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Full text of "Memoires pour servir a l'histoire naturelle des sangsues"

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Digitized  by  the  Internet  Archive 

in  2011  with  funding  from 

Open  Knowledge  Gommons  and  Harvard  Médical  School 


http://www.archive.org/details/memoirespourservOOthom 


MEMOIRES 

POUR  SERVIR  A  L'HISTOIRE  NATURELLE 

DES  SANGSUES. 


MEMOIRES 


POUR  SERVIR  A  L'fflSTOIRE  NATURELLE 


DES  SANGSUES 


Par  p.  THOMAS ,  D.  M.  M. ,  Membre  de  la  Société 
de  Médecine  de  Montpellier ,  de  l'Académie  de 
Médecine  et  de  la  Société  Médicale  d'Emulation 
de  Paris. 


AVEC    Ft^GURES. 


A  PARIS 


{GOUJON ,  Libraire ,  rue  du  Bac ,  n^.  54- 
BRUNOT,  Libraire,  rue  de  Grenelle  St-Honoré, 
no.  i5. 
FIGHON,  Libraire,  Palais  du  Tribunat,  pourtour 
duTbéâtre  Français ,  près  la  galerie  vitrée ,  n^  52. 

1806. 


On  trouve  chez  les  mêmes  Libraires: 

Traité  delà  Structure,  des  Fonctions  et  des  Mala- 
dies du  Foie ,  et  Recherches  sur  les  Propriétés 
et  les  Parties  constituantes  de  la  Bile  et  des  Cal- 
culs biliaires  ;  par  G.  Saunders  ,  Associé  de  îa 
Société  royale ,  Membre  du  Collège  royal  des 
Médecins  de  Londres ,  etc.  5  traduit  de  l'anglais 
sur  la  troisième  édition ,  et  augmenté  de  plusieurs 
notes,  par  P.  Thomas,  Docteur -Médecin  de 
Montpellier.  3  fr.  76  c. 

Observations  sur  quelques  points  de  l'Anatomie 
du  Singe  vert ,  et  Réflexions  physiologiques  suc 
le  même  sujet,  par  J.  Lordat,  Docteur  en  Mé- 
decine ,  Médecin  du  Dépôt  de  Mendicité  de 
Montpellier,  Chef  des  Travaux  anatomiques  de 
l'Ecole  de  Médecine,  Secrétaire  perpétuel  de  la 
Société  Médicale  de  la  même  ville,  etc.  i  fr.  5o  c. 

Recueil  de  Mémoires  sur  les  Salines  et  leur  exploi- 
tation ,  par  H.  Struve  ,  Conseiller  des  mines  de 
la  République  Helvétique,  ancien  Inspecteur  des 
mines  du  ci-devant  Haut-Faucigny ,  Directeur  de 
la  Société  des  mines  pour  la  Suisse,  Professeur 
de  Physique  dans  l'Académie  de  Lausanne ,  et 
Membre  de  plusieurs  Sociétés  Littéraires.  Avec 
figures.  a  fr. 

Recueil  de  Mémoires  et  de  Notes  sur  des  espèces 
inédites  ou  peu  connues  de  Mollusques  ,  de 
Vers  et  de  Zoophytes  ;  orné  de  gravures  ;  par 
F.  M.  Daudin ,  Membre  des  Sociétés  d'Histoire 
Naturelle  et  Philomatique  de  Paris,      i  fr.  20  c. 


A  M.  BARTHEZ, 


MEDECIN 

DE  SA  MAJESTÉ  L'EMPEREUR  ET  ROï 
ET  DU  GOUVERNEMENT ,  etc. 


Monsieur, 

Les  Auteurs  estimables  qui  ontmls  "votre 
nom  à  la  tête  de  leurs  ouvrages ,  n'ont  obéi 
quaux  sentimens  de  reconnoissance  et  de 
i;ênération ,  que  "vous  doivent  tous  les  hom- 
mes Doués  à  V étude  d'une  Science ,  dont 
Dotre  génie  a  embrassé  le  vaste  ensemble  ^^ 
et  que  vous  avez  reconstruite  sur  ses  vrais 
fondemens» 

Combien  n  est-il  pas  doux  et  flatteur  pour 
moi ,  de  pouvoir  joindre  ici  à  V hommage  de 
ces  mêmes  sentimens ,  celui  d^une  tendresse 
respectueuse ,  dont  votre  amitié  est  le  prix  ! 

P.  THOMAS. 


Livres  qui  se  trouvent  chez  les  mêmes  Libraires* 


Avis  aux  ouvriers  en  fer,  sur  la  fabrication  de  l'acier,  contenant 
l'art  défaire  l'acier  naturel,  l'acier  de  cémentation  et  l'acier 
fondu,  avec  les  propriétés  particulières  de  ces  différentes  es- 
pèces d'aciers  3  par  Monge,  Vandermonde  etBerthollet.  /n-4°. 
figures.  2  fr.  50  c, 

Cornelii  Celsî ,  de  Re  Medicâ  libri  octo  ,  ex  fîde  manuscripto- 
rum  codicum  et  vetustissimorum  librorum  summâ  diligentiâ, 
summoque  studio  recensuit  J.  Valart,  Paris  ,  1772.  3  fr. 

Cours  de  pharmacie  chimique,  par  Morelot.  Pâr/j,i8o3  j  3  ^^^* 
in-S\  '  15  fr. 

Dictionnaire  français-latin,  par  M.  l'Allemant.  i  vol.  m-S°.  , 
avec  des  remarques  et  additions  par  Boinvilliers.  Relié.       7  fr. 

Dictionnaire  latin  et  français ,  par  Boudot.  1  vol.  in-S°. ,  avec  des 
notes  et  remarques  par  Boinvilliers.  7  fr. 

Dictionnaire  raisonné  de  Physique  ,  par  Brisson.  Paris,  iSoo; 
6vol.  in-S°.  et  atlas  i/z-4°.  36  fr. 

Dictionnaire  universel  de  Géographie  ancienne  et  moderne,  ré- 
digé par  Aynés.  Lyon,  1804;  3  vol.  in-8°.  15  fr^ 

Dictionnaire  italien-français  et  français-italien  ,  par  Cormon  j 
avec  la  prononciation.  Lyon,  1802  j  2  vol.  in-S°.    13  fr.  50  c. 

Dictionnaire  élémentaire  de  botanique  ,  par  BuUiard  ,  revu  et 
presque  entièrement  refondu  par  Richard  ;  orné  de  20  planches 
gravées  en  taille-douce  par  Sellier,  6  fr. 

Dictionnaire  de  poche  anglais-français  et  français-anglais.  2  vol, 
in-iz  oblongs.  ■  "  4  fr. 

Elémens  de  l'histoire  moderne  ,  ou  Essai  sur  les  mœurs  et  l'esprit 
des  nations,  par  Voltaire.  5  vol.  i;z-8°,  i§fr. 

Essai  sur  la  théorie  des  torrens  et  des  rivières  ,  contenant  les 
moyens  les  plus  simples  d'en  empêcher  les  ravages,  d'en  ré- 
trécir le  lit  et  d'en  faciliter  la  navigation  j  par  Fabre.  i  vol. 
in-4°.  grand-raisin  ,  avec  S  planches.  12  fr. 

Géographie  de  Virgile  ,  par  Elliez;  ouvrage  nécessaire  pour  l'in- 
telligence de  cet  auteur,  i  vol.  irt-12,  avec  une  carte,    i  fr,  50  c. 

Géographie  universelle  ,  traduite  de  l'allemand  de  Busching,  avec 

- —   àes  augmentations  et  des  corrections  qui  manquent  à  l'original. 

s 6  vol.  m-b°.  40  fr. 

Grammaire  française  et  italienne ,  par  Vénéroni ,  revue  par  Gattel. 
Lyon  y  1802;  I  vol.  z/z-S°.  5  fr.. 

Grammaire  (  nouvelle  )  anglaise  ,  par  Robinet  et  Dehaynin  ; 
4*  édition,  i  vol.  in- 1 2  relié.  '  2  fr.  50  c. 

-Grammaire  de  Condillac  ,  contenant  les  principes  généraux  de 
toutes  les  langues ,  et  leur  application  à  la  langue  française, 
Ifi'ii.  ifr.  50  c* 

Herbier  de  la  France  ,  par  BuUiard  ,  contenant  l'histoire  des 
plantes  vénéneuses,  des  plantes  médicinales  etdes  champignons 
de  la  France.  15  vol.  in-folio,  ornés  de  6o2p'anches  représen- 
tant au  naturel  toutes  les  différentes  parties  des  plantes.  Prix  , 
divisé  par  cahiers.  '    '  450  fr. 


Si  l'Histoire  Naturelle  avoit  pour  objet 
principal  la  reclierclie  dès  rapports  qui 
peuvent  faire  obtenir  des  Mérhodes  de 
Classification  ,  on  trouveroit  bientôt 
les  dernières  limites  de  la  Science.  A.a 
lieu  d'étudier  d'une  manière  spéciale 
chaque  espèce  d'êtres  vivans  ,  il  suffî- 
roit  de  donner  une  description  plus  ou 
moins  exacte  de  certaines  de  leurs  par- 
ties 5  et  l'Histoire  Naturelle  d'un  être 
quelconque  paroitroit  complète  ,  dès 
qu'on  auroit  pu  lui  assigner  une  place 
convenable  dans  une  Méthode  de  Clas- 
sification « 

C'est  alors  qu'on  auroît  raison  de 
dire  que  les  progrès  les  plus  impor-^ 
tans  de  l'Histoire  Naturelle  dépendent 
des  découvertes  qui  accroissent  le 
nombre  des  individus  que  nous  con-* 
noissons. 

Mais  il  faut  avouer  que  cette  ex- 
tension du  catalogue  des  êtres  5  et  l'é- 
tablissement des  Méthodes  ,  contri- 
buent moins  que  plusieurs  Auteurs  ne 
le  disent  ^  au  perfectionnement  de  la 


Science  9  si  d'ailleurs  on  néglîge  l'é- 
tude particulière  et  approfondie  de 
cliaque  être. 

A  peine  après  beaucoup  de  re- 
cherches connoît-on  l'Histoire  Natu- 
relle de  l'homme  ,  et  de  quelques  ani- 
maux plus  ou  moins  rapprochés  de 
lui.  Que  ne  reste-t-il  pas  à  faire  pour 
un  grand  nom^bre  d'autres  espèces? 

Le  moyen  le  plus  propre  à  acqué- 
rir des  notions  exactes  et  utiles  sur 
la  nature  des  êtres  vivans  ,  c'est  d'en 
étudier  avec  soin  l'organisation  ,  les 
facultés  ,  les  habitudes  ;  et  de  cher- 
cher les  rapports  qui  existent  entre 
la  conformation  des  parties  et  les  fonc- 
tions de  l'animal. 

Cette  manière  de  considérer  les  ob- 
jets est  même  la  seule  qui  puisse  don- 
nerauxMéthodes  de  Classification  des 
bases  solides  ,  et  une  valeur  qui  ne 
soit  pas  arbitraire.  On  en  a  la  preuve 
dans  les  tableaux  que  des  Naturalistes 
célèbres  ontformésd'aprèsces  vues  (1). 

Quoiqu'on  ne  puisse  avoir  encore  , 

(j)  Voyez  les  oiwrages  de  MM.  Cuvier,  Geof- 
froi,  Laccpède,  Blurnenbach ,  etc.  etc. 


(  3  ) 
Sur  les  animaux  des  classes  inférîeu- 
tes  ,  des  matériaux  aussi  complets  que 
ceux  qu'on  a  sur   les   animaux  d'un 
ordre  élevé  ,  on  doit  s'attendre  sans 
doute  que  le  zèle  des  Naturalistes,  et 
la  direction  que  les  plus  habiles  d'en- 
tre eux  donnent   à  leurs  recherches  ^ 
fourniront  bientôt  les  moyens  de  rem- 
plir la  plupart  des  lacunes  qui  existent 
à  cet  égard  dans  la  Science. 

Comme  tous  les  êtres  ont  des  rap- 
ports entre  eux ,  il  n'en  est  aucun  dont 
l'Histoire  Naturelle  doive  paroître  in* 
différente^  Souvent  même  l'animal 
que  nous  sommes  le  plus  portés  à  dé- 
daigner ,  est  du  nombre  de  ceux  qui 
nous  offrent  les  meilleurs  moyens  de 
rectifier  nos  vues  sur  les  fonctions 
et  les  facultés  des  espèces  que  nous 
croyons  les  plus  parfaites. 

On  verra  que  ceci  est  ,  sous  plu- 
sieurs rapports  ,  applicable  à  l'animal 
dont  je  vais  m'occuper. 

Quelques  Auteurs  ont  travaillé  à  en 
faire  connoître  l'organisation  ^  mais 
comme  ils  se  sont  bornés  à  l'examen 
de  certaines  parties  ,  ils  ont  commis 
souvent  des  erreurs  ^  et  laissé  un  champ 


/4) 
libre  à  ceux  qui  voudroient  faire  des 
recherclies  plus  exactes  et  plus  éten- 
dues. 

Je  rendrai  compte  d'abord  de  ce  que 
m'a  fourni  l'examen  des  divers  sys- 
tèmes d'organes  des  Sangsues  ;  je  par- 
lerai ensuite  des  fonctions  qu'ils  rem- 
plissent j  et  j'exposerai  enfin  les  con- 
sidérations qui  m'ont  paru  être  une 
suite  immédiate  des  faits  observés. 

Parmi  les  résultats  que  j'ai  obtenus  ^ 
il  en  est  plusieurs  que  l'on  trouvera 
contraires  à  ceux  qu'a  paru  donner 
l'analogie  ;  mais  ,  loin  d'en  être  sur- 
pris 5  on  doit  s'attendre ,  au  contraire  , 
que  les  progrès  de  nos  connoissances 
dans  les  Sciences  naturelles  ,  nous 
montreront  de  plus  en  plus  la  néces- 
sité d'être  désormais  plus  sévères  sur 
l'établissement  des  conclusions  géné- 
rales qui  servent  de  fondement  à  ces 
Sciences.  C'est  par  une  induction  tou- 
jours imparfaite  qu'on  est  conduit  à 
ces  conclusions  ,  tant  qu'il  reste  un 
grand  nombre  de  données  importan- 
tes qui  sont  négligées  ou  inconnues. 


MEMOIRES 

POUR  SERVIR 
A  L'HISTOIRE  NATURELLE 

DES  SANGSUES. 


C^'est  sur  la  Sangsue  employée  à  des  usages 
mëdicmaux(i  )5et  sur  la  Sangsue  noire  (2)5que 
j'ai  fait  mes  observations.  Je  pourrois  rappe- 
ler ici  les  caractères  qu'assignent  les  Natura- 
listes à  ces  espèces  de  Sangsues  ;  mais  eîles  sont 
si  connues ,  que  j'ai  cru  pouvoir  me  dispen- 
ser d'entrer  dans  ces  détails. 

Je   commence  de  suite  par  l'examen  de 
l'organe  cutané. 

Organe  cutané. 

Si  l'on  détache  avec  soin  l'enveloppe  qui 
recouvre  le  corps  des  Sangsues ,  on  voit  qu'elle 


(i)  Hirndo  jnedicinalis  ylÂnn^ 
(2)  Hirndo^  sangui<su§a  ^_  Linn» 


(6) 
est  formée  de  plusieurs  couclies  qui  sont  de 
nature  très-diffëreiite. 

La  plus  externe  est  mince ,  lisse  et  très^/ 
fine.  Elle  n'offre  pas  la  structure  propre  à 
l'ëpiderme  des  autres  animaux,  quoiqu'elle 
en  remplisse  les  fonctions.  Elle  ressemble ,  au 
contraire ,  aux  meraLranes  séreuses  ;  comme 
il  est  facile  de  s'en  convaincre ,  en  examinant 
cette  membrane  aux  endroits  où  elle  n'est 
attachée  à  aucune  partie. 

EDe  est  ainsi  libre  à  des  distances  qui  se 
répètent  régulièrement  sur  toute  l'étendue 
du  corps  ;  car  la  couche  située  au  -  dessous 
offre  cgmme  une  suite  de  bandes  circulaires 
qui ,  à  des  intervalles  égaux ,  cèdent  ou  dis- 
paroissent ,  et  ne  sont  unies  à  leurs  voisines 
que  par  le  moyen  de  la  membrane  externe. 

Il  est  impossible  de  séparer  ces  deux  cou- 
ches l'une  de  l'autre ,  sans  leur  faire  éprou- 
ver une  altération  qui  rend  toute  recherche 
ultérieure  inutile. 

En  examinant ,  soit  à  roeil  nu ,  soit  à  la 
loupe ,  les  bandes  dont  je  viens  de  parler , 
on  reconnoît  qu'elles  sont  formées  de  plu- 
sieurs fibres  circulaires  ,  assez  rapprochées 
entre  elles ,  et  qui ,  par  leur  apparence  llo-?. 


(7> 
conneuse ,  se  dislinguent   sensiblement  des 
autres  parties  vraiment  musculaires. 

M.  Du  Rondeau  a  pris  pour  des  anneaux 
cartilagineux  chacune  de  ces  fibres ,  et  ii  en  a 
donné  exactement  le  nombre  (i).  Il  a  cru  que 
les  organes  du  mouvement  étoient  places  dans 
les  interstices  des  anneaux;  mais  ces  organes, 
formes  de  deux  couches  de  fibres ,  dont  les 
supérieures  ont  une  direction  oblique  ,  et  les 
autres  une  direction  longitudinale ,  sont  situés 
sous  les  bandes  circulaires  de  la  peau,  et  s'é- 
tendent d'une  extrémité  du  corps  à  l'autre. 

C'est  parce  que  M.  Du  Rondeau  ne  pensoit 
pas  que  ,  sans  ces  conditions ,  la  Sangsue  pût 
donner  à  son  corps  les  divers  degrés  de  rac- 
courcissement et  d'allongement  dont  il  est 
susceptible ,  qu'il  a  été  sans  doute  conduit  à 
méconnoître  la  nature  de  l'organe  cutané  et  la 
distribution  des  parties  musculaires;  et  à  pren- 
dre pour  une  substance  cartilagineuse ,  des 
fibres  qui  n'ont  ni  l'aspect  ni  les  caractères 
du  cartiiagCi 

La  substance  cellulaire  qui  paroît  unir  les 
fibres  circulaires  de  la  peau ,  est  le  siège  des 

(i)  Journal  de  Physique,  ann.  ï  78^ ,  p,  284. 


(8) 

différentes  teintes  qui  se  font  remarquer  sur 
ïe  coips  des  sangsues;  car  l'ëpiderme  est 
incolore ,  comme  ou  peut  s'en  assurer  aux 
endroits  où  il  ne  recouvre  pas  la  couche 
fibreuse. 

La  couleur  de  ces  teintes  varie  selon  l'es- 
pèce de  Sangsues.  Le  dos  de  la  Sangsue  mé- 
dicinale est  d'un  brun  fonce  ,  avec  des  lignes 
de  diverses  couleurs  ;  et  le  ventre  est  presque 
entièiement  jaune  :  il  est  d'un  cendre  ver- 
dâtre ,  avec  des  taches  noires  plus  ou  moins 
grandes  ,  dans  VHirudo  sanguisuga. 

Lorsqu'on  observe  avec  une  attention  su- 
perficielle les  mouvemens  de  la  Sangsue  ,  on 
est  tenté  de  croire  qu'il  y  a  à  la  peau  une  nou- 
velle couche  de  fibres  distinctes ,  par  leur 
direction  longitudinale,  des  fibres  circulaires 
que  j'ai  décrites:  mais  un  examen  attentif  fait 
reconnoitre  que  celles-ci,  en  se  contractant, 
produisent  des  froncemens  ou  des  rides  qui 
affectent  cette  direction  longitudinale  ,  et 
trompent  ainsi  l'observateur.  On  nè-conserve 
plus  le  moindre  doute  à  cet  égard  dès  qu'on 
a  vu  ces  parties  à  la  loupe. 

Ces  mouvemens  qui  s'opèrent  dans  chaque 
bande  sont  très-indépendans  de  l'action  des 


(9) 
diverses  coucbes  musculaires  qui  soDt  placées 
sous  la  peau.  Ils  ont  nrianifeslement  lieu  dans 
les  parties  de  Forgane  cutané  qu'on  a  soule- 
vées ou  détacliées  de  ces  couclies  :  il  suffit 
alors  d'irriter  légèrement  l'épiderme  pour 
obtenir  des  contractions  bien  évidentes. 

INon-seulemeiit  les  fibres  des  bandes  cir- 
culaires se  contractent  et  se  froncent  ;  mais 
on  observe  encore  à  la  peau  un  mouvement 
par  lequel  ces  fibres  y  sont  rapprocbées  l'une 
de  l'autre.  Il  est  très-vraisemblable  que  les 
muscles  situés  au-dessous  de  la  peau  sont  le 
principal  agent  de  ce  phénomène,  quoique 
cependant  cet  agent  ne  soit  pas  le  seul.  En 
effet,  ce  rapprochement  des  fibres  se  montre^ 
encore  dans  les  parties  de  la  peau  qu'on  a  dé- 
tachées des  couches  musculaires ,  ce  qui  peut 
être  dû  à  une  force  de  tissu ,  ou  à  une  eon- 
tractilité  réelle  de  l'organe  cutané. 

Une  quantité  prodigieuse  de  vaisseaux  se 
^fait  remarquer  à  la  surface  de  la  peau.  Il  y 
en  a  dont  les  dimensions  sont  très-grandes , 
eu  égard  à  la  grosseur  de  l'animal ,  et  qui 
peuvent  être  regardés  comme  les  racines 
d'une  foule  de  rameaux  qu'on  ne  distingue 
pas  tous  à  l'œil  nu  :  ils  se  coupent  en  toute 


(10) 

sorte  de  directions,  et  forment  un  réseau  qui 
s'ëtend  sur  tout  le  corps.  Entre  ces  vaisseaux, 
ceux  qui  ont  un  plus  grand  diamètre  serpen- 
tent transversalement. 

La  peau  est  toujours  couverte  d'une  hu- 
meur gluante  et  onctueuse ,  que  la  Sangsue 
excrète  et  répand  en  plus  ou  moins  grande 
quantité  ,  suivant  qu'elle  en  a  besoin.  Cette 
humeur  découle  de  divers  corps  qui  ne  sont 
pas  tous  de  la  même  nature. 

Les  plus  nombreux  de  ces  corps  sont  ran- 
gés à  la  suite  les  uns  des  autres ,  sur  le  milieu 
de  chaque  bande  circulaire.  On  les  voit  tantôt 
paroître  d'une  manière  très-saillante  ;  et  tantôt 
ils  s'effacent,  au  point  de  n'être  plus  sensibles 
à  la  vue. 

Il  est  probable  que  dans  le  premier  cas  , 
ils  éprouvent,  comme  tous  les  organes  sécré- 
toires ,  une  sorte  d'érection  qui  doit  amener 
l'isSue  de  l'humeur  ;  et  qu'ensuite  ils  se  ra- 
petissent ou  s'effacent ,  jusqu'à  ce  qvi'un  nou- 
veau besoin  vienne  se  faire  sentir. 

Ces  corps  ne  paroissent  point  soumis,  dans 
leur  action,  aux  diverses  parties  musculaires; 
car  lorsqu'on  a  fortement  étendu  l'animal,  et 
qu'on  lui  a  soufflé  de  l'air  dans  le  tube  ali- 


C") 

îîieiilaire ,  Us  ont  les  mêmes  moiivemens  :  îk 
deviemient  saillans  et  s'effacent  tour-à-tour« 

On  peut  s'assurer  aisément  qu'ils  sont  im- 
plantes dans  le  tissu  même  de  la  peau.  Il  n'y 
a  qu'à  la  détacher  dans  un  certain  espace  , 
et  on  les  voit  se  manifester  alors  comme  dans 
les  autres  parties  de  la  peau  qui  sont  restées 
intactes. 

Ce  n'est  point  exclusivement  au  milieu  des 
bandes  circulaires  que  se  trouvent  ces  corps 
glanduleux.  11  s'en  présente  d'autres  sur  le 
reste  de  la  peau  ;  mais  ceux-ci  ne  sont  pas 
rangés  avec  ordre  :  ils  sont  parsemés  çà  et  là 
comme  des  points  brillans. 

On  ne  sauroit  dire  si  ces  corps  sont  de  vé- 
ritables glandes ,  ou  s'ils  sont  de  même  nature 
que  les  follicules  qui  se  font  remarquer  sur 
certaines  membranes  des  animaux  à  sang 
ï-ouge. 

Ces  voies  ne  sont  pas  encore  les  seules  par 
où  s'excrète  l'humeur  gluante  qui  lubréfie  le 
corps,  et  facilite  les  mouvemens  de  la  Sangsue. 
Il  est  facile  de  distinguer,  à  sa  face  inférieure, 
un  certain  nombre  de  petits  trous  distribués 
d'une  manière  régulière  ^  et  d'où  s'échappe 
une  humeur  analogue.  On  en  trouve  un  seul 


(  12  ) 

de  chaque  côte  au-dessus  du  bord  inférieur 
de  quelques  bandes  circulaires  :  ils  se  répètent 
à  la  distance  de  cinq  anneaux  inclusivement, 
et  conduisent  à  une  espèce  de  sac  membra- 
neux dont  je  parlerai  ailleurs. 

La  face  supérieure  de  l'animal  présente 
bien ,  à  des  dislances  semblables ,  de  petits 
points  déprimés ,  en  quelque  sorte  semblables 
à  ces  trous  ;  mais  on  ne  peut  y  faire  pénétrer 
aucun  corps.  D'ailleurs  ils  ne  paroissent  don- 
ner issue  à  aucun  fluide  j  et ,  au  lieu  d'être 
situés  latéralement ,  ils  se  montrent  au  nombre 
de  quatre  sur  le  milieu  de  la  bande  circulaire. 

On  ne  sera  pas  étonné  de  la  multiplicité 
des  voies  par  où  doit  s'écbapper  le  fluide  qui 
lubréfie  la  peau  des  Sangsues ,  lorsqu'on  saura 
qu'il  est  nécessaire  au  maintien  de  leur  vie ,  et 
qu'il  leur  sert,  pour  ainsi  dire  ,  de  défense. 

C'est  en  excrétant  une  grande  ijuantité  de 
cette  humeur  que  la  Sangsue  se  dérobe  à  l'ac- 
tion des  irritans  extérieurs  ;  ou  du  moins ,  par 
ce  moyen ,  elle  l'affoiblit  beaucoup. 

Elle  avoit  d'autant  plus  besoin  de  tout  cet 
appareil ,  qu'elle  a  la  peau  douée  d'une  sen- 
sibilité très  -  vive.  Ainsi  le  contact  seul  des 
acides  les  moins  actifs ,  tels  que  le  vinaigre 


(i5) 
affoibli ,  du  vin  même ,  de  l'eau  salëe ,  ou  de 
toute  substance  alka]ine,  produit  sur  elle  une 
impression  violente, la  force  à  des  contractions 
qui  se  manifestent  dans  tout  le  corps ,  et  pro- 
voque une  sorte  de  vomissement. 

L'irritation  est  plus  vive,  selon  que  la  subs- 
tance qui  Fa  produite  se  rapproche  plus  de 
la  consistance  liquide ,  ou  est  plus  facile  à  dis- 
soudre. La  Sangsue  meurt  presque  aussitôt 
dans  le  vinaigre  que  dans  le  gaz  hydrogène 
sulfuré;  ce  qui  dépend  sans  doute,  en  grande 
partie ,  de  ce  que  le  vinaigre  se  combine  d'une 
manière  très-facile  avec  l'iiumeur  gluante, 
dont  il  neutralise  ainsi  tout  l'effet. 

On  peut  s'assurer  encore ,  par  d'autres  ob- 
servations ,  que  cette  humeur  est ,  pour  l'ani- 
mal ,  d'une  utilité  indispensable ,  du  moins 
lorsqu'il  se  trouve  hors  de  l'eau.  Si  on  laissa 
la  Sangsue  courir  sur  un  pavé  poudreux,  ou 
sur  un  corps  qui  puisse  absorber  l'humidité  ^ 
on  la  voit  bientôt  jeter  une  grande  quantité 
de  fluide.  Peu  à  peu ,  à  mesure  qu'elle  s'é- 
puise ,  elle  se  meut  avec  plus  de  peine  ;  ses 
efforts  se  multiplient  en  vain  ;  et  quelquefois 
snéme  elle  éprouve  un  état  d'irritation  qui 
lui  fait  rejeter  les  matières  contenues  dans  le 


(  H  ) 

tube  alîmentaîre  :  le  vomissement  même  a 
lieu  de  suite ,  si  le  sang  y  a  été  introduit  de- 
puis peu. 

Lorsqu'on  enlève  cette  humeur  avec  un 
corps  propre  à  l'absorber ,  tel  que  du  papier 
ou  un  linge  fin ,  on  voit  bientôt  la  Sangsue 
languir  j  et  il  est  très -probable  qu'on  la  feroit 
arriver  à  un  état  de  langueur  promptement 
mortel ,  si  on  continuoit  d'opërer  pendant 
quelque  temps  cette  absorption.  J'ai  même 
observé  plusieurs  fois  que  de  légères  frictions, 
sur  la  peau  de  la  Sangsue ,  suffisoient  alors 
pour  déterminer  l'issue  du  sang,  qui  s'échap- 
poit  en  petites  gouttes. 

Il  suffit  de  voir  avec  quelle  facilité  la  Sang- 
sue glisse  entre  les  doigts  qui  la  pressent,  pour 
sentir  combien  cette  humeur  lui  est  utile. 

Toutes  les  parties  de  cet  animal  doivent 
être  très-perméables  ;  car ,  en  gorgeant  d'eau 
son  canal  digestif ,  et  en  exerçant  ensuite  quel- 
ques légères  pressions  à  l'extérieur  du  corps , 
je  suis  parvenu  à  faire  échapper  le  fluide  sous 
forme  de  gouttelettes ,  inégalement  distribuées 
comme  des  gouttes  de  rosée. 


(i5) 
Organes  du  mouvement. 


Théorie  des  mouvemens  de  la  Sangsue  sur 
la  terre  et  dans  Veau, 


Au-dessous  des  parties  qui  forment  l'organe 
cutané  de  la  Sangsue ,  s'en  présentent  d'autres 
dont  la  nature  est  plus  aisée  à  reconnoître. 

La  première  est  une  couche  de  fibres  très- 
minces  ,  d'un  blanc  jaunâtre ,  et  régulièrement 
terminées.  Elles  n'ont  pas  cette  apparence 
floconneuse  qui  appartient  aux  fibres  de  la 
peau  :  les  divers  faisceaux  qu'elles  forment 
sont  plats  5  fort  étroits ,  et  uniformément  ré- 
pandus ;  ils  laissent  entre  eux  des  intervalles 
assez  grands. 

Voici  quelle  est  leur  direction.  Ils  forment 
comme  une  espèce  de  grillage  qui  résulte 
de  leur  section  régulière  et  réciproque,  sous 
un  angle  d'environ  quarante- cinq  degrés  :  ce 
qui  indique  assez  bien  quelles  doivent  être 
l'origine  et  la  terminaison  de  ces  fibres. 

On  trouve  cette  couche  fibreuse  assez  in- 
timement unie  aux  parties  qui  la  recouvrent, 
et  il  faut  beaucoup  d'attention  et  de  soin  pour 


(  •G  ) 

la  conserver  dans  son  intégrité  en  la  disse»- 
quant,  du  moins  durant  un  certain  espace. 

Si  on  l'enlève ,  on  arrive  à  un  second  plan 
de  fibres  ,  différentes  de  celles  -  ci  par  leur 
disposition ,  leur  couleur  et  leur  densité.  Elles 
ont  une  direction  longitudinale ,  et  sont  ras-^ 
semblées  en  faisceaux  épais.  Chacun  de  ces 
faisceaux ,  uni  à  ses  voisins  par  un  tissu  cel- 
lulaire assez  mince ,  est  formé  de  fibres  su- 
perposées les  unes  sur  les  autres  et  adossées 
entre  elles  ,  et  paroît  être  comme  un  muscle 
particulier. 

On  peut  remarquer  que  ces  faisceaux  ont 
une  couleur  d'un  gris  cendré;  ce  qui  fait  que 
le  plan  supérieur  dont  j'ai  fait  mention  brille 
sur  celui-ci ,  et  en  est  aisément  distingué. 

Ces  fibres  s'étendent  d'une  extrémité  à 
l'autre  de  l'animal;  elles  se  rapprochent  d'une 
manière  sensible  avant  d'y  arriver  :  aussi  voit- 
on  les  extrémités  offrir  une  apparence  plus 
charnue  que  le  reste  du  corps ,  et  des  dimen- 
sions un  peu  moindres  (i).  . 


(i)  Ces  faisceaux  de  fibres  assez  e'pais  ,  et  dont  une 
dissection  imparfaite  peut  faire  méconnoître  la  nature  , 


# 

(  17) 

Je  vais  parler  des  diverses  sortes  de  mou- 
vemens  que  la  Sangsue  exécute  :  mais  aupa- 
ravant, je  crois  qu'il  est  bon  de  décrire  le 
disque  qui  termine  postérieurement  le  corps 
de  l'animal ,  et  la  lèvre  cjui  se  trouve  à  l'ex- 
trémité antérieure. 

Le  disque  a  une  forme  qui  ne  sauroit  mieux 
être  comparée  qu'à  celle  d'un  crible.  Les  libres 
longitudinales,  après  s'être  rapprochées,  s'é- 
tendent de  nouveau  ,  comme  d'un  centre, 
pour  former  des  rayons  qui  vont  se  terminer 
à  la  circonférence  du  disque.  Ces  fibres  sont 
coupées  par  d'autres  qui  paroissent  circulaires, 
et  dont  le  nombre  est  assez  grand. 

Il  n'en  est  pas  de  même  à  l'autre  extrémité 
du  corps.  La  surface  inférieure  se  termine 
plutôt  que  la  supérieure  ,  qui  se  prolonge. 
Ce  prolongement,  qui,  à  sa  racine,  est  d'une 
^11  I  ■     Il  ,      ■ 

ont  été  regardés  par  M.  Du  Rondeau  comme  une  subs- 
tance semblable  a  du  lard. 

M.  Bibiena ,  qui  a  très-bien  décrit  le  système  nerveux 
des  Sangsues,  n'a  point  distingué  le  système  musculaire , 
de  la' peau.  Il  dit:  Timc  enhn  diducta  ente ,  atcjue  ab 
omni  sacco  cjuantum  fieri  potuit  séparât  a ,  in  cons^ 
pectuni  inihi  semper  venu  spi/ialis  medulla  (Voyez 
les  Comment,  de  l'Instit.  de  Bologne ,  an.  1791.  ). 

2 


(  i8  ) 

forme  demi-circulaire ,  paroît  à-peu-près  taillé 
comme  un  bec  de  flûte.  On  verra ,  à  Tarticle 
de  la  Digestion ,  combien  cet  arrangement  ëtoit 
convenable  pour  protéger  et  rendre  libres  les 
mouvemens  de  la  bouclie  et  des  dents. 

Je  considérerai  d'abord  les  mouvemens  de 
la  Sangsue  hors  de  l'eau  ;  je  parlerai  ensuite 
de  ceux  qu'elle  exécute  dans  ce  fluide.       * 

Lorsqu'on  retire  la  Sangsue  de  l'eau,  et 
qu'on  la  met  sur  un  plan  solide  ,  on  voit 
qu'elle  se  fixe  par  son  disque  d'une  manière 
très-forte  :  ensuite  ,  allongeant  les  diverses 
parties  de  son  corps  ,  elle  s'étend  plus  ou 
moins  à  volonté  ,  jusqu'à  ce  qu'arrivée  au 
point  d'extension  qui  lui  convient ,  elle  ap- 
plique la  lèvre  sur  le  plan  solide  où  elle  se 
trouve.  Alors  elle  détache  l'extrémité  posté- 
rieure ;  et ,  en  se  contractant  sur  le  nouveau 
point  d'appui  que  lui  offre  la  lèvre ,  elle  rap- 
proche ses  deux  extrémités  :  cela  fait ,  elle 
s'attache  encore  par  son  disque ,  et  continue 
d'agir  ainsi  que  je  viens  de  l'indiquer. 

C'est  là  le  mode  le  plus  simple  des  mou- 
A^emens  de  l'animal.  Comme  sa  progression 
se  fait  alors  en  ligne  droite ,  il  est  aisé  de  re- 
conuoîlre   qu'elle   doit   être   principalemenU 


(^9) 
'c^përëe  an  moyen  des  libres  musculaires  lon- 
gitudinales. 

Les  autres  fibres  peuvent  bien  agir  aussi , 
lîiais  ce  n'est  que  d'une  manière  accessoire. 
Ainsi ,  par  exemple  ,  celles  qui  se  coupent 
réciproquement  sous  un  augle^de  quarante- 
cinq  degrés,  ne  peuvent  qu^'aider  à  l'action 
des  fibres  longitudinales ,  puisqu'il  doit  ré- 
sulter de  leur  action  simultanée  un  raccour» 
cissement  uniforme. 

Le  phénomène  qu'il  importe  de  considérer 
ici ,  et  qui  paroît  dans  la  Sangsue  d'une  ma- 
nière plus  évidente  que  dans  auclm  autre 
animal ,  c'est  la  force  ô^ élongation  dont  jouis- 
sent les  fibres  musculaires  (i).  / 

Chez  les  animaux  à  membres  articulés ,  les 
mouvemens  de  locomotion  s'exécutent  par  le 
seul  effet  de  ia  contraction  dés  fibres ,  qui  en- 
traînent les  diverses  pièces  solides  articulées  : 
ractiou  des  muscles  extenseurs  ne  diffère  de 


(  I  )  Voyez  ce  que  dit ,  au  suj^de  cette  force  ^ 
M.  Barthez  dans  sa  Nouvelle  Mécanique  des  Mouve° 
mens  de  l'Homme  et  des  Animaux  :  Ouvrage  fondamen- 
tal  qu'on  est  obligé  de  citer  souvent,  lorsqu'on  s'occupe 
de  la  théorie  des  mouvemens  d'un  aiiimaî  quelconque. 


(20  y 

celle  des  {lëchisseurs  que  par  une  suite  de  la 
situation  relative  de  ces  muscles. 

Chez  les  Sangsues  au  contraire,  qui  n'ont 
aucun  membre  articulé  ,  ïii  aucune  partie* 
solide  sur  laquelle  puissent  agir  les  puissances 
musculaires  ,^'ëlongation  des  fibres  devenoit 
une  faculté  aussi  nécessaire  que  la  faculté  de 
contraction  ;  et  elle  devoit  avoir  un  degré  d'é- 
tendue et  de.  force  dont  on  ne  peut  pas  plus 
assigner  les  bornes ,  qu'on  ne  peut  le  faire 
pour  cette  dernière  faculté. 

On  ne  sauroit  confondre  la  force  d'élonga- 
tlon  avec  l'élasticité ,  et  supposer  que  la  Sang- 
sue ne  dilate  ou  n'allonge  ses  fibres  que  par 
une  force  de  ressort ,  qui  succède  à  la  com- 
pression ou  à  la  contraction  qui  a  précédé. 
Car,  1°.  ce  n'est  point  en  raison  du  degré  de 
contraction  musculaire  que  le  degré  d'élon- 
gation  des  fibres  a  lieu;  2°.  l'élongation  est 
également  une  force  active ,  puisque  l'animal 
la  borne  ou  l'étend  à  son  gré. 

On  peut  s'assurer  même  qu'il  maintient  ou 
arrête  d'une  manière  fixe  celte  élongation  des 
fibres  au  degré  qui  lui  paroît  convenable. 
Ainsi ,  par  exemple  ,  si  la  Sangsue  est  fixée  , 
par  son  disque,  sur  un  plan' mince  et  court 


(  21  ) 

qu'on  tienne  suspendu ,  on  la  voit  s'avancer 
jusqu'au  bord  ou  à  rextrëmkë  qui  le  termine; 
et  là,  comme  elle  ne  trouve  plus  aucune  par- 
tie solide  ,  elle  étend  peu  à  peu  ses  fibres. 
Après  les  avoir  étendues  jusqu'à  une  certaine 
distance ,  elle  peut  donner  à  une  des  portions 
de  l'organe  musculaire  qui  est  liors  du  plan, 
une  force  telle ,  que  ce  degré  d'élong^tion 
est  assez  fortement  maintenu  pour  offrir  au 
reste  des  fibres  une  sorte  d'appui ,  d'où  elles 
partent  pour  s'élever  ,  s'étendre  encore  et 
se  porter  en  avant  (i).  Tantôt  c'est  le  milieu 
de  l'organe  musculaire  que  la  Sangsue  fait 
servir  de  pareil  point  d'appui ,  et  tantôt  une 
autre  partie  :  par  ce  moyen,  elle  peut  diriger 
sa  bouche  en  avant ,  et  cliercber  un  lieu  où  il 
lui  soit  possible  de  l'appliquer. 

A  la  vérité  ,  cet  état  doit  être  pénible  et  fa- 


(i)  M.  Barlbez  a  le  premier  fait  cormoitre  cette  force 
cle  situation  fixe  qui  peut  maintenir  les  fibres  muscu- 
laires dans  un  état  quelconque  de  contraction.  On  ne 
doit  pas  être  surpris  que  cette  force  puisse  également 
animer  les  fibres  dans  lem'  état  d'élongation ,  Iorsqu*elles 
en  sont  susceptibles  (Voyez  les  Nouveaux  Eiémens  de 
la  Science  de  l'Homme,  et  FOuvrage  déjà  cité  ). 


(    22    ) 

tîgant  pour  l'aDÎiîiai  ;  car  s'il  ne  trouve  pas 
bientôt  où  fixer  sa  ièvre  9  il  ne  revient  pas 
ordinairement  sur  lui-même  d'une  manière 
mesurée  et  tranquille  ;  mais  il  laisse  tombes* 
son  extrémité  antérieure. 

Au  moyen  de  ces  trois  forces  combinées ,  de 
contraction ,  d'élongation  et  de  situation  fixe  , 
les  mêmes  fibres  exercent  une  foule  de  mou- 
vemens  qui  exigent,  cbez  d'autres  espèces^ 
une  suite  d'organes  différemment  disposés. 

Comment  pourroit-on  être  surpris ,  lors- 
qu'on a  reconnu  dans  les  muscles  d'un  ani- 
mal ces  forces  réunies ,  de  voir  la  dilatation 
de  l'iris,  l'érection  de  la  verge,  et  cet  état 
comme  d'érection  du  tube  intestinal,  que  Lei- 
denfrost  prétend  avoir  observé  dans  le  mou- 
vement péristaltique  de  ce  tube  (i)  ? 

La  .Nature  semble  avoir  ébaucbé ,  dans  ces 
derniers  cas  ,  ce  qu'elle  a  exécuté  ailleurs 
d'une  manière  plus  parfaite  ;  et  la  Physiologie 
humaine  trouve  ainsi ,  dans  les  faits  que  lui 
offre  r Anatomie  comparée ,  un  complément 
qui  est  d'une  grande  importance. 
.  Il  me  paroît  que  c'est  ici  le  lieu  de  consi- 

(i)  Disserù.  de  foUiilo  i?Uest.  si?7guL 


(23) 
Jërer  raction  du  disque  ,  on  la  maiiière  dont 
il  s'applique  aux  divers  corps. 

Quand  on  voit  ce  disque  se  voûter,  et  for- 
mer ,  par  rëlongation  de  ses  fibres  longitudi- 
nales, une  cavité  en  forme  de  cioclie,  on  est 
tenté  de  croire  que  son  application  n'a  lieu 
que  par  l'effet  du  vide  que  produit  l'animal , 
au  moyen  de  la  communication  qu'on  peut 
supposer  entre  le  disque  et  l'extrémité  du 
tube  alimentaire.  Mais  on  trouve  que  cette 
communication  n'existe  point ,  et  que  l'ou- 
verture postérieure  du  tube  est  placée  avant 
la  naissance  du-disc|ue. 

Enfin,  en.  examinant  avec  attention  la  ma- 
nière dont  la  Sangsue  opère ,  on  s'aperçoit 
qu'elle  combine  Faction  de  ses  fibres  de  façon 
qu'elle  fait  saillir  le  centre  du  disque  comme 
un  bourrelet ,  qui  est  d'abord  appliqué  :  en- 
suite toute  la  circonférence  du  disque  s'étend 
et  s'applique,  en  ne  laissant  entre  elle  et  le 
plan  sur  lequel  elle  est  posée,  aucun  inter- 
valle où  l'air  puisse  rester,         .     __ 

C'est  donc  par  un  véritable  contact  de  sur- 
faces que  l'aniiiial  adlière  aux  divers  corps» 
Il  peut  rendre  cette  adliérence  si  forte,  qu'il 
devient ,  dans  certains  cas ,  très-difficile  de  le 


(  M  ) 

dëtaclier;  siir-lout  lorsqu'on  lire  clans  une  di- 
rection perpendiculaire  au  plan  où  il  repose. 
Chacune  des  deux  extrémités  peut ,  quand 
elle  est  ainsi  appliquée,  supporter  ,  sans  que 
l'animal  cède ,  des  poids  qui  sont  assez  considé- 
raîiles ,  eu  égard  aux^ dimensions  de  son  corps. 
J'ai  suspendu  à  un  fil  dont  j'avois  entouré 
la  racine  du  disque  d'une  Sangsue ,  des  poids 
de  huit ,  dix  onces ,  sans  que  la  lèvre  se  dé- 
tachât. Il  en  est  de  même  si  on  suspend  les 
poids  à  celte  dernière  partie. 

En  parlant  de  la  succion,  je  m'occuperai 
plus  particulièrement  de  l'action  de  la  lèvre , 
qu'on  peut  regarder  comme  très-analogue  à 
celle  de  l'extrémité  opposée. 

Quoique  le  disque  soit  un  organe  essentiel 
à  la  progression  de  l'animal ,  il  n'est  pourtant 
pas  indispensable.  Si  on  le  retranche ,  les  mou- 
vemens  deviennent  plus  difficiles ,  plus  lents 
et  moins  réguliers.  Mais  la  Sangsue ,  en  ap- 
puyant fortement  sur  le  sol  l'extrémité  qui 
correspond  au  disque  ,  et  en  donnant  à  cette 
partie  des  fibres  musculaii^es  une  force  de  si- 
tuation fixe,  fait  que  le  reste  des  fibres  y  trouve 
un  point  d'appui  d'où  elles  peuvent  s'étendre. 
Si  on  enlève  le  disque  et  la  lèvre,  alors  l'a- 


(25) 

iiîmaî  contracte  tour-à-tour  ses  deux  exl remî- 
tes ;  el ,  appuyant  fortement  sur  le  sol  les 
fibres  de  ces  parties ,  qu'il  maintient  à  ce  degré 
de  contraction ,  il  fait  agir  le  reste  des  organes 
muscvdaires  comme  dans  l'état  naturel.  Ce  n  est 
pouitant  qu'avec  beaucoup  de  peine,  et  par 
des  efforts  continus ,  qu'il  parvient ,  dans  ce  cas , 
à  s'avancer;  car  l'extrémité  sur  laquelle  il  s'ap- 
puie n'étant  que  très-imparfaitement  appli- 
quée au  sol,  glisse  et  recule  à  chaque  effort. 

Il  est  vraisemblable  que  l'humeur  gluante 
et  muqueuse  que  la  Sangsue  excrète  en  plus 
ou  moins  grande  quantité  sur  les  divers  points 
du  corps ,  peut ,  jusqu'à  un  certain  point ,  fa- 
voriser les  mouvemens  progressifs  ;  en  faisant 
adhérer  au  sol  l'extrémité  qui  y  est  appliquée. 

Si  l'on  serre  avec  quelque  lien  le  disque  ou 
la  lèvre ,  l'animal  cherche ,  par  des  mouve- 
mens prompts  et  subits ,  à  se  rendre  libre.  Il 
étend ,  il  ployé  son  corps  de  plusieurs  maniè- 
res ;  il  en  rapproche  les  deux  extrémités ,  en 
affectant  une  courbe  demi  -  circulaire  ;  il  se 
roule  en  orbe  :  quelquefois  même  il  réussit , 
par  ces  divers  mouvemens,  à  se  dégager  du 
lien  qui  le  retient. 

Il  paroît  très  -  singulier  qu'un  animal  qui 


(  26  ) 

ïifa  aucune  pièce  solide  sur  laquelle  puissent 
agir  les  organes  musculaires ,  ait  la  faculté  de 
donner  à  son  corps  ces  diverses  figui^es. 

Chez  les  animaux  vertébrés  ,  les  divers 
mouvemens  ne  s'exécutent  qu'au  moyen  d'ar- 
ticulations plus  ou  moins  multipliées ,  selon 
que  les  parties  doivent  être  plus  ou  moins 
flexibles  et  mobiles. 

Les  fibres  de  la  Sangsue ,  au  contraire ,  s'é- 
tendant  d'une  extrémité  du  corps  à  l'autre , 
le  même  effet,  c'est-à-dire  la  flexion  qui  rap- 
proche les  diverses  parties  en  divers  sens, ne 
pouvoit  avoir  lieu  que  pai^  les  modifications 
que  ces  fibres  étoient  susceptibles  de  prendre. 
Il  n'y  a  qu'un  moyen  de  concevoir  comment 
elles  opèrent  les  mouvemens  en  question  , 
ainsi  que  l'a  très -bien  indiqué  M.  Barthez  (i). 

Dès  que  la  Sangsue  a  donné  à  son  corps  un 
degré  d'élongation  convenable ,  elle  ne  peut 
lui  imprimer  une  forme  courbe ,  qu'en  établis- 
sant à  certaines  distances ,  sous  les  fibres  de 
l'une  ou  l'autre  face ,  des  centres  d'action  par- 
tiels et  indépendans  les  uns  des  autres. 

(i)  Voyez  la  Nouvelle  Mécanique  des  Mouvemens 
de  l'Homme  et  des  Animaux ,  pages  i^6  et  147. 


(27) 

Ed  supposant,  par  exemple,  qu'elle  veuille 
se  courber  cle  droite  à  gauche ,  elle  doil  ëla- 
liiir  dans  ]es  fibres  situées  vers  ce  dernier  côte, 
un  nombre  de  points  plus  ou  moins  grands 
(  selon  la  courbe  qu'elle  veut  décrire  ) ,  aux- 
quels elle  donne  une  force  de  situation  fixe 
qui  les  maintient  à  un  degré  stable  de  con- 
traction ou  d'élongation.  Les  fibres ,  en  se 
contractant  sur  ces  points ,  tendent  à  se  rap- 
procher; mais  comme  elles  agissent  seules, 
et  que  les  autres  fibres  leur  obéissemt ,  le 
corps  doit  nécessairement  prendre  une  figure 
courbe. 

C'est  ainsi  que ,  si  l'on  suppose  deux  droites 
parallèles  divisées  en  petits  quarrés  égaux,  on 
ne  peut  raccourcir  les  diverses  portions  de 
l'une  de  ces  lignes ,  sans  que  ces  quarrés  n'ac- 
quièrent une  forme  trapézoïde  ;  et ,  par  con- 
séquent 5  sans  que  la  direction  de  ces  lignes  ne 
change  et  ne  devienne  plus  ou  moins  courbe» 

Ce  phénomène  est  analogue  à  celui  que  pré- 
sente le  canal  intestinal ,  lorsque ,  tiraillé  dans 
une  de  ses  faces ,  celle-ci  se  rétrécit ,  et  la  face 
opposée  se  courbe.  Mais  comme  la  Sangsue 
peut  multiplier  à  volonté  les  centres  d'action 
partiels  des  fibres ,  et  les  faire  agir  instantané- 


(  28  ) 

ment ,  la  courbure  devient  en  ce  cas  plus  ré-» 
gulière  et  plus  grande. 

On  conçoit  aisément  que ,  si  à  de  certains, 
intervalles ,  l'animal  met  en  action  le  plan  de 
fibres  opposé  à  celui  qui  agit  déjà ,  il  donnera 
à  son  corps  des  courbures  opposées  :  il  pourra 
même  former  à  son  gré  une  ligne  qui  serpen- 
tera en  divers  sens^ 

On  voit  donc  comment  la  Sangsue  peut  se 
passer  de  ces  anneaux  cartilagineux  que  pos- 
sèdent d'autres  reptiles ,  tels  que  les  vers  de 
terre.  Quand  ceux-ci  veulent  imprimer  à  leur 
corps  une  forme  courbe ,  ils  font  agir  les  mus- 
cles qui  s'attachent  aux  anneaux ,  de  manière 
que  les  pièces  cartilagineuses,  dans  la  face 
qui  doit  correspondre  à  la  concavité  de  la 
courbure  ,  se  rapprochent ,  et  s'emboîtent 
même  les  unes  dans  les  autres  ;  tandis  qu'elles 
s'écartent  dans  la  partie  opposée. 

Il  est  évident ,  d'après  ce  qui  précède ,  que 
les  Sangsues  se  trouvent  mieux  partagées 
qu'elles  ne  le  paroissent  d'abord,  et  qu'elles 
n'a;uroient  pu  l'être ,  si  elles  av oient  eu  quel- 
ques pièces  articulées.  Car  leurs  fibres  muscu- 
laires se  prêtant  à  toutes  sortes  de  mouve- 
mens,  n'ont  point  un  jeu  exclusif  ou  borné  , 


(^9) 

et  sont  propres  à  opérer  tour- à-tour  la  flexion 
dans  divers  sens. 

Lorsque  l'animal  est  fixé  par  une  de  ses  ex- 
trémités ,  soit  par  sa  volonté ,  soit  au  moyen 
d'un  agent  extérieur ,  il  peut  se  retourner  sur 
lui-même,  et  opérer  sur  ce  point  fixe  plusieurs 
tours  en  spirale. 

Il  semble ,  au  premier  aspect ,  qu'il  y  ait  deux 
manières  de  concevoir  la  production  de  ce 
mouvement.  Chez  les  vers  de  terre ,  les  fibres 
qui  vont  d'un  anneau  à  l'autre  peuvent  impri- 
mer Une  torsion  au  corps ,  en  se  contractant 
par  faisceaux  isolés ,  et  à  des  distances  conve- 
nables ,  sous  des  directions  parallèles. 

La  Sangsue ,  il  est  vrai ,  n'a  pas  de  pareils 
anneaux;  mais  nous  avons  vu  qu'elle  pouvoit 
à  volonté  multiplier  les  centres  d'action  de  ces 
fibres  longitudinales ,  et  se  passer  ainsi  de  ces 
corps  solides.  Il  étoit  donc  possible  que  cette 
couche  de  fibres  fût  le  principal  agent  du 
mouvement  en  spirale.  Cependant  si  l'on  con- 
sidère que  la  Sangsue  est  munie  d'une  couche 
de  fibres  obliques  bien  plus  propre  à  produire 
de  tels  effets ,  on  trouve  que  la  première  sup- 
position perd  beaucoup  de  sa  vraisemblance. 

Admettons  que  Fanimal  veuille  se  retourner 


(  3o  ) 
de  droite  à  gauche ,  les  fibres  obliques  de  fex.- 
trëmitë  fixée ,  qui  sont  dirigées  dans  un  sens 
oppose,  c'est-à-dire  de  gauche  à  droite,  en 
prenant  leur  point  fixe  sur  la  partie  gauche  de 
cette  extrëniitë ,  doivent ,  en  se  contractant , 
imprimer  au  corps  un  mouvement  de  torsion. 

Pour  m'assurer  de  la  vëritë ,  je  tâchai  d'en- 
lever une  partie  de  la  peau ,  et  de  la  couche 
de  fibres  obliques  voisine  de  l'extrémité 
fixée.  Lorsqu'il  ne  resta  plus  que  les  faisceaux 
musculeux  longitudinaux ,  l'animal  me  parut 
faire  de  vains  efforts  pour  opërer  la  torsion. 

On  pourroit  croire  que  la  foiblesse  ou  là 
douleur  l'en  empêchoient;  mais  les  mouve^ 
mens  se  produisirent  comme  à  l'ordinaire  sur 
l'extrëmitë  opposée,  quand  je  l'eus  fixée  à  son 
tour. 

Il  y  a  une  circonstance  qui  peut  faire  qu'on 
se  méprenne  sur  la  vraie  cause  de  ce  mouve- 
ment. Comme  on  distend,  par  quelque  fluide, 
le  tube  intestinal  de  la  Sangsue ,  pour  opérer 
plus  aisément  la  dissection  du  j^lan  musculaire , 
il  arrive  que  le  corps  ainsi  arrondi  se  retourne 
au  moindre  mouvement  ;  ce  qui  sembleroit 
rendre  inutile  la  supposition  de  l'effet  attribue 
à  la  contraction  des  fibres  obliques. 


(  3i  ) 

Il  est  vrai  de  dire  aussi  que  l'animal  favorise 
quelquefois  l'action  de  ces  fibres ,  en  arquant 
son  corps ,  qui  cède  en  ce  cas  avec  plus  de  facilité . 

La  forme  applatie  que  peut  se  donner  la 
Sangsue  est  produite  de  diverses  manières. 

Quand  le  corps  est  étendu ,  et  fixe  par  ses 
deux  extrémités ,  la  contraction  des  fibres  qui 
se  fait  instantanément  sur  ces  points  ,  doit 
tendre  à  déterminer  l'applatissement  des  di- 
verses parties  intermédiaires.  C'est  ce  qui  pa- 
roît,  lorsqu'on  a  enlevé  en  divers  endroits  la 
peau  et  les  fibres  obliques. 

Mais  il  est  d'autres  circonstances  où  ces 
dernières,  et  sur-tout  les  fibres  circulaires  qui 
font  partie  de  l'organe  cutané ,  doivent  agir 
d'une  manière  énergique  pour  produire  de 
tels  effets. 

On  conçoit  que  l'animal  peut  imprimer  aux 
parties  de  ces  fibres ,  qui  correspondent  aux 
deux  côtés  du  corps ,  une  force  de  situation 
fixe  qui  les  maintienne  dans  un  état  déterminé  ; 
et  que  ces  fibres ,  en  se  contractant  autour  de 
ces  points,  doivent  dès-lors  tendre  à  faire  céder 
le  milieu  du  corps. 

Quant  au  nager  des  Sangsues,  il  a  lieu  d'a- 
près les  mêmes  principes  que  M.  Bai^thez  a 


(   32   ) 

établis  sur  le  nager  des  serpe n s  et  des  poissons 
anguiiliformes.  C'est  par  des  courbures  alter- 
natives qui  se  transforment  soudainement  en 
d'autres  courbures,  que  ces  animaux  s'avan- 
cent'(i). 

La  Sangsue  se  comporte  de  même  5  elle  com- 
mence par  étendre  son  corps  :  ensuite  elle 
produit  deux  ou  trois  courbures  en  sens  alter- 
natif, et  celles-ci,  en  s'ëtendant,  font  avancer 
d'autant  l'animal ,  qui  les  remplace  de  suite 
par  d'autres. 

Il  seroit  superflu  de  dire  longuement  que 
les  courbures  s'opèrent  de  la  même  manière 
que  celles  qui  ont  lieu  sur  une  surface  solide , 
c'est-à-dire ,  par  la  multiplication  des  centres 
d'action ,  établis  sur  les  fibres  musculaires  d'un 
même  côté.  La  Sangsue  n'a  qu'à  transporter 
ces  centres  d'action  sur  les  fibres  du  côté  op- 
posé ,  pour  déterminer  ces  courbures  dans  un 
autre  sens. 

INon- seulement  la  Sangsue  étend  son  corps 
pour  nager  ;  mais  elle  l'applatit  encore.  On 
voit  aisément  qu'elle  ne  pourroit  alors  frapper 
l'eau  que  par  un  plan  très-étroit ,  si  elle  na- 

(i)  Voyez  la  Nouv.  Mécanique  des  Mouvem.,  etc. 


gëoit  sur  l'une  de  ses  faces ,  la  supérieure  oti 
Finfërieuré  :  aussi  ne  reste-t-elle  pas  dans  une 
telle  position.  Elle  tient  son  corps  fort  incliiié 
vers  l'un  ou  l'autre  côté  ^  de  manière  que  les 
courbures  qu'elle  lui  donne  frappent  l'eau 
par  une  grande  surface. 

On  auroit  pu  croire  que  le  disque ,  qui  est 
susceptible  de  prendre  diverses  formes ,  avoit 
une  action  semblable  à  celle  de  la  queue  des 
poissons  ;  mais  la  Sangsue  ne  s'en  sert  point 
d'une  manière  particulière.  S'il  demeuroit  di« 
laté ,  il  auroit  une  forme  â-peu-près  pareille  à 
celle  d'une  clocbe ,  et  nuiroit  à  la  progression 
dans  l'eau.  Aussi  voit-on  que  la  Sangsue  rap^ 
procbe  de  la  face  abdominale  ,  et  y  colle  , 
pour  ainsi  dire,  la  partie  du  disque  qui  lui 
corresponds  Alors  la  partie  opposée  se  trouve 
plate,  et  forme  comme  le  bout  inférieur  d'une 
rames 

Du  reste  le  disque  n'est  nullement  néces^ 
saire  pour  le  nager  de  la  Sangsue;  car  le  mou- 
vement se  fait  avec  la  même  fréquence  et  avec 
la  même  régularité ,  quand  cette  partie  a  été 
enlevée. 


(34) 

Organes  de  la  Digestion. 

De  la  Bouche  et  des  Dents  de  la  Sangsue  > 
'  et  de  la  manière  dont  elle  opère  la  succion. 

J'ai  déjà  dit  quelque  cliose  de  rexb^emité 
antérieure  de  la  Sangsue.  Elle  peut  être  com- 
parée aux  lèvres  des  Mammifères, puisque,  de 
mêm^e  que  les  lèvres  chez  la  plupart  de  ces  ani- 
maux ,  elle  recouvre  les  organes  destinés  à  la 
■préhension  des  alimens ,  sans  leur  être  immé- 
diatement appliquée.  Elle  est  également  for- 
mée de  fibres  musculaires,  de  tissu  cellulaire, 
et  de  la  continuation  de  la  peau.  La  mobilité 
dont  elle  jouit  est  très -grande  ;  et  il  lui  est 
facile  de  prendre  des  formes  très-variées  ,  de 
s'allonger ,  de  s'élargir  ,  de  se  terminer  en 
pointe ,  etc. 

On  peut  considérer  dans  cette  extrémité 
deux  parties  distinctes  ;  car  la  partie  supérieure 
se  prolonge  beaucoup  au-delà  de  l'inférieure. 
Réunies ,  elles  ont  chacune  une  forme  à-peu- 
près  demi-circulaire j  mais  la  première  ,  dès 
qu'elle  quitte  la  lèvre  inférieure,  se  rétrécit 
graduellement  :  elle  peut  se  replier  sous  la  face 
interne  de  celle-ci ,  qui  est  plus  courte  \  et  en 


(3â) 

S€  plaçant  de  cette  manière ,  elle  fait  paroître 
rexlrëmitë  comme  arrondie. 

11  ëtoit  très-utile  que  la  lèvre  supérieure  pût 
se  replier  ainsi.  En  effet  ,1a  bouche ,  qui  jouit 
d'une  sensibilité  très-vive ,  est  par  ce  moyen 
protégée  ,  et  mise  entièrement  à  l'abri  de 
l'action  dès  corps  extérieurs. 

La  face  intérieure  des  lèvres  est  de  même 
très-sensible  :  pour  peu  qu'on  l'irrite,  on  déter- 
mine des  contractions  brusques  ;  et  la  lèvre 
supérieure  venant  alors  s'emboîter  sous  l'in- 
férieure, garantît  par  là  toutes  ces  parties. 

C'est  par  un  mécanisme  très-simple ,  que 
ces  lèvres  laissent  paroitre  Fouverture  supé- 
rieure du  canal  alimentaire ,  ou  pour  mieux 
dire,  la  bouche  et  les  instrumëns  dont  elle  est 
armée.  Elles  se  replient ,  comme  le  fait  le  pré- 
puce pour  donner  issue  au  gland  :  c'est  même 
par  une  sorte  d'érection  que  cette  partie  du 
canal  alimentaire  s'avance  au-delà  des  lèvres. 

Cet  état  d'érection  se  manifeste  encore  dans 
îa  force  qu'acquièrent  les  dents ,  ainsi  que  je  le 
dirai  bientôt. 

Quand  la  Sangsue  veut  s'appliquer  à  un 
corps  pour  y  faire  une  piqûre  ,  elle  allonge 
là|)àrtié  antérieure  du  canal  alimentaire  et  la 


(  35  ) 
roidit  ;  les  lèvres  se  rejettent  au-deliors  et  sa 
replient.  L'on  voit  aussitôt  sortir  trois  petits 
corps  ovales ,  et  de  forme  lenticulaire ,  placés 
de  manière  qu'ils  laissent  entre  eux  un  espace 
qui  a  la  figurée  d'un  triangle. 

Ils  reposent  chacun  sur  une  espèce  de  pied 
qui  paroît  de  nature  tendineuse ,  et  dont  l'ex- 
trëmité  postérieure  perdant  de  ses  dimensions 
et  se  divisant  ,  va  confondre  ses  fibres  avec 
celles  des  muscles  longitudinaux. 

La  partie  antérieure  de  cette  espèce  de  pied 
est  creusée  pour  recevoir  les  corps  lenticulai- 
res :  les  bords  même  de  chaque  cavité  où  ils 
sont  placés  se  trouvent  saillans  et  les  dépassent 
un  peu. 

Ces  corps  qui ,  d'après  le  genre  de  leurs 
fonctions  ,  ont  été  comparés  aux  dents  des 
autres  animaux,  touchent  latéralement  à  un 
anneau  tendineux  qui  forme  la  circonférence 
de  la  bouche ,  et  y  sont  assez  étroitement  atta- 
chés. Ils  sont  d'une  couleur  blanche, brillante, 
et  ont  une  apparence  cartilagineuse  ;  cepen- 
dant ils  ne  résistent  presque  point  au  scalpel , 
et  se  flétrissent  bientôt  après  qu'on  les  a  mis  à 
découvert. 

Le  bord  par  lequel  ces  corps  doivent  agir 


(37) 
offre  nue  série  de  petil  es  stries  rangées  comm* 
ks  dents  d'un  peigne  ou  d'une  scie;  mais  très- 
mousses  ,  du  moins  dans  l'état  ordinaire.  Elles 
paroissent  bleuâtres. 

C'est  en  implantant  à  la  fols  ses  trois  dents 
lenticulaires,  que  la  Sangsue  perce  le  corps  des 
animaux;  car  si  l'on  examina  la  plaie  qu'elle 
a  faite ,  on  lui  trouve  une  figure  triangu- 
laire (i).  Ces  dents  ne  coupent  pas  par  un 
seul  point;  mais  le  bord  entier  de  la  lentille  se 
dessine  sur  la  plaie. 

Il  doit  paroitre  assez  extraordinaire  que  des 
corps  aussi  peu  solides,  qui  ne  présentent  pas 
une  pointe  aiguë,  et  qui  n'ont  qu'un  bord 
garni  de  stries  mousses ,  puissent  faire  une 
incision  profonde  dans  la  peau  des  animaux, 
G  est  un  phénomène  qui  ne  peut  être  conçu, 
qu'autant  qu^on  admet  que  la  Sangsue  peut 
donner  à  ces  ca^ps  une  sorte  d'érection  qui 
s'éteint  avec  la  vie  ;  qu'elle  peut  les  roidir ,  en 
aiguiser,  pour  ainsi  dire,  les  stries,  de  manière 
qu'elles  soient  propres  à  opérer  l'incision. 

'    '  ■  j       I  ■  I  I     ■   I.I.-  M  II. Il .1    I  j  ■  .        >  Mil        u      I         m 

(  I  )  Sugendà  trîfidum  vulnusculum  imprimunt  ^ 
ita  ut  radii  ab  uno  centra  terni  cecjue  distantes  pro  ^ 
cédant  (Hisù.AftitnaL  a  JVolfan^o  Franzio.),. 


(  38  ) 

Il  est  vraisemblable  que,  comme  les  pieds 
sur  lesquels  portent  ces  dents  ,  sont  unis ,  et 
attaches  aux  fibres  musculaires  voisines  de  la 
bouche  ,  celles  -  ci ,  par  leurs  contractions  ^ 
doivent  faire  saillir  les  dents  ,  et  les  porter  en 
avant  avec  assez  de  force.  Si  l'on  considère  les 
rides  que  forment  les  lèvres  quand  elles  sont 
appliquées, on  verra  combien  ces  contractions 
peuvent  être  énergiques. 

On  a  cru  que  la  Sangsue ,  en  appliquant  ses 
dents  et  ses  lèvres  sur  la  peau  des  animaux  ,etc. 
faisoit  un  vide  qui  déterminoit  l'abord  du  sang 
dans  l'œsophage  (i)  ;  mais  on  peut  s'assurer 
que  c'est  une  erreur.  En  effet,  si  l'on  coupe  le 
corps  de  la  Sangsue  près  de  la  tête,  la  succion 
ne  laisse  pas  d'avoir  lieu ,  et  le  sang  s'avance 
toujours  dans  le  canal  alimentaire ,  quoique 
l'air  qui  frappe  cette  nouvelle  ouverture  dut 
s'opposer  à  l'effet  du  vide» 

D'ailleurs,  on  voit  par  les  mouvemens  que 

(i)  M.  Du  Rondeau  pense  que  le  corps  de  la  Sangsue 
fait  les  fonctions  de  pompe  et  de  piston ,  et  que  le  point 
fixe  d'où  part  le  mouvement  de  la  pompe  est  la  queue. 
L.C. 

D'autres  disent  que  la  Sangsue  se  fixe  comme  une 
ventouse. 


(  39  ) 
produit  la  Sangsue  depuis  les  premiers  anneaux 
voisins  de  la  bouche  jusqu'à  ceux  de  l'autre 
extrémité  ,  qu'elle  fait  marcher  graduelle- 
ment le  fluide  de  la  bouche  vers  le  reste  du 
corps. 

Il  me  paroît  que  les  dents,  après  s'être  en- 
foncées dans  le  tissu  de  la  peau,  rapprochent 
îeur  bord  antérieur  et  l'espèce  de  repli  ten- 
dineux du  pied  sur  lequel  elles  reposent ,  et 
foixent  ainsi  le  fluide  où  elles  sont  plongées 
à  se  glisser  dans  le  canal.  Elles  sont  aidées  en- 
suite par  l'action  de  l'anneau  qui  for  pie  Fou- 
vei'ture  de  la  bouche;  et  peut-être  encore 
par  l'action  d'une  petite  pièce  cartilagineuse  ^ 
ovale ,  qui  est  attachée  à  cet  anneau  ,  qu'elle 
dépasse  à  peine. 

Par  les  contractions  de  ces  divers  corps  ^  le 
sarig  est  poussé  vers  l'œsophage  :  le  moiive- 
ment  péristaltique  qui  se  prodoit  alors  dans  le 
tube  alimentaire  ,  et  se  répète  à  l'extérieur  ^ 
d'une  manière  bien  sensible ,  des  lèvres  à  l'au- 
tre extrémité ,  oblige  ce  fluide  à  continuer  sa 
route,  et  à  se  répandre  jusqu'aux  dernières 
parties  du  canal. 

On  explique  aisément,  d'après  cela ,  com- 
ment Faction  des  lèvres  est  indispensable  pour 


(40) 
îa  succion  ;  et  comment ,  sans  leur  secours ,  la 
Sangsue  ne  peut  faire  agir  ses  dents. 

Il  faut  sans  doute  qu'elle  se  tienne  appliquée 
au  moyen  des  lèvres,  afin  que  les  mouvemens 
que  les  dents  exercent ,  soit  pour  produire  la 
piqûre ,  soit  pour  faire  avancer  le  iluide  san- 
guin 5  puissent  s'opérer  avec  succès.  Si  la  for- 
mation du  vide  avoit  lieu  ,  l'utilité  des  lèvres 
ne  seroit  pas  si  grande  ;  tandis  qu'il  suffit 
de  les  relever  avec  la  lame  très-mince  d'un 
instrument  pour  engager  l'animal  à  lâcher 
prise. 

Afin  de  ne  conserver  aucun  doute  à  cet 
égard ,  Je  plaçai  sous  la  cloche  d'une  machine 
pneumatique  deux  Sangsues ,  que  j'appliquai 
au  coeur  d'un  oiseau  encore  palpitant.  Elles  ne 
discontinuèrent  pas  de  produire  les  m^ouve- 
mens  qui  annonçoient  que  le  sang  couloit  tou- 
jours dans  la  bouche  et  dans  le  reste  du  canal. 
Cependant ,  après  avoir  resté  quatre  ou  cinq 
minutes  ainsi  appliquées ,  elles  se  détachèrent  : 
mais  comme  si  elles  eussent  été  à  l'air  libre, 
elles  cherchèrent  à  faire  ailleurs  une  autre 
piqûre. 

On  pouiToit  être  surpris  qu'elles  aient  resté 
si  peu  de  temps  fixées  au  même  endroit;  mm 


(  41  ) 
81  Ton  considère  quelles  sont  les  conditions 
nécessaires  pour  que  le  sang  vienne  se  présen- 
ter à  leur  bouche,  la  surprise  cesse  bientôt.... 
Puisque  la  Sangsue  ne  peut  opérer  le  vide , 
elle  auroit  bientôt  épuisé  tout  le  sang  que 
contient  le  point  où  elle  est  fixée ,  si  une  cause 
particulière  ne  l'y  f aisoit  affluer.  Cette  cause 
est  évidemment  l'irritation  que  produit  sur 
tout  animal  vivant  la  piqûre  de  la  Sangsue ,  qui 
détermine  vers  la  partie  blessée  une  fluxion 
active.  Les  mouvemens  doivent  se  diriger  vers 
cette  partie  avec  beaucoup  de  force  ;  car  le 
sang  coule  quelque  temps  encore,  lorsque 
la  Sangsue  se  détache ,  après  avoir  sucé  pen- 
dant un  quart  d'heure  ou  une  demi-heure. 

Cet  effet  de  la  piqûre  est  analogue  à  celui 
que  produit  la  blessure  de  la  lancette ,  qui 
décide  (  comme  l'a  vu  Haller  )  l'abord  du 
sang,  non-seulement  des  parties  supérieure  et 
inférieure  du  vaisseau  piqué  ;  mais  qui  change 
encore  la  direction  des  mouvemens  du  sang 
dans  les  ramifications  des  vaisseaux  voisins. 

Un  pareil  état  de  fluxion  cessant  avec  la  vie , 
il  n'étoit  pas  possible  que  les  Sangsues  res- 
tassent long-temps  appliquées  dans  le  cas  dont 
j'ai  parlé ,  puisqu'elles  n'avoient  aucun  moyen 


(42    ) 

d'appeler  h  elles  le  sang  épanché  hors  de  la 
circonférence  de  leur  bouche  (i). 

Il  paroît  que ,  quoique  ces  insectes  soient 
fort  avides  du  sang  rouge ,  ils  ne  prennent 
pas  indifféremment  celui  de  toutes  les  espèces* 
J'ai  présente  à  plusieurs  Sangsues  des  vers 
de  terre ,  dont  j'avois  percé  le  vaisseau  dor- 
sal ,  afin  de  faire  couler  le  sang  ;  mais  elles 
n'ont  pas  voulu  s'y  attacher ,  et  en  sucer  le 
fluide. 

Elles  ont  également  refusé  de  piquer  des 
grenouilles  ,  quoique  je  leur  en  offrisse  le 
cœur  et  d'autres  organes  où  le  sang  est  assez 

abondant Le  sang  de  leur  espèce  ne  m'a 

point  paru  les  tenter  du  tout. 

Ceci  ne  détruit  pas  le  fait  observé  par 
M.  Vauquelin  ,  que  les  Sangsues  qui  sont  à 
jeun  piquent  celles  qui  sont  gorgées  de  nour- 

(i)  Je  me  suis  assuré,  par  une  autre  expérience 
encore  plus  rigoureuse,  que  la  succion  se  fait  de  la 
manière  que  j'ai  indiquée.  Une  Sangsue  fixée  à  une 
vessie  très-mince,  remplie  de  sang,  n'a  point  cessé, 
sous  la  cloche  de  la  machine  pneumatique ,  d'opérer 
la  succion ,  et  de  répéter  les  divers  mouvemens  propres 
à  faire  avancer  le  sang  de  la  ]>ouclie  vers  l'extrémité 
postérieure.  • 


(4-3) 
rîture  (i).  On  voit  qu'alors  c'est  le  sang  d'au- 
tres animaux  qui  les  attire. 

Comme  elles  ne  trouvent  pas  toujours  du 
sang  rouge  à  leur  disposition,  il  faut  bien 
qu'elles  se  nourrissent  de  quelqu'autre  ma- 
tière. C'est  ce  que  font  les  jeunes  Sangsues  nées 
dans  le  vase  où  sont  renfermées  leurs  mères. 

Le  mode  d'agir  de  leur  bouche  en  ces  cir- 
constances 5  confirme  l'explication  que  j'ai 
donnée  de  leur  succion. 

Quand  elles  s'agitent  dans  l'eau  pour  attra- 
per quelque  proie  ,  elles  dilatent  les  lèvres , 
font  avancer  la  bouche ,  écartent  les  dents 
qu'elles  rapprochent  bientôt  ;  sans  doute  afin 
que  l'objet  qui  doit  leur  servir  de  pâture  puisse 
être  introduit  dans  l'œsophage* 

IDu  Tube  alimentaire  et  de  la  Digestion^ 

La  disposition  du  canal  alimentaire  des 
Sangsues  n'a  pas  beaucoup  de  ressemblance 
avec  celle  de  ce  canal  dans  les  autres  animaux. 
Chez  les  Sangsues,  le  tube ,  sans  former  au- 


(i)  Nouv.  Dict.  d'Hist.  Natur.  appliquée  aux  Arts, 

art.  Sangsue, 


(  44  ) 
txme  circonvolution ,  s'étend  d'une  extrémité 
à  l'autre  du  corps.  Il  semble  s'appuyer  sur 
l'anneau  en  apparence  cartilagineux  qui  porte 
les  dents;  ou  pour  mieux  dire,  cxst  là  sort 
origine.  Fort  étroit  d'abord ,  il  s'accroît  bien- 
tôt ,  et  parvient  à  ses  plus  grandes  dimensions , 
après  avoir  atteint  la  cinquième  ou  la  sixième 
bande  qu'on  remarque  à  la  peau.  La  circon- 
fé  ence  du  tube  est  alors  à-peu-près  celle  de 
tout  le  corps,  puisqu'il  repose  immédiatement 
sous  la  couche  des  fibres  longitudinales. 

Cette  partie  du  canal  alimentaire,  voisine 
de  la  boucbe,  est  recouverte  d'une  couche 
de  tissu  cellulaire  assez  dense  ,  qui  disparoît 
ensuite  ;  de  même  que  certaines  fibres  circulai- 
res ,  qui  semblent  être  de  nature  musculeuscw 
On  peut  regarder  cette  extrémité  du  canal 
comme  formant  l'œsophage  et  l'estomac. 

Ainsi  rétréci  à  son  extrémité  antérieure ,  ce 
tube  se  divise,  vers  Tautre  extrémité ,  en  trois 
canaux ,  dont  les  deux  latéraux  sont  en  forme 
de  sac ,  et  n'ont  d'autre  ouverture  que  celle 
qu'ils  présentent  à  leur  naissance.  Le  troisième, 
c'est-à-dire  celui  du  milieu ,  est  un  canal  très- 
étroit  ,  qui  est  percé  à  son  extrémité  posté- 
rieure ^  et  fait  les  fonctions  de  l'intestin  reçr 


(45) 
tum.  C'est  à- peu-près  vers  le  tiers  postérieur 
de  ranimai  que  cette  division  a  lieu. 

Le  tube  alimentaire  des  Sangsues  paroit 
formé,  dans  toute  son  étendue ,  de  deux  mem- 
branes qui  sont  toutes  les  deux  très-minces  et 
transparentes.  La  membrane  extérieure  s'é- 
tend de  la  bouche  à  l'autre  extrémité  sans 
former  aucun  repli  :  il  n'en  est  pas  de  même 
de  celle  qui  est  interne. 

Chez  la  plupart  des  animaux ,  la  petitesse 
du  diamètre  des  intestins  est  compensée  par 
les  replis  nombreux  qu'ils  font  dans  la  cavité 
abdominale.  Mais  la  forme  de  la  Sangsue ,  et 
le  système  moteur  qui  lui  est  propre ,  ren-- 
doient  nuisible  une  pareille  disposition. 

En  effet ,  un  animal  qui  a  ses  organes  mus- 
culaires distribués  de  telle  manière  que  le  tube 
intestinal  est  obligé  d'en  partager  tous  les  ef- 
forts et  les  mouvemens ,  auroit  pu  souffrir 
beaucoup ,  si  ce  tube  avoit  été  d'une  longueur 
qui  eût  nécessité  de  nombreux  replis.  Il  y  au- 
roit eu  des  dérangemens  très  -  fréquens  j  et 
d'ailleurs  l'action  des  fibres  musculaires ,  qui 
devoit  aider  puissamment  un  organe  formé 
de  membranes  extrêmement  minces ,  n'auroit 
pas  pu  alors  lui  prêter  un  grand  secours. 


(46  ) 

La  Nature  a ,  chez  la  Sangsue ,  coordonne 
d'une  manière  particulière  les  divers  systèmes 
d'organes  entre  eux.  On  trouve  que  le  tube  ali- 
mentaire s'étend  directement  d'une  extrémité 
à  l'autre  du  corps  :  mais  sur  chacune  de  ses 
deux  parties  latérales ,  la  membrane  interne  se 
replie  régulièrement  de  distance  en  distance  , 
pour  former  comme  autant  de  poches  ou  de  ré- 
servoirs qui  s'emboîtent  les  uns  dans  les  autres. 

Quand  la  Sangsue  a  péri  sans  éprouver  de 
vive  irritation  qui  la  force  à  rejeter  les  ma- 
tières dont  le  canal  intestinal  est  rempli,  le 
sang  qui  y  est  contenu  se  fige  ;  ce  qui  permet 
de  bien  distinguer  les  diverses  poches  qui  se 
recouvrent  alors  successivement  de  devant  en 
arrière. 

Mais  quand  on  a  distendu  l'animal ,  il  n'y  a 
que  l'extrémité  de  la  poche  supérieure  qui 
vienne  recouvrir  quelques  lignes  de  la  sui- 
vante. En  ce  cas  même  ,  si  on  enlève  la  mem- 
brane externe  du  tube ,  on  peut  ensuite  déta- 
cher entièrement  chacune  de  ces  poches  l'une 
de  l'autre.  Elles  deviennent  ainsi  très -saillan- 
tes ,  et  se  redressent  en  portant  vers  les  côtés 
leur  partie  inférieure ,  de  manière  qu'elle» 
ne  se  recouvrent  plus  successivement. 


(47) 

.Cette  disposition  ne  commence  à  avoir  lieu 
vers  la  partie  antérieure  du  canal ,  qu'à  l'en- 
droit où  finit  le  rétrécissement  qui  forme 
l'œsophage ,  etc.  Elle  avoit  été  assez  bien 
observée  par  divers  auteurs.  Cependant  au- 
cun d'eux  n'a  bien  connu  la  division  inférieure 
du  tube. 

Les  deux  canaux  latéraux  qui  résultent  de 
cette  division  n'offrent  point  de  replis  aussi 
prononcés  que  ceux  de  la  partie  du  tube  qui 
les  précède  ;  mais  chacun  de  ces  deux  canaux 
n'est, pour  ainsi  dire  ,  qu'une  seule  poche  ex- 
trêmement prolongée.  Ils  s'étendent  à-peu- 
près  jusqu'au  disque,  et  s'adossent  entre  eux 
de  manière  à  couvrir  en  grande  partie  le  troi- 
sième canal  ou  le  rectum. 

Si  l'on  injecte  quelque  fluide  par  l'ouver- 
ture postérieure  de  ce  dernier  intestin ,  ou 
par  l'anus,  on  ne  peut  le  faire  sortir  par 
l'ouverture  antérieure  qui  se  trouve  à  l'en- 
droit de  la  division  du  tube ,  quelque  effort 
qu'on  fasse ,  et  quelque  liquide  qu'on  em- 
ploie. On  voit  ce  liquide ,  comme  les  stilets 
et  les  sondes  ,  remonter  jusqu'autour  de 
cette  espèce  d'entonnoir  qui  est  à  l'origine 
du  rectum ,  sans  qu'on  puisse  le  faire  pénétrer 


(48) 
à  travers  l'ouverture  qui  est  pratiquée  dans 
cette  partie  de  l'intestin.  Il  est  facile ,  au  con- 
traire, d'y  faire  passer  vuie  sonde  ou  un  fluide 
quelconque ,  lorsqu'on  dirige  l'injection  dans 
un  sens  inverse  de  celui-ci. 

Par  l'effet  de  cette  disposition ,  les  matières 
fécales  qui  arrivent  dans  l'intestin  ne  peuvent 
en  sortir  que  par  l'anus.  Un  pareil  arrange- 
ment étoit  d'autant  plus  nécessaire ,  que  sans 
cela ,  les  mouvemens  musculaires  qui  se  font 
sentir  sur  tout  le  canal ,  auroient  pu  détermi- 
ner un  mélange  informe  de  toutes  les  matières 
qui  y  sont  contenues. 

On  ne  peut  dire  si  le  rectum  est  une  con- 
tinuation du  tube  alimentaire  ,  ou  s'il  est  un 
canal  particulier.  On  voit  seulement ,  à  l'endroit 
de  la  division  de  ce  tube  ,  que  la  partie 
moyenne  se  replie  en  forme  d'entonnoir ,  et 
devient  ainsi  l'extrémité  antérieure  du  rec- 
tum. 

Cet  intestin  présente  deux  ou  trois  rétré- 
cissemens  propres  à  arrêter  la  marche  des 
matières  fécales.  Il  a  un  très-petit  diamètre , 
qui  n'est  pas  le  dixième  de  celui  des  sacs  qui 
l'entourent.  De  plus  grandes  dimensions  lui 
eussent  été  inutiles ,  puisque  l'animal  n'exerce 


(■49  ) 
sa  lacuîtë  digcsùve  que  sur  de  petites  por- 
tions d'alimens  a  la  fois  ;  ou  bien  qu'il  ne  di- 
gère qu'avec  une  extrême  lenteur. 

Le  rectuin  et  les  deux  sacs  latéraux  qui  le 
recouvrent  en  partie,  ayant  à  leur  naissance 
leurs  ouvertures  réunies  ,  il  seroit  facile  aux 
alimens  fluides  de  pénétrer  dans  toutes  ces  par- 
ties ,  si  une  cause  particulière  ne  s'y  opposoit. 

Cette  cause  ne  peut  être  cherchée  dans  la 
seule  conformation  des  parties ,  puisque  le 
diamètre  de  l'ouverture  du  rectum  est  propre 
à  laisser  passer  toutes  sortes  de  fluides  ;  et 
que  le  sang  ,  par  exemple  ,  que  la  Sangsue  a 
pris,  est  aussi  fluide  que  les  excrémens  qu'elle 
rejette.  Il  faut  donc  que  l'ouverture  du  rec- 
tum ait  une  sensibilité  telle  ,  -que  certaines 
matières  seulement  puissent  y  pénétrer. 

Quand  la  sensibilité  des  organes  est  altérée , 
comme  cela  arrive  ,  lorsque  l'animal  est  plon- 
gé dans  une  atmosphère  irritante ,  il  m'a  paru 
que  le  sang  sortoit  également  quelquefois  par 
la  bouche  et  par  l'anus. 

C'est  à  la  racine  du  disque  et  sur  la  face 
supérieure  de  l'animal  que  l'anus  se  trouve 
placé.  Il  est  à  peine  visible  à  l'œil  nu  ;  ce  qui  a 
fait  croire  qu'il  n'existoit  pas,  et  que  la  Sangsu© 

'  4 


(5o^ 
s'approprie  toutes  les  parties  des  alimens  par  la 
digestion ,  ou  en  chasse  le  résidu  par  la  trans- 
piration (i).  Cependant  les  matières  fécales 
sortent  quelquefois  de  Fanus  comme  par  jets. 

Tant  qu'il  y  a  du  sang  dans  le  canal ,  ces 
matières  sont  ordinairement  liquides ,  de  cou- 
leur verdâtre ,  et  solubles  dans  l'eau  qu'elles 
colorent  en  vert.  Elles  ont  alors  une  telle  res- 
semblance avec  la  bile  des  animaux  à  sang 
cbaud ,  qu'il  seroit  facile  de  s'y  méprendre  ; 
et  qu'on  seroit  presque  tenté  de  croire ,  à  leur 
aspect ,  que  le  sang  a  subi ,  dans  le  tube  ali- 
mentaire des  Sangsues ,  une  sorte  de  fermen- 
tation bilieuse. 

Chez  les  jeunes  individus  nés  dans  les  bo- 
cau^x  5  le  conduit  intestinal  ne  contient  aucun 
fluide  rougeâtre.  Aussi'  ne  trouve  - 1  -  on  dans 
les  matières  fécales  qu'ils  rendent,  rien  de  sem- 
jblable  à  l'humeur  bilieuse.  Il  en  est  de  même 
des  Sangsues  qui ,  ayant  resté  plusieurs  mois 
dans  les  bocaux ,  ont  eu  le  temps  de  digérer 
tout  le  fluide  sanguin  qu'elles  av oient  sucé. 

(i)  Voyez  le  Mémoire  de  Morand  sur  les  Sangsues, 
et  le  Nouveau  Dictionnaire  d'Histoire  Naturelle  appli- 
quée aux  Arts ,  art.  Sangsue. 


C5i) 
On  trouve  sur  les  diverses  parties  du  Canal 
intestinal ,  des  fibres  musculaires  dli  Igées  en 
divers  sens  ^  et  assez  éloignées  l'une  de  l'autre» 
Elles  doivent  comprimer  et  presser  ce  tube 
d'une  manière  plus  bornée  et  plus  directe 
que  ne  le  font  les  diverses  couches  fibreuses 
qui  sont  sous  la  peau ,  et  par  des  contractions 
indépendantes  de  celles  de  ces  dernières  fibres* 

C'est  sur- tout  sur  les  deux  canaux  c|ui  ter- 
minent le  tube  9  qu'on  voit  distinclement  les 
fibrilles  musculaires.  Les  unes  ne  s'élendent 
que  sur  un  seul  canal  ;  d'autres  les  embrassent 
tous  les  deux.  Il  en  est  plusieurs  qui  ont  une 
direction  transversale,   et  certaines  dont  la 

direction  est  oblique Quelques-unes  sont 

bornées  au  rectum. 

Ces  fibres  étoient  d'autant  plus  nécessaires 
sur  ces  canaux  j  qu'ils  sont  très-longs ,  et  que 
la  membrane  interne  n'y  offre  que  des  replis 
légers  et  peu  nombreux. 

On  a  établi  en  Histoire  Naturelle ,  comme 
Un  principe  très-bien  appuyé,  que  les  animaux 
avoient  un  tube  intestinal  d'autant  plus  étroit 
et  d'autant  plus  court  qu'ils  se  nourrissoient 
de  substances  plus  animalisées.  L'application 
de  ce  principe  qui  paroissoit  très  -  solide ,  s© 


prësentoit  même  chez  îes  insectes  et  les  der- 
nières classes  des  êtres.  Ce  qui  le  confirmoit 
davantage  encore ,  c'est  que  les  animaux  qui 
se  nourrissent  d'œufs  et  de  sang,  comme  cer- 
tains plantigrades ,  'étoient  ceux  dont  le  tube 
intestinal  offrait  proportionnellement  le  moins 
de  replis  et  les  plus  petites  dimensions. 

La  Sangsue  offre  une  exception  très-remar- 
quable à  cette  loi  générale.  On  voit  qu'elle  a 
un  canal  alimentaire  extrêmement  étendu , 
eu  égard  à  son  coi*ps  ;  et  en  même  temps  on 
la  voit  se  goi^ger  de  sang ,  et  en  remplir  jus- 
qu'aux derniers  replis  de  ce  canal  (i). 

Nos  idées  nous  porteroient  à  croire  que  le 
danger  d'une  pareille  conformation  a  besoin 

(i)  Ce  seroit  vainement  qu'on  diroit  que  ee  fluide 
n'est  pas  un  aliment  naturel  aux  Sangsues ,  et  qu'il  en 
est  d'elles  comme  de  quelques  espèces  herbivores  qu'on 
accoutume  aux  substances  animales.  Car  ici  la  faim  et 
l'habitude  lentement  établie  ne  sont  pour  rien,  puisque 
la  Sangsue  court  naturellement  d'elle-même ,  et  de  pré- 
férence, au  fluide  des  animaux  à  sang  rouge.  D'ailleurs, 
en  admettant  que  cet  aliment  ne  lui  est  pas  naturel ,  la 
difficullé  est  loin  d'être  levée. 

Il  paroît  que  la  Sangsue  se  nourrit  habituellement  de 
petites  espèces  animales  qui  vivent  et  meurent  dans  l'eau. 


(53) 

d'être  compense  par  la  promptitude  avec  la- 
quelle un  aliment  de  nature  si  putrescible  est 
digërë.  Mais  c'est  tout  le  contraire  qui  a  lieu; 
car  on  retrouve ,  après  des  mois  entiers,  dans  le 
corps  de  la  Sangsue,  ce  sang  à  peine  altéré. 

Il  faut  que  les  facultés  de  la  vie  exercent 
ici  une  action  bien  puissante ,  pour  faire  que 
le  fluide  sanguin  résiste  pendant  si  long-temps 
au  développement  ordinaire  des  affinités  qui 
tendent  à  en  opérer  la  putréfaction  (i). 

Nous  serions  peut-être  moins  surpris  qu\in 
pareil  phénomène  eût  lieu  chez  des  animaux 
d'une  organisation  très-compliquée,  dont  l'es- 
tomac hérissé  de  corps  glanduleux  fournit 
un  fluide  particulier  qui  semble  être  un  des 
principaux  agens  de  la  digestion  j  dont  le  tube 
alimentaire  reçoit  encore  d'autres  fluides,  tels 
que  le  suc  pancréatique ,  la  bile ,  qui  par  leur 
action  dans  le  corps  vivant  (  encore  imparfait 
tement  connue  )  semblent  devoir  s'opposer 
aux  mouvemens   putréfactifs  ordinaires  du 

»  '  -^        K'  '  '" 

(i)  J'observerai  que  le  sang  reste  toujours  fluide 
tant  que  l'animal  vit  ;  et  qu'il  se  condense  entièrement 
d'une  manière  solide,  et  forme  comme  une  masse  ré- 
sineuse après  la  mort ,  ou  lorsqu'on  l'a  retiré  du  «corps^ 


(54) 
§aiig.  Mais  coniment  la  Sangsue,  qui  est  privée 
de  tout  organe  glanduleux  analogue  au  foie  , 
au  pancréas ,  etc. ,  qui  a  un  tube  alimentaire 
formé  de  membranes  lisses  et  transparentes , 
sur  lesquelles  on  ne  remarque  aucun  vestige 
de  follicules  sécrétoires  ,  jouit-elle  de  cette 
faculté  ?  Ce  phénomène  est  une  nouvelle 
preuve  de  Faction  des  forces  vitales,  dont 
l'action  ne  sauroit  être  conçue  comme  dépea^ 
dante  de  tel  mode  d'organisation  déterminé. 

Quand  on  a  enlevé  toutes  les  paities. mus^ 
culeuses,  etc. ,  on  trouve  sur  le  tube  intesti-^ 
nal  une  substance  noirâtre ,  mince  ,  et  pré- 
sentant la  forme  d'un  réseau ,  qui  n'est  pas 
également  répandue  sur  toute  la  surface  du 
tiibe.  Elle  est  très  -  abondante  ,  plus  épaisse  , 
et  sans  interruption  ,  pour  ainsi  dire ,  sur  le 
dos  ,  ou  la  face  supérieure  de  la  Sangsue. 
Aux  parties  latérales  on  la  voit  disparoître , 
ou  ne  laisser  que  de  foibles  traces ,  pour  se 
montrer  encore  sur  le  milieu  de  la  face  op- 
posée. Elle  n'y  est  pourtant  ni  aussi  abon^ 
dante ,  ni  aussi  épaisse  que  sur  l'autre. 

Je  ne  sais  quelles  fonctions  peut  remplir 
un  pareil  tissu,  On  est  d'abord  tenté  de  croira 


(55) 

que  c'est  un  assemblage  d'une  foule  infinie 
de  petits  vaisseaux ,  unis  par  une  substance 
cellulaire.  Mais  quelque  incision  que  Ton 
fasse ,  quelques  pressions  qu'on  exerce ,  on 
n'en  voit  sortir  aucun  fluide.  Pourquoi  d'ail- 
leurs ce  tissu  cesseroit  -  il  à  l'endroit  où  se 
trouvent  les  grands  vaisseaux  latéraux  ? 

Il  paroît  donc  que  c'est  une  matière  pure- 
ment cellulaire  dont  il  n'est  pas  possible  encore 
d'assigner  les  fonctions^.  Elle  ressemble  assez 
bien  à  du  crêpe  qu'on  auroit  un  peu  mouillé. 

La  couleur  noire  qui  lui  appartient  pourroit 
faire  penser  qu'elle  est  cbargée  d'élaborer  ou 
de  fournir  le  principe  colorant  qui  teint  la 
plus  grande  partie  de  la  peau  des  Sangsues, 
En  effet ,  la  teinte  noire  est  très-prononcée 
sur  le  dos ,  où  ce  tissu  se  trouve  répandti  en 
abondance. 

Mais  ce  qui  démontre  qu'il  n'en  est  pas 
ainsi ,  c'est  que  la  teinte  noirâtre  appartient 
aussi  à  la  substance  cellulaire  qui  fait  partie 
du  corps  de  la  peau;  que  l'organe  cutané ,  à 
la  face  inférieure  de  l'animal  ou  au  ventre  ^ 
est  d'une  couleur  jaune,  quoique  le  tissu  dont 
il  est  question  se  trouve  en  cet  endroit  comme 
sur  le  dos. 


(  56  ) 
Système  uasculaire. 

Là  division  des  animaux  la  plus  générale 
et  la  plus  solide  en  apparence ,  étoit  celle  qui 
les  rangeoit  sous  les  deux  grandes  classes  d'a- 
nimaux à  sang  rouge  et  d'animaux  à  sang 
blanc.  Dans  la  première  se  trouvoient  placés 
d'une  manière  exclusive  toutes  les  espèces  qui 
ont  un  corps  ^vertébré ,  ou  un  squelette  inté- 
rieur articulé  ;  tandis  que  la  classe  nombreuse 
des  animaux  invertébrés  ne  contenoit  que  des 
individus  à  sana  blanc. 

On  avoit  bien  reconnu,  cliez  les  Sangsues 
et  les  vers  de  terre ,  les  traces  d'un  système 
vasculaire  à  sang  rouge  ;  mais  ce  système  avoit 
généralement  paru  dans  un  tel  état  d'imper- 
fection, que  ces  êtres  ne  sembloient  faire  à 
la  loi  générale  qu'une  exception  de  peu  de 
valeur  (i) On  verra  pourtant  qu'il  existe, 


(i)  M.  Cavier ,  dans  ses  Cours  d'AnalomIe  comparée, 
en  parlant  des  vaisseaux  latéraux  des  Sangsues ,  qu'il 
avoit  bien  reconnus ,  et  dont  il  avoit  observé  les  mou- 
vemens ,  a  fait  sentir  le  vice  de  cette  grande  division 
des  animaux  en  deux  classes. 


(^7) 
cliez  les  Sangsues,  une  grande  rëgularilë  dans 
la  distribution  des  vaisseaux  sanguins ,  et  une 
grande  multiplicité  quant  à  leur  nombre. 

Sur  chaque  partie  latérale  de  l'animal ,  il 
est  aisé  de  distinguer  un  vaisseau  membra- 
neux plein  de  sang  rouge ,  s'étendant  d'une 
extrémité  du  corps  à  l'autre ,  et  ayant  des  mou- 
vemens  bien  réglés.  La  distribution  et  la  sub- 
division de  ces  vaisseaux  restoient  seules  à 
connoître. 

D'espace  en  espace,  et  à  des  intervalles  qui 
correspondent  assez  bien  à  ceux  qu'il  y  a  entre 
les  diverses  poches  du  tube  intestinal ,  ces  vais- 
seaux donnent  de  chaque  côté  une  branche 
très-grande,  de  laquelle  partent  plusieurs  ra- 
meaux qui  se  subdivisent  à  leur  tour. 

On  ne  peut  découvrir  si  l'un  et  l'autre  de 
ces  vaisseaux  concourent  à  la  formation  de 
ces  branches ,  ou  bien  s'il  se  détache  alterna- 
tivement une  de  ces  branches  de  chacun  de 
ces  troncs.  Ce  qu'il  y  a  de  certain ,  c'est  que 
par  cette  voie  de  communication ,  lorsqu'on 
injecte  l'un  de  ces  vaisseaux,  l'autre  est  bientôt 
rempli  ;  et  qu'ainsi  on  peut ,  par  une  seule 
ouverture  ,  injecter  la  plus  grande  partie  du 
système  vascuiaire. 


(58) 

Ce  seroit  en  vain  qu'on  voudroit  assigner 
exactement  la  distribution  des  rameaux  et 
leurs  dernières  divisions.  On  peut  voir  sur 
l'animal  vivant ,  comme  sur  ceux  qu'on  a  in- 
jectes ,  avec  quelle  profusion  toute  la  peau 
en  est  garnie.  C'est  même  un  spectacle  sur- 
prenant que  celui  de  cette  partie  examinée  à. 
la  loupe.  L'œil  ne  peut  suffii^e  pour  embras- 
ser toutes  c^s  ramifications  ;  et  l'on  reste  aussi 
surpris  à  cet  aspect ,  qu'on  peut  l'être  en 
voyant  les  injections  délicates  des  plus  habiles 
Anatomistes. 

Toutes  les  membranes  qui  recouvrent  les. 
organes  de  la  génération ,  les  organes  respi- 
ratoires ,  etc. ,  offrent  également  des  réseaux 
très-fins  et  très- déliés,  qu'on  peut  injecter 
lorsqu'on  n'est  point  avare  de  soins  ni  de 
précautions. 

La  terminaison  des  deux  grands  vaisseaux 
^t  uniforme.  AiTivés  auprès  de  la  bouche  et 
du  disque ,  ils  cessent  de  fournir  les  branches 
qui  s'étendent  sur  le  canal.  On  les  voit  se 
diviser  en  cinq  ou  six  gros  rameaux ,  qui  per- 
dent de  leur  calibre  en  s'éloignant  de  leurs 
racines,  et  finissent  par  devenir  capillaires. 
Quelques-unes  de  ces  ramifications  des  groa 


(  59  ) 
vaisseaux  s'anastomosent  entre  elles  ;  ce  qui 
rend  ]a  distribution  de  ces  dernières  brandies 
assez  semblable  à  celle  des  autres. 

On  trouve  encore  ,  sur  le  milieu  du  dos 
des  Sangsues,  un  vaisseau  sanguin  qui  s'é* 
tend  de  la  lèvre  jusqu'au  disque ,  et  qui  est 
d'un  diamètre  plus  petit  que  celui  des  deux 
grands  vaisseaux  latéraux.  Les  branches  qu'il 
fournit  s'étendent  très-peu  loin ,  et  forment, 
sur  la  membrane  interne  du  tube  alimentaire, 
des  réseaux  nombreux  et  assez  étendus  (i) 

Le  sang  que  contient  ce  vaisseau  est  d'une 
couleur  rouge  ;  cependant  la  couleur  des  ra- 
mifications vasculaires  qui  forment  ces  réseaux 
est  généralement  blanchâtre  (2). 

Je  n'ai  pu  faire  pénétrer ,  dans  le  vaisseau 
dorsal ,  le  mercure  que  j'injectois  dans  les 
vaisseaux  latéraux.  Ils  ne  communiquent  sans 

(i)  M.  Bibiena  (L.  c.  ),  qui  n'a  que  très -imparfai- 
tement connu  le  système  vasculaire  des  Sangsues ,  a 
cru  qu'il  étoit  analogue  à  celui  des  vers ,  et  consistoit 
uniquement  en  ce  vaisseau  dorsal. 

(9.)  Il  est  vraisemblable  que  c'est  par  les  extrémités 
des  branches  capillaires  de  ces  réseaux  que  le  produit 
de  la  digestion  est  absorbé  et  porté  dans  les  deux  vais^ 
§eaux  latéraux ,  et  de  là  dans  les  organes  respiratoires. 


(6o) 
doute  avec  le  premier  que  par  des  rameau'?^ 
très-minces ,  et  probablement  par  quelques- 
uns  de  ceux  d'où  proviennent  les  réseaux  qui 
s'étendent  sur  le  canal  intestinal ,  et  à  la  for- 
mation desquels  il  paroît  que  les  vaisseaux 
latéraux  contribuent. 

Le  vaisseau  dorsal  semble  ])lus  particuliè- 
rement destiné  à  distribuer  le  fluide  sanguin 
aux  diverses  parties  du  tube  alimentaire  ;  car 
on  ne  voit  point  partir  de  ce  vaisseau  aucune 
brancbe  qui  se  rende  aux  autres  organes  in- 
ternes, ni  aux  parties  musculaires  et  à  la  peau. 
D'ailleurs  lorsqu'après  la  dissection  de  ces  di- 
verses parties ,  les  vaisseaux  latéraux  se  trou- 
vent vides  de  sang ,  le  vaisseau  dorsal  en  est 
encore  plein.  Ce  fluide  y  reste  même  jusqu'à 
ce  qu'on  l'en  retire  directement,  ou  qu'on 
décbire  les  intestins. 

Le  vaisseau  dorsal  est  intimement  attacbé 
à  la  membrane  interne  du  tube  alimentaire , 
et  on  ne  l'en  sépare  qu'avec  beaucoup  de 
peine.  Les  vaisseaux  latéraux  n'y  tiennent  5^ 
au  contraire  ,  que  fort  peu. 

Ceux-ci  laissent  apercevoir ,.  à  l'oeil  nu,  les 
mouveraens  dont  ils  jouissent,  et  qui  sont 
très-analogues  à  ceux  qu'on  remarque  dans 


(6i) 

les  vaisseaux  artériels  des  animaux  à  sang 
rouge. 

J'observerai  cependant  qu'ils  ont  lieu  avec 
une  lenteur  beaucoup  plus  grande  ;  car  il  ne 
s'y  produit  que  sept  ou  huit  pulsations  par 
minute.  La  dilatation  et  la  contraction  des 
parois  du  vaisseau  sont  bien  sensibles. 

On  peut  dire  que  les  tuniques  membraneu- 
ses de  ces  vaisseaux  jouissent  de  la  faculté  de 
se  dilater  et  de  se  contracter  dans  tous  les 
sens.  L'élongation  et  la  contraction  semblent 
n'appartenir  aux  fibres  musculeuses  ordinaires 
que  dans  le  sens  de  la  longueur.  Ici  ces  deux 
forces  agissent  dans  le  sens  même  de  l'épais- 
seur. 

Il  est  remarquable  que  ce  mouvement  de 
systole  et  de  diastole  existe  dans  les  vaisseaux 
des  Sangsues.  Les  Anatomistes  paroissoient  en 
droit  de  croire  que  c'étoit  au  tissu  composé 
des  tuniques  artérielles ,  qu'étoit  attachée  la 
faculté  de  se  contracter  et  de  se  dilater.  Voilà 
un  fait  qui  va  contre  leur  opinion  ;  car  on  ne 
peut  reconnoître  dans  les  vaisseaux  des  Sang- 
sues ,  qu'une  membrane  mince ,  blanche  et 
diaphane ,  très-analogue  à  celle  qui  forme  le 
tube  intestinal. 


(Gz) 

Il  est  encore  cligne  de  remarque  que  ces 
mouvemens  de  systole  et  de  diastole  existent 
iei  indépendamment  de  tout  organe  central  du 
système  yasculaire.  On  a  vu ,  d'après  ce  que 
j'ai  dit  sur  la  terminaison  et  la  distribution  des 
grands  vaisseaux  des  Sangsues ,  qu'il  n'y  avoit 
aucune  apparence  de  cœur  simple  ou  com- 
posé. 

Ainsi  se  confirme  j  par  les  résultats  que 
fournit  l'Anatomie  comparée  ,  cette  vérité 
déjà  énoncée  par  Galien  (i)  ,  et  appuyée  sur 
un  grand  nombre  de  faits  pathologiques  :  que 
les  vaisseaux  artériels  jouissent,  par  une  force 
qui  leur  est  propre ,  et  qui  est  jusqu'à  un  cer- 
tain point  indépendante  de  l'action  du  cœur , 
du  moiivement  de  contraction  et  de  dilarta- 
tion ,  d'où  résultent  les  battemens  qui  cons* 
tituent  le  pouls. 

Ce  n'est  pas  ici  le  seul  fait  qui  prouve  com- 
bien les  progrès  de  l'Anatomie  comparée 
peuvent  servir  à  détruire  des  erreurs  intro- 
duites dans  la  Physiologie.  En  effet,  à  mesure 
que  nos  connoissances  s'étendent ,  et  embras- 
sent un  plus  grand  nombre  d'objets  analogues, 

Pi  I  ■■— — ■  II» 

{i)  De  Usu  Par  mm. 


(63) 

on  doit  découvrir  l'imperfeclioii  des  conclu- 
sions générales ,  source  féconde  d'erreurs  que 
la  nature  de  notre  esprit  nous  a  rendu  trop 
promptement  nécessaires. 

Quoique  les  vaisseaux  de  la  Sangsue  aient 
la  faculté  de  se  contracter  et  de  se  dilater , 
l'absence  de  tout  organe  vasculaire  central 
indique  bien  qu'il  n'y  a  pas  ici  une  véritable 
circulation. 

J'ai  trouvé  plusieurs  fois  que  le  sang  avoit , 
dans  ces  vaisseaux ,  un  mouvement  d'impul- 
sion dirigé  de  devant  en  arrière  :  d'autres 
fois  aussi  ce  mouvement  m'a  paru  avoir  lieu 
en  sens  contraire ,  c'est-à-dire  de  l'extrémité 
postérieure  à  la  tête. 

Je  ne  puis  assurer  si  cette  oscillation ,  ou 
cette  succession  d'un  mouvement  péristal- 
tique  et  anti  -  péristaltique ,  ont  Heu  d'une 
manière  régulière  et  constante ,  mais  cela  me 
paroît  très-vraisemblable.  En  effet,  si  la  dou- 
leur que  l'instrument  fait  éprouver  à  l'animal, 
pouvoit  imprimer  au  lluide  une  direction  in- 
verse de  celle  qu'il  a  dans  l'état  naturel,  il 
faudroit  que  cette  nouvelle  direction  se  mon- 
trât uniformément  dans  tous  les  cas  de  dis- 
section. 


,(64) 

Les  mouvemens  de  systole  et  de  diastole 
ne  sont  pas  aussi  apparens  dans  le  vaisseau 
dorsal  que  dans  les  vaisseaux  latéraux  :  ce  qui 
peut  dépendre  en  grande  partie  de  ce  que  ce 
vaisseau  étant  fortement  attaché  à  la  mem- 
brane interne  du  tube  alimentaire  ,  ne  saur  oit 
avoir  la  même  liberté  de  mouvemens. 

Comme  ces  divers  vaisseaux,  dont  les  mou- 
vemens sont  plus  ou  moins  sensibles ,  contien- 
nent tous  un  fluide  de  même  nature  et  égale- 
ment rouge ,  on  ne  voit  pas  qu'il  y  ait  chez 
les  Sangsues  des  traces  d'un  système  veineux. 

Chez  les  animaux  où  le  sang  est  mu  par  un 
organe  central  de  circulation ,  quand  le  sang 
artériel  s'est  épanché  dans  les  organes ,  ou  que 
les  vaisseaux  qui  le  renferment  se  sont  subdi- 
visés à  l'infini ,  il  a  besoin  d'être  repris  par  une 
autre  série  de  vaisseaux ,  pour  être  ramené 
au  cœur.  Mais  la  nature  peut  offrir  telle  com- 
binaison qui  s'éloignera  de  cette  marche. 

On  ne  trouve  pas  chez  la  Sangsue  cette 
association  des  systèmes  artériel  et  veineux.  Il 
n'y  a  de  gros  troncs  vasculaires  que  les  trois 
grands  vaisseaux  que  j'ai  décrits.  Aucun  gros 
vaisseau  à  sang  noir  ne  se  présente  à  leur  côté  ; 
et  même  dans  les  ramifications  très  -  déliées 


(65) 

qu'on  distingue  à  l'oeil  nu ,  ou  à  la  loupe ,  on 
ne  découvre  qu'un  fluide  rouge  analogue  à 
celui  que  contiennent  les  vaisseaux  latéraux. 

Il  est  facile  d'injecter,  par  le  moyen  de  ces 
derniers ,  les  rameaux  qui  se  distribuent  aux 
organes  de  la  respiration  ;  mais  on  ne  peut 
reconnoître  aucune  trace  d'un  système  vas- 
culaire  particulier  ,  propre  à  rapporter  le 
sang  dans  les  gros  vaisseaux.  Il  faut  donc  qu'il 
y  revienne  par  la  même  voie  qui  l'y  a  con- 
duit. 

Si  l'on  remarque  que  chez  la  Sangsue ,  le 
sang  ne  s'ëpanche  nulle  part ,  que  ses  fibres 
musculaires  n'ont  pas  la  moindre  teinte  rouge , 
que  ses  organes  respiratoires ,  très-analogues 
à  ceux  des  quadrupèdes  ovipares ,  n'en  laissent 
apercevoir  aucune  trace  ailleurs  que  dans  les 
vaisseaux  qui  rampent  sur  leurs  membranes , 
qu'aucun  organe  sëcrëtoire,  correspondant 
au  foie ,  etc. ,  ne  se  fait  distinguer ,  qu'il  n'y 
a  point  d'organe  central  de  circulation ,  on 
sera  moins  surpris  de  l'absence  du  système 
veineux. 

Chez  les  animaux  à  sang  rouge  d'un  ordre 
supérieur  ,  le  sang  ne  pourroit  revenir  au 
cœur  par  les  vaisseaux  qui  l'ont  apporté  de 

5 


(66) 

cet  organe  dans  les  diverses  parties ,  puisque 
le  mouvement  naturel  de  ce  fluide  est  opposé 
à  ce  retour.  Chez  les  Sangsues  au  contraire  , 
le  mouvement  régulier  que  paroît  avoir  le 
fluide  sanguin ,  et  dont  l'impulsion  se  dirige 
dans  un  sens  réciproque  et  alternatif  d'une 
extrémité  à  l'autre ,  suffit  pour  permettre  aux 
petits  vaisseaux  de  ramener  le  sang  dans  le 
tronc  principal. 

Du  reste  nous  pourrions  trouver  un  mou- 
vement analogue  dans  le  système  absorbant , 
dont  les  vaisseaux  paroissent  tantôt  faire  la 
fonction  de  système  exhalant  (  selon  le  plus 
grand  nombre  de  Physiologistes  ) ,  et  tantôt 
opérer  l'absorption. 


(67) 
Organes  respiratoires • 

Du  mode  de  respiration  de  la  Sangsue  ^  eL  de 
V action  qu  elle  éprouve  de  différens gaz ^  etc* 

Pour  conserver  les  Sangsues  qu'on  place 
dans  les  bocaux ,  on  est  oblige  de  pratiquer  au 
couvercle  un  certain  nombre  d'ouvertures  qui 
permettent  l'entrée  de  l'air,  et  de  ne  pas  rem- 
plir d'eau  les  vases  jusqu'au  sommet.  Ces 
précautions  même  ne  suffisent  pas  dans  tous 
les  temps;  car  pendant  que  l'été  dure,  on 
doit  renouveler  très-souvent  le  fluide  dans  le- 
quel ces  animaux  sont  plongés. 

L'observation  qui  avoit  indiqué  ce  moyen 
de  les  conserver ,  n'étoit  point  généralement 
remontée  au-delà  ;  quoiqu'il  fût  aisé  de  con- 
clure qu'un  animal  qui  réclamoit  de  tels  soins, 
avoit  un  besoin  assez  urgent  du.  contact  de 
l'air ,  et  un  mode  inconnu  de  respiration. 

Il  étoit  probable  en  effet  que  ces  diverses 
précautions  n'étoient  rendues  nécessaires, que 
parce  que  la  quantité  d'air  qu'on  laissoit  dans 
les  bocaux  ne  pouvoit  se  renouveler  selon 
les  besoins  de  l'animal. 

La  mort  des  Sangsues  qu'entraînoit  l'oubli 


(68) 
de  ces  soins  ne  pouvoit  être  rapportée  au  dé- 
faut d'alimens,  puisqu'elles  peuvent  suppor- 
ter une  longue  diète ,  et  qu'elles  ne  digèrent 
qu'avec  une  extrême  lenteur. 

On  pouvoit  présumer  que  si  le  besoin  d'un 
air  nouveau  se  faisoit  sentir  plus  souvent  du- 
rant l'été  ,  c'étoit  sans  doute  parce  que  ce 
fluide  alors  plus  raréfié  contient ,  sous  un 
même  volume  ,  moins  de  parties  propres  à  la 
respiration;  et  sur-tout  parce  que  ces  animaux 
n'étant  nullement  engourdis  dans  cette  saison 
comme  ils  le  sont  durant  l'hiver ,  et  exerçant 
alors  la  faculté  de  se  reproduire ,  jouissent  de 
toute  la  vie  qui  leur  a  été  donnée  (i). 

Pour  ne  conserver  aucun  doute  à  cet  égard , 
je  mis  plusieurs  Sangsues  sous  un  bocal ,   où 

(i)  Il  est  vrai  cependant  que  leur  réunion  peut  aussi 
leur  devenir  nuisible  ,  soit  en  favorisant  Taltération  de 
l'air  par  le  développement  plus  abondant  de  quelque  prin- 
cipe gazeux  funeste ,  soit  en  rendant  plus  facile ,  par  Tac- 
cumulation  d'une  plus  grande  quantité  des  matières  que 
chacun  d'eux  rejette ,  l'altération  de  l'eau.  Mais  comme 
ce  sont  principalement  les  animaux  qui  respirent  par  des 
poumons ,  ou  d'autres  organes  analogues,  qui  se  nuisent 
étant  ainsi  entassés ,  il  y  avoit  ici  une  probabilité  de 
plus  en  faveur  de  la  respiration  des  Sangsues. 


(%) 

Feau  montoit  jusqu'à  une  hauteur  cl éler mi- 
née ;  et  je  le  renversai  sur  un  vase ,  où  je  versai 
ensuite  de  l'eau.  Au  bout  de  vingt- quatre  ou 
trente  heures ,  je  m'aperçus  que  l'eau  étoit 
montée  de  quelques  lignes.  La  hauteur  de 
l'eau  s'accrut  encore  davantage  vers  la  lin  du 
second  jour. 

J'observai  que  les  Sangsues  ne  se  tenoient 
jamais  long-temps  au  fond  du  vase;  qu'elles 
venoient  souvent  à  la  surface ,  élevant  au- 
dessus  de  l'eau  tantôt  une  de  leurs  extrémi- 
tés ,  et  tantôt  l'autre ,  jusqu'au  tiers  ou.  à  la 
moitié  du  corps. 

Il  est  facile  de  se  méprendre  sur  la  hauteur 
du  fluide,  si  au  moment  où  on  la  détermine, 
on  ne  fait  pas  attention  à  la  place  qu'occupent 
les  Sangsues  dans  le  bocal.  Si  elles  se  trouvent 
entièrement  dans  l'eau ,  il  est  tout  simple  que 
ce  fluide  s'abaisse  à  mesure  que  les  Sangsues 
élèvent  au-dessus  une  partie  plus  ou  moins 
grande  de  leur  corps j  et  qu'il  s'élève,  au 
contraire ,  à  mesure  qu'elles  s'y  enfoncent 
davantage. 

Pour  connoître  quelle  étoit  la  nature  du 
changement  que  la  respiration  faisoit  éprou- 
ver à  l'air,  j'en  recueillis  diverses  portions, 


(70) 
dans  de  petits  bocaux  :  les  bougies  s  j  étei- 
gnirent, et  l'eau  de  chaux  m  y  parut  un  peu 
troublée.  J'étois  donc  porté  à  croire  que  cette 
respiration  étoit  très-analogue  à  celle  des  ani-i 
maux  à  sang  rouge. 

Après  m'étre  assuré  de  ces  faits,  je  m'oc- 
cupai de  découvrir  quel  étoit  l'organe  où  l'air 
éprouvoit  ces  altérations.  J'avois  disséqué  un 
assez  grand  nombre  de  Sangsues;  mais  comme 
mes  vues  ne  s'étoient  pas  tournées  vers  ce 
côté  5  je  ne  prévojois  pas  quel  pouvoit  être 
cet  organe. 

La  peau  de  l'animal  offre  une  si  grande 
multitude  de  pores,  les  vaisseaux  s  y  ramifient 
à  un  tel  point,  que  j'étois  tenté  dépenser  que 
le  sang  recevoit  l'influence  de  l'air  à  travers^ 
la  peau,  et  par  le  moyen  de  ces  petites  ouvert 
tures  (i).  "" 

Bientôt ,  dans  une  dissection  plus  attentive , 
je  remarquai  qu'il  y  avoit  à  certaines  distances , 
sur  les  deux  côtés  du  corps  de  la  Sangsue, 
des  espèces  de  sacs  membraxieux ,  transpa- 
»       '    '         ■  ■'■  '"  '  ■ 

il)  On  croyoit  assez  généralement  que  les  Sangsues 
respiroient  en  introduisant  de  Tair  dans  leur  bouche. 
Voyez  Du  Rondeau,  1.  c.  ;  le  Dictionnaire  d'Histoire 
Naturelle  apnliq»  ""  "^^^  Arts.  1.  c.  ;  Bibiena,  1.  c. 


(70 
rens ,  en  forme  de  vessie ,  qui  ëtoient  renilës, 
et  ne  paroissoient  contenir  que  de  l'air  ;  du 
moins  tant  que  l'animal  n'avoit  pas  trop  souf- 
fert ,  et  jouissoit  de  sa  vie  presque  entière.  Ces 
corps  membraneux  se  remplissoient  d'tine  li- 
queur blanchâtre,  s'effaçoient ,  et  disparois- 
soient ,  pour  ainsi  dire ,  à  mesure  que  la  vie 
s'éteignoit. 

J'observai  la  distribution  qu'ils  présen- 
toient,  et  je  reconnus  qu'ils  étoient  places 
d'une  manière  régulière  sur  les  deux  côtés  de 
l'animal.  Ils  existent  depuis  la  bouche  jusqu'à 
l'origine  du  disque ,  et  sont  assez  rapprochés 
l'un  de  l'autre. 

Je  me  rappelai  alors  que  j'avois  vu ,  à  la 
peau  5  des  trous  plus  grands  que  les  autres , 
d'où  il  m'avoit  semblé  que  s'échappoient  des 
bulles  d'air,  et  d'où  j'avois  vu  soi'th"  des  gouttes 
d'un  liquide  blanchâtre.  Je  les  examinai  de 
nouveau,  et  je  trouvai,  comme  je  l'ai  déjà  dit, 
qu'il  y  avoit  entre  chacun  de  ces  trous  l'in- 
tervalle de  cinq  anneaux.  Il  étoit  probable 
que  c'étoit  comme  autant  d'ouvertures  qui 
conduisoient  aux  corps  en  question.  J'y  fis  en 
effet  passer  une  soie  de  cochon  ,  et  j'arrivai 
directement  dans  ces  corps.  Je  les  remplis  de 


(72) 
mercure  par  celte  voie ,  pour  voir  si  je  ne 
découvrirois  aucune  ramification  intérieure  , 
ou  quelque  canal  qui  allât  s'y  rendre  ou  qui 
en  partît.  Malgré  les  pressions  assez  fortes  que 
j'exerçai,  je  ne  pus  jamais  faire  glisser  le  mer- 
cure nulle  part. 

Ces  recherches  ne  me  satisfaisoient  pas  en- 
core. Pour  être  certain  que  ces  corps  étoient 
de  véritables  organes  de  respiration,  je  pensai 
qu'il  falloit  voir  si ,  sur  les  membranes  qui 
les  forment ,  les  vaisseaux  sanguins  venolent 
se  ramifier  à  l'infini. 

Quand  ces  corps  étoient  remplis  de  mer- 
cure ,  j  j  distinguois  bien,  au  moyen  de  la 
loupe  y  des  traces  de  vaisseaux  -,  m.ais  comme 
le  sang  s'étoit  à-peu-près  échappé  de  tout  le 
système  vasculaire,  ces  ramifications  dévoient 
être  alors  effacées  en  grande  partie. 

Au-dessus  d'un  de  ces  organes ,  je  fis  une 
ligature  au  grand  vaisseau ,  dans  lequel  j'in* 
jectai  du  mercure.  Après  dé  douces  pressions 
que  j'exerçai  sur  ce  fluide  pour  le  faire  avan- 
cer ,  je  vis  qu'il  pénétroit  dans  une  branche 
qui  se  reudoit  à  ce  corps  ;  je  dirigeai  vers  cet 
endroit  le  mercure  ,  et  bientôt  il  s'offrit  une 
quantité  innombrable  de  vaisseaux  capillaires 


(  73  ) 
injectés.  Ils  étoient  en  si  grand  nombre,  que 
la  vessie  étant  affaissée,  on  n'aperce  voit  plus 
que  de  petites  parties  de  ses  membranes. 

Par  les  vaisseaux  de  l'organe  injecté  ,  se 
remplissent  ceux  des  organes  voisins  :  ce  qui 
annonce  évidemment  que  la  communication 
de  ceux-  ci  n'en  est  pas  moins  intime  ,  quoi- 
qu'ils soient  séparés  les  uns  des  autres.  On 
sent  aisément  quel  avantage  il  en  résulte 5  car, 
en  supposant  que  l'animal  ne  put  présenter 
à  l'air  qu'une  partie  de  son  coi^ps ,  le  sang  des 
parties  voisines  pourroit  en  recevoir  l'impres- 
sion au  moyen  des  rapports  que  les  vaisseaux 
établissent. 

Il  me  reste  encore  à  noter  une  autre  cir- 
constance anatomique  qui  peut  je  ter  quelque 
jour  sur  la  fonction  de  ces  corps.  Après  avoir 
rempli  l'un  d'eux  avec  du  mercure ,  de  ma- 
nière qu'il  devint  très  -  saillant ,  je  grattai  la 
membrane  avec  la  pointe  d'une  lancette. 
Bientôt  je  vis  se  détacher  quelques  minces 
lambeaux  membraneux ,  et  pourtant  le  mer- 
cure ne  s'écbappoit  pas.  Il  restoit  donc  une 
autre  membrane  au-dessous  de  la  première. 
Je  l'examinai  à  la  loupe,  et  j'y  reconnus  des 
vestiges  de  vaisseaux  injectés.  Elle  étoit  si 


(74) 
mînce ,  qu'au  premier  aspect ,  ou  auroit  cru 
que  le  mercure  n'ëtoit  ainsi  retenu  que  par 
sa  force  propre  de  cohésion.  Mais  il  ne  pou- 
voit  y  avoir  aucun  doute  sur  l'existence  de 
cette  membrane,  puisqu'on  la  reconnoissoit 
à  la  loupe ,  et  qu'on  ne  pouvoit  chasser  le 
mercure. 

H  est  donc  permis  de  conclure  de  tous  ces 
faits,  que  ces  corps  de  forme  ovale,  sembla- 
bles à  de  petites  vessies  très-minces ,  sont  les 
vrais  organes  de  la  respiration  des  Sangsues. 
On  ne  peut  mieux  les  comparer  qu'aux  pou- 
mons de  certains  quadrupèdes  ovipares ,  da 
Caméléon ,  par  exemple ,  qui  s'étendent  le 
long  du  corps;  avec xette  différence  pourtant 
que  chez  ceux-ci  l'organe  est  très-vaste ,  con- 
tinu ,  et  n'a  qu'une  seule  ouverture  f  tandis 
que ,  chez  les  Sangsues ,  il  est  formé  de  plu- 
sieurs poches  qui  ne  communiquent  point 
immédiatement  entre  elles. 

On  doit  convenir  néanmoins  que  le  volume 
relatif  des  poumons  est  plus  grand  chez  les 
Sangsues  que  chez  la  plupart  des  quadrupèdes 
ovipares ,  puisque  ces  organes  n'ont  d'autres 
termes  que  les  extrémités  même  de  l'animal,  et 
ne  laissent  entre  eux  que  de  légers  intervalles. 


(75) 

Ce  seroit  vainement  qu'on  voudroit  rap- 
procher le  mode  de  respiration  de  la  Sangsue 
de  celui  des  insectes  à  trachées;  ils  ne  se  res- 
semblent sous  aucun  rapport;  et  je  pense  qu'il 
seroit  superflu  d'en  établir  longuement  les 
différences. 

Quant  aux  traits  particuliers  qui  distinguent 
les  organes  respiratoires  des  Sangsues  de  ceux 
des  autres  animaux  à  sang  rouge ,  ils  ëtoient 
nécessites  par  la  disposition  du  système  vas- 
culaire. 

Les  bords  de  chaque  ouverture  qui  con- 
duit à  l'un  de  ces  organes  jouissent  d'une 
sensibilité  très-vive.  Ils  se  contractent  forte- 
ment pour  peu  qu'on  les  irrite  ;  et  cela  va 
même  au  point  qu'on  ne  peut  plus  y  intro- 
duire aucun  corps  quelconque.  On  peut  de 
là  présumer  que  l'animal  a  le  pouvoir  de 
fermer  ces  trous  à  volonté  ;  ce  qui  étoit  très- 
important  ,  eu  égard  à  la  fonction  qu'ils  exer- 
cent. 

J'ai  déjà  dit  qu'après  la  mort ,  les  organes 
respiratoires  de  la  Sangsue  contiennent  une 
liqueur  blanchâtre.  J'ajouterai  qu'il  est  facile, 
lorsqu'on  a  tenu  pendant  quelques  instans  la 
Sangsue  hors  de  l'eau ,  de  faire  sortir  de  pe- 


(76) 
lites  quantités  de  ce  liquide  :  on  n'a  qu'à  pres- 
ser les  parties  qui  correspondent  aux  deux 
extrémités  de  l'organe ,  de  manière  que  l'ou- 
Terture  devienne  saillante. 

La  Sangsue  elle-même  chasse  de  temps  en 
temps  des  globules  de  cette  liqueur ,  surtout 
quand  on  irrite  T  orifice  de  ses  vessies  respi- 
ratoires ,  ou  qu'on  la  place  sur  un  corps  qui 
absorbe  aisément  l'eau.  Si  on  la  fait  rouler , 
par  exemple ,  dans  de  la  farine  ou  dans  une 
fécule  quelconque ,  on  voit  ces  substances  se 
coller  sur  tou^te  la  surface  de  l'animal,  ex- 
cepté à  l'ouverture  extérieure  qui  conduit 
aux  organes  de  la  respiration.  A  chacun  de 
ces  orifices ,  on  aperçoit  que  la  pâte  est  sou- 
levée et  détachée  par  les  globules  de  liqueur 
que  la  Sangsue  fait  sortir ,  sans  doute  par  un 
effet  de  son  instinct. 

11  est  très-vraisemblable  que  cette  excré- 
tion est  analogue  à  celle  qui  constitue  la  trans- 
piration pulmonaire.  Il  y  a  néanmoins  cette 
différence ,  que  dans  un  cas  elle  s'exhale  sous 
forme  de  vapeur  imperceptible;  et  que  dans 
l'autre  elle  est  sous  forme  liquide  ,  à  cause 
du  degré  de  température  de  l'animal. 

Cette  humeur  qui  vient  chez  la  Sangsue 


(77)     . 
lubrifier ks organes  respiratoires,  paroît  né-^ 

cessaire  pour  la  facilité  et  la  liberté  de  leurs 
fonctions.  On  sent  bien  que  si  aucun  liquide 
ne  s'y  trouvoit  pour  tempérer  l'action  dessé- 
chante de  l'air,  ces  organes  perdroient  bientôt 
cette  souplesse ,  cette  moiteur  qui  en  main- 
tiennent les  mouvemens  d'une  manière  douce 
et  régulière.  ' 

Avant  de  connoître  la  forme  et  la  disposi- 
tion des  organes  respiratoires  de  la  Sangsue , 
j'étois  fort  surpris  du  résultat  de  quelques 
expériences  que  j'avois  faites.  Il  me  paroissoit 
très  -  singulier  qu'un  animal  qui  avoit  be- 
soin d'un  air  fraîchement  renouvelé,  et  qui 
faisoit  éprouver  à  ce  fluide  une  altération 
analogue  à  celle  que  lui  impriment  les  ani- 
maux des  classes  supérieures ,  pût  vivre  in- 
différemment dans  la  plupart  des  gaz  pendant 
un  temps  assez  long. 

Je  plaçai  des  Sangsues  dans  des  bocaux 
remplis  d'hydrogène,  d'azote ,  et  je  ne  m'aper- 
çus point  qu'elles  en  fussent  incommodées. 
Elles  sembloient  n'y  périr ,  au  bout  de  qua- 
rante-six ou  quarante-huit  heures,  que  comme 
dans  l'air  atmosphérique  ou  l'oxygène ,  par 
une  espèce  de  dessèchement  :  le  contact  de 


(78) 
l'air  ou  du  gaz  et  la  privation  d'eau  les  obli- 
geant à  une  dépense  irréparable  de  cette  hu= 
meur  qu'elles  excrètent ,  et  qui  est  nécessaire 
au  libre  exercice  de  leurs  mouvemens  et  de 
leurs  fonctions. 

Elles  peuvent  rester  vingt  -  quatre  heures 
environ ,  plongées  dans  l'acide  carbonique , 
sans  paroître  fort  incommodées.  Au  bout  de 
ce  temps  cependant  leurs  mouvemens  cessent , 
leur  irritabilité  s'affoiblit  beaucoup ,  et  leur 
corps  devenu  flasque ,  ne  se  contracte  que 
très-foiblement  par  l'action  de  divers  irritans. 

En  considérant  ensuite  la  disposition  de  ses 
poumons,  je  vis  que  la  Sangsue  devoit  avoir, 
comme  certains  quadrupèdes  ovipares ,  la  fa- 
culté de  vivre  long  -  temps  dans  un  air  privé 
d'oxygène  :  ceux-ci  par  la  faculté  qu'ils  ont  de 
boucher  leur  glotte ,  la  Sangsue  par  la  faculté 
de  fermer  immédiatement  ses  poumons  mem- 
braneux ,  qui  peuvent  contenir  assez  d'air  , 
pour  le  besoin  de  plusieurs  jours  ;  ainsi  que 
le  prouve  le  fait  suivant. 

Si  on  place  une  ou  deux  Sangsues  seule- 
ment, dans  un  bocal  entièrement  rempli  d'eau, 
et  hermétiquement  bouché  ,  elles  y  vivent 
assez  long-temps. 


(79) 

Un  autre  phénomène  aussi  singulîex' ,  et 
peut-être  plus  encore ,  c'est  que  la  Sangsue 
vit  aussi  plus  d'un  jour  sous  la  cloche  de  la 
machine  pneumatique.  Elle  s'y  meut  comme 
à  l'air  libre  ;  applique  tour-à-tour  son  disque 
et  sa  lèvre  sur  les  parois  de  la  cloche,  où 
elle  s'attache ,  et  y  suce  le  sang  des  animaux, 
comme  je  l'ai  déjà  dit. 

Les  vaisseaux  sanguins ,  quoique  très-nom- 
breux ,  ne  laissent  point  échapper  alors  le 
fluide  qu'ils  contiennent  ;  ce  qui  semble  prou- 
ver que  les  hëmorrhagies  que  certains  animaux 
éprouvent  dans  les  hautes  régions  de  l'atmo- 
sphère ne  dépendent  pas  uniquement  de  la 
diminution  de  la  colonne  d'air.  Les  quadru- 
pèdes ovipares  qui  peuvent  à  volonté  boucher 
leur  glotte ,  supportent  aisément ,  comme  la 
Sangsue ,  de  très  -  grandes  diminutions  de  la 
coïonne  atmosphérique. 

Il  doit  paroître  singulier  que  la  Sangsue 
puisse  vivre  plusieurs  jours  sous  la  cloche  de 
la  machine  pneumatique ,  plus  d'une  semaine 
dans  les  bocaux  remplis  d'eau  et  hermétique- 
ment bouchés  ;  et  qu'elle  ne  puisse  rester  sans 
y  périr ,  plus  de  vingt-quatre  heures  dans  le 
gaz  acide  carbonique  bien  pur.  Il  semble  en 


(  8o  ) 
effet  que  la  Sangsue  ayant  la  faculté  de  sùp^ 
porter  la  privation  de  l'air ,  durant  un  temps 
plus  ou  moins  long,  dans  le  vide  et  dans  l'eau, 
elle  ne  devroit  pas  périr  plutôt  dans  un  ga2 
quelconque  que  dans  l'air  atmosphérique. 

Il  n'est  pas  probable  que  le  gaz  acide  car^ 
bonique  produise  ses  funestes  effets ,  en  agis- 
sant comme  acide  sur  l'organe  cutané  ;  puis- 
que la  Sangsue  ne  paroît  souffrir  dans  ce  gaz 
qu'au  bout  de  plusieurs  heures ,  et  qu'elle  ne 
manifeste  point,  par  les  convulsions  de  son 
corps ,  qu'elle  éprouve  aucune  irritation.  On 
peu^t  donc  regarder  comme  très-vraisemblable, 
que  c'est  en  s'introduisant  dans  les  organes 
respiratoires  dont  la  Sangsue  dilate  l'orifice  à 
certains  intervalles ,  que  l'acide  carbonique 
lui  devient  funeste.  L'introduction  du  gaz 
azote  et  du  gaz  hydrogène  n'est  pas  suivie  des 
m.êmes  effets ,  parce  que  n'étant  qu'impropres 
à  la  respiration ,  ces  gaz  ne  peuvent  pas  être 
très-nuisibles  à  un  animal  qui  a  la  faculté  dô 
supporter  long-temps  la  privation  d'air  atmo- 
sphérique. 

Comme  les  Sangsues  ne  dilatent  pas  toutes 
les  orifices  de  leurs  organes  respiratoires  à  des 
intervalles  égaux,  puisque  chacune  d'elles  ne 


(8i) 
Vient  pas  dans  le  même  moment  à  la  sur- 
face de  l'eau  où  on  les  a  plongées  ,  il  n'est 
pas  étonnant  que  le  gaz  acide  carbonique  ne 
les  tue  pas  dans  un  terme  qui  soit  rigoureu* 
sèment  le  même  pour  toutes* 

Le  gaz  hydrogène  sulfuré  agit  sur  la  Sang- 
sue à-peu-près  de  la  même  manière  que  sur 
les  autres  animaux.  Ce  n'est  pas  comme  im- 
propre à  la  respiration  qu'il  est  essentielle- 
ment nuisible  ;  mais  il  a  une  propriété  véné- 
neuse ,  irritante ,  qui  se  manifeste  bien  par  les 
convulsions  dont  la  Sangsue  est  agitée  dans  ce 
gaz ,  parle  vomissement  qu'elle  y  éprouve ,  etc. 
Du  reste  elle  n'y  meurt  pas  aussi  prompte- 
ment  que  les  animaux  à  sang  chaud.  Elle  y 
reste  cinq  à  six  minutes  avant  d'expirer  (i)  : 
encore  même  vit-elle  ensuite  long-temps,  si 

(i)  C'est  un  nouveau  rapport  cp'a  la  Sangsue  avec 
quelques  quadrupèdes  ovipares.  En  effet,  M.  Cliaussier 
a  oi)servé  que  les  grenouilles  vivoient  plusieurs  minutes 
dans  le  gaz  hydrogène  sulfuré ,  soit  que  Faction  s'en 
trouve  affoiblie  par  le  vernis  muqueux  qui  recouvre 
leur  épiderme ,  soit  que  la  faculté  qu'elles  ont  de  sus- 
pendre leur  respiration  puisse  les  garantir  quelque 
temps  des  funestes  effets  de  ce  gaz ,  etc.  Voyez  le  Jour- 
nal général  de  Médecine ,  Vendémiaire  an  1 1 , 

6 


(82) 

on  l'en  retire  au  bout  de  deux  ou  trois  mi- 
nutes. 

Si  Fou  se  demande  quel  ëtoit  l'appareil  res- 
piratoire qui  Gonvenoit  le  mieux  à  un  animal  à 
sang  rouge  privé  de  tout  organe  central  de  cir- 
culation, destine  à  vivre  dans  l'eau ,  et  propre 
cependant  à  exercer  pendant  quelque  temps 
ses  fonctions  dans  l'air  atmosphérique  ,  on 
trouvera  que  les  poumons  des  amphibies ,  et 
les  brancbies  des  poissons  ne  pouvoient  être 
son  partage.  Il  falloit  que  les  organes  pul- 
monaires qu'il  de  voit  avoir,  fussent  dissémi- 
nés sur  toute  la  surface  de  son  corps ,  pour 
que  le  fluide  sanguin  y  pût  aisément  aller 
recevoir  l'impression  de  l'air.  Dès-lors  il  étoit 
très-avantageux  qu'ainsi  divisés  et  indépen- 
dans  les  uns  des  autres ,  ces  organes  pussent 
avoir  des  commmiicatiôns  intimes,  et  se  rem- 
placer pour  ainsi  dire  réciproquement. 

Est-il  aisé  de  découvrir  quelles  sont  les  cir- 
constances d'où  dépend  la  coloration  du  fluide 
sanguin  ,  et  peut-on  aftirmer  que  la  disposi- 
tion des  organes  respiratoires  exerce  à  cet 
égard  une  influence  exclusive  ,  quand  on  voit 
la  famille  entière  des  Mollusques  faire  partie 
de  la  classe  des  animaux  a  sang  blanc;  quoique 


(83) 

|)îusieiîrs  espèces  aient ,  dans  cette  famille ,  leê 
organes  de  la  respiration  et  de  la  circnlation 
dans  un  ëtat  qui  nous  paroît  yjlu$  parfait  que 
celui  qu'on  remarque  chez  les  Sangsues ,  et 
qui  se  rapproche  beaucoup  de  celui  des  autres 


animaux  à  sang  rouge  ? 


Ce  qui  n'est  pas  moins  surprenant ,  c'est 
que  les  vers  de  terre,  dont  l'organisation 
est  encore  bien  mioius  compliquée  que  celle 
de  l'insecte  dont  je  parle,  aient  eles  vaisseaux 
remplis  d'un  fluide  qui ,  sous  le  rapport  de  la 
couleur ,  ne  diffère  pas  essentiellement  du 
sang  des  animaux  ranges  dans  les  premières 
classes. 

ïlparoitdonc  qu'il  faut,  non  -  seulement 
considérer  dans  la  solution  de  ce  problème 
Faction  de  l'air ,  mais  encore  la  présence  de 
quelques  substances  particulières  ,  dans  le 
fluide  sanguin ,  qui  manquent  aux  animaux 
à  sang  blanc. 


(84) 

Système  îierveux. 

De  la  sensibilité  des  diverses  parties  dit 
corps  de  la  Sangsue ,  des  conditions  aux- 
quelles cette  faculté  paroit  liée ,  etc. 

Le  système  nerveux  des  Sangsues  offre  la 
même  simplicité  et  la  même  distribution  que 
celui  des  animaux  des  classes  inférieures. 
N'ayant  aucun  membre  articulé ,  aucun  or- 
gane central  de  circulation  et  de  respiration  ; 
mais  toutes  leurs  parties  étant  au  contraire 
disposées  d'après  un  plan  uniforme ,  les  Sang- 
sues semblent  réunir  toutes  les  conditions  qui 
excluent  l'existence  d'un  centre  cérébral. 

Le  système  nerveux  des  Sangsues  consiste 
en  un  cordon  médullaire  qui  s'étend  de  la 
bouclie  à  l'extrémité  postérieure.  Ce  cordon 
éprouve,  ainsi  qu'on  l'a  déjà  indiqué,  un 
renflement ,  ou  un  véritable  ganglion  d'espace 
en  espace,  à  des  intervalles  qui  m'ont  paru 
à-peu-près.  correspondre  à  ceux  qui  se  trou- 
vent entre  les  divers  organes  respiratoires. 

J'observerai  que  de  chacun  de  ces  ganglions 
partent  des  filets  nerveux ,  semblables  en  tout 
au  nerf  lui-même.  Ces  filets  sont  toujours  au 


(85) 
nombre  de  quatre ,  et  peuvent  être  compares 
à  des  rayons  qui  partent  d'un  point  central , 
sous  un  angle  de  quatre-vingt-dix  degrés. 

On  voit  chacun  de  ces  filets  nerveux  se 
diviser  et  s'étendre  en  perdant  de  ses  dimen- 
sions, au  point  qu'il  n'est  plus  facile  de  suivre 
à  l'œil  nu  les  ramifications  subséquentes. 

Quand  ces  rayons  passent  sur  des  organes 
importans,  ils  donnent  plutôt  des  rameaux, 
que  dans  les  parties  où  de  pareik  organes 
n'existent  pas.  Ainsi  les  testicules,  par  exemple, 
reçoivent  des  productions  filiformes  qui  s'ë- 
chappent  des  parties  de  rayons  nerveux  voi- 
sines du  ganglion. 

Les  deux  extrémités  du  cordon  médullaire 
se  terminent  d'une  manière  semblable.  Cha- 
cune d'elles  a  un  renflement  qui  ne  peut  être 
assimilé  à  un  ganglion  ,  puisqu'il  n'est  pas 
recouvert  des  mêmes  membranes ,  qu'il  n'en 
a  pas  la  forme ,  et  qu'aucune  ramification 
nerveuse  ne  s'en  détache.  Il  semble  que  ces 
deux  renflemens  peuvent  être  considérés 
comme  les  racines  du  cordon  nerveux ,  ou  des 
cerveaux  d'une  petitesse  extrême,  qui,  placés 
ainsi  aux  deux  extrémités  de  l'animal ,  doivent 
être  tous  les  deux  d'une  égale  importance^ 


(86) 

J'observerai  que  ces  rentlemens  sont  tous 
les  deux  très-près  du  ganglion  qui  les  précède 
ou  qui  lei  suit ,  et  qu'il  ne  s'en  échappe  au- 
cun filet  nerveux. 

Ces  renflemeus  ont  une  couleiu^  blanchâtre , 
assez  brillante  ;  tandis  que  tout  le  reste  du 
cordon  présente  une  couleur  d'un  brun 
presque  noir.  Si  l'on  recherche  d'où  provient 
cette  différence  ,  on  en  trouve  la  cause  dans 
l'existence  d'une  membrane ,  qui  paroît  bien- 
tôt après  chacun  des  deux  renllemens  ex- 
trêmes clu  tronc  nerveux  ,  qu'elle  recouvre 
ensuite  dans  toute  son  étendue. 

Il  est  facile  de  détacher  cette  membrane , 
qui  offre  une  assez  grande  résistance.  Elle  ac- 
compagne le  nerf  dans  toutes  ses  ramifications 
visibles ,  quoiqu'en  perdant  de  sa  couleur.  On 
ne  peut  cependant  la  comparei^  à  cette  mem- 
brane du  cerveau  des  quadrupèdes,  C[ui  remplit 
les  mêmes  fonctions;  puisqu'elle  ne  se  montre 
qu'après  les  deux  renllemens  nerveux. 

Il  m'a  paru  qu'au-dessous  de  cette  mem- 
brane il  s'en  trouvoit  une  autre  de  couleur 
un  peu  blanche  ;  mais  ces  productions  sont 
si  minces ,  et  sitôt  altérées ,  que  je  n'ose  rien 
affirmer  à  cet  égard. 


(87) 

La  disposition  du  système  nerveux  corres- 
pond très-bien  à  celle  du  système  vasculaire. 
Car  nous  avons  observé  que  ces  deux  grands 
vaisseaux  se  terminoient  uniformément  à  la 
tête ,  et  à  l'extrémité  opposée. 

Je  vais  m'occuper  de  quelques  phénomènes 
relatifs  à  Faction  des  nerfs  :  je  cliercherai  en- 
suite quels  sont  les  organes  des  sens  chez  les 
Sangsues  ,  et  à  quelles  conditians  est  attachée 
la  sensibilité  de  leurs  diverses  parties. 

Si  l'on  pique  avec  le  scalpel  le  nerf  d'une 
Sangsue  ,  après  avoir  enlevé  la  membrane  , 
ou  avant  de  l'avoir  détachée  ,  on  ne  voit  pas 
que  l'animal  témoigne ,  par  des  convulsions  ou 
par  l'agitation  de  son  corps ,  qu'il  éprouve  une 
irritation  vive  ,  à  laquelle  la  volonté  ou  l'ins- 
tinct rengagent  à  se  dérober.  ïl  ne  donne  pas 
des  signes  beaucoup  plus  évidens  de  douleur 
et  de  souffrance ,  lorsqu'on  touche  ses  nerfs 
avec  une  substance  caustique  ,  telle  ,  par 
exemple,  que  l'acide  nitrique  affoibli.  On  peut 
couper  le  nerf  en  partie  ,  et  l'animal  n'en  pa- 
roît  pas  plus  affecté. 

Il  en  est  de  même  lorsqu'on  gratte  avec  un 
scalpel  ou  un  fil  de  fer  la  membrane  qui  re- 
couvre le  cordon  nerveux. 


(88) 

Chez  les  animaux  à  sang  chaud ,  l'irritation 
qu'on  exerce  sur  un  nerf  par  un  instrument  pi- 
quant, la  section  imparfaite  qu'on  lui  fait  subir, 
excitent  des  mouvemens  convulsifs ,  ou  d'au- 
tres accidens,  qui  se  propagent  à  tout  le  corps, 
et  dont  le  caractère  est  quelquefois  effrayant. 
La  différence  qu'on  observe  ici  peut  tenir 
à  plusieurs  causes. 

Le  système  nerveux  des  animaux  à  sang 
chaud  et  celui  des  espèces  inférieures  offrant 
peu  de  ressemblance,  il  n'est  pas  étonnant 
que  ces  êtres  aient  une  faculté  de  sentir  diver- 
sement modifiée ,  et  une  manière  peu  analo- 
gue de  manifester  à  nos  yeux  leurs  sensations. 
Cependant  il  n'est  pas  probable  que  cette 
différence  soit  aussi  grande  qu'elle  le  paroît 
d'abord. 

Chez  les  animaux  à  sang  chaud ,  les  diverses 
parties  du  système  nerveux  sont  liées  entre 
elles  par  le  centre  commun  auquel  elles  abou- 
tissent. Elles  ont  en  outre  des  anastomoses 
plus  ou  moins  fréquentes  ;  de  manière  que  les 
impressions  qu'une  partie  reçoit ,  peuvent  par 
ce  moyen  se  communiquer  promptement  à 
tout  le  système ,  et  se  trouver  ainsi ,  en  quelque 
sorte  5  accrues  et  multipliées. 


(89) 

De  plus ,  comme  chez  ces  animaux  les  di- 
vers systèmes  sympathisent  les  uns  avec  les 
autres  d'une  manière  très-énergique ,  les  ef- 
fets de  ces  impressions  se  manifestent  aisé- 
ment à  l'oeil  de  l'observateur. 

Chez  les  Sangsues ,  au  contraire ,  chaque 
portion  du  système  nerveux  semble  isolée  des 
autres  :  point  d'organe  central  :  les  ganglions  (i) 
même  peuvent  être  regardés  comme  autant 
de  centres  particuliers ,  et  par  conséquent 
comme  arrêtant  la  conmiunication  des  im- 
pressions que  reçoit  une  partie  du  nerf.  Les 
filets  nerveux  ne  communiquent  que  très- 
peu  entre  eux  :  la  sympathie  des  divers  sys- 
tèmes est  moindre  ,  puisqu'ils  sont  moins 
centralisés.  Il  n'est  donc  pas  surprenant  que , 
dans  la  supposition  qu'on  pourroit  admettre 
que  la  sensibilité  est  la  même  chez  ces  divers 

(i)  Ces  ganglions  ne  sont  pas  de  la  même  nature  que 
ceux  qu'on  remarque  dans  les  animaux  vertébrés  ;  aussi 
ne  remplissent-ils  pas  les  mêmes  fonctions.  Chez  ces 
animaux ,  ce  sont  divers  filets  nerveux  qui  s'entre-croi- 
sent  pour  former  les  ganglions  ;  chez  les  Sangsues ,  au 
contraire ,  on  appelle  ganglions  des  renflemens  indé- 
pendans  de  pareils  filets ,  qui  se  répètent  à  des  inter- 
yalles  égaux  ,  sur  le  cordon  médullaire. 


(90) 
animaux ,  les  effets  qui  résultent  désaffection?! 
qu'elle  éprouve  ,    soient  pourtant  très  -  peu 
semblables. 

La  difficulté  qu'ont  à  se  transmettre  les  im- 
pressions nerveuses  à  travers  les  ganglions  ^  ' 
n'est  pas  le  seul  fait  qui  prouve  que  ceux-ci 
peuvent  être  considérés  comme  autant  de 
points  centraux  particuliers  ou  isolés.  On  ea 
a  encore  une  preuve  bien  plus  manifeste  dans 
îe  peu  d'effet  que  jDroduit  la  section  du  nerf 
lui-même.  Aucune  partie  ne  se  trouve  alors 
paralysée ,  quoique  par  ce  moyen  on  inter- 
rompe la  communication  qui  existe  entre  les 
divers  points  du  cordon  médullaire. 

Il  paroît  donc  bien  naturel  de  penser  que 
chacun  des  ganglions  est  un  centre  d'où  par- 
tent 5  indépendamment  des  autres ,  les  irradia- 
lions  nerveuses. 

Les  ganglions  ne  peuvent  jouer  un  rôle  de 
cette  nature  chez  les  animaux  d'un  ordre  su- 
périeur. Chez  eux  l'existence  d'un  centre 
principal  du  système  nerveux  établit,  entre 
les  diverses  parties  de  ce  système ,  une  corré- 
lation intime ,  qui  ne  peut  cesser  pour  une 
partie  ^  sans  que  celle-ci  ne  perde  la  plupart 
de  ses  facultés. 


(9'  ) 

Une  coilsëqiieoce  qui  suit  Je  ce^  coiisulc'- 
rations ,  c'est  qu'il  est  vraisemblable  que  des 
êtres  dont  le  système  nerveux  est  ainsi  disposé 
par  ganglions ,  sont  moins  exposes  aux  priva- 
tions partielles  du  sentiment ,  communes  cliez 
les  animaux  vertébrés. 

Il  est  donc  facile  de  voir  combien  sont  im- 
parfaits les  résultats  de  l'analogie  qu'on  veut 
établir  entre  des  êtres  que  la  Nature  a  formés 
sur  des  plans  différens.  On  gagne  plus  alors  à 
étudier  les  différences  qu'à  chercher  les  rap- 
ports ;  et  ce  moyen  est  un  des  plus  propres 
à  étendre  nos  connoissances ,  et  à  donner  aux 
Sciences,  ou  aux  lois  générales  qu'on  veut  éta- 
blir ,  la  seule  stabilité  qu'elles  puissent  avoir. 

On  trouve  une  grande  différence  entre  la 
sensibilité  de  l'épiderme  des  animaux  à  sang 
chaud  ,  et  celle  de  la  membrane  externe 
qui  revêt  le  corps  des  Sangsues.  L'épiderme 
peut  être  impunément  offensé  :  ce  n'est  que 
lorsqu'il  est  enlevé  ou  détruit ,  que  le  seul 
contact  de  l'air  excite  de  vives  douleurs ,  qui 
s'exaspèrent  bien  davantage ,  si  on  irrite  l'or- 
gane cutané  avec  un  instrument  ou  avec  un 
caustique. 

La  Sangsue  5  au  contraire ,  donne  des  signes 


(  92  ) 

des  plus  vives  souffrances ,  ainsi  que  je  l'ai 
dit  ailleurs,  dès  qu'on  exerce  de  pareilles 
impressions  sur  cette  membrane  qui,  chez 
elle ,  correspond  à  notre  épiderme.  L'acide  le 
plus  foible ,  la  piqûre  la  plus  légère ,  etc. ,  lui 
causent  des  tourmens  qui  sont  attestés  par 
des  mouvemens  violens  et  brusques ,  et  par 
d'autres  signes  dont  on  ne  sauroit  mécon- 
noître  la  cause. 

Cette  sensibilité  exquise  de  Tépiderme  étoit 
nécessaire  à  un  animal  dont  tous  les  sens  sont 
bornés  au  toucher  seul. 

La  Sangsue  étant  acéphale,  ne  pouvoit 
guère  avoir  ni  organe  de  la  vue  (i) ,  ni  organe 


(  I  )  Deux  espèces  de  Sangsues  ont  été  décrites 
gomme  munies  l'une  de  huit  yeux  placés  en  demi-crois- 
sant ,  l'autre  de  six  yeux.  Mais  ces  organes ,  qu'on  a 
peints  comme  des  points  noirâtres,  dans  les  figures  qu'on 
a  données  de  ces  animaux ,  se  trouvent  ainsi  présentés 
d'une  manière  si  imparfaite ,  qu'on  ne  peut  rien  con- 
clure de  ces  dessins. 

Il  m'a  été  impossible  de  me  procurer  aucun  individu 
de  ces  deux  espèces.  J'observerai  néanmoins  que ,  comme 
ces  yeux  ne  peuvent  être  placés  que  sur  la  lèvre ,  et 
qu'ils  ne  peuvent  recevoir  qu'un  filet  nerveux  venant 
du  cordou  médullaire  ,  ils  doivent  avoir  wn  caractère 


(93) 
de  Fouie.  La  disposition  de  son  système  res- 
piratoire jointe  à  l'absence  de  la  tête ,  l'ex- 
cluoit  de  la  faculté  de  sentir  les  odeurs  par  un 
organe  particulier.  Il  lui  restoit  donc  seule- 
ment le  toucher ,  et  l'organe  du  goût ,  qui 
existe  chez  elle  sans  cet  appareil  organique 
qu'on  remarque  chez  les  animaux  des  classes 
supérieures  (i). 

Cette  faculté  de  prendre  de  préférence 
telle  ou  telle  substance  se  retrouve  chez  tous 

très-différent  de  celui  qu'ont  ces  organes  chez  les  ani* 
maux  qui  ne  sont  point  acéphales. 

Le  genre  des  Sangsues  est  si  naturel ,  qu'il  seroit 
bien  singulier  que  les  espèces  qui  le  composent  diffé- 
rassent si  essentiellement  entre  elles  sous  le  rapport 
d'un  organe  important  comme  celui  de  la  vue. 

(i)  On  a  bien  dit  que  tous  les  sens  pouvoient  être 
ramenés  à  celui  du  toucher  ;  ce  qui  ne  yeut  dire  autre 
chose  sinon  qu'il  faut  le  contact  sur  quelque  partie  des 
organes  des  sens  de  la  substance  qui  doit  faire  impres- 
sion» Mais  quand  on  considère  les  différences  de  Tap- 
J>areil  propre  à  chaque  organe ,  et  combien  il  importe 
que  tout  cet  appareil  organique  conserve  son  intégrité 
pour  que  les  sensations  soient  régulièrement  perçues , 
on  voit  que  cette  idée  de  ramener  tous  les  sens  à  celui 
du  toucher,  nest  pas  aussi  profonde  qu'elle  le  paroît 
d'abord. 


(  94  ) 
les  êtres  vivans ,  et  elle  doit  exister  nécessaH 
remeiit  toutes  les  fois  qu'il  j  a  digestion  et 
nutrition.  Mais ,  de  même  que  les  derniers 
des  êtres  ont  certaines  parties  qui  possèdent 
cette  faculté,  comme  les  racines  chez  les 
plantes,  etc.,  sans  présenter  un  appareil  d'or- 
ganes particulier ,  de  même  aussi  on  trouve 
chez  les  Sangsues  que  la  lèvre  est  la  partie  où 
cette  faculté  s'exerce.  La  bouche  ne  s'en- 
trouvre que  lorsque  cette  partie  a  trouvé  les 
substances  que  l'instinct  indique  à  FanimaL 

C'est  pour  cela  que ,  dans  les  cas  où  l'on 
veut  que  les  Sangsues  piquent  bientôt  et  sans 
peine ,  on  place  s^ur  l'endroit  de  la  piqûre 
quelques  gouttes  de  sang ,  etc. 

Il  ne  suffit  pas  d'avoir  observé  que  la  sur- 
face extérieure  de  la  peau  est  chez  le&  Sang- 
sues d'une  sensibilité  très-viVe ,  ri  faut  encore 
tâcher  de  découvrir  à  quelles  circonstances 
d'organisation  est  liée  la  production  de  ce 
sentiment  exquis. 

Il  sembleroit  que  lorsqu'il  n'y  a  point  d'ap- 
pareil organique  particulier ,  dont  les  modi- 
fications puissent  favoriser  l'action  des  corj)s 
qui  doivent  faire  impression  sur  un  sens ,  la 
perfection  de  ce  sens  devroit  dépendre  plus 


(  95  ) 
expressément  de  la  quantité  de  substance  ner- 
veuse qui  se  distribue  à  l'organe.  Cependant , 
quoique  chez  ranimai  dont  je  parle,  l'épi- 
derme  donne  des  signes  d'une  sensibilité  très- 
vive,  on  ne  peut  suivre  ,  jusques  à  la  peau, 
les  ramifications  des  filets  nerveux  :  elles  y 
sont  d'ailleurs  si  petites  et  si  peu  nombreuses  ;, 
qu'on  n'y  trouve  point  de  rapport  avec  le 
degré  de  sensibilité  de  l'épiderme. 

Il  est  vrai  que  chez  les  animaux  de  l'ordre 
le  plus  élevé ,  la  faculté  de  sentir  qu'ont  les 
diverses  parties  ne  paroît  pas  toujours  corres-, 
pondre  à  la  plus  ou  moins  grande  quantité 
de  nerfs  ;  comme  le  prouvent  bien  évidem- 
ment plusieurs  affections  pathologiques,  telles 
que  l'inflammation  des  tendons ,  des  cartilages , 
les  douleurs  ostéocopes ,  etc.  Dans  ces  cas  on 
remarque  un  certain  rapport  entre  l'afflux  du 
sang  vers  ces  parties,  le  développement  même 
des  vaisseaux  sanguins ,  et  le  degré  de  la  sen-- 
sibilité ,  auparavant  très-obtuse  de  ces  parties. 

J'observerai  aussi  que  la  peau  se  trouve 
naturellement  chez  les  Sangsues  dans  un  état 
à-peu-près  semblable ,  et  que  le  système  vas- 
culaire  y  est  développé  avec  une  profusion 
étonnante. 


(96) 

Ainsi  donc  la  Nature  peut  avoir  attaché  à 
tel  ou  tel  mode  d'organisation,  d'après  des 
lois  particulières ,  une  plus  grande  aptitude  à 
sentir. 

Mais  quoiqu'on  puisse  trouver  dans  des 
conditions  physiques  quelconques  ^  certaines 
des  causes  qui  doivent  contribuer  à  rendre 
plus  ou  moins  exquise  la  sensibilité  des  divers 
organes ,  il  est  néanmoins  une  foule  de  mo- 
difications de  la  sensibilité,  dont  l'explication 
échappera  probablement  toujours  à  tous  nos 
moyens  de  recherche. 

M.  J.  B.  Batarra  a  observé ,  par  exemple  , 
que  si  on  place  dans  de  l'eau  de  puits ,  ou  dans 
de  l'eau  commune ,  les  Sangsues  marines ,  qui 
ne  paroissent  point  différer  des  autres  Sang- 
sues ,  elles  y  meurent  en  une  ou  deux  heures. 
Elles  y  vivent  très-long-temps  au  contraire,  si 
on  y  jette  du  sel  marin,  de  manière  à  donner 
à  l'eau  une  saveur  analogue  à  celle  des  Ilots 
de  la  mer.  On  sait  pourtant  combien  l'action 
de  ce  sel  est  funeste  aux  Sangsues  ordinaires. 

M.  Bibiena  a  fait  aussi  plusieurs  expériences 
pour  connoître  l'effet  qu'éprouvent  les  Sang- 
sues des  diverses  liqueurs  dans  lesquelles  on 
peut  les  plonger.  Il  a  vu  que  ces  animaux  ne 


(97) 
\ï  voient  que  quelques  Leur  es  dans  certaines 

eàuxarcmatiques,tellesqnereaudeioses,elc.j 

tandis  qne  l'eau  de  mentbe  ,  Teau  dans  laquelle 

on  a  jeté  du  camphre ,  du  musc ,  ne  ^eur  sont 

que  très-peu  nuisibles. 

Les  preparations  o]  iaticjues ,  telles  que  le 
laudanum  liquide,  versé  même  dans  une  assez 
grande  quantité  d'eau,  exercent  sur  les  Sang- 
sues leur  vertu  narcotique ,  mais  d'une  ma- 
nière assez  lente. 

Si  l'on  vouloit  juger  de  la  présence  de  l'or- 
gane de  l'odorat  par  l'impression  que  produi- 
sent sur  la  Sangsue  les  substances  gazeuses 
irritantes  ,  on  arriveroit  à  un  résultat  faux. 
Car  alors  on  pourroit  regarder  comme  un  ef- 
fet de  l'odorat ,  ce  qui  n'est  que  l'effet  d'une 
impression  ressentie  ]^r  l'organe  cutané. 

Toutes  les  fois  que  la  substance  irritante  a 
une  forme  solide  ou  liquide ,  et  ne  peut  pas 
former  une  atmosphère  gazeuse ,  l'animal  ne 
s'éloigne  qu'après  un  contact  immédiat  :  c'est 
ce  qu'il  fait  pour  le  vinaigre  et  les  autres 
acides.  Mais  lorsque  la  substance  est  gazeuse  , 
telle  que  l'hydrogène  sulfuré ,  le  gaz  nitreux; 
comme  ces  gaz  tendent  à  se  répandre ,  la 
Sangsue  est   avertie  de  leur   présence  ,   et 

7 


(  98  ) 
semble  fair,  avant  d'être  dans  l'atmosphère  de 
.  ces  gaz. 

On  a  encore  un  exemple  de  la  sensibilité 
vive  de  l'organe  cutané  des  Sangsues ,  par  ce 
qui  arrive  durant  leur  sommeil. 

J'ai  observé  nombre  de  fois,  et  j'ai  fait  ob- 
server à  plusieurs  personnes ,  que  lorsque  le 
jour  a  fini ,  en  été  du  moins ,  les  Sangsues  ces- 
soient  ordinairement  de  se  mouvoir  ;  et  que 
bientôt ,  guidées  sans  doute  par  l'instinct,  elles 
fixoient  leur  trompe  ou  leur  disque  aux  par- 
ties du  vase  que  l'eau  ne  touche  point.  Elles 
se  tiennent  alors  immobiles  ;  mais  si  l'on  ap- 
proche du  vase  une  lampe  qui  jette  une  lu- 
mière un  peu  éclatante ,  on  voit  en  quelques 
instans  les  Sangsues  sortir  comme  d'une  es- 
pèce d'engourdissement,  se  détacher  du  v^se, 
et  s'agiter  dans  l'eau. 

Ne  découvre-t-on  pas  là  les  effets  du  som- 
meil ,  et  l'action  stimulante  de  la  lumière  en- 
nemie du  repos  ? 


(99) 

Organes  de  la  génération. 

De  rherniaphroditlsme  des  Sangsues  ,  et 
du  mode  de  leur  génération. 

On  a  reconnu  que  la  Sangsue  ëtoit  herma- 
phrodite ;  mais  les  divers  organes  qui  consti- 
tuent chez  elle  l'un  et  l'autre  sexe  n'ont  pas  été 
décrits  assez  exactement.  Une  pareille  descrip- 
tion étoit  d'autant  plus  nécessaire ,  qu'elle  pou- 
voit  indiquer  en  quoi  cet  animal  diffère  ,  eu 
égard  à  l'acte  et  au  mode  de  la  génération ,  des 
autres  espèces  très-nombreuses  qui  réunissent 
les  deux  sexes. 

Chacun  sait  que  les  êtres  ainsi  conformés 
ont  été  rangés  en  deux  classes ,  dont  la  pre- 
mière comprend  les  animaux  pour  lesquels 
cette  réunion  d'organes  semble  être  ilkisoire  ; 
puisque  l'acte  de  la  génération  ne  peut  avoir 
lieu  chez  eux  sans  une  copulation  réciproque. 
Dans  la  seconde  se  trouvent  ceux  qui  jouis- 
sent de  tous  les  avantages  que  peuvent  avoir 
les  vrais  hermaphrodites.  On  verra  bientôt  à 
laquelle  de  ces  deux  divisions  la  Sangsue  ap- 
partient. 

Il  suffit  d'examiner  légèrement  la  surface 


(    ÎOO    ) 

nférieure  du  corps  de  cet  animal,  pour  re- 
*coiinoître  l'existeace  des  deux  sexes.  On  y  dis- 
tingue ,  au  premier  aspect ,  deux  ouvertures 
peu  ëîoignëes  l'iine  de  l'autre ,  et  rangées  sur 
la  même  ligne.  La  supérieure  livre  passage 
à  un  corps  filiforme  :  on  ne  voit  rien  sortir 
de  l'autre  ouverture. 

Quand  on  a  enlevé  la  peau  et  les  diverses 
couches  fibreuses  qu'elle  recouvre ,  les  pre- 
miers organes  qu'on  aperçoit ,  et  qui  se  mon- 
trent de  la  manière  la  plus  distincte  ,  sont  les 
organes  générateurs.  On  ne  peut  qu'être  sur- 
pris de  leur  étendue  et  de  leur  complication  , 
qui  sembloient  ne  devoir  appartenir  qu'à  des 
animaux  d'un  rang  plus  élevé. 

Vers  le  quart  supérieur  du  corps  de  la  Sang- 
sue se  montre  un  corps  formé  comme  une  es- 
pèce de  bourse ,  très-épais ,  et  d'une  substance 
presque  tendineuse  (i).  Il  va  en  se  rétrécis- 
sant ,  et  s'unit  bientôt  à  un  canal  cylindrique 
qui  se  replie  sur  lui-même ,  en  affectant  une 
double  courbure. 


(i  )  M.  Du  Rondeau  a  pris  ce  corps  pour  la  matrice  ; 
et  la  matrice  a  été  regardée  par  lui  comme  étant  un 
véritable  cœur  ayec  ses  oreillettes,  etc. 


(    lOI    ) 

De  rextrëmite  de  ce  cylindre  on  voit  sortir 
le  corps  filiforme  et  blanchâtre  qui  paroît  hors 
de  l'ouverture,  et  qui  jouit  à  un  très  -  haut 
degré ,  comme  les  autres  parties ,  de  la  faculté 
de  se  contracter  sur  lui-même  ,  et  de  s'é- 
tendre, suivant  la  volonté  de  l'animal.  Ce 
corps  peut  acquérir  une  longueur  de  deux 
pouces  environ. 

L'extrémité  du  cylindre  qui  lui  donne  issue, 
est  fixée  à  l'ouverture  qu'on  voit  à  la  peau. 
Elle  y  est  même  assez  fortement  adhérente , 
puisqu'on  ne  l'en  détache  qu'avec  beaucoup 
de  peine  (i). 

Cette  espèce  de  bourse  d'où  part  le  canal 
cylindrique ,  est  un  réservoir  qui  paroît  faire 

(i)  Plusieurs  Auteurs  ont  regardé  ce  canal  cylin- 
drique comme  la  yerge  ,  et  ont  pensé  que  le  corps 
filiforme  qui  en  sortoit  n'étoit  qu'une  espèce  de  muscle. 
Mais  comment  ce  corps,  qui- est  susceptible  d'une 
longue  extension ,  ne  nuiroit-il  pas  beaucoup  a  l'ac- 
couplement s'il  n'étoit  qu'une  partie  musculaire  ?  com- 
ment le  cylindre  qui  le  contient ,  étant  attaché  a  l'ori- 
fice de  l'ouverture  extérieure  ,  pourroit-il  sortir  pour 
entrer  dans  l'orifice  de  la  matrice  ?  D'ailleurs  le  corps 
filiforme  a  l'apparence  d'un  véritable  canal,  et  ne  res- 
semble nullement  aux  parties  musculaires. 


(    102    ) 

fonction  cle  vésicules  séminales;  car  elle  reçoit 
à  sa  base  les  canaux  qui ,  venant  des  deux  tes- 
ticules ,  portent  la  semence ,  et  correspondent 
ainsi  aux  canaux  déférens. 

Chacun  des  testicules  est  placé  à  l'extrémité 
d'un  conduit  membraneux  qui  lui  corres- 
pond ,  et  dont  il  semble  en  quelque  sorte  être 
la  continuation.  Ces  organes  ont  une  couleur 
et  diverses  dépressions  analogues  à  celles  qu'on 
remaïque  sur  le  cerveau,  des  Mammifères. 
Mais  ils  ne  sont  point  formés  d'une  substance 
compacte  et  solide  :  ils  offrent  une  cavité  où 
est  contenu  un  lluide  laiteux  assez  épais ,  qui 
s'en  échappe  dès  qu'on  a  percé  la  membrane 
qui  le  renferme. 

Il  paroît  que  le  conduit  membraneux  à 
l'extrémité  duquel  se  trouvent  les  testicules , 
se  replie  sous  leur  membrane  ;  et  qu'il  com- 
munique à  un  canal  grisâtre  qui ,  de  la  partie 
postérieure  et  inférieure  du  testicule  ,  va  se 
rendre  ,  en  décrivant  une  ligne  courbe,  à  la 
face  inférieure  du  corps  qui  fait  les  fonctions 
de  vésicules  séminales. 

Mais  ce  canal ,  par  lequel  chaque  testicule 
A  erse  ainsi  la  semence  dans  les  vésicules ,  n'est 
point  une  continuation  du  conduit  membra- 


(  io3  ) 
neHX.  Car  celui-ci ,  même  à  son  extrémité  an- 
térieure ,  est  d'une  couleur  blanche ,  ridé ,  et 
plein  d'un  fluide  comme  laiteux  ;  tandis  que  le 
canal  est  grisâtre ,  uni ,  d'un  diamètre  plus  petit 
que  le  conduit ,  et  ne  contient  que  rarement 
des  j)arties  de  ce  fluide  laiteux,  qui  reste  long- 
temps épanché  dans  la  cavité  des  testicules. 

La  membrane  qui  forme  le  conduit  est 
mince ,  transparente  ,  molle ,  et  très-facile  à 
déchirer.  Elle  y  laisse  apercevoir  dans  l'inté- 
rieur ,  des  molécules  opaques ,  d'un  blanc 
de  lait,  qui  nagent  dans  un  fluide  aqueux. 
L'intervalle  que  laissent  entre  elles  ces  mo- 
lécules, répété  très-souvent,  m'a  paru  être 
la  cause  de  l'aspect  ridé  ou  frangé  que  le 
conduit  présente  transversalement, 

A  des  points  séparés  par  des  distances  ré- 
gulières et  assez  rapprochées ,  on  voit  naître 
du  conduit  un  petit  canal  de  même  nature  , 
qui  se  termine  à  une  espèce  de  vésicule, 
qu'on  peut  regarder  comme  une  dilatation  de 
l'extrémité  de  ce  petit  canal.  Ils  contiennent 
l'un  et  l'autre  une  humeur  analogue  à  celle 
que  renferme  le  conduit  lui-même.  Cependant 
,  dans  la  vésicule  le  mélange  paroît  mieux  fait  ^ 
et  les  molécules  blanchâtres  semblent  dis- 


(  104  ) 
soutes  dans  le  fluide.  Peut  -  être  cette  diffé- 
rence que  présentent  ces  humeurs,  n'est-elle 
due  qu'à  la  différence  du  diamètre  des  deux 
parties. 

Ces  vésicules,  qui  tiennent  ainsi  au  conduit 
spermatique  principal,  reposent  sur  l'intestin 
de  la  Sangsue,  se  correspondent  de  chaque 
côté ,.  et  s'étendent ,  ainsi  que  le  conduit ,  un 
peu  au  -  delà  du  quart  inférieur  du  corps  de 
l'animal.  Je  n'ai  jamais  trouvé  aucune  irrégu- 
larité à  cet  égard. 

Les  organes  femelles  sont  moins  étendus  ; 
taxais  ils  ne  paroissent  pas  avoir  moins  de  com- 
plication et  de  perfection.  Sur  le  milieu  de 
l'intestin  ,  un  peu  au-dessous  des  testicules , 
et  entre  l'espace  que  renferment  les  deux 
conduits  spermatiques ,  se  trouvent  placés  les 
organes  femelles.  On  peut  y  distinguer  deux 
corps  ovales  ,  petits  et  grisâtres ,  qui  sem- 
blent être  les  deux  ovaires.  Ils  sont  attachés 
à  un  autre  corps  formé  de  membranes  assez 
épaisses,  et  qui,  large  à  son  origine,  perd 
bientôt  de  ses  dimensions.  Mais  cette  union 
se  fait  par  le  moyen  d'un  filet  dont  les  di- 
mensions sont  si  petites ,  qu'on  ne  peut  pas 
assurer  qu'il  soit  un  véritable  canal. 


(  io5  ) 
Ce  corps ,  auquel  sont  atlacliës  ces  espèces 
d'ovaires,  est  facile  à  reconnoître,  parce  que  la 
membrane  qui  le  revêt  a  une  couleur  noirâtre. 
Il  présente  une  cavité  qui ,  vers  son  tiers  infé- 
ï-ieur ,  éprouve  un  rétrécissement  remarqua- 
ble. Ily  aàcet  endroit  comme  une  espèce  de 
valvule  molle ,  ou  de  repli ,  qui  empêche  l'in- 
troduction d'aucun  instrument.  L'ouverture 
qui  doit  y  être  pratiquée  est  sans  doute  très- 
étroite  ,  et  placée  de  manière  qu'on  ne  peut 
y  faire  pénétrer  oii  du  mercure  ni  un  fluide 
quelconque. 

On  ne  sauroit  mieux  comparer  cette  dispo- 
sition qu'à  celle  du  rectum ,  dans  ses  rapports 
avec  la  partie  du  tube  intestinal  dont  il  forme 
la  continuation. 

A  l'extrémité  postérieure  de  ce  corps  en 
est  attaché  un  autre ,  qui  s'y  continue  de  ma- 
nière à  n'en  pouvoir  être  séparé  j  mais  qvii  s'en 
distingue  ,  et  par  sa  forme  presque  ovale ,  et 
par  sa  couleur  ,  qui  est  blanchâtre.  Il  est  sur- 
tout très-développé  après  la  fécoudation  de 
l'animal. 

Ces  corp^  imitent  donc  assez  bien ,  soit  par 
leur  position ,  soit  par  les  rapports  de  la  plu- 
part de  leurs  parties ,  les  organes  femelles  de 


(  io6  ) 
la  gënëration  des  animaux  à  sang  chaud ,  î^ 
matrice  et  le  vagin.  L'extrémité  de  ce  dernier 
canal  est  adaptée  à  une  ouverture  extérieiure 
qui  le  termine. 

Si  l'on  considère  avec  attention  la  forme  et 
la  disposition  de  tous  ces  organes,  on  voit  que 
la  Sangsue  ne  doit  pas  être  du  nombre  des 
êtres  qui ,  malgré  la  réunion  des  deux  sexes, 
ont  besoin  d'un^accouplement  récij)roque.  La 
longueur  de  la  verge ,  l'extension  qu'elle  peut 
acquérir  ne  lui  seroient  autrement  d'aucune 
utilité  5  tandis  qu'elles  semblent  détermi- 
nées d'après  la  distance  qui  se  trouve  entre 
l'ouverture  du  vagin  et  celle  des  organes 
mâles. 

En  effet ,  comme  ces  deux  ouvertures  sont 
placées  sur  une  même  ligne,  perpendiculaire 
à  la  coupe  transversale  de  l'animal ,  l'accou- 
plement réciproque  ne  pourroit  se  faire^ li- 
brement ,  qu'autant  que  les  deux  individus  se 
présenteroient  l'un  à  l'autre  dans  un  sens  op- 
posé. Mais  comme  il  faudroit  alors  que  l'ori- 
fice extérieur  du  vagin  s'appliquât  à  celui  par 
lequel  sort  la  verge ,  la  longueur  que  celte 
verge  doit  avoir,  pour  que  la  Sangsue  n'ait  be- 
soin d'aucun  accouplemeat ré«:  iproque, seroit 


(  107  ) 
loeaucoup  trop  grande  dans  le  cas  où  l'onaurolt 
supposé  cet  accouplement  nécessaire.  Elle  le 
seroit  d'autant  plus ,  qu'on  trouve  assez  près 
de  l'orifice  es^térieur  du  vagin  le  rétrécisse- 
ment de  ce  canal ,  qui  empêche  tout  corps 
quelconque  de  pénétrer  au-delà  j  et  que  l'or- 
gane femelle  de  la  Sangsue ,  qui  est  recourbé , 
ne  permettroit  pas  en  outre  à  la  verge  de  s'in- 
troduire assez  avant. 

Ce  qui  donne  encore  une  plus  grande  pro- 
babilité à  cette  opinion,  c'est  qu'on  n'a  pu  re- 
connoître  cet  accouplement  réciproque  ;  quoi- 
qu'on ait  eu  de  fréquentes  occasions  d'obser- 
ver ces  animaux ,  et  qu'on  ait  vu  des  preuves 
évidentes  de  leur  reproduction. 

Dans  les  vases  où  l'on  renferme  les  Sangsues, 
on  découvre  ass^z  souvent,  vers  la  fin  de  l'été, 
des  individus  très -petits ,  et,  pour  ainsi  dire , 
filiformes.  On  est  bien  sur  qu'ils  n'ont  pas  été 
placés  dans  les  vases  avec  les  autres  Sangsues; 
puisque  ,  s'ils  y  eussent  été  mis  en  même 
temps ,  ils  n'auroient  pu  se  dérober  à  l'œil ,  à 
cause  de  l'obligation  où  l'on  est  de  renouve- 
ler très-souvent  l'eau  des  vases,  sur-tout  dès 
que  la  saison  des  chaleurs  s'approche. 

Comme  pour  faire  cette  opération,  on  verse 


(  io5  ) 

ordinairement  l'eau  sur  un  crible,  il  est  clair 
que  le  fluide  doit  entraîner  toutes  les  parties 
qui  pourroient  surnager ,  ou  s'être  précipitées 
au  fond  du  vase. 

Si  les  œufs  qui  doivent,  contenir  le  germe 
étoient  déposés  dans  l'eau ,  le  renouvellement 
journalier  du  fluide  devroit  les  entraîner  au 
dehors  ;  car  il  n'est  pas  probable  qu'ils  puis- 
sent éclore  en  un  jour  ou  deux,  intervalle  or- 
dinaire d'un  lavage  à  l'autre. 

J'ai  bien  gardé  plusieurs  fois  l'eau  qui  sortoit 
du  vase  pour  m'assurer  si  elle  ne  contiendroit 
pas  des  œufs  qui  pussent  se  développer.  Ce- 
pendant il  ne  m'a  jamais  paru  qu'il  s'y  déve- 
loppât aucun  germe  de  l'espèce  des  Sangsues; 

Mais  si  la  Sangsue  étoit  ovipare ,  comment 
les  petites  Sangsues  filiformes  pourroientelles 
se  trouver  dans  des  vases  dont  on  renouvelle 
l'eau  tous  les  jours?  et  comment  n'en  tï*buve- 
roit-on  pas  dans  de  l'eau  qu'on  auroit  conser- 
vée pendant  un  temps  assez  long? 

Quoique  plusieurs  observateurs,  tels  que 
Redi ,  Du  Rondeau ,  etc. ,  aient  prétendu  que 
la  Sangsue  est  vivipare  ,  cette  exception  aux 
lois  ordinaires  de  la  génération  des  animaux  k 
sang  froid,  paroît  si  singulière ,  que  les  obser- 


(  J09  ) 
Vations  que  je  viens  d'indiquer  m'ont  semblé 
nécessaires  pour  ôler  à  cet  égard  toute  espèce 
de  doute. 

Quelques  auteurs  disent  que  les  petits  sont 
en  forme  de  grains  ronds  dans  le  corps  des 
Sangsues ,  et  qu'on  y  en  a  compté  un  très- 
grand  nombre.  Cependant ,  dans  l'espèce  de 
la  Sangsue  médicinale ,  la  forme  des  petits  est 
oblongue  j  ils  sont  peu  nombreux ,  et  on  ne 
peut  en  suivre  le  développement.  Plusieurs 
fois,  au  moment  où  ils  me  paroissoient  le  plus 
près  du  terme  où  ils  dévoient  sortir  du  corps 
de  la  mère ,  j'en  ai  placé  quelques-uns  dans 
un  petit  verre  concave  rempli  d'eau  ;  mais  je 
n'y  ai  rien  aperçu  qui  indiquât  aucune  trace 
d'un  développement  iiltérieur.  Dans  certains 
cas  même,  j'ai  saisi  un  de  ces  corps  oblongs 
et  presque  filiformes ,  qui  étoit  en  partie  hors 
de  l'ouverture  extérieure  de  la  matrice ,  mais 
sans  obtenir  un  résultat  plus  heureux  (i). 

C'est  durant  l'été  qu'il  faut  faire  ces  diverses 
expériences  ;  car  alors  on  trouve  les  organes 
>i  I  ■     '  " 

(i)  M.  Auria^ ,  Médecin  distingué ,  qui  a  bien  voulu 
faire  aussi  ces  expériences,  n'en  a  pas  obtenu  un  ré- 
sultat différent. 


(iio) 

de  la  génération  très-développés  ;  et  dans  Tof =- 
gane  femelle  on  remarque  plusieurs  de  ces 
corps  oblongs ,  qui  nagent  dans  une  liqueur 
laiteuse  (i). 

Il  est  très  -  vraisemblable  que  les  organes 
mâles  de  la  Sangsue  doivent  jouer  un  rôle  es- 
sentiel dans  l'acte  de  la  génération  5  car  ce  ne 
sont  pas  ici  les  parties  peu  essentielles  qui 
ont  une  grande  étendue.  On  sent  bien  que 
la  longueur  de  la  verge ,  par  exemple ,  qui 
est  excessive  chez  certains  insectes  ,  n'est  pas 
une  circonstance  très-importante.  Mais  il  n'en 
sauroit  être  de  même  du  volume  qu'ont  chez 
les  Sangsues  les  testicules  et  leurs  appen- 
dices. 


(i)  Il  est  bon  de  rapporter  ici  une  observation  de 
M.  Daudin  qui  peut  être  de  quelque  utilité.  Il  a  vu  que 
la  Sangsue  pulligère  (  Hirudo  pulligera)  avoit  ses 
petits  attachés  à  son  corps  par  leur  lèvre  ou  leur  disque, 
et  qu'ainsi  placés  sur  le  dos  ou  le  ventre  de  leur  mëre  , 
Us  pouvoient  être  pris  pour  des  soies  adhérentes  à 
son  corps.  Cela  annonce  des  rapports  de  famille  qu'on 
ne  rencontre  pas  souvent  dans  la  classe  des  animaux 
invertébrés.  M.  Daudin  ajoute  encore,  d'après  MuUer, 
que  les  petits  de  la  Sangsue  bioculée  s'attachent  pareil- 
lement au  corps  de  leur  mère. 


(m) 

Quoi  qu'il  en  soit ,  on  ne  peut  disconvenir 
que  la  Sangsue  ne  s'éloigne  beaucoup ,  par  la 
nature  et  l'ensemble  de  ses  organes  de  la  gé- 
nération ,  des  autres  animaux  d'un  ordre  in- 
férieur. Rarement  trouve-t-on ,  cbez  les  ovi- 
pares d'un  ordre  plus  élevé ,  une  perfection 
aussi  remarquable.  Que  sera-ce  donc  si  on 
compare,  sous  ce  rapport,  la  Sangsue  aux 
Mollusques  bivalves,  dont  chaque  individu 
possède  aussi  des  organes  des  deux  sexes  ? 

On  voit  donc  que  la  Nature  ne  suit  pas  de 
gradation  bien  distincte  dans  le  développe- 
ment des  divers  systèmes  d'organes  ;  que  l'im- 
perfection d'un  de  ces  systèmes  n'empêche 
pas  toujours  la  perfection  de  l'autre. 

Je  montrerai  bientôt  le  rapport  inverse  qui 
semble  exister  entre  un  état  aussi  parfait  des 
organes  générateurs  de  la  Sangsue ,  et  la  fa- 
culté que  ses  diverses  parties  ont  de  se  re- 
produire quand  elles  ont  été  coupées. 


(1.2) 

De  la  manière  dont  les  sécrétions  s'opèrent 
chez  la  Sangsue^ 

Jusqu'ici  nous  n'avons  vu  d'organes  qui  pa- 
russent spécialement  affectés  à  une  sécrétion, 
que  ceux  qui  sont  destinés  à  fournir  ou  à  re- 
cevoir la  matière  séminale.  Je  n'ai  pu  décou- 
vrir qu'il  en  existât  évidemment  d'autres. 

Cependant  il  est  une  série  de  corps  parti- 
culiers,  rangés  à  des  distances  assez  rappro- 
chées l'une  de  l'autre  sur  les  parties  latérales 
de  l'animal ,  et  couchés  sur  le  tube  alimen- 
taire, qui  pourroient  bien  remplir  les  fonc- 
tions d'organes  sécrétoires. 

La  forme  de  ces  corps  est,  au  premier 
aspect ,  assez  difficile  à  déterminer.  Ils  offrent 
divers  plis  assez  réguliers  ;  mais  si  on  les  dé- 
tache et  qu'on  les  étende ,  ils  forment  chacun 
comme  un  canal  circulaire  qui  a,  à  l'un  de  ses 
points ,  des  dimensions  beaucoup  plus  grandes 
que  dans  le  reste  de  son  étendue. 

Ces  corps  membraneux  paroissent  contenir 
un  fluide  blanchâtre  et  mucilagineux  ;  ils  se 
dessèchent  promptement  ;  et  l'on  n'y  voit 
point ,  à  l'œil  nu  ,  de  vaisseaux  sanguins  :  à 


(ii3) 
peine  même  y  en  reconnoîl-on  quelques  traces 
au  moyen  de  la  loUpe. 

J'ai  observé  que  ces  corps  ëtoient  en  même 
nombre  que  les  organes  respiratoires.  Ils  sont 
placés  en  partie  au-dessous  de  ceux-ci,  et  n'en 
sont  séparés  que  par  le  grand  vaisseau  san- 
guin. Ils  les  suivent  ainsi  d'une  extrémité  à 
l'autre. 

Quoique  couchés  sur  le  tube  intestinal ,  on 
ne  voit  pas  que  ces  corps  y  tiennent  dans  aucun 
point,  ni  qu'aucune  de  leurs  productions  en 
pénètre  la  substance.  Ils  sont  assez  étroitement 
appliqués  au  vaisseau  sanguin,  dont  on  ne  les 
détache  qu'avec  peine.  On  parvient  cependant, 
en  usant  de  précaution ,  à  les  enlever  sans  les 
rompre. 

La  distribution  et  la  situation  de  ces  corps 
ne  peuvent  nous  éclairer  que  bien  peu  sur 
leurs  fonctions ,  que  leur  structure  n'aide  pas 
à  faire  reconnoître.  Ils  ne  doivent  avoir  aucun 
rapport  avec  le  tube  alimentaire ,  puisqu'à  sa 
partie  antérieure,  c'est-à-dire  à  l'œsopha- 
ge ,  etc. ,  ils  en  sont  séparés  par  un  tissu  cel- 
lulaire très-dense  j  et  qu'on  ne  peut  découvrir 
entre  eux  et  les  diverses  parties  du  tube ,  au-^ 
cun  moyen  de  communication. 

8 


(1,4) 

Je  ne  sais  s'ils  n'auroient  pas  des  rapports 
plus  directs  avec  les  organes  respiratoires,  et 
s'ils  ne  pourroient  pas  contribuer  à  fournir  en 
partie  le  fluide  mucilagineux  qui  les  abreuve, 
et  qui  a  besoin  d'être  souvent  renouvelé.  Ce- 
pendant ,  comme  on  n'aperçoit  d'autre  union 
entre  eux  qu'un  simple  contact  de  surfaces,  il 
n'est  permis  de  rien  affirmer  à  cet  égard. 

Quelque  opinion  qu'on  adopte  sur  la  for- 
mation des  diverses  humeurs  dans  les  corps 
vivans ,  il  est  certain  que  les  sécrétions  s'opè* 
rent  d'une  manière  beaucoup  plus  simple 
chez  la  Sangsue  que  chez  les  autres  animaux 
à  sang  rouge.  Car  d'abord  elle  n'a  aucun  or- 
gane sécrétoire  qui  offre  cette  structure  com- 
pliquée propre  aux  organes  de  ces  derniers 
animaux. 

L'appareil  de  la  génération  en  offre  seul 
quelques  traces.  Encore  même  l'absence  du 
système  veineux,  d'un  centre  du  système  vas- 
culaire ,  établit-elle  à  cet  égard  une  grande 
différence  5  ainsi  que  le  petit  nombre  des  vais- 
seaux sanguins  qui  ne  pénètrent  pas  la  subs- 
tancîe  du  testicule ,  mais  rampent  seulement 
sur  la  membrane  qui  l'enveloppe. 

D'ailleurs ,  si  l'on  considère  que  chacune 


(  "S) 

(les  vessies  respiratoires  est  fréquemment 
remplie  d'un  iluide  particulier;  que  de  di- 
vers points  de  la  peau  il  s'exhale  un  autre 
fluide  doue  de  caractères  diffërens;  que  la 
digestion  s'opère  sans  qu'aucun  corps  glandu- 
leux attache  au  système  digestif  (  comme  le 
foie ,  le  pancréas  ) ,  y  répande  aucune  hu- 
meur ;  on  sera  nécessairement  porté  à  croire 
que ,  chez  la  Sangsue ,  la  formation  des  diverses 
humeurs  s'opère  dans  la  masse  générale  du 
fluide  sanguin.  Il  doit  s'y  produire  des  mou- 
vemens  intestins  ou  de  fermentation ,  qui  dé- 
terminent la  formation  successive  de  chaque 
humieur ,  et  qui  ne  présentent  qu'une  ana- 
logie générale  et  vague  avec  les  fermeu- 
tations  qui  ont  lieu  dans  les  corps  privés  de 
vie  (i). 

Chaque  humeur  étant  une  fois  formée , 
doit  être  dirigée  vers  ceux  des  vaisseaux  san- 
guins qui ,  d'après  une  modification  primor- 
diale de  leurs  forces  sensitives  et  motrices ,  lui 
livrent  passage.  Ainsi  la  madère  séminale  se 
porte  vers  les  vaisseaux  des  testicules ,  Fhu- 


(i)  Voyez  M.  Barthez  ,  Nouveaux  Elémens  de  la 
Science  de  l'Homme.  ' 


(  "6  ) 
meur  pulmonaire  vers  les  vaisseaux  des  pou- 
mons 5  etc. 

Il  en  est  évidemment  de  même,,  chez  les 
animaux  à  sang  chaud ,  de  certaines  sécrétions 
qui  ont  lieu ,  soit  dans  l'état  sain ,  soit  dans 
l'état  de  maladie ,  sans  qu'on  puisse  observer 
qu'aucun  organe  particulier  ait  concouru  à 
leur  formation  ou  à  leur  transport.  Ainsi ,  par 
exemple ,  on  voit  les  tufs  des  goutteux  se  for- 
mer spontanément,  et  se  déposer  vers  les  arti- 
culations. Tantôt  c  est  l'absorption  d'une  petite 
quantité  d'une  matière  contagieuse  (comme 
le  virus  syphilitique,  varioliqiie,  etc.)  qui  re- 
produit et  entretient  pendant  un  temps  plus 
ou  moins  long ,  une  altération  propre  à  im- 
primer à  une  foule  d'organes ,  et  à  diverses 
parties  de  nos  humeurs ,  le  caractère  de  la 
matière  absorbée  :  tantôt  c'est  la  graisse  qui 
est  produite ,  même  avec  une  abondance  sur- 
prenante dans  certains  cas  j  sans  qu'on  puisse 
assigner  à  sa  sécrétion  des  organes  propres  et 
distincts. 

On  trouvera  plus  insuffisante  encore  l'ac- 
tion des  organes  sécrétoii  es  particuliers,  pour 
la  formation  de  chaque  humeur;  si  l'on  re- 
marque que  parmi  ceux  de  ces  organes  qui 


(  "7) 
>  paroissent  les  plus  développés ,  les  testicules , 
par  exemple ,  ne  peuvent  sécréter  la  semence 
qu'à  des  époques  rigoureusement  détermi- 
nées pour  la  plupart  des  animaux ,  d'après 
des  lois  primordiales. 

Ce  qui  prouve  bien  d'ailleurs  que  la  forma- 
tion de  l'humeur  qui  doit  se  séparer  dans  un 
organe  sécrétoire ,  n'est  pas  un  pliénomène 
essentiellement  dépendant  de  l'excitation  de 
cet  organe ,  c'est  qu'on  ne  voit  que  trop  sou- 
vent une  érection  précoce  et  bien  décidée  de 
l'organe  viril ,  sans  que  pour  cela  l'excrétion 
de  la  semence  s'en  suive.  Il  en  est  de  même 
dans  plusieurs  circonstances,  des  personnes 
épuisées  de  débauche  y  chez  lesquelles  la  sen- 
sibilité de  cet  organe  se  réveille  encore  ,  sans 
que  la  sécrétion  ait  lieu. 

La  promptitude  avec  laquelle  se  font  quel- 
quefois les  sécrétions  ne  s'explique  pas  mieux 
en  supposant  qu'elles  ont  exclusivement  lieu 
dans  les  divers  organes ,  qu'en  admettant  que 
les  mouvemens  intestins  propres  à  détermi- 
ner les  sécrétions ,  se  passent  dans  la  masse 
du  sang. 

Gomme  ces  mouvemens  ne  peuvent  être 
assimilés  à  ceux  qui  ont  lieu  dans  les  fermen- 


(ii3) 

talions  des  substances  mortes,  on  ne  doit  pas 
être  surpris  qu'ils  soient  déterminés  avec  une 
rapidité  qu'on  ne  retrouve  plus  hors  de  la 
sj)lière  des  corps  vivans. 

On  ne  connoît  pas  mieux  le  développement 
de  ces  altérations  extrêniejneiit  promptes , 
que  certaines  substances  vénéneuses  font 
éprouver  à  tout  le  fluide  sanguin ,  quoique 
disséminé  sur  une  très-grande  surface. 

Dans  tous  les  cas ,  il  est  bien  certain ,  même 
d'après  les  seules  considérations  anatomiques , 
que  chez  les  Sangsues  et  les  autres  animaux 
organisés  d'une  manière  à-peu-près  semblable , 
les  sécrétions  ne  peu^vent  se  faire  d'après  les 
théories  qu'on  a  données  sur  l'action  exclusive 
des  appai^eils  mécaniques  de  ces  fonctions. 


(  119  ) 

De  V accrois  sèment  des  Sangsues  ,    de  la 
durée  de  leur  vie ,  etc. 

On  a  lâché  d'établir  cette  loi,  que  l'accrois- 
sement des  diverses  espèces  d'animaux  se  fai- 
soit  avec  d'autant  plus  de  lenteur,  que  l'ani- 
mal devoit  vivre  plus  long-temps.  En  suppo- 
sant que  cette  loi  eût  son  application  chez  tous 
les  animaux  vertébrés  (  ce  qui  n'est  pas  ) ,  il 
est  certain  qu'on  ne  la  retrouve  point  chez 
des  ordres  très  -  nombreux  d'animaux  à  sang 
blanc. 

Quand  on  considère  la  lenteur  avec  laquelle 
les  insectes  sont  amenés  à  cet  état  où  ils  jouis- 
sent de  la  faculté  de  se  reproduire ,  et  qui 
doit  être  leur  véritable  état  de  perfection ,  on 
ne  peut  qu'être  étonné  de  la  différence  pro- 
digieuse qui  se  trouve  entre  la  courte  durée 
d'un  tel  état ,  et  le  long  intervalle  nécessaire 
pour  que  l'animal  y  parvienne. 

En  effet,  on  voit  très-souvent  passer,  au 
bout  de  quelques  jours ,  une  génération  en- 
tière d'êtres  qui  n'ont  acquis  le  développe- 
ment attaché  à  leur  reproduction  qu'après 
une  ou  plusieurs  années. 


(  12^  ) 

Ce  qiii  rend  ces  faits  très  -  singuliers,  c'est 
qu'ils  n'appartiennent  qu'à  une  classe  d'ani- 
maux à  qui  nous  ne  donnons ,  soit  au-dessus , 
soit  au-dessous  d'eux ,  que  des  voisins  qui  ne 
leur  ressemblent  que  très- peu.  Si  on  compare 
entre  eux  tous  ces  êtres  qu'on  a  ainsi  rappro- 
chés ,  on  voit  que  les  actes  de  leur  vie ,  et  la 
marche  des  phénomènes  qui  la  constituent , 
présentent  autant  ou  plus  de  différences  que 
de  points  de  contact. 

Chez  plusieurs  des  animaux  que  nous  pla- 
çons après  les  insectes,  nous  retrouvons  le 
mode  d'accroissement  qu'offrent  les  animaux 
des  classes  supérieures. 

Les  Sangsues  (  comme  plusieurs  Natura- 
listes l'ont  observé  )  ne  présentent  pas  ces 
changemens  d'état ,  ce  développement  suc- 
cessif et  régulier  de  parties  distinctes,  qui 
mènent  les  insectes  à  leur  dernier  degré  d'ac- 
croissement ou  de  perfection.  Elles  voient 
leur  postérité  s'élever  et  croître  autour  d'elles  ; 
et ,  à  l'exemple  même  d'animaux  plus  voisins 
de  l'homme ,  les  individus  de  plusieurs  es- 
pèces de  Sangsues  semblent  protéger  leur  fa- 
mille. 

Les   f^ts  qu'ont  rapportés  M.  Daudin  et 


(    121    ) 

M-iùIcr  peuvent  ne  s'être  point  présentes  à 
d'autres  Naturalistes ,  parce  qu'ils  n'ont  point 
observé  ces  animaux  à  des  époques  conve- 
nables. 

11  ne  m'a  point  paru  que  l'accroissement 
du  corps  des  Sangsues  se  fît  par  le  dévelop- 
pement de  parties  nouvelles.  Les  individus 
les  plus  petits  présentent  le  même  nombre 
d'anneaux  circulaires  que  les  Sangsues  déjà 
très-grosses  ;  ce  qui  indique  que  les  diverses 
parties  du  corps  se  développent  et  s'accrois- 
sent ici  simultanément,  comme  dans  les  es- 
pèces d'animaux  d'un  ordre  élevé. 

La  Sangsue  n'atteint  qu'avec  lenteur  à  ce 
degré  d'accroissement ,  au  -  delà  duquel  le 
corps  commence  à  perdre  plus  qu'il  ne  gagne 
par  la  nutrition. 

J'ai  placé  dans  un  bocal  rempli  d'eau  quatre 
jeunes  Sangsues  filiformes.  Ce  n'est  qu'après 
plus  de  deux  mois  que  j'ai  observé  un  accrois- 
sement tant  soit  peu  sensible.  Il  a  toujours  été 
très-lent  5  et  les  dimensions  de  leurs  corps 
étoient  encore  bien  petites  au  bout  du  neu- 
vième mois. 

Il  ne  paroît  pas  qu'on  puisse  attribuer  cette 
lenteur  au  défaut  de  nourriture;  car  l'eau 


(    122    ) 

étoit  convenablement  renouvelée  ;  ce  qui  pou- 
voit  compenser  la  qualité  et  la  quantité  d'eau 
stagnante  dans  laquelle  ces  animaux  sont  des- 
tinés à  vivre. 

On  trouve  dans  les  eaux  vaseuses,  des  Sang- 
sues qui  présentent  ces  divers  degrés  d'ac- 
croissement ,  depuis  les  dimensions  les  plus 
petites,  jusqu'aux  plus  grandes  auxquelles  ces 
animaux  puissent  atteindre. 

Il  est  permis  de  croire  que  l'effet  de  l'âge 
se  fait  sentir  d'une  manière  notable  cliez  les 
Sangsues,  et  que  l'instinct  leur  indique  l'inu- 
tilité ou  le  danger  d'une  pâture  trop  copieuse, 
pour  cet  état  de  leur  corps  où  l'accroissement 
a  cessé. 

En  effet  on» a  remarqué  assez  générale- 
ment que  celles  qui  n'ont  qu'une  grosseur 
médiocre  prennent  une  beaucoup  plus  grande 
quantité  d^  sang ,  ou  se  détachent  plus  tard 
de  la  plaie  qu'elles  ont  faite.  Aussi  voit-on  les 
Chirurgiens  demander  celles-ci  de  préférence. 

Quant  à  la  durée  de  la  vie  des  Sangsues ,  on 
ne  sauroit  l'assigner  avec  quelque  précision.  On 
ne  peut  douter  cependant  qu'elles  ne  vivent 
plusieurs  années  :  car  celles  qu'on  a  prises 
déjà  grosses ,  et  dont  l'accroissement  avoit  dû 


(  123  ) 
exiger  déjà  un  temps  assez  long ,  se  retrouvent 
souvent  dix  et  onze  mois  après  dans  les  bocaux 
où  on  les  avoit  placées.  Sans  doute  elles  y  vi' 
vroient  plus  long-temps  encore ,  si  on  ne  les 
en  retiroit  pour  les  usages  médicinaux ,  après 
lesquels  on  ne  désire  point  de  les  conserver. 

On  arriveroit  à  un  faux  résultat ,  si  on  vou- 
loit  calculer  la  durée  de  la  vie  des  Sangsues 
d'après  ce  qui  arrive ,  sur-tout  durant  l'été ,  à 
celles  qui  se  trouvent  entassées  dans  des  vases 
ou  des  bocaux.  Le  plus  grand  nombre  périt 
alors  assez  souvent.  Mais  il  est  difficile  de  dis- 
tinguer ici  l'effet  de  la  chaleur,  et  celui  de 
l'altération  que  l'eau  a  éprouvée ,  etc. ,  de  l'ef- 
fet des  lois  auxquelles  l'existence  de  ces  ani- 
maux est  soumise. 

Je  citerai  une  expérience  qui  prouve  com- 
bien une  chaleur  un  peu  forte  leur  est  nuisible. 
Vers  la  fin  du  mois  d'août  dernier  (le  mercure 
étant  à  26  degrés  au  thermomètre  de  Réau- 
mur  )  ,  je  plongeai  une  Sangsue  dans  de  l'eau 
chauffée  au  38 ^  degré.  Elle  y  mourut  au  bout 
de  quelques  minutes. 


De  Faction  du  froid  sur  les  Sangsues ,  et 
de  leur  engourdissement, 

L'ÉTAT  d'engourdissement  dans  lequel  le^s 
Sangsues  passent  la  saison  de  l'hiver ,  portoit 
à  croire  qu'elles  étoient  très- sensibles  à  l'action 
du  froid  (i).  J'ai  fait  à  cet  égard  plusieurs  ex- 
périences que  je  pourrois  rapporter;  mais 
celles  qu'a  tentées  M,  Bibiena  me  paroissant 
très -exactes ,  je  préfère  de  les  indiquer  ici. 
Elles  sont  d'autant  plus  sûres ,  que  l'auteur 
s'est  contenté  d'exposer  les  faits  ;  et  que  n'ayant 
pas  eu  sans  doute  en  vue  d'éclairer ,  par  leur 
moyen ,  le  phénomène  de  l'engourdissement, 
sur  lequel  elles  jettent  pourtant  un  grand 
jour,  il  n'en  a  lire  aucun  résultat. 

Il  plaça  trois  Sangsues  dans  une  capsule  de 
fer-blanc  bien  fermée ,  qu'il  recouvrit  d'une 
quantité  de  neige ,  où  il  mêla  quelques  poi- 
gnées de  sel  marin  :  la  capsule  fut  mise  en- 
suite dans  un  lieu  froid.  Après  un  intervalle  de 
deux  heures ,  il  trouva  les  Sangsues  comme 
durcies ,  et  dans  un  état  tel ,  que  l'influence 

(i)  Teporem.  amant ,  undè  per  autumnum  rursus 
conduntiir ,  jiec  hveme  nullibi  apparent.  (  Wolfang. 
Franz,,  1.  c.) 


/ 

(    1-25   ) 
d'une  chaleur  douce ,  ni  celle  de  l'eau  à  la 
température  de  l'atmosphère ,  ne  put  leur 
fah^e  donner  aucun  signe  de  vie. 

Quand  on  entouroit  seulement  de  neige 
cette  capsule ,  les  Sangsues  paroissoient ,  au 
bout  de  quatre  heures ,  un  peu  contractées , 
mais  ]3oint  du  tout  gelées.  Elles  ëtoient  si  vi- 
vaces  ,  qu'en  les  jetant  dans  de  l'eau  pure , 
elles  ne  sembloient  avoir  rien  perdu  de  leur 
vigueur  ni  de  leur  santé. 

L'auteur ,  pour  expliquer  cette  différence , 
dit  que  les  particules  du  sel  ont  pu  pénétrer 
à  travers  les  parois  de  la  capsule ,  et  exercer 
ainsi  leur  action  délétère.  Je  n'ai  nul  besoin 
de  faire  observer  combien  cette  supposition 
est  peu  vraisemblable.  On  sent  bien  que  le 
degré  supérieur  de  froid  produit  par  le  mé- 
lange du  sel  et  de  la  neige ,  a  du  suffire  pour 
causer  la  mort  des  Sangsues. 

Puisque  ces  animaux  restent  engourdis  du- 
rant l'hiver ,  dans  les  contrées  où  le  thermo- 
mètre ne  descend  quelquefois  point ,  ou  ne  se 
maintient  que  très-peu  de  temps  au  degré  de  la 
congélation,  on  voit  que  l'état  d'engourdisse- 
ment qu'ils  éprouvent  en  hiver,  n'est  pas  ex- 
clusivement dépendant  du  froid» 


(126) 

Mais  puisque  dans  les  pays  où  la  tempéra- 
ture est  souvent  de  12  degrés  et  plus  au- 
dessous  de  o ,  les  Sangsues  ne  se  gèlent 
point  et  n'y  meurent  pas ,  on  doit  reconnoître 
que ,  dans  l'état  d'engourdissement  qui  sur- 
Tient  à  des  périodes  déterminées ,  ces  ani- 
maux doivent  avoir  en  eux  une  force  qui  les 
fasse  résister  à  l'impression  mortelle  qu'exerce 
sur  eux ,  dans  d'autres  temps ,  un  froid  moindre 
même  de  quelques  degrés  ;  tel  que  celui  qui 
est  produit  dans  l'expérience  de  M.  Bibiena. 

Il  est  vraisemblable  que  dans  l'engourdisse- 
ment qui  se  fait  par  degrés ,  cette  résistance 
que  les  Sangsues  peuvent  opposer  à  l'action 
du  froid  augmente  successivement  ;  et  est 
plus  grande  que  la  résistance  qu'elles  peuvent 
faire  à  l'impression  d'un  froid  soudain. 

On  ne  devroit  pas  trouver  étonnant  que  les 
Sangsues  ne  s'engourdissent  pas  lorsqu'on  les 
tient  dans  des  lieux  chauds  durant  l'hiver  ; 
puisqu'alors  elles  sont  entièrement  à  l'abri 
d'une  des  causes  qui  influent  beaucoup  sur  la 
production  de  cet  état;  et  que  d'ailleurs  l'in- 
iluence  d'une  douce  chaleur  doit  rompre  la 
chaîne  ordinaire  de  leurs  habitvides. 


(    127  ) 

De  la  force  de  régénération  des  parties , 
considérée  chez  les  Sangsues, 

C'est  sans  doute  un  phénomène  bien  sin- 
gulier que  la  régénération  de  certaines  parties 
du  corps  des  animaux.  Mais  quelles  en  sont 
les  bornes  chez  les  diverses  espèces  ?  Voilà  ce 
qu'il  n'est  point  permis  de  présumer  d'après 
la  seule  analogie. 

Si  chez  un  grand  nombre  d'animaux  à  sang 
^rouge ,  celte  faculté  n'existe  que  pour  les  par- 
ties de  certains  systèmes  simples ,  tels  que  le 
système  osseux ,  cellulaire  ,  nerveux,  etc.  ;  et 
si  les  parties  musculeuses ,  et  les  organes  com- 
posés de  diverses  parties  similaires  s'en  trou- 
vent privés ,  il  est  vrai  aussi  que  cette  faculté 
paroît  à  un  très-haut  degré  chez  des  familles 
nombreuses  d'animaux  de  la  même  classe, 
dont  l'organisation  est  très-compliquée. 

Il  n'est  personne  qui  ignore  que  les  lézards 
et  les  serpens  reproduisent  leiu^  queue ,  etc  ; 
et  qui  ne  sache,  d'après  les  expériences  de 
Spallanzani ,  que  chacun  des  membres  de  la 
salamandre  aquatique,  se  régénère  avec  les 
mêmes  parties ,  autant  de  fois  qu'il  a  été 
coupé. 


(  "8  ) 

Il  semble  ensuite  qu'à  mesure  qu'on  arrive 
à  des  animaux  d'une  organisation  moins  com- 
pliquée ,  cette  faculté  s'accroisse ,  et  à  des  de- 
grés très-surprenant.  Ainsi  l'on  assure  que  la 
tête  des  Mollusques  gastéropodes  renaît  avec 
ses  tentacules ,  dont  les  deux  supérieures  por- 
tent chacune  un  œil ,  et  avec  toutes  les  autres 
parties.  Les  écrevisses  reproduisent  aussi  leurs 
pattes ,  etc. 

On  sait  bien  qu'on  ne  peut  retrouver  cette 
faculté ,  à  de  pareils  degrés  du  moins ,  chez 
les  insectes  parfaits.  Mais  on  peut  dire  que  la 
brièveté  de  la  vie ,  chez  la  plupart  des  in- 
sectes, ne  permet  pas  de  faire  les  observa- 
tions convenables. 

Quant  aux  vers,  on  regarde  chaque  por- 
tion de  leur  corps  qu'on  a  séparée  des  autres 
par  diverses  sections ,  comme  propre  à  régé- 
nérer ce  qui  en  a  été  séparé  ,  et  à  devenir  un 
individu  entier. 

Enfin  le  Polype  semble  se  jouer  de  toutes 
les  sections  qu'on  lui  fait  subir  ;  il  l'emporte 
même  à  cet  égard  sur  les  végétaux,  puisque 
non-seulement  chacune  de  ses  parties  repro- 
duit le  corps  entier;  que  celles  de  deux  indivi- 
dus peuvent  se  souder  ensemble,  et  ne  former 


(  ^^9  ) 
qu'un  seul  animal  j  mais  encore  qu'on  peut 
rendre  extérieures  les  parties  internes  de  son 
corps  ,  sans  qu'il  cesse  pour  cela  de  subsister 
et  de  se  mouvoir. 

On  ëtoit  bien  en  droit  de  s'attendre  que 
des  animaux  places  fort  au-dessous  des  Mol- 
lusques ,  et  confondus  presque  avec  les  vers , 
partageroient  avec  tous  ces  êtres  cette  force 
de  régénération.  L'expérience  vient  pourtant 
tromper  l'attente  du  Naturaliste. 

Si  l'on  fait  subir  une  section  transversale 
quelconque  au  corps  d'une  Sangsue ,  chacune 
des  deux  parties  qu'on  a  ainsi  séparées ,  loin 
de  reproduire  l'autre ,  s'éteint  au  bout  d'un 
temps  plus  ou  moins  long.  La  portion  qui 
renferme  l'extrémité  supérieure  ne  régénère 
pas  plus  la  substance  qui  termine  le  corps, 
que  celle-ci  ne  régénère  les  parties  supérieu- 
res ,  ou  les  premiers  instrumens  de  la  diges- 
tion. 

Les  diverses  parties  conservent  plus  ou 
moins  long-temps  toutes  les  facukés  de  la  vie, 
selon  leur  étendue  et  suivant  la  saison.  Il  pa- 
roît  que  la  mort  a  lieu  plutôt  lorsqu'on  a  fait 
plusieurs  seetions ,  que  lorsqu'on  s'est  borné 
à  une  seule.  Je  crois  aussi  que^  durant  Fliiverj 

9 


(  i3o  ) 

chaque  partie  survit  plus  long-temps  que  du= 
rant  l'été. 

Dans  tous  les  cas ,  les  bords  de  la  plaie  qu'on 
a  faite  se  resserrent;  mais  jamais  on  n'y  aper- 
çoit aucune  trace  de  parties  régénérées. 

Les  dents  ne  m'ont  point  paru  renaître  plus 
que  les  autres  parties. 

Le  disque  lui-même ,  qui  n'est  composé  que 
d'une  enveloppe  extérieure  et  de  fibres  mus- 
culaires ,  n'est  nullement  reproduit. 

Il  m'a  paru  que  l'influence  de  la  saison  étoit 
beaucoup  moins  sensible  dans  ce  dernier  cas  : 
l'animal  vit  à-peu-près  comme  s'il  étoit  entier; 
tandis  que  dans  les  autres,  il  ne  prolonge  guère 
sa  vie  au-delà  de  deux  ,  quatre  ,  six  mois  (i). 

Quelle  raison  donner  de  cette  étrange  ex- 
ception à  une  loi  qui  paroissoit  si  naturelle- 
ment établie  ?  L'organisation  est  ici  très-sim- 

(i  )  On  ne  peut  mettre  sur  le  compte  d'une  durée  trop 
courte  de  la  vie  des  Sangsues  ce  défaut  de  régénération. 
Car ,  outre  que  chaque  portion  du  corps  qu'on  a  séparée 
des  autres  vît  assez  long-temps ,  l'animal  prolongeroit 
bien  au-delà  son  existence  ,  si  on  le  laissoit  dans  son 
intégrité  ;  et  c'est  précisément  cette  extinction  plus  ou 
moins  prompte  de  la  vie  dans  les  parties  du  corps 
qu'on  a  divisées  qui  est  l'objet  de  la  question. 


(  "3i  ) 
pie;  les  systèmes  vascuîaire  et  digestif  ne  sont 
nullement  compliqués  ;  le  cordon  médullaire 
est  distribué  uniformément  à  tout  le  corps,  etc. 
Certes ,  la  tête  des  Mollusques  gastéropodes 
contient  des  organes  bien  plus  nombreux,  et 
d'un  genre  bien  plus  parfait;  les  membres  des 
lézards  ont  une  structure  bien  autrement 
compliquée. 

On  pourroit  dire  que  les  sections  transver- 
sales ne  pouvant  être  opérées  chez  \à  Sang- 
sue ,  sans  .que  les  deux  vaisseaux  qu'on  doit 
regarder  comme  une  espèce  de  centre  du  sys- 
tème vascuîaire  ne  soient  divisés ,  la  plupart 
des  fonctions  doivent  être  par  là  anéanties. 
Mais  l'animal  survit  long  -  temps  à  la  bles- 
sure. Il  n'y  a  pas  de  véritable  hémorrhagie  ; 
car  le  mouvement  du  sang  n'étant  aidé  par 
l'action  d'aucun  organe  central ,  est  si  lent , 
et  la  contraction  des  bords  de  la  plaie  est  si 
vive  ,  que  le  lluide  ne  peut  s'écouler  au- 
dehors. 

D'ailleurs ,  h.  tête ,  dans  les  Mollusques ,  etc. 
n'a  pas  de  vaisseaux  moins  importans  :  en  outre 
les  vers ,  qui  possèdent  un  vaisseau  sanguin: 
dont  les  mouvemens  sont  analogues  à  ceux 
que  présentent  les  vaisseaux  des  Sangsues , 


(  i52  ) 
paroisseiit  jouir ,  à  un  très-haut  point ,  de  cette 
force  de  rëgënëration. 

Il  est  vrai  que  les  vers  de  terre  n'ont  pas 
un  système  nerveux  comparable  à  celui  des 
Sangsues  ;  mais  ce  système  est  bien  moins 
compliqué  chez  celles-ci  que  chez  les  Mol- 
lusques. 

On  est  donc  force  de  convenir  que  les  con- 
ditions d'où  dépend  cette  faculté  régénéra- 
trice nous  sont  jusqu'ici  inconnues  ;  et  qu'on 
ne  peut  assigner  encore  quelle  est  la  combi- 
naison d'organes  qui  l'exclut  ou  la  favorise. 

Voici  cependant  un  rapport  qu'il  est  inté- 
ressant d'observer. 

Les  vivipares  sont ,  de  tous  les  animaux , 
ceux  où  cette  faculté  est  le  plus  bornée.  Au- 
cun organe  proprement  dit  ne  se  reproduit 
chez  eux.  Or ,  on  trouve  dans  les  parties  au 
moyen  desquelles  ils  perpétuent  leurs  espèces, 
la  distribution  et  l'ordre  qui  nous  paroissent 
les  plus  parfaits ,  ou  du  moins  les  plus  com- 
pliqués. IXous  remarquons  aussi ,  chez  les 
Sangsues ,  une  pareille  perfection  dans  ces 
organes ,  et  ce  manque  de  reproduction  des 
parties  mutilées.  Cette  analogie  ne  devient- 
elle  pas  importante  à  saisir  ? 


(i33) 

IJ  est  vrai  cependant  qu'on  ne  peut  ]îas 
conclure  de  cette  comparaison ,  que  la  faculté 
de  reproduire  les  diverses  parties  du  corps 
mutilées  soit  exclusivement  liée  à  telles  con- 
ditions de  perfection  et  de  structure  des  or- 
ganes générateurs;  puisque  les  Oiseaux  pour- 
roient  offrir ,  à  cet  égard,  une  exception  assez 
remarquable. 

J'observerai  néanmoins  que  la  classe  nom- 
breuse des  Oiseaux,  d'ailleurs  formée  sur  un 
plan  qui  établit  entre  les  êtres  qu'elle  con- 
tient et  les  Quadrupèdes  vivipares  ,  la  plus 
grande  uniformité ,  eu  égard  aux  organes  es- 
sentiels à  la  vie  ,  possède  à  un  plus  baut  de- 
gré que  la  classe  des  Mammifères  cette  force 
de  régénération. 

On  sait  que  les  plumes  qu'on  arracbe  a 
certains  oiseaux  qu'on  veut  retenir  dans  l'es- 
clavage ,  renaissent  ;  quoique  munies  de  vais- 
seaux très-apparens ,  et  d'une  structure  assez 
compliquée.  La  mue  qu'on  a  observée  cbez 
la  plupart  des  volatiles  offre  encore  ici  une 
preuve  de  plus.  Enfin  on  a  appris ,  par  les 
expériences  de  Troja  ,  que  la  régénération 
osseuse  se  fait  cbez  eux  avec  une  grande 
eétérité. 


(  i34  ) 

Les  animaux  ovipares  des  autres  classes , 
qui  sont  plus  éloignés  des  Mammifères ,  re- 
produisent aisément  plusieurs  de  leurs  parties 
et  des  membres  entiers. 

On  peut  par  conséquent  regarder  comme 
très- vraisemblable,  que  la  disposition  du  sys- 
tème des  organes  générateurs  influe  sur  la 
faculté  qu'ont  les  animaux  de  reproduire  les 
diverses  parties  de  leur  corps  ;  quoiqu'on  eût 
regardé  cette  faculté ,  chez  les  êtres  d'un  rang 
inférieur  ,  comme  soumise  exclusivement  à  la 
disposition  du  système  vasculaire,  et  sur-tout 
du  système  nerveux. 

Il  faut  avouer  qu'on  ne  trouve  aucune 
liaison  entre  cette  faculté ,  et  celle  qu'ont 
certains  animaux  de  conserver ,  dans  les  par- 
ties qu'on  a  isolées  par  la  section,  la  régularité 
de  leurs  mouvemens ,  et  l'intégrité  de  leurs 
principales  fonctions.  En  effet ,  la  bouche  et 
les  lèvres  de  la  Sangsue  qu'on  a  divisée,  s'ap- 
pliquent ,  et  opèrent  la  succion  comme  si  l'a- 
nimal étoit  entier. 

Je  plaçai  un  de  ces  tronçons  de  Sangsue 
sur  la  tête  d'un  jeune  poulet ,  que  j'avois  eu 
soin  de  fendre  cà  et  là  pour  faire  couler  le 
sang.  Les  lèvres  s'y  attachèrent,  et  y  restèrent 


(  i35  ) 

ainsi  appliquées  durant  u.n  quart  d'heure  en- 
viron. Enfin  les  libres  du  corps  opérèrent  les 
diverses  contractions  propres  à  faire  avancer 
le  fluide. 

Le  disque  de  la  Sangsue  s'applique  comme 
les  lèvres. 

Il  est  bon  de  noter  que  la  putréfaction  fait 
dégager  du  corps  des  Sangsues  une  odeur 
très-analogue  à  celle  qu'exhalent,  après  leur 
mort ,  les  animaux  à  sang  rouge  ;  tandis  que 
l'odeur  que  répandent  les  vers  qui  se  putré- 
fient est  plus  fade ,  et  affecte  beaucoup  plus 
désagréablement  l'odorat. 


(  i36  ) 

Il  me  paroît  qu'en  considéranl  l'ensemble 
de  ces  Mémoires ,  on  ne  sauroît  douter  que 
nos  connoissances  n'aient  ëtë  jusqu'ici  très- 
imparfaites  sur  les  divers  systèmes  d'organes, 
les  fonctions  et  les  facultés  des  Sangsues  ;  et 
que ,  sur  chacun  de  ces  points,  les  i-echerclies 
les  plus  nombreuses  et  les  plus  intéressantes 
ne  restassent  encore  à  faire. 

En  effet,  tout  ce  qui  concerne  les  systèmes 
cutané  et  musculaire  étoit  encore  inconnu  ; 
de  même  que  la  théorie  des  mouyemens  dé- 
pendans  des  diverses  modifications  que  l'a- 
nimal donne  à  ses  fibres ,  par  le  moyen  des 
forces  de  contraction ,  d'élongation,  de  situa- 
tion fixe. 

C'étoit  à  des  principes  très  -  erronés  qu'on 
rapportoit  la  succion ,  la  progression  des  ali- 
mens  dans  la  bouche  et  l'œsophage ,  et  la 
manière  dont  les  deux  extrémités  du  corps 
de  la  Sangsue  s'appliquent  aux  diverses  sur- 
faces. 

J'ai  indiqué,  en  m'appuyant  sur  des  obser- 
vations et  des  expériences  rigoureuses ,  les 
procédés  d'après  lesquels  ces  diverses  fonc- 
tions s'exécutent.  J'ai  décrit  d'une  manière 
plus  exacte  qu'on  ne  l'avoit  fait ,  les  organes 


(  i37  ) 
digestifs,  et  montré  comment  leur  disposition, 
accommodée  à  la  forme  de  l'animal ,  s'écarte 
de  la  disposition  et  de  la  structure  qu'offrent 
ces  organes  chez  les  autres  animaux  carnas- 
siers. 

Quoique  le  système  vasculaire  fut  en  très- 
grande  partie  connu  ,  on  n'avoit  pas  encore 
déterminé  quelle  est  la  division  des  grands 
vaisseaux ,  soit  aux  côtés  du  corps  ,  soit  aux 
extrémités  ;  et  leur  distribution  à  divers  or- 
ganes. 

On  étoit  encore  plus  loin  de  savoir  de 
quelle  manière  et  par  quels  organes  s'opéroit 
la  respiration  des  Sangsues.  J'ai  démontré 
qu'elle  avoit  lieu  par  des  organes  très-ana- 
logues à  ceux  que  présentent  la  plupart  des 
animaux  vertébrés  ;  et  comment ,  par  la  dis- 
position de  ces  organes  ,  la  Sangsue  pouvoit 
supporter  la  privation  de  l'air  atmosphérique , 
et  se  soustraire  à  l'action  délétère  de  certains 
gaz. 

Si  j'ai  eu  peu  à  ajouter  à  ce  qu'on  sa  voit 
déjà  sur  l'anatomie  du  système  nerveux,  il 
me  semble  avoir  fait  des  recherches  et  des 
rapprochemens  utiles  sur  les  divers  degrés  de 
sensibilité  des  parties;  sur  les  conditions  dont 


(  i38  ) 

ils  peuvent  dépendre ,  et  sur  les  affections  du 
système  des  nerfs. 

J'ai  donné  plusieurs  observations  sur  îe 
système  des  organes  générateurs ,  sur  la  gé- 
nération des  Sangsues  ;  et  indiqué ,  d'après 
des  considérations  anatomiques ,  à  quelle  classe  - 
d'animaux  hermaphrodites  elles  doivent  ap- 
partenir. 

J'ai  encore  déterminé  ce  que  les  Sangsues 
offroient  de  particulier  relativement  au  dé- 
faut d'organes  sécrétoires  ,  et  concernant  la 
manière  la  plus  probable  de  concevoir  la  for-, 
mation  de  leurs  diverses  humeurs. 

J'ai  eii  outre  fait  des  recherches  sur  le  pro- 
grès et  le  mode  d'accroissement  de  ces  ani- 
înaux,  sur  l'influence  qu'ils  éprouvent  des 
divers  degrés  de  froid  extérieur,  sur  la  nature 
de  leur  engourdissement  périodique. 

Enfin ,  les  expériences  que  j'ai  faites  sur  la , 
régénération  des  diverses  parties  qui  ont  été 
retranchées  du  corps  de  la  Sangsue  vivante , 
m'ont  donné  ^e  résultat  très  -  singulier  ;  que 
les  Sangsues  peuvent,  sous  ce  rapport ,  être  as- 
similées aux  animaux  de  l'organisation  la  plus 
compliquée  ;  qu'on  ne  sauroit  établir  que  cette 
faculté  dépende  de  telle  ou  telle  disposition  des 


(  1%  ) 

systèmes  vasculaire  et  nerveux  5  et  que  la  na- 
ture des  organes  de  la  génération  paroît  exer- 
cer à  cet  égard  une  influence  très-grande. 

11  me  reste  à  présent  à  développer  quelques 
considérations  qui  naissent  de  l'ensemble  des 
faits  que  j'ai  énoncés,  et  qui  se  rapportent 
plus  particulièrement  à  l'Histoire  Naturelle. 

On  a  vu  combien  la  disposition  des  divers 
systèmes  d'organes  de  la  Sangsue  s'éloignoit 
de  celle  que  l'analogie  sembloit  indiquer. 
La  nature  de  plusieurs  de  ces  systèmes  rap- 
proche ce  singulier  animal  des  êtres  que  nous 
avons  placés  aux  premiers  rangs.  Il  n'y  a  que 
l'absence  des  membres  articulés ,  la  simplicité 
des  systèmes  digestif  et  nerveux ,  qui  lient  les 
Sangsues  aux  animaux  dont  les  entourent  les 
classifications  ordinaires. 

Mais  d'après  quel  rapport  établir  la  préé- 
minence de  l'un  ou  l'autre  ensemble  de  ces 
caractères ,  et  le  rang  que  la  Sangsue  doit 
occuper  dans  les  classifications  ? 

Les  conditions  réunies  d'un  système  de  vais- 
seaux à  mouvemens  sensibles,  et  d'organes  res- 
piratoires analogues  aux  poumons,  que  nous 
ne  retrouvions  plus  chez  des  classes  entières 
d'animaux  très -supérieurs  à  la  Sangsue,  le 


(  140  ) 
caractère  du  fluide^sanguin  que  cette  réunioiî 
semble  rendre  semblable  à  celui  des  animaux 
vertèbres ,  l'ëtat  de  perfection  des  organes  gé- 
nérateurs, d'autant  plus  surprenant  qu'il  est 
totalement  étranger  aux  autres  espèces  dont 
les  individus  possèdent  les  deux  sexes ,  la  pri- 
vation de  la  faculté  qu'ont  des  êtres  nombreux 
et  d'une  organisation  très-variée,  de  régénérer 
des  membres  entiers,  et  des  parties  très-com- 
pliquées de  divers  systèmes  :  voilà  une  foule 
de  traits  qui  ne  peuvent  être  effacés  ,  ou 
compensés  par  les  caractères  qui  tendent  à 
rapprocher  les  Sangsues  des  insectes  et  des 
vers. 

Cependant  il  ne  suffit  pas  de  montrer  com- 
bien paroît  être  arbitraire  la  place  que  les  clas- 
sifications ordinaires  donnent  aux  Sangsues , 
pour  indiquer  celle  qui  leur  convient  plus 
naturellement. 

Les  obstacles  aux  déterminations  d'après 
lesquelles  on  établit  les  méthodes  de  classifi- 
cation, se  multiplient  assez  généralement,  à 
mesure  cpi'on  connoît  mieux  l'organisation 
des  divers  êtres  ;  parce  qu'alors  on  trouve  un 
grand  nombre  de  différences  qu'on  n'avoit 
point  encore   aperçues  ,    et  qui  diminuent 


(HO 

beaucoup  l'importance  des  traits  de  ressem- 
blance qu'on  avoit  d'abord  saisis. 

Si  l'on  veut  placer  les  Sangsues  au  rang  que 
leur  donne  la  nature  des  systèmes  vasculaire 
et  respiratoire ,  etc. ,  il  faut  les  éloigner  des 
êtres  (i)  qui,  places  après  elles  ,  leur  sont 
unis  par  de  grands  rapports.  Que  si  négligeant 
ces  caractères ,  on  confond  les  Sangsues  avec 

(i)  Si  les  vers  qui  sont  pourvus  de  vaisseaux  à  sang 
rouge  ont  des  organes  respiratoires ,  on  peut  assurer 
que  ces  organes  ne  ressemblent  aucunement  à  ceux  que 
présentent  les  animaux  doués  de  poumons ,  de  bran- 
chies ou  de  trachées. 

Ainsi ,  sous  ce  rapport  ,  les  vers  ne  peuvent  être 
comparés  aux  Sangsues  j  car  c'est  la  réunion  des  deux 
systèmes  vasculaire  et  respiratoire  qui  me  paroît  ici  le 
point  essentiel. 

Comme  l'existence  d'un  système  de  vaisseaux  à  sang 
rouge  chez  des  animaux  invertébrés ,  nécessite  ,  ainsi 
que  l'a  observé  M.  Cuvier ,  des  modifications  dans  les 
divisions  les  plus  générales  qu'on  a  données  des  ani- 
maux ,  il  pourra  devenir  plus  facile  de  faire  les  divi- 
sions subséquentes.  Ainsi  les  animaux  à  sang  rouge 
pourront  d'abord  être  distingués  en  animaux  verté- 
brés et  invertébrés;  et  parmi  ces  derniers,  on  trouvera 
que  les  uns  joignent  à  ce  système  vasculaire  des  organes 
respiratoires  analogues  aux  poumons  ,  et  que  les  autres 


(  ï4^  ) 
ces  derniers  animaux,  la  classification  n^en 
reste  pas  moins  imparfaite ,  parce  qu'on  sé- 
pare des  êtres  qui  sont  liés  par  des  traits  de 
ressemblance ,  tirés  d'organes  très-importans , 
sur  la  disposition  même  desquels  on  s'appuie 
pour  établir  les  plus  solides  divisions. 

Comme    les    Naturalistes    font  beaucoup 
moins  de  cas  des  organes  du  mouvement  chez 


respirent  d'après  un  mode  différent  qu'on  découvrira 
sans  doute. 

Il  est  vrai  que  cette  méthode  de  classification  rompt 
les  diverses  séries  suivant  lesquelles  on  avoit  rangé  les 
êtres  vivans.  Mais  dès  qu'on  a  regardé  comme  des 
caractères  du  premier  ordre  ceux  que  fournissent  les 
systèmes  vasculaire  et  respiratoire  ,  il  faut  ou  bien  ac- 
corder moins  d'importance  à  ces  caractères ,  ou  bien 
placer  avant  les  premières  familles  d'animaux  à  sang 
blanc,  des  espèces  d'animaux  à  sang  rouge,  tels  que 
les  Sangsues  ,  etc. ,  qui  leur  sont  inférieures  sous  cer- 
tains rapports. 

Cette  dernière  manière  de  voir  ne  détruit  pas  autant 
qu'on  le  croiroit  d'abord ,  les  gradations  qu'on  a  pu 
remarquer  entre  les  diverses  classes  d'animaux;  car  les 
Sangsues  ne  diffèrent  pas  plus  des  animaux  a  sang  rouge 
du  dernier  ordre ,  qu'elles  ne  diffèrent  des  animaux  à 
sang  blanc. 


(  143  ) 

les  espèces  inférieures ,  puisqu'ils  ne  donnent 
pas  un  plus  haut  rang  aux  insectes ,  très-ëlevés 
sous  ce  rapport ,  on  ne  peut  tirer  contre  les 
Sangsues  aucune  défaveur  des  formes  que 
leur  corps  a  reçues.  On  le  peut  d'autant  moins 
que  cet  animal  ,'par  les  diverses  facultés  dont 
jouissent  ses  fibres,  peut  être  regardé  comme 
ayant  le  système  moteur  le  plus  simple ,  et  en 
même  temps  le  plus  propre  à  s'accommoder 
à  toutes  sortes  de  mouvemens ,  eu  égard  à  son 
genre  de  vie  ,  et  aux  fonctions  qu'il  avoit  à 
remplir. 

C'est  là  ce  que  nous  retrouvons  par  -  tout , 
une  harmonie  très-grande  entre  les  divers  sys- 
tèmes d'organes,  les  facultés  qui  leur  sont 
attachées  et  les  fonctions  et  le  genre  de  vie  des 
individus.  Ainsi  destiné  à  vivre  dans  l'eau  , 
devant  exister  quelque  temps  hors  de  cet  élé- 
ment ,  l'être  dont  je  parle  avoit  besoin  d'un 
système  respiratoire  différent  de  celui  des 
poissons  :  il  a  été,  en  quelque  sorte,  traité 
comme  les  espèces  les  y^us parfaites  qui  jouis- 
sent de  la  même  prérogative. 

Le  système  vasculaire  à  sang  rouge  attaché 
à  ce  mode  de  respiration ,  ou  qui  s'y  trouve 
lié  d'après  une  influence  et  des  lois  qui  nous 


(  144  ) 
sont  inconnties ,  se  fait  remarquer  aussi  cliez 
les  Sangsues. 

Mais  comme  les  combinaisons  ne  coûtent 
rien  à  la  Nature ,  et  qu'elle  sait ,  par  des  mo- 
difications simples ,  remplacer  un  ensemble 
d'organisation  qui  nous  paroit  devoir  être  très- 
compliquë ,  nous  voyons  ici  ce  système  exister 
sans  tout  l'appareil  qui  lui  est  ordinaire.  Un 
simple  laaouvement  ondulatoire  du  fluide  san- 
guin 5  dirige  en  sens  alternatif,  semble  suffire 
pour  remplacer  le  cœur  et  le  système  veineux  ; 
et  l'on  voit  en  quelque  manière  de  telles  dispo- 
sitions rendre  inutiles  les  appareils  qui  appar- 
tiennent communément  au  système  sècrëtoire. 

Cette  harmonie  nécessaire ,  sans  laquelle  la 
vie  de  l'animal  ne  pourroit  subsister ,  se  re- 
trouve aussi  bien  dans  les  espèces  inférieures, 
comme  dans  celles  qui  nous  paroissent  au  plus 
haut  degré  de  perfection. 

En  effet  tous  les  êtres  doivent  être  é^ale- 
ment  précieux  à  la  Nature ,  qui  les  a  produits; 
et  comme  nous  ne  pouvons  découvrir  dans  les 
organes  aucune  perfection  absolue ,  il  est  vrai 
de  dire  que  chaque  être  est  en  lui-même  aussi 
parfait  qu'un  autre  ;  puisqu'ils  exercent  tous 
avec  le  même  succès  les  fonctions  de  la  vie. 


(  hs) 

C'est  notre  manière  particulière  (le  sentir 
et  de  voir,  qui  fait  ([ue  nous  considérons 
comme  les  plus  importans  et  les  plus  nobles , 
les  rapports  que  les  divers  êtres  ont  avec  nous  ; 
et  que  ce  n'est  que  momentanément ,  et  par 
une  détermination  de  notre  esprit ,  qui  ne 
peut  être  long-temps  conservée,  que  nous 
cherchons  à  estimer  chaque  objet  d'après  une 
valeur  moins  arbitraire. 

Cette  harmonie  qu'on  retrouve  chez  toutes 
les  espèces  d'êtres  vivans,  montre  combien 
on  a  eu  tort  d'attacher  une  trop  grande  im^ 
portance  à  celte  idée  plus  étonnante  que  pro- 
fonde ;  savoir  :  que  toutes  les  combinaisons 
possibles  d'organes  se  réalisèrent  lors  de  la 
formation  de  l'univers  ;  que  celles  qui  ne  fu- 
rent point  en  harmonie  suffisante  s'éteignirent: 
ce  que  l'on  a  cîu  prouver  par  l'observation 
imparfaite  de  quelques  êtres. 

Ainsi  Buffon  ,  qui  a  émis  cette  idée  avec  sa 
réserve  ordinaire ,  cite  pour  exemple  le  Pa- 
resseux, qu'il  regarde  comme  le  plus  malheu- 
reux des  êtres  créés ,  et  auquel  il  ne  falloit , 
selon  lui ,  qu'un  petit  saut  pour  cesser  d'être. 
Mais  Buffon  lui-même ,  dans  son  article  du  Pa- 
resseux 5  fournit  des  armes  contre  son  opinion, 

10 


(  146  ) 
Peut-on  regarder  en  effet ,  comme  très-mal- 
heureux  ,  un  animal  qui  ne  peut  se  mouvoir 
qu'avec  une  lenteur  désespérante  pour  tout 
autre  (i)  ;  qui ,  arrivé  au  sommet  d'un  arbre 
qu'il  dépouille ,  ne  peut  en  atteindre  un  se- 
cond qu'après  un  long  espace  de  temps,  etc.; 
lorsque  d'un  autre  côté  ,  cet  animal  est  doué 
d'une  sensibilité  si  obtuse  que  les  coups  ne 
l'émeuvent  pas  du  tout ,  et  qu'il  lasse  les  armes 
et  la  férocité  même  du  chasseur  ;  lorsque  cet 
animal  a  la  faculté  de  supporter  une  absti- 
nence des   plus  longues ,  et  paroît  dispensé 

■    I  '  '        ^  I     I   I  ■  u, 

(i)  M.  Carlisle  a  observé  que  la  lenteur  des  mouve- 
ment du  Paresseux  n'avoit  pas  également  lieu  dans 
toutes  les  parties.  Il  a  vu  que  les  personnes  qui  calcu- 
loient  le  degré  des  mouvemens  de  la  tète  de  cet  animal 
par  celui  des  membres  étoient  souvent  mordues  ;  et  que 
les  mouvemens  des  mâcboires  dans  la  mastication  y 
étoient  analogues  à  ceux  des  mâchoires  d'autres  animaux 
très-agiles ,  tels  que  le  chat. 

On  pourroit  croire  que  cette  différence  tient  à  la  dis- 
position particulière  des  artères  qui  se  distribuent  aux 
extrémités  supérieures  et  inférieures  du  Paresseux  et 
des  autres  Tardigrades.  En  effet ,  on  remarque  que  ces 
troncs  artériels  se  divisent  soudainement  en  un  nombre 
plus  ou  moins  grand  de  vaisseaux  cylindriques  d'un 


(  147  ) 
d'ëproiiver  le  besoin  Je  la  soif?  ne  voiL-oo  pas 
dans  cet  ensemble  des  rapports  aussi  parfaits , 
une  harmonie  aussi  sage  que  celle  que  nous 
admirons  dans  des  animaux  qui  nous  semblent 
le  mieux  partagés  ? 

Cette  opinion  de  Buffon  que  plusieurs  hom- 
mes célèbres  ont  combattue ,  paroît  manifes- 
tement invraisemblable ,  quand  on  considère 
qu'une  harmonie  évidente  se  retrouve  dans 
les  êtres  les  plus  infirmes,  dont  l'existence 
même  échappe  quelquefois  à  nos  sens  ;  quand 
on  retrouve ,  dans  les  restes  des  animaux  qui 

même  diamètre;  tandis  que  les  artères  qui  vont  aux 
autres  parties  sont  disposées  d'après  la  division  or- 
dinaire {ùi  the  arborescent  form  ).  Mais  comme  , 
selon  les  ol^servations  de  M.  Carlisle  ,  l'artère  qui  se 
distribue  aux  mâchoires  du  Lion  ,  ainsi  qu'à  celles 
des  animaux  ruminans  ,  se  divise  de  même  que  les 
troncs  artériels  qui  se  rendent  aux  membres  du  Pa- 
resseux ,  on  ne  peut  tirer  de  ce  phénomène  aucune 
conclusion  pour  expliquer  la  lenteur  des  mouvemens 
de  cet  animal  (  Voyez  une  lettre  de  M.  Carlisle  à 
M.  J".  Simmons,  on  apeeuliarUy  in  the  distributioiz 
ofarteries  sent  to  the  linibs  of  slow-moving  jininials , 
dans  les  Transact.  philos,  de  la  Soc,  royale  de  Londres^ 
an  1800,  part.  1.  ) 


(  H8  ) 
ont  déjà  disparu  (  soit  par  des  révolutions 
éloignées  et  extraordinaires  du  globe,  soit  par 
l'effet  de  là  civilisation  de  l'homme ,  soit  par 
des  causes  inconnues)  ,  les  mêmes  caractères 
d'accord ,  d'union ,  d'harmonie  que  nous  of- 
frent les  êtres  qui  n'ont  point  cessé  d'être 
contemporains  de  l'homme  ;  quand  on  ob- 
serve que  les  diverses  familles  d'animaux  sont 
formées  sur  un  plan  uniforme  ;  quand  on  voit 
combien  de  modifications  possibles  d'organes 
n'ont  pas  eu  lieu ,  et  combien  peu  il  est  per^ 
mis  de  classer ,  d'après  une  série  continue , 
les  diverses  familles  des  êtres  vivans. 

Lorsqu'on  veut  quitter  le  rôle  pénible  d'ob* 
servateur ,  et  sortir  du  cercle  étroit  où  la 
Nature  nous  a  renfermés  ,  c'est-à-dire ,  ne 
pas  se  borner  à  la  coordination  des  faits,  on 
est  réduit  à  enfanter  des  systèmes,  qui  ne 
doivent  être  regardés  que  comme  des  jeux 
3e  notre  esprit. 


FIN, 


EXPLICATION  DES  FIGURES. 

PLANCHE  I. 

/.  X*  iBRES  musculeiises  circulaires,  attacîiées  a  Fépî- 
derme ,  et  qui ,  en  laissant  cette  membrane  à  nu  à 
des  intervalles  régulièrement  répétés,  font  paroître 
la  peau  des  Sangsues  divisée  en  un  grand  nombre 
d'anneaux. 

S.  Fibres  musculaires  obliques ,  placées  immédiate- 
ment sous  la  peau  ,  et  s'étendant  d'une  extrémité 
du  corps  à  l'autre. 

C  Fibres  musculaires  longitudinales ,  placées  sous  la 
couche  des  fibres  obliques ,  et  recouvrant  immédia- 
tement ,  en  certaines  parties  ,  le  tube  intestinal. 

D.  Fibres  musculaires  du  disque ,  qui  ont  une  directiou 
circulaire. 

E.  Fibres  longitudinales  du  disque, 
J^.  Vaisseaux  sanguins  latéraux. 

G.  Branches  vascuiaires  qui  partent  des  vaisseaux  la- 
téraux ,  et  s'étendent  transversalement  sur  le  tube 
intestinal. 
Le  vaisseau  dorsal  ayant  été  exactement  dessiné  par 

M.  Bibiena  .,  il  m'a  paru  inutile  de  le  répéter  ici ,  et  de 

multiplier  les  figures. 

PLANCHE   IL 

u^.  Dents. 

JS.  Espèce  de  pie  tendineux  qui  porte  les  dents ,  et  les 

reçoit  dans  une  cavité  qui  leur  est  destinée, 
C.  Fibres  tendineuses  de  ces  pies  ,  qui  se  confondent 

avec  les  fibres  des  couches  musculaires  placées  sous 

la  peau. 
JD.  OEsophage. 
£.  Sacs  latéraux  que  forme  le  repli  de  la  membrane 

interne  du  tube  intestinal. 

Ils  sont  ici  grossis ,  et  par  conséquent  en  plus  petit 
nombre.  C'est  sur-tout  vers  la  partie  supérieure  cju'ils 
ant  de  plus  petites  dimensions. 


(  i5o  ) 

F.  Sacs  ou  espèce  de  cœcum,  qui  terminent  le  \jja]^ 
intestinal. 

G-,  Origine  du  rectum. 

M.  Rectum.  \ 

I.  Anus. 

K.  Disque,  au  moment  où  il  s'applique  à  un  corps  ex- 
térieur. 

jL.  Fibrilles  musculaires ,  placées  transversalement  sur 
le  canal  intestinal. 

M.  Fibrilles  musculaires  obliques ,  placées  sur  ce  canal 

PLANCHE    III.    Figure  i. 

^.  Tissu  cellulaire  semblable  à  du  crêpe  mouillé ,  qui 
repose  imraédiatemfint.  sur  la  plus  grande  partie  du 
tube  alimentaire. 

B.  Organes  ou  vessies  respiratoires,  placés  sur  le  vais- 
seau sanguin  latéral, 

C  Renflemens  ou  ganglions,  qui  naissent  du  cordon 
médullaire  ,  et  d'où  partent  quatre  filets  nerveux. 

D  D.  Renflemens  plus  petits ,  qui  sont  les  extrémités 
de  ce  cordon. 

E.  Bourse  tendineuse ,  faisant  fonction  de  vésicules  sé- 
minales. 

F.  Canal  cylindrique  qui  part  de  cette  bourse ,  et  s'at- 
tache à  l'ouverture  extérieure  ,  par  où  sort  la  verge. 

G.  Verge  filiforme  qui  naît  de  la  partie  intérieure  de 
la  bourse ,  et  est  renfermée  dans  le  canal  cylindrique, 

H,  Testicules. 

/.  Canaux  déférens. 

K.  Conduit  membraneux,  dont  l'extrémité  antérieure 

se  replie  pour  former  en  partie  les  testicules. 
L.  Corps  ovales  membraneux ,  qui  tiennent  par  un  petit 

canal  à  ce  conduit. 
M.  Ovaires. 
N  O.  Sacs  membraneux ,  qui  paroissent  tenir  lieu  de 

matrice  et  de  vagin. 
P.  Corps  ovale  de  nature  analogue  aux  dents  ,  et  fixé 

à  l'anneau  tendineux  qui  forme  la  bouche. 


(  i5i) 

Figure  2. 

^/essle  respiratoire  un  peu  grossie. 

^Vaisseau  sanguin  latéral. 

/  Branche  yasculaire  par  oii  le  sang  est  porté  du  vais- 
seau latéral  à  l'organe  respiratoire,  sur  lequel  elle  se 
ramifie  à  l'infini. 

Figure  3. 

A.  Ovaires. 

B  C.  Matrice  et  vagin ,  au  moment  de  la  gestation. 

Figure  4. 

j4.  Canal  membraneux  ,  replié  sur  lui-même  ,  placé 
sous  chaque  organe  respiratoire  ,  et  probablement 
destiné  à  quelque  sécrétion. 

Figure  5. 

A.  Ce  même  canal  distendu. 


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