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Full text of "Memoires lus a la Sorbonne dans les seances extraordinaires du Comite ..."

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MÉMOIRES 



LUS 



k LA SORBONNE 



ARCHÉOLOGIE 



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L'Administration de rinslruction publique déclare 
qu'elle laisse à chaque auteur la responsabilité de ses 
doctrines et de ses assertions. 



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MEMOIRES 

LUS 

A LA SORBOIVNE 

DANS LES SÉANCES EXTRAORDINAIRES 

DU COMITÉ IMPERIAL 

DES TRAVAUX HISTORIQUES ET DES SOCIÉTÉS SAVANTES 
TENUES LES :43 , ^4, 25 ET 26 AVRIL 1867 



ARCHEOLOGIK 




A PARIS 

IMPRIMERIE IMPÉRIALE 



M DCCC LXVIII 



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^TC I \3'1-. 






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AVERTISSEMENT. 



Le volume des Mémoires d'archéologie lus à la Sor- 
bonne dans les séances de 1867 contient, comme les précé- 
dents, la plus grande partie des travaux apportes à ces as- 
sises de la science parles membres des Sociétés savantes 
des départements. Les membres du Comité chargés d'en 
surveiller l'impression n'ont cru pouvoir en écarter que 
les mémoires déjà publiés ou ceux qui, par leur sujet, 
ne pouvaient rentrer dans le cadre qui leur était tracé. 
Ils n'en publient pas moins avec une entière confiance 
ce nouveau volume d'une collection déjà considérable, 
et qui, à mesure qu'elle s'augmente, leur parait démon- 
trer, avec une évidence toujours plus grande, l'utilité de 
ces rétmions. 

Léon Remer. Anatole Chaboufllet. 



Paris, février 1866. 



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MÉMOIRES 

LUS A LA SORBONNE. 



NOTE 

SUR 

LE PIED GAULOIS, 

PAR M. AURÈS, 

llfCéNIBUn EN GBBP DBS PONTS ET CHAUSSEES, UBUBRB DB L*ACADiMIB DO OARD. 



La longueur du pied français , habituellement connu sous le nom 
de pied de roi, a -t- elle été réellement déterminée à priori, ainsi 
qu'on Ta dit quelquefois, par Gharlemagne, ou bien est -il plus 
conforme à la vérité de considérer cette ancienne unité métrique 
comme remontant à une antiquité beaucoup plus reculée, et no- 
tamment à répoque antérieure à J'exercice de la puissance romaine 
dans les Gaules? 

Telle est la question que je me propose d'examiner aujourd'hui 
devant vous et pour laquelle je viens solliciter, un instant, votre 
plus bienveillante attention. 

Ma conclusion sera que les Gaulois, nos ancêtres, se servaient 
d'un pied qui , par sa longueur et sa division en 1 3 pouces, se rap- 
proche, autant que possible, du pied de roi actuel. 

Avant tout, Messieurs, il importe de résoudre la question de 
savoir si les Gaulois possédaient effectivement un système métrique 
régulier. 

On peut être conduit à en douter, quand on considère que 
M. Vazquez Queipo n'a fait aucune mention quelconque des me- 
sures gauloises dans le savant traité qu'il a publié, en 1869, sur 

ARCHÉOLOGIR. 1 



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— 2 — 

les systèmes métriques et monétaires des divers peuples de l'anti- 
quité , depuis les premiers temps historiques jusqu'à la fin du 
califat d'Orient. Mais ce doute disparait bientôt devant la réalité 
des faits. 

Permettez-moi de vous en rappeler ici quelques-uns. 

Le premier et le plus incontestable est, sans contredit, l'exis- 
tence d'un système monétaire. Personne n'ignore que les Gaulois 
fabriquaient des monnaies, et surtout des monnaies d'or, long- 
temps avant l'arrivée des Romains dans les Gaules; or la consé- 
quence forcée de ce premier fait, c'est qu'ils avaient à leur dispo- 
sition des moyens r^uliers de pesage, sans lesquels une fabrication 
de monnaies ne peut pas être comprise. 

D'un autre côté, cette existence d'un système monétaire sufEt 
pour constater de fréquentes relations commerciales entre les ci- 
toyens et pour faire œmprendre que ces relations ne se rédui- 
saient pas habituellement à de simples échanges effectués en na- 
ture, conmie à l'époque où les premiers rapports entre les honmies 
se sont établis; mais qu'ils s'opéraient, au contraire, en détermi- 
nant, d'une manière exacte, la quantité, c'est-à-dire les dimen- 
sions, le volume ou le poids des divers objets vendus. 

Conmcie il est parfaitement certain, en second lieu, et à un 
autre point de vue, que les Gaulois fabriquaient, antérieurement 
à la conquête romaine, des arme$, des chariots et des instruments 
de toute espèce; qu'ils élevaient. des monuments d'architecture, 
mesuraient des distances itinéraires, etc., il est indispensable de 
conclure encore de là qu'ils possédaient, eux aussi, un système 
complet de poids et mesures, et, par conséquent, enfin que les 
Romains ont du trouver ce système depuis longtemps en vigueur 
dans les Gaules , quand ils y ont établi leur domination. 

La question n'est pas et ne peut pas être de rechercher, après 
cela , si les Romains ont été conduits , pendant la durée de leur 
occupation, à user de leur autorité ou de leur influence pour 
interdire à nos pères le libre usage de leur système national et 
pour y substituer brusquement le système romain lui-même. Tout 
le monde sait, au contraire, que le respect le plus absolu des habi- 
tudes locales a toujours été le caractère distinctif de la politique 



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— 3 — 
(le Rome, et que, malgré le soin avec lequel elle imposait sa lunguo 
aux nations vaincues, elle n'a pourtant jamais craint d'aller jusqu'à 
emprunter à ces nations elles-mêmes leurs usages et jusqu^aux 
dieux qu'elles adoraient. 

C'est ainsi, notamment, que les Romains n'ont jamais songé à 
substituer leur système métrique à celui des Grecs, ou à celui 
des Égyptiens, lorsqu'ils ont étendu leur domination en Grèce où 
en Egypte : il est par conséquent hors de doute qu'ils ont 'dû 
opérer de la même manière, quand ils sont venus dans les 
Gaules. 

Ne sait-on pas d'ailleurs cpi'ils y ont poussé le respect des 
usages locaux jusqu'à exprimer, eux-mêmes, en lieues toutes les 
distances itinéraires de la Gaule proprement dite , bien que leur 
règle constante fût de compter par milles dans toutes les autres 
provinces de l'empire? 

Il ne semble pas difficile de se rendre compte maintenant des 
faits qui ont dû se produire inunédiatement après la conquête 
romaine, car ils sont une conséquence directe et nécessaire de 
cette conquête elle-même. 

D'une part, en effet, les Gaulois, tout en conservant entre eux, 
sans altération sensible, leur ancien système national, ont été 
néanmoins conduits à adopter quelquefois le système romain, 
pour faciliter leurs relations avec leurs nouveaux maîtres; et, de 
l'autre, au contraire, les Romains, quoique pratiquant, à leur 
tour, le système gaulois, quand ils voulaient, de leur côté, éta- 
blir des relations avec leurs nouveaux sujets, n'en ont pas moins 
Continué à conserver entre eux l'usage de leurs unités nationales; 
ce qui produisit inévitablement un double système métrique, 
dont je donnerai bientôt des preuves plus directes, et qui, en se 
(Propageant et en s'étendant chaque jour davantage, dut amener^ 
dans certains cas, une complication bien fâcheuse. 

Cependant, et quelle que fût cette complication, on peut faci- 
lement comprendre la persistance de l'ancien système gaulois, au 
milieu même de la civilisation romaine, si l'on veut bien se rap- 
peler toutes les difficultés qu'il a fallu vaincre, dans notre siècle 
de lumières, pour faire adopter, en France, notre nouveau sys- 



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— 4 — 

tème métriqae /malgré sa simplicité évidente et malgré ses avan- 
tages marqués sur tous les systèmes précédents. 

Il faut donc le reconnaître» le système métrique national exis- 
tant chez les Gaulois antérieurement à l'occupation romaine a été 
pratiqué et conservé pendant toute la durée de cette occupation 
et longtemps après. 

Quel était au fond ce système et conmient pourrons-nous par- 
venir à en reconstituer aujourd'hui les principaux éléments ? 

Vous le savez tous, Messieurs, c'est Tétude des distances itiné- 
raires qui a servi à porter, pour la première fois, la lumière dans 
ce chaos; et Thonorable président de cette section, M. le marquis 
de la Grange, vous le disait lui-même, dans cette enceinte, en 
i863, quand il signalait à votre attention les laborieuses investi- 
gations de M. Pistollet de Saint-Ferjeux , auquel nous devons de 
savoir que la lieue gauloise ne doit pas être confondue avec la 
lieue romaine, et que la longueur de la première de ces deux me- 
sures doit être réglée à a,/4i5 mètres environ, tandis qu'il faut 
compter, pour la seconde, 2,222 mètres seulement. 

Quelle que puisse être, en fin de compte, la vérité par rap- 
port à cette première découverte, qui a été, dès l'abord, très-vive- 
ment controversée et qui l'est encore , il y a lieu de la considérer, 
dans tous les cas, comme particulièrement remarquable, et voici 
de quelle manière il me semble permis de justifier cette appré- 
ciation : 

On sait que la lieue romaine correspond à un mille et demi 
romain, c'est-à-dire, en d'autres termes, à i,5oo pas, ou mieux 
encore à 7,5oo pieds romains; et l'on se trouve ainsi conduit à 
penser que la lieue gauloise contenait, à son tour, 7,5oo pieds 
gaulois , conmie la lieue romaine contenait , de son côté , 7,600 pieds 
romains ; il est même naturel de croire que la lieue romaine a 
été effectivement fixée à 7,600 pieds romains, précisément parce 
que la lieue gauloise se trouvait déjà depuis longtemps fixée elle- 
même à 7,600 pieds gaulois. 

Mais s'il en est ainsi , et si la lieue gauloise correspond en effet 
à 2,4 1 5 mètres, comme M. Pistollet de Saint-Ferjeux nous l'en- 
seigne, le pied gaulois correspond alors à -f— mètres , c'est-à-<lire 



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— 5 — 

à 3a centimètres plus une fraction , ou , en d'autres termes, ee pied 
est reproduit aussi exactement que possible par notre pied de roi. 

Ce résultat m'a singulièrement frappé , je Tavoue , lorsqu'il m'a 
été donné de le constater pour la première fois. 

Cependant, comme il pourrait, à la rigueur, ne provenir que 
d'une coïncidence fortuite, j'ai tenu à l'appuyer sur d'autres ar- 
guments, avant de vous demander de l'admettre, et je me suis 
alors appliqué à mesurer, avec beaucoup de soin, divers objets 
susceptibles d'être rapportés, d'une manière incontestable, à la 
période purement gauloise. 

Le premier est un chapiteau conservé dans le Nymphée de 
Nîmes, et qui porte sur son tailloir une inscription celtique gra- 
vée en lettres grecques. C'est un produit certain de l'art grec, 
qui a été incontestablement fabriqué, longtemps avant l'époque 
de la conquête romaine, par un artiste de la colonie grecque 
de Marseille. 

Or il arrive, malgré cela, que toutes les dimensions de ce 
chapiteau peuvent être exprimées d'une manière très -exacte en 
pouces de notre pied de roi; que, de plus, il est rectangulaire, et 
que sa plus grande face couronnait autrefois un dé ayant rigou- 
reusement deux pieds de roi de largeur. 

Faut-il trouver encore là, je ne crains pas de le demander 
maintenant, un nouveau jeu du hasard? N'est -il pas évident, au 
contraire, que si le chapiteau gallo-grec de Nimes a toutes ses 
dimensions effectivement exprimées en fonction du pied de roi, 
c'est précisément parce que l'artiste grec de Marseille l'a taillé, en 
se servant lui-même d'un pied gaulois, rigoureusement conforme 
à notre pied de roi, et parce que cet artiste a agi, en opérant de 
la sorte, absolument comme les artistes grecs de Pestum ou de 
Métaponte, lorsqu'ils se sont servis du pied italique pour élever 
les monuments de la Grande-Grèce ^ ? 

J'ai obtenu , en second lieu , un résultat identique avec le précé- 
dent en mesurant, avec la même précision, plusieurs haches cel- 

* Voyei, pour ce qui concerne les artistes de la Grande^rècc , ia Note lue à 
fa Sorbonne, le 19 avril i8G5, devant la sccliou d'Archéologie, p. 1 et suivantes 
du volume public on 1866. 



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tiques de bronze trouvées, en i85i, sur le territoire de ia com- 
mune de Vauvert, dans le département du Gard. Elles étaient fa- 
briquées suivant le même type, quoique sur des dimensions diffé- 
rentes, et cependant toutes leurs mesures ont pu être si exactement 
traduites en fonction du pied de roi et de ses divisions connues, 
qu'il m'a semblé permis de ne plus conserver de doutes sur l'iden- 
tité de ce pied avec le pied gaulois. 

Mais la valeur de ces dernières mesures a été contestée; on a 
même essayé de leur refuser le degré de précision qu'elles com- 
portent, et l'on a été jusqu'^à prétendre que je n'avais pas craint 
de les arranger pour les besoins de ma cause. 

J'ai tenu, vous le concevez sans peine, à me mettre désor- 
mais à l'abri de pareilles critiques, et j'ai réclamé, dans ce but, 
rinterveqtion et l'arbitrage d'un officier supérieur du génie mi- 
litaire, Mvie colonel Puiggari, très-opposé jusque-là à toutes mes 
théories. 

Ce savant antiquaire a bien voulu relever lui-même, et sans 
mon concours, les dimensions d'une dernière bâche celtique de 
bronze, qui avait été mise à sa disposition pour cela et que je 
n'avais jamais vue moi-même. 

Or toutes les dimensions relevées sur cette nouvelle hache se 
sont trouvées , cette fois encore , si exactement exprimées en fonc- 
tion des divisions connues du pied de roi, que M. le colonel 
Puiggari lui-même est resté désormais parfaitement convaincu, 
et m'a fait Thonneur de m'écrire, à cette occasion, une lettre très- 
explicite , que les personnes qui s'intéressent à ces recherches ont 
pu lire dans l'uq des derniers numéros de la Revue archéologique ^ 
où elle a été insérée ^. 

Il est donc nécessaire de le reconnaître, notre pied de roi est 
une mesure qui dérive du pied gaulois et qui en a conservé 
jusqu'à nous, aussi exactement que possible, la longueur et les 
divisions; et cette identité elle-même de nos deux plus anciennes 
unités métriques peut être constatée encore de plusieurs manières 
différentes, ainsi qu'on va le voir. 

' NoiivcHe série, 7' annéf , vtl. XIV, p. 192. 



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Si Ton veut chercher, par exemple, à se rendre uo compte exact 
des longueurs des diverses unités linéaires auxquelles nous avons 
substitué le mètre, dans les premières années de ce ^ècle, on doit 
étudier surtout, d'une part, dans le nord dé la France, Faune et 
la toise, et, de Tautre, dans le Midi, la canne, divisée en 8 pans. 

Or voici ocwmient ces diverses mesures sont renées : 

L'aune a l'^.iS de longueur et se trouve ainsi rigoureusement 
égale à 4 pieds romains antiques. 

Qpant à la toise, tout le monde sait quelle correspond à 6 pieds 
de roi, je dois dire à 6 pieds gaulois. 

Nous voilà donc, dans le nord de la France, en présence de 
deux mesures complètement différentes Tune de Tautre, la pre- 
mière d'origine romaine, la seconde d'origine gauloise. Celle-ci 
est essentiellement nationale, l'autre ne l'est pas au même degré. 
C'est une mesure purenâent commerciale, et la preuve de cette 
dernière assertion résulte de ce que les mesures agraires n'ont 
jamais été déterminées, en France, en fonction de l'aune, tandis 
que, au contraire, la perche et l'arpent sont partout exprimés en 
fonction de la toise. 

Dans le Midi, où l'aune et la toise étaient autrefois très-peu 
répandues et où l'on ne comptait que par cannes, la perche et l'ar- 
pent n'ont jamais été en usage; les seules mesures agraires qu'on 
y employait étaient la sélerée et la carterée , divisées l'une et l'autre 
en dextres, et ces diverses unités sont toutes exprimées en fonction 
de la canne. 

Mais cette canne elle-même, toujours divisée en 8 pans, variait 
néanmoins, et variait souvent beaucoup, d'une localité à l'autre. 
Ainsi la canne de Nîmes avait l'^vgy de longueur, quand celle de 
Carcassonne n'avait que i™,78 : différence de Tune à l'autre, 
19 centimètres. 

Pourquoi une si grande différence, et d'où peut-elle provenir? 

Il ne semble pas difficile de le dire, si l'on remarque que la 
canne de Carcassonne est rigoureusement égale à 6 pieds romains 
antiques, quand celle de Nîmes correspond, de son côté, aussi 
exactement que possible, à 6 pieds français ou, mieux encore, à 
6 pieds gaulois. 



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— 8 — 

Nous sommes donc ici, une seconde fois, en présence de deux 
mesures de même nom et diflférant cependant entre elles, parce 
que Tune est d'origine romaine, tandis que l'autre est d'origine 
gauloise. Il n'est pas difficile de comprendre maintenant les 
embarras et les difficultés de toute nature dont j'ai déjà parlé, et 
que ce double système métrique a dû faire naître pendant toute 
la durée du moyen âge. 

On peut même, si l'on veut, aller plus loin encore : car il me 
semble permis d'expliquer désormais, d'une manière très-ration- 
nelle, la légende populaire qui attribue à Chariemagne la créa- 
tion de notre pied national. 

Vous le savez. Messieurs, toutes ces légendes, quelque invrai- 
semblables qu'elles puissent paraître au premier abord, reposent 
toujours cependant sur un fondement sérieux , plus ou moins orné , 
plus ou moins défiguré même, si vous l'aimez mieux, mais tou- 
jours exact. 

Or ici que dît la légende? Elle nous apprend que c'est Charie- 
magne qui a réglé la dimension de noire pied de roi, et qui Ta 
réglée en mesurant la longueur de son propre pied. 

Comme ce grand organisateur n'était certainement ni un géant, 
ni un être difforme, il est évident que la seconde partie de notre 
légende n'est pas et ne peut pas être exacte. Mais il. n'en est pas 
de même pour la première partie. Elle peut être vraie, et je ne 
crains pas d'ajouter : elle doit être vraie. 

Les difficultés et les embarras sur lesquels j'ai appelé votre at- 
tention tout à l'heure, et qui résultaient de l'usage simultané du 
pied gaulois et du pied romain, existaient certainement au plus 
haut degré lorsque Chariemagne voulut constituer son empire; 
et non -seulement ces deux étalons métriques, employés alors 
simultanément, se trouvaient tantôt admis, tantôt rejetés par la 
mauvaise foi des personnes intéressées, suivant l'usage qu'elles 
voulaient en faire; mais encore, s'altérant l'un par l'autre, ils 
avaient dû porter depuis longtemps la confusion à son comble. 
Cependant iiersounc, avant Chariemagne, n'avait eu une autorité 
assez étendue pour songer à remédier à ce mal. 

C'est par conséquent alors que le génie essentiellement organi- 



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— 9 — 

sateur de ce puissant monarque dut s'emparer de la difliculté 
pour la résoudre , et tout tend à prouver qu'après avoir examiné 
et étudié la véritable situation des choses, il se décida à donner 
la préférence à l'ancien étalon national. C'est ainsi , sans aucun 
doute, que notre pied de roi, quoique effectivement constitué 
par Gharlemagne, se trouve reproduire cependant, aussi exacte- 
ment que possible, le véritable pied gaulois, et peut-être est-il 
permis d'aller jusqu'à espérer qu'on exhumera un jour, du fond 
de quelques archives ignorées, le capitulaire qui a définitivement 
réglé cet important détail d'administration publique. 



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LE CULTE DES EAUX 



SUR 



LES PLATEAUX ÉDUENS, 
PAR M. J. G. BULLIOT, 

PRÉSIDENT OB LA SOCIETE éDOBRTIE. 



Le culte des eaux est une des formes primitives du natura- 
lisme qui ont précédé les religions philosophiques. 11 a existé dans 
rinde, TEgypte, la Perse, TAsie entière, d'où il passa dans la Ger- 
manie, la Scandinavie, la Gaule et la Bretagne, avant ou avec 
le druidîsme. Il y formait le fond de la religion populaire k l'ar- 
rivée des Romains. Pendant que les druides, traqués par les empe- 
reurs, disparaissaient lentement des contrées celtiques, le culte des 
génies des eaux, sans danger pour la politique, fut légalement 
introduit dans le polythéisme romain, qui les admit, avec ses 
propres dieux, au titre d'Augustes^. Le christianisme ne put que 
le transformer, non le détruire; il exorcisa les fontaines, s'empara 
des chapelles qui les avoisinaient, quelquefois les abolit. Malgré 
la prédication des missionnaires et la sévérité des conciles, l'usage 
de hanter les sources sacrées se conserva à la faveur même des 
moyens employés pour le combattre, et si les génies cédèrent la 
place aux saints, une concession de tolérance ou de nécessité 
rappela plus d'une fois les anciens dieux. La similitude de noms 
ou de certains actes, une simple concordance de date entre les 
fêtes, ménagèrent plus d'une fois la transition, en permettant 
ainsi au prêtre chrétien de transformer les vieux sanctuaires. 

Cette religion vivace n'était au fond que la divinisation de la 
nature personnifiée dans les éléments les plus actifs et les plus 
apparents de la vie universelle. Belen était devenu , par des modi- 
fications successives, le représentant du feu; les fées, sous divers 
noms, devenaient les protectrices des eaux. L'esprit superstitieux 

' (îruter, Orelli, pasMun. 



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— 12 ~ 
du Celte s'arrêtait devant ces intarissables réservoirs, dont Téler- 
nclle libéralité étanchait sa soif, abreuvait son troupeau, vivifiait 
sou pâturage, guérissait ses maladies^. Un être divin pouvait seul , 
à ses yeux, alimenter ces flots, ce mouvement, ces vertus sans 
fin. Lorsque, plus tard, le contact des Romains eut modifié les 
conditions de l'existence dans la Gaule, lorsqu'il eut enlevé à sa re- 
ligion le caractère farouche que lui avaient imprimé les sacrifices 
humains, l'imagination des races celtiques se reporta avec com- 
plaisance vers les génies des eaux. £lle conserva sans contre-poids 
les créations fantastiques qui donnaient aux bois, aux grands 
paysages un intérêt poétique' et religieux. Les génies parfois s'y 
rendaient visibles; ils entraient en communication avec Thonmie, 
croisaient le voyageur aux carrefours; sur l'herbe, au matin, appa- 
raissait la trace de leurs danses; dans les vapeurs brumeuses des 
fontaines, la femme ou la fille du colon avaient reconnu la dra- 
perie blanche et floconneuse de la dea. Du bout de sa baguette 
elle avait agité l'eau et excité l'orage; on l'entendait, la nuit, 
effleurer Tonde où elle faisait son séjour. Aussi la fée jouait-elle 
dans la Gaule un rôle bien supérieur à celui des dieux latins : elle 
présidait aux unions, à la venue des nouveau-nés, qu'elle douait 
à son gré; elle guérissait les maladies, préparait heur et mal- 
heur. Au sein de la nature son pouvoir merveilleux se jouait des 
obstacles; le dolmen s'élevait sous son souffle; elle transportait 
dans les airs, comme l'oiseau une plume, les rocs où elle creusait 
le berceau de ses nourrissons. Sous les noms de Nymphe, deJanon, 
de Mère, de Matrone, de Dame, de Hère, de Comédove, de Sulève^, 
elle avait sa place dans la cella, comme au laraire domestique, au 
tronc des vieux hêtres concune au carrefour des villes. Les enfants 
jouaient avec son image de terre blanche^; elle apparaissait dans 
les visions de leur sommeil. 

C'était surtout dans les édicules qui '-ecouvraient les fontaines 
que la Dwy celtique, la Doaix, la Douée était honorée. Son nom 
désignait, comme aujourd'hui, la source principale des cours d'eau 

* A. Maury, Les fées, p. 29. 

- Dom Martin, De la relitjion dei Gaulois, l. II, I. IV, c x\v. 

•^ Tiidot , Fiijurines (jauloiscs. 



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— 13 — 

ou les fontaines abondantes et pérennes. Des fêtes au printemps, 
des pèlerinages multipliés à certaines époques de Tannée, des 
visites clandestines pour obtenir quelque bi^ifait ou ntiire au 
voisin , témoignaient de la popularité de son culte. La nature elle- 
même avait marqué l'emplacement de ses sanctuaires autour des 
hautes montagnes, dans les gorges élevées, où naissent ordinaire- 
ment les ruisseaux. C'est en ces lieux que nous retrouvons ceux 
du pays éduen. Chacun de ses hauts plateaux était le si^e d'une 
divinité spéciale, du génie de sa principale source, de sa dea, 
dont il empruntait le nom. Cette assertion se vérifie à presque 
toutes les lignes de faite et à toutes les montagnes d'une certaine 
importance hydrographique. Le caractère local de cette étude 
en resserrant les limites , nous nous bornerons à l'exploration du 
point de partage des eaux de la Méditerranée et de l'Océan dans 
la partie centrale du pays éduen. 

Cette ligne se compose de trois plateaux principaux, qui dé- 
crivent du nord-est au sud, en contournant la rive gauche de 
l'Arroux , une courbe au centre de laquelle se détache , sur la rive 
opposée, le sonm^et de Bibracte. Ces trois plateaux sont ceux d'Au- 
venay, du Mesvrin et d'Uchon. 

Le premier, celui d'Auvenay, dont l'altitude varie de 497 à 
526 mètres, sépare les affluents de l'Arroux de ceux de la Saône. 
Il repose sur une masse de rochers calcaires formant à l'orient 
des pentes ardues, qu'entament çà et là de profondes fissures 
ouvertes aux ruisseaux. 

Le deuxième, le plateau du Mesvrin ou de Couches, continue, 
à iàh et 557 mètres, la mcme ligne de partage entre l'Arroux 
et 1» Dheune, entre les bassins de la Loire et de la Saône; il se 
compose d'une .vaste plaine granitique , couverte par les forêts 
de Pierre 'Lazière, de Planoise et de Montjeu. Sa base est baignée 
par la Dheune, la Drée, l'Arroux et le cours entier du Mesvrin. 

Enfin le troisième, le plateau d'Uchon, à 634 mètres, compre- 
nant un massif de terrains et de rochers granitiques des plus acci- 
dentés, fait suite au précédent sur la rive gauche du Mesvrin et 
sépare l'Arroux de la Bourbince. 

Toutes ces. montagnes avaient un, caractère sacré, qu'attestent 



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— 14 — 
encore des monumenU ou des superstilions populaires dont l'ori- 
gine se perd dans la nuit des temps. Les malades et les pèlerins y 
demandent, comme au temps de Bellovèse ou de saint Martin , des 
pronostics sur Tavenir, la conservation du bétail , la préservation 
des sortil^es, la guérison de la fièvre , etc. Les légendes des fées, 
les oratoires ruraux, s'y sont conservés près des sources sacrées; 
les fêtes du printemps et du solstice d'été s'y célèbrent à côté quel- 
quefois des sculptures mythologiques et des ex-voto gallo-romains. 
Les observations qui précèdent. ne sont point, nous le savons, 
particulières au pays éduen. La divinisation des plateaux n'est 
nulle part dans la Gaule ni dans la Germanie un fait isolé. Ko* 
segus au sommet des Vosges, Penninus à ceux des Alpes, Abnoha 
au mont Abnove, entre les sources du Necker et du Danube, 
étaient des conceptions de la même religion. Notre unique but, 
nous le répétons, a été de suivre des manifestations analogues au 
centre de la cité des Eduens. 

I. — Plateau d'Auvenay. 

Le plateau d'Auvenay, que les chartes nomment en i3oo le 
mont d'Avenue, donne naissance à l'Ouche et à plusieurs autres 
af&uents de fa Saône, de la Dheune et de l'Arroux. Ces sources 
sortent pour la plupart de gorges resserrées, fécondant sur leur par- 
cours des vallées dont la fertilité contraste avec l'aridité des som- 
mete qui les dominent. De grossiers retranchements en terre ou 
en pierres brutes, des escarpements ménagés aux angles saillants, 
défendaient les accès des .ces vastes chaames^^ livrés depuis des 
siècles au pacage , et la muraille naturelle qu'ils déroulent paral- 
lèlement au cours de la Saône. Des enceintes funéraires, de nom- 
breux tumulus, y recouvrent la cendre des populations gauloises 
qui les habitaient ou qui s'y réfugiaient en temps de guerre ; on y 
retrouve en même temps des traces profondes du paganisme gau- 
lois. Aussi le nom à'Apivenay ou diAvenne n'est-il pour nous que 
celui d'un génie des eaux, d'une dea, nom générique peut-être 
plus encore que local, dont le breton aven (eau) fournit le radî- 

* On noniri>e rhanmex, en Bourgognr, les .«ommcts cotivcrfs do ga/on. 



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— lo- 
cal, et répigraphie helvétique le nom latin, dea Atbntia '. Cette 
communauté de génies entre des contrées diverses est un fait 
plus fréquent encore que celle des noms de villes ou de hameaux. 
Sedunwn et Noviodunum^ étaient communs aux Éduens et aux 
Helvètes, comme YArar et la dea Aventia. Rosmbrta, SouMfABA, 
Damona, Borvo, Nennerivs'; se répètent vingt fois sur la surface 
de la Gaule; la Dore, dea des eaux arvernes et delà haute Italie', 
présidait aussi à Tune des sources du plateau d'Auvenay, la 
Grande-Dore, dont il sera question plus loin. 

C'est surtout dans les monuments et dans les faits archéologi- 
ques que nous chercherons les traces du culte des eaux éduennes. 
Le plus important de ces monuments , situé sur le versant occi- 
dental du plateau d'Âuvenay, qui regarde le bassin de TArroux , 
est la colonne de Cussy. Un compitum ou temple rural, conmie il 
en existait aux principales sources des rivières, occupait le som- 
met de la vallée où le Gor^ prend naissance. La colonne qui 
a donné son nom au hameau (Gussy-la-Colonne) s'élève à côté de 
la fontaine. Bien qu'elle ne date que du m* ou du iv* siècle , ainsi 
que la plupart des sculptures rdigieuses du pays éduen , le lieu 
où elle fut érigée était le but d'un pèlerinage gaulois que le paga- 
nisme romain avait entretenu. Les monnaies de diverses dates 
trouvées alentour, des pièces d'Antonin renfermées dans des sépul- 
tures voisines, attestent une occupation antérieure à son érection. 
Le peuple y apportait ses ofirandes comme aux sources de la Seine , 
et y déposait des ex-voio, parmi lesquels on doit classer six figu- 
rines de pierre calcaire blanche avec des attributs phalliques au 
cou, qui y furent découvertes au siècle dernier ^. Quelques débris 
statuaires, restes eux-mêmes d'objets votifs, avaient fait supposer 

' Mommsen, Inscript, Helvet, Turici, i854) p* 28. 

* Nion et Sion, chez les Helvètes; Nion, Nevers» Suin, chez les Eduens, dési- 
gnés sous les noms de Nwiodmtum et de Sedanum. 

' Pictet, EstuisurUs inscriptions gaalois€s. (Bévue archéoL «yrii 1867, p. 987.) 

* Gor en breton signifie génie: le nom de ce ruisseau équivaut donc à celui 
de ruisseau de la Fée, qu'on trouve dans les montagnes éduennes. 

* Gandelot, flisL de Beaune, discours prélim. p. xl. Dissertation sur la co- 
lonne de Cussy. — H. Baudot et Guillemot, Mém, de la Commission des antiquités 
de la CôteiVOr. — Mémo sujet, Mém. de la Société édnen ne , i853-i857. 



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— lo- 
que la colonne servait de piédestal à Timage de la divinité du lieu ; 
mais il est plus naturel d'admettre que celle-ci était placée dans 
un compitam, et recouverte par un baldaquin de pierre analogue à 
celui qu'on voit près de sa base. Telle était du moins à Augusto- 
dunum la destination de ces dais, dont on a trouvé quatre ou cinq 
spécimens, accompagnés des débris de leurs colonnes de soutene- 
ment et de ceux des divinités qu'ils abritaient. La forme bizarre 
qui leur a fait attribuer quelquefois une antiquité reculée n'est, au 
contraire, que le produit d'une décadence qui cherchait le rajeu- 
nissement de l'art hors des règles de la simplicité et du goût, et 
qui est attestée par tous les objets qui accompagnaient ces petits 
monuments. L'état de dégradation des huit divinités sculptées sur 
la base octogone de la colonne de Gussy permet à peine de préci- 
ser aujourd'hui leur caractère: une femme tient la patère, attribut 
des génies propices; la plupart des autres appartiennent au paga- 
nisme romain. Il faut excepter le captif garrotté et assis sur un 
tronc d'arbre, dans lequel dom Martin voyait la victime d'un sa- 
crifice humain dont aucun détail n'autorise la supposition , et qui 
doit être, comme les personnages des autres caissons, une divinité. 
Mais, quel que soit en réalité le caractère mythologique du person- 
nage, il n'est pas possible de donner au monument une attribution 
historique, ni d'y chercher le souvenir d'une bataille imaginaire, 
que nul trophée ne rappelle. Cette colonne, couverte de feuilles 
d'eau semblables à celles qu'on a trouvées à la source de la Dore, 
en Auvei^ne et à Néris, est un des types usités au iV' siècle dans 
les établissements thermaux et par suite dans les sanctuaires voi- 
sins des eaux. Les sculptures de sa base exclusivement couverte de 
divinités, sa position à côté d'une fontaine sacrée et au sommet 
d'une vallée, le nom du saint substitué à celui du génie de la 
source, qui a continué d'être visitée jusqu'à nos jours, mettent 
. hors de doute le caractère religieux du monument. L'eau coule 
actuellement dans un bassin de grès imitant une cuve baptismale, 
d'où les villageois lui ont donné le nom de fontaine du Baptillot. 
Notons encore, près de Cussy, la Canche, affluent de l'Arroux, qui 
porte le nom d'une dea commune à une autre source du Mor- 
van, la Canche sur Je plateau d'Arleuf, entre l'Yonne, la Loire et 



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— 17 — 
TArroux. Sur le versant occidental d'Auvenay, les piliers sculptes 
d*un temple ont été retrouvés dans une gorge, près d'une fontaine 
sacrée, au village de Mavilly. L'étrangeté des figures, des cos- 
tumes et des attributs, inusités dans la mythologie romaine, y in- 
diquait évidenunent des traditions gauloises à peine modifiées par 
les mythes latins. La dea avec la corne pleine de fruits, le serpent 
entourant Tautel, signes de Tabondance et de la santé, y rappe- 
laient les dieux propices, dont le siège était ordinairement près 
d'une fontaine, tandis que les symboles du feu et de Feau y con- 
servaient la trace du culte des premières races. Mercure , dont les 
images sont multipliées en si grand nombre dans toute cette ré- 
gion, y figurait au premier rang. Aux sources de Bouilland, voi- 
sines de Blavilly, des sculptures de même caractère se rattachaient 
aux mêmes pratiques religieuses et prouvent une fois de plus 
leur popularité. 

Lorsque les monuments font défaut, les traditions en tiennent 
la place. A Isl fontaine Froide de Savigny-sous-Beaune, la fête du 
printemps subsiste encore; à celle de Sainte-Marguerite, une ab- 
baye s'est élevée sur les ruines du sanctuaire païen , et Y Apport, 
Yemporium du lundi de la Pentecôte, date d^une autre fête cel- 
tique des fontaines, s'y conservait, comme à TEssertenue, dont il 
sera question tout à l'heure. 

Les eaux de la Grande^Dore, qui sortent, pendant les pluies, 
d'un trou de la mcmtagne et se précipitent avec fracas pour se 
perdre dans la Dheuné après un cours de six lieues, portent le 
nom d'une dea. Dans la plaine, près du ruisseau de la Douée 
(Doaix), s'élevait la chapelle de Notre-Dame du Chemin, où les 
duchesses de Bourgogne allaient encore en pèlerinage demander 
une heureuse délivrance, comme les femmes gallo-romaines aux 
compita des Mères; à Sainte-Marie-la- Blanche est la source de la 
Dame-Bonne ou Avant-Dheune. Il n'est pas un village où l'on n'ait 
retrouvé quelque trace du culte des fontaines; à Gissey-le- Vieil , 
la stèle votive de Rosmbrta, génie des sources, portait l'inscription : 

DEAE ROMSTAE ^ 

* Donnée au musée de Di^on. Voir sur cette inscription les Mémoires île la 
Commission des antiquités de la Càie-d'Or. 

AhCRéOLOGIE. 2 



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— 18 — 

Au nord du plateau d'Auvenay, dans le bassin de l'Ouche, des 
grottes servaient dç demeure aux génies qui présidaient aux phé- 
nomènes singuliers de quelques fontaines. Les sources de TOuche 
entourent les groUes des Fées, cavernes profondes d'où s'échappe la 
rivière d*Autheuil, Tune d'entre elles. Celle de Vinbemo est encore 
un lieu de réjouissances; le Bas-de-l'Och , dont le nom parait cel- 
tique, est un toirent périodique beaucoup plus élevé que la source 
de rOuche. Un temple orné de sculptures analogues à celles de 
Maviily s'élevait un peu au-dessous, à Beligny, dont le nom rap- 
pelle celui de Belen, dieu de la médecine et des sources médici- 
nales. La chapelle de h fontaine de VErmitage, à une autre source 
de rOuche, avait succédé à un compituin de la dea Oscara, comme 
celle de la fontaine Fermée de Lusigny. Une statue rudimentaire 
du génie du lieu fut trouvée aux Grottes entre Lusigny et Grand- 
mont, à côté même de la fontaine. 

Transportons-nous maint^ànt au midi, et, dans toutes les 
gorges, nous verrons s'abriter des monuments, des traditions iden- 
tiques. Diverses fontaines y sont: encore le but de pèlerinages su- 
perstitieux; celle de Saint-Romain était surmontée de deux tétps 
de pierre, que Gandelot, historien de Beaune, dont nous accep- 
tons rattribution sous réserve, croyait être celles de Neptune et de 
Dis. L'habitude des pèlerins de les gratter pour en faire boire la 
poussière aux malades les avait complètement défigutées. « Les 
gens de la campagne, ajoute cet auteur, les honoraient, il n'y a pas 
vingt ans, sous le nom de saint Népo (saint IHàbo) et saint Ploto; 
cm y apportait de quatre à cinq lieues les petits enfants malades 
ou leurs linges, qu'on trempait dans la fontaine ^ • Celle-ci reçoit 
encore aiyourd'l^ui les mêmes visites; mais si la description de 
Gandelot est exacte, les deux têtes ont di^ru et ont été rem- 
placées par une autre sculpture gallo-romaine dun style barbare, 
qui semble moins une divinité qu'une pierre fiinéraire. Le per- 
sonnage qu'elle représente, vêtu dune saie et tenant le/ioosinm» 
reçoit, sous le nom de saint Ploto, les hommages rendus autrefois 
à ses prédécesseurs. 

' Gandelot, Histoire de Beaune, discours prélimmaire, p. xxxi. 



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— 19 — 

Non loin de S^int-Romain , au-dessus du village de Baubign> 
et à la liaière supérieure du plateau d'Auvenay, est \9i fontaine 
au Chêne, où Ton a trouvé autrefois des médailles et une statuette 
de bronze *. Elle est entourée de pierres gallo-romaines et couverte 
par une sculpture qui représente le génie de la source. Le dieu 
est entièrement nu. Il tient des deqx mains {évase, attribut des 
divinités des eaux. Son aspect barbare et sa nudité nWrayent pas 
les laveuses, qui le dégradent en battant leur linge sur ses flanoB. 
Nous avons recueilli près de là une statuette votive de pierre, re- 
présentant un génie à chevelure touQue et vêtu du sagum, qui 
conduit en laisse un animal cornu, bouc ou bélier. 

La principale source du versant méridional donne naissance à 
un affluent de la Dheune , la Cosane, dea dont le nom est commun 
à plusieurs cours d'eau du pays éduen, au Cousin, au Causin, elc» 
£lle sort, au-dessus de Nolay, du massif de rochers qui ferme 
comme d pne muraille le Vaux-Chinon, où se tenait autrefois une 
fête, au conunencement du printemps* Dans cette vallée, où des 
entassements fantastiques de rochers, des ombrages plantureux, 
de» eaux abondantes sortant d'une grotte , formaient un mystérieux 
séjour pour les génies, les nombreuses légendes relatives à saint 
Martin ont aboli les légendes païennes. Tels rochers de structure 
bixarre sont deYeous les chandeliers et Yaatel où le grand apôtre 
célébra les saints mystères. Ailleurs, entre les rocs, une trouée 
est devenue le pertuis de Fane, aon humble monture dans le cours 
de ses missions. Là le géant Rognao a succédé à quelque mons- 
trueux Sylvain. Saint Martin, poursuivi par le démoù, a fendu 
celle roche pour lui échapper ; dans ce creux profond le génie 
du mal, renversé lui-même par la puissance du saint sacrifice, a 
cherché un dernier asile. Partout s'accusent les souvenirs my- 
thologiques et les luttes des missionnaires chrétiens dans ce 
vallon consacré aux dieux et aux fêtes profanes. Un antique ora- 
toire, élevé au-dessus des rochers, atteste la victoire du christia- 
nisme^. Il est dédié à Notre-Dame de Bon-Espoir et à saint Philippe, 



' Courtépée, Ihseription du duché de Bourgogne, a* éd., t. II, p. 348. 
' Ma Hat, Guide au vallon delà Tournée, Beaunp , 1844. 



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— 20 — 
dont la fête, comme celles des génies de la Gaule, se célèbre le 
i*' mai. Dans un champ peu éloigné, et sur le plateau même, a 
été exhumé le grand Mercure de pierre conservé aujourd'hui au 
musée d'Autun. 

Ces faits et tous ceux qu*il serait possible de recueillir encore 
en explorant minutieusement le pourtour entier du plateau d'A- 
venue nous semblent de nature à faire ressortir son importance 
mythique. Un temple ou une image de pierre y marquent l'em- 
placement de chaque source. Après y avoir déposé leurs ex-voto 
durant leur vie, les habitants des environs semblent en recher- 
cher le voisinage pour leur tombeau. On est étonné de la quan- 
tité considérable de sépultures dispersées ou réunies au sommet 
des vallées et sur le plateau même. Les pierres funéraires de la 
fontaine au Chêne et d'Aubigny-la-Ronce , d'autres en tête de la 
vallée de la Cosane, celles de Cussy, les tumulus d^Auvenay et de 
nombreux champs de sépultures vulgaires indiquent sur ces lieux 
élevés une nécropole, dont l'importance est sans rapport avec le 
chiffre de la population de ces sommets. Le plateau du Mesvrin 
présente le même phénomène. La charrue y accroche à chaque 
instant des auges funéraires ou des blocs de grès dont les sculptures 
grossières représentent des personnages gallo-romains. Les villages 
de Tintry, de Saint-Emiland, de la Croix-Brenot, en sontparse* 
mes, ainsi que le plateau de Saint-Gervais, qui forme la soudure 
entre les plateaux d'Auvenay et du Mesvrin. On conservait, il y a 
peu d'années, à Saint-Gervais, l'usage d'enterrer les enfants morts 
sans baptême dans un champ rempli de cercueils gallo-romains. 
Des causes de convenance purement locale, indépendamment des 
motifs religieux, déterminaient sans doute le choix de ces empla- 
cements funéraires; ils étaient garantis par leur éloignement des 
bourgs contre les atteintes de la culture et contre les violations 
de la main de l'homme. 

If. — Plateau du Mesvriii. 

Le plateau du Mesvrin continue au sud-ouest celui d'Auvenay. 
Nous négligeons les cours d'eau accessoires de son versant orien- 
tal qui tombent dans la Dheune, quoique la vallée suivie par 



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— ai — 

cette rivière ait fourni un nombre considérable de figures votives 
de génies gaulois; nous nous attacherons spécialement au. Mesvrin, 
qui présente un intérêt plus direct, à raison des découvertes ar- 
chéologiques faites près de ses sources. La plus haute d'entre elles 
prend naissance à la partie culminante du plateau et au point de 
partage avec les sources de la Drée, qui coule au nord. Ce point 
est dominé par le château de Brandon, ancienne seigneurie, dont 
les tours couronnent Tunique mamelon qui s*élève au milieu d'une 
vaste plaine, au bas duquel Courtépée a mentionné un dolmen. 
D'autres monuments, aujourd'hui disparus, les menhirs d'Épogny 
dans le voisinage, celui d'Âuxy à la limite opposée du plateau, y 
conservaient les souvenirs celtiques. Là aussi s'étend la forêt de 
Pierre-Luzière,doQt le nom rappelle celui de La$uen chez les Bre* 
tons. Au-dessous de Tétangqui porte son nom, le Mesvrin reçoit» 
au village de Gamay, le ruisseau de Saint'Sernin'da'Boif. C'est au 
point même de leur jonction que s'élevait le compitwn du Mesvrin , 
sur les ruines duquel fut construite une chapelle, dédiée, comme 
la fontaine de Saint-Romain, citée plus haut, à saint Ploto. Les 
paysans y viennent en pèlerinage pour obtenir la guérison des 
enfants noués. Aussi la statue du saint est-elle enlacée dans un 
réseau de cordons noués autour de son corps comme les lisières 
du maillot, grossiers symboles de l'infirmité dont les visiteurs im- 
plorent la guérison. Mais ce qui démontre péremptoirement Tftn- 
tiquité du compitam, c'est que l'autel même du génie du Mesvrin 
a été trouvé sur place, et enclavé à l'extérieur dans Tunique fe- 
nêtre de l'abside, qui est du xii* siècle^. Cet autel était, dans l'ori- 
gine, adossé à une muraille. Deux faces seulement sont sculptées, 
et offrent chacune un personnage; la nudité de la troisième face, 
malgré la continuité des moulures, prouve l'intention arrêtée de ne 
pas dépasser ce nombre^. Les deux génies, de sexe différent, leurs. 

^ Cette chapelle, autrefois plus considérable, a été récemment réduitQr«t i^a 
plus que a'.SS de long sur 2'^,^'j de large. Une porte du xvi' siècle a été utilisée 
dans cette restauration , et placée en face de la fenêtre romane restée intacte. 

' D'après des renseignements trës-précis recueillis sur les lieux , la pierre , 
depuis l'époque de sa découverte, n*a subi aucune modification. Nous en repro- 
duisons les deux faces latérales, pi. f , fig. 4 et 5. 



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— 22 — 
attributs particuliers, sont à nos yeux l'image mythologique d'un 
confluent. Celui de la face principale* représente le dieu du ruis- 
seau, nu, sous les traits d'un éphèbe potelé, à la poitrine saillante, 
aux cheveux bouclés^. Son corps fait un mouvement en avant 
comme pour symboliser celui de la source; il tient des deux mains 
un vase à panse ronde, attribut ordinaire des divinités des eaux, de 
la DBA Seqvana, par exemple, et rappelle le Borvo de Bourbonne, 
sculpté également sous l'aspect d'un jeune homme aux cheveux 
bouclés^. Le second personnage^ est la fée de l'autre bras du 
Mesvrin; elle tord sa chevelure pour en exprimer l'eau. Son type 
reproduit celui des figurines de terre blanche dont la fabrication 
était répandue surtout dans la vallée de l'Allier^. Le paganisme la- 
tin, suivant son usage, confondit la fée, comme les autres divinités 
gauloises, avec ses dieux similaires; elle devint, sous son influence, 
Vénus sortant de Tonde. C'est sous cette forme que la produit le 
bas-relief du Mesvrin ; mais le ciseau romain n'a pu dissimuler 
entièrement l'origine barbare de la dea, que décèlent Tétrangeté 
de sa chevelure et son exacte similitude avec lea images populaires 
de la Oaule. Quant à son compagnon , nous croyons pouvoir le 
nommer le dieu Magaver, bien qu'il ne figure dans aucune inscrip- 
tion* La détermination de ce nom découle pour nous de celui même 
du Mesvrin et de celui de Mesvres, bourg d'une haute antiquité, 
situé sur les bords du Mesvrin, et qu^un diplôme de Charles 
le Chauve^, en 843, désigne sous le nom de Magaveram. Ce mo- 
deste monument fournit un renseignement d'un grand intérêt sur 
la religion et les mœurs des campagnes à la fin de Tempire ro- 

> Planche I, fig. k. 

^ Les villageoises 1 ont baptisé du nom de saint Freluchot et grattent la pierre 
pour obtenir des enfants. Sa réputation a rendu toute tentative d*acquisition im- 
possible. 

^ Mémoires de la Commission des antiqailés de la Côte-d^Or, rapport sur les fouilles 
faîtes4|iix sources de la Seine. — Dugas de Beaulieu, Mémoire sur lei antixfaitéê 
de Boâtjbonne, dans les Mémoires de la Société des andtiuaires de France, t. XXV, 
3' série, p. 64. 

* Planche I, Gg. 5. 

^ Tudot, Fhjnrines gaaloises. 

" A, de Charmasse , Cartnlairc de l'égUse d'Atitun, première partie , p. A7. 



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— 23 — 
main. li est le premier spécimen de sculpture mythologiqBe que 
nous ayons rencontré dans la région granitique de TArroux et du 
Morvan • Autun excepté. Nul doute n'est possible sur Torigine de 
la diapelle située à l'emplacement même de l'un de ces édicules 
païens qui s'élevaient presque partout sur les cours d'eau ^, sans 
que cette succession impliquât un pacte avec le paganisme. La 
prise de possession des anciens sanctuaires n'entraînait aucune 
confusion dogmatique entre le Dieu de l'Évangile et Ésus ou 
Mercure, entre la sainte Vierge et les Mères, entre le martyr 
chrétien et le héros des mythes antiques. Le christianisme, seule- 
ment, en évitant d'apporter un trouble inutile dans les habitudes 
de populations encore plus attachées à leurs usages qu'à leur foi, 
ménageait entre le vieux culte et le nouveau une sorte de rap- 
prochement. 

A côté de l'autel du Mesvrin , on he pouvait manquer de dé- 
couvrir quelques ex-voto. Trois autres sculptures, détachées, sans 
nul doute, du même sanctuaire, étaient encastrées dans les murs 
d'habitations voisines^. Les deux premières représentent des fées 
sous une forme inusitée parmi les sculptures d' Autun. Dans une 
niche creusée sur la face d'une pyramide quadrangulaire tron- 
quée au sommet, est assise une Mère, les cheveux roulés, tenant 
de la main droite sur ses genoux une grande patère, et de la 
gauche une corne d'abondance'. La seconde^ presse un enfant 
au maillot sur son sein , continuant ainsi le rôle de la précédente, 
chajgée de douer les nouveau -nés. La troisième^, d'un travail en- 

*■ Nous avons adopté, pour désigner ces édicules, le terme de compitum, qui 
désigne en même temps les carrefours des villes ou des chemins affectés ordi- 
nairement à leur emplacement. Il est employé notamment à Autun même, dans 
les Actes du martyre de saint Symphorien , dont la rédaction est antérieure à 
Grégoire de Tours , qui s'en est inspiré, c Cum Berecynthias simulacrum per Au- 
■ gustoduni cùmpita festivaque pompa veheretur, eOusaque multitudo in genua 
• ante carpentnm caderet, > etc. (D. Ruinait, Acte, sincera. — Grégoire de Tours, 
De ^loria confessaruwi, n** 968.) 

* Acquises pour le musée d' Autun. Elles avaient été recueillies à une courte 
distance du temple, dans le hameau, au lieu dit : Bas-de- Marais, 

' Planche ï, fîj;. i. 

• Fig. ï. 
» Fip. 3. 



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— 24 — 
core plus grossier, représente un nain affreux, taillé dans le grès 
le plus rude. D'une main il tient un objet hémisphérique, res- 
semblant vaguement à une coupe, qui serait en ce cas l'attribut du 
génie de la source; mais cette interprétation incertaine n'expli- 
querait pas complètement les détails de cette singulière figure. 
Une tête monstrueuse, une face plate et triangulaire , des jambes 
droites comme des pieux , en font un ensemble hideux , qui ac- 
cuse le ciseau d'un tailleur d'images de village. Gaulois et non 
Romain, tel qu'on devait en rencontrer, au iv* siècle, sur les bords 
du Mesvrin. Cette figurine étant, à n'en pas douter, un eohvoto, 
la nature même du pèlerinage du Mesvrin permet de l'expliquer. 
Saint PlotOf patron de la chapelle , était invoqué pour la croissance 
des enfants noués; Y ex-voto représente selon toute apparence un 
de ces enfants disgraciés, un nàboO^ c'est-à-dire un nain, compa- 
gnon traditionnel de saint Ploto. Le petit monstre a été offert au 
dieu de la source, en reconnaissance d'une guérison. Une autre 
sculpture de même dimension et de même famille, quoique d'un 
travail bien plus soigné, a été trouvée à Nuits (C6te*-d'0r), non 
loin d'une fontaine dédiée aussi à saint Ploto» L'enfant au maillot 
y est représenté endormi , sous la garde d'un chien ^. 

Tels sont les restes de mobilier mythologique recueillis au comr 
pitum du Mesvrin. Des fouilles régulières les augmenteraient sans 
doute. On n'y trouve pas, comme à Cussy et à Mavilly, conmie 
dons les contrées riches de la Bourgogne, des sculptures nom- 
breuses, des ex-voto sortis de la main d'artistes exercés. La phy- 
sionomie de ce petit temple n'en est pas moins originale. Ses bas- 
relief de granit, ses fées rustiques, véritables campestres, silvqnm, 
ses images barbares, nous représentent le paganisme rural sous un 
^utre aspect que celui des municipes gallo-romains. Les marbres , 
les chapiteaux, sont ici inconnus; des paysans incultes viennent, 
au confluent de deux rubseaux, déposer devant ces grossiers 
simuliacres des œufs, du lait, un peloton de laine, nouer des fils. 
C'est bien là cette population de colons, adorateurs de pierres, 
çultores lapidum, au milieu desquels saint Martin multipliait ses 

' Nabot signifie dans le langage populaire un enfant privé de croissance. 
' Cet ex-voto appartient au musée de Beaune. 



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mr^ 



— 25 — 
missions et que l'ancien soldat de Julien essayait de civiliser par 
la charité. 

. Si nous n'avons pas recueilli à la source des autres a£9uents du 
Mesvrin des images de divinités gallo-romaines, nous y trouvons 
du moins, avec tous les signes d'une haute antiquité, les mêmes 
pratiques religieuses, les mêmes chapelles, les mêmes traditions. 

III. ^ Plateau d'Uchoo. 

Pour ne pas nous répéter indéfiniment , nous ne parlerons que des 
deux principaux sanctuaires du plateau d'Uchon, qui n'est séparé 
de celui du Mesvrin €[ue par le cours de cette rivière. Le premier 
de ces sanctuaires est situé aussi au confluent de deux sources. 

Le vallon du Grisi, auquel ce ruisseau a donné son nom, com- 
mence à la lisière septentrionale du plateau d'Uchon , où il forme 
un hémicycle ombragé à sa base par de grands arbres et déchiré 
sur ses pentes par des esquilles rocheuses qui percent partout le 
sol. Au milieu de ce sévère amphithéâtre, sur un massif de granit 
large de lo mètres et détaché de la montagne en forme de pro- 
montoire, s'élève la petite chapelle de la Dame de Maison-Dra, 
jadis entourée d'un lacus, si l'on en juge par les souches mons* 
trueuses et décomposées des arbres qui ont précédé ceux d'au- 
jourd'hui. Un chemin creux et rongé dans le granit contourne la 
chapelle, dont la construction, conmie celle de saint Ploto, accuse 
des détails de diverses époques. Sur l'autel est une ancienne statue 
de sainte Anne, représentée assise. La fontaine sacrée qui lui est 
dédiée sous le nom de fontaine Marianne est une des sources du 
Grisi, située à quelques pas de la chapelle. Les nourrices s*y 
rendent, comme à celle de Saint-Martin de Beuvray, pour obtenir 
un lait abondant. Jolies s'y lavent le sein, puisent de l'eau dans 
un vase qu'elles font toucher à la statue, avant de boire, et em- 
portent le reste pour continuer pendant quelques jours l'acte de 
dévotion. 

Le nom de Maison-Dm, si Ton en demande l'étymologie au bre- 
ton, signifie simplement un lieu escarpé, et la situation le justifie 
pleinement. Mais les habitants en donnent une plus poétique. 
Suivant leur récit, une famille de druides, détachée de ceux du 



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— 26 — 
Mont-Dru, au-dessous d'Autun, y avait sa résidence, et la preuve 
de ce fait, d'après eux, résulte de la concordance des deux fêtes 
du Mont-Dru et de Maison-Dru, fixées toutes deux au jour da mai. 
Cette fête réunissait autrefois une foule considérable autour de 
la chapelle, mais on n'y vient plus guère aujourd'hui qu'en pè- 
lerinage et isolément, durant tout le cours de l'année. La Dame 
de Maison-Dru, diseni-ils encore, était sœur de la Dame de TEsser- 
tenue , dont il sera question plus loin , et de la Dame de la Comelle. 
Son ancien nom fut changé en celui d'Anne-Marianne, qu'elle 
porte aujourd'hui , lorsqu'elle reçut pour compagnes sainte Apolline 
et sainte Barbe en remplacement de ses sœurs. Cette triade des 
Mères n'est qu'une des nombreuses traditions celtiques conservées 
en ce lieu. On montre sur un roc le pas de la mule, comme on 
montre à TEssertenue le talon de la Dame imprimé au bord de la 
fontaine; une wivrc ailée y garde un trésor, souvenir des offrandes 
déposées en plein air dans les lucas et près des sources. Le monstre, 
avant de se laver, plaçait sa pierre précieuse au bord de la/on- 
laine Magnol, à loo mètres de la chapelle, sans se plonger jamais 
dans celle de la Dame. Il respectait de même celle de la Dame de 
l'Essertenue, lorsqu'il dirigeait son vol de ce côté, et se baignait 
dans le réservoir au-dessous de l'eau sainte ^. 

Les plus hautes sources du Grisi sourdent près du sommet de 
la montagne, à la Comhe-à-VÂne, dont le nom est peut-être fortuit, 
mais se rencontre souvent près des fontaines ou des lieux consa- 
crés à saint Martin, dans le pays éduen : à la Tête-de-VÂne, au 
Pas-de-FÂne, au Pertuis-de-VÂne, au Saat-de-VÂne. La popularité du 
grand apôtre avait supplanté plus rapidement que toute antre les 
traditions païennes. Il était patron de plusieurs paroisses voisines et 
du prieuré de Mesvres, construit, dès l'origine de l'Eglise d'Autun, 
dans ces parages pour y combattre les superstitions dont ils étaient 
le théâtre. 

Du sonmiet de la vallée on aborde, à 634 mètres d'altitude, le 
plateau granitique d'Uchon, remarquable par ses pierres croulantes, 
ses amoncellements fantastiques de rochers et quelques cavernes. 

* Ces détails m'ont été racontés sur place par Gien Benoit , âgé de qiiatre-vingl- 



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— 27 — 
L*Ë&sertenue s'en détache comme un avant -poste qui domine le 
confluent du Mesvrin et de l'Arroux, en face du mont Beuvray. Un 
mamelon conique, entouré à sa base d'un talus régulier et d'un 
chemin de ronde, conmie les oppida, en forme le sommet, dont 
la plate -forme est isolée elle-même par une enceinte ea pierres 
sèches de 120 mètres de diamètre ^ Une voie creusée dans le roc 
traverse l'enceinte de pierres au milieu de laquelle s'élevait, sur 
la crête même de là montagne, le temple de la dea; des maçon- 
neries à fl^ur de terre et les débris de tuiles romaines dispersés 
dans le pourtour révèlent son emplacement. 

L'Essertenue fut desservie de bonne heure par des moines, 
comme tous les lieux spécialement consacrés aux pratiques du 
paganisme. Mais en exorcisant les temples, nous l'avons dit, le 
christianisme toléra ce qu'il ne put empêcher, ce qui n'était pas en 
opposition directe avec ses dogmes. La bonne Dame remplaça à l'Es- 
sertenue la Dame blanche, la dea de la fontaine , et les trois Mires. 

L'origine dfe la chapelle de l'Essertetiue, comme toutes les ori- 
gines légendaires, est merveilleuse: la statue fut découverte par 
une bergère dans le lieu désert où s'élève aujourd'hui Toratoire. 
Transportée à Fougerette, au pied de la montagne, elle revint 
durant la nuit, et, trois fois de suite, l'épreuve renouvelée la re- 
trouva dans son antique séjour. L'édifice était alors en construc- 
tion, à l'eniplacement même de la fontaine, inconnue à cette épo- 
que; — peut-être avait-elle été comblée par les prêtres, suivant 
la recommaudation des conciles, et la ténacité des coutumes 
avaît-élle obligé, après d'infructueuses tentatives, à substituer une 
église au temple païen 2; — mais l'ouvrage de chaque jour dis- 
paraissait durant la nuit. Devant cette manifestation de la volonté 
divine, une main vigoureuse lança le marteau du maçon, qui, en 
tombant au lieu même où avait été découverte la statue , marqua 
la place du sanctuaire. 

' Cette muraille existe encore en très-grande partie , mais , dans les lieux où 
elle a été renversée, la régularité d*nn énorme bourrelet indique son importance 
primitive. 

• Près de TEssertenue , à Saint-Nizier-sur-Arroux , l'église est bâtie sur une 
fontaine, ainsi que celle de Levault près Avallon. 



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— 28 — 
Le souvenir de la Dame remplit tous les lieux d'alentour, et la . 
montagne sainte est restée son domaine. Une nuit qu'elle reve- 
nait de Fougerette, elle s'assit sur un rocher, dans un vallon hanté 
sans doute par de mauvais génies et qu'on nomme encore le Peut- 
Crot^. Elle imprima sur la pierre ce signe de croix légendaire qu'on 
retrouve si fréquemment dans les actes des saints qui ont comr 
battu le druidisme^. La terreur dont ce lieu était l'objet au temps 
des génies celtiques n'est pas dissipée entièrement, et les habitants 
des chaumières voisines n'y passent qu'avec une certaine appréhen- 
sion. Une femme âgée consentit, après de longues hésitations, à 
nous y conduire; mais d'aussi loin qu'elle put l'indiquer, elle se 
signa et s'enfuit avec un effroi visible. C'est en quittant le Peut-Crot 
que la sainte^ gravit la montagne et fit jaillir la source, dont la 
margelle porte l'empreinte de son talon. Elle n'a plus quitté de- 
puis son ancien séjour. L'Essertenue était une station des pèleri- 
nages celtiques, où, du fond du Charollais, les fidèles s'arrêtaient 
en se rendant à la fontaine célèbre d'Alise, qui a pris depuis le 
nom de Sainte-Reine. Trois fêtes principales, Pâques, les Roga- 
tions et la Pentecôte, y appelaient la foule et les processions des 
villages voisins, mais celle du lundi de la Pentecôte subsiste seule 
aujourd'hui, et réunit encore quinze cents visiteurs, sans préju- 
dice des pèlerinages isolés. La fontaine, puis l'oratoire avaient 
été, dans l'origine, dédiés aux troà Mères, dont le souvenir, nous 
Tavonsdit, s'est conservé sous le nom des trois Dames sœurs. Après 
l'établissement du christianisme, elles se séparèrent, suivant la rus- 
tique légende qui les transporte dans trois lieux différents: à Mai- 
son-Dru, où l'eau de la fontaine est propice aux nourrices; à la Co-- 
melle, où celle de Sainte-|]laire guérit les yeux ^, ainsi qu'à la source 
du Mur-Païen; la troisième remonta, bon gré mal gré, à TEsser* 

' Le terme peut, dans ie langage populaire , exprime l'idée de laideur. Il sert 
aussi à désigner le démon : le Peut, le • vilain. • 

* Bolland. Vita S, Patrie, 17 mars. 

^ La qualification de sancta était donnée aux deae dans les inscriptions ; ainsi : 

SANCTAE SiRONAE. 

* Une autre version la place à Reclesne, village du Morvan, où existe aussi 
«n pMerinage de nourrices. 



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— 29 — 
tenue , où les eaux de sa fontaine délivrent de la fièvre les croyants , 
qui s'y pressent aujourd'hui comme les Celtes il y a deux mille 
ans. Si les traditions à elles seules ne constituent pas l'histoire, il 
n'en est pas moins remarquable de retrouva* dans leurs récits une 
concordance minutieuse avec les grands faits historiques, et la trace 
évidente des révolutions morales et religieuses qui se sont accom- 
plies dans ces temps reculés. 

Parmi ces traditions, quelques-unes se rattachent si directement 
à Tancien culte gaulois qu'on ne saurait leur refuser une men- 
tion. L'Essertenue, ce sanctuaire druidique dont les superstitions 
ont bravé les efforts des moines de Circiniacum^^ un des établisse- 
ments monasti€[ues les plus anciens de TÉglise d'Autun , avait été 
évidemment un lieu de sacrifices en même temps que de pèleri- 
nages. Durant la nuit de Noël, les cultivateurs prétendent entendre 
invariablement et par trois fois des gémissements d'enfants, accom* 
pagnes d'un bruit de battement d'ailes. Ils en sont aujourd'hui 
d'autant plus convaincus qu'on a trouvé des ossements d'enfants 
sous le sol de la chapelle. « Ces gémissements, disent-ils, sont pous- 
sés par des nouveau-nés morts sans baptême, €[ui réclament, du- 
rant la nuit où le Sauveur vint au monde, l'accès de la lumière 
étemelle. > La tradition des plaintes et des gémissements est fré* 
quente dans les anciens lieux sacrés dé la Gaule, et notamment 
dans le Périgord et en Bretagne, où elle passe pour rappeler d'an- 
ciens sacrifices. Les âmes, comone à l'Essertenue, conmie en mille 
localités, viennent demander la délivrance dans cette nuit solen- 
nelle du solstice d'hiver, où les Pierres toamanto^, d'après toutes 
les légendes, rendaient leurs victimes au moment où Belen allait 
commencer une nouvelle carrière. L'idée de la migration des 
âmes est ici tellement évidente, qu'à l'oppidum de Suin on montre 
un puits où, durant la messe de minuit, on entend bourdonner et 
converser les morts. Une merveille analogue existe à l'Essertenue. 
La cloche de la chapelle, précipitée dans le bourbier du Peut-Crot 

^ Diplôme de Cliarles le Chauve, 843. (Cart. d^ Autan,) 

' Une de ces pierres, près de Blois, porte le nom de Pierre-de-Minuit. Nous 
avons parlé ailleurs des pierres tournantes du Beuvray, de Suin et d'autres oppida 
éduens , dont la révolution s'opérait durant la messe de minuit. 



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— 30 — 

par le blasphème d'uo bouvier, D*a jamais pu en être retirée : elle 
sonne durant la nuit mystérieuse; mais ceux-là seuls entendent 
son appel souterrain qui sont en état de grâce. Des bruits de chars, 
des claquements de fouets, des éclats de rires sataniques, ont 
plus d'une fois effrayé les membres de l'unique famille qui habite 
ce sommet désert Comme ils ont Tesprit frappé par ce» récits 
héréditaires, tout phénomène atmosphérique tant soit peu anomal 
leur rappelle immédiatement la légende. La violence des vents sur 
cette hauteur isolée explique jusqu'à un certain point ces terreurs 
subites, mais ce qui est caractéristique, c'est la concordance de la 
l^ende avec cette époque de l'année druidique consacrée à la fête 
des génies souterrains. Nous citons M. Maury : « A Noël ces esprits 
célèbrent une fête nocturne avec une joie sauvage et qui inspire 
la frayeur ; les esprits des forêts courent dans les clairières vêtus 
d'habillements verts; l'oreille distingue alors le trépignement des 
chevaux, le mugissement des bœufs sauvages^. » 

Les faits d'hallucination sont aussi fréquents en ce lieu qu'en 
Ecosse ou en Bretagne. Le site, la solitude, le voisinage de la 
chapelle miraculeuse, y prédisposent les esprits, et la bergère de 
la ferme a vu la Dame blanche comme an nuage glisser sur le mur 
et s'évanouir dans la fontaine. 

Cette fontaine est située sur la pente, à peu d^ distance du som^ 
met. Une petite esplanade permet aux pèlerins d'y stationner au 
nombre de trente à quarante, qui se succèdent continuellement. Ife 
hpivent, se mouillent le visage, puisent une bouteille d'eau et l'em- 
portent à la chapelle pour lui faire toucher la statue. Les plus fer- 
vents mêlent à cette eau la poudre qu'ils grattent sur son piédestal, 
et la prennent coDuue remède. Grégoire de Tours raconte que le 
tombeau de saint Cassien , au polyandre de Saint-Pierre-l'Étrier à 
Autun, était dégradé et troué par les malades qui en buvaient la 
poussière K Mais c'est le soir de la Pentecôte, surtout, que la sainte 
aocampUt son œavre, suivant l'expression consacrée : car la grande 
cérémonie, comme au temps des druides, se fait durant la nuit. 
La foule s'entasse dans la chapelle en chantant des cantiques; 

' A. Maury, Les fées, p. 58. 

' Grégoire de Tours , De gloria confessorum. 



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— 31 — 
l'abseace de prêtres livre les assistants à leurs propres inspirations, 
et, malgré cette liberté complète, il r^e un certain recueillement 
qu'entretiennent des prières faites à haute voix par des femmes 
âgées. Vers 1 1 heures ou minuit, lorsque Tair respirable commence 
à manquer, quelques assistants sont emportés à moitié asphyxiés; 
là statue se couvre de sueur et change de couleur. 

.......... asraque sudant. 

(Virgile, Géorgûittet , L I, v. ^So.) 

C'est le moment de Vœuvre, et la foule frémissante trépigne à la vue 
du miracle. Les chants redoublent. On cite les guérisons extraor- 
dinaires, les enfants dénoués, ceux dont la parole attardée s'est 
fait entendre pour la j»^mière fois, les fièvres les plus tenaces 
guéries subitement , les mariages faits dans Tannée à la suite d'un 
pèlennage, les prêtres incrédules punis par la sainte « etc. Puis, le 
matin venu, on se presse à la source; la chapelle est à peu près 
vide à midi ; le platea|i redevient désert. 

La statue actuelle de la bonne Dame ne date guère que du 
XVI* siècle; mais Tancienne sainte, disent les gens, a été enlevée de- 
puis longtemps: «Sept prêtres, suivant eux, après avoir éloigné le 
peuple, firent l'enterrement de la première, comme si elle eût été 
une morte, et l'enfouirent sous le mur auquel est adossé l'autel 
aujourd'hui ^. » Il serait curieux de vérifier le fait. Ce détail carac- 
téristique n'est-il pas un souvenir de la coutume d'enfouir les an- 
ciennes divinités sous les nouveaux sanctuaires, et surtout sous 
le chœur, où on les retrouve fréquenmient.^ L'usage d'enterrer les 
statues qui rappelaient le paganisme, ou que leur vétusté et l'in- 
convenance de certains détails condamnaient à périr, subsista dans 
notre pays jusqu'au xvii* siècle, où les procès- verbaux des visites 
pastorales les mentionnent encore^. 

Les exemples qui précèdent accusent suffisamment, nous le 
croyons, sur les plateaux éduens le culte des sources, qui semble 

' Les détails qu'on vient de lire m'ont été , pour la plupart , racontés par Clan 
dîne Bœufnoir, femme Gamier, la plus ancienne habitante du lieu. 

• Note communiquée par M. A. de Charmasse, qui en a recueilli divers 
nemples. 



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— 32 — 
avoir été ie premier cuite de nos ancêtres et que la foixe des tradi- 
tions soutient de nos jours. Avec lui se sont conservés aussi les 
derniers vestiges des emporium et des fêtes qui, au printemps et 
aux solstices « rassemblaient les populations gauloises près des fon- 
taines «.mêlant la danse et les réjouissances aux cérémonies de la 
religion. A midi, en quittant la chapelle de l'Essertenue» la foule 
s'assemble au pied du mamelon , sous le chemin de fonde de Tes- 
carpement supérieure Trois ou quatre esplanades en terre, étagées 
en gradins et soutenues par des pierres brutes, marquent l'empla- 
cement destiné aux jeux. On y voyait, il y a moins de cinquante 
ans, de grands rochers plats qui servaient de tables aux banquets 
rustiques approvisionnés par des vendeurs étrangers , qui y cam- 
pent durant trois jours , conmie dans les pardon» de la Bretagne. 
Des hêtres séculaires et respectés, restes d'un lvu:va, ombragent les 
danses et les festins. La présence habituelle des vieux arbres près 
des sources sacrées et des oratoires ruraux ne confirme-t-elle pas 
cette inscription antique ; matribvs tsmply^ cvm aaboribvs cons- 

TITVIT^.^ 

' A Bibractc, les offrandes religieuses et la foire des Jadis, du premier mer- 
credi de mai , finissaient aussi à midi. Le reste du jour était consacré aux divertis- 
sements. 

' Orelii, Imcr, n* 2090. 



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NOTE 

SUR 

UN GROUPE ANTIQUE 

TROUVÉ Â MANDEURE. 

PAR M. CL. DUVERNOY, 

PAKSIOENT DB LA SOCIÉTÉ D'EMULATION DR HOMTBÉLIARD. 



Le groupe dont j*ai l'honneur de mettre sous vos yeux une re- 
production photographique' a été trouvé, au mois de septembre 
i866t dans le village de Mandeui^ , département du Doubs , ou , en 
d'autres termes, sur remplacement de la vieille cité gallo-romaine 
ôi'Epajnandaodarum. C'est un fonds qui rend toujours quelque 
chose, mais qui malheureusement tend constamment à disparaître 
par le fait de la culture et de Tanéantissement des ruines, dont 
les matériaux sont recherchés avec avidité pour les constructions 
actuelles. Lorsque, il jr a deux ans, la Société d'émulation de Mont- 
béliard, dans un commencement dé fouilles, eût exhumé succes- 
sivement neuf pièces d'un édifice en grande partie conservé et 
dont les murs étaient encore revêtus de leurs peintures, le pro- 
priétaire du sol, trouvant, dans les matériaux mis au jour, une 
magnifique occasion de reconstruire sa maison, se hâta, malgré 
ses engagements , de profiter de l'hiver pour les enlever et fit dis- 
paraitré tout ce qui avait été découvert. Il ne nous en est resté 
que les plans et les objets recueillis. 

Le groupe que nous soumettons aujourd'hui à votre examen 
représente un autel laraire. Sans vouloir en faire, en ce moment, 
l'objet d'une dissertation, nous avons pensé qu'il y aurait quelque 
intérêt pour vous à connaître un monument qui nous a paru d'une 

' Voyez la planche H. 

ARCHK0L06IE. »'$ 



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— 34 — 
certaine valeur par son ensemble et par son étal de complète 
intégrité. Il était enfoui à i",5o de profondeur, en un lieu où a 
été trouvé, il y a quelques années, un sigillum dont la description 
vous a déjà été conmiuniquée, non loin d'un massif de ruines 
considérables démoli au xvii* siècle , et qu'un fragment d'inscrip- 
tion a fait désigner sous le nom de temple de Castor. Du reste, la 
région voisine est encore couverte de tumulus partout où les cons- 
tructions modernes ne les ont pas fait disparaître, et sous les 
maisons mêmes se retrouvent les traces des anciennes fabriques. 
Le propriétaire gallo-romain avait pris la précaution , dans sa 
fuite, de cacher ses dieux sous une grosse dalle, où ils ont été re- 
trouvés; néanmoins ils avaient subi préalablement l'action du feu, 
et malheureusement le poli du bronze ainsi que les traits de la 
figure ont été quelque peu altéré*. Il n'est d'ailleurs aucun objet 
à Mandeuré sur lequel les flanmies n'aient exercé leurs ravages. 
Les cendres et le charbon forment une couche poiir ainsi dire 
continue sous le sol actuel, et ce n'est qu'en fouillant au-dessous 
de leur niveau qu'on peut rencontrer encore quelques débris de 
l'antique cité. 

Au moment de l'exhumation , les six pièces qui composent notre 
groupe se trouvaient détachées, probablement par suite de l'action 
du feu sur la soudure qui les fixait ; mais des taches blanches res- 
tées sur le plateau du piédestal indiquaient d'une manière précise 
la place et la disposition de chacune d'elles. 

Le tout est de bronze ; la hauteur totale du moÀutnent est de 
21Ô millimètres. Le piédestal a à centimètres de haut, lài mil- 
limètres de longueur et 8 centimètres de largeur. Au centre est 
une statuette haute de l^b millimètres, des pieds au sommet de 
la tête, que nous pensons représenter un génie lar^ire. Le dieu 
élève dans la main gauche un rhyton terminé par un avant-corps 
de cheval, et dans la main droite il tient une patète. Sa (igiire 
est celle d'un jeune homme. Légèrement appuyé sur un pied, tan- 
dis que l'autre reste suspendu , il semble à peine effleurer le sol ; 
les doigts du pied ne sont pas même courbés. Ses cheveux, dis- 
posés en couronne autour de sa tête , tombent en boucles sur ses 
épaules. Comme ses similaires, il est vêtu d'une tunique courte 



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-- 35 — 
ctllottantc (succinctis laribas)^ soulevée par le vent ; une ceinture 
en forme cVécharpe et apparente surtout au revers la iBxe à la 
taille. Aux pieds sont attachés des brodequins reproduisant 
Tespèce de chaussure désignée sous le nom d'endromiê, que por* 
taient surtout les personnes appelées à faire des mouvements vifs 
et rapides. Elle semble ici caractéristique de la légèreté du dieu 
et de sa nature aérienne. Les doigts du pied sont laissés à décou* 
vert; le brodequin monte un peu au-dessus de la cheville; il est 
arrêté sur les côtés par un lacet dont les trous sont indiqués paf 
de petites lignes circulaires, tandis que la fente est couverte par 
une étroite langue de cuir, formant- bourrelet. 

La taille, svelte et peu épaisse, dessine une élégante ondula- 
tion; les jambes sont fines et délicates, et la correction générale du 
dessin aussi bien que le soin avec lequel sont traités les détails 
indiquent un travail de bonne époque. 

A gauche du génie est un coq, la tête levée vers le dieu, et, en 
arrière, un serpent, un des lar^les plus habituellement honorés 
et Ggurant même fréquemament le genim ioci. Il est enroulé sur 
lui-méine et s'élève en spirale sous la- forme d'un cône tronqué 
au-dessus duquel se dressent le cou et la tête. Le corps est cou- 
vert d'écaillés, la tête chargée dune crête rejetée en arrière et de 
barbillons; comme le coq, il est tourné vers le dieu et semble 
dans l'attente de ce qui va se passer. 

A droite du génie, sur le devant, est une laie couchée, aux 
mammeiles pendantes, dont l'encolure rappelle cette race parti- 
culière de porcs et de sangliers qu'on trouve reproduite dans les 
peintures et les bas-reliefs antiques, et dont les défenses sont si 
communes dans nos ruines. Derrière la laie est un petit banc, ou 
plutôt une table, dont les côfés et le plateau supérieur sont enca- 
drés d'une double rainure, et qui figure probablement le petit 
autel portatif désigné sous le nom A'anclahris. 

Le groupe repose sur un piédestal décoré d'un entablement 
simple, mais non sans élégance. Il présente sur le devant une 
surface droite, interrompue au milieu par quatre petits degrés 
taillés en creux en face du génie ; par derrière il est terminé par 
trois pans coupés. 



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— 36 — 

Cette découverte confirme d'une manière remarquable lana- 
logie du culte domestique dans nos contrées avec ce qui se 
pratiquait à Rome. La laie séquanaise et le coq se trouvent fré- 
quemment parmi les lares gaulois; le serpent est plus particulier 
à ritalie; le petit autel est spécial à notre groupe. Quant à la 
statuette /on à pensé voir dans ses similaires un esclave gaulois 
faisant les fonctions d'échanson ou pocillator. Nous avouons qu'il 
nous est difficile de nous ranger à cette opinion , et nous nous 
demandons ce que pourrait faire un esclave gaulois ainsi placé 
sur un autel au milieu des lares domestiques, et si Ton ne doit pas 
plutôt y voir un de ces génies protecteurs attachés à chaque per- 
sonne et à chaque lieu. Rien qu'à son extrême légèreté et à sa 
nature aérienne, nous sommes porté à y reconnaître un être à 
part; et ^ à le voir ainsi la coupe à la main , prêt pour les libations, 
ne semble-t-il pas présider au sacrifice qui va s'accomplir sur 
Faute} voisin? Cette expression laribus succinctis, employée par 
Perse ^ ne peut évidemment s'appliquer qu'à des êtres analogues 
à celui que représente notre statuette et vêtus pareillement de 
courtes tuniques. Déplus, l'expression laribus Aagustis, qui se lit, 
dans un bas-relief du Vatican , au-dessous d'un personnage abso- 
lument identique avec le nôtre, sauf la patère de moins et une 
couronne de laurier de plus, semble lever tous les doutes. 

Quant à la laie , l'un des animaux les plus répandus dans notre 
vieille Séquanie et Tune des sources les plus productives de son 
commerce, devons-nous la considérer comme étant elle-même un 
lare ou comme la victime destinée au sacrifice? 

11 ne nous a pas été possible jusqu'à ce moment de confronter 
notre groupe avec ses assez nombreux similaires; et, en vous com- 
muniquant cette description , nous venons. Messieurs, bien moins 
émettre une opinion que vous demander les éclaircissements et 
les lumières que comporte le sujet. Toutefois il nous a paru utile 
de faire connaître un groupe que nous croyons intéressant par 
le fait même de son intégrité, et d'offrir à la science un nouveau 
terme de comparaison. 

* Satire v, v. 3i. 



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NOUVELLES ETUDES 

SDR 

L'INSCRIPTION ROMAINE 

RÉCEMMENT TROUVÉE À MESVE (DÉPARTEMENT DE LA NIÈVRE); 
CONSÉQUENCES DE CETTE DÉCOUVERTE 

POUR LA DiTBRMlNATION G^.OGRAPUIQUE DE GENABUM , 

PAR M. BOUCHER DE MOLANDON, 

PftésiOlMT Dl LA SOCIÉTÉ AIKCHBOLOGIQOB DE L'ORLÉaRAIS. 



Une inscription funéraire où, pour la première fois, apparais- 
sait sur un monument épigraphique Tan tique nom de Cenahuni 
sortait en i846 des déblais du chemin de fer dans un faubourg 
d'Orléans. Abandonnée par les ouvriers dans la cour d'un vigne- 
ron du voisinage, elle y gisait oubliée depuis dix-neuf ans, lors- 
qu'au mois de mars i865, remise en honneur par un membre de 
la Société archéologique de l'Orléanais, M. du Faur de Pibrac^ 
magistralement restituée et interprétée par M. Léon Renier 2, elle 
devenait pour la ville d'Orléans le plus ancien titre et l'un des 
plus précieux de son histoire. 

Quatre mois après, par une singulière coïncidence, dans une 
petite localité du département de la Nièvre, la terre, qui tient en 
réserve tant de secrets historiques, laissait échapper une révélation 

^ Bulletin de la Société archéologique de l'Orléanais, 1*' trimestre i865, p. 234 
et suiv. 

* Mémoire iu à TAcadéroie des inscriptions et belles-lettres , par M. Léon Renier. 
— Bévue archéologique, nouvelle série, vol. XI, i865, p. 4o8 et suiv. — Voir 
également M. Loiseleur, Essai d'interprétation de t inscription trouvée à Orléans, ou 
figure le mot Csnab, dans le Bulletin de la Société archeologique.de VOrleanais, 
i865, I*' trimcsire, p. adA. 



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nouvelle , comme pour corroborer et compléter la première. Une 
autre inscription sortait des entrailles du sol, et ce monument 
lapidaire, interprété, lui aussi, par M. Renier, assurait à cette 
modeste localité son nom antique et faisait faire un pas encore 
à la question de Genahum. 

Je n ai pas la prétention de rieii ajouter aux appréciations de 
réminent épigraphiste dont les savants écrits sont le flambeau de 
mes humbles études; je veux seulement faire ressortir de la cu- 
rieuse inscription , si bien expliquée par lui , quelques déductions 
qui n'entraient pas dan* le cadre qu'il s'était tracé, et qui m'ont 
paru dignes d'intérêt. 



Les riches vallées arrosées par les fleuves furent partout la 
demeuœ préférée des peuplades primitives. Elles y trouvaient 
un sol fertile, un facile moyen de transport et d'échanges, et, sur 
les coteaux voisins, un asile salubre et sur. Là durent se fonder 
les premières cités, que des routes relièrent bientôt les unes aux 
autres, ainsi qu'aux groupes éloignés qivi .cherchaient à se mettre 
en communication, par la voie la plus, ^i^'^cte, avec la grande 
artère navigable. 

La plupart des centres de population assis aujourd'hui sur les 
bords de la Loire peuvent rattacher ainsi leur origine aux premiers 
âges de la Gaule. 

La route moderne qui de Nevers conduit à Orléans et à Tours , 
en côtoyant la rive droite du fleuve, est, sans nul doute, l'une 
de ces anciennes voies celtiques, perfectionnées par la civilisation 
romaine, pour faire communiquer entre elles les villes florissantes 
de Decetia, Nevirnum, Cenahum, Cœsarodunum , et les puissantes 
tribus des Eduens, des Sénonais, des Carnutes\ etc. 

Cette voie fréquentée alors, comme elle l'est encore en notre 
temps, traverse, à 34 kilomètres à l'occident de Nevers, le village 
deMesve (département de la Nièvre). 

Aujourd'hui simple commune rurale de 960 habitants, Mesve, 

' Léon Renier, Itinéraires romains de la Gaule. — Beitraud , Les voies ro»M»W 
en Gaule, p. 7 ri 10. 



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autrefois Masava, remonte, par ses souvenirs, au temps de roccû- 
pation romaine. 

Son nom, légèrement altéré, se retrouve dans les documents 
du moyen âge. Mesve est nommé, au vi* siècle, dans les règle- 
ments de saint Aunaire, évéque d'Âuxerre, Matva cum suis, et, au 
▼II", dans ceux de saint Tétrice , son successeur ^ Au vin* siède 
(en 760), Pépin s'y arrête et y passe la Loire : « Pippinus rex, dit 
Je continuateur de Fréd^aire, per pagum Trecassinum usque Au- 
tisioderum urbem accessit, inde ad Ligerem fluvium cum omni 
exercitu Francorum, ad Masvam vicum, in pago Autisioderensi, 
Ligerem fluvium transmeavit^. » 

La concordance étymologique du nom de Massava ou Masava 
avec celui de Mesve, et de sa petite rivière du Masaa ou du Masou, 
déjà signalée par d'Anville; les nombreux débris qui se rencontrent 
sur son sol ; la conformité , nonobstant un léger écart , des 3^ kilo- 
mètres qui le séparent réellement de Nevers, et des 16 lieues 
gauloises (35^kilom. 1/2) indiquées dans les anciens Itinéraires, 
l'ont fait regarder par les plus savants géographes comme la localité 
nommée Massava dans la Table de Peutinger. Mais, bien que cette 
identification, généralement acceptée, n'ait soulevé aucune objec- 
tion, ce n'était jusqu'ici qu'une haute probabilité appuyée sur des 
analogies concordantes. L'inscription récemment découverte est 
venue lui donner le caractère de la certitude historique. 

Au mois de juillet i865, M. l'abbé Boëre, curé de Mesve, ec- 
clésiastique instruit et animé d'un zèle éclairé pour les recherches 
archéologiques, veillait aux travaux de réédifîcation de son église 
paroissiale. 

La construction nouvelle s'élève sur l'emplacement de l'an- 
cienne église érigée , au xi* siècle , et celle-ci , suivant une tradition 
locale, justifiée par des fragments d'inscription trouvés dans la 
démolition des murs, aurait elle-même succédé à Une autre dont 
l'origine remonterait au vi* siècle de notre ère. 

On déblayait les fondations du mur méridional ; de nombreux 

^ L'abbé Lebeuf, Histoire da dioche d^Auxerre, édil. 18^8 , t. I, p. 1 26 et 1 65. 
' I)om Bouquet, ScripL rrr, GalUc, t. V, p. 4 » C . D. 



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fragments d^auges sépulcrales, employés comme simples moel- 
lons, se rencontraient dans la vieille maçonnerie, et devenaient, 
pour M. Fabbé Boere, de nouveaux témoignages de Tantiquité de 
sa paroisse, lorsque, à 2 mètres de profondeur et comme sous le 
dernier libage, une tombe apparut, dont la forme et la positioa 
singulières appelèrent vivement Tattention. 

Quatre longues dalles la composaient : Tune, posée à plat et 
brisée sur place, formait le fond; deux autres, placées de champ, 
constituaient les parois latérales; une quatrième, bombée à la 
partie supérieure, tenait lieu de couvercle. 

Cette tombe ne renfermait que quelques ossements à demi 
consumés. 

M. Tabbé Boëre pressentait une intéressante découverte : il fit 
enlever et remonter soigneusement en sa présence les diverses 
parties de ce monument funéraire, et éprouva une véritable joie 
d*antiquaire, lorsque, retournant Tun des morceaux de la dalle 
du fond, il lut sur la face inférieure qui posait sur le sol, en ma- 
gnifiques caractères de Tépoque romaine, le mot Masavensiba[s]^ 
le nom, Tan tique nom des habitants dé Mesve« 

C'était toute une révélation. Les fragments épars sont aussitôt 
retournés , rapprochés les uns des autres , et la dalle ainsi recons- 
tituée, mais un peu altérée à l'extrémité droite, peimet à M. le 
curé de lire en entier une inscription latine dont voici la reproduc- 
tion textuelle ^ : 

AVGSACRDEAECLVTO[N] 
DAE>^ETVCANISMASAVENSIBV[S] 
MEDIVSACERMEDIANNI[F1 
MVRVM INTER ARC VSDVOSC [ VM ] 
SVIS0RNAMENTISDSD[D] 

Le premier soin de M. l'abbé Boëre fut de relever, avec une 
religieuse exactitude, les dimensions et Tétat matériel de Tinscrip- 
tion. C'est à sa bienveillante obligeance que je dois ces détails : iU 
diffèrent en quelques points de ceux qui ont été publiés. 

^ V^oycz la planche IH. 



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La dalle est de pierre calcaire du pays; elle est brisée; luais les 
cassures sont si nettes, que les fragments, rapprochés les uns des 
autres, ne laissent entre eux que de minces fissures. 

Un listel de 8 centimèti^s de lai^e en haut et en bas, de 20 cen- 
timètres du côté gauche, et de 5 centimètres de saillie, adouci en 
gorge à rintérieur, Tencadre des trois côtés intacts. 

Restituant ce que la cassure ou Texfoliation ont enlevé à Tex- 
trémité droite , on a , pour dimensions de la pierre , i'",90 à 3 mètres 
environ de longueur primitive, sur j5 centimètres de hauteur et 
i5 centimètres d*épaisseur. 

L*inscription proprement dite , en y comprenant les lettres res- 
tituées à la un de chaque ligne, occupe dans l'intérieur du cadre 
un espace de i"',ôo de long sur 55 centimètres de hauteur. 

Les lettres ont 1 2 centimètres de hauteur à la i'* ligne , 10 cen- 
timètres à la 2% 9 centimètres à la 3% 8 centimètres à la à°f 
7 centimètres à la 5'. 

Elles se suivent à égale distance, sans intervalle entre les mots : 
un seul point triangulaire sépare, à la deuxième ligne, la première 
syllabe DAE du mot suivant eT. 

Les T dépassent un peu les autres lettres en hauteur. 

Bientôt après, M. le curé de Mesve portait à la connaissance de 
M. le président de la Société nivernaise et de nos plus éminenls 
épigraphistes sa précieuse découverte, et, pendant que l'inscription 
allait prendre place au musée de Nevers, à côté d'autres monu- 
ments lapidaires trouvés dans la même localité, M. Léon Renier 
en faisait, à l'Académie des inscriptions et belles -lettres, l'objet 
d'un rapport dont je suis heureux de reproduire ici les principaux 
passages ^ 

« L'inscription, dit M. Renier, est gravée en magnifiques carac- 
tères du II' siècle de notre ère . . . Elle est brisée du côté droit. 

« La deuxième ligne, à laquelle il ne manque que l'S final du 
mot MASAVENSIBVS, prouve que la cassure n'a pas enlevé plus 

' Comptes rendus des séances de t Académie des inscriptions et beUes-letlres , 1 865, 
p. 370 et suiv. — Voyez aussi la Revue archéologiifue , 2* série, t. XII, p. 386, 
ojk rinscripiion a été i*eproduile avec une légère ÎDexaciitiide , MEDIVS SACER 
au lieu de MEDIVS ACER. 



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d'une lettre à la fin de chacune des autres lignes. Les lettres man-. 
quantes sont F, abréviation du mot FILIVS, à la fin de la troisième 
ligne ; VM, qui pourraient former un monogramme, à la fin de 
la quatrième, et enfin D à. la fin de la dernière. La lettre enlevée 
par la cassure à la fin de la première ligne est plus difficile à 
restituer : je pense cependant que c'est un N. 

« L'auteur à,e la copie qui m'a été communiquée a oublié un I 
après le premier V de la deuxième ligne, soit que cet I ait été 
gravé dans de plus petites dimensions que les autres lettres, entre 
le V et le C, soit, ce qui est plus probable, qu'il se lise dans l'in- 
térieur du V. 

« Les T sont tous plus hauts que les autres lettres, ce qui se ren- 
contre fréquemment dans les inscriptions de l'époque à laquelle 
j'ai assigné ce document, qui doit se lire ainsi : 

« Augusto sacrant, deae Clatondae et vicanis Masavensibas Médias 
Acer, Medii Anni filius, maram inier arcas duos, cam suis orna- 
mentis, de sao dono dédit 

• On voit que la localité antique dont le village de Mesve occupe 
l'emplacement s'appelait bien Masava, et non pas Massava par 
deux S, comme ce nom est écrit sur la carte de Peutinger, puisque 
ses habitants s'appelaient Masavenses. On voit, en outre, que cette 
localité n'était pas une simple station , mais un vicas dépendant 
sans doute du municipe d*Aaiessiodwram;cair c'est elle évidemment 
qu'il faut reconnaître dans le Masva vicas in pago Aatisioderensi 
du continuateur de Frédégaire, cité par d'Anville. 

« La déesse Clutonda était probablement quelqu'une de ces di* 
vinités topiques, comme on en trouve un si grand nombre dans 
la Gaule ; c'est la première fois que son nom se rencontre. 

« Quant aux deux arcs et au mur donnés à cette déesse et aux 
habitants de Masava^ par Médius Acer, il est assez difficile de dire 

* «J'aurais dû écrire : «aux divinités du vicus de Masava. » Je pense, en effet, 
que vicanis a ici lo même sens que dans cette inscription des environs de Milan : 
MATRONIS (I ET VICANIS J C'SEXTICI || CABARSVS | V-S'L-M 
(Orelli, n* 2096); ce qui, du reste, revient au même pour ia question géogra- 
phique, Masavensibas n en étant pas moins IVtliniqucdcIa localité dont il s'agit. • 
[L.R.] 



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— 43 — 

ce qu'ils étaient, à nioins cependant qu'ils ne fissent partie de la 
décoration dune fontaine, dont Clatonda aurait été la nymphe, 
comme Adonna à Orléans... Mais existent* il une source sem- 
blable à Mesve ? J'avoue que je n'en sais rien ...» 

Rien ne saurait être ajouté à cette lucide interprétation. J'oserai 
seulement soumettre à M. Renier une légère rectification. L'omis- 
sion de n à la deuxième ligne,' entre le V et le C de VICANIS, 
ne résulte pas d'une lecture inexacte, mais d'une omission du gra- 
veur, n n'existant réellement ni dans de moindres dimensions 
entre les deux letti^s Vet C, ni dansTintérieur du V. Les recueils 
épigraphiques offrent des exemples de semblables omissûms^ 

Quant à la fontaine dont Clatonda aurait été la divinité pro- 
tectrice, la savante pénétration dé M. Renier, cette fois encore, ne 
lui a pas fait défaut. Mesve, en effet, dans les prés arrosés par sa 
rivière du Masau, possède, à 5oo mètres de l'église, une source 
antique, douée de temps immémorial, par la foi populaire, de 
merveilleuses vertus curatives. Cette source est, comme l'église 
elle-même, dédiée à saint Julien (de Brioude), et les traditions 
({ui se sont perpétuées à son sujet peuvent éclairer de quelque 
lumière Torigine, le sens et la ruine de Tinscription. 

On sait quelle part considérable avait le culte des fontaines 
sacrées dans la religion celtique. Elles sont , pour les localités qui 
les possèdent, un témoignage de haute antiquité. Le christianisme 
naissant lutta avec une puissante énergie contre ces croyances 
du polythéisme. Parfois la source était comblée; plus souvent, le 
monument de la divinité païenne était seul renversé : on lui subs- 
tituait le nom vénéré d'un saint ou d'un martyr, et de religieuses 
habitudes remplaçaient ainsi, sans violence, des superstitions gros- 
sières et quelquefois peu morales. 

Saint Julien (de Brioude) était étranger au diocèse d'Auxerre, 
dont dépendait le village de Mesve ; mais des liens étroits y rat- 
tachaient sa mémoire. C'était le grand évéque d'Auxerre, saint 
Germain, qui, passant vers 43 1 à Brioude, avait miraculeusement 
appris et fait connaître au peuple assemblé le jour de la mort du 

' HeQien, n* 5873, etc. 



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généreux confesseur de la foi ^ Le culte de saint Julien était d'ail- 
leurs en grand honneur aux y et ti* siècles : de nombreuses églises 
s'élevaient sous son invocation. A Brioude, une fontaine, où sa 
tête sanglante avait été lavée après son martyre, jouissait d'une 
haute vénération^. 

On s'explique ainsi facilement que le monument érigé, aux 
jours du paganisme, par un Gaulois à demi Romain, MEDIVS 
ACER, MEDII ANNI FILIVS, à la déesse Clutenda et aux 
croyances des habitants de Masava, VICANIS MASAVENSIBVS, 
ait été renversé plus tard, et Tinscription dédicatoire jetée dédai- 
gneusement au fond d'un cercueil , sous les fondations de la cha- 
pelle construite en l'honneur du martyr chrétien, dont le nom 
et les religieux souvenirs s'appropriaient si naturellement à Mesve 
et à son antique fontaine. 

J'ajouterai, pour ne rien omettre, qu'une autre inscription la- 
pidaire en l'honneur de la Mère des dieux , également intéressante, 
mais malheureusement mutilée, a été aussi trouvée dans la dé- 
molition des murs de la vieille église. 

Elle est ainsi conçue : 



AVG SACR 
1ATRI DEVM 
CVM SIGILL 
IFANl FIL 
IIVNX DSD 

Tel est rbistorique de Tinscription de Mesve*: reste mainte- 
nant à l'étudier. 

* Surius« t. IV, in Viiasancti Germani 

' Grégoire de Tours , De gloria martyram , 1. II. 

^ Je manquerais à la reconnaissance et à ia vérité, si je n exprimais de nouveau 
combien je suis redevable aux bienveillantes communications du modeste et savant 
curé de Mesve» M. l'abbé Boêre. A lui revient la meilleure part de ce que j'ai dit 
jusqu'ici. Je dois de plus à son inépuisable obligeance l'estampage de l'inscrip- 
tion déposée au musée de Nevers, et dont ie fac-similé, réduit au quinzième de 
la grandeur réelle, est joint à ce mémoire. ( Voyei la planche llï. 



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— 45 — 



En précisant d'une manière désormais incontestabîe la posi- 
tion de Tantique station de Masava, Tinscription de Mesve apporte 
un précieux élément à la solution d'un autre problème longtemps 
controversé : la détermination du célèbre emporium carnute, du 
Genabum de César. 

Quelques mots d'abord sur les notions essentielles de la question. 

Plusieurs cités antiques se disputaient l'honneur d'avoir vu naître 
le plus grand poète de la Grèce; deux villes françaises, Orléans et 
Gien, revendiquent la gloire, chèrement payée, d'avoir donné le 
signal du derhier effort de la Gaule pour reconquérir son indé- 
pendance. 

Orléans, il faut le reconnaître, réunit en sa faveur l'immense 
majorité des érudits, des historiens et des géographes: Aimoin, 
moine de Saint-Benoît-sur-Loire, au x' siècle*; Hugues de Fleury, 
religieux de la même abbaye, au xii*^; Gilles de Paris, au xiii**; 
Robert Gaguin, au xv'*; Papire Masson, au xvi"^; Jos. Scaliger**, 
le chanoine Orléanais Hubert, au xvii**''; Tillemont et Crevier, au 
xviii'8; et, récenmient, MM. Henri Martin ^ Lemaire*^ Amédée 
Thierry *^ les savants auteurs de la Carte des Gaules, etc. ont 
acceplé l'identification de Genabum et d'Orléans comme un fait 
irrévocablement acquis à la critique historique. 

* Dom Boaquet , De tfesùs rerwn Fratworum, t. III, p. a 5. 
^ Histoire ecclétiastiifne» 

^ Caroliniift iEgidius, l. IV, fol. 39 (manuscriu Golbert). 

* Histoiiu Franciœ, 1. IV. 

^ Papirius Masso, Notitia episcopatuum Galliœ; recueil do Diichesne, t. f, 
p. 54. 

^ Notiûa GaUiœ; recueil de Duchesne, 1. 1, p. 3o el 4o. 
^ Maou8crit5 de la bihliotli^ue publique d*Orléans. 
" Histoire des Empereurs, t. XI, p. 118. 

* Histoire de France, 1. 1 , 1. IV , p. 1 65. 

*• N. E. Lemaire, Bibliotheca clàssica Uitino: Cœsar, I. ï, p. /173, rit. l\\ 
p. 263. 
" Histoire des Ganlois , l. FH, p. 85. 



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— 46 — 

D*au(res, plus explicites encore, Adrien de Valois ^ les Orléanais 
Polluche, dom Verninac et l'abbé Dubois ^ Tacadémicien Lancelot^, 
d'Anville\ et, de nos jours, MM. Jollois^ le général C^euly^ etc. 
ont établi cette thèse géographique sur d'irréfutables discussions "'. 

On fait valoir en faveur d'Orléans : 

i"" Sa situation géographique au point où la Loire, s'infléchis- 
sant vers le nord, se rapproche du centre du pays carnute eld'/lu- 
tricum, sa capitale; l'appropriation naturelle de la pente adoucie 
de son coteau à l'exportation, par la grande artère commerciale 
des Gaules, des blés, des fourrages, des bois de construction de 
cette puissante tribu ; 

2** L'affirmation de César, confirmée cinquante ans plus tard 
par Strabon, que Genabum était l'entrepôt conmoiercial , Vemporiam 
des Carnutes ; 

3® Le réseau de routes antiques qui , convergeant vers son port 
et son pont sur le fleuve, les reliaient aux grandes villes environ- 
nantes: ^lufncam, Cœsarodunum, Nevinmm, Agedincum, Avancum, 
Luletia^; 

/i" Ses constantes habitudes de négoce, sa prépondérance com- 

' Noliiia GaUiarum, 1675, p. aaS, art. Genabum. 

* Manuscrits de ia bibliothèque d'Orléans. 

■* Mémoires de l'Accutémie des inscriptions, t. VI, p. 635 ; t. VIIÏ, p. 45o. 
^ Éclaircissements géographiques sur Vancienne Gaule, dissertation sur Genabum, 
17^1, p. 167. 

* Mémoire sur les antiquités du Loiret, couronné en i83/i par rÂcadémie des 
inscriptions, p. 68 etsuiv. 

^ Examen des observations sur la carie de l'ancienne Gaide, i864. p. 6g. 

^ Parmi les meilleures publications modernes consacrées à ta question de Ge- 
nabum, ^q dois particulièrement citer quatre écrits insérés dans le tome IX ( 1 866 ) 
des Mémoires de la Société archéologique de l'Orléanais : Gitu-sar-Loire et le Gena- 
bum des Commentaires, par M. Tabbé Victor Pelletier; — Question de Genabnm; 
exisle-t-il des vestiges apparents d^nn pont dans le lit de la Loire en face de Gien le 
Vieux ? par M. Coliin , ingénieur en chef de la Loire ; — Genabum , essai sur quel- 
ques passages des Commentaires de Jules César, par M. E. Bimbenet; — Gien le 
Vieux et ses abords, par M. Marchand; — et, dans le Bulletin de la Société des 
sciences de l'Yonne, 2* semestre , 1 866 , un mémoire de M. Challe , président de la 
Société , sous le titre de : Sur l'emplacement de Genabum. 

" Voy»'/ la planche ÏV. 



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merciale dans le bassin de la Loire, créées dès ces tepaps loinlains 
par les mêmes causes qui les ont maintenues jusqu a nous^; 

5^ La concordance de ses éléments astronomiques avec ceux 
qui sont donnés pour Genahum par Ptolémée^; 

6" Son évéché, dont la fondation remonte à Torigine du chris- 
tianisme dans les Gaules; 

7^ Ses ruines antiques, ses arènes; les débris de temples et de 
palais, les médailles de la République, de César, des premiers 
empereurs, qui se rencontrent en si grand nombre sur son sol; 

8® Les monuments épigrapbiques des deux premiers siècles 
de Tère chrétienne récemment découverts dans ses faubourgs : 
en 1823, rinscription de la nymphe Adonna, divinité protec- 
trice de la soui-ce sacrée qui versait ses eaux à Genahum par un 
aqueduc souterrain dont les restes subsistent encore aujourd'hui'; 
en i865, la pierre fumulaire du carator de Cênahum, retrouvée 
à quelques pas de Fenceinte d'Orléans et dont le savant mémoire 
de M. L. Renier a si bien fait ressortir la décisive influence pour la 
délermiïiation géographique de Vemporiam carnute; 

9*^ EnGn, pour ne rappeler que les points essentiels, la con- 
formité des distances inscrites aux anciens Itinéraires entre Gena- 
hum et les gppida voisins avec celles aujourd'hui mesurées entre 
Orléans et les antiques cités qui lenvironnent; argument considé- 
rable mis en lumière par d'An ville*, avec la netteté qui distingue 
cet illustre géographe, et auquel la nouvelle inscription de Mesve 
vient donner en quelque sorte la rigueur d'une démonstration géo- 
métrique. 

On objecte encore aux défenseurs des prétentions de Gien : 
Le nom de Giemo, Giemum, constamment attribué à cette ville 
depuis le vi* siècle , et qui semble lui constituer une existence propre , 
autre que celle de Genahum; 

' M. Mantdlier, Histoire de la conwmnautd des marchands fréquentant la rivière de 
lAfire, {Mémoires de la Société archéologique de l'Orléanais, t VII.) 

* Générai Creuly , loco ait» 

' Jollois, Notice sur les nouvelles fouilles de la fontaine VÉtavée. (Annales de la 
Société des sciences d'Orléans, i. VII, iSaS.) 

* D*Anvilie, Éclaircissemenis (féographiques , etc. ' 



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— 48 — 

Son annexion, de temps immémorial à levéchéd'Auxerre, tVoù 
la conséquence qu'elle dépendait des tribus sénonaises et non des 
tribus carnutes. 

Et lors même que, contrairement à toute vraisemblance, ce ter- 
ritoire éloigné d'Autricum eût réellement appartenu aux Carnutes, 
toujours serait-il difficile de comprendre que les habitants de cette 
tribu eussent eu la pensée de choisir, aux bords de la Loire, un em- 
porium si lointain , pour y traîner par des chemins péniblesles objets 
peu transportables de leur commerce primitif, tandis c(u'à 60 kilo- 
mètres plus près de leur ville centrale ils avaient, pour ainsi dire 
sous la main , un lieu d'embarquement si commode. 

Quant aux hypothèses stratégiques mises en avant par quelques 
auteurs pour justifier leurs préférences en faveur de Gien , il suffira 
de remarquer que , acceptées par les uns , combattues par les autres , 
elles manquent d'une base solidement établie, les diverses attri- 
butions géographiques sur lesquelles elles s'appuient étant, pour 
la plupart , incertaines et contestées. 

m 

Les défenseurs des prétentions de Gien pouvaient difficilement 
méconnaître la puissance logique de ce faisceau d'inductions, dont 
chacune, prise isolément, a sa valeur, et que fortifient surtout leur 
ensemble et leur parfaite concordance. 

Aussi , vers le milieu du siècle dernier, le plus célèbre d'entre 
eux , le savant abbé Lebeuf , combattu par d' Anville avec une inexo- 
rable énei^ie, proposait-il, avec quelque timidité toutefois, une so- 
lution nouvelle à la thèse un peu paradoxale qu'il soutenait contre 
l'illustre géographe. 

ttDom Duplessis, disait-il, suppose, dans un ouvrage imprimé 
en 1733 et 1736, qu'après la prise et l'incendie de Genabum placé 
à Oriéans, la plus grande partie de ses habitants qui échappèrent 
au vainqueur remonta la Loire et alla fixer sa demeure auprès de 
Gien ... 

«Guillaume Guyon, savant barnabite de Montargis, admet 
aussi deux Genabum ...» 

«Mais, au lieu du système de conciliation qu'embrasse dom 



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— 49 — 
Dupiessis, ne serait-ce pas plutôt, continuait Tablée Lebeuf, le Gf- 
nabum qui était trop éloigné de la capitale des Camutes qui fut 
abandonné par ses habitants , lesquels descendirent plus bas sur la 
Loire, et se transplantèrent en un lieu pluç propre à servir d'en- 
trepôt, et ce serait ce qui y aurait fait aboutir par la suite plusieurs 
chemins, que rien n'oblige absolument de croire construits dans le 
mémetemps^?. ...» 

L'abbé Lebeuf propose donc, pour tout concilier, d'admettre 
deux Genabum : l'un situé à Gien , le Genabum primitif, incendié 
par César et abandonné de ses habitants après le désastre; l'autre, 
qui lui aurait succédé, le Cenabam de Strabon, de Ptolémée, des 
Itinéraires et des monuments épigraphiques, fondé, par les Gé- 
nabiens fugitifs, au point où est aujourd'hui Orléans. 

• Je ne m'arrêterai pas, dit à cette occasion l'un des savants au- 
teurs de la Carte des Gaules, M. le général Creuly, à faire ressortir 
l'invraisemblance de cette hypothèse; il me suffit que ce ne soit 
qu'une hypothèse pour la rejeter sans examen , car la critique doit 
s'appuyer sur des faits réels et non sur des idées préconçues^. ...» 

La supposition de l'abbé Lebeuf, toute gratuite qu'elle est, 
n'en a pas moins été reprise et de nouveau soutenue dans divers 
écrits modernes; et je ne puis surtout oublier que l'auguste auteur 
de V Histoire de Jules César semble incliner à lui accorder son imr 
posant sulBrage*. Il est loin de ma pensée de vouloir soulever ici 
une controverse que de hautes et respectueuses convenances m'in- 
terdisent, en ce lieu surtout, et dans ces bienveillantes et hospi- 
talières solennités. Qu'jl me soit permis seulement, usant de ces 
libres immunités de l'étude que l'illustre historien de César se 
plaît à protéger, de rapprocher quelques faits historiques et d'en 
faire ressortir une vérité sur laquelle reposent essentiellement mes 
déductions. 

Peut-on admettre, à l'époque de Jules César, l'existence succes- 
sive, presque simultanée, de deux villes carnutes du nom de 

* Mémoire concernant l'histoire civile et retigi^ase d'ÀujDerre, fNirl^abbé Lebeuf^ 
în-4*, 1743, réimpression de 1848, t. III, p. 2, note. 

' Examen des observations, etc. t p. 7 1 • 
'• Histoire de Jules César, t. II , I. ïll , c. x. 

AnClIROLOGIK. 4 



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— 50 — 
Genabum, toutes deux riveraines de la Loire, toutes deux entrepôt 
commercial de la tribu P Cest en ces termes précis que le problème 
se pose devant la critique historique. Du récit attentivement étudié 
de César doit sortir la réponse. 

Au moment où, sous la plume du vainqueur des Gaules, Ge- 
naham apparaît pour la première ibis dans Thistoire , c'est une ville 
carnute [oppidum Carnutum), assise au bord de la Loire, riche -et 
coomierçante ^ 

« Sa position centrale, dit M. Amédée Thierry, et la tommodité 
de son port [et de son pont] en avaient fait de bonne heure lun des 
grands entrepôts de commerce entre la Méditerranée et TOcéan ; 
depuis Tarrivée de César, une foule de marchands étaient venus 
s'y établir, et, sous la protection des aigles romaines, s*emparant 
de tous les négoces, avaient amassé d'immenses richesses. Dans 
le nombre des Romains se trouvait un chevalier, C. Fufius Cita , 
que César avait chargé de pourvoir aux achats de grains^ » 

C'est là que la révolte éclate : le sang romain coule et la répres- 
sion suit de près. César accourt; il assiège, il prend la ville, il la dé- 
vaste, y met le feu, la livre au pillage : pppidam diripit atqae incen- 
dit, prœdam militibus donat^. Mais Ta-t-il anéantie, Ta-t-il détruite 
de fond en comble? César était trop habile et trop prévoyant pour 
le faire. 

C'est, en effet, sur son pont conservé qu'il fait passer la Loire 
à son armée pour marcher contre les Bituriges. Pouvait-il oublier 
que ce pont, qui lui servait pour le passage, pouvait lui servir aussi 
pour le retour? 

On sait quels graves embarras suscita, quelques mois après, à 
César, la rupture du pont sur l'Allier par Vercingétorix, et du pont 
sur la Loire à Nevers par Eporedorix et Litavicus*. 

Pouvait-il ne pas prévoir quelles difficultés naîtraient pour lui, 
dans certaines éventualités auxquelles il devait pourvoir à l'avance, 
de la rupture de ce pont de Genabam, qu'il était venu chercher par 

^ César, Guerre des Gaales, 1. VII, c. m. 

* Histoire de$ Gaulois, 1. III , c. lxxxv. 
^^ Guerre des Gaules, 1. VII , c. xt. 

• Ibid., I. Vn,c. xx.wiel ui. 



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— 51 — 
quatre jours de marches rapides^ pour traverser le fleuve, sans être 
inquiété « dans cette saison difiicile^ par les forces gauloises cam 
pées devant Gorgohina et maîtresses ainsi de la partie supérieure 
de la rive gauche P 

Anéantir Genahum, ce n'eût pas été seulement priver son armée 
d'un de ses plus précieux centres d'approvisionnement, c'eut été 
imprudemment livrer à la tribu guerrière, plusieurs fois vaincue, 
jamais soumise, des Carnutes une des voies de communication les 
plus importantes entre le nord et le midi de la Gaule. 

César s'est si bien gardé d'anéantir Genahum, que l'année sui- 
vante (5 1 avant Jésus-^^hrist] c'est précisément cet emporium carnute 
qu'il choisit de préférence pour y mettre en quartier d'hiver deux 
de ses légions, trouvant sans doute, dans ses voies de commu- 
nication, ses habitations et son fleuve, plus de facilités qu'ailleurs 
pour réunir des subsistances et surveiller les peuplades environ- 
nantes. 

César, en eflet, après la prise ôiAletia et la dispersion des forces 
gauloises, s'était retiré à Bihracte (Autun)^. Il y apprend que de 
nouveaux soulèvements se préparent. Il part la veille des calendes 
de janvier (3i décembre), traverse la Loire, surprend les Bituriges 
et les châtie cruellement. De retour à Bihracte, il en repart dix-huit 
jours après pour écraser les Carnutes à leur tour, et, voulant 
épai^ner à son armée les souffrances d'une saison rigoureuse, il 
établit, dit -il, son campa Genahum, ville des Carnutes, in oppido 
Camatum Genaho, y loge ses soldats, les uns dans les maisons des 
Gaulois, m tecta partim Gallornm, les autres dans des tentes cons- 
truites à la hâte; puis, lançant contre les malheureux Carnutes sa 
cavalerie et ses auxiliaires, il ravage leur pays par le fer et le feu, 
les chasse devant lui, les contraint, après des pertes considérables, 
à se cacher dans les bois ou à fuir chez les nations voisines, et, 
les rassemblements ainsi dissipés, il laisse C. Trebonius en quar- 
tier d'hiver à Genahum avec les deux liions (la vi* et la xiv*) qui 
l'avaient suivi dans cette expédition. Je cite le texte même des 
Commentaires : « Quum fama exercitus ad hostes esset perlata , 

' Guerre des Gaules , 1. VIII, f. ii. 

4. 



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— 52 — 

• caiamitate ceterorum ducti Carnutes, deseriis vicis oppidisque, quœ 

■ tolcrandœ hiemis causa, comiitalis repente exiguis ad nécessitaient 
ttœdificiis, incolehani [nuper enim devicti complura oppida dimise- 
rani) , dispersi profugiunL Caesar, erumpentes eo maxime tempore 

• acerrimas tempestateç quum subire milites nollet, in oppido Car- 
« nulam Genaho castra ponit, atque in tectapariimGaHorum,pxr\ini 

■ quœ conjectis celeriter stramentis tentoriorum integendorum 
«gratia erant inaedificata, milites contegit. Equités tamen et auxi- 
« liarios pedites in omnes partes mittit , quascumque petisse dice- 
«bantur hostes; nec frustra, nam plerumque magna praeda potiti 
« nostri revertuntur. Oppressi Carnutes hiemis didicultate , terrore 
« periculi , quum tectis expulsi nullo ioco diutius consistere aude- 
«rent, nec silvarum prœsidio tempestatibus durissimis tegi pos- 

• sent , dispersi , mi^a parte amissa suorum , dissipantur in finitimas 
« civitates. 

■ Caesar, tempore anni difFicillimo, quum satis haberet conve- 
« nientes manus dissipare, ne quod initium belli nasceretur, quan- 
«tumque in ratione esset, exploratum haberet sub tempus ae&ti- 
«vorum nuilum summum bellum posse conflari, C. Trebonium 

• cam duabus legionibus quas secum habebat m hibernis Genahi 
« conïocavil ^ . . . n 

«Les Carnutes connurent à pekie l'approche de César, que, 
craignant le sort des autres peuples, ils abandonnèrent les villes et 
les boargs où la nécessité leur avait fait dresser de chétives cabanes 
pour passer l'hiver (car ils avaient déserté presque toutes leurs villes 
depuis leurs dernières défaites)^ et ils se dispersèrent de côté et d'autre. 
César ne voulut point exposer ses soldats à toutes les rigueurs de 
la saison la plus rude : il établit son camp à Génabe, ville des Car- 
nutes, et logea ses soldats soit dans les habitations gauloises, soit sous 
des tentes recouvertes à la hâte d'un peu de chaume. Cependant il 
envoya la cavalerie et l'infanterie auxiliaires partout où Ton disait 
que Tennemi s était retiré. Son espoir ne fut pas trompé : la plupart 
des nôtres revinrent chargés de butin. Les Carnutes, accablés par 
via rigueur de Thiver, frappés d'effroi ^chassés de leurs demeures sans 

* Guerre des Gaules, I. VIII, c. v ol vi. 



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— 53 — 
oser s'arrêter nulle part, ne pouvant même trouver dans leurs forêts 
un abri contre les plus affreuses tempêtes, se répandirent, après une 
perte considérable, chez les nations voisines. 

« C'était assez pour César, dans une saisoft si fâcheuse, d'avoir 
dissipé les rassemblements et prévenu par là les hostilités : il 
pensait d'ailleurs, selon toute vraisemblance, qu'aucune guerre 
importante ne pouvait éclater avant l'été. Il mit donc C. Trebo- 
nius en quartier d'hiver à Génabe, avec les deux légions qui Vavaient 
suivi^. .' . » 

II suffit de lire avec attention ce récit pour être frappé à la fois 
de Fenchainement des faits, des conséquences qui en découlent 
pour la question présente, et plus encore peut-être de la netteté 
des expressions employées par l'auteur des Commentaires, Leur sens 
est si précis, leur concordance si parfaite, qu'elles semblent défier 
toute équivoque. 

Ce n'est pas sur l'emplacement désert d'une cité anéantie que 
César vient mettre en quartier d'hiver ses deux légions, pour leur 
épargner les souffrances d'une saison rigoureuse, c'est dans une 
ville, m oppido Camutum Genaho, dans les maisons mêmes desGé- 
nabiens, in tecta partim GaUorum. 

Bon nombre de ces maisons étaient désertes, à la vérité, comme 
en bien d'autres villes dévastées de la Gaule : nuper enim devicti 
complura oppida dimiserant Les malheurs de la guerre et l'impi- 
toyable dureté du vainqueur en avaient momentanément chassé les 
habitants : desertis vicis oppidisque. . . iectis expulsi nullo loco diu- 
lias consisiere auderent . . . Mais de ces textes il ne ressort pas moins 
que la ville, en tant que ville, subsistait toujours; les Gaulois fugi- 
tifs n'attendaient que la retraite de leurs cruels envahisseurs pour' 
rentrer dans son enceinte désolée. L'auteur des Commentaires ne 
pouvait dire en termes plus formels que Genabum , pillé , incendié 
par ses soldats, avait toutefois survécu à son désastre. Il se fût 
autrement exprimé s'il eut fait expier à cette courageuse cité, 
par une ruine complète, définitive, absolue, son patriotique et 
suprême effort pour la liberté des Gaules. 

' Traduction d'Arlaud, revue par M. Félix Lemaistre. 



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— 54 — 

Quelque temps après. César reparait de nouveau chez les Car- 
/lutes ; il exige que des otages lui soient remis et se fait livrer les 
chefs les plus braves de la tribu pour les punir de mort^ 

En présence de ces faits, constatés par le texte des Commen- 
taires, rien n'empêche assurément de supposer avec dom Duplessis, 
cité par Tabbé Lebeuf, que quelques familles génabiennes, fuyant 
leur ville incendiée , aient remonté le cours du fleuve vers les tribus 
éduennes, toujours ménagées par César, et fondé, à Tabri de ce 
voisinage protecteur, sur quelque abrupte coteau plus favorable à 
la défense quau commerce, une petite bourgade qui plus tard 
sera devenue lé Giemum du vi* siècle et le Gien de nos jours. Cette 
hypothèse, toute gratuite qu'elle est, ne répugne à aucune vrai- 
semblance. 

Il est surtout conforme aux habitudes des peuples et au cours 
des faits historiques que le Genabam saccagé par César se soit peu 
à peu relevé de ses ruines; que ses habitants fugitifs se soient hâtés, 
après le départ de leurs farouches ennemis, de rentrer en posses- 
sion de leurs foyers déserts et de leurs champs dévastés; que tes 
mêmes causes qui avaient' fondé la prospérité première de Vempo- 
rium carnute aient pu, Torage écoulé, lui rendre une prospérité 
nouvelle : Thistoire nous montre à chacune de ses pages des villes 
incendiées et pillées cicatrisant bientôt après leurs blessures pour 
redevenir heureuses et florissantes. 

Mais vouloir gratuitement, contrairement aux documents par- 
venus jusqu'à nous, que le Genabum celtique ait été primitivement 
à Gien , et qu'après le sac et l'incendie de leur ville ses maiheu- 
reux habitants, au lieu de relever courageusement ses débris avec 
l'aide des tribus voisines et amies, aient eu la pensée d'abandonner 
le peu qui leur restait encore, leurs maisons, leurs champs, les 
souvenirs de la patrie, les tombeaux de leurs pères, non pour re- 
monter le fleuve vers des lieux plus hospitaliers et plus éloignés du 
foyer de cette terrible lutte , mais au contraire pour redescendre le 
cours de la Loire et venir fonder une cité nouvelle là précisément où 
la guerre sévissait avec plus de fureur, où les Gaulois fuyaient leurs 

' Guerre des Gaules , 1. VIII , c. xxxr el xxx\ ni. 



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— 55 — 
villes et leurs villages incendiés, où les soldats romains, ravageant 
les campagnes, chassaient devant eux conune des bétes fauves les 
Carnutes épouvantés; et prétendre que cet oppidumsi singulièrement 
né ait grandi d'une manière plus singulière encore, qu'en moins 
d'un demi-siècle de pauvres fugitifs aient défriché ses forêts , cultivé 
ses champs, construit ses habitations, aplani les rives du fleuve, 
créé ses routes et ses abords, de telle manière que , moins de cin- 
quante ans après, l'exact Strabon ait dû le citer comme le principal 
emporiam d'une des plus puissantes tribus de la Gaule, n'est-ce 
pas trop méconnaître la marche lente et mesurée des créations 
humaines et la logique inflexible des déductions historiques? 

L'hypothèse de l'abbé Lebeuf n'est donc pas seulement gratuite 
et peu vraisemblable, conmie le dit M* le général Creuly; elle est 
trois fois condamnée : par la série des faits, par la raison des choses 
et parle texte formel des Commentaires, 

IV 

S'il en est ainsi, s'il résulte de ce qui vient d'être dit qu'il n'y 
eut jamais et ne put jamais y avoir, avant ou après César, qu'un 
seul et même Genabum, la position de Masava, nettement fixée 
aujourd'hui par son monument épigraphique, vient ajouter aux sa- 
vantes et lumineuses déductions de d'Anville un nouvel élément de 
précision pour déterminer géométriquement , oserai-je dire, la situa- 
tion géographique du célèbre empomm carnute. 

Nous possédoiis les données essentielles à la solution du pro- 
blème : un point de repère incontestable et des distances connues 
à appliquer. 

J'ouvre en effet la Table de Peutinger, et j'y lis* : 
De Masava à Brivodurum {Briare)y xvi; 
De Brivodurum à Belca, xv; 
De Beka à Cenahwn, xxii^; 
ou y pour plus de simplicité, n^ligeant les intermédiaires : 

De Masava à Cenaham, xvi-t-xv-Hxxii, soit au total un. 

^ Voyez la planche IV. 

' Aucun auteur aérieux ne conteste maintenant que les deux noms de Cenahum 
o{ de Genabum ne s'appliquent à la même localiti^ : Surita soutient même qu'on doit 



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— 56 — 

li est acquis aujourd'hui ^ que les chiffres inscrits dans cette 
partie de la Table de Peu tinger indiquent, non des milles romains, 
mais des lieues gauloises de 2222°", 6 l 5. 

Les 53 lieues gauloises entre Masava et Genahum équivalent 
donc, en mesures françaises, à 1 17799 mètres, ou 1 17 kilomètres 
799 mètres. 

Or la distance réelle entre Mesve et Orléans est de 127 kilo- 
mètres, la même que celle qui est indiquée par la Table de Peu- 
tinger, sauf un écart d'un peu plus de 9 kilomètres en sus. 

Cette légère différence peut facilement s'expliquer. On sait 
que les distances sont toujours inscrites aux anciens Itinéraires 
en nombres ronds, sans fractions. Ces omissions, plusieurs fois 
répétées, peuvent, en s'accumulant, constituer quelquefois des er- 
reurs assez considérables; il faut d'ailleurs ne pas perdre de vue 
que les mesurages defe anciens étaient loin d'avoir la précision des 
notices. 

On est donc fondé à dire que , entre la distance marquée par la 
Table de Peutinger entre Masava et Genahum et celle qui est cons- 
tatée sur la même voie , par les mesurages modernes , entre Mesve et 
Orléans, il y a réellement concordance; d'où la conséquence rigou- 
reuse que le Genahum carnute était assis au point géographique 
où est aujourd'hui Orléans. 

Si l'on applique le même calcul à l'hypothèse contraire, celle de 
Genahum à Gien , on obtient un résultat évidemment négatif. 

De Masava à Genahum, suivant la Table de Peutinger, !a distance 

lire dans les Commentaires Cenabam et non pas Genahum , et cette opinion se trouve 
aujourd'hui gravement conGrmée par ia récente découverte à Orléans de la pierre 
tumulaire du curator Cenabensiam, Voir sur cette question : Surita , Emendat, in 
Iliner. ëdit. de Cologne , p. 5o 2 ; — Adrien de Valois , Noiitia, etc., p. a 2 5 ; — D* An- 
ville , Eclaircissements , etc., p. 1 69 ; — Jollois , Anliqmlés du Loiret , p. 65 ; — Léon 
Renier, Sar une inscription récemment décoaverlf à Orléans, p. 1 3 et 1 /t , etc. 

* Voir Ammien Marceliin, I. XV, c. xi . S 1 7 ; I. XVI , c. xii , S d; — Ilin. Anton, 
éd. Wesseling , p. 555 ; — Vêtus agrimensor,9ip. Rigault , Aactoresjinium regunJorum, 
p. 332 ; — Du CsLUf^c y Glossaire , au mot Levca ; — Fréret, Histoire de t Académie 
des inscriptions, t. XIV ( 1743), p. 160 à 173; — Lancelot, Mémoires de tAca- 
èémie des inscriptions, t. VI, p. 635 et suiv. — D*Anville, Traité des mesures itiné- 
vaircs, 1 7^1 1 , p. 1 lo , etc. 



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— 57 — 
est de 53 lieues gauloises ou, en mesures modernes, de 1 17 kilo- 
mètres 799 mètres. 

Or de Mesve à Gien la distance réelle , au lieu de 1 1 7 kilomètres, 
est seulement de 65 kilomètres, soit 52 kilomètres de moins. 

Une telle différence n'est plus une légère erreur : c'est la négation 
de l'hypothèse. 

Masava, inscrit sur la Table de Peutinger comme station inter- 
médiaire entre Nevimum et Brivodarum, ne figure pas dans Tlti* 
néraire d'Antonin. C'est Condaie qui le remplace ^. Mais un simple 
et facile calcul permet d'y introduire Masava, en le rattachant aux 
stations voisines, et de déduire de l'Itinéraire d'Antonin des consé- 
quences identiques à celles quiressortent de la Table de Peutinger. 

Le problème ainsi géométriquement résolu à l'aide de deux 
points seulement, Masava et Genabum, peut être étudié sous une 
autre forme et avec une égale précision, en prenant, sur la même 
voie latérale à la Loire , trois points géographiques au lieu de deux , 
savoir : deux points extrêmes, Masava à l'orient, Cœsarodununi 
(Tours) à l'occident, et un point intermédiaire, Genabum; puis 
en comparant successivement la distance de Genabum, d'après les 
anciens Itinéraires et celle d'Orléans, selon les mesurages mo- 
dernes, à chacun des deux points extrêmes ^. 

Or je lis dans la Table de Peutinger : 
De Masava à Cenabum, lui ; 
De Cenabunkk Cmsarodunum, li. 

Genabum, d'après la Table de Peutinger, était donc à peu près 
à égale distance de Masava et de Cœsarodunum, un peu plus rap- 
proché pourtant de Cœsarodunum que de Masava, 

Orléans est précisément aussi à moitié chemin de Mesve à Tours, 
un peu plus près de Tours que de Mesve. 

De Mesve à Oriéans, en effçt , on compte , en mesures modernes, 
127 kilomètres; 

D'Orléans à Tours, 1 19 kilomètres. 

Ici encore, identification complète de Genabum et d'Orléans, 

* Itiner. Anlonin.,éd, Wesseling, p. 367. 
' Voyei la planrhr IV. 



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— 58 — 

Appliquant à Thypothèse de Gien le même calcul, on trouve 
en mesures modernes : 

De Meive (point extrême) à Gien, 6 A kilomètres; 

De Tours (autre point extrême) à Gien, 177 kilomètres. 

Ces chiffres parlent seuls. 

La détermination géographique de Genabam se trouve donc ra- 
menée à ce dilemme : Mesve étant incontestablement aujourd'hui 
Fidentique de Masava, et la coexistence de deux Genabam étant 
inconciliable avec les textes et les faits historiques, ou bien il faut 
rejeter les anciens Itinéraires, comme des documents sans valeur, 
ou bien il faut admettre qu'au point précis où est assis aujour- 
d'hui Orléans était autrefois assis le Genabam de César, de Strabon , 
de Ptolémée et des Itinéraires. 

Les arguments déduits, en faveur de Gien, de diverses combi- 
naisons stratégiques attribuées à César; de conjectures géogra- 
phiques sur l'emplacement des villes gauloises de Vellaunodunam, 
Noviodanum, Gorgobina; de fouilles, d'ailleurs intéressantes, et des 
débris antiques qu'elles ont mis au jour, etc. sembleraient dévoir 
céder à cette seule et rigoureuse démonstration, qui, toutefois, je 
le rappelle , n'est qu'un des éléments partiels du faisceau de preuves 
sur lequel Orléans appuie ses prétentions à l'héritage de G^na&am^ 

A d'autres titres encore, l'inscription de Mesve se recommande 
a l'attention. Je vais les exposer brièvement. 



La découverte d'une nouvelle divinité gallo-romaine n'est pas , 
assurément, chose d'une haute importance, ces dieux et déesses 

^ L*attribution de Genabiun à Gien, malgré ses graves io vraisemblances, u*eii 
a pas moins trouvé de chaleureux défenseurs. Parmi les écrivaîos qui ont repris et 
soutenu la thèse de l'abbé Lebeuf , je citerai particulièrement : M. le lieutenant co- 
lonel Paultre, D'usertation publiée dans le tome XXIV des Annales du voyages, de 
la Géographie, etc. de Malte-Brun ; — M. Mangon de la Lande , mémoire inséré dans 
les Mélanges d'archéologie de Bottin , 1 83 1 ; — M. Monvel , Études sur les expéditions 
(le Jules César chez les Cornâtes, dans les Mémoires de la Société des sciences d'Orléans, 
t. VII , 1 863 ; — M. Bréan , Jules César dans la Gaule j Genahuni ; Orléans , 1 864 ; — 
M. Salomon» nuHclin de la Société des sciences de l' Yonne, a* scnjc^lro, 1866; etc. 



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— 59 — 

d'ordre secondaire n'ayant eu qu'un rôle fort modeste dans la 
théogonie païenne. 

Il n'est pourtant pas sans intérêt de voir se reconstituer histori- 
quement, par des monuments épigraphiques , cet olympe de nos 
contrées carnutes et sénonaises , dont la politique des Césars favo- 
risait le culte , pour l'opposer à la religion , barbare sans doute mais 
nationale et dès lors hostile, des druides. 

Nous connaissions déjà les déesses de FYonne, par Tinscription 
d'Auxerre, que l'abbé Lebeuf avait, en 1 7 2 1 , signalée à M. de 
Caylus ^ : 

AVG-SACR-DEAB- 

ICAVNl 

T-TETRICIVS AFRICAN- 

D-SD-D- 

Nous avions retrouvé l'Apollon gaulois dans les deux inscriptions 
de Suèvres (Loir-et-Cher) , publiées, elles aussi, par M. de Caylus, 
en 1761, sur les indications de M. Roger, ingénieur de l'Orléanais ^, 
savamment étudiées par notre regretté compatriote et collègue 
A. Duchalais', et plus récemment par M. le général Creuly^: 

NG APOLLINIS A^G APOLLINIS 

COSMIS-LVCAN COSMIS LVCAN 

D S PD FIL D SPD 

En 1823, apparaît la déesse Adonna dans l'inscription lapidaire 
de la fontaine l'Étuvée découverte par Jollois dans un faubourg 
d'Orléans ^. 

* De Caylus, Hecneil d'antiquités, I. Vif, p. 390. 

« id.ibid.,i. IV, p. 374. 

' A. Dachalais, Recherches sur les antiquités de Saèvres, dans les Mémoires de la 
Société archéologique deX Orléanais, 1. 1, p. 208. 

* Générai Creuly, Lettre sur une inscription latine de Suèvres, dans la Revue 
archéologique, nouvelle série, t. Il , 1860 , p. 101. 

^ Jollois , Notice sur les nouvelles fouiUes dans Vemplacement de lafontaine l'Etuvée, 
clans les Annales de In Soci^'t' des sciences dOrléans, t. VII, i8a5. 



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— 60 — 

AVGvACIO^NAE 

SACRVM 

CAPlLLVSvJLLIÔ 

MARlYFrPORtCM 

CVMySVISyORNA 

MENTIS^VyStL^Mv 

Puis, en x 861, le dieu Rudiohus, dans Tinscription gravée sur 
le socle du cheval de Neuvy-en-Sullias (Loiret) ^. 

AVG-RVDIOBO SACRVM 

CVRCASSICIATE DSPD 
SER-ESVMAGIVS-SACROVIB • SERIOMAGLIVS • SEVERVS 
F Ç 

Enfin , en 186 5 , la déesse Clutonda, qui nous est révélée par Tins- 
cription de Mesve, avec son monument, sa fontaine et ses adora- 
teurs ^. 

Je dois, pour compléter ce tableau, rappeler ici, toute mutilée 
qu'elle est, Tinscription votive à la Mère des dieux, trouvée récem- 
ment aussi à Mesve, et que j'ai mentionnée plus haut : 

AVG SACR 
lATRI DEVM 
CVM SIGILL 
IFANI FIL 
IIVNX DSD 

La plupart de ces monuments épigraphiques en Thonneur de 
divinités topiques ont été rencontrés' non loin des rives de la 
Loire, et les noms barbares, à demi latinisés, des personnages qui 
les ont élevés semblent les relier entre eux par une communauté 
d'origine. 

* M. Mantellier, Mémoire sur les bronzes antiques de Neuvy<n-SuUias , couronné 
ptiV l'Académie des inscriptions et beHes-leltres. (T. IX des Mémoires de la SocicV 
archéologique de l'Orléanais,) 

* Voyez la planche lïl. 



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61 — 



VI 



Si Ton compare Tinscription de Mesve, consacrée à la déesse Clu- 
ionda, et celle de la fontaine TEtuvée près Orléans, consacrée à la 
déesse Adonna, on remarque entre elles une complète et frappante 
analogie : même nature de pierre, même origine, même style, 
même destination : toutes deux révélant des déités oubliées, hono- 
rées, en leur temps, de monuments semblables; toutes deux, lors 
de leur découverte , gisant enfouies dans le sol , la face retournée 
contre terre, dans un dédaigneux abandon , qui peut paraître signi- 
ficatif. 

Cette singulière ressemblance mérite d'être signalée. Elle peut 
révéler à la fois comment Tantique variété des mœurs nationales 
s'effaçait peu à peu sous le niveau des habitudes et de la théogonie 
romaines ; comment , sous Tinfluence de cette assimilation , les fils 
des Gaulois vaincus par César semblaient déguiser leurs glorieux 
noms patronymiques sous les formes extérieures des noms des vain- 
queurs; mais aussi comment, quelques siècles plus tard, le culte 
imposé par Rome à la Gaule disparaissait, à son tour, sous la bien- 
faisante réaction et les rapides progrès de la civilisation chrétienne. 

VII 

Au point de vue du style épigraphique, les deux inscriptions de 
Mesve, rapprochées des cinq autres. que j'ai citées, tendraient à 
présenter comme un usage spécial à nos contrées une forme peu 
usitée, dont l'interprétation a soulevé d'assez vifs débats. 

Presque partout, dans les inscriptions religieuses et votives, la 
sigle AVG [Aagusto ou Aagusim) suit le nom propre du dieu; 
très-rarement elle le précède. 

Ici, au contraire, dans les sept monuments relatés plus haut, les 
seuls de ce genre qui, à ma connaissance, aient été rencontrés en 
nos pays carnutes ou dans leur voisinage, la sigle AVG précède 
constamment et le nom du dieu et le mot S ACRVM inscrit in- 
tégralement ou en abrégé. 

Cette particularité a déjà été signalée a l'égard de quelques-uns 



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— 62 — 
de ces textes, isolément étudiés^ au moment de leur découverte ^ 
Les nouveaux exemples que j ai cru pouvoir joindre à ceux qui 
étaient déjà connus, et la constante reproduction de cette formule, 
sembleraient généraliser comme une habitude d'ordre local ce qui 
avait été remarqué d'abord comme une exception insolite. 

M. de Caylus, dans ses observations sur les deux inscriptions de 
Suèvres, qu'il publiait pour la première fois 2, frappé de cette ano- 
malie, voyait, dans la sigle AVG ainsi placée, l'abréviation du nom 
de l'empereur Auguste, et dans les mots 

AVG APOLLINIS 

qu'il lisait : Augusto ApolUni sacrant, et qu'il traduisait : « Consacré à 
Auguste Apollon , » il voyait le nom du dieu Apollon donné à Au- 
guste par un excès impie d'adulation. Il faisait observer, à l'appui de 
cette opinion, que, depuis la bataille d'Actium, Auguste avait voué 
un culte tout particulier à Apollon , et que lui-même recevait les 
honneurs divins dans les Gaules, au célèbre autel élevé à Lyon 
et consacré au culte public de Rome et d'Auguste, ROM AE ET 
AVGVSTO. 

Il interprétait de la même manière, dans l'inscription d'Auxerre, 
également publiée par lui pour la première fois', les mots 

AVG-SACR-DEAB- 
LCAVNI 

par ceux-ci : « Consacré à Auguste et aux déesses de T Yonne. » 

Notre regrettable compatriote A. Duchalais, dont le champ 
d'études, en ce qui concerne cette formule inusitée, était alors, 
comme celui de M. de Caylus, restreint à un petit nombre de 
textes, a toutefois combattu très-vivement, dans le mémoire par lui 
adressé à la Société archéologique de l'Orléanais sur les antiquités 
de Suèvres, l'opinion de son savant prédécesseur. Il y soutient éner- 

} De Caylus , A. Duchalais , M M. le général Creuly el Mantcllicr, onvraffcs cités. 
^ De Cnylus , Uecueil d'antiquiiés, t. IV, p. 874. 
' W. i7.ij., t. Vlî,|>. Î190. 



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— 63 — 
giquement que la sigie AVG, dans les deux inscriptions de Suèvrcs, 
ainsi que dans celle de la déesse Adonna, récemment découverte à 
Orléans > ne doit pas se traduire par le nom divinisé d'Auguste, mais 
n'est autre chose qu'une épithète honorifique appliquée, par une 
inversion fréquente dans la langue latine, au dieu ou à la déesse, 
ainsi qualifiés d' Augustes, 

Le savant Orelli adopte également cette lecture, en la générali- 
sant comme une forme usitée dans les inscriptions de la Gaule, et 
il fait suivre le texte de l'inscription de la fontaine l'Etuvée de ce 
commentaire : 

Augustm hic praponitur, ut in ceteris Gallicanis freqaentùsime 
DEO etDEAE^. 

Si Duchalais, dont la mort prématurée a causé tant de regrets^ 
eût pu connaître les monuments épigraphi(}ues découverts depuis 
en nos contrées, peut-être dans l'inscription de Mesve elle-même, 
et malgré la conjonction copulative E T inscrite à la deuxième ligne , 
eât-il proposé de lire, coioume dans celles de Suèvres et d'Orléans : 

AVG SACR DEAE CLVTOWDAE ET VICANIS MASAVENSIBVS 
« Consacré à Tauguste déesse Clutonda et aux habitants de Maaava. ■ 

M. Léon Renier, s'appuyant sur une des règles les plus constam- 
ment observées du style épigraphique, qui proscrit les inversions, 
et sur la présence de la conjonction ET qui justifie la triple énu- 
mération , propose de lire : Augasto sacrum, deae Clutondae et vicanis 
Masavensibns , c'est-à-dire : «Consacré à Auguste, à la déesse Clu- 
tonda et aux divinités du vicus de Masava. » , 

M. le général Creuly, dans sa lettre sur les inscriptions de Suè- 
vres^, repousse à la fois l'opinion de Caylus et celle de Duchalais. 
«Les dieux de tout ordre, dit-il, depuis le grand Jupiter jusqu'aux 
moindres divinités topiques, sont souvent qualifiés diAagastes 
dans les inscriptions. Ce qualificatif suit toujours le nom, jamais 
il ne le précède. S'il existe deux ou trois exceptions à cette règle, 

' OreHi.n. iqSS. 

* Rei'ue arcyologiffoe , nouyeWe série , t. II, p. loi. 



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— 6/1 — 
je crois quelles ne sont qu'apparentes. On cite, par, exemple, une 
inscription trouvée près d'Orléans et commençant ainsi : 

AVG ACIONNAE, etc. 

Mais il faudrait être bien sûr que le monument est complet. Il est 
plus que probable qu'un mot placé en tête de cette dernière dé- 
dicace a échappé aux copistes, ou plutôt qu'il a disparu, par suite 
de quelque mutilation ... Je suis pareillement convaincu que nous 
n'avons pas, dans leur entier, les inscriptions de Suèvres,» etc. 

Avec tout le respect auquel a droit un archéologue aussi haut 
placé dans la science que M. le général Creuly, je dois lui faire ob- 
server qu'il a été inexactement renseigné, au moins en ce qui con- 
cerne l'inscription de la déesse Adonna. Ce monument, déposé au 
musée historique d'Orléans, est de la plus parfaite conserx^ation ; le 
texte gravé non plus que le listel qui l'encadre n'ont point éprouvé 
de mutilation; aucun mot, aucune sigle né peuvent y être ajoutés. 
Cette inscription vient donc à l'appui de l'opinion qui regarde la for- 
mule épigraphique dont il s'agit comme étant spéciale à nos con- 
trées. Au surplus, c'était en 1860 que M. le général Creuly publiait 
ces appréciations; peut-être les inscriptions découvertes depuis 
cette époque ont -elles modifié son opinion. 

Tout en proposant de lire dans l'inscription de Mesve : « Consacré 
à Auguste, à la déesse Clutonda, » etc. M. L. Renier ne condamne 
pas l'interprétation de Duchalais et d'Orelli. Il pense « que l'épi- 
thète d'Auguste [Aagastus ou Augasta) placée soit avant soit après 
le nom des divinités locales, comme Adonna, Clutonda, etc. ou 
des divinités romaines, comme Apùllo, Mater deam, etc. et l'asso- 
ciation à ces mêmes divinités d'Auguste lui-même ou de sa divinité, 
au moyen de la formule AVG SACR,ouNVM AVG SACR, 
sont deux manières, identiques pour le fond quoique différentes 
dans la forme, d'affirmer que ces divinités étaient adorées comme 
divinités topiques, ou conomie dieux lares de la cité, du vicas ou du 
pagus; et, entre autres preuves, sur lesquelles il appuie cette opi- 
nion, il rappelle que ce fut Auguste qui restaura le culte des lares, 
sans doute afin de pouvoir introduire, en cette qualité, dans le 



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-;i 05 — 

panthéon romain , les nombreuses divinités adorées dans les pro- 
vinces récemment conquises, comme TEspagne, les Gaules, rill\- 
ricum, et qu'à partir de cette restauration, non-seulement son nom 
fut ajouté, comme épithètedistinctive, à celui de ces divinités [lares 
Augusti)^ mais qu'il servit en outré à former, en Italie et dans les 
provinces, le nom de leurs prêtres [Aagustales) ^ » 

En présence de ces divergences d'appréciation , je dois me boi'- 
ner à faire ressortir la formule particulière, qui semble se mani- 
fester en notre épigraphie carnute, sans pourtant dissimuler mes 
tendances vers l'opinion de notre compatriote Duchalais, confirmée 
par l'autorité de M. Renier. 

Je m'arrête ici, et ne veux pas dépasser les Iwrnes naturellement 
assignées à ces simples études. 

Humble pionnier des recherches archéologiques, j'avais éprouvé 
quelque satisfaction d'antiquaire à lire sur une vieille pierre enfouie 
depuis treize cents ans, qu'un modeste viUage, à peine connu aujour- 
d'hui, compte pourtant vingt siècles d'existence; à voir, pour la^ 
première fois , apparaître le nom d'une déité oubliée, devant qui 
s'agenouillèrent longtemps peut-être des générations lointaines, dont 
il reste à peine un souvenir; à recueillir enfin quelques formules de 
leur langage, quelques traces, à demi effacées, de leurs habitudes et 
de leurs mœurs. 

J'avais surtout remarqué le concours inattendu que cette inté- 
ressante découverte apporte à la solution d'une question trop long- 
temps débattue , et l'appui qu'elle donne h la ville qui m'est chère 
entre toutes, pour revendiquer, par un titre de plus, le glorieux 
héritage de patriotisme et de sacrifices qu'on voudrait en vain lui 
ravir. 

Si , sur ces faits et ces déductions, j'ai pu porter quelque lumière, 
le but que je me proposais est atteint. 

' Je dois à la bienveillance personnelle de M. Renier cet intéressant aperçu 
sur une question neuve encore , ei qui na |)oint ëlé ti ailée, jusqu'à présent, avec 
des détails sufTisanis. 



AnciiKOi.oniK. 



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ETUDE 



SUR 



UN POINT DE GÉOGRAPHIE GAULOISE, 



PAR M. BEAUCHET-FILLEAU, 

MPHBRB DE Lk SOCIETE DE STATISTIQUE DE NIORT ET DE CELLE DBS ANTIQUAIRES DE L'ODBST, 
CORRESPONDATIT DO MINISTÈRF. POUR LES TRAVAUX NISTORIQURS. 



Le cours de la Boutonne n'a- t-ii point formé les frontières d'une 
peuplade gauloise étrangère à la confédération des Pictons, celle 
des Santons peut-être, à une époque plus reculée que la conquête 
des Gaules par César ? C'est ce que nous avons cru reconnaître en 
examinant avec attention cette contrée , en étudiant sa topographie 
et les mœurs de ceux qui Thabitent, en recherchant les faits histo- 
riques qui s'y rapportent. 

Nous retrouvons, en effet, sur les bords de cette petite rivièie 
tous les indices que Ton s'accorde à reconnaître conmie caractéris- 
tiques : différence dans la constitution géologique du sol modifiant 
profondément les mœurs et la constitution physique des habitants; 
tradition constante d'une nationalité particulière, obstacles natu- 
rels à franchir, travaux de la main des hommes. Et pourtant, ce 
n'est qu'avec hésitation que nous nous engageons dans un pareil 
sujet: car nous savons combien l'étude de la géographie de ces 
temps reculés présente de difficultés. Essayons rependant. 

I 

La constitution géologique du sol non -seulement en modifie 
profondément les productions naturelles, mais encore exerce une 
induence marquée sur le moral et le physique de ceux qui l'ha- 
bitent. Depuis que Cuvier, dans son Eloye de Werner, a posé ce 
principe, d'éminents esprits, développant cette idée féconde, en ont 

5. 



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— 08 — 

déduit de luiuiueuses conséquences pour Télude de la géographie 
gauloise *, et M. de Longuemar , en l'appliquant sur le terrain pour 
une partie du haut Poitou , a pu préciser les frontières des Andes 
et des Turons par rapport aux Pictons, ainsi que délimiter les 
contrées qu hal)itèrent les peuplades du Ch.itelleraudais et du Lou- 
dunais^. 

Nous allons suivre son exemple en prenant pour guide la Des- 
cription géologique des Deux- Sèvres, par M. Cacarié'. 

Il résulte des tableaux dressés par cet ingénieur des mines que 
le cours de la Boutonne, depuis sa source jusqu'à Secondigné 
et Séligné, sert de point de partage à deux sols diflFérents. Tous 
les terrains situés sur la rive droite ont pour sous-sol Toolithe in- 
férieure, et Toolithe moyenne sur la rive gauche*. 

Ce premier point nous étant acquis, examinons quelles sont les 
différences qui caractérisent la population résidant ^ur ces divers 
terrains* et les productions plus particulièrement affectées à cha- 
cun d'eux. 

Parlons d'abord de l'homme. 

L'habitant des terrains placés au nord de la Boutonne est d'un 
tempérament le plus ordinairement lymphatique; son teint est gé- 
néralement pale et sa taille dépasse rarement la moyenne. D'un 
caractère mélancolique, ce n'est guère qu'au moment des noces 
qu'il se livre à la gaieté. Il aime le vin, bien qu'il n'en récolte pas. 
H est par nature défiant et soupçonneux, légèrement processif, 

* M. Chériiel , entre autres , dans le discours d'ouverhire de son cours de géojçra- 
phie à la faculté des lettres de Paris en i85S. 

* Mémoires de la Société des antiquaires de l'Ouest, ainn^e i86j , t. XXVII, p. 87 
et suiv. 

•'' Mémoires de la Société de statistique des Deax-Shrcs, t. VII, p. 197. 

* Voir au tableau n" 1 la coupe de terrain que nous avons extraite de ce tra- 
vail et la conférer avec la carte ci jointe. Consulter aussi la Statistiifue du dépar- 
ti ment des DeuX'Sèvrcs, par \i. le baron Dupin, notamment p. 1 23 , 1 25 , 1 27. 

* Nous devons excepter les riverains de la Boutonne, surtout ceux qui habitent 
les environs de Chef-Boutonne ; les nombreux points de contact qu'ils ont en- 

, semble, les alliances fréqueutes qui, depuis longues années déjà, ont mélangé 
leur sang, effacent sensiblement tout ce qu'ils pourraient avoir de tranché. C'est 
un fait qui existe sur presque toutes les frontières. 



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— 69 — 
intrépide défenseur de ses droits de propriétaire, peu scrupuleux 
à l'égard de ses voisins. Dans les réunions publiques, on le re- 
connaît facilement à son col, à ses poignets de chemise piqués et 
festonnés, à son large chapeau, à sa veste étroite de droguet bleu 
clair, aux pans à peine indiqués, dont le devant descend à la hau* 
teur des premières cotes et est de beaucoup trop étroit pour cacher 
le gilet croisé, de même étoffe, à deux rangs de boutons, qui lui 
recouvre la poitrine; à sa démarche lourde et lente, à son air 
étonné, à son pader traînant, à son patois dont les mots, pour la 
plupart, sont terminés par aïe, diphthongue qu'il prononce en la 
prolongeant indéfiniment. 

Les fenmies, en général de petite taille, portent un casaquin 
de dr(^et bleu clair, comme les hommes, se laçant sur la poi- 
trine et se terminant par derrière par un plissé des plus serrés. 
Au bas du corset , que recouvre le casaquin , se trouve un gros bour- 
relet, sur lequel vient s'attacher, en la relevant dans le haut de la 
manière la plus disgracieuse, une jupe k gros plis qui monte 
jusqu'à la hauteur des seins et tombe ensuite droite et roide. Sur 
leur tête , la cornette à boui^non , espèce de coiffure de toile ou de 
calicot, le plus souvent sans autre garniture qu'un large ourlet 
plat, qui enserre complètement la figure et vient se rattacher sous 
le menton. Elle se termine, à l'endroit où nos élégantes placent 
aujourd'hui leurs énormes chignons, par une espèce de rond lai^e 
et épais, ce qui produit à distance le plus singulier effet: on les 
croirait Cvoiffées d'une assiette. 

U y a quelques années, quinze ou vingt ans à peine, ce pays 
était couvert d'ajoncs et de genêts; le seigle était la seule céréale 
qu'on y cultivât. Quant aux arbres, le châtaignier est l'essence la 
plus répandue, surtout dans la partie connue sous le nom de 
Seigelier (le Segalar du Rouei^ue), où se trouve la terre rouge 
à base ferrugineuse, qui est son terrain de prédilection. La vigne 
n'y croît qu'imparfaitement et ses fruits n'y mûrissent qu'avec 
peine. 

Par suite des progrès de l'agriculture , de l'emploi de la chaux , 
de vastes défrichements ont été opérés, et aujourd'hui le froment 
rouvre de ses moissons jaunissantes ces immenses pâtis, où quel* 



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— To- 
ques rares moutons ne trouvaient naguère qu'une nourriture pré- 
caire et incertaine. Les habitants eux-mêmes ont subi Tinfluence 
des améliorations agricoles ; grâce à la facilité des communications « 
à leurs rapports plus fréquents i^vec les populations qui les envi- 
ronnent, à rinstruction qu'ils acquièrent, ils dépouillent insensi- 
blement le vieil homme, perdent chaque jour de leurs habitudes 
étranges , délaissent quelque partie de leur costume, rectifient peu 
à peu leur langage; et, dans quelques années, tout cela ne sera 
plus qu'un souvenir. 

Dire que les populations qui occupent les communes placées 
au sud de la Boutonne ont les qualités opposées aux défauts de 
leui^ voisins serait faire d'elles un portrait trop flatteur, et qui ne 
serait pas fidèle. Elles sont généralement d'un tempérament san- 
guin, elles ont le teint coloré; si leur taille n'est pas beaucoup plus 
élevée, leur constitution parait plus forte; leur parler est plus 
vif, leur physionomie plus expressive. Elles sont moins crédules, 
sans être ^our cela exemptes de superstitions. Prétendre qu'elles 
n'ont pas d'habitudes routinières, d'idées enracinées, serait aller 
h\^p loin; mais on doit leur reconnaître un peu plus d'initiative, 
une plus grande facilité d'assinâilati.in : aussi peut-on apprécier 
(hez elles, dans leur manière de vivre, de se loger, de se nourrir, 
un progrès marqué. L'instruction est plus av^ancée, la civilisation 
a pénétix* plus profondément. 

Nous ne dirons rien de leur costume, dont la blouse (l'ancien 
sagum) forme la partie la plus saillante; leurs vêtements sont d'un 
droguet bleu foncé; la coiffure des femmes est une espèce de cor- 
nette qui n'enlaidit pas les visages. 

Le chêne et l'ormeau, le frêne dans les parties humides, le 
hêtre en descendant vers le sud , sont les essences dominantes ; 
le nerprun, l'aubépine, l'épine noire, forment les haies. Le fro- 
ment parait avoir été de t')ut temps l'objet principal de la culture; 
la vigne donne des produits abondants. 

Encore un détail qui ne doit pas être omis. Pour les habitants 
de cette contrée, ceux qui résident au delà de la Boulonne sont 
toujours des Poitevins, et si vous leur parlez des communes situées 
de ce côté-là , ils vous répondront quelles sont en Poitou. Cela n'in- 



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Y 



— 71 — 
dique-t-il pas qu ils reconnaissent avoir une autre origine que 
leurs voisins, qu'ils s'attribuent une nationalité différente P 



Examinons maintenant quels étaient les obstacles que présentait 
le cours de la Boutonne , et s'ils peuvent être considérés comme ' 
suffisants pour protéger une frontière. 

La Boutonne, on le sait, prend sa source à Chef-Bou tonne'. 
A ce point , les collines, peu élevées du reste , qui bordent son cours 
au nord touchent, pour ainsi dire, à son lit, tandis qu'au sud, où 
existe le tumulus de la motte Tuffau, dont nous allons parler, elles 
en sont éloignées d'environ i,5oo mètres; mais si bientôt sur la 
droite elles s'abaissent en pente douce, sur la gauche elles se rap- 
prochent^, et, jusqu'au boui^ deSaint-Martin-d'Entraigues, cou- 
rent pour ainsi dire parallèlement à la rivière. Là elles s'éloignent 
encore et forment comme une espèce de golfe terrestre, dominé 
par le village de Couturette, golfe composé de terres d'aliuvion, 
à travers lesquelles, pendant l'hiver, coulé à pleins bords le petit 
ruisseau de la Grenouillère, qui souvent même les inonde. De 
Saint-JVfartin-d'Entraigues jusqu'à Chérigné, la hauteur de ces col- 
lines diminue peu à peu, et, au-dessous de ce dernier bourg, le sol 
s'abaisse au niveau de la rive, tandis que de l'autre côté, à partir 
de Luché, le terrain se^ relève brusquement jusque vers Brioux, 
et la vallée, qui depuis Ghef-Boutonne avait une laideur variant 
de 3oo à 5oo mètres, acquiert un développement qui, en certains 
endroits, peut atteindre 1,000 et même i,5oo mètres. 

A partir de Brioux, le terrain s'aplatit encore davantage sur la 
droite comme sur la gauche jusqu'à Séligné; près de là, la Bou- 
tonne, dont le cours avait été constamment dans la direction de 
l'est à l'ouest, dévie vers le sud et coule sur un terrain d'une 
pente presque insensible. Aussi, plus encore que dans la première 
partie de son cours, épanche-t-elle ses eaux sur les prairies qui 
la bordent. 

Si, de nos jours encore, à la moindre crue, elle déborde dans 

* Caput fViiUonœ. ( Charte de Tan 1 o5 1 .) 

' Vers le logis de ia Varenne , commune de la Bataille. 



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— 72 — 
toute ia vallée, qu'il est impossible de traverser pendant Tbiver, k 
cause des eaux qui la couvrent, qu est-ce que ce devait être à 
répoque reculée à laquelle nous nous efTorrons de remonter, alors 
que, abandonnée à elle-même, cette rivière, probableinent bien 
plus considérable qu'aujourd'hui , voyait son lit embarrassé par les 
herbes aquatiques , par les arbres qui croissaient sur ses bords et 
que la vétusté ou les orages renversaient, par les obstacles de toute 
espèce qu'elle charriait et se créait dans son cours capricieux? 

Ce qui devient aujourd'hui de gras pâturages après l'écoule- 
ment des rapx devait être alors en toute saison un. vaste, large 
et profond marais, à travers lequel l'homme ne pouvait s'aventu- 
rer sans danger de mort : car les terres, continuellement détrem- 
pées, devaient former ces abîmes de boue où nul secours ne peut 
venir en aide à l'imprudent qui tente de marcher sur leur surface 
verdoyante et trompeuse: 

III 

Les tumuius , les tombelles, comme les dolmens et les menhirs , 
étant le plus habituellement placés sur le bord des rivières, sur 
fes voies de communication, indiquaient les frontières. Cette pro- 
position, dont la vérité n'est plus contestable ni contestée, vient 
encore à l'appui de notre opinion. 

Disons tout d'abord qu'il n'existe aucun monument de pierre , 
dolmen ou menhir, et que les traditions du pays, que nous avons 
si souvent interrogées, sont muettes sur ce point, pour ta ligne que 
nous indiquons tout au moins ^. Ceux que nous avons à signaler 
sont des tumuius. 

Ces tumuius sont au nombre de trois : la motte TuflFau -, près 
et au midi de Chef-Boutonne; celle de l'Épine, autrefois dite de 

^ Pour retrouver (les monuments de ce genre, il faut se reporter sur la rive 
droite de ia Sëvrc, depuis Bougon jusqu'à Saint-Maixent, ou dans la commune de 
Limalonges » près de la station de Civray, sur le chemin de Cer d« Bordeaux , où 
existe le beau dolmen dit la Pierre- Pèze. 

^ M. Rondier a cm reconnaître dans ce mot de Tuffau Texistencc d'une garni- 
son de Teîfaliens.On sait que, sous la domination romaine et même sous les Mé- 
rovingiens, cette tribu guerrière avait des cantonnements en Poitou et qu'ils ont 
^aisso leur nom à la ville de Tiffa-iges, comme marque de leur passage. 



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— 73 — 
Maixonnay, près de Chérigné, sur la même rive que la précédente 
et à peu près à égaie distance de Chef-Boutonne et deBrioux *; et 
enfin la motte des IVfarlonges, aux portes de Brioux. 

La motte TufTau , dont nous avons déjà signalé l'existence dans 
une notice sur des sépultures antiques et mérovingiennes ^ s'élève à 
mi-côte sur le penchant ouest d'une petite et étroite vallée, qui ser- 
pente au pied même de la colline, limitant de ce côté le bassin de 
la Boutonne; elle est accompagnée, dans le sens du sud au nord- 
ouest, d'une longue bande de terrain qui, conmie le tertre lui- 
même , nous parait être due , en grande partie du moins , à la main 
de l'homme, et destinée à offrir un lieu de refuge à une population. 
Nous croyons que cette annexe, qui est séparée delà butte par un 
large et profond fossé et qui se termine, au nord, d'une manière 
abrupte, a pu être appropriée à la défense du pays et remplir le 
rôle d'un oppidum. Du reste, ces questions, que nous ne pouvons 
indiquer en ce moment que d'une manière problématique, nous 
en aurons la solution avant peu : car nous avons obtenu la per- 
mission d'y faire exécuter des fouilles'. 

Quant à la partie placée au sud , qui longe la route et affecte la 
forme d'un bastion , nous pensons qu'elle ne date que du moyen 
âge, époque à laquelle le tertre devint, en effet, comme le dit 
Dupin, l'assise d'une tour féodale qui avait titre de châtellenie^. 

Tout autour de la motte Tuffau et de ce que nous appellerons 
son annexe, sont des prairies au milieu desquelles sourdaient plu- 
sieurs fontaines , maintenant presque toutes bouchées , qui formaient 
autrefois comme une défense naturelle et dont le trop-plein allait, 
comme on le voit encore aujourd'hui pendant l'hiver, rejoindre le 
cours de la Boutonne, au bassin de laquelle elles appartiennent. 

* A 7,400 mètres de Chef- Boulon ne et 5,5oo mèlres de Brioux, à vol d* oiseau. 

* Mémoires de la Société des antiquaires de rOaest, année 1864 , t. XXIX. 

•■* Voici ce que l*on trouve sur la motte Tuffau dans la Statistique du départe- 
ment des Deux-Sèvres, p. 100 : tOn remarque les débris d*un vieux château ense- 
veli sous ses ruines, entouré de douves; il est connu sous la dénomination de lu 
MoUe-TuJffau, placé entre deux collines et dominant principalement Chef-Bou- 
tonne, Ardilleux et les lieux d^alentour; il a environ 600 à 700 mètres de dia- 
mètre. • 

* Aven de la hnronnir de Chef-Boutonne , Jiw mois de novembre iftfia. 



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— 74 — 

A 3oo mètres enviioa au sudest commence une autre vallée, au 
soi également marécageux, au milieu de laquelle prend naissance 
le ruisseau de FOsme , Tun des affluents de la Charente. 

La motte Tuffau est, on le voit, placée au point de partage de 
ces deux bassins, à l'endroit où le passage devait être le plus facile 
par suite de Técoulement des eaux ^ où , les obstacles naturels ces- 
sant , il fallait que Thomme en créât pour le défendre. 

Ce qui confirme pour nous rorigine gauloise de cette butte et 
de son prolongement, cest Texistence, à quelques centaines de 
mètres de là , dans le champ des Chirons et dans la plaine qui le 
sépare de Chef-Bouton ne, d'un cimetière de la même époque, dont 
nous avons longuement parlé dans notre notice précitée. L'un 
était, ce nous semble, le corollaire de l'autre; ils se confirment 
réciproquement. 

Le deuxième tumulus, nommé aujourd'hui la molle de VEpme^^ 
est désigné, sur un ancien plan du marquisat de Chef-Boutonne , 
sous le nom significatif de moite de Marconnay. Moins étendue que 
celle dont nous venons de parler, elle s'élève seule et isolée sur la 
même rive que la motte Tuffau. Comme cette dernière, elle est à 
peu près à mi-côte , et à l'endroit où la vallée arrive à sa plus pe- 
tite largeur. Des traces de fossés se voient encore autour de son 
enceinte, et le talus presque vertical de sa pente rapide venait 
mourir au bord d'un chemin qu'elle domine, près du gué où l'on 
passait la Boutonne. 

D'après notre vénérable confrère M. Rondier, de Melle, qui a 
étudié et relevé , pour ainsi dire , pas à pas , pied à pied , la voie 
romaine de Limonum à Aadenacam, ce chemin aurait tous les 
caractères d'une haute antiquité, et il n'hésite pas à y reconnaître 
un de ces chemins gaulois auxquels les conquérants substituèrent 
leurs magnifiques voies, mais sans pouvoir faire perdre aux 

' Nous croyons devoir faire la remarque, sans portée j)eul-êtrc , que les parties 
qui bordent l'extrt'mité nord de la langue de terre qui accompagne la motte Tuf- 
fau portent le nom de prairies des Iroizes. Ce mot , qui n'est point patois, qui n'a 
aucune signification connue, serait-il gaulois? Ccsl à coup siîr ce que nous ne 
nous permettrons pas de décider. 

' Du nom d'un moulin k eau situé sur là Boutonne , à environ 600 mètres. 



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— 75 — 
populations rhalûtude, pour ainsi dire traditionnelle, de les fré- 
quenter. Un fait assez remarquable, du reste, cest que, si depuis 
Maisonnais on suit Tun et Tautre, on remarque sut le bord du 
chemin gaulois les chefs-lieux de cinq communes et plusieurs 
villages ou hameaux; tandis que Ton ne trouve touchant à la voie 
ro:raine que la ferme de Lyé, Brioux, le village du Pontiou et la 
VilledieU'd'Aulnay. Disons encore que le chemin gaulois est beau- 
coup plus direct, et Ton comprendra que toutes ces raisons réunies 
attestent qu'il était plus suivi et que les populations devaient être 
déjà fixées sur ses abords lors de la création de la voie romaine ^ 

Dans le plan dont nous avons déjà parlé, ce détail n'est peut- 
être pas à omettre : on donne le nom assez singulier de voie Mou- 
rante à un autre chemin qui de Chérigné se dirige en ligne droite 
sur la forêt d'Aulnay, qu'il traverse pour aller à Saleignes. Ce 
chemin passe également au pied de la motte dont nous nous 
occupons. 

Revenons un instant au nom de .molle de Marconnay, donné 
autrefois à ce monument ; il nous parait caractéristique. Ce mot 
de Marconnay n'a aucune raison d'être, à notre connaissance du 
moins, pour les temps modernes; il doit se rapporter à des époques 
bien antérieures à celles de notre histoire. Il signifie incontesta- 
blement que là étaient les marches, les confins d'un territoire, et^ 
transmis ainsi d'âge en âge, il doit remonter jusqu'aux peuples 
qui l'ont construit. 

Le troisième monument dû à la main de l'homme qui nous 
reste à signaler est la butte dite des Marlonges, sise dans le bourg 
même de Brioux. On remarque encore des terrassements garnis 
de glacis en face d'une plate-forme défendue par des cavaliers, 
isolée comme eux par de larges fossés , qui devaient emprunter les 
eaux à la rive gauche de la Boulonne, à quelques mètres dç là^. 

Que cette butte ait été utilisée par les Romains; qu'ils en aient 
fait un point fortifié, nous sooomes disposé à le penser. Que le 
moyen k%e ait suivi leur exemple, nous en avons la preuve dans 
une maison à tourelles féodales construite en ce lieu même. Mais 

' Voir, au numéro II de nos pihces justificativrs , Topinion de M. Roiidier. 
' M. Rondier, ouvrage cité. 



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— 76 — 
nous ne pouvons nous empêcher de croire à son origine gauloise : 
sa position à rexirémité de la vallée, au point où la Boutonne, 
épanchant ses eaux sur tout ce qui Tenvironne, devait former, 
comme nous Tavons dit déjà, un marais immense, indique qu elle 
était placée là en vedette, surveillant Tembouchure de la Belle et 
de la Béronne et commandant leurs vallées, qui se déroulaient 
sur la rive opposée. 

Un mot encore au sujet de ces trois mottes. Remarquons d*a- 
bord que toutes les trois sont placées sur la rive gauche de la Bou- 
tonne, Tune à la source, l'autre à peu près à égale distance de la 
preûiière. et de la troisième, au point le plus étroit de la vallée, au 
point où le terrain de ce côté-là n'offre aucune pente, tandis que, 
sur l'autre bord, il s'élève et la domine, près d'un gué qui facilite 
le passage, près d'un chemin qui parait avoir été fréquenté depuis 
les temps les plus reculés; enfin, la troisième à l'endroit où la 
Boutonne, changeant la direction de son cours, se dirige au 
midi, après avoir couru à l'ouest. Par suite de la configuration des 
contrées qui les séparent, ces trois mottes pouvaient très-bien se 
correspondre, soit par des feux, soit par de la fumée, comme 
l'histoire nous apprend que les Gaulois se télégraphiaient les 
nouvelles importantes. Quelle que soit leur origine , du reste , nous 
voyons entre elles une telle corrélation, que nous ne pouvons at- 
tribuer leur construction qu'à une même pensée, soit religieuse, 
soit militaire, 

IV 

Si, comme nous le croyons, nous avons prouvé ce que nous 
nous étions proposé : que la Boutonne, depuis sa source jusqu'à 
Brioux, a dû former, à une époque quelconque de la période gau- 
loise, la frontière de deux peuples, dont les descendants se dis- 
tinguent encore aujourd'hui, nous n'en restons pas moins en face 
d'un problème difiicile à résoudre, celui de savoir quel est celui 
de ces deux peuples qui a élevé les trois monuments dont nous 
venons de parler. 

Quel que soit l'usage auquel ces tumulus aient été destinés, il 
n'es! guère probable que l'on puisse les attribuer au peuple de la 



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— 77 — 
rive droite, auxPictons, par conséquent, lesquels, tout nous porte 
à le croire , les auraient plutôt établis en dec^k qu'au delà de la 
rivière: c'est donc alors l'œuvre du peuple qui habitait au midi. 
Dirons-nous des Santons ? Mais, dans l'un comme dans l'autre cas, 
nous venons nous heurter à une difficulté qui, au premier abord, 
prend, pour ainsi dire, les proportions d'une impossibilité. 

En effet, comme l'a dit d'Anville, il faut donner des raisons 
solides quand on avance que les confins des anciens diocèses de 
France diffèrent des limites des anciens peuples de la Gaule. Or 
la cité des Poitevins (civitas Pictonum) ayant formé le diocèse 
de Poitiers, et ce diocèse s'étendant au midi bien au delà des rives 
de la Boutonne i les frontières de la civitas devaient dépasser cette 
rivière. 

Cela est vrai. Mais l'époque à laquelle on doit faire remonter 
la construction de ces tumulus' n'est-elle pas de bien des années, 
de bien des siècles peut-être, antérieure à la conquête de la Gaule 
par César, à sa division en provinces et en cités, et ne peut-on 
supposer que, dans l'une de ces nombreuses guerres que les 
peuplades limitrophes se livraient sans cesse , celle du nord « 
lesPictons, si Ton veut, ont envahi ce territoire et poussé leur 
conquête jusqu'au point où se trouvent les limites que leur assi- 
gnèrent les empereurs romains comme devant être celles de leur 
civitas ? 

M. l'abbé Lacurie, dans un remarquable travail sur les San- 
tons*, trace ainsi les confins de ces peuples. De Niort, qu'il croit 
leur avoir appartenu, il indique la ligne de démarcation comme 
suivant la crête des hautes collines qui courent vers le sud-est en 
deçà d'Aanedonnacum jusqu'au Canentelos^, un peu au-dessous 
de Sermonicomagas ^. Des ruines nombreuses et imposantes, 
accusant des établissements considérables, existent à Bernay, 
Saint-Martin, Loulay, la Chapelle-Bâton, Saint-Julien, Matha, 
Sainle-Sevère, et il lui parait difficile d'expliquer autrement ces 

^ Bulletin monanicnud, t. X. 
• La Charente, d'après le géographe Ptolémée. 

^ Charmé, commune du déparlemml de la Charente, arrondissement de 
Ruflfec, canton d'Aigre. 



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— 78 — 
ruines, échelonnées comme à dessein sur toute cette ligne ouverte 
aux incursions des tribus voisines. 

Le docte Saintongeois s'éloigne, lui aussi, et bien sensiblement , 
du précepte de d'Anville : car nous voyons, par le pouilU de 1 evê- 
ché de Poitiers dressé à la fin du xiii* siècle par Gauthier de Bruges, 
que les dernières paroisses de ce diocèse étaient au sud : Beau- 
voir-sur-Nîort, la Charrière, Saint-Martin-d'Augé , Blauzay, Saint- 
Georges-de-Longuepierre *, Aulnay, Contré, les Educts^ Roma- 
zîères, Chives, les Gours,Lupsault ', Saint-Fraigne*, etc.; et toutes 
celles placées au midi dépendaient de Tévéché et par conséquent, 
plus anciennement, de la cité des Santons^. Ajoutons qu'il est 
regrettable que cet écrivain n'ait pas caractérisé d'une manière 
plus particulière la nature des ruines dont il signale l'existence et 
dont il s'étaye pour justifier son opinion; qu'il ne fasse pas con- 
naître à quelle époque, celtique ou romaine, on doit les faire ve- 
monter, quel est le peuple auquel il les attribue. 

On ne peut supposer cependant que le savant antiquaire n'ait 
pas reconnu des restes de monuments gaulois dans ces ruines , dont 
il se sert pour déterminer les confins d'une peuplade gauloise. Ad- 
mettons-les donc comme tels etconMne contemporains de ceux dont 
nous venons de donner la description , et remontant, comme eux, 
à une époque bien antérieure à la constitution des Pictons et des 
Santons en civitates. Car, s'ils leur sont postérieurs, s'ils ne datent 
. que de l'époque gallo-romaine, par exemple , leur existence ne peut 
être judicieusement opposée à notre hypothèse, contre laquelle 
nous ne voyons alors aucune raison plausible et historique à élever. 

Il en est qui, ajoutant plus de foi aux preuves tirées de l'his- 
toire que nous venons d'énoncei, — preuves plutôt négatives que 
positives cependant, — qu'à l'ensemble des faits que nous avons 

* Ce nom de Longaepierre ne peiil-il faire croire à l'exislence en ce lieu de 
quelque menhir aujourd'hui détruit? 

^ En latin Aifuœ Ductas, sur la Aoie romaine qui, d' Aulnay, se dirigeait »ur 
Limoges. 

' En latin Lapi Saltus. Ce hourg est situé sur la rivière de l'Osme et son nom 
indique sans doute un passage à gué difficile et étroit. 

* Sur la voie romaine d' Aulnay à Li moines. 

* Poutllé manuscrit i\p l'évèché de Saintes par M. l'ahhé Lacurie. 



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— 79 — 
signalés dans nos paragraphes 1, 11 et III, consentenl bien à ac- 
cepter, à voir des limites dans le tracé de M. Tabbé Lacune et 
dans le nôtre, mais seulement les limites des marches communes 
aux deux peuples. 

Les Germains et les Gaulois, nous le savons, regardaient comme 
un honneur, comme un hommage rendu à leur bravoure, comme 
un témoignage de la crainte qu'ils inspiraient, d'avoir autour de 
leurs territoires une lai^e ceinlui*e de pays déserts et inhabités. 
Disons plus encore: à c^tte époque, cette lisière ne devait être 
qu'une immense forêt, dont celles de Chizé, d'Aulnay, de Chef- 
Boutonne et, sans vouloir descendre plus à Test, les bois qui se 
voient encore dans la commune de Coutures-d'Argenson ne sont 
que les faibles restes. Les chartes du moyen âge, bien que rédigées 
à une époque incomparablement plus rapprochée 'de nous, té- 
moignent encore de l'existence de cette vaste étendue de bois, qui 
se prolongeait jusque dans l'Aunjs, où la forêt de Bcnon en est 
aussi un des derniers vestiges, et nous la voyons désignée dans les 
actes de cette époque sous les noms divers de Ariezhun^y Argenti^^ 
Argenchuni^, Argenconicum^^ dernier nom que dora Fonteneau tra- 
duit par « forêt d'Argençon, aujouixl'hui de Benon. » 

En se reportant encore maintenant sur le terrain , et malgré de 
nombreux défrichements, on voit se dérouler la ligne suivie par 
cette mer de verdure. En ellet, la forêt de la Foye-iVïontjault^ se 
relie avec celle de Benon par les nombreux boqueteaux qui existent 

* Vers io3(): don de x|iiei({UPs parties de la Ibrét A'Arieihmx à Tabbaye de Saint- 
Maixent. (Maniihcriis dedom Fonteneau, t. XV, p. a33.) 

' Nemus Anjenli , 1069. (Besly, Comtes de Poitou» p. i^à-) 

^ Argenchnm, Ibrét de BeneM (Benon) en A unis. (Dictionnnire laùn-françins de 
quelques noms de Uewr dn Poitou, par Dnfour, manuscrit.) 

^ 1 107. Confirmation par Guillaume X, duc d'Aquitaine et comte de Poitou, <^ 
l'abbaye de Montiemeuf, de son droit d'usage dans la forêt de Ar^enconio. (Ma- 
nuscrits de dom Fonteneau, t. XXVII his, p. 709.) Le savant bénédictin ajoute 
en note : « nemus de Anjrnconio , aujourd'hui foret de Benon. » 

' Les bois de la Foye-Vlontjaidt, dans lesquels l'abbaye de Montiemeuf de 
Poitiers avait encore des droits d'usage au moment de la Ké\olution, doivent 
être ceux qui sont désignés sous le nom dé Nemus de Argenconio dans la rbarti' 
de I 1 07 précitée. 



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. — 80 — 
sur les communes de Saint-Saturnin-des-Bois ^ Priaires , Tlioi igny. 
Deuil, Belleville. Ceux de cette dernière commune touchent à la 
forêt deChizé, qui, dans une vieille chronique manuscrite, se 
trouve indiquée sous le nom de nemus Argenti, à propos de la fon- 
dation de l'abbaye de Saint-Séverin ^. La forêt de Ghizé, distante 
seulement de 9 kilomètres de celle d'Aulnay, s y rattache par les 
bois de Buffageasse , de la Villedieu et d'Ensigné. La forêt d'Aulnay 
touche à celle de Chef-Boutonne, qui n'est éloignée de Coutures- 
d'Ai^enson que de 4>5oo mètres, espace en partie couvert de 
vignes remplaçant depuis peu d'années de nombreux bouquels 
de bois. Et ce nom de Coutures-d'Argenson nous parait avoir ici 
une signification importante. On a toujours reconnu à ce mot de 
Couture ou Culture^ le sens de défrichement. Quanta celui d'Ar- 
genson, il nà dans le pays aucune signification historique, il ne 
répond à aucun souvenir seigneurial ou féodal ; mais ne serait-il 
pas le résultat de la tradition rappelant l'existence de cette forêt 
(ïAriezhun, que nous trouvons, en 1107, dénommée fx /va de Argen- 
conio, à la Foye-Montjault, et dont nous venons de suivre les 
sinueux contours? * 

Cette manière de voir est peut-être exacte, et nous venons nous- 
même de lui prêter des arguments; mais à ceux qui l'adoptent 
nous demanderons, comment il se fait que ces marches aient été 
peuplées exclusivement par les Santons ou autres peuplades, sans 
mélange avec les Pictons; comment on peut expliquer celte tradi- 
tion constante, cette différence dans la constitution physique et 
morale des habitants, cette diversité dans le caradère et les habi- 
tudes : questions des plus indiscrètes sans doute, car, après les 
avoir longtemps étudiées, nous ne voyons nul moyen d'y répondre; 

* Ce nom de Saini'Saturnin'deS'nois indique Taboudance des bois qui ont existe 
dans cette commune, limitrophe de la forêt de Benon. 

' 1069. \fon(uteriumSancti Sei'erini canonicorum in uemore iir</«n(i.(Besly» Otmlfs 
de Poitou, p. k^jh.) Saint- Séverin, aujourd'hui commune du département de la 
Charente-Inférieure, arrondissement de Saint-Jean-d'Angely, était une abbaye de 
Tordre de Saint-Augiistin;e]lc se trouve à l'extrémité sud de la forêt de Chizé dont 
elle n'est , encore aujourd'hui , éloi«;nép que de 800 à 900 mètres. 

■' Nous trouvons cette localité menfionnée en ioa5 : ViUa ad CuUnras in vicaria 
Jt: Itufutco. (Doin FoiUeiioaii, l. VI, p. 583.) 



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— 81 — 
mais dont on peut tout au moina tirer la conaéqoenoe que, si nous 
arrêtons les limites des Pictons trop au nord, M. Tabbé Lacune 
fait descendre, lui, trop au sud ceHes des Santons, Et cependant 
la vérité doit être, non entre nous, mais du côté de Tun de nous, 
et, jusqu'à ce que Ton ait trouvé entre son tracé et le nôtre une 
ligne intermédiaire réunissant les mêmes éléments de probabilité 
que présente celui que nous venons d'exposer, nous nous per- 
mettons de persister à croire qu'à une époque quelconque de la 
période gauloise, la Boutonne a formé la frontière des Pictons et 
des Santons. 

Heureux serons-nous, si nous pouvons appeler sur ce point 
l'attention des membres de la Commission de topographie des 
Ganles, qui, dans leurs travaux, ont dû maintes fois, comme nous 
venons de le faire, s'appuyer sur les monuments pour suppléer au 
silence de l'histoire. 



PIECES JUSTinCATIVES. 

I 
Extraits de la Description géologique du département des Deuae-Shres, par 
M. Caearié, ingénieur des mines. {Mémmns de la Société de sttàiêtiiiae , etc. de 
Niort, t. VII.) 

L'ooh^ inférieure forme le second étage du terrain jurassique; on 
la trouve à lest et au sud du département. C'est cet étage qui forme la 
grande plaine ou se trouvent Niort et Saint-Maixent; il est limité au nord 
par la ceinture Uasique du Bocage, et au sud par les coteaux de roolsthe 
moyenne; à Test et à l'ouest, il s'étend dans les déparlements de la 
Vienne, de la Charente et de la Vendée ^ 

L'ooUtbe moyenne forme , au sud du département, une série de coteaux 
se détachant peu nettement de Toolithe inférieure, qui constitue la plaine. 
Cet étage se compose de calcaires marneux, ordinairement schisteux, se 
divisant facilement en tables %s8ez minces. Ce calcaire est asses dur, te- 
nace , sonore. On y trouve aussi des calcaires compactes , gris de fîimée , 
à cassure lisse, souvent caverneux et traversés de veines spathiques; ils 
appartiennent à la partie inférieure de l'oolithe moyenne ^. 

' Page a45. 
» Page 2hi. 

ARCaéOLOOIE. 6 



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— 82 — 

' L'étude àa terrain que nous venons de décrire nons moiitre qu'il 
n existe ps de ^épar^tion bien tranchée entre les deuK étapes > Foolitlie 
iaféçieure et Tootitlie moyenne. Les aoddeiits peu nombreux et peu im* 
portants qui. ont dérangé de leur position horizontale les couches de 
Toolithe ioféneure ont aussi agi sur celles de Toolithe moyenne ^ 

Il y a plus de différence entre les caractères minéralogiques et zoo- 
logiques de ces deux étages qu'entre leurs positions. Nous avons décrit 
les calcaires qui les constituent, faciles à reconnaître après une première 
étude. Un des fossiles les plus abondants, et caractéristique de Foolithe 
moyenne dans cette région, est la gryphée virgule*. 

Tabliau indiquant, d'après M. Cacarté, les communes vobines ou livcntnes du 
cours de ia Boulonne, dont le sol est formé par foolithe inférieure ou par 
Tootithe moyenne et celles qui se trouvent sur la limite de ces deux terrains» 
depuis Chef-Boutonne jusqu'à Brioux. 

I II III 

OOLITHE MOYENNE. LIMITES OOUTHE INFÉRIEURE. 

MTl «Aucn DE L'OOLITHE MOYENNE n,^, „,oite 

DB LA iOOTOTWE. «f n VOPUTtOi WréutSTOl. »« "«A BOVTOVVB. 



CommoDe de Loabtgne. Commune d'ArdilIenx. Commune de Loisé. 

laBMalHe. Chef-BoQtonae. Gonftiay. 

Cnnkm, ,.Fo»t«Dillw«. .. TeiUpu. 

. SaintrMtrtin. Chérigné. Fomcnillei*. 

. Paiuy4«-Chapt . Ainiires . Luché. 

.Bi(t)|iié. BriOtt. — , LiMMTftf. 



Nous nous sommes étayé de Fopinion de M. Rondîer à propos do 
chemin qui, se détachant de la voie romaine au village de Chastenet-le- 
Rond (commune de Saint-Vincent-la-Ghâtre), vient passera Ghérigné, aa 
pied de la motte de TÉpine, et de là se dirige sur Aulnay par Ensigné. 
Nous allons résumer ce qu'en dit notre vénérable confrère dans son 
étude sur la voie romaine de Poitiers à Saintes , qu'il a étudiée pied à 
pied ; qu'il a suivie pas à pas jusqu'à Brie , au-dessus d* Aulnay, point 

' Page a68. 

' Page 3Â8. 

' Nous plains Fonienilies cUms les colonnes II et III à cause de la note de M. Ca- 
carié ainsi conçue : « Fontenilles , oolithe inférieure; la limite de Toolithe moyenne passe 
près do Fontenilles, de Tantrc côté de la Boutonne.* (P. 270.) 



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— 83 — 
qu'il indique comme étajBt, sous h domination romaine, la limite detk 
Santons et dea Pictoas. 

« Ce cheo)in est évidemment l'ancien chemin gaulois qui, avant que la 
voie romaine de Saintes à Poitiers soit venue traverser Brioux, condui- 
sait bien plus directement de Rom à Aulnay. Cette ligne est encore re- 
connaissaUe sur la carte de Tétat-majc»:; ePe cq^parait jptresque. droite 
d'Âulnay à Ensigné (i i kilomètres), d'Ënsigné à Chérigné ( 7,600 mè- 
tres) et de Chérigné à Luché^ (600 mètres). C*est un lacis de chemins 
affectant tous cependant la même direction et convergeant tous vers la 
rivière. A partir de Luché, commence une seconde ligne, presque droite 
(i3,5oo mètres), venant, après avoir efHeuré Tillou et traversé Maison- 
nais, se rallier, à la hauteur de Chastenet-le-Rond , à la voie romaine con- 
duisant à Rom. 

« Ce chemin , selon la tradition , servait aux sauniers à apporter le sel à 
Rom, et il est tellement situé dans la ligne droite que, guidé par les 
distances, Walkenaêr le prenait pour la voie romaine et appelait Chérigné 
le vieux Brioux. L'étymologie de ce nom de Chérigné ne serait-elle point 
carras, chariot P 

tSur cette ancienne voie de communication on trouve, en venant 
d'Âulnay , les villages de la Haute et Basse-Vacherie , Écharbot, la Fosse- 
Boisseau ; les bourgs d'Ensigné , d*Asnières , de Chérigné , de Luché , de Til- 
lou; les villages delà Pagerie, de la Croix, la Roche-de-Lyé et le bourg de 
Maisonnais ; tandis que la voie romaine a ses abords pour ainsi dire dé- 
serts: on n'y voit que le bourg de Maisonnais , le village de Lyé, le bourg 
de Brioux, le hameau du Pontiou et le bourg de la Villedieu-d^Aulnay. 
C'est une nouveDe preuve de l'ancienneté du chemin, de son existence 
antérieure à la création de la voie. Car on ne peut croire que les popu- 
lations seraient venues s'établir sur son parcours, s'il eût été même 
contemporain ; la voie romaine était plus commode , et tout le mouvement 
administratif et militaire devait s'y opérer. ■ 

III 

Motte de l'Épine. 

Dans son travail sur la statistique des Deux-Sèvres, M. le baron 

Dupiç, préfet de ce département, dit, à propos de la motte de l'Épine : 

« On remarque une butte en terre autour de laquelle on a creusé des 

' « J'aurais dû faire remarquer que Luché rappdle les hics, bois sacrés des Gaulois, et 
dire quà Luché, dans un tombeau, on a trouvé une statuette de broiiso doré d'Hercul**, 
que je possède.» (Lettre de M. Rondicr du 10 mars 1867.) 

(i. 



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— 84 — 

fossés. Cetle butte est parfaitement ronde et élevée de phis de 6 mètres. 
Sur le sommet est un bassin de la profondeur de 3 mètres; dans une 
fouille faite au centre de ce bassin , on a trouvé cette inscription : Dieu 
a permis que tout fit découvert. Ce qui fut n'est plus. 

«Il parait que cette inscription fîit gravée et enfouie, en 1793, par 
deux personnes de la conmiune de Cbérigné (au rapport de M. Eymer, 
ancien maire de cette commune). Dans quel but? On Tignore. • 



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ETUDE 



suit 



LES VOIES ROMAINES 

DU PAYS DES SILVANEGTES, 
PAR M. L'ABBÉ GAUDEL, 

MIMBBI DU COHiri ABCHBOLOOIQVI DB SBMLII. 



Chaj^ par le comité archéologique de Senlis de vous présenter 
un travail d'ensemble sur les voies romaines du pays des Silva- 
iiectes, je viens: 

i^ Vous parler des voies qui rayonnaient du centre de la vieille 
cité romaine ou qui y aboutissaient; 

2* Répondre, autant qu'il est possible en ce m<»nent» .à deux 
questions sur lesquelles le résumé du travail de la Commission de 
topographie des Gaules sur les voies romaines semble ^appeler les 
avis des comités locaux. 

La première question regarde la station romaine désignée sous 
le nom de Litanobriga dans Tltinéraire d'Antonin. M. Alexandre 
Bertrand, secrétaire de la Commission» la place à Chantilly; mais 
cette désignation est interrogative. Nous exposerons simplemi^t 
letat de la question, le comité de Senlis n'ayant pas encore établi 
ses conclusions sur ce point. 

La seconde question est relative à la grande voie de Lyon aux 
côtes de la Manche , par le nord de la Gaule. Pariant de cette voie , 
M. Bertrand aiSirme que le tracé de cette cliaussée peut être re- 
gardé comme certain jusqu'à Auxerre; « mjùs, ajoute-t-il, au ddà 
la voie gagnait-elle, avec la carte de Peutinger, Amiens par Sens, 
Meaux« Senlis et Beauvais; ou, avec l'Itinéraire, passait-dle par 
Troyes , Reims et Soissons? Nous ne saurions le dire. Nous suivrons 



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— 86 — 
la voie de ritiiiéraire, qui traverse des centres importants, et don- 
nerons Tautre comme anneaç6, sans ))rétendre résoudre la ques- 
tion. » Ainsi la Gonmiission donne conome simple annexe la voie 
de Soissons à Beauvais par Senlis, faisant passer la grande voie de 
Boulogne par Noyon et Amiens. Sans vouloir imposer notre avis, 
nous voulons senleinetit exposer les raisons qui ont porté le comité 
de Senlis à admettre que la voie de Lyon à Boulogne poisaii par 
Senlis, et que c'était son annexe qui passait par Noyon. 

PREMIÈRE PARTIE. 

Huit voies romaines, qu'on peut appeler de grande communica 
lion , rayonnaient de Senlis dans diiTérentes directions. 

i"* Voie de Senlis à Soissons. 

EHê formait tine partie de la voie militaire de Lyon à Boulogne- 
surfiler, aum^s selon Topinion la plus généralement admise (nous 
reviendrons tout à l'heure sur cette question). Il n*existe aucun 
doute sur ta direction de cette voie, signalée de tout temps par les 
auteurs, et dont la trace est visible dans sa longueur entière. On 
doit remarquer Cependant qu'elle n'aboutissait point à l'enceinte 
à^AvL^uftomagus (Senlis); elle passait à 3oo ou 4oo miètres au sud-est. 

Voici son jparcours jusquli Soissons : de Senlis à Balagny^snr- 
Onette, de Balagny à Ruliy, de Ruliy à Néry; de là dte traverse 
la vallée d^Autohne et la coupe perpendiculairement pour se rele- 
ver vers Bétiiisy-Saînt-Martin; elle s'étend ensuite Vers Champ- 
lîeti-, passe au pont des Toumelles, ionge la lisière de la forêt de 
Goi^ftpiégne, touche Pierrefonds au nord-est et Saint-Etienne, où 
les récents -travaux ordonnés par S. M. l'Empereur ont défeouverl 
toute une ville romaine, que TarchéOlogUe ne peut s'empêcher 
d'admirçp avec une curiosité émue. De Saint -Etienne elfe va à 
Chelle, et (te Gfcelle à Haute -Fontaine, oà elle arrive à la hauteur 
du départemient de l'Aisne. 

Lechéminest tonstmit généralement avec des blocs ou moel- 
lons dé càloàiire'grostfier, dont fe volume augmente de hànt en bas, 
en soiie que ceux de rencaissement ont des dim^sions énormes. 
Vers Senlis, les blocs se présentent équarris régulièrement et for- 



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— 87 — 
meni, cornspue fond de la voie, un Irès-beau dallage de 6 mètres 
de largeur. Elle présente partout les trois couches réglementaires. 
Les titres du moyen âge désignent cette communication par les 
noms de Mezièrcs-Branehaat, de Magna Càlceia, Magna Via; on 
rappelle encore la chaussée BrunehauL 

2* Voie de Senlis à Meaux. 

Cette voie est comprise dans la route de Senlis à Troyes sur la 
carte de Peutînger. Elle sort de Senlis par la porte de MeauiL, sous 
les murs de Tabbaye de Saint-Vincent, va droit, dans la direction 
de Villemétrie, vers la forêt, où elle s'enfonce en se dirigeant vers 
Ermenonville, sous le nom de chemin des Bruyères. Il est assez dif- ^ 
iicile de la suivre dans la forêt, où elle a été défoncée en certains 
endroits pour les travaux de plantation. Néanmoins on en retrouve 
en grande partie le tracé jusque derrière Borest et Fontaine, où 
elle disparait presque entièrement. Elle court vers Eimenonville , 
le Plessis-Belleville, Saint-Pathus, Saint-Souplets et Meaux. En 
certains endroits de son parcours, elle n'a pas moins de a mèti^s 
d'exhaussement. Elle est une des plus difficiles à reconnaître et à 
suivre. L'empierrement en est grossier et ne présente, sur une 
hauteur de i mètre, qu'un entassement de pierres de toutes sortes 
mêlées de terre. 

y Voie de Seulis à Gouvieiix. 

Cette voie, qui allait de Senlis au camp de Gouvieux et qui 
existe encore presque entière, est une des plus belles et des mieux 
conservées du pays des Sîlvanectes. Elle prend sa direction derrière 
les murs de l'hôpital , pour se diriger en droite ligne vers Chantilly 
par Saint-Nicolas, Saint-Léonard, Courteuil et Avilly, en laissant 
tous les villages à gauche. Arrivée à Avilly, elle est brusquement 
interrompue par le domaine de Chantilly^ qui l'a coupée dans la 
direction du grand canal. Elle sort du parc au bas de Vîneuif, pour 
remonter la côté dans la direction de Saint-Leu. Son tracé est ici 
difficile à suivre. Interrompue en plusieurs endroits, on ne la re- 
trouve qu'après les deux ponts du chemin de fer (de Senlis et de 
Creil), qu'elle traverse , pour s'étendre ensuite librement dans la 



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— 88 — 
campagne jusqu'au village de la Chaussée, où elle entrait dans le 
camp. 

4"* Chaussée de Scnlis à Pont-Poiitt. 

Cette voie sort de Senlis par la porte Saiat-Rieui, passe derrière 
le Plessis-Chamant, et traverse la forêt de Halatte par les carre- 
fours Saint-Prest, des Biancs-Sablons et la croix Saint-Rieui, où elle 
tourne à gauche pour se diriger vers Pont, en passant par les car- 
refours de la croix du Grand-Maitre et Étéroclite. C'est un peu 
plus loin qu'elle sort de la forêt pour descendre à Pont, laissant à 
gauche le mont Callipet; elle longe la propriété du MonceU der- 
rière laquelle elle traversait la rivière pour partir de là vers le nord 
en droite ligue. 

On ne trouve plus, après avoir franchi l'Oise, aucune trace 
immédiate de la chaussée, soit que la main de Thomme Tait dé- 
truite, soit que les alluvious de l'Oise Taient couverte; il faut 
aller jusqu'au village de Saint-Martin -Longueau pour rencontrer, à 
droite de la route de la Flandre, une voirie dite chemin de Pont, 
qui laisse à l'est les communes de Bazicourt et de Sacy-le-Petit, se 
dirige sur Estrées, Saint-Denis, Gournay-sur-Aronde, Conchy-les- 
Pots, puis de là s'enfonce dans le département de la Somme, où 
elle va rejoindre la route de Beauvais à Bavay, un peu avant le 
village de Tilloloy (Somme). 

Il est bien important de constater la direction de cette voie au 
delà de l'Oise : car, s'il est vrai qu'elle conduisait dans le nord de la 
Gaule, il est probable que Senlis n'était pas son point de départ, 
et qu'il faudrait le chercher plus haut, c'est-à-dire, en suivant sa 
direction rectiligne, à Latetia. 

y Voie de Senlis à l'oppidum de fialagoy. 

£n soitantde Senlis pour aller à Compiègne, à droite de la 
grande route, à aoo mètres environ du Poteau, on rencontre un 
chemin dit chemin de Chômant : c'est une voie romaine. Elle se 
développe laige de 8 mètres, solide, puissante, un peu défoncée 
en certains endroits, mais toujours parfaitement reconnaissable. 
Elle se dirige en droite ligne vers la croix de Chamant; avant d'ar- 



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— w — 

river au premier mur de ce village, elle a été détruite sur le c6té 
droit par les envahissements des propriétaires riverains. C'est là 
qu'on peut en distinguer les fondations , qui sont composées 
d'énormes blocs de pierre du pays. Laissant à droite le village, 
elle se dirigeait vers Toppidum de Balniacum (Balagny) , ne pré* 
sentant, à partir de son point de départ, qu'un parcours de 3 kilo- 
mètres au plus. 

Nous sommes ici sur la partie la plus intéressante peut-être du 
pays des ^vanectes : la configuration du terrain, le croisement de 
diverses petites voies romaines , le voisinage de sépultures gauloises, 
nouvellement découvertes, la tradition même du pays qui fait 
remonter Balagny à une origine très-anciame, l'aspect extérieur, 
si pittoresque et si intéressant à première vue, du vieil oppidum, 
tout semble appeler le comité de Senlis à des recherches sérieuses 
sur ce point. 

Malheureusement les documents font complètement défaut, et 
rien n'apparaît qui puisse guider nos investigations dans ce passé 
ténébreux, mais assurément riche en souvenirs. 

6* Voie de Senlis à Beauvais par Creil. 

L'examen des trois dernières voies que nous avons à étudier 
doit jeter quelque lumière, nous l'espérons du moins, sur une 
question qui a déjà vivement occupé le comité, et dont la solution 
est bien difficile : c'est la question de remplacement de Litanobriga, 
que l'Itinéraire d'Antonin mentionne comme une station de la 
voie d'Amiens à Soissons, située entre Cmioromagw et Augmio- 
maga$, et qu'il place à 18 lieues gauloises de Beauvids et à 4 lieues 
seulement de Senlis. La connaissance de cet emplacement aurait 
l'avantage de détenniner définitivement la direction de la chaussée 
Brunehaut, allant vers Beauvais par l'Oise, à partir du point où 
elle quitte Senlis. 

Les voies que nous allons étudier vont toutes les trois à l'Oise, 
c est-à-dire à l'un des points où se trouvait Litanobriga; elles ont 
toutes trois pour elles de grandes autorités. D'Anville place cette 
station à Creil ; Cariier, à Pont, et dom Grenier, dans les environs 
de Boran. Nous nous bornerons à parcourir les trois voies, dont 



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— 90 — 
une conduisait à Litanohriga, et à indiquer ks raisonsque le co- 
mité a pu admettre en faveur de chaque opinion. 

Il existe une voie romaine de Senlis à Creii; elle sortait de la 
viUe par la porte Saint-Rieul, tournait à gauche et descendait dans 
la vallée de TOnette par le chemin dit aujouitl^hui chemin HAu- 
mont; elle traversait la rivière au gué où est maintenant le mou- 
lin; de là, inclinant à gauche, elle passait le manis sur un fort 
remblai pour courir vers la butte d'Aumont par le chemin des 
Carrières, dans une direction parallèle à la nouvelle route de Sea- 
lis à Creil. La voie est parfaitement reconnaissable jusqu'au die- 
min dit des Poissonniers. On a trouvé dans son parcours, depuis 
la vallée de TOnette jusqu'à ce point, un grand nombre de mé- 
dailles. 

De ce chemin, qui la coupe U^ansversalement, jusqu'à la forêt, 
il n'en reste plus aucune trace; elle devait passer entre la butte 
et la nouvelle route. A partir de ce point, on peut suivre soUs bois 
ses derniers vestiges; presque complétonent détruite en oer-» 
tains endroits, elle jMrésente constamment à l'œil un remUai dont 
la hauteur varie entre 5o centimètres et i mètre. Ce remblai 
existe^ jusqu'à l'extrémité de la forêt, dans la partie qui s'ouvre 
sur Malassise. C'est là que l'on retrouve la direction vraie et 
l'aspect du chemin, que rien n'interrompt plus jusqu'à Creil. 
Arrivé au coin du parc de Montlaville, il tourne à gauche et 
se dirige vers le ravin de Vaux, et c'est en cet endroit, c'est- 
à-dire à 2 kilomètres du pont de Creil, qu'il franchissait l'Oise. 
Avant d'y arriver, il présente un talus «fortement empierré et 
accusant dans tout son aspect une ancienne voie romaine. Dans 
la rivière même, quand les eaux sont basses, on aperçoit encore 
les fortes assises d'un ancien pont. La voie devait se diriger de 
là vers la capitale des Bellovaques, en traversant le village de 
Nogent devant l'Oise, pour franchir la montagne de Laigneville. 
L'opinion de d'Anville est qu'il faut placer Litanobriga.k ce pas- 
sage de rOise. Mais on doit dire, pour être juste, qu'on ne te^uive 
là aucun vestige ni d'hdbitation ni d'objets indiquant une occupa- 
tion romaine. Plusieurs archéologues distingués de notre départe- 
nioiil placent Lilanobriga à Creil; cest une raison pour nous 



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— »1 — 

de Inspecter celte opinion. Mais nous avouons qu'en dehors de la 
question de respect, aucune raison ne nous engage à être de cet 
avis. 

7'' Voie da Senlis à Pont 

Une voie palticnlière conduisait de la capitale des Silvaneotes à 
la station romaine sur laquelle s*est élevée depuis Pond-Sainte > 
liaxence. Cette station est-elle Litanùbriga ? Nous devons dire que 
c'est IV^inion la {rfus généralement admise dans le pays et au sein 
du comité. Garlier prétend que, dans une liste des dix-sept pro- 
vinces des^ Gaules, cette station est aj^elée tramilas ai Britanniam. 
Mais cette liste, qu'on peut consulter dans le recueil des Historiens 
de France, dit simplement : Bdgica seeunda in qum e»t tt^nsitas 
ad Britanniam, ce qui est tout différent. 

A quelque distance dé Pont, au delà de TOise, on trouve une 
grande voie qui se dirige vers Beauvais. La question des distances 
n'apporterait point de différences bien notiddes entre Greil et 
PoAt-Saiate-Maxence. Nous devons avouer de plus que Pont était sur 
rOise la seule station romaine importante et incontestable des en- 
virons de Senlis, et qu'une voie spéciale, que nous allons décrire, 
outre la grande chaussée de Pont-Point, y conduisait. Ce sont là au 
moins de f(Mrtes présomptions en faveur de l'opinion qui veut faire 
de Pont la station romaine désignée sous le ncmi de Likmohriga, 
Nous verrons, en étudiant le dernier fragment de la chaussée de 
Soîsçons vers Beauvais par Boran » si cette oinnion est admissible, 
et, si elle l'est, avec quelle restriction elle peut Tétre. 

La voie qui menait du pays des Silvanectes à Pont existe en- 
core dans une partie de son parcours. Ce fragment, qui s'étend de 
Senlis à l'entrée de la forêt (au poteau de Halatte) , est un des plus 
beaux du pays des Silvanectes. La vme sortait de la cité par la 
porte SaintrRieul, tournait à gauche en se séparant de la chaussée 
de PontrPoint, et s'enfonçait immédiatement dans le chemin creux 
qui conduit à l'Onette, et qui fut un chemin gaulois avant de de- 
venir une tête de voie romdne. A àoo mètres environ du sommet 
de la côte^ ^e tourne à droite, laissant la voie qui conduisait à 
Credtdiam (Creii) , et se dirige en droite ligne sur Pont. Bile porte 
encore aujourd'hui le nom d'ancien chemin de Pont. 



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— 92 — 

Le fond de la voie se compose d'assiaes de pierres énomies 
grossièrement équarries, généralement plates et d'une épaisseur 
qui varie de 12 à i5 centimètres. Elle passe sous le chemia de 
fer, remonte le hameau de Viilevert, qu'elle quitte sur la hauteur 
opposée à la ville, pour courir vers la forêt dans la direction du 
poteau de Halatie. Dans les endroits où elle peut se dévek^iper, 
elle a 16 mètres de laideur; on peut en certains endroits en aper- 
cevoir les substructions puissantes et remarquer surtout d'immenses 
dalles, qui affleurent le sol et qui en formaient le pca^ùnmtam, 
luxe assez rare dans la construction des voies provinciales, et 
qui s'expliquerait ici, comme dans quelques autres paires du pays 
des Silvanectes, par la facilité qu'on avait de se procurer dans le 
pays de très-belles pierres. 

A 3 kilomètres à peu près de la ville, la voie est complète- 
ment détruite; on suppose que ses fondations ont servi à établir la 
route de Flandre qui passe à Pont, et cette opinion parait d'autant 
plus probable qu'il est impossible d'indiquer un autre prolonge- 
ment à cette voie, qui a constamment porté et porte encore le nom 
d^ancien chemin de Pont 

8* Voie de Senlis à Beau vais par Boran. 

Ce fragment de voie n'est autre que le prolongement de la 
chaussée Brunehaut, que nous avons conduite et laissée à Sa^. 
Nous la reprenons ici afin d'éclairer autant que possible la ques- 
tion qui doit surtout nous occuper : la direction de la grande voie 
de Lyon à l'Océan. 

Arrivée à Senlis^ la voie, conome nous l'avons déjà fait remar- 
quer, n'entrait point dans la ville; elle la laissait à droite, à 3oo ou 
4oo mètres, et venait, après avoir traversé la Nonnette au gué de 
Saint-Etienne, franchir le marais au moyen d'une jetée puissante, 
sur laquelle elle se confondait un moment avec la voie qui menait 
à Meaui. Après avoir franchi le marais, elle longeait le côté sud et 
sud-ouest de la ville, autour de laquelle elle semble décrire une 
grande courbe; puis reprenait sa direction vers Beauvais, en for- 
mant, dans la forêt de Chantilly, le chemin dit la Vieille Roale, 
qui aboutit à Toutevoie par Gouvieux. 



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— 93 — 

Elle existe encore parfaitemeDt ÎDtacte jusqu a 8 kilomètres de 
Seniis dans la forêt, sous le nom de chaassée Brunehaut A partir 
du layon d'Âuteuil, elle conserve ce nom sur les cartes forestières; 
mais il est difficile d*en retrouver Tempierrement; il a été complè- 
tement détruit par les travaux de plantation. 

Nous avons maintenant tous les éléments d'une discussion sé- 
rieuse sur remplacement de Liianohriga et par conséquent sur la 
direction de la voie de Soissons à Beauvais. L'opinion de dom Gre- 
nier était qu'il faut chercher Liianohriga au point où cette voie, 
qui est la prolongation rectiligne de la voie de Soissons à Seniis, 
abootrt k TQise, c'est-à-dire au village du Lys ou entre ce village 
et fioran , ou au moins dans les environs. 

Cette opinion a en effet une grande valeur. Le parcours de la 
voie, qui , pour aller à Pont ou à Creil , aurait dû faire un grand 
détour et perdre complètement sa direction rectiligne, forme une 
grande présomption en faveur de l'hypothèse qui place Liiano- 
hriga au point extrême de cette ligne, sur l'Oise. On doit cepen* 
dant avouer qu'on ne retrouve jusqu'à présent dans ces parages 
rien qui indique sérieusement une occupation romaine, et que, 
s'il a existé de ce côté un passage sur l'Oise , il est bien probléma- 
tique. Il faut remonter un peu plus haut , au-dessous du camp de 
Gouvieux, à Toutevoie, pour en trouver quelque souvenir; ou 
descendre plus bas, vers Beaumont, où il parah certain qu'il a 
existé un passage conduisant de l'Oise vers Beauvais, mais qui 
paraît avoir appartenu à une autre voie. Tout ce qu'on peut dire 
pour appuyer l'opinion de dom Grenier, c'est qu'une voie romaine 
suit en effet cette direction au delà de l'Oise, pour dler à Beau- 
vais par Sainte-Geneviève; que cette voie, qui arrive à Beauvais 
par l'ancien chemin de Ghaumont, est bien le prolongement de la 
nôtre; qu'elle traversait la cité des Bellovaques pour aller, toujours 
en droite ligne , k Samarohriva (Amiens) par Cormeil {Carniiliaca), 
Nous l'avcms suivie et constatée à ces différents points. 

Ainsi la Commission de topographie des Gaules, qui semble 
n'être pas éloignée de placer fJtanohn'ga à Chantilly, c'est-à-dire 
dans les environs de cette localité, ne serait pas si loin de la 
vérité. Sans avoir donné une solution , ce que nous ne voudrions 



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— 94 — 

point nous permettre dans tous l^s cas, nous avons au moins 
produit notre avis dans cette question, essayant de répondre de 
notre mieux aux doutes de k Commission. 

SECONDE PARTIE. 

Réponse da comité à cette question : La voie de lym aax côtu àt Ut Mtmehe 
passait'eUe par SenUs ? 

Deux opinicms se sont trouvées en {Hrésence dans le comité sur 
cette grave qviestion : oelie cpii fait passer la grande voie d*Agrippft 
par Soissons, SenHs et Be^uvais pour aller à Amt»9r et celle qpiû 
la fait aller de ^oiasons à Amiens par Noyon. Donnona d*id>opd les 
témoignages qui sont en faveur du passage de la voie par Noyoo. 

Le plus pqissant est l'Itinéraire d'Ant^qin , qui cot&duit ainsi la 
voie : 

D'Attxerre à Troyes , de Troyes à Chalons-sur-Mame , de Chàlons 
à Reims, de Reims à Soissons, de Soissons àPontoîse, de Pooloîse 
à Roiglise, de Roi^ise 4 Amiens, d'Amiens à Boulogne^. 

Une autre autorité puissante également est celle de la Table de 
Peutii^r. £Ue indique les stations de la manière suivaikte : 

Aoiguêia Sue$swnumi Lura> (pour Isam sans doute), Rodium, 
SatHiirùhriitfa. 

Enfin r<^nion de Bei^er était aussi . que la grande voie de 
Boulogne passait par Noyon. pour aller à Amiens. 

Ces autpritéfii sont graves, nous Tavouons; voici les nàtres : 

Straixeo:, pelant de cette voie , affirm^ qu'elle allait vers TOcéan 
en puissant par le pays des BelloYîU}Ues et çles Ambiens : « Ad 
Oceanuni per jBellovacos et Ambianos..<t Or les^ pays que nous 
venons d'indiquer depuis Soissons jusqu'à Amiens par Poploise 
ne faisaient pas partie, que nous sachions, du pays des Bello^ 
vaques, ^n4is que la voie venant de Soissons à Beauvais par 
Senlis traversait une grande partie de leur territoire. Nous n avons 
pas besoin de faire remarquer de quel poids est ici le passage de 
Strabon. 

L'Itinéraire d'Antoein , qui a donné le premier tracé , en indique 
un autre, venant d'Amiens à Cormeil, de Cormeil à Beauvais, 
de Beauvais à Litanohriga, de Litanobriga à 3enlis, de Senlis à 



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— 96 — 
SoÎMODs. La carte de Peutinger indique également un autre tracé 
aUant de Meaux par Senlis et Beauvais* Quant à Topinion de Ber- 
gior, il est à remarquer qu^ii dit» en parlant de la voie de Noyon , 
qu'elle avait été faite pour abréger le cheHÛn : per ûompendiam. 
Le parcours était en effet plus court par cette direction. Or, si ce 
parcours était fait pour raccourcir, il en suppose évidemment un 
autre plus long; c'est celui que nous indiquons. La voie passant 
par Senlis, dit dom Grenier, est beaucoup plus longue, il est vrai; 
mais il faut observer que cette ckausaée étant la première que les 
Romains firent passer dans la Belgique , ils voulaient qu'elle leur 
servtt à communiquer surtout avec les cités les plus remuantes, 
telles qu'était celle des BcUovaques; d'ailleurs, qu'était Noyon au 
temps d'Auguste pour Mre préféré à Senlis et à Beauvais? Était-il 
même un camp romain? 

Ajoutons à ces différents témoignages l'autorité des monuments 
eux-mêmes. La voie de Soissons à Amiens par Noyon présente- 
t-elle, à première vue, un intérêt aussi puissant que celle qui 
passe par Senlis? Les souvenirs y sont rares, presque toujours 
conteMables. Que reste-t-il des Bomains, par exemple, à Pon toise 
et à Noyon et entre Noyon et Amiens? Quelques médailles, des 
fragments de poterie trouvés çà et là, peuvent-ils être mis en com- 
paraison avec les grands monuments qui couvrent la voie de Sois^ 
sons k SeaalisP ChampUeu avec sea belles ruines, la ville des GomUs 
à Saint-Etienne, récenmient mise à découvert par les ordres de 
l'Empereur, et présentant à l'œil le spectacle émouvant et tragique 
d'une cité romaine prise par l'ennemi, rasée et ensevelie sous ses 
ruines; la vieille cité des Silvanectes , avec son enceinte et son châ- 
teau romain encore debout, son amphithéâtre, ses grandes voies 
qui paraissent abandonnées d'hier tant elles sont bien conservées v 
ses tombeaux gallo-romains , que nous trouvons en tant d'endroits; 
ses oppida épars çà et là et tous si pleins d'intérêt ; Beauvais en- 
fin, la ville de tous nos grands souvenirs patriotiques, qu'on a 
mieux décrits ailleurs; tant de voies qui sillonnent notre départe- 
ment bellovaque , qu'il est bien difficile de les compter; ne sont-ce 
pas là autant de témoignages en faveur de notre opinion? Enfin 
nos grands camps romains de Saint-Pierre-en-Châtre, du mont Gan- 



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— 06 — 
nelon, de Catenoy, de Goavieax et du mont César eoBeauvaisis, 
bien qu'ils oe soient pas situés sur le parcours de la grande voie 
romaine, ne témoignent-ils pas clairement que le pays des Bdlo- 
vaques et des Silvanectes est, dans Tancienne Gaule, un de ceux 
où les Romains ont imprimé une des plus fortes traces non-seule- 
ment de leur passage, mais de leur séjour. 

Nous croyons donc pouvoir conclure que la voie de Lyon à 
Boulogne passait par Sentis et Beauvais , et que celle qui de Soissons 
allait à Amiens par Noyon n'était, conmie on Ta dit, qu un em- 
branchement établi pour raccourcir la route : « per compendium. > 
Du reste ces voies dites per compendium se rencontrent fréquem- 
ment sur les grandes lignes, où elles étaient souvent nécessaires. 

Ainsi il existe une autre voie de Soissons à Arras, se rattachant 
au grand réseau que nous étudions, et allant paiement à Boulo- 
gne-sur-Mer; elle passait par Soissons, Amigny, Saint -Quentin, 
Cambrai , Arras , Thérouanne , Tournehem , Guines , Ardres , Porlus 
Itius ou Wissant, près de Boulogne. L'itinéraire d'Antonin indifue 
ce parcours comme vrai ; ce qui n'infirme en rien la grave attU>> 
rite de Strabon , qui fait passer par le pays des Bellovaques la 
ligne principale» 

Nous avons terminé , Messieurs , ce travail un peu long peut-être ; 
heureux si, en ^ nous faisant le rapporteur du comité de Scnlis, 
nous avons pu jeter quelque lumière dans ces difficiles questions, 
où vous avez déjà répandu tant de clarté! 



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COUP D'OEIL GENERAL 



SUR 



LES MONUMENTS DES CÔTES -DU -NORD, 



PAR M. GESLIN DE BOURGOGIVE, 

PRÉSIDENT Dl LA SOCIÉTB D^ÉMULATIOM DU DÉPARTEMENT DES CÔTES-DD-lfORD , 
CORRESPONDART DD MINISTÈRE POOR LES TRAVACX UISTOniQUES. 



J'ai cherché à réunir dans Je cadre, nécessairement étroit, ouvert 
aux lectures de !a Sorbonne une série de types choisis dans les 
monuments de tous les âges qui ont été reconnus jusqu'à ce jour 
sur le sol des Côles-du-Nord. Ce petit travail , rectifié et complété 
par la savante assemblée à laquelle il s'adresse, pourra être utile 
aux archéologues qui fouillent cette partie de la Bretagne; à la 
Société d'émulation, qui en prépare la statistique monumentale; 
aux diverses sociétés qui, comme celle-là, élaborent la mono> 
graphie d'un département ou d'une province. 

Première époque. 

Aucune de ces ébauches barbares aujourd'hui reconnues pour 
les premiers produits de l'industrie humaine, grâce surtout aux 
recherches hardies de M. Boucher de Perthes, n'a été jusqu'à ce 
jour recueillie dans les C6tes-du-Nord. J'hésite à classer dans 
cette catégorie plusieurs fragments que j'ai moi-même trouvés en 
creusant le sol, sous une allée couverte, dans la commune de 
Plerneuf. Ce sol était composé d'une couche de terre de formation 
moderne, de quelques centimètres d'épaisseur, sous laquelle re- 
posaient des pierres (granits, gneiss, amphibole, grauwacke) qui 
avaient l'aspect grossier de divers ustensiles ou instruments à peine 
indiqués; on avait pu toutefois s'en servir en guise de pics, de 
truelles, d'écuelles. Je n'oserais affirmer avec certitude que tout 

ARCHfcoï.OGin. 7 



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— 98 — 
était travaillé de main d'homme; mais très- certainement ces objets 
avaient été réunis de points différents et déposés là sans les frotte- 
ments dont tout corps roulé par un cours d eau porte l'empreinte. 
Quoiqu'il en soit, le sol des Côles-du-Nord n'est pas tout pri- 
mitif; il contient des terrains modernes assez nombreux, tourbes, 
argiles à poterie, alluvions, atterrissements de mer, forêts soua- 
marines, sans parler des riches gisements coquilliers du Quiou 
et de Saint-Juvat. Il importerait d'examiner avec soin si, parmi les 
débris que quelques-uns de ces dépôts offrent en abondance, il 
ne se rencontrerait pas quelques vestiges humains. 

Deuxiëme époque, dite celtique. 

Menhirs ,vpeulvans, cromlechs, dolmens, allées couvertes, tous 
ces monuments dont la Bretagne est encore si riche et qui sonl 
bien plus nombreux qu'on ne pense dans les Côtes -du -Nord, me 
paraissent refléter le premier degré de civilisation dont ce sol ait 
gardé l'empreinte, et que caractérisent d'autre part les haches oa 
hachettes de pierres polies de diverses natures , les colliers et us- 
tensiles d'os, les pointes de flèches et les couteaux de silex. On 
peut établir leur âge relatif, suivant le dégrossissement plus ou 
moins avancé de la pierre, suivant les forces plus ou moins cod- 
sidérables dont il a fallu disposer pour les mettre en place, suivant 
qu'ils sont isolés ou qu'ils forment des alignements parallèles ou 
rayonnant d'un point central. Dans tous les cas, le culte de la di- 
vinité, le culte des morts, les délimitations de diverses peuplades^» 
parfois la commémoration de faits saillants, y sont manifestes : 
ce n'est plus l'homme à l'état sauvage. Je citerai : comme types 
de la pierre debout, les alignements qui partent d'une colline de 
Plaine^Haute ; comme type des pierres horizontales, les dolmens 
qui rayonnent autour du tumulus de la Poterie^; comme type de 
pierres fichées en courbe, l'enceinte de la montagne de Lorette. 

' La pierre biute, dressée, plus ou moins haute, a été de tout temps, la dé- 
marcation de la propriété, la mesure des dislances, ou un hommage funéraire. 
Nos plus anciens cimetières en conservent encore quelques-unes. 

^ Je citerai ici une .sépulture celtique qui mérite d'être mentionnée, en raison 
ile l'étrange assemblage que j'y ai trouvé : c'est l'allée couverte de la Couette, en 



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— 99 — 

Troisième époque, dite gauloise. 

Ce département ne contient qu'un grand centre qu'on puisse faire 
remonter à cette époque: c'est Corseul, ia cité des Curiosolites. 

Cette importante relique , dont la mention disparaît sous Auguste 
pour figurer de nouveau dans les documents des derniers temps de 
l'empire, a été malheureusement bouleversée, au siècle dernier, 
pour en extraire la brique à l'aide de laquelle on a fait les ciments 
du port et des remparts de Saint-Malo. Les fouilles qu'y ont pra> 
tiquées le président de Robien et quelques autres, celles que j'y 
ai faites moi-même, ne sont tombées que sur la partie romaine; 
mais est-il bien sur que la partie gauloise ait entièrement disparu ? 
Et, même dans cette hypothèse, est-ce que l'emplacement qu'elle 
a occupé ne recèle pas nécessairement de précieux vestiges? 

Ailleurs, c'est à peine si je puis signaler avec quelque assu- 
rance un petit nombi^ d'objets gaulois, recueillis sur divers points 
du département , tels que les torques de Lainfains , le vase et la 
cuiller d'or de Ploumilliau, le bas-relief de Dinan (triton con- 
duisant un hippocampe). En fait de monnaies, outre les pièces 
isolées, trouvées autour de Corseul, les seuls dépôts considérables 
sont ceux qui ont été découverts à Saint-Dénoual , à Hénan-Bihen 
et à Saint-Gouéno. Les trois groupes de monnaies curiosolites y 
abondent; la plupart des autres types armoricains y sont aussi 
représentés ^ Les coins de bronze, de toutes formes et de toutes 
dimensions, se rencontrent souvent sur cette terre. Nous en avons 
signalé une fabrique avec ses moules au vieux château Goêllo. 

Ploufragan. Au fond, la chambre sépulcrale primitive était intacte, avec son urne 
mal cuile, son collier d^osselets et ses liachettes de siiex disposées en cercle. Au 
milieu de l'allée qui y conduisait, un Gallo-Romain s'était pratiqué une cachette , 
où il avait laissé les débris de son petit ménage. A Tcntréc , àcs poteries grossières , 
un foyer et du charbon attestaient que, dans les temps modernes, probablement 
pendant les guerres de la Ligue, un paysan y avait trouvé un reluge. 

» Ils sont décrite au tome IV des Ancims Évéchés de Bretagne, ouvrage que 
je publie en collaboration avec M. Anatole de Barthélémy. Il est impossible 
de parler des monnaies gauloises de ce pays sans nommer la belle collection, la 
première tentée en France par un particulier, qu'a réunie au château de la 
Grandville le défunt comte de Kergariou , pair de Franco. 



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— 100 — 
Celle époque a aussi fourni quelques statuettes de bronze, et peul- 
élre YHercule sculpté en ronde bosse au village du Rillan , sur la 
grande voie de Corseul à Carhaix. 

Les sépultures où se trouvent les coins de bronze me semblent 
se rattacher à ce temps. Le plus précieux spécimen est ce champ 
funéraire qui couvre une lande voisine de Saint-Fiacre , près de 
la « grande forêt ■ [Coat-Mur). Les tombelles s'élèvent seulement de 
2 à 3 pieds au-dessus du sol: chacune contient une urne gros- 
sière, entourée d'un cercle de celts de bronze. 

Quatrième époque, occupation romaine. 

La cité romaine des Curiosolites a fourni et fournit encore des 
poteries rouges, plus ou moins ornementées, de toutes formes 
et de toutes dimensions, des statuettes de terre cuite, divers us- 
tensiles, des marbres, des inscriptions. J'y ai découvert une belle 
mosaïque, les soubassements d'une sorte de basilique, une large 
voie pavée en ciment, et de nombreux canaux de drainage. Parla 
nature des constructions et de leurs ornements, j'ai pu constater 
deux époques distinctes, dont l'une très- voisine des derniers temps 
de l'occupation 

Avec Corseul, les cités des Osismii, des Redones, des Venetes, 
plus tard la ville d'Alet, résidence d'un préfet militaire, et deux 
ou trois autres stations moins importantes sont les objectifs d'un 
réseau de voies romaines qui, malgré les grands travaux de la 
Carte des Gaules et les récentes découvertes de M. Gaultier du 
Mottay, est encore loin d'être complet; ses bornes milliaires ne 
sont pas toutes recueillies. 

De ses diverses stations je ne nommerai que celle d'Erquy, où 
se voient encore les alignements de quelques rues. Une des habi- 
tations m'a paru une fabrique de poids de terre cuite, de forme 
pyramidale. 

Je rappellerai pour mémoire seulement l'enceinte vitrifiée de 
Péran, dont l'assemblée de la Sorbonne voulut bien s'occuper Tan 
dernier'. 

* Je place ici cet étrange monument, bien que je ne i'attribuc pas atw 
Romains ; mais je le crois d'une époque très-voisine de l'occupation. 



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I 



IrÊ 



— 101 — 

J'indiquerai comme un type bien caractérisé, quoique de pelite 
dimension (70 mètres de côté) , le camp carré de Plésidy, au bord 
d'une voie non encore signalée, courant du sud-ouest au nord-est, 
et pavée de cailloux qui semblent des moitiés de cube. On y a trouvé 
des armes, des poteries et un aureus de Julius Nepos, frappé à 
Milan. Ce petit poste gardait le passage de la montagne qui sépare 
les deux versants de la Bretagne. 

Je viens de parier d'une pièce fort rare en ce pays ; les mon- 
naies les plus communes sont celles de Posthume et de Philippe I*'. 
Toutes ne sont pas de facture étrangère. J'en ai recueilli dans 
les mines de la Boissière , voisines du Port-Aurèle , qui avaient 
été coulées sur place; plusieurs étaient non ébarbées comme le 
germanicus du camp de Péran ; d'autres étaient des épreuves de 
rebut. 

Je ne m'arrêterai pas aux villas, aux bains et autres édifices, 
très -nombreux. Ces habitations aux placages de marbre ou de 
schiste, aux enduits fortement colorés, aux aires de béton rose, 
sont presque toutes munies d'hypocaustes. Toutes ont péri par 
le feu. 

Quelques cercueils de terre cuite ont été trouvés au bord des 
voies; mais les sépultures des Gallo- Romains d'un rang élevé 
étaient recouvertes d'un tumulus. M«' l'évéque de Saint-Brieuc 
vient d'en ouvrir un non loin du camp de Plésidy. On accède 
par deux allées couvertes à la chambre sépulcrale, qui conte- 
nait, près de l'urne funéraire, deux lames de bronze, une pince 
épilatoire d'or et une sorte de bracelet de cuir, orné de clous 
dorés ^ 

Cinquième épo({ue, armorico-bretonne. 

Quand eut disparu le pouvoir abhorré de Rome , — la vieille 
Ahès, comme disent avec mépris nos chants populaires; — quand 

* Il n est peut-être pas inutile de prévenir c[u*une fabrique d*armes romaines 
existait dernièrement à Saint-Brieuc. Les moules avaient été pris sur des armes 
antiques volées dans un musée. Un compère allait les enfouir et» quelques 
jours après, les déterrer aux environs des châteaux , où l*on achetait fort cher ces 
produits interiopes. 



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— 102 — 
les Bretons insulaires eurent pris pied sur le continent à c6té des 
Armoricains , et que se furent ainsi de nouveau rapprochés les deux 
rameaux jadis séparés d'un même tronc, toutes les forces de la 
jeune nationalité furent longtemps employées à défendre son au- 
tonomie contre les aspirations absorbantes de Fempire des Francs. 
Aussi, du Yi* au ix^ siècle, les monuments matériels sont -ils au 
moins aussi rares que les monuments écrits. Nous n'avons guère 
à signaler que les croix monolithes de granit, plates et irrégulière- 
ment taillées, encore fort nombreuses dans ce département. Les 
monnaies véritablement autochthones faisant défaut, c'est à peine 
si Ton peut citer quelques dépôts mérovingiens, comme ceux dé- 
couverts près de Loudéac et au Faouët. Faut-il y joindre la cloche 
hexagonale de Paule, queM^' Tévéque de Saint-Brieuc a envoyée» 
avec d'autres objets anciens, à l'Exposition universelle? Ce qui est 
aussi probable, ce sont ces cercueils de pierre que l'on attribue 
à plusieurs des apôtres de la Petite -Bretagne, tels que celui de 
Saint-Gildas à Carnouêt. 

. Peut-être des fouilles bien conduites dans les iles de l'embou- 
chure du Trieux, où se fondèrent les premiers centres d'enseigne* 
ment, autour de la très-ancienne abbaye de Saint- Jacut, des 
monastères de Saint-Briac^ et de Saint-Tugdual, dans le marais 
sur lequel saint Brieuc établit ses premières constructions la- 
custres, fourniraient -elles des reliques précieuses de ces temps 
mal connus. 

Sixième époque, bretonne-normande. 

Jusqu'ici il a été de mode de dire que les Normands, dans 
leurs invasions des ix* et x' siècles, ont tout détruit et n'ont rien 
édifié. Cette assertion, qui n'a pas encore subi le contrôle d'un exa- 
men sérieux , ne serait-elle pas un reste de la réaction de la Bre- 
tagne opprimée par de rudes envahisseurs appartenant à un autre 
culte .^ Mais ils venaient, ces Normands, d'un pays qui était loin 

* La crypte, placée sou» le chevet de Téglise actuelle , passe pour remonter 
au Yi* siècle. 11 est très-possible, en effet, que, suivant l'ancien usage de l'Église 
catholique, on ait voulu placer le maître^utel sur le tombeau du saint; mais 
Tarchitecturc de cette crypte ne remonte certes pas au delà du xi* siècle. 



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— 103 — 
de Tétat sauvage, qui avait ses monuments. Esl-ii possible que, sur 
cette terre qu ils ont occupée pendant près de deux siècles , dans 
des établissements qu ils croyaient définitifs , ils n aient rien édifié , 
rien laissé qui nous montre chez eux autre chose que le génie de 
la destruction ? En cherchant bien autour de leur établissement 
de Cesson, dans les landes de Plourivo, autour de la cathédrale 
de Tréguier, ne trouverait -on pas quelque anneau perdu de 
cette chaîne brisée qui , dans Tordre général des faits , a du lier 
les constructions romaines primitives aux édifices gallo-romains ? 
Qui sait si un rayon de lumière n'en jaillirait pas sur ces mysté- 
rieuses constructions du temple de Lanleff, de la tour d*HasUngs, 
de l'église de Perros-Guirec (partie la plus ancienne), qui, quoi 
qu on dise, sont encore loin d'avoir révélé tous leurs secrets ' ? 

En tous cas, la lance et le bouclier trouvés sur une des landes 
que la tradition considère comme ayant été le théâtre d'une 
des dernières luttes entre les races du nord et de Fduest de l'Eu- 
rope; la croix carlovingienne à inscription qui domine ce plateau, 
montrent assez combien tous ces lieux consacrés par le souvenir 
méritent d'être explorés. 

D'ailleurs, outre l'influence normande, il y aurait à recher- 
cher les traces de rinfluence carlovingienne et anglaise dans cette 
période d'incubation du moyen âge proprement dit. 

Ce qui nous reste de ruinas militaires de ce temps ne se com- 

> n n'est pas possible d'étudier Lanleff sans être frappé de certaines analo- 
gies avec Tarchitecture gallo-romaine : la brique s'y rencontre souvent, ainsi que les 
Xyûes triangulaires, qu'on ne retrouve plus , à ma connaissance , à dater du xi* siècle. 
On a &it successivement de ce monument un temple du soleil et une église de 
Templiers; en dehors de ces deux exagérations en sens contraire, M. Mérimée 
me paraît plus près de la vérité, quand il attribue approximativement celte 
étrange construction au commencement du x* siècle. J*ai montré ailleurs que 
cette église avait été donnée en 1 148 à Saint-Magloire de Léhon, et qu elle n*a 
jamais été aux Templiers. 

On n a pas assez remarqué que, si une partie de Téglise de Perros appartient 
indubitablement à la fin du xi* ou au commencement du xii' siècle, la partie 
nord de la nef est beaucoup plus ancienne. 

Quant à la tour d*Hastings, construite à diverses reprises, ce qui s'en aperçoit 
aujourd'hui reflète, plus que les deux précédents monuments, l'influence byzan 
tine. 



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• _ 104 — 

pose plus, comme le château de la Cuve ou le château Noir, que 
d'enceintes circulaires, précédées de fossés profonds. 

Septième époque , renaissance du xi* siècle. 

Les Cô(es-du-Nord possèdent un monument d'un haut intérêt , 
à cause de son caractère tranché, de sa date certaine : c'est Saint- 
Maitin de Lamballe, prieuré fondé' en io83. Ses piliers bas et 
massifs, disposés en forme de croix grecque, sont couronnés d'an 
simple tailloir supportant les archivoltes d'un arc en fer à cheval. 
Au-dessus de chaque pilier une fenêtre, très>étroite au dehors, 
s'évase fortement au dedans : on dirait une meurtrière. Ailleurs, 
comme à LanlefT, la baie est géminée et surmontée d'un œil-de- 
bœuf; ailleurs, comme à Plouvara , l'œiMe-bœuf , trè&^éveloppé, est 
la seule ouverture destinée à fournir directement la lumière à la 
nef. Ce système de baies n'est-il pas, avec l'arc à plein cintre, le 
caractère qui relie le roman primitif à une architecture plus an- 
cienne ? 

Ce type se retrouvait fréquenmient ici, jusqu'à ces dernières 
années ; mais la mode est venue de remplacer toutes les églises à 
caractère par d'horribles granges toutes neuves. 

Les ruines du château d'Avaugour me paraissent, plus encore 
par l'histoire que par ce qui en reste, pouvoir être classées à cette 
époque. Le donjon deCoëtmen, au centre de son camp retranché, 
est aussi d'une date très-voisine. 

Huitième époque, xii* siècle. 

Cette architecture basse, trapue, froide et triste, d'un cai^ac- 
tère si essentiellement breton , que nous venons de décrire, s'élève , 
s'éclaire, dans le xii* siècle, sans doute sous l'influence du mouve- 
ment qui se produisit alors dans les évêchés de Saint -Brieuc, 
de Tréguier et de Saint-Malo. C'est le moment où furent fondées 
presque toutes les abbayes de cette région. 

Les moines étrangers nous apportèrent les formes hardies, sa- 
vantes, qui régnaient ailleurs; mais nous gardâmes dans le détail 
un symbolisme austère et un faire grossier, non moins sans doute 
à cause du caractère national que de la dureté de nos matériaux 



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— 105 — 
rebelles. B^ard, la première- née de ces abbayes, et même Saint- 
Sauveur de Dinan sont des preuves frappantes de ce que j*avance. 
La façade occidentale de Saint-Sauveur, récemment restaurée par 
les ordres de M. le ministre des beaux-arts, est un type , unique 
parmi nous, de ce mode de décoration symbolique, très-usité au 
delà de la Loire pour la principale porte des églises séculières « 
au commencement de ce siècle. 

A Dinan tout est plein cintre; à Bégard, au contraire, on voit 
poindre la première ogive. L'arc en tiers-point eut assez de peine 
à se faire accepter des Bretons ; ses premiers pas en effet furent 
timides, embarrassés et même assez gauches, conmie on peut le 
voir à Notre-Dame de Brélévenez , près Lannion. 

C'est à cette époque que je serais tenté de rapporter le château 
de Léhon et une partie de la tour de Gesson. J'en dirai autant de 
ces hautes croix monolithes, plates, bien différentes des primi- 
tives, et qui ne sont pas dépourvues de goût. Nous en avons un 
précieux exemple à Saint-Maudez. 

Neuvième épocjuc, xni* siècle. 

Ici conunence véritablement la glorieuse époque de Thistoire 
monumentale de ce pays. La première et la plus splendide ex- 
pression en est due aux chanoines réguliers de Beauport ; là tout 
est noble, tout est grand, tout est pur; mais le plein cintre s*y 
reproduit souvent à côté de Togive. 

Les Bénédictins de Saint-Magloire de Léhon produisirent avec 
moins d'étendue un autre chef-d'œuvre, qui peut être comparé à 
celui des chanoines de Beauport. On peut rencontrer des ruines 
plus vastes ; mais nulle part celles-ci ne sont dépassées dans leur 
cachet de suprême élégance. La porte du Jersual, dans les murs 
de Dinan , me semble se rattacher à cette époque , belle entre toutes. 
U nous reste quelques calvaires de ce temps ; le plus remarquable 
est celui de Saint-Maudez, où Ton croit retrouver les trois classes 
d'un des ordres militaires, défilant processionnellement autour 
de la croix. 



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— 106 — 

Dixième époque, xn* siècle. 

Ce siècle fut trop agité en Bretagne pour laisser de grandes 
choses après lui, sinon dans Tarchitecture militaire. Alors tout 
reflète la guerre, même les églises, comme Notre-Dame de Lam.- 
balle, avec ses créneaux et ses mâcliecoulis^. Les châteaux forts 
du Guildo et de Tonquédec (la plus ancienne partie) sont les 
débris les plus accentués qui nous restent de ce temps. 

Je ne puis pas omettre de signaler la cathédrale de Tréguier» 
pour son grand air et un mieuble qui s'y rattache , au moins par 
le souvenir, la chasuble de saint Yves, très -curieux vêtement sa- 
cerdotal du conMnencement du xiv" siècle, qui vient d'être restauré 
par les soins de M^^*" Tévêque de Saint-Brieuc. 

Onzième époque, xv* siècle. 

Voici le moment où l'art indigène atteignit son plus grand dé- 
veloppement. La cause en fut due sans doute à ce que, alors 
comme au xii' siècle, de grandes familles, qui avaient des pré- 
tentions à la couronne ducale, ne voulaient pas se laisser dépasser 
en magnificence par la maison régnante. 

Je citerai à la hâte la chapelle Saint-Guillaume de la cathé- 
drale de Saint-Brieuc, la fontaine Notre-Dame de la même ville, 
le cloître de Tréguier, le château de la Hunaucjiaye, le donjon 
de Dinan, tout un quartier de cette ville et certaines maisons de 
Lannion, les i4o tableaux peints aux voûtes de Notre-Dame-du- 
Tertre de Chàtelaudren , le retable d'albâtre de la même église, 
la Danse des morts de Kennaria , le jubé de Kerfons , les ver- 
rières de Sain t-Léon-de-Merléac, de Notre-Dame-de-la-Cour, sigâés 
par des artistes bretons ; le calvaire de Runan , etc. Je ne finirais 
pas, si je voulais seulement indiquer tous les chefs-d'œuvre de 
sculpture sur bois et sur pierre, de peintures sur les murailles, 
les vitres et les lambris, de cette brillante époque, qui ici fut 
moins une décadence que l'épanouissement d'un art grave sans 

^ GeUe église est de plus remarquable par Tinfluence anglaise qu elle reflète 
dans certaines de ses parties. 



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— 107 — 
austérité, religieux sans ascétisme , souvent satirique, mais seu- 
lement contre le mal. Tout respire Faisance, le luxe, la bonne 
humeur d'un peuple satisfait. Les forteresses mêmes deviennent 
des motifs d'élégantes décorations* 

Douzième époque , xvi* siècie. 

A cette époque, au contraire ^ la décadence commence avec les 
dissensions religieuses. Les formes pures de Fart ogival s'allèrent 
de jour en jour, et le retour à Tantique , la renaissance proprement 
dite, n'apparaît ici que dans le détail. Mais là ii s'épaiiouit avec 
un éclat sans pareil, notamment dans les incomparables vitraux 
de la Perrière et de Moncontour (i559)^, dans les peintures et 
les sculptures si pleines de mouvement et de vie du diptyque de 
Beauport^, dans Tomementation si délicate du buffet d'orgues de 
la cathédrale de Saint-Brieuc (iS^q)» dans le monumental retable 
de Chàtelaudren (1589), dans les calvaires aux innombrables per- 
sonnages, tels que celui de Kergrist-Moëllou, dans les meubles 
sculptés et décorés d'émaux qui existent encore assez nombreux 
dans le pays'. 

Quant à l'architecture militaire et même civile , elle perd toute 
élégance pour se fortifier à la hâte : on sent partout cette eflroyable 
guerre civile, qui dura ici près de dix ans, avec un acharne- 
ment et un luxe de cruautés qu'on ne retrouve pas ailleurs. Les 
dernières parties des fortifications de Dinan, celles du château de 
Tonquédec, les maisons fortes de la Roche-Jagu et de la Beiiière, 
offrent les traits les plus saillants de cette époque bouleversée, où, 
comme aujourd'hui, une révolution profonde s'opérait dans l'art 
militaire. 

Après cela, les lourdes et disgracieuses constructions de cette 

* Nous achevons en ce moment, p^ la belle verrière de Maël-Pestivien , le 
nettoyage et la consolidation de nos peintures sur verre, comme nous l'avons fait 
précédemment pour les peintures sur bois de Chàtelaudren et de Saint- Jacques 
de Saint-Léon. 

' Aujourd'hui déposé dans l'église de Paimpol. 

' Deux des plus curieux sont certainement celui de M. Hemery deGoascaradec , 
à Saint-Brieuc , et celui de Saint-Gonery. 



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— 108 — 
partie de la Bretagne ne valent plus la peine d'être mentionnées. 
Dans cette édipse totale de fart il faut pourtant faire une exception 
pour la sculpture sur bois, qui se conserva dans la famille Corlay 
à Tréguier, à Lannion et à Chàtelaudren , jusqu'au milieu du 
xviu* siècle. Alors le dernier représentant de cette race, qui avait 
gardé si longtemps le feu sacré , exécuta le beau retable des Dames 
de la Croix , qui forme aujourd'hui Tautel de FAnnonciation à la 
cathédrale de Saint-Brieuc. 

Dans cette revue, trop rapide pour être complète, je n'ai pu 
qu'indiquer l'enchainement des faits; mais je suis prêt à apporter 
les preuves nécessaires à l'appui de mes assertions. 



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NOTE 

SDR 

LES FORTS VITRIFIÉS 

DU DÉPARTEMENT DE LA CREUSE, 
PAR M. DE CESSAC, 

PRESIDENT DE LA SOCIÉTÉ DES SCIENCES NATDRBLLFS ET ARCHÉOLOGIQUES 
DE CE DÉPARTEMENT. 



Le numéro du mois de septembre dernier de la Revue des So-. 
ciétés savantes, en appelant de nouveau l'attention des antiquaires 
sur les forts vitrifiés, a mis à Tordre du jour l'étude de ces énig- 
matiques monuments. 

Les forts signalés en France, dans les trois mémoires contenus 
dans cette livraison de la Revue , sont les suivants : la Courbe , dans le 
département de l'Orne; Sainte-Suzanne et Saint- Jean-de-Mayenne, 
dans le département de la Mayenne, et enfin Péran, dans celui 
des Côtes4u-Nord. J'ai la bonne fortune d'appeler votre attention 
sur deux autres de ces monuments, situés tous les deux dans le 
département de la Creuse : le/ort vitrifié de Châteattvieax , près Jar- 
nages, et le fort de Thauron, au chef- lieu de la commune de ce 
nom. 

Le premier de ces forts est situé au milieu de la forêt de Châ- 
teauvieux, sur la limite desconmiunes de Jarnageset de Pionnatr 
on le connaît sous le nom de : le château» La tradition, conservée, 
dit-on, dans un vieux manuscrit, raconte • qu'un comte de la Mar- 
che, étant à la chasse le dimanche de la Passion, les blés étant 
en tuyaux, eut querelle avec le chorévêque, qui était en cours de 
visite. Le comte arracha l'œil à ce dernier. Pour obtenir le pardon 
de ce crime, il fut obligé d'aller à Rome. A son retour, il tomba 



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— 110 — 

malade à Tabbaye de rÉcliise en Savoie, et, par son testament, 
il fonda, dans la forêt de Jarnages et Château vieux, un prieuré 
de Bénédictins dépendant de cette abbaye. Quelques années après, 
le château de Château vieux, ceux de Toulx et de Sainte-Sevère 
furent détruits par les troupes de saint Louis, à cause de la jalousie 
du comte de la Marche contre Alphonse, comte de Poitiers. Alors 
les habitants de Châteauvieux vinrent s*établir près du prieuré. > 
A Péran, une tradition analogue, rapportée par M. Geslin de Bour- 
gogne, voit, dans ce camp des environs de Saint-Brieuc, un châ- 
teau du moyen âge ayant appartenu aux moines rouges ou Tem- 
phers.'Bien que par eux-mêmes ces récits n'aient aucune valeur, 
j'ai cru devoir les rapprocher ici ; réunis à d'autres recueillis autre 
part, peut-être quelque jour pourront-ils servir à l'interprétation 
de ces singuliers monuments. 

La hauteur de la muraille du fort de Châteauvieux sur ses deux 
faces est d'environ 2 mètres; son épaisseur, de 4 mètres. Elle est 
formée de pierres granitiques de petite dimension, soudées en- 
semble par la fusion; je n'ai vu nulle part trace du mortier, si 
abondant dans les enceintes semblables signalées en Ecosse. En 
détachant quelques parties de la paroi extérieure, à l'aide de leviers 
de fer, j'ai reconnu que l'intérieur était complètement vitrifié; qu'il 
s'y était produit par la fusion des géodes, tapissées pour la plupart 
de gouttes de roche fondue. Les pierres de la paroi extérieure, ia 
seule que j'aie pu bien examiner à l'aide des brèches faites, avaient 
été régulièrement posées, et l'intérieur de la muraille avait été 
rempli par un blocage. 

Près d^une coupure , faite dans cette enceinte pour le passage 
d'un chemin d'exploitation , j'ai remarqué un énorme rocher de 
granit bleu , qui avait été utilisé pour cette construction. La partie 
Ventrale n'avait subi aucune altération par le feu ; mais les extré- 
mités étaient soudées par la fusion aux parties adjacentes de l'en- 
ceinte. 

J'aurais voulu lever le plan de ce fort, faire sur son mode de 
construction des observations plus complètes; mais le taillis dans 
lequel il est situé est jeune, et l'enceinte est couverte de ronces , de 
houx , d'épines de toute sorte , qui m'ont empêché de voir l'ensemble 



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— 111 — 

et caché bien des détails. J'ai néanmoins suivi cette enceinte, de 
forme ovale, entourant un sol plat, sur environ 3o à 4o mètres 
de longueur; elle a, dit-on, une portée de fusil de diamètre, mais 
elle est plus ou moins démantelée au nord. 

L'autre fort vitrifié est situé dans le sud cTu département. Je ne 
Tai pas visité ; je transcrirai seulement ici ce qu'en dit le docteur 
Cancalon , dans son ouvrage sur Les monuments druidiqaes de la 
Creuse^. 

Thauron, chef-lieu d'une commune de l'arrondissement de 
Bourganeuf , est une bourgade composée de quinze pauvres chau- 
mières couronnant le sommet d'une montagne conique, qui domine 
le cours du Thaurion. Le sol est jonché de débris gallo-romains. 
Maldanat, au ivii* siècle, décrivit son enceinte fortifiée, qu'on fait 
remonter à l'époque gauloise; aujourd'hui encore on la suit sur 
2ÔO mètres de longueur, et l'on en voit des traces sur le reste du 
pourtour du sommet de la monti^ne. 

• On découvrit il n'y a pas fort longtemps, dit Cancalon, dans 
les traces de cette enceinte plusieurs débris de voûtes d'environ 
2 mètres de diamètre^ formées de fragments de granit calciné, 
réunis par de la terre glaise et tellement collés les uns aux autres 
par l'action du feu, qu'on ne put les extraire qu en les brisant. Des 
fouilles pratiquées au-dessus de ces voûtes dans une terre nom- 
mée les Barrières eurent pour résultat la découverte d'un mur 
d'enceinte qui a environ a mètres d'épaisseur, dont l'intérieur 
est formé de pierres qui ont subi l'action du feu et toujours ré- 
duites en lave aux environs des voûtes, qui paraissent avoir la 
forme et la grandeur d'un four ordinaire et renfermer, avec beau- 
coup de cendres, de charbons, de nombreux débris d'ossements 
calcinés , de poteries , et enfin de tuiles romaines et de matières fer- 
rugineuses fondues. On y rencontre aussi des traces d'une ancienne 
galerie qui parait conmiuniquer d'une voûte à l'autre. On se de- 
mande dans quel but et par quel moyen on a porté le calorique 
à des degrés assez élevés pour réduire en lave des granits qui 
résistent à nos plus hauts fourneaux. Qu'étaient donc ces voûtes 

* Page 107. 



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— 1 12 — 
avec leurs ossements, qui font un vaste cimetière de Fenceinte de 
Thauron î » 

Ces cendres, ces charbons, ces nombreux débris d'ossements, de 
poteries, de tuiles et d'instruments de fer calcinés, contenus sous 
l'enceinte vitrifiée dfThauron, rappellent les tumulus de la Tour- 
Saint- Austrille, quej'ai fouillés en i865, et dont la description se 
trouve dans le volume des Lectures faites à la Sorbonne en 1866. 
Les objets recueillis dans ces tumulus ne permettent pas défaire re- 
monter leur construction au delà du vi* au vin* siècle; Fart de vitri- 
fier le granit était donc encore en usage à cette époque, puisqu*au 
milieu de la fosse placée à leur centre le granit, simplement calciné 
vers les parois, était vitrifié dans toute la région médiane, et re- 
couvrait, comme à Thauron, une couche de cendres variant de 60 
à 90 centimètres d'épaisseur, renfermant, outre des charbons de 
bois de châtaignier, des ossements et des tessons de poterie en im- 
mense quantité, ainsi que des briques et des instruments de fer 
calcinés. 

M. Jules Marion pense qu'il n'y a pas lieu de faire remonter 
les forts vitrifiés d'Ecosse plus haut que le \f ou le vn* siècle; il 
ajoute qu'il inclinerait à voir dans ces monuments des espèces 
de phares ou de tours d'obser\^ation, où l'on plaçait, en temps 
de danger, des vigies chaînées d'allumer et d'entretenir ces feux de 
signal dont les peuplades celtiques et Scandinaves avaient l'usage^. 

Les deux forts vitrifiés de la Creuse sont placés sur des points 
culminants, dominant au loin la contrée dans diverses direc- 
tions. Leur situation n'aurait donc rien de contraire à cette idée 
de M. Marion ; mais la présence sous l'enceinte de Thauron de 
débris semblables à ceux des tumulus de la Tour-Saint-Auslrille 
ne pourrait- elle pas faire naître la pensée que ces enceintes, 
tout en fortifiant un lieu de refuge, étaient néanmoins de vastes 
tombeaux } Lapham dans ses Antiquités da Wisconsin ^ décrit une 
enceinte en argile brûlée, que Lubbock ^ assimile aux «célèbres 
forts vitrifiés de l'Ecosse. » Or les tertres qui flanquent, de 80 en 

* Revue des Sociétés savantes, à* série, t. IV, p. 3 16. 

^ Page h 1 . 

•^ L'homme avant Vhistoire, p. 21 5 de l'ëdilion française. 



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— 113 — 
8o pieds en moyenne, celte enceinte ont servi de tombeaux, et Ton 
a découvert dans leur intérieur des squelettes dans la position assise, 
accompagnés de fragments de poterie. Je n'ai pas , cependant, assez 
d'observations pour nier ou affirmer cette conjecture : je la livre 
pour ce qu'elle vaut. 

Depuis la lecture de cette note à la Sorbonne, j'ai pu visiter de 
nouveau, dans tous ses détails, un troisième monument du même 
genre, dans le département de la Creuse. Il est situé, comme les 
précédents, sur une montagne élevée, le Puy de Gauây, qui domine 
au sud-est la ville de Guéret. 

A n'en pas douter, le Puy de Gaudy était un oppidum gaulois. 
Le mur qui' enceignait le sommet de cette montagne au nord et à 
l'ouest est entièrement écroulé ; sa masse est énorme ; il était formé 
de pierres granitiques de grosseur moyenne dont pas une n'est 
taillée. 

Du côté de Guéret, au milieu de ces pierres qui n'ont point subi 
l'action du feu, il s'en trouve quelques-unes imparfaitement vitri- 
fiées, tantôt au sommet, tantôt sur le flanc ou au bas de l'éboulé- 
ment. D'où proviennent-elles? Des fouilles seules pourraient le dire. 
Il est permis toutefois de conjecturer qu'elles viennent du centre 
de la construction. Un fragment assez volumineux, placé ces jours 
derniers au musée de Guéret, contient, dans son intérieur, un frag- 
ment de tuile soudé à la pierre environnante. 

A l'est de ce mur, un second rempart domine de 3oo mètres 
la vallée de la Creuse, qui coule à 5 kilomètres de là. Ce rempart 
couvert de gazon parait principalement constitué par de la terre; 
sur son sommet et derrière lui, on rencontre.de nombreux frag- 
ments de tuiles à rebords de la décadence et de tessons de poteries 
celtiques et romaines. 

C'est dans l'intervalle laissé entre ces deux remparts , qui ne se 
rejoignent pas, et comme pour en défendre l'approche du côté de 
Guéret, où la montagne présente l'accès le moins difficile, qu'on 
a construit, sur un petit mamelon, un fort rond de 20 mètres 
de diamètre , récemment découvert par M. Thuot , professeur au 
collège de cette ville. Sa muraille est formée de pierres brutes, sans 
mortier, semblables à celles du rempart du nord et de Touest, 

ARCHÉOLOGIF. 8 



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— 114 — 
mais encore en place pour la plupart. Elle a ô à 6 mètres de hau- 
teur à Textérieur et i", 5o«à Tintérieur. Une partie a subi Faction 
du feu, mais la vitrification parait moins complète que celle de 
Châteauvieux et de Thauron , bien qu'on trouve en quelques en- 
droits des gouttelettes de la roche qui ont coulé dans Fintervalle 
des pierres. An milieu de Tenceinte, assee unie, qui circonscrit 
cette construction, un gros rocher, sur lequel on monte difficile- 
ment, permet de dominer toute la plaine qui s'étend au pied de 
la montagne. La partie comprise entre ce fort et le rempart de terre 
est couverte de cailloux roulés, de grosseur sensiblement égalç, qui 
ont dû servir de pier^s de fronde. 

Gomme à Châteauvieux, ce n est quen rampant sous le taillis, 
les houx et des épines de toutes espèces que Ton peut atteindre 
ce fort. Dans Tétat actuel, l'observation en est donc impassible, 
surtout en été, et des fouilles seules pourront faire connaître le 
degré de vitrification qu a éprouvé le granit dans ces dernières 
constructions. 



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EXPLORATION METHODIQUE 
DES GROTTES DU CHAFFAUD 

(DÉPARTEMENT DE LA VIENNE), 

PAR M. A. DE LONGUEMAR, 

MEMBRE DE LA SOCtÉT^ DES AMTIQOAIBBS DE L^OQEfT, 
CORBB8POIIDANT DU HIRI8TiRE POUR LES TRAVAUX HISTORIQUES. 



L exploration des grottes du Chaffaud, grottes à ossements et 
à débris d'industrie humaine , ouvertes sur les berges de la vallée 
de la Charente, entre Civray et Charroux, date de i84o environ, 
époque à laquelle M. Brouillet père, notaire dans cette dernière 
localité et membre de la Société géologique de France, fouilla le 
premier ces curieux repaires. Depuis lors , et concurremment avec 
lui, les grottes du Chaflaud ont été explorées, à l>ien des reprises, 
par son fils, par moi-même et par d'autres encore; mais, il faut le 
dire, presque toujours dans le seul but de s'emparer rapidement 
des objets curieux, ossements, silex taillés et autres débris de ce 
riche écrin, si abondamment pourvu des preuves authentiques du 
long séjour des bêtes de proie et des premiers troglodytes de nos 
contrées, pour en former des collections locales et pour satisfaire 
aux nombreuses demandes qui étaient adressées de toutes parts 
aux explorateurs. 

En dernier lieu, un des membres de la Société des antiquaires 
de rOuest, M. Gaillard de la Dionnerie, s'assura, pendant son sé- 
jour à Civray, où il exerçait les fonctions de procureur impérial, 
le droit exclusif de fouiller ces grottes pendant trois années consé- 
cutives. Son but était à la fois de les explorer à fond, et d empê- 
cher la dispersion incessante des objets qu'elles pouvaient encore 
contenir. Un changement de résidence brusquement survenu ne 
lai a pas permis de remplir en entier le programme qu'il s'était 

8. 



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— 116 — 
tracé, et il a eu la bonne pensée de léguer à notre Société son droit 
d'exploration pendant les dernières semaines qui restaient encore 
à courir jusqu'à la fin de son bail. 

La Société des antiquaires de TOuest, que j'ai eu Thonneur de 
présider à plusieurs reprises, s'enipressa d'accepter les offres de 
M. Gaillard, et voulut bien me confier la mission de diriger et de 
surveiller une dernière exploration dans ces grottes, devenues cé- 
lèbres, non plus seulement pour recueillir les épaves d'un passé 
mystérieux oubliées par les chercheurs précédents, mais surtout 
pour étudier, aussi exactement que possible, l'état primitif des 
lieux et les modifications qu'ils ont subies à diverses époques, 
soit par le fait des hommes , soit en dehors de toute intervention 
humaine. Ce fut du moins ainsi que j'interprétai et que je compris 
cette mission, à l'issue de laquelle je présentai, avec les pièces à 
l'appui recueillies sur les. lieux, un rappoH détaillé à mes hono- 
rables confrères, rapport dont je vais avoir l'honneur de vous faire 
connaître le résumé. 

Avant d'aborder les détails qui se rattachent directement aux 
grottes du Ghaffaud , je vous demande la permission de rappeler en 
quelques mots les causes variées auxquelles remonte l'origine de 
ces singulières cavités naturelles. 

En dressant, conformément au vœu du conseil général de la 
Vienne, la carte géologique de ce département, j'avais eu, depuis 
bien des années déjà, l'occasion de remarquer, à la surface de nos 
plateaux jurassiques, des séries d'excavations béantes, orifices d'au- 
tant de siphons qui traversent le sol d'outre en outre et amènent 
rapidement aux^sources des vallées le contingent des eaux pluviales 
qu'ils ont absorbées. 

rll est à remarquer que les orifices de ces siphons, de ces puits 
naturels, se rencontrent fréquemment dans les plis de terrain 
correspondant aux ramifications supérieures des vallons, et qu'on 
retrouve en outre leurs équivalents étages le long des berges à 
: pic de nos vallées, preuves non équivoques, à notre sens, que les 
remous des grands courants qui ont jadis pratiqué ces excava- 
tions dans nos assises calcaires avaient préparé de la sorte le 
V creusement de beaucoup de vallées; de plus, la grande majorité 



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— 117 — 
des grottes naturelles de nos contrées, ouvertes dans leurs berges, 
étant en communication directe avec la surface des plateaux voi- 
sins par des siphons absolument semblables, on se trouve amené 
tout naturellement à les comprendre au nombre des causes 
premières auxquelles on peut rapporter Torigine de ces curieuses 
cavités. 

Ces grottes ont^ en outre, des accès plus directs, et surtout plus 
commodes pour nous, dans les ouvertures latérales que les cou- 
rants de vallée leur ont ouverts au moment où ils accomplissaient 
le creusement progressif de leur lit. Mais ces deux causes ne sont 
évidemment pas les seules qui aient concouru à la formation ei 
aux diverses modifications des grottes. 

Un savant professeur à la faculté des sciences de Poitiers, 
M. Contejean, a fort bien établi^ qu'on pouvait leur en assigner 
plusieurs autres très -distinctes, telles que le retrait de la pâte 
calcaire des roches au moment de leur consolidation , les accidents 
survenus dans leur masse par suite des tassements et des disloca- 
tions qui en étaient la suite, et enfin les délitements progressifs des 
parois et des voûtes, par suite des infiltrations et des suintements 
mêmes qui donnèrent naissance à ces pittoresques décorations na- 
turelles connues sous le nom de stalactites et de stalagmites é 

Les grottes du Ghaffaud, nous Tavons dit, sont situées dan« 
la vallée de la Charente. Cette rivière, descendue des dernières 
pentes granitiques du plateau central de France, s'encaisse brus- 
quement, à son entrée dans le département de la Vienne, entre les 
falaises calcaires du terrain jurassique inférieur, et sa vallée tour^ 
mentée, après avoir décrit un demi-cercle dans Tarrondissement 
de Civray, en sort brusquement au sud pour continuer à s'élôi^ 
gner de notre territoire. Si courte que soit l'apparition de cette 
rivière dans notre département, les efforts que ses eaux ont du 
faire, dans l'origine, pour creuser leur vallée au sein de roches 
alternativement résistantes ou friables lui ont imprimé une phy- 
sionomie remarquable. Ce n'est pas, en effet,. un spectacle d'un 
médiocre intérêt que celui de tous les. accidents piltores(|ues qui 

* Études géologiques sur l'arrondissement de Monthéliard, 



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— 118 — 
découpent ses capricieuses falaises. L'obscurité profonde des ou- 
vertures des grottes placées à divers niveaux contraste , à chaque 
instant, avec les faces largement éclairées des rochers grisâtres, 
tandis que, tout à côté, sur les pentes verdoyantes des talus qui 
entrecoupent de distance en distance leurs puissantes murailles, 
se détachent de blancs pitons façonnés par les courants, de telle 
manière qu'on les prendrait de loin pour des tronçons de pilas- 
tres et de colonnes, débris de quelque antique monument remon- 
tant à des âges inconnus. Seulement, Tarchitccte de ce monument 
n'était pas Thomme assurément, et ce n est pas lui non plus qui 
Ta fait disparaître; mais ce spectacle n'en est pas moins instructif 
pour nous, car il nous confirme une fois de plus la puissance 
inexorable de la loi qui modifie sans cesse les œuvres de la créa- 
tion, aussi bien dans l'ordre physique que dans le sein des so- 
cié tés humaines. 

C'est le long d'une falaise à pic de la rive droite de la Charente, 
faisant sur ce point un brusque retour sur elle-même, et placée 
en travers de l'axe de la vallée, que sont ouvertes, au nombre 
de cinq, sur un développement de i kilomètre environ, les grottes 
du Chaflaud, précisément au-dessous du hameau dont elles por- 
tent le nom, au contact de la route de Civray à Cbarroux et à 
mi-chemin entre ces deux villes^. C'est de l'avant-dernière de ces 
grottes du côté d'aval , de celle enfin qui est désignée dans le pays 
sous le nom de la roche da Pails ou da Pay, que nous allons seule- 
ment nous occuper, les autres n'offrant qu'un médiocre intérêt 
au point de vue particulier de cette étude. 

A l'endroit où se présente la grotte ou roche^ du Puits, la falaise 
calcaire a i8 ou 20 mètres d'élévation au-dessus de la prairie, et 
c'est à peu près au milieu de cette hauteur qu'est placé le plain- 
pied de cette grotte. On y parvient par deux sentiers étroits et 
sinueux, accolés aux pentes voisines, l'un descendant des terrasses 

* Voyei ia planche VI. 

* Les mots grotte ou roche sont tout à fait synonymes Tun .de l'autre dans le 
Poitou , à ce point que , partout où l'on rencontre sur nos cartes topographiques des 
lieux dits de cette nature, on peut être assuré a Tavance que ces localités recMeni 
une cavité naturelle , un refuge. 



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— 119 — 
qui les dominent, Tautre s'élevant rapidement de la prairie jus- 
qu'au seuil de cette mystérieuse retraite. 

On pénètre dans son intérieur^ par un vestibule imposant, ou- 
vert directement au midi , qui n*a pas moins de 8 mètres d'ouver- 
ture et dont la voûte, plate et disposée par ressauts, plane à plus 
de 5 mètres d'élévation au-dessus de la tète des visiteurs. L'axe de la 
grotte principale, qui fait suite à ce vestibule, s'incline vers le nord- 
nord-ouest aussitôt qu'on a franchi l'entrée, et l'œil plonge dans une 
vaste cavité, qui s'enfonce de 24 mètres dans le massif du rocher 
par une pente sensible. La voûte et le plain-pied obéissant à la 
même loi , l'obscurité de cette retraite augmente encore sa profon- 
deur réelle et surexcite d'autant le désir invincible du visiteur d'en 
pénétrer les secrets. 

A cette grotte principale, ou, si l'on veut, à cette nef rustique, 
dont la largeur moyenne est de 6 mètres, se soudent cinq couldtrs 
ou grottes latérales plus étroites et moins longues, divergeant 
alentour. Trois de ces couloirs ont des entrées basses et cintrées 
dans la paroi de l'est; le quatrième s'ouvre à l'extrémité même de 
la nef principale, et le dernier, au milieu de la paroi de l'ouest, en 
prenant issue au dehors du même côté. 

Au premier couloir de l'est correspondent à la fois , vers l'en- 
trée même de la caverne , une haute et profonde fissure du ro- 
cher et un puits ^ ou siphon naturel, ouvert dans la plate-forme 
supérieure, et, vers l'autre extrémité, un second puits, qui s'en- 
fonce dans la base du massif calcaire, correspond à son tour à 
une seconde fissure très^onsidérable, et a une issue au dehors, du 
côté de l'est. Pour terminer Ténumération des cavités accessoires , 
ajoutons qu'un troisième puits s'ouvre encore vers le fond de la 
grande nef, et que plusieurs fissures profondes , dirigées horizonta- 
lement et verticalement, s'enfoncent çà et là dans ses parois déjà 
^sillonnées d'érosions ou entamées par les délitements du rocher. 
Il semble donc que toutes les indications données plus haut sur 
les causes multiples de l'origine de ces singulières cavités trouvent, 

* Voyez la planche V. 

' C'est sans doute de là que cette grotte tire $oii nom , à moins qu'en raison de 
la position élevée du rocher qui la contient on ne préfëre Tétymologie podium. 



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— 120 — 
pour ainsi dire , réuaies dans les grotles du Chaflaud toutes le» 
preuves sur lesquelles elles pouvaient s'appuyer. Immédiateaieni 
au-dessous des grandes fissures du plafond et des parois, s'élèvent, 
sur le sol des grottes, des monticules, des mamelons de stalag- 
mites à texture cristalline, contre lesquels sont venus s'abattre des 
tables et des blocs de rocher d'un volume souvent considérable, 
que rhumidité a détachés de la voûte ou des parois latérales» 
tandis qu'au pied même de ces parois s'amoncelaient d'autres 
débris calcaires de moindres dimensions, qui plus tard servirent 
en- partie de base aux brèches à ossements et à silex taillés dont 
nous allons avoir à parler. 

Constatons dès à présent, pour nous en être assuré la pioche à- 
la main, que ces stalagmites, que nous appellerons primiïive^^ et, 
à leur suite, les blocs et les délits anciennement détachés du 
rother sont les premiers dépôts qui, dans ces grottes, aient recou- 
vert, soit le roc du fond, soit les argiles rouge -brun et jaune, à 
rognons siliceux, qui en ont nivelé d'abord les inégalités et qui 
n'ont jamais offert aux explorateurs la moindre trace d'ossements 
ni de débris de l'industrie humaine. 

Ces ossements et ces débris n'existaient que dans le sol qui leur 
fut superposé ou dans les brèches formées, au voisinage des parois, 
et principalement à l'orifice des couloirs latéraux, par la péné- 
tration des sucs pierreux, tombés goutte à goutte du rocher et qui 
ont créé les stalagmites postérieures. 

Il est à peu près impossible, au surplus, de confondre ces deux 
natures de stalagmites l'une avec l'autre. Les stalagmites infé- 
rieures à tout dépôt d'ossements ont une structure cristalline en 
grandes lames miroitantes, jaunâtres, bases d'autant de prismes 
rhomboédriques, et la surface de leurs mamelons est comme ridée 
par des ondulations régulières. Les stalagmites postérieures ont, au 
contraire, une structure saccharoide, parfois légèrement fibreuse - 
et d'un blanc mat, et leur superficie est grossière et terreuse, sur- 
tout parmi celles qui sont encore aujourd'hui en voie de for- 
mation. 

Un dépôt argilo-sableux de couleur gris-jaunâtre et rougeàtre, 
épais de i mètre à i",5o, principalement vers le fond de la grotte. 



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■É 



— 121 — 
et recouvert d'une couche de terre grisâtre , plus meuble , fréquem- 
ment remaniée, de 3o à 5o centimètres d'épaisseur, formait, aux 
premières époques auxquelles remontent nos visites dans ces 
grottes, le principal sol ossîfère et à silex taillés, qui a fourni tant 
de milliers de ces curieux débris d'une période humaine primitive. 
Ce terrain montait jadis beaucoup plus haut dans l'arrière-grotte , 
conune le témoignent les amorces de cordons à ossements et à 
silex encore accolées aux parois, presque au contact du plafond de 
la grande nef et au-dessus des orifices des grottes latérales. 

Ces grottes latérales et l'arrière -nef elle-même étaient donc en 
grande partie comblées par le sol à ossements, puisque les stalag- 
mites sont venues s'appuyer au^lessus et empâter les débris que 
l'on y aperçoit encore et qui appartenaient à ce dépôt. Évidenmient 
ce sol a été dans la suite déblayé à plusieui^ reprises pour rendre 
ces retraites habitables jusqu'aux siècles assez voisins de nous, car 
sa couche superficielle nous a fourni fréquemment des produits 
d'une industrie toute moderne. 

Les brèches formées aux dépens du sol ossifère, par suite de 
Tagglutination de ses éléments par les sucs pierreux des stalag- 
mites, et ce sol lui-même renfermant exactement les mêmes dé- 
bris, nous n'aurons à en dresser qu'un seul et unique inventaire, 
en néghgeant ceux qui, parleur caractère bien accusé, ne se rap- 
portent évidenmient qu'à des époques tout à fait récentes. Ce sont : 

i"" D'abord les fragments calcaires détachés anciennement de 
la voûte et des parois et qui jonchèrent le sol dès lorigine, comme 
l'atteste la position du plus grand nombre, qui ont conservé leurs 
angles intacts ou tout au plus émoussés par leur chute ; 

2** D'autres fragments calcaires, mais ceux-là usés sur leurs 
faces, arrondis à leurs angles par un charriage prolongé, les uns 
appartenant aux calcaires jurassiques inférieurs qui forment la 
masse principale de l'ossature des berges de la Charente, et les 
autres appartenant aux calcaires oxfordiens, dont il existe des lam- 
beaux sur les plateaux voisins et que n6os avons pu reconnaître 
à leurs fossiles; \q faciès particulier de ces fragments témoigne 
suffisamment qu'ils ont été amenés dans ces grottes par les eaux; 
depuis lors, quelques-uns d'entre eux, tombés dans le voisinage 



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— 122 — 
des parois, ont été revêtus d'un enduit stalagmitique, qui semble 
avoir été disposé tout exprès pour attester que c'étaient bien des 
galets venus du dehors, et cela à une époque très-ancienne, tant 
leurs formes arrondies sont bien conservées sous leur enveloppe 
préservatrice ; 

i^ Des galets siliceux, également venus du dehors, mais proba* 
blement aussi du voisinage, car ils appartiennent tciut à la fois aux 
calcaires siliceux de la vallée et aux dépôts tertiaires qui recouvrent 
les plateaux voisins; 

i^ Des galets de quartz, de granit, de gneiss, d'eurite, de dio- 
rite, etc. de toutes dimensions, depuis la grosseur de la tête jus- 
qu'à celle d'une noisette , à surface poKe , analogues aux galets de 
transport de nos grandes vallées , et venant, sans contestation pos- 
sible, des dernières pentes du massif primitifcentral, distantes de 
plusieurs kilomètres des grottes du ChafFaud. 

Deux remarques incidentes au sujet de ces galets prouveront 
qu'ils ont été utilisés par les anciens troglodytes de la contrée. 
D'abord les uns sont brisés par le choc, et portent en outre çà et 
là des traces de percussion répétée; puis les autres ont subi l'ac- 
tion d'un feu violent, qui les a noircis et en grande partie altérés, 
et c'est en cet état que les brèches nous les présentent empâtés par 
les stalagmites. 

5® L'usage du feu à toutes les époques est en outre attesté dans 
nos grottes par la présence de charbons, épars à tous les niveaux, 
de couches de cendres placées entre les deux assises que nous 
avons distinguées dans le sol ossifère , puis encore de fragments de 
poteries grossières, noires, mal cuites, façonnées à la main, et de 
petits foyers circulaires noircis, creusés dans le sol inférieur*, 
vers rentrée de la grotte , tout auprès d'un bloc tombé de la voàte 
et qui lui-même portait les stigmates du feu. 

6** Des ossements et surtout des dents ayant appartenu aux 
espèces : Ours [Vrsus spelœus). Hyène [Hyœna spelma)^ Loup 
[Lupus], Sanglier ou Porc sauvage [Sus scrofa). Blaireau [Mêles 
iaxus), et, parmi les espèces qui ont servi de proie aux bêtes fé- 

' lis ont été signalés par M. Gaillard , à Tépoque de ses fouilles. 



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— 123 — 
roces et de nourriture aux troglodytes, les suivantes : Renne {Cer- 
vus tarandiu)^ Cerf [Cervas elaphus]. Bœuf [Dos uras)^ Cheval 
(Eijuuscahallas) ,Chevreuil(C. capreolas)ou Chamois (^4. rupicapra) , 
qui se rencontrent dans le sol en nombre vraiment œnsidérable ^ 

Parmi ces os, les uns portent des traces non équivoques de la 
dent des carnassiers, tandis que les autres sont brisés par le choc 
d'un corps dur, d'un galet par exemple, ou fendus de long en long 
intentionnellement pour en extraire la moelle et sans doute aussi 
pour les transformer en grossiers outils; mais aucun, qu'on le 
remarque bien , ne présentait ces traces d'usure si reconnaissables 
qui sont la suite d'un charriage par les eaux. Tous les ossements 
fracturés ou entiers du sol de nos grottes ont donc appartenu, soit 
aux bétes féroces qui les habitaient avant i'hooame et dont le sé- 
jour est si bien prouvé par les coprolithes qu'on y a recueillis, soit 
aux animaux qui ont servi de pâture à ces carnassiers et aux hommes 
qui leur ont succédé dans ces retraites. 

Nous en avons recueilli quelques-uns d'un haut intérêt, en ce 
que des cristaux de chaux carbonatée se sont formés dans leurs 
vides intérieurs, comme pour mieux attester leur date reculée. Au 
surplus, les plus anciens sont toujours assez reconnaissables en ce 
qu'ils se brisent facilement et se délitent pour ainsi dire par feuil- 
lets, et surtout parce qu'ils happent plus fortement à la langue 
que les autres. 

7® Des outils et objets, en majeure partie taillés dans du bois 
de cerf et de renne , à l'aide de ces lames de silex dont nous allons 
parler, et qui affectent le plus habituellement la forme de poinçons 
propres à trouer la peau des bêtes, de pointes de flèches ou de ja- 
velines pour la lutte ou la chasse, de pointes barbelées pour har- 
ponner le poisson , de spatules propres à dépouiller le gibier abattu , 
d'aiguilles de toutes dimensions pour assembler des peaux et de 
lissoirs pour en rabattre les grossières coutures^. 

Fréquenmient, le rustique burin des troglodytes a orné ces 
outils de pêche et de chasse de dessins rudimentaires, qui consis- 
tent, la plupart du temps, en zigzags, en traits parallèles ou entre- 

' Voyez la planche VU. 

- Voyez les planches VIII el IX. 



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— 124 — 
croisés, mais qui parfois aussi s'élèvent jusqu'à l'imitation naïve 
de scènes de chasse, dans lesquelles on reconnaît facilement Tes- 
pèce des animaux gravés par ces artistes primitifs. Les grottes du 
GhafTaud en ont fourni deux spécimens fort curieux , Tun sur bois 
de cerf, à M. Brouillet père, et qui est, croyons-nous, aujourd'hui 
au musée de Cluny ^ et l'autre sur une plaquette de pierre , que 
possède encore M. Gaillard. 

Il arrive aussi parfois que les ornements des outils d'os sont 
taillés en relief à leur surface; mais, dans la majorité des cas, ils 
sont simplement indiqués par des traits formés à l'aide de la pointe 
fine d'un éclat de silex. 

Quelques-uns de ces objets ont certainement servi de parure 
ou de marque de distinction; telles sont : ces dents d'homme et de 
ruminants percées à l'une de leurs extrémités et usées du côté 
opposé sur un grès, pour leur donner la forme de grossières pen- 
deloques de collier ou de bracelet; ces petites rondelles de pierre 
percées au centre , et jusqu'à ces coquillages recueillis soit aux 
bords des mers actuelles, soit dans quelqu'une des falunières si 
nombreuses sur les territoires voisins de la Touraine et de l'Anjou , 
et qui ont dû être employés au même usage, 

8** Des silex taillés de dimensions variées depuis 3 centimètres 
jusqu'à i5, et affectant des formes qu'on est convenu de désigner 
sous les noms de couteaux, de scies, de grattoirs, de têtes de flèche, 
de javeline et de lance, etc. , et qu'accompagnent fréquemment 
dans nos grottes ces petits blocs de silex entamés sur toutes leurs 
faces et qui sont les nucleas d'où l'on a détaché par le choc les 
éclats dont nous venons de parler. Leur abondance et celle , plus 
grande encore dans le sol du GhafTaud, des silex taillés, entiers ou 
brisés, ont fait depuis longtemps penser, avec juste raison, que 
ces retraites étaient un véritable atelier de fabrication d'objets à 
l'usage des peuplades primitives de la contrée. 

L'examen le moins attentif des silex dont nous parlons prouve 
bientôt qu'ils appartiennent à des gisements divers. 

En effet, la pâte olivâtre, opaque et mouchetée de points bruns de 
quelques-uns les rapporte aux silex du lias, qui existe sur la limite 

^ Voyez la planche IX. 



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— 125 — 
sud-est de la Vienne, au contact des dernières pentes granitiques 
du Limousin. Au contraire, la pâte demi-transbicide et variant du 
gris de fer au gris jaunâtre et marron des autres témoigne que ces 
éclats proviennent des rognons siliceux des étages jurassiques in- 
férieurs, dans lesquels sont ouvertes les grottes du Chaffaud. Puis 
vient cette pâte jaune-rougeâtre, translucide, à cassure presque 
cireuse, particulière aux silex des assises supérieures de la craie 
luffau, qyi domine dans le nord de notre département; et enfin 
viennent des silex gris clair, presque transparents, parfois rési- 
nites, qui appartiennent aux terrains d'eau douce avec meulières, 
dont les lambeaux sont épars de tous côtés sur nos plateaux. 

Nous écartons, bien entendu , de cette nomenclature les modifica- 
tions de couleur (et même de pâte, sur une certaine profondeur) 
en gris, en noir, en rouge et en blanc mat, selon la nature miné- 
ralogique des couches qui les recelaient , modifications subies par 
les silex taillés et les silex bruts, par suite d'un séjour plus ou 
moins long dans le sol. Un spirituel archéologue, qui est en même 
temps un naturaliste éminent, M. Gh. des Moulins, a fait justice 
de cette donnée empirique qui consistait à faire du vernis , ou , si 
l'on veut, de la patine des silex une sorte de chronomètre pour 
apprécier leur âge archéologique. Il a fait voir, en effet , que deux 
silex taillés contemporains pouvaient différer entièrement d'aspect 
selon les milieux où ils s'étaient trouvés enfouis, et aussi selon 
que leur nature s'était plus ou moins difficilement prêtée à une 
décomposition ou à une coloration étrangère. 

Après cette revue à peu près complète, quoique rapide, des 
débris recueillis, comme nous l'avons dit, par milliers dans le sol 
et dans les brèches des grottes du Chaffaud , il nous reste à pré- 
ciser en quelques mots les dispositions particulières de ces der- 
nières roches d'agrégation, sorte de blocage naturel qui empâte 
néanmoins des débris d'industrie humaine. 

Par le mot brèche on entend en effet, en géologie, une roche 
formée d'éléments variés, de provenances diverses, réunis ensem- 
ble par un ciment calcaire, siliceux ou ferrugineux. La majeure 
partie du ciment des brèches du Chaffaud a certainement été 
fournie par les suintements calcaires tombés goutte à goutte des 



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— 126 — 
voûtes des grottes; mais^ sur beaucoup de points, il s'est mêlé au 
sable et à l*argile qui empâtaient déjà les fragments de calcaire, 
les galets, les os, les silex taillés, etc. et de plus, notamment dans 
les parties les plus élevées de ces conglomérats , le fer hydroxydé 
et le manganèse terreux sont intervenus, en se glissant dans les 
interstices, et les ont colorés en noir intense, à ce point que les 
ouvriers employés à notre exploration croyaient y reconnaître 
la preuve évidente d*un violent incendie à l'intérieur des grottes. 

Les brèches des grottes du ChafFaud , dont nous avons précé- 
demment précisé les gisements habituels dans leurs diverses par- 
ties, débutent à la base, au contact même du rocher, ou du sol 
rouge à silex, ou des stalagmites anciennes, selon le cas, par une 
ag^oxâératîon des gros débris calcaires à angles vifs qui ont formé 
des bourrelets au pied des parois. 

Puis les galets calcaires, les galets de quartz, de granit, etc. se 
mêlent peu à peu aux premiers débris avec des ossements happant 
fortement à la langue, puis avec toutes sortes de débris, soit d'ani- 
maux soit d'industrie humaine, en s'élevant au-dessus du sol , et la 
grosseur des fragments et des galets diminue progressivement dans le 
même sens. L'ensemble de ce blocage atteint environ l'^fSo dans sa 
plus grande épaisseur, et il offre cette particularité remarquable qu'il 
est divisé en plusieurs assises , qui semblent se référer au moins à 
deux périodes différentes et, par suite, à autant de remaniements 
successifs. 

Ces assises sont, en effet, séparées les unes des autres par des 
croûtes de stalagmites interposées entre elles et ondulant à la sur- 
face des matériaux hétérogènes qu elles renferment. Cette disposi- 
tion indique clairement, à notre avis, qu'il s'est passé entre le dé- 
pôt de chacune de ces assises un certain temps, pendant lequel les 
stalagmites sont venues déposer leur sceau au-dessus d'elles. De plus , 
si dans quelques parties des grottes les assises des brèches paraiasent 
à peu près horizontales, comme dans l'arrière- nef, par exemple, 
celles qui existent encore en partie à l'orifice des grottes latérales 
sont au contraire inclinées du dehors au dedans, comme si les 
matières de ces dépôts avaient été projetées par-dessus un obstacle 
déjà en pente lui-même. 



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— 127 — 

Ces prémisses posées, essayons, à Taidede tous ces faits d'obser- 
vation , et pour ainsi dire ia sonde toujours à la main , de débrouil- 
ler les curieux problèmes que posent depuis si longtemps à tous 
les esprits les di^ositions particulières de ces grottes et la nature 
des débris qu'elles ont livrés à nos investigations. 

Les grottes du ChafTaud ont vu d'abord les inégalités de leur 
fond rocheux envahies et comblées par les ai^giles à rognons sili- 
ceux, analogues à celles qui remplissent les siphons et les cre- 
vasses des roches jurassiques et qui régnent en sous-sol sur une 
infinité de points des plateaux voisins; puis des suintements d'une 
extrême abondance , évidemment dus à l'humidité exc^tionnelle 
d'une période reculée, déterminèrent, d'une part, la formation des 
stalagmites primitives, que nous avons décrites, et, d'autre part, 
la chute répétée d'énormes blocs calcaires, détachés des voûtes 
et des parois avec les stalactites qui s'y accolaient, et une mul- 
titude de fragments de moindres dimensions qui s'accumulè- 
rent principalement au pied des parois latérales successivement 
délitées. 

Des constatations répétées et directes sur tous les points dès 
grottes nous ont toujours présenté cet état de choses cx>mme le 
plus ancien, puisque nous n'avons jamais rencontré, sous les sta- 
lagmites primitives, les grandes roches tombées sur le sol ancien, 
ou, sous les premiers fragments amoncelés le long des parois, 
aucuns galets, ni ossements, ni débris d'industrie humaine, et ils 
n'existaient pas davantage dans le sol à silex sous-jacent. 

A ces premiers débris du rocher même qui encaisse les grottes 
vinrent se mêler ensuite dés galets calcaires et siliceux, provenant 
des environs immédiats, et des galets de quartz, de granit et 
autres roches anciennes, de provenance lointaine, qui les uns et 
les autres n'ont pu être introduits là qu'amenés par les courants 
créateurs de nos vallées. 

Toutefois, leur mélange intime avec les autres frag^inents et 
leur dispersion dans la masse du sol ne leur donnent pas l'aspect 
d'un dépôt formé à la suite d'une invasion puissante des eaux , qui 
les eût dans ce cas disposés par couches recouvrant d'une manière 
continue le sol inférieur, et il est fort à croire qu'ils ont été intro- 



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— 128 — 
duits peu à peu , soit par i orifice du siphon supérieur, soit par 
rentrée actuelle des grottes, au moment où les eaux de ia Cha- 
rente coulaient à peu près à ce niveau; mais, en tout cas, aucun 
des ossements d'animaux ni des débris d'industrie humaine trou- 
vés pêle-mêle avec eux ne portant de traces de charriage par 
les eaux, il est impossible de les croire contemporains les uns des 
autres et enfouis à la même époque dans le sol. 

La meilleure preuve qu'on puisse en donner est, au surplus, 
l'usage même que les premiers troglodytes du GhafTaud ont fait des 
galets de quartz, de granit, elc. en les soumettant à un feu violent 
dont ils portent encore les stigmates. Ces galets avaient donc été 
introduits par les eaux dans ces retraites avant qu'elles fussent 
habitées, et comme ils forment le trait saillant, reconnaissable, du 
grand dépôt auquel on a donné le nom de diluviam ancien , il en 
résulte clairement que les dépôts ossifères et les débris d'industrie 
humaine de nos grottes sont postérieurs à la grande catastrophe 
à laquelle on rapporte ce dûuvium. 

Au surplus^ comme confirmation de cette importante déduc- 
tion des faits d'observation directe que nous venons d'énumérer, il 
suffit de se rappeler que la faune fossile quaternaire du Chaf- 
faud se réfère tout entière à la période dite da renne seulement, 
et à laquelle correspondraient tous les dépôts remaniés et les os- 
sements et produits d'industrie humaine compris entre la forma- 
tion des stalagmites primitives et celle des stalagmites qui sont 
venues postérieurement apposer leur cachet au-dessus de ces 
dépôts mixtes. 

Les remaniements évidents sur place et les assises distinctes qui 
forment les brèches ossifères de ces grottes, produits également 
par une action semblable qui, en raison d'une certaine régula- 
rité d'allure propre aux dépôts formés par les eaux, nous parait 
devoir être attribuée à leur intervention , donnent à penser que la 
période dont nous parions fut troublée à plusieurs reprises par les 
envahissements de la Charente dans l'intérieur de ces grottes, et 
qu'après chacun d'eux les troglodytes, un instant chassés de leurs 
retraites, y revenaient, en déblayaient le sol et continuaient à y 
exercer de nouveau leur industrie, jusqu'à ce qu'un nouveau dé- 



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— 129 — 
bordement vint, pour disparaître encore, G*est, au moins à notre 
sens, la seule eiplication plausible qu'on puisse donner de la for- 
mation de ces dépôts meubles, incohérents, et de ces brèches à 
plusieurs assises toujours formées des mêmes éléments, émanant 
évidemment des mêmes causes et de la même et primitive indus- 
trie, comme de la même faune. 

Remarquons que ces envahissements devaient être fréquents et 
faciles aux époques reculées où le fond de nos vallées n'avait pas 
encore atteint sa profondeur actuelle; car il suffisait d'un barrage 
momentané amené par la chute des rochers arrachés aux berges , 
Tentrainement des terres et des arbres» pour amener des déborde- 
ments, à une époque surtout où Thumidité du climat, si bien attes- 
tée par la formation rapide des stalactites et des stalagmites dans 
les grottes, devait être favorable aux crues des rivières. 

Enfin si les dépôts empâtés dans les stalagmites et explorés 
dans les grottes du ChafTaud ne remontent pas plus haut que la 
période de Tàge de la pierre et du renne réunis comme caractéris- 
tiques, ils ne descendent pas non plus jusqu'à Tâge de la pierre 
polie, dont les spécimens n'ont jamais été trouvés qu'à la partie 
la plus superficielle du sol et mêlés, au surplus, aux objets de pro- 
venance relativement moderne, si bien que ces cavernes parais- 
sent avoir toujours été, sinon habitées en permanence, du moins 
fréquentées dans tous les siècles qui nous séparent de l'âge de la 
pierre et de l'érection des monuments mégalithiques. 

Nous avons pensé qu'il était utile d'insister sur les faits qui pré- 
cèdent, parce qu'ils nous paraissent établir nettement l'âge relatif 
des dépôts de nos cavernes, afin qu'on puisse peser la valeur de 
nos déductions placées en regard des observations recueillies sur 
d^autres points de la France. 

Si l'on .venait à retrouver dans les grottes explorées dans d'autres 
contrées les deux dépôts distincts de stalagmites qui, sur les bords 
de la Charente , encadrent pour ainsi dire les amas à ossements 
et à débris d'industrie humaine , et qu'au-dessous des plus anciennes 
on rencontrât, par exemple, des ossements de grands pachydermes 
alliés à des débris d'industrie humaine d'un caractère plus pri- 
mitif encore que les nôtres, il en résulterait infailliblement que les 

ARGIIÉOLOGIR. 9 



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— 130 — 

grottes du ChafTaud, et celles du Poitou en général, n auraient pas 
été hantées ou habitées dès la première apparition de Thomme à 
répoque quaternaire, et que les stalagmites primitives, à structure 
entièrement spathique, représenteraient Tintervalle écoulé entre 
deux périodes de ces époques encore si obscures pour nous. 



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NOTICE 



SDR 



LES MONUMENTS FUNÉRAIRES 

DU MORBIHAN, 
PAR M. ROSENZWEIG, 

MBVBAE D£ LA SOCIETE POLTMATHIQCE DU MORBIHAH, 
GOBRESPOHDART DU HIllISTiRB PODR LES TRAVAUX HISTORIQUES. 



Pour compléter la série des diverses monographies archéolo- 
giques que nous avons consacrées depuis quelques années au dé- 
partement du Morbihan, il nous reste à réunir, dans un chapitre 
qui vraisemblablement sera le dernier, les difTéreutes observations 
que peut suggérer Tétude de nos monuments funéraires. Dans un 
sujet aussi vaste, nous n'avons pas la prétention de faire ici autre 
chose que de résumer, le plus rapidement possible , les résultats 
obtenus , soit par nos recherches personnelles , soit par les remar- 
quables travaux de la Société que nous avons Thonneur de repré- 
senter, travaux publiés dans ses bulletins annuels, auxquels nous 
renvoyons pour les détails ^ Nous suivrons naturellement la divi- 
sion par époques. 

Monuments celtiques. 

Nous comprenons sous cette dénonoination , parce qu'elle est 
encore la plus généralement adoptée, tous les monuments qu'on 
peut trouver désignés ailleurs sous celles de préceltiques, de pré- 

' Ces travaux sont dus à MM. R. Galles, de Giosmadeuc, Fouquet, A. Mau- 
ricet, de la Fruglaye, L. Galles et de Cussé. Voir aussi dans V Annuaire du Mor^ 
hikan les articles de M. À. Lallemand. 

9- 



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— 132 — 
historiques, de druidiques, de gaulois ou de mégalithiques, tous les 
monuments enfin antérieurs à Tère gallo-romaine. 

Après lés nombreuses fouilles opérées depuis peu de temps sur 
tous les points de la France, et particulièrement dans le Morbihan , 
nous n'aurons pas grand mérite à proclamer, avec tant d'autres , 
que les dolmens sont des tombeaux; à peine même oserions- 
nous le dire, tant cette assertion est devenue banale aujourd'hui, 
si nous n'y étions contraint par notre sujet. Dans l'état actuel de 
la science, on peut accepter comme une vérité incontestable que 
le dolmen, à une ou à plusieurs chambres, précédé ou non d'une 
allée, recouvert ou non d'un tumulus, est un monument funé- 
raire. Une quarantaine de ces monuments ont été explorés avec 
le plus grand soin dans le Morbihan, et, quoiqu'il en reste un 
nombre bien plus considérable à visiter, les objets à peu près 
identiques qu'on y a recueillis jusqu'à ce jour ne peuvent laisser 
de doute sur leur destination. Si les dolmens présentent, en eflet, 
dans leurs dimensions , dans leur structure , dans leur orientation , 
dans le volume et la composition des masses qui les recouvrent, 
une variété qui laisse encore le champ libre à toutes les conjec- 
tures, il n'en est pas de même du petit mobilier qu'ils cachaient 
à tous les regards depuis tant de siècles, et qui vient de jour en 
jour accroître la richesse de nos collections. Celts de toute forme et 
de toute matière , intacts ou brisés , en nombre parfois considérable, 
grains de colliers et pendelotjues de toute couleur et de toute gros- 
seur, silex taillés en couteaux ou en pointes de flèches, plus ou 
moins achevées, vases ou fragments de vases de terre cuite : tels sont 
les souvenirs, profanes ou sacrés, qu'on rencontre presque exclu- 
sivement dans tous les dolmens , à côté des restes d'homme et d'ani- 
maux. D'autres objets y ont été parfois recueillis, et nous n'avons 
garde de les oublier, précisément parce qu'ils sont rares. Nous 
citerons, par exemple, l'anneau plat de jadéite trouvé au Manné- 
er-H'roêk en Locmariaquer, les mortiers de granit de Grubelz 
en Belz et de Kersu en Crach, les deux brassards ou carcans d'or 
tirés des grottes de Plouhamel , la virole de même métal provenant 
de Rerlagat en Carnac, et les fragments de fer du Resto en Moustoi- 
rac et d'Er-Roh, commune de la Trinité-sur-Mer. Enfin quelques 



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— 133 — 
objets semblent attester, par leur présence, ou l*âge relativement 
récent des dolmens qui les renferment ou la violation de ces sépul- 
tares par les conquérants de la Gaule : telles sont les figurines 
recueillies à Bergous en Locmariaquer et à Toulvern en Baden; 
telles sont encore les monnaies et les poteries romaines deMoustoi- 
racet de Bei^us (petit bronze de Constantin II, postérieur à 33 7). 

La preuve la plus caractéristique de la destination funéraire des 
dolmens réside évidemment dans la présence presque constante 
d'ossements , que l'analyse chimique révèle lorsque Fœil ne peut les 
apercevoir. Mais ici encore quelle variété dans les observations! 
ATumiac en Arzon , à Kergonfals en Bignan, au Manné-Beker-Noz 
en Saint-Pierre-Quiberou, au Moustoir en Garnac, rien que des 
ossements non incinérés; à Saint-Michel et à Kercado en Gamac, 
aux grottes de Plouharnel et à Keimadio en Kervignac, rien que 
des ossements incinérés, avec des traces de charbons; au Manné- 
Lud en Locmariaquer, les deux modes de sépulture réunis. Es- 
sayera-t-on, d'après ces modes divers, de déterminer Tâge de ces 
monuments? Ge serait dangereux, croyons-nous; car rien ne vient 
confirmer, d'ailleurs, une semblable classification. Si, d'un autre 
côté, nous admettons l'opinion des archéologues qui, repoussant 
b sépulture celtique par incinération, prétendent que le principal 
personnage des dolmens n'a jamais été incinéré, et que les cen- 
dres qu'on y rencontre sont celles d'esclaves ou d'animaux brûlés 
en l'honneur de ce personnage après sa mort, nous serons amenés 
à conclure que, dans le premier groupe de monuments ci-dessus 
mentionnés, il n'y a pas eu de victimes sacrifiées, et que, dans le 
second groupe, il n'y a eu, au contraire, que des victimes; au 
Manné-Lud seulement les victimes auraient été brûlées autour du 
mort U nous semble difficile d'admettre un principe qui condui- 
rait à une semblable conclusion. 

Parlerons-nous des sculptures de nos dolmens, de ces dessins 
bizarres, en creux ou en relief, dont l'usage semble avoir été par- 
ticulier à notre pays? Ils n'apportent malheureusement, jusqu'à ce 
jour, aucune lumière dans la question , et il est à craindre que les 
cercles ou segments de cercles, les lignes courbes ou ondulées de 
Kerven-Tanguy, des Pierres-Plates, de la Table-de-Gésar et de Ga- 



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— 134 — 
vrinnis ; les chapelets du Manné-Lud , les feuilles de fougère de 
Gavrinnis et des Pierres-Plates, les cupules du Manné-Lud et <ie 
Saint-Michel , les cartouches de l'Île-Longue et de Manné-er-H'roëk, 
les celts non emmanchés de Gavrinnis, conmie les celts emman- 
chés du Manné-Lud , du Manné-er-H'roëk et de la Table-de-Gésar, 
ne soient pour nous, longtemps encore, des énigmes indéchif- 
frables. 

Enfin , pour ne négliger aucun argument , quelque superflu quMI 
puisse paraître après le résultat fourni par les fouilles, nous avons 
relevé , dans l'ouvrage de Cayot-Délandre sur Le Morbihan , certaines 
appellations recueillies dans le pays même, où elles se sont pro- 
bablement transmises d'âge en âge depuis une haute antiquité, et 
qui, dans la bouche de paysans ignorants, ont une immense va- 
leur. Une pièce de terre de la commune de Saint-Gildas-de-Rhuîs, 
dans laquelle se voient les débris d'une roche aux fées, porte le 
nom de Clos-er-By (champ du tombeau). En Cléguérec, un che- 
min dit HenUer-Bé (chemin du tombeau) conduit à une grvtte 
aux fées, également ruinée, située à l'angle d'un champ appelé 
aussi Parc-er-Bé (champ du tombeau). Un mamelon de Tréhoren- 
teuc, sur lequel s'élèvent trois tumulus, est nommé la batte des 
Tombes, Ajoutons à cette nomenclature le mot de Bergoas ou 
Bé-er-Gous (tombeau du vieillard) , par lequel on désigne, en Loc- 
mariaquer, le dolmen fouillé, en 18G0, par MM. de Bonstetten et 
L. Galles. N'eussions-nous que de tels arguments à produire, ils 
seraient certainement d'une grande portée. 

Que conclure de tout ce qui précède? C'est qu'une quarantaine 
de fouilles et que plusieurs années d'études ont amené la Société 
du Morbihan à la connaissance de ce fait unique, mais précis: 
les dolmens sont des tombeaux. Toute autre assertion à l'égard de 
ces monuments semble devoir être ajournée. 

Si des dolmens nous passons aux menhirs, nous abordons une 
question qui peut donner lieu, encore aujourd'hui, à bien des 
controverses , et sur laquelle les savants ne paraissent pas s'être 
prononcés jusqu'à présent d'une manièi^ formelle. Il appartenait 
au Morbihan, non moins riche en menhirs qu'en dolmens, d'en- 
trer en lice dans une discussion de ce genre, et, bien que nos cou- 



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— 135 — 
naissances ne soient pas aussi avancées sur les « pierres longues « 
(men-hir) que sur les « tables de pierre » [daul-men), nous oserons, 
dès aujourd'hui, formuler notre opinion à T^ard des premiers 
monuments, comme nous lavons fait à T^ard de ces derniers : 
pour nous, les menhirs, queUes que soient leurs dimensions, qu'ils 
soient isolés ou groupés, di3posés en cerdes (cromlechs) ou en ali- 
gnements, sont des monuments funéraires. 

Pour essayer de la démontrer, étudions, comme pour les dol- 
mens, les différentes faces de la question. Les sculptures sur les 
menhirs sont rares; nous en connaissons cependant : le menhir de 
Kermarquer en Moustoirac porte en relief deux petites tiges re- 
courbées comme d^ houlettes ou des crosses; sur un menhir delà 
commune de Grach on aperçoit des arcs de cercle concentriques 
traversés par une ligne verticale. Or, si Ton rapproche ces figures 
de cdles de nos dolmens, l'analogie est frappante. 

Quant aux noms particuliers des menhirs, quoique Gayot-Dé- 
landre en ait aussi relevé un certain nombre, nous n'en connais- 
sons point de significatifs. Notons cependant que les remarquables 
alignements de Garnac, d'Erdeven, de Plouhinec et de Languidic 
sont uniformément désignés sous le nom de Soldats de saint Coméfy 
(ou saint Gomeille) et avoisinent des chapelles dédiées à ce saint. 
Or, si nous consultons la légende , elle nous apprend que saint Cor- 
neille , pour échapper à la poursuite d'une armée de païens , les mé- 
tamorphosa en pierres. Gette légende, quelle qu'en soit la valeur 
historique, n'en porte pas moins avec elle l'idée de morts et de 
sépultures. Â ce compte, vous admettez, nous dira-t-on, que ces 
vastes alignements sont des cimetières? Pourquoi pas? Préférez- 
vous y voir, avec le docteur Deane et M. de Penhouet, l'image 
d'un serpent, ou, avec la Sauvagère, des pierres posées debout 
pour abriter tes tentes d'un camp romain ? 

Un fait qui mérite d'attirer l'attention, c'est que, partout où 
nous rencontrons les tumulus et les dolmens, dont la destination 
n^est plus douteuse, nous trouvons aussi des menhirs. Indépen- 
damment des chambres sépulcrales disséminées au milieu des ali- 
gnements dont nous venons de parler, les exemples de ce fait abon- 
dent dans le département. Nous signalerons les principaux. Des 



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— 136 — 
trois tumulus qui s'élèvent sur la butte des Tombes de Tréhoren- 
teuc, un est surmonté d'un menhir; le tumulus du Moustoir 
en Gamac offre la même particularité. Dans le bois de Kerfily 
en Trédion , près de Botquinan en Plaudren , à la Ville-au-Voyer 
en la Chapelle, ce sont de véritables cromlechs au centre desquels 
se dresse un dolmen. Il n'est pas jusqu^aux entrailles mêmes 
des tumulus où Ton n'ait constaté la présence des menhirs, té- 
moin le Manné-Lud. 

Mais le moyen employé pour arriver à la connaissance certaine 
de la destination des dolmens était encore le meilleur qu'on pût 
adopter pour arracher son secret au menhir. Il y a déjà vingt ans » 
on signalait, d'une façon malheureusement trop vague , les fouilles 
faites au pied de quelques menhirs , à Camac et ailleurs; ces fouilles 
avaient amené la découverte d'objets identiques avec ceux qu'on 
trouve d'ordinaire dans les chambres sépulcrales. Les nouvelles 
recherches faites de nos jours , et particulièrement par M. Fouquet , 
en i86A et i865, dans les communes de Pleucadeuc, Saint-Con- 
gard , Pluherlin , Plaudren et Plœmeur, ont produit des résultats 
analogues : à Pleucadeuc, notre collègue a recueilli un ceit, à 
Plaudren un fer de cheval , partout des débris de poteries , des 
traces de feu et d'ossements. Les menhirs rencontrés dans le tu- 
mulus du Manné-Lud étaient accompagnés, pon plus à leur pied 
cette fois, mais à leur sonunet, de squelettes de têtes de chevaux. 
Cayot-Délandre parle de celts de fer découverts au pied d'un men- 
hir de la commune de Grach , et d'une urne romaine, avec cendres 
et charbon , trouvée pareillement sous un menhir, près du camp 
du Madry en Tréal, non loin d\in tumulus. La présence d'objets 
de fer et de poteries romaines peut, encore ici, comme pour quel- 
ques dolmens, faire rapporter à une date assez récente l'époque 
de l'érection de ces pierres. Nous n'en conclurons pas, cepen- 
dant, avec certains archéologues, que tous les menhirs en gé- 
néral sont postérieurs aux dolmens; constanoment voisines Tune 
de l'autre, ces deux classes de monuments ont, d'ailleurs, par le 
choix de la matière, par le volume, par la grossièreté du travail, 
trop de rapports entre elles pour qu'il soit possible, croyons-nous, 
de les attribuer à des âges différents et à des races distinctes^ Nous- 



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— 137 — 
espérons que des fouilles plus nombreuses ne permettront lûen- 
tôt aucun doute à cet égard, en même temps qu'elles révéleront, 
d'une mianière plus positive encore, la destination du menhir. 

Indépendamment des tumulus qui recouvrent les dolmens, nous 
compterons enfin , au nombre des monuments funéraires celtiques, 
les tombelles ou petits tumulus sans dolmen intérieur, dont quel- 
ques-uns ont été interrogés déjà , et dont la disposition par groupes 
réguliers rappelle naturellement celle d'un cimetière, c Dans la lande 
du Foveno, en Sérent, on voit, dit Cayot-Délandre, vingt-quatre 
tombelles hautes de 2 mètres environ , rangées sur quatre lignes 
parallèles, à intervalles égaux. » Sur la lande du Guemo, dans la 
même commune, une vingtaine d'éminences semblables sont réu- 
nies par groupes de trois disposées en triangles. L'ile-aux-Moines 
possédait autrefois une file de tombelles qui ont été détruites 
par leur propriétaire. Notons que Tune d'elles était surmontée 
d'un menhir, et qu'elles étaient accompagnées d'un beau dolmen, 
qui existe encore. Au conmiencement de ce siècle, M. de Pen- 
houet fouilla plusieurs monuments du même genre, à Brespan en 
Limerzel, et y découvrit des cendres, des ossements calcinés, des 
fragments de verre et de poteries. Des cendres et du charbon ont 
été également recueillis dans plusieurs tombelles situées près 
du village de Cran, dans la conmiune de TrefiBéan. Mentionnons 
enfin, pour terminer, le tumulus de S^int-Galles, en Arradon, où 
furent trouvés, en 1854^ au milieu de détritus de bois et d'osse- 
ments, un grand nombre d'anneaux de cuivre periés, un celt, un 
morceau d'ami>re et une certaine quantité de fragments de fer. 

Nous ne dirons rien des cavernes naturelles dont l'usage , comme 
lieux de sépulture, n'a pas été signalé jusqu'à ce jour dans notre 
département. 

Avant de quitter la période celtique, qu'on nous permette quel- 
ques remarques relativement aux opinions émises par M. l'abbé 
Rougerie, d'une part, dans ses recherches sur les limites des peu- 
plades gauloises ^ et par M. de la Saussaye, d'autre part, dans sa 
dissertation sur le lieu de l'assemblée annuelle des druides '^. 

* Revue des Sociétés savantes des départements , septembre 1 862. 
^ Mémoires lus à la Sorbonne en 1863 : Archéologie. 



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— 138 — 

M. Tabbé Rougerie reconnaît, dans la Haute -Vienne, deux 
centres de populations gauloises, et, autour de chaque centre, un 
cercle de pierres druidiques reliées entre elles par des accidents de 
terrain naturels. Entre les deux lignes de délimitation s'étend une 
zone plus ou moins laige de terrain neutre et probablement inoc- 
cupé dans le principe , qui isolait davantage les deux peuples voi-. 
sins et empêchait les attaques imprévues de Tun ou de Tautre. 
Les pierres formant limites servaient également d*autels pour les 
sacrifices, et on enterrait les guerriers à leur pied; on ne paraissait 
qu'en armes à ces cérémonies , etc. L'idée de délimitation et de 
défense attachée à ces monuments se retrouve dans les noms des 
villages et des cours d'eau qui les avoisinent. 

Développant à peu près la même thèse, M. de la Saussaye 
parle du «terrain sacré des frontières dans la Gaule, terrain in- 
culte et inhabité , servant de rempart entre les différents peuples ; 
on y plaçait de préférence les monuments sépulcraux, religieux 
et politiques; c'était là qu'avaient lieu les cérémonies saintes, les 
foires, les grandes assemblées . . . Lorsque le terrain des frontières « 
ajoute l'auteur, manquait de bornes naturelles, telles que les cours 
d'eau et les monts^nes, on dut suppléer à celles-ci par des bornes 
artificielles. . . Les tombelles ne sont, dans un grand nombre de 
cas, que des monuments limitants; groupées en petit nombre, ce 
sont de simples bornes de territoire; réunies en grande quantité, 
ce sont des autels établis pour les assemblées religieuses ou poli- 
tiques. . . Plusieurs tombelles de ce genre ont été fouillées, en 
i832 et i83A, dans le territoire de la Sologne, et ces fouilles ont 
démontré qu'aucune n'avait servi de tombeau; cependant une tra- 
dition locale en fait le lieu d'ensevelissement d'une armée de Sar- 
rasins . • . Dans toutes les localités qui se trouvent sur l'ancienne 
étendue des terrains finontières, il existe des sources sacrées. . • On 
vcHt, la nuit, des dames blanches sur les tombelles, d'où leur nom 
de moltes-à-la-dame; c'est là que se rassemblent aussi les follets, les 
diables et les sorciers, entraînant le pauvre voyageur égaré dans 
leurs rondes infernales, » etc. 

Tel est le résumé succinct des savantes dissertations de M. Rou- 
gerie et de M. de la Saussaye. Ayant eu la curiosité de contrôler 



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— 139 — 
ces divers faits et hypothèses par Texamen de la même question 
dans le département du Morbihan» nous devons avouer que 
nous sommes loin d'être arrivé au même résultat. L'ancien dio- 
cèse de Vannes, ou, si Ton veut, Tancienne cité gallo-romaine des 
Vénètes, est limitée au sud par la mer, et de tout autre côté par 
des cours d'eau, TElIé à louest, le Blavet et TOust au nord, la 
Vilaine à Test. Quant aux monuments celtiques, ils sont répartis 
en deux zones bien marquées, couvrant, d'une part, tout le littoral 
de la mer, de l'autre, une large bande de terrain, encore assez 
déserte aujourd'hui, connue sous le nom de lande de Lanvaux. 
Cette lande qui, sur un point seulement, à l'est, pourrait être oon- 
sidérée comme servant de frontière entre les anciens évêché» de 
Vannes et de Saint-Malo, traverse, d'ailleurs, le diocèse de Vannes 
à peu près par le milieu, du sud-est au nord-ouest, c'est-à-dire 
en suivant une direction parallèle à celle de la zone du litto- 
ral, dont elle est éloignée de 4 à 5 lieues environ», laissant, par 
conséquent, le pays à découvert aux deux extrémités. Donc, point 
de rapport à établir ici entre les limites de la cité antique et la 
place occupée par les monuments en question. Nous n'avons au- 
cun argument à tirer de la situation des sources consacrées ; nous 
avons constaté , l'année dernière \ qu'on les rencontrait partout. 
D'un autre côté , le temps et nos études étymologiques ne nous ont 
pas encore permis de rechercher si les noms des villages et des 
cours d'eau qui avoisinent nos monuments rappellent une idée de 
défense et de délimitation; mais nous avons dressé la liste des 
noms portés par les monuments eux-mêmes , menhirs , dolmens et 
tumulus ; on en connaît une cinquantaine. 

Menhirs. 

Gourhet'JaneU ou FuséaudeJeannette (Saint-Gildas-de-Rhuis). 
Guigaean'Amonennoxx la Moche -de -Beurre (Saint-Gildas-de- 
Rhuis). 

Jean-Babouin, Jeanne-Babouine (Trédion). 
Jean-de-Runélo, Jeanne-de-Runélo (Bangor). 

' Mémoires hu à ta Sorbonne en 1866 : Archéologie. 



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— 140 — 
Chaudron-du-Diable , cromlech (en Plouhioec). 
Menhir-Bihan ou Petit-Menhir, Menhir-Bras ou Grand-Menhir 
(Gamors). 
Men-Melein ou Pierre-Jaune (Locmariaquer). 
Pierre-Blanche (Pénestin). 
Pierre-Droite ( Saint - Guyomard ) . 
Queguil-en-Diaul ou Quenouiile-du-Diable (Silfiac). 
Roche-Piquée (la Gacilly). 
Roche-Piquée (RuflBac). 
Roch'Hir ou Roche-Longue (Ploemel)* 
Soldats-de-Saint-Gornély, alignements (Garnac). 
Soldatsrde-Saint-Gomély, alignements (Erdeven). 
Soldats-de-Saint-Gomély, alignements (Languidic). 

Dolmens. 

Campren-en-Torriganet ou Ghambre-des-Nains (Gléguérec). 

CraZ'MotUn ou Groix-de-la-Butte, dolmen surmonté d'une 
croix (Garnac). 

Daul-erXiroah ou Table-de-la-Vieille , dit aussi Bergoas ou Tom- 
beau-du-Vieillard (Locmariaquer). 

En-Tri-Men ou les Trois-Pierres (Bieuzy). 

Er-Bé ou le Tombeau (Gléguérec). 

Er-By ou le Tombeau (Saint-Gildas^le-Rhuis). 

Er-Roch ou le Rocher (Arradon). 

Maison-des-FoUets (Saint-Grave). 

Maison-des-Poulpiquets (lIle-d'Arz). 

Maison-Trouée (la Ghapelle). 

Men-Arzein ou Pierrersur-Homme (?) (Pénestin). 

Men-Beniguett ou Pierre-Bénite (Sarzeau). 

Men-Gorroèt ou Pierre-Soulevée (Pluneret). 

MenrGottarech ou Pierre-du-Vieux-Rocher (Plaudren). 

Men-Hiol ou Pierre-du-Soleil (Sarzeau). 

Men-Platt ou Pierre-Plate (Locmariaquer). 

Men-Platt (Saint-GUda^e-Rhuis). 

Pierres-Gouffier (Mauron). 

Roch-Bras ou Grandes-Roches (Locmariaquer). 



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— 141 — 

Roche-Bigot (Plumelec). 

Roch'Kerlad ou Rocher- du -Lieu -de- la -Cendre (Locmaria- 
quer). 

Roch-Point-er-Vil ou Rocher-de-la-Pointe-de-Vase (Locmaria- 
quer).' 

Roc-Ter ou Pierre-Redoutable (Crach). 

Rohy ou Petit-Rocher (Plumelec). 

Table -de-César, dite aussi Table-des- Marchands (Locmaria- 
quer). 

Tablette-de-Cournon (Coumon). 

Ty-en-Torriganet ou Maison-des-Nains (Cléguérec). 

Ty-enr-Torriganel (Langoêlan). 

Tumuius. 

Butte-à-Madame (en Plœmeur). 
Butte-aux-FoIlets (Malansac). 
Butte-de-César, dite aussi de Tumiac (Arzon). 
Afann^-er-H'ro^fc ou Mont-de-la-Fée, dit aussi Monl-de-César 
(Locmariaquer). 

Mont-Saint-Hichel (Camac). 

De ces différents noms, si Ton retranche, comme nous Tavons 
fait plus haut, ceux qui désignent d'une manière certaine un lieu 
de sépulture, il ne restera que dés appellations sans valeur au 
point de vue historique ou archéologique, les unes nées de l'as- 
pect même ou de la position des monuments, les autres témoi- 
gnant de Tignorance et de la superstition de nos pères. A* aucun 
de ces noms ne s'attache une idée de culte, de sacrifices, de limite 
ou de défense. 

Du reste, si la destination du menhir est encore contestable, il 
n'en est pas de même, nous l'avons vu, au moins dans le Mor- 
bihan, du dolmen ni du tumuius recouvrant un dolmen. En ce 
qui concerne les tumuius ou tombelles qui ne renferment point de 
dolmen , question plus particulièrement traitée par M. de la Saus- 
saye, nous ferons observer que toutes les légendes de follets, de 
sorciers, de diables et de dames blanches qui, dans la Sologne, se 



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— 142 — 
rapportent aux tombelles, sont précisément, en Bretagne, insépa- 
rables des monuments funéraires, ainsi qu^on le voit, d'ailleurs, 
par leurs dénominations ; que le nom de Batte-à-Madame est pré- 
cisément affecté, chez nous, à un tumulus au centre duquel des 
fouilles ont fait découvrir en 1829 un caveau sépulcral. Les tom- 
belles de la Sologne ont été pareillement fouillées en i832 et 
i83/4, et «ces fouilles ont démontré qu'aucune n'avait servi de 
tombeau. » Voilà certainement une affirmation grave dans la 
bouche- de Thonorable recteur de T Académie de Lyon ; et cepen- 
dant, tout en faisant avec lui bon marché de la tradition locale, 
nous ne pouvons nous empêcher de remarquer que , il y a trente- 
cinq ans, la science de l'archéologie était encore bien jeune; indé- 
pendanmient des procédés employés autrefois pour des fouilles 
de ce genre, procédés dont nous constatons chaque jour l'imper- 
fection , ce n'est que depuis bien peu de temps que l'archéologue 
a songé à réclamer du chimiste un concours devenu désormais in- 
dispensable. Peut-être de nouvelles fouilles en Sologne amène- 
raient-elles aujourd'hui une solution bien différente de celle de 
i832 ; c'est ce qu'il sera, nous l'espérons, facile de vérifier. 



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i^ 



NOTES 

POUR SERVIR A L'HISTOIRE 

DE LA STATHMÉTIQUE EN FRANCE 

AUX ÉPOQUES BABBAAE ET l^ÉGDALE, 
PAR M. E. BARRY, 

PROFESSEUR À LA PACULTB DES LETTRES DE TOULOUSE , 
4 MEMBRE DB l.*AGA1>éHrB DE TOULOUSE. 



La staihmétique, science à laquelle appartiennent les petits mo- 
numents que nous reproduisons plus loin , n'est, comme son nom 
rindique (ol t/loBpLol^ rà </]aBpui, les poids proprement dits, les 
poids de balance), qu'une des branches de la métrologie, science 
toute récente elle-même (car elle compte à peine un demi-siècle 
d'existence), mais qui a conquis son rang et son titre par les 
beaux travaux des Letronne, des Bœckh, des Mommsen, les plus 
grands noms de l'érudition contemporaine. 

Malgré leur apparence byzantine et le nom de poids byzantins 
sous lequel on les désigne, un peu complaisamnient, il est vrai, 
tous ont été découverts dans l'occident de l'Europe, et en France, 
qui plus est, dans le midi de la France particulièrement. L'époque 
à laquelle ils appartiennent chronol<^quement est elle-même 
une des plus obscures de l'histoire de la stathmétique , soit par la 
rareté des monuments auxquels on en est réduit le plus souvent, 
soit par l'obscurité et le laconisme des textes qui pourraient servir 
à les expliquer à leur tour. Elle commence à la chute de l'empire 
d'Occident, en 4.76, et s'arrêterait comme terme extrême à l'institu- 
tion du poids de Toulouse , en l'année 1 2 89 de notre ère. Mais , à dé- 
faut de renseignements plus précis, ces monuments, recueillis et 



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— l/i4 — 
étudiés avec rattention qu'ils mérilent, jelteraient déjà un certain 
jour sur les questions obscures que nous venons d'indiquer, et c'est 
en grande partie à Taide des indications fournies par eux que 
nous croyons être parvenu, dès à présent, à constater les faits sui- 
vants, que nous nous contenterons d'énoncer sous forme d'apho- 
rismes. 

1® Quelque profond qu'ait été le désordre inauguré par les 
conquêtes barbares dans les provinces occidentales de l'empire, 
tout indique pourtant qu'une sorte de règle et d'unité s'est main- 
tenue obscurément au milieu de cette longue anarchie, et qu'elle 
s'y maintenait surtout par l'influence mystérieuse que Constanti- 
nople a continué d'exercer sur ces mêmes provinces., lors niiéme 
qu'elles eurent été érigées en États indépendants, à la suite et par 
le fait des invasions germaniques. Cette influence byzantine, qui 
s'explique en partie par l'étroite solidarité qui unissait, à Rome, le 
système stathmétique proprement dit et le système monétaire 
réformé après le partage de l'empire par Dioclétien et par Cons- 
tantin , est tellement marquée dans les premiers temps du moyen 
âge, qu'elle a probablement eu pour résultat de frapper de discrédit 
les poids romains occidentaux de marbre et de bronze, qui avaient 
prévalu , jusqu'à la chute de Rome , dans la jJupart de ces provinces. 
Nous avons vu et étudié un assez grand nombre de ces poids du 
Haut-Empire réglés dans les derniers temps sur des étalons officiels 
conservés au Capitole de Rome» comme nous l'apprennent de 
curieuses inscriptions gravées sur la tranche de plusieurs de ces 
poids {exactam in CapitoUo, de là le mot roman et français exact) ^ 
et nous avons remarqué, comme un fait assez significatif, qu'ils ne 
présentent presque jamais de signe ou d'estampille qui permettent 
de les croire encore usités après l'année Â76, tandis que le nom 
de Constantinople était devenu tellement oflSciel et tellement con- 
cluant, même avant cette époque, qu'il suffisait de l'inscrire sur 
le champ d'un poids pour lui donner une sorte de valeur légale, 
comme le prouvent des poids hexagones assez grossiers d'apparence 
que l'on découvre fréquemment dans le sud de la France , et qui 
portent pour légende le mot Constantinopolis , écrit en abrégé 



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— 145 — 
COIS, comme sur les monnaies byzantines des derniers Fla- 



viens 




48 grammes. 

2** Parmi ces nouveaux poids, qui allaient devenir, au v* et au 
VI* siècle, les poids légaux de noire Occident, quelques-uns sont 
tellement byzantins de type, de fabrique et de style, qu'il est 
bien difficile de ne pas les croire byzantins ou tout au moins 
orientaux d'origine. Les sigles dont ils sont inscrits, au-dessous 
ou à côté de la croix initiale, sont presque toujours des lettres 
grecques incrustées en lamelles d'ai^ent dans le champ du stathme, 
par un procédé analogue au damasquinage des Orientaux , mais 
byzantin et même grec d'origine , comme le prouveraient seules 
les belles incrustations d'argent d'Herculanum et de Pompeï. 





a 5 grammes. a 5 grammes. 

D'autres nous offrent, à côté de ces indications bien concluantes 

• Les lettres COB que Ton voit gravées de la même manière sur un poids by- 
zantin du musée d* Avignon , de forme octogone , pourraient n*être qu'une abrévia- 

ARCHÉOLOGIE. lO 



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— lao — 

déjà, des effigies ou des images impériales représentées en buste, 
en pied, ou assises côte à côte, comme sur les monnaies byzan- 
tines des premiers siècles, dont la plupart sont déterminées 



M VK f^m 



m'i 







80 gramnie«. 

aujourd'hui. Il y a toute raison de croire que ces poids, étrangère à 
notre Occident , y auront été naturalisés par le commerce d'outre- 
mer, qui les introduisait dans nos ports de la Méditerranée, à 
Massilia, par exemple, et, de ces ports, dans les grandes villes 
marchandes de l'intérieur, comme Arelale et Lugdanam. Mais, à 
côté de ces spécimens dont tout atteste l'origine orientale, on en 



■M- 



(PS. 



il d 



. '-Ti' ' 



'si 



m 

■ÉÉÉÉÉiÉdiiiP 



89 grammes. 

rencontre fréquemment d'autres où tout trahit, au contraire, une 
origine occidentale et indigène : car les sigles, toujours latines 

lion du mol CONOB, bien connu de» numismatistes , cl indiqueraienl aussi "»> 
poids fabriqué à Conslanlinopte , dans le système que l'on désiprnait sons ce mot de 
convention. 



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— 147 — 
cette fois, sont le plus souvent gravées au trait et quelquefois 
d*une manière assez grossière, ccnnme dans les prétendus poids 
de Constanlinople auxquels nous faisions tout à llieure allusion. 
Quelques-uns nous offrent, à côté de ces lettres latines, des mo- 
nogrammes latins analogues à ceux que les rois des Vandales et 
des Visigoths faisaient graver sur leurs deniers d^argent. D^autres 
portent en toutes lettres des noms de rois barbares, comme celui 
de Théodoric, que nous offre un beau poids du musée du Louvre 
(D. N. THEODIIRIGIj, ou celui de Charlemagne, gravé, en ma- 
nière de légende (G AROU PONDVS), autour du célèbre poids 
carlovingien publié au xvii' siècle par Janus Gruter; d'où nous 
concluons que ces poids byzantins, comme on les appelle à tort, 
sont tout simplement des poids barbares, frappés, il est vrai, à 
rimitation des poids byzantins, dont ils rappellent exactement le 
calibre, la forme et le type. 

3* Ce serait donc , en règle générale , sous Tinfluence de By zance , 
rhérilière collatérale de Rome et de Ravenne *, que serait restée pla- 
cée, jusqu'à Tépoque carlovingienne , ce que Ton appellerait, d'un 
mot assez impropre, la staihmétique occidentale, puisqu'elle n'était 
en réalité qu'une continuation ou une imitation de la stathmétique 
byzantine. Toujours solidaire de la numismatique, à laquelle elle 
touche par bien d'autres côtés encore, elle subissait, comme elle, 
et elle a subi pendant plusieurs siècles cette influence étrangère 
et officielle tout à la fois, que Ton sent, du i^ste, à cette époque, 
dans toutes les branches de l'industrie et de l'art , depuis l'orfè- 
vrerie et la glyptique, si longtemps byzantines dans tout l'Occident, 
jusqu'à la sculpture proprement dite, jusqu'à la peinture, dont 
Cimabué n'a fait que rajeunir les types, jusqu'à l'architecture^ où 

' Le point de départ du système stathmétique, dont Byzance allait se trouver 
ainsi ia gardienne officielle, remonte bien certainement à une époque antérieure 
à ia chute de f empire d*Occident; car il existe des poids occidentaux (h ta Biblio- 
thèque impériale, au musée du Louvre et ailleurs) dont quelques-uns rajTpellent, 
par la forme comme par le type , les poids byzantins dont nous sommes ici frappé. 
Nous citerons entre autres un beau poids octogone récemment acquis par nous , 
qui porte pour légende les trois lettres H I N épargnées en creux dans le champ 
du poids, et dans lesquelles il nous parait difficile de voir autre chose que les 
mois : Honorl No.ffri (pondns Honorii nnstri). 



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— 148 — 
les formes byzantines se marient de si bonne heure aux formes 
romanes particulières à Tancien empire d'Occident. A l'exemple 
de leurs sujets (c'est de cette époque que datent le nom et la chose) , 
dont les yeux se tournaient involontairement vers cette grande 
ville, où vivaient encore Içs dernières traditions et les dernières 
règles de la vie civilisée, les rois barbares eux-mêmes la subissaient 
en fait, sans en reconnaître mais sans en contester la légitimité. 

La stathmétique n'était-elle point, en effet, comme le conmieroe 
et l'industrie dont elle relève directement, une chose essentielle- 
ment indigène, dont la réglementation échappait aux rois bar- 
bares, puisque tout s'y passait, pour ainsi dire, en dehoi*s et au- 
dessous de la société conquérante? Ce serait dans le palais des 
Césars byzantins, à Magnaura ou à la Corne-d'Or, que l'on trou- 
verait, à cette époque, les étalons et les règlements de ces poids 
étrangers, qui restaient le poids légal des barbares, de la même ma- 
nière que la monnaie byzantine était. restée leur monnaie légale^ 
surveillée seulement et contrôlée par eux. 




1 7 grammeii. 



Il est même impossible de douter, en voyant le mot solidns 
(SOL Xn, SOL XXIV) gravé au trait sur le champ de tel ou tel 
de ces poids, au lieu des mots sacramentels Xirpa, oùyxia et 
ypd^fia [Ubra, uncia et gramma), que les poids ainsi notés n'aient 
été destinés le plus souvent au contrôle et au pesage des monnaies 
dont la stathmétique refléterait ainsi les altérations avec une sorte 
d'exactitude. On sait, en eflet, que les espèces monnayées d'or et 



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— 149 — 
d^argent, dont les faussaires altéraient le poids, dont ies gouver- 
nements avaient, bien des fois, altéré le titre, n'étaient acceptées 
qu'au poids parles percepteurs de Timpèt^dans Tempire d'Orient 
comme dans Tempire d'Occident, et que cette habitude elle-même 
s'est perpétuée pendant tout le moyen âge, dans la plupart des 
États occidentaux de TEurope, où les métaux précieux, les pier- 
reries et les denrées médicinales avaient presque partout un sys- 
tème de poids distinct du système des poids locaux et soumis plus 
étroitement au contrôle de l'autorité centrale. 

à^ On entrevoit, par le peu que nous venons de dire, comment 
le rè^ne de la livre romaine a survécu au vieil empire au sein 
duquel eUe était née, et s'est perpétué, sous le couvert des em- 
pereurs byzantins, jusqu'aux plus mauvais temps du moyen âge. 
On peut même dire «ans exagération qu'en restant romaine de 
système comme de nom, elle est restée fidèle à la population 
romaine, dont elle n'a jamais séparé complètement sa destinée. 
Si nous avions le temps de suivre plus attentivement l'histoire de 
ses transformations, qu'on pourrait appeler aussi celle de sa déca- 
dence, nous la verrions s'enfermer comme elle et avec elle dans 
les villes romaines, où survivaient, sous la forme consacrée des 
corporations, les dernières traditions du conmierce et de l'indus- 
trie antiques, dans l'intimité et sous la dépendance du pouvoir 
municipal, dont elle est restée l'un des attributs les plus essentiels. 
A la fin de la dynastie mérovingienne, dont la domination a sur- 
vécu chez nous plus de deux siècles à celle des Burgondes et des 
Visigoths, à denû Romains de culture, on la retrouve, à quelques 
altérations près, marquée des mêmes caractères qu'au temps des 
Antonins, divisée, comme livre poids, en 12 onces, dont le poids 
n'avait pas sensiblement changé; comme livre monnaie, en 72 so- 
lidi, qui se subdivisaient en tiers de sous d'or, adoptés comme 
monnaie courante par la plupart des peuples barbares , avec l'an- 
tique denariag d'argent, ce multiple du vieux sesterce, dont la 
stathmétique elle-même n'a point complètement -oublié le nom. 
Nous pourrions citer, à l'appui de cette assertion , les nombreux 
stathmes byzantins ou barbares qui portent pour légende la sigle 
N (numus), suivie de lettres ou de chiffres variables comme dans 



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— 150 — 
les poids de soliili, auxquels nous faisions tout à l*heure allu- 
sion ^ 

En stathmétique, comme en beaucoup d'autres choses, Byzance 
s'était trouvée ainsi l'héritière et la gardienne des traditions de la 
civilisation antique, dont elle a eu], plus d'une fois, pour mission, 
de nous conserver et de nous transmettre le dépôt. Mais il est facile 
de comprendre en même temps ce que devait avoir de précaire 
et d'inégal cette influence toute historique, conune on dirait en 
Allemagne , exercée par une grande ville en déclin sur des pays 
éloignés, qui ne relevaient plus même de l'empire, malgré les 
titres officiels de consul, de patrice, de vir inlaster, que briguaient 
leurs nouveaux maîtres. Il n'est même point absolument sûr que 
Rome, qui avait essayé longtemps avant elle cette œuvre difficile, 
et qui l'essayait dans de tout autres conditions de succès, ait réussi 

^ Cesl à cette 'série, dont le musée du Louvre possède à lui seul sept ou huit 
exemplaires variés, qu'appartient le spécimen suivant, qui offre pour toute lé- 
gende les deux lettres N E, gravées dans le cbamp du poids en belles majuscules 
et surmontées d'une petite croix. 




93 gramme^. 

De quelque manière que Ton explique ces ietti'«s , tantôt grecques et tantôt la- 
tines, elles ne peuvent être dans tous les cas que des indications statfamétiqnes ou 
monétaires dont le seus devait être clair pour tout le -monde à cette époque , 
car les marchands anciens n'inscrivaient point leur nom sur les poids de leur 
comptoir comme le faisaient si volontiers nos marchands du moyen âge. Le 
premier exemple à nous connu de cette particulaiité nous est fourni par un'petit 
poids rond du ix* ou du x' siècle, qui porte, à deux reprises, le nom de Rodulphe 
( RODVLFVS NEGOTIENS). gravé à la pointe sur la tranche du poids. Cet 
intéressant spécimen, qui appartient aujourd'hui au musée deBnaelles, a fait 
antérieurement partie des collections Van Bockel et Meynaert, et provient proba- 
blement de ia France, comme la plupart des [)oids que M. Meynaert avait recueillis. 
11 pèse a36 grammes (demi-livre franque) et il est décore d'un côté, car le revers 
est lisse, de fuseaux et de demi-cercles entrelacés. 



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_ 151 — 

à faire prévaloir partout, comme poids légaux et coimne poids 
exclusifs, ses beaux exagia de marbre ou de bronze, auxquels elle 
avait confié la mission de déposséder et de remplacer les poids de 




80 gramincn. 

forme et de système divers essayés probablement avant la conquête 
romaine. Ce que Ton peut affirmer, au moins, c'est que Ton re- 
trouve, à des époques plus rapprochées de la nôtre*, il est vrai, 

' Nous songeons, en écrivant ceci, aux stathmes de certaines villes du bas 
Languedoc, rarement romaines d'origine, et dont les poids n'ont plus aucun 
rapport avec ceux des villes romaines dont elles subissaient le voisinage et l'in- 



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fluence légale dans les idée» romaines. Nous citerons comme exemple de ces 
anomalies locales les poids de plusieurs petites villes dos Cévenne» , f|ui offrent. 



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— 152 — 
parmi les poids de nos villes méridionales , des diversités de forme 
et de calibre tellement marquées parfois , qu'il devient bien difficile, 
en y réfléchissant , de les expliquer par des circonstances purement 
accidentelles et surtout par des accidents de date récente. 

5® Charlemagne est le premier des rois barbares qui se soit cru 
le droit de remanier et de modifier le système de poids usité de 
son temps, pour en rétablir la valeur, graduellement abaissée sous 
les rois mérovingiens , et peut-être ne s'est-il cru autorisé à tenter 
cette réforme qu'à titre d'empereur ou de César, qui lui donnait 
des droits égaux sous ce rapport à ceux des empereurs byzantins. 
La livre romaine de 12 onces se trouva portée sous lui, comme 
la livre monnaie dont elle était toujours solidaire, de 12 onces 
à i3 onces j; c'est-à-dire, en d'autres termes, que ce fut sous lui 
et par lui que commença le mouvement continu de transforma- 
qui devait avoir pour résultat définitif de substituer à la livre 
romaine de 12 onces la livre franque ou française de 16 onces, 
dont l'usage, généralisé par degrés, était devenu conmiun, dans 
les derniers siècles , à la plupart des peuples civilisés de l'Europe. 

Le désordre et l'anarchie dans lesquels tout retombe après lui, 
en isolant par degrés les provinces et les villes, en les rendant 

comme ceux de Lodève, la forme d'un rectangle massif divisé en carrelets de 
poids égal (livre de 5oo grammes; les carrelets qui forment les subdivisions de 




160 



gnn 



cette livre anomale pèsent, en général, 100 grammes chacun), et ceux d'uur 
autre ville du bas Languedoc ou de la Provence (elle est encore indéterminée 
malheureusement) dont les poids, très -anciens d'apparence, affectent la formf 
d'un cube régulier dont les angles sueraient régulièrement abattus. 



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— 153 — 
^oîstes et jalouses les unes des autres comme les gouvernements 
dont elles relevaient, avaient eu pour résultat de raviver, en stath- 
métique comme en toutes choses, Tesprit d'individualité qu'il avait 
vainement essayé de r^er et de contenir. C'est dans cette période , 
à peu près inconnue , du restç, qu'achèvent de se briser iesderniers 
liens de vie concunune qui rattachaient encore les unes aux autres 
telles ou telles de ces villes, et les reliaient elles-mêmes à cette 
vieille métropole, Constantinople, restée le dernier foyer de la 
civilisation antique. Sous les gouvernements qui essayent de naître 
ou de se constituer, en dehors des villes le plus souvent, quelque- 
fois en hostilité flagrante avec elles, les principes d'anarchie, que 
Rome et Byzance n'avaient point réussi à contenir ou à maîtriser 
complètement, reprenaient par degrés le terrain qu'ils avaient 
momentanément perdu sous le règne des Césars germaniques. 
C'est à celte époque de dissolution qu'appartiennent les poids 
de toute forme et de toute matière auxquels font allusion les 
chartes de réforme stathmétique du un* ou du xiv* siècle, que les 
villes du Midi faisaient briser et détruire publiquement quand 
elles introduisaient chez elles le système du poids de Toulouse^. 
La mauvaise foi , que les règlements les mieux, entendus et la 
surveillance la plus sévère ne parviennent jamais à décourager 
complètement, se mêlait, pour en tirer parti, à cet arbitraire des 
systèmes et des formes qui paralysaient le commerce et l'industrie 

^ Nous croyons pouvoir citer, parmi ces poids de transition , un prétendu poids 
romain <2« ^/ofit6 (première objection), que M. de Montégtit avait découvert à 
Toulouse , au cimetière de Saint-Roch , dans le faubourg méridional de ia ville 
antique, et qu'il décrit, sans le dessiner, malheureusement, avec des détails qui 
se contredisent sur des points bien graves; car il présume, d'un côté, que le 
monument dont il s'agit est un poids romain, et, de Tautre, il aHirme que son 
poids répondait exactement à celui de la livre de Toulouse , poids de marc au 
xvm* siècle. La forme du monument rappellerait plutôt celle des poids barbares 
de Lodève (voyez plus haut) que celle des poids romains proprement dit. « 11 a six 
lignes d'épaisseur et dix-huit de largeur à chacun des côtés , • et il portait sur sa 
face principale , dans une sorte de dépression carrée , les restes de la sigle L (Livra) , 
que nous n'avons jamais remarquée non plus sur les poids romains du Haut ou 
du Baa-Ëmpire. (Notice sortes anti<fmtés découvertes à Toulouse dans le cours des 
années 1783-1785» Mém, de V ancienne Académie des sciences, inscriptions ei bt lies- 
lettres de Toulouse, t. 111 , p. 286. ) 



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_ 154 — 
tout à la fois. L^achat et la vente, que personne ne surveillait plus, 
étaient retombés, dans certains pays, à de simples échanges en 
nature , qui rappelaient ceux des temps primitifs. 

Mais le remède allait sortir, comme il arrive toujours, de 
Texcès du mal iui-méme, et, dès la fin du m'' siècle, les rois 
capétiens de l'île -de -France avaient repris pour leur compte 
Tœuvre d'unité stathmétique , abandonnée depuis la diute des 
empereurs germaniques^. Seulement, l'évolution que nous avons 
déjà signalée dans le système des poids romains ou byzantins 
s'était continuée silencieusement pendant cette période obscure 
de deux ou trois siècles, et le type que les agents des rois capé- 
tiens propageaient dans les provinces annexées, conmie ils y 
propageaient la coutume de Paris et les formes administratives 
de l'Île-de-France, n'était autre chose que la livre de i6 onces, 
représentée à cette époque par la livre de Tours (livre tournois], 
et par la livre de Paris (livre parisis), dont le nom est resté juste- 
ment célèbre. 

6^ Il est impossible de douter, quand on y regarde avec un peu 
d'attention , que le système des poids méridionaux que nous dé- 
signions tout à l'heure sous le nom de poids de Toulouse ne soit né 
lui-même sous l'influence que les rois de l'Île-de-France exerçaient, 
dès cette époque, sur la plupart des provinces méridionales. A le 
prendre chronologiquement , il appartient à l'époque de transition , 
féconde et intelligente du reste , qui se place entre le gouvernement 
autonome de nos comtes et le gouvernement étranger des rois ca- 
pétiens, qui commence immédiatement après la mort du comte 
Alphonse, en Tannée 1270. Par son système de pondération, que 
nous permettent d'apprécier, à défaut de la charte d'institution 
malheureusement perdue, de magnifiques séries ascendantes et 
descendantes contemporaines de celte institution,. il appartient 
évidemment à un nouveau système stathmétique, que des causes 

* Les comtes de Flandre, dont les villes ont eu aussi leurs poids municipaux, 
de date assez récente , il est vrai , paraissent avoir eu la même idée et à la même 
époque : • Per totam Fiandriam débet esse equale pondus. 1 (Texte d'une ordonnance 
de Baudouin IX , de Tannée 1 1 99 * cité dans un article sur les poids et mesures en 
Flandre, Mémoires de la Société dunkcnjaoisc, années iSGs-iSGS, p. 68 et stiiv.) 



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— 155 — 
de plus d*un genre travaillaient à préparer, mais que le gouverne- 
ment du comte Alphonse n'en a pas moins eu l'honneur de for- 
muler et d'inaugurer chez nous. Comme la livre parisis, qui lui a 
servi de point de départ et de type, la livre toulousaine de lùig 
se divise matériellement en 16 onces, qui se subdivisent par frac- 
tions égales au-dessus de la livre {libra^^livra) et de ses multiples : 
livre, deux livres, quatre livres ; livre, demi-livre (8 onces) , quart 
de livre [i onces), demi-quart (2 onces), once, demi-once, quart 
d'once, huitième d'once (en roman uchaa, du latin octavam). Mais 
elle diffère par tant d'autres côtés du type étranger sur lequel elle 
semble se régler matériellement, que cette imitation ressemble 
de bien près à une' fin polie de non-recevoir.. En devenant une 
province de la France du Nord, avec laquelle la liaient, depuis 
longtemps déjà, des relations de toute espèce, elle tenait à con- 
server au moins, dans cette alliance, devenue inévitable, une sorte 
de personnalité distincte, et c'est probablement à ce caractère 
conciliant et national, tout à la fois, qu'elle a dû les sympathies 
presque universelles qui paraissent l'avoir accueillie à ses origines 
et la longue popularité dont elle a joui pendant plus de six siècles 
dans tous les pays de langue et de culture romanes, depuis les 
Pyrénées jusqu'aux Alpes. 

7* Sans parler de son poids spécifique, inférieur de près d'un 
cinquième à celui de la livre du Nord, et qui se rapprocherait 
beaucoup plus de celui de l'ancienne livre romaine, conservée, 
presque sans altération, dans quelques-uns des pays voisins, 
comme la Ligurie, la Toscane et les Etats de l'Église, avec lesquels 
les villes du Midi sont restées longtemps en relations intimes, 
n*est-il pas évident qu'elle restait beaucoup plus fidèle aux tra< 
ditions et aux habitudes municipales au sein desquelles est née 
la stathmétique méridionale, toute romaine d'origine, comm<* 
nous venons de le voir? Il suffirait, pour s'en convaincre, de par- 
courir les règlements municipaux ou consulaires, comme on les 
appelle dans le Midi , qui ont réglé dans chaque ville l'établisse- 
ment du nouveau système; de voir, sur les nombreux monu 
menU qu'il nous a laissés, les armoiries de la ville se maintenir 
avec l'idiome local , bizarrement assm^ié sur les mêmes poids «\ la 



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— 156 — 
langue latine d*où il était sorti, au-dessous du chef de France, ou 
à Ta vers de la fleur de lis royale, qui s*étale tristement sans ar- 
moiries et sans légende sur les poids contemporains de Paris et du 
Nord. Ici c'est la cité ronoiaine qui se distingue obstinément sous 
son nom antique {Cieatat, Ciutat) du bourg ou de la ville neuve, 
qui se peuple et s'enrichit rapidement à ses pieds. Ailleurs, conmie 
dans le diocèse de Béziers, on la voit conserver en pleine féodalité 
l'ascendant qu'elle exerçait, à l'époque romaine et à l'époque chré- 
tienne, sur les populations de son territoire {pagi, y ici) y imposer 
son écusson aux villages de l'évêché, qui se contentent d'adosser 
silencieusement leurs armoiries à celles de la métropole dont ils 
relèvent toujours à un autre titre et sous un autre nom. A Car- 
cassonne, en plein xvii* siècle et en pleine monarchie (de l'année 
1667 à l'année iGgS), les consuls, dépouillés déjà de leurs pré- 
rogatives les plus légitimes, continuaient à inscrire magistralement 
leurs noms sur les poidà de la ville, autour de l'agneau passant 
armé de la bannière, auquel répondait au revers l'écu de France 
aux trois fleurs de lis , surmonté de la couronne fermée. 

Nous sommes même fort tenté de croire que les formes exté- 
rieures de nos poids, très-distinctes de celles des poids du Nord, 
n'avaient point rompu complètement avec ces souvenirs romains ou 
byzantins auxquels tout se rattache chez nous, et qui donnent 
en toutes choses une physionomie particulière à notre histoire. 
Abstraction faite d'un certain nombre de variétés et des nuances 
intermédiaires dont nous n'avons point à nous préoccuper pour lo 
moment, ces formes peuvent se ramener à deux types principaux : 
i"* celui des poids ronds ou monétiformes de Toulouse, sur les- 
quels se sont évidemment modelés ceux des provinces voisines ou 
dépendantes du haut Languedoc, depuis le Béarn et le comté de 
Foix jusqu'à l'Auveiigne et au Rouergue; 2* celui des poids rec- 
tangulaires du bas Languedoc et de la Provence, dont le type le 
mieux caractérisé est celui de la vieille république d'Arles, sur 
lequel paraissent s'être réglés à leur tour les poids des villes du 
voisinage ^ Or n'est-il pas évident que chacun de ces deux types 

' Quoique les poids rectangulaires auxquels nous faisons allusion ne remontent 
gu^^e au delà du xvii' siècle, nous ne doutons pas que le type qui leur a servi 



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— 157 — 
n'était au fond qu'une réminiscence des types romains et byzantins 
dont nous constations tout à l'heure la persistance dans les pro- 
vinces occidentales de l'ancien empire? Comme les poids de Tou- 
louse rappellent matériellement les poids circulaires et monétî- 
formes de l'époque carlovingienne, dont ils ne diffèrent que par 
leur double légende et leurs doubles armoiries, le poids d'Arles, 
avec ses formes rectangulaires à l'origine, avec son lion relevé à 
plat sur le cbamp du stathme, tandis que le revers reste complè- 
tement nu , rappelle de plus près encore les poids carrés, de forme 
et de fabrique byzantines, calqués eux-mêmes sur les poids auto- 
nomes des anciennes villes grecques ^ dont Térudition commence à 
se préoccuper. En abattant graduellement les quatre angles de ce 
rectangle, comme on parait l'avoir fait d'assez bonne heure, même 
à Constantinople (voyez plus haut) , on obtient une base octogone sur 
laquelle va s'enter à son tour l'écu armorié des villes de Provence 
ou du bas Languedoc, dont le type, plus JQune en général que 
celui du haut Languedoc, n'en restait pas moins fidèle, comme on 
le voit, à la tradition antique que nous essayons de suivre au 
milieu des transformations obscures qu'elle a traversées. 

fie point de départ n ait traversé le moyen âge (ont entier comme celui des poids 
octogones de la même ville. Mais pourquoi ne retrouve-t-on dans Tun comme dans 
Tautre de ces deux types que des poids de date récente dans cette ville séculaire , 
si longtemps libre et florissante? Il en est ainsi du reste de la plupart des villes du 
bas Languedoc et de la Provence , dont les poids , à l'exception de ceux d'Avignon , 
remontent rarement au delà du xvi' siècle. 



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NOTICE 

SUR 

QUELQUES ÉMAUX BYZANTINS 

DU XF SIÈCLE, 

CONSERVÉS AU MUSÉE NATIONAL DE PESTH (HONGRIE), 

PAR M. CH. DE LINAS, 

MEMBRE NON RESIDANT OU COMITÉ IMPERIAL DES TRAVAUX HlSTORlQUCs 
ET OIS SO€léTSS SAVANTES. 



En 1860, pendant c|uon travaillait à un champ sur le, ter- 
ritoire du village de Nyitra-Ivanka (Hongrie), la pioche des ou- 
vriers mit au jour un certain nombre de plaques d^or émaillé 
enfouies à quelques pieds sous terre. Le musée national de Pesth 
s'empressa d'acquérir ces plaques, et deux d'entre elle» ont été 
envoyées à l'Exposition universelle de 1867, où, grâce à la bien- 
veillance de MM. les Commissaires, F Rômer et E. Henszlmann, 
j'ai pu les étudier à mon aise dans la galerie hongroise de THis- 
toire du travail. Cinq autres me sont connues par la magnifique 
chromolithographie publiée à Vienne dans les Kleinodien des heiligen 
rômischen Reichcs deutscher Nation : cette planche , grandeur d'exé- 
cution , ne laisse rien à désirer si Ton a tenu en mains un seul 
des objets originaux. 

MM. Erdy, conservateur du musée de Pesth, Arnold Ipolyi, 
chanoine d'Eger, et F. Bock se sont occupés des émaux trou- 
vés à Nyitra-Ivanka. M. Erdy n'a rien précisé quant à leur usage 



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— 160 — 
spécial ^ ; M. Ipolyi a reconnu qu'ils avaient fait partie d'une 
couronne 2; M. Bock a adopté l'opinion de M. Ipolyi '. Je partage 
complètement la manière devoir des deux derniers savants; mais, 
tout en reproduisant leur argumentation , je me permettrai d'y 
ajouter plusieurs remarques qui me sont personnelles. 

Sept plaques ont la forme d'un rectangle arrondi au sommet. 
Une seule, plus élevée, manque de pendant; six, assorties deux à 
deux, vont en diminuant graduellement de hauteur. Chaque écus- 
son comporte une figure nimbée; en pied , émaillée sur fond d'or 
par le procédé du cloisonnage mobile ; cinq sont accotées d'en- 
roulements et de perroquets; les dernières sont flanquées de deux 
cyprès, sur lesquels perchent quelques oiseaux ; le tout aussi émailié. 
La première plaque mesure o",i 16 sur o"*,o5o; elle offre l'image 
d'un empereur vêtu d'une robe talaire jaune , sous le aéxKOS impé- 
rial , bleu foncé à cœursjaunes; par-dessus, un Xôîpo^ jaune, bordé 
en rouge et décoré de saphirs, entoure le col et la taille du person- 
nage, qui est coiffé de la couronne polygonale (t/léfifjLa, fioSioiXos], 
d'où s'échappent les pendeloques {ispeTrevSovXtay xaretaeialà j3a 
atXtxd) , et chaussé de bottes écarlates à tiges dorées (TÇoyy/ai). Il 
tient de la main droite un làbarum à longue hampe rouge, de la 
gauche, le volumen ou mieux la mappa avec laquelle les consuls 
donnaient le signal des jeux. Au haut de l'écusson , on lit l'inscrip- 
tion suivante, répartie en deux moitiés^ : 

KQNCTANTINOC AVTOKPATOp POMEON MONOMAXOC. 
Constantin, e^npereur des Romains, le Monomaqne. 

Les plaques 2 et 3 ont o"*,i09 sur o",Oil9. Chacune présente 
l'effigie d'une impératrice en longue robe bleue, à cœurs et para- 
gaudœ jaunes. Un (laCpSpiov jaune à dessins bleus enveloppe les 
deux figures, qui ont le sceptre en main , le (loSioXos aux xaTouretolà 
avyoval taxa sur la tête, et des sandales rouges aux pieds. Ces 
images sont absolument semblables; elles ne se distinguent que 

^ Arckaeologiai KôzUménjrek (Comptes rendus archéologiques de l'Académie df 
Pesth), t. II, p. 386 et suiv.î Pesth, 1861. 
' Archaeologiai Kôtleménjrek , t. II, p. 78. 

^ KUlnodien, etc.; KathoUsche Welt; Revue de l'art chrétien, 1867. 
* Voyeï la planche X, fip. 1. 



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— 161 — 
par les inscriptions, fautives d^orthographe, placées à leurs côtés : 

ZÛH 01 EVCAIBAICTATH AVrOVCTA. 
Zû»^ li eiatSst/ldmi Avytwala {Zoé la tris-pieiuf Aaguste) K 

eeOAÛPA H eVCAIBeCTATI AVrOVCTA. 

SeoSoipa i) eva-eêec/lérv AvyoScfla ( Théodora la très-ptease Auguste). 

Les numéros 4 et 5 (o"',ioi sur o'^fO^y) montrent des dan- 
seuses, une jambe en Tair, agitant gracieusement autour délies de 
riches écharpes multicolores; elles portent de longues robes bleues 
traînantes sous de courtes tuniques lâches (caracos), blanches ou 
vert clair, le tout garni de parâ^aadie jaunes rehaussées de pierreries; 
leur chaussure consiste en impilia rouges dans des calceifeneslrati^. 

Les numéros 6 et 7 (o",o89 sur o",o42) offrent, par un singu- 
lier contraste, deux vertus qui ne caractérisaient probablement pas 
le vil Constantin X. H TATTIN0CIC(9} ransivùxTn), F Humilité, aies 
mains croisées sur la poitrine, et trois vêtements d'inégales lon«- 
gueurs Tun par-dessus Fautre : robe talaire jaune , adxxos vert à 
lambrequins, courte tunique bleue serrée à la taille par une cein^ 
ture'. H AAI0HA (ij dXffdeta) , la Vérité, tient une croix de la main 
droite et de l'autre s'essuie le visage avec un sadarium ; elle a le 
même costume que l'Humilité, sauf les couleurs du a-dxxosr qui est 
bleu, et de la tunique , qui est rouge. 

L'examen des deux plaques exposées au Champ-de-Mars ma 
révélé un fait curieux, que personne, du moins en France, n'avait 
observé avant moi : elles ont été fabriquées par un double procédé. 
Les silhouettes des personnages et des grands accessoires , l'orne- 
mentation courante qui les accompagne, et aussi les inscriptions, 
sont estampées au moyen d'une matrice. Les cuves assez profondes 
déterminées par l'estampage des silhouettes ont ensuite servi d'ex- 
cipient à un émail cloisonné d'une beauté et d'une délicatesse 



* Planche X, fig. 2. 
' Planche X, fig. 3. 
» Planche X, fig. 4. 

AKCIIÉOLOGIE. 



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— 162 — 
incomparables. Quant à rornement courant (enroulements) cl aux 
inscriptions, l'ouvrier s'est borné à en affermir le trait par un lé- 
ger coup de burin , puis il les a émaillés suivant la méthode du 
champlevé. L'estampage ainsi appliqué à l'émaillerie sur champ 
d'or économisait le métal; car, si peu tjue oe soit, l'action du bu- 
rin en fait toujours perdre. J'ai Tintime conviction qu'en démon- 
tant la pala d'oro de Venise, les couronnes de Vienne et de Hongrie, 
enfin tous les émaux cloisonnés sur fond d'or, en s'assurerait que 
ces pièces, conmie les écussons de Nylt^a-'Ivanka, ont été préparées 
par l'estampage. Utt précédé maintenant usité pour la fabrication 
des émaux à "bas prix était donc connu à Byzance vers le milieu 
du XI* siècle, et sans doute auparavant. 

J'ai dit plu« haut «que MM. Ip#lyi et Bock regardent les plaques 
du musée de Pesth conmie étant les débris d'une couronne ; M. Bock , 
qui n'ra a reconnu et publié que sept, avance qu'une huitième 
devait compléter l'ensemble : la suite prouvera que cette hypo- 
thèse était bien fondée. La comparaison de la trouvaille faite à 
Nyitra-Ivanka avec la couronne impériale dite de Ckta/iemagne, 
la couronne royale de Hongrie et les couronnes byzantines figurées 
sur les monuments , étaye puissamjoient les assertions du chanoitoe 
hongrois et de Tarchéologue prussien. 11 y avait, j'en suis sâr, à 
Constantinople, un atelier spécial où l'on confectionnait des cou- 
ronnes à l'effigie du souverain régnant, destinées à être remises en 
signe d'investiture aux princes barbares alliés ou sujets de l'Em- 
pire. En 5ao , Tzathius, fils de Zamnaxis, roi des Lazes, sollicita de 
Justin I*' l'investiture des Etats paternels. La couronne dite de saint 
Etienne oflre les bustes émaillés de l'empereur Michel Ducas(i07i- 
1 o 7 8) , de Constantin Porphyrogénète , fils de Michel , et de FecSSm, 
SeavrAriif 'Vtt/lhs xpéXtjs Tûôpxtaify Geéwitz, soaverain fidèle de la 
puissante Turquie (Hongrie) : elle fut donc envoyée au roi Geysa I**, 
à son avènement au trône de Hongrie en 1074. Constantin Mono- 
maque régna de 10^2 à io54; mais la vieille impératrice Zoé, 
qu'il avait épousée afin d'arriver au pouvoir, mourut en io5o. 
Pendant deux mois, à compter du 2 1 avril io42 , Théodora, con- 
jointement avec sa sœur Zoé , occupa le rang suprême à Byzance 
après le renversement de Michel V, circonstance explicative de laf 



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— 163 — 
présence d*unê seconde impératrice sur notre insigné des souverains 
de la Hongrie. La date de fabrication des émaux de Nyitra-Ivanka 
étant forcément comprise entre les années io42 et io5o, il en ré- 
suite que ia couronne dont ils faisaient partie ne put être adressée 
qui André I* (io46-io6i). Bien qu'André ne fût parvenu à 
conquérir ie sceptre de saint Etienne, son cousin , qu'en promettant 
de s'opposer aux développements du christianisme, il ne crut pas 
s'être engagé irrévocablement et se dédara dans la suite pour la 
nouvelle religion. C'est, sans nul doute, i l'époque où André abjura 
ouvertement le paganisme, que la couronne lui fut remise au nom 
de Constantin X. La réintégration de Pierre Orseolo [V Allemand), 
en 1 o4/l , ne nécessitait pas une nouvelle investiture de la part d'un 
suzerain nominal résidant à Constantinople; d'ailleurs Pierre, «'étant 
reconnu vassal de l'empire d'Allemagne , ne devait guère entretenir 
de relations avec les empereurs d'Orient La question lae semble 
affirmativement résolue par la découverte d'une huitième plaque 
apportée au musée de Pesth en juin 1861 ^ Cette plaque circu- 
laire (o^fOsg de diamètre) ofire un buste de saint avec la légende 
O Ayi^ ANAP6AC ^ et servait évidemment de Cermoir àk cou- 
ronne. Le portrait du prince barbare ny figure pas, il est vrai, 
comme il figura un peu plus tard sur l'insigne adressé par Michel 
Ducas à Geysa I*', mais on a rauplacé 1 effigie du roi par celle de 
son patron, et ici saint André caractérise suffisanameat le destina- 
taire de l'objet. Au reste, saint ou roi sont représentés sur les deux 
oouronnes en dimensions inférieures aux images impériales, ex- 
pression vraisCTublable de la distance qui séparait le suzerain du 
vassal. Appuyé sur les analogies et sur les dates, j'avais, à la seule 
vue des 8q>t émaux puUiés par M. Bock, restitué sans hésitation 
à André P^ le don de Constantin Monomaque. Une circonstance 

^ M. Bock a depuis polbiié «n bois de cette fauitiëne filacfue [Kleinoéien , p. iSt). 
L'faenorable savant ne pense pas qu'elle ait appartenu k la couroane, et il base son 
opinion sur la grossièreté du travail , qui est bien inférieur à celui des autres émaux. 
La raison ne me semble pas coochiante; il est très-possible que, afin de mieux spé- 
cjaliser un insigne dont phisienn exemplaires existaient vraisemblablement, on 
ait choisi pour le fermer un émail de fabriqtie approprié au nom du destinataire 

« Planche X , fig. 5. 



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— 164 — 
heureuse, en plaçant sous mes yeux le dessin de la huitième plaque, 
a confirmé l'exactitude de cette attribution ^ M. le professeur Rô- 
mer ne m'en ayant pas contesté la priorité lorsque je ia lui ai 
soumise, je revendique, jusqu'à plus ample informé, Thonneur 
d'avoir, le premier, désigné par son nom le propriétaire légitime 
d'un insigne royal hongrois antérieur d'un quart de siècle environ 
à la couronne dite de saint Etienne, 

Une autre -question, également formulée par M. Bock, est jus- 
qu'aujourd'hui demeurée sans réponse. Il s'agit des causes qui 
motivèrent la destruction de la couronne et son enfouissement 
à Nyitra-Ivanka. Bien que ces causes soient enveloppées de té- 
nèbres, je chercherai néanmoins à en pénétrer le mystère et à l'ex- 
pliquer autant que possible* héla, frère d'André, ayant été exclu 
de la succession au trône de Hongrie , sollicita et obtint l'appui du 
roi de Pologne, Boleslas IL André, vaincu dans une sauvante ba- 
taille livrée sur les bords de Fa Theiss, fut fait prisonnier après 
avoir été foulé aux pieds des chevaux. N'admettra-t-on pas que les 
fidèles serviteurs, dépositaires des insignes royaux et témoins de 
la capture de leur maître, aient naturellement fui vers l'ouest, 
afin de se dérober aux poursuites, en plaçant entre eux et l'ennemi 
les nombreux cours d'eau qui vont, du nord au sud, se jeter dans 
le Danube? Arrivés sur les bords de la Nyitra, aiSuent du Wag, à 
une égale distance d'Ofen et de Presbouig, ces hommes dévoués, 
n'osant aller plus loin et voulant éviter que la couronne de leur 
malheureux prince ne tombât au pouvoir de Bêla, la brisèrent par 
morceaux et l'enfouirent profondément. M. Bodi a fait graver une 
restauration de la couronne de Pesth , en prenant pour modèle 
la couronne impériale de Vienne^; qui sait si cette riche monture 
d'or, rehaussée de filigranes et de pierreries, n'existait pas encore 
intacte au moment de la découverte ? La cupidité du paysan a 
causé la perte de beaucoup d'objets précieux, et l'histoire du trésor 
de Pétrossa n'est pas assez vieille pour qu'on l'ait oubliée. D'ailleurs 

*■ KépatUur (atlas) ax archaeologiai KôzUmémjrek, t. II, pi. I, fig. 8. Deni des 
plaques sont reproduites en couleur, les six autres en noir. Je dois la comma- 
jiieation de cet atlas à Tamitié de M. Rômer. 

• KUbtodien^ttc, Anhang; KathoUsche Weh; Revae de l'art chrétien. 



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~ 165 — 
les émaux trouvés à Nyitra-Ivanka n'ont été apportés à Pesai que 
successivement. 11 n^en faudrait pas tant pour éveiller chez moi 
des soupçons que TAcadémié nationale de Hongrie partagera 
sans doute, si elle ne les a déjà conçus. 

HM. Rômer et Henszimann , à qui j*ai communiqué ce travail, 
m'ont présenté à son sujet diverses observations que je crois utile 
d^nregistrer ici. i** Les effigies d'apôtres se rencontrent en général 
sur les produits de Tart byzantin : saint Jean, saint Pierre ou 
saint Thomas auraient donc pu fermer la couronne au ménoe titre 
que saint André. 2® On ne possède aucun document historique 
sur les rapports du roi André avec la cour de Byzance. 3^ Les 
hauts personnages symbolisés par leurs patrons célestes constituent 
une innovation postérieure au xi* siècle. 4* Les souverains hongrois 
n'étaient pas feudataires de Tempire d'Orient. 

Voici ma réponse à des objections dictées par le seul désir 
d'atteindre la vérité . Le choi)t, de saint André, à l'occasion d'une 
couronne envoyée en Hongrie quand le chef de la nation se nom- 
mait André, me semble trop caractéristique pour être l'effet d'un 
pur hasard. Les monuments figurés suppléent au silence de l'his- 
toire et la rectifient quelquefois. Les œuvres byzantines d'art sont 
peu conmiunes,. et l'absence de raffinements symboliques anté- 
rieurs au jkf siècle sur celles que nous possédons ne prouve abso- 
lument rien. Byzance étant le.pays des subtilités, le remplacement 
d^un roi par son patron n'a pas dû coûter beaucoup d'efforts à 
l'imagination grecque; de plus, .cette substitution d'images coupait 
court à toute idée d'égalité entre Monomaque et André, en même 
temps qu'elle ménageait Tamour-propre du dernier prince. En 
mentionnant la suzeraineté de l'empire d'Orient sur les Magyars, 
j'ai eu soin d'ajouter qu'elle était purement nominale. J'admets 
volontiers qu'en io46 la Hongrie ne s'inquiétât guère de Constan- 
tinople; mais les soi-disant maîtres du monde pensaient alors 
différemment et tenaient fort à maintenir leur autorité fictive sur 
des barbares qu'ils payaient cher, loin d'en recevoir un tribut 
quelconque. Pour renverser l'hypothèse d'une investiture accordée 
sans qu'on la demandât, je le concède, par Constantin X, à un 
souverain hongrois, il faudrait nier l'authenlicité de la couronne 



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— 166 — 
de Geysa. Je n*ai pas, du reste, la prétention d'avoir complète- 
ment résolu le problème qu'offrent à la science les émau]i de 
Nyitra-Ivanka. £n publiant une notice qui laisse sans doute k 
désirer, je n'ai fait qu'obéir à mon axiome favori : il vaut mieux 
s'exposer à conomettre cent erreurs qu'à étouffer une vérité. 



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ATTENDEZ-MOI SOUS L'ORME, 

DISSERTATION SUR UN ANCIEN PROVERBE, 

PAR M. FRANCISQUE MICHEL, 

CORliBSrOROANT DE LMH0TITUT, VKOfBSSBOIl À HA FACUftTé DES LBITKBS DB BOEOEAUX. 



Vers la fin du ivii* siècle, nos pères chantaient cette chanson, 
probablement plus ancienne, et basée sur on proverbe qui Tétait 
certainement' : 

Vou9 qui par béritage 
N'avez que vos appas » 
L'argent ny Téquipage 
Ne vous maiiqueix>nt pas. 
Malgré votre réforme, 
La veuve y pourvoira ; 
Attendei-moy sous Tormcv 
Pcut-estre elle y viendra- 

La fille du village 
Ne donne à rofficicr 
Qu'un amour de passage; 
C'est le droit du guerrier- 
Mais le contrat en forme ,. 
C'est le lot du fermier» 
Altendez-moy soun Forme, 
Monsieur l'aventurier ^. 

Regnard, d autres disent Dufresny, composa sur ce thème une 

' Corbinelli écrit au président de Moulceau, le ai novembre 1687 : tLe car- 
dinal Petrucci les attend sous l'orme (les inquisiteurs), et ils n'osent l'attaquer, 
parce qu'il a de l'esprit et du savoir, joints à une grande dignité.» (Lettret de 
AT' de Sévigné, édil. de Hachette . t. VIII . p. 1 38.) 

* La CUJde9 chansonniers, ou recueil des vaudevilles depuis cent ans et plus , no- 
tés et recueillis pour la première fou par J. B. Christophe Ballard, Paris, 1717, 
3 volumes in- 12, t. II, p. 228. 



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— 168 — 
comédie eu prose et eu uu acte, avec uu divertissement, qui fut 
représentée pour la première fois le g mai 169/i. Sous le même 
titre , nous rechercherons Torigine du proverbe. 



L'orme semble avoir été i un des arbres les plus affectionnés de 
nos ancêtres ^ celui qu'ils plantaient le plus volontiers dans les 
lieux habités et pour servir de point de réunion. Troubadours et 
trouvères en signalent à la porte des manoirs : 

Vecvos a Rossilho vengul Folcon , 
£ dissendet al olm , fors al peiro. 

{Gérard tU RossiUon, p. 5i. Cf. p. i85, a56.) 

Entrai en Rossillon par pont voltis, 
l'j descendi à Torme desor la viz . . . 

{Le Roman (le Gérard de RostilUm, édit. de Francisque Micbf4 , 
p. 333.) 

Là descendent soz un orniel , 
Sor un peron sist li frans hom 
Cui devoit esire la maison, 

(De la Maie Dame, v. 86. — Fabliaux et con'es, ëditico de 
Méoo, t. IV, p. 368.) 

Une ancienne charte du cartulaire de la Chapelle -Aude, au 
diocèse de Bourges, mentionne également un orme dans une 
situation semblable ^, et Le Grand d'Aussy, écrivant une note sur 
le Lai de Lan val, dit, à propos des degrés du perron de marbre 
qui était près de la porte et qui l'occupe tout d'abord : • Pour 
rondre les perrons plus commodes par leur ombrage, on y plan- 

* Cette essence abondait, à ce qu*il paraît» dans les environs de Paris. Au 
commencement du xm* siècle, la soustraction dVn certain nombre de pieds 
de cet arbre, jointe à d*autres griefs, donna lieu è un grave débat entre Tabbé 
de Saint-Denis et Mattbieu de Montmorency. Simon de Montfbrt, choisi pour 
arbitre du différend, décida que les ormes en litige, ou leur valeur, seraient 
rapportés au lieu où ils avaient été pris, et cinq arbitres furent nommés pour 
décider à qui ils devaient revenir. (Cart, S, Dionjs. Arch. de TEmpire, LL. 1 157, 
p. 389, col. 1 et 2. Febr. 1307.} 

■ Gloss, med. et inf, tatinitatis, t. V, p. 378 , col. 2 , sub verbîs Placita tcnere, — 
Fnigmcnudu carlulaircde la Chapelle Aude , etc. Moulind, 1860, in-8*, p. i44> 



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— 169 — 
tait un arbre, ordinairement un orme, et, dans plusieurs cou- 
tûmes, cet orme faisait partie de la portion des fiefs réservée par 
préciput à l'aînée » Nous ajouterons, d'après ia coutume d'As- 
senede, qu'il était désigné sous le nom d'orme d'ahri^. 

Comme le fait remarquer M. Léopold Delisle, maintes pa- 
roisses ou villages renfermaient un orme, auquel les populations 
devaient attacher quelques idées symboliques, et qui, à certains 
égards, pourrait être comparé à ces peupliers que nous 'avons vu 
planter sur nos places et à nos carrefours. Nous signalerons, avec 
le docte académicien, des ormes de cette espèce àËcardenville, 
Troain, Touffi-eville, près de Troarn, Robehonmie, Breteuil et 
Genêts', sans oublier l'ormeteau ferré de Gisors, appelé aussi 
Tormel des conférences, à l'ombre duquel Philippe- Auguste et 
Henri II en avaient tenu plus d'une*, et qui paya cher un pareil 

' Fabliaux ou contes, éd\U de Renouard, 1. 1, p. 194. — «La mote, dit Eusèbe 
de Laurière » est ie chef ou le princi])al lieu de la seigneurie, la place de la forte- 
resse ou du cliasteau qui tombe dans le préciput des nobles. La coutume de 
Troyes dit (tit. II, art. i4] : «Le préciput est le principal chasiel ou mnisonfjort, 
• mote, ou place de maison seigneuriale , n et: ainsi dans d'autres coutumes. Voyez 
la coutume de Chaumont , art. 8 ; Auvergne , c. m , art. 3 1 , et Cang. in GIoss. 
v" Mota,t [Glossaire du droit françois, édit. de mdcciv» art. Mote, t. II , p. 1 26.) 

' «Des maisons, des arbres montants hors d'atteinte par la tige, avec les deux 
raains, des troncs, des cateux, des choses prestées, d*ustancilles laissées sur 
quelques fonds, d*argenterie, d'argent monnoyé, de bagues, joyaux, de meubles 
meublants, d'arcs, de picques, de bastons et autres munitions, de chevaux, 
d'harnois , de glaises , de pierres qui sont découvertes , le survivant en prend la 
moitié , et les héritiers l'autre , quoiqu'ils fussent et vinssent de la part du dé- 
funct , ou mesme sur ses fiefs ou héritages ; exceptei l'orme diahry, et le meil- 
leur manoir ou maison sur les fiefs et qui doivent suivre les fiefs ... et le sur- 
vivant, prenant et retenant les bastimens et les arbres sur le rempart fermant i 
pont-ievis , ne pourra prendre d'autre manoir ny avoir l'orme dahry du mesme 
fief.i (Goût. d'Assenede, rubr. xviit, art. A. Nouveau Coatumier général, t. I, 
p. 813.) 

' Études sur la condition de la classe agricole et Vétat de V agriculture en Normandie 
au moyen âge, Évreux, i85i , in-8% p. 357. 

* Recueil des historiens des Gaules et de la France, t. XVII, p. 69, Â; 1 48 et 
suiv., 483 , C; 486, E; 63i, B. — M. Louis Passy, qui prépare une histoire de 
Gisors , nous écrit que Tormeteau ferré , ainsi nommé des barres de fer dont on 
avait enceint son tronc pour le soutenir, était situé au bout du faubourg Gap- 



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— 170 — 
booueur, ni l'orme d*Epinay, sous lequel Tabbé de Saiui-Deais 
et Matthieu de Montmorency se réunirent en i2o5 ^ 

Toute la contrée environnante était peuplée d'orme» notables, 
objets de la vénération publique. Dans la plaine entre Saint-Denis 
et Paris, il y avait TOrme du Lendit, mentionné, ainsi que TOrme 
Gautier, par le cordelier confesseur de la reine Maurgueritq, fenome 
de saint Louis. Le même écrivain nous apprend qu'au temps où 
Ton rapporta de Tunis les ossements de ce prince, il existait, sur 
le grand chemin qui va de Boissy-Saint-Léger à Creteil, un orme 
que Ton appelait Yorme de Bontiel, c'est-à-dire de Bonneuil ^. 

Nous ne citerons plus maintenant que les ormes qui se trouvent 
dans le département de TOise. 

Arrondissement de Beau vais. 

L'Orme de Frocourt, canton d'Âuneuil; 

L'Ormeau Villers, à Marissel, canton deBeauvais; 

Le Grand-Orme, à Boucon villers, canton de Chaumont; 

ville t sur la route de Trie, à Tembranchement de celle de Flavacourt. «Il exisle, 
ajoute-t-il, dans le champ qui aboutit k Tangle de ces deux routes, une exca- 
vation circulaire qui passe pour avoir été creusée lors de sa destruction. > Il est 
fort probable que la tradition ne remonte pas jusqu à Torme des conférences de 
Philippe-Auguste et de Henri II, mais seulement à un autre qui Tavait rem- 
placé. On n'en saurait douter en lisant la suite de la note de M. Passy : lEn ce 
temps-là, dit-il, les Anglais occupaient la forteresse de Gisors, et les Français 
celle de Chaumont, située à deux lieues dans le Vexin français. A la suite d'un 
défi, les Français en garnison à Chaumont vinrent combattre les Anglais sur le 
champ de Tormeteau , et les Français vainqueurs abattirent Tarbre. • Il existait 
aussi un orme, appelé l'onne de la justice , à Boury, à une lieue et demie de 
Gisors. Il mesurait 8 mètres 35 centimètres de circonférence et fut arraché par 
Tefiet d'une trombe en 1791. Les fourches patibulaires de la commune étaient 
situées tout auprès. 

' Voyez deux actes du Cartulaire de Saint-Denis (Archives de l'Empire, 
LL. 1 137, p. 387, col. 2 , ch. V, an. D. 1280; et p. 388, col. 2 . ch. viii, an.D. 
i2o5) rapportes par André du Chesne, dans son Hutoire généalogique de la 
maison de Montmorency et de Laval, etc. preuves du livre III, p. 73 et 75. Cf. 
Lebeuf, Histoire de la ville et de tout Le diocèse de Paris, t. III, p. 3^3. 

* Miracles de saint Louis , à la suite de l'Histoire de ce prince , par Jehan , sire 
de Joinvillc, édit. du Louvre, p. 436, 5oo et 507 (20% Sa* et 56" miracles). 
Cf. Lcbcul', Histoire de la ville et de tout le dioche de Paris, t. XIII , p. ^9. 



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— 171 — 

L'Ormeteau Bâillon, à Délidcourt, canton de Chaumont; 

UOnne Saint* Laurent, à Freanes-Léguillon, canton de Chau- 
mont; 

L'Ormeteau, à Liancourt-Saint* Pierre, canton de Chaumont; 

L'Ormeteau aux Chats, à Parnes, canton de Chaumont; 

L'OrmeteauauLeu,à Sérans, canton de Chaumont; 

L'Orme de la Folie, à Trie -la- Ville, canton de Chaumont ; 

L'Onne, à Cuigny, canton du Coudray-Saint- Germer; 

L'Oime de Montagny, sur le tertre qui porte le hameau du même 
nom, à Saint -Germer, canton du Coudray- Saint -Germer; 

L'Orme à Cornet, où Ton faisait le guet pendant la guerre devS 
Anglais, à Boutavant- la -Grange, canton de Formerie, arbre qui 
nous rappelle TOrme-aux- Soldats, localité sur Tancienne route 
cfétapes de Boui^es à la Charité, par Bengy; 

L'Ormelet, à Beaudéduit, canton de Grandvilliers; 

L'Orme dlvry et TOrmeteau Saint-Sauveur, à Hénon ville, can- 
ton de Méru ; 

L'Ormelet, à Tillé, canton de Nivillers; 

L'Ormeau Cormet, à Hermès, canton de Noailles. 

Arrondissement de Ciermont. 

L'Ormel des Croix, à Bonneuil- les -Eaux, canton de Breteuil; 
L'Orme de Cohen ou des Essaiis, qui a plus de quatre cents ans 
de notoriété connue, à Etouy, canton de Ciermont; 

L'Ormelet, à Auchy-la-Montagne, canton de Crèvecœur; 

L'Ormelet, à Courcelles-Epayelles, canton de Maignelay ; 

L'Ormelet, à Heilles, canton de Mouy ; 

L'Ormelet, à Saint-Félix, canton de Mouy; 

L'Ormelet, à Cuignières, canton de Saint- Just- en -Chaussée; 

Le Gros-Ormeau, à Cambronne-lès-Clermont, canton de Mouy. 

Arrondissement de Compicgiie. 

L'Ormelet de Nampcel, canton d'Altichy; 
L'Ormelet de Choisy-au-Bac, canton de Comp!èfçn(-; 
L'Ornit'Iul de .laux, canlou de Compiègnc; 



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— 172 — 
L'Ormelet de Jonquières, cautond'Estrées-Saint-Denis; 
L'Ormelet du Meux, canton d'Estrées -Saint-Denis; 
L'Onnelet deRivecourt, canton d'Estrées-Saint-Denis; 
L'Ormeiet de Libermont, canton de Guiscard; 
L'Ormeiet d'Ognolles, canton de Guiscard; 
L'Ormelet de Mareuil-Lamotte, canton deLassigny; 
L'Ormelet de Mortemer, canton de Ressons; 
L'Ormeau Pommart, àCtevrières, canton d'Estrées-Saint-Denis; 
L'Orme Berton^ à Margny- aux -Cerises, canton de Lassigny; 
L'Onnelet du Calvaire, à Salency, canton de Noyon. 

Arrondissemeut de Senlis. 

L'Orme d'Eriubie, à Bouillancy, canton de Betz; 

L'Orme de Godard, à Boullarre, canton de Betz; 

L'Orme de Chantonnois, à Étavigny, canton de Betz; 

L'Onooie du Puits, à Levignen , canton de Betz ; 

L'Orme du Plaideur, les Quatre -Ormes, à Rosoy-en-MuItien, 
canton de Betz ; 

L'Ormelet, à Rouvres, canton de Betz; 

L'Orme de Betz, à Villers-Saint-Genest, canton de Betz; 

L'Orme de Creil , à Gouvieux , canton de Creil ; 

Le Grand-Orme et l'Orme Emeri, à Bonneuil- en -Valois, can- 
ton de Crépy; 

L'Orme du Porche, à Bouillant, canton de Crépy, cité par Car- 
lier conmie siège de justice^; 

L'Orme du Porche à Mèremont , à Crépy, canton de Crépy ; 

L'Orme de la Justice, à Besmont, canton de Crépy; 

L'Orme, à Glaignes, canton de Crépy; 

L'Orme à l'Autel, à Néry, canton de Crépy; 

L'Orme de la Justice, les Ormes-Malins, à Russy-Montigny, 
canton de Crépy ; 

L'Orme de Heurtebise, à Chèvreville, canton de Nanteuil-ie- 
Haudouin ; 

* Histoire du duché de Valait, etc., Paris, mdgclxit, uih", t..I, p. 75. — 
L*auteur donne les noms de plusieurs arbres «sous lesquels le juge de chaque 
canton plaçoit son si<^ge pour rendre }a justice, » 



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— 173 — 

L'Orme à Moineau, à Ermenonville, canton de Nanteuil-le- 
Haudouin ; 

L'Onnelet, à Lagny-Ie-Sec, canton de Nanteuii-le-Haudouin ; 

L'Orme Beauval, à Ognes, canton de Nanteuil- le -Haudouin; 

L*Orme au Cerf « h Rozières, canton deNanteuîl-le-Haudouin; 

L'Orme sur la place de Ver, canton de Nanteuil- le -Haudouin; 

L'Ormetean et TOrmeteau-Cassette, au Mesnil -Saint-Denis, 
canton de Neuilly-en-Thelle; 

L'Onneau Noël, à Ully-Saint-Georges, canton de Neuilly-en* 
Thelle; 

L*Ormelet de Verberie , ou Farbre de Saint-Vaast, ancien siège de 
justice, àSaint-Vaast-de-Longmont, c**" de Pont-Sainte-Maxence; 

L*Ormelet, à Ognon, canton de Sentis; 

L'Orme de la place, à Mon tgrésin, Orry- la- Ville, canton de 
Senlis; 

L'Orme Salmon, à Piailly, canton de Senlis'. 

On voyait encore des ormes aux portes des villes, qu'ils ne 
servaient pas seulement à ombri^er, mais où ils jouaient un rôle 
judiciaire. Au xiv* siècle, les quatre principales entrées de Paris 
avaient chacune un orme, qui, dans une circonstance, servit de 

' Nous -vitms en^nmté cette longue nomenclature à la Notice mrchéolùgi^ue 
$ar le département de VOise, etc. par M. Graves, a* édition^ Beauvais, i856» 
în-8*, p. 66-73. (Extrait de X Annuaire du département de tOise pour i856.) — 
M. Céleatin Port, le savant archiviste du département de Maine-et-Loire, me 
signale plusieurs de ces vieux ormes existant encore en Anjou et ailleurs, nom- 
mément un fort beau à Saint-Michel, sur le chemin d'Orléans à Limoges, sta- 
tion de Chabenet. «Je parle, dit-il, dormes plantés devant Téglise, avec banc de 
pierre, on autre invitation à rendci-vous. Aujourd'hui même, où ils existent, on 
y lit les proclamations, etc., et Ton a diî autrefois, en nombre d endroits, y tenir 
les plaids, à Tissue de la grand'messe. J'ai vu tout récemment à Fontaine-Millon 
Maine-et-Loire), sur la route et avant la première maison du village, un admi- 
rable ormeau , qu'on m'a indiqué comme un des derniers survivants des arbres 
de liberté de 1789. Il est entouré d'un cercle de pierres fichées en terre comme 
un ancien iémkne, et parait trës-rcspecté. A trois màtres environ de terre, le 
feuillage s'arrondit en couronne formant un ombrage touffu que surmonte, à 
un ou deux mètres plus haut , une seconde couronne de feuillage. Le reste de 
l'arbre, dégarni et nn, monte droit jusqu'au faite, qui s*épanouit en gerbe ver- 
doyante. * CiCons encore l'Ormo-Rond , dans lo faubourg Saint- Vincent , à Orléans. 



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— 174 — 
gibet ^ « De cet usage de pendre aux ormes qui ombrageaient l'en- 
trée des portes, dit le moderne éditeur des Chroniques de Saint- 
Denis, ne peut- on pas tirer l'origine du proverbe: Attendez -moi 
sous l'orme? it M, Paulin Paris n'en fait aucun doute, prêtant ainsi 
le flanc aux sarcasmes de feu Génin, qui, Gdèle à ses habitudes, 
ne lui ménage pas la risée *. 

Dans la cour du palais de justice de Toulouse, il y avait pareil- 
lement un orme, et c'est là que, pendant les troubles qui eurent 
lieu au moment de la Saint -Barthélémy, trois conseillers au par- 
lement furent pendus , après avoir été massacrés '. 

Des spectacles plus attrayants attiraient la foule autour de cer- 
tains ormes. Dans nos provinces septentrionales, on tenait à leur 
ombre des assemblées poétiques et des tournois au petit pied. 
C'est à l'une de ces réunions qu'un ancien trouvère nous montre 
une damoiselle dont la beauté devait ajouter à l'éclat de la tèie : 

Celle d*Osseri 
Ne met en oubli 
Que ti*atlle au cembei. 
Tant a bien en li , 
Que moult embeli 
Le gieu sous l'ormel *. 

Plus ordinairement c'étaient des procès, et non des concours 
poétiques, que l'on jugeait sous des ormes, à la porte des villes 
ou des manoirs, comme chez les Orientaux , auxquels nos ancêtres 

' Les Grandes Ckronitfaes de France, etc. t. V ; Paris , 1 835 , petit în-8* , p. 173, 
fjh, ann. i3o6. 

* Récréations pkilolofiiques, etc. Paris, i856, in-8*, t. I,p. 73. 

' G. de la Faille, Annales de la ville de TouUmse, etc. ann. ib'jt, s* partie, 
p. 3i5. — Jac, Auy. Thncmi fiistoriarttmWhti LII, cap. xif , t. lïl, p. i45. 

* Roman de Guillaume de Dol , cit<^ par Fauchet, Œuvres, folio 878, et par 
Roquefort, Glossaire de ta langue romane, 1. 1, p. 3^5 , au mot CemM. — Voyez 
encore De fétat de la poésie Jrançoise , etc. p. 95, 96; et YHistoire Uttéraire de 
la France, X, XXIII, p. 618. — 11 est probable que l'on dansait aussi à fombre de 
l'orme du TÎllage ; mais nous ne connaissons , à ce sujet, aucun passage antérieur 
à Dancourt, qui fait dire au collecteur dans sa pièce des Vendan^, scène vni : 
« Il y a sotis l'orme des hautbois el des musettes qui faisont danser nos vendan- 
geurs : je vas les quérir. » — Furetière , au mot Orme de son Dictionnaire tmi- 
versel, ciie la phraso proverbiaie : danser sons Tornie. 



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— 175 — 
ont pris tant de choses. C'était là que les (aciers du seigneur ou 
que le seigneur lui-mémé venaient rendre la justice à ses vassaux, 
comme les anciens juges dlsraêl ^. Joinville fut souvent employé 
par saint Louis à ce ministère, et c'est ce qu*il nomme les plaids 
de la porte*. Un acte ancien représente un comte d'Anjou si^anl 
au milieu de ses grands vassaux, sur les degrés de son château de 
Saumur, poury rendre lajustice»;etdans le fabliau du SflcmtoVi, 
on voit un prévôt assis sur son perron , devant sa porte. Les huissiers 
y faisaient leurs proclamations au nom du seigneur^. Au reste, l'ha- 
bitude de tenir les audiences sur la place publique était générale 
au moyen âge. A Lectoure , les seigneurs s'assemblaient sur la grande 
rue, et à Laroque-Timbaut en la platsa cominal^. Dans Gérard 

* Zach. v; Amos, y; Deuter. xui; Rulh, iv; Job, xxii; Isaïe, xxiv; Psal. 
cxxvi. Cf. Fleury. Les mœurs des Israélites, Paris, udcgxii, in-8*, p. 3i3-3i5. 

* Du Gange a écrit une dissertation sur ce sujet; c est la deuxième de celles 
qui accompagnent son éditioit de Joinville. 

' « Die apostolorum Philippi et Jacobi tenuit Fuloo comes , cum optimatîbus 
suis, apud castrum quod appellatur Saimunu, sedens in aula sua, super gradus 
lapideos, placitum,» etc. (Début de la charte 87 du rôle 1" du cartulaire de 
Ronceray, aux archives du département de Maine-et-Loire. ) 

* Le Grand d'Aussy, Fabliaux on contes, 1. 1, p. 196 ; t. IV, p. 987. — Dans 
des lettres de rémission de Tan 1878, conservées au Tréêor des Chartes, reg. 
JJ. ii4, fol. 181 i^, ch. ccLxxxrx, ce perron est appelé montomer, sans doute 
parce que les magistrats y montaient sur leurs mules : « En la court de nostre 
palays royal à Paris , entre la pierre de marbre , nostre montouer et nostre au- 
dience,» etc. [Gloss. med. et inf. lat, L IV, p. 543, col. 3.) Voyez encore le Dic- 
tionnaire raisonné de t architecture française, de M. VioHet-îe-Diic , t. VI, p. 4oi, 
4o2 ; t. Vil , p. 1 1 5-1 2 ) , art. Montoir et Perron. — Un ancien sceau de l'huissier 
de l'archevêché de Bordeaux représente ce fonctionnaire debout, la hallebarde en 
main, sous un demi-portail attenant à un mur crénelé, arec cette légende : S[Si 
giilam) hostiarii archiepiscopi Burdigalensis. 

* Montlezun , Histoire de la Gascogne, etc. Auch , 1 8 A6- 1 8^9* in-8', t. VI , p. 8 1 . 

— Revue historique du droit français et étranger, t. XI , Paris , 1 865 , in-8', p. 7 5 et SS. 

— Nombre de chartes anciennes mentionnent des transactions comme ayant eu 
lieu en public, à ciel découvert : 1 Omnia ista facta fuemnt . . . sus ela broa de Bos- 
sales , d'aval castel de Pena , » etc. ( Layettes du Trésor des Chartes, X, I , p. 3 28 , col. s , 
n*6i8;an. D. 1201.) «Hoc luit &ctum et ita concessum apud Rabasteiicos , in 
piano qui dicitur Peirucda,* etc. ( Ihid. p. 363 , col. 2 , n' 959 ; an. D. m o-i 2 1 1 .) 
Un acte de 1 326 se termine par cette mention : « Factum fuit hoc in viridario, ante 
campram pirtam «taris ppiscopalis , » etc. , et d'antre» de 1 235 , par ces mots : « Et 



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— 176 — 
de Rassillon, Charles Martel tient son pai*lement « en un pian gen , • 
c'est-à-dire dans une cour, à Tombre d'un pin \. L'auteur du Roman 
de Parise la Duchesse représente le ducRaimond, son mari, tenant 
ses plaids « soz l'ombre d'un olive ^ ; • sûrement c'était sur le perron 
de son palais, et cet olivier était un orme. Dans l'un des remanie- 
ments de la Chanson de Roland, deux messagers sont représentés 
comme montant à cheval et mettant pied à terre « soz une olive : • 

Li dui mesaaige ni vont plus at^tidant, 

Soz une olive s'appareillent errant; 

Puis sont monté chascuns sor auferrant, 

En Sarragoce si s*en vont maintenant, 

Soz .1. olive descendent aitant. 

( Le lioman de Rancevaux, st. aâ7 * édit. d« Fnmciaqae Midiel. 
p. A5a.) 

On lit dans un autre poème plus ancien : 

Tant ont erret li nobile baron , 
Que sont venu tout droit à Ribuemont; 
Sos Tolivier descendent au perron , 
Par les degrés montèrent el donjon. 

(Li Romans de Raoul de Cambrai, édit. de M. ic Glay, p. a64« 
V. 17.) 

aiso fo faig a Veseiras , e la careira comunal , denant Tobrador d*en R. Clergue, 1 011 
«a la porta de Veseiras, e la barbacana, » ou « e la careira, denant la maio que 
fo d'en R. Masip.» (Ibid, t. II, p. 83, col. 1 , n* 1778; p. S99, col. 3 , n** 34o6; 
et 3oo, col. it,n** 34io et 3411.. Cf. p. 837, col. s, n** 3467; p. 383, col. 2, 
u**' 2733 , 3733, 3726; p. 4o8, col. 1, et/KL»im.)£n i355, un chevalier vend à 
Guigue , seigneur de Roche , toute la part qu'il a dans un bois , par un acte daté du 
clos d*Artias : cin vinea domini de Rocha. > ( Titres de la maison ducah de Bourbon, 
par M. Huiilard-Bréholles, t. I, Paris, 1867, in-4^ p. 68, col. 3, n* 333.) En 
1397, las exécuteurs testamentaires de Sibylle, comtesse de Savoie, vendent à 
Artaud, sire de Roussiilon , le bourg et la seigneurie de Miribel en Forez, el 
l'acquéreur est investi par la tradition d*un bâton , en un pré, devant la porte du 
châteair. ( Ibid,, p. 173, col. 3 , n* 980.) En 1 3 1 i , Etienne , prieur de Souvlgny, et 
le procureur du couvent reconnaissent, par-devant notaire, à Chapes, dans un 
pré , la suzeraineté du sire de Bourbon. (Ibid,, p. 235 , col. s , n* 1 363.) Un acte 
en date du 23 février 1396 est annoncé comme ayant été passé à Coligny en la 
cour du vieux château (ibid., p. 543 , col. 2 , n** 3087 ) , et un autre, de 1 37 1 , dans 
le cimetière du prieuré de Souvigoy (iT^ici., p. 56o, col. 1, n° 3178], etc. 

^ Page 48. — Plus loin, p. 240, un chevalier descend au perron d\m château 
sous un laurier. 

' Edit. de M. de Martonne, p. i6; édit. de MM. (iuossard el Larchey, p. 5. 



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— 177 — 

A {fk-opos d*iiii autre passage, p, 34, où Ton voit des barons 
arrivant à Paris et descendant de cheval « par desoz les oiis, > à la 
porte du palais, l'éditeur fait remarquer, après M. de Martonne, 
qu il ne faut attacher aucune importance à cette particularité qui 
tient à Tignorance des temps , au peu de cas que les trouvères fai* 
saient des classifications botaniques et topographiques, plaçant, 
suivant lexigence de la rime, Tolivier à Paris, comme dans le 
Roman de Berte ^ ou de Raoul, ou bien à Metz, comme dans Ga- 
rin le Loherain^ et ne craignant pas de faire croître le pin à l'en- 
trée des manoirs de la Provence, ainsi qu'on le voit dans le Char- 
roi de Nimes, la Prise d'Orange, etc. Nous ne contestons pas ce 
qu'il y a de vrai dans de pareilles affirmations; mais nous croyons 
que Içs savants qui viennent d'être cités, sans en excepter leur 
maître à tous, M. Raynouard, n'auraient pas dû s'y arrêter, et 
qu'il y avait lieu à fouiller plus profondément pour rechercher la 
racine du mot olive dans le sens qui lui est donné par nos anciens 
trouvères. On verra si nous l'avons fait. En attendant, nous deman- 
derons si olive ne serait pas le mot olme mal lu dans le principe, 
puis devenu olivier, après que le point de départ s'était effacé des 
esprits. N'avons-nous pas vu l'ancien mot normand laiinier trans- 
formé, à la suite d'une mauvaise lecture, en laiimer^^ nom com- 
mun en Angleterre.^ 

Au xni* siècle, le clergé défendait à ses membres de rendre 
la justice dans la campagne^, et, à la fin du moyen âge, on ne 

' Second tirage, p« 34. — C'est dans la forêt du Mans que le trouvère place 
un I olivier. • 

' Tome II. p. a6i. 

^ "Anon stoode up her latymer. 

And answeryd Aleyn Trencbemer. 

[Richard Cotr-de-Lion , 1. a^yS; ap. Weber, Melricat 
Romances, etc. vol. II, p. 97.) ^ 

Certes, qiiod tlie latym^r, 

With no moo mon spekes thou hère. 

(/èW.,K 2491, p. 98.) 

* Par le huitième canon du concile provincial de Nantes tenu en 1 263, il est 
défendu d'appeler personne devant les ecclésiastiques en des lieux champêtres 

ARCHÉOLOGIE. 12 



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— 178 — 
portait plus au tribunal en plein vent que des causes de peu 
d'importance : aussi ne se faisait-on pas de scrupule de manquer 
à une citation donnée devant le juge «gnétré, pédanné, ou juge 
de Formel » Chez nous, il: ne reste pas, à notre connaissance, 
de documents de cette juridiction^; mais nous sommes mieux 
informé au sujet de la ôoût connue en Angleterre sous le nom 
de Pie Pjwder, et en: Ecosse^ sous celui de Dusty-Foot, en latin 
Pedis pulverisaù curia^. Si, en France, les courses pédestres du 
juge rustique lUi avaient valu Tune des épithètes par lesquelles 
on le désirait V dans le noid de la Grande-Bretagne, c'était Tétat 
poudreux des pieds des justiciables qui avait été pris en considéra- 
tion pour indiquer la cour de Dusiy-Foot ^, exactement oomme les 

où l'on ne peut trouver de conseil , et cPen appeler plus de quatre i la fois. 
(D. Lobineau , Histoire de Bretagne, t. I , p. 3 69.) Maïs oa ne voit pat qn*îl fM 
interdit de se confeasM* en plein air. Ccsl ce qne fait le héros d*arie chanson de 
geste: 

.1. prestre devant li a tantost apelé, 

Contre H descbehdi par grant hmiulîté. 

Mené Ta une part ens u vergier ramé. 

Devant U à genooi èt-vous Ooon geté 

Et de tons ses pechiés bonoeineut confessé. 

{Doom de JfaÎMc*. Mil. d« M. A. Vty, f. ao5, v. 6817.} 

^ Voyez Divers Opuscnks tirez des Mémoires de AT Antoine Loisel, etc. Pari», 
MbCLTi, in-Â", p. 72; — Moisaot de Brieux, Les origines de tfml^ves eoutmmes 
anciennes et de plasiears façons de porter triviales, etc. Caen, mdclxxji, in-ia, 
p. 60, 61; — Ménage, Dictionnaire étYmologitiae de la langue françoise, édit. de 
Jault, t. Il , p. a 63 , col. a, art. Orme; — et Mémoires de la Société impériale des an- 
tiquaires de France, 3* série, t. III, p. 2o3. 

* Le seul écrivain qui, aprës Loisel, en ait fait mention, est M. Michelet, dans 
ses Origines du droit français cherchées dans Us symboles et formules du droit universel, 
Paris, 1887, in-8*, 1. IV, c ii, p. 3o2. 

^ Voyei du Gange, Gloss. t. V, p. 171, col. 2, et 172, col. 3, aux mots Pe- 
daneasjudex, Pedanea causa et Pede-palverosi : — Spelman, Glossarium arckaiologi- 
cuni, etc. p. 455, col. 2; — et Grimm, Deutsche Reckts AUerthùmer, p. 838. 

^ I Si quis extraneus mercator transiens per regnum , non habens terram vel 
mansionem infra vicecomitatum , sed vacans, qui vocatur pie poudreux, hoc est 
anglice dusty-foot, » etc. (Cowell , N0M00ETH2, the Interpréter, containing tke ge- 
nuine Signification of iuck obscure Words and Terme used either in the Common or 
Statuu Lawes ofthis Realm, etc. London, i684 or 1701 , in-folio, v* Dustjr^ool. 
L'auteur renvoie à Tarticle Pie Powder; nous y renverrons aussi le lecteur curieux 
de se rendre compte de tout ce qui se rapporte au tribunal connu sous ce 1 



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— 179 — 
cuisines en plein vent des halles et marchés de Paris ont reçu le 
nom populaire de restaurants des pieds humides. Cette cour con- 
naissait en effet des contestations qui s'élevaient, pendant les 
foires, entre les pieds-gris ^ accourus de toutes parts, notamment 
entre les colporteurs (pedlars) , gens venus de loin, sans domicile 
fixe dans la localité, et non sujets à la juridiction ordinaire du 
bourg. Pour juger les contestations qui s'élevaient entre eux , il 
fallait une juridiction temporaire, surtout sommaire, pour ainsi 
dire en camp volant *, et il ne devait point être rare que Tune 
des deux parties, surtout à la fin de la foire, manquât à Tappel 
de son nom, comme nos paysans à la citation du juge de forme. 
Quand Guillemette dit à son mari : 

Maintenant chacun vous appelle 
Partout advocat dessoubz Torme ', 

elle veut dire que maitre Pierre attend des procès qui ne viennent 
point , et le représente comme un avocat sans cause^. L'un des der- 

' «Ce gentilhomme. . . vit un pied^gris passant auprès d'eux, lequel avoit un 
sac. » (Le mojren de parvenir, édit. de Paris , 1 8 6 1 > in- 1 8 , p. 1 5o.) 

* Observations de M. Alexander Strathem sur un Mémoire de M. Jrving, lu 
h la Société archéologique de Glasgow, le i5 février 1864. [The Gentleman' s Ma- 
gtuine, June i864, p. 761, 763.) — I! est fait mention de ces juges de foire dans 
j^usieurs coutumes anciennes, notamment dans celle de Bretagne, tit. I, art. i3; 
et Cowell cite ceux de Winchester nommés Justice oftke Pavillon, Justiciarii Pa- 
vUionis. ( Voyez Tke Interpréter, etc. , sub verbo.) — Un passage de lettres de rémission 
de l'an 1378, relatives à un Portugais , •meurtrier de l'un de ses compatriotes , à 
Harfleur, montre un huissier d*armcs , juge député par le roi aux marchands et 
antres gens de cette nation fréquentant ladite ville. (Trésor des Chartes, Archives 
de l'Empire, JJ. 1 1 4, fol. 5 1 r', ch. l.) 

' Maistre Pierre Patkelui, etc. Paris, 1 869, in-i 2, p. ao. — Cette expression se 
retrouve dans Tépitaphe du personnage, qu'on lit dans son testament : 

Cy repose et gtst Pathelin , 

En son temps advocat sous rorme. 

• Antoine Oudin explique autrement cette locution : « Un juge dessons tonne, 
dit-il, i. (c'est-à-dire) un juge de village; advocat dessous lornie\, i. un jaseur, 
un advocat ignorant, s Le vieux lexicographe marque d*un astérisque la seconde 
de ces expressions, pour indiquer qu'il ne faut l'employer qu'en raillant. (Voyez 
Carioeitezfrançoises pour supplément aux dictionnaires, etc. Rouen et Paris , uncT.Tf , 
in-8*, p. 29A.) 



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— 180 — 
niers éditeurs de cette cdiarmanle farce, Génin, reiiiarqiie que le 
proverbe aUendez-moi tous l'orme doit remonter au temp3 où saioi 
Louis rendait la justice sous un arbre, à Vincennes, sans faire ai' 
tention que cet arbre était un chêne ^; mais ii a pii être abusé par 



' Voyez les Mémoires du sire de Joinville dans le Becueil des hislorietis des Gaules 
et de la France, t. XX, p. 19g, G. — Le chêne de Vincennes eiistait encore du 
temps de du Breul (Le Théâtre des Andqaitez de Paris, etc. Paris, MDCxn. 
in-/i", I. IV> p. -iiaS), présentant ainsi Texemple d*une longévité qui n^avaitété 
surpassée que par le chêne de Membre [NQtices et Extraits des manuscrits, etc. 
t. VII, p> â)f dont le nom n'était peut-être pas étranger an choix du saint roi. 
Membre, en eHet, dans la langue de T^poque, avait souvent le sens de mémorable, 
de digne d'être gardé en tnémoire , comme les comptes que trois officiers ou clercs 
de rÉchiquier royal d'Angleterre, les r«?m«/n6rflnccr5, avaient mission de rappeler 
au lord trésorier et aux autres juges de cette cour. ( Voyei Cowell , The Interpréter, 
etc. sub v'.) 

Ore dit H cuens Philipc une raison menhrè, 

Veant la cart de Frances ninlt fud bien cscutée. 

( Chronique do Jordan Fantosme, y. i'ho,) 

11 a parlé et dit raison linenhrée, 

{Li RomoM de Bacml de Camhrtû, coup], i-ji, p. i43. ) 

Voyez encore le Lexique roman de Raynouard, au mot Membr<w, t. IV» p. 184 , 
col. 2; et le Glossaire 'français placé à la suite de celui de du Cange , p. 229, 
col. 3. — N'oublioBs pas néanmoins Tespèce de culte que les Celtes et les Ger- 
mains, à l'exemple des Hébreux ^Olavus Celsius, Allon, ]'WN, in Act. Uterar. et 
scient. Sueciœ, vol. IV, Upsaliae, anno mocgilii, in-d% p* 85) rendaient au chêne, 
et dont il pouvait subsister encore quelque trace au xiii" siècle, époque où, dans 
les vergers, on disposait les arbres en croix. — Vpyez le traité de Keysler cité plus 
loin, c. IV1 S 8, p. 65-67; et S 9, p. 78, 79. Cf. p. 3i8, 319, et Add. p. 58i, 
585 ; — RobertofCloucesters Chionicle, éd. by Thoinas Hearne , Oxford , udcgcxxiv, 
in-8*, vol. II. Gloss., v» Crejsede,:p. 638, 639; — et Leland, Itiaeraiy, vol. VIIÏ 
(Oxford, MDGCXii, in-8*), à la fîn, p. ao, 21. — Dans une ancienne ballade 
écossaise, un barde celtique jure par le chêne : 

Glasgerion «wore a full great othe, 

By cake, and ashe, and thornc. 

{Scoltisk kUtoneal ând nmantie UMadi, cd. by John Finlay, Edinbaigli, 
1808, in-<% toi. I, p. 144 , <• i>) 

Dans la ballade de Robin Hood et du Tanneur, le célèbre outlaw daoae autour 
d'un chêne (st. 36), vraisemblablement le trysuU tree^sous lequel il souhaite 
la bienvenue à un chevalier, comme pour imiter les grands barons qui passaient 
la revue de leurs vassaux sous quelque arbre bien connu appelé ttysting irte, 
parce que c'était là que se donnaient les rendez-vous (trysts). (Voyez A Lytifl 
Geste oj Robyn Hode, ivth fytte , st. 70 ; et Finlay, vol. I , p. i ^6. ) 



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-- J8l — 
Noél du Fail , qui représente lA>tti8 IX , avec le sire de Joinvilie , son 
compère, tous deux sur -la belle herbe, à Tombre des ormeaux, 
jugeant les procès à tous venants ^ 

- Génin se trompe encore en ne faisant remonter qu'au temps de 
-saint Louis Tusage qui nous occupe. C'était une ancienne habi- 
tude de délibérer, de rendre des jugements, de conclure des tran- 
sactions sous des ormes. Un chevalier avait été puni pour avoir 
fait du tort au chapitre de Paris dans le bien que ce vénérable corps 
possédait à Vemot, près de Montereau , au diocèse de Sens. C'était 
en io43 ou io46. Le chapitre en fit ses plaintes à Tarchevéque 
Mainard; et pour condescendre aux prières de la famille du che- 
valier, jour fut pris par Tévéque de Paris, appelé Imbert, pour se 
trouver avec son métropolitain, son archidiacre, cinq ou six che- 
valiers et quelque chanoines de Paris, à Émant, sous Torme du 
village, où la famille du délinquant fit Tamende convenable^. 

Depuis la fin du xi* siècle, on conservait, dans les ai^chives de 
l'abbaye de Moléme, un titre par lequel Guillaume I*', comte 
d'Auxerre et de Nevers, confirmait à ce monastère les biens qu'on 
lui avait donnés dans la paroisse de Saint-Moré-sur-Cure. Ce titre 
y était dit passé et accordé dans le château d'Auxerre, sous l'orme, 
in castello, suh nlmo^. 

Dans une vieille charte de l'abbaye de Saint-Martin de Pontoise, 
anciennement dite de Saint-Germain , qui est la i3i* de leur car- 

* Les Contes cl Discours d'Eutrofiel, etc. Rennes, i586, in-8*> foiio 45 recto. 

' Nisloria ecclesiœ Pansieasis, auctore Gcrardo Dubois, vol. I , Parisiis, mdcx. 
in-fol. \\h. X, cap. iv, n* lo, p. 6^4. 

^ Mémoires concernant thisloire trclésiasiique et civile dAuxerre, etc. Paris, 
MDCGXUii, in-4*, t.fl, p. 66. — L'abbé Lebeuf, après avoir fait observer, en note, 
qu'il yaivait autrefois un gros orme dans chaque place publique, et que c'était 
souvent sous cet orme que Ton passait les actes solennels ou que Ton tenait des 
assemblées, ajoute : «Ce ne fut qu'après Tan 1709 que Ton abaltit celui de la 
grande place de Saint-Étienne d'Auxeire, que la gelée et la vieillesse avoient fait 
mourir. On voit, par TOrdinaire de la cathédrale appelé GAlloline, quelles sortes 
d'assemblées capitulaires on tenoit en été sous cet orme. Il y avoit aussi eu plus 
anciennement un orme semblable devant l'église collégiale de Notre-Dame de la 
Cité, un autre devant l'église de Saint - Eusèbe. * A notre tour nous ajouterons 
qu'il y a encore à Auxerre une place appelée place de ÏOrmc, à cause d'un orme 
qui y était autrefois planté. 



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— 182 — 
tuiaire, on lit à la fin : • Haec omuia i^aovata sunt sub ulmo aate 
« ecclesiam Beati Germanie • etc. 

. Dans une autre province de France, une charte, qui constate 
une donation d'Ermengarde de Carcasaonne, veuve de Raymond- 
Bernard, vicomte d*Albi et de Nimes, faite le jour de Saint-Jean- 
Baptiste de l'an 1076, fut écrite sous un ormeau qui existait 
devant la porte principale de Téglise de Notie-Dame de Nisars^; 
et, le 1 1 juillet 1 165, le vicomte de Béziers fit publier à Carcas- 
aonne, étant dessous Tormeau devant son palais, une ordonaanoe 
en faveur des habitants de cette ville ^. En i20il, une autre 
transaction eut lieu, en présence de témoins, sous un arbre sem- 
bable devant Téglisede Sainte-Marie de Mello. En 1:2 2 1> Robert 
de Gaumont et le prieur de Sainl-Glair conviennent de rendre la 
justice en conunun à Tonne devant le monastère; et, en i33A, 
la juridiction des moines du Mont-Saint-Michel, à Genêts, s'exer- 
çait en plein air, sous un orme planté dans la cour du prieuré^. 

En 1289, Guigne, seigneur de Roche, damoiseau, confirme à 
Guillaume Cleysac, de Malivernas, à la fille, au gendre dudit 
Guillaume et à leurs héritiers, raflranchissement de taille, tôteet 
exaction quelconque accordé par ses prédécesseurs, ainsi que la 
donation faite au même Guillaume, à titre de franc-fief, de sa 
maison de Malivernas, avec jardin, pré et champ en dépendant, 
et de la moitié des redevances sur trois manses à Vermoial. L'acte 
est indiqué comme ayant été passé sous l'orme *. 

A la fin du même siècle , Sicard , vicomte de Lautrec , assisté 
de ses vassaux, avait rendu sous un orme une sentence qui mé- 
lite d'être rapportée. Un malfaiteur nommé Pierre Baya ayant été 
amené et mis en jugement au lieu appelé laplace de VOrme, dans k 

* Loisel, Divers Opuscalts , etc. p. 7a. 

' De Vie et Vaissete, Histoire générale de Langiudoc, 1. XIV, firett»es, n* ccuui, 
t. H,col. s88. 

^ De Vie et Vaissete, Histoire géiÊérée da Languedoc , 1. XVill, c. ùviu, 
t.II,p. 5o8. 

^ Léopoid Delisie , Études sur la condition de la classe agricole, etc. p. 367 et 7^8. 

^ Titres de la maison ducale de Bourbon, p. g3, col. i, n* A92. ^* Précédem- 
ment (p. 65. col. 3, n° 317), il est fait meiilion, dans un actodc i25i,deronDe 
(le Gratavolp, dans ie cocQtë de Forex. 



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— 183 — 
château de Lautrec , couiWmément au droit ^ en préseuce d'environ 
deux cent tenanciers, nobles ou non, ceux-ci, lecture faite de Tin- 
terrogatoire de Taccusé, opinèrent successivement, en réponse à la 
question posée par le vicomte. Un chevalier condamnait Baya au 
Jbannissement à perpétuité, après avoir été fustigé par le château 
de Lautrec; une autre voulait qu'on lui coupât le poing; d'autres 
enfin prononçaient la sentence de mcMrt. Les syndics et les procu- 
reurs de Lautrec demandèrent acte de la procédure « à quoi le vi- 
comte se refusa, disant que ce n'était point la coutume du pays; il 
ajouta qu'autant qu'il était en lui, il révoquait les verdicts rendus 
par les assistants, et de vive voix et sur place il en appela au sé- 
néchal de Carcassonne, soit au roi de France, soit à qui noieux de 
droit. L'acte notarié, qui nous a conservé ces curieux détails, est 
annoncé connue ayant été dressé en ladite place de l'Orme^. 

Pour le XIV* siècle, on peut signaler des délibérations de la com- 
mune de Narbonne (nominations de consuls, etc.) prises suh ulmo, 
dans la paroisse de Saint-Paul ', et , pour le xvi*, la tenue des assises de 
Saint-Cloud sous l'orme , le 1 5 juin 1 53 5 , par Christophe de Thou , 
en qualité de lieutenan t du bailli de Jean du Bellay, évéque de Paris^. 

Enfin on connaît un autre orme sous lequel la justice a été 
rendue : c'est celui d'où tomba l'illustre Michel Morin en voulant 
dénicher des pies : 

De branca in braiicam dégringolât atque facit pouf! 
dont il reste mort sur la place. Le poème qui chante son audace 
et son trépas débute par ces trois vers : 

Est juxta nostram grandissimus onnus eglisam; 
Plebs paysana suos ibi plaidatura processus , 
Gonvenit, ut cunctas demelet mairus afaîras. 
{Miehaelis Morinifanettusimus Tnpassas, dans VHcrmes Komanas, l. Ht p* âoi.) 

* «In loco vocato in pktea de Ulmo, eastri pnedicti iod, ot est juris, apud 
Lautricum. » 

* HiHoirê générale de Lattguedoc, etc. t. IV, preaves, n* u . coi. 1 1 4. Sur 
Tosage de planter ainsi des ormes sur les places devant les églises, d'y tenir 
des ataambléea el d'y pasaer des âcteasdennels, voyez Bénéton de Perrin, Éloge 
hiitoti^ae de la ckasH , Paris, mimsgczuiv [Usez in>GGxxMv] , in-:8% p. 53. 

* Archives municipales de la ville de Narbonne, 

* Londres (par Grosley) , Lausanne, mdgclxxiv, in-8% t. III, p. 392. 



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— 184 — 
Une particularité à signaler, c'est que l'orme du village, qui 
jouait un rôle si considérable, était presque toujours devant la 
porte principale de Téglise. Dans le cimetière qui Tenvironnait 
plus ou moins, l'attention était bien souvent attirée par un vieil if, 
pareil à celui que Ton remarque à Iffley, près d'Oxford , et qui 
avait peut-être été planté là par les Normands comme pour servir 
d'armes parlantes. Toutefois il faut prendre garde que d'autres 
cimetières de leur ancienne patrie offraient pareillement un if, 
par suite d'un antique usage dont ou retrouve la trace dans la 
Vie de saint Martin par Sulpicè Sévère ^ Le trouvère Bendt n'a 
pas manqué de consigner ce trait dans l'intéressant tableau qu'il 
fait d'une chapelle et d'un cimetière abandonnés : 

Tombes i ot et cors eiiz mis , 
Kar cimetire i out jadis. 
N'out bore , ne vile , ne maison 
D'une bonne leuve environ ; 
Arbres i oat et un grant if, 
Où li venz mena grant estnf. 

{Chronititte dts doc* de NomaïuiU, 1. U, v. a5o36;t. II, 
p. 327.) 

Ainsi que le fait remarquer M. Delisle, il faut probablement 
voir dans cet usage un vestige des idées païennes, dont les popu- 
lations de la Gaule ne s'étaient pas complètement dépouillées, 

' « Item dum in vico quodam temphim antiquissimum dimisset , et arborem 
pinum , quas fano erat proxima , esset aggressus ezcidere , > etc. -« Le passage 
suivant d*une ancienne chanson de geste oflro un curieux rapprochement : 

Là fors de la cité ot .1. bnicl de sapin 
Et une grant chapele du baron saint Martin « 
Et .1. viel cimetière où fourchent .111. chemin , 
Et une gente crois sor .1. perron marbrin. 
Une fentaigpie i sort desous l'ombre d*an pin. 

{Ay4 ^Avignon, p. 87, v. ftSi3.) « 

Dans un ancien fabliau, un chevalier, dans un cimetière, se cache sous un 
pin ( FahUaas et contes, édit. de Méon , 1. 111 , p. 664 > v. 73) ; et dans Gérard de 
HossiUon,]i. 100, Pierre de Monrabei entend k messe dans une église ombragée 
par un arbre de cette essence. Plus loin , il est vrai , le troubadour représente une 
pauvre église desotz un fou, c'est-à-dire sous un hêtre, et une autre sous un lau- 
rier. (Voyez p. 168, 189.) 



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— 185 — 
même longtemps après leur conversion au christianisme ^ Non- 
seulement nous adoptons celte explication, mais nous sommes 
tenté de Fétendre jusqu'à la Grande-Bretagne, à Taspect du vieux 
sapin qui couronne un barrow situé près de Tabbaye de New- 
B|ittle, en Ecosse, tumubu remarquable, qui parait avoir été un 
tombeau , et qui , comme tant d'autres , dans les lies Sorlingues 
et ailleurs , est entouré d'^un cercle de pierres probablement cel- 
tiques', si Ton peut donner ce nom à un monument primitif tel 
qu'on en rencontre partout. 

Toutefois nous devons faire remarquer qu en dehors du rôle 
funéraire que le pin semble avoir joué pendant le moyen âge, 
il remplaçait quelquefois, avec le sapin, Torme au perron des 
palais, siège de la justice , et au lieu des exécutions. Dans Gérard 
de Rossilhn, p. ly^t le duc Milon parie au portier d'un château 
de sotz un sap. Dudon de Saint-Denis arrive à Saint-Quentin : 

Il descendi desos l'ombre d'un piu, 
Les degrés monte del palais marberin. 
• (Li Romans de Raoul de CanArai, p. a 55.) 

Dans une autre chanson de geste pareille arrivée a lieu 

Desoc .1. pia follu, por desus .j. lorier» 

Est Richiers desçanduz, qui mult fist â prisier. 

{Ploavant, p. So, v. 97 A.) 

^ Éttideainr la condition de la eloMse agneole, etc. p. 355. — On trouve de eu* 
.ri eux détails sur fusage de planter des ifs dans les cimetières , dans TouTrage de 
John Brand, Observations onpopmUar Anùqmties, London, 18 13, in-4*«p. 161-17S. 

* Cbalmers, CkJedonia, book I, cb. 11, vol. I, p. &o. • — Borlase, Aniiqaiiits . 
kislorical and monumental oj the County 0/ Cornwall, London, 1769, in fi^., 
p. a 19. — Observations on the anclent and présent State of the hies oJ SciUjr, etc. 
Oxftutl, 1756, in-/k\ p. 98- 3o. — R. PiJwhele, The History 0/ CornwaU* 
voi. I, Fafanouth, i8o3, in-4*, book I, ch. iv, p. i4o, etc. — A Guîse-la-Motte^ 
commune du canton d'Atticby (arrondissement de Coropiègne, département de 
J*Oiae), il existe sur le sonunct d*une odline une enceinte considérée comme 
druidique , ou cromlecb , limitée par. une double rangée de pierres bnites et 
plantée de sapins; mais ces arbres ne sont pas anciens, et en défonçant le terrain 
pour les y mettre, ou na retrouvé aucune souche qui permit de croire quiis 
en avaient remplacé d*autres. 



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— 186 — 
Bégon de Belin, assiégeant le château de Naisil, dit à deux de 
ses bommes : 

Dreciez les Torches desoz ce pin anli , 
Si me pendez dant Bemari de Naisil. 

(£i Komtxn» d» Gûrin h Loherain, 1. 1 , p. a 3 3.) 

Mais chez nos anciens trouvères, le pin était-il Tarbre que nous 
désignons aujourd'hui par ce nom? Les passages rapportés dans la 
note que nous avons déjà citée * en feraient douter, et il est 
vraisemblable que nos anciens rimeurs prenaient le nom de pin 
dans le sens générique d^arbre, 

m 

Toutes les nations du Nord paraissent avoir été dans Tasage de 
tenir leurs assemblées en plein cham^p, soit à cause de la dîffi* 
culte de loger une multitude dans une salle , ou par crainte des 
pièges^. Les Vascons, à l'exemple des Germains, délibéraient en 
commun sur les intérêts publics , et les réunions avaient lieu en 
plein air'. C'était au pied d'un chêne, celui de Guemica, à n'en 

' Li Romans de Parise la Duchesse, édit. de M. de Martonne, p.* 1 7. 

* Historia Olai Magni, etc. Basiiec, s. a., in -fol., lîb. XIV, cap. iTii, p. 567, 
558 : De Judicihas et Jadiciis campestrihas. — Daidcoram monumeniorum Uhri 
sex, etc. auct. Olao Wormio; Hafnie, an. mdcxliii, in-folio, lib. I, cap. x, 
p. 68, cité par Mallet, Introdaclion à Vhistoire de Dannemarc, etc. Copenhague. 
MBCGLV, in-A^ p. lod, io5. — Voyei surtout le savant traité de George ILeysler, 
intitulé ArUiifmiates sdectm sefiientriowdes et celtUm^tie. Hannovene, mdcczx, 
in-8% €. v, S 1, p. 85-87; «^ ^* ^■^■' Thoriaciiis, Pepmlên An^eàHe, des 
Grieckiidœ, Rômische, und Nordische Àltertham betttfenà, etc. Kopenhagen, 
i8i9,in-8*, p. 383-399. 

^ Le nom de champ de mars, donné aux assemblées annuelles et générales 
des Francs de la même tribu, sous les rois de la première race ^reg.Turon. , HkL 
eccL geaL, Franc, lib. II , cap. xxxvii), indique clairement quelles se tenaient 
dans la campagne. Aboli sons le règne de Clovis I*', le champ de mars fot rem- 
plaeé par le champ de mai , c est-A-dire de mail , de mails (Cartier, H'ubm dm 
duché de Valois, 1. 1, p. 73], mentionné, sous Tannée 766, par Tun des conti- 
nuateurs de la Chronique de Frédégaire. — Voyei la quatrième dissertation de da 
Cange (Des asunéUes nationaies des rois de Ffunce)^ à la suite de son édition de 
Joinviiie. et de son Glossaire, t. VII, p. i5 et 16 ; le traité de Keysler, p. 87, et 



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— 187 — 
citer qu^un seul, que rassemblée des anciens, le fr%ar de Biscaye, 
était convoquée ^ Dans la Navarre française, le célèbre bilçar 
d'Ustaritz , dans lequel les anciens du pays délibéraient sous Tœn- 
bragedes chênes séculaires, appuyés sur leurs longs bâtons, ou 
n'ayant pour sièges que des pierres brutes, se maintint )usqu*att 
zvii* siècle. Les premiers rois de Navarre n'eurent pas d'autres ar* 
moiries que raii>re national, emblème de la souveraineté popu- 
laire. Il est même à remarquer que le surnom de Tun des plus 
anciens de ces princes , Arista, oflre précisém^it ce sens : Inigo 
Ximenez Arista, c'est Inigo Ximenez Vhomm§ des chênes, celui 
qui en porte sur ses drapeaux et qui préside le conseil national 
sous leur ombrage. 

De là rhabitude des anciennes communautés urbaines, celles de 
Bordeaux et de Baycmne, entre autres, de délibérer aussi sur des 
places publiques appelées omhreiras, à Tombre'des arbres. Les plus 
anciennes armoiries de Bayonne représentaient trois chênes, celles 
de Tonneins en avaient deux^. 

A Bordeaux, indépendamment du palais de IXhnbrière, il y 
avait autrefois, entre Téglise Sainte-Eulalie et le fort du Hâ, une 
espèce de boulevard élevé en terre, haut d'environ lo mètres sur 
20 de largeur et loo de longueur. Ce lieu, connu sous le nom 
de Plate-Forme, qu'a retenu une rue ouverte sur cet emplace- 
ment, était planté d'ormeaux, ce qui lui avait valu une autre 

Diibos, Hist.. crit, de rétablissement de la monarchie françoise dans les Gaales, 
I. VI, c. V, édit. de mdccxlii, t. II, p. 44 it àh9» — Ghariemagne fat le pre- 
mier qui ordonna de tenir les assemUées nationalea des Francs dans on lieu 
couvert. (Capital,, 1. III , c Lvn , et 1. lY, c. xxviii. ) 

' Voyez , sur i*espèce de culte que les fiiscayens rendaient au chêne de Guer- 
nicR, une chanson que nous avons publiée dans notre Pajrs basque, etc. p. a 6s. 

* IXahams, Administration manieipaU et ÎMtiùstionsjadiciaires de Bordeam» pen- 
dant le moyen ége, dans la Revae htstariquë du droit français et étranger, t. VII, 
1 86i , p. 465. — Roderic de Tolède parait avoir adopté une autre étymologie : c Et 
quia asper in praeliis, dit-il, Arista agnomine dicehatur.v (Roderiei ToUtaid de 
Bebus Hispanim, iib. V. cap. xxii.) — Voyez le père Joseph de Moret, Anmks del 
reyno de JVovarra, édit. de mdoclxvi, in-fol, Iib. IV, cap. v, S 3; t. I, p. 176, 
176. — Le père de Larramendi traduit roble (chêne) par antza, exaarra» Voyex 
t^iccionario trilingue del casteUano, bascuence y latin, édit. de 1 7^5 » U II , p. aSS, 
coL a. 



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^ 18S — 
dénomination, celle de VOrmière ou de VOrmée, céièbi^ pendant 
la Fronde. A cette époque de troubles, deux factions divisaient 
Bordeaux, et Tune d'elles, qui appuyait Tinsurrection oi^anisée 
par les princes de Gondé et de GontL pour éloigner du ministère 
le cardinal Mazarin, se réunissait sous les ormes du rempart; 
on rappela la compagnie de VOarmière, ou seulement FOrmée, et 
ceux qui en faisaient partie furent désignés sous le nom d'Or- 
mûtes ^. 

Dans les relations que nous avons de la Fronde à Bordeaux , il 
est fait plus d'une fois mention du village de Lormont , situé dans 
le voisinage. D'oir faut-il dériver ce nom P D'un laurier planté sor 
la hauteur qui domine la Garonne? On peut le croire, surtout quand 
on voit dans nombre d'endroits, entre autres dans deux chartes, 
l'une de l'an 1228^, l'autre de 1277^, ^^ ^^^^ '^ comptes du cha- 
pitre de Saint- André, cette localité appelée Laarimons ; mais si l'on 
eonsidère l'affectation de l'orme à de pareils accidents de terrain, 
on adoptera une autre ctymologie avec l'avocat ou l'imprimeur qui 
a écrit VOrmon \ et l'on s'expliquera la finale de ce nom par Tinten" 
tion d'exprimer le caractère du lieu auquel il se rapportait. An 
reste, il y en avait un qui semble attester l'existence h Lormont d'un 
orme notable. Dans un dénombrement en faveur de M. Pierre 
du Noyer, avocat, seigneur de la maison noble de Rofiac, pour cette 
paroisse et celle de Cenon , il est fait mention d'une* pièce de terre, 
avec ses apàrtenances, située et assise en ladite paroisse de Lor- 
mont, au lieu appelé au Buysson de VOulme ^. > 

Cet usage de planter des ormes dans des centres de pc^ula- 
tion a donné naissance à des noms de localités trop nombreuses 
pour que nous entreprenions de les énumérer ici. On se rappelle 

^ Lacelonie , Histoire curieuse et rtmar^uabie de la viUe H province de Bordeaujc, 
t. Ifl, p. 3is. — » Bernadau, BuUeùn pofytnathique da Maséum d'instruction pu- 
blique de Bordeaux, ann. 1807, ^* ^* P- ^^^' 

* GaUia Ckristiana, t. Il , butr. n" xxxii , col. 288 , C. 

^ Le Livre des BouîHons , folio cxiii recto. ( Archives de la ville de Bordeaux. ) 

* Plaidoyers et actions graves et éloquenlts de plusieurs fameux advocals du par- 
lement de Bourdeuus, etc. à Bourdeaus, mdcxvi, in-4*, p» h'j^. 

* Cahier de trente feuillets , parmi les minâtes de Gorces, notaire«(Archi ves dn 
dé|)artemcnt de la Gironde, série E, ann. 1 556- 1657, folio 22 recto.) 



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— 1«9 — 
Ourmes, ville fermée mentionnée par Froiasarl^; sur le chemin 
qui conduit de Bordeaux dans les départements du nord et dû 
centre, riches en dénominations de cette espèce, on rencontre i 
dans celui de la Vienne, entre Cbâtelleraut et Tours., la com- 
mune des Ornxes, la plus considérable de toutes. 

Dans la liste que nous en avons dressée , nous remarcpions la 
Haute-Ourme, hameau de la commune de Corps-Nuds, arrondis^ 
sèment de Bennes , et TOrme^lu-Puits, hameau de la conunune 
de Plélo, arrondissement de Ghàtelaudren, département des Cotes- 
du-Nord. Pour ce qui concerne TOrme-du-Puits., il est manifeste 
que ce convenant, composé d'une chaumière, dite heriôt ou étage« 
et d'une pièce de terre, doit la première partie de son nom à un 
orme de dimension colossale, qui existait encore il y a peu d'an- 
nées; mais, bien que, tout près de l'endroit où il s'élevait, il se 
trouve encore*un puits qui parait ancien, nous ne pouvons nous 
défendre de soupçonner que le dernier mot qui entre dans ce 
nom de lieu venait du puy, ou plateau^, à l'une des extrémités 
duquel les Templiers avaient planté un orme, comme si le ma- 
noir et la chapelle, encore existante, de la commanderie, placés 
à l'autre extrémité , n'eussent point été suffisants pour annoncer 
la juridiction seigneuriale^. Rappelons-nous que les assemblées 
poétiques, ou gieax soms Vormel, portaient également le nom de 
puys, et il est certain que les ormes dont nous avons essayé de 
déterminer l'emploi étaient fréquemment plantés sur des monti- 

' C^rofii^iio, i. {-«-.purt. il, «• xix; t. I, p. 3 17, col. 1. — Sûrement k 
vieil historien a voulu parier du ch&teau <f Ulmo , ou de TOum , dont il est ftit 
meaiion dans les Mémoires de l histoire de Laatfiudoc, de G. de Catel, 1. 11^ 
cxxin, p. 3^3. 

^ Cest ce que nos ancêtres appelaient ototle plant. On trouve , aux archives 
départementales de la Gironde , un acte dans lequel il est question , en iâs5 , de 
noble et puissant seigneur Gaston de Lisle, baron de la Lande et de la Rivière , 
seigneiu* de Marsas , de la Motte des Eyrins et de Motte-Plane. 

^ On ne croit pas que FOrme-du-Puils soit mentionné dans des titres anté*- 
rieu» ' au XVI* siède. Cependant il doit dater de bien plus loin ; car, à cette 
époque» on ne créait plus guère de convenants en Bretagne. Le domaine congéable 
parait avoir été une transformation de la quevaise. Voyez, sur la signification de 
ces mots de fancien droit breton, VHiêloire de BretatfM de D. Lobineau» t. Ii 
p. 852 , S 18.); et t. II, col. 1787, art. Convenant, et col. 1803 . au mot Keurod% 



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— 190 — 
cules. On a pu voir, il y a une trentaine d'années, dans ia rue du 
Monceau- Saint-Gervais, derrière THôtel de Ville de Paris, une en- 
seigne à rOrme Saint-Gervais, transportée depuis rue Barre-du- 
Bec. Cette enseigne rappelait le souvenir d'un arbre pareil à ceux 
que nous avons signalés plus haut et qui existait depuis le xiu* 
ou le XIV* siècle^; le duc de Guyenne y venait payer, à ia Saint- 
Remy et à la Saint-Martin d'hivier, une redevance féodale, à cause 
de son hôtel qui était près de la Bastille^. Nul doute que cette 
éminence ne fut une de ces mottes élevées artificiellement au- 
près des châteaux pour marquer la châtellenie. Roquefort, au- 
quel nous empruntons cette définition , ajoute : • Le seigneur y 
tenait les plaids et les assises sous un chêne, au pied duquel était 
une grosse pierre qui lui servait de siège ^. • Mais pourquoi un 
chêne, quand il y a des exemples de ia tenue de ces sortes de 
plaids BOUS un orme ^ P 

* Voyes Le I^Jm rots de Paris, y. So6. L'abbé Lebeuf, qoi l'a publié pour la 
première fois dans son Histoire de la vUle et de tout le diocèse de Péris, t. II, écrit 
en note, p. 699, au mot Oiumeciau. du texte : «On l'appelle l'orme S. Gênais, 
quoiqu'il ne soit pas maintenant fort gros. Du temps du poète , ce n'étoit qu'un 
aussi petit orme. » (Cf. Fabliaux et contes, édit. de Méon, t. Il, p. 276, oà cette 
note a été infidèlement reproduite.) 

' Saiêt de la Clrf on journal kietori^ae smr les nutûères dm tempe ( reeueil pfau 
connu sous le nom de Journal de Verdun), mars 1 yS 1 , t. LXIX, p. 306-S08. Cf. 
décembre ijSo, t. LXVIII, p. 426-43o. — Pareillement c'était sous Forme de 
Lourdes que le comte de Bigorre venait recevoir Thommage du vicomte d*Asté, 
qui lai devait un épervier. ( B. de Lagrèse , Histoire da droit dans les Pyréaées, Paris , 
1867, in -8% p. 355«) — Les deux dissertations De rOrigine de tasrn^ ^w a 
donni liea aa diclon: attendce^moi sovs l*orwe, par Dreux du Radier et Ldbeiif, 
ont été réimprimées par Leber, dans sa Collection des mfiUears disseeiatioas , notices 
et tsmtés particuliers relatifs à l'histoire de France, t. VIII, p. 446-453. 

' Ghssaire de la langue ronuuie, i, II , p. s 1 2 , col. 2. -— G*esl ici le lieu da 
signaler un siège de pierre à Sigelestbom, dans Holdemes. Leiand y avait la 
cette inscription : «Hec sedes lapidea ab Anglis dicebatur FndfCoJ» id est, pacis 
catbedre, ad quam reus fugiendo perveniens omnimodam paeis securilatem 
babebat. » ( The Itinerary of John Leiand the Àtita/may, vol. VII , part 1, Oxford , 
HDCGxi, in«8^ p. 124.) 

^ Voyex ci -dessus, p..i8i-i83; le Glossaire de du Gange, t. V, p. 97S. 
col. 2, art. Placita tenere; etFouvrage de Grimm, Deutsche Bechts Allerthmmery 
p. 794*798 (Gericht unter Bàamen), 



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— 191 — 

Avant d aller plus loin', je demanderai , avec timidité toutefois, 

si les dolmens n'étaient pas des pierres de ce genre. Ce qu'il y a 

à la fois de certain et de remarquable, cest que, dans nombre 

d'endroits, on rendait la justice sur une pierre ^ et que fré- 

* Dans un acte passé à Crépy, le 36 janvier 1 53o , le maire de Bargny dt^clare 
qii*il y a dans le village une pierre près d'un noyer, vis-à-vis te portail de Tégiise , 
où les procès étaient portés devant ses prédécesseurs. ( Hutoirt de lActdémU 
royale des inscriptions et beUes-letlres, t. XXI , p. 110. — Cariier, Histoire du du- 
ché de Valois, t. [, p. 75.) -;-A Saint-Dié , ia juridiction particulière des terres du 
chapitre portait le nom de siège de la Pierre-Hardie. ( Piganiol, Nouvelle Description 
de la France, t.«XIII . p. 4 79. — N. F. Gravier, Histoire de la ville épiscopale et de 
tamtidissêment de SaùU-Dié, etc. Épinal, mdgcxxxvi, in-6*, p. a 3 8.) La pierre 
ainsi nommée était pi^ de ïé^h% et ombragée par on orme, dont un tîHeid a 
pris la place , sans faire out>lier son prédécesseur. — Tout le monde connaît la 
fameuse table de marbre du Palais , mentionnée par Sauvai (Histoire et recherches 
des antiquités de la ville de Paris, t. II , p. 3i 1); mais il est fâcheux que ce compi- 
lateur n*entre pas , à son sujet , dans autant de détails qtie Stephanius , annotant 
Saxon le grammairien , au commencement du livre I de son histoire , où il parie 
du coarannement des rois de Danemark et d^Écosse sur une pierre (cf. Ibre, 
Glossariam sniogodûcum, v** Mora ihmg, ool. goS, sub voce Thing),et omette de 
faire remarquer qu'il y avait pareillement dans la grande selle du palais de 
Westminster une table de marbre, sur laquelle Cowell donne de curieux détails 
dans son Interpréter, etc. art. Lapis marmoiius. — Pour en revenir à la table de 
marbre du Palais, nous signalerons l'article que M. Edouard Foumierhii a con- 
sacré dans XEwoyclapédie du Xix' sihle, sous le Diot BÊmrhre (Table de). Il s'y 
trouve , d'après les Études de M. Bonnardot sur Gilles Corroset et sur Gfllebert de 
Metz, une citation de ia description de Paris au xiv* siècle, par celui-ci, qui se lit 
k la page 53 de l'édition que M. Le Roux de Lincy en a donnée en i855. — Cest 
à la table de marbre du Palais que les publications fégales avaient lieu à son de 
trompe. (Jean de Troyes, lÀure des /ait» advenas au temps de Loays XI, édit. du 
PoiMou littéreire , p. 3^3» col. 1, ami. 1471-) Encore aujourd'hui, à Gourgé, 
département des Deux-Sèvres, les proclamations du maire se font sur une pierre 
à la porte de l'église. On sait que, dans l'ancienne Rome, il y avait pareillement, 
au Forum, one pierre sur laquelle montait le crienr public pour annoneer les en- 
chères. Plaute fait allusion ù cotte pierre quand il fait dire ù l'un de ses personnages : 

O ttnlte, ttaite, netcis nanc venire te: 
Atque in eopse tias lapide obi praoo pradicat. 

{BaeehidMt IV, tu, 17.} 

Voyex encore Érasme, Adug. chil. II, cent, x; et Grimm, Deutscke Recktt Alter- 
tkùmer, p. 802-80^. — Encore aujourd'hui, dans certains de nos ports, notam- 
ment à Saint- Aubin-su r-Mer (Calvados), les pécheurs apportent leur prise i 
one pierie, où se tient le crienr public qui la met aux enchères. 



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— 19Î — 
quemment les monuments dits druidiques étaient associes avec (les~ 
ormes. M. de Fréminville, explorant le pays chartrain, rencontre 
un dolmen s'élevant entre de vieux ormes, et ailleurs un peul- 
van appelé la Pierre de VOrme, « borne milliaire très-ancienne, à 
la vérité, ou une limite judiciaire ou seigneuriale ^ » 

En Ecosse , les séances des cours de justice se tenaient fréquem* 
ment auprès des pierres levées. Dans un procès- verbal dressé 
en i349 P*'' William, comte de Ross, justicier du royaume, cet 
ollicier déclare avoir comparu , avec une suite nombreuse , pour 
soutenir et protéger en justice le patrimoine roy^l de T^lise 
d*Aberdeen , auprès de pierres levées de Rane en Garrioch, « apud 
«tantes lapides de Rane en le Garuiach^. » En i38o, Alexander 
Stewart, lord de Badenach, lieutenant du roi, tint une cour 
«apud le standand stanys de Ester Kyngucy in Badenach, » ou, 
comme ou lit ailleurs, dans le même document, « de le Rathe de 
Kyngucy estir^. > On tenait encore des cours et des assemblées de 
justice à une pierre sépulcrale sur la montagne de Conan, pa- 
roisse de Saint-Vigeans (Forfarshire). En i254, un différend exis- 
tant entre les moines d'Arbroath et le lord de Panmure se termina 
le jour de saint Alban le martyr « super Carnconnan*. • En iSyS, 
Tabbé oblige John Lyon à payer, en échange de terres, « unamsectam 
curie nostre capitali apud Carnconan. > En 1^90, quand Alexan- 
der d'Ouchtirlowny recueillit l'héritage de son frère William, 
l'enquête fut faite par le bailli de la regality, c'est-à-dire des droits 
seigneuriaux, de Tab^é «apud Carnconane^- Enfin, dans les 
Orcades, c'était devenu tellement l'habitude de tenir les tribu- 
naux de district à une pierre levée, que, dans divers documents 
du xvi" siècle, court et stane étaient employés dans le même sens*. 

' Mémoire sur les monuments druidiqius du pays chartrain, dans les Mémortê 
de la Société royale des antiquaires de France , i. II . p. 1 69 , 1 77. 

^ Registrum episcopatus Abenlonensis , vol. I, p. 7$. — Sculptwred Stones of 
Scotland, vol. II (Edinburgii, printed for the Spaldiog Club, 1867, in-foiio), 
Appendix to the Préface, p. xli. 

^ Ckartulariuni Moraviense,p. iSà- 

^ Registrum de Aberbrothok, vol. I, p. 3s s. 
. * /W., vol. II. p. 34.67. . ' 

' Miscellany of the Spalding Clab, vol. V, p. Sgi. Cf. Préface, p. 39. — Le 



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— 193 — 
Comment, après cela, partager Topinion de Lambarde au sujet de 
rétymologie du nom de Folkestone (pierre du peuple)^, au lieu de 
l'expliquer par l'usage qui vient d'être exposé? Mais revenons en 
France et aux expressions qui peuvent éclairer notre sujet. 

La motte, qui était le symbole du pouvoir judiciaire et sei- 
gneurial , semble avoir donné naissance au terme du droit féodal 
nïoavance\ bien que motte, pas plus que l'expression de la langue 
parlementaire motion , qui en vient ^, n'ait rien de commun avec 
movere et meute, qui en est formé*. Motte dérive, non de terra 

docteur Stuart, après avoir rapporté ce qui précède, fait judicieusement observer 
qn il faut prendre garde d*en conclure que ces assemblées , tenues bien ailleurs 
qu'à des pierres levées, leur empnmtassent la moindre signification. [Sculptared 
Stones ofScotland, vol. II, Appcndix to thc Préface, p. xi.t.) 

* A Percunhalation of Kent, etc. Chatbam , 1 826 , in-8*, p. 1 5 1 . 

* H est jaste cependant de faire observer que notre ancienne langue avait 
iftoRvotr dan.s le sens de firer son origine, d^avoirson commencement Le sire de Join- 
villc, décrivant le lien où le sultan d'Egypte Touran-Scbah canipait sur le bord 
du Nil, dit : t Après la chambre le soiidanc avoit un prael. . . Du pracl movoit 
une alée qui aloit au flum.v etc. {Recueil des historiens des Gaules, cJc. t. XX, 
p. 244. B. Cf. Gloss. med. et inf. lat. t. IV, p. 563 , col. 1, v' Movere.) 

' Al bis modnge 
Was fui of jitsinge. 
«Tout son discours était plein de cupidité. » 

( La^cMom Brut, etc. «d. by sir Fradwic Maddcn ; London , 1847, 
m-8% vol. I , p. «79 , col. 1, t. »h. ) 

Amang al )>is motyng , 

Dead iwar]? j>e gode king. 

« Et au milieu de ce discoui-s , le bon roi mourut. » 

[Ihid. vol. II , p. anfi, col. a , v. i5.) 

* On disait autrefois muete, et ro mot signifiait souvent l'oyage , expédition , 

départ ; 

T.*» jor de lor mnatr «ni empris. 

( B^nott , Ckronùftiê deê duet de Nêrmandie. t. 1 1 p. 436 , 
V. losis. Cf. t. III, p. 3i4 et 899 , roi. 1.) 

Or est la cho«e porpaiiée 

Kt de la maete et de raléc. . • 

(RutcVeuf, Du Soucrtlain et de in Famé au chevalier, v. 317. 
— Œnvrf» complète», t. I , 3i4.) 

Voyei le Glossaire de du Gange, au mot Mota,i. IV, p. 56i , col. i . — On pour- 
rait croire que le château de la Muette, au bois de Boiïlogne , n était, dans Tort- 
gine, qu un pavillon de chasse dans lequel on gardait la meute du roi , si des titres 

^RcnFoi.orfTK. i3 



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— 194 — 
mota, ainsi que le préteod Tabbéde la Rue^ après bien d autres, 
ni du celtique, conime le croit M« Charles Giraud^, mais de 
rislaodais mote, qui signifie réunion, assemblée, comme Tanglo- 
saxon gemote, qui perd sa première syllabe dans les composés. 
Amsi, il y avait des seyrBtmot et des burgemot, ou assemblées 
de comtés et de bourgs, et le tribunal où siégeaient les juges 
dans nie de Thanet, sur la côte méridionale de la Grande-Bre- 
tagne , s'appelait halmot ou halimot ' ; le cor, au son duquel s'ou- 
vrait la cour du burgmote, à Canterbury, ou que Ton sonnait 
pour convoquer les motes des Cinque-Ports, s'appelait moihom^^ 
et la cloche employée pour réunir lesfolcmotes, ou assemblées du 

anciens ne faisaient mention d*une autre Muette, celle de labbaye de Saint-Mar- 
tin, à Paris. L'abbé Lebeuf, Tayant rencontrée dans Tnn de ces titres, de Tan 
1 3s 3, fut d'abord tenté de voir dans ce nom un synonyme de la Pissotte signalée 
par Sauvai (Histoire et recherches des antiquités de la ville de Paris, t. I, p. 67> 
79); mais il renonça bien vite à cette explication pour adopter celle de tour, 
donnée dans le Glossaire de du Gange, au mot Mueta, t. IV» p. 565» col. a et 3. 
(Voyei Histoire de la ville et de tout le dioohe de Paris, t. I, i** partie, Paris, 
MDGCLiv, in-S**, c. IX, p. 3 13.) — En résumé, les textes accumulés dans le 
vaste répertoire que nous venons de citer, en même temps qu ils offrent des sens 
divers , semblent indiquer des étymologios différentes. 

I Nouveaux Essais historiques sur la ville de Caen, etc. Gaen, MDCCCXLn, in-8*, 
t. I, p. 295. 

' Essai sur l'histoire du droit français au moyen âge, Paris, i846, in-S**, 1. 1, 
p. 63. 

^ Chronica W. Thom, ap. Roger. Twysden, Historiés Anglicanes Scriptores x, 
col. 1820, 1. 60. Gf. col. 1827, 1. 38. — Dans le glossaire qui termine le volume, 
William Somner, s'aidant de sir Henry Spelman , qu il cite , traduit kalimolum 
par eonventtts aulm, t c est-à-dire, ajoute- t-il , cour seigneuriale, du manoir ou du 
baron , dans les campagnes et juridictions ; » et il fait dériver ce mot du saxon heal 
(angl. hall), salle, et de yemot, ou simplement mot, assemblée. Mieux vaudrait, 
ce me semble, rattacher halimot à healic gemot, employé par Elfric dans ie sens 
de prineipalit conventus , panegjrris » et recueilli par Boswortb, v" Healic, kealig. 
Voyez, au reste, Cowell, Tke Interpréter, etc. art. ffalymote aUas HealgemoU, 

* John Gage Rokewode, Chronica Jocelini de Brakelonda, Londini, mdgcxl, 
in-Vi p- t36, 137. Gf. Spelman, Glossarium archaiologicam, etc. Londini. 
MDCLX1T, in-fol., p. 92, 236, 273, 43 2, v^* Burgemotus, FoVkesmole, llaligemol, 
AfoCa; Gowell, The Interpréter, eic, v** Falmotam, Folcmote, Moot,Mole, Wood- 
moU, etc. ; du Gange, Gloss. med, et inj, lut., t. Vï, p. 465 , col. 1 et 2 , et p. 921, 
col. 3 , v'* Sttfanimotnm , Steanemolum, etc. 



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— 195 ■— 
peuple, est désignée sous le nom de motbel dans une loi attribuée 
à Edward le Confesseur ^ Enfin dans le comté de Derby, on ap- 
pelle harmote ou hergmote une tribunal spécial qui siège sur une 
montagne et où se décident les disputes entre mineurs ^ ; et dans 
le pays de Galles le terme commote est usité pour désigner une 
partie d*un comté, ce qu'en France nous appellerions un canton^. 
On lit dans le Brut de La^amon , paraphrase poétique en semi- 
saxon du Brut de Wace : 

Aile ]>a Brutte» 
Rn^en to )>an mote. 
I Tons tes Bretons vinrent à Tasserobiée. t 

( La)amonâ Bral, vol. II , p. 1 1 3 , col. i , v. 1 9 et cio^ 
)e beodh mine roen aile , 
)>a beodh a )>isse mote. 
« Vous été» tons mes hommes, qui êtes dans cette assemblée. • 
{Ihid,y<A, III, p. ayi , col. 1, v. la et i3.) 

* Glosj. arch., p. ^23, v" MotheL — ÀncUnt Laws and Institatês ofEnglani, 
Printed by Gommand of bis late Majcsty King William IV, i84o, in-foi., p. 299 
(Leifes régis Henrici î, c. vu, S â ). — A la page 268, l'éditeur Benjamin Thorpe 
fait remarquer que Tarlicle qui ordonne de convoquer deux fois par an Tassem* 
Uée du comté et celle du bourg est emprunté à une prétendue loi d*Edward le 
Confesseur qu'il n'a p^ insérée dans sa collection, mais qu'il cpoit devoir rappor- 
ter en note. Houard en a fait autant dans la dissertation préliminaire par laquelle 
s'ouvrent ses Traités sar les coatames anglo-normandes, etc. Paris, mdgclkxvi, 
in-4'. (Voyez t. I,p. 176 et 179, col. 1 et 2.) En trois endroits on Wi/olcmore, 
ce qui est une faute du copiste ou de l'imprimeur. 

• Coweil, The Interpréter, etc. v** Bergmayster, Berghmoth,or Bergmoie» — Hal- 
iiwell, A Dîctionary of archaic and provincial JVords, etc. London, mdcccxlv, 
in-8*, vol. I, v^' Barmote et Bergmote. — Il ne faut point oublier qu'en allemand 
Bergmann, comme en flamand Bergwtrher, signifie mineur, et qu'au moyen âge 
les mineurs venaient principalement d'Allemagne ou des Pays-Bas. Encore sous 
filizdbeth , un certain Corneille de Voss , dont le nom indique la patrie , ou du 
moins l'origine, obtenait de cette princesse le privilège d'exploiter plusieurs 
mines de fer, peu d'Anglais, à cette époque, sachant extraire et préparer le mi- 
nerai. (Voyei Pennant, A Tour in Wales, London« mdcclxxhv, in-4*, vol. I, 
p. 80 ; et Van Bruyssel , Histoire du commerce et delà, marine en Belgique, etc., t. If I . 
Bruxelles. i865, in-8', p. 62.) 

•"* Voyez Coweil, The Interpréter, etc., art. Commole; du Cange, Gloss. med. et 
inf. latinit., t. H , p. /i 8 1 , roi. 2 , art. Commotum , Comotam ; Giraud , Bévue de légis- 
lation, etc., t. XVfï, p. 3i5 (Dff Vusement de Mote)-^ et, encore mieux, Ancient 
Laws and In^titutes of fVales, etc. London, mdcccxm, in-folio, p. 976 . col. 1, 
et p. 998, roi. 2, aux mois Conimotus et Ciinrn/, 

i3. 



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— 196 — 
L'un des rimeurs du cycle populaire de Robin Hood , repré- 
sentant un moine qui se rend à Londres pour assister à une as- 
semblée de son ordre, emploie le même mot : 

The monke was going to London ward, 
There to holde grete mote. 

[A Lytlel Gttte of Rolyn Mode, ihe mh fytte, st. ^9.) 

Dans la traduction du second des deux passages de La^amon, 
réditeur, après avoir écrit meeting, ajoute entre crochets hall (salle), 
comme si ce mot rendait mieux la pensée de Tauteur. Il est cer- 
tain qu'en vieil anglais mote avait souvent le sens de bâtiment, de 
domicile, de logis : 

I hoped ]>at mote merked wore. 

( The Pearl, l.i Aa ; dans Early EngVuk alliterative Poenu, in 
the West-Midland Dialect of ihe fouHeenth Century, Lon- 
don, H1>GGGLXI▼,in-8^ p. 5.) 

New lech me lo |>at myry mote. 

{Ihid., I. 935.[/6iV., p. a8.] Cf. 1.936,9^7. 9/18.) 

1 ivyst wei when I hade worded quat-so-euer I coir]>e , 
To manace atie |>iAe mody men )»at in jns mote dowelle) . . . 
{PatUnee, I. Aai. Ibid.p, io4.) 

Nade he sayned hym-self , segge , bot prye , 
Er he wat^ war in ]>e ivod of a won in a mote, 
Abof a launde , on a lawe . . . 

{Sjr Gawayneand ihe Grene lCny}t, v. 768. Syr Gawayne , etc. éd. by 
sir Frédéric Madden; London, mdcccxxxix , în-ii*, p. 29.) 

Her is a meyny in ^is mote, ]>at on menske ]>enklLe}. 
{Ibid. T. ao5a. Ihid, p. 76.} 

Il nous semble superflu de multiplier les citations pour appuyer 
les deux sens de maie en ancien anglais ^ ; mais il ne saurait être 
oiseux de mentionner l'existence de ce terme dans le dialecte écos- 
sais , et de signaler, à cette occasion , le Moot ou Mute hill de Perth, 
ou plutôt de Scone ; « Montem placiti in villa de Scona , » comme il 
est dit dans les lois de Malcolmll (c. i, S 2 ). D'autres noms de lieux , 

* Voyei encore v. 635 et 910, p. aS et 35 , et Richard Rolle de Hampole , The 
Pricke of Conscience , p. 239, i. 8903. 



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— 197 — 
tels que Kelly-Law, North-Berwick-Law , près d'Edinburgh ^ doi- 
vent à leur configuration leur dernière syllabe , mot par lequel se 
termine le premier des passages rapportés pluis haut^ et qui est 
resté en usage comme synonyme de hill (colline). Frappé de la 
ressemblance de law avec le mot anglais qui signifie loi, Jamieson 
attribue à mote et à law une origine commune , Tadministration de 
la justice dans des assemblées populaires , ou par tourbes , conmie 
on disait autrefois', sans remarquer que Tanglo-saxon avait Mdw 
avec la signification de monticule'^, qu'en mœso-gothique hlaiv exis- 
tait déjà avec le sens de tombeau, qui se concilie parfaitement avec 
celui de tumulas, d^agger, de refugium, que lui accorde Jacob 
Grimm, mais nullement avec le vitd^ employé par Ulfilas pour 
rendre le grec v6(âos ^. 

* Nous en poun^ions ciler bien d'autres , par exemple Earnslaw , nommé dans 
ce couplet d^une gracieuse chanson écossaise : 

Tbere's braw lads in Eanulaw , Marioo , 

Wha gape, and glower wi* tbeir e'e , 
At kirk wben tbey Me my Manon ; 

Bat nane o* Ihem lo*es Hke me. 

[Tk» Ew-Bn^ktÊ . %i. k-) 

' Cf. V. 2171, 3176» etc. — On lit ailleurs : 

{>e lede} of \9X lyttd toun wern lopen eut for drede, 
lo-to ]>at malacrande mère, marred bylyue, 
f>at no)t faved wat) bot Segor Jiat sat on a Uum, 
}>e |>re lede) ]>er-iD , Lotb and bis de)ter, etc. 

(Chantitu, I. 990 ; dans Eorfy Ett^lUk alli(«ra((ve Pmou. ete., p. 67.) 

* Gloss. med. et inf. îatinitatis, v* Tarha, n* 2 ; t. VI, p. 700, col. 1. 

* Voyez Codex diplomaticus œvi Saxonici, opéra Johannis M. Kemble, t. III, 
Londini, hdcccxly, in-8*, préface, p. xxxii — L'éditeur signale Cuckamslow 
comme étant probablement le tumulus le plus élevé de la Grande-Bretagne : on 
sait quau zi* siècle, c'était le siège d'un tribunal de comté, l'un de ceux dont il 
nous reste des actes très-importants. (Voyez Notices of Heathen Interments in the 
Codex diplomaticus, dans YArchœological Jom-nal, vol. XIV, p. i3i. Cf. D' Jobii 
Stuart, Scttlptared Stones ofScotland, vol. II, App. to the Préface, p. xxix.) 

' Ulfilas, Veteris et Novi Tesiamenli versionis gotkicm Fragmenta qaœ supersunt, 
éd. H. C. de Gabelenlz et D' J. Loebe, vol. II, pars 1; Lipsiae, i8â3, in-4*, 
p< 63, col. 2 , et p. 190, col. 1. — Jacob Grimms Deutsche Grammatik, zweiter 
Tbeil , Gôttingen , 1826, in-8*, p. 462. — D' Lorenz Diefenbacb, Lexicon com- 
paralivam linguarum Indogermanicarum, etc. Frankfurt am Main, i85i, in-8*, 
vol. H, p. 56i. n'ei. 



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— 198 — 
A des époques postérieures, le terme de mota se rencontre fré- 
quemment dans les chartes catalanes et romanes du xn* siècle, 
et dans les écrivains latins du moyen âge , avec des significations 
diverses, dont la plus commune est colline factice, destinée à 
recevoir un ouvrage fortifiée Or, en vieil anglais, en danois et en 

' Voyez une charte de 1 1 84 dans le Marca Hupanicaj col. 1 878, n* ccccLXiix \ 
et surtout le Glossaire de du Gange, art. Mota (édiu in-4*, t. IV, p. 56o). Aux 
textes cit(^s dans ce précienx recueil on peut ajouter: 1* une note de certaines 
redevances féodides dues au comte de Toulouse , à raison de la seigneurie de Vil- 
lemur, avant laoo, t por sos hortx, e pels caials, e por la mota, e por las autras 
onors de la mota » (Alexandre Teulet, Layettes du Trésor des Chartes, 1. 1, p. 21 3, 
col. 2, n*^543); a*" trois mandements rapportés dans les IVôles gascons: le pre- 
mier relatif à un ouvrage projeté pour Tile de Ré ; le second à rachèvemeat 
d*une tourelle commencée sur la motte de Nottingham , et le troisième à une 
citerne à construire sur la motte de Windsor pour y recueillir les eaux pluviales. 
(Aotnh* Wascon'uB, 27 Hen. III, membr. 1, in dorso. — Patentes Littermfactm 
in ïVasconia, 87 Hen. III, membr. 8.) — Gitons encore un passage intéressant 
d'une ancienne chanson de geste. Ferrans 

Droit à rentrée, par deles .1. vauoel, 
Treuve •!• manoir : n'i ot ter ne chastel ; 
Deaor la mote n'avoit c*un Mal qaarrel. 
Fctiei i ot cpi font fiùt de nouvel. . . 
Une pucdle séoit toas un aabel, 
Devant la porte, droit an pié d an poood. 

(Gajf^N^p. 119, V. 39» 7') 

On lit dans un hommage au roi par Jean de Coustures , baron de Sarasmel, 
en la sénéchaussée des Lannes , au siège de Sain^Sever : t Premièrement ung 
petit chasteau, lequel est assiz en hault lieu sur une mothe deffensaUe, envi- 
ronné de foussés et de murailles ruyneuses anciennes, oji il y a canonieres, 
lucanes et autres de£fcnces par devant et par l'un cousté, avecques ung pourtal 
et ung pont levant du cousté devant, et y a sales, chambres, une vit, cave 
et chay.» (Archives départementales de la Gironde, £, Terriers, n*" i48, Pierre 
Gaslaigne , notaire.) — Dans une ancienne chanson de geste , un personnage s'ex- 
prime ainsi : 

Quant je viag cbà à vous, par Campengne passai ; 
Une monlaigne roide que sus désire trouvai , 
Poar chou que point n'ai terre, ibrment la oouvoitai. 
Sfi me donnes la mote, .1. castd i ferai; 
Haalefeaille aora nom , ainsi esgardé Tai. 

(Gaufny. p. ibi, v. 6099.) 

Le texte imprimé porte monte; mais il est évident que c est une faute. 



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— IM — 
allemand, holni ou holme veut dire coteau, monticule ,. colline^; ce 
mot importé du Nord dans notre pays est resté dans la nomencla- 
ture géographique de la Normandie ^, et Ton ne peut qu'être frappé 
de la ressemblance matérielle de holm avec ulmus, en dépit de 

* Ihre, Glossariwn SuiogoÛùcum, etc. Upsalie, anno udgclxik, in-fol., t. I, 
col. 89^, V* Holme. — Glossarium medim et infimm latmitatis, t. III, p. 728, 
col. I . — On lit dans Lajamon : 

And Colgrim and BddalT 
Mid bim ibo)cB weoren 
Into ban ka}e vude, 
lo to )>an b«)e hohnê. 

«Et Colgrim et Baldulfavec loi étaient partis dans le bois élevé, sur la<baulè coUine.» 

(La)anioM Btut, vol. U , p. 445, col. i, v* 19.) 

He ulih to ]>aD holmê. 
And bis bol isocbedb. 

«11 s'enfuit anrocber escarpé , etcbercbe son terrier. ■ 
{îhid, p. 45a , eol. 1, v. 6.) 

William Lambarde (À Peramhulaùon of Kent, etc. Cbatbam, i8a6, in-8*, 
p. 468, 469) traduit kolmê par coUint boisée : • Holmes Dale, tbat is to say tke 
Dale beiween the woddie billes. • (Cf. Cowell, The Interpréter, etc., sub voce.) 
Ce lexicographe cite une charte relative au prieuré de Canons Ashly, rapportée 
dans le Monasiicon Ànglicanum (vol. Il» p. 393 , col. 2, lig. i5)*, il eût aussi 
bien pn renvoyer au volume III, p. 16 , col. 1, lig. 45, et p. 269, col. a , lig. 43. 
— Eu écossais, holm ou holme est un mot fort usité , surtout en poésie, pour 
désigner les bords d'une rivière ou d*un ruisseau qui coule à niveau , sens em*- 
prunté à Tanglo-saxon (voyex le Dictionnaire de Bosworth, au mot Hobn) : 

Can ye loe tbe bam lasne tbat loupa amang linns. 
Or tbe honnie green hobnt wbar it cannily rins. 

Holme an fyekt signifie mofitagne et vallée. En ontre, Jamieson (An Etymobgical 
mctûmary ofûe Scottish Langua^, etc., vol. I, v^ Holme, Howtn) donne kobnê 
avec le sens de petite de inhabitée, à* dot, de rocher environné par la mer. La situa- 
tion deDuriiam (lat. Dundmam) sur un roc entouré pxesque entièrement par 
la rivière Wear peut être invoquée comme preuve justificative de cette der- 
nière acception. Ajoutons qu*il est fait mention dans Madox (Hinory and Àntiqui" 
«e» ojtke Bschequer, etc. , p. 1 46 , note d) d'un pré appelé Holm, et, plus loin , 
d'une abbaye de Hulmo, nommée abbaJÙa de Holm. dans la Chronique de Brompton. 
[CL AlarediBeverlacemis Annales, eic.^ éd. Th. Hearnioi Oxonii, mdccxvi, in-8% 
lib. VH. p. 107, et lib. IX, p. i4i.) 

' Histoire et glossaire da normand ^ de VangUtis et de la langue française ^ etc. , par 
Kdouard le lléricher; Paris et Avranches [1862], in-8'', t. III, p. 47-5i, art. 
Homme, Hou, Hoague, Hogue , Heugue. 



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— 200 — 
Taspiration qui caraclérise le mot teutonique^. Nous en con- 
cluons que ce mot aussi bien que motte furent apportés dans 
nos conti'ées par les Normands qui s'établirent en Neustrie au 
IX'' siècle , à moins que Ton n'aime mieux faire honneur de 
celte impoiiation aux pirates danois et norwégiens qui, au vm* 
et au x' siècle, s'emparèrent d'une grande partie de l'Ecosse, 
de l'Irlande et de certains cantons de l'Angleterre. Sans doute 
il ne manque pas en Normandie de vestiges d'anciennes mottes, 
et de localités qui ont retenu ce nom 2; mais il y en a peut-être 

' Celle ressemblance est encore plus frappante dans le nord de l'Angleterre, 
où hoîm et aam, mol usité à la place d'elm, se prononcent de même, à l'aspira- 
tion pi:è.s. (Voyez William Holloway, A General Dictionary of Provincialisms , etc. 
Sussex Press, i838, p. 5, col. i,art. Aum.) — Dans un dénombrement en faveur 
de noble homme Gaston Gassies , écuyer, seigneur de la Tour de la Tresne , et 
d'Anne de Ségur, damoiselle , sa femme , il est fait mention de terres à Fioirac 
«en la palu de Tome,» et «en grabas de Bourdeaus, au loc aperat à Saint-Lan.- 
rens, alias à VOme mort. » (Terrier pour le seigneur de Gassies et autres, dressé 
en i5i2, par Duplantier, notaire, dans l'Enlre-deiix-Mers ; archives du départe- 
ment de la Gironde, série E.) Je ne fais pas le moindre doute que orne ne soit là 
pour orme, surlout quand je vois, pour n en citer qu'un seul exemple, que Yr de 
borne ne se prononçait pas. [Dictionnaire de la langue française » etc. par E. LiUrë, 
t. I , p. 3i6 , col. 3 , art. Borne, — Glossaire et index delsi'CkansondeBoland, édit, 
de 1837, p. 1 95 , col. 1 . — Estahlissement des niesliers de la ville de Paris, mss. de la' 
Bibl. imp. Fr. 1 1709, folio 7 recto, et Sorb. 35o, folio 4 reclo, col. i.) M. Er- 
nest GauHieur nous informe qu'il existait à Bordeaux, déjà au xiv* siëcle, mais 
peut-être antérieurement, une voie appelée rujedeVOrme ou de ÏOme de Papon. 
D'après l'abbé Baurein, celle devoit son nom à un ormeau qui y avoit été planté; 
on la désigna plus tard sons le nom de rue Maacaillaa. » On lisait dans une liéve 
de i356 : «Biancba de Omone débet pro domo Gomalerie, que est loco vocato 
Maucalkau, ante locum vocatum à rOm€ de Papon, t (Baurein, Recherckes concer- 
nant la ville de Bordeaux, folios 87 et 88; arch. de la noairie.) Dans la copie du 
terrier de la vilU dressé sous Henri II , copie qui se trouve aux archives départe- 
mentales de la Gironde, sous le n** 1676 du répertoire de Tlntendance, il est 
question» au folio 1 1 1, d'une maison située rue Glare devaoi ïourme et, plus 
loin, ÏOlmede Papon, C'est dans la rue Glare que les jurais achetèrent une mai* 
son pour y loger le bourreau. D'après te passage ci-dessus, l'ormeau existait en- 
core en k-553. 

' c Chasteaux et forteresces de Vemon et de la mole de Monceaux. > ( Reg. du 
Trésor des Chartes . JJ. 1 1 4 , fol. 3 1 r*. ch. lxxhi , an. D. 1 378.) — Voyex Ménoire 
snr la mot le du Pougard, arrondissement de Dieppe, etc. par S. B. J. Noël, dans 



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— 201 — 
encore davantage en Angleterre, à en juger par le grand nombre 
de maisons fortes, ou moaU^, que présente le seul comté de 
Kent^. Pour ce qui est des mottes disséminées dans Fancienne 
Guyenne, on peut y voir une importation an^aise ^. 

les Mémoires de V Académie celtique, t. IV, p. sSi-sdi ; — Cours â! antiquités monu- 
mentales, professé en 1 83o , par M. de Caumont . etc. 5* partie , Paris , 1 835 , in-8', 
p. 73, 77, 78; Abécédaire oa rudiment d'archéologie, eicphT le même, Paris, i853, 
in-S*, p« sgS, etc. — Wace représente un l»ron normand du xi* siède près de 
son manoir : 

Hubert de Rie ert à sa porte 

Entre li mostier e sa mate, 

{U BûmM dêBM.t.llf p. 93 , v. 8846.) 
Sans vouloir critiquer Texplication donnée par Téditeur, nous ferons remar- 
quer que le meilleur commentaire du mot qui termine ce passage se trouve dans 
le traité De ViensiUhus d'un contemporain de Wace, Alexander Neckam. (Th. 
Wright, A Volume of Voeabularies, privately printed MDGCCLvn, grand in*8\ 
p. io3.) — Dans les Olbn, etc. t. III, part. 1, p. 81, mota est rendu pttr fortis 
domas, - 

' Plus <Mtlinairement nos voisins entendent par moat le fossé plein d*eau qui 
entourait un château ou une maison forte : 

ffis castle dd was strongly built and well defended then , 
With diawbridge, moat, and portcallis, and true andstalwart men. . . 

( 7^ (Hd SeoltUk GêhtlmM , si. 11.) 

Après avoir donné la déGnition ci-dessus , William Somner attribue pour racine 
à mota notre adjectif moite, tout en proposant, en même temps, le verbe grec 
ItMu, (Glùss, ad HisL Anglic, Script, z.) — Nous avions autrefois motte dans un 
sens qui peut bien avoir été le même. On lit dans un ancien compte publié en 
partie par Sauvai : ■ A Simon et Jehan Damours, pionniers, pour le salaire d'eux 
et de dix autres personnes, avec deux porteurs d*yaue, pour faire hastivement 
deux mottes neuves en Tisle Nostre-Dame pour les arbalestriers, et réparer deux 
antres moites en ladite isle pour les archiers , par quittance donnée le dimanche 
33* jour de juin 1371,» etc. (Histoire et recherches des antiquités de la ville de 
Parii,t. III,p. 125.) 

* Account ofthe Mole, Ightham, Kent. (The Gentleman s Afagazine,Fébmari 1 837, 
p. iSa-i56.) 

' Voyez Notice sur les monuments de V époque gauloise et en parlicalier sur les 
lomoioj da déparfememl de la Gironde, par M. F. Jouannet ( Académie royale des 
sciences , heUes-lettres et arts de Bordeaus; séance publique du 16 juin 1 899, p. 1 87- 
3 II ; voyez surtout p. 19^); et Notice sur les ruines d^ anciens monuments militaires 
situés sur les rives de la JaUe de Saint-Médard , prh Bordeaux, par M. G. J. Du- 
rand, dans le Becueil des Actes de TAcadémie de cette ville, cahier de i85i , 
p. 22i-a34. 



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— 202 — 
C'est donc sur une fausse éiymologie qu'est dérivé Tusage au* 
cien de prendre un orme comme symbole de la puissance seigneu- 
riale. Les hommes du Nord n'avaient apporté avec eux dans la 
Grande-Bretagne et en Normandie sans doute rien d'essentiel à la 
civilisation; M. Littré l'a dit ^, et il faut l'en croire; mais ils avaient 
conservé dans leurs émigrations une de leurs institutions natio- 
nales, le thing ou Ihingvalla, lieu d'assemblée l^islative et cour de 
justice pareils au mahal des anciens Francs \ qui parait avoir été la 
même chose, si l'on considère l'un des dérivés du mot germanique 
mallohergium^. En effet, au sein du thingvalla, qui était dans un 
champ fermé, il y avait un tertre artificiel , appelé lôgherg, ou coU 

* Joumaldes Saounts, octobre i863, p. 636. Cf. Recherches *ur Uê trtuies des 
hommes da Nord dans la Normandie, par M. Adam Fabricius , dans les Mémoires de 
la Sociàé des anùqiULires de Normandie, 3* série , volume II , XXII* de la collection , 
décembre i856, p. i-j o. — S'il faut en croire le R. P. Artbur Martin, la grande 
épopée finnoise connue sous le nom de Kalewala a fourni le sujet de deux chapi- 
taux du prieuré de Gunault-sur-Loire. (Voyez Mémoires de la Soâété impériale des 
antiqaaires de France , 3* série, t. II, p. 263-3od.) 

* Voyex la description du thingvalla par le docteur G. W. Dasent, dans The 
SloryofBunU Njal, vol. I , p. gut-guxex. — N'oublions pas non plus la légende 
du Vulcain Scandinave, venue du Nord avec les envahisseurs , et dont nous avons 
recueilli toutes les traces qu elle a laissées dans notre ancienne littérature (FVZmd 
le Forgeron, etc. Paris , MDGCcxxxin, in-8*) , ni le souvenir de Wygar, l'habile ar- 
murier mentionné par La^amon comme ayant fabriqué la cuirasse d'Arthur. (La- 
yuswtu Brai, vol. II , p. ^63 , 1. 1 3.) ^ 

' Ghssariam medirn et injimm laiinUads, t. IV, p. soi, col i, sub v^ Malber^ 
gium, MaUobergiwn, MaUskorgiam, et p. 3o8, col. î, v*' MeUam, Mallus. — Da 
met de sale et, par occasion, des loiss et des terres saliqoee, xvii* dissertation de du 
Gange. {Ihid,, L VII, p. 69, col. i.) — De la langue des gloses malhergiqaes , 
dans les Mélanges archéologiqaes et littéraires de M. Edelestand du Méril , Paris , 
i85o , in-8*, p. ad , 25. — Recaeil des monuments inédits de Vhbtoire da tiers éiai, 
région du nord, 1. 1, p. 7. ->- Dans un autre endroit du Glossaire de du Gange, 
t. IV, p. 189, col. a, on trouve, sous le mot Afoil, un article qui est loin d'être 
satisfaisant. Nous ne le referons pas ; nous nous bornerons à signaler la filiation 
de ce mot , issu du gothique ma^l, par lequel Ulfilas rend d^opd, ou de maU 
qu'il emploie pour traduire pyrie, et dans le nombre des mails si communs 
autrefois en France « celui de Grignan , ombragé de vieux ormeaux. ( Note à la 
lettre de M'MeSévigné du 28 juin 1G71; édit.dc M. Ad. Régnier, t. II, p. s58.) 
11 y avait aussi* dans i'aucieu duché de Valois, un château de Matl-en-Multien , 
situe au-dessus de Gévres, à quati*c grandes lieues sud-est de Nanteuil. iLc 



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— 203 — 
Une des foû^. C'était une élévation conique avec des terrasses 
autour, sur lesquelles les chefs, les prêtres et le peuple prenaient 
place suivant leur rang. On retrouve encore de pareils monticules 
en Angleterre, en Ecosse, en Irlande et dans File de Man, sous le nom 
de AingwaUa, de iinwaid ou de thing mote^^ aussi bien que Tusage 
de tenir audience sur une élévation de terrain ^. Or mote, ne crai- 

nom de Mail, dit Cartier» lui est veau de ce que nos premiers rois tenoient les 
assemblées du champ de mars dans la place d'ai-mes de ce château. ■ (Histoire 
dtt duché de Valois , 1. 1 , p. 76.) — L*abbé Lebeuf fait la même remarque à propos 
du château de May ou Mail, situé sur le territoire d*Argenteuil , vers le nord. 
(Voyez Y Histoire de h ville et de tout le dioche de Paris, t. IV, p. s , 65 el 66.) 

' Dans un ouvrage de la fin du x* siècle , le Niais-Saga, il est fréquemment fait 
mention de lôgherg, nom commun en Islande. (Niais-Saga, etc. Haunic^anno 
MDcccix, in-4', p. ï6, 69, 171, 174. 227. 229, 365, 366, An, 5o2, 529. 
not. 6, etc. — The Sioty of Bamt Nja^, etc. by George Webbe Dasent, Edin- 
burgfa, 1861, in-8*, vol. 1, p. Lxxxtiii, cxxviii, cxxix, cxxxTi, cxlv, cxlvi, 
CLxi;t. II. p. 71, 78, iA5, i52, 228. 235-238. 2*4, 245, t6i-263, 279.) 
— On lit dans le titre V, section III, du Gràgâs, ancien code islandais, sous le 
thre d*C%i lôghergisgaangu («De fapproche à la roche du jugement ■) : « Ver scolom 
«fara til lôgbergs a morgin oc faera doma ut til hrnf)ningar, svait sit>arsfa, at sol 
«9e a gîah&mri enum vestra or l6gsôgumannz rumi til at sia a lôgbergi.t C'est-à- 
dire : f Allons demain à la roche du jugement , et de là portons une sentence de 
condamnation à l'heure avancée du jour où le soleil , tournant de la demeure du 
gardien des lois vers la roche du jugement , semble s'arrêter sur la partie occi- 
dentale de l'abime.» (Hin Fama L5gh6k Islendinga sem nefnist GbAcàs, Haimir, 
1829. ÎB'A*, t. I. p. 26.) Et ailleurs, dans le Kristni-Saya ^ c. rv (Kristni-Saga, 
sive Historia religtonis ckristianm in Islandiam introductts, etc. Hafnie, 1 773 , in-S**, 
p. 21) : fll^ir Fridrekr Biskup oc Porvalldr foro til })ings, oc bad Biscop tPor- 
valld teiia tru fyrer mônnum at Lôghergi. » C'est-à-dire : • L'évèque Frédéric et 
Thorvalld étant paitis pour les assemblées générales, celui-ci pria le premier de 
prêcher en sa présence la religion chrétienne au peuple sur le Lôgberg. • (Cf. cap. xi, 
p. 88-91; Jamieson , An Etymological Dictionarjr ofthe Scottish Language, vol. II . 
v'Low; Grimm, Dentscke Bechts Âlterlhômer, p. 800-802 ; et surtout A. Geffroy. 
LlsUmde a»ant le Christianisme, d'après le Grâgés et les SegtLs , parmi les Mémoires 
p^stntéê par dhsers saxanti à V Académie des inscriptions et heUeS'lettres de lUnstitat 
impérial de France, 1" série, t. VI, i864 , p. 362.) 

' Chalmers , CaJedonia^ etc. book III, ch. x, vol. I, p. 468-471. — Boswell , 
The Journal ofa Tour ta the Hébrides, etc. London, mdcclxxxv, in-8', p. 290. 

' Nous avons vu tout A l'heure le tribunal de harmote: nous pouvons citer en- 
core cehii qui, sous titre de lawless court, tenait ses séances sur la colline appelée 
Kingshill, à Rochford, dans le comte d'Essex. A en juger par une citation donnée 



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_ 204 — 
gnons pas de le répéter, est un mot teutonique qui signifie assem- 
blée de représentants, et ce mot n'a point cessé d'être usité en Dane- 
mark et dans le Nord, où le parlement est appelé Folk mote. C'est 
presque un synonyme de thing, resté dans l'écossais^, et qui entre 
dans la composition de l'anglais hustiiigs ^; car en Norwége le corps 
législatif porte le nom de stor thing, et dans les Orcades, qui, 
comme on sait, ont longtemps été une dépendance de ce royaume, 
hreppamot (assemblée de tribu) est synonyme de vard-thing. Avec 

par Cowell (Thg InUrpreler, etc., s*" Lawkss Court), ceUe cour notait pas sérieuse, 
mais appartenait à la méine catégorie que notre ancienne l>asoche. 

^ Jamieson , après avoir donné la définition de thing ^ « qui , dit-il , a donné nais- 
sance à Texpression tiùng voll'rw (plaine de rassemblée; ]fingvôUriii KristniSaga, 
cap. XI , p. 86 ) , cite pour exemple Dingwall , dans le comté de Ross, et Tingwali . 
dans les îles Shetland, comme tirant leur nom de ce mot, et il ajoute que la se- 
conde de ces deux paroisses est ainsi nommée à cause d*une petite île dans le lac 
de Tingwali , où se trouvaient ordinairement les tribunaux appelés law ting. — 
Pour ce qui concenie Tile de Mao , voyez , au chapitre y de PeverU du Pic , le récit 
du jugraient et de Texécution du capitaine Christian, et la note de sir Walter Scot 
à ce passage. (Cf. Cowell, The Interfire!l£r, etc. <, v* Tinewald; Francis Palgrave, 
The Bise and Progrets of tfie Englisk Commonufealth, etc. part, i, London, 
MDCCCXxzu, in-4*i vol. I, diap. m, p. 13a , et chap. iVt p* idg; et Worsaae, ^n 
Àceoant ofthê Danes and Norwegians in Engîand^ Scolland and Ireland; London, 
i852 , in-8*, p. i58, 394-296.) — On lit dans un manuscrit du milieu du siècle 
dernier, époque à laquelle le duc d'Athot avait succédé aux comtes de Derby à la 
couronne de Tile de Man : «Our doughtfuU and gracions lord^ thîs is the coas- 
t titutlon of old time, the which we bave given in our daies, how ye shud be govemM 
ton the Tinwald day. First you shall come thithcr in the royal array, as a Lii)g 
c ought to do , by the prérogatives and royalties of the land of Nfan ; and upon tbc 
« Hill of Tinwald , sitt in a chair cover'd with a i*oyal cloath and cushions, and the 
« visage into the East, and the sword before you holden with the point upwards» 
« yoar barrons in the third degree, • etc. C'est-à-dire : < Notre redouté et gracieux 
seigneur, ceci est la constitution du temps passé que nous ayons renouvelée pour 
vous gouverner le jour du Tinwald. D'abord vous y viendrez en costume royal , 
comme un roi doit le faire par les prérogatives et les droits de la terre de Man; 
et sur la colline de Tinwald vous vous asseierez sur un siège couvert de drap d*or 
et de coussins , et le visage tourné à TOrient et Tépée tenue devant vous la pointe 
en haut . vos barons sur le troisième degré, > etc. (The supposed true ChronicU of 
the IsU oJMan , coppy'd out of the original.) 

* tHusdngs, Huslingiun , deriycd from has, domus, et thing, causa, is as much 
as domus camarum. » (Cowell , The Interpréter» etc. sub voce.) 



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— 205 — 

ces mots, les habitants de ces îles avaient ward hill, ou wart hill, 
par lequel ils désignaient Téminence sur laquelle on allumait le 
feu destiné à signaler Tapproche du danger, et où s'assemblait le 
ward-thing^ De là sûrement le nom de Wardiaw, que porte une 
colline située dans la paroisse de Caerlaverock et qui montre en- 
core les traces d'une forteresse bretonne circulaire et d'un camp 
romain^. 

Cette habitude d'élever des tertres de terre pour rendre la jus- 
tice s'est conservée dans les temps féodaux, par l'usage où l'on 
était d'édifier, dans les cours des châteaux, des buttes semblables, 
où peut-être se tenait la moie; et, plus sûrement, c'est de là qu'est 
venu le vieux teime français par lequel on désignait ces monticules 
artificiels, symboles de la puissance féodale, au pied desquels on 
rendait la justice, et où se faisaient aussi les exécutions^. Ce qui 
expliquerait le nom de monjoie, dont on n'a pas encore cclairci 
l'origine* et qui leur a peut-être été donné par ironie. 

' David Baif'our, of Bal four and Trenaby, Odid Righuand Jeadal fVrongs : a 
Mémorial for Orkney, Ëdinburgh , mdccglx, in-8% p. 18 et 119. — Page 16, raii- 
tetir désigne le Thingholm dans Tingwali-vatn comme l*un des endroits où se 
tenaient les assemblées solennelles des Shetlandais : il n*y a point à douter que 
ce ne soit cette petite fie dont nous avons fait mention , d*aprës Jamieson , dans 
l'une des notes précédentes. Ajoutons que près de Dingwall , dans le Rossahire « 
il y a une colline appelée Caoc-Riamkaich (la belle colline), dont le sommet e^t 
entouré d*une ligne de circonvallation , et non loin de là on rencontre des pierres 
marquées en creux. Il est à supposer que c*était là le siège d'un ancien Tingvalla. 

' Cbalmers, Caledonta, book I, chap. ii, vol. [« p. 88, 89. 

' A Londres, l'exécution des prisonniers d'État avait lieu dans Tintérieur de 
la Tour, sur une éminence appelée Tower* HiU; et à Siirling il y avait pareille- 
ment une butte artificielle affectée à la même destination « qui portait le nom de 
Ueidwg'HUL Voyez la ballade écossaise intitulée Young JVaterî, et la note dont 
réréque Percy Ta accompagnée. — Dans le Roman de Raoul de Cambrai , un roi 
ayant appelé son prévôt , lui dit^ au couplet 39o , p. 3 lo*. 

Fai-me une forche sor cel Icrlre lever. 
Ce pautonier maintenant me pendes. 

* Voyez ta xi* dissertation de du Caoge sur THistoire de saint Louis (Du cry 
d*armfs), le glossaire français placé à la suite de celui de la basse latinité , t. VII , 
p. 49, 5o et 338, col. 3, et Tindex de la Chanson de Roland, édiï, de 1837, 
p. 197, col. I. 



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— 206 — 

Ces monticules ayant été dans Torigine connus sous le nom de 
holm et de bonne heure ombragés par un arbre , espèce de dais 
commandé par la situation ^ on ne crut pouvoir mieux faire, après 
avoir affecté Forme à cet emploi , que de Taasooier à toutes les œu- 
vres de justice; et c'est de là, comme nous Tavons vu, que sont 
venues les expressions déjuge dessoas Vorme, d'avocat deaoas Vorme. 
Quant à cette autre : Attendez-moi sous Vorme, si elle date d'aussi 
loin, ce qui est douteux pour nous, n'en ayant encore trouvé au- 
cune trace avant le xvii' siède, elle reçut vraisemblablement une 
nouvelle vie d'un fait qui eut lieu à cette époque. 

IV 

Le dictionnaire de l'Académie , auquel on ne saurait trop sou- 
vent recourir, nous apprend que l'on voit encore de vieux ormes 
que Sully fit planter dans les villages, et qu'on appelle dç son nom. 
Mais quel est ce nom? Tallemant des Réaux va nous répcHidre : 
« Il étoit si haï, dit-il du ministre de Henri IV, que par plaisir on 
coupoit les ormes qu'il avoit fait mettre sur les grands chemins 
pour les orner. « C'est un Rosny, disoient-ib, faisons-en un Biron, ■ 
par allusion au supplice- du maréchal de Biron ^ décapité le 
3i juillet 1602. Tallemant ajoute : «Il avoit proposé au roi, qui 
aimoit les établissements, d'obliger les particuliers à mettre dés 
arbres le long des chemins ; et comme il vit que cela ne réussissoit 
pas, il fut le premier à s'en moquer^. » D'un autre côté, un con- 
tenqporain de Tallemant des Réaux s'écriait : «N'a-t-on pas veu, 
du temps de Henri IV, lorsque sous la surintendance de M. de 
Sully, on voulut planter des ormes, que les paysans ne se faî- 

* Canciani [fjeges harharorwn aniiqnm, etc. t. III, p. 87) a donné la représen< 
Ution^de l'un de ces monticuies situé k Figarolo, sur ie P6 , en Vénétie; malhea- 
reusement il a négligé d*indiquer fessence de l'arbre unique qui le surmonte. 

* Les HistorietUs.de Tallemant des Réaax, édit. de i84o, art. 1 1, t. 1 , p. lig. 
— On est en droit de révoquer en doute cette dernière assertion , pour peu que 
l'on se rappelle la ténacité bien connue du caraclëre de Sully et ce que dit Sau- 
vai du quai des Ormes, à Pftris, exécuté par le grand voyer de France, en 160^. 
Par cette plantation, Sully continuait son système, et sur son propre terrain, 
puisqu'il était, de plus, grand maître de Tartillerie, et partant seigneur de l'Ar- 
senal. Il faut prendre garde cependant (pie la voie qui conduisait de la rue de la 



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— 207 — 
soient pas scrupule de couper un arbre pour prendre une gaule, 
et qu'en termes de leur bestisc ils nommoient cela couper un 
Rosiii ^?» 

Maintenant quoi de plus naturel que d'attribuer à l'expression 
qui nous occupe une origine analogue à celle de châteaux en 
Espagne^? De même que bâtir de cette manière était construire 
dans le vide, les mœurs de nos voisins excluant ce genre d'habita* ^ 

tioD, de m&ne donner un rendez- vous sous un orme abattu presque | 

aussitôt que planté devait venir à lesprit de qui voulait se railler | 

de quelqu'un et lui fausser compagnie. 

V 

A la suite de la locution éclose ou ranimée sous Henri IV, on 
en peut citer une autre née de nos jours : // est bon là monsieur 
Delorme, que Ton dit d'un homme qui espère en vain. A Màcon , 
un officier, après un tour de soudard , était parti pour Lyon insa- 
laiato hospite. Cet hôte, sans pouvoir se plaindre d'avoir été battu, 
n'était pas content, et cherchait à rejoindre le trompeur. Celui-ci , 
debout sur le tiliac du bateau, comblait la mesure, en lui fai- 
sant les cornes et en lui criant : // est bon là monsieur Delorme. 
Or ce maître d'hôtel , que j'ai, connu , s'appelait bien Delorme; et 
si son nom est ainsi devenu proverbial dans un rayon très-étendu , 
c'est qu'il répondait à une locution déjà existante, qui l'avait fait 
naître. 

Nous ne saurions mieux terminer une dissertation dans la- 
quelle, à propos de l'orme, il est encore fait mention d'autres 

Mortelierie à ce quai , vis-à-vis de celle des Nonains-d'Hierre , se nommait la ruelle 
des Ormes, et que , dès le xiv* siècle , il y avait sur le quai derrière la Mortelierie 
des ormes entourés de murs et accompagnés de toumelles. ( Voyez Histoire et 
recherches des antiquités de la ville de Paris, t. I , p. 346, et t. III , p. 1 3 5.) 

^ Sttitte des Mémoires de Michel de Marolles , Paris, mdgltii» in-folio, p. 6o. 
ce p. i6 et 17. — Comment , après ce qui précède, croire M. le comte Jaubert, 
quand, signalant l'existence de quelques vieux ormes au centre des bourgs du 
Berry, il les appelle Sully? (\ oyez Glossaire du centre de la France, 3* édit. Paris, 
1 864 . in-4% p. 633. col. 1 , au mot SuHy.) 

* Voyez^ sur cette expression, une note do notre édition de la Chronique de 
Gnillaame Anelitr, p. 3/17. 



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— 208 — 

arbres en possession de la vénération publique, qu'en disant un 
mot d'un hêtre qui, à coup sûr, la méritait bien; nous voulons 
parler du faa de Donremy, sous lequel Jeanne d'Arc allait 
s'ébattre avec ses compagnes, et qui passait pour abriter également 
les jeux des Fées, ou, comme on disait alors, des Faées^. La res- 
semblance que présente le nom de l'arbre avec celui des fiUes du 
destin a sûrement présidé à la préférence qui lai a été donnée 
sur l'orme; un pareil choix peut fournir un dernier argument à 
l'appui de la thèse que nous venons de soutenir, sous des voûtes 
accoutumées à en entendre de plus intéressantes. 

* Procède condamnation cl de réhabilitation de Jeanne d'Arc, etc., pubi. par 
Jules Quicherat; Paris, 1841-1849, m-8% 1. 1, p. 67; t. II, p. 890 01396, etc. 



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NOTICE HISTORIQUE ET DESCRIPTIVE 

ne 

L'ÉGLISE SAINT-PHILBERT-DE-GRAND-LIEU 

{ LOiRF. • INPICRIEURE) , 

PAR M. CH. MARIONNEAt, 

UF.MBRK DK LA SOCIÉTÉ ARCIlÉOIOGIQUe DP. NANTES. 



Je vais avoir Thonneur de vous entretenir de iVglise rurale i^i 
plus intéressante et la plus curieuse du département de la Loire- 
Iiiférieurc. 

Kn i865, à la nouvelle qu'on avait retrouvé le tombeau du 
saint abbé de Noirmoutîer, M. Parenteau, conservateur du musée 
arckéolog^ique de Nantes, et moi nous nous étions transportés au 
Iwui^ de Saint-Philbert-de-Grand-Lieu, afin d étudier les parti- 
cularités que présentaient Téglise et la crypte de lancien prieuré. 
Notre visite fut Tobjet d'un compte rendu, dont la lecture motiva 
des observations contradictoires, présentées par Tun de nos hono- 
rables collègues, M. Orieux, qui, antérieui^ement à la découverte 
de la confession de Saint-Philbert, avait fait procéder au déblaye- 
meut de la crypte et publié sur l'ensemble de Téglise d'intéres- 
santes notes archéologiques. 

A la suite de ces débats, il fut décidé que Téglise et la crypte de 
Saint-Philbert seraient le sujet d'une excursion à laquelle pi^n- 
draient part plusieurs menil)res de notre Société, afin de discuter 
sur place nos diverses opinions et de rédiger un mémoire où 
seraient résumées celles qui auraient prévalu. C'est de ce mémoire 
que je vais vous donner lecture. Mais, avant toute étude mo- 
numentale, il est utile de rappeler sommairement les faits his- 
toriques qui se rattachent à l'origine de l'église Saint-Philberl-dc- 

AACy^OLOGlE. I i 



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— -210 — 
'<jra2id-Lieu , car c'est un principe unanimement accepté, que, pour 
ijMen iHudier un monument, il faut en connaitre Thistoire. 

L'élise paroissiale du bourg de Sainl-Philbert-de-Grand-Lieu 
était originairement Téglise du monastère de Déas, fondé, vers le 
commencement du ix^ siècle, par Arnoult, le premier des abbés 
de Noirmoutier dont Thistoire fasse mention après saint Philbert. 
Le monastère de Déas fut d'abord une dépendance de Tabbaye 
de "Noirmoutier, et surtout un lieu de refuge, plus à Tabri des 
invasions noimandes que Tile d'Her. Lors de la défaite du comte 
Renaud par les Normands, en 835, Tabbé Hilboit et ses moines, 
ayant pris l'avis de Pépin, duc d'Aquitaine, se déterminèrent à 
quitter Noirmoutier et transportèrent le corps de leur saint fon- 
dateur au monastère de Déas. Suivant Ermen taire, ce fait aurait 
eu lieu le 7 juin 836., <et se serait accompli en quatre jours ^ 
Les incidents de cette translation se trouvent minutieusement rap- 
portés dans le récit du chroniqueur, récit dont la fidélité topo- 
graphique peut se contrôler encore de nos jours. Je me bornerai 
donc aux particularités qui se rattachent à la fondation de Téglise 
paroissiale., sujet de ce compte rendu. 

Ermentaire nous apprend qu'à l'arrivée du. corps de saint Phil- 
bert à Déas^ Hilboit fit exécuter de grands travaux à l'église pri- 
mitive, qui n'était point disposée pour recevoir une sépaltvre, et, 
l'ayant considérablement transformée^ il y fit ajouter trois absides. 
Puis , comme le monastère de Déas n'était pas plus en siïreté contre 
Jes invasions normandes que l'abbaye de Noirmoutier, Hiibolt et la 
majeure partie de la communauté se retirèrent au petit monastère 
de Cunault^ en Anjou , donation de Charles le Chauve, et laissèrent 
le corps de saint Philbert dans la crypte de Déas, sous la garde de 
quelques moines. 

Le 29 mars 84?, les Normands brûlent le monastère de Déas; 
Hilboit recourt à Charles le Chauve et obtient le petit village de 
Messay (en Poitou) avec sa chapelle et d'autres donations. Hiibolt 
meurt en 855, et Axène lui succède. Les moines de Noirmoutier, 
ayant l'espérance de retourner dans cette île, y avaient iaiss<\ 

' Nouvelle Histoire de l'abbaye l'oyalc et collégiale île Saint- t'ilibert et de la rille 
de Toitrnns, i" partie , p. Sa. 



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— :211 — 
aussi bien qu'à Dons, quelques religieux, qui vivaient cachés dans 
les ruines de ces deux monastères; mais, en 807, voyant que les 
progrès des Normands, loin de cesser, augmentaient tous les jours, 
et ne pouvant se résoudre à être privés plus longteinps du corps 
de leur saint fondateur, ils profitèrent de Tabsence momentanée 
des Normands pour le retirer secrètement du monastère de Déas 
et le transporter à Cunault*. 

Tous ces faits sont relatés par un témoin de ces derniers événe- 
ments, Ermentaire', successeur d'Axène et qui prit la crosse abba- 
tiale en 859. 

Maintenant j'abandonne le récit des pérégrinations des moines de 
Noirmoulîer transportant le corps de leur saint fondateur jusqu'à 
leur dernier établissement, l'abbaye de Tournus , et je vais chercher 
à reconnaître, dans les diverses parties de l'église Saint-Philbert-de- 
Grand-Lîeu, celles qui appartiennent à la fondation d'Hilbolt et les 
changements qui ont été faits dans le cours de plus de dix siècles. 

L'église de Saint-Philbert est orientée; sa façade, terminée eu 
pignon , est sans caractère monumental. La porte est en ogive à plu- 
sieurs retraites, dont les angles chanfreînés accusent le xv" siècle. 
Dans les hautes assises on remarque quelques détails provenant 
d'anciennes constructions, entre autres deux modillons à figures. 

Les murs latéraux de l'église, côté sud, présentent, dans les 
parties élevées de la nef, des fenêtres cintrées avec claveaux alternés 
(le briques; ces murs, au droit des piliers intérieurs, sont renforcés 
de petits contre-forts plats et peu saillants -. 

Sur le (lanc méridional de l'église, dans les basses œuvres, j'ai 
remarqué, employé parmi les matériaux, un fût de colonne de 
marbre blanc, de 33 centimètres de diamètre. Kn cet endix>it, des 
travaux de déblayenient ont amené la découverte de nombreuses 
inhumations, ce qui autorise à penser que le cloître du monastère 
de Déas s'élevait au midi, disposition qui était du reste habituelle 
pour les abbayes, tandis que, dans les cathédrales, le cloître était 

' L'auteur de la Nouvelle Histoue Je Tournas mai. ea marge cette note pré- 
cipiisp. : «Je crois que pour cette fois ils ne ftrlrrnl (fue Irs ossements et non le cer- 
cueil, rt qu'ils les renfermèrent rîans la cliàsse que nous avons.» 

* Voyez la planrlic XI. 



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— 212 — 
le plus souvent situ(^ âu nord, comme le l'ait observer M. Viotlet- 
ie-Duc ^ Or tout le monde sait que le cloître n'était pas seulement 
un préau entouré de galeries reliant les diverses dépendances du 
monastère, mais qu'il était aussi un lieu d^inhumation. C'est sur 
remplacement de l'ancien cloître de Déas que fut trouvée en i864 
une belle et curieuse clef de bronze , de style carlovingien , qui se 
voit actuellement dans la collection de M. le conservateur du musée 
archéologique de la Loire-Inférieure. 

En continuant la revue extérieure de l'élise,. j'arrive à l'examen 
de l'abside, où se retrouvent des traces de remaniements nombreux 
exécutés depuis le ix"" siècle jusqu'à nos jours. Il serait téméraire de 
vouloir préciser les diverses modifications de cette abside sans opérer 
le sondage des murs et sans pratiquer des fouilles dans le sol; néan* 
moins on peut avancer que, vers le xi* siècle, le chœur se termi- 
nait en hémicycle et qu'aux deux côtés de l'abside se développaient 
deux absidioles, posées sur les bras de la croix. Cette disposition 
répond exactement au texte d'Ermcn taire , et c'est le plan qui fut 
encore suivi dans la construction de trois églises bénédictines de 
la circonscription , réédifiées du xi^ au xii" siècle : Saint-Philbert de 
Noirmoutier, Saint-Philbert de Beauvoir et Saint-Martin de Verlou. 
Le chevet est éclairé par une grande fenêtre, bien défigurée de sa 
forme primitive, mais dont la baie est divisée par des meneaux 
du xvr siècle. Sur le flanc méridional on voit de profondes lé- 
zardes, qui ont nécessité la construction d*un éperon pour épauler 
la muraille. Tout le pourtour de l'église n'a point de corniche. 

Au nord de l'église s'étendaient les bâtiments de l'ancien prieuré, 
où, d'après les procès-verbaux des visites du xvi* siècle, résidaient, 
avec le prieur, quatre religieux prêtres et deux novices. 

C'est vers l'extrémité septentrionale de l'abside que les fouilles 
exéeutées en i865 ont mis à découvert les pai*ties les plus inté- 
ressantes de l'église Saint-Philbert, c'est-à-dire l'ancienne crypte 
de l'église monastique de Déas, monument du plus grand in- 
térêt, tant par le système de son appareil que par les souvenirs 
qui s'y rattachent^. C'est dans celte crypte, dont la construction 

' Dictionnaire raisonné d^architrchtre , I. IFI , p. 1 lo. 
• Voyrz la plim<*hp XH. 



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— 213 — 

remonte au ix' siècle, que ivposèreut, comme je Tai déjà dit, pen- 
dant vingt et un ans (de 836 à 857) , les restes vénérés du saint 
patron. Cette crypte est d'autant plus intéressante pour Fétude de 
lart carlovingien , qu'elle est de date certaine, et que son style 
prouve combien les traditions de Tart romain setaient fidèle- 
ment conservées dans cette partie du bas Poitou. Elle confirme 
la justesse de ces observations de M. VioUet-Ie-Duc : « L'archi- 
tecture romane primitive était pauvre en inventions; toutes les. 
fois qu'elle ne s'appuyait pas sur une tradition romaine, elle était 
singulièrement stérile.» Cette crypte, construite vers 836, est,, 
en effet, une imitation presque servile des édifices des premiers 
siècles de l'ère chrétienne : le galbe et la pureté des arcs, le 
système des voussures et de l'appareil , les procédés d'exécution , 
indiquent des réminiscences de l'art romain, et toutes les pro^ 
habilités portent à penser que Tarchitecte du monastère de Déas 
s'est fortement inspiré de monuments antiques aujourd'hui disr 
parus. Du reste, cette hypothèse s'accorde avec tous les témoi- 
gnages qui présentent Déas comme un vicus important , et dont ou 
connaît l'existence deux siècles avant la venue des moines. Un tiers 
de sou d'or de la collection Grille d'Angers porte au droit : « deas 

vico et un buste diadème tourné à droite ; au revers : alovil? mo 

et une croix ancrée posée sur deux degrés; poids 2 4 grains \ ; 
seconde moitié du vu* siècle. Ce type est essentiellement nantais; 
nous le retrouvons sur les triens de Passay, vicus voisin de Déas, 
et sur ceux de Rezé, de Virillac et de Nantes '. ■ 

La crypte de l'église de Saint-Philbert était depuis longtemps 
oubliée. Il n'en est point question dans les anciennes visites pa- 
roissiales. Ogée et ses annotateurs u'en disent rien. MM. Talbot 
et Guéraud sont, croyons-nous, les premiers qui en aient fait som- 
mairement mention ; mais, en 186 5, notre collègue, M. Orieux, 
dans ses Etudes archéologiques, publia le plan de cette crypte ac- 
compagné d'une minutieuse description. A vrai dire, cette chapelle 
n'était pas alors totalement débrayée; aussi M. Orieux ne pouvait-il 

* Lettres à M» DugastMatifeuo! iiii* queltfucs inoiumics françaises inédites, par 
B. Pinon;Pari», Dumoulin, i853. (Voir la gravure n* 18 (te la planche III.) 



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— 214 — 
signaler le tombeau de saint Phill)ert, que recouvraient des maté- 
riaux provenant d'un ancien éboulement. 

Mon honorable collègue allait plus loin , et » d après les dimensions 
de la crypte , il déclarait ne pouvoir admettre qu'il fût possible d'in- 
troduire un cercueil dans la confession. Cette remarque était vraie, 
et je m'en ser\irai pour établir que cette crypte fut construite lors 
de la nouvelle inhumation de saint Philbert. Cependant, alors que 
rien ne faisait soupçonner que le tombeau du saint patron était sous 
les décombres, l'étude des anciens édifices religieux de la France 
fournissait les éléments d'une règle générale qui devait faire pres- 
sentir, même en l'absence de tout texte, que l'église Saint-Pbil- 
bert possédait une confession, et. par suite, faire pressentir l'em- 
placement du tombeau du patron. Ainsi toute église qui a été le 
lieu d'ensevelissement du saint dont elle porte le vocable possède 
ou a possédé une confession; témoins Saint-Seurin de Bordeaux, 
Sainte-Radegonde dtî Poitiere, Saint-Eutrope de Saintes, Saint- 
Philbert de Noirmoutier, Saint -Avit d'Orléans, Saint -Germain 
d'Auxerre, Saint-Denis, près Paris, Saint-Bénigne de Dijon, etc. 

J'ai déjà dit qu'à l'arrivée à Déas du corps de saint Philbert 
l'église avait été recqnstiuite pour recevoir un tombeau. Voici la 
traduction du passage des preuves de YHistoire de Tournas où il 
est question de ce fait important pour le monument que j'étudie : 

« Comment le tombeau Jut descendu du brancard et placé dans 
Vaite droite de l'église jusquà ce quun emplacement lui fût préparé. 
Alors le vénérable tombeau (venerandum sepulcrum) fut déposé du 
brancard^ au milieu des témoignages du plus grand respect, et 
placé dans l'aile droite de l'église, qui, ainsi que nous l'avons dit, 
est construite en forme de croix; le brancanl lui-même fut sus- 
pendu dans l'aile gauche. En elfel l'église primitive n'avait pas été 
construite de manière à rece\ oir des tombeaux ; mais plus tard , 
d'après une prévision du vénérable Hilbolt, le mur de la farade 
primitive ayant été détruit et la partie qui forme la profondeur de 
la croix (c'est-à-dire l'abside) renversée de fond on comble, l'é- 
glise fut considérablement augmentée, et le lieu destiné à la s<»pul- 
ture magnifiquement orné et entouré d'une triple onceinle ^ • 

* Preuves de VHisloîre de Tounms, p. 58. 



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— :215 — 

Cette magiiiiiceuce du martyrium est coiifumée par la présence 
d*anciennes peintures aux voûtes de la chapelle souterraine et par 
les fragments de xuarbre qui se retrouvent éparsdaas les diverses 
parties de TédiQce. Le plan de la crypte^ que nous joignons à ce 
compte rendu ^, dira plus clairement que ne le potaTait faire une 
longue description quelles sont les dispositions de cette crypte 
proprement dite et du martyrium, qui possède encore îe took- 
beau du saint, en marbre gris-bleu , enibui dans le sol et (|u'affleu* 
rait un ancien carrelage. Ce martyrium était placé sous l*autef 
majeur; et, de Téglise supérieure, deux regardii ou sortes de petits^ 
oculus perçaient les voûtes et permettaient de voir le sarcopliagis. 
I>eux entrées distinctes donnaient accès dans la crypte et dans le 
martyrium. On entrait daj)s la première par une porte au niveau 
du sous-sol et placée à Test. Pour la confession, dont Taccès pa- 
raissait réservé aux moines, des escaliers, aujourd'hui comblés, 
la mettaient en communication avec Tabside; mais, dans Tétat pré- 
sent, il est assez difficile de préciser de quelle manièBe on y arrivait. 
Était-ce par les bas cotés de l'église supérieure ou par deux petits 
escaliers en avant du chœur? Il n*y auj'ait même aucune impossi- 
bilité à penser que les deux moyens. d'accès. ont été successivement 
pratiqués. Du reste, le souvenir des processions qui se faisaient an- 
ciennement dans la crypte est conservé par les vieillards du pays. 

Il résulte de Texamen de la confession que le sarcophage de 
marbre, dans lequel fut déposé pendant vingt et un ans le corps 
de saint Philbert^n'a pas pu être introduit dans le mai^tyrium 
après sa construction ,. mais qu'il y fut déposé au moment même 
où les moines donnaient à l'église de nouvelles dispositions pour 
recevoir les restes vénérés de leur saint fondateur, et qu*en 867, 
elfrayés des progrès des Normands, les moines n'emportèrent que les 
ossements de saint Philberl et non le cercueiV^^ 

De tout ce qui précède, on peut conclure que celte crypte est 
un monument de la première moitié du ix" siècle, à date positive, 
conlirmée par un texte en parfait accord avec les particularités, 
les dispositions et le caractère de l'édifice. 

' Voyez la plaiirlie XÏI, fi'i. i. 

^ VojCil ci-fleSMlS, |). 2 11, HOlC I . 



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— 216 — 
Bien que l'intérieur de Tégiise n*oflre pas Tintérét de la crypte, 
je ne puis omettre les détails qui eu recommandent Tétude. Voici 
brièvement quelles en sont les dispositions intérieures : nef à quatre 
travées; transept bien déformé de son aspect originaire; abside 
profonde, terminée circulairentent ; bas côtés étroits, qui n'offrent 
plus aucun intérêt monumental. C'est toujours le plan roman pri- 
mitif, mais altéré par des reconstructions inhabiles et grossières. 
La nef seule, avec ses fenéti^es étroites et cintrées, ses piliers sur 
plan cruciforme et sur lesquels reposent des archivoltes, com- 
posées de deux rangs de claveaux sans moulures et complète- 
ment appareillées en briques, caractérise les premières années du 
XI* siècle. Dans ces archivoltes on retrouve l'influence orientale 
* qui se fusionne avec les traditions romaines ^ 

' La forme des aixades de Féglise de Saint-Philberl-de-Grand-Lieu peiil don- 
ner lien à des Qpinion& difierentes « qui peuvent être soutenues le compas à la 
m«in. 

A la vue de ces arcades , ie premier sentiment qo^oo éprouve c*est qn elles ont 
la forme d'un fer à cheval ; tout porte à Tillusiou : ie diamètre des cintres est 
plus grand que fécartemcnt des pieds-droits » et la deuxième archivolte se rétrécit 
subitement à la liase de Tare» pour venir, par une tangente échappée des nais- 
sances , se confondre dans les pieds-droits de la première archivolte. 

Mais en procédant au mesurage des arcades , un doute votn vient : quelques 
ouvertures sont plus larges au-dessus des naissances mêmes , et quelques autres. 
présentent la courhive d'un plein cintre surhaussé. 

Les résultats suivants ont été obtenus au moyen dlun fil à plomb suspendu 
successivement le long des pieds-droits. 

En prenant |)our point de comparaison la largeur des pieds-droits â o*,5o 
environ au-dessous de Timpeste, on trouve : 

POUn EXCÈS DR LARGKUn : 

<]< riii.po.ic. .■■;.*^*'""* 

* lie 1 inpotte. 

Travée nord : 

Arcade du couchant.. , o",o2o o*,oio 

cfu milieu. o ,o5o o .090 

d« levant o ',©3^ o ,075 

Travée snd : 

Arcade du couchant.. . *. o ,,oà5 o ,oi5 

dfr milieu o ,007 o ,ooa 

dn levant o ,006 o ,02^ 

Est-il mtrc dans la pensée de l'architecte de donner cet excès de largeur à 



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— 217 — 

Nous avons déjà vu de quelle école les architectes-moines sYHaient 
inspirés pour la construction de la crypte de Déas. Pour expliquer 
rinflucnce orientale qui se trahit dans la nef de Téglise Saint- 
Philbert, il suffit de rappeler les invasions sarrasines dans le bas 
Poitou , ou bien , suivant Texpression d'un éminent orateur de la 
tribune française : « ce choc immense qui eut lieu dans les champs 
de Poitiers. » 

A rintersection des bras de la croix s'élevait le vieux clocher, 
au-dessus d'une conpole sur pendentifs; car on ne peut expliquer 
autrement les deux grands arcs doubleaux dont on aperçoit les 
traces sous le mortier et qui correspondaient à cet arc triomphal 
en avant du chœur, dont on ne comprend plus aujouixl'hui la 
raison d'être. De cette observation il résulte que les deux petite» 
arcades du transept datent du xiii* ou du xiv^ siècle et ne sont que* 
des i^mplissages. De là l'explication de ces deux chapiteaux mis 
en regard comme supports de la même arcade, bien que l'un soit 
du XI' siècle et l'autre, de marbre blanc, de style gréco-romain, 
reposant sur une colonne monolithe, également de marbre et qui 
provient d'une antique construction. Indépendamment de sa valeur 
artistique, ce dernier chapiteau est une remembrance , un mémento, 
un souvenir du séjour que fit en cette église le corps de saint Phil- 
bert; car le sculpteur a reproduit au-desftus de la corbeille, entre 
l'épanouissement des deux volules, l'image de la châsse qui conte- 
nait les reliques du saint ^. 

Les murs de la nef, dans les parties élevées, ont été reconstruits. 
Ils supportent aujourd'hui une charpente apparente; mais il est 
permis de penser que primitivement Téglise était voûtée, tout au 
moins sur le transept et le chœur. La façade primitive était en 

l'ouverture de quelr{ues-uns des arcs? Ou bien doit-on cet excès au temps qui use 
la pierre, à des ra^réages de maçonneries? 

Dans Thypothàse d'un arc en fer à cheval de a'iSo de diamètre et prolongé 
de o'.So au-dessous de ce diamètre, la largeur de Totiveilure au-dessous des 
naissances de l'arc serait de 2",73, c'est-à-dire qu'il y aurait à ces naissances un 
rétrécissement de o*,07. Dans quelques arcades de réglise, le plus grand rétré- 
cissement a été trouvé de o",o^ au niveau de l'imposte-^ et de ©",09 à ©".oo eu 
rontre-i>as de l'imposte. (Note de M. Oricux.) 

* Voyez la planche XII, fig. 2. 



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— 218 — 
saillie sur ia farade actuelle, et le porche, si Ton ea juge par le 
style des arcades de la nef, devait avoir beaucoup de caractère et 
d'intérêt. 

En résumée, depuis le \V siècle, Téglise Saint-Pbiljberi a perdu 
peu à peu son importance monuasoentale et le prestige des faits 
historiques qui s y rattachaient, et notre siècle, si novateur, vient 
de lui porter le coup mortel. Alors qu'il était si facile (puisque 
Fargent ne manque pas àSaint-Philbert-de-Grand-Lieu j de cimenter 
de nouveau Ifss n^uraiUes fatiguées de cette ancienne église abba- 
tiale, de la i;endre digne de sa splendeur passée et des pieuses 
dévotions dont elle était l'objet depuis pluade mille ans, une nou- 
velle ^ise, aussi fastueuse qu'inopportune» s*élève en ce moment; 
un demi-million est réalisé ou va être réalisé pour cet édifice mo- 
clerne, qui ne dira rien au cœur et qui, malgré le mérite indis- 
cutable de l'architecte, n'aura jamais qu'un intérêt artistique cent 
lois au-dessous de celai qu'inspirait la vieille église; et de ce 
vénérable monument, si digne du respect des hommes de Fart et 
surtout des hommes religieux., que veut-on fjaire? Une halle où 
s'abriteront les maixhands et les vendeurs, que Jé&us avait pour- 
tant chassés du temple! 



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L'ART A DOUAI 

DANS LA VIE PRIVÉE DES BOURGEOIS, 
DU XIII* AL' XVr SIÈCLE, 

PAR MM. A. ASSELIiy ET C. DEHAISNES, 

UKMBhKA DK Là SOCIÉTÉ D'ACftKlILTOBB, SCIBRf ES KT AKT» DB DOUAI. 



Le 29 mai i3oi, le roi de France Philippe le Bel et son 
épouse Jeanne de Navarre faisaient leur entrée solennelle dans 
la ville de Bruges. Des estrades, décorées de tapisseries et de pein- 
tures, avaient été élevées dans les rues et sur les pjaces publiques; 
les riches marchands avaient orné de tentures et de bannière» 
leurs hôtels de pierre et de bois; une foule de dames, appartenant 
à la haute bourgeoisie, se pressaient aux fenêtres et aux balcons, 
brillant non moins par la richesse de leurs vêtements et le nombre 
de leurs joyaux que par Féclat de leur beauté depuis longtemps 
prover|)iale. La jeune princesse de Navarre fut blessée dans son 
orgueil par ce faste et cette magnilicence, et elle ne put retenir, 
au dire de Tannaliste Meyer, celte jalouse exclamation ; « Je croyais 
qu'il n'y avajt qu'une seule reine en France, et j'en vois ici plus de 
six cents!», 

Celte parole révèle tout ce qu'il y avait de splendeur et de 
luxe, de puissance, d'industrie et de goût pour les arts dans les 
grandes cités du Nord au moyen âge. Comme Bruges et Gand, ces 
capitafes de la Flandre flamande. Douai, l'une des villes les plus 
importantes de la Flandre française, avait vu, dès le xn" siècle, 
se développer dans ses murs l'esprit de foi, l'amour de l'indépen- 
dance cl l'activité industrielle. Sous celte triple influence, sous 
la protection des libertés communales et de l'échevinage qui 



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— 220 — 
existait déjà en 1 1 63 , de nombreuses et riches habitations s'étaient 
-groupées autour des collégiales de Saint-Amé et de Saint-Pierre, 
au pied du Castel-aux-Boui^ois et de Thôtel de ville; des corps 
de milices communales s'étaient organisés; des corporations d*ar(s 
et de métiers s'étaient formées; et le commerce avait fait de cette 
ville Tun des marchés les plus importants de la contrée. 

Sans doute, les bourgeois de Douai s'occupaient avant tout d en- 
richir la maison de Dieu et d orner le donjon de leurs libertés 
communales. Mais Tart embellissait aussi leur habitation pai*ticu- 
lière; Tart charmait aussi les heures qu'ils passaient au foyer 
domestique : et c'est là que nous l'étudierons aujourd'hui. 

Nous voudrions conduire nos lecteurs dans les demeures des 
riches marchands de Douai au moyen âge, et leur donner une 
idée des tentures, des tableaux et des statues appendus aux murs; 
des grandes armoires, des chaises à dossier et des colTrets de 
chêne sculpté, qui décoraient les appartements; des joyaux et des 
bijoux dont se paraient les élégantes de l'époque, et de la vaisselle 
d'or, d'argent , de cristal et de madré, qui brillait sur les dressoirs. 
C'est aux sources originales, et surtout dans les milliei*s de testa- 
ments conservés en nos archives, que nous avons puisé tous nos 
documents. On a publié les inventaires des rois de France et 
des ducs de Boui^ogne, des églises, des abbayes et des cités : il 
nous semble bon de publier aussi ceux des bourgeois. Nous es- 
sayons de le faire pour Douai et de prouver que la boui^geoisie de 
cette ville a eu le goût des choses de l'esprit et a puissamment 
contribué à développer les arts autour d'elle , dans la dernière moitié 
du moyen âge. Pour établir cette thèse, il fallait nécessairement 
amasser, réunir, rapprocher des mentions identiques ou du moins 
analogues : nous n'avons pas hésité à le faire, espérant qu'en fa- 
veur du but que nous nous sommes proposé, on nous pardonnerait 
ce qu'il pourrait y avoir de long et de fastidieux dans les énumé- 
rations, plusieurs fois répétées, des objets d'art possédés par nos 
pères au moyen âge'. 

' Les auleurs de ce travail ont copié textuellement des milliers de mentions 
artistiques dans les documents conserves au\ archives municipales de Douai et 
dans lejs arclii\cs départementales du Noid. 



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— 221 — 



Les murs des habitations de la bourgeoisie douaisienne n*éiaieiir 
point couverts de ces draps de haute lisse en fds de laine, de 
soie, d'or et d'argent, dont la fabrication faisait la richesse et la 
gloire d^Arras et de Bruges. Une chambre en tapisserie atteignait 
le chiffre, énorme alors, de 1,000, 1,200, i,5oo, et même 
2,000 francs; aussi seuls les rois et les princes, le haut clergé 
et la féodalité souveraine décoraient en ouvrages d'Arras les salies 
de leurs châteaux et les chœurs de leurs églises ^ Les tentures 
qui cachaient, dans les habitations de nos boui^eois, la nudité des 
murailles, consistaient en toiles ou en étoffes couvertes de pein- 
tures représentant le plus souvent des sujets de piété et parfois 
des traits d'histoire, des scènes mythologiques, des portraits, des 
feuillages ; elles sont désignées dans les testaments sous le nom 
de draps paincts et de toiles paincles. 

L'important et curieux inventaire d'Ailleaume d'Aubrechicourt , 
marchand cirier, offre, à la date du s 3 septembre iSôy, « ung 
drap de peinture qui va contre la cbeminie, estimé 8 gros, et ung 
drap peinturé de plusieurs ymages, estimé 10 gros^. » Six ans 
auparavant , à la mort de Jehan Lancry, autre bourgeois de Douai, 
on avait vendu 1 2 sous « ung drap point auquel estoient les ymages 
de sainte Barbe et de saint Nicolay, » et 32 sous « ung aultre drap à 
rhistoire de la fontaine de Jouvence. • En iSgo, une marchande 
mercière, Dembelle Aelips, lègue tun drap point de le venue 
Nostre-Dame et ung aultre drap de l'Annonciation '. ■ 

A la vente des biens du chanoine de Saint-Amé Jehan Coe- 
voet, en 1 469 , nous voyons Simonet Lancrin , bourgeois de Douai , 
acheter 1 2 sous un « drap point de Tymage Nostre-Dame, » rt, en 

' De Laborde, Les ducs de Bourgogne, élude sur les lettres, les arts et t indus- 
trie pendant le XV* siècle, l. I et H, passinu — L abbé E. Van Drivai, L,es tapisseries 
d!Amu: Arras, i864 « p* 71 et suiv. go et suiv. 

* Inventaire des biens d^Ailleaume d'Aiibrechicourt, conservé dans les ar- 
(^liives de Douai. Cet inventaire a été reproduit dans les Souvenirs de lu Flandre 
foallone. 

' Archives de Douai. Testaments en parchemin, classés par ordre chrono- 
Irtgiqnr. 



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±2^2 

iliji, rinvenlaire des biens de Pierre Bondot présente « un drap 
point de la Nativité, un drap de toiHe à plusieurs > mages ■ et enfin 
i ung aulti'e drap point,» qui est vendu lo sous 7 deniers au 
marchand mannelier, Geoi-ges Bellegambe, le père du grand artiste 
Jean Bellegambe. Cette peinture dut altîrer les regards de Tenfant 
qui devait plus tard concevoir et exécuter ie retable d'Anchin et 
tant d'autres chefs-d'œuvre ^. Citons encore dans d'autres ventes 
et d'autres testaments, en i473, «un drap du Dieu à Testaquc, 
2 4 s. ; ung aultre drap de Nostre-Dame et de saint Sébastien ,16 s.; 
ung aultre drap de Adabaldus, le fondateur de Douai, 32 s.; » en 
1 5 1 , « ung drap painct du duc Philippe et ung drap painct des 
Trois Rois; » en i5i7, « ung drap painct de la Circoncision et ung 
anltre jpainct de feuillages;» et, en lb7^, «ung drap du Dieu au 
pressoir et ung aultre aux armes de saint Maurant, » patron 'de la 
ville ^. Ces citations suffisent pour prouver que les bourgeois de 
Douai au moyen âge ornaient les murs de leurs appartements de 
toiles historiées; nous avons cru devoir entrer dans ces détails, 
parce que l'expression drap painct, toile paincte ne se trouve ni 
dans les glossaires, ni dans les auteurs qui se sont occupés do 
l'histoire de l'art : le savant chercheur M. de la Fons Mélirï)rq 
a seul donné trois mentions où elle se trouve'. 



Le regard du visiteur rencontrait un grand nombre d'autres 
objets d'art sur les mui-s des appartements : ici des statues de bois 
brillant dor et d'azur, d'albâtre et parfois d'ivoire ou d'argent; 
là un triptyque à volets, soigneusement recouvert d'un rideau de 
laine ou de soie. Un usage, encore aujourd'hui conservé en Italie, 
avait fait établir dans les appartements retirés, une c/iff^r//^, autel 

^ Archives départcmentalps du Nord. Liasses iioii classées de la collégiale 
Saini-Amc. 

• Archives départementales du Nord. Liasses non classées de la collégiale 
8ainl-Anié. — Archives de la ville de Douai. Testaments en parchemin , classés 
|)ar ordre chronologique. 

* Le haron de la Fons Mélicocq, Reoue universelle des aifs, t. X , p. 3! 1 ; I. Xflï , 
p. 57, cl IhiUelin (hi Comité hiitoriifue, \ui\]H-no\\l i85o, p. 212. 



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— 223 — 
domestique, formé ordinairement d'un tableau et de plusieurs, 
statues placées dans des encadrements et des niches scisilptés. 
C'est là que la famille se réunissait pour faire en commun la 
prière dn soir; une branche de cuivre ou d'argent portait le 
ciei^ bénit, que Ton allumait aux jours de fête. 

Les testaments nous font connaître un nœlibre très-cMsidérabie 
de ces objets d'art, que Ton se transmettait pieusement, de père en ' 
fils, dans la bourgeoisie douàisiennè. En i338, Jehanne Lequesne, 
veuve d'uA bourgeois de Douai, lègue à son neveu kuné yma* 
gène Nostre-Dame ainsi qu'elle sera au jour de soïi ti^pas. » 
L'inventaire, déjà cité, d'Ailleaume d'Aubrechicourt, marchand 
cirier, offre, en 1367, une mention que nous reproduisons m 
extenso : « Un autel où il a un couronnement saint Jehân-Baptiste , 
saint Jaque, sainte Katerine et sainte Marguerite, de ymages es- 
levées de taille, de pointure d'or brunei; le chapélette où sont 
assises cesdîtes ymages; ung drap de soie ouvré d'estoiles d'or 
et les gourdines ad ce servans : prisés ensemble toutes ces choses 
22 escus. Ung aultre petit autel, en la chambre derrière, d'ung 
crucefis et aultres ymages , 6 gros. » 

En i3gi, nous trouvons, dans le testament du bourgeois Jehan 
Panien, «une ymagène de Nostre-Dame servans deseure le lit,» 
et dans celui dX)ede Pieffort, veuve d'un autre bourgeois, «ung 
tabltel de deux foellés d'ai^ent, ymaguiet et esaiaillet. » La veuve 
de Watier Painmouillet léguait, en i4 18, • ung tavelet à deux 
foellés, lequel est çn le salette deseure le lavoir, où est en pointure 
le cruchefieraent*. » 

Les testaments et les inventaires du xv* siècle nous offrent, 
presque à chaque page , des mentions de vierges et de saints d'al- 
bâtre, d'argent ou d'ivoire, de groupes représentant la Nativité, 
de tableaux et de statues, de chapelles de bois et de pierre. Au 
XVI* siècle, les objets d'art abondent dans les maisons des bourgeois 
de Douai; c'est: en i5oi, « un saint Jehan de yvoire; » en i5o3, 
«trois ymages, l'une de saint Antoine, l'autre de saint Nicbolas, 
fle bois dur, et l'autre de Nostre-Danie , qui samble esfre d'albastre, 

' Archives Hc la vilie rlo Douai. Tcilamciils. 



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— 22/1 — 
avec uiig grand tableau peint en oiilc, où qu il est la remcmbranco 
de Nosire-Dame de Pilié, servant à faulel de Jehenne Bonnel; • 
en i5o4» « une ymaige de Nostre-Dame , » possédée par un char- 
pentier; en 1 Ô09, • deux ymaigesde pierre; » en 1 5 10, « ung tabelet 
de toile, figuré de une Nostre-Dame; » en i5i6, « une ymaige de 
Nostre-Dame au soleil et un tavelet là où est la fâche de Jhesu- 
* Christ', ung saint Franchois et ung saint Jérôme, le tout en un ta- 
velet à gourdines de soye ; » en 1 620, « une ymage de saint Jacques, 
estoffee d'or et d'azur, et le chandelet y servant et aultres ouvraiges 
de paincterie; une ymaige de sainte Barbe, une de saint Nicolay et 
une aultre de saint Sericq, toutes sur toiles; • en 1527, « ung saint 
Georges d'argent doré et une sainte Barbe d'ai'gent; » en 1 539 , dans 
le testament de Toussaint Commelin, marchand, «ung tableau 
estant en la sallette du mister de Simon le Léprose , » et , dans celui 
de Gilles Bourdon , paimentier, « ung tappis où il y a une ber- 
gerie faicte de Touvrage de mestier et ung aultre tappis du 
Pèlerin et du Prodigue ^ » 

m 

Cette mention d'un tapis nous reporte au mobilier proprement 
dit. Or là encore nous trouvons dans les objets de l'usage le plus 
vulgaire ce caractère artistique, ce cachet spécial et distingué, que 
le moyen âge donnait aux moindres ustensiles : grandes ariuoiiTs 
de chêne, avec personnages; têtes et fleurs sculptés; grands lits 
et baldaquins supportés par des colonnes torses; longs bancs et 
chaises hautes, à dossiers fenestrés, que l'on garnissait de coussins 
en tapisserie; écrins et cofli^ts de toute dimension, de cuir, de 
bois , d'acier^ d'ai^ent , ornés de peintures , de sculptures , de lettres 
r d'or, de blasons, de serrures ouvragées; tous les meubles anciens 
que Ton admire dans le musée de Cluny, et dont nous possédons 
des spécimens si intéressants dans la collection léguée au musée 
de Douai par le docteur Escallier, sont fréquemment mentionnés 
dans les testaments de nos bourgeois. 

Nous trouvons : en 1820, «douze coussins de haute lice; ■ en 

' Archives de Douai. Testamenl» en parchemin, cla».sés par ordre chrono- 
logique. 



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— -225 — 
i36i^ « uu coBret point de vert, de la façhoo de Valenciennes; • en 
1367, «use huge le plus grande, entaillte d'images et de taber- 
nacles, painturée de vermeille coulleur , prisie à 10 escus; troiifr 
grandes cayères à dossier, de 5 à 3 gros; un foi^iei le plus grand, 
paioturé d'ymages eslevées, et dedens argenté, 3 escus; ung aultre 
ibfgiet painturé à eseussons, quarante- cinq coussins de plumes 
et onze banoquiers.» En i^iS, la veuve de Pierre Boinebrocque 
lègue « un coffirin d'aigent, » et, en i432 , la vente des biens du 
bouiigeois Antoine Lepet mentionne «ung escrin rouge, ung 
escrin gaune, bendé de fer, ung grant escrin à deux pioustres 
(serrures); un buffet avec enclastres bendé de fer, ferré à deux, 
ferrures , trois bancqs tournés et des bancquiers de plusieurs coul- 
leurs. > Indiquons encore : en 1 4^5 , « six coussins de haulte lice, à 
luppars (léopards); > en id34^ *ung bon foigiet où il y a ung 
cnicefis ; > en 1 4 4 1 « « ung escrin rouge fermant à deux pioustres ; » 
en 1 44s, « six coussins avec vermaux fons qui sont de haulte liche ^ » 
Nous négligerons un grand nombre d'autres mentions du xv* siècle 
pour énumérer les objets vendus en i473, après la mort de Si- 
mon Lescailler, chanoine de Saint- Amé, et achetés pour la plupart 
par des bourgeois: «un hugel double, une huge vermeille, une 
huge gaune, ung hugel bendé de fer, une aulmoire à inettre 
voirres, un long coffret de cuir bouilli, ung petit coQret couvert 
de lettres d'or, un dreschoir, plusieurs bancqs tournés et cayères 
à dos, deux coussins à agaches, six autres coussins à blanques 
testes, cinq autres à rouges crois, ung bancquier de plusieurs oy- 
seaulx, et nomJi>re d autres coussins, avec six pièches de gourdines 
et les goultières, et le chiel de grand lit et de deux autres lits. ■» 

Au XYi* siècle nous nous contenterons de citer : en 1 5 12 , dans 
le testament cle Jehenne de le Bue, • ung dreschoir, ung huchelet, 
ung escrin, ung bancq à dossière; » en i5i6, dans le testament 
de « Katerine Delescluze, • veuve de Jacques Boidin, apothicaire, 
• une cayère à dos, ung dreschoir et tous les sains qui sont seur 

- ' Archives de Douai. Registres aux testaments, années i625*i433, fol. 3^, 
io5, 116, i43t etc.; an. ià33-i438, fol. 24 1 M; an« 1 444*- 1 4^9 » Toi. Zy% 
an. i436-id5i, ibl. 3i« 4i, 176, 2i5» 7.26, etc.; an lSoihjSio, Cbf. 3(9* 81, 
i43» 178, 193, etc. 

AnCli^.OLOCïl£. lô 



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— 226 — 
ledit dreschoir; » et, en i5ig , dans le testament de « Katerine Van- 
discome, » veuve de Jeha» de Sonmain, aussi apothicaire, « une 
annoire et ung dreschoir^. • 

IV 

Ces deux derniers testaments nous permettent de jeter un 
coup dVieii dans les écrios des dames de Douai au xvi* siècle : ces 
deux veuves d'apothicaires nous ont laissé une énumération si 
détaillée^ si minutieuse de leurs robes et de leurs bijoux, que l'on 
se demande si elles n'ont pas «u la coquetterie de faire étalage de 
leurs toilettes même après leur mort ,91 elles n'ont pas voulu ainsi 
continuer une rivalité qui peut-être les avait divisées durant leur 
vie. Katerine Vandiscome mentionne dans ses dispositions testa- 
mentaires, «six cormes ai^ntées, deux agrappes et une bourse 
cloquetée, tout l'argent «desdites parties pesant huit onces; ung 
signet d'or, une estraintes (ceinture?) de velours cramoisy avec 
fils d'or à bloucques d'argent doré; ung gros anniau d'or, ung 
aultre aniau d'or, enrichy et revestu de deux pieres, l'une rouge 
et l'autre verde; ung aniau de cordeles d'or, ung aniau à bouilloiw 
d'or portant une pierre sanguine^ un aniau d'or à point de diamant, 
un petit aniau d'or portant une piere rduge, son bon chappelet de 
blancq ambre , ung chappelet de blancq ambre enseignes pareilles ^ 
un chappelet de gayet enseignes d'argent doré, » etc. 

Le testament de Katerine Delescluze offre « ung cappelet de 
gaiet k six tiesmoings d^argent, ses bonnes heures couvertes de 
noyr satin à deux clous d'argent , une bourse de velours à neuf 
boutons d'argent, ung chappelet de coral à tous les tiesmoins 
d'ai^ent, ung saint Quentin et une tieste de mort d'argent doré, 
ses heures couvertes de verde soye à deux cloans d'argent, son 
gorgias de velours et son agrappe à trois agrappes d'argent, sa 
bonne robe fourrée d'anniaux de Rouménie, sa robe fourrée de 
blancs agniaux crépy de drap d'Engleterre^, » etc. 

^ Archives d^wrtementales du Nord. Liasses non ckasées de ia collégiale 
Saint-Ame. Archives de DouaL 

'* Archives de Douai. Registres aux testaments, aa. i5o9-i5i3, fol. 198; 
an. i5i6-i592, fe). 55, 161, etc. 



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— 227 — 
Il suffirait de reproduire ces deux testaments in extenso pour 
avoir une idée complète de la toilette d*une dame de la riche 
boui]g[eoisie flamande dei5i5àiôao. Dans les siècles précédents, 
les objets d'ai^nt^ les joyaux, les pierres précieuses, abondaient 
aussi dans les cofires et les écrins. Noos prenons presque au ha- 
sard quelques-unes des nombreuses mentions que nous avon» 
recueillies : en i487« « ung tissu de soye estoffée de bloucques, 
moigans et clous d*aif;ent ; » en 1 48o , « ung chappelet de cassidoine 
et de coral; • en i445 et en i44o, « une noix muscade estoffée 
d'argent; m en liAS , • une bourse à boutons de perles et un anael 
d'or à perles; » en i43i, « des patenostres avecq un catmahieu y 
pendant;» en i432, «une chaititure sur un neu tissu, dont la 
bioucque, le mordant et les dans sont d argent; une pendoilie 
de clefs estoffée d'argent sur un drap vert, une vaghe de saffir, 
une vaghe dor à veronicle pierre, plusieurs vagbes d'or, ptiisieurs 
verghes d'or; • en i4i5, « ung anel d'or à ung esmeraude et ung 
and d'or à un saffir et trois perles^;» en iSgi, «une bourse 
à quatre boutons de perles, le milleur miroir d'ai^ent, une 
corroie à tissu à or estoffée* d'ai^ent et le milleur anel d'or; » 
en i38o, «un aniel d'or à une gaune pierre que li aucuns nom- 
ment péridos et li autres topasse. » En iSGy, dans le testament 
d'un marchand, nous rencontrons : «une petite afBquette d'ar- 
gent doré à cinq pierrettes et à quatre perles petis, une petite 
croisette d'argent, deux graiffes, un fermail de heures et un 
anelet d argent, deux aniaulx d'or, un aniel d'or esmaillet à 
un lîonchel croupant sus ou lieu de pierre, trois aniaulx d'or à 
une pierre de saphir, un autre aniel à une pierre dite turcoise, 
un aaiel à une pierre crapaudine, une chainture de tissu à or 
cloué d'argent doré, perchiée d'avalement, une chainture de tissu 
vert de soye, à vigneture d'or, ferrée d'argent; trois aultres cein- 
tures de soie clauées d'aif[ent, un pendoir à clefs ferré d'argent, 
un touret (coiffure) de soie clauée d'ai^ent, un frontel à losenghes 
de perles, un esmail, un chapelet d'ai^ent à pierres et à esmail, 
deux tiercherons de grosses patenostres d'ambre à boutons de perles 

' Archives He DoiiaL Registres aux testaments, an. 1 5 1 6- 1 5a2 , fol, 55 et i6 1 ; 

i5. 



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— 228 — 
et à fils dW; une bourse qu'on dit cul de villûin, de cède (soie), à 
boutons d'or, une bourse de cède tartaîre. » D'autres testaments 
dei3i6, i3i5eti274 nous offrent encore la mention de joyaux 
d'or, d'argent, de pierre précieuse*. On le voit par ces détails, 
le chapitre des bijoux et des objets de toilette n'est pas le moins 
détaillé ni le moins curieux dans les testaments des bourgeois de 
Douai. Anneaux et bagues d'or et d'argent ornés de pierres pré- 
cieuses; colliers, couronnes et tours de front garnis de perles et 
de diamants; croix et chapelets de corail, d'ambre et d'ai^nt 
émaillé; ceintures et aumônières enrichies de broderies orientales 
et de clous de métal *précieux; pendoirs à clefs et miroirs d'ar- 
gent , tout s'y retrouve. Le mandas muliebris, dont parle le poëte 
latin, n'était ni moins varié, ni moins splendide dansl'écrin de 
la fenune du bourgeois du moyen âge que dans le coffret de la 
matrone de la Rome impériale. 



Mais c^était surtout dans la vaisselle d'or et d'argent que la bour- 
geoisie douaisienne faisait consister son luxe. Personne n'ignore 
que les châtelains du moyen âge aimaient à étaler^ sur les étagères 
de leurs dressoirs, des hanaps ou coupes, des aiguières, des dra- 
geoirs, des couteaux, des lampes, d'or, d'argent, de jaspe et de 
marbres précieux. Possesseurs de trésors considérables qu'ils ne 
pouvaient faire valoir dans le commerce , les nobles conservaient 
leur fortune sous forme d'ai^nterie et la mettaient en évidence 
sur leur table et leur dressoir. Le Dictionnaire de Roquefort, au 
mol hanap, dit que les vases d'or et d'argent affectant cette forme 
étaient réservés à la noblesse. C'est une erreur, au moins pour la 
ville de Douai. Du xin^ au xvi* siècle, nous ne cessons de retrouver, 
dans les testaments et les inventaires de la bourgeoisie, des hanaps 
d'or, d'argent, de cristal ou de madré, à pied ou sans pied, en 
forme de calice, de coupe ou de bassin, ornés de nielles, d'émaux 



' Archives de Douai. Testaments en parchemin, classés par ordre chrono- 
logique. 



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— 229 — 
ou de pierres précieuses. Et avec les hanaps abondent les drageoirs, 
les gobelets, les tailloirs, les couteaux, les lampes de métal. Sans 
doute les marchands de la Flandre, et de Douai en particulier, 
juraient pu employer toute leur fqrtune dans le négoce; mais, 
jaloux probablement de briller par leur luxe comme les gentils- 
hommes, ils ornaient leur maisoa et leur table d'une rich^ vaisselh 
d'argent. 

Nous avons recueilli à ce sujet un nombre très* considérable 
de mentions, qui peuvent servir non -seulement à établir notre 
thèse, mais encore à déterminer la forme et l'emploi de plusieurs 
objets dont on ne connaît qu'imparfaitement le modèle et la desti- 
nation. Le 12 mars 1268^ Bobiers Boinebrocque, bouif[eoia de 
Douai , lègue dans son testament « trois de ses meilleurs hanas 
d'argent et trois de ses meilleurs hanas de madré ^. » Dans les testa- 
ments de deux familles bourgeoises, lesBaudaine et les Mulet, nous 
trouvons : en 1273, « un boin hanap; » en 127^, « un hanap d'ar- 
gent , un autre de fin argent, trois autres, deux à piet et un sans 
piet; » en 1387, « deux hanaps d'argent à piet; » en iSog, « quatre 
des meilleures coupes d'or et quatre d^ meilleures^ coupes d'argent 
doré.» En i320, les dispositions testamentaires de Marguerite 
Baudaine, la fondatrice de la maison des Huit-Prétres, nous font 
c(Miaaitre deux, hanaps d'atgent, à pied avec nielles, deux, tailloirs 
à dragées, d'argent, un hanap d'ai^nt doré, trois autres hanaps 
d'argent, à pied ou. sans pied^. 

Laissant là des mentions de i.3o4« i3i5, i33g, i36i, i363, 
nous arrivons à l'inventaire de 1367, où nous trouvons, dans l'in- 
ventaire déjà cité du marchand cirier, Ailleaume d'Aubrechicourt , 
«douze hanaps d'argent à tour de lampe, à cbiercles dessoubz^ 
tous d'une fachon de l'enseigne de Douay, un petit hanepel d'atr 
gent niellé, dix-huit louches, un scel et le chaînette, un hanap 
de madré, à bords d'argent tout autour; huit hanaps de madré, à 
clavel et à boutons d'argent au fond; quatre cou tels d'argent à 

^ Archives de Douai. Testaments en parchemin , classés par ordre cbronolo- 
gtc|uc , et registres aux testaments « passim, 

^ Manuscrits de la bibliothèque publique de Douai. Arcliivcs de la maison de> 
lluit-Prêlrp.s. 



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— 230 — 
manches de jaspe, de cristal ou de madré et à viroelles d'argent 
fenestrées^ » 

Nous citeroDs pour ia période qui suit : en iSyS, iSdg, iSgA, 
i4oo et i433, « des lampes d'argent, quelques-unes émainées; • 
en iSgo, • undrageoîr avecq les deux louchettes; » en 124&1 • ung 
gobelet d'argent à trois lupardeaux dorés; » en 1 433 , « trois hanaps 
d'argent assis sur trois lupardeaux; » en i465, « ung hanap d'ar- 
gent en forme demonstre , » et , en 1 5o4 , « trois petits lions d'argent 
avecq une bordure d'ung gobelet d'argent; » en 1394 , • un coutiel 
k manche de corail; » en 1 42 5, « un coutiel à manche d'ai^gent; • 
en 1473, « une aighière d'argent doré, six salières d'ai^nt, dont 
trois à piet; » en 1492, «une grande esghîère d'ai^ent^. y> 

VI 

En terminant ces citations, que nous aurions pu muftipfier, 
nous croyons devoir consacrer quelques lignes à un hanap du 
XH* siècle, conservé dans le musée de Douai et connu sous le nom 
de verre des Hait-Priires. 

Ce verre a 21 centimètres de hauteur, sa largeur est de 1 1 cen- 
timètres à la base du pied et de \k au plus grand ëvasement de 
la coupe; il est monté sur un pied d'ai^ent, ciselé au repoussé, 
dont les extrémités et le nœud, avec le pointillé qui les entoure, 
sont dorés. La partie supérieure de ce pied est formée de petites 
feuilles recourbées, dans lesquelles s'emboite la coupe. Cette coupe 
est de verre d'une pâte très- fine et d'une teinte légèrement ver- 
dàtre; sa partie centrale offre des losanges sur lesquels se détache 
une inscription arabe. Les lettres d'or sont placées au milieu d'un 
lai^e pointillé bleu encadré lui-même dans un pointillé Manc; 
tieux larges bandes de caractères arabes, également d*or, termi- 
nent cette décoration , dont les lignes principales sont tracées en 
rouge*. 

' Archives de Douai. Inventaire dé)À cité. 

* Archives de Dooai. Testaments en parchemin , daasés par ordre chronolo- 
gique. 

^ L'orientaliste distingue Tacilement parmi ces caractères arabes au ^y^ 
• louange &Dieu,> et j^^ «Mahomet.» 



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— 231 — 

La €a$Uide de cuir estampé dans laquelle est i^nfermé ce verre 
B*e9t pa0 moins curieuse. Sur la partie principale de l'étui, des 
rinceaux et des arabesques s^épanooissent autour de dragons, de 
chimères et d'oiseaux, de lions, de fleurs de lis* et d'écussons 
offrant une analogie frappante avec l'ornementation des manus- 
crits du nord de la France au xii* siècle. Le dessin en relief du 
couvercle rappelle l'empreinte d'un sceau de la même époque ; il 
représente un prince assis sur un tr6ne d'architecture romane, 
tenant à la main trois branches qui peuvent rappeler un fouet ou 
peut-être trois clous; deux anges lui posent une couronne sur le 
front. On a voulu voir dans ce personnage Baudouia de Gonstan- 
tînople ou qudque autre conquérant de la croisade tenant à la 
main les trois clous de la Passion. 

Avant la révolution de 1 793, ce verre était conservé dans la mai- 
son dite des Huit-Prétres, à laquelle , suivant la tradition , il avait été 
donné par la fondatrice de cette communauté , Marguerite Baudaioe. 
Cette femme d'un bourgeois de Douai , dont le beau-frère avait raj^ 
porté plusieurs <d>jets de la Terre sainte et de lltalie, ne mentionne 
dans ses donations aux Huit-Prétres que deux calices. Faut-il voir 
sous cette désignation le verre que nous venons de décrire ? Nous ne 
le croyons pas; mais nous pensons l'avoir retrouvé dans un inven- 
taire de idoi, qui cite, outre plusieurs hanaps possédés par les 
Huit-Prétres, un voirrt à pied éTargenO, 

Quoi qu'il en soit de ces- conjectures^ ce verre, et par sa pro- 
venance, qui est évidemment orientale, et par sa date, qui d'après 
la custode ne peut être postérieure au xii* siècle , est certainement 
une des coupes de verre les^ plus» curieuses du moyen âge. C'est un 
souvenir lointain , qui r au milieu de&objets-d'art du musée de Douai , 
rappelle la part importante prise au g^and mouvement religieux 
des croisades par la noblesse et la bourgeoisie flamandes 

VII 
Dans les pages qui précèdent, nous avons prouvé, pièces en 

* Manuscrits de la bibliothèque publique de Douai. Archives de la maisoB des 
Huit-Prètras. 



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— 232 — 
main, qae les boui^eois de Douai possédaient au moyen âge des 
tentures historiées , des tableaux , des statues , des joyaux , an riche 
mobilier, quelquefois même une splendide vaisselle d'or et d'ar* 
gent : ils ont donc contribué à développer le goût du beau dans 
leur cité et autour d'eux. Cette vérité eut été plus complètement 
mise en lumière, si nous avions pu donner m extenso les mentions 
nombreuses que nous avons recueillies , si nous avions parlé des 
manuscrits et des livres d'heures enluminés que possédaient les 
familles douaisiennes; si nous avions suivi les bourgeois jusqu^à 
la sépulture monumentale, ornée de statues ou même de peintures, 
qu'ils se faisaient élever à grands frais dans les cimetières, les 
clottres et les églises; si nous avions étudié le beffroi et i'h6tel de 
ville, ces monuments qu'ils considéraient conmie le symbole de 
leurs franchises, qu'ils aimaient à décorer des images de leurs 
comtes et de leurs rois, qu'ils tapissaient des plus riches prodoits 
des hautelisseurs, qu'ils meublaient en un mot avec tout le luxe 
que leur inspirait le plus pur patriotisme ; si enfin nous avions 
pénétré sous la voûte des temples pour lire, sur les vitraux, les 
retables, les statues et les autels, les inscriptions gothiques qui 
nous apprennent que ces objets d'art sont dus à la pieuse muni- 
ficence des bourgeois, des confréries et des corporations d'arts et 
de métiers. 

Quand on étudie avec attention l'histoire de l'art dans nos 
Flandres, loi*squ'on remonte aux sources originales, on acquiert 
la conviction que deux influences ont été prépondérantes dans 
ces contrées et ont dominé toutes les autres: celle du clei^ d'a- 
bord, et ensuite, au moins pour le nord de la France, celle de la 
bourgeoisie. 

En répandant l'esprit d'association, les institutions communales 
favorisaient merveilleusement ce besoin d'expansion, qui est le 
propre des arts; et, malgré leur cour, malgré leur fastueuse pro- 
digalité, les ducs de Bourgogne n'ont pas contribué aussi efficace- 
ment que les associations et les confréries religieuses, civiles ou 
industrielles, à entretenir par des commandes importantes l'ému- 
lation des artistes du xiv% du xv* et du xvi* siècle. Pour celui qui 
sait lire dans ce livre curieux qui s'appelle le moyen âge, dans la 



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— 233 — 
poussière des archives comme au front des monuments, sur les 
parchemins en lambeaux comme sur les volets des triptyques, il 
est écrit partout que les bourgeois ont eu une grande part d'in- 
fluence dans le développement des arts, comme dans le développe- 
ment de rindustrie, du commerce et de la liberté. 



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NOTES ET DOCUMENTS INÉDITS 

SOR 

LES PEINTRES DE L'ÉCOLE DE TOURS, 

AU XIV* BT AU I¥* 8IÈCLB, 

PAR M. C. L. GIUNDMAISON, 

ARCmVlSTB D*IllDBl-ET-LOlBB, CORM8K>1IDAIIT DO MtlIISTiBB DB L*III8TRDCTlOH rOBLIQOE, 
VIC9>ffBBBI»BRT DB LA tOCiiri ABCflSeLOCIQlIft DE TOOBAIMB. 



Jehan Foucqpuet estné^ entre i4i5 et i42o, àTours, où, à ce 
qu'il parait, il mourut vers i48o, après y avoir résidé et travaillé 
la {dus grande partie de sa vie. Cet artiste, presque inconnu il y a 
trente ans , est aujourd'hui classé au rang des plus illustres enfants 
dont la France puisse s'enorgueillir, et un éditeur ami des arts, 
M. Curmer, vient de rassembler et de reproduire son œuvre, épars 
dans l'Europe entière. Ce ne sont point les œuvres et la personne 
de Foucquet qui seront l'objet des pages cpi'on va lire ; les beam 
travaux de MM. de Bastard, de Laborde, Vallet de Viri ville ^ 
Ph. de Chennevîères, etc. semblent avoir épuisé la matière. 

On s'est proposé un autre but, tout à la fois moins précis et 
plus nouveau, celui de rechercher dans quel milieu artistique 
Foucquet a dâ se développer. Un honmie de cette valeur ne naît 
pas et ne grandit pas seul. Assurément, il y avait à Tours au 
XV* siècle une école de peinture, que Foucquet a perfectionnée sans 
doute, mais dont f existence est antérieure à son apparition. 

Ce mémoiœ n'est, du reste, qu'un fragment d'un travail beau- 
coup plus étendu, commencé depuis plusieurs années déjà, et 
dans lequel nous avons entrepris, non pas d'écrire Thistoire de 
l'école de Tours (nous ne saurions avoir cette prétention), mais 
de recueillir dans les archives départementales, et surtout dans les 
archives communales, les documents qui peuvent s'y rapporter. 



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— 236 — 
Cette tache, quelque modeste qu'eUe soit, ne laissera pas cepen- 
dant, nous Tespérons du moins, d'offrir des résultats réels et fé- 
conds. Tours était en effet, vers la fin du moyen âge, un des quatre 
grands centres artistiques de la France, ainsi que le constatait 
dernièrement, devant le Comité des Sociétés savantes, M. A. de 
Montaiglon,run des hommes de notre temps les plus versés dans 
rhistoire de Tart national. Or de cette école, qui a compté dans 
son sein Jehan Foucquet et Miche) Colombe, c'est-à-dire le plus 
grand peintre et le plus grand sculpteur de la Renaissance française, 
qui a produit tant de chefsd^œuvre d'orfèvrerie dont la délicatesse 
et réiégance n'ont jamais été surpassées, qui a semé sur les rives 
de la Loire, du Cher et de l'Indre tant de magnifiques et délicieuses 
constructions; de cette école on ne connaît que quelques noms, 
glorieux entre tous, il est vrai, mais qui apparaissent isolés conune 
de rares colonnes au milieu d'un désert, jadis couvert de monu- 
ments. Sans aucun doute, il y a là une importante lacune à com- 
bler; nous n'osons nous flatter d'y réussir; les docunoents locaux 
ne sont pas les seuls qu'il faudrait dépouiller pour cela, et d'ail- 
leurs ils ont eux-mêmes eu trop à souffrir de la rage et de l'in- 
curie des hommes. Un autre, plus heureux et placé dans un milieu 
plus favorable, élèvera sans doute à la gloire de la Touraine le 
monument que nous avions rêvé et dont il nous aura été seule- 
ment donné de jeter les bases et de rassembler quelques maté- 
riaux. Le résultat de nos recherches se borne le plus souvent à des 
noms et à des indications de travaux, et nous ne pouvons mettre 
sous les yeux de nos lecteurs les œuvres d'artistes qui, pour 
la plupart, étaient restés jusqu'à ce jour ensevelis dans le plus 
profond oubli. Mais c'est quelque chose peut-être que de les en 
tirer, et il faut songer que, il y a trente ans, Foucquet lui-même 
n'était guère mieux partagé qu'eux. Son nom seul était connu, et 
autour de ce nom les efforts réunis des érudits et des amateurs 
sont arrivés à grouper un certain nombre de productions, dont la 
liste n'est sans doute pas épuisée. 

Espérons qu'il en sera de même pour plusieui^ des artistes men- 
tionnés dans ce mémoii*e , et que l'œuvre que nous commençons 
ne demeurera point inachevée. 



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— 237 — 

Nos renseignements sur les peintres tourangeau remontent jus- 
qu'au milieu du rpf* siècle, et sans doute ils remonteraient plus 
haut si les comptes de Marmoutier, de la cathédrale, de Saint* 
Julien, et surtout de Saint-Martin, étaient venus jusqu'à nous. En 
effist, sans parler des vitraux, ces magnifiques élises étaient or- 
nées de nombreuses peintures murales, et plusieurs générations 
d'artistes avaient consacré leur talent à œs splendides décorations. 
Mais les noms de ces modestes travailleurs sont sans doute perdus 
pour toujours; nous ne connaîtrons jamais, par exemple, Tauteur 
des fresques qu'on entrevoit encore sur les parois des murailles de 
Saint-Julien , non plus que celui qui avait décoré de peintures la 
voûte en plein cintre de la grande nef de Saint-Martin. Ces dei^ 
nières existaient cependant encore à la fin du xvin* siècle, et nous 
savons que le principal sujet était un Christ de grandeur colossale^. 

Le plus ancien texte qu'il nous ait été donné de recueillir nous 
offre le nom de Baoulet Binet , dans lequel il faut peut-être voir 
un marchand plutôt qu'un peintre de profession. 

« A Raoulet Binet, pour une banière aux armes Monsieur saint 
Martin, pour cendel, façon, painture, et pour le glaive tout ferré 
où elle fut mise, et laquelle fut baillée à messire Guy d'Azay, par 
mandement et quittance du derrenier d'octobre, contenant plu- 
sieurs choses payées ce jour, rendu devant au chapitre de fer et 
de dous, vni escuz tournois^. • 

Ensuite vient htienne Rousseau, en i384- 

«A Estienne Rousseau, paintre, pour l'achat de vi douzaines 
d'escussons pains aux ensaingnes de ladicte ville, pour mettre tant 
es torches qui furent achatées pour la ville comme à celles qui 
furent fait faire ad aucunes personnes de ladicte ville , pour por- 
ter au-davant de ladicte porcion jusques à Saint-Lou; pour ce, par 
mandement et quittance donnés le xxiii* jour de mars mcgciiii" 
etmi,xx s, t,^» 

^ HisUÀrt ti anûqntés de t église de Saint-Martin de Taure, par J. L. Chalmel , 
c, XI. — Manuscrit de la bibliothèque de Tours. 

* Registre des comptes de la ville de Tours pour un an , finissant le 3 1 oc- 
tobre 1359, chapitre Despense commane. 

* Comptes finissant Ir 3i octobre i384 , cliap. Despense commune. 



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— 238 — 

La précieuse collection léguée à la ville de Tours par oolff? re- 
grettable confrère, M. André Salxpon , sera toujours consultée avec 
grand profit par tous ceux qui voudront écrire sur un point quel- 
conque de rhistoire de Touraine. Elle nous fournit pour Tannée 
1893 un nom que nous croyons pouvoir attribuer à la Touraine; 
c'est celui de Guillaume Loyseau, qui donne le reçu suivant : 

« Guillaume Loyseau , peintre, confesse avoir eu et reçu de Jehan 
Gilon, clerc paieur des œuvres de la chapelle que présentement 
Monseigneur d'Orliens fait faire jouxte Tëglise des Célestins de 
Paris, la somme de trente-six francs d'or, qu'il dist lui estre deue, 
c'est assavoir : pour avoir peint l'escu et le timbre des armes de 
miondit seigneur le duc qui est ou front de ladite chapelle^ en- 
semble les trois deis d'icelle chapelle, et livré l'or et l'axur qu'il lui 
a convenu; dont, par marchié a lui fait, il devoit avoir la somme 
de XXX francs; et, pour avoir paint le saint Michel en forme de 
banière qui est sur la crouppe d'ioelle chapelle, et la banièredes 
armes de mondit seigneur qui est sur la tourneUe ou viz de ladite 
chapelle, et aussi le saint Michel de pié qui -eâ»t sur ledit timbre, 
VI francs; qui font ladite somme de xxxvi fr. De laqttcfle lomiiie 
de XXXVI fr. il se tient pour contant et quitte icelui sieur. L'an 
Mfificuu" et treize, le dimenche premier jour de mars. » 

Signé : « Closier^ » et plus bas, « Mambssisr. » 

On connaît le goût du duc d'Orléans pour les arts, et les beaux 
travaux qu'il fit exécuter à la chiqpelle des Célestins de Paris. 
Comme nous trouvons dès le début du siècle suivant le nom de 
Loyseau ou Loisel porté par un artiste tourangeau, il ne semblera 
pas trop téméraire de supposer que Guillaume était de la même 
famille, peut-être son père, et qu'il avait été mandé à Paris par le 
duc d'Oiiéaus, qui avait la Touraine dans son apanage. 

Sur Jançon ou Jensson Loyseau ou Loisel, nous possédoBS 
quatre documents des années i4i8, i4t22, i423 et i4^4« tons 
quatre tirés des archives de la ville de Tours. 

n A Jensson Loyseau, peintre, la somme de iiii 1. x s. vu d. ob. 
pour deux aulnes trois quartiers de toi lie Inde, achatée vu s. vi d. 
chacune aulne, et lxx s. pour ses peines et salaires d'avoir fait de 
ladictc toille iiii banicres, en chacune banière, de chacun cousté. 



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— 239 — 
lu graos flours de lis d'or parti surassietic; lesquelles baoières ont 
esté deuement faictes et furent mises aux portes de ladicte ville. 
Poor ce, à lui poié, par maudement desdix esleuz, donné le xxini* 
jour de juillet Tan mil cccc et xYin, et quictanoe cy rendue^ m 1. 
X s. Tn d. ob. t. ^ > 

« A Jançon Lioisel, paintre^ la somme de six vingts livres tournois 
qu^il devoit avoir^ par marché à lui fait, pour paindre ung ymaige 
de Nostre-Dame^ laquelle a esté faicte de pierre enlevée pour 
mecire au portai de Nostre-Dame de la Riche, que l'en fait tout neuf, 
du oosté devers les champs, dont le manteau d'icelle ymaige sera 
paint d'asur, la robbe de vermeillon, et la robbe de son enfant de 
vert, et les linectes des robbes, les quouronnes et la cheveleure, de 
fin or; laqudle imaige lui fut baillée environ le moys d'avril der- 
renier passé, et icelle a painte et livrée selon ledit marché à lui 
fait. Pour œ, paie, par mandement desdix esleux et par quictanoe 
donnée le quinziesme jour de juillet Tan mil quatre cent vingt et 
deux. Pour ce, vi" 1. 1.* » 

• i423. A Jehançon Loisel, paintre, la somme de xx s. t. pour 
avoir fait et paint, entre le premier jour de may derrenier passé et 
le jourduy , une banière de toilie en pers, contenant une aulne de 
toille, en laquelle, ou meillieu , troys grans fleurs de lis pour mettre 
en la tour de T^ise Monseigneur saint Martin de Tours ; iœlle 
baillée à Colas Salmon, trompiUe qui fait la guette illecques, pour 
ensa^e, pour savoir de quelle part vendront les gens à cheval en 
ladicte ville. Pour ce, payé, par mandement desdiz esleuz et quit- 
tance donnée le sixiesme jour de juing mil ccccxxni, xx s. 

« Audit Jenson Loisel la somme de quatre livres tournois pour 
sa paine, chatel et salaire d'avoir fait et paint quatre penonceaulx 
de toille tainte en vermeil, et en chacun d'iceulx avoir fait ung es- 
cusson aux armes de la royne, yceulx mis et cousuz à qpatre des 
portes de ladicte ville, poor démontrer et ensaigner que la royne 
estoit, et pour elle avoit esté prins de nouvel la possession du 
duché de Touraine , laquelle lui a esté naguères baillée par le roy 
noatre sire; et a fait yceulx penonceaux entre le premier jour de 

1 Comptes finissant le Si octobre i4i8, chap. Despênse commum, 
* Comptes fiaissftnt le 3 1 octobre 1^32, chap. Dépense commune. 



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— 240 — 
juing derrenîer passé et le jourdui , dont il doit avoir de chacun 
penonceau xx s. Pour ce, payé, par mandement desdiz esleuz 
et par quictance donnée le iiii* jour de juillet Tan mil ccccxxni ^ 
fv livres*. • 

« 1424. A Janson Loisel, paintre, la somme de quatre livres dix 
•sols tournois pour sa paine et salaire d'avoir fait, entre les iv' et vi* 
jours de ce présent moys, trois banières carrées aux armes de MP le 
duc de Totiraine, comte de Douglas, esquartées, dont le premier 
-quartier est de France ; Tautre quartier est à un chief d'azur et 
troys étoilles d'argent dedans, et en champ d'argent à un cuer de 
gueules ; le tiers quartier, ung champ d'or, un* chief de gueules et 
ung saultonnier de mesmes ; le quatriesme quartier est d'azur à ung 
lion d'argent membre et couronné d'or; et sont faictes icelles ba- 
nières sur bougran vermeil , lesquelles ont esté mises et cousues 
aux portes de ladicte ville. Et en doit avoir ledit Janson par mar- 
chié a lui fait ladicte somme de iv 1. xi s. t. à lui payée^. » 

Loyseau est le seul peintre que nous voyions employé par la ville 
de Tours depuis le commencement du xv* siècle jusqu'en 1 436 ; il 
nous sera peut-être permis de supposer qu'il fut le maître de Jehan 
Foucquet, dont le voyage en Italie eut lieu vers i44o , et qui devait 
dès lors être un artiste distingué, puisqu'il fut chargé de peindre le 
portrait du pape Eugène IV. Ce serait là assurément pour Loyseau 
un insigne honneur. 

En i436, les noces de Marguerite d'Ecosse avec le Dauphin, 
depuis Louis XI, donnèrent lieu à des danses dont les comptes 
nous offrent la mention suivante : 

« A Denis le Vitrier, paintre, pour avoir hastivement et richement 
peints lesdits habiz et quatre barbes pour lesdits danseurs, xl sols. • 

Olivier Colin nous apparaît deux fois, en 1 438 et 1 443 , et dans 
la dernière citation son nom est associé à celui de Hannes Poul- 
voir ou Poulonnoir, le même sans doute qui peignit en 1429 l'éten- 
<lard de Jehanne d'Arc et dont le vrai nom était James Power. 

« A Olivier Colins, paintre, la sonmie de ix l. t. pour xn lances 
ferrées, paintes en noir et semées à tours d'ai^nt, aux armes de 

* Comptés finissant le 3i octobre idsSi chap. Dêspense commune. 

* Comptes finissant le 3i octobre i42 4 , chap. Despense commune. 



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— 241 — 
la ville ^ naguères achatées par messieurs les esleuz dudit Olivier 
Colins, chacune desdites lances xv s. t., lesquelles sont et ont esté 
ordonnées pour la garde et défense des portes de ladicte ville , à 
chacune porte deux desdictes lances , oultre et par-dessus le har- 
nois que les portiers gardant lesdictes portes porteront chacun 
jour à la garde d'icelles portes, et lesquelles douze lances, oudict 
pris, valent ladicte somme de ix 1. t., à lui paiée par mandement 
desdiz esleuz et quictance sur ce donnée le m* jour d'aoust lan mil 
ccGGxxxYui, cy rendu. Pour ce, ix livres*. » 

• A Olivier Colins, tant pour lui comme pour Haïmes Poulonnoir, 
paintres, et Thevenin Colin, menuisier, la sonune de vi 1. xv s. t. 
pour leur peine et salaire d'avoir habillé et mis à point trois dou- 
zaines de lances, que messieurs les esleuz ont achatées, ceste pré- 
sente année , pour la provision et garnison de ladicte ville 3. • 

Un peu plus tard, nous rencontrons Denys Mauclert. 

• A Denis Mauclert, paintre, la somme de iv 1. t., qui deue lui 
estoit , par marché fait avecques lui , pour ses paine et salaire et 
estoflTes d'avoir vacquées, durant le moys de juillet derrenier passé, 
à paindre une grant pierre en laquelle est entaillé ung escusson à 
troys tléurs de Hz et une couronne dessus ledit escu, laquelle pierre 
a esté assise ou parpain du haut de la tour qu'on a fait de neuf 
sur ledit pont de pierre de Loire , près larche Saint-Ciquault , et 
après avoir paint d'azur le champ dudit escuçon et doré lesdictes 
fleurs de lis et couronnes bien et honorablement. Pour ce, par 
mandement desdiz esleuz et quictance du vin* jour d^aoust l'an 
mil CGGCXLVi, cy rendus, iv livres^. » 

L'année précédente, le même Denys Mauclert recevait le prix 
d'un autre écusson aux armes de France, et, en i/t47i il faisait 
partie de la confrérie de Saint-Gatien. 

En 1 453, on trouve « Matheiin Poyer, » peignant un écusson aux 
armes du roi. Faut-il voir ici le père de Jehan Pohier qui, en 
1 /i65 , exécute un étendard et dix-huit écussons aux armes de la ville? 
Je ne saurais le dire positivement ; mais il me semble hors de doute 

' Comptes fioiscant le 3i octobre iA38, cbap. Despense commune. 
^ Comptes finissant le 3i octobre i4à3, cfaap. Despense commune . 
^ Comptes fioiftsant le 3i octobre i.i46, chap. Despense commune. 

AnCllÉOLOGIE. H> 



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— m — 

(|ue Jehan Pohier esl bien i<^ célèl>re tuiluniineur des magnifiques 
heures d'Anne de Bretagne. Cest le même pi^nom, et quant à la 
forme Pohier pour Pojei, cela ne saurait faire une diiTiculté. Les 
textes nous otlrent de bien autres variantes, et d'ailleurs Jean 
Lemaire, dans les vers cités par M. de Laborde^, orthographie à 
peu près comme notre document le nom de ce grand artiste, et 
écrit Poyer au lieu de Poyet 

« 1 453. A Mathelin Poyer, paintre, la sonmie de viii livres y sols 
tournois , qui deue lui estoit pour ses paine et salaire d avoir paint 
ung escusson fait aux armes du roy, où il y a trois fleurs de lis et 
une couronne dessus, deux cerfs volans estans aux deux coustez 
dudit escusson et ung autre estant au-dessus dudit escusson , lequel 
tient entre ses braz la couronne et escu , au-dessoubz duquel y a un 
pot de lis; lequel escu lesdits esleuz ont fait mectre et asseoir ou 
hault du portai d'emprès Téglise de Saint-Ëstienne et icellui ont fait 
peindre d or et d'argent au mieulx qu'ils ont peu. Pour laquelle pain- 
ture £ûre, par miarchié fait par iceulx esleuz avec ledit Mathelin , il 
devoit avoir la somme de six escuz d'or valans ladicte somme devin liv. 
y sols tournois, payée à icellui Mathelin par vertu des lettres de 
mandement dessusdiz. Donné lexxii" jour d'octobre cccc cinquante 
et trois, et quictance dudit Mathelin ci rendue. Pour ce, viii liv. vs. ^ • 

« i465. A Jehan Pohier, paintre, par autre mandement desdiz 
maire et eschevins, donné le vi" jour d'avril ensuivant audit an mil 
GCOCLiiiii, avant Paaques, la somme devin 1. v s. t. pour ses peine 
et salaire d'avoir paint ung estandart ou mois de mars précédent, 
lequel par l'ordonnance des gens de lad. ville a esté fait, donné et 
baillé au capitaine des frans archiers du païs de Touraine, ou 
voyage que lors ilz faisoyent en la guerre pour le roy, et c^, pour 
obvier à autres charges que led. capitaine vouloit faire avoir et 
bailler à ladicte ville pour le fait de l'abiliement et haulsement de 
gaiges des frans archiers d'icelle et des paroisses d'environ, et que 
Içd. capitaine ne s'en pleignist aud. sire; ainsi que contenu est 
aud. mandement , en la fin duquel cy rendu est la quictance sur 
ce dudit paintre. Pour ce , viii 1. v s. t. » 

' Uenaissance des arts à la cour de France , l. f , p. 1 6 1 . 

* Comptes unissant le 3i octobre i^53, chap. Despense commune. 



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— 2li3 — 

« À Jehan Pohier, painti*e, pour xviii escuçons qu'il a faiz et paiiit?: 
aux armes de la ville , en xn grans pavaiz achatez pour mettre au\ 
portes (ficelle , et aussi pour la painture de la banière de la guette 
de la tour Saint-Martin, xxslv s. t.^ » 

Sur les travaux de Foucquet lui>m£me, de ce grand peintre qui 
fut la gloire de Técole de 'i ours au xv*" siècle, il ne nous a été donné 
de recueillir que deux mentions nouvelles'^. 

I^videmment Foucquet fut rarement employé par la ville de Tours. 
Il travailla surtout pour la cour et les grands seigneurs. La première 
pièce que nous publions nous le montre conmie ordonnateur des 
fêtes qui devaient être données, en i46i, à Tentrée du roi Louis XI 
dans sa bonne ville de Tours. Il est assisté de Symon Chouain, 
maître maçon , et de Pieri^ Hannes. Ce dernier semble bien être le 
même personnage que Pierre de Hennés que nous voyons, dans 
M. de Laborde^, apporter à Foucquet, de Bourges à Paris, FeOigic 
du roi Charles VU. Ce Pierre Hannes était-il peintre ou sculpteur ? 
Nous ne saurions le dire , mais nous pensons qu on peut ajouter son 
nom à la liste des artistes tourangeaux du xv* siècle. 

Du reste , lentrée du roi se fit sans grande cérémonie : car les 
gens de la ville s'étant informés d avance auprès de quelques con- 
seillers de Louis XI, pour savoir «si ledit sire auroit bien pour 
agréables icelles fainctes et mistères faiz en chaflaulx, ■ il leur fut 
dit que • non et qu'il n'y pranoit nul plaisir. » Le sombre monarque 
est tout entier dans cette courte réponse, qui lit abandonner tous 
les préparatifs déjà commencés. 

■ i46i. A Jehan Fouquet , Pierre Hannes , Symon Chouain et 
autres, la somme de cent solz tournois qui ordonnée leur a esté, 
}>our leur peine et salaire d avoir vaqué à faire certains devis 
d aucuns chafaulx , mistères et farces , à la venue et entrée nouvelle 
du roy nostre sire en ladite ville , ainsi que délibéré avoit esté par 
les gens d'Eglise, bourgois et habitans de ladite ville, assemblés en 

' Comptes finissant ic 3 1 octobre i /|(>5 , chap. Despense commune. 

* Une bienveillante communication de M. B. Fillon nous apprend que Foucquet 
a entuminé un livre d'heures pour le compte d'un certain Jean Moreau , bour- 
geois de Tours et valet de chambre de Louis XI. 

* Renaissance, etc., t. f, p. i58. 

i6. 



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— 244 — 
Tostel cVicelle le xxy* jour de septembre Tan mil cgcglxi , par-devant 
maistrc René Dreux, procureur du roi notre dit sire ou bailliage 
de Touraine. 

• A laquelle assemblée estoient : maistre Jehan Pavin, chanoine 
de réglise de Tours -et soy représentant pour les doyen et chapitre 
de lad. église ; maistre André Dubeuf et messire Loys le Roy, cha- 
noines de réglise Mons. saint Martin de Tours, et eulx représentans 
pour les doyep, trésorier et chapitre de ladite église; Jehan Ruzé, 
Pierre Brete, maistres Jehan Bonnart, Jehan Bernard, Jehan Pe- 
lieu le jeune et Jehan Dupuiz, Geufiroy Travers, Martin d'Argouges, 
Pierre Lailler, Jaquet Oodeau , Guillaume Lailler, Jehan Galocheau 
et autres habitants de ladite ville. Et par eulx consenti que à lad. 
venue et nouvelle entrée dud. sire en icelle seroient faiz lesdiz cha- 
faulx , mistères et farces , et pour savoir comment on les feroit , 
fuirent commis Jehan Ruzé et lesd. maistres Jehan Bernart et Jehan 
Pelieu , Pierre Lailler et Jehan Gamier, et à en faire et tracer leur 
devis, appelleroient avec eux Jehan Fouquet, Pierre Hannes, Symon 
Chouain et autres, et à la première assemblée ensuite dévoient 
faire leur rapport. Et cependant vaquèrent lesdiz Hannes, Fouquet 
et autres par plusieurs journées à faire tracer et diviser lesdicts 
devis. Et comme le roi fut à Amboise pour venir aud. lieu de Tours , 
fut par aucuns des gens de lad. ville demandé conseil et advis à 
mons. le baiily de Touraine et messire Pierre Berart, qui sont les 
plus près du conseil du roy, savoir si ledit sire auroit bien pour 
agréables icelles fainctes et mistères faiz en ch^flaulx à sad. entrée 
en lad. ville, lesquelz dirent que non et qu'il n'y prenoit nul plai- 
sir; et par ce demoura, et firent lesdiz esleuz cesser toute la chose 
en Testât. Et pour ce que lesd. Fouquet, Hannes , Chouain et autres, 
qui avoient jà fait besogne oud. fait, se piaignoient qu'ils n'estoient 
satisfaiz de leurs peines et salaire, fut depuis ordonné par aucuns 
des gens de lad. ville qu'ilz auroient lad. somme de c s. t. pour les 
récompenser de ce que dit est, qui leur seroit baillée et payée des 
deniers communs d'icelle par Pierre Quetier, à présent receveur 
d'iceulx, pour icelle somme estre départie entre eulx, selon ce que 
par lesd. maistre Jehan Bernart et Pelieu seroit advisé; laquelle 
somme ledit receveur a baillée et payée aud. Fouquet pour lui et 



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— 245 — 
les autres dessusdiz, par vertu des lettres de* mandement desdiz 
esleuz, contenant ladite délibéracion , données le derrenier jour 
d'octobre oud. an mil mf lxi, cy rendues avec quictance d'icellui. 
Foucquet. Pour ce, cy, c s. t. ^ » 

Notre seconde mention est de 1^76 ; Foucquet peint le dedans 
du poêle que la ville avait fait faire pour porter sur le roi de Por- 
tugal, qui était Alphonse V. 

« A Jehan Fouquet, paintre, pour avoir painct le dedans du poille 
que ladite ville a fait faire pour porter sur ledit roy de Portugal, 
xiil. t.n 

Ces deux textes» dont le dernier a été récemment public par 
M. Paul Viollet dans la Gazette des Beaux- Arts, sembleront sans 
doute n'ajouter que peu de chose à la biographie de Jehan Fouc- 
quet; mais il n'en sera pas de même d'une indication que nous 
avons rencontrée dans les archives d'Indre-et-Lotre et qui permet 
de serrer de plus près la date de la mort du grand artiste tou- 
rangeau. M. de Laborde et presque tous les biographes prolongent 
sa carrière jusqu'en 1 485. Or voici un texte de i/jSi qui prouve 
d'une façon irrécusable qu'il était mort à cette époque, puisque 
nous y voyons comparaître sa veuve et ses héritiers. 

Dans un aveu rendu le 8 novembre i48i par Geoifroy Chiron, 
chambrier de Saint-Martin à Jehan Okeghem, trésorier de ladite 
église , on lit ce qui suit : 

« La veufve et héritiers de feu Jehan Foucquet, peintre, pour leur 
maison et jardin joignant d'ung cousté à la tour Foubert et au jardin 
d'icelle, d'un- bout à la rue estant devant la maison de feu maislre 
Gervaise Gouyet, d'autre cousté à la rue des Pucelles, et d'autre 
bout à la tour desdites Pucelles; une petite rue entre deux et ung 
portai par-dessus, par lequel l'on va de ladite tour en ladite maison 
et jardin. 

t Item, ladite veufve et héritiers, pour partie de ladite tour des 
Pucelles, joignant, d'ung cousté, à la maison de Jehan Haranc, or- 

' Comptes (inis.sant le 3i octobre i46i , cliap. Despense conwiune. — Ce docii- 
mciit a été ariressé par nous au Comité impérial des travaux historiques , qui a 
bien vouhi en oixionner la publication clans la Bévue des Sociétés sarantes. 

' Comptes finissanl le 81 octobre iâ7r), cliap. Hespetifr commune. 



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— !>4(5 — 
(euvre, cfauli-e couslé, aux héritiers de feu Yvonnet de Moiëon qui 
est parlye de ladite tour, et, par derrière, à la maison de Clément 
Doulart. Pour lesquelles choses dessusdites m'est deu audit jour et 
feste Saint-Brice doux deniers. Cy, ii'**. » 

Un acte de 1572 , cité plus loin, nous apprend que la tour des 
Pucelles et les maisons adjacentes avaient été baillées par le chapitre 
en i448. Est-ce à Jehan Foucquet lui-même ou à son père? Rien 
n'indique Tun plutôt que Fautre, et cependant nous trouvons en 
1439 un Foucquet qui arrente une maison dans le fief du cellérier 
de Saint -M artin ^. On ne saurait confondre cette maison , située dans 
la paroisse de la Riche , avec la tour des Pucelles , qui était dans celle 
de rÉcrignole;mais le Foucquet de lASg {pourrait bien être le père 
de Jehan , et ainsi se trouverait établie forigine tourangelle de notre 
grand peintre, que M. Alfred Michiels, dans le troisième volume de 
son Histoire de la peinture flamande , veut, bien à tort selon nous, 
faire venir des Flandn»s. 

La famille Foucquet conserva cet immeuble pendant plus d'un 
siècle, et ce nVst quen 1671 et 1072 qu'il cessa de lui appartenir; 
mais la descendance mâle de Jehan Foucquet semble dès lors 
éteinte, car nous ne trouvons plus de son nom que deux femmes, 
Marie et Madeleine Foucquet, qui comparaissent avec leurs maris. 
Le i4 mars 1571 le sieur Fortier et Marie Foucquet, sa femme, 
vendent par-devant Thierry, notaire, à la veuve Metzcau et au sieur 
Jean FeiTé, les trois quarts de la tour des Pucelles etdé.deux mai- 
sons à coté> situées au Gefdu chapiti-e, envers lequel le tout est 
chargé de 100 sous de rente. L'année suivante, le 1 3^ juillet 1072, 
il est passé devant Lefèvre , notaire , une transaction par laquelle 
René Grebunet , pour lui, et Madeleine Foucquet, sa femme, cèdent 
au chapitre leur portion dans la tour des Pucelles ou des Foucquet 
et les maisons baillées originairement en 1 448 , et ce, pour demeurer 
quittes des réparations à faire auxdits logis*. 

Postérieurement à ces deux dates, nous rencontix)ns bien à Tours 

' Archives (iUndre-€t-Loire. Fonds de Saint-Martin, n* 57 (provisoire). 
^ Archives d'Indre -et -Loire. Inventaire de Saint -Martin. — Ville de Tours, 
p, 2S0. 

* Inventaire de Saint- Martin. — Ville de Tours, p. 38o et 38i. 



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— 247 — 

une famille Fouoqiiet, maisjusqu'à présent il nous a été impossible 
de la rattacher à celle du peintre de Louis XI. 

On se demandera sans doute où était située cette maison' dans 
laquelle Jehan Foucquet a vécu et travaillé la plus grande partie de 
sa vie ; car alors les arts ne menaient guère à la fortune , et un peintre , 
même du génie de Foucquet, ne devait point posséder plusieurs 
immeubles dans la ville de Tours. La réponse à cette question 
n'était pas chose facile, laspect et la disposition des lieux ayant va- 
rié plus d'une fois en quatre siècles. Cependant nous avons eu le 
bonheur de réunir des textes assez nombreux et assez concluants 
pour nous permettre de désigner avec certitude remplacement pré- 
cis de la maison de Foucquet. Elle est aujourd'hui malheureuse- 
ment détruite; mais» au xv* siècle, elle occupait langle formé par la 
rue de Jérusalem et le côté nord de la rue des Foucquet y alors ap- 
pelée rue de la Tour, ou rue des Pucelles. Le nom des Foucquet 
fut sans doute imposé à cette petite rue après qu elle eût été habi- 
tée et illustrée par Jehan Foucquet et ses deux fils, qui furent des 
peintres prescpie aussi célèbres que leur père. C'est là , dans cette 
. ruelle étroite et obscure , qu'ont vu le jour ces délicieux chefs-d'œuvre 
qui, aujourd'hui dispersés, font l'admiration des amateurs et des 
connaisseurs de l'Europe entière. 

Un autre peintre que Foucquet fut employé par la ville at l'entrée 
de Louis XI, en 1A61 ; c'est Jehan Jamet, dont le nom a été déjà 
révélé par André Salmon *. 

« Item, à Jehan Jamet, painctre, pour avoir painct en blanc et 
rouge lesdictes quatre petites lances pour ledict peste, x s. t. » 

Salmon, en publiant cette courte mention, avait cru détruire 
l'opinion de M. de Laborde faisant de Benjamin Foulon le neveu 
de François Clouet y dit Janet. M. de Laborde , dans les additions 
au tome I de la Renaissance des arts à la cour de France (p. 84o) , 
persiste dans son premier sentiment, se fondant sur ce que, dans^ 
tous les cas analogues, il faut lire Jainet, et que Jamet n'est pas 
un nom. Cependant les Archives de V art français^, nous donnent 

' Archives de l'art français. Documents, l. III, p. 3oo. 
2 Tome V, p. 365. 



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— 248 — 
un Gilles Jamet, orfèvre à Lyon au xvr siècle, et enfin, sans 
multiplier les exemples, nous trouvons « dans ce même xvi* siècle 
et à Tours ) un imprimeur portant ce nom, et cette fois écrit en 
lettre moulée , ce qui empêche de supposer Tomission d'un point 
sur le premier jambage de Vm et force à lire Jamet et non Jainet. 
Ce nom est celui de Jamet-Métayer, imprimeur du pariement, 
qui, lors de la translation de cette cour souveraine à Tours par 
Henri III, en 1689, vint s'établir dans cette ville avec ses presses, 
qu'il mit au service de la cause royale. Il en sortit plusieurs publi- 
cations destinées à seconder Teffet des brillantes actions militaires 
de Henri IV. Selon notre savant bibliophile, M. Victor Luzarche, 
« œs brochures , imprimées à Tours et aujourd'hui devenues fort 
rares , commencent à paraître à la fin de l'année 1689 « ^ multi< 
plient pendant le cours de l'année 1690 qu'inauguré le récit de la 
bataille dlvry, gagnée le i4 mars par l'armée royale, et ne s'ar- 
rêtent qu'en 1694 ^ » 

Je crois devoir transcrire ici un acte de 1A72 concernant Fouc- 
quet, et dont M. de Laborde donne l'analyse d'après le catalogue 
Je Joursanvault, n'ayant pu retrouver l'original ^. 

Pas plus qu'à M. de Laborde, il ne m'a été donné de découvrir 
l'original de cette quittance ; mais la précieuse collection Salmon 
nous offre une copie faite avec le plus grand soin et annotée par 
Salmon lui-même, qui s'était rendu adjudicataire de cette pièce à 
la salle Sylvestre, le i4 mars i845. 

« Je Jehan Bastard Fricon , escuier de Tescuierie de M"* la du- 
chesse d'Orléans, de Milan , etc. certifie à tous qu'il appartient que 
Michel Gaillart, trésorier et receveur général des finances de ladite 
dame, a paie et baillé à Foucquet, paintre de Tours, la somme de 
quatre escuz d'or, vallant en s. t., que ladite dame a donnée et or- 
donnée audit Fouquet , pour sa peine et sallaire d'estre venu au 
mandement d'icelle dame , de Tours à Blois devers elle , pour lui 
déclarer et ordonner faire certaines histoires, lourneurc et enlu- 
niineure d or et d'azur en unes heures et autre service pour ladite 
'.lame ; de laquelle somme de ex s. l. ledit Foucquet s'est tenu à 

' La Touraine, publiée par A. Marne, Tours, i855» p. 531. 
' Benausancc, clc, t. 1, p. iSg. 



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— 249 — 
contant et paie. Tesinoing mon seing manuel cy mis le xx'jour de 
juillet l'an mil cccc soixante et douze. • 

Signé t B. Fricon. • 

Ensuite on lit ces mots, toujours de la main de Salmon : 

■ Copie faite sur Toriginal faisant partie des Archives de Joursan- 
vault, d^où il est passé dans la collection de M. Farrenc , ancien 
éditeur ^e musique, et a été vendu le l^ mars i845 (calalc^ue 
Muller}, salle Sylvestre, à M. Salmon pour... (le prix est resté en 
blanc). 

• Paris, le i5 mars i845. 

Signé « Salmon. ■ 

Le registre des comptes de la ville de Tours pour cette même 
année 1472 nous donne les noms de deux peintres, Jehan Belotin 
et Jehan Delaunay; nous trouverons au siècle suivant des homo- 
nymes et très-probablement des descendants de ce dernier. 

« A Jehan Belotin la somme de quatre livres deux sols six deniers 
lournoys, qui deue lui estoit pour avoir paint d'azur et dor I escu 
du roy nostre sire , enlevé en pierre au portail appelle le portail 
Billault, lez faulxbourgde laTour-Feu-Hugon, qui naguières a esté 
abatu et refait parce qu'il tumboit. Laquelle somme de un 1. 11 s. 
VI d. t. led. receveur a payée aud. Jehan Belotin , par mandement 
desd. maire, esleuz et commis, sur ce donné lexxvi'jourde février 
MGCCGLXXi, cy rendu avecques la quictance dud. Jehan Belotin. 
Pour ce cy, nii I. 11 s. vi d. t. » 

« Item , à Jehan Delaunay, painctre , le xvi" jour de décembre Tan 
de ced. compte, pour avoir tracé et tiré par deux foiz en parche- 
min le boulevart de Saint-Estienne , xxvii s. vi d. t. ^ » 

Dans le sixième compte de Jehan Briçonnet, pour Tannée finie 
en septembre 1472, nous trouvons Pierre André, qualifié huissier 
de salle et peintre de M"** d'Orléans, S'il n'était pas Tourangeau, il a 
du moins travaillé eu Touraine, comme le prouve l'extrait suivant : 

« A Pierre André, huissier de salle et peintre de M*"* d'Orléans, 

* Compte» pour un an finissant le 3i oclobrc 1/173, cliap. Pespeiue conuiuwc. 



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— 250 ~ 
110 liv. pour uae grande table d'autel de la Nativité Notre-Dame, 
peinte dor et d'azur, mise en la chapelle du chàtel de& Montilz^ • 

En 1476, « Allart Follatin, » peint deux patrons de la croissance 
de la ville de Tours, Tun en papier, l'autre en parchemin, des- 
tiné au roi Louis XI, et reçoit 6 livres tournois pour ce travail, 
qui serait -aujourd'hui bien curieux. 

« A Allart Follatin , paintre, pour avoir peint et fait deux patrons 
de la croissance de la ville , Tun en papier et Tautre en parchemin 
pour monstrer au roy nostre sire, vi 1. 1. » 

Quelques années plus tard, 1^78 ^t i479» «Alart Folarton, » 
qui est sans doute le même personnage que le précédent, exécute 
à rbôtel de ville de Tours des travaux importants, et sur lesquels 
le registre des comptes entre dans des détails assez circonstanciés 
pour qu'on puisse encore aujourd'hui s'en faire une juste idée. 

Jusque vers le dernier quart du xv* siècle, la commune de 
Tours n'eut point un local spécial pour tenir ses assemblées ; les 
élus louaient ordinairement une maison dont le prix est porté à 
35 livres dans le i^istre de 14^5; mais les asseml)lées avaient 
souvent Heu à ia Masquière, grande maison dont l'entrée était 
rue de la Galère, et où fut depuis le bureau des finances. On se 
réunissait aussi à l'archevêché, à Saint-Julien, aux Cordeliers, etc. 
Ce n'est qu'en 1467 et 1471 que les maires et échevins firent, 
dans la partie de la Grande-Rue aujourd'hui appelée rue du Com- 
merce, l'acquisition de deux maisons contiguës, dont l'une portait 
l'enseigne de la Traie-^ui-file, et c'est là que fut établi le siège de 
l'administration municipale. 

L'acquisition des maisons une fois faite, il s'agit de les appro- 
prier à leur nouvelle destination et de les décorer convenablement. 
Follarton fut chargé des peintures, ainsi que nous le montrent les 
extraits suivants des registres delà ville de Tours *^. 

« 1478. A Alart Folarton, paintre, la somme de quarante-quatre 

' Bîbliothëque impériale. Gaignières, 11" 772*, p. 552. 

* L'extrait des comptes de raiinée 1^79 concernant Altard Follarton a clé 
communiqué à la Société archéologique de Touraine dans la séance du 3i jan- 
vier i86(), j)ar notre confrère et ami M. Paul Viollel, alors archiviste de la ville 
de Tours, et imprimé par lui dans la Gazette des Beaiix-Arts, numéro d'aotU 1867. 



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— 251 — 
livres tournois, qui deue lui estoit, pour ses paine et sallaire d^avoir 
painct et fourny de toutes estofles de sond. mestier le portai de 
1 entrée defostel de lad. ville, avecques cinq escussons, c'est assa- 
voir : Tun en la cheminée dud. portai , deux autres soubz les clefz 
de la vouit, et les auttœs deux sur les deux huys du grant corps 
dostel; et aussy paint un lyon de pierre avecques les armes de lad. 
ville, lequel lyon est assis sur le bord de la grant eschelle de l'ostel 
de ladicte ville ; et aussi avoir paint cinq banières des armes du 
roy, de la royne, de monsieur le dauphin et de lad. ville; icelles 
banières mises sur les pinacles tant dud. portai, la couverture 
de lad. grant eschelle, que sur la maison neufve du darrlère; et 
aussi pour avoir paint de couleurs les espiz où ont été mises lesd. 
banières. Laquelle somme de xliiii livres ledit receveur a payée 
aud. Âiardin, par mandement desd. maire, esleuz et commis, sur 
ce donné ledit derrenier jour d'octobre mcccclxxviii. Cy rendu 
avec la quictance dud. Alardon. Pour ce, cy xliiii 1. t. 

« Item, à Alart, paintre, la somme de l s. t. pour avoir paint en 
deux «statures le prince d'Orange, par le commandement du roy 
nostred. sire , qui ont été mises aux portes de la Riche et du pont. 
Pour ce, L s. t. ^ » 

« 1479. A Allait Folarton, paîiitre, la somme de soixante-quatre 
livres troys solz quatre deniers tournois, pour xl escuz d'or, qui 
deue lui estoit, pour avoir fait et paint de son mestier, et fourny 
de toutes couUeurs, azur, bateure et autres choses à ce nécessaires 
en Postel de lad. ville. Tannée de ced. compte, c'est assavoir : 

« Pour avoir fait contre la cheminée delà salle de lad. maison une 
Annunciation de Nostre-Dame, et lad. cheminée couverte d'azur, 
semée de fleurs de lys de bateure, et le bas de lad. cheminée fait 
en couleur de jaspre, dont il a eu pour ce faire dix escu» d'or, 
vallant à monnoye xvi 1. x s. t. 

« Item, pour avoir paint de rouge, blanc et vert, tout le haut du 
cbambrillys de lad. salle et tout le tour avecques quatre tirans 
et quatre pilliers tirans contremont le cbambrillys de lad. salle, et 
quatre grans escus d'armoyrie qui sont ou hault des pinacles, et 
(|uatre angelolz qui portent quatre escussons soubz les tirans qui 

' (>>niplr.s finisMiitic 3i octobre 1 ^78, chap. Despense commune. 



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— 252 — 
sont au travers de lad. salle; et a eu tant poursoy chauflaulder que 
pour fourair de tout, dix escus, valant xvi 1. x s.t.^ 

« Item, pour avoir paint tout le tour des murs de lad. salle, en 
quoy il a fait par les bas une terrace à créneaux semée d'erbages et 
xxun grans arbres rempliz de fasson d*arbres à fruit et d'oyseaux, et 
a ung chacun desd. arbres ung escu aux armes de lad. ville, le chef 
d'azur à fleurs de lys de bateure, et le champ de sable à tours de l)a- 
teure d^argent, avecques xvii escuz aux armes des maires qui ont 
esté jusques à cested. année, faiz de bateure et riche couUeurs, cha- 
cun ainsi qu'il appartient , estachez tous lesd. escuz aux arbres des- 
susd. à grans saintures de couleur et escripteaux auxdessoubz , en 
quoy sont les noms d'un chacun desd. maires; et a eu , pour ce faire 
et fournir de toutes choses, xiiii escus, vallant xxii 1. ix s. ii d. t. 

« Item , pour avoir paint troys escussons des armes du roy, de la 
royne et M^' le daulphin , qui sont ou haut du pinacle de lad. salle , 
avecques deux autres escussons dud. sire et dame et les armes de 
lad. ville qui sont ou front de la gallerie, ainsi que Ton monte en la 
grand escelle, avec ung angelot tenant les armes de la royne, qui 
est ou hault du pinacle de la maison neufve faicte au bout de la 
cour; et a eu, pour ce faire, deux escus d or, vallant lxjhi s. h d. t. 

« Item, pour avoir paint tout le tour de l'auditoire où se tient le 
tablier de lad. ville, en coulleur de sable, semé de tourelles, et le 
chef de bleu semé de fleurs de lys, et ledavant en couleur de jaspre, 
et à l'entrée un gros villain pour faire monstre, tenant les armes 
de la ville en un escot ; et a eu , pour ce faire et fournir de toutes 
choses , quatre escuz d'or, vallant vi 1. viii s. un d. t. 

« Lesquelles parties dessusd. font et montent ensemble lad. somme 
de Lxuii 1. in s. iiii d. t. que led. receveur a payée aud. Folarton , 
par mandement desd. maire, esleuz et commis, sur ce donné le 
derrenier jour d'octobre mgcgclxxix, cy rendu avec la quictance 
dud. Folarton ; lesquelles choses dessusd. ont esté faictes depuis le 
premier jour de septembre l'an de ced. compte, et pour le pare- 
ment et honnêsteté de lad. ville. Pour ce, cy , Lxnn 1. m s. ini d. t.^ » 

' On lit en marge de cet article : « soit parlié à la ville, pour ce qu'il n'apparoil 
t\n"i\ ayt esté ordonné ainsi le fere. b 

* Comptes finissant le 3i octobre 1^79, cliap. Despense conummc. 



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— 253 — 

Au x\* siècle, les verriers ou vitriers faisaient le plus souvent 
partie de la corporation des peintres, ainsi que nous le montre 
Tordonnance de Lyon du mois de décembre 1496, dans laquelle 
Charles VIII confirme les statuts des • pain très, tailleurs d'ymaîges 
et voirriers. » Une autre ordonnance, antérieure à celle-là de plus 
d'un demi-siècle et rendue par Charles VII , en 1 43o , à Ghinon , sur 
les sollicitations de Henri Mellein , son peintre \ nous olFre la même 
réunion des peintres et des vitriers, et nous avons déjà cité un 
peintre nommé Denys le Vitrier, et dont le surnom indique suffi- 
samment la double profession. Il n'est donc pas douteux que les 
deux arts étaient fréquemment exercés par la même personne , et 
nous en donnerons tout à Theure un illustre exemple. Aussi avons- 
nous pensé devoir recueillir les mentions de travaux de verriers 
que nous ont offertes nos documents. 

La plus ancienne de ces mentions remonte à i43o, et nous 
donne le nom de Ma'cé Robineau, « victrier, » qui, en cette année, 
reçut i5 sous pour t avoir esclarcy et nettoyé [troys penonceaulx 
(les victres de lostel de ville de Tours ^. » 

C'est là, assurément, une bien modeste besogne; mais des œu- 
vres plus importantes et plus artistiques furent exécutées à Thôtel 
(le ville de Tours, que nous venons de voir décoré de peintures 
œnsidérables par AUard Follarton. 

Deux verriers prirent part à ces travaux: Tassin Vinet, dont le 
nom parait ici pour la première fois, je crois, et Gallet ou Gillet 
Jourdain , qui doit être le même que Gilles Jourdain , cité par M. de 
Laborde^. 

« A Tassin Vinet , victrier, la somme de dix livres quinze sols 
tournois, qui deue lui estoit pour cinquante-six piezde victres qu'il 
a faictes, rendues et assises le xxvi* jour de janvier l'an de cedit 
compte, es quatre haultes fenestres de la salle de l'ostel de lad. 
ville , et en icelles fait quatre escussons , èsquelz il avoit fait les 

* Ordonnances, t. XI il, p. 160. Cet Henri Mellein travaillail à Bourges et doit 
être compté au nombre des peintres royaux. Le texte de l'ordonnance parle ■ du 
bon et continuel service qu'il a rendu au roi dans l'exercice de son art. » 

* Comptes finissant le 3i octobre i43o, chap. De-tpeMe commune. 
^ Renaissance, etc., t. f , p. 269. 



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— 25/1 — 
armes du roy, de la royne et celles de la ville, et autour d'iceulx 
quatre chappeaux semez de lleurs, au pris de trois solz neuf de- 
niers tournois chacun pié desd. victres , moyennant lesd. quatre 
e^cussons et chappaux dessusditz, qui val lent audit priz dix livres 
dix solz tournois, et cinq solz pour le vin du marché fait avec- 
ques lui desdictes victres. Laquelle somme... Pour c^, cy x 1. 

XV s. t. ' » 

« 1/176. A Tassin Vinet, victrier, la somme de soixante et douze 
solz neuf deniers tournois, qui deue lui estoit pour xvii piez et 
demy de verre, comprins les escussons aux armes de iad. ville par 
lui baillez et assis en quatre fenestres de Tune des croizées de 
Tostel de lad. ville et davant le parquet où de présent l'on expé- 
die les causes de lad. ville, à un s. 11 d. t. le pyé, par marché fait 
avecques lui, qui est lad. sonmie de lxxh s. ix d. t. 

«Laquelle somme led. receveur a payée aud. Tassin, par man- 
dement desd. maire, esleuz et conmiis, sur ce donné le m* jour d'a- 
vril MCCCCLxxv, cy rendu avecques la quictance dud. Tassin. Pour 
ce, cy Lxxn s. ix d. t.^ » 

« 1479. A Gallet Jourdain, victrier, la somme de vingt-troys 
livres tournois , qui deue lui estoit pour avoir fait de son mestier, 
rendu et livré à lad. ville. Tannée de ced. compte, cent piez de 
verre blanc, et iceulx assis en deux des croysées de la salle de Tostel 
de lad. ville, et deux grans fenestres dormans à veue, qui sont en 
lad. salle, Tune devers la GrantRue et lautre devers le portai. Tune 
à avoir le jour de devers lad. Grant-Rue, et Tautre devers lad. 
court; une autre croisée en la chambre et maison faicte de neuf 
devers la Monnoye, au pris de m s. ix d. t. pyé de verre, vallent 
xviii 1. XV s. t. 

« Item, pour avoir fait èsd. victres xi escussons darmoirye garniz 
de rondeaux et de chappeaulx, au pris de vu s. vi d. t. chacun ron- 
deau et chappeau , vallent la somme de un 1. 11 s. vi d. 

« Item, pour avoir abillé et réparé la verrine qui de piecza estoit 
en Tune des croysées de ladite salle, 11 s. vi d. t. 

« Lesquelles parties dessusd. font et montent ensemble la somme 

* (.^omptes Gaissant le 3i octobre 1471, chap. Despense commune. 
^ Comptes finissant le 3i octobre 1476, chap. Despense commune. 



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— ^255 — 
(le ixiii 1. t., que led. receveur a payée aud. Gallet Jouixlain, par 
mandement désd. maire, esleuz et commis, sur ce donné le xvii' 
jour de février mil ccccLXxvni , cy rendu avecques la quictance 
dttd. Gallet. Pour ce, cy xxiii 1. 1.' « 

t liiSi'Ss. A Gillet Jourdain, victrier, la sonmiede quinze livres 
seize sols six deniers tournois, qui deue lui estoit pour avoir victré 
depuis le premier jour de novembre Tan de ced. compte deux 
grans croisées de pierre en la grant chambre naguères faictes en 
Tostel de lad. ville joignant à la grant salle. Tune desd. croysées re- 
gardant sur la Monnoye de lad. ville, l'autre sur une petite court et 
gallerie allant en la chambre du conseil, et vitré une grant fe- 
nestre pour esclairer et donner lumière en lad. grant chambre , assise 
devers la grant court et eschelle de pierre de Tostel de lad. ville, 
en quoy a lxii piez de vitre à m s. ix d. le pyé, vallent la somme 
de XI 1. XII s. VI d. t. 

«Item, auxd. croysées sont assis neuf escussons aux armes du 
roy, de la.royne, de lad. ville, et en deux escussons sont les Diz de 
Moyse, au pris de vu s. vi d. t. chacun escusson , renduz, assis èsd. 
vitres, vallent la somme de lxvii s. vi d. t. 

« Item, pour avoir mis aux croysées de la grant salle dud. hostel 
iviii losanges de victres, icelles redressées et réparées, à xi d. t. cha- 
cune losange, vallent xvi s. vi d. t. 

« Lesquelles troys parties dessus déclairées font et montent en- 
semble lad. somme de xv L xvi s. vi d. t.^ » 

Après ces deux noms de vitriers , nous ne trouvons plus dans les 
registres de la ville de Tours que celui de « MichauDuthoreau, • qui 
tui aussi travaille à Thôtel de ville et même dans la grande salle 
naguère peinte par FoUarton. 

« 1489. A Michau Duthoreau, victrier, la somme de cent cinq 
solz tournois pour aucunes parties de sondit mestier faites es 
victres de lostel de ladicte ville , ainsi que s'ensuit , c'est assavoir : 
pour avoir relevées troys croisées de victres hault et bas de la grant 
salle paincte, et icelles repparées et mises en plomb neuf, qui con- 
tiennent sept piez, et en icelles mises xxxn lozenges neufves et ras- 

' Comples finissant le 3i octobre 1A79 , chap. Despense commune. 
' Comptes finissant le 3i octobre 14^2. cbap. Despense commune. 



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— 256 — 
sises et clouées èsdictes croisées ainsi qu'il appartient. Pour ce, 
cy Lxv s. t. . 

« Item à luy, pour avoir habillé et relevé deux autres victres de 
l'autre salle neufve , et à icelles mis douze lozenges et demye en 
plomb neuf, et rassises ainsi qu'il appartient. Pour ce, xx s. t. 

* Item, pour avoir relevé deux autres croisées du portai de Tostei 
de ladicte ville et icelles rabillées, et mis xiii lozenges et demye en 
plomb neuf, et icelles rassises èsdictes croisées, ainsi qu'il appar- 
tient, avoir aussi necty et habillé toutes les autres victres dudît 
hostel. Pour ce, xx s. t. 

« Lesquelles parties dessusdictes font et montent ladicte somme 
de cv s. t.* » 

Tels sont les artistes verriers que nous trouvons employés par la 
municipalité de Tours au xV' siècle ; sans doute le nombre de ceux 
qui travaillaient dans la- ville était bien plus considérable , et il y a 
là une lacune importante que la perte des comptes de nos églises, 
si nombreuses et si ornées, ne permettra jamais de combler entiè- 
rement. 

On pense que les magnifiques vitraux de l'abside dç la cathé- 
drale encore subsistants furent exécutés au xni* siècle par un ar- 
tiste nonmié Richard ; mais noussignorons le nom de l'auteur des 
verrières de la nef, aujourd'hui entièrement détruites, et qui cepen- 
dant ne remontaient pas au delà du xv* siècle. 

Parmi les édifices religieux que vit naître à Tours cette époque 
féconde , on citait l'église des Carmes , œuvre de la munificence 
de Louis XI , dont la dévotion à la bonne Dame est bien connue. 
Cette église , encore debout , est terminée par une abside carrée , pres- 
que tout entière occupée par une immense verrière. Les vitraux 
qui la décorent aujourd'hui sont modernes ; mais ceux auxquels 
ils ont succédé étaient l'œuvre d'un artiste éminent , Tune des 
gloires du xv^ siècle , et que je ne m'attendais guère i rencontrer à 
Tours. Cet artiste, en effet, n'est rien moins que Jean Perréal, dit 
Jean de Paris, sur les débuts duquel nous avons si peu de rensei- 
gnements que j'ose regarder cette trouvaille conune l'une des plus 
heureuses qu'il m'ait été donné de faire. Nous ne possédons point les 

' Comptes finissant ie 3i octobre 1489, cliap. Despense commune. 



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— 257 — 
originaux des pièces citées; mais les copies que nous en avons « faites 
an siècle dernier et conservées dans les archives d'Indre-et-Loire, 
quoique rendues un peu défectueuses par le rajeunissement des 
fonues orthographiques, ne permettent aucun doute sur la réalité 
des faits qui s'y trouvent exprimés. 

« Aujourd'hui, en la présence de Jean Gédoin, clerc notaire juré 
duChâtelet d'Oriéans, vénérable et religieuse personne maître Jean 
Nepveu , docteur en théologie , prieur du couvent des Carmes de 
Tours, s'est adressé devers Jean de Paris , victrier, lequel il a trouvé en 
personne en son hostel et dommaniale à Orléans, et lui a dit et exposé 
que, au moisde mars de l'an mil quatre cent soixante et douze, fut, 
par ledit prieur et par feu frère Pierre Robillart , lors vivant religieux 
dudit couvent des Carmes d'Oriéans , pour et au nom de très-révé- 
rend père en Dieu , monsieur l'archevesque de Bordeaux , marchandé 
avec ledit Jean de Paris de faire une vitre, que mondit seigneur 
l'archevesque donnoit pour la grande forme de l'église neufve du- 
dit couvent de Tours, laquelle vitre ledit Jean de Paris promit faire 
suivant le devis dudit marché, et, pour un escu qui lui fut lors 
promis et accordé de chacun pied, selon lequel marché auroit esté 
faite et assise laditte vittre , et, pour ce que ledit prieur disoit avoir 
entendu que icelluy Jean de Paris n'estoit pas payé du priz d'icelle 
vitre, estoit venu devers lui pour sçavoir ce qui lui en restoit, 
et luy a requis qu'il luy déciarast ce qu'il avoit reçu sur ladite vitre 
et luy monstrast les parties de ladite recette et les comptes sur ce 
faits, si aucuns en avoit, pour l'en informer. A quôy ledit Jean de 
Paris a dit et répondu que desdits comptes n'avoit aucunes choses 
par écrit, et qu'ils avoientesté dès un an et plus portés devers mon- 
dit seigneur de Bordeaux par frère Guillaume Quieton , mais que 
du fait de laditte vitre luy estoit et est deu quatorze escus d'or de 
reste du principal , avec quatre escus promis oultre ledit marché par 
iceluy prieur à la femme dudit Jean de Paris pour avoir un chap* 
peron; et outre a dit icelluy Jean de Paris que, par deffault de luy 
avoir apporté son argent à son besoin , il a été contraint de faire 
trois voiages devers ledit seigneur, pour chacun desquels il a frayé 
et despensé un marc d'argent , et que, avec ce, il a fait, outre le de- 
vis en ladite vitre, dix-huit ymages qui bien vallent un marc d'ar- 

ARCQÂOLOeiE. 1 7 



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— 258 — 
gent, et a prié et requis icelluy Jean de Paris audit prieur que de 
tout ce que dit est le veuille payer ou faire, par ledit seigneur, 
payer et contenter; lequel prieur, ouy ladite response, a dit audit 
Jean de Paris qu'il luy payera lesdits quatre escus et que, touchant 
lesdits quatorze escus, il en fera le rapport audit seigneur et fera 
son devoir de Ten faire payer, se ils sont dus, mais, au regard des- 
dits voyages et façons des dix -huit images, son intention n'étoit et 
n est point de rien payer. Et, après ce, a ledit prieur requis et de- 
mandé audit Jean de Paris qu il veuille déclarer ce qu il a eu de 
par luy en faisant laditte vitre, et il lui a dit et répondu que ledit 
feu Robillart luy a baillé, premièrement dix écus, que ledit Robil- 
lart disoit lui avoir été envoyés de par ledit prieur de Talent de 
Forfeuve, et que, à une seconde, ledit prieur luy bailla par la main 
vingt écus que luy avoit prestes ledit Robillart, auquel Robillart il a 
ouy dire depuis que ledit prieur luy avoit rendu lesdits vingt écus; 
et, à une autre fois, luy envoya ledit prieur par frère Jean Poirier 
autres vingt écus, tant sur ledit marché et sur le compte dudit feu 
Robillart; et outre a dit et déclaré ledit Jean de Paris que, à la re- 
queste dudit prieur, il fut à Tours et assit partie de ladite vitre pour 
la tenue du chapitre de Tordre dudit couvent, et depuis y retourna 
une autre fois pour le présent acte et asseoir le demeurant de laditte 
vitre, et pour ce que à cette occasion, il y fit deux voyages, et que 
par son maixhé il devoit asseoir laditte vitre tout à une fois, ledit 
prieur et son couvent luy donnèrent pour récompense de luy de ses- 
dits voyages, sept écus d'or; de toutes lesquelles choses dessusdites 
et déclarées icelluy prieur et ledit Jean de Paris, et chacun d'eux, 
ont requis et demandé instanmxent acte audit notaire. 

« Et à tout ce ont esté présens et appelés à témoins vénérables et 
relligieuses personnes maître Pierre Ogier, docteur en théologie, 
prieur dudit couvent des carmes d'Orléans; frère Simon le jeune, 
prêtre relligieux dudit ordre, et Drouin Jaquet, orfèvre, demeurant 
k Orléans. Ce fut fait le vingt-troisième jour du mois de juin l'an 
mil quatre cent soixante et seize. Ecrit sur parchemin , signé GÉ- 

DOIW*. » 

' Archives d'Indre-et-Loire. — Inventaire des titres des Carmes de Touzs, 
fol. 43 et 44. 



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— 25» — 

Par un autre acte daté du aS juin 1^76, l'archevêque de Bor- 
deaux certifie que le prieur du couvent des Carmes de Tours « luy 
avoit rendu bon compte des payements faits audit victrier pour 
raison de laditte vitre et qu il ne lui estoit rien deu de reste s*il 
n'avoit fait quelques autres besongnes pour ledit couvent. > 

La troisième pièce, dont nous n'avons qu*une andyse, ainsi que 
de la précédente, est du 1"^ juillet de la même année ; elle contient 
quittance par Jean de Paris, devant Gédoin, des quatre écus que 
le prieur avait promis donner à la femme de l'artiste. 

Ce vitrail, aujourd'hui détruit, représentait la vie de la sainte 
Viei^e ; on y voyait les armes et l'effigie de l'archevêque de Bor- 
deaux, qui l'avait payé de ses deniers. Cet archevêque était Arthur 
de Montauban, amateur des arts, que le Gallia Chnstiana nous 
montre décorant sa cathédrale et ornant de vitraux, l'église de l'ab- 
baye de Cadouin du diocèse de Sariat. 

Je ne pense pas que le Jean de Paris dont il est ici question 
puisse être un autre personnage que Jean Perréal. Notre docu- 
ment, il est vrai, est antérieur de plusieurs années au plus ancien 
que l'on connaisse sur cet artiste, et il y apparaît comme verrier et 
non comme peintre; mais les comptes de la ville de Lyon de 1489 
et l'ordonnance de Charles VHI de 1496 nous montrent dans Jean 
Perréal un honmie expert en son art, et par conséquent déjà avancé 
dans la vie. Cette ordonnance est rendue en faveur « des pain très, 
tailleurs d'ymaiges et voirriers, • et l'on sait que les professions de 
peintre et de verrier étaient souvent exercées par une même per- 
sonne. 

Ce point admis, et il ne semi)le guère susceptible de contesta- 
tion, il nous reste à examiner ce que nos documents apprennent 
de nouveau sur Jean Perréal. 

D'abord nous le voyons établi à Orléans, et sans doute d'une 
façon permanente, puisqu'il y a sa femme, sa maison , que c'est 
là que, en i473 , le prieur des Carmes d'Orléans fait marché avec 
lui au nom de l'archevêque de Bordeaux; là que, en iàj6y on 
vient, au mois de juin, régler avec lui le prix de ses travaux ; là 
encore que, au mois suivant, il donne quittance des quatre écus 
promis à sa femme pour avoir un chaperon. Cette femme, dont le 

»7- 



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— 260 — 
nom demeure inconnu, était peut-être dX3riéans, et son union 
avec Jean Perréal remontait au moins à 1472. Notre artiste, quoi- 
que sans doute jeune encore , devait être déjà en possession d'une 
certaine célébrité, car on vient le chercher de Tours, pour lui 
confier une œuvre importante, destinée à orner une église assez 
peu considérable, il est vrai , mais fruit de la munificence et objet 
de la sollicitude du roi Louis XI. 

Vers cette même époque habitait et sans doute travaillait à Tour» 
un peintre nommé Guillaume de la Vigne, dit Bouchart, dont au- 
cune œuvre n'est mentionnée dans les documents que nous avons 
pu consulter, mais dont Texistence nous est attestée, ainsi que celle 
de sa femme Jehanne , par deux actes de vente des années i Â79 et 
i48i. 

Par le premier, en date du 28 avril 1^79 , Guillaume de la Vigne 
et Jehanne sa femme vendent aux religieux du couvent de Notre- 
Dame du Carme, à Tours, une rente de 5o sous tournois, assignée : 
1 *" sur le quart d'une maison sise dans la rue des Carmes, paroisse 
de Saint-Saturnin , habitée alors par Bouchart de la Vigne, père du 
vendeur ; 2* sur un jardin , situé près de cette ville , en la rue Pineau , 
paroisse Saint-Clément, « moyennant 4o escus d'or au coing du roi, 
vallants 32 s. 1 d. la pièce. » 

Par le second, qui est du 18 janvier i48o (i48i n. s.), «Guil- 
laume de la Vigne, dit Bouchart, paintre,.et Jehanne sa femme, 
demourans en ceste ville de Tours , vendent au couvent de Notre- 
Dame du Carme de Tours 70 sous tournois de rente assignée par 
les vendeurs sur diverses choses , et en outre sur une maison neuve 
qu'ils ont de nouvel et puis naguères fait faire construire et édiffier 
en ceste dicte ville de Tours, en la rue appelée la rue des Carmes, 
paroisse de Saint-Saturnin, moyennant la sonmie de 20 escuz au 
cours de 32 solz 1 denier tournois la pièce , qu'ils donnent auxdits 
religieux Carmes pour la dotation de leur couvent et pour qu'on 
prie pour eux. » 

Ces deux extraits ont été recueillis par A. Salmon, qui avait 
eu en sa possession les originaux ; les mêmes pièces sont d'ailleurs 
dairement mentionnées sur un inventaire des titres du couvent 
des Carmes aujourd'hui conservé dans les archives d'Indre-et-Loire. 



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— 261 — 

II est plus que probable que Guillaume de la Vigue , dit Boucharl, 
était né à Tours, puisque le premier acte nous montre son père 
habitant la maison sur laquelle est assignée en partie la rente de 
ôo sous vendue aux Carmes , et à cette époque les familles ne se 
déplaçaient pas et ne se transplantaient pas aussi facilement'quede 
nos jours ^ 

En la même année i48iy la ville de Tours achetait pour lx s. t. , 
d'un imagier que» malheureusement, le registre des comptes ne 
nomme pas, « une ymaigede No9tre4>ame, faicte en pierre, laquelle 
ymaige a esté mise contre le front du davant du portai qui lors se 
faisait saillant de ladite ville sur les ponts de la rivière de Loire , et 
est pour la révérence de la bonne Dame, pour ce que ancienne- 
ment il y en avoit une en paincture qui fut abattue en rompant le 
vieil portai.» 

Cette statue de la Vierge fut peinte, ainsi que divers accessoires, 
par un peintre nommé Pierre R^^nart. 

« Item, à Pierre Regnart, pour avmr paint ledit ymaige de coulieurs 
riches, que pour avoir paint ou darrière dudit ymaige une manière 
de Temps fait d'azur à fleurs de lys d'or, que pour avoir paint ung 
angelot, et les armes du roy qui portent ledit ymaige , que pour 
étoffes d uiles et autres matières , les armes du roy et de la ville qui 
sont en dehors dudit portai, afin que la pierre en quoy ils sont 
taillez ne se gastast ; pour lesquelles choses faire il a eu un livres 
tournois^. • 

Un peu plus tard, en i48g, nous trouvons Colin Regnart, peut- 
être fils ou neveu du précédent. 

« A Colin Rq;nart, paintre, pour la painture des armes tant du 
roy, de la ville, que du maire de Tannée de cedit compte, estant 
sur le portai qui a esté fait neuf en Tisle des ponts de Loire, par 
appoinctement fait audit Regnart, c s. t. ^ » 

* Dans le registre de ia confrérie de Saint-Gatien , conservé a la bibliothèque 
de Tonrs, on Ht (page 45), parmi les noms des frères reçus en i433, celui d'Es- 
tienne Bouchart , suivi de cette mention : • lecpiel fist les gros sains. » Voilà encore 
un artiste tourangeau dans lequel il est permis de voir, je pense, l'un des ascen- 
dants , sinon le père de Guillaume de la Vigne, dit Bouchart, 

* Comptes finissant ie3i octobre i48i, cbap. Despense commune. 
^ Comptes 'finissant le 3 1 octobre 1 489 , cbap. Despense commune. 



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— 262 — 

Un de ces Régnait aurait bien pu restaurer le tableau de la reine 
Anne, auquel a une hette fille, et dont parie M. de Laborde ^ 

La calligraphie était alors un art véritable. 

Nous croyons devoir citer parmi les artistes tourangeaux Robert 
du Heriin, qui a fait pour Charles VIII un manuscrit conservé 
aujourd'hui au Musée des souverains, et décrit par M. Rarbet de 
Jouy dans son excellent catalogue de cette précieuse collection. 
Ce sont les heures de la croix de Jésus-Christ; à la fin du dernier 
feuillet on lit ces mots de la même écriture que le reste du ma> 
nuscrit : « V. T. humble serviteur Robert du Heriin. Fait à Tours, 
1492.» 

Le nom de Jehan Riveron est bien connu : car c'est à lui qu'on 
doit le texte des magnifiques heures d*Anne de Rretagne; la ville de 
Tours voulut avoir la liste de ses maires et échevins tracée par cette 
même plume qui venait, associée au pinceau de Jehan Poyet» de 
produire un chef-d'œuvre. 

«A Jehan Riveron, escripvain, la sonmie de trente sols tour- 
nois, pour avoir fait et escript par deux fois, en deux grans peaulx 
de parchemin, en grosse lectre, les noms et seurnoms des habitans 
de ladicte ville qui ont esté maires d'icelle, depuis la création de 
ladicte mairie jusques à présent, ensemble les noms de ceux qui 
ont esté créez eschevins de ladicte ville , pour les mectre en deux 
tableaux en l'ostel de ladicte ville ; en ce comprins les deux lectres 
d'or molu faictes au commencement desditz tableaux. Pour ce, 
cy XXX s. t. 2 » 

Le registre pour l'année i&gy nous fournit le nom d'un peintre 
jusqu'ici complètement inconnu : 

«Item audit moys (de septembre) à Henri Lalend, paintre, la 
somme de xxxv 1. 1. à lui baillez à deux foiz pour faire les prépara- 
tifs d'un éléphant qui a esté ordonné estre fait et mis à la venue du 
roy nostredit seigneur selon le devis du receveur Perrigault, lequel 
en a la charge ; aussi à faire l'habillement de Turnus, qui doit être 
oué h la Tour-Feu-Hugon par délibéracion de ladicte ville Êiite en 

^ Renaissance, etc., i. I, p. 566. Additions. 

' Comptes finissant le 3i octobre 1Â97) <^bap. Dcspense commune. 



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— 263 — 
rofttel d'icelle le xii^ jour dudict moys de septembre. Pour ce, 
XUT s. t. ^ » 

Un peintre de Tours nommé Henri Mathieu fut chargé de di- 
vers travaux lors de l'entrée dans cette ville, en novembre i5oo, 
de Louis XII et d^Ânne de Bretagne; mais les documents qui le 
concernent ont déjà été publiés par M. Lambron de Lignim ^. 

Telle est la liste des peintres tourangeaux du xv* siècle que nous 
ont fournie nos archives; la plupart des noms qu'elle contient 
apparaissent ici pour la première fois , et cette considération nous 
a engagé à n'en négliger aucun : car nous savons si peu de chose 
sur l'école de Tours, que tout ce qui peut accroître le cercle de nos 
connaissances mérite d'être recueilli. Notre moisson eût sans doute 
été plus abondante, si nous avions pu mettre à profit les inmienses 
ressources qu'offrent les riches dépôts de la capitale; mais il a fallu 
nous borner à dépouiller les documents qui se trouvent en Tou- 
raine, documents encore très-nombreux au siècle dernier, mais 
que les pertes et les destructions multipliées ont singulièrement 
réduits. Ainsi que nous le disions en conmiençant, nous n'avons 
plus les comptes de Marmoutier, de Saint-Julien, de la cathédrale 
et de Saint-Martin, qui auraient été pour notre sujet une mine 
féconde. 

Les comptes de la ville de Tours ont été la principale source 
où il nou» a été donné de puiser; mais la municipalité n'était pas 
riche, elle était même pauvre si on la compare aux grands établis- 
sements religieux que nous venons de nommer, et ainsi s'explique 
que nous rencontrions si rarement des travaux d'une certaine im- 
portance. La plupart sembleront même tenir bien plus du mé- 
tier que de l'art; mais il ne faut pas oublier qu'alors le métier et 
l'art étaient confondus dans les mêmes personnes et pratiqués 
par les mêmes mains, ainsi que l'a si bien démontré par ses sa- 
vantes recherches M. le marquis de Laborde. Le même écrivain a 
plus et mieux que tout autre contribué à détruire le préjugé qui 
attribuait notre renaissance aux influences étrangères, et il a su 



' Comptes finissant le 3i octobre 1497* chap. Vayaiges et tatucadons. 
' Congrhi sàenûfiqne tenu à Tours en I8k7, t. I, p. 187 et 169. 



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— 264 — 

faire voir en elle le développement naturel et spontané du génie 
français. Si notre travail, tout imparfait qu'il est, pouvait fournir 
quelques arguments nouveaux à œux qui soutiennent cette thèse 
vraiment nationale, nous nous estimerions amplement récompensé 
des soins et du temps que nous ont coûtés ces longues et pénibles 
recherches. 



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PARURES 

DBS 

TOMBES DES ROIS ET REINES DE NAPLES, 

DUCS ET DUCHESSES D'ANJOU. 
DANS LA CATHÉDRALE D*ANGERS, 

PAR M. GODARD-FAULTRIER, 

HBMIRB DB LA SOClM O^AGRICULTURB, 8GIB1IGB8 ET ARTS 0*A1I6BRS. 



L'année dernière, j'eus l'honneur de lire un travail intitulé : Une 
parure de reine au xv* siècle. Cette fois, le sujet n'aura pas le même 
charme, il sera très -austère et cependant il s'agit encore d'une 
parure , mais d'une parure réservée à divers tombeaux. 

A partir de la fin du xiv* siècle, ce fut une coutume, dans la ca- 
thédrale d'Angers, de poser de riches étoffes sur les sépultures des 
princes et princesses de la deuxième maison d'Anjou-Sicile. 

Parmi ces étoffes taillées en manière de drap mortuaire, les unes 
étaient à demeure (constanter, continue) y les autres servaient dans 
de simples fêtes (m fesUs simplicibas) , plusieurs à des époques très- 
solennelles {infesUs majoribus). 

On habillait à perpétuité (mot qui n'est plus de notre temps) 
les tombeaux de ces illustres défunts, avec beaucoup de soin au 
XV* siècle, un peu moins au xvi*, point du toutauxvii*. Rapproche- 
ment curieux! cet us^ existe encore quelque part, et notamment 
en Turquie. Je me souviens fort bien , en effet, dans une visite que 
je fis à Constantinople (car ce n'est plus un voyage) , avoir vu, au 
centre de ce que nous appellerions une chapelle funèbre , un assez 
grand nombre de sépultures de la famille de je ne sais plus quel 
sultan; et toutes étaient recouvertes de cachemire des Indes, d'une 
telle splendeur, que c'était à rendre bien des femines folles, ja- 
louses et envieuses. 

L'usage de ces draps mortuaires mis à perpétuité sur les tom- 



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— 266 — 
beaux serait-il d'^origine orientale? Nos princes d'Anjou, dont les 
rapports avec le Levant furent si multipliés, le lui auraient-ils em- 
prunté? Je ne sais. 

Quoi qu'il en soit, le chœur de la cathédrale d'Angers, lieu spé- 
cial d'inhumation des princes de la seconde maison d'Anjou-Sicile , 
brillait d'une façon toute particulière, par suite du double éclat 
de ses splendides vitraux et des riches étoffes placées sur ses tombes 
royales et ducales. 

Les sépultures ainsi recouvertes étaient celles des personnages 
suivants, que nous énumérons d'après l'ordre chronologique de 
leurs décès : 

La fille première-née de Louis I'', bien avant i38/i ; 

Louis I", i384; 

Marie de Bretagne, iAo4; 

Louis n, 1^17; 

Yolande d'Aragon , 1 44 3 ; 

Isabelle de Lorraine , 1 453 ; 

René, dit le Bon, i48o; 

Jeanne de Laval, 1498. 

Cette grande infortune, qui fut Mai|;uerite d'Anjou, reine d'An- 
gleterre, décédée en i483, est passée sous silence, dans les textes 
inédits que nous allons citer : c'est-à-dire qu'ils ne mentionnent 
pas que sa sépulture ait été ornée d'étoffes précieuses. Cela tient 
sans doute à ce que son cercueil fut placé dans le caveau même 
de René et d'Isabelle, ses père et mère. Ainsi aura été oubliée 
celle qui méritait le moins de l'être, tant à cause de ses exploits 
que de ses malheurs ^. 

^ A propos de ce caveau, qu'il me soit permis de réitérer un vœu formulé l'an 
dernier, au nom de la Société d'agriculture , sciences et arts d'Angers. Il s'agissait 
et il s'agit encore d'obtenir de Son Excellence M. le Ministre des cultes l'auto- 
risation de fouiller cet enflea sans déplacer les cercueils de plomb qui doivent s'y 
trouver. De la part de la Société, ce serait une simple vérification peu coûteuse, 
faite à ses frais , sous la direction de MM. Joly, architecte diocésain , et Prévost , 
commandant du génie, avec le consentement de M'' Tévéque et sans gêne 
aucune pour le service religieux. Procès* verbal des fouilles serait dressé et un 
double expédié au Ministre , duquel nous attendons toujours l'autorisation de- 
mandée. 



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— 267 — 

Les sépukares des phnces et des princesses doot nous avons 
plus haut constaté les époques de décès occupaient, dans le chœur 
de rég^se Saint-Maurice , trois régions. 

La première, sous la def de voûte de Tabside, en avant d'un 
autel dit de Saint-René, qui, depuis 1699, n'existe plus, compre* 
nait les tombes de Louis P% de Louis II et dTolande d'Aragon. 

La deuxième r^on, inuuédiatement au-dessous de la def de 
voûte de la travée , précédant Tabside , en avant du grand autel , qui , 
antérieurement à 1699, était situé sous le premier arc-doubleau à 
partir du fond de l'église, la deuxième région, dis-je, ocHnprenait 
les sépultures de Marie de Bretagne et de sa fille première- née, 
retrouvées en décembre i85o. 

La troisième région, dans la même travée, et le creux de la mu- 
raille du nord, en face de la grande porte de la sacristie, compre- 
nait les cercueils de René, d'Isabelle de Lorraine, de Marguerite 
d'Anjou 9 puis, en avant et proche de leur enfeu,'la fosse de Jeanne 
de Laval. 

De toutes ces sépultures, deux seulement nous furent conservées 
entières par le dessin, savoir : le mausolée de René et la tombe de 
Marie de Bretagne. Ces dessins, tirés du portefeuille de Gaignières, 
ont été publiés dans le Répertoire archéologique de l'Anjou, juin- 
octobre 1866. 

Tous ces renseignements ainsi groupés ne sont point inutiles à 
l'intelligence des textes, que nous all<Mi3 aborder, et que nous avons 
extraits de nombreux inventaires inédits ^. 

Appliquons donc ces textes, en ce qui regarde la parure de nos 
tombeaux d'autrefois, à chacun des huit personnages de la liste 
précédente. 

Filie première-née de Louis I**. 

Quel était son nom? Quand naquit-elle? Quand mourut-elle? 
L'histoire est muette à ce sujet. C'est bien de cette fille de sang 

' Ces inventaires, reliés en deux volumes, ont pour titre : V JênMre, éylis€ 
d'Àngirs, Fabrique, Ils sont aujourd'hui la propriété de M. l'abbé Joubert, ancien 
custode, qui les a sauvés des mains étrangères, en les acquérant à la vente de 
M. A. Grille , et qui a bien voulu nous les confier. 



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— 268 — 
royal que i'oa peut dire qu'elle est exhumée du imlieu même de 
la poussière de nos vieux inventaires. Voici la description de Fétofie 
réservée à Tomement de sa sépulture. Nous traduisons, ainsi qu^il 
suit, le texte latin, que nous croyons devoir renvoya en note; et 
dbons tout de suite, afin de n'y plus revenir, qu'il en sera de 
même pour nos autres citations latines : 

« Item, une pièce de parement de deux pans, tissus de fils d'or, 
avec bordure de velours rouge et six écussons aux armes d'Anjou 
et de Bretagne, pièce que donna le seigneur duc d'Anjou pour la 
sépulture de sa fille première-née^. > 

Louis I*' avait épousé Marie, fille de Charles de Blois, duc de 
Bretagne, le 9 juillet i36o, et si, parles laotsfilie sue primogeniie, 
on doit entendre leur premier enfant, cette fille innomée aurait 
pu nattre vers la fin de i36i. 

D'un autre côté, lorsqu'on décembre i85o on découvrit, dans 
le chœur de la cathédrale, le cercueil de Marie de Bretagne, on 
trouva, joignant à elle, vers sa gauche, la dépouille d'un enfant qui 
n'a pu être que le sien. Il parut au docteur Renier qu'il avait dû 
vivre de cinq à sept ans. Si cet enfant, ainsi que tout le fait présu- 
mer, était la fille première -née de Louis I*, et si, comme nous 
sommes assez fondé à le croire, elle naquit vers la fin de i36i, il 
s'ensuit que son décès devrait être fixé de i366 à i368. Particu- 
larité remarquable! le crâne de cet en&nt avait été scié, afin, sans 
doute, de connedtre au moyen de l'autopsiê, de quelle maladie 
celui-ci était mort^. 

Louis I*. 

Passons maintenant aux textes qui se réfèrent à la parure du 
tombeau de Louis I*', duc d'Anjou , second fils du roi Jean. Né à 
Vincennes, le 23 juillet i339, il mourut à Biseglia, près de Bari, 

* « Item , imus pannui parmenti continens duos pannos deauratos in fiiis consu- 
ioft cum bordura de velueto rubei coloris et cum sex scutis de armis Andegavie et 
Eritaimie, quem dédit dominus dux Andegavie, pro sepuitura filie sue primo- 
genite. » ( Inventaire de 1 89 1 , t. I , fol. 8.) 

' Nos Nouvelles archéologiques, n* 33. 



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— 269 — 
le 20 septembre i384. Son corps, rapporté dltaiie, fut inhumé à 
Saint-Maurice d'Angers, en avant de l'autel Saint-René. 

« Item, une pièce d'étoffe tissue d'or de sept pans, avec bordure 
aux armes de Sidie et d'Anjou, qui fut placée sur le corps de def- 
funt seigneur L. , roi de Sicile, lequel a été inhumé dans le chceur 
de l'église d'Angers ^ 

« Une autre pièce d'étoffe tissée d'or de deux pans, ladicte pièce, 
diaprée et ornée de roses rouges, est constamment sur la sépulture 
du même seigneur défunt roi de Sicile^. 

« Un grand tapis de laine avec fleurs de lis, que l'on étend chaque 
jour sur la sépulture du défunt, roi de Sicile. Un certain fragment 
en a été détaché, pour être continuellement posé sur ladite sépul- 
ture*. » 

Marie de Bretagne. 

Cette épouse de Louis l" mourut à Angers, le 12 novembre 
i4oÂi ayant eu de son mariage la fille première -née dont nous 
avons parlé et d'autres enfants, savoir : Louis II, duc d'Anjou, et 
Charies, duc de Galabre. 

Marie de Bretagne se nommait encore Marie la Cloppe ou la 
Boiteuse. Son tombeau était une dallé de marbre noir, sur laquelle 
on avait gravé sa pourtraiciure en pied. Son cercueil de plomb, 
renfermé dans un autre de bois, fut trouvé en i85o et replacé au 
même lieu, après que l'on eut constaté que le corps avait été em- 
baumé et enveloppé de bandelettes de toile; que le visage et les 
mains avaient été couverts d'étoupes de coton ; que les poumons 
étaient imprégnés de globules de mercure; que le cœur avait été 

* « Item , unus pannua anreus crocei coloris continens vu pannos cum bordura 
de armis Sicilie et Andegavie, qui fuit positus super coiptis deOuncti domini L., 
régis Sicilie, qui fuit inhumatos in choro ecclesie Andegavensis. » (Inventaire de 
1391, 1. 1, fol. 8.) 

' • Unus alius pannus deauratus continens duos pannos , dyapratus cum rosis 
rubeis, qui positus constanter super sepulturam ejusdem deffuncti domini régis 
Sicilie. • (Invent, de iSgi, t. I, foi. 8.) 

' iltem, unum tapicerium magnum ianae cum floribus lilii, quod ponîtur 
eotidie super sepulturam defiuncti régis Sicilie de quo fuit certa pars capta pro 
ponendo continue super eamdem sepulturam. » (Invent, de 1 Sgi , t. I , fol. 9.] 



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— 270 — 
enlevé à Tépoque du décès; quune croix ornée de cinq tadies 
rouges (les cinq plaies de Notre-Seigneur) reposait sur la poitrine, 
s'éievant jusque vers le milieu du visage, et enfin après que Ton 
eut remarqué qu'une odeur balsamique s'exhalait de cette momie 
du moyen âge^ 

Les étoffes de parure que Ton plaçait sur sa tombe méritent 
d'être décrites. 

«Item, une pièce de velours, aux armes de Bourgogne et de 
France, couvre la sépulture de la défunte omitesse d'Anjou, ea 
avant ia grand aaUl^. 

«Item, une pièce de velours rouge ornée de goûtes (farmes); 
cette étoffe, semée de fleurs de lis, a coutume d'être placée aux 
grandes fêtes sur le tombeau de la défunte reine Marie, situé ea 
avant du grand aateP. 

«Item, une autre parure de soie semée de fleurs et d'oiseaux 
brochés d'or, avec des larmes rouges et des écussons aux armes 
d'Anjou, d'une part, et 4e la défunte reine Marie (armes de Bre- 
tagne} , d'autre part. Cette étoffe est placée sur sa tombe aux fêtes 
simples à cinq chapes^. 

« Item, un parement de velours rouge orné de /ofanj^i de couleur 
jaune, les unes semées de fleurs de lis et les autres parées des écus- 
sons de Naples. Cette étoffe est posée , lors de certaines fêtes an- 
nuelles, sur la tombe de ladicte dame, de bonne mémoire, Marie 



* Nos Nouvelles archàologiquet , ii*33. 

* «Item, unus pannus de velueto, cum armis Burgundieet Francie, de quo 
tegitur tumba deffuncte comitisse Andeg. coram magno altari.* (Inventaire poi^ 
lant les dates de 1 3g i , 1 4o6 et 1 4 1 o , t. I , foi. 8.) 

' « Item, unus pannus de velosio rubeo cum stilHcid. , semlnatus floribus lilii , 
et solet poni super tumbam defuncte regine Marie, coram majori altari, m festis 
majoribus. » (Inventaire de 1 4 67, t. I, fol. 89. — Voir encore une variante de ce 
texte au folio 393, inventaire de 1 53s.) 

* « Item , unus alter pannus sericeus , seminatus floribus et avibus aureis , cum 
stillicid. rubeis et cum sentis ad arma Andegavie, deuna parte, et , ex altéra parte, 
ad arma dicte defuncte regine Marie, et ponitur super diclam tumbam in festis 
sîmplicibus quinque cappar. » (Inventaire de 1467, 1 1, fol. 89 ; — variante , inveni. 
<!e i5o5, fol. 23i]; tet ex altéra parte Britannie. > (Autre variante, folio igS de 
rinventaire de 1 532.) 



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— 271 — 
de Bretagne, duchesse d'Anjou; tombe située en avant du grand 
autels» 

« Item, une autre parure de soie semée de fleurs et d'oiseaux d'or, 
puis de larmes (rouges], aux écussons d'Anjou et de Bretagne, 
laquelle étoffe se place sur la sépulture de ladicte dame Marie, aux 
simples fêtes à cinq chapes^. » 

Dans une variante de Tinventaire de 1596' il est question de 
larmes et d'écussons peints : stiUicidia et arma sunt depicta. 

Il n'est pas besoin d'expliquer ici pourquoi les armoiries d'An- 
jou, de Naples et de Bretagne figuraient sur la parure de la tombe 
de Marie ^, mais il en est autrement de la pièce de velours aux 
armes de Bourgogne. Quelle aiBnité peuvent avoir ces dernières 
avec ladite Marie de Bretagne, duchesse d'Anjou et reine de Naples? 
On ne le voit pas, à moins que l'on ne se reporte à ce souvenir, 
que Philippe le Hardi, duc de Bourgogne, était le propre frère de 
Louis I*', duc d'Anjou, conséquenmxent le beau-frère de Marie de 
Bretagne. 

La parure ou plutôt le tapis dont il s'agit, et qui n'avait rien 
de funèbre, aura été le cadeau de la maison de Bourgogne à la 
maison d'Anjou. Plus tard, celte belle étoffe sera devenue propre 
à la tombe de Marie. 

Louis II. 

Nos textes concernant la parure du tombeau de Louis II sont 

* f Item , nous pannus ex velosio rubeo , cui insunt losenge crocei coloris , seini- 
nati floribus HHi et alie ad arma Neapolis , soletque poni super tumbam dicte 
bo. me. domine Marie Britannie , ducisse Ândeg. , ante majus altare quibusdam 
festivitatibus annuis. » (T. II, fol. 46 verso. Inventaire de iSSg. Autre de i56i, 
de 1 595, fol. ]63.) 

* f Item unus alter pannus sericeus seminatus floribus avibusque aureis cum 
stillicidiis (rubeis) .babens scuta ad arma Andegavie et Britannie , et su|^niturdicto 
sépulture domine Marie in festis quinque capparum simplicium. » (T. II, fol. 4 6 
verso et 47. Inventaire de 1539. Antre de i56i, fol. 109 verso.) 

^ T. II, fol. x63. 

^ Anjou : d'aznr semé dejlears de Us dora la bordure de (jueales. 
Naples : de France au lambel de yueule de trois pandans. 
Bretagne : d'azur semé d hermines. 



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— 272 — 
Clément dignes d'attention. Né à Toulouse, le 7 octobre 1377, 
ce prince, duc d'Anjou et roi de Napies, mourut à Angers, le 
29 avril 1417. D avait épousé Yolande d'Aragon, le 2 décembre 
i&oo. De ce mariage naquirent Louis III et René, qui furent suc- 
cessivement ducs d'Anjou, puis Charies, comte du Maine, et deux 
filles, Marie, femme de Charles VU, et Yolande, mariée, i** à Jean 
d'Alençon, 2** à François I", duc de Bretagne. 

L'Art de vérifier les dates, édition de 1818, assure, mais à tort, 
que Louis II fut inhumé à Saint-Martin d'Angers; c'est à Saint- 
Maurice qu'il fallait dire, et devant l'autel Saint-René, ainsi que 
vont l'établir les passages ci-après, relatifs à la parure du tombeau 
de ce prince : 

« Item, une grande étoffe tissue d'or, que l'on a coutume dépla- 
cer sur la tombe de défunt le roi Louis, en avant de Tautel Saint- 
René. Cette étoffe est semée de losanges brochées d'or et pleines 
d'oiseaux rouges, puis de losanges vertes pleines de fleurs. Ajoutez 
que, parmi ces oiseaux, il en est plusieurs tissus d'or, qu'en français 
l'on nomme éperviers. Le tout est orné de larmes faites de bougran 
aux écussons du feu roi ^. • 

La tombe de Louis II était contiguê à celle de Louis I*', son père, 
puisqu'un même tapis funèbre servit en même temps aux deux 
sépultures, d'après le texte suivant : 

« Item, une autre grande parure funèbre tissue d'or et de soie, 
d'une seule couleur, ornée de losanges où sont des oiseaux rouges, 
des fleurs et des éperviers, comme on dit en français. Cette étoffe 
recouvre les sépultures des défunts , de bonne mémoire, Louis I*' et 
Louis II, rois de Sicile et ducs d'Anjou, joignant l'autel du bien- 
heureux René. Elle est semée de larmes faites de bougran noir et 
enrichie des écussons desdits princes. Elle a grand besoin de répa- 
rations ^. » 

* ■ Item , unuB tnagnus pannus aureus qui solet poni super tumbam régis Ludo- 
vici defnncti eoram altari Sancti RentUi, seminatus losengiis aureis , repletis avibus 
rubeis, et losengiis viridibus munitis floribus, et cum pluribus aureis galice 
esperviers, et stillicidiis de bougraoo ad arma dicti defuncti régis.» (Fol. 89, in- 
ventaire de 1 467.) 

' f Item , unus aiius magnus pannus lugubris aureus , compositus a losenges 
ex panno aureo et sericeo unius coloris, t{iiibus însunt aves nibei ,. flores , et. • • 



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— 273 — 
Par cette dernière phrase, H est facile de voir quelle négligence 
on apportait, au xvi* siècle, dans Tentretien des tapis funèbres de 
notre cathédrale. 

Yolande d'Aragon. 

Cette reine de Naples, duchesse d'Anjou, mourut à Tucé, près 
de Saumur, le 4 novembre i442, et fut inhumée à Saint-Maurice 
d'Angers, près de son mari, et non pas dans Tégiise Saint-Martin, 
comme I avance L'Art de vérifier les dates, édition de 1818. 

La parure de son tombeau était des plus riches; voici en effet ce 
que nous lisons dans l'inventaire de 1467 : 

« Item, une pièce d'étoffe parée de losanges blanches et d'oiSeaux 
de même couleur, puis de losanges rouges pleines dç roses d'or, 
puis encore de losanges vertes remplies de fleurs; le tout orné de 
larmes de velours noir aux armes de la défunte Yolande, reine de 
Sicile ^ ■ 

Ysabeile de Ijorraine. 

Epouse en premières noces de René d'Anjou, Ysabelle mourut 
en 1453. Le tapis que l'on plaçait sur sa sépulture est ainsi décrit 
dans rinventaire de 1467 : 

«Item, une grande pièce tissue d'or sur velours rouge, avec de 
grosses larmes et des bandes de velours noir. Cette étoffe est placée, 
aux grandes fêtes, sur la sépulture de la défunte Ysabelle, reine 
de Sicile ; au milieu 'des gouttes sont plusieurs éciissons aux armes 
de ladicte reine. Cette pièce est sans doublure *. • 

esperviers galtice. qui snpponitur sepulturis deOunctonim bone inemorie Ludo- 
vic! primi et spcundi , Sicilie regum et Andeg. ducum» juxta altari Beati Renati. 
Habetque slillicidia ex bougrano nigro ad arma dictorum principum. Egetque 
grande rcparatione. ■ (Inventaire de i SSg, t. II , fol. d6 verso.] 

^ « Item , unus alius pannus cum pluribus losengiis albis ad aves albas , et losen 
giis rubeîs cum rosis aureis, et losengiis viridibus repletis floribus, et cum stiliici- 
diis de velosio nigro ad arma defuncle Yolandis , regine Siciiie. » (T. I , fol. 89.) 

Les armes d*Yolande étaient celles d'Aragon : (for à quatre pois de gueales. 

* « Unus magnus pannus aureus super velosium rubeum cum magnis stiilici- 
diis et latis de velosio nigro, quod ponitur super sepulturam defuncte Ysabeilis, 
regine Siciiie , in magnis festis , et in dictis stiilicidiis sunt ptura scuta ad arma dicte 
regine, et est dictus pannus sine dupiicatione. » (T. I, fol. 88.) 

ARCnéOLOGIE. 1 8 



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— 274 — 

Il existe une variante de ce texte dans les inventaires de i5o5 et 
de 1 532. Cette variante est ainsi conçue : « et au milieu des gouttes 
ou larmes sont plusieurs écussons aux armes de René, jadis roi 
de Sicile, et aux armes de la reine sa seconde femme (Jeanne de 
Laval). Cette étolTe est doublée de bougran^ » 

L'inventaire de iSSg donne une autre description de la parure 
funèbre de la tombe dTsabelle : 

• Item, une pièce composée de losanges de diverses couleurs; 
dans ces losanges sont des oiseaux, des roses et d'autres fleurs. Cette 
étoffe est, en outre, ornée de larmes de velours noir, aux écussons 
de feue , de bonne mémoire, Ysabelle de Lorraine, reine de Sicile et 
duchesse d'Anjou ^. • 

Rmé d'Anjou et Jeanne de Laval. 

Il eût été surprenant que ce prince, si généreux pour Téglise 
d'Angers, ne lui eût pas fait cadeau de quelque parure funèbre. 
Voici, en effet, ce que nous trouvons dans l'inventaire français du 
19 mars 1099^ •' 

« Item, ung grand parement de drap d'or rouge, tout circuit de 
velours noir, sur lequel velours noir sont en plusieurs endroits les 
armes dudict roy René, lequel donna les parements pour couvrir 
les sépultures des roys , et se faict son service à cette fin ** ■ 

Cet excellent prince méritait bien que l'on entretînt toujours 
propre la parure de son tombeau, mais il n'en a pas été ainsi au 

' Variante : c Et in diclis stillicidiis sunt plura scuta ad arma Henati, quondam 
régis Siccilie, et moderne regine nxoris sue. Et dictus panniis duppliottiir ex bo- 
grano.» (T. I, fol. 33o et 2g3.) 

* «Item, unus pannus compositus a losanges diversonim coiorum in qtiibua 
insunt aves , rose et alii flores, habens sliliicidia exvelosio nigroadanna defluncle 
bone memorie domine Ysabellis Lmhoringip , reginct Sicilie et ducisse Andegavie. » 
(T. II, fol. 46.) 

Les armes d'Ysabelle étaient de Loriraine : d'or à la bande de <faeules, ckar^^ 
de trois aiairions ^argent. 

' T. II, fol. 359. 

^ Voirie même texte dani« leH inventaires de l'an 1606, fol. 3 10; de l'an i643, 
fol. 349. 



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— 275 — 
XYi* siècle, comme le prouve Tarticle suivant reproduit dans les 
inventaires de ibig^ i56i et 1595. 

« Item, un grand parement funèbre tissu d'or sur velours rouge, 
d'où pendent de tout côté des larmes d'un velours noir déchiré et 
usé. Cette étoffe est doublée de toile noire. Tout à Tentour sont les 
armes de feu, de bonne mémoire, le seigneur René, roi de Sicile, 
puis celles dTsabelle de Lorraine et de Jeanne de Laval, succes- 
sivement épouses du même seigneur roi. Cette pièce orne la tombe 
de ces personnes souveraines ^ . » 

Il résulte de ce passage que la sépulture de Jeanne de Laval 
était contiguê à la double tombe de René et dTsabelle, puisque 
la même parure les recouvrait. 

Le privilège de ces tapis funèbres s'étendit à quelques évéques 
d'Angers, notamment à Jean Michel et cela, surtout, parce qu'il fut 
qualifié de bienheureux. Encore est-il vrai de dire que Tétoffe dont 
on couvrit sa tombe, a bien Tair, d'après la description suivante, 
d'avoir été prise ou du moins empruntée aux sépultures de nos 
princes et de nos princesses d'Anjou. 

L'inventaire de i56i, en effet, donne cette indication : • 

< Item, une pièce d'étoffe composée de losanges de diverses cou- 
leurs dans lesquelles sont des oiseaux, des roses et d'autres fleurs, 
le tout orné de larmes faites de toile. Le fond de cette étoffe est en 
mauvais état, ce qui n'empêche pas qu'on le pose sur la tombe de 
feu, de bonne mémoire, Jehan Michel, évéque d'Angers - » 

' « Item , unus latus pannus funebris, aoreus, super velosium coloris nibei, habens 
siillicidia circumquaque , ex velosio nigro consumpto et locenUo, tela nigra dopii- 
catuB, cni insunt io gyro arma defluncti bone memorie d"' Renali, régis Sicilie, 
dominarumque Ysabellis Lothoringie et Johanne Lavalis» conjugnm ejitsdem do- 
mini régis successive, que paratur sepultura eorum principum. » 

Les armes de Jeamie étaient Laval : if or à la crois de gnenks» charge de 
eimq coqmlUs dardent et cantonnée de seize alarions d'azur. 

L'écusson de René se con^osait des armes de Hongrie , Naples , Jérusalem , 
Anjou , Bar, pois d'Aragon sur le tout. 

* « Item , unus alius pannus compositus a losenges diversorum colorwn in quibus 
snnt aves, rose et aiii flores, habens stillicidia tele tantum. Et campus multam 
dilaniatus tamen supponitur tumbe defluncti bone memorie Johann is Michaelis , 
Andegavensis episcopus. > (T. II, fol. 109.) 

Jean Michel vivait au jiv* siècle. 



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— 276 — 

Reste la question industrielle de savoir de quelles contrées pro- 
venaient ces riches parures de tombeaux. Malheureusement nos in- 
ventaires gardent le silence à ce sujet; toutefois, mais à Toccasion 
d'autres ornements, ils mentionnent ça et là les velours de Milan, 
les damas de Gènes, les satins de Florence, les étoffes d'or de Luc- 
ques et d'Alexandrie. Tout porte donc à croire que les parures 
funèbres de nos rois de Naples, ducs d'Anjou, provenaient de 
fabriques italiennes, où les étofles à losanges furent fort en usage 
dans les xiv* et xv* siècles. Ce genre d'ornement losange s'appliqua 
même aux sceaux, ainsi qu'on le peut voir sur celui de Jeanne de 
Naples, petite-fille du roi Robert, et stir celui de Louis II, dur 
d'Anjou, lesquels sceaux ont été publiés par Rufli, dans son Hîs- 
toire des comtes de Provence. 

Terminons en disant que nous avons recherché avec soin cer- 
tains lambeaux des parui^s funèbres de nos ducs, mais que tout a 
disparu et jusqu'au souvenir de cette messe de requiem qui, d'après 
Noël du Fail, était chantée devant le toml)eau de René, sur un mode 
tellement triste qu'elle ne pouvait être entendue sans causer le 
frisson. 



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LE BAS-RELIEF 

DE LA CHAMBRE DU TRÉSOR DE L'HÔTEL JACQUES-COEUR, 
A BOURGES. 

PAR M. HIVER, 

PAÉSIOEHT DE CHAUBAB À LA COOE IMPBBIALE, 

VRkSIDENT DE LA SOCIÉTÉ DES ANTIQUAIRES DO CEHTHB , 

OPFlClBn DB L'IHSTBUCTION PUBLIQUE. 



Jamais on n'a moins qu'aujourd'hui écrit l'histoire sur la parole 
d'autrui ; jamais l'étude des souix^es n'a été plus consciencieuse et 
les efforts n'ont été plus grands de la part des auteurs sérieux pour 
reproduire au vrai une époque ou un règne, non pas seulement 
dans ses généralités, mais encore dans la partie anecdotique et fa- 
milière et dans les détails qui donnent aux faits la couleur et la vie 
et, sous une plume habile, sont comme ces tableaux de genre, ces 
charmants intérieurs flamands qui, dans une galerie, reposent 
tles grandes scènes politiques. 

De là une école historique aussi sure qu'attrayante quand elle 
ne s'abandonne pas , et que le pittoresque n'exclut pas le point de 
vue philosophique et d'ensemble; de là ces histoires locales com- 
posées avec une patience bénédictine et écrites avec plus d'art; de 
là ces monographies si complètes dont on ne saurait tix)p honorer 
les auteurs. Mais quel qu'ait été le labeur, quelque attentif et sévère 
qu'habituellement on se montre , alors que non-seulement chaque 
assertion, mais souvent une ligne ou un mot exige une vérifica- 
tion et une recherche, il est impossible qu'il n'arrive pas d'admettre, 
en passant et sans autrement la contrôler, une opinion reçue , surtout 
lorsqu'il s'agit d'une simple anecdote et qu'il y a comme une tradi- 
tion. 

C'est ainsi qu'à propos du bas-relief de la chambre du Trésor de 
rhôtel J«cques-Cœur, bas-relief gravé partout et dont tout le monde 



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— 278 — 
s'est occupé, a pris pied dans les écrits les plus sérieux une expli- 
cation non réfléchie, au fond de laquelle il n^y a qu^un conte passé 
de main en main et répété aux visiteurs depuis quarante ans avec 
un sérieux imperturbable. 

C'était M. Hazé, peintre, conservateur des monuments du dé- 
partement du Cher, qui semblait Tavoir recueillie de première 
main, et, plus artiste qu'érudit, lui avait donné cours dans les No- 
tices pittoresques sur les antiquités et les monuments du Berry, par lui 
publiées en i834 *, où trente excellentes planches donnent la mo- 
nographie architecturale de Thôtel Jacques-Cœur, monographie que 
nul depuis n'a entreprise et qu'il ne faudrait que compléter, mais 
dans laquelle les appréciations sont moins sûres que les dessins. 

La planche XXXVII , réduite sur bois pour les volumes de MM. Clé- 
ment et Vallet de Viri ville et pour le mémoire de M. Ubicini, repro- 
duit fidèlement le bas-relief soi-disant mystérieux de la chambre 
voûtée du troisième étage de la grosse tour ou tour de la Chaussée, 
appelée la chambre du Trésor, ou des angelots, plutôt du nom de la 
monnaie d'or la plus répandue^ que des têtes d'anges qui y sont 
sculptées. En effet sur les huit culots ou corbelets supportant les 
nervures de la voûte, trois seulement représentent des anges : l'un 
entre la porte et la fenêtre sud, ayant un collier et une couronne 
de pierreries et développant un large phylactère ', et deux à droite 
et derrière la porte, tenant comme ceux de la chapelle, chacun un 
écu , l'un aux armes de Jacques Cœur, et le premier parti des mêmes 
armes et de celles de Macé de Léodepart ^. Plus loin, vers la fenêtre 
nord, est un corbelet sans sculpture, et celui au-dessus de cette 
fenêtre représente un homme tenant une lanterne; enfin sur les cor- 
belets aux angles de la cheminée sont sculptées deux petites figures 

' Bourges, Jusi Bernard, i83dt in-quarto non achevé, dont les exemplaires 
les plus complets ont 60 pages de texte et 60 planches. 

* Traité des monnaies de Leblanc, p. 297. 

' Ce phylactère a été lavé vainement par M. Vallet de Virivillc, dans l'espoir 
de trouver de l'écriture sous la couche de chaux; nous précisons d'ailleurs la 
disposition intérieure de la chambre du Trésor, à raison des erreurs de détail aux- 
quelles a conduit le texte peu clair de M. Hazé. 

* Voir la planche XXV II de Haié, n"' 3 el /|. 



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— 279 — 
grotesques 9 Tune jouant de b guitare et l'autre tenant le phylactère, 
sur lequel M. Vallet de Viriville a dédnflBré les mots : Joan Joan; 
et c est en iîice de cette cheminée , en quelque sorte à la place d'hon- 
neur, que se développe, évidé, reibuillé et détaché du mur avec un 
grand art, le ba»-relief qui a tant oecupé la critique. 

Bien que de plus autorisés que nous se soient attachés à le dé- 
crire, nous essayons de le fiiire de nouveau , en évitant tout ce qui 
serait conjecture ou supposition. La scène est dans un bosquet, 
marqué par trois grands arbres et divers arbrisseaux, ou, si Ton 
aime mieux, dans un verger, car Tarbre sur lequel perche Toi- 
seau est un pommier, chargé de fruits; et, s'il est besoin de déter- 
miner quel est cet oiseau, sa tète grosse et ronde indique plutôt 
une chouette qu'un coucou. Au pied de l'arbre du milieu, entre 
les branches duquel apparaît , entre deux phylactères , une tête ceinte 
d'une couronne, barbue, âgée, attentive, est un bassin dans lequel 
se refléterait cette tète, suivant le dessin de M. Hazé, détail que la 
couche de chaux qui empâte la pierre ne permet plus de vérifier. 
 droite de ce bassin est mollement assise, sur un tapis étendu sur 
le gazon, une jeune femme vêtue d'une robe très^mple garnie de 
fourrures, ayant un riche collier de pierreries et portant la main à 
son chapd ou bonnet, lequel est rond, peu élevé et bordé par le 
bas d'un cercle ou diadème de pierreries. De l'autre côté du bassin 
s'avançait discrètement vers elle un homme jeupe, vêtu d'un sur- 
tout ou chape, garni de fourrure, avec un riche baudrier par- 
dessus, lequel avait la main droite posée sur le cœur et de la gauche 
montrait le bassin. Enfin, derrière ce personnage, un fou ou un 
bouffon, tenant sa marotte, regarde d'un air narquois, tout en at- 
trapant des mouches sur le tronc du ponmiier, qui le cache en 
partie. 

Pour M. Hazé, le damoiseau qui s'avance discrètement, c'est 
Jacques Cœur en grand costume, le surtout bordé de menu vair 
et la dague au coté ; il montre du doigt la tête couronnée se reflé- 
tant dans le bas^n de la fontaine à la jeune femme au costume de 
cour, qui, dans une attitude assez négligée, parait attendre, et la 
physionomie de la tête qui apparaît dans les branches de l'arbre 
révèle l'attention et Tinquiélude. « Comment, poursuit M. Hazé, ex- 



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— 280 — 
pliquer ce randez-vous de Jacquet Cœur avec une femme de haut 
lignage , cette téte^ ce témoin royal , piacé là dans le chêne P Aurait 
on vouki faire allusion aux griefs imputés à Jacques Cœur au sujet 
de la belle Agnès? Cela n'était pas probable, cela eût été très-im- 
prudent; enfin plusieurs personnes avaient renoncé à deviner cette 
énigme ^. » Quoi qu'il en soit, malgré ces précautions de langage, le 
sujet du bas-relief était bien , pour M. Hazé, Charles VII épiant son 
célèbre ai^ntier et la belle Agnès, et un peu plus loin nous verrons 
à la suite de qui il le disait. Mais quand il ajoutait qu'on avait pu 
faire allusion aux griefs imputés à Jacques Cœur à Tégard de la 
maîtresse du roi, il tombait dans une lourde méprise : car jusque-là 
ce dont on l'avait accusé, ce n'était pas d'avoir été l'amant d'Agnès, 
mais de l'avoir empoisonnée. 

M. de Raynal ne pouvait partager une telle erreur; aussi, si dans 
son histoire publiée dix ans après il répétait l'explication d'Hazé, 
en même temps il ajoutait : «Quel est le sens de cette étrange sculp- 
ture.^ N'est-elle que le caprice d'un artiste? Fait-elle allusion à 
quelque événement de la vie de Jacques Cœur dont l'histoire ne 
nous a pas conservé le secret ? C'est ce qu'on ne saura probable- 
ment jamais^. » 

Le mystère ainsi admis , il fallait que tout concourût à le prouver, 
que tout prit une teinte mystérieuse. M. Hazé rappelait donc qu'une 
porte de fer et la curieuse serrure dont il donnait le dessin fer- 
maient la chambre qui i^ecélait le bas-relief; il n'avait été décou- 
vert que lorsqu'on avait détruit une armoire immense, derrière la- 
quelle il était caché, > et cette armoire, ajoutait^il , était là dépuis la 
. construction de la salle : car le carrelage de cette salle est à com- 
partiments faits à l'aide de plusieurs grandeurs de carreaux ; mais 
sous l'armoire il est tout simplement posé par rangées. » Plus loin 
on lisait encore : « Comment expliquer l'existence de cette armoire , 
qui était placée devant la sculpture dès l'origine, puisque le car- 
relage était tout uni sous ce meuble et à compartiments dans le 
reste de la salle ? Mais alors à quoi bon faire une pareille chose 
pour la cacher?» 

' Notices pUlorestjucs, p. 36 et Sy. 
■ Histoire du Berty, t. JII , p. 71. 



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— 281 — 

Ei, entraîné par la précision de ces détails et leur apparente 
vérité, M. Vallet de Viriville répondait à cette objection en disant : 
« L armoire on cofire-fort avait été adaptée k cette place dès Ton* 
gine, de telle manière vraisemblablooient que le bas-relief devait 
être masqué ou découvert à volonté. » 

Enfin il semblait acquis qu il en était de cette sculpture comme 
des sujets libres que recèlent les doubles fonds des tabatières du 
siècle dernier. 

Or dans tout cela il n'y avait qu'imagination et que rêve : il 
suffisait de monter au Trésor pour constater que le carrelage avait 
été r^ré et refait grossièrement dans toute la pièce, là avec le 
petit carreau ancien de 1 1 centimètres, et ailleurs, mab précisé- 
ment sous les armoires et à leurs abords, avec le carreau actuel 
de 16 centimètres^, d'où il suivait que le tout, armoires comme 
carrelage, était relativement moderne. Si, en même temps, on 
avait pris la peine de questionner le vieux portier qui pendant 
soixante ans a tenu les clefs de Jacques-Cœur ^ on aurait su que 
ces corps d'armoires , qui s'étendaient de la porte à la fenêtre nord , 
i^nfermaient les archives de l'échevinage, qu'elles semblaient dès 
lors n'avoir été cohstruites que depuis l'achat de l'hôtd par la ville , 
et qu'elles cachaient entièrement non-seulement le bas-relief, mais 
encore le corbelet voisin aux armes de Jacques Cœur, lequel n^avait 
rien de mystérieux, et que tous deux étaient masqués, à l'intérieur 
des armoires, non par des panneaux mobiles, mais par des hottes 
en menuiserie, disposition qu'attestaient les échancrures des fonds 
^encore sur place. 

« Mais, ajoutait le semteur de père en fils de la mairie deBoui^es, 
mon père savait et m'avait dit que, derrière les armoires, il y avait 
une sculpture qui représentait Charies VII épiant Agnès Sorel, et 
quand , après leur destruction , opérée dix-huit mois au moins avant 
la prise de possession définitive par la cour d'appel , en novembre 

• 

* La salle donnant sur la galerie située dans la tour de la Gliaussêe, À l'étage 

au-dessus du Trésor, présente un spécimen du carrelage primitif. 

* Jean -Louis Loiseau, né à Jacques-Cœur en 1779, fils de François Loiseau, 
portier de riiôlel, et lui-même portier ou concierge après son père, de 180^ à 
1 865 , époque k laquelle l'État a pris possession de l'hôtel. 



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. — Î82 — 
iSaa^j avais à faire viaiter le Trésor à des étrangers, je répétais 
d'après mon père, en montrant le bas-relief , que c'était Gkarles Vil 
épiant Agnès Sorei. » Ainsi cette leçon était passée du ceocierge de 
la ville aux concierges de la cour, et de ceux^i à M. Hazé, qui 
s'était approprié en Tamplifiant un peu, mais sans mot dire, Tex* 
plication des ces honnêtes cicérone. 

Ceux-ci ne Tavaient-iis pas donnée à un voyageur non vulgaire, 
M. Mérimée, ou plutôt ce spirituel érudit Tavait-il dès lors dé- 
daignée? Quoi qu'il en soit, il n'en est point fait mentiou dans le 
rapport élégant qui a tant contribué à remettre Jacques-Cœur en 
honneur, et particulièirement son admirable chapelle et les fres- 
ques si remarquables qui la décorent» « L'arti^, dit M. Mérimée, 
a w joindre à un dessin toujours correct, souvent d'une pureté 
singulière, une si g^rande variété de types et d'expressions, qu'on 
serait tenté de prendre cette multitude de têtes d'anges pour au- 
tant de portraits de beaux enfants ^ » Nous venons de maltraiter 
M. Hazé; ajoutons, pour être impartial, que les dessins par lui 
donnés de ces fresques sont aussi ccurrects et aussi purs que les ori- 
ginaux. 

La voie ouverte par M. Mérimée a été suivie par M. Pierre 
Clément; la description artistique de l'hôtel du célèbre argen- 
tier occupe une place notable dans son Etade êar /ocf uei Ccmr et 
Charles VIP. Quant aux bas-reliefs, M. Clément suit M. Hazé, 
ajoutant seulement cette appréciation nouvelle, que l'oiseau perché 
au sommet du pommier était un coucou; toutefois il dit en note : 
« En admettant que Jacques Cœur fût le héros de la scène et que 
la tête couronnée placée d^s l'arbre fût celle du roi, quelle était 
cette femme aussi couronnée P Etait-ce la reine ou une princesse 
du sang, ou tout simplen^ent Agnès Sorel? Si cette sculpture a 
une signification historique, il y a là un mystère qui ne sera pro- 
bablement jamais éclairci. 

« Quoi qu'il en soit , si cette scène se rattache à Jacques Cœur, il est 
très-probable que c'est son fils Geoffroy Cœur qui aura fait sculpter, 

* Notei d'un voyage en Auvergne, extrait d'un rapport adressé à M. ie ministre 
àt rintérieur eu i838. 

• Première édition, Paris, i853, deux volumes in-8". 



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— 283 — 
sous ie règne de Louis XI , dont il devint l'échanson, ce souvenir de 
{^imprudence ou de la faute paternelle. » 

Disons en passant que cette supposition est impossible ; Louis XI 
était un roi, et bien qu'il se fût révolté contre son père et qu'il eât 
peut-être désiré sa mort, il n'aurait pas souffert qu'on eût ridi- 
culisé la royauté en la personne de son prédécesseur. 

M. Ubidni, dans un mémoire lu à la Société du Berry\ s^esi 
aussi occupé du bas-relief; sans remonter aux sources, il en prend 
la description dans un c<»iipilateur qui l'avait lui-même textuelle- 
ment empruntée à M. Clément, mais le coucou vu par ce dernier 
lui semble un détail caractéristique. « Il complétait, dit-il, l'allégorie. 

Les rois maiaisémeiit souffrent qu'on ieur résiste; 

ils souffrent encore moins qu'on marche sur leurs brisées, et le 
prudent Jacques Cœur, de même que le présomptueux Fouquet, 
Tavait appris à ses dépens. » 

Hâtons-nousd'arriveràrHùtoûvsavante et complète de Charleê VII 
par M. Vallet de Virivîlle» Là encore la description du bas^relief, 
sauf quelques variantes, est la même que partout; mais l'auteur 
arrive à une interprétation nouvelle : « Pour nous, dit-il, dans ce 
roi nous croyons reconnaître avec certitude Charies VU; dans la 
dame, Agnès Sorel; dans le prince follement conseillé, Louis 
dauphin, qui, en revenant de l'expédition d'Armagnac, avait fait 
sa cour à la maîtresse du roi, et l'erreur générale avait été d'avoir 
pris le jeune prince pour Jacques Cœur, qui, en i4ôo, avançait 
vers la soixantaine. Quant à la signiGcation plus étroite des faits 
représentés, nous ne tenterons même pas de la préciser davantage. 
Nous ajouterons que, selon toute apparence, Jacques Ckfiur lui- 
même, en se permettant de faire sculpter dans sa demeure une 
pareille allégorie, a voulu soigneusement lui retirer du moins le 
caractère de l'évidence ou d'une téméraire personnalité; ainsi on 
remarquera le style impersonnel des figures ^. » 

> Compte renda de 1859*1860, p. a3i. 

^ Hisloire de Charles VII, Paris, veuve Reuouaixi, i865, t. HI. p. 282. 



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— 284 — 

Mais , nous en ferons juge llionorable M. Vailet de Viri ville , est-ce 
qu'une semblable allégorie ^ même discrète dans son expression, 
li'était pas de la plus grande témérité? Non-seulement c'était s'ap- 
proprier Toutrage fait au prince, mais le porter à sa dernière limite 
que de l'éterniser ainsi sur la pierre; d'ailleurs, pour qu'une allu- 
sion ou une all^rie soit piquante ou ait même sa raison d'être , 
il faut qu'elle ne fasse que voiler quelque chose de connu et de 
notoire. Or nulle part n'apparaît le moindre indice, le moindre 
soupçon d'une intrigue entre le Dauphin et la maîtresse de son 
père, et cependant il n'y a pas de vie de roi plus à jour que celle 
de Louis XI. L'évéque de Lisieux Bazin n'a pour ainsi dire écrit 
qu'en haine de sa mémoire; il censure les mœurs de Charles VII, 
il attaque cruellement Agnès : Nec ipsa eum solam, dit-il ; mais il 
ne parle pas du (ils, il ne parle pas non plus de Jacques Cœur, et 
il n'y a pas plus de prétexte historique pour imaginer une allusion 
à l'un plutôt qu'à l'autre. Enfin à priori il serait impossible d'ad- 
mettre qu'une semblable sculpture n'ait été exécutée que pour être 
tenue cachée; au contraire, placée en pleine vue, se développant 
sur un corbelet saillant, à la place d'honneur, conoime on l'a dit, 
elle était le principal ornement du Trésor, pièce d'ailleurs la plus 
décorée de l'hôtel après la chapelle, et si à une époque postérieure 
elle avait été masquée, c'était par une raison connue. 

Mais quand un homme de l'érudition de M. Vallet de Viriville 
n'arrive pas à la solution d'une question, il en approche et il laisse 
entrevoir la vérité : ainsi ce savant a signalé avec raison l'imperson- 
nalité des figures résultant non-seulement de la barbe donnée au 
roi, mais encore de 1^^ coiffure de la jeune femme, qui n'est pas 
celle du temps ; et il aurait pu ajouter que les deux phylactères de 
l'arbre semblaient attendre des noms, ou destinés à une légende 
explicative. 

Il fallait voir aussi que la sculpture pour décorer la maison du 
riche bourgeois avait dû se frayer une voie nouvelle; là les sujets 
de l'Ecriture ou de la légende, dans lesquels les artistes du temps 
excellaient, n'étaient point de mise ; ils durent en chercher d'autres, 
et ils crurent qu'ils ne pouvaient mieux faii^ que de représenter 
les gens du logis sous des aspects familiers ; mais évidenmient Ils 



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— 285 — 
emprantèreni aussi des personnages et des scènes aux vieux lx^ 
mans qui, contés, étaient alors la distraction de tous les foyers. De 
là beaucoup de figures non encore expliquées, de là ce prétendu 
tournoi burlesque pris quelque part, et la conclusion nécessaire 
à tous points de vue que le bas-relief du Trésor représentait non 
des individualités historiques , mais des personnages fictifs et de 
ix>man. 

Toutefois rhonneur de cette réflexion appartient à M. Eugène 
de Robillard de Beaurepaire, Tun des fervents adeptes de Tarchéo- 
logie normande. Envoyé à Bourges comme substitut de M. le pro- 
cureur général , il avait subi , comme tous les arrivants, l'explication 
du concieiçe; mais, le Trésor servant de secrétariat au parquet, il 
avait journellement sous les yeux le bas-relief mystérieux ; plus 
il le voyait , plus il répugnait à admettre Texplication traditionnelle , 
et il arrivait finalement à la conclusion, certaine pour lui, mais 
qui restait à démontrer, que ce bas-relief ne s'appliquait qu'à une 
scène de fabliau ou de roman. 

Malheureusement la connaissance approfondie de cette partie de 
notre littérature, difficile par la rareté des livres, et effrayanle par 
leur longueur quand on a sous la main ces rares volumes, n'appar- 
tient qu a un petit nombre d adeptes. Ainsi M. VioHet le Duc, dans 
son Dictionnaire raisonné de l'architecture française du xi* au 
xvi* siècle', après avoir suivi M. Hazé, ajoutait : «Nous ne con- 
naissons pas de fabliau , de conte ou de roman qui puisse expli- 
quer cette curieuse aventure. » Mais parmi les savants consommés 
dans cette étude, nous avions fhonneur de connaître Tun des plus 
éminents, M. Paulin Paris, membre de flnstitut, et nous savions 
par expérience avec quelle gracieuse obligeance il faisait part de 
son érudition exceptionnelle. 

De là une prière de notre part, et cette lettre qu'il suffit de 
transcrire pour mettre fin à une longue équivoque ; 

« Je crois parfaitement justifiés les doutes que vous voulez bien 
m'exprimer sur le sens du bas- relief gravé dans l'ouvrage de M. Pierre 
Clément. On ne comprend pas comment on a pu se méprendre au 

• Voir CUL-DE-LAMPE, t. IV, p. 5o3. 



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— 286 — 
point d'y voir un témoignage des relatioas crimin^es qui probable^ 
ment n'ont jamais existé entre Agnès Sorel et Jacques Cœur; une 
explication toute naturelle semblait se présenter d'elle-même^ et 
ta voici : 

« C'est une des scènes les plus agréables du beau roman de TrUian ; 
on la trouve dans le roman en prose, on la trouve dans les frag- 
ments poétiques publiés par M. Francisque Michel. 

« Tristan et Iseult comprennent la nécessitéde se séparer, au moins 
en apparence « pour tromper les soupçons du roi Marc. Alors Bran- 
gien , la meschine ou confidente de la reine Iseult^ propose à Tristan 
cet expédient : « Quand vous croirez l'occasion favorable, vous taillerez 
« dans le tronc d'un olivier des planches ou tablettes sur leaqudles 
« vous tracerez un T d'un côté, un I de l'autre; vous entrerez au 
« veiger qui touche à la chambre de la reine ; vous jetterez la tablette 
« dans le courant qui coule à la porte de la chambre de la reine; 
« quand nous l'apercevrons, la reine saura que vous êtes là et se 
« disposera à vous rejoindre. > 

« Tristan fait ce qui lui est indiqué ; il jette la tablette dans le 
courant; Iseult l'attend, étendue sur un tapis qu'on a jeté sur la 
verdure; mais, en approchant d'elle, Tristan voit se projeter deux 
ombres humaines, l'une partant du haut d'un arbre, l'autre un peu 
plus éloignée : c'est l'ombre du roi Marc, qui a é.té prévenu de 
l'entrevue par le méchant bossu du roi , le nain Andrain ou Fircon. 
Alors, au lieu de parler d'amour, Tristan se plaint a Iseult des in- 
justes soupçons que le roi Marc a accueillis et que son méchant 
nain a entretenus; qu'on ne peut l'aimer plus qu'ils ne le font tous 
deux, la reine comme son époux, et lui comme son oncle; si bien 
que le roi, convaincu de leur innocence, les conjure le lendemain 
de se voir plus souvent que jamais et de demeurer les meilleurs 
amis du mondée 

« Telle est évidemment, à nos yeux, la scène représentée dans le 

^ Les fragments de poésie sur Tristan recueillis par M. Francisque Michel 
commencent précisément par un fragment de cet épisode , et dans les notes i'àu- 
tciir a placé le récit de l'aventure» extrait du roman en prose. (Voyex Tristan, etc. 
par Francisque Michel; Londres, G. Pickering.et Paris, Techener, i835-i8S7, 
3 vol. petit in-8*.) 



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— 287 — 
bas-relief de Boui^es : le nain est caché derrière un arbre, le roi 
est au haut du feuillage d*un arbre plus rapproché; voici la fon- 
taine, le courant, la tablette sur laquelle est tracée la lettre TM 
voici la reine, voici Tristan; il n'est aucunement question de cou> 
cou : c est un oiseau sur la branche, une chouette, pour annoncer 
que la scène se passe la nuit. Rien n*est plus clair que le sens de 
cette représentation pour ceux qui connaissent le beau roman de 
Tristan. Si Tartiste avait reproduit un sujet de la mythologie grecque 
ou égyptienne, il y a longtemps que nos antiquaires Tauraient ex- 
pliqué; mais comme Tartiste du moyen âge avait eu le tort de s'en 
prendre à un roman français, à une scène de notre ancienne poésie 
française , tout le monde s'y est mépris , parce que ces choses-là sont 
devenues de l'hébreu et plus que de l'hébreu pour nous. » 

Nous n'avons rien à ajouter à ces explications , qui , suivant nous , 
ferment le débat et auxquelles notre travail a servi d'introduction. 

' Le bois gravé pour l'ouvrage de M. Clément laisse effectivement voir un T 
au milieu du bassin ; mais nous avons dit plus baut que la couche épaisse de chaux 
qui empâte la pierre ne permet pas de juger sûrement si c'est la lettre T ou 
l'ombre du roi qui est sculptée au milieu du bassin. 



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L'EMPEREUR CHARLES-QUINT 
ET SA STATUE 

A BESANÇON, 

PAR M. AUGUSTE CASTAN, 

SKCRéTAIRB DK LA SOClM D'ÉHULATrON DTl VOVBS , 
CORRSSPOIIDAHT DU HIRISTÂM DB I.^IHSmiCTf01l 1»l)Bt.IQ|)B. 



Tant que la province qui s'appela successivement Séquanîe, 
Haute-Bourgogne et Franche-Comté, fit partie d'une nation forte- 
ment constituée, la ville de Besancon, qui en était le centre géogra- 
phique et le groupe de population le plus considérable, y cumula 
les titres de capitale politique et de capitale religieuse. Mais du 
jour où, par suite du morcellement féodal, la Haute -Bourgogne 
isola ses destinées de la nation celto-franque pour devenir la pro- 
priété de dynastes qui se rattachaient, par les liens si élastiques de 
la féodalité, à Tempire germanique, les archevêques de Besançon 
n'eurent pas de peine à accaparer las ouveraine puissance dans leur 
ville métropolitaine et à obliger les comtes, leurs rivaux, à créer 
une autre capitale politique du pays. 

Durant le règne absolu du système féodal, les empereurs eurent 
intérêt à recevoir séparément Thommage de l'ancienne métropole, 
où vivaient encore les traditions du municipe gallo-romain, et celui 
des bourgs et campagnes, qui se gouvernaient suivant les principes 
issus de la conquête germanique. Par là s'explique l'appui que prê- 
tèrent aux archevêques les empereurs du xiii" siècle, pour écraser 
les tentatives qui, sous le nom de commune, devaient aboutir à 
l'organisation d'un gouvernement civil à Besançon. Mais lorsque le 
temps, ce grand médiateur des discordes de ce monde, eut dissous 
les ferments d'antagonisme entre les habitants d'origine diverse 

ARGIlÉOLOGIfi. 1 9 



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— 290 — 
qui peuplaient le même sol, Tidée de fusionnement national germa 
dans la lête des principaux monarques de TEurope. Les petits 
souverains, ceux de Tordre clérical particulièrement, durent s'in- 
surger contre ces projets d'unification; les communes, au contraire, 
qui ne pouvaient qu'y gagner, s'y associèrent : elles obtinrent de 
.cette façon leur i^connaissance officielle et un protectorat puissant 
contre leurs adversaires, mais non gênant pour elles, puisqu'il 
s'exerçait de loin et qu elles pouvaient régler à leur gré l'usage des 
sentences qui en découlaient. Ce fut ainsi que la concunune de Be- 
sançon, disputant pied à pied le terrain aux archevêques et reti- 
rant successivement à elle tous les éléments du pouvoir, finit par 
constituer un petit État, analogue comme organisation aux répu- 
bliques italiennes et aux villes libres allemandes ^. 

Cette indépendance de la princi|>ale place de guerre du pays, la 
seule capable de tenir en échec une armée, portait ombrage à la 
vanité et atteinte à la puissance des comtes de Bourgogne : aussi 
mirent-ils tout en œuvre pour y avoir accès. A chaque menace d'in- 
vasion qui survenait au dehors, comme à chacun des troubles inté- 
rieurs qui sont le lot de toute démocratie, on les voyait accourir 
pour prêter main-forte à la commune ou aider ses magistrats à y 
rétablir la paix. Mais ces services n'étaient point désintéressés, et 
leur usage ne tarda pas à créer un droit. Par un traité du 2 4 mai 
i386, le comte-duc Philippe le Hardi fut déclaré gardien de la 
ville, et; à ce titre, se fit constituer une redevance annuelle de 
5oo francs sur la caisse communale. Philippe le Bon, son fils, alla 
plus loin encore : profitant d'une insurrection de la plèbe contre la 
iK)urgeoisie, il obtint, en échange de son intervention et par un 
traité du lo septembre i45i, la moitié des gabelles et des amendes 
de la cité, ainsi que la faculté d'avoir en permanence un juge et 
nn capitaine qui siégeaient dans le conseil de la commune toutes les 
fois qu'on y instruisait des procès ou qu'on y agitait des questions 
militaires^. 

* Voir nos Origines de la commane de Besançon, dans les Mémoires de la Société 
d'émulatiomda Douhs, 3' série, t. II , i858, p. i83 à 383. 

' Ed. Clerc, Essai sur Vltisîoire de la Franche-Comié, i. Il y p. ao8-2io, 475- 
^85. 



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— 291 — 

Besançon eut à compter dès lors avec trois puissances, qui au- 
raient été fort dangereuses j>our son indépendance, si la rivalité ne 
les eût pas amoindries : c'étaient d^abord les empereurs, qui pou- 
vaient étendre ou restreindre à volonté les privilèges de la com- 
jnune; puis les comtes de Bourgogne, qui, à la moindre querelle, 
coupaient les vivres aux citoyens, en interdisant les marchés de la 
grande ville aux habitants du reste de la contrée; c'étaient enfin 
les archevêques, qui se prétendaient toujours seigneurs de Besançon 
et usaient fréquemment des foudres ecclésiastiques pour défendre 
les vestiges de leur ancienne splendeur. Ce qu'il fallut d'abnégation, 
d'énergie et de dextérité pour cheminer entre d'aussi redoutables 
adversaires, et les neutraliser en opposant les unes aux autres leurs 
prétentions concurrentes, nos héroïques prud'hommes auraient pu 
seuls le dire. 

Cet état de luttes permanentes, qui absorba pendant trois siècles 
les ressources morales et matérielles de la commune, ne cessa 
qu'avec l'avènement de Charles-Quint. 



Entre tous les États que ce monarque réunit sous son sceptre, 
et dont l'assemblage dépassa les proportions de l'orapire de Charle- 
magne, rien ne lui fut plus cher que les anciennes possessions de 
la maison de Bourgogne. C'était là qu'il était né, qu'il avait été 
élevé par sa tante et bonne mère, Marguerite d'Autriche, dont le 
tendre cœur était régi par une tête de profond diplomate et inspiré 
par une imagination d'artiste. « Ne criez pas iVbë// avait-elle dit aux 
populatiiMis qui acclamaient son début dans la vie politique, mais 
bien: Vive Bourgogne^ \ ■ Et au moment de quitter ce monde, elle 
priait et suppliait l'empereur, son neveu, de garder, tant qu'il 
vivrait, la Franche -Comté, «pour non abolir, disait-elle, le nom 
de la maison de Bourgoîngne^. » 

Charles- Quint demeura fidèle à cette tradition de famille. I^a 

* Le Glay, Notice sar Marguerite â! Aatriclt» , à la suite de la Correspondance de 
ï empereur MaximiUen i^^ t. II, p. iii5. 

* Codicille ajouté au testament de Marguerite d'Autriche , le 28 novembre 1 53o, 
publié à la ftuite de V Histoire de Nglise de Brou, par M. J* Baux, p. io4. 



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— 292 — 
nature des Franc- Comtois convenait d'ailleurs à son esprit, qui 
était plus judicieux et ferme que vif et brillant'. C était de chez 
eux que sa tante avait tiré ses plus sages conseillers; il ne crut lui- 
même pouvoir puiser à meilleure source, et Ton vit les Granvelle 
parvenir à la suite des Carondelet, puis ouvrir la carrière aux Ri- 
chardot et aux Antoine Brun 2. 

De même que l'empereur Maximilien , son aïeul, Charles-Quint 
regardait Besançon comme « la retraicte de tous les gens du conté 
en cas d'éminant péril ^, ■ et il prévoyait bien que ce cas devait 
être amené plus d'une fois par les orages de Ta venir. Depuis le jour 
où la France avait retrouvé le sentiment de son unité nationale, le 
comté de Bourgogne, qui parlait sa langue et rentrait dans ses fron- 
tières naturelles, lui semblait une conquête légitime à réaliser. 
Deux fois déjà, sous Philippe le Bel et sous Louis XI, elle avait pu 
temporairement s'en saisir. Mais en attendant que la valeur de 
ses armes et l'habileté de ses diplomates eussent donné raison à sa 
convoitise, la pauvre province, aussi éloignée de ses maîtres que 
facilement accessible pour leurs rivaux, allait forcément devenir 
la première victime de toute coalition contre la maison d'Autriche. 
On comprend dès lors que Charles-Quint, qui tenait à perpétuer le 
nom de Bourgc^e dans sa descendance, ait été touché par cette 
perspective navrante, et se soit efforcé d'assurer au comté de Bour- 
gogne tous les cléments de résistance que comportait sa triste si- 
tuation. 

Le point délicat de cette entreprise était de lier étroitement l'une 
à l'autre la province de Franche-Comté et la république de Besançon , 
afin qu'au jour du danger il y eût concordance d'action entre le 
gouvernement du pays et celui de sa principale place de guerre. 
L'empereur Maximilien avait déjà jeté le» amorces de cet arran- 
gement. Il s'était attaché le corps municipal en détruisant à son 
profit le dernier reste du droit d'asile qu'avaient possédé autrefois 

* Mignet, Rivalité de François jT et de CJiarles-Quint , dans la Revue des Deux- 
Mondes, numéro du 1 5 mars 1867, p. 4a6. 

* Gh. Weiss, Notice préliminaire des Papiers it État da cardinal de Granvelle. 

^ Correspondance de l'empereur Maximilien f^ et de Marguerite d^Àutncke, sa 
fille, édition ie Glay ; )eUre du 7 nov. 1 5 1 3« t. II , p. 2 1 5. 



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— 293 — 
toutes les églises ^ et en appliquant presque constamment aux for- 
tifications de la cité la prestation annuelle que celle-ci lui devait 
'comme gardien : aussi, dans ses lettres à sa fille Marguerite, appe- 
lait-il les Bisontins ■ nos bons subgectz et désirans Taugmentacion 
et accomplissement de nostre maison de Bourgoingne, conmie se 
originelement ilz en estoient yssuz ^. » 

Ces assurances sentimentales ne satisfaisaient point Tesprit pra- 
tique de Charles-Quint; il aurait voulu des garanties plus formelles 
pour le présent et plus certaines pour Tavenir. C'est dans ce but 
qu'il avait imaginé, en i52 1, de créer un vicaire impérial dans le 
comté de Bourgogne et de fixer à Besançon le siège de ce gouver- 
nement supérieur, t moyennant lequel, envoyait-il dire aux Bison- 
tins, le conté de Boui^ingne vous pourra mieulx secourir en voz 
affaires et nécessitez, et en serez plus fortifiiez, avec ce que les 
gens de bien dudit conté, pour la pluspart, se habiteront audit 
Besançon, dont la cité sera grandement méliorée et par succession 
de temps pourra venir en grande prospérité, estans ainsi joinctz et 
conformes avec ceulx de nostredit conté, et demeurant nostredite 
cité en tous ses privilèges , libertez , franchises et bonnes exemptions , 
et aussi Tauctorité et supériorité de nostre sainct-empire réservées 
comme il appartient; de sorte que ledit vicariat bien veu et entendu 
redonde entièrement à vostre grand avantaige, seurté et préserva- 
tion, conune ceulx que tenons et réputons estre et avoir esté, de 
toute ancienneté, noz bons et loyaulx subgectz et servteurs^. » 

^ Diplôme de Maximilien I*' abolissant , au profit de la juridiction municipale , 
le privilège de l'asile que le quartier de l'abbaye Saint-Paul offrait aux malfaiteurs. 
Anvers, ad février i5o3. (Archives de la ville de Besançon.) 

' Lettre de Maximilien citée plus haut. 

^ Lettre de Charles-Quint aux gouverneurs de Besançon, Bruxelles, 27 juin 
1 53 1 , dans les archives de cette ville. — Le dernier paragraphe de cette dépêche 
exprime d'une façon très-nette la préoccupation qui domina les rapports de Charles- 
Quint avec notre commune : «... Au surplus, continue le monarque, madame 
nostre bonne tante nous a dit les bonnes assistances et plésii^ que faictes jour- 
nellement à ceulx dudit conté , dont nous vous sçavons bon grey, et voulons que 
persévérez en vous aydant les ungs aia aultres, actendu que c'est pour vostre 
commung bien; et tout ce que en ferez, restimeroos estre fait à iious-masmes. 
Si n'y fairlrs fanlte. ■ 



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— 294 — 

Tout doré qu'il était, ce langage ne séduisit pas la commune de 
Besançon; elle savait par une Imigue expérience que rien n'est 
fatal à l'indépendance des {)etits États comme l'immixtion perma* 
nente d'un pouvoir supérieur dans leurs affaires. Elle voulait bien 
faire corps avec la province en face du danger; mais eHe entendait 
que ce fût clans la limite de ses intérêts et d'une liberté qui lui 
était plus précieuse que tous les trésors ^ Voilà oe que les Bisontins 
objectèrent à l'empereur, en s'appuyant sur un diplôme de Sigis- 
mond qui les dispensait d'obéir à tout vicaire impérial qui serait 
autre chose qu^un envoyé temporaire et ne respecterait pas jus< 
qu'au moindre de leurs privilèges^. Cette réponse coupa court au 
projet de Charles-Quint. Il préparait alors sa grande lutte contre 
François I^, et le moment eût été mal choisi pour risquer d'amoin- 
drir les sympathies des Bisontins envers la maison d'Autriche. Il 
savait d'ailleurs qu'un traité d'alliance défensive existait entre la 
commune de Besançon et les villes de Berne, Fribourg et Soleure^ 
et l'arrière-petit-fils de Charles le Téméraire devait éviter, plus que 
tout autre, un sujet de brouille avec les Suisses. Mais l'intelligence 
de l'empereur avait sufBsanoment de ressources pour tourner une 
pareille difficulté. 

A la suite du merveilleux succès qui avait mis à sa discrétion 
le roi de France^, Charies-Quint fut assez maître de lui pour ne 

* Le préambule d'un édit municipal de 1427, cpie nous publions dans nos 
Viïces jasùficaùves (n*I), montrera quelle idée la commune de Besançon se fai- 
sait de son importance et de l'antiquité de ses privilèges. 

* Diplôme de l'empereur Sigismond; Bude , 9 octobre 1 4 13 ; dans les archives 
de la ville de Besancon. 

' Traité du 34 décembre i5i8; dans les archives de la ville de Besançon. 

* Voici les termes dans lesquels la municipalité de Besançon consigna sur 
ses registres la nouvelle de la bataille de Pavie : 

c Mardi vu' de m Ans iS^d (v. s.) 
• Prinse da roy de France, 
f Gcjourd'huy messieurs ontreçeu lettres de maistre Paneras de Ghaflby, es- 
cnycr de la maison de monseigneur Tarchidnc, datées à Ysbrug du xxvn* de feb- 
vrier, contenant que les gens de monseigneur de Bourbon avoyent donné bataille 
au roy de France estant au camp devant Pavye, occis plus de quinso mil Franceois 
et le roy de France prins prisonnier, et que monsieur de la Mothe , maistre d'hosfrl 
do mondil seigneur de Borbon , a voit icclluy prins. * 



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— 295 — 
mesurer que davantage ies coups de son autorité, et cest avec cette 
disposition qu'il reprit la poursuite de ses desseias sur notre com- 
mune. N'ayant pu réussir à décréter cette union si désirable entre 
Besançon et la province, il tenta de la réaliser par les moyens mo- 
raux et éconcmûques. Il se reposa de ce soin sur Granvelle, dont il 
avait fait le chef de ses conseils et qui, par son alliance avec Tune 
des familles les plus oonsidéraUes de Besançon, était iè mieux à 
même de diriger la conscience politique du corps municipal de la 
cité». ^ 

Il y eut d'abord à vaincre les susceptibilités de la petite république 
vis-à-vis d'un pouvoir qui n'aurait pas eu de peine à Téioufler sous 
prétexte de caresses. Il ne fallut pas moins de six décidons impé- 
riales, plus chargées de faveurs les unes que les autres, pour dé- 
montrer la sincérité et la bienveillance des intenticms du monarque . 
Non-seulement tous les privilèges de la commune se trouvèrent 
confirmés dans des termes magnifiques^, mais son alliance avec les 
Suisses avait dû être officiellement tolérée'; puis elle fut déclarée 
exempte de tout impôt levé pour les nécessités de l'empire^, et trois 
énormes canons de l'artillerie impériale, autrefois laissée dans ses 
murs par Maximilien, furent définitivement adjugés à son ar- 
senal ^. 

En retour de chacune decesgi^cieusetés, la république bisontine 
relâchait quelque chose de sa roideur et devenait de plus en plus 
confiante envers les délégués du souverain;. le maréchal, du comté 
et le président du parlement finirent par y avoir en quelque sorte 

* Voir notre Monographie du palais Granvelle, dans le voiitme d'archéologie 
des Mémoires las à la Sorbontieen 1866, p. 291 à 366. 

* Diplôme de Gharies-Quint ; Essling, 5 février 1636; dans les archives de la 
ville de Besançon. 

^ Lettre de Charles-Quint à la commune, en date du 3^7 septembre i.'>26. — 
Délibération municipale da 9 janvier ihth- 

* Lettre de Charles-Quint à la commune; Tolède, 1*' mai i53i&; dans les 
mêmes archives. 

' Cette concession de Charles-Quint fut enregistrée dans les actes municipaux 
sous la date du 28 janvier 1 536. Le 18 avril suivant, la commune traitait avec le 
maître artilleur de la ville de Strasbourg pour la conversion des iroîs canons im- 
périaux en ■ nouvelles et plus duysautes artilleries. » 



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-- 296 — 
droit cl« cité « et par acquérir une influence sérieuse sur le conseil de 
la commune ^ La brèche était ouverte dans la muraille cinq fois 
séculaire qui isolait Besançon du reste de la province : il s'agissait 
de la maintenir en y faisant passer un courant continu de popula- 
tion. Ce fut là Tobjet de deux nouveaux diplômes donnés à Tolède, 
le 8 mai i53â. 

Le chancelier Granvelle, en édifiant au centre de la cité un ma- 
gnifique palais, éveillait chez ses concitoyens le goût des embellis- 
sements publics et parquait dans Besançon une première colonie 
d'ouvriers, venus de tous les points du comté; mais le mauvais 
vouloir du propriétaii^e d'une bicoque enclavée dans son terrain 
avait singulièrement contrarié l'exécution de sesplans^.Ii ne fallait 
pas que la commune, qui était disposée à suivre cette impulsion, 
fût arrêtée par de semblables chicanes. Une patente impériale en- 
joignit à tout habitant de Besançon, propriétaire de maisons rui- 
nées ou de places vides, d'avoir à construire dans un délai de trois 
années; faute de quoi la municipalité était en droit de se saisir de 
ces immeubles, moyennant un prix fixé par deux prud'hommes, 
et d'adjuger ensuite les lots ainsi expropriés, et dégrevés par le fait 
de toute servitude, à tels gens qui seraient disposés à bâtir ^. Jamais 
le retrait pour cause d'utilité publique n'avait été formule par un 
souverain d'une manière aussi peu restrictive ^. 

Un tel mouvement de reconstructions devait avoir pour consé- 
quence d'impatroniser dans la ville le conmierce, seul agent capable 
de procurer des habitants et de donner de la valeur aux nouveaux 
édifices. Trois causes avaient fait échouer jusqu'alors toute tentative 
d'établissement de ce genre; c'étaient : d'une part, la défiance de la 
conmiune envers tous les étrangers; d'autre part, l'absence d'une 
monnaie locale suffisante pour servir aux transactions; enfin le dé- 

' Le maréchal du comté, qui avait en même tempa le titre de capitaine dans 
la ville de Besançon pour le comte de Bourgog;ne, était Claude de la Baume, che- 
valier de la Toison d or; le pré$ident du parlement de D6le se nommait Hugues 
Marmier. 

' Voir notre Monographie du palais GranvelU, déjà citée. 

^ Voir le texte de ce diplôme dans nos Pikces justificatives , n* II. 

* Cf. Merlin, Répertoire de jurisprudence , t. XI, p. 829, el Dalioz, Répertoire dr 
lôftslation, t. \XIII, p. 4^. 



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_ 297 — 
plorable état des voies de communication, Charles-Quint n^hésita 
pas à enlever au)^ archevêques un monopole monétaire qui avait 
toujours été stérile entre leurs mains : il autorisa la municipalité à 
élever un hôtel des monnaies et à y frapper des pièces de tout métal , 
portant au droit sa propre effigie et à Tavers les armoiries de la 
cité. Ces espèces dui^nt avoir cours dans le comté de Bourgogne, 
après vérification de leur aloi pai* le parlement de Dôle ^. En même 
temps, à la considération de Tempereur, une compagnie de ban- 
quiers génois se fixait à Besançon et venait ciHnmencer Téducation 
comjQierciale de la cité ^. Quant aux routes qui convergeaient sur 
Besançon, l'expropriation des terrains utiles à leur redressement 
ne devait pas tarder à en aplanir les plus dangereux passages^. 

Du même train que les améliorations civiles marchaient les per* 
fectionnements militaires. Une maison spéciale pour Tartillerie, 
élevée derrière Thôtel de ville \ se peuplait chaque année de 
quelques nouveaux canons, et le corps municipal prétait sans trop 
de difficultés ces engins de guerre et des tonnes de poudre aux au- 
tres localités de la province^. Tous les citoyens aisés et valides 
étaient tenus d'entrer dans les compagnies d'archers et d'arquebu- 
siers, et obligés de racheter de la commune les corselets, morions 
et armes, qu'elle tirait des manufactures les plus renonunées de 
TAUemagne^; cette milice urbaine allait quelquefois disputer des 
prix dans les villes du voisinage. Enfin les vieilles murailles de 
Besançon étaient mises en harmonie avec 'les progrès de la science 

* Diplôme de Charles -Quint; Tolède, 8 mai iSSi* Mandement de la cour 
souveraine, rendu au nom de Ckarles-Quint, Dôle, 3.3 mai i538. Voir ces deux 
actes dans Y Essai sar les monnaies du comté de Bourgogne, par MM. Plantet et 
Jeannez,p. 198,37761278. 

* Les négociations pour rétablissement des Génois datent du mois de fé- 
vrier i535. 

' Voir, dans nos Pihes justificatives, n* IV, le mandement de Charies^iint 
(Augsbourg, 19 août i55o) relatif à la rectification de la rampe du Montdart, 
près Besançon. 

^ Cette construction eut lieu dans le cours de l'année 1 53o. 

* Délibérations municipales des 18 novembre i533, 11 mai tÔ23, 36 mai 
1 536 et i4 avril 1Ô37. 

* Délibération municipale du 11 mai i53(v 



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— 298 — 
des fortifications et avec les enceintes analcf ues qui s'exécutaient 
autour des diverses places de la contrée; on imposait des corvées 
aux habitants pour accélérer cet important travail, et la commune 
trouvait bon que le capitaine de Charles-Quint rendit une ordon- 
nance pour obliger les particuliers à tenir leurs manoirs à une 
certaine distance des remparts'. 

Tous les préjugés qui avaient si fortement trempé le caractère 
des Bisontins, mais avaient aussi singulièrement entravé Tagran- 
dissementde leur cité, s'étaient fondus comme par enchantement 
sous le soleil des faveurs impériales : une solidarité étroite, et dont 
la durée était garantie par des intérêts réciproques, allait désor- 
mais unir les destinées de la ville de Besançon à celles du comté de 
Bourgc^e. Ce résultat, que Charies-Quint avait obtenu par sa 
modération et son habileté, le premier monarque du monde avait 
le droit de s'en féliciter. On jugera, par la dépêche suivante ^ de la 
satisfaction qu'il en ressentait et du souci qu'il avait de conserver 
dans cet état les esprits et les choses : 

t À nos chiers et féaulx les gouverneurs de nostre cité impériale 
de Bezançon. 

t Chiers et féaulx, par lectres des mareschal et président en 
nostre conté de Bourgoingne, et ce qu'ilz ont escript à nostre très- 
chieret féal chevalier le sieur de Grantvelle, avons entendu les 
amyables et honestes offices que derrièrement avez fait faire aus- 
dictz mareschal et président, pour en toute bonne et sincère intel- 
ligence vous emploier en ce que seroit advisé convenir au bien, 
tranquilité et seurté de nostredict conté, qu'est selon l'affection et 
amitié que vous et voz prédécesseurs avez continuellement eu à 
icelluy pays, et dévocion envers nous et les nostres, et à la bonne 
voisinance envers noz officiers et subgectz oudict conté. Et est nostre 
intencion que le réciproque se face par eulx envers vous et ce que 
concernera nostre cité de Bezançon, comme i'escripvons à nosdictz 
mareschal et président. Et aussy nous aurons tousjours regard à tout 
ce que sera au bien de ladicte cité, en laquelle désirons estre entre- 

* Voir le texte de cette ordonnance dans nos Pièces jasùficalms , n"* Ifl. 
' Cette dépêche est transcrite au folio 3 1 5 du registre des délibérations muni- 
cipales de 1 535-1 537. 



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— 299 — 
tenue bonne unîœi et pacifficaiion ^ selon que ledict sieur de Grant- 
velle nous a affermé qu'elle y est, dont nous avons très-grant con- 
tentement, comme scet le Créateur, que, cfaîers et féaulx, vous ait 
en sa sainte garde. 

«Escript en nostre cité de Naples, le derrier jour de février 

XV* XXiV. » 

Signé < CHARLES. » 
Et plus bas : 

« PBRIISilIll. » 

111 

Le règne de Charles-Quint passe encore dans nos annides pour 
rage d'or de Thistoire municipale de Besançon. Ehi vivant même 
de ce monarque, la commune avait fait une loi à tous les haletants 
de la ville de s'agenouiller chaque jour, à Theure de midi, ■ pour 
rendre grâce à Dieu le créateur des biens qu'il luy plaist mettre 
apparans, » et prier ■ pour la conservation de la personne et estât 
de la Très-Sacrée Majesté de l'Empereur ^ » 11 y eut de bonnes rai- 
sons pour que ces sentiments survécussent à la retraite de Charles- 
Quint. 

Le nouvel empereur fut, en effet, d'une indifférence profonde 
envers la république bisontine ^ et ses délégués auprès d'elle du- 
rent obéir aux inspirations de Tinfernal génie qui stérilisait, par des 

* « Édict de prier Dieu pour Tcmpereur, nostre souverain seigneur, au son des 
cloches ordonnées estrc sonnées h heure de mydî. — De par messieurs les gou- 
verneurs de la cité de Besançon , et à fin nous employer comme nous debvons à 
rendre grâce à Dieu , le créateur, des bicos qu'il luy plaist mettre apparans , et poar 
la conservation de la personne et estât de la Très-Sacrée Majesté de l'Empereur, 
nostre souverain seigneur, exercité et prospérité d'icelluy, l'on ordonne que, cbas- 
cun jour, heure de midi, au son des cloiches, tous citoiens ethabitans en ladicte 
cité ayent dévotement et à nue teste soy mettre à deux genoulx es lieux esquelx 
se trouveront , et prier nosire souverain créateur pour ladicte prospérité et conser- 
vation et augmentation de Sadicte Majesté, aussi de ceste sa cité et du pays, en 
suyvant ce que du passé a esté en tel cas statué et publié. Donné le pénultième 
jour du mois de juillet. Tan Nostre-Seigneur mil cinq cens trente six. » 

' Chronique de Jean Borinet, citoyen de Besançon (i567-i6i3), dans les 
Mémoires et documents inédits pour servir à l'histoire de la Franche-Comté, t. I, 
p. 257-320, 



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— 300 — 
autQ'dorfé, les Espagnes, les Pays-Bas et les Indes. Les commissaires 
impériaux et royaux qui entraient constamment dans la ville, par 
la porte que Charles-Quint leur avait ouverte, n'y venaient plus, 
comme ceux du règne précédent, avec des missions gracieuses 
ou conciliatrices : armés de réquisitions sanguinaires, ils consti- 
tuaient une sorte d'inquisition laïque dans la cité. 

Chacune de ces sinistres assises était pour laconmiune l'occasion 
de se ressouvenir des procédés si paternels et si discrets de l'empe- 
reur Charies-Quint. On comprend ainsi que la municipalité bison- 
tine ait tenu à maintenir sur ses monnaies une figure qui lui était 
si chère, et que ce type ait persisté invariablement] usqu'en i664, 
époque où Besançon cessa d'être ville impériale pour être placée 
sous le protectorat de l'Espagne ^ H fut également entendu que le 
portrait de Charles-Quint, qui ornait la salle du conseil de la cité, 
conserverait toujours la place d'honneur et primerait même celui 
du souverain régnant^. Mais un hommage plus solennel encore 
était réservé à la mémoire du bienfaisant monarque. 

C'était en i566. La municipalité venait d'amener dans la ville 
des eaux saines et abondantes, et cinq fontaines monumentales se 
dressaient pour les distribuer. Déjà quatre d'entre elles avaient reçu 
le couronnement alors obligé d'une statue mythologique de pierre^. 
On voulut faire mieux encore pour la fontaine dont on avait mé- 
nagé la place en réédifiant la façade de l'hôtel de ville. Il fut décidé 
que la grande niche contiguë au portail de cet édifice, et dont l'arc 
était supporté par deux colonnes de marbre rouge de Sampans, 
encadrerait la figure de bronze d'un Césai% « assise sur une aigle im- 
périale, tirée du portraict de feu de très-heureuse mémoire l'empe- 
reur Charles cinquiesme. » Le modèle de l'edigie fut conmiandé à 
un maître maçon, nommé Claude Lulier, et l'on chargea les frères 
Journot, de Salins, artilleurs de la cité, de le jeter en bronzeXette 

' D. Grappin, Recherches sur les atwiennes monnoies du comté de Bourgogne, 
p. 69-73. — Plantet et Jeannez.&iaf sur les monnaies du comté de Bour^ojfne ^p. 303. 

' Récit véritable de l acquisition de la grande et belle cité de Besançon au roi (d'Es- 
jtagne)^ Bruielles» i664 , in-4% p. 4. 

* S. Droz, Recherches historiques sur les fontaines publiques de /a ville de Besançon, 
p. ai 2-239. 



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— 301 — 
dernière opération eut lieu le i5 mars iô68, à huit heures du 
soir, « ayant le tout succédé si heureusement que la figure s'est 
treuvëe parfaicte et partout accomplie au grand contentement d*ung 
chacune « On fondit ensuite à part les ailes et les deux cous de 
Taigle impériale, puis un serrurier vint armer de griffes les deux 
pattes de Tanimal. Pour réparer la figure, on avait mandé de Lyon 
un ouvrier spécial ; mais les exigences de celui-ci furent telles que 
Ton dut le congédier, et Claude Lulier entreprit lui-même , avec le 
concours des fondeurs et d'un orfèvre, le regrattage de son œuvre 2. 

Quelques-uns s'étonneront peut-être de ce cumul du métier de 
maçon avec les plus hautes fonctions de Fart. C'était cependant le 
cas ordinaire des ouvriers de la Renaissance, et il ne faut pas cher- 
cher ailleurs la cause de cette merveilleuse harmonie qui existe 
entre la conception et la facture de tous les produits de cette ad- 
mirable époque. Un divorce s'est opéré depuis entre l'art et l'in- 
dustrie : l'ouvrier et l'artiste reçoivent une éducation complètement 
distincte, appartiennent à deux classes différentes de la société, ne 
parient plus le même langage. 11 en résulte qu'ils ne peuvent que 
difficilement se comprendre et que très -souvent les plus nobles 
projets sont travestis par les mains qui les exécutent. 

La dépense totale pour la statue de Charles-Quint atteignit en-^ 
viron 2,000 francs : le sculpteur avait reçu 100 francs pour son 
modèle et 3oo francs pour l'entreprise du travail de réparation ; le 
métal, dont le poids atteignait 3,863 livres 8 onces, avait été payé 
6 1 3 francs 1 gros 7. 

Les Bisontins furent bientôt idolâtres de ce monument; ils n'hé- 
sitaient pas à le proclamer un chef-d'œuvre de l'art, pouvant être 
comparé sans désavantage au Jupiter Olympien^, Les ambassadeurs 

^ Dâibération municipale du 1 5 mars 1 568. 

* Ces détails, ainsi que ceux qui vont suivre sur le prix de revient de la statue, 
sont empruntés aux comptes de la commune de Besançon pour les années 1 566- 
1569. 

' « Le Jupiter Olympien n'imprimoit pas plus de respect et n'avoit pas plus de 
majesté: on ne sçauroit voir cet ouvrage sans admiration, et peut-être n'y a-t-ii 
pas de pièce en Europe qui marque mieux que les modernes n*ont rien à envier 
aux anciens. » ( Prost, Histoire delavilie de Besançon, manuscrit de la bibliothèque 
de cette ville, p. 562.) — Cf. Jonrnaide Besançon, n" du 10 avril 1786- 



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— 302 — 
suisses, qui le virent au mois d'avril 1075, en ont laissé la des- 
cription suivante : « Vers l'entrée (du palais de la ville), s'élève une 
fontaine où se dresse un aigle à deux têtes aux ailes déployées. Sur 
cet aigle, dont les pattes sont découvertes, est assis Charles V, em- 
pereur des Romains, tenant Fépée de la main droite et de la gauche 
le globe impérial. L'image de César est d'une exacte ressemJ)lance, 
et sa grandeur est celle d'un hmnme fort et robuste. L'aigle rejette 

par son double bec une eau très-limpide et très-abondante 

L'endroit où figurent l'empereur et l'aigle est une niche pratiquée 
dans la pierre contre la muraille ^ » Ajoutons que, dans l'entable- 
ment qui dominait cette niche, ressortait en lettres de bronze doré 
l'inscription : PLEVT A DIEV, devise favorite de Charles-^uint, 
laquelle, sous sa forme latine VTINAM, est devenue le complé- 
ment héraldique des armoiries de la ville de Besançon ^. 

* G. Cellaritts, Itinéraire des dépaiéi saiues se rendatd à la cour de Henri Ul, rot 
de France, publié en latin dans le tome XIV des Archin.Jâr schweizeriscbe Gescki- 
chte (Zurich, i864)» et traduit en partie dans les Annales franc-comtoises, t. III, 
p. 167-178, parM. G. Pcrrenet. 

* Les armes de Besançon se blasonnent ainsi : d'or à l'aigle éployée de sable et 
lampassée de ^eule, soutenant en chacune de ses serres une colonne de giieale 
mise ea pal. On a beaucoup disserté sur l'origine de ces armoiries, et cette ques- 
tion fut même l'objet d'un concours ouvert par l'Académie de Besançon en 1 76 1 ; 
mais il n'en sortit aucune solution satisfaisante , les auteurs qui y prirent part 
ayant beaucoup plus consulté leur imagination que les documents. Le problème 
ne nous parait pouvoir être résolu qu*au moyen d\in examen attentif des diffé- 
rents sceaux dont usa notre municipalité. Le plus ancien de ces sceaux , qui est 
mentionné dans une bulle pontificale dirigée contre la commune en is5g, repré- 
sente une croix ornée de médaillons , accotée à sa gauche d'un bras de saisi 
Etienne bénissant. M. Ed. Clerc a publié ce monument dans le tome I, p. ààS, 
de son Essai sur ridsloire de la Franche-Comté. La commune de Besançon étant 
entrée, à la suite du siège de 1 390, dans le vasselage immédiat des empereurs 
d'Allemagne, un symbole nouveau, l'aigle impériale, vint équilibrer, sur le sceau 
qui Alt fait alors, l'image dubraade saint Étieane. (Voyex Ed. Clerc, ouvrage dté, 
t. I, p. 474.) Puis la commune étant parvenue à isoler complètement ses destinées 
de celles de l'Église et à imposer un gouvernement civil à la totalité du territoire 
de la cité, la croix et le bras de saint Etienne disparurent de ses sceaux, et la 
seule image d'une aigle impériale éployée remplit le champ de celui qui fut gravé 
vers 1 4 1 o et servait encore en 1 433. A partir de janvier 1 434 . apparaît un sceau 
plus monumental que le précédent. On y voit une aigle éployée , planant an-dessus 



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— 303 — 
On a déjà compris que Claude Lulier avait ajusté sa composition 
d'après le type si connu de Tapothéose antique. La manière de œ 
sculpteur, à en juger par deux ouvrages qui nous restent de lui^ 
comportait plus de puissance que de fmesse, plus de vigueur que 
d'élégance : c'est d'une réalité quelque peu lourde, tempérée toute- 
fois par ce sentiment du goût, alors universellement répandu et 
qui n'eût toléré dans une œuvre d'art rien de lâché ni de trivial. 

'IV 

Lorsque le grand Condé vint, le 8 février 1668, prendre posses 
sion de notre ville qui avait capitulé entre ses mains, « il s'arresta, 
dit Jules Chi filet, à considérer la statue en bronze de l'empereur 
Charles-Quint, assise sur un double aigle impérial qui jette de 
l'eau par ses deux testes; puis il osta son chapeau^. » C'était assez 
aflirmer que le gouvernement de Louis XIV respecterait ce souve- 
nir des bienfaits d'un autre régime. 

d'une montagne sur laquelle se dressent deux colonnes : cette montagne n'est 
autre que le rocher 06 est assise notre citadelle , et les colonnes sont celles du por- 
tique d*nn temple gallo-romain qui occupait le centre de Yarx antique et dont les 
vestiges ne furent rasés qu'à I époque de la constraction stratégique de Vauban ; 
le populaire considérait ces colonnes comme les piédestaux de quatre divinités du 
paganisme. (Voyex J. J. Chifllet, Vesonûo, pars I, p. 56 et 67.) Concurremment 
avec le grand sceau que nous venons de décrire , la commune en employait un de 
plus petite dimension , soit pour contre-marquer le premier, soit pour authentiquer 
les actes de moindre importance. Dans celui-ci on avait supprimé la montagne , 
mais les deux colonnes' se dressaient de chaque cMé de l'aigle, dont les griflfes 
buttaient contre chacune des bases. Ce petit sceau fut renouvelée» avec la même 
représentation, vers i45o, et servit à l'expédition des diplômes municipaux jus- 
qu'à la révolution française. Ce ne fut toutefois que dans la première moitié du 
XTi* siècle que nos héraldistes locaux , obéissant à une pure fantaisie artistique, 
retournèrent les griffes de l'aigle et y insérèrent les hases des colonnes ; cette 
modification se montre pour la première fois sur l'avers des monnaies qui furent 
émises par la commune à partir de 1 537. (Voyei Plantet et Jeannez, Essai sur les 
monnaies du comté de Bourgogne, pi. ViI-\ et XV.) 

* La statue de Neptune , sur la fontaine dite des Cormes , à Besançon , et le buste 
de terre cuite d*un seigneur allemand , conservé dans la bibliothèque de cette 
ville. 

* J. Chifflet, Mémoires sur les deux conquéies de la Franche-Comté par Louis XIV, 
1. II, c. Il, manuscrit de la bibliothèque de Bosançon. 



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— 304 — 

La révolution française ne devait point avoir les mêmes égards. 
Comme toutes les réactions violentes et qui sont de longue durée, 
elle dépassa le louable but en vue duquel elle avait été entre- 
prise : elle détruisit souvent là où il n'y aurait eu qu a rectifier. Les 
hommes nouveaux qui arrivèrent alors aux affaires, ignorant les 
précédents des choses, ne purent obéir à cette loi qui veut que 
toute institution humaine soit la déduction du passé, la satisfaction 
du présent et la préparation de Tavénir. Ce qui se dit au conseil 
général de la commune de Besançon, le 21 août 1792, fera voir 
à quel point les esprits étaient éloignés de telles préoccupations. 
« Un membre du conseil, porte le procès-verbal, après avoir rendu 
compte des crimes des despotes, et notamment de la conduite 
tyrannique de Tempereur Charies-Quint, qui fit couler le sang des 
Français, a fait la motion que sa statue soit enlevée sur-le-champ 
et brisée. Cette motion appuyée a été adoptée à l'unanimité, et les 
ordres ont été donnés sur-le-champ pour en procurer l'exécution *. » 

Aussitôt cet arrêt rendu, la statue fut brisée. On avait songé 
d'abord à fondre avec ses débris une pièce de canon ; mais la ma- 
tière n'ayant pas été trouvée d'une ductilité sufiisante pour cet 
emploi, il fut décidé^ dans la séance du qo septemJ)re 1792, cfu'on 
la convertirait en pièces de 12 deniers : le produit net, déduction 
faite de 3g livres de fer et de terre adhérant au cuivre, donna 
comme poids 3,863 livres 8 onces, et conmie valeur 5,i5i livres 
6 sous 8 deniers 2. 

Le monument ne vécut plus dès lors que dans la mémoire de 
ceux qui avaient pu l'envisager. On n'en connaissait pas le moindre 
croquis , lorsque le hasard nous le révéla tout entier dans la marque 
typographique d'un libraire qui, en 1 691, tenait boutique vis-à-vis 
l'hôtel de ville de Besançon ^. 

' Délibérations du conseil générai de la commune de Besançon; dans les 
archives de cette ville. 

■ Comptes rendus de l'officier municipal Martin et de Détrey aîné ; aux archives 
de la ville de Besançon. 

' Voici la description bibliographique de l'unique volume sur le titre duquel 
existe cette marque : c Nova vêtus Rhetorica , ad usum collegii Bisuntini conscripta, 
per Com. Camerarium Gandav. Pr. ; ad Illustrem ac R*"" Heroem . Prospemm 



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— 305 — 
Nous reproduisons ici cette image microscopique, afin que si 
jamais notre municipalité voulait redonner son ancien lustre à la 




vénérable façade de la maison commune, le nouvel artiste puisse», 
s'éclairer d'une lueur de la pensée de son devancier, 



PIECES JUSTIFICATIVES. 



Préambule d'un édit municipal, en dale du i5 septembre 1/1*27, énuméranl 
les privilèges politiques de la commune de Besançon et les prérogatives de ses 
magistrats. (Archives de la ville de Besançon.) 

CiviTAS BisuNTiNA , a priscîs Romanorum tribunis condita, împerio 
romane immédiate subjecta, insignis, amplissima ac diffusa, mûris et 
turribus magnificis vallata, extra regnum Francie et in confmibus Ala- 
manie sita , ab imperatoribus et regibus romanis pro tempore existentibus 
quamplurimis priviiegiis notabilibus dotata, et per eadem privilégia im- 
peratores et reges prelibati recognoverunt et professi sunt , quod civitas 
Bisuntina , cives et incole civitatis Bisuntinensis predicte , nec non babi- 
tatores in ea, sunt et esse debent, per jura suarum libertatum, tantum- 
modo subdicti imperatorie majestatî ; quodque ipsi imperatores seu reges 
non possunt nec debent civitatem predictam , universitatem et cives pre- 
dictos seu babitatores in eadem vendere , quictare , donare , obligare , 
vel etiam alienare in quacunque manu, nisi ad proprium dominium 

nBauma, comitem Montisrivelli, Cariloci antistitem commendatarium , etc. Ve- 
sontione, ex typographia Jani Exerterii,de licentia superionim; m.d.xci;* in-4', 
62 pages de texte, et 4 feuillets préliminaires comprenant le titre, la dédicace et 
des pièces de vers latins à la louange du livre. 

.\i;cuKoi.or.iK. ao 



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— 306 — 

romani imperii, cui ipsa civitas, universitas et habitatores in ea nullo 
medio sunt subjectî ; item et quod ipsi cives habent et habere debent 
custodiam clavium portaruni et introituum civitatis Bisuntine , que nunc 
sunt vel esse poterunt in futunim ; quodque ipsi cives Bisuntini habent 
et habere debent communitatem seu universitatem , domum, arcfaam 
communem, procuratorem , actoremvelsindicum, sigillum universitatis , 
campanas communes ad convocandum universitatem predictam , vexiila 
seu bannerias ; et quod ipsi cives , quociens eis placuerit seu majori parti 
ipsius universitatis , possunt eligere- unum vel plures ad regendum et 
ordinandum omnia négocia ipsius universitatis ; et quod, pro sue libito 
Yoluntatis, rectores dicte universitatis possunt facere et exigere , absque 
judice et justicia, captiones , huancias et taillias inter cives et habitatores 
dicte civitatis , et habere peccuniam communem pro suis faciendis negociis , 
ut melius et utiUus sibi videbitur expedire , et de predictis uti possunt 
libère , nullo judice impediente vel aliquatenus reclamante ; item et quod 
omnes habitantes in civitatepredicta, qui utuntur libertatibus et rébus 
communibus civitatis predicte , seu bona patrimonialia tenentes et pos- 
sidentes in eadem, sunt et esse debent porcionarii ut alii de missionibus 
quas cives ordinati pro universitate regenda predicta facient in futurum ; 
item et quod dicti cives qui pro tempore electi fuerunt, ut dictum est, 
ad regendum et ordinandum négocia universitatis predicte, possint, auc- 
toritatesua, sine juris et judicis offensa , tocien s quociens necessefuerit, 
capere et in ipsius universitatis carceribus communibus detinere quos- 
cunque cives ipsius civitatis et habitantes in ipsa civitate qui mandatis 
ipsorum rectorum licitis non paruerint, seu contra privilégia ipsorum 
forefecerint in toto vel in parte , donec super inobediencia et delicto ad 

satisfactionem devenerint et amendam Datum in domo communi 

dicte civitatis, die lune post festum Ëxaltacionis Sancte Crucis, anno 
Domini millesimo quadringentesimo vicesimo septimo. 

(Signatum) J. Lantbrnebii. 

H 

Dipiôme de Tempereur Charles-Quint, à Toiëde, en date du 8 mai i53ii, con- 
cédant à ia municipaiité de Besançoti ie droit de forter les propriétaires de 
maisons ruinées ou de places vides, situées dans l'intérieur de la ville, à bâiir 
daiis un délai de trois ans, ou, en cas d'inexécution, de pouvoir exproprier 
les immeubles de cette natare et les adjuger ensuite à tels gens disposés k cons- 
truire. (Archives de la ville de Besançon.) 

Caroi.os Quintus, divina favente clemencia, Bomanorum imperator 



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_ 307 — 
augustus ac rex Germaniœ , Hispaniarum , utriusquc SIciliae, Hierusaleiii , 
Hungariae, Dalmatiae, CTroatiœ, in^ularum Balearium, Sardiniae, Foi- 
tunatarum et Indiamm, ac terrte fmnœ, maris Océan i, etc.; archidux 
Austriœ; dux Burgundûe, Lotharingias, Brabantiae, Lymburgiae, Lu- 
cemburgiflB, Geldri» , Wiertcmbergae , etc.; cornes Habspurgi, Flandrîs, 
Tyrolis, Arthesiae et Burgundiœ palatinus, Hannonise, ilollandiœ, Ze- 
landiœ, Ferreti, Namurci et Zutphaniae; lantgravius Alsatiae, marcbio 
Burgoviae et sacri romani imperii, etc., princeps Sueviae, etc., dominas 
Frysias , MolinsB , Salinarum , TripoHs et Mechlinis, etc., rccognoscimus 
tenore prœsentium , pro nobis et nostris successoribus in romano impe- 
rio, ac notum facimus universis : cum nobis, pro parte honorabilium 
nostrorum et imperii sacri fidelium dilectontm gubernatorum imperialis 
civitatis nostrae Bisuntinae, reverenter fuerit expositum qiiod, retroactis 
temporibus, eadem civitas, crebra incendioriim vi subinde grassante, 
graves ruinas passa sit, eoque deventum esse ut complura aBdificia, do- 
mus et are», per suos possessores aut censuales deserlae, in bodiernuni 
dîem aut collapss aut ruinis obnoxiae remaneant, quae res non modo 
deformitatem in diversis el insignioribus locis, verum etiam evidens 
detrimentum civitati pariât, nobis propterea bumiiiter supplicando ut 
ipsorum et pnedictœ civitatis conservationi bénigne consulerc et super 
praemissis opportune providere vellemus. Cum itaque nobis, tanquam 
Romanorum imperatori el supremo ejus civitatis domino, ralione impe- 
rialis noslrse dignilatis et officii, incumbat ea quse publicum cjusbonum 
concemunt, diligenti studio promovere et taliter prospicere debemus ut 
ipsa civitas, in Hmitibus sacri imperii constituta, quae ad imperii fmes 
tuendos multum habel momenti, ruinis non deformetur, sed in pristina 
sua dignitate ac décore conservata permaneat . 

Eapropter, ex pracnarralis et aliis causis nos juste moventibus, et ut 
deinceps prssdicta civitas in nostra et imperii sacri fide et devolione 
(prout hactenus fecit) constanter perseverare valeat , animo deliberalo , 
ex cerla noslra scientia et auctoritate imperiaii, de potestatis nostrae ple- 
nitudine, dedimus, concessimus ac tenore prœsentium damus el conce- 
dimus pnedictis gubernatoribus eorumque successoribus et civitati Bisun- 
tins banc specialem gratiam et privilegium quo statuimus , decernimus 
et ordinavimus : ut, per eorum syndicum qui pro tempore fuerit, possini 
et valeant omnes et singulos ad quos hujusmodi coUapsae aul déserta* 
ac ruinosae domus, sedificia sive areœ spectant vel hereditario jure per- 
tinent, aut quibus alioqui ratione cujuscunque rensus perpetdi vel re- 
mibilis, hypothecationis , debiti, seu quovis alio titulo obstrictœ snnt. 



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— 308 — 

moncrcac rcquirerc ad instaurandum et rcaedificandum iilas seti illa, 
infra triennium proxime sequuturum post publicatîonem hujus nostri 
decreti et ordinationis , voce preconis per frequentiora civitatis loca aut 
alias factam, proul moris est; et si prœdîclœ personse, eodem triennio 
elapso, illud facere neglexerint aut contempserint, nec compertus fuerit 
qui cadem aedificia ruinosa seu areas instaurare aut reparare velît, ex 
tune prœdicti gubernatores , ad ipsius syndici instantiara et requbîtio- 
ncm , duos probos et honestos viros designabunt qui hujusmodi domos 
œdificiaque collapsa et areas (mediante eoruiu juramento) extimabunt 
et taxabunt, babita ratione ad verum et justum valorem duntaxat, non 
ad census, bypotbecas, servitutes aut alia quaecunque jura quibus dicta 
loca et areae gravantur ; qua quidem œstimatione per illos facta , eisdem- 
que areis , domibus , œdificîis per dies viginti et unum public» auctioni 
scu incanto per syndicum expositis, si reperiatur qui ea aut aliquod ex 
cis piuris eincre velit quod œstimala fuerint, buic in primis concedantur 
per ipsos gubernatores libéra et immunia ab omni censu et servitute; si 
vero , praidictum terminum viginti et unius dierum infra , non reperiatur 
qui plus ofTerat quam aeslimata fuerint, eo casu iiberum sit eisdem guber- 
natoribus illa seu illas aut eorum aliqua pro precio sic œstimato venderc, 
aut, si desint emptores, ipsi gubernatores vel syndicus eadem pro bujus< 
uiodi precio sibi servare sub libcrtatibus et immunitatibus praedictis, ita 
tauien ut ex liujusmodi precio, prius deductis ipsius syndici qui pro- 
.sequutionem facturus est impcnsis per eosdem gubernatores taxandis et 
œstimandis, quod reliquum fuerit praedictarum aedium, aediliciorum sivc 
arearum dominis , proprictariis vel censualibus , aut aliis quibus censu 
filve aiio jure vel titulo pertînere , babita ratione censuum quorumcunque 
ut ex quolibet centenario quinque duntaxat (qualenus precium se ex- 
tcnderit) in solutionem etsatisfactionemnumeretur;quodquequicunque 
bujusmodi domos , œdificia sive areas , ut supra , acquisiverint aut compa- 
ra verint, teneantur illico instaurare et reaedificarc , juxta moderamen el 
judicium gubernatorum qui pro tempore fuerint , solutoque bujusmodi 
precio , ut supra , easdem domos el aedificia libère et pacifice, ab omnibus 
bypotliecis , oneribus , ccnsibus tam perpetuis quam remibilibus el servi- 
tutibus quibuscunquc immunia, exempta et libéra, possidere ac retinere 
valeant et possint; quod idem in domibus et icdificiis quae in futurum vel 
incendio absumi vel alias coilabl, seuruinœ obnoxias fore continget , ser- 
vari volumus, bac intérim lege adjecta, ut Iiberum sit dominis qui, 
inopia gravati, bujusmodi domos seu aedificia ruinosa sive areas instau- 
rare non possunt, cas vonderc seu alîenarc, diimmodo tnmrn et bi qui 



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- 309 — 
illa comparaverint seu acquisiverint eas înfra triennium exiedilicarc , 
juxta praescriptum et moderamen gubernatorum , teneantur. 

Decernentes ac volentes ut iidem gubernatores ac syndici et eorura 
successores et praedicta civitas Bîsuntina hac nostra concessione et prî- 
vilegio perpétue gaudere, seque in eisdem conservare possint et valeant , 
neque cuique ea de causa intra vel extra judicium respondere aut all- 
quid praeler proemissa solvere teneantur. 

Mandantes idcirco et serio praecipientes omnibus et singulis principibus 
ecclesiasticis et saecularibus, praelatis, ducibus , marchionibus , comitibus, 
barontbus , nobilibus , militibus , militaribus , proceribus , capitaneis , vice- 
dominis, prœfectis, castellanis, praesidibus, judicibus, procuratoribus , 
officialibus^quaestoribus, civiuin magistris,consulibus, civibus, commu- 
nitatibus, et dehique omnibus nostris et imperii sacri siibditis et fidelibus 
dilectis, cujuscunque praeeminentiae , dignitatis, status, gradus, ordinis 
aut conditionis existant , ut praefatos gubernatores , syndicos et eorum 
successores in perpetuum , ac civitatem Bisuntinam , in hujusmodi nostro 
privilégie, concessione, statuto, ordinatione, aliisque praîdictis non per- 
turbent ncc impedtant , sed illis pacifice et quiète uti , frui et gaudere , 
et in eis permanere sinant et permittant, quateniis gratiam nostram 
cbaram habent, ac pœnam quinquaginta marcharum auri puri, pro di- 
midio fisco nostro imperiali et pro residuo injuriam passo sive passis , 
quotiescunque contrafactum fuerit, irremissibiiiter applicandam , incur- 
rere formidant. Harum t^stimonio litterarum manu nostra subscriptarum 
et stgilli nostri caesarei appensione munitarum. Datum in civitate nostra 
Toleti , die octavo mensis maii , anno Domîni millesimo quingentesimo 
trigesimo quarto , împerii nostri decimo quarto et Regnorum nostroruni 
decimo nono. 

(Signatum) CAROLUS. 

Ad mandatum Caesareae et Catbolicae Majestatis proprium : 
(Signatum) J. Obernburger. 

A ce dipiome est appendu, sur une double queue de parchemin , un grand sceau de dre 
rouge aux armes de ]'cmpereur, encastré dans une capsule de cire jaune. 

Ordonnance du capitaine de Gharies>Quint dans la ville de Besançon, en date 
du 3i juillet i536, réglementant les distances auxquelles les constructions 
privées devront se tenir des remparts de la place , et mandement de la mu- 
nicipalité, en date du lo octobre suivant, rendant ces prescriptions exécu- 
toires. (Délibérations municipales, registre de i535 à i537, fol. 436 et 437.) 

Claude dk la Baume , chevalier de Tordre du Toison d'or, baron e1 



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— 310 — 

Ncigueur de Mont-Samct-Sorlin , Montrubiot , Presiily, ïholonjon , Igny, 
Chemilly, Valay, Chastenoy, etc., mareschal de Bourgoingne, bailly 
d'Amont et capitaine en la cité impériale de Besançon, etc., sçavoir 
faisons que, ensuyvant je bon vouloir et plaisir de la Très-Sacrée Majesté 
de r Empereur nous ayant ordonné , comme capitaine audict Besançon , 
entendre et veoir quelle distance estoit nécessaire entre les murailles, 
d'une part, manoirs et héritaiges des particuliers de sadictecité, d'aultre, 
ai in pour veoir à la seiurté , forteficacion et deffense d'icelle , nous susmes 
transportez en plusieurs lieux et quartiers aux entours desdictes murailles, 
ayans précédemment prins et eu conununicacion avec messieurs les gou- 
verneurs de ladicte cité en leur hostel consistorial , et appelle avec nous 
sur lesdicts lieux les [personnages] par eulx ad ce commis , veu et visité 
lesdictes murailles , manoirs et héritaiges , considéré aussi ce que le d|X)i( 
» sur ce en tel cas ordonné et mesme en cité de semblable qualité audict 
Besançon , et pour la forteficacion, seurté et préservacion d*icelle présen- 
tement plus que requises et nécessaires, tant à raison du temps courrant 
que pour Tadvenir, nous a apparu et avons advisé : de doiz la porte de 
Rivotte jusques à la tour y contiguê , nommée du Port, sur la rivière du 
Doulx, ladicte distance doit estre continuée de trois toises, selon qu elle 
est commencée, pour y conduire et getter du long d'icelle muraille, et à 
l'entour de ladicte tour, la plate-forme y nécessaire pour la deffense des 
advenues dicelle porte de Rivotte ou de piéça , il a esté advisé réduire la 
garde de la porte Taillée ; et doiz ladicte tour, circuyaot et environnaot 
le reste de toutes les aultres murailles de ladicte cité, icelle distance 
doit estre de deux toises et demye franchement; et aemhiablement que, 
(leans icelles distances et lieux aboutissans sur lesdicts particuliers nia- 
noirs et héritaiges , se debvoir planter bons abres de noyers assés prou- 
chains Tung de Taulti'e , afin entre icelles murailles et abres se puissent 
plus commodément et seurement dresser bons et puissans rampaires , 
plates-formes , résistances et aultres fortificacions duysantes et nécessaires 
pour ladicte deffense et conservacion d*icelle cité. A ces causes , comme 
commis de Sadicte Majesté en ceste partie, et de par icelle, avons or- 
donné et ordonnons que, par lesdicts sieurs gouverneurs, doibvent estre, 
précisément , réaiment et de fait , contrainctz tous ceulx et celles qu'il 
appartiendra souffrir et permettre estre exécuté ce que dessus, deans le 
jour de feste Sainct-Martin d'iver prouchainement venant, nonobstant 
toutes contradictions faictes ou à faire au contraire. 

En tesmoingnaige de ce , avons signé cestes de nostre main , secUé 
de nostre scel et fait signer par nostre secrétaire, audict Besançon, 



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— 311 — 

le derricr jour de juillet, l'an Noslre- Seigneur mil cinq cens trente- 
six. 

Ainsi signé : Claude de la Baulhb. 

Seellées de .son seel armoyé de ses armes, en cire vermeil et quehiie 
pendant; 

Et signées de son secrétaire : 

/. Piqu£net. 

Les Gouverneurs de la gîté impériale db Besançon, 

Pour mettre à exécution le mandement précédemment escript, dé- 
cerné par nostre très-honoré et doubté seigneur monseigneur le mares- 
cbal de Bourgoingne , capitaine en ladicte cité , commissaire de TEmpe- 
reur, nostre souverain seigneur, député en ceste partie , avons commis 
et commectons Nicolas Boncompain , Paneras de ChafFoy, cscuyer, An- 
thoine Buzon et Claude Monyet , noz confrères , les quatre , les trois et 
les deux d'iceulx , leur donnant toute puissance ad ce pertinente et né- 
cessaire. Donné au conseil de ladicte cité, le dixicsme' jour du mois 
d'octobre, l'an mil cinq cens trente-six. 

IV 

Mandement de l'empereur Charles-Quint, en date à Augsbourg du 1 9 août 1 55o, 
instituant des commissaires pour étudier la rectification de la rampe du Mont, 
dort, près Besançon, et pour exproprier les terrains à ce nécessaires. [Archives 
de la ville de Besançon.) 

Charles, par la divine clémence, empereur des Romains tousjours 
auguste, roy de Germanie, de Castille, de Léon, de Grenade, de Na- 
varre, d'Arragon, de Naples, de Secille, de Malliorque, de Sardaine, 
des isles Yndes, et terre ferme, de la merOccéane; archiduc d'Austrice, 
duc de Bourgoingne, de Lothier, de Brabant, de Lembourg, de Luxem- 
bourg et de Gheldres; conte de Flandres, d'Artois, de Bourgoingne pa- 
latin et de Haynnault, de Hollande , de Zélande, de Ferrette, de Hagnau , 
de Namur et de Zutphen ; prince de Zwave , marquis du sainct-empire , 
seigneur de Frise, de Salins, de Malines, et dominateur en Asie et en 
AfTrique , à tous qui ces présentes verront saiût. De la part de noz très- 
chiers et féaulx les gouverneurs de nostre cité impériale de Besançon , 
nous a esté remonstré comme près d'icelle et ri ère nostre conté de Bour- 
goingne , au lieu dit le Montdart, y a certain chemin tant précipiteux et 
difficile que sans danger et péril Ton ne peut aller ne venir par icelluy 
de nostredict conté de Bourgoingne en ladicte cité , et bien souvent ad- 



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— 312 — 

vient que j[e$ ckevaulx et chariotz y passans tumbent et périssent, pour 
eslre îcelluy chemin quasi inaccessible , et journellement se rend pire et 
plus difficile, que vient à grande incommodité, intérest et dommaige 
des habitans de nostredict conté et de ladicte cité , parce quih ne peu- 
vent bonnement amener ne conduyre leurs denrées et marchandises ea 
icelle cité , ny les citoyens audict conté ; nous supplians à ceste cause 
Icsdictz gouverneurs , désirans le bien commung d'icelluy conté et de 
notredicte cité et pour avoir meilleur et plus grande fréquence et ami- 
tié ensemble, qu'il nous pleut leur permettre réparer et rendre plus 
commode ledict chemin du Montdart, ou le dresser et conduyre par 
aultrc lieu convenable et moins difficille rière nostredict conté , et , afin 
que noz haulteurs, jurisdictions et droictures, tant en qualité d'empe- 
reur que conte de Bourgoingne, fussent mieulx gardées, depputer et 
commectre personnaigcs telz qu'il nous plairoît , avec povoir que , s'il 
convenoit pour la conunodité dudict chemin prendre et approprier à 
îcelluy quelque portion d'héritaiges d'aucuns particuliers , de contraindre 
Icsdictz particuliers vendre et laisser audictz supplians lesdictz héritaiges 
ou partie d'iceulx , pour applicquer et servir audict chemin , moyennant 
pris raisonnable et tel que par lesdictz commis seroit advisé , toutes oppo- 
sitions , appellations et contradictions cessantes ad ce que une si bonne 
et si nécessaire œuvre, emportant au bien publicque de nosdictz conté 
et cité de Besançon , ne fust retardée ou empeschée. 

Nous , les choses susdictes considérées , inclinans favorablement à la 
supplication et requeste desditz gouverneurs , avons , comme Empereur 
et d'auctorité impériale, commis et député, commectons et députons 
par ces présentes , pour austant que la susdicte matière peult concerner 
nostredicte cité de Besançon, nostre chier et bien amé le lieutenant de 
nostre juge en ladicte cité de Besançon, et semblablement , en tant 
qu'icelle nous peult toucher comme conte de Bourgoingne , nos chiers 
et bien amez maistre Philippe Marchant , trésorier de Dole , ou son com- 
mis , et celluy à présent commis procureur fiscal en nostre bailliage du- 
dict Dole, ausquelz avons donné et donnons par cesdictes présentes pkin 
povoir et auctorité d'entendre à la susdicte matière et y besongner, et 
faire comme ilz treuveront convenir pour la réparation dudict chemin du 
Montdart et le dresser par aultre lieu plus convenable rière nostredict 
conté , si mestier est , aussi pour l'achat des héritaiges desdictz particuliers. 

Ordonnant et commandant expressément que ce que par nosdictz 
commis sera advisé soit mis à dehue exécution , nonobstant toutes con- 
tradictions, oppositions et appellations, et sans préjudice d'icelles, auc- 



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— 313 — 

torisant, comme auctorisons par cesdictes présentes, ce que pai* iceulx 
commis y sera faict et ordonné; 

Mandant et commandant très-expressément à tous noz officiers , sei^vi- 
teurs et subgectz que , en ce que dessus , ilz obéissent à nosdictz commis 
et leur prestent toute ayde, faveur et assistance dont ils seront requis et 
besoin auront. Car ainsi nous plaist-il. En tesmoing de ce , nous avons 
fait meclre nostre seel à cesdictes présentes. Donné en nostre cité impé- 
riale d'Âusbourg, le dix-neufième d'aoust. Fan de grâce mil cinq cens 
cinquante, de nostre Empire le trente -ungième, et de nos Règnes de 
CastiUe et aultres le trente-cinquième. 

Par l'Empereur et Roy , Duc et Conte de Bourgoingne : 

(Signé) Bave. 

Grand socaa de cire rouge à rcflTigie impériale, avec cootre-sceau armorié, nur double 
(])icue de parchemin. 



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UNE FÊTE D'ARQUEBUSIERS 

EN 1615. 
PAR M. MATHON FILS, 

MEMBRE DE LA SOCIÉTÉ ACADEMIQUE DE L*OI$B, CORRESPOIIOART DO MIHISTÉnfc. 



L'histoire de chacune de nos villes renferme un chapitre sur 
les corporations d'archers, d'arbalétriers et d'arquebusiers : car 
toutes ont possédé de ces compagnies d'armes formées de citoyens 
animés du désir de défendre leur cité et leur pays. 

La royauté elle-même trouvait dans ces corporations une légion 
toujours prête à la soutenir ; elle encourageait vivement ces institu- 
tions possédant des statuts : ainsi Charles V, en iSôg, défendait 
sous peine d'amende tous les jeux de hasard*, les considérant 
comane inutiles, nuisibles et incapables de rendre les populations 
aptes à l'usage des armes; il en exceptait Texercice du trakt d'arc 
oa d*arhalestre ^ auquel il accordait des privilèges en ordonnant 
que des prix seraient donnés aux mieux tirants. 

Son successeur, Charles VI, donne la permission d'établir des 
confréries d'arbalétriers, à condition qu'elles serviraient le roi 
• toutefois et quantes, avec défense de jouer aux dez et autres jeux 
damnables, ni même de jouer de l'argent au jeu de l'arbalestre , 
sous peine d'être mis dans un cep portatif, suivant l'usage des 
autres villes du royaume. » 

* c Avons deffendu et defliendons par ces présentes tous jeui de dez , de tables , 
de quilles, de palets, et tons auslres jeux qui ne font pas exercer ni habiliter noz 
subjei au Tait et usage d'armes à la deffense de nostrcdit royaume, sous peine 
de 4o sols parisis. • 

* Au XV* siècle, les ouvriers idudict méiier seront tenus de faire arcs de bon 
bois d'if, et qu'ils soient bien encornez. . . ils seront tenus de faire flcschc de bon 
bois secq. . . t (Arrêt du prévôt de Paris, U/i3.) 



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— 316 — 

Chaque roi, à son avènement au trône, confirmait les institu- 
tions du jeu royal de Tare et de Farquebuse ^ 

Il fallut, à une certaine époque, arrêter l'engouement qui s'ëtail 
développé pour ces nobles jeux d'arc, dont les confréries et les 
corporations devenaient de véritables armées disposées à endurer 
les fatigues de la guerre. 

Puis, beaucoup de citoyens s'étant familiarisés avec Texercice des 
armes, il en était résulté une augmentation du nombre de ces 
compagnies d'armes spéciales, dans lesquelles s'incorporaient les 
hommes braves, possédant l'estime de tous et occupant parfois 
des positions élevées. Au xv'et au xvi* siècle, ces institutions sont à 
l'apogée de leur gloire : la haute bourgeoisie y coudoie le clei^é et 
la noblesse; des prêtres prennent rang dans cette milice; ainsi, 
en Bretagne, des grands dignitaires de l'Église figurent parmi les 
chevaliers du papegaut; l'archevêque Juvénal des Ursins reçut ce 
titre, et le clergé de Reims l'imita en s'exerçant au manienaent 
des armes. 

On voit les rois de France confirmer successivement les institu- 
tions des arquebusiers ^ ; les faveurs et les récompenses s'accrurent 
sous Henri IV et surtout sous son fils ^ protecteur ardent de ces 
compagnies appelées souvent à la garde du monarque, ayant le 
droit de porter des livrées semblables à celles des officiers de la 
maison royale. Le principal but était d'encourager les habitants à 



■ Sous François 1*', on disait : «tirer de la haquebutte et hirquebuze.f (Lettre 
de ce roi, en 1 53 g.) Les arbalétriers de Beauvais, avant d'être érigés en corps, au 
nombre de quarante, par un édit de Louis XI, en idvS, formaient une confrérie 
beaucoup plus nombreuse, qui avait son ordonnance et ses statuts comme les con- 
fréries d'arbalétriers des autres villes , et en i553, quarante archers et quarante 
arbalétriers de Beauvais , formant deux compagnies , se transformèrent en arque- 
busiers; Tusage de la poudre à canon vint donner la préférence à l'arquebuse sur 
l'arbalète. Le roi Henri II f, en 1679, c^^^P^ d'imposition pendant un an, à 
Beauvais, le compagnon qui avait abattu l'oiseau. 

' En 1673, (Charles IX affranchit de la taille le capitaine de la compagnie 
d'arquebusiers de Compiègne et celui qui gagnera le joyau offert pour le jeu. 

' Catherine de Médicis, dit Brantôme , aimait fort «à tirer de l'arbalestre à jalet 
et en tirait fort bien , et toujours , quand elle allait promener, faisait porter son 
iirbalestre. » 



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— 317 — 
s'exercer continuellement au maniement des armes, et par là con- 
tribuer à la défense de la cité ^. Disons aussi que les jeux et les 
exercices d'adresse formant les principales distractions de nos 
pères ( il en est parlé dans les vieux romanciers ) , les réunions 
d'archers et d'arquebusiers firent naître des joutes, donnèrent 
Heu à des défis où les compagnies se disputaient la supériorité 
dans ces armes; des faveurs, des privilèges, des honneurs étaient 
donnés à ceux qui remportaient les prix; chaque ville faisait de 
grandes dépenses pour figurer avec honneur à de véritables fêtes , 
annoncées bien h l'avance dans les provinces voisines. Le goût des 
populations pour venir assister à ces distractions fut entretenu 
par rétablissement de prix généraux décernés aux plus habiles 
tireurs. 

Lile-de-France, la Picardie, le Beauvaisis, virent leurs compa- 
gnies s'associer entre elles et faire des fêtes splendîdes que prési- 
daient les grands du royaume. Une des premières réunions pro- 
vinciales eut lieu à Creil, en i6i5, et un document de cette 
époque, que nous possédons, fait connaître cette fête, cet assaut 
d'adresse où la confraternité égalait la courtoisie. Nous conservons 
à cette narration le style du temps. 

• Ainsi conmie il n'y a nation, ny ville, ny pays pour petit ou 
de peu d'estendue puisse-il estre, qui n'ait ses coustumes, ses loix, 
sa mode, et son parler différent, ainsi n'y a- il province qui n'ait 
quelque invention de jeux poupse resjouir, en laquelle elle excède 
en quelque façon et manière l'industrie et dextérité des autres. 

« C'est pourquoy, à ceste. occasion , les peuples et habitans du 
pays de Beauvoisis, conviez amoureusement par la beauté de la 
saison et douce tranquillité de l'air, s'estant de toute ancienneté 
addonnez à l'exercice des armes, et principallement aux jouxtes 
de toutes sortes, et à tirer de l'arquebuze, se treuvèrent allumez 
d'un beau désir de faire paroistre aux autres qu'ils estoient mais- 
très et comme singuliers de cest exercice; et, pour ce, envoyèrent, 

* Comme, dans l'originp, ce furent des bourgeois notables qui, placés sous le 
commandement d'officiers nommés par les rois, étaient chargés de ia défense de 
leur ville, il en est résulté la formation des confréries armées d'archers, d'arhn- 
lôtriers, et plus Inrd d\irquehusiors. 



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— 318 — 
sur le commencement du présent mois de juillet, le cartel dedefly 
aux habitans des villes qui leur estoient plus proches et voisines. 

• Le lieu choisi pour faire le susdit exercice fut le bourg de 
Creil ^ siz entre Beaumont et Glermont, pour la beauté de la place, 
digne certes d^une telle feste et resjouissance. 

« Le prix destiné aux vainqueurs et aux gaignans plus dextres 
et adroicts furent deux enseignes de diamans et pierreries , de la 
valleur et estimé de cinq à six mille francs. 

«Monsieur le Prince^, qui pour lors estoit en sa maison de 
Glermont, fut invité tant par ceux de Creil que par les habitans 
de Clermont, ses sujets, et de Beaumont, de s'y trouver pour y 
recevoir du plaisir et du contentement, comme il fit, suivy et ac- 
compagné de plusieurs seigneurs et gentilshommes de remarque 
et qualité. 

• Les villes delTieez pour le gain du prix proposé furent : Mante, 
Pon toise, Sen lis, Luzerche, Verbery, Saint-Leu, Beaumont et Cler- 
mont. 

t Le jour est prins, sçavoir le dimanche 5 jour de juillet 16 15. 
Le samedy, jour de la vueille, chacun se trouve et se rend, les uns 
à Beaumont, les autres à Clermont, et les autres audit lieu de 
Creil, pour loger attendans le lendemain que tous se dévoient 
rendre audit Creil. 

« Ceux de Mante arrivent des premiers par batteau , remontans 
par la rivière d'Oise jusques à Beaumont; ils estoient de tireurs 
choisis environ quarante, tous richement accoustrez et habillez 
avec des panaches et escharpes bleues. 

« Ils avoient en leur compagnie un porte-enseigne, qui avoit un 



* Il existait depuis longtemps à Creil une compagnie de chevaliers de l'arque- 
buse; on la voit figurer de nouveau à la réunion du j^ix général, à Compiègne, 
le 3 1 juillet i63o. 

La première compagnie d'archers instituée à Creil date du règne de 
Charles V, après la construction du château. 

* Monseigneur le prince de Condé, Henri de Bourbon, comte de Clermont. En 
cette même année 1 6 1 5 , ce premier prince du sang s'était enfermé dans Cler- 
mont pour s'y défendre contre le roi, et le maréchal d'Ancre envoya «petardert 
la ville. Le Mercure de France (t. IV, p. 3o2 ) donne la description de re siège. 



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— 319 — 
pourpoint de satin blanc et les chausses de velours rouge cramoisi 
à laiçe passement d'or, avec le haut panache de plumes de heiron 
sur la teste, attaché avec une moyenne enseigne de petits diamans; 
renseigne bleue de taffetas portoit un saint Nicolas avec force fleurs 
de lys d'or. Et, outre ce, ils avoient trois trompettes marchans de- 
vant le capitaine armé de toutes pièces, sur un cheval grison, dont 
la selle et les brides estoient en broderie d'or et d'argent. 

« Ceux de Pontoise estoient en nombre cinquante-trois hommes, 
portans Tescharpe et la livrée vert de mer. Ils estoient conduits 
par quatre trompettes et d'un capitaine habillé de satin gris, avec 
le hausse- col doré, monté sur un cheval hongre paré d'une selle 
de velours vert enrichie de broderies d'or et d'argent; et d'un 
porte-enseigne habillé de taffetas rouge; l'enseigne verte au milieu 
de laquelle estoit un saint Loys tenant en sa main un sceptre et 
en l'autre une main de justice. 

« CeuxdeSeniis estoient environ cinquante-six honmies , tous por- 
tans l'écharpe blanche, les bandolières et garnitures de forchettes 
de mesme. Ils estoient conduits de deux trompettes, d'un capitaine 
habillé de satin rouge cramoisi, chamarré de clinquant, le chapeau 
de castor embelly d'une aigrette attachée d'une riche rose de dia- 
mants; le porte^nseigne habillé de satin blanc; l'enseigne blanche 
où estoit pourtraicte une Nostre-Dame et force estoilles d'or et d'ar- 
gent. 

« Ceux de Luzerche, en nombre de vingt-cinq, au lieu de trom- 
pettes quatre hantsbois; leur livrée estoit de roze seiche, leur en- 
seigne de taffetas gingeollin (zin2olin^}, avec les armoiries de Sa 
Majesté au milieu; leur capitaine estoit armé de toutes pièces 
d'armes luisantes et dorées, et le porte-enseigne de mesme. 

tCeux de Verbery estoient dix-huit, conduits d'un capitaine et 
d'un lieutenant avec phiffres et tambours; leur enseigne jaune et 
rouge et blanche, et leurs livrées en couleur colombines. 

t Ceux de Saint-Leu estoient vingt-deux, tous habillez de toile 
blanche, avec les escharpes et bandolières orangées; leur enseigne 
bigarrée de noir, de blanc et de vert; leur capitaine estoit habillé 

' («oiilonr firs Cniiis de jiijnbos [Ziziphnt). 



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— 320 — 
de simple taiTetas gris découpé, à fond de taffetas rouge, et na- 
voient qu'un tambour et un phiSre. 

I Ceux de Beaumont, choisis en nombre de quarante-sept 
honmies, tous mousquetaires, portans pour livrées et couleurs le 
jaune, tant en leurs escharpes qu'en leurs bandolières et four 
chettes, avoient pour condûitte un capitaine habillé de toille d'ar- 
gent, pour le pourpoint et les chausses de rose seiche, de velours 
figuré, avec trois passements d'or, le hausse -col d'argent doré, la 
picque dorée à la main; son lieutenant tout habillé de taffetas vert; 
le porte-enseigne, de taffetas couleur de pensée, avec son enseigne 
de taffetas bleue, rouge et vert, portans en devise un saint Mau- 
rice tenant sa croix; au-devant de la compagnie estoient deux 
tambours avec deux flageollets et trois trompettes. 

« Quant à ceux de la ville de Clermont^ ils estoient en nombre 
quelque cinquante, tous ayant le pourpoint blanc de toile de 
Hollande et les chausses d'escarlatte rouge, avec l'escharpe par- 
dessus le pourpoint des couleurs de ventre de biche, comme 
celles de Monsieur le Prince ; trois tambours estoient à la teste de la 
compagnie, six trompettes et deux hautsbois; le capitaine armé 
d'armes luisantes et dorées, le casque en teste, où estoit un haut 
panache blanc et rouge; son lieutenant, de mesme; le poi-te- en- 
seigne avec son hausse-col doré, habillé de satin vert gay, portant 
une enseigne blanche et rouge, où estoient gravées les armes et 
devises de mondit sieur le Prince« Geste compagnie arriva la der- 
nière à Creil, pour ce que ce fut elle qui amena Monsieur le 
Prince avec une infinité de seigneurs et gentilshommes en bon 
estât. 

«Pour ceux de Creil, qui ne sortirent point du bourg, sinon 
lorsqu'il fallut aller au-devant de Monsieur le Prince, ils estoient 
assemblez en nombre de quarante -quatre hommes, tous portans 
l'escharpe de couleur de pensée; leur capitaine avoit un habit de 
satin figuré tanné; son lieutenant, de tafetas gris argenté; le porte- 
enseigne, de tafetas de vert de mer, et son enseigne de tafetas jaune, 
au milieu de laquelle y avoit une grande croix blanche; plus ils 
avoient deux tambours et six hautsbois. 

u Toutes les compagnies estant donc arrivées à Croil pour la ce- 



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— 321 — 
rémonie et sujet dit cy-dessus, advertîes du partement de Monsieur 
le Prince de son chasteau de Clermont, rhoisissent de chaque 
compagnie di\ hommes des phis braves et mieux équippez pour 
aller au-devant de Son Excellence et marchent jusques à une lieue 
loing de là, où ils l'attendirent avec toutes les enseignes, trompettes, 
hautsbois, phîffres, flageollets et tambours; lui, venans avec tous 
les seigneurs et gentilshommes de sa suite, ensemble la compagnie 
|K)rtant au-devant sa bannière et enseigne. On tira chacun un coup 
pour le saluer, et ainsi en bel-ordre marchans arrivent fmallement 
à Creil, où les harquebusiers, plantez en baye, deschai^ent leurs 
harquebuses et mousquets pour le saluer de rechef, et est conduit 
au logis à lui préparé pour prendre le contentement et le plaisir 
(le la dextérité des tireurs. De tous costez ce n estoient que théâtres 
en la rue où se devoit faire lexercice; il y avoit une multitude 
grande de peuple qui y accouroient de toutes parts, comme de 
Senlis, de Beauvais, de Beaumont, de Clermont et des bourgs et 
autras villes voisines. 

« Monsieur le Prince ayant prins son logis, on planta lanneau 
dans lequel il falloit tirer pour gaigner le prix; on délibéra à qui 
lireroit le premier, et fut dit que Senlis commenceroit, 2® Cler- 
mont, 3" Mante, A* Pontoîse, 5" Beaumont, 6** Luzerche, 7" Creil, 
8" Verbery, 9" Saint-Leu; et, outre ce, ordonné que la compagnie 
(|ui donneroit trois fois en Tanneau remporteroit et l'honneur et le 
prix destiné. Ainsi, après plusieurs coups tirez par toutes les com- 
|>agnies, celle de Beaumont emporta le prix et la gloire du jeu au 
grand contentement de Monsieur le Prince et des seigneurs de sa 
suitte, louans lexpérience et la dextérité de tels tireurs, qui avoient 
donné par trois diverses fois dans Tanneau, bien que reculez et 
esioignez d'icelluy de plus de cent pas. A chaque fois que quelque 
tireur donnoit dedans, les trompettes estoient là qui ne man- 
quoient point à faire leur devoir de sonner. Et Dieu sçait, après 
le prix gagné, combien il y eut de joye et de resjouissance 
parmi les Beaumontois; ce fut alors à faire la monstre générale 
par tout le bourg avec les trompettes et tambours, et au partir de 
là boire d'autant à la santé du Roy, de la Royne et de Monsieur le 
Prince. ■ 



AKClIKOLdOlK. 



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— m — 

Nous ne trou\ous pas dans cette fête une série de |>rix comme 
à Noyon, en i633, et plus tard dans les assemblées proviaciales; 
il n'y est point question de la présentation d'un bouquet à une 
compagnie comme gage accepté de nouvelles réjouissances pour 
Tannée courante, ni du cérémonial qui, dans la suite, s'observait 
rt^lièrement dans ces tournois, où les dignités étaient le fruit de 
l'adresse, où chacun avait l'esfioir d'obtenir une couronne uiise en 
jeu chaque année. 



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L'ARCHÉOLOGIE ET L'INSTITUTEUR, 

PAR M. OLRY, 

INSTITUTKIill À AI.LAIN («KUBTHE), 
VBMBnB DR I.A SOCIÉTÉ D'ARCUÉOLOCIB LORA4IIIE, 



L archéologie est une science qui est appelée à rendre d'émi- 
nents services à Thistoire; elle a pour but, en effet, « de faire servir 
rétude des monuments h 1 explication des faits de lantiquité^ » 

Naguère encore, cette science était dans Fenfance; mais «depuis 
un certain temps, elle grandit, elle fait de rapides pi-ogrès, et la 
phalange dévouée qui la cultive aujourd'hui, et qui va chaque jour 
en grossissant, donne lieu d'espérer dans le présent, mais surtoul 
dans Favenir, les résultats les plus brillants. 

Les villes, avec leurs édifices célèbres, les monuments antiques^ 
les ruines impoi-tanles réf>andues sur le sol de notre pays, tout ce 
qui a eu un certain renom est ou a déjà été Tobjet de recherche» 
actives, d'études consciencieuses. Néanmoins, il reste beaucoup à 
faire encore. 

En effet, dans nos campagnes, il existe des vestiges nombreux 
du passé, souvent modestes, il est vrai, mais assez intéressants en- 
core et dignes d'appeler et de fixer l'attention. 

A de très-rares intervalles , des amis dévoués de la science ar- 
chéologique viennent bien faire des excursions parmi nous; mais, 
faute de renseignements précis, d'indications suffisantes, leurs 
recherches si louables sont assez souvent frappées de stérilité. Et 
cependant ils ont peut-être, et sans trop s'en douter, passé ici à 
r^té de ruines romaines ou du moyen âge, là près de quelque 
sculpture ou de tout autre produit de l'art ou de l'industrie 
antiques; ailleurs, une trouvaille de monnaies ou de médailles a 
échappé à leurs investigations, et c'était peut-être un trésor de 
science, qui est allé se perdre (ce fail s'^est reproduit assez souvent) 



ARniiK()i.or.iK. 



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— 324 — 
eiilro les inaîtis (run spéculateur a vklo ou d'uu industriel i^oranl« 
qui a Hvr(^ des bronzes importants au creuM^t pour en retirer du 
métal ! 

H y a là , certainement , un vaste champ à exploiter au point de 
vue archéologique, une ample moisson à faire, une surveillance 
active et incessante à exercer, pour que les vestiges intéressants des 
siècles passés, que ?e temps a i-esi^ectés, nous soient conservés. 

Pour cela, il serait à désirer qu'il y eût dans chaque localité, ou 
tout au moins dans chaque grou|)e de trois ou quatre communes , 
un homme, sinon érudit, du moins possédant quelques connais- 
sances spéciales, quelques notions élémentaires d'archéologie, de 
numismaticpie, chaîné officieusement de remplir cette mission 
de surveillance et, en quelque sorte, de déblayer le terrain pour 
faciliter les recherches; nn homme zélé qui accomplit cette tâche 
comme un pieux devoir, avec dévouement, dans Fintérêt de la 
science et dans un but national, en faisant profiter les collections 
publiques de ses découvertes. 

Ce but, il est possible de l'atteindre; cet homme, on peut le 
trouver : cVst l'instituteur. 

Nul mieux que lui n'est apte à remplir cette utile mission. 
En effet, il vit au milieu des laborieux habitants des campagnes, 
qui font à chaque instant des découvertes, et qui lui donneront 
les renseignements né*cessairps |)our imprimer une l)onne direction 
à ses recherches; les enfants de son école même, s'il sait les inté- 
resser à sa tâche, seront pour lui des auxiliaires précieux et em- 
pressés, qui le tiendront au courant des trouvailles qui pourront 
se faille au village. 

Est-ce une charge nouvelle qu'il s'agit ici d'imposer à Finstitu- 
teur, déjà suffisamment occupé? On ne peut qualifier de ce nom 
une mission qui ne peut avoir rien de |>énible à remplir, une mis- 
sion qui serait, au contraire, de natnix> à lui procurer des distrac- 
tions utiles et agréables, des promenades pleines de charmes et 
d'agrément dans la belle saison, les jeudis et pendant les vacances. 
Pour peu d'ailleurs qu'il arrivât à prendre sa tâche à cœur, et 
qu'il trouvât du plaisir à pousser ses études vers cette science si at- 
trayante, n'y trouverait-il pas l'avantage de se mettre en i^lations 



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— 325 - 

avec les sociétés savantes des départements, qui raccueiileraient 
ceitainement avec empressement el bienveillance; et ces relations 
honorables ne lui vaudraient-elles pas estime et considération , même 
dans sa propre localité P 

Ce serait en outre, pour lui, une occasion de i-édiger quelques 
rapports, de présenter quelques mémoires sur ses voyages, ses re- 
marques, ses découvertes, et ces utiles exercices de style le main- 
tiendraient à la hauteur qu*il doit occuper. Les instituteurs qui 
négligent leur propi^ instruction finissent par déchoir; ils se 
trouvent bientôt au-dessous des nouveaux venus dans Id carrière : 
car ces derniers sortent de 1 école normale de jour en jour plus 
capables. 

En travaillant ainsi avec zèle et désintéressement, en occupant 
d'une manière si utile ses moments de loisir, il s'honoi^i^it , hono- 
rerait son titre d'instituteur, et il lui serait certainement tenu 
compte, par ses supérieurs, de son travail et de son dévouement. 

Mais sa mission même d'instituteur bien entendue, son devoir 
bien compris , doivent le conduire vers les recherches archéologiques. 

En effet, l'enseignement de l'histoire dans les écoles primaires 
est déclaré obligatoire par la loi réoenament votée. 

Pour cette branche d'études, comme pour la géographie, il est 
important de partir du village, de ses environs, du duché, du 
comté ou de toute autre subdivision féodale, i>our arriver ensuite à 
notre histoire nationale. 

11 est essentiel de faire connaître, dans la mesure du possible, 
les franchises , les vicissitudes de la localité et de ses environs , de 
signaler les faits marquants qui se sont passés clans le pays, les 
liommes célèbres que la province a vus naître. 

Rien n'intéresse plus vivement les élèves, les adultes surtout, 
que des leçons orales d'histoire ainsi présentées. Rien n'attii*e plus 
sûrement leur attention sur les événements, les (lersonnes et les 
choses que la vue d^une médaille, d'une monnaie antique ou d'un 
objet quelconque, quand surtoui on j)eut indiquer l'usage et la 
|)ix>\enance de cet objet, ou déchitfrer la date et la légçnde de la 
juédaille, etc. -. . 

Alais quels sont les moyens d'arriver à ce insultât? 



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— 326 — 

Us sont simples et de deux sortes : 

1*^ Donner, à Técole normale, quelques notions d arcliéolc^ie ; 

2° Répandre des ouvrages élémentaires de cette science dans les 
bibliothèques scolaires et en fournir surtout aux instituteurs qui 
en feraient la demande ^. 

Le petit cours d*arcbéologie de l^école normale pourrait éti-e 
seulement considéré comme un complément nécessaire, indispen- 
sable, de notre histoire nationale, et le professeur d'histoire en se- 
rait tout naturellement chaîné. Ce ne serait donc, en quelque sorte, 
ui une cbdrge ni une nouvelle branche d'études à introduite dans 
les écoles normales^. 

Est-ce à dire que des instituteurs il faut faiie des archéologues ? 
Évidemment non. Les notions très-élémentaires données à Técole 
normale ne développeront le goût de cette scieuce que chez un 
petit nombœ d'élèves-maitras ; mais elles devix>nt intéresser le plus 
grand nombre, sinon tous, aux choses de lantiquité, et c'est là le 
but vei^ lequel il faut tendre. Les instituteurs ne peuvent pas 
être, ne peuvent pas devenir des savants; leur ambition doit se 
borner à être des hommes utiles, et, en présence de l'archéologie, 
des pionniers de la science , chargés de reconnaître le terrain ; des 
sentinelles avancées, chargées de surveiller les campagnes, d'éclai- 
rer les recherches et de couvrir de leur protection tous les débris 
antiques dignes d'intérêt répandus sur le sol de la patrie. 

' Dans ses voyages pour dresser le répertoire archéologique des cantons de Co- 
lombey, Haroué, Toui sud et Véselise, fauteur de ce petit travail a eu l'occasion 
de voir un grand nombre de ses confrères iustituteius et de parler d'archéologie 
avec eux. Beaucoup lui exprimèrent le désir de partager ses études ; mais la ques- 
tion des ouvrages traitant de cette science, tous d'un prix élevé, les arrêta cons- 
tamment. 

Il ajoute que lui-même se trouve parfois bien privé sous ce rapport ; H est placé, 
d'ailleurs, loin des bibliothèques publiques, qui se trouvent fermées pendant les 
vacances. 

* Cette étude de l'histoire locale , quelle que soit la partie de la France à la- 
quelle elle puisse être appliquée , ne saurait avoir aucun inconvénient; elle ne peut 
éveiller aucun souvenir de regret sur Vautonomie passée. Nous sommes, j>our 
ainsi dire, nous Lorrains, les derniers venus dans la grande famille française; 
notre histoire particulière n'est pas sans gloire, et nos pères étaient fort attachés à 
leurs princes ; et cependant ce passé n'éveille chei nous aucun sentiment de regret. 



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— 327 — 

L*auteur de ce petit luémoire ci*oit à la possibilité d arriver à ce 
résultat. 

11 en est persuadé, car, depuis huit ans, il accomplit lui-même 
cette mission , et les résultats qu*il a obtenus ont dépassé ses espé- 
rances; ils lui ont valu des témoignages flatteurs d'encouragement 
de la paii de la Société d'Archéologie lorraine. Quant à la méthode 
pour renseignement de l'histoire de France dont il parle dans ce 
mémoire, il la expérimentée aussi dans son école, avec ses adultes 
notamment , et il en a tiré d'excellents fruits. 



KIN. 



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TABLE DES MÉMOIRES 



coivtBiros 



DANS CE VOLUME. 



Page». 

AvEitTTSsivBirr i 

Note sur le pied gaulois , par M. Aurès i 

Le culte des eaux sur les plateaux édueiis, par M. J. G. Bulliot i i 

Note sur un groupe anticpie trouvé à Mandeure, par M. Cl. Du?rii?ioy . . . 33 
Nouvelles études sur l'inscription romaine récemment trouvée à Mesve 
(dép. de la Nièvre); conséquences de cette découverte pour la détermi- 
nation géographique de Genahmn, par M. Boucher de Molaivdo?! 37 

Étude sur un point de géographie gauloise, par M. Beauciiet-Filleau ... G7 
Etude sur les voies romaines du pays des Silvanectes» par M. l'abbé 

Caudei 85 

Coup d'œil général sur les monuments des C6tes-du-Nord , par M. Gbslin 

DE Bourgogne 97 

Note sur les forts vitrifiés du département de la Creuse, par M. de Cessac. i 09 
^exploration méthodique des grottes du Chafiaud (dép. de la Vienne), par 

M. A. DE LONGUEMAR I 1 5 

Notice sur les monuments funéraires du Morbihan , par M. Rosenzweig . . i 3 1 
Notes pour servir à l'histoire de la stathmétique en France aux époques 

barbare et féodale, par M. £. Barry 1 4 3 

Notice sur quelques émaux byzantins du xi* siècle, conscnés au musée 

national do Posth (Hongrie) , par M. Cii. de Liras 1 69 

Atlendez-moi sous Torme, dissertation sur un ancien proverbe, par M. Frar- 

r.isouK MiGHEi » 67 

Notice historique et descriptive de l'église Saint -Philbert- de -Grand -Lieu 

(Loire- Inférieure), par M. Ch. Marionneau 209 

L'art à Douai dans la vie privée des bourgeois, du xiii* au xYi' siècle, par 

MM. A. AssRLiN et C. Drhaisnes 219 



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I 330 TABr.K DKS MKMOIUKS. 

Noies et documents inédits sur les peintres de récole de Toui*s, au xiv* el 

au XV* siècle, pa» M. C. L. Grandmai.sox •»35 

Parures des tombes des rois et des reines de Naples, ducs et duchesses 
* d'Anjou, dans la cathédrale d* Angers, par M. Godaro-Faultrier 265 

f^e bas-relief de la chambre du Trésor de Thôtel Jaequeê-Coiur» à Bourges » 

par M. Hiver »77 

L* empereur Charles -Quint et sa statue à Besançon, par M. Auguste 

Castar «89 

Une fête d'arquebusiers en 1 6i5, par M. Mathou lîis 3i5 

L'arfhéobgîe m rinstituteur, par H. Olry , 3i3 



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TABLE DES PLANCHES. 



I. Ex'toto du temple des sources du Mesvrin; autel à deux faces du même 

temple. 

II. Groupe larairc provenant deMandeure. 
m. Inscription de Mesve (Nièvre). 

IV. Carte des voies romaines aboutissant à Gtnabum. 

V, VI, VU, Vin et IX. Grottes du ChafTaud (Vienne). 
\. Émaux byzantins du musée de Pestli. 

XI. Coupe longitudinale de l'église Saint-Philbert-de-Grand-Lieu. 
Xlf. Crypte et chapiteau de Téglise 8aint-Philbei*t-de-Grand-Lieu. 



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Jfènuurej' bw ti ia Sorhonne en lâO^ 

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PI I. 






.3, F.x voto du ten:ipif' df^r r^oi'i\-es du Mcr,vrin 
L.b. Aulcl à deux farc-n di: îr>int' te mule. 



linriTHiene !nipfr;d]e 



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MèmoirAf liur à la Sorboruie en jSSy. 



PI. II 




CROUPR LARAlHl'. 

pruveridiit de îv^andeure 'Do'jhi') 

( opptenibre lôob ] 



Iniprin:erie Imporialc 
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Mémoire^? Itur à la Sorboruie en lôSj. 



PI. II 




CHOIJPR LAl^AIKE. 

provericuit ac Marideure n)oi;hi-:) 

( l'ipptembre 1866 ] 



.nipnTT.ene .mp^riaio 



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Mrnuytre.r àur à la Sorhonne en i86j. 



Autricum 

K Chartres- 









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CaE^sarocLuniuii 



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PI. IV. 



SnliocliU 

^ Aeedincum ^ A R T K 

VOIES ROMAINES 

nboutissanl 

bum À GENABUM 



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Belcft 



'^"/^^^ x-ti^ ^.^ Aulessiodunim 

^\ Brivodurum / 

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Condutf 



, Ma sa vit 



Avancum 1 r^ 



Baur^tftf 



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NoWodunum 
^pu îfeviriium 



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Mé^wire<? lu^r à la i^orbonne en iÔ6'j. 



Rnut^ de Cioratf à Charrowe 



EXPLORATION MEÎKODIOL'F. 







Coupe lonSrtudmaie de la Grntîe . 

a'i*i Stahu/mi/Af ancUnntJ. hhb Sti/Luf mites pojrtrr'^f ai-^stlrnns tuuc vtuiit'^. trr 3rA,Àé- 



^a^;H^_ 



Grotîe dçB j^ 
Bina 




^ J.^^cL . ..V- 



Vue Générale dci> RrrhtT 



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^ GROTTES DU CHAFFAUD (VlEl^INE) 



PI. VI. 



PmtB de l'entrée ^rincipalÊ 







:.,-nir<?e da Midi 



la Puits parallèlement a la paroi de l'Est 



VUlaife du Chqffaud 



RoiUtf iie Ciztra*/ à {Viarroiuc 



Grottes a 2 issues 



G : ' "s ..i'^ L-i. F a n t ai n c 




Hir 



i et des Qrottes du ChafTaud 



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Mémoires lus à la Sor bonne en iSôr. 

' N° 3 ) 

EXPLORATION METHODIQUE DES GROTTES DU CHAFFAUD 1 VIENNE) 
Ours des Cavernes ( Ursus spelaeus ) 



PI. VII. 






Canine 



Pb al an 5 e unô.ualc 



Molaire supérieure 




Renne ( Cervus tarandus ) 



A 



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\\'v\i;vç. molaire supérieure 





Pré-molajrc supérieure 



C'^rf !Cer/u3 elachus ) 



Porc sauvage ( Sus scrofa) 







Hyène des Cavernes 1 Hyena spelœa ) 





loprolithes de Carnassiers 

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Sfèmotres lus à laSorboruie en lÔfij. PI. VIH. 

EXPLORATION MÉTHODIQUE DES GROTTES DU CHAFFAUD (VIENÎIE) 



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(N°4. ; 




Molaire inférieure de Cheval. 




Phalanêe unSudle de Hvene. 




Molaire de Bœuf. 



iinprrmcne .mperia.e 



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• N" b 



MéjMotrej' lus à ia Sarhonne en lôtij. 

EXPLORATION METHOIIQUE DES GROTTES L'J"CHAFrAUD (VIENNE) 
Objets en silex empâtés dans les Stalaômiles et les brèches. 



PI. IX. 





Disq-ue tranchant en silex 



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Pandeloques de collier 
( Cajimcs atrophiées de renne ? ) 




Harpon en bois de Cerf 




Dessin à la pointe sur bois de Ztvî 1 au musée de Clunv ) 



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'oirt'j- lus ù la Sorltonni' en lHO-. 

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PI. X. 




3 i, 

ÉMAUX BYZANTINS DU MUSÉE DE PE5TH. 



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Mè^noirej' lus à la Sor bonne en j86j. 




ÉGLISE S' PHil Bl 

COUPE I-C 



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PI. XI. 




IT DE GRAND LIEU. 
:îitudinale. 



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Mêmoit^r lus à la J'ordonne <«» tSH" 



PI. AU 









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PLAN DK LA CRYPTE ET CHAPITEAU DE LEGLI5E S' PHILBERT DE GRAND LIEU 

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