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MEMOIRES
POUR SERVIR A L'HISTOIRE NATURELLE
DES SANGSUES.
MEMOIRES
POUR SERVIR A L'fflSTOIRE NATURELLE
DES SANGSUES
Par p. THOMAS , D. M. M. , Membre de la Société
de Médecine de Montpellier , de l'Académie de
Médecine et de la Société Médicale d'Emulation
de Paris.
AVEC Ft^GURES.
A PARIS
{GOUJON , Libraire , rue du Bac , n^. 54-
BRUNOT, Libraire, rue de Grenelle St-Honoré,
no. i5.
FIGHON, Libraire, Palais du Tribunat, pourtour
duTbéâtre Français , près la galerie vitrée , n^ 52.
1806.
On trouve chez les mêmes Libraires:
Traité delà Structure, des Fonctions et des Mala-
dies du Foie , et Recherches sur les Propriétés
et les Parties constituantes de la Bile et des Cal-
culs biliaires ; par G. Saunders , Associé de îa
Société royale , Membre du Collège royal des
Médecins de Londres , etc. 5 traduit de l'anglais
sur la troisième édition , et augmenté de plusieurs
notes, par P. Thomas, Docteur -Médecin de
Montpellier. 3 fr. 76 c.
Observations sur quelques points de l'Anatomie
du Singe vert , et Réflexions physiologiques suc
le même sujet, par J. Lordat, Docteur en Mé-
decine , Médecin du Dépôt de Mendicité de
Montpellier, Chef des Travaux anatomiques de
l'Ecole de Médecine, Secrétaire perpétuel de la
Société Médicale de la même ville, etc. i fr. 5o c.
Recueil de Mémoires sur les Salines et leur exploi-
tation , par H. Struve , Conseiller des mines de
la République Helvétique, ancien Inspecteur des
mines du ci-devant Haut-Faucigny , Directeur de
la Société des mines pour la Suisse, Professeur
de Physique dans l'Académie de Lausanne , et
Membre de plusieurs Sociétés Littéraires. Avec
figures. a fr.
Recueil de Mémoires et de Notes sur des espèces
inédites ou peu connues de Mollusques , de
Vers et de Zoophytes ; orné de gravures ; par
F. M. Daudin , Membre des Sociétés d'Histoire
Naturelle et Philomatique de Paris, i fr. 20 c.
A M. BARTHEZ,
MEDECIN
DE SA MAJESTÉ L'EMPEREUR ET ROï
ET DU GOUVERNEMENT , etc.
Monsieur,
Les Auteurs estimables qui ontmls "votre
nom à la tête de leurs ouvrages , n'ont obéi
quaux sentimens de reconnoissance et de
i;ênération , que "vous doivent tous les hom-
mes Doués à V étude d'une Science , dont
Dotre génie a embrassé le vaste ensemble ^^
et que vous avez reconstruite sur ses vrais
fondemens»
Combien n est-il pas doux et flatteur pour
moi , de pouvoir joindre ici à V hommage de
ces mêmes sentimens , celui d^une tendresse
respectueuse , dont votre amitié est le prix !
P. THOMAS.
Livres qui se trouvent chez les mêmes Libraires*
Avis aux ouvriers en fer, sur la fabrication de l'acier, contenant
l'art défaire l'acier naturel, l'acier de cémentation et l'acier
fondu, avec les propriétés particulières de ces différentes es-
pèces d'aciers 3 par Monge, Vandermonde etBerthollet. /n-4°.
figures. 2 fr. 50 c,
Cornelii Celsî , de Re Medicâ libri octo , ex fîde manuscripto-
rum codicum et vetustissimorum librorum summâ diligentiâ,
summoque studio recensuit J. Valart, Paris , 1772. 3 fr.
Cours de pharmacie chimique, par Morelot. Pâr/j,i8o3 j 3 ^^^*
in-S\ ' 15 fr.
Dictionnaire français-latin, par M. l'Allemant. i vol. m-S°. ,
avec des remarques et additions par Boinvilliers. Relié. 7 fr.
Dictionnaire latin et français , par Boudot. 1 vol. in-S°. , avec des
notes et remarques par Boinvilliers. 7 fr.
Dictionnaire raisonné de Physique , par Brisson. Paris, iSoo;
6vol. in-S°. et atlas i/z-4°. 36 fr.
Dictionnaire universel de Géographie ancienne et moderne, ré-
digé par Aynés. Lyon, 1804; 3 vol. in-8°. 15 fr^
Dictionnaire italien-français et français-italien , par Cormon j
avec la prononciation. Lyon, 1802 j 2 vol. in-S°. 13 fr. 50 c.
Dictionnaire élémentaire de botanique , par BuUiard , revu et
presque entièrement refondu par Richard ; orné de 20 planches
gravées en taille-douce par Sellier, 6 fr.
Dictionnaire de poche anglais-français et français-anglais. 2 vol,
in-iz oblongs. ■ " 4 fr.
Elémens de l'histoire moderne , ou Essai sur les mœurs et l'esprit
des nations, par Voltaire. 5 vol. i;z-8°, i§fr.
Essai sur la théorie des torrens et des rivières , contenant les
moyens les plus simples d'en empêcher les ravages, d'en ré-
trécir le lit et d'en faciliter la navigation j par Fabre. i vol.
in-4°. grand-raisin , avec S planches. 12 fr.
Géographie de Virgile , par Elliez; ouvrage nécessaire pour l'in-
telligence de cet auteur, i vol. irt-12, avec une carte, i fr, 50 c.
Géographie universelle , traduite de l'allemand de Busching, avec
- — àes augmentations et des corrections qui manquent à l'original.
s 6 vol. m-b°. 40 fr.
Grammaire française et italienne , par Vénéroni , revue par Gattel.
Lyon y 1802; I vol. z/z-S°. 5 fr..
Grammaire ( nouvelle ) anglaise , par Robinet et Dehaynin ;
4* édition, i vol. in- 1 2 relié. ' 2 fr. 50 c.
-Grammaire de Condillac , contenant les principes généraux de
toutes les langues , et leur application à la langue française,
Ifi'ii. ifr. 50 c*
Herbier de la France , par BuUiard , contenant l'histoire des
plantes vénéneuses, des plantes médicinales etdes champignons
de la France. 15 vol. in-folio, ornés de 6o2p'anches représen-
tant au naturel toutes les différentes parties des plantes. Prix ,
divisé par cahiers. ' ' 450 fr.
Si l'Histoire Naturelle avoit pour objet
principal la reclierclie dès rapports qui
peuvent faire obtenir des Mérhodes de
Classification , on trouveroit bientôt
les dernières limites de la Science. A.a
lieu d'étudier d'une manière spéciale
chaque espèce d'êtres vivans , il suffî-
roit de donner une description plus ou
moins exacte de certaines de leurs par-
ties 5 et l'Histoire Naturelle d'un être
quelconque paroitroit complète , dès
qu'on auroit pu lui assigner une place
convenable dans une Méthode de Clas-
sification «
C'est alors qu'on auroît raison de
dire que les progrès les plus impor-^
tans de l'Histoire Naturelle dépendent
des découvertes qui accroissent le
nombre des individus que nous con-*
noissons.
Mais il faut avouer que cette ex-
tension du catalogue des êtres 5 et l'é-
tablissement des Méthodes , contri-
buent moins que plusieurs Auteurs ne
le disent ^ au perfectionnement de la
Science 9 si d'ailleurs on néglîge l'é-
tude particulière et approfondie de
cliaque être.
A peine après beaucoup de re-
cherches connoît-on l'Histoire Natu-
relle de l'homme , et de quelques ani-
maux plus ou moins rapprochés de
lui. Que ne reste-t-il pas à faire pour
un grand nom^bre d'autres espèces?
Le moyen le plus propre à acqué-
rir des notions exactes et utiles sur
la nature des êtres vivans , c'est d'en
étudier avec soin l'organisation , les
facultés , les habitudes ; et de cher-
cher les rapports qui existent entre
la conformation des parties et les fonc-
tions de l'animal.
Cette manière de considérer les ob-
jets est même la seule qui puisse don-
nerauxMéthodes de Classification des
bases solides , et une valeur qui ne
soit pas arbitraire. On en a la preuve
dans les tableaux que des Naturalistes
célèbres ontformésd'aprèsces vues (1).
Quoiqu'on ne puisse avoir encore ,
(j) Voyez les oiwrages de MM. Cuvier, Geof-
froi, Laccpède, Blurnenbach , etc. etc.
( 3 )
Sur les animaux des classes inférîeu-
tes , des matériaux aussi complets que
ceux qu'on a sur les animaux d'un
ordre élevé , on doit s'attendre sans
doute que le zèle des Naturalistes, et
la direction que les plus habiles d'en-
tre eux donnent à leurs recherches ^
fourniront bientôt les moyens de rem-
plir la plupart des lacunes qui existent
à cet égard dans la Science.
Comme tous les êtres ont des rap-
ports entre eux , il n'en est aucun dont
l'Histoire Naturelle doive paroître in*
différente^ Souvent même l'animal
que nous sommes le plus portés à dé-
daigner , est du nombre de ceux qui
nous offrent les meilleurs moyens de
rectifier nos vues sur les fonctions
et les facultés des espèces que nous
croyons les plus parfaites.
On verra que ceci est , sous plu-
sieurs rapports , applicable à l'animal
dont je vais m'occuper.
Quelques Auteurs ont travaillé à en
faire connoître l'organisation ^ mais
comme ils se sont bornés à l'examen
de certaines parties , ils ont commis
souvent des erreurs ^ et laissé un champ
/4)
libre à ceux qui voudroient faire des
recherclies plus exactes et plus éten-
dues.
Je rendrai compte d'abord de ce que
m'a fourni l'examen des divers sys-
tèmes d'organes des Sangsues ; je par-
lerai ensuite des fonctions qu'ils rem-
plissent j et j'exposerai enfin les con-
sidérations qui m'ont paru être une
suite immédiate des faits observés.
Parmi les résultats que j'ai obtenus ^
il en est plusieurs que l'on trouvera
contraires à ceux qu'a paru donner
l'analogie ; mais , loin d'en être sur-
pris 5 on doit s'attendre , au contraire ,
que les progrès de nos connoissances
dans les Sciences naturelles , nous
montreront de plus en plus la néces-
sité d'être désormais plus sévères sur
l'établissement des conclusions géné-
rales qui servent de fondement à ces
Sciences. C'est par une induction tou-
jours imparfaite qu'on est conduit à
ces conclusions , tant qu'il reste un
grand nombre de données importan-
tes qui sont négligées ou inconnues.
MEMOIRES
POUR SERVIR
A L'HISTOIRE NATURELLE
DES SANGSUES.
C^'est sur la Sangsue employée à des usages
mëdicmaux(i )5et sur la Sangsue noire (2)5que
j'ai fait mes observations. Je pourrois rappe-
ler ici les caractères qu'assignent les Natura-
listes à ces espèces de Sangsues ; mais eîles sont
si connues , que j'ai cru pouvoir me dispen-
ser d'entrer dans ces détails.
Je commence de suite par l'examen de
l'organe cutané.
Organe cutané.
Si l'on détache avec soin l'enveloppe qui
recouvre le corps des Sangsues , on voit qu'elle
(i) Hirndo jnedicinalis ylÂnn^
(2) Hirndo^ sangui<su§a ^_ Linn»
(6)
est formée de plusieurs couclies qui sont de
nature très-diffëreiite.
La plus externe est mince , lisse et très^/
fine. Elle n'offre pas la structure propre à
l'ëpiderme des autres animaux, quoiqu'elle
en remplisse les fonctions. Elle ressemble , au
contraire , aux meraLranes séreuses ; comme
il est facile de s'en convaincre , en examinant
cette membrane aux endroits où elle n'est
attachée à aucune partie.
EDe est ainsi libre à des distances qui se
répètent régulièrement sur toute l'étendue
du corps ; car la couche située au - dessous
offre cgmme une suite de bandes circulaires
qui , à des intervalles égaux , cèdent ou dis-
paroissent , et ne sont unies à leurs voisines
que par le moyen de la membrane externe.
Il est impossible de séparer ces deux cou-
ches l'une de l'autre , sans leur faire éprou-
ver une altération qui rend toute recherche
ultérieure inutile.
En examinant , soit à roeil nu , soit à la
loupe , les bandes dont je viens de parler ,
on reconnoît qu'elles sont formées de plu-
sieurs fibres circulaires , assez rapprochées
entre elles , et qui , par leur apparence llo-?.
(7>
conneuse , se dislinguent sensiblement des
autres parties vraiment musculaires.
M. Du Rondeau a pris pour des anneaux
cartilagineux chacune de ces fibres , et ii en a
donné exactement le nombre (i). Il a cru que
les organes du mouvement étoient places dans
les interstices des anneaux; mais ces organes,
formes de deux couches de fibres , dont les
supérieures ont une direction oblique , et les
autres une direction longitudinale , sont situés
sous les bandes circulaires de la peau, et s'é-
tendent d'une extrémité du corps à l'autre.
C'est parce que M. Du Rondeau ne pensoit
pas que , sans ces conditions , la Sangsue pût
donner à son corps les divers degrés de rac-
courcissement et d'allongement dont il est
susceptible , qu'il a été sans doute conduit à
méconnoître la nature de l'organe cutané et la
distribution des parties musculaires; et à pren-
dre pour une substance cartilagineuse , des
fibres qui n'ont ni l'aspect ni les caractères
du cartiiagCi
La substance cellulaire qui paroît unir les
fibres circulaires de la peau , est le siège des
(i) Journal de Physique, ann. ï 78^ , p, 284.
(8)
différentes teintes qui se font remarquer sur
ïe coips des sangsues; car l'ëpiderme est
incolore , comme ou peut s'en assurer aux
endroits où il ne recouvre pas la couche
fibreuse.
La couleur de ces teintes varie selon l'es-
pèce de Sangsues. Le dos de la Sangsue mé-
dicinale est d'un brun fonce , avec des lignes
de diverses couleurs ; et le ventre est presque
entièiement jaune : il est d'un cendre ver-
dâtre , avec des taches noires plus ou moins
grandes , dans VHirudo sanguisuga.
Lorsqu'on observe avec une attention su-
perficielle les mouvemens de la Sangsue , on
est tenté de croire qu'il y a à la peau une nou-
velle couche de fibres distinctes , par leur
direction longitudinale, des fibres circulaires
que j'ai décrites: mais un examen attentif fait
reconnoitre que celles-ci, en se contractant,
produisent des froncemens ou des rides qui
affectent cette direction longitudinale , et
trompent ainsi l'observateur. On nè-conserve
plus le moindre doute à cet égard dès qu'on
a vu ces parties à la loupe.
Ces mouvemens qui s'opèrent dans chaque
bande sont très-indépendans de l'action des
(9)
diverses coucbes musculaires qui soDt placées
sous la peau. Ils ont nrianifeslement lieu dans
les parties de Forgane cutané qu'on a soule-
vées ou détacliées de ces couclies : il suffit
alors d'irriter légèrement l'épiderme pour
obtenir des contractions bien évidentes.
INon-seulemeiit les fibres des bandes cir-
culaires se contractent et se froncent ; mais
on observe encore à la peau un mouvement
par lequel ces fibres y sont rapprocbées l'une
de l'autre. Il est très-vraisemblable que les
muscles situés au-dessous de la peau sont le
principal agent de ce phénomène, quoique
cependant cet agent ne soit pas le seul. En
effet, ce rapprochement des fibres se montre^
encore dans les parties de la peau qu'on a dé-
tachées des couches musculaires , ce qui peut
être dû à une force de tissu , ou à une eon-
tractilité réelle de l'organe cutané.
Une quantité prodigieuse de vaisseaux se
^fait remarquer à la surface de la peau. Il y
en a dont les dimensions sont très-grandes ,
eu égard à la grosseur de l'animal , et qui
peuvent être regardés comme les racines
d'une foule de rameaux qu'on ne distingue
pas tous à l'œil nu : ils se coupent en toute
(10)
sorte de directions, et forment un réseau qui
s'ëtend sur tout le corps. Entre ces vaisseaux,
ceux qui ont un plus grand diamètre serpen-
tent transversalement.
La peau est toujours couverte d'une hu-
meur gluante et onctueuse , que la Sangsue
excrète et répand en plus ou moins grande
quantité , suivant qu'elle en a besoin. Cette
humeur découle de divers corps qui ne sont
pas tous de la même nature.
Les plus nombreux de ces corps sont ran-
gés à la suite les uns des autres , sur le milieu
de chaque bande circulaire. On les voit tantôt
paroître d'une manière très-saillante ; et tantôt
ils s'effacent, au point de n'être plus sensibles
à la vue.
Il est probable que dans le premier cas ,
ils éprouvent, comme tous les organes sécré-
toires , une sorte d'érection qui doit amener
l'isSue de l'humeur ; et qu'ensuite ils se ra-
petissent ou s'effacent , jusqu'à ce qvi'un nou-
veau besoin vienne se faire sentir.
Ces corps ne paroissent point soumis, dans
leur action, aux diverses parties musculaires;
car lorsqu'on a fortement étendu l'animal, et
qu'on lui a soufflé de l'air dans le tube ali-
C")
îîieiilaire , Us ont les mêmes moiivemens : îk
deviemient saillans et s'effacent tour-à-tour«
On peut s'assurer aisément qu'ils sont im-
plantes dans le tissu même de la peau. Il n'y
a qu'à la détacher dans un certain espace ,
et on les voit se manifester alors comme dans
les autres parties de la peau qui sont restées
intactes.
Ce n'est point exclusivement au milieu des
bandes circulaires que se trouvent ces corps
glanduleux. 11 s'en présente d'autres sur le
reste de la peau ; mais ceux-ci ne sont pas
rangés avec ordre : ils sont parsemés çà et là
comme des points brillans.
On ne sauroit dire si ces corps sont de vé-
ritables glandes , ou s'ils sont de même nature
que les follicules qui se font remarquer sur
certaines membranes des animaux à sang
ï-ouge.
Ces voies ne sont pas encore les seules par
où s'excrète l'humeur gluante qui lubréfie le
corps, et facilite les mouvemens de la Sangsue.
Il est facile de distinguer, à sa face inférieure,
un certain nombre de petits trous distribués
d'une manière régulière ^ et d'où s'échappe
une humeur analogue. On en trouve un seul
( 12 )
de chaque côte au-dessus du bord inférieur
de quelques bandes circulaires : ils se répètent
à la distance de cinq anneaux inclusivement,
et conduisent à une espèce de sac membra-
neux dont je parlerai ailleurs.
La face supérieure de l'animal présente
bien , à des dislances semblables , de petits
points déprimés , en quelque sorte semblables
à ces trous ; mais on ne peut y faire pénétrer
aucun corps. D'ailleurs ils ne paroissent don-
ner issue à aucun fluide j et , au lieu d'être
situés latéralement , ils se montrent au nombre
de quatre sur le milieu de la bande circulaire.
On ne sera pas étonné de la multiplicité
des voies par où doit s'écbapper le fluide qui
lubréfie la peau des Sangsues , lorsqu'on saura
qu'il est nécessaire au maintien de leur vie , et
qu'il leur sert, pour ainsi dire , de défense.
C'est en excrétant une grande ijuantité de
cette humeur que la Sangsue se dérobe à l'ac-
tion des irritans extérieurs ; ou du moins , par
ce moyen , elle l'affoiblit beaucoup.
Elle avoit d'autant plus besoin de tout cet
appareil , qu'elle a la peau douée d'une sen-
sibilité très - vive. Ainsi le contact seul des
acides les moins actifs , tels que le vinaigre
(i5)
affoibli , du vin même , de l'eau salëe , ou de
toute substance alka]ine, produit sur elle une
impression violente, la force à des contractions
qui se manifestent dans tout le corps , et pro-
voque une sorte de vomissement.
L'irritation est plus vive, selon que la subs-
tance qui Fa produite se rapproche plus de
la consistance liquide , ou est plus facile à dis-
soudre. La Sangsue meurt presque aussitôt
dans le vinaigre que dans le gaz hydrogène
sulfuré; ce qui dépend sans doute, en grande
partie , de ce que le vinaigre se combine d'une
manière très-facile avec l'iiumeur gluante,
dont il neutralise ainsi tout l'effet.
On peut s'assurer encore , par d'autres ob-
servations , que cette humeur est , pour l'ani-
mal , d'une utilité indispensable , du moins
lorsqu'il se trouve hors de l'eau. Si on laissa
la Sangsue courir sur un pavé poudreux, ou
sur un corps qui puisse absorber l'humidité ^
on la voit bientôt jeter une grande quantité
de fluide. Peu à peu , à mesure qu'elle s'é-
puise , elle se meut avec plus de peine ; ses
efforts se multiplient en vain ; et quelquefois
snéme elle éprouve un état d'irritation qui
lui fait rejeter les matières contenues dans le
( H )
tube alîmentaîre : le vomissement même a
lieu de suite , si le sang y a été introduit de-
puis peu.
Lorsqu'on enlève cette humeur avec un
corps propre à l'absorber , tel que du papier
ou un linge fin , on voit bientôt la Sangsue
languir j et il est très -probable qu'on la feroit
arriver à un état de langueur promptement
mortel , si on continuoit d'opërer pendant
quelque temps cette absorption. J'ai même
observé plusieurs fois que de légères frictions,
sur la peau de la Sangsue , suffisoient alors
pour déterminer l'issue du sang, qui s'échap-
poit en petites gouttes.
Il suffit de voir avec quelle facilité la Sang-
sue glisse entre les doigts qui la pressent, pour
sentir combien cette humeur lui est utile.
Toutes les parties de cet animal doivent
être très-perméables ; car , en gorgeant d'eau
son canal digestif , et en exerçant ensuite quel-
ques légères pressions à l'extérieur du corps ,
je suis parvenu à faire échapper le fluide sous
forme de gouttelettes , inégalement distribuées
comme des gouttes de rosée.
(i5)
Organes du mouvement.
Théorie des mouvemens de la Sangsue sur
la terre et dans Veau,
Au-dessous des parties qui forment l'organe
cutané de la Sangsue , s'en présentent d'autres
dont la nature est plus aisée à reconnoître.
La première est une couche de fibres très-
minces , d'un blanc jaunâtre , et régulièrement
terminées. Elles n'ont pas cette apparence
floconneuse qui appartient aux fibres de la
peau : les divers faisceaux qu'elles forment
sont plats 5 fort étroits , et uniformément ré-
pandus ; ils laissent entre eux des intervalles
assez grands.
Voici quelle est leur direction. Ils forment
comme une espèce de grillage qui résulte
de leur section régulière et réciproque, sous
un angle d'environ quarante- cinq degrés : ce
qui indique assez bien quelles doivent être
l'origine et la terminaison de ces fibres.
On trouve cette couche fibreuse assez in-
timement unie aux parties qui la recouvrent,
et il faut beaucoup d'attention et de soin pour
( •G )
la conserver dans son intégrité en la disse»-
quant, du moins durant un certain espace.
Si on l'enlève , on arrive à un second plan
de fibres , différentes de celles - ci par leur
disposition , leur couleur et leur densité. Elles
ont une direction longitudinale , et sont ras-^
semblées en faisceaux épais. Chacun de ces
faisceaux , uni à ses voisins par un tissu cel-
lulaire assez mince , est formé de fibres su-
perposées les unes sur les autres et adossées
entre elles , et paroît être comme un muscle
particulier.
On peut remarquer que ces faisceaux ont
une couleur d'un gris cendré; ce qui fait que
le plan supérieur dont j'ai fait mention brille
sur celui-ci , et en est aisément distingué.
Ces fibres s'étendent d'une extrémité à
l'autre de l'animal; elles se rapprochent d'une
manière sensible avant d'y arriver : aussi voit-
on les extrémités offrir une apparence plus
charnue que le reste du corps , et des dimen-
sions un peu moindres (i). .
(i) Ces faisceaux de fibres assez e'pais , et dont une
dissection imparfaite peut faire méconnoître la nature ,
#
( 17)
Je vais parler des diverses sortes de mou-
vemens que la Sangsue exécute : mais aupa-
ravant, je crois qu'il est bon de décrire le
disque qui termine postérieurement le corps
de l'animal , et la lèvre cjui se trouve à l'ex-
trémité antérieure.
Le disque a une forme qui ne sauroit mieux
être comparée qu'à celle d'un crible. Les libres
longitudinales, après s'être rapprochées, s'é-
tendent de nouveau , comme d'un centre,
pour former des rayons qui vont se terminer
à la circonférence du disque. Ces fibres sont
coupées par d'autres qui paroissent circulaires,
et dont le nombre est assez grand.
Il n'en est pas de même à l'autre extrémité
du corps. La surface inférieure se termine
plutôt que la supérieure , qui se prolonge.
Ce prolongement, qui, à sa racine, est d'une
^11 I ■ Il , ■
ont été regardés par M. Du Rondeau comme une subs-
tance semblable a du lard.
M. Bibiena , qui a très-bien décrit le système nerveux
des Sangsues, n'a point distingué le système musculaire ,
de la' peau. Il dit: Timc enhn diducta ente , atcjue ab
omni sacco cjuantum fieri potuit séparât a , in cons^
pectuni inihi semper venu spi/ialis medulla (Voyez
les Comment, de l'Instit. de Bologne , an. 1791. ).
2
( i8 )
forme demi-circulaire , paroît à-peu-près taillé
comme un bec de flûte. On verra , à Tarticle
de la Digestion , combien cet arrangement ëtoit
convenable pour protéger et rendre libres les
mouvemens de la bouclie et des dents.
Je considérerai d'abord les mouvemens de
la Sangsue hors de l'eau ; je parlerai ensuite
de ceux qu'elle exécute dans ce fluide. *
Lorsqu'on retire la Sangsue de l'eau, et
qu'on la met sur un plan solide , on voit
qu'elle se fixe par son disque d'une manière
très-forte : ensuite , allongeant les diverses
parties de son corps , elle s'étend plus ou
moins à volonté , jusqu'à ce qu'arrivée au
point d'extension qui lui convient , elle ap-
plique la lèvre sur le plan solide où elle se
trouve. Alors elle détache l'extrémité posté-
rieure ; et , en se contractant sur le nouveau
point d'appui que lui offre la lèvre , elle rap-
proche ses deux extrémités : cela fait , elle
s'attache encore par son disque , et continue
d'agir ainsi que je viens de l'indiquer.
C'est là le mode le plus simple des mou-
A^emens de l'animal. Comme sa progression
se fait alors en ligne droite , il est aisé de re-
conuoîlre qu'elle doit être principalemenU
(^9)
'c^përëe an moyen des libres musculaires lon-
gitudinales.
Les autres fibres peuvent bien agir aussi ,
lîiais ce n'est que d'une manière accessoire.
Ainsi , par exemple , celles qui se coupent
réciproquement sous un augle^de quarante-
cinq degrés, ne peuvent qu^'aider à l'action
des fibres longitudinales , puisqu'il doit ré-
sulter de leur action simultanée un raccour»
cissement uniforme.
Le phénomène qu'il importe de considérer
ici , et qui paroît dans la Sangsue d'une ma-
nière plus évidente que dans auclm autre
animal , c'est la force ô^ élongation dont jouis-
sent les fibres musculaires (i). /
Chez les animaux à membres articulés , les
mouvemens de locomotion s'exécutent par le
seul effet de ia contraction dés fibres , qui en-
traînent les diverses pièces solides articulées :
ractiou des muscles extenseurs ne diffère de
( I ) Voyez ce que dit , au suj^de cette force ^
M. Barthez dans sa Nouvelle Mécanique des Mouve°
mens de l'Homme et des Animaux : Ouvrage fondamen-
tal qu'on est obligé de citer souvent, lorsqu'on s'occupe
de la théorie des mouvemens d'un aiiimaî quelconque.
(20 y
celle des {lëchisseurs que par une suite de la
situation relative de ces muscles.
Chez les Sangsues au contraire, qui n'ont
aucun membre articulé , ïii aucune partie*
solide sur laquelle puissent agir les puissances
musculaires ,^'ëlongation des fibres devenoit
une faculté aussi nécessaire que la faculté de
contraction ; et elle devoit avoir un degré d'é-
tendue et de. force dont on ne peut pas plus
assigner les bornes , qu'on ne peut le faire
pour cette dernière faculté.
On ne sauroit confondre la force d'élonga-
tlon avec l'élasticité , et supposer que la Sang-
sue ne dilate ou n'allonge ses fibres que par
une force de ressort , qui succède à la com-
pression ou à la contraction qui a précédé.
Car, 1°. ce n'est point en raison du degré de
contraction musculaire que le degré d'élon-
gation des fibres a lieu; 2°. l'élongation est
également une force active , puisque l'animal
la borne ou l'étend à son gré.
On peut s'assurer même qu'il maintient ou
arrête d'une manière fixe celte élongation des
fibres au degré qui lui paroît convenable.
Ainsi , par exemple , si la Sangsue est fixée ,
par son disque, sur un plan' mince et court
( 21 )
qu'on tienne suspendu , on la voit s'avancer
jusqu'au bord ou à rextrëmkë qui le termine;
et là, comme elle ne trouve plus aucune par-
tie solide , elle étend peu à peu ses fibres.
Après les avoir étendues jusqu'à une certaine
distance , elle peut donner à une des portions
de l'organe musculaire qui est liors du plan,
une force telle , que ce degré d'élong^tion
est assez fortement maintenu pour offrir au
reste des fibres une sorte d'appui , d'où elles
partent pour s'élever , s'étendre encore et
se porter en avant (i). Tantôt c'est le milieu
de l'organe musculaire que la Sangsue fait
servir de pareil point d'appui , et tantôt une
autre partie : par ce moyen, elle peut diriger
sa bouche en avant , et cliercber un lieu où il
lui soit possible de l'appliquer.
A la vérité , cet état doit être pénible et fa-
(i) M. Barlbez a le premier fait cormoitre cette force
cle situation fixe qui peut maintenir les fibres muscu-
laires dans un état quelconque de contraction. On ne
doit pas être surpris que cette force puisse également
animer les fibres dans lem' état d'élongation , Iorsqu*elles
en sont susceptibles (Voyez les Nouveaux Eiémens de
la Science de l'Homme, et FOuvrage déjà cité ).
( 22 )
tîgant pour l'aDÎiîiai ; car s'il ne trouve pas
bientôt où fixer sa ièvre 9 il ne revient pas
ordinairement sur lui-même d'une manière
mesurée et tranquille ; mais il laisse tombes*
son extrémité antérieure.
Au moyen de ces trois forces combinées , de
contraction , d'élongation et de situation fixe ,
les mêmes fibres exercent une foule de mou-
vemens qui exigent, cbez d'autres espèces^
une suite d'organes différemment disposés.
Comment pourroit-on être surpris , lors-
qu'on a reconnu dans les muscles d'un ani-
mal ces forces réunies , de voir la dilatation
de l'iris, l'érection de la verge, et cet état
comme d'érection du tube intestinal, que Lei-
denfrost prétend avoir observé dans le mou-
vement péristaltique de ce tube (i) ?
La .Nature semble avoir ébaucbé , dans ces
derniers cas , ce qu'elle a exécuté ailleurs
d'une manière plus parfaite ; et la Physiologie
humaine trouve ainsi , dans les faits que lui
offre r Anatomie comparée , un complément
qui est d'une grande importance.
. Il me paroît que c'est ici le lieu de consi-
(i) Disserù. de foUiilo i?Uest. si?7guL
(23)
Jërer raction du disque , on la maiiière dont
il s'applique aux divers corps.
Quand on voit ce disque se voûter, et for-
mer , par rëlongation de ses fibres longitudi-
nales, une cavité en forme de cioclie, on est
tenté de croire que son application n'a lieu
que par l'effet du vide que produit l'animal ,
au moyen de la communication qu'on peut
supposer entre le disque et l'extrémité du
tube alimentaire. Mais on trouve que cette
communication n'existe point , et que l'ou-
verture postérieure du tube est placée avant
la naissance du-disc|ue.
Enfin, en. examinant avec attention la ma-
nière dont la Sangsue opère , on s'aperçoit
qu'elle combine Faction de ses fibres de façon
qu'elle fait saillir le centre du disque comme
un bourrelet , qui est d'abord appliqué : en-
suite toute la circonférence du disque s'étend
et s'applique, en ne laissant entre elle et le
plan sur lequel elle est posée, aucun inter-
valle où l'air puisse rester, . __
C'est donc par un véritable contact de sur-
faces que l'aniiiial adlière aux divers corps»
Il peut rendre cette adliérence si forte, qu'il
devient , dans certains cas , très-difficile de le
( M )
dëtaclier; siir-lout lorsqu'on lire clans une di-
rection perpendiculaire au plan où il repose.
Chacune des deux extrémités peut , quand
elle est ainsi appliquée, supporter , sans que
l'animal cède , des poids qui sont assez considé-
raîiles , eu égard aux^ dimensions de son corps.
J'ai suspendu à un fil dont j'avois entouré
la racine du disque d'une Sangsue , des poids
de huit , dix onces , sans que la lèvre se dé-
tachât. Il en est de même si on suspend les
poids à celte dernière partie.
En parlant de la succion, je m'occuperai
plus particulièrement de l'action de la lèvre ,
qu'on peut regarder comme très-analogue à
celle de l'extrémité opposée.
Quoique le disque soit un organe essentiel
à la progression de l'animal , il n'est pourtant
pas indispensable. Si on le retranche , les mou-
vemens deviennent plus difficiles , plus lents
et moins réguliers. Mais la Sangsue , en ap-
puyant fortement sur le sol l'extrémité qui
correspond au disque , et en donnant à cette
partie des fibres musculaii^es une force de si-
tuation fixe, fait que le reste des fibres y trouve
un point d'appui d'où elles peuvent s'étendre.
Si on enlève le disque et la lèvre, alors l'a-
(25)
iiîmaî contracte tour-à-tour ses deux exl remî-
tes ; el , appuyant fortement sur le sol les
fibres de ces parties , qu'il maintient à ce degré
de contraction , il fait agir le reste des organes
muscvdaires comme dans l'état naturel. Ce n est
pouitant qu'avec beaucoup de peine, et par
des efforts continus , qu'il parvient , dans ce cas ,
à s'avancer; car l'extrémité sur laquelle il s'ap-
puie n'étant que très-imparfaitement appli-
quée au sol, glisse et recule à chaque effort.
Il est vraisemblable que l'humeur gluante
et muqueuse que la Sangsue excrète en plus
ou moins grande quantité sur les divers points
du corps , peut , jusqu'à un certain point , fa-
voriser les mouvemens progressifs ; en faisant
adhérer au sol l'extrémité qui y est appliquée.
Si l'on serre avec quelque lien le disque ou
la lèvre , l'animal cherche , par des mouve-
mens prompts et subits , à se rendre libre. Il
étend , il ployé son corps de plusieurs maniè-
res ; il en rapproche les deux extrémités , en
affectant une courbe demi - circulaire ; il se
roule en orbe : quelquefois même il réussit ,
par ces divers mouvemens, à se dégager du
lien qui le retient.
Il paroît très - singulier qu'un animal qui
( 26 )
ïifa aucune pièce solide sur laquelle puissent
agir les organes musculaires , ait la faculté de
donner à son corps ces diverses figui^es.
Chez les animaux vertébrés , les divers
mouvemens ne s'exécutent qu'au moyen d'ar-
ticulations plus ou moins multipliées , selon
que les parties doivent être plus ou moins
flexibles et mobiles.
Les fibres de la Sangsue , au contraire , s'é-
tendant d'une extrémité du corps à l'autre ,
le même effet, c'est-à-dire la flexion qui rap-
proche les diverses parties en divers sens, ne
pouvoit avoir lieu que pai^ les modifications
que ces fibres étoient susceptibles de prendre.
Il n'y a qu'un moyen de concevoir comment
elles opèrent les mouvemens en question ,
ainsi que l'a très -bien indiqué M. Barthez (i).
Dès que la Sangsue a donné à son corps un
degré d'élongation convenable , elle ne peut
lui imprimer une forme courbe , qu'en établis-
sant à certaines distances , sous les fibres de
l'une ou l'autre face , des centres d'action par-
tiels et indépendans les uns des autres.
(i) Voyez la Nouvelle Mécanique des Mouvemens
de l'Homme et des Animaux , pages i^6 et 147.
(27)
Ed supposant, par exemple, qu'elle veuille
se courber cle droite à gauche , elle doil ëla-
liiir dans ]es fibres situées vers ce dernier côte,
un nombre de points plus ou moins grands
( selon la courbe qu'elle veut décrire ) , aux-
quels elle donne une force de situation fixe
qui les maintient à un degré stable de con-
traction ou d'élongation. Les fibres , en se
contractant sur ces points , tendent à se rap-
procher; mais comme elles agissent seules,
et que les autres fibres leur obéissemt , le
corps doit nécessairement prendre une figure
courbe.
C'est ainsi que , si l'on suppose deux droites
parallèles divisées en petits quarrés égaux, on
ne peut raccourcir les diverses portions de
l'une de ces lignes , sans que ces quarrés n'ac-
quièrent une forme trapézoïde ; et , par con-
séquent 5 sans que la direction de ces lignes ne
change et ne devienne plus ou moins courbe»
Ce phénomène est analogue à celui que pré-
sente le canal intestinal , lorsque , tiraillé dans
une de ses faces , celle-ci se rétrécit , et la face
opposée se courbe. Mais comme la Sangsue
peut multiplier à volonté les centres d'action
partiels des fibres , et les faire agir instantané-
( 28 )
ment , la courbure devient en ce cas plus ré-»
gulière et plus grande.
On conçoit aisément que , si à de certains,
intervalles , l'animal met en action le plan de
fibres opposé à celui qui agit déjà , il donnera
à son corps des courbures opposées : il pourra
même former à son gré une ligne qui serpen-
tera en divers sens^
On voit donc comment la Sangsue peut se
passer de ces anneaux cartilagineux que pos-
sèdent d'autres reptiles , tels que les vers de
terre. Quand ceux-ci veulent imprimer à leur
corps une forme courbe , ils font agir les mus-
cles qui s'attachent aux anneaux , de manière
que les pièces cartilagineuses, dans la face
qui doit correspondre à la concavité de la
courbure , se rapprochent , et s'emboîtent
même les unes dans les autres ; tandis qu'elles
s'écartent dans la partie opposée.
Il est évident , d'après ce qui précède , que
les Sangsues se trouvent mieux partagées
qu'elles ne le paroissent d'abord, et qu'elles
n'a;uroient pu l'être , si elles av oient eu quel-
ques pièces articulées. Car leurs fibres muscu-
laires se prêtant à toutes sortes de mouve-
mens, n'ont point un jeu exclusif ou borné ,
(^9)
et sont propres à opérer tour- à-tour la flexion
dans divers sens.
Lorsque l'animal est fixé par une de ses ex-
trémités , soit par sa volonté , soit au moyen
d'un agent extérieur , il peut se retourner sur
lui-même, et opérer sur ce point fixe plusieurs
tours en spirale.
Il semble , au premier aspect , qu'il y ait deux
manières de concevoir la production de ce
mouvement. Chez les vers de terre , les fibres
qui vont d'un anneau à l'autre peuvent impri-
mer Une torsion au corps , en se contractant
par faisceaux isolés , et à des distances conve-
nables , sous des directions parallèles.
La Sangsue , il est vrai , n'a pas de pareils
anneaux; mais nous avons vu qu'elle pouvoit
à volonté multiplier les centres d'action de ces
fibres longitudinales , et se passer ainsi de ces
corps solides. Il étoit donc possible que cette
couche de fibres fût le principal agent du
mouvement en spirale. Cependant si l'on con-
sidère que la Sangsue est munie d'une couche
de fibres obliques bien plus propre à produire
de tels effets , on trouve que la première sup-
position perd beaucoup de sa vraisemblance.
Admettons que Fanimal veuille se retourner
( 3o )
de droite à gauche , les fibres obliques de fex.-
trëmitë fixée , qui sont dirigées dans un sens
oppose, c'est-à-dire de gauche à droite, en
prenant leur point fixe sur la partie gauche de
cette extrëniitë , doivent , en se contractant ,
imprimer au corps un mouvement de torsion.
Pour m'assurer de la vëritë , je tâchai d'en-
lever une partie de la peau , et de la couche
de fibres obliques voisine de l'extrémité
fixée. Lorsqu'il ne resta plus que les faisceaux
musculeux longitudinaux , l'animal me parut
faire de vains efforts pour opërer la torsion.
On pourroit croire que la foiblesse ou là
douleur l'en empêchoient; mais les mouve^
mens se produisirent comme à l'ordinaire sur
l'extrëmitë opposée, quand je l'eus fixée à son
tour.
Il y a une circonstance qui peut faire qu'on
se méprenne sur la vraie cause de ce mouve-
ment. Comme on distend, par quelque fluide,
le tube intestinal de la Sangsue , pour opérer
plus aisément la dissection du j^lan musculaire ,
il arrive que le corps ainsi arrondi se retourne
au moindre mouvement ; ce qui sembleroit
rendre inutile la supposition de l'effet attribue
à la contraction des fibres obliques.
( 3i )
Il est vrai de dire aussi que l'animal favorise
quelquefois l'action de ces fibres , en arquant
son corps , qui cède en ce cas avec plus de facilité .
La forme applatie que peut se donner la
Sangsue est produite de diverses manières.
Quand le corps est étendu , et fixe par ses
deux extrémités , la contraction des fibres qui
se fait instantanément sur ces points , doit
tendre à déterminer l'applatissement des di-
verses parties intermédiaires. C'est ce qui pa-
roît, lorsqu'on a enlevé en divers endroits la
peau et les fibres obliques.
Mais il est d'autres circonstances où ces
dernières, et sur-tout les fibres circulaires qui
font partie de l'organe cutané , doivent agir
d'une manière énergique pour produire de
tels effets.
On conçoit que l'animal peut imprimer aux
parties de ces fibres , qui correspondent aux
deux côtés du corps , une force de situation
fixe qui les maintienne dans un état déterminé ;
et que ces fibres , en se contractant autour de
ces points, doivent dès-lors tendre à faire céder
le milieu du corps.
Quant au nager des Sangsues, il a lieu d'a-
près les mêmes principes que M. Bai^thez a
( 32 )
établis sur le nager des serpe n s et des poissons
anguiiliformes. C'est par des courbures alter-
natives qui se transforment soudainement en
d'autres courbures, que ces animaux s'avan-
cent'(i).
La Sangsue se comporte de même 5 elle com-
mence par étendre son corps : ensuite elle
produit deux ou trois courbures en sens alter-
natif, et celles-ci, en s'ëtendant, font avancer
d'autant l'animal , qui les remplace de suite
par d'autres.
Il seroit superflu de dire longuement que
les courbures s'opèrent de la même manière
que celles qui ont lieu sur une surface solide ,
c'est-à-dire , par la multiplication des centres
d'action , établis sur les fibres musculaires d'un
même côté. La Sangsue n'a qu'à transporter
ces centres d'action sur les fibres du côté op-
posé , pour déterminer ces courbures dans un
autre sens.
INon- seulement la Sangsue étend son corps
pour nager ; mais elle l'applatit encore. On
voit aisément qu'elle ne pourroit alors frapper
l'eau que par un plan très-étroit , si elle na-
(i) Voyez la Nouv. Mécanique des Mouvem., etc.
gëoit sur l'une de ses faces , la supérieure oti
Finfërieuré : aussi ne reste-t-elle pas dans une
telle position. Elle tient son corps fort incliiié
vers l'un ou l'autre côté ^ de manière que les
courbures qu'elle lui donne frappent l'eau
par une grande surface.
On auroit pu croire que le disque , qui est
susceptible de prendre diverses formes , avoit
une action semblable à celle de la queue des
poissons ; mais la Sangsue ne s'en sert point
d'une manière particulière. S'il demeuroit di«
laté , il auroit une forme â-peu-près pareille à
celle d'une clocbe , et nuiroit à la progression
dans l'eau. Aussi voit-on que la Sangsue rap^
procbe de la face abdominale , et y colle ,
pour ainsi dire, la partie du disque qui lui
corresponds Alors la partie opposée se trouve
plate, et forme comme le bout inférieur d'une
rames
Du reste le disque n'est nullement néces^
saire pour le nager de la Sangsue; car le mou-
vement se fait avec la même fréquence et avec
la même régularité , quand cette partie a été
enlevée.
(34)
Organes de la Digestion.
De la Bouche et des Dents de la Sangsue >
' et de la manière dont elle opère la succion.
J'ai déjà dit quelque cliose de rexb^emité
antérieure de la Sangsue. Elle peut être com-
parée aux lèvres des Mammifères, puisque, de
mêm^e que les lèvres chez la plupart de ces ani-
maux , elle recouvre les organes destinés à la
■préhension des alimens , sans leur être immé-
diatement appliquée. Elle est également for-
mée de fibres musculaires, de tissu cellulaire,
et de la continuation de la peau. La mobilité
dont elle jouit est très -grande ; et il lui est
facile de prendre des formes très-variées , de
s'allonger , de s'élargir , de se terminer en
pointe , etc.
On peut considérer dans cette extrémité
deux parties distinctes ; car la partie supérieure
se prolonge beaucoup au-delà de l'inférieure.
Réunies , elles ont chacune une forme à-peu-
près demi-circulaire j mais la première , dès
qu'elle quitte la lèvre inférieure, se rétrécit
graduellement : elle peut se replier sous la face
interne de celle-ci , qui est plus courte \ et en
(3â)
S€ plaçant de cette manière , elle fait paroître
rexlrëmitë comme arrondie.
11 ëtoit très-utile que la lèvre supérieure pût
se replier ainsi. En effet ,1a bouche , qui jouit
d'une sensibilité très-vive , est par ce moyen
protégée , et mise entièrement à l'abri de
l'action dès corps extérieurs.
La face intérieure des lèvres est de même
très-sensible : pour peu qu'on l'irrite, on déter-
mine des contractions brusques ; et la lèvre
supérieure venant alors s'emboîter sous l'in-
férieure, garantît par là toutes ces parties.
C'est par un mécanisme très-simple , que
ces lèvres laissent paroitre Fouverture supé-
rieure du canal alimentaire , ou pour mieux
dire, la bouche et les instrumëns dont elle est
armée. Elles se replient , comme le fait le pré-
puce pour donner issue au gland : c'est même
par une sorte d'érection que cette partie du
canal alimentaire s'avance au-delà des lèvres.
Cet état d'érection se manifeste encore dans
îa force qu'acquièrent les dents , ainsi que je le
dirai bientôt.
Quand la Sangsue veut s'appliquer à un
corps pour y faire une piqûre , elle allonge
là|)àrtié antérieure du canal alimentaire et la
( 35 )
roidit ; les lèvres se rejettent au-deliors et sa
replient. L'on voit aussitôt sortir trois petits
corps ovales , et de forme lenticulaire , placés
de manière qu'ils laissent entre eux un espace
qui a la figurée d'un triangle.
Ils reposent chacun sur une espèce de pied
qui paroît de nature tendineuse , et dont l'ex-
trëmité postérieure perdant de ses dimensions
et se divisant , va confondre ses fibres avec
celles des muscles longitudinaux.
La partie antérieure de cette espèce de pied
est creusée pour recevoir les corps lenticulai-
res : les bords même de chaque cavité où ils
sont placés se trouvent saillans et les dépassent
un peu.
Ces corps qui , d'après le genre de leurs
fonctions , ont été comparés aux dents des
autres animaux, touchent latéralement à un
anneau tendineux qui forme la circonférence
de la bouche , et y sont assez étroitement atta-
chés. Ils sont d'une couleur blanche, brillante,
et ont une apparence cartilagineuse ; cepen-
dant ils ne résistent presque point au scalpel ,
et se flétrissent bientôt après qu'on les a mis à
découvert.
Le bord par lequel ces corps doivent agir
(37)
offre nue série de petil es stries rangées comm*
ks dents d'un peigne ou d'une scie; mais très-
mousses , du moins dans l'état ordinaire. Elles
paroissent bleuâtres.
C'est en implantant à la fols ses trois dents
lenticulaires, que la Sangsue perce le corps des
animaux; car si l'on examina la plaie qu'elle
a faite , on lui trouve une figure triangu-
laire (i). Ces dents ne coupent pas par un
seul point; mais le bord entier de la lentille se
dessine sur la plaie.
Il doit paroitre assez extraordinaire que des
corps aussi peu solides, qui ne présentent pas
une pointe aiguë, et qui n'ont qu'un bord
garni de stries mousses , puissent faire une
incision profonde dans la peau des animaux,
G est un phénomène qui ne peut être conçu,
qu'autant qu^on admet que la Sangsue peut
donner à ces ca^ps une sorte d'érection qui
s'éteint avec la vie ; qu'elle peut les roidir , en
aiguiser, pour ainsi dire, les stries, de manière
qu'elles soient propres à opérer l'incision.
' ' ■ j I ■ I I ■ I.I.- M II. Il .1 I j ■ . > Mil u I m
( I ) Sugendà trîfidum vulnusculum imprimunt ^
ita ut radii ab uno centra terni cecjue distantes pro ^
cédant (Hisù.AftitnaL a JVolfan^o Franzio.),.
( 38 )
Il est vraisemblable que, comme les pieds
sur lesquels portent ces dents , sont unis , et
attaches aux fibres musculaires voisines de la
bouche , celles - ci , par leurs contractions ^
doivent faire saillir les dents , et les porter en
avant avec assez de force. Si l'on considère les
rides que forment les lèvres quand elles sont
appliquées, on verra combien ces contractions
peuvent être énergiques.
On a cru que la Sangsue , en appliquant ses
dents et ses lèvres sur la peau des animaux ,etc.
faisoit un vide qui déterminoit l'abord du sang
dans l'œsophage (i) ; mais on peut s'assurer
que c'est une erreur. En effet, si l'on coupe le
corps de la Sangsue près de la tête, la succion
ne laisse pas d'avoir lieu , et le sang s'avance
toujours dans le canal alimentaire , quoique
l'air qui frappe cette nouvelle ouverture dut
s'opposer à l'effet du vide»
D'ailleurs, on voit par les mouvemens que
(i) M. Du Rondeau pense que le corps de la Sangsue
fait les fonctions de pompe et de piston , et que le point
fixe d'où part le mouvement de la pompe est la queue.
L.C.
D'autres disent que la Sangsue se fixe comme une
ventouse.
( 39 )
produit la Sangsue depuis les premiers anneaux
voisins de la bouche jusqu'à ceux de l'autre
extrémité , qu'elle fait marcher graduelle-
ment le fluide de la bouche vers le reste du
corps.
Il me paroît que les dents, après s'être en-
foncées dans le tissu de la peau, rapprochent
îeur bord antérieur et l'espèce de repli ten-
dineux du pied sur lequel elles reposent , et
foixent ainsi le fluide où elles sont plongées
à se glisser dans le canal. Elles sont aidées en-
suite par l'action de l'anneau qui for pie Fou-
vei'ture de la bouche; et peut-être encore
par l'action d'une petite pièce cartilagineuse ^
ovale , qui est attachée à cet anneau , qu'elle
dépasse à peine.
Par les contractions de ces divers corps ^ le
sarig est poussé vers l'œsophage : le moiive-
ment péristaltique qui se prodoit alors dans le
tube alimentaire , et se répète à l'extérieur ^
d'une manière bien sensible , des lèvres à l'au-
tre extrémité , oblige ce fluide à continuer sa
route, et à se répandre jusqu'aux dernières
parties du canal.
On explique aisément, d'après cela , com-
ment Faction des lèvres est indispensable pour
(40)
îa succion ; et comment , sans leur secours , la
Sangsue ne peut faire agir ses dents.
Il faut sans doute qu'elle se tienne appliquée
au moyen des lèvres, afin que les mouvemens
que les dents exercent , soit pour produire la
piqûre , soit pour faire avancer le iluide san-
guin 5 puissent s'opérer avec succès. Si la for-
mation du vide avoit lieu , l'utilité des lèvres
ne seroit pas si grande ; tandis qu'il suffit
de les relever avec la lame très-mince d'un
instrument pour engager l'animal à lâcher
prise.
Afin de ne conserver aucun doute à cet
égard , Je plaçai sous la cloche d'une machine
pneumatique deux Sangsues , que j'appliquai
au coeur d'un oiseau encore palpitant. Elles ne
discontinuèrent pas de produire les m^ouve-
mens qui annonçoient que le sang couloit tou-
jours dans la bouche et dans le reste du canal.
Cependant , après avoir resté quatre ou cinq
minutes ainsi appliquées , elles se détachèrent :
mais comme si elles eussent été à l'air libre,
elles cherchèrent à faire ailleurs une autre
piqûre.
On pouiToit être surpris qu'elles aient resté
si peu de temps fixées au même endroit; mm
( 41 )
81 Ton considère quelles sont les conditions
nécessaires pour que le sang vienne se présen-
ter à leur bouche, la surprise cesse bientôt....
Puisque la Sangsue ne peut opérer le vide ,
elle auroit bientôt épuisé tout le sang que
contient le point où elle est fixée , si une cause
particulière ne l'y f aisoit affluer. Cette cause
est évidemment l'irritation que produit sur
tout animal vivant la piqûre de la Sangsue , qui
détermine vers la partie blessée une fluxion
active. Les mouvemens doivent se diriger vers
cette partie avec beaucoup de force ; car le
sang coule quelque temps encore, lorsque
la Sangsue se détache , après avoir sucé pen-
dant un quart d'heure ou une demi-heure.
Cet effet de la piqûre est analogue à celui
que produit la blessure de la lancette , qui
décide ( comme l'a vu Haller ) l'abord du
sang, non-seulement des parties supérieure et
inférieure du vaisseau piqué ; mais qui change
encore la direction des mouvemens du sang
dans les ramifications des vaisseaux voisins.
Un pareil état de fluxion cessant avec la vie ,
il n'étoit pas possible que les Sangsues res-
tassent long-temps appliquées dans le cas dont
j'ai parlé , puisqu'elles n'avoient aucun moyen
(42 )
d'appeler h elles le sang épanché hors de la
circonférence de leur bouche (i).
Il paroît que , quoique ces insectes soient
fort avides du sang rouge , ils ne prennent
pas indifféremment celui de toutes les espèces*
J'ai présente à plusieurs Sangsues des vers
de terre , dont j'avois percé le vaisseau dor-
sal , afin de faire couler le sang ; mais elles
n'ont pas voulu s'y attacher , et en sucer le
fluide.
Elles ont également refusé de piquer des
grenouilles , quoique je leur en offrisse le
cœur et d'autres organes où le sang est assez
abondant Le sang de leur espèce ne m'a
point paru les tenter du tout.
Ceci ne détruit pas le fait observé par
M. Vauquelin , que les Sangsues qui sont à
jeun piquent celles qui sont gorgées de nour-
(i) Je me suis assuré, par une autre expérience
encore plus rigoureuse, que la succion se fait de la
manière que j'ai indiquée. Une Sangsue fixée à une
vessie très-mince, remplie de sang, n'a point cessé,
sous la cloche de la machine pneumatique , d'opérer
la succion , et de répéter les divers mouvemens propres
à faire avancer le sang de la ]>ouclie vers l'extrémité
postérieure. •
(4-3)
rîture (i). On voit qu'alors c'est le sang d'au-
tres animaux qui les attire.
Comme elles ne trouvent pas toujours du
sang rouge à leur disposition, il faut bien
qu'elles se nourrissent de quelqu'autre ma-
tière. C'est ce que font les jeunes Sangsues nées
dans le vase où sont renfermées leurs mères.
Le mode d'agir de leur bouche en ces cir-
constances 5 confirme l'explication que j'ai
donnée de leur succion.
Quand elles s'agitent dans l'eau pour attra-
per quelque proie , elles dilatent les lèvres ,
font avancer la bouche , écartent les dents
qu'elles rapprochent bientôt ; sans doute afin
que l'objet qui doit leur servir de pâture puisse
être introduit dans l'œsophage*
IDu Tube alimentaire et de la Digestion^
La disposition du canal alimentaire des
Sangsues n'a pas beaucoup de ressemblance
avec celle de ce canal dans les autres animaux.
Chez les Sangsues, le tube , sans former au-
(i) Nouv. Dict. d'Hist. Natur. appliquée aux Arts,
art. Sangsue,
( 44 )
txme circonvolution , s'étend d'une extrémité
à l'autre du corps. Il semble s'appuyer sur
l'anneau en apparence cartilagineux qui porte
les dents; ou pour mieux dire, cxst là sort
origine. Fort étroit d'abord , il s'accroît bien-
tôt , et parvient à ses plus grandes dimensions ,
après avoir atteint la cinquième ou la sixième
bande qu'on remarque à la peau. La circon-
fé ence du tube est alors à-peu-près celle de
tout le corps, puisqu'il repose immédiatement
sous la couche des fibres longitudinales.
Cette partie du canal alimentaire, voisine
de la boucbe, est recouverte d'une couche
de tissu cellulaire assez dense , qui disparoît
ensuite ; de même que certaines fibres circulai-
res , qui semblent être de nature musculeuscw
On peut regarder cette extrémité du canal
comme formant l'œsophage et l'estomac.
Ainsi rétréci à son extrémité antérieure , ce
tube se divise, vers Tautre extrémité , en trois
canaux , dont les deux latéraux sont en forme
de sac , et n'ont d'autre ouverture que celle
qu'ils présentent à leur naissance. Le troisième,
c'est-à-dire celui du milieu , est un canal très-
étroit , qui est percé à son extrémité posté-
rieure ^ et fait les fonctions de l'intestin reçr
(45)
tum. C'est à- peu-près vers le tiers postérieur
de ranimai que cette division a lieu.
Le tube alimentaire des Sangsues paroit
formé, dans toute son étendue , de deux mem-
branes qui sont toutes les deux très-minces et
transparentes. La membrane extérieure s'é-
tend de la bouche à l'autre extrémité sans
former aucun repli : il n'en est pas de même
de celle qui est interne.
Chez la plupart des animaux , la petitesse
du diamètre des intestins est compensée par
les replis nombreux qu'ils font dans la cavité
abdominale. Mais la forme de la Sangsue , et
le système moteur qui lui est propre , ren--
doient nuisible une pareille disposition.
En effet , un animal qui a ses organes mus-
culaires distribués de telle manière que le tube
intestinal est obligé d'en partager tous les ef-
forts et les mouvemens , auroit pu souffrir
beaucoup , si ce tube avoit été d'une longueur
qui eût nécessité de nombreux replis. Il y au-
roit eu des dérangemens très - fréquens j et
d'ailleurs l'action des fibres musculaires , qui
devoit aider puissamment un organe formé
de membranes extrêmement minces , n'auroit
pas pu alors lui prêter un grand secours.
(46 )
La Nature a , chez la Sangsue , coordonne
d'une manière particulière les divers systèmes
d'organes entre eux. On trouve que le tube ali-
mentaire s'étend directement d'une extrémité
à l'autre du corps : mais sur chacune de ses
deux parties latérales , la membrane interne se
replie régulièrement de distance en distance ,
pour former comme autant de poches ou de ré-
servoirs qui s'emboîtent les uns dans les autres.
Quand la Sangsue a péri sans éprouver de
vive irritation qui la force à rejeter les ma-
tières dont le canal intestinal est rempli, le
sang qui y est contenu se fige ; ce qui permet
de bien distinguer les diverses poches qui se
recouvrent alors successivement de devant en
arrière.
Mais quand on a distendu l'animal , il n'y a
que l'extrémité de la poche supérieure qui
vienne recouvrir quelques lignes de la sui-
vante. En ce cas même , si on enlève la mem-
brane externe du tube , on peut ensuite déta-
cher entièrement chacune de ces poches l'une
de l'autre. Elles deviennent ainsi très -saillan-
tes , et se redressent en portant vers les côtés
leur partie inférieure , de manière qu'elle»
ne se recouvrent plus successivement.
(47)
.Cette disposition ne commence à avoir lieu
vers la partie antérieure du canal , qu'à l'en-
droit où finit le rétrécissement qui forme
l'œsophage , etc. Elle avoit été assez bien
observée par divers auteurs. Cependant au-
cun d'eux n'a bien connu la division inférieure
du tube.
Les deux canaux latéraux qui résultent de
cette division n'offrent point de replis aussi
prononcés que ceux de la partie du tube qui
les précède ; mais chacun de ces deux canaux
n'est, pour ainsi dire , qu'une seule poche ex-
trêmement prolongée. Ils s'étendent à-peu-
près jusqu'au disque, et s'adossent entre eux
de manière à couvrir en grande partie le troi-
sième canal ou le rectum.
Si l'on injecte quelque fluide par l'ouver-
ture postérieure de ce dernier intestin , ou
par l'anus, on ne peut le faire sortir par
l'ouverture antérieure qui se trouve à l'en-
droit de la division du tube , quelque effort
qu'on fasse , et quelque liquide qu'on em-
ploie. On voit ce liquide , comme les stilets
et les sondes , remonter jusqu'autour de
cette espèce d'entonnoir qui est à l'origine
du rectum , sans qu'on puisse le faire pénétrer
(48)
à travers l'ouverture qui est pratiquée dans
cette partie de l'intestin. Il est facile , au con-
traire, d'y faire passer vuie sonde ou un fluide
quelconque , lorsqu'on dirige l'injection dans
un sens inverse de celui-ci.
Par l'effet de cette disposition , les matières
fécales qui arrivent dans l'intestin ne peuvent
en sortir que par l'anus. Un pareil arrange-
ment étoit d'autant plus nécessaire , que sans
cela , les mouvemens musculaires qui se font
sentir sur tout le canal , auroient pu détermi-
ner un mélange informe de toutes les matières
qui y sont contenues.
On ne peut dire si le rectum est une con-
tinuation du tube alimentaire , ou s'il est un
canal particulier. On voit seulement , à l'endroit
de la division de ce tube , que la partie
moyenne se replie en forme d'entonnoir , et
devient ainsi l'extrémité antérieure du rec-
tum.
Cet intestin présente deux ou trois rétré-
cissemens propres à arrêter la marche des
matières fécales. Il a un très-petit diamètre ,
qui n'est pas le dixième de celui des sacs qui
l'entourent. De plus grandes dimensions lui
eussent été inutiles , puisque l'animal n'exerce
(■49 )
sa lacuîtë digcsùve que sur de petites por-
tions d'alimens a la fois ; ou bien qu'il ne di-
gère qu'avec une extrême lenteur.
Le rectuin et les deux sacs latéraux qui le
recouvrent en partie, ayant à leur naissance
leurs ouvertures réunies , il seroit facile aux
alimens fluides de pénétrer dans toutes ces par-
ties , si une cause particulière ne s'y opposoit.
Cette cause ne peut être cherchée dans la
seule conformation des parties , puisque le
diamètre de l'ouverture du rectum est propre
à laisser passer toutes sortes de fluides ; et
que le sang , par exemple , que la Sangsue a
pris, est aussi fluide que les excrémens qu'elle
rejette. Il faut donc que l'ouverture du rec-
tum ait une sensibilité telle , -que certaines
matières seulement puissent y pénétrer.
Quand la sensibilité des organes est altérée ,
comme cela arrive , lorsque l'animal est plon-
gé dans une atmosphère irritante , il m'a paru
que le sang sortoit également quelquefois par
la bouche et par l'anus.
C'est à la racine du disque et sur la face
supérieure de l'animal que l'anus se trouve
placé. Il est à peine visible à l'œil nu ; ce qui a
fait croire qu'il n'existoit pas, et que la Sangsu©
' 4
(5o^
s'approprie toutes les parties des alimens par la
digestion , ou en chasse le résidu par la trans-
piration (i). Cependant les matières fécales
sortent quelquefois de Fanus comme par jets.
Tant qu'il y a du sang dans le canal , ces
matières sont ordinairement liquides , de cou-
leur verdâtre , et solubles dans l'eau qu'elles
colorent en vert. Elles ont alors une telle res-
semblance avec la bile des animaux à sang
cbaud , qu'il seroit facile de s'y méprendre ;
et qu'on seroit presque tenté de croire , à leur
aspect , que le sang a subi , dans le tube ali-
mentaire des Sangsues , une sorte de fermen-
tation bilieuse.
Chez les jeunes individus nés dans les bo-
cau^x 5 le conduit intestinal ne contient aucun
fluide rougeâtre. Aussi' ne trouve - 1 - on dans
les matières fécales qu'ils rendent, rien de sem-
jblable à l'humeur bilieuse. Il en est de même
des Sangsues qui , ayant resté plusieurs mois
dans les bocaux , ont eu le temps de digérer
tout le fluide sanguin qu'elles av oient sucé.
(i) Voyez le Mémoire de Morand sur les Sangsues,
et le Nouveau Dictionnaire d'Histoire Naturelle appli-
quée aux Arts , art. Sangsue.
C5i)
On trouve sur les diverses parties du Canal
intestinal , des fibres musculaires dli Igées en
divers sens ^ et assez éloignées l'une de l'autre»
Elles doivent comprimer et presser ce tube
d'une manière plus bornée et plus directe
que ne le font les diverses couches fibreuses
qui sont sous la peau , et par des contractions
indépendantes de celles de ces dernières fibres*
C'est sur- tout sur les deux canaux c|ui ter-
minent le tube 9 qu'on voit distinclement les
fibrilles musculaires. Les unes ne s'élendent
que sur un seul canal ; d'autres les embrassent
tous les deux. Il en est plusieurs qui ont une
direction transversale, et certaines dont la
direction est oblique Quelques-unes sont
bornées au rectum.
Ces fibres étoient d'autant plus nécessaires
sur ces canaux j qu'ils sont très-longs , et que
la membrane interne n'y offre que des replis
légers et peu nombreux.
On a établi en Histoire Naturelle , comme
Un principe très-bien appuyé, que les animaux
avoient un tube intestinal d'autant plus étroit
et d'autant plus court qu'ils se nourrissoient
de substances plus animalisées. L'application
de ce principe qui paroissoit très - solide , s©
prësentoit même chez îes insectes et les der-
nières classes des êtres. Ce qui le confirmoit
davantage encore , c'est que les animaux qui
se nourrissent d'œufs et de sang, comme cer-
tains plantigrades , 'étoient ceux dont le tube
intestinal offrait proportionnellement le moins
de replis et les plus petites dimensions.
La Sangsue offre une exception très-remar-
quable à cette loi générale. On voit qu'elle a
un canal alimentaire extrêmement étendu ,
eu égard à son coi*ps ; et en même temps on
la voit se goi^ger de sang , et en remplir jus-
qu'aux derniers replis de ce canal (i).
Nos idées nous porteroient à croire que le
danger d'une pareille conformation a besoin
(i) Ce seroit vainement qu'on diroit que ee fluide
n'est pas un aliment naturel aux Sangsues , et qu'il en
est d'elles comme de quelques espèces herbivores qu'on
accoutume aux substances animales. Car ici la faim et
l'habitude lentement établie ne sont pour rien, puisque
la Sangsue court naturellement d'elle-même , et de pré-
férence, au fluide des animaux à sang rouge. D'ailleurs,
en admettant que cet aliment ne lui est pas naturel , la
difficullé est loin d'être levée.
Il paroît que la Sangsue se nourrit habituellement de
petites espèces animales qui vivent et meurent dans l'eau.
(53)
d'être compense par la promptitude avec la-
quelle un aliment de nature si putrescible est
digërë. Mais c'est tout le contraire qui a lieu;
car on retrouve , après des mois entiers, dans le
corps de la Sangsue, ce sang à peine altéré.
Il faut que les facultés de la vie exercent
ici une action bien puissante , pour faire que
le fluide sanguin résiste pendant si long-temps
au développement ordinaire des affinités qui
tendent à en opérer la putréfaction (i).
Nous serions peut-être moins surpris qu\in
pareil phénomène eût lieu chez des animaux
d'une organisation très-compliquée, dont l'es-
tomac hérissé de corps glanduleux fournit
un fluide particulier qui semble être un des
principaux agens de la digestion j dont le tube
alimentaire reçoit encore d'autres fluides, tels
que le suc pancréatique , la bile , qui par leur
action dans le corps vivant ( encore imparfait
tement connue ) semblent devoir s'opposer
aux mouvemens putréfactifs ordinaires du
» ' -^ K' ' '"
(i) J'observerai que le sang reste toujours fluide
tant que l'animal vit ; et qu'il se condense entièrement
d'une manière solide, et forme comme une masse ré-
sineuse après la mort , ou lorsqu'on l'a retiré du «corps^
(54)
§aiig. Mais coniment la Sangsue, qui est privée
de tout organe glanduleux analogue au foie ,
au pancréas , etc. , qui a un tube alimentaire
formé de membranes lisses et transparentes ,
sur lesquelles on ne remarque aucun vestige
de follicules sécrétoires , jouit-elle de cette
faculté ? Ce phénomène est une nouvelle
preuve de Faction des forces vitales, dont
l'action ne sauroit être conçue comme dépea^
dante de tel mode d'organisation déterminé.
Quand on a enlevé toutes les paities. mus^
culeuses, etc. , on trouve sur le tube intesti-^
nal une substance noirâtre , mince , et pré-
sentant la forme d'un réseau , qui n'est pas
également répandue sur toute la surface du
tiibe. Elle est très - abondante , plus épaisse ,
et sans interruption , pour ainsi dire , sur le
dos , ou la face supérieure de la Sangsue.
Aux parties latérales on la voit disparoître ,
ou ne laisser que de foibles traces , pour se
montrer encore sur le milieu de la face op-
posée. Elle n'y est pourtant ni aussi abon^
dante , ni aussi épaisse que sur l'autre.
Je ne sais quelles fonctions peut remplir
un pareil tissu, On est d'abord tenté de croira
(55)
que c'est un assemblage d'une foule infinie
de petits vaisseaux , unis par une substance
cellulaire. Mais quelque incision que Ton
fasse , quelques pressions qu'on exerce , on
n'en voit sortir aucun fluide. Pourquoi d'ail-
leurs ce tissu cesseroit - il à l'endroit où se
trouvent les grands vaisseaux latéraux ?
Il paroît donc que c'est une matière pure-
ment cellulaire dont il n'est pas possible encore
d'assigner les fonctions^. Elle ressemble assez
bien à du crêpe qu'on auroit un peu mouillé.
La couleur noire qui lui appartient pourroit
faire penser qu'elle est cbargée d'élaborer ou
de fournir le principe colorant qui teint la
plus grande partie de la peau des Sangsues,
En effet , la teinte noire est très-prononcée
sur le dos , où ce tissu se trouve répandti en
abondance.
Mais ce qui démontre qu'il n'en est pas
ainsi , c'est que la teinte noirâtre appartient
aussi à la substance cellulaire qui fait partie
du corps de la peau; que l'organe cutané , à
la face inférieure de l'animal ou au ventre ^
est d'une couleur jaune, quoique le tissu dont
il est question se trouve en cet endroit comme
sur le dos.
( 56 )
Système uasculaire.
Là division des animaux la plus générale
et la plus solide en apparence , étoit celle qui
les rangeoit sous les deux grandes classes d'a-
nimaux à sang rouge et d'animaux à sang
blanc. Dans la première se trouvoient placés
d'une manière exclusive toutes les espèces qui
ont un corps ^vertébré , ou un squelette inté-
rieur articulé ; tandis que la classe nombreuse
des animaux invertébrés ne contenoit que des
individus à sana blanc.
On avoit bien reconnu, cliez les Sangsues
et les vers de terre , les traces d'un système
vasculaire à sang rouge ; mais ce système avoit
généralement paru dans un tel état d'imper-
fection, que ces êtres ne sembloient faire à
la loi générale qu'une exception de peu de
valeur (i) On verra pourtant qu'il existe,
(i) M. Cavier , dans ses Cours d'AnalomIe comparée,
en parlant des vaisseaux latéraux des Sangsues , qu'il
avoit bien reconnus , et dont il avoit observé les mou-
vemens , a fait sentir le vice de cette grande division
des animaux en deux classes.
(^7)
cliez les Sangsues, une grande rëgularilë dans
la distribution des vaisseaux sanguins , et une
grande multiplicité quant à leur nombre.
Sur chaque partie latérale de l'animal , il
est aisé de distinguer un vaisseau membra-
neux plein de sang rouge , s'étendant d'une
extrémité du corps à l'autre , et ayant des mou-
vemens bien réglés. La distribution et la sub-
division de ces vaisseaux restoient seules à
connoître.
D'espace en espace, et à des intervalles qui
correspondent assez bien à ceux qu'il y a entre
les diverses poches du tube intestinal , ces vais-
seaux donnent de chaque côté une branche
très-grande, de laquelle partent plusieurs ra-
meaux qui se subdivisent à leur tour.
On ne peut découvrir si l'un et l'autre de
ces vaisseaux concourent à la formation de
ces branches , ou bien s'il se détache alterna-
tivement une de ces branches de chacun de
ces troncs. Ce qu'il y a de certain , c'est que
par cette voie de communication , lorsqu'on
injecte l'un de ces vaisseaux, l'autre est bientôt
rempli ; et qu'ainsi on peut , par une seule
ouverture , injecter la plus grande partie du
système vascuiaire.
(58)
Ce seroit en vain qu'on voudroit assigner
exactement la distribution des rameaux et
leurs dernières divisions. On peut voir sur
l'animal vivant , comme sur ceux qu'on a in-
jectes , avec quelle profusion toute la peau
en est garnie. C'est même un spectacle sur-
prenant que celui de cette partie examinée à.
la loupe. L'œil ne peut suffii^e pour embras-
ser toutes c^s ramifications ; et l'on reste aussi
surpris à cet aspect , qu'on peut l'être en
voyant les injections délicates des plus habiles
Anatomistes.
Toutes les membranes qui recouvrent les.
organes de la génération , les organes respi-
ratoires , etc. , offrent également des réseaux
très-fins et très- déliés, qu'on peut injecter
lorsqu'on n'est point avare de soins ni de
précautions.
La terminaison des deux grands vaisseaux
^t uniforme. AiTivés auprès de la bouche et
du disque , ils cessent de fournir les branches
qui s'étendent sur le canal. On les voit se
diviser en cinq ou six gros rameaux , qui per-
dent de leur calibre en s'éloignant de leurs
racines, et finissent par devenir capillaires.
Quelques-unes de ces ramifications des groa
( 59 )
vaisseaux s'anastomosent entre elles ; ce qui
rend ]a distribution de ces dernières brandies
assez semblable à celle des autres.
On trouve encore , sur le milieu du dos
des Sangsues, un vaisseau sanguin qui s'é*
tend de la lèvre jusqu'au disque , et qui est
d'un diamètre plus petit que celui des deux
grands vaisseaux latéraux. Les branches qu'il
fournit s'étendent très-peu loin , et forment,
sur la membrane interne du tube alimentaire,
des réseaux nombreux et assez étendus (i)
Le sang que contient ce vaisseau est d'une
couleur rouge ; cependant la couleur des ra-
mifications vasculaires qui forment ces réseaux
est généralement blanchâtre (2).
Je n'ai pu faire pénétrer , dans le vaisseau
dorsal , le mercure que j'injectois dans les
vaisseaux latéraux. Ils ne communiquent sans
(i) M. Bibiena (L. c. ), qui n'a que très -imparfai-
tement connu le système vasculaire des Sangsues , a
cru qu'il étoit analogue à celui des vers , et consistoit
uniquement en ce vaisseau dorsal.
(9.) Il est vraisemblable que c'est par les extrémités
des branches capillaires de ces réseaux que le produit
de la digestion est absorbé et porté dans les deux vais^
§eaux latéraux , et de là dans les organes respiratoires.
(6o)
doute avec le premier que par des rameau'?^
très-minces , et probablement par quelques-
uns de ceux d'où proviennent les réseaux qui
s'étendent sur le canal intestinal , et à la for-
mation desquels il paroît que les vaisseaux
latéraux contribuent.
Le vaisseau dorsal semble ])lus particuliè-
rement destiné à distribuer le fluide sanguin
aux diverses parties du tube alimentaire ; car
on ne voit point partir de ce vaisseau aucune
brancbe qui se rende aux autres organes in-
ternes, ni aux parties musculaires et à la peau.
D'ailleurs lorsqu'après la dissection de ces di-
verses parties , les vaisseaux latéraux se trou-
vent vides de sang , le vaisseau dorsal en est
encore plein. Ce fluide y reste même jusqu'à
ce qu'on l'en retire directement, ou qu'on
décbire les intestins.
Le vaisseau dorsal est intimement attacbé
à la membrane interne du tube alimentaire ,
et on ne l'en sépare qu'avec beaucoup de
peine. Les vaisseaux latéraux n'y tiennent 5^
au contraire , que fort peu.
Ceux-ci laissent apercevoir ,. à l'oeil nu, les
mouveraens dont ils jouissent, et qui sont
très-analogues à ceux qu'on remarque dans
(6i)
les vaisseaux artériels des animaux à sang
rouge.
J'observerai cependant qu'ils ont lieu avec
une lenteur beaucoup plus grande ; car il ne
s'y produit que sept ou huit pulsations par
minute. La dilatation et la contraction des
parois du vaisseau sont bien sensibles.
On peut dire que les tuniques membraneu-
ses de ces vaisseaux jouissent de la faculté de
se dilater et de se contracter dans tous les
sens. L'élongation et la contraction semblent
n'appartenir aux fibres musculeuses ordinaires
que dans le sens de la longueur. Ici ces deux
forces agissent dans le sens même de l'épais-
seur.
Il est remarquable que ce mouvement de
systole et de diastole existe dans les vaisseaux
des Sangsues. Les Anatomistes paroissoient en
droit de croire que c'étoit au tissu composé
des tuniques artérielles , qu'étoit attachée la
faculté de se contracter et de se dilater. Voilà
un fait qui va contre leur opinion ; car on ne
peut reconnoître dans les vaisseaux des Sang-
sues , qu'une membrane mince , blanche et
diaphane , très-analogue à celle qui forme le
tube intestinal.
(Gz)
Il est encore cligne de remarque que ces
mouvemens de systole et de diastole existent
iei indépendamment de tout organe central du
système yasculaire. On a vu , d'après ce que
j'ai dit sur la terminaison et la distribution des
grands vaisseaux des Sangsues , qu'il n'y avoit
aucune apparence de cœur simple ou com-
posé.
Ainsi se confirme j par les résultats que
fournit l'Anatomie comparée , cette vérité
déjà énoncée par Galien (i) , et appuyée sur
un grand nombre de faits pathologiques : que
les vaisseaux artériels jouissent, par une force
qui leur est propre , et qui est jusqu'à un cer-
tain point indépendante de l'action du cœur ,
du moiivement de contraction et de dilarta-
tion , d'où résultent les battemens qui cons*
tituent le pouls.
Ce n'est pas ici le seul fait qui prouve com-
bien les progrès de l'Anatomie comparée
peuvent servir à détruire des erreurs intro-
duites dans la Physiologie. En effet, à mesure
que nos connoissances s'étendent , et embras-
sent un plus grand nombre d'objets analogues,
Pi I ■■— — ■ II»
{i) De Usu Par mm.
(63)
on doit découvrir l'imperfeclioii des conclu-
sions générales , source féconde d'erreurs que
la nature de notre esprit nous a rendu trop
promptement nécessaires.
Quoique les vaisseaux de la Sangsue aient
la faculté de se contracter et de se dilater ,
l'absence de tout organe vasculaire central
indique bien qu'il n'y a pas ici une véritable
circulation.
J'ai trouvé plusieurs fois que le sang avoit ,
dans ces vaisseaux , un mouvement d'impul-
sion dirigé de devant en arrière : d'autres
fois aussi ce mouvement m'a paru avoir lieu
en sens contraire , c'est-à-dire de l'extrémité
postérieure à la tête.
Je ne puis assurer si cette oscillation , ou
cette succession d'un mouvement péristal-
tique et anti - péristaltique , ont Heu d'une
manière régulière et constante , mais cela me
paroît très-vraisemblable. En effet, si la dou-
leur que l'instrument fait éprouver à l'animal,
pouvoit imprimer au lluide une direction in-
verse de celle qu'il a dans l'état naturel, il
faudroit que cette nouvelle direction se mon-
trât uniformément dans tous les cas de dis-
section.
,(64)
Les mouvemens de systole et de diastole
ne sont pas aussi apparens dans le vaisseau
dorsal que dans les vaisseaux latéraux : ce qui
peut dépendre en grande partie de ce que ce
vaisseau étant fortement attaché à la mem-
brane interne du tube alimentaire , ne saur oit
avoir la même liberté de mouvemens.
Comme ces divers vaisseaux, dont les mou-
vemens sont plus ou moins sensibles , contien-
nent tous un fluide de même nature et égale-
ment rouge , on ne voit pas qu'il y ait chez
les Sangsues des traces d'un système veineux.
Chez les animaux où le sang est mu par un
organe central de circulation , quand le sang
artériel s'est épanché dans les organes , ou que
les vaisseaux qui le renferment se sont subdi-
visés à l'infini , il a besoin d'être repris par une
autre série de vaisseaux , pour être ramené
au cœur. Mais la nature peut offrir telle com-
binaison qui s'éloignera de cette marche.
On ne trouve pas chez la Sangsue cette
association des systèmes artériel et veineux. Il
n'y a de gros troncs vasculaires que les trois
grands vaisseaux que j'ai décrits. Aucun gros
vaisseau à sang noir ne se présente à leur côté ;
et même dans les ramifications très - déliées
(65)
qu'on distingue à l'oeil nu , ou à la loupe , on
ne découvre qu'un fluide rouge analogue à
celui que contiennent les vaisseaux latéraux.
Il est facile d'injecter, par le moyen de ces
derniers , les rameaux qui se distribuent aux
organes de la respiration ; mais on ne peut
reconnoître aucune trace d'un système vas-
culaire particulier , propre à rapporter le
sang dans les gros vaisseaux. Il faut donc qu'il
y revienne par la même voie qui l'y a con-
duit.
Si l'on remarque que chez la Sangsue , le
sang ne s'ëpanche nulle part , que ses fibres
musculaires n'ont pas la moindre teinte rouge ,
que ses organes respiratoires , très-analogues
à ceux des quadrupèdes ovipares , n'en laissent
apercevoir aucune trace ailleurs que dans les
vaisseaux qui rampent sur leurs membranes ,
qu'aucun organe sëcrëtoire, correspondant
au foie , etc. , ne se fait distinguer , qu'il n'y
a point d'organe central de circulation , on
sera moins surpris de l'absence du système
veineux.
Chez les animaux à sang rouge d'un ordre
supérieur , le sang ne pourroit revenir au
cœur par les vaisseaux qui l'ont apporté de
5
(66)
cet organe dans les diverses parties , puisque
le mouvement naturel de ce fluide est opposé
à ce retour. Chez les Sangsues au contraire ,
le mouvement régulier que paroît avoir le
fluide sanguin , et dont l'impulsion se dirige
dans un sens réciproque et alternatif d'une
extrémité à l'autre , suffit pour permettre aux
petits vaisseaux de ramener le sang dans le
tronc principal.
Du reste nous pourrions trouver un mou-
vement analogue dans le système absorbant ,
dont les vaisseaux paroissent tantôt faire la
fonction de système exhalant ( selon le plus
grand nombre de Physiologistes ) , et tantôt
opérer l'absorption.
(67)
Organes respiratoires •
Du mode de respiration de la Sangsue ^ eL de
V action qu elle éprouve de différens gaz ^ etc*
Pour conserver les Sangsues qu'on place
dans les bocaux , on est oblige de pratiquer au
couvercle un certain nombre d'ouvertures qui
permettent l'entrée de l'air, et de ne pas rem-
plir d'eau les vases jusqu'au sommet. Ces
précautions même ne suffisent pas dans tous
les temps; car pendant que l'été dure, on
doit renouveler très-souvent le fluide dans le-
quel ces animaux sont plongés.
L'observation qui avoit indiqué ce moyen
de les conserver , n'étoit point généralement
remontée au-delà ; quoiqu'il fût aisé de con-
clure qu'un animal qui réclamoit de tels soins,
avoit un besoin assez urgent du. contact de
l'air , et un mode inconnu de respiration.
Il étoit probable en effet que ces diverses
précautions n'étoient rendues nécessaires, que
parce que la quantité d'air qu'on laissoit dans
les bocaux ne pouvoit se renouveler selon
les besoins de l'animal.
La mort des Sangsues qu'entraînoit l'oubli
(68)
de ces soins ne pouvoit être rapportée au dé-
faut d'alimens, puisqu'elles peuvent suppor-
ter une longue diète , et qu'elles ne digèrent
qu'avec une extrême lenteur.
On pouvoit présumer que si le besoin d'un
air nouveau se faisoit sentir plus souvent du-
rant l'été , c'étoit sans doute parce que ce
fluide alors plus raréfié contient , sous un
même volume , moins de parties propres à la
respiration; et sur-tout parce que ces animaux
n'étant nullement engourdis dans cette saison
comme ils le sont durant l'hiver , et exerçant
alors la faculté de se reproduire , jouissent de
toute la vie qui leur a été donnée (i).
Pour ne conserver aucun doute à cet égard ,
je mis plusieurs Sangsues sous un bocal , où
(i) Il est vrai cependant que leur réunion peut aussi
leur devenir nuisible , soit en favorisant Taltération de
l'air par le développement plus abondant de quelque prin-
cipe gazeux funeste , soit en rendant plus facile , par Tac-
cumulation d'une plus grande quantité des matières que
chacun d'eux rejette , l'altération de l'eau. Mais comme
ce sont principalement les animaux qui respirent par des
poumons , ou d'autres organes analogues, qui se nuisent
étant ainsi entassés , il y avoit ici une probabilité de
plus en faveur de la respiration des Sangsues.
(%)
Feau montoit jusqu'à une hauteur cl éler mi-
née ; et je le renversai sur un vase , où je versai
ensuite de l'eau. Au bout de vingt- quatre ou
trente heures , je m'aperçus que l'eau étoit
montée de quelques lignes. La hauteur de
l'eau s'accrut encore davantage vers la lin du
second jour.
J'observai que les Sangsues ne se tenoient
jamais long-temps au fond du vase; qu'elles
venoient souvent à la surface , élevant au-
dessus de l'eau tantôt une de leurs extrémi-
tés , et tantôt l'autre , jusqu'au tiers ou. à la
moitié du corps.
Il est facile de se méprendre sur la hauteur
du fluide, si au moment où on la détermine,
on ne fait pas attention à la place qu'occupent
les Sangsues dans le bocal. Si elles se trouvent
entièrement dans l'eau , il est tout simple que
ce fluide s'abaisse à mesure que les Sangsues
élèvent au-dessus une partie plus ou moins
grande de leur corps j et qu'il s'élève, au
contraire , à mesure qu'elles s'y enfoncent
davantage.
Pour connoître quelle étoit la nature du
changement que la respiration faisoit éprou-
ver à l'air, j'en recueillis diverses portions,
(70)
dans de petits bocaux : les bougies s j étei-
gnirent, et l'eau de chaux m y parut un peu
troublée. J'étois donc porté à croire que cette
respiration étoit très-analogue à celle des ani-i
maux à sang rouge.
Après m'étre assuré de ces faits, je m'oc-
cupai de découvrir quel étoit l'organe où l'air
éprouvoit ces altérations. J'avois disséqué un
assez grand nombre de Sangsues; mais comme
mes vues ne s'étoient pas tournées vers ce
côté 5 je ne prévojois pas quel pouvoit être
cet organe.
La peau de l'animal offre une si grande
multitude de pores, les vaisseaux s y ramifient
à un tel point, que j'étois tenté dépenser que
le sang recevoit l'influence de l'air à travers^
la peau, et par le moyen de ces petites ouvert
tures (i). ""
Bientôt , dans une dissection plus attentive ,
je remarquai qu'il y avoit à certaines distances ,
sur les deux côtés du corps de la Sangsue,
des espèces de sacs membraxieux , transpa-
» ' ' ■ ■'■ '" ' ■
il) On croyoit assez généralement que les Sangsues
respiroient en introduisant de Tair dans leur bouche.
Voyez Du Rondeau, 1. c. ; le Dictionnaire d'Histoire
Naturelle apnliq» "" "^^^ Arts. 1. c. ; Bibiena, 1. c.
(70
rens , en forme de vessie , qui ëtoient renilës,
et ne paroissoient contenir que de l'air ; du
moins tant que l'animal n'avoit pas trop souf-
fert , et jouissoit de sa vie presque entière. Ces
corps membraneux se remplissoient d'tine li-
queur blanchâtre, s'effaçoient , et disparois-
soient , pour ainsi dire , à mesure que la vie
s'éteignoit.
J'observai la distribution qu'ils présen-
toient, et je reconnus qu'ils étoient places
d'une manière régulière sur les deux côtés de
l'animal. Ils existent depuis la bouche jusqu'à
l'origine du disque , et sont assez rapprochés
l'un de l'autre.
Je me rappelai alors que j'avois vu , à la
peau 5 des trous plus grands que les autres ,
d'où il m'avoit semblé que s'échappoient des
bulles d'air, et d'où j'avois vu soi'th" des gouttes
d'un liquide blanchâtre. Je les examinai de
nouveau, et je trouvai, comme je l'ai déjà dit,
qu'il y avoit entre chacun de ces trous l'in-
tervalle de cinq anneaux. Il étoit probable
que c'étoit comme autant d'ouvertures qui
conduisoient aux corps en question. J'y fis en
effet passer une soie de cochon , et j'arrivai
directement dans ces corps. Je les remplis de
(72)
mercure par celte voie , pour voir si je ne
découvrirois aucune ramification intérieure ,
ou quelque canal qui allât s'y rendre ou qui
en partît. Malgré les pressions assez fortes que
j'exerçai, je ne pus jamais faire glisser le mer-
cure nulle part.
Ces recherches ne me satisfaisoient pas en-
core. Pour être certain que ces corps étoient
de véritables organes de respiration, je pensai
qu'il falloit voir si , sur les membranes qui
les forment , les vaisseaux sanguins venolent
se ramifier à l'infini.
Quand ces corps étoient remplis de mer-
cure , j j distinguois bien, au moyen de la
loupe y des traces de vaisseaux -, m.ais comme
le sang s'étoit à-peu-près échappé de tout le
système vasculaire, ces ramifications dévoient
être alors effacées en grande partie.
Au-dessus d'un de ces organes , je fis une
ligature au grand vaisseau , dans lequel j'in*
jectai du mercure. Après dé douces pressions
que j'exerçai sur ce fluide pour le faire avan-
cer , je vis qu'il pénétroit dans une branche
qui se reudoit à ce corps ; je dirigeai vers cet
endroit le mercure , et bientôt il s'offrit une
quantité innombrable de vaisseaux capillaires
( 73 )
injectés. Ils étoient en si grand nombre, que
la vessie étant affaissée, on n'aperce voit plus
que de petites parties de ses membranes.
Par les vaisseaux de l'organe injecté , se
remplissent ceux des organes voisins : ce qui
annonce évidemment que la communication
de ceux- ci n'en est pas moins intime , quoi-
qu'ils soient séparés les uns des autres. On
sent aisément quel avantage il en résulte 5 car,
en supposant que l'animal ne put présenter
à l'air qu'une partie de son coi^ps , le sang des
parties voisines pourroit en recevoir l'impres-
sion au moyen des rapports que les vaisseaux
établissent.
Il me reste encore à noter une autre cir-
constance anatomique qui peut je ter quelque
jour sur la fonction de ces corps. Après avoir
rempli l'un d'eux avec du mercure , de ma-
nière qu'il devint très - saillant , je grattai la
membrane avec la pointe d'une lancette.
Bientôt je vis se détacher quelques minces
lambeaux membraneux , et pourtant le mer-
cure ne s'écbappoit pas. Il restoit donc une
autre membrane au-dessous de la première.
Je l'examinai à la loupe, et j'y reconnus des
vestiges de vaisseaux injectés. Elle étoit si
(74)
mînce , qu'au premier aspect , ou auroit cru
que le mercure n'ëtoit ainsi retenu que par
sa force propre de cohésion. Mais il ne pou-
voit y avoir aucun doute sur l'existence de
cette membrane, puisqu'on la reconnoissoit
à la loupe , et qu'on ne pouvoit chasser le
mercure.
H est donc permis de conclure de tous ces
faits, que ces corps de forme ovale, sembla-
bles à de petites vessies très-minces , sont les
vrais organes de la respiration des Sangsues.
On ne peut mieux les comparer qu'aux pou-
mons de certains quadrupèdes ovipares , da
Caméléon , par exemple , qui s'étendent le
long du corps; avec xette différence pourtant
que chez ceux-ci l'organe est très-vaste , con-
tinu , et n'a qu'une seule ouverture f tandis
que , chez les Sangsues , il est formé de plu-
sieurs poches qui ne communiquent point
immédiatement entre elles.
On doit convenir néanmoins que le volume
relatif des poumons est plus grand chez les
Sangsues que chez la plupart des quadrupèdes
ovipares , puisque ces organes n'ont d'autres
termes que les extrémités même de l'animal, et
ne laissent entre eux que de légers intervalles.
(75)
Ce seroit vainement qu'on voudroit rap-
procher le mode de respiration de la Sangsue
de celui des insectes à trachées; ils ne se res-
semblent sous aucun rapport; et je pense qu'il
seroit superflu d'en établir longuement les
différences.
Quant aux traits particuliers qui distinguent
les organes respiratoires des Sangsues de ceux
des autres animaux à sang rouge , ils ëtoient
nécessites par la disposition du système vas-
culaire.
Les bords de chaque ouverture qui con-
duit à l'un de ces organes jouissent d'une
sensibilité très-vive. Ils se contractent forte-
ment pour peu qu'on les irrite ; et cela va
même au point qu'on ne peut plus y intro-
duire aucun corps quelconque. On peut de
là présumer que l'animal a le pouvoir de
fermer ces trous à volonté ; ce qui étoit très-
important , eu égard à la fonction qu'ils exer-
cent.
J'ai déjà dit qu'après la mort , les organes
respiratoires de la Sangsue contiennent une
liqueur blanchâtre. J'ajouterai qu'il est facile,
lorsqu'on a tenu pendant quelques instans la
Sangsue hors de l'eau , de faire sortir de pe-
(76)
lites quantités de ce liquide : on n'a qu'à pres-
ser les parties qui correspondent aux deux
extrémités de l'organe , de manière que l'ou-
Terture devienne saillante.
La Sangsue elle-même chasse de temps en
temps des globules de cette liqueur , surtout
quand on irrite T orifice de ses vessies respi-
ratoires , ou qu'on la place sur un corps qui
absorbe aisément l'eau. Si on la fait rouler ,
par exemple , dans de la farine ou dans une
fécule quelconque , on voit ces substances se
coller sur tou^te la surface de l'animal, ex-
cepté à l'ouverture extérieure qui conduit
aux organes de la respiration. A chacun de
ces orifices , on aperçoit que la pâte est sou-
levée et détachée par les globules de liqueur
que la Sangsue fait sortir , sans doute par un
effet de son instinct.
11 est très-vraisemblable que cette excré-
tion est analogue à celle qui constitue la trans-
piration pulmonaire. Il y a néanmoins cette
différence , que dans un cas elle s'exhale sous
forme de vapeur imperceptible; et que dans
l'autre elle est sous forme liquide , à cause
du degré de température de l'animal.
Cette humeur qui vient chez la Sangsue
(77) .
lubrifier ks organes respiratoires, paroît né-^
cessaire pour la facilité et la liberté de leurs
fonctions. On sent bien que si aucun liquide
ne s'y trouvoit pour tempérer l'action dessé-
chante de l'air, ces organes perdroient bientôt
cette souplesse , cette moiteur qui en main-
tiennent les mouvemens d'une manière douce
et régulière. '
Avant de connoître la forme et la disposi-
tion des organes respiratoires de la Sangsue ,
j'étois fort surpris du résultat de quelques
expériences que j'avois faites. Il me paroissoit
très - singulier qu'un animal qui avoit be-
soin d'un air fraîchement renouvelé, et qui
faisoit éprouver à ce fluide une altération
analogue à celle que lui impriment les ani-
maux des classes supérieures , pût vivre in-
différemment dans la plupart des gaz pendant
un temps assez long.
Je plaçai des Sangsues dans des bocaux
remplis d'hydrogène, d'azote , et je ne m'aper-
çus point qu'elles en fussent incommodées.
Elles sembloient n'y périr , au bout de qua-
rante-six ou quarante-huit heures, que comme
dans l'air atmosphérique ou l'oxygène , par
une espèce de dessèchement : le contact de
(78)
l'air ou du gaz et la privation d'eau les obli-
geant à une dépense irréparable de cette hu=
meur qu'elles excrètent , et qui est nécessaire
au libre exercice de leurs mouvemens et de
leurs fonctions.
Elles peuvent rester vingt - quatre heures
environ , plongées dans l'acide carbonique ,
sans paroître fort incommodées. Au bout de
ce temps cependant leurs mouvemens cessent ,
leur irritabilité s'affoiblit beaucoup , et leur
corps devenu flasque , ne se contracte que
très-foiblement par l'action de divers irritans.
En considérant ensuite la disposition de ses
poumons, je vis que la Sangsue devoit avoir,
comme certains quadrupèdes ovipares , la fa-
culté de vivre long - temps dans un air privé
d'oxygène : ceux-ci par la faculté qu'ils ont de
boucher leur glotte , la Sangsue par la faculté
de fermer immédiatement ses poumons mem-
braneux , qui peuvent contenir assez d'air ,
pour le besoin de plusieurs jours ; ainsi que
le prouve le fait suivant.
Si on place une ou deux Sangsues seule-
ment, dans un bocal entièrement rempli d'eau,
et hermétiquement bouché , elles y vivent
assez long-temps.
(79)
Un autre phénomène aussi singulîex' , et
peut-être plus encore , c'est que la Sangsue
vit aussi plus d'un jour sous la cloche de la
machine pneumatique. Elle s'y meut comme
à l'air libre ; applique tour-à-tour son disque
et sa lèvre sur les parois de la cloche, où
elle s'attache , et y suce le sang des animaux,
comme je l'ai déjà dit.
Les vaisseaux sanguins , quoique très-nom-
breux , ne laissent point échapper alors le
fluide qu'ils contiennent ; ce qui semble prou-
ver que les hëmorrhagies que certains animaux
éprouvent dans les hautes régions de l'atmo-
sphère ne dépendent pas uniquement de la
diminution de la colonne d'air. Les quadru-
pèdes ovipares qui peuvent à volonté boucher
leur glotte , supportent aisément , comme la
Sangsue , de très - grandes diminutions de la
coïonne atmosphérique.
Il doit paroître singulier que la Sangsue
puisse vivre plusieurs jours sous la cloche de
la machine pneumatique , plus d'une semaine
dans les bocaux remplis d'eau et hermétique-
ment bouchés ; et qu'elle ne puisse rester sans
y périr , plus de vingt-quatre heures dans le
gaz acide carbonique bien pur. Il semble en
( 8o )
effet que la Sangsue ayant la faculté de sùp^
porter la privation de l'air , durant un temps
plus ou moins long, dans le vide et dans l'eau,
elle ne devroit pas périr plutôt dans un ga2
quelconque que dans l'air atmosphérique.
Il n'est pas probable que le gaz acide car^
bonique produise ses funestes effets , en agis-
sant comme acide sur l'organe cutané ; puis-
que la Sangsue ne paroît souffrir dans ce gaz
qu'au bout de plusieurs heures , et qu'elle ne
manifeste point, par les convulsions de son
corps , qu'elle éprouve aucune irritation. On
peu^t donc regarder comme très-vraisemblable,
que c'est en s'introduisant dans les organes
respiratoires dont la Sangsue dilate l'orifice à
certains intervalles , que l'acide carbonique
lui devient funeste. L'introduction du gaz
azote et du gaz hydrogène n'est pas suivie des
m.êmes effets , parce que n'étant qu'impropres
à la respiration , ces gaz ne peuvent pas être
très-nuisibles à un animal qui a la faculté dô
supporter long-temps la privation d'air atmo-
sphérique.
Comme les Sangsues ne dilatent pas toutes
les orifices de leurs organes respiratoires à des
intervalles égaux, puisque chacune d'elles ne
(8i)
Vient pas dans le même moment à la sur-
face de l'eau où on les a plongées , il n'est
pas étonnant que le gaz acide carbonique ne
les tue pas dans un terme qui soit rigoureu*
sèment le même pour toutes*
Le gaz hydrogène sulfuré agit sur la Sang-
sue à-peu-près de la même manière que sur
les autres animaux. Ce n'est pas comme im-
propre à la respiration qu'il est essentielle-
ment nuisible ; mais il a une propriété véné-
neuse , irritante , qui se manifeste bien par les
convulsions dont la Sangsue est agitée dans ce
gaz , parle vomissement qu'elle y éprouve , etc.
Du reste elle n'y meurt pas aussi prompte-
ment que les animaux à sang chaud. Elle y
reste cinq à six minutes avant d'expirer (i) :
encore même vit-elle ensuite long-temps, si
(i) C'est un nouveau rapport cp'a la Sangsue avec
quelques quadrupèdes ovipares. En effet, M. Cliaussier
a oi)servé que les grenouilles vivoient plusieurs minutes
dans le gaz hydrogène sulfuré , soit que Faction s'en
trouve affoiblie par le vernis muqueux qui recouvre
leur épiderme , soit que la faculté qu'elles ont de sus-
pendre leur respiration puisse les garantir quelque
temps des funestes effets de ce gaz , etc. Voyez le Jour-
nal général de Médecine , Vendémiaire an 1 1 ,
6
(82)
on l'en retire au bout de deux ou trois mi-
nutes.
Si Fou se demande quel ëtoit l'appareil res-
piratoire qui Gonvenoit le mieux à un animal à
sang rouge privé de tout organe central de cir-
culation, destine à vivre dans l'eau , et propre
cependant à exercer pendant quelque temps
ses fonctions dans l'air atmosphérique , on
trouvera que les poumons des amphibies , et
les brancbies des poissons ne pouvoient être
son partage. Il falloit que les organes pul-
monaires qu'il de voit avoir, fussent dissémi-
nés sur toute la surface de son corps , pour
que le fluide sanguin y pût aisément aller
recevoir l'impression de l'air. Dès-lors il étoit
très-avantageux qu'ainsi divisés et indépen-
dans les uns des autres , ces organes pussent
avoir des commmiicatiôns intimes, et se rem-
placer pour ainsi dire réciproquement.
Est-il aisé de découvrir quelles sont les cir-
constances d'où dépend la coloration du fluide
sanguin , et peut-on aftirmer que la disposi-
tion des organes respiratoires exerce à cet
égard une influence exclusive , quand on voit
la famille entière des Mollusques faire partie
de la classe des animaux a sang blanc; quoique
(83)
|)îusieiîrs espèces aient , dans cette famille , leê
organes de la respiration et de la circnlation
dans un ëtat qui nous paroît yjlu$ parfait que
celui qu'on remarque chez les Sangsues , et
qui se rapproche beaucoup de celui des autres
animaux à sang rouge ?
Ce qui n'est pas moins surprenant , c'est
que les vers de terre, dont l'organisation
est encore bien mioius compliquée que celle
de l'insecte dont je parle, aient eles vaisseaux
remplis d'un fluide qui , sous le rapport de la
couleur , ne diffère pas essentiellement du
sang des animaux ranges dans les premières
classes.
ïlparoitdonc qu'il faut, non - seulement
considérer dans la solution de ce problème
Faction de l'air , mais encore la présence de
quelques substances particulières , dans le
fluide sanguin , qui manquent aux animaux
à sang blanc.
(84)
Système îierveux.
De la sensibilité des diverses parties dit
corps de la Sangsue , des conditions aux-
quelles cette faculté paroit liée , etc.
Le système nerveux des Sangsues offre la
même simplicité et la même distribution que
celui des animaux des classes inférieures.
N'ayant aucun membre articulé , aucun or-
gane central de circulation et de respiration ;
mais toutes leurs parties étant au contraire
disposées d'après un plan uniforme , les Sang-
sues semblent réunir toutes les conditions qui
excluent l'existence d'un centre cérébral.
Le système nerveux des Sangsues consiste
en un cordon médullaire qui s'étend de la
bouclie à l'extrémité postérieure. Ce cordon
éprouve, ainsi qu'on l'a déjà indiqué, un
renflement , ou un véritable ganglion d'espace
en espace, à des intervalles qui m'ont paru
à-peu-près. correspondre à ceux qui se trou-
vent entre les divers organes respiratoires.
J'observerai que de chacun de ces ganglions
partent des filets nerveux , semblables en tout
au nerf lui-même. Ces filets sont toujours au
(85)
nombre de quatre , et peuvent être compares
à des rayons qui partent d'un point central ,
sous un angle de quatre-vingt-dix degrés.
On voit chacun de ces filets nerveux se
diviser et s'étendre en perdant de ses dimen-
sions, au point qu'il n'est plus facile de suivre
à l'œil nu les ramifications subséquentes.
Quand ces rayons passent sur des organes
importans, ils donnent plutôt des rameaux,
que dans les parties où de pareik organes
n'existent pas. Ainsi les testicules, par exemple,
reçoivent des productions filiformes qui s'ë-
chappent des parties de rayons nerveux voi-
sines du ganglion.
Les deux extrémités du cordon médullaire
se terminent d'une manière semblable. Cha-
cune d'elles a un renflement qui ne peut être
assimilé à un ganglion , puisqu'il n'est pas
recouvert des mêmes membranes , qu'il n'en
a pas la forme , et qu'aucune ramification
nerveuse ne s'en détache. Il semble que ces
deux renflemens peuvent être considérés
comme les racines du cordon nerveux , ou des
cerveaux d'une petitesse extrême, qui, placés
ainsi aux deux extrémités de l'animal , doivent
être tous les deux d'une égale importance^
(86)
J'observerai que ces rentlemens sont tous
les deux très-près du ganglion qui les précède
ou qui lei suit , et qu'il ne s'en échappe au-
cun filet nerveux.
Ces renflemeus ont une couleiu^ blanchâtre ,
assez brillante ; tandis que tout le reste du
cordon présente une couleur d'un brun
presque noir. Si l'on recherche d'où provient
cette différence , on en trouve la cause dans
l'existence d'une membrane , qui paroît bien-
tôt après chacun des deux renllemens ex-
trêmes clu tronc nerveux , qu'elle recouvre
ensuite dans toute son étendue.
Il est facile de détacher cette membrane ,
qui offre une assez grande résistance. Elle ac-
compagne le nerf dans toutes ses ramifications
visibles , quoiqu'en perdant de sa couleur. On
ne peut cependant la comparei^ à cette mem-
brane du cerveau des quadrupèdes, C[ui remplit
les mêmes fonctions; puisqu'elle ne se montre
qu'après les deux renllemens nerveux.
Il m'a paru qu'au-dessous de cette mem-
brane il s'en trouvoit une autre de couleur
un peu blanche ; mais ces productions sont
si minces , et sitôt altérées , que je n'ose rien
affirmer à cet égard.
(87)
La disposition du système nerveux corres-
pond très-bien à celle du système vasculaire.
Car nous avons observé que ces deux grands
vaisseaux se terminoient uniformément à la
tête , et à l'extrémité opposée.
Je vais m'occuper de quelques phénomènes
relatifs à Faction des nerfs : je cliercherai en-
suite quels sont les organes des sens chez les
Sangsues , et à quelles conditians est attachée
la sensibilité de leurs diverses parties.
Si l'on pique avec le scalpel le nerf d'une
Sangsue , après avoir enlevé la membrane ,
ou avant de l'avoir détachée , on ne voit pas
que l'animal témoigne , par des convulsions ou
par l'agitation de son corps , qu'il éprouve une
irritation vive , à laquelle la volonté ou l'ins-
tinct rengagent à se dérober. ïl ne donne pas
des signes beaucoup plus évidens de douleur
et de souffrance , lorsqu'on touche ses nerfs
avec une substance caustique , telle , par
exemple, que l'acide nitrique affoibli. On peut
couper le nerf en partie , et l'animal n'en pa-
roît pas plus affecté.
Il en est de même lorsqu'on gratte avec un
scalpel ou un fil de fer la membrane qui re-
couvre le cordon nerveux.
(88)
Chez les animaux à sang chaud , l'irritation
qu'on exerce sur un nerf par un instrument pi-
quant, la section imparfaite qu'on lui fait subir,
excitent des mouvemens convulsifs , ou d'au-
tres accidens, qui se propagent à tout le corps,
et dont le caractère est quelquefois effrayant.
La différence qu'on observe ici peut tenir
à plusieurs causes.
Le système nerveux des animaux à sang
chaud et celui des espèces inférieures offrant
peu de ressemblance, il n'est pas étonnant
que ces êtres aient une faculté de sentir diver-
sement modifiée , et une manière peu analo-
gue de manifester à nos yeux leurs sensations.
Cependant il n'est pas probable que cette
différence soit aussi grande qu'elle le paroît
d'abord.
Chez les animaux à sang chaud , les diverses
parties du système nerveux sont liées entre
elles par le centre commun auquel elles abou-
tissent. Elles ont en outre des anastomoses
plus ou moins fréquentes ; de manière que les
impressions qu'une partie reçoit , peuvent par
ce moyen se communiquer promptement à
tout le système , et se trouver ainsi , en quelque
sorte 5 accrues et multipliées.
(89)
De plus , comme chez ces animaux les di-
vers systèmes sympathisent les uns avec les
autres d'une manière très-énergique , les ef-
fets de ces impressions se manifestent aisé-
ment à l'oeil de l'observateur.
Chez les Sangsues , au contraire , chaque
portion du système nerveux semble isolée des
autres : point d'organe central : les ganglions (i)
même peuvent être regardés comme autant
de centres particuliers , et par conséquent
comme arrêtant la conmiunication des im-
pressions que reçoit une partie du nerf. Les
filets nerveux ne communiquent que très-
peu entre eux : la sympathie des divers sys-
tèmes est moindre , puisqu'ils sont moins
centralisés. Il n'est donc pas surprenant que ,
dans la supposition qu'on pourroit admettre
que la sensibilité est la même chez ces divers
(i) Ces ganglions ne sont pas de la même nature que
ceux qu'on remarque dans les animaux vertébrés ; aussi
ne remplissent-ils pas les mêmes fonctions. Chez ces
animaux , ce sont divers filets nerveux qui s'entre-croi-
sent pour former les ganglions ; chez les Sangsues , au
contraire , on appelle ganglions des renflemens indé-
pendans de pareils filets , qui se répètent à des inter-
yalles égaux , sur le cordon médullaire.
(90)
animaux , les effets qui résultent désaffection?!
qu'elle éprouve , soient pourtant très - peu
semblables.
La difficulté qu'ont à se transmettre les im-
pressions nerveuses à travers les ganglions ^ '
n'est pas le seul fait qui prouve que ceux-ci
peuvent être considérés comme autant de
points centraux particuliers ou isolés. On ea
a encore une preuve bien plus manifeste dans
îe peu d'effet que jDroduit la section du nerf
lui-même. Aucune partie ne se trouve alors
paralysée , quoique par ce moyen on inter-
rompe la communication qui existe entre les
divers points du cordon médullaire.
Il paroît donc bien naturel de penser que
chacun des ganglions est un centre d'où par-
tent 5 indépendamment des autres , les irradia-
lions nerveuses.
Les ganglions ne peuvent jouer un rôle de
cette nature chez les animaux d'un ordre su-
périeur. Chez eux l'existence d'un centre
principal du système nerveux établit, entre
les diverses parties de ce système , une corré-
lation intime , qui ne peut cesser pour une
partie ^ sans que celle-ci ne perde la plupart
de ses facultés.
(9' )
Une coilsëqiieoce qui suit Je ce^ coiisulc'-
rations , c'est qu'il est vraisemblable que des
êtres dont le système nerveux est ainsi disposé
par ganglions , sont moins exposes aux priva-
tions partielles du sentiment , communes cliez
les animaux vertébrés.
Il est donc facile de voir combien sont im-
parfaits les résultats de l'analogie qu'on veut
établir entre des êtres que la Nature a formés
sur des plans différens. On gagne plus alors à
étudier les différences qu'à chercher les rap-
ports ; et ce moyen est un des plus propres
à étendre nos connoissances , et à donner aux
Sciences, ou aux lois générales qu'on veut éta-
blir , la seule stabilité qu'elles puissent avoir.
On trouve une grande différence entre la
sensibilité de l'épiderme des animaux à sang
chaud , et celle de la membrane externe
qui revêt le corps des Sangsues. L'épiderme
peut être impunément offensé : ce n'est que
lorsqu'il est enlevé ou détruit , que le seul
contact de l'air excite de vives douleurs , qui
s'exaspèrent bien davantage , si on irrite l'or-
gane cutané avec un instrument ou avec un
caustique.
La Sangsue 5 au contraire , donne des signes
( 92 )
des plus vives souffrances , ainsi que je l'ai
dit ailleurs, dès qu'on exerce de pareilles
impressions sur cette membrane qui, chez
elle , correspond à notre épiderme. L'acide le
plus foible , la piqûre la plus légère , etc. , lui
causent des tourmens qui sont attestés par
des mouvemens violens et brusques , et par
d'autres signes dont on ne sauroit mécon-
noître la cause.
Cette sensibilité exquise de Tépiderme étoit
nécessaire à un animal dont tous les sens sont
bornés au toucher seul.
La Sangsue étant acéphale, ne pouvoit
guère avoir ni organe de la vue (i) , ni organe
( I ) Deux espèces de Sangsues ont été décrites
gomme munies l'une de huit yeux placés en demi-crois-
sant , l'autre de six yeux. Mais ces organes , qu'on a
peints comme des points noirâtres, dans les figures qu'on
a données de ces animaux , se trouvent ainsi présentés
d'une manière si imparfaite , qu'on ne peut rien con-
clure de ces dessins.
Il m'a été impossible de me procurer aucun individu
de ces deux espèces. J'observerai néanmoins que , comme
ces yeux ne peuvent être placés que sur la lèvre , et
qu'ils ne peuvent recevoir qu'un filet nerveux venant
du cordou médullaire , ils doivent avoir wn caractère
(93)
de Fouie. La disposition de son système res-
piratoire jointe à l'absence de la tête , l'ex-
cluoit de la faculté de sentir les odeurs par un
organe particulier. Il lui restoit donc seule-
ment le toucher , et l'organe du goût , qui
existe chez elle sans cet appareil organique
qu'on remarque chez les animaux des classes
supérieures (i).
Cette faculté de prendre de préférence
telle ou telle substance se retrouve chez tous
très-différent de celui qu'ont ces organes chez les ani*
maux qui ne sont point acéphales.
Le genre des Sangsues est si naturel , qu'il seroit
bien singulier que les espèces qui le composent diffé-
rassent si essentiellement entre elles sous le rapport
d'un organe important comme celui de la vue.
(i) On a bien dit que tous les sens pouvoient être
ramenés à celui du toucher ; ce qui ne yeut dire autre
chose sinon qu'il faut le contact sur quelque partie des
organes des sens de la substance qui doit faire impres-
sion» Mais quand on considère les différences de Tap-
J>areil propre à chaque organe , et combien il importe
que tout cet appareil organique conserve son intégrité
pour que les sensations soient régulièrement perçues ,
on voit que cette idée de ramener tous les sens à celui
du toucher, nest pas aussi profonde qu'elle le paroît
d'abord.
( 94 )
les êtres vivans , et elle doit exister nécessaH
remeiit toutes les fois qu'il j a digestion et
nutrition. Mais , de même que les derniers
des êtres ont certaines parties qui possèdent
cette faculté, comme les racines chez les
plantes, etc., sans présenter un appareil d'or-
ganes particulier , de même aussi on trouve
chez les Sangsues que la lèvre est la partie où
cette faculté s'exerce. La bouche ne s'en-
trouvre que lorsque cette partie a trouvé les
substances que l'instinct indique à FanimaL
C'est pour cela que , dans les cas où l'on
veut que les Sangsues piquent bientôt et sans
peine , on place s^ur l'endroit de la piqûre
quelques gouttes de sang , etc.
Il ne suffit pas d'avoir observé que la sur-
face extérieure de la peau est chez le& Sang-
sues d'une sensibilité très-viVe , ri faut encore
tâcher de découvrir à quelles circonstances
d'organisation est liée la production de ce
sentiment exquis.
Il sembleroit que lorsqu'il n'y a point d'ap-
pareil organique particulier , dont les modi-
fications puissent favoriser l'action des corj)s
qui doivent faire impression sur un sens , la
perfection de ce sens devroit dépendre plus
( 95 )
expressément de la quantité de substance ner-
veuse qui se distribue à l'organe. Cependant ,
quoique chez ranimai dont je parle, l'épi-
derme donne des signes d'une sensibilité très-
vive, on ne peut suivre , jusques à la peau,
les ramifications des filets nerveux : elles y
sont d'ailleurs si petites et si peu nombreuses ;,
qu'on n'y trouve point de rapport avec le
degré de sensibilité de l'épiderme.
Il est vrai que chez les animaux de l'ordre
le plus élevé , la faculté de sentir qu'ont les
diverses parties ne paroît pas toujours corres-,
pondre à la plus ou moins grande quantité
de nerfs ; comme le prouvent bien évidem-
ment plusieurs affections pathologiques, telles
que l'inflammation des tendons , des cartilages ,
les douleurs ostéocopes , etc. Dans ces cas on
remarque un certain rapport entre l'afflux du
sang vers ces parties, le développement même
des vaisseaux sanguins , et le degré de la sen--
sibilité , auparavant très-obtuse de ces parties.
J'observerai aussi que la peau se trouve
naturellement chez les Sangsues dans un état
à-peu-près semblable , et que le système vas-
culaire y est développé avec une profusion
étonnante.
(96)
Ainsi donc la Nature peut avoir attaché à
tel ou tel mode d'organisation, d'après des
lois particulières , une plus grande aptitude à
sentir.
Mais quoiqu'on puisse trouver dans des
conditions physiques quelconques ^ certaines
des causes qui doivent contribuer à rendre
plus ou moins exquise la sensibilité des divers
organes , il est néanmoins une foule de mo-
difications de la sensibilité, dont l'explication
échappera probablement toujours à tous nos
moyens de recherche.
M. J. B. Batarra a observé , par exemple ,
que si on place dans de l'eau de puits , ou dans
de l'eau commune , les Sangsues marines , qui
ne paroissent point différer des autres Sang-
sues , elles y meurent en une ou deux heures.
Elles y vivent très-long-temps au contraire, si
on y jette du sel marin, de manière à donner
à l'eau une saveur analogue à celle des Ilots
de la mer. On sait pourtant combien l'action
de ce sel est funeste aux Sangsues ordinaires.
M. Bibiena a fait aussi plusieurs expériences
pour connoître l'effet qu'éprouvent les Sang-
sues des diverses liqueurs dans lesquelles on
peut les plonger. Il a vu que ces animaux ne
(97)
\ï voient que quelques Leur es dans certaines
eàuxarcmatiques,tellesqnereaudeioses,elc.j
tandis qne l'eau de mentbe , Teau dans laquelle
on a jeté du camphre , du musc , ne ^eur sont
que très-peu nuisibles.
Les preparations o] iaticjues , telles que le
laudanum liquide, versé même dans une assez
grande quantité d'eau, exercent sur les Sang-
sues leur vertu narcotique , mais d'une ma-
nière assez lente.
Si l'on vouloit juger de la présence de l'or-
gane de l'odorat par l'impression que produi-
sent sur la Sangsue les substances gazeuses
irritantes , on arriveroit à un résultat faux.
Car alors on pourroit regarder comme un ef-
fet de l'odorat , ce qui n'est que l'effet d'une
impression ressentie ]^r l'organe cutané.
Toutes les fois que la substance irritante a
une forme solide ou liquide , et ne peut pas
former une atmosphère gazeuse , l'animal ne
s'éloigne qu'après un contact immédiat : c'est
ce qu'il fait pour le vinaigre et les autres
acides. Mais lorsque la substance est gazeuse ,
telle que l'hydrogène sulfuré , le gaz nitreux;
comme ces gaz tendent à se répandre , la
Sangsue est avertie de leur présence , et
7
( 98 )
semble fair, avant d'être dans l'atmosphère de
. ces gaz.
On a encore un exemple de la sensibilité
vive de l'organe cutané des Sangsues , par ce
qui arrive durant leur sommeil.
J'ai observé nombre de fois, et j'ai fait ob-
server à plusieurs personnes , que lorsque le
jour a fini , en été du moins , les Sangsues ces-
soient ordinairement de se mouvoir ; et que
bientôt , guidées sans doute par l'instinct, elles
fixoient leur trompe ou leur disque aux par-
ties du vase que l'eau ne touche point. Elles
se tiennent alors immobiles ; mais si l'on ap-
proche du vase une lampe qui jette une lu-
mière un peu éclatante , on voit en quelques
instans les Sangsues sortir comme d'une es-
pèce d'engourdissement, se détacher du v^se,
et s'agiter dans l'eau.
Ne découvre-t-on pas là les effets du som-
meil , et l'action stimulante de la lumière en-
nemie du repos ?
(99)
Organes de la génération.
De rherniaphroditlsme des Sangsues , et
du mode de leur génération.
On a reconnu que la Sangsue ëtoit herma-
phrodite ; mais les divers organes qui consti-
tuent chez elle l'un et l'autre sexe n'ont pas été
décrits assez exactement. Une pareille descrip-
tion étoit d'autant plus nécessaire , qu'elle pou-
voit indiquer en quoi cet animal diffère , eu
égard à l'acte et au mode de la génération , des
autres espèces très-nombreuses qui réunissent
les deux sexes.
Chacun sait que les êtres ainsi conformés
ont été rangés en deux classes , dont la pre-
mière comprend les animaux pour lesquels
cette réunion d'organes semble être ilkisoire ;
puisque l'acte de la génération ne peut avoir
lieu chez eux sans une copulation réciproque.
Dans la seconde se trouvent ceux qui jouis-
sent de tous les avantages que peuvent avoir
les vrais hermaphrodites. On verra bientôt à
laquelle de ces deux divisions la Sangsue ap-
partient.
Il suffit d'examiner légèrement la surface
( ÎOO )
nférieure du corps de cet animal, pour re-
*coiinoître l'existeace des deux sexes. On y dis-
tingue , au premier aspect , deux ouvertures
peu ëîoignëes l'iine de l'autre , et rangées sur
la même ligne. La supérieure livre passage
à un corps filiforme : on ne voit rien sortir
de l'autre ouverture.
Quand on a enlevé la peau et les diverses
couches fibreuses qu'elle recouvre , les pre-
miers organes qu'on aperçoit , et qui se mon-
trent de la manière la plus distincte , sont les
organes générateurs. On ne peut qu'être sur-
pris de leur étendue et de leur complication ,
qui sembloient ne devoir appartenir qu'à des
animaux d'un rang plus élevé.
Vers le quart supérieur du corps de la Sang-
sue se montre un corps formé comme une es-
pèce de bourse , très-épais , et d'une substance
presque tendineuse (i). Il va en se rétrécis-
sant , et s'unit bientôt à un canal cylindrique
qui se replie sur lui-même , en affectant une
double courbure.
(i ) M. Du Rondeau a pris ce corps pour la matrice ;
et la matrice a été regardée par lui comme étant un
véritable cœur ayec ses oreillettes, etc.
( lOI )
De rextrëmite de ce cylindre on voit sortir
le corps filiforme et blanchâtre qui paroît hors
de l'ouverture, et qui jouit à un très - haut
degré , comme les autres parties , de la faculté
de se contracter sur lui-même , et de s'é-
tendre, suivant la volonté de l'animal. Ce
corps peut acquérir une longueur de deux
pouces environ.
L'extrémité du cylindre qui lui donne issue,
est fixée à l'ouverture qu'on voit à la peau.
Elle y est même assez fortement adhérente ,
puisqu'on ne l'en détache qu'avec beaucoup
de peine (i).
Cette espèce de bourse d'où part le canal
cylindrique , est un réservoir qui paroît faire
(i) Plusieurs Auteurs ont regardé ce canal cylin-
drique comme la yerge , et ont pensé que le corps
filiforme qui en sortoit n'étoit qu'une espèce de muscle.
Mais comment ce corps, qui- est susceptible d'une
longue extension , ne nuiroit-il pas beaucoup a l'ac-
couplement s'il n'étoit qu'une partie musculaire ? com-
ment le cylindre qui le contient , étant attaché a l'ori-
fice de l'ouverture extérieure , pourroit-il sortir pour
entrer dans l'orifice de la matrice ? D'ailleurs le corps
filiforme a l'apparence d'un véritable canal, et ne res-
semble nullement aux parties musculaires.
( 102 )
fonction cle vésicules séminales; car elle reçoit
à sa base les canaux qui , venant des deux tes-
ticules , portent la semence , et correspondent
ainsi aux canaux déférens.
Chacun des testicules est placé à l'extrémité
d'un conduit membraneux qui lui corres-
pond , et dont il semble en quelque sorte être
la continuation. Ces organes ont une couleur
et diverses dépressions analogues à celles qu'on
remaïque sur le cerveau, des Mammifères.
Mais ils ne sont point formés d'une substance
compacte et solide : ils offrent une cavité où
est contenu un lluide laiteux assez épais , qui
s'en échappe dès qu'on a percé la membrane
qui le renferme.
Il paroît que le conduit membraneux à
l'extrémité duquel se trouvent les testicules ,
se replie sous leur membrane ; et qu'il com-
munique à un canal grisâtre qui , de la partie
postérieure et inférieure du testicule , va se
rendre , en décrivant une ligne courbe, à la
face inférieure du corps qui fait les fonctions
de vésicules séminales.
Mais ce canal , par lequel chaque testicule
A erse ainsi la semence dans les vésicules , n'est
point une continuation du conduit membra-
( io3 )
neHX. Car celui-ci , même à son extrémité an-
térieure , est d'une couleur blanche , ridé , et
plein d'un fluide comme laiteux ; tandis que le
canal est grisâtre , uni , d'un diamètre plus petit
que le conduit , et ne contient que rarement
des j)arties de ce fluide laiteux, qui reste long-
temps épanché dans la cavité des testicules.
La membrane qui forme le conduit est
mince , transparente , molle , et très-facile à
déchirer. Elle y laisse apercevoir dans l'inté-
rieur , des molécules opaques , d'un blanc
de lait, qui nagent dans un fluide aqueux.
L'intervalle que laissent entre elles ces mo-
lécules, répété très-souvent, m'a paru être
la cause de l'aspect ridé ou frangé que le
conduit présente transversalement,
A des points séparés par des distances ré-
gulières et assez rapprochées , on voit naître
du conduit un petit canal de même nature ,
qui se termine à une espèce de vésicule,
qu'on peut regarder comme une dilatation de
l'extrémité de ce petit canal. Ils contiennent
l'un et l'autre une humeur analogue à celle
que renferme le conduit lui-même. Cependant
, dans la vésicule le mélange paroît mieux fait ^
et les molécules blanchâtres semblent dis-
( 104 )
soutes dans le fluide. Peut - être cette diffé-
rence que présentent ces humeurs, n'est-elle
due qu'à la différence du diamètre des deux
parties.
Ces vésicules, qui tiennent ainsi au conduit
spermatique principal, reposent sur l'intestin
de la Sangsue, se correspondent de chaque
côté ,. et s'étendent , ainsi que le conduit , un
peu au - delà du quart inférieur du corps de
l'animal. Je n'ai jamais trouvé aucune irrégu-
larité à cet égard.
Les organes femelles sont moins étendus ;
taxais ils ne paroissent pas avoir moins de com-
plication et de perfection. Sur le milieu de
l'intestin , un peu au-dessous des testicules ,
et entre l'espace que renferment les deux
conduits spermatiques , se trouvent placés les
organes femelles. On peut y distinguer deux
corps ovales , petits et grisâtres , qui sem-
blent être les deux ovaires. Ils sont attachés
à un autre corps formé de membranes assez
épaisses, et qui, large à son origine, perd
bientôt de ses dimensions. Mais cette union
se fait par le moyen d'un filet dont les di-
mensions sont si petites , qu'on ne peut pas
assurer qu'il soit un véritable canal.
( io5 )
Ce corps , auquel sont atlacliës ces espèces
d'ovaires, est facile à reconnoître, parce que la
membrane qui le revêt a une couleur noirâtre.
Il présente une cavité qui , vers son tiers infé-
ï-ieur , éprouve un rétrécissement remarqua-
ble. Ily aàcet endroit comme une espèce de
valvule molle , ou de repli , qui empêche l'in-
troduction d'aucun instrument. L'ouverture
qui doit y être pratiquée est sans doute très-
étroite , et placée de manière qu'on ne peut
y faire pénétrer oii du mercure ni un fluide
quelconque.
On ne sauroit mieux comparer cette dispo-
sition qu'à celle du rectum , dans ses rapports
avec la partie du tube intestinal dont il forme
la continuation.
A l'extrémité postérieure de ce corps en
est attaché un autre , qui s'y continue de ma-
nière à n'en pouvoir être séparé j mais qvii s'en
distingue , et par sa forme presque ovale , et
par sa couleur , qui est blanchâtre. Il est sur-
tout très-développé après la fécoudation de
l'animal.
Ces corp^ imitent donc assez bien , soit par
leur position , soit par les rapports de la plu-
part de leurs parties , les organes femelles de
( io6 )
la gënëration des animaux à sang chaud , î^
matrice et le vagin. L'extrémité de ce dernier
canal est adaptée à une ouverture extérieiure
qui le termine.
Si l'on considère avec attention la forme et
la disposition de tous ces organes, on voit que
la Sangsue ne doit pas être du nombre des
êtres qui , malgré la réunion des deux sexes,
ont besoin d'un^accouplement récij)roque. La
longueur de la verge , l'extension qu'elle peut
acquérir ne lui seroient autrement d'aucune
utilité 5 tandis qu'elles semblent détermi-
nées d'après la distance qui se trouve entre
l'ouverture du vagin et celle des organes
mâles.
En effet , comme ces deux ouvertures sont
placées sur une même ligne, perpendiculaire
à la coupe transversale de l'animal , l'accou-
plement réciproque ne pourroit se faire^ li-
brement , qu'autant que les deux individus se
présenteroient l'un à l'autre dans un sens op-
posé. Mais comme il faudroit alors que l'ori-
fice extérieur du vagin s'appliquât à celui par
lequel sort la verge , la longueur que celte
verge doit avoir, pour que la Sangsue n'ait be-
soin d'aucun accouplemeat ré«: iproque, seroit
( 107 )
loeaucoup trop grande dans le cas où l'onaurolt
supposé cet accouplement nécessaire. Elle le
seroit d'autant plus , qu'on trouve assez près
de l'orifice es^térieur du vagin le rétrécisse-
ment de ce canal , qui empêche tout corps
quelconque de pénétrer au-delà j et que l'or-
gane femelle de la Sangsue , qui est recourbé ,
ne permettroit pas en outre à la verge de s'in-
troduire assez avant.
Ce qui donne encore une plus grande pro-
babilité à cette opinion, c'est qu'on n'a pu re-
connoître cet accouplement réciproque ; quoi-
qu'on ait eu de fréquentes occasions d'obser-
ver ces animaux , et qu'on ait vu des preuves
évidentes de leur reproduction.
Dans les vases où l'on renferme les Sangsues,
on découvre ass^z souvent, vers la fin de l'été,
des individus très -petits , et, pour ainsi dire ,
filiformes. On est bien sur qu'ils n'ont pas été
placés dans les vases avec les autres Sangsues;
puisque , s'ils y eussent été mis en même
temps , ils n'auroient pu se dérober à l'œil , à
cause de l'obligation où l'on est de renouve-
ler très-souvent l'eau des vases, sur-tout dès
que la saison des chaleurs s'approche.
Comme pour faire cette opération, on verse
( io5 )
ordinairement l'eau sur un crible, il est clair
que le fluide doit entraîner toutes les parties
qui pourroient surnager , ou s'être précipitées
au fond du vase.
Si les œufs qui doivent, contenir le germe
étoient déposés dans l'eau , le renouvellement
journalier du fluide devroit les entraîner au
dehors ; car il n'est pas probable qu'ils puis-
sent éclore en un jour ou deux, intervalle or-
dinaire d'un lavage à l'autre.
J'ai bien gardé plusieurs fois l'eau qui sortoit
du vase pour m'assurer si elle ne contiendroit
pas des œufs qui pussent se développer. Ce-
pendant il ne m'a jamais paru qu'il s'y déve-
loppât aucun germe de l'espèce des Sangsues;
Mais si la Sangsue étoit ovipare , comment
les petites Sangsues filiformes pourroientelles
se trouver dans des vases dont on renouvelle
l'eau tous les jours? et comment n'en tï*buve-
roit-on pas dans de l'eau qu'on auroit conser-
vée pendant un temps assez long?
Quoique plusieurs observateurs, tels que
Redi , Du Rondeau , etc. , aient prétendu que
la Sangsue est vivipare , cette exception aux
lois ordinaires de la génération des animaux k
sang froid, paroît si singulière , que les obser-
( J09 )
Vations que je viens d'indiquer m'ont semblé
nécessaires pour ôler à cet égard toute espèce
de doute.
Quelques auteurs disent que les petits sont
en forme de grains ronds dans le corps des
Sangsues , et qu'on y en a compté un très-
grand nombre. Cependant , dans l'espèce de
la Sangsue médicinale , la forme des petits est
oblongue j ils sont peu nombreux , et on ne
peut en suivre le développement. Plusieurs
fois, au moment où ils me paroissoient le plus
près du terme où ils dévoient sortir du corps
de la mère , j'en ai placé quelques-uns dans
un petit verre concave rempli d'eau ; mais je
n'y ai rien aperçu qui indiquât aucune trace
d'un développement iiltérieur. Dans certains
cas même, j'ai saisi un de ces corps oblongs
et presque filiformes , qui étoit en partie hors
de l'ouverture extérieure de la matrice , mais
sans obtenir un résultat plus heureux (i).
C'est durant l'été qu'il faut faire ces diverses
expériences ; car alors on trouve les organes
>i I ■ ' "
(i) M. Auria^ , Médecin distingué , qui a bien voulu
faire aussi ces expériences, n'en a pas obtenu un ré-
sultat différent.
(iio)
de la génération très-développés ; et dans Tof =-
gane femelle on remarque plusieurs de ces
corps oblongs , qui nagent dans une liqueur
laiteuse (i).
Il est très - vraisemblable que les organes
mâles de la Sangsue doivent jouer un rôle es-
sentiel dans l'acte de la génération 5 car ce ne
sont pas ici les parties peu essentielles qui
ont une grande étendue. On sent bien que
la longueur de la verge , par exemple , qui
est excessive chez certains insectes , n'est pas
une circonstance très-importante. Mais il n'en
sauroit être de même du volume qu'ont chez
les Sangsues les testicules et leurs appen-
dices.
(i) Il est bon de rapporter ici une observation de
M. Daudin qui peut être de quelque utilité. Il a vu que
la Sangsue pulligère ( Hirudo pulligera) avoit ses
petits attachés à son corps par leur lèvre ou leur disque,
et qu'ainsi placés sur le dos ou le ventre de leur mëre ,
Us pouvoient être pris pour des soies adhérentes à
son corps. Cela annonce des rapports de famille qu'on
ne rencontre pas souvent dans la classe des animaux
invertébrés. M. Daudin ajoute encore, d'après MuUer,
que les petits de la Sangsue bioculée s'attachent pareil-
lement au corps de leur mère.
(m)
Quoi qu'il en soit , on ne peut disconvenir
que la Sangsue ne s'éloigne beaucoup , par la
nature et l'ensemble de ses organes de la gé-
nération , des autres animaux d'un ordre in-
férieur. Rarement trouve-t-on , cbez les ovi-
pares d'un ordre plus élevé , une perfection
aussi remarquable. Que sera-ce donc si on
compare, sous ce rapport, la Sangsue aux
Mollusques bivalves, dont chaque individu
possède aussi des organes des deux sexes ?
On voit donc que la Nature ne suit pas de
gradation bien distincte dans le développe-
ment des divers systèmes d'organes ; que l'im-
perfection d'un de ces systèmes n'empêche
pas toujours la perfection de l'autre.
Je montrerai bientôt le rapport inverse qui
semble exister entre un état aussi parfait des
organes générateurs de la Sangsue , et la fa-
culté que ses diverses parties ont de se re-
produire quand elles ont été coupées.
(1.2)
De la manière dont les sécrétions s'opèrent
chez la Sangsue^
Jusqu'ici nous n'avons vu d'organes qui pa-
russent spécialement affectés à une sécrétion,
que ceux qui sont destinés à fournir ou à re-
cevoir la matière séminale. Je n'ai pu décou-
vrir qu'il en existât évidemment d'autres.
Cependant il est une série de corps parti-
culiers, rangés à des distances assez rappro-
chées l'une de l'autre sur les parties latérales
de l'animal , et couchés sur le tube alimen-
taire, qui pourroient bien remplir les fonc-
tions d'organes sécrétoires.
La forme de ces corps est, au premier
aspect , assez difficile à déterminer. Ils offrent
divers plis assez réguliers ; mais si on les dé-
tache et qu'on les étende , ils forment chacun
comme un canal circulaire qui a, à l'un de ses
points , des dimensions beaucoup plus grandes
que dans le reste de son étendue.
Ces corps membraneux paroissent contenir
un fluide blanchâtre et mucilagineux ; ils se
dessèchent promptement ; et l'on n'y voit
point , à l'œil nu , de vaisseaux sanguins : à
(ii3)
peine même y en reconnoîl-on quelques traces
au moyen de la loUpe.
J'ai observé que ces corps ëtoient en même
nombre que les organes respiratoires. Ils sont
placés en partie au-dessous de ceux-ci, et n'en
sont séparés que par le grand vaisseau san-
guin. Ils les suivent ainsi d'une extrémité à
l'autre.
Quoique couchés sur le tube intestinal , on
ne voit pas que ces corps y tiennent dans aucun
point, ni qu'aucune de leurs productions en
pénètre la substance. Ils sont assez étroitement
appliqués au vaisseau sanguin, dont on ne les
détache qu'avec peine. On parvient cependant,
en usant de précaution , à les enlever sans les
rompre.
La distribution et la situation de ces corps
ne peuvent nous éclairer que bien peu sur
leurs fonctions , que leur structure n'aide pas
à faire reconnoître. Ils ne doivent avoir aucun
rapport avec le tube alimentaire , puisqu'à sa
partie antérieure, c'est-à-dire à l'œsopha-
ge , etc. , ils en sont séparés par un tissu cel-
lulaire très-dense j et qu'on ne peut découvrir
entre eux et les diverses parties du tube , au-^
cun moyen de communication.
8
(1,4)
Je ne sais s'ils n'auroient pas des rapports
plus directs avec les organes respiratoires, et
s'ils ne pourroient pas contribuer à fournir en
partie le fluide mucilagineux qui les abreuve,
et qui a besoin d'être souvent renouvelé. Ce-
pendant , comme on n'aperçoit d'autre union
entre eux qu'un simple contact de surfaces, il
n'est permis de rien affirmer à cet égard.
Quelque opinion qu'on adopte sur la for-
mation des diverses humeurs dans les corps
vivans , il est certain que les sécrétions s'opè*
rent d'une manière beaucoup plus simple
chez la Sangsue que chez les autres animaux
à sang rouge. Car d'abord elle n'a aucun or-
gane sécrétoire qui offre cette structure com-
pliquée propre aux organes de ces derniers
animaux.
L'appareil de la génération en offre seul
quelques traces. Encore même l'absence du
système veineux, d'un centre du système vas-
culaire , établit-elle à cet égard une grande
différence 5 ainsi que le petit nombre des vais-
seaux sanguins qui ne pénètrent pas la subs-
tancîe du testicule , mais rampent seulement
sur la membrane qui l'enveloppe.
D'ailleurs , si l'on considère que chacune
( "S)
(les vessies respiratoires est fréquemment
remplie d'un iluide particulier; que de di-
vers points de la peau il s'exhale un autre
fluide doue de caractères diffërens; que la
digestion s'opère sans qu'aucun corps glandu-
leux attache au système digestif ( comme le
foie , le pancréas ) , y répande aucune hu-
meur ; on sera nécessairement porté à croire
que , chez la Sangsue , la formation des diverses
humeurs s'opère dans la masse générale du
fluide sanguin. Il doit s'y produire des mou-
vemens intestins ou de fermentation , qui dé-
terminent la formation successive de chaque
humieur , et qui ne présentent qu'une ana-
logie générale et vague avec les fermeu-
tations qui ont lieu dans les corps privés de
vie (i).
Chaque humeur étant une fois formée ,
doit être dirigée vers ceux des vaisseaux san-
guins qui , d'après une modification primor-
diale de leurs forces sensitives et motrices , lui
livrent passage. Ainsi la madère séminale se
porte vers les vaisseaux des testicules , Fhu-
(i) Voyez M. Barthez , Nouveaux Elémens de la
Science de l'Homme. '
( "6 )
meur pulmonaire vers les vaisseaux des pou-
mons 5 etc.
Il en est évidemment de même,, chez les
animaux à sang chaud , de certaines sécrétions
qui ont lieu , soit dans l'état sain , soit dans
l'état de maladie , sans qu'on puisse observer
qu'aucun organe particulier ait concouru à
leur formation ou à leur transport. Ainsi , par
exemple , on voit les tufs des goutteux se for-
mer spontanément, et se déposer vers les arti-
culations. Tantôt c est l'absorption d'une petite
quantité d'une matière contagieuse (comme
le virus syphilitique, varioliqiie, etc.) qui re-
produit et entretient pendant un temps plus
ou moins long , une altération propre à im-
primer à une foule d'organes , et à diverses
parties de nos humeurs , le caractère de la
matière absorbée : tantôt c'est la graisse qui
est produite , même avec une abondance sur-
prenante dans certains cas j sans qu'on puisse
assigner à sa sécrétion des organes propres et
distincts.
On trouvera plus insuffisante encore l'ac-
tion des organes sécrétoii es particuliers, pour
la formation de chaque humeur; si l'on re-
marque que parmi ceux de ces organes qui
( "7)
> paroissent les plus développés , les testicules ,
par exemple , ne peuvent sécréter la semence
qu'à des époques rigoureusement détermi-
nées pour la plupart des animaux , d'après
des lois primordiales.
Ce qui prouve bien d'ailleurs que la forma-
tion de l'humeur qui doit se séparer dans un
organe sécrétoire , n'est pas un pliénomène
essentiellement dépendant de l'excitation de
cet organe , c'est qu'on ne voit que trop sou-
vent une érection précoce et bien décidée de
l'organe viril , sans que pour cela l'excrétion
de la semence s'en suive. Il en est de même
dans plusieurs circonstances, des personnes
épuisées de débauche y chez lesquelles la sen-
sibilité de cet organe se réveille encore , sans
que la sécrétion ait lieu.
La promptitude avec laquelle se font quel-
quefois les sécrétions ne s'explique pas mieux
en supposant qu'elles ont exclusivement lieu
dans les divers organes , qu'en admettant que
les mouvemens intestins propres à détermi-
ner les sécrétions , se passent dans la masse
du sang.
Gomme ces mouvemens ne peuvent être
assimilés à ceux qui ont lieu dans les fermen-
(ii3)
talions des substances mortes, on ne doit pas
être surpris qu'ils soient déterminés avec une
rapidité qu'on ne retrouve plus hors de la
sj)lière des corps vivans.
On ne connoît pas mieux le développement
de ces altérations extrêniejneiit promptes ,
que certaines substances vénéneuses font
éprouver à tout le fluide sanguin , quoique
disséminé sur une très-grande surface.
Dans tous les cas , il est bien certain , même
d'après les seules considérations anatomiques ,
que chez les Sangsues et les autres animaux
organisés d'une manière à-peu-près semblable ,
les sécrétions ne peu^vent se faire d'après les
théories qu'on a données sur l'action exclusive
des appai^eils mécaniques de ces fonctions.
( 119 )
De V accrois sèment des Sangsues , de la
durée de leur vie , etc.
On a lâché d'établir cette loi, que l'accrois-
sement des diverses espèces d'animaux se fai-
soit avec d'autant plus de lenteur, que l'ani-
mal devoit vivre plus long-temps. En suppo-
sant que cette loi eût son application chez tous
les animaux vertébrés ( ce qui n'est pas ) , il
est certain qu'on ne la retrouve point chez
des ordres très - nombreux d'animaux à sang
blanc.
Quand on considère la lenteur avec laquelle
les insectes sont amenés à cet état où ils jouis-
sent de la faculté de se reproduire , et qui
doit être leur véritable état de perfection , on
ne peut qu'être étonné de la différence pro-
digieuse qui se trouve entre la courte durée
d'un tel état , et le long intervalle nécessaire
pour que l'animal y parvienne.
En effet, on voit très-souvent passer, au
bout de quelques jours , une génération en-
tière d'êtres qui n'ont acquis le développe-
ment attaché à leur reproduction qu'après
une ou plusieurs années.
( 12^ )
Ce qiii rend ces faits très - singuliers, c'est
qu'ils n'appartiennent qu'à une classe d'ani-
maux à qui nous ne donnons , soit au-dessus ,
soit au-dessous d'eux , que des voisins qui ne
leur ressemblent que très- peu. Si on compare
entre eux tous ces êtres qu'on a ainsi rappro-
chés , on voit que les actes de leur vie , et la
marche des phénomènes qui la constituent ,
présentent autant ou plus de différences que
de points de contact.
Chez plusieurs des animaux que nous pla-
çons après les insectes, nous retrouvons le
mode d'accroissement qu'offrent les animaux
des classes supérieures.
Les Sangsues ( comme plusieurs Natura-
listes l'ont observé ) ne présentent pas ces
changemens d'état , ce développement suc-
cessif et régulier de parties distinctes, qui
mènent les insectes à leur dernier degré d'ac-
croissement ou de perfection. Elles voient
leur postérité s'élever et croître autour d'elles ;
et , à l'exemple même d'animaux plus voisins
de l'homme , les individus de plusieurs es-
pèces de Sangsues semblent protéger leur fa-
mille.
Les f^ts qu'ont rapportés M. Daudin et
( 121 )
M-iùIcr peuvent ne s'être point présentes à
d'autres Naturalistes , parce qu'ils n'ont point
observé ces animaux à des époques conve-
nables.
11 ne m'a point paru que l'accroissement
du corps des Sangsues se fît par le dévelop-
pement de parties nouvelles. Les individus
les plus petits présentent le même nombre
d'anneaux circulaires que les Sangsues déjà
très-grosses ; ce qui indique que les diverses
parties du corps se développent et s'accrois-
sent ici simultanément, comme dans les es-
pèces d'animaux d'un ordre élevé.
La Sangsue n'atteint qu'avec lenteur à ce
degré d'accroissement , au - delà duquel le
corps commence à perdre plus qu'il ne gagne
par la nutrition.
J'ai placé dans un bocal rempli d'eau quatre
jeunes Sangsues filiformes. Ce n'est qu'après
plus de deux mois que j'ai observé un accrois-
sement tant soit peu sensible. Il a toujours été
très-lent 5 et les dimensions de leurs corps
étoient encore bien petites au bout du neu-
vième mois.
Il ne paroît pas qu'on puisse attribuer cette
lenteur au défaut de nourriture; car l'eau
( 122 )
étoit convenablement renouvelée ; ce qui pou-
voit compenser la qualité et la quantité d'eau
stagnante dans laquelle ces animaux sont des-
tinés à vivre.
On trouve dans les eaux vaseuses, des Sang-
sues qui présentent ces divers degrés d'ac-
croissement , depuis les dimensions les plus
petites, jusqu'aux plus grandes auxquelles ces
animaux puissent atteindre.
Il est permis de croire que l'effet de l'âge
se fait sentir d'une manière notable cliez les
Sangsues, et que l'instinct leur indique l'inu-
tilité ou le danger d'une pâture trop copieuse,
pour cet état de leur corps où l'accroissement
a cessé.
En effet on» a remarqué assez générale-
ment que celles qui n'ont qu'une grosseur
médiocre prennent une beaucoup plus grande
quantité d^ sang , ou se détachent plus tard
de la plaie qu'elles ont faite. Aussi voit-on les
Chirurgiens demander celles-ci de préférence.
Quant à la durée de la vie des Sangsues , on
ne sauroit l'assigner avec quelque précision. On
ne peut douter cependant qu'elles ne vivent
plusieurs années : car celles qu'on a prises
déjà grosses , et dont l'accroissement avoit dû
( 123 )
exiger déjà un temps assez long , se retrouvent
souvent dix et onze mois après dans les bocaux
où on les avoit placées. Sans doute elles y vi'
vroient plus long-temps encore , si on ne les
en retiroit pour les usages médicinaux , après
lesquels on ne désire point de les conserver.
On arriveroit à un faux résultat , si on vou-
loit calculer la durée de la vie des Sangsues
d'après ce qui arrive , sur-tout durant l'été , à
celles qui se trouvent entassées dans des vases
ou des bocaux. Le plus grand nombre périt
alors assez souvent. Mais il est difficile de dis-
tinguer ici l'effet de la chaleur, et celui de
l'altération que l'eau a éprouvée , etc. , de l'ef-
fet des lois auxquelles l'existence de ces ani-
maux est soumise.
Je citerai une expérience qui prouve com-
bien une chaleur un peu forte leur est nuisible.
Vers la fin du mois d'août dernier (le mercure
étant à 26 degrés au thermomètre de Réau-
mur ) , je plongeai une Sangsue dans de l'eau
chauffée au 38 ^ degré. Elle y mourut au bout
de quelques minutes.
De Faction du froid sur les Sangsues , et
de leur engourdissement,
L'ÉTAT d'engourdissement dans lequel le^s
Sangsues passent la saison de l'hiver , portoit
à croire qu'elles étoient très- sensibles à l'action
du froid (i). J'ai fait à cet égard plusieurs ex-
périences que je pourrois rapporter; mais
celles qu'a tentées M, Bibiena me paroissant
très -exactes , je préfère de les indiquer ici.
Elles sont d'autant plus sûres , que l'auteur
s'est contenté d'exposer les faits ; et que n'ayant
pas eu sans doute en vue d'éclairer , par leur
moyen , le phénomène de l'engourdissement,
sur lequel elles jettent pourtant un grand
jour, il n'en a lire aucun résultat.
Il plaça trois Sangsues dans une capsule de
fer-blanc bien fermée , qu'il recouvrit d'une
quantité de neige , où il mêla quelques poi-
gnées de sel marin : la capsule fut mise en-
suite dans un lieu froid. Après un intervalle de
deux heures , il trouva les Sangsues comme
durcies , et dans un état tel , que l'influence
(i) Teporem. amant , undè per autumnum rursus
conduntiir , jiec hveme nullibi apparent. ( Wolfang.
Franz,, 1. c.)
/
( 1-25 )
d'une chaleur douce , ni celle de l'eau à la
température de l'atmosphère , ne put leur
fah^e donner aucun signe de vie.
Quand on entouroit seulement de neige
cette capsule , les Sangsues paroissoient , au
bout de quatre heures , un peu contractées ,
mais ]3oint du tout gelées. Elles ëtoient si vi-
vaces , qu'en les jetant dans de l'eau pure ,
elles ne sembloient avoir rien perdu de leur
vigueur ni de leur santé.
L'auteur , pour expliquer cette différence ,
dit que les particules du sel ont pu pénétrer
à travers les parois de la capsule , et exercer
ainsi leur action délétère. Je n'ai nul besoin
de faire observer combien cette supposition
est peu vraisemblable. On sent bien que le
degré supérieur de froid produit par le mé-
lange du sel et de la neige , a du suffire pour
causer la mort des Sangsues.
Puisque ces animaux restent engourdis du-
rant l'hiver , dans les contrées où le thermo-
mètre ne descend quelquefois point , ou ne se
maintient que très-peu de temps au degré de la
congélation, on voit que l'état d'engourdisse-
ment qu'ils éprouvent en hiver, n'est pas ex-
clusivement dépendant du froid»
(126)
Mais puisque dans les pays où la tempéra-
ture est souvent de 12 degrés et plus au-
dessous de o , les Sangsues ne se gèlent
point et n'y meurent pas , on doit reconnoître
que , dans l'état d'engourdissement qui sur-
Tient à des périodes déterminées , ces ani-
maux doivent avoir en eux une force qui les
fasse résister à l'impression mortelle qu'exerce
sur eux , dans d'autres temps , un froid moindre
même de quelques degrés ; tel que celui qui
est produit dans l'expérience de M. Bibiena.
Il est vraisemblable que dans l'engourdisse-
ment qui se fait par degrés , cette résistance
que les Sangsues peuvent opposer à l'action
du froid augmente successivement ; et est
plus grande que la résistance qu'elles peuvent
faire à l'impression d'un froid soudain.
On ne devroit pas trouver étonnant que les
Sangsues ne s'engourdissent pas lorsqu'on les
tient dans des lieux chauds durant l'hiver ;
puisqu'alors elles sont entièrement à l'abri
d'une des causes qui influent beaucoup sur la
production de cet état; et que d'ailleurs l'in-
iluence d'une douce chaleur doit rompre la
chaîne ordinaire de leurs habitvides.
( 127 )
De la force de régénération des parties ,
considérée chez les Sangsues,
C'est sans doute un phénomène bien sin-
gulier que la régénération de certaines parties
du corps des animaux. Mais quelles en sont
les bornes chez les diverses espèces ? Voilà ce
qu'il n'est point permis de présumer d'après
la seule analogie.
Si chez un grand nombre d'animaux à sang
^rouge , celte faculté n'existe que pour les par-
ties de certains systèmes simples , tels que le
système osseux , cellulaire , nerveux, etc. ; et
si les parties musculeuses , et les organes com-
posés de diverses parties similaires s'en trou-
vent privés , il est vrai aussi que cette faculté
paroît à un très-haut degré chez des familles
nombreuses d'animaux de la même classe,
dont l'organisation est très-compliquée.
Il n'est personne qui ignore que les lézards
et les serpens reproduisent leiu^ queue , etc ;
et qui ne sache, d'après les expériences de
Spallanzani , que chacun des membres de la
salamandre aquatique, se régénère avec les
mêmes parties , autant de fois qu'il a été
coupé.
( "8 )
Il semble ensuite qu'à mesure qu'on arrive
à des animaux d'une organisation moins com-
pliquée , cette faculté s'accroisse , et à des de-
grés très-surprenant. Ainsi l'on assure que la
tête des Mollusques gastéropodes renaît avec
ses tentacules , dont les deux supérieures por-
tent chacune un œil , et avec toutes les autres
parties. Les écrevisses reproduisent aussi leurs
pattes , etc.
On sait bien qu'on ne peut retrouver cette
faculté , à de pareils degrés du moins , chez
les insectes parfaits. Mais on peut dire que la
brièveté de la vie , chez la plupart des in-
sectes, ne permet pas de faire les observa-
tions convenables.
Quant aux vers, on regarde chaque por-
tion de leur corps qu'on a séparée des autres
par diverses sections , comme propre à régé-
nérer ce qui en a été séparé , et à devenir un
individu entier.
Enfin le Polype semble se jouer de toutes
les sections qu'on lui fait subir ; il l'emporte
même à cet égard sur les végétaux, puisque
non-seulement chacune de ses parties repro-
duit le corps entier; que celles de deux indivi-
dus peuvent se souder ensemble, et ne former
( ^^9 )
qu'un seul animal j mais encore qu'on peut
rendre extérieures les parties internes de son
corps , sans qu'il cesse pour cela de subsister
et de se mouvoir.
On ëtoit bien en droit de s'attendre que
des animaux places fort au-dessous des Mol-
lusques , et confondus presque avec les vers ,
partageroient avec tous ces êtres cette force
de régénération. L'expérience vient pourtant
tromper l'attente du Naturaliste.
Si l'on fait subir une section transversale
quelconque au corps d'une Sangsue , chacune
des deux parties qu'on a ainsi séparées , loin
de reproduire l'autre , s'éteint au bout d'un
temps plus ou moins long. La portion qui
renferme l'extrémité supérieure ne régénère
pas plus la substance qui termine le corps,
que celle-ci ne régénère les parties supérieu-
res , ou les premiers instrumens de la diges-
tion.
Les diverses parties conservent plus ou
moins long-temps toutes les facukés de la vie,
selon leur étendue et suivant la saison. Il pa-
roît que la mort a lieu plutôt lorsqu'on a fait
plusieurs seetions , que lorsqu'on s'est borné
à une seule. Je crois aussi que^ durant Fliiverj
9
( i3o )
chaque partie survit plus long-temps que du=
rant l'été.
Dans tous les cas , les bords de la plaie qu'on
a faite se resserrent; mais jamais on n'y aper-
çoit aucune trace de parties régénérées.
Les dents ne m'ont point paru renaître plus
que les autres parties.
Le disque lui-même , qui n'est composé que
d'une enveloppe extérieure et de fibres mus-
culaires , n'est nullement reproduit.
Il m'a paru que l'influence de la saison étoit
beaucoup moins sensible dans ce dernier cas :
l'animal vit à-peu-près comme s'il étoit entier;
tandis que dans les autres, il ne prolonge guère
sa vie au-delà de deux , quatre , six mois (i).
Quelle raison donner de cette étrange ex-
ception à une loi qui paroissoit si naturelle-
ment établie ? L'organisation est ici très-sim-
(i ) On ne peut mettre sur le compte d'une durée trop
courte de la vie des Sangsues ce défaut de régénération.
Car , outre que chaque portion du corps qu'on a séparée
des autres vît assez long-temps , l'animal prolongeroit
bien au-delà son existence , si on le laissoit dans son
intégrité ; et c'est précisément cette extinction plus ou
moins prompte de la vie dans les parties du corps
qu'on a divisées qui est l'objet de la question.
( "3i )
pie; les systèmes vascuîaire et digestif ne sont
nullement compliqués ; le cordon médullaire
est distribué uniformément à tout le corps, etc.
Certes , la tête des Mollusques gastéropodes
contient des organes bien plus nombreux, et
d'un genre bien plus parfait; les membres des
lézards ont une structure bien autrement
compliquée.
On pourroit dire que les sections transver-
sales ne pouvant être opérées chez \à Sang-
sue , sans .que les deux vaisseaux qu'on doit
regarder comme une espèce de centre du sys-
tème vascuîaire ne soient divisés , la plupart
des fonctions doivent être par là anéanties.
Mais l'animal survit long - temps à la bles-
sure. Il n'y a pas de véritable hémorrhagie ;
car le mouvement du sang n'étant aidé par
l'action d'aucun organe central , est si lent ,
et la contraction des bords de la plaie est si
vive , que le lluide ne peut s'écouler au-
dehors.
D'ailleurs , h. tête , dans les Mollusques , etc.
n'a pas de vaisseaux moins importans : en outre
les vers , qui possèdent un vaisseau sanguin:
dont les mouvemens sont analogues à ceux
que présentent les vaisseaux des Sangsues ,
( i52 )
paroisseiit jouir , à un très-haut point , de cette
force de rëgënëration.
Il est vrai que les vers de terre n'ont pas
un système nerveux comparable à celui des
Sangsues ; mais ce système est bien moins
compliqué chez celles-ci que chez les Mol-
lusques.
On est donc force de convenir que les con-
ditions d'où dépend cette faculté régénéra-
trice nous sont jusqu'ici inconnues ; et qu'on
ne peut assigner encore quelle est la combi-
naison d'organes qui l'exclut ou la favorise.
Voici cependant un rapport qu'il est inté-
ressant d'observer.
Les vivipares sont , de tous les animaux ,
ceux où cette faculté est le plus bornée. Au-
cun organe proprement dit ne se reproduit
chez eux. Or , on trouve dans les parties au
moyen desquelles ils perpétuent leurs espèces,
la distribution et l'ordre qui nous paroissent
les plus parfaits , ou du moins les plus com-
pliqués. IXous remarquons aussi , chez les
Sangsues , une pareille perfection dans ces
organes , et ce manque de reproduction des
parties mutilées. Cette analogie ne devient-
elle pas importante à saisir ?
(i33)
IJ est vrai cependant qu'on ne peut ]îas
conclure de cette comparaison , que la faculté
de reproduire les diverses parties du corps
mutilées soit exclusivement liée à telles con-
ditions de perfection et de structure des or-
ganes générateurs; puisque les Oiseaux pour-
roient offrir , à cet égard, une exception assez
remarquable.
J'observerai néanmoins que la classe nom-
breuse des Oiseaux, d'ailleurs formée sur un
plan qui établit entre les êtres qu'elle con-
tient et les Quadrupèdes vivipares , la plus
grande uniformité , eu égard aux organes es-
sentiels à la vie , possède à un plus baut de-
gré que la classe des Mammifères cette force
de régénération.
On sait que les plumes qu'on arracbe a
certains oiseaux qu'on veut retenir dans l'es-
clavage , renaissent ; quoique munies de vais-
seaux très-apparens , et d'une structure assez
compliquée. La mue qu'on a observée cbez
la plupart des volatiles offre encore ici une
preuve de plus. Enfin on a appris , par les
expériences de Troja , que la régénération
osseuse se fait cbez eux avec une grande
eétérité.
( i34 )
Les animaux ovipares des autres classes ,
qui sont plus éloignés des Mammifères , re-
produisent aisément plusieurs de leurs parties
et des membres entiers.
On peut par conséquent regarder comme
très- vraisemblable, que la disposition du sys-
tème des organes générateurs influe sur la
faculté qu'ont les animaux de reproduire les
diverses parties de leur corps ; quoiqu'on eût
regardé cette faculté , chez les êtres d'un rang
inférieur , comme soumise exclusivement à la
disposition du système vasculaire, et sur-tout
du système nerveux.
Il faut avouer qu'on ne trouve aucune
liaison entre cette faculté , et celle qu'ont
certains animaux de conserver , dans les par-
ties qu'on a isolées par la section, la régularité
de leurs mouvemens , et l'intégrité de leurs
principales fonctions. En effet , la bouche et
les lèvres de la Sangsue qu'on a divisée, s'ap-
pliquent , et opèrent la succion comme si l'a-
nimal étoit entier.
Je plaçai un de ces tronçons de Sangsue
sur la tête d'un jeune poulet , que j'avois eu
soin de fendre cà et là pour faire couler le
sang. Les lèvres s'y attachèrent, et y restèrent
( i35 )
ainsi appliquées durant u.n quart d'heure en-
viron. Enfin les libres du corps opérèrent les
diverses contractions propres à faire avancer
le fluide.
Le disque de la Sangsue s'applique comme
les lèvres.
Il est bon de noter que la putréfaction fait
dégager du corps des Sangsues une odeur
très-analogue à celle qu'exhalent, après leur
mort , les animaux à sang rouge ; tandis que
l'odeur que répandent les vers qui se putré-
fient est plus fade , et affecte beaucoup plus
désagréablement l'odorat.
( i36 )
Il me paroît qu'en considéranl l'ensemble
de ces Mémoires , on ne sauroît douter que
nos connoissances n'aient ëtë jusqu'ici très-
imparfaites sur les divers systèmes d'organes,
les fonctions et les facultés des Sangsues ; et
que , sur chacun de ces points, les i-echerclies
les plus nombreuses et les plus intéressantes
ne restassent encore à faire.
En effet, tout ce qui concerne les systèmes
cutané et musculaire étoit encore inconnu ;
de même que la théorie des mouyemens dé-
pendans des diverses modifications que l'a-
nimal donne à ses fibres , par le moyen des
forces de contraction , d'élongation, de situa-
tion fixe.
C'étoit à des principes très - erronés qu'on
rapportoit la succion , la progression des ali-
mens dans la bouche et l'œsophage , et la
manière dont les deux extrémités du corps
de la Sangsue s'appliquent aux diverses sur-
faces.
J'ai indiqué, en m'appuyant sur des obser-
vations et des expériences rigoureuses , les
procédés d'après lesquels ces diverses fonc-
tions s'exécutent. J'ai décrit d'une manière
plus exacte qu'on ne l'avoit fait , les organes
( i37 )
digestifs, et montré comment leur disposition,
accommodée à la forme de l'animal , s'écarte
de la disposition et de la structure qu'offrent
ces organes chez les autres animaux carnas-
siers.
Quoique le système vasculaire fut en très-
grande partie connu , on n'avoit pas encore
déterminé quelle est la division des grands
vaisseaux , soit aux côtés du corps , soit aux
extrémités ; et leur distribution à divers or-
ganes.
On étoit encore plus loin de savoir de
quelle manière et par quels organes s'opéroit
la respiration des Sangsues. J'ai démontré
qu'elle avoit lieu par des organes très-ana-
logues à ceux que présentent la plupart des
animaux vertébrés ; et comment , par la dis-
position de ces organes , la Sangsue pouvoit
supporter la privation de l'air atmosphérique ,
et se soustraire à l'action délétère de certains
gaz.
Si j'ai eu peu à ajouter à ce qu'on sa voit
déjà sur l'anatomie du système nerveux, il
me semble avoir fait des recherches et des
rapprochemens utiles sur les divers degrés de
sensibilité des parties; sur les conditions dont
( i38 )
ils peuvent dépendre , et sur les affections du
système des nerfs.
J'ai donné plusieurs observations sur îe
système des organes générateurs , sur la gé-
nération des Sangsues ; et indiqué , d'après
des considérations anatomiques , à quelle classe -
d'animaux hermaphrodites elles doivent ap-
partenir.
J'ai encore déterminé ce que les Sangsues
offroient de particulier relativement au dé-
faut d'organes sécrétoires , et concernant la
manière la plus probable de concevoir la for-,
mation de leurs diverses humeurs.
J'ai eii outre fait des recherches sur le pro-
grès et le mode d'accroissement de ces ani-
înaux, sur l'influence qu'ils éprouvent des
divers degrés de froid extérieur, sur la nature
de leur engourdissement périodique.
Enfin , les expériences que j'ai faites sur la ,
régénération des diverses parties qui ont été
retranchées du corps de la Sangsue vivante ,
m'ont donné ^e résultat très - singulier ; que
les Sangsues peuvent, sous ce rapport , être as-
similées aux animaux de l'organisation la plus
compliquée ; qu'on ne sauroit établir que cette
faculté dépende de telle ou telle disposition des
( 1% )
systèmes vasculaire et nerveux 5 et que la na-
ture des organes de la génération paroît exer-
cer à cet égard une influence très-grande.
11 me reste à présent à développer quelques
considérations qui naissent de l'ensemble des
faits que j'ai énoncés, et qui se rapportent
plus particulièrement à l'Histoire Naturelle.
On a vu combien la disposition des divers
systèmes d'organes de la Sangsue s'éloignoit
de celle que l'analogie sembloit indiquer.
La nature de plusieurs de ces systèmes rap-
proche ce singulier animal des êtres que nous
avons placés aux premiers rangs. Il n'y a que
l'absence des membres articulés , la simplicité
des systèmes digestif et nerveux , qui lient les
Sangsues aux animaux dont les entourent les
classifications ordinaires.
Mais d'après quel rapport établir la préé-
minence de l'un ou l'autre ensemble de ces
caractères , et le rang que la Sangsue doit
occuper dans les classifications ?
Les conditions réunies d'un système de vais-
seaux à mouvemens sensibles, et d'organes res-
piratoires analogues aux poumons, que nous
ne retrouvions plus chez des classes entières
d'animaux très -supérieurs à la Sangsue, le
( 140 )
caractère du fluide^sanguin que cette réunioiî
semble rendre semblable à celui des animaux
vertèbres , l'ëtat de perfection des organes gé-
nérateurs, d'autant plus surprenant qu'il est
totalement étranger aux autres espèces dont
les individus possèdent les deux sexes , la pri-
vation de la faculté qu'ont des êtres nombreux
et d'une organisation très-variée, de régénérer
des membres entiers, et des parties très-com-
pliquées de divers systèmes : voilà une foule
de traits qui ne peuvent être effacés , ou
compensés par les caractères qui tendent à
rapprocher les Sangsues des insectes et des
vers.
Cependant il ne suffit pas de montrer com-
bien paroît être arbitraire la place que les clas-
sifications ordinaires donnent aux Sangsues ,
pour indiquer celle qui leur convient plus
naturellement.
Les obstacles aux déterminations d'après
lesquelles on établit les méthodes de classifi-
cation, se multiplient assez généralement, à
mesure cpi'on connoît mieux l'organisation
des divers êtres ; parce qu'alors on trouve un
grand nombre de différences qu'on n'avoit
point encore aperçues , et qui diminuent
(HO
beaucoup l'importance des traits de ressem-
blance qu'on avoit d'abord saisis.
Si l'on veut placer les Sangsues au rang que
leur donne la nature des systèmes vasculaire
et respiratoire , etc. , il faut les éloigner des
êtres (i) qui, places après elles , leur sont
unis par de grands rapports. Que si négligeant
ces caractères , on confond les Sangsues avec
(i) Si les vers qui sont pourvus de vaisseaux à sang
rouge ont des organes respiratoires , on peut assurer
que ces organes ne ressemblent aucunement à ceux que
présentent les animaux doués de poumons , de bran-
chies ou de trachées.
Ainsi , sous ce rapport , les vers ne peuvent être
comparés aux Sangsues j car c'est la réunion des deux
systèmes vasculaire et respiratoire qui me paroît ici le
point essentiel.
Comme l'existence d'un système de vaisseaux à sang
rouge chez des animaux invertébrés , nécessite , ainsi
que l'a observé M. Cuvier , des modifications dans les
divisions les plus générales qu'on a données des ani-
maux , il pourra devenir plus facile de faire les divi-
sions subséquentes. Ainsi les animaux à sang rouge
pourront d'abord être distingués en animaux verté-
brés et invertébrés; et parmi ces derniers, on trouvera
que les uns joignent à ce système vasculaire des organes
respiratoires analogues aux poumons , et que les autres
( ï4^ )
ces derniers animaux, la classification n^en
reste pas moins imparfaite , parce qu'on sé-
pare des êtres qui sont liés par des traits de
ressemblance , tirés d'organes très-importans ,
sur la disposition même desquels on s'appuie
pour établir les plus solides divisions.
Comme les Naturalistes font beaucoup
moins de cas des organes du mouvement chez
respirent d'après un mode différent qu'on découvrira
sans doute.
Il est vrai que cette méthode de classification rompt
les diverses séries suivant lesquelles on avoit rangé les
êtres vivans. Mais dès qu'on a regardé comme des
caractères du premier ordre ceux que fournissent les
systèmes vasculaire et respiratoire , il faut ou bien ac-
corder moins d'importance à ces caractères , ou bien
placer avant les premières familles d'animaux à sang
blanc, des espèces d'animaux à sang rouge, tels que
les Sangsues , etc. , qui leur sont inférieures sous cer-
tains rapports.
Cette dernière manière de voir ne détruit pas autant
qu'on le croiroit d'abord , les gradations qu'on a pu
remarquer entre les diverses classes d'animaux; car les
Sangsues ne diffèrent pas plus des animaux a sang rouge
du dernier ordre , qu'elles ne diffèrent des animaux à
sang blanc.
( 143 )
les espèces inférieures , puisqu'ils ne donnent
pas un plus haut rang aux insectes , très-ëlevés
sous ce rapport , on ne peut tirer contre les
Sangsues aucune défaveur des formes que
leur corps a reçues. On le peut d'autant moins
que cet animal ,'par les diverses facultés dont
jouissent ses fibres, peut être regardé comme
ayant le système moteur le plus simple , et en
même temps le plus propre à s'accommoder
à toutes sortes de mouvemens , eu égard à son
genre de vie , et aux fonctions qu'il avoit à
remplir.
C'est là ce que nous retrouvons par - tout ,
une harmonie très-grande entre les divers sys-
tèmes d'organes, les facultés qui leur sont
attachées et les fonctions et le genre de vie des
individus. Ainsi destiné à vivre dans l'eau ,
devant exister quelque temps hors de cet élé-
ment , l'être dont je parle avoit besoin d'un
système respiratoire différent de celui des
poissons : il a été, en quelque sorte, traité
comme les espèces les y^us parfaites qui jouis-
sent de la même prérogative.
Le système vasculaire à sang rouge attaché
à ce mode de respiration , ou qui s'y trouve
lié d'après une influence et des lois qui nous
( 144 )
sont inconnties , se fait remarquer aussi cliez
les Sangsues.
Mais comme les combinaisons ne coûtent
rien à la Nature , et qu'elle sait , par des mo-
difications simples , remplacer un ensemble
d'organisation qui nous paroit devoir être très-
compliquë , nous voyons ici ce système exister
sans tout l'appareil qui lui est ordinaire. Un
simple laaouvement ondulatoire du fluide san-
guin 5 dirige en sens alternatif, semble suffire
pour remplacer le cœur et le système veineux ;
et l'on voit en quelque manière de telles dispo-
sitions rendre inutiles les appareils qui appar-
tiennent communément au système sècrëtoire.
Cette harmonie nécessaire , sans laquelle la
vie de l'animal ne pourroit subsister , se re-
trouve aussi bien dans les espèces inférieures,
comme dans celles qui nous paroissent au plus
haut degré de perfection.
En effet tous les êtres doivent être é^ale-
ment précieux à la Nature , qui les a produits;
et comme nous ne pouvons découvrir dans les
organes aucune perfection absolue , il est vrai
de dire que chaque être est en lui-même aussi
parfait qu'un autre ; puisqu'ils exercent tous
avec le même succès les fonctions de la vie.
( hs)
C'est notre manière particulière (le sentir
et de voir, qui fait ([ue nous considérons
comme les plus importans et les plus nobles ,
les rapports que les divers êtres ont avec nous ;
et que ce n'est que momentanément , et par
une détermination de notre esprit , qui ne
peut être long-temps conservée, que nous
cherchons à estimer chaque objet d'après une
valeur moins arbitraire.
Cette harmonie qu'on retrouve chez toutes
les espèces d'êtres vivans, montre combien
on a eu tort d'attacher une trop grande im^
portance à celte idée plus étonnante que pro-
fonde ; savoir : que toutes les combinaisons
possibles d'organes se réalisèrent lors de la
formation de l'univers ; que celles qui ne fu-
rent point en harmonie suffisante s'éteignirent:
ce que l'on a cîu prouver par l'observation
imparfaite de quelques êtres.
Ainsi Buffon , qui a émis cette idée avec sa
réserve ordinaire , cite pour exemple le Pa-
resseux, qu'il regarde comme le plus malheu-
reux des êtres créés , et auquel il ne falloit ,
selon lui , qu'un petit saut pour cesser d'être.
Mais Buffon lui-même , dans son article du Pa-
resseux 5 fournit des armes contre son opinion,
10
( 146 )
Peut-on regarder en effet , comme très-mal-
heureux , un animal qui ne peut se mouvoir
qu'avec une lenteur désespérante pour tout
autre (i) ; qui , arrivé au sommet d'un arbre
qu'il dépouille , ne peut en atteindre un se-
cond qu'après un long espace de temps, etc.;
lorsque d'un autre côté , cet animal est doué
d'une sensibilité si obtuse que les coups ne
l'émeuvent pas du tout , et qu'il lasse les armes
et la férocité même du chasseur ; lorsque cet
animal a la faculté de supporter une absti-
nence des plus longues , et paroît dispensé
■ I ' ' ^ I I I ■ u,
(i) M. Carlisle a observé que la lenteur des mouve-
ment du Paresseux n'avoit pas également lieu dans
toutes les parties. Il a vu que les personnes qui calcu-
loient le degré des mouvemens de la tète de cet animal
par celui des membres étoient souvent mordues ; et que
les mouvemens des mâcboires dans la mastication y
étoient analogues à ceux des mâchoires d'autres animaux
très-agiles , tels que le chat.
On pourroit croire que cette différence tient à la dis-
position particulière des artères qui se distribuent aux
extrémités supérieures et inférieures du Paresseux et
des autres Tardigrades. En effet , on remarque que ces
troncs artériels se divisent soudainement en un nombre
plus ou moins grand de vaisseaux cylindriques d'un
( 147 )
d'ëproiiver le besoin Je la soif? ne voiL-oo pas
dans cet ensemble des rapports aussi parfaits ,
une harmonie aussi sage que celle que nous
admirons dans des animaux qui nous semblent
le mieux partagés ?
Cette opinion de Buffon que plusieurs hom-
mes célèbres ont combattue , paroît manifes-
tement invraisemblable , quand on considère
qu'une harmonie évidente se retrouve dans
les êtres les plus infirmes, dont l'existence
même échappe quelquefois à nos sens ; quand
on retrouve , dans les restes des animaux qui
même diamètre; tandis que les artères qui vont aux
autres parties sont disposées d'après la division or-
dinaire {ùi the arborescent form ). Mais comme ,
selon les ol^servations de M. Carlisle , l'artère qui se
distribue aux mâchoires du Lion , ainsi qu'à celles
des animaux ruminans , se divise de même que les
troncs artériels qui se rendent aux membres du Pa-
resseux , on ne peut tirer de ce phénomène aucune
conclusion pour expliquer la lenteur des mouvemens
de cet animal ( Voyez une lettre de M. Carlisle à
M. J". Simmons, on apeeuliarUy in the distributioiz
ofarteries sent to the linibs of slow-moving jininials ,
dans les Transact. philos, de la Soc, royale de Londres^
an 1800, part. 1. )
( H8 )
ont déjà disparu ( soit par des révolutions
éloignées et extraordinaires du globe, soit par
l'effet de là civilisation de l'homme , soit par
des causes inconnues) , les mêmes caractères
d'accord , d'union , d'harmonie que nous of-
frent les êtres qui n'ont point cessé d'être
contemporains de l'homme ; quand on ob-
serve que les diverses familles d'animaux sont
formées sur un plan uniforme ; quand on voit
combien de modifications possibles d'organes
n'ont pas eu lieu , et combien peu il est per^
mis de classer , d'après une série continue ,
les diverses familles des êtres vivans.
Lorsqu'on veut quitter le rôle pénible d'ob*
servateur , et sortir du cercle étroit où la
Nature nous a renfermés , c'est-à-dire , ne
pas se borner à la coordination des faits, on
est réduit à enfanter des systèmes, qui ne
doivent être regardés que comme des jeux
3e notre esprit.
FIN,
EXPLICATION DES FIGURES.
PLANCHE I.
/. X* iBRES musculeiises circulaires, attacîiées a Fépî-
derme , et qui , en laissant cette membrane à nu à
des intervalles régulièrement répétés, font paroître
la peau des Sangsues divisée en un grand nombre
d'anneaux.
S. Fibres musculaires obliques , placées immédiate-
ment sous la peau , et s'étendant d'une extrémité
du corps à l'autre.
C Fibres musculaires longitudinales , placées sous la
couche des fibres obliques , et recouvrant immédia-
tement , en certaines parties , le tube intestinal.
D. Fibres musculaires du disque , qui ont une directiou
circulaire.
E. Fibres longitudinales du disque,
J^. Vaisseaux sanguins latéraux.
G. Branches vascuiaires qui partent des vaisseaux la-
téraux , et s'étendent transversalement sur le tube
intestinal.
Le vaisseau dorsal ayant été exactement dessiné par
M. Bibiena ., il m'a paru inutile de le répéter ici , et de
multiplier les figures.
PLANCHE IL
u^. Dents.
JS. Espèce de pie tendineux qui porte les dents , et les
reçoit dans une cavité qui leur est destinée,
C. Fibres tendineuses de ces pies , qui se confondent
avec les fibres des couches musculaires placées sous
la peau.
JD. OEsophage.
£. Sacs latéraux que forme le repli de la membrane
interne du tube intestinal.
Ils sont ici grossis , et par conséquent en plus petit
nombre. C'est sur-tout vers la partie supérieure cju'ils
ant de plus petites dimensions.
( i5o )
F. Sacs ou espèce de cœcum, qui terminent le \jja]^
intestinal.
G-, Origine du rectum.
M. Rectum. \
I. Anus.
K. Disque, au moment où il s'applique à un corps ex-
térieur.
jL. Fibrilles musculaires , placées transversalement sur
le canal intestinal.
M. Fibrilles musculaires obliques , placées sur ce canal
PLANCHE III. Figure i.
^. Tissu cellulaire semblable à du crêpe mouillé , qui
repose imraédiatemfint. sur la plus grande partie du
tube alimentaire.
B. Organes ou vessies respiratoires, placés sur le vais-
seau sanguin latéral,
C Renflemens ou ganglions, qui naissent du cordon
médullaire , et d'où partent quatre filets nerveux.
D D. Renflemens plus petits , qui sont les extrémités
de ce cordon.
E. Bourse tendineuse , faisant fonction de vésicules sé-
minales.
F. Canal cylindrique qui part de cette bourse , et s'at-
tache à l'ouverture extérieure , par où sort la verge.
G. Verge filiforme qui naît de la partie intérieure de
la bourse , et est renfermée dans le canal cylindrique,
H, Testicules.
/. Canaux déférens.
K. Conduit membraneux, dont l'extrémité antérieure
se replie pour former en partie les testicules.
L. Corps ovales membraneux , qui tiennent par un petit
canal à ce conduit.
M. Ovaires.
N O. Sacs membraneux , qui paroissent tenir lieu de
matrice et de vagin.
P. Corps ovale de nature analogue aux dents , et fixé
à l'anneau tendineux qui forme la bouche.
( i5i)
Figure 2.
^/essle respiratoire un peu grossie.
^Vaisseau sanguin latéral.
/ Branche yasculaire par oii le sang est porté du vais-
seau latéral à l'organe respiratoire, sur lequel elle se
ramifie à l'infini.
Figure 3.
A. Ovaires.
B C. Matrice et vagin , au moment de la gestation.
Figure 4.
j4. Canal membraneux , replié sur lui-même , placé
sous chaque organe respiratoire , et probablement
destiné à quelque sécrétion.
Figure 5.
A. Ce même canal distendu.
/i$(^ Jcu//^.
A^/A Jcid'/i,
JP.J21 '^ih^-^
/42<ié Jca^v.
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