mettre  l'évêque  et  prince  hors  de  toute  atteinte.  Celui- 
ci  en  informa  aussitôt  le  Conseil,  par  une  lettre  sans  adresse,  eu 
ces  termes  :  «  J'ai  chargé  Bezanson  vous  dire  les  raisons  pour- 
«  quoi  je  me  suis  absenté  pour  le  présent  de  ma  cité:  non  pour 
«  ce  que  je  ne  veuille  en  temps  e!  lieu  rendre  mon  devoir  à 
«  vous  aider  et  défendre;  et  m'avertissant  toujours  de  vos  oc- 
«  curants,  je  m'essayerai  de  vous  y  assister  de  tout  mon  pou- 
«  voir;  ce  qui  me  gardera  de  vous  faire  plus  longue  lettre.  — 
«  Dès  un  lieu  que  je  ne  puis  nommer ,  ce  jour  saint  Pierre.  » 
On  comprend  combien  on  fut  alors  inquiet  de  Bezanson  Hu- 
gues, qui  guettait,  on  ne  savait  doii,  le  moment  favorable  pour 
rentrer  à  Genève  ;  tout  le  pays  de  Gex,  dûment  averti,  était  en 
armes,  toutes  les  cloclies  des  villages  étaient  en  branle  au  sujet 
de  ce  seul  citoyen,  et  des  ordres  pressants  avaient  été  ex|)édiés 
dans  toutes  les  directions  viables.  Il  paraissait  cette  fois  tout  h 
fait  impossible  qu'il  pût  échapper  a  tant  d'ennemis;  car  jamais 
bêle  fauve  ne  fut  traquée  de  si  près  et  avec  un  pareil  acharnement 
que  le  pauvre  Hugues  à  ce  retour  de  Saint-Claude.  Il  est  juste  de 
dire  que,  dans  cette  circonstance,  la  ville  tout  entière  témoigna 
pour  le  grand  citoyen  une  sollicitude  qui  ne  peut  être  comparée 


317 

qu'à  la  consternation  qui  avait  suivi  l'eniprisonnenienl  de  Ber- 
thelier.  Il  arriva  néanmoins,  le  6,  à  la  grande  joie  de  tous  ses 
concitoyens,  qui  se  préparaient  a  sortir  en  armes,  mais  il  était 
malade,  blessé  et  tellement  exténué  de  fatigue  que  le  Conseil 
dût  se  transporter  près  de  son  lit  pour  apprendre  les  détails 
de  celte  nouvelle  infraction  aux  traités  et  en  informer  immé- 
diatement messieurs  des  deux  villes.  Le  malin,  au  poinl  du  jour, 
Hugues  avait  en  eft'et  été  attaqué  dans  le  pays  de  Gex,  ei  cette 
fois  encore,  comme  en  tant  d'autres  circonstances,  il  n'avait 
dû  son  salul  qu'à  son  courageu\  sang-froid  et  à  l'extrême  vi- 
tesse de  son  cheval  '. 

Furieux  d'avoir  manqué  cette  double  proie,  Charles  le  Bon 
pensa  alors  réduire  l'évéque  en  saisissant  ses  abbayes  de  Suze 
et  de  Pignerol,  situées  dans  ses  Étals,  et  en  mettant  en  prison 
les  hommes  d'affaires  qui  en  apporiaienl  les  revenus  à  leur 
maître.  Il  prétendait  le  forcer  ainsi  «à  venir  lui  demander 
grâce  la  corde  au  cou,  »  à  se  dire  «  son  sujet  »  et  menaçait 
«  d'en  faire  le  plus  pauvre  prêtre  de  Savoie.»  Vanterie  ridicule, 
car  Pierre  de  la  Baume  n'était  pas  Savoyard,  et,  sauf  les  deux 
abbayes  sus-nommées,  il  n'avait  rien  de  commun  avec  les  Étals 
et  la  suzeraineté  de  Son  Altesse,  qui  ne  pouvait  toucher  ni  à 
l'abbaye  de  Saint-Claude  ni  au  prieuré  d'Arbois,  etc.,  etc. 
«  Avant  que  je  le  connusse  jamais,  j'avais  de  quoi  vivre  et  vivrai 
sans  lui,  »  disait-il  irès-justemenl.  Aussi  ces  insolences  ne  firent- 
elles  que  l'irriter  toujours  davantage  contre  leur  auteur,  ainsi 
qu'on  peut  le  voir  dans  les  nomijreuses  lettres  qu'il  adressa  de 
Saint-Claude  «  à  Bezajison  Hugues ,  capitaine  des  enfants  de 
notre  cité  de  Genève,»  toutes  signées  «de  la  main  de  votre 
bon  ami,  l'évéque  de  Genève'^.»  Dans  ces  lettres,  ainsi  que 
dans  celles  qu'il  adressait  à  Vandel,  àson  chambrier  la  Mouille, 

•  Registres  du  Couseil.  —  Journal  de  Baiaitl,  126  à  127,  — 11  lut  ensuite 
question  de  cette  aventure  dans  plusieurs  diètes. 

-  Voyez  ces  lettres,  au  nombre  de  vingt-deux,  dansGaliffe,  Matériaux,  II, 
p.  425  à  449.  Elles  sont  remarquablement  confiantes  et  expansives. 


318 

et  à  la  communauté  genevoise,  on  voit  qu'il  était  surtout 
préoccupé  par  le  désir  de  faire  alliance  avec  les  Suisses  pour 
obtenir  leur  protection  contre  le  duc  de  Savoie.  Mais  c'était 
précisément  ce  qui  rencontrait  le  plus  de  difficultés;  les  Suisses, 
en  général,  ne  se  souciaient  pas  trop  de  compliquer  encore  leurs 
devoirs  envers  Genève,  et  les  Bernois  étaient  alors  sur  le  point 
d'arborer  officiellement  la  réforme  ;  à  Genève  même  le  parti 
des  tapageurs  était  hostile  a  ce  projet.  Dans  la  suite,  Charles  III 
réussit  mieux  auprès  de  Pierre  de  la  Baume  par  l'intermédiaire 
de  ses  parents,  dévoués  depuis  longtemps  à  la  maison  de  Sa- 
voie ;  mais  il  ne  céda  qu'après  une  longue  et  sincère  résistance. 

Les  événements  relatifs  à  Pierre  de  la  Baume  nous  ont  fait 
perdre  de  vue  les  autres  faits  et  gestes  de  la  comm.unauté  en 
cette  année  1527,  et  dans  lesquels  le  rôle  de  Hugues  ne  fut 
pas  moins  important. 

Par  suite  de  la  sentence  solennelle  et  «  irrévocable  »  que 
Hugues  avait  obtenue  contre  le  duc  lors  de  sa  dernière  ambas- 
sade à  Berne  (novembre  1526),  les  vivres  axaient  été  rendus  à 
Genève  le  mois  suivant.  Mais,  dès  le  commencement  de  1527, 
les  vexations  ducales  recommencèrent  de  plus  belle.  Charles 
le  Bon  persistait  à  prétendre  que  les  Genevois  se  plaignaient  à 
tort,  qu'on  n'avait  maltraité  personne,  et  que  les  routes  étaient 
parfaitement  libres  ;  tandis  que  les  paysans  qui  venaient  au 
marché,  ou  les  Genevois  qui  s'écartaient  des  franchises,  étaient 
exposés  à  toutes  les  violences  des  chevaliers  de  la  Cuiller  et 
des  mamelucs  émigrés,  qui  en  tuèrent  plusieurs  cette  année  '.  La 

»  Un  M.  Couet,  no))le  savoyard,  avait  déclaré  qu'il  pendrait  au  premier 
arbre  tous  les  Genevois  eydguenots  qui  lui  tomberaient  sous  la  main ,  —  et 
M.  de  Pontverre,  chef  des  gentilshommes  de  la  Cuiller,  avait  annoncé  qu'il 
mettrait  le  feu  aux  cpiatre  coins  de  la  ville.  Hélas!  il  ne  tarda  pas  à  y  périr 
lui-même.  Toutes  ces  fanfaronnades  étaient  plus  propres  à  vexer  les  Gene- 
vois qu'à  les  intimider;  car,  aussi  aguerris  que  la  noblesse  ducale,  ils  ne  de- 
mandaient pas  mieux  que  de  se  mesurer  avec  elle,  et,  à  égalité  de  forces^ 
lui  faisaient  généralement  mordre  la  poussière,  préludant  ainsi  à  ces  combats 


319 

situation  se  compliquait  du  procès  des  inamelucs,  qui  devait 
d'une  manière  ou  de  l'auire  se  terminer  enfin.  Les  Suisses  té- 
moignaient tant  de  partialité  à  leur  égard  que  Hugues  dut  lui- 
même,  malgré  sa  modération,  insister  auprès  de  leins  députés 
pour  que  les  choses  eussent  au  moins  un  cours  lég;d  et  régulier. 
Kn  attendant,  l'argent  emprunté  l'année  précédente  était  épuisé 
et  il  fallut  envoyer  une  nouvelle  dépulation  en  Suisse  avec  le 
sceau  de  la  ville,  pour  y  contracter  un  nouvel  emprunt  de  1300 
écus  (environ  60,000  francs).  Ce  fut  sur  ces  entrefaites  que 
l'évêque  arriva  à  Genève  (2  février  1527)  pour  tâcher  de  sauver 
Cartellier  et  d'influencer  sur  les  élections  au  syndicat.  Le  choix 
tomba  sur  JeanXouis  Ramel,  Jean  Migerand,  Guillaume  Hu- 
gues et  Jean  Coquet.  En  cette  année,  la  communauté  fut  encore 
sur  le  point  de  contracter  une  alliance  avec  le  Valais,  qui  se 
montrait  en  quelque  sorte  mieux  disposé  pour  nous  que  Berne 
et  Fribourg.  et  ce  ne  fut  pas  la  dernière  fois  qu'il  en  fut  ques- 
tion ;  on  a  de  la  peine  à  comprendre  ce  qui  faisint  chaque  fois 
avorter  ces  honorables  tentatives  '. 

Dans  la  dernière  semaine  d'avril ,  Bezanson  Hugues  fut  dé- 
puté à  la  diète  de  Berne  avrc  Ami  Girard,  Boniface  Peter  (soit 
Hoftisclier),  Ami  Bandières  et  Claude  du  Molard;  il  s'agissait 
d'obtenir  enfin  justice  de  tous  les  maux  et  violences  que 
Charles  le  Bon  et  ses  bandits  de  grande  route  faisaient  aux 
Genevois,  et,  en  cas  de  refus,  de  prier  Messieurs  des  deux  villes 
d'y  mettre  ordr<'  aux  termes  de  la  combourgeoisie.  Le  6  mai, 
l'ambassade  était  de  retour,  et  son  chef,  Bezanson  Hugues,  ren- 

liéroïques  du  même  siècle,  que,  pour  l'honneur  de  ses  armes,  la  maison  de 
Savoie  n'aurait  jamais  dû  provoquer.  En  1528,  on  eut  toutes  les  peines  du 
monde  à  empêcher  les  frères  Vandel  d'aller,  avec  leurs  seules  ressources , 
faire  une  expédition  contre  les  chevaliers  de  la  Cuiller,  qui  leur  avaient  volé 
du  bétail.  Les  Genevois  firent  de  leur  côté,  pendant  cette  guerre,  un  assez 
grand  nombre  de  prisonniers,  que  les  Fribourgeois  les  engageaient  forte- 
ment à  faire  pendre. 

»  Les  principaux  obstacles  paraissent  avoir  été  :  la  lenteur  de  l'adminis- 
iralion  de  ce  pays,  les  intrigues  du  duc  de  Savoie,  la  jalousie  des  deux  villes, 
et  plus  tard  la  question  religieuse. 


320 

dail  compte  au  Grand  Conseil  de  ses  résultais,  qui  étaient  assez 
satisfaisants.  Les  Suisses  voulaient  bien  enfin  que  les  mamelucs 
fussent  jugés,  à  condition  cependant  que  ceux-ci  seraient  auto- 
risés à  venir  défendre  leur  cause  en  personne  ou  par  procura- 
lion  avec  des  sauf-conduits  de  Tévêque  et  de  la  communauté. 
Les  Suisses  envoyaient  même  une  députalion  de  vingt  cava- 
liers pour  assister  a  ce  procès,  auquel  les  Genevois  ne  deman- 
daient pas  mieux  que  de  donner  le  plus  d'éclat  possible.  Mais 
les  mamelucs  ne  vouhiienl  absolument  pas  agir  indépendam- 
ment du  duc,  et  celui-ci  ne  pouvait  s'entendre  avec  les  Suisses 
et  les  Genevois  sur  le  lieu  que  l'on  choisirait  pour  le  jugement 
de  l'affaire.  Soit  dit  en  passant,  ce  fut  cette  nombreuse  ambas- 
sade que  le  prince-évêque  reçut  à  sa  table,  comme  nous  l'avons 
dit  plus  haut.  On  les  défraya  entièrement  et  l'on  donna  à  clia- 
cun  d'eux  12  écus  (environ  550  francs)  et  deux  à  chacun  des 
hérauts  qui  les  accompagnaient. 

Les  gens  du  vidomne,  M.  de  Vernaux,  ayant  assassiné  un 
Genevois  à  Hermance,  ce  vidomne  n'osait  plus  rentrer  à  Genève. 
Le  due  lui  envoya  un  successeur  en  la  personne  de  M.  de  Belle- 
garde  de  Montagny.  Il  usait  par  là  d'un  droit  séculaire  qui  ne 
lui  avait  pas  encore  été  contesté.  En  l'absence  de  Hugues  et  du 
syndic  Ramel,  on  lit,  pour  gagner  du  temps,  une  réponse  éva- 
sive  qui  était  trop  dans  le  caractère  de  Pierre  de  la  Baume  pour 
ne  pas  lui  plaire.  Nous  avons  vu  comment  il  avaii  fait  lui-même 
du  vidomnat  une  véritable  sinécure  en  donnant  la  juridiction 
civile  aux  syndics.  M.  de  Bellegarde,  et  après  lui  M.  de 
Mieudry,  ainsi  que  les  autres  vidomnes  que  le  duc  eut  encore 
la  velléité  de  nommer,  s'aperçurent  bien  vite  que  ces  fonctions 
étaient  devenues  indignes  d'un  gentilhomme,  et  ils  ne  deman- 
dèrent pas  mieux  que  de  s'en  aller. 

Vers  le  milieu  de  juin,  une  nouvelle  ambassade,  dont  Hugues 
fait  partie,  est  envoyée  à  Berne  tant  pour  l'affaire  des  mamelucs 
qu'au  sujet  du  désir  déjà  manifesté  par  l'évêque  de  participer 
personnellement  à  la  combourgeoisie  avec  les  deux  villes.  Aussi 


321 

Hugues  élail-il  cette  fois  accompagné  du  greffier  de  l'évêque. 
Il  rendit  compte  de  sa  mission  dans  la  dernière  semaine  de 
juin.  Les  désirs  de  l'évêque  avaient  rencontré  de  l'opposition  à 
cause  de  son  dévouement  bien  connu  à  l'empereur  Charles- 
Quint  et  au  duc  de  Bourbon  —  et  ce  fut  cet  échec  qui  le  décida  a 
se  faire  ensuite  recevoir  bourgeois  de  Genève,  pensant  que 
comme  lel  il  serait  forcément  compris  dans  la  combourgeoisie 
avec  les  deux  villes'. 

Le  jour  même  du  retour  inattendu  de  Hugues  après  son 
aventureuse  expédition  avec  le  prince-évê(|ue  (6  août),  on  reçut 
une  lettre  d'Ami  Girard,  resté  à  Berne,  annonçant  l'arrivée 
d'une  centaine  de  Suisses  pour  garnison,  el  que  le  duc  avait 
enfin  consenti  à  ce  que  la  diète  pour  les  mamelucs  se  tînt  à 
Berne.  On  résolut  d'abord  de  répondre  qu'il  ét;iit  irop  tard,  après 
les  actes  d'hostilité  ouverte  dont  plusieurs  Genevois,  compris 
Hugues,  venaient  encore  d'être  victimes  ;  qu'on  ne  voulait  point 
une  garnison,  mais  une  armée  capable  de  mettre  fin  à  cet  état 
de  chose.  Cependant  comme  la  diète  devait  avoir  lieu  le  19,  on 
se  calma  et  l'on  résolut  d'y  envoyer  une  ambassade  dont  le 
chef  serait  Bezanson  Hugues,  à  peine  remis  de  ses  dernières 
fatigues;  on  prierait  même  l'évêque  de  le  lui  ordonner  en  cas 
de  refus.  Mais  pour  cette  fois  il  trouva  moyen  de  se  faire  ex- 
cuser ;  et  de  fait,  sa  présence  a  Genève  comme  capitaine  géné- 
ral n'avait  jamais  été  plus  nécessaire,  témoin  cet  avis  pressé 
des  Fribourgeois  (7  août  1 527)  :  «  Nous  sommes  avertis  que 
«  certain  nombre  des  Landknecht  doivent  passer  par  votre  ville, 
«  et  quand  ils  auront  pris  logis,  M.  de  Savoye  s'y  doit  trouver 
«  el  boire  de  votre  vin.  Pourquoi  vous  avertissons  si  les  dits 
«  Landknecht  viennent  derrière  vous  que  ne  les  laissiez  point 
«  entrer  en  votre  ville  et  que  fassiez  bonne  garde,  comme  en 
«  avons  confiance  en  vous.  »  Peu  de  temps  après,  les  Fribour- 
geois recommandaient  de  la  prudence  à  l'égard  des  mamelucs 

'  Journal  de  Balard,  p.  ll-l. 


322 

fugitifs,  pour  ne  pas  provoquer  de  guerre  dans  ce  moment  ; 
car,  disaient-ils,  «  nous  sera  fort  grief  d'avoir  guerre  aprésent, 
«  vu  que  les  nôtres  en  bonne  solde  sont  hors  du  pays,  et  avons 
«  eu  nouvelles  comment  ils  deviennent  fort  malades,  etc.  » 

Depuis  l'année  passée  on  travaillait  plus  activement  que  ja- 
mais aux  fortillcations  de  la  ville,  surtout  à  celles  de  Saint- 
Gervais  —  au  grand  conlenlemenî  des  habitants  de  ce  bourg,  qui 
avaient  adressé  au  Conseil  plusieurs  pétitions  à  ce  sujet.  C'est 
sans  doute  en  1526  ou  1527  qu'il  faut  placer  une  requête  sem- 
blable qu'ils  adressèrent  à  leur  ami  et  voisin  Bezanson  Hugues; 
il  semploya  activement  comme  l'avait  jadis  fait  Berlhelier,  à  les 
contenter  à  cet  égard,  non-seulement  pour  des  raisons  straiégiques 
ou  parce  qu'il  aimait  ce  quartier,  son  domicile  de  prédilection, 
mais  parce  que  ses  habitants  étaient  généralement  plus  aguerris, 
plus  portés  à  la  liberté  et  beaucoup  moins  versatiles  dans  leurs 
opinions  politiques,  religieuses  et  autres  que  ceux  de  la  cité'. 
Cetle  requête  est  intitulée  :  Mémoire  à  Monsieur  l'Abbé  de  Ge- 
nève ,  le  aire  Bezamon  Hugues.  Il  faut  noter  ici  que  depuis  sa 
première  élection  au  poste  de  capitaine  général  on  l'appelait  tou- 
jours ainsi,  même  lorsqu'il  était  premier  syndic.  «Puisque.»  dit 
le  préambule,  a  a  l'aide  de  notre  Seigneur  et  de  nos  bons  amis, 
«  Monsieur  l'abbé,  vous  avez  fait  si  gros  bien  à  la  cité  de  Genève^ 
«  de  la  l'aire  demeurer  et  remettre  en  son  entier.,  encore  ne  faut 
K  pas  a  tant  demeurer,  mois  toujours  suivre  le  bien  fait.  »  Suit  le 
texte  de  la  requête,  demandant  qu'on  fortifie  le  bourg  de  Saint- 

*  Il  y  aarait  bien  d'autres  différences  à  signaler,  favorables  ou  défavora- 
bles, entre  les  habitants  de  ce  qu'on  est  convenu  d'appeler  le  faubourg  de 
Saint-Gervais  et  ceux  de  la  cité.  Galiffe  les  attribuait  surtout  à  des  raisons 
topographiques,  de  tout  temps  plus  avantageuses  à  Saint-Gervais  qu'à  la  ville, 
ainsi  que  nous  l'avons  dit  plus  haut.  Mais  il  est  fort  possible  aussi  que  ces 
différences  se  rattachent,  dans  l'origine,  à  une  diversité  de  race,  comme  c'est 
le  cas  pour  tant  d'autres  villes  divisées  par  quelque  fleuve  ou  rivière  d'une 
certaine  importance.  Il  est  bon  d'observer  que  le  bourg  de  Saint-Gervais  eut 
pendant  fort  longtemps,  pour  une  foule  de  choses,  une  administration  à  lui, 
distincte  de  celle  de  la  cité. 


323 

Gervais,  (jui  y  esl  représenté  comme  le  boulevard  de  Genève, 
sans  la  sûreté  duquel  il  n'y  en  a  point  pour  la  ville,  surtout  au 
point  de  vue  du  commerce.  On  propose  que  Ips  dépenses  de 
ces  fortifications  se  prélèvent  de  préférence  en  une  somme 
payée  une  fois  pour  toutes  sur  le  loyer  d'une  année  des  mai- 
sons et  jardins  de  la  ville  et  de  ses  dépendances,  mais  qu'on 
excepte,  si  possible,  les  simples  habitants  et  ouvriers  «  qui  ont 
déjà  as^ez  a  faire  de  vivre  de  leur  métier,  etc.,  etc  »  La  requête 
se  termine  par  ces  mots  :  «  Pourquoi  y  aviserez  et  pardonnerez 
«  aux  suppliants,  s'il  vous  plaît;  car  ils  n'y  entendent  point  de 
«  mal  ;  mais  à  leur  gros  et  rude  entendement  leur  semble  que 
«  mieux  ne  pourrait  l'on  faire  ^))  Ainsi  que  nous  l'avons  dit, 
les  désirs  des  habitants  du  bourg  de  Saint-Gervais  s'accom- 
plissaient depuis  l'année  passée  au  delà  de  ce  qu'ils  pouvaient 
espérer;  un  froid  des  plus  rigoureux  avait  seul  pu  faire  discoîi- 
tinuer  les  travaux  jiendant  une  partie  de  l'hiver  1526  à  1527; 
la  plupart  des  magistrats  et  des  bourgeois  notables  avaient  avancé 
de  très-grosses  sommes  pour  cet  objet,  et  quatre  dizaines  y  tra- 
vaillaient chaque  jour  sans  relâche.  —  On  allait  aussi  avoir  de  l'ar- 
tillerie. Vers  la  lin  de  l'année,  la  confrérie  de  Sainte-Barbe  ou 
des  Epingliers,  ayant  des  fonds  en  caisse,  les  employa  à  fondre 
deux  pièces  de  canon  qu'elle  vin!  offrir  à  l'État,  lambour  bat- 
tant. Le  Conseil  enchanté  fit  de  grands  remercîmenls;  puis  il 
recommanda  aux  autres  confréries  de  suivre  ce  bon  exemple  ; 
bientôt  le  Conseil  général  statua  que  chaque  confrérie  fournirait 
de  l'ariillerie  selon  ses  movens;  enfin,  on  en  vint  à  ordonner  à 
celle  de  saint  Crispin,  qui  n'avait  pas  d'argent  comptant ,  de 
vendre  ses  meubles  pour  faire  comme  les  autres.  Au  milieu  de 
ces  préparatifs  on  fit  preuve  d'une  modération  exemplair^*  en 
permettant  aux  chanoines  et  citoyens  du  parti  ducal  de  s'en 
aller  ei  d'emporter  leurs  effets,  à  condition  qu'ils  ne  revien- 
draient pas  et  qu'ils  seraient  rayés  du  rôle  des  bourgeois  comme 
ayarjt  déserté  la  ville  au  moment  du  danger. 

*  Voyez  la  pétition  rnlière  aux  Pièces  justificatives. 


32ft 

Le  23  août,  la  ilièle  de  Berne  condamna  dix-huit  des  prin- 
cipaux mamelucs  à  payer  vingt  mille  écns  (environ  920,000  fr.).. 
Les  ressources  de  la  ville  étaient  trop  épuisées  pour  qu'on  ne 
fût  pas  généralement  content  de  cette  sentence ,  et  l'on  en  té- 
moigna sa  reconnaissance  par  une  procession  générale. 

Cette  même  année  l'écusson  de  pierre  aux  armes  de  Savoie 
qui  décorait  l'entrée  du  château  de  l'Ile,  prison  du  vidomnat, 
était  tombé  dans  le  Rhône  en  brisant  le  pont-levis  du  dit  châ- 
teau. Le  duc,  persuadé,  ou  voulant  paraître  persuadé,  qu'il  s'agis- 
sait là  d'une  insulte  personnelle,  fît  de  cette  bagatelle  une  affaire 
capitale  qui  alla  grossir  avec  succès  la  note  de  ses  griefs  contre 
Genève.  Dès  lors  on  pensa  qu'il  avait  bien  pu  être  lui-même 

l'auteur  de  cet  accident  au  moyen  de  son  châtelain  Ducis. 

>/ 

Cependant,  depuis  que  le  duc  de  Savoie  avait  saisi  ses  ab- 
bayes de  Suze  et  de  Pignerol,  l'évêque  poursuivait  plus  que  ja- 
mais ses  projets  de  combourgeoisie  avec  les  deux  villes;  toutes 
ses  lettres  roulaient  sur  ce  thème,  et  il  ne  doutait  pas  que,  cette 
combourgeoisie  une  fois  obtenue,  les  Suisses  et  les  Genevois 
l'aideraient  tout  aussi  bien  à  rentrer  en  possession  de  ses  deux 
abbayes  séquestrées  sur  territoire  ducal,  qu'à  maintenir  son  au- 
torité de  prince-évêque  de  Genève.  Ses  véritables  amis,  tels  que 
Bezanson  Hugues,  Boulard,  dit  le  cnré  Curtion,  et  quelques  au- 
tres, cher{  baient  vainement  à  lui  faire  comprendre  que  trop  de 
précipitation  dans  les  circonstances  actuelles  ferait  avorter  une 
fois  pour  toutes  des  projets  à  la  réalisation  desquels  ils  tenaient 
autant  que  lui.  Dans  son  impatience,  l'évêque  écrivit  au  Conseil 
(^ordonner  à  Bezanson  Hugues  d'aller  à  Berne  pour  suivre  cette 
affaire.  Mais  Robert  Vandel,  qui,  loin  d'éclairer  l'évêque,  n'avait 
fait  que  l'inciter  à  se  compromettre,  sut  empêcher  l'effet  de  la 
nomination  de  Hugues ,  et  se  faire  nommer  à  sa  place  avec 
François  Favre  à  cette  ambassade ,  dont  la  mission  n'eut  dès 
lors  plus  rien  de  commun  avec  les  intérêts  de  l'évêque.  Il  pa- 
raît que  Vandel  n'en  réussit  pas  moins  à  persuader  à  l'évêque 


325 

que  c'était  la  faute  de  Bezanson  Hugues  qui  n  avait  pas  voulu 
aller  à  Berne  pour  lui.  Ce  qu'il  y  avait  de  plus  vilain  encore, 
c'est  que  Robert  Vandel  acceptait  de  l'argent  de  l'évêque  pour  les 
ambassades  auxquelles  il  se  faisait  nommer  par  la  ville.  L'année 
précédenie,  il  avait  jusqu'à  un  certain  point  réussi  à  faire  croire 
au  prélat  que  Bezanson  Hugues  favorisait  secrètement  les  mame- 
lucs;  tandis  qu'il  devait  savoir  mieux  que  personne  que  Hugues, 
qui  en  avait  souffert  plus  que  tout  autre,  était  simplement  aussi 
inébranlable  ennemi  de  tout  ce  qui  pouvait  ressembler  à  la 
vengeance,  qu'il  était  enthousiaste  pour  la  liberté.  Il  voulait 
seulement  que  les  réfugiés  mamelucs  fussent  mis  hors  du  Con- 
seil et  condamnés  à  des  dommages-intérêts '. 


'  Voyez  Galiffe.  Matériaux,  II,  p.  '453  à  458.  Loin  de  se  soumettre  à  la 
sentence  relatée  ci-dessus ,  les  mamelucs  continuèrent  leurs  hostilités  et  en 
appelèrent  au  métropolitain  de  Vienne.  Mais  ce  tribunal  en  imposait  peu  à 
Genève,  et  d'ailleurs  il  s'agissait  d'accusés  laïques  et  d'une  cause  criminelle  qui 
ne  regardait  que  les  syndics.  Après  sept  criées  inutiles  invitant  les  mamelucs 
à  comparaître  ou  à  se  faire  représenter  en  droit,  on  les  condamna  le  21  fé- 
vrier en  ce,  au  nombre  de  quarante-quatre,  par  contumace,  à  la  perte  de 
leurs  biens,  à  être  écartelés,  et  leurs  descendants  à  la  perte  de  tous  leurs 
droits  civils  et  politiques.  Les  écrivains  de  tous  les  partis  se  sont  élevés  avec 
raison  contre  cette  cruelle  et  impolitique  sentence.  Nous  regrettons  d'autant 
plus  voir  M.  Berchtold  dire,  sans  autre  explication,  sur  la  foi  de  Lévrier  {Chro- 
nologie historique  des  comtes  de  Genevois),  que  ce  fut  Bezanson  Hugues  qui  la 
prononça;  car  on  pourrait  croire,  d'après  ces  deux  écrivains,  qu'il  y  entra 
pour  quelque  chose ,  tandis  que  personne  n'en  était  plus  éloigné ,  puisqu'il 
n'avait  cessé,  tant  à  Genève  que  dans  les  deux  villes,  d'insister  poiu'  la  mo- 
dération à  cet  endroit .  dans  la  certitude  que  cela  nous  ramènerait  quantité 
de  citoyens  compromis  à  tort  à  cause  de  leur  parenté  ou  de  leurs  rela- 
tions avec  les  coupables.  D'ailleurs,  il  faut  observer  que  cette  sentence  était 
prête  avant  le  21  février  et  qu'elle  n'avait  point  été  arrêtée  à  la  légère.  Le  17 
février,  en  Conseil  des  CC,  on  avait  décidé,  après  lecture  des  articles  formu- 
lés contre  les  fugitifs,  «  de  consulter  les  jurisconsultes  et  les  docteurs  en  droit, 
avant  de  prononcer  cette  sentence,  afin  de  procéder  juridiquement  selon  leur 
opinion,  et  pour  qu'on  ait  le  mode  convenable  de  prononcer  la  dite  sentence.» 
Le  19,  le  CC  «  arrête  de  convoquer  le  lendemain  le  Conseil  général,  pour  lui 
communiquer  et  faire  porter  la  dite  sentence.  »  Le  20,  le  Conseil  général  ne 
prononce  pas  la  dite  sentence  contre  les  fugitifs ,  mais  t  ordonne  qu'elle  sera 
prononcée  demain  parle  Conseil  desCC,  attendu  qij'ils  ont  été  cités  pour  cela.» 

Fome  XI.  22 


326 

Un  événement  des  plus  graves,  par  la  portée  qu'il  devait  avoir 
sur  les  destinées  de  Genève,  venait  de  relever  l'espérance  des 
Genevois  qui  avaient  secrètement  embrassé  la  réforme.  Le  7 
janvier  1528  avait  commencé  à  Berne,  sous  la  présidence 
de  l'illustre  Joachim  de  Vatt  (Vadianus),  la  fameuse  con- 
férence entre  le  parti  luthérien  et  le  parti  catholique ,  en  pré- 
sence des  Petit  et  Grand  Conseils  de  Berne,  des  ambassadeurs 
de  Zurich,  Bâle,  Saint-Gall,  Constance,  Bienne,  etc.,  de  350 
curés  du  canton,  d'une  foule  de  savants  accourus  de  tous  les 
points  de  la  Suisse,  et  de  ses  alliés.  Les  orateurs  furent:  d'un 
côté,  Zwingle,  Haller,  Kolb,  OËcolampade,  Capiton  et  Bucer; 
de  l'autre,  Alexis  Grat,  Thibaud  Hutt' r,  Nicolas  Christ,  Conrad 
Trager,  Jean  Buchstab.  Après  dix-huit  jours  de  discussions  très 
solennelles,  la  sentence  définitive  des  Conseils  fut  prononcée  le 
7  février  suivant,  on  sait  dans  quel  sens.  Dans  l'état  actuel  des 
choses,  avec  les  relations  continuelles  qui  existaient  alors  entre 
Berne  et  Genève,  l'influence  d'un  pareil  événement  ne  pouvait 
tarder  de  se  faire  sentir  à  Genève,  surtout  sous  un  évêque  d'un 
caractère  aussi  inconstant  que  Pierre  de  la  Baume.  Dire  que 
malgré  tout  cela  Genève  ne  se  décida  a  son  tour  que  huit  ans 
plus  lard,  c'est  montrer  combien  les  Genevois  étaient  générale- 
ment peu  disposés  à  ce  changement,  malgré  tout  ce  qu'on  a  pu 
dire  pour  l'opinion  contraire. 

Nous  savons  aujourd'hui,  par  les  documents  intimes  de  l'é- 

Enfin,  le  21  février,  le  Conseil  des  CC  étant  au  grand  complet,  con  lit  la  sentence 
contre  les  fugitifs,  collationnée  et  corrigée,  et  approuvée  de  tous,  et  l'on  con- 
clut qu'elle  sera  prononcée  de  la  manière  accoutumée,  ce  qui  eut  lieu.»  On 
voit  donc  que  si.  ce  fut  Bezanson  Hugues  qui  prononça  cette  sentence,  ce  que 
le  silence  des  registres  et  de  Balard  permet  de  mettre  en  doute,  il  ne  fit,  en 
sa  qualité  do  premier  syndic,  c'est-à-dire  de  premier  juge  né  des  causes  crimi- 
nelles, que  lire  une  sentence  préparée  d'avimce  par  le  Conseil  des  CC  et  par  le 
Conseil  général,  sentence  qui,  nous  le  répétons,  lui  répugnait  profondément. 
Nous  ven-ons  plus  loin  qu'il  s'absentait  du  Conseil  toutes  les  fois  qu'on  se 
préparait  à  y  prononcer  une  peine  trop  sévère  qu'il  n'avait  pu  faire  modifier. 
On  sait  d'ailleurs  que  son  inflexible  modération  fut  plus  d'une  fois  très-mal 
interprétée  pai'  le  parti  révolutionnaire. 


327 

poque,  qu'il  existait  alors  à  Genève,  surtout  parmi  ceux  que  les 
derniers  événemenis  avaient  mis  en  rapports  suivis  avec  les 
Bernois,  tant  chez  eux  que  chez  nous,  un  petit  groupe  de 
protestants  politiques  :  Robert  Vandel ,  Ami  Porral,  les  Lullin 
et  quelques  autres  eydguenots  de  fraîche  date ,  qui  calculaient 
de  sang-froid  les  divers  avantages  d'une  république  indé- 
pendante de  tout  lien  épiscopal.  Mais  ces  hommes ,  relative- 
ment supérieurs,  tout  en  encourageant  certains  écarts  favo- 
rables a  leurs  secrets  desseins,  continuaient  et  continuèrent 
longtemps  encore  à  professer  la  religion  romaine  avec  autant  de 
régularité  que  Tévêque  lui-même,  dont  ils  avaient  su  gagner  la 
confiance  a  ses  dépens.  Ils  lui  en  voulaient  d'ailleurs  évidem- 
ment davantage  comme  souverain  que  comme  prélat.  Les  en- 
thousiastes de  bonne  foi,  tels  que  Ami  Bandières  et  Ami  Per- 
rin,  étaient  encore  plus  rares.  Malheureusement,  autour  de  ces 
deux  catégories  gravitait  la  tourbe  des  vauriens  de  la  ville,  qu'un 
instinct  révolutionnaire  et  le  besoin  d'un  changement  quelcon- 
que pour  se  faire  une  position,  entraînaient  seuls  dans  cette  voie. 
C'est  malheureusement  dans  les  faits  et  gestes  de  ces  gens-là 
qu'd  faut  chercher  à  Genève  les  premiers  symptômes  publics 
de  réforme  religieuse  :  ce  sont  ces  bandits  de  carrefour,  dont  on 
avait  tant  de  peine  à  réprimer  les  excès,  dirigeant  maintenant 
leurs  mauvais  coups  presque  exclusivement  contre  les  ecclé- 
siastiques et  leurs  propriétés  personnelles,  ei  se  préparant  ainsi 
dignement  au  pillage  en  grand  des  églises  et  des  communautés 
religieuses  ;  c'est  Baudichon  de  la  Maisonneuve  et  toute  sa 
bande  singeant  les  processions  en  dérision  des  ecclésiastiques 
et  des  confréries,  dans  un  moment  où  les  magistrats  et  le  Con- 
seil général  en  ordonnaient  sincèrement  de  sérieuses  pour  le 
salut  de  la  ville.  —  Mais  ce  serait  une  grande  erreur  de  comp- 
ter au  nombre  de  ces  manifeslalioiis  réformatrices  la  défense 
que  l'on  fit,  en  mars  1527,  aux  religieuses  de  Sainte-Claire,  de 
publier  leurs  indulgences  ;  car  il  ne  s'agissait  là  que  d'une  me- 
sure de  sûreté  temporaire  pour  la  ville  qui,  en  pareil  cas,  se 


328 

remplissait  toujours  de  Savoyards.  On  les  exempta  cette  même 
année  des  droits  d'entrée  sur  le  vin. 

Tout  le  monde  connaît  les  causes  générales  de  la  rét'orma- 
tiou;  quant  aux  particulières,  elles  ont  exirêniement  varié  selon 
les  pays  qui  l'ont  embrassée.  Ainsi  ne  peut-on  nier  que  les  fautes 
et  les  maladresses  de  ceux  qui  étaient  les  plus  intéressés  au 
maintien  de  l'ancien  état  de  choses,  n'aient  tout  particulière- 
ment contribué  a  la  réforme  genevoise,  par  suite  du  méconten- 
tement et  des  représailles  qu'elles  provoquèrent.  C'était,  par 
exemple,  le  refus  des  ecclésiastiques  en  général  de  participer 
pour  leur  part  aux  frais  que  la  ville  avait  dû  s'imposer  dans  les 
dernières  circonstances;  c'était  les  sympathies  que  les  principaux 
membres  du  clergé,  infidèles  à  leurs  antécédents,  avaient  montré 
pour  la  maison  de  Savoie;  c'était  la  partialité  flagrante  avec 
accompagnement  d'excommunication,  de  censures  ecclésiasti- 
ques et  (le  frais  énormes  qui  résultaient  de  cette  préférence 
dans  l'administration  de  la  justice,  dans  une  ville  où  l'intime 
mélange  des  éléments  spirituels  et  temporels  donnait  lieu  à  tant 
de  conflits  de  juridiction;  mais  c'était  surtout  le  caractère,  la 
conduite  et  l'absence  de  celui  qui  seul  était  à  même,  par  sa  po- 
sition, de  sauver  la  situation.  En  des  temps  plus  calmes,  Pierre 
de  la  Baume,  avec  sa  sincérité  religieuse  et  ses  formes  à  la  fois 
sémillantes  et  magnifiques,  aurait  pu  faire  dans  son  genre  un 
excellent  prince-évèque.  Mais  il  manquait  de  toutes  les  qualités 
qu'il  lui  aurait  fallu  au  moins  comme  souverain,  dans  les  cir- 
constances actuelles,  —  et  il  allait  bientôt  manquer  des  con- 
seils du  seul  Genevois  qui  avait  assez  de  bonne  foi,  de  franchise 
et  de  désintéressement  pour  l'éclairer  sur  ses  véritables  intérêts. 
A  force  d'insinuations  calomnieuses,  Robert  Vandel  et  son  parti 
avaient  réussi  à  lui  inspirer  de  la  défiance  contre  Hugues.  A 
vrai  dire,  il  ne  se  rendit  pas  tout  de  suite  :  «  Quant  à  ce  que 
a  voire  frère,  présent  porteur,  m'a  dit  de  votre  pari,  écrit-il  à  Van- 
«del ,  je  tiens  Bezanson  homme  de  bien,  et  désirerais  bien  que 
«  lui  et  vous  allissiez  d'un  même  chemin  ;  car  si  pièce  de  mes 


329 

«  sujets  fait  chose  qu'il  ne  doive,  je  le  verrai  bien  d'ici;  pourquoi 
«n'est  besoin  do  charger  sur  autrui.»  Mais  le  coup  était  porté,  et 
sa  confiance  ébranlée  devait  aller  en  diminuant.  Ses  lettres  au 
grand  citoyen  devinrent  plus  rares  et  moins  expansives  ;  la  der- 
nière connue  est  remarquable  par  la  contrainte  qui  y  règne  et 
l'absence  des  mots:  «  votre  bon  ami,»  par  lesquels  toutes  les 
précédentes  sont  signées.  Sa  conduite  fut  encore  bien  plus  im- 
prudente, comme  nous  le  verrons,  lorsqu'il  comprit  enfin  la  po- 
litique de  son  secrétaire  favori,  Vandel,  à  son  égard,  et  qu'il  en 
put  sonder  les  véritables  motifs.  Dès  lors,  le  duc  put  espérer  de- 
rechef de  le  gagner  à  ses  intérêts,  et  commença  la  réconciliation 
parla  main-levée  des  abbayes  de  Suze  et  de  Pignerol.  Pierre 
de  la  Baume  voulut  aussi  reprendre  ce  que,  dans  ses  moments 
d'expansion  patriotique,  il  avait  accordé  aux  Conseils  genevois, 
notamment  la  juridiction  civile,  dont  il  fit  afficher  la  révocation 
aux  portes  des  églises.  Le  Conseil  des  CC  se  contenta  d'ordon- 
ner à  son  secrétaire  de  BioUo,  qui  avait  posé  ces  affiches,  «  de  les 
enlever  et  de  les  rendre  a  son  maiire  avec  l'original,  vu  qu'elles 
menaçaient  de  peines- contraires  aux  franchises  ;  que  d'ailleurs  la 
juridiction  en  question  avait  été  accordée  parl'évêqne  et  acceptée 
parles  citoyens  en  Conseil  général,  et  qu'on  était  décidé  à  la  con- 
server.» Sans  doute,  c'était  là  de  l'opposition,  mais  de  l'opposi- 
tion au  souverain  et  non  au  prélat.  Ce  n'était  rien  en  compa- 
raison de  la  défense  que  fit  le  Conseil  de  ne  porter  désormais 
aucune  cause  devant  le  métropolitain  de  Vienne,  depuis  la  par- 
tialité flagrante  que  cette  autorité,  supérieure  à  celle  de  l'évé- 
que,  avait  montrée  en  faveur  desmamelucs  condamnés;  encore 
cette  défense  était-elle,  jusqu'à  un  certain  point,  en  faveur  de 
l'évêque,  puisqu'on  la  basait  sur  ce  fait  que,  d'après  nos  char- 
tes, il  ne  devait  pas  y  avoir  de  pouvoir  intermédiaire  entre  le 
prince-évêque  et  l'empereur.  Le  duc  lui-même  aurait  dû  être  le 
dernier  à  se  mêler  à  Genève  des  affaires  d'Église  dans  l'intérêt 
de  leur  conservation.  Le  vendredi  7  février,  il  fit  prier  la  com- 
munauté «  de  lui  envoyer  une  ou  deux  personnes  pour  le  main- 


330 

tien  de  la  foi  et  pour  les  causes  relatives  à  la  secte  luthérieune.w 
On  répondit  fièrement  à  son  héraut  ce  que  nous  savions  nous 
conduire,  et  que  ce  n'était  pas  son  affaire  de  nous  corriger.» 

Malgré  tous  ces  symptômes,  le  peuj)le  et  la  grande  majorité 
des  Conseils  restaient  fermement  attachés  a  l'Église  établie.  Ja- 
mais ils  n'ordonnèrent  autant  de  processions  générales  et  pa- 
roissiales qu'en  cette  année  ;  et  comme  si  la  ville  n'avait  pas  eu 
assez  de  vingt-quatre  confréries  ou  plus,  on  résolut  d'en  fonder 
encore  une  nouvelle,  dite  du  Corps  du  Christ.  Il  faut  encore  ob- 
server que,  dans  toutes  les  tractations  avec  les  cantons  suisses, 
on  réservait  en  premier  lieu  les  droits  épiscopaux.  Ajoutons  que 
les  commissaires  fribourgeois  (catholiques  à  l'excès),  qui  rési- 
daient a  poste  fixe  a  Genève,  n'avaient  et  n'eurent  longtemps 
encore  aucun  soupçon  de  révolution  religieuse.  Enfin  les  docu- 
ments plus  intimes  de  l'époque,  tels  que  testaments,  actes  de 
donations,  etc.,  etc.,  montrent  combien,  dans  toutes  les  classes, 
on  était  encore  peu  disposé  au  changement  que  préparait  par- 
dessous  main  un  parti  qu'il  faut  savoir  distinguer  des  eydgue- 
nots  '  aussi  bien  que  des  mamelucs.  Il  est  du  reste  fort  possible 
qu'une  vague  crainte  de  propagandisme  influa  sur  les  élections 
de  cette  année  ^1528),  qui  remirent  le  syndicat  à  quatre  catho- 
liques non  suspects,  savoir  :  Bezanson  Hugues,  Girardin  de  la 
Rive,  Etienne  Maelieret  ei  Nicolin  du  Crest,  —  et  l'office  de 
trésorier  à  Etienne  de  Chapeaurouge.  L'élection  de  Hugues  au 
premier  poste  de  l'Éiat  prouvait  que  la  ville  était  derechef  en 
(langer;  mais  elle  allait  l'être  encore  davantage. 

Le  duc  s'était  mis  en  tête,  après  les  premières  tentatives  de 
réconciliation  avec  l'évéque,  que,  moyennant  un  dédommage- 
ment convenable,  il  engagerait  facilement  celui-ci  à  résigner 
son  évêché  en  faveur  de  son  second  fils,  âgé  de  quatre  ans;  et 
cela  d'autant  mieux  que  Pierre  do  la  Baume  était  alors  déjà  coad» 

'  Ce  fut  en  Savoie  que  les  mots  également  détestés  d'eydguenot  et  de  pro- 
testant devinrent  synonymes;  le  premier,  défiguré  en  huguenot,  devint  en 
France  l'équivalent  de  rebelle  et  d'hérétiqiie. 


331 

juteur  et,  par  conséquent,  successeur  désigné  de.  l'archevêque 
de  Besançon.  Avec  sa  fatuité  accoutumée,  le  duc  n'atiendit  pas 
même  le  retour 'des  messages  qu'il  avait  envoyés  à  ce  sujet  à 
l'empereur  et  nu  pape,  pour  parler  ouvertement  do  celte  com- 
binaison comme  immanquable  et  agir  en  conséquence.  Comp- 
tant sur  la  terreur  pour  lui  ouvrir  les  pories  de  Genève,  il  avait 
rassemblé  une  armée  formidable  et  se  croyait  si  sûr  de  son  fait 
qu'il  ne  ménageait  plus  même  les  apparences.  Il  venait  de 
prendre  le  château  de  Cartigny,  et  l'on  ne  doutait  pas  qu'il 
ne  vint  s'emparer  aussi  du  prieuré  de  Sainl-Yictor  d'où  le  dit 
château  dépendait,  et  «lont  les  moines,  brouillés  avec  leur 
prieur,  François  Bonivard,  lui  étaient  tout  dévoués.  Bezanson 
Hugues  profita,  le  13  mars,  de  l'inquiétude  générale  pour  faire 
augmenter  la  garde.  Le  15,  toute  la  ville  était  dans  l'at- 
tente d'un  assaut.  Le  19,  on  envoya  Boberi  Vandel  et  Jean 
Luilin  a  Berne  ;  mais  la  peur  croissant  avec  le  danger,  on 
décida,  le  23,  d'y  députer  encore  Bezanson  HugU(  s  et  Bo- 
nifoce  Hoffischer,  pour  presser  plus  efficaci  ment  l'envoi  des 
secours;  ces  citoyens,  qui  ne  s'effrayaient  pas  si  facilement,  ob- 
tinrent la  révocation  de  cette  nouvelle  nomination,  si  désobli- 
geante pour  leurs  collègues,  en  faisant  observer  qu'il  suffisait  de 
leur  écrire.  On  peut  juger  de  l'alarme  des  Genevois  par  la  pro- 
clamation de  la  peine  de  mort  contre  quiconque  ne  se  rendrait 
pas  à  son  poste  au  son  du  tocsin. 

Grâce  à  la  présomptueuse  indiscrétion  de  Charles  III,  on 
devina  bientôt  à  Genève  le  véritable  motif  de  ses  armements. 
Aussitôt  Hugues  écrivit  à  Pierre  de  la  Baume  pour  lui  exposer 
ce  qui  se  tramait  et  le  dissuader  vivement  de  renoncer  à  son 
évéché.  L'évêque  eut  ainsi  tout  le  temps  de  se  préparer  à  ré- 
pondre avec  dignité  à  la  lettre  de  l'empereur  qui,  dans  cette 
occasion,  aurait  voulu  pouvoir  obliger  son  beau  frère  de  Savoie. 
Si  Pierre  de  la  Baume  eût  consenti  à  ce  changement  (et  il  l'au- 
rait probablement  fait  s'il  avait  été  pris  par  surprise),  rien  n'au- 
rait pu  légalement  lempêcher,  et  Genève  serait  infailliblement 


332 

retombée  sous  la  férule  de  la  maison  de  Savoie  ;  car  dans  Tacfe 
de  comhonrgeoisie  avec  Berne  et  Fribourg,  les  droits  souve- 
rains de  l'évêque,  quel  qu^il  fût^  avaient  été  expressément  ré- 
servés, et  Ips  Bernois  étaient  alors  lroj>  occupés  de  leur  chan- 
gement de  culte  pour  venir  se  jeter  dans  une  querolle  qui  leur 
était  étrangère  *. 

Les  services  diplomatiques  du  genre  de  celui  que  Hugues 
venait  encore  de  rendre  à  son  pays  étaient  naturellement  ceux 
qu'on  savait  le  moins  apprécier;  car  l'attention  publique  était  sur- 
tout tenue  en  éveil  par  le  danger  permanent  d'un  assaut  de  la 
ville,  par  les  désordres  qui  se  commettaient  alentour,  ainsi  que  par 
le  mouvement  inusité  des  ambassades  et  l'agitation  militaire  qui 
remplissait  toute  la  cité.  Celte  tension  fébrile  poussait  a  beau- 
coup d'écarts  désordonnés  d'une  part,  et  à  une  grande  sévérité 
de  répression  de  l'autre;  le  tout  au  mécontentement  du  petit 
nombre  d'anciens  eydguenols  qui,  accoutumés  depuis  longtemps 
à  afTronter  les  dangers ,  cherchaient  vainement  a  donner  à 
leurs  concitoyens  une  plus  grande  dose  de  sang-froid  et  de 
dignité.  Ils  n'en  retiraient  que  des  vexations  journaHères,  sur- 
tout de  la  part  des  tapageurs  et  des  nouveaux  convertis.  Soit 
que  Bezanson  Hugues  lui-même  ne  pût  résister  à  l'ennui  de 
ces  attaques  personnelles,  soit  qu'il  se  trouvât  suffisamment  oc- 
cupé par  la  charge  de  premier  syndic,  toujours  est-il  qu'il  dé- 
clara le  29  mars  au  Conseil  étroit  qu'il  ne  voulait  plus  être  capi- 
taine général,  quoique  son  élection  eût  été  publique  et  presque 
unanime.  Mais,  pour  donner  suite  à  sa  démission,  il  fallait  l'assenti- 
ment du  Conseil  des  L,  de  celui  des  CC  et  enfin  du  Conseil  général 
qui  l'avait  nommé.  Or  il  était  tellement,  aux  yeux  de  tous,  sans 
en  excepter  ses  ennemis,  l'homme  indispensable  do  la  situation. 

'  La  maison  de  Savoie,  à  l'aide  du  pape,  voulut  aussi  faire  entrer  au  chapitre, 
de  Saint-Pierre  un  petit  bâtard  du  conile  de  Genevois,  qui,  une  fois  chanoine 
de  Genève,  aurait  pu  ensuite  être  élevé  d'autant  plus  facilement  à  la  dignité 
épiscopale.  Mais  le  chapitre  fut  peu  flatté  de  cet  honneur  et  jnéféra  les  can- 
didats présentés  par  Messieurs  de  Berne  et  de  Fribourg ,  qui  étaient  d'ail- 
leurs fortement  appuyés  par  le  Conseil  de  la  ville. 


333 

qu'il  fut,  bon  gré  mal  gré,  obligé  de  garder  son  commandemenl, 
au  moins  jusqu'à  ce  que  la  crise  fût  passée  '.  ÎVous  avons  déjà 

•  n  conserva  ses  fonctions  jusqu'en  1531,  où  il  obtint  enfin  sa  démission, 
après  huit  années  d'exercice.  Il  suffu'ait  de  ce  seul  fait  pour  prouver  avec 
quelle  distinction  il  avait,  pendant  ces  temps  de  guerre  continuelle,  rempli 
ce  poste  important,  dont  les  difficultés  ne  sont  pas  faciles  à  comprendre 
d'après  les  idées  actuelles.  Le  capitaine  général  commandait  non-seulement 
à  tous  les  Genevois  en  état  de  porter  les  armes ,  qu'ils  fussent  réunis  pai- 
quartier  sous  leurs  dizeniers  respectifs,  ce  qui  avait  lieu  lors  des  prises  d'ar- 
mes en  cas  d'alarme  sonnée  par  le  tocsin,  ou  qu'ils  s'assemblassent  selon 
leur  genre  d'armes,  archers,  arquebusiers,  arbalétriers,  hallebardiers,  pi- 
quiers,  artilleurs,  etc.,  quand  il  s'agissait  d'une  sortie  arrêtée  d'avance;  mais 
il  va  sans  dire  qu'il  avait  encore  sous  ses  ordres  les  troupes  de  volontaires 
suisses  à  la  solde  de  la  ville,  et  qui,  sous  ce  nom,  contenaient  beaucoup  d'a- 
venturiers étrangers,  parmi  lesquels  Bezanson  Hugues  eut  souvent  à  opérer 
de  grandes  épurations.  Ce  remède  ne  pouvait  malheureusement  pas  s'ap- 
pliquer aussi  facilement  aux  troupes  genevoises.  Certes,  les  principales  qua- 
lités militaires  ne  faisaient  pas  défaut  :  le  manque  de  courage  était,  dans 
l'ancienne  Genève,  une  chose  tellement  rare  et  insolite,  que  celui  qui  s'en 
rendait  coupable  perdait  la  boiu'geoisie  et  était  chassé  de  la  ville  comme 
un  criminel;  encore  faut-il  suivre  attentivement  les  registres  pendant  bien 
des  années  pour  découvrir  un  cas  de  ce  genre  ;  on  se  rappelle  qu'il  y  avait 
d'ailleurs  peine  de  mort  contre  quiconque  ne  se  rendait  pas  à  son  poste  au 
premier  son  du  tocsin.  L'adresse  de  nos  pères  dans  les  exercices  militaires, 
était  non  moins  remarquable  que  leur  valeur  intrépide ,  dont  les  prodiges 
peuvent  être  compai'és  à  tout  ce  que  l'histoire  oiïre  de  plus  héroïque;  ce 
serait  une  grande  erreur  de  croire,  par  exemple,  que  sous  le  rapport  des 
tirs  nous  ayons  eu  quelque  chose  à  apprendre  des  Suisses  ;  les  arquebutes 
fabriquées  à  Genève,  et  ajustées  par  des  tireurs  genevois,  étaient  au  nombre 
des  cadeaux  les  plus  agréables  quL'  l'on  pouvait  envoyer  aux  deux  villes.  Nos 
institutions  de  ce  genre  étaient  aussi  anciennes  que  les  leurs,  et  les  citoyens 
y  excellaient,  ainsi  que  dans  le  maniement  de  l'épée  et  de  la  l'apière,  qu'on 
était  très-prompt  à  dégainer.  Mais  le  côté  faible  des  Genevois  était  la  tenue 
et  la  discipline,  et  l'on  ne  pouvait  guère  attendre  mieux  de  milices  dont,  en 
temps  de  paix  (sauf  les  tirs  ,  les  principales  évolutions  consistaient  à  aller 
complimenter  les  jeunes  mariés,  ou  à  donner  des  charivaris  à  ceux  qui  con- 
volaient en  secondes  noces.  Aussi  nos  députés  à  Berne  ne  cessaient-ils  d'ad- 
mirer le  bon  ordre  des  troupes  suisses,  «  qui  n'avaient  nul  besoin  de  sergents 
de  bande  pour  tenir  les  compagnons  en  ordre,  cai-  d'eux-mêmes  se  savent 
conduire,  j  Ce  qui  était  bien  pire  encore  que  le  manque  de  tenue  et  de 
discipline ,  c'était  l'insubordination  et  le  mamjue  de  respect  pour  les  chefs, 
dans  des  milices  où  Baudichon  de  la  Maisonneuve  et  sa  bande  de  pillards 
et  de  tapageurs  tenaient  une  si  large  place.  On  voit  par  les  registres  et  par 


334 

vu  el  nous  venons  encore  qu  on  ne  se  génail  pas  de  lui  imposer 
<le  hauie  main  sa  nomination  à  tel  ou  tel  posle  important,  quand 
on  le  jugeait  nécessaire,  même  avant  de  connaître  son  opinion 
personnelle  à  ce  sujet;  nous  verrons  aussi  désormais,  dans  bien 
des  cas,  semblables  à  celui-ci,  qu'on  lui  refusa  la  liberté  de  ré- 
signer ses  fonctions,  même  celles  qui  lui  avaient  été  imposées  et 
qu'il  avait  remplies,  comme  toujours,  à  la  salisfaclion  de  tous  et 
à  ses  propres  dépens.  Le  seul  soulagement  qu'on  lui  accorda,  ce 
fut  de  leiiir  de  temps  ;j  autre,  dans  sa  maison,  les  séances  du 
Conseil  où  sa  présence  était  jugée  indispensable. —  Peu  de  temps 
après,  son  collègue  Hoffischer,  nommé  député,  déclara  qu'il  avait 
à  mettre  ordre  à  ses  affaires  particulières,  et  qu'il  n'accepterait 
pas  sa  nomination  si  l'on  ne  lui  promettait  de  l'indemniser  de 
toutes  les  dépenses  qu'il  avait  déjà  faites  pour  la  ville;  lui-même 
les  estima  ensuite  à  deux  mille  écus  (environ  92,000  fr.);  c'était 
alor^  l'usage  de  demander  quatre  fois  plus  qu'on  ne  s'attendait 
ii  recevoir.  Il  obtint  400  écus  à  la  recommandation  de  Berne, 
de  Fribourg  et  de  Gessenay'. 

Le  4  avril,  on  envo}a  en  pos^te  un  messager  à  Berne  et  'a 

les  résultats  obtenus,  que  Bezanson  Hugues  avait  énormément  lait  pour  ob- 
vier à  ces  divers  inconvénients.  La  première  condition  était  naturellement 
de  faire  respecter  sa  propre  autorité ,  car  une  ville  en  état  de  siège  aurait 
bientôt  été  perdue  si  l'on  avait  pu  désobéir  impunément  aux  ordres  du  gé- 
néral en  chef.  Aussi  avait-il  obtenu  un  corps  d'élite  attaché  à  sa  personne, 
composé  de  sujets  dévoués  et  éprouvés,  qui  l'accompagnaient  partout  où  il 
allait  comme  capitaine  général.  Les  Conseils  reconnurent  si  bien  l'utilité  de 
cette  troupe,  qu'ils  se  plurent  à  diverses  reprises  à  récompenser  son  zèle  et 
ses  services. 

*  Hoffischer  trahit  dans  celte  occasion  son  origine  suisse,  (i'était  du  reste 
un  excellent  citoyen,  dont  les  services  nous  furent  de  la  plus  grande  utilité. 
Originaire  du  Gessenay,  où  son  oncle  était  châtelain,  il  sut  maintes  fois  in- 
téresser au  salut  de  Genève  ce  beau  pays  dont,  gi'âce  à  lui,  les  belliqueux 
habitants  furent  toujours  les  premiers  à  voler  à  notre  secours.  Après  Hugues, 
Baux  et  Girard,  ce  fut  lui  qui  contribua  le  plus  à  l'alliance  avec  Berne  et 
Fribourg.  Il  accepta  la  réforme,  mais  n'en  fut  pas  moins  persécuté  et  con- 
damné, lui  et  les  siens,  de  la  manière  la  plus  inique  par  le  parti  rigoriste 
dit  des  ijuillermins.  Le  cœur  bondit  d'indignation  lorsqu'on  réfléchit  au  sort  que 
(jenève  réservait  quelques  années  plus  tard  à  ses  premiers  libérateurs. 


335 

Fiibourg  pour  en  obtenir  de  prompts  secouis.  Le  5,  on  ordonna 
pour  le  lendemain  des  processions  générales  «pour  obtenir  l'aide 
de  Dieu  dans  nos  adversités.  »  Le  10.  Bezanson  Hugues,  Jean- 
Louis  Ramel,  Michel  Sept  et  Bouiface  Holfisclier  sont  élus  am- 
bassadeurs aux  deux  villes,  le  premier  à  l'instante  sollicitation 
d'Ami  Girard,  qui  rédige  leurs  instructions'.  Ils  parlent  le 
lundi  13  avec  les  ambassadeurs  des  deux  villes  qui  se  trouvaient 
à  Genève,  écrivent  le  mercredi  15  de  Fribourg,  sont  le  même 
soir  à  Berne,  paraissent  jeudi  16  devant  le  Petit  Conseil  de 
Berne;  le  lendemain,  vendredi  17,  devanl  les  Grand  et  Petit 
Conseils  de  celte  ville;  sont  le  lendemain,  samedi  18,  à  Fri- 
bourg, où  ils  paraissent  dimanthe  19  devant  le  Grand  (Conseil, 
retournent  le  même  jour  a  Berne  pour  paraître  le  lendemain, 
lundi  20,  devant  les  Grand  el  Petit  Conseils;  mercredi  de 
même,  puis  le  24  à  Fiibourg,  etc. ,  etc.  Presque  chaque  jour 
une  lettre  collective,  mais  rédigée  et  écrite  par  Hugues,  informe 
le  Conseil  de  Genève  de  leurs  faits  et  «estes  ^.  Celui-ci  leur 
avait  écrit  dès  le  commencement  de  ne  pas  revenir  cette  fois 
que  tout  ne  fût  terminé,  et  c'était  bien  aussi  leur  mtention; 
mais  cela  ne  dépendait  pas  d'eux.  Les  Suisses,  qui  ne  parta- 
geaient nullement  notre  impatience,  proposaient  maintenant  une 
nouvelle  diète  à  Payerne.  Les  Genevois  et  leurs  députés  étaient 
fort  mécontents  de  ce  nouveau  renvoi  ;  on  se  phiignait  vivement 
des  frais  en  pure  perte  qui  s'accumulaient  pour  la  ville  ;  ^nfin 
on  disait  ne  vouloir  de  diète  autre  part  qu'à  Berne  ou  à  Fri- 
bourg. Ce  mécontentement  s'expliquait  de  reste.  A  leur  départ 
pour  Berne  et  Fribourg,  nos  ambassadeurs  s'étaient  attendus  à 
V  trouver  des  troupes  prêles  à  marcher  à  notre  secours,  ainsi 
que  les  députés  des  deux  villes  qui  les  accompagnaient  l'avaient 

*  C'était  toujoui's  Girard  qui,  en  cas  d'empêchement  de  Hugues,  rédigeait 
les  pièces  diplomatiques  sous  le  secrétariat  de  Curtet,  qui  en  eût  été  tout  à 
fait  incapable. 

*  Galiffe,  Matériaux,  II,  p.  524.  Lettre  de  Bezanson  Hugues,  de  Fribourg, 
veille  de  Quasimodo,  très-forte,  au  sujet  du  refroidissement  des  Bernois. 


336 

fait  espérer,  si  bien  qu'on  avait  faii  de  beaux  présents  en  argent  à 
ces  derniers  et  à  leurs  domesliques.  Mais  de  son  côté  le  duc  avait 
prodigué  ses  trésors  plus  follement  que  jamais, surtout  à  Berne. 
Aussi  Hugues  et  ses  collègues  y  trouvèreni-ils  nos  combour- 
geois  fort  mal  disposés  pour  nous;  «  le  soleil  les  a  aveuglés*,  » 
dit-il  dans  sa  lettre  du  18.  «  Nous  pensions  trouver  tout  le 
«  monde  prêt  à  partir,  comme  l'on  vous  avait  donné  a  enten- 
«  dre  ;  mais  il  n'en  est  nouvelle,  et  plus  loin  que  jamais.  Et 
«  n'eût  èié  que  nous  avons  tenu  des  paroles,  disant  que  nous 
«  irions  aux  bas  cantons  avec  nos  Ahschieds  (arrêtés  des  der- 
«  nières  diètes  qu'on  refusait  d'exécuter),  et  avec  le  dire,  «  s'il 
«  vous  plail,  nous  sommes  délibérés  de  le  faire,»  nous  eussions 
«  eu  plus  rude  réponse  pour  les  raisons  susdites".  » 

Cette  menace  indirecte  de  Hugues  à  des  combourgeois  dis- 
posés à  nous  manquer  de  parole,  était  babile  dans  les  circon- 
stances présentes;  car  le  changement  de  religion  des  Bernois 
n'avait  pu  s'opérer  sans  le  mécontentement  général  des  cantons 
catholiques,  et  sans  de  violentes  secousses  intérieures  :  et  Berne 
était  alors  à  la  veille  de  la  guerre  contre  les  paysans  révoltés'. 
D'ailleurs  les  Bernois,  qui  s'étaient  déjà  montrés  jaloux  de  notre 
première  combourgeoisie  avec  Fribourg,  l'eussent  été  bien  da- 
vantage de  celles  que  nous  aurions  pu  contracter  avec  d'autres 
cantons  dans  le  but  d'obtenir  ou  de  nous  faire  obtenir  par  qui 
de  droit  les  secours  qui  nous  étaient  dus,  et  que  Genève  payait 
d'ailleurs  plus  grassement  qu'aucun  souverain  étranger.  Au  reste, 
Hugues  savait  fort  bien  qu'au  fond  le  Grand  Conseil  de  Berne, 
c'est-a-dire  la  bourgeoisie,  était  entièrement  favorable  à  Genève, 
juoique  gêné  dans  l'expression  de  ses  sympathies  parles  circon- 


(. 


»  Jeu  de  mots  sui'  les  écus  au  sçleil  que  le  dur  ftvail  donnés  à  profusion. 

*  Galilie,  Matériaux,  II,  p.  527.  Lettre  de  Bezanson  Hugues,  de  Berne, 
22  avril  i528. 

»  Les  paysans  n'avaient  consenti  à  la  réformation  que  pour  s'affranchir 
des  dîmes  et  des  censés.  Quand  ils  virent  qu'on  continuait  à  en  exiger  le 
paiement,  ils  regrettèrent  l'ancien  ordre  de  choses  et  se  révoltèrent. 


337 

siances  du  moment.  «  Tenez-vous  assurés,  dit-il  dans  sa  lettre 
du  22  avril ,  que  tous  les  bourgeois  sont  aussi  bons  pour 
«  vous  que  jamais;  mais  par  plusieurs  raisons  raisonnables 
«  que  vous  dirons,  à  présent  ils  ne  désirent  pas  la  guerre,  s'il 
«  est  possible,  et  croyez  qu'il  leur  tâche  autant  qu'a  nous,  etc'.» 
C'est  ici  le  cas  d'expliquer  que  la  diplomatie  de  nos  députés 
devait  être  tout  autre  à  Berne  qu'à  Fribourg.  Dans  cette  der- 
nière ville ,  tous  nos  amis  étaient  dans  l'aristocratie,  qui  com- 
posait le  Conseil  étroit,  lequel  dominait  celui  des  CC  ;  aussi  les 
choses  y  marchaient-elles  généralement  vite  et  bien. Mais  a  Berne 
c'était  l'inverse  :  le  parti  genevois  était  presque  uniquement 
dans  la  bourgeoisie;  aussi  fallait-il  toujours  commencer  là  par 
courir  les  abbayes,  afin  de  gagner  les  membres  du  CC,  et  leur 
donner  le  mot  d'ordre.  Malgré  ses  sympathies  pour  le  duc  de 
Savoie,  l'aristocratie  bernoise  était  trop  sage  pour  s'opposer 
alors  aux  volontés  du  Conseil  souverain  du  pays,  alors  même 
qu'elle  eût  pu  le  faire  ;  mais  elle  mettait  souvent  des  bâtons  dans 
les  roues. — Le  29,  les  députés  genevois,  revenus  de  Suisse,  ren- 
daient compte  de  leur  mission  par  l'organe  de  Bezanson  Hu- 
gues; on  décida  qu'on  accepterait  la  diète  de  Payerne,  pourvu 
qu'il  n'y  fût  traité  que  des  difficullés  qui  s'étaient  élevées  depuis 
les  derniers  Abschieds,  et  qu'on  arrivât  devant  les  Grand  et 
Petit  Conseils  de  Berne  et  de  Fribourg  à  une  conclusion  dé- 
finitive et  en  harmonie  avec  les  Àbscliieds  précédents. 

Dès  le  1^"^  mai  suivant,  on  nomma  députés  à  la  journée  de 
Payerne,  Bezanson  Hugues,  Robert  Yandel,  Ami  Girard  et  Bo- 
niface  Hoffischer.  Ils  partirent  le  7,  après  avoir  vidé  un  pot 
d'hypocras  que  l'État  leur  offrit  ;  le  lendemain  le  Conseil  or- 
donna trois  jours  de  processions  générales,  et  neuf  dans  les  pa- 
roisses pour  le  succès  de  leur  entreprise.  La  question  roulait 
cette  fois  sur  le  vidomnat,  les  mamelucs  bannis,  les  chanoines 
fugitifs  et  le  mode  de  vivre  avec  la  Savoie.  Ils  revinrent  le  19, 

*  Galiffe,  Matériaux,  II,  p.  529.  Lettre  de  Bezanson  Hugues,  de  Payerne, 
12  mai  1528. 


338 

et  lorsqu'ils  eurent  rendu  compte  de  leur  mission,  on  députa 
immédiatement  Mathieu  Carrier  et  Domaine  Franc  au  priuce- 
évêque  pour  lui  en  faire  un  rapport  détaillé.  Ce  fut  le  lende- 
main. 20  mai,  que  l'on  créa  la  nouvelle  confrérie  du  Corps  de 
Christ,  dont  nous  avons  parlé  plus  haut. 

Le  fait  es!  qu'à  la  diète  de  Payerne  le  duc  avait  encore  trouvé 
moyen  d'embrouiller  les  choses  avec  la  question  du  vidomnat, 
et  celle  relative  à  la  disparition  des  armes  de  Savoie  du  châ- 
teau de  l'Ile.  Nous  avons  vu  plus  haut  comment  les  derniers 
vidomnes  ducaux  avaient  été  éconduits.  Depuis  lors  le  tribunal 
du  Conseil,  autorisé  par  Tévêque,  n'avait  cessé  de  fonctionner  ; 
le  30  avril  on  lavait  installé  dans  une  salle  nouvelle,  amé- 
nagée tout  exprès.  A  vrai  dire,  le  syndic  G.  de  la  Rive  ei  les  deux 
auditeurs  nommés  pour  entendre  les  causes  (Jean  Coquet  et 
Claude  Richardet) .  s'étaient  d'abord  récusés  pour  ne  pas  en- 
courir la  censure  ecclésiastique;  mais  le  Conseil  les  avait  ras- 
surés en  s'engageant  à  les  relever  de  lout  dommage.  Cependant 
le  duc  nomma  un  nouveau  vidorane  dans  la  personne  de  M.  de 
Loyssel ,  qui  vint  le  7  juin  demander  de  prêter  le  serment  ac- 
coutumé, l^e  duc  s'étant  encore  servi  du  terme  abhoré  de  sujets 
dans  ses  lettres  aux  Genevois,  ceux-ci  se  sentirent  d'autant 
plus  forts  pour  repousser  le  nouveau  vidomnc,  déclarant  qu'ils 
n'avaient  d'autre  prince  que  l'évéque  de  Genève,  et,  plus  tard, 
qu'ils  mourraient  tous  plutôt  que  de  se  laisser  imposer  un  vi- 
domne  par  tout  autre  que  lui.  Ils  persistèrent  dans  cetle  résolu- 
tion en  dépit  de  l'intervention  de  l'empereur,  des  Suisses  et 
même  de  Tévèque,  qui  joignait  à  l'ordre  de  lui  rendre  sa  ju- 
ridiction ,  celui  d'accepter  le  vidomne  présenté  par  le  duc  de 
Savoie,  qui  était  alors  un  monsieur  de  Dortenc.  Ce  n'était  point 
là  un  symptôme  de  réforme;  car  les  plus  zélés  catholiques 
étaient  les  premiers  à  fournir  les  arguments  contre  le  vidomne 
étranger.  La  sécularisation  de  la  juridiction  ecclésiastique  était 
le  seul  changement  réel  que  les  eydguenots  voulaient  a|»porter  à 
l'ancienne  constitution  genevoise.  C'était  à  la  suite  d'un  rap- 


339 

port  (ie  Hugues  que  le  Conseil  général  avait  déclaré  préférer  la 
mon  à  l'acceptation  d'un  vidomne  savoyard,  ei  voici  ce  qu'é- 
crivait Ami  Girard  qui,  pendant  son  ambassade  a  Berne  avec 
Vandel,  quittait  souvent  celte  ville  pour  aller  faire  ses  dévotions 
à  Fribourg  :  «  Nous  avons  été  avertis  par  Castro,  comment  Mon- 
«  seigneur  de  Genève  (l'évêque)  vous  a  mandés  ambassadeurs 
«  pour  expressément  accepter  un  vidomne  de  la  part  de  Mon- 
«  seigneur  de  Savoie  ;  à  quoi  vous  supplions  n'y  vouloir  con- 
te descendre  en  sorte  que  ce  soit;  mais  plutôt  mettre  le  feu  en 
«  la  ville  et  commencez  à  nos  maiaons.  El  trof)  mieux  serait  la 
«  perdition  de  la  ville  et  de  tous  nos  biens  que  des  personnes. 
«  Vous  savez  assez  que  Monseigneur  de  Genève  n'est  que  usu- 
<f  fructaire  à  sa  vie  tant  seulement,  et  ne  peut  aliéner  ni  amoin- 
«  drir  l'autorité  de  Saint-Pierre  ni  de  la  ville  ;  pour  quoi  vous 
'(  supplions  que,  de  votre  côté,  teniez  bon  et  ne  vous  laissiez 
«  surparler  ni  mener  par  pratiques,  quelque  menaces  que  l'on 
«  vous  fasse.  » 

A  tous  ces  arguments  plus  ou  moins  plausibles,  le  Conseil  en 
ajouta  un  nouveau,  également  inspiré  par  Girard,  qui  lui  parut 
péremptoire.  «  Un  délégué,  disait-il,  ne  peut  déléguer  ou  sub- 
«  stituer  un  autre  à  sa  place'  ;  »  argument  plus  spécieux  que 
juste,  car  les  syndirs  subdéléguaient  eux-mêmes  leurs  pouvoirs 
toutes  les  fois  qu'ils  étaient  appelés  a  s'absenter,  et  il  y  avait 
alors  tout  juste  238  ans  que  la  maison  de  Savoie  déléguait  à 
<i'autres,  sans  opposition  aucune,  le  vidomnat  qui  lui  avait  été 
iiiféodé  héréditairement,  en  1290,  par  l'évêque  Guillaume  de 
Conflans.  Mais  ii  faut  avouer  que  si,  dans  celte  occasion,  les 
raisonnements  des  Genevois  étaient  faibles,  la  diplomatie  de 
Charles  III  fut  bien  plus  faible  encore.  Sans  doute  les  premiers 
avaieni  raison  en  ce  sens,  qu'en  droit  c'était  le  duc  en  jiersonne, 
et  non  son  délégué,  qui  était  le  véritable  vidomne.  Si  donc,  au 
lieu  de  s'arrêter  a  une  chicane  de  mots,  Charles  III  s'était  sim- 

*  Subdelegatus  non  potest  delegare  nec  substituera  alium  loco  sui. 


340 

plemenl  borné,  eu  celte  qualité  de  vldomne  héréditaire,  à  nommer 
un  Lieutenant^  comme  tous  les  vidomnes  l'avaient  fait  jusqu'ici, 
il  aurait  été  impossible  de  lui  refuser  ce  fonctionnaire.  Au  lieu  de 
cela,  il  persista  à  vouloir  nommer  le  vidomne  en  souverain  ;  il 
mit  ainsi  tous  les  toris  de  son  côté,  et  perdit  sans  retour  le  seul 
droit  réel  qu'il  eût  à  Genève.  Il  lui  restait  encore,  en  sa  qualité 
de  successeur  des  anciens  comtes  de  Genève,  la  partie  execu- 
tive de  la  justice  criminelle  ;  mais  le  châtelain  chargé  de  ces 
fonctions  fit  défaut  à  la  première  occasion,  par  ordre  de  son 
maître,  et  dès  lors  la  ville  eut  un  bourreau  a  elle. 

Le  duc  allait  perdre  aussi  le  château  de  Cartigny,  qu'il  avait 
enlevé  au  commencement  de  l'année  à  Bonivard ,  prieur  de 
Saint-Victor.  Celui-ci  n'avait  cessé  de  remuer  ciel  et  terre  pour 
ravoir  son  château.  Il  voulait  que  les  Genevois,  que  celte  que- 
relle ne  regardait  nullement,  sortissent  en  masse  pour  lui  re- 
conquérir cette  partie  de  ses  bénéfices.  Or  il  faut  savoir  que 
jusqu'ici  Bonivard  ne  s'était  fait  connaître  à  Genève  et  en  Suisse 
que  par  des  propositions  touchant  son  prieuré,  lesquelles  avaient 
officiellement  été  taxées  «  d'absurdes,  et  dont  il  ne  valait  pas  la 
peine  de  parler'.  »  Depuis  lors,  préludant  à  ses  destinées  de 
pensionnaire  de  la  ville,  il  avait  déjà  trouvé  moyen  de  s'endet- 
ter fortement  de  côté  et  d'autre,  particulièrement  chez  l'hôte  de  la 
Couronne,  à  Berne,  lequel  avait  envoyé  sa  note  à  Genève.  Les 
milices  genevoises  étaient  considérées  comme  insuffisantes  pour 
la  garde  de  la  ville;  dans  cette  année  de  détresse,  on  avait  à 

*  «  Respondetur  quod  illa  sunt  frivola,  et  de  quibus  loqui  non  opportet.  » 
—  Plus  tard ,  on  accepta  ses  propositions  en  faveur  de  Berne ,  Fribourg  et 
Genève;  mais  l'acte  qui  en  fut  dressé  par  J.-Ami  Ourlet,  notaire,  resta 
secret  jusqu'en  J538.  Alors  Curtet,  devenu  premier  syndic,  le  fit  lui-même 
déclarer  illicite.  11  est  évident  que  Bonivard  ne  pouvait  pas  davantage  dis- 
poser de  son  prieuré  que  l'évêque  de  son  diocèse  ;  un  usufruitier  n'avait  pas  le 
droit  de  transférer  l'objet  dont  il  n'avait  que  la  jouissance.  Il  va  donc  sans  dire 
qu'à  la  réformation,  Genève  se  serait  emparée  du  prieuré  de  Saint-Victor  aussi 
bien  que  des  autres  couvents  situés  sur  son  territoire.  On  n'en  fit  pas  moins 
alors  à  Bonivard  une  forte  pension  ,  qui  aurait  pu  le  faire  vivre  très-agréa- 
blement sans  ses  goûts  dissipateurs. 


341 

diverses  reprises  dû  refuser  des  secours  analogues  el  même 
l'autorisation  de  se  faire  justice  eux-mêmes  à  des  Genevois  qui 
avaient  rendu  des  services  réels  à  la  communauté.  Bien  plus, 
on  venait  de  défendre  aux  citoyens  de  sortir  de  la  ville,  même 
pour  se  rendre  à  la  foire  de  Lyon.  Il  était  donc  du  devoir  des 
magistrats,  et  spécialement  du  capitaine  général,  de  refuser  pé- 
remptoirement, dans  un  pareil  moment,  une  demande  aussi  inso- 
lite et  aussi  imprudente,  faite  par  un  ecclésiastique  étranger,  dont 
lecar;ictère  et  la  conduite  ne  pouvaient  que  compromettre  davan- 
tage une  position  déjà  très-difficile.  On  trouva  cependant  moyen 
de  l'oltliger  inolïiciellemeni  en  permettant  que  celte  affaire  de 
Cartigny  fût  traitée  en  guerre  de  partisans  '.  La  conduite  en  fut 
laissée  à  un  certain  Bûtschelbach,  Bernois  très-entreprenant, 
que  sa  fidélité  à  la  religion  romaine  avait  fait  quitter  son  pays 
pour  Genève*.  Après  plusieurs  tentatives,  Bûtschelbach  parvint 

*  Nous  insistons  sur  ses  détails,  parce  que  les  historiens  qui  ont  eu  la 
naïveté  de  prendre  toutes  les  allégations  de  Bonivard  au  sérieux,  n'ont  pas 
manqué  de  reprocher  aux  magistrats  genevois  de  n'être  pas  immédiatement 
sortis  avec  toutes  les  milices  au  premier  appel  du  prieur.  Spon,  entre  autres, 
—  dont  l'histoire,  grâce  à  sa  confiance  aveugle  dans  les  CÂro/i/gî^es  de  Boni- 
vard, n'est  citée  aujourd'hui  que  parles  milliers  de  corrections  que  Gautier  a 
dû  y  apporter— Spon,  hrouillant  les  faits  et  les  dates,  semble  donner  à  eu- 
tendre  que  la  prudence  du  capitaine  général  Hugues ,  dans  cette  affaire, 
n'avait  d'autre  motif  que  «  de  faire  pièce  à  Bonivard,  »  et  qu'on  le  soupçonna 
«  avoir  été  d'intelligence  avec  les  ennemis  !  î  Insinuation  aussi  absurde  que 
fausse  et  injuste  ;  car  ce  fut  le  Conseil  et  les  principaux  Suisses  résidant  à 
Genève  qui  s'opposèrent  à  ces  sorties  en  masse,  et  si  Hugues  y  fut  person- 
nellement pour  quelque  chose,  c'est  qu'il  était  évidemment  de  son  devoir 
d'agir  ainsi,  tant  comme  syndic  que  comme  capitaine  général.  Sous  ce  rap- 
port, le  Journal  de  Balard  nous  donne  entièrement  raison,  p.  150.  Les  Ber- 
nois eux-mêmes  furent  très-irrités  de  ce  que  la  ville  prit  part  à  cette  affaire 
de  Cartigny ,  quand  même  elle  n'en  fit  qu'une  guerre  de  partisans.  Peu  de 
temps  après ,  le  Conseil  signifia  à  Bonivard ,  pour  un  autre  fait  du  même 
genre,  qu'il  aurait  à  quitter  la  ville,  s'il  continuait  à  se  livrer  à  des  actes 
d'hostilité  qui  pouvaient  la  compromettre. 

*  Bûtschelbach,  et  sa  famille,  était  venu  à  Genève  en  compagnie  de  Be- 
zanson  Hugues  (revenant  d'une  ambassade),  qui  l'annonça  à  son  beau-frère 
Baud  en  le  priant  de  lui  faire  prépare»'  logis  et  souper.  Plusieurs  autres  Ber- 
nois et  Fribourgeois  devaient  les  suivre.  (Voyez  Pièces  justificatives.) 

Tome  XI.  23 


342 

enfin  a  s'emparer,  au  snoins  temporairement,  dudil  château,  et 
même  à  s'en  justifier  devant  Messieurs  de  Berne,  qui  avaient  ex- 
pressément interdit  toute  voie  de  fait  pendant  les  négociations. 
Mais  ces  expéditions  et  les  épisodes  qui  les  accompagnèrent, 
entre  autres  la  capture  d'un  M.  de  Grenaud,  devinrent  aux 
diètes  suivantes  autant  de  nouveaux  griefs  amers  de  la  part 
du  duc  contre  les  Genevois,  qui  prétendaient  vainement  ne 
pas  s'en  être  mêlés  officiellement. 

Cependant  Messieurs  des  deux  villes  avaient  fixé  une  nou- 
velle diète  à  Payerne  pour  le  jugement  définitif  de  tous  les  dif- 
férends entre  le  duc  et  Genève.  Le  lecteur  s'étonnera  sans  doute 
de  ces  diètes  continuelles  et  de  la  nullité  de  leurs  résultats,  au 
moins  quant  au  sujet  principal;  mais  c'était  surtout  la  faute  de 
Charles  le  Bon^  dont  toute  la  politique  tendait  précisément  à  pro- 
longer cet  état  de  choses.  Dans  chacune  de  ces  diètes,  les  Gene- 
vois obtenaient  pleinement  satisfaction,  grâce  à  leur  bon  droit 
et  à  l'habileté  de  leurs  négociateurs,  de  Hugues  surtout.  Aussi 
les  J6sc/ietds  leur  élaient'ils  toujours  favorables.  Mais  comme  les 
griefs  des  deux  parties  étaient  chaque  fois  très-nombreux,  et 
souvent  de  nature  à  ne  pouvoir  être  facilement  éclairés  (no- 
tamment ceux  de  Son  Altesse),  il  restait  toujours  quelques  ar- 
ticles en  suspens  dont  le  duc  et  ses  gens  savaient  augmenter  le 
nombre  jusqu'à  ce  qu'une  nouvelle  diète  fût  devenue  néces- 
saire \  La  cause  restait  ainsi  pendante,  au  grand  avantage  des 
.Juges-Arbitres,  qu'il  fallait  payer;  et  le  duc  s'en  prévalait 
pour  conserver  sa  position  armée  autour  de  Genève  dans  le 

♦  Il  est  juste  de  dire  que  les  Genevois  donnèrent  bien  aussi  lieu  (.'à  et  là 
à  de  nouvelles  diflicullés  (comme,  par  exemple,  dans  l'affaire  de  Bonivard), 
au  grand  déplaisir  de  nos  alliés.  Mais,  le  plus  souvent,  ils  furent  accusés  in- 
justement. Cette  fois,  par  exemple,  les  ambassadeurs -ducaux  leur  repro- 
chèrent «  d'avoir  suborné  les  paysans  pour  non  payer  les  dîmes  et  pour  se 
«  donner  à  la  ville  de  Genève,  leur  promettant  faire  francs.  »  (Lettre  de  Ro- 
bert Vandel,  15  août  t52S.  )  Ils  leur  reprochèrent  aussi  d'avoir  percé,  avec 
des  épingles,  les  oreilles  des  enfants  des  paysans  de  Cartigny.  (Lettre  d'Ami 
Girard,  8  décembre  1528.) 


343 

but  de  réduire  cette  ville  par  la  famine  et  le  désespoir,  et  de 
provoquer  une  émeute  du  peuple  contre  les  magistnits.  Aussi 
les  efforts  des  eydguenots,  de  Hugues  et  de  Girard  surtout,  qui 
écrivirent  à  ce  sujet  plusieurs  lettres  pressantes,  tendaient-ils 
constamment,  autant  par  humanité  que  par  politique,  et  en  don- 
nant les  tout  premiers  le  bon  exemple,  a  mettre  les  frais  à  la 
charge  des  classes  aisées:  «  Nous  semble  que  ferez  bien  de 
c<  faire  un  rôle  des  plus  riches  de  la  ville,  tant  prêtres  que  au- 
«  très  (écrivait  Hugues,  fin  d'octobre  de  cette  même  année), 
«  et  que  chacun  nourrisse  un  homme,  ou  qu'il  lui  donne  un 
«  écu  par  semaine  ;  etpar  cemoven  soulagerez  votre  pauvre  peu- 
«  pie,  et  le  garderez  de  murmurer.  »  En  Suisse  même.  Char- 
tes III  dissipait  toutes  ses  ressources  en  moyens  de  corruption, 
pensant,  avec  assez  de  raison,  que  les  finances  genevoises,  rui- 
nées grâc(.'  à  lui,  ne  pourraient  soutenir  longtemps  celle  hon- 
teuse concurrence  dont  les  Suisses  avaient  tout  le  profit.  Il 
réussit  à  prolonger  ainsi  ce  singuher  stafu>  quo  pendant  plu- 
sieurs années,  mais  finit  par  devenir  lui-même  victime  de  ses 
combinaisons ,  et  cela  si  bien  que  ses  propres  sujets  changè- 
rent alors  son  nom  de  Ghailes  le  Bon  en  celui  de  Charles  le 
Malheureux.  Pour  le  moment ,  c'est  encore  au  premier  que 
nous  avons  affaire. 

Ami  Girard,  Robert  Vandel,  Michel  Sept  et  Boniface  Holfi- 
scher  furent  élus  députés  à  cette  nouvelle  diète  de  Payerne,  et; 
l'on  eut  soin  de  les  munir  d'une  bonne  somme  d'argent  pour 
combattre  les  arguments  du  duc.  Mais  celui-ci  prétendit  tout  à 
coup  qu'en  sa  qualité  de  vassal  de  l'empereur  et  de  vicaire  de 
l'empire,  il  ne  pouvait  se  soum.ettre  à  aucun  autre  tribunal.  Ce 
subterfuge  inattendu  ne  fit  qu'indisposer  les  deux  villes  contre 
lui,  Berne  surtout,  que  la  religion  commençait  a  brouiller  plus 
positivement  avec  la  Savoie.  11  est  même  probable  que  cette 
fois  les  Bernois  seraient  descendus  jusqu'à  Genève,  si  la  révolte 
des  paysans  de  l'Oberland  n'eût  exigé  le  déploiement  de  toutes 
leurs  forces  ;  toutefois  ils  écrivirent  au  duc  une  lettre  si  mena- 


3U 

çante,  qu'il  n'osa  profiter  de  cette  excellente  occasion  pour  ac- 
complir ses  desseins  sur  Genève.  Queliiue  temps  après  on  vit 
arriver  une  forte  bande  de  gens  du  Gessenay,  due  aux  efforts  de 
Boniface  Hofïischer.  Par  l'organe  de  Bezanson  Hugues,  on 
écrivit  alors  à  Messieurs  des  deux  villes  qu'on  allait  marcher 
contre  l'ennemi,  et  qu'on  requérait  les  secours  dus  en  vertu  de 
la  combourgeoisie\  Cependant  le  Conseil  des  CC  voulut  déléguer 
tous  ses  pouvoirs  à  un  Conseil  secret  de  douze  membres  pour 
mettre  plus  de  rapidité  dans  la  conduite  de  la  guerre  et  dans  la 
négociation  de  la  paix  ;  le  choix  tomba  sur  Bezanson  Hugues, 
JeanBaud,  Robert  Vandel,  Boniface  Hoftîscher,  Michel  Sept, 
Ami  de  Chapeaurouge.  Claude  Baud,  Pierre  Bienvenu,  Guillaume 
Hugues,  Jean  Coquet,  Jean  Phihppe  et  Benoit  Genod.  Hélas  !  à 
l'exception  de  deux,  fort  récents  dans  ce  parti,  ces  noms,  alors 
si  populaires,  devaient  ions  figurer  dans  les  listes  de  proscrip- 
tions d'une  prochaine  époque.  —  Au  moment  du  départ  de  l'ar- 
mée bernoise  pour  Inlerlaken,  Ami  Girard,  qui  était  venu  en- 
tendre la  messe  et  passer  «  le  bon  jour  de  Toussaint  »  à  Fri- 
boiirg,  écrivait  au  Conseil  :  «  Les  choses  sont  en  mauvais  vou- 
«  loir  de  tous  côtés.  Dieu  par  sa  grâce  y  veuille  donner  ordre! 
«  Si  n'avez  fait  les  processions,  serait  bon  que  les  fissiez  faire 
«  pour  la  prospérité  de  Messieurs  les  eydfjuenots^,  eic,  etc.  » 
Les  processions  demandées  furent  en  effet  ordonnées  le  jour 
même  de  la  réception  de  cette  lettre  (5  novembre),  générales 
dans  Sainl-Pierre  pendant  trois  jours,  ensuite  particulières  pen- 

*  Cette  fois,  les  Bernois  étaient  excusables  à  cause  de  leur  guerre  civile  ; 
mais  nullement  les  Fribourgeois,  qui,  désireux  de  voir  d'abord  l'issue  de  la 
dite  guerre,  répondirent  aux  Genevois  qu'ils  avaient  d'abord  à  s'occuper  de 
leurs  vendanges.  Toutefois ,  la  bourgeoisie  de  Fribourg  n'approuvait  point 
cette  excuse,  et  déclara  qu'au  besoin  elle  marcherait  à  notre  secours ,  malgré 
l'avis  du  Petit  Conseil. 

*  Une  nouvelle  ambassade,  dont  Bezanson  Hugues  était  le  chef,  venait  pré- 
cisément de  partir  pour  Berne  dans  les  derniers  jours  d'octobre.  Elle  fut 
arrêtée  en  chemin  par  la  nouvelle  de  la  révolte  de  l'Oberland,  et  dut  revenir 
sur  ses  pas.  (Voyez  Galiffe,  Matériaux,  II,  p.  553.  Lettre  de  Bezanson  Hugues, 
écrite  de  Nyon.) 


345 

<lanl  neuf  jours.  Au  resle,  les  catholiques  genevois  ne  furent 
pas  les  seuls  qui,  dans  cette  occasion,  placèn-nt  le  salut  de  la 
Confédération  helvétique  au-dessus  des  inlérêls  des  partis  reli- 
gieux: au  moment  où  plusieurs  cantons  catholiques  armaient 
ouvertement  ou  secrètement  pour  les  paysans  révoltés,  Mes- 
sieurs de  Lucerne  s'employaient  nohlemeiit  et  avec  succès  à  la 
pacification  de  celte  affaire,  qui  menaçait  la  Suisse  d'une  guerre 
civile  générale.  Les  prompts  succès  de  l'armée  bernoise  ne 
firent  qu'ajouter  encore  a  la  réputation  et  à  l'influence  de  la 
Suisse  entière';  mais  on  comprend  que  le  parti  luthérien  gene- 
vois en  fut  singulièrement  fortifié  et  enhardi.  La  conduite  ac- 
tuelle de  Pierre  de  la  Baume  ne  pouvait  du  resle  que  lui  fournir 
de  nouvelles  armes. 

Nous  avons  vu  que,  grâces  aux  insinuations  de  Robert  Van- 
del,  Pierre  de  la  Baume  av.iit  retiré  sa  confiance  à  Bezanson 
Hugues,  dont  les  lettres  continuaient  vainement  à  le  conseiller 
dans  le  sens  de  ses  véritables  intérêts.  Il  préférait  les  conseils 
de  Vandel,  lequel  cherchait  à  le  pousser  a  toutes  les  extrémités 
qui  pouvaient  le  brouiller  avec  la  ville,  tandis  que  ce  même  parti, 
tout-puissant  dans  les  conseils,  savait  inciter  ceux-ci  à  tout  ce 
qui  devait  déplaire  à  l'évêque.  C'est  ainsi  que,  dans  ie  courant 
de  celte  année,  on  emprisonna  des  officiers  épiscopaux  pour 
des  écarts  qu'il  eût  été  très-facile  d'arnmger  à  l'amiable.  «  Ils 
«  me  font  tout  plein  de  rudesses .  à  moi  ei  à  mes  officiers  et 
«  serviteurs  (écrit  l'évêque  à  son  chambrier  Guillaume  La 
«  Mouille,  déjà  en  mai),  dites-leur  hardiment  que  je  ne  l'en- 
0  durerai  point et  qu'ils  se  réduisent  à  leur  devoir;  autre- 
ment ils  se  trouveront  trompés  de  leur  entreprise.  Vous  avez 
«  été  assez  lent  à  m'avertir  de  leur  vouloir  et  de  Robert  Van- 
«  del  ;  il  a  dû  dire  des  paroles  de  moi  qu'il  n'appartient  point 

»  Les  lettres  de  nos  députés ,  celles  de  Girard  surtout ,  donnent  de  longs 
et  intéressants  détails  sur  cette  guerre,  sur  l'organisation  de  l'armée  bernoise, 
sur  son  entrée  triomphale  à  Berne ,  etc.  Il  faut  lii'e  ces  lettres  dans  Galiffe, 
Matériaux,  II,  fin  du  volume. 


346 

«  à  sujet  de  parler  de  son  seigneur.  »  Mais  ce  Guillaume  La 
Mouille,  son  principal  ogenl  à  Genève ,  se  laissait  alors  secrè- 
temenl  gagner  aux  nouvelles  doctrines,  et  par  conséquent  se 
gardait  bien  de  dénoncer  Vandel  et  ceux  de  son  parti.  Nous 
avons  déjà  vu  pourquoi  les  projets  de  combourgeoisie  de  l'évè- 
que  avec  Berne  n'avaient  pas  été  réalisés  ;  les  questions  du  vi- 
domnat  et  le  refus  de  lui  rendre  la  juridiction  civile  ne  purent 
que  l'indisposer  davantage.  Sans  doute,  il  était  dur  pour  Pierre 
de  la  Baume  de  se  voir  traité  avec  si  peu  de  ménagement  par 
les  Genevois,  pour  le  bien  desquels  il  s'était  brouillé  avec  la  mai- 
son de  Savoie  et  avait  perdu  deux  de  ses  bénéfices  ;  aussi  sa 
mauvaise  humeur  contre  Genève  augmentait-elle  avec  h  désir 
qu'il  avait  de  se  réconcilier  avec  Son  Altesse.  «  Tant  par  ce  que 
«  autres  laçons  de  faire  (écrivait-il  au  Conseil  en  juillet)  nous 
«  donnez  assez  à  connailre  que  voulez  que  vos  voloniés  soient 
<(  tenues  pour  loix  à  notre  cité;  ce  que  jamais  ne  permettrons, 
«  pour  chose  qui  nous  en  doive  advenir;  mais  a  l'aide  de  Dieu 
«  et  de  nos  bons  seigneurs  et  amis  y  résisterons;  et  en  mainte- 
'(  nant  notre  bon  droit  vous  ferons  entendre  que  sommes  votre 
«  prince  et  seigneur,  ayant  la  justice  et  jurisdiction  sur  vous, 
«  pour  punir  ceux  qui,  par  rebelHon  ou  autrement,  l'auront  mé- 
«  rite.  » 

Ce  qu'on  pouvait  reprocher  de  plus  grave  à  l'évéque,  c'était 
d'être  retombé  dans  son  ancienne  diplomatie,  de  se  tenir  au 
mieux  avec  les  partis  opposés  pour  profiter  de  l'un  et  de  l'autre 
selon  ses  intérêts.  Les  anciens  eydguenots  eux-mêmes  se  plai- 
gnaient hautement  de  ce  double  jeu,  et  ces  plaintes  lui  furent  plus 
sensibles  que  tout  le  reste.  Ami  Girard,  qui  se  laissait  faci- 
lement emporter  ',  s'écria  devant  les  autorités  suisses  en  pré- 


'  Cet  ardent  patrioto.  l'un  dos  {dus  distingués  par  ses  talents  et  son  in- 
struction, est  certainement,  après  Hugues,  celui  qui  sacrifiait  le  plus  de  temps 
à  nos  aCfaires;  il  était,  pour  ainsi  dire,  devenu  notre  résident  à  poste  fixe  dans 
les  deux  villes,  où  il  passa  toute  la  seconde  moitié  de  celte  année  1528.  Cet 
arrangement  avait  été  proposé  par  Bezanson  Hugues,  qui,  en  juin  1527,  avait 


347 

sence  du  procureur  fiscal  ManHallaz  :  «  Monseigneur  de  Genève 
«  nous  vent  brider  pour  nous  faire  chevaucher  par  M.  de  Sa- 
«  voye  !  »  L'évéque,  à  qui  ce  propos  et  d'autres  du  même  genre 
turent  rappoités,  en  eut  un  accès  de  colère  dont  on  retrouve 
la  mesure  dans  le  rapport  de  l'huissier  des  Comhes,  qui  était 
précisément  arrivé  ce  jour-la  à  h  Tour  de  May  :  «  D'où  es- 
tu?»  lui  demande  Tévèque  en  fureur;  —  «de  Genève.  »  — 
«  Tu  en  as  m(  nti,  et  vous  avez  changé  la  couleur  des  robes. 
«  Viens  çà!  Dis  à  ceux  de  Genève  qu'ils  sont  tous  traîtres, 
«  hommes,  femmes,  enfants,  petits  et  grands;  et  que,  avant 
«  que  soit  peu  de  temps,  je  ferai  faire  justice  dont  en  sera 
«  parlé  ;  et  dis-leur  qu'ils  ne  m'écrivent  plus  jamais  ;  car  tant 
«  que  j'en  rencontrerai  de  Genève,  je  les  ferai  mettre  à  mort; 
«  et  toi,  ôte-toi  d'ici!  »  A  peine  l'huissier  stupéfait  était-il  sorti 
qu'il  fut  rappelé,  et  i'évêque  ajouta  :  «  Fais  bien  la  relation  à 
«  ceux  de  Genève  comme  je  t'ai  dit,  et  leur  dis  (juc  aucuns  de 
«  Genève  ont  fait  relation  mauvaise  de  moi  en  Allemagne  (Suisse) 
«  dont  je  me  vengerai  bien.  «  Mais  chez  Pierre  de  la  Baume  les 
accès  de  colère  avaient  encore  moins  de  consistance  que  ses 
meilleurs  sentiments.  L'huissier  des  Combes  n'était  pas  encore 
à  mi-chemin,  que  I'évêque  repentant  envoyait  en  toute  hâte  son 
chambrier  Larpent  a  Genève  pour  faire  des  excuses  et  offrir 
son  amitié  à  la  ville  ;  mais  bien  nue  la  réparation  précédât 
ainsi  la  nouvelh^  de  l'insuhe,  le  coup  était  porté,  et  il  n'y  avait 
que  trop  de  gens  intéressés  à  en  tirer  tout  le  parti  possible. — Ce 
fut  peu  de  temps  après  que  I'évêque  retira  enfin,  et  pour  tout 
de  bon,  sa  confiance  à  Robert  Vandel,  le  principal  auteur  de  sa 
rupture  avec  Bezanson  Hugues  et  la  ville*.  Autant  le  tonde 

écrit  de  Berne  au  Conseil  :  «  Soyez  sûrs  qu'il  fait  besoin  d'avoir  toujours  ici 
€  un  homme  ou  deux ,  un  peu  ici ,  un  peu  à  Fribourg.  »  De  son  côté ,  Hanz 
Loupper,  bourgeois  de  Fribourg,  avait  proposé  dans  une  lettre  au  Conseil, 
16  novembre  1527  :  «  Me  semblerait  être  bon  d'avoir  en  votre  ville  de  cha- 
«  cune  ville,  deux  hommes,  pour  toujours  informer  Messieurs  de  la  vérité.  » 

♦  Vandel  avait  tenu  à  Berne  un  propos  tout  à  fait  analogue  à  celui  de  Gi- 
rard, au  sujet  de  I'évêque,  qui  le  lui  reprocha  dans  une  dernière  lettre,  en 


348 

Vandel  avait  été  jusqu  ici  obséquieux  et  insinuant  auprès  du 
prélat,  autant  il  devint  moqueur  et  méprisant  lorsqu'il  n'eut 
plus  à  le  ménager  :  c:  Ensemble  grosses  menaces  que  fait  notre 
«  prince  à  vous  et  tous  nous  autres, — écrivait-il  au  Conseil  le  20 
«  août,  — ce  n'est  pas  grosse  chose  :  les  têtes  sont  plus  fermes 
«  que  du  temps  de  l'évêque  Jean.  Si  ne  sera-t-il  lâché  un  point 
«  des  paroles  qu'il  dit  avoir  été  dites  au  Conseil.  Le  rapporteur 

«  a  failli  à  dire  la  vérité,  quel  fils  de  p qu'il  soit  *.  S'il  nous 

a  voulait  commencer  une  guerre,  ce  serait  notre  gros  profit  et 
«  honneur.  « 

Telle  n'était  cependant  point  l'opinion  des  anciens  ejdgue- 
nots,  restés  fidèles  à  la  foi  de  leurs  pères.  Ils  voulaient  con- 
server révoque  dans  toutes  ses  prérogatives ,  à  la  seule  excep- 
tion de  la  juridiction  civile.  Mais  ils  savaient  fort  bien  distin- 
guer, comme  sous  l'évêque  Jean,  entre  Tépiscopat  et  celui  qui 
était  temporairement  revêtu  de  cette  dignité.  Aussi,  lorsqu'ils 
virent  que  Pierre  de  la  Baume  était  devenu  l'ennemi  de  la 
ville,  tournèreni-ils  derechef  leur  vue  sur  l'ancien  élu  du  cha- 
pitre, Aymon  de  Gingins.  Sans  doute  il  est  aujourd'hui  très- 
aisé  d'accuser  en  cela  d'étroitesse  d'esprit  et  de  manque  de  pré- 
vision ces  patriotes  genevois,  dont  l'habileté  et  le  dévouement 
avaient  déjà  sauvé  leur  pays  en  tant  d'occasions;  mais  de  pa- 

ces  termes  :  «  Robert  Vandelli,  je  suis  été  averti  que  vous  étant  en  Berne  de 
«  la  part  de  mes  sujets  de  Genève,  avez  dû  porter  parole  à  MM.  du  dit  Berne 
«  de  moi,  disant  que  je  veux  chevaucher  l'un  et  mener  l'autre  en  main,  et 
«  que  ce  que  je  fesois  n'était  sinon  pour  faire  mon  profit,  non  pas  pour  le 

«  bien  de  mon  Eghse Si  vous  Tavez  dit  de  la  part  de  mes  dits  sujets 

<  ou  de  l'autre,  avertissez-moi  de  quelle  autorité  cela  a  été  dit;  car  vous  ni 
«  autre  ne  le  sauriez  avouer  ni  maintenir,  etc.  »  Sans  doute  ce  propos  de 
Vandel  n'était  alors  que  trop  vrai,  et  beaucoup  plus  juste  que  celui  tenu  par 
Girard.  Mais  il  dut  être  bien  sensible  à  Pierre  de  la  Baume  de  la  part  d'un 
pensionnaire  dont  il  écoutait  tous  les  conseils,  et  du  (ils  duquel  il  avait  fait  le 
compagnon  de  ses  propres  neveux,  ainsi  qu'on  peut  le  voir  pai-  ses  lettres  à 
Vandel  et  à  La  Mouille. 

»  C'est  le  procureur  fiscal  Mandallaz ,  l'un  des  pi'incipaux  ofliciers  de  l'é- 
vêque, que  Vandel  traite  de  cette  façnu. 


349 

reils  reproclies  indiqueiu  une  bien  pauvre  connaissance  des 
circonstances  dans  lesquelles  Genève  se  trouvait  alors.  El  d'abord 
le  parli  protestant  n'y  existait  encore  qu'à  l'élal  de  conspiration 
occulte.  Parmi  ceux  qui  le  composaient,  aucun  n'osait  s'en 
vanter,  et  bien  moins  faire  des  propositions  de  conversion  qui 
auraient  excité  l'indignation  des  neuf  dixièmes  de  la  ville.  Mais 
même  en  supposant  que  la  conversion  aux  nouvelles  doctrines 
eût  été  déjà  alors  assez  générale  pour  permettre  un  changement 
officiel,  comme  celui  qui  venait  d'avoir  lieu  a  Berne,  quelle  eût 
été  la  position  de  cette  petite  république  protestante  anticipée, 
au  milieu  des  États  ennemis  et  très-catlioliques  qui  l'entouraient 
de  tous  côtés?  Qu'aurait-elle  pu  faire  sans  les  Fribourgeois  («ses 
premiers  pères  et  protecteurs,»  comme  elle  les  appelait),  qui  de 
ses  seuls  véritables  amis  seraient  devenus  ses  ennemis?  El, 
sans  eux,  de  quel  secours  aurait  pu  nous  être  alors  le  can- 
ton de  Berne,  dont  on  n'obtenait  jamais  rien  sans  l'aide  et 
l'initiative  de  messieurs  de  Fribourg,  et  qui  était  séparé  de  nous 
par  le  pays  de  Vaud,  alors  entièrement  ducal.  Enfin  ce  serait 
bien  mal  connaître  ks  Bernois  de  l'époque  et  leur  politique 
(nous  ne  le  verrons  que  trop)  que  de  s'imaginer  qu  au  milieu  de 
leurs  propies  embarras  ils  eussent  consenti  à  défendre,  à  titre 
d'alliée  ou  par  pure  sympathie  religieuse,  une  ville  sans  terri- 
toire, située  à  trois  journées  de  marche  forcée  de  leur  frontière. 
N'étaient-ils  pas  toujours  les  premiers  à  nous  rappeler  que  nous 
étions  sujets  et  non  canton,  lors  de  la  conclusion  de  la  bour- 
geoisie? Dépendre  entièrement  et  uniquement  de  Berne,  eût 
été  évidemment  se  mettre  h  sa  merci,  <  t  se  mettre  à  la  merci 
de  Berne,  c'était  devenir  sa  vassale,  état  de  chose  abhorré  des 
Genevois  et  auquel  ils  avaient  su  échapper  de  tout  temps  sous 
la  suzeraineté  plus  honorifique  que  réelle  de  leurs  prélats,  prin- 
ces de  l'empire,  combinaison  qui,  d'après  les  idées  du  temps, 
suffisait  pour  décupler  l'importance  relative  de  cet  état  micros- 
copique. 


350 

VI 

(1529.  1530) 

L'année  1529  souviii  par  un  évéuemeul  assez  giave.  Le 
!«'  janvier  M.  de  Poiitverre,  chef  des  chevaliers  de  la  Cuil- 
ler, et  par  conséquent  le  plus  cruel  ennemi  des  Genevois, 
osa  traverser  la  ville  de  grand  malin  pour  aller  passer  le  jour 
de  l'an  a  Nyon  avec  ses  amis  du  pays  de  Vaud,  et  combiner 
avec  eux  de  nouvelles  trames  contre  la  ville.  Il  insulta  en  pas- 
sant le  portier  de  Saint-Gervais  qui  ne  lui  ouvrait  pas  assez 
vite,  et  lui  tint  les  propos  les  plus  méprisants  sur  la  ville.  Le 
soir,  à  son  retour,  on  le  reconnut  facilement  à  sa  tenue  et  à  ses 
paroles  outrecuidantes  ';  hué  et  poursuivi  sur  le  pont  du  Rhône, 
il  sauia  à  bas  de  son  cheval,  traversa  rapidement  la  place  de 
Bel-Air,  se  jeta  dans  l'allée  de  la  maison  de  Versonuex,  et  de  là 
dans  la  chambre  et  sous  le  lit  d'un  fournier;  à  ce  moment  il  fut 
atteint  par  Ami  Bandières  qui,  après  une  courte  lutte  dans  la- 
(juelle  il  fut  blessé,  le  tua  d'un  coup  de  poignard.  Ami  Girard, 
qui  se  trouvait  par  hasard  sur  les  lieux,  intervint  à  temps  en 
faveur  des  gens  de  la  suite  de  Ponlverre  et  réussit  à  les  sauver. 
Le  Conseil  se  transjiorta  sur  les  lieux  pour  faire  ostensiblement 
une  enquête  judiciaire,  et  pour  empêcher  surloiit  qu'une  enquête 
semblable  ne  se  fit  par  le  procureur  fiscal  sur  un  ordre  du  vi- 
caire. On  ne  manqua  pas  de  crier  à  l'assassinat,  mais  bien  mal 
à  propos  à  notre  avis.  Le  père  du  dit  Ponlverre  avait  déjà  été 

'  Hohert  Vandol  raconte,  dans  une  leUre  du  1 1  janvier,  que  M.  de  Pont- 
viMi-e  frappa  de  son  épéc  un  passant  inoffensif  à  la  tête,  en  criant:  «  Sang 
Dieu  !  il  nous  en  faut  tuer  de  ces  traîtres  !  »  Par  contre ,  les  ambassadeurs 
ducaux  donnaient  une  version  inverse ,  et  prétendaient  que  c'était  Robert 
Vandel  qui  avait  porté  le  coup  mortel ,  assertion  dont  celui-ci  n'eut  pas  de 
peine  à  prouver  la  fausseté. 


351 

l'ennemi  de  Genève;  et  en  1519  celui-ci  avait  souillé  son  bla- 
son en  se  prêtant  directement  à  l'assassinat  juridique  de  Ber- 
iheiier.  tout  près  de  la  place  où  il  devait  périr  lui-même.  Dès 
lors,  c'est-a-dire  depuis  dix  ans,  il  s'était  signalé  comme  l'en- 
nemi le  plus  acharné  de  Genève  et  des  Genevois,  en  sa  qualité 
de  chef  de  cette  confrérie  de  la  Cuiller  qui  n'avait  d'autre  mo- 
bile que  sa  haine  aveugle  contre  Genève.  Il  est  vrai  que  les  ex- 
ploits de  ces  preux  chevaliers  s'étaient  bornés  à  rosser  les  pay- 
sannes qui  allaient  aux  marchés  de  Genève,  à  piller  les  pro- 
priétés des  Genevois  situées  sur  territoire  ducal,  à  tra'juer  nos 
ambassadeurs  sans  oser  ou  sans  pouvoir  les  atteindre,  à  inter- 
cepter les  correspondances,  à  piller  les  marchands  voyageurs,  à 
tuer  quelques  pauvres  diables  inoffensifs  e\  sans  armes,  à  en 
jeter  quantité  d'autres  dans  des  cachols  et  surtout  h  proférer 
beaucoup  de  vaines  fanfaronnades  qui,  même  de  nos  jours,  pas- 
seraient pour  peu  chevaleresques.  Mais  la  conspiration,  le 
mauvais  vouloir  et  les  assassinais  n'en  existaient  pas  moins.  Ce 
jour  même,  M.  de  Pontverre,  escité  par  le  vin  de  la  Côte, 
avait  poussé  l'impudence  jusqu'à  insulter  et  frapper  du  haut  de 
son  cheval  un  des  habitants  de  cette  ville  qu'il  avait  tant  de 
fois  menacée  de  mettre  a  feu  et  à  sang.  On  trouva  sur  lui  les 
preuves  d'un  prochain  complot  de  ce  genre.  Il  n'eut  donc  que 
ce  qu'il  méritait  ;  et  nous  avons  la  conviction  qu'en  cela  ses  il- 
lustres aïeux  de  Pontverre  ot  de  Ternier,  auprès  desquels  il  fut 
enseveli  au  couvent  de  Rive,  eussent  été  du  même  avis.  On  en- 
voya en  touie  hâte  Robert  Vandel^  et  Jean  Lullin  (hôte  de 
l'Ours)  a  Berne  et  a  Fribourg  pour  y  rendre  compte  de  cet 
événement,  qui  allait  grossir  la  liste  des  giiefs  de  Son  Altesse. 
Cl  s  malheureux  députés  auraient  infailliblement  été  massacrés 
par  les  gentilshommes  de  la  Cuiller,  si  de  Lausanne  on  ne  fût 
accouru  à  leur  secours. 

'  Celui-ci,  qui  ne  se  faisait  pas  illusion  sur  le  danger  auquel  il  allait  s'ex- 
poser, avait  d'abord  refusé  sa  nomination,  qu'on  lui  fit  néanmoins  accepter 
moyennant  une  bonne  gratification. 


352 

Furieux  de  la  moit  de  leur  chef,  les  chevaliers  de  la  Cuil- 
ler juraient  plus  fort  que  jamais  de  tuer  tous  les  Genevois  qui 
leur  tomberaient  entre  les  mains.  Ceux-ci  pressaient  messieurs 
des  deux  villes,  aux  termes  de  lacombourgeoisie,  damener  enfin 
une  armée  à  même  d'en  finir  une  fois  pour  toutes ,  ajoutant 
qu'ils  aimeraient  mieux  tous  mourir  que  de  languir  plus  long- 
temps dans  un  état  aussi  précaire.  Mais  les  Bernois ,  qui  ne 
voulaient  pas  encore  se  brouiller  avec  le  duc ,  proposèrent  une 
nouvelle  diète  et  recommandèrent  en  attendant  la  iranquiihte 
la  plus  absolue.  Bezanson  Hugues  étant  malade,  le  Conseil  se 
transporta  chez  lui  pour  prendre  son  avis,  qui  fut  de  n'accepter 
aucune  diète  sur  les  lerres  ducales,  et  uexiger  que  Charles  III 
pavât  d'abord  les  frais  auxquels  il  avait  élé  condamné  par  les 
diètes  précédentes.  En  attendant,  les  troupes  ducales  qui  cer- 
naieni  Genève  préparaient  une  attaque  générale  ei  vinreni  trois 
nuits  de  suite  sous  les  murs  de  la  ville.  Elles  occupèrent  même 
les  faubourgs.  On  fui  obligé  d'empêcher  le  clergé  de  sonner 
de  nuii  les  cloches  qui  couvraient,  peut-être  à  desssein,  les  cris 
des  sentinelles.  Au  lieu  de  l'armée  des  deux  villes  qu'on  denian- 
dail  vainement  depuis  près  de  trois  ans,  l'on  vit  comme  toujours 
arriver  des  Suisses  égrenés,  sans  aucun  mandai,  voire  même 
sans  permission  de  leurs  supérieurs,  qui  nous  le  reprochèrent 
vertement'.  Encore  n'aurait-on  su  comment  les  payer  si  Jean 
Lévrier,  digne  de  son  père  Pierre  et  de  son  frère  Ami,  n'en  avait 
sponianément  fourni  les  moyens  en  véritable  eydguenot  de  la 
vieille  roche". 

'  On  pouvait  dire  de  plusieurs  d'eulre  eux,  «  qu'on  les  avait  fait  venir 
d'Amiens  pour  être  Suisses.  »  Voici  C(;  que  Bezanson  Hugues  et  ses  collègues 
écrivaient  de  Fribourg  à  leur  sujet,  le  22  février  :  «  Le  seigneur  Levenstin, 
«  présent  porteur,  a  charge  de  Messieurs  de  cette  ville  de  faire  retirer  de 
«  Genève  un  tas  de  coquins  qui  ne  valent  guère ,  pour  éviter  dispense  (  dé- 
«  pense),  et  sont  la  plupart  de  Savoie.  Pourquoi  ne  vous  en  troublez  point, 
«  mais  tenez  ça  bon  et  toujours  sagement  et  par  bon  conseil,  et  donnez  l)on 
«  ordre  que  les  compagnons  qui  vous  demeurei'ont  soient  bien  traités.  » 

•  C'était  eux  toujours  qui  étaient  prêts  à  tous  les  sacrifices.  Ce  fut  ainsi 
que  l'ancien  syndic  Ramel  offrit,  celle  année,  cent  coupes  de  blé  à  un  prix 
relativement  très-réduit,  à  cause  de  la  cherté  des  subsistances. 


353 

Cependant  la  ville  n'en  restait  pas  moins  sans  un  sou  vail- 
lant. Vu  la  proximité  de  l'église  de  Noire-Dame-de-Grâces  des 
(rontières  dm  aies,  quelques  citoyens  secrètement  réformés  sug- 
gérèrent au  Conseil  l'idée  de  retirer  les  ornements  en  vermeil 
et  en  argent,  ot  les  reliques  de  la  dite  église,  ce  dont  ils  furent 
aussitôt  ofticiellemenl  chargés;  25  marcs  d'argent  furent  ainsi 
déposés  aux  archives  contre  inventaire  et  reçu;  les  plus  ardents 
catholiques  ne  virent  là  qu'une  mesure  de  sûreté.  Peu  après  la 
grande  croix  d'argent  qui  faisait  partie  de  ce  trésor  fut  mise  en 
gage,  et  cela  se  concevait  encore.  Le  premier  soin  des  capitaines 
suisses,  qui  élaien!  venus  au  secours  de  la  ville  avait  été  de  se 
faire  adjuger  une  somme  fort  ronde  pour  eux  et  leurs  gens; 
mais  ce  n'était  là  qu'un  léger  à-compte,  car  de  jour  en  jour  le 
trésorier  recivait  l'ordre  de  leur  livrer  de  l'argent.  En  somme, 
ces  soldats  coûtèrent  beaucoup  et  ne  servirent  à  rien;  de  Berne 
et  de  Fribourg  on  ne  cessait  de  non?  défendre  d'en  faire  usage; 
à  diverses  reprises  ces  mercenaires  empêchèrent  même  les  Ge- 
nevois, déjà  sous  les  armes,  de  sortir  de  la  ville  pour  marcher 
contre  l'ennemi,  qui,  devant  leur  courage  désespéré,  aurait 
probablement  été  défait  comme  il  le  fut  presque  chaque  fois  plus 
tard  dans  des  circonslances  analogues  *.  Tout  en  se  faisant  riche- 

•  Par  contre  on  alla  piller,  à  Cologny,  laiBaison  de  noble  André  Guat,  bour- 
geois de  Genève  et  de  Lausanne,  émigré  du  parti  ducal.  Il  ne  s'agissait  d'abord, 
d'après  les  ordres  les  plus  précis  du  Conseil,  «  que  de  prendre  l'artillerie  qui 
devait  s'y  trouver,  sans  toucher  à  autre  chose  (rébus  omnibus  aliis,  mobili- 
bus  exemptis  et  non  tangendis).»  Mais  comme  Baudichon  de  la  Maisonneuve 
et  sa  séquelle  se  trouvaient  de  l'expédition,  il  ne  resta  dans  cette  maison  ni 
clou  ni  cheville;  tout  fut  brisé  ou  pillé.  Toutefois,  comme  le  propriétaire  était 
un  homme  d'une  certaine  importance ,  Messieurs  des  Ligues  prirent  dans 
cette  occasion,  comme  dans  d'autres,  chaudement  son  parti,  et  forcèrent  les 
syndics  à  se  faire  restituer  les  effets  volés.  L'oncle  maternel  de  cet  André 
Guat,  No.  Louis  Festi,  petit-fds  du  vidomne  Nicod  Festi,  avait  fait  la  guerre 
à  la  ville  et  même  au  duc  de  Savoie,  en  1490,  ce  qui  explique  l'existence  de 
cette  artillerie  chez  un  particuli(!r,  à  une  époque  où  elle  était  encore  si  rare 
chez  les  princes. —André  Guat,  allié  de  Versonnex,  fils  du  syndic  André  Guat- 
Festi  (fils  lui-même  du  syndic  Guichard  Guat-de  Fer>  était  l'oncle  maternel 
des  enfants  mineurs  de  feu  François  Galilfe,  qui  avait  épousé  sa  sœur  Sté- 


354 

ment  payer,  ces  soldais  suisses  prétendaient  ne  rien  pouvoir 
entreprendre  avant  l'arrivée  des  ambassadeurs  des  cantons  de 
Berne,  Fribouig,  Zurich  et  Bâle.  —  Ces  derniers  arrivèrent 
enfin,  et  proposèrent  des  conférences  à  Saint-Julien.  Les  Gene- 
vois refusèrent  d'abord  nettement  de  traiter  sur  territoire  ducal. 
De  son  côté  Charles  le  Bon,  auquel  les  gentilshommes  de  la 
Cuiller  avaient  communiqué  leur  ardeur  belliqueuse,  était  moins 
que  jamais  (iisposé  à  la  paix;  jamais  d'ailleurs  il  ne  s'était 
trouvé  à  la  tête  d'une  armée  aussi  redoutable  et  aussi  bien  dis- 
posée. Les  circonstances  lui  étaient  cette  fois  singulièrement 
propices,  car  les  Suisses  voulaient  éviter  la  guerre  à  tout  prix. 
Bezanson  Hugues  avait  été  nommé  ambassadeur  en  Suisse  avec 
Jean  Philippe  et  Jean  LuUin,  pour  conjurer  messieurs  des  deux 
villes  de  lâcher  leurs  éternelles  et  vaines  négociations  et  venir 
enfin  une  bonne  fois  au  secours  de  la  ville,  qui  allait  succom- 
ber sous  ses  charges  aussi  bien  que  sous  l'ennemi  ' .  Ces  mes- 
sieurs répondirent  que  cela  ne  dépendait  pas  d'eux,  attendu 
qu'ils  n'étaient  eux-mêmes  pas  trop  unis  entre  eux  (atlentô 
quod  ipsi  domini  in  presentiarum  non^sunl  mullum  uniti').  A 


phanie,  remariée  ensuite  au  conseiller  Perrin  Peyrolier,  également  du  parti 
ducal,  et  dont  il  sera  question  plus  tard.  Tant  par  ces  circonstances  que  par 
les  antécédents  de  la  famille  Galiffe,  toute  la  parenté  de  celle-ci  se  trouvait 
alors  dans  la  noblesse  savoyarde,  ou  parmi  les  Genevois  du  parti  ducal  (de  Fer, 
du  Saix,  de  Pitigny,  de  Marcleys,  de  Jutigninge,  Festi,  de  Versonnex,  Bolo- 
mier,  de  Pesmes,  de  Veygy,  de  Liga ,  Barrai,  etc.,  etc.).  La  proscription 
de  toutes  ces  familles  aurait  pu  entraîner  l'émigration  forcée  des  Galiffe , 
comme  ce  fut  le  cas  pour  quantité  de  familles  placées  dans  des  circonstances 
analogues  et  qui  n'avaient  de  ducal  que  leurs  relations.  Fort  heureusement 
que  la  proscription  et  la  fuite  de  ces  familles  laissèrent  dans  l'isolement  ces 
enfants  Galiffe,  qui,  par  cela  même,  ainsi  que  par  leur  alliance  avec  les  Taccon 
et  les  Pictet,  devinrent  très-vite  bons  Genevois  ;  car  l'aîné,  Pierre,  fut  ensuite 
membre  du  Conseil  des  CC. 

*  A  leur  retour  ils  apprirent  à  Lausanne  que  les  chevaliers  de  la  Cuiller 
comptaient  les  enlever  ;  aussi  fut-on  obligé  d'envoyer  des  troupes  jusqu'à 
Lausanne  pour  les  accompagner  à  Genève. 

"  On  voit  par  une  lettre  de  Domaine  Franc,  i  i  avril  1529,  que  les  Bernois 
venaient  de  mettre  trente-quatre  bourgeois  hors  du  Conseil  des  CC. 


355 

Genève  même  nous  n'étions  guère  plus  unis.  Des  gros  mots  les 
parlis  en  étaient  venus  aus  coups  sans  seulement  se  rendre 
bien  compte  de  ce  qu'ils  se  voulaient.  On  était  a  la  Saint-Pierre. 
La  pauvre  Genève  ne  trouva  d'autre  ressource  que  d'ordonner 
des  processions  générales  en  l'honneur  de  son  patron,  «  pour 
obtenir  son  intercession  auprès  de  Dieu,  afin  qu'il  accordât  son 
secours  contre  les  onnen)is'.  »  Fort  heureusement  qu'après  un 
mois  de  pourparlers  les  ambassadeurs  des  quatre  cantons  réus- 
sirent à  conclure  avec  le  duc  une  sorte  de  traité  qu  on  appela 
l'arrêt  de  Saint-Julien  et  qui  remédia ,  au  moins  momentané- 
ment, à  une  partie  des  maux.  Charles  Ilï  paya  sa  part  des  frais, 
700  écus  (soit  environ  32,000  fr.),  aux  Suisses,  qui  coûtèrent 
bien  davantage  à  la  ville.  Toutefois,  celle-ci  reçut  des  ambassa- 
deurs la  moitié  de  celte  somme,  c'est-à-dire  qu'elle  fut  défalquée 
de  ce  qui  leur  était  dû.  Genève  garda  deux  commissaires  de  Berne 
et  de  Fribourg  pour  veiller  a  l'exécution  des  articles  de  la  paix  et 
faire  le  rapport  des  contraventions  à  leurs  gouvernements  res- 
pectifs ^  Pour  s'acquitter  envers  les  Suisses,  on  continua  à 
vendre  à  vil  prix  les  biens  des  mamelucs  émigrés.  La  plupart  des 
acheteurs  étant  Suisses  eux-mêmes,  ceux-ci  firent  ainsi  une  foule 
d'excellentes  spéculations.  Ils  obtinrent  aussi  pour  leurs  proté- 
gés les  canonicats  vacants.  Ce  fut  ainsi  que  l'on  reçut  successive- 
ment chanoines  de  Saint-Pierre  ....Mever  et  Conrad  Wulleman, 

•  Un  exemple  fera  comprendre  combien  les  Suisses  redoutaient  alors  la 
guerre.  Une  douzaine  de  Fribourgeois  étant  allé  se  promener  du  côté  de  Gail- 
lard ,  sans  autres  armes  que  leurs  bâtons ,  c'est-à-dire  leurs  épées ,  furent 
attaqués  par  plus  de  soixante  cavaliers  savoyards,  qui  en  tuèrent  dix.  En  ap- 
prenant cette  nouvelle,  le  Conseil  voulut  immédiatement  faire  marcher  toute 
la  milice,  avec  l'artillerie,  poiu'  venger  la  mort  de  leurs  comljourgeois.  Mais 
les  ambassadeurs  suisses  eux-mêmes  préférèrent  que  la  chose  fut  assoupie. 
Balard  n'est  pas  tout  à  fait  d'accord  avec  les  Registres  sur  le  nombre  des 
Fribourgeois. 

*  Balard  nous  apprend  que  ces  Messieurs,  qui  n'avaient  d'autre  pouvoir 
que  de  faire  des  rapports,  coûtèrent  à  la  ville  100  écus  par  mois  (environ 
4,600  fr.),  «  et  par  ainsi  la  cité  de  Genève  estait  mangée  et  maltraitée  de  tons 
coustez.  » 


356 

de  Berne,  Pierre  Werli,  Pierre  Boulard.  dit  le  curé  Curlion,  ei 
Antoine  Krummenstoll  de  Fribourg,  au  grand  déplaisir  des  frè- 
res Vandel  qui,  bien  que  tous  secrètement  protestants,  pos- 
tulaient un  canonicat  pour  leur  frère  Thomas,  curé  de  Saint- 
Germain,  auquel  on  préféra  ensuite  Bonivard;  mais  on  indem- 
nisa Thomas  Vandel  sur  la  cure  de  la  Madeleine  pour  sa  perte 
de  certains  bénéfices  séquestrés  par  le  duc. 

La  paix  étant  censée  faite  défînitivemeni  par  l'arrêt  de  Saint- 
Julien,  on  licencia  700  Fribourgeois  et  154  Bernois,  qui  furent 
très-largement  payés  pour  n'avoir  rien  fait.  Quoiqu'on  man- 
quât de  tout  à  Genève,  ils  n'avaient  pas  voulu  entendre  parler 
d'aller  prendre  leurs  quartiers  en  pays  ennemis  ;  et  leurs  supé- 
rieurs des  deux  villes  ne  cessaient  depuis  Berne ,  Fribourg  et 
Saint-Julien  de  nous  défendre  de  rien  i'utreprendre  avec  eux 
hors  des  murs  de  la  ville ,  traitant  de  violation  de  la  paix  et  de 
la  combourgeoisie  jusqu'aux  moindres  disputes  personnelles  qui 
étaient  inévitables  dans  l'élal  des  choses,  en  face  d'un  ennemi 
qui  nous  provoquait  jour  et  nuit  '.  Le  seul  Biitschelbach,  celte 
espèce  de  condottiere  que  Bonivard  avait  employé  pour  ses 
bénéfices  de  Carligny,  reçut  on  outre  cent  gelinottes  et  une 
quantité  de  linge  et  d'autres  effets  pris  aux  mamelucs,  à  distri- 
buer à  sa  bande.  Pour  en  finir  avec  lui,  nous  dirons  qu'il  resta 
encore  quelque  temps  à  Genève  en  qualité  de  commissaire. 
Quoique  grassement  récompensé,  il  se  plaignit  de  n'avoir  pas 
assez  reçu,  et  produisit  au  Conseil  un  compte  si  exorbitant,  que 
celui-ci  résolut  de  le  faire  régler  par  messieurs  île  Berne.  Biit- 
schelbach répondit  alors  insolemment  qu'il  viendrait  prendre 
son  paiement  avec  des  troupes.  Il  se  retira  à  Fribourg,  où  il 

•  Les  Bernois  surtout  étaient  toujours  tlisposts  à  donner  tort  aux  Gene- 
fois.  C'est  ainsi  qu'ils  leur  reprochèrent  vertement,  en  avril  1529,  «  d'avoir 
été  faire  un  banquet  hors  de  ville ,  où  ils  avaient  mangé  du  papet  avec  des 
cuillers,  en  dérision  des  gentilshommes  de  la  Cuiller,  en  faisant  chansons  en- 
contre eux  pour  moquerie,  etc.  t  Ils  terminaient  toutes  leurs  lettres  de  ce 
genre,  en  nous  menaçant  a  de  se  déporter  entièrement  de  nos  affaires.  » 


357 

insulta  le  député  Jean  Lullin,  et  devint  dès  lors  l'ennemi  juré 
des  Genevois  ' . 

Ou  comprend  bien  que  la  présence  des  derniers  ambassa- 
deurs suisses,  parmi  lesquels  trois  cantons  protestants  étaient 
représentés,  n'avait  pu  qu'augmenter  à  Genève  le  nombre 
des  partisans  de  la  réforme.  A  vrai  dire  aucun  d'eux  n'avait  en- 
core osé  faire  acte  public  de  luthéranisme;  mais  ils  s'enten- 
daient secrètement  entre  eux  dans  toutes  les  questions  qui  pou- 
vaient intéresser  leur  parti.  Leurs  assemblées  mystérieuses 
attirèrent  souvent  l'attention  des  magistrats.  Ils  réussirent  ainsi 
à  pousser  peu  à  peu  aux  affaires  plusieurs  citoyens  complète- 
ment inconnus  ou  connus  seulement^par  leurs  antécédents  dans 
la  bande  des  vauriens-tapageurs,  tels  que  Jean  d'Arlod,  Claude 
Bernard,  Henri  Dolens,  etc.,  etc.  Ce  dernier  fut  nommé  geôlier 
de  la  prison  de  l'Ile  où  il  aurait  mérité  (et  mérita  mainte  fois  encore) 
d'être  enfermé  le  tout  premier.  Les  élections  au  syndicat  s'étaieut 
elles-mêmes  ressenties  de  ces  dispositions,  bien  que  le  CC  les 
eût  fait  précéder  du  serment  solennel  d'élire  selon  sa  conscience. 
On  avait  nommé  Ami  Girard,  Robert  Vandel,  Benoit  Genod  et 
Michel  Sept.  De  ces  quatre,  Girard  était  le  seul  qui  fut  sincè- 
rement catholique;  mais  son  caractère  emporté  ne  le  disposait 
que  trop  à  l'adoption  des  moyens  extrêmes,  auxquels  le  parti 
protestant  poussait  de  toutes  ses  forces  pour  amener  la  révolu- 
lion  désirée.  Girard  était  d'ailleurs  par  les  de  Pesmes  proche 
parent  de  M.  de  Diesbach  de  Berne.  Le  Conseil  des  CC  s'adju- 
gea, dès  cette  année,  la  mission  de  nommer  au  Conseil  étroit, 
et  élimina  quatre  anciens  conseillers.  La  majorité  de  ces  deux 

*  Voici  ce  que  Hugues  Vandel  écrivait  de  Fribourg  à  son  frère  Robert,  le 
11  mai  1530,  au  sujet  de  Biitschelbach  :  «  Le  dit  Pisebelbach  a  dit  secrète- 
«  ment  à  un  homme  de  bien,  que  si  Messeigneurs  ne  lui  paient  deux  ou  trois 
€  cents  écus  qu'ils  lui  doivent ,  que  le  premier  qu'il  rencontrera  de  Genève ,  il 
«  lui  mettra  un  collier  de  fer  au  col  que  l'on  ne  pourra  ôter  facilement,  et  a  dit 
«  que  je  pourrais  être  le  premier,  car  j'étais  un  mauvais  chat,  et  tout  luthé- 
«  rien,  etc. ,  etc.  »  Il  ne  faut  pas  oublier  que  Butschelbach  avait  quitté  Berne 
pour  la  religion. 

Tome  XL  24 


358 

corps  était  àèp  secrètement  réfermée,  tout  en  continuant  à  pra- 
tiquer le  catholicisme. 

L'arrêt  de  Saint-Julien,  qu'on  avait  pris  assez  au  sérieux  pour 
licencier  les  troupes,  avait  été  rendu  dans  les  premiers  jours  de 
mars.  Dès  le  2  ï  du  môme  mois  il  fallut  derechef  se  préparer  à  re- 
pousser un  assaut  des  gentilshommes  de  la  Guilier,  qui  amenèrent 
en  effet  10,000  hommes  sous  les  murs  avec  de  l'ariillerie  et 
des  échelles  d'escalade.  Heureusement  qu'on  réussit  à  mettre 
la  main  sur  leurs  espions,  et  que  l'un  des  principaux  chefs  fit 
défaut  ainsi  que  sa  troupe,  ce  qui  les  fit  renoncer  à  leur  entre- 
prise, mais  nullement  aux  assassinats,  emprisonnements  et  vio- 
lences de  toutes  espèces  qu'ils  commettaient  autour  de  Genève, 
et  qui,  à  vrai  dire,  n'avaient  jamais  cessé,  même  pendant  qu'on 
négociait  a  Saint-Julien.  Les  faubourgs  et  les  campagnes  des 
citoyens  genevois  en  souffrirent  d'autant  plus. 

L'ancien  parti  national  fit,  dans  le  même  mois  (19  mars),  une 
perte  bien  douloureuse  dans  la  personne  du  conseiller  Jean 
Baud,  ancien  svndic,  capitaine  en  chef  de  l'artillerie  de  la  ville, 
beau-frère  de  Bezanson  Hugues,  dont  il  était  l'ami  et  le  soutien  le 
plus  dévoué.  De  tous  les  anciens  eydguenots ,  c'était  celui  qui 
avait  fait,  après  Hugues,  le  plus  de  sacrifices  réels  à  la  cause  de 
l'indépendance.  La  combourgeoisie  avec  Berne  et  Fribourg  avait 
été  payée  de  leurs  propres  deniers  ;  non-seulement  ils  n'avaient 
jamais  rien  réclamé  pour  leurs  frais  d'amb;issades,  mais  ils 
avaient  dépensé  en  outre  des  sommes  considérables  en  cadeaux 
et  en  pots  de  vin  aux  Suisses  les  p!us  influents.  On  voit  même, 
par  leur  correspondance  mutuelle,  que,  dans  certaines  occasions 
difficiles  ou  compliquées ,  ils  s'étaient  chargés ,  d'un  commun 
accord,  —  à  leurs  frais,  et  sans  en  dire  un  mot,  —  de  dépen- 
ses ou  de  démarches  devant  lesquelles  les  Conseils  avaient  re- 
culé ou  dont  ils  ne  pouvaient  se  mêler  officiellement'.  C'était 
pour  la  communauté  une  perle  d'autant  plus  douloureuse  que 

*  Voyez  Galiffe,  Matériaux,  II,  p.  387,  note  3. 


359 

les  hommes  de  cette  trempe  devenaient  toujours  plus  rares  et 
n'étaient  plus  remplacés.  Mais  ce  fui  un  chagrin  des  plus  sen- 
sibles pour  Bezanson  Hugues,  chagrin  qui  dut  être  singulière- 
ment augmenté  par  l'oubli  el  l'ingraiitude  du  parti  régnant  en- 
vers la  famille  et  les  enfants  mineurs  de  ce  beau-frère  bien-aimé, 
ruiné,  comme  lui,  au  service  de  la  patrie.  Ce  n'était  pourtant  pas 
de  l'argent  que  Bezanson  Hugues  demandait  pour  ses  neveux, 
mais  simplement  la  sollicitude  que,  pendant  ses  propres  absen- 
ces, les  magistrats  devaient  à  des  enfants  privés  de  leurs  pro- 
tecteurs naturels,  et  surtout  quand  ces  enfmts  étaient  ceux  d'un 
de  leurs  plus  anciens  collègues  '.  L'insuccès  de  ses  instantes 
recommandations  ne  lui  montra  que  trop  le  sort  qui  attendait 
sa  propre  famille  après  sa  mort.  J 'an  de  Malbuisson  fut  élu 
capitaine  des  artilleries  de  la  ville,  à  la  place  de  Jean  Baud. 

Une  querelle  violente  qu'Ami  Girard  eut  vers  cette  époque 
avec  plusieurs  de  ses  parents  e!  de  leurs  amis  pour  une  affaire 
de  tut«dle,  dans  laquelle  son  emportement  le  servit  fort  mal, 
devait  bientôt  aussi  priver  la  communauté  des  utiles  services  de 
ce  magistrat  distingué  quoique  violent.  Il  continua ,  sur  la  de- 
mande du  ce,  à  siéger  comme  syndic;  —  le  fait  est  qu'on 
ne  pouvait  encore  se  passer  de  lui,  et  que  ses  opinions  bien  pro- 
noncées sur  le  vidomnat,  sur  la  juridiction  ecclésiastique  et  sur 
le  caractère  personnel  du  prince-évéque.  cadraient  pour  le  mo- 

•  Voici  ce  qu'il  écrivait  en  post-scriptum  de  Berne,  6  août  1529  :  «  Combien 
«  que  vous  soyez  mes  Seigneurs  et  Supérieurs,  ne  terrai,  comme  fol,  à  vous 
«  prier  tium]:)lement  avoir  les  affaires  de  feu  mon  frère  Jean  Baud  et  les  miens 
«  pour  recommandés  ;  car  ces  deux  maisons  sont  à  présent  gouvernées  par 
«  femmes,  poin*  quoi  ne  vous  grèvera  guère  donner  charge  à  quelqu'un  de 
«  vos  conseillers  s'en  prendre  un  peu  de  garde.» — De  Fribourg,  en  post- 
scriptum,  10  août  1529  :  «  Je  vous  prie  avoir  pour  recommandé  mon  pauvre 
«ménage;  je  n'y  ai  nul  qui  sactie  rien  faire  que  ma  femme.  iVoubliez  pas 
«  les  pauvres  enfants  de  feu  Jean  Baud,  que  Dieu  absolve.  »  El  dans  un  billet 
de  la  même  année  :  «  Je  vous  en  prie,  ayez  regard  sur  l'affaire  des  enfants 
«  de  feu  Jean  Baud  ;  car,  avec  ce  que  le  devez  faire  par  devoir,  tant  de  jus- 
«  tice  que  du  service  du  père ,  vous  y  aurez  honneur  et  gagnez  paradis  et 
«  donnez  courage  aux  vôtres  de  vous  servir  n 


360 

ment,  quanl  a  leurs  résultats  et  aux  moyens  à  employer,  avec 
celles  du  parti  réformé.  Celait  lui  surtout  que  ce  parti  opposait 
à  la  modération  et  à  l'esprit  conciliant  de  Bezanson  Hugues, 
parce  qu'on  ne  pouvait  soupçonner  aucune  arrière-pensée  chez 
un  catholique  aussi  ardent ,  et  qui  se  gênait  d'autant  moins 
qu'il  était  parfaitement  sincère.  Mais  ce  n'est  pas  lui  qui  aurait 
rappelé  le  Conseil  à  ses  devoirs  en  ces  termes  :  «  Je  vous  ai 
«  dit  et  redit  tant  de  fois  que  je  vous  prie  n'être  point  vindica- 
«  tifs  et  que  gardiez  changez  votre  bon  droit  à  tort'.  »  Néan- 

*  Lettre  de  Bezanson  Huçjues  de  juin  1527.  C'est  une  chose  remarquable 
que  les  peines  de  mort  qui  furent  prononcées,  le  furent'  presque  toutes  en 
l'absence  de  Bezanson  Hugues;  c'était  aussi  en  son  absence  que  l'on  procé- 
dait à  la  vente  des  biens  des  citoyens  émigrés.  Au  reste,  lorsqu'il  voyait  le 
Conseil  prêt  à  prendre  quelque  mesure  de  ce  genre,  qu'il  ne  pouvait  empê- 
cher, il  quittait  la  salle.  L'esprit  de  fiscalité  lui  inspirait  im  mépris  et  une 
aversion  insurmontables.— On  voit  que  Girard  n'approuvait  pas  toujours 
l'honnêteté  et  la  franchise  de  sa  politique,  témoin  ce  passage  d'une  lettre 
du  3  novembre  1528,  adressée  de  Berne  à  Robert  Vandel.  «  Monsieur  le 
«  secrétaire,  je  fus  fort  ébahi  comment  Messieurs  envoyent  dernièrement 
«  celui  que  savez;  et  me  semble  qu'étiez  tous  aveugles  de  l'envoyer  en  ce 
«  temps  que  vous  savez  principalement  sera  débattu  l'affaire  du  Vidomnat 
«  avant  toutes  autres  choses.  3Iessieurs  peuvent  bien  tous  penser  que  s'il  le 
«  débat  à  la  raison  et  au  profit  de  la  cité,  les  ambassadeurs  qui  furent  sur 
«  la  journée  de  Payerne  le  redargueront,  etc.,  »  et  plus  loin.  «  On  ne  vient 
«  pas  mettre  telles  affaires  aux  mains  de  gens  qui  ne  soient  fermes  et  per- 
«  manens.  Je  rescris  à  Messieurs  que  quand  ils  manderont  des  ambassadeurs, 
(!■  qu'ils  fassent  passer  leurs  instructions  par  Petit  et  Grand  Conseils,  afin 
«  que  pareillement  ils  soient  élus  par  Grand  Conseil  et  qu'iceliii  soit  exempté 
€  (exclus).  Vous  en  parlerez  avec  les  amis  et  ceux  qui  aiment  la  cité  afin 
«  qu'ils  y  obvient  et  qu'ils  ne  se  laissent  ainsi  aveugler,  en  tant  qu'ils  se 
«  veulent  garder  d'être  gens  perdus,  etc.  »  Nous  regrettons  sincèrement 
d'avoir  à  enregistrer  ce  vilain  trait  d'Ami  Girard  envers  son  plus  ancien 
ami  et  collègue,  qui  ne  cessa  de  lui  témoigner  amitié  et  déférence.  Girard 
en  était  venu  à  confondre  la  fermeté  et  la  persévérance  avec  la  violence  et 
l'entêtement,  la  bonne  foi  avec  la  faiblesse.  Il  en  fut  la  première  victime. 
Il  était  alors  sous  l'influence  de  ses  nouveaux  amis  dont  il  aperçut  trop  tard 
les  secrets  desseins.  Au  reste  cet  incident  fait  ressortir  d  autant  plus  le  ca- 
ractère élevé  et  les  éminentes  qualités  de  Bezanson  Hugues  qui,  rappelé  con- 
tinuellement aux  affaires  malgré  lui  et  malgré  ses  ennemis,  ne  cessa  de 
prouver  qu'il  n'y  a  pas  dans  une  cause  juste  et  légitime  de  plus  sûre  di- 
plomatie que  la  droiture  et  la  loyauté. 


361 

moins  Girard  s'était  fait  dans  cette  occasion  de  nombreux  ennemis, 
dont  le  ressentiment,  pour  être  resté  à  l'éiat  latent,  n'en  éclata 
que  plus  fortement  dans  la  suite'.  Le  moment  approchait  où, 
de  tous  les  anciens  eydguenots,  il  n'y  aurait  plus  aux  aftaires 
que  Bezanson  Hugues,  qu'on  y  retiendrait  malgré  lui.  Il  va  sans 
dire  que  par  anciens  eydguenots  nous  n'entendons  parler  que 
de  ceux  qui  s'étaient  déclarés  tels  quand  la  ville  était  le  plus 
compromise,  ceux  dont  les  tètes  étaient  alors  du  nombre  de 
celles  que  Charles  le  Bon  se  proposait  de  faire  voler,  selon  son 
expression  favorite. 

Une  nouvelle  diète  avait  été  fixée  par  les  Suisses  au  jour  de 
la  Saint-Georges,  23  avril.  11  s'agissait  surtout  de  la'  question 
du  vidomnat.  Genève  y  envoya  Bezanson  Hugues,  Robert  \  an- 
del,  Nicolas  du  Crest  et  Jean  Lullin,  munis  d'une  traduction 
allemande  des  anciennes  chartes  de  la  ville  ^.  Au  reste,  les 
choses  allaient  mal  pour  Genève;  aussi  le  capitaine  général 
Bezanson  Hugues  fut-il  obligé  de  rester;  mais  elles  n'allaient 
pas  mieux  en  Suisse.  Déjà  à  la  diète  de  Saint-Julien  il  avait  été 
question  de  la  révision  et  même  de  la  révocation  de  la  com- 
bourgeoisieavec  les  deux  villes;  mais  le  Conseil  avait  fait  effacer 
l'article  où  il  en  éiait  question.  Cette  fois  les  Suisses  étaient 
bien  décidés  à  demander  la  dissolution  de  la  combourgeoisie, 
et  les  agents  ducaux  avaient,  jusqu'à  un  certain  point,  réussi  à 
leur  persuader  que  la  majorité  des  Genevois  y  renoncerait  vo- 
lontiers. Aussitôt  que  la  nouvelle  en  parvint  à  Genève,  le  parti 
ducal,  qui  y  existait  toujours,  malgré  les  émigrations  et  les 
proscriptions,  releva  la  têle.  Plusieurs  personnes  résolurent 
d'aller  rejoindre  les  condamnés  et  l'armée  ducale.  La  ville  fut 

*  Il  s'était  aussi  attiré  la  haine  irréconciliable  de  Domaine  Franc  qui,  alors 
député  en  Suisse,  ne  manquait  jamais,  dans  ses  lettres  au  Conseil,  de  de- 
mander en  post-scriptum  «  justice  de  Toutrage  que  le  syndic  Ami  Girard  lui 
avait  fait.  » 

«  Les  ambassadeurs  des  deux  villes  qui  devaient  accompagner  les  nôtres, 
demandèrent  sans  vergogne,  avant  leur  départ,  qu'on  leur  payât  leur  salaire,, 
dont  ils  fixèrent  eux-mêmes  le  montant,  en  sus  de  leurs  frais  d'entretien. 


362 

obligée  de  prendre  des  mesures  de  sûreté  tout  à  fait  exception- 
nelles et  qui  ne  plurent  pas  à  tout  le  monde.  Personne  ne  se 
souciait  plus  de  loger  les  soldats  de  la  petite  garnison  suisse 
(cinquante  hommes  en  tout)  qui  étaient  restés  après  le  départ  de 
leurs  camarades;  on  se  les  renvoyait  d'un  quartier  à  l'autre; 
quel(]ues  citoyens  déclarèrent  même  qu'ils  renonceraient  à  la 
combourgeoisie  plutôt  que  d'avoir  à  supporter  plus  longtemps 
cette  corvée.  Bon  nombre  de  ceux  qui  s'étaient  le  plus  chaude- 
ment déclarés  pour  l'indépendance  commençaient  à  trouver 
que  celle-ci  ne  valait  pas  tous  les  sacrifices  qu'elle  coûtait. 
D'autre  part,  on  était  au  plus  mal  avec  le  prince-évêque,  et 
assez  de  gens  commençaient  à  insinuer  qu'on  aurait  pu  le  trai- 
ter avec  plus  d'égards.  Sur  ces  entrefaites  arriva  un  ambassa- 
deur du  roi  de  Hongrie  offrir  la  médiation  de  son  maître;  il 
venait,  appuyé  de  la  recommandation  de  la  ville  de  Fribourg, 
mais  naturellement  dans  le  sens  ducal.  Les  deux  villes  étaient 
ennuyées  de  nos  affaires.  Les  sacrifices  énormes  que  Genève 
et  ses  principaux  citoyens  s'étaient  imposés  depuis  tant  d'an- 
nées, pour  assurer  son  indépendance,  paraissaient  n'avoir  abouti 
qu'à  prolonger  son  agonie.  On  souffrait  de  la  peste  et  de  la  fa- 
mine. On  murmurait  même  contre  les  auteurs  de  la  mort  de 
M.  de  Pontverre  '.  Bref,  le  découragement  était  à  son  comble, 
et  il  n'eût  pas  fallu  grand'chose  pour  renverser  nos  destinées. 
Il  suffit  do  la  présence  et  de  l'exemple  de  Bezanson  Hugues 
pour  relever  les  courages  et  changer  la  face  des  affaires  comme 
par  un  choc  électrique. 

Ce  fut  lui  qui  fit  le  rapport  de  la  situation.  Les  nouvelles 
qu'il  avait  à  communiquer  à  ses  concitoyens  paraissaient  de  na- 
ture à  donner  le  coup  de  grâce  à  la  ville  en  détresse  ;  elles  n'a- 
vaient pas  même  le  mérite  de  la  nouveaiité,  puisqu'il  en  avait  été 
question  au  Conseil  ordinaire.  Mais  le  grand  citoyen  ne  se  mon- 
trait jamais  plus  réellement  le  père  et  le  sauveur  de  sa  patrie  que 

•  Balard  estime  à  dix  mille  écus  (iGO,000  francs)  les  seuls  frais  causés  par 
le  redonhicmcnt  d'hostilités  depuis  la  mort  de  M.  de  Pontverre. 


363 

dans  les  moments  où  tout  le  monde  désespérait  du  salut  de 
Genève.  On  connaît  assez  ses  lettres  et  ses  discours  pour  assu- 
rer qu'il  n'y  avait  rien  chez  lui  de  ce  qu'on  est  convenu  d'appe- 
ler l'éloquence  oratoire;  ses  paroles  aussi  simples  que  claires, 
dég.ngées  de  toute  espèce  d'exagéraiion  ou  d'apparat,  ne  firent 
jamais  appel  aux  passions ,  encore  moins  aux  vices  de  ses  au- 
diteurs ;  et  cependant,  quand  il  le  fallait,  elles  savaient  entraî- 
ner jusqu'à  l'enthousiasme  ses  adversaires  eux-mêmes,  par  la 
puissance  irrésistible  d'une  con\iciion  sincère,  noble  et  géné- 
reuse, dont  il  élait  lui-même  le  plus  beau  type.  Le  cœur  humain 
est  ainsi  fail  qu'il  suffît  souvent  de  la  présence  ou  de  quelques 
mots  d'un  tel  homme  pour  refonler  les  mauvais  instincts  et 
provoquer  l'explosion  des  meilleurs  sentiments,  surtout  dans 
les  assemblées  nombreuses'.  Il  en  fut  ainsi  dans  cette  circon- 
stance critique.  A  peine  Bezanson  eut-il  cessé  de  parler  que  l'as- 
semblée adopia  sur-le-champ  les  résolutions  suivantes: 

1**  Plutôt  mourir  que  de  renoncer  à  la  combourgeoisie  ; 

2°  On  ne  permettra  pas  même  de  parler  de  la  révoquer; 

3"  On  n'accordera  pas  d'audience  aux  ambassadeurs  des 
deux  villes  qui  viendraient  la  demander;  qu'ils  s'évitent  donc  la 
peine  de  venir  si  c'est  pour  cela. 

On  fut  toutefois  obligé  quelques  jours  après  de  transiger  sur 
cette  dernière  résolution,  à  cause  de  l'arrivée  des  ambassadeurs 
de  Berne,  Fribourg,  Zurich,  Bàle  et  Soleure  et  de  ceux  du  duc. 
L'avoyer  de  Berne,  Sébastien  de  Diesbach,  qu'on  avait  nommé 
chef  de  la  députation  pour  lui  donner  plus  de  poids,  exposa  sa 
mission  dans  un  Conseil  presque  général.  Rien  n'aurait  pu  être 
à  la  fois  plus  déplaisant  et  |»lus  décourageant  que  son  discours, 
dans  lequel  il  évita  même  de  donner  le  titre  de  comhourgeois 

'  Nous  retrouvons  ceUe  même  idée  dans  une  lettre  que  lui  avait  adressée 
de  Fribourg  son  ami,  le  brave  Pierre  Boulard  ,  dit  le  curé  Curtion  (ensuite 
chanoine  de  Genève),  du  23  janvier  de  cette  année.  «  Dieu  et  le  bon  droit  est 

«  toujours  pour  vous et  s'il  y  a  bien  quelque  personnage  qui  vous 

«  soit  contraire,  il  ne  l'oserait  démontrer  pour  tout  son  vaillant.  » 


364 

aux  membres  de  l'assemblée  qu'il  pressait  instamment  de  con- 
sentir à  la  révocation  de  l'alliance  «  pour  le  bien  de  la  paix  et 
pour  Vlionneur  futur  de  Messieurs  de  Berne.  »  Mais  l'élan  pa- 
triotique donné  par  Hugues  ne  pouvait  être  si  facilement  ar- 
rêté. La  réponse  des  Genevois  fut  encore  plus  énergique  que  le 
discours  de  M.  de  Diesbacli  avait  été  inconvenant  : 

!•*  Quiconque  parlera  de  révoquer  la  combourgeoisie  avec 
Berne  et  Fribourg  ou  agira  dans  ce  sens  d'une  manière  quel- 
conque, sera  décapité  sans  aucune  merci; 

2*^  Trois  traits  d'estrapade  pour  ceux  qui  en  auraient  con- 
naissance sans  le  révéler; 

3°  Peine  de  mort  pour  les  faux  témoins  dans  cette  matière  ; 

4°  Les  sentences  ne  seront  prononcées  que  par  les  syndics, 
le  Conseil  étroit,  celui  des  LX  et  celui  des  CG. 

Gette  fière  réponse  et  ces  sévères  résolutions  furent  pleine- 
ment confirmées  par  un  Gonseil  général  tenu  dès  le  lendemain, 
où  «  pas  une  seule  main,  dit  le  registre,  n'osa  se  lever  en  signe 
de  contradiction  *.  »  Dès  lors  Messieurs  de  Berne  qui ,  depuis 
trois  ans,  n'avaient  cessé  de  recevoir  des  sommes  énormes  pour 
le  maintien  de  cette  combourgeoisie  à  laquelle  ils  n'avaient  jus- 
qu'ici sacrifié  que  de  vaines  promesses  et  des  ambassades  dont 
nous  faisions  tous  les  frais,  durent  bien,  pour  leur  «  honneur 

'  A  en  croire  une  lettre  de  Jean  Pliilippe  (!'=>■  juin),  alors  à  Berne,  l'avoyer 
de  Diesbach  aurait  donné  une  singulière  version  de  ce  Conseil  général  à  ses 
commettants.  11  aurait  rapporté  «  qu'il  y  avait  viille  hommes  au  plus  à  cette 
assemblée  (il  n'y  en  avait  probablement  pas  la  moitié),  et  qu'un  seul  protesta 
ne  vouloir  point  renoncer  à  la  bourgeoisie ,  sur  quoi  tous  les  autres  se  mirent 
à  l'unisson;  r  il  était  bien  évident  que  la  proposition  sur  laquelle  il  s'agissait 
de  voter  devait  être  proposée  par  un  seul  orateur  à  la  fois.  Il  ajouta,  du  reste, 
que  Berne  pouvait  compter  sur  Genève  en  cas  de  besoin,  et  recommanda  de 
ne  pas  agir  contre  elle,  mais  ne  produisit  pas  les  lettres  dont  il  était  por- 
teur. —  Au  dire  de  Balard,  il  fut  révélé  par  un  étranger  que,  si  la  bourgeoisie 
eût  été  révoquée,  le  duc  de  Savoie  devait  entrer  dans  Genève,  et  inaugurer 
ses  persécutions  par  la  décapitation  de  trente-deux  citoyens.  Bezanson  Hu- 
gues, à  qui  on  avait  dit  quelque  chose  d'analogue  en  Suisse,  avait  répondu 
fièrement  «  que  les  Genevois,  dussent-ils  tous  y  périr,  ne  laisseraient  jamais 
entrer  le  duc  dans  leur  ville.  » 


365 

futur,»  consentira  la  laisser  subsister.  Quant  aux  Fribourgeois, 
qui  ne  s'étaient  joinls  que  malgré  eux  à  l'avis  de  leurs  confédé- 
rés, et  qui  soiimeitaient  d'ailleurs  leur  décision  finale  à  celle  de 
Genève,  ils  furent  touchés  et  charmés  de  l'énergie  déployée  par 
les  Conseils  genevois,  et  ne  le  cachèrent  pas.  Aussi  donna-t-on 
à  chacun  de  leurs  trois  ambassadeurs  de  quoi  s'acheter  un  man- 
teau de  prix,  et  la  moitié  environ  à  leurs  hérauts,  —  tandis 
qu'on  n'accorda  exceptionnellement  cetie  fois  pas  un  sou  à  leurs 
collègues  des  autres  cantons. 

On  ne  larda  pas  cependant  à  comprendre  qu'il  fallait  chercher 
à  regagner  au  plutôt  ce  que  nous  avions  perdu  en  Suisse.  «Le 
■commun  de  Berne  est  bien  las  de  nos  affaires,  »  avait  écrit  Jean 
Philippe,  de  cette  ville  le  P""  juin.  Peu  de  jours  après,  il  arriva 
en  personne  avec  Claude  du  Molard,  pour  conjurer  le  Conseil, 
au  nom  des  quelques  amis  que  nous  avions  encore  à  Berne, 
de  vouloir  bien  y  envoyer  une  botine  ambassade.  Car  le  roi 
de  France  s'était  joint  maintenant  à  son  oncle  de  Savoie  afin 
d'insister  auprès  des  Bernois  pour  la  rupture  de  la  combour- 
geoisie  avec  Genève,  et  menaçait,  en  cas  de  refus,  de  join- 
dre ses  armes  à  celles  de  Charles  III.  La  sûreté  de  la  ville 
avait  empêché  Bezanson  Hugues  de  prendre  part  à  la  dt^rnière 
ambassade,  quoiqu'il  eût  élé  nommé  pour  la  présider;  on  parut 
croire  que  c'était  là  ce  qui  l'avait  fait  manquer;  aussi  voulut-on 
absolument  qu'il  partît  celte  fois;  et  comme  ce  voyage  paraissait 
le  déranger,  l'on  résolut,  «  s'il  résistait  2iU\  prières^  ou  ensuite  à  un 
ordre  posiiif  de  la  communauté,  de  protester  contre  lui  en  domma- 
yes-intérêts.))  Il  ne  fut  pas  nécessaire  d'en  venir  à  cette  extrémité, 
car,  mieux  que  personne,  il  sentait  l'absolue  nécessité  de  grands 
efforts  pour  sauver  la  situation;  il  partit  donc  immédiatement 
avec  Jean  Lévrier  '  qu'il  s'était  fait  adjoindre.  Le  Conseil  leur 

'  Ce  Jean  Lévrier  était,  sous  tous  les  rapports,  digne  de  son  père  et  de  son 
frère,  de  glorieuse  mémoire.  Ses  lettres,  longues  et  détaillées,  montrent  nu 
homme  d'une  intelligence  et  d'une  instruction  supérieures,  et  surtout  d'une 
rare  modestie.  On  voit  par  l'ime  d'elles  que  Hugues  et  lui  avaient  eu  encore 
cette  fois  les  chevaliers  de  la  Cuiller  à  leurs  trousses,  depuis  Versoix  jusqu'à 
Rolle,  en  se  rendant  de  Genève  à  Berne. 


366 

adjoignit  encore  après  leur  départ  (8  juin),  Robert  Vandel,  Do- 
maine Franc,  François  Favre  et  Jean  Lullin,  a  cause  d'une 
dièle  assignée  a  Paverne  pour  le  jugement  de  la  combour- 
ejeoisie  et  des  dilierends  avec  le  duc ,  et  dont  Jean  Philippe  et 
Claude  du  Molard  avaient  apporté  la  nouvelle.  Celte  fois  l'habi- 
leté et  le  dévouement  du  grand  citoyen  excitèrent  même  l'ad- 
miration de  ses  rivaux.  Voici  ce  que  Robert  Vandel,  qui  lui  était 
plus  opposé  que  tout  autre,  écrivait  de  Fribourg  au  Conseil,  le 
12  juin  1529:  «  Hier,  que  fut  vendredi,  arrivâmes  en  celte 
«  ville,  et  nous  étant  à  souper,  arriva  le  seigneur  Bezanson  de 
«  Berne,  lequel  a  fait  le  tour  d'un  homme  de  bien;  car  vous  as- 
«  surons  qu'il  a  porté  parole  et  fait  les  remontrances  aux  Excel- 
«  lences  de  Messieurs  des  deux  villes,  et  tant  avant  qu'il  ne  se- 
«  rait  possible  de  plus,  comme  savez  qu'il  sait  bien  faire,  et  de 
«  bon  cœur  autant  et  plus  que  jamais,  et  ne  le  trouvâmes  jamais 
«  plus  adroit  qu'il  est  à  présent  selon  les  affaires  avec  une  bonne 
«  et  entière  bonne  volonté,  etc.  »  —  «  Aujourd'hui  nous  som- 
«  mes  été  par  devant  .Messieurs,  et  avons  obtenu  tout  ce  que 
«  nous  avons  demandé,  »  écrivait  Jean  Lullin,  de  Berne,  le  29 
juin  1529,  dans  une  lettre  au  Conseil,  collective  avec  Bezanson 
Huffues.  Celui-ci  avait  lui-même  écrit  le  24  du  même  mois: 
«  Messieurs  des  deux  villes,  comme  j'aperçois,  sont  en  aussi 
«  bon  vouloir  qu'ils  furent  oncques;  ne  reste  qu'à  les  bien  solli- 
«  citer,  et  de  bonne  sorte.  » 

Le  comte  de  Genevois,  frère  cadet  du  duc  (qui  avait  été  pen- 
dant son  enfance  évêque  de  Genève  sous  le  nom  de  Philippe), 
et  qui  portait  maintenant  le  titre  de  duc  de  Nemours,  fit  offrir 
ses  services  pour  le  rétablissement  de  la  paix  et  de  la  tranquil- 
lité, avec  force  assurance  d'amitié  pour  la  ville  «  qu'il  avait  tou- 
jours chérie  et  chérissait  encore,  »  faisant  observer  «  que  la  paix 
ayant  été  conclue  entre  l'empereur  et  le  roi  de  France,  Genève 
était  en  grand  danger  de  périr.  »  Il  fallait  en  effet  que  ce  prince, 
ancien  séide  et  lieutenant  de  son  frère  dans  tous  ses  attentats 
contre  la  ville,  crut  c^lle-ci  bien  bas  tombée  pour  oser  lui  offrir 


367 

sa  méfliation.  On  fut  très-poli  de  part  et  d'autre;  la  ville  dé- 
fraya l'ambassade  de  ses  frais,  et  les  choses  en  restèrent  là.  En  at- 
tendant, les  chevaliers  de  la  Cuiller  avaient  été  recruter  dts  hom- 
mes partout  et  jusqu'à  Lyon  pour  une  nouvelle  attaque  de  Ge- 
nève. On  doubla  les  mesures  de  précaution.  Ami  Girard  dut 
remplacer  Bozanson  Hugues  en  attendant  le  retour  de  celui-ci, 
en  qualité  de  capitaine  général,  avec  Nicolin  du  Crest  pour 
lieutenant,  et  l'on  écrivit  à  nos  députés  d'aller  demander  en 
toute  hâte  des  secours  à  Fribourg.  Messieurs  des  deux  villes 
envoyèrent  immédiatement  deux  capitaines  experts  pour  diriger 
la  défense:  promettant  d'ailleurs  de  remplir  celte 'fois,  de  tout 
leur  pouvoir,  les  obligations  résultant  delà  combourgeoisie  *. 
Ou  reconnaissait  dans  ces  résultats ,  si  différents  de  ceux  de  la 
dernière  ambassade,  l'action  de  Bezanson  Hugues.  Aussi  à  peine 
revenu  à  Genève  avec  ses  collègues,  et  remercié  pour  ses  bons 
services  (7  juillet),  fut-il  prié  de  retourner  seul  à  Payerne.  On 
voulut  bien  néanmoins  consentir  à  ce  que  Jean  Lévrier  partît 
provisoirement  à  sa  place  ;  ce  dernier  partit  en  effet  et  fut  de 
retour  le  20  du  même  mois;  mais  alors  on  élut  Bezanson  Hu- 
gues et  Boniface  Hoffischer,  pour  y  retourner.  Hoffischer  reçut 
à  cette  occasion  20  écus  pour  intérêt  des  400  qu'on  lui  avait 
promis  l'année  précédente,  mais  il  ne  partit  pas.  Nicolas  du 
Crest,  Bamel,  Jaques  de  Malbuisson,  Girardin  Bergeyron,  Jean 
Lecl,  Baudichon  de  la  Maisonneuve  et  d'autres,  s'offrirent  pour 
accompagner  Bezanson  Hugues  à  leurs  frais,  les  premiers  par 
dévouement,  les  autres  pour  leur  intérêt  particulier  ou  celui  de 
leur  parti.  Bezanson  Hugues,  une  fois  loin,  on  lui  écrivit  à  di- 
verses reprises  de  ne  pas  revenir  que  tout  fût  terminé.  —  Cette 
fois,  les  plaidoiries  furent  extrêmement  longues  et  détaillées  de 
part  et  d'autre,  les  choses  tendaient  derechef  à  s'embrouiller 
avec  les  deu\  villes.  Bezanson  Hugues  lui-même  en  fut  im- 
patienté: «  J'ai  pris  patience  jusqu'à  présent,  que  je  suis  à  moi- 

•  Ces  capitaines  reçurent  chacun  six  écus  d'or,  et  leurs  hérauts  la  moitié. 


368 

«  lié  hors  de  sens  ;  car  je  ne  puis  avoir  patience  que  l'on  ne  che- 
«  mine  le  droit  chemin  (10  août).  »  L'argent  fut  prodigué  plus 
que  jamais.  On  écrivait  a  Hugues  que  ce  n'était  pas  le  moment 
de  l'épargner;  au  reste,  la  nombreuse  ambassade  genevoise  ne 
cessait  d'en  demander;  mais  ie  duc  en  avait  plus  que  les  Gene- 
vois, et  il  sut  obtenir  des  cantons  de  nommer  pour  sur-arbitre 
du  différend  le  comte  de  Gruyère  Jean  II,  son  allié  et  son  vas- 
sal, djnaste  dont  la  fortune  n'égalait  plus  la  haute  naissance, 
et  qui  ne  pouvait  certainement  pas  être  impartial  dans  celte 
question,  bien  qu'on  lui  donna,  à  sa  demande,  jusqu'au  29 
septembre,  pour  l'étudier  à  fond.  A  la  grande  joie  des  Savoyards 
et  des  mamelucs  genevois,  il  prononça  alors  «  que  les  deux  vil- 
les ne  pouvaient  pas  faire  de  combourgeoisie  avec  Genève  à  cause 
de  leurs  traités  avec  le  duc,  et  que  celle-ci  devait  donc  être  an- 
nulée. »  Mais  les  choses  avaient  bien  changé  depuis  que  Bezan- 
son  Hugues  dirigeait  de  nouveau  nos  affaires:  «Dieu  nous  aide,» 
dil-il  dans  une  lettre  du  9  août  de  Berne,  «  car  tout  le  monde 
«  est  pour  nous  par  de  ça  que  estimons  être  chose  miraculeuse, 
«  car  les  plus  gros  ennemis  qu'avons  eus  par  le  passé  sont  à  pré- 
«  sent  nos  plus  gros  amis  (allusion  à  l'aristocratie  bernoise).  » 
Les  deux  villes,  loin  de  se  soumettre  à  cette  sentence  inique, 
qui  blessait  d'ailleurs  leur  amour-propre  de  villes  libres,  envoyè- 
rent une  reconfirmation  de  la  combourgeoisie  en  bonne  forme 
et  munie  de  leurs  grands  sceaux,  après  avoir  coupé  ceux  qui 
pendaient  au  bas  de  leurs  traités  avec  le  duc*. — Jamais  peut-être 
l'habileté  diplomatique  du  grand  citoyen  n'avait  autant  brillé 
que  dans  cette  dernière  occasion;  à  peine  était-il  revenu  à  Ge- 
nève de  sa  dernière  ambassade  après  un  mois  d'absence,  que 

*  Le  comte  de  Gruyère  fut  ensuite  poursuivi  par  Fribourg  devant  le 
bailli  de  Vaud  pour  avoir  rendu  une  sentence  contraire  à  l'équilé.  En  somme 
il  eut  beaucoup  à  souffrir  de  cette  affaire,  dans  laquelle  il  s'était  laissé  four- 
rer à  contre-cœur.  (Voy.  poui-  plus  de  détails  l'histoire  du  comté  de  Gruyè- 
res, de  M.  le  professeur  Hisely,  tome  II,  pages  277  et  suivantes, — l'un  des 
ouvrages  les  p!us  précieux  et  les  plus  consciencieux  de  la  science  historique 
suisse  moderne.) 


369 

Pierre  Boulard,  ensuite  chanoine  de  Genève,  lui  avait  écrit  de 
Frihourg  de  revenir  eu  toute  hâte  sur  ses  pas,  parce  que  le 
comte  de  Gruyères,  à  l'instigation  du  duc  de  Savoie,  voulait 
rendre  sa  sentence  avant  le  terme  fixé,  «  de  quoi  Nicolas  Castro 
«  et  moi  vous  avons  voulu  avertir  à  celle  fin  que,  s'il  vous  semble 
«  bon,  que  tourniez  en  diligence;  car  si  vous  y  éles^  si  pourrez 
«  beaucoup  profiter.  Au  demeurant  vous  laisse  h  penser  les 
«  grosses  pratiques  (intrigues,  corruptions  par  argent)  qui  se 
((  démènent.  Je  crois  que  ne  dormirez  pas  à  y  donner  ordre,  au 
«  plaisir  de  Dieu;  auquel  je  prie  qu'il  à  vous,  mon  cher  ami  et 
t  compère,  donne  l'entier  de  vos  bons  désirs.  P.  S.  El  tous  vos 
«  bons  amis,  tant  de  Messieurs  du  Conseil  que  autres,  sont  fort 
«  marris  de  votre  départie.  Regiirdez  vous-même  si  voulez  con- 
((  sentir  que  la  dite  journée  se  tienne  dimanche,  ou  non,  pour 
«  mettre  fin  aux  affaires.  Et  si  vous  ne  pouvez  courir  la  poste 
«  pour  être  demain  au  Conseil  devant  les  bourgeois,  que  fassiez 
«  courir  quelqu'un  de  vos  gens  ainsi  qu'il  vous  semblera  bon.  » 
11  s'agissait  de  faire  plus  de  vingt  lieues  en  une  nuit.  Bezanson 
Hugues  repartit  en  effet  ;  il  élait  de  retour  le  29  août,  annonçant 
au  Conseil  que  la  sentence  du  comte  de  Gruyère  avait  définiti- 
vement été  renvoyée  à  la  fin  de  septembre  par  les  deux  villes. 
«Fem,  vidi,  vici,»  aurait-il  pu  dire  après  chaque  mission  diplo- 
matique. Malheureusement  ces  victoires  ne  pouvaient  être  de 
longue  durée,  à  cause  des  intrigues  du  duc  de  Savoie  qui  con- 
tinuait avec  une  persévérance  digne  d'une  meilleure  cause  à 
consumer  tous  ses  moyens  contre  l'alliance  de  Genèvg  avec  les 
Suisses  '.  Le  duc  avait  d'ailleurs  sur  les  Genevois  non-seulement 

«  Le  parti  Vandel  reprochait  très-fortement,  en  1528,  à  Bezanson  Hugues 
d'avoir  déjà  annoncé  vingt-cinq  fois  que  les  affaires  allaient  être  terminées 
par  Messieurs  de  Berne  et  Fribourg,  qui  cependant  n'avaient  pas  bougé,  en 
sorte  que  c'était  toujours  à  recommencer.  Mieux  que  personne  ces  quatre 
frères  savaient  que  la  faute  en  était  surtout  à  leur  parti  qui  s'acharnait  à 
tout  compromellre  par  ses  mesures  aussi  violentes  qu'imprudentes.  Ils 
apprirent  plus  tard  à  leur  toiu-  et  à  leurs  dépens  le  plaisir  qu'il  y  a  à  ser- 
vir le  public. 


370 

l'avantage  de  la  richesse  et  de  la  considération  politique,  mais 
encore  celui  d'entretenir  en  permanence  auprès  des  deux  villes 
une  ambassade  nombreuse,  composée  des  hommes  les  plus  re- 
marquables de  ses  Étals  par  leur  rang  et  leurs  talents,  avantage 
auquel  Genève  avait  dû  renoncer,  malgré  les  instantes  réclama- 
tions de  Bezanson  Hugues,  parce  qu'elle  n'en  pouvait  plus  sup- 
porter les  frais.  Celte  fois  néanmoins,  Bezanson  Hugues  était 
revenu  avec  la  conviction  que  nos  combourgeois  des  deux  villes 
ne  nous  abandonneraient  pas,  quelle  que  dût  être  la  sentence  du 
comte  de  Gruyère.  Voyons  maintenant  brièvement  où  en  étaient 
les  relations  de  Genève  avec  son  prince-évéque.  La  encore  l'in- 
tervention de  Hugues  avait  été  des  plus  heureuses. 

Pierre  de  la  Baume,  en  continuant  à  prolonger  son  absence, 
habituait  les  Genevois  de  plus  en  plus  à  se  passer  de  lui.  L'ab- 
sence du  clergé  du  parti  ducal  et  l'indolence  naturelle  ou  cal- 
culée du  vicaire  général,  Aymon  de  Gingins,  forçaient  d'ailleurs 
les  magistrats  à  se  mêler  d'une  foule  de  choses  qui  n'étaient  pas 
de  leur  ressort,  comme  par  exemple  du  chapitre  de  Saint- 
Pierre,  de  la  police  des  couvents,  des  délits  des  prêtres,  de  la 
juridiction  ecclésiastique,  des  dîmes  épiscopales,  etc.,  etc. 
L'état  de  siège  où  se  trouvait  Genève  et  la  peste  qui  y  sévit 
cette  année  ne  pouvaient  que  multiplier  ces  occasions  d'interven- 
tion, auxquelles  le  parti  proteslant  poussait  de  tout  son  pouvoir. 
L'évêque  continuait  de  temps  a  autre  a  envoyer  des  messagers 
à  Genève  pour  se  plaindre  qu'on  le  laissait  sans  nouvelles, 
qu'on  usurpait  sa  juridiction,  qu'on  oubliait  qu'il  était  prince 
de  la  ville,  qu'on  laissait  progresser  «  cette  maudite  secte  luthé- 
rienne,» etc.,  etc.  On  répondait  poliment  ou  par  des  faux-fuyants, 
tout  en  continuant  à  se  signer  «sestidMes  sujets.»  Selon  les  cas 
il  se  déclarait  satisfait,  ou  bien  il  se  mettait  dans  de  violentes 
colères  et  proférait  des  menaces  terribles,  mais  dont  on  ne 
s'embarrassait  guère.  On  savait  qu'il  était  pour  lors  entièrement 
réconcilié  avec  le  duc  de  Savoie,  qu'il  croyait  seul  capable  de 
lui  faire  reconquérir  ses  prérogatives  k  Genève;  mais  on  n'avait 


371 

pas  appris  davantage  à  le  craindre  qu'à  l'aimer.  Les  catlioliqiies 
les  plus  zélés  ne  pouvaient  s'empêcher  de  blâmer  hautement  sa 
conduite  malailroite  et  son  absence,  qui  paraissaient  faites  tout 
exprès  pour  donner  gain  de  cause  aux  nouvelles  doctrines.  Ses 
menaces  devinrent  cependant  si  violentes  qu'on  trouva  conve- 
nable de  lui  envoyer  Bezanson  Hugues  et  Boniface  Hoffîscher. 
Encore  ne  les  laissa-t-on  partir  que  lorsque  les  affaires  de  la 
ville  le  permirent,  c'est-à-dire  plus  de  deux  mois  plus  tard.  Ces 
messieurs  revinrent  de  Saint-Claude  avec  les  protestations  les 
plus  aimables  de  la  part  du  prince-évêque;  bien  qu'il  eût  cessé 
depuis  longtemps  les  bonnes  relations  qu'il  avait  entretenues 
jadis  avec  le  grand  citoyen,  la  présence  de  ce  dernier  avait  suffi 
pour  calmer  son  irritation  el  le  ramener  momentanément  à  de 
meilleurs  sentiments.  Hugues  et  Hoffîscher  revenaient  non- 
seulement  avec  de  nouvelles  assurances  d'affection  pour  la  com- 
munauté, mais,  chose  presque  incroyable,  avec  son  autorisation 
complète  pour  limporlante  innovation  qui  devait  terminer  une 
fois  pour  toutes  la  question  du  vidomnal,  et  d'après  laquelle  on 
élut  immédiatement  un  Lieutenant  et  quatre  auditeurs  ôe  jusiice 
pour  remplacer  le  tribunal  du  vidomneV  La  majorité  se  prononça 

•  Telle  est  l'origine  du  Seigneur  Lieutenant  (auquel  on  donna  encore  un 
secrétaire  et  quatre  huissiers)  appelé  ensuite  lieutenant  de  la  sommaire 
justice,  puis  lieutenant  de  la  justice,  enfin  lieutenant  de  police,  —  et  des 
auditeurs  qui  étaient  ses  officiers  subordonnés  ;  aussi  n'est-ce  pas  ces  der- 
niers, comme  on  l'a  prétendu  dernièrement,  mais  le  lieutenant  seul  qui  peut 
et  doit  être  considéré  comme  le  successeur  de  l'ancien  vidomne  ou,  si  l'on 
veut,  de  son  lieutenant  (le  véritable  vidomne,  qui  était  le  duc  de  Savoie, 
n'ayant  jamais  rempli  ces  fonctions  lui-même),  et  c'est  de  là  qu'est  venu 
son  titre,  le  terme  de  vidomne  étant  devenu  odieux  aux  Genevois.  La  lieu- 
tenance  devint  d'emblée  l'une  des  fonctions  les  plus  élevées  et  les  plus  im- 
portantes de  l'État  ;  aussi  le  lieutenant  avait-il  le  pas  sur  tous  les  autres 
conseillers,  même  anciens  syndics,  suivant  immédiatement  les  quatre  syn- 
dics en  charge.  On  nommait  à  ces  fonctions  presque  exclusivement  des 
syndics  ou  premiers  syndics  sortant  de  charge.  Quant  aux  auditeurs,  c'est 
certainement  de  toutes  les  fondions  de  l'ancienne  république  celle  qui  est 
le  plus  vite  et  le  plus  remarquablement  déchue  de  son  importance  primi- 
tive. Dans  les  premières  années  ils  furent  choisis  parmi  les  anciens  syndics 


372 

pour  Claude  Richardet  comme  lieutenant ,  et  les  auditeurs 
furent  Jean  Balard,  l'auteur  du  Journal.,  Nicolin  du  Cresl,  Girar- 
din  de  la  Rive  et  Claude  Savoye.  On  a  de  la  peine  k  comprendre 
comment  l'évêque,  après  tant  de  réclamations  sur  la  juridictioa 
usurpée  par  les  syndics,  avait  consenti  à  ce  pas  décisif  qui  devait 
le  brouiller  plus  (|ue  jamais. avec  le  duc  au  moment  où  ce  der- 
nier se  croyait  si  sûr  de  lui.  Aussi  n'est-ce  pas  lune  des  moin- 
dres preuves  que  chez  Pierre  de  la  Baume  le  bien  l'emportait 
réellement  sur  le  mal,  el  qu'on  lui  a  fait  grand  tort,  nous  le  ré- 
pétons, en  le  représentant  comme  vendu  au  duc  de  Savoie  dès 
le  commeticemeni  de  son épiscopat jusqu'à  la  fin'.  Quoiqu'il  en 
soit,  le  Conseil  général  trouva  dans  cette  occasion  qu'il  avait 
mérité  la  reconnaissance  de  la  communauté.  En  conséquence, 
il  chargea  Hugues  el  Hoffischer  de  lui  porter  les  remercîments 
de  la  ville  et  de  le  prier  de  vouloir  bien  confirmer  l'élection  qui 
venait  d'avoir  lieu.  La  lettre  froide  et  laconique  qu'ils  rappor- 
tèrent semble  indiquer  que  le  prince-évéque  se  repentait  déjà 
de  s'être  laissé  entraîner  si  facilement".  Ce  qui  le  prouve  mieux 

et  conseillers  d'Etat  ;  ensuite  on  se  borna  à  prendre  des  hommes  d'âge  et 
de  poids  dans  le  Conseil  des  LX  ou  dans  celui  des  CC.  Enfin,  depuis  la  res- 
tauration, la  place  d'auditeur  était  le  premier  échelon  pour  des  jeunes  gens 
qui  désiraient  arriver  à  la  magistrature  et  que  leur  âge  excluait  encore  du 
Conseil  représentatif.  —  Dans  les  campagnes,  le  heutenant  était  remplacé 
par  les  clidtdains  de  Peney,  de  Jussy,  et  le  juge  de  Saint- Victor  et  Chapitre, 

*  On  a  eu  tort  aussi  de  le  représenter  comme  un  être  don'la  sensualité 
étouffait  la  voix  de  la  conscience.  l*ierre  de  la  Baume  était  non-seulement 
un  catholique  sincère  dans  toute  l'étendue  du  terme,  mais  on  ne  voit  nulle 
part  qu'il  ait  été  répréhensible  sous  le  rapport  des  mœurs,  qui  étaient  ce- 
pendant bien  en  vue  avec  un  caractère  aussi  expansif  que  le  sien.  Dans 
quelques-unes  de  ses  centaines  de  lettres,  û  parle  de  bonne  chère,  et  de  la 
préférence  qu'il  donnait  aux  vins  de  son  pays,  la  Bourgogne,  sur  les  nôtres; 
mais  par  les  expressions  même  dont  il  se  sert,  on  voit  que  cela  a  moins 
trait  à  son  goût  pour  ces  sortes  de  choses  qu'au  plaisir  d'en  faire  jouir  les 
autres  et  de  tenir  une  table  digne  d'un  grand  seigneur. 

*  «  Nous  avons  reçu  vos  lettres,  et  bien  entendu  les  propos  que  Bezanson 
«  Hugues  et  Boniface  Hoffischer,  vos  ambassadeurs,  nous  ont  tenus  de  votre 
«  part.  Et  afin  que  effet  puisse  ensuivre  les  paroles,  les  avons  de  reclief 
«  chargés  de  vous  dire,  aucunes  choses  de  par  nous,  esquieulx  baillerez  foi. 


373 

encore,  c'est  que  sur  le  rapport  de  Hugues,  on  résolut  de  lui 
envoyer  encore  Jean  Lévrier, — et  surtout  ce  fait  que  les  auditeurs 
ne  voulurent  prêter  serment  qu'avec  plusieurs  restrictions  afin 
de  mettre  leur  responsabilité  à  couvert.  Le  nouveau  tribunal  n'en 
demeura  pas  moins  une  institution  perraanenie.  Ses  appels  de- 
vaient é'.re  portés  au  Conseil  épiscopal;  mais  ils  lui  furent  bien- 
tôt enlevés,  ainsi  que  tant  d'autres  prérogatives  de  ce  dernier 
corps,  par  la  municipalité,  que  le  vicaire  Aimé  de  Gingins  se  garda 
bien  d'entraver.  S'il  y  eut  connivence  de  sa  part,  il  en  fut  le 
premier  puni.  Dans  son  propre  intérêt  il  aurait  dû  comprendre 
que  l'insiitution  catholique  n'est  pas  de  celles  dont  on  peut  im- 
punément sacrifier  les  détails  pour  sauver  le  tout. 

Pendant  ces  divers  pourparlers  entre  les  Genevois  et  leur 
évêque,  on  avait  eu  le  temps  de  comprendre  pounjuoi  messieurs 
de  Berne  avaient  tant  tenu  à  ne  pas  avoir  de  guerre  du  côté  de 
Genève.  Robert  Vandel,  Michel  Sept  et  Jean  Philippe  venaient 
de  partir  pour  unr"  nouvelle  diète  à  Payerne,  lorsqu'on  reçut  la 
nouvelle  que  les  Bernois  allaient  marcher  contre  les  petits  can- 
tons. Ils  y  avaient  été  entraînés  bien  malgré  eux  par  Zurich, 
d'abord  à  cause  d'un  prêtre  arrêté  par  les  Schwytzois,  et  ensuite 
pour  une  affaire  d'argent*.  Sur  la  recommandation  de  Hugues  Van- 
del, domicilié  à  Berne  ^,  le  Conseil  résolut  de  leur  offrir  un  secours 


€  comme  si  nous-raême'vous  les  disions.  Sur  quoi  nous  rendrez  réponse 
«  telle  que  ayions  occasion  nous  contenter,  de  même  qu'avons  en  vous  no- 
«  tre  parfaite  fiance.  —  De  la  Tour  de  May,  ce  17  Novembre.  L'évêque  et 
c  Prince  de  Genève.  —  Contre-signée  Machard.i)  Balard  nous  donne  l'expli- 
cation du  refroidissement  de  l'évêque.  Tout  en  approuvant  secrètement  le 
nouveau  tribunal,  il  aurait  voulu  pouvoir  prouver  au  duc  que  la  chose  s'é- 
tait passée  contre  son  consentement.  iMais  les  Conseils  lui  refusèrent  la  dé- 
claration qu'il  demandait  à  ce  sujet,  parce  que  cette  pièce  aurait  pu  être 
invoquée  comme  preuve  de  rébellion  vis-à-vis  de  l'autorité  du  prince.  Comme 
toujours,  Pierre  de  la  Baume  venait  d'être  dupe  de  sa  politique  ambiguë. 

«  Cette  affaire  est  racontée  au  long  dans  une  lettre  inédite  de  Jean  Phi- 
lippe à  son  beau-frère  Domaine  Franc. 

•  Il  existe  une  quantité  de  lettres  de  Hugues  Vandel  aussi  bien  que  de 
ses  frères.  Ils  étaient  tous  également  bien  doués  et  très-chauds  patriotes, 

rome  XI.  25 


374 

de  cent  archers  ou  arquebusiers,  dont  Jean  Philippe  fut  nommé 
capitaine  et  Jean  Lévrier  lieutenant,  avec  Ami  Perrin  pour  en- 
seigne, et  Claude  Bernard  pour  lieutenant  de  ce  dernier.  Pa- 
reille offre  avait  déjà  été  finie  lors  de  la  guerre  des  Bernois 
contre  leurs  paysans.  Cette  fois  elle  était  encore  bien  plus  im- 
prudente; aussi  Bezanson  Hugues  n'eut-il  pas  trop  de  peine  à 
faire  révoquer  cet  arrêté,  pris  en  son  absence,  en  montrant  toute 
l'absurdité  qu'il  y  aurait  à  dégarnir  la  ville  de  ses  meilleures 
troupes,  au  risque  de  se  brouiller  encore  avec  les  cantons  ca- 
tholiques et  spécialement  avec  Fribourg,  par  excès  de  zèle  pour 
Berne  qui  n'avait  rien  demandé.  D'ailleurs,  d'après  l'acte  de 
combourgeoisie,  ces  troupes  auraient  été  entièrement  à  la  charge 
de  Genève.  Mais  le-  têtes  étaient  échauffées,  et  l'on  résolut 
«à  défaut  d'hommes,  d'offrir  aux  Bernois  une  somme  d'argent 
à  leur  discrétion^  »  ajoutant  «  que.  s'ils  ne  s'en  contentaient  pas, 
on  leur  offrirait  corps  et  biens,  comme  on  y  était  obligé  par  le 
serment  de  combourgeoisie.  »  On  leur  envoya  en  effet,  peu  de 
temps  après,  une  somme  considérable  pour  frais  de  légation  seu- 
lement, et  comme  à  compte  de  leurs  prétentions  sur  ce  seul 
objet,  en  leur  promettant  «  de  mieux  reconnaître  leurs  services 
quand  on  serait  moins  gêné.  »  En  attendant,  on  avait  immé- 
diatement envoyé  à  nos  ambassadeurs  force  pièces  de  damas, 
boîtes  de  dragées,  sacs  d'épices  de  toute  espèce,  «  cannelle, 

quoique  dans  un  sens  ditîérent  de  Bezanson  Hugues.  Nous  avons  d'autant 
plus  de  peine  à  nous  expliquer  certains  passages  de  leurs  lettres,  comme 
par  exemple  le  suivant,  tiré  d'une  lettre  dudit  Hugues  Vandel  à  Bezanson 
Hugues,  écrite  de  Berne  le  15  septembre  )529.  «  Des  affaires  de  Messei- 
«  gneurs  supérieurs,  ne  sais  pour  le  présent  que  vous  en  écrire  sinon  qu'ils 

*  sont  toujours  en  bon  propos  pour  nous.  Dieu  merci  !  et  toujours  plus  en- 
<  venimés  contre  le  duc.  &\/t'  ne  parlais  quelquefois  pour  lui  et  l excusais  {!!) 

*  je  crois  que  ses  alliances  seraient  tantôt  rompues.  »  Dans  une  lettre  de 
Berne,  10  iMars  1530;  à  son  frère  Robert,  il  avoue  a  avoir  aidé  de  son  pou- 
voir »  M.  de  Viry,  l'un  des  principaux  chefs  des  chevaliers  de  la  Cuiller.  Il 
épousa  ensuite  .\o.  Barbe  de  Grasswyl,  veuve  de  No.  .lacob  Wyss  de  Berne. 
«  Dieu  soit  loué  de  l'avoir  mis  hors  de  ce  misérable  monde,  »  dit-il,  en  an- 
nonçant à  son  frère  Robert  la  mort  de  ce  prédécesseur  (1530). 


375 

orangeal,  girofle,  musc,  anis  bien  doux,  etc.  »  pour  être  distri- 
bués à  nos  coml)Ourgeois  les  plus  influents  «  afin  que  la  com- 
bouryeoisie  n  expire  pas,  malgré  la  sentence  de  M,  de  Gruyère  » 
laquelle  venait  d'être  prononcée.  Quand  on  réfléchit  que  Berne  n'a- 
vait jamais  olïert  un  sou  à  Genève,  dans  sa  jdus  grande  détresse, 
ni  un  seul  homme  sans  le  faire  payer  bien  chèrement;  quand  on 
pense,  d'autre  part,  aux  millions  que  les  Genevois  avaient  déjà 
sacrifiés  à  ces  confédérés  sans  en  obtenir  autre  chose  que  leurs 
éternelles  diètes,  dont  il  fallait  supporter  tous  les  frais  et  qui 
étaient  toujours  à  recommencer, —  tandis  qu'il  eût  été  si  fi^cile 
aux  Bernois  de  terminer  tout  le  différend  une  bonne  fois,  dès 
la  première  année,  s'ils  avaient  bien  voulu  prendre  tous  les  ar- 
ticles de  la  combourgeoisie  autant  au  sérieux  que  Genève  et 
Fribourg  '  ;  quand  on  réfléchit  à  tout  cela,  on  doit  trouver  bien 
niais  l'élan  enthousiaste  des  Conseils  en  faveur  de  ces  combour- 
geois  égoïstes.  Mais  le  fait  est  que  la  majorité  des  Conseils  était 
secrètement  réformée,  et  qu'elle  n'aurait  pas  craint  de  se  livrer 
complètement  aux  Bernois  pour  avancer  le  triomphe  des  nou- 
velles doctrines.  Par  contre  on  peut  dire,  sans  exagération,  que 
la  nation  genevoise,  prise  dans  son  ensemble,  était  encore  en- 
tièrement catholique;  assez  d'incidents  de  cette  année  et  des 
suivantes  nous  prouvent  qu'elle  aurait  alors  repoussé  avec  in- 
dignation toute  proposition  de  changement  de  culte,  et  plus 
encore,  la  seule  idée  de  devenir  vassale  de  messieurs  de  Berne, 
après  avoir  si  chèrement  acheté  son  indépendance  -.  Sous  ce 

'  Les  Fribourgeois,  que  les  anciens  eydguenots  appelaient  volontiers  nos 
premiers  pères  et  protecteurs,  étaient  en  effet,  comme  les  députés  protestants 
le  reconnaissaient  eux-mêmes,  beaucoup  plus  généreux  et  mieux  disposés 
pour  nous  que  les  Bernois,  et  ils  le  prouvèrent  dans  mainte  et  mainte  occa- 
sion. Mais  leur  position,  vis-à-vis  de  Berne  et  des  autres  cantons,  les  empê- 
cha plusieurs  fois  de  faire  plus  ou  autre  chose  que  ces  confédérés.  D'ail- 
leurs une  fois  que  messieurs  de  Berne  s'étaient  mis  sur  le  pied  de  faire 
payer  leurs  services  si  chèrement,  les  Fribourgeois  trouvèrent  tout  naturel- 
lement que  leurs  propres  services  valaient  bien  autant. 

•  L'année  précédente ,  les  Genevois  avaient  donné  une  preuve  bien  forte 
de  leur  susceptibilité  en  pareille  matière.  Un  particulier  avait  dit  «  que  la 


376 

rapport,  les  sacrifices  de  Bezanson  Hugues  et  de  ses  collègues 
n'avaient  pas  été  perdus  pour  l'éducation  politique  de  leurs 
concitoyens;  et  il  suffisait,  comme  nous  l'avons  vu,  d'un  Conseil 
général  dirigé  par  Hugues  pour  dissiper,  au  moins  momenta- 
nément, toutes  les  intrigues  dirigées  contre  la  dignité  et  l'hon- 
neur de  la  jeune  république.  Mais  les  ennemis  du  culte  national 
et  de  la  constitution  épiscopale  revenaieni  ensuite  sourdement 
à  la  charge;  la  conduite  maladroite  de  l'évêque  et  de  son  clergé 
ne  leur  en  fournissait  que  trop  d'occasions,  et  l'appui  qu'ils  re- 
cevaient de  Berne  rendait  leur  triomphe  final  de  jour  en  jour 
plus  probable. 

C'est  sous  la  protection  de  ce  même  parti  que  Bonivard,  k 
qui  il  ne  cessait  de  faire  accorder  des  secours  pécuniaires,  con- 
tinuait, malgré  les  défenses,  a  entretenir  une  troupe  de  bandits 
qu'il  employait  à  toutes  sortes  d'entreprises  mal  conçues  et  de 
nature  à  compromettre  la  ville  aux  dépens  de  laquelle  il  vivait. 
C'est  ainsi  qu'au  mois  d'octobre  ses  gens  allèrent,  à  son  instiga- 
tion, attaquer  le  village  de  Troinex.  Bezanson  Hugues  s'en 
plaignit  vivement  au  Conseil,  et  avec  d'autant  plus  de  raison 
que  les  deux  villes  ne  voulaient  absolument  pas  de  guerre,  et 
qu'elles  n'avaient  accordé,  grâce  à  ses  efforts,  la  nouvelle  con- 
firmation de  la  combourgeoisie  qu'à  la  condition  que  les  Gene- 
vois s'abstiendraient  de  tout  acte  d'hostilité.  Nos  ambassadeurs 


ville  payait  un  tribut  d'un  florin  par  feu  à  messieurs  de  Berne  et  Fribourg  ;  » 
assertion  fausse ,  mais  déduite  sans  doute  du  florin  de  cens  que  les  premiers 
eydguenots  qui  s'étaient  fait  recevoir  bourgeois  de  Fribourg  avaient  payé  à 
cette  ville.  Les  sommes  envoyées  aux  deux  villes  représentaient  sans  doute 
bien  autre  chose  que  cela  ;  mais ,  loin  de  les  considérer  comme  tribut ,  on 
les  assimilait  à  ces  cadeaux  que  le  duc,  aussi  bien  que  les  Genevois,  prodi- 
guaient aux  Suisses  les  plus  influents  pour  se  les  rendre  favorables.  A  leurs 
yeux,  le  tribut  était  l'emblème  le  plus  humiliant  de  la  servitude.  Aussi  le 
particulier  en  question  fut-il  condamné  à  faire  le  tour  de  la  ville ,  la  torche 
au  poing,  coiffé  d'une  mitre  sur  laquelle  ont  avait  écrit  ses  paroles  avec  le 
mot  mensnncje,  et  à  demander  ensuite  pardon  au  vicaire,  pour  le  prince- 
évêque,  et  au  Grand  Conseil. 


:n7 

en  Suisse  ne  cessaient  de  faire  les  mêmes  recommandations'. 
Cette  fois,  comme  les  autres,  le  Conseil  consentit  à  punir  par 
la  prison  les  inslrumenls  du  prieur  de  Saint-Viclor  ;  mais  il  ar- 
rêta en  même  temps  de  donner  à  celui-ci  le  premier  bénéfice 
vacant  pour  qu'il  eût  de  quoi  vivre,  le  pauvre  homme  qui,  bien 
que  secrètement  réformé,  continuait  à  exploiter  en  tous  sens  sa 
posiliond'ecclésiastique  et  de  dignitaire  de  l'Eglise  romaine.  Réel- 
lement, quand  on  connaît  les  véritables  antécédents  de  ce  moine 
frivole,  on  ne  peut  que  rire  du  rôle  de  prophète  protestant  et  de 
mentor  politique  qu  il  s'attribua  ensuite  lorsqu'il  rendit  compte  à 
sa  manière  de  ces  mêmes  événements,  à  une  époque  où  les  con- 
temporains qui  auraient  pu  relever  ses  mensonges  étaient  tous 
morts  ou  proscrits.  Ses  mœurs  licencieuses  malgré  son  état, 
ses  cheveux  blancs  et  ses  quatre  mariages,  et  l'épouvantable  fiu 
de  sa  quatrième  union,  auraient  pu,  tout  au  moins,  inspirer  dès 
lors  à  ses  admirateurs  quelques  doutes  sur  la  pureié  de  ses  prin- 
cipes et  de  sa  morale.  Celte  fois,  comme  dans  tant  d'autres  oc- 
casions, la  ville  décida  de  contribuer  a  son  entretien  et  à  celui 
de  sou  valet. 

*  Voici  ce  que  Jean  Lévrier  écrivait  de  Payerne,  à  la  fin  de  juillet  :  «  Mes 
«  Très-Honorés  Seigneurs,  vous  voyez  comme  les  Savoyens  estiment  (pliis)plu- 
«  sieurs  petites  choses  que  nous  faisons,  qu'ils  ne  font  la  mort  et  tous  les  maux 
«  que  l'on  fait  aux  nôtres;  par  quoi  vous  prie,  pour  le  profit  et  honneur  de 
«  toute  la  ville ,  que  avertissiez  votre  peuple  que  chacun  soit  sage  et  que 
«  Ton  se  garde  de  rien  commencer,  mais  endurci-  encore  un  peu  de  temps  ; 
«  car  il  nous  redondera  à  gros  profit  et  honneur,  voyant  que  les  Savoyens 
«  ne  peuvent  trouver  excuse  légitime  pour  prouver  leur  faute  ;  et  de  ce  nous 
«  ont  avertis  nos  amis;  aussi  le  pouvez  bien  comprendre,  etc.  » — «Il  est  de 
«  besoin  d'être  sage  et  de  se  tenir  coi  mieux  que  jamais,  »  écrivait  Bezanson 
Hugues,  de  Fribourg,  à  la  même  époque,  «  car  l'on  nous  veille ,  et  seraient 
«  aucuns  joyeux  d'avoir  occasion  de  nous  délaisser;  ayez-y  avis  et  faites  jus- 
if  tice,  et  Uieu  vous  aidera.  »  Les  lettres  de  nos  députés  et  des  magistrats 
des  deux  villes  sont  remplies  de  recommandations  de  ce  genre.  Celles  de 
Berne  surtout  étaient  très-impératives  à  ce  sujet  ;  elles  devenaient  même  me- 
naçantes quand  onnavaitpas  tenu  compte  de  leurs  recommandations  (voyez 
Pièces  justificatives').  Ils  nous  reprochaient  jusqu'aux  promenades  que  leurs 
gens,  qui  étaient  à  notre  solde,  faisaient  hors  des  murs  de  la  ville.  Ces  der- 
niers n'en  devenaient  ensuite  que  plus  exigeants  dans  leurs  demandes  d'argent. 


378 

Un  des  devoirs  les  plus  sacrés  de  l'hislorien  est  non-seulement 
de  rétablir  les  réputations  injustement  négligées  ou  noircies  ;  mais 
aussi,  lâche  ingrate,  de  détruire  celles  qui  ont  été  usurpées  aux 
dépens  de  la  vérité  historique  ;  au  reste,  l'un  ne  peut  guère  mar- 
cher sans  l'autre.  Nous  n'avons  pas  craint  de  le  faire  pour  Pé- 
collat,  Bonivard  et  plusieurs  des  premiers  prolestants  genevois, 
prônés  aux  dépens  des  anciens  eydguenots;  nous  n'avons  surtout 
pas  craint  de  le  faire  pour  la  conduite  des  Bernois  à  notre  égard, 
conduite  que  la  plupart  des  historiens  genevois  ont  exaltée  irès- 
mal  à  propos  en  négligeant  celle,  bien  plus  généreuse,  de  nos 
plus  anciens  alliés  et  anus,  les  Fribourgeois,  tout  bonnement  à 
cause  de  la  question  religieuse.  C'est  sur  ce  point,  sur  lequel 
nous  ne  voudrions  pas  être  taxé  d'exagération,  que  nous  allons 
attirer  encore  l'attention  du  lecteur. 

Nous  ne  nous  arrêtons  pas  a  ce  que  les  Suisses  avaient  été 
pour  nous  avant  le  seizième  siècle,  notamment  pendant  les  guer- 
res de  Bourgogne.  Nous  étions  alors,  bien  malgré  nous,  censés 
leurs  ennemis,  et  il  nous  fallut  subir  la  loi  du  plus  fort.  La  terreur 
qu'inspiraient  les  armes  suisses,  à  Genève  comme  ailleurs, 
ne  paraît  pas  cependant  avoir  porté  un  grand  préjudice  aux 
relations  <!e  commerce  et  de  famille  qui  existaient  de  longue 
date  entre  Genève  et  les  cantons  suisses  les  plus  rapprochés, 
Berne,  le  Valais  et  surtout  Fribourg.  Dès  le  commencement  du 
seizième  siècle,  les  relations  avec  celte  dernière  ville  devinrent 
plus  fréquentes  et  plus  intimes;  l'on  vit  alors  non-seulement 
des  Genevois,  tels  que  Pierre  Lévrier,  Lucain  Dupan,  etc.,  de- 
venir bourgeois  de  Fribourg,  mais,  chose  plus  extraordinaire,  des 
Fribourgeois  devenir  magistrats  à  la  fois  dans  les  deux  villes  de 
Fribourg  et  de  Genève  '.  Les  persécutions  du  duc  de  Savoie  ne 


'  Citons,  entre  autres ,  la  famille  Aygre ,  anciennement  Musot ,  qui  jouis- 
sait (le  la  bourgeoisie  de  Genève  et  de  Fribourg  déjà  depuis  le  quatorzième 
siècle.  Un  membre  de  cette  famille,  Otteman  Aygre  (cousin  de  l'avoyer  Fr. 
Arsent),  fut  à  la  fois  et  tour  à  tour  membre  du  Grand  Conseil  de  Friboui-^ 
et  de  celui  des  L  de  Genève,  au  commencement  du  seizième  siècle. 


379 

purenl  natuiellemenl  que  rendre  ces  bonnes  relations  encore 
plus  précieuses  iiiix  Genevois.  Il  va  donc  sans  dire  que  la  pre- 
mière alliance  politique  de  Genève  avec  les  Suisses  devait  com- 
mencer par  Fribourg.  Elle  fui,  comme  nous  l'avons  vu,  précé- 
dée de  la  réception  d'un  certain  nombre  de  citoyens  de  Genève 
à  la  bourgeoisie  de  Fribourg,  et  ce  furent  eux  qui,  par  leur 
exemple,  et  en  dissipant  bien  des  préjugés,  décidèrent  la  connnu- 
naulé  genevoise  à  la  combourgeoisie  avec  cette  ville.  Cilte  impor- 
tante affaire,  négociée  par  Bezanson  Hugues,  se  lit  facilement,  sans 
frais  de  part  et  d'autre,  comme  entre  gens  habitués  à  traiter  ces 
sortes  de  choses  sur  le  pied  de  la  plus  parfaite  égalité,  bien 
que  dans  cette  occasion  le  beau  rôle  fut  évidemment  du  côté  de 
Fribourg  qui,  en  sauvant  Genève,  se  brouillait  avec  le  duc  de 
Savoie,  et  excitait  les  susceptibilités  jalouses  de  ses  confédé- 
rés, ceux  de  Berne  surtout.  Mais  les  Fribourgeois  agissaient 
par  impu'sion  généreuse  ;  il  n'y  avait  aucun  calcul  égoïste  dans 
leur  conduite  à  notre  égard.  Les  chaleureux  appels  de  Bezanson 
Hugues  avaient  réussi,  en  1519,  a  mettre  en  un  clin  d'œil 
toute  leur  armée  sur  pied  et  en  marche  pour  nous  porter  se- 
cours; arrêtés  en  route  par  les  négociations  de  la  diplomatie, 
ils  firent  sans  doute  payer  un  peu  chèrement  leurs  regrets  de 
n'avoir  pu  aller  plus  loin.  Mais  telle  était  la  coutume  invariable 
des  troupes  suisses,  et  leur  armée  ne  se  composait  pas  rien  que 
de  Fribourgeois;  cette  rançon  était  d'ailleurs  censée  devoir  re- 
tomber en  majeure  partie  sur  le  duc  de  Savoie.  —  Enfin,  dans 
ces  moments  de  détresse,  où  tout  le  monde  était  contre  nous,  et 
que  les  Fribourgeois  se  trouvaient  momentanément  entraînés 
dans  le  même  sens  par  les  rigueurs  de  la  politique  suisse,  ils 
trouvaient  encore  moyen  de  nous  rassurer,  en  quelque  façon,  sur 
la  fidélité  de  leurs  sympathies  qui,  au  moment  critique,  ne  nous 
faisait  jamais  défaut,  et  changeait  subitement  la  face  des  choses 
par  sa  brusque  et  chaude  initiative  '. 

'  Voyez ,  pour  les  relations  entre  Fribourg  et  (jencve ,  le  chaleureux  et 
intéressant  travail  de  M.  le  D""  Berclitold,  intitulé  :  Friboim/  et  Genève,  ou 


380 

La  conduite  des  Bernois  fut  tout  autre,  pour  ne  pas  dire  in- 
verse. Indifférents  à  notre  sort  tant  que  nous  n'avions  aucune 
alliance  avec  les  cantons  suisses,  ils  nous  devinrent  hostiles  dès 
la  conclusion  de  la  première  combourgeoisie  avec  Fribourg,  au 
point  d'exiger  sa  rupture  et  de  nous  menacer  de  leur  puissance. 
C'était  surtout  le  fait  de  l'aristocralie  bernoise,  dont  tant  de  re- 
présentants étaient  pensionnaires  tie  monarques  étrangers.  Con- 
trairement a  ce  qui  s'était  passé  à  Fribourg,  où  l'aristocratie,  qui 
valait  bien  celle  de  Berne*,  nous  était  entièrement  dévouée,  il 
fallut  gagner  un  à  un  les  membres  influents  de  la  bourgeoisie 
bernoise  et  de  son  Grand  Conseil  ;  ce  fut  l'œuvre  des  evda[ue- 

Précis  des  relations  de  ces  deux  Etats  jusqu'à  la  rupture  de  leur  alliance.  Notre 
travail,  à  nous,  était  déjà  achevé  et  à  moitié  imprimé  quand  nous  avons  lu 
pour  la  première  fois  celui  de  M.  Berchtold,  qui  roule  sur  la  même  époque 
et  le  même  sujet,  envisagé  au  point  de  vue  du  démocrate  fribourgeois  ;  c'est 
une  négligence  de  notre  part.  Mais,  après  cet  aveu ,  il  nous  sera  permis  de 
reprocher,  à  notre  tour,  à  l'historien  fribourgeois ,  de  ne  pas  avoir  même  con- 
sulté pour  son  œuvre  celles  de  Galiffe,  notamment  ses  Matériaux  pour  l'his- 
toire de  Genève ,  où  il  aurait  trouve  plus  de  données  authentiques  et  plus  de 
documents  originaux  que  dans  tous  les  autres  historiens  réunis  qu'il  a  cités. 
La  connaissance  préalable  de  ces  Matériaux  lui  aurait  d'ailleurs  épargné  plu- 
sieurs quiproquo  et  la  répétition  de  certaines  erreurs  dont  la  fausseté  est  dé- 
montrée et  acceptée  depuis  près  de  trente  ans. 

'  La  question  sociale  n'entrait  et  ne  pouvait  entrer  pour  rien  dans  l'éloi- 
'gnement  du  Petit  Conseil  de  Berne  à  notre  égard  ;  aussi  n'en  trouve-t-on  pas 
trace  dans  les  relations  entre  les  individus  de  l'une  et  de  l'autre  ville  ;  tout 
au  contraire ,  car  il  y  eut  dès  cette  époque  bien  plus  d'alliances  de  famille 
entre  le  patriciat  bernois  et  celui  de  Genève  qu'entre  ce  dernier  et  l'aristo- 
cratie de  Fribourg;  les  de  Pesnies,  les  Girard,  les  Taccon,  les  Vandel,  les  du 
Crest,  etc.,  étaient  autant  de  beaux-frères  et  de  cousins  germains  des  de  Dies- 
bach,  d'Erlach,  de  Grasswyl,  Wyss,  etc.,  etc.;  plus  lard  cesalliances  furent  en- 
core plus  nombreuses.  L'espèce  de  dédain  des  Bernois  envers  Genève  était 
entièrement  politique.  Cette  superbe  république  tenait  à  nous  rappeler  sans 
cesse  qu'elle  n'avait  pas  contracté  avec  sa  pareille ,  mais  avec  une  ville  sujette 
d'un  souverain  ;  et  lorsqu'elle  parut  l'oublier,  ce  fut  dans  l'intention  de  pren- 
dre elle-même  la  place  de  ce  dernier.  D'ailleurs,  les  magistrats  bernois  ne 
pouvaient  que  voir  avec  jalousie  nos  excellentes  relations  avec  leurs  collègues 
de  Fribourg,  et  l'ascendant  incontestable  que  nos  principaux  députés,  Hugues 
surtout,  avaient  su  prendre  sur  la  bourgeoisie  bernoise  et  le  Conseil  de.*;  C(î 
de  Berne. 


381 

nots  réfugiés,  de  Hugues  surtout,  accompagné  et  chaudement 
appuyé  par  les  magistrats  fribourgeois.  Si  le  cœur  fut  pour 
quelque  chose  dans  la  réussite,  l'argent  et  les  promesses  y  fu- 
rent pour  beaucoup.  Ces  premières  promesses,  nous  l'avons  vu, 
s'élevèrent  à  la  somme  de  800  écus  (36,000  francs  environ), 
qu'il  fallut  payer  à  la  diète  de  Bienne,  peu  de  mois  après  la  con- 
clusion de  la  comboiirgeoisie  ;  l'instrument  ou  l'acte  de  combour- 
geoisie  lui-même  coûta  une  somme  assez  ronde,  que  Hugues  et 
son  beau-frère  Jean  Baud  payèrent  de  leur  poche,  et  qui  ne  leur 
fut  jamais  remboursée*.  Dès  lors  Genève  eut  h  sa  charge  tous 
les  frais  des  ambassades  et  des  députatious  de  diète  des  deux  vil- 
les ;  car  une  fois  que  Berne  se  faisait  payer,  Fribourg  trouva 
avec  riiison  qu'elle  méritait  bien  d'être  mise  sur  le  même  pied. 
Il  n'arrivait  pas  de  Suisse  à  Genève  qu'on  ne  lui  fit  son  ca- 
deau, qui  variait  ordinairement  de  500  à  1000  francs  de  notre 
monnaie.  Les  hérauts  n'étaient  pas  moins  bien  traités;  les 
messagers  étaient  aussi  à  notre  charge.  Nous  rappelons  du  reste 
que  Genève  eut  constamment  à  son  coût  ses  propres  députa- 
lions  aux  diètes  et  aux  deux  villes,  où  nos  députés  étaient  obli- 
gés de  tenir  à  leur  hôtel  table  ouverte  pour  leurs  coml)ourgeois, 
dont  il  fallait  en  outre  entretenir  l'amitié  par  des  cadeaux  con- 
tinuels. Tout  cela  coûtait  fort  cher  ;  aussi  les  demandes  d'argent 
pour  faire  des  banquets,  des  cadeaux  et  des  promesses  for- 
maient-elles le  refrain  ordinaire  des  députés  genevois,  dès  leur 
premier  séjour  à  Berne.  C'est  le  côté  comique  de  cette  histoire. 
Déjà  en  1525,  Ami  Girard,  lors  de  la  fuite  générale  et  non 
concertée  des  premiers  eydguenots,  fuyant  seul  de  son  côté  sans 
savoir  si  Bezansou  Hugues  avait  quitté  la  ville,  le  faisait  prier, 
par  un  ami  resté  à  Genève,  «  de  lui  envoyer  quinze  écus  pour 
suivre  l'affaire, —  plus  d'envoyer  à  N.  N.  une  pièce  de  serge 
d'Arras,  et  le  demeurant  de  quoi  il  lui  parla  ;  —  plus  de  faire 

*  Aussi  Hugues  gardait-il  celte  pièce  chez  lui,  ainsi  que  le  sceau  vierge 
qui  avait  servi  à  la  sceller,  et  que  son  neveu  D'Adda  donna  à  la  communauté, 
plusieurs  années  après  sa  mort. 


382 

donner  une  pièce  d  argent  a  N.  N.  pour  la  peine  qu'il  a  eue  a  Lu- 
cerne;  —  plus  une  pièce  d'argent  au  héraut  qui  le  mène,  etc.  » 
—  Tout  cela  n'était  encore  que  des  bagatelles  ;  les  Genevois  ne 
se  doutaient  pas  encore  jusqu'où  lesmènerait  leur  passion  innée 
de  faire  des  cadeaux.  Si  les  Fribourgeois,  même  dans  les  moments 
les  plus  pressés,  n'éparguinent  pas  les  commissions,  aux  ci- 
toyens d'une  ville  beaucoup  mieux  assortie  que  la  leur,  tout  au 
moins  offraient-ils  d'en  rembourser  les  frais,  témoin  cet  extrait 
d'une  lettre  de  l'avoyer  Dietrich  d'Endlisberg  à  Bezansoii  Hu- 
gues (26  mars  1526):  «Je  vous  prie,  mandez-moi  le  velours 
«  violet,  douze  aunes,  aussi  les  vingt  aunes  de  taffetas  noir  et 

«  la  toile  de  serge  fine, et  ce  qu'il  coûtera   m'acquitterai 

«  toujours ,  en  sorte  qu'aurez  occasion  vous  contenter ,  vous 
«  priant  non  faillir  m'envover  le  tout  ;  »  mais  c'était  une  excep- 
tion notable.  A  Berne,  quand  on  avait  fait  des  promesses  d'ar- 
gent ou  de  cadeaux,  on  ne  vous  laissait  pas  de  repos  qu'elles  ne 
fussent  accomplies.  Bezanson  Hugues  en  avait  fait  beaucoup 
pour  faire  passer  la  eombourgeoisie;  il  lui  était  impossible  de 
les  accomplir  touies  à  la  fois.  On  avait  déjà  exigé  qu'il  vînt  tout 
exprès  de  Genève  uniquement  pour  les  confirmer;  mais  cela 
n'avait  pas  suffi  poui'  faire  prendre  longtemps  patience  à  nos 
pensionnaires.  Aussi  François  Favre,  alors  h  Berne,  se  vit-il 
obligé  de  sonner  Talarme  h  ce  sujet  dès  le  2  juin  1526:  «  Pre- 
«  mièrement  trouvez  les  promesses  que  le  sire  Bezanson  a 
«  faites  à  Berne,  el  me  le  mandez  avec  toute  puissance  de  let- 
«  très  et  d'argent  comptant  des  dites  promesses  de  Messieurs 
«  de  Berne  en  Genève.  Autrement  qui  jtourra   qu'il  vuide  la 

«  ville! ne  cberchez  plus  à  intérêt,  trouvez-les   de   votre 

«  part,  autrement  vous  êtes  tous  perdus;  et  vous  prie  que  en 
»  avertissiez  ma  femme,  si  ne  se  porte  celui  argent  ,  et  qu'elle 
«  doit  venir  à  Lausanne.  J(!  sers  à  mes  dépens,  et  encore  me 
«  faut-il  payer  pour  les  autres....  »  On  voit  parle  reste  de  sa  let- 
tre que  Messieurs  de  Berne  se  disposaient  déjà  itrompre  la  eom- 
bourgeoisie s'ils  ne  touchaient  pas  bientôt  les  pots-de-vin  promis. 


383 

Le  danger  lui  paraissait  si  imminent  qu'il  voulait  mettre  sa  fa- 
mille en  sûreté.  Le  même  écrivait  d'Echallens,  2  juillet  même 
année:  «  Je  serai  lundi  à  Berne,  si  Dieu  plait.  Si  j'avais  seule- 
«  ment  dix  écus,  je  ferais  des  banquets  :  toutefois  que  j'en  au- 
«  rai  toujours  trois  ou  quatre  de  nos  amis.  »  —  Quand,  faute 
d'argent,  on  restait  quelque  temps  sans  rien  donner,  ces  mes- 
sieurs s'impatientaient:  «  Les  bourgeois  ont  long  temps  que  l'on 
«  ne  leur  donne  quelque  chose,  »  écrivait  Ami  Girard  à  Be- 
zanson  Hugues,  en  d'autres  termes:  «Messieurs  du  Grand  Con- 
seil de  Berne  trouvent  qu'il  sérail  temps  de  leur  faire  derechef 
quelque  cadeau.  »  —  -<  Avant  que  partir,  —  écrivait  Hugues, 
de  Berne,  au  Conseil,  en  juin  1527,  —  nous  sommes  délibérés 
«  à'assurer  douze  ou  vingt  des  principaux  de  nos  amis,  et  lais- 
«  serons  aux  mains  de  nos  plus  assurés  amis  les  800  écus  pour 
«  Messieurs  et  pour  les  bourgeois  (c'est-à-dire  pour  le  Conseil 
«  d'État  et  le  Grand  Conseil);  car  ainsi  a  été  ordonné  par  leurs 
«  Seigneuries,  et  je  crois  qu'inconiinent  que  nous  serons  partis, 
«  ils  les  prendront  ;  il  nous  faut  du  moins  400  ou  500  écus 
«  pour  les  parliculiers  ;  il  nous  griève  fori,  niais  il  nous  faut 
<f  faire  ainsi  pour  mettre  les  choses  a  fin  et  en  repos.  «  Dans 
cette  même  année  François  Favre  fut  chargé  de  remettre  cinq 
manteaux  de  velours   à   l'avoyer  et  aux  quatres  cautions  de 
l'emprunt  genevois  «  pour  leur  faire  prendre  patience  encore  un 
peu  de  temps.»  «Faites  apprêter  force  argent  au  seigneur  Ami 
«  Chapeaurouge»  (le  trésorier)  écrivait  Ami  Girard  de  Fribourg 
15  juin  1528.  «  car  nous  ferons  des  emprunts  qu'il  nous  fau- 
«  dra   rendre,  incontinent  être  de  retour  à  Genève;  »  et  plus 
loin,  «  incontinent  avoir  vu  la  présente,  vous  prions  nous  en- 
«  voyer  ce  que  M.  de  Genève  vous  aura  mandé,  et  plutôt  par 
«  homme  exprès ,    et  n'oubliez   aussi   nous  mander  certains 
«maroquins  (|ui  sont  chez  Michiel  Baptissard  (Sept).  >^    En 
1528,  le  personnel  du  Conseil  bernois  ayant  subi  plusieurs 
changements,  on  trouva  expédient,  «  pour  donner  bon  cœur 
«  aux  nouveaux  conseillers  de  maintenir  les  droits  de  la  cité 


38^1 

a  (le  Genève,  leur  faire  quelque  don  à  la  mode  accoutumée  » 
(Balard.  page  166)*.  «Nous  serons  bien  contraints  d'épargner 
«  et  de  désobéir  à  vos  coraraanderaenls,  si  vous  ne  nous  envoyez 
«  plus  largement  d'argent,  »  écrivait  Girard,  le  24  août  1528. 
Le  même  avait  déjà  écrit  huit  jours  avant  :  «Si  par  le  héraut  de 
«  Fribourg  ne  nous  avez  mandé  force  argent,  mandez  par  quel- 
«  que  autre.  Vous  pouvez  considérer  le  temps  que  demeurerons 
«  par  de  ça,  aussi  les  ambassadeurs  suisses,  auxquels  faudra 
«  payer  les  dépenls:  aussi  les  30  écus  de  Lucerne,  etc.,  et  plu- 
«  sieurs  autres  dépenses.  » 

Cependant  les  cadeaux  en  argent  devaient  bientôt  épuiser 
les  bourses  genevoises  dans  un  moment  où  la  ville,  exposée  à 
l'ennemi  et  à  la  famine,  ne  pouvait  suffire  à  son  propre  entretien  ; 
d'ailleurs,  ainsi  que  nous  l'avons  vu,  les  cadeaux  faits  aux 
Suisses  a  Genève  même  (où  il  fallait  en  outre  entretenir  et  sol- 
der les  troupes)  étaient  bien  aussi  considérables  que  ceux  que 
nos  députés  leur  portaient  chez  eux.  On  eut  recours  alors  aux 
présents  en  vêtements  d'un  certain  prix,  dont  les  négociants 
pouvaient  plus  facilement  faire  les  avances:  «J'ai  donné  sis  pour- 
«  points  par  le  conseil  de  M.  l'avoyer,  —  écrivait  Boulard,  de 
Fribourg  le  3  août  1528  — aussi  vous  prie  que  par  ce  présent 
«  porteur  m'envoyez  encore  pour  un  pourpoint  de  velours  cra- 
«  moisi,  etc.,  etc.  »  —  «Le  seigneur  H...  H.  s'en  va  par  de 
«  là  pour  les  affaires  de  la  relaissée  (veuve)  de  Versonnex,»  man- 
dait Robert  Vandel  de  Fribourg  le  il  septembre  1528, 
«  nous  vous  prions  faites  lui  honneur  et  le  fêtez  comme  le  prin- 
«  cipal  de  nos  amis.  Il  désire  avoir  une  fourrure  de  renard  ; 
a  nous  vous  prions  de  la  lui  donner;  elle  nous  profilera  beau- 
«  coup.  C'est  de  ceux  qui  veulent  et  osent  parler.  »  On  voit 


'  Il  paraît  du  reste,  par  une  lettre  de  Robert  Vandel  et  de  J.  Ijuilin, 
mai  ib'iS,  que  lorsque  les  députés  genevois  demandaient  à  Berne  la  réunion 
du  Conseil  pour  leurs  affaires,  ils  le  payaient;  «...Nous  avons  redemandé 

le  Conseil  en  le  payant....»  et  en  posl-scriptum,  « A  quelle  cause 

avons  donné  deux  écus  pour  avoir  Conseil  des  CC...  » 


385 

par  la  réponse  du  Conseil  qu'il  avait  été  lait  immédiatement 
droit  à  cette  demande  :  «  Nous  avons  donné  la  fourrure  de  re- 
«  naid  à  celui  qu'avez  rescrit.  » — Nous  avons  dit  que  messieurs 
des  deux  villes,  notamment  ceux  de  Berne,  étaient  à  Genève  les 
acheteurs  préférés  des  biens  des  mamelucs  condamnés,  biens 
qu'on  leur  vendait  a  vil  prix  quand  on  ne  leur  en  faisait  pas  cadeau  ; 
les  meubles  et  les  effets  personnels  des  mamelucs  suivaient  la 
même  route  \  C'avait  même  été  le  meilleur  moyen  de  meitre 
un  terme  à  la  protection  équivoque  qu'ils  avaient  accordée  si 
longtemps  à  ces  Genevois  ennemis  de  leur  patrie.  On  pensait 
qu'ils  seraient  doublement  intéressés  a  défendre  une  ville  où  ils 
devenaient  propriétaires*.  Voici  une  preuve  sur  cinquante  à  ce 
sujet,  extrait  d'une  lettre  de  François  Favre  au  Conseil,  2  juillet 
1528.  «Item,  le  sieur  Jacob  W...  vous  prie  qu'il  ait  les  deux 
«  prises  pour  500  écus,  et  les  donnera  on  répondra  ainsi  qu'il 
«  vous  plaira.»  Peu  après  Ami  Girard  écrivait  de  Fribourg  :  «Le 
*  seigneur  Jacob  W...  se  recommande  à  vous  tous.  Messieurs, 
«  et  est  bien  joyeux  de  ce  que  vous  lui  gardez  les  pièces  de 
«  Pierre  Joly  et  de  Boulet,  et  de  ce  que  le  seigneur  Jean  Baud 
«  lui  a  avancé  100  écus^  »  Bezanson  Hugues  avait  fourni  la 

'  Le  dernier  décembre  1528,  on  donna  six  douzaines  d'essuie-mains,  pri- 
ses dans  la  maison  d'un  émigré,  à  un  ami  des  deux  villes:  «  Denlur  6  duo- 
decimoe  manulergiarum  cuidem  amico  de  partibus  Dominorum  de  2  villis 
att''*  serv"*  luiic  civitati  impensis,  et  dentur  de  illis  quse  fuerunt  a  Forneraz 
condemnati,  et  de  caeteris  si  sunt.» 

*  Les  Conseils  tombaient  souvent  mal  dans  leur  zèle  de  récompenser  les 
Bernois  de  cette  manière,  témoin  cet  avertissement  d'Ami  Girard,  11  août 
1528  :  «  Il  se  dit  par  deçà  que  vous  avez  promis  la  maison  de  Lestelley, 

«  garnie  de  tout  ménage,  à  L ;  dont  plusieurs  en  murmurent  disant 

«  qu'il  est  de  mal  conseil  et  qu'il  ne  vous  fit  jamais  service.  Vous  savez 
«  assez  comment  A.  R.  et  lui  sont  bons  pour  le  duc.  » 

'  Voici  de  quelle  manière  Jacob  W...  se  libéra  de  cette  somme  de  500 
écus: 

1.  Livré  à  Berne  au  trésorier 150  écus 

2.  Par  les  mains  du  seigneur  Baud  (c'est-à-dire  avancé  par  lui).     100  — 

3.  Plus  il  promet  de  treyre  Messieurs  de  Genève  et  leur  en- 

voyer leurs  lettres  d'une  depte  de  400  11.  dus  à  une  femme 

de  Berne,  que  valent 133  V» 


386 

moitié  de  celte  somme  pour  le  même  objet.  Le  seigneur  Jacob 
W...,  notre  ami  le  plus  dévoué  à  Berne,  passait  pour  l'un  des 
particuliers  les  plus  riches  de  cette  ville.  Le  brave  Jean  Baud,  k 
force  d'avoir  donné  et  avancé  de  l'argent  à  nos  combourgeois, 
mourut  à  peu  près  insolvable  l'année  suivante.  Dès  longtemps 
le  droit  de  pêche  inféodé  h  Bezanson  Hugues  avait  passé  de  la 
même  manière  en  mains  des  patriciens  suisses.  Nous  verrons 
plus  tard  que  toute  sa  fortune  suivit  le  même  chemin.  —  Des 
présents  de  prix,  les  Genevois  passèrent  bientôt  à  ceux  en 
comestibles,  en  venaison  surtout,  dont  il  paraît  que  la  ville  et 
les  environs  abondaient ,  tandis  que  le  peuple  manquait  de 
pain.  Voici  ce  qu'Ami  Girard  écrivait  le  jour  de  la  Toussaint 
1 528  de  Fribourg,  où  il  ne  s'était  rendu  que  pour  la  dite  fête,  car 
sa  demande  était  pour  Berne  :  «  Il  vous  plaira  m'envoyer  demi- 
ce  grosse  de  grives  pour  entretenir  les  amis.  »  Et  le  3  novembre 
suivant  de  Berne  :  «  N'oubliez  pas  m'envoyer  la  demi-grosse  de 
«  grives.  »  En6n  le  29  du  même  mois  de  Berne:  «Combien 
«  que  m'avez  envoyé  des  chapons,  grives  et  bécasses,  il  vous 
«  plaira  m'envoyiT  encore  des  chapons  pour  aucuns  de  nos 
«  amis.  »  C'était  une  affaire  entendue  qu'on  ne  pouvait  rien 
attendre  de  ces  messieurs  sans  payer  leurs  services  :  «  Je  ferai 

«  quelque  promesse  au  banderet  W afin  qu'il  pousse  l'af- 

«  faire  outre,  mais  tenez  le  secret.  »  écrivait  Girard  de  Berne 
le  jour  de  la  Saint-André  1528. 

L'année  1529,  l'une  des  plus  critiques  que  Genève  eût 
à  traverser,  devait  être  tout  particulièrement  productive  pour 
nos  combourgeois.  Aux  présents  en  argent,  en  vêtements  et  en 
venaison,  on  ajouta  ceux  en  épiceries  et  douceurs  de  toute  es- 
pèce dont  messieurs  de  Berne  paraissent  avoir  été  très-friands. 

4.  Plus  lui  est  dû  (à  lui-même)  pour  certains  draps  de  soie,  la 

somme  de 68  — 

5.  Plus  que  Monsieur  le  syndic  Bezanson  payera  pour  lui  la 

somme  de 48  */» 

Somme ....     500  écus 


387 

Mais  procédons  par  ordre  de  date.  Déjà  eo  15'28,  28  sept. 
Ami  Girard  avait  écrit  au  Conseil:  «Il  vous  plaira  nous  envoyer 
«  une  livre  de  quelque  bonne  poudre  fine  en  deux  sacs,  chacun 
«  de  demi-livre,  et  nous  les  donnerons  à  deux  bourgeois  de  Berne 
«  ou  à  leurs  femmes....  Il  vous  plaira  aussi  nous  envoyer  100 
«  écus  pour  soudoyer  à  tous  affaires.  »  Personne  ne  savait  mieux 
prévenir  les  fantaisies  de  nos  combourgeois  de  Berne  que  les 
frères  Vandel.  Leur  conversion  secrète  les  avait  mis  en  grande 
faveur  dans  cette  ville,  où  Tun  d'eux  (Hugues  Vandel)  s'était 
fixé,  et  où  les  autres  ne  cessaient  de  venir  tour  à  tour  en  qua- 
lité de  députés  genevois.  Voici  ce  que  Robert  Vandel  écrivait 
de  Berne  le  3  mai  1529;  «Ne  faillez  pas  de  nous  envoyer  12 
«  aunes  de  charge  (serge)  pour  quelque  bon  ami  que  nous  avons 
«  acquis  qui  a  gros  crédit.  Il  n'est  pas  besoin  de  faillir  et  qu'elle 
K  soit  de  la  meilleure.  »  Ce  Robert  Vandel,  chef  du  parti  pro- 
testant à  Genève,  avait  lui-même  de  la  peine  à  cacher  le  mépris 
que  lui  causait  la  rapacité  de  ses  coreligionnaires  suisses;  tout 
au  moins  le  croirait-on  d'après  des  expressions  du  genre  de 
celle  qu'il  employa  en  rendant  compte  de  l'argent  donné  à 
des  soldats  suisses  qui  l'avaient  accompagné  (8  janvier  1529): 
«  Nous  ne  le  plaignons  pas,  la  marchandise  vaut  l'argent;  »  — 
ou  d'après  ces  mots  écrits  de  Berne  le  3  octobre  de  la  même 
année  :  «  Les  amis  nous  ont  bien  servi  ;  reste  à  les  récom- 
«  penser  avant  de  nous  retirer,  et  ne  faut  pas  reculer.  »  Au 
reste  son  frère  Hugues  n'avait  pas  meilleure  opinion  des 
petits  cantons.  On  se  rappelle  que  lors  de  leur  querelle 
avec  Berne  et  Zurich ,  il  voulut  que  le  Conseil  envoyât  aux 
Bernois  un  secours  de  cent  h.ommes,  dépense  que  Bezanson 
Hugues  jugea  aussi  inutile  qu'impolitique.  Hugues  Vandel 
écrivit  a  ce  sujet  le  24  septembre  1529:  «N'ayez  crainte  de 
«  courroucer  les  bas  cantons;  ils  sont  déjà  vos  ennemis;  ils  ne 
i'  sont  que  mangeurs  d'écus  ;  si  vous  aviez  plus  d'argent  que 
('■  le  duc,  et  que  le  voulussiez  livrer,  ils  seraient  vos  amis.»  — 
Robert  Vandel ,  de  Berne,  le  2  juilh  t  même  année  :  «  Il  n'est 


388 

«  pas  temps  de  plaindre  les  dépens  à  celte  heure;  c'est  le  coup 
«  à  Targenl.  Vous  ferez  s'il  vous  plaît  porter  du  vin  au  capitaine 
«  en  son  logis  :  car  il  est  notre  bon  ami  et  de  grosse  maison.  » 
Hugues  Vandel  à  Bezanson  Hugues,  de  Berne  29  août  :  «  Je 

«  vous  prie  ne  oubliez  les  peaux  de  Si ,  ni  aussi  une  hoëte 

«  de  pillules,  des  vôtres,  pour  Yunker  (damoiseau)  Ludwig  de 

«  D lequel  se  recommande  fort  à  vous.  Vous  aurez  aussi 

«  de  l'avis  touchant  les  pourpoints  de  quoi  parlâmes  dernière- 
«  ment  et  des  petits  présents.  Vous  y  aviserez  avec  quand  vous 
«  retournerez.  Vous  savez,  il  fut  promis  quelque  chose  à  Wil- 

«  helm  Z. et  à  Hans  F....  En  outre  aviserez  Messeigneurs 

«  touchant  les  censés  que  Ton  doit  a  présent  payer.  »  Encore 
Hugues  Vandel  à  Bezanson  Hugues,  15  septembre  de  Berne: 
«  Je  vous  prie  que  faites  faire  de  vos  pillules,  comme  vous  ai 

«  écrit,  pour  le  seigneur  Louis  de  D ,  lequel  se  recommande 

«  fort  à  vous,  et  aussi  St ,  et  vous  remercie  bien  des  peaux 

«  que  lui  avez  envoyées,  se  offrant  le  desservir  envers  vous  et 
«  la  ville  et  de  venir  de  Frutigen,  où  il  est  châtelain,  ici  toutes 
«  fois  quantes  lui  ferons  savoir.  Je  n'ai  écrit  certain  noms  des 
«  seigneurs  de  cette  ville  auxquels  me  semble  qu'on  dût,  ou  peu 

«  ou  prou,  leur  faire  quelque  présent,  et  surtout  h  St (celui 

€  des  peaux)  W, et  Y ,  et  touchant  aux  autres  quel- 

«  ques  fantaisies,  comme  des  poudres  et  noix  muscates.  Non- 
«  obstant  messeigneurs  en  feront  ce  que  bon  leur  semblera.  » 
Bobert  Vandel  de  Berne,  2(i  septembre  1529:  «Ne  faillez  à 
«  nous  envoyer  argent,  pour  que  soudoyons  aux  affaires;  c'est 
«  le  coup  à  l'argent.»  Le  même,  l*^""  octobre,  de  Payerne, 
au  nom  de  la  dé[)utation  genevoise  :  «  Vous  avez  ici  à  Berne 
«  plusieurs  de  nos  bons  amis  auxquels  serait  besoin  de  faire 
«  quelque  présent,  desquels  verrez  les  noms,  de  damas  ou  de 
«  velours,  comme  vous  semblera,  avec  une  douzaine  de  boîtes 
«  de  dragées  et  de  poudre  pour  les  autres  particuliers,  et  qu'il 
«  soit  incontinent,  car  il  est  temps  ;  »  (billet  inclus)  «  Les  noms 
«  de  nos  amis:  W ,  St....,  Y ,  Tr....,  Sch , 


389 

«  Gr Wllhelm  Z ,  Willielm  R ,  et  une  douzaine 

«  de  boîtes  de  dragées  et  de  sacs  de  poudre  pour  les  autres 
«  amis  particuliers'.»  (Autre  billet  inclus):  «N'oubliez  pas 
«  nous  envoyer  d'argent,  etc. ,  otc.  »  Le  Conseil  s'empressa 
d'expédier  une  ample  cargaison  de  toutes  ces  choses  «  afin  que 
la  comboiirgcoisie  n'expire  pas,  malgré  la  sentence  de  Monsieur 
de  Gruyères.  »  Le  trésorier,  Ami  de  Chapeaurouge,  écrivait  k 
ce  sujet  audit  Robert  Yandel  à  Berne  :  «  Par  ces  présents  por- 
«  teurs,  qui  sont  deux  gagne-deniers,  vous  envoie  dix-sept 
«  aunes  et  demie  de  damas  jaune  et  deux  aunes  et  demie  de 
«  damas  rouge.  Si  j'eusse  pu  trouver  tout  de  damas  rouge,  je  le 
«  vous  eusse  envoyé  ;  mais  je  n'en  ai  trouvé  que  cela.  Aussi 
«  vous  envoie  12  boîtes  de  dragées  belles  et  bonnes,  avec  12 
«  sacs  de  poudre,  comme  verrez.  » — Mais  ce  n'était  pas  tout, 
dès  le  24  du  même  mois,  Hugues  Yandel  écrivait  de  Berne  : 
«  Je  récris  touchant  quelque  chose  que  voudrait  avoir  un  sei- 
«  gneur  de  cetie  ville  dont  j'ai  mandé  une  mémoire  à  mon 
«  frère  Robert.  S'il  vous  plaît,  lui  ferez  livrer  le  contenu  du 
«  dit  écrit".»  — Robert  Yandel  de  Fribourg,  Saint-Nicolas, 
1529:  <r  Et  ne  faillez  pas  nous  envoyer  la  sarge  noire,  qui 
«  sera  chose  profitable  pour  nous;  et  plut  à  Dieu  que  nous 
«  l'eussions  déjà  et  la  dussions  payer  du  nôtre,  ensemble  de  l'ar- 
<(  gent;  car  des  350  écus,  il  n'y  a  ordre.  » 

Nous  pourrions  faire  un  livre  de  citations  semblables  ;  car 
les  exigences  de  ces  bons  amis  et  la  libéralité  des  Genevois  ne 
firent  qu'aller  crescendo  jusqu'au  moment  oii,  réduits  par  la  ré- 
formation à  n'avoir  d'autre  protection  que  Berne,  cette  ville 

*  On  envoyait  aussi  en  présent  à  Berne  une  grande  quantité  de  metudat 
alexandrin,  qui  paraît  avoir  été  un  spécifique  préservatif  contre  la  peste. 
L'once  coûtait  un  sol  (i  franc  de  notre  monnaie)  ;  on  y  Joignait  toujours  du 
xedoan. 

*  Le  14  janvier  de  cette  année,  H...  H....  l'un  de  nos  principaux  pen- 
sionnaires (celui  qu'on  avait  dans  le  temps  gratifié  d'une  fourrure  de  re- 
nard) rappela,  «  qu'on  avait  promis  de  lui  donner  une  bonne  robe,  qu'il 
viendrait  demander  en  justice,  si  on  ne  la  lui  donnait  pas  autrement.  * 

Tome  XI.  26 


390 

voulut  nous  imposer  un  tribut  annuel  de  mille  écus.  En  voilk 
bien  assez  pour  prouver  que  nous  n'avons  rien  exagéré  en  par- 
lant de  la  rapacité  de  nos  combourgeois,  des  Bernois  surtout. 
D'ailleurs  nous  avons  tenu  à  ne  rien  répéter  de  ce  qui  se 
trouve  de  ce  genre  dans  le  cours  de  cette  histoire.  Il  n'arri- 
vait pas  un  Suisse  à  Genève  qu'on  ne  lui  fit  son  présent,  en  sus 
de  ses  frais  de  réception  et  d'entretien.  Il  n'allait  pas  un  Gene- 
vois à  Berne  qu'il  ne  fût  porteur  de  quelque  argent  ou  cadeau 
pour  ces  combourgeois.  Robert  Vandel  estimait  en  1529  à 
40,000  écus  (près  de  deux  millions)  les  dépenses  que  la  ville 
avait  été  obligée  de  faire  pour  maintenir  la  bourgeoisie.  Mais  ce 
chiffre  est  évidemment  trop  réduit;  car  déjà  à  la  diète  de  Payerne 
1530,  les  dé|)utés  genevois  offrirent  d'affirmer  par  serment  que 
la  ville  avait  perdu  plus  de  cent  mille  écus  (environ  quatre  mil- 
lions et  demi);  et  cinq  années  plus  tard,  dans  les  procès  contre 
les  mamelucs  et  les  Penovsans,  les  perles  et  les  dépenses  réu- 
nies des  Genevois  sont  estimées,  par  plusieurs  personnes  di- 
gnes de  foi,  a  quatre  cent  mille  écus  d'or  sol  (près  de  vingt 
millions  de  francs  de  notre  monnaie).  Balard  représentait  assez 
l'opinion  des  modérés  de  l'époque  ;  or  d'un  bout  à  l'autre  de 
son  Journal  on  verra  percer  l'idée  que  les  dommages  causés  à 
Genève  par  le  duc  de  Savoie  et  son  armée  n'étaient  rien  à  côté 
de  ce  que  nous  coûtait  l'amitié  de  nos  combourgeois. 

Quelques  personnes  s'imagineront  peut-être  que  la  Suisse 
était  alors  un  pays  pauvre,  qui  avait  plus  besoin  d'argent  que 
Genève,  et  où  certains  présents  avaient  le  même  genre  d'attrait 
<jue  pour  les  chefs  des  tribus  de  sauvages.  Quelle  erreur!  La 
guerre  que  ses  vaillants  habitants  allaient  faire  au  loin,  pour  le 
compte  de  souverains  étrangers,  souvent  opposés  les  uns  aux 
autres,  leur  valaient  des  sommes  énormes,  sans  parler  du 
pillage  qui  l'accompagnail.  Aussi  était-ce  en  Suisse  même 
que  nos  députés  devaient  emprunter  à  gros  intérêts  l'argent  qui 
nous  manquait,  et  qui  y  retournait  immédiatement  sous  une 
autre  forme,  sans  libérer  le  capital  ni  ses  intérêts.  Nous  nous 


391 

trouvions  pour  ces  emprunts  en  concurrence  nonseulemenl  avec 
le  duc  de  Savoie,  mais  avec  les  ambassadeurs  du  roi  de  France 
à  qui  il  fallait  naturellement  des  sommes  encore  bien  plus  con- 
sidérables qu'aux  nôtres  ;  enfin  qu'on  n'oublie  pas  que  tous  les 
trésors  du  duc  de  Savoie  passaient  successivement  aux  Suisses, 
aux  Bernois  surtout,  et  que  ce  fut  évidemment  là  une  des 
principales  raisons  qui  les  empêcha  si  longtemps  de  se  brouiller 
complètement  avec  Charles  III ,  tout  en  se  déclarant  en  prin- 
cipe en  notre  faveur.  —  Ce  n'est  certes  pas  par  malveillance 
personnelle  contre  l'ancienne  Berne  que  nous  donnons  tous  ces 
détails.  Personne  n'admire  plus  sincèrement  quo  nous  son  his- 
toire, son  héroïsme,  sa  profonde  politique,  sa  constitution  aussi 
forte  que  simple,  et  jusqu'à  son  gouvernement,  préférable  peut- 
être  à  tous  les  autres,  en  tenant  compte  de  l'époque.  Nous 
sommes  même  bien  loin  de  nier  les  services  que  les  Bernois 
nous  rendirent  ;  mais  nous  tenions  à  établir  que  ces  services 
furent  très-largement  payés ,  qu'ils  se  firent  singulièrement  at- 
tendre, et  qu'il  ne  tint  pas  à  ceux  qui  nous  les  rendaient  que 
nous  ne  devinssions  leurs  sujets  et  leurs  vassaux,  au  lieu  d'êire 
simplement  leurs  alliés  ou  leurs  obligés.  C'est  là  un  fait  incon- 
testable; nous  sommes  donc  parfaitement  quittes.  Si  la  conduite 
de  Berne,  contraste  dans  cette  occasion  avec  celle  de  Fribourg, 
certes  elle  jure  encore  bien  davantage  avec  celle  de  la  pauvre 
Genève,  de  toutes  les  villes  de  l'époque  peut-être  celle  qui  de 
temps  immémorial  prodiguait  à  tout  venant  avec  le  plus  d'em- 
pressement ses  richesses,  ses  services  et  sa  joyeuse  hospitalité. 

L'année  1530  commença  par  quelques  troubles  à  Saint- 
Gervais,  lesquels  furent  cependant  bientôt  apaisés.  —  Le  9 
janvier  on  envoya  Robert  Yandel  et  Jean  Lullin  porter  500  écus 
à  Berne,  en  déduction  de  ce  que  cette  ville  réclamait  pour  ses 
ambassades  et  diètes  en  notre  faveur.  Il  s'agissait  d'ailleurs  aussi 
de  se  plaindre  d'une  série  de  nouvelles  prouesses  des  gentils- 
hommes de  la  Cuiller,  —  Le  baron  de  Menlhon,  l'un  des  prin- 


392 

cipaux  seigneurs  de  la  cour  ducale,  et  que  Charles  III  réservait 
ordinairement  pour  les  occasions  les  plus  importantes ,  écrivit 
à  Bezanson  Hugues  pour  lui  demander  s'il  pouvait  venir  en 
sûreté  à  Genève  lui  parler.  Il  s'agissait  très-probablement  d'une 
teniative  de  séduction,  à  laquelle  l'état  déjà  obéré  des  affai- 
res du  grand  citoyen  et  les  progrès  du  parti  révolutionnaire  au- 
raient pu  fournir  quelque  crédit  ;  Hugues  rapporta  simplement 
la  chose  au  Conseil  et  répondit  en  son  nom  que  les  dernières 
proclamations  accordaient  un  libre  accès  à  tout  le  monde.  Ap- 
paremment le  baron  comprit  que  celui  qui  résistait  depuis  tant 
d'années  aux  menaces  et  aux  embûches  de  son  maître,  ne  serait 
pas  plus  accessible  aux  douceurs  et  aux  promesses  de  celui-ci, 
car  il  n'en  fut  plus  question. 

Le  ce  se  rassembla  le  4  février  pour  l'élection  des  candidats 
au  syndicat,  et  fît  précéder  la  séance  d'une  messe  solennelle. 
11  rendit  au  Conseil  étroit  le  droit  de  faire  bientôt  de  nouveaux 
bourgeois,  mais  non  sans  le  consulter.  Il  défendit  à  tous  les  ci- 
toyens et  bourgeois,  sous  peine  de  la  perte  de  la  bourgeoisie, 
de  se  citer  à  comparaître  devant  aucune  cour  ecclésiastique^ 
tant  à  Genève  qu'à  Vienne.  Ses  candidats  au  syndicat  furent 
acceptés  par  le  Conseil  général  du  surlendemain.  C'était  Jean 
Baiard,  Jean  Lévrier,  Pierre  Villiel  (riche  et  bien  apparenté)  et 
Jean-Ami  Curtet,  l'ancien  secrétaire.  Ce  dernier  ne  manque 
pas  d'annoncer  lui-même  dans  le  procès-verbal  sa  nomination 
dans  ce  style  de  cagot  dont  on  fit  tant  d'usage  plus  tard  et  qui, 
pour  le  moment,  indiquait  le  parti  auquel  il  appartenait  :  a  Moi 
indigne»  [ego  immeritus) ,  dit-il,  en  parlant  de  son  élection. 
Assurément  cette  «  indignité  »  n'était  pas  inattendue,  puisqu'il 
avait  deux  jours  auparavant  obtenu  sa  démission  de  secrétaire 
en  ce,  afin  de  se  proposer  pour  le  syndicat.  Robert  Yandel  fut 
élu  secrétaire  à  sa  place;  c'eût  été  un  excellent  choix  si  Vandel 
n'a\ait  été  complètement  absorbé  par  les  intrigues  de  son  parti; 
aussi  les  registres  tenus  par  lui  sont-iis  singulièrement  incom- 
plets et  irréguliers.  —  Le  8  février  on  statua  que  dorénavant 


393 

l'élection  des  conseillers  aurnit  lieu  parle  CC;  mais  il  ne  faut 
pas  oublier  que  c'était  le  Conseil  ordinaire  qui  faisait  lui-même 
le  CC,  et  qu'il  entrait  dans  sa  composition  avec  le  lieutenant  et 
ses  auditeurs'.  La  religion  ne  paraît  pas  avoir  beaucoup  influé 
sur  les  changements  que  l'on  fit  dans  le  Conseil  d'Etat.  Par 
contre  on  mit  beaucoup  de  gens  de  fort  petite  réputation  dans 
celui  des  CC,  qui  malgré  cela  n'atteignit  pas  ce  chiffre  à  beau- 
coup près,  ce  qui  ferait  supposer  qu'il  y  avait  encore  beaucoup 
de  citoyens  qui  ne  se  souciaient  pas  de  se  mêler  des  affaires 
publiques.  C'est  pour  cela  sans  doute  qu'on  fixa  le  1 1  février 
une  amende  de  25  écus  (environ  1100  francs),  pour  quicon- 
que refuserait  l'emidoi  public  auquel  il  aurait  été  nommé.  On 
fixa  aussi  une  amende  par  séance  pour  ceux  qui  n'assisteraient 
pas  aux  Conseils  dont  ils  faisaient  partie.  Enfin  il  fut  statué  que 
ceux  qui  parleraient  des  affaires  d'État  hors  (!e  la  maison  de 
ville  auraient  la  langue  percée^  et  que  celui  qui  en  aurait  con- 
naissance sans  le  dénoncer,  payerait  une  amende  de  soixante 
sous  (autant  de  francs).  —  On  procéda  ensuite  à  faire  de  nou- 
veaux bourgeois  en  obligeant,  souspcinede  voir  fermer  leurs  éta- 
blissements, tous  ceux  qui  n'étaient  que  domiciliés  en  ville  a  ache- 
ter la  bourgeoisie,  avantage  dont  les  étrangers  se  seraient  bien 
passés  à  une  époque  où  tout  citoyen  qui  s'absentait  sans  permis- 
sion était  considéré  et  puni  comme  déserteur.  Ce  n'était  guère  le 
moyen  de  ramener  le  bien-être ,  la  confiance  et  le  commerce 
dans  une  ville  qui  souffrait  de  la  famine  depuis  des  années. 
L'ancienne  prison  étant  devenue  insuffisante  à  contenir  les  mal- 
heureux condamnés  au  pain  et  à  l'eau,  pour  avoir  désobéi  aux 
récentes  ordonnances,  on  dut  en  construire  une  nouvelle.  — 
Ce  n'était  certes  pas  là  le  genre  de  liberté  pour  lequel  Berthe- 
lier  et  Lévrier  avaient  subi  le  martyre  et  tant  d'autres  la  persé- 

*  Le  seigneur  lieutenant  et  ses  auditeurs  ayant  été  élus  pour  la  première 
fois  en  novembre,  ils  le  furent  toujours  à  cette  même  époque:  les  audi- 
teurs tous  les  deux  ans  et  seulement  deux  à  la  fois,  le  lieutenant  pour  une 
seule  année. 


394 

cution,  l'exil  el  la  perle  de  leur  fortune.  Tant  de  sévérité  et  de 
défiance  sentait  le  ferment  révolutionnaire,  el,  comme  dans  tou- 
tes les  révolutions,  c'était  une  minorité  qui  allait  l'emporter  et 
imposer  ses  volontés  aux  masses  surprises  *.  Ce  n'était  pas  cette 
minorité-là  qui  nous  avait  rendu  notre  indépendance  ;  elle  ne 
faisait  qu'exploiter  ce  qui  s'était  fait  sans  son  secours,  pour 
être  sacrifiée  sans  pitié  à  son  tour  quand  son  heure  fut  venue. 
Il  en  fut  de  la  révolution  genevoise  comme  de  toutes  les  révo- 
lutions qui  ont  un  commencement  légitime  :  «  la  vertu  les  pré- 
pare, l'ambition  les  exploite,  le  vice  en  jouit.  »  Non  content  de 
la  liberté  conquise  par  les  premiers  patriotes  genevois,  le  parti 
des  Vandel,  des  Philippe  et  même  des  Girard  voulait  maintenant 
table  rase  pour  régner  à  sou  tour  ;  son  règne  fut  de  courte  du- 
rée :  il  tomba  frappé  par  ceux-là  même  qui  s'étaient  élevés  sous 
sa  protection.  Pour  le  moment  il  était  tout-puissant'^. 

•  On  contracta  avec  le  bourreau,  maître  François,  pour  25  florins  par  an , 
plus  2  florins  par  fustigation,  et  4  florins  pour  exécution  à  nriort.  Il  ne  tarda 
pas  à  trouver  de  l'occupation.  Le  sous-hospitalier  des  pestiférés,  sa  femme, 
leur  fils,  le  chapelain  de  l'établissement  et  un  autre  complice  avaient  avoué 
qu'ils  avaient  propagé  la  peste  au  moyen  de  linges  infectés  et  de  diverses 
autres  manières,  trop  sales  à  raconter,  dont  ils  avaient  le  secret.  A  vrai  dire, 
on  ne  comprend  pas  quel  pouvait  être  l'intéiêt  de  ces  malheureux  à  agir 
ainsi;  il  fallait  qu'il  fût  bien  grand  pour  qu'ils  s'exposassent  à  en  être  les 
premières  victimes.  Au  reste,  n'y  eût-il  de  vrai  que  le  quart  de  ce  que  Boni- 
vard  rapporte  de  cette  mystérieuse  aff'aire,  il  faudrait  encore  convenir  que 
la  peine  de  mort  était  bien  méritée.  Ce  que  nous  blâmons,  c'est  la  barbarie, 
jusqu'ici  tout  à  fait  inconnue  à  Genève,  qui  accompagna  ces  supplices,  triste 
avant-coureur  des  raffinements  de  tous  genres  que  notre  justice  pénale  de- 
vait recevoir  dans  le  courant  du  même  siècle.  Les  trois  hommes  furent 
tenaillés  devant  les  maisons  qu'ils  étaient  censés  avoir  infectées ,  avec  des 
tenailles  rougies  au  feu ,  puis  décapités  et  écartelés  au  Molard ,  j)our  plus 
d'exemple.  Quant  à  la  femme,  condamnée  au  même  supplice ,  on  se  contenta 
de  lui  couper  le  poing  et  de  la  décapiter.  Le  fils  ne  fut  que  pendu.  Les  têtes, 
furent  clouées  sur  des  pieux,  en  face  de  l'hôpital,  et  les  douze  quartiers  ex- 
posés dans  les  autres  parties  de  la  ville  et  des  franchises. 

*  Nous  avons  déjà  dit  que  les  frères  Vandel  étaient  depuis  1526  les  chefs 
du  parti  protestant  à  Genève ,  quoique  pratiquant  ouvertement  la  religion 
romaine.  Voici  quelques  passages  assez  curieux  d'une  lettre  de  Hugues  Vandel 
à  son  frère  Robert,  de  Berne,  23  juin  1530  :  «  L'Église  de  Saint-Victor  ne 


395 

On  avait  déjà  eu  l'année  précédente  quelque  peine  à  faire 
respecter  les  défenses  de  manger  de  la  viande  pendant  le  ca- 
rême, défenses  qui  se  faisaient  toujours  publiquement  à  pareille 
époque;  cette  fois  le  vicaire  fit  savoir  au  Conseil  qu'il  ferait 
punir  ceux  qui  mangeraient  de  la  viande  en  carême  «  suivant  la 

€  peut  faillir  au  pis  aller  qu'elle  ne  tombe  par  terre,  car  elle  est  trop  vieille. 
■c  Mais  j'espère  de  faire  un  autre  moyen ,  et  crois  que  j'en  viendrai  à  bout, 
«  car  le  secrétaire  ne  me  l'a  pas  dissenti;  c'est  que,  à  cause  que  quelque 
t  jour  regarderons  en  la  ville  de  Genève  si  la  plus  grande  part  veut  être 
«  évangéliste  ;  et  cas  advenant  que  nous  fussions  trop  court  à  cause  de  la 

<  crainte  qu'ils  ont  aucmis  de  la  ville  de  ceux  de  Fribourg,  pourrons  être 
«  secourus  par  l'acceptation  du  dit  prieuré  par  Messieurs  de  Berne  ;  car  cela 
«  advenant,  pour  leur  part,  ils  voudraient  y  avoir  un  vogt  (bailli)  et  un  pré- 
4  dicant  qui  serait  notre  grand  confort.  Je  ferai  à  Fribourg  selon  le  contenu 
«  de  ma  charge,  et  puis  après  aurai  le  particulier  seulement  ici  à  Berne  ;  et 

<  puis  vous  écrirai,  ou  à  Messeigneurs,  pour  mettre  les  dits  projets  devant 

«  Messieurs  du  Grand  Conseil  de  cette  ville  (c'est-à-dire  de  Berne) Je 

«  vous  envoie  lettres  de  Farellus;  je  crois  que  par  icelles  serez  informé  de 
«  ce  qu'il  a  fait  à  Lausanne.  Vous  ferez  souventes  fois  écrire  à  Christophle 
«  par  deçà  comment  il  a  déjà  écrit  à  Farellus  et  touchant  mon  opinion  que 
«  j'ai  de  Saint- Victeur  à  Berthold  ;  car  si  ce  n'est  pas  le  moyen  que  je  vous 
«  ai  écrit,  Messieurs  de  Berne  ne  l'accepteront  point,  etc.,  etc.  »  — P.  S.  «  Man- 

<  dez-moi  si  vous  avez  reçu  les  lettres  par  le  capitaine  Chésaux,  car  je  serais 
«  bien  marri  si  elles  étaient  perdues.  J'ai  été  à  Zurich,  et  nous  fit  gros  ac- 
«  cueil  ZwimjUens  et  les  autres.  »  —  Ainsi  donc ,  pour  implanter  la  réforme 
à  Genève ,  les  frères  Vandel  ne  reculaient  pas  devant  l'idée  de  livrer  aux 
Bernois  la  plus  riche  de  nos  anciennes  communautés  religieuses  (dont  les 
dépendances  s'étendaient  au  loin  sur  la  rive  gauche  du  Rhône ,  et  dont  le 
tiers  avait  été  promis  aux  Fribourgeois),  et  d'appeler  dans  nos  murs  un  bailli 
bernois.  Ces  mêmes  frères  Vandel  continuaient  à  s'acquitter  catholiquement 
de  leurs  fonctions  de  députés  auprès  des  Fribourgeois,  qu'ils  trompaient  de 
leur  propre  autorité  en  faveur  de  Berne.  Ils  continuaient  aussi  à  postuler  des 
bénéfices  et  un  canonicat  pour  leur  frère  Thomae ,  qui  était  parfaitement 
d'accord  avec  eux,  ainsi  qu'on  le  voit  par  ses  lettres.  — Ce  parti  protestant, 
très-influent  dans  les  Conseils,  était  presque  ignoré  dans  le  peuple.  Voici  ce 
qu'un  citoyen  genevois,  dont  la  signature  nous  échappe,  écrivait,  trois  ans 
plus  tard,  en  juin  1533,  au  juge  de  Gex  :  «  Nous  avons  ici  juré  de  non  plus 
«  être  Leuther^  Jean  Philippe,  syndics  et  tous,  réservés  Baudichon,  les  Vandel, 
«  Perrin ,  Goule  et  certains  autres  ;  mais  il  faudra  qu'ils  aillent  autre  part. 
«  J'espère  que  Dieu  aidera  les  siens  !  >  On  sait  d'ailleurs  que  les  Conseils  ge- 
nevois promirent  jusqu'en  1534  aux  Fribourgeois  de  rester  dans  la  même 
foi  qu'eux,  et  que  la  réforme  ne  fut  officiellement  arborée  qu'en  mai  1536. 


396 

secte  luthérienne.  »  On  arrêta  de  défendre  aux  aubergistes  d'eu 
donner,  et  de  chercher  à  détourner  de  cette  pratique  «  par  des 
paroles  caressantes  ou  par  des  menaces.»  A  cela  le  Conseil  des 
ce  ajouta  la  défense  de  manger  de  la  viande  «  sans  l'autorisa- 
tion de  la  justice;  les  contrevenants  feront  selon  leur  fortune, 
une,  deux  ou  trois  toises  aux  murailles  de  Saint-Gervais;  ceux 
qui  n'ont  rien  seront  châtiés.  »  C'était  enlever  à  l'institution  du 
jeûne  et  aux  peines  disciplinaires  à  jirononcer  à  ce  sujet  tout 
leur  caractère  ecclésiastique  ;  mais  c'était  précisément  ce  que 
voulait  le  CC,  où  les  protestants  étaient  en  majorité.  Il  termina 
son  arrêté  en  prononçant  les  mêmes  peines  contre  les  prêtres 
qui  ne  s'abstiendraient  pas  de  leurs  mœurs  licencieuses.  En 
principe  le  CC  avait  raison,  au  moins  sur  ce  dernier  point; 
mais  c'eût  été  au  vicaire  à  intervenir;  au  lieu  de  cela,  celui-ci 
continuait  à  laisser  l'évêque  dans  l'ignorance  la  plus  complète 
de  ce  qui  se  passait  à  Genève;  car  on  n'en  retrouve  pas  un  mot 
dans  une  lettre  menaçante  que  le  prélat  écrivit  le  20  avril  au 
Conseil  pour  ordonner  la  restitution  des  biens  de  l'ancien  con- 
seiller Perrin  Peyrolier%  «en  son  vivant  son  bon  et  fidèle  ci- 

'  Ce  Perrin  Peyrolier,  qui  avait  épousé  la  veuve  de  François  Galiffe  (voy. 
plus  haut),  appartenait  à  cette  classe  de  Genevois  ducaux,  émigrés  en  1526, 
que  le  Conseil  général  avait  amnistiés,  et  on  n'avait  rien  eu  à  lui  reprocher 
jusqu'à  sa  mort,  qui  eut  lieu  peu  de  temps  après.  Mais  il  appartenait  à  l'une 
des  familles  les  plus  riches  et  les  mieux  apparentées  de  Genève.  Craignant 
quelque  spoliation,  son  facteur,  Pierre  Gojon,  avait  rais  tous  ses  biens  sous 
son  nom  pour  les  sauver  ;  on  le  déclara  digne  de  mort  pour  s'en  emparer. 
Grâce  à  l'intervention  de  Messieurs  de  Diesbach  de  Berne  et  Arsent  de 
Fribourg,  Gojon  eut  la  vie  sauve,  et  le  Conseil,  charmé  d'avoir  pu  donner  à 
cette  spoliation  une  apparence  de  légalité  pai-  l'intervention  de  ces  deux  sei- 
gneurs suisses,  leur  donna  à  chacun  dix  écus  (environ  460  fiancs).  Mais  Gojon, 
à  peine  hors  de  ville,  recommença  ses  réclamations,  dans  lesquelles  le  frère 
du  défunt,  Messire  Humbert  Peyrolier,  chanoine  de  Vienne,  trouva  moyen  de 
faire  intervenir  successivement  Messieurs  des  Ligues,  le  prince-évêque ,  le 
duc  de  Nemours  et  même  le  roi  de  France,  François  l^",  qui  écrivit  tout  exprès 
au  Conseil  à  ce  sujet.  De  nobles  et  puissantes  maisons  de  Vienne ,  de  Lyon 
et  de  Màcon  étaient  intéressées  dans  cette  affaire ,  qui  causa  beaucoup  de 
difficultés  à  la  ville.  On  peut  juger,  par  cet  exemple,  de  l'importance  des 
familles  patriciennes  genevoises  de  l'époque  à  l'étranger. 


397 

lO}'en  et  sujet,»  à  ses  hoirs  ou  à  Gojon,  facteur  de  sou  frère 
Humbert,  chanoine  de  Vienne ,  menaçant  de  son  indignation 
pour  ce  crime  île  lèse-majesté,  etc.,  etc.  Mais  Pierre  de  la  Baume 
avait  lui-même  enseigné  à  ses  sujets-citoyens  à  ne  pas  plus  faire 
cas  de  ses  menaces  que  de  ses  promesses. 

Le  1 0  mai,  mieux  informé  de  tout  ce  qui  s'était  passé  à  Ge- 
nève, le  prince-évéque  écrivit,  contre  son  liabilude,  une  lettre 
remarquable  à  la  fois  par  sa  moJéralion  et  par  sa  force,  dans 
laquelle  il  se  plaignait  avec  calme  et  dignité  de  tous  les  enva- 
hissements sur  son  autorité.  Mais  il  était  trop  tard,  et  un  nouvel 
incident  allait  hâter  la  rupture  qui  était  jjréparéo  de  longue 
main.  Un  subordonné  de  Thomas  Vandel  (toujours  curé  de 
Saint-Germain  et  chanoine  en  expectative,  quoique  secrètement 
réformé)  fut  arrêté  hors  des  franchises  par  le  procureur  fiscal 
Mandallaz.  Le  vicaire,  sollicité  par  les  frères  Vandel  auxquels 
il  n'osait  rien  refuser,  ordonna  la  libération  du  prisonnier.  Cette 
libération  fut  refusée  par  ledit  procureur  fiscal;  aussitôt  le  Con- 
seil s'empressa  d'aller  offrir  main- forte  au  vicaire,  —  et  cela 
d'autant  plus  volontiers  que  ce  Mandallaz,  que  Pierre  de  la 
Baume  n'aurait  jamais  dû  garder  à  son  service,  était  connu  de- 
puis longtemps  par  son  dévouement  au  duc  de  Savoie.  Le  vi- 
caire lança  le  mandai ,  et  Mandallaz  fut  immédiatement  saisi, 
emprisonné  et  mis  aux  fers.  Furieux  de  cet  attentat  contre 
l'un  de  ses  principaux  officiers  (quoique  commis  par  son  propre 
vicaire  général),  l'évêque  écrivit  aux  syndics  et  conseils  la  lettre 
suivante  :  «  Vous  ne  vous  êtes  voulus  contenter  des  extorsions 
«  et  indues  novellités  qu'avez  faites  en  notre  autorité  et  juris- 
«  diction;  mais  continuant  en  votre  obstination,  avez  pris  ou 
«  fait  prendre  notre  procureur  Mandallaz,  en  notre  château  de 
«  Peney,  en  exerçant  son  office.  Et  ne  voulez  que  vous  appe- 
«  lions  commetteurs  de  crime  de  lèse-majesté  !  —  Si  ferons,  et 
«  n'estimons  pas  moins  l'outrage  que  si  l'aviez  fait  en  notre 
«  propre  personne  :  pourquoi  aviserez  de  tantôt  le  nous  rendre 
«  et  mettre  en  liberté  sans  dommage  de  sa  personne,  et  rappa- 


398 

«  reillez  l'outrage  que  nous  avez  fait  ;  autrement  vous  voulons 
«  bien  avertir,  une  fois  pour  toutes,  qu'eniployerons  tout  ce  que 
«  nous  tenons  de  Dieu  pour  nous  en  venger.  —  A  tant  vous 
«  disons  à  Dieu  qui,  bien  amés,  très  chers  et  feaulx,  vous  ait  en 
«  sa  sainte  garde.  —  Dès  Arboisce  27  juin,  l'évêque  et  prince 
«  de  Genève.  »  Loin  de  s'arrêter  à  ces  menaces,  on  intenta  à 
Mandallaz  un  procès  criminel,  non  pour  sa  désobéissance  au  vi- 
caire, mais  pour  tout  ce  qu'il  avait  fait  précédemment  en  con- 
travention aux  franchises  et  au  préjudice  des  particuliers.  L'é- 
vêque de  son  côté  avait  porté  plainte  de  la  rébellion  de  ses 
sujets  à  Berne  et  a  Fribourg,  où  l'affaire  Mandallaz  fut  hau- 
tement désapprouvée  ;  on  rejeta  lâchement  alors  à  Genève  la 
faute  sur  le  vicaire.  Les  Conseils  procédèrent  aussi  par  antici- 
pation à  un  appel  à  Vienne,  malgré  l'édit  tout  récent  qui  le  dé- 
fendait d'une  manière  expresse ,  et  dont  la  transgression  avait 
déjà  été  punie  sur  plusieurs  particuliers. 

Cette  fois  c'en  était  trop,  et  les  menaces  de  l'évêque  allaient 
recevoir  leur  exécution.  Il  commença  par  emprisonner  deux 
Genevois  qui  se  trouvaient  à  Saint-Claude;  puis,  aidé  de  son 
frère  le  baron  de  Mont-Saint-Sorlin,  il  arma  un  certain  nombre 
de  Bourguignons.  Enfin  il  appela  à  son  secours  les  cheva- 
liers de  la  Cuiller,  en  ces  termes  :  «  Messieurs  les  gentilshom- 
a  mes,  mes  bons  seigneurs  et  voisins  de  ma  cité  de  Genève, 
«  je  suis  été  averti  par  M.  le  baron  de  la  Sarra  et  M.  de  Gen- 
«  thod  du  bon  vouloir  et  affection  qu'avez  à  m'aider  à  punir  mes 
«  sujets  rebelles  du  dit  Genève ,  et  pour  ce  que  par  plusieurs 
"  fois  je  vous  en  avais  fait  prier,  mais  toujours  a  été  remis  en 
«  dilation;  et  maintenant,  de  votre  délibération,  sachant  que 
«  ce  sera  œuvre  méritoire  devant  Dieu  et  le  monde,  de  faire 
«  justice  de  tels  malvivants,  vous  prie  et  requiers,  comme  à  mes 
«  parents,  autres  mes  bons  seigneurs  et  voisins,  me  vouloir 
«  aider  et  secourir  en  cette  affaire  ;  et  vous  m'obligerez  à 
«  jamais  demeurer  enclin  et  affectionné  à  vous  faire  tous  les 
«  plaisirs  et  services  qu'il  me  sera  possible,  comme  plus  am- 


399 

«  plement  entendrez  le  dit  seigneur  baron,  mon  cousin,  et  le 
«  dit  seigneur  de  Genthod ,  mon  bon  ami.  Et  sur  ce  je  prie 
«  Dieu  qu'il  vous  donne  la  grâce  d'exécuter  vos  bonnes  volontés 
«  et  accomplissement  de  tous  vos  désirs.  —  D'Ârbois,  ce  20 
«  août,  de  la  main  de  Tenlièrement  et  tout  vôtre,  l'évéque  de 
«  Genève.  » 

A  cette  lettre  était  joint  le  manifeste  suivant  : 
«  Nous,  Pierre  de  la  Baume,  évêque  et  prince  de  Genève, 
«  ayant  égard  aux  insolences,  rebellions,  crimes  de  lèse-majesté 
«  avec  conspirations  que  aucuns  de  nos  sujets  du  dit  Genève 
«  perpètrent  et  s'efforcent  journellement  envers  nous ,  notre 
«  autorité  et  jurisdiction ,  emprisonnant  nos  sujets  et  nos  of- 
«  ficiers  sans  mandement,  s'attribuant  nos  droits  de  princi- 
pe pauté  en  notre  ditte  cité  du  dit  Genève,  et  en  aucuns  de  nos 
«  châtf-aux,  et  se  vantant  de  pis,  si  sur  ce  ne  remédie  ;  —  Nous, 
«  considérant  les  raisons  susdites  et  plusieurs  autres,  voulant 
«  entretenir  noire  Éolise  en  son  autorité  et  maintenir  notre 
«  sainte  foi ,  avons  commis  et  requis  ainsi  que  requerrons 
a  de  notre  part  aucuns  seigneurs,  nos  amis  et  parents  ci-des- 
«  sous  écrits  pour  nous  assister,  défendre  notre  dite  autorité, 
«  aider  à  punir  les  rebelles,  et,  si  besoin  est,  de  fait  et  voie 
«  d'armes  y  pourvoir.  C'est  a  savoir:  notre  cher  aimé  cousin, 
«  Michel  de  la  Sarra.  seigneur  et  baron  du  dit  lieu,  Jean  de  Beau- 
«  fort,  seigneur  et  baron  de  Rolle,  François  de  Saint-Sapliorin, 
«  Jean  deViry,  seigneur  de  la  MoudleiAlamogne;  et  Jean  Mestral, 
«  seigneur  d'Aruffens  :  ayant  toute  puissance  de  nous,  révoquant 
«  tous  autres  officiers  quelconques  qui  ne  sont  pas  des  nôtres,  et 
«  leur  donnant  plein  pouvoir  comme  nous-même.  Et  en  signe 
«  de  vérité  avons  écrit  ces  lettres  et  signées  de  notre  main, 
«  cachetées  de  notre  petit  sceau.  —  Donné  à  Arbois.  le  20 
«  août  de  l'an  1530.  L'évéque  de  Genève  '.» 

*  Ce  manifeste  et  la  lettre  qui  précède  furent  produits  en  ces  termes  à  la 
diète  de  Payerne  ;  mais  il  en  existe  des  variantes  légèrement  amplifiées  tout 
en  disant  exactement  la  même  chose.  Voici  une  autre  lettre  de  Tévêque ,  pro- 


400 

Si  quelque  chose  avait  pu  jusqu'ici  gêner  les  gentilshommes 
de  la  Cuiller  dans  l'exécution  de  leurs  dessins  sur  Genève,  c'é- 
tait ce  fait:  que  le  duc,  tout  en  les  encourageant  par  dessous 
main,  n'osaient,  surtout  depuis  l'arrêt  de  Sainl-Julien,  avoir  l'air 
de  les  approuver  ouvertement,  en  sorte  qu'il  leur  laissait  la 
responsabilité  de  leurs  actes.  Ces  messieurs  furent  donc  enchan- 
tés de  pouvoir  mettre  leur  responsabilité  à  couvert  sous  l'ordre  po- 
sitif d'un  prince  souverain  qui  était  en  même  temps  le  chef  dio- 
césain de  la  plupart  d'entre  eux. — Ce  ne  fut  qu'en  voyant  les  fau- 
bourgs pillés  sans  merci  et  la  ville  cernée  de  toutes  parts  que 
le  peuple  connut  l'extrême  gravité  de  sa  position,  dont  les  partis 
Vandel  et  Girard  avaient  d'abord  voulu  lui  faire  un  mystère. 
Celte  guerre  allait  même  prendre  les  caractères  d'une  guerre 
de  religion,  tant  à  cause  des  luthériens  qui  se  trouvaient  dans 
Genève  que  surtout  parce  qu'il  était  certain  que  plusieurs  nou- 
veaux convertis  avaient  profilé  du  libre  commerce  assuré  par 
l'arrêt  de  Saint-Julien  pour  aller  répandre  leurs  doctrines  dans 
les  États  du  duc  :  c'esl-à-dire  (au  moins  pour  la  plupart  d'entre 
eux)  pour  y  prêcher  la  révolte  contre  les  institutions  établies, 
principalement  contre  le  jeûne  et  contre  les  dîmes  ecclésiasti- 
ques, que  plusieurs  propriétaires  genevois  refusaient  de  payer, 
bien  que  les  ambassadeurs  fribourgeois,  qui  revenaient  de  Cham- 
béry  sous  la  conduite  de  leur  avoyer,  le  chevalier  Humbert  de 
Praromon,  les  y  eussent  fortement  engagés  «  pour  le  bien  de 
la  paix.» 

duite  également  à  la  diète  de  Payerne  par  son  infidèle  allié  le  duc  de  Savoie,  et 
adressée  «à  Monsieur  mon  cousin,  le  baron  de  la  Sarra  :  «Mon  cousin,  je  me  re- 
€  commande  à  vous  de  très-bon  cœur.  En  suivant  la  conclusion  prise  avec  vous, 
«  j'ai  prié  M.  de  la  Kanzonière ,  mon  cousin ,  s'en  venir  ici  pour  lui  parler 
«  de  l'entreprise  ;  lequel  se  délibère  se  trouver,  mais  que  je  l'avertisse  du 

<  jour,  afin  qu'il  puisse  être  avec  lui  quelque  nombre  de  gentilshommes  de 
■i  ce  pays.  Vous  priant  que  je  sache  toujours  de  vos  nouvelles,  et  même  par 

<  ce  porteur  écrire  comment  il  faudra  que  mon  dit  cousin  se  trouve  vers 
«  vous.  Et  sur  ce  prie  notre  Seigneur  vous  donner,  mon  cousin,  tout  ce  que 

<  désirez. — D'Arbois,  le  1 1  de  septembre,  de  la  main  de  l'entièrement  et  tout 

<  votre  cousin,  l'évèque  de  Genève.  » 


401 

Comme  lanl  de  fois,  la  peste,  qui  continuait  à  exercer  ses 
ravages  lut  la  principale  défense  de  la  ville  contre  les  en- 
nemis, qui  craignaient  de  s'exposer  au  fléau.  Mais  dès  que  le 
danger  leur  parut  sensiblement  diminué,  ils  se  rapprochèrent 
et  préparèrent  tout  pour  un  assaut,  qui  devait  avoir  lieu  dans 
la  dernière  semaine  de  septembre.  De  leur  côté,  les  milices  ge- 
nevoises étaient  décidées  à  tenir  bon,  et  à  mourir  plutôt  que 
de  se  rendre.  Les  Suisses  étaient  d'ailleurs  prévenus  et  prêts  à 
marcher;  mais  bien  que  les  Genevois  eussent  insisté  auprès  de 
leurs  combourgeois  sur  la  nécessité  absolue  d'arriver  celte  fois 
avec  toutes  leurs  forces,  de  tristes  souvenirs  nous  faisaient  diffé- 
rer de  jour  en  jour  jusqu'au  dernier  moment  d'appeler  cette 
armée  redoutable.  Ce  moment  arriva  cependant  ;  Robert  Vandel 
et  Jean  Luilin  furent  expédiés  en  toute  hâte  pour  donner  aux 
Bernois  et  aux  Fribour|j,eois  le  signal  du  départ.  Bezanson 
Hugues,  alors  occupé  à  l'importante  négociation  d'un  traité  de 
combourgeoisie  avec  Zurich,  venait  d'accourir  pour  reprendre 
son  poste.de  capitaine  général  et  partager  les  dangers  de  ses 
concitoyens;  parmi  les  six  principaux  capitaines  sous  ses  ordres, 
figurait  son  frère  Guillaume,  auquel  on  avait  confié  la  <iéfense 
de  la  partie  haute  de  la  ville.  • —  Il  est  temps  de  dire  que  Bezan- 
son Hugues,  nommé  député  avec  Girard  déjà  le  22  août,  avait 
derechef  quitté  Genève  en  cette  qualité  au  commencement  de 
septembre,  avec  Ami  de  Chapeaiirouge,  tant  pour  les  affaires  de 
Peyrolier  que  pour  les  violences  que  les  Vaudois  s'étaient  per- 
mises contre  les  Genevois.  Le  moment  étuit  mal  choisi,  et  ce 
fut  l'une  des  coût  ses  les  plus  aventureuses  du  grand  citoyen. 
Bien  que  nos  députés  fussent  accompagnés  de  quatre  conseil- 
lers fribourgeois,  ils  furent  à  leur  passage  assaillis  et  arrêtés 
par  les  habitants  de  Nyon.  et  ne  durent  leur  salut  qu'à  la  pro- 
tection de  leur  hôte.  La  même  scène  se  renouvela  à  Rolle,  dont 
on  venait  de  Corlifier  le  château  avec  l'artillerie  de  Thonon,  et 
où  Bezanson  Hui^ues  el  ses  collèa,ucs  furent  gravement  outra- 
gés.  Mais  ce  n'était  pas  tout.  Leur  sortie  de  Fribourg  avaii  été 


402 

épiée  par  les  gentilshommes  de  la  Cuiller,  qui  avaient  résolu 
cette  fois  que  Bezanson  Hugues  ne  leur  échapperait  pas.  En  con- 
séquence, il  se  vil  attaqué  a  Romont  par  six  chevaliers  armés 
de  pied  en  cape,  et  ce  ne  fut  qu'à  grand' peine  que  les  am- 
bassadeurs des  deux  villes  qui  l'accompagnaient  parvinrent  à 
le  dégager  '  ;  ceux-ci  allèrent  aussitôt  porter  leur  plainte  à 
Chambéry,  l'ambassadeur  de  Fribourg  menaça  même  le  duc 
de  rompre  toute  espèce  d'alliance  avec  lui,  s'il  ne  laissait  Ge- 
nève en  paix  ;  on  fit  à  ces  ambassadeurs  et  à  leurs  domestiques 
des  présents  d'argent  considérables. 

Les  troupes  des  deux  villes  ne  se  firent  pas  attendre;  «elles 
sortirent  aux  champs  avec  la  grande  bannière,  d  selon  l'expres- 
sion pittoresque  du  temps.  Avertis  de  l'ajiproche  de  celle  ar- 
mée, les  Genevois  envoyèrent  a  sa  rencontre  pour  la  prier  de 
rester  dans  le  pays  de  Yaud,  vu  l'état  de  dénuement  dans  le- 
quel les  clievaliers  de  la  Cuiller  et  les  troupes  épiscopales  avaient 
mis  les  environs  de  la  ville.  De  tristes  pressentiments  se  fai- 
sant jour,  malgré  les  dangers,  on  députa  encore  aux  troupes 
suisses  Michel  Sept  et  Boniface  Hoffischer,  pour  leur  repré- 
senter le  dénuement  de  la  ville  et  la  recommander  à  leur  sol- 
licitude. 

Au  milieu  de  ces  circonstances,  les  Genevois  sous  les  armes 
brûlaient  de  combattre.  Ils  avaient  déjà  repoussé  avec  succès 
une  attaque  du  côté  de  la  Corraterie,  cl  la  défense  de  la  ville 
avait  été  si  habilement  répartie  parle  capitaine  général  (jue  l'on 
se  croyait  assez  fort  pour  tenter  des  sorties  contre  un  ennemi 
dix  fois  plus  nombreux  que  nous.  Le  syndic  Lévrier  fut  mis  aux 
arrêts  à  la  maison  de  ville  pour  être  sorti,  malgré  les  défenses, 


*  «  Les  dits  de  Genève  au  desparlir  de  Fribourg  furent  espyés  des  gen- 
«  tilshomnies  du  pays  de  Vaud.  Et  quand  ils  furent  à  Romont,  M.  de  Belle- 
«  vaut  et  autres  tous  armés  volurent  tuer  Bezanson  Hugues,  ambassadeur 
«  de  Genève  ;  mais  la  Compagnie  des  ambassadeurs  des  deux  villes  le  sau- 
«  vèrent.  »  Voyez  cette  affaire  dans  Balard,  p.  283  à  285,  et,  plus  loin,  dans 
le  recez  do  la  diète  de  Paverne. 


403 

à  la  tête  d'une  compagnie  de  volontaires,  el  l'on  nomma  un 
grand-prévôt  (en  la  personne  du  syndic  Villiet)  pour  mieux  faire 
respecter  et  observer  les  ordres.  Cependant  le  même  jour  on 
autorisa  une  soriie  de  cent  hommes  pour  aller  enlever  des  vivres 
€t  des  fourrages  à  Meyrin,  à  une  lieue  de  Genève.  Cette  petite 
troupe  y  fut  surprise  par  un  corps  de  huit  cents  Savoyards  et  Bour- 
guignons, commandé  par  M.  deMontcury,  lieutenant  du  baron  de 
Mont-Saint-Sorlin.  Enfin  on  pouvait  combattre  en  rase  campagne! 
Sans  s'arrêter  au  nombre  de  leurs  adversaires,  qui  se  trouvaient 
dans  la  proportion  de  8  contre  1 ,  les  cent  Genevois  se  ruèrent 
sur  la  troupe  ennemie  avec  une  telle  fureur  qu'ils  la  mirent 
complètement  en  déroule  après  lui  avoir  tué  quatre-vingts  hom- 
mes, n'en  ayant  eux-mêmes  perdu  qu'un  seul  qu'ils  ramenè- 
rent en  ville'.  Ce  beau  fait  d'armes  eut  pour  témoins  les  am- 
bassadeurs de  Zurich,  Bâie  et  Valais,  qui  étaient  venus  offrir 
leur  médiation  ;  mais  on  ne  pouvait  traiter  sans  le  concours  de 
Berne  et  Fribourg. 

L'armée  des  deux  villes ,  après  avoir  sur  son  passage  pillé 
Morges,  détruit  le  châleau  de  Belle  el  brûlé  ceux  des  gentils- 
hommes de  la  Cuiller,  arriva  le  10  octobre  devant  Genève  au 
nombre  de  plus  de  14,000  hommes  avec  20  pièces  d'artillerie, 
les  Bernois  commandés  par  leur  ancien  avoyer  Jean  d'Erlach, 
les  Fribourgeois  par  Hermann  Stevenel.  On  les  reçut  du  mieux 
qu'on  put;  mais  on  les  supplia  dès  le  lendemain  d'aller  s'établir 
sur  les  terres  ducales  pour  épargner  la  ville  ;  ce  qu'ils  promirent 
mais  ne  firent  pas.  Il  va  sans  dire  que  l'armée  ducale  et  épis- 
copale  avait  complètement  disparu  à  l'approche  de  celle  des 
Suisses  ;  les  valeureux  chevaliers  de  la  Cuiller  s'étaient  laissé 
brûler  et  chasser  de  chez  eux  sans  la  moindre  résistance.  Ce 
fut  alors  le  tour  du  duc  de  Nemours,  comte  du  Genevois,  sur  les 

•  Balard  augmente  de  vingt  hommes  le  nombre  des  combattants  genevois, 
et  diminue  d'autant  celui  des  ennemis  tués  ;  mais  nous  préférons  en  croire 
le  Registre,  tenu  au  jour  le  jour,  ce  qui  évidemment  n'était  plus  le  cas  à  cette 
époque  du  Journal  de  Balard. 


404 

terres  duquel  on  s'était  permis  quelques  incursions,  h  s  inquiéter 
et  à  venir  faire  ses  protestations  de  paix  et  de  bon  voisinage, 
offrant  de  punir  sévèrement  ceux  de  ses  sujets  qui  auraient 
commis  la  moindre  violence  contre  des  Genevois.  On  fut  très- 
poli  avec  lui.  L'on  vit  arriver  successivement  les  ambassadeurs 
de  Schafflionse,  Lucerne,  Uri,  Unterwalden,  Glaris.  Schw}tz  et 
beaucoup  d'autres  [alii  quam  plures)  dit  le  registre,  pour  tra- 
vailler à  la  paix,  et  Saint-Julien  fut  derechef  choisi  pour  le  lieu 
du  congrès.  On  apprit  bientôt  que  les  négociateurs  comptaient 
remettre  le  Yidomnat  en  mains  du  duc  de  Savoie,  et  les  con- 
seils déclarèrent  qu'ils  n'y  consentiraient  à  aucun  prix;  ils 
obtinrent  seulement  le  renvoi  de  celte  question  k  une  nouvelle 
diètf  ;  c'était  beaucoup  dans  les  circonstances  actuelles,  où  il  im- 
portait (le  terminer  le  traité  au  plus  vite  pour  alléger  si  possible 
le  nouveau  et  terrible  quart  d'heure  de  Rabelais  qui  allait  sonner 
pour  Genève.  Les  troupes  suisses,  les  Bernois  surtout',  vou- 
laieni  être  payées,  et  l'on  ne  savait  comment  s'y  prendre.  Les 
généraux  commencèrent  par  demander  un  à-compie  de  quinze 
mille  écus  (près  de  700,000  francs  de  notre  monnaie)  avec  des 
otages  pour  le  reste.  Quand  on  leur  eut  prouvé  que  c'était  ab- 
solument impossible,  ils  exigèrent  comme  m/n?'mum  quatre 
mille  écus  comptant  (environ  184,000  francs)  avec  des  obli- 
gations de  la  ville  pour  la  paie  d'un  mois  entier,  suivant  leur 
tarif  accoutumé,  bien  qu'ils  ne  fussent  sous  les  armes  que  depuis 
quinze  jours  ei  qu'il  leur  avait  suffi  de  se  mettre  en  route  pour 
faire  fuir  les  ennemis  de  tous  côtés.  Ils  finirent  cependant,  grâce 
à  l'iniercession  des  Fribourgeois  et  de  la  bourgeoisie  bernoise, 
par  se  contenter  pour  le  moment  de  deux  mille  écus,  qui  furent 
fournis  par  les  plus  riches  de  la  ville,  et  rendirent  la  vaisselle 
d'Église  qu'on  leur  avait  déjà  portée  pour  sûreté  de  mille  écus 
de  plus.  Les  troupes  partirent  enfin  le  20  octobre,  accom- 

*  Selon  leur  habitude,  les  Bernois  prirent  le  ton  fort  haut ,  reprochant  aux 
Genevois  de  leur  avoir  fait  faire,  dans  cette  occasion,  ce  qu'ils  n'auraient 
fait  pour  aucun  prince  au  monde. 


105 

pagnées  de  Bezanson  Hugues,  Jean  Philippe,  Am}  Girard  et 
Jean  Lullin,  nommés  ambassadeurs  pour  aller  implorer  la  pitié 
des  deux  villes  et  emprunter  où  ils  pourraient  les  deux  mille 
écus  qu'on  avait  consenti  à  attendre  quelques  jours. 

Il  importe  de  faire  observer  que,  comme  garantie  des  engage- 
ments pris  à  la  diète  de  Saint-Julien,  le  duc  de  Savoie  avait  en- 
gagé son  pays  de  Vaud  à  Messieurs  de  Berne  et  de  Fribourg. 
Le  traité  de  Saint-Julien  avait  stipulé  la  restitution  de  tout  ce 
qui  avait  été  pris  de  part  et  d'autre;  elle  eut  lieu,  au  moins  de 
la  i^art  de  Genève,  et  la  tranquillité  fut  rétablie  en  apparence; 
mais  on  ne  s'y  fiait  pas  assez  pour  ne  pas  rester  sur  ses  gardes 
comme  ci-devani,  tout  en  recommandant  de  s'abstenir  de  tout 
acte  d'hostilité  ;  les  Savoyards  reprirent  les  leurs  comme  s'il  n'y 
avait  eu  aucun  traité.  Par  l'intermédiaire  du  secrétaire  Robert 
Yandel,  on  écrivit  one  lettre  polie  à  l'évêque,  qui  répondit  de 
même;  et  la  correspondance  et  les  ambassades  furent  rétablies 
pendant  quelque  temps  entre  la  ville  et  le  prince,  comme  si 
rien  n'avait  pu  les  interrompre.  Pierre  de  la  Baume  annonça  qu'il 
travaillait  a  un  nouveau  traité  dans  lequel  il  se  faisait  fort  (ie 
faire  intervenir  l'empereur,  le  pape,  le  roi  de  France  et  les 
Suisses,  et  demandait  par  conséquent  qu'on  lui  envoyât  des 
ambassadeurs;  on  lui  en  envoya  en  effet,  pour  la  forme;  mais 
toute  l'attention  pubhque  se  dirigeait  alois  vers  la  diète  de 
Payerne,  convoquée  pour  le  30  novembre,  et  à  laquelle  on  dé- 
puta de  Genève  Robert  Yandel  et  Jean  Lullin.  qui  furent  ensuite 
rejoints  par  Bezanson  Hugues  et  Ami  Girard. —  Avant  l'ouver- 
ture de  la  diète,  les  Bernois  prévinrent  leurs  combourgeois  de 
Genève  que  le  duc,  par  l'intermédiaire  de  son  frère,  le  duc  de 
Nemours,  avait  engagé  six  mille  lansquenets  à  Moutbéliard 
(dix  mille,  selon  Balard),  pour  un  coup  de  main  sur  Genève,  où 
l'on  avait  le  pressentiment  qu'il  se  tramait  derechef  un  assaut 
général.  Le  projet  ducal  consistait  à  faire  fder  cette  armée 
derrière  le  Jura  jusqu'à  Saint-Claude,  de  tomber  tout  à  coup 
par  Gex  sur  Genève,  de  brûler  et  de  saccager  la  ville,  puis 
rome  XI.  27 


406 

de  se  retirer  par  la  même  route  avant  que  les  Suisses  eussent 
eu  le  temps  de  venir  au  secours  Je  leurs  combourgeois.  Ce 
coup,  assez  bien  calculé  du  reste,  manqua  complètement  par 
rincoriigibîe  fatuité  de  Charles  III.  qui  ne  pouvait  s'empêcher 
de  vanter  d'avance  ses  profondes  combinaisons,  et  par  le  retard 
apporté  à  la  solde  de  ces  troupes  qui  voulaient  être  payées 
avant  de  se  mettre  en  route.  L'empereur  intervint  de  son  côté, 
et  la  diète  une  fois  ouverte,  Charles  le  Bon  n'osa  plus  bouger. 
Les  Suisses  étaient  d'ailleurs  prêts  ii  marcher  a  notre  secours. 

Le  jour  même  de  l'ouverture  de  la  dièie  de  Payerne,  on  reçut 
à  Genève  une  lettre  de  l'empereiu'  Charles-Quint,  qui  écrivait 
d'Augsbourgwà  ses  chers  et  féaulx  de  sacitéimpériale  de  Genève,  » 
qu'ils  lui  envoyassent  des  ambassadeurs  pour  le  mettre  à  même  de 
juger  et  de  lerininer  les  différends  qui  s'étaient  élevés  entre  eux, 
Tévêque  et  le  duc.  Bien  qu'on  ne  fut  nullement  embarrassé  sur 
ce  qu'il  y  avait  à  répondre,  il  s'agissait  d  une  lettre  qui  serait  dé- 
posée aux  archives  impériales,  et  l'on  tenait  à  faire  du  style.  Les 
lettrés  du  CC  furent  donc  invités  a  réflécliir  et  à  proposer  cha- 
cun leur  rédaction.  Comme  toujours,  en  pareil  cas,  on  négli- 
gea la  rédaction  la  plus  explicite  et  la  plus  claire  pour  la  plus 
pompeuse  et  qui  était  d'ailleurs  lœuvre  d'un  jurisconsulte  (Blé- 
cheret).  Il  ne  s'agissait  pas  d'envoyer  des  ambassadeurs  à  Âugs- 
bourg,  puisque  la  diète  de  Payerne  était  ouverte  et  que  l'in- 
tervention de  l'empereur  venait  trop  tard.  La  réponse  adressée 
«  à  Sérénissime,  inviclissime,  très-haut  et  très-puissant  prince 
«  (Charles,  toujours  César  Auguste,  »  fut  confiée  à  un  marchand 
d  Augsbouri^  dont  on  ne  nota  pas  même  le  nom. 

En  attendant,  la  diète  de  Payerne  allait  son  train.  Nos  am- 
bassadeurs y  plaidèrent  notre  cause  avec  éloquence  et  fermeté; 
mais  le?  ambassadeurs  ducaux,  grâce  aux  finesses  de  leur  maî- 
tre, y  jouèrent  un  bien  vilain  rôle.  Au  lieu  de  soutenir  le  prince- 
évêi|ue,  qui  n'avait  abandonné  Genève  qu'à  son  instigation  et 
par  ses  promesses,  il  rejeta  toute  la  faute  sur  son  compte  et 
produisit  ses  lettres  et  ses  manifestes  aux  chevaliers  de  la  Cuil- 


407 

1er;  le  pauvre  Pierre  de  la  Baume  fut  alors  défendu  el  disculpé 
par  ses  propres  sujets ,  qui  produisirent  les  lettres  polies  qu'il 
leur  avait  écrites  depuis,  ajoutant  que  celles  aux  chevaliers  de 
la  Cuiller  avaient  été  écrites  par  contrainte.  Le  duc  prétendit 
aussi  n'avoir  rien  su  des  préparatifs  de  ses  vassaux;  on  n'eut 
pas  de  peine  à  le  convaincre  de  mensonge  en  montrant  à  ses 
ambassadeurs  une  lettre  de  lui-même  à  son  bailli  de  Vaud,  dans 
laquelle  il  lui  demandait  «  combien  il  pourrait  lever  de  troupes 
pour  cette  guerre,  tant  de  pied  que  de  cheval.  »  Ces  messieurs, 
forcés  de  se  rétracter,  voulurent  alors  excuser  leur  maître  «de  ce 
qu'il  n'avait  pas  voulu  empêcher  ses  sujets  de  rendre  service  à 
un  sien  bon  ami,  y  bon  ami  qu'il  cherchait  à  rendre  responsable 
de  toute  l'alfaire.  D'ailleurs,  ils  prétendirent  bientôt  après  «que 
le  duc  et  l'évêque  n'étaient  pas  amis  el  ne  s'étaient  pas  vus  de- 
puis trois  ans.»  A  les  entendre,  les  Geni'vois  n'auraient  eu  qu'à 
se  louer  de  la  «  bonne  et  véritable  justice»  que  le  duc  leur  avait 
rendue,  ainsi  que  «  de  sa  trop  grande  béniynité.,  pitié  et  urbanité.  » 
La  bonne  foi  des  Suisses  fut  révoltée  de  tant  de  platitudes  et 
de  mensonges  manifestes,  et  leurs  députés  (M,  de  Miilinen  sur- 
tout) firent  vertement  sentir  leur  indignation  aux  ambassadeurs 
ducaux.  Ils  ne  craignirent  pas  de  dire  que  le  duc  avait  mainte 
fois  manqué  à  sa  parole,  qu'il  aurait  dû  tenir  en  prince  chrélien*^. 
Cependant,  comme  on  ne  pouvait  nier  que  la  maison  de  Savoie 

*  A  cette  diète,  comme  à  tant  d'autres,  on  fit  valoir  tous  les  dangers  aux- 
quels Bezanson  Hugues  avait  été  exposé  par  les  chevaliers  de  la  Cuiller. 
«  Messieurs  de  Fribourg  (y  est-il  dit)  peuvent  témoigner  que  les  Savoyards 
ont  mis  des  espions  jusques  à  Fribourg ,  et  particulièrement  Messire  Gas- 
pard de  Miilinen .  bourgeois  de  Berne ,  et  Flrich  A'ichts ,  boui'geois  de  Fri- 
bourg, peuvent  témoigner  ce  qui  était  advenu  et  menacé,  à  Bomont,  au  dit 
Bezanson  Hugues,  capitaine  général,  de  cinq  ou  six  gentilshommes  de  la  Cuil- 
ler, tous  vêtus  et  habillés  en  harnois  ;  d'où  il  est  facile  de  comprendre  si  les 
Savoyards  ont  été  chaigés  de  cette  affaire,  oui  ou  non,  etc.  »  Il  va  sans  dire 
qu'il  y  est  aussi  question  de  la  fuite  aventur(Hise  de  l'évêque,  sous  la  garde 
de  Bezanson  Hugues ,  «  qui ,  après  que  la  gendai-merie  de  31.  le  duc  l'eut 
cherché  et  vigoureusement  poiu'suivi ,  se  retira  en  sa  maison  en  grand  danger 
de  sa  vie.  t> 


408 

n'eût  possédé  le  vidomnat  depuis  pins  de  deux  siècles,  les 
confédérés  décidèrent,  le  23  décembre,  que  cette  possession  lui 
serait  rendue  lorsque  le  duc  aurait  donné  toutes  les  garanties 
écrites  nécessaires  qu'il  ne  ferait  aucun  tort  aux  Genevois  et 
qu'il  n'exercerait  aucun  nouveau  droit,  ceux  de  l'évêque,  qui  ne 
s'était  pas  fait  représenter,  étant  réservés.  On  comprend  que  les 
deux  parties  furent  également  mécontentes  de  cette  sentence; 
car  Genève  considérait  déjà  la  question  du  vidomnal  comme 
enterrée,  et  le  duc  aurait  voulu  bien  autre  chose  que  la  resti- 
tution d'un  droit  qu'il  ne  savait  plus  comment  faire  respectera 
— La  question  des  frais  donna  aussi  lieu  à  de  grands  débats.  Le 
duc  estimait  ses  pertes  à  plus  de  200,000  écus  (neuf  millions 
de  francs)  dans  celte  dernière  et  courte  guerre;  il  n'en  fut  pas 
moins  condamné  à  en  payer  21,000  (près  d'un  million)  aux  trois 
villes,  ainsi  donc  7.000  pour  Genève.  Il  est  vrai  que  les  obli- 
gations de  Genève  envers  les  deux  villes  furent  taxées  à  la  somme 
énorme  de  40,000  écus  (un  million  840  mille  francs).  Quoi 
qu'il  en  soil,  le  duc  subissait  durement  à  son  tour  la  loi  du  plus 
fort.  Il  essaya  de  réclamer  quelques  indemnités  pour  ses  châ- 
teaux brûlés;  l'un  des  députés  suisses  répondit  alors  «qu'il  était 
parfaitement  inutile  de  parler  de  dommages-intérêts,  puisque ^ 
selon  leur  ancienne  coutume^  les  personnes  des  Ligues  suisses  ne 
déboursaient  jamais  aucun  argent.  »  A  cette  singulière  réponse, 
le  chef  de  l'ambassade  ducale  lui-même  ne  put  s'empêcher  de 
rire,  tout  en  avouant  qu'on  ne  le  savait  que  trop. — Charles  III 
mit  le  comble  à  son  indigne  conduite  en  abandonnant  com- 
plètement les  émigrés  genevois,  les  mamelucs,  ceux  de  tous  ses 
partisans  qui  avaient  fait  le  plus  de  sacrifices  réels  pour  sa 
cause,  et  qu'il  avait  empêchés  de  rentrer  à  Genève  lorsqu'ils  le 
pou\ aient  encore  en  toute  sûreté.  Plus  généreux,  Genève  et 
Berne  cherchèrent,  mais  vainemenl,  à  faire  comprendre  Boni- 

'  On  voit  par  1(!S  procès-verbaux  de  la  diète  de  Payenie,  que  le  duc  avait 
engagé  le  vidoinuat  do  (icnève  pour  cent  florins  de  ceiise  annuelle  à  feu  Louis 
d'Erlach,  «  à  qui  Dieu  veuille  pardonner  Je  tort.  » 


409 

vard  dans  la  classe  des  prisonniers  de  guerre  dont  la  libération 
était  ordonnée,  en  le  faisant  passer  pour  Genevois.  On  ne 
pouvait  nier  qu'il  ne  fût  né  Savoyard  et  qu'il  avait  été  arrêté 
comme  tel'.  D'ailleurs,  les  représentants  des  autres  cantons, 
fatigués  de  cette  longue  session,  refusèrent  de  se  mêler  de  cette 
atlaire. 

Bien  loin  de  reprendre  confiance  au  fur  et  à  mesure  des 
nouvelles  de  la  diète  de  Payerne,  qui  ne  finit  qu'au  dernier  de 
l'an,  les  Genevois  sentaient  le  besoin  plus  que  jamais  de  mettre 
la  ville  en  meilleur  état  de  défense.  Après  plusieurs  abattis  stra- 
tégiques, pour  nctiover  les  abords  de  la  place,  on  en  vint  à 
traiter  tristement  mais  sérieusement  l'idée  d'abattre  les  fau- 
bourgs, qui  surpassaient  l;i  ville  en  étendue.  Ce  De  fut  tou- 
tefois que  quatre  ans  plus  tard,  sous  In  pression  de  Messieurs 
de  Berne  et  de  leurs  troupes,  qu'on  se  décida  à  consommer  cet 
immense  sacrifice .  qui  alors  n'en  fut  plus  un  pour  ceux  qui, 
prévoyant  l'urgence  de  cette  mesure,  avaient  su  à  temps  réa- 
liser la  valeur  de  leurs  propriétés  suburbaines.  —  Grâce  aux 
mauvaises  nouvelles  de  Payerne,  on  avait  ordonné  des  procès- 
sions  pour  le  2V.  On  avait  aussi  rendu  aux  églises  leurs  parures 
pour  les  fêtes  de  Noèl.  Mais  on  les  leur  reprit  d'abord  après 
pour  les  vendre  au  plus  olfrant  sous  condition  de  radiât  avant 
carême;  car  il  fallait  à  tout  prix  trouver  900  écus  pour  envoyer 
immédiatement  en  Suisse.  Jean  Lect  en  fil  son  affaire  en  se 
réservant  l'intérêt  de  4'/.  pour  cent  par  mois,  tandis  qu'on 
venait  d'emprunter  a  Bâle  3000  écus  à  5  pour  cent  l'an.  Ce 
Jean  Lect  était  depuis  1528  seigneur  de  Cointrin  et  de  Mate- 
gnin  par  investiture  du  duc  de  Savoie.  Peu  après,  l'évêque  lui 
afferma  les  revenus  de  son  évêché  et  des  trois  cbâteaux,  et  Lect 


'  Il  avait  été  arrêté  de  guet-apens  au  mois  de  juin  de  cette  année  1530, 
entre  Moudon  et  Lausanne.  Certes  Bonivard  ne  pouvait  s'attendre  à  être 
mieux  traité  par  le  duc  de  Savoie  et  ses  officiers  que  les  ambassadeurs  ge- 
nevois, ni  que  le  prince-cvêque  qui  avait  manqué  deux  ou  trois  fois  être 
enlevé  de  la  même  manière. 


ilO 

ne  tnrda  pas  h  devenir  l'un  des  plus  riches  parliculiers  de  la 
ville.  Nous  n'en  parlons  que  pour  montrer,  par  un  exemple  sur 
cenl,  commenî  les  parvenus  de  l'époque  trouvaient  moyen  de 
s'élever  et  de  faire  fortune,  tandis  que  les  meilleurs  Genevois 
se  ruinaient  de  fond  en  comble  au  service  de  la  patrie.  Ceci 
était  d'ailleurs  une  bagatelle  en  comparaison  des  vols,  des  dé- 
tournements et  des  concussions  épouvantaliles  que  se  permi- 
rent plus  tard,  à  la  faveur  des  proscriptions  religieuses  et  poli- 
tiques, certain  nombre  de  ceux  qui  se  disaient  appelés  à  régé- 
nérer l'humanité  et  la  morale. 


Yll 


(1531.  1532) 

On  pourrait  croire  que  la  diète  de  Payerne,  où  le  duc  avait 
été  si  maltraité,  avait  enfin  ouvert  les  yeux  de  Son  Altesse  sur 
la  convenance  de  cesser  ses  actes  d'hostilité  ;  loin  de  là.  Les 
nobles  du  voisinage  dexinrent  pires  que  jamais;  ils  apportèrent 
seulement  un  peu  plus  de  ruse  et  de  prudence  personnelle  dans 
leur->  vexations,  (jui  n'en  devinrent  que  plus  fréquentes.  Par  exem- 
ple, pour  éviter  les  pièces  de  conviction,  ils  noyaient,  quand  cela 
se  pouvait,  le  citoyen  qui  s'était  exposé  à  leurs  coups;  ailleurs 
ces  preu\  chevaliers  ne  procédaient  à  leurs  violences  que  mas- 
qués, voire  même  déguisés  en  femmes;  ailleurs  encore  ils  se 
plaisaient  à  incendier,  en  l'absence  des  maîtres,  les  maisons  et 
fermes  des  Genevois  avec  provisions  et  bestiaux.  Il  va  sans  dire 
qu'ils  étaient  chaque  fois  en  nombre  suffisant  pour  mettre  hors 
de  question  le  succès  de  l'entreprise,  qui,  cependant,  grâce  au 
courage  des  Genevois,  ne  réussissait  pas  toujours.  Détournons 
nos  regards  de  ces  scènes  hideuses,  que  l'on  retrouve  presque- 


411 

à  chaque  page  de  nos  registres,  et  voyons  ce  qui  se  ))assait  à 
Genève  même. 

Il  ne  pouvait  y  avoir  aucun  doute  que  c'était  à  la  politique 
violente  et  imprudente  du  parti  Vandel  que  la  communauté  élait 
redevable  des  maux  et  des  embarras  principaux  dont  ell(?  avait 
eu  à  souffrir  pendant  les  deux  dernières  années  1529  et  1 530, 
et  qui  auraient  pu  tourner  singulièrement  mal  sans  le  dévouement 
de  Hugues,  auquel  on  ne  songeait  plus  que  dans  les  moments 
désespérés.  Le  peuple  genevois  eut  tout  à  coup  comme  une  in- 
tuition du  véritable  état  des  choses.  Il  dut  être  d'autant  plus 
frapjjé  de  ce  que  le  nom  d'aucun  des  trères  Vandel  ne  figurait 
sur  l'obligation  dos  trois  mille  écus,  soit  4000  florins  du  Rhin, 
qu'il  avait  fallu  emprunter  h  Bàle  pour  payer  en  partie  les  résul- 
tats de  leur  politique  de  casse-cou'.  Les  élections  de  février 
(153!)  mirent  a  découvert  la  déchénnce  momentanée  de  leur 
parti:  contre  l'usage,  Robert  Vandel  avait,  quoique  secrétaire, 
été  nommé  conseiller  l'année  précédente;  celte  fois  il  ne  fut 
pas  renommé,  non  plus  que  imit  autres  de  son  parti.  Son  irrita- 
tion de  ce  procédé  est  assez  visible  dans  sji  rédaction  :  «  On  a 
«  assemblé  le  Conseil  du  CG  pour  l'élection  du  Conseil  ordi- 
«  naire,  dit-il,  mais  coinrae  j'ai  été  chassé  du  Conseil  et  que  je 
«  n'y  ai  pas  assisté,  je  n'ai  pas  enregistré  autre  chose.  »  On 
voit  qu'il  s'était  d'abord  servi  du  lirme  exclus,  qu'il  avait  ensuite 
effacé  pour  mettre  chassé  {expulsus).  Les  syndics  élus  le  jour 
précédent,   5  février,  en  Conseil  général,  étaient  Claude  Ri- 


•  Cette  obligation  fut  signée  par  Bezanson  Hugues  (naturellement),  Jean 
Ptiilippe,  Ami  Girard  et  Domaine  Vranc.  pour  la  ville  et  les  particuliers  ;  ga- 
rantie par  Tavojer  fribourgeois  Humbert  de  Praroman,  le  chevalier  Antoine 
Pavillard,  Wilhelm  Arsent,  Walter  Heid,  Jean  Vœgeli,  et  W.  Chesaux ,  tous 
Fribourgeois;  contre-garantie  par  la  ville  et  par  J.-L.  Ramel,  Nycod  du  Vi- 
lard,  Jean  Bourdon,  Ayraon  Bonna,  Michel  Sept,  et  Benoit  Genod. — Bezan- 
son  Hugues,  Ami  Girard  et  Jean  I^ullin  furent  chargés  d'aller  contracter  un 
second  emprunt  de  cinq  mille  écus  (environ  230  mille  fr.)  à  Bâie.  Hoffischer 
et  Hugues  Vandel  y  remplacèrent  Girard.  Il  importe  d'observer  que  ce  se- 
cond emprunt  fut  également  garanti  par  les  Friboim/eois. 


412 

chardel,  Pierre  Bienvenu,  Boniface  Hoffischer  et  Antoine  Chi- 
cand.  Le  premier  refusa  d'abord,  mais  céda  ensuite  aux  instan- 
ces du  ce.  En  attendant,  Robert  Vandel  se  refusait  à  inscrire 
les  conseillers  nouvellement  élus;  Tordre  positif  lui  en  fut 
donné  le  16  par  le  CC,  auquel  on  avait  joint  les  chefs  de  maisons 
et  les  plus  apparents  des  citoyens  et  bourgeois.  Ces  frottements 
avaient  rendu  les  dernières  séances  assez  orageuses.  Le  19  il 
y  eut  une  véritable  tentative  de  révolution  du  parti  Vandel,  as- 
semblé au  couvent  de  Rive  au  son  du  tambour  et  de  la  trom- 
pette. Un  abbé,  soit  capitaine  général,  qu'on  ne  nomme  pas, 
mais  qui  était  probablement  Robert  Vandel  lui-même,  y  fut  élu 
en  opposition  à  Bezanson  Hugues ,  qui  Tétait  encore  malgré 
lui,  quoique  absent.  Alors  les  syndics  convoquèrent  de  nouveau 
les  chefs  de  maison  et  les  citoyens  et  bourgeois  les  plus  appa- 
rents, et  leur  demandèrent  le  Conseil  général  pour  déposer  leurs 
bâtons  syndicaux.  Mais  les  citoyens  se  firent  entendre  :i  leur 
tour  «par  V organe  de  noble  Bezanson  Ilugaes  »  qui,  à  peine  de 
retour  de  la  diète  de  Bade ,  venait  de  prêter  serment  comme 
conseiller.  Aussitôt  il  fut  convenu  que  les  syndics  resteraient 
en  place,  Hugues,  abbé,  avec  Etienne  Dadaz  son  neveu  pour 
lieutenant,  et  que  tout  le  monde  vivrait  en  paix,  Voilà  comment 
îes  choses  s'arrangeaient  sous  l'influence  du  grand  citoyen.  On 
pardonna  à  des  séditieux  que,  selon  les  idées  du  temps,  on  au- 
rait eu  le  droit  de  poursuivre  pour  haute  trahison.  On  se  borna 
à  condamner  disciplinairement  à  un  mois  de  prison  Claude  Ber- 
nard, protestant  du  parti  Vandel.  qui  avait  frappé  un  dizenier, 
c'est-à-dire  un  des  capitaines  de  la  ville. 

Nous  venons  de  dire  que  Bezanson  Hugues  revenait  alors  de 
la  diète  de  Bade;  il  y  avait  été  envoyé  le  21  janvier  '  avec  Jean 
LuUin,  Boniface  Holïischer  et  Hugues  Vandel  pour  y  plaider  la 
cause  (le  la  communauté  et  faire  à  Bûle  un  nouvel  emprunt  de 

'  Il  faut  observer  qu'il  n'était  reveini  de  la  diète  de  Payerne  que  le  6  du 
même  mois.  Au  retour  de  la  diète  de  Bade  il  l'ut  encore  arrêté  à  I^ausanno 
contre  toute  espèce  de  justice. 


413 

5000  écus.  Celte  diète  de  Bade  avait  confirmé  la  sentence  de 
Payerne  dans  tous  ses  points.  Le  duc  de  Savoie  aurait  voulu 
qu'on  le  li!)érât  des  7000  écus  qu'il  devait  payer  à  Genève, 
«non  pour  l'argent,  dont  il  ne  se  souciait  guère,  disait-il,  mais 
pour  son  honneur.  »  Il  aurail  aussi  voulu  pouvoir  échapper  à  la 
chance  de  perdre  son  pays  de  Vaud,  hypothéqué  aux  deux  villes 
pour  sûreté  de  ses  promesses.  On  lui  signifia  que,  puisqu'il 
voulait  toujours  plaider  et  discuter,  on  ne  lui  répondrait  plus, 
mais  qu'on  n'en  veillerait  pas  moins  à  l'exécution  de  la  sentence. 
Par  contre,  on  témoigna  plus  d'égards  que  jamais  à  Bezanson 
Hugues;  les  députés  des  cantons  lui  recommandèreni  de  faire 
bonne  justice  à  Genève  sans  s'embarrasser  de  personne.  Les 
Bâlois  entre  autres,  avec  qui  il  venait  de  trai'er  pour  les  em- 
prunts de  la  ville,  l'assurèrent  de  leur  amitié  et  lui  dirent  que 
leur  artillerie  et  leurs  troupes  seraient  toujours  au  service  de 
Genève,  et  qu'ils  contracteraient  très-volontiers  un  traité  de  com- 
bourgeoisie  avec  elle.  Il  était  évideni  que  la  cause  genevoise 
devenait  toujours  plus  sympathique  en  Suisse,  où  l'on  commen- 
çait a  trouver  que  les  Genevois  étaient  dignes,  par  leur  patrio- 
tisme et  leur  courage,  d'être  admis  dans  la  ligue  helvétique. 
Nous  ne  mettons  pas  en  doute  que  la  chose  eût  eu  lieu  si  la 
conduite  de  nos  affaires  extérieures,  au  lieu  d'être  ballottée  entre 
deux  partis  opposés,  eût  été  abandonnée  à  la  seule  gestion  de 
Bezanson  Hugues  et  de  ses  amis.  Mais  on  n'avait  recours  à  lui 
qiie  quand  on  ne  pouvait  s'en  passer,  ou  pour  raccommoder 
les  sottises  de  ses  rivaux.  Aussi  ctte  ouverture  de  cora- 
bourgeoisie  avec  Bâîe  demeura-t-elle  sans  résultat  comme  celle 
déjà  faite  par  Soleure,  Zurich  et  le  Valais.  La  partie  la  moins 
réjouissante  mais  inévitable  de  cette  diète  de  Bade,  c'est  que  la 
ville  de  Genève  avait  encore  eu  à  supporter  tous  les  frais  de 
messieurs  de  Berne  et  de  Fri bourg  à  ladite  diète  comme  aux 
précédentes.  En  conséquence  nos  ambassadeurs  avaient  payé  à 
chacun  de  leurs  collègues  des  deux  villes  la  somnif  de  dix  écus 
(soit  environ  460  fr.)  et  un  écu  par  têt<.'  à  leurs  serviteurs,  sans 


4U 

parler  de  ce  qu'il  avait  fallu  encore  solder  à  d'autres  et  de  plu- 
sieurs autres  petites  dépenses  qui  faisaient  monter  h  somme  dé- 
pensée pour  ce  seul  objet  à  217  écus*.  —  Enfin  nos  ambas- 
sadeurs rappelaient  qne  le  serment  de  combourgeoisie  avec  les 
deux  villes  devait  être  renouvelé  le  dimanche  de  lleminmere. 
On  se  souvient  qu'elle  devait  être  renouvelée  de  cinq  ans  ea 
cinq  ans. 

Depuis  le  commencement  de  l'annéo  on  se  préparait  avec 
un  zèle  extraordinaire  pour  celte  solennité  nationale.  La  pas- 
sion innée  des  Genevois  pour  les  fêles  publiques  avait  repris  le 
dessus;  elle  leur  faisait  oublier  pour  le  moment  et  les  dangers 
qui  les  entouraient  et  l'éiat  obéré  des  finances  de  la  ville.  Rien 
ne  devait  être  épargné  pour  rendre  l'entrée  et  la  réception  des 
ambassadeurs  suisses  aussi  brillante  et  magnifique  que  possible. 
Ceux-ci  arrivèrent  en  effet  le  dimanche  5  mars  avec  une  suite 
nombreuse.  C'était,  pour  Berne,  le  chevalier  Gaspard  de  Mûllinen 
et  le  banneret  Pierre  Stûrler;  pour  Fribourg,  Laurent  Brande- 
bourg et  Hans  Gugelberg.  Leur  entrée  fut  réellement  triom- 
phale, et  les  danses  publiqui  s,  les  masiarades,  les  comédies, 
les  banquets,  les  feux  de  joie,  etc.,  éclipsèrent  encore  ce  qu'on 
avait  jadis  fait  dans  ce  genre  pour  les  premières  venues  des 
princes-évêques  et  des  ducs  de  Savoie*.  On  donna  de  plus  dix 
éciis  a  chaque  ambass;ideur  suisse  pour  un  pourpoint.de  velours, 
deux  écus  à  cha(jue  héraut  et  quatre  aux  autres  personnes  de 
l'ambassade  qui  comptait  î  2  chevaux.  —  Pour  peu  qu'on  ré- 
fléchisse que  ce  vain  étalage  s'adressait  à  nos  propres  créanciers, 
à  qui  l'on  ne  cessait  d'exagérer  l'extrême  pauvreté  et  même  la 

'  Us  avaient  de  plus  dû  payer,  à  Berne  seule ,  les  2000  éeus  promis  aux 
deux  villes,  nécessité  momentanée  qui  ne  tarda  pas  à  avoir  des  suites  fâ- 
cheuses. 

*  «  Cum  niagno  et  maximo  triumpho  ,'  coreis,  comodiis  et  aliis  sociis  cum 
larvariis  et  factum  introgiun»  maximum  et  honestum.  (Registre  G  mars  1531.) 
La  moralité  ou  l'allégorie  qui  fut  jouée  à  cette  occasion  a  été  publiée  dans 
les  présents  mémoires,  tome  11,  i'"'-"  livraison.  Voyez  au  tome  I"''  pour  les 
autres  lètes  du  même  genre  célébrées  à  Genève. 


415 

misère  de  la  ville,  il  faut  avouer  que  hi  conduite  des  Genevois 
fui  dans  celte  occasion  d'une  légèreté  presque  enfaniine.  Aussi 
n'eût-on  que  trop  sujet  de  s'en  repentir  dans  le  courant  de  l'an- 
née. Les  Suisses  en  profitèrent  d'abord  pour  demander  tout 
le  vin  qu'on  avait  pris  à  l'ennemi,  et  dont  la  valeur  aurait  pu 
acquitter  quelques-unes  des  dettes  les  plus  criardes.  Il  fallut 
aussi  régler  enfin  le  compte  de  Bûtschelhach ,  qui  n'avait  déjà 
été  que  trop  récompensé  pour  les  services  aussi  imprudents 
qu'inuliKs  qu'il  avait  dans  le  temps  rendus  à  Bjnivard,  mais  nul- 
lement a  la  ville  qui  ne  lui  avait  rien  promis;  il  reçut  200  écus*. 
—  Pendant  que  le  serment  de  comhourgeoisie  était  renouvt-lé 
à  Genève  entre  les  mains  des  Suisses  susnommés,  nos  ambas- 
sadeurs Domaine  Franc,  Jean  B(>urdon,  Aymon  Bonnaz,  Nicolin 
du  Crest,  Guillaume  Hugues  et  J.-A.  Curtet  remplissaient  la 
même  formalité  à  Berne  et  a  Fribourg.  Cette  fois,  comme  lors 
du  premier  serment  de  1526,  c'est-à-dire  pour  la  seconde  fois 
seulement  depuis  que  nous  étions  en  rapport  avec  b  s  deux 
villes,  nos  ambassadeurs  y  furent  défrayés  de  leurs  dépenses 
de  séjour,  mais  voilà  tout. 


'  Balard  rappelle  en  passant  que  ButsclielLach  avait  été  jadis  amené  h  Ge- 
nève par  Bezanson  Hugues  (ce  qui  était  vrai  en  ce  sens  qu'ils  avaient  fait 
le  voyage  ensemble),  «pour  ce  que  le  dit  Dichilbach  ne  voloit  eslre  Luthe- 
ryen  et  ne  vouloit  délaisser  une  garse  qu'il  tenoit  à  pot  et  à  feu,  et  pour  se 
retirer  à  Genève,  etc.  »  Cette  dernièi-e  partie  du  récit  tomba  très-injuste- 
ment sur  Bezanson  Hugues,  Bûtschelbach  s'était  fait  connaître  à  Genève  déjà 
en  i526,  lors  du  premier  serment  de  combourgeoisie.  Lorsque  Berne  eut 
deux  ans  après  adopté  la  réforme,  Genève  devint  pour  un  moment,  comme 
Fribourg,  l'asile  des  Bernois  restés  catholiques.  On  connut  sous  ce  rapport  les 
projets  de  Bûtschelbach  déjà  avant  son  arrivée.  Enfin  il  ne  fit  que  se  joindre 
pour  le  voyage  à  l'ambassade  genevoise  dont  Hugues  était  le  chef.  Bûtschel- 
bach était  alors  époux  et  père  ou  réputé  tel  ;  la  lettre  intime  et  pressée  que 
Bezanson  Hugues  écrivit  de  Nyon  à  son  beau-frère  Jean  Baud,  pour  annon- 
cer leur  arrivée,  ne  laisse  aucun  doute  à  cet  égard.  Non-seulement  Bezan- 
son Hugues  n'eut  dès  lors  plus  rien  de  commun  avec  Bûtschelbach,  mais  il 
lui  devint  même  très-opposé  en  qualité  de  capitaine  général,  à  cause  de  ses 
imprudentes  entreprises  sur  Gartigny.  {Voyez  Pièces  justificatives ,  aux  let- 
tres de  Bezanson  Hugues.) 


416 

Les  fêtes  relatives  à  la  combourgeoisie  ayant  naturellement 
laissé  un  vide  complet  dans  la  caisse  de  l'État,  on  eut  recours 
aux  mesures  fiscales  pour  y  remédier.  Tous  ceux  qui,  pour  une 
raison  ou  pour  une  autre,  avaient  été  absents  de  la  vilie  pendant 
la  guerre,  furent  condamnés  à  la  quitter  dans  le  terme  de  huit 
jours  sous  peine  du  fouet  et  de  bannissement  perpétuel;  ils  ne 
purent  y  rentrer  qu'en  rachetant  la  bourgeoisie  a  un  taux  arbi- 
traire ;  en  cas  de  récidive  leurs  biens  étaient  dévolus  à  la  com- 
munauté ^ 

En  attendant,  le  luthéranisme  avait  l'ait  de  nouveaux  piogrès. 
Il  est  de  fait  que  l'année  précédente,  pendant  le  séjour  des  trou- 
pes suisses  a  Genève,  celles-ci,  probableiiient  aidées  en  cela  par 
les  protestants  genevois,  avaient  brûlé  quelques  imaoes.  En  pré- 
tendant qu'elles  agirent  ainsi  pour  se  garantir  du  froid,  Stumpf 
oublie  que  l'on  n'était  encore  qu'an  commenci-ment  d'octobre". 
Cette  année  on  défendit  encore  aux  bouchers  de  vendre  et  aux  au- 
bergistes de  serxir publicjuonent  de  la  viande  pendant  le  carême; 
mais  on  leur  permit  de  le  faire  en  secret:  trisle  expédient  pour 
une  ville  que  la  franchise  de  ses  habitants  avait  honorée  |)en- 
dant  des  siècles.  —  Déjà  avant  l'élection  des  syndics  de  cette 
année,  pendant  la  toute-puissance  du  parti  Vandel ,  le  vicaire 
général  Aymon  de  Gingins  avait  clurché  à  remettre  en  mains 
du  Conseil  épiscopal  les  appels  du  tribunal  du  lieutenant,  qu'd 
avait  lui-mêiue  laissé  usurper  par  le  Conseil  ordinaire.  On  le 
détourna  de  ses  tentatives  par  la  menace  d'une  émeute  popu- 
laire.  En  même  temps  que  l'on  rançonnait   sans   merci   les 

•  Ils  n'avaient  (luc  ces  deux  chances,  également  favorables  au  trésor; 
au  reste,  le  Conseil  pouvait  accorder  des  dispenses  ;  la  condition  ordinaire 
en  pareil  cas  était  de  rapporter  soigneusement  tout  ce  qu'on  aurait  pu  ap- 
prendre l'.ois  de  villo.  On  fut  très-sévère  ensuite  envers  des  chanoines  (pro- 
pablement  du  parti  ducal)  qui  avaient  aussi  cru  pouvoir  rentrer,  et  qui  se 
virent  condanmés  «à  vider  la  ville  dans  l'espact^  de  deux  heures,  faute  de 
quoi  ils  seraient  chassés  de  force  par  les  dizeniers.  » 

'  Les  registres  ne  disent  rien  sur  ce  sujet;  par  contre  ils  se  plaignent  du 
vol  d'une  grande  quantité  de  vin  par  les  troupes  suisses. 


417 

citoyens  qui  s'éiaienl  trouvée  al)sents  au  moment  de  la  gu<'rre, 
on  avait  déclaré  au  même  vicaire  général  qu'on  ne  soud'rirait 
plus  aucune  conliscation  dans  la  ville,  bien  qu'il  n'eût  d'autre 
moyen  pour  taire  payer  les  dîmes  dues  au  chapitre.  Enfin  on 
se  refusait  h  laisser  rentrer  l'oiïicial  '.  Par  contre  on  ne  fit  rien, 
absolumedt  rien  qu'une  remontrance,  a  trois  zélés  protestants, 
Ami  Perrin,  Jean  Goule  et  Richard  Vellut  (les  deux  derniers 
de  la  bande  des  vauriens  tapageurs)  qui,  après  avoir  brisé  les 
scellés  que  le  Conseil  avait  fait  mettre  sur  la  porte  d'une  salle  de 
l'école,  avaient  enlevé  les  livres  qui  s'y  trouvaient".  Ces  faits  isolés 
étaient  à  vrai  dire  peu  remarqués  par  le  public.  Il  suffisait  de 
la  moindre  alerte  sérieuse  pour  amener  des  manifestations  d'un 
genre  tout  opposé.  Ainsi,  le  8  avril,  on  apprit  que  le  duc  avait 
donné  l'ordre  à  tous  ses  sujets  de  se  préparer  à  marcher  au 
premier  signal.  Tout  en  prenant  les  mesures  de  sûreté  néces- 
saires en  pareil  cas  et  en  envoyant  des  espions  de  tous  côtés, 
on  ordonna  cepemiant  en  CC  des  processions  générales  pendant 
neuf  jours  cousécuiifs  dans  les  paroisses  de  la  ville. 

Au  milieu  de  celte  alerte,  qui  fut  heureusement  plus  vive 
que  longue,  les  Bernois  demanilèrent  à  Genève,  à  raison  de  la 
combourgeoisie,  un  secours  de  cent  hommes  pour  marcher  avec 
eux  au  secours  des  Grisons,  qui  se  trouvaient  aux  prises  avec  le 
fameux  Jean  Jacques  de  Médicis,  châtelain  puis  mar(|uis  de 
Musso  (sur  le  lac  de  Côme)  et  de  Marignan.  On  accorda  immé- 
diatement cent  coulevriniers,  nos  meilleures  troupes,  et  l'on 
nomma  séance  tenante  Jean  Philippe  pour  les  commander.  On 


«  L'évêque  (toujours  absent)  en  fut  très-irrité.  Cependant  il  se  décida  à 
nommer  un  autre  officiai  en  la  personne  du  chanoine  de  Vège,  qui  lut 
agréé  par  les  Genevois  malgré  son  dévouement  bien  connu  au  duc  de  Savoie. 
Dans  leurs  correspondances  avec  Pierre  de  la  Baume ,  les  Genevois  se  dé- 
claraient encore  «  ses  bons  et  loyaux  sujets.  » 

•  L'école  avait  été  fermée  à  cause  de  la  peste,  et  on  y  avait  mis  les  scel- 
lés le  3  janvier,  parce  que  les  enfants  s'amusaient  à  la  détruire.  Le  bris  des 
scellés  était  alors  réputé  crime  de  lèse-majesté;  mais  ces  Messieurs  n'en 
étaient  ni  à  leur  première  nia  leur  dernière  escapade  do  ce  genre. 


418 

pourvut  à  leur  équipement  au  moyen  d'un  emprunt  forcé  de 
500  écus  (environ  23,600  fr.);  nous  disons  forcé,  car  pour 
trouver  cette  somme  on  imposa  cent  autres  ciioyens,  dont  cha- 
cun devait  fournir  cinq  écus  *  :  triste  parodie  du  système  d'em- 
prunt volontaire  que  Hugues  avait  recommandé  jadis  pour 
épargner  les  deniers  du  pauvre. 

L'échec  du  parti  Vandel,  quoique  hien  réel,  n'avait  pas  été 
de  longue  durée  ;  Bezanson  Hugues  était  d'ailleurs  retourné  en 
ambassade  dès  le  10  avril  et  ne  revint  qu  en  juillet,  et  le  parti 
populaire  n'avait  pas  de  chef.  Lors  du  séjour  des  troupes  suis- 
ses à  Genève,  l'année  précédente,  les  Fribourgeois  s'étaient  fort 
bien  aperçu  des  menées  du  parti  dominant,  et  où  tendaient  ces 
menées.  Pour  peu  qu'on  réfléchisse  que  les  Fribourgeois  met- 
taient la  cause  de  la  religion  avant  celle  de  la  liberté,  on  ne 
saurait  leur  reprocher  d'en  avoir  conçu  de  l'humeur,  car  ils 
n'avaient  fait  pour  personne  ce  qu'ils  avaient  l'ait  pour  nous. 
Ils  ne  pouvaient  pas  ignorer  non  plus  les  intrigues  des  frères 
Vandel  à  Berne  :  car,  encore  à  cette  époque,  l'ancien  ordre  de 
choses  était  regretté  à  Berne  même  par  plusieurs  personnes, 
surtout  par  des  membi'es  de  l'aristocratie.  D'abord  ils  ne  dirent 
rien,  et  nous  aidèrent  même  à  eioprunter  de  l'argent";  enfin 

'  Genève  ne  devait  rien  aloi's  à  Messieurs  de  la  Ligue  Grise,  —  et  ne  pou- 
vait être  tenu  pai-  la  coinbourgeoisie  avec  Berne  de  suivre  les  troupes  de 
celte  république  dans  imoi  guerre  lointaine,  où  Berne  n'agissait  que  comme 
alliée  d'une  autre  puissance.  II  faut  encore  observer  que  ce  jour  même 
l'ambassade  genevoise,  présidée  par  Bezanson  Hugues,  venait  de  parlirpour 
la  Suisse,  où  elle  devait  entre  autres  demander  un  secours  d'hommes  pour 
Genève.  Elle  rencontra  les  messagers  bernois  à  Nyon,  et  .Jean  Philippe,  qui 
faisait  partie  de  l'ambassade  genevoise,  revint  immédiatement  à  Genève 
avec  une  lettre  d'Hugues  pour  savoir  ce  que  l'on  comptait  faire  et  où  il  fut 
nonuTié  capitaine  des  cent  hommes  en  question,  qui  heureusement  ne  par- 
tin'ut  pas  :  «  Et  fait  bien  besoin  avoir  bon  conseil  avec  l'aide  de  Dieu,  » 
disait  Bezanson  Hugues  dans  sa  lettre:  «  Messieurs  nous  demandent  des  gens 
et  vous  en  denrmdez  :  entendez  où  cela  peut  toudjcr  !  » 

'  On  voit  par  une  petite  lettre  de  Bezanson  Hugues  datée  de  Fribourg  12 
ju'n  1531  ,  qu'il  avait  trouvé  les  Gonseils  de  Fribourg  aussi  bien  disposés 
pour  nous  que  jamais  (Pièces  justificatives). 


419 

voyant  qu'on  ne  leur  payait  pas  le  prix  convenu  de  leurs  derniers 
secours,  tandis  qu'on  s'était  montré  si  empressé  de  satisfaire  sur 
ce  point  Messieurs  de  Berne,  à  qui  l'on  avait  payé  les  2000  écus 
dus  aux  deux  villes,  ils  menacèrent  de  rompre  la  combourgeoisie 
si  on  ne  les  traitait  pas  sur  le  même  pied.  Ils  savaient  d'autant 
mieux  que  nous  avions  reçu  de  l'argent,  que  c'étaient  eux-mêmes 
qui  avaient  garanti  les  deux  emprunts  contractés  à  Bâle.  Ou 
expédia  aussit(3t  Jean  Philippe  et  Michel  Guilliet  pour  les  cal- 
mer. Michel  Guilliet,  seigneur  de  Monlhoux,  élail  un  zélé  ca- 
tholique et  grand  partisan  de  l'évêque  ;  il  devint  plus  tard  le 
chef  du  |)arti  épiscopal  et  des  Peneysans.  Celait  donc ,  pour 
l'occasion  actuelle,  un  excellent  choix.  Nous  reviendrons  bientôt 
sur  les  nouvelles  dispositions  des  Fribourgeois. 

Il  serait  difficile  de  se  faire  une  juste  idée  de  l'insubordina- 
tion et  du  désordre  qui  commençaient  à  s'introduire  dans  toutes 
les  branches  de  l'adminislralion.  On  ne  pen>ait  plus  à  dissimu- 
ler l'usurpation  de  la  juridiction  ecclésiastique  dans  toutes  ses 
branches  ;  au  reste,  toute  espèce  de  justice  était  administrée 
avec  une  rigueur  ou  une  partialité  choquantes.  Plusieurs  citoyens, 
aussi  ahuris  qu'indignés  de  ces  procédés,  se  révoltèrent  ouver- 
tement, mais  sans  accord  entre  eux;  ils  furent  punis  par  la 
prison,  au  pain  et  à  l'eau,  et  obligés  de  faire  amende  honorable 
à  genoux  ;  d'autres  se  décidèrent  à  quitter  la  ville  avec  femmes 
et  enfants  pour  se  retirer  en  Suisse  ;  on  résolut  de  les  punir 
comme  s'il  s'agissait  d'une  déertion  ou  d'une  infraction  aux 
franchises.  Pour  laire  de  l'argent ,  on  recevait  sans  examen 
quantité  de  nouveaux  bourgeois,  et  l'on  continuait  à  rançonner 
les  anciens;  on  venda  t  les  biens  des  émigrés,  et  malgré  tout 
cela  le  trésor  restait  vide,  même  pour  les  besoins  de  l'hôpital  ; 
on  votait  sans  cesse  des  fonds  qui  ne  recevaient  pas  leur  appli- 
cation. Par  contre,  il  était  évident  que,  pour  beaucoup  de 
gens,  la  magistrature,  autrefois  un  sacrilice,  était  devenue  une 
véritable  ressource.  La  liberté,  à  laquelle  ou  avait  tout  sacrifié, 
se  trouvait  être  le  privilège  de  quelques  meneurs  qui  soignaient 


420 

leurs  inléréts  aux  dépens  du  public.  Encore  quelques  années 
de  ce  régime,  et  Ton  devait  voir  des  gens  de  rien,  qui  ne  s'étaient 
distingués  que  par  leurs  excès  dans  la  bande  des  tapageurs, 
décorés  des  titres  de  nobles  et  de  Irès-honorés  myneurs.  Une  fois 
lancé  sur  cette  pente ,  il  n'y  avait  plus  moyen  de  s'arrêter,  et 
d'ailleurs,  il  fallait  de  l'argent  à  tout  prix.  Le  16  juillet,  on 
arrêta  que  tous  les  prêtres  contribueraient  aux  fortifications  de 
la  ville,  et  seraient  mis  sur  le  même  pied  que  tout  le  monde  ;  le 
lendemain  on  demanda  aux  Macchabées  500  écus  (environ 
23,000  francs),  et  comme  ils  ne  s'exécutaient  pas  assez  vite, 
on  leur  prit,  peu  de  jours  après,  un  pré  qu'ils  possédaient,  et 
dont  on  démolit  le  mur  de  clôture  ;  avant  d'applaudir  à  ces  me- 
sures anticléricales,  il  ne  faut  pas  perdre  de  vue  que  le  clergé 
était  déjîi  alors  sevré  de  la  plupart  de  ses  principales  ressources 
de  subsistance.  Le  11  août,  nouvel  emprunt  forcé  exécuté  sur 
vingt- cinq  des  plus  notables,  el  dont  chacun  devait  payer  cin- 
quante écus;  le  16,  ordre  d'aballre  les  murs  et  le  clocher  de 
Saint-Victor  qui  nuisaient,  dit-on,  à  la  défense  de  la  ville.  Le 
mois  suivant,  cette  mesure  fui  appliquée  à  tous  les  murs  qui 
pouvaient  présenter  le  même  inconvénient.  Des  ecclésiastiques, 
prévoyant  ce  qui  devait  arriver,  vendirent  au  Conseil,  à  l'instar 
de  Bonivard,  leurs  bénéfices  et  les  chapelles  qu'ils  desservaient, 
pour  une  pension  ou  une  somme  payée  une  fois  pour  toutes» 
Un  M.  de  Thorens,  de  l'illustre  maison  de  Compeys.  devenu  ar- 
dent protestant,  faisait  alors  depuis  Genève,  el  avec  des  Gene- 
vois, des  expéditions  contre  les  églises  des  villages  voisins,  au 
risque  de  compromettre  la  ville,  ce  qui  en  effet  ne  manqua  pas; 
les  Bernois  en  fur(  nt  presijue  aussi  fâchés  que  les  Savoyards. 
Le  21  août,  noble  Jean  de  Diesbach  se  trouvant  à  Genève  avec 
son  épouse  et  d  autres  nobles,  on  résolut  de  leur  donner  un 
banquet,  au  nom  de  l'Etat,  auquel  assisteraient,  outre  les  quatre 
syndics,  Bezanson  Hugues,  Ami  Girard,  Jean  Philippe  et 
Robert  Vandel.  Nous  ne  citons  ce  fait  (jue  pour  montrer  quels 
étaient  alors  les  quatre  citoyens  que  l'on  considérait  à  tous  égards 


421 

comme  les  plus   distingués  et  les   mieux    placés    pour  faire 
honneur  à  la  ville. 

Depuis  plusieurs  années,  Bezanson  Hugues  avait  demandé  à 
se  démetlre  des  diverses  fonctions  <ju'il  occupait  encore  et  dont 
l'une,  celle  de  capitaine  général,  était  certaineraenl  la  plus  fa- 
tigante de  toutes  celles  de  la  république.  Ou  s'y  était  refusé  ; 
loin  d'admettre  ses  excuses,  on  avait,  depuis  lors,  usé  de  lui 
comme  d'un  messager  à  gage,  bien  qu'il  fut  le  seul  qui  consen- 
tît à  tout  faire  h  ses  frais.  Nous  avons  vu  qu'on  l'avait  même 
menacé  de  le  poursuivre  en  dommages- intérêts  s'il  refusait  telle 
ou  telle  mission  à  laquelle  il  avait  été  nommé.  Dès  son  entrée 
dans  les  affaires  publiques ,  il  s'était  vu  obligé,  faute  de  temps, 
de  sacrifier  complètement  sa  carrière  commerciale,  qui  aurait  pu 
compenser  peut-être  les  vides  que  ses  sacrifices  de  tous  genres 
avaient  faits  à  sa  fortune.  Depuis  lors,  il  avait  dû  engager  et 
vendre  ses  immeubles,  l'un  après  l'autre,  pour  s'acquitter  d'en- 
gagements qu'il  n'avait  pris  que  pour  la  communauté.  Sa  for- 
tune, jadis  si  considérable,  y  avait  passé  presque  entière.  Certes 
.si  quelqu'un  avait  If  droit  de  se  plaindre  de  cet  étal  <le  choses, 
ainsi  que  du  tem|is  qu'il  prodiguait  depuis  seize  ans  au  service 
de  son  pays,  c'était  bien  sa  famille:  cela  d'autant  plus  que  l'on 
voit  bien  par  ses  lettres,  quoique  publiques  et  officielles,  qu'il 
n'y  avait  pas  de  plus  tendre  père  et  de  meilleur  époux  que  lui. 
Cette  année  même,  il  avait  passé  plus  de  deux  mois  et  demi  en 
Suisse  pour  nos  affaires.  Il  ne  pouvait  plus  ignorer  combien  il 
était  à  la  fois  craint  et  détesté  par  le  parti  Vandel,  bien  que  les 
membres  de  ce  parti  n'osassent  l'avouer  que  dans  leurs  lettres 
intimes'.  Enfin,  moins  que  personne  pouvait-il  approuver  ia 

'  Certes  les  exemples  ne  manquent  pas,  outre  ceux  que  nous  avons  déjà 
cités.  On  voit  par  une  lettre  de  Hugues  Vandel  à  son  frère  tîobert,  de 
Berne,  que  ces  Messieurs  prenaient  même  dos  libertés  par  ti'op  fortes  à 
l'égard  de  Bezanson  Hugues  :  «  Wilhelm  Meyer  restrit  à  Bezanson  :  (y  est-il 
dit)  dont  je  vous  envoyé  la  lettre  laquelle  vous  prie  garder  un  huit  jours, 
t  dans  laquelle  il  lui  mande  (Wilhelm  Moyer)  qu'il  retire  femme  et  enfants 

Tome  XL  28 


422 

conduite  presque  ingrate  de  ses  concitoyens  à  l'égard  de  Fri- 
hourg,  à  qui  Genève  devait  son  indépendance.  Ces  diverses 
considérations  et  la  conviction  que  son  influence  était  passée 
et  qu'il  ne  pouvait  plus  arrêter  le  torrent  tlésorganisateur  qui 
entraînait  son  pays  dans  une  voie  à  tant  d'égards  si  dif- 
férente de  celle  qu'il  aurait  voulu  lui  voir  suivre,  le  firent 
enfin  songer  au  repos  auquel  il  avait  de  si  justes  droits;  en  con- 
séquence, il  se  présenta  le  25  avril  au  Conseil  des  CC ,  et 
exposa  simplement:  «  qu'il  y  avait  plusieurs  années  qu'il  ser- 
vait l'Éiat,  qu'à  présent  il  se  sentait  devenir  vieux,  qu'il  avait 
plusieurs  enfants,  et  qu'il  désirait  s'ai)pli'|uerenfina  ses  propres 
affaires,  suppliant  qu'on  voulût  bien  choisir  un  capitaine  géné- 
ral convenable,  déclarant  qu'il  renonçait  lui-même  à  cet  office 
ainsi  qu'à  toutes  les  autres  fonctions  publiques.  »  Cette  fois  on  ne 
chercha  pas  à  le  retenir;  rien  ne  pouvait  être  plus  agréable  au 
parti  Vandel  que  cette  démission  ;  on  remercia  Hugues  de  ses 
services,  e(  l'on  s'empressa  d'élire  Jean  Philippe  aux  fonctions 
de  capitaine  général.  —  Bezanson  Hugues  ne  pouvait  pas  alors 

«  et  d'autres  menteries  qui  sont  désespératives  ,  dont  il  a  menti.  »  —  Voici 
un  autre  ej^emple,  de  Thomas  Vandel,  l'ecclésiastique,  tirée  d'une  lettre 
de  date  incertaine,  mais  en  tout  cas  antérieure  à  1529,  puisqu'il  y  est 
parlé  de  M.  de  Pontverre  :  «  Hier  que  fut  vendredi  18  septembre,  fut  expé- 
diée une  lettre  missive  à  Vulliens  et  à  ses  compagnons  directée  à  vous  et 
dictée  par  Bezanson.  lequel,  en  la  maison  de  ville  et  en  la  maison  ne  fit  autre 
<j ne  prege  (iprèchev)  touchant  l'inconvénient  des  François  ;  et  vous  promets  que 
Messieurs  du  Conseil  furent  bien  marris  contre  lui  ;  néanmoins  cette  lettre 
passa,  etc. ..ne  croyez  les  brasseurs;  car  si  Bezanson  est  pratiqué  de  obvier 
À  la  guerre,  n'en  soyez  émerveillé  ;  car  j'ai  bien  été  pratiqué  d'y  obvier  à  la 
guerre,  n  On  voit  par  un  autre  passage  de  cette  lettre  que,  dans  ses  moments 
d'humeur,  le  peuple  s'en  prenait  à  Bezanson  Hugues  de  la  lenteur  que  les 
deux  villes  niellaient  à  venir  à  notre  secours ,  comme  si  leur  hésitation  à 
remplir  les  obligations  de  la  combourgeoisie  était  le  fait  de  celui  à  qui  nous 
étions  redtnables  de  celle-ci  :  t  Touchant  la  lettre  qui  a  été  misse  par  Mes- 
sieurs de  Berne  au  Duc,  par  le  pi'ésent  porteur,  ça  a  fait  fort  murmurer  no- 
ire peuple,  disant  que  Bezanson  leur  a  dit  de  grandes  menteries  par  le  passé 
en  disant  vingt-cinq  fois  que  les  violences  que  le  Duc  nous  faisait,  cela  était 
conclu  par  Messieurs  de  Berne  et  de  Fribourg  qui  se  jetteraient  aux  champs, 
et  à  cette  heure  il  est  à  reconunencer.  » 


423 

avoir  plus  de  quarante-deux  a  quarante-quatre  ans,  si  même  il 
les  avait.  Mais,  outre  les  motifs  énoncés  ci-dessus,  il  nous  paraît 
probable,  par  les  allusions  h  sa  vieillesse  précoce,  et  plus  encore 
par  la  teinte  mélancolique  de  ses  dernières  lettres,  qu'il  devait 
déjà  alors  sentir  les  atteintes  de  la  maladie  restée  inconnue  qui 
l'emporta  l'année  suivante,  et  dont  il  a  dit  avoir  souffert. 
Le  fait  qu'il  avait  dû  souvent  recevoir  le  Conseil  chez  lui 
pour  cause  de  fatigue  ou  de  maladie  semblerait  confirmer 
cette  opinion.  Au  reste,  ce  repos  si  court,  après  lequel  lui 
et  les  siens  devaient  soupirer  depuis  si  longtemps,  n'en  fut 
pas  un  :  Hugues  resta  conseiller,  et,  comme  tel,  les  commissions 
délicates  ne  lui  furent  pas  épargnées.  Enfin  les  derniers  mois 
de  sa  vie  furent  remplis,  comme  nous  le  verrons,  par  la  plus 
pénible,  la  plus  délicate  et  la  plus  compliquée  de  toutes  les 
missions  qui  lui  furent  confiées.  Il  était  écrit  qu'il  servirait  sa 
patrie  depuis  le  sortir  de  l'enfance  jusqu'à  son  dernier  soupir, 
el  qu'il  ne  mourrait  qu'après  l'avoir  définitivement  sauvée. 

Il  s'en  fallait  beaucoup  que  les  Fribourgeois  renonçassent 
aux  prétentions  et  au  mécontentement  qu'ils  avaient  manifes- 
tés quelque  temps  auparavant.  Le  parti  Vandel,  qui  avait  re- 
pris toute  sa  prépondérance  et  qui  poussait  a  une  alliance 
toujours  plus  étroite  avec  Berne,  à  cause  de  la  religion,  avait, 
avons-nous  dit,  fait  payer  à  Berne  seule  les  2000  écus  d'a- 
compte qu'on  avait  promis  aux  confédérés  en  attendant  le 
solde  définitif;  les  Fribourgeois  étaient  déjà  sensiblement  re- 
froidis pour  Genève  par  les  plaintes  de  l'évêque  et  des  catho- 
liques genevois,  de  la  justesse  desquelles  plaintes  ils  avaient  pu 
se  convaincre  de  leurs  propres  yeux.  Voyant  le  peu  de  cas  que 
l'on  faisait  de  leurs  réclamations  et  l'injuste  préférence  que 
l'on  accordait  en  toute  chose  aux  Bernois,  qui  n'étaient  devenus 
nos  combourgeois  que  par  leur  intermédiaire,  ils  exigèrent 
sans  façon  par  leurs  députés  Jean  Guglenberg  et  Nicolas  Fii- 
gueli  : 

1)  Le  payement   immédiat  de  1600  écus  qu'on  leur  dcvnit 


424 

pour  des  dépenses  relatives  à  la  comhourgeoisie,  ajoutant  qu'ils 
trouveraient  bien  moyen  de  l'obtenir; 

2)  Leur  port  des  2000  éeus  apportés  de  Bâle  et  donnés 
aux  Bernois,  bien  que  l'emprunt  fût  garanti  par  les  Fribour- 
geois  ; 

3)  Qu'on  se  soumit  à  leur  décision  pour  l'éternelle  affaire 
de  Gojnn  relative  à  l'hoirie  Pétrolier. 

On  leur  répondit,  article  par  article: 

1)  En  leur  livrant  un  à-compte  de  300  écus  avec  des  ex- 
cuses sur  la  pauvreté  de  la  ville  ; 

2)  Qu'on  n'oserait  pas  redemander  l'argent  donné  à  mes- 
sieurs de  Berne,  mais  qu'on  leur  en  donnerait  dès  qu'on  aurait 
reçu  le  paiement  du  duc; 

3)  Que  l'affaire  de  Gojon  devait  suivre  le  cours  de  la  justice. 

Le  mécontentement  des  Fribourgeois  n'était  pas  le  seul  mo- 
tif de  leurs  demandes  ;  les  cboses  s'embrouillaient  en  Suisse, 
et  les  cantons  allaient  derechef  entrechoquer  leurs  armes.  Le  1 1 
octobre  un  héraut  de  Berne  vint  encore  demander  cent  arque- 
busiers. Comme  le  duc  de  Savoie  venait  de  faire  prendre  les 
armes  à  tous  ses  sujets  sous  prétexte  d'honorer  les  funérailles 
de  sa  sœur,  mère  de  François  ï^"",  le  Conseil  étroit  se  borna  à 
répondre  qu'on  tiendrait  ce  secours  prêt  à  marcher  à  une  nou- 
velle demande.  Il  était  d'autant  mieux  fondé  à  agir  ainsi  que  la 
lettre  de  Messieurs  de  Berne  portait  en  posi-scriptum  de  ne 
rien  faire  si  la  ville  était  menacée.  Mais  le  CC  n'approuva  pas 
celte  réserve,  et  ordonna  que  ces  cent  hommes  seraient  immé- 
diatement choisis  et  équipés  par  emprunt  forcé  aux  frais  de  cent 
autres  qui  marcheraient  à  leur  place  s'ils  ne  voulaient  pas  payer, 
ou  (jui  seraient  cassés  de  bourgeoisie.  On  renouvela  ensuite 
à  mains  levées  le  serment  de  vivre  ou  de  mourir  pour  la  défense 
de  la  cité,  et  l'on  ordonna  trois  jours  de  processions  solennelles 
pour  la  paix. 

A  peine  le  secours  pour  Berne  était-il  voté,  que  Fribourg  en 
lit  demander  un  tout  pareil,  que  l'on  promit  également;  en  sorte 


a  25 

que,  si  les  dtnix  troupes  liaient  parties,  les  Genevois  se  se- 
raient batiiis  les  uns  contre  les  autres,  pour  et  contre  les  nou- 
velles doctrines.  Les  contemporains  s'accordent  a  dire  qu'ils 
n'auraient  probablement  pas  demandé  mieux,  si  les  combattants 
avaient  eu  la  liberté  du  choix  entre  Berne  et  Fribourg  et  les 
deux  principes  que  ces  cantons  représentaient.  La  rivalité  des 
deux  villes  se  faisait  rudement  sentir  chez  leur  pauvre  alliée 
qui  n'y  pouvait  rien.  Peu  toucliés  de  l'empressement  qu'on 
avait  mis  à  s'armer  pour  leur  cause,  Messieurs  de  Berne,  par 
une  lettre  du  1*""  décembre,  demandèrent  impérativement  le 
paiement  de  ce  qu'ils  prétendaient  leur  être  dû.  On  eut  recours 
à  un  nouvel  emprunt  forcé,  que  Bezanson  Hugues,  Jean  Phi- 
lippe, Michel  Sept  et  Laurent  Simon  ouvrirent  volontairement 
en  souscrivant  chacim  pour  ôO  écus  (environ  2300  fr.)  On  ob- 
tint ainsi  non  sans  peine  1400  écus  (environ  64,400  fr.)  C'é- 
tait beaucoup  pour  Genève  en  de  pareilles  circonstances,  mais 
fort  peu  pour  Messieurs  de  Berne  Le  Conseil  se  tira  d'affaire 
au  moyen  d'un  expédient  assez  commode  :  un  citoyen  fort  riche, 
Benoit  Genod,  ancien  syndic,  venait  de  mourir,  laissant  pour 
héritiers  un  tas  de  collatéraux  qui  se  disputaient  sa  succession; 
le  Conseil  s'empara  de  celle-ci,  sauf  à  s'arranger  plus  tard 
avec  les  ayants  droit,  qui  en  effet  donnèrent  ensuite  beaucoup 
de  fil  à  retordre'.  —  A  peine  Messieurs  de  Berne  avaient-ils 

'  A  vrai  dire  le  TiOiiseil  u'attendif  pas  même  sa  fin,  mais  fil  occuper  la 
maison  par  un  syndic ,  un  conseiller  et  un  apothicaire  avec  ordre  de  voir 
où  en  étaient  les  choses  et  de  ne  pas  la  quitter  que  le  moribond  ne  fût  «  en 
convalescence  ou  qu'il  n'eût  payé  sa  dette  à  la  nature  {et  non  absentent  do- 
mum  ipsiits  donec  convaluerit  auf  debilum  natitra'  pcrsolverit).  »  Sur  ces  en- 
trefaites le  Conseil,  encore  en  séance,  apprit  que  Genod  «  venait  de  quitter 
ce  siècle  (ab  hoc  sœculo  mifjrasse)  ;  »  aussitôt  on  joignit  aux  susnommés  un 
autre  syndic  et  un  conseiller,  ainsi  que  le  saulier  et  les  huissiers  pour  se  mettre 
en  quête  du  testament  s'il  y  en  avait  un,  et  faire  l'inventaire  des  biens.  Ce  Be- 
noît Genod  est  le  même  qui  avait  fourni,  l'année  précédente,  la  meilleure  ré- 
daction (mais  qui  ne  fut  pas  envoyée)  pour  la  réponse  à  faire  à  l'Empereur. 
Nous  avons  donné  la  généalogie  de  sa  famille,  tome  IV,  l"""  série,  des  A'o<îcc« 
généalogiques  sur  les  familles  genevoises. 


426 

été  apaisés  que  l'on  vit  arriver  sept  ambassadeurs  tribourgeois 
qui,  la  lettre  de  combourgeoisie  en  main ,  menacèrent  de  la 
rompre  et  d'intenter  un  procès  à  la  ville  pour  le  rembourse- 
ment de  1600  écus  frais  d'ambassades,  —  100  écus  frais  de 
messagers  à  cheval,  —  leur  part  des  2000  écus  donnés  à 
Berne,  —  et  leur  solde  pour  les  secours  accordés  l'année  pré- 
cédente, dont  ils  ne  présentaient  pas  encore  le  compte.  Certes, 
pour  peu  qu'on  réfléchisse  que  la  ville  était  toujours  en  étal  de 
siège  et  que  le  duc  de  Savoie,  enchanté  de  ces  divisions,  guet- 
tait le  moment  de  l'écraser  avec  toutes  ses  forces,  on  convien- 
dra que  la  position  de  Genève  ne  pouvait  être  plus  critique. 
Mais  il  ne  fallait  rien  moins  que  ces  moments  de  détresse  pour 
faire  taire  les  partis  rivaux,  et  pour  rappeler,  momentanément 
au  moins,  les  Genevois  à  leurs  véritables  intérêts  et  à  leur 
dignité  nationale.  Dans  ces  cas-là,  Bezanson  Hugues  reprenait 
toute  son  ancienne  influence,  et  son  opinion,  la  seule  peut-être 
qui  n'eût  jamais  varié,  devenait  pour  un  moment  celle  de  tous, 
parce  que  chacun  savait  ou  sentait  insiinctivement  que  c'était 
celle  qui  serait  la  plus  conforme  à  l'honneur  et  aux  vrais  intérêts 
de  la  \ille.  Il  en  fut  encore  ainsi  dans  cette  occasion.  Le  CC, 
convoqué  le  15  décembre  avec  la  majeure  partie  des  chefs  de 
maison  et  des  habitants,  déclara  fièrement  à  l'unanimité  com- 
plète des  votants:  «qu'ils  se  laisseraient  tous  massacrer  ou 
étrangler  plutôt  que  de  renoncer  au  momdre  article  de  la  com- 
bourgeoisie, des  sentences  de  Payerne  et  de  l'arrêt  de  Saint- 
Julien.  »  Nous  avons  déjà  eu  l'occasion  de  voir  combien  les 
Frihourgeois  étaient  plus  accessibles  aux  sentiments  du  cœur 
que  les  Bernois;  leur  irritation  tomba  pour  faire  place  à  des 
sentiments  meilleurs;  Hans  Guglenberg,  l'un  des  principaux 
d'entre  eux,  otfiit  immédiatement  de  prêter  200  écus  à  la  com- 
munauté pour  l'aider  à  franchir  ce  mauvais  pas,  ce  qui  fut  ac- 
cepté avec  reconnaissance. 

Mais  tout  cela  ne  faisait  pas  le  compte  de  Messiouis  de  Berne. 
Plus  on  se  montrait  empressé  à  leur  égard,  et  plus  ils  deve- 


427 

naient  exigeants.  En  examinant  de  plus  près  cetie  conduite  si 
peu  généreuse, on  en  vient  naturtllement  h  se  demander  si  nos 
propres  députés  à  Berne,  pres(|ue  invariablement  choisis  dans 
le  parti  Vandel,  n'encouiageaient  pas  ces  prétentions  extrava- 
gantes pour  hâter  la  rupture  complète  avec  toutes  les  institu- 
tions épiscopales,  ei  entraîner  Genève  à  la  remorque  de  Berne 
dans  les  doctrines  nouvelles.  Pour  plusieurs  d'entre  eux  la  chose 
n'est  pas  douteuse:  leurs  K lires  intimes,  dont  nous  avons  déjà 
cité  des  exemples,  le  prouvent  surabondamment.  Ne  vit-on  pas 
d'ailleurs,  peu  d'années  après,  plusieurs  Genevois  du  parti  pro- 
testant recourir  sans  mission  aucune  à  Messieurs  de  Berne  pour 
forcer  leurs  magistrats  el  leurs  concitoyens  de  Genève  a  fran- 
chir le  pas  décisif,  à  une  époque  où  la  majorité  de  la  nation  ne 
s'en  souciait  nullement  encore  ?  Quoi  qu'il  en  soit,  Hoftischer, 
Jean  Lullin  et  Robert  Vandel  revinrent  le  26  décembre  de 
Berne  avec  un  compte  en  bonne  forme  s'élevant  à  la  somme 
incroyable  de  25  mille  écus  (1,150,000  fr.  environ)  dont  Mes- 
sieurs de  Berne  voulaient  être  payés  pour  le  jour  de  la  purifi- 
cation de  la  vierge,  c'est-à-dire  avant  le  2  février,  et  l'on  était 
déjà  à  la  fin  de  décembre!...  A  vrai  dire,  ils  consentaient  à  pren- 
dre en  paiement  sur  cette  somme  les  sept  mille  écus  que  le  duc 
avait  été  condamné  à  payer  à  Genève  par  la  dernière  sentence 
de  Payerne.  Mais  il  y  avait  dans  ce  fait  beaucoup  plus  de  di- 
plomatie que  d'égards  pour  notre  position.  Car  outre  qu'ils 
avaient  la  certitude  de  se  faire  payer  par  Charles  III  quand  bon 
leur  semblerait,  cette  nouvelle  créance  enflait  leurs  préten- 
tions contre  lui  et  aui;mentaii  d'autant  leurs  droits  sur  le  pays 
de  Vaud  qui  leur  était  hypothéqué  pour  leur  propre  créance, 
ainsi  qu'aux  Fribourgeois.  Ce  qu'il  y  avait  de  moins  honorable 
dans  ce  nouveau  procédé  des  Bernois,  c'est  qu'il  se  rattachait 
au  projet  bien  arrêté  de  forcer  enlin  les  Genevois,  par  l'extra- 
vagance même  de  ces  préteniions,  à  renoncer  à  la  combour- 
geoisie.  Grâces  aux  intrigues  de  Charles  le  Bon,  et  à  l'argent 
qu'il  avait  encore  trouvé  moyen  de  prodiguer  en  Suisse,  onze 


428 

Cantons  neutres  avaient  prononcé  une  nouvelle  sentence,  con- 
ditionnelle, il  est  vrai,  de  la  dissolution  de  l'alliance  entre  Ge- 
nève et  les  deux  villes.  Celles-ci  avaient  promis  d'y  acquiescer 
si  les  Genevois  y  consentaient  ;  encore  celle  réserve  n'élait-elle, 
au  moins  à  Berne,  que  le  fait  de  la  bourgeoisie,  c'est-a-dire  du 
Grand  Conseil,  el  nullement  du  Conseil  étroit,  qui  aurait  voulu 
passer  outre.  —  Quant  aux  Fribourgeois,  qui  n'avaient  que  de 
trop  justes  sujets  de  refroidissement,  de  méfiance  et  de  méconlen  - 
lement  contre  Genève,  ils  n'avaient  cependant  agi  qu'avec  regrels. 
Comme  naguère,  ils  furent  touchés  du  patriotisme  dont  les  Ge- 
nevois venaient  de  faire  preuve  au  milieu  de  leur  détresse.  Ils 
ne  retranchèrent  rien  de  leurs  réclamations  pécuniaires,  qui 
étaient  d'ailleurs  une  bagatelle  en  comparaison  de  celles  de 
Berne;  mais  partageant  les  sentiments  de  leur  ambassadeur 
Gnglenlierg,  ils  se  déclarèrent  nos  bons  amis,  se  contentèrent 
pour  le  moment  d'un  a-compte  de  300  écus,  accoidèrent  un 
délai  pour  le  reste  et  rappelèrent  celte  nombreuse  ambassade 
dont  le  séjour  ne  pouvait  qu'augmenter  les  embarras  de  la  ville. 
Il  en  fut  tout  autrement  de  Messieurs  de  Berne  ;  nos  ambas- 
sadeurs étaient  revenus  de  cette  ville  avec  les  plus  tristes  pres- 
sentiments relativement  à  ses  projets  à  notre  égard.  Le  duc 
résolut  de  profiter  sans  retard  de  cette  nouvelle  complication. 

L'année  1532  commença  en  effet  sous  de  sinistres  auspi- 
ces :  les  vivres  avaient  derechef  été  coupés  à  la  ville,  et  ses 
barques  capturées  sur  le  lac  par  des  soldats  vaudois  ou  savoyards  ; 
la  route  de  Lausanne  se  couvrait  de  troupes,  et  le  duc  lui- 
même  étaii  d'un  jour  à  l'autre  attendu  a  Gex  avec  un  grand 
corps  de  cavalerie.  Le  danger  d'un  assaut  parut  tout  a  coup  si 
imminent  que  l'on  fit  assembler  le  3  janvier  au  soir  tous  les  ci- 
toyens chefs  de  maison,  à  la  lueur  des  torches,  pour  jurer  de 
nouveau  d'être  loyaux  el  fidèles  et  de  mourir  plutôt  que  de  re- 
noncer à  h  combourgeoisie,  à  la  sentence  de  Payerne  et  à  l'ar- 
rêt de  Saint-Julien.  On  se  prépara  même  à  murer  les  portes  de 


429 

la  ville,  et  l'on  résolut  de  nommer  un  Conseil  beaucoup  moins 
nombreux  et  plus  secret  auquel,  ainsi  qu'aux  capitaines,  on  re- 
mettrait la  défense  de  la  ville  et  la  conduite  de  la  guerre.  En 
attendant  chacun  se  tiendrait  jour  et  nuit  sous  les  armes,  et 
personne  ne  pourrait  s'absenter  de  la  ville  pour  plus  d'un  jour. 

Ces  résolutions  énergiques  prouvent  que  les  Genevois  étaient 
toujours  unanimes  quand  il  s'agissait  de  la  défense  de  leur 
pays,  et  que  Tamour  de  l'indépendance  survivait  à  tous  les  au- 
tres sentiments;  car  il  s'en  fallait  de  beaucoup  qu'on  fût  alors 
d'accord  sur  tout  le  reste.  Ami  Girard,  poursuivi  par  Amblard 
Corne,  venait  enfin  d'être  emprisonné,  soi-disant  pour  rébellion, 
mais  surtout  pour  les  affaires  de  tutelle  dont  nous  avons  parlé 
à  l'année  1529.  Jean  Philippe,  alors  favori  du  peuple,  était  en 
procès  pour  une  cause  toute  semblable  avec  son  beau-frère  Do- 
maine Franc.  Enfin  l'on  se  disposait  à  enfoncer  la  porte  de  la 
maison  de  l'ancien  secrétaire  et  syndic  Jean-Ami  Curtel,  absent 
de  la  ville  depuis  près  de  trois  mois,  pour  y  prendre  les  notes 
et  les  registres  restés  entre  ses  mains.  On  se  rappelle  que  son 
successeur,  Robert  Vandel,  avait  été  a  la  lettre  clia$sé  du  Con- 
seil, selon  sa  propre  expression,  toutefois  qu'on  l'avait  presque 
aussitôt  forcé  de  reprendre  la  plume.  Son  parti,  momen- 
tanément humilié,  était  revenu  depuis  aux  affaires.  Pour  lors 
on  crut  obvier  au  mécontentement  qui  continuait  à  gronder 
sourdement  en  faisant  rentrer  au  Consed  tous  ceux  qu'on  en 
avait  écartés  l'année  précédente,  a  l'exception  cependant  de 
Robert  Vandel.  qui  resla  simplement  secrétaire. 

Après  avoir  rais  un  empressement  presque  brutal  à  accepler 
quelques  mois  plus  tôt  la  démission  de  Bezanson  Hugues,  on 
reconnaissait  a  la  moindre  alarme  qu'on  ne  pouvait  plus  se 
passer  de  lui;  en  conséquence,  rappelé  avec  le  même  sans- 
façon  au  service  actif,  on  l'avait  immédiatement  fait  partir  pour 
Fribourg;  puis,  le  danger  devenant  plus  pressant,  on  l'avait  pres- 
que aussitôt  rappelé  h  Genève,  en  lui  faisant  entendre  «que  le 
peuple  parlerait  mal  de  lui  s'il  ne  revenait  pas  sur-le-champ,  * 


430 

A  cela  le  grand  citoyen  réjiondit  à  lettre  vue,  le  4  janvier,  «  qu'il 
lui  était  cette  t'ois  de  toute  impossibilité  d'obéir,  attendu  qu'il 
venait  d'être  cité,  ainsi  qu'un  ambassadeur  du  duc,  à  compa- 
raître à  une  audience  devant  Messieurs  de  Fribourg,  où  son  ab- 
sence pourrait  donner  gaiji  de  cause  h  nos  ennemis ,  et  que 
d'ailleurs,  pour  le  bien  de  tous,  sa  présence  était  pour  le  mo- 
ment beaucoup  plus  nécessaire  à  Fribourg  qu'à  Genève.  « 
«  Touchant  ce  que  vous  dites,  ajoute-t-il,  que  si  je  n'y  suis 
«  pas  je  donnerai  occasion  au  peuple  de  parler  sur  moi,  autre- 
M  fois  y  ont-ils  parlé  à  tort;  encore  le  peuvent-ils  bien  faire 
«  à  présent.  Il  serait  mieux  qu'ils  parlassent  contre  ceux  qui 
«  sont  cause  des  inconvénients,  c<»m!)ien  q(ie  je  le  remets  tout 
«  à  Dieu.  » — Il  est  bon  d'observer  qu'il  avait  trouvé  les  Fribour- 
geois  assez  refroidis  pour  Genève,  et  qu'il  employait  alors  toute 
son  influence  à  les  regagner  un  a  un  à  notre  cause.  Dès  le  len- 
demain, 5  janvier,  il  écrivait  au  Conseil  :  «  Depuis  que  vous  ai 
«  rescrit  par  voire  messager,  me  suis  trouvé  avec  Monsieur 
«  l'avoyer  et  six  seigneurs  de  Conseil  des  plus  apparents,  les 
«  quieulx  m'ont  dit  qu'ils  ne  vous  prieront  jamais  de  point  de 
a  fraction  de  bourgeoisie,  s'il  ne  vient  de  vous-mêmes;....  ce 
«  voyant,  me  semble  que  les  choses  iront  mieux  que  ne  pensez. 
«  Je  sais  bien  que  si  voulons  vivre  selon  Dieu  et  raison,  et 
«  ayant  Messieurs  de  Fribourg  pour  amis,  que  notre  cas  se  por- 
te tera  bien;  car  ils  en  ont  beaucoup  qui  an  besoin,  pour  l'amour 
«  d'eux,  ne  vous  lairront  fouler.  »  Au  fait,  la  position  était  beau- 
coup plus  critique  que  Hugues  lui-même  ne  voulait  l'avouer  à 
ses  concitoytns  pour  ne  pas  augmenter  leur  inquiétude.  Il  y 
avait  alors  entie  Fribourg,  Romont  et  Berne  un  va-et-vient 
d'ambassades  ducales  et  bernois(  s  qui  n'avait  d'autre  but  que 
d'inviter  les  Fribourgeois  à  rompre  complètement  a\ec  Genève, 
tandis  que  Genève  n'avait  alors  que  Bezanson  Hugues  tout 
seul  pour  déjouer  les  intrigues  qui  menaçaient  l'existence  même 
de  la  jeune  république,  et  lui  ramener  l'alTection  de  «  ses  premiers 
pères  et  protecteurs.»  Les  quelques  paroles  d'  bon  espoir  qu'il 


431 

avait  données  au  Conseil  si  peu  de  temps  après  son  arrivée  à 
Fribourg,  ne  pouvaient  donc  venir  plus  à  propos;  car  les  Ber- 
nois, plus  intraitables  que  jamais,  allaient  tenter  un  nouvel 
effort  décisif  pour  rompre  la  combourgeoisie.  Bezanson  Hugues, 
qui  ne  le  savait  que  trop,  n'était  pas  sans  inquiétude  sur  l'issue 
de  cette  démarche.  Bien  que  ses  deux  précédentes  lettres  eus- 
sent été  écrites  coup  sur  coup,  selon  les  événements  qui  se  pres- 
saient autour  de  lui,  il  fît  partir  le  jour  même  un  troisième 
message,  pour  recommander  à  ses  concitoyens  la  plus  grande 
fermeté  possible  :  «  Quand  viendra  au  pis,  à  tout  le  moins  s'il 
«  faut  que  nous  en  ayons  le  mal,  ceux  de  Berne  en  auront  le 
«  déshonneur,  et  ils  y  regarderont  plus  de  quatre  fois  avant  de 
«  le  prendre  à  eux;  si  vous  tenez  bon  pour  ce  coup,  Dieu  nous 
«  aidera  à  sortir  de  nos  affaires.  Messieurs  des  Ligues  en  ont 
«  connu  (c.-a.-d.  en  ont  pris  connaissance  comme  juges  arbi- 
'<■  très)  ;  si  vous  êtes  trop  pressés ,  appelez-en  devant  eux  ;  ils 
«  n'iront  jamais  contre  leurs  lettres  et  sceaux  ;  et  aussi  pen- 
«  dant  qu'aurez  les  leurs  rière  vous,  soyez  assurés  que  ces 
«  maîtres  ne  vous  délaisseront  pas  ;  leur  honneur  y  est  trop 
«  avant  compris  et  tout  le  monde  en  est  bien  informé.  »  Et  plus 
loin  :  «  Gardez-vous  de  contrevenir  aux  sentences  de  Payerne, 
«  car  vous  savez  la  peine  que  vous  encourriez  :  il  vaut  mieux 
«  avoir  point  à  tort  que  de  l'avoir  à  bon  droit.  Car  si  \ous  le 
«  faites,  vous  n'en  pouvez  jamais  nul  charger  que  vous-mêmes; 
«  et  si  vous  ne  le  faites  et  l'on  vous  y  force,  vous  pouvez 
«  avoir  recours  h  Messieurs  des  Ligues  ;  pensez-y  bien!  » 

Ces  conseils,  aussi  dignes  que  clairs  et  simples,  furent  sui- 
vis h  la  lettre  et  sauvèrent  encore  une  fois  Genève  '.  Ainsi 
qu'on  s'y  attendait,  l'ambassade  bernoise  arriva  en  effet  le  7 
janvier  et  annonça  son  intention  de  traiter  de  la  paix  avec  le  , 
duc,  quelle  avait  vu  à  Gex.  Elle  était  présidée  par  ce  même 
Sébastien  de  Diesbach  qui  était  venu  demander  en  1529  !a  ré- 

*  On  voit  par  sa  lettre  qu'il  avait  déjà  fortement  insisté  sur  cette  marche 
à  suivre  avant  son  départ  de  Genève.  (Voy.  Pièces  justificatives.) 


432 

vocation  de  la  comhourgeoisie  ;  acluellement  son  irritation  était 
encore  angmenlée  par  l'emprisonnemenl  de  son  parent  Ami 
Girard ,  dont  il  avait  vainement  demandé  la  libération.  Il 
déclara  successivement  au  Conseil  ordinaire  et  au  GC:  «  que  le 
duc  étant  l'ancien  allié  des  Bernois,  ceux-ci  préféraient  le  se- 
courir plutôt  que  d'assister  à  sa  ruine;  que  la  ville  leur  devait 
déjà  plus  d'argent  qu'elle  n'en  pouvait  payer,  et  qu'elle  n'avait 
aucim  secours  de  troupes  à  attendre  d'eux  tant  qu'elle  n'aurait 
pas  payé  en  entier  les  dernières  troupes;  qu'ils  avaient  amené  le 
duc,  qui  était  un  prince  puissant  et  capable  de  faire  journelle- 
ment beaucoup  de  mal  à  la  ville,  à  bien  vouloir  faire  la  paix 
avec  elle,  mais  sous  la  condition  préalable  qu'on  renoncerait  à 
cette  combourgeoisie  qui  avait  déjà  causé  tant  de  querelles  et  de 
désordres,  et  que  le  duc  et  ses  genlilsbommes  pourraient  dere- 
chef habiter  et  fréquenter  la  ville  sans  empêchement.  »  M.  de 
Diesbach  ajoutait,  comme  fiche  de  consolation,  «  qu'on  pour- 
rait plus  tard  conclure  une  triple  alliance  entre  le  duc,  Berne  et 
Genève,  alliance  à  laquelle  on  donnerait  un  autre  nom  que  ce- 
iui  de  combourgeoisie  ;  mais  que  si  l'on  fermait  les  portes  à  Son 
Altesse,  celle-ci  serait  en  droit  de  refuser  aux  Genevois  le  pas- 
sage sur  ses  terres ,  sans  lequel  ils  ne  pouvaient  subsister.  » 
L'orateur  ajouta  encore  d'autres  considérations  que  le  secrétaire 
Vandel  déclare  supprimer  «  pour  Yhonneur  de  ces  messieurs  » 
[et  quam  plures  remonstraliones  fecerunt  quœ  scribi  omitlunlur 
propter  honorem  dominorum). 

Le  ce  répondit  sans  bésiter  :  «  que  l'on  s'en  tiendrait  à  la 
combourgeoisie,  à  l'arrêt  de  Saint-Julien  et  à  la  sentence  de 
Payerne  de  Messieurs  les  Suisses  ;  qu'on  n'avait  point  de  diffé- 
rend avec  le  duc  qui  n'eût  été  assoupi  par  la  sentence  de  ces 
messieurs;  qu'à  la  teneur  de  celte  sentence,  on  était  disposé  à 
vivre  en  paix  et  à  voisiner  avec  les  sujets  du  duc;  enfin  qu'avec 
l'aide  de  Dieu  on  s'acquitterait  des  sommes  que  l'on  devait  en- 
core. »  —  Les  ambassadeurs  bernois  furent  peu  satisfaits  de 
cette  réponse,  qui  était  exactement  celle  que  Bezanson  Hugues 


avail  conseillée.  Croyant  mieux  arrivera  leurs  fins  par  un  ap- 
ptl  au  peuple,  ils  (Jemandèrent  pour  le  lendemain  la  convoca- 
tion d'un  Conseil  général.  On  s'empressa  de  la  leur  accorder. 
Grâces  à  l'importance  du  motif,  cette  assemblée,  tenue  au  cloître 
de  Saint-Pierre,  fut  très-nombreuse.  M.  de  Diesbach  y  renou- 
vela toutes  ses  représentations  ;  on  lui  fit  la  même  réponse 
qu'en  ce,  et  le  peuple  enthousiasmé  ajouta  d'une  seule  voix  : 
«  Il  est  ainsi  ;  nous  ne  voulons  faire  autre,  el  plutôt  mourir  !  » 
Alors  ces  messieurs  se  retirèrent  en  disant  :  «  Eh  bien  !  nous 
«  le  rapporterons  à  nos  seigneurs  et  supérieurs;  pardieu!  ils 
«  feront  ce  qui  leur  plaira.  » 

Ces  dernières  paroles,  arrachées  par  le  dépit  et  la  mauvaise 
humeur,  n'annonyaient  rien  de  bon.  Rappelés  malgré  eux  à 
leurs  devoirs  et  à  la  sainteté  du  serment,  les  Bernois  étaient  pour 
le  moment  réduits  à  l'impuissance;  mais  il  devenait  évident 
que,  s'ils  n'agiraient  pas  en  faveur  du  duc,  ils  ne  feraient  pas 
davantage  pour  Genève.  Bezanson  Hugues,  qui  savait  tout  cela 
et  avec  qui  la  communauté  était  en  correspondance  jour/ta/tère, 
employait  son  temps,  sa  santé,  son  argent  et  toutes  ses  facultés 
à  fortifier  le  bon  vouloir  des  Fribourgeois,  à  démentir  les  menson- 
ges des  ambassadeurs  ducaux,  tâche  dans  laquelle  les  contempo- 
rains assurent  qu'il  excellait  tout  particulièrement,  à  déjouer  les 
intrigues  malveillantes  de  Messieurs  de  Berne  tant  à  Fribourg 
q»r auprès  des  autres  cantons,  à  disposer  ces  derniers  en  faveur 
de  Genève,  enfin  à  soutenir  le  courage  et  la  fermeté  de  ses 
propres  concitoyens.  «  Je  vous  veux  bien  assurer,  leur  écrit-il 
«  le  10  janvier,  que  s'il  plait  a  Dieu  que  puissiez  un  peu  tenir, 
u  que  voire  cas  se  portera  bien.  Croyez  que  jour  el  nuit  je  suis 
c(  après  les  affaires ,  et  ne  fais  nul  doute  que  votre  cas  ne  se 
«  porte  bien.  »  Et  ailleurs  :  «  De  mon  côté  je  vous  assure  que 
«  je  n'épargnerai  corps  ni  biens  à  vous  faire  service  et  de  ren- 
«  dre  mon  devoir.  Dieu  par  sa  Grâce  nous  soit  en  aide!  »  Ja- 
mais il  n'avait  eu  h  la  fois  aulant  d'alf.iires  compliquées  sur  les 
bras;  toute  la  corresponiiance  ofïicielle  de  la  communauté  pas- 


434 

sait  par  ses  mains;  dans  ces  circonstances  criiiques,  tout 
dépendait  de  lui.  Jamais  aussi  son  habileté  diplomatique  el  son 
patriotisme  ne  brillèrent  d'un  éclat  plus  vif  que  pendant  ces 
derniers  mois  de  sa  carrière.  Il  est  intéressant  de  suivre  dans 
ses  propres  leilres  la  marche  rapide  et  compliquée  des  affaires. 
On  faisait  alors  en  Suisse  des  levées  d'hommes  dont  le  motif 
n'était  pas  avoué,  et  qui  inquiétai'.  Genève  d'auiant  plus.  Hugues 
n'eut  pas  de  repos  qu'il  n'en  connût  la  cause.  Il  sut  gagner  la 
confiance  de  l'un  des  capitaines,  et  dès  le  12  janvier  il  appre- 
nait aux  Genevois  qu'il  s'agissait  simplement  d'un  secours  de 
6000  hommes  pour  le  roi  de  France,  et  que  pour  plus  de  sû- 
reté il  allait,  avec  la  permission  du  Conseil,  se  melire  sur  ce  sujet 
en  correspondance  avec  les  ambassadeurs  de  François  P"".  11 
devenait  d'autant  plus  difficile  d'avoir  des  troupes  pour  dégager 
Genève,  bloquée  par  celles  de  Charles  III,  qui  n'attendait  que 
le  moment  favorable  pour  tomber  sur  celte  ville,  dans  la  certi- 
tude que  les  alliés  des  deux  villes  ne  se  presseraient  pas  cette 
fois  d'accourir  à  notre  secours.  Cependant,  dans  cette  même 
lettre.  Hugues  rassurait  ses  concitoyens  a  cet  égard:  «S'il  vous 
«  survenait  quelque  affaire,  dont  Dieu  ne  veuille!  il  y  a  plusieurs 
«  bons  compagnons  et  capitaines  qui  m'ont  dit  qu'ils  vous  bail- 
'(  leront  pour  secours  trois  ou  quatre  mille  hommes  quand 
«  bien  leurs  seiyneurs  ne  voudraient  bouger.  »  En  effet,  les  ma- 
gistrats fribourgeois  ne  voulaient  pas  s'en  mêler  officielle- 
ment'.  «  Vous  aurez  avis  sur  le  tout  et  me  commanderez  ce 

'  Outre  qu'il  répugnait  au  Conseil  d'Etat  de  Fribourg  de  faire  plus  que 
celui  de  Berne,  qui  était  tenu  aux  mêmes  obligations,  il  est  évident  qu'il 
régnait  alors  entre  les  deux  villes  une  assez  grande  méfiance.  Cela  se  voit 
clairement  dans  ce  passage  d'une  lettre  du  30  janvier  de  Bezanson  Hugues: 
1  Messieurs  m'ont  donné  réponse  que  en  tout  et  partout,  selon  l'aide  que 
('  Messieurs  de  Berne  vous  donneront,  ils  feront  le  cas  semblable  ;  mais 
«  qu'eux  seuls  ne  le  voudraient  entreprendre,  et  craifjiient  guc,  s'ils  sortaient 
«  dehors,  ceux  de  Berne  leur  fissent  quelque  finesse.  ■»  C'était  donc  sous  sa 
responsabilité  et  à  ses  périls  et  risques  que  Bezanson  Hugues  engageait 
éventuellement  les  troupes  qui  devaient  au  premier  signal  courir  au  secours 
de  Genève.  On  verra  plus  loin  comment  il  en  fut  récompensé. 


435 

«  qu'il  vous  plaira  que  je  fasse;  et  s'il  est  a  moi  possible,  je  le 
«  ferai  de  très-bon  cœur,  aidant  Dieu,  auquel  je  prie  vous  avoir 
«  en  sa  sainte  garde.  » 

Cependant  la  scène  que  l'ambassade  de  Berne  était  venu  faire 
quel(|ues  jours  auparavant  îi  Genève  avait  naturellement  ému  les 
Fribourgeois  pour  et  contre  la  bourgeoisie,  selon  les  diverses 
ti  ndances  qui  existaient  dans  celte  ville.  Bezanson  Hugues 
plaida  d'abord  notre  cause  devant  le  petit  Conseil  de  Fribourg, 
dont  les  sympathies  étaient  combattues  par  la  complication  de 
tant  d'iniérêls  divers.  Sans  rien  décider,  ce  corps  le  renvoya  au 
Grand  Conseil;  c'était  presque  nous  donner  gain  de  cause  avec 
un  orateur  tel  que  Hugues,  dans  une  affaire  où  la  religion 
n'avait  que  faire.  Il  n'épargna  rien  de  ce  qui  pouvait  à  la  fois 
convaincre  et  toucher  ses  auditeurs;  aussi,  lorsque  après 
avoir  exposé  les  derniers  événements  avec  cette  clarté  qu'on  ne 
puise  que  dans  le  bon  droit  d'une  noble  cause,  Hugues  en  vint 
au  récit  de  ce  qui  avait  été  fait  dans  le  dernier  Conseil  général 
tenu  à  Genève,  quand  ses  concitoyens,  abandonnés  de  leurs  alliés 
et  assiégés  par  l'ennemi,  avaient  d'une  seule  voix  de  défi  déclaré 
qu'ils  mourraient  tous  plutôt  que  de  renoncer  à  la  combour- 
geoisie  sous  les  conditions  humiliantes  dictées  par  Berne,  alors 
ces  hommes  aux  bras  de  fer  ne  purent  retenir  leurs  larmes. 
Oubliant  tous  leurs  sujets  de  mécontentement,  ils  s'empres- 
sèrent d'entourer,  avec  les  marques  de  la  plus  vive  admiration 
et  de  la  plus  chaude  sympathie,  cet  homme  sans  peur  et  sans 
reproche,  ce  type  de  la  loyauté  républicaine,  ce  vieil  ami  qu'ils 
avaient  vu  si  souvent  à  la  brèche,  et  dont  la  vie  entière  n'avait 
été  et  n'était  encore  qu'une  existence  de  dévouement  et  de  sa- 
crifice à  son  pays  et  à  la  liberté. 

La  cause  genevoise  était  derechef  gagnée  à  Fribourg ,  au 
moins  dans  le  Grand  Conseil,  et  Hugues  s'em[)iessa,  le  jour 
même,  d'annoncer  celte  heureuse  nouvelle  à  ses  concitoyens. 

'  SI 

Sa  lettre,  écrite  a  bâtons  rompus,  sans  doute  à  cause  de  Témo- 
lion  ei  <lu  piu  de  temps  qui  le  pressaient,  contient  en  explica- 


436 

tions  plusieurs  lambeaux  Hu  discours  qu'il  venait  de  prononcer; 
il  avait  rappelé,  entre  autres,  que,  dans  leur  détresse  acluelle 
et  malgré  l'intempérie  de  la  saison,  ses  concitoyens  ne  quit- 
taient plus  les  fossés,  nuit  et  jour,  et  qu'ils  y  prenaient  tous 
leurs  repas  ;  puis  il  résume  en  ces  mots  la  séance  du  Grand 
Conseil  de  Fribourg  :  a  Et  m'ont  remis  à  aujourd'hui  diman- 
«  che,  de  bon  matin ,  devant  les  bourgeois ,  la  où  je  suis  été 
«  longuement  devant  eux,  et  vous  assure  que  je  leur  ai  exposé 
«  ma  charge,  de  sorte  qu'il  y  en  avait  plusieurs  à  qui  les  larmes 
«  sont  venues  aux  yeux ,  et  m'ont  fait  plus  d'honneur  et  d'ac- 
te cueil  qu'ils  ne  firent  oncques,  et  m'ont  donné  réponse  qu'ils 
«  ne  vous  veulent  délaisser;  mais  pour  mieux  être  insîruits,  ils 
«  rescrivenl  à  leurs  ambassadeurs,  et  qu'ils  parlent  à  M.  de 
«  Savoie  qu'il  ne  vous  fasse  point  de  force,  car  ils  ne  le  pour- 
«  raient  souffrir.  »  —  Préoccupé  de  la  position  hostile  de  Berne, 
il  avait  entretenu  une  correspondance  intime  et  suivie  avec  l'un 
de  ses  amis  de  cete  ville,  Wilhelm  Meyer,  d'après  le  conseil 
duquel  il  recommandait  aux  Genevois  de  laisser  des  députés 
dans  cette  ville  où,  malgré  les  apparences,  «  nous  avions  encore 
force  amis.  »  Mais  Bezanson  Hugues  était  surtout  préoccupé 
des  secours  militaires  dont  sa  patrie  pouvait  avoir  besoin  d'un 
moment  à  l'autre  :  «  J'ai  parlé  à  plusieurs  capitaines ,  lesquels 
«  sont  tout  prêts;  il  ne  faut  sinon  que  je  die  le  mol  ;  nous  au- 
«  rons  force  gens.  —  Dieu  a  voulu  que  j'ai  aujourd'hui  diné 
«  avec  l'oncle  de  M.  le  syndic  Boniface  (Hoftischer),  lequel  a 
«  été  fort  ébahi  quand  je  lui  ai  conté  les  affaires,  et  se  recom- 
«  mande  fort  a  vous  tous,  et  s'en  est  parti  incontinent  pour 
«  aller  faire  apprêter  les  compagnons  de  Gessenay,  et  m'a  dit 
«  que  incontinent  que  vous  ou  moi  le  manderez,  qu'il  fera 
«  marcher  leurs  gens  à  toute  diligence.  »  Il  prévoyait  le  cas  où 
les  Bernois  persisteraient  dans  leurs  mauvais  procédés,  et  indi- 
quait dos  combinaisons  qui  les  réduiraient  à  l'impuissance:  «  Si 
«  les  choses  veulent  tirer  avant,  il  serait  bon ,  a  toute  diligence. 


437 

M  d'en  aveilir  les  Lsender  (les  petits  cantons)  et  les  François ' . 
«  Commandez-moi  ce  qnil  vous  plaira  et  vous  connaîtrez  que  je 
«  suis  Je  Genève^  et  d'aussi  bon  cœur  que  jamais.  Recoramandez- 
«  vous  à  Dieu  ei  ne  craignez  rien.  Tout  le  monde  se  moque, 
«  amis  et  ennemis ,  des  propos  que  Messieurs  de  Berne  vous 
«  tiennent.  J'ai  tant  entendu  que,  si  voulez  suivre  votre  cause 
<?  et  bien  vivre,  que  pourrez  devenir  bourgeois  des  cinq  can- 
«  ions  et  de  Zurich;  car  ils  ne  sont  pas  contents  de  ces  af- 

«  faires el  sur  ce  vais  prier  Dieu  vous  avoir  en  sa  sainte 

«  garde. — De  Fribourg,  ce  dimanche  après  Saint-Hilaire,  à  2 
«  heures  après  midi,  par  votre  humble  serviteur  Bezanson  Hu- 
«  gués.  — Faites  inconiinent  tenir  la  lettre  (que  le  Conseil  fri- 
«  bourgeois  lui  avail  remise)  aux  ambassadeurs  de  Fribourg. 
«  —  Je  vous  recommande  ma  femme  et  mon  ménage.  »  Nous 
avons  vu,  par  l'exemple  de  Jean  Baud.  que  cette  dernière  re- 
commandation, qui  manquait  rarement  au  bas  des  lettres  di- 
plomatiques de  Hugues,  n'était  pas  de  trop.  Son  ménage  se 
trouvait  alors  ncwa-seulement  isolé,  mais  pauvre. 

Au  milieu  de  cette  active  correspondance.  Bezanson  Hugues 
avait  eu  le  chagrin  d'apprendre  que  le  duc  de  Savoie  recevait 
régulièrement  la  copie  de  toutes  ses  lettres  confidentielles.  C'était 
à  n'y  pas  croire,  après  toutes  les  épurations  que  les  Conseils  ge- 
nevois étaient  censés  avoir  subies  depuis  l'expulsion  des  mame- 
lucs,  c'est-à-dire  depuis  six  ans;  mais,  pour  ne  lui  laisser  au- 
cun doute  à  ce  sujet,  on  lui  montra  à  Fribourg  même  la  copie 
de  ces  dernières  lettres  * .  C'est  là  un  de  ces  traits  qui  dépeignent 

*  Ce  n'est  pas  la  première  fois  qu'il  s'agit  des  Français  dans  les  corres- 
pondances de  nos  députés,  où  l'on  voit  qu'ils  nous  étaient  individuellement 
sympathiques,  et  que  des  villes  considérables  telles  que  Lyon,  par  exemple, 
suivaient  avec  un  vif  intérêt  notre  lutte  pour  l'indépendance.  Mais  il  s'agit 
probablement  ici  du  poids  que  François  I^'-  pouvait  jeter  dans  la  balance 
comme  allié  et  obligé  des  Suisses,  qui  lui  fournissaient  ses  meilleures  troupes. 

*  «  Messieurs,  vous  n'aurez  déplaisir  si  je  ne  vous  recris  plus,  car  j'ai  su 
«  pour  vrai  que  toutes  les  lettres  que  je  vous  recris,  aucuns  de  votre  (lon- 
c  seil  en  mandent  les  doubles  à  M.  de  Savoie;  et  le  tenez  pour  certain,  car 

Tome  XL  29 


le  mieux  le  caractère  vain  et  présomptueux  de  Charles  III,  le- 
quel ne  pouvait  s'empêcher  de  se  vanter  de  ses  habiles  manœu- 
vres, au  risque  de  les  faire  avorter  et  de  compromettre  la  vie 
des  agents  qui  avaient  le  triste  courage  de  s'y  prêter.  Le  pre- 
mier mouvement  de  Hngues  fut  de  ne  plus  écrire  du  tout; 
mais  il  dut  bientôt  reconnaître  que  c'était  impossibb'.  En  at- 
tendant, il  agit  d'autant  plus  effectivement  de  sa  perstmne.  Il 
fil  si  bien  que,  dès  le  21  janvier,  le  Grand  Conseil  de  Fribourg 
lui  déclara  vouloir  tenir  tous  ses  engagements  contractés  avec 
Genève,  et  écrivit  aux  Bernois  qu'il  saisirait  le  pays  de  Vand 
en  vertu  de  la  s»  nlence  de  Payerne  si  Son  Altesse  manquait  aux 
conditions  qu'elle  lui  avait  prescrites  pour  le  maintien  de  la 
paix.  Le  même  jour,  Bezunson  Hugues  envoyait  ii  ses  conci- 
toyens le  compte  rendu  de  cette  séance  mémorable,  les  rassurant 
de  !a  manière  la  plus  satisfaisante  sur  les  bonnes  dispositions  des 
Fribourgeois;  il  les  informait  en  outre  que  500  oh  600  hommes 
du  Gessenay  étaient  prêts  à  marcher  quand  on  le  voudrait,  en 
attendant  des  secours  plus  puissan  s.  Il  ajoutait  enfin  tenir  de 
bonne  source  ijue  les  Fribourgeois  avaient  résolu  de  se  plaindre 
des  Bernois,  si  leur  réponse  et  leur  conduite  n'étaient  pas  satis- 
faisantes, par  une  circulaire  adressée  aux  cantons  qui  avaient 
prononcé  la  sentence  de  Payerne.  Il  y  eut  bien  quelque  chose 


<(  l'on  m'a  montré  les  doubles  en  cette  ville  ;  et  voilà  comment  je  me  dois 
«  /ier  en  vousl  »  (13  janvier.)  Nous  avons  beau  éplucher  chaque  nom  des 
conseillers  bien  connus  de  l'époque ,  nous  n'en  saurions  charger  aucun  d'une 
trahison  aussi  noire.  Mais  ce  qui  nous  paraît  tout  à  fait  probable,  c'est  que 
ie  parti  Vandnl  ne  se  faisait  aucun  scrupule  de  communiquer  ces  lettres  à 
ses  amis  de  Borne,  et  que  c'était  par  ce  canal  que  le  duc  (alors  au  mieux 
avec  cette  ville)  les  recevait  à  son  tour.  La  dernière  phrase  de  la  lettre 
précitée  semblerait  indiquer  que  Hugues  connaissait  les  coupables,  et  plus 
encore  celle-ci,  qtii  termine  une  lettre  du  17  janvier  :  <t  Ne  me  donnez  point 

*  de  charge  d'aller  à  Ijerne ,  car  je  ne  le  ferai  pas,  vous  savez  assez  la 
^  cause.»  Il  est  bon  de  savoir  que  les  frères  Vandel  se  trouvaient  alors  dans 
telle  ville  en  qualité  d'aml)assadeurs  genevois  Déjà  dans  sa  lettre  du  4  jan- 
vier, Hugues  avait  dit:  «J'ai  bien  entendu  plusieurs  autres  propos  qui  ne  sont 

*  pas  à  votre  avantarje,  qui  se  disent  h  Berne,  mais  je  ne  les  crois  pas.  » 


439 

de  ce  genre;  en  loiil  cas  Hugues  avaii-il  bien  jugé  de  la 
loyauté  suisse  en  disanl  que  si  Berne  venait  à  manquer  de  pa- 
role, il  n'en  serait  pas  de  même  des  autres  cantons  confédérés  ; 
car,  dès  la  fin  du  mois,  ceux-ci  se  réunirent  a  Bade  et  remi- 
rent aux  Frihourgeois ,  avec  charge  de  l'envoyer  aux  Genevois, 
qui  devaient  la  faire  tenir  à  Son  Altesse,  une  lettre  poliment 
menaçante,  datée  du  1"  février',  dans  laquelle  ils  intimaient 
au  duc  de  laisser  les  Genevois  en  paix  et  d'observer  la  sen- 
tence de  Payerne,  s'il  ne  voulait  pas  qu'on  lui  appliquât  les 
peines  qui  y  avaient  été  stij)u!ées  en  cas  de  rupture  de  sa  part*. 
Deux  jours  avant,  le  29  janvier,  les  ambassadeurs  ducaux 
avaient  été  hués  à  Fribourg ,  en  présence  de  ceux  de  Berne, 
par  des  jeunes  gens  de  la  ville'. 

En  attendant,  le  duc  et  les  gentilshommes  de  la  Cuiller  n'en 
avaient  pas  moins  continué  leurs  préparatifs  autour  de  Genève, 
Pour  accélérer,  au  besoin,  l'arrivée  des  secours,  on  avait,  d'a- 
près le  conseil  de  Hugues,  le  17  janvier,  prié  Messieurs  de 
Lausanne  d'envoyer  une  estafette  à  Fribourg  aussitôt  qu'ils  ap- 
prendraient que  la  ville  était  bloquée.  On  écrivit  peu  de  jours 

*  Voy.  Pièces  justificatives. 

'■  Bezanson  Hugues  avait  été  averti  de  celte  diète,  avec  invitation  à  s'y 
rendre  ou  d'envoyer  quelqu'un  à  sa  place,  par  un  correspondant  qui  de- 
meurait alors  à  Berthoud,  le  27  janvier.  Le  nom  de  ce  correspondant ,  qui 
paraît  des  plus  zélés  pour  notre  cause,  est  absolument  illisible;  mais  cer- 
taines expressions  de  la  lettre  font  supposer  qu'elle  était  le  fait  d'un  des 
ambassadeurs  de  France,  avec  lesquels  on  sait  qu'il  était  en  rapport  suivi  et 
dont  il  envoyait  les  lettres  au  Conseil  (Voy.  Pièces  justificatives).  Bezanson  dé- 
pêcha à  ceUe  diète  Hugues  Vandel  qu'on  venait  de  lui  donner  pour  collègue. 
^  C'est  au  moins  ce  qui  semble  résulter  de  la  lettre  d'un  particulier,  Tho- 
mas de  Sclarand,  à  sa  femme,  qu'il  invite  à  revenir  de  Genève  avec  le  mes- 
sager de  sire  Bezanson  Hugues  :  «  .le  vous  avise  que  j'entends  que  le  duc  de 
«  Savoie  est  après  pour  avoir  Genève  ;  car  Messieurs  de  Berne,  le  plus,  veu- 
e  lent  remettre  la  bourgeoisie  de  Genève;  mais  pris  qu'ils  la  laisseront  bien; 
«  je  crois  que  Messieurs  de  Fribourg  tiendront  bon  pour  Messieurs  de  Ge- 
«  nève  et  qu'ils  ne  failliront  point;  car  le  présent  jour  que  j'écris  la  présente 
«  lettre  (29  janvier) ,  il  est  à  Fribourg  les  ambassadeurs  de  Messieurs  de 
«  Berne  et  les  ambassadeurs  de  M  de  Savoie,  et  les  enfants  de  Fribourg  ils 
«  ont  fait  un  gre  (?)  à  la  démontrance  qu'ils  n'aiment  i>oint  le  duc  de  Savoie.  ► 


440 

après  à  Bezanson  Hugues  et  à  Hugues  \anclel,  avec  qui  on 
était  en  correspondance  journalière ,  de  faire  partir  de  nuil 
comme  de  jour  les  Ironpes  qui  s'éiaient  levées  à  la  voix  du 
premier.  Grâce  aux  menaces  de  Fribourg  et  ensuite  des  autres 
cantons,  Charles  III,  qui  cernait  la  ville  de  toutes  parts,  n'osa 
pas  bouger, — pas  plus  que  Berne,  qui  était  reteiiue  par  la  honte 
de  manquer  à  ses  engagements  en  face  de  la  Suisse  indignée. 
Cette  ville  essaya  cependant  d'une  nouvelle  ambassade  au  com- 
mencemenl  de  février,  toujours  sous  la  direction  de  M.  Sé- 
baslion  de  Diesbach.  Les  Genevois,  qui  s'y  altenilaient  (car  ils 
en  avaient  été  prévenus  [>ar  Bezanson  Hugues  dès  le  30  jan- 
vier), se  préparèrent  à  recevoir  celte  visite  comme  les  circon- 
stances l'exigeaient.  Ils  commencèrent  par  rassembler  à  la  hâte 
tout  l'argent  disponible,  afin  de  pouvoir  payer  au  moins  quelque 
chose  de  cette  dette  que  les  Bernois  leur  avaient  si  durement 
reprochée  un  mois  avant,  et  dont  le  terme  allait  sonner.  Dès 
que  l'ambassade  fut  arrivée,  on  lui  fît  porter  le  vin  d'honneur  à 
domicile,  et  le,s  syndics  allèrent  la  complimenter  comme  d'ha- 
bitude. Mais ,  avant  toute  chos(^ ,  on  profita  de  l'élection  des 
syndics  pour  faire  jurer  de  nouveau  lacombourgeoisieen  Conseil 
général.  Furent  élus  syndics:  Guillaume  Hugues,  frère  de  Be- 
zanson, Claude  Savoye,  Claude  du  Molard  et  Ami  Porrai; 
Bezanson  Hugues  fut  renommé  conseiller.  Enfin,  le  7  février 
on  fut  prêt  à  recevoir  ces  Messieurs  en  CC.  Cette  fois,  l'am- 
bassade bernoise  était  accompagnée  de  quelques  députés  fri- 
bourgeois;  c'est  le  cas  de  rappeler  que  les  derniers  succès  de 
Bezanson  Hugues,  à  Fribourg,  avaient  eu  lieu,  non  pas  au 
Conseil  d'État,  où  l'on  était  assez  partagé,  mais  dans  le  Grand 
Conseil  qui,  en  corps  souverain,  avait  tranché  la  question 
comme  jadis  celui  de  Berne;  les  Fribourgeois  n'avaient  d'ail- 
leurs point  renoncé  à  leurs  réclamaiions  pécuniaires;  enfin, 
ils  étaient  directement  intéressés  à  juger  de  leurs  propres  yeux 
des  résultats  de  l'ambassade  bernoise.  M.  de  Diesbach  répéta 
les  mêmes  arguments  qu'il  avait  déjà  présentés  lors  de  la  der- 


m 

DÎère  ambassade,  pour  obtenir  la  révocation  de  la  bourgeoisie,  et 
reçut  exactement  la  même  réponse,  c'est-a-dire,  «  qu'on  mour- 
rait plutôt  que  de  renoncer  à  la  dite  bourgeoisie  et  aux  articles 
de  la  sentence  de  Payerne.  »  Comme  la  dernière  fois  aussi,  il 
voulut  en  appeler  au  peuple  et  demanda  le  Conseil  général, 
qui  lui  fui  accordé  pour  le  lendemain.  A  peine  le  peuple  eut-il 
pressenti  le  sens  du  discours  de  Torateur  bernois,  que  son  indi- 
gnation se  fil  jour  par  des  vociférations,  qu'on  réprima  non  sans 
peine  pour  permettre  au  dit  orateur  d'exposer  ses  arguments 
jusqu'au  bout.  Il  insista  encore  davantage,  cette  fois,  sur  les 
dangers  que  le  duc,  dans  sa  toute-puissance,  pouvait  faire  courir 
a  la  ville,  sur  la  dette  (]ue  celle-ci  avait  contractée  envers  Mes- 
sieurs de  Berne,  lesquels  voulaient  être  payés  et  ne  comptaient 
plus  dorénavant  nous  prêter  secours,  ajoutant  «  que  si  leurs 
propositions  étaient  repoussées.  Messieurs  de  Berne  feraient 
décider  la  question  de  la  combourgeoisie  par  voie  de  justice 
(c'esl-a-dire  devant  une  nouvelle  diète),  et  plusieurs  autres 
choses  que  l'honneur,  dit  le  secrétaire,  lui  défend  de  noter  (quœ 
no}\  sunt  scribenda,  pvopter  liouorem).  »  Le  Conseil  général  fut 
unanime  à  répondre  par  écrit  «qu'il  ne  voulait  ni  de  ces  nou- 
velles propositions,  ni  contrevenir  en  aucune  façon  à  la  com- 
bourgeoisie, à  l'arrêt  de  Saint-Julien,  à  la  sentence  de  Payerne, 
ni  aux  autres  sentences  rendues. »  —  Michel  Sept,  Boniface 
Hoffischer  et  Robert  Vandel,  nommés  députés  aux  deux  villes, 
partirent  avec  l'ambassade  de  Berne,  sans  laquelle  ils  n'au- 
raient pu  traverser  le  pays  de  Vaud. 

Il  est  bon  d'expliquer  ce  qui  nous  valait  depuis  quelque 
temps  ce  mauvais  vouloir  de  l'aristocratie  bernoise;  car  c'était 
à  elle  surtout  que  nous  étions  redevables  des  dernières  diffi- 
cultés. Dans  leur  premier  enthousiasme  religieux,  en  1528, 
les  Bernois  avaient  pris  des  résolutions  vraiment  dignes  d'une 
république  réformée,  et,  entre  autres,  celle  de  renoncer  do- 
rénavant au  service  des  puissances  étrangères ,  aux  pen- 
sions des  rois  et  des  princes  qui  s'ensuivaenl,  etc.,  etc.  Mais 


\'r2 

ce  benu  zèle  n'avait  pas  tardé  à  se  calmer  et  à  se  refroidir  jus- 
qu'à faire  regretter  l'ancien  étal  de  choses,  dont  h;  patriciat 
profilait  seul.  A  vrai  dire,  il  ressort  assez  cl;iirement  des  lettres 
de  nos  députés  et  des  autres  documents  de  ré[)oque  que  Mes^ 
sieurs  les  pensionnaires,  comme  on  les  appelait,  n'avaient  jamais 
tassé  d'être  plus  sympathiques  à  leur  ancien  maître,  le  duc  do 
Savoie,  qu'à  la  ville  de  Genève.  Aussi  n'oblenait-on  rien  à  Berne 
que  par  la  bourgeoisie,  représentée  au  Grand  Conseil.  Depuis 
quelque  temps ,  ces  pensionnaires  et  leurs  familles  remuaient 
ciel  et  terre  pour  rentrer  dans  leurs  anciens  privilèges ,  aux- 
quels la  combourgeoisie  avec  Genève  formait  réellement  le  plus 
grand  obstacle,  à  cause  des  prétentions  du  duc  de  Savoie  sur 
celte  ville  et  de  linterminable  guerre  qui  en  résultait.  Aussi 
étaienl-ils  irès-pressés  de  ronq)re  ladite  bourgeoisie  afin  de 
pouvoir  conclure  une  nouvelle  alliance  avec  le  duc.  C'est  ainsi 
que  l'ambition  de  quelques  parliculiers  ne  craignait  pas  de 
pousser  leur  propre  patrie  au  parjure  et  à  la  déloyauté  pour 
provoquer  l'abandon  et  la  ruine  d'un  État  allié,  à  qui  on  venait 
de  renouveler  le  serment  d'alliance  \  Ces  projets  ne  réussirent 
pas,  grâce  à  la  ferme  altitude  des  Genevois.  D'ailleurs,  le  duc 
s'était  épuisé  en  armements  ridicules  par  leur  nonjbre  cl  leur 
importance,  ainsi  (ju'en  présents  et  autres  moyens  de  corrup- 
tion qui   n'avaient  pu  que  relanier  sa  perle  pour   li    rendre 

'  Ecoulons  sur  ce  sujet  le  député  Hugues  Vandel ,  de  tous  les  Genevois 
celui  qui  était  le  plus  dévoué  à  Berne  et  à  l'alliance  avec  cette  ville  :  «  Lundi 
«  après  la  Chandeleur  (2  février)  153'2.  Vous  plaira  savoir  comment  ne  vous 
«  devez  nullement  fier  en  nul  secours  ni  aide  de  Messieurs  de  Berne ,  mais 
«  vous  tenez  pour  assurés  que  toutes  pratiques  à  vous  nuisibles  seront  dres- 
i  sées  par  eux,  et  n'y  a  nul  remède  de  leur  côté  ;  les  amis  ne  peuvent  rien 
«  servir  Ils  savent  bien  les  pratiquans  le  vouloir  du  tiran  duc  de  Savoie 
«  (c'est-iWlire  nos  amis  connaissent  bien  ceux  (pii  intriguent  en  laveur  du 
«  duc)  ;  mais  ils  n'y  l'eroient  autre  {ils  ne  pourraient  l'empêcher)  ;  Particu- 

«  lier  profit  et  vengeance  son!  cause  de  ceci les  Bernois  disent  que  tout 

»  ce  que  disons  du  duc  est  tout  mensonge Messieurs  de Fiibouig,  quand 

«  il  leur  plaira  suivre  la  bourgeoisie,  y  auront  grosse  suite  en  dépit  des 
«  Bernois,  etc.  * 


plus  ré<  Ile  <  l  plus  iiuiiiiliaiile.  Lui  aussi  devait  de  l'argent  de 
tous  côtés,  et  surtout  aux  deux  villes;  dès  cette  année,  il  eut 
la  cruelle  humiliation  de  voir  sa  (sarole  et  son  crédi!  tomber 
au-dessous  de  la  confiance  qu'on  se  plaisait  à  a(  corder  partout 
aux  simples  négociants  genevois.  Sa  monomanie,  à  l'endroit 
de  Genève,  n'avait  pas  peu  fonlribué  au  rôle  piîoyable  qu  il 
joua  dans  les  autres  événements  de  son  époque,  où  une  poli- 
tique digne  de  sis  ancêtres  et  de  ses  descendants  aurait  pu  le 
rendre  arbitre  des  plus  hautes  destinées.  Enfin,  si  les  principes 
moraux  ei  élevés,  si  le  prestige  militaire  sont  pour  quelque 
chose  dans  les  destinées  des  nations,  il  faut  avouer  qu'il  fit, 
sous  ce  rapport,  tomber  au  dernier  rang  les  peuples  confiés  h 
ses  soins;  nous  ne  saurions  douter  que  la  profonde  humilia- 
tion que  sa  polili(|ue  relâchée  et  sa  pusillanimité  leur  inlligè- 
reiit,  ne  lût  pour  hiaucoup  dans  les  conquêtes  faciles  de  ses 
voisins,  qui  mirent  !a  dynastie  de  ce  prince  à  deux  doigîs  de 
sa  perte  et  le  firent  mourir  lui-mèiiie  du  chagrin. 

Nous  ne  pousserons  pas  plus  loin  celte  excuîsion  d'un  quart 
de  siècle  dans  le  domaine  de  notre  histoire  nationale.  Genève 
était  encore  une  fois  sauvée;  elle  pouvait  respirer  plus  libre- 
ment qu'elle  ne  l'avait  tait  depuis  longtemps;  car,  dès  le  17 
lévrier  les  Fribourgcois  étaient  prêts  à  marcher  officiellement 
avec  leur  artillerie,  et  Borne  même,  par  l'organe  de  son  Grand 
Conseil,  déclara  que  la  combourgeoisie  serait  maintenue  et  (pi'on 
ne  ferait  avec  le  due  aucune  alliance  où  rlle  ne  fût  réservée  ;  mais 
il  fallut  payer  les  sonimes  dues  aux  deux  villes.  —A  l'époque  où 
nous  sommes  parvenus,  Genève  comptait  assez  de  réformés  et 
le  terrain  y  avait  éié  suffisamment  préparé  par  les  Yandel,  Perrin, 
Bandières,  Porral  et  autres,  pour  y  hasarder  enfin  la  prédication 
ouverte  des  nouvelles  doctrines ,  auxquelles  des  ecclésiastiques 
secrètement  convertis  n'avaient  osé  faire  jusqu'ici  que  des  allu- 
sions plus  ou  moins  détournées.  L'arii\ée  des  prédicants  fran- 
çais, appelés  par  le  parti  réformé  et  appuyés  par  les  Bernois, 
les  orages  qu'ils  soulevèrent,  leur  première  expulsion   le  retour 


momentané  des  Genevois  à  l'orthodoxie  catholique,  la  dernière 
visite  de  leur  prince-évêque,  leur  longue  hésitation  entre  les 
anciennes  institutions  nationales  et  le  nouvel  ordre  de  choses, 
les  progrès  des  religionnaires,  leurs  excès,  les  dissensions  qui 
s'ensuivirent  avec  Fribourg  au  profit  de  Berne ,  la  déchéance 
de  l'évéque ,  les  derniers  efforts  du  parti  épiscopal ,  les  per- 
sécutions et  les  proscriptions  du  parti  vainqueur,  puis  les  nou- 
veaux partis  (national  et  étranger)  qui  se  formèrent  au  sein 
même  de  la  réforme,  leurs  querelles  sanglantes,  leurs  écarts, 
leurs  succès  et  leurs  revers  alternatifs  jusqu'au  moment  où 
Calvin  réussit  à  les  faire  tous  plier  sous  sa  verge  de  fer, — toutes 
ces  choses,  comprises  dans  l'espace  d'une  dizaine  d'années, 
pourront  être  présentées  dans  un  nouveau  travail  faisant  suite 
à  celui-ci,  et  de  préférence  aussi  dans  une  notice  biographique. 
Nous  avons  la  conviction  qu'on  ne  réussira  à  éclairer  suffi- 
samment certaines  parties  de  notre  histoire,  et  notamment  tout 
le  seizième  siècle  ,  que  par  des  biographies  *.  Or  nous  ne  crai- 
gnons pas  d'être  taxé  d'exagération  en  affirmant  qu  aucune  époque 
de  notre  histoire  n'a  été  jusqu'ici  aussi  complètement  défigu- 
rée par  ignorance  ou  de  parti  pris,  par  les  historiens  de  l'une  et 
de  l'autre  confession,  que  celle  (de  1532  jusqu'au  rappel  de 
Calvin)  dont  nous  venons  de  nommer  les  rubriques  principales 
et  sur  laquelle  nous  possédons  des  volumes  de  données  encore 
inconnues  et  de  documents  inédits. 

Il  nous  reste  à  prendre  congé  de  Bezanson  Hugues,  qui  ne 

*  Nous  clioisirons  probaljlement  comme  sujet  Je  notre  prochaine  notice 
le  capitaine  général  Jean  Philippe,  non  pas  à  cause  de  ses  mérites  transcen- 
dants (car  il  ne  peut  sous  ce  rapport  être  comparé  à  Hugues),  mais  parce 
que  c'est  autour  de  lui,  chef  du  parti  prolestant  national,  que  se  groupent 
le  plus  aisément  tous  les  fiiits  relatifs  à  l'introduction  de  la  reforme  à  Ge- 
nève ,  et  à  la  scission  qui  s'opéra  presque  aussitôt  au  sein  même  de  cette 
réforme,  entre  le  parti  national  et  le  parti  français,  dont  le  triomphe  se  ter- 
mina, entre  autres ,  par  la  mort  de  Philippe  sur  l'échafaud  et  le  rappel  de 
Calvin.  — Nous  pourrons  ensuite  passer,  dans  une  troisième  notice,  au  grand 
réformateur  en  personne,  sur  lequel  nous  possédons  peut-être  plus  de  données 
authentiques  et  inconnues  qu'on  n'eu  a  encore  pulihé  jusqu'à  ce  jour. 


U5 

survécut  que  peu  de  mois  a  sa  dernière  ambassade.  Ah  C'  ries, 
Montesquieu  a  bien  raison  de  dire  que  la  vertu  est  le  principal 
ressort  des  républiques;  car  il  faui  de  la  vertu  et  beaucoup  de 
vertu  pour  engager  le  républicain  sincère  à  ne  ehercher  d'autre 
récompense  que  le  sentiment  de  ses  devoirs  accomplis,  et 
pour  se  résigner  à  l'ingraiitude  immanquable  du  pays  et  des 
concitoyens  auxquels  il  aura  tout  sacrifié.  Sa  mémoire  même 
sera  souvent  méconnue  ou  flétrie  par  ceux  qui  lui  doivent 
leurs  biens  les  plus  précieux.  Plus  que  tout  autre,  Bezanson 
Hugues  avait  coniribué  à  instituer  à  Genève  le  règne  de  la  ma- 
jorité ;  mieux  que  tout  autre  il  sut  se  plier  à  ses  exigences  et  h 
ses  abus,  quand,  au  lieu  de  la  diriger  il  en  devint  pour  ainsi 
dire  la  victime.  Depuis  des  années  cette  prétendue  majorité,  que 
nous  ne  confondons  nullement  avec  la  véritable  expression  de 
la  volonté  du  peuple,  ne  lui  avait  témoigné  ni  reconnaissance  ni 
encouragement.  Elle  usait  de  lui  comme  d'un  mercenaire  ou 
couime  d'un  messager  a  gages,  quand  elle  ne  pouvait  se  pas- 
ser de  ses  services.  Le  danger  éloigné ,  le  sauveur  était  oublié, 
le  plus  souvent  même  exposé  aux  insinuations  malveillantes  ou 
calomniatrices  de  ses  rivaux  jaloux,  tant  à  Genève  qu'à  Saint- 
Claude  et  auprès  des  Suisses.  Ainsi  que  nous  l'avons  fait  ob- 
server ,  après  lui  avoir  refusé  à  plusieurs  reprises  le  repos  après 
lequel  il  soupirait,  pour  lui  imposer  de  nouvelles  charges,  avec 
menaces,  s'il  ne  les  acceptait  pas.  de  lui  faire  payer  les  incon- 
vénients qui  en  pourraient  résulter,  on  lui  avait  enfin  accordé  sa 
démission  avec  un  empressement  presque  brutal,  quand  on 
avait  cru  pouvoir  se  passer  de  lui  ;  on  l'avait  rempiacé  par  le 
favori  du  parti  qui  lui  était  le  plus  opposé.  Avec  le  même  sans- 
gêne,  dès  que  le  danger  avait  reparu  on  l'avait  envoyé  seul, 
dans  la  plus  mauvaise  saison,  remplir  la  mission  la  plus  pénible 
et  la  plus  délicate  qui  lui  fut  jamais  confiée.  A  peine  parti,  un 
danger  plus  pressani  ayant  paru  surgir  à  Genève  même ,  on 
l'avait  rappelé  tout  aussi  péremptoirement  en  le  menaçant  de 
la  défaveur  du  peuple.  Nous  ne  saurions  douter  que  le  véritable 


U6 

UiOtif  de  son  brusque  rappel  de  Fribourg,  on  il  arrivail  à  peine, 
ne  fût  pour  remployer  à  rétablir  momentanément  la  concorde 
entre  les  citoyens  divisés,  et  surtout  pour  inspirer  dans  ce  mo- 
ment décisif  au  Conseil  général  une  de  ces  réponses  énergiques 
et  unanimes  doni,  depuis  Berthelier,  il  avait  seul  le  secret.  Des 
devoirs  plus  impérieux  l'avaient  retenu,  mais  une  lettre  avait 
suffi  pour  obtenir  e  résultai  désiré.  Dès  qu'il  eut  réussi,  après 
des  semaines  de  travail  et  de  peines,  a  sauvt  r  pour  la  vingtième 
fois  la  cause  genevoise  et  à  nous  ramener  les  seuls  amis  que 
nous  eus>ions  encore,  il  demanda  naturellement  à  revenir;  ei 
comme  on  faisait  la  sourde  oreille,  il  insista:  ^  Je  m'en  fusse 
»  déjà  retourné  si  ne  fût  que  j'attends  savoir  votre  vouloir;  car 
«  je  n'ai  pas  l'échiné  assez  forte  pour  porter  les  charges  qui 
«  appartiennent  par  deçà;  vous  le  savez  mieux  que  moi.  »  Mais 
alors  on  ne  voulut  pas  »  ntendre  parler  de  ce  retour;  malade  et 
endetté  à  l'auberge  de  la  Croix  blanche  à  Fribourg,  il  fut  obligé 
d'}  rester  encore  près  d'un  mois,  ju- qu'au  moment  où  l'on  en- 
voya pour  l'aider  et  le  remplacer  Hugues  Vandel ,  de  tous  les 
Genevois  celui  qui  lui  était  le  plus  opposé  et  qui  convenait  le 
moins  pour  continuer  son  œuvre.  On  croira  peul-étre  qu'il  en 
prit  de  l'inimeur  ou  qu'il  se  dévoua  moins  à  nos  intéièts  '  ;  mais 
c'est  au  milieu  de  ces  ennuis  qu'il  écrivait  ces  paroles  qui  le 
peignent  si  bien  :  «  Commandez-moi  ce  qu'il  vois  plaiha,  et 

vous    CONNAITREZ    QUK    JE    SUIS    DE    GeNÉVE,    ET    d'aUSSI  BON 
CŒUR  QUE  JAMAIS.  » 

Cependant  sa  grandeur  d'âme  ne  pouvait  aller  jusqu'à  laisser 
calomnier  impunément  sa  «  onduile  à  Genève  pendant  son  al>- 
sence  forcée.  Pour  mieux  (  ontrecarrer  son  désir  d'être  rappelé 
dans  son  pays,  on  avait  prétendu  qu'il  ne  faisait  que  contrefaire 
le  malade.  Ces  calomniateurs  étaient  probablement  les  niémes 
qui  livraient  sa  corresponi lance  aux  Bernois  ou  au  duc  de  Sa- 
voie. Il  ajouta  à  ce  sujet  à  .sa  jMochaine  lettre  «es  mots,  les 

'  Il  s'était  déjà  adjoint  son  frère  Pierre  Vandel  qui  s'était  trouvé  sur  les 
lieux. 


447 

derniers  que  l'on  connaisse  de  lui  :  «Je  suis  encore  fort  ruai 
a  du  bras  gauche,  l:inl  que  je  ne  m'en  puis  aider;  mais  je  sais 
«  bien  qu'il  v  en  a  en  votre  Conseil  qui  disent,  —  -  comme  l'on 
«  me  rapporle. — que  je  semble  le  chien  de  Madame,  que  je  clo- 
«  che  quand  je  veux  ;  mais  je  les  prie  qu'ils  y  donnent  si  bon 
«  ordre  qu'ils  viennent  ici  eux-mêmes  faire  les  atfaires;  car 
«  aussi  bien  ne  m'en  veux-je  plus  mêler.  Si  ne  lerrai-je  pour 
«  ce  à  vivre  à  honneur  maugié  eux.  Dieu  aidant,  auquel  je  prie, 
«  Messieurs  et  lrès-hont>rês  seigneurs,  vous  donner  vos  désirs,  jj 
Les  Conseils  trouvaieni  en  effet  tris-commode  d'avoir  ainsi 
à  leur  service  en  Suisse,  dans  ces  temps  difficiles,  un  r^présen- 
lant  non-seuleineiil  aussi  distingué,  mais  encore  qui  ne  coûtait 
rien  ;j  la  ville  et  qui,  comme  toujours,  se  faisait  un  point  d'hon- 
neur de  tenir  table  ouverte  à  son  hôtel  ou  dans  les  abbayes, 
pour  tous  les  amis  (jui  en  voulaient  profiter.  Cette  dernière 
gracieuseté  lui  avait  d'ailleurs  été  tout  parliculièremen!  recom- 
mandée dans  les  circonstances  présentes.  Il  paraît  pourtant 
qu'on  en  vint  à  présum.er  un  peu  trop  de  sa  générosité,  d'au- 
tant plus  qu'on  ne  pouvait  ignorer  que  tous  ses  immeubles 
étaient  alors  déjà  vendus  ou  engagés  pour  acquitter  les  sacri- 
fices et  les  promesses  qu'il  avait  faits  à  la  cause  genevoise.  Ou 
ne  lui  remboursait  pas  même  les  frais  souvent  extraordinaire- 
menl  dispendieux,  surtout  dans  cette  saison,  des  messagers  qu'il 
envoyait  ou  qu'on  lui  envoyait  jourtiellement  de  Genève  et  de 
Berne  pour  le  service  public:  «  Voire  homme  de  pied  n  Uiujours 
«  été  ici  sur  ma  l)ouri>e  et  non  pas  sur  la  wlre^  »  écrit-il  de 
Fribourg  le  30  janvier,  et  dans  la  même  lettre:  «Mais  h  peu 
«  de  paroles  il  faui  argent,  et  je  ne  sais  où  le  trouver;  car  j'ai 
«  déjà  emprunté  pour  vos  affaires  1 0  éius  du  seigneur  Bande- 

«  ret  Pierre  Myeursin J'ai  iléjh  mandé  quatre  ou  cinq  fois  à 

«  Berne  :   il  se  faut  aussi  entretenir  sur  les  abbayes  avec  les 
«  compagnons'  ;  ce  que  j'en  ai  fait  et  fais  tous  les  jours,  c'est 

'  Ce  qu'il  appelle  ici  les  comijaijiwns,  et;  sont  les  chefs  subalteiiies  des 
s-^.i'lars  qu'il  enrôlait  (ou  ces  soldats  eux-nièines  '  qu'il  fallait  maintenir  eu 
belles  dispositions  jusqu'à  ce  qu'on  en  eiU  besoin. 


448 

«  pour  vous  faire  plaisir  et  comme  m'aviez  écrit  le  faire.  Ne 
«  pensez  pas  que  je  veuille  que  me  payez  rien  de  mes  dépens 
"  cependant  que  je  serai  en  cette  ville,  moi  el  de  mon  homme  ;  mais 
«  quand  je  manderai  aux  champs  ou  ferai  quelque  autre  dé- 
«  pense  pour  vous ,  il  est  bien  raison  que  vous  le  payez.  » 
Voici  en  quels  termes  peu  de  jours  avant,  pour  la  première  et 
unique  fois  de  sa  vie,  il  s'était  plaint  des  lourdes  charges  que 
le  service  public  accumulait  sur  sa  télé  :  «  Je  suis  aussi  ici  pour 
«  vous  faire  service ,  comme  mon  devoir  le  porte  ;  mais  je  porte 
«  de  grosses  charges  pour  vous,  tant  pour  mander  gens,  que 
«  vers  le  secrétaire\  que  ailleurs.  Ayez  y  de  l'avis.  J'en  ai  assez 
«  fait  pour  le  passé,  tant  que  je  m'en  sens  et  sentirai  toute  ma  vie 
«  et  mes  pauvres  enfants.  Ayez  y  de  l'avis.  3ia  personne  et  mes 
«  dépens  m-  vous  coûteront  rien  ;  mais  à  la  reste,  je  n'y  despen- 
«  drai  plus  du  mien  el  m'en  retournerai  en  bref  par  de  là.  » 

Certes,  a|)rès  dix-sept  ans  de  services  entièrement  gratuits, 
près  de  quarante  arnbassades  olïicielles,  dont  il  avait  supporté 
tous  les  frais,  et  le  sacrifice  de  toute  sa  fortune  pour  la  cause 
genevoise,  Hugues  pouvait  bien  rappeler  une  fois  ce  qu'il  avait 
fait  par  le  passé,  pour  éviter  qu'on  u'ôtât  le  pain  à  ses  enfants. 
Sa  conduite  contraste  singulièrement  avec  celle  de  ses  collègues, 
qui  savaient  si  bien  se  faire  payer  leurs  moindres  services^.  Un 
pareil  désintéressement  était  même  si  rare  à  cette  époque  qu'on 

'  Il  s'agit  du  secrétaire  d'Etal  de  P>ibourg,  Antoine  KiiimnionstoU,  dont, 
il  fallait  payer  les  dépèches  écrites  à  notre  intention  et  entretenir  la  bonne 
volonté  par  les  cadeaux  d'usage.  On  voit  d'après  le  passage  suivant  de  la 
même  lettre  que  Hugues  n'y  manquait  pas  :  «  N'oubliez  dire  à  mes  gens  de 
«  m'envoyer  la  fourrure  noire  du  secrétaire,  et  donnez  ordre  que,  s'il  se 
«  trouve  quelqu'un,  qu'il  l'apporte  ;  car  il  est  votre  ami  et  je  vous  dis  bien 
a  fort,  pourquoi  ne  l'oubliez  pas.  » 

'  Nous  possédons  dans  notre  collection  manuscrite  plus  de  cent  lettres 
des  frères  Vandel,  surtout  de  Robert;  il  n'en  est  pas  une  où  ils  ne  se  plai- 
gnent vivement  des  frais  que  leur  occasionnent  nos  affaires,  pas  une  où  ils 
ne  demandent  de  l'argent,  foice  argent,  à  cor  el  à  cii.  Aussi  leurs  ambas- 
sades étaient-elles  une  véritable  ruine  pour  la  ville  à  laquelle  ils  savaient 
s'imposer. 


449 

serait  pres(|ue  tenté  de  te  coiiï-kléivr,  dans  la  position  deHugnes, 
comme  de  la  prodigalité  et  de  l'imprévoyance,  si  l'on  ne  savait 
qu'on  a  affaire  ici  au  meilleur  financier  genevois  de  son  époque. 
Il  avait  considérablement  augmenté  son  patrimoine  pendant  le 
peu  d'années  qu'il  put  se  vouer  au  commerce;  —  aucune  admi- 
nistration ne  sut  faire  autant  avec  moins  de  ressources  que  la 
sienne,  pendant  son  syndicat.  Nous  avons  vu  que  c'était  tou- 
jours de  lui  <jue  partaient  tous  les  bons  conseils  et  les  combi- 
naisons financières  les  plus  raisonnables  pour  créer  des  ressour- 
ces à  la  ville.  C'était  encore  à  lui  qu'on  avait  recours  quand  il 
s'agissait  d'aller  emprunter  de  l'argent  hors  de  Genève,  non- 
seulement  à  cause  de  son  crédit,  mais  parce  qu'on  savait  bien 
que  personne  ne  l'obtiendrait  à  des  conditions  aussi  avantageu- 
ses. Autant  il  était  généreux  de  ce  qui  lui  appartenait,  autant  il 
y  regardait  de  près  qtmnd  il  s'agissait  des  deniers  publics.  Son  dés- 
intéressement n'était  donc  pas  de  la  faiblesse:  il  fallait  des  sacri- 
fices personnels  pour  mener  a  bien  la  grande  lâche  qu'il  avait  en- 
treprise. Son  noi)le  exemple  avait  entraîné  ses  premiers  collègues 
dans  cette  voie  comme  dans  tant  d'autres  '.  Qu'était-ce  que  l'ar- 

*  C'était  en  [jarticnlier  le  cas  de  son  lieau-fièic  Jean  Baud,  qui  s'y  était 
ruiné  comme  lui,  et  jusqu'à  un  certain  point  de  François  Favre,  d'Ami 
Girard,  de  Nycolin  du  Crest,  etc.  Ce  dernier  n'avait  été  employé  que  dans 
les  dernières  années,  et  très-modérément,  surtout  comparé  à  Bezanson 
Hugues.  Voici  cependant  le  résumé  officiel  (dans  l'espace  de  3  ou  A  ans) 
de  ses  ambassades  «  pour  lesquelles  il  n'avait  pas  reçu  un  seul  denier  de  ré- 
compense non  plus  que  pour  son  syndicat:»  ■i\°  à  Fribourget  à  Berne,  avec 
Robert  Vandel  et  Jean  Lullin,  pour  la  mort  de  Pontverre  (1529):  il  y  passa 
six  semaines  ;  2"  aux  mômes  lieux  avec  feu  Bezanson  Hugues  pour  la  mar- 
che de  Payerne,  sept  semaines;  S»  à  Berne  avec  un  serviteur,  pendant  la 
guerre  des  Bernois  et  des  Tanderts,  sept  semaines;  4"  à  Berne  avec  plusieurs 
autres,  pour  jurer  la  bourgeoisie  la  seconde  fois  (1531),  dix  jours;  5"  à 
Berne  avec  feu  Robert  Vandel,  quand  on  rompit  la  cloche  d'Eirambières, 
quinze  jours;  6'^  à  Berne  avec  le  vidomne  (lieutenant)  du  Molard,  pour 
faire  lâcher  les  vivres  que  Monseigneur  de  Savoie  faisait  retenir,  trois  se- 
maines; 7°  à  Berne  avec  François  Régis,  pour  une  requête,  neuf  jours; 
8°  à  Berne  avec  le  syndic  Curtet,  pour  les  prier  de  ne  pas  rompre  la  bour- 
geoisie de  Fribourg,  dix  jours.  »  (Voyez  Galiffe,  Notices  (jénéalofjiqiies,  t.  I, 
p.  550.)  Poursuivi  pour  sa  fidélité  à  l'Eglise  romaine,  Nycolin  du  Crest  ne 
dut  son  salut  qu'à  l'intercession  de  son  beau-frère  M.  d'Erlach, 


450 

genl  auprès  fie  l'honneur  et  de  la  liberté  de  leur  patrie,  pour 
ces  premiers  champions  de  noire  indépendance?  Â  vrai  dire 
leurs  successeurs  pensèrent  fort  différemment  :  mais  Hugues 
avait  trop  de  grandeur  d'âme  et  aimait  trop  son  pays  pour  dé- 
vier de  la  règle  qu'il  s'était  tracée;  le  contraste  qui  en  ré-ultait 
n'était  probablement  pas  l'un  des  moindres  sujets  de  haine  et 
de  jalousie  de  la  part  de  gens  intéressés  à  redouter  certains 
rapprochements.  Robert  Vandel  va  nous  donner  encore  une 
fois  la  juste  mesun^  de  leurs  sentiments  à  son  égard. 

On  a  vu  plus  h  lut  que,  tout  en  exprimant  leurs  sympathies, 
les  magistrats  fribourgeois  s'étaient  refusés,  «ians  les  dernières 
circonsln lices,  a  s'armer  officiellement  pour  Genève.  Comme 
dans  tant  d'autres  occasion^,  tout  dépendait  <lonc  encore  des 
démarches  de  Bezanson  Hugues.  Au  milieu  de  ces  circon- 
stances défavorables,  relui  ci  avait  réussi  en  quelques  jours 
à  engager  quelques  milliers  de  combattants.  On  voit  par  ses 
lettres  que  ce  n'était  pas  seulement  par  l'intermédiaire  de 
leurs  chefs  qu'il  avait  réussi  à  mettre  ce^  hommes  sur  pied, 
mais  qu'il  n'avait  pas  reculé  devant  l'ennui  d'en  engager  un  cer- 
tain nombre  indi\iduellement,  un  a  un,  malgré  le  surcroît  de 
frai'^  qui  en  résultait  pour  lui-même  à  son  auberge,  transformée 
en  bureau  de  recrutement.  Comme  d'habitude,  en  pareil  cas,  il 
avait  été  convenu  que  les  gens  du  pays  à' En-Haul  et  de  Ges- 
senay,  promis  au  nombre  de  500  "a  600  par  Tonde  de  Boniface 
Hoflischer,  partiiaienl  les  premiers,  comme  étant  les  plus  ra[> 
proches,  an  premier  signal  venu  de  Genève,  qui,  pour  des  raison» 
d'économie,  renvoyait  sa  décision  de  jour  en  jour.  Enfin  l'ordre 
de  les  faire  marcher  «  de  jour  et  de  nuit  »  fut  transmis  à  Bezanson 
Hugues,  qui  se  hâta  de  le  transmettre  à  qui  de  droit.  Soit  que 
ces  gens,  impatientés  d'attendre  et  se  raj>pelant  le  peu  d'em- 
pressement qu'on  avait  mis  a  les  payer  à  leur  dernière  visite, 
aient  trouvé  bon  de  récapituler  derechef  toutes  leurs  conditions 
avant  d  •  se  mettre  en  roule  * ,  soit  d'autres  empéchenienls  te- 

•  C'est  ce  qui  semblerait  résulter  d'une  lettre  du  châtelain  de  Gessenay 


nanl  h  la  rigueur  de  la  saison,  loujuurs  esl-il  que  les  première* 
hmdi'S  arrivèrent  a  Genève,  non  pas  trop  larl  puisqu'il  ne  s'y  était 
rien  passé,  mais  qwlques  jours  après  celui  auipiel  elles  auraient 
pu  y  arriver  si  elles  étaient  parties  sur-le-champ,  par  marche 
forcée.  Du  côté  des  troupes  ducales  le  danger  était  aussi  pres- 
sant qu'avant  ;  mais  sur  ces  entrefaites,  grâce  à  Bezamnn  Ifw 
ffues,  l'horizon  comm.nçait  à  s'éclairrir  du  côté  de  Berne.  Il 
n'en  fallait  pas  davantage  au  parti  Vandel  pour  regretter  ce 
qu'on  aurait  pu  devoir  à  des  auxiliaires  catholiques,  envoyés 
par  Hugues.  J^e  Conseil  n'osa  pas  s'exprimer  ouvertement  dans 
ce  sens  ;  mais  au  ton  de  ses  correspondances  Hugues  s'aper- 
çut bien  vite  de  quoi  il  s'agissait.  Il  eut  la  délicaiesse  de  mettre 
cette  inconséquence  sur  le  compte  de  l'état  embarrassé  des 
finances  de  la  ville,  et  contreinanda  ie  départ  du  gros  des  trou- 
pes qui  n'étaient  pas  encore  parties,  tout  en  demandant  des 
ordres  plus  positifs  à  ses  comiiietlants '.  En  attendant  il  s'.ogis- 
^ail  d'entretenir  et  de  payer  les  troupes  qui  étaient  déjà  arrivées 
à  (ienève  *.  Ce  fut  à  ce  sujet  que  la  conduite  de  Robert  Vandel 
fut  vraiment  indi<j;ne:  il  conseilla  brutalement  te  2  mars,  de 
Fribourg,  où  ion  venait  de  le  députer,  «de  congédier  les  gens  du 
Gessenay  sans  les  payer,  ou  de  hs  envoyer  quérir  leur  payement 
à  c>'lai qui  les  avail  mandèa^^»  c'est-à-dire  à  Bezanson  Hugues  ; 

Hans  Gander,  à  son  neveu  lîoniface  Hoffischer,  auquel  il  recommande  vive- 
ment ses  concitoyens,  «joutant:  «  vous  savez  bien  comment  ont  été  traités 
c  autrefois,  de  quoi  ils  ont  peur  qu'on  ne  fasse  ainsi  maintenant.  » 

'  «  J'ai  ce  matin  reçu  vos  lettres  par  un  homme  de  pied  de  Lausanne. 
i  Ht  me  semble  que  soyez  refroidis  rl'avoir  des  gens,  pourquoi  me  suis 
"  quasi  repenti  do  l'ordre  que  j'ai  donné  devers  les  dits  de  Gessenay.  Je  ne 
«  sais  ce  que  je  dois  faire;  je  sais  que  vous  êtes  pauvres  et  avez  tant  souf- 
«  fert  et  êtes  endettés  qu'il  m'en  prend  grosse  pitié,  avec  ce  que  je  ne  sais 
-  ce  que  je  dois  me  dire  de  ces  gens;  car  sans  argent  ils  ne  veulent  ouïr; 
x  je  vous  prie  f;iites-moi  rondement  savoir  votre  volonté,  etc.  »  (30  janvier.) 

*  D'après  la  lettre  du  chàlelain,  citée  plus  haut,  et  d'après  une  autre  de 
Hugues,  il  paraît  qu'il  n'était  arrivé  que  5'J  hommes,  dont  plusieurs  avaient 
été  payés  avant  leur  départ. 

'  1  Ceux  de  Gessenay  ne  sont  pas  venus  au  temps.  Vous  les  pouvez  ren- 
1  voyer,  et  les  remettre  o  celui  qui  '«  fait  venir....  vous  êtes  bons  et  sajes, 
<t  t'o«.j  le  saurez  bien  faire.  » 


452 

et  comme  s'il  craignait  qu'on  ne  l'evit  pas  suffisamment  com- 
pris, il  insista  sur  ce  sujet  dans  une  seconde  lettre  du  même 
jour,  toujours  sans  oser  nommer  son  ri\al,  et  offrant  d'envoyer 
d'autres  troupes  pour  remplacer  celles  qu'il  voulait  congédier 
aussi  grossièrement,  preuve  qu'il  ne  jugeait  pas  le  danger 
passé'.  Cela  ne  l'empêchait  pas  de  convenir,  quoique  naturel- 
lement sans  nommer  Bezausou,  de  l'immense  danger  dont  celui- 
ci  venait  de  délivrer  son  pays;  «Plus  avant  ne  veulent  rescrire,» 
dit  Vandel  le  7  mars,  de  Berne,  au  sujet  des  Ligues, «mais  en- 
«  suivre  la  sentence  de  Payeine,  sans  laquelle  nous  étions  vendus 
«  comme  chair  en  la  boucherie.  Tenez  secret  ceciy  car  s^il  venait 
«  à  savoir  à  Messieurs  de  cette  ville,  vous  savez  le  danger.  »  Ces 
dernières  lignes  sont  soulignées  dans  l'original.  Hugues  Vandel 
avait  écrit  quelques  semaines  avant  à  Bezanson  Hugues:  «mon 
«  bon  seigneur  et  ami,  à  Fribourg....  En  brief  serons  par  devers 
«  \o\is>,  vous  priant  vouloir  consoler  une  pauvre  ville  de  Genève 
«  du  bon  vouloir  de  Messieurs  de  Fribourg.»  On  se  rappelle 
que  Hugues  Yandel  était  venu  remplacer  Bezanson  Hugues  à 
Fribourg;  comme  il  n'avait  nulle  envie  que  la  générosité  de 
celui-ci  lui  servît  de  précédent ,  il  s'empressa,  à  peine  installé 
dans  ses  fonctions,  de  rappeler  au  Conseil  les  dépenses  consi- 

'  <f  Et  si  voulez  gens  pour  commencer  la  guerre,  ou  pour  vous  garder, 
«ou  faire  sortie  sur  les  pays,  mande;^  et  commandez  le  nous;  »  et  plus 
loin,  au  sujet  des  gens  du  Gessenay  :  «  pourquoi  les  devez  renvoyer,  sinon 
«  qu'en  ayez  faute  pour  les  occurens,  et  ne  vous  scandalisez  de  leur  paie- 

«  ment;  vous  avez  bonne  excuse  de  leur  donner  congé ;  et  plutôt  les  re- 

«  mettez  à  celui  qui  leur  a  fait  la  lettre,  qui  ne  veut  point  s'en  mêler,  ce 
«  que  toutefois  nous  croyons  qu'il  fera  ;  c'est  son  lionneur  et  profit  ;  à  la  fin 
«je  crois  qu'il  doit  connaître  les  aCTaires.  »  Il  faut  observer  que  Bezanson 
Hugues  était  à  cette  date  de  retour  à  Genève  et  avait  obtenu  sa  retraite  du 
Conseil.  La  vérité  nous  oblige  à  dire  que  ces  deux  lettres  de  Robert  Vandel, 
sont  censées  écrites  collectivement  avec  ses  collègues  Boniface  HofQscher  et 
Michel  Sept  ;  mais  elles  sont  de  sa  main  d'un  bout  à  l'autre,  et  l'on  peut 
présumer  que  le  nom  de  Boniface  Hoffischer  ne  se  sei-ait  pas  trouvé  au  bas 
de  ces  pièces,  s'il  avait  su  de  quelle  manière  ses  concitoyens  du  Gessenay, 
venus  avec  l'autorisation  du  Conseil  et  la  recommandation  de  son  oncle,  y 
étaient  traités. 


453 

dérables  que  lui  et  son  frère  Pierre  avaient  déjà  supportées, 
conjointement  avec  Bezanson  Hugues,  pendant  les  derniers  jours 
de  la  gestion  de  celui-ci,  et  dont  lui,  Vandel,  voulait  êlre  rem- 
boursé avant  de  continuer  la  besogne. 

Malade  cl  exténué  de  fatigue ,  Bezanson  Hugues  était  enfin 
arrivé  à  Genève  et  avait  insisté,  dès  son  arrivée,  sur  ses  anciens 
projets  de  retraite.  On  le  dispensa  le  20  février  d'assister  au 
Conseil  «à  condition  qu'il  promit  d'y  venir  quand  il  y  serait  ap- 
pelé pour  des  affaires  difficiles  et  fâcheuses.» Dès  lors  m  est  ré- 
duit à  deviner  la  part  qu'il  put  encore  prendre  aux  affaires 
publiques  jusqu'à  sa  mort,  dont  la  date,  même  quant  au  mois, 
est  restée  inconnue.  Nous  croyons,  avec  Galiffe,  le  retrouver 
dans  les  «  Avis  d'un  citoyen  au  Conseil  relativement  à  une  lettre 
de  l'empereur  Charles-Quint  au  comte  de  Monlrevel,  »  d'abord 
parce  qu'il  était  mieux  informé  que  tout  autre  de  tout  ce  qui 
pouvait  intéresser  son  pays  de  ce  côté-la,  et  qu'on  ne  comprend 
pas  quel  autre  citoyen  le  Conseil  aurait  pu  consulter  en  dehors 
de  son  sein  ;  ensuite,  parce  que  l'avis  en  question  concorde  par- 
faitement avec  les  conseils  que  Hugues  avait  donnés  jadis  à  l'évê- 
que  dans  une  circonstance  semblable  fiourne  pas  dire  identique, 
en  1528.  Voici  de  quoi  il  s'agissait.  Le  duc  de  Savoie  n'avait  pas 
abandonné  son  projet  de  faire  remettre  l'évêché  de  Genève  à  son 
second  fils,  petit" garçon  en  bas  âge.  Il  avait  intéressé  l'empereur 
à  ce  projet,  tant  au  nom  de  la  religion  qu'en  celui  de  la  pa- 
renté, en  lui  persuadant  que  ce  serait  le  seul  moyen  de  rétablir 
la  paix  entre  les  Genevois  et  lui.  Il  craignait  d'ailleurs  que 
Pierre  de  la  Baume  ne  se  choisît  un  successeur  qui  ne  lui  con- 
vînt pas.  L'empereur  avait  en  conséquence  insisté  auprès  du 
comte  de  Monlrevel.  chef  de  la  maison  de  la  Baume,  pour  ob- 
tenir cette  cession  de  son  oncle  le  prince-évêque,  sous  réserve 
que  ce  dernier  continuerait;»  jouir  des  fruits  de  l'évêché  jusqu'au 
moment  où  il  succéderait  à  l'archevêque  de  Besançon,  dont  il 
était  déjà  coadjuteur  *.  C'est  de  cette  lettre  et  du  projet  du  duc 

*  Voyez  la  lettre  de  Gliarles-QaiQt,  aux  Pièces  justificatives. 

Tome  XI.  30 


454 

et  de  la  duchesse  de  venir  à  Genève  avec  le  petit  prince  (projet 
qui  se  liait  évidemment,  comme  en  1528,  aux  armements  qu'ils 
avaient  faits  autour  de  cette  ville),  que  le  susdit  citoyen  —  ce 
devait  être  Bezanson  Hugues  —  avait  eu  connaissance.  Son  avis, 
qui  fut  transmis  par  le  Conseil  aux  députés  genevois  en  Suisse, 
était  :  de  ne  laisser  entrer  personne  de  la  maison  de  Savoie  à 
Genève  sans  l'avis  des  deux  villes;  d'ordonner  à  l'un  des  mem- 
bres de  l'ambassade  genevoise  de  se  tenir  à  Lausanne  pour  ac- 
célérer la  transmission  des  nouvelles  el  des  dépêches  à  ce  sujet, 
d'autant  plus  que  de  ce  côlé-la  les  chemins  n'élaient  pas  sûrs; 
enfin  d'envoyer  le  conseiller  Jean  Lévrier  au  prince-évêque, 
pour  lui  faire  «  considérer  les  malices  et  cautèles  de  nos  enne- 
mis ,  afin  que  la  cité  ne  tombe  en  scandale  et  en  pire  étal  que 
jamais  ne  fut.  »  Le  moyen  le  plus  efficace  auprès  de  Pierre  de 
la  Baume  était  en  effet  d'eu  appeler  à  son  amour-propre  el  à  sa 
susceptibilité,  dont  le  (iuc  n'avait  jamais  assez  tenu  compte. 
D'ailleurs,  tout  en  recherchant  de  nouveaux  bénéfices  et  de 
nouveaux  honneurs,  ce  prélal  n'était  pas  homme  à  lâcher  pour 
cela  ceux  dont  il  jouissait  déjà;  lui-même  s'était  mainte  fois 
expliqué  très-catégoriquement  à  ce  sujet  '.  Aussi,  loin  de  con- 
sentir à  résigner  la  moindre  de  ses  nombreuses  dignités,  dont 
chacune  avait  suffi  jadis  à  remplir  la  vie  et  l'ambition  de  très- 
grands  seigneurs,  y  ajouta-t-il  bientôt  celle  de  cardinal  du  titre 
de  Saint-Jean,  Saint -Paul  et  Saint  Syinmaque  (1539),  et  trois 
ans  après  celle  d'archevêque  de  Besançon. 

jNous  croyons  encore  retrouver  la  trace  du  grand  citoyen 
dans  une  autre  lettre  du  Conseil  à  nos  ambassadeurs  en  Suisse 
(du  20  mars),  où  il  s'agit  aussi  du  projet  et  des  armements  du 


*  Voici  co  qu'il  avait  répondu  à  Bezanson  Hugues  lors  de  la  première  ten- 
tative du  duc  :  t  Pour  vous  faire  réponse  à  la  résignation  de  mon  évêché, 
«  jo  n'y  pensai  oncquos.  Je  suis  après  à  en  avoir  d'autres,  et  espère  que  Dieu 
4  m'aidera  à  en  recouvrer  et  celle  garder;  car  je  n'ai  délibéré  de  sitôtmou- 
«  rir,  et  cela  ressemblerait  à  la  fin  de  mes  jours.  S'il  se  fait  résignation  de 
4  bénéfices,  j'ai  des  neveux,  etc.  » 


455 

duc  de  Savoie.  «  Ceci,  dit  le  Conseil  dans  sa  lettre ,  nous 
l'avons  su  par  vérité  par  un  homme  de  bien  .  digne  de  foi^  et 
bien  eslimé.  »  Cetle  réserve  même  nous  confirme  dans  noire 
opinion  ;  cor  c'est  bien  ainsi  que  le  Conseil  devait  s'exprimer 
dans  son  allusion  au  grand  citoyen,  en  s'adressant  à  une  dépu- 
talion  dont  le  chef,  Roberl  Vandel,  ne  perdait  pas  une  occasion 
de  décocher  quelque  méchanceté  à  l'adresse  de  celui  qu'il  con- 
sidérait comme  son  rival ,  sans  oser  le  nommer  davantage. 
Nous  en  avons  eu  la  preuve  à  l'occasion  des  soldats  de  Gesse- 
nay,  envoyés  par  Hugues  sur  la  demande  du  Conseil.  En  voici 
une  autre  qui  n'est  guère  plus  favorable  a  son  auteur.  On  se  rap- 
pelle du  sans-gêne  avec  lequel  le  Conseil,  dans  un  moment  de 
détresse,  sétail  emparé  de  la  succession  de  l'ancien  syndic  Be- 
noît Genod,  sauf  a  s'arranger  plus  tard  avec  les  héritiers  légi- 
times. Depuis  lors,  ceux-ci  avaient  très-justement  entrepris  de 
revendiquer  leurs  droits,  et,  dans  ce  but,  ils  avaient  fait  inter- 
venir dans  cette  question  le  vicaire-général,  Aymé  de  Gingins, 
qu'elle  regardait  directement  comme  représentant  du  prince- 
évêque  absent;  l'autorité  de  ce  dernier  n'avait  pas  encore  été 
mise  en  question  puisqu'il  fut  lui-même  officiellement  reçu 
en  cette  double  qualité  à  Genève  même,  et  traité  comme  tel 
par  correspondance  bien  longtemps  après  l'incident  auquel  nous 
faisons  allusion.  Il  va  «ans  dire  que  Bezanson  Hugues,  qui  n'a- 
vait jamais  varié  dans  ses  opinions,  était  pour  la  légalité,  et  il 
parait  qu'il  se  prononça  fortement  dans  ce  sens,  au  grand  dé- 
plaisir de  Roberl  Vandel,  témoin  ce  passage  de  sa  lettre  du  4 
mars:  «  Au  surplus,  nous  avons  reçu  des  lettres  faisant  men- 
«  tion  que  M.  le  vicaire  veut  connaître  sur  les  affaires  de  Be- 
«  noît  Genod:  si  vous  permettez  ce  affaire,  vous  en  tomberez 
«  en  gros  dommage  et  déshonneur.  Vous  savez  comment  les 
«  choses  sont.  Vous  avez  les  franchises  et  les  biens  en  vos 
«  mains.  Vous  ne  voulez  pas  laisser  mâtiner  à  un  duc  de  Sa- 
«  voye.  et  vous  voulez  laisser  mâtiner  a  un  vicaire!  Ce  sont 
«  tout  pratiques  pour  mettre  division  ;  celui  qui  le  conduit  ferait 


456 

«  mieux  de  suivre  son  devoir.  Vous  avez  bon  peuple.  Il  souffre 
«  beaucoup  de  fâcheries  par  les  pratiques  de  quelcun.  S'il  était 
«  question  que  M.  le  vicaire  eût  la  connaissance  de  ce  cas» 
«  où  sérail linventaire  fait?  A  quoi  seroient  ceux  qui  se  sont 
«  mêlés  des  alïairos?  Vous  le  pouvez  penser!  »  Il  sulïirait  de 
cet  échantillon  de  la  justice  et  de  la  morale  de  Vandel  pour 
montrer  qui  avait  raison,  de  lui,  ou  de  Bezanson  Hugues;  de 
celui  qui,  n'ayant  jamais  sacrifié  un  sou  à  la  chose  publique» 
voulait  enrichir  le  fisc  par  la  spoliation  des  particuliers,  ou  de 
celui  qui,  après  avoir  tout  sacrifié  à  sa  patrie,  employait,  pour 
ainsi  dire,  son  dernier  souflle  à  défendre  les  intérêts  privés  de 
ses  concitoyens.  C'est  sans  doute  a  une  circonstance  du  même 
genre,  mais  dans  laquelle  le  vicaire  avait  fléchi,  que  le  facétieux 
syndic  Ami  Porral,  le  plus  lettré  du  parti  Vandel,  fait  allusion 
dans  une  lettre  intime  à  son  chef  de  file,  letlre  que  l'on  dirait 
écrite  par  un  grammaiiien  en  goguette',  en  ces  termes:  «  Be- 
«  zanson  fait  les  diables  contre  M.  de  Bonmont  et  contre 
«  M.  Jehan.  Il  a  mandé  quérir  Te  mari  de  la  Pelbe  ;  il  l'a  fait 
«  chercher  en  sa  maison  près  de  la  vôtre  ;  mais  on  ne  l'y  a 
«  pas  trouvé  et  même  les  oificiers  du  lieutenant,  le  dit  mari 
a  avec  lui,  se  trouvent  dans  la  dite  maison.  Je  crains  qu'il  ne 
«  reçoive  sur  le  nez,  et  ne  fut  que  de  votre  frère  Pierre.  » 

Malgré  les  secrets  progrès  de  la  réforme  à  Genève,  Vandel 
et  les  siens  furent  forcés  de  convenir,  pendant  cette  ambassade, 
que  le  moment  n'éiait  pas  encore  venu  de  s'en  vanter  :  «  Nous 
«  avons  fort  été  blâmés  de  Messieurs  de  cette  ville,  »  écrivaient 
Jean  Coquet  et  Amy  de  Chapeaurouge,  le  7  mars,  de  Fri- 
bourg,  «  disant  que  voulions  être  luthériens,  non  pas  d'un  seul, 
a  mais  de  toute  la  ville.  Et  davantage  avons  parlé  à  nos  amis  de 

'  Voyez  cette  lettre  aux  Pièces  justificatives.  Pour  ])ien  juger  de  la  valeur 
relative  des  deux  partis  auxquels  nous  faisons  allusion,  il  inipoite  de  se  rap- 
peler que  celui  des  Vandel,  Porral,  Perrin,  etc.,  était  resté  en  1525  en  par- 
faite sécurité  à  Genève  pendant  que  Bezanson  Hugues  et  ses  amis  avaient  dû 
se  sauver  en  Suisse  pour  ne  pas  être  arrêtés  et  mis  à  mort. 


457 

«  Berne  les  queulx  nous  le  défendent  pour  le  présent^  et  disent  que 
«  ce  n'est  pas  maintenant  l'heure^  ni  aussi  prendre  nulle  question.  » 
Surenchérissant  encore  sur  ses  collègues,  Robert  Vandel  recom- 
mandait presque  la  persécution  envers  ses  coreligionnaires  pour 
plaire  aux  Fribourgeois  (15  mars  de  Fribourg):  «  Nous  vous 
«  prions  sur  toutes  choses  s'il  y  a  point  d'assemblée  en  quelque 
«  lieu  que  ce  soit,  combien  qu'il  ne  soit  pas  à  craindre,  mais 
«  pour  faire  affaire.,  la  sortir  et  la  chasser  Iwrs  du  pays^  faites 
«  le  nous  savoir,  et  pour  vérité,  vous  verrez  chose  merveilleuse, 
«  et  chasser  notre  ennemi  hors  des  pays  et  faire  semblable  au 
«  duc  de  Witlemberg.  »  Le  passage  suivant  d'une  autre  lettre  de 
Vandtl  (23  mars)  prouve  que  toutes  les  précautions  avaient 
été  prises  dans  le  sens  de  celte  diplomatie  hypocrite  entre  le 
Conseil  genevois  et  les  ambassadeurs  pendant  le  séjour  de 
ceus-ci  à  Fribourg  :  «  Nous  avons  reçu  vos  lettres  par  le  sire 
«  Etienne  Dadaz,  et  les  autres  par  l'apothicaire,  et  sommes 
«  bien  joyeux  que  rescrivez  à  part  des  affaires,  et  que  en  vos  lettres 
«  (officielles)  ne  failes  mention  que  du  cas  général  de  la  ville  : 
«  car  il  les  faut  toujours  lire  devant  Messieurs.  »  Plus  bas,  dans 
la  même  lettre,  la  patience  lui  échappe  de  faire  le  poing  dans 
sa  poche:  «  Touchant  ceux  du  chapitre  qui  ne  veulent  obéir 
«  aux  édits  du  peuple,  il  leur  sera  force,  veuillent-ils  ou  non. 
«  Nous  sommes  tous  habitants,  et  qui  ne  voudra  vivre  comme 
«  le  cours  (comme  les  autres)  de  la  ville,  qu'il  s'en  aille  en  en- 
«  fer!  )•)  Vandel  et  son  parti  n'en  furent  pas  moins  obligés  de 
continuera  faire  bonne  mine  à  mauvais  jeu;  car  les  Frii)Our- 
geois,  qui  n'avaient  pas  témoigné  la  moindre  méfiance  religieuse 
tant  qu'ils  avaient  eu  affaire  à  Bezanson  Hugues,  persistaient  à 
ne  pas  faire  grand  cas  des  protestations  de  ses  successeurs; 
l'ambassade  genevoise,  entièrement  composée  de  réformés,  se 
vit  alors  obligée  de  déclarer  officiellement  (6  juillet),  tant  en  son 
nom  qu'en  celui  de  ses  commettants:  que  Messieurs  de  Fribourg 
-étaient  «  nos  premiers  pères  et  protecleurs,  qui  nous  avaient 
«  protégés,  défendus  et  gardés  jusqu'à  présent,  et  que  touchant 


458 

a  la  lulhererie^  voulions  vivre  et  mourir  comme  nos  prédécesseurs,» 
ce  dont  le  Conseil  de  Fribourg  prit  acte  sur-le-champ,  ajoutant 
que,  apuisque  les  appelions  nos  pères,  et  leur  avions  promis  de  vivre 
«  en  gens  de  bien  comme  eux^  ils  nous  ont  oclroyé  notre  demande 
a  et  offert  corps  et  biens,  et  qu'ils  sont  ceux  qui  nous  mainlien- 
«  dront  envers  et  contre  tous  ;  »  aussi  nos  dits  ambassadeurs , 
ainsi  engagés,  terminaient-ils  leur  lettre  au  Conseil  genevois  par 
ces  mots  :  a  Pourquoi  aurez  regard  de  donner  de  l'ordre  au 
«  dit  aflaire  et  de  faire  payer  les  dîmes,  et  de  gouverner  ensorte 
«  que  ne  nous  fassiez  mensongers  de  notre  charge  ;  et  depuis  que 
a  leur  exposâmes  que  voulions  vivre  et  mourir  comme  eux^  l'on 
«  nous  a  fait  grosse  chère  et  avons  obtenu  ce  qu'avons  de- 
a  mandé.  » —  Certes,  on  conviendra  que  tout  en  rendant  justice 
aux  talents  et  aux  services  de  Robert  Vandel  et  de  ses  amis, 
nous  avions  raison  de  les  qualifier  de  protestants  politiques^  et 
qu'on  ne  saurait  s'étonner  qu'un  homme  aussi  tolérant  mais 
aussi  sincèrement  religieux  que  Bezanson  Hugues  ait  été,  par 
ses  qualités  mêmes,  en  butte  aux  sarcasmes  et  aux  coups  de 
griffes  de  gens  qui  n'auraient  osé  le  regarder  en  face.  Fort  heu- 
reusement pour  riionneur  de  notre  réformalion  qu'elle  comp- 
tait alors  à  Genève  des  adhérents  moins  bien  doués  peut-être, 
mais  d'une  tout  autre  trem[)e,  sous  le  rapport  du  caractère,  que 
ceux  dont  nous  avons  dû  nous  occuper  jusqu'ici;  car  ce  furent 
bien  des  Genevois  qui  établirent  la  réforme  à  Genève;  mais 
leurs  travaux  ,  presque  nuls  jusqu'à  celte  époque,  ne  pouvaient 
entrer  dans  le  cadre  de  cette  notice. 

Depuis  que,  dans  un  précédent  travail',  nous  avons  étabh, 
contrairement  a  ce  qui  avait  été  avancé,  que  Bezanson  Hugues 
était  mort  catholique,  nous  avons  entendu  émettre  l'opinion 
qu'il  n'aurait  sûrement  pas  manqué  d'adopter  la  réforme  s'il 
eût  vécu  plus  longtemps.  Cette  question  oiseuse,  comme  toutes 
celles  qui  rentrent  dans  les  si  et  les  mais,  doit  rester  étrangère 

*  Notice  sur  la  vie  et  tes  travaux  de  J.-A.  Galiffe,  Genève,  1856. 


459 

à  riiisloire.  Ce  que  l'on  peut  assurer  à  cet  égard,  c'est  qu'il  eût 
toujours  été,  en  religion  comme  en  politique,  du  parti  de  la  to- 
lérance, de  la  charité  et  de  la  modération ,  et  que  l'on  ne  con- 
çoit guère  le  rôle  qu'aurait  pu  jouer  à  ce  litre,  dans  les  événe- 
ments subséquents,  celui  qui  mettait  les  vertus  chrétiennes  et  la 
confiance  en  Dieu  au-dessus  des  formes  tout  humaines  sous 
lesquelles  la  rehgion  peut  se  manifester.  On  ne  sauiait  donc 
regretter  qu'il  n'ait  pas  survécu  h  ses  nohles  travaux ,  surtout 
lorsqu'on  réfléchit  à  la  tristesse  dont  ses  derniers  jours  durent 
être  empreints  en  face  de  l'avenir  incertain  qui  se  levait  sur  sa 
patrie,  et  de  la  ruine  certaine  de  tous  les  siens. 

Il  nous  serait  itnpossible  de  préciser  l'époque  de  sa  mort,  même 
au  mois  près;  tout  ce  qu'on  peut  savoir,  c'est  que  cette  époque 
doit  être  cherchée  entre  le  26  septembre  1532  et  les  premiers 
jours  (le  1533.  Le  18  février  1533,  terme  annuel  de  la  dette 
contractée  à  Bâie,  on  voit  «  que  les  créanciers  de  cette  ville  de- 
mandent une  nouvelle  fiance  on  caution  en  remplacement  de 
celle  de  feu  Bezanson  Hugues.»  C'est  à  ces  mots  que  se  borne 
la  notice  nécrologique  du  plus  grand  citoyen  que  Genève  ait 
produit,  de  celui  à  qui  sa  patrie  devait  tout,  d'un  homme  enfin 
qui  aurait  été  l'honneur  et  la  gloire  de  Rome  dans  ses  plus 
beaux  jours!  —  Cependant,  peu  de  mois  auparavant,  une  voix 
puissante  et  singulièrement  considérée,  mais  étrangère  à  Genève, 
avait  rendu  publiquement  le  plus  éclatant  témoignage  à  ses 
vertus  et  à  ses  services  pairioti(|ues.  Il  ne  s'agit  de  rien  moins 
que  du  fameux  Jean  Kleberger,  Allemand  d'origine,  le  plus  riche 
particulier  de  son  époque,  qui,  après  avoir  formé  des  établis- 
sements à  Nuremberg,  Augsbourg,  Llm,  Strasbourg,  Berne, 
Zurich,  Genève  et  Lyon,  avait  marqué  son  passage  dans  toutes 
ces  villes  par  autant  de  bienfaits  éclatants,  exceptionnels  à  cette 
époque  et  dont  la  postérité,  exceptionnellement  reconnaissante, 
a  conservé  partout  le  souvenir  jusqu'à  ce  jour\  Le  plus  beau 

*  On  connaît  deux  médailles  allemandes  frappées  en  son  honneur  en  1526, 
ainsi  qu'un  portrait  d'Albert  Durer.  Il  fut  créancier  de  François  I*"^  (dont  on 


460 

quartier  de  notre  ville  porle  son  nom,  et  l'on  sait  que  le  peuple 
lyonnais  a  relevé  tout  dernièrement  la  statue  du  Bon  Allemand 
auquel  il  n'a  cessé  de  rendre  le  culte  de  la  reconnaissance.  Ce 
qu'il  y  a  de  plus  remarquable,  c'est  que  c'était  comme  antago- 
nistes, au  sujet  de  voies  de  fait  et  d'un  procès  civil,  que  cos  deux 
grands  noms  s'étaient  trouvés  en  présence,  voici  a  quelle  oc- 
casion : 

Jean  Portier,  l'un  des  plus  méchants  partisans  du  duc  et  qui, 
malgré  sa  longue  dissimulation,  fut  plus  tard  condamné  et  exé- 
cuté comme  traître ,  avait  vendu  à  Jean  Kleberger  cette  partie 
de  Saint-Gervais,  alors  en  jardins,  qui  a  conservé  son  nom  dé- 
figuré en  Bergues,  et  qui  était  située  précisément  au-dessus  des 
moulins  que  Bezanson  Hugues  possédait  dans  ce  même  quar- 
tier. A  celte  époque  le  Bon  Allemand  se  prévalait  de  sa  qualité 
de  bourgeois  de  Berne  et  passait  même  pour  Bernois  à  Genève. 
Portier,  qui  était  toujours  h  l'affût  de  tout  ce  qui  pouvait  brouil- 
ler avec  Berne  les  principaux  auteurs  de  la  combourgeoisie 
suisse,  avait  profilé  de  l'absence  de  Bezanson  Hugues  pour 
faire  croire  à  Kleberger  qu'il  pouvait  s'avancer  de  9  toises  sur 
le  fleuve  pour  des  usines.  En  conséquence  le  frère  de  Kleberger, 
qui  habitait  Genève,  fit  construire  une  digue  dont  le  premier 
résultat  devait  être,  le  voulùt-il  ou  non,  de  mettre  à  sec  les 
moulins  de  Bezanson  Hugues.  Celui-ci  s'en  était  d'abord  plaint 
le  28  mai  au  Conseil,  qui.  n'ayant  plus  besoin  de  ses  services, 
avait  renvoyé  la  chose  à  une  enquête  sans  s'en  embarrasser 
davantage;  mais  comme  le  temps  pressait,  les  domestiques  de 
Hugues,  qui  aimaient  sans  doute  leur  maître  avec  passion  et  qui 
étaient  moins  patients  que  lui,  cherchèrent  à  s'opposer  au  tort 


prétend  qu'il  sauva  les  jours  à  la  bataille  de  Pavie),  ami  d'Erasme ,  échevin 
de  Lyon,  et  possesseur  de  plusieurs  seigneuries  ;  on  n'en  acheta  pas  moins 
de  14  à  sa  mort  pour  assurer  la  fortune  de  son  fils.  Voyez  pour  plus  de  dé- 
tails l'intéressante  notice  que  M.  Th.  Heyer  a  publiée  sur  son  compte  dans 
les  présents  Mémoires,  tome  IX,  livraison  3,  où  l'on  trouvera  la  liste  des  au- 
tres auteurs  qui  se  sont  occupés  du  Boji  Allemand. 


461 

qu'on  lui  préparait,  d'abord  par  des  menaces  et  ensuite  par  la 
violence.  Ils  s'étaient  rués  en  furieux  sur  la  propriété  de  Kle- 
berger,  que  défendait  le  frère  de  celui-ci  à  coups  de  pierre;  trois 
d'entre  eux  avairnt  même  assailli  ce  dernier  l'épée  à  la  main, 
de  manière  à  mettre  en  danger  la  vie  de  leur  adversaire,  qui 
n'eut  que  le  temps  de  se  sauver  dans  une  boutique.  D'autre 
part,  Bezanson  Hugues,  voyant  ses  fidèles  serviteurs  aussi  for- 
tement compromis  jiar  excès  de  zèle  pour  ses  intérêts,  avait 
généreusement  pris  leurs  faits  et  gestes  à  sa  charge  et  s'était 
constitué  partie  pour  eux  contre  Kleberger  en  personne.  Tous 
ces  détails  sont  tirés  de  la  lettre  même  que  celui-ci  écrivit  de 
Lyon  au  Conseil  à  ce  sujet  '.  On  voit  assez  par  cette  lettre  qu'il 
avait  vivement  ressenti  les  violences  faites  à  son  frère,  à  sa 
propriété  et  à  des  droits  qu'il  devait  croire  fondés,  puisqu'il  les 
avait  payés  pour  tels.  Il  ajoutait  même  «que  dans  toutes  les  villes 
franches  de  delà  et  de  deçà  du  Rhin,  où  la  justice  gouverne, 
de  pareils  actes  seraient  estimés  et  réputés  pour  meurtre,  a  quoi 
se  requiert  grande  punition;»  malgré  tout  cela,  «  pour  la  grande 
amour  qu'il  lui  porte,  »  il  ne  veut  pas  faire  partie  contre  son 
adversaire:  «car  (dit-il)  feslime  plus  V honnêteté  d'un  tel  person- 
«  nage  que  je  ne  fais  mon  dommage.  C'est  assavoir  du  dit 
«  SEIGNEUR  Bezanson  que  depuis  cent  ans  en  ça  n'avez  eu 

<f  EN  VOTRE  VILLE  UN  SI  HONNÊTE  HOiMME,  LEQUEL  A  RETIRÉ 
«  DE  SERVITUDE  VOTRE  DITTE  VILLE,  ET  ICELLE  MISE  ET  REDUITE 
<(  EN  FRANCHISE,  COMME  SAVEZ,  s'eFFORÇANT  TOUJOURS  DE  MET- 
«  TRE  CORPS  ET  BIENS  POUR  MAINTENIR  LA  LIBERTÉ,  QUE  l'oN 
«  PEUT  DIRE  QUE  c'eST  LE  PÈRE  DU  PAYS.  PaR  QUOI  JE  DIS  QUE, 
«  ENCORE  QUE  MON  FRÈRE  AIT  BON  DROIT,  JE  LUI  DONNE  ENCORE 
«    LE    TORT    DE    SE   METTRE    CONTRE  UN  TEL  HOxMME  DE  BIEN.  » 

Dans  ce  qui  suit,  Kleberger  explique  en  peu  de  mots  «  qu'au 
fond  sa  propriété  est  toujours  dans  le  même  état,  telle  qu'elle 

*  Comme  elle  a  déjà  été  publiée  partiellement,  par  GalitTe  {Matériaux  II, 
page  XXIII),  et  en  entierpar  M.  Th.  Heyer  (notice  précitée),  nous  n'en  don- 
nerons ici  que  les  passages  les  plus  marquants. 


462 

lui  a  été  vendue  par  Portier,  lequel  lui  a  assuré  qu'elle  empor- 
tait le  droit  de  s'avancer  de  neuf  toises  dans  le  Rhône  pour  y 
construire  dus  moulins  ou  autres  bâtiments.  «  Mais  puisque 
«-  cest  contre  la  volonté  du  dit  seigneur  Bezanson,  je  ne  veux 
«  rien  faire,  et  encore  ce  qui  est  je  le  voudrais  ôter  s'il  lui  faisait 
«  fâcherie....  et  avant  que  d'être  a  la  mâle  grâce  du  dit 

«    seigneur  je  voudrais  PLUTOT  QUE  LE  RhOXE  EUT  EMPORTÉ 

«  LE  DIT  JARDIN.  »  Kleberger  recommande  ensuite  au  Conseil 
de  chercher  à  mettre  la  paix  entre  son  frère  et  Hugues,  et 
d'arranger  à  l'amiable  ce  qui  concerne  leurs  |)ropriétés  récipro- 
ques, à  défaut  de  quoi  il  préfère  «  vendre  sa  propriété  et  envoyer 
son  frère  ailleurs.  »  Il  espère  toutefois  «que  le  seigneur  Bezanson 
«  s'avisera;  car  tant  plus  il  y  a  de  gens  de  bien  habitant  dans 
«  une  ville,  tant  mieux  elle  vaut,  et  tant  plus  de  bâtiments  l'on 
«  y  fait  et  tant  plus  belle  elle  est.  Vous  priant,  Messieurs,  faire 
«  le  possible  et  me  recommander  à  la  bonne  grâce  du  dit  sei~ 
«  gneur  Bezanson  très-humblement  et  cordialement  ;  car  je  veux 

«    ÊTRE   SON  SERVITEUR  ET   AMI,  LE  VEUILLE-T-IL  OU  NON  !  » 

Si  cette  iellre,  qu'on  ne  saurait  lire  sans  émotion,  fut  com- 
muniquée a  Bezanson  Hugues,  elle  dut  adoucir  l'amerlume  de 
ses  derniers  jours.  Un  homme  enfin,  un  étranger  célèbre,  digne 
de  l'apprécier,  rendait  une  justice  éclatante  à  ses  vertus  et  à 
ses  travaux  ;  et  cependant  cet  homme  était  dans  ce  moment 
même  un  adversaire.  <Iont  ses  gens  avaient  dévasté  la  propriété 
et  failli  tuer  le  frère  !  Quels  n'auraient  [)as  dû  être  les  sentiments 
de  ses  propres  concitoyens  envers  celui  qui  les  avait  retirés  de 
servitude  et  qui  avait  toujours  mis  corps  et  biens  pour  maintenir 
la  liberté l  Hélas!  le  silence  complet  des  registres  sur  cette 
lettre  et  sur  l'affaire  qu'elle  concerne,  laisse  présumer  que  Hu- 
gues n'en  eut  pas  même  connaissance.  Une  seule  fois  après  le  20 
février,  depuis  qu'il  avait  enfin  obtenu  sa  retraite  du  Conseil  sous 
la  condition  formelle  de  promettre  d'y  venir  toutes  les  fois  qu'il 
y  serait  appelé,  on  l'y  voit  figurer,  sous  la  date  du  26  septem- 
bre; il  s'agissait  alors  de  remplacer  ou  de  forcer  à  l'acceplalion 


463 

des  députés  et  des  magistrats  qui  refusaient  les  fonctions  aux- 
quelles ils  avaient  été  nommés;  on  voit  qu'il  fut  présent  a  cette 
séance,  mais  rien  de  plus;  dès  ce  moment  jusqu'à  la  réclamation 
des  créanciers  de  Bâie,  citée  plus  haut,  il  n'en  est  plus  question.  Il 
y  a  donc  tout  lieu  de  présumer  qu'il  mourut  dans  le  courant  de 
l'automne  1532,  et  que  sa  mort  précéda  ou  suivit  de  très-près 
celle  de  son  frère,  le  brave  syndic  Guillaume  Hugues,  et  ci  lie 
de  son  rival  Roliert  Vandel.  Ce  dernier  avait  assez  de  pénétra- 
tion pour  prévoir  que  l'œuvre  qu'il  avait  sourdement  com- 
mencée sept  ans  auparavant  comme  secrétaire  épiscopal,  et  à 
laquelle  il  avait  depuis  lors  travaillé  sans  relâche,  l'emporterait 
à  Genève  dans  un  avenir  plus  ou  moins  proche  ;  mais  sans  par- 
ler de  l'ennui  de  devoir  pour  le  moment  afficher  l'opinion  con- 
traire, il  eut  la  morlifîiation  de  voir  chasser  de  Genève  les  pré- 
dicants  qu'il  y  avait  appelés  ;  et  l'un  des  derniers  actes  du  secré- 
taire réformé  fut  d'assurer,  au  nom  du  Conseil,  Messieurs  deFri- 
bourg,  qui  avaient  demandé  que  l'évèque  pût  revenir  à  Genève, 
«qu'on  serait  charmé  de  le  recevoir  et  qu'on  était  toujours  joyeux 
quand  il  y  était.»  Il  eut  cependant  encore  le  plaisir  de  voir  enfin 
son  frère  Thomas  Vandel  reçu  chanoine  de  Sainl-Pierre  de  Ge- 
nève.—  Quant  à  Ami  Girard,  ce  zélé  catholique  dont  la  violence 
et  les  emportements  avaient  si  puissamment  contribué  à  la  révo- 
lution dont  il  devait  redouter  les  résultais  plus  que  tout  autre, 
il  s'était  retiré  à  Fribourg,  d'où  il  poursuivait  son  jjrocès  contre 
ceux  de  Genève,  comme  il  qualifiait  maintenant  dédaigneuse- 
ment ses  concitovens.  Les  faits  et  restes  ultérieurs  des  autres 
personnages  que  nous  avons  produits  dans  cette  notice,  pour- 
ront trouver  leur  place  dans  une  étude  de  l'époque  qui  suivit. 

Bezanson  Hugues  mort,  restait  à  régler  sa  succession,  qui  ne 
larda  pas  à  provoquer  une  foule  de  réclamations.  Non-seule- 
ment il  s'était  peu  à  peu  ruiné  en  sacrifices  volontaires  pour 
son  pays,  ou  en  avances  faites  au  su  et  du  consentement  du 
Conseil  et  dont  il  ih'avait  pas  été  remboursé,  mais,  faute  d'ar- 
gent comptant,  il  avait  dû,  dans  ces  dernières  années,  faire  des 


promesses  et  engager  sa  signature  pour  satisfaire  nos  combour- 
geois  des  deux  villes ,  les  troupes  suisses  enrôlées  par  lui  et 
les  agents  qui  s'employaient  à  nos  affaires.  Malheureusement  avec 
Hugues  semblait  s'être  éteint  pour  le  moment  le  parti  de  la  justice 
et  de  l'équité.  Sa  famille  aurait  pu  vivre  très-honnétement  avec 
ce  qui  lui  était  dû  de  plein  droit  par  le  gouvernement  genevois; 
mais  on  n'avait  aucun  intérêt  à  la  ménager;  aussi,  loin  de  rece- 
voir aucune  indemnité,  les  enfants  du  père  de  la  Patrie,  mineurs 
pour  la  plupart,  furent-ils  dépouillés  de  la  manière  la  plus 
inique  du  peu  qui  leur  était  resté,  sans  qu'une  seule  voix  osât 
s'élever  en  leur  faveur  et  rappeler  les  services  de  leur  père! 

Ce  furent  d'abord  d'interminables  difficultés  au  sujet  du  droit 
de  pêche  inféodé  en  1 527  a  Bezanson  Hugues  et  a  ses  descen- 
dants. Celui-ci  l'avait  cédé  peu  de  temps  après  a  Wilhelm  Ârsent, 
de  Fribourg,  en  paiement  ou  fin  de  paiement  des  seigneuries  de 
Pérolles  et  de  Beygris;  or  cet  Arsent,  pour  se  libérer  de  certaines 
obligations  dues  sur  les  dites  seigneuries,  l'avait  engagé  à  Louis 
de  Diesbach,  de  Berne.  Mais  il  se  trouvait  que  les  seigneuries 
de  Pérolles  et  Beygris  avaient  encore  d'autres  créanciers,  que  Wil- 
helm Arsent  n'avait  pas  satisfaits,  et  pour  le  paiement  desquels 
l'hoirie  de  Bezanson  Huajues  dut  sacrifier  ces  domaines  avec 
beaucoup  de  frais  et  une  perle  considérable,  pour  laquelle  les 
enfants  Hugues  croyaient  pouvoir  prendre  leur  recours,  con- 
tre Arsent,  sur  la  pêcherie  que  leur  père  lui  avait  cédée  en  paie- 
ment, ce  qui  ne  faisait  naturellement  pas  le  compte  de  M.  de 
Diesbach.  D'autre  pnrt,  le  Conseil,  qui  cherchait  alors  à  faire 
argent  de  tout,  prétendait  maintenant,  contrairement  à  l'acte 
d'inféodation,  que  le  prince-évêque  n'avait  pas  eu  le  droit  d'a- 
liéner une  pariie  de  ses  régales  au  delà  de  sa  propre  vie,  et 
que,  puisqu'il  n'était  plus  maintenant  censé  évêque  de  Genève,  la 
pêche  devait  revenir  au  gouvernement  qui  lui  avait  succédé.  Il 
s'ensuivit  un  procès  fort  long,  fort  compliqué  et  fort  coûteux, 
entre  les  trois  parties  intéressées,  M.  de  Diesbach,  l'hoirie  Hu- 
gues et  leConseil,  procès  qui  ne  se  termina  qu'après  plusieurs  an- 


465 

nées  à  l'avantage  du  patricien  bernois  et  du  Conseil,  qui  lui  ra- 
cheta son  droit  de  pêcherie.  Les  immeubles  situés  à  Genève  ou 
dans  les  environs,  inscrits  encore  au  nom  de  Hugues,  avaient 
aussi  dû  passer  en  d'autres  mains  pour  payer  les  dettes  réelles  et 
prétendues  de  son  hoirie.  Nous  disons  ôeUes  prétendues  :  car  ou- 
tre celles  dont  l'Etat  aurait  dû  se  charger,  comme,  par  exemple, 
tout  ce  qui  se  rapportait  à  sa  dernière  ambassade  à  Fribourg, 
il  fallut  satisfaire  quantité  de  réclamations  particulières,  pour 
la  plupart  évidemment  fausses  et  abusives.  C'étaient  de  préten- 
dus amis,  Suisses  ou  autres,  ou  des  agents  de  Bezanson  qui  ré- 
clamaieni,  sans  preuve  aucune,  certaine  somme  qu'il  leur  aurait 
promise  dans  telle  ou  telle  occasion  ;  c'étaient  des  Genevois, 
même  des  classes  les  plus  pauvres,  qui  prétendaient  que  pour 
tel  ou  tel  service  ou  cession,  fait  dans  les  temps  difficiles,  Hu- 
gues s'était  obligé  à  leur  servir  une  rente  viagère,  à  eux  et  a  leur 
faujille.  En  l'absence  du  jeune  chanoine,  Messire  Conrad  Hugues, 
proscrit  de  la  ville,  le  règlement  de  l'hoirie  revenait  naiurellement 
au  seul  fds  de  Bezanson  qui  fût  alors  majeur,  savoir  à  Denys 
Hugues.  On  voit,  entre  autres,  qu'à  l'instance  de  Gaspard  Werli, 
le  héraut  de  Fribourg  fut  mis  en  otage  chez  lui  à  raison  d'un 
florin  d'or  par  jour,  pour  une  dette  de  150  écus,  dont  au  bout 
de  72  jours  il  n'avait  encore  pu  se  libérer.  En  1539,  un  autre 
Fribourgeois,  Georges  Mestraulx,  réclamait  le  tiers  de  la  maison 
de  Denys  Hugues  pour  une  dette  de  100  écus.  Le  pauvre  gar- 
çon se  vit  alors  obligé  de  tenir  une  hôlelleiie,  le  Boucliet,  ainsi 
nommée  de  l'hôte  précédent,  située  au  bas  de  la  Pélisserie; 
cette  position  le  mettait  en  cause,  au  moins  comme  lémoin, 
dans  toutes  les  rixes  politiques  et  religieuses  de  l'époque. 
Soit  que  ce  jeune  homme  eût  réellement  du  goût  pour  la  dé- 
pense, soit  que,  désireux  de  faire  honneur  aux  affaires  de  son 
père  (ce  qui.  d'après  les  registres,  nous  paraît  plus  probable), 
il  admit  trop  facilement  toutes  les  réclamations  quelles  qu'elles 
fussent;  toujours  est-il  que  sa  mère  et  les  amis  de  ses  frères  et 
sœurs  mineurs  l'accusèrent  de  dissiper  follement  le  peu  qui 


466 

leur  restait.  En  conséquence,  on  dut  nommer  des  arbitres  pour 
examiner  les  affaires  de  plus  près,  et  procéder  à  un  partage 
entre  les  six  enfants  (quatre  fils  et  deux  filles)  du  grand  citoyen. 
Mais  cette  opération,  qui  fut  une  occasion  de  nouvelles  dépen- 
ses, ne  put  arrêter  les  réclamations.  En  1540,  le  Conseil  ne 
rougit  pas  d'ordonner  une  saisie  immobilière  chez  les  orphelins 
du  père  de  la  patrie  pour  le  piùemenl  des  promesses  faites  par 
celui-ci  à  un  capitaine  suisse  pendant  sa  dernière  ambassade  à 
Fri bourg  '  !!... 

Mais  de  tous  les  enfauis  de  Hugues,  celui  qui  inspire  le  plus 
de  compassion  est  sans  contredit  le  chanoine  Conrad.  Admis 
fort  jeune,  comme  fils  de  bonne  maison,  dans  le  chapitre  de 
Saint-Pierre  ,  il  avait  dû  naturellement  prendre  sa  part  de  la 
haine  croissante  du  parti  proteslant  contre  ce  corps.  Déjà  en 
1534  il  avait  été  persécuté  et  emprisonné  pendant  quatre 
jours  à  la  suite  d'un  comoiérage  dont  il  n'eut  pas  de  peine  à 
prouver  la  fausseté.  Remis  conditionnellement  enlil)erié  sur  les 
réclamations  de  ses  collègues,  qui  rappelaient  que  les  chanoines 
n'étaient  pas  plus  les  sujets  de  la  ville  que  de  l'évèque,  il  fut 
naturellement  peu  après  enveloppé  dans  la  proscription  et  la 
ruine  qui  frappaient  tous  ceux  qui  n'avaient  pas,  comme  Thomas 
Vandel  et  Bonivard,  voulu  jeter  leur  froc  aux  orties  pour  arbo- 
rer la  réforme.  Conrad  se  relira  alors  a  Fribourg,  où  il  fut  con- 
firmé, ainsi  que  son  frère  Denys,  dans  ses  droits  de  bourgeois 
de  cette  ville.  Mais  le  mal  du  pays  ne  larda  pas  à  s'emparer  de 
lui,  et  dès  lors  il  n'eut  plus  qu'un  seul  désir  :  celui  de  rentrer  à 
Genève.  Au  moment  décisif  de  la  réforme,  une  foule  de  Gene- 
vois, laïques  et  ecclésiasii(|ues,  avaient  quitté  la  ville,  où  des  sen- 
timents analogues  à  celui  de  Conrad  Hugues  les  faisaient  main- 
tenant  désirer  de  rentrer.  Poussé  par  le  besoin  d'argent,  le 
Conseil  traitait  avec  ces  enfants  prodigues  moyennant  rançon 
convenable.  Conrad  Hugues,  |)ensant  pouvoir  être  compris  dans 

'  La  veuve  de  Bezanson  Hugues  était  alors  remariée  à  No.  Dominique 
Franc,  conseiller,  dont  le  fils  Louis  épousa  sa  fille  Antoina  Hugues. 


467 

cette  catégorie,  adressait  lettre  sur  lettre  au  gouvernement.  Le 
Conseil  des  CC,  à  qui  celui-ci  renvoya  la  chose,  parut  d'abord 
disposé  à  laisser  rentrer  le  fugitif  pour  200  écus  (près  de 
10,000  francs),  que  Conrad  était  prêt  à  fournir  avec  l'aide 
de  ses  amis,  et  le  Conseil  général  approuva  ensuite  cet  arrêté; 
mais  on  trouva  moyen,  sous  toutes  sortes  de  prétextes,  de  ren- 
voyer l'autorisation  de  mois  en  mois,  puis  d'année  en  année. 
En  attendant,  le  pauvre  chanoine,  qui  n'avait  plus  de  prébende, 
assistait  de  loin  a  la  dissipation  du  peu  de  biens  que  son  père 
avait  laissé  à  sa  famille.  Il  eui  beau  adresser  supplique  sur 
supplique,  se  ranger  volontairement,  lui  ecclésiastique,  dans  la 
classe  des  citoyens  qui  avaient  quitlé  la  ville  au  moment  du 
danger,  s'accuser  lui-même,  témoigner  son  repentir  el  deman- 
der son  pardon  pour  des  fautes  qu'il  n'avait  pas  commises;  ce 
fut  vainement  aussi  que  ses  parents  intercédèrent  en  sa  faveur, 
en  faisant  valoir  l'inexpérience  de  son  âge,  et  en  offrant  toutes  les 
réparations  imaginables ,  comme  de  céder  à  la  ville  tous  les 
droits  de  la  famille  sur  la  pêcheiie...  tout  fut  inutile.  Ou  s'em- 
para de  tout  ce  qu'il  pouvait  avoir  à  Genève,  et  il  lui  fallut  mou- 
rir dans  l'exil,  tandis  qu'une  foule  de  gens  dont  la  trahison 
avait  été  manifeste,  mais  que  leur  fortune  ou  leurs  relations 
protégeaient  davantage,  obtenaient  leur  pardon  et  leur  réhabilita- 
lion  dans  leurs  droits  de  citoyens.  —  Son  frère  cadet,  François 
Hugues,  placé  en  1538  sous  la  tutelle  de  Robert  Colomb,  mou- 
rut sans  postérité;  il  en  fut  de  même  d'un  autre  frère,  du  nom 
de  Bezanson,  dont  ou  ne  sait  pas  autre  chose.  Quant  aux  deux 
sœurs,  Jeanne  et  Antonia,  l'ainée  épousa  ensuite  No.  Jean  du 
Molard  qui  n'en  eut  pas  d'enfants,  et  l'autre  No.  Louis  Franc, 
seigneur  du  Crest ,  ensuite  premier  syndic,  qui  n'eut  [)as  non 
plus  de  postérité  de  ce  premier  mariage. 

La  continuation  du  nom  de  Hugues  reposait  donc  sur  l'aîné 
de  ces  six  enfants,  Denys  Hugues.  Après  les  ennuis  qui  avaient 
achevé  de  ruiner  et  de  disperser  sa  famille ,  et  la  défaite  du 
parti  national,  dit  des  Arlichauls^  par  le  parti  français,  Denys 


468 

quitta  Genève  pour  quelque  temps.  On  le  vil  figurer  dans  les 
rangs  de  l'armée  française,  à  la  fameuse  bataille  de  Cerisolle\ 
gagnée  par  le  comte  Fr.  d'Enghien  sur  le  marquis  du  Guast  et 
les  Espagnols  (14  avril  1544).  Rentré  dans  sa  patrie.  No.  De- 
nys  Hugues  fut  du  CC  en  1548,  châtelain  de  Jussy  en  1551, 
et  mourut  le  26  février  1552,  après  une  vie  que  l'on  peut  qua- 
lifier d'orageuse,  bien  que  les  rigoristes  calvinistes  n'aient  pas 
eu  à  lui  reprocher  autre  chose  que  de  s'être  permis  une  ou  deux 
fois  de  danser  avec  sa  femme  chez  des  amis  malgré  les  défenses. 
Il  avait  épousé  :  1  "  Jeanne  (l'aînée)  fille  de  Michel  Exchaquet, 
B.G.,  veuve  de  No.  Nicolas  du  Bouchet,  morte  le  25  mai  1550; 
2**  le  23  novembre  1 550,  Marguerite ,  fille  de  No.  Pierre  d'Or- 
sières,  premier  syndic,  veuve  de  No.  Glande  de  Chateauneuf, 
lieutenant  de  la  justice;  cette  dernière  alliance  resta  stérile. 
De  la  première ,  il  avait  eu  Louis  et  Claudine  Hugues.  No. 
Louis  Hugues,  du  CC  en  1570,  n'eut  de  sa  femme,  Per- 
cevaude,  fille  de  No.  Marin  Maillet,  seigneur  de  Livron,  qu'un 
lils,  Louis,  qui  mourut  en  bas  âge,  et  dont  tous  les  droits  pas- 
sèrent ainsi  à  sa  tante  Claudine  Hugues.  Celle-ci,  la  dernière 
de  son  nom  %  avait  épousé  en  premières  noces  '  No.  Etienne 

'  Denys  lingues  s'y  trouvait  avec  plusieurs  auU'es  Genevois ,  ainsi  qu'on 
peut  le  voir  dans  la  notice  biograpiiique  et  contemporaine  de  Messier,  que 
M.  Th.  Heyer  a  publiée  dans  les  présents  Mémoires. 

*  La  postérité  du  syndic  Guillaume  Hugues,  seigneur  de  la  Feuillade,  frère 
aîné  de  Bezanson  et  mort  presque  en  même  temps  que  lui,  s'éteignit  faute  de 
mâle  dans  le  courant  du  siècle.  Il  avait  eu  de  sa  femme  Michée  Baud,  outre 
trois  fdles  mariées  à  des  Genevois,  Claude  Hugues,  qualifié  de  gentilhomme, 
Sgr.  de  la  Feuillade,  du  CC  1536,  duLX  1537,  retiré  dans  sa  terre  deLancy 
en  1540  après  le  triomphe  du  parti  calviniste  et  français  des  Guillermins  sur 
le  parti  national  des  Artichauts,  où  il  mourut  en  1569,  laissant  trois  filles 
qui  moururent  sans  alliance. 

^  Claudine  Hugues  épousa  en  secondes  noces  No.  Thomas  Maniglier,  dont 
elle  n'eut  pas  d'enfant,  —  et  en  troisièmes  noces  No.  Claude  Andrion,  du 
CC,  ensuite  syndic,  envoyé  près  du  roi  Henri  IV.  etc.  Leur  fds,  No.  Nicolas 
Andrion,  des  LX,  eut  de  sa  femme,  Marie  Anjorrant  de  Souilly,  entre  autres 
enfants,  No.  Jacob  Andrion-de  Chapeaurouge,  dont  la  fille  Renée  épousa,  en 
1669,  No.  Antoine  Saladin,  des  LX,  auteur  de  la  branche  actuelle  de  cette 
famille. 


469 

Bandières,  du  CC  (1555),  puis  auditeur,  fils  du  fameux  capi- 
taine général  et  syudic  Ami  Bandières  et  de  No.  Pernette 
deLestelley.  Elle  eut  de  celte  alliance  huit  enfants,  mais  dont 
un  seul  fit  souche ,  savoir  Etienna  Bandières,  femme  1°  de 
Louis  Vuychard,  dont  elle  n'eut  point  d'enfants,  et  2"  (1590) 
de  oire  Férouille  Rigaud,  des  CC,  dont  elle  eut  une  fille  unique, 
Jeanne.  Jeanne  Rigaud,  seule  et  unique  héritière  des  Bandières, 
et  par  là  des  de  Lestelley,  des  de  Loysel  et  surtout  des  Hugues, 
épousa  à  l'âge  de  seize  ans,  le  17  décembre  1609,  No.  Jean 
Galiffe,  ensuite  conseiller  d'Etat. 

Nous  n'en  serons  que  mieux  placé  pour  clore  cette  notice 
historique,  sur  le  libérateur  de  Genève,  par  la  phrase  qui  ter- 
mine l'éloge  imprimé  de  l'un  de  ses  plus  dignes  descendants  ',  à 

'  Il  s'agit  ici  du  seigneur  lieutenant  No.  Jean  Galiffe,  D""  D^  (arrière-petit-fils 
du  conseiller  susnommé),  qui,  après  plus  de  30  ans  de  service  actif  dans  les 
fonctions  de  procureur  général,  de  conseiller  d'Etat,  de  syndic  et  de  lieutenant 
de  la  justice,  avait  été  maintenu  forcément  dans  cette  dernière  charge,  la  plus 
pénible  de  toutes,  surtout  en  temps  de  troubles  civils,  par  le  refus  obstiné  et  tout 
à  fait  exceptionnel  du  peuple  de  lui  nommer  un  remplaçant;  aussi  mourut-il  à  la 
tâche  le  2  juin  1766.  Les  partis  les  plus  opposés  s'accordèrent  à  donner  les  plus 
grands  éloges  à  ses  mérites  et  à  son  zèle  pour  la  chose  publique.  La  phrase  citée 
dans  le  texte  termine  une  biographie  contemporaine  de  Jean  Galiffe,  publiée 
dans  YArislide  ou  le    Citoyen  (^Genève  1766),  à  une  époque  où  les  articles 
nécrologiques  n'étaient  pas  encore  faits  ou  payés  par  la  famille  du  défunt  pour 
la  plus  grande  gloire  des  parents  survivants,  comme  cela  a  lieu  de  nos  jours. 
Dans  cette  biographie  on  ne  saurait  méconnaître  une  foule  de  traits  communs 
entre  J.  Galiffe  et  son  glorieux  aïeul.  En  voici  quelques  passages  que  l'on  di- 
rait écrits  tout  exprès  pour  Bezauson  Hugues  :  «  Consacré  à  l'utilité  publi- 
«  que,  il  a  plus  cherché  à  être  vertueux  qu'à  le  paraître  ;  il  a  uni  les  veitus 
«  domestiques  et  de  société  avec  les  vertus  républicaines.  Sa  réputations' est 
«  soutenue  et  a  reçu  un  nouvel  éclat  dans  les  emplois  qu'il  a  successive- 
(i  ment  gérés...  Il  chercha  à  découvrir  les  vrais  principes  de  la  morale,  et 
<■(  les  trouva  plus  encore  dans  son  propre  cœur  et  dans  celui  des  autres  que 
«  dans  les  livres...  Il  acquit  une  connaissance  approfondie  des  hommes,  des 
«  gouvernements,  et  en  particulier  de  celui  auquel  sa  naissance  et  son  mé- 
«  rite  l'appelaient  à  prendre  part  :  c'est  avec  cet  assortiment  de  talents  na- 
«  turels,  de  principes  sages  et  bien  établis  qu'il  entra  au  Conseil...  Rien  de 
«  ce  qui  paraît  à  d'autres  épineux  et  difficile  ne  l'embarrassa  jamais  ;  son  in- 
«  telligence  lui  tenait  lieu  d'expérience;  il  prévoyait  tout,  d'un  coup  dœil 

Tome  XI,  31 


« 


a70 

une  époque  où  les  Genevois  pensaient  fort  différemmenl  de 
leurs  aïeux  sur  la  reconnaissance  due  pour  les  services  rendus 
à  la  pairie  :  «  Il  n'y  a  que  la  religion  et  l'espérance  de  i'im- 


«  aussi  pénétrant  que  sûr;  il  avait  Fart  de  s'insinuer  dans  les  esprits  et  de 
<•  faire  goûter  les  voies  de  conciliation  qu'il  proposait ,  parce  qu'il  parlait 
-.  toujours  avec  la  raison,  et  qu'il  assaisonnait  ses  discours  et  ses  manières 
«  d'une  politesse  et  d'une  honnêteté  qui  n'avaient  rien  de  fardé  ;  elles  partaient 
«  d'un  cœur  et  d'un  fonds  naturel  de  dignité  et  de  bonté.  Aussi  ce  carac- 
«  tère  aimable  et  vraiment  républicain,  les  occasions  fréquentes  de  rendre 
«  service ,  la  plus  grande  affabilité ,  lui  gagnèrent  le  cœur  de  tous  ses  con- 
«  citoyens  ;  il  parut  destiné  aux  places  qui  demandent  le  plus  de  prudence 
«t  et  de  dignité...  Il  y  fut  appelé  par  les  vœux  de  la  patrie;  il  les  exerça 
avec  cette  supériorité  de  vues,  cette  force  de  génie,  cette  activité  infati- 

<  gable,  cette  éloquence  douce  et  persuasive  qui  le  faisait  écouter  avec  ad- 
«  miration ,  toujours  avec  intérêt,  dans  les  occasions  où  son  office  l'appelait 
<■  à  parler  en  public.  .  Eclairé  surtout  ce  qui  peut,  dans  une  république,  être 
'I  l'objet  de  délibération,  il  saisissait  d'abord  et  présentait  nettement  l'état 
«  de  la  question  ;  il  donnait  son  avis  avec  une  noble  franchise  et  l'appuyait 
«  des  raisons  les  plus  solides,  avec  une  force  toujours  accompagnée  de  mo- 
*  dération  et  de  douceur,  une  facilité  d'expression,  une  grâce  qui  se  renou- 
fl  vêlait  sans  cesse,  et  telle  qu'il  tenait  les  conseils  attentifs...  ^'e  croyez  pas 
«  cependant  qu'il  s'en  prévalut  pour  prendre  un  ton  décisif  et  trouver 
«  étrange  qu'on  ne  fût  pas  de  son  avis.  Non,  il  n'interrompit  jamais  per- 
«  sonne,  il  semblait  oublier  de  quel  avis  il  avait  été  pour  se  ranger  avec  do- 
«  cilité  à  celui  qui  passait,  quelque  opposé  qu'il  pût  être  au  sien...  Tout  se 

<  digérait  dans  cette  bonne  tête,  il  prenait  le  pour  et  le  contre  des  opinions... 
«  II  avait  reçu  dans  un  degré  supérieur  le  talent  de  la  parole  ;  c'était  plus  que 
<■  de  la  facilité,  plus  que  de  l'abondance;  c'était  une  clarté  lumineuse,  un 

<  choix  heureux  de  mots  et  de  tours  sans  aucune  affectation,  un  sentiment  vif 

<  et  déhcat  qui  assaisonnait  tout  ;  de  la  dignité  quand  il  en  fallait,  de  la  fer- 
<i  meté,  mais  plus  volontiers  encore  la  plus  douce,  la  plus  élégante  aménité. 
f  La  politesse  est  une  vertu  lorsqu'elle   a  sa  source   dans  le  cœur,  et  peu 

<  d'hommes  en  ont  eu  plus  et  déplus  agréable  que  lui;  quelque  occupé  qu'il 
'■  fut  par  état,  il  ne  manqua  jamais  à  un  devoir  d'amitié  ou  de  bienséance; 
«  il  trouvait  du  temps  pour  tout...  On  sortait  toujours  d'auprès  de  lui  content 
■f  de  lui  et  de  soi-même...  Il  était  si  désintéressé  qu'il  a  laissé  échapper  une 
"  partie  de  son  bien  i)our  ne  pas  réduire  à  l'étroit  des  gens  qui  lui  devaient. 
«  Il  se  prêtait  avec  zèle  et  réussissait  mieux  (ju'un  autre  à  réunir  des  gens 

<  que  l'intérêt  ou  quehpie  autre  passion  divisait;  son  égalité  d'âme,  sa  mo- 
«  dération  était  telle,  qu'en  pénétrant  dans  le  fond  de  son  âme  je  m'assure 

<  qu'il  eût  prêté,  comme  Aristide,  sa  main  à  un  citoyen  qui,  ne  sachant  pas 


471 


mortalité  qui  puissent  inspirer  autant  de  détachement.  Avec  de 
tels  modèles,  il  n'est  pas  besoin  d'en  aller  chercher  en  Grèce  et 
dans  les  temps  les  plus  reculés.  » 


<i  écrire  et  ne  le  connaissant  pas ,  eût  voulu  le  condamner.  Aussi  juste  que 
«  le  citoyen  d'Athènes,  sa  vertu  n'avait  pas  l'ombre  même  de  l'ostentation. 
«  Mais  en  quoi  il  le  surpassait  beaucoup,  c'était  par  une  religion  éclairée.  Il 
«  était  attaché  de  cœur  au  christianisme,  dont  il  avait  étudié  les  preuves,  dont 
«  il  connaissait  si  bien  l'esprit  et  les  grands  principes  ...  et  qu'il  regardait 
«  avec  raison  comme  le  soutien  des  Etats...  Aussi  cette  religion  qui  avait 
«  réglé  ses  mœurs,  élevé  ses  sentiments,  fut-'elle  la  consolation  dans  ses 
«  épreuves  et  dans  sa  maladie.  Plus  il  était  éclairé  sur  les  vrais  intérêts  de 
<(  sa  patrie,  plus  il  voyait  le  fond  des  choses  et  l'issue  où  elles  pouvaient  abou- 
<i  tir,  et  plus  il  déplorait  les  agitations  et  les  dissensions  dont  il  voyait  de 
«  nouveau  cette  chère  patrie  travaillée  ;  que  de  fois  et  avec  quel  zèle  n'a-t- 
(.<  il  pas  cherché  à  rapprocher  les  esprits.  Rien  n'a  pu  porter  atteinte  à  sa 
«  sérénité,  il  a  toujours  eu  du  courage  et  il  en  a  donné  aux  autres,  etc.,  etc.» 
De  son  côté,  la  magistrature  ne  resta  pas  en  arrière  dans  la  manifestation 
de  son  estime  et  de  ses  regrets.  Voici  ce  qu'on  lit  sous  la  date  du  mardi  3 
juin  dans  les  registres  du  Conseil  ;  «  Le  Conseil  s' étant  assemblé  dans  la  salle 
«  basse,  M.  le  premier  syndic  a  dit  :  que  No.  Galiffe,  seigneur  lieutenant,  étant 
('  décédé  celte  nuit,  à  10  heures,  il  a  fait  assembler  le  Conseil  dans  cette 
tf  salle.  M.  le  premier  a  ensuite  rendu  la  justice  due  aux  services  de  No. 
«  Galiffe,  à  son  zèle  pour  le  service  de  la  république,  et  à  ses  talents  distin- 
«  gués.  Sur  quoi  il  a  été  arrêté  que  No.  LuUin,  secrétaire  d'Etat,  ira  faire 
«  compliment  à  la  dame  Galiffe  et  à  sa  famille  de  la  part  du  Conseil,  et  qu'au 
V  retour  du  dit  No.  LuUin,  le  Conseil  ira  faire  visite  à  la  dite  dame  veuve  et 
«  à  sa  famille,  en  habits  de  cérémonie.  » 


PIÈCES  JUSTIFICATIVES' 


r  1 

Acle  de  cassalion  des  quatre  syndics  eydguenols  de  l'an  1519  par  le  bâtard 
Jean  de  Savoie,  prince-évéqne  de  Genève,  ininiédiateiuent  après  Fexécation 
de  Bcrilielier.  —  \ous  avons  pensé  rendre  service  à  la  majorité  de  nos 
lecteurs  en  donnant  la  traduction  textuelle  de  cette  pièce  au  lieu  de  l'ori- 
iïinal  latin. 

Jésus-^Iaria 

Insertion  de  la  démission  des  nobles  Giiigues  Prévôt,  Etienne  de  la  Mare, 
Louis  Plonjon  et  Jean  fils  de  Jean  Baux,  de  l'office  du  syndicat,  par  les 

^  Si  sous  ce  titre  nous  voulions  publier  tous  les  documents  qui  nous  ont 
servi  pour  ce  travail,  il  nous  faudrait  des  volumes,  même  en  nous  bornant 
aux  pièces  principales  ou  aux  extraits  les  plus  essentiels  ;  les  correspon- 
dances diplomatiques  de  l'époque  rempliraient  à  elles  seules  bien  des  cen- 
taines de  pages.  Mais,  ainsi  que  nous  l'avons  dit  plus  haut,  il  faut  de  la  dis- 
crétion en  pareille  matière  comme  en  toute  autre,  surtout  lorsqu'on  ne  pu- 
blie pas  à  ses  frais.  Aussi  avons-nous  écarté  d'emblée  les  citations  des 
registres  du  Conseil  sur  lesquelles  notre  tiavail  repose  en  majeure  partie, 
et  que  tout  le  monde  peut  vérifier.  On  l'emarquera  d'ailleurs  cpie  le  texte 
et  les  notes  sont  lardés  de  citations  originales,  que  nous  n'avons  pas  re- 
produites aux  Pièces  jiislifimiives.  —  Dans  toutes  nos  citations  nous  avons 
suivi  (et  nous  suivrons  ici  surtout)  au  mot  près  le  texte  original  ;  mais  nous 
supprimerons  les  bizarreries  d'orthographe  et  de  grammaire,  qui  rendraient 
la  lecture  des  documents  originaux  non-seulement  très-désagréable  mais 
souvent  inintelligible,  et  cela  sans  aucime  espèce  d'utilité,  même  pour  le 
grammairien  ;  car  que  saurait-il  déduire  d'une  orthographe  qui  varie  pres- 
que à  chaque  ligne?  ^'otre  école  historiqne  moderne  n'est  (jue  trop  portée 
(à  Genève  surtout)  à  noyer  le  fonds  et  les  faits  dans  une  foule  de  détails 
de  pure  forme  qui  sont  de  la  dernière  indifférence  aux  yeax  de  Ihistorien. 


473 

raisons  qui  sont  plus  amplement  décrites  dans  les  lettres  mêmes  de  dé- 
mission ;  laquelle  démission  a  été  faite  ouvertement  et  en  public,  au  cloître 
de  l'église  de  Saint-Pierre,  dans  le  Conseil  général  qui  y  était  alors  con- 
voqué au  son  de  la  grosse  cloche  de  ladite  église,  le  27  aoiit  de  l'an  1519  ; 
desquelles  lettres  de  démission  la  teneur  est  telle  que  suit  : 

Nous,  Jean  de  Savoie,  par  la  grâce  de  Dieu  et  du  Siège  apostolique, 
Evêque  et  Prince  de  Genève,  savoir  faisons  à  tous  et  un  chacun  qui  les 
présentes  verront,  comment  ci-devant,  pendant  notre  séjour  tant  en  çà 
qu'en  de  là  des  monts,  étant  absent  de  cette  notre  cité  à  cause  de  la  ma- 
ladie épidémique ,  nous  fûmes  requis  à  de  nombreuses  reprises  de  la 
part  des  citoyens,  bourgeois,  habitants  et  par  nos  fidèles  sujets  de  vou- 
loir bien  diriger  nos  pas  vers  notre  dite  cité  pour  apaiser  les  séditions, 
divisions ,  rixes  et  débats  qui  s'y  faisaient  continuellement  au  mépris  de 
la  justice  ;  de  châtier  les  séditieux  (susurrones),  querelleurs  et  perturba- 
teurs de  la  paix  ;  de  ramener  ladite  cité  à  la  tranquillité  et  à  son  pre- 
mier état,  et  d'extirper  et  effacer  de  telles  insolences,  pour  l'intelligence 
desquelles  et  pour  la  bonne  administration  de  la  justice  nous  n'avons  pas 
craint  de  nous  exposer  et  de  venir  ici  à  grands  frais  pour  protéger  la 
ville  el  appliquer  à  main  armée  le  remède  le  plus  efficace.  —  Et  après 
être  arrivé  dans  ladite  cité ,  avons  voulu  en  bon  Pasteur  nous  instruire 
avec  certitude  de  toutes  lesdites  perturbations,  rixes,  débats,  séditions  et 
désobéissances ,  et  pour  plus  ample  et  plus  précise  information  des  sus- 
dites choses ,  travaillant  avec  un  soin  tout  particulier  pour  h  troupeau 
qui  nous  a  été  confié,  nous  avons  fait  tenir  el  célébrer  en  ce  jour  un  Con- 
seil général ,  qui  a  été  convoqué  au  son  de  la  grosse  cloche  de  notre 
église  cathédrale  et  aussi  à  son  de  trompe,  afin  que  personne  ne  pût  en 
alléguer  cause  d'ignorance  ;  auquel  Conseil  a  assisté  une  grande  foule  de 
peuple'.  —  Il  a  été  exposé,  de  la  part  desdits  citoyens,  bourgeois  et 
habitants,  que  Guigues  Prévôt,  Etienne  de  la  Mare,  Louis  Plonjon  et 
Jean  (Baux)  ont  été  illégalement  créés  syndics  et  admis  au  syndicat,  et 
ils  le  prouvent  par  les  raisons  invincibles  que  voici  :  D'abord ,  pour  être 
élus  justement ,  les  syndics  doivent  l'être  en  Conseil  général  et  dans  le 
cloître  au  son  de  la  grosse  cloche ,  et  il  ne  doit  y  assister  que  les  chefs 
de  maison  des  citoyens  et  bourgeois,  et  personne  d'autre,  et  un  tel  Conseil 
doit  être  libre  et  sans  contrainte;  et  néanmoins  un  tel  ordre  n'a  point  été 


*  C'est-à-dirf  le  tiers  du  nomhi-e  qui  aurait  dû  y  figurer,  et  encore  ce 
tiers  se  trouvait-il  en  grande  partie  composé  de  gens  qui  n'avaient  pas  le  droit 
d'y  être.  La  meilleure  réponse  à  celte  pièce  est  l'acte  d'iuféodation  de  la  pè- 
che cj)iscopale  à  Bezanson  Hugues,  n-^  4,  par  le  successeur  de  Jean  de  Savoie, 
Pierre  de  la  Baume,  qui  était  pour  le  moins  aussi  jaloux  que  lui  de  ses  préro- 
gatives de  prince-cvêque  de  Genève. 


474 

observé  dans  la  création  de  ces  prétendus  syndics  ;  car  on  y  a  admis  une 
majeure  partie  de  commis  étrangers .  de  fils  de  famille  inconnus,  et  non 
des  chefs  de  maison  ;  de  plus  le  Conseil  fut  tenu  à  portes  closes ,  et  fut 
ainsi  contraint ,  et  l'ordre  habituel  renversé.  —  En  outre ,  à  l'époque  où 
Jean  Baud  fut  admis  au  syndicat,  il  était  fils  de  famille  (et  non  chef  de 
maison)  ce  qui  ne  s'était  jamais  vu.  D'autre  part  ce  Conseil,  destiné  à  la 
création  de  tels  syndics,  fut  conspiré  de  nuit  dans  la  maison  de  Jean  Baux 
père  dudit  Jean  ;  et  après  que  lesdits  prétendus  syndics  eurent  été  ainsi 
créés  et  illégalement  admis  à  l'office  du  Syndicat,  ils  chassèrent  immédia- 
tement du  Conseil  les  vieillards  et  les  conseillers  intègres  du  Conseil  or- 
dinaire, et  en  prirent  d'autres  nouveaux  et  jeunes  qui  n'étaient  pas  ci- 
toyens ;  ensuite  ils  repoussèrent,  chassèrent  et  annulèrent  le  Conseil  des 
L,  anciennement  établi,  et  lui  substituèrent  le  Conseil  général  contre  l'an- 
tique coutume  et  le  décret  rendu  jadis  par  le  Révérend  père  en  Christ 
l'archevêque  d'Aux,  évêque  de  Genève,  qui  avait  aboli  le  Conseil  général 
parce  que  la  foule  y  commettait  beaucoup  de  désordres,  ne  le  permettant 
qu'à  certaines  époques  fixes  ;  et  lesdits  prétendus  syndics  ont  fait  tenir 
plusieurs  Conseils  généraux  indûment,  tant  au  cloître  qu'à  la  Maison  de 
ville,  auxquels  assistaient  des  fils  de  famille ,  des  garçons  d'étuves  et 
d'autres [mecanici)  et  étrangers  portant  des  rapières  et  des  poi- 
gnards à  la  mode  des  guerriers  ;  —  et  ces  gens-là  ratifiaient  et  approu- 
vaient tout  ce  que  proposaient  les  prétendus  syndics  après  avoir  conféré 
et  illicitement  traité  avec  les  factieux,  criant  unanimement  «  Oy,  Oy,  » 
lorsque  les  prétendus  syndics  disaient ,  «  maintenant  que  ce  que  vous 
voudrez  soit  fait,  »  négligeant  ainsi  le  bon  ordre  et  la  règle  qui  doivent 
être  observés  dans  les  bons  et  vrais  Conseils,  dans  lesquels  on  doit  prêter 
l'oreille  aux  opinions  des  assistants  exprimées  avec  douceur ,  et  ne  pas 
permettre  de  telles  \oc\{évdi\ons  {garrulationes).  Lequel  bon  ordre  les  pré- 
tendus syndics  ont  foulé  au  pied,  ne  permettant  pas  d'opiner;  et  si  quel- 
qu'un voulait  opiner  et  contredire  la  volonté  desdits  prétendus  syndics 
et  des  tapageurs,  ceux-ci  menaçaient  de  le  battre  et  qui  pis  est  de  le 
noyer  dans  le  Rhône  ;  lesquelles  choses  étaient  assez  ridicules  et  un  présage 
des  calamités  qui  les  ont  suivies  '.  Et  de  plus,  une  fois  en  sortant  de  la 
Maison  de  ville,  ces  brouillons  se  trouvèrent  au  nombre  de  plus  de  trois 
cents  dans  la  grande  cour  de  ladite  maison,  où  ils  s'emparèrent  des  lances 


'  Il  est  presque  inutile  d'observer  que  toutes  ces  assertions  sont  autant 
de  mensonges  manifestes,  et  que,  sans  le  vouloir,  le  prince-évèque  fait  ici 
lit  iiorlrait  lidrie,  non  pas  des  Conseils  généraux  tenus  par  les  eydguenots,, 
mais  de  ceux  que  lui  et  son  cousin,  le  duc  de  Savoie,  tenaient  de  temps  à 
autres,  et  qu'ils  savaient  remplir  de  gens  sans  aveu,  dont  le  quart  n'était 
pas  même  bourgeois,  et  de  la  dernière  lie  du  peuple. 


U75 

ou  piques  qui  s'y  trouvaient ,  et  prononçant  furieux  d'intolérables  blas- 
phèmes ils  se  vantèrent  d'aller  tuer  dans  leurs  maisons  quelques-uns  de 
ceux  qui  refusaient  d'approuver  leurs  méchantes  folies'.  Et  lorsque  l'il- 
lustrissime prince  et  seigneur,  Monseigneur  Charles  de  Savoie,  etc.,  — 
qui  aimait  singulièrement  cette  cité,  —  comme  l'ont  aimée  les  illustris- 
simes princes  et  ducs  ses  prédécesseurs,  qui  ont  toujours  été  ses  protec- 
teurs, et  cela  à  bon  droit  puisqu'elle  est  enclavée  dans  leurs  Etats,  —  eut 
appris  les  susdites  séditions  et  discordes,  il  voulut  venir  à  elle  et  remettre 
la  ville  et  ses  habitants  en  vraie  paix,  union,  amitié  et  concorde  ;  mais  les 
prétendus  syndics ,  leurs  conseillers  et  les  séditieux  fermèrent  les  portes 
et  issues  de  cette  cité,  y  placèrent  de  l'artillerie,  tendirent  les  chaînes  de 
fer  et  tirent  de  grandes  patrouilles  ;  et  ceux-là  même  qui  ne  voulaient  point 
tolérer  cette  résistance,  furent  forcés  de  prendre  part  à  ces  patrouilles, 
et  on  les  menaça  de  les  tuer  et  de  les  jeter  dans  les  profondeurs  du  Rhône, 
faisant  dans  une  damnable  témérité  et  dans  une  incroyable  arrogance  et 
caprice  (versutie)  rébellion  contre  un  prince  si  doux  {tam  mansuetum 
principem).  Car  les  prétendus  syndics,  tendant  toujours  à  l'anéantisse- 
ment de  cette  cité  par  leurs  conspirations  et  séditions,  envoyèrent  expres- 
sément certains  de  leurs  complices  bien  connus  dans  certains  lieux  pour 
faire  marcher  une  armée  contre  un  prince  ai  doux-.  Et  de  fait  ils  assem- 
blèrent certaine  bande  et  armée,  qui  a  fait  des  dommages  intolérables  à 
Morges  et  lieux  circonvoisins ,  affligeant  par  des  dommages  intolérables 
et  sans  juste  cause,  le  pays  d'un  prmce  si  doux;  au  moyen  de  quoi  les 
citoyens  et  bourgeois,  nos  fidèles  sujets,  quoique  innocents  de  ces  choses, 
sont  devenus  entièrement  odieux  audit  pays,  et  ces  machinations  retom- 
bent sur  les  têtes  et  les  personnes  de  ces  pauvres  fidèles  sujets  ;  d'oii  il 
arrive  que  nos  fidèles  n'osent  plus  parcourir  ledit  pays ,  comme  ils  le 
faisaient  naguère,  ni  y  traiter  leurs  affaires;  lesquelles  choses  nous  sup- 
portons impatiemment,  ainsi  que  les  citoyens  et  nos  sujets  fidèles,  à  cause 
de  la  détérioration  de  la  bonne  renommée  de  cette  ville  qui  a  tant  fleuri 
dans  les  temps  passés  par  son  nom  et  sa  bonne  réputation  ;  et  l'illuslris- 
sime  seigneur  Duc,  qui  a  été  un  prince  doux  et  rempli  d'astuce  {astutia 
imbittiis),  les  a  supportées  avec  la  même  impatience  ;  et  voyant  s'agiter 
inconsidérément  une  si  grande  inhumanité  contre  son  autorité,  il  a  été 
forcé,  pour  ne  point  tolérer  pareille  ignominie,   de  faire  assembler  une 


'  C'est-à-dire  ceux  des  traîtres  ducaux  qui  revenaient  de  rendre  hom- 
mage au  duc  à  St-Julien. 

*  On  comprend  qu'il  s'agit  ici  de  Betanson  Hiif/ues  et  de  f  armée  fribour- 
geoise  qui  s'était  levée  spontanément  à  sa  voix,  et  qu'il  entraîna  au  secours 
de  Genève,  jusqu'entre  Morges  et  Rolle,  où  elle  fut  arrêtée  par  les  députés 
des  autres  cantons. 


476 

grande  cohorte  et  armée  de  ses  sujets  qui  ont  accompagné  son  illustris- 
sime souveraineté  avec  une  grande  assemblée  et  une  grande  foule  de 
nobles  et  puissants  seigneurs  à  la  figure  joyeuse  et  radieuse  (vultu  lœto 
et  rutilante)  pour  l'assister;  et  si  cet  illustre  prince  n'avait  pas  été  plein 
de  miséricorde,  et  s'il  n'avait  pas  surpassé  par  sa  clémence  la  charité  du 
Rédempteur,  et  si  nous  n'avions  pas  été  secourus  par  l'intercession  de 
notre  Seigneur  Jésus-Christ  et  de  la  bienheureuse  vierge  Marie,  sa  mère, 
en  notre  faveur,  la  ville  aurait  été  totalement  anéantie  avec  tous  ses  habi- 
tants, et  nous  aurions  tous  été  égorgés,  du  plus  grand  jusqu'au  plus  petit, 
à  cause  de  ce  mauvais  Conseil  et  de  ses  délibérations  efTrénées.  Saint 
Dieu  !  Quelle  ruine  c'eût  été ,  si  les  choses  s'étaient  passées  ainsi  !  Quelle 
est  la  langue,  quelle  est  le  sens,  quelle  est  la  tête  ou  Tintelligence  qui 
eût  pu  ou  pourrait  conter  un  tel  dommage,  si  celte  cité,  qui  a  de  tous 
temps  fleuri  dans  une  si  grande  paix  et  tranquillité,  et  dont  la  renommée 
a  brillé  de  tant  d'éclat  dans  l'univers  presque  entier  (avait  péri  !)  Et  bien 
que  cette  pauvre  cité  et  toute  sa  population  aient  échappé  à  ces  malheurs, 
U  n'en  est  pas  moins  constant  que  la  pauvre  cité  a  souffert  et  souffrira  en- 
core de  très-grands  et  intolérables  dommages  et  inconvénients,  dont  ne 
souffriront  pas  seulement  les  citoyens  et  bourgeois  actuels,  mais  encore 
les  enfants  que  ce  siècle  n'a  pas  encore  produits.  Tout  cela  est  provenu  du 
conseil  insensé  et  immodéré  de  ces  prétendus  syndics  et  de  leurs  préten- 
dus conseillers  susnommés,  ainsi  que  toute  l'assemblée  et  le  peuple  ont 
crié  à  l'unanimité  que  c'était  vrai.  C'est  pourquoi  tous  ceux  qui  assistent 
en  grand  nombre  à  ce  Conseil  général  nous  ont  instamment  supphé,  pour 
l'avantage  manifeste  de  notre  dite  cité,  afin  qu'il  n'en  arrive  pis  encore, 
mais  que  de  tels  abus  soient  extirpés  et  les  louables  et  antiques  coutumes 
ramenées  à  leur  premier  état,  de  suspendre,  ôter,  éloigner  lesdits  pré- 
tendus syndics,  comme  ayant  été  injustement  élus  et  mis  en  possession 
du  syndicat  et  comme  administrateurs  ineptes  [levés]  de  la  chose  publique 
et  des  atTaires  de  cette  cité,  —  et  de  leur  donner  pouvoir  et  licence  d'é- 
lire d'autres  nouveaux  syndics,  prudents,  légaux  et  probes,  pour  diriger 
et  gouverner  la  chose  publique  convenablement  et  honnêtement ,  et  ce 
pour  l'avantage  manifeste  de  cette  notre  cité,  toutefois  sans  préjudice  de 
leurs  libertés ,  et  que  nous  voulussions  bien  leur  accorder  la  permission 
d'élire  des  syndics  de  la  manière  accoutumée,  le  dimanche  après  la  fête 
de  la  purification  de  la  bienheureuse  vierge  Marie  de  chaque  année,  ce  à 
quoi  nous  n'entendons  ni  ne  voulons  point  déroger. 

Nous  donc ,  évêque  et  prince  susdit,  qui  souhaitons  le  re|)os  de  notre 
cité  et  de  la  chose  publique  autant  qu'il  nous  est  possible,  ayant  entendu 
et  mûrement  pesé  tout  ce  qui  précède^  nous  avons  fait  et  ordonné  la  con- 
vocation d'un  autre  Con.seil  général  ce  jour  sous-indiqué  à  sept  heures  du 


477 

matin,  tant  au  son  de  la  cloche  susdite  qu'à  son  de  trompe,  aiin  que  per- 
sonne n'en  puisse  prétexter  cause  d'ignorance  et  qu'on  agisse  plus  mûre- 
ment dans  ce  cas  ;  auquel  Conseil  nous  assistons  présentement,  et  où 
sont  intervenus  les  susdits  Etienne  de  la  Mare,  Jean  Baux  prétendus 
syndics,  et  Claude  Vandel ,  prétendu  lieutenant  (remplaçant)  de  Plonjon 
ou  de  Prévôt,  portant  les  bâtons  syndicaux  de  la  cité ,  et  devant  lesquels 
les  choses  susdites  ont  été  derechef  racontées  et  exposées  en  langue  vul- 
gaire {in  vulgar'i  exposita) ,  tant  par  notre  cher  officiai  que  ensuite  par 
Antoine  de  la  Fontaine,  nos  fidèles  sujeis,  au  nom  de  ladite  communauté; 
laquelle  communauté  après  avoir  écouté  les  raisons  susdites  a  déclaré 
sans  opposition  que  l'élection  des  quatre  syndics  est  nulle.  En  consé- 
quence ils  ont  demandé  (les  fidèles  sujets)  que  ces  prétendus  syndics 
fussent  chassés  du  dit  office,  et  de  leur  accorder  la  permission  comme  ci- 
dessus  est  dit,  d'élire  d'autres  syndics;  ce  qu'ayant  entendu  lesdits  de  la 
Mare,  Baux  et  Vandel  n'ayant  rien  de  juste  à  objecter,  se  sont  volontai- 
rement, librement  et  de  leur  propre  chef  démis  du  dit  office,  et  nous  ont 
remis  en  toute  humilité  et  révérence  les  bâtons  syndicaux  pour  en  disposer 
selon  notre  bon  plaisir. 

Et  Nous,  évêque  et  prince  susdit,  désireux  de  pourvoir  au  dit  office 
pour  notre  indemnité  et  de  la  cité  et  chose  publique,  nous  avons  com- 
mandé et  ordonné,  vu  la  dite  démission,  de  célébrer  demain  matin  un 
autre  Conseil  général  au  même  lieu  pour  l'élection  de  nouveaux  syndics 
qui  se  fera  en  notre  présence,  décernant  à  ces  fins  les  présentes  lettres 
testimoniales  données  dans  le  dit  Conseil  général  tenu  au  dit  Cloître  le 
27™«  jour  du  mois  d'août,  l'an  quinze  cent  dix-neuf,  sous  notre  sceau 
commun  de  l'ofificialité  de  Genève  et  sous  la  signature  manuelle  de  notre 
bien  aimé  secrétaire  soussigné ,  Troctier. , 

Signé  BioLLESii. 

L'Evêque  était  accompagné  de  Magnifique  Sg""  Louis  de  Derée,  Révé- 
rend père  Pierre  Gruet ,  Révérend  Messire  Eustache  Chappuis,  Noble 
Louis  de  Genève,  Sg''  de  Lullin,  Spectable  Messire  Mamert  de  Costis  et 
159  personnes,  y  compris  No.  Louis  de  Grières  et  trois  chanoines 
(Louis  d'Arlo,  Jo.  Gaugiateur  et  de  Vegio),  formant  ce  prétendu  Conseil 
général. 


ns 


W  2 


Proleslalioii  de  Bezanson  Hii?aes  et  de  ses  amis  contre  les  puhlicalions  du 
10  Décembre  11)19  défeiidani  à  tous  de  porter  des  armes  sous  peine  de 
deux  traits  de  corde  et  d'une  amende  de  io  livres,  minutée  de  la  propre 
main  de  Bezanson  Ilupes,  D  Janvier  lo^O,  puis  recorrigée  par  lui  et  le 
notaire  qui  d'y  est  pas  désipé  (de  là  les  variantes  et  les  répétitions 
entre  parenthèses),  et  finalement  mise  au  net  par  ce  dernier. 


Aniio  Domini  1520,  Ind"''  Octava  et  die  nona  mensis  Januarii  a  nat. 
D°'.  Existentibus  Gebenn.  in  magna  aula  domus  solita^  residentiae  ReV** 
Dom'  Pétri  Grueti,  SanctgesedisApost.  Protiionotarii,  Canonici  Gebenn.  in 
spiritiialibus  et  temporalibus  Ecclesiœ  et  Episcopatus  Gebenn.  Vicarii  Ge- 
neralis  anctnritate  ordinaria  specialiter  deputati,  nobilibus  et  Commend* 
viris  Joh"«  Lud»  Piamelli,  Bizansono  Hugonis,  Joh"''  Tacconis,  Jobanne 
Philippi,  Fran'^°Gule,  Claudio  de  Castronovo,  Joh"«et  Petrode  Malodumo 
(de  Malbuisson)  fratribus,  Petro  de  Tullia,  Joh"«  de  Mara,  Fvolando  Rey- 
raondi,  Ludovico  Magistri-Petri,  Benedicto  Toqueti,  Bizansono  de  Muro, 
Job'"'  et  Anl°  Lee  fratribus,  Baudichono  de  Domo  nova  (et  Guigone  Comi- 
tis)  (cives  fcii'ibî/sj  Gebenn.)  {ces  wo^s  cives  Gebenn.  ajoutés  après,  puis  un 
assez  lonfj  espace  blanc  pour  d'autres  noms  qui  pourraient  se  joindre  aux 
précédents).  Suis  et  aliorum  civium  et  burgensium  biijus  civitatis  Gebenn. 
secum  adbiprere  volentium  [nominibus]  proponunt  (proponentes)  organo  ta- 
raen  prsefati  Bezansoni  Hugonis,  in  hiis  diebusnupertluxis  ad  ipsorum  noti- 
tiam  devenisse  Illus'"  et  Rev™  Gebenn  Epis"  et  Principem,  D""  Vicedomp- 
num  et  Syndicos  civitatis  Gebenn.  cridam  (cridari)  fecisse,  quod  nullus  cu- 
juscunque  status  (gradus),  val  conditionis  existeret  déferre  auderet  rape- 
rias  seu  spatas  aut  alios  gladios  offensibiles  die  seu  nocte ,  infra  civitatem 
Gebenn.,  sub  poena  pro  quolibet  et  vice  qualibet  contra  (secus)  facien- 
tes,  duorum  tractuum  tortura?  seu  cordai,  et  vigintiquinque  (quatuor)  li- 
brarurn  Gebenn.  argent! ;  et  bujusmodicridas fuisse executioni  demandâtes 
indebite,  contra  francbesias  et  libertates  (contra  tenorem  franchesiaruni  et 
libertatum)  hujus  civitatis  Gebenn.  in  personas  bon''*  Joli"'*  Magistri- 
Petri  afs  de  Arlndo,  et  Egregii  Joh"'*  Suacthonis,  (clerici  soluti)  Notarii, 
et  ulterius  Ilumbertum  Bernardi  civem  Gebenn.  bac  de  causa  fore  carce- 


479 

ribus  Insulae  civitatis  Gebenn.  instanlibus  (instante)  Magn'^»  Vicedomno  et 
aliisoftkiariiscivitatisGebenn.  detentum.  Dicentes  hujusmodi  detentionem 
cridas  et  executiones  praedictas  fuisse  et  esse  indebitas,  inciviles  et  inu- 
sas (injustas)  contra  libertates  et  franchesias  civitatis  Gebenn.  quibus  nul- 
loniodo  consentierunt  (consenserunt)  nec  consentiunt;  quas  quidem  liberta- 
tas  et  franchesias  petierunt  per  eundem  Rev"  D™  Petrum  Grueti  in  spir* 
et  temp^  (Eccl*  et  Epis*  Geb  )  Vicariiiin  gen™  ibidem  existentem  (prae- 
sentem),  tanquam  caput  justifia?  et  personam  prœfati  Illustr.  (et  Rev"') 
D°'  Nri  Episc'  representantem  observari,  et  in  ipsarum  observationem 
prœfatum  Hunibertum  Bernardi  a  dictis  carceribus  per  eundem  D™  Vica- 
rium  liberari,  mandari,  dictasque  cridas  revocari  et  pristinas  libertati  ips. 
restitui.  Alias  adictisdetentione  molestationibusque  factis  (molestationeque) 
etindebitis  executionibus  earum  cridaruni  actisin  personis  praedictorum , 
cridis  et  aliis  gravaminibus  ex  diclis  cridis  illatis  et  aliis  inferendis  (organo 
dictiBezansoni  Hugonis)  provocant  (provocaverunf  et  appellaverunt  provo- 
cantque)  in  hiis  scriptis  et  appellant  ad  sanctam  sedem  (apostolicam) 
metropolitanam  Viennensem,  illumque  et  ilios  ad  quem,  seu  quos  hujus- 
modi appellatio  devolvi  polesl  et  débet  ;  petentes  dictae  (eorum)  appella- 
tioni  responderi  et  testimoniales  (dimissionis)  sibi  de  pra^missis  decerni 
(sibi,  dari  et  concedi  protestando  quod  per  eos  non  stat  quominus  illos 
recipiant  et  testimoniales  sibi  de  praemissis  decerni).  Praefato  R.  D"°  Petro 
Grueti  Vicario  dicente  easdem  cridas  non  fuisse  factas  nec  processas 
(processisse)  de  mente  sua,  nec  minus  de  consensu  Syndicorum  hujus 
civitatis  Gebenn.,  sed  velle  franchesias  et  libertates  civitatis  Gebenn.  ob- 
servare.  —  De  quibus  pra?missis  praefati  petierunt  (praefatus  Bez.  Hugo- 
nis nomine  quo  supra)  a  me  notario  subsignato  fieri  litteras  testimoniales, 
quas  ex  meo  tabellionatus  otficio  duxi  concedendas  (et  quas)  de  praîfati 
D°'  Vicarii  praecepto  (et  concessi).  Dat.  Gebenn.  Anno,  die  et  loco  prae- 
missis, praesentibus  Egregiis  Mathaeo  Carrerii,  Perroneto  Bachodi  etJoh°« 
Suacthoni  Nol''*  Hen''»  (Hugon)  Pilliodi  et  Venb''  D"°  Percivallo  Constan- 
tini  (Curato  Albonae  testibus  ad  praemissa  aslantibus  vocatis  et  rogatis). 


480 


N"  5 


Requête  des  habilauts  de  St-Genais  à  Bezanson  Hugues,  pour  faire  fortifier 

ce  bourg  [{dïl  ou  i8). 


Jhns 


Mémoire  à  Monsieur  l'abbé  de  Genève,  le  sire  Bezanson  Hugues. 

Puisque,  à  l'aide  de  notre  Seigneur  et  de  nos  bons  amis,  Monsieur  l'abbé, 
vous  avez  fait  si  gros  bien  à  la  cité  de  Genève  de  la  faire  demeurer 
et  remettre  en  son  entier,  encore  ne  faut  pas  à  tant  demeurer,  mais  tou- 
jours suivre  le  bien  fait. 

Pourquoi,  s'il  est  de  votre  plaisir  et  bon  vous  semble,  vous  mettrez  en 
avant  ce  qui  s'ensuit  en  Conseil  ;  et  si  à  tant  vient,  on  demandera  un  Con- 
seil général  auquel  sera  exposé  la  teneur  de  ce  qui  s'ensuit,  pour  le  bien 
d'un  chacun. 

Premièrement,  qu'il  serait  un  gros  bien  à  tous  en  général,  gros  com- 
fortet  consolation,  de  fortifier  le  bourg  de  Saint-Gervais,  lequel  se  pourra 
en  brief  faire  bon  et  fort  par  la  manière  que  s'ensuit,  sans  grosse  coste, 
ni  grevance  particulière. 

Considérant  aussi  les  choses  qui  s'ensuivent,  qui  sont  à  considérer: 

Premièrement,  que  quand  tous  les  bons  marchands  et  autres  gens  de 
bien  sentiront  le  bourg  de  Saint-Gervais  être  sûr  et  fort,  ils  en  seront 
joyeux  et  dormiront  à  leur  aise  ;  car,  à  bien  considérer,  à  un  danger  ne 
peuvent  être  maltraités  que  quand  le  dit  bourg  seroit  perdu.  Considérant 
aussi  que  quand  aucuns  ennemis  seroient  au  dit  bourg,  ils  peuvent  affa- 
mer et  battre  la  ville  à  leur  aise,  et  finalement  faire  de  ladite  ville  et  de 
ceux  qui  seroient  dedans  à  leur  plaisir. 

Aussi  considérant  que  quand  ledit  bourg  seroit  fort,  lesdits  sieurs 
marchands  et  bourgeois  de  la  ville  pourroient  aller,  venir  et  mettre  leurs 
biens  meubles  audit  bourg,  car  il  est  assez  grand,  et  de  gens,  de  fait, 
mal  peuplé  selon  la  grandeur. 

Pour  quoi,  pour  fortifier  ledit  bourg,  seroit  bon  faire  une  gracieuse 
taille,  comme  de  prendre  la  12'"*  ou  8™*  partie  des  louages  des  maisons 


481 

et  jardins  étant  en  la  ville,  bourgs  et  franchises  d'icelle,  d'un  an  et  pour 
une  fois  tant  seulement,  qui  peu  greveroit,  quand  chacun  seroit  de  bon 
vouloir. 

Item,  on  auroit  argent  comptant,  pour  faire  promptementlecas  et  pour 
la  supportation  de  plusieurs  autres  charges  pour  la  ville  et  le  bien  com- 
mun déjà  portées. 

Item,  payeroient  plusieurs  gens  qui  n'habitent  ni  n'habiteront  jamais 
ici,  mais  tirent  les  deniers  des  louages  de  leurs  maisons  et  les  portent 
hors  de  la  ville,  car  il  en  est  tel  qui  tire  plus  de  deux  cents  florins  annuels 
de  ses  maisons,  lequel  aideroit  de  30  ou  40  florins  pour  un  coup. 

Il  n'est  pas  facile  faire  payer  aux  habitants,  car  il  y  a  plusieurs  bons 
ouvriers  de  métier  qui  ont  assez  à  faire  à  vivre  de  leur  métier  ;  et  si  on 
leur  demandoità  payer,  on  deshabiteroit  la  ville  des  dits  habitants  et  bons 
ouvriers. 

Pour  quoi  y  aviserez  et  pardonnerez  aux  suppliants,  s'il  vous  plaît  ; 
car  ils  n'y  entendent  point  de  mal,  mais  à  leur  gros  et  rude  entendement 
leur  semble  que  mieux  ne  pourrait  l'on  faire. 


N«  4 

Inféodalion  de  la  pôclie  du  lac ,  du  Rliôiie  ei  de  l'Ane  à  Bezanson  Hugues, 
par  l'évéque  Pierre  de  la  Bauuie  {\ôil)  ' . 

in  nomine  Domini,  Amen.  Anno  anativitateejnsdem  D"'  nostri  sumpto 
currenle  millesimo  quingentesimo  vigesimo  seplimo  Indictione  quindecima 
cum  eodem  anno  sumpta  et  die  duodecima  mensis  Jugnii.  Universis  et  sin- 

*  Malgré  la  longueur  de  celte  pièce,  nous  la  citons  en  entier,  non-seule- 
ment à  cause  de  l'intéi'èt  qui  s'attache  toujours  à  un  acte  authentique  de 
cette  époque,  quel  qu'il  soil,  mais  parce  qu'elle  donne  le  plus  éclatant  dé- 
nienli  à  tous  les  mensonges  contenus  dans  l'acte  précité  du  prédécesseur 
de  Pierre  de  la  Baume,  le  bâtard  Jean  de  Savoie.  Cette  inféodation  de  la 
pêcherie  épiscopale  est  encore  inq)ortan(e  en  ce  sens,  qu'elle  démontre  l'er- 
reur de  ceux  cjui  ont  voulu  étendre  les  régales  concédées  à  nos  évéques  par 
Conrad  le  Salique  sur  tout  le  comté  de  Genève,  puisque  celle-ci,  l'une  des 
plus  essentielles,  n'allait  pas  au  delà  des  environs  de  la  ville. 


4-82 

gulis  sit  notum  atque  manifestum  :  Q.  cum  ab  evo  immemorabili  et  tem- 
poribus  longissime  fluxis  divino  minime  (?  Numine?  Munimine?)  Civitas 
Gebenn*  cum  singulis  mûris  ambitibus  edificiis  fossatis  fortalitiis,  nec  non 
tria  Castra  Pineti,  Jussiaci  Ep'  et  de  Thiez  sint  et  fuerint  dudum  sacris 
largitionibiis  Ecclesiœ  et  mensae  Episcopalis  Gebenn.  ac  jure  principatus 
et  dominii  supremi  Episcopus  pro  tempore  existons  Gebenn.  et  Illius  ci- 
vitatis  et  castrorum  pra?dictorum  et  singulorum  adjacentium  et  pertinen- 
tium  ut  plenojure  D^  et  Princeps  per  antiquissima  tempora  uti  et  gaudere 
solitus  fuit,  nec  non  civitas  ipsa,  jure  Principatus  praedicti  salvo,  longis- 
simis  etiam  praedictis  temporibus  fuit  et  sit  libéra  exempta  multis  inimu- 
nitionibus  franchesns  a(ipellatis  gaudens  et  fruens  prout  premissa  sunt 
notorissima,  nec  expioratione  aut  majore  indagine  indigeant  ;  et  a  non- 
nullis  annis  retrotluxis  saltem  a  viginti  citra  certi  Principes  et  Potestates 
seculares  et  alii  circumvicini,  magistratus  et  potentias  laicales  exercentes, 
civitatem  ipsam,  illius  cives,  habitatores  et  incolas  injuriis  gravibus  op- 
presserunt,  etiam  usque  ad  Capitumobtroncationemet  multorum  sanguinis 
effusionem  ejusdem  civitatis  civium,  bampnaque  et  impositiones  ac  quam 
multiplicia  servilutum  angarias  per  angarias  et  alla  multa  insupportabilia 
civibus  et  incolis  predictis  imposuissent,  Castra  predicta,  quorum  juris- 
dictio  et  gardia  sede  episcopali  vacante  ad  Capitulum  dictai  Ecclesiae  per- 
tinet,  eadem  sede  vacante  invaserunt  etjurisdictiones  aliq....  (?)  inciviliter 
exercuerunt,  nec  non  eos  quibus  Episcopus  et  Princeps  pro  temporibus 
existens  indulgeral  et  pepercerat  novam  ab  eisdeni  indulgentiam  recipere 
coegerunt ,  clericos  etiam  ad  ratiocinium  adstrictos  et  qui  gubernio  et 
dictae  civitatis  thesauro  prefuerant  ad  se  retraxerint  multis  (mulctis)  et 
pénis  insupportabilibns  civitatem  et  cives  etiam  ecclesiasticas  personas 
indebite  et  inciviliter,  modo  criminaliter,  modo  civiliter  ad  compositiones 
compulerint,  et,  quod  deterius  est,  per  se  et  milites  civitatem  ipsam  vi  et 
armis  invaserint,  Episcopo,  Clero  et  civibus  resistere  non  valentibus,  et 
plura  et  diversa  dampna  passi  fuerint  Episc*  et  civitas,  quae  longa  pagina 
et  prolixo  sermone  indigerent:  iiT  PftOPrEfîO  commendabilis  virBe- 
zansonus  Hugonis,  in  dicta  civitate  ortus  et  civis,  utbonum  et  generosum 
hominem  decet,  devotione  motus,  corde  intento  ad  Deum  et  beatum  Petrura 
apostolorum  Principem  dictaeque  civitatis  patronum,  firmam  gerens  fidem, 
animo  tenens  et  firmiter  recordatus  quid  Domino  suo  Episcopo  et  Prin- 
cipi  débet,  et  quantum  pro  civitate  Reque  pubiica  elaborandum  sit ,  pro 
quibus  veteres  Jurisconsulti  ad  mnrtem  usque  ad  pugnandum  censuerunt, 
sincfM-a  devotione  olïicio  in  Dominum  et  pietate  in  se  et  concives  motus, 
relictis  propriis  opibus  et  exertitio  ad  Mag"^"*  D"°*  ipsius  civitatis  vicinos 
et  communitales  potentes  recursum  habuit,  multum  ac  diu  propriis  opibus, 
etiam  de  111™'  et  Rev""'  D"'  infrascripti  mandato,  expositis,  se  re,  verbis  et 


483 

facto  ac  opéra  defatigatus  sudavit  ut  Deo  gratias  postquam  saepe  et  saepius 
eundo  et  redeundo,  voluntati  et  mandate  ejusdem  Piev""'  D"'  aqiiiescens, 
sic  profecit  ut  civilate  et  castris  praedictis  ab  hujusmodi  defaligationibus 
ettirannia  exem|)tis,  Episcopus  ipse  et  Princeps  plénum  dominium,  antea 
dilaceratum  et  fere  deperditum,  resumpsit  et  civitas  ipsa  cum  Clero  sub- 
dictis  predictis  subditione  et  {lotestate  dicli  et  Principis  pro  Ecclesia 
militent  tlrma  pace  quam  Deus  in  eos  conservare  dignetur,  amen.  ET 
PROPTEREA  Illustris  etRev^in  Christo  Pater  et  Dominus,  D^  Petrus  de 
Bauma ,  Dei  et  apostolicse  sedis  gratia  dictorum  civitatis  et  castrorum 
Episc^  et  Princeps,  nolens,  ut  Ecclesiam  non  decet,  ingratus  reddi  sed 
bonos  bonis  et  honoribus  condignis  munerare  ;  attentis  premissis  quae  vera 
sunt  et  notoria ,  et  quia  Commendabilis  Besansonus  Hugonis  ipse  multis 
pecunia  ac  patrimonio  exaustus  est  qua?  magnum  i)ecuni;ç  numerum  re 
vera  ascendunt  ultra  damna  et  Interesse  ipsius  Bezansoni,  viri  legalis  et 
probi,  cujus  experientia  in  gravibus  predictis  et  negotiis  multijdiciter 
cum  eminenti  periculo  perditionis  vita?  ejusdem  Bezansoni  expertus  est, 
qui  viriliter  pro  Ecclesia  dimicavit.  A  quibus  omnibus  quam  notoriissimis 
luce  meridiana  clarioribus  prefatum  Bezansonum  et  quoscunque  suos 
relevans  et  relevatos  esse  volens,  presentis  Instrumenti  tenore  quae  etiani 
me  Not°  et  testibus  infrascri|ttis  attestantibus  ut  attestamur  vera  sunt. 
Id  circo  constitutus  personaliter  prelibatus  Illustris  et  Rev^  Ep*  et  Pr^  pro 
se  et  suis  in  dicta  Ecclesia  perpétue  successoribus  quibuscunque  al  s 
...  nunc,  propter  gravia  pro  premissis  supportata  onera  alio  modo  eidem 
satisfacere  non  valons,  Imperpetuum  infeudat  et  in  emphiteosim  ecc^"^' 
perpetuam  tradit  eidem  Besansono  presenti  acceptanti  et  humiliter  réci- 
pient!, pro  se  et  suis  liberis  et  liberorum  liberis  usque  in  infmitum,  mas- 
culis  tamen,  piscariam  et  jus  piscandi  vulgariter  appellatam  la  pescherie 
dictae  EcclesiîB  et  mensa3  episcopali  pertinentem  et  hactenus  pertinere 
solitam  in  territorio  et  districtu  dicti  111"'^  Rev™'  D"'in  aquis  Lacus,  Ro- 
dani  et  corrente  sive  flumine  Areris  circumcirca  suburbia  dicta?  civitatis 
cum  quibuscunque  circuitibus  continentiis  et  emolumentis  ejusdem  pis- 
cariae  quomodocunque  ad  eandem  mensam  Episcopalem  pertiofant,  sub 
feudo  et  homagio  nobili  et  ligio ,  quos  per  présentes  idem  Bezansonus 
prestat  ac  sub  jurisdictione  et  aliis  praefata?  Ecclesiae  et  mense  episcopali 
jam  competentibus ,  et  sub  annuo  censu  unius  libraî  Cerae  annis  singulis 
per  dictum  Bezansonum  et  suos  prîedictos  Ecclesia?  et  Mensa?  predictis 
in  festo  divi  Miclr.Blis  Archangeli  persolvendis.  Ita  quod  sit  vera,  realis 
et  effectualis  Empliitheosis  ecc''*  sine  contraditione  quacumque.  Itaque 
totiens  quotiens  idem  111"'*  et  Rev'  D'  aut  ejus  in  dicta  Ecclesia  successores 
sive  eadem  ecclesia  redimere  voluerint  hujusmodi  piscariam  et  jus  pis- 
candi  sic  ut  supra  infeudatam  et  in  emphiteosim  tradilara,  ab  eodem  Be- 


484 

zansono  et  suis  predictis ,  teneantur  et  debeant  dicti  Bezansonus  et  sui 
predicti  retrocedere,  quictare  et  liberare  pro  et  mediante  sumraa  etquan- 
titate  ducatorum  auri  largorum  duorum  millia  :  pro  qua  quidem  summa 
idem  Bezansonus  pro  se  et  suis  predictis  jus  redimendi  predictum  imper- 
petuum  pro  se  et  suis  predictis  praelibato  Ill'"et  Rev™"  D°°  nostroaut  lilius 
Successoribus ,  vel  Ecclesiae  prefatis  promiltit  absque  contraditione  qua- 
cumque  retrocedere  et  reniittere  jusque  redimendi  et  rehabendi  ut  supra 
concedit  :  ita  quod  nullo  unquam  tempore,  etiam  centum  annorum  spatio, 
jus  dictum  redimendi  praescribi  possit ,  quibuscunque  constitutionibus  et 
juribus  factis  fiendisque  aut  consuetudinibus  contrariis  non  obstantibus. 
Devestiens  se  et  suos  in  dicta  Ecclesia  successores  prelibatus  111 '"'  et  Rev* 
D'  Episc.  et  Prin^  de  dicta  piscaria  et  jure  piscandi  in  empbiteosim  per- 
petuam  eidem  Bezansono  Hugonis  traditam  et  infeudatawi.  et  eundem 
Bezansonum  ut  supra  présentera  stipulantenique  et  recipientem,  et  suos 
quos  supra  de  eadem  investiens  per  traditionera  unius  calami  scriptoris 
et  per  confectionem  presentis  Instrumenti  publici,  ut  moris  est  in  talibus 
investire.  Nihil  enira  juris,  actionis,  rationis,  partis  dreyturae  Domini, 
querelae  seu  alterius  reclamationis  in  eadem  piscaria  et  jure  piscandi  pre- 
dictis ad  se  neque  suos  predictos  quomodolibet  retinendo,  sed  id  totum  id 
quod  habet  ipse  Rev*  D*  Ep^  et  Pr.  pro  se  et  suis  predictis  in  dictum 
Bezansonum  et  suos  predictos,  totaliter  transferendo,  cedendo,  quictandoet 
remictendo  presentium  tenore.  COSSTITUENS  SE  nihilominus  antefatus 
m.  et  Rev.  D^  Ep.  et  Pr.  et  suos  predictos  in  dicta  Ecclesia  successores 
predictam  piscariam  et  jure  (jus)  piscandi  cum  quibuscunque  continentiis 
et  emolumentis  ejusdem  piscariae  se  et  suos  predictos  tenere  et  possidere 
nomine,  vice  et  ad  opus  dicti  Bezansoni  Hugonis  et  suorum  predictorum 
donec  et  quousque  ipse  Bezansonus  aut  sui  predicti  de  eadem  possessio- 
nem  apprehenderint  corporalem,  realem  etactualem,  quam  apprehendendi 
et  appreliensam  ad  se  et  suos  predictos  retinendi  jn^elibatus  III"''  et  Rev* 
D*  Epis^  et  Princeps  pro  se  et  suis  predictis  eidem  Bezansono  et  suis 
predictis  dat ,  tribuit  et  confert  omnimodam  et  generalem  potestatem  ac 
spéciale  et  générale  mendatum  nullius  alterius  superioris  vel  majoris  11- 
centia  inde  super  hoc  requisita  vel  obtenta,  voluti  et  ut  in  rem  suam  pro- 
priam  sibi  justo  et  legitimo  titulo  ac((uisitam,  ipsumque  vult  esse  verum 
Dominum,  procuratorem ,   proprietarium  et  possessorem   in  premissis 
constituendo.  PROMITTENT ES \)rii[)ieresi  prielibatilll.  et  Rev.D.Ep.et 
P.  antefatus  et  Bezansonus  Hugonis  pro  se  et  suis  predictis,  et  quilibet 
eorumdem  prout  quemlibet  tangit  juramentis  suis  per  eosdem  et  ipsorum 
quemlibct,  ipse  siquidem  111.  et  R.  D.  Ep.  et  P.  more  Prelati  manus 
dextra   {manum  dextram)  ad  pectus  apponendo,    ipseque   Bezansonus 
supersanctis  Dei  Evangeliis  per  euni  in  mis  notarii  supscripti  manibus 


485 

corporaliter  tactis,  preslitis,  et  sub  expressa  et  spécial!  Ypotheca  Obliga- 
tione  omnium  et  singiiiorum  bonorum  suorum  et  cujiislibet  eorundem , 
mobilium  et  immobilium ,  presentium  et  fiiturorum  quorumcunque,  prse- 
missa  omnia  et  singula ,  supra  et  infra  scripta  ac  in  presenti  publico 
Instrumente  1^-ontenta  et  descripta ,  rata ,  grata,  firma  et  vallida  habere 
perpétue  et  tenere  et  non  contrafacere,  dicere  vel  venire,  per  se  vel  per 
alium ,  neque  alicui  contravenire  voient!  quovismodo  aliqualiter  con- 
sentire,  clam,  palam  vel  occulte,  tacite  vel  expresse,  directe  vel  indirecte, 
aut  alias  quovisquesito  colore.  Qui  ymo  ipse  111.  et  Rev.  D.  Ep.  et  Pr. 
piscariam  predictam  cum  suis  predictis  emolumentis  ut  supra  infeudatam 
per  modum  predictum  perpétue  manuteneri ,  tuerique  et  defendere , 
debrigare  et  légitime  garantire  ab  omnibus  et  contra  omnes,  in  judicio  et 
extra,  onus  litis  et  periculum  evictionis  in  se  et  suos  predictos  assumendo 
et  assumere  volendo,  sententia  super  evictione  minime  expectata.  Ipseque 
Bezansonus  prœmissa  omnia  suprascripla  observare  et  nunquam  contra- 
venire, sed  predictam  libram  cerœ  annoquolibet  et  termino  pnestatuto 
Ecclesiae  et  Mensas  predictis  persolvere,  ac  totiens  quotiens  eidem  Bezan- 
sono  aut  suis  predictis  per  prelibatum  111™  D™  aut  ejus  in  dicta  Ecclesia 
successores  sive  eadem  Ecclesia  {eandem  eccîesiam)  dictam  summam 
{dicta  summa)  duorum  millia  Ducatorum  auri  largorum  restituentur  et 
solventur,  debeat  et  teneatur  predictam  piscariam  eidem  Bezansono  infeu- 
datam et  in  emphit™  traditam  retrocedere,  quictare  et  liberare  prout  supra. 
Renuîiciant  (renuncianles)  enim  in  hoc  facto  verbis  expressis  praenominatae 
partes  pro  se  et  suis  predictis,  et  quaelibet  ipsarum  prout  quamlibet  tangit, 
ex  earum  certis  scientiis  et  vigore  juramentorum  suorum  per  easdem  am- 
bas  partes  et  quamlibet  ipsarum  ut  supra  prsestitorum  omnijuri  etcuilibet 
exceptioni  doli  mali,  vis,  metus,  fraudis,  erroris  et  deceptionis  et  in  factum 
actioni  conditioni  sine  causa  ob  causam  vel  ex  injusta  causa  seu  causa 
légitime  non  sequuta  Juri  quo  deceptis  in  suis  contractibus  quomodolibet 
subvenitur  Juri  dicenti,  qiiod  si  dolus  dederit  causam  contractai  vel  inci- 
dent in  contractum,  ipsum  contractum  fore  nullum.  Omnique  errori,  le- 
sioni,  fraudi,  gravamini,  deceptioni,  circumventioni  et  implorationi  judicis 
oificii  reique  aliter  dict«  quam  scriptae  et  econtra,  exceptionique  omnium 
et  singulorum  premissorum  ut  supra,  non  sic,  non  rite  et  non  légitime, 
ut  prîsmiltitur,  actorum,  dictorum  sive  gestorum.  Omnique  absolution!, 
relaxation!  et  dispensationi  jnramenti  et  restitutionis  in  integrum  ex  qua- 
cunque  causa,  et  omnibus  aliis  juribus  canonicis  et  civilibus,  scriptis  et 
non  scri[itis,  quibus  mediantibus  quicquam  contra  premissa  seu  praemis- 

sorum  aliqua  facere,  dicen^  vel  venire  possent  aut  in  aliquo  se Ju-  ^ 

rique  dicenti   factum  alienum  neminem  promittere  posse  et   |)i'aecipue 

/orne  A7.  32 


486 

Juridiceiiii  coiifessionem  et  proniissioneni  factam  extra  Judicium  et  non 
corani  suo  Judice  ordinario  minime  vallitiiram  generalemque  renuncia- 
tionem  non  valere  nisi  praecesserit  specialis.  De  quibus  praemissis  omnibus 
et  singulis  partes  ipsae  supranominatse  sibi  a  me  notario  siibscripto  fieri 
praeceperunt  duo  Instrumenta  publica  ad  opus  cujuslibet  dictarum  par- 
tium  unum,  et  toi  quot  fuerint  necessaria  qiiae  possint  et  vaieant  dictari, 
corrigi,  reftici ,  meliorari  et  emendari  semel  et  ])luries  dictamine  et  con- 
silio  Jurisperitoruni  postquam  fuerint  in  judicio  producta  aiit  non  pro- 
ducta,  facti  tamen  substantia  in  aliquo  non  mutata.  Acta  fuere  praemissa 
publiée  Gebennis  in  conventu  fratrum  predicatorum  ordinis  S"  Dominici 
Palatii  Gebenn.,  videlicet  in  capella  Sancti  Gregorii,  presentibus  ibidem 
Rev^"  in  Christo  Pâtre  D""  Aymone  de  Gingino,  Gebenn.  electo,  Abbate 
beatiB  Mariye  Bonimontis,  Prioreque  prioratus  Sancti  Surpicii,  Niundu- 
nique  et  Divona?  etiam  prioratuum,  ac  Spectabili  viro  D""  Petro  Patronis 
artium  Medicin*  Doctore  Burg.  Gebenn.  testibus  ad  praemissa  omnia 
vocatis  specialiterque  rogatis, 

P.  Epus  et  Princeps  Gebenn. 

Et  me  Claudio  Barondelli  Burgen.  Sti.  Eugendi  Jurenii. 
Clerico  Aplica  auctoritate  Notario  publieoGuriarumque  Rev. 
in  Christo  Patrum  ac  D''"'"  D'""'  Arcbiepiscopi  Bisuntin:  et  pre- 

Paraphe  fati  D"'  Ep'  et  Princ.  Jurato  ejusque  secretario  ordinario.  Qui 
promissis  omnibus  et  singulis  dum,  sic  ut  premittitur,  lièrent 
et  agerentur  una  cum  praenominatis  testibus  pus  fui  eaque 
du  sic  fieri,  vidi  et  audivi.  Igitur  de  précepte  ejusdem  R™'  D"' 
suprascriptum  instrum™  publicum  manu  alterius  me  aliis  oc- 
cupato  negoliis  scriptum  recepi ,  manuque  mea  propria  Sub- 

Notaire  scripsi  et  signo  meo  tabellionatus  mihi  in  talibus  fieri  solito 
signavi  fideliterque  et  tradidi  ad  opus  Supranominati  Bezan- 
soni  Hugonis  in  robur  fidem  et  teslimonium  veritatis  omnium 
et  singulorum  praîmissorum. 

CInudius  Barondelli.  (Le  grand  sceau  de  l'Evêque  à  ses  armes 

pend  au  bas  de  l'acte.) 


487 


N«'  5,  6,  7,  8 
Quelques  lellres  de  Messieurs  de  Benie. 

I.  Relatives  aux  Cientilsltoiiinies  de  la  Cailler. 

Aux  Nobles,  Magnifiques  Seigneurs,  les  Sgrs  Santicques  et  Conseilleurs 
de  la  Cité  de  Genève,  nos  singuliers  amis  et  voisins  agréables. 

Nobles,  Magnifq.  Sgr.  Nous  avons  perceu  certainement  comment  le 
Capitaine  Ponlverre  et  autres,  quels  qu'ils  soient,  sur  les  chemins  atten- 
dent les  allants  et  venants  de  Ligues,  aussi  les  Français,  en  sorte  que 
bien  sûrement  ne  peuvent  passer,  laquelle  chose  nous  semble  bien  étrange 
et  à  nous  contraire.  Pourquoi  vous,  Magnifq.  Sgrs,  prions  y  vouloir  mettre 
remède,  afin  que  les  nôtres  de  Ligues  et  Français  puissent  avoir  libéral 
passage  sans  offense,  assaut  ni  préjudice  quelconque  de  corps  ou  de  biens. 
Autrement ,  si  quelque  faulte  advenait  en  quelque  sorte  que  ce  fut,  n'en 
sarions  accuser  autres  que  vous,  ne  quérir  recompense  et  restitution  qu'en 
vous.  Pour  tant  y  veuillez  avoir  avis  et  vous  donner  garde  que  les  che- 
mins soient  surs,  afin  que  plusieurs  molestations  que  sur  vous  et  sur  nous 
pourraient  tomber  soient  évitées.  En  ce  faisant  vous  nous  ferez  plaisir 
très  agréable  que  sera  à  deservir,  aidant  qui  vous  doint  accomplement 
de  tous  vos  bons  désirs. 

Dat.  12  JuUiett  anno  525°  (1525) 

L'Advoyé  et  Conseill  de  la  ville  de  Berne. 

No.  Magnf.  Sgrs,  nous  sommes  derechef  certainement  avertis  comme 
le  capitaine  Pontverre  ensemble  ses  complices  et  certain  nombre  de  har- 
queboutiers  toujours  sont  prêts  de  molester  et  invadir  les  Français  allants 
et  venants  de  notre  pays  et  de  France,  laquelle  chose  prenons  à  grand  re- 
gret, vu  qu'elle  redoude  au  grand  préjudice  de  tous  les  pays  de  Ligues  ; 
pourquoi  ne  le  pouvons  plus  outre  souffrir,  vous  priant  y  vouloir  mettre 
remède  et  obvier  à  telles  choses  qui  ne  peuvent  entretenir  bonne  voisi- 
nance.  Nous  étions  à  bonne  espérance  que  ce  eussiez  fait  sur  notre  re- 
quête par  ci  devant  par  nos  lettres  à  Vos  Magnificences  envoyées;  mais 


488 

de  ce  n'est  rien.  Encore  nous  confions  que  ferez  :  pour  tant  j  veuillez 
adviser,  afin  que  ci-aprés  ne  se  fasse  aucune  offense  et  nous  soyons  con- 
traints d'en  chercher  récompense.  Disant  à  Dieu,  Magnfq.  Sgrs,  qui  vous 
doint  pacifique  régiment,  bonne  et  longue  santé. 
Dat.  22  Jufii  anno  5°  25  (1325)  '. 

L'Advoyé  et  Conseill  de  la  ville  de  Berne. 


II.   Relatives  aox  prétendues  infractions  aux  traités  des 

Genevois. 

Nous  vous  avons  par  ci-devant  plusieurs  fois  priés  et  requis  que  fut 
votre  plaisir  d'accepter  les  articles  du  traité  de  la  paix  ,  lesquels  les  am- 
bassadeurs de  ces  pays  avaient  pourparlés,  ce  que  toujours  refusez;  de 
quoi  nous  merveillons  et  ne  savons  croire  autre  chose  sinon  que  vous  ai- 
mez plus  la  guerre  que  la  paix,  ce  qui  s'appert  par  effet,  mêmement  par 
l'allarme  qu'est  été  entre  vous  dernièrement,  aussi  par  la  réponse  qu'avez 
donnée  à  vos  ambassadeurs,  la  copie  d'icelle  avons  vue.  Sur  quoi  vous 
voulons  bien  avertir  que  en  sommes  très  déplaisants  et  le  prenons  à  grand 
regret.  Donc  derechef  avons  conclu  et  finalement  arrêté  que  nous  voulons 
que  sans  refus  acceptiez  les  dits  articles  et  que  vous  contentiez  d'i- 
ceux.  Autrement  nous  donnerez  occasion  de  révoquer  nos  gens  et  aussi 
la  bourgeoisie,  à  laquelle,  à  notre  avis,  ne  voulez  satisfaire.  Pour  autant 
veuillez  bien  regardez  icelle,  si  vous  l'avez  observée  ou  non;  car  si  ne 
dussiez  accepter  les  dits  articles,  sachez  que  procéderions  en  cetuy  affaire 
comme  sus  est  dit,  et  en  ce  notre  honneur  réservé  et  gardé.  Sur  ce  vous 
sachez  entretenir.  —  i  mars  1529. 

L'Advoyii  et  Conseill  de  la  ville  de  Berne. 

L'ambassadeur  d'Illustr'"^  S^r.  de  Savoie  nous  a  par  plaintif  exposé 
comment  ayez  pris  prisonniers  deux  d'Evian,  enfants  d'un  archer  du  dit 
Sgr,  pareillement  trois  autres  compagnons  du  village  de  Meyzeiier,  aussi 
un  sergent  olTicier  portant  les  armes  du  dit  Sgr,  et  aussi  comment  ayez 
fait  un  banquet  hors  de  votre  ville  et  mangé  du  papet  avec  des  cuilliers , 
en  dérision  des  Gentilshommes  de  la  Cuillier,  en  faisant  chansons  encontre 
eux  pour  moquerie,  et  nous  sur  ce  priant  d'y  mettre  remède.  A  cette  cause, 
puisque  le  dit  Sgr  a  scellé  les  articles  pourparlés  à  St.  Julien,  vous  vou- 

'  Lu  date  de  ce.s  lettres  prouve  que  les  débuts  de  la  confrérie  de  la  Cuil- 
ler sont  plus  anciens  qu'on  ne  les  fait  ordinairement. 


489 

Ions  bien  avertir  que  entièrement  est  notre  vouloir  que  iceulx  observiez 
et  vous  déportiez  de  faire  ni  dire  à  rencontre,  et  aussi  les  dits  prisonniers 
incontinent  lâchiez,  ou  vous  excusiez  sans  dilation  des  dits  plaintifs  :  au- 
trement nous  nous  déporterons  totalement  de  vos  affaires,  etc. 

(13  avril  1529.)  L'Advoyé  et  Conseill  de  la  ville  de  Berne. 


N"  9 

Lellre  d'une  main  inconnue  et  sans  millésime,  mais  évidemment  d'un  am- 
bassadeur de  France  et  de  Tan  ri!)!  adressée  «  au  seigneur  Bezau^i•n, 
seigneur  de  Perrolles,  à  Fribour^  '.  » 

J'ai  reçu  vos  lettres  et  vu  le  contenu,  et  me  déplaît  de  l'entreprise  qui 
est  dressée  contre  votre  ville ,  et  que  l'on  ne  tient  ce  qui  a  été  accordé  et 
jugé  par  les  Sgrs  des  Ligues  en  présence  de  l'ambassadeur  du  Roi,  qui 
avait  été  envoyé  pour  cet  effet  ;  et  crois  que,  quand  les  dits  Sgrs  des  Li- 
gues l'entendront,  qu'ils  n'en  seront  contents  ;  car  cela  touche  grandement 
leur  honneur.  Il  y  aura  dans  deux  jours  une  journée  à  Bade  où  vous  pour- 
rez remontrer  votre  affaire.  Il  a  été  donné  quelque  ordre  que  vous  (vous)  y 
trouverez.  Vous  y  pourrez  trouver  des  amis  pour  faire  tenir  ce  qui  a  été 
conclu,  vous  avisant  qu'il  y  a  du  mécontentement  très  grand.  Et  d'autre 
côté  aussi  il  sera  plus  profitable  envoyer  homme  exprès  à  la  dite  journée  que 
lettres,  afin  de  répliquer  et  dupliquer  si  besoin  est.  A  quoi  aviserez,  afin 
que  voire  cas  soit  bien  entendu.  Et  à  Dieu  qui  vous  ait  en  sa  sainte  garde. 
—  De  Berthou  le  27  janvier,  par  le  tout  votre  bon  amy,  etc. 

{Deux  imiialefi  paraphées  indéchiffrables.) 

*  Bezanson  Hugues  était  en  efTel  à  Fribourg  en  1532  depuis  le  commeii- 
cemenl  de  l'année;  il  était  encore  seigneur  de  Peiolles,  bien  que  cette  sei- 
gneurie fût  déjà  engagée;  il  était  alors  seul  chaigé  de  nos  aOaiies;  il  était, 
comme  il  le  dit  lui-même  dans  ses  lettres,  en  conespondance  avec  l'ambas- 
sade de  France,  qui  nous  était  entièrement  favorable;  aucun  suisse  de  Ber- 
thoud  ou  d'autre  lieu  n'aurait  pu  écrire  le  français  aussi  purement  ;  enfin  il 
y  eut  en  effet  une  journée  à  Bade  deux  ou  trois  jo\h's  après  la  date  de  cette 
lellre,  et  c'est  à  celte  journée  que  fut  rédigée  la  pièce  allemande  suivante. 


490 


r  10 

Lettre  des  aiuliassadeurs  des  cantons  de  Zuridi,  Lncerne,  Iri,  Sclivyvz ,  tin- 
tent aldcn.  Zii»,  Claris.  Bàle.  Scliaffhoiise  et  Appenzell,  écrite  de  Bade 
au  duc  de  Savoie  le  i'^'"  février  lo3i 


Dem  Durliichtio'en  Hocho'ebornnen  Fiirsten  uund  Herren,  Herrn  Karolo 
Hertzogen  zu  Savoy,  zu  Schaljlais  und  Oiigst ,  des  Heiligen  Riclis  eir> 
Fûrst  und  ewiger  Vicarii,  Marggraff  in  Italia  uund  Fiirst  im  Piémont  etc. 
uund  uunserni  gnedigen  Herren  uund  Pundtgenossen. 

DurclilùclUiger  Hochgebornner  Fiirst  Gnediger  Herr  und  Pundtgenoss, 
Uwer  F.  G.  (Fiirstliche  Gnaden)  Sye  uuser  ganntzwillig  Diennst  zuvor. 
Sunders  gnediger  Herr,  uff  diesem  Tage  sind  vor  uuns  erschienen  der 
Statt  Jennlï  (Genève)  Anwâlt  sampt  uunsern  getriiwen  lieben  Eydtgnosseit 
von  Fribourg,  Ratbsbothen,  uund  uns  mit  hochem  Ernst  klagt  wie  U.  F.  G. 
Kurfznerschnier  Ta^en  mit  einer  grossen  Zall  Kriegsliitten  zu  Ross  und  zu 
Fuss  zwo  Myl  wegs  witt  von  der  Statt  Jennff  kommen  und  an  Si  begert 
U.  F.  G.  in  die  Statt  Jennfï"  mit  Lieb  oder  mit  Gwalt  ritten  ze  lassen,  und 
daselbs  thun  und  handlen  lassen  nach  sinem  Gevallen.  Darzu  Nvolle  U.  F.  G. 
von  Ibnen  gebept  haben  das  Si  die  Riirgrecbt  so  Si  mit  unsern  Eidtgnossen 
von  Bern  und  Friburg  gemacbt ,  samt  den  Abscheiden  und  Urteilen  so 
durch  unser  Eidgnossscbafft  Ratisbotten  zu  Eatterlingen  (Payerne)  geben, 
sollenl  widerrufïen  und  vernichlen  ;  dann,  wo  das  nit  bestlieche,  wolle 
U  F.  G.  ihnen  ein  scbarptTen  Krieg  anricbten  ;  und  als  die  von  Jennff 
sûliichs  nit  haben  woilen  tbun  noch  darin  bewiligen,  habe  U.  F.  G.  ihnen 
die  Spiss  (Speisen)  und  Provant  abgeschlagen;  darzu  trii  Schiffe  voiler 
KoufFmanscliaft  ab  dem  See  gwaltiglich  gnomen  und  binfiiren  lassen,  und 
ouch  die  Strass  von  Jennff  bis  gan  Lossan  (Lausanne)  begwaltiget  und 
taglichen  Stercke  mit  Kriegsliitten,  an  sollicher  Handlung  und  Beg\salti- 
gung  wir  anstatt  unser  Herren  und  Obern  ein  Beduren  und  Bepfremdem 
empfangen ,  und  vermeint  U.  F.  G.  und  Ilire  Edelliitt  helten  bass  be- 
tracbtet  wie  Si  vorhin  an  unser  Herren  und  Obern  begertt  Inen  ziim  Rech- 
ten  zu  verhelfen  des  unser  Herren  und  Obern  !;enei2;t  und  darutT  Ihr  tref- 
fenlich  Boftschafft  darzu  wiinschent  zu  handlen  verordnet,  die  nach  aller 
Muy  (Miihe)  imd  grosser  Arbeit  kiimmerlich  dahin  gebracljt,  wie  dann 


V91 

die  Sach  zu  lest  (leizt)  zii  Bàtterlingen  mit  Urteil  und  Recht  ussgespro- 
chen,  dabv  U.  F.  G.  es  billichen  liiitts  lassen  bliben,  und  ob  Iren  oder  dero 
Edeiliitten  witter  an  die  Statt  Jennff  oder  die  Iren  Ziispriicb  hetten  das  sie 
bilHcben  das  Recht  gegen  Ihnen  gsiicbt  und  gebrucbt  hetten,  und  nit  also 
gwahigHch  gehandelt,  etc.  Und  die  wyl  dann  die  gemelten  von  JenntTniitzit 
(nicbts)  anders  begehrent  und  uff  das  Hôchst  anrufïent  Sy  by  ussgangner 
Urteil  zu  Bâtterlingen  zu  Schirmen,  und  ob  dann  U.  F.  G.  oder  die  Ihren 
angmeine  Statt  oder  Sunder  Personen  Zuspruch  hetten-,  so  woilen  Si  Inen 
des  Rechten  gestendig  und  gewertig  sin,  und  diewyl  um  Niemand  wider 
Regt  getrengt  sol  werden  und  die  von  Jenf  niitzit  anders  dann  Recht  bege- 
rent,  so  istan  U.  F.  G.  unser  trungenlich  und  hochgetlissen  Bitt  Si  wolle 
oba^emelt  Artikel  evËrentlich  betrachlen,  und  ermessen  was  die  Urteile  zu 
Bâtterlingen  ussgangen  der  Watt  halben  zugipt  und  was  desshalb  Uwer 
F.  G.  in  langen  Tagen  daruss  erwachsen  und  entspringen  mochte,  etC;  und 
die  vilgenannten  von  Jennf  soUicher  gwalligen  Handlung  vertragen  und  si 
by  der  Billickeit  und  dera  Rechten  bliben  lassen.  Ob  dann  unser  Herren 
und  Obern  fruchtbarlichen  darzwiischent  handlen  mogent  achtent  wir  Si 
werdent  des  wiliig  erfunden  werden  und  U.  F.  G.  wolle  sich  darin  bewisen 
nach  unserm  Vertruwen  das  begeren  wir  umb  Si  wiliig  haben  zu  ver- 
dienen;  Date  und  mit  des  trommen  wisen  unsers  getruwen  lieben  Landvogts 
zu  Baden  in  Ergow  Cunradten  Bachmans  des  Ratts  Zug  Innsigell  ïnnamen 
unser  aller  verschlossen  uff  den  ersten  Tag  februarii  Anno  32. 

Von  Statt  uund  Lannden  namlicb  Zurich ,  Lutzernn,  Ury,  Schwitz, 
Unterwalden,  Zug,  Glarus,  Basel,  Schaffhusen  und  Appenzell  Rathbotten 
zu  Baden  in  Ergow  versampt  (*). 


r    11 

Lellre  d'Aiiii  Porral  à  Robert  Vaiidel. 

On  se  rappelle  qu'Ami  Porral  était,  après  Robert  Vandel,  le  chef  prin- 
cipal du  parti  des  nouveaux  eydguenots  protestants.  Ses  lettres  sont  gé- 

'  Soleure  n'y  est  pas,  parce  qu'il  faisait  alors  cause  commune  avec  Berne 
et  Fribourg. 


492 

néralement  spirituelles  et  amusantes.  Nous  ne  citons  celle-ci  que  comme 
échantillon,  et  pour  montrer  de  quelle  manière  ces  Messieurs  parlaient 
entre  eux  de  Bezanson  Hugues,  qu'ils  faisaient  profession  de  vénérer  en 
public  ;  Porral  était  du  reste  un  rusé  compère,  qui  trouvait  moyen  de  ne 
jamais  se  compromettre.  On  se  rappelle  qu'Ami  Porral  aussi  bien  que  les 
Vandel  étaient  restés  en  parfaite  sécurité  à  Genève,  en  1525,  tandis  que 
Bezanson  Hugues  et  ses  amis,  au  nombre  de  dix-huit,  avaient  dû  sauver 
leurs  têtes  en  Suisse 

Martis  S6,  Marin  1532.  Mons""  le  secrétaire,  frater  et  amice  charis- 
sime,  Salus  !  Je  reçus  hier  votre  missive  ;  je  voudrais  bien  que  vous  fus- 
siez de  retour;  mais  «  l'on  ne  peut  être  au  four  et  au  moulin,  »  simul 
et  semel.  Je  confesse  que  ce  soit  assez  pour  un  coup  et  trop  avec  ;  Toute- 
fois M  de  duobus  malis  inajus  est  evitandum.»  Nous  avons  peu  gens  qui 
sceussent  suivre  votre  besogne,  et  vous  savez  que  «a  fine  denominatur  res* 
et  que  n  finis  eoronat.  »  L'on  dit  communément  «  pour  un  point  Martin 
perdit  son  âne.  »  Quelqu'un  ici  comme  j'entends  y  voudroit  bien  aller; 
mais  maledictus  qui  confidit  in  nomine.  Le  Grec  et  le  Sg''  Claude  Salo- 
mond  partirent  d'ici  lundi  au  matin  cum  Utteris  nostris  qui  davantage 
vous  parlerons  des  occurents.  —  Quelque  homme  de  bien  a  dû  dire  au 
S''  Claude  Baud  que  incontinent  après  Pâques  Madame  s'enalloit  à  Cliam- 
béry  et  Monsieur  au  pays  de  Vaud,  puis  s'en  retourneroit  vers  Madame 
et  dès  là  s'en  iroit  de  là  les  monts;  et  que,  cependant,  laissait  charge  à 
un  capitaine,  qui  de  ce  prenait  charge,  de  saccager  cette  ville  en  lui  don- 
nant le  pillage  et  aux  siens  ;  mais  je  n'en  fais  pas  grosse  estime.  Thomas 
Moine  a  dit  que  la  Donne  Macharde  lui  avait  dit  que  son  frère  le  Collaté- 
ral Milliet  lui  dit  en  passant  par  ici  dernièrement  qu'il  avait  eu  bonne  et 
grosse  réponse  des  cantons  sur  la  journée  de  Bade,  en  faveur  de  Monsei- 
gneur, mais  qu'il  le  falloit  tenir  secret.  Ad  idem  cras  octo  Gallalïnii^.). 
Nos  chapitolains  ne  veulent  consentir  à  l'absolution  de  ceux  qu'ils  ont 
excommuniés  pour  leurs  privilèges,  mais  les  reforcent  de  jour  en  jour,  se 
confiant,  par  l'aventure,  à  la  plus  grand'voix  de  notre  Conseil  ;  mais  j'ai 
grand  peur  que  tout  cela  nonobstant,  ne  leur  soit  force  de  suivre  l'Edit 
du  Conseil  général  qu'est  raisonnable,  ou  «  il  y  aura  de  l'oignon  »  et  «  si 
omnes consentiunt  ego  non  contra  dicam.  »  Je  suis  assuré  que  Mess"  de  là 
haut  ne  les  maintiendront  pas  en  tels  excommuniquements.  «  Duret  en 
oserait  avoir  mie  dure.  »  L'on  dit  que  le  compétiteur  de  Calpion  a  ce 
dit  à  Mons""  Lamberti  et  M""  Lamberti  au  clerc  S'  Baldolphe  et  ont  envoyé 
les  exécntoriales,  dont  est  bien  étonné.  Il  a  sa  confiance  que  nous  prions 
pour  lui  K'  Pape  et  ses  traîtres  confrères.  Nous  ferons  ce  que  bon  (Conseil 
portera.  —  J'ai  montré  votre  lettre  aux  deux  grenatiers,  contre  d'Alinge, 


403 

qui  ne  sont  encore  contentés,  mais  feront  comme  vous  mandez  et  garde- 
ront bien  sa  missive  :  «  praviis  est  amore  Dei  habeat.  Notre  trésorier  n'a 
point  aussi  pu  être  contenté.  —  Nous  suivons  toujours  le  relie  pour 
d'argent  que  ne  se  peut  trouver  sinon  à  grosse  peine.  Si  en  faut-il  avoir 
pour  contenter  le  cousin  d'Antoine  Lect  pour  cette  foire  de  Pâques,  et 
pour  vous  envoyer  incontinent  que  nous  manderez  ;  nous  ferons  toujours 
du  meilleur  ei  Dieu  parfera  le  tout.  L'homme  de  M""  de  Vatevile  a  été  au- 
jourd'hui relâché  siib  arresto  per  civitatem  se  obligando  Salterio  de  ex- 
pensis^.  J'ai  grand  peur  qu'elles  ne  nous  tombent  dessus  (les  dépenses). 
Du  Charroton,  il  demeurera  là,  jusqu'aux  juridiques  après  Pâques  L'af- 
faire des  vivres  est  toujours  ainsi  que  nous  vous  avons  écrit  dernière- 
ment, mais  qiiid  jtiris? NuUam  potestatem  habeimis  nisi  fnerit  data  deSup. 
Messieurs  n'auront  jamais  meilleur  droit  sur  le  pays,  etc.,  etc.  Il  en  sera 
comme  plaira  à  Dieu. — Votre  paix-,  sa  mère  et  chacun  se  portent  bien  et 
se  recommandent.  Votre  petit  Thomas  me  demande  tous  lesjoursenson  lan- 
gage quand  vous  viendrez.  Il  est  le  meilleur  jouyenr  de  fiollet  qui  soit  au 
Bourg-de-Fors  Je  vous  prie  être  recommandé  à  votre  frère  Hugues  et  à 
Mess"  vos  compagnons  —  Bezanson  fait  les  diables  contre  Mons""  de 
Bonmont  et  contre  Mons""  Jehan.  Il  a  mandé  quérir  le  mari  de  la  Pellie; 
il  l'a  fait  chercher  en  sa  maison  près  de  la  vôtre  ;  mais  on  ne  l'y  a  pas 
trouvé  et  même  les  officiers  du  lieutenant  le  dit  mari  avec  lui  se  tiennent 
dans  ladite  maison.  Je cr.uns qu'il  ne  reçoive  sur  le  nez,  et  ne  fut  que  de 
votre  frère  Pierre.  — V'A.  Por. 


*  II  s'agit  d'un  serviteur  de  M.  de  Wateville,  qui  avait  décampé  avec  un 
cheval  de  son  maître  estimé  23  écus  (plus  de  1000  francs).  Voici  le  signale- 
ment de  ce  valet  de  bonne  maison  :((il  porte  un  bonnet  rouge  avec  une  plume 
blanche,  une  saye  rouge  à  manches  attachées  derrière,  bandé  de  drap  gris 
et  rouge,  et  l'une  des  manches  escartillée  et  l'une  des  chausses  gris  et  jaune 
et  l'autre  rouge.  » 

*  Votre  femme  ou  votre  enfant. 


i94 


r  12 


Lellre  de  l'eiiipereur  Charles-Quiul  au  coiule  de  Moulrevel,  neveu  de  l'évèqufr 

Pierre  de  la  Baume. 


L'empereur,  roi,  duc  el  comte  de  Bourgogne. 

Très  cher  et  féal,  considérant  les  différends  et  questions  qui  sont  de 
pieça  mus ,  se  continuent  et  pourroient  encore  souldre  plus  grands , 
entre  notre  cousin  le  duc  de  Savoye  et  ceux  de  la  cité  de  Genève,  comme 
vous  tenons  assez  avertis,  et  au  moyen  desquels  plusieurs  inconvénients  se 
sont  ensuivis  et  encore  s'ensuivront  si  n'y  est  pourvu,  tant  en  ce  que  con- 
cerne notre  sainte  foi  et  observation  de  notre  mère  Église,  que  autrement, 
selon  les  avertissements  qu'avons  eu  du  côté  des  Ligues,  et  que  davantage 
avons  entendu  que  les  citoyens  du  dit  Genève  prennent  occasion  et  fonde- 
ment, et  se  rendent  difficiles  pour  non  venir  à  traité  et  appoiniement  avec 
le  dit  duc,  notre  cousin ,  sans  espoir  d'être  favorisés  de  notre  cousin 
l'évèque  de  Genève:  aussi  qu'il  pourrait  ci-après  remettre  son  évêché  à 
autre  mal  agréable  à  notre  dit  cousin,  que  seroit  occasion  de  plus  traver- 
ser et  empêcher  le  dit  appointement,  ainsi  que  nous  désirerions,  par  tous 
moyens  convenables  et  possibles,  nous  employer  à  l'appaisement,  vui- 
dange  et  bonne  fm  des  dits  différends  et  questions,  tant  pour  le  bien  de 
paix  que  pour  la  singulière  amour,  bienveillance  et  affection  que  portons 
au  dit  duc  et  à  la  duchesse  sa  compagne,  notre  très  chère  et  bien  aimée 
cousine  et  belle  sœur,  pour  l'alliance  et  parentaige  dont  ils  nous  attien- 
nent,  et  nous  ayant  aussi  présentement  écrit  el  fait  dire  notre  dite  belle 
sœur  par  l'ambassadeur  résidant  ici  pour  le  duc  son  mari  que  lui  et  elle, 
pour  le  bien  et  repos  des  dits  de  Genève,  et  achever  îe  dit  différend,  dé- 
sireraient que  pour  maintenant  et  à  l'avenir  nous  voulsissions  employer  et 
tenir  main  à  ce  que  le  dit  évêque  fût  content  de  délaisser  et  remettre  son 
dit  évêché  au  profit  de  leur  second  tlls,  soit  avec  récompense  convenable, 
si  elle  se  pouvoit  bonnement  trouver  et  dresser,  ou  en  assurant  suffisam- 
ment le  dit  évêque  et  à  son  contentement,  de  tous  les  fruits  et  revenus 
de  tout  l'évêché.  —  A  cette  cause,  et  ayant  l'appaisement  des  dits  diffé- 
rends à  cœur,  et  espérant  que  par  le  dit  moyen  ils  se  pourroient  vuider 
et  déterminer  au  repos  et  satisfaction  des  deux  parties,  que  nous  seroit 


495 

gros  plaisir,  vous  écrivons  cette,  requérons  et  ordonnons  bien  expres- 
.sément  que,  le  plus  tôt  et  avec  la  meilleure  opportunité  et  commodité 
que  pourrez,  vous  trouviez  devers  le  dit  évêque  de  Genève  et  lui  baillez 
ces  lettres  que  lui  écrivons  en  votre  crédance  pour  laquelle  direz  en  effet, 
et  comme  verrez  mieux  convenir,  ce  que  dessous,  et  le  désir  qu'avons 
qu'il  en  veuille  complaire  à  notre  dit  cousin  et  cousine,  usant  envers  lui 
des  bonnes  paroles  et  persuasions  que,  de  votre  accoutumée  prudence, 
verrez  duireau  bien  de  l'affaire  et  le  persuader  d'y  vouloir  entendre,  tant 
à  notre  contemplation  et  requête  que  par  les  considérations  susdites,  et 
avec  l'assurance  telle  que  de  raison.  A  quoi  nous  semble  il  pourra  tant 
plus  facilement  condescendre,  ayant  regard  qu'il  est  coadjuteur  et  futur 
successeur  en  l'archevêché  de  Besançon,  venant  à  laquelle  lui  conviendroit 
nécessairement  de  kiisser  la  dite  évêché  de  Genève,  comme  peut  assez  par 
sa  prudence  considérer  et  entendre.  Vous  parlerez  aussi  de  notre  part, 
conforme  ce  que  dessus,  et  comme  verrez  convenir  au  bien  de  l'affaire,  à 
notre  très  cher  et  féal  cousin  chevalier  de  notre  ordre  et  maréchal  de  Bour- 
gogne, le  baron  de  Mont  S'  Sorlin,  frère  du  dit  évêque,  et  lui  baillerez 
nos  lettres  que  à  cet  effet  lui  écrivons  en  votre  crédance,  et  en  tout  ferez, 
direz  et  persuaderez  ce  que  verrez  et  connaîtrez  convenir  et  pouvoir  ser- 
vir au  bien  et  bon  effet  du  dit  affaire,  conforme  à  notre  intention  et  le  désir 
des  dits  duc  et  duchesse:  ce  que  très  affectueusement  vous  recomman- 
dons ;  et  de  ce  qu'ils  vous  répondront  les  dits  évêque  et  maréchal  son 
frère,  ensemble  de  ce  qu'il  vous  semblera  convenir  sur  le  tout,  nous  aver- 
tirez et  le  plus  tôt  que  pourrez,  pour  selon  ce  aviser  au  surplus  et  y 
pourvoir  de  la  part  des  dits  duc  et  duchesse.  Et  à  tant,  très  cher  et  féal, 
N.  S.  vous  ait  en  sa  sainte  garde.  —  Écrit  à  Reghesborg  ce  \A  avril 
1532.  Charles.  —  Perenufj,  necrét'"'  (Perrenot). 


496 


N«^  15  à  43 


LcUres  de  Bezanson  Hugues  '. 


A  une  seule  exception  près,  ces  lettres  sont  toutes  adressées  «aux  syn- 
dics et  Conseils  de  Genève.  «  Les  alinéa  sont  indiqués  par  — . 

Messeigneurs,  vous  avez  assez  entendu,  tant  par  mes  lettres  que  par 
le  Sg""  François  Favre,  les  occurents  de  par  de  çà,  pourquoi  en  la  pré- 
sente ne  vous  en  ferai  autre  mention,  fors  que  depuis  vous  ai  récrit  par  le 
serviteur  du  dit  Favre,  et  devez  avoir  eu  la  lettre  le  mardi  au  soir  après 
la  S'  Jean,  par  laquelle  lettre  vous  avertis  du  tout  fait  depuis  la  départie 
du  dit  Sg""  François  Favre.  —  Messeigneurs ,  depuis  la  dite  lettre  vous 
avise  comment  nous  sommes  été  devant  iVIM.  de  Fribourg,  où  nous  avons 
exposé  et  prié  MM.  Grand  et  Petit  Conseil  de  votre  part  nous  ûiire  le  bien 
de  ne  plus  ajouter  foi  à  paroles  que  les  ambassadeurs  de  T.  111""=  Monseig"" 
le  duc  de  Savoie  leur  saclient  rapporter  de  vous,  et  que  leur  plaisir  soit 
que  avant  que  les  croire,  soyons  appelés  pour  en  répondre,  et  toujours 

*  C'est  le  cas  de  rappeler  que  les  plus  importantes,  écrites  pendant  les 
années  152G,  27  et  28,  ont  été  publiées  par  Galitîe  dans  le  2in«  volume 
de  ses  Matériaux  pour  l'histoire  de  Genève,  et  que  nous  publions  donc  sim- 
plement ce  qu'il  nous  en  reste,  sans  faire  aucun  choix.  On  a  prétendu  que 
nous  n'avions  eu  à  Genève  avant  les  écrits  de  Bonivard,  Froment,  Savion 
et  ceux  des  réformateurs  français,  que  du  patois  savoyard  et  du  latin  de 
cuisine  en  fait  de  langage  parlé  et  écrit,  le  tout  assaisonné  d'une  grande 
crudité  de  forme  et  d'expression.  Ces  pièces  juslificatives  et  les  passages 
cités  dans  le  texte  de  cet  ouvrage  prouveront  une  fois  de  plus  combien 
cette  assertion  est  erronée.  Certes  les  documents  antérieurs  à  la  réforme 
ne  manquent  pas.  Qu'on  les  compare  avec  ce  qui  suivit,  et  fou  sera  forcé 
de  convenir  que  l'influence  des  auteurs  étrangers  précités  ne  fut  favorable 
ni  pour  le  fond,  ni  pour  la  forme,  ni  surtout  pour  la  décence  de  l'expres- 
sion à  la  formation  de  notre  idiome,  qui  ne  fut  jan)ais  plus  dissolu  que 
dans  la  seconde  moitié  du  XV!"»»  siècle,  c  est-à-dire  à  l'apogée  de  l'influence 
française  à  Genève,  alors  que  le  nombre  des  étrangers  y  était  infiniment 
plus  considérable  que  celui  des  imciens  genevois.  On  chercherait  vainement 
dans  les  milliers  de  lettres  émanées  des  fondateuis  de  notre  indépendance 
(même  dans  les  plus  intimes;  la  moindre  trace  de  cette  incroyable  licence 
de  langage  qui  caractérise  l'ékxpience  et  le  style  de  leurs  successeurs,  sans 
en  excepter  les  sermons  el  les  publications  les  plus  estimées.  C'est  encore 
bien  autre  chose  rpiand  on  conq)are  entre  eux  les  procès  criminels  des  deux 
époques. 


497 

aux  dépens  de  celui  qui  aura  le  tort;  pareillement  qu'il  leur  plaise  vouloir 
redire  et  prier  MM.  de  Berne  faire  le  cas  semblable,  et  aussi  qu'il  leur 
plaise  d'être  contents  que  Monsieur  de  Genève  (le  prince-évêque)   et  les 
officiers  fassent  et  administrent  justice  à  un  chacun  selon  ses  démérites  ; 
vous  avisant  que  tout  ainsi  nous  fut  octroyé,  et  ont  récrit  à  MM.  de  Berne 
en  bonne  sorte,  et  sommes  venus  ici  à  Berne  et  avons  présenté  les  dites 
lettres  et  avons  exposé  comme  à  Fribourg,  vous  avisant  que  avons  eu 
fort  bonne  réponse.  Nous  sommes  après  à  faire  le  possible  pour  avoir  leur 
réponse  par  écrit,  ce  que  je  crois  qu'ils  feront  bien  grief  ;  toutefois  nous  y 
rendrons  devoir  et  espère  en  venir  à  bout;  car  soyez  surs  que  quelque  chose 
que  l'on  vous  sache  dire  ,  que  notre  bourgeoisie  ne  nous  fauldra  jamais; 
mais  soyez  surs  qu'il  fait  besoin  d'avoir  toujours  ici  un  homme  ou  deux, 
un  peu  ici,  un  peu  à  Fribourg;  car  cela  vous  gardera  d'avoir  tant  d'alar- 
mes; pourquoi  vous  prie  y  avoir  bon  avis.  Touchant  nous,  si  autre  ne 
survient,  nous  ne  sommes  pas  délibérés  demeurer  ici  passé  samedi  pro- 
chain. —  Messeigneurs,  aujourd'hui  à  midi  j'ai  reçu  vos  lettres  par  Bau- 
dichon,  et  ai  vu  la  réponse  qu'avez  faite  à  Mons''  de  Genève,  laquelle  je 
trouve  un  peu  trop  amère.  Je  vous  ai  dit  et  récrit  tant  de  fois  que  je  vous 
prie  n'être  point  vindicatifs,   et  que  gardiez  changer  votre  bon  droit  à 
tort.  Messieurs  seraient  bien  contents  que  laississiez  venir  nos  adver- 
saires en  Genève  et  les  faire  punir  jiar  justice,  combien  que  M.  l'avoyer 
de  Berne  ait  été  bien  ébahi  quand  il  a  entendu  que  nous  lui  en  avons  ex- 
posé et  dit  que  sur  nos  vies  le  voulions  maintenir  et  prouver.   MM.,  je 
vous  avise  derechef  que  nos  affaires  vont  mieux  que  bien,  qui  est  chose 
miraculeuse  et  en  avons  à  rendre  grâce  à  Dieu,  comme  vous  dirons,  nous 
étant  par  delà,  car  il  n'est  pas  besoin  de  trop  écrire:  Verba  transeiint  et 
scripta,  etc.  Vous  seriez  ébahis  des  grandes  pratiques  qui  se  sont  déme- 
nées avant  notre  venue  ;  mais  le  tout  est  retourné  en  son  entier.  Avant 
qno  partir  nous  sommes  délibérés  d'assurer  douze  ou  vingt  principaux  de 
nos  amis,  et  laisserons  aux  mains  de  nos  plus  assurés  amis  les  huit  cents 
écus  pour  MM.  et  pour  les  bourgeois,  car  ainsi  a  été  ordonné  par  leurs 
seigneuries,  et  je  crois  qu'incontinent  que  serons  partis,  ils  les  prendront. 
11  nous  faut  du  moins  quatre  nu  cinq  cents  écus  pour  les  particuliers;  il 
nous  grièvefort,  mais  il  nous  faut  faire  ainsi  pour  mettre  les  choses  à  fin 
et  en  repos.  Je  crois  quand  vous  orrez  parlez  que  vous  contenterez  de 
nous.  —  Messeigneurs,  nous  avons  assuré  à  Lucerne  600  écus,  et  les 
aurons  à  cette  S'  Laurent.  11  faut  qu'allions  prier  M""  l'avoyer  de  Fribourg 
et  M''  Jacob  Techtermann  qu'ils  veuillent  être  nos  liances  (cautions),  et 
qu'ils  scellent  la  lettre;  il  faudra  aussi  que  scelliez.  Nous  regarderons 
s'il  sera  possible  de  trouver  jusqu'à  2  ou  3000  écus  ;  car  tant  plus  nous 
en  pourrons  avoir,  et  tant  mieux  votre  profit.  —  Messeigneurs,  je  ne 


498 

sais  comment  faire  avec  ceux  qui  sont  vos  fiances  de  ce  qui  est  du  à  Lu- 
cerne  ;  j'avais  presque  tout  accoutré  ;  mais  le  seigneur  Arbarestier  (Bal- 
lestier)  est  fort  malade  et  crains  qu'il  ne  meure  ;  et  si  ainsi  était  il  fau- 
drait trouver  deux  autres  fiances  au  lieu  de  lui  et  de  Messire  Christophe 
de  Diesbach,  et  faudra  aller  à  Lucerne.  Je  ferai  le  mieux  qu'il  me  sera 
possible.  —  Messeigneurs,  touchant  ce  de  Pierre  Malbosson  (Malbuisson) 
et  autres ,  je  me  trouverai  demain  devant  Messieurs  et  leur  en  ferai 
la  remontrance ,  et  aussi  de  la  crainte  que  avez  de  Monseigneur,  com- 
bien qu'il  n'y  ait  point  de  danger;  j'espère  qu'il  récriront  à  Monseigneur 
en  bonne  sorte  pour  toute  chose.  —  Messeigneurs,  je  vous  veux  bien 
avertir  que  quand  bien  Monsieur  de  Genève  et  vous  verriez  retourner 
votre  partie  et  Monsieur  de  Genève  leur  voudrait  pardonner,  si  ne  le 
peut-il  faire  que  parties  ne  soient  satisfaites,  et  vous  avertis  que  MM. 
l'entendent  ainsi.  Aussi,  s'il  ne  vous  plaît,  vous  ne  les  remettrez  jamais 
bourgeois  ni  du  Conseil,  et  s'ils  se  méfont  plus,  qu'il  s'en  lasse  si  bonne 
justice  qu'il  en  soit  mémoire  '.  —  Messeigneurs,  je  vous  avise  comment 
ce  dimanche  après  S'  Pierre  sommes  partis  et  venus  à  Fribourg,  et  avant 
que  partir  de  Berne,  avons  mis  les  affaires  si  bien  qu'il  n'est  possible 
d'être  mieux,  et  soyez  surs,  je  vous  dis  encore  plus  que  surs,  que  notre 
affaire  va  bien  ;  Dieu  la  guide  et  conduit,  dont  nous  lui  devons  rendre 
grâce  comme  vous  le  dirons.  —  MM.,  en  chemin  entre  Berne  et  Fri- 
bourg nous  avons  rencontré  un  chevaucheur  de  Berne,  lequel  m'a  dit  que 
pour  vrai  M.  de  Lullin  était  à  Morat,  et  qu'il  doit  venir  dans  3  ou  4  jours 
à  Berne.  J'y  envoie  demain  le  capitaine  Chesaux  pour  entendre  que  se 
dit.  J'aurai  aussi  demain  ici  le  baillif  d'Eschallens  Triboulet  et  le  capi- 
taine Franck  Arbarestier  (Arbalestier  ou  Ballestier)  et  Conrad  de  Thub, 
lesquels  avaient  délibéré  de  m'accompagner  à  Genève.  Toutefois,  selon  les 
nouvelles  que  j'aurai,  je  demeurerai  s'il  fait  de  besoin  ou  je  m'en  irai,  et 
tout  par  le  conseil  de  nos  amis.  Je  suis  ébahi  que  je  n'ai  nulle  réponse  de 
vous  de  la  lettre  que  je  vous  ai  envoyée  par  le  serviteur  du  seigneur 
Franc*  Favre.  —  Touchant  les  600  écus  que  vous  récris  qui  sont  à  Lu- 
cerne,  cela  est  tout  sur  pour  S^  Laurent  prochain.  —  Il  faudra  faire  pro- 
vision d'autres  fiances  de  ce  qui  leur  est  du  de  vieux,  car  le  mot  est 
donné....  que  ceux  qui  sont  été  en  veulent  être  dehors.  M''  de  Mellune 
(de  Mijlinen)  joue  de  ses  tours;  loué  soit  Dieu  qu'il  (ne)  peut  faire  pis! 


*  Il  s'agit  ici  des  mamelucs  émigrés  en  1526.  A  cette  époque  Hugues 
avait  provoqué  une  amnistie  générale  de  ce  parti  ;  mais  un  certain  nombre 
d'entre  eux  avaient  rejelé  ce  bienfait  et  étaient  allés  se  joindie  à  l'ennemi. 
Dès  lors  Hugues,  qui  prévoyait  bien  qu'on  étendrait  les  persécutions  au  delà 
des  vrais  coupables,  voulait  simplement  qu'ils  fussent  mis  hors  du  Conseil, 
condamnés  à  des  dommages-intérêts,  et  au  besoin  cassés  de  bourgeoisie. 


499 

—  M.  S.  Je  ne  vous  saurais  à  présent  autre  que  récriie,  fors  que  vous 
prier  faire  bonne  et  grosse  chière*,  car  vous  en  avez  l'occasion,  et  de  ren- 
dregrâces  à  Dieu,  auquel  je  prie  M.  T.  H.  S.  vous  donner  vos  nobles 
désirs. — •  De  Fribourg,  ce  Dimanche  au  soir  environ  A  heures,  après  S' 
Pierre,  par  celui  qui  est  votre  très  humb.  S.  Bezanson  Hugues.  —  P.  S. 
Combien  qu'il  ne  nous  appartienne,  si  vous  prions  nous  faire  les  recom- 
mandations à  nos  femmes.  Envoyez  vous  du  vin  au  présent  porteur,  car 
il  est  homme  de  bien  et  notre  ami. 

(Sans  date  précise,  mais  très-probablement  de  juin  1527.) 

J'ai  reçu  aujourd'hui  à  5  heures  du  soir  vos  lettres  par  le  présent  por- 
teur, et  louchant  Jaques  Serve!",  sa  femme  avait  envoyé  par  deçà  Bour- 
bel  fils  de  S''  Jaques  de  Gessenay,  lequel  s'en  est  retourné  sans  dépêche 
ni  réponse.  Je  suis  été  deux  ou  trois  fois  par  devant  Messieurs  de  Berne 
et  les  ambassadeurs  de  Fribourg ,  les  quels  ne  m'en  ont  jamais  tenu  pro- 
pos ni  de  point  d'autre  affaire  de  Genève ,  mais  à  ce  que  j'ai  entendu 
d'eux,  ils  se  contentent  fort  de  vous.  Aucuns  particuliers  m'en  ont  parlé; 
mais  ce  n'est  rien  ;  pourquoi  ne  laissez  à  faire  ce  que  droit  et  raison  por- 
tent. S'il  ne  se  veut  contenter  de  la  grâce  de  notre  prince,  il  a  raison, 
car  il  n'est  pas  digne  de  l'avoir  :  Peccatum  meum  contre  me  est  semper. 
Demain  je  m'en  irai  devant  Messieurs  et  saurai  vous  excuser  avec  celle 
de  Monseigneur  notre  prince,  et  espère  faire  de  sorte  que  Jaques  Servel 
ne  se  trouvera  jà  bien,  avec  ce  que  en  tout  me  sera  possible  pour  la  cité, 
je  m'y  emploierai  de  corps  et  de  biens,  comme  mon  devoir  y  est,  comme 
j'ai  fait  toute  ma  vie,  comme  Dieu  le  sait,  auquel  je  prie  magnifiques  et 
T.  H.  S.  vous  donner  vos  bons  désirs.  —  De  Berne,  ce  jour  du  corps 
de  Dieu  au  soir  (17  juin).  Bezanson  Hugues. 

(Sans  millésime,  mais  de  1527) 

Les  deux  lettres  suivantes,  adressées  de  Fribourg  au  Conseil,  sont 
censées  collectives  entre  les  députés  J"-L*  Bamel,  Michel  Sept,  Boniface 
Hoffischer  et  Bezanson  Hugues  ;  mais  elles  sont  de  la  rédaction  et  de  la 
main  de  ce  dernier. 

Messieurs,  nous  sommes  été  ce  15  avril  au  matin  par  devant  MM.  de 
Fribourg  et  n'avons  rien  oublié  de  leur  exposer  de  notre  charge.  Notre 

*  C'est-à-dire  être  sans  inquiétude,  avoir  Tesprit  en  repos. 

-  Jaques  Servel  était  un  mameluc  pour  lequel  Messieurs  des  deux  villes 
avaient  intercédé  et  auquel  lévèque  avait  fait  grâce,  mais  (jue  les  Gene- 
vois ne  pouvaient  se  décider  à  libérer  sans  punition  aucune. 


500 

réponse  est  fort  bonne  ;  ils  sont  prêts.  J'espère  à  ce  que  partons  pour  aller 
au  gite  à  iierne,  {et)  que  dans  deux  jours  au  plus  tard  aurons  le  court  ou 
le  long.  Je  crois  plutôt  qu'aurez  vos  désirs  qu'autrement.  Nous  trouvons 
chacun  bien  dispos,  à  Dieu  grâces,  et  mieux  que  jamais.  Prenez  peine 
pour  huit  jours  au  plus  tard,  car  Dieu  est  pour  nous  ;  faites  bon  guet  ;  gar- 
dez d'être  surpris;  montrez-vous  gens  de  bien,  comme  sommes  sûrs  que 
ferez;  n'épargnez  rien  aux  exprès  ni  à  autre  chose:  car  comme  ce  sort, 
vous  ne  perdrez  rien  de  la  marchandise  ;  car  assurément  vous  doublerez  ; 
tenez-vous  assurés  que  serez  souvent  avertis  de  nous  ;  faites  bonne  grosse 
.chière,  car  Dieu  le  veut,  auquel  le  prions  de  vous  donner  vos  désirs.  — 
DeFribourg,  ce  jour  susdit  15  avril  à  midi,  par  vos  humbles  serviteurs. — 
Tenez-vous  assurés  que  jamais  ne  retournerons  avant  qu'il  n'y  ait  lin, 
laquelle  espérons  être  selon  vos  désirs  en  bref.  — Jean  Louis  Ramel, 
Michel  Sept,  Boniface  Offischer,  Bezanson  Hugues.  —  Nous  vous  prions 
en  général  de  consoler  nos  femmes.  (Reçue  17  avril  1528.) 

Messieurs,  ce  matin  devant  jour  avons  eu  certaine  nouvelle  que  cette 
nuit  à  minuit  se  sont  jetés  tout  autour  de  Berne  de  dix  à  douze  mille 
paysans  et  tiennent  la  ville  assiégée.  Nous  ne  pouvons  encore  savoir  de 
vrai  ce  qu'ils  demandent,  si  ce  n'est  que  ce  soit  à  cause  de  la  Luthérorie*. 
Nous  avons  aussi  entendu  qu'il  en  soit  ainsi  auprès  de  Zurich  ;  mais  nous 
ne  savons  pas  de  vrai.  Nous  vous  avons  récrit  par  le  picard  et  envoyé  les 
lettres  et  abscheid  *  de  Messieurs  ;  mais  ne  vous  troublez  point  pour  cela  : 
car  avons  depuis  trouvé  d'autres  moyens  qui  vous  seront  agréables  ;  pour- 
quoi faites  bonne  chère  et  gardez  d'être  surpris,  et  bientôt  aurez  bonnes 
nouvelles  de  nous.  -—  Entendez  que  nous  ne  dormons  pas  et  que  le  cas 
nous  attouche,  et  vous  tenez  assurés  que  n'abandonnerons  l'œuvre  qu'il 
n'y  ait  bonne  lin.  Dieu  aidant,  auquel,  etc.,  etc.  De  Fribourg,  ce  vendredi 
au  matin  à  7  heures  24  d'avril,  par  vos  humbles  serviteurs  et  amis.  Be- 
zanson Hugues.  (Reçu  le  dimanche  26  d'avril  1528  par  un  hérault  de 
Fribourg  ) 


A  son  beau-frère  Jean  Baud,  au  sujet  de  Biitschelbach. 

Mon  frère,  après  toutes  recommandations,  nous  serons  à  cinq  heures  à 
Genève.  Nous  menons  le  Sg''  Biselbach  avec  sa  femme  et  une  autre  et  un 

*  On  voit  qu'il  s'agit  là  de  la  révolte  des  paysans  bernois  contre  la  ca- 
pitale, qui  continuait  à  exiger  les  dîmes  et  censés  malgré  la  Réformation  la- 
quelle, croyaient  les  paysans,  aurait  dû  les  en  affranchir. 

*  Nous  avons  vu  qu'on  nommait  ainsi  les  arrêtés  ou  sentences  des  diètes. 


501 

enfant.  Il  faut  regarder  pour  aujourd'hui  de  les  loger,  et  demain  le  pour- 
voir de  maison  et  de  ménage.  Il  se  veut  tenir  à  Genève.  Il  vient  après 
encore  six  ou  huit  gens  de  bien  du  dit  Berne  et  autant  de  Fribourg,  nous 
vous  dirons  la  cause,  dont  vous  contenterez.  Il  nous  semble  que  la  maison 
de  Gonin  Favre  leur  sera  propice  pour  l'amour  de  l'étable.  Faites  apprê- 
ter le  souper  et  n'y  faites  faute.  —  De  Nyon  à  midi  par  votre  frère  Be- 
zançon  Hugues. 

(Sans  date,  mais  de  1528  au  plus  tard.) 


Messeigneurs,  je  vous  ai  aujourd'hui  rescrit  par  un  de  Baie  ;  il  me  dé- 
plaît qu'il  ne  s'est  trouvé  vrai  (ce  qu'il  leur  avoit  écrit,  probablement). 
Vous  verrez  vos  lettres  et  selon  ce  vous  guiderez,  et  de  mon  côté  je  vous 
assure  que  je  n'épargnerai  corps  ni  biens  à  vous  faire  service  et  de  rendre 
mon  devoir.  Dieu  par  sa  grâce  nous  soit  en  aide!  Avoir  réponse  de  la 
lettre  que  Mess''^de  cette  ville  ont  écrite  à  Mess""  de  Berne,  vous  en  aver- 
tirai incontinent  Vous  ferez  bien  de  rescrire  et  mander  partout  comme  je 
vous  rescris  en  ma  lettre.  Si  les  ambassadeurs  de  Savoie  viennent  ici,  il 
ne  faudront  pas  à  réponse  de  mon  côté.  —  Je  vous  envoie  la  lettre  que 
j'avois  baillée  à  celui  de  Bâle  par  le  présent  porteur. 

(Sans  date  ni  signature,  mais  de  la  main  de  Hugues,  sur  un  morceau  de 
papier  coupé  et  sans  adresse.) 

Magnifiques  et  très-honorés  Seigneurs,  três-humblement  à  vos  bonnes 
grâces  nous  recommandons.  — M.  S.,  nous  avons  tant  fait  que  som- 
mes été  ce  samedi  matin  devant  Messieurs  de  cette  ville,  grand  et  petit 
Conseil.  Il  s'y  est  trouvé  le  Sgr.  de  S'-Martin  avec  un  plein  sac  de  fables  : 
nous  lui  avons  répondu  et  en  bonne  sorte;  aussi  ont  Messieurs,  tant  qu'il 
n'est  pas  bien  content.  Nous  vous  conterons  à  notre  retour  de  ces  fables  en 
manière  de  passetemps.  car  à  présent  n'avons  loisir.  Nous  partons  p*"  aller 
à  Berne  ;  Messieurs  y  envoyent  aussi  ;  nous  tiendrons  main  de  tout  notre 
pouvoir  à  faire  payer  devant  toutes  choses  les  dépens  à  notre  adversaire; 
après,  soyez  surs  que  bientôt  aurons  bonne  guerre  ou  bonne  paix,etbieft 
assurée;  et  quand  "oien  il  nous  couteroit  quelque  peu,  à  tout  le  moins, 
nous  verrons  la  fin.  Messieurs  eurent  assoir  nouvelles  de  Messieurs  de 
Berne  :  ils  sont  fort  marris  contre  M'"  de  Savoie  et  les  gentilshommes  ;  ils 
ont  trop  parlé.  Ils  mandent  à  M""  de  Savoie  qu'il  les  châtie  et  fasse  tenir 
coi  ;  et  s'il  ne  le  peut  faire,  ils  y  viendront  si  forts  qu'ils  le  feront.  Le 
Seigneur  Levenstein,  présent  porteur,  a  charge  de  Messieurs  de  cette  ville 
Tome  XI,  33 


502 

de  faire  retirer  de  Genève  un  tas  de  coquins  qui  ne  valent  guère,  pour 
éviter  dispense  (dépense),  et  sont  la  plupart  de  Savoie;  pourquoi  ne  vous 
en  troublez  point,  mais  tenez  ça  bon  et  toujours  sagement  et  par  bon  con- 
seil, et  donnez  bon  ordre  que  ces  compagnons  qui  vous  demeureront  soient 
bien  traités  ;  et  vous  tenez  assurés  que  à  nous  ne  tiendra  que  ne  fassions 
chose  qui  vous  soit  agréable,  Dieu  aidant,  auquel,  etc.,  etc.  —  De  Fri- 
hourg  ce  samedi  des  Cartemps,  par  vos  humbles  serviteurs  et  ambassa- 
deurs Jean-Philippe,  Jean  Lullin,  Bezanson  Hugues. —  Faites  bonne 
chère  au  porteur  présent;  il  est  grand  homme  et  notre  ami.  (Reçue  le  22 
février  vers  le  soir.) 

M.  S.,  nous  vous  prions  pour  votre  gros  bien  et  de  toute  la  ville,  que 
si  n'avez  fait  de  Puthod  la  justice,  que  sans  dilation  quelconque  faites  en 
ce  que  droit  et  justice  doit  et  peut  porter;  car  c'est  cas  qui  vous  peut  por- 
ter gros  profit  ou  gros  dommage  ;  ce  nonobstant  faites  le  droit,  ne  faites 
tort  à  nul,  et  Dieu  vous  aidera. — Regardez  surtout  d'entretenir  ceux  qui 
vous  resteront  de  Messieurs,  honnêtement  et  sans  bruit  *  ;  car  il  vous 
portera  gros  profit,  ou  à  la  guerre,  ou  à  la  paix  :  il  ne  faudroii  pas  gâter 
sa  tartre  pour  un  œuf. 

(Sans  date  et  sans  signature,  probablement  incluse  dans  la  précédente 
lettre.) 

M.  et  T.  H.  S.,  nous  nous  recommandons  très-himiblement  à  vos 
bonnes  grâces.  M.  S.,  nous  fûmes  hier,  environ  midi,  dépêchés  de  Mes- 
sieurs grand  et  petit  Conseil  de  Berne  et  assoir  à  Fribourg  ;  et  l'autre  dé- 
pêche n'est  point  par  écrit  mais  de  parole,  et  nous  ont  chargé  aller  par 
devers  vous  le  plutôt  que  sera  possible  pour  plusieurs  raisons  que  vous 
dirons,  nous  étant  par  devers  vous.  Hors  vous  avons  bien  voulu  avertir  par 
ce  porteur  en  toute  diligence,  que,  pour  les  raisons  qu'il  vous  dira,  que 
vous  trouverez  véritables,  n'avons  osé  partir  d'ici  sans  vous  avertir  ;  et 
nous  semble  que  ferez  bien  de  nous  envoyer  tous  les  Allemands  de  cheval 
qui  sont  à  Genève  pour  nous  conduire,  car  le  banquet  nous  est  bien  ap- 
prêté et  tout  pour  vrai  ;  ou  sinon  mandez  nous  votre  volonté,  pour  sur  ce 
cas  nous  savoir  conduire  ;  et  dépêchez  le  présent  porteur  incontinent,  car 
avant  que  nous  mettre  en  tel  danger,  plutôt  retournerons-nous  en  arrière, 
voyant  que  sommes  si  bien  avertis  et  de  plusieiu-s  côtés;  à  tems  vous 
prions  d'incontinent  dépêcher  le  présent  porteur  pour  sur  ce  donner  ordre 

*  Beznn^îon  Hugues  parie  ici  des  soldats  suisses  qui  resteront  à  Genève 
après  l'épuration  anuoncée  dans  la  lettre  précédente. 


à  nos  affiures  '  ;  et  sur  ce  prions  Dieu  qu'il  vous  doint  racconiplissenient 
de  vos  nobles  désirs.  —  De  Lausanne  ce  mardi  au  soir  à  10  heures  de 
nuit  par  vos  serviteurs  et  ambassadeurs,  Bezanson  Hugues  et  les  autres. 
—  Envoyez  nous  de  l'argent  par  ce  porteur,  car  nous  n'en  avons  plus  et 
ne  savons  ici  de  qui  emprunter  pour  notre  honneur. 

(Reçue  le  24  février  1529  à  l'aurore.) 

M.  S.  Nous  sommes  arrivés  dimanche  au  soir  à  Payerne  avec  les 
ambassadeurs  des  deux  villes,  et  sont  été  élus  de  la  part  de  M''  de  Sa- 
voye  Piochet  et  Jacobe  de  Viveix  arbitres  et  ambassadeurs,  et  M'' de  Mé- 
zières  et  M.  de  Bellegarde  juges  pour  sa  part  sur  la  marche,  et  pour 
Messieurs  de  Berne  le  seigneur  W'"  Zéli  et  un  fournier  de  Berne  dont  ne 
savoir  le  nom,  et  pour  juge  M"'  de  Graffenried  ;  pour  M"'^  de  Fribourg 
M""  le  chevalier  Pavillard  et  le  Sg""  de  Gougelberg,  baillif  de  Neufchâtel, 
pour  arbitres ,  et  M""  le  boursier  Brandeburg  pour  juge.  Et  ne  s'est  pu 
trouver  moyen  d'appointer,  mais  sommes  tombés  au  droit  de  tous  côtés  ; 
car  chacun  a  fait  sa  demande  et  réponse,  dont  vous  eussions  envoyé  les 
doubles,  mais  nous  espérons  qu'en  bref  aucuns  de  nous  retourneront  pour 
vous  informer  de  tout,  tant  pour  éviter  dispense  que  pour  ce  que  les  juges 
ont  terme  un  mois  avant  que  prononcer  et  donner  sentence;  et  si  les  qua- 
tre juges  ne  se  peuvent  accorder,  il  faudra  élire  un  moyen,  lequel  aura 
aussi  un  mois  ;  et  cependant  ceux  qui  demeureront  par  deçà  serviront  de 
bien  informer  de  vos  droits  et  de  donner  ordre  de  vous  donner  secours, 
si  besoin  en  étoit,  dont  Dieu  ne  veuille.  Aussi  est  besoin  d'attendre  à  quoi 
les  ditîérents  de  M''*  pourront  tomber,  car  c'est  notre  fondement  de  bien 
ou  de  mal.  Nous  espérons  que  Dieu  y  donnera  bonne  paix,  car  plusieurs 
gens  de  bien  sont  après  pour  y  donner  ordre.  Aujourd'hui  les  Sg''*  jnges 
et  arbitres  des  deux  villes  nous  ont  parlé  pour  appointer ,  et  que  si 
voulions  accepter  la  bourgeoisie  pour  dix  ans  et  non  plus  outre*,  que 
l'on  regarderoit  à  la  reste  du  différent,  et  que  les  ambassadeurs  de  Savoie 
en  écriroient  à  leur  seigneur  en  poste,  et  que  nous  dussions  faire  le  sem- 
blable :  à  quoi  avons  répondu  ,  voyant  les  cautèles  des  Savoyens,  que  ne 
le  ferions  pas;  car  nous  voulons  tenir  ce  que  nos  lettres  de  bourgeoisie 
portent  et  le  serment  qu'avons  fait,  pour  les  raisons  que  ceux  qui  retour- 
neront vous  diront  ;  nous  ferons  tout  ce  qu'il  nous  sera  possible  II  vous 
plaira  envoyer  de  l'argent  et  de  faire  bon  guet  ;  et  cependant  soyez  sûrs 

'  Ils  avaient  eu  nouvelle  d'une  embuscarle  des  chevaliers  de  la  Cuiller  pour 
les  enlever  à  leur  retour,  danger  qui  renaissait  à  chaque  ambassade. 

-  Ou  se  rappelle  que  la  combourgeoisie  avec  les  deux  villes  avait  été 
conclue  pour  25  ans. 


504 

que  le  meilleur  ordre  qu'il  sera  possible  de  donner  par  deçà,  nous  le  fe- 
rons, espérant  que  tout  ira  bien,  Dieu  aidant,  auquel,  etc.,  etc. 

De  F^ayerne,  à  grand  hâte,  ce  vendredi  devant  la  S'  Jean,  par  vos  très- 
humbles  serviteurs, 

Robert  Vandel,  Jean  Lévrier,  François  Favre,  Bezanson  Hugues. 
(De  la  main  de  ce  dernier.) 

(Reçue  le  20  juin  1529.) 

M.  et  T.  H.  S.,  etc.  —  Samedi  passé  sur  le  soir,  voyant  que  ne  fai- 
sions rien  à  Payerne,  nous  séparâmes  par  les  raisons  que  nous  rescrlvi- 
mes,  dont  le  Seign''  syndic  Vandelly  et  le  Seign"'  François  Favre  sont 
demeurés  à  Payerne  pour  tenir  compagnie  au  Sg''  Graffenried  de  Berne  ; 
et  je  suis  venu  à  Fribourg,  et  le  Sg""  Jean  Lévrier  et  Hugues  Vandelli  sont 
allés  à  Berne,  et  le  tout  pour  donner  bon  ordre  aux  affaires  et  à  cause  de 
la  mort  de  l'abbé  Taccon*,  dont  se  fait  gros  bruit  par  deçà.  Ils  font 
bien  leur  devoir  à  Berne,  comme  verrez  pai'  une  lettre  qu'ils  nous  ont 
rescrite,  laquelle  je  vous  envoie.  Nous  irons  demain  avec  Messieurs  à 
Payerne  voir  si  le  Sg''  de  Mézières  sera  de  retour.  3i  nous  pouvons  ap- 
pointer en  bonne  sorte  à  votre  honneur,  en  bonne  heure;  sinon  il  faudra 
faire  comme  déj?i  vous  avons  rescrit.  Cependant  faites  bon  guet,  jusques 
l'on  sache  comment  les  affaires  se  porteront.  Messieiu's  des  deux  villes, 
comme  j'apperçois,  sont  en  aussi  bon  vouloir  qu'ils  furent  onques  ;  ne 
reste  que  à  bien  les  solliciter  et  de  bonne  sorte.  Vous  aurez  des  nouvelles 
de  nous  bien  tout  au  (long)  ou  de  l'appointement,  ou  si  le  droit  fera  son 
cours.  Voyant  que  Mess"  s'appointent,  il  me  semble  que  notre  cas  ne 
peut  aller  que  bien,  Dieu  aidant,  auquel  je  prie  vous  donner  vos  désirs. 
—  De  Fribourg  en  hâte  ce  mardi  avantla  S'  Jean,  par  v.  t.  h.  s. 

Bezanson  Hugues. 

J'ai  fait  attendre  ce  présent  porteur  une  heure  ;  s'il  vous  plaît  lui  pou- 
vez donner  une  pièce  d'argent  pour  un  repas. 

(Reçue  le  24.  juin  1529  par  le  héraut  de  Berne  allante  Chambéry, 
sans  autre  lettre.) 

Nous  avons  rencontré  aujourd'hui  au  pont  de  la  Sesena  le  Sg''  Et'"'  de 
Flu  et  M'' Benoit  Ghandelley  qui  s'en  vont  à  Berne,  et  croyez,  combien  qu'ils 

'  Jean  Taccon,  ancien  abbé  ou  capitaine  général  de  Genève,  parent  de 
la  famille  d'Erlacli. 


505 

aient  assez  écouté,  qu'ils  avnient  la  fièvre  à  dos;  mais  nous  les  avons  un 
peu  réjouis,  et  si  n'avons  pas  tout  dit.  Il  est  besoin  qu'ils  latent  de  la  fête. 
—  Je  vous  prie  ayez  regard  sur  l'affaire  des  enfants  de  feu  Jean  Baud  ; 
car,  avec  ce  que  le  devez  f,iire  par  devoir,  tant  de  justice  que  du  service 
du  père,  vous  y  aurez  honneur -el  gagnez  paradis  et  donnez  courage 
aux  vôtres  de  vous  servir.  —  J'ai  donné  douze  gr*  au  porteur  pour  son 
vin,  et  en  donnez  autant.  Si  nous  demeurons  guère  par  deçà,  il  faudra  de 
l'argent,  ou  rester  devant.  Ayez  y  de  l'avis,  car  tout  le  monde  nous  suit'. 
Mandez  nous  à  qui  il  faut  payer  les  censés  à  présent  en  tout  ce  pays ,  car 
nous  ne  le  savons  ;  et  mandez  argent,  s'il  est  possible,  combien  que,  en  ce 
cas  et  tous  autres  ferons  notre  possible. 

(Sans  date  ni  adresse,  mais  de  la  main  de  Bezanson  Hugues.) 

M.  S.  Vous  faisons  savoir  que  jeudi  matin  avons  accompli  notre  charge 
en  cette  ville  devant  petit  et  grand  Conseil,  et  davantage  avons  dit  que 
les  Savoyens  se  tiennent  tout  assurés  de  rompre  notre  bourgeoisie  et  s'en 
vantent  tout  à  plein,  et  que  M'' de  Savoie  entrera  à  grosse  compagnie  de- 
dans Genève  incontinent  être  prononcé,  et  se  tiennent  fiers  de  la  lettre  que 
Mess''^  de  Berne  ont  donnée  au  Comte  de  Gruyère  qu'il  ne  lui  doit  porter 
dommage  ni  aux  siens  de  prononcer. — 11  ne  a  pu  avoir  semblable  à  Fri- 
bourg,  ni  ne  l'aura,  comme  Messieurs  nous  ont  promis.  Nous  avons  dit 
encore  que  ne  lairrez  entrer  M''  de  Savoie  dedans  Genève,  et  y  dussiez 
tous  mourir,  les  priant  sur  ce  avoir  bon  regard  sur  nous.  Ils  nous  ont 
donné  réponse  que,  comme  qu'il  aille,  ils  ne  vous  delairront  jamais  ;  et  ont 
récrit  et  mandé  au  Comte  de  Gruyère  qu'il  regarde  bien  ce  qu'il  fera,  et 
qu'il  lui  souvienne  que  son  père  ni  lui  ne  fussent  jamais  été  Comtes  sans 
leur  aide,  et  plusieurs  autres  remontrances.  Nous  partons  pour  aller  à 
Berne  et  vous  avertirons  souvent.  Nous  avons  entendu  que  le  Comte  de 
Gruyère  demandera  le  plus  long  terme  qu'il  pourra.  Si  ainsi  étoit,  votre 
plaisir  sera  d'aviser  si  nous  devons  demeurer  ici  ou  retourner  pour  éviter- 
dépense,  combien  qu'il  fait  toujours  besoin  d'avoir  des  gens  par  deçà  |)0ur 
éviter  les  pratiques  (empêcher  les  intrigues)  comme  les  amis  nous  con- 
seillent; pourquoi  sera  bon,  après  la  journée,  d'envoyer  quelqu'un;  car, 
de  nous,  nous  ne  pouvons  tant  allendre  pour  les  gros  alf.nres  que  avons, 
et  surtout  Bezanson,  comme  bien  savez.  Il  ne  faut  pas  dormir  a  présent  et 
durant  ce  demeine;  car  selon  que  l'on  pourra  entendre  que  les  affaires 
pourront  aller  et  la  volonté  de  Messieurs,  et  selon  ce,  se  faudra  régler  pour 

*  En  d'autres  fermes  :  «  nous  sommes  entourés  de  parasites  suisses  décidés 
à  vivre  sur  notre  bourse.  ;> 


506 

échapper  de  la  main  du  Pharaon*,  ce  que  crois  parfaitement  que  ferons, 
Dieu  aidant,  auquel  etc.,  etc.  —  De  Fribourg,  ce  dernier  vendredi  de 
juillet  par  V.  H.  S.  Nicolin  du  Crest  et  Bezanson  Hugues.  (De  la  main 
de  ce  dernier.)  —  Il  est  de  besoin  d'être  sages  et  se  tenir  coi  mieux  que 
jamais  ;  car  l'on  nous  veille,  et  seroient  aucuns  joyeux  d'avoir  occasion  de 
nous  délaisser;  ayez  y  avis  et  faites  justice,  et  Dieu  vous  aidera. 


M.  et  T.  H.  S.,  Tout  humblement  que  faire  pouvons  nous  recomman- 
dons à  vos  bonnes  grâces.  Hier  que  fut  samedi  fumes  devant  Messieurs  du 
petit  Conseil  en  cette  ville,  et  fîmes  notre  devoir  comme  à  Fribourg  et  da- 
vantage, et  eûmes  fort  bonne  réponse,  consonante  à  celle  de  Fribourg, 
mais  beaucoup  plus  de  grosse  affection,  jusqu'à  nous  dire  :  «  faites  grosse 
«  chère  et  surfout  gardez  de  tomber  en  tort,  et  ne  vous  souciez  de  la  reste  ; 
<t  car  jamais  Messieurs  ne  vous  delerront.  »  Ainsi  que  voulions  partir, 
entendîmes  des  amis  que  aujourd'bui,  premier  d'août,  se  tenoit  le  grand 
Conseil,  et  demeurâmes  et  nous  y  sommes  trouvés,  et  soyez  surs  que  nous 
avons  déplié  le  sac  au  renard.  Nous  avons  eu  réponse  tieulle  que  dessus,  et 
davantage  qu'ils  rescrivenlà  M'"  de  Savoye  par  ce  présent  porteur:  «  qu'il 
«  n'est  jà  besoin  que  se.«  gentilshommes  ni  autres  ses  sujets  se  vantent  de 
«  les  faire  condamner;  car  ils  se  sentent  avoir  si  bon  droit  qu'ils  ne  l'en 
«  craignent  point  et  que,  quand  ainsi  seroit,  qu'ils  savent  bien  le  remède  ; 
«  et  davantage  qu'il  se  garde  bien  et  ses  sujets  de  attoucher  à  personne  de 
«  Genève  la  valeur  d'un  poil  de  tète,  car  il  a....  (?)  d'être  fait  à  eux,  »  et 
aussi  nous  ont  promis  le  venger  comme  pour  eux-mêmes.  Nous  ne  vous 
saurions  écrire  le  gentil  banquet  que  l'on  apprête  à  de  Conba  et  de  sauces 
que  se  oseront  trouver  fort  ancres  et  amères.  Entendez  que  nous  servirons 
à  tout  le  moins  de  bouter  des  cendres  au  pot,  ou  de  quelque  autre  service  qui 
ne  vaudra  guère  mieux  pour  lui  ;  combien  ne  vous  glorifiez  pour  ce,  mais 
rendez  grâces  à  Dieu  et  vous  maintenez  sagement,  tenant  bonne  justice. 
Nous  allons  à  Payerne,  et  delà  vous  ferons  savoir  toutes  nouvelles.  Peu 
s'est  failli  que  ayons  eu  de  la  honte  touchant  le  sergent;  car  si  nous  eus- 
sions répondu  au  contraire  de  la  lettre  de  Sorgue,  nous  étions  infâmes  ; 
mais  Dieu  nous  a  aidés.  Une  autrefois  ne  serez  si  paresseux  de  nous  bien 
avertir  au  long  ;  combien  que  nos  excuses  se  sont  trouvées  égales  et  ont 
abattu  le  vent  que  le  flagorneur  de  Savoie  avoit  soufflé,  et  à  son  grand 
deshonneur.  P>arral  tombe  toujours  sur  son  maître  ;  Dieu  le  veut,  ainsi  au- 
quel etc.,  etc.  —  Berne,  ce  l"''  août  (1529)  par  vos  humbles  serviteurs 

'  C'est  par  ce  terme,  ainsi  que  par  celui  de  Salezar,  que  les  Genevois  dé- 
signaient le  duc  Charles  III  de  Savoie. 


507 

Nycollin  du  Crest,  Hugues  Vandel  et  Bezanson  Hugues,  (De  la  main  de 
celui-ci.) 

(Reçue  le  A  août.) 

M.  et  T.  H.  S.,  Nous  avons  reçu  votre  lettre  faisant  réponse  de  notre 
première,  et  attendons  de  jour  en  jour  réponse  de  la  seconde  que  vous 
avons  rescrite  par  le  hérault  qui  vaàChambéry  qui  partit  d'ici  lundi  ma- 
tin passé;  car  à  la  ditte  heure  partîmes  pour  aller  à  Payerne,  et  là  avons 
demeure  jusqu'au  mercredi  après  diner  que  venîmes  coucher  à  Fribourg. 
Nous  fussions  allé  droit  à  Berne  ;  mais  pour  ce  que  M""  de  Gruyère  y  al- 
loit,  n'y  voulûmes  aller,  pour  oter  toute  suspicion  ;  car  nous  savions  de 
vrai  qu'il  y  alloit  faire  et  présumions  à  peu  près  la  réponse.  Aujourd'hui 
ce  jeudi  sommes  arrivés  à  Berne  de  bonne  heure,  et  avons  rencontré  M''  de 
Gruyère  qui  s'en  alloit  à  Fribourg  assez  peneux,  et  avons  su  pour  vrai 
tout  son  dépêche  comme  verrez  ci-après.  —  Touchant  ce  qui  a  été  fait  à 
Payerne,  il  s'est  trouvé  grande  fausseté  aux  juges  de  Savoye  ;  car  ceux 
de  Payerne  même  l'ont  ajiprouvé;  car  la  sentence  des  quatre  juges  s'est 
trouvée  fausse,  dont  il  y  a  eu  gros  bruit  à  cause  que  les  quatre  juges 
avoient  déclaré  d'une  union  que  les  alliances  n'étoient  rompues  ni  d'un 
côté  ni  d'autre,  et  il  ne  s'est  pas  trouvé  ainsi  par  l'écrit,  pourquoi,  avant 
toutes  autres  choses  sont  été  les  Savoyens  réprouvés  menteurs  et  contraints 
à  refaire  sentences  nouvelles  et  remettre  cet  article  dedans,  et  M''  de  Me- 
zières  qui  l'avoit  prononcé  réputé  menteur  et  sans  foi  ni  conscience.  A|)rès 
ce  être  fait,  le  serment  a  été  donné  à  M''  de  Gruyère,  présent  ceux  à  qui  il 
appartenoit,  de  tieule  sorte  qu'il  pleuroit  piteusement  et  lui  grévoit  fort  ; 
Il  demandoit  long  terme;  mais  il  lui  a  été  concédé  jusqu'au  dernier  de  ce 
mois  à  se  trouver  au  gite  à  Payerne  pour  donner  sentence  le  l*^''  de  sep- 
tembre. —  Ce  voyant,  être  venu  à  Berne  devant  Messieurs,     a  exposé  ce 
matin  devant  le  petit  Consed  (car  il  n'a  pu  avoir  les  Bourgeois  jusques  à 
demain,  ce  qu'il  n'a  voulu  attendre,  voyant  qu'il  savoit  notre  venue)  :  i°a 
prié  Messieurs  de  cette  ville  de  Berne  qu'ils  eussent  regard  du  devoir  qu'il 
a  aux  deux  parties,  et  qu'il  ne  se  pou  voit  aquitter  de  sa  charge  sans  faire 
déplaisir  à  l'un  ou  à  l'autre,  ce  qui  lui  déplaisoit  tant  ou  plus  que  cas  qui 
jamais  lui  advint.  En  après  (2°)  qu'ils  eussent  regard,  puisqu'il  avoit  plu 
aux  parties  lui  commander  sur  son  serment,  de  tous  côtés,  de  l'accepter, 
et  qu'il  fût  de  leur  plaisir  de  lui  prolonger  son  terme,  espi'rant  sur  ce 
trouver  quelque  moyen  d'appointer  pour  éviter  de  donner  sentence.  En 
après  (3°)  qu'il  leur  plut  lui  donner  le  Sg''  Graffenried  leur  juge  et  un  autre 
pour  ambassadeur,  pour  aller  avec  lui  à  Ghambéry  vers  son  Seigneur,  pour 
trouver  moyen  d'appointer  sans  figure  de  droit  ;  plus  {i°)  qu'il  leur  plut 


508 

rescrire  à  Messieurs  de  Friboiirg  de  faire  le  cas  semblable.  —  Sur  quoi 
lui  a  été  répondu  :  qu'ils  ne  veulent  point  d'appointement,  vu  que  de  si 
longtemps  M.  de  Savoye  les  a  chassés  et  menacés  du  droit,  et  puis  qu'il 
ne  se  veut  connaître,  ni  les  services  qu'ils  lui  ont  faits  ;  qu'ils  ne  veulent 
plus  être  astreints  à  lui,  et  veulent  qu'il  se  définisse  par  justice,  et  qu'il 
dornie  la  sentence  de  sorte  qu'elle  puisse  avoir  value  et  qu'elle  soit  si  juste 
qu'il  y  ait  honneur  et  qu'il  puisse  mourir  Comte  de  Gruyère  et  leur  Bour- 
geois; autrement  ils  aviseront  sur  son  œuvre  qu'ils  auront  affaire.  En 
après  qu'ils  ne  veulent  point  rescrire  à  Messieurs  de  Fribourg  autre  sinon 
qu'ils  fassent  comme  eux  font  :  plus  qu'ils  ne  veulent  point  prolonger  le 
terme,  mais  sont  marris  que  leurs  ambassadeurs  et  juges  lui  ont  donné  si 
long  terme,  car  ils  n'avoient  pas  c^tle  charge.  Plus,  sur  ce  qu'il  dit  qu'il 
désire  la  paix,  qu'il  le  dit  de  paroles,  mais  il  ne  l'a  pas  montré  d'effet  en- 
Yers  eux,  combien  qu'ils  l'en  aient  souvent  prié  et  admonesté,  combien 
qu'ils  veulent  bien  qu'il  appointe  avec  ceux  de  Genève  sans  eux,  s'il  en 
peut  trouver  le  moyen  ;  mais  il  s'appelle  :  «  Gardez-vous  de  ce  faire,  » 
quia  sine  ipsis  factum  est  nihil.  —  Toutefois,  pour  non  l'envoyer  dés- 
espéré, lui  ont  dit  qu'il  pouvoit  bien  aller  vers  son  seigneur  sans  ambas- 
sadeurs des  leurs  et  lui  raconter  leur  vouloir,  et  surtout  qu'ils  veulent  être 
francs,  et  ce  faisant  et  non  étant  astreints  à  lui,  s'il  veut  ouvrir  quelque 
partie  d'appointement  et  le  leur  envoyer ,  que  selon  ce  qu'il  sera  ils  y 
prêteront  l'oreille  et  manderont  ambassadeurs  :  autrement  ils  savent  ce 
qu'ils  ont  à  faire,  car  ils  ne  veulent  plus  être  moqués,  voyant  tant  d'ambas- 
sadeurs qu'ils  lui  ont  envoyés  par  le  passé  sans  trouver  chose  raisonnable 
en  lui.  —  Demain  nous  le  suivrons  à  Fribourg,  combien  que  son  banquet  y 
soit  tout  prêt  ;  car  nous  ne  faisons  doute,  Dieu  aidant  et  que  vous  vous 
mainteniez  sagement  et  tout  coi  et  faisant  bonne  justice  d'un  chacun,  que 
Dieu  ne  nous  aide,  car  tout  le  monde  est  pour  nous  par  deçà  que  estimons 
être  chose  miraculeuse  ;  car  les  plus  gros  ennemis  qu'avons  eu  par  le 
passé  sont  aprésent  nos  plus  gros  amis,  pourquoi  est  temps  ou  jamais  non  que 
faites  que  chacun  soit  sage  et  que  justice  ave  lieu.  Nous  avons  été  bien 
prêches  à  Payerne  de  la  mort  du  sergent,  combien  que  en  ayons  répondu 
honnêtement,  présents  tous  les  Seigneurs,  c'est  que  l'ambassadeur  du  Duc 
avoit  failli  à  dire  la  vérité,  et  sur  ma  tête  contre  la  sienne,  ce  qu'il  n'a 
voulu  accepter  ;  car  il  dit  que  ce  jour  étions  sortis  six  vingts  en  armes  de 
Genève  pour  ce  faire,  et  qu'il  en  avoit  bonnes  informations  :  Je  lui  dis 
qu'il  n'étoit  pas  vrai  et  que  ce  n'étoit  pas  la  première  busie  '  qu'il  avoit 
ditte,  combien  que  de  la  mort  du  dit  sergent  se  pouvoit  savoir  par  le 
Sgr.  Commis  de  Messieurs  de  Berne  et  autres  non  suspects  la  droite 

*  Bugia,  mensonge,  bourde,  en  italien. 


509 

vérité,  et  que  lui  ni  moi,  qui  étions  parties,  n'étions  pas  de  croire,  dont 
chacun  s'est  contenté;  pourquoi  vous  prie,  pour  l'honneur  de  Dieu,  pour 
un  peu  de  temps  vivez  de  sorte  que  ne  nous  gâtiez  ce  qui  est  si  bien  par 
deçà  et  que  croyons  assurément,  s'il  ne  tient  à  vous,  ira  si  bien  qu'aurez 
cause,  petits  et  grands,  chanter  «  Tedeum  laudamus»  ad  perpetuura.  — 
Nous  attendons  réponse  de  V.  S.  de  notre  dernière  lettre.  Le  Sgr.  Syn- 
dic Nicolin  m'a  dit  que  vous  lui  avez  dit  que  j'avais  pris  charge  d'em- 
prunter argent  pour  payer  les  censés  de  Lucerne  et  d'ici  :  Vous  savez 
bien  le  contraire,  car  je  vous  dis  que  je  n'en  ferois  rien.  J'ai  assez  de 
charges:  contentez-vous,  car  je  ne  le  ferai  pas,  et  me  pardonnerez,  s'il 
vous  plaît,  et  y  pourvoyez  à  celle  fin  que  n'y  ayez  deshonneur.  Et  avisez, 
comment  que  ce  soit,  qu'il  faut  avoir  ici  ambassadeurs  jusqu'à  ce  que  la 
fin  soit  en  nos  affaires,  laquelle  je  crois  que  sera  bientôt  si  la  journée 
de  Bade  ne  nous  retarde,  car  il  s'est  ému  quelque  petit  différend  de  nou- 
veau entre  Messieurs,  pourquoi  la  journée  n'est  pas  encore  définie,  et  ne 
sait-on  encore  que  ce  sera.  Il  est  de  besoin  de  tenir  les  affaires  de  près  ; 
car  nos  adversaires  ne  dorment  pas ,  car  toujours  ils  ont  gens  en  cette 
ville  et  à  Fribourg.  Vous  savez  aussi  la  journée  qui  se  doit  tenir  à  Berne 
de  Dimanche  en  huit  jours.  Ayez  regard  sur  le  tout,  et  aussi  de  nous 
envoyer  de  l'argent  ;  car  nous  avons  toujours  force  gens ,  et  faut  payer 
les  M  écus  que  restâmes  dernièrement  à  notre  hoste  de  cette  ville  ;  ayez 
avis  sur  le  tout.  —  Nous  vous  prions  très  affectueusement  que,  pour  le 
gros  profit  d'une  ville  de  Genève,  que  ne  faites  faute  de  nous  envoyer 
incontinent  Grand  Pierre  l'archer ,  le  fils  d'Estor,  et  n'y  faites  faute  ;  car 
il  nous  portera  gros  profit  et  plus  que  ne  vous  saurions  rescrire.  —  Le 
Sgr.  Syndic  Nicolin  s'en  partira  Samedi  et  va  à  Lucerne.  S'il  étoit  sur 
de  recouvrer  argent,  il  vous  serviroit,  comme  il  m'a  dit;  mais  c'est 
chose  à  l'aventure ,  pourquoi  ne  s'y  faut  fier.  —  J'attendrai  ici  ce  qu'il 
vous  plaira  me  commander,  et  selon  les  affaires  me  guiderai  en  attendant 
le  retour  du  Seigneur  Sindic  Nicolin.  Et  combien  que  soyez  mes  Seigneurs 
et  Supérieurs,  ne  lerrai,  comme  fol ,  à  vous  prier  humblement  avoir  les 
affaires  de  feu  mon  frère  Jean  Baud  et  les  miens  pour  recommandés  ;  car 
ces  deux  maisons  sont  aprésent  gouvernées  par  femmes,  pourquoi  ne 
vous  grèvera  guère  donner  charge  à  quelqu'un  de  vos  Conseillers  s'en 
prendre  un  peu  de  garde;  car  soyez  assurés  que  croyons  parfaitement 
vous  porter  bonne  conclusion  et  repos,  à  votre  honneur  et  profit,  Dieu 
aidant,  auquel  etc.,  etc.  —  De  Berne,  ce  Vendredi  6  d'Août,  par  vos 
H.  S.  Nvcollin  du  Crest,  Hugues  Vandel,  Bezanson  Hi'Gues. 

(De  la  main  de  Bezanson.) 

(Reçue  le  8  d'août  1529.) 


510 

Magnif'  et  Tr.  H.  S  ,  tant  humblement  que  faire  puis  à  vos  bonnes 
grâces  me  recommande.  Vendredi  dernier  passé,  vous  rescrivimes  de 
Berne  par  le  fils  de  Sg'"  Lucain  Du  Pan  de  toutes  les  affaires  de  par  deçà  ; 
et  hier,  que  fut  Samedi,  partit  le  Sg''  Nicolin  de  Berne  pour  aller  à  Bade, 
là  oi^ison  frère  est  et  sa  femme  aux  bains,  et  le  Sg''  Hu^  Vandel  avec  lui  à 
cause  qu'il  n'avoit  compa^^nie.  A  celle  heure  me  partis  de  Berne  pour  ve- 
nir ici  à  Fribourg,  pour  entendre  la  réponse  qu'ils  ont  donnée  à  M'"  de 
Gruyères,  laquelle,  pour  vrai,  est  semblable  J»  celle  de  Berne,  comme  je 
vous  ai  rescrit.  Demain  se  tiendra  ici  le  Grand  Conseil  pour  l'atTaire  des 
Gnillet,  et  à  ce  qu'ai  pu  entendre  ils  envoyent  ambassadeurs  à  Crans  pour 
voir  le  beau  gouvernement,  et  soyez  surs  qu'il  en  viendra  du  mal  et  bien 
grand,  et  appercevrez  en  bref  que  le  déluge  tombera  sur  les  chanoines  de 
Lausanne*  et  peut  être  plus  avant.  Ceux  de  Romont  ont  fait  quelque 
folie  sur  aucuns  des  officiers  de  Messieurs  de  Fribourg,  dont  soyez  surs 
que  mal  en  viendra.   Demain  après  le  Conseil  retournerai  à  Berne  et 
n'épart;nerai  ma  personne  ni  mes  biens  à  vous  bien  servir  de  mon  petit 
pouvoir.  Je  ne  vis  oncques  Messieurs  des  deux  villes  en  si  bon  vouloir 
pour  nous  qu'ils  sont  à  présent.  J'entends  que  dimanche  prochain  15  de 
ce  mois  se  tiendra  le  Grand  Conseil  à  Berne.  Je  ne  puis  savoir  leur  se- 
cret, fors  que  jamais  ne  nous  lerront,  et  fasse  le   comte  de  Gruyères 
ce  qu'il  voudra  :  mais  surtout  tous  les  jours  m'avise  de  vous  avertir  que 
durant  ces  affaires  vous  teniez  bien   coy   et   ne  souffriez  de  ne  rien 
faire  ;  car,  ce  faisant,  nos  ennemis  ne  sauront  que  dire,  et  vous  assure 
que,  si  Messieurs  tiennnent  ce  qu'ils  ont  juré  et  promis  et  qu'ils  m'ont 
dit,  comme  je  crois  qu'ils  feront,  que  avant  vendange  verrez  un  beau  passe- 
temps.  Le  bruit  commun  est  à  Berne  qu'ils  ne  veulent  plus  avoir  alliance 
avec  M""  de  Savoye.  Bellegarde  et  Piochet  sont  à  Berne,  toujours  forgeant 
et  pratiquant,  et  je  leur  aide  à  l'opi'osite  tant  que  je  puis,  et  combien  que 
j'aie  bien  a  faire  en  ma  maison,  il  me  grèvera  bien  de  retourner  que  je  ne 
vous  porte  bonnes  nouvelles.  Piochet  est  toujours  après  le  sergent  qui  fut 
tué  ;  je  dis  toujours  qu'il  n'est  pas  vrai  et  que  ses  informations  sont  faus- 
ses et  sont  prises  par  un  méchant  homme,  et  que  tous  les  maux  qui  se 
font  en  Savoie,  à  leur  dit  et  qui  les  voudroit  croire,  nous  les  faisons  tous, 
dont  soyez  surs  que,  le  dernier  Conseil  qui  a  été  à  Berne,  on  lava  si  bien 
la  tète  à  Piochet  qu'il  s'en  sortit  les  larmes  aux  yeux.  J'attends  toujours 
réponse  des  lettres  dernières  que  nous  vous  avons  rescrites,  pour,  sur  ce, 
nous  savoir  conduire  à  votre  bon  plaisir.  Messieurs  m'ont  chargé  expres- 
sément de  vous  écrire  que  vous  devez  toujours  fortifier  et  faire  bon  guet 

'  Crans  était  sous  la  juridiction  du  chapitre  de  Lausanne. 


511 

et  avoir  espies  aux  champs  :  car  ils  craignent  que  sur  un  dépit  et  voyant 
les  affaires  comme  ils  vont  bien  pour  vous,  que  Salezard  ne  vous  fasse 
quelque  venue,  et  aussi  il  est  à  craindre  ;  pourquoi  vous  prie  y  avoir  avis; 
il  ne  peut  plus  guère  durer.  Je  ne  vous  aviserai  plus  de  ce  que  vous  at 
rescrit  dernièrement  en  deux  lettres,  espérant  que  aurez  sur  le  tout  donné 
bon  ordre*,  Dieu  aidant,  auquel  je  prie  vous  donner  vos  désirs. 
De  Fribourg,  ce  Dimanche  8  Août,  par  votre  humble  serviteur. 

Bezanson  Hugues. 
(Reçue  le  12  août  1529.) 

M.  et  T.  H.  S.  Je  me.  recommande  très-humblement  à  vos  bonnes 
grâces.  Hier  je  vous  rescrivis  bien  à  long  de  cette  ville.  Aujourd'hui 
pensois  retourner  à  Berne  ;  mais  au  soir  bien  tard  fus  averti  par  quelques 
amis  de  quelque  traverse  qui  nous  a  été  faite  secrètement  à  Berne,  qui 
m'a  fait  demeurer  ici  aujourd'hui  ;  et  tant  suis  allé  après  M""  Pavillard, 
lieutenant  de  M""  Hunibert  de  Praroman,  qu'il  m'a  dit  que  Messieurs  de 
Berne  ont  prolongé  le  terme  à  M''  de  Gruyères  pour  un  mois,  que  sera 
environ  la  fin  de  septembre.  Je  ne  l'ai  voulu  croire;  mais  le  dit  Sg''  m'a 
montré  la  lettre  que  Messieurs  de  Berne  leur  ont  rescrite  et  l'ai  lisue  tout 
à  long,  et  ceux  de  Fribourg  ont  fait  le  semblable,  dont  suis  presque  en- 
ragé. Ayant  ce  vu,  me  suis  mis  incontinent  à  vous  écrire  la  présente, 
et  demain  bien  matin  m'en  vais  à  Berne  crier  alarme,  car  les  bourgeois^ 
n'en  savent  rien.  Je  n'ai  peur  d'autre,  sinon  qu'ils  ne  tiennent  pas  la 
moitié  de  ce  qu'ils  nous  promettent  ;  je  n'y  saurai  faire  autre,  il  n'y  a  pas 
grand  mal  à  la  prolongation,  mais  il  est  à  craindre  que  qui  en  fait  une  en 
fasse  deux.  Je  vous  prie  qu'incontinent  vu  la  présente  me  rescriviez  votre 
volonté,  laquelle  j'attendrai  jusqu'à  dimanche  prochain  par  tout  le  jour. 
Ce  vous  seroit  grosse  charge  que  je  demeurasse  ici  si  longtemps  ;  aussi 
me  serait-il  gros  dommage.  Pensez  aussi  et  considérez  le  gros  dommage 
qui  vous  peut  advenir  si  n'avez  toujours  quelqu'un  ici  pour  obvier  aux  pra- 
tiques et  pour  vous  avertir  ;  combien  que  pouvez  envoyer  quelque  autre 
qui  ne  vous  fera  pas  si  grosse  dépense  que  moi  :  car  j'ai  toujours  force 
gens,  et  je  ne  leur  saurois  dire  que  non  ^  ;  pourquoi  y  aurez  bon  avis  et 

'  Il  s'agit  évidemment  ici  de  ses  instantes  recommandations  en  faveur  de 
la  famille  de  son  beau-frère  défunt,  Jean  Baud. 

-  Le  Grand  Conseil  de  Berne. 

^  Eli  d'autres  termes:  i.'Je  suis  entouré  d'amis  (fui  vivent  sur  ma  bnurse, 
pour  lesquels  il  faut  tenir  table  ouveite  et  que  je  n'ose  renvoyer  sans  façon.» 
Bezanson  Hugues  ne  demandait  des  subsides  que  quand  son  argent  comptant 
et  son  crédit  étaient  épuisés,  ce  qui  était  injmnnqiuible  lorsque  ses  séjours  se 
prolongeaient  forcement  au  delà  du  temps  prévu,  comme  c'était  le  cas  dans 
cette  occasion. 


512 

me  manderez  incontinent  vos  bons  plaisirs,  et  que  ce  soit  pour  dimanche 
prochain,  car  autrement  je  m'en  partirai  hindi  après.  Ne  faites  aussi 
faute  de  nous  envoyer  argent,  ou  nous  resterions  devant  si  l'on  nous  veut 
croire  (faire  crédit)  avec  ce  restâmes  le  voyage  passé,  comme  je  vous  ai 
récrit.  J'ai  pris  patience  jusqu'à  présent,  que  je  suis  à  moitié  hors  de  sens, 
car  je  ne  puis  avoir  patience  quand  l'on  ne  chemine  le  droit  chemin:  com- 
bien que,  à  ce  que  j'ai  vu  en  la  lettre  susdite,  la  réponse  est  toute  ytieulle 
que  je  vous  ai  récrit,  réservé  ce  que  dessus.  Et  après  m'être  derechef  re- 
commandé à  vos  bonnes  grâces,  vais  prier  Dieu  vous  donner  vos  dé- 
sirs. De  Fribourg  ce  jour  de  S'  Laurent  (  tO  aotit)  1529.  —  Quand  j'ai 
assez  eu  crié,  ceux  de  cette  ville  m'ont  dit  par  toute  résolution  que  ni  eux 
ni  ceux  de  Berne  ne  l'ont  fait  que  pour  vous  donner  espace  de  retirer  vos 
blés;  car  il  prétend  à  plus  grosse  chose.  Dieu  veuille  qu'il  soit  vrai,  car 
il  ne  tiendra  pas  à  moi. 

Bezanson  Hugues. 

Je  vous  prie  avoir  pour  recommandé  mon  pauvre  ménage;  je  n'y  ai 
personne  qui  sache  rien  faire  que  ma  femme.  N'oubliez  pas  les  pauvres 
enfants  de  feu  Jean  Baud,  que  Dieu  absolve. 

(Reçue  le  13  août.) 


M.  et  T.  H.  S.  Après  m'étre  recommandé  très  humblement,  etc.,  etc.; 
ce  jour  St  Laurent  à  6  heures  du  matin  est  arrivé  le  héi'aut  de  Berne , 
qui  vient  de  Chambéry,  par  lequel  pensois  me  dussiez  récrire  vos  volontés 
et  me  mander  argent,  ce  que  n'avez  fait  ;  mais  m'a  dit  le  dit  héraut  que 
m'attendiez  de  jour  en  jour  à  Genève,  dont  suis  été  bien  ébahi,  voyant 
que  m'avez  récris  par  le  curé  de  Cortion  le  contraire.  J'ai  aussi  grand  dé- 
sir de  m'en  retourner  que  j'eus  oncques;  mais  si  ne  suis-je  pas  si  bête  de 
le  faire  sans  vos  licences  ;  car  je  vous  assure  qu'il  est  mieux  de  be- 
soin qu'ayez  gens  par  deçà  que  jamais  pour  plusieurs  raisons  que  pouvez 
mieux  comprendre  que  ne  vous  saurois  écrire.  Toutefois  je  vous  veux  bien 
avertir  que  si  ne  tenez  ici  quelqu'un  jusque  ce  démène  soit  à  bout,  que 
vous  en  repentirez,  pensez-y  bien.  Je  vous  ai  récrit  par  le  fds  de  Lucain 
Dupan  et  devez  avoir  eu  la  lettre  Dimanche  passé  ;  je  vous  ai  récrit  par  le 
capitaine  Chesaux,  et  devez  avoir  la  lettre  demain  que  sera  iMercredi,  et 
cette  présente  avec  une  autre  Jeudi.  Je  vous  prie  (jue  ne  faites  faute  de  me 
donner  réponse  Dimanche  par  tout  le  jour  ;  autrement  je  lairerai  tout  et 
m'en  partirai  Lundi  matin,  Dieu  aidant,  auquel  je,  etc.,  etc.  De  Fribourg 
St  Laurent  par  votre  humble  serviteur,  Bezanson  Hugues. 

(Reçue  13  août.) 


513 


K  Vous  avertissons  comment  ce  soir  est  arrivé  le  héraut  de  Messieurs 
de  Berne  ;  et  pour  plusieurs  raisons  que  vous  dirons  à  notre  retour,  le  Sei- 
gneur Jean  Philippe  et  moi  avons  ouvert  les  lettres,  et  faisoit  bien  besoin 
pour  les  raisons  que  verrez  dedans  les  dites  lettres  ;  et  fait  bien  avoir  bon 
conseil  avec  l'aide  de  Dieu.  Messieurs  nous  demandent  des  gens,  et  vous 
en  demandez:  entendez  où  cela  peut  tomber.  Ayant  entendu  ces  nouvelles 
le  Seigneur  Jean  Philippe  s'en  est  retourné,  par  lequel  entendrez  le  tout. 
Je  m'en  vais  outre  et  ferai  tenir  votre  lettre  que  nous  écrivez  par  votre 
guet  à  vos  ambassadeurs,  et  ferai  de  mon  côté  ce  qui  me  sera  possible. 
N'épargnez  à  mander  souvent  savoir  de  vos  nouvelles  à  Messieurs  ;  tenez 
bon  ordre  en  la  ville  et  à  peu  de  bruit.  Et  sur  ce,  etc.,  etc.  De  Lau- 
sanne ce  lendemain  de  Pâques  (10  avril  1531). 

«  A  votre  bonne  grâce  me  recommande ,  vous  faisant  savoir  comment 
aujourd'hui  Mardi,  12  de  ce  mois,  sommes  été  par  devant  leurs  excellences 
de  MM.  Fribourg  en  Conseil,  lesquels  avons  trouvé  de  fort  bon  vouloir, 
et  ne  sauriez  croire  la  moitié  de  l'amour  qu'il  nous  portent  ;  Dieu  nous 
donne  grâce  de  nous  desservir  envers  eux,  et  quant  aux  affaires  il  n'est 
pas  possible  qu'il  put  mieux  être  pour  nous  qu'il  est.  Nous  nous  en  al- 
lons à  Berne,  là  où  espérons  que  au  plaisir  de  Dieu  trouverons  comme 
ici  ;  et  crois  que  avant  que  partions  d'ici  mettrons  les  affaires  en  si  bon 
ordre  que  connaîtrez  que  n'auront  pas  perdu  de  temps ,  ou  à  tout  le 
moins  à  nous  ne  restera.  Les  affaires  ne  sauroient  être  en  meilleur  or- 
dre, Dieu  merci,  etc.  Fribourg  Mardi  12  Juin  (1531,  sans  millésime). 

PS.  Vous  aurez  souvent  de  nos  nouvelles  ;  nous  sommes  navrés  de  ce 
que  n'avons  trouvé  M.  de  Lullin.  11  est  à  Moudon  ;  et  ne  soyez  ébahis 
s'il  ment  en  nos  affaires,  car  il  n'en  a  pas  fait  moins  à  l'excellence  de 
Messieurs. 

M.  et  T.  H.  S.  très-humblement  à  vos  bonnes  grâces  me  recommande. 
—  Messieurs  j'ai  reçu  votre  lettre  par  ce  porteur  et  me  déplait  fort  que 
ne  puis  obéir  à  vos  commandements  ;  car  Messieurs  de  Fribourg  ont  mandé 
citer  M.deLutry  à  Lundy  prochain,  pourquoi  ne  m'est  possible  d'aban- 
donner ma  journée  ;  car  si  je  n'y  étois  il  pourrôit  prendre  passamant 
{passavant?)  contre  moi  tel  qu'il  lui  plairoit,  avec  ce  que  vous  n'estimez 
guère  les  dangers  ;  car  je  vous  ai  expressément  renvoyé  l'un  de  mes  gens 
pour  vous  avertir  des  occurrens  de  par  deçà  ;  et  touchant  ce  que  dites 
«  que  si  je  n'y  suis,  je  donnerai  occasion  au  peuple  de  parler  sur  moi ,  » 
autrefois  y  ont-ils  parlé  à  tort,  encore  le  peuvent-ils  bien  faire  à  présent.  Il 
seroit  mieux  qu'ils  parlassent  contre  ceux  qui  sont  cause  des  inconvénients, 


514 

^combien  que  je  le  remets  tout  à  Dieu ,  auquel  je  prie  vous  avoir  en  sa 
sainte  garde.  — De  Fribourg,  ce  Jeudi  à  3  heures  après  midi,  4  Janvier 
par  votre  très  humble  serviteur.  — ■  En  écrivant  la  présente,  un  mien  gros 
ami  m'a  dit  la  charge  des  ambassadeurs  de  cette  ville,  qui  ne  vous  nuira 
en  rien  ;  et  m'a  dit  que  devez  tenir  bon  et  demeurer  fermes,  car  ils  ne 
vous  délaisseront  jamais  ;  et  soyez  assurés  que  je  dresserai  bien  les  affaires 
par  deçà,  que  vous  profitera  plus  que  si  j'étois  à  Genève.  Besanson  Hu- 
gues (i  532). 


Messieurs,  aujourd'liui  date  des  présentes,  suis  été  pour  la  seconde 
fois  par  devant  Messieurs  de  cette  ville  pour  mon  affaire,  car  je  n'ai  rien  pu 
faire  avec  mon  homme  à  Romont,  comme  je  crois  avez  pu  entendre  par 
le  Seigneur  Michel  Guillet  ;  et  moi  étant  sur  la  maison  de  ville,  ai  eu 
nouvelles  de  Berne,  comment  le  président  Lambert  est  parti  avec  les  am- 
bassadeurs de  Berne  qui  vous  vont  trouver.  De  leur  charge  je  n'en  ai 
pu  entendre  autre ,  sinon  comment  vos  derniers  ambassadeurs  vous  ont 
rapporté.  Je  vous  assure  que  je  m'en  fusse  volontiers  retourné  ;  mais 
il  ne  m'est  possible ,  car  il  me  faut  attendre  ici  la  réponse  d'un  hé- 
rault  que  Messieurs  ont  mandé  à  M.  de  Savoie  et  à  M.  de  Lutry  pour 
mes  affaires,  et  ainsi  me  l'ojit  commandé  comme  vous  dira  le  présent 
porteur.  J'entens  aussi  que  l'écuyer  Piochet  doit  être  ici  ce  soir,  et  qu'il 
vient  pour  avoir  ambassade  avec  ceux  de  Berne.  Je  ne  sais  ce  qu'il  fera, 
mais  je  ne  dors  pas  à  bien  induire  tous  nos  amis  à  tenir  bon,  comme  je 
•crois  qu'ils  feront,  car  je  les  trouve  en  aussi  bon  voloir  et  meilleur  que 
jamais.  J'ai  bien  entendu  plusieurs  autres  propos  qui  ne  sont  pas  à  votre 
avantage,  qui  se  disent  h  Berne,  mais  je  ne  les  crois  pas  ;  et  me  semble  que 
si  vous  vous  tenez  ferme,  comme  il  a  été  résolu  avant  ma  départie  (c'est 
que  n'acceptiez  autre  chose  sinon  le  contenu  de  la  bourgeoisie  et  les 
sentences  de  Payerne,  vous  offrant  à  les  contenter  tout  ce  qui  sera  de  rai- 
son), que  votre  cas  se  portera  bien  ;  si  vous  faites  autrement  vous  connois- 
sez  à  qui  vous  avez  à  faire  ;  car  quand  viendra  au  pis,  à  tout  le  moins, 
s'il  faut  que  nous  en  ayons  le  mal,  ceux  de  Berne  en  auront  le  déshonneur; 
ils  y  regarderont  plus  de  quatre  fois  avant  de  le  prendre  h  enx.  Si  vous  te- 
nez bon  pour  ce  coup.  Dieu  nous  aidera  à  sortir  de  nos  affaires.  Messieurs 
des  Ligues  en  ont  connu  (des  affaires):  si  vous  êtes  trop  pressés,  appelez-en 
devant  eux  ;  ils  n'iront  jamais  contre  leurs  lettres  et  sceaux  ;  et  aussi  ce- 
pendant qu'aurez  les  leurs  rière  vous,  soyez  assurés  que  ces  maîtres  ne 
vous  délaisseront  pas  ;  leui'  lionnonr  y  est  trop  avant  compris,  et  tout  le 
monde  en  est  bien  informé.  Je  vous  envoie  ce  présent  porteur  expressément 
qui  vous  informera  mieux  que  je  ne  vous  saurois  écrire  ;  mais  tenez-vous 


515 

assurés  que  je  ferai  pour  vous  par  deçà  tout  ce  qu'il  me  sera  possible  de 
faire,  à  l'aide  de  M.  le  chanoine  de  Cortion,  lequel  se  recommande  fort  à 
vous,  vous  disant  adieu  amiuel  etc.,  etc.^  Fribourg  ce  Jeudi  devant  les 
Rois  (4  janvier  1532).  —  Gardez  bien  de  contrevenir  aux  sentences  de 
Payerne  :  car  vous  savez  la  peine  que  vous  encoureriez.  Il  vaut  mieux 
avoir  point  à  tort  que  de  l'avoir  à  bon  droit  ;  car  si  vous  le  faites,  vous 
n'en  pourrez  nul  charger  que  vous-même,  et  si  vous  ne  le  faites  et  l'on  vous 
force  à  le  faire,  vous  pourrez  avoir  recours  à  Messieurs  des  Ligues  : 
pensez-y  bien. 

M.  et  T.  H.  S.,  trés-hurablement  à  vos  bonnes  grâces  me  recom- 
mande. Depuis  que  je  vous  ai  rescrit  par  votre  messager,  me  suis  trouvé 
avec  M.  l'avoyer  et  six  seigneurs  de  Conseil  des  plus  apparents,  lesquieulx 
m'ont  dit  qu'ils  ne  vous  prieront  jamais  de  point  de  fraction  de  bourgeoi- 
sie, s'il  ne  vient  de  vous-mêmes,  et  que  leurs  ambassadeurs  n'ont  point 
charge  d'aller  à  Genève,  sinon  aller  vers  Monseigneur  ouïr  ce  qu'il  vou- 
dra dire  pour  le  référer  à  leurs  supérieurs.  Ce  voyant,  me  semble  que  les 
choses  iront  mieux  que  ne  pensez.  Je  sais  bien  que  si  voulons  vivre  selon 
Dieu  et  raison,  et  ayant  Messieurs  de  Fribourg  pour  amis,  que  notre  cas 
se  portera  bien  ;  car  ils  en  ont  beaucoup  qui  au  besoin,  pour  l'amour 
d'eux,  ne  vous  laisseront  fouler;  avec  ce  que  jamais  je  ne  croirai  que 
Messieurs  de  Berne  vous  délaissent,  car  ils  estiment  trop  leur  honneur. 
Je  crois  que  demain  en  aura  plusieurs  en  cette  ville  (des  Bernois).  Avoir 
entendu  d'eux  quelque  chose,  vous  en  avertirai.  Soyez  surs  que  je  rendrai 
mon  devoir  par  deçà  au  mieux  qui  me  sera  possible.  Dieu  aidant,  auquel 
je  prie,  etc.,  etc.  —  De  Fribourg,  la  veille  desPvois  à  midi,  par  v.  t.  h. 
B.  H.  (.5  janvier  1532). 

Je  vous  ai  récrit  par  ces  marchands  de  Berne  hier  toute  la  résolution 
de  Messieurs  de  Berne  avec  la  lettre  du  Seigneur  Hugues  Vandel  que  je 
vous  ai  envoyée,  et  par  avant  par  le  serviteur  de  François  Plongeon.  Ce 
malin  sont  venues  nouvelles  à  Messieurs  de  cette  ville  du  bailli  d'E- 
challens  que  M.  de  Savoie  vous  avoit  déjà  assiégés  avec  gros  nombre 
de  gens  d'étrangers  et  de  ceux  du  pays.  J'ai  incontinent  ûiit  courir  Tu- 
ringen  à  Berne  porter  les  lettres  par  le  commandement  de  Messieurs,  car 
le  seigneur  Hugues  (Vandelj  et  son  frère  partirent  hier  avec  les  Ambassa- 
deurs de  cette  ville,  qui  vont  à  la  journée  des  Ligues  Alida  qui  se  tient 
Lundi.  Je  suis  demeuré  ici  pour  répondre  aux  Savoyens  qui  seront  ici  ce 
soir  au  gite.  J'ai  reçu  ce  Sameili  à  midi  vos  lettres  par  votre  messager 
-et  incontinent  me  suis  mis  à  vous  récrire  par  ces  maichands,  et  inconti- 


516 

nent  après  ferai  diligence  d'accomplir  vos  commandements  et  de  faire 
tenir  vos  lettres,  et  de  tout  vous  avertirai  par  votre  dit  messager.  Je  vous 
veux  bien  assurer  que  s'il  plait  à  Dieu  que  paissiez  un  peu  tenir,  que 
votre  cas  se  portera  bien.  Croyez  que  jour  et  nuit  je  suis  après  les  affaires 
et  ne  fais  nul  doute  que  votre  cas  ne  se  porte  bien  ;  mais  pour  la  hâte  vais 
prier  Dieu,  etc.,  etc.  Samedi  après  Saint-Paul,  de  Fribourg  (Saint-Paul 
est  le  10  janvier).  —  Je  vous  recommande  ma  femme  et  mon  mé- 
nage ;  je  leur  rescrirai  bien  au  long  réponse  de  leurs  lettrés  par  le 
premier  allant  à  Genève  (13  janvier  1532). 


Vous  ai  rescrit  aujourd'hui  par  un  marchand  d'Augsbourg,  et  depuis 
ce  soir  sont  arrivés  les  Ambassadeurs  de  Savoie  ;  ceux  de  Berne  vien- 
dront demain  ;  je  suis  ici  pour  leur  répondre  au  mieux  que  pourrai.  J'ai 
donné  vos  lettres  à  Messieurs  de  cette  ville,  et  incontinent  mandé  les  lettres 
que  rescrivez  à  Messieurs  de  Berne  par  mon  homme  ;  car  tous  les  hérauts  , 
sont  dehors.  Messieurs  de  cette  ville  attendront  de  me  donner  réponse  des 
gens  que  demandez  jusques  ils  ayent  réponse  de  Berne,  combien  que  je 
crois  qu'ils  parleront  aux  ambassadeurs  de  Savoie  bien  cà  droit  ;  craignant 
les  pratiques,  ai  prié  au  sieur  châtelain  de  Gessenay,  oncle  du  Seigneur  Bo- 
niface,  qu'il  vous  envoie  50  hommes,  et  lui  ai  donné  lettres  d'assurance  que 
les  payerez  et  le  garderez  de  dommage.  Messieurs,  vous  m'aurez  déplaisir 
si  je  ne  vous  récris  plus,  car  j'ai  su  pour  vrai  que  toutes  les  lettres  que 
je  vous  récris,  aucuns  de  votre  Conseil  en  mandent  le  double  à  M.  de  Sa- 
voie ;  et  le  tenez  pour  certain,  car  on  m'a  montré  les  doubles  en  cette 
ville,  et  voilà  comment  je  me  dois  fier  en  vous.  Ayez  y  de  l'avis.  — Et  sur 
ce,  vais  prier,  etc.,  etc.  DeFribourg,  ce  Samedi  après  Saint-Paul  (après 
le  10  janvier)  (13  janvier  1332). 


Magnifiques  et  très-honorés  seigneurs,  après  m'être  très  humblement 
recommandé  à  vos  bonnes  grâces,  vous  veux  bien  avertir  qu'aujourd'hui 
12  de  ce  mois  de  Janvier  après  dîner,  se  sont  partis  les  capitaines  lans- 
quenets, qui  étaient  logés  en  la  Croix-Blanche,  et  s'en  vont  droit  à  Vevey 
pour  donner  ordre  cà  faire  passer  leurs  gens.  J'ai  tant  fait,  que  je  suis  as- 
suré de  savoir  la  certaine  vérité  de  leur  entreprise  par  un  de  leur  com- 
pagnie, lc([uel  m'a  dit  qu'ils  marchent  six  mille  et  vont  au  service  du  roi 
de  là  les  monts  à  Gènes,  et  m'a  dit  assurément  que  d'ici  en  avant  ils 
commenceront  à  marcher  de  jour  en  jour;  et  par  ce,  suis  été  averti  par- 
vos  amis  de  vous  en  rescrire  bien  au  long,  à  cette  fin  que  sur  ce  ayez  avis 
que  ne  soyez  pas  surpris.  Davantage,  si  bon  vous  semble,  que  j'en  res- 


517 

crive  à  votre  nom  ou  au  mien  à  Messieurs  les  Ambassadeurs  de  France 
pour  en  savoir  la  droite  vérité,  je  le  ferai  volontiers  et  vous  avertirai  de 
leur  réponse  ;  et  me  semble  que  cela  seroit  fort  bien  fait,  car  je  suis  sur 
qu'ils  m'en  feront  savoir  la  droife  vérité  ;  mais  je  ne  l'ai  osé  faire  sans 
votre  licence  pour  n'en  être  chargé  de  mener  pratiques  de  moi-même. 
Touchant  Mcsseigneurs  de  cette  ville,  ils  sont  en  aussi  bon  vouloir  et  meil- 
leur envers  vous  qu'ils  furent  oncques.  S'il  vous  survenoit  quelque  affaire, 
dont  Dieu  ne  veuille,  il  y  a  plusieurs  bons  compagnons  et  capitaines  qui  m'ont 
dit  qu'ils  nous  bailleront  pour  secours  trois  ou  quatre  mille  hommes, 
quand  bien  leurs  Seirjneiirs  ne  voudroient  bouger.  Vous  aurez  avis  sur  le 
tout,  et  me  commanderez  ce  qu'il  vous  plaira  que  je  fasse;  et  s'il  est  à 
moi  possible,  le  ferai  de  très  bon  cœur,  aidant  Dieu,  auquel  je  prie  vous 
avoir  en  sa  sainte  garde.  De  Fribourch,  ce  jour  susdit  de  soir,  par  votre 
humble  serviteur  Bezanson  Hugues.  (Reçue  le  16  janvier  1532). 

A  magnifiques  et  très  honorés  Seigneurs,  Messieurs  les  Sindiques  et 
Conseil  de  la  cité  de  Genève. 

Magnifiques  et  très  honorés  Seigneurs,  après  m'être  très  humblement 
recommandé  à  vos  bonnes  grâces,  vous  avise  que  Samedi,  jour  Saint- 
Hiiaire,  à  onze  heures,  reçus  vos  lettres  de  matin,  et  incontinent  vins  à 
Fribourg  parler  ta  M.  l'avoyer,  et  lui  demandai  le  Conseil  après  le  mar- 
ché ,  lequel  fut  tenu  sur  la  maison  de  la  ville  ;  et  là  je  fis  vos  très 
humbles  recommandations,  et  leur  exposai  comment  les  Ambassadeurs  de 
Messieurs  de  Berne  avoient  été  devant  votre  petit  et  grand  Conseil,  et 
devant  tout  le  peuple,  et  portes  ferrées  et  boutiques,  et  qu'ils  vous  ont 
exposé  qu'ils  veulent  faire  un  bon  accord  avec  M.  de  Savoye,  où  vous 
serez  compris,  et  que  demeurerez  par  ce  moyen  d'ici  en  avant  en  repos  ; 
mais  que  par  ce  moyen  devez  quitter  et  renoncer  à  leur  bourgeoisie 
et  aux  sentences  de  Payerne  et  Abscheid  de  Saint-Julien,  et  que  avez  ré- 
pondu que  êtes  joyeux  d'être  en  paix  avec  M.  de  Savoye  et  être  ses  ser- 
viteurs et  amis,  et  de  ses  sujets  aussi  ;  mais  que  jamais  ne  renoncerez  aux 
bourgeoisies  ni  aux  sentences,  et  plutôt  mourir,  et  que  sur  ce  avez  en- 
tendu que  M.  de  Savoye  veut  entrer  en  votre  ville  par  force;  et  leur 
ai  lisu  votre  mémoire  et  lettre,  dont  ils  sont  été  fort  ébahis  et  mal  contons, 
et  m'ont  remis  à  aujourd'hui  Dimanche  de  bon  matin  devant  les  bour- 
geois, là  où  je  suis  été  longuement  devant  eux  ;  et  vous  assure  que  je  leur 
ai  exposé  ma  charge  de  sorte  qu'il  y  en  avait  plusieurs  à  qui  les  larmes  sont 
venues  aux  yeux,  et  m'ont  fait  plus  d'honneur  et  d'accueil  qu'ils  ne  le 
tirent  oncques,  et  m'ont  donné  réponse  qu'ils  ne  vous  veulent  délaisser  ; 
mais  pour  mieux  être  instruits  ils  rescrivent  à  leurs  Ambassadeurs  et 

Tome  XI,  34 


518 

qu'ils  parlent  à  M,  de  Savoye  qu'il  ne  vous  lasse  point  de  force,  car  ils  ne 
le  pourroient  souffrir.  —  Aussi  vous  rescrivent  une  lettre  :  je  ne  sais  ce 
qu'il  y  a  dedans,  mais,  à  peu  paroles,  je  ne  les  vis  oncques  de  si  bon 
vouloir,  et  vous  assure  que  vous  pouvez  et  devez  tenir  bon  ;  car  si  me 
mandez,  je  ne  fais  point  de  doute  que  je  ne  vous  mène  tant  de  gens  que 
voudrez  ;  car  j'ai  fait  votre  cas  fort  piteable,  disant  qu'étiez  nuit  et  jour 
sur  les  fossés,  comment  étiez  dernièrement,  et  que  l'on  vous  y  portoit  à 
boire  et  à  manger.  —  Plus,  vous  avise  que  le  Samedi  même  que  reçus 
vos  lettres,  dépêchai  incontinent  un  homme  à  Berne,  et  rescrivis  bien  à 
plein  à  W'»  Meyer.  J'espère  que  demain  j'en  aurai  nouvelles.  Laissez 
parler  les  Ambassadeurs,  car  nous  y  avons  encore  force  amis.  —  J'ai 
parlé  à  plusieurs  capitaines,  lesquels  sont  tous  prêts  ;  il  ne  faut  sinon 
que  je  die  le  mot,  nous  aurons  force  gens.  —  Dieu  a  voulu  que  j'aie 
aujourd'hui  diné  avec  l'oncle  de  M.  le  Sindic  Boniface,  lequel  a  été  fort 
ébahi  quand  je  lui  ai  conté  les  affaires,  et  se  recommande  à  vous  tous,  et 
s'en  est  parti  incontinent  pour  aller  faire  apprêter  les  compagnons  de 
Gessenay,  et  m'a  dit  que  incontinent  que  vous  ou  moi  le  manderez,  qu'il 
fera  marcher  leurs  gens  à  toute  diligence.  —  Si' les  choses  veulent  tirer 
avant,  il  seroit  bon  a  toute  diligence  d'en  avertir  les  Lœnder  et  les  Fran- 
çais. Commandez  moi  ce  qu'il  vous  plaira,  et  vous  connoîtrez  que  je  suis 
de  Genesve  et  d'aussi  bon  cœur  que  jamais.  Recommandez  vous  à  Dieu, 
et  ne  craignez  rien.  Tout  le  monde  se  moque,  et  amis  et  ennemis,  des 
propos  que  Messieurs  de  Berne  vous  tiennent.  J'ai  tant  entendu,  que  si  vous 
voulez  suivre  votre  course  (cause)  et  bien  vivre,  que  pourrez  devenir  bour- 
geois des  cinq  cantons  et  de  Churich  (Zurich),  car  ils  ne  sont  pas  contents 
de  ces  affaires.  —  Touchant  des  Lansquenets,  n'en  craignez  rien,  quelque 
chose  que  je  vous  en  aie  écrit,  car  ce  n'est  rien,  comment  pourrez  en- 
tendre par  le  Seigneur  Michel  Guillet  à  qui  j'en  recris  bien  au  long  ;  et  sur 
ce  vais  prier  Dieu  vous  avoir  en  sa  sainte  garde.  —  De  Fribourg,  ce  Di- 
manche après  Saint-Hilaire,  à  2  heures  après  midi,  par  votre  humble  ser- 
viteur, Bezanson  Hugues.  (Reçue  16  janvier  1S32). 

Faites  incontinent  tenir  la  lettre  aux  Ambassadeurs  de  Fribourg.  Je 
vous  recommande  ma  femme  et  mon  ménage. 


A  MagnifKjues  et  très  honorés  Seigneurs ,  Messieurs  les  Sindics  et 
Conseil  de  la  cité  de  Genève. 

Magnifiques  et  très  Honorés  seigneurs ,  très  humblement  à  vos 
bonnes  grâces  me  recommande.  —  Je  vous  ai  récrit  bien  au  long  par 
votre  messager,  et  depuis  n'est  survenu  rien  de  nouveau  par  deçà,  sinon 
que  les  Ambassadeurs  de  cette  ville  sont  revenus,  et,  à  ce  que  j'ai  pu  en- 


519 

tendre  d'eux,  ils  n'ont  point  do  charge  de  M.  de  Savoie;  mais  est  ici 
IVÏ.  d'Estavayé,  qui  attend  le  comte  d'i^jitremonts  et  Lambert  et  un  colla- 
téral de  Chambéry,  je  ne  sais  lequel  c'est,  qui  sont  à  Berne,  et  avoir  tait  là 
viendront  ici.  Je  ne  sais  ce  qu'ils  y  pourront  faire  ;  mais  à  ce  que  j'ai  eu  des 
nouvelles  de  Willielm  Meyer  et  d'autres  mes  amis,  ils  n'y  feront  pas  tout  ce 
qu'ils  pensent.  D'ici,  je  suis  assuré  qu'ils  ne  vous  délaisseront  pas.  Je  suis 
ébahi  que  vous  n'avez  mandé  quelqu'un  à  Berne  ;  il  est  de  besoin  pour 
obvier  aux  mensonges.  Je  m'en  fusse  déjà  retourné  si  ne  fut  que  j'attends 
savoir  votre  vouloir,  car  je  n'ai  pas  l'échiné  assez  forte  pour  porter  les 
charges  qui  appartiennent  par  deçà  ;  vous  le  savez  mieux  que  moi.  Vous 
avez  cuydé  perdre  l'un  des  meilleurs  amis  que  vous  ayez  en  cette  ville 
pour  une  verrière  :  c'est  Matte,  l'hôte  de;  la  cloche  ;  mais  je  l'ai  appaisé. 
Il  dit  que  le  Seigneur  Jean  Philippe  l'a  donnée  au  nom  de  vos  seigneu- 
ries, et  y  sont  vos  armes  fort  belles.  Je  ne  saurois  que  vous  écrire  à  pré- 
sent, sinon  que  si  dans  trois  ou  quatre  jours  je  n'ai  nouvelle  de  vous,  je 
m'en  retournerai  par-delà.  Dieu  aidant,  auquel  je  prie  vous  avoir  en  sa 
sainte  garde.  —  De  Fribourg,  ce  jour  Saint-Antoine  bien  tard,  par  votre 
humble  serviteur  Bezanson  Hugues.  —  Ne  me  donnez  point  de  charge 
d'aller  à  Berne,  car  je  ne  le  ferai  pas  ;  vous  savez  assez  la  cause.  (Le  jour 
de  Saint-Antoine  est  le  17  janvier). 


M.  et  T.  H.  S.  —  Après  mes  très  humbles  recommandations,  je  vous 
avise  que  hier,  jour  de  Saint-Sébastien,  à  l'aube  du  jour,  je  reçus  vos 
lettres,  et  incontinent  m'en  allis  à  M.  l'avoyer,  lequel  me  donna  le  conseil  ; 
et  cependant,  pour  ce  que  le  cas  était  hâtif,  je  dépêchai  votre  homme 
avec  les  lettres  de  Messieurs  de  Berne  et  celle  du  Seigneur  Hugues  Vandel, 
et  lui  récrivis  et  fis  cela  pendant  que  le  Conseil  s'assembloit  en  cette  ville  ; 
et  aujourd'hui  suis  été  devant  les  bourgeois,  car  le  petit  Conseil  me  remit 
hier  ainsi  sans  me  faire  autre  réponse.  La  réponse  qui  m'a  aujourd'hui  été 
faite  de  MM.  les  bourgeois,  c'est  qu'ils  vous  veulent  tenir  cequ'ds  vous 
ont  promis  et  sont  en  fort'  bon  vouloir.  Davantage  ils  ont  incontinent  rescrit 
à  Messieurs  de  Berne  par  un  héraut  tout  le  contenu  de  la  plainte  que  je  leur 
ai  faite  de  votre  part  selon  le  contenu  de  vos  lettres,  et  qu'ils  veulent  savoir  et 
attendre  d'eux  comment  ils  se  veulent  sur  ces  aiîaires  conduire,  et  da- 
vantage que  si  M.  de  Savoie  veut  ainsi  faire,  qu'ils  entendent  de  prendre 
le  pays  de  Vaud  selon  le  contenu  des  sentences  données  à  Payerne.  Et 
m'a  dit  M.  l'avoyer  qu'ils  ne  me  peuvent  donner  réponse  résolue  que 
premier  ils  n'aient  réponse  de  Berne.  J'ai  entendu  de  quelques  amis  se- 
crets que  si  Messieurs  de  Berne  ne  veulent  donner  bonne  réponse  et  allée 


520 

le  droit  chemin,  qu'ils  enverront  vers  les  Lenders  '  et  autres  qui  ont  donné 
les  sentences.  J'espère  que  les  affaires  se  porteront  fort  bien.  J'ai  su 
pour  vrai  que  ce  matin  le  Grand  Conseil  s'est  tenu  à  Berne.  Vos  lettres 
et  le  Seigneur  Hugues  y  seront  été  tout  à  propos.  Tout  à  cette  heure  est 
arrivé  un  homme  certain  de  Berne,  qui  m'a  dit  que  les  bourgeois  ne 
veulent  rompre  de  bourgeoisie  ni  les  sentences,  dont  les  Savoyens  ne 
sont  pas  contents  et  demandent  à  cette  heure  le  vidomnat,  et  que  M.  de 
Savoye  puisse  aller  à  Genève  sûrement.  Je  ne  sais  à  quoi  les  affaires  se 
pourront  rédmre.  Croyez  que  je  ne  dormirai  pas  à  vous  souvent  écrire  et 
à  solliciter  vos  affaires  par  deçà.  J'ai  rendu  réponse  à  Messieurs  les 
Lenders  et  de  Zurich;  mais  il  me  semble,  vu  qu'avez  ouvert  les  lettres 
et  qu'il  vous  touche  le  cas,  que  deviez  rendre  réponse  sans  le  remettre 
sur  moi.  Je  suis  aussi  ici  pour  vous  faire  service  comme  mon  devoir  le 
porte  ;  mais  je  porte  de  grosses  charges  pour  vous,  tant  pour  mander 
gens  que  vers  le  secrétaire  que  ailleurs;  ayez  y  de  l'avis.  J'en  ai  assez 
fait  pour  le  passé,  tant  que  je  m'en  sens  et  sentirai  toute  ma  vie  et  mes 
pauvres  enfants.  Ayez  y  de  l'avis.  Ma  personne  et  mes  dépens  ne  vous 
coûteront  rien,  mais  h  la  reste  je  n'y  despendrai  plus  du  mien  et  m'en  re- 
tournerai en  bref  par  delà.  N'oubliez  dire  à  mes  gens  m'envoyer  la  four- 
rure noire  du  secrétaire^,  et  donnez  ordre  que  s'il  se  trouve  quelqu'un 
qu'il  l'apporte  ;  car  il  est  votre  ami  et  je  vous  dis  bien  fort,  pourquoi  ne 
l'oubliez  pas.  Je  vous  rescrirai  par  votre  messager  à  son  retour  de  Berne, 
et  aussi  le  contenu  de  la  réponse  qui  sera  faite  à  Messieurs  de  celte  ville 
et  celle  qu'ils  me  feront.  Il  me  semble  que  ne  feriez  pas  mal  de  rescrire 
à  Messieurs  de  Vallais  vous  avoir  pour  recommandés,  et  les  prier  de  faire 
observer  les  sentences  et  leurs  sceaux  de  Payerne;  car  je  vous  assure,  à 
ce  que  j'ai  entendu  d'eux  ici,  comme  déjà  vous  ai  rescrit,  qu'ils  y  don- 
neront quelque  bon  ordre  pour  leur  honneur,  et  si  bon  vous  semble,  faire 
le  cas  semblable  aux  autres  juges,  à  chacun  une  lettre  :  car  voyant  les 
occurens,  il  se  faut  aider  de  tout  ce  qui  pourra  porter  profit.  Si  vous 
voyez  que  fussiez  trop  pressés,  vous  ferez  bien  de  faire  écrire  à  M.  le 
Sindic  Boniface  à  son  oncle  en  Gessenay  ;  car  il  vous  mènera  incontinent 
5  ou  600  hommes,  que  sera  toujours  pour  tenir  cependant  (jue  le  gros 
secours  marchera.  Le  capitaine  Cheseau  se  porte  fort  bien  et  se  recom- 
mande à  vous  ;  et  s'il  fait  besoin  et  le  mandez,  il  vous  ira  trouver  avec 
de  bons  compagnons.  Et  sur  ce,  vais  prier  Dieu  vous  donner  vos  désirs. 
—  De  Fribourg,  ce  Dimanche  2 1  Janvier,  par  votre  humble  serviteur 
Bezanson  Hugues  (1532).  Je  vous  recommande  ma  femme  et  mon  ménage. 

*  Petits  cantons. 

•  Le  secrétaire  de  Fribourg,  Antoine  Krunimenstoll. 


521 


Messieurs,  Samedi  passé  je  reçus  vos  lettres,  et  tout  à  l'heure  vous  res- 
crivis  par  un  marchand  d'Augsbourg,  et  cela  étant  lait,  donnai  vos  lettres 
à  M.  l'avoyer;  et  fut  tenu  le  Conseil  et  me  fut  donné  pour  réponse  que  si 
Messieurs  de  Berne  les  vous  donnoient  les  24  h....  qu'ils  le  feront ,  au- 
trement non.  Je  demandai  le  grand  Conseil,  lequel  a  été  tenu.  Après 
avoir  ouï  parler  les  Seigneurs  Ambassadeurs  de  Savoie  et  ceux  de  Berne, 
lesquieulx  ont  produit  les  articles  qu'ils  demandent  être  pour  vous  ob- 
servés, et  demandoient  qu'ils  envoyassent  Ambassadeurs  avec  eux  pour 
vous  faire  le  cas  semblable  de  Messieurs  de  Berne,  ils  ont  eu  réponse 
qu'ils  y  aviseront  entre  ci  et  Jeudi,  et  qu'alors  ils  leur  feront  réponse  ;  à 
quoi  les  Bernois  n'ont  voulu  attendre,  mais  s'en  sont  partis  et  vont  ce  soir 
au  giste  à  Romont.  Les  Ambassadeurs  de  Savoye  sont  encore  ici,  je  ne 
sais  quand  ils  partiront.  Messieurs  m'ont  donné  réponse  que,  en  tout  et 
partout,  selon  l'aide  que  Messieurs  de  Berne  vous  donneront,  ils  feront 
le  cas  semblable  ;  mais  qu'eux  seuls  ne  le  voudroient  entreprendre  ;  et 
craignent  que,  s'ils  sortoient  dehors,  ceux  de  Berne  leur  fissent  quelque 
finesse  ;  et  davantage  m'ont  dit  qu'ils  regarderont  les  articles,  et  s'il  y  a 
quelque  chose  à  amender  qu'ils  le  feront  ;  et  aussi  verront  le  contenu  des 
sentences  de  Payerne,  et  selon  ce  qu'ils  verront  ils  feront,  et  à  peu  de  pa- 
roles, à  ce  que  j'ai  pu  voir  et  entendre,  ils  seroient  bien  contents  de  vous 
observer  la  bourgeoisie  et  les  sentences  de  Payerne,  mais  de  sortir  pour 
vous  secourir  ils  ne  le  feront  pas,  craignant  les  raisons  susdites.  J'ai  mandé 
Jean  Turingen  à  Berne  pour  porter  vos  lettres,  et  incontinent  après  Ber- 
nard, et  tant  que  touche  les  2S  hommes  et  vos  bateaux  détenus  et  défense 
des  vivres,  M.  l'avoyer  a  rendu  réponse  que  leurs  Ambassadeurs  ont 
charge  vous  donner  réponse  et  qu'ils  ne  veulent  rien  écrire  ;  et  davan- 
tage ont  incontinent  porté  vos  lettres  aux  Ambassadeurs  de  Savoie  qui 
étoient  encore  là.  Pensez  le  bon  vouloir  qu'ils  ont  envers  vous.  Le  dit 
Jean  Turingen  vous  avertira  du  tout  avec  les  lettres  de  Wilhelm  Mayer 
que  je  vous  envoie.  Il  fait  bien  besoin  que  Dieu  nous  aide,  car  le  monde 
est  fort  changé  par  dessous  et  ne  s'en  faut  ébahir  pour  les  raisons  que 
savez.  Si  j'avais  un  millier  d'écus  ou  5  h  600,  je  vous  ferais  assez  mar- 
cher de  gens  ;  mais  nul  ne  veut  bouger  sans  argent.  Hier  je  dépêchai  le 
Seigneur  Gander,  châtelain  de  Gessenay,  à  toute  diligence  pour  vous 
mander  50  hommes,  et  me  fallut  obliger  à  lui  de  les  vous  faire  payer  et  de  le 
garder  de  dommage.  J'ai  ce  matin  reçu  vos  lettres  par  un  homme  de  pied 
de  Lausanne,  et  me  semble  que  soyez  refroidis  d'avoir  des  gens,  pour- 
quoi me  suis  quasi  repenti  de  l'ordre  que  j'ai  donné  devers  les  dits  de 
Gessenay.  Je  ne  sais  ce  que  je  dois  faire  ;  je  sais  que  vous  êtes  pauvres 
et  avez  tant  soufferts  et  êtes  tant  endettés  qu'il  m'en  prend  grosse  pitié, 


522 

avec  ce  que  je  ne  sais  ce  que  je  dois  me  dire  de  ces  gens,  car  sans  argent 
ils  ne  veulent  ouïr.  Je  vous  prie  faites  moi  rondement  savoir  votre  volonté 
et  en  bref,  et  vous  le  pouvez  faire  cependant  que  les  Ambassadeurs  trafi- 
queront ;  car  je  voudrais  être  ailleurs,  et  m'en  fusse  allé  avec  ces  Ambas- 
sadeurs, n'eut  été  que  j'attends  le  retour  des  Sei;jjneurs  Vandelli  qui  sont 
sur  la  journée  de  Bade  et  aussi  réponse  du  Vallais.  Je  ne  vous  ose  con- 
seiller ni  déconseiller  que  sera  de  faire,  par  crainte  que  ne  pensiez  que 
j'ai  le  cœur  perdu.  Je  vous  assure  que  je  sais  de  vrai  que  M.  de  Savoie 
est  fort  affectionné  [monté,  exalté)  et  a  délibéré,  pendant  qu'il  voit  ces 
gens  tenir  bon  pour  lui,  vous  poursuivre  jusqu'au  bout;  Dieu  par  sa 
grâce  y  veuille  donner  bonne  paix;  car  à  peu  de  paroles,  je  ne  sais  trou- 
ver remède  ni  secours  envers  ces  seigneurs,  que  de  bonnes  paroles.  Je 
ne  leur  sais  dire  autre  que  de  les  prier  que  s'ils  ne  nous  veulent  faire  de 
bien,  à  tout  le  moins  ils  ne  nous  fassent  pas  de  mal.  Touchant  les  bons  com- 
pagnons de  guerre,  ils  sont  aussi  prêts  à  vous  servir  que  jamais,  et  en  écri- 
vant la  présente  me  sont  venus  présenter  4  ou  .'i  hommes;  mais  à  peu  de 
paroles  il  faut  argent  et  je  ne  sais  où  le  trouver  ;  car  j'ai  déjà  emprunté  pour 
vos  affaires  10  écus  du  Seigneur  Banderet  Pierre  Myeursin  dont  je  vous 
tiendrai  compte  jusqu'au  dernier  denier,  vous  priant  les  lui  rendre  quand  il 
sera  à  Genève  et  retirer  ma  cédule.  J'ai  déjà  mandé  quatre  ou  cinq  fois  à 
Berne  ;  il  se  faut  aussi  entretenir  sur  les  abbayes  avec  les  compagnons  ;  ce 
que  j'en  ai  fait  et  fais  tous  jours,  c'est  pour  vous  faire  plaisir,  et  comme 
m'aviez  écrit  le  faire.  Ne  pensez  pas  que  je  veuille  que  me  payez  rien  de 
mes  despens  cependant  que  serai  en  cette  ville,  moi  de  mon  homme 
(c'est-à-dire  pour  ma  personne  et  mon  domestique)  ;  mais  quand  je  man- 
derai aux  champs  ou  ferai  ([uolqu'autre  dépense  pour  vous,  il  est  bien  rai- 
son que  vous  le  payez.  J'avais  Samedi  au  soir,  écrit  une  lettre  pour  vous 
envoyer  ;  mais  je  ne  sus  jamais  trouver  l'homme  qui  la  devait  porter  ;  je 
vous  l'envoyé  avec  la  présente  vous  priant  la  bien  noter .  car  il  vous  fait 
besoin,  et  vous  assure  sur  ma  vie  qu'il  est  ainsi  que  je  vous  écris  ;  je  vous 
prie  donnez  y  ordre.  Incontinent  qu'aurai  autres  nouvelles  vous  avertirai 
du  tout,  Dieu  aidant,  auquel  etc.,  etc. — De  Fribourgce  Mardi  au  soir  30 
Janvier  (1532).  —  Je  vous  recommande  ma  femme  et  mon  ménage.  Je 
vous  renvoyé  Turingen  et  votre  homme  à  cette  fin  que  nous  ne  vous  fas- 
sions trop  de  dépenses  ici,  combien  que  votre  homme  de  pied  a  toujours 
été  ici  sur  ma  bourse  et  non  pas  sur  la  vôtre.  Avisez  souvent  ceux  de 
Lausanne,  si  étiez  surpris,  de  nous  en  avertir  pour  y  donner  ordre  de 
ce  qu'on  pourroit  faire.  Je  vous  envoie  des  lettres  que  j'ai  reçues  des 
Seigneurs  ambassadeurs  de  France.  Ayez  sur  tout  avis. 


523 


Magnifq.  et  très  honorés  Seigneurs,  tant  humblement  que  faire  puis  à 
vos  bonnes  grâces  me  recommande.  Je  vous  avise  que  hier  au  matin  je  re- 
çus votre  lettre  par  Engel,  héraut  de  Messieurs  de  Fribourg,  et  touchant 
votre  première  lettre  j'étais  malade  à  Fribourg,  pour  quoi  elle  fut  portée 
à  Messieurs  mes  compagnons  à  Basle,  lesquels  m'en  ont  rescrit  le  double 
comme  verrez  par  leur  lettre  que  je  vous  envoyé  avec  la  présente  ;  et  vous 
tenez  assurés  que  rien  ne  restera  h  être  remontré  devant  Messieurs  des 
Ligues  et  Messieurs  des  deux  villes.  Je  vous  airescris  par  Peter  Folle, 
menuisier,  de  Berne  ;  je  crois  que  aurez  reçu  la  lettre,  pourquoi  en  la 
présente  ne  vous  en  ferai  autre  mention  ;  vous  avisant  que  ne  devez 
craindre  que  Messieurs  ayent  besoin  d'être  sollicités,  pour  vous  donner 
secours  si  besoin  en  est,  que  Dieu  ne  veuille  !  car  ils  en  sont  plus  prêts 
que  jamais,  et  crois  que  vous  porterons  bon  dépêche  de  cette  journée. 
Touchant  de  parler  d'avancer  le  serment  de  la  Bourgeoisie,  j'en  ai  eu 
conseil  h  Berne  et  à  Fribourg  aux  amis  ;  mais  il  n'y  a  ordre,  car  il  n'y 
feront  autre  sinon  au  jour  établi  ;  et  ne  vous  devez  soucier  des  viandes, 
car  comme  ils  disent,  leur  afiection  est  plus  aux  honneurs  qu'aux  viandes, 
et  vous  assure  que  jamais  depuis  que  les  connois  ne  les  ai.  trouvés  en 
si  bon  vouloir  qu'ils  sont  à  présent,  dont  avons  h  louer  Dieu.  Il  sera  bien 
fait  de  faire  bon  guet  et  de  se  bien  garder  ;  mais  à  le  reste  je  ne  puis 
croire  que  ce  prince  soit  si  fou  de  rien  commencer  ni  M.  de  Genève 
avec.  J'espère  que  à  la  fin  de  cette  semaine  partirons  d'ici  pour  vous 
aller  voir,  si  les  affaires  vont  comme  entendons  et  si  autre  ne  survient. 
Je  suis  encore  fort  mal  du  bras  gauche,  tant  que  ne  m'en  puis  aider  ;  mais 
je  sais  bien  qu'il  y  en  a  en  votre  conseil  qui  disent,  comme  l'on  me  rap- 
porte, que  je  semble  le  chien  de  Madame,  que  je  cloche  quand  je  veux  ; 
mais  les  prie  qu'ils  y  donnent  si  bon  ordre  qu'ils  viennent  ici  eux-mêmes 
faire  les  affaires  ;  car  aussi  bien  ne  m'en  veux-je  plus  mêler.  Si  ne  1er- 
rai-je  pour  ce  à  vivre  à  honneur,  maugré  eux.  Dieu  aidant,  auquel  je 
vous  prie,  M.  et  tr.  H.  S.  vous  donner  vos  désirs.— De  Fribourg  ce  Lundi 
au  soir  6  Février,  par  votre  très  humble  serviteur  Bezanson  Hugues. 
(Billet  inclus)  Je  suis  été  ici  devant  Messieurs  à  cause  du  vin,  et  en  ai  parlé 
aux  Sieurs  Walter  Heyde  et  Gaspard  Verle.  J'espère  bientôt  vous  en- 
voyer la  volonté  et  résolution  de  Messieurs  au  mieux  qui  me  sera  pos- 
sible et  au  contentement  de  chacun.  (  Reçue  le  9  février  1532). 


524 


LISTE  DES  PIÈCES  JUSTIFICATIVES 


N»»  1,  Acte  de  cassation  des  quatre  syndics  eydguenots  de  1S19  par  le 
prince-évêque  Jean  de  Savoie,  immédiatement  après  l'exécution 
de  Berthelier, — ^  traduction  française. 

2.  Protestation  de  Bezanson  Hugues  et  de  ses  amis  contre  les  pu- 

blications du  10  décembre  1519,  touchant  le  port  d'armes,  9 
janvier  1520,  — en  latin. 

3.  Requête  des  babitanls  de  Sl-Gervais  à  Bezanson  Hugues  pour 

faire  fortifier  ce  bourg,  1527  ou  1528,  — en  français. 

4.  Inféodation  de  la  pêche  du  lac,  du  Rhône  et  de  l'Arve  à  Bezan- 

son Hugues  par  l'évêque  Pierre  de  la  Baume,  12  juin  1527,  — 
en  latin. 

5.  6,  7,  8.  Lettres  de  Messieurs  de  Berne  aux  syndics  et  Conseils 

de  Genève,  1525  et  1529, —  en  français. 
9.  Lettre  de  l'ambassadeur  de  France  à  Bezanson  Hugues,  1532, 
—  en  français. 

10.  Lettre  des  cantons  de  Zurich,  Luccrne,  Uri,  Schwytz,  Unler- 

walden,  Zug,  Claris,  Bâle,  Schaff'house  et  Appenzell,  écrite  de 
Bade  au  duc  de  Savoie  le  1<^''  février  1532,  — en  allemand. 

1 1 .  Lettre  d'Ami  Porral  à  Robert  Vandel,  1532, —  en  français, 

12.  Lettre  de  l'empereur  Charles-Quint  au  comte  de  Montrevel,  ne- 

veu de  l'évêque  Pierre  de  la  Baume,  i-l  avril  1532,  —  en 
français. 
13  à  43.  Lettres  de  Bezanson  Hugues,  de  1527  à  1532,  — en  fran- 
çais. 

N.B.  Les  autres  pièces  justificatives  se  trouvent  dans  le  texte  même  de 
î'ouvrage  ou  dans  les  ooles. 

J.  B.  G.  GALIFFE,  J.  M   D. 


«^X^'C^^- 


NOTE 


SUR 


LES  ANTIQUITÉS  ROMAINES 

DÉCOUVERir-S 

SUR  LES  TRANCHÉES 

Lue  à  la  Société  d'Histoire  et  d'Archéologie  de  Genève  dans  sa  séance  du 

24  décembre  1857. 


ESQUISSE  TOPOGRAPHIQUE  DES   DECOUVERTES. 

Les  Tranchées  forment  un  plateau  élevé  et  sablonneux,  situé  à 
l'est  de  la  ville  de  Genève.  L'examen  du  sol  fait  reconnaître, 
au-dessous  de  remblais  modernes,  une  couche  de  transition, 
sépanmt  les  remblais  d'une  troisième  couche  décidément  ro- 
n)aine.  Celle-ci  se  distingue  par  des  traces  bien  évidentes  d'in- 
cendie. Au-di^ssous,  se  trouve  le  sol  primitif  dont  la  direction 
générale  incline  vers  le  lac.  De  toutes  ces  couches ,  la  plus 
riche  en  ohjels  intéressants  est  sans  contredit  la  couche  ro- 
maine, située  à  4  pieds  environ  au-dessous  du  sol  acluel. 
Elle  contient,  entre  autres  débris,  un  grand  nombre  de  vases 
et  de  monnaies.  La  belle  position  des  Tranchées  dut  de  bonne 
heure  engager  les  habiianls  du  pays  à  s'y  établir.  Suivant 
une  antique   tradition,  rapporlée    par    Baronius',   puis    par 

*  Baronius  dit  forme'lemcnl,  en  parlant  du  monastère  de  Saint-Victor, 
qu'il  fut  construit  sur  l'emplacement  où  on  adorait  autrefois  les  images  de 
Jupiter,  de  Mars  et  de  Mercure,  ubi  olini  idola  Joi>is,  Martis  et  Mercurii  co- 
lebantur.  Bonivai'd  confirme  encore  la  tradition  par  une  inscription  consa- 
crée à  ces  trois  divinités,  et  qui  fut  découverte  lors  de  la  démolition  de 
l'église  de  Saint-Victor. 


526 

Bonivard,  un  temple  consacré  à  Jupiîer,  Mars  et  Mercure 
s'élevait  sur  les  Tranchées  lors  de  la  dumination  romaine.  Une 
semblable  tradition  permettait  de  supposer  l'existence  d'établis- 
sements roii  ains  dans  celte  localité.  Ce  qui  n'était  qu'une  sup- 
position est  devenu  une  certiiud  •,  |i:ir  suite  de  découvertes  suc- 
cessives occasionnées  par  les  travaux  de  nivellement.  —  Avant 
de  parler  de  ces  dernières,  je  ne  crois  pas  inutile  de  rappeler 
celle  qui  eut  lieu  en  1823.  lors  de  la  construction  du  pont  de 
fil  de  fer.  En  faisant  creuser  une  mine  en  face  du  pont, 
M.  le  général  Dufour  trouva  un  tronc  «le  colonne  en  grès^ 
qu'on  fut  obligé  de  décliausser  pour  le  retirer,  un  clmpileau  et 
une  meule  de  moulin  à  bras,  en  grès.  Tous  ces  débris  étaient 
mêlés  de  briques  romaines  et  de  charbons.  Récemment,  près  du 
même  endroit,  on  a  recueilli  plusieurs  morceaux  de  giè-ta  liés, 
qui  semblent  appartenir  à  une  même  colonne;  peut-être  ces 
fragments  ont-ils  quelque  rapport  avec  le  tronc  de  colonne 
qu'on  avait  rencontré  en  creusant  la  mine*. 

Les  travaux  de  démolition  des  fortifications  commencèrent 
en  1851,  vers  l'extrémité  du  plateau,  près  du  chemin  de  Ma- 
lagnou.  Ils  donnèrent  lieu  à  de  nombreuses  et  remarquables 
découvertes  daniiquilés  romaines. 

Ce  fut  en  1853  qu'eut  lieu  la  première.  Eu  exécutant  des 
travaux  près  du  chemin  deMalagtiou,  on  arriva  aux  fondements 
d'une  construction  dont  les  murs,  composés  de  pierres  roulées, 
formaient  un  cairé  long  de  15  à  18  pieds  de  longueur  sur  10 
à  12  de  largeur.  Un  escalier  en  grès,  dont  il  ne  restait  que  trois 
degrés,  conduisait  à  un  caveau.  A  l'entrée  de  ce  caveau  on  remar- 
quait une  grande  dalle  de  moiasse.  ^ur  laquelle  devait  s'ouvrir  la 
porte.  Cette  sille  souterraine,  qui  avait  sans  doute  servi  de  cave 
à  quelque  riche  Romain,  contenait  un  grand  nombre  de  vases 
de  formes  variées.   Au  fond,  cinq  gtandes  amphores  rondes 

'  Un  fragment  de  colonne  qui  pourrait  avoir  quelque  rapport  avec  ces 
(i/îbris  fut  trouvé  près  du  pont  de  fil  de  fer,  lors  des  premiers  travaux  de 
nivellement,  el  recueilli  par  M.  Lombard-Rieu. 


527 

étaieul  appuyées  contre  le  mur,  elles  étaient  entourées  de  neuf 
vases  en  terre  rouge  et  de  débris  d'urnes  en  verre.  Près  de 
l'entrée,  on  trouva  encore  un  gond  et  6  poids  en  terre  cuite, 
rangés  contre  le  mur.  Tous  ces  débris  étaient  entourés  de  frag- 
ments de  charbon,  qui  attesteraient  un  incendie.  Du  reste,  ces 
traces  d'incendie  se  rencontrent  sur  tous  les  points  du  plateau 
des  Tranchét  s,  et  serviraient  à  confirnK  r  une  tradition,  rappor- 
tée par  plusieurs  historiens  \  et  selon  laquelle  Genève  aurait 
été  entièrement  détruite  par  le  feu ,  sous  le  règne  de  Marc- 
Âurèle.  Jusqu'à  la  hauteur  de  trois  pieds  et  demi,  une  cou- 
che de  stuc  rouge  ornait  la  partie  inférieure  du  mur,  qui  avait 
environ  deux  pieds  d'épaisseur.  Des  stucs  de  diverses  cou- 
leurs en  couvraient  la  partie  supérieure.  La  plupart  des  vases 
furent  brisés  par  les  ouvriers,  les  fragments  de  quelques-uns 
furent  recueillis;  j'en  donnerai  plus  lard  la  description  (§  II). 
La  quantité  considérable  des  vases,  qui  étaient  ensevelis  dans 
celte  maison,  a  porté  quelques  personnes  à  croire  qu'une  fa- 
brique de  poterie  existait  dans  cet  endroit  sous  la  domination 
romaine.  Si  l'on  y  avait  découvert  des  restes  de  moules  ou  de 
fours,  on  S(rait  en  droit  de  le  supposer,  mais  rien  de  sembla- 
ble n'a  été  remarqué,  à  ma  connaissance  du  moins;  d'ailleurs 
les  vases  provenant  des  Tranchées  portent  des  noms  de  po- 
tiers différents  entre  eux,  et  on  y  a  trouvé  des  vases  de  formes 
et  de  terres  si  variées  qu'il  est  ditîieile  de  le  penser.  Il  serait 
peut-être  plus  naturel  de  croire  qu'il  existait  dans  cet  emplace- 
ment un  entrepôt  de  vins. 

Près  de  cet  endroit,  on  trouva  deux  amphores  de  forme 
ovoïde:  l'une  d'entre  elles  fut  recueillie  par  M.  de  Manoël.  Non 
loin  de  là,  en  creusant  les  fondements  de  la  maison  Sabatier, 
on  découvrit  un  vase  en  poterie  Une,  de  couleur  rouge,  et  dont 
les  dessins  représentent  des  sujets  obscènes;  il  est  actuelle- 
ment entre  les  mains  de  M.  le  docteur  Bizot. 

'  Voir  Histoire  de  Genève,  par  Spon  ;  édition  de  Genève  1730,  p.  13,  et 
Histoire  de  Genève  depuis  son  origine  jusqu'à  nos  jours,  par  Bérenger; 
Genève,  1772,  p.  35. 


528 

En  janvier  1855,  les  ouvriers  arrivèrent  en  face  du  Square 
el  découvrirent,  au  milieu  du  sable  le  p'us  pur,  une  quinzaine 
d'amphores  [diolœ]^  qui  furent  pour  la  plupart  transport(^es  au 
Musée.  Les  unes  étaient  oblongues  et  se  terminaient  en  pointe, 
de  manière  à  pouvoir  être  enfoncées  en  terre;  d'autr.s, 
à  goulot  court  et  étroit,  avaient  de  larges  ventres;  quelques- 
unes  d'entre  elles  offraient  sur  une  de  leurs  anses  des  noms  de 
fabricants. 

Vers  le  même  point,  les  ouvriers  rencontrèrent  un  amas  de 
remblais,  formé  de  briques  romaines  et  de  fragments  de  stuc. 
On  y  trouva  des  tuiles  de  deux  espèces,  animaiœ  icgnlœ  et  im- 
brices.  Les  premières  sont  plus  larges  que  les  nôtres  et  sont  places, 
les  autres  sont  semblables  à  nos  tuiles  creuses.  Au  milieu  de  cet 
amas  de  débris  mêlés  de  charbons,  les  ouvriers  recueillirent  quel- 
ques vases  de  poterie  rouge,  ornés  de  dessins  en  relief.  On  décou- 
vrit encore  dans  cet  endroit  une  pointe  de  javelot,  une  clef  en  fer 
et  une  pointe  de  fibuîe  en  bronze,  recouverte  d'un  tis^u  gros-ier. 
On  y  a  encore  recuedli  cinq  poids  en  terre  cuite,  quelques  frag- 
ments de  marbre  travaillé  et  deux  monnaies  impériales  en  bronze 
d'Auguste  et  de  Trajan.  Près  de  là,  les  ouvriers  trouvèrent  deux 
petits  vases  à  parfums  en  terre  cuite,  el  une  statuette  égaleme  .1 
en  terre  cuite,  qui  semble  avoir  servi  à  un  laraire;  elle  repré- 
sente deux  divinités  dépouillées  de  tout  vêlement  el  les  bras 
ramenés  sur  la  poitrine. 

Au  mois  d'août  1857,  les  ouvriers  qui  travaillaient  près  du 
saillant  du  bastion  du  Pin,  furent  arrêtés  par  des  amphores, 
rangées  les  unes  à  côté  des  autres.  Elles  étaient  dans  un  assez 
bon  élat  de  conservation,  et  l'une  d'entre  elles  fut  acquise  par 
M.  le  docteur  Marin.  Les  autres  se  perdirent  ou  furent  brisées. 
Quelque  temps  après  on  en  dérouvrit  encore  vingt-deux  dans 
une  sorte  de  cave,  près  du  pont  de  fil  de  fer.  Elles  furent  char- 
gées sur  des  wagons  de  remblais  et  jetées  dans  les  fossés. 

Enfin,  le  7  août  1858,  on  trouva  deux  amphores  *  à  6  ou  7 

'  Voir  à  ce  sujet  Revue  de  Genève,  n»  du  mardi  10  août  1858. 


529 

mètres  de  profondeur  dans  la  demi-lune  des  Casemales.  Ces 
vases,  hauts  d'envron  2  pieds  et  demi,  pèsent  chacun  de  60  à 
70  hvres  et  devaient  contenir,  suivant  le  poids  romain,  82  livres, 
7  onces,  19  scrupules  de  liquide.  Les  deux  amphores  portent 
sur  une  anse  le  même  nom  de  potier  :  L.  VARONS,  et  non 
VARON.  comme  l'avaient  dit  les  journaux. 

Dans  la  coiilre-gaidc  du  bastion  du  Pin  ',  on  a  recueilli  der- 
nièrement di^  nombreux  objets,  savoir  :  un  anneau,  une  cloche, 
un  étui,  un  vase  et  quelques  ornements  en  cuivre;  une  clef  et 
un  fragment  d'éirier  en  fer  et  une  épingle  en  os  surmontée 
d'une  petite  figure  qui  représente  la  Fortune.  Il  s'y  trouvait 
aussi  un  certain  nombre  d'objets  en  terre  cuite,  une  lampe, 
dont  le  bec  est  écorné,  quelques  fragments  de  vases  en  poterie 
rouge  et  noire,  et  huit  poids  de  grandeurs  variées,  dont  l'un  porte 
sur  un  des  côiés  un  X-.  Plusieurs  tuiles  romaines,  recueillies 
dans  les  environs, étaient  aussi  marquées  des  lettres  suivantes:  A 
et  P.  Deux  tuiles  différentes  portaient  cette  dernière  marque» 
La  plus  grande  partie  de  ces  objets  ont  été  déposés  à  la  Chan- 
cellerie et  sont  destinés  au  Musée  cantonal. 

*  Bien  qu'elle  ne  se  raUactie  qu'indirectemenl  à  noire  sujet,  nous  devons 
noter  ici  la  découverte  de  treize  tombeaux  dans  la  contre-garde  du  bastion 
du  Pin.  Ils  étaient  formés  par  des  briques  à  rebord,  et  recouverts  de  dalles 
en  grès.  Une  particularité  à  noter,  c'est  qu'un  chapiteau,  orné  de  canne- 
lures, formait  partie  intégrante  de  l'un  des  tombeaux.  La  présence  de  ce 
chapiteau  peut  servir  à  déterminer  à  quelle  période  ces  tombeaux  doivent 
se  rattacher.  Les  squelettes  qu'ils  contenaient  étaient  assez  bien  conservés. 
Dans  le  plus  grand  des  tombeaux,  on  a  trouvé  une  belle  iihule  en  or, 
ciselée,  dans  laquelle  est  enchâssée  une  pierre  blanche,  transparente.  Les 
tombeaux  étaient  tous  dirigés  vers  l'orient,  comme  les  sépultures  helvéto- 
burgondes,  décrites  par  MM.  Troyon  et  Gosse*.  Toutefois  la  réunion  des  bri- 
ques romaines  et  des  dalles  doit,  à  ce  qu'il  semble ,  rattacher  ces  tombes  à 
une  période  de  transition  entre  les  périodes  romaine  et  helvélo-burgonde. 

'  Voir  les  deux  lettres  de  M.  Jaain  dans  la  Rnviie  de  Genève  du  jeudi  26 
août  1858. 

'  Description  des  tombeaux  de  Bel-Air  près  Chescaux  sur  Lausanne ,  par  Frédéric  Troyon^ 
1841.  Notice  siir  d'anciens  cimetières  Irou  es  soil  en  Savoie,  soil  dans  le  canton  de  Genève,  et 
printipalcnieiit  sur  celui  de  la  iJalme ,  près  la  P>ochc,  par  H.-J.  Gosse,  extrait  du  tome  IX  des 
Mémoires  de  la  Société  d'Histoire  et  d'Archéologie  de  Genève.  Genève,  1853,  et  aussi  la  suite  de 
cette  notice  publiée  dans  le  tome  XI  des  mêmes  mémoires. 


530 

Nous  arrivons  malmenant  h  la  dernière  trouvaille  qui  ait  eu 
lieu  sur  les  Tranchées.  Le  14  septembre  1858,  les  travaux  de 
nivellement  mirent  à  découvert,  dans  la  contre-g;irde  du  bastion 
du  Pin,  un  ouvrage  en  maçonnerie  fort  massif,  qui  devait 
avoir  appartenu  à  une  tour  ou  à  quelque  autre  construction. 
Près  de  là,  l'on  recueillit  une  quantité  de  monnaies  consulaires 
romaines,  en  argent'.  Elles  se  dispersèrent  immédiatement  et 
passèrent  entre  les  mains  des  amateurs,  qui  se  pressaient  au- 
tour des  ouvriers.  Au  même  endroit,  les  ouvriers  découvrirent 
encore  un  grand  nombre  de  monnaies  consulaires,  qui  sem- 
blaient fausses  pour  la  |)lupart.  Quelques-unes  de  ces  monnaies, 
qui  avaient  été  altérées,  laissaient  voira  l'iniérieur  une  lamelle 
de  fer  assez  épaisse.  A  côté  de  ces  monnaies  isolées,  l'oxydation, 
ou  peut-être  l'action  d'un  violent  incendie,  en  avait  aggloméré 
un  grand  nombre  en  une  seule  masse.  On  recueillit  encore  près 
de  là  des  fragments  de  briques  et  de  creusets,  qui  pourraient 
avoir  servi  à  un  atelier  de  faux  monnayeurs.  Ce  qui  pourrait 
faire  croire  à  l'existence  de  cet  atelier,  c'est  qu'une  monnaie 
consulaire  de  bon  aloi,  conservée  par  M.  Kulin,  porte  un  re- 
vers (Mars  en  pied  avec  la  lég.  :  VALERI  FLACCI),  gravé  en 
creux ,  et  pouvant  servir  ainsi  de  coin  pour  les  monnaies  con- 
trefaites. La  dispersion  des  monnaies  restreint  infiniment  la 
liste  que  l'on  en  peut  donner;  le  catalogue  de  celles  dont  j'ai 
pu  prendre  connaissance  trouvera  sa  place  dans  l'article  spécia- 
lement destiné  aux  médailles. 

Telles  sont  les  découvertes  opérées  jusqu'à  présent  sur  les 
Tranchées.  Peut-être  celte  rapide  esquisse  attirera-t-elle  l'atten- 
tion des  amateurs  d'antiquités  sur  cette  localité,  où  les  travaux 
de  nivellement  peuvent  chaque  jour  donner  lieu  à  (pielque  trou- 
vaille intéressante. 

*  Voir  une  lettre  sur  ce  sujet  dans  la  Gazette  de  Lausanne  du  samedi  18 
septembre  1858. 


531 
II 

POTERIES. 

Poteries  rouges.  —  Les  vases  de  terre  rouge,  que  con- 
tenait la  cave  romaine,  étaient  ("oit  nombreux  et  se  distinguaient 
par  l'élégance  de  leurs  formes.  Plusieurs  d'enire  eux  offraient 
des  dessins  à  sujets  variés;  citons  en  particulier  un  fragment 
de  vase,  recueilli  par  M.  Gosse,  et  qui  représente  un  Gaulois 
revêtu  du  costume  national:  il  tient  d'une  main  la  jambe  d'un 
sanglier  destiné  probablement  au  sacrifice.  Ce  Gaulois  porte  le 
vêtement  connu  sous  le  nom  de  braies  {braccae)  qui  tombe  jus- 
qu'à ses  g(M)0ux.  h' Indicateur  d'histoire  et  d'antiquités  suisses^ 
a  donné  le  dessin  d'une  anse  de  vase  en  bronze,  qui  offre  quel- 
que analogie  avec  celui  de  notre  fragment.  Il  représente  un 
Gaulois  qui  se  d  spose  h  immoler  un  sanglier  sur  l'autel  du 
dieu  Mercure.  Un  autre  fragment,  trouvé  sur  les  Trancliées, 
et  appartenant  à  M.  Lombard-Pneu,  représente  un  sujet  très- 
semblable:  ce  sont  deux  statues  de  dieux  élevées  sur  des  pié- 
destaux ,  devant  lesquels  im  homme  prépare  un  sacrifice.  Ces 
deux  débr  s  ont  ceci  de  remarquable  qu'ils  offrent  d'une  manière 
fort  exacte,  le  vêtement  national  qui  a  donné  son  nom  à  une 
partie  de  la  Gaule. 

J'ai  di'ja  in  liqué  précédemment  le  vase  en  terre  rouge  qui 
fut  découvert  sur  l'emplacement  de  la  maison  Sabatier;  ce  vase, 
de  19  pouc  s  et  d  mi  de  tour,  est  d'une  forme  élégante  et  d'un 
travail  soigné  ;  les  dessins  sont  de  telle  nature  qu'il  ne  convient 
pas  d'en  donner  la  description.  Il  est  décoré  dans  sa  partie 
supérieure  d'une  bordure  festonnée;  cet  ornement,  d'origine 
hfllén  que,  suivant  M.  Blavignac^  se  retrouve  fréquemment 
dans  les  monuments  de  larl  gallo-romain. 

'  N»  de  juin  1855. 

-  Voir  Histoire  de  l' Architecture,  sacrée  du  i"*»  au  lO'"^  siècle,  dans  les 
anciens  évêchés  de  Genève,  Lausanne  etSion,  par  J.-D.  Blavignac.  Lau- 
sanne, 1853,  p.  19. 


532 

A  quelque  distance  de  la  cave,  dans  l'amas  de  remblais  déjà 
mentionné,  les  ouvriers  rassemblèrent  les  fragments  d'un  beau 
vase,  également  en  terre  rouge  (pi.  II,  iig.  1  ).  Les  dessins  re- 
présentent Bacchus,  tenant  d'une  main  une  grappe  de  raisin,  dont 
on  ne  voit  plus  qu'un  reste,  tandis  que  l'autre  est  recouverte  de  la 
peau  du  tigre,  animal  qui,  comme  on  le  sait,  élait  généralement 
consacré  à  ce  dieu.  On  reconnaît  aisémenl  Bacchus  à  son  em- 
bonpoint et  à  cet  air  de  jeunesse  qui  a  fait  dire  à  Ovide  : 

Tibi  enim  inconsumpta  juventa  est 
Tu  pueF  aeternus,  tu  forraosissimus  alto 
Conspicies  cœlo. 

Met.  Lib.  IV. 

Des  deux  côtés  de  Bacchus  sont  figurés  de  jeunes  faunes  dan- 
sant entre  deux  thyrses.  Au-dessus  d'eux,  on  voit  un  tigre  gros- 
sièrement indiqué.  A  côté  de  ces  deux  sujets,  qui  devaient  se 
répéter  sur  tout  le  reste  du  vase,  l'artiste  a  représenté  une 
femme  enveloppée  d'une  large  draperie,  et  qui  porte  le  bras 
en  avant.  Peut-être  est-ce  une  bacchante?  Dans  la  partie  in- 
férieure du  vase  on  voit  deux  lièvres*.  Au-dessous  de  ce  vase', 
on  découvrit  encore  une  patère  (pl.IÎ,fig.  2)  d'une  forme  élégante, 
et  ornée  sur  son  rebord  de  feuilles  de  lierre.  Cet  ornement  est 
de  ceux  que  j'ai  rencontrés  le  plus  fréquemment  sur  les  vases 
des  Tranchées.  Le  Recueil  d'antiquùés,  du  comte  de  Caylus% 
fait  mention  d'une  coupe  semblable,  provenant  des  fouilles  de 
Bavay. 

Plus  loin,  les  ouvriers  parvinrent  à  rassembler  presque  tous 
les  débris  d'un  vase  (pi.  ï,  fîg.  2),  remarquable  par  les  sujets  qu'of- 
frent ses  dessins.  Ce  sont  trois  figures,  dont  une  seulement  est 
drapée.  La  première,  à  droite,  offre  un  homme  de  taille  moyenne 
et  dont  on  ne  peut  distinguer  les  traits,  effacés  par  le  frotte- 
ment. Il  lient  d'une  main  une  branche  d'arbre  ou  un  bâton  et  de 


'  Ce  fragment  de  vase ,  aussi  remarquable  par  les  sujets  de  ses  dessins 
que  par  sa  bonne  conservation,  est  également  orné  d'une  bordure  festonnée. 
»  Tome  II,  p.  397. 


533 

l'autre  un  instrument  aratoire.  Beger,  cité  par  Loys  tie  Bochat', 
représente  Sylvain,  le  dieu  des  forêts,  comme  tenant  de  la  main 
droite  une  serpe  et  de  la  gauche  une  branche  d'arbre  ;  je  ne 
fais  ici  qu'un  simple  rapprochement.  Près  de  cette  figure  sont 
tracés  des  caractères  qu'il  est  difficile  de  lire.  Ils  sont  sans 
doute  relatifs  aux  sujets  représentés  sur  le  vase.  Ne  voulant  ha- 
sarder aucune  conjecture,  j'ai  reproduit  soigneusement  ces  lettres 
pour  en  laisser  l'explication  aux  experts  (pl.ï,fig.  3).  Le  person- 
nage suivant  est  un  homme  vêtu  d'une  draperie,  tenant  d'une  main 
les  plis  de  sa  rolie  et  de  l'autre  une  sorte  de  sceptre  ou  de  bâton. 
Montfaucon,  ihns  Y  /antiquité  expliquée  (t.  I,  pi.  LXX),  a  pubhé 
une  statuette  de  Mercure  qui  porte  un  objet  semblable.  Enfin, 
dans  le  sujet  suivant,  on  voit  un  homme  assis,  qui  porte  une 
main  vers  sa  tête,  tandis  que  de  l'autre  il  tient  un  attribut,  dans 
lequel  quelques  personnes  croient  reconnaître  un  trident.  L'en- 
semble de  ces  sujets  se  répète  sur  tout  le  reste  du  vase,  où 
ils  sont  séparés  trois  par  trois  par  des  dauphins.  Un  vase,  sem- 
blable de  grandeur  et  de  forme  au  précédent  (pl.I,  fig.  1)  repré- 
sente des  divinités  ailées,  à  la  manière  des  déités  étrusques. 
Ce  sont  probablement  des  génies,  tels  que  ceux  qu'on  retrouve 
fréquemment  sur  les  vases  peints,  grecs  ou  étrusques*.  La  fi- 
nesse qui  distingue  ce  vase  porterait  à  croire  qu'il  a  été  imité 
d'un  modèle  grec  ou  étrusque.  J'ai  recueilli  encore  de  nom- 
breux fragments  de  ce  genre  de  poterie  remarquables  par  la 
délicatesse  des  moulures.  Parmi  les  plus  beaux  spécimens,  on 
peut  citer  le  fragment  qui  est  figuré  pi.  Il,  fig.  3.  Sa  forme  simple 
et  élégante,  et  surtout  le  style  de  ses  ornements,  en  font  une  véri- 
table œuvre  d'art.  Sur  un  autre  fragment  est  représenté  un  élan, 
lancé  au  galop  et  monté  par  un  jeune  faune.  Au-dessus  se  trou- 

'  Mémoires  critiques  pour  servir  d'éclaircissements  sur  divers  points  de 
THistoire  ancienne  de  la  Suisse  et  sur  les  monuments  d'antiquité  qui  la  con- 
cernent, par  Loys  de  Bochat.  Lausanne,  1767;  tome  II,  p.  413. 

'  Voir  passim  :  Antiquités  étrusques,  grecques  et  romaines,  gravées  par  F.-A. 
David,  avec  leurs  explications,  par  d'Hancarville.  Paris,  1785;  5  vol. 

Tome  XI.  35 


534 

vent  deux  autres  figures,  presque  entièrement  effacées.  Sur  un 
troisième  débris  se  trouve  figuré  un  lion  qui  semble  poursuivre 
une  proie.  Le  Recueil  d' Antiquités  du  comte  de  Caylus  *  contient 
le  dessin  d'un  fragment  de  vase  gallo-romain,  qui  représente  un 
lion  dans  la  même  attitude  et  entouré  des  mêmes  ornements.  Les 
sujets  de  chasse  se  retrouvent  fréquemment  sur  les  vases  des 
Tranchées;  sur  l'un  d'eux  ce  sont  des  lièvres  poursuivis  par  un 
chien  ;  sur  un  autre  on  voit  un  tigre  qui  guette  une  proie  et 
s'avance  derrière  un  arbre;  un  troisième  offre  une  lutte  entre 
un  lion  et  un  sanglier  (ce  fragment  a  été  recueilh  pour  le  Mu- 
sée cantonal).  Dans  une  autre  catégorie  de  sujets,  l'on  trouve 
des  fragments  qui  représentent,  i  un  un  soldat  légionnaire,  un 
autre  un  faune  aux  jambes  velues  et  portant  un  thyrse,  un 
autre  un  sphinx,  tel  qu'il  est  figuré  sur  les  monnaies  d'Athènes 
et  sur  une  pierre  gravée  du  cabinet  de  Gorlée.  Tous  ces  dé- 
bris de  poteries  fines  sont  mêlées  sur  les  Tranchées  à  des  frag- 
ments de  vases  gris,  noirâtres  et  blanchâtres.  Ces  débris  ont 
assez  de  rapport  avec  les  vases  grossiers  découverts  dans  nos 
lacs,  mais  ils  attestent  cependant  un  degré  plus  avancé  de  civi- 
lisation. 

Avant  d'aller  plus  loin ,  et  pour  donner  une  idée  plus  nette 
des  vases  rouges  des  Tranchées,  je  demande  la  permission  de  ré- 
sumer en  quelques  mots  les  principaux  résultats  obtenus  jus- 
qu'ici par  l'étude  de  ce  genre  de  poteries.  Cette  digression  sera 
sans  doute  superflue  pour  la  plupart  de  mes  lecteurs,  mais  elle 
pourra  avoir  de  l'intérêt  pour  quelques-uns,  pour  ceux  surtout 
qui  ont  eu  connaissance  des  poteries  découvertes,  sans  avoir 
eu  l'occasion  d'en  étudier  l'histoire. 

Les  vases  rouges  qui  nous  occupent  sont  fort  communs  dans 
tous  les  pays  qui  subirent  la  domination  romaine,  et  en  parti- 
culier dans  les  Gaules;  Caylus  cite,  comme  preuve  de  leur 
abondance,  le  fait  qu'on  en  avait  découvert  des  fragments  à 

'  Tome  II,  pi.  CXX. 


535 

Rome  même,  dans  les  bains  de  Caracalla,  et  qu'on  en  retrou- 
vait sur  les  plages  désertes  de  la  Bretagne.  Quelques  archéo- 
logues leur  ont  donné  la  dénomination  générale  de  vaaes  sa- 
miem;  d'autres,  et  en  particulier  les  savants  français,  celle  de 
vaftes  gaUo-romaim.  Selon  Mongez,  c'étaient  des  vases  de  luxe  ; 
M.  Brongniart*,  au  contraire,  pensf  qu'ils  ont  servi  aux  usages 
domestiques;  cette  dernière  oj)inion  semble  maintenant  la  plus 
généralement  admise. 

La  matière  dont  ils  étaient  composés  a  donné  lieu  à  de  nom- 
breuses recherches;  Mongez  en  particulier,  dans  un  Mémoire 
qu'il  soumit  à  la  Classe  d'histoire  et  de  littérature  ancienne  de 
rinslitut  de  France,  attira  l'attention  sur  les  beaux  produits  de 
la  céramique  gauloise,  et  entreprit  quelques  recherches  sur  ce 
sujet;  c'est  de  l'analyse  de  cette  dissertation  que  je  tirerai  quel- 
ques détails  sur  leur  confection  :  «Ces  poteries,  dit  M.  Mongez, 
«  sont  faites  avec  une  terre  naturellement  rouge  ou  ocreuse  et 
«  recouvertes  avec  celle  même  terre,  de  sorte  qu'elles  n'ont 
«  rien  d'insalubre,  parce  que  leur  couverte  ne  contenait  rien  de 
'  métallique.  Les  ouvriers  employaient  pour  faire  cette  cou- 
«  verte  du  sel  marin  que  le  feu  volatilisait,  ou  elle  se  formait 
«  par  le  contact  des  cendres  qui  entouraient  les  poteries  pen- 
«  dant  leur  cuisson.»  Les  expériences  que  Mongez  fit  faire  sur 
ces  poteries  lui  apprirent  que,  sur  100  parties,  elles  contiennent 
silice,  56,66;  alumine,  31,66;  chaux,  fer  et  magnésie,  11,68; 
et  qu'elles  sont  colorées  en  rouge  par  le  fer. 

J'ajoute  un  mot  sur  les  principales  fabi  iques  des  vases  gallo- 
romains.  Le  comte  de  Caylus  croyait  qu'ils  avaient  été  fabri- 
qués exclusivement  à  Nîmes,  et  en  expliquait  1  abondance 
dans  presque  toutes  h  s  parties  de  la  Gaule,  par  l'étendue  du 
commerce  de  Nîmes.  Mais  des  découvertes  successives,  opérées 
dans  presque  tout  l'ancien  monde  romain ,  prouvent  que  cette 

*  Voir  Traité  des  arts  céramiques  ou  des  poteries  considérées  dans  leur 
histoire,  leur  pratique  et  leur  théorie,  par  Alex.  Brongniart.  Paris,  t854; 
i  vol.  p.  432. 


536 

opinion  est  peu  fondée  et  que  des  manufactures  de  poteries 
rouges  doivent  avoir  existé  dans  presque  toutes  les  contrées 
conquises  par  les  Romains.  M.  Brongniart,  dans  son  Traité  des 
arts  céranuques  \  a  donné  une  liste  assez  détaillée  des  princi- 
pales découvertes  de  poieries  rouges,  opérées  en  France.  Parmi 
les  savants  qui  se  sont  occupés  de  ces  poteries,  M.  Artaud  est 
un  de  ceux  qui  ont  obtenu  les  plus  beaux  résultats.  En  faisant 
exécuter  des  fouilles  en  Auvergne,  près  de  Clermont,  il  eut  le 
bonheur  de  trouver,  avec  un  grand  nombre  de  débris  précieux, 
un  moule  entier.  Au  moyen  de  ce  moule,  et  d'une  terre  rouge 
qui  se  trouvait  dans  le  voisinage,  il  parvint  à  faire  un  vase, 
imitant  avec  la  dernière  perfection  les  vases  gallo-romains.  Cet 
essai  indiquait  la  marche  a  suivre  pour  d'autres  vases,  et  il  au- 
rait été  facile  de  s'emparer  de  la  découverte  pour  induire  en 
erreur  les  antiquaires. 

Pour  la  Suisse,  l'ouvrage"  de  M.  Schmidt,  sur  les  antiquités 
d'Avenche  et  de  Culm,  offre  quelques  vases  découverts  dans 
les  ruines  d'un  établissement  de  bains  romains  à  Avenches. 
M.  de  Bonstetlen  a  aussi  figuré  dans  son  Recueil  d'Antiquités 
suisses  quelques  fragments  trouvés  à  Augst  et  a  Orbe. 

Marques  de  potiers  snr  vases  rouges. 

Les  potiers  inscrivai<>nt  souvent  leurs  noms  sur  les  vases 
qui  sortaient  de  leurs  fabriques  ;  toutefois  il  est  rare  qu'on  ren- 
contre de  ces  noms  sur  les  vases  ornés;  ils  sont  en  général  gra- 
vés au  fond,  dans  un  cercle.  Ces  noms,  dont  quelques-uns  sont 
grecs,  d'autres  latins  et  d'autres  gaulois,  sont  intéressants  en 
ce  qu'ils  offrent  le  moyen  de  comparer  les  vases  qui  portent  les 
mêmes  marques.  Suivant  M.  Champollion-Figeac^,ces  noms 

«  P.  438  à  455. 

*  Voir  Hecueil  d'Antiquités  trouvées  à  Avenches,  à  Culm  et  en  d'autres 
lieux  de  la  Suisse,  par  M.  Schmidt.  Berne,  1760;  p.  51, 

'  Traité  d' Archéolo'jie ,  par  M.  Cliampollion-Figeac ,  deuxième  édition. 
Paris,  1843;  tome  II,  p.  306. 


537 

indiquent  quelquefois  des  manufactures  impériales;  aussi  mé- 
ritent-ils d'être  recueillis. 

En  France,  Grivaud  de  la  Vincelle  lut  l'un  des  premiers  ar- 
chéologues qui  attirèrent  l'attention  sur  ces  marques  de  céra- 
mistes. Il  en  publia  deux  qu'il  avait  trouvées  sur  deux  vases  au 
Luxembourg.  M.  Grignon  ayant  dirigé  des  fouilles  dans  les 
ruines  d'une  ville  romaine,  située  sur  le  Châtelet,  en  Cham- 
pagne, trouva  un  grand  nombre  de  vases  qui  portaient  des 
noms,  pour  la  plupart  gaulois.  Récemment  encore,  MM.  Tudot, 
dans  le  Bourbonnais,  et  Boilleau,  àTours,  en  ont  publié  un  grand 
nombre.  En  Angleterre,  M.  Roach  Smith,  par  ses  efforts  infa- 
tigables, est  parvenu  à  rassembler  plusieurs  centaines  de  noms 
qu'il  a  publiés  dans  ses  Collectanea  antiqua.  Enfin  pour  la 
Suisse,  M.  Mommsen  a  donné,  dans  son  ouvrage  sur  les  in- 
scriptions romaines  de  l'Helvétie,  une  série  très-considérable  de 
ceux  qui  ont  été  trouvés  dans  les  différentes  parties  de  notre  pays. 

Les  Tranchées  ont  fourni  un  modeste  contingent  de  noms, 
dont  quelques-uns  semblent  inédits,  et  qui  forment  peut-être 
h  partie  la  plus  intéressante  des  découvertes.  En  voici  la  liste: 

ATEL  Ce  nom,  qui  est  inscrit  sur  trois  vases  différents,  a  été 
publié  par  M.  Tudot,  dans  sa  Notice  sur  les 
marques  de  céramistes  trouvées  dans  le  Bour- 
bonnais, et  par  M.  Mommsen  '. 

CABYCL. 

CARATVS.  FEcit. 

CARBONISM. 

DEM(!)ES. 

..DONTIOIII ,  peut-être  pour  Dontioei  manu  -. 

*  Voir  Inscriptiones  Confederatioiiis  Helvetiœ  Latinœ,  edidit  Th.  Mommsen. 
Turici,  MDCCCLIV,  p.  89. 

*  «  La  substitution  de  deux  traits  verticaux  ou  de  deux  l  à  la  lettre  E, 
ï  dérivée  de  l'usage  d'employer  TH  grec  pour  l'E  des  Latins  est  fréquente  à 
€  l'époque  gallo-romaine;  M.  Dufour  (Mém.  de  la  Société  des  Antiquaires 
«  de  Picardie,  t.  IX,  p.  417)  l'a  constatée  sur  plusieurs  cachets  de  potiers 


lOR.U. 
MCRIN. 


OF.  PRIMl 
PRIMI 


538 

Le  vase  sur  lequel  se  irouve  celle  marque 

appartient  à  M.  Gosse. 

Le  vase  qui  porie  ce  nom  est  destiné  au 

Musée  cantonal. 

probablement  pour  Nigrini,  qui  a  été  cité 

par  M.  Roach  Smitli  '   dans  la  liste  qu'il 

donne  des  marques  de  potiers  découvertes 

à  Londres.  Une  inscription  romaine,  trouvée 

près  de  Ghougny,  mentionne  aussi  le  nom 

«le  Nigrinus. 


Le  vase  qui  porte  ce  nom  est  destiné  au 
Musée  cantonal. 

Le  nom  de  Priinus  est  très-commun;  il  a 
été  publié  par  MM.  Grignon  "^  et  Roach 
Smith  \  M.  Roilleaii,  dans  sa  Notice  sur  les 
objets  gallo-romains  trouvés  dans  les  fonda- 
tions du  nouveau  Palais-de-Jiistice  de  Tours, 
cite  aussi  un  nom  somblabli\ 

SGOTIVS.  T.  et  SGOTIVS.  Ges  deux  noms  sont  inscrits 
sur  deux  vases  qui  appartiennent,  l'un  au 
Musée  cantonal,  (4  lautre  à  M.  Lombard- 
Rieu. 

SILVANL  (manu."!  M.  Mommsen  cite  un  nom  semblable 
inscrit  dans  un  vase  trouvé  à  Windisch. 


«  où  dans  les  mots  GIIHTI,  RIIGALIS,  SIICVNDI,  les  deux  I  tiennent  lieu  de 
«  l'E  des  noms  CERTl,  REGALIS,  SECUNDl,  etc.  »  Histoire  de  l Architecture 
sacrée  du  i'^^  au  iO"^^  siècle  dans  les  anciens  évêchés  de  Genève,  Lausanne 
et  Sion,  par  J.-D.  Blavignac.  Lausanne,  1853;  1  vol.  p.  19. 

*  Voir  t.  I,  p.  154,  Collectanea  Antigua,  Etchings  ofancient  remains  illus- 
trative  of  the  habits,  customs  and  hislory  of  past  âges,  by  Ch.  Roach  Smith. 
London,  1853. 

*  Voir  l'ouvrage  déjà  cité  de  M.  Roach  Smith,  1. 1,  p.  154. 

'•  Voir  :  Bulletins  des  fouilles  faites  par  ordre  du  roi  d'une  ville  romaine, 
sur  la  petite  montagne  du  Châtelet,  entre  Saint-Dizier  et  Joinville,  en  Cham- 
pagne, découverte  en  1772  par  Grignon.  Bar-lc-Duc,  1774;  2  vol.  Voir 
1«'  bulletin ,  p.  60  et  61,  et  2''  p.  223. 


539 

L.  TITI.  et  au-dessous  THYR.  sur  la  partie  extérieure  d'un 

destiné  au  Musée  cantonal.        • 
TANVACI..  ou  bien  TALVACI.. 
VENTICISAT. 
OF.  YIPILLI.     pour:  ex  officinâ  Yipilli.  Ce  nom  esi  inscrit 

sur  un  vase  appartenant  à  M.  Gosse. 
OFIC   BILL 
OF.  FSI  (??) 

OF.  PRM.  (M.  Mommsen  cite  ce  nom  dans  son  ouvrage,  p.  97.) 

OF.  L.  COS.  YL..  pour:  ex  officinâ  legionis  consularis  sex- 

tae.   Cette  inscription,  gravée  au  fond  d'un 

vase  appartenant  à  M.  Gosse,  fournit  une 

donnée  intéressante  sur  l'origine  de  ce  vase. 

J'ajouterai  ici  quelques  noms  qui ,  par  le  fait  d'une  cassure, 

ne  se  trouvent  pas  complets  : 

...LO.  FECit 
PRL.. 
..IMI 
Enfin,  sur  la  partie  extérieure  d'un  peîit  vase  sont  marquées 
au  poinçon  les  lettres  suivantes  : 

....NIYS  SYM  CATL. 
Le  reste  manque.  Le  nom  qui  précède  SYM  était  peut-être  un 
nom  propre  comme  Nunnius  ou  Ennius. 

Marques  de  potiers  sur  amphores. 

Parmi  les  nombreuses  amphores  trouvées  sur  les  Tranchées, 
il  en  est  plusieurs  qui  portent  des  noms  de  fabricants.  Sur  le  col 
de  l'une  de  celles  qui  furent  découvertes  dans  la  cave  romaine, 
on  lisait  : 

COM. 
Plusieurs  autres  amphores  isolées  portaient  sur  l'une  de  leurs 
anses  des  noms  dont  je  donne  ici  la  liste  : 

TERTL 
C.  FA.  PRI. 


540 

SEX.  I.  I. 
IFS. 

PRSAENl. 
..MBl. 

Ces  deux  derniers  noms  se  trouvent  sur  les  anses  de  deux 
vases  conservées  par  M.  Lombard-Forel. 

On  a  aussi  trouvé  sur  les  Trancliées  des  vases  de  même  terre 
que  les  amphores,  mais  de  formes  différentes;  ces  vases,  ronds 
et  peu  profonds,  étaient  probablement  destinés  k  contenir  du 
lait. 

Sur  le  rebord  extérieur  de  l'un  d'entre  eux,  trouvé  près  du 
pont  de  fil  de  fer,  on  lit  deux  noms  : 

C.  ATISIVS. 
CRATVS.  I. 

Ces  deux  marques  sont  déjk  connues  en  France.  M.  Tudot 
donne  les  détails  suivants  sur  un  vase  qui  porte  les  mêmes  noms 
que  celui  dont  nous  parlons  :  «  Ce  vase  appartient  au  Musée 
«  de  Moulins,  l'origine  en  est  incertaine;  lorsqu'il  était  chez  un 
«  amateur  à  Lyon,  il  a  été  décrit,  mais  le  point  qui  sépare  la 
«  première  lettre  de  la  seconde  du  dernier  nom  n'a  pas  été  vu 
«  et  l'on  a  pris  le  G  pour  un  C;  c'est  ainsi  que  de  G.  ATISIVS 
«  on  a  fait  CATISIVS.  » 

Sur  le  vase  de  M.  Lombard-Forel  c'est  bien  un  C  et  non 
point  un  G  qui  commence  le  nom  de  CATISIVS  mais  le  point 
est  parfaitement  distinct  et  peut  servir  h  confirmer  la  note  de 
M.  Tudot. 

D'autres  vases  du  même  genre  portaient  l'un  :  TET.  sur  deux 
côtés  différents;  un  autre  SABIN..,  et  un  autre:  I..  OHPI. 


m 

MONNAIES. 

La  dispersion  presque  immédiate  des  monnaies  consulaires 


541 

ne  permet  pas  d'en  donner  une  liste  un  peu  complète;  M.  Gosse 
fils  est  parvenu  à  en  rassembler  26  de  bon  aloi,  dont  voici  la  liste 
que  je  dois  à  son  obligeance  '  et  que  je  transcris  telle  quelle  : 

1.  Famille  Acilia,  page  -i,  n°  7  ;  pi.  I,  fig.  4  (Variante  inédite: 
Balbus,  écrit  en  abrégé.) 

2.  Famille  Afrania,  page  11,  nM  ;  pi.  II,  fig.  1. 

3.  Famille  Antonia,  page  23,  n«  3;  pi.  V,  fig.  40.  (Légion 

m.) 

4.  Id.  page  23,  n«  11  ;  pi.  Y,  fig.  48.  (Légion 

IX.) 

5.  Id.  page  24,  n«  30;  pi.  VI,  fig.  65.  (Lé- 

gion XX.) 

6.  Famille  Claudia,  page  54,  n°  13;  pi.  XIIÏ,  fig.  10. 

7.  Famille  Considia,  page  59,  n°  6  ;  pi.  XlV,  fig.  6. 

8.  Famille  Cornelia,  page  63,  n°  21  ;  pi.  XVI,  n"  19. 

9.  Id.  page  68,  n«  42;  pi.  XVI,  n«  36.  (Va- 
riante ;  un  D  au-dessus  du  quadrige.) 

10.  Famille  Decimia,  page  79,  n«  1  ;  pi.  XVIII,  fig.  1. 

11.  Famille  Flaminia.  page  91,  nM  ;  pi.  XX,  fig.  1.  (Deux 
exemplaires). 

12.  Famille  Julia,  page  104,  n«  5  ;  pi.  XXII,  fig.  4. 

13.  Famille  Lollia,  page  128,  n«  1;  pi.  XXVIII,  fig.  1. 

14.  Famille  Mussidia,  page  152,  n°  4;  pi.  XXXIII,  fig.  3. 

15.  Famille  Plautia,  page  173,  n°  6;  pi.  XXXVII,  fig.  4. 

16.  Id.  page  174,  nM  1  ;  pi.  XXXVII,  fig.  7. 

17.  Famille  Porcia,  page  188,  n«  4;  pi.  XXXÏX,  fig.  4. 

18.  Famille  Postumia,  page  190,  n°  3;  pi.  XL,  fig.  3. 

19.  Famille  Quinctia,  page  193,  n«  7;  pi.  XL,  fig.  3.  (Variante 
inédite.  La  souris  est  retournée  avec  le  monogramme  R.) 

20.  Famille  Roscia,  page  195,  n°  1  ;  pi.  XLÏ,  fig.  1. 

21.  Famille  Sdia,  page  213,  n°  1  ;  pi.  XLIV,  fig.  I . 

22.  Famille  Titia,  page  221,  n°  4;  pi.  XLVI,  fig.  4. 

♦  Les  indications  se  rapportent  à  l'ouvrage  intitulé  ;  Le  Monete  délie  antiche 
Famiglie  di  Roma,  del  G.  G.  Riccio.  2'^^  édition  ;  Naples,  1843,  in-4°. 


542 

23.  Famille  Tiluria,  page  223,  n«  1  ;  |)1.  XLVÏ,  fig.  1.  (Deux 

exemplaires.; 

24.  Famille  Vihia,  page  234,  n°  5;  pi.  XLYIII,  fig.  9.  (Va- 
riété :  le  mol  Pansa  est  retourné.) 

Voici  la  liste  '  des  monnaies  fourrées  dont  j'ai  pu  prendre  con- 
naissance auprès  de  diverses  personnes  qui  ont  bien  voulu  me 
faciliter  ces  recherches  '  : 

{2  de  la  famille  Minucia. 

Av.  :  RVF.  (Rufus).  Tête  de  Pallas  à  droite,  avec  le  casque 
ailé,  devant,  X. 

Rev.:  Q.  MINV.  ROMA.  (Qnintus  Minucius,  Roma).  Les 
Dioscures,  a  cheval,  se  dirigeant  à  droite. 

Il  faut  également  rattacher  à  cette  famille  la  mon- 
naie suivante  : 

Av.  :  Tète  casquée  de  Pallas,  à  gauche,  avec  une  plume  et 
une  crinière  au  casque. 

Rev.:  Q,  THERM.  M  F.  Deux  guerriers  combattant,  ar- 
més d'épées;  entre  eux,  un  soldat  h  terre. 

12  de   la  famille  Fabia. 

Av.:  C.  ANM.  T.  F.  T.  N.  PROCOS.  EX.  S.  C.  (Caius 
Annius,  Titi  filius,  Titi  nepos,  proconsul  ex  Senatûs 
consultoV  Tête  «iiadémée  de  Junon  Moneta,  h  droite, 
sous  la  tête,  un  N. 

Rev.:  L.FABI.  L. F.  HISP.  i^Lucius  Fabius, Lucii fdius  His- 
paniensis.)  Ce  dernier  mot  ne  se  trouve  pas  sur  toutes 

*  Bien  que  j'aie  lieu  de  croire  cette  liste  exacte,  il  se  pourrait  cependant 
qu'il  s'y  fût  glissé  quelque  erreur ,  par  suite  de  la  nécessité  où  je  me  suis 
trouvé  d'étudier  les  pièces  chez  leurs  possesseurs. 

*  Les  indications  relatives  aux  monnaies  sont  tirées  textuellement  de  l'ou- 
vrage de  M.  H.  Cohen,  intitulée  :  Description  générale  des  monnaies  de  la 
République  romaine,  communément  appelées  médailles  consulaires,  par  H.  Cohen- 
Paris,  1857;  in-4". 


543 

les  monnaies.  Victoire  dans  un  quadrige,  tenant  une 
longue  palme. 

5  de  la  famille   Vibia. 

Av.  :     PANSA.  Tête  laurée  d'Apollon,  à  droite,  devant,  un 

symbole. 
Rev.:  C.  VIBIYS.  C.  F.  (Caius  Vibius,  Caii  filius.)  Pallas 

dans  un  quadrige,  portant  un  trophée  et  tenant  une 

haste. 

6  aiilres  de  la  famille  Vibia. 

Av.:     PANSA.  Masque  de  Pan  à  droite. 
Rev.:  C.  VIBIVS.  C.  F.  (Caius  Vibius,  Caii  filius).  Masque 
de  Silène  à  droite,  couronné  de  lierre  et  barbu. 

\0  de  la  famille  Valeria. 

Av.  :     Buste  ailé  de  la  Victoire,  a  droite,  devant,  X. 

Rev.  :  L.  VALERI.  FLACCI  (Lucii  Valerii  Flacci).  Mars 
debout,  casqué,  tenant  une  épée  el  un  trophée  ;  à  gau- 
che, l'apex  ;  à  droite,  un  épi  de  blé. 

9  de  la  famille  Porcia. 

Av.  :     M.  CATO.  ROMA.  Tète  de  la  Liberté,  à  droite. 

Rev.:  VICTRIX.  La  Victoire,  assise  à  droite,  tenant  une 
palme  et  une  patère.  Entre  les  pieds  de  la  chaise  sur 
laquelle  est  assise  la  Fortune,  on  lit  les  lettres  :  S.  T. 

1  de  la  famille  Porcia. 

Av.:  LAECA.  Tète  de  Pallas,  à  droite,  avec  le  casque 
ailé. 

Rev.:  M.  PORC.  ROMA.  (Marcus  Porcins.  Roma.)  La  Li- 
berté dans  un  quadrige  au  galop,  à  droite,  tenant  un 
bonnet  et  une  haste  et  couronné  par  une  Victoire  qui 
vole. 


544 


9  de  la  famille  Rutilia 

Av.  :     FLAC  (Flaccus).  Tête  de  Pallas ,  à  droite,  avec  le 

casque  ailé. 
Rev.:  L.  RVTILI  (Lucius  Rulilius).  Victoire  dans  un  bige, 

au  galop,  à  droite,  tenant  une  couronne. 

5  de  la  famille  Cassia. 

Av.:  Tête  de  Bacchus,  à  droite,  couronné  de  lierre;  der- 
rière, un  thyrse. 

Rev.:  L.  CASSI.  Q.  F  (Lucius  Cassius,  Quinli  filius).  Tête 
de  Proserpine,  à  gauche,  couronnée  de  pampre. 

4  de  la  famille  Nœvia. 

Av.:     Tête  diadémée  de  Vénus,  à  droite;  derrière,  S.  C  (Se- 

nalûs  consulto). 
Rev.:  C.  NAE.  BAB.  (la  légende  est  mal  gravée;  ce  doit 

être  pour:  Caius  Naevius  Balbus).  Victoire  dans  un  trige 

à  droite.  Dans  le  champ,  CVIII. 

4  de  la  famille  Flaminia. 

Av.:     ROMA.  Tête  de  Pallas,  à  droite,  avec  le  casque  ailé; 

devant,  X. 
Rev.:  L.  FLAMINI.  CILO  (Lucius  Flaminius  Cilo).  Une 

Victoire  dans  un  bige  au  galop,  à  droite,  tenant  une 

couronne. 

3  de  la  famille  Fannia. 

Av.:     AED.  PL.  (aediles  plebis).  Tête  de  Cérès  à  droite, 

couronnée  d'épis. 
Rev.:  M.  FAN.  L.  CRT  (Marcus  Fannius,  Lucius  Grito- 

nius).  Deux  hommes  en  toge,  assis;  devant,  un  épi  ; 

derrière,  P.  A.  (primi  sediles  ou  pubhco  argenlo). 


545 


1  de  la  famille  Postumia. 

Av.:  HISPAN  •Hispania).  Tête  de  femme,  à  droite,  voilée, 
les  cheveux  épars. 

Rev.:  A.  (à  gauche);  POST.  A.  F.  (à  l'exergue).  S  N  (à 
droite);  A(L)BIN*  (au  milieu  du  champ  pour  Aulus 
Postumius,  Auh  filius,  Spurii  nepos,  Albinus).  Homme 
en  loge,  debout,  levant  la  main  droite  vers  une  aigle 
romaine;  derrière,  des  faisceaux  avec  une  hache. 

1  de  la  famille  /Emilia. 

Av.  :     ALEXANREA  (pour  Alexandrea).   Une  tête  diadé- 

mée  et  tourrelée  de  la  ville  d'Alexandrie  à  droite. 
Rev.  :  M.  (LEPIDYS)  PONT.  MAX.  (TV)TOR  REG.  S.  C. 

(Marcus  Lepidus.  pontifex  maximus.  tutor  régis  Se- 
natûs  consulto).  Lépide  debout,  posant  un  diadème 
sur  la  têie  de  Ptolémée  V,  enfant,  qui  tient  un  sceptre 
surmonté  d'un  aigle. 

1  de  la  famille  IJosidia. 

Av.:     GETA.  III.  VIR  (Geta  triumvir).  Buste  diadème  de 

Diane,  a  droite. 
Rev.:  C.  HOSIDI.  C.  F.  (Caius  Hosidius,  Caii  fihus).  Un 

sanglier  percé  d'une  flèche  et  assailli  par  un  chien. 

Celle  monnaie  est  fort  altérée. 

1  de  la  famille  Claudia. 

Av.:     Buste  de  Diane,  à  droite,  avec  arc  et  carquois  ;  devant, 

S.  C.  (Senatûs  consulto). 
Rev.:  TI.  CLA(V)D.  TI.  (F.  AP.  N).    (Tiberius  Claudius, 

Tiberii  filius,  Appii  nepos.)  Victoire  dans  un  bige  au 

•  Les  lettres  entre  parenthèses  manquent  ou  sont  altérées  dans  les  mon- 
naies. 


546 

galop,  à  droite,  tenant  une  palme  et  une  couronne; 
au-dessous  du  bige,  I. 

1  de  la  famille  Sulpicia, 

Av.:     S.  C  (Sonatûs  consulto).  Tête  voilée  de  Vesta,  à 

droite. 
Rev.:  P.  GALB  (Pubiius  Galba)  à  l'exergue,  AE.  CVR. 

(sedilis  curulis)  dans  le  champ.  Simpule  entre  une 

hache  et  un  couteau  de  sacrificateur. 

Outre  ces  monnaies  consulaires,  on  a  encore  trouvé  sur  les 
Tranchées  plusieurs  pièces  appartenant  a  la  numismatique  impé- 
riale; en  voici  la  liste: 

1  Auguste. 

1  Trajan. 

1  Adrien. 

1  Lucille. 

1  Volusien. 

1  Galhen. 

1  Tetricus. 

1  Claude  le  Gothique. 

1  Maximien. 

1  Constantin  le  Grand. 

1  Magnence. 

Henri  FAZY. 


NOTE  RELATIVE  A  LA  NOTICE  BIOGRAPHIQUE 


SDR 


CHARLES  PERROT 

Page  1  —  68. 

Plus  de  trois  ans  se  sont  écoulés  depuis  que  la  Notice  sur 
Ch.  Perrot  paraissait  en  tête  de  la  première  livraison  de  ce  vo- 
lume. Cet  homme,  presque  inconnu,  y  étail  désigné  '  comme 
un  «  théologien  dont  on  ne  possède  ni  un  sermon,  ni  un  livre, 
ni  une  lettre.  »  Cette  assertion  n'est  plus  exacte.  Je  suis  heu- 
reux de  pouvoir  encore,  à  la  fin  de  ce  même  volume,  annoncer 
la  découverte  importante  que  vient  de  faire  à  ce  sujet  un  mem- 
bre correspondant  de  notre  Société,  M.  Jules  Bonnet,  le  célèbre 
éditeur  des  Lettres  de  Calvin. 

Cet  honorable  ami  a  bien  voulu  faite  à  Paris,  rtlativemenl  à 
Perrot,  quelques  recherches  dans  les  manuscrits  de  la  Biblio- 
thèque impériale.  Elles  ont  amené  des  résultats  que  je  tiens  à 
indiquer  ici,  pour  que,  si  je  ne  puis  en  tirer  parti  moi-même,  de 
plus  jeunes  ou  plus  forts  puissent  le  faire. 

M.  Jules  Bonnet  a  trouvé  des  écrits  el  des  indications  d'écrits 
de  Ch.  Perrot  dans  les  tomes  477  et  699  de  la  collection  Du- 
puy.  Le  premier  renferme  plus  de  cinquante  lettres  adressées 
par  Perrot,  tout  à  la  fin  du  seizième  siècle,  a  un  ami  (Jean  Pithou, 
à  ce  qu'il  croit),  sur  des  matières  historiques,  archéologiques 
et  ecclésiasliijues.  —  On  trouve  aussi  dans  le  même  volume, 
sous  le  nom  du  dit  de  Perrot,  un  ouvrage  intitulé  :  Remonslrance 
pour  la  réformation  de  V Eglise.  —  Enfin,  de  courts  fragments 
de  quelque  intérêt,  et  l'indication  <!c  quelques  écrits  de  feu  le 
Révérend  Père  en  Dieu  Perrot  ;  écrits  sans  doute  perdus  et  qui 
doivent  dater  de  sa  première  jeunesse.  —  Le  tome  699  contient 
trois  lettres  latines  de  Charles  Perrot  a  un  étudiant  en  théologie 
de  Heidelherg  (1592-1596). 

'  Page  15. 


548 

Pour  ceux  qui  onl  pris  intérêt  au  caractère  et  à  la  vie  de 
l'homme  qui  nous  occupe,  il  y  a  là  une  mine  à  exploiter;  mine 
dont  la  richesse  ne  peut  encore  être  bien  jugée,  mais  dont  la 
valeur  réelle  est  pourtant  incontestable.  Les  notes  et  les  extraits 
que  M.  Jules  Bonnet  a  bien  voulu  recueilhr  à  mon  intention, 
et  qu'il  me  transmet  en  date  du  8  janvier,  suffisent  à  le  démon- 
trer et  fournissent  déjà  quelques  données  précieuses. 

En  effet,  la  correspondance  avec  Pithou  est  fortement  em- 
preinte de  l'esprit  de  charité  universelle,  de  pieux  amour  de 
Dieu  et  des  hommes,  de  profonde  humilité,  qui  m'avait  paru 
devoir  faire  le  fond  de  la  vie  religieuse  de  Charles  Perrot  et  le 
secret  de  sa  théologie.  Les  fragments  que  M.  Jules  Bonnet 
m'en  a  communiqués  sont  très-remarquables  sous  ce  rapport, 
et  c'est  le  jugement  qu'il  en  porte  lui-même.  «  Ces  lettres  achè- 
«  vent  de  peindre,  m'écrit-il,  cette  âme  délicate  froissée  par  les 
«  luttes  de  son  temps,  et  plus  éprise  de  tolérance  et  de  charité, 
«  que  de  l'énergique  profession  des  vérités  qui  caractérisent  les 
«  réformateurs.  » 

Je  dois  signaler  encore,  en  terminant,  deux  autres  résultats, 
l'un  à  constater,  l'autre  à  éclaircir. 

Le  titre  de  Révérend  Père  en  Dieu  donné  à  Perrot  dans  un 
catalogue,  confirme  ma  conjecture  qu'il  avait  commencé  par  être 
moine.  —  Puis  son  manuscrit  sur  la  réforme  de  l'Eghse  ne  se- 
rait-il point  le  trop  fameux  De  extremis  in  Ecclesiâ  vitandis, 
détruit  par  Lect  \  mais  dont  une  copie  avait  été  précédemment 
portée  à  Paris  par  Denys  Perrot^,  et  qui  avait  pour  but  la  ré- 
forme de  l'Eglise  calviniste,  et  la  conciliation  générale  ^? 

31  janvier  1859. 

J.-E.  Cellérier,  professeur. 

'  Page  56  et  64. 

•  Page  55. 

^  Voir  pages  .35,  37  et  47, 


BLLLETIIS 


DE   LA 


SOCIÉTÉ  D'HISTOIRE  ET  D'ARCHÉOLOGIE 


nars  1^59. 


1 .  Personnel  de  la  Société.  Depuis  notre  dernier  Bulletin  (  voyez, 
page  i  92)  la  Société  a  reçu  au  nombre  de  ses  membres  ordinaires  : 

1858.  MM.  Arthur  Bossi. 

»     Ernest  Cramer. 
»      Théodore  Necker. 

1859.  1)     Perceval  de  LoRiOL. 

Et  au  nombre  de  ses  correspondants  ou  associés  étrangers  : 

1858.     MM.  Ch.  Roach  Smith. 

>     De  Gilles,  conseiller  d'État  de  S.  31.  l'empereur  de 

Russie,  à  Saint-Pétersbourg. 
»     Raymond  Bordeaux,  docteur  en  droit,  à  Evreux. 
»     Adolphe  Granges,  sous-bibliothéquaire  à  Dijon. 
»     Ferdinand  Keller,  docteur  en  médecine,  président  de 

la  Société  des  Antiquaires,  à  Zurich. 

M.  Huber-Saladin  ,  ancien  membre  effectif,  a  été  classé  parmi  les 
membres  honoraires. 

Elle  a  perdu  trois  de  ses  membres  ordinaires  :  M.  Charles  Revilliod- 
DE  Sellox,  ancien  auditeur,  M.  Odier-Baulacre,  à  la  générosité  du- 
quel nous  devons  la  publication  récente  des  Œuvres  de  L.  Baulacre ,  el 
M.  F.  RoGET,  ancien  professeur  d'histoire  à  l'Académie  de  Genève, 
dont  les  travaux  historiques  et  littéraires  sont  bien  connus  et  appréciés 
des  lecteurs  de  la  Bibliothèque  universelle. 

Outre  les  nombreux  articles  qu'il  a  insérés  dans  ce  dernier  recueil  et 
dans  d'autres,  notamment  dans  le  Semeur,  M.  Roget  a  laissé  divers 
fragments  inédits  sur  la  morale,  sur  la  philosophie  religieuse  et  sur  l'his- 
toire, dans  lesquels  on  reconnaîtra  et  le  talent  de  l'écrivain  et  les  belle.'* 

Tome  Xï.  36 


550 

qualités  qui  distinguaient  notre  collègue.  Cette  perte  regrettable  laisse 
dans  nos  rangs  un  vide  difficile  à  remplir,  car  nul  plus  que  lui  n'apporta 
de  l'intérêt  à  nos  travaux  et  de  l'assiduité  à  nos  séances. 

9.  Mémoii'es,  rapports,  etc.,  présentés  à  la  Société. 

Séance  du  10  mars  1858.  M.  le  professeur  Cellkrier  fait  un  rap- 
port sur  l'/nrfica/eur  d'histoire  et  d'antiquités  suisses,  publié  à  Zurich. 

■ —  M.  Jules  Bonnet,  continuant  le  récit  de  son  dernier  voyage  en 
Italie,  parle  des  archives  et  bibliothèques  publiques  de  Naples,  et  du  mo- 
nastère du  Monl-Cassin. 

Séance  du  25  mars.  La  Société  délègue  deux  de  ses  membres,  MM.  le 
D"^  Chaponnière  et  H.  Gosse,  au  congrès  des  Sociétés  savantes,  convoqué 
à  Paris  pour  le  mois  d'avril. 

—  M.  Cellérier  termine  son  rapport  &nvV Indicateur  suisse . 

—  M,  Blavignac  lit  l'introduction  aux  Comptes  de  la  construction  du 
clocher  de  l'église  de  Saint-Nicolas  de  Frihourg,  travail  qui  forme  la  1" 
livraison  du  tome  XII  des  Mémoires  de  la  Société. 

—  Les  mariages  au  dix-septième  siècle,  par  M.  Amédée  Roget  (pubhé 
dans  la  Bibliothèque  universelle,  n*»  de  juillet  1 858). 

—  Pensée  de  Bonivard  inscrite  en  1529  sur  un  hvre  d'astrologie,  com- 
muniquée par  M.  Al.  Lomrard. 

Séance  du  8  avril.  Rapport  sur  la  première  séance  du  congrès  des 
Sociétés  savantes  des  départements,  par  M.  Ch.  Le  Fort. 

—  a  Discours  qui  montre  qu'il  est  nécessaire  que  le  roy  de  France 
mette  la  ville  de  Genève  sous  sa  protection  ;  »  manuscrit  de  la  fin  du 
seizième  siècle,  copie  envoyée  par  M.  le  D""  Chaponnière. 

—  Indication  des  actes  de  la  Bibliothèque  impériale  et  des  autres  dépôts 
publics  de  Paris,  qui  sont  relatifs  à  l'histoire  de  la  Suisse  romande,  envoi 
de  M.  Henri  Bordier. 

• — Notice  sur  les  écus  de  cuivre  frappés  en  Suède  sous  Charles  XII,  par 
M.  Fr.  Seguin. 

—  Extrait  des  comptes  de  Renée,  duchesse  de  Ferrare,  et  détails  bio- 
graphiques sur  cette  princesse,  par  M.  Jules  Bonnet. 

■ —  Fragments  inédits  de  J.-J.  Rousseau,  présentés  par  M.  Gaberel. 

—  Critique  de  l'article  sur  I.  Casaubon  du  dictionnaire  de  Dezobry  et 
Rachelet,  par  M .  Cellérier  . 

Séance  du  29  avril.  M.  Mallet-D'Hauteville  lit  une  partie  d'un 
écrit  qu'il  intitule  :  Soixante  ans  de  l'histoire  de  Genève,  d'après  les  sou- 
venirs d'un  vieux  Genevois. 

—  Notice  de  M.  Adolphe  Gautier  sur  Vétat  extérieur  de  Berne,  d'après 
l'ouvrage  publié  en  allemand  par  M.  Hilder. 


551 

—  Lettres  de  J.  Mestrezat,  écrites  de  1611  à  1613,  communiquées  par 
M.  Ch.  Le  Fort. 

—  Modèle  des  grandes  pièces  de  cuivre  de  Charles  XII,  roi  de  Suède, 
montré  par  M.  F.  Seguin. 

Séance  du  27  mai.  Journal  du  syndic  J.  Cramer,  sur  les  troubles 
de  Genève  de  1707  à  1734,  communiqué  par  M.  le  professeur  P.  Odier, 

—  Exhibition  d'un  grand  nombre  d'autographes  remarquables ,  par 
M.  Ernest  Griolet. 

Séance  du  20  août.  Rapport  de  M.  Hip.  Gosse  sur  les  séances  du 
congrès  des  Sociétés  savantes,  réuni  à  Paris  en  avril. 

—  Communication  sur  des  tombeaux  récemment  découverts  à  Genève, 
près  du  pont  de  lil  de  fer,  par  le  même. 

—  Détails  sur  la  Haute-Engadine,  par  M.  Ch.  Le  Fort. 

—  Comptes  de  repas  donnés  par  les  syndics  dans  le  seizième  siècle, 
par  M.  Th.  Heyer. 

Séance  du  28  octobre.  Introduction  à  la  vie  de  Bezanson  Hugues,  par 
M.  Galiffe  (voir  p.  197). 

—  Découvertes  historiques  faites  en  Chaldée,  par  M.  P.  Chaix. 
Séance  du  25  novembre.  Notice  sur  les  pièces  de  monnaies  consulaires 

trouvées  récemment  à  Genève,  par  M.  Henri  FAZY(voirp.  541) 

—  Fragments  historiques  du  professeur  Roget,  communiqués  par 
M.  Am.  Roget. 

—  Séjour  à  Genève  d'Alardet,  évêque  de  Mondovi,  en  1559  ,  récit  co- 
pié aux  archives  de  Turin,  par  M.  Gaberel;  publié  dans  la  Bibliothèque 
universelle,  n»  de  décembre,  sous  ce  titre  :  Une  escalade  diplomatique. 

Séance  du  23  décembre.  Détails  sur  la  Saint-Barthélémy,  d'après  les 
lettres  de  l'ambassadeur  piémontais  résidant  à  Paris,  communiqués  par 
M.  Gaberel. 

—  Dépenses  faites  par  le  duc  de  Savoie  pour  l'escalade  de  Genève  en 
1602,  par  le  même. 

Lettres  d'un  ambassadeur  vénitien  ;  par  le  même. 

—  Lettre  inédite  de  Voltaire  (1757),  communiquée  par  M.  le  D' 
Ghaponnière. 

—  Détails  sur  la  congrégation  genevoise  étabhe  à  Constantinople,  par 
M.  Th.  Heyer. 

Séance  du  27  janvier  1859.  —  Journal  manuscrit  de  l'ancien  syndic 
Augustin  de  Candolle,  sur  les  événements  de  1781,  communiqué  par  son 
petit-lils  M.  Alph.  de  Candolle. 

—  Rapport  de  M.  Albert  Rilliet  sur  les  dépêches  milanaises  (1474-77), 
publiées  par  M.  le  baron  de  Gingins-La  Sarraz. 

Séance  du  24  février.   M.  MALLET-d'HAUTEViLLE  lit  la  2^^  partie  de 


352 

ses  Soixante  ans  de  rhistoire  de  Genève  d'après  les  souvenirs  d'im  vieux 
Genevois. 

—  Du  régime  militaire  sous  Louis  XIV,  par  M.  Am.  Roget. 

—  Lettres  inédites  de  Voltaire,  communiquées  par  M.  le  docteur  Cha- 

PONNIÈRE. 

—  Lampe  sépulcrale  trouvée  aux  Tranchées,  par.  M.  Aug.  Serre. 
3.  Piihlicaùons  historiques  dues  à  des  membres  de  la  Société. 

Nous  devons  mentionner  d'abord  VHistoire  de  l'Eglise  de  Genève  dont 
notre  laborieux  collègue,  M.  l'ancien  pasteur  Gaberel,  a  déjà  donné  deux 
gros  volumes  in-8.  Cette  publication  importante  est  trop  répandue  pour 
que  nous  ayons  à  en  parler  longuement.  Nous  rappellerons  seulement  les 
nombreuses  pièces  justificatives  dont  elle  est  accompagnée,  grâce  aux 
persévérantes  et  fructueuses  recherches  que  l'auteur  ne  cesse  de  faire 
dans  les  archives  de  divers  pays.  Mais  ce  qui  a  particulièrement  droit  à 
l'attention  des  bibliographes  et  à  la  reconnaissance  des  lecteurs,  c'est  la 
seconde  édition  du  premier  volume,  mis  au  joiu'  en  1858,  par  M.  Ga- 
berel. Il  a  eu  le  courage  de  refondre  ce  volume  pour  l'enrichir  et  le 
rectifier  à  l'aide  de  nouveaux  et  d'importants  documents  qu'il  avait  récem- 
ment découverts,  ou  qui  venaient  de  lui  être  communiqués,  et  il  a  livré 
le  tout  presque  gratuitement  à  ses  premiers  lecteurs. 

M.  Gaberel  a  fait  encore  sur  l'histoire  de  l'Église  de  Genève  diverses 
publications  de  détail ,  intéressantes  par  la  forme  et  curieuses  par  le 
fond;  entre  autres,  sur  les  rapports  soit  de  Voltaire,  soit  de  Rousseau 
avec  Genève  chrétienne  et  protestante. 

C'est  aussi  en  1858  qu'a  paru  le  tome  3'"''  du  Précis  de  l'Histoire 
politique  de  la  Suisse,  par  M.  Ant.  Morin.  Les  deux  premiers,  publiés 
déjà  en  1856 ,  comblent  une  lacune,  au  moins  pour  les  lecteurs  français. 
M.  MoRLx  a  suivi  tous  les  développements  successifs  de  la  Confédération 
depuis  les  temps  les  plus  anciens  jusqu'à  l'époque  actuelle.  Cet  ouvrage, 
fruit  d'un  travail  consciencieux,  accompagné  de  nombreuses  pièces  justi- 
ficatives, s'est  bien  vite  acquis  l'estime  qui  lui  est  justement  due,  et  a  été 
traduit  en  allemand.  Le  tome  S™^  contient  l'Affaire  de  Neuchâtel,  ainsi 
qu'une  table  chronologique  et  analytique  fort  détaillée  de  l'ouvrage  entier, 
dont  elle  augmente  la  valeur  en  facilitant  les  recherches. 

MM.  CiiAi'ON.NiÈRE  et  Gustave  Revilliod  ont  livré  à  rim[)ression  un 
ouvrage  jusqu'ici  entièrement  inédit,  de  Ronivard:  LesAdvis  et  devis  de 
l'idolâtrie,  les  D'i/jbrmes  ré  forma  teurz,  les  Advis  et  devis  du  mençonge  et 
des  Vrayz  ou  faalx  miracles,  quatre  ojiuscules  qui,  par  leur  forme,  leur  ten- 
dance et  leur  style  se  prêtaient  à  être  réimis.  Ils  présentent  en  elTetsous 
une  forme  tanlAl  bistofi((iu\  tantAt  dosrriptiv.\  l'im  des  éclianliilons  les 


553 

]>liis  remarquables  de  la  verve  mordante  et  spirituelle  de  l'ancien  prieur 
de  Saint-Victor.  Les  éditeurs  ont  dédié  cette  publication  à  la  Société  d'His- 
toire et  d'Archéologie,  et  ils  ont  cru  devoir  la  relever  par  des  agréments 
typographiques  en  usage  dans  le  XVI«  siècle  ;  le  volume  est  de  plus  orné 
des  portraits  des  onze  pontifes  contemporains  de  Bonivard ,  gravés  avec 
autant  de  talent  que  de  soin,  d'après  une  édition  de  la  Vie  des  papes  de 
Platina. 

M.  Gustave  Revilliod  a  réimprimé  seul  les  Satyres  chiestiennes  de 
la  cuisine  papale  ;  fac-similé  typographique  d'une  production  licen- 
cieuse, laquelle  dut  exciter  à  juste  titre,  lors  de  son  apparition,  le  cour- 
roux du  parti  opposant,  mais  qui  n'en  restera  pas  moins  comme  un  des 
spécimens  les  plus  curieux  et  les  plus  élégants  de  l'imprimerie  genevoise 
au  siècle  de  la  renaissance.  '  ^'"''''  «''''J<-''  ^"«'' 

On  lui  doit  encore  une  Bioçjraphie  de  Gutenherg,  ouvrage  qui,  en  ap- 
parence du  moins ,  tient  plus  de  la  légende  que  de  l'histoire  proprement 
dite,  et  qui  contient ,  sous  une  forme  romanesque ,  les  faits  et  discours 
attribués  au  célèbre  inventeur  de  l'imprimerie.  i      ■  : 

Cette  publication,  comme  les  deux  précédentes ,  comme  les'  'Annales 
de  Savion,  que  nous  nous  plaisons  à  mentionner  ici,  sortent  des  presses 
de  M.  Fick,  auxquelles  toutes  font  le  plus  grand  honneur.  Elles  sont 
ornées  de  lettres  illustrées  et  crées  ou  imitées  d'après  les  célèbres  impri- 
meurs de  l'époque. 

Enfin,  M.  Galiffe  a  fait  paraître,  en  collaboration  avec  M.  de  Mandrot, 
la  première  livraison  de  VArmoîial  genevois.  Cet  ouvrage,  d'une  fort 
belle  exécution,  est  précédé  d'une  introduction  historique,  entièrement 
due  à  la  plume  de  M.  Galiffe, 

4.  Ouvrages  et  recueils  périodiques,  transmis  à  la  Société. 

Nous  donnerons  cette  liste  dans  notre  premier  Bulletin. 


RÈGLEMENT 


IlE    LA 


SOflÉTÉ  D'HISTOIRE  ET  D'ARCHÉOLOGIE  DE  GENÈVE 


Chapitre  I*"'.  —  But  de  la  Société. 

Article  !«'.  La  Société  a  pour  but  l'étude  des  sciences  historiques 
dans  toutes  leurs  branches  et  sous  toutes  leurs  faces. 

Elle  s'occupe  spécialement  de  ce  qui  intéresse  l'histoire  civile,  ecclé- 
siastique et  littéraire  de  Genève. 

Elle  recherche  et  recueille  dans  la  ville  et  ses  environs,  les  monuments 
historiques  qui  peuvent  y  exister,  veille  selon  son  pouvoir  à  leur  conser- 
vation et  les  fait  connaître  au  public. 

Art.  2.  Elle  entretient  des  relations  directes  avec  la  Société  d'histoire 
suisse.  Elle  peut  aussi  entrer  en  rapport  avec  d'autres  sociétés  ayant  avec 
elle  de  communs  sujets  d'études. 

Cliapitre  II.  —  Personnel  de  la  .Société. 

Art.  3.  La  Société  se  compose  de  membres  ordinaires,  d'associés 
étrangers  ou  correspondants,  et  de  membres  honoraires. 

Art.  i.  On  ne  devient  membre  de  la  Société  qu'après  une  présenta- 
tion écrite,  faite  par  un  membre  et  appuyée  séance  tenante  par  six  autres 
membres  de  la  Société. 

Il  n'est  voté  sur  cette  candidature  qu'à  la  séance  suivante. 

Art.  5.  Le  titre  de  membre  honoraire  peut  être  accordé  aux  membres 
ordinaires  qui  ont  quitté  le  pays,  ou  que  quelques  circonstances  spéciales 
empêcheraient  de  fréquenter  la  Société. 

Chapitre  III.  —  Orjg;anisation  de  la  Société. 

Art.  6.  La  Société  a  un  comité  composé  de  cinq  membres,  savoir  : 
un  président,  un  vice-président,  un  secrétaire,  un  vice-secrétaire  et  un 
trésorier. 

Les  membres  du  Comité  sont  élus  par  la  Société  pour  trois  ans,  et  ne 
sont  pas  immédiatement  rééligibles. 


555 

Art.  7.  La  Société  se  réunit  au  moins  une  fois  par  mois. 

Le  président  peut  la  convoquer  plus  fréquemment  s'il  y  a  lieu.  Il  veille 
à  ce  que  les  séances  soient  toujours  alimentées  par  une  lecture,  par  des 
communications  ou  par  un  sujet  proposé  d'avance. 

Art.  8.  Les  membres  ordinaires  peuvent  amener  des  externes  aux 
séances  de  la  Société,  en  les  présentant  au  président. 

La  Société  se  forme  en  comité  secret  pour  les  affaires  extérieures. 

Art.  9.  La  séance  du  mois  de  janvier  est  particulièrement  affectée  au 
compte  rendu  du  comité,  au  renouvellement  des  membres  sortants  et  aux 
objets  réglementaires. 

Art.  10.  Les  membres  ordinaires  paient  une  contributitui  annuelle  que 
la  Société  fixe  à  la  séance  de  janvier. 

Chapitre  IV.  —  Publications  de  la  Société. 

Art.  H  .  La  Société  publie  un  Recueil  de  mémoires  et  documents. 

Le  choix  des  matériaux  à  éditer  est  confié  au  comité,  qui  ne  doit  ad- 
mettre que  des  travaux  présentés  à  l'une  des  séances  de  la  Société. 

Art.  12.  Le  comité  est  également  chargé  de  tout  ce  qui  concerne 
l'impression  de  ces  mémoires,  leur  publication,  les  traités  à  faire  avec  les 
imprimeurs  et  les  libraires,  la  vente  des  exemplaires  et  les  échanges  avec 
d'autres  sociétés  savantes. 

Il  rend  compte  de  ses  opérations  à  la  Société,  à  chaque  livraison  ou 
volume  qui  paraît. 

Il  doit  se  conformer  aux  directions  qui  lui  sont  données  par  la  Société. 


LISTE  DES  MEMBRES  DE  LA  SOCIÉTÉ 


Fondateurs.  1S39* 

MM.  Chaix,  Paul,  professeur. 
DuBY,  pasteur. 
DiODATi,  professeur. 
Mallet-d'Hauteville  . 
Naville,  Adrien. 
Picot,  professeur. 

RiLLIET-DE  CaNDOLLE, 

SoRET,  Frédéric. 
Vaucher,  Louis,  professeur. 

Reçus  en  193». 

Ghaponnière,  docteur  médecin. 
Théremin,  pasteur. 
TuRRETTiM,  William. 

CoiNDET,  docteur  médecin-chirurgien. 
Binet-Hentsch,  notaire. 

RiGOT-FiNGUERLIX. 
LULLIN-DUNANT. 

Cellérier,  professeur. 

Serre-Faizan. 

LeFort-Naville. 

1S49. 

GiROD ,  Auguste. 
Merle  d'Aibignê,  J.-H. 
Prevost-Cayla. 
Prevost-Martin. 

1943. 

Le  Fort,  Charles,  professeur. 


557 

1S4I4. 

MM.  Picot,  Georges. 

1^415. 

Blavignac,  architecte. 

1946. 

Tronchin,  Henri. 

Le  Fort,  ancien  conseiller  d'État. 

Adert,  professeur. 

Demole,  notaire. 

1^49. 

LoMB.VRD,  Alexandre. 

TURRETTINI,  Auguste. 


Rey,  William. 


1^49. 


Revilliod,  Léonard,  ancien  conseiller  d'État. 

Brocher-Yeret,  ancien  syndic. 

Eynard-Lullin. 

De  Candolle,  Alph.,  professeur. 

tS50. 

De  la  Rive,  Aug.,  professeur. 
RoGET,  Amédée. 

RiGOT,  Auguste. 

Claparède-Perdriau,  ancien  pasteur. 
Cl.aparède,  Théodore,  pasteur. 
Cramer,  Marc,  juge. 

1959. 

Eyn.ard,  Charles. 

FiESCH-MlCHELI. 

Cramer,  Louis,  avocat. 
Wartm.ann,  Marc. 
Heyer,  Théophile. 

1953. 

Gaberel,  ancien  pasteur. 


558 

MM.  Gosse,  Hippolyte. 
Sarasin,  Charles. 
RiGAUD-DE  Constant. 

Revilliod,  Gustave. 
Gautier,  Adolphe. 
MoYNiER ,  Gustave. 
Galiffe  ,  docteur  en  droit. 

Odier,  p.,  professeur. 

ACHARD-DE  GaLLATIN. 

De  Loriol-de  Portes. 
Choisy,  J.-D.,  professeur. 
AuDEOUD,  Théodore,  notaire 
MoRiN,  Antoine,  pharmacien. 
Cherbuliez,  Joël,  libraire. 
Barbey,  Henri. 
Seguin,  François. 
Wilmot,  Montagu. 

1^56. 

Favrë,  Alphonse,  professeur. 
HuMBERT,  Edouard,  professeur, 
Martin,  Alexandre,  avocat. 
Durand,  Antoni. 
ToLLOT,  Aimé. 

1^59. 

Martin,  .1.,  pasteur. 
Paul,  Théodore,  pasteur. 
MicHELi,  Louis. 
Rochat-Maury,  ingénieur. 
PiCTET,  Albert. 
Marin,  docteur  médecin. 
Griolet,  Ernest. 
Chauvet,  Marc. 
(Bramer,  Paul. 

De  Budé,  Eugène. 


559 

MM.  Van  Berchem,  Alexandre, 
Bossi,  Arthur. 
Cramer,  Ernest. 
Necker,  Théodore. 

De  Loriol,  Perceval. 

IVIembres  Itonoraires. 

MM.  PiCTET,  Adolphe,  professeur,  à  Genève. 

Ferucci,  ancien  professeur  à  l'Académie  de  Genève. 
Sayous,  André,        id. 
Huber-Saladin,  colonel  fédéral. 

A^ssoeiéN  étrançgers  ou  correspoiidantit. 

MM.  Quiquerez,  à  Délémont. 

Breton,  membre  de  la  Soc.  Imp.  des  Ant.  de  France,  à  Paris. 
Bordier,  Henri,  à  Paris. 

MAUDurr,  de  l'Académie  des  Inscr.  et  Belles-Lettres,  à  Paris. 
De  Gingins-LaSarraz,  à  Lausanne. 
Matile,  professeur,  aux  Etals-Unis  de  l'Amérique. 
VuLLiEMiN,  a.  p.  de  la  S.  de  l'Hist.  delà  Suisse  rom.,  à  Lausanne. 
Wurstemberger,  colonel ,  à  Berne. 
Le  duc  Serra  di  Falco,  à  Palerme. 
De  Gaumont,  membre  de  plusieurs  Sociétés  savantes,  à  Paris. 
Cibrario,  à  Turin. 
Promis,      id. 

Costa  de  Beauregard,  à  Chambérj. 
MooYER,  E.-T.,  àLindau. 
Le  marquis  de  Lagoy,  à  Aix  en  Provence. 
DeFontenay,  à  Autun. 
Le  chevalier  Giulio  di  San  Quintino,  à  Turin. 
Bonnefoy,  J.-Adrien,  notaire,  à  Sallanches. 
Le  Gl.\y,  Edouard. 
PoNCET,  Prosper,  avocat,  à  Gex. 
GailljVrd,  Josepli,  numismate,  à  Paris. 
Rabut,  François,  professeur,  àChambéry. 
Trouillat,  biblioth.  et  archiviste,  à  Porrentru}- . 
,  MoRiN,  Henri,  numismate,  à  Lyon. 


Demi  -Grandeur  Tiaturelle 


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COURONNEMENT    DE    LA    TOUR 
DE   L'HORLOGE   DU  MO.LARD. 


BRAS   DE  FER  DE  JEAN  D'IVOIRE. 


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